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RÉFLEXIONS
CRITIQUES
SUR LA POÉSIE
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SUR LA PEINTURE.
RÉFLEXIONS
C R IT I (lU E s
SUR LA POÉSIE
ET
SUH LA PEINTURE.
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RÉFLEXIONS
CRITIQUES
SUR LA POÉSIE
E T
SUR LA PEINTURE.
Par M. l'Abbé DU B O S, l'un dei Quarante, 9(
Secrétaire perpétuel de l'Académie Fran^oilê.
SIXIÈME ÉDITION,
PREMIERE partie;
K Piflura Païft. Hor,deAit.P«éti
A PARIS,
Chez PlSSOT,QuaideConti,àlaSageflèi
M. Dec. L V.
,lfTC MtKOSAWH SI PJimMfi BU W.
.Google
■,r ..Google
AVERTISSEMENT.
J E tâche dans la première Partie de
cet Ouvrage , d'expHqueren quoi con-
fifle princi|>aléiflent la beauté d'un ta-
bleau Se la be'autè d'Un Poëme , que!
mérite t'un Sç l'autre iU peuvent tirer
de l'ebfervation des régles^, & quel
iecours enfin les produâions de la Poe-
fie &c celles de la Peinture peuvent
■eraprunteT des autres Arts , pour fe
montrer avecf^u&d'avaiitàge.
Dans la féconde Partie , je traite des
qualités , foit naturelles , fcvit acquifes ,
qui font les grands Peintres comme les
grands Poètes , & j'y cherche h caufe
qui a pu rendre quelques fiécles fi fé-
conds , & \éi autres fîédes ft Aériles
en Artifans célèbres. J'examine en-
fuite comment la réputation des Arti*-
Ëins iluftres S'établit ; à quels fignes on
peut prévoir fi la célébrité où ils font
de leur tems , efl un renom durable y
. ou bien une vogue palTagere ; & quels-
Jbnt enfin les préfages fiu- la foi def-
quefs il cÛ permis d'augurer que Ta re~
Bonunée d'un Peintre ou d'un Poctc:
:,-,zf--„GoOglc
vanté par fes Cottieffl^aiiw ; ira toù-
jours en augmentant , de manière qu'il
fera plus prifé enco/é. dans \es fiécles
avenir, qu'il ne l'a été dans le fieo.
La trcû&éme partie de cet Ouvrage
eft uniquegient employée à l'ezpou-
tîon de quçlqdes' 4^9^"^^^^^' que je
penfe avoir. iàitflE, Ç4»c«^n^nt les re-
préfematioa théâtrale; des Anciens*
Dans les Editions p«éeéde«te& dç mon
Livre , cette expoâtionfe. trouve dans
la première Partie, ^e l'avois placée à
l'endroit de l'Ouvrqge , où le fu)et pa-
roiHoit l'amefier. Maison m'aâit ob-
server que ma digreffion inférée oii
elle l'étoit, faifoit perdre jde vue trop
longtems la matière principale. Ainû
j'ai fuivi le confeil qu'on m'a donné ,
d'en faire un Volume féparé , & je l'aî
fiiivi d'autant plus voloat^rs , que les
augmentations que j'avoîs # faire à la
dtuertation dont il s'agit auroit ren^a
taa &ute dacore plus grabde.
:,-,zf--„GoOglc
TABLE
DES MATIERES.
PREMIERE PARTIE.
Seûion I . De la nice^té d'être occupé
pour fuir fenui; & dt Courait que les
mouvemeus dtspaffions ompauries hom~
mes f page 5
Seft. 1. De l'attrait des SpeSacles propres
a exciter en nous une grojide émotion.
Des Gladiateurs. IX
Seâ. 3. Que lemerite principal des Poèmes
& des Tableaux conjlfle à imitef les ohjets
qui auroient excité en nous despa^ons
réelles. Les payons que ces imitations
font naîtrf en nous j ne font que fuperfi-
cielles.
ïT
Seâ. 4. Du pouvoir que les imitations ont
fur nous , & delà facilité avec laquelle
le cœur humain eftému. i ç
SeÛ. ^. Platon ne bannit les Poètes de fa
République , qj^à. caufe de timprejîon
trop grande que leurs imitations peuvent
faire. 44
Seft. 6, De la nature des fujets que les
Peintres < s Poètes traitent, Qu'ils n
aiij
.Cooyic
TABLE
fçaurolent Us choijlr trop inténjfans ptw
tux-mênte\ 5 x
Seft. 7. Que la Tragédie nous affecte plus
que la Comédie , à caufe de la nature des
fujets que la Tragédie traite, çy
Seâ. 8. Des différeni genres dt la Poefie.^
& de leur caraSere. 63
Seâ. 9. Comment on rend /es Jujets dog-
matiques intértjfans. 6 %
Seâ. 10. ObjeSion tirée des tableaux , &
faite pour montrer que l'art de Vimita"
tiàniruérejjeplusqutlefujetmêmederi-
mitation. 69
Seâ, 1 1 . Que Us beautés de Vexécution ne
rendent pas Jiitles un Poème un bon our-
vrage , comme elles rendent un Tableau
un ouvrage préàeux, 7 3
Seâ. 1 2. Qu'un ouvragp nous intérejfe en
deux manières : comme étant un homme
en général , & comme étaht un certain
homme en particulier, yç
Seâ. 13. Qu'il t(i des fujets propres fpé-
ciaUment pour la . Poejie , & d'autres
Spécialement propres pour la Peinturs^
Moyen de Us reconnaître. 84 '
Exemples des fujets propres à réujftr en
peinture. 97
Des fujets connus. De ccifx qu'g le font
moins, fio
- -Google
TABLE
Se£l. 14. Qu'il cfi mime desfujttifpéàa'
liment propres à certains genres de Po^
J!e&J4- Peintures. Des fujets propres à
la Tragédie. 1 1 j
Seâ. 15. Des perfonnû^s de fcélerats
qu'on peut introduire dans Us Tragé-
dies, 1 10
Sed. 16. De quelques Tragédies dont le
fujet eji mal choijî. 1 1 Ç
Se3. 17. S'ilejl à propos de mettre de ta-
mour dans lès Tragédies. i jo
Seû. 1 8". Que nos voifins di/ént que nos
Poètes mettent trop d'amour dans leurs
. Tragédies. 1 38
Se£ï. if). Delà galkruerie qui eji dans nos
Poèmes. 149
Seâ. iO. De quelques maximes ip/ilfaut
obferver , en- traitant des fujets tragi-
ques. 1 5.^
Seû. it. Du choix des Ju/ets de Comédies.
Où il en faut mettre la feint. Des Co-
médies Romaines. 164
Différentes efpeces de Comédies ché^ Us
anciens Romains, 168
Seâ. lî.. Quelques remarques fur la Poo-
Jîe Pafiorale Sf fur les Bergères des
Egloguts. 179
Se£t. 2 j . Quelques remarques fur le Poemc
Epique, Obferyation touchant le Htu & U
■,r ..Google
TABLE.
ttms 0* il faut prendre fort action^ l^-f
Sed. 14. Des a&iorts allégoriques & des
perJÔTiTiages allégoriques par rapport à
la Peinture. 191
Sed. 1^, Des perfonnages& des aSions al-
légoriques par rapport à la Poejlt, llj
SeÛ i6. Q^ue les Jujets ne foTU point épui-
Jes pour les Peintres. Exemples tirés des
Tahleaux du Crucifimtnt. 232
StOc. 17. Que les fujets ne font point épui-
fés pour les Poètes. Qu'on peut trouver
de nouveaux caracleres dans la Comé-
die. 238
Sefl, 18. De la vraifemblanct en Poe-
fie. : 248
Seû. 19. Si les Poètes tragiqiies Jont obli-
gés defe conformer à te que la Géogra-
phie , l'Hifioire & la Chronologie nous
apprennent pofitivement. Remarques à
et fujetfuT quelques Tragédies de Cor-
neille & de Racine, 256
Seâ, 30. De la vraifemblanct en Peintu-
re , & des égards que les Peintres doivent
aux traditions reçues. 168
Seû. j I . De la di(po{îiion du Plan. Qu'il
faut divifer tordonnance des tableaux
en compbfition Poétique & en compofi'
lion Pittorefjue, 28 O
Seû. 31. De l'importance des fautes ^e
■ iCoo^lc
TABLE
Us Peintres & les Poètes peuvent faire
contre Us regUs. lS.9
Seâ. 33. De /a Poejîe du fiyle dam la*
quelle les mots font regardés en tant que
lesjîgnes de nos idées. Que c'eflla Poejîe
du fiyle qui fait la defiinée des Pontes,
SeQ. 34. Du motif qui fait lire Us poefiesi
Que Con n'y cherche pas rinfiriiaion
comme dojis Us autres livres. 304
Se£t, ^^. De la mécanique de, la Poefe qui
m regarde les mots que comme de_fimpUs
fons. avantage des Poeus qui ont com*
pofé en Latin , fur ceux qui eompoftnt
en François. 51J
Fers de CAbbé de Ckaulieu. 3 ; 5
Se&. 36. De la Rime. 358
Seâ. 37. Que les mots de notre iangue na-
turelle font plus d'impreffÎQnfur nous
que Us mots d'uru langue étrangère. ^65
Seâ. 38. Que Us Peintres dutems dt'Ra-
phaïl n'avoiem point d'avantage Jur
ceux d'aujourd'hui. Les Peintres de
V antiquité. 3 70
De quelques Statuts & Groupes anti-
ques. 399
Seft. 39. Enquelftns onpeutdtre quela
nature fe Joit enrichie depuis Raphaël.
40a
:,-,zf--„GoOglc
T A F L E:
SèÔ. 40. 5/ le pouvoir de la Pànturtfur
ks ftomnus ejlplus grand ^ue le pouvoir
delàPoeJîe. 41 (
Seâ. 4 1 . i>e lafimple récitation & deût
déclamation. 41^
ScSt. 42. De notre ntaniere de réciter la
Tragédie & la Comédie. 44 1
Seâ. 43'. £.1» le plaijîf quer nous avons
au théâtre liefi point Vaffet de VUlufioit,
4ÎÎ
5e£l. 44< Que les Poèmes dramatiques pur^
gent Uspaffions. 4^j>
Seifti, 45. De la Mujîque proprement dite.
46»
Seft. 46. Quelques rèfiexioitsfur laMuJt'
que des halïeas. Que les Italitns n'ont
cultivé cet art qu 'àpris Us François & Us
Flamands. ' 48^
Seft. 47. Quels vers font les plus propre»
à être mis en mufique. Y>4.
Sefl. 48. Des Efiampes fr des Poïme» .
enprofe. 510
Seâ. 49. Qi^ilefiinutiUdtdifiuterJi'la
partie du deffeinSf de l' expreffion efi pré-
férable à la partie du coloris. 512
Seâ. 50. De la Sculpture , du talent
quelle demande , & de l'an des Bas-
rdiefs. 5.18
Fin de la Table*
.Cookie
REFLEXIONS
CRITIQUES
SUR LA POESIE
SUR LA PEINTURE.
PREMIERE PARTIE,
CJN éprouve tous les jours que les
vers & les tableaux caufent un plaîiir
lenfible ; mais il n'en elt pas moins
difficile d'expliquer en quoi confifle ce
plailir qui reffemble fouvent à r;.fflic-
lion , & dont les llmptomes font quel-*
quefois les mêmes que ceux de la plus
vive douleur. L'art de la Poëfie & l'art
de la Peinture ne font jamais plus ap*
plaudis que lorfqu'ils ont réuflî à nous
aiBiger.
La repréfentation pathétique Ai Sa-
crifice de la fille de Jepthé enctiaffés
■„r., Google
t" Réfitxions crîàqttts
dans une bordure , fait le plus bel or->
nement d'un cabinet qu'on a voulu ren.-
4ire agréable par les meubles. On né-
glige , pour contempler ce tableau tra-
gique , les fujets grotelques &Jes conb-
pofitions les plus riantes des Peintres
galants. Un poëme , dcmt le .fujet prin-
cipal eu la mort violente d'une jeune
Princeffe , entre dans l'ordonnance d'u.
ne fSte \ &: l'on deftine cette tragédie
à faire le plus grand plai^ d'une com*
paghie qui s'àffeijiblera pôurfe diverj-
tir. Généralement parlant, les hommes
trouvent encore plus de plaifu- à plçu-
ler , qu'à rire au théâtre.
Enfin plus les aÛions que la Poefîe fie
la Peinture nous dépeignent , auroient
fait fouffrir en nous Hiumanité fi nous
les avions vilps véritablement , plus les
imitations que ces Arts nous an préfen-
tfcnt ont de pouvoirfur nous pour nous
a'ttacher. Ces allions , dit tout le mon-
de , font des fujets heureifx, Un^ charme
feci et nous attache donc fur les imita^f"
tion* que les Peintres &C les Poètes en
fçavent faire , dans le tems même que
la nature témoigne par un frémifTement
iiitérieur qu'elle fçfouleve çonti;© fôfï
jpropre. plaifir» ' : ■
■ C.oo.jlc
fitr la i^o<fa &fur ia P^nturt. \
J'ofe entreprendre d'édaitcir ce pa-
radoxe , & d'expliquer l'origine du plai*
fir que nous font les vers & les ta-
bleaux. Des eotreprifes moins hardies
peuvent paffer pour être téméraires ,
puifque c'eft "vouloir rendre compte à
chacun de fon a^^obatton & de fes
dégoûts i c'eft vouloir inftruire les au-
tres de la manière dont leurs propres
fentinens uaiHent en eux. Ainû je ne
fçaurois efpérer d'être aj^rouvé , fi j«
ne parviens point à faire reconnoître
au leâeur dans mon livre ce qui fe pafle
en lui-même , en im mot les mouver
mens les plus intimes de Ton cœur. On
n*fa£{ite guéces à rejetter comme un mi«
roir infidèle k miroir où l'on ne fe rer
connoît pas.
■ Les Ecrivains qui raifonnent iùr des
matières , s'il étoit^permis de parler ain»
ii, moins, paipables , errent fouvent avec
impunité. Pour démêler leurs Êiutes , il
«Il néceffaire de réfléchir, & fouvent
même de s'inftniire ; omis la matière
que j'olè traiter eft préfente à tout I«
monde. Chacun a chez lui la règle ou le
coo^s applicable à mes raifonnemens ,
r & chacun en fentira l'erreur , dès qu'il*
«'écarteioist tant foii pe» de la véri.tç,j
Aij ■
:,-,zf--„GoOglc
f RljUxlons critîqtut
DHin autre côté , c'eft rertdre un fer»-'
vice important à deux Arts que l'on
compte parmi les plus beaux omemens
des Tociétés polies , que d'examiner ea
PhiloJbphe comment il anive que leurs
produâions &flient tant d'elFet &r leç
hommes. Un livre qiû , poiu* ainfi dire .
déployeroit le cœur humain dans l'inlV
tant oU il eu attendri par un poëme ^
ou tQuché par -un tableau , donneroit
des vues très-étendues & des lumières
iuAes à nos Artifans fiir l'effet générai
de leurs ouvrages , qu'il femble que la
plupart d'entr'eux ayent tant de peine
à prévoir. Que les Peintres & les Poè-
tes me pardonnent de ks défigner fou-
vent par le nom d'Artifan dans le cours
de ces Réflexions. La véiiération que
j'y témoigne poiu- les Arts qu'ils proief^
ient , leur fera Voir que c'eft unique-
ment par la crainte de répéter trop fou-
vent la même chofe , que je ne joins pas
toujours au nom d'Artifan le mot d'il*,
lufee , cniquelqu'autre épidiéte conve-
jiable. Le delTein de leur être utile , eft
même un des motifs qui m'engagent à
publier ces Réflexions , que je donne
comme les repréfentations d'un fimple
(Itoyen , qui fait ufage des exemple*
:,-,zf--„GoOglc
fur U Poèjte & fur la Peinture: ?f
tirés des temspaffés ,dans le deffein d«
porter fa Réçubliqiie à pourvoir encore
mieux aux inconvénieiis i venir. S'il
i»*arrive quelquefois d'y prendre le ton
de Législateur , c'eft par inadvertance ,
& non point parce que je me figure d'en
avoir rautonté.
SECTION I.
De U rUceffiti d'être occupé pour fuir Cet>
nui f & de l'aitrait ^ue les mouvement
du pajftons ont pour Us hommes.
J_Es hommes n'ont auCun plaifir na-
turel qui He,foit le fruit du befoin ; ôc
■c*eft peut-êtfe (îe que Platon vouloit
donner à concevoir , quand il a dit en
ion &y\e allégorique , qiie l'Amour éfoit
né du mariage du Befoin avec l'Abon-
dance. Que ceux qui compofent un
cours de Philofophie , nous expofent
la fageïFe des {wécautions que la Provi-
dence a voulu prendre, & quels moyens
«lie a choifi pour obliger les hommes
par l'attrait du plaifir à pourvoir à leur
fropre conservation ; il me fuffit ouï
jette vérité ibit hors de conteilauoa
A iij
3 -izf-, Google
^ Réflexions eriiiquu
pour en faire la bafe de mes raîfonne-*
mens.
Plus le befoin eft grand , plus le plai»
fir d*y fatisfàire efl ien^le. Dans les
. feâins les plus délicieux , où Ton n'ap<-
porte qu'un appétit ordinaire , on ne
lent pas un plaifir aiiffi vif qne celui
qu'on reffent en appaifant une iàim vé-
ntable avec un repas groiEer. L'art
fupplée mal ï la nature ; & tous les ra-
finemens ne fçauroient apprêter , pour
ainfi dire , le plai£r auffî-laen que le be^
foin.
L'ame a Tes befoins comme le corps ;
& l'un des plus grands befoins de l'hom-
me , eft celui d'avoir refprit occupé.
L'ennui qui fuit bien-tôt. Tinaâion de
l'ame , eft un mal fi douloureux pouf
l'homme , qu'il entïeprend fouvent les
travaux les plus pérables , aSn de s'é-
pargner la peine d'en être tourmenté.
Il eii fecile de concevoir comment
les travaux du corps , même ceux qui
femblent demander le moins d'applica-
" tion , ne laiflent pas d'ocaiper l'ame.
Hors de ces oecafions , elle ne fçatuoit
être occupée qu'en deux manicres : ou
t'ame fe livre aux imprelSons que les
objets extérieurs font fiu* elle j & c'eft
..Google
fur ta Poêp & fur ta Ptîntun. f
«e qu'on appelle fentir : ou bien elle
s'entretient elle-mênie par des fpécU'*
lations fur des matières , foit utiles ,
ibit ciuieufes ; & c'eA ce qu'on appelle
réfléchir Se nîéditâr.
L'aine trouve pénîbk , & foéme im*
(>raticable quelquefois , cette féconde
manière d£ s'occuper , prînctpaleiBient
quand ce n'eu pas un fentiment aduef
<^u récent qui eu le fujetdes réflexions^
Il faut alors que Tame faâe des eâbrts
continuels pour fuivre l'objet de Ibn
attention ; & ces eâbrts rendus fouvent
iniruâueux par la difpofîtion préfente ,
Aei organes du cerveau , n^aboutitfent
Si'à une contention vaine & âérile.-
u l'imagination trop aibunée ne pré-
fente phis diitinûemen^aucian objet,&
une in£nité d'idées fans liaifon & fans
rapport s'y fticcédent tumuttueufement
Fune àl'autre : ou l'cfprit las d'être teiw
■ du fe relâcbe ; & une râverie morne Se
languiflante , durant kçtueUeilnc. jouît
préciféntent d'aucun objet, eâ l'unique
fruit des efibrts qu'il a &its pour s'oc-
cuper lui-même. Il n'eft perfonne qui
n'ait éprouvé l'ennui de cet état^où l'on
n'a point la force de penfer à rîen ; &: la
■peine de cet autre hz% , ott malgré foi
Aiv
i),-,î*., Google
ir ■ Réflexions critiques
l'on penfe à trop de chofes , fans poti—
voir fe fixer à ion choijt fur aucune eix
-particulier. Peu de perfonnes mêmes
font allez heureufes poiu- n'éprouver
que rarement un de ces deux états , Sc
pour être ordinairement à elles-mêmes
une bonne compagnie. Un petit nombre
peut apprendre cet art , qui » pour me
îervir de l'expreffion d'Horace , fait vî-
. vre en amitié avec foi-même : Quod «
tihi reddat amicum. Il faut , pour en être
capable , avoir un certain tempérament
d'humeurs , qui rend ceux qui rappor-
tent en naiffant auffi obligés à la Provi-
dence que les fits aînés des Souverains! .
Il fiiut encore s'être applique dès la ieu-
■neffe H des études & à des pcalçatianS
dont les travaijx demandem beaucoujp
de méditation : Il kmX. que Tefprit ait
contrafté l'habitude de mettreen ordre
fes idées & de penfer fur ce qu'il lit ; car
laleâure où l'efpritn'agit point, & qu'il
ne foutient pas en Jàifant des réflexions
Ait ce qu'il lit , devient bien-tôt fujette
■à l'ennui. Mais à force d'exercer fon
imagination , on la dbmpte ; & cette
fecuité rendue dOcile fait ce cju'on Im
demande. On acquiert , à force de mé-
^er, l'habitude de tran^rter à fo^
■,r ..Google
fur U-Po^t &fur la Ptmture. ,-9
^ë fa penfée d'un objet fur un autre ,
' ^u de la fixer fur ut certain objet.
Cette converfafion avec foi -mémo
met ceiixqui la fçavent faire à l'abri d(i
l'état de langueur & de mifcre dont
nous venons de parler. Mais , comme
je l'ai dit , les perfonnes qu'un fang fans
aigreur & des humeurs lâns venin ont
prédeftinées à ime vie intérieiu'C fi dou-
ce , font bien rares. La fituation de leur
efprit eJlmême inconnue au commun "
des hommes , qui jugeant de ce que les
autres doivent fouffrir de la folitude
par ce qu'ils en fouffrcnt eux-mêmes ,
pcnfent que la folitude eft im mal doit*
ioureux poiu" tout le monde.
La première manière de s'occuper
dont nous avons parlé, qui eft celle de
fc livrer aux impreflions que les objets
étrangers font fur nous , eft beaucoup
Î'ius ftcile. C'eft l'unique reflburcc de
a plupart des hommes contre l'ennui ;
& même les perfonnes qui fçav ent s'oc-
cuper autrement, font ODligées,pournc
pomt tomber dans la langueur qui fuit
la durée de ^a même occupation , de (é
prêter aux emplois & aux plaifirs du
commun des homm?s. Le changement
de travail 6c de plaifir remet en mour
A Y
:,-,zf--„GoOglc
'f O Rifiexîons cntîqtM
vement les efprits qiii commencent 3
s'appefamir : ce changement femblG
rendre à l'imagination épuifëe une nou-*
yelle vigueur.
Voilà pourquoi nous voyons les hoi»-:
mes s'erabarraffer de tant d'occupations
' frivoles & d'aflàîres inutiles. Voilà ce
qui les porte à courir avec tant d'ardeur
'après ce qu'ils appellent leur plaifir ,
comme à fe livrer à des paffijsns dont
ils connoiflentles fuites fScheufes , m^
me par leur propre expérience. L'in-
quiétude que les afiàires caufent , ni les
mouvemens qu'elles demandent , ne
■fçauroient plaire aux hommes par eux-
mêmes. Les pafllons qui leur donnent
les joies les plus vives , leur caufent
aufli des peines diu-ables & doidoureu-
les ; mais les hommes craignent encore
plus l'ennui qui fuit l'inaftion , & ils
trouvent dans le mouvement des alfid-
■ res & dans ryyreffe des paffions une
émotion qui les tient occupés. Les agi-
tations qu'elles excitent , fe réveillent
encore durant la folitiide ; elles empê-
chent les hommes de fe rencontrer tête
à tête , pour ainfi dire , avec eux-mê-
mes fans être occupés,c'eft-à-dire,de fe
trouver dans l'affliaion ou dans l'ennui.
■„r., Google
fur la. Poêjle & fur la Piinture, 1 1 '
Quand les hotnnies dégoûtés de ce
qu'on appelle, le monde prennent laré-
lolutîon d*y renoncer , il eft rare qu'Us
puiflent la tenir. Dès qu'ils ont connu
rinaâion , £-tôt qu'Us ont comparé ce
qu'ils foudroient par l'embarras des a^
faires & par l'inquiétude des payions ,
■avec l'ennui de l'indolence , ils vien-
nent à regreter l'état tumultueiix dont
ils ëtoîent lî dégoûtés. On les acaife
ibuvehtàtortd'avoirfeit parade d'une
modération feinte ^ lorfqu'ils ont pris
le parti de la retraite. Ils étoient alors
de bonne foi ; mais comme l'agitation
excefllve leur a fait fouhaiter ime plei-
ne tranquillité , im trop grand loifir leur
fait regreter le tems oil ils étoient tou-
jours occupés. Les hommes font encore
plus légers qu'ils ne font diflîmulés ; &
îbuvent ils ne font coupables que d'in-
conftance , dans les occaiions oti l'on^
les accufe d'artifice.
Véritablement l'agitation oh les paf--
fions nous tiennent , même durant la fo--
Ktude , eft fi vive , que tout autre état
eft \\n état de langueur auprès de cette "
agitation. Ainfi nous courons par inf-
tinft après les dijets qui peuvent excir
ter nos paffions , quoique ces objets-
A vj
:,-,zf--„GoOglc
12. Jiéflcxlom entljueè J
faiTent fur nous desimpreflions mii notîS
■coûtent fouvent des nuits inquiétés Ôc
des journées douloureuies : mais les
hommes en général foufirent encore
plus à vivre fans jpalîîons, que les pal> ■
iîons ne les font fouffiir.
SECTION II.
'J)e fattrait des SpeciacUs propres à exct-i.
ter en nous une grande émotion. Des
Gladiateurs.
Vj E t t e émotion naturelle qui s'ex-
cite en nous machinalement , quand
nous voyons nos femblables dans le
danger ou dans le malheiu , n'a d'autre
. attrait que celui d'êtreime pàflion dont
les mouvemens remuent Tante & la
tiennent occupéejcependant cette émo-
tion a des charmes capables de la ^ire
rechercher , malgré les idées triftes &
importunes qui l'accompagnent & qui
la fuivent. Un mouvement que la rai-
fon réprime mal , iàit coiuir bien des
perfonnes après les objets les plus pro-
pres à déchirer Je cœin-. On- va voir en
. ^ulç yn fpeftacle des plus afireux que
:-,.Xooyk
fur fi: Poéfit ùfurld TtXntun, 1^
les hommes piiiflent regarder ; je veux
dire le fitpplice d'un autre homme qui
/ubit la rigueur des loix -(ur un échaf-
faud, & qu'on conduit à la mort par des
toiirme'ns etfroyables : on dcvroitp'rc-
■Voif néanrnôins j fuppofé qu'on ne le
fçCit pas "déjà par fon expérience , que
les circonftances du fiippHce , que les
semiflemens de ion iemblablc , feront
fiirlui , malgré lui-^nême , une impref-
iion durable qui le tourmentera long-
lems avant que d'être pleinement cm-
cée ; mais l'attrait de l'émotion eft plus
fort pour bien deS gens que les réfle-
xions & que les comeils de l'expérien-
ce. Le monde dans tous lespays va voir
€ti foule les fpeflacles horribles dont
je viens de parler.
C'eft le même attrait qui fait aimer
les inquiétudes & les allarmes que eau*
fem les périls , oîi l'on voit d'autres
hommes expofés , fans avoir part i
(leurs dangers. U eft touchant, dit Lu-
crèce {a) , de voir' du rivage un vaïf-
feati lutter contre les vagues qui le veu-
lent engloutir , comme de regarder imâ
bataille d'une hauteunl'oti l on voit en
pureté la mêlée ; '
. (4) D, K-/. . w. /.i. 1^ - '
1, Google
[t4 "Rifitxtons eruiquti
Suatt mari magn» , turban'ihiis «quart pv
S Itrrd alttrva magmaaJplUart Uborrm ;
Sua*! «km btlli e
Pfr campoi ûifiruSa , lui Jîniparri piriciU
Plus les toHTS qu'un voltigeur témé-^
raire fait fur la corde font périlleux ^-
ptus le conunun des fpeûateivs s'y rend
attentif. Quand il fait un faut entre deu:^
épées prêtes à le percer , fi dans la cha-
leur du mouvement fon corps s'écartoit
d'un point de la ligne qu'il doit décri-
re , il devient un objet digne de toute
notre auiofité. Qu'on mette deux bâ-
tons à la place des épées , que le vot-
■ tigeur faire tendre fa corde à deux pieds
de hauteur fur xme prairie,ilfera en vain
les mêraesfauts & les mêmes toiu-s;ort ne
daignera plus le regarder ; l'attention
du fpeÛateur cefleroit avec le danger.
D'oïl venoit le plaifir extrême que
les Romains trouvoient aux fpeâades
del'amphithéâtreîOnyfaifoit déchirer
des hommes vivans par des bêtes féro-
ces. Les Gladiateurs s'entr'égorgeoient
par troupes fur l'aréne. On rafinoit mê-
me fur les inftnimens meurtriers que
ces malheureux dévoient mettre en œu-
vre pour s'entretuerXe n'étoit point au
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poêft &fur la Pùnture". t J
bazard qu'on avoit armé le Gladiateur
Ratairt d'une façon , & le MirmUhn
d'une autre ; on avoit cherché entre les
armes ofTeniîves & les armes défen£-
ves de ces Quadrilles une proportion
'qui rencHt leurs combats plus longs Se
plus remplis d'événemens ; on voulcwt
que la mort y vînt à pas plus lents &
plus atfreux. D'autres Quadrilles com-
battoient avec d'autres armes. On vou-
loit diverfifier les genres de mort de ces
hommes fouvent innocens.On les nour-
HfToit même avec des pâtes & des ali-
mens propres à les tenir dans l'embon-
point y ahn que le fang s'écoulât plus
lentement par les blemires qu'ils rece-
Vroient , & que lefpeûateur pût jouir
ainfi plus long-tems des horreurs de
leur agonie. La profeffiond'inftniire les
Gladiateurs étoit devenue un art : le
goût que les Romains avoient pour ces
combats , leur avcnt fait rechercher de
la délicatelTe , & introduire des agré-
mens dans un fpcftacle que nous ne
fçaurions imaginer aujourd'hui fans
horreiu-. Il falioit que les Maîtres d'£f-
trime (n) qui infbuifoicnt les Gladia-
teurs , leur montraient non-feulement
(.) Uni/Il.
:,-,zf--„GoOglc
t6 Rifiexîons erulqiué
à fe tMen fervir de leurs armas ; mais 2f
falloit encore qu'ils enfeignaffent à ces
'inalheureufesviâimes dans quelle atti>-
tude il falloit fe coucher , & quel main-
tien il falloit tenir, lorfqu'on étoit bief-
a mortellement. Ces Maîtres leyr ap^
prenoient , pour ainfi dire , à expirer de
bonne grâce.
Ce fpeflacle ne s'introduifit point h
Rome à la faveur de la groffiereté des
cinq premiers fiécles qui s'écoulèrent
immédiatement après fa fondation •
quand les deux Brutus donnèrent auv
Romains le premier combat de Gladia-
teurs qu'ils euffent vu dans leur ville ^
les Romains étoient déjà civilifés. Mai$
loin que l'humanité & la poHtcfle des
fiécles fuivans ayent dégoûté les Ro-
mains des fpeâacles barbares de l'am*
phithéâtre,au contraire eilesles en ren-
dirent plus épris. Les Vierges Veilales
avoient lelu- place marquée fur le pre-
nûer degré de l'amphithéâtre dans les
temsdelaplus grandepolitelTe desRo- .
mains, & quand «nhcmimepaflbit pouf '
barbare , S'il faifo'u marquer d'un fer
tkaudfon efclave qui avait vole le ii/ige,
^ taille ((z) , crime pour lequel les loi^
(.a) /h I t»tl 1 Sét. 1 4. V, 11. ,
:,-,zf-,GoOglc
furiaPoefie&furlaPtmiure: \y
ieondamnent k mort,dans h plupart des
pays Chrétiens , nos domeftiques qui
font des hommes d'une condition libre.
■ Mais les Romains fentoient à l'amphi-
théâtre une émotion qu'ils ne trou*
voient pas au cirque ni au théâtre. Les
combats des Gladiateurs ne celTerent à
Rome qu'après que la religion Chré-
tienne y fut devenue la rehgion domi-
nante , & que Conilantin le Grand les
eut défendus par une loi exprefle (a). '
Il y avoit déjà cinq cens ans (*) que
les Romains avoient condamna leur
gofvt po\ir les fpeflacles de l'arène , en
défendant à tous les fujets de la Répu-
blique d'immoler aucune viQime hu-
maine , torique les condiats dont je par*
le , furent abolis. ■
i'altraif dufpeflacle des Gladiateurs
4e fit aimer des Grecs auffi-tôt qu'ils le
connurent : ils s'y accoutumèrent, quoi-
qu'ils n'euffent point été familiarifés
avec fes horreurs dès l'enfance. Les
■'•principes de Morale oîiles Grecs étoient
■alors élevés , ne leur permettoientpas
d'avoir d'autres fentimens que des len-
'timÀis d'averfipiff pour un fpeûacie ,
■ iéicod. 'Ht. l'b I. til, 44 (.J, -«IM,
■ (*J >tM . h,jl. W. tfSf "f I.
:-,^., Google
-tS RifitxioRS Crmquu
oîi , dans le deiïein de divertir Taffem^
blée , en égofgeoit des hommes qui iou-
vent n'avoient pas mérité la mort.
. Sous le règne d'Antiochûs Epi[Aane ^
Koi de Syrie , les arts & les fcîences
qui corrigent la férocité de ITiomine ,
& qui même quelquefois amoMent
trop fon courage , fleuriflbient depuis
Jong-t ems dans tous les |sy s habités par
les Grecs. Quelques ufages pratiqués
autreÊMS dans les jeux fimébres , & qui
pouvoient reflembler aux combats oes-
Gladiateurs , y éloieat abolis depuis
long-tems. Antiochus qui formoit def
grands projets , & qui fflettoit en œu-
.vre f pour les faire rénflir , le geare de
Aiagnilîcence qui eâ pro|»'e à concilier
aux Souverains la bienveîUance die»
Nations , fit venir de Rome à grands
frais des Gladiateurs, pour donner aiUE
Grecs, amoureux de toutes les fêtes, un
fpeflacle nouveau. Peut-être penfoit-il
auffi qu'en afliftant à ces conu>ats. , 00
conçut le mépris de la vie qui avoit reit-
du le foldat des Légions plus déternûné
que celui des Phalanges , dans les giier-r
res , où fon père Antiochus le grand 6c
Kiiiippe Roi de Macédoine avoient tté
battus par les Romains, D'abord , dit
:,-,zf--„GoOglc
fuT tor Poèjie & fur la Ptîniure. 19
•Tîte-Live , Taréne ne parut qu'un ob-
jet d'horreur. Qu'on s'imagine ce que
les Grecs , toujours ingénieux à fe van-
•ter , comme à rabaiflier les Barbares ,
-purent dire fur la férocité des autres
Nations ; Antiochus ne fe rebuta point.
Afin d'apprivoîTer peu àpeu les peii|des
-avec fon nouveau u)eâacle,il y fit com-
-I>attre les Champions ieulemeot jul^
-qM^au premier fans. Nos PfailoTopkes
regarderentavec pkific ces ccHi^tsoà-
•tigés ; mais bieo^tôt ils ne détoutnereat
-puis les yeux des combats à toute ou-
trance , & ils s'accoutumèrent à voir
tuer des hommes uniquement pour les
'^vettar V il feibima siÊrae des Gkdia-
teur» dam le paijs. {a) Glad'aaorum mu-
Tttts Roma/Kt eoi^uemtéms > primb majort
vum ttrrort homman , infuaorum ad taU
fptSactiium , quàm ciim vdupiatt Jtdit : •
ihittdeftepiùs Jimda , & moJi> vulner'tbtts
■Unia , moJàJïnt miffione ttiam , ùfami-
iiare oculis gratumqtu idfptSaatlum fic'rtt
■& armorum fiudium pUrifyat juy*mua
■tuctnàit, Itaque , quiprimh ah Roma ma-
gms pramiis paratos Gladiatorts areeffen
Jblitus erat , jam fuo , &c.
Nous avoiu dans notre votûnage ua
:,-,zf--„GoOglc
iO ■ RéfitxioTis crîtiquei
peuple teHement avare des fouflTance^
des hommes, qu'il refpeûe encore l'hif-
•manilé dans les plus grands fcélérafs. fl
a mieux aimé que les criminels écha—
paffent fouventauxCbâtimensque l'in-
térêt de la fociécé civile demanae qu'on
leur fafle fubiP", que de permettre qu'un
innocent pût être jamais expofé à ces
tourmens dont les Juges fe fervent dan^
tes autres pays chréttens pourarracher
-aux accufés l'aveu de leurs crimes.'
Tous les fupplices dont il permet l'ufa^
ge , font de ceux qui tuent !es condant-
nés fans leur faire fouârif d'autre peine
^ue la mort. Néanmoins ce peuple , fi
i;elpeâueux envers l'humanité , le plak
infiniment à voir les bêtes s'entre-dë^
chirer. II a même rendu capables de fe
tiier ceux des animaux à qui la nature
a voulu refirier des armes qui puffent
felre des bleffnres mortelles a leurs
lèmblables ; il leur fournit avec indiif-
Erie des armes artïBcielIes qui blelîenc
fecilement à mort. Le peuple dont je
parle ^ regarde encore' avec tant de
plaifir des hommes , payés pour cela-,
îè battre jufqu'à fe faire des bleflures
«langereufes , qu'on peut croire qu'il
aoroit de véritables Gladiateurs L 1%
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poèjît Ofur la Ptituun. 1 1
Romaine , fi la Bible défendoit un peu'
moins pofirivement de verfer le lanç
des honunes horsles cas d'une abloluc
néceffité.
On peut dire la même chofe d'autres
Kations très-polies , &C qui font profef*
fion de la religion ennemie de l'cffu-
fion dufang humain. Les fêtes les |^us
chères à nos ancêtres , les tournois n'é-
toient'iis pas des fpeâacles oîi la vi«
des tenans couroit un véritable dan-
ger ? Il y arrivoit quelquefois que la
lance à roquet blelToit à mort aum-bien'
que la lance à fer imolu i la France ne
Réprouva que trop , quand le Roi Hen-
ri U fut-blelTé mortellement dans une
es ces fêtes. -Mais nous avons dans nos
Annales une preuve encore plus forte
eue celle-là , pour montrer qu'il eft
fians les fpeâacles les plus cruels «me
efpece d'attrait capable de les foire ai-
mer des peuples les plus humains. Les
combats en champ clos , entre deux ou
plufieurs champions , ont été long-tems
en ufage parmi -nous , & les petionnes
lespluseonfidérables de la-Nation y ti-
roient l'épée par un motif plus férieux
que ceitïi de divertir l'aff emblée ; c'ér
WJ t peur vuidei leurs ^juerelles y c'éioit
■„r., Google
%± Réflexions critiques
pour s'entretuer. On accouroît cepen-?
dant à ces combats comme à des £êtes $;
& la Cour de Henri U^û polie d'ail-
leurs, aniAa dans S. Germain au duel,
de larnac & de la Chategneraie.
, Les fêtes des taureaux coûtent bien
Ibuvent la vie aux combattans. Un gre-
nadiern'eftpas phisexpofé à l'attaque
d'un chemin couvert , que le font les
champions qui combattent ces animaux
fiirieux. Les Efpagnols de toute condi-
tion montrent néanmoins pour des fô«
tes fi dangereufes l'empreifement qu'a-
voient les Romains pour les fêtes de
l'amphithéâtre. Malgré les efforts des.
Papes pour abolir les combats de tau^
reaux , ils fubfiilent encore ; & la na-
tion Efpa^nole , qui fe pique de par<à^.
tre du moins leur obéir avec foumif-
fion , n'a point eu dans ce cas-là de dé-
ierence pour leurs remontrances -Qc
pour leurs ordres. L'attrait de l'émo-
tion fait oublier les premiers principes
de l'humanité aux nations les plus dé-
bonnaires , & il cache sax plus chré*
tiennes les maximes les plus évidentes
de leur religion.
Beaucoup de perfbnnes mettent tou^
Ifisjoiu-s ime partie ccto&dérable de leuc
:,-,zf--„GoOglc
fur la. Potjîe & fur la Peinture, % f
Men à la merci des cartes & des dez ^
^oiqu'eltes n'ignorent point les mau-
vaifes luttes du gros jeu. Les hommes
.ennchis par Tes bien^its , (ont comius
de toute l'Europe , comme le font ceux
aufquels il eft arrivé quelque avanture
finguliiere.I^shommes riches & ruinés
par le jeu , palTent en noiqbre les gens
robuftes ^e tes Médecins ont rendus
în&mes. Les fols &: les fripons font les
feuls qui jouent par un motif d'avaric9'
& dans la vue d'augi^enter leur bien
par des gains continuels. Ce n'eft donc
point l'avarice , c'eftl'attraitdujeuqui
iàit que tant de perfonnes fe ruinent à
jouer. En effet un joueur habile doué du
talent de combiner aifément une inani-
té de circonflances. Se d'en tirer prom^^*
•tement des conféquences juAes ; un
joueur habile, dis-je, pourroit feire tous
les jours un gain certain en ne rifquant
fon argent qu'aux jeux où le fuccès dé-
pend encore plus de l'habileté des te-
nans , que du hazard des cartes 5c des
dez ; cependant il préfère par goût les
jeux oh le gain dépend entièrement du
caprice des dez Se des cartes , & dans
iefquels fon talent ne lui donne point
fl£ fupériprité fur les AMtres joueurs. La
:,-,zf--„GoOglc
t4 Réflexions critiques
raifon d'une prédileûion teUement op^
pofée à fes intérêts , c'eil que les jeux
qui laiflent une grande part dans révé-
nement à l'habileté du joueur , exigent
une contention d'efprit plus fuivîe ; &
qu'ils ne tiennent pas l'ame dans une
émotion continuelle , ainli que le jeu
des Landiquenets , la Bafîette & les au^
très jeux oti les événemens dépendeot
«ntiérement du hazard : à ces deniiers
tous les coups font décilîis , & chaque
événement fait perdre ou gagner quel-
que chofe. Ils tiennent donc l'ame dans
une efpece d'extafe , & ils l'y tiennent
encore fans qu'il foitbefoin qu'.elle.coa-
Tribue à fon plaifir par une attention fé-
rieufe , dont notre pareffe naturelle,
cherche toujours à fe dîfpenfer. La pa-
reffe eft un vice que les hommes fur-
in<Vitent bien quelquefois , mais qu'ils
ti'étouffent jamais : peut-être eft-ce tm
ionheurpourla fociété que ce vice ne
puiffe pas être déraciné. Bien des gens
croyent que lui feul il empêche plus de
mauvaifes aÛions que toutes les ver-
tus.
Ceux qui prennent trop de vin , ou
qui fe livrent à d'autres pallions , en
eonnoilTent fouyent les mauvaifes fui-
:,-,zf--„GoOglc
fur la Po'èfii &fur la Pemtart: 1 ^
tes bien inieitx que ceux qui leur font
des remontrances ; mais le mouvement
naturel de notre ame , eAde le livrer à
tout ce qui l'occupe , fans qu'elle ait ta
peine (Tagir avec contention. Vo.U
potvquoiui plupart des hommes f.nt
allu)ettis aux goûts & aux inclinations
qui font pour eux des occalions fré'
quentes d'être ocaipés agréablement
par des Tenfations vives & fatisfàifan-
tes. Trahit fua qumiqae voluptOS. En CC'
la les hommes ont te même but ; mais
comme ils ne font pas organifés de ma-
rne , ils ne cherchent pas tous les mê-
mes plaifirs^
SECTION III.
QiM U mirite principal Jes Po'èmes & âa
Tabltaux con^e à imùer Us objets qui "
auroitttt excite en nous dtspaj^ons riel-
Its. Les paffîons que ces imitations font
naître en nous ne font quefuperficUlles, '
Quand les paffions réelles & véri- *
tables qui procurent à Tame fes fenfa-
licms les plus vives , ont des retours fi
fâcheux , parce que les momens heu^
Tome A B
:,„.-„ Google
ï? Kifiexlons cmlques
teux dont elles font jouir , font fui vis de
j^ournées (î triftes, l'art ne pourroit-il pas
trouver le moyen de fëparer les mau-
vaifes fuîtes de la plupart des paffions
d'avec ce qu'elles ont d'agréable ? L*art
ne pourroit-il pas créer, pour ainfi dire ,
des êtres d'une nouvelle nature ? Ne
pourroit-îl pas produire des objets qui
excitalTent en nous des palHons artifi.
cielles capables de nous occt^er dans le
moment que nous les fentons , & inca»
pables de nous eaiifer dans la fuite des
peines réelles & des affliâions vérita-
bles?
La Poëfîe & la Peinture en viennent
à bout. Je ne prétends pas foutenir quç
les premiers Peintres & les premiers
poètes , ni les autres artifans , qui peu-
vent faire la même chofe qu'eux , ayent
porté fi loin leur idée^ & qu'ils fe foient
propofé des vues fi rafinées en travail*
Jant. Les premiers inventeiu-s du bain
n'ont pas longé qu'il fîit un remède pro*
pre à guérir de certains maux , ifs ne
s'en font fervis que comme d'un rairaiT
chiffement agréable durant la chaleur ,
lequel on a découvert depuis être utile
pour rendre la fanté'dans certaines ma-
ladies ; de même les prenûers pQçte^ %;
:,-,zf-,GoOglc
fur ht Poêjît &fuT U Pétaturt. 'If
les premiers Peintres n'ont fongé peut-
ère qu'à flater nos fens & notre ima-
gination ; Se c'eû en travaillant pour ce-
fa qu'ils ont trouvé le moyen d'exciter
dans notre cœur des paflions artificiel-
les. C'eil parhazard que les inventiona
les plus utiles à la fociété ont été trou-
vées. Quoiqu'il en foit,- ces phantômes
Ae paflions que la Poëfie & la Peinture
fçavent exciter , en nous émouvant par
les imitations qu'elles nous préfentent ,
fatisfait au beioin où nous fommes d'ê-
tre occupés.
Les Peintres & les Poètes excitent ,
en nous ces paflions artificielles , en -
préfentant les imitations des objets ca-
fwbles d'exciter'Cn nous des paflions vé-
ritables. Comme l'impreflion que ces
imitations font fur nous eft du même
genre que l'impreflion (|ue l'objet imité
parle Peintre ou par le Poète feroit fur
nous ; comme l'impreflion que l'imita-
tion fait n'eft différente de 1 impreflion
que l'objet imité feroit , qu'en ce qu'elle
êil moins forte , elle doit exciter dans
notre ame une pafllon qui reffemble à
celle que l'objet imité y auroit pu ex-
citer. La copie de l'objet doit , pour
pD& dire , exciter eu nous une copia
• Bii
:,-,zf--„GoOglc
tS Rijfexîons erîtîqu€S-
de la paffion que l'objet y auroit excîV
tée. Mais comme rimpremon^ue riini«
tation fait n*eft pas auili profonde que
l'impreffîon qite l'objet même auroit
^te ; comme rimpreftion faite par Tî.
«nitation n'eft pas icrieufe , d'autant
«fu'ell^ ae va point jufqu'à la raifon pour
laquelle il n'yapoint d'ilLu£on dans ces
démâtions , ainli que nous l'ei^que-
rons tantôt plus au long ; enfin comme
l'impreflion fake parrimitatîonn'affeçi-
te vivement que l'ame fenfirive , elie
s'efface bien-tôt. Cette impreiîion fîir
pedieielle &ite par une iraifâtion , di£-
pardit ians avou* des Alites durables ^
comm^ en auroit une imprefilon 6iite
-par l'objet même que le Peintre ou Iç
Poëte a imité.
On conçoit facilement la raifon de Ix
di^ence qui fe trouve entre l'imprefc
lion &ite pari'objet même , & l'impreA
£oh Ëtite par l'imitation. l^^iontatioQ 1%
plus parité n'a qtt'un^tre artificiel ,
elle n'a qu'une vie empnuitëe , axi Heu
^ue la force & l'aâivité de la nature fa
trou vent dans l'objet imité.Cefl en ver^
*ii du pouvoir qii^l tiettf de la nature
même que l'objet réel agît fai nous.
■„r., Google
ftirU Poijîe & fur la Pttniurt'. IÇ
fiétft naatra ù vent vis : eorurà oamii
imUatio^a «/? j dit Quîntilien. (o^
Voilà d'où procède le ptaiûr que la
Poëfie & la Peinture font à tous les honv
mes. Voilà pourquoi nous regardons
avec contentement des peintures dont
le mérite conJîlte à nsttreib'us nos yeux
des avanturesfi fiineâes , qi^elles nous
auroient fait horreur fi nous les avionsr
vues véritablement ; car, comme le dit
Ariftote dans fa poétique : (^) Dtsmonf-*
tns $rdts horaaui morts aa mourtuus ifue
nous ri'oferiom ngardêti ou qaenotàs nt
verrions qu'avec horreur, nous Us voyons
avec plaifir imités dans Us ouvrages des
Peintres. Mieux ils fom imités y plus nous
les regardons avidement. Il eneft demê"
me des imitations qiiefaitlaPoëiie.
Le plaifir qu'on lent à voir les imita-
tionsqiie les Peintres- Se les Poètes fçî^
vent faire des objets qui auroient exci-
té «n nous des paiTions dont la réalité
nous auroit été a charge , efl un plaifir
pur, Itn'eftpasfuivi des inconveniens
dont les émotions férieufes qui axffoient
été caufées par l'objet même ,.feroiea«
accompagnéesv
(.1 i«/i„. i,b. 1
B iij
:,-,zf--„GoOglc
^fl ' Ti.ifiexiom critiques
Des exemples éclairciront encortf'
mieux que des raifoimemens une opi- ■
nion que je puis craindre de n'expofer
jamais aiTez diftinâement. Le mauacre
des Innocens a dû laiiTer des idées bien
fiineftes dans rimagination de ceux qtti
virent réellement les foldats effrénés
égoi^er les enfans dans le fein des me->
res fanglantes. Le tableau de le Brun oh
nous voyons l'imitation de cet événe-
ment tragique , nous émeut & nous at-
tendrit , mais il ne laiffe point dans no-
tre efprit aucune idée importune : ce
t^leau excite notre compaffîon , fans
nousaffligerréellement. Unemorttelle
que la mort de Kiédre : ime jeune Prin-
ceffe expirante avec des convulfions af-
fbeufes , en s'accufant elle-même des
crimes atroces dont elle s'eft punie par
le poifon , feroit un objet à fuir. Nous
ferions plufieurs joiu-s avant que de pou*
voir nous diftraire des idées noires Se
flineAes qu'un pareil fpedacle ne man-
queroit pas d'empreindre dans notre
imagination. La tragédie de Racine qui
nous prélente l'imitation de cet événe-
ment, nous émeut & nous touche fans
laiffer en nous la lemence d'une trifteffe-
durable. Nous jouilTons de notre émo-
:,-,zf--„GoOglc
furlaPo'èJît Cf-furla Ptlntur». Jf
tion , fans être' allamiés par la crainte
qu'elle dure trop long-tems. C'eft, fans
nous attriiler réellement , que la piécQ
de Racine fait couler des larmes de not
yeux : l'affliôion n'eft , pour ainiî dire ,
^e fur la Aiperâcie de notre cœur , SC
nous fentons bien que nos pleurs uni-
ront avec la représentation de la fiâioti
ing^euie qui les fait couler. '
Nouj écoutons donc avec platlîr les
hommes les plus malheureux , quand ils
nous entretiennent de leurs infortunes
par le moyen du pinceau d'un Peintre ,
ou dans les vers d un Poëte ; mais, com-
me le remarque Diogene Laerce , nous
ne les écouterions qu'avec répugnance
s'ils dépioroient eux-mêmes leurs mal-
heurs devant nous. Itaqut eos qui lamen-
tationes imitantur Ubemer , qui autem vt'
ri lamtntantur , hos jîne voliiptatt autU-
mus , dit la Veriion latine, (a) Le Pein*
tre & le Poëte ne nous affligent qu'au-
tant que nous le voulons , ils ne nous
font aimer leurs Héros & leurs Héroï-
nes qu'autant qu'il nous plaît : au lieu
que nous ne ferions pas les maître? de la
meiuré. de nos fentimens ; nous ne fe-
rions pas les mûtres de leur vivacité ,
Biv
:,-,zf--„GoOglc
tUfitxumt ctiâqiÊta
e de leur durée , fi nous avions
ixi frappés par les objets mêmes <[ue
■ces nobles ArtHàos ont imités.
n eft Trai que les jeunes gens qiû
s'adomiem à la leânre des Romans ,
dont Tattiait confiile dans des imita-
tions poétique?, font filets à être tour-
mentés par des affliâions & par des dé-
firs très-réels ; mais ces maux ne font
pas les foites néceflatres de Témotion
artifidelle canfëe par le portrait de
Cynts & de Mandane. Cette émotion
arti£cielle n'en eft que l'occafion ; elle
fomente dans le cœur d'une jeune pei>
fonne qui lit les Romans avec trop de
coût , les principes des paffions natu-
relles qui font deja en elle , &Ia difpo-
fe ainfi à concevoir [dus dément des
ientimens pallîonnés & férieux pour
ceux qui font à portée de lui en infpï-
rer : ce n'eft point Cyrus ou Mandane
qui font le fojet de fes agitations.
On dit bien encore qu'on a vu des
honunes fe livrer de fî bonne foi aux
impreflîons des imitations de la Poëfie ,
que la raifon ne pouvoît plus reprendre
ies droits fur leur imagination ^arée.
Onfçait l'avanture des habitans d'Ab-
dere , qui fiu-em tellement irappés pai
:,-,zf--„GoOglc
Jar la Poifit- & fur la Ptttttun' }«
îeS' images tr^iques de TAndromede
d'Euripide , que l'imitation fit fur eux
une impreiïïon fërieufe Se de même na*
ture que Timpreflion que la chofe imi-
tée auroit fait elle^nême : ils en perdi-
rent le fens pour un tems , comme il
poiurroît amveT de le pejjdre à la vue
d*événemens tragiques a.rexcè9.0n ci-
teau/n un bel efpnt dademîer fîécle^qui
trop ému par les peintures de l'Albëe ,.
fe cnitleAuxeiTeur de ces Bergers ga-
lands, qui n'eurent jamais, d'autre pa-
trie que les eftampes & les tapilTeries-
Son imagination altérée lui fit &îre des
extravagances femblaUes à celles que-
Cervantes fait Élire en une folie du ma-
rne genre , mais d'une autre efpéce , à
fon Don Quichotte , après avoir fup-
pofé que la leûure desprouefTes de lai
Chevalerie errante avoit tourné la tête:
à ce bon GentiHiomme.-
Il eA bien' rare de trouver des boift-
mes qpi' ayent en même-tems la cœur
fi fenuble & là tête fi foible:; fuppofé
qa.'il en foit véritablement de tels , leur
petit nombre ne même pas qu'on fàlTer
une exception à cette- règle géiierale r
que. notre ame demeure- toujours la
maitreile: de ces émotions ruperficiellos-
B V
:,-,zf-„GoOglc
54 Réfiaàons critiqua
que les vers & les tableaux excitent eit<
elle.
On peut même penfer que le Berger
vilîonnaire dont je viens deparler,n'au—
roit jamais pris ni pannetiere ni hou-
lette, fans quelque Bergère q^'il voyoit
tous les jours ; il eft vrai ieulemenf
que fa pamon n'auroit pas produit des-
effets auffi bizarres , fi , pour me fervir
de cette expreJHon , elle n'eût été en-^
tée fin- les dùmeres dont la leâure de
l'Aûrée avoit ren^lî fon imagination.
Car pour Tavanture d'Abdere , le fait ,
comme il arrive toujours,eft-bien moins-
merveilleux dans Tauteur original que
dans la narration de ceux qm nous !©■
donnent de la troiliéme ou de la fécon-
de main. Lucien raconte feulement (a)
que les Abderitains ayant vu la repré-
sentation de l'-Andromede d'Euripide
durant les chaleurs les plus ardentes
de l'été , plufieurs d'entre eux qui tom-
bèrent malades Men-tôt après , réci-
toient dans le tranfoon de la fièvre des
vers de cette tragédie ; c'étoit la der-
nière chofe qui eût feit fur eux une
grande impreiSon. Lucien ajoute que
le froid de lliy ver, dont la propriété ef^ ,
t-) OtuiUmMitrtditTiril'Hifi'itt^
:,-,zf--„GoOglc
]ur la Poîfit &fttr U Pànture, j ^
iTt^eindre les maladies épidémiques al.
Jumées par l'intempérie de l'été , fit çef-
ier la déclamation & la maladie.
SECTION IV.
i^upouvoirqutltsimiuuiofisoatfttrnoss^
éf delà ftuiliti arec laqucUt U cour ^
Personne ne Honte qne les Ppëme*
ne puiflent exciter en nous des pallions
artificielles ; mais il paraîtra petit-être
extraordinaire à bien du monde & mê-
me à des Peintres de profeffion , d'en-
tendre dire que des tableaux , que de»
couleurs appliquées fur une toile y puif-
fent exciter en nous des paf&ons : ce-
pendant cette vérité ne peut fm^ren-
dre cme ceux qui ne ibnt pas d'attcn-
tion a ce quife pafle dans eux-mêmes J
Peut-on voir le tableau du Pouffin qui
repréfente la mort de Gerraanlcus , fans-
£tre ému de compalSon pour ce Prînccr
& pour fa famille ^ comme d'iodigna'
lion contre Tibère î Les Grâces de lac
Gallerîe du Liiîcembourg , &c plufieurs
aatcea tabkaax n'auioient pas été défi-
A v^
:,-,zf--„GoOglc
^6 Ré^mom amqua
gurés , fi leurs pofleflenrs les euflent vn^
uns émodoR ; car tous les tableaux ne
font pas du genre de cenx dont parl^
Ariftote , quand il dît : Qu'U tfi £ts ta^
tUaux suffi capables de foin rentrer tir
tax-mémts les Hommes vicieux , f«« les
préceptes de morale dortnès par les FhUoJt>^
fhes. {à\ Les perfonnes délicates fouf^
frent-elles dans leurs cabinets des ta-^
bleaiiz dont les figures font hideufes ,'
conune feroit le tableau de Promethée
attaché an rocher, Acpeint par Michel-
Ange de Caravage? L'imitation d*unoI>-:
jet hideux iàit fur elle une imprelHoiT
qui approche trop de celle que l'objet
même auroit làîte. S. Grégoire de Na-
àanze rapporte ITiiftoire d'une Cour-
ttfane , qui dans un lien oîi elle n*etoit
pas venue pour foire des réflexions fé-
rieuTes , jetta lesy^ux par hazard furie
portrait d'un Polémon, Philofoplie fa-
meux pour Ton changement de vie , le-
quel tenoit du miracle , & qui rentra
en elle-même à la vue de ce, portrait.
Cedrenus raconte qu'im tableau du Ju-
gement dernier contribua beaucoup àla
converfion d'tui Roi des Bulgares. Ceinc
qui ont gouverné les peuples i^is tous
:,-,zf--„GoOglc
JurU Peêp &/ur It Pùnturf. \f
■ les tems , ont toujours feit ufage des
peintures & des Aatues pour leur mieux
anfpirer les fentimens qu'ils vouloient
leur donner , foit en- religion, foit ea
pditique.
Ces objets ont toujours feit une |ran-
de imprefficHi fur ks hommes , pnnci-
patement dans les contrées ob coininu>
jiémenrife ont le leittinwnta-ès-vif , tel-
les que font les Régions- de l'Europe les
vius voifînes du Soleil , & les côtes de
l'Afie Se de l'Afrique qui font face à ces
Régions. Qu'on le Ibuvîennede la dé-
feme que les tables de la Loi font aux
Juift de peindre & de tai/ler des figures
humaines : elles faifoienttrop d'impref-
fion fur un peuple enclin par fon carac-
tère à fe paâîonner pour tous les objets
capables de l'émouvoir.
■ Dans quelques pays Proteftans , oii ,'
Ibus prétexte de Réforme , les ftatues fie
les tableaux ont été bannis des Eglifes ,'
le Gouvernement ne laifTe pas de met-
tre en œuvre le pouvoir que la Peintu-
re a naturellement ftu- les hommes pour
contribuer à tenir le peuple dans le ref-
peâ des Loix. On voit au-delTus des
pla^fiTds oii ces Loix font écrites , des ta-
^aux repréfentans 1q fupplice auquel
:,-,zf--„GoOglc
cn<
)S 'Kifioàoia erttîqaA
les infraâeurs qui les violeroient , foi-
roient condamnés. Il fant que dans ceC
Etat , rempli d'Obfervateurs politiques
Iui étendent leur attention fur bien des
lofes aufquelles On ne daigne point fai-
re réflexion en d'autres pays , nos Ob—
fervateurs ayent remarque que ces ta-
bleaux étoient propres à donner {]tK.
moins aux en&ns qui dràvent un jour
devenir des hommes , plus de crainte
des diâtimens prononcés par la Loi,
Dans la République dont je parle , on
iàitapprendreàlireanxenâns dansdes
Ëvres dont l'éloquence efl â la portée
de cet âge , & remplis encore d'image»
qui repréfenteot des événemens arrivés
dans leur propre patrie ^ lesquels font
propres à leur infpirer de l'adverfion
contre là puilTance de l'Etn'ope qui dans
ieteois eu la plus fu^âeàla Républi-
que. LorTque le fyAême de TEurope
vient à dianger,tmtàitun nouveau li--
▼re , & on fiàfHtue la Puiflance qui eft
devenue redoutable à l'Etat , àla placet
ide celle qu'il a ceffé de craindre.
Laprofeffion deQuintilîenétoitd'en-
feigner aux honmies- l'art d'émouvoir
les autres hommes par la force d^ ix
parole : cependant Qtiintilien met eiç '
....Google
JurU'Poi^&furla'Pùmart'. Jj
fiarallele le pouvoir de la Peinture avec
le pouvoir de l'art Oratoire. Sicininti-
mos , dit-il en parlant de la Peinture (a) ,
foieeret affiSus, ut ipfam vim disxndi mon
aunquamjuptrare viJeatur.he même Au-
teur rapporte (ju*U a vu quelquefois les
accufateurs fsixe expofer dans le Tri-
bunal un tableau , où le crime dont ils
pourfuivoient la vengeance , étoit re-
pr^fenté , afin d'exciter encore plus efB>
cacement i*indîgnatioa des Juges contre
Je coupable. On appelloitla Peinture au
fecours de Tart Oratoire en un tems oii
cet Art étoit dans fa perfeâion. Ei ipft.
aliquandovUi &pi3am taèulam fupra Jo-
vem f in imagirtemni eu/as turocitattjudex
trot commovendus (A).
Quand on &it attention â la fenfibilî-
té naturelle du cœur humain , à fa dif-
po£tion pour être ému tellement par
tous les objeG dont les Peintres & les
Poîtes font des imitations ; on n'eftpas
furpris que les vers & les tableaux mê*
mes puilTent l'agiter. La nature a voultt
mettre en lui cette fenfîbilîté li promp-
te & fi ibudaine , comme le premier fon-
dement de la fociété. L'amour de foi*
:,-,zf--„GoOglc
40 Rifltxîans mâqi^-
même qm fc change prefque toufoaï^
en amour propre immodéré , à mefure
que les hommes avancent en âge , les
F«nd trop attachés à leurs intérêts pré-
fèns Se advenir, & trop durs envers tes
autres , lorsqu'ils prennent leur réfolu*
tion de fens raâîs. Il étoit à propos que
Vas hommes pufTent être tirés de cet état
facilement. La nature a -donc pris le
parti de nous conflraîre de mxniere
que l'agitation de tout ce qui nous ap-
proche eût im paiflant empuefur nous ^
alîn que ceux qui ont befoin de notre
Hidulgence ou de notre fecours , puA
fcntnous ébranler avec^cilité. Ainâ
leur émotion^ feule nous touche Subite-
ment ; & ils obtieiBient de nons , en
nsus attemWffant , ce qu'ils n'obtien-
droient' jamus par la v«ie du rHiTonne-»
ment & de la conviâion. Les larmes
d'an' inconnu nous émeuvent même
avant que nous fçachions le fujet quî
le fait pleurer. Les cris d'un; homme
qui ne^tient-ànousqnepar l'humanité,'
nous font voler à îbn fecours par un
niouveiHenrniachinal qui précède tou-
te délibération- Celui qui. nous abor-
de la joie peinte fm- le vifage , excite
en nous im fentimeardê jpie^ avant
...Xooyic
far la Petfie & far U Pùmurt, f l
que nous foyons informés du iujet d»
la fienne :
Vt riitittihiiianHen ,■ iufioutlui tifitat,
fîiantuà vttlmi (fi).
Fonrqaoi les A£leurs qui Te pallïon-
nent vétitablement en déclamant , ne
Hiffent-ils pas de nous émouroir &de
nous plaire , bien qu'ils ayent des dé-
buts eflentiels i c*eA que les hommes
qui font eux-mêmes touchés , nous toi^
cbent fans peine. Les Aâeius dont je
parie » font émus véritablement, & cela
leur donne le droit de nous émouvoir p
quoiqu'ils ne foient point capables d'ex-
primer les imffions avec la noblelTe ni
avec la pfleife convenable. La nature
dont ils font entendre fa voix , fupplée
à kur inAiflifance. Ds font ceqnlls peu^
vent ; elle fait le refie.
De tous les talens qui donnem de
l'empire fur les autres hommes , Te ta-
lent le {^uspuiflàntn'eApas la Aipéiio- >
rite d*eforit & de lumières : c'eft le ta-
lent de les émouvoir  fon gré ; ce qui
fe feit principalement en pasoiffiint foi-
méme ému , âc pénétré' des fentimens
qu'on veut leur infpirer. C'eftletalent
:,-,zf--„GoOglc
4» Réjlexîoru erltlques
d'être comme Catilina , CujusràUhetJi^
;na^or,. qu'on appellera ,ftonveut, le
talent d'être grand Comédiep. Ceux des
Anglois qiiî.font le mieux informés de
ITiiftoire de leur pays , ne parlent pas
d'Olivier Crom'wel avec la même ad-
miration que le commun de la Nation ;
ils lui refiifent ce génie étendu , péné-
trant & fupérieur que lui donnent bien
■ des gens, & ils lui accordent pour tout
mente la valeur du iimplefoldat , & la
talent d'avoir fçu paroître pénétré des
fentimens qu'il vouIoitfeihc&-e, & auffi
ému des paflions qu'il vouloit inlpirer
aux autres , que sSÎ les avoit fenties vé-
ritablement. Xiu-lo'W , ifent-ils , lui ex-
pliquoit dans le tems , & comme on
i'expKqueàime femme qu'on veut foire
agir dans une afiàïre importante , quel-
les perfonnes ilfatloitgagnerpourraire
réuflir un projet, & par quel endroit il
falloir les attaquer. Olivierleurpartoit
enfuite fi pathétiquement , qu'il les ga-
gnoit. L'Europe Airprife de le voir aé-
toumer à fon avantage l'événement
qu'on avoit cru le devoir perdre , lui
faifoit honneur pour ce fuccès de phi-
fieurs vertus qu'il n'avoit pas : c'eft ainlï
que fa réputation s'e A établie. Quelque;^
:,-,zf--„ Google
fur la Poëjte &fur la Pênmrt. 4)
Contemporains d'un Miniftre des plus
illullres que la France ait eu dans le der-
nier fiécle y difoient de lui quelque cho>
fe d'approchant.
Quand nous Tommes dans tm de ces
réduits ou pliifieurs joueurs font ailîs au-
tour de dinérentes tables , pourquoi un
infHnâ lecretnous fait-il prendre place
anprèsdes joueurs qui riiquent de plus
groâes fommes , bien que leur jeu ne
foit pas auflî digne de curiofilé que ce-
liti qui fe joue fur les autres tables? Quel
attrait nous ramené auprès d'eiuc, quand
un mouvement de curiolîté nous a fait
aller voir ce que la fortune dëcidoit fur
les théâtres voifinsîC'eftquel'émotion
des autres nous émeut nous-mêmes , fie
ceux qui jouem gros jeu nous émeuvent
davantage , parce qu'eux-mêmes ils font
plus émus.
Enfin il eft facile de concevoir com-
ment les imitations que la Peinture fie
la Poëfîe nous préfentent , font capables
de nous émouvoir , quand on fait réfle-
xion qu'une coquille , une fleur , une
médaille oii le tems n'a laifl'é que des
, phantômes de lettres Se de figures , ex-
citent des pafTions ardentes fie inquiè-
tes ; le déÛT de les voir , fie l'envie de
:,-,zf--„GoOglc
4<| Réfifxîons mtufua
les pofieder. Une grande paflion alEirï
mée par le plus petit objet , eft un évé-
nement ordinaire. Bien n*eft furprenant
dans nos paOlons qu'ime longue durée.
SECTION V.
Çitf Pltuonnthanmt Us Potta tU/aR^
puhUqtu , ipt'à caufe de Vimpnj^on trop
grande (fit leurs imittuto/u ptuven»
ptirt^
Xj'lMPRESSlOît que Tes imitations
font fur nous en certaines cîrconftances
]»aroit même û forte , & parconféquent
fi^dangereiife t Platon , (pt'elle eft caufe
de la réfolution qu'il prend de ne point
foufïnr l'imitation Poétique ,.ou la Poë-
fie proprement dite , dans cette" Répu-
blique idéale dont il règle la conftituuon
avec tant de plaiiir. U craint que les
peintiu*es &les imitations qui font l'eC-
îenccde la Poëfie , ne iaffent tropd'et-
fet fur l'imagination de fon peuple fa-
vori, qu'il fe repréfentoit avec la con-
ception auffi vive & d'im naturel auffi
ienlîblë que les Grecs fes compatriotes.
l^sPoëtes,. dit Platon, ne feplai&n^
:,-,zf--„GoOglc
pir U Poëjîe S-farU Peinture. 4^
fouit "k nous décrire la traoquUlité de
intérieur d'un homme fage , qui cou*
ferve toujours une égalité d'efprità 1*^
m-euve des.peio£$:&:desplaiûrs. Us ne
font pas fervir te ^ent de la fiâion à
nous peindre la fitiiation d'un homme
Si foufte avec confiance la perte d'un
s unique^a). Ils n'intradwiect pas fur
les théâtres des perfonnages qui fça-
chent &ire taire les palHous devant U
ralfon. Les Poètes n'ont pas tort ,fur ce
fioint, UnStoïcienjouereitjunrôlehien
ennuieux dans une tragédie. Les Poètes
qui veulent nous émouvoir , c'efl Platos
<pù reprend da parole , préientent des
objets bien diâerens ; ils introduifeot
dans leurs Poèmes des homraes livrés à
des defîrs violens, des hommes en proie
à toutes les agitations despafEoos, ou
om luttent du moins contre leurs fecoui^
les. En eiTet les Poëtes-fçavem il bien
<pie c'eil l'agitation d'un aâew qui
nous feit prenike plaifir à rentendre *
parler » qu'ils font dii^aroître les perfon-
nages dès qu'il ell décidé s'ils feront
heureuK ou malheurmx, dès que leur
deftinéeeft fixée. Or,fuivant le fenti-
;Dient de Platon y l'habitude d-' fe livrer
:,-,zf--„GoOglc
•'J^6 RêJUxions eritiijutf
aiixpaflîons,mêmeàces paffionsardfi'
cielles , que la Poëfie excite , affoiblit
en nous l'empire de Tame foirituelle , fie
nous difpole à nous lamer aller aox
mouvemens de nos appétits. C'eft un
dérangement de Tordre que ce Philofo-
{thevoudroît établir dans les aâions de
"homme qui , félon lui , doivent être
réglées par fon intelligence, & non pas
eouvemées par les appétits de Tame fen*
îitive.
Platon (*i) reproche encore un autre
inconvénient à la Poëfie : c'eft que les
Poètes, enfc mettant aufll fouvent qu'ils
le font à la place des hommes vicieux
dont ils veulent exprimer lesfentlïnens,
contraflentà laiînies moeurs vîcieufes
dont ils font tous les jours des imita'
tions. Il eft trop à craindre que leur ef-
prit ne fe corrompe à force de s'entre-
tenir des idées qui occupent les honunes
corrompus. Friqmns imitatio , a dit de-
puis Quintilien (Ji) en parlant des Co*
médiens , tranjît in mores.
Platon (c) appuie de fa propre expé-
rience les raifonnemens qu'il rait furies
W\r>t tefjib. t.f. il".
(*)/y.o-;;i.,.r. ...
:,-,zf--„GoOglc
fttrîa Poifit & fur la Peinture, ^y
inauvais effets de laPoëfie. Aprèsavoif
avoué que fouvent il s'eit trop laifle ie-
duire à Tes charmes, il compare la pei-
ne qu'il fent à fe féparer d Homère i
la peine d'un amant forcé , après bien
des combats , à quitter une maîtrefle
qui prend trop d'empire iur lui. D l'ap-
pelle ailleiu-s le Poète par excellence Se
Je premier de tous les inventeurs. Si
P/aton exclut les Poètes de fa Républi-
que , on voit bien qu'il ne les en exile
que par la même raifon qui engage les
Prémcateurfi à prêcher contre les fpec-
tacles , & quifaifoit chalTer d'Athènes
ceux des citoyens qui pîaifoienttrop à
leurs compatriotes.
Voilà les motifs qiù font profcrire à"
Platon la partie de l'Art poétique qui
confiile â peindre & à imiter ; car il
confent à garder dans fa République la
partie de cet Art qui enfeigne la conf-
truaion du Vers & la compofition du
Métré ; c'eft la partie de l'Art qu'on
nomme fouvent Verfification , & que
nous appellerons quelquefois dans ces
Réflexions la Mécanique de la Poëfie.
Platon vante même aflez cette partie de
ï'Art poétique , laquelle fçait rendre un
^cpurs plus pompeux & plus agréable
.C.oo.jlc
40 RljUxions criùquts
à foreille , en introdutfant dans A^
phrafes un nombre &C une hannonie
qui lui plaifent plus que la cadenix de
laprofe. Selon Lui , les louanges des
Dieux & celles des Héros mifes en vers
en deviennent plus capablesde plaire &
lie fe faire retenir. Le but de Platon eft
toujours de conferver dans Jbn état les
parties d'un Art qui font prefque inca-
pables de nuire , lorfqu'il profcrit celles
quihiiiemblenttropdangereufes. C'efl
ainfi qu'en bannifTant de fa République
ceux o&sMoJes de la Muiique ancienne ,
dont les chants mois & efFéminés lui
fontfitfpeâs,il y conferve d'autres Mo-
des dont les chants ne luiparoiflent pas
devoir être pernicieux.
On poiuToit répondre à Platon, qu*ufl
Artneceflaire & mètneUmpleaieiK uti-
le dans la fociété,n'en doit pas être foan^
ni , parce qu'il peut devenir un Art nuî-
fible entre les mains de ceux qui en abu-
ieroient. On ne doit {H'ofctire dans un
Etat que les Arts fuperihis & dai^ereiix
en meme-tems , & fe contenter de pren-
dre des précautions pour empêcher les
Arts utiles d'y faire du dommage : Pla-
ton lui-même ne défend pas de cidti-
yer la vigne fur les côteaiut de fa Ré-
publique ^
:,-,zf--„GoOglc
JiirlaPoëfie & fur la Pùneurù -49
publique , quoique les excès du vin faf^
iènt commettre de grands dëfordrcs , 6c
ijuoique les attraits de cette liqueur en-
gagent Ibuvent d'en prendre au-delà du
befoin.
Le bon ufage que pluHeurs Poètes
ont fait dans tous les tenis de l'inven-
tion Se des imitations de la Poëfie, mon-
tre aâèz qu'elle n'eft pas un Art inutile
dans la Ibciété. Comme il eft aufG pro-
pre par fa nature à peindre les a£bons
qui peuvent porter les hommes aux
penfëes vertueufes , que les aftions qui
peuvent fortifier les inclinations cor-
rompues : il ne s'agit que d'en faire un
bonidage. La peinture des aâlons ver-
tueufes échauffe notre ame ; elle l'élevé
en quelque façon au^delTus d'elle-m2-
me , £c elle excite en nous des palTions
louables y telles que font l'amour de la
patrie & de la gloire. L'habitude de ces
payions nous rend capables de bien des
efforts de vertu & de courage , que la
raifon feule ne pourroit pas nous faire
tenter. En effet le bien de la fociété exi-
ge fouvent des fervices fi difficiles , qu'il
eft bon que les paffiôns viennent au fe-
xours du pouvoir pour engager un ci-
toyen à les rendre. Enfin un bon Poïte
Tomil. C
:,-,zf--„GoOglc
^9 Jtcjltxîotts erîtîquef
içait dîfpofer de manière lespeintures
au*il fait des vices & des pâmons , que
[es Leûeurs en aiment davantage la ïa.^
eeffe & la vertu. En voilà fuffifamment
I ce fujet , d'autant plus que les Poëûes
' Françoifes , conune nous le dirons dans
)a fuite , ne fçauroient prendre le mê-
me erapre fur les hommes que celle
dont Platon craignoit fi fort les effets.
I>*ailleiu-s notre naturel n'eA pas auffi
vif , ni aulfi fenfible que l'étoit celui des
Athéniens.
Mais Platon fait encore ime autre ob-
ïeâion contre le mérite de la Poefie.
C'eft que les Poètes ne fpnt que les
imitateurs Ôc les copiées des ouvrages
& des produâions des autres aitifans.
î-e Poète (a) qui fait la defcription d'un
Temple n'eft, félon lui , que le copifte
de l'Architeûe qui Ta fait élever ; j'en
tombe d'accord y & que j'aimerois
mieux être , par exemple , l'Architeâe
r' a faitbltu" l'Eglife de Saint Pierre
Rome , que le Poëte qui en auroit
fait en vers ime belle defcription. }e
veux même qu'il y ait plus de mérite à
trouver les proportions qui rendent un
yaiffeau excellent yoiliçr , qu'ij déçrjfÇ
:,-,zf--„GoOglc
fur ta Poëfie &fur ta Peinture, ^f
la rapidité de fon vol fur les vaftes p* .I-
nes cle la mer. Mais fouvent aufli le m^
rite eft moindre à être l'ouvrier qu'à
être rimitateiir ? N'y a-t'il pas plus de
jmérite d'avoir peint un vieil livre com-
me l'a fait Defpréaux , que de l'avoir
relié , 6c imprimé fi Ton veut }
(a),A ceimcu ,ilf«illi un vieil b^nûci
GrofEdctvilîoiii il'Accurle& d'AtcUc,
Inutile lamu de gothique écriiure ,
Dont quatre ûi mil unis rormoieni U conveitoréi
Entourée à demi d'uD vieux pirthcmin noir ,
Où pendait à troii clou* un reftc de fermoir* **
Ici le Copiflevaut mieux que l'Ori-
final. D'ailleurs combien de chofes les
oëtes imitent-ils -^ lefquelles ne font
pas Toiivrage des hommes , comme le
tonnerre ôc les autres météores , en un
inot toute la nature , l'ouvrage du Créa-
teur. Maisceraifonnememdeviendroît
une difcuilion Philofophique qui nous
menerolt trop loin ; contentons-nous
de dire que la fociété qui exclueroit de
fon fein tous les citoyens dont l'art
pourroitêtrenuifible,deviendroitbient
0t le féjour de l'ennui.
f/i) Beit. Lulrin. C64nr.|.
:-„r., Google
"5 % Rifiextans cmiques
SECTION VI.
J)e la nature desfujets que la Peinture G'
Us Poêles traiteru. Qu'ils ne ffouroiene
les choifir trop intérejfans par eux-mê'-
ffs,
iJÈs querattraitprincipaldelaPoë'
fie & de la Peinttire , dçs que le pou-
voir qu'elles ont pour nous émouvpïr
& pour nous plaire , vient des imita-*
tions qu'elles fçavent faire des objets
capables de nous intéreffer : la plus
grande imprudence que le Peintre ou le
Poëte puiffent feire , c'eft de prendre
pour l'objet principal de leur imitation
des chofes que nous regarderions avec
indifférence dans la natiu-e : c'eft d'em-
ployer leur Art à nous repréfenter des
adions qui ne s'attireroient qu'une at-
tention médiocre fi nous les voyions vé*
rilablement. Comment ferons - nous
touchés par la copie d'un original incaf
pable de nous aflefler î Comment fe-
rons-nous attachés par un tableau qui
repréfente im villageois paflànt fon cne-
mm eq copduifant à^wi bêtes de fom*
:,-,zf--„GoOglc
furla Po'èfie & fur la Peinture, jj:
|ne , 11 raâion qiie ce tableau imite ne
peut pas nous attacher ? Un conte en
vers qui décrit une avantiu-e que nous
aurions vue , fans y prendre beaucoup
d'intérêt , nous internera encore
moins. U^imîtation agit toujours plus
foiblement que l'objet imité (a) : Quid~
qu'id alterijîm'deefl , nccejfe ejl minus Jti ,
e& quodinutatur. L'imitation ne fçauroit
donc nous émouvoir, quand la chofe
imitée n*efl: point capable de le faire.
Les fujets que Teniers , ■VoTCeritlans &
les autres Peintres de ce genre ont re-
préfentés , n'auroient obtenu de nous
qu'une attention très-légère. II n'eft
tien dans l'aftion d'une fête de village
ou dans les divertiflemens ordinaires
d'un corps-de-garde qui puiffe nous
émouvoir. Il s'enfuit donc que l'imita-
tion de ces objets peut bien nous amu-
fer durant quelques momens , qu'elle
peut bien nous raire applaudir aux ta-
lens que l'ouvrier avoit pour L'inuta-
tion , mais elle ne fçailroit nous tou-
cher. Nous louons l'art du Peintre à
bien imiter , mais nous le blâmons d'a-
voir choifi pour l'objet de fon travail
I des fujets qui nous intéreffem fi peu,
C iij
:,-,zf--„GoOglc
~t^ Réfix'ions crtii^uiS
Le plus beau payfage , fût-iï du Tv^
tien & du Carrache , ne nous intéreffe
pas plus que le feroit la vue d'un canton
de pays i&eipc ou riant t il n'eft rien
dans, un pareil tableau qui nous entre-
tienne , pour ain£ dire ; & comme il ne
nous touche guéres , il ne nous attache
pas beaucoup. Les Peintres intelligens
ont fi bien connu , ils ont fi bien fenti
cette vérité , que rarement ils ont Élit
des payfages déferts èc fans figures. Ils
les ont peuplés , ils ont introduit dans
ces tableaux un fujet compofé de plu-
sieurs perfonnages dont l'aftion fût ca-
pable de nous émouvoir , & par conie-
quent de nous attacher. C'eft ainfi qu'en
ont ufé le Pouflin , Riibens & d'autres
grands Maîtres , qui ne fe font pas con-
tentés de mettre dans leurs payfages ua
homme qui paffe fon chemm , ou bien
une femme qui porte des finaitsauinar-
ché. Ils y placent ordinairement des fi-
gures qui penfent , afin de nous donner
Ëeu de penfer ; ils y mettent des hom-
mes agités de paffions , afin de réveiller
les nôtres , & de nous attacher par cet-
te agitation. En effet on parle plus fou-
vent des figures de ces tableaux que de
leurs terrafies Se de leurs arbres. Lg
:-„r., Google
fur la Potjtt ^ fur ta Peîniurf. ^J
Bayfage que le Poulfin a peint pliifieurs
lois , & qui s'appelle communément
VÀriadie , ne feroit pas fi Tante , s'il
Aoit fans figures.
Qui n'a point entendu parler de cettd
fâmeufe contrée qu'on imagine avoif
^té durant un tems le fëjour des habi-r
tans les i^us heureux qu'aucune terre
aitjamais portés ? honunes toujours oc-
cupés de leurs plaifirs , & qui ne con-'
noiiToient d'autres inquiétudes , ni d'au-
tres malheurs que ceux qu'elTuient dans
les Romans ces Bergers chimériques
dont on veut nous foire envier la con-
dition. Le tableau dont je parle «repré-
fente le payiage d'une contrée riante.
Au milieu 1 on voit le monument d'ime
jeune fille morte à la fleur de fon âge !
c'efl ce qu'on connoît par la ftatue de
cette fille couchée fur le tombeau , à la
manière des anciens. L'infcription fé-
pulcnrïe n'eft que de quatre mots La-
tins : 7e vivois cependant en Arcadie ,
Et in Arcadia ego. Mais cette infcrip-
don fi courte fait faire les plus férieu-
fes réflexions à deux jeunes garçons &
à deux jeunes filles parées de guirlandes
de fleurs , & qui paroiflent avoir ren-
contré ce monument £ trifte en des
Çiv
:,-,zf--„GoOglc
' *6 Réflexions Critiques
lieiixoii l'on devine bien qu'ils ne cfiet—
choient pas un objet affligeant. Un d'en-
tre eiix fait remarquer aux autres cette
infcripticnen la montrant du doigt, ôc
l'on ne voit pltts fur leurs vifages , à tra-
vers l'affliûion qui s'en empare , que les
reftes d'tme )oie expirante. On s'ima-
gine entendre les réflexions de ces jeu-
nes perfonnes fur la mort qui n'épargne
ni rage , ni la beauté , & contre laquelle
les plus heureux climats n'ont point d'a-
zile. On fe figure ce qu'elles vont fe
dire de touchant , lorfqu' elles feront re-
venues de la première fiuprife , & l'on.
l'applique à foi-même & à ceux à qui
l'on s'intérefîe.
Il en eft de la Poëfîe comme de la
Peinture , & les imitations que la Poë-
fie fait de la nature , nous touchent feu-
lement à proprotlon de l'impreffionque
la chofe imitée feroitfur nous , fi nous
la voyions véritablement. Un conte en
vers' dont le fujet ne feroit point plai-
fant par lui-même , ne feroit rire per-
fonne , quelque bien verfifié qu'il pût
être. Quandune Satire ne met pas dans
un beau jour quelque vérité dont j'a-
vois déjà un fentiment confiis , quand
elle ne contientpasde ces maximes di-v
:,-,zf--„GoOglc
Jîtr ïd Peijte &fur U Pàtuure. y/
fnes de pafler incefTaininent en prover-
es, à caufe du grand fens qu'elles ren-
ferment en abrégé , je puis tout au plus
la louer d'être bien ècnte ; mais je n'en
retiens rien , & j'ai aufli peu d'envie de
la vanter que de la relire. Si le trait de
rE-pigramme n'eft pas vif , fi le fujet
n'en eft pas tel qu'on l'écoutât avec
plai£r ^ quand ciême il feroit raconté eff
profe, I Epigramme , quoique bienver-
fifiée & rimée richement , ne fera rete-
nue de perfonne. Un Poëte Dramati-
C]uë qui met fes perfoonages en des fi'
tuations qui font fi peu intérefT^ites ^
que j'y verrois réetlemenfcdes perfon-
nés de ma connoilTance , fans êtce bien
ému , ne m'émeut gnércs en faveur de
fes performages. Comm»it la copie me
toucheroit-eîlft fi l'original n'eft pas ca-
pables de me toucher 2
Ct..
:,-,zf--„GoOglc
^S RéfiexloTis crùîquû
SECTION V n.
Que la. Tragédie nous aff^ plus qut lit
Comédie ^ à eaufe de la nature des y«^
jets que la Tragédie trait*.
C2 Uand on fait réflexion que la Tra-
gédie afFeâe , qu'elle occupe plus une
grande partie des hommes que la Corné'
oie , il n'eâ plus permis de donto* que
les imitations ne nous intéreflè qu'à
proportion de l'impreflion plus ou moins
grande que l'objet imité auroil feit fur
nous. Or il eft certain que les hommes
en général ne font pas autant émus par
l'aftion théâtrale , qu'ils ne font pas auffi
livrés au fpeâacle dînant les repréfen-
tatîons des Comédies , que durant cet;
les des Tragédies. Ceux qui font leur
amufement de la Poëfie Dramatique ,
parlent plus fouvent & avec plus d'af-
feûion des Tragédies que des Comédies
qu'ils ont vues; ils fçavent un plus grand
nombre de vers des pièces de Corneille
& de Racine , que de celles de Molière.
Enfin nous fouflrons plus volontiers le
médiocre dans le genre Tragique quQ
:,-,zf--„GoOglc
ptr Ut Potfie &fitr la Pàntun. ^^
^s le genre Comique , qui fembIen*a-<
Toir pas le même droit fur notre atteat
don que le premier ,
hjhtt Conktiit tûito
Vha ontnt , giaïao *nâ^ mûmi.
