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Full text of "Réflexions critiques sur la poësie et sur la peinture"

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RÉFLEXIONS 

CRITIQUES 

SUR  LA  POÉSIE 
E  r 

SUR  LA  PEINTURE. 


RÉFLEXIONS 

C  R  IT  I  (lU  E  s 

SUR  LA  POÉSIE 

ET 

SUH  LA  PEINTURE. 


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RÉFLEXIONS 

CRITIQUES 

SUR  LA  POÉSIE 

E  T 

SUR  LA  PEINTURE. 

Par  M.  l'Abbé  DU  B O  S,  l'un  dei  Quarante,  9( 
Secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  Fran^oilê. 

SIXIÈME  ÉDITION, 

PREMIERE    partie; 

K  Piflura  Païft.    Hor,deAit.P«éti 

A      PARIS, 
Chez  PlSSOT,QuaideConti,àlaSageflèi 

M.  Dec.  L  V. 
,lfTC  MtKOSAWH  SI  PJimMfi  BU  W. 


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AVERTISSEMENT. 

J  E  tâche  dans  la  première  Partie  de 
cet  Ouvrage  ,  d'expHqueren  quoi  con- 
fifle  princi|>aléiflent  la  beauté  d'un  ta- 
bleau Se  la  be'autè  d'Un  Poëme  ,  que! 
mérite  t'un  Sç  l'autre  iU  peuvent  tirer 
de  l'ebfervation  des  régles^,  &  quel 
iecours  enfin  les  produâions  de  la  Poe- 
fie  &c  celles  de  la  Peinture  peuvent 
■eraprunteT  des  autres  Arts ,  pour  fe 
montrer  avecf^u&d'avaiitàge. 

Dans  la  féconde  Partie ,  je  traite  des 
qualités ,  foit  naturelles ,  fcvit  acquifes  , 
qui  font  les  grands  Peintres  comme  les 
grands  Poètes ,  &  j'y  cherche  h  caufe 
qui  a  pu  rendre  quelques  fiécles  fi  fé- 
conds ,  &  \éi  autres  fîédes  ft  Aériles 
en  Artifans  célèbres.  J'examine  en- 
fuite  comment  la  réputation  des  Arti*- 
Ëins  iluftres  S'établit  ;  à  quels  fignes  on 
peut  prévoir  fi  la  célébrité  où  ils  font 
de  leur  tems  ,  efl  un  renom  durable  y 
.  ou  bien  une  vogue  palTagere  ;  &  quels- 
Jbnt  enfin  les  préfages  fiu-  la  foi  def- 
quefs  il  cÛ  permis  d'augurer  que  Ta  re~ 
Bonunée  d'un  Peintre  ou  d'un  Poctc: 


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vanté  par  fes  Cottieffl^aiiw  ;  ira  toù- 
jours  en  augmentant ,  de  manière  qu'il 
fera  plus  prifé  enco/é.  dans  \es  fiécles 
avenir,  qu'il  ne  l'a  été  dans  le  fieo. 
La  trcû&éme  partie  de  cet  Ouvrage 
eft  uniquegient  employée  à  l'ezpou- 
tîon  de  quçlqdes'  4^9^"^^^^^'  que  je 
penfe  avoir.  iàitflE,  Ç4»c«^n^nt  les  re- 
préfematioa  théâtrale;  des  Anciens* 
Dans  les  Editions  p«éeéde«te&  dç  mon 
Livre  ,  cette  expoâtionfe.  trouve  dans 
la  première  Partie,  ^e  l'avois  placée  à 
l'endroit  de  l'Ouvrqge  ,  où  le  fu)et  pa- 
roiHoit  l'amefier.  Maison m'aâit  ob- 
server que  ma  digreffion  inférée  oii 
elle  l'étoit,  faifoit  perdre  jde  vue  trop 
longtems  la  matière  principale.  Ainû 
j'ai  fuivi  le  confeil  qu'on  m'a  donné , 
d'en  faire  un  Volume  féparé  ,  &  je  l'aî 
fiiivi  d'autant  plus  voloat^rs ,  que  les 
augmentations  que  j'avoîs  #  faire  à  la 
dtuertation  dont  il  s'agit  auroit  ren^a 
taa  &ute  dacore  plus  grabde. 


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TABLE 

DES     MATIERES. 

PREMIERE    PARTIE. 

Seûion  I .  De  la  nice^té  d'être  occupé 
pour  fuir  fenui;  &  dt  Courait  que  les 
mouvemeus  dtspaffions  ompauries  hom~ 
mes  f  page  5 

Seft.  1.  De  l'attrait  des  SpeSacles propres 
a  exciter  en  nous  une  grojide  émotion. 
Des  Gladiateurs.  IX 

Seâ.  3.  Que  lemerite principal  des  Poèmes 
&  des  Tableaux  conjlfle  à  imitef  les  ohjets 
qui  auroient  excité  en  nous  despa^ons 
réelles.  Les  payons  que  ces  imitations 
font  naîtrf  en  nous  j  ne  font  que  fuperfi- 


cielles. 


ïT 


Seâ.  4.  Du  pouvoir  que  les  imitations  ont 
fur  nous ,  &  delà  facilité  avec  laquelle 
le  cœur  humain  eftému.  i  ç 

SeÛ.  ^.  Platon  ne  bannit  les  Poètes  de  fa 
République  ,  qj^à.  caufe  de  timprejîon 
trop  grande  que  leurs  imitations  peuvent 
faire.  44 

Seft.  6,  De  la  nature  des  fujets  que  les 
Peintres  &lt  s  Poètes  traitent,  Qu'ils  n 
aiij 


.Cooyic 


TABLE 

fçaurolent  Us  choijlr  trop  inténjfans  ptw 
tux-mênte\  5  x 

Seft.  7.  Que  la  Tragédie  nous  affecte  plus 
que  la  Comédie ,  à  caufe  de  la  nature  des 
fujets  que  la  Tragédie  traite,  çy 

Seâ.  8.  Des  différeni  genres  dt  la  Poefie.^ 
&  de  leur  caraSere.  63 

Seâ.  9.  Comment  on  rend /es  Jujets  dog- 
matiques intértjfans.  6  % 

Seâ.  10.  ObjeSion  tirée  des  tableaux  ,  & 
faite  pour  montrer  que  l'art  de  Vimita" 
tiàniruérejjeplusqutlefujetmêmederi- 
mitation.  69 

Seâ,  1 1 .  Que  Us  beautés  de  Vexécution  ne 
rendent  pas  Jiitles  un  Poème  un  bon  our- 
vrage ,  comme  elles  rendent  un  Tableau 
un  ouvrage  préàeux,  7  3 

Seâ.  1 2.  Qu'un  ouvragp  nous  intérejfe  en 
deux  manières  :  comme  étant  un  homme 
en  général ,  &  comme  étaht  un  certain 
homme  en  particulier,  yç 

Seâ.  13.  Qu'il  t(i  des  fujets  propres  fpé- 
ciaUment  pour  la .  Poejie ,  &  d'autres 
Spécialement  propres  pour  la  Peinturs^ 
Moyen  de  Us  reconnaître.  84    ' 

Exemples  des  fujets  propres  à  réujftr  en 
peinture.  97 

Des  fujets  connus.  De  ccifx  qu'g  le  font 
moins,  fio 


- -Google 


TABLE 

Se£l.  14.  Qu'il  cfi  mime  desfujttifpéàa' 
liment  propres  à  certains  genres  de  Po^ 
J!e&J4- Peintures.  Des  fujets  propres  à 
la  Tragédie.  1 1  j 

Seâ.  15.  Des  perfonnû^s  de  fcélerats 
qu'on  peut  introduire  dans  Us  Tragé- 
dies, 1 10 

Sed.  16.  De  quelques  Tragédies  dont  le 
fujet  eji  mal  choijî.  1 1 Ç 

Se3.  17.  S'ilejl  à  propos  de  mettre  de  ta- 
mour  dans  lès  Tragédies.  i  jo 

Seû.  1 8".  Que  nos  voifins  di/ént  que  nos 
Poètes  mettent  trop  d'amour  dans  leurs 
.  Tragédies.  1 38 

Se£ï.  if).  Delà  galkruerie  qui  eji  dans  nos 
Poèmes.  149 

Seâ.  iO.  De  quelques  maximes  ip/ilfaut 
obferver ,  en-  traitant  des  fujets  tragi- 
ques. 1 5.^ 

Seû.  it.  Du  choix  des Ju/ets  de  Comédies. 
Où  il  en  faut  mettre  la  feint.  Des  Co- 
médies Romaines.  164 

Différentes  efpeces  de  Comédies  ché^  Us 
anciens  Romains,  168 

Seâ.  lî..  Quelques  remarques  fur  la  Poo- 
Jîe  Pafiorale  Sf  fur  les  Bergères  des 
Egloguts.  179 

Se£t.  2  j .  Quelques  remarques  fur  le  Poemc 

Epique,  Obferyation  touchant  le  Htu  &  U 


■,r  ..Google 


TABLE. 

ttms  0*  il  faut  prendre  fort  action^    l^-f 

Sed.  14.  Des  a&iorts  allégoriques  &  des 
perJÔTiTiages  allégoriques  par  rapport  à 
la  Peinture.  191 

Sed.  1^,  Des perfonnages&  des aSions  al- 
légoriques par  rapport  à  la  Poejlt,    llj 

SeÛ  i6.  Q^ue  les  Jujets  ne foTU point  épui- 
Jes  pour  les  Peintres.  Exemples  tirés  des 
Tahleaux  du  Crucifimtnt.  232 

StOc.  17.  Que  les  fujets  ne  font  point  épui- 
fés  pour  les  Poètes.  Qu'on  peut  trouver 
de  nouveaux  caracleres  dans  la  Comé- 
die. 238 

Sefl,  18.  De  la  vraifemblanct  en  Poe- 
fie.  :  248 

Seû.  19.  Si  les  Poètes  tragiqiies  Jont  obli- 
gés defe  conformer  à  te  que  la  Géogra- 
phie ,  l'Hifioire  &  la  Chronologie  nous 
apprennent  pofitivement.  Remarques  à 
et  fujetfuT  quelques  Tragédies  de  Cor- 
neille &  de  Racine,  256 

Seâ,  30.  De  la  vraifemblanct  en  Peintu- 
re ,  &  des  égards  que  les  Peintres  doivent 
aux  traditions  reçues.  168 

Seû.  j  I .  De  la  di(po{îiion  du  Plan.  Qu'il 
faut  divifer  tordonnance  des  tableaux 
en  compbfition  Poétique  &  en  compofi' 
lion  Pittorefjue,  28  O 

Seû.  31.  De  l'importance  des  fautes  ^e 


■  iCoo^lc 


TABLE 

Us  Peintres  &  les  Poètes  peuvent  faire 
contre  Us  regUs.  lS.9 

Seâ.  33.  De  /a  Poejîe  du  fiyle  dam  la* 
quelle  les  mots  font  regardés  en  tant  que 
lesjîgnes  de  nos  idées.  Que  c'eflla  Poejîe 
du  fiyle  qui  fait  la  defiinée  des  Pontes, 

SeQ.  34.  Du  motif  qui  fait  lire  Us  poefiesi 
Que  Con  n'y  cherche  pas  rinfiriiaion 
comme  dojis  Us  autres  livres.  304 

Se£t,  ^^.  De  la  mécanique  de,  la  Poefe  qui 
m  regarde  les  mots  que  comme  de_fimpUs 
fons.  avantage  des  Poeus  qui  ont  com* 
pofé  en  Latin  ,  fur  ceux  qui  eompoftnt 
en  François.  51J 

Fers  de  CAbbé  de  Ckaulieu.  3  ;  5 

Se&.  36.  De  la  Rime.  358 

Seâ.  37.  Que  les  mots  de  notre  iangue  na- 
turelle font  plus  d'impreffÎQnfur  nous 
que  Us  mots  d'uru  langue  étrangère.  ^65 

Seâ.  38.  Que  Us  Peintres  dutems  dt'Ra- 
phaïl  n'avoiem  point  d'avantage  Jur 
ceux  d'aujourd'hui.  Les  Peintres  de 
V  antiquité.  3  70 

De  quelques  Statuts  &  Groupes  anti- 
ques. 399 

Seft.  39.  Enquelftns  onpeutdtre  quela 

nature  fe  Joit  enrichie  depuis  Raphaël. 

40a 


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T  A  F  L  E: 
SèÔ.  40.  5/  le  pouvoir  de  la  Pànturtfur 

ks  ftomnus  ejlplus  grand  ^ue  le  pouvoir 

delàPoeJîe.  41  ( 

Seâ.  4 1 .  i>e  lafimple  récitation  &  deût 

déclamation.  41^ 

ScSt.  42.  De  notre  ntaniere  de  réciter  la 

Tragédie  &  la  Comédie.  44 1 

Seâ.  43'.    £.1»  le  plaijîf  quer  nous  avons 

au  théâtre  liefi  point  Vaffet  de  VUlufioit, 

4ÎÎ 

5e£l.  44<  Que  les  Poèmes  dramatiques  pur^ 
gent  Uspaffions.  4^j> 

Seifti,  45.  De  la  Mujîque  proprement  dite. 
46» 

Seft.  46.  Quelques  rèfiexioitsfur  laMuJt' 
que  des  halïeas.  Que  les  Italitns  n'ont 
cultivé  cet  art  qu  'àpris  Us  François  &  Us 
Flamands.  '  48^ 

Seft.  47.  Quels  vers  font  les  plus  propre» 
à  être  mis  en  mufique.  Y>4. 

Sefl.  48.  Des  Efiampes  fr  des  Poïme»  . 
enprofe.  510 

Seâ.  49.  Qi^ilefiinutiUdtdifiuterJi'la 
partie  du  deffeinSf  de  l' expreffion  efi pré- 
férable à  la  partie  du  coloris.  512 

Seâ.   50.    De  la  Sculpture  ,   du  talent 

quelle  demande ,   &  de  l'an  des  Bas- 

rdiefs.  5.18 

Fin  de  la  Table* 


.Cookie 


REFLEXIONS 

CRITIQUES 

SUR  LA  POESIE 
SUR  LA  PEINTURE. 


PREMIERE  PARTIE, 

CJN  éprouve  tous  les  jours  que  les 
vers  &  les  tableaux  caufent  un  plaîiir 
lenfible  ;  mais  il  n'en  elt  pas  moins 
difficile  d'expliquer  en  quoi  confifle  ce 
plailir  qui  reffemble  fouvent  à  r;.fflic- 
lion  ,  &  dont  les  llmptomes  font  quel-* 
quefois  les  mêmes  que  ceux  de  la  plus 
vive  douleur.  L'art  de  la  Poëfie  &  l'art 
de  la  Peinture  ne  font  jamais  plus  ap* 
plaudis  que  lorfqu'ils  ont  réuflî  à  nous 
aiBiger. 

La  repréfentation  pathétique  Ai  Sa- 
crifice de  la  fille  de  Jepthé  enctiaffés 


■„r., Google 


t"  Réfitxions  crîàqttts 

dans  une  bordure  ,  fait  le  plus  bel  or-> 
nement  d'un  cabinet  qu'on  a  voulu  ren.- 
4ire  agréable  par  les  meubles.  On  né- 
glige ,  pour  contempler  ce  tableau  tra- 
gique ,  les  fujets  grotelques  &Jes  conb- 
pofitions  les  plus  riantes  des  Peintres 
galants.  Un  poëme ,  dcmt  le  .fujet  prin- 
cipal eu  la  mort  violente  d'une  jeune 
Princeffe ,  entre  dans  l'ordonnance  d'u. 
ne  fSte  \  &:  l'on  deftine  cette  tragédie 
à  faire  le  plus  grand  plai^  d'une  com* 
paghie  qui  s'àffeijiblera  pôurfe  diverj- 
tir.  Généralement  parlant,  les  hommes 
trouvent  encore  plus  de  plaifu-  à  plçu- 
ler  ,  qu'à  rire  au  théâtre. 

Enfin  plus  les  aÛions  que  la  Poefîe  fie 
la  Peinture  nous  dépeignent ,  auroient 
fait  fouffrir  en  nous  Hiumanité  fi  nous 
les  avions  vilps  véritablement ,  plus  les 
imitations  que  ces  Arts  nous  an  préfen- 
tfcnt  ont  de  pouvoirfur  nous  pour  nous 
a'ttacher.  Ces  allions  ,  dit  tout  le  mon- 
de ,  font  des  fujets  heureifx,  Un^  charme 
feci  et  nous  attache  donc  fur  les  imita^f" 
tion*  que  les  Peintres  &C  les  Poètes  en 
fçavent  faire  ,  dans  le  tems  même  que 
la  nature  témoigne  par  un  frémifTement 
iiitérieur  qu'elle  fçfouleve  çonti;©  fôfï 
jpropre.  plaifir»  '         :   ■ 


■  C.oo.jlc 


fitr  la  i^o<fa  &fur  ia  P^nturt.  \ 
J'ofe  entreprendre  d'édaitcir  ce  pa- 
radoxe ,  &  d'expliquer  l'origine  du  plai* 
fir  que  nous  font  les  vers  &  les  ta- 
bleaux. Des  eotreprifes  moins  hardies 
peuvent  paffer  pour  être  téméraires  , 
puifque  c'eft  "vouloir  rendre  compte  à 
chacun  de  fon  a^^obatton  &  de  fes 
dégoûts  i  c'eft  vouloir  inftruire  les  au- 
tres de  la  manière  dont  leurs  propres 
fentinens  uaiHent  en  eux.  Ainû  je  ne 
fçaurois  efpérer  d'être  aj^rouvé  ,  fi  j« 
ne  parviens  point  à  faire  reconnoître 
au  leâeur  dans  mon  livre  ce  qui  fe  pafle 
en  lui-même  ,  en  im  mot  les  mouver 
mens  les  plus  intimes  de  Ton  cœur.  On 
n*fa£{ite  guéces  à  rejetter  comme  un  mi« 
roir  infidèle  k  miroir  où  l'on  ne  fe  rer 
connoît  pas. 

■  Les  Ecrivains  qui  raifonnent  iùr  des 
matières ,  s'il  étoit^permis  de  parler  ain» 
ii,  moins,  paipables ,  errent  fouvent  avec 
impunité.  Pour  démêler  leurs  Êiutes ,  il 
«Il néceffaire  de  réfléchir,  &  fouvent 
même  de  s'inftniire  ;  omis  la  matière 
que  j'olè  traiter  eft  préfente  à  tout  I« 
monde.  Chacun  a  chez  lui  la  règle  ou  le 
coo^s  applicable  à  mes  raifonnemens  , 
r  &  chacun  en  fentira  l'erreur ,  dès  qu'il* 
«'écarteioist  tant  foii  pe»  de  la  véri.tç,j 
Aij     ■ 


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f  RljUxlons  critîqtut 

DHin  autre  côté ,  c'eft  rertdre  un  fer»-' 
vice  important  à  deux  Arts  que  l'on 
compte  parmi  les  plus  beaux  omemens 
des  Tociétés  polies ,  que  d'examiner  ea 
PhiloJbphe  comment  il  anive  que  leurs 
produâions  &flient  tant  d'elFet  &r  leç 
hommes.  Un  livre  qiû  ,  poiu*  ainfi  dire  . 
déployeroit  le  cœur  humain  dans  l'inlV 
tant  oU  il  eu  attendri  par  un  poëme  ^ 
ou  tQuché  par  -un  tableau  ,  donneroit 
des  vues  très-étendues  &  des  lumières 
iuAes  à  nos  Artifans  fiir  l'effet  générai 
de  leurs  ouvrages  ,  qu'il  femble  que  la 
plupart  d'entr'eux  ayent  tant  de  peine 
à  prévoir.  Que  les  Peintres  &  les  Poè- 
tes me  pardonnent  de  ks  défigner  fou- 
vent  par  le  nom  d'Artifan  dans  le  cours 
de  ces  Réflexions.  La  véiiération  que 
j'y  témoigne  poiu-  les  Arts  qu'ils  proief^ 
ient ,  leur  fera  Voir  que  c'eft  unique- 
ment par  la  crainte  de  répéter  trop  fou- 
vent  la  même  chofe ,  que  je  ne  joins  pas 
toujours  au  nom  d'Artifan  le  mot  d'il*, 
lufee  ,  cniquelqu'autre  épidiéte  conve- 
jiable.  Le  delTein  de  leur  être  utile ,  eft 
même  un  des  motifs  qui  m'engagent  à 
publier  ces  Réflexions  ,  que  je  donne 
comme  les  repréfentations  d'un  fimple 
(Itoyen ,  qui  fait  ufage  des  exemple* 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  U  Poèjte  &  fur  la  Peinture:  ?f 
tirés  des  temspaffés  ,dans  le  deffein  d« 
porter  fa  Réçubliqiie  à  pourvoir  encore 
mieux  aux  inconvénieiis  i  venir.  S'il 
i»*arrive  quelquefois  d'y  prendre  le  ton 
de  Législateur ,  c'eft  par  inadvertance , 
&  non  point  parce  que  je  me  figure  d'en 
avoir  rautonté. 


SECTION     I. 

De  U  rUceffiti  d'être  occupé  pour  fuir  Cet> 
nui  f  &  de  l'aitrait  ^ue  les  mouvement 
du  pajftons  ont  pour  Us  hommes. 

J_Es  hommes  n'ont  auCun  plaifir  na- 
turel qui  He,foit  le  fruit  du  befoin  ;  ôc 
■c*eft  peut-êtfe  (îe  que  Platon  vouloit 
donner  à  concevoir  ,  quand  il  a  dit  en 
ion  &y\e  allégorique ,  qiie  l'Amour  éfoit 
né  du  mariage  du  Befoin  avec  l'Abon- 
dance. Que  ceux  qui  compofent  un 
cours  de  Philofophie  ,  nous  expofent 
la  fageïFe  des  {wécautions  que  la  Provi- 
dence a  voulu  prendre,  &  quels  moyens 
«lie  a  choifi  pour  obliger  les  hommes 
par  l'attrait  du  plaifir  à  pourvoir  à  leur 
fropre  conservation  ;  il  me  fuffit  ouï 
jette  vérité  ibit  hors  de  conteilauoa 
A  iij 


3 -izf-,  Google 


^  Réflexions  eriiiquu 

pour  en  faire  la  bafe  de  mes  raîfonne-* 

mens. 

Plus  le  befoin  eft  grand ,  plus  le  plai» 
fir  d*y  fatisfàire  efl  ien^le.  Dans  les 

.  feâins  les  plus  délicieux ,  où  Ton  n'ap<- 
porte  qu'un  appétit  ordinaire  ,  on  ne 
lent  pas  un  plaifir  aiiffi  vif  qne  celui 
qu'on  reffent  en  appaifant  une  iàim  vé- 
ntable  avec  un  repas  groiEer.  L'art 
fupplée  mal  ï  la  nature  ;  &  tous  les  ra- 
finemens  ne  fçauroient  apprêter ,  pour 
ainfi  dire ,  le  plai£r  auffî-laen  que  le  be^ 
foin. 

L'ame  a  Tes  befoins  comme  le  corps  ; 
&  l'un  des  plus  grands  befoins  de  l'hom- 
me ,  eft  celui  d'avoir  refprit  occupé. 
L'ennui  qui  fuit  bien-tôt. Tinaâion  de 
l'ame  ,  eft  un  mal  fi  douloureux  pouf 
l'homme  ,  qu'il  entïeprend  fouvent  les 
travaux  les  plus  pérables  ,  aSn  de  s'é- 
pargner la  peine  d'en  être  tourmenté. 

Il  eii  fecile  de  concevoir  comment 
les  travaux  du  corps  ,  même  ceux  qui 
femblent  demander  le  moins  d'applica- 

"  tion  ,  ne  laiflent  pas  d'ocaiper  l'ame. 
Hors  de  ces  oecafions  ,  elle  ne  fçatuoit 
être  occupée  qu'en  deux  manicres  :  ou 
t'ame  fe  livre  aux  imprelSons  que  les 
objets  extérieurs  font  fiu*  elle  j  &  c'eft 


..Google 


fur  ta  Poêp  &  fur  ta  Ptîntun.  f 
«e  qu'on  appelle  fentir  :  ou  bien  elle 
s'entretient  elle-mênie  par  des  fpécU'* 
lations  fur  des  matières  ,  foit  utiles  , 
ibit  ciuieufes  ;  &  c'eA  ce  qu'on  appelle 
réfléchir  Se  nîéditâr. 