à\(bit Horace, (a) Tous ceux mii tra^
vaillent pour notre théâtre parlent do
même ^ & ils afTurent qu'il eu moins
dangereux de donner un rendez-vous an
pubucpoiu'le divertir en le faifantpleu<
rer , que pour le divertir en le f^fant
me.
n femble cependant que la Comédie
iitt attacher les hommes plus que la
Tragédie. Un Poète Comique ne dé^
peint pas anu: rpeûateiu-s des Héros, ou
descaraâéres qu'ils n'ayent jamais con-
nus que par les idées vagues que leuv
imagination peut en avoir formées fur
le rapport des Hiftoriens : il n'entretient
pas le' parterre de conjurations contre
l'Etat, d'oracles ni d'autres événcmens
merveilleux, & tels que la plupart des
^peûatenrs , qui jamais n'ont eu part à
wsavantures femblables , ne fçauroîent
bienconnoîtrefilescitconftane^&: les
fuites de ces avantures font expofées
{<•) Itk f ri». Efi |I<f' f rtW,
:,;,zf--„GoOglc
(O Rifitxîons critiques
avec vraifemblance. Au contrMre lé
Poëte Comique dépeint nos amis , &C
les perfomies avec qui noiis vivons tous
les jours. Le théâtre , fuivant Platon
(a) , ne fubfifte , pour ainfi dire , que
des feutes ■oii tombent les hommes ,
parce qu'ils ne fe connoiâTent pas bien
eux-mêmes. Les ims s'imaginent êtte
plus puiiTans qu'ils ne ront , d'autres
plus éclairés, &c d'autres en£nplus ai-
mables.
I^ Poëte Tragique nous expofe les
înconvéniens dont l'ignorance de ibi".
même eit caufe parmi les Souverains , ôc
les autres perfonnes indépendantes qui
peuvent fe venger avec éclat , dont le
reffemiment eft naturellement violent ,
& dont les paffions propres à être trai-
tées fur la Icéne , peuvent donner lieu à
de grands événemens. Le Poëte Comi-
3ue nous expofe qu'elles font les fuites
e cette ignorance de foi-même parmi
Je commim des hommes , dont lereffen-
timent eu alTervi aux loix , & dont les
paffions propres au théâtre rte fçauroient
produire que des brouilleries , en luk
mot des projets & des événemens ordi-
naires. ■ ,
(0 11 Tkil. p. ji. , ■
:,-,zf-„ Google
Jur la Pol/i* ùfuT kt Pànturt. 6t
Le Poëte Comique nous entretient
Ubnc des avantiu-es de nos égaux , & il
nous préfente des portraits dont nous
voyons tous tes jours les originaux.
Qit'on me pardonne l'expreffion :. il &it
monter le parterre même for la fcéne.
Les homnœs toujours avides de dëmé-
ler le ridiciile d'autnii , 6c naturelle-
ment défirexiK d'acquérir toutes les lu-
mières qui peuvent les autorifer à moins
cfttmer les autres , devroient donc trou-
rermieuK leurcompteavecThaliequ'a-
Tec Melpomêne : Thalie eA encore plu$
feràle que Melpomêne en leçons k no-
tre ufage. Si la Comédie ne corrige pas
tous les débuts qu'elle joue , elle eniei-
gne du moins comment il feut vivre
avec les hommes qui font fujets à ces
défauts , & comment il hvt s'y pren-
dre pour éviter avec eitx la dureté qui
les irrite^ & la bafTe complaifance qui
les flatte. Au contraire- la Tragédie re-
présente des Héros à qui notre litua-
tion ne nous permet guéres de vou-
loir refTemblcr , èc fes leçons & fes
exemples roulent fur des événemens fi
peu femWables à ceitx qui nous peuvent
arriver , que les applications que nous
pn voudrions feire , fçroient toujoius
:,-,zf--„GoOglc
€i Réflexions trixi^uei ^
bien vagues & bien icqtai&itesr
Mais la Comédie , fuÎTant la défiiô*
tion d'Ariftote (a) eft l'iioitation du ri-
dicule des hommes : & la Tragédie , fui*
Tant la fignification qu'on donnoit à ce
mot (^) , eft l'imitation de la vie & <hi
difcours des Héros , ou des hotmnes ïu-
jets par leur élévation aux paffions les
plus violentes. Elle eft rimitation des
crimes & des malheurs-dés grands hom-
mes ; comme des vertus les plus fubli.
mes dont ils foient capables. Le Poète
Tragique nous fait voir les hommes en
proie aux paffions les plus emportées fie
dans les plus grandes agitations . Ce font
des Dieux injuftes , mais tout-f uiiïans ^
3ui demandent qu'on égorge aux pieds
e leurs autels ime jeune PrmcelTe inno-
cente. C'eft le grand Pompée , le vain-
3ueur de tant de Nations , & la terreur
es Rois de l'Orient , maflacré par de
vils efclaves. Nous ne reconnoiffons
^s nos amis dans les perfonnages da
Poëte Tragique , mais leurs paffions font
Îilus impétueufes ; Sc comme les loixne
ont pour ces paffions qu'un frein très-
foible , elles ont bien d'autres fuites quQ
:,-,zf--„Go6glc
JurUPoëJîe & fur la Pàmun', ttf
les paflîons des perfonnages du Poëte
Comique. Ainfi la terreur & la pitii ,
que la peinture des événemens tragiques
excite dans notre ame , nous occupent
plus que le lire & le mépris que les incir
dens des Comédies excitent en nous.
SECTION VIII.
'Dts £.ffêrens genres de la Poëfe & deleuf^
caraSire.
X L en eft de même de toits les genres
de Poëfie , &c chaque genre nous touche
àproportionquelobjet, lequelileftde
fonenence de peindre & aimiier , eft
capable de nous émouvoir. Voilà poui^
quoi le genre Elégiaque & le genre Bu-
colique ont plus d'attrait poiu- nous ,'
que le genre Dogmatique. Ainfi Us vert
que Joupiroit Tibulle & que l'amour lui
diéîoit , pourme fervir de l'expreffion de
l'Auteur de l'Art poétique , nous plai-
dent infiniment toutes les fois que nous
les relifons. Ovide nous charme dans
celles de fes Elégies oîi il n'a pas fubfti-
tué fon efprit au langage de la nature,
f erfonne ne quitta jamais par cg dégoût
:,-,zf--„GoOglc
ë4 Réfitxlons.erUîqiùi
qui vient de fatiété la lefture des EgloJ
gués de Virgile. Elles font encore un
plaiûr fenfible , quand elles- n'ont plus
rien de nouveau pour nous , & quand la
mémoire devance les yeux dans cette
lefture. Ces deux genres de Poëlîe nous,
font entendre des hommes touchés , &
qui nous rendroient très-fenfibles à leurs
peines comme à leurs plaifu-s ,, s'ils noua
entretenoient eux-mêmes.
Les Epigrammes, dont le mérite, con-'
lïfte en j eux de mots , ou dans une allu-
fion ingénieufe , ne nous plaïfent gucT-
r£S que lorTqu'elles font nouvelles ptoitr
nous. C'eft la première furprifequi nous
frappe. Le trait eft émouiTé, dès quenous
en avons retenu.le fens : mais les Epi-
frammes qui peignent des objets capa*
les de nous attendrir , ou de s'attirer
line grande attention en quelque maniè-
re que ce foit , font toujours impreffion
fiu* nous. On les r^lit plulîeurs fois , &c
bien des perfonnes les retiennent fans
avoir jamais penfé à les apprendre. Pour
ne point, mettre en jeu les Poètes mo-
dernes , les Epigrammes de Martial ,
qu'on fçait commiuiément , ne font
point celles oii il a joué furie mot , mais
î»en les Epigrammes cil il a dégeintu^
:,-,zf--„GoOglc
Jurla Poif* &fur la Petruare. gç
kbjet capable de nous intérefler beau-
coup. Telle eft l'Epigrantme de Martial
fur-Arria la femme de Pétiis.
Les Auteurs fenfés qui ont voulu com-
pofer des Poëmes dogmatiques , & faire
fervirles vers à nous donner des leçons,
le font conduits fuivant le principe que
îe viens d'expoler. Afin de foutenir l'at-
tention du leâeur , ils ont femé leurs
vers d'images qui peignent des objets
touchans ; car les objets , qui ne font
propres qu'à fatisfaire notre curiofité , '
ne nous attachent pas autant que les ob-
jets qui font capables de nous attendrir.
S'il eft permis de parler ainfijl'efpriteft
d'un commerce plus difficilequelecoeur.
SECTION IX.
Comment otî rend les Sujets dogmatiques ,
intétxjfans.
Quand Virgile compofa Tes Geor-
giqiies qui font un Poëme dogmatique y
dont le titre nous promet des inftruc-
lions fiir l'agriadtare & fur les occupa-
tions de la vie champêtre , il eut atten-
tion à le remplir d'imitations faites d'ar
:,-,zf--„GoOglc
66 Kêfltxiom crimpui
près des objets qui nous auroient attîM
chés dans la nature, Virgile ne s'eA pas
mime contenté de ces images répan-
dues avec un art infini dans tout rou>
vrage. Ilplacedansimde ces livres luie
differtation feite à l'occafion des préfa-
gcs du foleil , & il y traite avec toute
Pinvention dont la Poëfie ell capable , le
meurtre de Jules Céfar , & les commen-
cemens du règne d'Augiifte. On ne pou-
voit pas entretenir les Romains d'un fii-
jet qui les intéreffât davantage. Virgile
met dans une autre livre la Fable mira-
cuIeufed'Ariftée, & la Peinture des ef-
fets de l'Amour. Dans un autre , c'eil
un tableau de la vie champêtre qui for-
me un payfage riant & rempli des figu-
res les plus aimables. Enfinil infère dans
cet ouvrage l'avantiire tragique d'Or-
phée & d'Euridice , capable de faire fon-
dre en larmes ceux qui la verroient véri-
tablement. Il eft fi vrai qtie ce font ces
images qui font caufe qu'on fe plaît tant
à lire les Georgîques , que l'attentioit
fe relâche fur les vers qui donnent les
préceptes que le titre a promis. Suppofé
même que l'objet , qu'un poème dog-
matique nous préfente , fut fi curieux
jgu^on ie lût une fois avec plaifu-, on ne
:,-,zf-,CoOJilc
y«f la Poë^e & fur !a Pemturi. 6y
te reliroit pas avec la même fattsfaâîon
qu*onrelituneEglogue.L'efpritnefçau-
Toit jouir deux fois du plaiur d'appren*
dre la même choie ; mats le cœur peut
jouir deux fois du plaifir de fentir la mê-
me émotion. Leplaîfir d'apprendre eit
confommé par le plaifir de fçavoir.
Les Poèmes dogmatiques , que leurs
Auteurs ont dédaigné d'embellir par des
tableaux pathétiques affez frëquens , ne
font gitéres entre les mains du commun
des hommes. Quel que foit le mérite de
ces poèmes , on en regarde la leflure
comme une occupation férieufe , & non
pas comme un plaifir. On les aime
moins , & le public n'en retient euéres
que les vers qui contiennent des ta-
bleaux pareils à ceux dont on loue Vir-
gile d'avoir enrichi fes Georgiques. U
n'eft perfonne qui n'admire le génie fie
la verve de Lucrèce , l'énergie de fes
expreflïons , la manière hardie dont il
pemts des objets , pour lefquels le pin-
ceau de la Poëfie ne paroiiToit point rait :
enfin fa dextérité pour mettre en vers
des chofes , que Virgile hii-même au-
roit peut-être défefpéré de pouvoir dire
tn langagt des Dieux : mais Lucrèce eft
j?ien pitts admiré qu'il n'eft lu, U y a plu4
:,„.-„ Google
t
éS Réflexions eritiqius
à profiter dans foo Poëme Dt aatura re^
rum , tout rempli qu'il eft de mauvais
raifonnemens, qiie dans l'Enéide de Vir-
gile : cependant tout l&monde Ut & re-
lit Virgile , & peu de perfonnes font àc
Lucrèce leur livre fevori. On ne lit foix
ouvrage que de propos délibéré. Un'eit
point , comme l'Enride , un de ces livres
liir leiquelsun attrait înTenlible tàitd'at-
bord porter la nfain quand on veut lire
une heure ou deux. Qu'on compare le
nombre des traduÔions deLucrece avec
le nombre des traduâions de Virgile
dans toutes les langues polies , & l'on
trouvera quatre traduftions de l'Enéïde
de Virgile contre une traduÛion duPoë-
rae De natura. rtrum. Les hommes ai-
meront- toujours mieux les livres qui les
toucheront que les livres qui les inftniî-
ront. Comme Fennui leur eft plus à
charge que l'ignorance , ils préfèrent le
plailu- d'être émus au plaifir d'être int^
:,-,zf--„GoOglc
pirla Poêjîe & fur la Peinture, é^
SECTION X.
OhjiSion tirée des Tablttux y O faite pour
montrer que Van de l'imitation iniéreffe
plus que lefujet même de l'imitation.
vyN poiirrolt objcfter qiic des ta-
t/eaux oîi nous ne voyons que l'imita-
tion des différens objets qui ne nous
auroient point attaches , fi nous les
avions vus dans la nature , ne laiflent
pas de fe faire regarder long-tems. Nous
donnons plus d'attention à des fruits Sc
à des animaux repréfeotés dans un ta-
bleau , que nous n'en donnerions à ces
objets mêmes. La copie nous attache
plus que l'original.
Je répons que , lorfque nous regar-
dons avec application les tableaux de
ce genre , notre attention principale ne
tombe pas- fur l'objet imité , maïs bien
furrart de rimitateur. C'eft moins l'ob-
jet qui fixe nos regards que l'adreiTe de
î'Artifan : nous ne donnons pas plus d'at-
tention à Tobjet même imit^ dans le ta-
bleau , que nous lui en donnons dans
la nature* Ces tableaux ne foat point
:,-,zf--„GoOglc
yo Réfexïons enth}UCS^
regardés auâi long-tems que ceux oit
le mérite du fujet eft joint avec le mé-
rite de l'exécution. On ne regarde pas
auffi long-tems un [ïanier de fleurs de
Baptifte , ni ime fête de village de Te-
niers , qu'on regarde un des fept Sacre-
mens du Pouffm , ou une autre compo-
£tion hiftorique , exécuté avec autant
d'habileté , que Baptifte & Temers en
font voir dans leur exécution. Un ta-
bleau d'hiftoire auffi bien peint qu*un
corps-de-garde de Teniers , nous atta-
cheroit bien plus que ce corps-de-garde.
II iàut toujours fuppoier , comme la
raîfon le demande , que Tart ait réuflî
également \ car il ne Aifiit pas que les
tableaux Ibient de la même main. Par
exemple , on voit avec plus de plaifir
une fête de village de Temers qu'un de
fes tableaux d*miloire , mais cela ne
Çrouve rien. Tout le monde fçait que
'eniers réuflUToit auffi mal dans les
compoHtions férieufes , qu'il réufllflbit
bien dans les compoiitions grotesques.
Or en diftinguant l'attention qu'on
donne à l'art d'avec celle qu'on donne à
l'objet imité ; on trouvera toujours que
j'ai raifon d'avancer que l'imitation no
&it jamais fur nous plus d'impreûîon
:,-,zf--„GoOglc
JurlaPoêJte &fi^ia Ptînturi. yt
tjae l'objet imité en pourroit faire. Cela
eH vrai même en parlant des tableaux ,
<iui font précieux par le mérite feul de
I exécution.
L'art de la Peinture e(k û difficile , il
nous attaque par un fens , dont l'empire
fur notre ame eft fî grand , qu'im ta-
bleau peut plaire par les feuls charmes
de l'exécution , indépendamment de
I'ob;et qu'il repréfente : mais je l'ai déjà
dit , notre attention Se notre eftime font
alors uniquement pour l'art de l'imita-
teiu- qui Içait nous plaire , même fans
nous toucher. Nous admirons le pin-
ceau qui a fçu contredire li bien la na-
ture. Nous examinons comment l'Arti-
fan a fait pour tromper nos yeux , au
point de leur faire prendre des couleurs
couchées fur une luperHcie pour de vé-
ritables, fruits. Un Peintre peut donc
paiTer pour un grand Artifan , en qualité
de delSnateur élégant , ou de coroliAe
rival de la nature , quand même il ne
fçauroit pas aire ufage de Tes talèns
pour repréfenter des objets touchans ,
& pour mettre dans ks tableaux l'ame
& la vraifemblance qui fe font fentir
dans ceux de Raphaël oc du Poufïïn. Les
tableaux dg l'^çle lombarde font ad-
:-„r-., Google
yi . Rtjîex'ions critiques
mirés , bien qvie les Peintres s'y foicn*
bornés fbiivent à flatter les yeux par la
licheffc & par la vérité de leurs cou-
leurs , fans penfer peut-être que leur
art fut capable de nous attendrir : mais
leurs panifans les plus zélés tombent
d'accord qu'il manque une grande beau-
té aux tableaux de cette Ecole , & que
ceux du Titien , par exemple , feroieot
encore bien plus précieux , s'il avoit
traité toujours des fujets touchans , 6c
s'il eût joint plus Ibuvent les talens de
fon Ecole aux talens de l'Ecole Romai-
ne. Le tableau de ce grand Peintre qui
repréfente faint Pierre Martyr , Reli-
gieux Dominicain , maflacré par les
Vaudois , n'eft peut-être pas , tout admi-
rable qu'il eft par cet endroit même ,
fon tableau lé plus précieux par la ri-
cheJTedes couleius. locales; cwendant
de l'aveu du Cavalier Ridolfi , l'Hifto-
rien des Peintres de l'Ecole de Venifc
(a) , c'eft celui qui eft le plus connu ic
le plus vanté. Mais l'aftion de ce tableau
eft intéreffante , & le Titien l'a traitée
avec plus de vraifemblance , & avec
une expreffion des pallions plus étudiée
que celles de les autres ouvrages.
''^^''^''*'' SECTlOIf
:-„r'., Google
furlaPotfie SffurU Peinture. 75
SECTION XI.
Que Us beautîs de texéctuion ne rendent
pas feuUs un Poème un bon ouvrage ,
comme elles rendent un Tableau un ou-
vrage pricuux^
I
L n'en eft pas des Poctes , qui n'ont
d'autre mérite que celui d'exceller
dans la verlificalion , fie qui ne fçavcnt
pas nous dépeindre aucun objet capable
de nous toucher , mais qui , pour me
fervir de l'ex^eÛion d'Horace , ne met-
tent fur le papier que des niaiferies kar-
monteufes , comme des Peintres dont je
viens de parler. Lepublicne faitjamais
beaucoup de cas ' des ouvrages d'un
Poète qui n'a pour talent que celui de
réuâlr dans la mécanique de fon Art.
On auroit tort cependant d'accufer le
Public de rigueur envers les Poctes 6c
d'indulgence envers les Peintres. 11 eft
tout autrement difficile d'être bon co-
lorifte & deffinateur élégant , que grand
arrangeur de mots & rimeur exaiï.
!^' ailleurs îln'eftpointd'imitaticnd.:l3
nature dans les-compolitions du £mple
Tonu I. D
:,-,zf--„GoOglc
'^4 Rèjltxions critiqms
verû£cateur , ou du moins , comme je
rexpoferai plus au long dans la fuite de
cet ouvrage , il eft bien difScile que des
vers François imitent aflez bien dans la
prononciation le bruit que te fens de
ces vers décrit , pour donner beaucoup
de réputation au Poète qui ne fçauroit
pas faire autre chofe. La rime n'eft pas
rimitation d'aucune beauté qui loîc
dans la nature : mais , comme je viens
de le dire , il eft une imitation préci eufe
des beautés de la nature d^ns les ta-
bleaux dn Peintre qui ne fçait que bien
colorer. Nous y retrouvons la chair
des hommes, &c nous reconnoilTons
dans fes payfages les difFérens eflets de
la lumière 6ç la couleur naturelle de
tous le5<^jets.
Dès que le mérite principal des
Poèmes & des Tableaux confifte à
repréfenter des objets capables de nous
attacher & de nous toucher fi nous les
voyions véritablement , il eft facile de
concevoir combien le choix du fujet eft
important pour les Peintres & pour les
Poëte^. Ils ne peuvent le choifir trop
întéreâant.
Oii ItBa pftnrrr trie rtt '
tticfucanitA itfint tninc , itec btâias orio, (j)
{/^ Hotttf d« Arte Poetie.
:,-,zf-„ Google
fur la Poifie &fur la Ptinture. 7 5
SECTION XII.
Qu'ua ouvrage nous imirtjfe tn deux
manières : commt itaju un homme en
générât , & comme itaat un eercaia
homme en particulier.
UN fujet peut être iotéreffant en
deux manières. En premier lieu , il cft
intéreffant de lui-même , & parce que
fts circonftances font telles qu'elles
doivent toucher les hommes en géné-
ral. En fécond lieu , it eu. intéreHant par
rapport à certaines perfonnes feule-
ment , c'eft-à-dire , que tel fujet qui
n'eft capable que de s'attirer une atten-
tion médiocre de la part du commun
des hommes, s'attire cependant une
attention très-férieufe de la part de
certaines perfonnes. Par exemple, un
portrait eft un tableau afTez indifférent
pour ceux qui ne connoiffentpaslaper-
fonne qu'il repréfente ; mais ce portrait
eft un tableau précieux pour ceux qui
aiment la perfonne dont il ell le por-
trait. Des vers remplis de fentimens
pareils aux nôtres , & qui dépeignent
Dij
:,-,zf-„ Google
•j$ Rèfiexioiu critiques
une Jltuatlon dans laquellehousTommes,'
ou même une iîtuation dans laquelle
nous aurions étéautrefois,ont pour nous
un attrait particulier. Le fujet qui ren-
ferme les principaux événemcns de
l'Hilloîre d'un certain peuple eA plus
intéreflant pour ce peiyle-là , que pour
une autre Nation. Le uijet de l'Enéîde
étoit plus intérelTant pour les Romains
qu'il ne l'eft pour nous. Le fiijet du
Foëme de la Pucelle d'Orléans e^
plus intéreflant pour nous que pour
les ItaUens. Je ne parlerai pas plus au
long de cet intérêt de rapport &c par*
ticulier à certûns hommes comme à
certains tems , d'autant qu'il eft facile
aux Peintres & aux Poètes de con-
ooître fi les fujets qu'ils entreprennent
de traiter intéreâent beaucoup les per*-
fonnes devant lefquelles ils doivent
produire leurs ouvrages.
Je me contenterai donc de faire deux
réflexions à ce fujet. La première eft
qu'il eft bien difficile qu'un poème "de
quelque étendue , & qui ne doit pas
être foutenu par le pathétique de la
déclamation , ni par l'appareil du théâ-
tre , réu/nfle , s'il n'efl pas compofé fiu-
j^n iiij^t qui réunifle les deux intérim;
:,-,zf--„GoOglc
fuT la Potjîe & fur la Pe'inturi. 77
je veux dire fur un fujét capcbte de
toucher tous les hommes , & qui plaife
encore particulièrement aux compa-
triotes de l'Auteur, parce qu'il parle
des chofes aufquelles ils s'interefTent tê
plus. On ne lit pas un poëme pour s'inf-
truire , mais pour Ibn plaïllr ; & on le
quitte quand il n'a point un attrait ca-
pable de nous attacher. Or il eft pref-
qire impoflible que le gënie du Poète
loit affez fertile en beautés , & que
le Poète puiffe les diverfi6er encore
avec affex de variété pour nous tenir
attentifs , pour ainfi dire , à force d'et
prit, durant la lefture d'un Poëme épi-
que. C'eft trop ofer que d'entreprendre
à la fois d'exciter & de fatisfaîre notre
curiofité. C'eft trop hafarder que do
vouloir nous faire aimer des perfon-
nages qui nous font pleinement indif^
fërens, avec aflez d'afFcûion, pour
être émus de tous leurs fuccès & de
toutes leurs traverfes. Il eft bon que
le Poète fe prévaille de toutes les m-
cUnations & de toutes les partions qui
font déjà en nous , principalement de
celles qui nous font propres comme
citoyens d'un certain pays, ou par quel-
que autre endioit. Le Poëte qui i;itro-
:,-,zf--„GoOglc
78 Réflexions criiiquts
duiroit Henri IV dans un poème éfn-
que , nous trouveroit déjà aiFeâionné»
à Ton Héros & à fon uijet : fon art
s'épuiferoit peut-être en vain , avant
qu'il nous eût intéreffés pour un Héros
ancien , ou pour un Prince étranger ,
autant que nous le fommes déjà pour
le meilleur de nos Rois.
L'intérêt de rapport , ou rmtërêt qui
nous eft particulier, excite autant notre
curiolite,il nous difpofe du moins autant
que l'intérêt général à nous attendrir ,
comme à nous attacher, L%nitation
des chofes auxquelles nous nous inté-
reflbns , comme citoyens d'un- certain
pays , ou comme feâateurs d'un certain
parti , a des droits tout putlTans fur
nous. Combien de livres de parti
doivent leur première vogue à l'inté-
rêt particulier que prennent à ces livres
les perfonnes attachées à la caufe pour
laquelle ils parlent ? Il eA vrai que le
public oublie bientôt les livres qui
n'ont d'autre mérite que celiii de pren-
dre l'efTor en certaines conjonâures :
il faut que le livre foit bon dans le
fond pour fe Soutenir : mais s'il eft
tel } 5 il mérite de plaire à tous les
hommes, l'intérêt particulier le fait
■,r ..Google
JutU Poëjtt Sffur Ut, Ptinture. ^9
connoître beaucoup plutôt. Un bon
livre fait, à la âveur de cet intérêt,
une fortune & plus prompte & plus
grande. D'ailleurs il eft des intérêts de
rapport qui iubfifient longtems , & qui
peuvent concilier à un ouvrage diu^nt
pluûeurs fiécles l'attention particulière
d'un grand nombre de perlbnnes. Tel
eA l'intérêt que {«'end une Nation au
Poème qui décrit les principaux évé*
nemens de fon Hiiloire , 6c qui parle
des villes , des fleuves & des édifices
fans cefle préfens à fes yeux. Cet inté*
rêt particulier auroit feit réulïïr la Pu-
cellc de Chapelain , lî le Poëme n'eût
été que médiocre.
n eâ vrai que toutes les Nations de
l'Europe Hfent encore l'Enéide de Vir-
gile avec un plailir inlîni , quoique les
objets que ce Poëme décrit ne Ibient
plus ibus leurs yeux, & quoiqu'elles
ne prennent pas le même intérêt à l«
fondation de l'Empire Romain que les
contemporains de Virgile , dont les
plus confidérables fe dUbîent encore
defcendus des Héros qu'il chante. Les
fêtes , les combats & les lieux dont il
parle , ne font connus à plufieurs de fes
li^fteurs que par ce que lui-même en
Div
:-„r-., Google
8o Réflexions critiques
raconte. Mais TEnéide , l'ouvrage du
Poëte le plus accompli qui jamais aie
écrit , a , pour ainlî dire , des moyens
de reile de faire fortune. Quoique ce
poëme ne nous touche plus que parce
que nouslbmmes des hommes , il nous
touche encore aiïez pour nous attacher:
mais un Poëte ne fçauroit promettre à
fes ouvrages unefortune pareille à celle
de l'Enéide, qui eft celle -de toucher
fans cet intérêt qui a un rapport parti-
culier au Leâeur , à moins d'une grande
préfomption , principalement s'il com-
pofe en François. C'eft ce que je tâche-
rai d'expliquer plus au long dans la fuite
de cet écrit.
Ma féconde réflexion fera fur l'in-
juftice desjugemuos téméraires qu'on
porte quelquefois , en taxant de men-
îbnge ce que difent les Anciens cotjcer-
nant le fuccès prodigieux de certains
ouvrages , &c cela parce qu'on ne fait
pas attention à Tmlérêt particulier
que prenoient à ces ouvrages ceux
qui leur ont tant applaudi. Par exem-
ple , ceux qui s'étonnent que Céfar ait
été déconcerté en écoutant l'Oraifon
de Cicéron pour Ligarius , & que le
Diâateur fc foit- om>lié lui-m&nç juf<
:,-,zf--„GoOglc
furldPoeJîe & fur la Peinture, 8l
qu'à lailTer tomber par im mouvement
involontaire des papiers qu'il tenoit
entre fes mains ; ceux qui difent qu'a-
près avoir lu cette Oraifon , ils cher-
chent encore l'endroit qui fut capable
de frapper aufîi vivement un homme
tel que Céfar, parlent en Grammai-
riens gui n'ont jamais étudié que la
langue des hommes , Se qui n'ont point
acquis la connoifiance des mouvemens
du cœur humain. Qu'on fe mette en
la place de Céfar , & l'on trouvera
fans peine cet endroit. On concevra
bientôt comment le Vainqueur de
Pharfale , qui fur le champ de bataille
même avoit embraffé fon ennemi vain-
cu comme fon concitoyen , à pti fe
laiiTer toucher par la peinture de cet
événement que fait Cîcéron, au point
d'oublier qu'il fut aflis fur un Tribu-
nal.
Revenons à l'intérêt général & aux
fufets où il fe trouve, & qui par -là
font propres à toucher tout le monde.
Les Peintres & les Poètes, je l'ai déjà
dit, n'en doivent traiter que de tels.
H eft vrai que ces Artifans fçavent en-
richir leurs fujets ; ils peuvent rendre
les fujets qui font naturellenient dé-
•D V
■„r-., Google
51 Kejiexions critiques
nues d'intérêt, des fujets intéreffans :
mais it arrive plufieurs inconvéniens à
traiter de ces fujets , qui tirent tout
leur pathétique de l'invention de l'Ar-
tifan. Un Peintre , Sc principalement
un Poète qui traite un fujetlans inté-
rêt, n'en peut vaincre la flérilîté , il
. ne peut jetter du pathétique dans l'ac-
tion indifférente qu'il imite qu'en'deux
manières : ou bien il embellit cette
a£lîon par des Epifodes ; ou bien il
change les principales circonflances de
cette aâion. Si le parti que le Poëte
choiiit eft celui d'embellir fon aÛjon
par des Epifodes, l'intérêt qu'on prend
à ces Epifodes , ne fert qu'à faire mieux
fentir la froideur de l'aâion principale ,
&,on lui reproche d'avoir mal rempli
fon titre. Si le Poète change les prin-
cipales circonflances de l'aâion , que
nous devons fuppofer être un événe-
ment généralement connu , fon poëme
ceflè d'être vraifemblafale. Un fait ne
fçauroit nous paroître vraifemblable ,
quand nous fommes informés du con-
traire par des témoins dignes de foi :
c'eft ce que nous expoferons plus au
long , quand nous ferons voir que toute
forte de fîâion n'eft pas pennife ea
:,-,zf--„GoOglc
fm la Potjtt ۥ fur U Ptinture. J? J
Poëfîe , non plus qu'en Peinture.
Que les Peintres & les Poctes exa-
nûnent donc férieufement G l'aflion
qu'ils veulent traiter nous toucheroit
ienfiblement , fuppofé que nous la vif-
lîons , & qu'ils foient persuadés que fort
imitation nous afFeâera encore moins.
Qu'ils ne s'en rapportent pas même
imiquement à leur propre difcemc
ment, enuneclécilion],tellement impor-
tante au fuccès de leurs ouvrages. Avant
que de s'afFeftionner à leurs fujets,
avant, pour'ainfi dire, que d'époufer
leurs perfonnaoes , qu'ils confultent
leurs amis : c'eit le tems oîi ils en peu-
vent recevoir les avis les plus utiles.
L'imprudence eft grande d'attendre à
demander at'is fur un bâtiment , qu'il
foii dé;a forti de terre , & qu'on ne
puilfe plus rien changer dans l'elTenticI
de fon plan , fans renvcrfer la moitié
d'un édifice déjacortftruit.
Dvj
:,-,zf-„ Google
84 Réfiex
SECTION XIII.
Qii'il efi dts fujets propres fpècialement
pour la Poëfie , & d'autres fpicialemcnt
propres pour la Peinture, Moyens de
les reconnoitre,
jN o N feulement le fujet de l'imita-
tion doit être intéreflant par lui-même,
mais il faut encore le choifîr convena-
ble à la Poëfie , quand on veut le trai-
ter en vers. Il eft des fujets plus avan<
tageux pour les Peintres que pour les
Poètes , comme il en eil qui font plus
avantageux pour les Poètes que pour
les Peintres. C'eft ce que je vais tâ-
cher d'expofer, après avoir prié qu'on
me pardonne un peu de longueur dans
cette difculHon. Il m'a paru qu'il falloic
nfétendre pour être plus intelligible.
Un Poëte peut nous dire beaucoup
de chofes qu'un Peintre ne fçauroit
nous faire entendre. Un Poëte peut ex-
primer plufieurs de nos penfées & phi-
fieuts de nos fentimens qu'un Peintre
ne fçauroit rendre , parce que ni les
uns ni les autres ne font pas fuivis
:-„r-., Google
fur la Poïjîe & fur U Pelncurt. 85
d'aiicim mouvement propre & fpé*
cialement marqué dans notre attitude,
ni précirément caraftérifê fur notre vi-
iâge. Ce (jue Corn.eUe dit à Cëfar, en
venant lui découvrir la conjuration qui
i'alloit foire périr dans xme heure ,
Ucxeniple ^ue tu dois périroit avc^ loi :
ne peut être rendu par un Peintre. U
peut bien , en donnant à Cornelie une
contenance convenable à fa âtuation
& à fon caraâere , nous donner quel-
que idée de fes fentimens , & nous faire
connoîire qu'elle parle avec une gran-
de dignité i mais la penfée de cette
Romaine , qui veut que la mort de
l'oppreffeur de la République foit
un fupplice qui puiffe épouvanter ceux
qui voudroient attenter fur la liberté ,
Se non pas un crime déteflable , ne
donne point de prife au pinceau. 11 n'eft
pas d'expreffion pittorefqiie qui puiffe
artiaiier, pour ainfi dire, les paroles
du vieil Horace , quand il répond à ce-
lui qui lui demandoit ce quefon fils
pouvoit faire feul contre trois com-
battans : Qw'/V mourût. Un Peintre peut
bien faire voir qu'un homme eft ému
d'une certaine paâion , quand même il.
:,-,zf--„GoOglc
86 Rlfltxions emlqius
ne le dépeint pas dans l'aâion , parce,
au'îl n'eft pas de paffion de Tame qui ne
ioit en même-tems une paffion du corps .
Mais ce que la colère iait penfer de fin—
gulier , fuivant le caraâere propre de
chacun, & fuivant les circonftances
où il fe rencontre , ce qu'elle fait dire
de fublime , par rapport a la fituation du
perfonnage qui parle , il eft très-rare
que le Peintre puifTe rexprimer afîez
intelligiblement pour être entendu.
Par exemple , le Pouffin a bien pu
dans fon tableau de la mort de Ger-
manicus , exprimer toutes les efpeces
d'alHiâion dont fa famille & fes amis
furent pénétrés, quand il mourut em-
poifonné entre leurs bras : mais il ne
lui étoit pas poffible de nous rendre
compte des derniers fentimens de ce
Prince lî propres à nous attendiïr. Un
Poëte le peut faire : il peut lui faire
dire : Je ferois en droit de me plaindre
d'une mort auflî prématurée que la
mienne , quand bien même elle arri-
veroit par la faute de la nature ; mais
je meurs empoifonné ; pourfuivez donc
la vengeance de ma mort , & ne rou-
giffez point de vous faire délateurs
pour I obtenir : la compaffion du pu-
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poijîe &fur la Pànturt. 87
JI>Uc Tera du côté de pareils accurateius.
Un " Peintre ne fçauroit exprimer la
plupart de ces ientimens ; il ne peut
encore peindre dans chaque tableau
qu'un des fentîmens qii'd lui eftpoffible
d'exprimer. II peut bien , pour donner
à comprendre le foupçon qu'avoit Ger-
manicus que Tibère fût 1 auteiu* de la
mort, feire montrer par Germaniais
à ia femme Agrîppîne une Aatue de
Tibère, avecungelle & avec un air de
vifage propres à caraâérifer ce ientir
ment ; mais il faut qu'il employé tout
fon tableau à l'exprelEon de ce fenti-
ment-là.
Comme le tableau qui repréfente
une aâi^ , ne nous 6ut voir qu'un
inftant de fa durée , le Peintre ne
fçauroit atteindre au fublime que les
chofes qui ont précédé la fituatîon pré-
fente , jettent quelquefois dans imfenti-
ment ordinaire. Au contraire la Poéfie
nous décrit tous les incidens remar-
quables de Taâion qu'elle traite ; &
ce qui s'eA palTé jette fouvent du
' merveilleux wr une chofe fort ordi-
naire qui fc dit ou qui arrive dans la
fuite. C'eft ainfi que la Poëfie peut
employer ce merveilleux qui naît des
-,....C<M,^,
8 s Réfitxlons critiques
circonftances , âc qu'on aiçellera,fî
l'on veut , un iubibne de rapport. Telle
efl la {aillte du Mifantrope gui ren-
dant un compte lerieux des raifons qui
l'empêchent de s'établir à la Cour,
ajoute , après xuie déduÛion des con-
traintes réelles &C gênantes qu'on s'é-
pargne , en n'y vivant point :
On n'a paiï louer Ictveii d; MeffiEuiiuls.
Cette penfée devient fublime par le ca-
raâere connu du personnage qui parle,
& par la procédiue qu'il vient d'effuyer,
pour avoir dit que des vers mauvais ne
valoient rien.
Il eft encore plus facile , fans compa-
raifon , au Poëte qu'au Peintrç de nous
affeâionner à fes perfonnages , & de
nous faire prendre un grand intérêt à
leur deftince. Les qualités extérieures ,
comme la beauté, la ;euneffe , la ma-
jefté & la douceiu- que le Peintre peut
donner à ces perfonnages, ne Içau-
roientnous intérefler à leur deftinée
autant que les vertus & les qualités
de l'ame que le Poète peut donner aux
iiens. Un Poële peut nous rendre pref-
qu'aulH fenfibles aux malheius d'un
Prince , dont nous n'entendîmes jamais
.,-,zf-,Googlc
furlaPo'éfit & Jur la Peinture. S^
parler , qu'aux malheurs de GermanU
cus , & cela par le caraâere grand £c
aimable qu'il donnera au Héros incon-
nu qu'il voudra nous rendre cher. Voilà
ce qu'un Peintre ne fçauroit faire : il
eft réduit à fe fervir, pour nous tou-
cher , de perfonnages que nous con-
noiffons déjà : fon grand mérite eft de
nous faire reconhoître sûrement & fe-
cilement ces perfonnages. C'eft un
chef-d'œuvre du Pouflln que de nous
avoir fait^ reconnoître Agrippine dans
fon tableau de la mort de Germanicus
avec autant d'efprit qu'il Ta feït. Après
avoir traité les difFérens genres d'afflic-
tion des autres perfonnages du tableau
comme des palfions quipouvoient s'ex-
primer , il place à coté du lit de Ger-
manicus une femme noble par fa taille
Ct par fes vêtemens , qui fe cache le
vifage avec les mains , & dont l'atti-
tude entière marque encore la dou-
leur la plus profonde. On conçoit fans
peine que 1 affliâion de ce perfonnage
doit furpaffer celle des autres, puifque
ce grand Maître défefpérant de la re-
préfenter, s-'eft tiré d'affaire par un
ïi^t d'efprit. Ceux qui fçavent que
Germanifius avoit xme femme xmiquer
:,-,zf--„GoOglc
^o Réjlexîons erUiques
ment attachée à lui , & qui reçut Tes
derniers foupirs , reconnoîffent Agrip-
pine aulB certainement que les Anti-
quitaires la reconnoiffent à fa coëfiire ,
&L à l'on air de tête pris d*a{»'ès les
médailles de cette Princefle. Si le Pouf-
fin n'eft pas rinventeur de ce trait de
Poëfîe , qu^il peut bien avoir émpnmté
du Grec quipeignitAgamemnonlatête
voilée au facrihce d'Iphigénie fa fille ;
ce trait eft toujours un cnef- d'oeuvre
de la Peinture. Je dis toujours le Pouf-
fin , conformément à TuTage établi ,
bien que ce le dont les Italiens accom*
pagnent les noms illuftres, puilTe don-
neç à penfer que le Pouflin fut Italien.
Nicolas Pouflin , c'étoit fon nom , étoit
d'Andeli en Normandie.
Je me fuis étonné plufieurs fois que
les Peintres qui ont un fi grand intérêt
à nous faire reconnoître les perfonnages
dont ils veulent fe fervir pour nous
toucher, & qui doivent rencontrer
tant de difficultés à les faire recotmoî*
tre à Taide feul du pinceau , n'accon^
pagnafTent pas toujours leurs tableaux
d'hiâoire d'ime courte înfcription. Les
trois quarts des Speûateurs qui font
d'ailleurs très-capables de rendre juAice
:,-,zf--„GoOglc
fur la Po'éjît Sffur la Peinture. 91
i l'ouvrage , ne font point affez lettrés
pour deviner le fujet du tableau. U eft
quelquefois pour eux une beUe perfon-
ne qui plaît y mais qui parle une langue
qu'ils n'entendent point ; on s'ennuye
bientôt de la regarder, parce que la
durée des plaifu^ , oii l'eiprit ne prend
point départ , eft bien courte.
Le fens des Peintres Gothiques , tout
grolSer qu'il étoit , leur a &it connoî-
tre L'utilité des infcriptions pom l'in-
teUigence du fujet des tableaux. Il ell
vrai qu'ils ont fait un ufage aitOÎ bar-
bare de cette connoiflance que de leurs
pinceaux. Ils fâifoient fortir de la bou-
che de leurs figures , par une précaution
bifarre , des rouleaiix fur lefquels ils
écrivoient ce qu'ils pétendoient ftiire
dire à ces figures indolentes } c'étoit-là
véritablement faire parler ces figures.
Les rouleaux dont je parle , ie font
anéantis avec le goût Gothique ; mais
quelquefois les plus grands Maîtres
ont jugé deux ou trois mots néceflaires
à l'intelligence du fujet de leurs ou-
vrages , & même ils n'ont pas fait fcru-
pule de les écrire dans lui endroit du
plan de leurs tableaux oii ils ne gâtoient
rien. Raphaël &c le Carrache en ont
/
:,-,zf--„GoOglc
91 Réjlexioiis critiques -
ufé ainfi: Coypel a placé de même des
bouts de vers de Virgile dans la Gal-
lerie du Palais Royal , polir aider à
l'intelligence de fes fujets qu'il avoit
tirés de l'Enéide. Déjà les Peintres
dor^ on grave les ouvrages , commen-
cent à fentir l'utilité de ces infcriptîoiu ,
& ils en mettent an bas des eftampes
qui fe font d'après leurs tableaux.
Le Poëte arrive encore f^us certai-
nement que le Peintre à l'imitation de
fon objet. Un Poëte peut employerpln-
, fleurs traits pour exprimer la paSîon
& le fentiment d'un de fes perfonna-
ges. Si quelques-uns de fes traits avor-
tent , s'ils ne frappent point précifé-
ment à fon but; s'ils ne rendent pas
exaâement toute l'idée qu'il veut ex-
primer, d'autres traits plus heureux
peuvent venir an fecours des premiers.
Joints enfemble , ils feront ce qu'un
feul n'auroit pu foire , & ils exprime-
ront ainfî l'idée du Poète dans toute
fa force. Tous les traits dont Homère
fe fert pour peindre l'impétuofité d'A-
chille , ne lont [>as également forts ;
mais les fbibles font rendus plus fbrts
par d'autres , aufquek ils donnent ré-
ciproquement plus d'énergie. Tous le*
....Google
fur la Poêju 0 fur la Peinture. ^3
traits que Molière employé pour
crayonner fon Mifantrope , ne font pas
également heureux, maïs les unsajou-
tent aux autres ; & prîstous enfemble y
ils forment le caraâere le mieux dcfll-
né & le portrait le plus parfait qui ja-
mais ait été mis fur le théâtre. Il n'en
eft pas de même du Peintre , <jui ne
peiat qu'une feule fois chacun de fcs
perfonnages, & qui ne fçauroit em-
ployer qu'un trait pour exprimer ime
paffion fur chacune des parties du vi-
îage où cette paffion doit être rendue
fenfible. S'il ne forme pas bien le trait
qui doit exprimer la paHion ; fi , par
exemple , lorfqu'il peint un mouvement
de la bouche , fon contour n'eft point
précifément la ligne qu'il falloit tirer ,
ridée du Peintre avorte ; Ôi le pet fon- -
nage , au lieu d'exprmier une paflion ,
ne fait phis qu'une grimace. Ce que le
Peintre fait de mieux dans les autres
parties du vifage , peut bien engager
d'excufer ce qu'il a fait de mal en -deffi-
nant^la bouche , mais ii ne fupplée pas
le trait -manqué. C'eft même Ibuvent
en vain qu'il tente de e orriger (à faute ;
il recommence fans faire mieux; Se
fcmblable à ceux qui cherchent dans
■,r ..Google
94 RifiexioTts critiquet
leur mémoire un nom propre oublié ,
il trouve tout hormis le trait qui pour-
roit feul former l'expreffion qu'il veut
imiter. Ainfi quoiqu'il foit des carac-
tères qu'un Peintre ne puifle pas ex-
primer , moralement parlant , il n'en
eft pas qu'un Poëte ne puifTe copier.
Nous allons voir auffi qu'il eft bien des
beautés dans la nature que le Peintre
copie plus facilement , & dont il feit des
imitations beaucoup plus touchantes
que le Poëte.
Tous les hommes s'affligent , pleu-
rent & rient ; tous les hommes ref-
ren:ent les paflîons : mais les mêmes
padîons font marquées en eux à des
caraâeres' différens. Les paffions font
variées , même dans les perfonnes qui ,
fuivant la fuppofîtion de l'Artifan , doi-
vent prendre un égal intérêt à Paâion
principale du tableau. L'âge , la patrie ,
le tempérament , le fexe & la profef-
iîon mettent de la différence entre les
fymptomes d'une paflîon.produite par
le même fentiment. L'afffiâion de ceux
qui regardent le facrifice d'Iphigénie,
vient du même fentiment de compaf-
lîon; & cependant cette affliâion doit
fc manifefter différemment en chaque
:,-,zf--„GoOglc
fiir la Vmfit & fur la Peinture. 9 5
fpeâateur , iuivant Tolifervation que
nous venons de faire. Or le Poète ne
fçauroit rendre cette diversité fenfible
dans fes vers. S'il le fait fur la fcène ,
c'eA k Taide de la déclamation ^ c'eft
par le fecours du jeu muet des Ac-
teurs.
On conçoit facilement comment lui
Peintre varie par l'âge , le fexe , la pa-
trie, la profeflion & le tempérament,
la doxdeur de ceux qui voient mourir
Germanicus ; mais on ne conçoit point
comment im Poète Epique , par exem-
ple , viendroit à bout d'orner Ton poè-
me par cette variété , fans s'embarraf-
ferdans des defcriptions qui rendroient
fon ouvrage enmiyeux. Il faudrolt qu'il
commençât par un détail fetiguant de
l'âge , du tempérament , &c même du
vêtement des perfonnages qu'il veut
introduire à ion a£Hon principale. On
ne lui pardonneroit jamais une énumé-
ratîon pareille : s'il fait cette énumé-
ration dans fes premiers livres , le
Leâeitr ne s'en Souviendra plus , & il
ne fentira pas les lieautés dont l'intel-
lij;ence dépend de ce qu'il aura oublié;
s'il ait cette énumération immédiate-
ment avant la catallrophe , elle de-
>,:,i--„GoOglc
(■6 Réjlexions critiques
Tiendra un retardement infupportable."
D'ailleurs la Poëfie manque d'expref-
fions propres à nous inflruïre de la plus
grande partie de ces circonAances. A
peine la Phyfique viendroit-elle à bout
avec le fecours des termes qui lui font
propres , de bien expliquer le tempé-
rament plus ou moins compofé , 8c le
caraâere de chaque fpeÛateur. Pour"
feire concevoir tans peine & dittinâe-
ment tous ces détails ,' il faut les ex-
pofer aux yeux.
Au contraire rien n'eft plus facile au
Peintre intelligent que de nous faire
connoître l'Age , le tempérament , le
fexe , la profelTion , & même la patrie
de fes perfonnages , en fe fervant des
habillemens , de la couleur des chairs ,
de celle de la barbe & des cheveux ,
de leur longueur & de leur épai^eur ,
comme de leur tournure natiuelle , de
l'habitude du corps , de la contenance ,
de la tigure de la tête , de la phyfio-
nomle, du feu, du mouvement & de
la couleur des yrux , & de plufieurs
autres chofes qui rendent le caraûere
d'un peribnnage reconnoiffable par
fentiment. La nature a mis en nous vn
iiiilinâ f pour faire h difcemement du
caraûcre
:,-,zf-„ Google
fur la P»ëjîe & fur là. Pùàture. 97
eWâÛere des hommes , qui va plus vîte
& plus loin que ne peuvent aller nos
Inflexions fur les intfices &c fur Jes fi-
gaes fenfibles de' ces caraûeres. Or
cette diverfité d'expreflion imite mer-
veilleufeoient la nature qui , aonob-
fiant fon uniformité , eÛ toujoiu-s mar-
quée dans chaque fujet à un coin par-
ticulier. Où je ne trouve pas cette di-
rerfité^ je ne vois plus la nature & je
teconnots Tart. Le tableau dans lequel
pluûeurs têtes & plulieurs expremons
font les mênies , ne fat jamais fait dV
près la nature^
. Le Peinfâ-e ne trouve donc aucune
oppofition du côté de la mécanique
de fon Art à mettre dans fon expref-
fîon un caraûerè partictUier. II arrive
même fouvent que le. Peintte en opé-
rant pomme Poëte, fe fuggere à lui-
même cpnuae colorifte & comme det
Ënateur des. beautés qu'il n'auroil
point jencontrées s'il n'avoit point eu
des idées Poétiques à exprimer. Une
invention eniaitéclore une autre. Des
exemples rendront encore notre réfle-
xion plus facile à cpncçvoir.
Tout le monde, conpoît le tableau
de Raphaël , QitJefus-Çhrift confirme à
Tff/ne /. E
:,-,zf--„GoOglc
^(^ Aifoxiont ■erià^uî
S. Pierre le poiiv<HrdeKCle£i enpréfta^
ce des autres Apôtres; c*eftnne des {ùe-
ces dt ta^fleries de la tenture des Aâes
des Apôtres ^ue le Pape Le<»i X fit
faire pour U Chapelle de Sixte I V j
& dont les cartons origicmz fe con-
ferrent dans la Gallerie du Palais que
Marie Stuard Princeiïe d'Orat^e fit bt-
cir à Hamptoncourt. Saint Pierre te«-
nant ces <le& , efi à eraionil devant
Jefus-Cluift, & U imfMt pénétré dV
ne émotiofi conforme i U. fituatitm : ^
recoimoifla&ce & ion xele pour ion
maître paroiflent reofiblemeot Car foA
vifage. Samt Jean ITvangetiile rejH-é^
fente jeune comme il Fétoit , eft dé-
rint avec Paâion d*un jeune hammt ;
applaudit avec le mouvement d«
franchife fi naturel à fon âge , au <fignc
choix que &it fon mutre , & qu <m
croit ai^rcev<Mr ^^ eftt îaA lui-
même } tant la vivacité de fon awror
bation e& bien marquée jntr un au- de
viiàge & par un mouvement du ctxpc
très^fU'efl'é. L'Apôtre qui eft auprès
de bù , femble plus âgé , & montre la
phyfionomîe & la contenance d*ua
hcnnnie pofé: auffij confiirmément à
À>BC?faâerejappla]idit-îlpariui£qipl«,
:,-,zf--„GoOglc
fio-laPoi^&furUPàntun, 99
flionvement des bras & de la tête. On
âAingue à rextrémité chi grouppe un
konune bUtenx & fznguûi ; il a le vi*
^e haut en a>uleur , ta barbe tiranto
ka le roux, le iront largi , te nez
marti fie tous les traits d'un honuac
nurcUleux. U re^rde donc avec d^
dain, & en fronçant le fourcil , imc
jprâ&eoce qu'on devine Jnen qu^J trotb-
ve ÎBJufle. Les hommes de ce tempéra-
inent croient volontiers ne pas valoir
id(»fls que les autres. Près de lui eA
^i un autre Apâtre embarrafTé de fa
cûntenanceuui ledifceme pourâtred'ua
Umpérament mélancolique à la mû*
greurdefonvifagelivide^àfabarbenol-
» & plate, à l'habitude de fon corps, en-
&)i tons les traits que les Naturalises
on affilés à ce tempérahiem. U fc
coiuW ; 6c les yeox fixement attachés
lùrJ. C. ileft dévoré d'une jaloufic
stome pour un choix dont il ne Te fdain-
<lni point , mais dont il c<Hifervera
tengtems *m vif refientiment : enfia
On reconnott-là ludas auffi diilinâe-
iKent, qu'à te voir pendu auL^fîguier
une boune renverfée an col.
le n'ai point prêté d'elprit à Raphaël,'
^ je doute meaie ^'il foit poflîble de
:,-,zf--„Goog[i:
JOO Réflexions critiques *
pouffer rinvention p6ëti<iue plus loin
que ce grand Peintre Fa £tii dans les
tableaux de Ton bon tems. Une autre
I»éce de la même tenture repréfente
iaint Paul annonçaïft aux Athoiiens ce
Dieu auquel ils avoient drelTé un au*
tel /ans le connoître ; Si . Raphaël a
feit de l'auditoire de cet Âpotre un
chef-d'œuvre de Poefîe , en fe tenant
dans les bornes .de la vraifemblance la
plus exaâe. Un Cinique appuyé fur fon
bâton , & qu'on reconnaît pour tel à
refironterie 6c aux - haillons qui &Ît
fuient le caraSere de la Seâe de IMo-
eene*, regarde faint Paul avec impur
dence. Un aytre Philofophc qu'on ju-
ge à fon air de tête un homme ferme
6c même obAiné , a le menton iiir la
poitrine; il eft abforbé dans des rér ■
flexions fur les merveilles qu'il entend ^
& l'on croit s'appercevoir qu'il pafls
dans ce moment-là de l'ébranlement
à la perfuaiion. Un aittre<a la tête
jjanchée lur l'épaule droite , 8c il re?
garde l'Apôtre avec une admiration
purç , qui neparoît pas encore ^ccom?
pagnée d'aucun autre fentiment. Unaur
tre porté le fécond doigt de fa maili
^oite fva ^nnez , & £ut le gefte d*uii
■,r ..Google
'JttrUfoêjù&farla Pthuur't'. io(
Jionuhe qui vient d*être enfin éclairé
far des vérités dont il avgit depuis
longtems une idée confufe. Le Peintre
oppofe à ces Philofophes des jeunes
fens âc des femmes qui marquent leur
tonnement & leiu* émotion par des
fefies convenables à leur âge comme
leur fexe. Le chagrin efl peint fur le
viiage d'un homme vêtu comme le
pouvoient être alors chez les Juifs les
gens de Loi. Le fuccès de là prédica-
tion de faint Paul devoit produire un
pareil effet filr un Mf obdiné. La craiii'
te d'être ennuyeux m'empêche de par-
ler davantage des perfbnnages de ce
tableau : mais il n'en ell aucun qui ne
rende compté très-intelligiblement de
fes fentimens , au fpeâateur attentif.
Palléguerai encore un exemple. La
matière eft alTez importante pour cela.
Je le tirerai de la Sufanne de Monsieur
Coypel , tableau qui fiit très-vanté ,
même au fortir de defîus le chevalet,
Sufanne y comparoît devant le peuple
accufée d'adultère , & le Peintre là
repréfente dans l'inflant où les deux -
vieillards dépofent contre elle. A la
phylionomie de Sufanne ^ à l'air de fon
.vifage encore ferein , malgré fon af-
Eiij
:,-,zf--„GoOglc
loi RijUxùHtt cntipus
fiâion, on coniiMt bien que fi i^tor
^ifle les yeux , c*eft par pudeur & mm
|K)r remord. La noblêfie & la digmoé
«e Ibn vilkge dépofent fi hautenxeot en
i^ faveur , qu'on iènt bion que ion
premier mouvement ieroit d'ambodre
d*^K>rd Paccufëe qui fe préfenteroic
avec une pareille contenance. Le Pein>
Ire a varié le tempéruient des iàmeinc
vieillards ; Tun paroît fangutn , l'autrcr
paroît bilieux &mélancolique. Cedeiv
nier , fuivant le caraâere propre à ion
tempérament, qui eft Toblnnaticm ^
commet le crime avec conftence. On
n*apperçoit Tur fcHi vifage que de la
lureur & de la rage. Le Janguin paroît
attendri , Se Ton voit bien que , va:3i*-
gré Ton emportement , il fent d^a des
remords qui le font chanceler dans fa
réfolution. C'eft le caraâere des h<Hn>
mes de ce tempérament. Affez vidcm
pour fe venger, ils ne Ibnt point aâec
durs pour voir les fuites de leur veik-
geance. , làns être émus par des mou-
vemehs de compaffion.
Il eft facile de conclure après ce
que je viens d'expofer , que la Peinture
le plaît à traiter des fujets oh elle puîâe
iotroduire un grand nombre de pep;
:,-,zf--„GoOglc
furtdPoi^&furUPtintun, to)
ibnnages intéreiTés ifââion. Tels font
les iuiets dont nous avons parle , tt
tels ïcna. enc<MT le meurtre de Céù^^
le Jàcri&e d'^ïhigénis , & plufieun
autres qu'il feroit iiiperila d'indiquer.
L'émotion des affiâass les lie fumuoi-
musnt 1 une aâion , dès que cette ac-
^on les agite. L'ànotion de ces ai^-
tans les rend , pour ainfi dire , ({es
aâeurs dans un tableau, au lieu qu^tli
ne leroicRt que de fimples fpeâa-
teurs dans Un poëme. Par «xem>
pie , un Pdëte qui traiteroit le facrifice
de la fille de Jefdité , ne pourroit &irs
intervenir dans fon aôiôii qu'un petit
nombre d'azurs très-intëreOTés. Des
aâeurs qui ne prennent pas un intérât
sflèntiel à l'aâKm , dans lacptelle oit
leur fait jouer un rôle , £?nt &oîds i
l'excès en Poëfie. Le Peintre au con«
traire peut faire intervenir i fbn aâion
autant de fpeâateurs qu'il juge conve*
naUe. I}ès qu'ils y paroiflent toudiés ,
on ne demande plus ce qu'ils y font.
La Poëûe ne fçauroit donc fe préva-
loir d'un fi grand nombre d'aâeurs.
Nous venons de dire qu'un perfonnage
qui ne prend ou'un iotàrét ni^ocrs
dans l'aâion, devient un perfonnage
Eiv
:,-,zf--„GoOglc
104 RèjUxians crùi^iui
ennuyeux. S^îl y preod un grand int^-^
rêt , il faut qse le poëme fixe la deGi*
née de cet aâeur. Il faut qu'il nous
en înftruire. La multitude des aâeurs ,
que le Poëte tragique employé quel-
quefois pour cacher fa flérilité , de
vient d'ailleurs très-embarraflante pour
lui quand le dénouement s'approche ,
& quand il feiit s'en défeirc. Il oblige
donc ces perfonnages ife défaire eux-
mêmes par le fer ou par le. poilbn fuM
le premier motif qu'il imagine:-
i.'un mcun vnide de tàog , l'autre plcll de TenÉ.
C'eft un vers de Defpréaux (a) qu''on
peut bien appliquer à ces perfonnages ,
quoiqu'il ne foit pas fait pour eux. On
ne demande point ce que* devient ufl
mort, on l'enterre. Mais cette réforme
fanglante , qui fait de la fcène tragique
un champ de bataille , fouleve le fpec-
tateur contre tant de meurtres fi peu
vraifemblables. Ce n'eft pas la quantité
du fang répandu , c'eft la manière dont
il ell verfe , qui fait le caraftere dp la
Tragédie. D'ailleurs le Tragique outré
devient froid , & l'on eft plus porté à
rire d'un Poëte , qui croit devenir pa-
thétique , à force de verfer du fang ,
' (■) 4rc. Petc, c^ol 4,
:,-,zf-„ Google
fur U Poêfa if fur la Ptiruurt. I0(
<Jii'à pleurer à fa pièce. Quelque efprit
malin envoyé lui tlemander la lifte de
Tes morts.
Eri continuant de comparer la Poëfic
l>amatique ïvec la Peinture , nous
trouverons encore qiie la Peinture a
l'avantage de pouvoir mettre Tous nos
yeux ceux des incidens de l'avion
qu'elle traite , qui font les plus propres
h làire une grande impreHion fur nous.
Elle peut nous faire voir Brutus &
CalHiis plongeant le poignard' dans le
coéiu* de CéJar , & le Prêtre enfonçant
, le couteau dans le fein d'Iphigénie. Le
Poëte Tragique oferoit anlH peu nous
préfenter ces (Ajets fur la fcene , que la
Métamorphofe de Cadmus en Serpent ,
.& celle de PrognéenHirondelle. Tous
ces objets font de ceux dont Horace a
dit; ^■■- ■
Ci.'fM girl pnmts infienam , rnndlfu' lAUt
E.r ocsilÎ!, qvie mox nanti ficuni'tj ■piafita. fal
Quand bien mime tes loix de la Tra-
géi^e , fondées fur de bonnes raifons ^
ne dcfendroient point de mettre fur le
théâtre des événemens tels que ceux
dont nous avons parlé y le Poète fenl^
li- tiiw. d» Ari.Poù. y. itx.
E V
:,-,zf--„GoOglc
10$ RéjUxtons cnà^ttts
éviteroît toajours de les y mettre.
Coatme ces événemens ne peuvent
prefque jamais y être repréfemés avec
vraiiemblance , ni avec décence , ils
dégénèrent en nn fpeâacle froid & pué-
rile. U n'eft pas atiffi facile d*en impo-
ser à nos yeux (ju*à nos oreilles. Certai-
nes fiâions réuffifient donc mieux dans
le récit que dans le fpeôacle. L'événe-
ment , qui pourroit nous toucher , s'il
nous étoit raconté avec un choix ingé-
nieux de circonfbnces mifes en œu-
vre dans nn récit oil la vraifemblance
feroit ménagée , devient un jeu de Ma-
rionettes , quand on entreprend de les
expofer fiir le théâtre. En efiet les Mé-
tamorphofes qui fe repréfentent fur la
fcene dans les Opéra de France & d'Ita-
lie y font lire prefque toujours y quoi-
que l'événement foit tragique par loi'
même. Voilà pourquoi le Poète qui fait
nne Tragédie, eft obligé d'avoir re-
cours à lui récit pour nous expoier tous
les événemens tels que ceux dont il
s'agit ici. Or le récit d'unafteurn'éft,
pour ainfidire ,que l'imitation d'une
imitation & une féconde copie.
Quoique Faâion qu'on nous mon-
tre dans un récit, |X)ur parler ainfi^
■,r ..Google
furU Poêfit &fur la Pânture. foy
^i très -touchante par elle • même »
elle nous émouvra moins que ne !•
feroit une autre aâioa moin» tr^
gique, mais q^ut Te palTeroii Tous no»
yeux , & qui i^oit rejH'éfentée devant
nous drvnatiquementt, La {n-emiere
icene entre Rodrigue & Chimene nou»
émeiu plus que le récit de la mort du
père de Chimene qu'elle fait au Roi ^
bien que ce récit fe âflè par un perfon-
nage qui prend à Tévenement un fi.
g -and uitérêt. Cependant la mort du
omte eft uo événement plus tefrible y
&C par conlequent bien plus capable
d'attacher , que la converution deChi--
mené &c de Rodri^e , quelque intéreC-
Êinte qu'elle puiife être.
Les fujets , dont la beauté coAfille
principalement dans l'élévation d'efimt
que font vc»r des adeurs , dans la no--
blefle de lews ièntimens ,- comme dans
des ficuations qtû doivent agiter vio-
lemment Hc fam relâche les perfoioies-
iitt^âiées» 5c qui doivent ainfi donner
lieu à divers femimens très-vi& &c à
des entretiens anim^ , font plus heu-
reux pour le Poète tragique. Il peut ,
en traitant d£ pareils Aqets , nous te-
nir toujours stteiui&^ &: nous faire
E vj
:,-,zf--„GoOglc
lo8 Réflexions Crîùquts
voir même tous les principaux événe-
mens de fon aâion , fans être réduit an
iecours des récits. Ce difcemement des
fujets eft extrêmement important , &
l'on peut adrefler aitx Peintres comme
aux Poètes les vers qu'Horace écrivit
pour ces derniers :
Saaàtt iF-i7triim rifirii , çiûJîriHeû , tquim
Soit qiie vous vouliez peindre , foit
que vous vouliez compofer des vers ,
ayez autant d'attention à choifir un iîi-
jet qui convienne au pinceau , fi vous
voulez foire un tableau , & qui con-
vienne pour ainfi dire , à la phune , fi
vous êtes Poète , qu'à le choifir conve-
nable aiix forces de votre génie parti-
cidier & proportionné avec vos talens
perfonnels. Nous traiterons plus au
long de ce dernier choix dans la finte. ■
Revenons aux fujets fpécialemem pro-
pres pour être traités ou dans un poëme,
ou dans un tableau.
Le Poëte qui traite un fujet inconnu ,
généralement parlant , peut faire feci-
îement connoître fes perfonnages dès le
, premier aûe : il peut même , comme
nous avons déjà dit, les rendre intéref-
fans. Au contraire le Peintre à qui ces
fur la Poëjîe & fur la: Peincure. lO^
moyens manquent, ne doit jamaisen-
treprendre de traiter iin fujet tiré At
quelque ouvrage peit connu ; il' ne doit
introduire ivà fa toile que des perfon-
nages dont tout le monde , du moins le
inonde devant lequel il doit produire
fon tableau , ait entendu parler. Il faut
-que ce monde les connoiffe déjà , car
le Peintre ne peut faire autre chofe que
delesluifàirereconnoître. NoUsavons
parlé de l!indifférence des fpeâateurs
pour le tableau dont ils ne connoiflent
pas le fujet.
■ Le Peintre doit avoir cette attention
fans celle ; mais elle lui eft encore plus
nécelTaire , quand il iàît des tableaux
de chevalet deftinés i changer fouvent
de place comme de maître. Le fujet des
frefques peintes fur les murailles, &
celui de ces grands tableaux qui de*
meurent toujours dans la même place ,
s'il n'eft pas bien connu, peut le deve-
nir. On devine même que le tableau
d'autel d'une Chapelle repréfente quel-
que «vénement de la vie du Saint fous
le nom duquel elle efl dédiée. Enfin la
renommée qui inftruit le monde du mé-
rite de ces ouvrages , lui apprend en
jiîême-tems l'hiftoire que le Peintre y
peut avoir traitée.
:,-,zf--„GoOglc
Vid RéjUxions cntiqua
11 eâ desfujets généralement connus*
U en eA d'aiures qtii ne font lùûn con-^
tnts que dans certains pays.
- Les fiqets les plus connus générale'
nent dans toute l'Europe ,. font tou»
les fujets tirés de rËcritureiainte.Voi''
là peut-être pourquoi Raphaël &L le'
Pouffîn ont préfère ces fujets aux au'
très , pincipalement quand ils ont iàit
des twleaux de dievalet' De c^tre
lableaux du Pouffîn , il y en a trois qui
repréiflitent une aâiem tirée de la
Bible. Les principaux évinemens de'
l'hiftotre des Grecs & de celle des Rfv
mains , ainiî que les aventures M>uleit-*'
fes des Dieux qu'adoroient ces deux
Nations , fcmt encore des fujets gôté*-
■ ralement connus. La coutume éËd>li«
maintenant chez tous les peuples twlis
cle l'Europe , veut qu'on laâe de f'étU'
de des Auteurs Grecs Se Romains Toc*
cupation la plus ^eufe des enfans. En
étudiant ces Auteurs , on fe remplit la
tête des ^bles & des hiiloires de leur
pays , & Ton oublie dtiEcilement tout
ce qu'on peut avoir af^ttis dans renf-
once.
n n'en eft pas ainfi de l'hiâoire mo-
derne , tant Eccléâaitique que Pr oûne»
:,-,zf--„GoOglc
fur ta Poijîe Sfjur la Peinture. 1 1 f
Chaque pays a l'es Saints , Tes Rois &c
fes grands Peifonnages très-connus ,
&c que tout le monde y reconnoît ià-
cilement, mais qui ne font pas reconnus
de même en d'autres pays. Saint Pé-
trone vêtu en Evêque , & portant for
la main la ville de Boulogne caraâë-
xiïi£e par Tes principaux Ëâtimensâc
par fes tours, n'eA pas une 6gure
connue en France généralement comme
elle Teâ en l^mbardte. Saint Martin
coupant fon manteau , aâion dans la-
quelle les Peiiftres & les Sculpteurs le
repréfentem ordinairement, n'cfl pas
d'un autre côté une figure aiiffi connue
en Italie qu'elle l'eft en France.
Les François fçavent communément
l*hiAoire de France depuis deux fiécles.
Os ont une idée de Tair du vifaee &
des habillemens dç ceux qui ontraitla
plus grande figiu:« dans ces tems-là.
Mais une tête de Henry IV ne feroit
pas deviner le fujet d'un tableau en
Italie, comme elle le feroit deviner en
France. Chaque peuple a même fes
hhlts particulières & les Héros ima-
f inaires. Les Héros du TalTe & de
Ariofte ne font pas auflî connus en
France qu'en Italie, Ceux de TAftrée
:,-,zf--,GoOglc
ni Réjîexîons cruît}UtJ
font plus coftnus aux François qu*àii^
Italiens. Je ne içaïs que Don Quichotte ^
Héros d'un genre particlilier, dont leî
proueffes foient aitffi connues des étran-»
gers que des compatriotes de l'ingé*
nienx Efpagnol qui lui d donné l'être.-
Horace pafTe avec raifoni pour le plus
judicieux des Auteurs qtii ont donné
des enfeignemens aiix Poètes.- Qu^ort
voye ce qu'il ne laiffe pas de leur con--
feifler , malgré les fiicilités particulières
qu'ils ont_ poiïr faire connoître leurs-
perfonnages , & pojir mettre le leÛeuf
au Élit de leur fujet ;• '
RiHiat IlUcumarmin d^lucb in aSiii ,
ÇuAnjî profiira i^nwa iaJicIJîut frimai, (o)'
Vous ferez encore mieux de clioifir"
le fujet de votre pièce parmi les évé-
nemens de la gûeçre de Troye , fi
fouvent mis furie théâtre, que d'imaf-
giner à pi^fir l'aûion de votre Tragé-
die , ou de tirer de la pouffiere de quel-
que livre ignoré des Héros dont le mon-
de n'entendit jamais parler, & d'en faire
vos perfonnages. Quen'efu pas dit Ho-
race aux Peintres , s'il leiu- ayoit adreffé
la parole !
(a) Hsrtu, ie An, Putt. V. T19,
■,r ...Google
fur ta. Poëjîe & fur la Pdrnurt. II3
SECTION XIV.
Qu'Uefi mètm des fujtts fpiàaliment pro*
pris à certains genres de Poefie & dé
Ptiniure, Des fujets propres à laTra-
i\ o N feulement certains fujets font
plus avantageux pour la Poëfie que pour
la Peinture , ou pour la Peinture que
pour la Poëiie \ mais il eA encore des
fujets plus propres à chaque gem'e de
Poefîe & à chaque genre de Peinture ,
Cfu'aux autres genres de Poëfie & de
Peinture. Le facrifîce d'Iplùgénie , par
exemple , ne convient qu'à un tableau
ott le Peintre puifle donner à Tes fi-
gures une certaine grandeur. Un pareil
fujet ne veut pas être repr^enté ave«
de petites figures deftinées à i'embel-
lifiement d'un payfags. Un fujet gro<>
tefque ne veut pas être traité avec des
figures aufiî grandes que le naturel.
Des figures plu» grandes <nie nature ,
ne feroient point propres a repréfen-
ler une toilette de Venus. Qu on ne
me demande point les raifoiis phyfi*
:,-,zf--„GoOglc
It4 ^ JUflexioas cruiqaa
ques de ces convenances , je n'enpofV^
rois allouer d'autres que Tinâinâ qur
nous les diâe', & l'exeniple desgrands
Peintres qui les ont fenties.
B en eft de même de la Poëfie : les
^vénemeos tragiques ne font point
nt^es à être racontés en Epignumne :
L'Epigranune peut tout au plus rele-
ver & mettre en fon jour quelqae cÎT'
confiance brillante de ces événonens ;
die peut nous en &îre adnrirer que]"
que tnûc, mais elle ne peut nous y îo^
térefler. A peine en corapte-t'on âoq
ou fix bonnes parmi les anciemKs fie
les modernes qui roulent- fur de pareils
fujets. La Comédie ne vent pointtrm*
ter des aâions atroces ,. Thatie ne
fçauroit faite les imprécabtHis , m
impoTer les peines dîtes aux grands
oimes. L*Eglogne ne conviem pas
aux paffions violentes & lài^uinaires.
Quelques réfleidons que je vais fetre
fur les aâÏMis propres à la Tragédie ,
cnq)êcheront peut-être ceux qui vou-
dront bien y nire attention, deiemé*
prendre Ittr le choix des fujets qui lui
conviennent.
Le but de la Tragédie étant- d'exci*
ter principalement en nom la terrenr
:,-,zf--„GoOglc
fiiriaFoë^ ^furlttPùjuurê. ir^
fe la conça^on , il faut que le Poète
Tragique nous &fle voir en premier
tieti des pérfonnages aimables & elH-
onfales y Se qu*il nous les reprëfente
enfuite en Oïl état véritablemeiit mal-
faeureiac. Gommeiicez par faire efH-
ner aux hommes ceux qoe tous vou^-
tei leur faire plaindre. U e& donc né^
ceflaire que les pérfonnages de la Tr^
gédie ne mutent point d'être malhen-
reux , ou du moins d'être auffi maUieo*
Kux qu'ils le font. Si leurs malheurs
ne font pas ane pare infortune , maii
one punition de leur faute , ils en doi^
rem être vnc punition exceillve. D»
sioins û ces feutes font de vérîtablei
crimes , il ne fitiit pas que ces erimn^
ayent ét^ commis volontairement;
^dîpe ne feroit plus un principal per»
fonnage de Tragédie , s^I avoit Cça
dans le tems de fon combat , qu'il ti'
«oit l'épée contre fon propre père. Les
malheurs des fcélémts font peu pro-
pres à nous toucher; ils fcmt unjufte
lup^ice dont l'imitation ne fçauroit
exciter en nous- ni terreur , ni compB&
fion véritable.
Un événement terrible eft criui qui
nous étonne pc qui nous fuyante à
:,-,zf--„GoOglc
'1 1 6 Réflexions cnùqtUS
la fols. Or rien n'eft moins étoiuiatfC
Se le châtiment d'un homme qui par
; crimes irrite le ci«l & la terre. Ce
feroit l'impunité des grands criminel)
qui poiuToit lîirprendre : leur châti-
ment ne fçauroit donc caufet en nous
la terreur ou cette crainte ennemie de
la préibmptîon , & qui nous fait nous
déner de nous-mêmes. La peine due
tMx, grands crimes ne nous paroît -pas
jk craindre pour nous. Nous fommes
iUfEfamnient rafltirés contre la crainte
de coQunettre jamais de femblables
£)rfaits, par l'horreur qu'ils nous ïnC>
pirent. Nous pouvons craindre des &ta-
lités du même genre que celles qui ar-
rivent à Pyrrhus dans l'Andromaque
de Racine , mais non de commettre
des crimes auffi noirs que le font ceiix
de NarciiTe dans Britannicus. Un fcé-
lérat qui fubit fa deftinée ordinaire
dans un poëme , n'excite pas autli no-
tre coropallîon ; fon fapplice, ii nous
le voyions réellement , exciteroit bien
en nous une compallîon machinale ;
mais comme l'énwtion que les imita-
tions produifent, n'eft .pas aufli ty-
rannique que celle que l'objet même
^xciteroit j l'idée des . crimes qu'u*
:,-,zf--„GoOglc
JurlaPoèfie &furlaPtîntun. 117
perfonnage de Tragédie a commis,
nous empêche de fentir pour lui une
pareille compaâîon. Il ne lut arrive
rien dans la catalbophe que nous ne
lui ayons fouhaité plufieurs fois durant
le cours de la pièce , & nous appku-
dillons alors au Ciel qui & juiliâe enfin
de fa lenteur à punir,
■ Pcrfonne n'ignoré qu'on entend en
Poëlie par fcélérat im homme qui viola
volontairement les préceptes de la loi
naturelle , à moins qu'il ne foit excitfé
par une loi particulière à fon pays. Le
refpeâ pour les loix de la fociéte dont
on eil membre , eft une fi grande ver-
tu, qu'elle excufe fur la fcene l'erreur
qui nous iàit violer la loi naturelle.
Ainfî quand Agamenuion veut facrifier
fa ^e, il viole- la loi naturelle fans
.être en Poëfie un perfbnnage fcëlérat ;
si eft excufé par fa rélignation aux loix
& à la religioD de fa patrie qui auto*
rifoit de pareils meurtres. C'eA la loî
de fon p^s qui fe trouve chargée d©
l'horreur du crime. On plaint la mifére
des hommes df ce tems-là qui ne pou^
voient plus difcerner la loi naturelle
 travers les nuages dont les hvSe^
religions l'envcloppoiçnt. Noiij pou»
:,-,zf--„GoOglc
t iS Rif exions cnâqites
voas âbe la même chofè des menr-
triers de Cétar, parce qu'ils avoieitt
été élevés dans- la maxime , que les
voies violentes écoient permîtes contre
-nu citoyen qui vouloÈt Êiire des -fbjcts
As fes égaux ; & qui , pour parler le
langage des Romains, M^iSoù Im. ty*
rannîe.
' Mais un Aornain conten^orain de
Cé&T, qiû Tondroit ËLoifierfa prc^ire
fille , ieroit im fcélérat ; il violeKHt
un précepte facré de la loi naturelle,
^s être ezcufé par les loix de ik pa-
trie : car il y ivait longteais dès Ion
que les Romains aroient défendu d«
iacrifier dra viâàmes hninxines , Se
«u*ils aToient même obligé les peuples
libres qui vÎToientfQiis leurproteâioi
A garder cette défenfe. Une errear eu-
' cufalde peut donc râi^nltter , pour
ainfi £re, le personnage qui commet
un grand crime contre la loi naturelle ;
snais )e me donnerai bien de gnde de
«lonneraux emportemens 8c aux pro-
aiiers mouvemens ie droit d'excufer
les rnnds crimes , même far te théâtre.
Celïii jt oui fes jn'emiers mouvemens
peuvent kin commettre de m-ands
crimes , eu. toujoitfs va fc^érat, JL'eia-
:,-,zf--„GoOglc
Jitr U Pûe^ & fur la Pdniure. iiy
ftortement n'excufe point le meurtre
volontaire de fa fenune, même ruivant
la morale de la Poëliç , la feule dont il
s'agit ici , & la plus indulgente de tou<
tes. De tels crimes répugnent telle-
ment aux cceurs qui ne font pas enti^
Tetnent dépravés , qu'il ne niffit point
id*avoir perdu ^elque chofe de la li-
berté de fon efpnt pour les commettre^
iàns devenir un fcélérat odieux. Ce
n*eA point par réflexion Se en ré£ftant
à la tentation qu'un honone à qui il
refte encore quelque vertu , ne le& com-
met pas , c'eft parce qu*il n'eft pas en
lui de mouvement qui le porte jamais
k de pareils excès : il eft en lui une hor-
reur d'inflinâ , & fi j'»f« dire , machi-
nale, contre les aoions dénaturées.
S'il 7pouvoit être portéparun premier
monyement de colère , un premier
mouvement de vertu le retiendroit.
Les vertus n*ont-elles pas leurs pre-
miers moiivemens ainfi que les pâmons
:,-,zf--„GoOglc
Rifiexions crîtîqius
SECTION XV.
Des ptrfonnagts de StêUnits qu'on ptaf
introduire dans Us TragédUs,
J>PRfes cela je fuis très-éloigné de dé-
fendre d'introduire des peribnnagesfcé-
lérats dans une Tragédie. Le principal
tleffein_dece Poëme eft bien d'exciter
ennouslaterreur&la compaflîonpour
i]uélques-uns dç Tes peffonnages , mais
«on pas pour tous fes peribnnages, Ain£
le Poëte,pour arriver f4us cenainement
à fon but , peut bien exciter en nous
d'autres pallions qui nous préparent k
■fenttr plus vivement encore lès deux
(qui doivent dominer fur la fcène tra-
gitfue , je veux dire la compaâîon Se
ia. terreur. i.*indignation que nous con-
fevons contre NarcilTe augmente la
■compagnon &c la terreur oîi nous jet-
tent les malheurs de Britannîcus. L'hor-
reur qu'infpirent les difcoin-s d'CEno-
jne y nous rend plus feniibles à la mal*
heureufe deftinee de Phèdre ; le mau-
vais effet des confeils de cette confi-
dente que le Poëte lui foit toujours
«donner à Phèdre, quand elle eâ prête
à
,,-,G<.oglc
Sv-rlaVolfit& JkrUPànum. ij,
Ue repentir, rend cette PrincelTc plus
â plaindre, & fes crimes plus terribles
Nous craignons de recevoir de pareils
confeils en defemblables conjonflurcs
On peut donc introduire des perfonna-
ges Icéléiats dans un poiime , ainli qu'on
met des bourreaux dans le tablcaii oui
reprtfente le martyre d'un Saint : mjis
comme on blâmeroit le Peintre qui dé-
peindroit aimables des hommes auf-
quels il fait faire une aôion odieufe
de même on blâmeroit le Poïte qui
donneroit à des perfonnages fcilérlts
des qualités capables de leiu concilier
ia bienveillance du Tpeflateur. Cette
bienveiUancepourroitaUeriufqu'àfkire
plaindre le fcelérat , U à diminuer l'hor-
reur du crime par la compaffion que
donneroit le criminel. Voilà cequi cft
entièrement oppofé au grand but de la
fragedie , je veux dire à fon deffei»
de purger les paflions.
Il ne faut point encore que le princi-
pal intérêt de la pièce tombe fur les per-
fonnages de fcâérats. Le perfennage
dlinfceleratne doit point, être capa-
ble dintëreflèr par hii-même ; ainfi le
Sieflateur ne fçauroit prendre part à
les aventures, qu'autant que ces aven-
lome I, p
-, Google
111 Réfitxiom cr'utquts
turcs feront les incidens d'un évé-
nement oh des personnages d'un
autre caraâere auront un grand in-
térêt. Qui ^t une grande attention
à la mort de Narciile dans Britanni-
cus ?
n eft outre cela des Scélérats qui ne
devroient jamais paroître fur la fcène,
à quelque titre que ce fôt ; ce font les
impies. J'appelle ici impiété tous les
difcours brutaux que fait tenir une au-
dace infenfée contre la Religion en gé-
néral , ou contre celle qu'on profeffe,
telle que puiffe être cette Religion-là.
Ainfi mon fentiment eâ qu'on ne doit
point , par exemple , introduire jamais
fur le théâtre un Romain encore Païen
qui fe moqueroit du feu de Vefta , non
plus qu'un Grec qui traiteroit avec in-
folence l'Oracle de Delphes de fourbe-
rie inventée par les Prêtres d'Apol-
lon. Il feroit inutile d'expliquer ici que
ceux qui , comme Polieuâe , parlent
contre une Religionrouvrage des hom-
mes ) parce qu'ils connoiflent la véri-
table , ne font pas de ces impies que je
.profcris. Les termes de ma propon-
tion préviennent tout fujet dç le foup-
çonner.
:,-,zf--„GoOglc
fur U Poëfie & fur la Peiniun. i j,»
Mais, dira-t'on, Phèdre viole vo-
lontairement les ïoix les plus faintes du
droit naturel ; elle aime le fils de fon
mari , elle lui parle de fa palïîon , elle
tente tout pour le ietliiire ; enfin ce qui
iàit le caraâere le mieux marqué d'un
fcélérat , elle accufe l'innocent du cri-
me qu'elle-même a commis. Cependant
les malheurs de Phèdre ne laiflem pas
ti'exciter la compaffion , quand on voit
la Tragédie de Racine. On peut dire la
même chofe de pluûeurs pièces des an-
ciens Tragiques.
Je réponds que Phèdre ne commet
pas volontairement les crimes dont
elle eft punie ; c'eft un pouvoir divin
auquel une mortelle ne fçauroit réfiiler
dans le fyftême du Paganifiue , qui là
force d'être incefîueufe & perfide. Après
ce que Phèdre & fa confidente difent
dès le premier aâe fur la haine de Ve-
nus contre la poftéritè de Pafiphaé , &
fur la vengeance de cette Déeâe , qui
détermine notre Princefle infortunée à
tout le mal qu'elle fait, fes crimes ne
paroiffent plus Être fes crimes , que par-
ce qu'elle en reçoit la punition. I^
haine en tombe fur Venus. Phèdre plus
malheiu-eufe qu'elle ne devoit l'être ,
Fij
Coogic
1 14 Rijîexîons critiques
eft un véritable perfonnage de Tra-
gédie.
Speroné Speroni , Poôte du dix-ftp-
tiéme fiécle , a fiiit unp Tragédie Ita-
lienne , intitulée Canac^e (a) , qui da
moins peut paUèr pour une des meil-
leures Tragédies écrites en Italien. Le
goût de déclamation y règne bien moins
que dans les Tragédies de fes compa'^
triotes. Le fujet de la Tragédie eft l'a-
venture fiinefte de Macarée fils d'Eole ,
& de Canacée fœur de Macarée. Ve-
nus , pour fe venger des perfécutions
d*Eole contre Ënee , rend les eoËins
d'Eole amoureux i'un de l'autre (^),
& Canacée c<Mnmet un incefte avec
fon frère. L*aftion de la Tragédie ré-
volta contre Spéroné Speroni les beaux
efprits d'Italie ; mais on eft obligé de
condamner leur délicatelTe , quand oa
a lu la differtation que cet Auteur com-
jîoia pour jnftifier le choix de fon fu-
jet. Or comme la deftinée de Phèdre
eft Semblable à celle de Canacée ,
tout ce que l'Italien allègue pour fa dé- j
■fenfe juftifie le François , & j y renvoyC I
«ion Leâeur. '
:,-,zf-„ Google
'fur laPo'èJîe &farla Pùnture'. iiÇ
l\ feroh fuperflu d'avertir ici qu'en
lifant une pièce de théâtre , on admet
comme véritables les ftippofitions
feuffes qui étoiçnl reçues au tems oii
raâion eA arrivée ; tout le monde
içait bien qu'il faut fe prêter aux opi-
nions qui ont été celles des AÛeurs.
Pourjuger iainement de leur conduite ,
il iàut entrer dans leurs idées , & pen-
fer comme eux-mêmes ils penlbicnt.
Ainfi en voyant la Tragédie jfj.-Phé-
dre , on fe prête à la fuppclition qui
Êiifoit les Dieux du Pa^anifme les
auteurs &c les vengeurs des crimes ;
bien que cette fuMwfition révolte
encore plus le bon lens , que ne le
&it la plus extravagante des Méta-
morphofes qu'Ovide a mifes en yen;
SECTION XVI.
De quelques Tragédies dont le fujet efi
mai ikoijt.
IN ON feulement il faut que le càraflerc
des principaux perfonnages foit inté'
relTant ; mais il eil encore néceCTaire
F iij
:,-,zf-„ Google
g
tï6 RéfêxtoHS eritîques
que les accidens qui leur arrivent^
foient tels qu'ils puiflent affliger tra-
'iquement despenonnesraifonnables y
l jetter dans une crainte terrible un
homme courageux. Un Prince de qua-
rante ans qu'on nous repréfente au
dëlefpoir & dans la diijwfition d'atten-
ter liir lui-même , parce que fa gloire
& fes intérêts robtigent à ie feparer
d'une femme dont il eft amonrenx &
aimé depuis douze uis , ne nous rend
guéres compatiffant à Ton malheur.