L'aine  trouve  pénîbk ,  &  foéme  im* 
(>raticable  quelquefois  ,  cette  féconde 
manière  d£  s'occuper  ,  prînctpaleiBient 
quand  ce  n'eu  pas  un  fentiment  aduef 
<^u  récent  qui  eu  le  fujetdes  réflexions^ 
Il  faut  alors  que  Tame  faâe  des  eâbrts 
continuels  pour  fuivre  l'objet  de  Ibn 
attention  ;  &  ces  eâbrts  rendus  fouvent 
iniruâueux  par  la  difpofîtion  préfente  , 
Aei  organes  du  cerveau ,  n^aboutitfent 

Si'à  une  contention  vaine  &  âérile.- 
u  l'imagination  trop  aibunée  ne  pré- 
fente  phis  diitinûemen^aucian  objet,& 
une  in£nité  d'idées  fans  liaifon  &  fans 
rapport  s'y  fticcédent  tumuttueufement 
Fune  àl'autre  :  ou  l'cfprit  las  d'être  teiw 
■  du  fe  relâcbe  ;  &  une  râverie  morne  Se 
languiflante ,  durant  kçtueUeilnc. jouît 
préciféntent  d'aucun  objet,  eâ  l'unique 
fruit  des  efibrts  qu'il  a  &its  pour  s'oc- 
cuper lui-même.  Il  n'eft  perfonne  qui 
n'ait  éprouvé  l'ennui  de  cet  état^où  l'on 
n'a  point  la  force  de  penfer  à  rîen  ;  &:  la 
■peine  de  cet  autre  hz% ,  ott  malgré  foi 
Aiv 


i),-,î*.,  Google 


ir  ■  Réflexions  critiques 

l'on  penfe  à  trop  de  chofes  ,  fans  poti— 
voir  fe  fixer  à  ion  choijt  fur  aucune  eix 
-particulier.  Peu  de  perfonnes  mêmes 
font  allez  heureufes  poiu-  n'éprouver 
que  rarement  un  de  ces  deux  états  ,  Sc 
pour  être  ordinairement  à  elles-mêmes 
une  bonne  compagnie.  Un  petit  nombre 
peut  apprendre  cet  art ,  qui  »  pour  me 
îervir  de  l'expreffion  d'Horace ,  fait  vî- 
.  vre  en  amitié  avec  foi-même  :  Quod  « 
tihi  reddat  amicum.  Il  faut ,  pour  en  être 
capable ,  avoir  un  certain  tempérament 
d'humeurs ,  qui  rend  ceux  qui  rappor- 
tent en  naiffant  auffi  obligés  à  la  Provi- 
dence que  les  fits  aînés  des  Souverains!  . 
Il  fiiut  encore  s'être  applique  dès  la  ieu- 
■neffe  H  des  études  &  à  des  pcalçatianS 
dont  les  travaijx  demandem  beaucoujp 
de  méditation  :  Il  kmX.  que  Tefprit  ait 
contrafté  l'habitude  de  mettreen  ordre 
fes  idées  &  de  penfer  fur  ce  qu'il  lit  ;  car 
laleâure  où  l'efpritn'agit  point,  &  qu'il 
ne  foutient  pas  en  Jàifant  des  réflexions 
Ait  ce  qu'il  lit ,  devient  bien-tôt  fujette 
■à  l'ennui.  Mais  à  force  d'exercer  fon 
imagination  ,  on  la  dbmpte  ;  &  cette 
fecuité  rendue  dOcile  fait  ce  cju'on  Im 
demande.  On  acquiert ,  à  force  de  mé- 
^er,  l'habitude  de  tran^rter  à  fo^ 


■,r  ..Google 


fur  U-Po^t  &fur  la  Ptmture.  ,-9 
^ë  fa  penfée  d'un  objet  fur  un  autre  , 
'  ^u  de  la  fixer  fur  ut  certain  objet. 
Cette  converfafion  avec  foi -mémo 
met  ceiixqui  la  fçavent  faire  à  l'abri  d(i 
l'état  de  langueur  &  de  mifcre  dont 
nous  venons  de  parler.  Mais  ,  comme 
je  l'ai  dit ,  les  perfonnes  qu'un  fang  fans 
aigreur  &  des  humeurs  lâns  venin  ont 
prédeftinées  à  ime  vie  intérieiu'C  fi  dou- 
ce ,  font  bien  rares.  La  fituation  de  leur 
efprit  eJlmême  inconnue  au  commun  " 
des  hommes ,  qui  jugeant  de  ce  que  les 
autres  doivent  fouffrir  de  la  folitude 
par  ce  qu'ils  en  fouffrcnt  eux-mêmes  , 
pcnfent  que  la  folitude  eft  im  mal  doit* 
ioureux  poiu"  tout  le  monde. 

La  première  manière  de  s'occuper 
dont  nous  avons  parlé,  qui  eft  celle  de 
fc  livrer  aux  impreflions  que  les  objets 
étrangers  font  fur  nous  ,  eft  beaucoup 

Î'ius  ftcile.  C'eft  l'unique  reflburcc  de 
a  plupart  des  hommes  contre  l'ennui  ; 
&  même  les  perfonnes  qui  fçav  ent  s'oc- 
cuper autrement,  font  ODligées,pournc 
pomt  tomber  dans  la  langueur  qui  fuit 
la  durée  de  ^a  même  occupation ,  de  (é 
prêter  aux  emplois  &  aux  plaifirs  du 
commun  des  homm?s.  Le  changement 
de  travail  6c  de  plaifir  remet  en  mour 
A  Y 


:,-,zf--„GoOglc 


'f  O  Rifiexîons  cntîqtM 

vement  les  efprits  qiii  commencent  3 
s'appefamir  :  ce  changement  femblG 
rendre  à  l'imagination  épuifëe  une  nou-* 
yelle  vigueur. 

Voilà  pourquoi  nous  voyons  les  hoi»-: 
mes  s'erabarraffer  de  tant  d'occupations 

'  frivoles  &  d'aflàîres  inutiles.  Voilà  ce 
qui  les  porte  à  courir  avec  tant  d'ardeur 
'après  ce  qu'ils  appellent  leur  plaifir  , 
comme  à  fe  livrer  à  des  paffijsns  dont 
ils  connoiflentles  fuites  fScheufes ,  m^ 
me  par  leur  propre  expérience.  L'in- 
quiétude que  les  afiàires  caufent ,  ni  les 
mouvemens  qu'elles  demandent  ,  ne 
■fçauroient  plaire  aux  hommes  par  eux- 
mêmes.  Les  pafllons  qui  leur  donnent 
les  joies  les  plus  vives  ,  leur  caufent 
aufli  des  peines  diu-ables  &  doidoureu- 
les  ;  mais  les  hommes  craignent  encore 
plus  l'ennui  qui  fuit  l'inaftion  ,  &  ils 
trouvent  dans  le  mouvement  des  alfid- 

■  res  &  dans  ryyreffe  des  paffions  une 
émotion  qui  les  tient  occupés.  Les  agi- 
tations qu'elles  excitent ,  fe  réveillent 
encore  durant  la  folitiide  ;  elles  empê- 
chent les  hommes  de  fe  rencontrer  tête 
à  tête  ,  pour  ainfi  dire  ,  avec  eux-mê- 
mes fans  être  occupés,c'eft-à-dire,de  fe 
trouver  dans  l'affliaion  ou  dans  l'ennui. 


■„r., Google 


fur  la.  Poêjle  &  fur  la  Piinture,     1 1  ' 
Quand  les  hotnnies  dégoûtés  de  ce 
qu'on  appelle,  le  monde  prennent  laré- 
lolutîon  d*y  renoncer ,  il  eft  rare  qu'Us 
puiflent  la  tenir.  Dès  qu'ils  ont  connu 
rinaâion ,  £-tôt  qu'Us  ont  comparé  ce 
qu'ils  foudroient  par  l'embarras  des  a^ 
faires  &  par  l'inquiétude  des  payions  , 
■avec  l'ennui  de  l'indolence ,  ils  vien- 
nent à  regreter  l'état  tumultueiix  dont 
ils  ëtoîent  lî  dégoûtés.  On  les  acaife 
ibuvehtàtortd'avoirfeit parade  d'une 
modération  feinte  ^  lorfqu'ils  ont  pris 
le  parti  de  la  retraite.  Ils  étoient  alors 
de  bonne  foi  ;  mais  comme  l'agitation 
excefllve  leur  a  fait  fouhaiter  ime  plei- 
ne tranquillité ,  im  trop  grand  loifir  leur 
fait  regreter  le  tems  oil  ils  étoient  tou- 
jours occupés.  Les  hommes  font  encore 
plus  légers  qu'ils  ne  font  diflîmulés  ;  & 
îbuvent  ils  ne  font  coupables  que  d'in- 
conftance  ,  dans  les  occaiions  oti  l'on^ 
les  accufe  d'artifice. 

Véritablement  l'agitation  oh  les  paf-- 
fions  nous  tiennent ,  même  durant  la  fo-- 
Ktude  ,  eft  fi  vive ,  que  tout  autre  état 
eft  \\n  état  de  langueur  auprès  de  cette  " 
agitation.  Ainfi  nous  courons  par  inf- 
tinft  après  les  dijets  qui  peuvent  excir 
ter  nos  paffions ,  quoique  ces  objets- 
A  vj 


:,-,zf--„GoOglc 


12.  Jiéflcxlom  entljueè  J 

faiTent  fur  nous  desimpreflions  mii  notîS 
■coûtent  fouvent  des  nuits  inquiétés  Ôc 
des  journées  douloureuies  :  mais  les 
hommes  en  général  foufirent  encore 
plus  à  vivre  fans jpalîîons, que  les pal>  ■ 
iîons  ne  les  font  fouffiir. 


SECTION     II. 

'J)e  fattrait  des  SpeciacUs  propres  à  exct-i. 
ter  en  nous  une  grande  émotion.  Des 
Gladiateurs. 

Vj  E  t  t  e  émotion  naturelle  qui  s'ex- 
cite en  nous  machinalement  ,  quand 
nous  voyons  nos  femblables  dans  le 
danger  ou  dans  le  malheiu ,  n'a  d'autre 

.  attrait  que  celui  d'êtreime  pàflion  dont 
les  mouvemens  remuent  Tante  &  la 
tiennent  occupéejcependant  cette  émo- 
tion a  des  charmes  capables  de  la  ^ire 
rechercher ,  malgré  les  idées  triftes  & 
importunes  qui  l'accompagnent  &  qui 
la  fuivent.  Un  mouvement  que  la  rai- 
fon  réprime  mal  ,  iàit  coiuir  bien  des 
perfonnes  après  les  objets  les  plus  pro- 
pres à  déchirer  Je  cœin-.  On- va  voir  en 

.  ^ulç  yn  fpeftacle  des  plus  afireux  que 


:-,.Xooyk 


fur  fi:  Poéfit  ùfurld  TtXntun,  1^ 
les  hommes  piiiflent  regarder  ;  je  veux 
dire  le  fitpplice  d'un  autre  homme  qui 
/ubit  la  rigueur  des  loix  -(ur  un  échaf- 
faud,  &  qu'on  conduit  à  la  mort  par  des 
toiirme'ns  etfroyables  :  on  dcvroitp'rc- 
■Voif  néanrnôins  j  fuppofé  qu'on  ne  le 
fçCit  pas  "déjà  par  fon  expérience  ,  que 
les  circonftances  du  fiippHce  ,  que  les 
semiflemens  de  ion  iemblablc  ,  feront 
fiirlui ,  malgré  lui-^nême  ,  une  impref- 
iion  durable  qui  le  tourmentera  long- 
lems  avant  que  d'être  pleinement  cm- 
cée  ;  mais  l'attrait  de  l'émotion  eft  plus 
fort  pour  bien  deS  gens  que  les  réfle- 
xions &  que  les  comeils  de  l'expérien- 
ce. Le  monde  dans  tous  lespays  va  voir 
€ti  foule  les  fpeflacles  horribles  dont 
je  viens  de  parler. 

C'eft  le  même  attrait  qui  fait  aimer 
les  inquiétudes  &  les  allarmes  que  eau* 
fem  les  périls  ,  oîi  l'on  voit  d'autres 
hommes  expofés  ,  fans  avoir  part  i 
(leurs  dangers.  U  eft touchant,  dit  Lu- 
crèce {a)  ,  de  voir'  du  rivage  un  vaïf- 
feati  lutter  contre  les  vagues  qui  le  veu- 
lent engloutir  ,  comme  de  regarder  imâ 
bataille  d'une  hauteunl'oti  l  on  voit  en 
pureté  la  mêlée  ;  ' 

.     (4)  D,  K-/. .  w.  /.i.  1^  -      ' 


1,  Google 


[t4  "Rifitxtons  eruiquti 

Suatt  mari  magn» ,  turban'ihiis  «quart  pv 
S  Itrrd  alttrva  magmaaJplUart  Uborrm  ; 


Sua*!  «km  btlli  e 

Pfr  campoi  ûifiruSa ,  lui  Jîniparri  piriciU 

Plus  les  toHTS  qu'un  voltigeur  témé-^ 
raire  fait  fur  la  corde  font  périlleux  ^- 
ptus  le  conunun  des  fpeûateivs  s'y  rend 
attentif.  Quand  il  fait  un  faut  entre  deu:^ 
épées  prêtes  à  le  percer ,  fi  dans  la  cha- 
leur du  mouvement  fon  corps  s'écartoit 
d'un  point  de  la  ligne  qu'il  doit  décri- 
re ,  il  devient  un  objet  digne  de  toute 
notre  auiofité.  Qu'on  mette  deux  bâ- 
tons à  la  place  des  épées ,  que  le  vot- 
■  tigeur  faire  tendre  fa  corde  à  deux  pieds 
de  hauteur  fur  xme  prairie,ilfera  en  vain 
les  mêraesfauts  &  les  mêmes  toiu-s;ort  ne 
daignera  plus  le  regarder  ;  l'attention 
du  fpeÛateur  cefleroit  avec  le  danger. 

D'oïl  venoit  le  plaifir  extrême  que 
les  Romains  trouvoient  aux  fpeâades 
del'amphithéâtreîOnyfaifoit  déchirer 
des  hommes  vivans  par  des  bêtes  féro- 
ces. Les  Gladiateurs  s'entr'égorgeoient 
par  troupes  fur  l'aréne.  On  rafinoit  mê- 
me fur  les  inftnimens  meurtriers  que 
ces  malheureux  dévoient  mettre  en  œu- 
vre pour  s'entretuerXe  n'étoit point  au 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poêft  &fur  la  Pùnture".  t  J 
bazard  qu'on  avoit  armé  le  Gladiateur 
Ratairt  d'une  façon  ,  &  le  MirmUhn 
d'une  autre  ;  on  avoit  cherché  entre  les 
armes  ofTeniîves  &  les  armes  défen£- 
ves  de  ces  Quadrilles  une  proportion 
'qui  rencHt  leurs  combats  plus  longs  Se 
plus  remplis  d'événemens  ;  on  voulcwt 
que  la  mort  y  vînt  à  pas  plus  lents  & 
plus  atfreux.  D'autres  Quadrilles  com- 
battoient  avec  d'autres  armes.  On  vou- 
loit  diverfifier  les  genres  de  mort  de  ces 
hommes  fouvent  innocens.On  les  nour- 
HfToit  même  avec  des  pâtes  &  des  ali- 
mens  propres  à  les  tenir  dans  l'embon- 
point y  ahn  que  le  fang  s'écoulât  plus 
lentement  par  les  blemires  qu'ils  rece- 
Vroient ,  &  que  lefpeûateur  pût  jouir 
ainfi  plus  long-tems  des  horreurs  de 
leur  agonie.  La  profeffiond'inftniire  les 
Gladiateurs  étoit  devenue  un  art  :  le 
goût  que  les  Romains  avoient  pour  ces 
combats ,  leur  avcnt  fait  rechercher  de 
la  délicatelTe  ,  &  introduire  des  agré- 
mens  dans  un  fpcftacle  que  nous  ne 
fçaurions  imaginer  aujourd'hui  fans 
horreiu-.  Il  falioit  que  les  Maîtres  d'£f- 
trime  (n)  qui  infbuifoicnt  les  Gladia- 
teurs ,  leur  montraient  non-feulement 

(.)  Uni/Il. 


:,-,zf--„GoOglc 


t6  Rifiexîons  erulqiué 

à  fe  tMen  fervir  de  leurs  armas  ;  mais  2f 
falloit  encore  qu'ils  enfeignaffent  à  ces 
'inalheureufesviâimes  dans  quelle  atti>- 
tude  il  falloit  fe  coucher ,  &  quel  main- 
tien il  falloit  tenir,  lorfqu'on  étoit  bief- 
a  mortellement.  Ces  Maîtres  leyr  ap^ 
prenoient ,  pour  ainfi  dire ,  à  expirer  de 
bonne  grâce. 

Ce  fpeflacle  ne  s'introduifit  point  h 
Rome  à  la  faveur  de  la  groffiereté  des 
cinq  premiers  fiécles  qui  s'écoulèrent 
immédiatement  après  fa  fondation  • 
quand  les  deux  Brutus  donnèrent  auv 
Romains  le  premier  combat  de  Gladia- 
teurs qu'ils  euffent  vu  dans  leur  ville  ^ 
les  Romains  étoient  déjà  civilifés.  Mai$ 
loin  que  l'humanité  &  la  poHtcfle  des 
fiécles  fuivans  ayent  dégoûté  les  Ro- 
mains des  fpeâacles  barbares  de  l'am* 
phithéâtre,au  contraire  eilesles  en  ren- 
dirent plus  épris.  Les  Vierges  Veilales 
avoient  lelu-  place  marquée  fur  le  pre- 
nûer  degré  de  l'amphithéâtre  dans  les 
temsdelaplus  grandepolitelTe  desRo-  . 
mains,  &  quand «nhcmimepaflbit pouf  ' 
barbare  ,  S'il  faifo'u  marquer  d'un  fer 
tkaudfon  efclave  qui  avait  vole  le  ii/ige, 
^  taille  ((z)  ,  crime  pour  lequel  les  loi^ 

(.a)  /h  I  t»tl  1  Sét.  1 4.  V,  11.  , 


:,-,zf-,GoOglc 


furiaPoefie&furlaPtmiure:  \y 
ieondamnent  k  mort,dans  h  plupart  des 
pays  Chrétiens  ,  nos  domeftiques  qui 
font  des  hommes  d'une  condition  libre. 
■  Mais  les  Romains  fentoient  à  l'amphi- 
théâtre une  émotion  qu'ils  ne  trou* 
voient  pas  au  cirque  ni  au  théâtre.  Les 
combats  des  Gladiateurs  ne  celTerent  à 
Rome  qu'après  que  la  religion  Chré- 
tienne y  fut  devenue  la  rehgion  domi- 
nante ,  &  que  Conilantin  le  Grand  les 
eut  défendus  par  une  loi  exprefle  (a).  ' 
Il  y  avoit  déjà  cinq  cens  ans  (*)  que 
les  Romains  avoient  condamna  leur 
gofvt  po\ir  les  fpeflacles  de  l'arène  ,  en 
défendant  à  tous  les  fujets  de  la  Répu- 
blique d'immoler  aucune  viQime  hu- 
maine ,  torique  les  condiats  dont  je  par* 
le  ,  furent  abolis.         ■ 

i'altraif  dufpeflacle  des  Gladiateurs 
4e  fit  aimer  des  Grecs  auffi-tôt  qu'ils  le 
connurent  :  ils  s'y  accoutumèrent,  quoi- 
qu'ils n'euffent  point  été  familiarifés 
avec  fes  horreurs  dès  l'enfance.  Les 
■'•principes  de  Morale  oîiles  Grecs  étoient 
■alors  élevés  ,  ne  leur  permettoientpas 
d'avoir  d'autres  fentimens  que  des  len- 
'timÀis  d'averfipiff  pour  un  fpeûacie  , 

■  iéicod.  'Ht.  l'b   I.  til,  44  (.J,  -«IM, 

■  (*J  >tM .  h,jl.  W.  tfSf  "f  I. 


:-,^., Google 


-tS  RifitxioRS  Crmquu 

oîi ,  dans  le  deiïein  de  divertir  Taffem^ 
blée ,  en  égofgeoit  des  hommes  qui  iou- 
vent  n'avoient  pas  mérité  la  mort. 
.  Sous  le  règne  d'Antiochûs  Epi[Aane  ^ 
Koi  de  Syrie  ,  les  arts  &  les  fcîences 
qui  corrigent  la  férocité  de  ITiomine  , 
&  qui  même  quelquefois  amoMent 
trop  fon  courage  ,  fleuriflbient  depuis 
Jong-t  ems  dans  tous  les  |sy  s  habités  par 
les  Grecs.  Quelques  ufages  pratiqués 
autreÊMS  dans  les  jeux  fimébres ,  &  qui 
pouvoient  reflembler  aux  combats  oes- 
Gladiateurs  ,  y  éloieat  abolis  depuis 
long-tems.  Antiochus  qui  formoit  def 
grands  projets  ,  &  qui  fflettoit  en  œu- 
.vre  f  pour  les  faire  rénflir ,  le  geare  de 
Aiagnilîcence  qui  eâ  pro|»'e  à  concilier 
aux  Souverains  la  bienveîUance  die» 
Nations  ,  fit  venir  de  Rome  à  grands 
frais  des  Gladiateurs,  pour  donner  aiUE 
Grecs,  amoureux  de  toutes  les  fêtes,  un 
fpeflacle  nouveau.  Peut-être  penfoit-il 
auffi  qu'en  afliftant  à  ces  conu>ats. ,  00 
conçut  le  mépris  de  la  vie  qui  avoit  reit- 
du  le  foldat  des  Légions  plus  déternûné 
que  celui  des  Phalanges ,  dans  les  giier-r 
res ,  où  fon  père  Antiochus  le  grand  6c 
Kiiiippe  Roi  de  Macédoine  avoient  tté 
battus  par  les  Romains,  D'abord ,  dit 


:,-,zf--„GoOglc 


fuT  tor  Poèjie  &  fur  la  Ptîniure.  19 
•Tîte-Live  ,  Taréne  ne  parut  qu'un  ob- 
jet d'horreur.  Qu'on  s'imagine  ce  que 
les  Grecs  ,  toujours  ingénieux  à  fe  van- 
•ter ,  comme  à  rabaiflier  les  Barbares  , 
-purent  dire  fur  la  férocité  des  autres 
Nations  ;  Antiochus  ne  fe  rebuta  point. 
Afin  d'apprivoîTer  peu  àpeu  les  peii|des 
-avec  fon  nouveau  u)eâacle,il  y  fit  com- 
-I>attre  les  Champions  ieulemeot  jul^ 
-qM^au  premier  fans.  Nos  PfailoTopkes 
regarderentavec  pkific  ces  ccHi^tsoà- 
•tigés  ;  mais  bieo^tôt  ils  ne  détoutnereat 
-puis  les  yeux  des  combats  à  toute  ou- 
trance ,  &  ils  s'accoutumèrent  à  voir 
tuer  des  hommes  uniquement  pour  les 
'^vettar  V  il  feibima  siÊrae  des  Gkdia- 
teur»  dam  le  paijs.  {a)  Glad'aaorum  mu- 
Tttts  Roma/Kt  eoi^uemtéms  >  primb  majort 
vum  ttrrort  homman ,  infuaorum  ad  taU 
fptSactiium ,  quàm  ciim  vdupiatt  Jtdit  :  • 
ihittdeftepiùs  Jimda ,  &  moJi>  vulner'tbtts 
■Unia ,  moJàJïnt  miffione  ttiam  ,  ùfami- 
iiare  oculis  gratumqtu  idfptSaatlum  fic'rtt 
■&  armorum  fiudium  pUrifyat  juy*mua 
■tuctnàit,  Itaque  ,  quiprimh  ah  Roma  ma- 
gms  pramiis  paratos  Gladiatorts  areeffen 
Jblitus  erat ,  jam  fuo  ,  &c. 

Nous  avoiu  dans  notre  votûnage  ua 


:,-,zf--„GoOglc 


iO  ■  RéfitxioTis  crîtiquei 

peuple  teHement  avare  des  fouflTance^ 
des  hommes,  qu'il  refpeûe  encore  l'hif- 
•manilé  dans  les  plus  grands  fcélérafs.  fl 
a  mieux  aimé  que  les  criminels  écha— 
paffent  fouventauxCbâtimensque  l'in- 
térêt de  la  fociécé  civile  demanae  qu'on 
leur  fafle  fubiP",  que  de  permettre  qu'un 
innocent  pût  être  jamais  expofé  à  ces 
tourmens  dont  les  Juges  fe  fervent  dan^ 
tes  autres  pays  chréttens  pourarracher 
-aux  accufés  l'aveu  de  leurs  crimes.' 
Tous  les  fupplices  dont  il  permet  l'ufa^ 
ge  ,  font  de  ceux  qui  tuent  !es  condant- 
nés  fans  leur  faire  fouârif  d'autre  peine 
^ue  la  mort.  Néanmoins  ce  peuple  ,  fi 
i;elpeâueux  envers  l'humanité ,  le  plak 
infiniment  à  voir  les  bêtes  s'entre-dë^ 
chirer.  II  a  même  rendu  capables  de  fe 
tiier  ceux  des  animaux  à  qui  la  nature 
a  voulu  refirier  des  armes  qui  puffent 
felre  des  bleffnres  mortelles  a  leurs 
lèmblables  ;  il  leur  fournit  avec  indiif- 
Erie  des  armes  artïBcielIes  qui  blelîenc 
fecilement  à  mort.  Le  peuple  dont  je 
parle  ^  regarde  encore'  avec  tant  de 
plaifir  des  hommes  ,  payés  pour  cela-, 
îè  battre  jufqu'à  fe  faire  des  bleflures 
«langereufes  ,  qu'on  peut  croire  qu'il 
aoroit  de  véritables  Gladiateurs  L 1% 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poèjît  Ofur  la  Ptituun.  1 1 
Romaine  ,  fi  la  Bible  défendoit  un  peu' 
moins  pofirivement  de  verfer  le  lanç 
des  honunes  horsles  cas  d'une  abloluc 
néceffité. 

On  peut  dire  la  même  chofe  d'autres 
Kations  très-polies ,  &C  qui  font  profef* 
fion  de  la  religion  ennemie  de  l'cffu- 
fion  dufang  humain.  Les  fêtes  les  |^us 
chères  à  nos  ancêtres ,  les  tournois  n'é- 
toient'iis  pas  des  fpeâacles  oîi  la  vi« 
des  tenans  couroit  un  véritable  dan- 
ger ?  Il  y  arrivoit  quelquefois  que  la 
lance  à  roquet  blelToit  à  mort  aum-bien' 
que  la  lance  à  fer  imolu  i  la  France  ne 
Réprouva  que  trop ,  quand  le  Roi  Hen- 
ri U  fut-blelTé  mortellement  dans  une 
es  ces  fêtes.  -Mais  nous  avons  dans  nos 
Annales  une  preuve  encore  plus  forte 
eue  celle-là  ,   pour  montrer  qu'il  eft 
fians  les  fpeâacles  les  plus  cruels  «me 
efpece  d'attrait  capable  de  les  foire  ai- 
mer des  peuples  les  plus  humains.  Les 
combats  en  champ  clos ,  entre  deux  ou 
plufieurs  champions  ,  ont  été  long-tems 
en  ufage  parmi  -nous ,  &  les  petionnes 
lespluseonfidérables  de  la-Nation  y  ti- 
roient  l'épée  par  un  motif  plus  férieux 
que  ceitïi  de  divertir  l'aff emblée  ;  c'ér 
WJ  t  peur  vuidei  leurs  ^juerelles  y  c'éioit 


■„r., Google 


%±  Réflexions  critiques 

pour  s'entretuer.  On  accouroît  cepen-? 
dant  à  ces  combats  comme  à  des  £êtes  $; 
&  la  Cour  de  Henri  U^û  polie  d'ail- 
leurs, aniAa  dans  S.  Germain  au  duel, 
de  larnac  &  de  la  Chategneraie. 
,  Les  fêtes  des  taureaux  coûtent  bien 
Ibuvent  la  vie  aux  combattans.  Un  gre- 
nadiern'eftpas  phisexpofé  à  l'attaque 
d'un  chemin  couvert ,  que  le  font  les 
champions  qui  combattent  ces  animaux 
fiirieux.  Les  Efpagnols  de  toute  condi- 
tion montrent  néanmoins  pour  des  fô« 
tes  fi  dangereufes  l'empreifement  qu'a- 
voient  les  Romains  pour  les  fêtes  de 
l'amphithéâtre.  Malgré  les  efforts  des. 
Papes  pour  abolir  les  combats  de  tau^ 
reaux ,  ils  fubfiilent  encore  ;  &  la  na- 
tion Efpa^nole  ,  qui  fe  pique  de  par<à^. 
tre  du  moins  leur  obéir  avec  foumif- 
fion ,  n'a  point  eu  dans  ce  cas-là  de  dé- 
ierence  pour  leurs  remontrances  -Qc 
pour  leurs  ordres.  L'attrait  de  l'émo- 
tion fait  oublier  les  premiers  principes 
de  l'humanité  aux  nations  les  plus  dé- 
bonnaires ,  &  il  cache  sax  plus  chré* 
tiennes  les  maximes  les  plus  évidentes 
de  leur  religion. 

Beaucoup  de  perfbnnes  mettent  tou^ 
Ifisjoiu-s  ime  partie  ccto&dérable  de  leuc 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la.  Potjîe  &  fur  la  Peinture,  %  f 
Men  à  la  merci  des  cartes  &  des  dez  ^ 
^oiqu'eltes  n'ignorent  point  les  mau- 
vaifes  luttes  du  gros  jeu.  Les  hommes 
.ennchis  par  Tes  bien^its ,  (ont  comius 
de  toute  l'Europe ,  comme  le  font  ceux 
aufquels  il  eft  arrivé  quelque  avanture 
finguliiere.I^shommes  riches  &  ruinés 
par  le  jeu ,  palTent  en  noiqbre  les  gens 
robuftes  ^e  tes  Médecins  ont  rendus 
în&mes.  Les  fols  &:  les  fripons  font  les 
feuls  qui  jouent  par  un  motif  d'avaric9' 
&  dans  la  vue  d'augi^enter  leur  bien 
par  des  gains  continuels.  Ce  n'eft  donc 
point  l'avarice ,  c'eftl'attraitdujeuqui 
iàit  que  tant  de  perfonnes  fe  ruinent  à 
jouer.  En  effet  un  joueur  habile  doué  du 
talent  de  combiner  aifément  une  inani- 
té de  circonflances.  Se  d'en  tirer  prom^^* 
•tement  des  conféquences  juAes  ;  un 
joueur  habile,  dis-je,  pourroit  feire  tous 
les  jours  un  gain  certain  en  ne  rifquant 
fon  argent  qu'aux  jeux  où  le  fuccès  dé- 
pend encore  plus  de  l'habileté  des  te- 
nans  ,  que  du  hazard  des  cartes  5c  des 
dez  ;  cependant  il  préfère  par  goût  les 
jeux  oh  le  gain  dépend  entièrement  du 
caprice  des  dez  Se  des  cartes  ,  &  dans 
iefquels  fon  talent  ne  lui  donne  point 
fl£  fupériprité  fur  les  AMtres  joueurs.  La 


:,-,zf--„GoOglc 


t4  Réflexions  critiques 

raifon  d'une  prédileûion  teUement  op^ 
pofée  à  fes  intérêts  ,  c'eil  que  les  jeux 
qui  laiflent  une  grande  part  dans  révé- 
nement  à  l'habileté  du  joueur ,  exigent 
une  contention  d'efprit  plus  fuivîe  ;  & 
qu'ils  ne  tiennent  pas  l'ame  dans  une 
émotion  continuelle  ,  ainli  que  le  jeu 
des  Landiquenets ,  la  Bafîette  &  les  au^ 
très  jeux  oti  les  événemens  dépendeot 
«ntiérement  du  hazard  :  à  ces  deniiers 
tous  les  coups  font  décilîis ,  &  chaque 
événement  fait  perdre  ou  gagner  quel- 
que chofe.  Ils  tiennent  donc  l'ame  dans 
une  efpece  d'extafe ,  &  ils  l'y  tiennent 
encore  fans  qu'il  foitbefoin  qu'.elle.coa- 
Tribue  à  fon  plaifir  par  une  attention  fé- 
rieufe  ,  dont  notre  pareffe  naturelle, 
cherche  toujours  à  fe  dîfpenfer.  La  pa- 
reffe eft  un  vice  que  les  hommes  fur- 
in<Vitent  bien  quelquefois  ,  mais  qu'ils 
ti'étouffent  jamais  :  peut-être  eft-ce  tm 
ionheurpourla  fociété  que  ce  vice  ne 
puiffe  pas  être  déraciné.  Bien  des  gens 
croyent  que  lui  feul  il  empêche  plus  de 
mauvaifes  aÛions  que  toutes  les  ver- 
tus. 

Ceux  qui  prennent  trop  de  vin  ,  ou 
qui  fe  livrent  à  d'autres  pallions  ,  en 
eonnoilTent  fouyent  les  mauvaifes  fui- 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Po'èfii  &fur  la  Pemtart:  1  ^ 
tes  bien  inieitx  que  ceux  qui  leur  font 
des  remontrances  ;  mais  le  mouvement 
naturel  de  notre  ame  ,  eAde  le  livrer  à 
tout  ce  qui  l'occupe ,  fans  qu'elle  ait  ta 
peine  (Tagir  avec  contention.  Vo.U 
potvquoiui  plupart  des  hommes  f.nt 
allu)ettis  aux  goûts  &  aux  inclinations 
qui  font  pour  eux  des  occalions  fré' 
quentes  d'être  ocaipés  agréablement 
par  des  Tenfations  vives  &  fatisfàifan- 
tes.  Trahit  fua  qumiqae  voluptOS.  En  CC' 
la  les  hommes  ont  te  même  but  ;  mais 
comme  ils  ne  font  pas  organifés  de  ma- 
rne ,  ils  ne  cherchent  pas  tous  les  mê- 
mes plaifirs^ 


SECTION    III. 

QiM  U  mirite  principal  Jes  Po'èmes  &  âa 
Tabltaux  con^e  à  imùer  Us  objets  qui  " 
auroitttt  excite  en  nous  dtspaj^ons  riel- 
Its.  Les  paffîons  que  ces  imitations  font 
naître  en  nous  ne  font  quefuperficUlles,  ' 

Quand  les  paffions  réelles  &  véri-  * 
tables  qui  procurent  à  Tame  fes  fenfa- 
licms  les  plus  vives ,  ont  des  retours  fi 
fâcheux ,  parce  que  les  momens  heu^ 
Tome  A  B 


:,„.-„  Google 


ï?  Kifiexlons  cmlques 

teux  dont  elles  font  jouir ,  font  fui  vis  de 
j^ournées  (î  triftes,  l'art  ne  pourroit-il  pas 
trouver  le  moyen  de  fëparer  les  mau- 
vaifes  fuîtes  de  la  plupart  des  paffions 
d'avec  ce  qu'elles  ont  d'agréable  ?  L*art 
ne  pourroit-il  pas  créer,  pour  ainfi  dire  , 
des  êtres  d'une  nouvelle  nature  ?  Ne 
pourroit-îl  pas  produire  des  objets  qui 
excitalTent  en  nous  des  palHons  artifi. 
cielles  capables  de  nous  occt^er  dans  le 
moment  que  nous  les  fentons ,  &  inca» 
pables  de  nous  eaiifer  dans  la  fuite  des 
peines  réelles  &  des  affliâions  vérita- 
bles? 

La  Poëfîe  &  la  Peinture  en  viennent 
à  bout.  Je  ne  prétends  pas  foutenir  quç 
les  premiers  Peintres  &  les  premiers 
poètes ,  ni  les  autres  artifans ,  qui  peu- 
vent faire  la  même  chofe  qu'eux ,  ayent 
porté  fi  loin  leur  idée^  &  qu'ils  fe  foient 
propofé  des  vues  fi  rafinées  en  travail* 
Jant.  Les  premiers  inventeiu-s  du  bain 
n'ont  pas  longé  qu'il  fîit  un  remède  pro* 
pre  à  guérir  de  certains  maux  ,  ifs  ne 
s'en  font  fervis  que  comme  d'un  rairaiT 
chiffement  agréable  durant  la  chaleur  , 
lequel  on  a  découvert  depuis  être  utile 
pour  rendre  la  fanté'dans  certaines  ma- 
ladies ;  de  même  les  prenûers  pQçte^  %; 


:,-,zf-,GoOglc 


fur  ht  Poêjît  &fuT  U  Pétaturt.  'If 
les  premiers  Peintres  n'ont  fongé  peut- 
ère  qu'à  flater  nos  fens  &  notre  ima- 
gination ;  Se  c'eû  en  travaillant  pour  ce- 
fa  qu'ils  ont  trouvé  le  moyen  d'exciter 
dans  notre  cœur  des  paflions  artificiel- 
les. C'eil  parhazard  que  les  inventiona 
les  plus  utiles  à  la  fociété  ont  été  trou- 
vées. Quoiqu'il  en  foit,- ces  phantômes 
Ae  paflions  que  la  Poëfie  &  la  Peinture 
fçavent  exciter ,  en  nous  émouvant  par 
les  imitations  qu'elles  nous  préfentent , 
fatisfait  au  beioin  où  nous  fommes  d'ê- 
tre occupés. 

Les  Peintres  &  les  Poètes  excitent  , 
en  nous  ces  paflions  artificielles  ,  en  - 
préfentant  les  imitations  des  objets  ca- 
fwbles  d'exciter'Cn  nous  des  paflions  vé- 
ritables. Comme  l'impreflion  que  ces 
imitations  font  fur  nous  eft  du  même 
genre  que  l'impreflion  (|ue  l'objet  imité 
parle  Peintre  ou  par  le  Poète  feroit  fur 
nous  ;  comme  l'impreflion  que  l'imita- 
tion fait  n'eft  différente  de  1  impreflion 
que  l'objet  imité  feroit ,  qu'en  ce  qu'elle 
êil  moins  forte ,  elle  doit  exciter  dans 
notre  ame  une  pafllon  qui  reffemble  à 
celle  que  l'objet  imité  y  auroit  pu  ex- 
citer. La  copie  de  l'objet  doit ,  pour 
pD&  dire  ,  exciter  eu  nous  une  copia 
•     Bii 


:,-,zf--„GoOglc 


tS  Rijfexîons  erîtîqu€S- 

de  la  paffion  que  l'objet  y  auroit  excîV 
tée.  Mais  comme  rimpremon^ue  riini« 
tation  fait  n*eft  pas  auili  profonde  que 
l'impreffîon  qite  l'objet  même  auroit 
^te  ;  comme  rimpreftion  faite  par  Tî. 
«nitation  n'eft  pas  icrieufe  ,  d'autant 
«fu'ell^  ae  va  point  jufqu'à  la  raifon  pour 
laquelle  il  n'yapoint  d'ilLu£on  dans  ces 
démâtions  ,  ainli  que  nous  l'ei^que- 
rons  tantôt  plus  au  long  ;  enfin  comme 
l'impreflion  fake  parrimitatîonn'affeçi- 
te  vivement  que  l'ame  fenfirive  ,  elie 
s'efface  bien-tôt.  Cette  impreiîion  fîir 
pedieielle  &ite  par  une  iraifâtion ,  di£- 
pardit  ians  avou*  des  Alites  durables  ^ 
comm^  en  auroit  une  imprefilon  6iite 
-par  l'objet  même  que  le  Peintre  ou  Iç 
Poëte  a  imité. 

On  conçoit  facilement  la  raifon  de  Ix 
di^ence  qui  fe  trouve  entre  l'imprefc 
lion  &ite  pari'objet  même ,  &  l'impreA 
£oh  Ëtite  par  l'imitation.  l^^iontatioQ  1% 
plus  parité  n'a  qtt'un^tre  artificiel  , 
elle  n'a  qu'une  vie  empnuitëe  ,  axi  Heu 
^ue  la  force  &  l'aâivité  de  la  nature  fa 
trou  vent  dans  l'objet  imité.Cefl  en  ver^ 
*ii  du  pouvoir  qii^l  tiettf  de  la  nature 
même  que  l'objet  réel  agît  fai  nous. 


■„r., Google 


ftirU  Poijîe  &  fur  la  Pttniurt'.  IÇ 
fiétft  naatra  ù  vent  vis  :  eorurà  oamii 
imUatio^a  «/?  j  dit  Quîntilien.  (o^ 

Voilà  d'où  procède  le  ptaiûr  que  la 
Poëfie  &  la  Peinture  font  à  tous  les  honv 
mes.  Voilà  pourquoi  nous  regardons 
avec  contentement  des  peintures  dont 
le  mérite  conJîlte  à  nsttreib'us  nos  yeux 
des  avanturesfi  fiineâes ,  qi^elles  nous 
auroient  fait  horreur  fi  nous  les  avionsr 
vues  véritablement  ;  car,  comme  le  dit 
Ariftote  dans  fa  poétique  :  (^)  Dtsmonf-* 
tns  $rdts  horaaui  morts  aa  mourtuus  ifue 
nous  ri'oferiom  ngardêti  ou  qaenotàs  nt 
verrions  qu'avec  horreur,  nous  Us  voyons 
avec  plaifir  imités  dans  Us  ouvrages  des 
Peintres.  Mieux  ils  fom  imités  y  plus  nous 
les  regardons  avidement.  Il  eneft  demê" 
me  des  imitations  qiiefaitlaPoëiie. 

Le  plaifir  qu'on  lent  à  voir  les  imita- 
tionsqiie  les  Peintres- Se  les  Poètes  fçî^ 
vent  faire  des  objets  qui  auroient  exci- 
té «n  nous  des  paiTions  dont  la  réalité 
nous  auroit  été  a  charge  ,  efl  un  plaifir 
pur,  Itn'eftpasfuivi  des  inconveniens 
dont  les  émotions  férieufes  qui  axffoient 
été  caufées  par  l'objet  même  ,.feroiea« 
accompagnéesv 


(.1  i«/i„.  i,b.  1 


B  iij 


:,-,zf--„GoOglc 


^fl  '  Ti.ifiexiom  critiques 

Des  exemples  éclairciront  encortf' 
mieux  que  des  raifoimemens  une  opi-  ■ 
nion  que  je  puis  craindre  de  n'expofer 
jamais  aiTez  diftinâement.  Le  mauacre 
des  Innocens  a  dû  laiiTer  des  idées  bien 
fiineftes  dans  rimagination  de  ceux  qtti 
virent  réellement  les  foldats  effrénés 
égoi^er  les  enfans  dans  le  fein  des  me-> 
res  fanglantes.  Le  tableau  de  le  Brun  oh 
nous  voyons  l'imitation  de  cet  événe- 
ment tragique  ,  nous  émeut  &  nous  at- 
tendrit ,  mais  il  ne  laiffe  point  dans  no- 
tre efprit  aucune  idée  importune  :  ce 
t^leau  excite  notre  compaffîon  ,  fans 
nousaffligerréellement.  Unemorttelle 
que  la  mort  de  Kiédre  :  ime  jeune  Prin- 
ceffe  expirante  avec  des  convulfions  af- 
fbeufes  ,  en  s'accufant  elle-même  des 
crimes  atroces  dont  elle  s'eft  punie  par 
le  poifon  ,  feroit  un  objet  à  fuir.  Nous 
ferions  plufieurs  joiu-s  avant  que  de  pou* 
voir  nous  diftraire  des  idées  noires  Se 
flineAes  qu'un  pareil  fpedacle  ne  man- 
queroit  pas  d'empreindre  dans  notre 
imagination.  La  tragédie  de  Racine  qui 
nous  prélente  l'imitation  de  cet  événe- 
ment, nous  émeut  &  nous  touche  fans 
laiffer  en  nous  la  lemence  d'une  trifteffe- 
durable.  Nous  jouilTons  de  notre  émo- 


:,-,zf--„GoOglc 


furlaPo'èJît  Cf-furla  Ptlntur».  Jf 
tion  ,  fans  être'  allamiés  par  la  crainte 
qu'elle  dure  trop  long-tems.  C'eft,  fans 
nous  attriiler  réellement ,  que  la  piécQ 
de  Racine  fait  couler  des  larmes  de  not 
yeux  :  l'affliôion  n'eft ,  pour  ainiî  dire  , 
^e  fur  la  Aiperâcie  de  notre  cœur ,  SC 
nous  fentons  bien  que  nos  pleurs  uni- 
ront avec  la  représentation  de  la  fiâioti 
ing^euie  qui  les  fait  couler.    ' 

Nouj  écoutons  donc  avec  platlîr  les 
hommes  les  plus  malheureux ,  quand  ils 
nous  entretiennent  de  leurs  infortunes 
par  le  moyen  du  pinceau  d'un  Peintre  , 
ou  dans  les  vers  d  un  Poëte  ;  mais,  com- 
me le  remarque  Diogene  Laerce ,  nous 
ne  les  écouterions  qu'avec  répugnance 
s'ils  dépioroient  eux-mêmes  leurs  mal- 
heurs devant  nous.  Itaqut  eos  qui  lamen- 
tationes  imitantur  Ubemer  ,  qui  autem  vt' 
ri  lamtntantur  ,  hos  jîne  voliiptatt  autU- 
mus  ,  dit  la  Veriion  latine,  (a)  Le  Pein* 
tre  &  le  Poëte  ne  nous  affligent  qu'au- 
tant que  nous  le  voulons  ,  ils  ne  nous 
font  aimer  leurs  Héros  &  leurs  Héroï- 
nes qu'autant  qu'il  nous  plaît  :  au  lieu 
que  nous  ne  ferions  pas  les  maître?  de  la 
meiuré.  de  nos  fentimens  ;  nous  ne  fe- 
rions pas  les  mûtres  de  leur  vivacité  , 

Biv 


:,-,zf--„GoOglc 


tUfitxumt  ctiâqiÊta 
e  de  leur  durée  ,  fi  nous  avions 
ixi  frappés  par  les  objets  mêmes  <[ue 
■ces  nobles  ArtHàos  ont  imités. 

n  eft  Trai  que  les  jeunes  gens  qiû 
s'adomiem  à  la  leânre  des  Romans  , 
dont  Tattiait  confiile  dans  des  imita- 
tions poétique?,  font  filets  à  être  tour- 
mentés par  des  affliâions  &  par  des  dé- 
firs  très-réels  ;  mais  ces  maux  ne  font 
pas  les  foites  néceflatres  de  Témotion 
artifidelle  canfëe  par  le  portrait  de 
Cynts  &  de  Mandane.  Cette  émotion 
arti£cielle  n'en  eft  que  l'occafion  ;  elle 
fomente  dans  le  cœur  d'une  jeune  pei> 
fonne  qui  lit  les  Romans  avec  trop  de 
coût ,  les  principes  des  paffions  natu- 
relles qui  font  deja  en  elle ,  &Ia  difpo- 
fe  ainfi  à  concevoir  [dus  dément  des 
ientimens  pallîonnés  &  férieux  pour 
ceux  qui  font  à  portée  de  lui  en  infpï- 
rer  :  ce  n'eft  point  Cyrus  ou  Mandane 
qui  font  le  fojet  de  fes  agitations. 

On  dit  bien  encore  qu'on  a  vu  des 
honunes  fe  livrer  de  fî  bonne  foi  aux 
impreflîons  des  imitations  de  la  Poëfie  , 
que  la  raifon  ne  pouvoît  plus  reprendre 
ies  droits  fur  leur  imagination  ^arée. 
Onfçait  l'avanture  des  habitans  d'Ab- 
dere  ,  qui  fiu-em  tellement  irappés  pai 


:,-,zf--„GoOglc 


Jar  la  Poifit- &  fur  la  Ptttttun'    }« 
îeS'  images  tr^iques  de  TAndromede 

d'Euripide  ,  que  l'imitation  fit  fur  eux 
une  impreiïïon  fërieufe  Se  de  même  na* 
ture  que  Timpreflion  que  la  chofe  imi- 
tée auroit  fait  elle^nême  :  ils  en  perdi- 
rent le  fens  pour  un  tems  ,  comme  il 
poiurroît  amveT  de  le  pejjdre  à  la  vue 
d*événemens  tragiques  a.rexcè9.0n  ci- 
teau/n  un  bel  efpnt  dademîer  fîécle^qui 
trop  ému  par  les  peintures  de  l'Albëe ,. 
fe  cnitleAuxeiTeur  de  ces  Bergers  ga- 
lands,  qui  n'eurent  jamais,  d'autre  pa- 
trie que  les  eftampes  &  les  tapilTeries- 
Son  imagination  altérée  lui  fit  &îre  des 
extravagances  femblaUes  à  celles  que- 
Cervantes  fait  Élire  en  une  folie  du  ma- 
rne genre  ,  mais  d'une  autre  efpéce ,  à 
fon  Don  Quichotte  ,  après  avoir  fup- 
pofé  que  la  leûure  desprouefTes  de  lai 
Chevalerie  errante  avoit  tourné  la  tête: 
à  ce  bon  GentiHiomme.- 

Il  eA  bien' rare  de  trouver  des  boift- 
mes  qpi'  ayent  en  même-tems  la  cœur 
fi  fenuble  &  là  tête  fi  foible:;  fuppofé 
qa.'il  en  foit  véritablement  de  tels ,  leur 
petit  nombre  ne  même  pas  qu'on  fàlTer 
une  exception  à  cette- règle  géiierale  r 
que.  notre  ame  demeure-  toujours  la 
maitreile:  de  ces  émotions  ruperficiellos- 
B  V 


:,-,zf-„GoOglc 


54  Réfiaàons  critiqua 

que  les  vers  &  les  tableaux  excitent  eit< 

elle. 