Nous ne fçaurions le plaindre durant
cinq aâes. Les excès de paillons oîi le
Poëte ^t tomber fon héros » tout ce
qu'il lui &it dire , afin de bien periua-
der les fpeÛateurs que l'inténeur de
ce perfonnage eft dans l'agitation la
plus afireufe , ne fert qu'à le dégrader
davantage. On nous rend le Héros io-
différent , en voulant rendre l'aâion in-
téreflante. L'uTage de ce qui fe palTe
dans le monde , ôc l'expérience de
nos amis, au défaut de la nôtre» nous
apprennent qu'une paffion contente
s ufe tellement en douze années, qu'el-
le devient une fimfJc habitude. Un
Héros y obligé par fa gloire & par l'in-
térêt de fon autorité, à rompre cette
:,-,zf--„GoOglc ■
fur la. Poîfît &fur U Peinture, t vf
habitude , n'en doit pas être afîez affli-
gé pour devenir un perfonnage tragi-
que : il cefîe d'avoir la dignité requifc
aux perfonnages de la Tragédie, fi
fon amiâion vajufqu'au déiè^mir. Un
tel malheur ne içaivoit l'abbatre , s'il
a un peu de cette fermeté , fans la*
quelle on ne fçauroit être, je ne dis
pas un Héros , mais même un honunc
vertueux. La gloire, dira-t'on, l'em-
porte à la fin ; & Titus , de qui Ton voit
bien que vous voulez parler , renvoyé
Bérénice chez elle.
Je répondrai donc que ces combats
que livre Titus ne font pas dignes de
lui , ni dignes d'occuper la fcene tra-
gique durant cinq aâes. Alléguer qu'à
U fin la vertu triomphe de la pafiîon ,
ce n*efl pas juftifier le caraâere de Ti-
tus. Une pareille raîfon pourroit tout
au plus jumfier celui d'uqe jeime I^n-
celle qui , durant miatre aâes , auroît
ait voir la foiblefie que montre cet
Empereur, C'eft faire tort à la répu-
tation qu'il a laiflée , c'eft aller contre
les loix de la vraifemblance fie du pa-
thétique véritable , que de lui donner
un caraûere fi mol & fi efFéminé. L'Hif-
torien, dont Monfieur Racine a tiré le
Fiv
:,-,zf-„ Google
1 18 Ri^exions critiques
fujet de fa pièce , raconte feulement
que Titus renvoya Bérénice , & qu'Us
le féparerentà regret. Beremcem fiatittt
*b urlv dimijît , invitas invitam (a). Cet
Auteur ne dit point que Titus le foit
abandonné à la douleur exceflive où 11
eA toujours plongé dans ht pièce dont
je parle. Quand même l'aventure feroit
narrée par Suétone avec les cïrconf-
tances dont Monâeur Racine a trouvé
bon de la revêtir , il n'anrott pas du
la choifir comme un fnjet propre à la
fcène tragique. La gloire du luccès ne
répare pas toujours fejicmte d'un com-
bat oU nous devions remporter l'avan-
tage d'abord. Un ennemi bien inégal
nous fiu-mome en quelque façon » s'il
diipute trop longtems la viâoire con-
, tre nous. En effet dix mille Allemands
qui n'auroient battu fix mille Ttu-cs en
rafe campagne qu'après- un combat de
douze heures , feroient honteux de
leur propre viâoire. Aufli quoique
Bérénice foit une pièce très-méthodi-
que & parfaitement bien écrite , le pu-
blic ne la revoit pas avec le même
goût qu'il lit Phèdre , & qu'Andro-
maque. Monûeiu- Racine avoit mal
(»J &tt. in Ta, y^fjf. Sta.j.
:,-,zf--„GoOglc
fur la Po'èjîe & fur la Peinture, t tgi
choifi fon fujet ; & pour dire plus
e;aâement la vérité, il avoit eu la
foibleffe de s'engager à la traiter fur
les inftances d'une grande Princefle.
Quand il Te chargea de cette tâche,
l'ami , dont les confeils lui fiirent tant
de fois utiles , étoit abfent. Defpréaux
a dit pltilîeurs fois qu'il eût bien em-
pêché fon ami de fe confommer far un
îiijct aufli peu propre à la Tragédie
que Bérénice, s'il avoit été à portée
de le difliiader de promettre qu'il le
traiteroit.
Infpirez toujours de la vénération
pour lesperfonnages deftinés à faire
verfer des larmes. Ne feites jamais
chauflTer le cothurne à deshommes in-
férieurs à plufieurs de ceux avec qui
nous vivons : autrement vous ferez
auffi blâmable que fî vous aviez fait
ce que Quintilien appelle : Donner le
rôle d'Hercule à jouer à un en^t :
Ptrfondm Hercutis & eotkumos aptarg
infantibus.
'M^
vy
:,-,zf--„GoOglc
Réflexions critiques
SECTION XVII.
S'il efi à propos tU mettre de tamour
dans Us Tragédies.
JVi o N fujet amené ici naturellement
deux queitions : La première , s'il eft
à propos de mettre de Tamour dans
les Tragédies; & La féconde, fi nos
Poètes Tragiques ne donnent point
trop de part à cette paffion dans les
intrigues de leurs pièces.
Tous les hommes que nous trou-
vons dignes de notre eltime, nous in-
téreifent à leurs agitations comme à
leurs malheurs ; maisnous fommes fen-
fibles principalement aux in^iétudes
comme aux aiffiâions de cswl qui nous
reflemblent par leurs paffions. Tons
les di&ours qui nous ramènent à nous-
même», & qui noue entretiennent de
nos propres fentimens , ont poiu- nous
un attrait particiUier, Il eft donc na-
turel d'avoir de la prédileftion pour
les imitations qui dépeignent d'autres
nous-mêmes , c'eft-à-dire , des perfon-
nages livrés à des paffîons que nous
....Gooyic
fur la Pocfit &fur la Peinture, 131
reflentons aÛuellement , ou que nous
avons refTenties autrefois.
L'homme fans paflion eil une chi-
mère ; mais Thonime en proie à tou-
tes les paillons , n'ell pas un être moins
chimérique. Le même tempérament qui
nous livre aux unes , nous garantit des
autres. Aïnfi il n'y a que certaines
pallions qui ayent un rapport particu-
lier avec nous, & dont la peinture
ait des droits privilégiés fur notre at-
tention.
Les hommeï qui ne refTentent pas
les mêmes paffions que noixs , ne font
pas autant nos femblables que ceux
qui les repréfentent ; ces derniers tien-
nent à nous par des liens particuliers.
Par exemple , Achille impatient de
partirpourallerfiiirele fîége de Troye ,
attire bi«i l'attention de tout le mon-
de ; mais il inféreffe bien davantage
4 fa deftinée im jeiuie homme avide
de la gloire mUîteire , qu'un homme
dont I ambition eft de fe rendre le
maître de foi-même , pour devenir di-
gne de commander aux autres. Ce der-
nier s'intéreflera bien davantage au
caraftere que Corneille donne à l'Em-
pereiu" Auguile- dais la- Tragédie de
:,-,zf--„GoOglc
t$i Réflexions er'uiqaes
Cinna, caraflere qui ne touchera que
foiblement le partilan d'Achille.
Les peintures d'une paffion que nous
n'avons pas reflènlie , ou d'une fitua-
tton dans laquelle nous ne nous Som-
mes pas trouvés, ne fçauroient donc
nous émouvoir aiilH vivement que la
peinture des pallions & des Htuatîons
qui font aâuellement les nôtres, on
qui l'ont été autrefois. En premier
lieu , l'efprit n'efl: guéres pîqué par Ja
peinture d'une paffion dont il ne con-
noit pas les fymptômes ; il craint d'être
la dupe d'une imitation infidelle. Or
refpiit connoît mal les paffions que le
coeur n'a pas fenties ; tout ce que les
autres nous en racontent , ne fçaiu-oit
nous donner ime idée jufte & précife
des agitations d'un intérieur qu'elles
tyrannifent. En fécond lîeu , il faut que
notre cœur ait peu de pente pour les
paffions que nous n'avons pas encore
éprouvées à vingt-cinq ans. Le cœur a
bien plutôt acquis toutes fes forces
que l'efprit , & il me paroît prefque
impoffible qu'un homme de cet âge
n'ait pas encore fenti les mouvemens
de toutes les payions aufqueUes ïojq
tempérament le .condamne.
:,-,.-„G00.jlc
furld Po'éjîe & fur la Pi'mture. ijj
Comment ceux qiù n'ont pas de dîf-
poGtions à fentir une pafllon , com-
ment un homme qiû n'elt point agité
par l'objet même , pourroit-il être vi-
vement touché par fa peinture ? Com-
ment un homme dont l'elprit eft inlen-
fible à la gloire militaire , & qui ne
regarde ce qu'on appelle vulgairement
un grand conquérant , que comme un
furieux à charge au genre humain ,
peut-il être vivement intérefle par les
mouvemens inquiets de l'impétueux
Achille j quand il imagine qu'on conl^
pire pour l'empêcher de s'aller immor-
talifer en prenant Troye ?
L'homme, pour qui les attraits du
jeu font fans amorce , eft-il touché de
l'afflîâion d'une perfonne qui vient de
làire des pertes coniidérablcs , à moins
qu'iL-ne prenne pour elle de ces inté-
rêts particuliers qui font partager tous
les fentimens d'une autre perfonne,
de manière qu'on s'afflige de ce qu'elle
eft affligée ? Sans un pareil motif l'hom-
me qui n'aime pas le jeu , plaindra feu-
lement le Joueur d'avoir contrafté l'ha-
bimde dangereufe de mettre à la dif-
pofition des cartes ou des dez la dou-
ceur de fon humeur & .la tranquillité
:,-,zf--„GoOglc
134 Réfiexions critiqtus
de fa vie ; c'efl parmi ceux qiii font
tourmentés de maux pareils aux nô-
tres , que l'inftinû nous feit chercher
des gens qui partagent nos peines , &
qui nous conlolent en s'affligeant avec
nous. IXdon conçoit d'abordune com-
paiSon tendre pour Enée obligé de
s'enfiiir de fa patrie, parce qu'elle-
même avoit été obligée de s'ennûr de
la fienne. Elle avoit fenti les mêmes
peines qu'éprouvoitEnée , comme Vir-
gile le lui fait dire :
îicia ignjtd mali, mifa-îi fuanmr: dî^fo.
II cft encore ordinaire de juger des
mouvemens naturels du coeur en gén^
rai , par les mouvemens de fon propre
cœur. Ainlî ceux qui n'ont point de
pente vers une paâîon, ne conçoivent
point que les fiireurs dont le Poëte
remplit fes fcénes, èc t^'il expofe
comme les fuites naturelles d*un em-
Î)ortement dont ils n'ont jamais fenti
es accès , foîent expofées fiûvant la
vérité : ou bien les fuites d'une fem-
blable paâîon leur paroiflbit les pures
iailiîes de l'imagination déréglée d'un
Poëte exagérateur: ou bien les perfcwi-
nages d'une [ùéce ceflent de les inté-*
:,-,.-„C00.jlc
fur Ut Poëfie &fur la Peinture, i j ^
relTer. Ils ne les regardent plus comme
des hommes troubles pariine paffion,
mais comme des hommes tombés en
une véritable démence. Saivant leur
fentiment , ce Tont des hommes moins
propres à jouer un rôle fur la fcène ,
qu'a être reclus dans ces maifons oiî
les Nations polies renferment une par-
tie de leurs fols.
Les tranfports forcenés d'un ambi-
tieux , au défefpoir qu'on hii ait pré-
féré pour remplir un pofte éminent &£
l'objet de fes defirs , celui de {&$ ri-
vaux qu'il méprifoit davantage , peu-
vent donc bien intérefler vivement
ceux qui fçavent par leur propre expé-
rience que la paiuon que le Poète dé-
peint peut exciter dans le cœur hu-
main ces mouvemens Airieux: Mais
toutes ces agitations , que quelques
Ecrivains nomment la fièvre d'ambi-
tion , toucheront foiblement les hom-
mes à qui leur tranquillité naturelle a
permis de fe nourrir l'efprit de réfle-
xions philofophiques , te qui pluâeurs
foh fe font dit à eux-mêmes , que les
perfonnes qui diftribuent les emplois
fe déterminent fouvent dans tous les
pays 6c dans tous les tems par des mo-
:,-,zf--„GoOglc
I j6 RéJUxions critiques
tifs injuftes ou frivoles. Ce qu'Us fça-
vent du pafle , ce (fu'ils prévoyent de
l'avenir, les empêche de s'étonner de
ce qu'ils voyent. Peu mortifiés , peu
furpris même des préférences les plus
bizarres , ils font mal difpofés à entrer
avec affeâion dans les peines d'un per-
fonnage que la promotion d'un concur-
rent fait fortir de fon bon fens. Pour-
quoi fe défefpérer fi fort, diront-ils,
pour un malheur auffi commun parmi
les hommes , que la fièvre ?
Qirtmut iubii mtik'u majariha tegrî.
Tu vinim «I iifcipido ammat PhiJippî. fa)
II n'efi: pas befoin d'être Philofophe
pour fupporter un pareil malheur avec
confiance. Il fuifit d'être un hcnnme
raifonnable.
Ainfi Tonne fçauroit blâmer les Poè-
tes de choifir pour ûijet de leurs imita-
tions les efiets des pafilons qui font
les plus générales , 6c que tous les hom-
mes reffentent ordinairement. Or de
toutes les paflîons, celle de l'amour eft
la plus générale : il n'ell prefque per-
fonne qui n'ait eu le malheur de la fen-
tir du moins une fois en fa vie. C'en
(n> Jiivta. Sit. 'j.
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poijîe & farlaPùmur*. \yf
eft affez pour s'intérciTer avec affec-
tion aux peines de ceux qu'elle tyran-
nil e .
Nos Poètes ne pourraent donc être
blâmés de donner part à l'amour dans
les intrigues de leurs pièces , s'ils le
faifoient avec plus de retenue. Mais ils
ont pouffé trop loin la complaifance
pour le goût de leur iiécle , bu , pour
dire mieux , ils ont eux-mêmes fomen-
té ce goût avec trop de lâcheté. En
renchénffant les uns fur les autres » ils
ont fait unt ruellt de la fcène tragique.
Racine a mis plus d'amour dans fes
pièces que Corneille ; & la plupart
de ceux qui font venus depuis Racine ,
trouvant qu'il étoit plus facile de l'imi-
ter par î&s endroits foibles que par les
antres , ont encore été plus loin que lui
dans la mauvaife route.
■^^
'T'
:,-,zf--„GoOglc
138 Réflexions eritîquts
SECTION XVIII.
Qtu nos voijlta dijint qiu nos Poètes met-
tent trop d'amour dans leurs Tragédûs.
V^ o M M E le goût de faire mouvoir
par l'amour les refforts des Tragédies
n'a pas été le goût des Anciens ; com-
me ce goût n'eft pas fondé fur la vé-
rité, & qu'il feituncviolaiceprefque
continuelle à la vraifemblance , il ne
iera point peut-être le goût de nos ne-
veux. La poûérité pourra donc blâmer
l'abus que nos Poètes tragiques CMit
Sait de leiu- elprit , & les ceraurer im
joiu" d'avoir donné le caraflere de Tir-
ets & de Ptùtene , d'av(»r fait faire
toutes chofes pour l'amour, à des per-
fonnaces illuftres , & qui vivoient dans
des ûectes où l'idée qu'on avoit duca-
raâere d'un grand homme n'admet-
toit pas le mélange de [oreilles foi-
bleffes. Elle reprendra nos Poètes d'a-
voir ùiït d'une intrigue amoureufe la
caufe de tous les mouvemens qui arri-
vèrent à Rome , quand il s'y forma
une conjuration pour le rappel des Tar-
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëjît &fur la Pànturt, \\t)
quins, comme d'avoir reiwéfemé les
jeunes gens de ce tems-là fi polis hc
même fi timides devant leurs maîtret
fes , eux dont les moeurs font connues
fuffifanunent par le récit que fait Tite-
Live de Taventure de Lucrèce.
Un Poëte très-vanté chez une Na-
tion voifine , qui du moins a beaucoup
d'émulation pour la nôtre , &it en dif-
férens endroits de fes ouvrages plu-
fieurs réflexions un peu défobbgeantes
pour les Poètes tragiques François. Cet
Ecrivain prétend que l'affeâation à met-
tre de l^amour dans toutes tes intrigues
des Tragédies & dans prefque tous les
caraâeresdesperfonnages, a fait tom-
ber nos Poètes en pluiieurs fautes. Une
des moindres eft de faire fouvent de
feufies peintures de l'amour. L'amour
n'efl pas une paJTion gaie : le véritable
amour , le feul qui foit digne de mon-
ter fur la fcène tragique , eft prefque
toujours chagrin, fonmre & de mau-
vaife humeur. Or , ajoute l'Auteur
Anglois, un pareil caraâere déplairoit
biemôt, fi les Poètes François le don-
noient fouvem à leurs Amoureux, Les
Dames Françoifes, aufquelles furtout
il Êiut être complaifant , ne trouve-
:,-,zf--„GoOglc
I40 Rijîexiom Crîtîquti
roient point ces Héros affez gracieuïr
Le véritable amour jette fouvent du
ridicule fur les perfonnages les plirs
férieiix. En effet le Parterre rit prefque
auffi haut qu'à une fcèné de Comédie ,
à la reprélentation de la dernière fcène
du fécond aûe d'Andromaque , oii
Monfieur Racine fait une peinture naïve
des tranfports &c de l'aveuglement de
l'amour véritable , dans tous les dif-
coiu-S que Pyrrhus tient à Phœnix fon.
confident.
L'Auteur Anglois,quî reprend lapa-
rôle , prétend que nos Poètes , afin de
pouvoir mettre de l'amour partout,'
ont pris l'habitude de donner le nom
d'amoiir & de pafllon à l'inclination
générale d'un fexe pour l'autre fexe ,
déterminée en faveur d'une certaine
fherfonne par quelques fentimens d'ef-
time & de préférence. Ils om donc fait
chauffer le cothurne à cette inclination
machinale , qui n'eft rien moins qu'une
paflion tragique & capable de balancer
les autres pallions. Quelques-uns mê-
me n'ont pas de honte de donner pour
un véritable amour une paflîon qui ne
commence que durant le cours de la
pièce , quoiqu'il foit contre la vraifenb
:,-,zf-,GoOglc
JurtaPotJte &furlaPt'mcure. 141
blance qu'une palTion nailTante puilTc
devenu- un jour une palTion extrême.
Quand onveut faire jouer unrôleimpor-
lant  l'amour , il faut du moins qu'il
foit né depuis un tems , qu'il ait eu le loi-
lir de s'enraciner dans un cœur , & mê-
me qu'ilait eu de l'efpérance. Mais il efi
vrai que les bons Poètes François ne nous
amuftnt point avec ces pafllons fubites.
Voilà ce qui rend les galands des
Tragédies Françoifes fi différens des
hommes véritablement amoureux. On
croiroît que l'amour fût ime palHon
caie , àouïr les gentitlelTes que ces ga^
lands difent aux peribnncs qu'ils ai-
ment ; ils ornent leurs difcours enjoués
de ces traits ingénieux , de ces méta-
phores brillantes , en6n de toutes les
• expreflîons fieiu-ies cpii ne fçauroient
naître que dans une imagination libre.
On les entend fans ceiTe s'applaudâ-
des fers qu'ils portent, & ils fouhai-
tent que leurs chaînes foient ctern^illes ;
nouvelle preuve qu'ils n'en fentent
point le poids. Loin de regarder leio*
amour comme une foibleue des plus
humiliantes , ils le contemplent comnje
ime vertu glorîenfe dont ils fe fça-
yent gré. Ce qui prouve fçul qu'ils ne
:,-,zf--„GoOglc
1 4^ Réflexions critiques
font pas véritablement amoureur ; ils
prétendent mettre d'accord l'amour
avec la raifon , deux choies auffî peu
compatibles que la fièvre &c la raifon.
Qtucm
Nie modum huitt lajui eonfiïium , mcïont nioJoque
TraQari ma vult. iBomùrtbirtfintnKda, btUumi
Pmx rarfiun, Hxcfi tonpifiaâi fraft mu
MiA'dii (scacifiiâtamiifirtt, iabtra
Rcddert cent ,Jïbi nihilo plia txplica , oc fi
înfilârt fiitt eirtâ rjiiont meioqta. (a)
Les amoureux ne font point concer-
tés. En amour on fe querelle fans fujet,
onie raccommode iàns raifon. Les idées
des amans n'ont point de liaifon fuivie.
Le cours de leurs fentimens n'eA pas
mieux réglé que le cours de ces vagues
3u'un vent capricieux fouleve à foh gré
urant la tempête. Vouloir afluiettir
■ces fentimens à des principes , vouloir
les ranger dans un ordre certain , c'eft
vouloir qu'im frénétique ait des vifions
fuivies dans fes délires. Mais il importe
peu qi^ellè foit la fubftance des chofes
qu'on préfente à certaines Narions,
pourvu qu'elles Ibient affrétées en
forme de ragoût.
Un autre inconvénient , ajoute ^AI^■
(a}H^rjt. Sa. i. 1.1»
:,-,zf--„GoOglc
fur Ifl^ Poëfit &fur la Peimure. 1 4 j
cLois , qui vient de la mauvaife mode
de mettre de l'amoiir partout ; c'eft
que les Poètes François font amoureux
à leur mode des Princes âgés & des
Héros qui dans tous les tems ont eu
une réputation de fermeté qui nous les
représente d'un caraflere bien oppol'é
à celui qti'îls leur prêtent. Ces Héros,
ainlî défigurés , paroîtrom peut-être
aux petits-fîls de ceux qui les admirent
tant aujourd'hui , des perfonnages
barbouillés exprès pour être rendus
ridîcides. Ils prendront pour un genre
de la Poëfie biulefque , qui durant un
tems fiit en vogue parmi les François ,
les pièces où Brunis , Arminius Se d'au-
tres perfonnages , illuftres par un cou-
rage inilexible & même par leur féro-
cité , font repréfentés fi tendres 8ç fi
galans. Ils mettront ces poëmesWans
U même claiTe que le Virgile travefti.
Voilà ce qui doit arriver tôt ou tard
aux Poètes qui ne s'affujettiffent pas
à copier la nature dans leurs imitations ,
qui ne s'embarraflent point que leurs
perfonnages refTemblent à des hommes,
& qui. font trop contens , quand ces
perfonnages ont je ne fçai quel bon
flir. C'eft avoir bien oiitiié la fage le-;
:,-,zf--„GoOglc
144 Réf exions critiques
çon que donne Monfieur Defpréaiir
dans le troifiéme cliant de (on Art poé-
tique , oii il décide judicieufement qu'il
fa\it conferver à fes perfônnagçs leur
cara£tere national :
'Garaeidcnc de donner, ai nfi ^ucasns Clélie,
L'slr & rcfprit Ffançfis i l'smique Italie ;
Er fouidci noms BLomxiDcfailiDt noire poriniCi
Peindre Cawn ga'.and, & Btutuj dameret.
L'Auteiu- Anglois prétend que l'an-
cienne Chevalerie & ies Infantes ont
laiflc dans l'efprit de quelques Nations
le goût qui leur fait aimer à retrouver
partout un amour fans palHon , & ce
Qu'elles appellent galanterie , efpece
e politefTe que les Grecs & les Ro-
mains fi fpirituels & fi cultivés , n'ont
' jamais connue. Cette galanterie , dit-
il, que les François, qui ne s'embar-
Taffent pas tant d'approfondir les- cho-
ies , n'ont jamais bien définie , cft une
afFeâation de témoigner aux femtnes
par politefTe , les lentimens d'un anïour
<jue l'on n'a pas , mais dont l'apparence
ne lailTe point de les flatter. Suivant no-
tre Auteur la narion Françoîfe a beau-
coup de pente vers l'affeâation ; &
dans les tems où elle cefToit d'être grof-
■fiere, fans être encore polie, elle a
voulu
:-„r., Google
furla Pxiejte &fur'la Peinture. 14Ç
voulu montrerplus de eentillefle qu'el-
le n'en avoit.Tropfpintuelle pour être
encore barbare ^ mais trop peu éclairée
pour connoître la dignité des mœurs ^
elle a conçu dans l'amour un mérite que
les Nations fenfées n'y trouvent point.
Elle a donc imaginé qu*il y avoit une
efpecede vertu à dq)en(lre en efclave
des volontés , ou pour parler plus fin-
cérement, des caprices de quelque In-
fante , à lui rapporter tout ce qu'on -
feifoii , à ne vivre que pour la fervir.
Les CarrOufels & les Tournois ont
nourri cette manie , par leurs livrées ,
leurs devifes & tout leur badinage.
Enfin il eft devenu à la mode d'être
amoureux dans un pays oîi tout fe dé-
cide {uivant la mode , même le mérite
des Généraux & celui des Prédicateurs.
Delà font nées les extravagances de
tant d'amans , dont la plupart n'étoient
point amoureux: les uns fe font feit
afTommer en écrivant le nom des belles
au'ils penfoient aimer fur les murailles
es villes ailiégéesi; d'autres font allés
de vie à trépas ^ pour avoir vouki rom-
pre dans les portes d'imc ville ennemie
leur lance enrichie des livrées d'urte
maîtrefle qu'ils n'aimoient point, ou
Tome I, G
-, Google
146 Réflexions triti^uts
qu'ils o^aÎBioient gueres. L'hiâoire &ît
foi qu'il eu airivé à phifietirs de ces
Memeurs , pour un fi di^ie fujet , le*
aventures qui arrivèrent à aotre Hud-
dîbras , * quand il courtHt les diai^
pour rétablir un diacun dans fis Ëbcr-
tés Se propriétés , taéiat les ours qn^on
menait par force danfer aux &>ires.
Un Print^e lie fait tuer dws un Tonr*
nois y en voulant , difoit'il , ron^jrc ea*
(oreiine^lance çni*)i(Q»eivdesOaBes,
•• Cdl le n*m du Héfoi d^MM <l><ca A Po^
tut épique , écrit en Ai^lotsfout le rsgae df
Cluikt II , par un honune de la AIai£>n Bn^
let , i ce qu*on croit. H Tuppolê que Ici mazî-
nesqoe prëchoient le* Preibjrtérietis (ôr l'ex^
Aiiude de la juAics» imsimc* iaiptsficaUei en
ce bas Konde, & qui tous Clnrlci I leur firent
iMUiIeverfer l'Angieterre, aSn d'y réparer de
g lits déroTiIres, avoietit toarné la tue à Ton
uddjbras, comme ta leâvrc- derKomans d*
Chevalerie awû lenveiJÏ la corvette as pan*
«re Doffl Quichotie. Huddibraa fè mit don;
aux champs pour travailler à rçedre à chacun
ifes droits, propriétés & FranchiTss, & même
aux ours qu'on menoii danfèr aux foires pour
le profit d'astrui , & qu'on avoii »bîtiairemeHC
Jéponilléi de leur liberté naturelle, fârw lent
avoir &it précédemment le piopés tûivant U
loi Se devant leuR Pain, Ses aventures finiSent
ordinairement comme cellei ia Hètos au Ce»
mat» at de Trivclin^
Coo^tlc
fur laPoijU &JkrU Peinturt. x^f
Un autre Veft ims au haeard de fctxnn-
p« vingt fois le col , p» ce qu'il trou-
voit plus galant de fe gotnder à Ïtàd4
d'une écheHe do c«rde dans l'appurte-
ment de fa ftiÊotie , que tPy eatrvr par
la porte. Un troifiëme eâ defcciida
^ns une fofie aux lioas, pour en np>
porter à & Dams le gand (ju'elte tfy
avoir jette que pour PtnrvyaT «he».
cher» & ptMir te &ire un fort Ugev
hofuteur au péril de la vied'unltoMaMy
dont Tentêtemeitt méritmt du «MM
de la compaffien. C'eft aSèi parler de
ces cajvices <^i ferment prendre lei
François , les Eiîttgnols k quel^ie»
autres Nations , pour des pcu^s d*
fols- par les Grecs du tems d'Alexandre ,
& par les Romains du tems d'AuguAe »
fi , pour me fervir de Texpreffion tant
ufitée f les uns fie les autres pou-
voient revenir au monde. Les Romans
de Chevaleiie 6c de Bergerie ont en«
core fomenté chez les Pranç<»s le goftt
ifui leur fait demander de Psmour par*
tout. Ycdlà la fource de cet amour
imaginaire qui fo trouve dans la pht*
part de leurs écrits. Les Etrangers-, fiffi
font ceux qui* font diétettnin^ trar letrf
Juuneurànefe contenter .^e d'image
Gij
.,-,zf-,Googlc
14^ Réflexions critîqtus
& de peintures faîtes véritablement
d'après la nature , UTent ces endroits
fans être émus.
n n'en eftpas de même des peintures
de l'amour qui Ibnt dans les écrits des
Anciens:eIlestouchenttous les peuples;
elles ont touché tous les fiécles , parce
que le vrai fait fon effet dans tous les
tems. & dans tons les pays. Ces pein-
tures trouvent partout des cœurs qui
Îeffentçnt les moùvemens dont elles
oot des imitations naïves. Ain£ Ta-
mour que .les bons Poètes de la Grèce
avoient mis dans leurs Ouvrages , tou-
çhoit infiniment les Romains , parce
que les Grecs avoient dépeint cette
paillon avec fes couleurs naturellçs,
' fpfrtif Si^ftiif ariar
Vnnatt ^ rtmrniffi calant
■ Molia-fiàibui paU^,
dit Horace (<i)V en parlant des vers de
Sapho, Qu'on voie dans celle des Odes
^ cette nlle que Monlieur Dejpréaux
a tournée en François dans fa Traduc-
tion de Longin, quels font les fymptô<
ines de Tamour^palEon, Les peintures
de cette paillon qui font dans le$ Ppç-
(ij Ode 9. I. ^
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëfie ù-fur la Peinture. 1 4^
fies des Romains,nous touchent,comme
celles qiii font dans les Poëfies des Grecs
touchoient les Romains. Les amoureux
eue les uns & les autres ont introduits
dans leurs Ouvrages , ne font pas de
froids galans ; mais des hommes li-
vrés , malgré eux , à des tranfports qui
les maîtriient , & qui font fouvent des
efforts inutiles pour arracher de leur
cœur des traits dont la morfurc les défef-
pere. Telle eft l'Eglogue de Virgile qui
porte le nom de Gallus.
SECTION XIX.
De la galanterie qui tfi dans nos Poèmes* ■
J E vais encore rapporter aux Fran-
çois ce ([ue dit un autre Ecrivain An-
glois fur la galanterie de nos Poètes,
l*s rapports ont un attrait fi piquant,'
qu'on ne fçauroit fe défendre d'aimer à
les entendre ; & en des matières pa-
leiUes à celles dont il s'agit ici , il n eft
ni mal-honnête, ni dangereux, de con-
tenter la curiofits des perfonnes inté-.
reffées.
Giij
.,-,zf-,Googlc
Monfieur Perrault («) avoit neprocEfe^
aux Anciens <]u*ils ne coRoomoieiiX
point ce quç nous aj^Uons galanterie ^
Ce ifï'an n'en voroit aucune fleur dans
leurs Poètes ; au-lleu que les écrits des
Poètes François , Toit en vers, foie at
p-ofe , ces derniers écrits font les Ro-
nuos , fe trouvent pariêmés de ces geo-
ï^eSet. MonfiFiir Woton oui a pns le
parti des Adodenies en Ao^terre , fie
qui a défètidu cogitre Mylord Orerr
a même caufe (çjfi Monueur PenaïuC
avoit Toutenue en France , abandonne
foa coitq)agn(»i d'arme dans cette lice.
Il ne veut point pafler à nos Poètes
pour un Btérite , ce ^argop j^eto de ùi-
deitr , (elôn lui , qu'on appelle galante-
rift. CVft f ajoute PAuteur Aiiglois (A),
un fentiment qui n'eft pas dans la na-
îur? , une des afFçftations extravagvv-
tes que le mauvais goût du fiéde a oiis
â la mode. Ovide Se TiUûlevi'ootpcRttt
m$ degalaoterie dans leurs écrits. EKia-
^on <^i ils oe connoiâbiem pat le coeur
humain , &c les teimiêtes que toutes
ie$ louons aowureufes y fçxvtat ex-
ïa) r^t^tUi Al Afirv 6^ é' Volent. Twn- 1.
il**-*
'furUPûtJUùfuTia.Pwuuri, \^%
Cîtek- ? L'émotion <}u'on éprouve ea
Ufant leurs vers , ^ bien fentir que
ia nature même sV ex^que en fajvo*
pre langue. Les Poètes & les &iieurt
«le B-oaians, contmue Monfieur 'W^o-
toa C'), comme d'Urfé^Calprenede
£c. leurs femblables, qui , pour avoir
occafioa die £ùiï parade de Leur efprit,
nouspeignentleursperfonnagespleinsft
la fcM d'asour tc d ea)ouëment , & qui
en ibnC des diâxiureurs fi gracieux , ne
Vécanent pas moins de la vraiTemblaiH
ce , que Variilas s'écarte de la vérité.
C^ comme la vérité eu l'ame de Itûf-
toire , la vraifenÀlance eA l'ame de
toute fiâion& de toute Poëûe. C'eflle
vraifemblable qui nous émeut , & qui
ttous fait iàire cas d'un Oitmge ^da
fon Auteur.
Quand je itis <{ae Monfieur 'Voton
a défendu la même caufe que Monfietnr
Pert^t ; |e dois ajouter que Monûeur
"Woloa , en mettuu le fçaroir des M09
demes au-deâits de celui des Anciens
danslaphipartdesArtsâcdesSciences, -
tombe Raccord néanmoins que dans la
poeiie & dans l'éloquence les Anciens
ont fiirpailë les Modernes de bien-loin.
W Par- s*.
Giv.
:,-,zf--„GoOglc
• 151 Rificxïons critiques
C'eft ainfi qu'il s'en explique loi-même
dans le chapitre que j'ai déjà cité. Voi-
ci même ce qu'il ajoute : (a) Monjuur
Ptrrault n'ftott point ajftiffavani fil n'tff
tcndoit point ajfe^ bien U Grec & le Latin
pour faire mê^ «»• bon ParaléUe entre
FEloquenct & la Poêfiedts Anciens & t£ts
Modernes. La digreffion feroit trop longue
fifallois entreprendre de faire une iimmé-
TOtion 6xa3e dejes bévues ; on mt regar-
dait d'ailleurs dans toute l'Europe com-
rm un téméraire , jt je me mêlais d'écrire
fur ce fujet apris ce que M, Defprlaux
vient d'en dire dans fis Réflexions criti~
ques fur Longln, Il y ven^ Us Auteurs
illuftret de l'Antiquité, auffi-bien qiCUles
fçtut imiter,
■ Pour revenir à la galanterie , un de
fes traits énerve fouvent l'endroit d'un
poëme le plus pathétique. Il fait cefler
pour un tems l'affeâion qu'on avoit
prifepourleperfonnage. Renaudaroou-
reux malgré lui , & parce qu'il eA fub-
jugué par les enchantemeos d'Armide ,
jn mtérefle vivement àia fituation : je
fuis même touché de fa paffion , quand
il ouvre la fcéne , en difant à ia maî-
ireffe qui le quitte pow im moment:
(a) P^S- il'
:-„r-., Google
fur la PoiJU Sffur la Peinture n j
^rmid* , vous m'alU^ quitter (a) ; Sc
lorsqu'il nejui réplique , après qu'elle
lui a dit le motif important qui l'oblige
à s'éloigner de lui , que les mêmes pa<
Toles qu'il lui avoit déjà dites , Armtde^
yous m'alle^ quitter ^ Renaud me paroît
alors un homme livré tout entier à l'a-
moiu*. L'amour ne fçauroit mieux fe
feire fentir que par cette répétition :
c'eft.la marque de l'yrreffe de la paf-
iion y que de n'entendre pas les raifons
qu'on Uiioppoie. MaisuDmomentaprès
Renaud devient un amant précieux &;
un amoureux afleâé , lorfqu'il répond
à la maîtrelTe .qui lui dit , ^oyei^ ta quel
luuje vous taiffèy par ce fade compli-
ment , Puis-je rien voir que vof appasj^ ^r
C'eft en qualité d'Hiflorien mie je
rapporte ici ce que nos voifîns difent da
nous. Si je fréquente les Nations jétrai^-
.geres pour apprendre leurs fentimeps^^
c'eft fans renoncer aux feniimens.de la
mienne. Je puis dire comme Senequat
j^i) Solto Jstpe in aliéna caÛra tranfire^
non tanquam transfuga , featanquam «■'-
plorator. C'eft à nos Poètes d'exami-
ner jufqu'â qwel point ils doivent dé^
(a.) OptTi ^Arnâit , A&. s • Sctit. pnrt.
■ -Gy ■
:,-,zf--„GoOglc
f J4 Riftxt9HS criants
fërer aux critiques de nos vcàfiiu. Te
crois av(Hr traité aâ#2 au long les deux
queftiofu, s'il eft à propos de mettre
éà l'anuHiF thns les TragMÏes , 6c â nos
Poëtes qe hiî donnent pas ime Hop
grande paît dans l^intngue de leurs
|Ȏces. Auffi ae me relte-t'il plus que
d£ux nots à dire îv» ce fùjet.
SECTION XX.
Dt ^utiques maximes ^'il finit ehjhvtr
M traitant des Sujtts trap^uts.
1 L Importe b^ucoup aux Poètes tra-
igiques de nous feire adAiirer des per-
fonnages dont il &ut ^e les malheiu-s
nous cDÛtçnt des larmes , afin que la
Tragédie r^uffiffe. Or lesfoiWeffesde
Pamour déparent beaucoup de caraâe-
res hérolmtçs qui oous Inf^eroient de
ta vénération, s'ils n'étoient point avî^
Cs par ces foîblefbs.
La même raUbn qui doit ob^er les
Poëtes à ne pas kifl^r prendre à nmour
un trop gnuid empire fur leurs Héros ,'
doit les eogager auffi à èxn&t teint
■u,:,-,zf--„GoOglc
fitrlaPoiJtt&fiarUPiàuun. 15^
Héros dans des tems éloignés d^unc
certaine dîftmcc diinôtrc. Af/or^/on-
gitt^uo reviruuùt , dh Tadte ; il eA fini
&cile de noDS nÉfpirer de la Téaération
pour des hommes qui ne nous font c<Hi-
nos que pv ce qu'on Ht d'eux dans ThiA
tcnre, que pour ceox qui OBtrêcu dans
des tems fi peu éloignes dn nôtre, qu'u-
ne tradition encore récente nons inf-
tniit exaâentent des particularités de
leur vie. Nons fçavons des détails fur
les petiteflès des grands hommes que
BOUS aroBs vus, ou qite nos contem'
porains ont pu voir , qui rapprochent
fi bien ces grands hoounes des hom-
mes or&uiics , que nous ne fçao-
rions avoir pour eux la minK véné-
ration avec Uqaelle nous fmmnes en
habitude de regarder les grands hommes
èe Rome tic cenx de k Grèce. Autbtë
v'dk tauJamus Httatius {a). Cet apo-
phtegme cft encore pfats vétitable en
parlant des hommes , qu'en parlant de»
ouvrages de Vttt on des merrdUes de
la nature.
il ntft point d'homme qtù fok ad-
nmtiiilc , tTû n^eft vu d%uie certaine
diftance. Dè£q«*OM pettt voir les hom-
ti> f «Mm «k *^
■ Gv,
:,-,zf--„GoOglc
1^6 ■ RéfiexioHs triùquis
mes d'atTez près pour difcemer leurs
petites vanités & leitrs petites jalou-
fies , comme pour démêler les idéali-
tés de leur elprit, l'admiration cefle.
Si nous fçavions t'hiftoire domeftique
de Céfar & d'Alexandre avec autant
de détaîL que nous fçavons celle des
^ands hommes de notre fiécle, les
noms du Grec &: du Romain ne nous
infpireroient plus la même vénération
qu'ils nous infpirent. Je foufcris vo-
lontiers au livre qui a dit : Que les
plus grands «memis .de la gloire des
Héros , étoient leurs valets de cham-
Bre.Les Héros gagnent toujours à n'être
connus que par le récit des Hiftoriens ;
la plupart fe phifent à rapporter ces
traits naïfs & ces petits &its anecdotes
^i font encore admirer davantage les
hommes illuflres ; mais ils tàfent vo-
lontiers tout ce qui feroit lui effet con-
. traire. Voilà pour les Hiftoriens ortti-
naires. Quant à ceux qui veulent dire
du mal , ils font bien quelquefois les
hommes plus méchans que peut-être 'ùs
n'ont été ; maïs il eft très-rare que ces
Hifloriens. feflèni les hommes .plus pe-
tits. Un Hiftorien met fes talens en évi-
dence , il peut même iàice parade de ia,
:,-,zf--„GoOg[c
furlaPoëfit&JkrlaiPtinèure. iç^
jSrobïté , en racontant . les aftïons d'un
grand fcétérat ; mais il fe dégrade lu-
même , & il devient un Ecrivain infi-
pide , s'il ^t de Tes Aileiirs des hommes
trop ordinaires. LePoëte tragique , di-
ra-t on , peut fupprimer toutes les peti-
tefles capables d'avilir fes Héros. J'en
tombe d accord ; mais l'Auditeur s'en
fouvient, il les redit lorfquele Héros a
vécu dans un tems fi votfm du fien ,
que la tradition l'ainAruit de ces peti^
tejTes.
D'ailleurs Melpomene fe plaît à i>a-
rer fes vîâimes de couronnes & de fcep-
tres ; & les Maiibns Souveraines font
aujourd'hui tellement enlacées les unes
avec les autres par les mariages , qu'on
ne fçauroit faire monter prefentement
fur la fcène tragique un Prince qui att
cegné depuis cent ans dans uii état voi-
fin , iâns que le Souverain du Pays oil
k piecerèroit repréfentée , s'y trou-
vât intéreffé comme parent. L'inconvé-
nient s'expinpie affez de lui-même. Ain-
£ j'approuve les Auteurs qui, lorfqu'îls
ont pris pour fujet quelqu'événement
arrivé en Eurc^e dqniis lui fiédc , ont
mafqiié leurs peifonnages fous le nom
.des anciens Aomains , ou de ' Prince^
:,-,zf--„GoOglc
t^S Ai/extoiu erMqtat
Grecs', aufquels perlbmie ne prend plud
d'mtéràt. On ne fçauroit mettre fur le
théiâe tout ce qu*un Hiftonea peit
écrire dam un lirrcLe théâtre efi, pour
ainfi dire , un livre deftiné à être lu en
puUic ; & les bieafëances dcÀveat être
obftrvées , tous les égards d<nvent2tre
flardés dans tes ptéoes qu'on y repré-
unte, avec encore rius de féverité
que dans l'iùftoire la [Hos grave. Qaand
MDnfienrCanqxlbtioToulut mettre au
théâtre l'avaiiture tragique de Dont
Carlos , le fils »né de PhUippe U Roi
d*El{»^ie , il traita ce fujet tons le nom
d*Aa(bisme. Mais ma%ré le diat^menc
du non des perfonnages, la rraréTen'
tation de cette Tr^é^e a été defotdue
autant Icsigtems dus les Paj^-Bw Ef-
pignols.
Les Poëtes Grecs naTOtett pmot
cette d^cateffe. Teo tombe d'acccaxL
Us cA «ts fur la ft^tie des Sourcnns
morts depuis peu de teins , & qnd^pie*
fois m✠des Princes virtns. Mab ces
Poëtes avtùent été élevés dans l'efprit
Républicain qui régnait parmi les Atbé*
àens, &(Biicheitbotttoi90ursïpen>
dre odieux le gcnvemeatfttt d*kin &uL
C'étoit Un mojen d'y iéul£r que de;
:,-,zf--„GoOglc
fm U Potjît &JUr la Pànturt. i jy
repréfenterlesRofc & les Princesavec
un caraâere Tictenk , dans des ipeâa-
cles qui deroient avoir encore pnis de
pouvoir filr l'imagination des Grecs ,
qu'ils n'en fcanroient avoir fur rima-
eination des peuples Septentrionaux.
Voilà poiifqnoi les Poètes Grecs ont
défiguré quelquefois le véritable carae-
tere des Souverains ; voilà pourquoi
ils ont introduit fi fouvent fur la fcène
Orefte malheureux 8c pourfoivi des
Furies , quoique les Hiftoriens citent
ce Prince poor avoir vécu & régné
longtems beureufement. FaSum tjus à
Dits approbamm fpano vUk & feiiàtate
Imperii apparuit , quippt vixit annis no^
naànta , regnav'ufeptuaDrua , dit Pater-
cuîus , (jt\ en pariant crOrdle.
Deux Nations voifines de la nètre
font encore monter fiir le théâtre des
Souverains morts depuis cent ans ou
environ. EUes y traitent des éréne-
mens tragiques arrivés dans leur pro-
pre pays depuis un fiéde. Peut-être
eft-ce qn'eHes n'ont point encore une
julïe idée de la dignité de la fcène tra-
gique : peut-être entre-t^t auffi dans
leurs vues quelque trait de la poH-
(j) Kifi. lib.frim.
:,-,zf--„GoOglc
i 60 RtjUx'ums ctitîquts
tique Athénienne. La Tragédie Fia»
mande , dont le fujet eft Te fameux
Siège de Leyde que les Efpagnols le-
vèrent durant les premières guerres
des Pays-Bas (a) , & laquelle , fuivant
lafondationd'uaCitoyende cette ville,
s'y repréfeote encore tontes les années
dans le mois où l'événement arriva ,
ell pleine des maximes & des Sentences
contre les Rois & contre leurs Minif-
tres , qui pouvoîent être à la mode
dans Rome après Texpulûon des Tar-
quins. Jamais aucun Tragique Grec ne
tâcha d'e rendre les Souverains odieux,
autant que Mylord Comte de Rochef-
ter Ta voulu raire dans la Tragédie de
yalentlnien.
Ce n'a point été certainement par
un pareil motif que nous-mêmes nous
avons feit monter furnotre fcène, lors-
qu'elle étoit encore grofliere , nos Sou-
verains encore vivans. Les François
font cités chez toutes les Nations pour
refpeÛer naturellement leurs Princes :
Ils font même davantage , ils les ai-
ment. Auffi juge-i'on facilement par le
çaraûere des pièces où les Poètes
François ont Introduit leur Souverain
(«/ En IJ74.
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poifie &furUPtinturt. i5i
même , -qn'ils n'ont péché que par grof-
fiéreté. Peu de mois après la mort de
Henri IV, on représenta dans Paris une
Tragédie dont le lujet étoit la mort 6j-
nefte de ce Prince ; louis XIII qui ré-
gnoit alors , &ifoit lui-même im per-
lonnage dans la pièce ; fie de fa loge il
pouvoir fe voir repréfcnter iur le théâ-
tre oh le Poëte lui faifoit dire que
l'étude l'affommoii , qu'un livre lui
failbit mal à la tête y qu'il ne poiivoit
guérir qu'au fon du tamboiu" , 6c plu-
sieurs autres gentilleÛes de ce genre ,
dignes d'un fils d'Alaric ou d'Attudaric.
Mais la raifon ou bien les réflexions
nous ont rendu depiûs le peuple de
l'Europe le plus délicat & le plus dif-
ficile ûir toutes lesbienféances du théâ-
tre. Nos Poètes ne peuvent fe tromper
impunément aufoto-d'hui fur le choix
dit tems , fie du lieu de leurs pièces.
Moniteur Racine foutieiit dans la •
Préface de Bajazet , dont la mort tra-
gique étoit un événement récent ,
quand il le mit au théâtre , que Péloi-
. gnement des lieux oit un événement eft
arrivé , peut fuppléer à la diftance des
tems i & gue nous ne mettons prefque
point de différence entre ce qui eft ar-
:,-,zf--„GoOglc
ï6i Riftxum$ erià^ÊiS
rivé mille ans Avaitt notre teols , tè
ce qui elt anivé à mille lieues de ncH
tre pays. Je ne Cuis point de foa
fenfiment. On ne trouve perfonne quî
ait reçu mille ans avant lui ; mais on
renc<MUre toiis les jours des gens qui
ont vécu dans ce pa^ élowné de nulle
lieues, & leurs récits nniient i la^é^
néraâon qu'on prétend nous donner
pour ces hommes devenus des Hérot
en paflant la mer. D'ailleurs le com-
merce entre la France 8cConifauiti«
noi^ eA û grand , que nous coo-
noiâfons bien nûenx les moeurs 8c les
tifages des Turcs par les relations ver«
baies de nos amis qui ont vécu avec
eux, que nous ne connointms ceux
des Grecs 6c des Romiùas fur le récit
d'autenrs morts , & à qm l'on ne fçau-
rt»t demander des expbcatimis, qiôad
ils font oUcnrs ou trop iiicciiÀs. Un
Poëte tnigiqàe ne fçanrott donc ^oler
la notion générale que le monde a iiir
les mœurs & fin- les coutumes des na-
<ions étrangères, fans pr^udicier à h
vrat-femUanee de U fnéee. Cependant
les régies de notre tfaéitre & les ufa-
;es de notre fcène tragique , qui veu-
'-" que les fesmes ayent toujours
...Xooyic
le
Jkr U Paifa ù fur U Pvjitan. itfj
Iwtucoup de part dans l'inti^ue, &
que l'amour y foit traité fuivant not
manières , empêchent que nous ne
puiffioDs ' nous coafbrmer aux mœurs
& aux coutumes des Nations étran-
gères. Il efl vrai que les défauts qû
réfuUent de cet embarras ne font re*
marqués que par un petit nombre de
perfonnes aiTez înAruîtes pour les con-
Boitre \ mais il arrive qNe » pour ^re
valoir leur érudition , elles exagèrent
Couvent l'importance des défauts y & il
ne fe trouve que trop de gens qui fe
plaifent i répeter leur critique. Je n'a-
jouterai plus qu'ua mot à cette obfer*
vation : c'eft qu'à l'exception de Ba-
jazet Ix. du Cc»Bte d'Eflex y toutes les
Tragédies écrites depuis quatre-vin^
ans , dont le fujet étoit pris dans l*hif-
toire des deux derniers lîécles, font
tombées , leurs noms mimes ibm otH
Miés.
La définition qn'Aridote iàit de la
Comédie, quand il l'appelle une imi-
tation du ridieuk des bonunes , ensei-
gne AifEfammmt quels fujets lui font
propres . Comme elle n'inflige pas d'au-
tre peine aux perfonnages vicieux que
le ridicule, <lû u'eft pas laite pourre-
:,-,zf--„GoOglc
164 RéfitxUns cnû^tui
, préfenter les aÔions qui méritent des
châtimens plus graves. Oo ne doit tra-
duire à fon tribunal que des hommes
coupables envers la fociété de délits
légers.
SECTION XXI.
Du choix des fu/'ets des Comidits. Où il
en faut mtttre la Scène. Des Comédies
Romaines.
J *A I rapporté plufieurs raifons pour
montrer que les Poëtes tragiques doi-
vent placer leur {cène dans des tems
éloignés de nous. Des raifons oppofées
me font croire qu'il faut mettre la fcè-
ne des Comédies dans les lieux & dans
les tems oti elle eft repréfentée : que
fon fujet doit être pris entre les évé-
nemens ordinaires ; & que fes perfon-
nages-doiventrelTemblerpar toutesfor-
tes d'endroits au peuple pour qui 1*00 la
compofe. La comédie n'a pas befoin
d'élever fes perfonnaees favoris fur des
piedeAaux , puifque fon but principal
n'eft point de les faire admirer pour
les faire plaindre plus facilement : elle
:,-,zf--„GpOglc
furUtPoéJtt&furlaPànturt. i6j
veut tout au plus nous donner pour
eux quelque inquiétude caufée par les
contretems fâcheux qui leur arrivent ,
&qui doivent être plutôt des traverfes
que de véritables infortunes , afin que
nous (oyons plus fatisfàits de les voir
heureux à la fin de la pièce. Eileveut,
ennpus faifant rire aux dépens desper-
fonnages ridicules y nous corriger des
défauts qu'elle joue , aiîn que nous de- ~
venions meilleurs pour la fociété. La
Comédie ne fçaiyoit donc rendre le ri-
dicule de fesperfonnagestrop feniible
aux fpeâateurs. Les fpeâateurs, en
démêlant fans peine le ridicule des per-
sonnages i auront encore alTez de peine
â'y reconnoîre le ridicule qui peut âtre
eh eux. *^
Or nous ne pouvons pas reconnoîtrc
auffi facilement la nature , quand elle
paroît revêtue de mœurs , de manières,
d'ufaecs & d'habits étrangers , que lorl-
qu'elfc eft mife , pour ainli dire , à no-
tre façon. Les bienféances d'Efpagne ,
par exemple , ne nous étant pas aulS
connues que celles de France , nous ne
fonimes pas choqués du ridicule de ce^
lut qui les blelTe , comme nous le Te^
lions , û ce peribimage bleHoit. les
:,-,zf--„GoOglc
s66 RifiexUns critiques
bienféances en ulàge dans notre p^
trie & dans notie tems. Nous ne fe-
xions pas auffi frappés de tous Us traits
qui peignent l'Avare , (pie cous le iom-
mes , a Harpagon ezerçoit ià léâae fur
la dépenfe d'une maifon r^^e lki>
yant rceconooûe des nsaifata d'ttalie.
Nous reconnoiflbns toujours les
hommes dans les Hétoê des tr^é*
dies, fott que leur /cène fbit à Rome»
ou à Lacédeuone, parce que la Tnu
cëdie nous dépeint les grands nces Si
les grandes vertus. Or les hommes de
tous les pays fie de tous les &îcle$ font
plus femblwles les uns aux autres dans
tes grands vices 8c ^aas les grandes
vertus , ^'ils ne le fout dans les
coutumes , dans les ufages ordinaires ,
en un mot dans les vices & les ver-
tus dont la Comédie veut faire le po^
trait. AJnfi les personnages de Comé-
die doivent être taillés , pour ainfi di>
re , à la mode du pays pour c|ui la Co-
médie eft <e.
Plaute & Térence, dirart'on, ont
mis la fcène de la plupart de leurs
pièces dans un pays étranfcjt pax rap*
port aux Romains pour qm ces Conl^
oies jétoient compoféefe L'imrigue d?
:,-,zf--„GoOglc
J^ U Poi^ &fur la Pùnlurt. i6f
leurs pièces fuppofent les loix Se les
moeurs Greç[ues. Mais fi cette raiibn
ùàt aoe obgeûioB contre mon fenti*
laect , eUe ne Cnffit point pottr prou-
ver le fcDtiinent oppofô a celui que
l'expoiEè. lyaittenrs )c répondrsi i l'ob*
jeûian , qie Plame &c Ténnce ont pA
ie tnwner. Quand ils conporereot
leurs pièces , h CcoÊoéAt itoit i Rome
un poëme d\aï genre nouveau ^ te les
Gre<s avoient déjà fàît d'excellentes
Comtes. Plante & Térence , qui n'a-
voient rien dans la Ism^ latine qui
fût leur fervir de guide , imitèrent trop
lervilement les Comédies de Ménan-
dre 6f d'autres Poètes Grecs, & ils
louèrent des Grecs devantlei Romains,
Ceux qui tranfplantent quelqu'Art que
ce Ibit d'un pays étranger dans leur
patrie , en fuivent d'abord la pratiqua
de trop près, & ils font la mëprif«
d'imiter chez eux les mêmes originaux
mie cet Art eft en habitude d'imiter
dans les lieux oh ils l'ont appris. Mais
l'expérience enfeigne bientôt à chan»
;er l'obiet de l'imitation : auffi les
^ 'oè'tes Romains ne furent pas longtems
à connoître que leurs Comédies plai»
voïtpt âsivantAp, »'il9 en mettoient
:,-,zf--„GoOglc
%
l68 Réfexiàns cntîquts
la fcène dans Rome , & s'ils y jouoient
le peuple même qui devoit en juger.
Ces Poètes le£rent,'& la Comédie
compofôe dans les mœurs Romaines ,
fe divifa même en ptufièurs erpeces.
On fît aufTi des Tragédies dans les
mœurs Romaines. Horace y le plus judi-
cieux des Poètes., fçait beaucoup de
gt-é à ceux de fes compatriotes qui les
premiers introdui£rent dans letu^ Co-
médies des pet'fennages Romains, &
dui délivrèrent ainfi la {cène Labnc
d*une efpece de tyrannie que des per*
fonnages étrangers y venoient exer-
cer.
Hïï tiarmatum nojln Kjntrt Teitx ;
Nie minimvm mtmai itaa ttjUgîa GrMtt
Aiffi difirat , (f ccUbnrt dom^icafaÛt , ■
Vd gui PratexiM . *tl jul iaetari Ttgam, (i)
XjSS Romains , en parlant de leurs Poe-
fîes dramatiques, ont confondu quel-
€|tiefois le genre avec l'efpece. Je crois
néanmoins devoir tâcher de débrouil-
ler ici cette confiifion, pour faciliter
l'intelligence de ce quimerefte encore
^ dire fur le fujet que je traite aftuel-
■lemenr. • * ■
■,r ..Google
furlaPoëJîe & far la Pelnturt. 169
Lx Poëfie dnimatique des Romains '
fe divifoit d'abord en trois g.enres,qui fe
fiibdivifoient en plufieurs efpeces. Ces
trois genres étoient, la Tragédie, la
Satire 6c la Comédie.
LesRomainsavoientdes Tragédies de
deux eCpecë^. Us en avoient dont les
mceiirs Sclesperfonnages étoientGrecs, ■
& îJs les appelloient Palilata ^ parce'
.tju'onfefervoitdeshabitsdesGrecspour,
les repréfenter. Les Tragédies" dont les
mœurs & lesperfonnages éioient Ro-
mains , s'appeltoient Pratexiatte ou
Pr«texta,^u nom de rhabrt' i^we les per-
fonnes de condition portoient à Rome. -
Quoiqu'il ne nous foït demeuré qu'une
Tr^édie de cette efpece , VOcfavie qui
paflefeuB le nom de Séneque , nous'
fçavons néanmoins que- les Romains
en avoient un grand nombre. Telles
étoient le Brutus qui chaffa les Tar»
quins , & le Decius du Poëte Altius. '
La Satire étoit une efpece de Pafto-
ralc que quelques Auteurs <liient avoir
tenu le milieu entre la Tragédie & la
Comédie. Nous n'en rçavons guéres
davantage.
La Comédie , ainfi que la Tragédie ,*
fc divifoit premièrement en dpuxefpe--
Teme /. H
:,-,zf--„GoOglc
1^0 Réfitxlons critiques
ces ; la Comédiâ Grecque ou PaiiiMa ^
& la Comédie R(»iuùne ou Togata , par<
ce qu'on y iotroduifcùt or^natremeiit
de umples citoyens dont Tbabit étoit
le vêtement appelle Toga. Togata fa-
buta liîcumur qua fcriftMftuuficttndàm-
ritas & habitus homimtm Toffuorutn , id
efi Romanoram , dit Dîomede' (a^ ait-
cien Auteur , qui a ^àx quand l'Em-
(Hre Romain A^ûiloit encore.
La Cooiédie Romaine Te fulxliviroît
à ion tour en quatre efpeçes; la Co-
médie Tf^iM, fs^opreinent dite , la
Comédie Tahtrnaria , les pièces AteU»<
i^es S( les Mimes.
Xfis jnéces du premier caraâere
étoieot très^ierieufes , & l'on y intro»
duifoit même des perionnages de con-
^tîtm , ce qui lesfaitappeller quelque-
fois Pnerex/d/A. ApudRomtnos^ dit Dio"
mede (i) , PrtUtxtata , Taiernari4-y At~
ttlUna , Planipts, Les pièces du fécond
caraâere étoient des Comédies un peif
pioins férieufes. Leur nom venoit de
Taitrna^ flui iîgnifioit proprement un
iieu de rendez-vous propre à raffembler
les ppr&nnes^dp conditions difféie^e?,
(al Dt Artt Crtm. U |, c. 4.
..Google
fitr la Poëju & fur U Ptïntun. lyt
qui puoient un rôle daos ces pièces.
Les Atellanes étoient des pièces
telles à peu près que les Comédies
halieiines ordinaires , c*eft-à-dire»
dont le dialogue n'eft point écrit. L'Ac-
leur des Atefîanes jquoit donc fon rôle
d^imagination , & il le hrodoit à fon
plaifir. Tite-Live , en faifant l'hiftoire
du progrès de la Comédie à Rome , dit
(pie la Jeunefle de Rome n'avoit pas
voulu que cet amufement devînt un
Art. Elle fe Tétoit réfervè. Voilà pour-
quoi , ajoute-t'il , (n) ceux qui jouent
dans les Atellanes , confervent tous
les droits des citoyens , & qu'ils fer-
vent mâme dans les liions , comme
s'ils ne montoient pas fur le théâtre.
So infiitucum manet , ut ASores Atdla-
nanim me tribu moveaniur , & fiipepJia
tanquam expertes artis Ludicra faciant,
Feftus dit que les fpeûateurs n'avoient
pas le droit de les - faire démafquer ,
comme ils pouvoient faire démarquer,
les autres Comédiens. On fçait bien
S|U'ils n'en étoient pas quitte quelque—,^
ois pour s'ôter le raafqùe, AttUdmiu$ .
hahent perfonam rtonponere.Tous ces Co-
médiens jouoient chauffés avec cetteef-
W i^t. 7.
H M
, Google
171 Réjlix'iom cr'tîqiUS
pecedefouliers particuliers {{u'on appel-
ioit Soque. te Çothantt ^toit la chayfliire
deceuxquijouoient les Tragédies.
Les Mimes reffembloient à nos far-
ces -y & leurs Aâeursjouoient déchauf-
fés. Combien , dit Séneque , trouve-
t'on de Sentences dans les Poëtes dont,
des Philpfophes pourroîent fe faire
honneur ? Je ne paf le point des Tragé-
dies ni même des Copiédies à longue
robe f qui , par la gravité qu'elles gar^^
dent , tiennent le milieu entre les Co-
médies plaifantes & la Tragé^e. Mais
dans les Mimes mêmes , combien y a<-
t^l de maximes de Publîus Synis plus
{Propres à être débitées par des Aâeurs
montés fur le S^^"** ^ même fur Iç
Coikume, que par des A^^urs fans
cbaufTurp. Quàm multa Pofta dUum
gux à Philofopfus aut diSafunt , aut Ji-
cenda. (a). Non aitingam Tragicos ont
Togatas jtofiras. Hatcru ti^m kfzc quoqut
aii^aîd fivtritatis , & funt iruer Tragc
jlias ^ Comtdiof médise, Quamiim fifer-t
^JJùnorwn verfuwn intfr Mimas jacet ?
tjUàm multa Putlii y non excaUeafis ,Jid
fothurnatisj dictndafuat. Ce Publius Syi-
rqs éttfit un Poëte qui feifoit dg ^ti
:,-,zf--„GoOglc
furtaPoèjU&furtaPtlmuTt', Xf^
Codiédies appellëesMirhes, & le rival
de Laberius. Macrobe par!e beaucoup
de leur concurrence dans fes Saturna-
les, Diomede achevé de confirmer câ
que je viens de dire en écrivant («) î
(^uartd Jpceies ejî Planipedia, Greci d'ici'
tur Mimos , quod ASores plams pedikuS
pfofienium introirent , nan ut Tragîct Ac*
torts cum Cothurnis , mqut Ut Comici cunt
Saccis. La quatrième efpece de Comé-
die eft celle qu'on appelle Comédie dU
chauffle^ parce que les Adeurs qui Ul
jouent , ne chauJient point le Cothurne^
comme lesAfleurs qui repréfentent les
Tragédies , ni le Soque , comme ceux
qui repréfentent les Comédies des trois
premiers genres. Les Grecs donnent le
ïiom de \^mes à cette quatrième efpece
de Comédie.
Nous Toyons par l'aventure qui ar-
riva aux iùnérailles de Vefparien ^ oii
Suétone nous dit que fuivant l'ufa-
ge , on jouoit le caractère du défunt
dans une pièce de Mimes, quHlyavoit
de ces pièces dans les mœurs Romai-
nes. L'avarice de cet Empereur n'en
avoit pas été moins fcândaleufe , quoi-
qu'il règayât ibuvent par de bons mot9,|
W Lit. a. e. 7. Lit. ), Cl.
Hiij
:,-,zf--„GoOglc
1 74 Riflexîoas critiques
dont plufîears font venus jnfqti*i
nous d). Tout le moade içait, par
exemple , le trait dont il fe fervitpour
cjtcroquer une ville qui vouloit depen-
fer une grande fomme à lui ériger une
Statue. Meflieurs,dit'il à Tes Députés»
en leur préfentantlajpamnedelamain,
voici la Mfe où il raut placer votre
Statue. Favor ^rchimmus f c'e&le nova
& la profeflion de PAÛeur qui iàifoit .
îe rôle de Vefpafîen , ayant demandé
aux Direâeurs du convoi , combien
coutoit & pompe iimébre , il s'écria ,
lorTqu^ileitt apprit que ladépenfemon-
loit à des millions : Epargnons , Mef-
fieiirs , donnez-moi cent mille écus , &
iettez mon cadavre dans la rivière.
Nous parlerons plus bas des PaJatomî-
mes , efpece de" Comédiens qui dccla-
inoient fans rien prononcer. Retour-
nons à notre fujet.
Nos Poètes L^qiies & nos Poètes
Comiques ont &itta même m^rîl£ que
Plante & que Tèrence, lorfque notre
goût pcrfeâionné par Malherbe & par
tes fuccelteurs , devint aflez difficile
pour ne s'accommoder plus des an-
ciennes farces ; nos Poëtes Comiques
. ■WDm.lih.ft.
:,-,zf--„GoOglc
fur UPiûJtt&furlaPelntun, 175
François tâchèrent de perfeâionner
leur tâche , comme les autres Poè-
tes avoient perfeâionné la leur. Ces
Poètes Comiques fans modèles, &
peut-être fans génie , trouvant que les
Efpagnols nos voî£ns ëtoient tleja ri-
ches en Comédies, copièrent d'a-
bord les Comédies CaffiUanes. Pref-
qiie tous nos Poëtès Conkiques les c»it
imité , jufques à Molière , qui , après
s'être égaré quelquefois, prit enfin
pour toujours la route qu'Horace a
jugé être la feule qui fôt bonne. Ses
dernières Comédies , fi on en excepte
celle qu'il fit poiu- jouter contre Plante,'
font dans les mœurs Françoifes. Je ne
parle point des Comédies héroïque»
de Molière , parce qu'il fongea moins ^
en les écrivant , à faire des Comédies ,
qu'à compofer des pièces dramatiques
qui puffent fervir de liaifons aux di-
vertjffemcns deftinés à former ces
fpeôacles magnifiques que Louis XIV
encore jeune donnoit à fa Cour, il
dont la mémoire s'eft confervée dans
les pays étrangers , autant que celle de
fes conquêtes. Le Public , qui ne fort
gueres du bon goût , lorfqu'it y eft en-
tré, a rejette depuis quelques années
Hiv
:,-,zf-,GoOglc
1 76 Réflexions eritî^ues
toutes les Comédies con^orées <lans
des moeurs étrangères , avec lelquelles
on auroit voulu l'amnfer. En effet, à
moins que de connoître l*Ëfpagne Se.
les Efpagnols ( connoiflance qu'un Poè-
te n'eA pas en droj^t d'exiger du ipec-
tateiu') on n'entend pas le fia de la
plupart des plaifanteries de fes pièces.
Combien y a-t'il de ipeûateurs qui ne
comprennent pas la moitié des plaifaa-
terîes deDomJaphetî celle, par exem-
ple f qui roule iur te reproche que les
Cailtlîans qui prononcent bien & net-
tement , font aux Poitugaîs qui pro-
noncent mal , & qui mangent une par-
tie des fyllabes : Ce font les guettons
fuiparltMi Portugais.
Nous avons eu depuis quatre-vingt
ans deux diiFérentes troupes de Comé-
diens Italiens établis à Paris. Ces Co-
médiens ont été obligés de patier Fran-
çois ; c'eA la langue de ceux qui les
iwyent. Mais comme les pièces Ita-
liennes qui ne font point compofées^
dans nos mœurs , ne peuvent amufer
le public , les Comédiens dont je parle
ont encore été obligés de jouer des
pièces écrites dans les mœurs Fran-
■iSoifes, Les premiers Auteurs Anglois
fur U Poêfit &fur la, Pânture. i "jf
3 uimirent en leur langue les Comédies
eMoUere , les tradmilrent mot à mot.
Ceux qui l'ont fait dans la fuite , ont
accommodé la Comédie Françoife aux
mœurs Angloifes. Ils en ont changé la
icène & les incidens , & elles en ont
plu davantage. C'eû ainli que Mon-
fieur 'Wycherley en ufa , lorfgu'il fit
du Mifantrope de Molière Ton Homme
au franc procédé , qu'il fuppofe être va
Anglois & homme de mer.
ISos premiers faiieurs d*Ope«félônC
égarés, ainfi que nos Poëtes-Comiques,
pour avoir imhé trop Servilement les
Opéra des Italiens de qui nous emprun*
lions cegcnre de Ipeâade, fans faire at'
tention que le gout des François ayant
étééleveparlesTragédies de Corneille
& de Racine , ainfi que par les Comé-
dies de Molière , il exigeoit plus de
vraifemblance , qu'il demaodoît plus
dcTégularité & plus de dignité dans les
Foëmes dramatiques , qu on n'en exige
au-delà des Alpes. Aum nous ne fçau-
jîons plus lîr» aujourd'hui fans dédain
rOpera de Gilbert^ & la Pomone &o
l'Abbé Perrin. Ces pièces écrites de-
puis foixante-huit ans , nous paroilTent
des Poëmes gothiques compofés cinij
Hv
:,-,zf--„GoOglc
1^5 Réflexions critiqaa ■
bu fix générations avant nom. Mon^
fieiir Quinauk , qui travailla pottr notre
théâtre Lyrique après les Auteors que
j'ai cités , n'eut pas fait deux Opéra ^
qu'il comprit bien que les perfonnages
de bouffons , eflentiels dans les Ope-
ta d'Italie , ne convenpient pas dans
des Opéra feits ponr des François.
Thefëe eft le dernier Opéra oh Mon^
fieur Quinautt ait introduit des bou&
fons ; & le foin qu'il a pris d'annoblir
leur cAâere , montre qu'il aroit dé^
ia fenti que ces rôles çtoient hors de
ienr place dans des Tragédies faitet
pour être chantées, autant que datw
des Tragédies faites ponr être déda^
mées.
H ne fuffitpas que l'Auteur d'ime Co-
médie en place la fcène au milieu du
peiiple qiu la doit voir repréfenter ^
il faut encore qitc fon ftijet fmt à la
portée de tout le monde , Ci que tout
le monde puiffc en conceroir fans pei-
ne le nœud, le dénouement , & en-
tendre la fîn du dialogue des perfon'
nages. Une Comédie qui fotile fiir l6
détail d'une proféfîion particulière , &
dont le Public , gënéralement parlant,
n'eA pas inflruit, ne fçauroit réu^.
:,-,zf--„GoOglc
fur la PogSS &fttT la Pûmurv, r/a
Nous avons vu échouer une Comédie ,
parce tju'il falloit avoir plaidé !ong-
tems pour remendre. Ces forces, dont
le iiijet étemel eft le train de vie de
gens de manvaifes mœurs & d'un cer-
tain étage , font autant contre les rè-
gles que contre la bienféance. Il n'cft
qu'un certain nombre de perfcnnes qui
ayent affez fréquenté les originaux
dont on expofe des copies , poiu- juger
fi les carattercs & les événemçns font
traités dans la vraifemblaitce. On fo
lafle de la mauvaifo compagnie fur le
Aéâtre , comme on i'en lafle dans le
monde , & l'on dit dés- Poëtes de pa-
reilles pièces, ce^qiie Deïpréaux dit
du fatyrique Régnier.
SBC T ï O N XXII.
Qaeijms rema/pusjUr la Poi/t Pafiort^
Sffitr UsBa-ga-s tUé Eg^gues,
JL*4 foène des poëmes Biicolique*
doit toujoArs être à la campagne, (In
moins elle ne doit être ailleurs que
pour quelques momens : En voici ^
Hvi
:,-,zf--„GoOglc
.l8o Réfiexions ciin^ut •
raifon. L'eflence des Poëines Bucol^
quçs conûAe emprunter des prés , des
bois , des arbres^ des animaux , en un
mot^ de tous les objets qui parent nos
campagnes , les métaphores , les com-
paraitbos &c les autres £giu-es dont le
flyle de ces poèmes eft fpécialement
formé, n faut donc fuppofer que les In-
terlocuteurs des Poëfies Paftorale*
ayent ces objets devant leurs yeux.
iJe fonds de ces efpeces de tableaux
doit toujours , pour ainfi dire , être un
payfage'. Ainû les itâions violentes &
fanguinaires ne içauroieat être Iciùjet
d'une Eglogue. De^peifonnages agités
par des paffions fiiriçufes & tragiques
doivent être infenfibïes aux beautés
rufliques. Il ferait entièrement contre
la vraifemblance qu'ils fîffent aflez
d'attention filles objets qui fe préfen-
tent à la campagne ^■pQur eâ tirer leurs
£gures. Un (^néral qui donne udç
bataille , 'Ëti^il r^eiôon. fi le terrein
Î|u*il îù.t occuper par ion corp« de ré-
erve , feroit propre pour y aueoirune
inaifon de campagne ?. ..
Je ne crois pas qu'il foit de l'effencft
de l'Ëglogue de ne faire parler que des
amoureux. Puifque les Bergeis d'£-r
:,-,zf--„GoOglc
jfitr la Po'éjîe & fur UFétUurt. \%t
gypte & d'Affyrie font les prenùen
Ain-onomes , poorquoi ce qui le trouve
de plus facile & ae plus curieux dans
rAnronomie ne ieroit-it pas un Aijet
propre pour la Poèûe Bucolique î Hous
avons vu des Auteurs qui ont traité
cette matière en forme d'Églpgue avec
un fuccès auquel toute l'Europe a don-
né iboapplaudifTement.Le premier livre
de ia Pluralité dçs Mondes traduite en
tant de-Langues, eft la meilleure Eglo-
gue qu'on nous ait donnée depuis cin-
<{uante ans. Les defcriptions & les
images que font fes Interlocuteurs ,
font très*convenabks au caraâere de
la Poëlîe Pailorale , & il -y a plusieurs '
de ces images que Virgile 9uroit enw
ployées volontiers.
J ai dit que les perfoniiages tragi-
ques nous intéréffent toujours par le
caraâere de leurs paiHoBs & par l'im-
portance de leurs aventures; mais il
n'en eA pas de même des aventures
des Eglc^ues ni de leurs perf(»inages;
Ces personnages qui ne doivent point
être expofës a de {^ai>ds dangers , nî
tomber- dans des malheurs véritable-
ment- tragiques & capables par leur
nature de nous émouvoir beaucotq) ,
:,-,zf--„GoOglc
iit Réfitxiom aitîques
veulent , iuivant mon fentîment , âtre
Ciliés d'après ce que nous voyons dans
notre pays. La icène des Eglo^es ,
atnfi que celle des Comédies , doit être
placée dans nos camjiagnes , &: leur
îlijet doit être une imitation des évé-
nemens qui peuvent y arriver.
Il eA vrai que nos Bei^ers & nos
Payfans font fi groffiers , qu'on ne fçaic-
roit peindre d'après eux les perTonna-
ges des Eglogues : mais nos Payfan»
ne font pas les feuts qui puilTent em-
prunter des agrémens de la campagne
les fîgiu'es de leurs difcours. Un jeu-
ne Prince qui s'égare à la chxffe , &
qui feul , ou bien avec un confident ,
parle de fa paffion , & qui emprunte
les images & fes comparaifons des
lieautés rufttques , eft un excellent per-
ibdnage pour une I<ËUe. La fiâion ne
fe foutient que par fa vraiiefflWance ,
& la vraifemblance ne fçaurcrit ftU)fif-
ter dans un Oitvrage oh Ton n'intro-
duit que des peribnnages dont le ca-
l^âere eft entièrement omo(é au na-
turel que nous avons tok;oars devant
Ks yeux. Airtfi je ne fçautoîs i^ptoM*
ver ces porte-houlettes doucereux qui
«rient tant de choies merveilleufes ea
:,-,zf--„GoOglc
furU Poêfie & far la. Pânture^ ï8j
tendreâe ficfubliraes en fadeur, dan»
qiielques-unes de nos Egloeoes. Ces
prétendus. paAeurs ne font point copiés ,
ni même imités d'après Nature , mais
ils font des êtres chimériques inventés
â plaiâr par des Poètes qui ne confnL-
terem jamais que leur imagination
pour les forger. Ils ne refiemblent ea
rien aux hamtans de nos campagnes Sc
à nos Bergers d'aujourd'hui y malheu-
reux Payuns , occupes uniquement ï
fc procurer par ks travaux pénibles
d'une vie laborienfe , de quoi fubve-
inr aux befoins les plus preiTans d'une
fitmille toujours indigente. Vkpxeti du
cUmat fous ;Iequel nous vivons , les
rend groffieis , & les injures de ce cli^
mat multiplient encore leurs befoins.
Aînfi les Btrgcis langoureux de nos
£gl<»gu«S ne fcmt point d'après Nature i
leur genre dévie, dans lequel ils &)nt
entrer les ptaifirs Les plus délicats en>
tremêlés des foins de la rie champêtre ,
& furtout de l'attention i bien âîre
{KÛtre leur cher troupeau , n'efi pas le
genre de vie -d'attcun de nos conc»*
loyens.
Ce n'eft point av6c de pareils p^a»-
tomes qné Virgile & les autres Poëtcs
:,-,zf-,GoOglc
1 §4 Klfitxions crmqaei
de l'Antiquité ont peuplé leurs aima*
blés payfages ; ils n'ont&it qu'intro:
duire dans leurs Ëglogues les Bet^ers
& les Payfans de leur pays Se de leur
tems un peu annoblis. Les Bergers Se
les Paileurs d'alors étoient libres de
ces foins qui dévorent les nôtres. La
pliqïart de ces liabitans de la. camp^
gne étoient des eTclaves que leurs
maîtres avolent autant d'attention à
bien nourrir > qu'un Laboureur en a
du moins pour bien nourrir ies cbe*
vaux. Le foin des etéaia de ces efcla-
-ves regardoit leur maître dont ils fai-
foient la rîchefle. D'autres enfin étoîeoc
chargés de l'endiaTas de , pourvoir aux
néceffités de ces Bergers. Auffi tran?
quilles donc fur l'eur fubfiflance que 1«
Religieux d'une riAe Abbaye , ils
âvoieat la liberté d'e^t neee^^irc
pour fe livrer aux goûts quç ^ dou-
-ceur du cHnmt , dans les contréesqu'ils
habitcnent, ^foient oaitre en eux.
L'air vif & prefque toujours ferein de
ces régions fubliÛfcnt leur fang , & les
•difpo^it à la Muûque, à la Poâle &c
aux plaifirs les moins grolSers. Beaur
-c»up d'entre eux. étoient enciore nés ou
.élevés dans les maifons que leur maître
:,-,zf-„GoOglc
furlapMJit &furlaPtîtuuTt. 'i8J
avoit dans une ville , & ce maître ne
leur avoit pas plaint une éducation tjui
tournoit toujours à fon profit , foit qu'il
voulût vendre ou garder ces efclâves.
- Aujourd'hui même , quoique l*état po-
litique de ces contrées n'y kifle point
les habitans de la campagne dans la
même aifance où ils étoient autrefois;
quoiqu'ils n'y reçoivent plus la même
éducation , on les v<Ht encore néan-
moins fenfibles à des plaifirs fort au-
defTus de la portée de nos Payfans.
C'eA avec la guitare fur le dos que les
Payfans d'ime partie de l'ItaUe gardent
leurs troi^>eaux , & qu'ils vont travail-
ler à la culture de la terre : ils fçavent
encore chanter leurs amoiurs dans des
vers qu'ils compofent fiu- le champ,
& qu'ils acconwagnent du fon de leurs
inllrumens. Us les touchent ^ £nonavec
délicatelTe', du moins avec alTez de
juilefîe i c'eft ce qui s''appelle improvi-
fir. Vida Evêque d'Alba dans le fei-
»éme fiécle , & Poëte fî connu par
l'élégance de fes vers Latins , nous dé-
peint les Payfans (es compatriotes Se
les contemporains , tels à peu près que
ceux fur lefquels il dit que Virgile avoit
moulé lesperfonnages oc fesÉglogues.
.,-,zf-,Googlc
X86 Réfiexiom critiqua
Çim triâm agrvelai ta f4a£ KBU rehftai
Ean^t iian iMtt fyri , éammiatpnants
Incifiam riies , fiâtmia^t aticrà nntran
Fitet bihunt 1 riifflTfiK, fiait Jùi%caâbm, api. ( a )
Quoique nos Payfans foicM infini-
ment plus grolEers que ceux 6.e la Si-
cile &c d'une partie du Royaume de
Naples ; quoiqu'ils ne connoiflent ni
vers là guitare , nos Poètes font néan-
moins de leurs Berocrs des chantres
pluE fçavans & [^us ^licats , ils en font
des perffHmages bien plus iid»tils en
tendrefle que ceux de Gallus & de Vir-
gile. Nos galans porte4ioulettes font
paîtris de métaj^yhque amoureufe ; ils
ne parlent d'autre cnofe , & les moins
délicats fe montrent capables de faire
im commentaire fur l'Art qu'Ovide
profeffoit à Rome fous AiWfte. Plu-
sieurs de nos chanfons feites U y a
quatre-vingt ans , & quand le goût
dont je parle ici , regnoit avec (rfus
d'empire , font infeûées des mêmes
niaiferies. S'il en eil: quelques unesoîi
la pâflîon parle tonte pure , & dont
les Auteurs n'invoquèrent Appollon
que pour trouver la rime, combieu
(•) fttt, Ui, I, V. »•.
:,-,zf--„GoOglc
furlaPoift&furlaPdttture. 1S7
d'autres font remplies d'un amour fo-
phiilîquéqui ne refTemble en rien à ta
Nature î Les Auteurs de ces chanfons,
en voulant feindre des fentimens qui
n'étoient pas les leurs , ni peut-être
ceux de leur âge , fe font encore méta-
moTphofés en Bergers imaginaires dans
leurs froids délires. On fent dans tous
leurs vers un Poëte plus glacé qa*un
vieil Eunuque.
SECTION XXIIL
Quelques remarques fur le Poème Epique^
OB/iryation toucham le lieu & le ttms
où il faut prendre Jbnfujtt.
U N Poëme Epique étant l'ouvrajge
le plus diffitnle que la Poë&e Françoife
puifle entreprendre , à caufe des rai-
ions que nous expoferons en parlant
xlu génie de notre langue & de la
mefure de nos vers , il importeroit
beaucoup au Poëte qui oferoît en corn-
pofer un , de choifu- lui fujet oii l'in-
térêt général fe trouvât réuni avec l'in-
térêt particulier. Qu'il n*efp«e pas d*
.,..-,Coo.tlc
lS8 Réjlixîons erîtîqat»
réuflir , s'il n'entretient point lésFratr-
çois des Keux fameux dans leur hîftoi-
re , & s'il ne leur parle point des per-
fonnages & des événemens aufejueU ib
prennent déjà lin intérêt , s'il eft per-
mis de parler ainfi, national. Tous les
endroits de l'Hiftoire de France qui
font mémorables , ne nous intérëfleot
■pa? même également. Nous ne pre-
nons im grand intérêt qu'à ceux dont
la mémoire eA encore aflez récente.
tes autres font prefque devenus pota
nous les événemens d'une Hlitoire
étrangère, d'autant plus que nous n*a>
vons pas le foin de perpétuer le fou-
venir des joursheureux a laNation par
des fêtes & pardesjeuxanniverfaires,
ni celui d*étemifer la mémoire de nos
Héros, ainfi que le pratiquoient les
Grecs & les Romains. Combien peu y
en a-t'il parmi nous qui s'afiëûionnent
aux événemens arrives fous Clovis &
"fous la" première race de nos Rois î
Pour rencontrer dans notre Hiftoire
un fiijet qni nous intéreffe vivement,
■je ne crois pas qu'il fallût remonter
plus haut que Charles VII.
Il efi vrai que les railbns que nous
avons alléguéçs pour montrer qu'on
:,-,zf-,CoOJilc
fur la Poeft &Jur la Peî^turt. 1 89
ne ttevoit point prendre une zùion
trop récente pour le fujet d'une Tra-
gédie , prouvent aufli qu'une aftion
trop récente ne doit pas être le fiijet
d'un Poème Epique. Que le Poète
(hoififfe donc Ton fujet en des tems.
qui foient i une diftancc convenable,
<le fonfiécle, c'eft-à-dire , en des tems
que nom n'ayons pas encore perdus
de vue., &C qui {bieot cependant alTez
éloignés de nous, pour qu'il puifle don-
ner aux car^âeres là nobleue néçeâaî-p
Te , Ùlos qu'elle ibit expofée à être dé-
mentie par une tradition encore trop
léccnte & trop commune.
Quand bie;i même il ferolt vrai que no$
mœurs, nos combats,nos fiBtes,nos céré-
monies & notre Religion ne foiimîroient
point aiix Poètes une matière auffi heu-
retïfe que celle que fourniflbit à Virgile
te fujct qu'il a trïité , il ne feroit pas
jmoins neceflaire d'emprunter de notrç.
Hiftoire les fujets des poëntes Epiques,
Ce feroit un inconvénient , mais iJ en
épargneroit un plus grand , le défaut
<f intérêt particulier. Mais la diofe n'cft
pas ainfi. La pompe d'un carroufel & Iqs
évenemens d'un tournois font des fu"
jets plii» n»agnifiqups pweuï-mêniçs
:,-,zf--„GoOgtc
1^0 Réflexions erîtïqtus ' ^
que les jeux qui Te firent au tombeau
d*Anchiie , fie dont Virgile Tçait f^ire
un fpeâacle fi fuperbe. Quelles pein-
tures ce Poète n'auroit-il pas iàites des
effets de la poudre à canon dans les
«afférentes op^ations de guert<e donc
elleeftle reflbrt? Les miracles de no-
tre Religion ont un merveilleux qui
n'eft pas dans les fables du Paganifme.
Qu'on voie avec quel fuccès Corneil-
le les a traités dans Polieuâe , & Ra-
cine dans Athalie. Si l'on reprend San-
nazar , l'Ariofte & d'autres Poètes ,
d'avoir mêlé mal-à-propos la Religion
Chrétienne dans leurs Poëmes , c'eft
qu'ils n*en ont point parlé avec la di-
gnité & la décence qu'elle exige ; c'eft
qu'ils ont allié les faoles du PaganiOne
aux vérités de notre Religion. C'eft
qu'ils font , comme dit Defpréaux ,
follement idolâtres en des fujets chré-
tiens. On les blâme de n'avoir pas
fenti qu'il étpit contre la raifon , pour
ne rien dire de plus fort, de fe per-
mettre en parlant de notre Religion ,
la même liberté que Virgile pouvoit
prendre ,. en parlant de la fienne. Que
ceux qui ne voudroient pas faire le
choix du fujet d'un Poëme Epique,
...Xooyic
]ur la. Poifit &fur la. Ptinture, 191
tel que je le propofe , allèguent donc
leur véntable excufe : c*eft que le fe-
coius de la Poëiie des Anciens leur
étant néceiTaire , pourrendre leur ver-
ve féconde , ils aiment mieux traiter
les mêmes fiijets que les Poètes Grecs
Se les ?oëtes Latins ont traités , que
desfujets modernes oh ils ne pour-
roient pas s'aider auffi facilement de
la Poelie , du ftyle & de l'invention
des premiers. Nous dirons encore
quelque choie dans la fuite fur ce
tujet-là.
SECTION XVIII.
Hts aSiora alUffuiqius & Jtsperfonnagts
^gotiques par rapport â la Peinture.
-iNoTBE matière nous conduit na-
turellement à traiter ici des compofi-
tions & des perfonnages allégoriques ,
foitenPoëfie, foit en Peinture. Par-
lons d'abord des Allégories Pittoref-
La compofition: allégorique eft de
àwtx efpeces. Ûh le Peintre iittroduâ
:,-,zf--„GoOglc
ïgl RiJltxloTis crit'iqaes
des perfonnages allégoriques dans une-
compoiltion hiftorîque , c'eft-à-dire ,
dans la repréfenlation d'une aâîon
qu'on croit être arrivée réellement ,
comme eft le iacrifîce d'Iphigénie , &
c'eA ce qu'on appelle iaSxt une com-
pofition mixte : Ou le Peintre imagine
ce qu'on appelle une compofition pu-
rement alÉgorique , c'eft-à-dire , qu'il
Mivente une aâion qu'on f^ait bien
n'être jafnais arrivée réellement , mais
de laquelle il fe fert comme d'une
emblème, pour exprimer un événe-
ment véritable. Avant que de nous
itendre davantage far ce fu)«, par-
lons des perfonnages allégoriques.