On  peut  même  penfer  que  le  Berger 
vilîonnaire  dont  je  viens  deparler,n'au— 
roit  jamais  pris  ni  pannetiere  ni  hou- 
lette, fans  quelque  Bergère  q^'il  voyoit 
tous  les  jours  ;  il  eft  vrai  ieulemenf 
que  fa  pamon  n'auroit  pas  produit  des- 
effets  auffi  bizarres ,  fi ,  pour  me  fervir 
de  cette  expreJHon ,  elle  n'eût  été  en-^ 
tée  fin-  les  dùmeres  dont  la  leâure  de 
l'Aûrée  avoit  ren^lî  fon  imagination. 
Car  pour  Tavanture  d'Abdere  ,  le  fait , 
comme  il  arrive  toujours,eft-bien  moins- 
merveilleux  dans  Tauteur  original  que 
dans  la  narration  de  ceux  qm  nous  !©■ 
donnent  de  la  troiliéme  ou  de  la  fécon- 
de main.  Lucien  raconte  feulement  (a) 
que  les  Abderitains  ayant  vu  la  repré- 
sentation de  l'-Andromede  d'Euripide 
durant  les  chaleurs  les  plus  ardentes 
de  l'été ,  plufieurs  d'entre  eux  qui  tom- 
bèrent malades  Men-tôt  après  ,  réci- 
toient  dans  le  tranfoon  de  la  fièvre  des 
vers  de  cette  tragédie  ;  c'étoit  la  der- 
nière chofe  qui  eût  feit  fur  eux  une 
grande  impreiSon.  Lucien  ajoute  que 
le  froid  de  lliy  ver,  dont  la  propriété  ef^  , 

t-)  OtuiUmMitrtditTiril'Hifi'itt^ 


:,-,zf--„GoOglc 


]ur  la  Poîfit  &fttr  U  Pànture,  j  ^ 
iTt^eindre  les  maladies  épidémiques  al. 
Jumées  par  l'intempérie  de  l'été  ,  fit  çef- 
ier  la  déclamation  &  la  maladie. 


SECTION    IV. 

i^upouvoirqutltsimiuuiofisoatfttrnoss^ 
éf  delà  ftuiliti  arec  laqucUt  U  cour ^ 

Personne  ne  Honte  qne  les  Ppëme* 
ne  puiflent  exciter  en  nous  des  pallions 
artificielles  ;  mais  il  paraîtra  petit-être 
extraordinaire  à  bien  du  monde  &  mê- 
me à  des  Peintres  de  profeffion ,  d'en- 
tendre dire  que  des  tableaux ,  que  de» 
couleurs  appliquées  fur  une  toile  y  puif- 
fent  exciter  en  nous  des  paf&ons  :  ce- 
pendant cette  vérité  ne  peut  fm^ren- 
dre  cme  ceux  qui  ne  ibnt  pas  d'attcn- 
tion  a  ce  quife  pafle  dans  eux-mêmes  J 
Peut-on  voir  le  tableau  du  Pouffin  qui 
repréfente  la  mort  de  Gerraanlcus  ,  fans- 
£tre  ému  de  compalSon  pour  ce  Prînccr 
&  pour  fa  famille  ^  comme  d'iodigna' 
lion  contre  Tibère  î  Les  Grâces  de  lac 
Gallerîe  du  Liiîcembourg  ,  &c  plufieurs 
aatcea  tabkaax  n'auioient  pas  été  défi- 
A  v^ 


:,-,zf--„GoOglc 


^6  Ré^mom  amqua 

gurés ,  fi  leurs  pofleflenrs  les  euflent  vn^ 
uns  émodoR  ;  car  tous  les  tableaux  ne 
font  pas  du  genre  de  cenx  dont  parl^ 
Ariftote ,  quand  il  dît  :  Qu'U  tfi  £ts  ta^ 
tUaux  suffi  capables  de  foin  rentrer  tir 
tax-mémts  les  Hommes  vicieux  ,  f««  les 
préceptes  de  morale  dortnès  par  les  FhUoJt>^ 
fhes.  {à\  Les  perfonnes  délicates  fouf^ 
frent-elles  dans  leurs  cabinets  des  ta-^ 
bleaiiz  dont  les  figures  font  hideufes  ,' 
conune  feroit  le  tableau  de  Promethée 
attaché  an  rocher,  Acpeint  par  Michel- 
Ange  de  Caravage?  L'imitation  d*unoI>-: 
jet  hideux  iàit  fur  elle  une  imprelHoiT 
qui  approche  trop  de  celle  que  l'objet 
même  auroit  làîte.  S.  Grégoire  de  Na- 
àanze  rapporte  ITiiftoire  d'une  Cour- 
ttfane ,  qui  dans  un  lien  oîi  elle  n*etoit 
pas  venue  pour  foire  des  réflexions  fé- 
rieuTes ,  jetta  lesy^ux  par  hazard  furie 
portrait  d'un  Polémon,  Philofoplie  fa- 
meux pour  Ton  changement  de  vie ,  le- 
quel tenoit  du  miracle  ,  &  qui  rentra 
en  elle-même  à  la  vue  de  ce, portrait. 
Cedrenus  raconte  qu'im  tableau  du  Ju- 
gement dernier  contribua  beaucoup  àla 
converfion  d'tui  Roi  des  Bulgares.  Ceinc 
qui  ont  gouverné  les  peuples  i^is  tous 


:,-,zf--„GoOglc 


JurU  Peêp  &/ur  It  Pùnturf.  \f 
■  les  tems ,  ont  toujours  feit  ufage  des 
peintures  &  des  Aatues  pour  leur  mieux 
anfpirer  les  fentimens  qu'ils  vouloient 
leur  donner ,  foit  en-  religion,  foit  ea 
pditique. 

Ces  objets  ont  toujours  feit  une  |ran- 
de  imprefficHi  fur  ks  hommes  ,  pnnci- 
patement  dans  les  contrées  ob  coininu> 
jiémenrife  ont  le  leittinwnta-ès-vif ,  tel- 
les que  font  les  Régions-  de  l'Europe  les 
vius  voifînes  du  Soleil ,  &  les  côtes  de 
l'Afie  Se  de  l'Afrique  qui  font  face  à  ces 
Régions.  Qu'on  le  Ibuvîennede  la  dé- 
feme  que  les  tables  de  la  Loi  font  aux 
Juift  de  peindre  &  de  tai/ler  des  figures 
humaines  :  elles  faifoienttrop  d'impref- 
fion  fur  un  peuple  enclin  par  fon  carac- 
tère à  fe  paâîonner  pour  tous  les  objets 
capables  de  l'émouvoir. 
■  Dans  quelques  pays  Proteftans ,  oii ,' 
Ibus  prétexte  de  Réforme ,  les  ftatues  fie 
les  tableaux  ont  été  bannis  des  Eglifes  ,' 
le  Gouvernement  ne  laifTe  pas  de  met- 
tre en  œuvre  le  pouvoir  que  la  Peintu- 
re a  naturellement  ftu- les  hommes  pour 
contribuer  à  tenir  le  peuple  dans  le  ref- 
peâ  des  Loix.  On  voit  au-delTus  des 
pla^fiTds  oii  ces  Loix  font  écrites  ,  des  ta- 
^aux  repréfentans  1q  fupplice  auquel 


:,-,zf--„GoOglc 


cn< 


)S  'Kifioàoia  erttîqaA 

les  infraâeurs  qui  les  violeroient ,  foi- 
roient  condamnés.  Il  fant  que  dans  ceC 
Etat ,  rempli  d'Obfervateurs  politiques 

Iui  étendent  leur  attention  fur  bien  des 
lofes  aufquelles  On  ne  daigne  point  fai- 
re réflexion  en  d'autres  pays ,  nos  Ob— 
fervateurs  ayent  remarque  que  ces  ta- 
bleaux étoient  propres  à  donner  {]tK. 
moins  aux  en&ns  qui  dràvent  un  jour 
devenir  des  hommes  ,  plus  de  crainte 
des  diâtimens  prononcés  par  la  Loi, 
Dans  la  République  dont  je  parle ,  on 
iàitapprendreàlireanxenâns  dansdes 
Ëvres  dont  l'éloquence  efl  â  la  portée 
de  cet  âge ,  &  remplis  encore  d'image» 
qui  repréfenteot  des  événemens  arrivés 
dans  leur  propre  patrie  ^  lesquels  font 
propres  à  leur  infpirer  de  l'adverfion 
contre  là  puilTance  de  l'Etn'ope  qui  dans 
ieteois  eu  la  plus  fu^âeàla  Républi- 
que. LorTque  le  fyAême  de  TEurope 
vient  à  dianger,tmtàitun  nouveau li-- 
▼re ,  &  on  fiàfHtue  la  Puiflance  qui  eft 
devenue  redoutable  à  l'Etat ,  àla  placet 
ide  celle  qu'il  a  ceffé  de  craindre. 

Laprofeffion  deQuintilîenétoitd'en- 
feigner  aux  honmies- l'art  d'émouvoir 
les  autres  hommes  par  la  force  d^  ix 
parole  :  cependant  Qtiintilien  met  eiç  ' 


....Google 


JurU'Poi^&furla'Pùmart'.  Jj 
fiarallele  le  pouvoir  de  la  Peinture  avec 
le  pouvoir  de  l'art  Oratoire.  Sicininti- 
mos ,  dit-il  en  parlant  de  la  Peinture  (a)  , 
foieeret  affiSus,  ut  ipfam  vim  disxndi  mon 
aunquamjuptrare  viJeatur.he  même  Au- 
teur rapporte  (ju*U  a  vu  quelquefois  les 
accufateurs  fsixe  expofer  dans  le  Tri- 
bunal un  tableau ,  où  le  crime  dont  ils 
pourfuivoient  la  vengeance  ,  étoit  re- 
pr^fenté ,  afin  d'exciter  encore  plus  efB> 
cacement  i*indîgnatioa  des  Juges  contre 
Je  coupable.  On  appelloitla  Peinture  au 
fecours  de  Tart  Oratoire  en  un  tems  oii 
cet  Art  étoit  dans  fa  perfeâion.  Ei  ipft. 
aliquandovUi  &pi3am  taèulam  fupra  Jo- 
vem  f  in  imagirtemni  eu/as  turocitattjudex 
trot  commovendus  (A). 

Quand  on  &it  attention  â  la  fenfibilî- 
té  naturelle  du  cœur  humain  ,  à  fa  dif- 
po£tion  pour  être  ému  tellement  par 
tous  les  objeG  dont  les  Peintres  &  les 
Poîtes  font  des  imitations  ;  on  n'eftpas 
furpris  que  les  vers  &  les  tableaux  mê* 
mes  puilTent  l'agiter.  La  nature  a  voultt 
mettre  en  lui  cette  fenfîbilîté  li  promp- 
te &  fi  ibudaine ,  comme  le  premier  fon- 
dement de  la  fociété.  L'amour  de  foi* 


:,-,zf--„GoOglc 


40  Rifltxîans  mâqi^- 

même  qm  fc  change  prefque  toufoaï^ 
en  amour  propre  immodéré  ,  à  mefure 
que  les  hommes  avancent  en  âge  ,  les 
F«nd  trop  attachés  à  leurs  intérêts  pré- 
fèns  Se  advenir,  &  trop  durs  envers  tes 
autres ,  lorsqu'ils  prennent  leur  réfolu* 
tion  de  fens  raâîs.  Il  étoit  à  propos  que 
Vas  hommes  pufTent  être  tirés  de  cet  état 
facilement.  La  nature  a -donc  pris  le 
parti  de  nous  conflraîre  de  mxniere 
que  l'agitation  de  tout  ce  qui  nous  ap- 
proche eût  im  paiflant  empuefur  nous  ^ 
alîn  que  ceux  qui  ont  befoin  de  notre 
Hidulgence  ou  de  notre  fecours  ,  puA 
fcntnous  ébranler  avec^cilité.  Ainâ 
leur  émotion^  feule  nous  touche  Subite- 
ment ;  &  ils  obtieiBient  de  nons  ,  en 
nsus  attemWffant  ,  ce  qu'ils  n'obtien- 
droient'  jamus  par  la  v«ie  du  rHiTonne-» 
ment  &  de  la  conviâion.  Les  larmes 
d'an'  inconnu  nous  émeuvent  même 
avant  que  nous  fçachions  le  fujet  quî 
le  fait  pleurer.  Les  cris  d'un;  homme 
qui  ne^tient-ànousqnepar  l'humanité,' 
nous  font  voler  à  îbn  fecours  par  un 
niouveiHenrniachinal  qui  précède  tou- 
te délibération-  Celui  qui.  nous  abor- 
de la  joie  peinte  fm-  le  vifage ,  excite 
en  nous  im  fentimeardê  jpie^  avant 


...Xooyic 


far  la  Petfie  &  far  U  Pùmurt,  f  l 
que  nous  foyons  informés  du  iujet  d» 
la  fienne  : 

Vt  riitittihiiianHen  ,■  iufioutlui  tifitat, 
fîiantuà  vttlmi  (fi). 

Fonrqaoi  les  A£leurs  qui  Te  pallïon- 
nent  vétitablement  en  déclamant ,  ne 
Hiffent-ils  pas  de  nous  émouroir  &de 
nous  plaire  ,  bien  qu'ils  ayent  des  dé- 
buts eflentiels  i  c*eA  que  les  hommes 
qui  font  eux-mêmes  touchés ,  nous  toi^ 
cbent  fans  peine.  Les  Aâeius  dont  je 
parie  »  font  émus  véritablement,  &  cela 
leur  donne  le  droit  de  nous  émouvoir  p 
quoiqu'ils  ne  foient  point  capables  d'ex- 
primer les  imffions  avec  la  noblelTe  ni 
avec  la  pfleife  convenable.  La  nature 
dont  ils  font  entendre  fa  voix ,  fupplée 
à  kur  inAiflifance.  Ds  font  ceqnlls  peu^ 
vent  ;  elle  fait  le  refie. 

De  tous  les  talens  qui  donnem  de 
l'empire  fur  les  autres  hommes ,  Te  ta- 
lent le  {^uspuiflàntn'eApas  la  Aipéiio-  > 
rite  d*eforit  &  de  lumières  :  c'eft  le  ta- 
lent de  les  émouvoir  Â  fon  gré  ;  ce  qui 
fe  feit  principalement  en  pasoiffiint  foi- 
méme  ému  ,  âc  pénétré' des  fentimens 
qu'on  veut  leur  infpirer.  C'eftletalent 


:,-,zf--„GoOglc 


4»  Réjlexîoru  erltlques 

d'être  comme  Catilina  ,  CujusràUhetJi^ 
;na^or,. qu'on  appellera  ,ftonveut,  le 
talent  d'être  grand  Comédiep.  Ceux  des 
Anglois  qiiî.font  le  mieux  informés  de 
ITiiftoire  de  leur  pays  ,  ne  parlent  pas 
d'Olivier  Crom'wel  avec  la  même  ad- 
miration que  le  commun  de  la  Nation  ; 
ils  lui  refiifent  ce  génie  étendu  ,  péné- 
trant &  fupérieur  que  lui  donnent  bien 
■  des  gens,  &  ils  lui  accordent  pour  tout 
mente  la  valeur  du  iimplefoldat ,  &  la 
talent  d'avoir  fçu  paroître  pénétré  des 
fentimens  qu'il  vouIoitfeihc&-e,  &  auffi 
ému  des  paflions  qu'il  vouloit  inlpirer 
aux  autres ,  que  sSÎ  les  avoit  fenties  vé- 
ritablement. Xiu-lo'W  ,  ifent-ils ,  lui  ex- 
pliquoit  dans  le  tems  ,  &  comme  on 
i'expKqueàime  femme  qu'on  veut  foire 
agir  dans  une  afiàïre  importante  ,  quel- 
les perfonnes  ilfatloitgagnerpourraire 
réuflir  un  projet,  &  par  quel  endroit  il 
falloir  les  attaquer.  Olivierleurpartoit 
enfuite  fi  pathétiquement ,  qu'il  les  ga- 
gnoit.  L'Europe  Airprife  de  le  voir  aé- 
toumer  à  fon  avantage  l'événement 
qu'on  avoit  cru  le  devoir  perdre  ,  lui 
faifoit  honneur  pour  ce  fuccès  de  phi- 
fieurs  vertus  qu'il  n'avoit  pas  :  c'eft  ainlï 
que  fa  réputation  s'e A  établie.  Quelque;^ 


:,-,zf--„  Google 


fur  la  Poëjte  &fur  la  Pênmrt.  4) 
Contemporains  d'un  Miniftre  des  plus 
illullres  que  la  France  ait  eu  dans  le  der- 
nier fiécle  y  difoient  de  lui  quelque  cho> 
fe  d'approchant. 

Quand  nous  Tommes  dans  tm  de  ces 
réduits  ou  pliifieurs  joueurs  font  ailîs  au- 
tour de  dinérentes  tables ,  pourquoi  un 
infHnâ  lecretnous  fait-il  prendre  place 
anprèsdes  joueurs  qui  riiquent  de  plus 
groâes  fommes ,  bien  que  leur  jeu  ne 
foit  pas  auflî  digne  de  curiofilé  que  ce- 
liti  qui  fe  joue  fur  les  autres  tables?  Quel 
attrait  nous  ramené  auprès  d'eiuc,  quand 
un  mouvement  de  curiolîté  nous  a  fait 
aller  voir  ce  que  la  fortune  dëcidoit  fur 
les  théâtres  voifinsîC'eftquel'émotion 
des  autres  nous  émeut  nous-mêmes ,  fie 
ceux  qui  jouem  gros  jeu  nous  émeuvent 
davantage ,  parce  qu'eux-mêmes  ils  font 
plus  émus. 

Enfin  il  eft  facile  de  concevoir  com- 
ment les  imitations  que  la  Peinture  fie 
la  Poëfîe  nous  préfentent ,  font  capables 
de  nous  émouvoir ,  quand  on  fait  réfle- 
xion qu'une  coquille  ,  une  fleur  ,  une 
médaille  oii  le  tems  n'a  laifl'é  que  des 
,  phantômes  de  lettres  Se  de  figures ,  ex- 
citent des  pafTions  ardentes  fie  inquiè- 
tes ;  le  déÛT  de  les  voir ,  fie  l'envie  de 


:,-,zf--„GoOglc 


4<|  Réfifxîons  mtufua 

les  pofieder.  Une  grande  paflion  alEirï 
mée  par  le  plus  petit  objet ,  eft  un  évé- 
nement ordinaire.  Bien  n*eft  furprenant 
dans  nos  paOlons  qu'ime  longue  durée. 


SECTION    V. 

Çitf  Pltuonnthanmt  Us  Potta  tU/aR^ 

puhUqtu ,  ipt'à  caufe  de  Vimpnj^on  trop 
grande  (fit  leurs  imittuto/u  ptuven» 
ptirt^ 

Xj'lMPRESSlOît  que  Tes  imitations 

font  fur  nous  en  certaines  cîrconftances 
]»aroit  même  û  forte ,  &  parconféquent 
fi^dangereiife  t  Platon ,  (pt'elle  eft  caufe 
de  la  réfolution  qu'il  prend  de  ne  point 
foufïnr  l'imitation  Poétique  ,.ou  la  Poë- 
fie  proprement  dite  ,  dans  cette"  Répu- 
blique idéale  dont  il  règle  la  conftituuon 
avec  tant  de  plaiiir.  U  craint  que  les 
peintiu*es  &les  imitations  qui  font  l'eC- 
îenccde  la  Poëfie  ,  ne  iaffent  tropd'et- 
fet  fur  l'imagination  de  fon  peuple  fa- 
vori, qu'il  fe  repréfentoit  avec  la  con- 
ception auffi  vive  &  d'im  naturel  auffi 
ienlîblë  que  les  Grecs fes compatriotes. 
l^sPoëtes,. dit  Platon,  ne  feplai&n^ 


:,-,zf--„GoOglc 


pir  U  Poëjîe  S-farU  Peinture.     4^ 

fouit  "k  nous  décrire  la  traoquUlité  de 
intérieur  d'un  homme  fage  ,  qui  cou* 
ferve  toujours  une  égalité  d'efprità  1*^ 
m-euve  des.peio£$:&:desplaiûrs.  Us  ne 
font  pas  fervir  te  ^ent  de  la  fiâion  à 
nous  peindre  la  fitiiation  d'un  homme 

Si  foufte  avec  confiance  la  perte  d'un 
s  unique^a).  Ils  n'intradwiect  pas  fur 
les  théâtres  des  perfonnages  qui  fça- 
chent  &ire  taire  les  palHous  devant  U 
ralfon.  Les  Poètes  n'ont  pas  tort  ,fur  ce 
fioint,  UnStoïcienjouereitjunrôlehien 
ennuieux  dans  une  tragédie.  Les  Poètes 
qui  veulent  nous  émouvoir ,  c'efl  Platos 
<pù  reprend  da  parole  ,  préientent  des 
objets  bien  diâerens  ;  ils  introduifeot 
dans  leurs  Poèmes  des  homraes  livrés  à 
des  defîrs  violens,  des  hommes  en  proie 
à  toutes  les  agitations  despafEoos,  ou 
om  luttent  du  moins  contre  leurs  fecoui^ 
les.  En  eiTet  les  Poëtes-fçavem  il  bien 
<pie  c'eil  l'agitation  d'un  aâew  qui 
nous  feit  prenike  plaifir  à  rentendre  * 
parler  »  qu'ils  font  dii^aroître  les  perfon- 
nages  dès  qu'il  ell  décidé  s'ils  feront 
heureuK  ou  malheurmx,  dès  que  leur 
deftinéeeft fixée.  Or,fuivant  le  fenti- 
;Dient  de  Platon  y  l'habitude  d-'  fe  livrer 


:,-,zf--„GoOglc 


•'J^6  RêJUxions  eritiijutf 

aiixpaflîons,mêmeàces  paffionsardfi' 
cielles ,  que  la  Poëfie  excite  ,  affoiblit 
en  nous  l'empire  de  Tame  foirituelle  ,  fie 
nous  difpole  à  nous  lamer  aller  aox 
mouvemens  de  nos  appétits.  C'eft  un 
dérangement  de  Tordre  que  ce  Philofo- 

{thevoudroît  établir  dans  les  aâions  de 
"homme  qui ,  félon  lui ,  doivent  être 
réglées  par  fon  intelligence,  &  non  pas 
eouvemées  par  les  appétits  de  Tame  fen* 
îitive. 

Platon  (*i)  reproche  encore  un  autre 
inconvénient  à  la  Poëfie  :  c'eft  que  les 
Poètes,  enfc  mettant  aufll  fouvent  qu'ils 
le  font  à  la  place  des  hommes  vicieux 
dont  ils  veulent  exprimer  lesfentlïnens, 
contraflentà  laiînies  moeurs  vîcieufes 
dont  ils  font  tous  les  jours  des  imita' 
tions.  Il  eft  trop  à  craindre  que  leur  ef- 
prit  ne  fe  corrompe  à  force  de  s'entre- 
tenir des  idées  qui  occupent  les  honunes 
corrompus.  Friqmns  imitatio ,  a  dit  de- 
puis Quintilien  (Ji)  en  parlant  des  Co* 
médiens ,  tranjît  in  mores. 

Platon  (c)  appuie  de  fa  propre  expé- 
rience les  raifonnemens  qu'il  rait  furies 

W\r>t  tefjib.  t.f.  il". 

(*)/y.o-;;i.,.r. ... 


:,-,zf--„GoOglc 


fttrîa  Poifit  &  fur  la  Peinture,  ^y 
inauvais  effets  de  laPoëfie.  Aprèsavoif 
avoué  que  fouvent  il  s'eit  trop  laifle  ie- 
duire  à  Tes  charmes,  il  compare  la  pei- 
ne  qu'il  fent  à  fe  féparer  d  Homère  i 
la  peine  d'un  amant  forcé ,  après  bien 
des  combats  ,  à  quitter  une  maîtrefle 
qui  prend  trop  d'empire  iur  lui.  D  l'ap- 
pelle ailleiu-s  le  Poète  par  excellence  Se 
Je  premier  de  tous  les  inventeurs.  Si 
P/aton  exclut  les  Poètes  de  fa  Républi- 
que ,  on  voit  bien  qu'il  ne  les  en  exile 
que  par  la  même  raifon  qui  engage  les 
Prémcateurfi  à  prêcher  contre  les  fpec- 
tacles  ,  &  quifaifoit  chalTer  d'Athènes 
ceux  des  citoyens  qui  pîaifoienttrop  à 
leurs  compatriotes. 

Voilà  les  motifs  qiù  font  profcrire  à" 
Platon  la  partie  de  l'Art  poétique  qui 
confiile  â  peindre  &  à  imiter  ;  car  il 
confent  à  garder  dans  fa  République  la 
partie  de  cet  Art  qui  enfeigne  la  conf- 
truaion  du  Vers  &  la  compofition  du 
Métré  ;  c'eft  la  partie  de  l'Art  qu'on 
nomme  fouvent  Verfification ,  &  que 
nous  appellerons  quelquefois  dans  ces 
Réflexions  la  Mécanique  de  la  Poëfie. 
Platon  vante  même  aflez  cette  partie  de 
ï'Art  poétique ,  laquelle  fçait  rendre  un 
^cpurs  plus  pompeux  &  plus  agréable 


.C.oo.jlc 


40  RljUxions  criùquts 

à  foreille  ,  en  introdutfant  dans  A^ 
phrafes  un  nombre  &C  une  hannonie 
qui  lui  plaifent  plus  que  la  cadenix  de 
laprofe.  Selon  Lui ,  les  louanges  des 
Dieux  &  celles  des  Héros  mifes  en  vers 
en  deviennent  plus  capablesde  plaire  & 
lie  fe  faire  retenir.  Le  but  de  Platon  eft 
toujours  de  conferver  dans  Jbn  état  les 
parties  d'un  Art  qui  font  prefque  inca- 
pables de  nuire ,  lorfqu'il  profcrit  celles 
quihiiiemblenttropdangereufes.  C'efl 
ainfi  qu'en  bannifTant  de  fa  République 
ceux  o&sMoJes  de  la  Muiique  ancienne  , 
dont  les  chants  mois  &  efFéminés  lui 
fontfitfpeâs,il  y  conferve  d'autres  Mo- 
des dont  les  chants  ne  luiparoiflent  pas 
devoir  être  pernicieux. 

On  poiuToit  répondre  à  Platon,  qu*ufl 
Artneceflaire  &  mètneUmpleaieiK  uti- 
le dans  la  fociété,n'en  doit  pas  être  foan^ 
ni ,  parce  qu'il  peut  devenir  un  Art  nuî- 
fible  entre  les  mains  de  ceux  qui  en  abu- 
ieroient.  On  ne  doit  {H'ofctire  dans  un 
Etat  que  les  Arts  fuperihis  &  dai^ereiix 
en  meme-tems ,  &  fe  contenter  de  pren- 
dre des  précautions  pour  empêcher  les 
Arts  utiles  d'y  faire  du  dommage  :  Pla- 
ton lui-même  ne  défend  pas  de  cidti- 
yer  la  vigne  fur  les  côteaiut  de  fa  Ré- 
publique ^ 


:,-,zf--„GoOglc 


JiirlaPoëfie  &  fur  la  Pùneurù  -49 
publique ,  quoique  les  excès  du  vin  faf^ 
iènt  commettre  de  grands  dëfordrcs ,  6c 
ijuoique  les  attraits  de  cette  liqueur  en- 
gagent Ibuvent  d'en  prendre  au-delà  du 
befoin. 

Le  bon  ufage  que  pluHeurs  Poètes 
ont  fait  dans  tous  les  tenis  de  l'inven- 
tion Se  des  imitations  de  la  Poëfie,  mon- 
tre aâèz  qu'elle  n'eft  pas  un  Art  inutile 
dans  la  Ibciété.  Comme  il  eft  aufG  pro- 
pre par  fa  nature  à  peindre  les  a£bons 
qui  peuvent  porter  les  hommes  aux 
penfëes  vertueufes ,  que  les  aftions  qui 
peuvent  fortifier  les  inclinations  cor- 
rompues :  il  ne  s'agit  que  d'en  faire  un 
bonidage.  La  peinture  des  aâlons  ver- 
tueufes échauffe  notre  ame  ;  elle  l'élevé 
en  quelque  façon  au^delTus  d'elle-m2- 
me ,  £c  elle  excite  en  nous  des  palTions 
louables  y  telles  que  font  l'amour  de  la 
patrie  &  de  la  gloire.  L'habitude  de  ces 
payions  nous  rend  capables  de  bien  des 
efforts  de  vertu  &  de  courage ,  que  la 
raifon  feule  ne  pourroit  pas  nous  faire 
tenter.  En  effet  le  bien  de  la  fociété  exi- 
ge fouvent  des  fervices  fi  difficiles ,  qu'il 
eft  bon  que  les  paffiôns  viennent  au  fe- 
xours  du  pouvoir  pour  engager  un  ci- 
toyen à  les  rendre.  Enfin  un  bon  Poïte 
Tomil.  C 


:,-,zf--„GoOglc 


^9  Jtcjltxîotts  erîtîquef 

içait  dîfpofer  de  manière  lespeintures 
au*il  fait  des  vices  &  des  pâmons  ,  que 
[es  Leûeurs  en  aiment  davantage  la  ïa.^ 
eeffe  &  la  vertu.  En  voilà  fuffifamment 
I  ce  fujet ,  d'autant  plus  que  les  Poëûes 
'  Françoifes ,  conune  nous  le  dirons  dans 
)a  fuite  ,  ne  fçauroient  prendre  le  mê- 
me erapre  fur  les  hommes  que  celle 
dont  Platon  craignoit  fi  fort  les  effets. 
I>*ailleiu-s  notre  naturel  n'eA  pas  auffi 
vif ,  ni  aulfi  fenfible  que  l'étoit  celui  des 
Athéniens. 

Mais  Platon  fait  encore  ime  autre  ob- 
ïeâion  contre  le  mérite  de  la  Poefie. 
C'eft  que  les  Poètes  ne  fpnt  que  les 
imitateurs  Ôc  les  copiées  des  ouvrages 
&  des  produâions  des  autres  aitifans. 
î-e  Poète  (a)  qui  fait  la  defcription  d'un 
Temple  n'eft,  félon  lui ,  que  le  copifte 
de  l'Architeûe  qui  Ta  fait  élever  ;  j'en 
tombe  d'accord  y  &  que  j'aimerois 
mieux  être ,  par  exemple  ,  l'Architeâe 

r'  a  faitbltu"  l'Eglife  de  Saint  Pierre 
Rome ,  que  le  Poëte  qui  en  auroit 
fait  en  vers  ime  belle  defcription.  }e 
veux  même  qu'il  y  ait  plus  de  mérite  à 
trouver  les  proportions  qui  rendent  un 
yaiffeau  excellent  yoiliçr ,  qu'ij  déçrjfÇ 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  ta  Poëfie  &fur  ta  Peinture,  ^f 
la  rapidité  de  fon  vol  fur  les  vaftes  p*  .I- 
nes  cle  la  mer.  Mais  fouvent  aufli  le  m^ 
rite  eft  moindre  à  être  l'ouvrier  qu'à 
être  rimitateiir  ?  N'y  a-t'il  pas  plus  de 
jmérite  d'avoir  peint  un  vieil  livre  com- 
me l'a  fait  Defpréaux ,  que  de  l'avoir 
relié ,  6c  imprimé  fi  Ton  veut } 

(a),A  ceimcu  ,ilf«illi  un  vieil  b^nûci 

GrofEdctvilîoiii  il'Accurle&  d'AtcUc, 

Inutile  lamu  de  gothique  écriiure , 

Dont  quatre  ûi  mil  unis  rormoieni  U  conveitoréi 

Entourée  à  demi  d'uD  vieux  pirthcmin  noir , 

Où  pendait  à  troii  clou*  un  reftc  de  fermoir*     ** 

Ici  le  Copiflevaut  mieux  que  l'Ori- 

final.  D'ailleurs  combien  de  chofes  les 
oëtes  imitent-ils  -^  lefquelles  ne  font 
pas  Toiivrage  des  hommes ,  comme  le 
tonnerre  ôc  les  autres  météores ,  en  un 
inot  toute  la  nature  ,  l'ouvrage  du  Créa- 
teur. Maisceraifonnememdeviendroît 
une  difcuilion  Philofophique  qui  nous 
menerolt  trop  loin  ;  contentons-nous 
de  dire  que  la  fociété  qui  exclueroit  de 
fon  fein  tous  les  citoyens  dont  l'art 
pourroitêtrenuifible,deviendroitbient 
0t  le  féjour  de  l'ennui. 

f/i)  Beit.  Lulrin.  C64nr.|. 


:-„r.,  Google 


"5  %  Rifiextans  cmiques 


SECTION     VI. 

J)e  la  nature  desfujets  que  la  Peinture  G' 
Us  Poêles  traiteru.  Qu'ils  ne  ffouroiene 
les  choifir  trop  intérejfans  par  eux-mê'- 
ffs, 

iJÈs  querattraitprincipaldelaPoë' 
fie  &  de  la  Peinttire  ,  dçs  que  le  pou- 
voir qu'elles  ont  pour  nous  émouvpïr 
&  pour  nous  plaire  ,  vient  des  imita-* 
tions  qu'elles  fçavent  faire  des  objets 
capables  de  nous  intéreffer  :  la  plus 
grande  imprudence  que  le  Peintre  ou  le 
Poëte  puiffent  feire  ,  c'eft  de  prendre 
pour  l'objet  principal  de  leur  imitation 
des  chofes  que  nous  regarderions  avec 
indifférence  dans  la  natiu-e  :  c'eft  d'em- 
ployer leur  Art  à  nous  repréfenter  des 
adions  qui  ne  s'attireroient  qu'une  at- 
tention médiocre  fi  nous  les  voyions  vé* 
rilablement.  Comment  ferons  -  nous 
touchés  par  la  copie  d'un  original  incaf 
pable  de  nous  aflefler  î  Comment  fe- 
rons-nous attachés  par  un  tableau  qui 
repréfente  im  villageois  paflànt  fon  cne- 
mm  eq  copduifant  à^wi  bêtes  de  fom* 


:,-,zf--„GoOglc 


furla  Po'èfie  &  fur  la  Peinture,       jj: 
|ne ,  11  raâion  qiie  ce  tableau  imite  ne 
peut  pas  nous  attacher  ?  Un  conte  en 
vers  qui  décrit  une  avantiu-e  que  nous 
aurions  vue  ,  fans  y  prendre  beaucoup 
d'intérêt    ,     nous    internera    encore 
moins.  U^imîtation  agit  toujours  plus 
foiblement  que  l'objet  imité  (a)  :  Quid~ 
qu'id  alterijîm'deefl ,  nccejfe  ejl  minus  Jti  , 
e&  quodinutatur.  L'imitation  ne  fçauroit 
donc  nous  émouvoir,  quand  la  chofe 
imitée  n*efl:  point  capable  de  le  faire. 
Les  fujets  que  Teniers ,  ■VoTCeritlans  & 
les  autres  Peintres  de  ce  genre  ont  re- 
préfentés  ,  n'auroient  obtenu  de  nous 
qu'une   attention   très-légère.  II  n'eft 
tien  dans  l'aftion  d'une  fête  de  village 
ou  dans  les  divertiflemens  ordinaires 
d'un   corps-de-garde  qui  puiffe  nous 
émouvoir.  Il  s'enfuit  donc  que  l'imita- 
tion de  ces  objets  peut  bien  nous  amu- 
fer  durant  quelques  momens  ,  qu'elle 
peut  bien  nous  raire  applaudir  aux  ta- 
lens  que  l'ouvrier  avoit  pour  L'inuta- 
tion  ,  mais  elle  ne  fçailroit  nous  tou- 
cher. Nous  louons  l'art  du  Peintre  à 
bien  imiter  ,  mais  nous  le  blâmons  d'a- 
voir choifi  pour  l'objet  de  fon  travail 
I      des  fujets  qui  nous  intéreffem  fi  peu, 

C  iij 


:,-,zf--„GoOglc 


~t^  Réfix'ions  crtii^uiS 

Le  plus  beau  payfage  ,  fût-iï  du  Tv^ 
tien  &  du  Carrache ,  ne  nous  intéreffe 
pas  plus  que  le  feroit  la  vue  d'un  canton 
de  pays  i&eipc  ou  riant  t  il  n'eft  rien 
dans,  un  pareil  tableau  qui  nous  entre- 
tienne ,  pour  ain£  dire  ;  &  comme  il  ne 
nous  touche  guéres ,  il  ne  nous  attache 
pas  beaucoup.  Les  Peintres  intelligens 
ont  fi  bien  connu  ,  ils  ont  fi  bien  fenti 
cette  vérité  ,  que  rarement  ils  ont  Élit 
des  payfages  déferts  èc  fans  figures.  Ils 
les  ont  peuplés  ,  ils  ont  introduit  dans 
ces  tableaux  un  fujet  compofé  de  plu- 
sieurs perfonnages  dont  l'aftion  fût  ca- 
pable de  nous  émouvoir ,  &  par  conie- 
quent  de  nous  attacher.  C'eft  ainfi  qu'en 
ont  ufé  le  Pouflin  ,  Riibens  &  d'autres 
grands  Maîtres ,  qui  ne  fe  font  pas  con- 
tentés de  mettre  dans  leurs  payfages  ua 
homme  qui  paffe  fon  chemm  ,  ou  bien 
une  femme  qui  porte  des  finaitsauinar- 
ché.  Ils  y  placent  ordinairement  des  fi- 
gures qui  penfent ,  afin  de  nous  donner 
Ëeu  de  penfer  ;  ils  y  mettent  des  hom- 
mes agités  de  paffions  ,  afin  de  réveiller 
les  nôtres ,  &  de  nous  attacher  par  cet- 
te agitation.  En  effet  on  parle  plus  fou- 
vent  des  figures  de  ces  tableaux  que  de 
leurs  terrafies  Se  de  leurs  arbres.  Lg 


:-„r., Google 


fur  la  Potjtt  ^  fur  ta  Peîniurf.  ^J 
Bayfage  que  le  Poulfin  a  peint  pliifieurs 
lois  ,  &  qui  s'appelle  communément 
VÀriadie  ,  ne  feroit  pas  fi  Tante  ,  s'il 
Aoit  fans  figures. 

Qui  n'a  point  entendu  parler  de  cettd 
fâmeufe  contrée  qu'on  imagine  avoif 
^té  durant  un  tems  le  fëjour  des  habi-r 
tans  les  i^us  heureux  qu'aucune  terre 
aitjamais  portés  ?  honunes  toujours  oc- 
cupés de  leurs  plaifirs  ,  &  qui  ne  con-' 
noiiToient  d'autres  inquiétudes ,  ni  d'au- 
tres malheurs  que  ceux  qu'elTuient  dans 
les  Romans  ces  Bergers  chimériques 
dont  on  veut  nous  foire  envier  la  con- 
dition. Le  tableau  dont  je  parle  «repré- 
fente  le  payiage  d'une  contrée  riante. 
Au  milieu  1  on  voit  le  monument  d'ime 
jeune  fille  morte  à  la  fleur  de  fon  âge  ! 
c'efl  ce  qu'on  connoît  par  la  ftatue  de 
cette  fille  couchée  fur  le  tombeau ,  à  la 
manière  des  anciens.  L'infcription  fé- 
pulcnrïe  n'eft  que  de  quatre  mots  La- 
tins :  7e  vivois  cependant  en  Arcadie  , 
Et  in  Arcadia  ego.  Mais  cette  infcrip- 
don  fi  courte  fait  faire  les  plus  férieu- 
fes  réflexions  à  deux  jeunes  garçons  & 
à  deux  jeunes  filles  parées  de  guirlandes 
de  fleurs ,  &  qui  paroiflent  avoir  ren- 
contré ce  monument  £  trifte  en  des 
Çiv 


:,-,zf--„GoOglc 


'  *6  Réflexions  Critiques 

lieiixoii  l'on  devine  bien  qu'ils  ne  cfiet— 
choient  pas  un  objet  affligeant.  Un  d'en- 
tre eiix  fait  remarquer  aux  autres  cette 
infcripticnen  la  montrant  du  doigt,  ôc 
l'on  ne  voit  pltts  fur  leurs  vifages ,  à  tra- 
vers l'affliûion  qui  s'en  empare ,  que  les 
reftes  d'tme  )oie  expirante.  On  s'ima- 
gine entendre  les  réflexions  de  ces  jeu- 
nes perfonnes  fur  la  mort  qui  n'épargne 
ni  rage ,  ni  la  beauté ,  &  contre  laquelle 
les  plus  heureux  climats  n'ont  point  d'a- 
zile.  On  fe  figure  ce  qu'elles  vont  fe 
dire  de  touchant ,  lorfqu' elles  feront  re- 
venues de  la  première  fiuprife ,  &  l'on. 
l'applique  à  foi-même  &  à  ceux  à  qui 
l'on  s'intérefîe. 

Il  en  eft  de  la  Poëfîe  comme  de  la 
Peinture ,  &  les  imitations  que  la  Poë- 
fie  fait  de  la  nature ,  nous  touchent  feu- 
lement à  proprotlon  de  l'impreffionque 
la  chofe  imitée  feroitfur  nous  ,  fi  nous 
la  voyions  véritablement.  Un  conte  en 
vers' dont  le  fujet  ne  feroit  point  plai- 
fant  par  lui-même  ,  ne  feroit  rire  per- 
fonne  ,  quelque  bien  verfifié  qu'il  pût 
être.  Quandune  Satire  ne  met  pas  dans 
un  beau  jour  quelque  vérité  dont  j'a- 
vois  déjà  un  fentiment  confiis ,  quand 
elle  ne  contientpasde  ces  maximes  di-v 


:,-,zf--„GoOglc 


Jîtr  ïd  Peijte  &fur  U  Pàtuure.     y/ 

fnes  de  pafler  incefTaininent  en  prover- 
es,  à  caufe  du  grand  fens  qu'elles  ren- 
ferment en  abrégé ,  je  puis  tout  au  plus 
la  louer  d'être  bien  ècnte  ;  mais  je  n'en 
retiens  rien  ,  &  j'ai  aufli  peu  d'envie  de 
la  vanter  que  de  la  relire.  Si  le  trait  de 
rE-pigramme  n'eft  pas  vif ,  fi  le  fujet 
n'en  eft  pas  tel  qu'on  l'écoutât  avec 
plai£r  ^  quand  ciême  il  feroit  raconté  eff 
profe,  I  Epigramme ,  quoique  bienver- 
fifiée  &  rimée  richement ,  ne  fera  rete- 
nue de  perfonne.  Un  Poëte  Dramati- 
C]uë  qui  met  fes  perfoonages  en  des  fi' 
tuations  qui  font  fi  peu  intérefT^ites  ^ 
que  j'y  verrois  réetlemenfcdes  perfon- 
nés  de  ma  connoilTance ,  fans  êtce  bien 
ému ,  ne  m'émeut  gnércs  en  faveur  de 
fes  performages.  Comm»it  la  copie  me 
toucheroit-eîlft  fi  l'original  n'eft  pas  ca- 
pables de  me  toucher  2 


Ct.. 


:,-,zf--„GoOglc 


^S  RéfiexloTis  crùîquû 


SECTION    V  n. 

Que  la.  Tragédie  nous  aff^  plus  qut  lit 
Comédie  ^  à  eaufe  de  la  nature  des  y«^ 
jets  que  la  Tragédie  trait*. 

C2  Uand  on  fait  réflexion  que  la  Tra- 
gédie afFeâe  ,  qu'elle  occupe  plus  une 
grande  partie  des  hommes  que  la  Corné' 
oie  ,  il  n'eâ  plus  permis  de  donto*  que 
les  imitations  ne  nous  intéreflè  qu'à 
proportion  de  l'impreflion  plus  ou  moins 
grande  que  l'objet  imité  auroil  feit  fur 
nous.  Or  il  eft  certain  que  les  hommes 
en  général  ne  font  pas  autant  émus  par 
l'aftion  théâtrale ,  qu'ils  ne  font  pas  auffi 
livrés  au  fpeâacle  dînant  les  repréfen- 
tatîons  des  Comédies ,  que  durant  cet; 
les  des  Tragédies.  Ceux  qui  font  leur 
amufement  de  la  Poëfie  Dramatique  , 
parlent  plus  fouvent  &  avec  plus  d'af- 
feûion  des  Tragédies  que  des  Comédies 
qu'ils  ont  vues;  ils  fçavent  un  plus  grand 
nombre  de  vers  des  pièces  de  Corneille 
&  de  Racine ,  que  de  celles  de  Molière. 
Enfin  nous  fouflrons  plus  volontiers  le 
médiocre  dans  le  genre  Tragique  quQ 


:,-,zf--„GoOglc 


ptr  Ut  Potfie  &fitr  la  Pàntun.  ^^ 
^s  le  genre  Comique ,  qui  fembIen*a-< 
Toir  pas  le  même  droit  fur  notre  atteat 
don  que  le  premier , 

hjhtt  Conktiit  tûito 
Vha  ontnt ,  giaïao  *nâ^  mûmi. 

à\(bit  Horace,  (a)  Tous  ceux  mii  tra^ 
vaillent  pour  notre  théâtre  parlent  do 
même  ^  &  ils  afTurent  qu'il  eu  moins 
dangereux  de  donner  un  rendez-vous  an 
pubucpoiu'le  divertir  en  le  faifantpleu< 
rer ,  que  pour  le  divertir  en  le  f^fant 
me. 

n  femble  cependant  que  la  Comédie 
iitt  attacher  les  hommes  plus  que  la 
Tragédie.  Un  Poète  Comique  ne  dé^ 
peint  pas  anu:  rpeûateiu-s  des  Héros,  ou 
descaraâéres  qu'ils  n'ayent  jamais  con- 
nus que  par  les  idées  vagues  que  leuv 
imagination  peut  en  avoir  formées  fur 
le  rapport  des  Hiftoriens  :  il  n'entretient 
pas  le' parterre  de  conjurations  contre 
l'Etat,  d'oracles  ni  d'autres événcmens 
merveilleux,  &  tels  que  la  plupart  des 
^peûatenrs ,  qui  jamais  n'ont  eu  part  à 
wsavantures  femblables ,  ne  fçauroîent 
bienconnoîtrefilescitconftane^&:  les 
fuites  de  ces  avantures  font  expofées 

{<•)  Itk  f  ri».  Efi  |I<f' f rtW, 


:,;,zf--„GoOglc 


(O  Rifitxîons  critiques 

avec  vraifemblance.  Au  contrMre  lé 
Poëte  Comique  dépeint  nos  amis  ,  &C 
les  perfomies  avec  qui  noiis  vivons  tous 
les  jours.  Le  théâtre  ,  fuivant  Platon 
(a) ,  ne  fubfifte  ,  pour  ainfi  dire ,  que 
des  feutes  ■oii  tombent  les  hommes  , 
parce  qu'ils  ne  fe  connoiâTent  pas  bien 
eux-mêmes.  Les  ims  s'imaginent  êtte 
plus  puiiTans  qu'ils  ne  ront  ,  d'autres 
plus  éclairés,  &c  d'autres  en£nplus  ai- 
mables. 