Les perfomiages allégoriques font
des êtres qui n exiflent point , mais
tu^G l'imagination des Peintres a con-
çus , &. qutelle .a enfantés en leur
donnant un nom , un corps & des at-
tributs. C'eft ainli que les Peintres
, ont perfonnifié les vertus, les vices,
les royaumes , les provîhces , les villes,
les fatfofls , les pallions ^ les vents, Se
les fleuves. La France repréfentée fous
une figure de femme ; le Tibre repré-
ienléfous xme figuire d*homme couché;
& la Calopinie fous ime Jîgure .de
Satyre,
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poèfie & fur la Peinture. 19)
Satyre , font des perfonoagcs allégo-
riques.
Ces perfonnages allégoriques font de
deux efpeces. Les uns font nés depuis
plufieurs années. Depuis longtems ils
ont feit fortune. Us fe font montrés
fur tant de théâtres , que tout homme
un peu lettré les reconnoît d'abord à
leurs attributs. La France repréfentëe
par une femme, la couronne fermée en
tête , le fceptre à la main , & couverte
d'un manteau bleu femé de fleurs de
lys d'or : le Tibre reprélénté par une
figure d'homme couché, ayant à fe»
pieds une Louve qui allaite deux en-
fans » font des perfonnages allégoriques
inventés depuis longtems , & que tout
le monde reconnoît pource qu'îlsfont.
Us ont acquis , pour ainii dire , droit dt
bourgeoijîe parmi le genre humain. Les
perfonnages allégoriquesmodemesfont
ceux que les Pemtres ont inventés de-
puis peu, & qu'ils inventent encore,;
poiu* exprimer leiu-£*idées. Ils les ca-^
raftérifent à leur mode , & ils ■ leur
donnent les attributs qu'ils croyent les
plus propres à les faire j-econnoître.
Je ne parlerai que des perfonnages al-
légoriques de la première efpece ,.c'eft-
Tvme I, I
:,-,zf--„GoOglc
'1 94 Rijîexions er'uîques
à-dÏFâ , des aînës ou des anciens. Leurs
cadets , qui depuis une centaine d'an-
nées font fortis du cerveau des Pein»
très , font des inconnus & des gens fans'
aveu , qui ne méritent pas qu'on en
fàfle aucune mention. Us font des chi&
fres dont perfonne n'a la clef, & même
peu de gens la cherchent. Jemecontea<
terai donc de dire à leur fujet que rin*>
venteux fait ordinairement un mauvais
ufage de fon efprit , quand il l'occupe
à donner le jour à de pareils êtres. I*es
Peintres qui paflent aujourd'hui pour
fivoir été les plus grands Poètes en
peinture , ne font pas ceux qui ont mis
au monde le plus grand nombre de
perfonnages allégoriques. Il eftvtai
que Raphaël- en a produit de cette efr»
pece ; mais ce Peintre fi fage ne les
employé que dans les ornemens qui feri-
vent oe bordure ou de foutien à fes
tableaux dans l'appartement de la (i-,
gnature. Il a même pris la précaution
d'écrire le nom de ces perfonnages ali'
légoriques fous leur figure. (<i) Quoi-
que Raphaël ftit très-capable de les
|'e^dre reconnoi0ables , néanmoins on
(«) Cm f^uns alUgori^uti ont iii ^ravUs par Ç,
:,-,zf--„GoOglc
Jhr ia. Po'èfie &fur la Peinture. 195
ne trouve pas que cette précaution Ibit
knitile , & l'on fouhaite même quel-
quefois qu'il l'eût poufTée jurques à
nous donner une explication des Tym-
boles dont il les orne. Car bien que
rinfcriptïon apprenne leur nom , on a
encore beaucoup de peine à deviner la
valeur & le mérite de tous les attributs
emblématiques dont ils font ornés.
Revenons aux perfonnages allégo-
riques anciens , & voyons l'ufage qu'il
eit permis d'en faire dans les compo*
Étions hiftoriques. Le fentîment des
perfonnes habiles eft , que les perfon-
nages allégoriques n'y doivent être in-
troduits qu'avec une grande difcrétion,
puifque ces compofitions font deftinées
a repréfenter un événemem arrivé
réellement , &c dépeint comme on croît
qu'il eft arrivé.Ils n'y doivent même en-
trer dans les occaiions oùPon peut les in-
troduire , que comme l'écu des armes
ou les attributs des perfonnages prin-
cipaux , qui font des perfonnages hifto-
riques. C'eft ainfî qu'Harpocrate , le
Dieu du fdence , ou Minerve , peuvent
être placés à côté d'un Prince pour dé-
signer fa difcrétion & fa prudence. Je
ne penfe pas que les perfonnages iUlé<)
Coo.tlc
rçâ Réfiexlons critiques
goriques y doivent être eux-mêmes des
adeurs principaux. Des perfoimagés
que nous connoîflbns poiir des phan-
tômes imaginés à plailir , à qui nous
ne fçaurions prêter des palHons pareilles
aux nQtries , ne [>euvent pas nous inté-
reffer beaucoup à ce qui leur arrive.
D'ailleurs , la vraifemblaace ne peut
être obfervée tropexaûement en Pein- .
ture non plus qu'en Poëfie. C'eft à pro-
portion de l'exaÛitude de la. vraifem-
blance que nous nous laiflbns féduirc
plus ou moins par l'imitation. Or des
perfonnages allégoriques employés
comme aâçurs dans une compofîtioo
hiftorique , doivent en altérer la vrai-
femblance. Le tableau de la gallerie
du Luxembourg qui représente l'arri-
vée de Marie de Médicis à Marfeille ,
eft une compofition hiftorique. LePeirj-
tre a voulu représenter Tévenement fui-
vant la vérité. La Reine aborde fur les
galères de Tofcane. On reconnoît les
Seigneurs &(. les femmes de condition
qui l'accompagnèrent ou qui la reçu-i
rent. Ainfi les Néréides & les Tritons
fonnant de leurs w^jbm, que Rubens
a placés dans le port , pour exprimer
J'gllégrefle avec laquelle cette Viljç
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poefit & fur la Peinture. 1 97
maritime reÇoil ia nouvelle Reine , ne
font point un bon effet , fiiivant mon
fentiment. Je fçai bien qu'il ne parut
aucune des divinités de la mer à cette
cérémonie , & cette efpece de men-
songe détruit une partie de Tefièt que
l'inùtation faifoit fur moi. Je trouve
3ue Rubens auroit dû embellirfon port
'ornemens plus compatibles avec la
vraifemblance. Que ■ les chofes que
vous inventez pour rendre votre fujet
plus capable de plaire , ibiènt compa-
tibles avec ce qui eft de vrai dans ce
fujet. Le Poëte ne doit pas exiger du
ipeâateur une foi aveugle , & qui fe
foumette à tout. Voilà comme parle
Horace, (a)
FiSa , volupuiîi ceu^i , Jtra proxîma nrSi ,
Ntc quoicumjue roUc , pqfiat fibi fabaU crtli.
Je fuis encore perfuadé que le ma-
gnifique tableau qui repréfente l'accou-
chement de Marie de Médicis , plairoit
davantage , fi Rubens , au lieu du Gé-
nie 8e des autres figures allégoriques
qui entrent dans l'action du tableau, y,
avoit Élit paroître celles des femmes
de ce tems-là qui pouvoient afTiftex
{•) De Ant piît,
liij
:,-,zf--„GoOglc
toS Réjlexîotts er'uîqtus
axix couches de la Reine. On le regar-
deroit avec plus de fatis&âion , fi Ru-
bens avoit exercé fa Poëfie à repré-
fenter les unes contentes , les autres
tranfportées de joie, quelques-unes fen-
fibles aux douleurs de la Reine, &
d'autres un peu mortifiées de vcùr un
Dauphin en France. Les Peintres font
Foëtes , mais leur Poëûe ne confiâe
pas tant à inventer des chimères ou des
jeux d'efprit , qu*àbien imaginer quelles
paffions & quels fenùmens Ton doit
donner aux perfonnages, iiiivant leur
caraâere & la fituation oîi l'on les fup-
pofe , comme à trouver les expreffions
propres à rendre ces palSons fenUbtes,
& à faire deviner ces fentimens. Je ne
me fouviens pas que Raphaël ni le
Pouffin ayent jamais fait Tufage vicieux
des perfonnages allégoriques que j'ofe
cntiquer dans le tableau de Rubens.
■ Mais , me dira-t-On , les Peintres <Mit
£té de tout tems en poâeffion dépein-
dre des Tritons & des Nérâdes dans
leurs tableaux , quoiqu'on n'en ait ja^
mais vu dans la nature :
'Ç,iiUUla aaitadi fmptr fitit cgiu pù^m.
:,-,zf--„Googlc
Jurta Poéjît &fur là Peinture', tç^
Pourquoi donc rwireiidre Rubens de
les avoir introduits dans le tableau qui
repréfeme l'arrivée de Marie de Médi-
cis à MaHeille ? Le nud de ces Divinités
lait un eSet merveilleux dans la com-
Ïiofition , parmi tant de iîgures habil-
ées que l'niftoire obligeoit d'y mettre.'
Je réponds que cette licence donnée
axix Peintres & aux Poètes , doit s'en-
tendre , comme Horace l'explique lui-
même , fid non ut placidis cotant immi'i
lia. C*eft-à-dire , que cette licence ne
s'étend point à rauembler en un même
tableau des chofes incompatibles , com-
me font l'arrivée de Marie de Mé^cis
à Marfeille , & des Tritons qui fon-
nent de leurs conques dans le port, Ma-
rie de Médicis n'a jamais dû fe rencon-
trer en un même lieu avec des Tritons,'
quand bien même on lupporeroit un
Uttt PittoTtfqmy comme Monfieur Cor-'
neille vouloit qu'on fupposât un Heu
théâtral. Si Rubens avOit befoin de fi-
gures nues pour faire valoir fon def-
îein 6c fon coloris, il pouvoit intro-
duire dans fon tableau des Forçats ai-
dans au débarquement , & les mettre
en telle attitude qu'il aiiroit voulu.
Ce n'eft point que je dîfpute aux
liv
■„r., Google
100 Kéfiexions trinques
Peintres le droit qui leur eft acquis de
peindre des Sirènes , des Tritons , des
Néréides , des Faunes & toutes les di-
vinités fabuleufes , nobles chimères
dont L'imagination des Poètes peupla
les eaux & tes forêts, & enrichit toute
la Nature. Ma critique n'eft point fon-
dée i'ur ce qu'il n'y eut jamais de Si-
rènes & de Néréides , mais fur ce qu'il
n'y en avoit plus , pour aînii dire ,
dans les tems où arriva l'événement
qui donne lieu à cette difcuffion. le
tomberai d'accord qu'il eft des compo-
rtions hiûoriques où les Sirènes & les
Tritons, comme les autres Divinités
iabuleufes , peuvent avoir part à une
aûion. Ce iont les compoûtions qui
repréfentent des événemens arrivés
durant le Paganiline , & quand le mon-
de croyoit que ces Divinités exiftoient
réellement. Mais ces mêmes Divinités
ne doivent pas avoir part à l'aâion
dans les compoûtions ntftoriques qui
reçréientent des événemens arrivés de-
puis l'extinâion du Paganiline , & dans
des tems oii elles avoient déjà perdu
Tefpece dVfre, que l'opinion vulgaire
leur avoit donnée en d'autres fiecles.
£lles ne peuvent être introduites dans
:,-,zf--„GoOglc
'far la I^o'èjît ùJurlaPeinturt. loi
fees dernières compofitions qiie comme
des fîgures allégoriques & des fym-
boles. Or ;lous avons déjà vu que les
perfonnagâs allégoriques ne doivent
entrer dans les compofitions hiftori-
ques , que comme des perfomiages
hiiloriques.
Le Tpeâateur fe prête lans peine à la
croyance qui avoit cours dans leS tems
où ï'événement que le Peintre & le
Poëte repréfentent , eft arrivé. Ainfi je
regarde Iris comme unperfonnagehif-
torique dans la tepréfentation de la
mort de Didon. Venus & Vulcain font
des perfonnages hiiloriques dans la
vie d'Enée. Nous Ibmmes en habitude
de nous prêter à la fuppoittion que ces
divinités ayent exiue véritablement
dans ces tems-là , parce que les hom-
mes croyoieDt alors Texiitence de ces
I>ivinites. Le Peintre qui repréfente
les aventures d'un . Héros Grec ou Ro-
main, peut donc y faire intervenir
toutes les Divinités comme des per-
ibnnages principaux. Il peut à fon gré
embellir les compofitions avec les Tri-
tons & les Sirènes. Il ne fait rien con-
tre fon lyAême. Je l'ai déjà dit, les
livres qui firent Toccupation de notre
:,-,zf--„GoOglc
lOt Kifixwns erùt^ia
JeunelTe y la vraifemblance qu*on trotes
ve à voir un Héros iecouru par ks
Dieux qu'il adoroit, nous mettent t« ^
difpoiition de nous prêter fans aucune
|>eine 4 la fiftion. A force d*entendre
parler durant notre enfance des amours
de Jupiter & des paflions des autres
Dieux , nous fommes en habitude de
les regarder comme des êtres qui an-
Toient autrefois exifté , ét^nt mjets à
des pallions du même genre que les
nôtres. Quand nous Ufons liiiftoire
de la bataille de Pharfale , ce n'eft que
par réflexion que nous difHnguons le
genre d'exiftence que Jupiter foxt-
droyant avoit dans ces tems-là , d'avec
le genre' d'exiftence de Céfar & de
Pompée.
Mais ces Divinités changent de na-
turc , pour ainfi dire , & deviennent
desperfonnages pin^ment all^oriques
dans la repréfentation des évenemens
arrivés en un fiécle oii le fyflême du
Paganifme n'avoit plus cours. Quand
on les introduit dans ces évenemens
comme des perfonnages véritables , je
les comparerois volontiers à ces Saints ,
les Patrons de ceux qui feifoient pein-
dre des fujets de dévotion, & que les
:,-,zf--„GoOglc
fuT U Potju&fur la Peinture^ lo J
Peintres plaçoient autrefois danis de»
tableaux plus dévots que fenfés , fans
égard pour la chronologie , ni pour la
vraifemblance. On y voyoit faint Jé-
TÔme préfent à la Cène , & làint Fran-
çois alEâer au Cniciiîment. Cet ufage
vicieux eft relégué depuis longtents
dans les tableaux de village.
Après avoir difcouru des perfonna-
ges allégoii^ques , il convient de re-
tourner aux compoûtioRs allégoriques.
Une telle compofition eft la repréfen-
tatioa d'une aâion qui n'arriva jamais ,
& que le Peintre invente à plalfu-,
pour repréfenter un ou plufieurs évé-
nemens merveilleux , cpi'il ne veut
point traiter , en s'affujettilTant à la
vérité hiftorique. Les Peintres font
fervir encore ces compofîtions à peu
près au même ufage que les. Egyptien»
ençloyoient leurs figiues HiérogUphi-
ques , c'eft-à-dire , poiu- mettre fenfi-
blement fous nos yeux quelque vérité
générale de la Morale.
Les compofîtions allégoriques font
de deux espèces ; les unes font pure-
ment allégoriques , parce qu'il n'entre
dans leur compoUtton que de ces per'
fonnages fymboliques éclos du cerveau
:,-,zf--„GoOglc
104 RéjUxlons critiques
Jes Peintres Se des Poètes. De ce gen^
re font deux tableaux du Corrége
peints en détrempe , &c qu'on peut
voirdansle cabinet du Roi.Dans l'un,
le Peintre a repréfenté ITiomme tyran-
nile par les pâmons ; & dans l'autre , il
cxpnme dune manière fymbolique
l'empire de la vertu fur les paffions.
Les compoiitions allégoriques de la
féconde efpece , font celles oîi le Pein-
tre mêle des perfonnages hiftoriques
avec les penonnages allégoriques.
Ainfi rapothéofe de Henri iV, & l'a-
vénement de Marie de Médicis à la
Régence , repréfentés dans le tableau
qui eft au fonds de la gallerie du Lu-
xembourg , font une compofition mix-
te. L*aâîon du tableau eft feinte , mais
!e Peintre introduit dans cette aÛion
qui eft le type de l'Arrêt du Parlement ,
far lequel la Régence flit déférée à la
-eine , Henri IV & plufieurs autres
perfonnages hiftoriques.
U eft rare que les Peintres réuffiffent
'dans les compofilions purement allé-
goriques , parce qu'il eft prefque im-
poflîble que dans les comporitions de
ce genre, ils puiffent faire connoître
diftiB^ement leur fujet , & mettre tou-
:,-,zf--„GoOglc
ftulaPoeJît&furUPeîiUttrt. lOJ
tes leurs Idées à ponëe des ipeâateurs
les plus intelligens. Encore moins peu>
vent-ils toucher le cœur , peu difpofé à
s'attendrir pour des perfonnages chimé-
riques , en quelque iituatîort qu'on les
repréfente. La compofition purement
allégorique ne devroit donc être mife
en oeuvre que dans une néceflîté ur-
gente , & pour tirer le Peintre d'un
embarras dont il ne pourroit fortir par
la route ordinaire. Il nefçauroit entrer
dans cette compofition qu'un petit
nombre de figures , & les figures ne
fçauroient être trop feciles à recon-
noître. Si l'on ne l'entend pas aifément ,
on la laiffe comme un vain galimatias.
Il eft des galimatias en Peinture auffî-
bien qu'en Poefie.
Je ne me fouviens que d'une feule
compofition piurement allégorique qui
putffe être citée comme un modèle , &:
que le Pouflîn & Raphaël vouluflent
avoir faite. Je juge ici de leurs fcnti-
mens par leurs ouvrages. Il eft vrai
qu'il paroît impoffible d'imaginer en ce
genre rien de meilleur que cette idée
dégante par fa iimplîcité , & fublime
par fa convenance avec le lieu ofi
elle devoit être placée. Auffi fîit-elle^.
:,-,zf--„GoOgk
lOâ Rifitxîom erlàquti
la produûion du Prince de Condé le
dernier mort , (-ï) je ne dirai pas le
Prince , mais l'homme de fon tems aé
avec la conception la plus vive & l'i-
magination la plus brillante.
Le Prince dont je parle , feifoît pein-
dre dans la gallerie de Chantilly l'hii^
toire de fon père connu vulgàrement
en Europe fous le nom du Grand
Condé. Il fe rencontroit un inconvé-
nient dans l'exécution du projet- l£
Héros , durant fa jeunefle , s étoit trou-
vé lié d'intérêt avec les ennemis de
l'Etat , & il avoit fait une partie de fes
belles aftions , quand il ne portoit pas
les armes pour fa patrie. Il fend>Ioit
donc qu'on ne dût point faire parade
de ces faits d'armes dans la gallerie de
Chantilly. Mais d'un autre côté , quel-
ques-unes de CQS aâions , comme le
fecours de CanÂrai , & la retraite de
devant Arras , étoient fi brillantes quTl
de voit être bien mortifiant pour un fils
amoureux de la gloire de fon père,
de les fupprimer dans l'efpece de tern-
ie qu'il élevoit à la mémoire de ce
Héros. Les Anciens enflent dit que la
piété l'avoit infpiré , & que c'étoit elle
:,-,zf--„GoOglc
JurtdPoife é'furîaPùmurt. 107
^lli lui avoit fuggeré le moyen d*^er*
niier le fouvenir de ces grandes aâions ,
en ténvngnant qu'il le vouloit éteindre.
il fît donc delTiner la Mule de rHiâoi*
re^perfonnage allégorique » mais trèS'
connu , qui tenoit un livre , fur le do»
auquel étoit écrit , Vit du Prince de
Condé. Cette Mufe arrachoit des fèuil'
lets du livre qu'elle jettoit par terre ,
& on lifoît fur ces feuillets , fieours
dt Cambrai jftcours de yaliiuiennts j re-
traite de devant Arras : enfin le litre de
toutes les belles aâions du Prince de
Condé durant fonféjour dans les Pays-
Bas ^pagnols , aâions dont tout étoït
louable , a l'exception de l'écbarpe qu'il
portoit , quand il les fît. Malheureufe'
ment ce tableau n'a pas été exécuté
fuivant une idée fi ingénieufe & lî
fimple. Le Prince qui avoît conçu une
idée fi noble , eirt en cette occafion un
excès de complaifance ; 8c déférant
trop à l'Art, il permit au Peintre d'al-
térer l'élégance Se la fimplicité de fa
penfée par des figures, qui rendent le
tableau pluscCmpofé, mais qui ne lui
font rien dire de plus que ce qu'il di-
foit déjà d*une manière fi fublime.
Les compoCtions allégoriques que
■,r ..Google
àoS RéjUxîons cr'uiqUes
nous avons nommées des compolîtïons
inixtes,fontd*u[i plus grand ufageque les
compofittons purement allégoriques.
Quoique leur aÛion foitfeinte,ainfi que
celle des compofitions purement allégo-
riques, néanmoins comme une partie de
leiu-s perfonnages ie trouvent être des
perfonnageshiftoriquesjonpeutmettre
le fens de ces fi£Hons à la portée de
tout le monde, &c les rendre ainii ca-
pables de nous inftruire , de nous at-
tacher &c même de nous intérefier.
Les Peintres tirent de grands iecours
de ces comportions allégoriques de ia
féconde efpece , ou pour exprimer beau-
coup de chofes qu'ils ne pourroient
pas &ire entendre dans une compofî-
tion hiftorique , ou pour repréfenter en
un feul tableau pluiieurs aâîons dont
il femble que chacune demandât une
toile féparee. La gallerie du Luxem-'
bourg & celle de Verfailles en font foi.
Rubens & le Brun ont trouvé moyen
d'y repréfenter par le moyen de ces
fioions mixtes , des ch(^es qu'on ne
concevoit pas pouvoir.. être rendues
avec des couleurs. Ils y font voir en
un feul tableau , des événemens qu'un
Hiflorien ne pourroil narrer qu'en plu-.
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëjîc &furU Ptinture. 10^
fieurs pages. En voici un exemple.
Enoiiffix cent Soixante 6c douze,'
la France déclara la guerre aux Etats
Généraux , & les Espagnols , à qiii les
Traités fubriftans défendoient de le mê-
ler de la querelle , ne lailTerent pas de
leur donner des fecours cachés. Mais
ces fecours n'apportoient à la rapidité
.des conquêtes de la France, que des
obfîacles bientôt furmontés. Les Ef^
pagnols , pour s'oppofer plus etScace-
ment à ces progrès , levèrent le mafque
fie ils fe déclarèrent. Le fuccès de leurs
fecours avoués , ne fiit pas plus heu-
reux que celui de leurs fecoiirs fecrets.
Malgré ces fecours, le feu Roi prît
Maurich , & portant enfuite la guerre
dans les Pays-Bas Efpagnols , il y en-
levoit chaque campagne un nombre
des plus fortes places , par des con-
quêtes que la paix feule put arrêter.
Voilà ce que Monfieur le Brun avoit
à repréfenter. Voici comment il a trai-
té fon fujet qui paroît plutôt du reflbrt
de la Poëfie que de celui de la Peinture.
Le Roi paroît fur un char guidé par
la Viûoire , & traîné rapidement par
des courfiers. Ce char renverfe dans
ix courfe les Figures étonnées des Villes
:,-,zf--„GoOglc
110 RéJUxîons erîtîquts
& des Fleuves , qui formoient la fron-
tière des HoUandois , & chaque %ure
fe reconnoît d'abord , ou par. l'écu de
fes armes , ou par fes autres attributs.
C'eft l'image véritable de ce qu'on vit
arriver dans cette guerre , oîi les Con-
quérans furent furpris eux-mêmes de
leurs propres fucces. Une femme qui
reprélente l'Efpagne , Se qui s'annon-
ce fufBfamment par fon Lion fie
par fes autres attributs , veut ar-
rêter le char du Roi en faififlant
les guides. Mais au lieu des guides,
elle n'attrappe que les traits. Le char
qu'elle voiuoit arrêter , l'entraîne
elle-même, & le mafque qu'elle por-
toit , tombe par terre dans cet ef-
fort inutile.
Il feroit fuperflu de prendre beau-
coup de peine pour perfuader aux
. Peintres qu'on peut faire quelquefois
un bon ufage des compofitions Se des
perfonnages allégoriques. Us n'ont que
trop de penchant à employer l'allégo-
rie avec ^xc^ dans tous les fujets ,'
même dans ceux qui font le moins fuf*
ceptibles de ces embelliflemens. Mais
le défaut d'aimer trop à feire ufage du
brillant de l'imagination, qu'on appelle
:,-,zf--„GoOglc
Jitr la Poëfit& furlaPàntun. m
communéinent refprit, eil un défaut
général à tous les hommes , qui les fait
s'égarer fouvent , même en des pro-
femons bien plus lerieufes que la Pein-
ture, Rien ne fait dire , nen ne fait
faire autant de fottifes , que le déiir de
montrer de l'elprit.
Four nous renfermer dans les limi-
tes de la Peinture , j'ofe avancer que
TÎen n'a plus fouvent écarté les bons
Peintres du véritable but de leur Art, Se
ne leur a ^t faire plus de chofes hors
de propos , que le defir de fe ^re ap>
plaudir fur la fubtilité de leiu* imagi-
nation , c'efl-à-dire , fur leur efprit.
Au lieu de s'attacher à l'imitation des
payons , ils fe font plus à donner l'ef-
fort àime imagination capricîeufe , &c
à foreer des chimères , dont l'allégorie
myfterieufe eâ une énigme plus obf^
cure que ne le furent jamais celles du
Sphinx. Au lieu de nous parler la lan-
gue des pailîons qui efl commune à tous
[es hommes , ils ont parlé un langage
qu'ils avoient invente eux-mêmes, Sc
dont les expreflîons proportionnées à
la vivacité de leur imagination , ne
font point à la.portée du refte des hom-
ises. Ain£ tous les perfoonages d'un.
:,-,zf--„GoOglc
^:
ill Réfiexlam Critiques
tableau allégorique font fouvent muets
pour les fpeâateurs dont rîmagina-
tien n'eft point du même étage que
celle du Peintre. Ce fens myftérieux:
eft placé fi haut , que perfonne n'y fçau^
roit atteindre. Je Tai dit déjà , les ta-
bleaux ne doivent pas être des énig-
mes , & le but de la Peinture n'eft
pas d'exercer notre imagination , en lui
donnant des fujets embrouillés à devi-
ner. Son but eft de nous émouvoir ,
& par conféquent les fujets de fes ou-
vrages ne fçauroientêtre trop faciles à
entendre.
On voit dans la gallerîe de Verfailles
beaucoup de morceaux de Peintiu-e
dont le fens enveloppé trop myftérieu-
fement , échappe à la pénétration des
plus fubtils , éc palTe les lumières des
mieux inftruits. Tout le monde eft in-
formé des principales 'afHons de la vie
du feu Roi, laquelle feit le fujet de tous
les tableaux , & rintelligence des cu-
rieux eu encore aidée par des infcrip-
tionsp lacées fous les fujets principaux :
néanmoins il refte encore une inlînité
d'allégories & de fymboles que les plus
lettrés ne fçauroient deviner. On s'eft.
VU réduit à mettre fur les tables de ce
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëjtt &fur la Peinture. % i }'
magnifique vaîffeau, des livres qui les
expliquaflent , & qui donnaffent , pour
ainfi dire , le net de ces chifFres. On
peut dire la même chore de la gallene
du Luxembourg. Les perfomies les
mieux informées des particularités de
la vie de Marie de Médïcis , comme
les plus fçavantes dans la Mythologie
& dans la Tcience des Emblèmes , ne
conçoivent pas la moitié des penfées
de Rubens, Peut-être même qu'elles
ne devineroient pas lequartdecequ'a
voulu repré(ênter ce Peintre trop in-
génieux, fans l'explication * de ces
tableaux , qu'une tradition encore ré-
cente avoit confervée , quand Mon-
fieur Felibien la mit par écrit , & l'in-
fçra dans fes Entretie/is fur Us vies Jes
Peintres, (a)
Toutes les Nations , 6c les François
* Cette explication a été renouvellée avec
iet augmentations aar IVIonfieur Moreau de
Mautour dans un Ecrit ^ui fut imprimé Se
répandu datif le Public en 1704, lorfijuc Mon-
iteur le Duc de Mancoue loeeoit au Palais du
Luxembourg , où tout Parît alloit en foule pour
voir le Prince Se la belle gallerie de ce Palaisi
Peu de tenu apréi elle a paru gtavéet
:,-,zf--„GoOglc
114 Rêjtexîom crUïques
principalement , fe laflent bientôt de
chercher le Tens des penfées d'un Pein-
tre qui l'enveloppe toujours. Les ta-
bleaux de la gallerie du Luxembourg,
dont on regarde le fujet avec le plus
de plaifu* , font ceux dont le fujet eft
purement hiftoiîqite, comme le ma-
riage & le couronnement de la Reine.
Teleil le pouvoir de la vérité , que les
imitations & les fiûions ne réiuSileat
jamais mieux, que lorfqu'elles l'altè-
rent le moins. Après avoir regardé
ces tableaux du côté del'Art , on les
regarde encore avec l'attention qu'on
donneroit aux récits d'un contempo*
rain de Marie de Médicis. Chacun
trouve quelque chofe qui pique fon
Î;oût particidier dans des tableaux oiï
e Pemtre a repréfenté un point d'hit
toire dans toute fa vérité , ceft- à-dire,
fans en altérer la vralfemblance hifto- '
rique. L'un s'arrête fur. les habits du
tems qui ne déplaîfent jamais , lorf-
qu'ils font traites par un Artifan , qui
a fçu les accommoder à l'air comme
à la taille de fes perfonnages ; & leur
donner , en les drapp^nt , la grâce
dont leur toumiu-e les rendoit fufcep-
tlbles. Uo autre examine les traits &c
:,-,zf--„GoOglc
h]
/urlaPoîJît & fur ta Peinture, w»
\z contenance des perfonnes illuftres.
L& bien ou le mal que l'HlAcire en
raconte , lui donnoit envie depuis long-
tems de connoître leur phylionomie.
Un autre s'attache à l'ordre & aux
rangs d'une fcéance. Enfin ce que le
monde a remarqué davantage dans la
gallerie du Luxembourg &L dans celle
de Verfailles , ce ne font pas les allé-
;ories Temées dans la plupart des ta*
ileaux ,'ce font les exprefltons de quel-
ques paflions où véritablement il entre
plus de Poëfie cme dans tous les em-
blèmes inventés jufques ici.
Telle eil l'expreffion qui arrête les
yeux de tout le monde fur le vïfage
de Marie de Médicis qui vient d'ac-
coucher. On y apperçoit dijftinâement
la joie d'avoir mis au monde un Dau-
phin , à travers les marques fenfibles
de la douleur à laquelle Eve fut con-
damnée. Enfîn chacun en convenant
que cts galeries, deux des plus riches
Portiques qui foient en Europe , four-
millent de beautés admirables dans te
deiTein & dans le coloris , &: que la
compofition de leurs tableaux eft des
plus élégantes ; chacun , dis-je , vou-
dfoit bien que les Peintres n'y euffcnt
-, Google
il 6 RiJIexîoTts cmîquti
point introduit un Çi grand nombre de
ces figures qui ne peuvent point nous
parler comme tant d'aâions qui ne
îçauroient nous intéreffer. Or, comme
nous le dit Vitruve en termes très-feiv*
ies y it ne fufEt pas que nos yeux trou-
vent leur compte dans un tableau bien
peint & bien deffiné ; l'efprit y doit
auffi trouver le lien. Il faut donc que
rÂrtifan du tableau ait choiii un fujet ,
que ce fujet fe comprenne diftinâe-
ment , & qu'il foit traité de manière
qu'il nous-intéreffe. Jen'eiHme guère,
ajoute-t*il , les tableaux dont tes fujets
n'imitent pas quelque vérité, (a) Ne-
que enim plciuree prohari dtbtm qaœ non
funt Jimiles vtr'uati , ntc /i facia funt élé-
gantes ab arte , ideb de his débet jiatimjw
dicari , niji argumeniatioms certas hahte»
Tint ratioms * Jîne offtnjîorùbus expUca-
tast Ce paffage m'exemtera de parler
de ces ngures qu'on appelle commu-
nément des Grotefijues.
Les Peintres doivent employer l'al-
légorie dans lestableaux de dévotion ,
plus fobrement encore que dans les ta-
bleaux profanes. Ils peuvent bien dans
ïes fujets qui ne repréfentent pas les
(«jFtmme, i. j ,c, j,
Myfteres
:,-,zf--„GoOglc
furiaPotfit & fur la Pelnmrt, 117
Myfieres &C les miracles de notre Reli-
gion , fe Tervir d'une compoûtion allé-
gorique , dont l'aâion exprimera quel-
que vérité qui ne fçauroit être ren-
due autrement, foit en Peinture , ibtt
en Sculpture. Je confens donc que la
Foi Ôc l'Efpérance foutiennent un mou-
rant , & que la Religion paroilTe affli-
gée aux pieds d*un Evêque mort. Mais
je crois que toute compofition allégo-
rique eft défendue aux Artifans qui
traitent les miracles &c les dogmes de
notre Religion. Ils peuvent tout au
plus- introduire dans leur aâion , qui
doit toujours imiter la vérité hiftori-
que , quelques figures allégoriques de
celles qui font convenables aufujet,
comme feroit , par exemple , la Foi .
repréiemée à côté d'un Saint qui feroit
im miracle.
Les faits fur léfquels notre Reli-
gion eil établie , &: les dogmes qu'elle
enfeigne , font des fujets où il n'eft pas
permis à l'imagination de s'égayer.
Des vérités auïquelles nous ne tçau-
lions penfer fans terreur fie fans humi;-
'■liation,ne doivent pas être peintesavec
■ tant d'efprit , ni repréfentées fous l'em-
blème dune allégorie ingénieuTe ïn?
TomtL K
t iS Kifitx'i9ns cntlqtus
ventée à plaifir. II eft encore moins peN
mis d'emprunter les petibnoages&les
fiâions de la Fable pour peindre ces
Yérités. Michel-Ange fiit univerfelle- >
ment blâmé pour avoir mêlé avec ce
qui nous eft révélé du Jugement uni-
vcrfel , les fiûions de Taocienne Poi>-
fie, dans la repréfentation qu'il en
peignit fur le mur du fonds de la Cha-
pelle de Sixte IV. Rubens , àmonTens,
aura conm^s uoe faute encore plus
grande que celle de Michel- Ange , es
compofant ^ ainlî qu'il Ta fait, le ta-
bleau du maître-Autel des Domini*
quaîns d'Anvers. Ce grand Poète y
cxf^imç trop inaénieufement , par une
compofition all^orique , le mérite de
l'intërcelEon des Saints , dont les prie*
res procurent fouvent aux pécheurs le
tems & les moyens d'appaiier laccdere
Je Dieu.
. Jefus-Chrlft fort d'entre ks deux au-
tres per^mies de la Trinité , comme
.pourçxéçuter l'arrêt de condamnation
qu'elle vient de prononcer ctmtre le
monde , figuré par un globe placé dans
iç bas de ce tableau. Il tient ta foudre
jt la main , & dan^ l'attitode du Inpi-
■i/ex 4^ \^ Fable , il paroît pêt à k. lao-
■,r ..Google
fuT la Poêjie &fur la Peinture, tif
ai fur le monde. La Vierge & plufiatrs
Saints placés à. côté de Jefus-Chrift ,
intercèdent pour le monde , fans que
JeAis>Chrift Aifpende fon aâion. Mais,
. ce qui convient au lieu où le tableau
le trouve placé , Saint Dominique cou-
vre le monde de l'on manteau Se du
Refaire. Je crois -voir trop d'efprit dans
la repréfentation d*un fujet auflî tHii-
bie. Les hommes inlpirés pouvoient
bien employer des paraboles , pour
nous expofer plus fenliblement les vé^
rites que Dieu nous révéloit par leur
bouche. Dieu leiu infpiroit lui-même
les figures dont ils dévoient fe fervir ,
& l'application qu'il en feUoit feire.
Mais c'eft alTez d'honneur à nos Peintres
que d'être admis à rcpréfenter hiftorï-
quement ceux des événemens de nos
Myfteres , qui peuvent être mis fous
nos yeux , Il ne leur eft point permis d'in-
venterdes fixions , & de s>n fervir à
leur gré , poiu expofer de pareils fujets*
Ce que je dis des Peintres , je le penfe
des Poètes , & je n'approuve pas plus le
Poëme àe Sannazar , fur les couches de
la Vierge , ni les vifions de l'Ariofte ,
que la compofitio* à&M Rubens s'eft
:,-,zf--„GoOglc
iiO Rifiexioni erîtl^ms
fervi pour repréfenter le mérite deTin-
terceffion des Saints.
Vous riduifez donc les Peintres à la
condition de Amples HiAoriens , m*ob-
jeaera-Von,fans foire attention que l'in-
vention âc la Poëûe font de l'eflence de
la'Peinture ? Vous voidez éteindre dans
l'imagination desPeintres ce feu qui mé-
rite qu'on les traite quelquefois d'Où-
vriers divins , pour les réduire aux fonc-
tions d'un Aiuialifte fcmpuleux } 1c ré-
ponds que l'çnthoufiafme qui fait les
Peintres ^ les Poëtes , ne confifte pas
^ns l'invention des myfteres allégori-
quâSjn^ais bien dans le talent d'ennchir
tes compolitions par tous les osrnemens
que U vraifembl^nce du fujet peutper-
mettre, ainfi qu'à donner de la vie à tous
ces perfonoages par l'expre^on des paf-
^ons. Telle eft U Poëfie de Raphaël î
telle eft la Poëfie du Poulfin &c de le
Sueur ; Ôt teUe fiit fouvent celle de
Monlîeur le Brlm & de Ruben$.
Il n'çft pas néceffaire d'inventer fon
fujet , ni de créer fes perfonoages , pour
être réputé ui^ Poëte plein de verve. On
mérite le nom de Poëte, en rendant l'ac-
tion qu'on traitç capable d'émouvoir, ce
qui fe ^t en imaginant quels fçatimens
...Xooyic
. furlaPoèfit&JUrlttPùntun. m
conviennent à deSperfonnagesfuppofés
dans iine certaine utuatioA , & en tirant
de fon génie les traits les plus propres à
bien exprimer ces fentimens. Voilà ce
qui diftinguelePoëte^d'un Hiftorien,qui
ne doit point orner fes récits de circonf-
tances tirées de fon imagination , qui
n*inventepas desTitiiations pourrenve
les événemens qu'il narre plus intérci^
fans , & à qui même il eft rarement per-
mis d'exercer fon génie , en lui faiiant
produire des fentimens convenables à
les perfoniiages pour les leurprêter. Les
dîfcours que le grand Corneille fait te-
nir à Céfar dans la mort de Pompée ,
font une meilleure preuve de l'abondan-
ce de fa veine 5c de la^ fublimité de Ton
imagination , que l'invention des allé-
gories du Prologue de la Toifon d'or. "
Il faut avoir une imagination plus fé-
conde & plus jufte , pour imaginer 6c
pour rencontrer les traits dont laNature
ie fert dans TexprelTion des paffîons,que
pour inventer des 6giires emblémati-
ques. On produit tant qu'on veut de ces
iymboles par le fecours dedeux ou trois
livres qui font des fources intarilTables
de pareils colifichets , au lieu qu'il finit
avoir luie imagination fertile , & qui
Kii)
.,-,zf-,Googlc
m Réftxions aiù^ues
folt guidée encore par une intelligence
fage & judicieure, pour réuffir dans l'ex-
preffion des palEons , &: pour y peindre
avec v^té leurs fymptômes.
Mais , diront les Partilans de l'efprit ,
ne doit-il pas y avoir phis de mérite à in-
venter des chofes qui ne furent )anuis
penfées, qu'à copier la Nature , ainû qiie
lait votre Peintre , qui excelle dans l'ex-
preflion des paOîons ? Je leur réponds
qu'il hMt fçavoir ^re quelque cbole de
plus que copier fervilement laNature^ce
qui ell déjà beaucoup , pour donner i
chaque paffion Ton caraÂere ctxiveoa'
ble , âc pour bien exprimer Us fentimens
de tous les perlonnages dNui tableau. 11
iaut , pour ainû dire , {çavoir co}Her la
Nature lans la voir. Il &ut pouvoir inU'-
gineraveçjufteffcquelsfontfesmouve-
mens dans des circonAances oît on ne la
vit jamais. Eft-ce avoir laNaturc devant
les yeux que de defliner d'après un mo-
dèle tranquille , lorfqu'il s'agit de pein-
dre une têteoù l'on découvre de l'amour
à travers la ftu-eur de la (aloufie?On voit
bien une partie de la Nature dans fon
modèle , mais on n'y voit pas ce qu'il y
a de plus important par rapport au fiijet
qu on peint. On voit bien le fujetquela
■,r ..Google
le
furia Pocjît & fur U Peinture, n^
paffîon doitammer , mais on ne le voit
point dans l'état où la palTion doit I9
réduire y & c'eA dans cet état qu'il t«
faut peindre. Il faut que le Peintre ap*
clique encore à la tête qu'il fait ce qu«
.es livres dilènt en général de l'efFet des
paffîons fur le vifage , & des traits auf-
c]uels elles y font marquées. Toutes les
czpreâîoDs doivent tenir du car«âer«
de t&equ'on donne auperfonnage qu'on
repréfente agité d'une certaine pafTion»
U faut dtmc que Tunagination de l'oU'
vrier fupléâ à tout ce qu'il a de plus dtf*
ficile à raire dans TexprelHon , a moins
•qu'il n'ait datis fon attelier un modèle
encore plus grand Comédien que Baron,
SECTION XXV.
JDes perfonnagts èf des actions allégori'
^ues f par TuppoTt à la Poèjît.
"arlons prâfentement de l'ufage
qu'on peut faire en Poëfte des perfon-
nages & des aâions allé^riques. Les
perfonnages allégoriques que la Poëfie
employé , font de deux efpeces. U en ell
de parfaits « & d'autres que nous appel-
lerons imparfaits, K iv
:,-,zf--„GoOglc
' 1X4 ' Réflexioas critiques
Les perfonnages allégoriques par^ts
font ceux que la Poëue créé entiére-
meat, aufquels elle donne un cotps Se
une sme , & qu'elle rend capables de.
toutes Iesaâions,& de tous les fenti-
mens des hommes. C'eft aînfi que les
Poètes ont perfonifié dans leurs vers la
Vîâoire , la Sagefle , la Gloire , en un
totot, tout ce que nous avons dit que les
Peintres avoient perfonifié dans leurs
tableaux.
Les peribnnages allégoriques impar-
faits font les Etres qui exifteot déjà réel-
lement , aufquels la Poëûe donne la fa-
culté de penfer & de parier qu'ils n'ont
pas , mais fans leur prêter une exiâence
patate , & lâns leur donner un être tel
que le nôtre. AinfilaPoëfiefeitdesper^
lonnages allégoriques imparfàîts^quand
eUe prête des fentimens aux bois , aux
fleuves , en un mot quand elle fait pen-
fer & parler tous les êtres inanimés , ou
quand, élevant.lesanimauxaudeffiisde
leur fphere , elle leur prête plus de rai-
fon qu'ils n'en ont , & la voix articulée
qui leur manque. Ces derniers perfon-
nages allégoriques font le plus grand or-
nementdela Poëfie , qui n'eft jamais â.
pompeufe , que loriqu'elle anime 6c
:,-,zf-„ Google
Jur la Potfit &Jur~ta Pànturt', ii 5
^'elle feJtparlertoutelaNature. C'cft
en quoicoimile le fublime du PCeaumé
Jnexiitt Ifrael de Egypto , & de quelques
autres^ dont les perfonnes de goût font
auin touchées que des plus beaiix en-
droits de rUiade & de l'Enéide. Mais
ces peribnnages imparfaits nefont point
propres à jouer un rôle dans Tadion
d'un Poëme , à moins que cette aÛîon
ne fojt celle d'un Apologue. Ils peuvent
feulement comme fpeûateurs , prendre
part aux aâîons des autres personnages ,
ainii que lesChœurs prenoientpart aux
Tragédies des Anciens.
Je crois qu'on peut traiter dans la Pcfr*
fie les perfonnages allégoriques par-
faits , comme nous les avons traités
dans la Peinture. Ils n'y doivent pas
joiier un des rôles principaux d'une ac-
tion , mais ils y peuvent feulement in-
tervenir , foit comme les attributs des
perfonnages principaux , foit pour ex-
primer plus noblement, par le fecours'
de la lîâion, ce qui paroîtroit trivial,
s*ilétoitdîtfimplement, Voilàpourquoi
Virgile perfoni6e la Renommée clans
l'Enéide. On remarquera que ce Poëte
feit entrer dans fon ouvrage un petit ,
nombre de perfonnages de cette efpece,
Kv
■„r-:, Google.
li5 Réflexions emiques
- 6c je n'ai jamais entendu loiiet Lucaia
d'en avoir fait un ufage "^as â-équent.
Le Leâeur fera de lui même la réfle-
xion^que Venus , rAmour, Mars Sc les
autres divinités du Paganifme ,fontdes
perfonnages hîftoriques dans i*Ënâde.
Lesévénemens dépeuits dans ce Poëme,
font arrivés en des tems où le commun
ides hommes étoit perfuadé de leur exi-
fience. Ces divinités font même des per-
fonnages hilioriques dans les Poëmes
des Ecrivains modernes qui choifîiTent
leur Scène 2f leurs Aâeurs dans les
tems du Paganifoie. Ils peuvent donc,
en traitant de pareils fujets-, employer
ces divinités comme des Aâeurs prin-
cipaux ; mais qu'ils obfervent de ne
point confondre avec elles les perfonoa-
ges f qui , comme la Difcorde & la Re-
nommée , n*étoient déjaque des perfon-
nages allégoriques dans ces tems-U.
Quant aux Poëtes qui traitent des ac-
tions qui ne fe font point payées entriC
des Payens , ils ne doivent employer
les divinités fàbuleufes que comme des
perfonnages allégoriques. Ainli Miner-
ve , l'Amour^ ôc Jupiter même, ne doi-
vent pas y joiier un rôle principal. -
Quant aux aÛi<His allégoriques , les
:-„r., Google
furUPoifa&furUPèinmrt. 117
Poètes n'en doivent foire ufage qu'avec
un grand difcemement. on peut s'en
fervir avec fuccès dam lesFables & dans
piuûeurs autres ouvrages qui font dcfti^
nés pourinftrairereipritenledivertiii
fant , & dans lefquels le Poëte parle en
ion nom , & peut faire lui-même l'appli-
cation des leçons qu'il prétend non»
donner. C'eft à l'aide des aÛions âUégo-
Tiques q«e plufieunPoëtes nous ont dit,
avec agrément, des vérités qu'ils n'ati-
toient pu nous etpoferfans le fecours de
cette fiâion; Les converfations que le*
FaMes fiippofent entre les animaux ,
font des aâions allégoriques , & les
Fables font un des plus aimables genres
de la Poeïie.
^ Je ne crois point qu'une aftion allégo-
TÎquefoit im"-fujet propre pour les Poë'
mes dramatiques , dont le but eft dé
nous toucher par l'imitation des palïïons
humaines. Comme l'Auteur ne nous
parle point dîreôemeni dans cej fortes
de Poëmes , & qu'ainfi il ne fçcvuroit
ïious expliquer lui-même ce qu'il veut
Jire par fon allégorie , il nous expofe-
Toit fouvent à la lire , fans que nous puf-
ïfions comprendrefon idée. H faut avoir
Érop d'eipritpourdémêler toujoursaveç
:,-,zf-,GoOglc
llS RéjUxions critiques
îpiftefle l'application que nous devoni
^re d'une allégorie. Je croîs donc qu'il
en iaut abandonner l'ufage aux Poètes
cjui raconteht , & qu'elle ne dent point
Être employée par les Poètes dramati-
ques.
'. D'ailleurs il eft impoâSble qu'une piè-
ce , dont le fujet eftune aâîon allégori-
que , nous intéreffe beaucoup. Celles
que des Ecrivains à qui perfonne ne re-
nife de l'efprit , ont hafardées en ce
genre-là, n'ont pas .autant réuâî que
celles où ils avoient bien voulu être
moins ingénieux , & traiter un fujet
liilloriquement. Le brillant qui naît d'u-
ne aâion métaphorique , les penfées dé-
licates qu'elle luggere , &.les tours fiiïs
avec lefquels on applique ion allégorie
aux folies des hommes , en un mot,tou-
tes les grâces qu'im bel efprit peut tirer
d'une parâiUe fiâion , ne font pcnnt en
leur [dace Air le théâtre. Le piédellal
n'eft point fait pour la ilatuë. Notre
coeur exige de la vérité dans la iîâioii
même : 8c quand on hii préfente une ac-
tion allégorique , il ne peut Te refondre^
pour parler ainfi , à entrer dans les feU'
tîmens de ces peribnnages chimériques.
U les regarde comme des fymboles &
:,-,zf--„GoOglc
JkrlaPoêfa&furUiPtlntun. 119
'des énigmes , fous lefquels font enve-
loppés des préceptes de Morale , & des
traits de Satyre qui font du reâbrt de
l'efprit. Or une pièce de théâtre qui ne
parle qu'à l'efprit , ne fçaiuoit nous te-
nir attentif pendant toute fa durée.
C'eft donc principalement aux Poètes
dramatiques qu'on peut dire avec Lac- '
tance : Apprenez que la licence Poéti-
que a fes bornes , au-delà defquelles il
n'eil point permis de porter la fiûion.
C'eft à bien repréfenter ce qui a pu
véritablement arriver ,&à l'orner par
des images nettes & élégantes ,. que
«onfifte l'art du Poëte. Mais inventer
une aâion chimérique , & créer des per-
fonnages du même genre que l'aâion ,
c'eft être impofteiir plutôt que Poëte.
Ntfciuiu homints qui fit Poaicte Uctruia
modus ; quoufjueprogretii fingtndoUctai :
cùm officium Potia in ta fit t ta ta qua
veri geri potutrim ^ in alias fpecits ohliquia
figurationibus cum dtcort aliquo converfa
traducat Totum aattm quod rtfiras fin-
gtre , id ift intpium tjft & mendaetm fo-
tins quàm Paetàm.
Je n'ignore pas que les perfonnages
de plufieurs Comédies d'Ariflophane,
ceux des Oifeaux U des Chœurs des^
:-„r., Google
«3© RéjUxtojù eriûqius
Nuées , par exemple , ne foîent allégiv
liqucs. Mais on devine aifôment les
raifons qu'Ariftophane avoit de traiter
ainiî les fujets , quand on fçait que ce
Poëte vomoit jouer dans Athènes les
hommes les plus confidérables de la Ré*
publique , & principalement ceux qui
. venoient d*avoir la plus grande part à
la guerre du Péloponere. Les Sçavans
font tous convaincus que ce Poëte fait
fouvent allufion dans ces Comédies à
différens événemais arrivés dans cette
•guerre , ou à des aventures dont elle
avoit été Toccafion. Ariiiophane qiù
vouloit attaquer des gens plus à crain-
dre que Socrate , ne pouvoit pas donc
trop mafmier fesperionnages, ni trop
déguifer fes fujets. Ainfi ime aâion &
des perfonnages all^oriques étoient
I^us propres à fon deuein , que des per-
fonnages & une a£Hon à l'ordinaire.
D'ailleurs fes trois dernières Comédies,
du moins ftiivant l'ordre où elles font
arrangées , {Mit pour iùjet une a£Hon hu-
maine & vraifemblable. Les François
fe font mépris comme les autres , fur
la nature du Drame , lorfqii'ils ont com-
mencé à faire des pièces dramatiques
qui méritaiTent d'avtûrùn nom.
:,-,.-„G00.jlc
furlaPoëfit & fut la Pénturt. -15 1
Ils crurent alors quedes aûions allé-
goriques poiivoient être des fujets de
Comédie. Nous avons encore unePiéce
qui fut repréfentée aux noces de Phili-
bert Emmanuel Duc de Savoie, & de
Ja Sœur de notre RoL Henri II. dont
raâroneil purement allégorique. Paris
y paroiflbit comme le père de trois filles
qu'il vouloit marier, & ces trois filles
Âoient les trois principaux quartiers de
la Ville de Paris , l'Univerfité , laViUe
proprement dite &la Cité, que le Poète
avoit perfonifiés. Mais ou la raifon , ou
l'inflinfl nous ont fait quitter ce goût
très-propre à faire compofer de mau-
vaifes pièces par de bons Auteurs ; 8c
les Poètes qui depuis quelques années
ont voulu le renouveller , n'y ont pas
féufli. Les aâions allégoriques ne con-
viennent qu'aux Prologues des Opéra
deftinés pour fervir d'une efpec» dePré-
iàce à la Tragédie , & pour enfeigrter
^application de fa morale. M, Quinault
a montré comment il y iàlloit traiter ces
aflions allégoriques, & les allufions
qu'on y pouvoit laire à des événepiçns
récens dans lestems oU les Prologues
font repréfentés.
e.o^^jlc
Ï31 RéjUxions critiques
S E C T I O N^XXVL
■Que Us fujets ne/on: pas épuifés pour Us
Peintres. ExempUs tirés dts Ta~
bltaux du Crucifimeiu.
\J N plaint quelquefois les PeinO-es
& les Poètes qui travaillent aujour-
d'hui , de ce que leurs prédécefleurs
lexu- ont enlevé tous les fujets. Ces Ar^
tifans s'en plaignent fouvent eux-mê-
mes ; mais je crois que c'eAà tort. Un
'peu de réflexion fera connoître que les
Artifans qui travaillent préfentement ,
ne doivent point être reçus à s'excuTer
.fur la dllètte des fujets « quand on leur
reproche quelquefois que leurs nou-
veaux ouvrages ne font point nou-
veaux. La Natiu'e efl û variée qu'elle
fournit toujours des fujets neufs a ceux
qui ont du génie.
Un homme né avec du génie voit la
Nature,que fonArt imite , avecd'autres
yeux que les perfonnes qui n'ont pas de
génie. Il découvre une différence infi-
nie entre des objets , qui auxyexK des
autres hommes {aroillent les mêmes ,
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëfie €ffur la Pànture. 13 j
& il fait ii bien fentir cette difFérence
dans fon imitation , que le fujet le plus
rcbatu , devient un Aijet neuf fous fa
plume ou fous fon pinceau. U eA pour
un grand Peintre une infinité de joies Sc
de douleurs différentes qu'il fçait varier
encore par les âges , par les tempéra-
xnens , par les caraderes des nations &
des particuliers , & par mille autres
moyens. Comme un tableau ne repré-
fente qu'xm inftant d'une aftion , un
Peintre né avec du génie , choifit l'inf-
tant que les autres, n'ont pas encore
fâiû ,- ou s'il prend le même inftant , il
Tenrichit de'xirconftances tirées de fon
imagination, qui font paroître l'aâion
unlujet neuf. Or c'eft l'invention de
ces circonftances qui conftituë le Poëte
enPeinture. Combien a-t'on fait de cru-
cifimens depuis qu'il efl des Peintres ?
Cependant les Artifans doués de génie ,
n'ont pas trouvé que ce fujet fiit épuîfé
far mille tableaux déjà faits. Ils ont fçù
orner par des traits de Poëfie nou-
veaux , & qui paroiffent néanmoins
tellement propres au fujet,qu'on eft fur-
pris que le premier Peintre qui a mé-
dité (ur la compofition d'un crucïfîment,
ne fe foit pas lailî de ces idées.
:,-,zf--„GoOglc
1^4 Réfixioas critiques
Tel eft le tableau de Rubens qu*oit
Toit au^maître-Autel desRécoltets d'An*
vers. Jefûs-Chriû paioît moft entre les
deux Larrons qui ibnt encore vivans.
Le bon Larron regarde le Cie! avec uae
confiance fondée fur les paroles de Je-
fus-Chrill , & qui fe &it remarquer à
travers les douleurs du fupplice. Ru-
bens , fans mettre des diables à côté de
fon mauvais Larron., comme l'avoient
pradcnié plulieiu's de fes devanciers , n*a
pas laiffé d'en iàire un objet d'horreur.
II s'eft fervi pour cela de la cîrconilance
du fupplice de ce réprouvé qu'on lit
dans rEvangile : Que pour hâter fa
mort, on lui cslSsl les os. On vc»t par
la meurtrilTuTe de la jambe de ce mal'
heureux , qu'un boiureau l'a déjà frap-
pée d'une barre de fer qu'il tient à la
main. L'impreâîon d'un grand coup
nom oblige à nous ramaffer le' corps
par un mouvement violent & naturel.
Le mauvais Larron s'eft donc foulevé
fur fon gibet , & dans cet effort que la
douleur lui a iàit faire , il vient d'arra-
cher la jambe qui areçù le coup, en for-
çant la tête du clou qui tenoit le pied
attaché au poteau fiinefte. La tête du
clou eft même chargée des dépouilles
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poèfie &fur Ut Pànturt. 13 J
bideu(ès qu'elle a emportées en déchi-
rant les chairs du pied à travers lequel
elle apaifé. Rubens qui fçavoit fi bien
en impofer à l'œil par la magie de Son.
clair obfcur , &it paroître le corps du
Larron ibrtant du coin du tableau dans
cet effort , & ce 'corps eA encore la
chair la plus vraie qu'ait peint ce grand
Colorifte. On voit de profil la tête du
fupplicié , & fa bouche dont cette fitua-
tion fait e[)core mieux remarquer Tou-
vertiu-e énorme , fes yeux dont la pru-
nelle eft renverfée , & dont on n'ap-
perçoit que le blanc lillonné de veines
rougeâtres & tendues ; enfin l'aâion
violente de tous les mufcles de fon vifa-
ge , font [M-efque oiiïr les cris horribles
qu'il jette. On découvre derrière lit
Croix des fpeftateurs mù la font avan-
cer , & qui femblent tellement enfoncés
dans le tableau , qu'à peine ofe-t'on
croire que toutes ces figures foient pla-
cées fur une même fuperficie.
Depuis Rubens jufqu'à Coypel ,1e fu-
jet du crucifiment a été traité pUiûeurs
fois; Cependant ce dernier Peintre a
rendu fa compofition nouvelle. Son ta-
bleau repréfente le moment oii laNature
t'émut d'horreur à la mort de J. C, le
:,-,zf--„GoOglc
1^6 RéJUxions eritiqaes
moment oh le Soleil s'éclipfa fans Tin-
tcq)oiitionde laXune, &ohIesinorts
fortirent de leurs fëpulcrâs. Dans Tun
des côtés du tableau l'on voitdes hoiU'
mes faiûs d'une peur mêlée d'étonné-
ment à Tafpeâ du déTordre nouveau oii
paroîtle Ciel, fur lequel leurs regards
font attachés. Leur épouvante ^t im
contrarie avec une crainte mêlée d'hor-
reur , dont font frappés d'autres fpec-
tateurs , au milieu defquels un mort fort
tout-à-coup de Ion tombeau. Cette pen*
fée très-convenable à la fituation des
perfonnages , & qui montre des acci-
dens diflerens de la même paffion y va
jufqu*au fublime ; mais elle paroît lî
naturelle en même-tems , que chacun
s'imagine qu'il l'auroit trouvée , s'il
eût traité le même fujet. La Bible qui
eil celui de tous les livres qu'on lit le
plus , ne nous àpprend-t'elle pas que ta
Nature s'émut d'horreiu- à la mort de
Jefus-Chrift , & que les morts fortirent
de leurs tombeaux î Comment, dirions-
nous , a-t'on pu faire un feul tableau du
Crucifiment ,fans y employer ces acd-
dens terribles , & capables de produire
unfi grand effet? Cependant le PouHin
introduit dans fon tableau du Crucifi-
:,-,zf--„GoOglc
fur la Pocfit & fur U PàiUitrt. 137
mentun mort fortant du féputcre , fans
tirer de Tapparîtion de ce mort le trait
de Poëfie , que Monfieur Coypel en a
tiré. Mais c efl le caraâere propre de
ces inventions fublimes que le génie
feul fait trouver , que de paroitre tel-
lement liées avec le fujet , qu'il fem-
blie qu'elles ayent dû être les premières
idées qui fe foient préfentées aux Arti-
fans, quionttraitéce fujet. On fuë vai-
nement f dit Horace , quand on veut
trouver des inventions du même genre,
lâns avoir un génie pareil à celui du.
Poëte , dont on veut imiter le naturel
&lafiinpUcité.(a)
Vc JtK pitnr
Sfcnt iitm j faia mulnon fiujhaqui Ubom anfié
Le- génie de la Fontaine lui fait ren*
contrer dans la compofition de fes Fa-
bles une inâmté de traits quiparbiffent
finaïfs &c tellement propres à fon fujet ,
que le premier mouvement du LeÛeijr
eftde croire qu'il les eût trouvés auffi
lùen que lui « s'il avoit eu à mettre en
vers le même Apologue. Cette penfée
a ùjt venir domis longtems à quelques
Poètes le deueind'inuter la Fontaine ;
<-,Googlc
S38 Rifltxions critiques
mais il s'en làut beaucoup qu'en l'îmî-
mitant , Us aient fait comme lui.
SECTION XXV II.
Qm Us fujtts m font ptu ifidJUpour
les Poius.
Qu'on ptm tncoTt trouver de aotevuuix
earaàerts Jans UCemétiie.
C_> E que nous venons de dire de la
Peinture , fe peut dire auffi de la Poëfie.
Non-feulement un Poète né avec du
génie , ne dira jamais qu'il ne fçaur(»t
trouver de nouveaux Aijets , mais j'ofe
même avancer qu'il ne trouvera jamais
aucun fujêt épûifé. La {>énétration ,
compagne ioTéparaMe du génie , Itii ait
découvrir des faces ijouvelles dans les
fujets qu'on croit vulgairement les plus
ufés ; car le génie conduit chaque mor-
tel dans festravauxpar une route parti-
culière , comme je l'eiqwferai dam la
feconde partie de cet oavnige. Aaffiles
Poètes guidés chacun parim ^ghit pir>
ticulier , fe rencontrent £ rafeinent,
qu'on peut dire , que généralement par*
:,-,zf-„ Google
fur la Poîfit ù fur UPtinturt, 339
lant^ ils ne fe rencontrent jamais. Quand ~
Corneille & Racine ont traité le même
flijet ; &, quand ils ont fait chacun une
Tragédie de Bérénice , ils ne fe fontpas
rencontrés. Rien n'eft fi différent dv
plan & du caraâere de 1b Tragédi<e de
Corneille , que le plan & le caraâere
de la Tragédie de Racine. Les Comé-
dies que Molière compofa , quand il eut
atteint le période de les forces , ne ref^
femblent aux Comédies de Tétence ,
que parce qite les unes & les autres
font des pièces excellentes, Leur genre
de beauté eft bien différent.
Les Artifans nés avec du génie , ne
prennent point pour modèles les ouvra-
ges de leurs devanciers ,mais la Nature
même ; & la Nature eft encore plus fé-
conde en fiijets difïérens , que le génie
des Artifans n*eft varié. D'ailleurs tous
les fujets ne font point à la portée des
yeux d'un feul homme. Il ne découvre
que ceux qui font convenables à fon
talent . & aufquels il fe fent propre pap*
ticuliérement. Comme fon génie ne lut
fournit pas d'idées frappantes fur les
autïeK fujets « ils lui paroifîent ingrats.
Une les regarde p(»tit comme des fu*
jets propres à réuffir. Un autre -Poëte
:,-,zf--„GoOglc
's40 Rifeiàons aiàqtus
les trouve des fujets heureux , parce
que ion génie eft d'un cara£tere difie-
reot dug^ede l'autre. C'eftainiî que
Corneille & Racine ont découvert les
liijets convenables à leurs talens , &
qu^ds les ont traités , chacun fuivantftm
caradere. Un Poëte tragique qui auroit
autant de génie qu'eux , trouveroit des
fujets a^ leur ont échappé , & il traî-
teroit les fujets qu'ilmettroitauTliéâr
tre dans im goût auffi dîfôfent du goût
de Coroeille tpie le goût de Racine « &
auflî éloigné du goût de Racine que le
goût de Corneille. Ccxnoie le ditCicé*
ron , (a) en parlant de quelques Poëtes
dramatiques illuAres dans la Grèce & à
Rome : c*efi fans ië reflembler qu'ils
ont réuifi également. Aiqueiâprimum^
ia PoeâscaTÙluet^uihuseBproximaeog-
/tatto cum Oraiorihis f quàmfi/u uutrft
Pacatvius , Ennms , Acciufyue dij^m-
U$ , quàmapudGracosEfckyltSt Sopho-
(îeSf Earipides t quaiaquàmommiuspar
ptrû tous ùi dijjîmiîi goure fcribtndi tri'
tuatur.
Les fujets qui CotA encore intaSs nous
échappent , oc nous lifons pluJîeurs f<HS
ji'hifloire qui les raconte, lansles remar-
f^)I>t Prau lib. ut.
gues;
:,-,zf--„GoOglc
Jkr ta Poëfit ù fur la Ptîntan. 141
^quer , parce que le génie n'ouvre pas
nos yeux : mais ceslujets frapperoient
d'abord le Poëte qui auroit un génie
propre à les traiter. Voilà ooiirquoi le
nijet d'Andromaque qui n avoit [K)int
frappé Corneille , frappa Racine dès
qu'il commença d'être un grand Poëte.
L,e fujet dlphigénie en Tauride , qui n'a
point frappé Racine , happera de même
un jeune Auteur. On peut dire des lii-
jets de Tragédie ce que TEfope Latin
dit de.s Fables. («)
... Maarii tiittd iiuniat copia ,
l^hori fihtr ut dl^ , ittn fabro lahoTt
11 eft vrai , me dira-t'on , que les fu-
jets ne Içauroient manquer aux Poètes
tragiques , qui peuvent faire entrer dans
une aflion des perfbnnaees auiquels ils
donnent des caraQeres faits à plaifir, &
. qui peuvent encore orner leur fable
pardes incidens extraordinaires inven-
tés à leur gré. Il fuffit aux Poètes tragi-
ques de faire de belles têtes , & ils peu-
vent , pour les rendre plus admirables ,
s'écarter à un certain point, des pro-
portions que la Nature obferveordmai-
rement. Mais il faut que le Poëte co-
mique faffe des portraits où nous recou-
Tffml, h
:,-,zf-,GoOglc
44* Réftxions critiques •
inoîifions les hommes avec qui nous y^
vons. Nous nous mocquons des carac-
tères qu'il donne à' fes perfonnages , fi
nous ne reconnoilTons pas ces caraâeres
pour être dans la Nature, & Molière,
& quelques-uns de fes lucceCeurs^fe
ibntfaifis de tous les caraûeresvrais&
naturels. Le Poète tragique peut bien
inventer de nouveaux caraâeres , mais
le Poëte comique ne peut que copier
les caraâeres des hommes. Les fujets
de Comédie font épuifés.
Je réponds que Molière &c fes imita"
teurs n'ont pas mis fur la fcéne laqua»
triéme partie des caraâeres propres à
faire le fujet d'une Comédie. Il en efl
de l'efprit & du caraflere des hommes
à peu près comme de leur vifage. Le
vifage des hommes ell toujours compo-
fédes mêmes parties, de deux yeux,
d'une bouche , &c. cependant tous les
vifages font dîfFérens, parce qu'ils font
compofés différemment. Or les carac-
tères des hommes font non-feulement
compofés différemment, mais ce ne font
pas toujours les mêmes parties , je veux
dire les mêmes vices , les mêmes ver-
tus, & les mêmes projets qui entrent
^ns la compoûtion de leur caraâere.
:,-,zf--„GoOglc
. furUPoëJîe ^farlaPeinturt. 14J
J^Hifi les caraâeres des hommes doi-
-vent être encore plus variés , plus dif-
ierens que les vilages des hommes.
Qui dit un caraâere , dit un mé-
lanee , dit im compofé de plufieurs
défauts & de plufieurs vertus , dans
lequelmélangeceitain vice domine, fi
le caraâere efl vicieux ; c'eft une ver-
tu laquelle y domine , fi te caraâere
doit être vertueux. Ainfi les différens
carafteres" des hommes font tellement
variés par ce mélange de défauts , de
vices, de vertus & de lumières diver-
fement combiné , cpje deux caraâeres
parfaitement ferabubles font encore
plus rares dans la Nature que deux vi-
fages entièrement femblables.
Or tout caraûere bien peint fait un bon
perfonnage de Comédie. U peut joqer
avec fuccès un rôle furla fcene vérita-
blement plus ou moins long , & plus ou
moins important.Pourquoii'amourfera-
t'il une paflion privilégiée , & la feule
qui foiimilTe des caraâeres diSërens , à
l'aide de la diverfité que l'âge , le fexe
& la profeflîon mettent entre les fcn-
timens des amoureux } J^e caractère
d'un avare ne peut-il pas de même être
varié par l'âge , par le fexe , -par d'au-
Lij
:,-,zf-„ Google
144 Réfitxlons Critiques
très paffions & par la profeffion ? Ces
caraâeres bien peints n'ennuiroienC
point , parce qu'ils font dans la Natu-
re, & la peinture naïve de la Nature
plaît toujours. C'eft donc parce que les
tàifeursde Comédie n'ont pas les yeux
affez bons pour bien lire dans la Na-
ture, pour Y démêler diitinâement
les differens principes des mêmes ac-
tions , & pour y voir comment les
mêmes principes font agir différemment
chaque individu , qu'ils ne fçauroient
plus mettre au Théâtre de nouveaux
caraâeres. Il s'en (àut bien que tousies
ridicules du genre humain ne foient en-
core réduits en Comédie.
Mais quels font , me dira-t'on , les
caraâeres neu& qui n'opt point encore
été traités. Je réponds que j'entrepren-
drois d'en indiquer quelques-uns , iî
j'avoisun génie approchant de celui de
Térence ou de Molière , mais je fuis
de ceux dcmt Defpréaux a parlé dans
ces Vers: 1
La Ntiure féceadc en birairwponnitf
1)101 chiquE Ame eft marqaéEàil:diJïr-n>tniii( !
Un geAe U découvre , un t\ta U fait piroiire.
Ml! lout inoitEl n'a pai d29 yeux )>oiir 11 conoalcre. '
Pour démêler ce qui peut former un ca-
■,r ..Google
JuT Ut Poêjîe &fur U Ptinture. 14 J-
nâere , il faut être capable de difcer-
ner entre vingt ou trente chofes que
dit, ou que &it un homme , trois ou
«juatre traits qui font propres fpéciale-
xnent à fbn caraâere particulier, It faut
ramaffer ces traits , & continuant d'é-
tudier fon modèle , extraire , pour par-
ler ainii , de Tes aâions & de fes dif-
cours les traits les plus propres à faire
reconnoîtr» le portrait. Ce font ces
traits qui fépares des chofes indifféren-
tes que tous les hommes difent & font
à peu près les uns comme le^utres ,
qui \ rapprochés & réunis emRible ,
tonnent un caraâere , ÔC lui donnent,
Ç)ur ain£ dire , fa rondeur théâtrale,
ous les hommesparoiflentimiformes,
aux efprits bornes. Les hommes pa-
roiH'ent différens. les uns des autres
aux efprits plus étendus ; mais les hom-
mes font tous des originaux particu-
liers pour le Poète né avec le gérife de
la Comédie.
Tous les portraits des Peintres mé-
'diocres font placés dans la mâme atti-
tude^ Us ont tous le même air, parce
que ces Peintres n'ont pas les yeux
alTez bons pour difcemer l'air naturel
qui cA différent dans chaque perfonne,
L iij
:,-,zf--„GoOglc
i.46 Réflexions critiques
& pour le donner à <^aque perfonit*^
dans fon portrait. Mais le Pemtre ha-
bile fçait donner à chacun dans fotr
portrait l'air & l'attitude qni lui fonf
propres , en vertu de fa conformation.
Le Peintre habile a le talent de difcer-
rter le naturel qui eft toujours varié.
Ainfi la contenance & Taûion des per-
(bnnes qu'il peint", font toujours va-
riées. L'expérience aide enîore bean-
coup à trouver la différence qui eft
réellement entre des objets , qni sa
pTemi^fc|pup d'œil nous paroiiTent les
mêmcs^T^eux qui voyent des Nègres
pour la première fois , croyent que
tous les vîfages des Nègres font pres-
que femhhbles ; mœs à force de les
voir , ils trouvent les vîfages des Ne-
fes auffi diâererts entre eux que le-
nt les vîfages des hommes blancs.
Voilà pourquoi MoKere a trouvé plus
d'originaux parmi les hommes^ quand
il, a été à l'âge de cinquante ans, qu'il"
n'en trouvoit lorfqu'il n'avoit encore
que quarante ans. Je reviens àmapro-
pofition , c'eft qu'il ne s'enfuit pas qtie
tous les itijets de Comédîefoient épui-
fés , de ce que les perfonnes qui n'ont
point de génie pour la Comédie , & qiti
:,-,zf--„GoOglc
JkrlaPotJîe & fur la Puntun, t^f
h'ontpas étudié les hommes par le côté
qtie la Comédie doit les étudier , n'en
peuvent pas indiquer de nouveaux.
Le' commun des hommes eu donc
bien capable de reconnoître un carac-
tère , lorfgue ce caraôere a reçu fa
forme & ia rondeur théâtrale ; mais
tant que les traits propres à ce carac-
tère, & tjui doivent fervïr à le defli-
ner , demeurent noyés &c confondus
dans une infinité de difcours & d'ac-
tions que les bienféances , la mode , la
coutume, la profeffion & l'intérêtfont
faire à tous les hommes à peu près du
même air, & d'une manière fi uni-
forme que leur caraôere ne s'y décelé,
qu'imperceptiblement , il n'y a que
ceux qiri. fcsit nés avec le génie de la
Comédie , qui puiffent les diicerner^
Eux feiris peuvent dire quel' caraâerc
•réfulteroit de ceS' traits , fi ces traits
étoient détachés des aflions & des dif-
cours îndifFércns, fi ces traits rappro-
chés les uns des auttes , étoient immé-
diatement réunis entr'eiix. Enfin dif-
. cerner les carafteres dans la Nature',
c'eft invention. Ainfi l'homme quin'eft
. pas né avec le génie de la Comédie ,
'ne les- fçauroit démêler ; comme celui
Liv
..Google
2'4d RijLtxiom critiqua
qui n'efl pas né avec le génie de \iA
Peinture , n'ell pas capable de di^^cer-
ner dans la Nature qaeîs font les objets
les plus propres à être peints. Quàm
multa virent FiSores in umbris j & ix
em'taentia , quœ nos non videmus. Cont*
bien de chofes «n Peintre n-'obferve-
t'il pas dans un incident de lumière
que nos yeux n'aj^erçoivent point ,
dit Ciceron. (a)
Je conclus donc que les Peintres &
les Poètes qui tiennent leur vocatîoa
aux Arts qu'ils profeflent , du génie,
& non pas de la nécelTité de fublUler,
trouveront toujours des fujets neufs
dans la Nature. Pour.parlerfigurément,
leiu-s devanciers ont encore laifle plus
de marbre dans les carrières qu'ils n'en
ont tiré pour le mettre en œuvre.
SECTION XXVIII.
De la vrtùfimblanci tn Poijte.-
A I A première règle que les Peintres
& les -Poètes foient tenus d'obferver
en traitant le fujet qu'ils ont choifij
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëjte &fur la Ptinturt. 149
c'eft de n'y rien mettre qui foît contre
la vraifemolance. Les hommes ne fçau-
roient être guère touchés d'un événe-
ment qui leur paroît fenfiblement im-
|)oflible. U eft permis aux Poètes com-
me aux Peintres qui traitent les feits
hiftoriques, de fupprimer une partie
de la vérité. Les uns & les autres peu-
vent ajouter à ces faits des incidensde
leur invention :
FiSa poKi multd slJert vti'a ,
dit Vida. On ne traite point de men-
teurs les Poètes & les Peintres qui le
font. La fî£tion ne pafle pour menfon-
ge qi!e dans les ouvrages qu*on donne
pour contenir exaâement la vérité des
faits. Ce qui feroit unmenfonge dans
l*hiftoire de Charles VU ,-ne Fell pas
dans le Poëme de la Pucelle. Ainft le
.Poëte qui feînt une aventure honora-
ble à fon Héros pour le rendre plus
grand , n'eft pas un impolleur , quoi-
que l'Hiftorien qui feroit la même
chofe , palsât pour tel. On n'a rien à
reprocher au Poëte, fi fon invention ne
choque point la vraifefflblance , & lî le
fait qu'il imagine , eil tel qu'il ait pft
arriver véritableménr.. 'Parlons d a*
:,-,zf--„GoOglc
%^o Rifiexîons crm<pus
bord du- vraîfemblable en Poëfiè^
Un fait vraifemblable eft iin fait pof^
fible dans les circonfîances où on le-
fait arriver. Ce qui eft împoUible en
ces circonflances , ne fçaiiroit paroître
Traifemblable. Je n'entends pas ici par
impoffible'ce qui eft au-deffus des for-
ces humaines , mais ce qui paroît im-
poflible , même en fe prêtant ^ toutes
les fuppofitîons que le Poëte fçauroîf
faire. Comme le Poëte eft en droit
d'exiger de nous que nous trouvions,
poftible tout ce qm paroifToit pof&ble
dans les teois où il met fa fcène , Se
©îi il tranfporte en queltpie façon fes
leâeurs , nous ne pouvons point , par
exemple , l'accufcr de manquer à la
vraifemblance , en fuppofant que Dia~
ne enlevé Iphigénie pour la traofpor-
ter dans la Taïuide , dans le moment
qu'on allolt facrifîer cette Princeffè,
L'événement étoit poftîble , fuivant la
théologie des Grées de ce tems-là.
Après cela, que des personnes plus
hardies que moi, ofent marquer les
bornes entre la vraifemblance & le-
metveillçux , p^ rapport i chaque
^enre dePo^e,'pdr rapport au teins
«h Ton ^{^ofe que l'événement eft;
:,-,zf--„GoOglc
fur la ■Poïjii (f far la Peinture. I5Y
4^rivé ; eillîn par rapport à la créduli-
té , plus OH moins grande , de ceiix
^our qui le Poème eft compofé. Il me
-paroît trop difficile de placer ces bor-
nes. D'un côté , les hommes ne font
point touchés par les événemens qui .
ceffent d'être vraifemblables , parce
tp.i'ils font trop merveilleux. D'un au-
tre côté , des événemens (i vraifem-
tlables qu'ils ceflent -d'être merveil-
leux', ne tes rendent guère attentiftï^
Il en eft des fentimens comme des évé-
nemens. Les fentimens oh il n'y a rien
■de merveilleux , foit parla nobleffe ^
'ou par la convenance du fentiment,
foit par la précifion d« la penfée , foit
■par la jarteffe de l'expreflion , paroif-
fent plats. Tout le monde , dit-on ,
"auroit penfé cela. D'un autre côté , lés
fentimens trop merveilleux paroiffent
feux & outrés. Le fentiment que D«-
■rier prête à Scévola , dans la Tragé-
■die qui porte ce nom , quand il Un faif.
■dire , en parlant du Peuple Romain,
"que Porfenna auquef il parle , vouloît.
aiîàmer :
. Senourrlrid'uivbru, ftcombairraderiUD'e,
devient auiB comique par Texagéra-
L vj
:,-,zf--„GoOglc
Ijl Rcfiexions erlilpus
tion qu'il renferme ^ qu'aucun traît i9
l'Ariofte.
Il ne me paroît donc pas poiIibI«
d'enfeigner l'art de concilier le vrai-
femblable & le merveilleux. Cet art
n'eft qu'à la portée de ceux qui font
nés Poètes & grands Poètes. C'eft à
eux qu'il eil rélervé de faire une al*
liance du merveilleux & du vraifem-
blable , oii l^in & l'autre ne perdent
pas leurs droits. Le talent de faire une
telle alliance , eâ ce qui dillingue émi-
nemment les Poètes de la claffe de Vir-
gile, des Veriificateurs fans invention,
& des Poètes extravagans. Voilà ce
Ïii dillingue ys Poètes illullres des
uteurs plats , & des fiiifeurs de Ro-
mans de Chevalerie , tels que font les
Amadis. Ces derniers ne manquent
pas certainement de merveilleux. Au
contraire ils en font remplis ; mais leurs
fiûions fans vraifemblance , Sc les évé-
nemens prodigieux à l'excès , dégoû-
tent les Leûeurs doitf le jugement eu
formé,, &c qm connoiflent les Auteurs
judicieux.
Un Poëme qui pêche contre la vrai-
lèmblance , ell d autant plus ^cieux
que fon dé&ut eft fenfible à tout k
:,-,zf-„ Google
Jhr la Poljlt, Srfur la Peinlure. i J J
monde. Nous avons une Tragédie de
M. Quinaiilt, intitulée Le /aux Tibt-
rinus , où le Poëte fuppofe que Tibe-
TÏnus Roy d'Albe , étant mort dans une
e7q>édition , tin de les Généraux , alîn
<l'empêcher le découragement des trou>
ces , dérobe à leur connoiflance U
mort du Roi. Pour mieux cacher l'ac-
. rident, il firitfoBtenir à fon propre fils
le perf onnage du Roi Tibermus , à la
iaveur d'une reffemblance parfaite qiû
fe trouvoit entre le Roi & Agrippa.
-C'efl le nom de^ce fils qui palle pour
Tiberînus. Son père fuj^oîe encore ,
pour mieux cimenter TimpoUure , qn«
le Roi mort a fait tuer fécretemenc
Agrippa. Tout le Royaume d'Albe s'y
méprend un an durant , & le dénoue-
ment de la pièce, laquelle fournît d'aâc
en afte des fituations merveilleufes »
eft encore très-intéreflant. Cependant
-on ne comptera jamais cette Tragédie
parmi celle qui font l'honneur de notre
Théâtre. Elle ne touche que par fur-
:prife , 3c l'on defavoue fon émotion
propre , dès qu'on fait réflexion à l'ex-
travagance de la fuppofition, fur la-
quelle toutes les fituations merTeilleti-
-&s de la Tragédie font fondées. Oa
:,-,zf--„GoOglc
n'a prefque point de plaifir à revoir uiMf
pièce qui fu[^ie que la reJTeniblaDce'
du Roi Tiberinus & d'Agrippa GiX. ab-
iblumeni fi parfeite , même^du côté de
l'efprit , que Tamante d'Agrippa , après
avoir en de longues converfation*
avec lui , continue i le prendre pour
Tiberinus-
. J'avouerai cependant qu'un Poëme
fens merveilleux, me deplairoit en-
core plus qu'im Poëme fondé fur une
Â:4)poJîtion ians vraiiemblanee. En ce--
h. )e fuis de l'avis de Monfieur Def-
préaux , qui préfère le voyage do.
iDonde delaLunedeCyranOrauxPoë'-
mes fana invention de Motin èc de
Cotin.
. Comme rien ne détruit plus la'vrai-
jémblance d'un fait que la connoif-
iànce certaine que peut avoir le Spec-
tateur que le feit eft arrivé autrement
que le Poëte ne le raconte , je crois
«lue les Poëtes qui contredifent dans
leurs ouvrages des faits hiftoriques
très - connus , raiifent beaucoup à la
vraifemblance de leurs fiâions. Je fçai
bien que le faux eft quelquefois phts
-Traifemblabble que le vrai ; mais noie
ne ceglons pas notre croyance ^totf-
...Xooylc
fitr Lz Poçft &fur la Pt'mture. \<^ ^
chant les faits fur leur vraîfemblance
métaphyilque , ou Air le pied de leur
poffibilité : c'eft fur la vraîfemblance
niftorique. Nous n'examinons pas c?
qui devoir arriver plus probablement,
mais ce que les témoins néceffaires »
ce que les HiAoriens racontent ; fie
c'eft leur récit , & non pas la vrai-
semblance qui détermine notre croyan--
ce. Ainii nous ne croyons pas l'eW-
nement qui eft le plus vraifemblable*
Se le pitis poflible, mais ce qu'ils nous-
difent être vëritableraeni arrivé. Leur
dépofition étant la régie de notre
croyance fur les faits , ce qui peut
être contraire à lein* dépofition, ne*
fçaiiroit paroître vraifemblable. Or
comme la vérité eft l'ame de l'Hif—
toire, la vraîfemblance eft l'ame d&
U Poëfie.
>€
:,-,zf--„GoOglc
X^S RijUxions critiques
SECTION XXIX.
Si Us Poètes Tra^quesfont obligés de fi
conformer à ce que la Géographie ,
VHifioire & la Chronologie nous ap-
prenneru pofitivement.
_ Remarques à cefujet fur quelques Tragc-
^dies de CormilU & de Racine.
J E crois donc qu'un Poëte tragique
va contre fon Art, quand il péehe troj^
groffierement contre l'Hiftoirc , la
Chronologie & la Géographie , en
avançant des faits qui font démenas
par ces Sdences. Plus le contraire de
ce qu'il avance , eft notoire , plus (on
erreiU' devient nuifible à fon ouvrage.
Le Public ne pardonne guère de pa-
reilles fautes, quand il les connoît ; &
jamais il ne les excufe fi pleinement
qu'il n'en efiiftie un peu moins l'ou-
vrage.
U« Poëte ne doit donc pas faire fau-
ver la vie à Thomiris par Cyrus, ni
feire tuer Brutus par Céfar. Je crois
encore qu'il doit à la Fable univerfel-
lemeot établie » le même refpeâ qu'à
:,-,zf--„GoOglc
fur ta. Peëjii & fur la Peî/iturt. ity
PHiiloire. Ce que la Fable nous débite
de fes Héros &c de fes Dieux, s'eft
acquis le droit de palTer pour vérité
dans les Poëmes , &c nous ne Ibmmes
plus parties capables de contredire Tes
narrations. Un Poète ne doit aufli rien
changer, fans une grande néceffité, à
ce que rHiftoIre Se la Fable nous ap-
prennent des événemens , des mœurs ,
des coutumes Se des ufages des pays
oh il place fa icène.
Ce que je dis ne doit pas s'enten-
dre des faits de peu d'importance , Sç
conféquemmentpeuconnus. Par exenv
pie , -ce feroit une pédanterie que d«
reprendre Monfieur Racine d'avoir fait
dire à NarcilTe , dans firitannicus , que
Lpcufte , cette ^meufe empoîfonneufe
mi tems- de Néron , a hit expirer uq
Efclave k fes yeux , pour eflayer l'ac-
tivité du poîfon qu'elle avoit préparé
pour Britannicus , parce que les HiHo-
liens racontent que cette épreuve flit
faite fur un 'porc. La circonllance que
le Poè'te change , n'eft point affez im-
portante pour la conferver aux dépens
du pathétique que ta vie d'im homme
facrifié pour faire une épraive , jette
dans te récit , &c de l'embarras qu'il ^
■,r ..Google
ï^ Héfiexîom crïtiqutf
auroit à" raconter cet incident , cOnWfcr
fe narrent les Hiftoriens. Mais je ne"
sondamnerois pas de même celiri qui
reprendroii dans cette pièce de Racine
beaucoup de chofes pleinement démen-
ties par ce que nous fçavcns pofitive—
ment des mœurs de ce tems-là & de
l'Hiftoîre de Néron.
Junia Calvina , l'amante de Britan--
aicus fur laquelle le Poète («"end foiir
de nous inftruîre dans fa Préface ,
&' qu'il a tant de peur que nous
ne confondions avec Junia Sîlana , n'é-
«oit point à Rome dans le tems de la
tfiort de Britannicus. Il n'çft pas pofE-
ble qu'elle air été un perfonnage de
Faftion qu'il met fur le théâtre, jtmia
Calvina avoit été exilée vers la fin ckt
règne de Claude, comme coupable
d'incefte avec fon frere,,& Néronne la
fappella de.fon exil , que lorfqu^il vou-
lut faire un certain nombre d'afKons
de bonté , afin- d'adoucir les efprits aï-
gris contre lui par le meurtre de fa'
mère. Dailleurs le caraflère que Mon-
sieur Racine s'eft plù à donner à cette
Junia Calvina, eft bien démenti par
THiftoire. Il affefle de la peindre com-
ÉiË une fille vertueufe en jeune, per-
:,-,zf--„GoOglc
, fur laPoëfu&fur [aPtintUTC. ÏJ^g
fonne : & plus d'une fois il lui fair
dire , en phraies poétiques , qu'elle n'a
point vu le monde , & qu'elle ne le-
connoît pas encore.
Tacite , qui doit avoir vu Junia Cal-
TÏna , puifqu'elle a vécu jufques fous
le règne de Vefpafien, dit (a) dans
l'Hiftoire de Claudius,' qu'elle étoit
une effrontée. Avant que Claudius-
ëpousât Agrippine , 8c plus de fept ans-
avant ia mort de Britannicus , elle-
avoit été mariée à Lucius Vitcilius ,-
le frère de Vitellius qui fiit Empereur
dans la fuite.- Seneque , dans la Satyre'
iiîgénieufe qu'il lîcrivit fur la mort de-
l'Empereur Claudius, parle de Juniaj
Calvina en homme qui la tenoit réel-
lement coupable du crime d'incefte-
avec fon propre frère , 8c pour lequel
elle avoit été exilée fous le règne de
ce Prince. Racine rapporte une partie
<lii paffage de Seneque , d'une manière
à fîtîre croire qu'il ne l'avoit pas liV
tout entier. Il cite bien l'expreflion
dont Seneque fe fert pour dire qu'elle
étoit la jeune perfonne de fon temsla
pllis enjouée ; Feflivifimam omnium puel-
^um. Mais Racine ne nous dit pas ce
:,-,zf--„GoOglc
i6o Réficxîons erîàquti
qu'ajoute Senecjue ; Que Junia Calvi»
fia paroifToit une Venus à tout le mon-
de , mais que fon frère aimoit mieux
en faire fa Junon. Perfonne n'ignore
que Junon ctoit a la fois la fœur & la
femme de Jupiter. Monfieur Racine
fuppofe dans fa Préface que l'âge feul
de Junia Carvina rempêcna d'être re-
çue chez les Veflales , puifqu'il penfe
avoir rendu fa réception dans leur
Collège vraifemblable , en lui faifant
donner parie peuple une difpenfe, d'â-
ge, événement ridicule par rapporta
ce temsJà , oii le peuple ne falfoit plus
les toix. Mais outre ^le l'âge de Junia
Calvina étoit trop avancé pour fa ré-
ception parmi les Veflales , il y avoit
encore plufieurs raifons qui rendoient
fa réception dans Teur Coîlége impof^
fible. Enfin ce inÀt eft détruit par tout
ce que les Hifloriens nous appren-
nent de la vie de Junia Calvina.
Je ne penfe pas auIH qu'il fût permis
à M. Racine de reflufcîter NarciiTe ,'
perfonnage auffi fameux dans l'Hiftoirc
Romaine que les Confuls les plus \i-
Juftres, pour en faiie un desAâeiirs
de fa pièce. Tacite nous apprend que
dès les premiers joiu-s du règne de M'
:,-,zf--„GoOglc
fur la P0êjzt& fur la Peinture, 16 1'
ion, Agrippine obligea cet aliranchi
célèbre à le donner la mort.
On trouve dans Britanmcuspliifie,iirs
autres fautes pareilles à celles que je
viens d'expofer ; mais il y en a encore
davantage dans la Tragédie de Béré-
nice. Monfieur Racine y feit aggran-
dir, par Titus , les Etats de cette Rei-
ne. Il eft parlé vingt fois des Etats de
Bérénice dans la pièce , & cette Prin-
ceffe n'eut jamais ni Royaume , ni
Principauté. On l'appelloit Reine , ou
parce qu'elle avoit époiifé des Souve-
rains,ou parce qu'elle étoit fille de Roi:
l'ufage d'appelier Reine les filles de
■îlois, a eu cours dans plufieurs pays,
& même en France (a). Racine mp-
pofe que fon Antiochus , celui qui tut
blefle dans un combat des troupes
d'Othon contre celles de Vitellius, &
qui avoit mené un fecours aux Ro-
mains devant Jérufalem , fut Roi de
Commagene fous l'Empire de Titus ,
quoique les Hiftoriens nous appren-
çent que le père de ce Prince infor-
tuné , a étç le dernier Roi de Comma-
gene. Il fut foupçonné fous l'empire
de Vefpafien , le père & le prédécef-
W t'Oï/ifluiiti Orirtt . th. Tj. s. 3t.
:,-,zf--„GoOglc
3.6i Réflexions xritiquts
■feur de Titus , d'intelligence avec le»
farthes , & il fîit obligé de fe fauver
chez eux avec fes fils, dont l'Antio-
chus de Racine étoit un , pour éviter
de tomber entre les mains de-Cefen-
nîus Pœtus qui avoit ordre de les eo-
Jever. Pœtus fe mit en poffeflion de la.
Commagene , qui fut dèflors réduite
pour toujours en Province de l'Empire.
Ainfi lors de l'avènement de Titus aa
Trône * Anthiocus Ephiphane étoit re-
fiigié chez les Parthes , & il n'y avoit
plus de Roi de Commagene. Notre
Poëte pèche encore contre la vérité >
quand il &it dire à Paulin que Titus
charge , comme fon confident , de lui
parler fur le mariajge de Bérénice:
Qu'on a vu
D« fcrt de CIaud[ui Fdlt encore flétiî
De dsuxReinei , Seigneur , devcDirteinir!'.
El t'ilfaut jnr^u'iu bout que je vaut abéîlTe ,
Cei deux Reine: éioicnt du fang de ^tirCite-
Ce Félix , fi connu par Tacite & par
Jofeph , n'époufa jamais qu'une Reine
ou fille d'un fang royal , qui fut Dni-
fille. Il eft vrai qu'elle étoit du fang
de Bérénice. C'étoit fa propre fœur.
:,-,zf--„GoOglc
fur laPoifit&furla Pànturt. i$j
.Je, ne voiidrois donc pas acciifer de
pédanterie celui qiiî ceniiireroit Mon-
fieur Racine d'avoir fait un fi grand
nombre de fautes contre une Hifloire
autant avérée , &: généralenuînt aulH
connue que l'Hiftoire des premiers
;Empereurs des Romains , comme d'êtr-e
tombé dans des erreurs de Géogra-
phie , qu'il pouvoit aifément s'épar-
gner. Telle efl. l'erreur qu'il fait coni#-
mettre par Mithridate , en lui faifant
dire à fes fils dans l'expofition de fon
projet, de pafTer en Italie, & de fur-
prendre Rome.
Doutei-voii! (]iie rEimio nemeportcendïui jouii
AuxlieuioiileDinubey vkni finit fon cours!
U en pouvoit bien douter , dit un Prin*'
ce qui a commandé des Armées furies
bors du Danube , & qui , comme Mi-
thridate , a confervé la réputation de
grand Capitaine dans Time âc dans l'au-
tre fortune , puifque la chofe eft réel-
lement impomble. L'armée navale de
Mithridate , en partant des environs
d'Âfaph &C du détroit de CafTa , oii
Racine établit la fcène de fa pièce
avoit près de trois cens lieues ^ faire
avant que de débvquer fux les rives
:,-,zf--„GoOglc
164 Réflexions crinqifts
du Danube, Des vaiiTeaiix qui mvî-
guent en flotte , ôc (jui n'ont d'antres
moyens d'avancer, que des rames & des
voiles , ne fçauroient fe promettre de
foire cette TCMte en moins de huit ou
dix jours, Monfieiu- Racine , iàns crain-
dre d'ôter le merveilleux de l'entre-
jMÎfe de Mithridate , ponvoit bien en-
core accorder fix mois de marche à
fon armée , qui «voit fept cens lieues à
faire pour arriver à Rome. Le vers qu'il
fsLit dire à Mithridate ,
révolte ceux qui ont quelque cotuioil-
fance de la dîftance des lieux. Quoi-
que les Armées Grecques. & Romai-;
nés marchaffent avec phis de célérité
que les nôtres, il eft toujours vrai qu'il
n'y a point de troupes qui puiffent du-
rant trois mois, & fans jamais féjour-
ner , faire chaque jour près de huit
lieues , furtout en paffant par des pays
difficiles & ennemis , ou du moins fiiC-
peûs , tels qu'étoient la plupart des
•pays que Mithridate avoît a traverferj,
Ces fortes de critiques courent dans
le monde , furtout quand une pièce
eft nouvelle, ôc fouvent on les fait
valoir
:-„r., Google
fur ta. Poijîe &fur la. Ptlature. 16 5
valoir contre un Poëte -encore plus
qu'elles ne devroient valoir.
Monfieur Corneille eft fouvent tom-
bé dans la même inattention que Mon-
fieur Racine. Je n'en citerai qu'un
exemple ; ce que dit Nicomede à Fla-
mixiius , rAmbaJTadeur des Romains
auprès ou Roi Pnifias Ton père. Nico-
mede , après avoir fait reffouvenir
r^mbaâadeur qu'Annibal avoit gagné
la Bataille de Trafimene fur un Flami-
nivis , il ravertit encore de ne pas ou-
blier f
Qu'tucrcfoitce^indhomme
Comnenfipufon père i triompher de Rome.
I^ais Titus Quintus Flaminius , celui i
qui parle Nicomede , &c qui avoit con-
traint Annibal d'avoir recours au poi-
ibn, n'étoit pas le fils de celui qui per--
dit la bataille de Tralîmene co«re An-
nibal. Ils éto|^nt même de maifon fiç-
de races diiFérehtef. Flaminius défait à
Trafimene, étoit Plébéien; & Flami-
nius qui iiit Ambafladeur de la Répu-
blique auprès de- Prufias , &c qui fut
caufe de la mort d' Annibal , étoit Pa-
tricien. D'aUieurs la Bataille de Tra-
fimcne ne fut point le pren)i<;r iiiccc^
Tomtl, ' M
:,-,zf-„ Google
i66 . Réflexions critiques
d'Ânnibal en bàiie. EUe avoit été pré-
cédée par la Jiataille de la Trébbia , &c '
par le ramenx combat du Téfin que le
Général Carthaginois avràt déjà ga-
gné , quand il battit Flaminius auprès
du Lac de Péroulê. Je ne Tçai pour-
quoi il a plû à Moniteur ComeiÛe de
faire cette fente , en confondant deux
Flaminius , qnandks Sfarans la repo-
choient depuis loi^tems à TAuteùr de
la vie àx Hofomes lUuftres, qui eft
Jbus le ocMB d'AnreUiu Viâor.
II eft vrai que les Tragiques Grecs
ont fait quelquefois de lemblables
feutes . mais çUes n'excufent point
celles des modernes , d'autant plus que
VArt devroit du moins être ^ourd*hui
plus parfait. D*aiUeuis on a toi^ours
repris les Poëtes tragiques de ta Grè-
ce de ces' fentes qui oinfent i la viai-
femblance de leurs fiqipofitions , en
(çunbattant des vérités^certaines &.
coofuies. Faterculu (<) reproche mê'
me à ces Poëtes , comme une erreur
groffiere , d'avoir a[^Ué Tli^alie
cette: partie de la Grèce qui fiit »oâ^
pomaiée dans la .fuite, en des temS''
OÙ elle ne port<£tpa5 encore ice'novii
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poift SffuT la Peiniurt. 167
Orne SMHM oùréri eonvtnit tes , fiu ,
itiaca componenus ttmpora , de ta regîone
ut TktJpiÛa comnumorant ; qitèd eùm alii
/aciant Tragicî , fTtqmmiffimï fac'tunt ,
quitus minime id tonctdtriduW efi , nihll
taim fmb perfona Potttt , fid oHinia fub
eorum » qui dlo umpore vixtnlnt , dixe-
runt. En effet la faute choque d'au-
tant fJusdansk Poëte tragicjue , qu'il
Ja fait commettre à un perfonnage
qui vivoît dans des téifis oti il ne poii-
voit point faire cette faute. Nous ptAi-
vons encore confirmer notre fentiment
rce qii'Ariftote dit (<i) au fujei de
vraifemblance hiftonque qu'il faut
garder dans les Poèmes. 11 blâme ceux
qui prétendent que l'exaâifude à fe con-
former à cette vraifemblance , foitunô
affeûation inutile ; & même il reprend
Sophocle d'avoir fait atinoncer d^ns la
Tragédie d'EIeâre qu'Orefte s'étoit
tué aux Jeu» Pythiens , parce qlie' ces
jeux ne furent inflitués que phifieur's
fiécles après Ore Ae. Mais il aii plus faci-
le aux Poètes de traiter cette exaâitude
de pédanterie , que d'acquérir les con-
■noiffances néceffaires pour ne point
faire de fantes pareilles à l'erreur qu'A-
riftote reproche à Sophocle.
{■Dfamc.ch.ii. M ij
.C.<x,8lc
1^8 Réflexions aiùques
SECTION XXX,
P» la vraîfembîanct en Petraure y & des
égards que les. Peintres doivent aux
TraditioTis reçues^
1 L efl deux fortes tle vraîfemblance
en peinture, la vraisemblance poétique
& la vraifemblance mécanique. La
vfaifemblance mécanique confifte à ne
rien repréfenter qui ne foit poâîble,
Aiivant les loix de la ûatique , les loix
du mouvement, & les loix dç l'op^
tique.
Cette vraifemblance mécanique con-
iUle donc à ne point donner à une
lumière d'autres effets que ceux qu'elle
aiiroit dans la Nature : par exemple ,
à ne lui point faire éclairer les corps
fur lefquels d'autres coriM interpolés
l'empêcbent ,de tomber. Elle conAAe
jt ne point s'éloigner fenftblement de
la proportion naturelle des corps ; à
ne point leur donner plus de force
qu'il eft vraifemblabk qu'ils en puiflent
avoir. Un Peintre pécherojt contre
ces loix ^ s'U faifoit lever paç un tupav-
:,-,zf-,GoOglc
fur ta Poîfit &furU Peîaiure. 1^9
me t^ù feroit mis dans une attitude ,
laquelle ne lui laifleroit que la moitié
de fes forces , un ferdeau qu\m hom-
me , qui peut faire ufaee de toutes fes
forces, auroit peine à ébranler. Encore
moins faut-il faire porter à utie fieiire
iin tronçon de colonne , ou quelque
autre tajrdeau d'ime pefanteur exceflî'-
ve y & au-deiTus des forces d'im Her-
cule. Mais fi Ton Aippofe , dira-t'on ,
que CES %ures font des Génies bons
ou mauvais, dont les forces font plus
qu'humaines , alors la vraifemblance
n*en fouâiira point. A cela je réplique ,
que le Peintre aura bien alors la raifon
pour lui f mais il aura les fens contre
lui. A qui doit-il plaire principalement i ■
Je ne parlerai point plus au long de
la vraifemblance médianique , parce
qu'on en trouve des règles très-détail-
léestlans les livres qui traitent de l'Art
de fo Peinture.
La vraifemblance poétique conlifte
à donner à fes perfonnages les payions
qui leur conviennent, fuivant leur âge ,
leur dignité , fuivant le tempérament
qu'on' leur prête , & l'intérêt qu'on
leur hit |Hendre dans l'aâion. Elle
confiâe à cbfcTvet dans fon tableau
Miij
:,-,zf--„GoOglc
ija RéjUxians critiques
ce que les Italiens . appellent // Coflu-
mi^ c'eÛà-dire, à s'y conformer à ce
que nous fçavons des mœurs, des ha-
bits , des bâtiment &c des aimes [^rti-
euHercs des peuples qu'on veut repré-
fenter. La vraifemblaace poétique, con-
fiée enBn à^ donner -aux perionnages
d'un tableau leur tête & leur caraÔere
connu , quand ila en ont un , foit que
ce caraâerç ait été pri«-fur des por-
tjaits , Ibit qu'il ait été iangÎBé. Nous
parlerons tantôt plus au Ipng de ces
caraûeres connus.
Quoique tous l'es ipe^itfeurs dans
un tableau deviennent des Ââeurs,
leur aûionnéannKîinsnedaitêïirevive
qu'à proportion dâ l'intérêt (^ulh preo-
n£at à l'événement dant.<Hi les rend
témoins. Ainlî le A>ldat qui voit le fa-
crifîce d'f phigrâîe doit être énui , mais
il ne 'doit point être aulS ému qu'un
frère de la viâtme. Une femme qui
affîile au ji^emont de Suzaimo , &C
qu'on ne reconnoàt point à fon aiv de
^te ou à fes traits pour ^re la iœas
ou la mère àa Suzanne , ne doit pas
montrer le même degré d'aAlâion,
qu'une parente. Il raiit qu'un jeune
homme applaudiflè avec plus d'en^ref-
fement qu'un vieillard.
fur ta Poêfit & fur la Ptimurt. 17 1
L'attention à la même chofe eft en-
core difFérente en ces deux âges. Le
jeune homme doit paroître livré plei-
nement à tel fpeâacle que l'homme
d'expérience ne doit voir qu'avec une
légère attention. Le fpeâateur , à qui
l'on donne la phifîonomie d'un homme
d*efprit , ne doit point admirer comme
celui qu'on a caraâérifé par une phy-
fionomie ftupîde. L'étorniement d'un
Roi ne doit point être celui d'un Som-
me du peuple. Un homme qui écoute
de loin , ne doit pas fe préienter com-
me celui qui écoute de près. L'atten-
tion de celui qui voit , eft différente
de Tattention de celui qui ne feit
qu'entendre. Une perfonne vive ne
voit pas & n'écoute pas dans la même
attitude qu'une perfonne mélancoli-
que. Le refoeô & Pattention qite la
Cour d'un Roi de Perfe témoigne pour
fcn maître doivent être exprimés par
des démonftrations qui ne conviennent
• pas à l'attention de la fuite d'un Con-
ml Romain pour fon Ma^rat. La
crainte d'unEîclave n'eft pas celle d'un
Citoyen , ni la peur d'une femme celle
d'im foldat. Un foldat qui verroit le
ciel s*entrouvrir , ne doit pas même
Miy
:,-,zf--„GoOglc
271 RèfitxÀons CTiàqms
avoir jïeur comme une perfomie d*iuie
autre condition, La grande frayeur peut
rendre une femme immobile ; mais le
ibldat éperdu doit encore fe mettre
en polhire de fe fervir de fes armes,
du moins par un mouvement purement
machinal. Un homme de tourage , at-
taqué d'une grande douleur , laifle
bien voir fa fouâiance j>einte fur fon
vifagei mais elle n'ydoitpointparoître
tejle 'qu'elle fe montreroit fur le vi-
fage d'une femme. La colère d'un hom-
me bilieux n'elt pas celle d'im homme
mélancolique.
On voit au maître-^utel de la pe-
tite Eglife de faint Etiemie de Gènes
un tableau de Jules Romain qui repré-.
fente le martyre de ce Saint. Le Pein-
tre y exprime parfaitement bien la dif-
férence qui eft entre l'aftion naturelle
des perfonnes de chaque tempéra-
ment , quoiqu'elles agifleni par la mê-
me pallion ; & l'en fçait bien que cette
forte d'exécution ne fe faifoit point
fiar des bourreaux payés , mais par
e peuple lui-même. Un des Juifs qui
lapide le Saint , a, des cheveux rouf-
fâtres, le teint haut en couleur , enfin
toutes les marques d'im homme bilieux
:,-,zf-„ Google
far U Poêfie & far la Peiruure. ly 3
& fanguin , & il paroît Iranfporté de
colère. Sa bouche & les narines font
ouvertes extraordinairtment. Son gefte
eft celui d'un furieux ; & pour lancer
fa pierre avec plus d'impétuofité , il ne
iè foutient que fur \m pied. Un autre
hiif placé auprès du premier , & qu'on
reconnoît être d'un tempérament mé-
lancolique à la maigreur de fon corps ,
à fontein livide , comme à la noirceur
des poils 5 Ce ramaffe tout le corps en
jettant ia pierre , qu'il adreffe à la tête
du Saint. On voit bien que fa haine
eil encore plus forte que cçlle du pre-
mier f quoique fon maintien & fon
gefte ne marquent pas tant de fureur.
Sa coUre contre un homme condam-
né par la loi , & qu'il exéaite parpriri-'
cipe de religion ,' n'en eft pas moins
grande pour être d'une efpece diffé-'
rente.
L'emportement d'un Général ne doit
pas être le même que celui d'un fmiple
îbldat. En&i il en ell de même de tous
lesfentimens &c de toiues les paflîons.
Si je n'en parle point plus au lon[;,
c'eft que j'en ai d^a dit trop pour les
perfonnes qui ont réfléchi fur le grand
ait des expreflions y quand je n'en fç:ut'
Mv
:,-,zf--„GoOglc_
3.74 Rdfiexi^ns critiques
rois dire alTez pour celles qui n'y oot
pas réfléchi.
La vraifembUnce poétique conHûe
enccM'e dans l'observation dçs regif»
que nous comprenons, ainfi qi^ les
Italiens, fous le mot de Coftumé: oI>-
l^rvatiop qui donne un li grand mérite
aux tableaux du Pouflîn, Suivant ces
■ règles , il faut repréfenter les lieux oU
l'aflion s'eft paffée , teis qu'ils ont été ,
£ nous en avons connotflance ; âc quand
il n'en eft pss demeuré de notion pré-
«tife , il faut , en iniagînani leur dif-
pofilion , prendre ga^rde à ne fe poiat
trouvereBccwti-adiâionavecce qu'on ■
en peut fç9Voir. Les mêmes règles
veulent encore qu'on doima aux diffé-
rentes Mations qui paroiflent (vdinai-
r«mettf fiu- 1^ fcène des tableaux , la
couleur de vifage &.1 'habitude de.cprps
que l'Hiftoîre a remarqué leur être,
propres. Uefi même beau de pouffer la
vraifemblance jufqïi'à fuivre ce que
nous fçavOQs de particulier des ani-
matix de chaque p4ys , qi^nd nous
repréfentons un événement arrivé dans
ce pays-rlà. Le pQuffin qui a traité plu- .
fieurs aûions , dont la fcène efl en
Egypte > met prefque toujours dans fes
:,-,zi-,GoOglc
fur là Pùifit &fur ia Ptloturt. 17 J
tableaux des bâtinwns , des arbres ou
des animaux, qui, par dllFérentesm-
ibns , font regardés comme étant par-
nculiers à ce p^<
Monfieùr le Brun a Aiîvi ces règle»
dans Tes tableaux de lUIftoire d'Alexan-
dre arec la même poHâttaliré. Les
Perfes 8t les IndieAs s'y diftfai^ent des
Grecs à leiu* phyfionomie aurant qu'à
leurs armes. Leurs chevaux n'ont pas
le même corfage que ceux des Macé-
doniens. Conformément à la vérité,
les chevaux .des Perfes y font repré-
fentés plus minces. J'ai entendu dire,
à-Monfiellr Perrtuit que fon ami Mon-
fKur le Brun avoir fait deffiner à.Alep
des chevaux de Perfe , afin d'obferver
le Coflami fur ce point-là dans fes ta-
bleaux. Il eft vrai qu'il fé trompa fur
la tête d'Alexandre dans !e premier
qu'il fit. C'efi celui qui- repréf ente les
Reines de Perfe auxpieds d'Alexandre.
On avoit donné à Moniteur le Brun
pour la t£te d'Alexandre une tête de
Minerve qui ^oit fur unfrMédaille , au
revers 'de laquelle on lifoit le no**
d'Alexandre. Ce Prince , contre la vé-
rité qui nous eft connue , paroît dbhc-
beau comme une femme dans- ce ta<
Mvj
:,-,zf-,GoOglc
iy6 * Rlfitxhns cfitiquts . "
bleau. Mais Monfieur le Bnui fe cot-
rigea , dès qu'il eut été averti de Ta
mépriie , & il nous a donné la véri-
table tête d'Alexandre dans le tableau
du paâàge du Granique ^ & dans celui
de Ion entrée à Babylone. U en prit
idée d'après le bufte de ce Prince qui
£e voit dans. un des bofquets de Ver-
failles fur une colonne , & qu'un Sculp-
teur moderne a déguîfé en Mars Gau<
lois, en lui mettant un coq fur fon
cafque. Ce bufte , ainfi qite la colonne
qui eft d'albâtre Oriental, ont été ap-
portés d'Alexandrie.
La vraifemblance poétique exige
aufli qu'on repréfente les Kations avec
leurs vâtemeiis , leurs armes & leurs
étendarts. Qu'on mette dans les en-
feignes des Athéniens, la Chouette;
dans celles des Egyptiens , la Cigo-
gne ;& l'Aigle dans celles des Eomains ;
enfin qu'on fe conforme à celles de leurs
coutumes qui ont du rapport avec l'ac-
tion du tableau. Ainfî le Peintre qui
fera un tableau de la mort de Britanni-
cus , ne repréfcntera point Néron & les
auues convives aâis autour d'ime ta-
ble ; mais bien couchés fur des lits.
L'eneur d'introduire dans une aâion
:,-,..-,C<»^.ilc
fur la Potfie &fur U Ptîhtun. 17^
des perfonnages qui ne putent jamais en
être les témoins , poiir avoir vécu dans
des tems éloignés de celui de l'afiion,
eft une etteiir grofllere oiinos Peintres
ne tombent plus. On ne voit plus un
faim François écouter la prédication de
faim Paul, rtiiin Confeffeiir le Cruci-
fix en main , exhorter le bon Larton.
Enfin la vraifemblance poétique de-
mande que le Peintre donne à fes per-
fonnages leur air de tête connu , foit
que cet air de tête nous ait été tranf-
mis par des médailles , des ftatuës, ou
pat desportraits;foit qu'une tradition,
dont ne connoît pas la fource, nous
l'ait confervé ; ioit même qu'il foit
imaginé. Quoique nous ne fçachions
pas bien certainement comment faint
Pierre étoit fait , néanmoins les Pein-
tres & les Sculpteurs font tombés d'ac- .
cord par une convention tacite de le
représenter avec un certain air de tête
& une certaine taille qui font devenus
propres à ce Saint. En imitation , Ti- .
dée reçue & généralement établie ,
tient lieu de la vérité. Ce que j'ai dit
de faint Pierre , peut aufli le dire de la
figure fous laquelle on repréfente phi-
fieurs autres Saints, & même de celle
■,r ..Google
ayS Rifitxions critiqms
qu'on donne ordinairement à Taînt
Paul , quoiqu'elle ne convienne pas
trop avec le portrait que cet Apôtre
iàit de lui-^ême. Il n'in^rte , la cbofe
eA établie ain£. l£ Sculpteur qui re-
préfenteroit faint Paul plus petit , plus
décharné , & avec une barbe plus
courte que faint Pierre , feroît repris,
autant que le fiit BandînelU , pour
avoir nus à côté de la ftatuë d'Adam
qu'il a faite pour le dôme de Florence,
une ftatuë d'Eve plus haute que celle
de fon mari, (n)
Nous voyons par les Epîtres de Si-
donius Apollinaris (i) que les Philofo-
phes illimres de l'Antiquité avoient
auili chacun Ton air de tête , fa figure
& fon gelle qui lui étoient propres en
peinture. PerGymnaJîapinguaeurZtu-
jîppus ctrvUt fuma, Aratus panda , Ze~
non frontc tontraHa , Epkmus cuu tUfi-
tenta , Dî^tnes harbot eoméntt , Sona-
tes coma camUnie ^ ArifioteUs brachi» ex*
ferto , Xtnocraus crun coUeUo , Heracli-
(t) Ccideni flatuës ne fent flus dam l'EgLfe ciéii-
drilc de FlMcnce; ellei ea oui été âréc* en 1711 yu
otdre du Grand Duc Corme III , pour Htt tràCcs dam
H grande Sile du vieux Paliii. On Icdf » Tubftiiud an
«groupe que Michel-Ange avoiCliiA'é impuAiti * mil
repréf^ ^i._.n j.r___ . . , ^_. _
:,-,zf-„ Google
fur la Potjit &fur la Peinture. 17g
tus fietu otulis claujîs , Democriius rifu
lahrLs spertis , Chryfippus digitis propter
numerorum indicia coafiriSis , Eucîides
propter menfurarumfpt^a laxatls , Clean-
ihts propter utrumque corrojîs. Raphaël
s'cft bien fervi de cette érudition dans
fbn tableau de TEcoIe d'Athènes. Nous
apprenons aiiffi de Qiiintilien (a) que
les anciens Peintres s*étoient affujet-
tis à donner à leurs Dieux &c à leurs
Héros la phylionomie & le même cà-
raftere que Zeuxis leur avoit donné ,
ce qui lui attira le nom de Légidatelir.
J/ie verit ita circumfcripjît omnia ut eum
iegumlatoremvocent , quia Deorum & He-
roum effigies quales abeofunt traditee , ca-
teri tanquàm ita.mceffefitjequntur.
L'Obfervation de lavraifemblannce
me paroît donc , après le choix du fii-
jet , la chofe la plus importante dans
le projet d'im poème ou d'un tableau.
La règle qui enjoint auxPrintres com-
me aux Poètes de faire un plan judi-
cieux, & d'arranger leurs idées de ma-
nière que4es objets fe débrouillent fans
peine , vient immédiatement après la
règle qui enjoint d'obferver lavraifero-
blancc.
ta) Iliflit. /i>. 11, ex.
■,r ..Google
i8o Réflexions tmiques
S E C T ION XXXI.
Dt ia difpojîtion du Plan. Qu'il faut,
divifcr C ordonnance des Tableaux en
compofition Poétique & en compbfitioa
PittoreJ^ue.
JVIes réflexions fur le plan des Poë*
mes feront bien courtes, quoique la
matière Toit des plus importante:^. Ce
oue l'on peut dire touchant les POemes
ae grande "étendue , fe trouve déjà dans
le Traité du Poëme Epique par le Père
le Boflii , dans ta pratique du Théâtre
fiar l'Abbé d'Aubignac , comme dans
es diflertations que le grand Corneille
a faites fur fes propres pièces. Ce qu'on
peut dire touchant les petits ouvrages
fle Poëfie , eft très-coiut. S'ils font le
récit d'ime aâion , il feut qu'ils ayent ,
ainfi que les pièces de théâtre , une ex-
polition , une intrigue & un dénoue-,
ment. S'ils ne contiennent pas une ac-
tion , il faut qu'il y ait un ordf e ou len-
fible ou cacha ; & que les penfées y
fuient dif[>ofées de maiùere que nous
lesc oncevions fans peine , & que nous
Coo^jlc
fur la Poijît & fur la Ptîruure. 18 1
imiflîons même retenir la fubftance àe
l'ouvrage & le progrès du raîfonne-
ment.
Quant à la Peinture , je crois qu'il
faut divifer l'Ordonnance ou le pre-
mier arrangement des objets qui doi-
vent remplir un tableau, en compoii-
ùon pittorefque & en compolition
poétique.
. J'appelle compofition pittorefque ,
Tarrangement des objets qui doivent
entrer dans un tableau , par rapport à
l'effet général de ce tableau. Une bon-
ne compoiition pittorefque eil celle
dont le coup d'œil fait Un grand effet ,
fuivant l'intention du Peintre , & le
but qu'il s'eA propofé. 11 faut pour ce-
la que le tableau ne foit point em-
barralfé pa'ï' les figures , quoiqu'il y en
ait affez poiu- bien remplir la toile.
Il faut que les objets s'y démêlent
facilement. Il ne &ut pas que les
figures s'cftropient l'une Vautre en fe
cachftit réciproquement la moitié de
la tête , ni d'autres parties du corps ,
lefquelles il convient au fujet que le
Peintre fkfle voir. Il &ut enfin que les
Êroupes foient bien compofés ; que la
imiere leur foit diftribuéc judicieufe-
:,-,zf--„GoOglc
iS t Réflexions critiques
ment ; & que Tes couleurs locales «
loin de s'entretuer, foient difpofées
de manière qu'il réfiilte du tout une
harmonie agréable i l'œil par elle>
raâme.
La conu>ofition poétique d'un ta-
bleau y c'ea un arrangement ingénieux
des fîgiu'es inventé pour rendre l'ac-
tion qu'il repréfente', plus touchante
& plus vraiiemblable. Elle demande
que tous lesperfonnages foient liés par
une aâicHi principale ; car un tableau
peut contenir plufieurs incidens , à
condition que toutes ces aâions par-
ticulières fe réuniffent en une aoion
principale , &c qu'elles ne fafTent toutes
qu'un feul & même ftijet. I^es règles de
la Peinture font autant ennemies delà
duplicité d'aôion, que ceMes de la Poë-
ûs dramatique. Si la Peirttiu'e peut
avoir des Epifodes conmie la Poëfie ,
il £àUt dans les tâUeaux , comme dans
les tragédies, qu'ils foient liés arec le
fnjet , Se que l'unité d'aâion foît con-
fervée dans l'ouvrage du Peintre com-
me dans le Poëme.
11 faut encore que les perfonnages
foient placés avec dilcemement , & vê-
tus avec décence, par rapport à leur
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poifii' &fur la Ptînturti î8 j
dignité comme à Timportance dont ils
font. Le père d'Iphigénie , par exem-
ple', ne doit pas être caché derrière
d'autres figures au lacriâce oîi Ton doit
immoler cette Princeffe. II doit y tenir
la place lapins remarquable après celle
de la Viâime. Rien n'eu plus infui>-
portable que des figures indifférentes ,
placées dans le milieu d'un tableau.
Un foldat ne doit pas être vêtu aulÏÏ
richement que fou Général , à moins
qu'une circonftance particulière ne
oemande que cela foil ainfi. Comme
nous l'avons déjà dit en parlant de la
vraifembiance , tous les perfonnages
doivent faire les démonftrations qui
leur cçnviennent, & l'exprelTion de
chacun d'eux doit être confoxme au
caraftere qu'on lui fait foutenir. Sur-
tout il ne raut pas qu'il fe trouve dans
le tableaii des figures oifeufes , & qui
ne prennent point de part à'I'aiHon
principale. Elles ne fervent qu'à dif-
traire l'attention du fpeâateur. It ne
feut pas encore que t'Artifan choque
Is décence ni la vraifembiance pour
fevorifer fon deifein ou fon coloris , &
qu'il facrifie ainli la Poëûe à ta méca-
nique de fon art.
:,-,zf--„GoOglc
184 Réflexions crînqutî
Le talent de ta compoâtlon poétique
& le talent de la compofition pittorel'
qiie font tellement fëparés, que nous
voyons des Peintres excellens dans
l'une, être grofliers dans l'autre. Paid
Veronefe, par exemple, a très-bien
r^lli dans cette partie de l'ordonnance
.que nous appelions compofîtion pîtto-
refque. Aucun Peintre n'a fçu mieux
Î[ue lui , bien arranger fur une même
cène un nombre infini de perfonna-
ges , placer plus heureufement fes £-
gures , en un mot bien remplir une
grande toile , fans y mettre de la con-
fofion. Cependant Paul Veronefe n'a
pas réufli dans la composition poétique.
Il n'y a point d'imité d'aâion dans ia
plupart de fes grands tableaux. Un de
les plus magnifiques ouvrages, les no-
ces de Cana , qu'on voit au fond du
Réfeâoire du Couvent de faïnt Geor*
ges à Vdiife-e^rempli de foutes con-
tre la Poëfi(^ptttbr5ifâaé'. Un petit nom-
bre des perfonnages fans nombre , dont
il eil rempli , paroît être attentif aw
Miracle de la converfion de l'eau en
vin , qui fait le fujet principal. Perfon-
ne n'en eft touché autant qu'il le fou-
étroit. Paul Veronefe introduit parmi
:,-,;*- -„GoOglc
fur ta Potjie Sffur la Pdaturt. aSj
les conviés des Religieux Bénédiflins
du Convent pour lequel il travailloit.
Enfîn fes perîbnnages font habillés de
caprice » & y comme dans fes autres ta-
bleaux , il y contredit ce que nous fça-
vons pofitivement des mœiu-s &c des
itfages du peuple , dans lequel il choi-
fit us Aûeurs.
Monfieur de Kles grand amateur de
la Peinture ,^ôc qui mi-même manioit
le pinceau , nous a laifTé plufieurs écrits
touchant cet Art, qui font dignes d'être
connus de tout le monde ; mais un de
ces écrits mérite toutes les louanges
qui font dues aux livres originaux ,
c'eû fa balance desPeintres. Onyap-
iwend dlilinÛement à quel point démé-
rite chaque Peintre , dont il parle , eft
parvemi en chacune des quatre parties
dans lefquelles l'Art de la Peinture peut
fe divifer#Ces parties font la compo-
fitîon , le deflein , l'expreflion & le co-
loris (a). Après avoir fuppofé que le
vingtième degré de fa balance marque
le plus haut point de perfeâion où il
foit poilible d'atteindre en chacune de
fes parties : 11 g»oiis dit à quel degré
chaque Peintre eft demeuré. Mais pour
:,-,zf--„GoOglc
lS6 RéjUxtotts emiqius
n'avoir pas diAribué l'Art de la Peintm-e
en cinq parties , ni dîvife ce qu'on ap-
pelle en général Tordoiinance , encom-
poâtion pittorefque & en compofition
poétique, il tonwe dans des propofî-
lions infoutenables , comme eft celle
Â& placer au même d^é de Ta balance
Paul Veronefe & le Pouffin en qualité
<ie Compofiteurs.Cependantles Italiens
mêmes tomberont d'accord que Paid
Veronefe n'eft nullement comparable
dans la Poëlie de la Peîotiire au Pouffin ,
qu'on a nommé dèsfbn vivant le Peintre
des gens d'efprit , éloge le plus flateur '
qu'un Artilan pût recevoir.
Le même Paul Veronefe fe trouve
encore placé dans notre balance à côté
de Moiweur le Brun , quoique dans la
partie de la comparaîfon poétique , la
ieule dont il s'agit ici , le Bnm ait peut-
Être été àuffi loin que Rapbftl. On voit
dans le grand appartement du Roi à
Verfailles les deux exceliens tableaux ,
placés vis-à-vis l'un de l'autre, les
Pellerinsd'Emmaiis par Paul Veronefe,
& les Keines de Perfe aux pieds d'A-
lexandre, parle Bnii%Un peu d'atten-
tion fur ces tableaux fera juger que ,
û Paul Veronefe eft un méchant voi-
:,-,zf-,GoOglc
fuT la Poife &fi& la Ptinture, x%y
&i pour le Brun quant au coloris , le
François eft encore un plus méchant
voiûn pour ritalLen, quant à la Poëlîe
pittorefque & à l'exprelfion. Il n'eft
pasdifficile de deviner à qui Raphaël aii-
roit donné le prix: fiiivant l'apparence ,
Raphaël auroit prononcé en faveur du
genre de mérite dans lequel il excelloit,
Je veux dire en faveur de Texpreffion ,
& de la Poëfie. Je confeille à mon Lec-
texv/^ï\re dans le premier volume des
Parallèles de M. Perrault , {a) le juge-
ment raifonné qu'il porte fur ces deux
tableaux. Ce galant homme , dont la
inémoire fera- toujours en vénération
à ceux qui l'ont connu , nonobftant tout
ce qu'il peut avoir écrit fur l'antiquité ,
étoit auffi capable de faire une bonne
ComparaifcHi de l'ouvrage de Paul Ve-
roneie & decehii de le Bnm , qu'il étoit
incapable , iiiivant Monfieur Woton ,
de faire un bon.paratlele entre les Poë*
tes anciens Se les Poètes modernes. '
:-„r., Google
Réflexions critiques
SECTION XXXII.
De V importance des fautts que Us Peintres
& Us Poètes peuvent fitire contre Ivirs
règles.
Vj OM M E les parties d'un tableau
font toujours placées l'une* à côté da
l'autre , & qu'on en voit VEnfetiÊ^ du
même coup d'oeil , les défauts qui font
dans fon ordonnancé , nuifem beau-
coup à l'effet de fes beautés.. On apr
perçoit fans peine fes feutes relatives,
quand on a fous les yeux en même teins
les objets qui n'ont pas entr'eux le rap-
port qu'ils doivent, a voir. Si cette faute
confme , comme celle du Bandinelli ,
dans une figure de femme plus haute
qu'une figure d'homme d'égale dignité,
elle eft facilement remarquée , puifque
ces deux figures font l'unfi à côté de
l'autre. I! n'en eft pas de même d'un
poème de quelque étendue. Comme
nous ne voyons que fucceflîvement
un Poëme dramatique ou im Poème
épique , & comme il faut employer
plufieurs jours à lire ce dernier, les
défauts
:,-,zf-„ Google
/urta PoëJtt& fur ia Peinture. i8j
âcfaiits <3fxi font dans l'ordonnance &
dans la diftribution de ces Poèmes , ne
viennent pas fauter aux yeux , comme
y fautent les défauts pareils qui font
dans un tableau. Pour remarquer les
feutes. relatives d'un Poëme , il faut
fe rappeller ce qu'on a déjà vii ou en-
tendu , & retourner , pour ainfi dire ,
furfes pas , afin de comparer les objets
qui manquent de rapport ou de pro-
portion. Par exemple , il faut fe reflbu-
venir que l'incident aui fait le dénoue-
ment dans le cinquième Afle , n'aura
point été fuffîfamment préparé dans les
Aûes précédens ; ou qu'une chofe dite
par un perfonnage dans le quatrième
Aâe , dément le caraflere qu'on lui a
donné dans le premier. Voilà ce que
tous les hommes n'obfervent point tou-
jours : plufieurs même ne l'obfervenc
Jamais. Us ne lifent point les Poèmes
pour examiner fi rien ne s'y dément ,
mais pour jouir du plaifîr d'être tou-
chés. Ils lifent les Poèmes comme ils
regardent les tableaux '; & ils font cho-
qués feulement des fautes qui , pour
ainfi-dire , tombent fous le fentiment ,
& qui diminuent beaucoup leur plai-
Tomt /. a
:,-,zf--„GoOglc
loO Réflexions criûquts
D'ailleiirs les &utes réelles qui font
dans un tableau , comme une figure
trop coiute , un bras eftropié « ou un
perfonnage qui nous préfente une gri»
mace , au lieu de re:q)reflton naturelle ,
font toujours à côté de fes beautés.
Nous ne voyons- pas ce quç le Peintre
a fait de bon , féparément de ce qu'il a
fiiit de mauvais. Ainfi le mauvais em-
pêche le bon de faire fur nous toute
î'impreffion qu'il devroit faire. Il n'en
eft pas de même d'un Poème ; fes fiiu-
tes réelles , comme une fcène qui forf
de la vraifemblance , ou des fentimens
3ui ne conviennent point à la iituatîon
ans laquelle un perionnage eft fuppo-
fé , ne nous dégoutem que de la partie
d'un bon Poëme où elles fe trouvent.
Elles ne jettent même fiu* les beautés
vpifioes qu'une ombre ïà&ilé^çje.
, Google
fur la Poëjïe & fur la Pe'iaturt. ta r
SECTION XXXIII.
De la Pflijîe du Style , dans Uqutlît Us
mou fom regardes en tant qfit lesfgnes
de nos idées.
Que c^ejl la Poifie du Style qui fait la def
tinée des Poïmts,
A I N s I la beauté de chaque partie"
du Poëme , je veux dire la manière dont
chaque fcène eïl traitée & la manière
4ont s'expliquent les perfonnes , con-
tribue plus au fuccès d'un ouvrage ,
que la juftefîe du plan &c que fa régu-
larité , c'efl-à-dire , que l'union & la
dépendance de toutes les différentes
parties qui compofent un Poëme. Une
Tragédie , dont toutes les fcènes prifes
en particulier feront belles , mais mal
cbiifijes enfemble , doit réuffir plutôt
qu'une Tragédie , dont les fcènes bien
liées entr'efles , feront froides. Voilà
pourquoi nous admirons plufieurs Poè-
mes quinc fontrien moins queréguliers,
mais qui font foutenus par Tinven
tion & par un ftyle plein de poefie , qui
:,-,zf--„GoOglc
i,q% Riflexîom critiques
de moment en moment préfente desimaJ
ges qui nous rendent attentifs , & nous
émeuvent. Le plaifîr fenfible que nous
font des beautés renailTantes à chaque
période , nous empêche d'appercevoîr
une partie des déiauts réels de la pie-
ce , & il nous fait excufer l'autre. C'eft
qinfi qu'un homme aimable en préfence
feit oublier fes défauts ^ & quelquefois
fes vices , durant les momens où Ton
eft féduît par les charmes de fa çon-r
verfatîon. U réuflit même fouvent 4'
ijpus les &ire oublier dans la définition
générale de fon caraâere.
La Poëfie du ilyle confifte à prêter
' dçs fentimens intérelTans à tout ce
qu'on fait parler, comme à exprimer
par des figures , & à repréfenter fous
des images capables de nous émoU"
voir , ce qui ne nous toucheroit pas ,
s'il étoit <Ht ^plement en âyle pro>
ftique,
Ces premières idées qui nailTent dans
l'ame, torfqu'elle reçoit ime afieôion
vi ve ,& qu'on appelle communément des
Jintimens^ touchent toujours, bien qu'ils
fpient exprimés dans lestermes les plus
fimples. Ils parlent le langage du cœur.
Éfluliç intçrefie dpnc, «juahd ellç dit
:,-,zf--„GoOglc
fur ta Poêjîe ^fur la Pàntuft. 19J
.dans les termes les plus funples ,
J'ume encor plut Cinna qu* )■ ne hali Augii[lE>
Un fentiment celferoït même d'être
aufiî touchant, s'il étoit exprimé en
termes magnifiques & avec dts figures
ambitieufts. Le vieil Horace ne m'inté*
refleroit plus autant qu'il m'intérelTe ,
fi au lieu de dire simplement le fameux
Q« 'il mûurât , il exprimoit ce fentiment
en ftylè figuré. La vraifemblance péri-
Toit avec la fimplicité de l'expreltion.
Où j'apperçois de l'afFeftation, je ne
reconnois plus le langage du cœur.
dit Horace. Mais les retours que lej
Interlocuteurs font fur leurs fentimens
& fur ceux des autres , les réflexions
du Poëte , les récits , les defcriptions ,
en un mot tout ce qui n'eft pas fenti-
ment, veut, autant que la nature du
poëme & la vraifemblance le permet*
tent, nous être repréfenté fous des
images qui forment des tableaux dans
notre imagination.
l'excepterai de cette règle générale les
récits ces événemens prodigieux qui '
N ii;
:,-,zf--„GoOglc
4.94 Refitxions crùiquts
fe font , lorfquc ces événemens vien-
nent d'arriver. Il eil dans la vraifera-
blance que le témoin oculaire de pa-
reils événemens , & qu'il convient
d'empkiyer pour en faire le récit , ak
été frappé d'un étonnenient qui dure
encore. Il feroit ainfî contre la vrai-
semblance qu'il fe fervît dans fon récft
des figures qu'un homme faifî , & qui
ne fonge point à être pathétique ^ ne
trouve pas. D'ailleurs ces événemens
jM-odigieux exigent du Poëte de letu-
procurer la croyance du fpeâateur ,
autant qu'il eft pofKbIe ; & un moyen
de la leur procurer , c'eft de les faire
raconter dans les termes les plus fim-
ples & les moins capables.de faire foup-
çonner celui qui parle d'exagération.
Mais , comme je viens de le dire , il
faut que hors de ces deux occafions ,
le ftyle de la Poëfie foit rempli de fi-
gures qui peignent fi bien les objets
décrits dans les vers , que nous nepuïf-
■fions les entendre , fans que notre ima-
gination foit continuetleoient remplie
des tableaux qui s'y fuccedent les uns
aux autres , à mefure que les périodes
du difcours fe fuccedent les unes aux
autres.
.-,0 ..Google
fur la P&ijîe &fw la Peînturt. a 9 5
Chaque genre de Poëme a quelque
chofe de particulier dans la Poëfie de
fbn ûy\e. La plupart des images , dont
il convient que le ftyle de la Tragédie
foit nourri , pour ainfi dire , font trop
graves pour le flyle de la Comédie. Du
moins le Poète comique ne doit-il en
faire qu'un ufage très-fobre. II ne doit
les employer que pour iùire parler
Chrimisy lorfque ce perfonnage entre
pour un moment dans une palllon tra-
gique. Nous avons déjà dit que les
Eglogues emprjjntoient leurs peintures
& leurs images des objets qui parent
la campagne, & des événemens de la
vie niuique. La Poëfîe du ftyle de la
Satyre doit être nourrie des images les
plus propres à exciter notre bîle. L'Ode
monte dans les Cicux , pour y emprun-
ter fes images & fes comparaîfons du
Tonnerre, des Aflres & des Dieux mê-
mes. Mais ce font des chofes dont l'ex-
périence a déjà inllratt tous ceux qui
aiment la Poëfie,
Il faut donc que nous croyions voir ,'
pour ainfi dire , en écoutant des Vers :
Ut Piclura Poïfîs , dit Horace. Cléopa-
tre s'attireroit moins d'attention , file
Poëte lui faifoit dire en ftyle profaïque
Niv
:,-,zf--„GoOglc
i^S Réfltxîoiu entîques
aux Minières odieux de Ton frere : Ayez
peur , méchans ; Céfar qui ell jufte , va
venir la force à la main : II arrive avec
des troupes. Sa penfée a bien un autre
éclat , elle paroit bien plus relevée ,
lorfqu'elle eft revêtue de figures poeti-
3ues , & lorfqu'elle met entre les mains
e Céfar l'inftrutnent de la vengeance
de Jupiter. Ce vers (a)
Tremblez, méchant, iremWei: voici venir li fbudre;
me préfente Céfar armé du tonnerre, &
& les meurtriers de Pompée foudroyés.
Dire fimplement qu'il n'y a pas un gt'an^!
mérite à fe faire aimer d'un homme
qui devient amoureux facilement , mais
qu'il eft beau de fe faire aimer par un
homme qui ne témoigna jamais de dif-
pofition à l'amour , ce feroit dire une
vérité coniinune , & qui ne s'attireroit
pas beaucoup d'attention. Quand Mon-
iîeur Racine met dans la bouche d'Ari-
cie cette vérité , revêtue des beautés
que lui prête la Poëfie de fon ftyle , elle
nous charme. Nous fommes féduits
far les images dontle Poëte fefertpour
exprimer; & la penfée , de triviale
qu'elle feroii, devient dans ies Vers
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poiju 6" fur ta Ptintan. 197
un difcours éloquent qui nous frappe ,
& que nous retenons (<t).
Pour moi, ie fuit plui6ère, fifubli gloire aiCJe
Ctmclur on hommage 1 mille lutrci ofléct ■
Etd'eatrcrdiDiuDcccur «kiouiMpintouTcn.
Mais de faire fléchir un courige inllïiible,
De porter Sa douleur dans une ame infenfible «
D'enïhiiner an captif de rcifèri éioaai,
Contre UD joug qui lui plati vainemenc mutioi ,
VoiUceqiùme pUtt, voiUcequim'îrritei
Ces vers tracent cinqtableauxdansri--
magination.
Un homme qui nous diroit ftmple-
ment , Je mourrai dans le même château
où )e iiiis né y ne toucheroit pas beau-
coup. Mourir , eft la deftinée de tous
les hommes ; & finir dans le fein de fes
Pénates , c'eft la deftinée des plus heu-
reux. L'Abbé de Chaulieu nous préfente
cependant cette penfée fous des images
qui la rendent capable de toucher infi-
niment :
Foncenty , lieux délicieux
Oil je vil d'abord la lumière «
Bientôt au bout de ma curieto
Chez toi je joindrai mei Aycux;
Uurei , qË dini ce lieu chanpttte
Avec foin mç litct nourrit ( ,
Beaux arbres, qui m'avEz vu natcre,'
BicDiôt veut me Tetrei moutir<
(t)Phtir..M,n.
Nv
:,-,zf-„ Google
IçS RifUxîons erîùquts
Ces apoftrophès me font voir le PoStff
en converfation avec les Kvinîtés 8c
avec les arbres de ce lieu. Je m'imagine
qu'ils font attendris par la nouvelle qu'il
leur annonce ; & le fentiment qu'il leur
prête , fait naître dans mon cœur un
îentiment approchant du leur.
L'art d'émouvoir tes hommes & de
les amener où l'on veut , confifte prin-
.cipalement à fçavoir faire un bon ufage
de ces images. L'Ecrivain le plus auile-
re , celui' qui &)t ta profi^on la plus
férieufe de ne mettre en ceuvre , pour
nous perfuader,que la taifon toute nue,
fentbientôtque,poiii- nous convaincre,
il nous faut émouvoir ; & qu'il &ut ,
pour nous émouvoir , mettre fous nos
yeux par des peintures les objets dont
il noiu parle. Un des plus grands par-
tifans du raifonnement féirerejqiie nous
ayons eu, le Père Mallebranch«,aécrit
contre la contagion des imaginations
fortes , dont le charme , pom- nous fé-
duire , confifte dans leur fécondité en
images, & dans le talent qu'elles ont
de peinf^re vivement les tAjets (n).
Mais qu'on ne s'attende pbint à voir
dans fon difcours une precifion féche
(]} Riîherckt di U Và-'ai, lin. i , ftrt, i.
■,r ..Google
farlu Pwfit SrfuT U Peinture. 199
qui écarte toutes tes figures capables de
nous émouvoir &c de nous l'éduire , nï
qui Te borne aux raifons concluantes.
Ce djfcours efl rempli d'images & de
peintures , &c c'eA à notre imagination
qu'il parle contre l'abus de l'imagina-
tion.
La Poëfie du ftylë fait la plus grande
dîJFérence qui Toit entre les vers &c la
profe. Bien des métaphores qui palTe-
roient pour des 'figures trop hardies dans
le ftyle oratolreïe plus élevé, font re-
mues en Poéfie. Les imaees & tes 6gu<
res doivent être encore plus fréquentes
dans ta plupart des genres de ta Poëfie ,
que dans les difcours oratoires. LaRé-
thorique, qui veut perfuader notre rai-
fon , doit toujours conferver un air de
modération & de iîncérité. It n'en
eApas demêmede]aPoélie,quironge
à nous émouvoir préférablement à tou-
tes chofeSi âcqui tombera d'accord,
fi l'on veut , qu'elle eft fouvent de
inauvaife foi. C'eft donc lA Poéfie du
ftyle qui fait te Poète , plutôt que la
rime & la céfin-e. Suivant Horace , on
peut être Poète en un difcours en pi ofe ■,
« l'on n'eft fouvent queprofateur dans
un difcours écrit en vers. Quintilien
Nv)
:,-,zf--„GoOglc
300 Réflexions critiques
explique fi bien la nature & l'ufage deS
images & des figures dans les derniers
chapitres de fon huitième Livre ,• ôc
dans les premiers chapitres du Livre
fuivant , qu'il ne lailTe rien à Biire que
d'admirer ia pénétration & fon grand
fens.
Cette partie de la Poefie la plus im-
portante , eil en même tems la plus dif-
ficile. C'eft pour inventer des images
3ui peignent bien ce que le Poëte veut
ire , c eft pour trouver les expreflîons
propres à leur donner l'être , qu'il a be-
îoin d'un feu divin , & non pas pour ri-
mer. Un Poëte médiocre peut , à force
de confultations & de travail , faire un
plan régulier , & ^ donner des mœurs
décentes à Tes perîbnnages ; mais il n'y
a qu'un homme doué du génie de l'Art ,
qui puifle foutenir ies vers par des fic-
tions continuelles, & par des images
renaifTantes à chaque période. Un hom-
me fans génie tombe bientôt dans la
froideur qui naît des figures qui man-
quent de jufteffe , & qui ne peignent
point nettement leur objet , ou dans le
ridicule qiù naît des figures , lefquelles
jie font point convenables au fujet. Tel-
les font , par exemple , les figures que
■,r ..Google
furla Poijîe & fur iaPànture. 30!
met en œuvre le Carme Auteur du poè-
me de la Magdelaine , qui forme ibu-
vent des images groterques , oh le Poète
ne devoit nous offrir que des images
férieufes. Le confeild'un ami peut bien
nous ftire fupprimer quelques figures
impropres ou mal imaginées : mais il.
nepeu/nous infpirer le génie néceflaire
pour inventer celles dont il convien-
droit de fe fervir. Le fecours d'autniï ,
comme nous te dirons en parlant dû
. génie , ne fçauroit faire un Poëte : Il
peut tout au plus lui aider à fe former.
Un peu de réflexion fur la deAinée
des Poèmes François publiés depiûs
quatrevingt ans , achèvera de nousper-
iuader que le plus grand mérite d'im
poëme vient de la convenance & de la
continuité des images & des peintures
que fes vers nous préfentent. Le carac-
tère de la Poëfie du ftyle a toujours dé-
cidé du bon oirdu mauvais fuccès. des
poèmes , même de ceux qui par leur
étendue femblent dépendre te plus de
Tœconomie du plan , de la diflribution
de l'aâion & de la décence des mœurs.
Nous avons deux Tragédies du grand
Corneille, dont la conduite & la plu-
part rfes caraûeres font irès-défeâueui.
:,-,zf--„GoOglc
30i Réflexions cmlquts
le Cid & la Mort de Pompée. On pour-
roît même dil'puler à cette dernière
f)iece le titre de Tragédie. Cependant
e public enchanté par la poëfie du flyle
de ces ouvrages , ne fe laffe point de
les admirer , & il les place fort au-def-
fus de pKifieurs autres, dont les mœurs
font meilleures , & dont le plan ell ré-
gulier. Tous les raifonnemens des cri-
tiques ne le perfuaderont jamais qu'il
ait tort de prendre pour des ouvrages
ex'cellens deux Tragédies ^ qui depuis
qiiatrevingt ans font toujours pleurer
les fpeâateuTs. Mais , comme le dit le
Poëte Anglois Auteur de la Tragédie
de Caton : Les Vers dta Pottcs anglais
Jhni fou\enl harmonieux €r pompeux , avec
unfens trivial , ou qui ne conjijie qu'en un
jeu de mots, lequel ne fait point d'image;
au lieu que dans les Tragédies des j4ncienSy
einfi que dans celles de Corneille & de Ra-
eine , le vers préfente toujours quelque
chofe à l'imagination. Leur Poëjîe eji eo-
ttire plus belle par lesimages queparl'har-
monie.Lefens des mots enrichit leurphrafe,
encore plus que le choix & C'a emblage mé-
hdietix desfons qui la compofem (n) .
La Pucelle de Chapelain & le ClO'*
(i) Sptilattur du 14 AkU 171 >•
:,-,zf-„ Google
fur laPoïjîe&furla Ptmture, 30 J
vis de Defmarets font deux poèmes épi'-i
ques , dont la conftitution & les mœurs
■valent mieux fans comparaifon que
celles des deux Tragédies dont j'ai par-
lé. D'ailleurs leurs incîdens, qui font la
plus belle partie de notre Hiîloire ,
doivent plus attacher la Nation Fran-
çoife que des événemens arrivés de-
puis longtems dans l'Ëfpagne & dans
l'Egypte. Chacun fçait le luccès de ces
poèmes épiques , qu'on ne fçaiiroit im-
puter qu'au défaut de la poëfie du ftyle.
On n'y trouve (M-efque point de fenti-
mens naturels capables d'intéreffer. Ce
défaut leur eA commun. Quant aux
images , Defmarets ne crayonne que
des chimères : Se Chapelain , dans ibn
flyle Tudefqiie , ne' deflîne rien que
d imparfait & d'eftropié ; toutes fes
peintures (ont des tableaux Gothiques.
De-^à vient le feul défont de la Pucelle ,
mais dont il feut, fuivant M. Def-
préaux, que fes défenfeurs convien-
nent : le défaut Qu^on ne la fçauroù liru
:,-,zf--„GoOglc
)04 Rifitxîons crîthjtus
SECTION XXXIV.
Du motif qui fait lire Us Focfits : ^
ton n'y cktrclu pas l'infiru3ion commt
dans i outra Livres*
J^ ES gens du métier font Us ieuls
qiù fe faflent une élude de la leâure
des Poètes. On ne les lit plus , nous
l'avons déjà dit, que pour s'occuper
agréablement , dès qu'on eft forti du
Collège y & non pas comme on lit les
Hiftoriens & les Philofophes, c'efl-à-
dire , pour apprendre. Si l'on peut tirer
àes inflniâions de la leâure d'un poè-
me, cette inftruâion n'eft gueres le
motif qui fait ouvrir le livre.
Nous iâifons donc le contraire en Ut
fant un Poète de ce que nous &ifons en
lifant un autre livre. En lifant un Hîno-
rien , par exemple , nous regardons foa
ftyle comme l'acceffoire. L'important,
c'eft la vérité, c'eft la fingularité des
faits qu'il nous a()prend. En tifant un
poëmé , nous regardons les inflruâions
que nous y pouvons" prendre comme
l'acceffoire. L'important, c'eftleftyle,
parce que c'eft du ftyle d'un poëme que
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poifit Srfur la Peinture. 505
dépend le plainr de ion leâeur. Si la
Poëfre di! ftyle du Roman de Téléma-
que eût été languilTante, peu de per-
lonnes aiiroient achevé la leâure de
l'ouvrage, quoiqu'il n'en-eùt pas été
moins rempli d'inliruflions profitables.
C'eft donc liiivant que la leilure d'un
poëme nous plaît que nous le louons.
On remarquera que je ne parlcîci que
des perfonnes qui étudient ; car celles
qui lifenl principalement pour s'amufer,
& en fécond heu pours'inftruire (c'eft
Tufage cependant que les trois quarts
du monde font de la leâure ) aiment
encore mieux les livres d'hîftoire dont
le flyle eft intéreffant, que les livres
d'hiftoire mal écrits , mais pleins d'e-
xaâitude & d'érudition. Bien des per-
fonnes fuivent même ce goCit dans le
choix qu'elles font des livres de Phi-
lofophie, & d'autres Sciences encore
plus férieufes que la Philofophie. Qu'on
iuee fi le monde ne doit pas trouver que
eT)oëme qui fçait le mieux lui plaire ,
doit être le meilleur.
Les hommes qui ne lifent les poèmes
que pour être entretenus agréablement
par des fixions y fe livrent donc dans
cette leâure auplaifiraâuel. Ilsfelaif-
■,r ..Google
^o6 Rif exions aiii^es
fent aller aux imprelTions que fàît fur
eux l'endroit du pOëme qui eftfous leim
yeux. Lorfquc cet endroit les occupe
agréablement , ils ne s'avifent gueres
de iiifpendre leur plaifir j poiu- faire ré-
flexion s'il n'y a point de fautes con-
tre les règles. Si nous tombons fiir une
faute groflîere & fenfible , notre plaiiir
eft bien interrompu ; nouspouvonsbien
alors faire des reproches au Poëte :
mais nous nous réconcilions avec lui,
dès que ce mauvais endroit du poëme
eft paAié , dès que notre plaifir a re-
commencé. Le plaifir aâuel qui domi-
ne les hommes avec tant d'empire,
qu'il leur fait oublier les maux paffés ,
& qu'illeur cache les maux à venir,
peut bien novis faire oublier les fautes
d'un poëme qui nous ont choqués da-
vantage , dès qu'elles ne font phis fous
nos yeux. Quantàcesfeutes relatives,
fie qu'on ne démêle qu'en retournant
fur fes pas , & en faifant réflexion^ur
■ce qu'on a vu , elles dimrmient très-peu
le plaiiir du lefteur & du fpeâateur,
quand même il lit la pièce , ou quand il
la voit, après avoir été informe de ces
fautes. Ceux qui ont lu la Critique du
Cid , n'en ont pas moins de plaî£r à
voir t^tte Tragédie.
■,r ..Google
fur U Poëjtt Srfur la Peinture. 307
En effet , l'événement qu'un Poëte
tragique aura trop laiffé prévoir en le
préparant grofliérement , ne laiflera
point de nous toucher ^ s'il eft bien
traité. Cet événement nous intéreffe-
ra , bien qu'il ne nous furprenne point
réellement. Quoique les événemens de
PolleuÛe & d'Athalie ne furprennent
pas véritablement tieux qui ont vu plu-
fieurs fois ces Tragédies , ils ne laiffent
Îas de les toucher jufques aux larmes.
1 femble que l'efprit oublie ce qu'il
fçaît des événemens d'une Tragédie
dont il connoît parfeitement la fable ,
afin de mieux jouir du plaifir de la fur-
prîfe que ces événemens caufent , IofT-
qifils ne font pas attendus. Il faut bien
qu'il arrive en nous quelque chofed'ap-
prochant de ce que je dis; car après
■avoir vu vingt fois la Tragédie de Mî-
thridate, on eft prefqu'aum frappé du
retour imprévu de ce Prince , quand il
eft annoncé à la fin du premier AQe ,
que fi cet incidt de ta pièce furprenoit
véritablemenif^^ctre mémoire paroît
'donc fufpendue au fpeflacle ; & il fem-
tle que nous nous y bornions à ne fça»
voir tes événemens , que lorfqu'on
hous les annonce. On s'interdit d'anti*
.,-,zf-, Google
308 Réflexions crlùqtus
ciper fur Içs événemcns ; & comme oa
oublie ce qu'on a vu à d'autres repré- ■
fentattons , on peut bien oublier ce que
l'indifcréiion d'un Poète lui a fait révé-
ler avant le tems. L'attrait du plaiiir a-
t^il tant de peine à étouffer la voix de la
raifcn î
Enfin fi le charme du coloris eft fi
puilTant qu'il nous fafie aimer les ta-
bleaux du BalTan, nonobAant les fautes
énormes contre l'ordonnance & le Aeî-
fein, contre la vraîfemblance poétique
& pittorefqiie dont ils font remplis ; fi
le charme du coloris nous les lait van-
ter , bien que ces fautes foient aâuel-
lement fous nos yeux , lorfque nous les
louons; on peut aifément concevoir
comment les charmes de la Poëfte du
âyle nous font oublier dans la le^hire
d'un poëme les fautes que nous y avons
apperçues.
Il s'enfuit de mon expofition , que le
meilleur poëme eflceliu dontlale£hire
nous intéreiTe davanta^ ; que c'eft ce*
lui qui nous féduit atiÇKnt de nous ca-
cher la plus grande partie de fes fautes,
& de nous faire oublier volontiers cel-
les mêmes que nous avons vues , & qui
nous ont choqués. Or c'eA à propot';
:,-,zf--„GoOglc
furlaPoêJîe Sf fur la Peinture, 300
tion des charmes de la Poefie du ftyle
qu'un poëtne nous intéreffe. Voilà pour-
quoi les hommes préféreront toujours
les poëmes qui touchent , aux poëmes
réguliers : voilà pourquoi nous préfé-
rons le Cid à tant d'autres Tragédies.
Si l'on veut rappeller les chofes à leur
véritable principe , c'ell donc par la
poëfie du ftyle qu'il faut juger d'un
poëme , plutôt que par fa régularité 6c
par la décence des mœiu^.
Nos voifins les Italiens ont deux
poëmes épiques en leur langue , la Jé~
TufaUm délivrée du Taffe , & le Roland
furieux de l'Ariofte , qui , comme l'I-
liade & l'Enéide , font devenus des li-
vres de la Bibliothèque du genre hu-
main. On vante le poëme du Taffe pour
U décence des mœurs , pour la conve-
nance & pour la dienité des caraûeres,
pour l'économie dii plan , en un mot
fa régularité. Je ne dirai rien des mœurs,
des caraâeres , de la décence & du plan
du poëme de l'Ariofte. Homère fut un "
Géomètre auprès de lui ; & l'on fçait le
beau nom que le Cardinal d'Eft donnii
au ramas informe d'Hiftoires mal tiffues
enfemble qui compofent le Roland fu-
rieux. L'imité d'aâion y ell £t mal ob-
:,-,zf-„ Google
} 10 RéjUxtons cmîqtics
l'ervée , qu'on a été obligé dans les
Editions pcfiérieures , d'indiquer , par
une note mife à côté de l'endroit où le
Poëte interrompt une hiftoïre, l'endroit
du po'ëme où Û la reconnnen'ce , afin
que le leâeur puifTe fuivre le fil de
cette hiiloire. On a rendu en cela un
grand fervice au public ; car on ne lit
pas deux fois l'Anofte de fuite , & en
palTaot du premier chant au fécond ,
& de celui-là aux autres fucceffive*
ment ; mais bien en fuivant, indépen-
damment de l'ordre des livres , les dîf»
férentes hifloires qu'il a plutôt incor-
porées qu'unies enlemble. Cependant
les Italiens, généralement parlant,
placent l'Ariofte fort au-deffus du Taffe.
L'Académie de la Crufca, après avoir
examiné le procès dans les formes , a
fait une déciUon autentique qui adjuge
à l'Ariofte le premier rang entre les
Poètes épiques Italiens. Le plus zélé dé-
fenfeur du Taffe (a) confeffe qu'il at-
taque l'opinion générale , & que tout
le monde a décidé pour l'Ariofte , fé-
diiit rar la poëfie de fon ftyle. Elle
l'emporte véritablement fur la poèCe
de la Jérufalem délivrée , dont les fî-
:,-,z'f.--„GoOglc
fur U Poëfie &furia Pthuure. 311
f lires ne font pas fouvent convenables
l'endroit oii le Poëte les met en œu-
vre. Il y a fouvent encore plus de bril-
lant & d'éclat dans ces figures , que de
vérité.Je veux dire qu'elles furprenneat
Se qu'elles éblouiffent l'imagination ,
xnais qu'elles n'y peignent pas dïAInâe-
ment des images propres à nous inté-
reffer. Voilà ce que Monfieur Def-
préaux a déâni le CUnquaru du Tajfc ; &C
les Etrangers , à l'exception de (quel-
ques compatriotes du dernier , ont louf-
crit à ce jugement. Quant au Poïte dont
toutes ces menieiUts font tirées , dit Mon-
sieur Addifon , en parlant d'un Opéra
Italien dont le fujet avoït été pris dans
le Taffe , je fuis de l'avis de Monfieur
Defpriaux . qu'un vers de Virgile vaut
mieux que tout U Clinquant du Tajfe {à),
U eft vrai néanmoins , pour continuer
la figure , qu'on trouve quelquefois de
Ter le plus pur à côté de ce clinquant.
On voudroit inutilement faire chan-
Ser de fentiment aux Italiens , & l'on fe
oute bien de ce qu'ils répondroient
à rétrangerqui s'aviferoit de les répri-
mander fur la dépravation de leur f;oùt.
Ils feroient ce que firent nos percs,
(IJ SpttIflKW lia s AîarH711.
:-„r., Google
3 1 1 RijUxions crmqaa
quand on voulut diminuer leur amour
pour le Cid. Les raîfonnemens des au-
tres peuvent bien nous perfuader le
contraire de ce que nous croyons , mais
non pas le contraire de ce que nous
Tentons. Or nous Tentons bien quel eft
celui de deux poèmes qui nous fàît lé
plus grand plaifir. C'eft de quoi je dois
parierplusau long à la fin de la féconde
partie de cet ouvrage.
L'expreflîon me paroît dans un ta-
bleau ce que la poëfie du ftyle eft dans
un poëme. le comparerois volontiers
le coloris avec cette partie de l'Art
poétique qui confifte à choilîr & arran-
ger les mots , de manière qu'il en ré-
iulte des vers qui foient harmonieux
dans la prononciation. Cette partie de
l'Art poétique peut s'appeller la méca»
nique de la Poëfie.
eT"^
SECTION
:,izf--„GoOglc
fur la Poejîe & fur ta Ptînturt, 31 j
SECTION XXXV.
Dt la Mécanique de la l'oëjîe qui m re-
garde Us mots que comme de Jîmples
forts, avantages des Poètes qui ont
tompofi en Latin fur ceux qui compojent
en François.
V> 6 M M E la Poëfie du Jlyle confiftc
dans le choix & dans l'arrangement des
mots , considérés en tant que les fignes
des idées -, la mécanique de la Poefie
confifte dans le choix & dans l'airan-
gement des mots, confidérés en tant
qiie de (impies ions, aufquels il n'y au-
roit point «ne fignificatîon attachée.
Ainli comme la Poëfte du ftyle regaide
les mots du côté de leur fignification,
qui les rend plus ou moins propres à
léveiller en nous certaines idées; U
mécanique de la Poëfie les regarde
uniquement comme des fons plus ou
moins harmonieux, & qui étant com-
binés- diverfement , compofent des
phrafes dures ou mélodieufes dans la
iTononciation. Le but que fe propofe
a Poëfie du ftyle, eft de fairedfsima-
Tomtl. Q
:,-,zf--„GoOglc
}I4 . Rifextonscrîàqius-
ges } & de plaire à rîmagination. Le
but que la mécaniqiie de la Poëfie fe
propofe , eft de jfaire des vers harmo-
nieux, & de plaire à l'oreilIê. Leurs
intérêts feront fouvent ■oppofés , me
dira-t^Mi. J'en tomberai craccord, &C
<ju'il faut encore être né Poëte poux les
concilier.
Ce que je pourrois avoir à dire de
nouveau fur la mécanique des vers
Françtûs , fe trouvera dajs le parallèle
que je vais faire de la Lai^ie Latine
avecjla nôtre , pour montrer ravanta^e
que les Poètes Latins ont eu fur les
Poètes François en cette partie de TArt
poétique. 11 efl bon de prouver en for-
me une fois que ceux qui foutieonent
que la PoëSe Françoife ne l^auroit éga-
ler la Poëfie Latine , ni dans la Poâe
du Ayle , ni dans la cadence & lliarmo*
nie des vers , n'ont point de tort. Ainfi,
après avoir fait voir que le Latin eft
plus propre à Ëiire des images que le
François , à caufe de fa brièveté & dq
l'inverfion , je montrerai encore , par
pluâeurs ralfons^que celui qui compofe
des vers en Langue Latine , a des racï»
lités pour faire des vers nombreux &
}iannonieuX| que n*a. point celui qui
furla. Poifit & fur la Piînturt. 315
compofedes vers en Langue Françoife.
Le Latiil «ft ^hs court que le Fran-
çois , géwflétriqiienient parlant. Si cer-
tains mots Latins font plus longs que
1ë5 mots François qui leur Ibnt l'ynony-'
mes , il eft aulfi des mots François qui ,
fontphis longs que tes mots qui leur font
relatifs en Latin : en compenfatit les'
uns par les autres , le François n'a ri^n'
à repi-ocher a« Latin à cet égard. Mais
les Latins déelînent leurs mots ^ de ma-'
lûere que liiÙfinanee ou ta terminaifon
feule dft nom marque le cas où H eff
efftployé. Quand bn trouve dans une'
jArafe Latine le mot Dominas'i on con-^
noît par fa définance , s'il eft au génitif,
au datif, ou à t'accufatif. Le Latin dît
Doirùrù au génitif, Dommum à l'accufa-
tif. On connoît encore par la définance ^
s'il eft au pluriel ou bien au fingulier :
ft qiielquGâ cas ont la même terminai-
fon , le régime du verbe, empêche qu'on
rie' s*y méprenne. Ainfi lés Latins dé-
cliiient leurs noms fanS Je fecoars des
articles le, du, 6Cc. que nous fommes
obligés d'employer , en déclinant les
noms François , parce que nous n'en
changeons pas la difiname fiiivant le
cas. Il nous fëut dire le Maître , dti
Maître , au Maître. Oi) '
}i6 RtjUxiôm erîtlquis'
Le Latin conjuge encore fês verbes^
comme il décline fes noms. La définan-
ce marque le tems, la perfonne, le
nombre 6c le mode. Si quelques dé^-
nances font femblables , le fens de la
phrafe levé Tambiguité. A douze ans
on ne s'y trompe pas , & à quatorze
on n'y héûte plus. On ne conjugue en
François la plupart des tems des ver-
bes qu'avec le fecoius de deux autres
verbes , que pour cela même nous ap-
pelions des verbes auxiliaires , fçavotr ,
I9 varbe poiTeffif Avoir ^ âc le verbe
Atblïantif Etrt. Si les Latins étoieiU
obligés dç s'aider d'im verbe auxiliaire
pouf conjuguer quelque tems du pafTif ,
nous fommes prefque toujoius obligés
d'y en mettre deux. Pour rendre j^am-
■ tus fui f il faut que nous difions , J'ai
été aimé. Il eft encore néceflair^ , pour
conjuguer les verbes François, que nous
ijpus aidions de l'article ,Jcftu, ilj6c
du pluriel ds cet ^icle; Scnous ne
pouvons pas encore fupprimer la .pré*
pofition , comme les Latins le faifoient
prefque toujours. Le Latin dit bien,
i/lum enft occldit } mais pour dire tout
ce qu'il dit en trois mot&, il &ut que le
François difc , il U tua avec une éfét.
Coo^jlc
furUPotfie&furlaPùaturt, 317
Ainfî it' eft aiilTi clair que le François
eft plus long efiçiuiéllement qiiele Lar
tin, qu'il eu clajrrqu'iïh cercla eft plu* .
grand qu'un Butre,lorrqu'il faut une plus
grande ouverture de compas pour le
mefurer.
■ Si l'on allègue qu'il fe trouve des tra-
durons Latipes plus longues que les
originaux François , je répondrai que
cette excédence de la traduftion arrive
ou par la nature du fujet, cnù eil traité
dans l'original , ou par- la feute du tra-
duâeur, mais qu'on n'en fçauroit.rien
conclure. contre la brièveté du Latin. ,
En pi-emier lieu, un traduftBur eft
Latin qui fçait igat cçtte langue, ne
rencontrant point affei-tôt le mot pro-
pre pour figniHer le mot François qu'il
veut rendre , au lieu de le cherchet
danRunDi^ionnaire.prend le parti d'ea ,
ejxpiim^r «$i Teps par une pei-iphrafç,
C'eA alniî que W thèmes de$ eçQliets
font fôuvi$nt plus' lodgs. que lesdifcoiurs
François que le Régent lem a diâé. En
fécond lieu , il arrive que le tiaduâeur
Latin d'un Hiftorien François, qui pour
iàire le d^étsi) d'un fiége « d'un cQmlïat
naval ou d'une féance du Parlemept ,
a eu Iqus fa mai|i tous tes termes pro-
Oiij
i),:-„r-., Google
31? RèjÎLxiùns cfitiqats
près qui font nécdraîres à fa narration',
ne pent trou'WT des nK>ts fynonymes
dans la Langue Latine. Contme les Ro-
mains ne connoiflbient pas. les chofes
dont le traduâeur doit parler ^ tes Ro*
mains n'avoient point de termes pto-
}H%s pour les lignilîer. Ils n'avoient
point de mois propres pour tUre-un
^nôrtier , & l'angle fkiltant d^1nc con-
trefcarpe , parce qu'ils n'avoient pas
ces chofes-là. Le traduôeur eft 4onc
réduit à fe fervir de périphrafé , & à
ne pouvoir rendre qu'en plufieiirs mots
ce que l'Ecrivain François a pu dire par
un îetil mot. Mais cette prolixité 'n eft
qu'une fn-otixité d'accident , comme
feroit la prolixité d'un François qui tra-
duiroit le récit d'un repas donné par
Lucultus , Ou ta defcription d'un' com-
bat de gladiateurs , &'qui par confis-
quent (eroit obligé de parler de beau*
éoup de chofes <[ui n'ont pas de nom
en notre langue. Ainfi lô Làtm vft tOD-
jours plus court que le François, dès
qu'on écrit fur des fujets pour lefquels
les denr langues font également avan-
tagées de tenaes ptopres. Or nen ne
fert plus à rendte uné'phrafd énei'gi-
que^ qttefabnëTeté.-H«Beft'desfflet9
. fur ta Poèjtt &fur la Peinture. 5 19
comme du,métal qu'on employé pour
monter un diamant. Moins on y en
«let , plus ia pierre fait un bel effet.
Une image terminée en fix mots y frap-
pe plus vivement, & fiiit plutôt Iba
effet, que cdie quin'eft achevée qu'au
bout de dix mots. Tous nos meilleurs
Poètes m*ont fort affuré que cette vé-
rité ne feroit iamais cohteftée par aiw
cun Ecrivain fenfé.
Non^feulement le Latin eft plus avan-
tageux que le François , par rapport à
la PoëCe du ftyle ; mais il eft encore
infiniment plus propre que le François
poiu réuflir dans la mécanique de la
Poëfie , & cela par quatre raifons. Les
roots Latins font plus beaux que les
mots François à tous égards. Il eft plus
aifé de compofer harmonieufemait en
latin qu'en François. Les régies de la
Poëfie Latine gênent moins le Poète
que les règles de la Poëfie Françoife.
Enfin l'obiervation des règles de la
Poëfie Latine jette plus de beautés dans
des vers , que n'y çn jette l'obferva-
tion des règles de la Poëfie Françoife.
Expofons fommairement ces quatre vé-
rités. *
En premier lieu les mots Latins font
Oiv
Coo^tlc
3 10 Réfltxions cntiqius
plus beaux que les mots François à
deux égards : les mots peuvent être re-
gardés:, ou coimne les l^nes de nos
idées , ou comme de fimples fons. Les
mots , comme fignes de nos idées , font
fufceptibles de deux beautés différentes,
La première eft de réveiller en nous
une belle idée. A cet égard les mots de
toutes les langues font égaux. A cet
égard le mot perturhator qui fonne fi
bien à l'oreille , rv'efl pas plus beau en
Latin que celui de brouillon en Fran-
çois. Ils réveillent la même idée. La
féconde beauté, dont les mots font ful^
ceptibles comme fignes de nos idées,
c'eil un rapport particulier avec l'idée
qu'ils (ignlfient. C'eft d*imiter enquel-
. que façon le bruit inaniculé que nous
ferions pour ta figoifier. Je m'expli-
que.
Les hommes fe donnent à entendre
les uns aux autres par des fons artificiels
& par des fons naturels. Les fons arti-
ficiels font les mots articulés , doniJes
hommes qui parlent une même langue,
font convenus de fe fervir pour expri-
mer certaines chofes. Voilà pourquoi
Un mot n'a de fignification qiif parmi
un certain nombre d'hommçs. Un inOt
:-„r -iCoO^ilc
fur la PoifieSr fur la Peinture. 311
François n'a de fignification qiie pour
Ceux qtiî entendent cette langue. Il ne
réveille aucune idée , quand on ne la
fçait pas. Lorique les hommes ont for-
mé ces Tons artificiels , toutes les fois
-qu'ils ont fait ime nouvelle langue , ils
ont du , fuivant l'inftinfl de la Nature ,'
feire ce que font encore aujourd'hui
les hommes qui ne fçauroient trouver
' le mot dont ils ont befoin pour expri-
mer quelque choie. Ils fe donnent à
entendre en contrefaifant le bruit que
Élit la chofe , ou en mettant dans le ton
imparfait qu'ils forment , quelque ton
qui ait le rapport le plus marqué qu'il
(oit poflible', avec la choie qu'ils veu-
lent donnèt à comprendre, fans pou-
voir la'nommer. C'eii ainfi qu'un Etran- ■
ger qui ne fçauroit pas comment le ton-
nerre s'appelle en François , fupptéroït
àxe mot par un fon qni ïmiteroit , au-
tant qu'il feroit poffible , le bruit de
ce météore. C'eft apparemment ainJï .
quelles anciens Gaulois avoient formé
le nom de OKq , dont nous nous fervons
aujourd'hui dans la même fignification
qu'eux, en imitant dans lefon du mot
le fonoubfuit.que cet oifeau fait par-
intervalles. C'eft encore ^nfi qu'ils
Ov
:-„r., Google
ont foniié le mot de bu qui âgiùâorC
la même dic^e chez eux que chez
vous.
. ' Ce$ fons imttatifs autont été mis ep
ufage y principalement cpiand il aura
feUu (lonner des noms aux foujûrs , au
rire , aux gémifiemens , & à toutes les
«xpreffions inarticulées de nos fenti-
mens & de nos pa£ons,.Ce n*eil poîat
Car coniefhires, que bous iavons que ^
;s Grecs en ont uieaiirii. Quintilien (a)
Qous dit cxpre^'ément qu'ils Tavoient
fait , 6c il les loue de leur invention.
Fiagtrc Gracis magis cvnce^um tfi^ quifo-
nis quihujtàan & affecUbus non dubitavt-.
ruât nomina apfare > non aàâ Ubtruut
qaàot qud illi primi ktmi/us reius apfti'
laiiones dtdtruM.'<^ tes ^ooi qu^ ces
' mots imitent^ le trouvent être des £•«
goes inAitués par laNa^r^même, pour
Signifier les payons Se les autres chofes
dont ils iirât les figues. C'eft d'ella-
iBêihe qu'ib brent leur Hgnificattoa &c.
leuréAei^e. EneiFet ilsfoat.àpeuD^
les mêmes partout , femblahles en cela
aux cris des animaux. Du moins fi les
ions par tefquels les horames marquent
leur fiirprife, leur joie, leur douleiff
.Ccoylc
far la Potjîe & fur la Pt'mturt. 315
& leurs autres pafïïons , ne ibnt pas
entièrement les mêmes dans tous les
pays , ils y font fi femblables que tous
tes peuples les entendent ; t/t in tantà
per omnts gerues narionffyue lingua di-
verjîtate , hic mihi omnium hominum com-
munisfirmo viJeatur (a). C'eft , s'il eft
permis d'ufer ici de cette expreiïîon ,
une monnoie-frappée au coin de la Na-
ture , & qui a cours parmi tout le genre
humain.
■ Ils s'enfuit donc mie les rtots , qui
dans leur prononciation imitent le bruit
qu'ils iignîfient , ou le bruit que nous
ferions naturellement pour exprime^
la chofe dont ils font un figne inûitué,
ou qui ont quelqii'autre rapport avec
la chofe fîgnifiée , font plus énergique^
que les mots^ qui n'ont d'autre rapport
avec la chofe lignifiée, que celui que
l'ufage y a mis. Un mot qui a natu-
rellement du rapport avec la chofe
iignifiée , en réveille l'idée plus vive-
ment. Le^wie qui'tient de la Nature
même un^^artie de fa force & de
fa fignification , eft plus puiffant Sç
agit plus efficacement fiir bous , que
le figne qui doit au hafard ou au ca-
(a) Jn/îit. Jifr. u. ci.
Ovj
Cooylc
314 . Rifltxîons crinqaes
ptice de l'Inftituteur , toute fon énergie.
Les langues qu*on appelle langues
mères, pour n'être pas dérivées d une
autre langue ,'inaïs pour avoir été for-
mées du jargon que s'étoient faifi quel-
ques hommes dont les cabanes fe trou-
voient voifines, doivent contenir un
plus grand nombre de ces niots'imita-
tifs , que les langues dérivées. Quand
les langues dérivées fe forment , le ha-
fard, la condition des organes de ceux
qui les comppfent , laquelle eft diffé-
rente fuivant l'air &c la température
de chaque contrée » la manière dontCe
fait le mélange de la langue q^u'tls par-
loient auparavant avec celle qui entre
dans la eompofition de la nouvelle lan-
gue ; enfin le génie qui préfide à fa naif-
fanCe , font caufe qu'on altère la pro-
nonciation de la plupart des mots iroi-
tatîfs. Ils perdent amli l'énergie que
leur donnoit le rapport naturel de leur
fon avec la choie dontils étoient les li-
gnes inAihiés, Voilà d'oîi^eiit l'avan-
tage dçs langues mères ufllts langues
dérivées. Voilà pourquoi , par exem-
ple , ceux qui fçavent l'Héûreu , £ont
charmés de l'énergie des mots de cette
'langue.
fur la Poêjîe Ofur la Ptîmure. 3 1 Ç
Or quoique la langue Latine Toit elle-
même utie langue dérivée du Grec ic
du Tofcan , néanmoins elle'eâ ime lan^-
gue mère à l'égard du François : la plu-
part des mots François viennent du i^-
tin. Ainfi quoique les mots Latins foient
moins énergiques que ceux des langues
dont ils font dérivés , ils doivent en-
core l'être plus que Jes mots François.
D'ailleurs le génie de notre langue elt
très-timide, & rarement il ofe entre-
prendre de rien faire contre les. règles
pour atteindre à des beautés o(t il ar-
riveroit quelquefois, s'il étoit moins
. fcrupuleiix.
Nous voyons donc que pluficurs mots
qui font encore des mots imitatifs en
Latin, ne font plus tels en François.
Notre mot, hurlemeiit, n'exprime pas
le cris du loup , ainfi que celui d*ulu-
latus dont il eft dérivé, quand on le
{•rononce ouloulatous , ainU que le font
es autres Nattons. II en eft de même
àes y fiaguliits , gtmitusy & d'une iniî-
nité d'autres. Les mots François ne
font pas aiiiU énergiques que les mots
Lgtins dont ils furent empnmtés. J'ai
donc eu raifon de dire que la plupart
d^s mo. s Latins font plus beaux que la
:,-,zf-„ Google
3 16 Réflexions er'uiqius
plupart des mots François , même en
^examinant les mots entant que ûgrieî
Je nos idées.