I^  Poëte  Tragique  nous  expofe  les 
înconvéniens  dont  l'ignorance  de  ibi". 
même  eit  caufe  parmi  les  Souverains ,  ôc 
les  autres  perfonnes  indépendantes  qui 
peuvent  fe  venger  avec  éclat ,  dont  le 
reffemiment  eft  naturellement  violent , 
&  dont  les  paffions  propres  à  être  trai- 
tées fur  la  Icéne ,  peuvent  donner  lieu  à 
de  grands  événemens.  Le  Poëte  Comi- 

3ue  nous  expofe  qu'elles  font  les  fuites 
e  cette  ignorance  de  foi-même  parmi 
Je  commim  des  hommes ,  dont  lereffen- 
timent  eu  alTervi  aux  loix  ,  &  dont  les 
paffions  propres  au  théâtre  rte  fçauroient 
produire  que  des  brouilleries ,  en  luk 
mot  des  projets  &  des  événemens  ordi- 
naires.   ■  , 

(0  11  Tkil.  p.  ji.  ,      ■ 


:,-,zf-„  Google 


Jur  la  Pol/i*  ùfuT  kt  Pànturt.  6t 
Le  Poëte  Comique  nous  entretient 
Ubnc  des  avantiu-es  de  nos  égaux ,  &  il 
nous  préfente  des  portraits  dont  nous 
voyons  tous  tes  jours  les  originaux. 
Qit'on  me  pardonne  l'expreffion  :.  il  &it 
monter  le  parterre  même  for  la  fcéne. 
Les  homnœs  toujours  avides  de  dëmé- 
ler  le  ridiciile  d'autnii ,  6c  naturelle- 
ment défirexiK  d'acquérir  toutes  les  lu- 
mières qui  peuvent  les  autorifer  à  moins 
cfttmer  les  autres  ,  devroient  donc  trou- 
rermieuK  leurcompteavecThaliequ'a- 
Tec  Melpomêne  :  Thalie  eA  encore  plu$ 
feràle  que  Melpomêne  en  leçons  k  no- 
tre ufage.  Si  la  Comédie  ne  corrige  pas 
tous  les  débuts  qu'elle  joue  ,  elle  eniei- 
gne  du  moins  comment  il  feut  vivre 
avec  les  hommes  qui  font  fujets  à  ces 
défauts  ,  &  comment  il  hvt  s'y  pren- 
dre pour  éviter  avec  eitx  la  dureté  qui 
les  irrite^  &  la  bafTe  complaifance  qui 
les  flatte.  Au  contraire- la  Tragédie  re- 
présente des  Héros  à  qui  notre  litua- 
tion  ne  nous  permet  guéres  de  vou- 
loir refTemblcr  ,  èc  fes  leçons  &  fes 
exemples  roulent  fur  des  événemens  fi 
peu  femWables  à  ceitx  qui  nous  peuvent 
arriver  ,  que  les  applications  que  nous 
pn  voudrions  feire  ,  fçroient  toujoius 


:,-,zf--„GoOglc 


€i  Réflexions  trixi^uei        ^ 

bien  vagues  &  bien  icqtai&itesr 

Mais  la  Comédie  ,  fuÎTant  la  défiiô* 
tion  d'Ariftote  (a)  eft  l'iioitation  du  ri- 
dicule des  hommes  :  &  la  Tragédie  ,  fui* 
Tant  la  fignification  qu'on  donnoit  à  ce 
mot  (^) ,  eft  l'imitation  de  la  vie  &  <hi 
difcours  des  Héros ,  ou  des  hotmnes  ïu- 
jets  par  leur  élévation  aux  paffions  les 
plus  violentes.  Elle  eft  rimitation  des 
crimes  &  des  malheurs-dés  grands  hom- 
mes ;  comme  des  vertus  les  plus  fubli. 
mes  dont  ils  foient  capables.  Le  Poète 
Tragique  nous  fait  voir  les  hommes  en 
proie  aux  paffions  les  plus  emportées  fie 
dans  les  plus  grandes  agitations .  Ce  font 
des  Dieux  injuftes ,  mais  tout-f  uiiïans  ^ 

3ui  demandent  qu'on  égorge  aux  pieds 
e  leurs  autels  ime  jeune  PrmcelTe  inno- 
cente. C'eft  le  grand  Pompée  ,  le  vain- 
3ueur  de  tant  de  Nations ,  &  la  terreur 
es  Rois  de  l'Orient ,  maflacré  par  de 
vils  efclaves.  Nous  ne  reconnoiffons 
^s  nos  amis  dans  les  perfonnages  da 
Poëte  Tragique ,  mais  leurs  paffions  font 

Îilus  impétueufes  ;  Sc  comme  les  loixne 
ont  pour  ces  paffions  qu'un  frein  très- 
foible ,  elles  ont  bien  d'autres  fuites  quQ 


:,-,zf--„Go6glc 


JurUPoëJîe  &  fur  la  Pàmun',  ttf 
les  paflîons  des  perfonnages  du  Poëte 
Comique.  Ainfi  la  terreur  &  la  pitii  , 
que  la  peinture  des  événemens  tragiques 
excite  dans  notre  ame ,  nous  occupent 
plus  que  le  lire  &  le  mépris  que  les  incir 
dens  des  Comédies  excitent  en  nous. 


SECTION    VIII. 

'Dts  £.ffêrens  genres  de  la  Poëfe  &  deleuf^ 
caraSire. 

X  L  en  eft  de  même  de  toits  les  genres 
de  Poëfie ,  &c  chaque  genre  nous  touche 
àproportionquelobjet,  lequelileftde 
fonenence  de  peindre  &  aimiier  ,  eft 
capable  de  nous  émouvoir.  Voilà  poui^ 
quoi  le  genre  Elégiaque  &  le  genre  Bu- 
colique ont  plus  d'attrait  poiu-  nous  ,' 
que  le  genre  Dogmatique.  Ainfi  Us  vert 
que  Joupiroit  Tibulle  &  que  l'amour  lui 
diéîoit ,  pourme  fervir  de  l'expreffion  de 
l'Auteur  de  l'Art  poétique  ,  nous  plai- 
dent infiniment  toutes  les  fois  que  nous 
les  relifons.  Ovide  nous  charme  dans 
celles  de  fes  Elégies  oîi  il  n'a  pas  fubfti- 
tué  fon  efprit  au  langage  de  la  nature, 
f  erfonne  ne  quitta  jamais  par  cg  dégoût 


:,-,zf--„GoOglc 


ë4  Réfitxlons.erUîqiùi 

qui  vient  de  fatiété  la  lefture  des  EgloJ 
gués  de  Virgile.  Elles  font  encore  un 
plaiûr  fenfible  ,  quand  elles-  n'ont  plus 
rien  de  nouveau  pour  nous ,  &  quand  la 
mémoire  devance  les  yeux  dans  cette 
lefture.  Ces  deux  genres  de  Poëlîe  nous, 
font  entendre  des  hommes  touchés  ,  & 
qui  nous  rendroient  très-fenfibles  à  leurs 
peines  comme  à  leurs  plaifu-s ,,  s'ils  noua 
entretenoient  eux-mêmes. 

Les  Epigrammes,  dont  le  mérite,  con-' 
lïfte  en  j  eux  de  mots ,  ou  dans  une  allu- 
fion  ingénieufe  ,  ne  nous  plaïfent  gucT- 
r£S  que  lorTqu'elles  font  nouvelles  ptoitr 
nous. C'eft la  première furprifequi nous 
frappe.  Le  trait  eft  émouiTé,  dès  quenous 
en  avons  retenu.le  fens  :  mais  les  Epi- 

frammes  qui  peignent  des  objets  capa* 
les  de  nous  attendrir ,  ou  de  s'attirer 
line  grande  attention  en  quelque  maniè- 
re que  ce  foit ,  font  toujours  impreffion 
fiu*  nous.  On  les  r^lit  plulîeurs  fois  ,  &c 
bien  des  perfonnes  les  retiennent  fans 
avoir  jamais  penfé  à  les  apprendre.  Pour 
ne  point,  mettre  en  jeu  les  Poètes  mo- 
dernes ,  les  Epigrammes  de  Martial  , 
qu'on  fçait  commiuiément  ,  ne  font 
point  celles  oii  il  a  joué  furie  mot ,  mais 
î»en  les  Epigrammes  cil  il  a  dégeintu^ 


:,-,zf--„GoOglc 


Jurla  Poif*  &fur  la  Petruare.  gç 
kbjet  capable  de  nous  intérefler  beau- 
coup. Telle  eft  l'Epigrantme  de  Martial 
fur-Arria  la  femme  de  Pétiis. 

Les  Auteurs  fenfés  qui  ont  voulu  com- 
pofer  des  Poëmes  dogmatiques ,  &  faire 
fervirles  vers  à  nous  donner  des  leçons, 
le  font  conduits  fuivant  le  principe  que 
îe  viens  d'expoler.  Afin  de  foutenir  l'at- 
tention du  leâeur  ,  ils  ont  femé  leurs 
vers  d'images  qui  peignent  des  objets 
touchans  ;  car  les  objets ,  qui  ne  font 
propres  qu'à  fatisfaire  notre  curiofité  ,  ' 
ne  nous  attachent  pas  autant  que  les  ob- 
jets qui  font  capables  de  nous  attendrir. 
S'il  eft  permis  de  parler  ainfijl'efpriteft 
d'un  commerce  plus difficilequelecoeur. 


SECTION    IX. 

Comment  otî  rend  les  Sujets  dogmatiques  , 
intétxjfans. 

Quand  Virgile  compofa  Tes  Geor- 
giqiies  qui  font  un  Poëme  dogmatique  y 
dont  le  titre  nous  promet  des  inftruc- 
lions  fiir  l'agriadtare  &  fur  les  occupa- 
tions de  la  vie  champêtre  ,  il  eut  atten- 
tion à  le  remplir  d'imitations  faites  d'ar 


:,-,zf--„GoOglc 


66  Kêfltxiom  crimpui 

près  des  objets  qui  nous  auroient  attîM 
chés  dans  la  nature,  Virgile  ne  s'eA  pas 
mime  contenté  de  ces  images  répan- 
dues avec  un  art  infini  dans  tout  rou> 
vrage.  Ilplacedansimde  ces  livres  luie 
differtation  feite  à  l'occafion  des  préfa- 
gcs  du  foleil ,  &  il  y  traite  avec  toute 
Pinvention  dont  la  Poëfie  ell  capable  ,  le 
meurtre  de  Jules  Céfar ,  &  les  commen- 
cemens  du  règne  d'Augiifte.  On  ne  pou- 
voit  pas  entretenir  les  Romains  d'un  fii- 
jet  qui  les  intéreffât  davantage.  Virgile 
met  dans  une  autre  livre  la  Fable  mira- 
cuIeufed'Ariftée,  &  la  Peinture  des  ef- 
fets de  l'Amour.  Dans  un  autre  ,  c'eil 
un  tableau  de  la  vie  champêtre  qui  for- 
me un  payfage  riant  &  rempli  des  figu- 
res les  plus  aimables.  Enfinil  infère  dans 
cet  ouvrage  l'avantiire  tragique  d'Or- 
phée &  d'Euridice ,  capable  de  faire  fon- 
dre en  larmes  ceux  qui  la  verroient  véri- 
tablement. Il  eft  fi  vrai  qtie  ce  font  ces 
images  qui  font  caufe  qu'on  fe  plaît  tant 
à  lire  les  Georgîques ,  que  l'attentioit 
fe  relâche  fur  les  vers  qui  donnent  les 
préceptes  que  le  titre  a  promis.  Suppofé 
même  que  l'objet ,  qu'un  poème  dog- 
matique nous  préfente  ,  fut  fi  curieux 
jgu^on  ie  lût  une  fois  avec  plaifu-,  on  ne 


:,-,zf-,CoOJilc 


y«f  la  Poë^e  &  fur  !a  Pemturi.  6y 
te  reliroit  pas  avec  la  même  fattsfaâîon 
qu*onrelituneEglogue.L'efpritnefçau- 
Toit  jouir  deux  fois  du  plaiur  d'appren* 
dre  la  même  choie  ;  mats  le  cœur  peut 
jouir  deux  fois  du  plaifir  de  fentir  la  mê- 
me émotion.  Leplaîfir  d'apprendre  eit 
confommé  par  le  plaifir  de  fçavoir. 

Les  Poèmes  dogmatiques ,  que  leurs 
Auteurs  ont  dédaigné  d'embellir  par  des 
tableaux  pathétiques  affez  frëquens ,  ne 
font  gitéres  entre  les  mains  du  commun 
des  hommes.  Quel  que  foit  le  mérite  de 
ces  poèmes  ,  on  en  regarde  la  leflure 
comme  une  occupation  férieufe ,  &  non 
pas  comme  un  plaifir.  On  les  aime 
moins ,  &  le  public  n'en  retient  euéres 
que  les  vers  qui  contiennent  des  ta- 
bleaux pareils  à  ceux  dont  on  loue  Vir- 
gile d'avoir  enrichi  fes  Georgiques.  U 
n'eft  perfonne  qui  n'admire  le  génie  fie 
la  verve  de  Lucrèce  ,  l'énergie  de  fes 
expreflïons  ,  la  manière  hardie  dont  il 
pemts  des  objets  ,  pour  lefquels  le  pin- 
ceau de  la  Poëfie  ne  paroiiToit  point  rait  : 
enfin  fa  dextérité  pour  mettre  en  vers 
des  chofes  ,  que  Virgile  hii-même  au- 
roit  peut-être  défefpéré  de  pouvoir  dire 
tn  langagt  des  Dieux  :  mais  Lucrèce  eft 
j?ien  pitts  admiré  qu'il  n'eft  lu,  U  y  a  plu4 


:,„.-„  Google 


t 


éS  Réflexions  eritiqius 

à  profiter  dans  foo  Poëme  Dt  aatura  re^ 
rum  ,  tout  rempli  qu'il  eft  de  mauvais 
raifonnemens,  qiie  dans  l'Enéide  de  Vir- 
gile :  cependant  tout  l&monde  Ut  &  re- 
lit Virgile  ,  &  peu  de  perfonnes  font  àc 
Lucrèce  leur  livre  fevori.  On  ne  lit  foix 
ouvrage  que  de  propos  délibéré.  Un'eit 
point , comme  l'Enride ,  un  de  ces  livres 
liir  leiquelsun  attrait  înTenlible  tàitd'at- 
bord  porter  la  nfain  quand  on  veut  lire 
une  heure  ou  deux.  Qu'on  compare  le 
nombre  des  traduÔions  deLucrece  avec 
le  nombre  des  traduâions  de  Virgile 
dans  toutes  les  langues  polies  ,  &  l'on 
trouvera  quatre  traduftions  de  l'Enéïde 
de  Virgile  contre  une  traduÛion  duPoë- 
rae  De  natura.  rtrum.  Les  hommes  ai- 
meront- toujours  mieux  les  livres  qui  les 
toucheront  que  les  livres  qui  les  inftniî- 
ront.  Comme  Fennui  leur  eft  plus  à 
charge  que  l'ignorance ,  ils  préfèrent  le 
plailu-  d'être  émus  au  plaifir  d'être  int^ 


:,-,zf--„GoOglc 


pirla  Poêjîe  &  fur  la  Peinture,      é^ 


SECTION      X. 

OhjiSion  tirée  des  Tablttux  y  O  faite  pour 
montrer  que  Van  de  l'imitation  iniéreffe 
plus  que  lefujet  même  de  l'imitation. 

vyN  poiirrolt  objcfter  qiic  des  ta- 
t/eaux  oîi  nous  ne  voyons  que  l'imita- 
tion des  différens  objets  qui  ne  nous 
auroient  point  attaches  ,  fi  nous  les 
avions  vus  dans  la  nature  ,  ne  laiflent 
pas  de  fe  faire  regarder  long-tems.  Nous 
donnons  plus  d'attention  à  des  fruits  Sc 
à  des  animaux  repréfeotés  dans  un  ta- 
bleau ,  que  nous  n'en  donnerions  à  ces 
objets  mêmes.  La  copie  nous  attache 
plus  que  l'original. 

Je  répons  que  ,  lorfque  nous  regar- 
dons avec  application  les  tableaux  de 
ce  genre  ,  notre  attention  principale  ne 
tombe  pas-  fur  l'objet  imité  ,  maïs  bien 
furrart  de  rimitateur.  C'eft  moins  l'ob- 
jet qui  fixe  nos  regards  que  l'adreiTe  de 
î'Artifan  :  nous  ne  donnons  pas  plus  d'at- 
tention à  Tobjet  même  imit^  dans  le  ta- 
bleau ,  que  nous  lui  en  donnons  dans 
la  nature*  Ces  tableaux  ne  foat  point 


:,-,zf--„GoOglc 


yo  Réfexïons  enth}UCS^ 

regardés  auâi  long-tems  que  ceux  oit 
le  mérite  du  fujet  eft  joint  avec  le  mé- 
rite de  l'exécution.  On  ne  regarde  pas 
auffi  long-tems  un  [ïanier  de  fleurs  de 
Baptifte  ,  ni  ime  fête  de  village  de  Te- 
niers  ,  qu'on  regarde  un  des  fept  Sacre- 
mens  du  Pouffm ,  ou  une  autre  compo- 
£tion  hiftorique  ,  exécuté  avec  autant 
d'habileté ,  que  Baptifte  &  Temers  en 
font  voir  dans  leur  exécution.  Un  ta- 
bleau d'hiftoire  auffi  bien  peint  qu*un 
corps-de-garde  de  Teniers  ,  nous  atta- 
cheroit  bien  plus  que  ce  corps-de-garde. 
II  iàut  toujours  fuppoier ,  comme  la 
raîfon  le  demande ,  que  Tart  ait  réuflî 
également  \  car  il  ne  Aifiit  pas  que  les 
tableaux  Ibient  de  la  même  main.  Par 
exemple  ,  on  voit  avec  plus  de  plaifir 
une  fête  de  village  de  Temers  qu'un  de 
fes  tableaux  d*miloire  ,  mais  cela  ne 

Çrouve  rien.  Tout  le  monde  fçait  que 
'eniers  réuflUToit  auffi  mal  dans  les 
compoHtions  férieufes  ,  qu'il  réufllflbit 
bien  dans  les  compoiitions  grotesques. 
Or  en  diftinguant  l'attention  qu'on 
donne  à  l'art  d'avec  celle  qu'on  donne  à 
l'objet  imité  ;  on  trouvera  toujours  que 
j'ai  raifon  d'avancer  que  l'imitation  no 
&it  jamais  fur  nous  plus  d'impreûîon 


:,-,zf--„GoOglc 


JurlaPoêJte  &fi^ia  Ptînturi.  yt 
tjae  l'objet  imité  en pourroit  faire.  Cela 
eH  vrai  même  en  parlant  des  tableaux , 
<iui  font  précieux  par  le  mérite  feul  de 
I  exécution. 

L'art  de  la  Peinture  e(k  û  difficile ,  il 
nous  attaque  par  un  fens ,  dont  l'empire 
fur  notre  ame  eft  fî  grand  ,  qu'im  ta- 
bleau peut  plaire  par  les  feuls  charmes 
de  l'exécution  ,  indépendamment  de 
I'ob;et  qu'il  repréfente  :  mais  je  l'ai  déjà 
dit ,  notre  attention  Se  notre  eftime  font 
alors  uniquement  pour  l'art  de  l'imita- 
teiu-  qui  Içait  nous  plaire ,  même  fans 
nous  toucher.  Nous  admirons  le  pin- 
ceau qui  a  fçu  contredire  li  bien  la  na- 
ture. Nous  examinons  comment  l'Arti- 
fan  a  fait  pour  tromper  nos  yeux ,  au 
point  de  leur  faire  prendre  des  couleurs 
couchées  fur  une  luperHcie  pour  de  vé- 
ritables, fruits.  Un  Peintre  peut  donc 
paiTer  pour  un  grand  Artifan ,  en  qualité 
de  delSnateur  élégant ,  ou  de  coroliAe 
rival  de  la  nature  ,  quand  même  il  ne 
fçauroit  pas  aire  ufage  de  Tes  talèns 
pour  repréfenter  des  objets  touchans , 
&  pour  mettre  dans  ks  tableaux  l'ame 
&  la  vraifemblance  qui  fe  font  fentir 
dans  ceux  de  Raphaël  oc  du  Poufïïn.  Les 
tableaux  dg  l'^çle  lombarde  font  ad- 


:-„r-.,  Google 


yi .  Rtjîex'ions  critiques 

mirés ,  bien  qvie  les  Peintres  s'y  foicn* 
bornés  fbiivent  à  flatter  les  yeux  par  la 
licheffc  &  par  la  vérité  de  leurs  cou- 
leurs ,  fans  penfer  peut-être  que  leur 
art  fut  capable  de  nous  attendrir  :  mais 
leurs  panifans  les  plus  zélés  tombent 
d'accord  qu'il  manque  une  grande  beau- 
té aux  tableaux  de  cette  Ecole  ,  &  que 
ceux  du  Titien ,  par  exemple ,  feroieot 
encore  bien  plus  précieux  ,  s'il  avoit 
traité  toujours  des  fujets  touchans  ,  6c 
s'il  eût  joint  plus  Ibuvent  les  talens  de 
fon  Ecole  aux  talens  de  l'Ecole  Romai- 
ne. Le  tableau  de  ce  grand  Peintre  qui 
repréfente  faint  Pierre  Martyr  ,  Reli- 
gieux Dominicain  ,  maflacré  par  les 
Vaudois ,  n'eft  peut-être  pas ,  tout  admi- 
rable qu'il  eft  par  cet  endroit  même  , 
fon  tableau  lé  plus  précieux  par  la  ri- 
cheJTedes  couleius. locales;  cwendant 
de  l'aveu  du  Cavalier  Ridolfi ,  l'Hifto- 
rien  des  Peintres  de  l'Ecole  de  Venifc 
(a)  ,  c'eft  celui  qui  eft  le  plus  connu  ic 
le  plus  vanté.  Mais  l'aftion  de  ce  tableau 
eft  intéreffante ,  &  le  Titien  l'a  traitée 
avec  plus  de  vraifemblance  ,  &  avec 
une  expreffion  des  pallions  plus  étudiée 
que  celles  de  les  autres  ouvrages. 

''^^''^''*''  SECTlOIf 


:-„r'.,  Google 


furlaPotfie  SffurU  Peinture.       75 


SECTION     XI. 

Que  Us  beautîs  de  texéctuion  ne  rendent 
pas  feuUs  un  Poème  un  bon  ouvrage , 
comme  elles  rendent  un  Tableau  un  ou- 
vrage pricuux^ 


I 


L  n'en  eft  pas  des  Poctes ,  qui  n'ont 
d'autre  mérite    que    celui   d'exceller 
dans  la  verlificalion ,  fie  qui  ne  fçavcnt 
pas  nous  dépeindre  aucun  objet  capable 
de  nous  toucher ,  mais  qui  ,  pour  me 
fervir  de  l'ex^eÛion  d'Horace  ,  ne  met- 
tent fur  le  papier  que  des  niaiferies  kar- 
monteufes  ,  comme  des  Peintres  dont  je 
viens  de  parler.  Lepublicne  faitjamais 
beaucoup   de  cas  '  des  ouvrages  d'un 
Poète  qui  n'a  pour  talent  que  celui  de 
réuâlr  dans  la  mécanique  de  fon  Art. 
On  auroit  tort  cependant  d'accufer  le 
Public  de  rigueur  envers  les  Poctes  6c 
d'indulgence  envers  les  Peintres.  11  eft 
tout  autrement  difficile  d'être  bon  co- 
lorifte  &  deffinateur  élégant ,  que  grand 
arrangeur  de  mots  &  rimeur  exaiï. 
!^' ailleurs  îln'eftpointd'imitaticnd.:l3 
nature  dans  les-compolitions  du  £mple 
Tonu  I.  D 


:,-,zf--„GoOglc 


'^4  Rèjltxions  critiqms 

verû£cateur ,  ou  du  moins ,  comme  je 
rexpoferai  plus  au  long  dans  la  fuite  de 
cet  ouvrage ,  il  eft  bien  difScile  que  des 
vers  François  imitent  aflez  bien  dans  la 
prononciation  le  bruit  que  te  fens  de 
ces  vers  décrit ,  pour  donner  beaucoup 
de  réputation  au  Poète  qui  ne  fçauroit 
pas  faire  autre  chofe.  La  rime  n'eft  pas 
rimitation  d'aucune  beauté  qui  loîc 
dans  la  nature  :  mais ,  comme  je  viens 
de  le  dire  ,  il  eft  une  imitation  préci eufe 
des  beautés  de  la  nature  d^ns  les  ta- 
bleaux dn  Peintre  qui  ne  fçait  que  bien 
colorer.  Nous  y  retrouvons  la  chair 
des  hommes,  &c  nous  reconnoilTons 
dans  fes  payfages  les  difFérens  eflets  de 
la  lumière  6ç  la  couleur  naturelle  de 
tous  le5<^jets. 

Dès  que  le  mérite  principal  des 
Poèmes  &  des  Tableaux  confifte  à 
repréfenter  des  objets  capables  de  nous 
attacher  &  de  nous  toucher  fi  nous  les 
voyions  véritablement ,  il  eft  facile  de 
concevoir  combien  le  choix  du  fujet  eft 
important  pour  les  Peintres  &  pour  les 
Poëte^.  Ils  ne  peuvent  le  choifir  trop 
întéreâant. 