Quant aux mots confiderés comme
de amples fons qat ne fignifieroient
tien, il eft hors de doute qu à cetégard
les uns ne platfent davantage que les '
autres « & par conféquent que certains
mots ne foient plus beaux que d'antres
mots. Les mots qui font compofés de
fons , qui par eux-mêmes & par leur
fiiâlange plaifent davantage à l'oreille ,
doivent lui être plus agréanles que d'an-
tres mots oh les fons ne fèroient pas
combinés auffi heureufement , & cela
comme je l'ai àxx , indépendamment de
leur fignificatîon. Ofera-t'on nier que
le mot de compagnon ne plaife plus i
l'oreille que celui de collègue , bien
que par rapport à leur fignification le
mot de collègue fbitphis beau que ce-
lui de compagnon } Les fin^)les fol-
dats , les ouvriers même ont des corn-
pagnons ; mais les Magiftrats feuls ont
des collègues. Car, comme le dîtQuin-
tîlien (a) ; Nom , ut fylLahx i Utttris mt-
liks fnnanàbus clariorcs funt , ita verha
i Jyllabis magis vocalia , & jad /jIus qua'
(a> h^it. lih. %. txp. S.
...-.Coogic
fur ta Pocfit & fur la Pelnturt, J17
f Ufc fpiritus habet , ta auditu pidchrior.
Il y a phis de cesfylhbes foncves dans
compagnon que dans collègue, & l'un de
nos meilleurs Poètes (a) & en même
tems c'eft ce qui fait ici , Tun de nos
meilleurs confiruSeun de vers , a mieux
aimé fe fervir du mot de com|Mignon
que de celui de collègue , en une phrafe
où celui de collègue étoit le mot pro-
pre. Il s'eA prévalu de la maxime de
Ciceron qui permet de facrlBer quel-
quefois la régie & même une partie du
lens aux charmes de l'harmonie. Jmpt'
tratum tfi , dit-ïl , en parlant de quel-
ques mots Latins, à confuttudine , ut
Jùavitalis causa ptccare licertt.
Or , généralement parlant , les mots
Latins foiment mieux dans la pronon^
ciation que les mots François. Les fyi-
labes fimlesdesmiotsqui iefont mieux
fentir que les autres , a caufe du repos
dont elles font ordinairement fuivies ,
font , générateilient parlant , plus {<>•
tiores & plus variées en Latin qu'cft
François. Un trop grand nombre de
mots François eft terminé par cet e que
nous appelions féminin. Les mots Fran-
çois font donC) généralement parlant ^
la) M, Itglfjlïtui.
,.,,Cooglc
jl8 RJJtexions etitiques
moins beaux que les mots Latins , foit
qu'on les examine comme fignes des
idées , Toit qu'on les regarde comme de
fimplesfons. C'eû ma première raifoa
pour Ibutenir que la langue Latine eil
plus avantageufe à la Poëûe que la lan-
gue Françoife.
Maieconderaifonefltiréede lafyn-
taxe de ces deux langues. La ccMiûruc-
(ion Latine permet de renverfer l'or-
dre naturel des mots , & de les traol^
poier jufqu'à ce qu'on ait rencontré un
arrangement dans lequel ils fe pronon-
cent fans peine , & rendent même une
mélodie agréable , Mais fuivant notre
conftruûion , le cas d'un nom ne fçau-
roit être marqué diiWnâeihejtf dans luie
phrafe , qu'à l'aide de la fuite naturelle
de la coiiilruâion , &c par le rang que
le mot y tient. Par exemple , on dit /e ~
perek 1 accufatif ainlî qu'au nominatif^
Si je mets /e/w^e avant \e verbe, quand
il ell à l'accufatif , ma. phrase devient
«n galimathia». Nous- forantes donc
aftreints, lotis peine d'être ininteUigi-
bles , à mettre le mot qui doit êfre re-
coniu pour le nominatif du verbe , le
premier, enfuite le verbe & puis le ncMO
qui eft i l'accuiatif. Ainfi ce font les
■,r ..Google
furUPoëJie ùfurU Ptinture. 319
règles de la conftmâion , &: non
pas les principes de rharmonie qni
décident de 1 arrangement des mots
dans une phrafe Françoife. Les inver-
llons peuvent bien avoir lieu dans no-
tre langue en certains cas ; mais c*elt
avec deux reftriâions, aiifquelles les
Latins n'étoieni point affujettis. Pre-
mièrement la Iangue.Françoi('e.ne per*
met que l'inverfion des membres d'ime
phraie , & non l'inverfion des mois qui
compoient ces membres ; il faut tou-
jours que l'ordre du régime foit gardé
entre ces mots , ce qui n'étoit point nér
celTaïre en Latin , où chaque mot pou-*
voit être tranfpofé. Secondement nous
exigeons de nos Poètes qu'ils ufent en-
core avec fobriété des inverfions q\ù
leur font permïfes. L'inverfion & les
tranfpofitions qui font des licences en
François , étoient dans ta langue Latine
l'arrangement ordinaire des mots.
Cependant les phrafes Françoifes a«-
roient encore plus de befoin de l'inver-
fion , pour devenir harmonicufes , que
les phrafes Latines n'en avoient befoirs
Une moitié des mots de notre langue
efl terminée par des voyelles , & de
ces voyelles , Vc muet eil la feule 911
:,-,zf--„GoOglc
}30 Rifieicioitscmhpus
s'élide , qu'on me permette ce mot ^
contre la voyelle qui peut commencer
le mot fuivaot. On prononce donc bien
fans peine filtt aimable ; maïs les autres
voyelles qui ne s'élident pas contre la.
voyelle qui commence le mot fiiîvant ,
amènent des rencontres de fons def-
agréables , dans la prononciation. Ces
rencontres rompent fa continuité , 8c
déconcertent (on harmonie. Les ex-
preffions fuivantes font ce mauvais e^
fet. L'amitié aiamhnrUe , la fiertiopu-
UttU f ttnmmi idolmtn. Nous fentons lî
bien que la coUiiion du {on de ces
voyelles oui s'entrechoquent , efl déf-
agréable dans la prononciation, que les
règles de notrePoëfîe défendent aujour-
d'hui la combinaifon de pareils mots. .
Elles défendent la liaifon des mots
qui commencent te qui fimlTent par
ces voyelles ^ dcmt la prononciation ne
fe peut faire fans un laatus. Cette diffi-
culté ne fe préfente pas en Latin. En
cette langue toutes les voyelles font
élifion l'une contre l'autre , lorfqu'un
mot terminé par une voyelle rencon-
tre un mot qui commence par ime
voyelle. Dailleurs un Latin eviteroît
facilement cette collifion defagréableà
fur la Ppifitù furlaPtinturt. 55 i
1^ au lieu qu'il
is puiffe fortir de
édietit. Il trouve
Durce que celle
3mpt rharmonie
ivent obligé de'
énergie du îen^ ,
'harmonie. Rien
de conferveraii
eurs droits ' Iqrf*
i , tant on trouve
irs intérêts , ea
angue.
;rt encore à faire
fariélé des fons ,
insiepUisagréa-
çauroit y avoir
: dans une phrafe
. Les plus oeaux .
i ils fe Iticcedent
s fois. Qu'on les
; fons , ils paroî-
de la phrafo. H
Lies fons de blef-
vienrientlafrap-
près de certains
aiiir à l'oreille ,
■es d'antres fons.
ïs plis que les or-
:,-,zf--„GoOglc
)3l Réfitxions critiques
canes qui lerveat à la prononciation ',
font obligés de prendre pour amculet
certaines lyllabes , ne permettant pa9,
à ces organes de k replier" aifément ,
ainfi qu'il faudroit qu'ils fe pliaiTent
pour articuler fans peine les fyllabes
luivantes. L'on a remarqué depuis long-
tems que .toute prononciation pénible
pour la bouche de celui qui parle , de-
vient pénible pour l'oreille de celui
qui l'écoute. Voilà pourquoi nouiXom-
mes choqués machinalement par la pro<
nonciation d'un homme qui ivofere
avec peine certains mots d'une langue
étrangère , & qui ell obligé à forcer
fouvent fes organes pour en arracher
des fons qu'ils ne font point en habitu-
de de former. Notre premier mouve-
ment , que la politefTe même à peine à
réprimer en beaucoup de pays , eil de
jire de lui , & de le contrefaire.
Il eÛ clair par les ra.ifons que nous
avons expofées , qu il eft bien plus fa-
cile aux Écrivains' Latins de faire des
alliances agréables entre les fons , de
placer tous les mots d'une phrafe auprès
d'autres mots qui fe plaîfent dans leur
voirmage.; en un mot ,.de parvenir à ce
que Quintilien appelle ino^infam^vtrto'^
■,r- .Ctxiglc
fur la Pocfit & fur la Ptïnmre. 3 ^ J
rum copulam, qii'iln'eftpoflîbleaux écri-
vains François de le faire. Cette phraTe
Françoife le perc tùme fon fils ^ ne fçau-
roit être écrite que dans l'ordre où je
viens de l'écrire : il faut y fuivre cet
arrangement de mots. Mais les mots
qui la compofent , lorfqu'elle eft mife
en Latin, peuvent être arrangés do
quatre manières différentes.
Entroilîéme lieu, les règles, de la
Poëûe Latine font plus faciles à prati-
quer que les règles de la Poëfie Fran-
çoife. Les règles de la Poëfie Latine
prefcrivent une figurt particulière à
chaque efpece de vers. Cette figure eft
f ompofée d'un nombre de pieds déterr
miné. La valeurde chaque pieds cftauin
réglée. Il eil dit de combien de fyllabes
il fera compofé , Ôf la longueur ou la
brièveté de ces fyllabes eft auflî défi-
gnée,. Quand la règle laide le choix
3*une alternative , c eft-à^dire, la liber-
té d'employer xm pied à la place d'un
autre dans la figure , elle prefcrit en
même tems ce qu'il faut faire , fuivant
ïe choix auquel on fe détermine.
En effet , ces règles ne font autre
chofe que les obfervations & la prati-
que des meilleurs Pçctes Latins rédui-
:,-,zf--„GoOglc
}}4 Rifltjàom aiàjpus
tes ea art. Lf!s horames ont a>iiiiiiencé
à& &ire des vers , avant qu'il y eût des
règles pour en bien faire. Us ont tra-
vaillé d'abord > Tans conûitter d'autres
règles que l'oreille. Leots r^einoiu
fur les vers , dont le nombre & Iliar-
tnome plaifbîent > & fur ceux dont la
cadence-éttMt deCm-éable , ont produit
les loîxdelaTermication. Sum Poéma
tttmo duiuaverie hnptriio fuodam iaitio
fufum , & aufiian nunfuri & Jbmli~
ttr dtcurrtmium fpatiorum <^faVétio-
ne effi gtaeraïufn , mcx ta eo nptrtoî
peJts ^nu inim carmm
orttim efi quàm ohfirtatio eérminis (a).
Là Poëfie, comme les autres 'Afts»
n'eâ donc qu'un aifemblage lAétbodï^
que de principes arrêtes d'un confen-
(ement général, en conféquènce de*
obiervations faites fur les effets de laNa-
ture. Ntque enim ipft vtrjiis rature- i^
cognltus , JidNaturd gt^ùe finfu quetà dt^
mtnfà ratio docult quid dcciderit. ha «ff-
taûù Natura & animadvtrfio peptrit af
ttm (A). Tous les péuplesont bien ten-
du au même but dansleurpoëfie ; mais
tous n'y ont pas tendu par des routes
aiiin bonnes.
(4) Qi/Fnt. /n/h'f. ïil. 9, (t) Octra Jn Oralàrt,
:,-,zf-,GoOglc
fur la Poijît &fur la Peinture. 3 j y
Il eil vrai que les règles de la Poefie
Latine ibnt en bien plus grand nombre
que les règles de la Poëfîe Françoife ,
à'caufe qu'elles entrent plus dans le
détail de k verfification que les règles
de la Poëfie Françoife ; mais comme
ces règles fe delSgnent , poiu* ainii dire ,
comme on en fait ia figure , en fe fer-
vant des caraâeres différens qui mar-
quent la quantité des fyllabes, elle»
tont aifées à comprendre , & faciles à
retenir.
Un peu de £gure fait tout compren*
dre, dit le Proverbe Italien- Ne voyons-
notis pas en effet que les enfans fçavent
par cceur , & qu'ils mettent même en
pratique les règles de la Poëfie Latine
dès l'âge de quinze ans, bien que le
Latin loit pour eux une Langue étran-
gère , qu'ils n'ont apprife que par mé-
thode } Lorfque la langue Latine étoit
une langue vivante , ceux qui vc\iloicnt
faire des vers en cette langue , connoit ,
foient déjà par l'ufage la quantité , c'eft-
A-dire , la longueur ou la brièveté des
fyllabes. Aiyourd'hui même il ne faut
iras mettre fiir le compte de la Poëfie
Latine la peine d'apprendre cette quan-
tité. On doit la (çavoir» pouiêtre ca-
:,-,zf-,GoOglc
53 é RtjUxïotu criùtjues
pable de bien parier Latin , comme on
doit fçavoir la quantité de fyllabes de
fa langue natureUe pour la bien parler.
Dès qu'on fçavoit une fois les règles
de la Poëfie Latine , rien n'étoit plus fa-
cile que d'arranger les mots fuivant un
certajn métré dans cette tangue où l'on
tfanipoie les mots à fon gré.
La conftruâion de nos vers François
eft affujettie à quatre règles. Nos vers
doivent être compofés d'un certain
nombre de fyllabes , fuivant l'efpece
du vers. Secondement nos vers de qua-
tre, de cinq & de fix pieds, doivent
avoir un repos ou une céfure. Troifié-
mement il faut éviter daps les vers le
concours des lettres voyelles Bnales &
initiales , lefguelles ne foufFrent pas l'é-
lilion. Enfin il faut rimer. Mais la rime
feule devient par J'afferviffement des
phrafes Françoifes à l'ordre natui^el des
mots , une chaîne aufli gênante pour un
Poëte fenfé , que toutes les règles de la
Poëfie Latine. En effet nous n'apper-
cevons gueres dans les Poètes Latins
les plus médiocres ^ des épithetes oifcu-
fes , & mifes en œuvre uniquement
jiour finir le vers ; mais combien en
voyons-BOus dans nos meilleures Poë-
fies
:,„.-„ CoO^ilc
fur la Poêfit&furU Ptlnture, 3 J7
(tes que la feule néccHîté de rimer y a
mtrodiûtes ? Après c«Ia , que mon lec-
teur trouve bon que je le renvoyé fur
la difficulté de rimer à l'Epître que Def-
préaux adrefla au Roi Louis XIV fur
le paflage du Rhin , ainfi qu'à l'Epître
que le même Poète a écrite à Molière.
On y venamjeiix que je ne pourrois le
dire , que fi la rime eft uoe efclave qui ,
ne doit qu'obéir , il en coûte bien pour
ranger cette efclave à Ton devoir.
Nos Poètes font encore chargés du
foin d*obferver la céfure , le nombre
des fyllabes , & d'éviter , en compo-
fant , la rencontre choquante de celles
tpii s'entreheurtent. AiifTi voyons-nous
■bien des François qui compofent plus
facilement des vers Latins que des vers
François. Or moins l'imaginction du
Poëte eft gênée par le travail méca-
nique, mieux cette imagination prend
l'elTor, Moins elle eft refferrée , plus il
lui refte de liberté pour inventer. Un
Artifan qui peut manier fes inftn.mens
fans peine, met xme élégance & une
propreté dans fon exécution , que l'Ar-
tifan qui n'a point entre fes mains des
wiftrumensaufli dociles ne fçauroit met-
tre dans la fienne. Ainfi les Ecrivains
Tomt I. P
:,-,zf--„GoOglc
3î8 Réflexions critiques
Latins , & particulièrement les Poëtes
latins (jui n'ont pas été gênés autant
que les nôtres, ont pu tirer de leur
Jan^e des agrémens & des beautés
<]i)*il efi prefque impoffible aux nôtres
de tirer de la langue Françoife. Les La-
tins ont pu , par exemple , parvenir à
faire de ces pnrales, que )'a[^Ileraiici
des phrafes imitatives. Il eft des phrafes
imitatives , ainfi qu'il eft des mots iini-
tatifs.
L'homme quj manque de mots pour
exprimer quelque bruit extraordinaire ,
ou pour rendre à Ton gré le Tentiment
dont il çft touché , a recours naturelle-
ment à l'expédient de contre&ire ce
même bruit , & de marquer Tes fenti-
Biens par des fons inarticulés. Nous
ibmmes portés par un mouvement na-
Ciu-el à dépeindre par ces fons inarti-
culés le fracas qu'une maifon aura lait
en tombant , le bruit confiis d'une af-
femblée tumultueufe , la contenance &
les difcours d'un homme tiaofporté de
colère , & plufieurs autres chofes,
L'inftinft nous porte à fuppléer par ces
fons inarticulés à la ftérilité de notre
langue , oul>ien à la lenteur de notre
imagination. Ceux quiontélevédespit-
:,-,zf--„GoOglc
furlaPeifi&furlaPeinturt. 539
fans', fçavcnt combien il faut de loin
poLir les corriger du penchant qu'ils
^nt à ie (errir de ces Tom inarticulés ,
^ODt aousregardoosruTage comme une
snauvaife habitude. Les Jiommes , ea
qui la Nature n*a point été redreÂee ,
les Sauvages & le bas peuple , fe fer-
vent fréquemment durant toute leur
vie de ces fcns inarticulés.
J'appellerai donc des phrafes imita-
tives celles qui font dans la prononcia-
tion lui bruit , lequel imite en quelque
manière le bruit inarticulé dent nout
aoiis fervirioas par inftinâ natiu-el,
.pour donner l'idée de la chofe que la
phrafe ex;prime avec des mots articu-
lés. Les Auteurs Latins font remplis de
ces phrafes imitatives , qui ont été ad-
mirées & citées avec éloge par les Ecri-
vains du bon tenu. Elles ont été louées
par les Romains du tems d'Augufte , qui
étoient Juges compétens de ces beau-
tés. Tel eft le ycrs de Virgile qui dé-
peint Poliphéme :
Mor\firum hamnium , iaformt , injno , mi lumm
Ce vers prononcé , enfupprimant les
i^llabes qui font éiifion , 6c en &ifani
■ Pij-
:,-,zf--„GoOglc
3 40 RéjUxlons crit'ufues
ibnner IV , comme les Romains le faw
foient ibnner, devient, pour ainfi par-i
ier , un versmonftnieux. Tel eft encore
le vers oîi Perie parle d'un homme qui
nazille , & qu'on ne fçauroit auffi pro-
noncer qu'en nazillant ;
Le changemMit arrivé dans la pro-
nonciation du Latin nous a voilé ,
Suivant les apparences , une partie de
ces beautés , mais il ne nous les a poïnt
cachées toutes.
Nos Poètes qui ont voulu enrichir
leurs vers de ces phrafes imitatives ,
n'ont pas réuffi au goût des François ,
comme ces Poètes Latins rëuffiffoieni :
au goût des Romains. Nous rions du
vers où du Bqjtas dit , en décrivant un
comiier , le champ plat bat , aitat. Nous
ne traitons pas plus férieufement les
vers oii Ronfard décrit en phrafes inù,
tatives le vol de l'Alouette;
Elle guindé ia Z^hirc
f ublime CD l'air yïre fl£ rtsitf.
Et y dédSqat un joli cit'.
Qui lir, guéricft lire l'ire
. Dïiïfprits.mieuiiiicjeo'icrî».
■ Pafquier rapporte plufieurs autres
:,-,zf-„ Google
JUrlaPoëfie &furUPttnture: 341
parafes imitatives des Poètes François
dans le chapitrede fes Recherches, oit
il veut prouver ^ue noire langue Françoi-
Jin'ejlpas moins capable, que la Latine t
de beaux traits Poétiques (a) ; tnaîs les
exemples que Pafquier rapporte , réfli-
tent fa propofition.
En effet, parce qu'on aura introduit _
quelques phrafes imitatives dans des
vers, il ne s'enfuit pas que ces vers
foient bons. 11 faut que ces phrafes imi-
tatives y ayem été introduites » fans
préjudicier au fens & à la conftruflion
grammaticale. Or il ne me fouvient que
3*un feul morceau de Poëfie Fraoçoife
qui fort de cette efpece, &qu'onpuiire
oppofer en quelque façon à tant d'au-
tres vers que les Latins de tous les tems
ont loués dans les ouvrages des Poètes
Îui avoîent écrit en langue vulgaire.
i'eft la defcription d'un aflaut <yji fe
trouve dans l'Ode de Defpréaux fur la
prife de Namur, Le Poëte y dépeint
enphrafes imitatives & en versélégans
le foldat qui gravit contre une brèche ,
& qui veut,
Sur lei moncEidi Je piqu«f ,
De ïorpt mont I de locs, de biiquct.
S'ouvrir un lar(^ cheniiu
(a) Uv. I. ch, .0. P iij '
CoDgIc
34* Réflexions crhîqnâ
Je demande pardon à ceux de nos
Poëtes qui peuvent avoir compofë dans
ce goût-là avec autant de fuccès que
Monfieiir Defpréaux , de fie les point
citer ; c'eft que je ne connois pas leurs
vers.
Non- feulement la langue Françoife
h'ell pas aufli fufceptîble de ces beau-
tés qtre la langue. Latine ; mais il fe
trouve encore que nous n'avons pas
étudié autant que les Romains l'avoient
fait, la valeur des Tons, la combînai-
fon (les fyilabes , l'arrangement des
mots propres à produire de certains ef-
fets , ni le rithme qtti peut féfirfter de
la compofition des phrafes. Ceux de
nos Ecrivains qui voudroient tenter
de faire quelque choie d'approchant de
ce que faifoient les Larins , ne feroient
point aidés par aucune recherche aii-
thodiqiie déjà fiiite fur cette «wfiere-.
Leur unique reflburce feroit de con-
fiilter l'oreitle ; mais la rtieilleure oreil-
le ne ftrffitpas toujours , pmicipalement
lorfque , pom- parler ainfi , on ne l'a
point cultivée. Pour réuffir eerïaine-
inent dans ces tentatives , il faudroit
avoir des règles établies qu'on pût con-
ililter dans la chaleur de la compofîtion ;
:,-,zf--„GoOglc
fur la Po'ép &fur ta Peinture. 34}
OU du moins il faudroit avoir fait d'a-
vance pluficurs réflexions , en confé-
quence dcfqiielles on eût établi quel-
ques maximes. Les Anciens avoient
cultivé avec foin leur terrein. Us étoicnt
encouragés par fa fertilité. Ceux qui
feront curieux de voir dans quels dé-
tails les Anciens étoïent entrés îiir cette
matière, & jufques à quel point ils
avoient porté leurs vues , peuvent
lire le quatrième chapitre du neuvième
livre de Quintilien , l'Orateur de Ci-
ceron , & ce que Longin a écrit du choix
des mots , du rithme & du métré , dans
fon Traité du Sublime , & dans fes pro-
légomènes fur l'Enchiridion d'Ephef-
tion.
Ma quatrième raifon pour prouver
que la mécanique de la Poëfie s'aide
mieux de la langue Latine que de la lan-
gue Françoife ^ c'eft que les beautés
qui réfultent de la fimple obfcryation
des règles de la Poëfie Latine , font plus
erandes que les beautés qm réfultent
de l'obfervationdes règles de la Poëfie
Françoife.
L'obfervation des règles de la Poëfie
Latine introduit néceflairement le rith-
me dans les vers compofés fuivant les
P iv
:,-,zf--„GoOglc
344 Réflexions critiques
règles As cette Poëfie. La fuite des Tyl- ,
labes longues & brèves > entremêlées
diverfem;nt , fuivant la proportion
prefcrite par ' l'Art « amené toujours
dans les vers Latins une cadence telle
que l'efpece y dont font les vers , la de-
mande. Les règles de la Poëûe Latine
ne font autre chofe que les obfervatîons
& la pratique des meilleurs Poètes La-
tins , Au* rarrangement des fyllabes, la-
quelle eft néceuaire pour produire le
rithme, réduites en préceptes, &puis
en méthode. Cesredes, ilellvrai, ne
prefcrivent pas queldoit être le fon de
chaque fyllabe : Elles fe conteittent de
déterminer le nombre arithmétique des
iyllabes qui doivent entrer dans cha-
que efpece de vers, & de marquer
quelles de ces Tyllabes doivent être
longues, quelles doivent être brèves,
& oit Ton peut mettre ou des longues
ou des brèves. Elles difent tûen , par
exem^ile, que les deux dernières fyl-
Idbes d'un vers hexamètre doivent être
longues ; mais elles ne diient pas quel
doit être le fon de ces deux dernières
fyllabes. Ainft les règles de la Poëfie
Latine n'introduifent pas dans les vers
Latins Tharmonie , qui n'efl autre cbor
^ Cooyic
fur la fotfit &fur U Peinture. 3 4 y
ïê qu'un mélange agréable de difFcrens
fons. C'étoit à roreitle du Poëte à cher-
cher quel étoit le mélange de ces (bns le
plus propre à produire une harmonie a-
gréable & convenable au fens des vers.
Voilà pourquoi les vers de Properce,
f]ui n'avoit pas l'oreille aufïï délicate
cjue Tibulle , pour bien juger du mé-
lange des fons , font tnoins harmonieux
que ceux de TibuUe , dans la pronon-
ciation defquels on trouve une /«<ivk^
jîngulitrt. Quant à la différence qui
eft entre la cadence des vers ëlégia-
ques de ces Auteurs , elle vient de
1 affeâatioii de Properce à imiter la
cadence des vers pentamètres grecs j
& il ne faut pas la confondre avec
la différence qui eft entre l'har-
monie de ces deux Poètes. Mais h
]a chute près , leurs vers CHit , poiir
parler ainn, la même démarche , quoi-
que ceux de Properce ne cheminent
pas d'auflî bonne grâce que ceux de Ti-
Dulle. Orc'eftdirebeaucoupàla louan-
ge des règles de la Poëfie Latine , que
de foutemr qu'elles font la moitié Se
plus de l'ouvrage, & que l'oreille du
Poëte n'y eft chargé que d'un foin ;
c'eft à fçavoir, du loin de rendre les
Pv
:,-,zf--,CoO^(lc
j4^ RéfUxîonscmî^ues
vers mélcKËeuz par tui heuretixtnélan'^
ge du ion desfyllabes dont ils fontconar*
pofés.
Je vais montrer que l'c^ferTationcles
règles de h Poëfie Françoife iw produit
ni i'un ni l'autre effet. L't^ièrrationde
«es règles ne rend les vers ni nom-
breux , m mélodieux. Des vers Fran-
çois très-conformes à ces règles , peu-
vent être fans rithme & fens hannonte
dans la prononciation. .
I,.es règles de la Poiifîe Françoife ne
décident que du nombre arithmétique
des fyll^es qui doÎTent entrer dans les
vers. £[les ne ftatuentrien^in'la qiian*
tité , c'eft-à-dire en Poëfie , fnr !a lon-
gueur & for la brièveté de ces fyllabes.
Mais comme les fyllabes des mots Fran-
çois ne laiffent pas d'être quelquefois
longues & brèves dans la prononcia-
tion , il réfolte phiËeurs înconvéoieBS
du filence que nos règles gardent for
leur combinaifon. Il arrive en prenrier
lieu que des vers François , anfquels
les règles n'auront rien à reprodier , ne
laifTerom pas de comenir des fuites
trop longues de fyllabes brèves ou de
fyllabes longïies. Or fi ces fuites durent
trop longtemj , elles empêchent qu'on
:,-,zf-,GoOglc
fur la Poijle ùfur la Peinture. 3 47
ne fente aucun rithme dans la pro-
nonciation des vers.
Le rithme ou la cadence d'un vers
confifle dans une alternative de fylla-
bes longues & de fyllabes brèves , va-
riées fui vant une certaine proportion.
Un trop grand nombre de iyllabes lon-
gues employées de fuite retarde trop
la progreffion du vers dans la pronon-
ciation. Un trop grand nombre de fyl-
labes brèves employées de fuite, la
précipite défagréablement.
En fécond lieu, il arrive fouvent que
lorfqu'on veut examiner deux vers ■
Alexandrins François liés enfemble par
une rime commune, par rtpportautcms
que dure la prononciation de chaque
vers , il fe trouve une différence énor-
me entre la longueur de ces vers, bien
que l'un & l'autre foient compofés lui-
vant les règles. -Que dix fyllabes , des
douze fyllabes qui compoient im vers
mafculin , foient longues ; & que dix
fyllabes du vers fuivant foient brèves ;
ces vers,qui paroîtront égaux fur le pa-
pier,feront dans la prononciation d'une
inégalité choquante. Aînfîces vers ré-
ciproques & liés enfemble par une ri-
me commune, perdront toute la ca-
Pvj
:,-,zf--„GoOglc
34^ . BÂfiticlons Criii^uts
dence qui poutroît naître de régalhf
de leur mefure. Or ce ne font pas les
yeux , c'eft Toreille qui juge de Ja ca-
dence des vers.
Cet inconvénient , cooune je l'ai déjà
dit , n*arrive point à ceux qui con^o-
fent des versLatins, les reglesles pré-
viennent. Le noDibre arithmétique des
fyllabes qui doivent entrer dans la
compofition de chaque efpece de vers
Latins , efi déterminé avec égard à la
longueur ou à la brièveté de ces fylla-
bes. Ces règles , qui ont été faites en
■gardant la proportion convenable à
chaque efpece de vers entre le nombre
arithmétique •& la quantité des fylla-
bes , décident en premier lieu que dans
tels & tels pieds du vers , il feut met-
tre des fyllabes d'une quantité prefcrî-
te. En fécond lien-, lorfque ces règles
lailTent au Poële le choix d'employer
en un certain endroit du vers des fyl-
labes longues ou bien des fyllabes bré- ~
' ves ; elles lui enjoignent , s'il fe déter-
mine à y mettre des fyllabes longues ,
d'y mettre alors xm moindre nombre
de fyllabes. Si le Poëte fe détermine
en faveur des fyllabes brèves , les rè-
gles lui prefcrivent alors d'en mettre
:,-,zf--„GoOglc
fm ïa Peêjit &fur l& Pùnture'. 341^
un plus grand nombre. Or comme dans
la prononciation une fyllabe longue
dure deux fois aiilTi longtems qu'une
fyllabe brève ; tous les vers Hexamè-
tres Latins fe trouvent être de même
longueur dans la prononciation j bien
que les uns contiennent un plus grand
nombre de Tyllabes que les autres. La
quantité de fyUabes ell toujours com-
pense par leur nombre arithméti-
que.
. Voilà pourquoi les vers hexamètres
Latins font égaux dans la prononcia-
.tion , nonobftant la variété de leurpro-
grefïïon ; au lieu que nos vers Alexan-
drins font très-fouvent inégaux, quoi-
qu'ils aient prefque tous une progref-
iion uniforme. Voilà pourquoi quel-
quesCritiques ont penfe qu'il étoit com-
me impoflible de niire tm Poëme épi-
que François de dix mille vers , lequel
réufsît. Il eâ vrai que cette uniformité
de rithme n'a point empêché le fuccès
de nos Poëmes dramatiques en France
& dans les Pays étrangers ; mais ces
Poëmes qui n'ont que deux mille vers ,
font affez bons pour fe foutenir malgré
le dégoût. D'ailleurs elle eft moins fen-
fible au Théâtre, oii brillent lephisces
:,-,zf--„GoOglc
3 JO Riflexîons aitlques
fortes d*ouvrages, parce que les Ac-
teurs , qui enjambent prefque toujours
fiir le vers fuivant avant que de re-
prendre haleine , ou qui la reprennent
avant que d'avoir fini le vers , empê-
chent qu'on ne fente le vice de la ca-
dence trop uniforme.
Ce que notis avons dit des vers hexa-
mètres « peut être dît des autres efpe-
ces de vers. Les vers qui s'accélèrent,
parce qu'ils font ccmpofés de fyllabes
Brèves , durent donc autant que ceux
qui fe rallentiffent , parce qu'ils font
compofés de fyllabes longues. Par
. exemple, Virgile a mis des fyllabes
brèves partout où les règles du métré
hij permettoient d'en mettre dans le
vers qui dépeint fi bien un courtier qui
galoppe , que la prononciation du vers
nous raitprefque entendre te bruit de la
courfe :
Quaimplitintlfiaremfiiàtu {uillic ui^a cvnpuni.
Ce vers contient dix-fept fyllabes :
mais il ne dure pas plus long-tems dans
la prononciation , que le vers fiiivant
qui n'en renferme que treize , & que
Virgile a fait pour décrire le travail
des Cyclopes, qui lèvent leurs bras
,-,..-,Coo.jlc
fur la. Po'éjît Sffar la P amure. J j f
Hrhiés de marteaux , pour battre fur
renclume ; effet que décrit le vers qut
le fuit immédiatement :
l\\\ iniirfifi multi »i limchid ralluat
Innumciurn, vafmaqui leiucifiirci/l miffamt
Ainlî la cadence des vers n'efl pas
rompue par cette affeâaticm d'em-
ployer , pour mieux peindre fon objet ,
ÎpIus de iyllabes brèves ou plus de fyl-
abes Iong;ues.
L'art «ï'employer h propos les fylla-
bes longues & les iyllabes brèves , art
que les Anciens avoient tant culti-
vé , fert encore à une infinité d'autre»
vues. Pour en dire un mot en paffant ,
on remarque que Ciceron (a) n'ofant '
pas mettre en œuvre des figures fré-
quentes dans le récit du fupplice indi-
gne d'un citoyen Romain , que Verres
avoit fait battre de verges, & cel»
par la crainte de Te rendre fufpeâ de
déclamation , trouve une reflburce
dans la complaifance de Ta langue , pour
arrêter néanmoins durant longtems fon
Auditeur fttr l'image de ce fupplice.
L'afrocité du fait étoit fi grande , qu'il
fiiffifoit que l'auditeur s'y arrêtât. Il
:,-,zf--„GoOglc
3ft RêjUxtons trUlques
devoît fuppléer les figures de lui-même.'
C'eft l'effet que prodmt la lenteur avec
laquelle fe prononcent les expreffions
fimples & en apparence fans art , que
Ciceron répète pour parler de l'aâion
contre laquelle il veut foulever l'ima-
gination de l'Auditeur. Catiekaiiir virgis
fivis Romanus. On recoonoit l'art dans
les (afférentes répétitions de ces mots,
qu'il varie pour dégiùfer l'affeâatiofl :
Mais revenons à l'ufage de mettre ta
œuvre la combinaîfon des fyllabes brè-
ves & des fyllabes longues, pourren*
dre les phrafes nombreufes & caden*
cées.
Les Romains étoient tellement épris
de l'effet que le rithme produifoit , que
leurs Ecnvains enprofe s'y attachè-
rent avec tant d'aaeâion, qu'ils en
vinrent par degrés jufques à facriâer
le fens & l'énergie du difcours au nom-
bre & à la cadence des ^afes. Cice-
ron dit (<i) que de fon tems la profe
avoitdéjafa cadence mefurée comme
les vers. La différence effenttelle qui
étoit entre la profe & les vers , ne ve-
noit plus de ce que les vers flUTent zî'
treints à ime certaine mefure, quand
{») 1(1 OrtL:oTt.
:,-,zf--„GooglC
fuT la Pocjît &fur la Peinture. 3 53
la proie en étoït affranchie ; mais de ce
que le métré de la ptofe étoit différent
du métré des vers. L'ancienne défini-
tion àefoluta & de (îricia oratio ne conf-
tituoit plus cette différence. Nom tcietnt
Po'ètœ quaftionem attuUrunt^quidnam ejptt
illud quo tpfi differrent ab Oratoribus. Nu-
mtro vidtbaniur aniea maximi & vtrfu,
Hune apud Oratores jam ipftnumtrus in-
crebuit. Ciceron traite enfuîte des pieds
comme d'une connoiffance aum nc'-
ceflaire aux Orateurs qu'aux Poètes
mêmes.
Quintilien qui écrivoit environ un
fiécle après Ciceron , parle de certains
Profatturs de fon tents y qui penfoient
avoir égalé les plus grands Orateurs ,
lorfqu'îls pouvoient le vanter que leurs
phrafes nombreufes rendoïent dans la
prononciation un rithme iî bien marqué,
que la déclamation en pouvoit être par-
tagée entre deux perfonnes. L'une pou-
voit faire les gefles au bruit de la réci-
tation de l'autre , fans s'y méprendre ,
tant ce rithme étoit fenfime. taudis &
gloria & ingenii loco plerique JaSani tan-
tari faltarique commentarios fuos (a).
Ce que nous dirons fur la réàtatioa des
{«} O'uiag. il O"'
o,:,-,zf--„GoOglc
3 54 Réjlexions critiques
Comédiens , achèvera d'exfrfiquer ce
paflTage.
Il faut que les Poètes François, aprb
avoir obfervé les règles de notre Poë-
iie, déjà plus contraignantes que les rè-
gles de la PoëfieLatine, cherchent enco-
re avec le feul fecours de l'oreille la ca-
dence & rharmonie. On peut juger de
la difHaiIté de ce travail , en faifant ré-
flexion que l'inverfion des mots n'eft
pas permi(e à nos Poètes dans la ving-
tiéme partie des occaHons oîi elle étoit
permife aux Poètes Latins. Après fêla
je fuis bien éloigné de penier qu'il foit
impoffible aux Poètes François de faire
des vers harmonieux & nombreux. J'ai
feulement prétendu foutenir que les
Poètes François ne pourroïent pas met-
tre autant de cadence & d'harmonie
dans leurs vers que les Poètes Latins ;
& que ce pen qu^iIs en peuvent intro-
duire dans leurs vers , leur coûte plus ,
que toutes les beautés que les Poètes
Latins ont fçu mettre dans les leurs,
n'ont coûté à leius Auteurs. Je ne crois
pas même qu'aucun Porte moderne de
ceux qui ont compofédans les langues
qui fe font polies depuis trois fiécles ,
ait mis plus de cadence &C de mélodie
:,-,zf--„GoOglc
far la Poïjît &fur la Peinture. 3^5
que Malherbe en a mis dans les Tiens ,
apparemment au prix d'une peine ôc
d une perfévérance dont il avoit ohli.-
gation au pays oit il étoit né. Le lec-
teur n'en trouvera j)as moJns dans les
vers que j'inférerai ici pour le dclaflcr
de tant de difcufTions grammaticales.
Monfieur le Marquis de la Farre que
le monde &c la république des lettres
regrettèrent comme im de leurs plus
beaux ornemens , lorfqu'il mourut en
1 7 1 1 , avoit prié Monfieur l'Abbé de
Chaulieu de lui donner fon portrait.
Au lieu de paye'' «n Peintre pour le
iâire , il le nt lui-même. H y 3 peu de
perfonnes capaWes d'une pareille épar-
fre. Voici les premiers (raits de ce Ta-
leau qui durera pju» k»igtcms qu'au-
cun de ceux du Titien.
O toi 1 qui de mon «ne » U chcrc moitié }
Toi, qnijoiniUdélicatellt
Dei (VDiimcpt d'une mihrtlK
A la lblidiié'4'uDcnirc imiiié;
LtFare, Uraut^Entàlquc bPirque cruelle
Vienne rompre de û btaux nzuii ;
El nulgié noE crk & no> vaux ,
fiicniôc nom elfiiU romane abfence éteraelic.
Chaque joui je feni qu'à grindspu
J'enTiedinicefcBtierobfi:ur& difficile.
Qui va me conduire U-bas
Rejoiodre Catulle & Virgiltt
:,-,zf--„GoOgk
3 j6 RijUxions critiques
I.à , Ttui dei bcrceam UHqotKi rerif
^ Artii à côif de Lcibie ,
Je leur pirtcrii As tu ver*
Er de ton aimiblc génie.
Tb recneilUt fi gaUmmem
Li Mule qu'îli avokiK liîBîe ,
Et comme die r^ut r^emeiu
Par ti pireflt latorUëe
Préfïrer «ree igrêiiieDi
Alt tonr biillioc de la penG^
La ïéril* dn fcnttmcDi ,
El l'eiprimer G leedremei»
Qnt Tibulleencore mainlEDitlt
Ed eft iilom dam rslilife.
Je voiidroîs pouvoir ici publier l'otf-
vrage tout entier; ficpourpreuve dénia
bonne volonté , je vais donner encore
au leÛeur deux fragmem d'une lettre
écrite par le même Auteur à M. le Prin-
ce d'Auvergne.
Aa milieu cepeodint de mea peinei truellcf ,
DelaSn dcDoijouricompagneitrop fidil1ei>
Jerui(iraD']uilUftgi}. QuelbieapluiprJcieas
Puii-je erpértr iamaii de la boBt£ det Dieux ï
Tel ^u'un rocher dont U lèce
Egale U Moac Athoi
Voit \ Tei pifdi la tempête
Troubler le calme dei flou ;
LameraiKour bnùt&eroiide, '
Malgré ce< émotlont
Str Ton front iltvé règne une paix ptofôndK
Que tant d'agitation*
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëjîe OJur la Peînturt. 357
fiiijgs Ifs turcuts di l'onde
ftirpcâCDE à l'^'l du nid dci Akiont.
Quoique la fcène du fécond fragment
Toit dans les Champs Elifées le centre
du pays fabuleux , ce morceau contient
néanmoins une louange des .plus véri-
tables qu'aucun poëte ait jamais donr
née^.
Dans UDï foalc de guerrîerti
VcndûnelW uoetn^MiKe '
^aroli touiomié de liurieri {
yendâne de qui k vùllacte
Fait avouer lux Stipioni
Que le Tic de CiTtli*ge & celui de Nutnance
N'obrcurùcpuresBâioii;!
EilailTe àjugei it l'Erpagae
&i Ton biiin'y fo puplvienune campagne
^u'iliD'yfiicoccii dix avec vingt LJ£ioai.
Le leâeur qui fe donnera (a peine de
prononcer tout haut ces vers de l'Ab-
bé de ChaiiHeu , fentira bien que le
ïi.tbme qui tient roreille dars une at-
tention continuelle , & que l'harmonie
qui rend cette attention agréable , &
qui achevé , pour ainfi dire , d'affervir
roreille , font bien un autre effet que
la richelfe des rimes. Peut-ond'ailleurs
ne point regarder le travail bifarre de
ximer comme la plus baffe ùinâion de
:,-,zf--„GoOglc
jcS Rèjîexions erîiiques
la mécanique de la Poëfie ? Mais puif-
qiie le Poëte ne fçaiiroit faire faire cet-
te beibgne par d'autres, comme le
Peintre&itbroyerfes couleurs, il nous
convient d'en parler.
SECTION XXXVI.
De la Rime.
J_* A liéceffité de rimer eft la règle de
la Poëiie dont l'obfervation coûte le
plus , & jett€ le moins de beautés dans
les vers. La rime eftropîe fouvent le
iens du difcours , & elle l'énervé prêt
^e toujours. Pour une penfée heu-
reuie que l'ardeur de rimer richement
peut faire rencontrer par haiard , elle
fait certainement employer tous les
jours cent autres penfees dont on "au-
roit dédaigné de fe fervir fans la ri-
chelTe ou la nouveauté de la rime que
ces penfées amènent.
C ependant l'agrément de la rime n'eft
point à comparer avec l'agrément du
nombre & de Fharmonie. Une fyllabe
terminée par im certain fon , n'ell
:,-,zf--„GoOglc
fiirlaPoiJît &furlaPeinturt, 35^
Ïoint une beauté par «llc-même. La
eauté de la rime n'cft qu'une beauté
de rapport qui coofiftè en une confor-
mité de dlfinanu entre le dernier mot
d'un vers, & le dernier mot du vers
réciproque. On n'entrevoit donc cette
beauté qui paffe fi vite , qu'au bout de
deux vers , & après avoir entendu le
dernier mot du fécond vers qui rime
au premier. On ne fent même l'agré-
ment de la rime qu'au bout de trois Se
de quatre vers , lorfque les rimes maf-
culines & féminines font entrelacées ,
de manière que la première ■& la qua-
trième foient mafcultnes , & la féconde
â( la trofiémc féminines , mélange qui
eft fort en ufage dans plufieurs efpeces
de Poëfie.
Mais pour ne parler ici que des vers
oîi la rime paroît dans tout fon éclat
& dans toute fa beauté , on n'y fent
la richeffe qu'au bout du fécond vers.
C'eft la conformité de fon , plus ou
moins parfaite , entre les derniers mots
des deux vers, qui fait fon élégance. Or
la plupart des Auditeurs qui ne font pas
du métier , ou qui ne font point amou-
reux de la rime, bien qu'ils foient du
Bii^tier, ne fc fouvicnnent plus de la
:,-,zf--„GoOglc
369 RéjUxtons critiques
pemiere rime aflez diftinôemeitt ,
iorfqu'ils entendent la féconde y pour
être bien flattés de la perfedion de ces
rimes. Ceft plutôt par réflexion que
par lentîment qu'on en connoît le mé-
rite, tantlepIaifirqu'ellefeitài'oreUIe
cA un platlir mince.
On me dira qu'il faut mi'H fe trouve
dans la rime ime beauté DÎen ftipérieu-
re à celle que je lui accorde. L'agré-
ment de la rime , ajoutera-t'on , s'eft
fait fenûr à tontes les Nations. Elles
ont toutes des vers rïmés.
En premier lieu , je ne dîfccnviens
-pas de l'agrément de la rime; maîsjj
tiens cet agrément fort au-defl"ous de
celui qui naît du rithme& de l'harmo-
nie du vers , & qui te (ait fentir con-
tinuellement durant la prononciation
du vers métrique. Le rithme & ITiar-
monie font une lumière qui luit tou-
jours , & fa rime n'eft qu'im éclair qui
^fparoît après avoir jette quelque
kteur. En effet , la rime la plus riche
ne fait qu'un efF^t bien paflager. A
n'eftimer même le mérite des vers que
par les difficultés quil faut ftirmonter
pour les faire , il eft moins difficile fans
comparaifoji de rimer ricbemcnt que
de
:,-,zf--„GoOglc
furla Poijîe Ofurla Peinture, jâl
Je compofer des vers nombreux & rem-
plis d'harmonie. On trouve des embar-
ras à chaque mot, lorfqu'on veut faire
des vers nombreux & harmonieuY.
Rien n'aide un Poète François à fiir-
monter ces difficultés , que (on génie ,
fon oreille & fa perfévériince. Aucune-
méthode réduite en art , ne vient à fon
fccours. Les difficultés ne fe préfentent
pas fi fouvent , quand on ne veut que
rimer richement , & l'on s'aide enco-
re , pour les furmonter , d'un Di^ion-
naire de rimes , le livre fiivbri des Ri-
meurs féveres. Quoiqu'ils en difent ,
ils ont tous ce livre dans leur arrière-
cabinet.
Je ton^e d*accord en fécond lieu
que nous rimons tous nos vers , &c que
nosVoifins riment la plus grande par-
tie des leurs. On trouve même la rime
établie dans l'Afie & l'Amérique. Mais
la plupart de ces peuples rimeurs font
barbares ; & les peuples rimeurs qui
ne le font plus , & qui font devenus
des Nations polies , étoîent barbares
& prefque fans lettres, lorfque leur
poëfie s'eft formée. Les langues ou'ils
parloient , n'étoient pas fufceptibles
d'une poëfie plus parité , lorfque ces
Toiiul. Q
' u,:,-,zf--„GoOglc
^6x Rifexîotu critUpus
peuples ont pore, pour ainfi dire, les
premiers fondemens de leur poëtique.
h eft vrai que les Nations Européen-
nes , dontje parle , font devenues dans
la l'uite içavatites & lettrées. Mais
comme elles ne fe font polies que long*
tems après s'être formées en un corps
politique; comme les fufages natio»
naux étaient déjà établis , & même for-
tifîés par le long tems qu'ils avoient
<luré, quand ces Nations fe font culti'
vies par une étude judideufe de la
langue Grecque & de la langue Laii*
ne, on a bien poli & reâiâé ces uià*
ges, mais il n'a pas été poffîble de les
changer entièrement. L'Architeâe , k
qui iWdonne un bâtiment gothique à
racconmioder , peut bieny &ire quel'^
ques ajuAemens qui le rendent logea*
ble ; mais il ne fçauroit corriger les dé-'
iàuts qui viennent delà première con£>
trufHon, 11 ne fçauroit feire de fon bâ>
liment un édifice régulier. Pour cela il
ftudroit ruiner l'ancien , pour en élever
un tout neuf fur d'autres fondemens.
Ainfi les Poètes excellens qui ont
ffavaillé en Fiance & dans les pays
Voi^s , ont bien pu embellir , ils ont
bi9P pu f^/tfUftTf ({u'on me psrdonqq
...Xooylc
fur la. Poifie €f fur la. Ptmture, jtf»
ce mot , la Poëfie moderne ; mais il ne
leur a pas i\i poffible de changer fa pre-
mière conformation , qui avoit fon fon-
dement dans la nature &; dans le génie
des langues modernes. Les tentatives
que des Poëtes fçavans ont faites en
France de tems en tems pour changer
les relies de notre Poëfie , & pour in-
troduire l'ufage des vers mefures , à la
manière de ceux des Grecs & des Ro-
mains , n'ont pas eu de fuccès.
La rime , ainfi que les lîe& & les
duels , doit donc Ion origine i la bar-
barie de nos Ancêtres. Les peuples ,
dont defcendent les Nations modernes ,
& qui envahirent TEmpire Romain ,
avoieat déjà leurs Poëtes , quoique bar-
bares, lorsqu'elles s'établirent dans les
Gaules fie dans d'autres Provinces de
TEmpire. Comme leslaneues dans leT-
quelles ces Poëtes fans étude compo-
loient, n'étoient point aflez cultivées-
pour être maniées fuivant les règles du
.métré ; cpmme elles ne donnoient pas
lieu à tenter de le faire , ils s'étoient
avifés qu'il y aurait delà grâce à ter-
miner par le même fon-, deux {urdes
du difcDurs qui fiilTent confécutives ou
relatives ficdîune. étendue égaleXemêi'
* Qii
, Google
^64 RijUxions erltiqius
me ion final , répété au bout <i*un ctti
tain nombre de iyllabes , f^ifoitune ef-
pece d'agrément, & il fembloitmar*
quer,'ou il marquoit , fi l'on veut, queli
■ que cadence dans les vers. C'eflappa-r
remment ainfi que la rime s'eft établie,
Dans les contrées envahies par les
Barbares , il s'eft form^ un nouveau
peuple compofé du mélange de ces
nouveaux venus & des anciens habi-
tans. Les vfages de la Nation domi»
nante ont prévalu en plulieurs chofes,
& principalement dans la langue comT
mune , qui s'eft formée de celle que
parloient les anciens habitans,& de cel*
le que parloient les nouveaux venus,
Par exemple,la langue qui fe forma dam
les Gaules , où les anciens habitant par*
loient communément Latin , quand les
Francs s'y vinrent établir, rie confer*
va que des mots dérivés du Latin. La
Syntaxe de cette langue fe forma en-
tièrement différente ic la Syntaxe de
la langue latine , ainfi que nous l'avons
dit déjà. En un mot , la langue naiff
faute fe vit aftervie à rimer Tes vers ,
& la rime paiTa même dans la langue
Latine , dont l'ufage s'étoit confervé
paijqj un ççrt^in jm^ni^Çf Verç le bui«
:,-,zf--„GoOglc
yUr la Pùijît &/ur ta Peinture. 365
tiéme fiecle les vers Léonins , qui font
des vers Latins r'tmés comme nos vers
François , furent en ufage , & ils y
étoient encore , quand on fit ceux-ci :
Tingirur hâc lp<ci< bonitarii oJort rtfirtu
IJlba Ectiejiitfuniatiir Rtx D:gabmui,
Les vers Léonins difpanirent avec
la barbarie , au lever de cette lumière
dont le crépufcute parut dans le quin-
zième fiecle.
SECTION XXXVIL
Que les mots de notre langue naturelle font
plus d'imprtjjîon fur nous que les mots
tCune langue étrangère.
Une preuve fans conteftation de la
fupériorité des vers Latins fur les vers
François, c'eftque les vers Latins tou-
chent plus, c'eA qu'ils afFeâent plus
que les vers François , ceux des Fran-
çois qui fçavent la langue Latine. Ce-
pendant l'impreffion que les expreflions
d'une langue étrangère font uir nousr^
eft bien plus foible que rinK>reflîon
gue font fur nous les exprefuons de
' lin
.C.oogic
^66 Rifiexions crîàques
noB-e langue naturelle. Dès qne le»
vers Latins font plus d'impremon fur
nous que les vàrs François , il s'enfitit
donc que les vers Latins ftmt plus par-
faits & plus c^ables de plaire qne les
vers François. Les vers Latins n*ont
pas naturellement le même pouvoir fur
une oreille françoife, qu'ils avoient fur
une oreille latine. Ils n'ont pas le pou-
voir que les vers Françcns doivent
avoir fur une oreille françmfe.
A l'exception d'un petit nombre de
mots qui peuvent paffer pour des mots
îmîtatifs y nos mots n'ont d'autre liai-
fon avec ridée attachée à ces mots ,
qu'iAie liaifon arbitraire. Cette \aJ£oa
m Ve^t du cs^iice ou du ha^A. Par
exemple, pna.pu attacl^rdans notre
langue l'idée du cheval au motfoËvtau ;
êc 1 idée de la [»ece de bois qu'il figm-
6e f au mot ehtval. Or ce n'eu que du-
rantlespremieres années denotrevîe»
que la liaifon entre im certain mot&
une certame idée fe iait A Inen , que
ce mot nous partnlTé avc»r une énergie
naturelle , c'eft-à-dire , une pn^uieié
particulière , pour fignifier la diofe
dont il n'eu cependant qu'un ligne inf-
titué arbitrairement. Ainû quand nous
:,-,zf--„GoOglc
ftiT U PoiJU &fur Id, Pthiturt. 367
avons appris dès I*en&nce la fignifica-
tîon du mot aimv , quand ce mot eft le
premier que nous ayons retenu pour
exprimer la chofe dont il eA le figne ,
il nousparoît avoir une énergie natu-
relle , bien que la force que nous lui
trouvons , vienne uniquement de notre
éducation, & de ce qu'il s'eft fatfi,
pour sinfi dire , de la première place
dans notre mémoire.
U arrive même que lorfque nous at><
prenons tme langue étrangère , après
que nous fonunes parvenus à un cer-
tain âee, nous ne rapportions point
immédiatement à leur idée les mots de
cette langue étrangère , mais bien aux
mots de notre langue naturelle , qm
font affociés avec ces idées-là. Ainfî
lin François qui apprend l'Anglois , ne
lie tx)int immédiatement au mot An-
glois God l'idée de Dieu , mais bien au
mot Ditu. Lorsqu'il entend enfuite
prononcer God, l'idée qui fe réveille
d'abord en hù, eft celle de la fignilî-
cation que ce mot a en François. L'i-
dée de Dieu ne fe réveille en lui qu^en
fécond lieu. U femble qu'il lui faille
d'abord fe traduire le premier mot à luii
même.
Qiv
:,-,zf--„GoOglc
g6S RijUxlom .eriàpuf
Qu'on traite , fi Ton veut, cette et-
' plication de fubtilité , îl fera tou)ouis
vrai de dire y que dès que DOtre cer-
veau n'a pas été habitué dans Tenfance
à nous repiéfentcr promptement cet-
taines idées, auflî-tôt que certains fom
viennent irapper nos oreilles , ces mots
font fva nous une impreâlon & plus
foible & plus lente que les mots auA
Îiels nos organes font en habitude
ohiâi dès Tenfance. L'<x>ération que
font {es mots, ell dépentuitte du tti-
fort mécanique de nos CM^anes , & par
conféquent elle doit dépendre de U
iàcilité , comnfe 'de la promptitude de
leurs mouvemens. Voilà pourquoi le
même difcoùrs ébranle en des tems
inégaux tul homme d*un tempérament
vif, & un autre homme d'un tempéra-
ment lent , quoiqu'ils en viennent en-
.£n à prendrèie même intérêt à la chofe
dont il s'agît.
L'expérience qui eft plus déciiive
dans les faits , que tous les raifonne-
menï , nous enfeigne que la chofe eil
ainfi. Un François qui ne fçait l'Efpa-
gnol que comme une langue étrai^ere ,
n'eft pas afTeûé par le mot ^uerer ,
cofflme par le mot aimer ^ quoique
:,-,zf--„GoOglc
furUPotJie Sffurta Peinture. 369
ces mots fignifîent la même chofe.
Cependant les vers Latins plaifent
plus , ils afTeûent plus que tes vers
François. On ne fçauroit recufer le té-
moignage des Etrangers à qui Tufage
de u langue Françoife eft beaucoup
plus familier aujourd'hui que riiTage
de la langue Latine. Ils difent tous
3ue les vers François leur font moins
e plaifîr que les vers Latins , quoique
la plupart ils ayent appris le François
avant que d'apprendre le Latin. Les
François mêmes qui fçavent affez bien
le Latin pour entendre facilement les
Poètes qiiiontcompofôdans cette lan-
gue, font de leur avis. En fuppofant
que le Poëte François &c le Poëte La-
tin ayent traité la même matière , qu'ils
ayent également réuflî , les François ,
dont je parle , trouvent plus de plaifif
à lire les vers Latins. On fçait le bon
mot de Monfieur Bourbon , ^u'il croyait
boire de teau , quaitd il Itfoit des vers
François. Enfin les François & les Etran-
gers , je parle de ceux qui fçavent notre
langue aulE-bien que nous-mêmes , &
qui ont été élevés un Horace dans une
main , & un Defpréaux dans l'autre ,
ne fçauroient fouiïrir qu'on mette en
Qv
-, Google
3 70 Rifiexioas emi^us
cotnpïraîlbn les vers Latinî & les vers
François confidérés mécaniquement. Q
faut donc qu'il fe rencontre dans les
vers Latins une excellence qui ne folt
pas dans les vers François : FEtrangeF
qui fait plutôt fortune dans une Cour,
qu'un homme du pays ^ eft réinité avoir
plus de mérite que celui qu'il a laiffé
derrière lui.
SECTION XXXVIII.
Que Us Ptimres du terns de Rapfuûl h'o-^
voieru point d^avanta^ fur ceux d'aU'
jourd'hà. Dts Pântns de VAnti-
• quiti.
IN OS Poètes François font donc i
plaindre', lorsqu'on veinteur Ëùre ef-
myer la compsu'aifon des Poètes La-
tins qui avoient tant de fecours & tant
de ^cilité jKHir fiiire mieux qu'il n'eft
poffiWe de faire aux Poètes François.
Us poutToient dire ce que ^ùidlien
répond,pouf les Poètes Latins* aux Cri-
tiques qui avoient voulu ^ï^er des
Ëoivains Latins qu'ik touchaHeat au>
.,;..Gooylc,
furlaPoêJît Cf fur la Peinture, jyr
tant que les Ecrivains Grecs : Rc4idez
donc notre lan^e aiu£ féconde en
expreffîons & auHî agréable dans la
prononciation , que la langue de ceux
que vous prétendez que nous devions
^aler pour mériter votre eftime. Dee
iKuhi in loqmnJo tamdem jucuaduatem &
panm copiam (à). L'Architeâe qui ne
içaur(»t bâtir qu'avec de la brique » ne
peut pas élever un édifice qui plaife
autant que s'il pouvoit le bfttir avec
de la {nerre & avec du marbre. Nos
Peintres font en cela bien plus heureux
que nos Poètes. Les Peintres qui'tra-
vaillent aujourd'hui , employent les
mêmes couleurs & les mêmes inftni-
mens qu'ont employé les Peintres ,
dont on peut oppofer les ouvrages à
ceux qu ils fbm tous les purs. Nos
Peintres , pour ainfi dire , confient
dans la même langue que parloiem leurs
prédécefleurs. En parlant des Peintre»
les prédécefleurs des nôtres , je n*en-
tends point parler des Peintres du tems
d'Alexandre le Grand , & de ceiix du
tems d'Auguâe. Nous ne fçavons pas
aflez diftioâementles détails de la mé-
canique de la peinture antique , pour
Qvj
:,-,zf--„GoOglc
3^1 Rifitxions eritiques
eo faire un parallèle avec la mécaiù-
que de la peinture moderne. Par les
Peintres predécefleurs des nôtres , j'en-
tends parler feulement des Peintres qitî
fe font produits depuis le renouvelle-
ment des Lettres fie des beaux Arts.
Je ne fçache point qu'il foit venu
jufqiies à nous aucun tableau des Pein-
tres de l'ancienne Grèce. Ceux qui
nous reftent des Peintres de l'ancienne
Rome , font en fi petite quantité , &
ils font encore d'une efpece telle , qu'il
eft bien difficile de juger fur l'infpec-
tion de ces tableaux , de l'habileté des
meilleurs ouvriers de ce tems-là, ni
des coideurs qu'ils employoîent. Nous
ne pouvons fçavoir pofitivement s'ils
en avoient que nous n'ayons plus;mais
il y a beaucoup d'apparence qu'ils
n'avoient point les couleurs que nos
ouvriers tirent de l'Amérique & de
quelques autres pays , avec lefquels
l'Europe n'a un commerce réglé que
depuis deux fîecles.
Un grand nombre des inorceaux de
la peinture antique qui nous refte , eft
exécuté en Mofaique , c'eft-à-dire , en
peinture faite avec de petites pierres
coloriées, fie des aiguilles de verre
■„r .,Coo)glc
furlaPotfit &furldPàrUure. 37J
cotnpaiTées & rapportées enfemble , de
manière qu'elles imitent dans leur af-
femblaee le trait & la couleur des ob-
jets quon a voulu rejM-éfenter. On
voit , par exemple , dans le palais que
tes Barberinsdnt fait bâtir dans la ville
de Paleftrine, à vingt-cinq milles de
Rome , tm grand morceau de Mofaï-
que qui peut avoir douze pieds de
longs fur dix pieds de hauteur, & qui
fert de pavé a une efpece de grande
niche , dont la voûte foutient les deux
rampes féparées , par lefquelles on
monte au premier palier du principal
efcalier de ce bâtiment. Ce Aiperbe
morceau eft une efpece de Carte Geo-
' ique de l'Egypte ; & » à ce qu'on
prétend , le même pavé que Sylla avoit
fait placer dans le Temple de la For-
tune Préneftine, & dont Pline parle-
dans le vingt-cinquième chapitre du
trente-fixiémc livre de ion HiAoir^, Il
fe voit gravé en petit dans le Latium du
P. Kircher; mais en 1711 le Cardinal
Charles Barberin le fitgraver en quatre
grandes feuilles. L'Ouvrier ancien s'eft
tervi pour embellir fa Carte » de plu-
fieurs efpeces de vignettes , telles que
les Géographes en mettent pour rem-
:,-,zf--„GoOglc
^74 RiJUxîom erU'upus
plir'les places vmdes de leurs carte*.'
Cesvignettesrepréfentent des hommes,
des ammaux,desbâtimens,'des chaflies,
des cérémonies , & plufîeurs points de
l'Hifloire morale &C oaturelte de TË-
gypte ancienne. Le nc»n des choies qui
Y font dépeintes , eu écrit au-deflos
en caraâeres Grecs, à peu près comme
le nom des Provinces eft écrit dans une
carte générale du'^yaume de France.
Le Pouffin s'efi iervi de quelques*
unes de ces comportions pour embel-
lir plufieiu's de fes tableaux , entre an-
tres celui qui repréfente rarrivée de la
Sainte Fandlle en ^ypte. Ce grand
Peintre vivoit encore , quand cette fu-
perbe Mofaïque fiit déterrée des ruines
d'un Temple de Serapis , qui devoit
être , pour parler à notre manière , vas
ChapeUe du Temple célèbre de la For-
tune Prtatfiine. Tout le loonde fçaitqne
Tancien Préneâéeftlamême vUIe que
Paleftrine, Par bonheur elle en fitt ti-
rée très-entière & très>bien conTervée ;
mais malheureusement pour les cu-
rieux , elle ne fortit de fon tcMiibeau
que cinq ans après que Monâeur Sua-
rez Ëvêque de Vaiffons eut fait im-
priiaçr ion livre Precoefies arui^ua Hiri
:,-,zf--„GoOglc
furlaPoêJîi ù fur Ut Pàmare. jyj.
duoXfi). La carte, <lont je parle, ëtoit
alors enfevelie dans les caves de TEvê-
ché de Paleftrïne où elle étoit comme
învifîble. On en appercevoit feulement
quelque chofe à force d'en laver les
endrqits qui étoient d^ja découverts ,
& Ton ne les voyoit encore qu'à la
clarté des flambeaux. Ainlî Monfieur
Suarez n'a pu nous donner dans fon
Ouvrage (^) que la defcription de
3uelques morceaux que le Cavalier
el PoMO avoit feit deiîiner fur les
ïieux. (c)
On voit encore à Rome & dans plu-
fieurs endroits de l'Italie des fragmens
de Mofaïque antique , dont la plupart
ont été gravés par Pietro Santi Barto-
li, qui les a inférés daiK fes différens
recueils. Mais pour plufieurs raifons
on jugeroit mal du pinceau des Anci^is,
fi l'on vouloit en juger fur ces Mofaï-
ques. Les curieux gavent bien qu'on
ne rendroit pas au Titien la juAice qui
lui eft due , fi Ton vouloit juger de fon
mérite par celles des Molaïgues de
r%tife de Saint Marc de Venife , qui
(«) Jm^'imtt iKtmt tni*il'
lb) frffir/l. Amiq. lib. {Hm. p, jai
lç)lbii, lib. *.p. :il.
:,-,zf--„GoOglc
furent &itesfuT les defleios de câ M^
tre de-la couleur. U e& unpoffible dl-
miter avec les pierres & les morceaux
de Terre, dont les Anciens fe font fer-
vi pour peindre enMo&îque, toutes
les beautés & tous les agrémens que
le pinceau d'un habile honune met dans
un tableau , oîi il eA maître de voiler
les couleurs , & de faire fur cha-
que point ph)'iique tout ce qu'il ima-
gine f tant par ranrart aux traits que
par rapport aux teuites. En efTef , les
Molàîques fur lefquelles on fe récrie
davantage , celles qu*on prend d'une
certaine difiance pour des tableaux faits
au pinceau , font des Mofaïques copiées
d'après de Itmples portraits. Telle eft
le port;;ait du Pape Paul cinquième ,
qu'on voit à Rome au Palais Borghefe. ■
Il tid réAe dans Rome même qu'un
petit nombre depeintiu-es antiques^-
tes au pinceau. Voici celles que je me
fouviens d'y avoir vues. En premier
lieu , la Noce de la Vigne Aldobran-
dine , & les Figurines de la Pyramide
de Ceftius. Il n'y a point, de curieux,
qui du moins n'en ait vu des eftampes.
En fécond lieu , les peintures qui font
au Palais Barberin ikns Rome, Se qui
:,-,zf--„GoOglc
fur la Paëjît &fiirla Peinture. 37^
furent trouvées dans des grottes fou-
terreines, torfqu'on jetta- les fonde-
jnens de ce Palais. Ces peintures font
le Payfage ou le Nymphée dont Lucas
Holftenius a publié l'eUampe, avec
une explication qu'il avoit faite de ce
tableau \ la Venus reAaurée par Carie
Maratte , & une. figure de Rome qui
tient une Viâoîre. Les connoifTeurs
qui ne fçavent pas l'hiftotre de ces deux
.Prefques , prennent l'une pour être de
Rapmiël , & Tautre pour être du Cor-
rege. On voit encore au Palais Far-
nefe un morceau de peinture antique ,
trouvé dans la Vigne de l'Empereur
Adrien à Tivoli, oc un refte de plav-
fond dans le jardin d'un particulier au- ■
près de Saint Grégoire. On a trouvé- ,-
depuis la première édition de cet Oû4
vrage ,-plufieurs autres peintures anti-
ques dans la Vigne Farnefe futle Mont
Palatin, dans l'endroit qu'occupoit au-
trefois le Palais des Empereurs. Ces
peintures ornoient le plafond d'une falle
de bains ; mais ni Monûe\u- le Duc de
Parme à qui elles ont appartenu , ni le
Roi des deux Siciles qui les a fait tranf-
porter depuis à Naptes, ne les ont point
encore ikit graver. Monûcur le Doc;;
:,-,zf--„GoOglc
37$ RéjUxions critiqua
teoT Mead, fi connu dans tonte l*£it^
rope par fes talens & par jibn amour
pour les Arts a enriclu fon Catmiec
d'un morceau de peinture antique , qm
s'ell pareillement trouvé dans les im*
nés du palais des Empereurs , ic il a
fait graver ce précieux fragment. U
repraedte , à ce qu'on afujet de crcnre,
l'Empereur Auguile , ayant à côté de
lui Agrippa , Mecenas Âc quelques au-
tres perlonnes, & donnant une cou-
ronne à une figure qui ne paroît plus.
Monfîeurle Marquis Capponi , qui )oîitt
à beaucoup d'érudition uA goût luign-
lief pour tout ce qui eft du refîbrt de
l'antiquité , a lait encore graver un
morceau fingulier de peinture antique
de fon Cabmet. C'eft le portrait d'un
Architeûe , aujM-ès de qui Ton voit les
inilnjmens de fon Art. Cette peinture
a été découverte dans un tombeau.
On voyoit il y a quelque tems pïii-
fieurs autres morceaux de peintures an-
tiques dans les bâtimens ipii font com-
pris vulgairement fous le nom des rui*
nés des Thermes, de Titus ; mais les
uns font péris » comme le tableau qui
repréfentoit Coriolan , que fa inere
perfuadoit de ne point venir attaquer
:,-,zf--„GoOglc
fur U Paêfie ^ fur U Pànmrt. 3 75
Rome , & dont le defTein fait par An-
nibal Cairache , &c qui a été gravé ,
ell aujourd'hui entre les mains de M.
Crozat , qui l'a eu du Chanoine Vlt-
toria ; les autres ont été enlevés. C*eft
de-là que le Cardinal MalTimi avoit tî-
ré les quatre morceaux qui paflent pour
repréienter l'Hiftoire d'Adonis , &
deux autres fragmens. Ces fçavantes
reliques font pafTées à fa mort entre
les mains du Marquis MaHuni , & l'on
en voit les eftampes dans le livre de
Monlieur de la ChaufTe , intititlé U
Piuwt aneiche deUe Grote di Rama. Cet
Auteur a donné dans ce livre pluiieurS
deffeins de peintures antiques qui n'a-*
voient pas encore été rendus publics ,
Se entre autres , le deflein du plafond
d'une chambre , qui fut déterrée auprès
de Saint Etienne in Rotundâ en 1705 ,
c'ell-à-dire , une année avant l'édition
de fon Ouvrage. La figure de femme
peinte fur im morceau de iluc qui étoit
chez le Chanoine Vîttoria , eft jM"éfen-
tement à Paris chez Monfieur Crozat
le jeune.
Quant à ce qui relie dans les Ther-
mes de Titus, il n'y a plus que des
peintures à denûeflàcéesj, lePere {le
:-„r., Google
}8o Réflexions cruî^ti
Montfaucon (a) & François BaRofi
nous ont donné (J>) l'eflampe du mor-
ceau le plus entier qui s'y voye , 5c qui
représente un payfage.
On voyoit encore en 1701 dans les
ruines de l'ancienne Capouë , éloignée
d'une lieue de la Ville moderne de Ca-
pouë , une Gallerie enterrée , en La-
tin Cripto^Porficus, dont la voûte étoit
peinte , & repréfentoït des figures qui
le jouoient dans diâerens ornemeos.
En 1709, le Prince Emmanuel d'EI-
beuf ^ en tàifant travailler à fa maiiba
de campagne , fituée entre Naples &le
mont Vefiive , fur le bord de la mer,
•trouva un bâtiment orné de peintures
antiques ; mais je ne fçache point que
perfonne ait publié le delTein de ces
peintures , non plus que le deiïeîn de
celles de Ja vieille Capouë.
Je ne connois point d'autres pêintu*
res antiques feites au fnnceau, Sc-qui
fubUftent encore aujourd'hui , que tes
morceaux dont je viens de parler. H
eA vrai que depuis deux lîecles on en
a déterré un bien plus grand nombre,
ibit dans Rome , foit dans d'autres en-
....Gooylc
fur la Poëft te fur la Piîntun. 381'
droits de l'Italie; maïs je ne fçai par
quellç fatalité, la plupart de ces pein-
tures ioût péries. & il ne nous en eft
demeuré que les defTeios. ht Cardi-
nal Maflimi avoit ^it un très-Jîeau re-
cueil de ces deiTeins, &pariine aventu-
re bifarre, c'étoit d'Efpagne qu'il avoit
rapporté à Rome les plus grandesricheC-
fes de fon recueil {k\. Durant & Non-
ciature , il y avoit fait copier un porte-
feuille qui étoit dans le Cabinet dil
Roi d'Efpagne , & qui contenoit le
deffrfn de plufieurs peintures antiques ,
qui forent trouvées à Rome, lorfqu'on
commença durant le feiziéme fiecle à
fouiller avec ardeur dans les ruines ,
pour y chercher des débris de l'antiqui-
té. Le Cavalier de] Pozzo , dont le n<Hn
eil fi célèbre parmi les amateurs de
la Peinture , le même pour qui le Pouf-
fm peignit fes premiers tableaux des
fept Sacremens avoit fait auffi un très-
beau recueil de deffeins d'après les
peintures antiques, que le Pape Clé-
ment XI. acheta durant fon'PontifîcBt ,
pour 1^ mettre dans la Bibliothèque
f(L)CeRtcucU dcDi^fTciM cH piffii dtpult peu en
An^lcierie, & eft eouB Ui miiudcM.le Do4teuc
Wetd.
:,-,zf--„GoOglc
381 Rèftxiûns criûqms
■particulière qu'il s'étoit formée.
Mais prefque toutes les peintures
d*après lefquelles ces defleias iïirem
^ts , font péries. Celles du totobeau
des Na2ons qu'on déterra près de Pon-
temole en 1674. ne fubfiilentdéja plus,
n ne nous eft refié des peintures de
ce Maufolée , que les copies coloriées
qui furent Eûtes pour Mon£eur Col-
bert & pour le Cardinal Maffîmi , &
les eiUmpcs gravées par Pietro Santi
Bartoli, qui font avec les explications
du Bellon un volume in-folio imprimé
à Rome, (à) A peine demeuroit-il , il
y a_ déjà quarante ans , quelques veAi-
ge» des peintures ori^nales , quoi-
qu'on eut eu l'attention de pafier def-
ius une teinture d'ail , qui eft fi propre
â çonferver les Frefques. Malgré cette
précaution , elles fe font détruites elles-
mêmes.
Les Antiquaires prétendent que c'eft
la deftinée de toutes les peintures aa-
ciennes , qui diuant un grand nombre
d'années ont été enterréesen des lieux
fi bien étouâés , que l'air exérieur ait
été longtems fans pouvoir agir fur
elles. Cet air extérieur les détruit au£-
:,-,zf-„ Google
fuT îàPùëJîe &fur la Ptbaurt. j j j
tôt qu*elles ' redeviennent en>ofée$ à
fon aâion , au lieu qu'il n'endommage
les peintures enterrées en des lieux oti
il avoit conSetvé un libre accès , que
comme il endommage tous les tableaux
peintG à frefque. Ainli les peintiues
qu'on déterra il y a vingt ans à la Vi-
gne Cpriîni bâtie fur le Janicule , dé-
voient durer encore longtems. L'air
extérieur s'étoit confervé un libre ac-
cès dans les tombeaux dont elles or-
noîent les murailles ; mais par la &ute
du propriétaire, elles ne iubfifterent
pas longtems. Heureufement nous èa
avons les eAampes gravées par Barto-
li (a). Cette aventure n'amvera plus
déformais. Le Papç Clément XI qui
^voit beaucoup de goClt pour les Arts ,
& qui aimoit les antiqultés-'i n'ayant
pu empêcher la deAruâicn des pein-
' tures de la Vigne Corlîni fous le pon-
tificat d'un autre, n'a point voulu que
Jes curieux puflent reprocher au iien
de pareils accidens , qui font pour eux
des malheurs fignalés. II fit donc ren-
dre un Edit dès le commencement de
fon règne par le Cardinal Jean Bap-
liAe S^nola , Camerlit^uc du Saint
:,-,zf--„GoOglc
)S4 Rifiexîons craiqats
Siège , qui défend à tous tes in'Oprié*
taires des lieux où ron aura trouvé
quelques veftiges de peinture antique^
de démolir la maçonnerie où elles ie-
roient attachées , fans une permijlîon
expreffe.
On conçoit bien qu'on ne peut fans
témérité entreprendre un parallèle de
la peinture antique avec la peinture
moderne , fur la foi des iragméns de
la peinture antique, qui ne liibfiftent
plus qu'endommagés , du moins par le
teips. D'ailleurs ce qui nous reHe,&
ce qui étoït peint à Rome fur les mu-
railles , n'a été fait que longtems après
la mort des Peintres, céleWes de U
Grèce. Or il paroît par les écrits des
anciens , que les Peintres qui ont tra-
vaillé à R«me fous Augufte & fous les
premiers fucceffeurs , étoient très-ift*
férieurs au célèbre Appelle & k fesil-
luftres contemporains, Pline qui corn-
pofoit fon hiftoire fous Vefpafien, &
quand les Arts avoient atteint déjà le
plus haut point de perfection od ils
îbient parvenus fous les Empereurs,
ne cite point parmi les tableaux qu'il
compte pour un des plus grands orne-
^ens de la Capitale de l'Univers,
aucua
:,-,zf-,CoOJilc
furîa. Poiju &fmU Peinture. 385
a:nçun tableau qu'il donne lieu de croire
avoir été fait au tems des C^lars. On
ne fçaurcût donc afleoir fur les frag-
m^is de la peinture antique qui nous
iffetlent , 8c qui font les débris d'ouvra-
ges'^ts dans Rome fous les Empe-
reurs , auciui jugement certain concer-
nant le degré de perfeâion oti les
Crées & les anciens 'Romains pour-
roient avoir porté ce bel Art. On ne
fçauroit même décider par ces frac-
tnens , du degré de perfeÛion où la
peinture pouvoit être , lorfqu'ils forent
faits.
Avant que de pouvoir juger fur un
certain ouvrage, ne l'état où l'Art étoit,
iorfque cet ouvrage a été fait , il fau-
flroit fçavoir pofitivement en quelle
eflime l'ouvrage a été (kns ce tems-là ,
& s'il y ajâué pour un ouvrage ex-
cellent en fon genre. Quelle injufticê ,
par exemple , ne feroit-on pas à notre
fiécle , fi l'on jugeoit un joiu" de l'état
où la Poëfie dramatique aiu'oit été de
notre tems fur les Tragédies de Pra-
don , ou fur les Comédies de Haute-
roche ? Dans les tems les plus féconds
en Artifans excellens , il fe rencontre
encore un plus grand nombre d' Artifans
TnJM I. R
:,-,zf--„GoOglc
386 Rêfiexions critiques
médiocres. Il s'y fait encoce plus iA
mauvais ouvrages que de bons . Or nous
coiu-erions le rifquc de prononcer fur
la foi d'un de ces ouvrages médiocres,
fi, par exemple , nous voulions jug*
de l'état où la peinture étoit à Rome
fous Augufte , par les figures qui font
dans la pyramide de Ce^lius ; quoiqu'il
foit très-probable que ces figures pein-
tes à frefque , ayent été faites dans le
tems même que le Maufolée fut, élevé,
& par conféquent fous le règne de cet
Empereur. Nous ignorons quel rang
pouvoir tenir entre les Peintres de fon
tems , l'Artifah qui les fit ; fie ce qui
ie paffe aujoiu-d'hui dans tous les pays,
nous apprend fuffifamment que la ca-
bale fait diftribuer fouvent les ouvra-
ges les plus confîdérables à des Arti'
fans très-inférieurs à ceux qu'elle feil
négliger.
Nous pouvons bien comparer la fculp-
tiu-e antique avec la notre , parce que
nous femmes certains d'avoir encore
aujourd'hui les chefs-d'œuvres de la
fculpture Greque , c'eft-à-dire , ce qui
s'eft fait de plus beau dans l'Antiquité,
Les Romains dans le fiecle de leur
/plçndeur , qui fut celui d' Augufte , w
:,',zf--„GoOglc
fur la P^tfit &fur la, P«lnture. 3 87
tf fputerent aux illuflres de la Grèce
que lafciencedugouveroemeat. Ilsles
reconnurent pour leurs Jiiaîtres dans les
arts , & nommément dans TÂn de la
iculpture. '
Excuitnt dlii Jfirrattiii moXIiui ma ,
OnJo tq\âitrn. , rivai ifunnt de niarmtre yultas,
Turfgcre inytrio ptputni , Uamara ,'num;m)
Hit dbi aum tna, (1)
Pfine eft du même fentiment que
Virgile. Mais ce qu'il y avoit de plus
précieux dans la Grèce , avoit été ap-
porté à Rome , & nous fommcs cer-
tains d'avoir encore aujotird'hni les
plus beaux ouvrages qtù fuffent dans
cette Capitale du monde , après qu'elle
eut été enrichie des chef-aœiivres les
plus précieux, nés fous le cizeau des
Grecs. Pline (^)parle avec diftinÛion de
la ilatuë d'Hercule , qui préfentement
eft dans la cour du Palais Farncfe , ôc
Pline écrivoit quand Rome avoit dé-
jà dépouillé l'Orient, l'un des plus
beaux morceaux de fculpture qui fiif-
fent à Rome. Ce même Auteur nous
apprend encore ( e ) que le Làocoon
( » ) Efirid. lib. «.
(bl Plln. Hi^. lih. If.
<cj llilor. lib. i$.
Rlj
:,-,zf--„GoOglc
jSS Réflexions chiques
qu'on voit a}ourd'hui dans une cour ia.
Palais de Belveder^ étoit le morceau de
fculpturele plus précieux qui fut à R.o*
me de fon tems. Le caraâere que Pline
donne aux Statues qui compofent le
grouppe du l/aocoon , le lieu où U nous
dit qu'elles étoient dans le tems qu'il
écrivoit, & qui font les mêmes x{ue
les lieux oit elles ont été déterrées de-
puis plus de deux lîecles , rendent
confiant , malgré les fcrupules de quel-
ques Antiquaires , que les Statues que
nous avons , ibnt les mêmes dont Pline
a parlé. Aiofî.jiausibmTnes en état de
juger Sx les Anciens nous ont iiirpafies
dans l'Art de la fcupltiu:e. Pour me fer.
VÎT de cette phrafe . les parties au pro-
cès ont produit leurs titres. Gr je n'en,
tendis jamais prononcer en faveur des
Sculpteurs modernes. Je n'entendis ja*
mais donner la préférence au Moîfe
de Michel-Ange fur lel-aocoon du 5eA
yeder. J'avouerai après cela qu'il ferolt
imprudent de foutenir que les Peintres
de l'Antiquité Grecque & Romaine ,
ayent fiirpaffé nos Peintres , parce que
les Sculpteiu^ anciens ont furpaffé les
Sculpteurs modernes. La Peintnrè Se
la Sculpture , il eft vrai , fpnt dev«
:-„r -iCoO^ilc
fur la Poifit ùfur la Ptinturt. 3 89
lœurs ; mais elles ne font pas dans une
union fi parfaite , que toutes leiu-s def-
tinéesleur foient communes. Lafculp-
ture , bien que la cadette , peut laifler
derrière elle fa fœur aînée.
Il ne feroit pas moins téméraire de
décider la queftion fur ce crue nos ta-
bleaux ne font point ces effets prodi-
gieux que les tableaux des anciens Pein-
tres ont fait quelquefois : fiiivant les ap-
parences , les récits des Ecrivains qui
nous racontent ces effets , font exagé-
rés & nous ne fçavons pas même ce
3u'il en faudroit rabattre pour les ré-'
uire à l'exaâe vérité. Nous ignorons
quelle part la nouveauté de "Art de la
peinture peut avoir eue dans Timpref-
iion qu'on veut que certains tableaux
ayent faits fur les fpéôateurs. Les pre-
premiers tableaux , quoique grolBers ,
ont dû paroître des ouvrages divins.
L'admiration pour un Art naifiant , fait
tomber aifément dans l'exagération
ceux qui parlent de fes produâïons ;
& la tradition en recueillant ces ré-
cits outrés , aime encore quelquefois
à les rendre plus merveilleux qu'elle
ne les a reçus. On trouve même dans
les Ecriraias wciens des chofes un-
Riij
:,-,zf--„GoOglc
J ^ RéflexloTts erinqaer
poffibles données pour vraies , & des
cbofes ordinaires traitées de prod^es,
Sçavons-nous d'ailleurs quel effet au-
Toient produit far des hommes aufli
ienûbles &C auflî dj^fés à fe paillon-
ner, que Tétcwent tes cod^îatriotcs «es .
anciens Peintres de ta Grèce , plufieurs
tableaux de Raphaët, de Rt^ens &:
d'Annibal Carrache?
Enfin on ne fçauroit donner une idée
tin peu précîfc des tableaux à ceux qui
ne les ont pas vus abrolnment , &c qut
ne connoMent la manière dn Pein-
tre qui les a faits , que par vt)ies de
comparaifon. Nous-mêmes , îorfque
noBS parlons à quelqu'un des tableaux
d'un Peintre qu'il ne connoît pas , nous
fommes poulies par l'inftinâ à nous
fervir de cette voie de comparaifoir.
Nous donnons l'idée du Peintre incon-
"nii , en le conçarant aux Peintres con-
nus , & cette vcne e A la meilleure voie
de defcription , quand il s'agit des
chofes qui tondent fousie feriîiment.
Il colorie à peu près comme un tel ,
dilbns-nous ; il deflùie c<Miime celui-
là ; il compofe comme l'autre. Ot nous
n'avons pas fin- les ouvrages des an-
ciens Peintres de la Grèce, le femiment
:,-,zf-„ Google
pir la Poifit ùfur la Peinture. 39I
iâe perTonne qui ait vu les ouvrages de
nos Peintres modernes. Nous ne fça-
vons pas même quelle comparaifon on
pouvoit faire autrefois entre les frag-
mens de la peinture antique qui nous
reftent, & les beaux tableaux des Pein-
tres de !a Grèce qui ne AibliAent plus.
Les Ecrivains modernes qui ont trai-
té de la peinture antique, nous rendent -
plus fçavans , fans nous rendre plus
capables de juger la queftion de la fu- '
périorité des Peintres de l'antiquité
îîir les Peintres modernes. Ces Ecri-
vains fe font contentés de ramaffer les
ftalTages des Auteurs anciens qui par-
ent de la peinture , & de les commen-
ter en Philologues , fans les expliquer
par l'examen de ce que nos Peintres
font tous les jours , & mêmes fans ap-
pliquer cespàfTages aux morceaux de
la peinture antique qui fubfîftent en- ,
core. Je penfe donc , que pour fe for-
mer une idée auflî diftinûe de la pein-
ture antique qu'il foit poffible de l'a-
voir , il feut confidérer féparément ce
eue nous pouvons fçavolr de certain
ftir la compofition , fur l'expreffion ÔC
fur Je coloris des Peintres de l'Anti-
quité.
....Google
J^ Réfitxîons critiques
Noos avcMis cm à pr<^s dans cet
ouvrage de divifer l'ordonnance ea
compolîtion Pittorefque & en compo-
Étion Poétique. Quant à lacompofition
Pïttorelque , il tàut avoiier que dans
les monumens qui nous reflent, les
■ Peintres anciens ne paroiffent pas fu-
périeurs , ni même égaux i Raphaël ,
à Rubens , à Paul Veronefe , m à M.
le Bnui. Suppofé que' les Anciens
ii*ayent fait rien de mieux dans ce gen-
re que les bas-reliefs , les médailles &
les peintures qui nous font demeurées ,
ils n'ont pas égalé les Modernes. Pour
ne point parler des autres déiàuts des
Compofiteujs ancienG , leur perfpec-
tive ell ordinairement manvaiiè.
Monfieur de la Chauffe (a) dit, en
parlant du payfage des Thermes de
Titus : Da quejîa Pitturafi co^iofu cht
gli AnticM fono fiaù altretanto infeUd
ntUtfprofptttiva j cA* iruditi luldiJigTW,
. Quant à la compolition Poétique^
les Anciens fe piquoient beaucoup d'ex-
celler dans fes inventions y & comme
ils étoient grands defHnateurs , ils
avoient toutes fortes de fedlité poiu y
téuffir. Pour dernier une idée du pro^
i3) fittur, Ânsick. p. il>
■,r ..Google
fur ta Po'ifie &furlaPeîatar€, 39}
grès que les Anciens avoïene faits dans
cette partie, de la peinture qui com-
prend le grand art des exprefllons ,'
nous rapporterons ce qu'en diient les
Ecrivains de l'Antic|uite. De toutes les
parties de la peinture ^ la .compofitiofi
Poëtiqtie eft celle dont.il ed plus facile
^ donner une idée avec des paroles*'
Ceiï celle qui fe décrit le mieux.
. Pline , qui nous a parlé de la pein-
ture encore plus méthodiquement que
les autres Ecrivains , compte pour un
grand mérite dans un Artiun , tes ex- '
preâions & les autres inventions poé-
tiques. 11 eÀ fenfitde , par fes récits ,
que cette partie de l'art étoit en hon-
neur chez les Anciens , &c qu'elle y
étoit cidtivée autant que dans TEcoIe
Romaine, Cet Auteur raconte comme
tm point d*hiâoire important v que ce
fut unThebain, nommé Ariftide, qui
iît voir le premier qu'on pouvoit pein-
dre les mouvemens de l'ame , & qu'il
étoit poffible aux hommes d'exprimer
avec des traits & des couleiu-s les î^a-
timens d*uneiîgure muette , en im mot ,
qu'on pouvoit parler aux yeux. Pline
parlant encore d'un tableau d'AriAide
qui repréfeatoitimefeDune percée d'uB
Rv
:,-,zf-,GoOglc
394 Kifltxhns criâqaù
coup de poignard, & dont l'en^nt (û'
çoit encore la maouneUe , s'énonce
avec autant de goût & de fentûneot
que Rubeos l'aurtùt pn faire ^ en -par-
tant d'un beau tablean de Raphaël. On
voit, dit-il", furie vifage de cette fem-
me , abbatue dqa & dans ^es fymptô-
jnes d'une mc^ prochaine , les fenti-
mens les plus vi& & tes foins les plus
eniprefles de !a tendr^e maternelle.
L3 crainte que fon eniànt ne ic^ mal
en liiçant du fangauiieu de lait., ét<Mt
fi bien marquée fiir le vifage de la
mère , tonte l'attitude de fon corps ac-
compagnoit & bien cette expreffion,
qu'il étoit âcile de comprendre quelle -
penfée occapoit la mourante.
On ne parte pas de l'expreffion anffi
bien que Pline Se les autres Ecrivains
de l'Antiquité en ont parlé , quand on
n*a pas vu urt grand nombre de taHeaux
excellens dans cette partie de la pein-
ture. D'ailleurs il felloît bien que dej
ilatuës 3 où il fe trouve une expreflion
aufîi fçavante & anffi correâe que
celle du rtaocoon, du- Rotateur, &c.
rendiffentles Aaciehs connoiffeiu^, &
mêmes difficiles far l'expreffion. Les
Anciens, qui outre les flatuës q^ue i'ai
:,-,zf-„ Google
'fur la Poëfie &fuTlaPàmurt. 39c
fcitées » avoient encore une Inanité
d'autres pièces de comparaifon excel-
lentes , ne pouvoient pas fe tromper
«n jugeant de Texpreffion dans les ta-
bleaux ^ ni prendre le médiocre en ce
genre pour l'exquis. -
Nous lifons encore dans Pline un grand
nombre de &its & plufienrs détails ,
flui prouvent que les Peintres anciens
le [ûquoient d'exceller dans l'expref-
fion , du moins autant que les Peintres'
«le l'Ecole Romaine fe font piques d'y
exceller. La plupart des louanges que,
les Auteurs atuiiens domient aux ta-
bleaux dont ils parlent, ibnt l'éloge de
Fex[aeflîon. C'eft par-là qu'Aufonne
vante la Médée de Timomache ^ oh
Mëdée étoit peinte dans l'inAant qu'elle
levoitfe poiaiarcl fur fes enfiins. On
voit , dit le Poëte , la ra^e & la com-
paffion mêlées enfemblemrfon vifage.'
A travers la fiireur qui va commettre
un meurtre abominable , on apperçoit
encore des reÛes de la tendreue ma-
ternelle.
fiB^tra afftltia» mirrîi nt aiaBîgaa'i'
tttJiiltflUtr/ma , tnifiietip. nm eamrfi g
Mtautiam ridietucfiiaàbwart.
Kvj
:,-,zf--„GoOglc
■356 ■ Rifextons critiqua
On fçait avec quelle afiefHon Plinâ
vante le trait ingénieux de Tintante^
qui peignit Agamemnon , la tête vm-
lee au lacti^ce à'ipbîzémt y pour mar*
quer qu'il n'avoit ofé tenter d'expri-
mer la douleur du père de cette jetus
Viâime; Qùîntilien parle de cette in*
vcrttion f comme Pline , fie i^ufieiin
Ecrivains de l'Antiquité en parlent corn*
me Quintilien (a), l/t/ic t Timarukes..i
Nam cum in Ipkigtms immolaiione pui'
xijfet trifiem Calckaneem , trijiiortm C/âfi
ftm, addidiffit. Mintlao quem fummam
poterat efficert aft mœronm : toa/ùmpâl
affeSibas , non npoiens quo digai moh
patris vultum pojftt txpnmtn , velavil
ejus caput , ùfuo cuique anima dédit afii-
-mandum. C'eft un trait qu'il proi»ie
pour modèle aux Orateurs.
Lucien décrit (^) avec admiration
une grande compolition qui reprâen*
toit le mariage d'Alexandre & de Ro-
xane. 11 eu vrai que ce tableau devoit
furpafler \ pour les grâces de l'inven-
tion & pour l'élégance des allégories,
ce que i'AIbane a fait de plus riant
dans le genre des cûmpofitlons galani
■„r., Google
tesi Roxane était couchée for ua Ut,
La beauté de cette fîUe^relevée encore'
par la pndeur qui lui ^IcMt bailTerles
yeux À l'approche d'Alexandre y fixoit
Airelle les premiers regards du fpe£U'
teur. On la rec<»inomc»t iàns peine
Cur la %Qre principale du tahleaa.
5 amours s'en^reflbient i la fervir.
Les tuu prenoieitt fes patins, & lui
dtoiem fes habits. Un »ttre amour re-
lèvent Ton Toilc , aiîn que fan amant la
vit mieux ; & par un fourire qu'il adre^
foit à ce Ptiuce , il le félidtoit fur les
charmes de & mattrefle. D'autres
amours faiâfibient Alexandre , & le ti-
rant par fa cotte d'armes^ ils l'entraî-
noient vers Roxane dans la pofture
d'un homme qui vouloit mettre foit
diadème aux [Heds deFobjet defapaA
fion. Epheftion le confident de Tintri-'
gue , s appuyoit fur l'hymenée , pour
montrer que les fervices qu'il avoit
rendus i fon maître', avoient eu pour
but de ménager entre Alexandre £s
Roxane une union légitime. Une trou-
pe d'amours en belle humeur badinoit
dans un des coins du tableau avec les
armes de ce Prince. L'énigme n'étoit
pas bien difficile à comprendre , 5c U
:,-,zf--„GoOglc
^9' TtJ/exîcrtï cntiquâ
feroit à roiihaiter que les Peintres tno^
deroes n'euflent jamais inventé d'allé-
gorie plus obfcure. Quelques-uns de ces
amours ponoient la lance d'Alexandre ^
& ils paroiflbient courbés fous un hi~
deau trop pefant pour eux. D'autres fe
iouoient avec ioa bouclier. Ils y
aroient fait afleoir celui d'entre eux
qui avoit iàit le coup , & ils le portoient
en triomphe , tandis qu'un autre amour
qui s'étoit mis en eînbulcade dans la
cuiiafTe d'Alexandre , les attendoit au
palTage pourleur&ire peur. Cet amour
embmqué ppuvoit bien reffembler à
quelqu autre maîtrefie d'Alexandre , ou
bien à quelqu'un des minîflres de ce
Prince, qui avoit voulu traverfer le ma-
riage de Roxane. Un Poëte dîroitqtie
le dieu de l'hymen fe crut obligé de
récompenfer le Pôntre (|ui avoit célé-
bré fî galamment nn de fes triomphes.
Cet Artiiân ingénieux ayant expolé fou
tableau dans la folemnité des jeux
Olympiques, Pronexides qui devoit
être on homme de grande confidéra-
tion , puifque cette année-là il avoit
l'intendance de la fête , donna fa fille
en mariage au Peintre. Raphaël n'a
pa$ dédaigné de crayonner le fujet dé^
:-„r., Google
fur la Poëfit &fur la. Pùmure. jj J
krit par tucien. Son deiïein a été gra-
vé par un des difcipies du célèbre Marc-
Antoine,
L'Auteur (<i) Spirituel , de qui j'em-
pnmte cette niftoire , vante encore
prîncipatement îa conrpofition poétique
d'un tableau de Zeuxis , repréfentant la
£a^1itled^m Gemaure. Mais il efl; fuper-
flu de citer davantage les Ecrivains de
l'Antiquité. Qui p«ut douter', après
avoir vit l'expreffion- des figures du,
Grouppe detaocoon, que les Anciens
n'ayent excellé dans fart- qui fçait don-
ner une ame au marbre & au bronze , '
& qui fçait prêter la parole au» cou-
leurs. 11 n'y a point d'amateur des beaux
Arts qui n ait vu de* ctTpies d« moins
de la figure d'un Gladiateur expirant,
laquelle étoh autrefois à la Vigne Lu-
dovife, & qu'wï a vue depuis au Pa-
lais Clugr.Ce tnalheureax^bleiTé à mort
d'un coup d'épée à travers le corps , elî
affis à terre , & il a encore la force de
fe foutenir fur le bras droit. Quoiqu'il
aille expirer, on voit qu'il ne veut pas
s'abandonner à fa douleur ni à fa dérail-
lance , & qu'il a encore l'attention à
ia contenance , que les Gladiateurs Te
(>} LucitndMifoaZfunn
■,r . .Google
400 Rcfitxîons erin^us
piquaient de conferver dans ce AineAtf
moment. Il ne craint point de mourir ;
il craindroit de faire une grimace (^}*
, Quis mtéiacris GlaJiator ingemtùt , quis
vidtum mutavU unquam , quis nom maJA
fiuit , verumttiam detuhait turpittr , dît
Ciceron dans l'endroit où il nous ra-
conte tant de chofes merr^lleufes fiir
la fermeté de ces m^heurenx.ïe reviens
au Gladiateur expirant. C'eâunbommc
qui fe meurt , mais qui vient de rece-
voir le coup dont il meurt. On fent
donc que, malgré ta force qui lui
relie, ]I n'a plus qu'un moment îhreP-
Firer, & l'on regarde longtems dam
attente de le voir tomber en expirant.
Qui ne connoît pas le Grouppe célè-
bre qu'on voit encore à la V^ne Ludo-
vife , & qui repréfej*e un événement
célèbre dans' THiftoire Romaine , Ta-
ventiu-e du jenue Papirius. (*) Tout le
- monde fçait que cet en&nt étant un jour
demeuré auprès de fon père diuantune
aflemblée du Sénat , la mère hùlît plu<
fieurs quelHons à la fortie ; pour fça-
voir ce qiù s*y étoit dit, clioft qu'el-
le n'efpéroit pas d'af^rendre <ie foa
(a) Gctr. Tafcvl. Qu. 1. 1.
(b) Aid. G<U, lib. pim, (. 1,
:,-,zf--„GoOglc
fur iaPocJîtO fur la Peinture: 40 1
mari, les Romains étant encore auffî
peu polis qu'ils Tétoient alors. La mère'
ne put jamais tirer de fon fils qu'une
réponfe , laquelle ne lui permettoii pas
de douter qu'il n'éludât fa ciu'ioiité.
X-e Sénat , répondit-il , conftamment ,
a délibéré fi l'on donneroit deux fem-
mes à chaque mari , ou deux maris à
chaque femme. Cet incident a donné
lieu au proverbe latin , Curiat capax
Prettexta^ qu'on employé en parlant
d'un enfant qui a beaucoup plus de dis-
crétion qu'on n'en doit avoir à fon
âge. .
Aucun lentiment ne ftit jamais mieux
exprimé que la curiofité de la mère du
jeune Papirius. L'ame de cette femme
paroit Être toute entière dans fes yeux
qui percent fon fils en le careflant. L'at-
titude de toutes les parties de fon corps
concourt avec fes yeux , & donne à
connoître ce qu'elle prétend faire. D'u-
ne main elle careiTe fon 61s , Se l'autre
main ell dans la contraction. C'eA un
mouvement naturel à ceux qui veulent
réprimer les lignes de leur inquiétude
prêts à s'échapper. Le jeune Papirius
répond à fa mère avec une complai-
faoce apparente j mais il eft fenubls
:,-,zf--„GoOglc
401 Rifitxîons criùques
que cette comptaifance n'eftqu'afledée.'
Quoique Ion air de tête foît naïf, fjuoî-
que fon maintien paroiffe ingénu , on
devine à fon fourire malin , qui n'efl
pas entièrement formé , parce que le
refoeâ le contraint , comme au mou-
yement de Tes yeux fenfiblement gêné,
que cet enfant veut paroître vrai , mais
qu'il n'eft pas fincere. On voit qu'il
promet de dire la vérité , & on voit
en même tems qu'il ne la dit pas. Qua-
tre ou cinq traits que le Sculpteur a
fçu placer à propos for fon vîfage , je
ne fçai quoi qu'on remarque dans l'ac-
tion de tes mams , démentent la naïve-
té & la fincerité qui paroitTent d'ail-
leurs dans fon gefte & for fon vi-
dage. .
On peut donner les mêmes louan-
ges à la figure nommée ordinairement
le Rotateur ou l'Aiguifeur, déterrée" à
Rome , &c transportée depuis foixante
ans à Florence , oîi l'on peut la voir
dans le cabinet de fon AltefTe Royale.
Cette figure repréfente l'efolave , qui '
fuîvant le récit de Tite-live , (a) en-
tendit par hazard le projet que feifoient
les fils de Brutus , pour rétablir dans
. W Ub.i, wp.-».
:,-,zf--„GoOglc
[^r laPoêJte &fur la Pelncun. 403
Home les Tarqiiins , & qiii faiiva la
République naiuante, en révélant leur
conjuration au Conful.
Tttdita laxJxua pontmm cIiujTni Tyrannit
Exulibui j juvcnti ipjïia Cinfu'.ii Cy quoi, (fct
Ociutu ad PatrfsproiiaU ciimiiiafimi.
Mitnnh lupaisit. (1)
Les peribnnes les moins attentives -
remarquent, en voyant làftatue dont
je parle , que cet efclave qui fe cour-
be , & qui (c montre dans la polhire
convenable pour aiguîfer le fer qu'il
tient, afin de paroître uniquement oc-
cupé de ce travail , eA néanmoins dîf-
trait , & qu'il donne fon attention , '
non pas à c& qu'il femble faire , mais à '
ce qu'il entend. Cette diftraâion eft
feniiole dans tout fon corps , & princi-
palement dans fes mains & dans fa
tête. Ses doigts font bien placés , com-
me ils le doivent être , pour péfer fur
le fer , & pour le preffer contre la pier-
1% k aiguiier ; mais leur aâion eft fuf-
pendue. Par im gefte naturel à ceux
j3ui écoutent en craignant qu'on ne
s apperçoive qu'ils prêtent l'oreille à
ce qu'on dit , notre efclave tâche de
- f») Jartittî. Sitt h
.Cooglc
404 Réflexions erutques
lever affez la prunelle Je fes yeuit pour
appercevoir l'on objet ians lever la tè-
te , comme il la leveroit naturellement ,
s'il n'étoit pas contraint.
Le talent du delfein donne de gran-
- des facilités pour réufïïr dans les ex-
preflîons. Or il Tuffit de voir T Antinous ,
la Venus de Médicis , & pUifieurs au-
tres monumens de l'antiquité, pour
être convaincu que les anciens fça-
volent du moins , auffi-bien que nous ,
deâîner élégamment & correâemeiit.
Leurs Peintres avoient même plus
d'occalions que les nôtres n*en peuvent
avoir , d'étudier le nud ; & les exer-
cices qui étoient alors en ufage.pour
dénouer & pour fortifier les corps , les
dévoient rendre mieux conformés qu'ils
ne le font aujourd'hui. Rubens , dans
lin petit Traité Latin que nous avons
de lui fur l'ufage qu'on doit faire en
peinture des ftatues antiques , ne doute
point que les exercices en ufage chez
les Anciens, ne donnaffent aux corps
une perfeâion , à laquelle ils ns par*
viennent guéres aujourd'hui.
Comme le tems a éteint les couleurs,
& confondu les nuances dans les frag-
, jnens qui nous reftent de la peintur»
■,r ..Google
fur la Poîfit &fur la Peinture. 40^
antique faite au pinceau , nous ne fçau-
rions juger à quel point les Peintres de
l'Antiquité ont excellé dans le coloris ,
ni s'ils ont égalé ou furpaflTé les grands
Maîtres de l'ÎÉcole Lombarde dans cette
aimable partie de la peinture. Il y- a
plus. Nous ignorons u la Noce delà
Vigne Aldom-andine , & les autres
morceaux , font dhm grand Colorifte
ou d'un Ouvrier médiocre decestems--
là. Ce qu'on peut dire de certain fur
leur exécution , c'eft qu'elle eft très-
hardie. Ces morceaux parciffent l'ou*
vrage d'Artîfans , autant les Maîtres
de leurs pindeaux , que RiUiens & que
Paul Veronefe l'étoient du 'leur. Les
touches de la Noce Aldobrandine qui
font très-heurtées, & qui paroiffent
mêmes groflieres , quand elles font vues
de près , font un effet merveilleux
quand on regarde ce tableau à la dif-
tance de vingt pas. C'étoit apparôm-
pient de cette diftance qui'I étoit vu
. fur le mur oîi le Peintre l'avoît fait.
Il femble que les récits de Pline &
ceux de plufieurs Auteurs anciens duf-
fent nous perfuader que les Grecs & les
Romains excc-Uoient dans le coloris ;
mais avant que de fc laifler perfuader.
4o6 RéfUx'ions critiques
il Eut faire réflexion que les hpmmei
parlent ordioatremeot du coloris par
rapport à ce qu'ils peuveitt avoir vu.
Le Colorifte qui aura mieux réuffî que
tous les autres Coloriûes qui feront
veuus jufques au tems d'un Hiilorien
qui parlera de l'état où la peinQu-e fe
trouve de fes jours , fera cité par cet
HiAoTÎen pour le plus grand Colorifie
qui puifle être , pour un homme dont
la Nature même eft jaloufe. M^is ii
arrive des tems dans la fuite où l'on
îaiit mieux qu'on avoît encore &it. Le
Colorifte divin des tems palTés, celui
que le» Ecrivains ont tant vanté , de*
vient un artifan ordinaire en comparât-
fon des nouveaux Artifans. On ne fçau-
roit décider notre queûion ûir des rér
cits. n faut pour la juger , avoir dej
pièces de comparaifon. Elles nous nunr
quenL
On ne fçauroit former un préjugé
contre le coloris des Anciens , de oe
qu'ils ignoroient l'invention de dé-
tremper les couleurs avec de l'huile,
qui ml trouvée en Flandres, il n'y a
guéres plus de trois cens ans. On peut
très-bien colorier en peignant à fret
•gue. La MeiTe du pape Jules > un our
.Cookie
7î/r ta Poèjù &fur U Peinture. 407
Trage de Raphaël dont nous avons dé-
jà vanté le coloris.^ eft peinte à fref-
que dans Tappartemem de la Signature
au Vatican.
Quant au clair-Kîbfcur & à la diftrî-
fcution enchanterefle des lumières &
des ombres , ce que Pline £c les autres
Ecrivains de l'Antiquité en difent , eft
fi pofitif, leiu-s récits- font fî bien cir-
conflanciés & fi vraiferablables , qu'on
ne fçauroit difconvenir que les Anciens
n'égalaflent du moins dans cette par-
tie dsTArt, les plus grands Peintres
modernes. Les paflages de ces Auteurs
que nous ne comprenions pas bien ,
fjuand les Peintres modernes ignôroient
encore quels preAiges on peut faire
avec le fecours de cette magie , ne font
plus £ embrouillés &: fi difficiles , de-
puis que Rubens , fes élevés , Polidore
de Caravage , & d'autres Peintres , les
ont expliqués bien mieux , les pinceaux
à la main , que les commentateurs les .
plus érudits ne le pouvoient faire dans
des livres.
Il me paroit réfulter de cette difcuf-
fion « que les Anciens avoient pouflé la
fartie du deflein , du clair-obfcur , de
expreltîon 6; de*l)i ÇQmpoiîtion pge^
-, Google
' 4oS Rêfiexlons aitiqois
tique du moins auffi loin que les Mo-
dernes les plus habiles peuvent l'avoir
lait. 11 me paroît encore que nous ne.
fçaurions juger de leur coloris , mais
que nous connoilTons fuffiiamment par
leurs ouvrages , fuppofé que nous ayons
les meilleurs , que les Anciens n*ont
pas réujC dans la compoiition jûttoref'
?Lie auffi-bien que Raphël , Rubens ,
aul Veronefe , & quelques autres
Peintres modernes.
Le ledeur fe ibuviendra de ce qui a
donné lieu à cette digreffion iîir la ca-
pacité des Anciens dans TArt de la
peinture. Après avoir parlé de favaiH
tage que les Poëtes Latins avoient fur
les Poëtes François , j'avois avancé
que les Peintres des fiécles précédeos
n'avoient pas eu le même avantage fur
les Peintres qui travaillent aujoiird^ui,
ce qui m'a mis dans la néceflité de
dire les raïfons pour lefquelles je ne
comprenois pas les Peintres Grecs &
les anciens Peintres Romains dans ma
prt^lition. J'y reviens donc, & je
dis , que les Peintres qui ont travaillé
depuis la renaiflance des Arts, que
Raphaël & Tes contemporains n'ont
point eu aucun avantage fur nos Ani-
fans.
:,-,zf--„GoOglc
JurïaPoiJîe SffurlaPàrkure. 409.
fens. Ces derniers fçavent tous les l'e-
crets , ils connoiflent tenues les cou-
leurs dont les premiers fe font fervis.
SECTION XXXIX. .
En quel fias on peut dire que U Nature fi
' .foit ewichie depuis Raphaël.
A U contraire les Peintres qui tra-
vaillent aujourd'hui y tirent plus de fe-
cours de l'Art, que Raphaël Se (es
cont-emporains n'en pouvoient tiier.
Depuis Raphaël, l'Art &la Nature fc
ibnt perfeâionnés ; & fi Raphaël reve-
noit au monde avec fes talens , il fe-
roit mieux encore qu'il ne l'a pu taire
danc le tems oiiladefiinée l'avoit pla-
cé-» au lieu que Virgile ne pourroit
point écrire un Poëme épique enFran-
çois , aufïï-hicn qu'il l'a ecrît en La-
tin. L'Ecole Lombarde a porté le co-.
loris à une p«rfeâion où il n'avoït pas
encore atteint du vivant de Raphaël.
L'Ecole d'Anvers a fait encore depuis
lui plufieurs découvertes fur la niaeie
du_clair-obfcur. Michel-Ange de Ca-
Temc I. S
:,-,zf--„GoOglc
410 R êjlexions crieiquts
ravage Se fes imitateurs ont auffi. fait
fur cette partie de la peinture , des dé-
couvertes excellentes, quoiqu'on puif-
fe leur reprocher d'en avoir été trop
amoureux. Enfin depuis Raphaël, la Na-r
tiue s'eft embellie. Exphquons ce pa-
radoxe.
. Nos Peintres connoiflent préfente-
ment une nature d'arbres & une na-
tiu-e d'animaux plus belle & plus par-
faite que celle qui fiit connue aux dcr
vanciers de Raphaël & à Raphaël lui-
même. Je me contenterai d'en alléguer
trois exemples , les arbres des Paysr
Bas , les animaux d'Angleterre & de
quelques autres Pays: enfin les fruits,
les (leurs & les arbres des Indes , tant
Orientales qu'Occidentales.
Raphaël & fes contemporains ont
-vécu dans des ternsoùTAfie Orientale
& l'Amérique n'étoicnt pas encore dé-
couvertes pour les Peintres. Un pays
n'en découvert pour les gens d'une
certaine profeflîon , ils ne fçâuroient
profiter de celles de fes Arhefles , qm
font à leur ufage , qu'après qu'il y a
palTé des gens de leur profeffion. Xe
Bréfil , par exemple , étoit découvert
pour les Marchands longtems avantque
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poëfa &fur la Ptimun. 411
â^être découvert pour les Médecins.
Ce n'-a été qu'après que Pifon & d'au-
tres Médecins habiles ont été au Bré-
fil , que les Médecins d'Europe en ont
bien connu les ûmples & les arbres.
De même l'Afie Orientale & l'Améri-
que étoient déjà découvertes pour les
Epitiers & pour les Lapidaires au tems
de Raphëi ; mais ce ne n'eft qu'après
lui que ces parties du monde ont été dé-
couvertes pour les Peintres , & qu'on
en a rapporté les defleîns des plantes ,
des fruits & des animaux rares qui s'y
trouvent , 6c qui peuvent lervit à l'em-
beiliffement des tableaux.
La température du climat des Pays-
Bas , & la nature du fol , y font croître
les arbres plus près l'un de l'autre,
plus droits , plus hauts & mieux gar-
nis de feuilles , que les arbres de la
même efpece qui viennent en Grèce,
en Italie & "môme en plufieurs Pro-
vinces de la France. Les feuilles des
arbres des Pays-Bas font non-feulement
en plus grande quantité , mais elles font
encore plus vertes & plus larges. Ainfi
les collines des Pays-Bas donnent
l'idée d'un payfage plus vert , plus
frais & plus riant que les collines d'I-
talie. S ij
-, Google
j^li, Réflexions eritiquts
Les vaches , tes taureaux , les mou*
tons & même les porcs, ont en An-
gleterre le corfage bien mieux formé
qu^ils ne l'ont en Italie & en Grèce.
Avant Raphaël les Marchands Véni-
tiens ft-équentoient bien les Ports d'An-
gleterre ; les Pellerins Anglois alloient
bien à Rome en grand nombre gagner
les pardons , iirais les uns & les autres
n'étoient pas Peintres, & cequ'ilspon-
voient raconter des animaux de ce
Pays-là , n'en étoit pas un deffein.
11 eft vrai que Raphaël & fes cos-
tempotains n'etudioient pas la Nature
feulement dans la Nature même. Os
rétndioient encore dans les ouvrages
des Anciens. Mais les AncienseuxTinèr
mes ne connoiiToient pas les arbres fic
les Animaux dont nous venons de parr
1er. L'idée de la belle Nature que les
Anciens s'étoient formée (va certains
arbres ^ fur certains animaux y en pre^
nam pour modèles les arbres & les
animaux de ta Grèce & de l'Italie,
cette idée , dis-)e , n'approche pas de
ce que la Nature i>roduit,en ce genret
là. Pourquoi les beauïr chevaux anti-
ques , même celui iur lequel Marc-
^birele eft monté , & à qui Piçrre d?
:,-,zf--„GoOglc
Jur la Poejît & fur la Peinture. 415
Cortonne adreHott la parole toutes les
fois qu'il palToit dans la cour du C:ipi-
tole , en lui diiant par un enthoufiafme
pittorefque : Avances donc : nejçais-iu
pas tjue tii es vivant ? n'ont pas les pro-
portions auili élégantes , ni le coriage
&c l'air auâi nobles que les chevaux
que les Sculpteurs ont faits depuis
qu'ils ont connûtes chevaux du nord
de l'Angieterre, & que Tefpece de
ces animaux s'eft embellie dans dilfé-;
rens pays par le mélange que les Na-
tions indufirieules ont fçu faire des
races.
■ Les chevaux de Montécavallo , par
la proportion vicieufe de différentes
parties de leurs corps, & principale-
ment par leur encolure énorme , font
Itttié à- tous ceux qui connoiflent les
chevaiix d'Angleterre & d'Andaloufie.
L'infcription mife fous ces chevaux ^
& qui nous affure que l'un eft l'ou-
vrage de Phidias , Sc l'autre , l'ouvrage
de Praxitèle , eft une impofture. .J'en
tombe d'accord. Mais il falloit néan-
moins que les Anciens Tes eftimaflent
beaucoup , puifque Conftantin les fit
venir d'Alexandrie à Rome , comme
yok monument précieux dont il vou-
Siij
:,-,zf--„GoOglc
'4ï4 Rèfiaàons ermqias
toit oraer fes Thermes. La vache ie
Myron , cette vache fi fameufe , Sc que
les Pallres comptoient pour une pièce
de leur bétail, quand il venoit paître
autour d'elle , n'approchoit pas , fuivant
les apparences, de deux milles vaches,
3Lii lont aujoiu'd'hui dans les Comtés
u nord d'Angleterre, puifqu'^elle étoit
fi femblable à fes modèles. Du moins
nous voyons certainement que les tau-
reaux , les vaches & les poixs des bas-
reliefs antiques ne font point à compa-
rer aux animaux de la même eTpece
que l'Angleterre élevé. On remarque
dans ces ccmiers une beauté où l'ima-
gination des Artifans qm ne les avoîeot
point vus , ne pouvoit pas atteindre.
Il faudroit connoître le monde pref-
qu'aufÏÏ bien que l'Intelligence qui l'a
créé , & qui a décidé de fon arrange-
ment , pour imaginer la perieâion où
la Nature eft capable d'arriver à la fa-
veur d'une combinaifoB de halàrds fe-
Torables à fes produâions , & de cîr-
conftances heiireufes dans leur nutri-
tion. Les connoiâances des hommes
fur la conformation de l'Univers , étant
auffi bornées qu'elles le font , ils né
peuvent , en prêtant à la Ntfure les
:,-,zf-„ Google
fur la Poijlt ^fur laPànttin. 41 ç
beautés qu'ils imaginentjl'annoblir dans
leurs inventions autant qu!elle fçait Tan-
noblir elle-même à la faveur de certai-
nes conjonûur es. Souvent leur imagina-
tion la gâic, au lieu de la perfeflionner.
Ainii tant que les hommes découvri-"
ront des pays inconnus , & que les ob-
fervateyrs pourront leur en apporter
de nouvelles richefles , il fera vrai de
dire que la Nature , confidérée dans les
portefeuilles des Peintres & des Sculp-
teurs , ira toujours en fe perfeÛtonnant.
SECTION XL.
SI U pouvoir de la Peinture fur Us hommes^
tfi plus grand que le pouvoir de la Poéfie*
J E croîs que le pouvoir de la PeinJ
ture eft plus grand fur les homînes , qua
celui de la Poëfie , & j'appuie mon fen-
ttment fur deux raifons. La première eft
que la Peinture agit fur nous par le
moyen du fens de la Tuë. La féconde
eft que la Peinture n'employé pas des
fignes artificiels, ainfi que le fait la
Foëûe f mais bien des lignes naturels,
Siy
..Google
4r6 RcfUx'ums cndques
C'eft avec des fignes naturels qii& la
Peinture fait fes imitations.
'. La Peinture fefert del'œilpouinous
émouvoir. Or , comme le dit Horace ,
Sri' (liai trr'i-.aaz ininwt dtm'ffa per aurcn ,
Quim ju«/un( acuHifubjtaafiiihtiit.
La vaë a plus d'empire fur l'^ne que
les autres fens. La vue eft celui des
■fens en qui l'atae , par an inftinâ: que
l'expérience fortifie , a le plus de con-
tiance. C'eil au fens de la vue que Fa-
mé appelle du rapport des autres fens ,
lof fqa elle foupçonne ce rapport d'être
infidèle. Ainfi les bruits & même les
fons naturels ne nous affe&env pas k
proportion des objets vilibles. Par
exemple, les cris d'un homme U'ejfé
que nous ne voyons point , ne nous
affeâent pas , bien que nous ayons con-
noiffance du iiijet qui lui fait jetter les
cris que nous entendons , comme nous
affeâeroit la vue de ion fang Se de &
bleffure. On peut dire , métaphorique-
ment parlant , que l'ceU ell plus près
de l'ame que l'oreillç.
i'n fécond lieu , les fignes que
la Peinture employé , pour nous
parler, ne font pas des fignes arbï:
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poïjlt & fur la Peinture. 4 1 f
Iraires & inftïtucs , tels r[iie font les
mots dont la Poiifie (e (en. La Pointure
employé des figues naturels dontl'éner-
gie ne dépend pas de réducatïon. Ils
tirent îeiir force du rapport que laN^a-
ture eilc-mème a pris, foin de mettre
entre les objets extérieurs & nos or-
ganes, afin de procurer notre conier-
vation. le parle peut-être mal , quand
je dis que la Peinture employé des fi-
cnes T c'eft la Nature elle-même que la
Peinture met fous nos yeux. Si notre
efprit n'y eft pas trompé, nos fens dit
moins y foiit abufés. La figure des ob-
jets , leur couleur, les reflets de la lu-
mière , les Mnbres , enfin tout ce que
l'œil petit appercevoir , fe trouve dans
un tableau comme nous le voyons dans,
la Nature ; eDe le ptéfente dans un ta-
bleau fous la même forme où nous la
.voyons réellement. Il femble mûme
^ue l'œil ébloui par l'ouvrage d'un
grand Peintre ,croye quelquefois apper-
-cevoir du mouvement dans fcs figures.
Les vers les plus toucRans ne fçau-
joient nous émouvoir que par dégrés ,
.& en faifant Jouer plufîeurs relTorts d'à:
notre machine les uns après les autres.
Les mots doivent d'abord réveiller les.
Sv
:,-,zf--„GoOglc
'41 8 Réflexions aîàqua
idées dont ils ne font que des fignes arï
bitraires. It &ut enfnite que ces idées
s'arrangent dans Fimagination , &
qu'elles y forment ces tableaux qui
nous touchent , & ces peintures qui
nous îméreffeni. Toutes ces opéra-
dons , il eil vrai , font bientôt ^tes ;
mais il eft un principe inconteAable
dans ta mécanique , c'eft que la mul-
tiplicité des reuorts afibiblit toujours
le mouvement , parce qu'un reflbrt ne
communique jamais à un autre tout le
mouvement qu'il a reçu. D'ailleurs il
eft une de ces opérations, celle qui fe
fait quand le mot réveille l'idée dont
n eft le iigne , qui ne fe fait pas en
vertu des loîx de la Nature, Elle eft ar-
tificielle en partie^
Ainfi les objets que les taWeanx nous
préfentent agilTant en qualité de lignes
, naturels , ils dmvent agir plus promi>-
tement. L'impreflion qu^ls font fur
nous , doit être plus forte & plus fou-
daine que celle que les vers peuvent
feire. Quand nous lifons dans Ho-
race (a) la defcriplion de l'Amour qui
aiguife fes traits enflannnés fur une
pierre arrofée de fang , les mois j dpat
(aj Lib. i. 01. t.
fur la Poefit &furU Ft'mmre: jfi^
le Poëte fe fert pour faire fa peinture ,
réveillent en nous les idées de toutes
ces chofes , & ces idées forment en-
fitite dans notre imagination le tableau
où noiïs voyons l'Amour dépêcher ce
travail. Cette image nous touche ; mais
quand elle notis eft repréfentée dans urr
tableau , elle nous touche bien davan'
tage. Nous voyons alors en un inftant
ce que les vers nous fontjfeulement
imaginer , & cela même en plufieurs
ïnlîaiis. Ainfi la peinture contenue e»
«es vers ,
Fc.i:s & ar^'o-
Cixt enterai ,
paroït en quelque façon une Tmage rrorfi
Telle à caix qui la voyent à Chantilly
dans un tableau. Elle ne les avoit pas-
encore frappés atitant qu'elle les frappe
alors. Le Peintre s'cu fervi de cette
image pour faire îe fond d'un tableau y
dont la princïparc figtirc eft le portrait
•d'une Princeffefortic du Sang de Fran-
ce ; mais qui eff phis illuftre aujourd'hur
dans la focîété des Nations , & qui doit
être encore plus célèbre dans l'avenir y
par fa beauté ^ue par Ton raoE; £c par
.C.oogic
E'
410 RéfiexîoTts critiques
ia naifTance. On voit dans ce tableau
des Amours qui tournent une pierre à
aiguifer. Un autre Amour qui s'eA pi-
qué le bras, darde Ton fang fur cette
Merre , où Cupidonaffile des traits dont
le fer étincelle.
Enfin il n'y a perfonne qui n'ait eu
Toccafion de remarquer pIufieiu-5 fois
dans fa vie , combien il étoit plus â-
cile de 6iire concevoir aux homme~s
tout ce qu'on veut leur faire com-
prendre ou imaginer par le moyen des
yeux, que par le moyen des oreil-
les. Le denein qui repréfente l'élé-
vation d'un Palais, nous fait conce-
voir en un inftant l'effet de fa mafle.
Son plan nous fait comprendre en un
moment la diftributiin des apparte-
mens. Un discours méthodique d'une
heure-,^ quelque attention que nous
vouluffions y donner , ne nous le feroit
pas entendre auffi-bîen que nous le
concevons , pour ainû dire , fur un
coup d'œil. Les phrafes les puis nettes
fuppléent mal aux defTeins; & il eu
rare que l'idée d'un bâtiment que
notre imagination aura formée , mê-
me fur le rapport des gens du mé-
tier, fe trouve conforme au bâtiment.
...Cooyic
fuTla.Poe.fit ùfitrla-Pàxturti jf^)
}\ nous arrive fouvent^ quand nous
voyons ce bâtiment dans la fuite , de
reconnoître que notre imagination
avoit conçu une chimère. U en eA de
même des environs d'une place de
guerre, dn campement d'une armée,
d'un champ de bataille , d'une plante
Mouvelle, d'un animal extraordinaire,
d'ime machine , enfin de tous les ob-
jets fur lefquels la curiofité peut s'exer-
cer. Il faut des figures pour faire eni>
tendre fiu-ement & diuin^temeat les
livres les pIuS' méthodiques qui traitent
de ces fortes de chofes. L'imagination
la plus fage forge fouvent des fantômes,
lorfqu'elîe veut réduire en tableau les
^efcriptions ; principalemeat quand
. Thomme qui prétend imaginer , h a ja-
mais va des chofes pareilles à celles
dont il lit ou dont il entend ta defcrij;»*
tion. Je conçois bien par exemple.,'
que l'homme de guerre peut , fur une
defcription , fe former l'image d'un-
certain afTaut ou d'un certain campe*
ment ; mais celui qui ne vit jamais ni
campemens ni alTauts , ne peut s'en
faire une juAe image Air des relations.
Ce n''cft que par rapport aux chofes
que nous avons vues , que nous pou-
:,-,zf--„GoOglc
'4li RijUxîons mà^iut
Tons imaginer arec quelque préâ&oii
celles qu'on nous décrit.
Vitruve n'a pas écrit fon livre de
l'Architeâure avec autant de méthode
& de capacité qu'il l'a fait^fans Vavme
•écrit en même tems avec tonte la clar-
té dont ion fujet eft fuTceptible. Ce'
fondant il eft arrivé que les %ures
dont Vitruve avait accompagné tes ex-
-ptications , s'étant perdues , la plupart
de ces explications paroïflent obfcu'
res aujourdTiui. Les fçavarts difputem
donc fur le fens d'un grand nombre de
paffages de Vitruve ; mais ils tombent
■tous d'accord que fon texte feroit clair,
fînousavionsfes figures. Quatre lignes
tracées fur le papier, concilieroieqf
ce que des volumes entiers de com-
■mentaires ne fçaoroient accorder. Les
Anatomiftes les plus experts tombent
auili d'accord qu'ils anroient peine
à concevoir le rapport d'une nou-
•Telle découverte , fi l'on ne joignoit
ime figure à ce rapport. Vn des
Proverbes Italiens, dont l'ufage eft
le plus fréquent , efl qu'on fait tout
■concevoir à l'aide d'un deffein , d'une
figure.
Les Anciens prétendoïent que leurs
:,-,zf--„GoOglc
fiirlaPoëJîe & fur IttPdmurt^ ^|
i£vimt^s avoient été mieux, fervie»
par les Peintres & par les Sculpteurs ^
que par tes Poètes. Ce flirent , feloa
eux, les tableaux & les ftatues qui
condlierent à lein-s dieux la vénéra-
tion des peuples, aufquelsils firent faire
attention fur les merveilles que les '
Poètes racontoient de ces dieux. L%
iUtue de Jupiter Olympien fit ajouter
j(bi plus tellement a la fable qui lui
iàifbit difpofer du tonnerre.
Si P'ininm Ciuj maquam piaxijfit Âppellrl ,
Mtrfi fui a^umtit illti Uttrtc aquit. (i)
Pour alléguer des faits plus pofitifs ^
lorfqu'on brûla le corps de Jules Cefar ,
il nV avoit perfonne dans Rome qui ne
fe fut fait raconter les circonfïances. de
fatTaffinat de Céfar. Il n-'eft pas croya-
ble qu'aucun habitant de Rome igno-
rât le nombre de coups dont Céfar avoit
été percé. Cependant le peuple fe eon-
tentoit de le pleurer. Mais tout ce peu-
ple fut faifî de frayeur , dès qu'on eut
' étalé devant lui la robe fanglante dans,
laquelle Céfar avoit été mafTacré. It
fembloit , dit Quintilien , en parlant
du pouvoir de l'œil fur notre ame^
M Ovid. it Artt *m. lib- i-
:,-,zf--„GoOglc
414 Réflexions emîqjui
qu*on affaffinât aâuellement Céfar déî
Tant le peuple (a). Stiebatur interfe3um
tum. yejiis tamenilla fanguinemadens ita
rcpreferttavii imaglnem fceUris , uz non oc~
tijits ejft Cajar , ftd tum maximi ocçidi vi~
éeretur.
Dn tems des Romains , ceux qut
avoient fait naufrage ^ portoient , en
demandant l'aumône , tm tableau , dans
lequel leiu* infortune éloient repréfen-
tée , comme un objet plus capable d'é-
mouvoir la compajTion , & d'exciter à
la charité, que les relations les pfus
pathétiques qu'ils pouvoient faire de
leiirs malheurs. On peut s'en rapporter
aux lumières & à l'expérience des hom-
mes , dont la fubâftance dépend des
aumônes de leurs cpnciKyyens , fur les
voies les phis ï«-crpres , fiir les moyens
les plus efficaces d'atteodrijr le cœur h[>
main.
On peut faire cxmtremonfentïment,
ime objeftion dont on conclueroit que
les vers touchent plus que les tableaux.
C'eft qu'il eft tr^-rare qu'un tableau
faffe pleurer ; & que les Tragédies font
fouvent cet effet , même fans être des
^hefs-d'œuvres.
:,-,zf-„ Google
fur la Poëjîe &fur la Peinture. 41%
Je puis répondre deux chofes à cette
obj eâion. La première , qu'elle ne con-
clut pas abfoliiment en faveiu' de la
Poëfie. Une Tragédie qu'on entend ré-
citer fur le théâtre, fait fon effet à l'aide
des yeux. Elle sik aidée par des fecours
crrangers dont nous eîtpoieroiis tantôt
le pouvoir. Les Tragédies qu'on lit en
particulier , ne font guéres pleurer ,
principalement ceux qui les lifent , fans
les avoir entendu réciter auparavant.
Car je conçois bien qu'une lefture par-
ticulière qui n'eft point capable par
elle-même de faire une impreffion , qui
aille jufqucs aux larmes , eft capable
de rcnouveller cette impreffion, lorf^
qu'elle a été faite une fois. Voilà mê-
me, (ïiivant mon opinion, pourquoi
ceux qui n'ont fait que tire une Tragé-
die, & ceux qui ont entendu réciter
la pièce fur le théâtre , font quelque-
fois d'un fentiment oppofé dans le ju-
gement qu'ils en portent.
Je réponds en fécond Keu , qu*une
Tragédie renferme une infinité de ta-
bleaux. Le Peintre qui fait un tableau
du facrifice d'Iphigénie , ne nous repré-
fente fur la toile qu'un inftantde 1 ac-
tion. La Tragédie de Racine met foîi^
'4i6 Réfexîoas eiiâques
nos yeux pluHeurs inAans de cette ac-
tion , & ces differens incldens fe ren-
dent réciproquement les uns les autres
plus pathétiques. Le Poëte nous pré-
lente {iiccemvement , pour ainii dire,
cinquante tableaux qui nous condui-
fent , comme par dégrés , à cette émo-
tion extrême , qui rait couler nos lar-
mes. Quarante Scènes qui font dans
une Tragédie , doivent donc nous tou-
cher-plus qu'une feule Scène peinte
dans un tableau ne fçauroit faire. Un
tableau nerepréfente même qu'un int
tant d'une Scène. Ainfi un poëme en-
tier nous émeut plus qu'un tableau,
bien qu'un tableau nous émeuve plus
qu'une Scène qui reprêfenteroit le mê-
me événement , fi cette Scène étoit
détachée des autres, & fi elle étoit
lue , fans que nous euffions rien vu de
ce qui l'a précédée.
Le tableau ne livre donc qu'un aflaut
à notre ame , au lieu qu'un poëme l'at-
taque durant longtems avec des armes
, toujours nouvelles. Le poëme eft long-
tems à ébranler l'ame, avant que de
la conduire a l'émotion qui la fait pleu-
rer. Racine , pour nous faire frémir
d'horreur, lorfqu'Iphigénie fera con^
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poêfit & fur la Pànture. 417-
Alite à l'autel fatal , nous la peint ver-
tueufc , aimable & chérie d un amant
qu'elle aime. Ce Poète nous fait palTer
par diSerens dégrés d'émotion ; &e pour
nous rendre plus fenfiblesaux malheur»
de la viâime, ilnouslaifTe même ima-
jginer durant un tems qu'elle eft échap*
pée au couteau du Sacrificateur.
Un Peintre qui repréfente l'inftant
OÙ l'on va plonger le fer facré dans
la gorge d'Iphigénie , n'a pas l'avanta-
ge d'expofer ion tableau devant des
îpeâateurs auflî bien préparés , & rem-
plis d'amitié , & d'une amitié récente
pour cette PrinceiTe. II peut tout au
plus nous intéreffer pour elle ; ma;s il
ne fçauroit nous la rendre anili chère
que le Poète peut le faire. La grandeur
4'ame , |ous les fentimens élevés d'un
bon naturel que le Poëte peut nrêter
k Iphigénie, nous affeâionncnrhien
plus à unperfonnagede Tragédi&,que
les qualités extérieures dont unTfein-
tre peut orner le perfonnage d'un ta-
bleau, ne nous aneûionnent àceper-»
fonnage qui ne parle prefque pas. Voi-
là pourquoi nous fommes plus émus
paruntableauque par un poème, quoi-
que la Peinture ait plus d'en^ire fuc
BOUS que la Poefie..
:,-,zf--„GoOglc
4t8 RiJUxiom critiques
L'efpece de parallèle que je viens de
faire , n'eft pas auffi rempli d*éruditîoa
que fa comparaîron de la Peintrtre & de
la Poëfie qui (e trouve dans le fçavant
livre de du Jon te fik , fur la Peinture
des Anciens ; mais je m'imagine que
mes réflexions vont mieux au fait que
l'érudiriondecet Auteiff. (a)
L'induftrie des hommes a trouva
quelques moyens de rendre les ta-
bleaux plus capables de faire beaucoup
d'impreflîon fur nous. On les vemif.
On les renferme dans des bordures
dorées qui jettent un noirvel éclat fur
les couleurs , & qui femblent , en fé-
parant les tableaux des objets voifins,
réunir mieux entr'elles les parties dont
ils font compofés , à peu prés comme
il paroît qu'une fenêtre raffemble les
diffémns objets qu'on voit par fon ou-
verture. Enfin quelques Peintres des
plus.iaodernes fe font avifés de placer
dans les compofitïons deftinées à être
vues de loin , des parties de figures de
ï'onde bofl'e qui entrent dans l'ordon-
ilance , & qui font coloriées comme
les autres figures peintes entre lef-
quelles ils les mettent. On prétend qu^
(1} JuaÎBt, il piS' va. l, 4. (• Il '
■,r ..Google
fur la Poïfif Sffuria Ptmturt. 4i(^
l'œU gui voit diAihâement ces parties
de Tonde bolTe faillir hors du tableau ,
en foit plus aiiement fcduît par les par-
ties peintes , lefquelles font réelle-
ment plates , & que ces dernières font
ainii plus facilement l'illufion à nos
yeux. Mais ceax qui ont vu la voûte
Jde l'Anoonciade de Gènes & celle du
jefus à Rome , oh l'on a fait entrer des
iîgnres en reli^ dans l'ordonnance , ne
trouvent point que l'effet en foit bien
merveilleux,
L'induftrie des hommes a beaucoup
inîeux feivi les vers que les tableaux,
pile a trouvé trois manières de leur
prêter une force nouvelle pour nous
plaire ÔC pour nous toucher. Ces trois
■ manieresïontlafimplefécitation, celle
qui eft accompagnée des monvemenj •
4u corps , laquelle on nomme- dççls--
* mation , & le chant.
^ S E C T I O N X L I.
"'j JDe la fimpU ricitation ^ de la diUlamaùont
; .1 y F S premiers hommes qui ont fait
''* dci vers , ont dû s'appercçvoir que Ig.
:,-,zf-„ Google,
'j^yo RiflextoTU eritifus
récitation donnoit une force aux vert
qu'ils n'ont pas , quand on les lit foi-
même fur le papier où ils font écrits. Ils
auront donc mieux aimé réciter leurs
▼ers que de les donner à lire. L'har-
monie des vers qu'on récite , flatte
Foreille , & augmente le plaifir que le
fens des vers cil capable de donner.
Au contraire , l'aâion de lire eft eu
quelque &çon une peine. Oeft une
opération que roeil apprend à fei-
re par le fecours de l'Art , & qm
n'efl pas accompagnée d'auain ferai-
Aient agréable , comme efl celui qm
naît de l'application des yeux fur les
objets que nous offrent des tableaux.
Ainfi que les mots font les fignes ar-
bitraires de nos idées, de même les
différens caraâeres qui compofent l'é-
criture , font les fignes arbitraires des
fons dont les motsfont compofés. Il eff
donc néceâaire , quand nous llfons des
vers , que les caraâeres des lettres ré-
veillent d'abord l'idée des fons dont ils
fe trouvent être les fignes arbitraires ;
& il fàm enfuite que les fons des mots ,
2ui ne fe trouvent être eux-mêmes que
es fignes arbitraires, réveillent les
idées attachées à ces mots. Avec quel-
:,-,zf--„GoOglc
Jttrla Poijie & fur la Peinture. 43 1
que vîtefTe & quelque ikctlité que ces
opérations fe faflent , elles_ ne fçau-
roient fe faire aufli promplement qu'u-
ne feule opération. C'eft ce qui arrive
dans la récitation, oiilemot que nous
entendons réveille immédiatement
l'idée qui eft liée avec ce mot.
Je n'ignore pas qu'une belle édition,'
dont les caraàeres bien taillés & bien
noirs , font rangés dans une proportion
élégante fur du papier d'un bel œil , ne
faue un plaifir fenfible à la vue ; mais
ce plaiiir plus ou moins grand , fui»
vant le goût qu'on peut avoir pour
l'art de l'Imprimerie , eft un plaifir à
fart , & qui n'a rien de commun avec
émotion que caufe la Icfture d'un
poëme. Ce plaifir ceffe même, dès
qu'on applique fon attention à la lec*
ture , & l'on ne s'apperçoit plus alors
de la beauté de l'impreffion que par la
facilité que les yeux trouvent à recon-
noître les caractères , & à raffembler
les mots. Confidérer le Virgile des
Elzcvirs comme un chef-d'œuvre d'im-
preiÏÏon , ou lire les vers de Virgile
pour en fentir les charmes, ce font
deux aâions très-diftinftes & très-
diâférentas. Il s'agit ici de la dernière.
:,-,zf--„GoOglc
4.J3. Réflexions tr'aîquts
Elle n'eft pas ua plaUir par elle-même^
Elle eft fi peu un plaifir ; elle nous
fait fentir fi peu l'harmonie du vers ,
cju£ rinAiaÛ nous porte à prononcer
tout haut les vers que nous ne liibm
que pour ■ncus-mêriles , loriqu'il nous
lemble que ces vers doivent être nom-
breux &c harmonieux. CeA im de ces
jugemens que refpnt fait par une opé-
ration qui n'eft pas préméditée , & que
nous ne coonotiTons même que par
une réflexion qui nous fait retourner,
pour ainli dire , mr ce qui s'«ft paffé
dans nous-mêmes. Telles font ia plu-
pari des opérations de l'ame dont nous
avons parlé . & la plupart de celles
dont nous devons parler encore,
La récitation des vers eft donc un
plaifir pour nos oreilles , au lieu que
leur le£lure ell un travail pour nos
yeux. En écoutant réciter des vers,
nous n'avons pas ■ la peine de lire , âc
nous Tentons leur cadence &C leur har-
monie. L'auditeur eA plus indulgent
que le leûeur, parce qu'il eft plus fia-
te par les ver^ qu'il entend, que l'autre
par ceux qu'il Ht. N'eft-ce pas recon-
^loître que le plaifir d'entendre la réci-
tation en impofe à notre jugement,
que
..•,zf-,Googlc
JurlaPoëfie&furUPtmture. 435
qwe de remettre à prononcer fur le mé-
tite d'un pqëme qui nous a plû , en l'en-
tendant réciter jiifques à la leâure que
nous en voûtons faire , comme on dit ,
l'œil lur le papier ? Il faut , difons-nous ,
ne pomt compromettre Ion jugement ;
6c fouvent la récitation en impose.
L'expérience que nous avons de nés
propres fens , nous enfeigne donc que
l'œil eftun cenfeur plus févere, qu'il
eft pour un preëme un (cmtauur bien
Plus fubtil que l'oreille , parce que
œil n'eft pas expoié dans cette occa-
fion à fe laifîerféduire, parfonpiaifîr,
comme l'oreille. Plus imouvrage plaît,
moins on eft enétat de reconnoîire Si
de compter fes défauts. Or l'ouvrage
qu'on entend réciter , plaît plus que
l'ouvrage qu'on lit dans fon cabinet.
Aufli voyons-nous que tous les Poè-
tes, ouparinftinâ, ouparconnoiflàn-
ce de leurs intérêts , aiment mieux ré-
citer leurs vers que de les donner à li-
re; même aux premiers confidens de
leurs produâions. Ils ont raifon , s'il*
cherchent des loiianges plutôt que des
confeils utiles.
C'étoit par la voie de la récita-
lion f{\xe les anciens Poètes publioieot
Tomt /, T.
:,-,zf--„GoOglc
4^4 Réflexions crmques
ceux de leurs ouvrages qui n'étoient
pas compofés pour le théâtre. On voit
par les Satyres de Juvenal (<i) , qu'il fe
lormoit à Rome des affemblées nom-
breufes pour entendre réciter les poë*
mes que leurs Auteurs vouloient don-
ner au public. Nous trouvons rnSme
dans les ufages de ce tems-Ià une preu-
ve encore plus forte du plaifir que don- ,
ne la ûmple récitation des vers quifoot :
riches en harmonie; Les Romains, qui
joignoient fouvent d'autres plaifin a"
plaifir de la table , faifoient lire quel-
quefois durant le repas Homère , in-
cite ôc les Poètes eTtcellens , quoi^
la plupart des convives duflentfçavwc
f)ar coeur une partie des vers dont on
eur faifoit entendre la leûure. Maïs
les Romains conmtoient que le plailif
du rithme fie de l'harmonie devoit fup;
pléer au mérite de la nouveaiité ^
(nanquoient à ces vers.
Juvenal (i) promet à l'ami qu'il iih
vite à venir manger le foir chez luii
qu'il entendra lire les vers d'Homère
& de Virgile durant le repa^, coiniBB
pn promet aujourd'hui aux çopvi't^
t»> Satyr. prim. bftft.
Ikl Satvr T ■ '
iCoojilc
fur la Poëjù &fw ta Peinture. 45 ^f .
ime reprife de brelan après le {biiper.
Si mon leâeur, dii-il, n'eft pas des
plus habiles dans là proféf&on , les vers '
<iu'il nous lira , font fi beaux, tju'ilsner
laifleront pas de nous &ire plailîri
WoJIrj iihunt alioi hoiii caMÎvU ludoi ,
Cjtiavr Rxado) ctiaahimr ncqiu Minini'i
Ale^oià, iabiam facitiati carTaÙKtfslaam i
^uii r^fin lalti Krjia fiU vKf Itgioaai
Dés que ïa- fimple -récitation ajoute
tant d'énergie au poëme , il eft fecile
de concevoir quel avantage les pièces
qui fe déclament fur un théâtre , tirent
dfe la répréfentation- (a) Scemci ABons
cptimis Poïtarum tantkm adjidunt gra-
tis t ut nos infinité magii eadtm iUa su~
dîta quàm U^a dthUcnt , & viiiffimis eeiam
qutbufdam impétrant aures , ut qaibus rml-
lus tjiîn bibliothtcis locus jjît tciam in tkea-
.tfis. Si ceux qui trouvent les Comédies
deTérence froides , les avoient vu re-
piféfenter par des Comédiens , qui met-
toient du moins autant de vivacité dans ■
leur aftion que les Comédiens Italiens,
ils changeroient de fentiment. Pour re-
venir à Quintilien : Qui voudroit met-
tre dans fon cabinet Us vendanges de
Surent , s'il falloit &ire copier cette
(1) la^. Otoc. va, t. u
Tij
-, Google
43^ JUflexioTts critiqua
Comédie , comme il auroît &Ilu la
faire copier de fon tems , que Tart de
l'impreffion n'éioit pas encore inven-
té ) Cependant la repréfentation de cet-
te farce nous divertit.
L'appareilde la Scène nous prépare
à être émus , 6c l'aâion théâtrale donne
une force merveilleufe aux vers. Com-
me Féloquence du corps ne perfuade
pas moins que celle des paroles ; les
ceAes aident intîniment la voix à faire
Ion imprelTion. L'inftinâ naturel nous
l'apprend , en nous enfeignant que ceux
qui nous écoutent parler , fans nous
voir, ne nous entendent qu'à demi. Ea
ejFet la nature a alTigné un air de vifa-
ge & vm gefte particulier à chaque paf-
fion , à chaque fentiment. a ) Ornais
grfim m ^tus animi fuum quemdam à rut-
turdhaba vuliutHy & funum^ & gefium.
Chaque paffion a de même un ton par-
ticulier &{. une expreffion particulière
fur le vifage.
Le premier mérite du Dcclamateur,
efl celui de fe toucher lui-même. L'é-
IDOtion intérieure de celui qui parle
Jette un pathéti[|ue dans fes tons 8ç
dans fes geftes , que l'^rt & l'étudç n'y
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poèjîe ùfur la Pàtitare. 4 ff
tfçaxiroientmettre.On eftprévenu pour
l'Afleur qui paroît être éma lui-même.
On fe prévient contre celui qu'on re-
connoît n'être point ému. Or je ne Içai
quoi de fi-oiddans les exclamations , de
forcé dans le gefte ôcdegênédanslacon-
tenance, décèlent toujours l'Aâeur in-r
dolent pourun homme que l'artfetfl fait
mouvoir, & qui voudrolt nous faire
pleurer , fans reffentir lui-même aucu-
ne affliÛion ; caractère odieux , & qui
tient quelque chofe de celui d'iinpof-
teiu*.
Si vil mtfitrt , ioUnium ifi
Primùm ifjî liji. •
Tous ceux qui exercent un de ces
arts dont le but eft d'émouvoir les au-
tres hommes , doivent s'attendre d'être
jugés luivant la maxime d'Horace : que
pour faire pleurer les autres, il faut
être affligé. On imite mal une pallion
qu'on ne feint que du bout des lèvres-
Pour la bien expritner , il faut que le
coeur en reffente du moinsquelque 14-;
gère atteinte, (a) Nu agamus rem ijuafi
tUimam , fed ajfumamus panunptr illitm-
dolorem.
Je conçois donc que le génie qui for^-
(«) Quùii. Jib. t. Mf.frim,
Coogic
4)8 Rifitjàons criàquts
tne tes excellens Déclamateurs ^ c<ja^
fiAe dans me fenfîbiltté de cœur , qui
les fait eiurermachinalement,iBais avec
aâeâion, danslesTentimeDsclelenTper'
fonnage. 11 cwi&fte dans une difpolitioD
mécanique à fe prêter ^citement à ton-
tes les payons qu'on veut exprimer.
Qutiitilien qui avok cru que ia pro-
feiEon d'enfeigner l'art d'être êioqoeat,
le niettoit dans l'c^ligation d'étudkr
les mouvemens du cœiir humain , du
iBoins autant que les règles de la
Grammaire , dît que l'Orateur qui tou-
che le plus , c'eA cehii qui fe toncbe
lui-même davantage, (_a) Imagiaesn-
Tum ^uifyuis béni eoA^^erk; is trit ta
affccîihus patemiffimus. Dans un. autre
«ndroit il dit , en {>arlantde rinùtatÎM
4es mouvenœns des paflîons que &ic
J'Orateur dans fa dédaaiation , ou <&
^tffc3ibus qua eJ^aguHUir imitatione; que
l'eflentiel pour k Déclamateur * c'ell
de s'échai^ï l'imagiBatton , en fe ne-
préfeuant vivement à lui-mâme let
objets de la Peinture , defquels il pré-
tend fe fervir wœ émouvcnr les au-
très ; c'eft de ie mettre à la place de
ceux qu'il veut &ire parler, [k) Priimim
(•)QuinrJ.«.r.i. ■ (b)£ût.J. II. (.1.
furlaPo'iJît éjîir la Peinture. 459
*fi béni affid , Sf concipere imagims r^
■ rum , & tanquam veris movtrî.
Tous les Orateurs & tous les Co-
médiens que nous avons vu réuflîr émi-
nemment dans leurs profeffions, étoîent
des perfonnes nées avec la fenfibilité
dont )e viens de parler. L'Art ne la
■ donne point. Sans elle néanmoins, le
beau Ion de voix & tous les autres ta-
■ lens naturels ne fçauroient former un
graiid Déclamateur. Onpeut&ire dans
tous les tems fur les bons Adeiirs la
même obfervation que Quintilien fai-
ibit fur ceux qui jouoient de fon tems.
_ C'eft que ces Aâeurs avoient encore
■les larmes aux yeux au fortir de la Scè-
ne , lorfqu'ils venoient d*y jouer quel-
-que endroit bien intéreirant( £) , Kidi
*gofape Hifirioms aiqut Omutt^^cùm ti
^quo graviore a3u perfonam depéfuifféat^
fientes adhuc egredi.
Comme les femmes ont une fenfibilii-
té plus foudaine , &: qui eft plus à la dif-
pontion de leur volonté , que la feiUî-'
bilité des hommes'; comme elles ont,'
i)Oiu'parlerainfi, plus^^fouplefledans
e cœur que les hommes , elles réufTif-
£flent mieux que les hommes à ^e ce
Tiv
:,-,zf--„GoOglc
;44û Rijlexions critiques
que.Qtimtilten exige Ae tous cetntqm
veulent fe mêler de déclamer. Elles fe
touchent plus facilement qu'eux , des
~ pallions qu'il leur plaît d'avoir. En un
mot , les hommes ne lé prêtent pas d'auf-
fi bonne grâce que les femmes , aux feiv-
timens du perfonnage qu'ils veulent
jouer. Ainfi quoique les hommes foient
plus capables que les femmes d'une
application forte & d'une attentiçm
.Ûiivie ; quoique l'éducation qu'ils re^
.çoivent , les rende encore plus pro-
pres qu'elles à bien apprendre tout ce
que l'art peut enfeigner , on a vii néan-
moins depuis foixante ans fur la Scène
Françoife un plus grand nombre d'Ac«
trices excellentes que d'excellens Ac
tgurs. Depuis que le théâtre de TOpe-
ra eft ouvert en France", on n'y a
point vu d'hommes exceller dans l'art
de la déclamation propre pour accom-
pagner une récitation ralentie par le
chant , autant que Mademoifelle Ro>
dio'ix.
fur la foifii &fiir la Pttniare. 44* ,
SECTION XLII.
^e notrt mamere dt ricittr la Tragédie ■
& ta Comidie. 1
X^ u I S Q VE le but de la Tragédie eft.
d'exciter la terreur & la compaflion ;
pwifqiie le merveilleux eft de l'effence
de ce Poëme , il faut donner toute la
dignité podlble aux perfonnages qui la
repréfentent.Voilàpourquoi l'on ha bille
aujourd'hui communément ces perfon-
nages de vêtemens imaginés -à plaifir ,
Se dont la première idée eft pnfe d'a-
près l'habit dé guerre des anciens Ro-
mains , habit noble par lui-même , &C
qui femble avoir quelque part à la gloi-
re du peuple qui le portoit. Les habits
des Aârices font ce que l'imagination.
peut inventer de plus riche & de plus
majeihieux. Au contraire on fe lert des
habits de vilU , c*eft-à-dire , de ceux quî
font communément en ufage ; pour
jouer la Comédie.
Les François ne s'en tiennent pas aux
liKibits pour donner aux Aâeùrs de la
TragéfÙe la noblefie £c ta dignité qui
Tv
:,-,zf-,GoOglc
441 ~ Rifiexions criaques
leur conviennent. Nous voulons eo^
core que ces Aâeurs parlent d'un ton
de VOIX pins élevé , plus grave & plus
foutenu, que celui iur lequel on parle
dans les converiations ordinaires. Tou-
tes les négligences que Tufage autorife
dans la prononciation des entretiens &-
mîliers, leur font înter<tites. Cette ma-
nière de réciter eft plus péniUe , à la
vérité, que ne le feroit une prononda-
ùon ap(»ochante de celtes des conver-
fations (H-dinaîres : raais outre qu'elle
a plus de dignité y elle eft encore plus
avantageufe pour les Ipeâateurs , au
par i<m Kioyen , entendent mieux les
vers. Les Ipeâateurs , qui la plupart
font aâez éloignés du théâtre , auroient
trop de peine i iMen entendre des vers
tragiques dont le âyle eft %uré , s'ils
étoient récités plus vite & ]^us bas , fur-
tout IcMfque ces fpeâateurs verroient
une pièce pour la première fcns. Une
partie des vers lenr ét;lia{^>eroit ; Se
ce qu'ils auroient perdu , les en^>êche-
rwt fouvent d'être touchés de ce qu^ils
entendroient. Il faut encore que les gef-
tes des Aâenrs tragiques foient plu^
mefurés & (rfus nobles ; que leurs dé-
marches foient grzve&i Se. que leur
:,-,zf-,GoOglc
'far la Poêfie &fur la Ptlnture. 44^
tcontenance foitplus lerieufe, que les
^eAes , les démarches & le maintien
de? perfonnages de Comédie. Enfin
nous exigeons des Aâeurs de Tragé-
die , de mettre un air de grandenr & de
dignité dans tout ce qu'ils font , commet
nous exigeons du Poète qui lés faitpv
1er , de le meOre dam tout ce ^qii'il leur
^t diie.
■ Auffi voyons -nous qu'au {eMimeat
général des peuples de l'Europe , les
François font ceux qui rénffinent le
nûeux aujourd'hui dans la rcpréfema-'
tion des Tragédies, (a) Qvotia Mfuffit
Mfnuiaiio yfacatdit humaaitas, Leshaliens
qui nous rendent juâice fans trop de^
répugnance, quand il s'agit des arts. 6t
des talens , oiiils ne fe piquait pas d'ex-
celler, difent que notre déclamation
tragique Jetir doniie une idée du chant
eu de la dédamation théâtrale des An-
Àens, que nous avons perdue. En étfety
à juger de la déclamation des-ftomains ^
& ^ar conféquent de celle dès Gxec»
fsa la Scène , par ce qu'en dit Quinti*^
lien y la récitation des Anciens devoir
'être audqnè chofe d'approchant de no-
tre déclamation tragiqift. LaScètie des
.(a) Çirint.I,ïi,Mp.prim. '
Tïj
u,:,-,zf--„GoOglc
^44 Riftxums amtptti .
Romains, s'était fonnée fur celle deà
Grecs.
. C'eâ de qnoi nous parierons plus au,'
loi^ dans le traité de la Mufîque dès-
Anciens , qu'on ttouvera à la fin de cet
Ouvrage.
• Il ellafiezétaUi en Europe, comme.
fe l'ai àéja. dit, que les François , qui
depuis cent ans comporeot les meilleur
res pièces dramatiques qui paroiâent
aujourd'hui , ibnt auâi ceux qui réci-
tent le nùeux les Tragédies , & qui fça-
vent les repréfenter avec le plus de
décence. En' Italie , lesAâeurs récitent
la Tragédie du même ton & avec les
msiKes geAes qu'ils récitent la Ccmié-
die. Le Cothu/ne n'y eâ presque pas di&
fôrent'du Socque. 0ès que les Aâeurs
Italiens veulent s'animer dans les en-
droits pathétiques, ils fonCioutrés aui^
fi.-tôt. Le Héros devient ua Capùan,}^'
oedirai qu'un jnot des Tragédies des
Poètes Italiens faites pour être décla-,
mées. Elles font autant au-deiTous deSt
pièces de Corneille & de Racine ^ que
tes. moins mauvais de nos Poëmes^é^
Sues ibnt au-defib>us du Roland^rksx ;
d'Ariofle fic<de la.Jértiff^ lié/ivrée
du Taffe. Ou par d?fefpoir d'y réuiEr,
:,-,zf--„GoOglc
JuT îa Poëfe Srfur Î4 Pàrtture' 1^^%,
bu par d'autres motifs que je ne devine
point, il paroît que les Italiens négU-*.
gent depuis longtems la Poefie drainar^
tîque. La Mandragore de Machiavel^
l*ime des nieilleures Comédies qiiï
ayent été faites d&pnis Térence , 6s.
qu'on ne prendroit jamais pour ttnei .
produâion d'e^nit née dans le même,
cerveau, oh font éclofes tant de r^
flexions ii profondes fur la guerre , fiur
la politique , & principalement fur les
conjurations , eu demeurée en Italie
une piéct unique en fa ctaife. La Cli-
tie du même LAuteur lui eft bien infé-
rieure, le ne croîs pas que durant le
cours du dix-feptiémefiécle , les Préffes
d'Italie nous ayent donné plus d'une
trentaine de Tragédies faites pour être
déclamées; elles, qui dans ce tems-là
mirent au jour tant d'ouvrages d^efprft.
Du moins n'en ai-je pas trouyé un plus
grand nombre dans les Catalogxïes de
ces fortes d'ouvrages , que des Italiens
illullres dans la R^ublique des Lettres
ont donnés depuis vingt ans , à l'occa-
fion des difputes qu'ils ont foutenues
poiu- l'honneur de leur Nation. •
Les Poètes dramatiques Italiens né-,
pompofent plus guéres que des Opéra ^
:-„r., Google
^4^5 "^ifivqons criàqua
en comparaÎTon defqueU toute Itx^
roçc ait que les bons Open Françtns
ibnt des chef-^'oeuvies d'eijnît^ de
bon Tens & de r^ularité. M. TAbbé
Gravina £t imprimer à Naples , il y a
environ trente ans , cinq Tragédies
compoiees & faites pour être décla-
mées. Ce font Palamede , Andromède ^
Appius Claudius , Painnien & Servius
TuUius. U (e pbàat eicg»nment dans
la Préface en vers qu'il mit à la tête de
ces Tragédies « que Melpomene , potv
«uï la Sc^e fut inventée , n'y panù^
ié [Jus en Italie que oomme une fui-
Tante de Polynuiie; enfin qu'elle jk s'y
montre plus que comme la vile eiidave
de la Peinture , de la Mofique & de U
Sculpttire. .
■ E in vraiFaiBfrjrltftirit proprie
■ Debhi le far^t aii^nr it gV ait^i t
m Guaeri , Pictfri i Stataarii ,
Di fiuli è iirrma» OTuilla igiutiU *
Clinditfapralorohalfwnnui in^tna,
E Safra le Sceni ha minar pane ti il^ma
• l^ueltaptriuiltSctntt'i
. Dans une autre contrée de l'Europe ,
le pathétique de la déclamation tragi-
que confiftoit encore îl n'y a que qua-
rante ans , en des tons ftuieux, eu mi'
...Xéoylc
fur la Poêjîe &far U Pàntttnl '44^
Maintien Dunionie,oubiene6aré, &
dans des geAes de forcenés. LesAâevirs
de la Scène tragique y dont je parle;
^toient dilpenfes de noblefle dans leur
geAe y de mefure dans leur prononcia-
tion , de dignité dans leur maintien , 6c
de décence dans leurs démarches. U
fuffiToit qu'ils Meitt parade d'aune mor-
gue bien noire & bien fombre', ou qu'ils
panifient livrés à des tranfports de f\i-
xeuF qui les BlTent éxtravagner. 5ur cc
théâtre y il étoit permis à Tuks CéTar
«le s'arracher les cheveux , ainfi que 1«
feroit un homme de la lie du peuple i
pour exprimer fa colère. Alexandre ;
pour ihieux marquer fon emportement ^
y pouvoit frapper du pied , démonifa'a-
tion que nous ne permettons pas aux
Ecoliers qui jouent la Tragédie dans nos
Collèges.
Dans un autre pays , tes Héros font
entièrement avilis par des choies baf-
ies ou indécentes qu'on leur fait &tre
fur le théâtre. On voit fur la Scènes
dont je parle ici , Scipîon fumer une
pipe de tabac , éc boire dans un pot
de bière fous fa tente , en méditant le
plan de la bataille qu'il va donner auj(
Carthaginois,
:,-,zf--„GoOglc
^4^ Rijtexhms mtîqua
- Je ne parlerai point ici du théâtre
Flamand , parce que dans le tragique ^.
il ne fait prefque autre chofe que de
copier la Scène Françoife , dès le tems
oîi l'on y repréfentoit les Comédies de
la PaOion, Les Comédiens Flamands
ont uft petit nomtwe dé Tragédies ori-
^nales , ^ leur déclamation eft feule-
ment un peu moins chantante Se mcnns
Bnimée que celle des Comédiens Fran-
çois.
Nonifeulement notre Scène tragique
eft noble , mais elle eft encore purgée
de tous les appareils fiivoles ; elle eft
dégagée de tous les fpeôacles puéri-
les qui ne font propres qu'à dégrader
Melpomene de fa dignité. Voici com-
ment s'explique un des plus grands
Poètes tragiques d'Angleterre fur la dé-
cence de nos repréfentations. ( <z ) /e
m fçaurois trop recommander à mes Com-
patriotes, de fe conformer aux ufages da
théâtre François. Les Rois & les Reines y
liùjfent leurs gardes à la porte de la Scène ,
6 ils y entrent fans ce cortège très-emBar-
raffant , qui Us fuit far la nôtre. Je fouhtù-
terois encore , tju 'à Cexemple des François^
nous voulajjtons bien banwr de nos repri-
ia) Speaauur du II Ai-rUijtt,
:,-,zf--„GoOglc
fur la Toîfie &fur la Ptlntare'. 449
ykntations le fracas iaormt qu'y font les
tambours, U tocftn^ les trompettes» Sf
Jurtaut les cris de joie des moucheurs de
chandelle & des autres gagijles revêtus ,
qui viennent là pour repréf enter le peuple ,
tintamarre qu'on entend quelque fois à gua.'
tre rues delà Comédie.
Monteur Adifon , c'efl lui-même qu*
je viens de citer , dit encore bien des
chofes dans, cet écrit , Se dans celui
au'il publia huit jours après contre
'autres ufages communs iur le théâtre
Anglois , & qui lui paroliTent avec rai"
ion des ufages vicieux. Tel eft Tufage .
d'y expofer les appareils des fupjdices
les plus alireux, & quelauefois le ru|>>
plice même. Tel eft l'urage d'y faire
apparoître des fpeûres hideux 6c des
fantômes horribles. Il eft vrai , fuivant
fon fentiment, que les Poètes Fran-
çois évitent avec trop d'atFeâation de
donner dufpeaacle. Par exemple , U
reprend le grand Corneille de n'avoir
pas fait tuer fur la Scène Camille Ça},
Corneille , dit-il , afin d'éviter d'enfan-
glanter la Scène , rend encore l'adion
du jeune Horace plus atroce , en lui
donnant le tems de faire quelque ré^
{li Les Ibriiett , AU. 4.
Coogic
'4f(> 'KijUxîons crîtîquà
H6don , fie cela fans fongêr qu'il doit
fauver à la fin de la pièce le meurtrier
defafœur. Horace feroit mmns odieux,
s'il tuoit Camille dans le tems même
$ Telle profère fes imprécations contre
ome. Quoiqu'il enfoit de cette ob-
fervation , on ne fçauroit difconvenir,
que fi la repréfentation des Tragédies
teft trop chargée de fpeâacles en An«
gleterre , elle n'en foit trop dénuée en
France. Qu'on demande à l'Aûrice qui
Joue le rôle d'Andromaque(iï), fila Scè-
ne dans laquelle Andromaque prête à fe
donner la mort , recommande AfHanax,
le fîls d'Heaor & le fîen , à fa confi-
dente , ne deviendroit pas encore plus
touchante en y foifant paroître cet cn-
&nt infortimé > & en donnant lieu par
fapréfence aux démonflrations les plus
èmprefTées de la tendrefTe maternelle
qui ne fçauroient paroître &oides en
«ne pareille fituation.
Il n'en etl pas de la Comédie comme
de la Tragédie. Je ne crois pas qu'on
SuilTe dire que des différentes mameres
ont on récite aujourd'hui la Comédie
en différens pays « l'une foit meilleure
que l'autre. Chaque pays doit avoir ùt,
i») Dans U Tragtdii it Raciati
:,-,zf--„GoOglc
'fur la Poëfie & fur la Pùnmrtl ^Jil
xnaniere propre de rëclter la CométUçJ
D^ns la repréleotatîon des Com^
^es , il ne s'agit pas de procurer de là
vénération aux perfonnages introduits
iiir la Scène , mais biea de les rendre
reconnoilTables auxipeâateurs. Il faut
-donc que les Comédiens copient ce que
)eur nation peut avoir de Singulier dans
Je geAe , dans le maintien & dans la
prononciation. Il faut qu'ils fe mouleid
id'après leurs compatriotes. Générale-
mejît parlant , il eft des peiqjles qui va«
■^iest davantage leurs tons de voix^
^ui mettent des accens plus aigus £e
^usiréquens dans leur prononciation^
& qui geAiculent avec plus d'aâivité
que d*autr<es. Comme le naturel de
certaines nations eu f^us vif que le
jiaturel d'autres nations, l'aâion des
loies eâ plus vive que l'aâion des au-
tres. Leurs fentimens', leurs pafiions
s'^bap^>em avec une impétuofité qu'on
n'itpper^it pas en d'autres nati<»i$.
Les François n'uTent point de c^tain^
^fles , de certaines d^onArations
avec les doigts , ils ne rient point com-
aie les Italiens, Les Françcùs ne varient
pas leur prononciation par de certains
tccen^ ^uî font ordinaires en Italie ,
:,-,zf--„GoOglc
ïf ift Rifiaàons entufaû
nême dans les converfations fjunilîe^
Tes. Or un Aâeur de Comédie , qui
dans ia déclamation îmiteroit la pronon-
ciation & la gefticulation d'an f>euple
étranger, pécheroit contre la règle que
nous avons rapportée. Par exemple ,
un Comédien Anglois qui mettroît
autant de vivacité dans les geftes ;
3ui marquerait autant d'inquiétude
ans fa contenance , autant de ccmten-
tion dans Ton vifaee ; qui ptaceroit des
exclamations au(n fréquentes dans (&
prononciation , qui les feroit auffi
marquées qu'un Florentin ; un Comé-
dien Anglots en^n qui ioueroît comme
un Comédien Italien , joueroit mal. Let
Anglois qui doivent lui fervir de mo-
dèle , ne ie comportent pas aînfi. Ce qui
fuffit pour agiter unltalien,n'eftpasfute.
{knt poiu" remuer un Anglois. Un Aa-
elois , à qui l'on prononce l'arrêt qui
le condamne à la mort, montre mouu
d'agitation qu'un Italien que fon juge
condamne à un écu d'amende.
Le meilleur Aâeur de Comédie eft.
donc celui qui réulfit le mieux dans VU
mîtation théâtrale de fesoriginaux, tels
que puifTentêtre les originaux qu'il co--
pîe. Si les Comédiens d'un pays plaïfeaç
..Google
furlaPoîJît&furlaPeimart. 45 J
plus aux étrangers que les Comédiens
des autres pays , c'eft que ces premiers
Comédiens feront formés d'après une
nation, qui natitreilementaura plus de
gentillefTe dans les manières , & plus
d'agrément dans l'élocutlon , que les
autres nations.
SECTION XLIII.
IQ/ze Uplaijtr qut nous avons au Tkiâtn ,*
^UJl point produit par Villujtan,
\j E S perfonnes d'efprit ont cru que
l'illufion étoit la première caufe du
plaiHr que nous donnent les fpeâacles
& les tableaux. Suivant leur fentiment ,
"la repréfentation du Cidne noiii tlou-
ne tant de plaifir que par l'illufion
qu'elle nous fait. Les vers du grand
Corneille, Tappareil de la S:ène Ôc la
<léclamation des Aftetirs nous en tm-
pofent affez pour nous faire croire ,
qu'au lieu d'aflifter à la repréfentation
ce l'événement, nous alfiflons à l'é-
vénement même , & que nous voyons
(filament l'aâion, & npa pas uns
:,-,zf--„GoOglc
^^4 Rlfeiàmts aîàques
imitadon. Cette opinion me paroît in^
ibutenable.
n ne fçauroit y aroir d^ufion dans
refprit d'un homme qui eft en ion
bon fens , à moins que précédemment
fl n'r 3it eu une illubon &ite à fesiens.
Or il eft vrai que tout ce que nous
voyons au théâtre, concourt i nous
émouvoir ; mais rien i^y iàit illufion
à nos fens , car tout s*y montre comme
imitation. Rien n*y paraît, pour ainfi
dire , que comme copie. Nous n'ani*
Vons pas au théâtre dans l'idée que
nous y verrons véritablement Chime-
ne & Rodrigue. Nous n'y apportoiff
point la prévention avec laquelle celui
qui s'eft laiffé perfuader par un Magi*
cien qu'il liû fera voir un fpeftre , en-
tre dans la caverne où le phantôme
doit apparoître. Cette prévention dif-
pofe beaucoup à l'illuuon , mais nous
ne l'apportons point au théâtre. L'afS-
che ne nous a promis qu'une imitation
ùa des copies de Chimene & de Phè-
dre. Nous arrivons au théâtre , prépa-
rés à voir ce que nous y voyons ; &
nous y avons encore perpétuellement
cent chofes fous tes yeux , lefquelles
^iaftant en inftant nous font fouveoir
:,-,zf--„GoOglc
fuTÎa Poëfie & fur la Peinture. 45^
du lieu oîi nous fommes , & de ce quf
nous fommes. Le ipeâateur y conler<
ve donc fon bon fens , malgré l'émo-
tion la plus vive. C'eft fans exîrava-
guer qu'on s'y paflionne. Il i*e peut faire
tout au plus qu une jeune perfonne d'un
naturel très-fenfible , fera tellement
tranfportée par un plaifir encore nou-
veau pour elle , que fon émotion £c
fa furprife lui feront faire quelque ex»
clamation ou quelques geftes involonf
taires , qui montreront qu'elle ne fait
point une attention afïuelle à la con-
tenance qu'il convient de garder dan*
une aflemblée publique. Mais bien-tôt
elle s'apperçevra cle fon égarement
momentanné , ou « pour parler plus )u&
te , de fa diflra£lion. Car il n ell ras
vrai qu'elle ait cru , durant fon ravine-
ment , voir Rodrigue & Chimene. Elle
a feulement été touchée prefque aufit
vivement qu'elle l'auroit été , fi réel-,
lement elle avoit vu Rodrigue aux
pieds de fa maîtrefle dont il vient dd
tuer le père.
Il en eA de même de la Peinture. Le
tableau d'Attila peint par Ra[^ël , ne
tiie point fon mérite de ce qu'il nous
£0 impofe a0ez poiu- nous féduire ôg
:,-,zf--„GoOglc
- %^6 RèJUxhms cnàquts
^ur nous faire croire que nous voyot»
véritablement faînt Pierre & faint Paul
en Faîr , & menaçant l'épée à la main
ce Roi barbare entouré des troupes
<pi'itmenoit faccagerRome. Mais dans
le tableau dont je parle , Attila repré-
fente fi naïvement un Scythe épouvan*
té , le Pape Léon qui lui explique cette
vilion, montre une afliirance fi noble
& un maintien fi conforme .à fa dignité;
tous tes al£flans reflemblent fi bien î
des hommes qui fe rencontreroieot
chacun dans la même cïrconiïance oh
Raphaël a fuppofé fes différens per-
(bnnages , les chevaux même concou*
rent iî bien à l'aftion -principale ; l'imi-
tation eft fi vraifemblabLe , qu'elle fait
fur tes fpeôateurs une grande partie de
l'impreffion que l'événement auroit pu
làire fur eux.
On raconte ( a ) un grand nombre
d'hifloires d'animaux , d'enfans , & mê- ■
me d'hommes faits qui s'en font laifTé
impofer par des tabteaux , au point de
les avoir pris pour les objets dont ils
n'étoient qu'une imitation. Toutes ces
perfonnes , dira-fon , font tombées
d^ns l'illuûon que vous regardez cont-
ra) piiiu> Ui.j.c>ia.
me
:,-,zf-,GoOglc
fur UPoëfii Sf fur la TUntun, '■i^^y
itne impolTible. On ajoutera que plu-
lïeurs oifeaux fe font fi'oiffé la tête con-
tre la perfpeâive de R«el , trompés
par fort ciel , lî bien imîtë qu'ils ont cru
pouvoir prendre l'effor à travers. Des
hommes ont fouvent-adrelié la [r-arole
à des portraits , croyant parler à d'au-
tres Jwmmes. Tout le monde fçait l'hif-
toîre du portrait de la fervante de Rem-
brandt. Il l'avoit expofé à ime fenêtre
oit cette fiUe fe tenoit quelquefois , &c
les voifms y vinrent tbur à tour pour
feire converfation avec la toile.
Je veiTx bien tomber d'accord de
tous ces faits , qui prouvent feulement
que les tableaux peuvent bien queU
quefbis nous faire tomber en illufion ,
mais non pas que l'illufion foit la four-
ce du plaifir que nous font les^ imita-
tions Poétiques ou Pittorefques. La
preuve eft que le plaifir continue ,
qiiand il n'y a plus de lieu à la furprife.
Les tableaux plaifent fans le fecours
de cette' illufion , qui n'cft qu'un inci-
dent du plaifir qu'ils nous donnent^
& même un incident affez rare. Les
tableaux jrfaifent , quoiqu'on ait pré-
fent à l'efprit qu'ils ne font qu'une
toile fur laquelle on a placé des cou*
ïomeh V
■,r ..Google
J^^t Rifexîons enàjtus
leurs avec art. Une Tragédie touché
«eux qui connoiflent le plus diflînÔe*
ment tous les refibrts que le génie du
Poëte & -le talent du Comédien meti
tent en oaivre pour les émouvoir.
Le plalfir que les tableaux & les poè-
mes dramatiques excelléns nous peu-
vent faire , çA même plus grand , lori^
que nous les voyons pour ta féconde
fois, & quand il n'y a plus lieu à Til-
luûon. La première f<MS qu'on les voit y
on eft ébloui de leurs beautés. Notre
efprit trop inquiet & trop en mouve-
ment pour fe fixer fur nen de par-
ticulier , ne jouit véritablement de
rien. Pour vouloir parcouiir tout fiC
vcMr tout, nous ne voyons rien dif-
tinâement. Il n*eft perfonne qui n*ait
expérimenté ce que j'avance , £ ja-
mais il lui eâ tombé dans les mains
quelque livre qu'il fouhaitât avec beau-
coup d'impatience de lire. Avant que
d'en pouvoir lire les premières pages
avec une attention entière , il lui a
faWvi parcourir fon livre d'un bout à
Tautre. Ainfi quand nous voyons une
belle Tragédie , ou bien un beau ta<
bteaUf^pour la féconde fois, notre efprit
^A plys capable dç «'arrêter fur les pan»
:,-,zf -„CoOglc
fur la Poëjîe ^far la Ftbuurt. 4^ 9
^es d'an ob^et qu'il a découvert & paiy
couru en entier. L'idée générale d^
l'ouvrage a pTÎ>i fon affîette , pour ainJî
^ire , dans l'imagination ; car il faut
<ju'une telle idée y demeure quelque
lents avant que <l'y bien prendre ia piaf-
fe. Alors rârpritfeiivrefànsdiftraâioii
-à ce qui le touche. Unctu-ieux d'Archi-
Xe£lure n'exaniine une colonne , & 'i
ne s'-arrête fur aucune partie d'un Pa-
lais , qu*apr^ avoir donné le coup-d'aU
À toute la malle dit bâtiment , qu'après
avoir bien plaûé dans Ton imaginatioA
ridée diiliBâe «le ce Palais.
SECTION X L I Y.
■Çae its Poèmes Ardmàtiquts purgint &*
pdffiotts.