Oii  ItBa  pftnrrr  trie  rtt     ' 
tticfucanitA  itfint  tninc ,  itec  btâias  orio,  (j) 
{/^  Hotttf  d«  Arte  Poetie. 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  Poifie  &fur  la  Ptinture.      7  5 


SECTION    XII. 


Qu'ua  ouvrage  nous  imirtjfe  tn  deux 
manières  :  commt  itaju  un  homme  en 
générât ,  &  comme  itaat  un  eercaia 
homme  en  particulier. 

UN  fujet  peut  être  iotéreffant  en 
deux  manières.  En  premier  lieu ,  il  cft 
intéreffant  de  lui-même  ,  &  parce  que 
fts  circonftances  font  telles  qu'elles 
doivent  toucher  les  hommes  en  géné- 
ral. En  fécond  lieu ,  it  eu.  intéreHant  par 
rapport  à  certaines  perfonnes  feule- 
ment ,  c'eft-à-dire  ,  que  tel  fujet  qui 
n'eft  capable  que  de  s'attirer  une  atten- 
tion médiocre  de  la  part  du  commun 
des  hommes,  s'attire  cependant  une 
attention  très-férieufe  de  la  part  de 
certaines  perfonnes.  Par  exemple,  un 
portrait  eft  un  tableau  afTez  indifférent 
pour  ceux  qui  ne  connoiffentpaslaper- 
fonne  qu'il  repréfente  ;  mais  ce  portrait 
eft  un  tableau  précieux  pour  ceux  qui 
aiment  la  perfonne  dont  il  ell  le  por- 
trait. Des  vers  remplis  de  fentimens 
pareils  aux  nôtres ,  &  qui  dépeignent 
Dij 


:,-,zf-„  Google 


•j$  Rèfiexioiu  critiques 

une  Jltuatlon  dans  laquellehousTommes,' 
ou  même  une  iîtuation  dans  laquelle 
nous  aurions  étéautrefois,ont  pour  nous 
un  attrait  particulier.  Le  fujet  qui  ren- 
ferme les  principaux  événemcns  de 
l'Hilloîre  d'un  certain  peuple  eA  plus 
intéreflant  pour  ce  peiyle-là  ,  que  pour 
une  autre  Nation.  Le  uijet  de  l'Enéîde 
étoit  plus  intérelTant  pour  les  Romains 
qu'il  ne  l'eft  pour  nous.  Le  fiijet  du 
Foëme  de  la  Pucelle  d'Orléans  e^ 
plus  intéreflant  pour  nous  que  pour 
les  ItaUens.  Je  ne  parlerai  pas  plus  au 
long  de  cet  intérêt  de  rapport  &c  par* 
ticulier  à  certûns  hommes  comme  à 
certains  tems ,  d'autant  qu'il  eft  facile 
aux  Peintres  &  aux  Poètes  de  con- 
ooître  fi  les  fujets  qu'ils  entreprennent 
de  traiter  intéreâent  beaucoup  les  per*- 
fonnes  devant  lefquelles  ils  doivent 
produire  leurs  ouvrages. 

Je  me  contenterai  donc  de  faire  deux 
réflexions  à  ce  fujet.  La  première  eft 
qu'il  eft  bien  difficile  qu'un  poème  "de 
quelque  étendue  ,  &  qui  ne  doit  pas 
être  foutenu  par  le  pathétique  de  la 
déclamation ,  ni  par  l'appareil  du  théâ- 
tre ,  réu/nfle  ,  s'il  n'efl  pas  compofé  fiu- 
j^n  iiij^t  qui  réunifle  les  deux  intérim; 


:,-,zf--„GoOglc 


fuT  la  Potjîe  &  fur  la  Pe'inturi.  77 
je  veux  dire  fur  un  fujét  capcbte  de 
toucher  tous  les  hommes ,  &  qui  plaife 
encore  particulièrement  aux  compa- 
triotes de  l'Auteur,  parce  qu'il  parle 
des  chofes  aufquelles  ils  s'interefTent  tê 
plus.  On  ne  lit  pas  un  poëme  pour  s'inf- 
truire  ,  mais  pour  Ibn  plaïllr  ;  &  on  le 
quitte  quand  il  n'a  point  un  attrait  ca- 
pable de  nous  attacher.  Or  il  eft  pref- 
qire  impoflible  que  le  gënie  du  Poète 
loit  affez  fertile  en  beautés  ,  &  que 
le  Poète  puiffe  les  diverfi6er  encore 
avec  affex  de  variété  pour  nous  tenir 
attentifs  ,  pour  ainfi  dire  ,  à  force  d'et 
prit,  durant  la  lefture  d'un  Poëme  épi- 
que. C'eft  trop  ofer  que  d'entreprendre 
à  la  fois  d'exciter  &  de  fatisfaîre  notre 
curiofité.  C'eft  trop  hafarder  que  do 
vouloir  nous  faire  aimer  des  perfon- 
nages  qui  nous  font  pleinement  indif^ 
fërens,  avec  aflez  d'afFcûion,  pour 
être  émus  de  tous  leurs  fuccès  &  de 
toutes  leurs  traverfes.  Il  eft  bon  que 
le  Poète  fe  prévaille  de  toutes  les  m- 
cUnations  &  de  toutes  les  partions  qui 
font  déjà  en  nous ,  principalement  de 
celles  qui  nous  font  propres  comme 
citoyens  d'un  certain  pays,  ou  par  quel- 
que autre  endioit.  Le  Poëte  qui  i;itro- 


:,-,zf--„GoOglc 


78  Réflexions  criiiquts 

duiroit  Henri  IV  dans  un  poème  éfn- 
que ,  nous  trouveroit  déjà  aiFeâionné» 
à  Ton  Héros  &  à  fon  uijet  :  fon  art 
s'épuiferoit  peut-être  en  vain ,  avant 
qu'il  nous  eût  intéreffés  pour  un  Héros 
ancien ,  ou  pour  un  Prince  étranger  , 
autant  que  nous  le  fommes  déjà  pour 
le  meilleur  de  nos  Rois. 

L'intérêt  de  rapport ,  ou  rmtërêt  qui 
nous  eft  particulier,  excite  autant  notre 
curiolite,il  nous  difpofe  du  moins  autant 
que  l'intérêt  général  à  nous  attendrir  , 
comme  à  nous  attacher,  L%nitation 
des  chofes  auxquelles  nous  nous  inté- 
reflbns ,  comme  citoyens  d'un-  certain 
pays ,  ou  comme  feâateurs  d'un  certain 
parti ,  a  des  droits  tout  putlTans  fur 
nous.  Combien  de  livres  de  parti 
doivent  leur  première  vogue  à  l'inté- 
rêt particulier  que  prennent  à  ces  livres 
les  perfonnes  attachées  à  la  caufe  pour 
laquelle  ils  parlent  ?  Il  eA  vrai  que  le 
public  oublie  bientôt  les  livres  qui 
n'ont  d'autre  mérite  que  celiii  de  pren- 
dre l'efTor  en  certaines  conjonâures  : 
il  faut  que  le  livre  foit  bon  dans  le 
fond  pour  fe  Soutenir  :  mais  s'il  eft 
tel }  5  il  mérite  de  plaire  à  tous  les 
hommes,  l'intérêt  particulier  le  fait 


■,r  ..Google 


JutU  Poëjtt  Sffur  Ut,  Ptinture.  ^9 
connoître  beaucoup  plutôt.  Un  bon 
livre  fait,  à  la  âveur  de  cet  intérêt, 
une  fortune  &  plus  prompte  &  plus 
grande.  D'ailleurs  il  eft  des  intérêts  de 
rapport  qui  iubfifient  longtems ,  &  qui 
peuvent  concilier  à  un  ouvrage  diu^nt 
pluûeurs  fiécles  l'attention  particulière 
d'un  grand  nombre  de  perlbnnes.  Tel 
eA  l'intérêt  que  {«'end  une  Nation  au 
Poème  qui  décrit  les  principaux  évé* 
nemens  de  fon  Hiiloire  ,  6c  qui  parle 
des  villes ,  des  fleuves  &  des  édifices 
fans  cefle  préfens  à  fes  yeux.  Cet  inté* 
rêt  particulier  auroit  feit  réulïïr  la  Pu- 
cellc  de  Chapelain ,  lî  le  Poëme  n'eût 
été  que  médiocre. 

n  eâ  vrai  que  toutes  les  Nations  de 
l'Europe  Hfent  encore  l'Enéide  de  Vir- 
gile avec  un  plailir  inlîni ,  quoique  les 
objets  que  ce  Poëme  décrit  ne  Ibient 
plus  ibus  leurs  yeux,  &  quoiqu'elles 
ne  prennent  pas  le  même  intérêt  à  l« 
fondation  de  l'Empire  Romain  que  les 
contemporains  de  Virgile ,  dont  les 
plus  confidérables  fe  dUbîent  encore 
defcendus  des  Héros  qu'il  chante.  Les 
fêtes ,  les  combats  &  les  lieux  dont  il 
parle ,  ne  font  connus  à  plufieurs  de  fes 
li^fteurs  que  par  ce  que  lui-même  en 
Div 


:-„r-.,  Google 


8o  Réflexions  critiques 

raconte.  Mais  TEnéide ,  l'ouvrage  du 
Poëte  le  plus  accompli  qui  jamais  aie 
écrit ,  a ,  pour  ainlî  dire  ,  des  moyens 
de  reile  de  faire  fortune.  Quoique  ce 
poëme  ne  nous  touche  plus  que  parce 
que  nouslbmmes  des  hommes ,  il  nous 
touche  encore  aiïez  pour  nous  attacher: 
mais  un  Poëte  ne  fçauroit  promettre  à 
fes  ouvrages  unefortune  pareille  à  celle 
de  l'Enéide,  qui  eft  celle  -de  toucher 
fans  cet  intérêt  qui  a  un  rapport  parti- 
culier au  Leâeur ,  à  moins  d'une  grande 
préfomption ,  principalement  s'il  com- 
pofe  en  François.  C'eft  ce  que  je  tâche- 
rai d'expliquer  plus  au  long  dans  la  fuite 
de  cet  écrit. 

Ma  féconde  réflexion  fera  fur  l'in- 
juftice  desjugemuos  téméraires  qu'on 
porte  quelquefois ,  en  taxant  de  men- 
îbnge  ce  que  difent  les  Anciens  cotjcer- 
nant  le  fuccès  prodigieux  de  certains 
ouvrages ,  &c  cela  parce  qu'on  ne  fait 
pas  attention  à  Tmlérêt  particulier 
que  prenoient  à  ces  ouvrages  ceux 
qui  leur  ont  tant  applaudi.  Par  exem- 
ple ,  ceux  qui  s'étonnent  que  Céfar  ait 
été  déconcerté  en  écoutant  l'Oraifon 
de  Cicéron  pour  Ligarius ,  &  que  le 
Diâateur  fc  foit-  om>lié  lui-m&nç  juf< 


:,-,zf--„GoOglc 


furldPoeJîe  &  fur  la  Peinture,  8l 
qu'à  lailTer  tomber  par  im  mouvement 
involontaire  des  papiers  qu'il  tenoit 
entre  fes  mains  ;  ceux  qui  difent  qu'a- 
près avoir  lu  cette  Oraifon ,  ils  cher- 
chent encore  l'endroit  qui  fut  capable 
de  frapper  aufîi  vivement  un  homme 
tel  que  Céfar,  parlent  en  Grammai- 
riens gui  n'ont  jamais  étudié  que  la 
langue  des  hommes ,  Se  qui  n'ont  point 
acquis  la  connoifiance  des  mouvemens 
du  cœur  humain.  Qu'on  fe  mette  en 
la  place  de  Céfar ,  &  l'on  trouvera 
fans  peine  cet  endroit.  On  concevra 
bientôt  comment  le  Vainqueur  de 
Pharfale  ,  qui  fur  le  champ  de  bataille 
même  avoit  embraffé  fon  ennemi  vain- 
cu comme  fon  concitoyen ,  à  pti  fe 
laiiTer  toucher  par  la  peinture  de  cet 
événement  que  fait  Cîcéron,  au  point 
d'oublier  qu'il  fut  aflis  fur  un  Tribu- 
nal. 

Revenons  à  l'intérêt  général  &  aux 
fufets  où  il  fe  trouve,  &  qui  par -là 
font  propres  à  toucher  tout  le  monde. 
Les  Peintres  &  les  Poètes,  je  l'ai  déjà 
dit,  n'en  doivent  traiter  que  de  tels. 
H  eft  vrai  que  ces  Artifans  fçavent  en- 
richir leurs  fujets  ;  ils  peuvent  rendre 
les  fujets  qui  font  naturellenient  dé- 
•D  V 


■„r-., Google 


51  Kejiexions  critiques 

nues  d'intérêt,  des  fujets  intéreffans  : 
mais  it  arrive  plufieurs  inconvéniens  à 
traiter  de  ces  fujets ,  qui  tirent  tout 
leur  pathétique  de  l'invention  de  l'Ar- 
tifan.  Un  Peintre  ,  Sc  principalement 
un  Poète  qui  traite  un  fujetlans  inté- 
rêt, n'en  peut  vaincre  la  flérilîté  ,  il 
.  ne  peut  jetter  du  pathétique  dans  l'ac- 
tion indifférente  qu'il  imite  qu'en'deux 
manières  :  ou  bien  il  embellit  cette 
a£lîon  par  des  Epifodes  ;  ou  bien  il 
change  les  principales  circonflances  de 
cette  aâion.  Si  le  parti  que  le  Poëte 
choiiit  eft  celui  d'embellir  fon  aÛjon 
par  des  Epifodes,  l'intérêt  qu'on  prend 
à  ces  Epifodes ,  ne  fert  qu'à  faire  mieux 
fentir  la  froideur  de  l'aâion  principale , 
&,on  lui  reproche  d'avoir  mal  rempli 
fon  titre.  Si  le  Poète  change  les  prin- 
cipales circonflances  de  l'aâion ,  que 
nous  devons  fuppofer  être  un  événe- 
ment généralement  connu ,  fon  poëme 
ceflè  d'être  vraifemblafale.  Un  fait  ne 
fçauroit  nous  paroître  vraifemblable  , 
quand  nous  fommes  informés  du  con- 
traire par  des  témoins  dignes  de  foi  : 
c'eft  ce  que  nous  expoferons  plus  au 
long ,  quand  nous  ferons  voir  que  toute 
forte  de  fîâion  n'eft  pas  pennife  ea 


:,-,zf--„GoOglc 


fm  la  Potjtt  ۥ  fur  U  Ptinture.  J?  J 
Poëfîe  ,   non  plus    qu'en  Peinture. 

Que  les  Peintres  &  les  Poctes  exa- 
nûnent  donc  férieufement  G  l'aflion 
qu'ils  veulent  traiter  nous  toucheroit 
ienfiblement ,  fuppofé  que  nous  la  vif- 
lîons ,  &  qu'ils  foient  persuadés  que  fort 
imitation  nous  afFeâera  encore  moins. 
Qu'ils  ne  s'en  rapportent  pas  même 
imiquement  à  leur  propre  difcemc 
ment,  enuneclécilion],tellement  impor- 
tante au  fuccès  de  leurs  ouvrages.  Avant 
que  de  s'afFeftionner  à  leurs  fujets, 
avant,  pour'ainfi  dire,  que  d'époufer 
leurs  perfonnaoes ,  qu'ils  confultent 
leurs  amis  :  c'eit  le  tems  oîi  ils  en  peu- 
vent recevoir  les  avis  les  plus  utiles. 
L'imprudence  eft  grande  d'attendre  à 
demander  at'is  fur  un  bâtiment ,  qu'il 
foii  dé;a  forti  de  terre ,  &  qu'on  ne 
puilfe  plus  rien  changer  dans  l'elTenticI 
de  fon  plan ,  fans  renvcrfer  la  moitié 
d'un  édifice  déjacortftruit. 


Dvj 


:,-,zf-„  Google 


84  Réfiex 


SECTION     XIII. 

Qii'il  efi  dts  fujets  propres  fpècialement 
pour  la  Poëfie ,  &  d'autres  fpicialemcnt 
propres  pour  la  Peinture,  Moyens  de 
les  reconnoitre, 

jN  o  N  feulement  le  fujet  de  l'imita- 
tion doit  être  intéreflant  par  lui-même, 
mais  il  faut  encore  le  choifîr  convena- 
ble à  la  Poëfie ,  quand  on  veut  le  trai- 
ter en  vers.  Il  eft  des  fujets  plus  avan< 
tageux  pour  les  Peintres  que  pour  les 
Poètes  ,  comme  il  en  eil  qui  font  plus 
avantageux  pour  les  Poètes  que  pour 
les  Peintres.  C'eft  ce  que  je  vais  tâ- 
cher d'expofer,  après  avoir  prié  qu'on 
me  pardonne  un  peu  de  longueur  dans 
cette  difculHon.  Il  m'a  paru  qu'il  falloic 
nfétendre  pour  être  plus  intelligible. 

Un  Poëte  peut  nous  dire  beaucoup 
de  chofes  qu'un  Peintre  ne  fçauroit 
nous  faire  entendre.  Un  Poëte  peut  ex- 
primer plufieurs  de  nos  penfées  &  phi- 
fieuts  de  nos  fentimens  qu'un  Peintre 
ne  fçauroit  rendre  ,  parce  que  ni  les 
uns  ni  les  autres  ne  font  pas  fuivis 


:-„r-.,  Google 


fur  la  Poïjîe  &  fur  U  Pelncurt.  85 
d'aiicim  mouvement  propre  &  fpé* 
cialement  marqué  dans  notre  attitude, 
ni  précirément  caraftérifê  fur  notre  vi- 
iâge.  Ce  (jue  Corn.eUe  dit  à  Cëfar,  en 
venant  lui  découvrir  la  conjuration  qui 
i'alloit  foire  périr  dans  xme  heure , 

Ucxeniple  ^ue  tu  dois  périroit  avc^  loi  : 

ne  peut  être  rendu  par  un  Peintre.  U 
peut  bien ,  en  donnant  à  Cornelie  une 
contenance  convenable  à  fa  âtuation 
&  à  fon  caraâere  ,  nous  donner  quel- 
que idée  de  fes  fentimens ,  &  nous  faire 
connoîire  qu'elle  parle  avec  une  gran- 
de dignité  i  mais  la  penfée  de  cette 
Romaine ,  qui  veut  que  la  mort  de 
l'oppreffeur  de  la  République  foit 
un  fupplice  qui  puiffe  épouvanter  ceux 
qui  voudroient  attenter  fur  la  liberté , 
Se  non  pas  un  crime  déteflable ,  ne 
donne  point  de  prife  au  pinceau.  11  n'eft 
pas  d'expreffion  pittorefqiie  qui  puiffe 
artiaiier,  pour  ainfi  dire,  les  paroles 
du  vieil  Horace  ,  quand  il  répond  à  ce- 
lui qui  lui  demandoit  ce  quefon  fils 
pouvoit  faire  feul  contre  trois  com- 
battans  :  Qw'/V  mourût.  Un  Peintre  peut 
bien  faire  voir  qu'un  homme  eft  ému 
d'une  certaine  paâion ,  quand  même  il. 


:,-,zf--„GoOglc 


86  Rlfltxions  emlqius 

ne  le  dépeint  pas  dans  l'aâion ,  parce, 
au'îl  n'eft  pas  de  paffion  de  Tame  qui  ne 
ioit  en  même-tems  une  paffion  du  corps  . 
Mais  ce  que  la  colère  iait  penfer  de  fin— 
gulier ,  fuivant  le  caraâere  propre  de 
chacun,  &  fuivant  les  circonftances 
où  il  fe  rencontre  ,  ce  qu'elle  fait  dire 
de  fublime ,  par  rapport  a  la  fituation  du 
perfonnage  qui  parle  ,  il  eft  très-rare 
que  le  Peintre  puifTe  rexprimer  afîez 
intelligiblement  pour  être  entendu. 
Par  exemple  ,  le  Pouffin  a  bien  pu 
dans  fon  tableau  de  la  mort  de  Ger- 
manicus  ,  exprimer  toutes  les  efpeces 
d'alHiâion  dont  fa  famille  &  fes  amis 
furent  pénétrés,  quand  il  mourut  em- 
poifonné  entre  leurs  bras  :  mais  il  ne 
lui  étoit  pas  poffible  de  nous  rendre 
compte  des  derniers  fentimens  de  ce 
Prince  lî  propres  à  nous  attendiïr.  Un 
Poëte  le  peut  faire  :  il  peut  lui  faire 
dire  :  Je  ferois  en  droit  de  me  plaindre 
d'une  mort  auflî  prématurée  que  la 
mienne ,  quand  bien  même  elle  arri- 
veroit  par  la  faute  de  la  nature  ;  mais 
je  meurs  empoifonné  ;  pourfuivez  donc 
la  vengeance  de  ma  mort ,  &  ne  rou- 
giffez  point  de  vous  faire  délateurs 
pour  I  obtenir  :  la  compaffion  du  pu- 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poijîe  &fur  la  Pànturt.  87 
JI>Uc  Tera  du  côté  de  pareils  accurateius. 
Un  "  Peintre  ne  fçauroit  exprimer  la 
plupart  de  ces  ientimens  ;  il  ne  peut 
encore  peindre  dans  chaque  tableau 
qu'un  des  fentîmens  qii'd  lui  eftpoffible 
d'exprimer.  II  peut  bien ,  pour  donner 
à  comprendre  le  foupçon  qu'avoit  Ger- 
manicus  que  Tibère  fût  1  auteiu*  de  la 
mort,  feire  montrer  par  Germaniais 
à  ia  femme  Agrîppîne  une  Aatue  de 
Tibère,  avecungelle  &  avec  un  air  de 
vifage  propres  à  caraâérifer  ce  ientir 
ment  ;  mais  il  faut  qu'il  employé  tout 
fon  tableau  à  l'exprelEon  de  ce  fenti- 
ment-là. 

Comme  le  tableau  qui  repréfente 
une  aâi^ ,  ne  nous  6ut  voir  qu'un 
inftant  de  fa  durée  ,  le  Peintre  ne 
fçauroit  atteindre  au  fublime  que  les 
chofes  qui  ont  précédé  la  fituatîon  pré- 
fente ,  jettent  quelquefois  dans  imfenti- 
ment  ordinaire.  Au  contraire  la  Poéfie 
nous  décrit  tous  les  incidens  remar- 
quables de  Taâion  qu'elle  traite  ;  & 
ce  qui  s'eA  palTé  jette  fouvent  du 
'  merveilleux  wr  une  chofe  fort  ordi- 
naire qui  fc  dit  ou  qui  arrive  dans  la 
fuite.  C'eft  ainfi  que  la  Poëfie  peut 
employer  ce  merveilleux  qui  naît  des 


-,....C<M,^, 


8  s  Réfitxlons  critiques 

circonftances  ,  âc  qu'on  aiçellera,fî 
l'on  veut ,  un  iubibne  de  rapport.  Telle 
efl  la  {aillte  du  Mifantrope  gui  ren- 
dant un  compte  lerieux  des  raifons  qui 
l'empêchent  de  s'établir  à  la  Cour, 
ajoute  ,  après  xuie  déduÛion  des  con- 
traintes réelles  &C  gênantes  qu'on  s'é- 
pargne ,  en  n'y  vivant  point  : 

On  n'a  paiï  louer  Ictveii  d;  MeffiEuiiuls. 

Cette  penfée  devient  fublime  par  le  ca- 
raâere  connu  du  personnage  qui  parle, 
&  par  la  procédiue  qu'il  vient  d'effuyer, 
pour  avoir  dit  que  des  vers  mauvais  ne 
valoient  rien. 