J Lfuffit dé bien connc^irelespaffion»
violentes, pour defirer rérieufement de
p*y jamais Srre affujetti , & pour pren-
-dre des réfolutions qui les empêchent,
■du moins , de nous fubjnger fi facile-
ment. Un homme qui fçait quelles \n-
îqiiîémdes {a palîîon de l'amour eft ca-
■pablie 4e catoer ; un homme qui fçtiit
Vij
:,-,zf--„GoOglc
^ ËD RijUxîons criûqaa
à quelles extravagances elle conduit
les plus Cages , & daos quels périls ella
précipite les plus circonfpeâs « defirera
trèsférieufementde n'être jamais livré
k cette y vreffe. Or les Poëfies drama-
tiques , en metunt fous nos yeux les
égarcmens où les palSons nous condui-
sent , nous en font connoître les fymp-
tomes & la nature plus fenlîblement
qu'im livre ne fçauroit le faire. Voilà
pourquoi Ton a dit dans tous les tems,
que la Tragédie purgeoit les paflioos.
Les autres Poèmes peuvent bien faire
quelque effet approchant de celui de Ja
Tragédie : mais comme l'impretSon
qu'ils font fur nous , n'eft point à beau^
coup près auâi grande que l'impre^îoa
que la Tragédie fait, à l'aide du théâtre,
as ne ron^pa^aufEefS,cacesquelaTnh
gédie pour purger les paffions.
Les hommes avec qui nous virons i
nous laiflent prefque toujours à devi-
ner le véritable motif de leurs aâîons,
& quel eft le fond de leur cœur. Ce
qui s'en échappe au dehors, ^ ce ouj
ne paroît qu'une étincelle , vient fdur
vent d'une incendie qui fait des rav^
§es affreux dans l'intérieur. Il arrive
QPC fouvent q^e pous noii^ trompop;
:,-,zf--„GoOglc
fur la Po'èjîe &fur la Peinture, ^ i'
Wous-mêmes , en voulant deviner ce
que penfent les hommes ; & plus fou-
vent encore ils nous trompent eux*
mêmes dans ce qu'ils nous difcnt de la
fituaticn de leur cœur 6c de leur ef-
prit. Lesperfonnages de Tragédie quit-
tent le mafque devant nous. Us pren-
nent tous les fpeâateurs pour confî-
dens de leurs véritables projets & de
leurs fentimens les plus cachés. Us ne
lailTent rien à deviner aux fpeftatciirs-
que ce qui peut être deviné ûirement
& facilement. On petit dire la même
chofe des Comédies;
D'ailleurs la profeffion du Poëte
dramatique , eft do peindre les paffions
telles qu'elles font réellement, fans
exagérer les chagrin* qui les accMnpa-
gnent, & les malheurs qui lés fiiî'
vent. C'eft encore par des exemples
qu'il nous inftruit. Enfin , ce qwi doit
achever de nous convaincre de fa fin-
cërité , nous nous reconnoîflbns nous-
mêmes dans fes tableaux. Or la pein-
ture lîdelle des pallions fiiffit feule pour
noiis les faire craindre, & pour nous
engager à prendre la réiblution de les
éviter avec toute l'attention dont nous
ibmmes capables. E n'eft pas befoîa
V iîj
:-,r., Google
'^1 Ê.if[txwHs criâqua
qiie cette peinture foît charg&. Qiâ
peut , après avoir vn le Cid, ne point
appr^nder (favoîr hik explication
chatouilleuTe dans nn de ces motnens
•h nos htuneurs (bat aigries } Quelle
Téfolution ne fotme-t'on pas de ne point
traiter tes affînres qui nous tiennent
trop au cœur, dans ces inilans , oà iteft
fi facile que Texi^ication aboutifTe 1
«ne cpierelle J Ne fe promet-on point
de fe taïre , du moins dans toutes les
occaiions oà notre imagination trop
«mue peut nous &ire dire quatre mots ,
que nous voudrions racheter par un fi-
lence de fîx mois ? Cette crainte des
pafTions ne hifle pas d'avoàr quelque
effet.
tl n'eft gu^res depaffion qui ne fbic
un petit fe» diuis Ton commencement ,
Se qui ne s*éteigmt bientôt , fi une fufte
défiance de nous-mêmes nous faiibit
fait les objets capables de Fattifer. Phè-
dre criminelle , malgré elle-même , eft
une fable comme celte de ta naiffiuoce
de Baccbus 8c de Minerve*
Qu'on ne me 6iffe pomt dire après
oela , que ks Poemeis dramatiques font
un remède fouverain & univerfel en
morale; je fuis trop ékugné de rien
:,-,zf--„GoOglc
furlaPoëfit&fwiaPiù'nturt. 4fij
E enfer d'approchant : je veux dire feu-
;ment que les Poëntes dramatiques
corrigent quelquefois les hommes , 6c
' ^e fouvent iû leur donnent l'envia
d'être meilleurs. C'eft ainfi que le fpec»
tacle imaginé par les Lacédemoniens ,
pour infpirer l'averûon de l'yvrogne»
rie à leur }euneâ« , faifoït ion effet,
li'horretu- que la manie & l'abrutifle-
inentdes eklaves,qu'onexpofoityvTi;s
fiir un théâtre, donnoit aux ipeÛa-
teurs , laiiToient en eux une ferme léfo*
lution de réfifter aiuc attraits de ce vice..
C^lt& réfoluiion empêchoit quelques,
jeunes gens de prendre du vin avec
excès , quoiqu'elle ne fût point cap»<
ble d'en retenir ^ufîeurs autres. 11 eA
4es hommes trop fougueux pour être
retenus par des exen^es , & des pa&
£ons trop allumées pour être éteintes-
«tr des réflexions philoibphiques. Lx
Tragédie pui^e donc les payions ï peu
près comme les reme<les guériffent,.
& comme les armes défeniîves garan-
tiflTent des coups des armes c^enlivcs,
La chofe n'amve pas toujours^ nuls
.elle arrive quelquefois.
Tai (vtyooÇé, dans tout ce que je
£iens de dire , la morale des pièces de
Viv
...Xooyic
J^4 Kifitxtxms erîihptef
théâtfc au£î bonne qu'elle doit l'être;
Les Poètes dramatiques dignes d'écrire
pour ie théâtre , ont toujours regardé
^obligation d'inlptrer la haine du vice
Ce l'amour de la vertu , comme la pre-
mière obligation de leur Art. Ce qu*
j* puis affitrer^ dit.Monfieur Racine à
ce fujet (d) , c'tfi qacjf n'ai point, fait
dt Tragédit où la vertu fait plus imfe aa
jour qui dans celle-ci. Les moindres fiuuet
y font févt>emtm punies, La feuk penfU
du crime y efl regardée- avec auiant d'hôr"
reur que le crime mime. Les fottlejfis d*
l'amour y pajfent pour de véritahUs ffù"
bleffes. Les pafflons n'y font préftniéts aux
.yeux , tjue pour montrer le defordre doni-
dhs font caufe ; & le vice y efl peint par--
toutavec des couleurs qui en jont connoîtrA
& kaîr la difformité. Cefi-là- proprement:
h but que tout homme qui travaille pom I4
théâtre , doitjepropofer , & c'ejl et que la
premiers Po'éies tragiques avaient en vue
ffir toute ckofe. Leur théâtre était une école-
ou la vertu rCétott pas moins hien enjeigné^
$ue dans les écoles des Philofophes,
■ Les Ecrivains qui ae veulent pas
comprendre comment la Tragédie pur-
ge les pafCons , allèguent, pour juftmer
:,-,zf--„GoOglc
fur la Pvêjte &fier la Pànture. 46^
ïéur fentiment , que \t biit de la Tra-
gédie eft de les exciter. Un peu de-
réflexion leiir auroit fait trouver l'é-
' clairciffement de cette ombre de diC-
ficulté , s'ils avoieni daigné !e cher-
cher.
La Tragédie prétend bien que toii-
" tes les pâmons , dont elle fait des ta-
bleaux, nous émeuvent; mais elle ne-
Veut "pas toujours que notre affeGion
foit la même que l'aflèâion du perfon-
nage tourmenté par une paflïon , ni
que nous époufions fes fentiiDens. Le
plus fouvent fon but eft d'exciter en
nous des fentimens oppofés à ceiijc
qu*eUe prête à fes perfomiages. Par
exemple , quand la Tragédie nous dé-
peint Médée qui fe venge par le meiir-
we de fes propres enfans, eUe difpofe
fcn tableau , de manière que nous pre-
nions en horreur la paffion de la ven-
feanfce, laquelle eft capable de porter
des excès fi fimeftes. Le Poète pré-
tend feulement nous infpirer les fenti-
mens qu'il prête à ceux des pei-fonna-
ges qu'il dépeint vertueux , & encore
ne veut-il nous feire époufer que ceux
de leurs- fentimens qui font touabîcs.
Or epand on dit q*ie la.- Tragédie piit-
V V
:,-,zf-„ Google
'i^ Réfiexùms aitîqius
' ee lev pa^ns , chi entend parler feu-^
leHienc des paâioos vicieufes Se pr^u-
diciaUes à la Ibcieté. Une Tragédie
qm donneroit du dégoût des pâmons
utiles àla fociété, telles que fctfUramoar
de la patrie , Tamour de la gloire , la
crainte du deshonneur , &c. feroit auffi
TÎcieufe qu'une Tragédie qui reodrok
le vice lûmable.
Il eft vrai qu'il eft des Poètes dra-
matiques ignorans dans leur Art, &
qui, fans connoilTance des mœurs, re-
pi^fentent fbuvem le vice comme une
grandeur (Pâme , Se la vertu comme
unepetiteffed'erprit 5cdec(xur. Maïs
cette faute doit être imputée i Tigno-
rance, ou bien k la dépravation de
rArtifan , £c non point à l'Art. On dit
du Chirm^ien qui eâropie ceiK qu'il
faigne , qu'il ell un mal-adroit ^ mais
fa faute ne décrie point laiàjgoéâ, âc
ne ^crédite pas la Chirurgie. Un Au*
leur étoin-di fait une Comédie qui dé-
truit un des principaux élémens de la
fociété , je veux dire la perfuafîon oh
doivent être le$ enâns que leurs pa-
rens les aiment encore plus que ces
parens ne s'aïmem eux-mêmes. Il fait
rouler l'intrigue de iâ pièce fur la rufe
:,-,zf--„GoOglc
fttrlaPoëjîe&furlaPâmurt:. 4S7
d'un père qui met en œuvre la fourbe-
rie la plus rafinée , pour feire^ enfer-
mer fes enfans qui (ont bien nés , afin
de s'approprier leiu- bien , & d'en jouir
avec fa maîtreffe. L'Aute\ir domie par-
le , expofe ce myftere d'iniquire fur la
Scène comique , fans le rendre plus
©dieux qiie Terence cherche à rendre
odieux les tours de jeune ffe des Efchi-
nes & des Pamphiles , que le bouillant
de l'âge précipite , malgré leurs re-
mords , dans des foiWeffes que le moit»
^e excufe , de dont les pères eux-m^
mes ne font pas toujoiu^ aitifi défafpé^
rés qu'ils le difent. D'ailleurs l'intri-
gue des pièces de Térence finit par un
cÙnouement qui met le fils en état de
fatisfaire à la fois fon devoir & ftMi ii>
clination. La tendreffe paternelle com-
battue dans le père par la raifon ; les
agitations d'un enfent bien né ,. tour-
menté par la crainte de déplaire à feS
parens , ou de perdre fa, maîtreffe , don-
nent lieu à plufieurs incidens intérêt-
Éiiis , dont il peut réfulter une morale
mile. Mais la barbarie d'un père qui
veut facrifier fes enfans à une pafiîon j
que la jenneffe ne fçaurœt plus excofer
en lui , ne peut être regardée ^e corn»
Vyj
:,-,zf--„GoOglc
4)S8 Réfixwm aîàqueÈ
me un crime énorme , & tel à peu pris
que celui de Médée. Si ce crime peut
être expofé fur le théâtre, s'U peut y
doner heu à une morale utile , c*eft ea
cas qu*il y paroifle dépeint avec Us cou-
leurs tes plus noires» & qu'il y ibil
«nfin puni des châtimens les ^us fére-
tes que Melpomene en^loye , mais
dont Thalie ne peut pas fe fervir^ Il efl
contre les bonnes mœurs- de donner Tï-
dée que cette aâion n*eft qu'uoe faute
ordinaire , en la &ifant iervir de fujet
à une pièce Comique. Qu'on âétrilTe
donc cette pièce odieufe ; mais qu'on
tbn^e d'accord en même fems que les
Comédies de Térence , & la plupart
de celles de Molière font propres à pur-
ger les paUions.
S E C T r ON XLV.
Delà MttfiqucpropnnKnt dite,
J. L noits refte à parler de laMufiqfie f
comme du troifieoie des moyens que
les hommes ont inventés pour dernier
ime nouvelle force â la Poeûe , & pour
la mettre en état de faire fur nous luç
:-„r., Google
fur Ut ^oëjîe & Jhr la Piînturt. 4^9
t^us grande impreffion. Ainfi qtie le
Peintre imite les traits & les couleurs
de la nature , de même le Mnâcien
imite les tons , les accens , les foupirs i
les inflexions de voix , enfin tous ces
fons, à f aide defqiiels la nature mêmej
exprime fes fentimens & fes pafïtonsj
Tous ces fons, comme nouS l'avons
déjà expofé , ont une force merveil-
leufepoiir nous émouvoir , parce qu'ils
font les lignes des paflions , inftitué*
par la nature dont ils ont reçu letu?
énergie; au lieit qUe les mots articu-
lés ne font que des f^nes arbitraires
des paflions. Les mots articulés ne ti-
rent leur lignification & leur valeur
cjue de riniiitution des hommes , qui
n'ont pu leur donner cours que dans
un certain pays,
■ La Muûque", afin de rendre l'inîita-
tîA qu'elle fait des fons naturels plus. '
capabfle de jrfaire & de toucher, ]'»
réduite dans ce ^ant continir qu'on
appelle le fujet. Cet art a trouve en-
core deux moyens de rendre ce cirant
plus capable de nous plaire & de nous
émouvoir. L'un eftrharmonie , & l'au-
tre eflle rithme.
Les accords dans lefquels )^naQ*
.Cooylc
470* Réflexions mâqius
nie confifle , ooc un grand channe poo^
J'oreille ; £c le concours des ^fferen>
tes parties d'une coii^Kïlîtioa muûcale
qui font ces accords, contribue enccve
9 FexprelBon du bruit que le Muficiea
prétend inûter. E^ bafie continue 5c les
9utres parties aident beaucoup le diatit
à exOTÏm» i^us parCittement le fuiet de
Tinutation.
Les anciens a[^H(Ment rithme en
taufique , ce que nous aroellons mefmt
^ mottvemem. Or la mefitre & le mou-
vement donne l'ame , pour ain& dire,
aune compofitionmulicale. Lafcience
«lu rithme , en montrant à varier i
propo» la raefure, ôte de la imifi<)ae
cette uniformité de cadence, -qm fe-
roit capable de la rendre bientôt eo-
auyeufe. En fécond lieu , le ridune
içait mettre une nouvelle vraifegi-
Mance dans Tinûtation que peut îmc
une compofîtion muficale , parce que
le rithme lui fait imjler encore la (Mt>-
greâion & le mouvement des bruits
& des fons naturels qu'elle imitoît dé*
)z par le diant & par Ilurmonie. Ain-
u le rithme donne une vr^femblaoce
de plus à l'imitation.
La Muiique Ëit donc fes inûtatioDS
:,-,zf--„GoOglc
fur la Pocft &fur la Ptînture, ^%
par le fecours du chant , de l'hannonie
& du rithme. In earuu triapracipuino^
tandafunt , karmonia , Jerma & rilkmas»
JHarmonia vcrfatur circa fonum ; Strmo .
àrca irutUeéium verhorum â* enuntiaùo^
nem difiinciam : Rithmus circa conùnnun»
- «a/jr/ci'mofa/n.C'eftainllqne la Peinture
^it les inûtâtions p%r le fecours du
trait, duclair-obrcur, ÔC des couleurs
locales.
Les lignes naturels despalHons que la
Musqué ralTentble , & quelle emptoye
avec art pour augmenter l'énergie des
paroles qu'elle met en chant, doivent
donc tes rendre plus capables de nous
toucher , parce que ces lignes naturels
ont une force merveilleuïe pour nous
émouvoir, fis la tiennent de la nature
même. NihUeJi enim tam cognatum men-r
tibus nofiris , quàm numeri alque voces y
quièus V excitamur j & incendimur > ^
lenimur^ & languefcimus , dit un des
plus judicieux obfervateurs des affec-
tions des hommes (a). C'elï ainfi que
le plaillr ds l'oreille devient le plailîr
du cœur. De-là font nées les chanfons ;
$C robfervation qu'on aura faite , que
les paroles de ces chanfons avoicnt
.,-,zf -iCoôglc
af^*' Tlijiexlons ctîàques
IJien une autre énergie , lorfqu'on les
entendoit chanter, que lorfqu'on les
entendoit déclamer, a donné lieu à
mettre des récits en mufique dans les
ipeftacles , & l'on eft venu fucceffive-
vement à chanterune pièce dramatique
en entief. Voilà nos Opéra.
Il eft donc une vétité dans les récits
des Opéra; & cette vérité confifte
dans l'imitation des tons, des accens,
des foupirs , & des fons qui font pro-
pres naturellement ainr fentimens con-
tenus dans les paroles. La même véri-
té peut fe troirver dans l'harmonie &
dansle rithtne de toute la compofîtion.
La Mufique ne s'eft pas contentée
d'imiter dans fes chants te langage in-
articulé de l'homme , & tous les fons
naturels dont il fe lêrt par inftinit. Cet
Art a voulu encore faire des imitations
de tous les bruits qui font les plus ca-
pables de faire impreffion fur nous^
îorfque nous les entendons dans la na-
ture. La Mulîqiie ne fe fert qtie des
inftnunens pour imiter ces Bruits, dans
lefquets il n'/ a rîen d'articulé ; & nous
appelions commimement ces imîta-
iions , des fymphonies. Cependant les
fympho;nes ne laiffent pas de jouer ,
:,-,zf--„GoOglc
Jur la Po'èjît & fur ta Pelmun. 473Î
*p<y\iT atnfi dire , difïerens rôles dans nos
Opéra, & cela avec beaucoup de fuccès,'
■ En premier lieu , bien que cette Mu-
fique foit purement inftrumeotale , elle
ne laiflTe pas de contenir une imitation
véritable de la nature. En fécond lieu 9
U y a pluTieurs bruits dans la nature
capables de produire un grand effet
fur nous , quand on nous les &it en»
tendre à propos dans les Scènes d'une
pièce dramatique.
■ La vérité de l'imitation d'une fym-
phonie confifte dans la reffemblance
ce cette fymphonie avec le bruit qu'el-
le prétend imiter, fl y a de la vérité
clans une" fymphome , compofée pour
imiter une tempête , lorfque le chant
de la fymphonie, fon harmonie & fou
lithme nous font entendre im brnit pa-
xeii au ,fracas que les vents font dans
Vair& au mugiffement des flots, qm
s'entrechbquent , ou quife brifent con-
tre des rochers. Telle eft la fymphonie
qui imite une tempête dans l'Opéra
d'AIcione de M. Marais;
Ainfi , quoique ces*- fymphonies né
BOUS faffent pas entendre aucun fon ar-
ticulé , elles ne laiffent pas de pouvoir
JQuer des rôles dans ^s pièces dn^
:,-,zf--„GoOglc
4^4 Rifitjdons amquts
natiques , parce qu'elles coatribneiit S
nous intérefier à l'aâion, en fàïTanl
ùa nous une impreffion approchante
4e celle que feroit le bruit même dont
«lies font une imitation , fi dous enten<
4ions ce bruit dans les mêmes circons-
tances que nous entendons la fympbo-
nie qui limite. Par exemple , l'imita-
tion du bruit d'une tempête qui va
jiibmei^er un perfonnage , à qui le
Poëte nous fait prendre aâuellement
un grand intérêt, nous aflfeâe comme
BOUS affederoit le bruit d'une tempête
Eête à fubmerger une perfonne poof
quelle nous nous intéreflerions avec
chaleur , fi nous nous trouvions à por-
tée d'entendre cette tempête véritable.
U feroit inutile de répéter ici que ru»-
peffion de la fympbonie ne içaurcHt
être auffi férieufe que rimpre^onqœ
la tempête véritable feroit fur nous •
car j'ai déjà dit plufieurs fois , que l'im-
preflîon qu'une imitation fait fur nous
eft bien moins forte que l'impreffioa
feite par lajrhofe imitée, {a) Sine du^
èio lit omm re vincit imitatiantm vtritas.
■ Il n'eft donc pas furprenant que les
fyini^nies nous touchent beaucoup.
:,-,zf--„GoOglc
Jufla Poèfii&fitrlaPàTitare. jpfH.
I^ioîqiie leurs fous , comme te dît Lon-
gin (a) , ntfoiitnt qut dcjimplti imitations
• éfun Brait inarticulé , & , i ^il faut parler
i»injî , deifons qui n'ont qut la moitU d0^
tiur éire , & une dem-vit.
Voilà pourquoi l'on s'eft fervi , dan»
tous les pays êc dans tous les tems , du
chant inarticulé des inllrumens pouf
remuer le cœur des hommes , & pour
mettre certains femimens en eux , prin-
cipalement dans les occafions otï. l'on'
ne fçauroit leur inlî»rer ces ientimens
en fe fervant du pouvoir de la parole.
tes peuples civilifés ont toujours fait
lifage de la Mufique inilrumentaîe dans
leur culte religieux. Tous les peuples
<}nt eu des inflrumens propres à la guer*
Té , Jk ils s'y font fervi de leur chant
inartieulé, non-feulement pour faire
entendre A ceux qui de\'oient obéir
les ordres de leurs Commandans , mais
encore pour animer le courage des
combattans , & m£me quelquefois
pmiT le retenir. On a touché ces inf- ■
trumens différemment, fuivant l'effet
qu'on vouloit qu'ils fiiTent , & on a
cherché à rendre leur bruit convenable
à Pufage auquel cHi le dèftinbil.
(al TraitiiuSuU.cb,ii.
:,-,zf--„GoOglc
Jfj6 ' Réfiexîons'critt^ui '
■ Peut-être anrionS'notis étudié Fart
de toucher les inlbiimens militaires au-
tant que les Anciens Tavoient étncUé,
fi le Â-acas des armes à feu laiffoit
nos combattans en état cTentendre dii^
rinâement le fon de ces inftrumens.
Mais quoique nous n*ayons pas travail*
té beaucoup à perfeâionner nos infiru"
jïiens militaires ;-& quoique nous ayons
fi fort n^ligé Tart de les toucher » qui
donnoit tant de confidération parmi les
Anciens ■ que nous regardons ceux qui
exercent cet art aujourd'hui , comme
la partie la plus vile d'une armée, nous
ne laiflbns pas de trouver les premiers
principes de cet art dans nos camps.
Nos trompettes ne fonnent point la
charge , comme ils fonnent la retraite.
Nos tambours ne battent poim^ la cha-
made du même mouvement dont ils
battent ta charge.
Les fymphomes de nos Opéra , &
' principalement les fymphomes des
Opéra de Lulli', le (dus grand Poëte en
ftiufique dont nous ayons des ouvra-
ges , rendent vraifemblables les effets
les ^us furprenans de la mufique des
Anciens, Péut-^tre que les bruits de
guerre deThefée^lesiburdiaesd'Arî
:,-,zf--„GoOglc
fur la Poijît &fur la Peinture. 47;^
fandc » 5c pliifieurs autres fymphcftiie^
du même Auteur auroient produit de
ces effets qui nous paroifToient fabuleux
dans le récit des Auteurs anciens , fion
les avoit fait entendre à des hommes
d'un naturel auflî vif que des Athép
niens; & cela dans des fpeflacles oh
âls eulTent été émus déjà par l'aflion
d'une -Tragédie. Nous-mêmes ne fen-
tons-nous pas que ces airs font fur
nous rimprelTion que le Mulîcicn a eu
l'intention de leur faire produire ? Ne
ientons-nous pas que ces fymphonies
nous agitent , nous calment , nous at-
tendriffent ; enfin qu'elles agiffent fur
flous , à peu près comme les vers de
Corneille & ceux de Racine y peuvent
agir ?
Si J'Auteur anonyme du Traité De
Poëtnatum cantu & \iribus Ritkrmi , quç
je crois êtM Ifaac Voffius , parce que
içs amis mel'cnt dit , & parce que cet
■ouvrage eft rempli des préventions eri
iaveur de la Chine & des Chinois , c;uç
tout le monde fçait bien avoir été par-
:ticulieres à Ce fçavant homme ; fi , dis-
je , cet Auteur avoit pu entendre les
P^eï-a fleLuUi, ^ principalem nt le»
derniers , avant que d'écrire le Traita
:,-,zf-,GoOglc
47^ JtifitxîoBS crm^ues
dont je parle , il n'auroh pas dit , com^
me il Ta lait , 'a) que la Mufique mo-*
dcme n'avoit rien , ni de la force ni de
rénei^ie de la Mufique ancienne. Faut'
il s'étonna* , c'eft le iens de Ces pa-
tôles , que notre Mufique ne ^Sc
point les effets que celle des Anciens
içavoit faire , puisque les chants les
plus variés & t harmonie la plus riche
ne font que des fadaife» fonores &des
niaiferies hannonieulès i quand le Mu*
£cien ne fçait pas Étire un ufage iéafi
de ces chants &c de cette harmonie ,
jwur bien-exprimer fon fujet ; & qnaeé
il ne fçait pas animer encore fa com-
pofition par un rithme convenable à et
iîijet , de manière que cette compofr-
tion exprime quelque chofe , & qiiVU*
l'exprime bien? Qui/>pecùmomms<afuus
£f harmonia , ^uantumvis elegans ', fi &
i/trhoTum intelUSus & motus^Jînt-aliquii
Jipiijuanus , nUiU tùfi intmtm comineiit
Jbnumy nemini mirum videri tU^et aht^
^kodUrndmuJùâvirtutem, qita tamoftri
ta veieri pradkatur.
Si quelque Mufique moderne manque
du mérite dont parte ici Monfieur Vof-
jfius, ce n'efi: point calle d« Lulli, C^
:,-,zf--„GoOglc
furUPoîjif& furU. Peinture. 47^
qu'il appelle ici yertorum inulU3um \
ou rexprefTion, eft parfaite dans ce
Mulîcien. Les perlbnnes qui ne içavent
pas le François , devinent les fentimeiw
&C les paflions des Aâeurs qu'il fait dé-
clamer en mufique. Qu'on fe figure
donc quelle comparailbn VolIî\is auroit
Ëiite des cantates & des fonates de»
Italiens avec les fymphonies & les ré-
cits de LulK , s'il les eût connus , lorf-
qii*il écrivit le livre dont je parler
Mais il paroît par la date mife au bas
de la Pré&ce (o) , qu'il l'avoît faite dès
1671 f précifément quand LuUi travail*
loit àfon premier Opéra.
Les fymphonies convenables au fu-
Jet & bien caraftérifées, contribuent
donc beaucoup à nous faire prendre in-
térêt dans l'aèion des Opéra , oîi Tort
peut dire qu'elles jouent un rôle. La[
fiûion qui feîl endormir Atys , & qui
lui préfente enfuite des objets fi diver*
iifiés durant fon fommeil , devient plut
vraifemblable Se plus touchante par
l'imprefHon que font fur nous les fj-oi*
phonies de diffërens citraâeres qui pré-
cèdent le fommeil , & les airs qui fe
fiiccedent à propos pendant fa duréei
:,-,zf--„GoOglc
4^4 lUjUxioas iMtîquts
La fymphonte de l'Opéra de Rolanj j'
qu*oa appelle communément LogiiUl-
le , joue très-bien fon rôle dans raâion
où elle eA introditite. L*a^on du cin-
quième a£te où elle eâ placée , confîlle
k rendre la raifon à Roland, qui eit; Torti
furieux de la Scène à la fin du quatrième
afte. Cette belle fymphonie donne
même l'idée de celles dont Ciceron'&
Quintilien difent que les Pythagori-
ciens fe fervoient pour appailer , avant
que de mettre la tête fur le chevet , les
idées tumultueufes que les mouvemens
de la iournée laiiTent dans TiniagiDa-
tion , de même qu'ils employoient des
fymphonîes d'un caraâere oppofé ,
pour mieux mettre Ids elprits en mou-
vement , lorsqu'ils s'éveilloient , 8e
pour fe rendre ainfi plus pro{M-es à l'ap-
plication, (a) Pythagorais certè moris
fiùtj &cùm evigilajftm animas ad fyram.
excitare , qub cjfent ad agendam ere3i^
r« ,* & t:ùm fomrzum peurtrU ad eamdtm,
prias lenire mtntes ,ut,Jî quidfuijfa'tttr--
bidorum negoùorum , componcrttu. Pour
le dire en paffant , Is premier air dan-
fant du Prologue d'Amadis, celui qui
yient après la fin du ibmmeil , donne
rid2ç
:,-,zf-„ Google
fur la foïjîe ^ fur la PeirHure, 48 1
l'idée de ces airs , au ion defqiiels les
Pythagoriciens achevoient de s'éveil-
ler.
Pcrnr revenir à la fyinphonie de l'O-
péra de Roland , qui nous donne une
jdéc des airs, au ton deftjiiels les Py-
thagoriciens fe difpofoient an fommeil ,
«Ile- eft entièrement dans la vérit-é de
4'iniitation. Il eil vraifemblable qu'elle
puifle produire l'effet poiu lequel la
Poëfie du Muficien la deftine. Le fenti-
4nent nous enl'eicne d'abord <iit'eHe cft
■très-propre à calmer les agitations de
-l'efi»-!! ; & comme ime dilcufiion bien
■faite , piftifie toujours le fentiment ,
îious trouvons en l'examinant , par
■quelies raifons eUe eft fi propre à faire
1 inwreilîon que nous avons dé\a fentic.
Ce n'eft point le filence qui calme le
mieux ime imagination trop agitée.
L'expérience Se le railbnnemem nous
«nfeignent qu'il eft des bruits beaucoup
plus propres k la calmer , que le filence
même. Ces bruits font ceux , qui , com-
me celui de Logijîille, continuent long-
tems dans un mouvement prefque tou-
jours égal, &c fans que les fonsfuivans
ibient beaucoup plus aigus ou plus gra-
ves, beaucoup plus lents Ou pKis vîtes
Tcml. X
:,-,zf--„GoOglc
481 RèJUxions eriàquis
que les fons qui les précédent , de ma-
nière que la progrellion du chant fe falTe
le plus Ibuvent par les intervalles moin-
dres. Il fembie' que ces bmits qui ne
s'accélèrent ou ne fe retardent , quant
à rintonnation & quant au mouvement,
J[ue fuivant une iwoportion lente ôc uni-
orme y fbient plus propres à faire re»
[>rendre aux efpritsce cours égal, dans
equel conGfte la tranquillité » qu'un fî-
lence qui les laifferoii iiiivre le cours
forcé Se tumultueux , dans lequel ils
auroient été mis. Un hon^ne qui parle
longtems fur le même ton , endort les
autres , & la preuve que leur afloupit-
fement vient de la continuation d'ua
bruit qui fe foutenoit toujours à peu
près le même , c'eft que l'auditewr Tq
réveille en furfaut , ii l'Orateur cefle
tout'à-coup de parler , ou s'il lui arrive
de faire quelque exclamation fur un
ton beaucoup plus haut que le ton fur
lequel il déclamoit auparavant. On voit
tous les jours despenonnes travaillées
d'infoimnie , ne pouvoir s'endormir
qu'au bruit d'une leâure ou d'une con-
verfation. Dès que le bruit celfe , elles
fe réveillent.
il çi^ donc unç vraifemi>lajice çq
:,-,zf--„GoOglc
furlA Poipe &furîaPeiaiurè, 483
fymphonic , comme en poëfie. Comme
le Poète elt alUijetti dans fes fîâions i
ie conforoter à la vérité de convenan-
<fe , de même le Muficien doit fe con-
former à cette vérité dans la compofî-
tion des (es fymphonies. Je m'expUtjue,
Les Mtdicuns compofent fbuvent des^
iymp^onies pour exprimer des In-uits
que nous n'avons jamais entendu, âc
<[tti peut-être ne fiirent jamais dans la>
nature. Tels font le mugiâement de lu
terre , quand Pluton fort des Enfers ï
le ûâement des airs, quand Apolloa
inrpire la Pythie, le bruit que fait ua
ombre en ibrtant de fon tombeau , Sc
le frémifTeroent du fenillage des chê-
nes de Dodone. Il efl: une vérité de
convenance pour ces fymphonies. Le
donvtniaitia finge d'Horace a lieu ici
comme dans la'Poéfie. On connoît
quand la vrai'femblance requife s'y ren-
contre. La vraifemblance- s'y trouve
certainement, quand elles font un ef-
fet approchant de l'eiFet que les bruits
qu'elles imitent , auroient pu faire ,
& quand elles nous paroiffent confor-
mes à ces bruiis ijODuis , mais dont nous
ne laifTons pas de nous être formé une
idée confufe par rapport à d'autres
Xij
■,r ..Google
'4^4 Rifitxions endqttts
bruits que nous avons entendus. Oit
dit donc des fymphonies de cette efpe-r
ce , ainfi quede celles qui peuvent îmi-r
ter des bruits véritables, qu'elles ex-»
priment bien, ou qu'elles n'expiîment
pas. On loue celle du tombeau d'Àma-r
dis , & celle de l'Opéra d'iilé, en di?
iànt qu'elles imitent bien le naturel,
quoiqu'on n'ait jamais vu la nature
dans les circonfla^ces oii ces fynipho-
nies prétendent la copier. Âin£ , bien
que ces fymphonies foient en un ceiv
tain feas inventées à plaiûr, elles ai-
dent beaucoup néanmoins ~à rendre le
fpeâacle touchant, & Taâion patheT
tiqite. Par exemple , les accens funér
bres de Ja fymphonie que Monfieur da
Luili a placé <^ns la Scène de l'Oper^
d'Amadis (a) , oîi l'OmBre d'Ardan fort
du tombeau , font autant d'impreffion
fur notte oreille que le fpe£hicle S>L I3
déclamation en font fur nos yeux.
Notre imaginarioR attaquée en même
tems par l'organe de la vue & par l'ofr
gane de l'ouïe , eÛ beaucoup plus émue
ce l'apparition de l'Ombre , que fi nos
yeux feuls étoient féduits. La fymphof
pie par laquelle Monfieui' de^Tppch^S
:,-,zf-,GoOglc
furlaPolp&furlaPiîheurt. 48 c
Ikit précéder l'Oracle que rendent les
chênes de Dodone j produit un effet
iemblable (o). Le trémiâement du
feuillage de ces arbres qu'elle imite par
fon chant , parfon harmooie & par ion
lithme » tÛfpore à trouver de la vrai-
femblance dans la fi^pofîtion qui va
leur prêter la parole. Il paroît croya-
ble qu'un bruit approchant de celui da
cette fymphonie ait précédé , qu'il ait
[«réparé 1^ fons articulés que l'Oracle
proféroit.
Enfin ces fyrtipfionïes qui nousfem-
blent fi belles , quand elles font em-
ployées comme I imitation d'un certain
bruit y nous paroitroient inûpides , el-
les nousparoitroient mauvalles , û l'on
les amployoit comme l'imitation d'un
autre bruit. La fymphonie de l'Opéra
d'IlTé dont je viens de parler y femble-
roit ridicule, fi l'on la mettoit à la
place de celle du tombeau d'Amadis.
Ces morceaux de mufîque qui nous
émeuvent fifenfiblement y quand ils
font une partie de l'aâion théâtrale ,
ftlairoient même médiocrement y fi l'on
Bsfaifoit entendre comme des Sonates^
pu des morceaux de fymj^onies déta^
Xiij
:,-,zf-,GoOglc
■486 Rifltxîons critiques
cfiés , à ime perfonne qui ne les atiroJf
iamais entendiics i l'Opéra , & qui en
pigeroit par coniequeot faas ccMinoïtre
leur plus grand mérite ; c*eA-à-<lîre , le
rapport qu'elles ont avec faâion , oii ^
pour parler ainfi , elles joiient un rôle.
Les premiers principes de k Mufi»
que , lont donc les mêmes que ceux
ée la' Poëâe & de la Peinture. Aiofi
que la Poëfie & la Peinture , la Mnfi-
«ue eft une imitation. La Mulique ne
içauroit être bonne , fi elle n'eil pas
conforme aux règles générales de ces
deux Atts fur le choix des fnjets , fur
la vraifemblancë , & fur ^trfienrs au-
tres points. Commele(litCîceron(<i):
Omnti Anes qutt ad Aamaaitatem ftrù-
ntnt y habtnt qaoddam tommuae vinat-
lum & quttfi cognatiotu quadam tour fi
eontinaanmr.
Comme il eft des perfonnes qui ibnt
plus touchées du coloris des tableaux
que de rex^effi<m despafCons, il eH
de même des perfonnes , qui dans la
Mufique ne fcmt fenfibles qu'à l'agré-
ment du chant , ou bien à la richefle
de Pharmonie , & qui ne font point
afléz d'attenti^i ^ fi ce chant imite bien
W Fn Arià..
...Xooylc
farlaPoêp^fufUPtmturt. 4S7
le bruit qu'il doit imiter, ou s'il eft
convenable au fens des paroles auf-*
quelles il eft adapté. Elles n'exigent
poiijt du Muficien , qu'il aflbrtine fa
mélodie avec les fentimens contenus
dans les paroles qu'il met en chant.
Elles Te contentent que les chants
foient variés , gracieux , ou même bi-
garres , & il leur Tuffit qu'ils expriment
en paffant, quelques mots du récit. Le
nombre des Muficiens qui fe confor-
ment à ce goût , comme (\ la Muiique
étoit incapaole de fuite rien de mieux ^
n'eft que trc^ grand. S'ils mettent en
chant, par exen^lè, celui des verTets
du Pfeaume Dixtt Doimmts , qui com-
mence par ces mot , Dt torrtntt in vîd
biba , ils s'attachent uniquement à l'ex-
preâion de la rapidité du torrent dans
fi. courfe , au lieu de s'cUtacher au fens
de ceverfet, qui comientime prophé-
tie fur la Paffion de Jefus-Chrift, Ce-
pendant Texpreffion d'un mot ne fçau-
roit toucher autant que TexpreJlion
^'un fentîment , à moins que le mot ne
contînt feul un fentiment. Si le Mufi-
cien donne quelque chofe à l'expref-
fion d'un mot qui n'eft que la partie
d'une phrafe , iJ faut que ce foit fans
Xnr
:,-,zf--„GoOglc
4S8 Ré^exions eriiique§
perdre de vue le' fens général de I«
p^hrafe qu'il met en chant.
Je placerois volontiers la Mufique
où le Compofiteur n'a point fçu faire
fervir fon art à nous émouvoir ^ au
rang des tableaux qui ne Ibnt que bien
coloriés , & des poèmes qui ne font
que bien verfifiés. Comme les beautés
de l'exécution doivent fervir en Poë-
iie , ainli qu'en Peinture ^ à mettre en
œuvre les beautés d'invention & les
traits de génie qui peignent la nature
qu'on imite , de même la richefle & la
variété des accords , les agrémeos Sc
la nouveauté des chants , ne doivent
fervir en muûque que pour faire &
pour embellir l'imitation du langage de
la nature 6c des payons. Ge qu'on ap-
pelle la fcience de la compomion ell
une fervante , pour ufer de cette
cxpreflion, que le génie du Mufîciea
doit tenir à fes gages , ainfi que le gé-
nie du Poëte y doit tertir le talent de
rimer. Tout eft perdu , qu'on ine par-
donne cette figure, fi-î'efclave ferend
la maîtrelTe de la maifon , & s'il lui eft
permis de l'arranger à fon gré , comme
un bâtiment qui ne feroit fait que pour
elle. Je crois même que tous les Poëtes
:,-,zf--„GoOglc"
fur la Pocjîi & fur la Pebuure. 48^
& que tous les Muôciens feroient de
mon fentiment , s'il n'éiott pas plus fa-
cile de rimer févéremcnt , que de fou-
tenir un Ayle poétique, comme de
trouver , fans fortir du vrai , des chants
qui foient à la fois naturels ôC gracieux.
Mais on ne fçauroit être pathétique
itans avoir du génie , 6c il fuifit d'avoir
profefle l'Art , même quand on s'y fe-
roit appliqué fans génie , pour conipo-
fer fçavamment en mufique , ou pour
rimer richement enpoëfie.
SECTION XLVI.
Quelques réflexions fur la Mufique des
Italiens. Que les Italiens rCont cultivé
cet Art qu'aprïs les François ù les
Ilamands,
Vj E difcours paroît me conduire na-
turellement à parler de la différence du
goût des Italiens , & dii goût des Fran-
çois fur la mufique. Je parle du goiit
des Italiens d'aujourd'hui beaucoup
plus éloigné du goût des François , qu'il
ne l'étoit fous le Pontificat d'Urbain
y II I. Quoique la nature ne change
Xv
:,-,zf--„GoOglc
490 ' RéJUxîons critiques
point , & quoiqu'il femble par conie-
quent que la muliqne ne dût point
clianger de goût , elfe en change néan-
moins en Italie depuis un tems. 11 eft
en ce pays-là une mode pour la mufi-
que , comme il en eft une en France
pour les habits & pour les équipages.
Les Etrangers trouvent que nouseiv
tendons mieux que les Italiens , le
mouvement jSc la mefure , & qu'ai nfi
nous réuffiflons mieux que les Italiens
dans cette partie de la muliqne , que
les anciens nommcùent le lîtbme. Ea
eâèt les plus habiles violons d'Italie
exécuteroient mal, je ne dis pas tes fym-
phonies caraflériiées de Monfîeur de
Lulli , mais mâme une gavotte (a). Iraii
longioribus utunturjtextbus , imde rùkn-
tar à GaUis , veiati /fui uno formajuh
pfalmitte utrumquc exhaurium pulmonim.
Gain prœierea infuo cantu rithmum maps
«bfervant quàm Italî , unde fit tu apad d-
los complura cccurant canàca qua concài*
nos & eUgames admodum baient matus^
Quoique les Italiens étudiait beau-
coup la mefure , il femble néanmoàns
qu'ils ne connoiiTentpas lerithms ,&
qu'ils ne fçachent pas s'en fervir pour
U) ^4*' ^c^ocm. Canif. III.
:,-,zf-„ Google
far la. Po'ijîe & fur la Tttntare. 491.
rexpreffion, ni l'adapter au iiijet de-
Pimitation , aulH-bienque nous.
- Si Monfieur l'Abbé Gravina ne loue.
pas , comme Monfieur Vollîiis , la mu-
sique Françoile , du moins , dit-il en-
core plus de mat que lui de la mufique
Italienne a). Voici fes propres paroles^
Correper ^ thtatria di nojlriuna mufica
fieriU di talieffetij ( l'Auteur vient do
parler des effets merveiUeuK de la mu-
iique des anciens ) epercio da qutUa ajfai
difformt, efitfaltApirlo piùqueil' armo'
nia ) laquait quanta allatagli a/iimiStm*
ptrati e diffona^t , tanto lacera coloro ck^
danno a guidar ilftnfo a la ragione ; ptr
ehe in camb'w dit tfprimtre td imitart ,
fuoVpik tofto tfiinguert e canctllart ogni
Jimbicn^a ai vtrita : fe par n»n godiamo^
che in tamiio di tfprijtwe fentimenti tpafi
^ni umanf td' imitar le nofirt atlioni t
eofiumi , fomigli td tmià corne fafaventt
■conquà triUi tantç ammirati , la Lecora &l
Canario : Quantumqut à di noftri vada
Jôrgendo qualche dtfiro Modulai >rt il qua-
U contro la commun carruttella da natunU
giudii^io e proportion ' di mente portata \
imita ancJufpeJfo la natura^ à cai pià fi
uviccinarebie , fe l'antica arte mufica po^
(1) DtlU Trtg. p, 70.
Xvj
:,-,zf--„Googlc
49* RiJUxlons critiques
itjfe da jt Iwf^u e foUt untbre al^are î£
topo. Ne ci dothiamo mara vigliarcfi cor-
rotta la poefia , fe ï anche corrota la rau-
fica , perclu corne ne la Ragion Poetîca
accennammo , tate le arti imitativt hanns
itna iita commune dalla eui ahcratione fi
alteraao tutte , & partiaslarmaue la mu-
fica doit altération délia poefia fi can^
corne d^ corpo Combra, Onde cotrotta la
poefia da i foverehi ornamemi e dalla co^
j>ia délit figure , ha communicato il fuo
morio anche alla mufisa ^ onmùtantofi-
gurata che ka perduia quafi la naiurtU cf-
prefitone. Nepvche rteca diiftto ait orchio ,
ferciofidei convenêvole alla Tragtdiare~
putart ; poiche il dUttto proprio délia mu-
fica Dramatica i quelh cke nafce dalla
imkaiione. Ma Upiaeer preftme najce pri-
ma dalla mancania délia vent idea , e poi
per accidente da quella qitalfifia modulor-
tione di voce ch» lu/înga e notice la paru
animale , cioè il/enfi>fido/eni[a coneorf»
délia ramone corne fa qualfi yoglia cant»
di un CardeUo ^o diun Ufignuolo ; e co-
pie dalla vive^^ e varietà de i eolori dilet-
tano t ftn^a imitatione di verità , fe Pit-
ture Chenefi. C'eft-à-dire : La mtifique
«ue nous entendons aujourd'hui fur
nos théâtres, çfi bien éloignée de pro^
Coogic
furlafoifit OfurlaPtinture. 4gif
diiire les mêmes elFets que celle des
anciens. Au Heu d'imiter & d'expri-
mer le fens des paroles , eHe ne ferf
Sii'à l'énerver, qu'"à rétoiiffcr. Aullî
éplaït-elle autant à ccax qui ont de la
jufteffe 'dans le goitt, qu'elle trfaît â
ceux qui ne font point d'accord avec
la raifon. En effet , le diant des paro-
les doit imiter le tangage naturel des
paHîons humaines , plutôt que le chant
des Tarins & des Serins de Canarie,'
■ lequel notre mufique s'attache tant à
contrefaire avec fes paffages & Tes ca-
dences fi vantées. Néanmoins nous
avons un Mttfïcien, qui cft â la fois
grand Artifan & homme de fentiment ,
lequel ne fe laiffe pas entraîner au tor-
rent (*i). Mais notre poëfie ayant ét^
corrompue par l'excès de's ornemens
& des figures , la corruption a pafTé
de-là dans notre mufique. C'eft la def-
tinée de tous les Arts , qui ont une
origine & tm objet commun, que l'in-
feâion paffe d'un Art à l'autre. Notre
mufique eft donc aujourd'hui fi char-
gée de colifichets, qu'à peine y re-
connoît-oii quelque K'ace de l'expret^
(a) L'Auttur, ih-9H, tactnUic garltr et Buwu:
:,-,zf-„ Google
^94 Rificxîottâ critlfius
jGon naturelle. Ainfi elle n'en cft poîiK
Elus propre à la Tragédie , parce qu'el-
: flatte l'oreille , puifque l'iiniiatiort.
& rexprefllon du langage inarticulé
4es paJEons font le plus grand mérite
de la mufique dramatique. Si notre mu-
fique nous plaît , c*eil parce que oous
ne connoiâbns pas rien de mieux , 6c
parce (juelle chatouille les fens, ce
qui lui ell commun avec le ramage
oes Chardonnerets & des Roffignols.
Ellp ell femblable à ces peintures de
ta Chine , qui n'imitent point la natu-
re , & qui ne plaifent que par la vi-
vacité & par û variété de lem-s cou-
leurs.
^ Mais je ne veux point entrer davan-
tage dans l'examen du mérite de la
mulique Frahçoife & de la mufique Ita-
lienne. C'ell un fujet traité depuis un
trop petit nombre d'années par des
penonnes d'esprits. D'ailleurs je cx&a
qu'il faudroit la commencer par une
queAion préliminaire > dont la dilcuf-
fion ferolt trop longue. Je voudrois
donc examiner d'abord le femimem
d'un Anglois , homme de beaucoup d'eA
prit , qui foutient , enreprochant à fes
compatriotes le goût que beaucoi^
:,-,zf--„GoOglc
Jar U Poëjtt &fur la Pdnture, 49^
d'eux croyent avoir pour les Opéra
d'Italie , qu'il eft une miifique conve-
nable particulièrement à chaque lan-
gue , èc fpécialement propre à cha-
aue nation (a). Suivant lui ^ le genre
e la mufique Françoife eft aulu bon
que le genre de la ntufique Italien-
ne. La mufiqut Françoife , continne-
t-il , efi tris-bien adaptée au fan Jes mots ,
& convient fort avec la prononciation de la
langue. Elle rend trh-bien Us accens , dont
les François accompagnent lear pronoruia*
tion. Les diffirtm airs de leurs Opéra «:-
primtju À merveille les mouvement de gens
natarelUment gais & éveillis ^ comme h
font les Français, CTefi dommage qu'on
les écoute mal , & que le Parterre y fa^e
^ Jouvent Choras avec le théâtre. Souvent
la vaixde .' ASeur efi couverte par celle des
Auditeurs , qai ne lui laijftnt chanter feul
jqitt les premieru paroles de fin air. Je me
figurais , quand fe rrCyfids trouvé ^ voirum
Clere de nos Paroijfes , qui n'a pas fltSt
tmonné-U premier vtrfet du Pfeaume * qta
tout rauditeirt fe met à ckanur y fi hiem
qu'on ne r entend plus.
Je me contenterai donc de faire quel-
'f]ues remarques hîAoriques touchant la
(1} S^t^actur du j Avril 1711.
:,-,zf--„GoOglc
HtfC RcjUxîons enûquêt '
mufîque Italienne. L'Autetir d'un Po3-^
me en quatre chants (k) fur la mufique ,
où l'on trouve beaucoup d'efprît & de
talent , prétend , que lorfque le genre
humain commença , vers le feiiiéme
fiécle , à fortir de la barbarie , Sc à
cultiver les beaux arts , les Italiens fu<
rem les premiers Muficiens, & que la
fociété des Nations ptofita de leurs lu-
mières pour perfeâionner cet Art. Le
fait, ne me paroît pas véritable. L'Ita-
lie fut bien alors le berceau de l'Archi-
teÛure , delà Peinture & de la Sculp-
ture, mais la mufique renaquit dans les
Pays-Bas , ou pour mieux dire elle y
fleurifTott déjà depuis tongtems, avec
un fuccès , auquel toute l'Europe ren-
doit hommage. Je pourrois alléguer en
preuve , Commine & plusieurs antres
Ecrivains , mais je me contenterai de
citer un témoin fans reproche , & dont
la dépofitipn eft tellement circonftan-
ciée , qu'elle ne laifTe plus aucun lieu
au doute. C'ell: un Florentin , Louis
Guichardin , neveu du fameux Hifto-
rien François Guichardin. Voici ce qu'il
en dit dans un difcours fur les Pays-
Bas en général , qui fert de Préface
(a) Imfrlmiea f]ii.
:,-,zf-„ Google
fur la Po'éfit &fur la Ptïntun. 497
à fa defcription de leurs dîx-fept Provin-
ces , livre très-connu & traduit en plu-
fieiirs lanf;ues (n). Nos Btlgesfom Us Pa-
triarckes de la mu/ique qu'ils ont fait renaî-
trt , & qu'ils ane portée à un grand point de
perfeélion. Ils naij/int avec un génie heu-
reux pour la cultiver , & leurs lalens pour
Vexerctrfontjî grands que les hommes &
les femmes de ce pays chantent prefque tous
naturellement avecjufieffe commeaveegra-
ce. En /oignant enfuite l'art avec la na-
ture , ils parviennent àfefaireadmirtrpar
la compojition, comme par l'exécution <&
leurs çhanfons # de leur Jympkonies /ioas
toutes les Cours de la Chrétienté , oà leur
mérite leur fait faire de ft belles fortunes*
Je ne nommerai que ceux qui font morts
depuis peu , & les vivans. Au nombre des
premiers , font Jean Teinturier de Nivelle ,
dont le rare mérite m'obligera de faire ci-
deffous une mention particulière , Jo£»
JJaprat ; Aubère Ockeghuem , Richefort y
Adrien Filiart , JeanMouton , Verdtlot ,
Gombert , Laup-Louvart , Courtier , Cré-
quillon , Clément , Corneille Hont. On
compte parmi les vivans ^ Cyprien de la
Rofée , Jean Cuick , Philippe du Mont ,
Roland Laffé , Mancicourt , JfJJê Bafion j^
:,-,zf-,GoOglc
49^ Rifitxîons critiqués
Chnfiitn HoUand , Jac^tus Vas , Sort'
marcht^ , Sevefla Corna , Pierrt Hot ,
Gtrard Tomhoiu , Hubert VaUrandy Joi-
nts Btrdutas d' Aavtrs ^ André Ptvtr-
fiage , CoratU/e Verdonk , & plufiturs au-
tres répandus dans toutes Us Cours de la
Chrétienté t oà ils font combUs de biens (f
d'honneurs tomme Us Maîtres de cet Art.
£o effet la poftéritéde Moutoo& celle
de Verdelot ont été célèbres en Fran-
ce dans la musqué jttTqu'à nos jours.
On obfervera que Louis Guichardïn ,
oui mourut (a) Vannée de révénemeoC
de notre Roi Henri IV à la Courqnne ,
^ parte de la pofleflîon où étoient tes
Pays-Bas, de fournir l'Europe deMu-
ficiens , ainfi que l'Italie le rait aujour-
d'hui concurremment avec la Fiance ,
comme d'une pofleâion qui duroit de-
puis longtems.
Lltalie etle^même , qui penfe main-
tenant que les autres peuples ne fçaTcnt
en muâque que ce qu'ils ont appris
d'elle , faifoit venir les Muficiens de
nos contrées avant le dernier fiécle ,
& payoit alors le même tribut à l'art
4es Ultramontains , qu'elle prétend re-
cevoir aujourd'hui de tous les peuples
(») En tit9.
:,-,zf--„GoOglc
fur la Toîfit &fur ÛPànturc. 499
de l'Europe, l! me fouvient bien d'a-
voir lu dans les Ecrivains Italiens plu-
iîeiirs paflages qui le prouvent , mais
je crois devoir épargner au leâeur
la peine de les lire , & à moi celle
de les retrouver. Je ne penfe pas
qu*ii demande d'autres preuves que le
partage de Guîchardin que j'ai cité. Je
me contenterai dcmc d'alléguer encore
un pâffage du Corio , qui nous a doiv
né une Hiftoire de MiUn fi curieuie Se
fi connue de tous tes Cçavans. Dans
le récit que le Corio fait de la mort du
Duc Galeas Sforce Vifcomti » qui fut
aiTaâiné en 1476 dans t'Eglife de faint
Etienne de Milan , il dit ; (a) Le Du€
aimait beaucoup la Mujiqui , & mime U
ttaoit à/es gages une trentaine deMujîcieia
Ultramontains, aiifyuels il dojinoit dt gros
appointtmens. t/n ttenx nomme Cordiér ^
touckoit du Prince eint ducats par mois.
L*erreur de croire que les Italiens
foffent les reflaurateurs de la Mufiquft
en Europe , a jette le Poëte , dont je
prie , dans un autre erreur ; c'eft de
faire un Italien de Roland Laffé , un
des Muficiens des Pays-Bas , loué par
Guichardin. Ce Poëte le cite donc foos
>,:,-,zf-,GoOglc
'^oo ' RiJUxîons aiti^ttO
le ftom d'Orlando Laffo , & il nous dîc
qu'il fut un des premiers réparateurs
de la MuGque. M^s cet OrlandoLaf-
ib t quoiqu'on le trouve danS' quelques
Auteurs mal informés avec les deux
noms terminés à l'Italienne , n'en étoit
pas phis halien cjue le Feniioando Fer-
dinoTidi de Scarron, qui étoit natif de
Gaën en France, La méprife vient de
ce que Rc^and Laflé a pris à la tête de
pluneurs œuvres dont les paroles font
Latines , le fumotn ^OrUmdus Laffm ,
en lattnifant foR iumom fuivant Tu-
fage de ce tems-Ià. Quelqu'un préve-
nu que tout bon Muficien devoit être
Italien aura donné i ces deiix noms Ix
terminaifon Italienne, en les tradui-
fant en François. Rcdand LafTé étoit
François , ainô que la plupart des Mu-
ficiens cités par Guichardin ; à prendre
le nom de François dans fa fignilîcation
la [dus naturelle, qui efi de âgnifier tous
les peuplesdont la laïque maternelle eft
le François , fous quelque domination
qu'ils foient nés. Comme un honune
né à Strasbourg , eft Allemand y quoi-
Îu'il fcHt né fujet du Roi de France ,
e même un homme né à Mons en Hai-
na'ult eft François , <]uoiq^u'il foît né fu:
..Google
far ta. Po'ijîf Srfur la ■Peîruun. çot
iet d'un autre Prince , parce que la
langue françolTe eu dans le Hainault la
langue naturelle du pays. Or Roland
X^alTé^ qui mourut fous le règne de no-
tre Roi Henri IV , étoit de Mons , com-
me on le peut voir dans l'Hiftoire de
Monfieur de Thou , qui fait lui éloge
alTez long de ce Muiicien (<i). On ne
fçauroit même dire que Laffe puiffe être
xéputé Italien , parce que l'Italie auroit
été ia patrie d'éleûipn. Après avoir
demeuré en dif^rens endroits de l'Eu-
rope» il mourut au fervice de Guillau-
me Duc de Bavierre , & ii fut enterré
1^ Munich. Enfin ce Muficien eft poftéf
rieur à Gaudimelle & à phifieurs autres
Muficiens célèbres du tems de Henri II
& de François premier.
Revenons aux Opéra &c à l'énergie
que le chant donne aux vers. Ce que
1 art du Muficien ajoute à l'art du Poè-
te , fupplée en quelque façon à la vrai-
femblancç, laquelle manque dans ce
^peâacle. Il eu contre la vraifemblan-
,ce y me dîra-t'on , que des Aâeurs par-
lent tcwjours en vers Alexandrins ,
xom^eilsje font dans nos Tragédies
(Ordinaires, l'en tombe d'afcord; mais
:,-,zf--„GoOglc
50i Ri^ixtons aiùtjties
la Traifemblance eA encore bien ptus
choquée par des Aâcitrs qui traitent'
leurs pamoQE, leurs querelles & leurs
intérêts en chantant. Le plailîr que
nous fait la muûque , répare néanmoins
ce défaut. Ses expreffions rendent aux
Scènes des Opéra le pathétique <^ie le
manque de vraifemblance devroit leur
dter.
On ^e\ire donc aux Scènes touchan-
tes des Opéras , ainfi qu*»ix Scènes
touchantes des Tragédies qui fe dé*
clament. Les adieux d'Iphigénic i Cli-
teinnelire , ne firent jamais verfer plus
de larmes à l'Hôtel de Bourgogne ,
que la reconnoilTance d'ipbigénte &
«FOreflc en ont fait répandre à l'Opé-
ra. Defpréaux auroit pu dire de TAc-
trice qui faifoit le perfonnage d'ïphigé- .
nie dans l'Opéra de Duché, il y a
quelques années , ce qu'il a dit de
l'Aûrice qui faifoit le même perfbnna-
dans la Tragédie de fon anû.
Jimiîs Iphlf àii; en Anlidc îiniPoUe
N'i coulé tiDt de pkufiàl'GricciiirtmU^,
Cire d»ns FheuMUX {ftitKU à nos yf ui étali ,
En a fait foui Ton nom vcrfei la Chinintm. ^a)
{>) £p2:n i Raciac.
:,-,zf--„GoOglc
fur la Po'èjît & fur U Peinture. ÇOJ
.. Enfin les <ens font fi flattés par le chant
des récits , par l'harmonie qui les ac->
compagne ■, par les chœurs par les fym-
phonies £c par le fpeôacle entier , que
l'âme qui fe laifTe facilement féduire à
leur piaifir , veut bien être enchantée
par une lîâion dont l'illulion ell palpa-
We , poiu" ainfi dire. Ex ^oluptau Jides
fiafciair.
Je parle du commun des hommes.
Ainfi qu'il eft plufieurs perfonnes , qui
pour être trop fenfible à la muftque.,
6*en tiennent aux agrémens du chant,
comme à la richeiTe des accords, &
qui exigent d'un compofîteur qu'il fa-
crifie tout à ces beautés ; il eil auifi
des hommes tellement infenfibles à la
mufique ^ & dont l'oreille ^ pour me
■fervir de cette expreffiori , eft telle-
ment éloignée du coeur , que les chants
les plus naturels ne les touchent pas.
Il eu jufte -qu'ils s'ennuy enta l'Opéra.
L'art du Muficien ne fçauroit compen-
ser le plaifir que leur fait perdre le dé-
faut de vraifemblance ; défaut elTentiel
pour un Poëme , & cependant iniepa-
«ble de l'Opçra.
.Cooyic
^04 RIfitxîons croiras
SECTION XLVII.
Quels vers font Us plus propres à être mis
y\ PR ks cela j'oferai décider quegéné-
ralement parlant, lamuâque eil beau-
coup plus efficace que la Ample décla-
mation , que la muÂcpe donne plus de
force aux vers que la déclamation ,
quand ces vers font propres à être mis
en inufique. Mais il s'en 6iBt inBniment
que tous les vers y foient également
propres , & que la mufique leur puiflê
prêter la même énergie.'*
Nous avons dit, en parlant de lapoë-
fie duîlyle , qu'elle devoit exfirmter
avec des termes {impies les fentîmens;
.mais qu'elle devoit noui préfemer tcrui
Jes autres objets, dont eile par^e,
■ibusdes images &des peintures. Nous
-avons expoié , en parlant de la mu-
fique , qu elle devoit imiter dans feï
■chants les tons, les foupîrs , les ac-
cens , & tous ces Tons inarticulés de la
voix , qui font les fignes naturels de
nos fentimens & de nos palCons. Il
•eft
fuT la-PpéJie &fur la Pttniure, jo'y
,éff trèi-alfé d'infërer de ces deux vé-
-Tités, qne les vers qui contiennent des
fentimens , font très propres à être mis
■eii miriique ; 8c que ceux qui contien-
nent des peintures , n'y font pas bien
■propres.
■ La nature fournit elle-même, pour
• ainfi dire , leschants propres à exprimer
. les fentimens. Nous ne fçaiu-ions même
-^ononcer avec àfFeÛron les vers qui
■contienneirt des fentimens tendres &
. rouchans;, ùm& faire des foupirs , fans
employer d£S àccenis Se des ports de
voix qu'un hoipme doué du génie de
la mufique, réduit facilement en un
chant continu. Je fuis certain que Lullî
n*a pas cherché longtems le chant de
ces vers que dit Medée dans l'Opéra de
„théfée.- ■ ■ •
Il y a plus. L'homme de génie , qui
compofe fur des paroles femblables^
trouve qu'il a faît^ des chants . variés »
même fans avoir penfé à les diverfi-
.fier. Chaque femiment a fes tons , fes
accens & fes foupirs propres. Ainfi le
Muficien, en cgmpofant fur des vers ,
Totml, - Y
:,-,zf--„GoOglc
~50â RifUxions eriàpus
tels que œiut dont nous parlons i<3,-
fùt oes cli9nt5 auffi variés que la n»*
ture même efl variée.
Les vers qui contiejaoent des pein-
tures & des images ,6c ce qu'on ap-
pelle fouvent par excellence de la
-jKMÛe t ne donnent pas au Mu£cieo U
miine âcilité de Inen &ire. La nature
ne foi^t prefque rien i Texis-effioii.
L'art feul aide 1« Mufiden qui va»'
drwt mettre en chant des vers teb que
feux oii ComeiUe ^t une pôntweâ
^itagnifique duTtiiuiTirat.
i^ n^Eianc pir le ptîi lu crime cocoon^,
\.K tegà iUdi foB Ik pir & fcmme i%m^ :
1« 61stoiitd%Dat«iitdp«ic«ni«deI(»pcrB
Et&titeàU miindtiMftibaifiiafil^irc
fte.
En effet , le Mufîcien obligé de mt^F
tte en mufique de pareils vçrs , ne
trouveroit pas beaucoup de refiburçe
pour fa mélodie dans la déclamattcm
naturelle .des paroles. Il &ut donc
^*il fe jette dans dçs chants , plutôt
celles & impoians qu'expreffin ; fif
parce que la nature ne lui aide pas i
Varier ces chants,, il hut encore qu*3s
deviennent à la fti uniformes. C(>mme
ia mufique n'ajoute |»efque point ^é:
:,-,zf--„GoOglc
fkr la. P«^ &fur Ut Ptinture. ^Of
«lei^te aux vers , <lont la beauté con-
iîfte dans des images , quoiqu'elle ea
^moulTe la force en rallentiuant leur
prononciatioa. Un bon Poète Lyri-
<[ue , quelque ridie que fa veine puif-
ie être , ae mettra guéres dans fes ou-
vrages de vers pareils à ceux de Cor-
neille que j*ai âtés. Ainfi le reproche
<]u*on faifoit à M, Quînault , quand il
compofaiespremiers Opéra: Que fes
vers étoient dénués de ces images Sc
'>de ces peintures qui font le fublime de
3a Poëâe , fe trouve un reproche mal-
fondé. On coftiptoit pour un défaut
dans fes vers ce qui enfeifoit le mé-
rite. Mais on ne connoiffoit pas ett-
eore en France en quoi confifte le mé-
rite des vers faits pour être mis en
xnufique. Nous n'avions encore com-
pofé que des chanfons ; & comme'ces
fetits Poëmes ne font deftinés qu'à
exprefllon de quelques fentïmens ,
ils n'avoient pas donné lieu à faire
fur la Poëfie Lyrique les obferva-
tâons que nous avons pu faire depws.
Dès que nous avons eu fait des Opé-
ra, l'efprit philofophique , qui eft ex-
cellent pour mettre en évidence la
ItétUé , potuTu qu'il chemine à la fuite
Yij
:,-,zf--„GoOglc
1J08 RéjUxions trâl^ua
de Texpérience , nous a ùàt ttaavtl
que les Ters les plus remplis d'images;
ocgénéralement parlant les plus beaux,
ne font pas les plus propres à réuffir
«n mufique. 11 n'y a pas de comparai*
foB entre les deux Strophes que je vais
citer, quand elles font déclamées. La
{n-emiere eft de TOpera d«>Thefëe écrit
par Quinault.
Dont lepM, iniM»iite pùz.
Heumut . hcarcni un taac qd ne toui p«(di jawll
L'impîiof abic amour m'i taojODri pouriiiînc ,
' N'ftoit-tepwntiflèiduinaaiqa'ila'avah&itiï
Pourqutice Dicncnid trecdciuiiiTCiiixtnîu,
.Vient-il ÇDCMc irouUci k lefte de lU vie )
La féconde cil de ndille de Çceanx^
par Racine.
Df }■ gcoBdolcDt lei horrible! toofierrci
Pir qui Ibut bàlii les rcmpacu ,
Déjà maichait devMit lei éiendaru
Bellone Ict cheveux jpui,
Et Te flinoii d'^ioifer lei gnerm
Que rci fureuri fooffloient de loutei pini^
Il s'en faut beaucot^ que ces deta
Strophes n'ayent réuu paiement en
muûque. Trente perfonnes ont retenu
la première pour une qoi aura retemi
Jaiecondç, Ce^ieadan^'une âfj'autr^
:,-,zf--„GoOglc
fur la Patjù &fur la Peinture', fo^
Jbnt mifes en chant par Lullî , qui même,
avoit dix années d'expérience de plus ,
lorfq'uil compofa l'Idille de Sceaux.
Mais les premiers renferment les fenti-
mens naturels d'un cœur agité d'uiK
nouvelle paffion. Il n'y entre qu'une
image des phis fîmples , celle de l'a-
mour qui jlécoche Tes traits fur Me-
dée. Les v^s de Racine contiennent
les images les plus magnifiques dont la
Poëfie le puiffe parer. Tous ceux qui
pourront oublier un moment l'effet que
font ces vers , lorfqu'ils.font chantes ,
jH-éféreront , avec raifon , Racine i
Qiiinault.
On convient donc généralement aU'
jourd'hui que les vers Lyriques de .
Quinault font très-propres à être mis
en muftque , par l'endroit même qut
les faifoit critiquer dans les commen-
cemens des Opéra ; je veux dire par
le caraâere de ta Poëfie de leur flyle.
Que ces vers y fojent très-propres par
la mécanique de la compofition , ou
par l'arrangement des mots régardés
en tant que de ûmples fons , c'eft de
quoi il a fallu convenir dans tous le4 ,
tems, .
:,-,zf--„GoOglc
f lO JUfejiàms triti^aa
SECTION xLvnr,
Dts Zpimfcs Sr its Peiiiu$ m projet
J E comparcFois volontiers les Es-
tampes , oh l'on retrouve tout le ta-
bleau , à Texception du coloris , aux
Romans en profc , où Ton retrouve
la fiaion & le ftyle de la Poëfie. Ib
font des Poëmes à la mefnre & à la
rime près. L'invention des EAampes
& celle des Poèmes en profes , font
également heureuiès. Les Eftampes
multi[^!ent à rmffnî les tableaux des
grands Maîtres. Elles mettent à por-
tée d'en jouir ceur qne la diflânee*
des lieux condamnoit à ne les v<»r
jamais. On voit de Paris par le fe-
cotirs d'une Eftampe , les plus grao*-
des beairtés que Ka^ttaA ait petntes
fur les murs du VaticaUi Un partîcn^
lier peut même mettre dans fon ca-
binet tout fefpi-it & tonte la poëfie
qui font dans des chefe - d'oeuvres ^
dont les beautés fembloient réfervée*
pour les cabinets des Princes ^ ou de
ceux qui fc Ibnt rendus aulTi riches
:,-,zf--„GoOglc
fur la Po'ifii & fur la Ptînture. 5 1 1"
qii^eux , . en maniant leurs finances.
De même nous avons l'obligation à U
Poëfie en profe , de quelques ouvra-
fes remplis d'avantures vraifembla-
les & mervèilleufes à la fois ; cora^
tnc de préceptes fages & praticables
en même-tems , qui n'auroient peut-
être jamais vu le ]our , s'il eût fallu
fliie les Auteurs enflent affujctti leur gé-
nie à la rime & à la mefnre. Les Auteurs
de la Princeffe de Cleves & de Télé*
irtaqiie , ne nous aufoient peut-être
jamais donné ces Ouvrages , s'ili
avoiem dii les écrire en vers. Il eil
Ae beaux Poëmes fans vers , comme
il eft de beaux vers (ans poëfie , &
dé beaux tableaux fans im riche co-
loris.
■ Qu'on ne dife point que c'eft la par-
tie dw coloris qui conflîtiie le Peintre ,'
& qu'on n'cft Peintre qu'autant qu'on
fçait colorier. C'eftall^uer pourpreu-
re une queftion que je crois même de-
voir demeurer fans décifion. Expli-'
goons-nou».
:,-,zf--„GoOglc
{Il Ré/lexîoas eriilqius
SECTION XLIX.
Qu'il tft inutiU de dijpuur Jî la partit Ja
àeffdn & de l'txprtj^a tfi préférabl*
à celle du coloris.
1 / A perfeûion du deffein & celle du
coloris font des chofes réelles , & fur
Jefquelles on peut dilputer &. conve-
nir à l'aide d'un compas ou de lacoai'
paraiibn. Ainâ les peribiuies intelli-
gentes conviendront bien entre elles
du rang que le Bnui tient entre les
Compoûtetirs & les Deûînateiirs ,
comme du rang du Titien entre les Co-
Ibriftes. Mais la quefHon , ii le Brua
eft préférable au Titien ; c'eft-à-dire,
£ la partie de la compofitîon poétique
& de l'expreffion efl préférable à celle
du coloris , &c laquelle de c^s parties-
cft fiipérieure à l'autre : je tiens qu'il
çft inmile de Tagiter. Jamais les per-
sonnes d'un fentiment oppofé , ne içau-
roient s'accorder fur cette prééminent
ce dont on juge toujours par rapport à
foi-même. Suivant, qu'on eft plus ou
moins fenûble au coloris , ou bien i
:-„r., Google
fut ta Poêjîe &fur la Peînturt. J i J ,
la Poëâe pittorefque , on place le Co-
Iprifte au-defTiis du Poète , ou le Poëte
au-deffns du Colorifte. Le plus grand
Peintre pour nous eft celui dont les
cuivrages nous font lu plus de plailir.
, Les hommes ne font pas affeflés
également par le colons , ni par l'ex-
preflîon. Il en eft qui , pour ainfi dire ,
ont l'œil plus voluptueux que d'autres.
Leurs yeux font organifes , de ma-
nière que l'harmonie & la vérité des
couleurs y excite un fentimcnt plus -
vif que celui qu'elle excite dans les
yenx des autres. Un autre homme ,
clont les yeux ne font point conformés
auflî heureufement , mais dont le cœur
eA plus fenfible que celui du premier ,
trouve dans les expreflions touchantes
un attrait fupérjeur au plalfir que lui
donnent l'harmonie & la venté des
couleurs locales. Tous les hommes
n*ont pas le même fens également dé'^
licat. Les uns auront le fens de la
vue meilleur à proportion que les,
autres fens. Voilà pourquoi les uns'
préfèrent le Pouflin au Titien ,
?uand d'autres préfèrent le Titien au'
ouffin.
. Ceux qui jugent fens réflexion,'
Y V
:,-,zf--„GoOglc
fi4 Rlfltxîans cmtqms
ns manquent pas de Tuppofer y en
faifant leurs jugemens , que les objets
affeftent înténeurement les autres ,
amfi qu'eux-mênres ils en font affec-
tés. Celui qui défend la fupériorité du
PouiSn, ne conçoit donc pas qu'oa
ptrifle mettre an-deflns d'un Poëte,
dont les inventions lui donnent nn
plaifir fenâble , un Artifan qui n*a
içu que dîrpofer des couleurs , dont
ITiarmonie & la richeffe lui font un
plailn- médiocre. Le partifan du Titien
de Ton câté » plaint le partifan du
Pou£En , de préférer un Peintre qui
n'a pas fçu charmer les yettx ; &: ce-
la pour quelques inventions do« il
jnge que tous tes hommes ne doivent
pas être beancpiip touchés , parce que
lui-même il ne l'eft que médiocrement.
Chacun opine donc en fuppofant ,
comme une chofe décidée, que ta
partie de la peimra-e qui lui plaît da-
vantage , eft U partie de FArt qui
doit avoir le pas fur tes autres ; & c'eft'
en fiiivant le même principe , que les
hommes iè trouvent dlin avis oppofé,
trahît fua qutm^iu voluftas. Ils anroient
raifon , û chacun fe contentoit de ju--
ger pour foi. Lem* tort efl de vou^
:,-,zf--,;Googlc
furtaPoifie &furlttPiîntuTe. yVf
loir juger pour tout le monde. Mais
les hommes çroyent natiireltement que ■
leur goût eft le bon goût ; & par con-
ftqiicnt ils penfent que les perfonnes'
qui ne jugent pas conrmc eux, ont
les organes impariàits , ou qu'elle»
fé laiffent conduire à des préjugé»
qiti les gouvernent , fans qrfellej-
mêmes s apperçoivent du pouvoir de :
la prévention.
Qu'on change les organes de ceux
à- qtit Pon vondrott faire changer de
fcntinrent fur les chofes qui font pu-
rement de goftt ; on ^ pour mieux dire ,
mie draain demeuredans fon opinion ,
fans blâmer l'opinion des autres. Vou-
loir pcrfuader à un homme qui préfére
le caloris à l'expreffion , en-ïuivant fou
firopre fentiment, qn'il a tort: c'eft:
ni vouloir perfiiader de prendrepIiTS
de plaifir à voir les tableaux du Poiif-
fin que ceux du Titien. La chofe ne!
dépend pas plus de hti qu'il dépend
<i*un homme dont !e palais eft confor-
mé, de manière que le vin de Cham-
pagne lui fait plus de p!aifir qtre le vin '
çl*Efpagne , de changer de goût , &'
d'aimer mieux le vin d'Efpaghe que
Tautre.
Yvj
:,-,zf--„GoOglc
Yl6 Rifitxtoas crhiquti
La prédile^ion qui nous fait donner
la préférence à une partie de la pein-
ture fur une autre partie , ne depen4
flonc point de notre raifoo , non plus
que la prédileûion qui nous fait aimer
un genre de poëfle préférablement aux
autres. Cette prédileâioji dépend de
notre goût , Se notre goût dépend de
notre organifatioo , de nos inclina-
TÎons preientes & de ta iituatioD de
notre efprit. Quand notre goût change ,
ce n'en point parce qu*on nous aura
perfuadé d^en changer; mais c'éft qu'il
eft arrivé en nous un changement phy-
sique. Il eft vrai que fouveni ce chan-
gement nous a été infeniible , & que
nous ne pouvons même nous en ap-
percevoir qu'à l'aide de la réflexion ,
parce qu'il s'efl fait peu à peu &(. im-
perceptiblement. L'âge & pluGeurs
autres caufes produiient en nous ces
fortes de changemens. Une paflîontrif-
te nous fait aimer durant im tems des
livres aflbnis ànotre Inimeiu- préfente.
Nous changeons de goût aufli-tôt que
nous fommes confoles. L'homme , qui
durant fon enfance , frouvoit plus de
plailtr à lire les Fables de la Fontaine ,
que les Tragédies de Racine , leur pré-:
:,-,zf--„GoOglc
furU Poêjû & fur ÎAftlmure. ^17.
ftre à trente ans ces mêmes Tragédies,
Je dis préférer & aimer mieux , & non
pas louer & blâmer : car en préférant
la leûiire des Tragédies de Racine à
celle des Fables de la Fontaine , 01^
né laifTe p%& de louer & même d'ai-
mer toujours ces Fables. L'homme ,,
dont je parle , aimera mieux à foixante"
ans les Comédies de Molière » qui lui,
remettront iï bien devant les yeux le.
monde qu'il a vu , & qui lui fourniront
des occafions fi fréquentes de faire des
réflexions fur ce qu'il aura obfervé
dans le cours de fa vie , qu'il n'aimera-.
les Tragédies de Racine » pour lef-
mielles il avoit tant dégoût, lorfqu'it
etoit occupé des paffions que ces piè-
ces nous dépeignent. Mais ces goûts
particuliers n'empêchent pas les nom-,
mes de rendre juftice aux bons Au-,
leurs , ni de faire le difcernement de ,
ceux qui ont réuflî , même dans le genre ,
pour lequej ils nont point de prédilec--
tion. C'eft fur quoi nous nous éten-
drons davantage à la 6n de la fecondd
partie de cet Ouvrage.
u,:,-,zf--„GoOglc
yi8 Rifiexîons cntîqnei
SECTION L.
10e ia Sculpture , Ja talent qu'elle Je-'
' mande 3 & de l'Art da Bas-reliefs,
X o u T ce qtie nous avons dît tou-
chant rordonnance 8c Texpreffion des
tableanx , pent aufli s'appliquer à la
Sculpture. Le cizeau ett capable d'i-
miter , & dans les mains d'un homnw
de génie, il fçait intérefler prefqu'aii-
tant que le pinceau. II eft vrai qu'on;
pËW être lu» bon Sculpteur, fans avoir
autant d'invention qu'il en faut pour
être un excellent Peintre; mais fi la
Poëfie n'eft pas fi nécefîaire au Sculp-
teur, un Sculpteur ne laiffe pas d'en
faire un ufage qui le met fort au-
defliis de fesconcurrens. Nous voyons
«îonc par plnfieurs produ£Hons de la
Sculpture , qu'entre les mains d'un
homme de génie , elle eft capable des
^us nobles opérations de la Peinture.
Telle étoit l'hiftoire de Niobé , repré-
fentée avec quatorze ou quinze fta-
tuës liées entre elles par une même
aâion. On voit à Rome dans la Vigne
fur ta Poêfie &fur ta Psnturt. y ! çf
cTc Médicis, les fçavantes reliques de
cette compofitlon antique. Tel ^toic
le Grouppe d'Alexandre bleffé , &
foutenu par des foldats , dont le Pat-
miin & le Torfe^ de Belveder font des
figures. Pour parler de la Sculpture
moderne , teïs que font le tombeait
du Cardinal de Richelieu « & Ten-
levement de Proferpine par Girar-
don , la Fontaine de la Place Na-
vonne , & l'extafe de Sainte Thë-
refe par le Bernin, comme le grand
bas-relief de l'Algarde qui reprefente
Jaint- Pierre 6c faint Paul en l'air
menaçans Attila , qui venoit à Rome
pour la faccager. Ce bas-relief fèrt
d'e tableau à un des petits Autels d&
la Bafilique de faint Pierre.
Je ne fçai point même s'il ne faut,
pas plus de génie pour tirer dn mar-
bre «ne compofîtion pareille à celle
de l'Attila , que pour la peindre fiir
une toile. En effet , la poëlte & les
e^prelKons en font atim touchantes
que celle du Tableau oti Raphaël a
traité le même ftijet ; & l'exécution
ùa Sculpteur qui femble avoir trouvé
le clair-obfcur avec fon cifeau , me
paroît d'un pluigrand mérite. que celle ■
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^XO Kéfoxîons enùqmr
du Peintre. Les figures qui font fv^
le devant de ce fuperbe morceau font
prefque de ronde bo0e. Elles font de
véritables ftatues. Celles qui font der-
rière, ont moins de relief, & leurs
traits font plus ou moins marqués ,
félon qu'elles s'enfoncent dans le loia-
btin. Enfin la composition finit par plu*
fieurs figures , deffînées fur la fuperfi-
çîe du marbre par de fimples iraits.
Je ne prétends pas louer l'Algarde ,
d'avoir tiré de fon génie la première
idée de cette exécution , ni d'être l'in-
venteur du grand art des bas-reliefs ;
mais bien (Tavoir beaucoup perfec-
tionné par l'ouvrage , dont il s'agit
ici , cet art déjà trouvé par les Mo-
dernes.
Nous ne voyons pas du moins dans
les morceaux de la Sculpture Grec-
que ou Romaine qui nous font reliés,
que l'art des bas-reliefs ait été bien
connu des Anciens, Leurs Sculpteurs
ne fçavoient que couper des figures
de ronde bofie par le milieu ou par.
le tiers de leur epaifleur , & les pla-
quer ^ pour aînfi dire , fur le fond du
bas-relief, fans que celles qui s'en-
fonçoient , fiiflent dégradées de lu-
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Jurla Poéfie ^ fur la Pihiture. 511%
miere. Une toiir mû paroît éloignée de ,
cinq cens pas du devant du bas-relief; ,
à en juger par la proportion d'un foldat ,
monté iiir la tour , avecles perfonnages :
placés le plus près du bord du plan ; ;
cette tour, dis-je eft taillée, comme fî,
Ton la voyoit à cinquante pas de dif-
tance. On apperçoit diftinâement l^
jointure des pierres, & l'on compte
les tuilles de la couverture. Ce n eft
pas aînli que les objets Ce préfentent
a nous dans la nature. Non-feulement-
ils paroilTent plus petits , à mefiire
qu'ils s'éloignent de nous; mais ils fe
confondent encore , quand ils font à une
certaine diAance, à caufe de l'inter-
pofition de la maffe de l'air. Les Sculp-.
teurs modernes , en cela mieux inAniîts
que les anciens , confondent les trait»
des objets qui s'enfoncent dans le bas-,-
relief, & ils obfervent ainû la perfpec-
tive aérienne. Avec deux ou troispou-
ces de relief, ils font des figiu-es qui
paroiïïent de ronde boffe , & d'autres
qui femblent s'enfoncer dans le loin-
tain. Ils y font voir encore des pay-
sages artillement mis en perfpeûivë
par une diminution de traits, lefquels
étant non7fculement plus petits, maî^^
:,-,zf--„GoOglc
511 RÂJtésiUlts eritiqtm
encore ffioins marquas » & fe con^n»^
dam même dans Téloigneroent , pn>*
duifcnt i peu près le même effet ea
Sculpture ,q ue la dégradation des cou'
leurs fait dans un tableau. On peut
donc dire que' les anciens n'avoîent
point l'art des bas-reliefs , aalE parfit
que nous l'avons aujourd'hui, qurâ-
3u*on voye des figures admirables dans
es bas-reliefs antiques. Telles font
les Danfeufes du Louvre copiées d'a-
près le bas-retief antique qtii eft àRome^
& que tant de Sculpteurs hatntes ont
I»ires pour étude.
Je ne trouve donc pas que larécoffl*
penfe de l'AIgarde , à qui le Papcinno*
cent X donnartrente mille écns pour
ibn bas- relief, ait été exceffire* Je k-
to\s voir encore que le Cavalier Ber-
inn & Girardon ont mis atnant de poë-
fie que lui dans leurs ourraws , fije ne
craignois d'ennuyer mon leCTcnr. Je de
raponerai donc de toutes les inven-
tions du Bernin , qu'un trait qu'il a
placé dans fa Fontaine de la place de
Navonne , pour exprimer une circonf-
tance particuRere au cours du Nil ; que
fa fource foit inconnue , & que , cont-
re le dit Liicain^ la nature n'ait pa;
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furlaPoi^t tffittUPtîntun. f i^
TOulu qu'on ait pût voir ce ficuve foiu)
lafimne d'un nulTeaur
Ârcanum ruvwa tfifut non protuf il alli ,
tftc lukir pefulU paryum et, Nlli, tiiai,
La ftattte qui repr^r«nre le Nil , SC
qne le fiemin a rendue recotlnoilTable
par les attributs que les Anciens onf
alHgn^s à ce 6euve , fe couvre la tête
d'un voile. Ce trait qui ne fe trouve pas-
clans l'antique , &c qui appartient au
Sailpteur , exprime ingénieiilemenr
l'inutilité d^un grand nombre de tenta-
tives, qwe tes Anciens Scies Modernes-
avoient faits pour parvenir jiil'qu'aux
iburces du Nil , en remontant l'on ca-
nal. L'allégorie du fiernin déligne no-
blement que le Nil a voulu cacher la'
foarce. Voilà ce qu'on croyoit encore
coromuRément à Rome fous le Pontifi-
cscd'imiocentX., quand leBeminfitHi
Fântaine. Il eft vrai que les perfonnes
curieufes T dévoient avoir déjà con-
noiffance des décotivertes du Père Ma-
nuel d'Alm^a & du Père Hieronimo
Lobo , quoique l'hifloire de la haut»
Ethiopie du Fere Tcllez , qui le pre<>
niier a donné ces découvertes au pu-
blic^ ne fût pa5 encore imprimée. ËUç
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f44 Rifexions eriuquts
qe parut que fix ans après la mort d*Ià^
nocem X (a.\ Mais les relations parti-
culières que les Jéfuites Portugais
avoient envoyées à Rome , & ce qu'en
avoit raconté ceux d'entre eux qui
ëtoient repafl<£ en Europe « dévoient y
avoir appris déjà aux curieux comment
Soient faites tes Cources du Nil C ^ )
qu'on avoit enfin découverte» oans
PAbyffinie.
Les &tts merveilleux font encore vé-
ritables pour les Poètes de tout genre,
longtems après qu'ils ont cefle de l'être
pour les Hiftoriens & [>our les autres
Ecrivains , dont la vérité eft le premier
objet. Je penfe même que fur beau-
coup de faits de Phyiîque , d'Aflrono-
mie & de Géographie , les Peintres ,
les Poètes & les Sculpteurs doivent s'en
tenir i l'opinion communément reçue
de leur tems , quoiqu'elle foit contre-
dite avec fondement par les Sçavans.
Âinlî le vol de l'hyTondelle qui rafe la
terre « fera pour le Poète un vol timi-
de , quoique ce vol foit très-hardi pour
Borelli, & pour 'les autres Sçavans,
1^ ont étudié les mouTemens desani;. |
....Google
fur la Poljît &fur la Pànture. 515
maux. La femelle d'une ruche d'Abeil-
les fera le roi de l'eflain , & on lui at-
tribuera encore tout ce qui peut avoir
été dit d'ingénieux fur ce roi prétendu
qui ne porte point d'aiguillon. Je ne
difconviens point que ces vérités de-
venant plus communes avec le tems ,
il ne faille un joiu- que les Poètes s'y
conforment. Mais ce n'eft point à eux
de les établir , ni de choquer , pour les
établir , Topinion vulgaire, a moins
qu'ils n'écriviflent de ces Poèmes que
nous avons appelles des Poèmes dog-
matiques.
FIN du prmur Tome't
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