Il  eft  encore  plus  facile  ,  fans  compa- 
raifon ,  au  Poëte  qu'au  Peintrç  de  nous 
affeâionner  à  fes  perfonnages ,  &  de 
nous  faire  prendre  un  grand  intérêt  à 
leur  deftince.  Les  qualités  extérieures , 
comme  la  beauté,  la  ;euneffe  ,  la  ma- 
jefté  &  la  douceiu-  que  le  Peintre  peut 
donner  à  ces  perfonnages,  ne  Içau- 
roientnous  intérefler  à  leur  deftinée 
autant  que  les  vertus  &  les  qualités 
de  l'ame  que  le  Poète  peut  donner  aux 
iiens.  Un  Poële  peut  nous  rendre  pref- 
qu'aulH  fenfibles  aux  malheius  d'un 
Prince ,  dont  nous  n'entendîmes  jamais 


.,-,zf-,Googlc 


furlaPo'éfit  &  Jur la  Peinture.      S^ 
parler ,  qu'aux  malheurs  de  GermanU 
cus ,  &  cela  par  le  caraâere  grand  £c 
aimable  qu'il  donnera  au  Héros  incon- 
nu qu'il  voudra  nous  rendre  cher.  Voilà 
ce  qu'un  Peintre  ne  fçauroit  faire  :  il 
eft  réduit  à  fe  fervir,  pour  nous  tou- 
cher ,  de  perfonnages  que  nous  con- 
noiffons  déjà  :  fon  grand  mérite  eft  de 
nous  faire  reconhoître  sûrement  &  fe- 
cilement  ces   perfonnages.    C'eft  un 
chef-d'œuvre  du  Pouflln  que  de  nous 
avoir  fait^  reconnoître  Agrippine  dans 
fon  tableau  de  la  mort  de  Germanicus 
avec  autant  d'efprit  qu'il  Ta feït.  Après 
avoir  traité  les  difFérens  genres  d'afflic- 
tion des  autres  perfonnages  du  tableau 
comme  des  palfions  quipouvoient  s'ex- 
primer ,  il  place  à  coté  du  lit  de  Ger- 
manicus une  femme  noble  par  fa  taille 
Ct  par  fes  vêtemens  ,  qui  fe  cache  le 
vifage  avec  les  mains ,  &  dont  l'atti- 
tude entière  marque  encore  la  dou- 
leur la  plus  profonde.  On  conçoit  fans 
peine  que  1  affliâion  de  ce  perfonnage 
doit  furpaffer  celle  des  autres, puifque 
ce  grand  Maître  défefpérant  de  la  re- 
préfenter,  s-'eft  tiré  d'affaire  par  un 
ïi^t  d'efprit.  Ceux  qui  fçavent  que 
Germanifius  avoit  xme  femme  xmiquer 


:,-,zf--„GoOglc 


^o  Réjlexîons  erUiques 

ment  attachée  à  lui ,  &  qui  reçut  Tes 
derniers  foupirs ,  reconnoîffent  Agrip- 
pine  aulB  certainement  que  les  Anti- 
quitaires  la  reconnoiffent  à  fa  coëfiire  , 
&L  à  l'on  air  de  tête  pris  d*a{»'ès  les 
médailles  de  cette  Princefle.  Si  le  Pouf- 
fin  n'eft  pas  rinventeur  de  ce  trait  de 
Poëfîe ,  qu^il  peut  bien  avoir  émpnmté 
du  Grec  quipeignitAgamemnonlatête 
voilée  au  facrihce  d'Iphigénie  fa  fille  ; 
ce  trait  eft  toujours  un  cnef-  d'oeuvre 
de  la  Peinture.  Je  dis  toujours  le  Pouf- 
fin  ,  conformément  à  TuTage  établi , 
bien  que  ce  le  dont  les  Italiens  accom* 
pagnent  les  noms  illuftres,  puilTe  don- 
neç  à  penfer  que  le  Pouflin  fut  Italien. 
Nicolas  Pouflin ,  c'étoit  fon  nom ,  étoit 
d'Andeli  en  Normandie. 

Je  me  fuis  étonné  plufieurs  fois  que 
les  Peintres  qui  ont  un  fi  grand  intérêt 
à  nous  faire  reconnoître  les  perfonnages 
dont  ils  veulent  fe  fervir  pour  nous 
toucher,  &  qui  doivent  rencontrer 
tant  de  difficultés  à  les  faire  recotmoî* 
tre  à  Taide  feul  du  pinceau ,  n'accon^ 
pagnafTent  pas  toujours  leurs  tableaux 
d'hiâoire  d'ime  courte  înfcription.  Les 
trois  quarts  des  Speûateurs  qui  font 
d'ailleurs  très-capables  de  rendre  juAice 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Po'éjît  Sffur  la  Peinture.  91 
i  l'ouvrage  ,  ne  font  point  affez  lettrés 
pour  deviner  le  fujet  du  tableau.  U  eft 
quelquefois  pour  eux  une  beUe  perfon- 
ne  qui  plaît  y  mais  qui  parle  une  langue 
qu'ils  n'entendent  point  ;  on  s'ennuye 
bientôt  de  la  regarder,  parce  que  la 
durée  des  plaifu^ ,  oii  l'eiprit  ne  prend 
point  départ ,  eft  bien  courte. 

Le  fens  des  Peintres  Gothiques ,  tout 
grolSer  qu'il  étoit ,  leur  a  &it  connoî- 
tre  L'utilité  des  infcriptions  pom  l'in- 
teUigence  du  fujet  des  tableaux.  Il  ell 
vrai  qu'ils  ont  fait  un  ufage  aitOÎ  bar- 
bare de  cette  connoiflance  que  de  leurs 
pinceaux.  Ils  fâifoient  fortir  de  la  bou- 
che de  leurs  figures ,  par  une  précaution 
bifarre  ,  des  rouleaiix  fur  lefquels  ils 
écrivoient  ce  qu'ils  pétendoient  ftiire 
dire  à  ces  figures  indolentes }  c'étoit-là 
véritablement  faire  parler  ces  figures. 
Les  rouleaux  dont  je  parle ,  ie  font 
anéantis  avec  le  goût  Gothique  ;  mais 
quelquefois  les  plus  grands  Maîtres 
ont  jugé  deux  ou  trois  mots  néceflaires 
à  l'intelligence  du  fujet  de  leurs  ou- 
vrages ,  &  même  ils  n'ont  pas  fait  fcru- 
pule  de  les  écrire  dans  lui  endroit  du 
plan  de  leurs  tableaux  oii  ils  ne  gâtoient 
rien.  Raphaël  &c  le  Carrache  en  ont 


/ 

:,-,zf--„GoOglc 


91  Réjlexioiis  critiques  - 

ufé  ainfi:  Coypel  a  placé  de  même  des 
bouts  de  vers  de  Virgile  dans  la  Gal- 
lerie  du  Palais  Royal ,  polir  aider  à 
l'intelligence  de  fes  fujets  qu'il  avoit 
tirés  de  l'Enéide.  Déjà  les  Peintres 
dor^  on  grave  les  ouvrages  ,  commen- 
cent à  fentir  l'utilité  de  ces  infcriptîoiu  , 
&  ils  en  mettent  an  bas  des  eftampes 
qui  fe  font  d'après  leurs  tableaux. 

Le  Poëte  arrive  encore  f^us  certai- 
nement que  le  Peintre  à  l'imitation  de 
fon  objet.  Un  Poëte  peut  employerpln- 
,  fleurs  traits  pour  exprimer  la  paSîon 
&  le  fentiment  d'un  de  fes  perfonna- 
ges.  Si  quelques-uns  de  fes  traits  avor- 
tent ,  s'ils  ne  frappent  point  précifé- 
ment  à  fon  but;  s'ils  ne  rendent  pas 
exaâement  toute  l'idée  qu'il  veut  ex- 
primer, d'autres  traits  plus  heureux 
peuvent  venir  an  fecours  des  premiers. 
Joints  enfemble ,  ils  feront  ce  qu'un 
feul  n'auroit  pu  foire ,  &  ils  exprime- 
ront ainfî  l'idée  du  Poète  dans  toute 
fa  force.  Tous  les  traits  dont  Homère 
fe  fert  pour  peindre  l'impétuofité  d'A- 
chille ,  ne  lont  [>as  également  forts  ; 
mais  les  fbibles  font  rendus  plus  fbrts 
par  d'autres ,  aufquek  ils  donnent  ré- 
ciproquement plus  d'énergie.  Tous  le* 


....Google 


fur  la  Poêju  0  fur  la  Peinture.  ^3 
traits  que  Molière  employé  pour 
crayonner  fon  Mifantrope  ,  ne  font  pas 
également  heureux,  maïs  les  unsajou- 
tent  aux  autres  ;  &  prîstous  enfemble  y 
ils  forment  le  caraâere  le  mieux  dcfll- 
né  &  le  portrait  le  plus  parfait  qui  ja- 
mais ait  été  mis  fur  le  théâtre.  Il  n'en 
eft  pas  de  même  du  Peintre  ,  <jui  ne 
peiat  qu'une  feule  fois  chacun  de  fcs 
perfonnages,  &  qui  ne  fçauroit  em- 
ployer qu'un  trait  pour  exprimer  ime 
paffion  fur  chacune  des  parties  du  vi- 
îage  où  cette  paffion  doit  être  rendue 
fenfible.  S'il  ne  forme  pas  bien  le  trait 
qui  doit  exprimer  la  paHion  ;  fi ,  par 
exemple ,  lorfqu'il  peint  un  mouvement 
de  la  bouche ,  fon  contour  n'eft  point 
précifément  la  ligne  qu'il  falloit  tirer  , 
ridée  du  Peintre  avorte  ;  Ôi  le  pet  fon-  - 
nage  ,  au  lieu  d'exprmier  une  paflion  , 
ne  fait  phis  qu'une  grimace.  Ce  que  le 
Peintre  fait  de  mieux  dans  les  autres 
parties  du  vifage  ,  peut  bien  engager 
d'excufer  ce  qu'il  a  fait  de  mal  en  -deffi- 
nant^la  bouche  ,  mais  ii  ne  fupplée  pas 
le  trait -manqué.  C'eft  même  Ibuvent 
en  vain  qu'il  tente  de  e orriger  (à  faute  ; 
il  recommence  fans  faire  mieux;  Se 
fcmblable  à  ceux  qui  cherchent  dans 


■,r  ..Google 


94  RifiexioTts  critiquet 

leur  mémoire  un  nom  propre  oublié  , 
il  trouve  tout  hormis  le  trait  qui  pour- 
roit  feul  former  l'expreffion  qu'il  veut 
imiter.  Ainfi  quoiqu'il  foit  des  carac- 
tères qu'un  Peintre  ne  puifle  pas  ex- 
primer ,  moralement  parlant ,  il  n'en 
eft  pas  qu'un  Poëte  ne  puifTe  copier. 
Nous  allons  voir  auffi  qu'il  eft  bien  des 
beautés  dans  la  nature  que  le  Peintre 
copie  plus  facilement ,  &  dont  il  feit  des 
imitations  beaucoup  plus  touchantes 
que  le  Poëte. 

Tous  les  hommes  s'affligent ,  pleu- 
rent &  rient  ;  tous  les  hommes  ref- 
ren:ent  les  paflîons  :  mais  les  mêmes 
padîons  font  marquées  en  eux  à  des 
caraâeres'  différens.  Les  paffions  font 
variées ,  même  dans  les  perfonnes  qui , 
fuivant  la  fuppofîtion  de  l'Artifan  ,  doi- 
vent prendre  un  égal  intérêt  à  Paâion 
principale  du  tableau.  L'âge  ,  la  patrie  , 
le  tempérament ,  le  fexe  &  la  profef- 
iîon  mettent  de  la  différence  entre  les 
fymptomes  d'une  paflîon.produite  par 
le  même  fentiment.  L'afffiâion  de  ceux 
qui  regardent  le  facrifice  d'Iphigénie, 
vient  du  même  fentiment  de  compaf- 
lîon;  &  cependant  cette  affliâion  doit 
fc  manifefter  différemment  en  chaque 


:,-,zf--„GoOglc 


fiir  la  Vmfit  &  fur  la  Peinture.  9  5 
fpeâateur ,  iuivant  Tolifervation  que 
nous  venons  de  faire.  Or  le  Poète  ne 
fçauroit  rendre  cette  diversité  fenfible 
dans  fes  vers.  S'il  le  fait  fur  la  fcène  , 
c'eA  k  Taide  de  la  déclamation  ^  c'eft 
par  le  fecours  du  jeu  muet  des  Ac- 
teurs. 

On  conçoit  facilement  comment  lui 
Peintre  varie  par  l'âge ,  le  fexe ,  la  pa- 
trie, la  profeflion  &  le  tempérament, 
la  doxdeur  de  ceux  qui  voient  mourir 
Germanicus  ;  mais  on  ne  conçoit  point 
comment  im  Poète  Epique  ,  par  exem- 
ple ,  viendroit  à  bout  d'orner  Ton  poè- 
me par  cette  variété ,  fans  s'embarraf- 
ferdans  des  defcriptions  qui  rendroient 
fon  ouvrage  enmiyeux.  Il  faudrolt  qu'il 
commençât  par  un  détail  fetiguant  de 
l'âge  ,  du  tempérament ,  &c  même  du 
vêtement  des  perfonnages  qu'il  veut 
introduire  à  ion  a£Hon  principale.  On 
ne  lui  pardonneroit  jamais  une  énumé- 
ratîon  pareille  :  s'il  fait  cette  énumé- 
ration  dans  fes  premiers  livres  ,  le 
Leâeitr  ne  s'en  Souviendra  plus ,  &  il 
ne  fentira  pas  les  lieautés  dont  l'intel- 
lij;ence  dépend  de  ce  qu'il  aura  oublié; 
s'il  ait  cette  énumération  immédiate- 
ment avant  la  catallrophe  ,   elle  de- 


>,:,i--„GoOglc 


(■6  Réjlexions  critiques 

Tiendra  un  retardement  infupportable." 
D'ailleurs  la  Poëfie  manque  d'expref- 
fions  propres  à  nous  inflruïre  de  la  plus 
grande  partie  de  ces  circonAances.  A 
peine  la  Phyfique  viendroit-elle  à  bout 
avec  le  fecours  des  termes  qui  lui  font 
propres  ,  de  bien  expliquer  le  tempé- 
rament plus  ou  moins  compofé  ,  8c  le 
caraâere  de  chaque  fpeÛateur.  Pour" 
feire  concevoir  tans  peine  &  dittinâe- 
ment  tous  ces  détails  ,'  il  faut  les  ex- 
pofer  aux  yeux. 

Au  contraire  rien  n'eft  plus  facile  au 
Peintre  intelligent  que  de  nous  faire 
connoître  l'Age ,  le  tempérament  ,  le 
fexe  ,  la  profelTion ,  &  même  la  patrie 
de  fes  perfonnages  ,  en  fe  fervant  des 
habillemens ,  de  la  couleur  des  chairs , 
de  celle  de  la  barbe  &  des  cheveux  , 
de  leur  longueur  &  de  leur  épai^eur  , 
comme  de  leur  tournure  natiuelle  ,  de 
l'habitude  du  corps ,  de  la  contenance  , 
de  la  tigure  de  la  tête ,  de  la  phyfio- 
nomle,  du  feu,  du  mouvement  &  de 
la  couleur  des  yrux ,  &  de  plufieurs 
autres  chofes  qui  rendent  le  caraûere 
d'un  peribnnage  reconnoiffable  par 
fentiment.  La  nature  a  mis  en  nous  vn 
iiiilinâ  f  pour  faire  h  difcemement  du 
caraûcre 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  P»ëjîe  &  fur  là.  Pùàture.  97 
eWâÛere  des  hommes ,  qui  va  plus  vîte 
&  plus  loin  que  ne  peuvent  aller  nos 
Inflexions  fur  les  intfices  &c  fur  Jes  fi- 
gaes  fenfibles  de'  ces  caraûeres.  Or 
cette  diverfité  d'expreflion  imite  mer- 
veilleufeoient  la  nature  qui ,  aonob- 
fiant  fon  uniformité ,  eÛ  toujoiu-s  mar- 
quée dans  chaque  fujet  à  un  coin  par- 
ticulier. Où  je  ne  trouve  pas  cette  di- 
rerfité^  je  ne  vois  plus  la  nature  &  je 
teconnots  Tart.  Le  tableau  dans  lequel 
pluûeurs  têtes  &  plulieurs  expremons 
font  les  mênies ,  ne  fat  jamais  fait  dV 
près  la  nature^ 

.  Le  Peinfâ-e  ne  trouve  donc  aucune 
oppofition  du  côté  de  la  mécanique 
de  fon  Art  à  mettre  dans  fon  expref- 
fîon  un  caraûerè  partictUier.  II  arrive 
même  fouvent  que  le.  Peintte  en  opé- 
rant pomme  Poëte,  fe  fuggere  à  lui- 
même  cpnuae  colorifte  &  comme  det 
Ënateur  des.  beautés  qu'il  n'auroil 
point  jencontrées  s'il  n'avoit  point  eu 
des  idées  Poétiques  à  exprimer.  Une 
invention  eniaitéclore  une  autre.  Des 
exemples  rendront  encore  notre  réfle- 
xion plus  facile  à  cpncçvoir. 

Tout  le  monde,  conpoît  le  tableau 
de  Raphaël ,  QitJefus-Çhrift  confirme  à 
Tff/ne  /.  E 


:,-,zf--„GoOglc 


^(^  Aifoxiont  ■erià^uî 

S.  Pierre  le  poiiv<HrdeKCle£i  enpréfta^ 
ce  des  autres  Apôtres;  c*eftnne  des  {ùe- 
ces  dt  ta^fleries  de  la  tenture  des  Aâes 
des  Apôtres  ^ue  le  Pape  Le<»i  X  fit 
faire  pour  U  Chapelle  de  Sixte  I V  j 
&  dont  les  cartons  origicmz  fe  con- 
ferrent  dans  la  Gallerie  du  Palais  que 
Marie  Stuard  Princeiïe  d'Orat^e  fit  bt- 
cir  à  Hamptoncourt.  Saint  Pierre  te«- 
nant  ces  <le& ,  efi  à  eraionil  devant 
Jefus-Cluift,  &  U  imfMt  pénétré  dV 
ne  émotiofi  conforme  i  U.  fituatitm  :  ^ 
recoimoifla&ce  &  ion  xele  pour  ion 
maître  paroiflent  reofiblemeot  Car  foA 
vifage.  Samt  Jean  ITvangetiile  rejH-é^ 
fente  jeune  comme  il  Fétoit ,  eft  dé- 

rint  avec  Paâion  d*un  jeune  hammt  ; 
applaudit  avec  le  mouvement  d« 
franchife  fi  naturel  à  fon  âge ,  au  <fignc 
choix  que  &it  fon  mutre ,  &  qu  <m 
croit  ai^rcev<Mr  ^^  eftt  îaA  lui- 
même  }  tant  la  vivacité  de  fon  awror 
bation  e&  bien  marquée  jntr  un  au-  de 
viiàge  &  par  un  mouvement  du  ctxpc 
très^fU'efl'é.  L'Apôtre  qui  eft  auprès 
de  bù ,  femble  plus  âgé ,  &  montre  la 
phyfionomîe  &  la  contenance  d*ua 
hcnnnie  pofé:  auffij  confiirmément  à 
À>BC?faâerejappla]idit-îlpariui£qipl«, 


:,-,zf--„GoOglc 


fio-laPoi^&furUPàntun,  99 
flionvement  des  bras  &  de  la  tête.  On 
âAingue  à  rextrémité  chi  grouppe  un 
konune  bUtenx  &  fznguûi  ;  il  a  le  vi* 
^e  haut  en  a>uleur  ,  ta  barbe  tiranto 
ka  le  roux,  le  iront  largi ,  te  nez 
marti  fie  tous  les  traits  d'un  honuac 
nurcUleux.  U  re^rde  donc  avec  d^ 
dain,  &  en  fronçant  le  fourcil  ,  imc 
jprâ&eoce  qu'on  devine  Jnen  qu^J  trotb- 
ve  ÎBJufle.  Les  hommes  de  ce  tempéra- 
inent  croient  volontiers  ne  pas  valoir 
id(»fls  que  les  autres.  Près  de  lui  eA 
^i  un  autre  Apâtre  embarrafTé  de  fa 
cûntenanceuui  ledifceme  pourâtred'ua 
Umpérament  mélancolique  à  la  mû* 
greurdefonvifagelivide^àfabarbenol- 
»  &  plate,  à  l'habitude  de  fon  corps,  en- 
&)i  tons  les  traits  que  les  Naturalises 
on  affilés  à  ce  tempérahiem.  U  fc 
coiuW  ;  6c  les  yeox  fixement  attachés 
lùrJ.  C.  ileft  dévoré  d'une  jaloufic 
stome  pour  un  choix  dont  il  ne  Te  fdain- 
<lni  point ,  mais  dont  il  c<Hifervera 
tengtems  *m  vif  refientiment  :  enfia 
On  reconnott-là  ludas  auffi  diilinâe- 
iKent,  qu'à  te  voir  pendu  auL^fîguier 
une  boune  renverfée  an  col. 

le  n'ai  point  prêté  d'elprit  à  Raphaël,' 
^  je  doute  meaie  ^'il  foit  poflîble  de 


:,-,zf--„Goog[i: 


JOO  Réflexions  critiques  * 

pouffer  rinvention  p6ëti<iue  plus  loin 
que  ce  grand  Peintre  Fa  £tii  dans  les 
tableaux  de  Ton  bon  tems.  Une  autre 
I»éce  de  la  même  tenture  repréfente 
iaint  Paul  annonçaïft  aux  Athoiiens  ce 
Dieu  auquel  ils  avoient  drelTé  un  au* 
tel  /ans  le  connoître  ;  Si .  Raphaël  a 
feit  de  l'auditoire  de  cet  Âpotre  un 
chef-d'œuvre  de  Poefîe ,  en  fe  tenant 
dans  les  bornes  .de  la  vraifemblance  la 
plus  exaâe.  Un  Cinique  appuyé  fur  fon 
bâton ,  &  qu'on  reconnaît  pour  tel  à 
refironterie  6c  aux  -  haillons  qui  &Ît 
fuient  le  caraSere  de  la  Seâe  de  IMo- 
eene*,  regarde  faint  Paul  avec  impur 
dence.  Un  aytre  Philofophc  qu'on  ju- 
ge à  fon  air  de  tête  un  homme  ferme 
6c  même  obAiné ,  a  le  menton  iiir  la 
poitrine;  il  eft  abforbé  dans  des  rér  ■ 
flexions  fur  les  merveilles  qu'il  entend  ^ 
&  l'on  croit  s'appercevoir  qu'il  pafls 
dans  ce  moment-là  de  l'ébranlement 
à  la  perfuaiion.  Un  aittre<a  la  tête 
jjanchée  lur  l'épaule  droite ,  8c  il  re? 
garde  l'Apôtre  avec  une  admiration 
purç  ,  qui  neparoît  pas  encore  ^ccom? 
pagnée  d'aucun  autre  fentiment.  Unaur 
tre  porté  le  fécond  doigt  de  fa  maili 
^oite  fva  ^nnez ,  &  £ut  le  gefte  d*uii 


■,r  ..Google 


'JttrUfoêjù&farla  Pthuur't'.  io( 
Jionuhe  qui  vient  d*être  enfin  éclairé 
far  des  vérités  dont  il  avgit  depuis 
longtems  une  idée  confufe.  Le  Peintre 
oppofe  à  ces  Philofophes  des  jeunes 

fens  âc  des  femmes  qui  marquent  leur 
tonnement  &  leiu*  émotion  par  des 
fefies  convenables  à  leur  âge  comme 
leur  fexe.  Le  chagrin  efl  peint  fur  le 
viiage  d'un  homme  vêtu  comme  le 
pouvoient  être  alors  chez  les  Juifs  les 
gens  de  Loi.  Le  fuccès  de  là  prédica- 
tion de  faint  Paul  devoit  produire  un 
pareil  effet  filr  un  Mf  obdiné.  La  craiii' 
te  d'être  ennuyeux  m'empêche  de  par- 
ler davantage  des  perfbnnages  de  ce 
tableau  :  mais  il  n'en  ell  aucun  qui  ne 
rende  compté  très-intelligiblement  de 
fes  fentimens ,  au  fpeâateur  attentif. 
Palléguerai  encore  un  exemple.  La 
matière  eft  alTez  importante  pour  cela. 
Je  le  tirerai  de  la  Sufanne  de  Monsieur 
Coypel ,  tableau  qui  fiit  très-vanté  , 
même  au  fortir  de  defîus  le  chevalet, 
Sufanne  y  comparoît  devant  le  peuple 
accufée  d'adultère  ,  &  le  Peintre  là 
repréfente  dans  l'inflant  où  les  deux  - 
vieillards  dépofent  contre  elle.  A  la 
phylionomie  de  Sufanne  ^  à  l'air  de  fon 
.vifage  encore  ferein ,  malgré  fon  af- 
Eiij 


:,-,zf--„GoOglc 


loi  RijUxùHtt  cntipus 

fiâion,  on  coniiMt  bien  que  fi  i^tor 
^ifle  les  yeux ,  c*eft  par  pudeur  &  mm 
|K)r  remord.  La  noblêfie  &  la  digmoé 
«e  Ibn  vilkge  dépofent  fi  hautenxeot  en 
i^  faveur ,  qu'on  iènt  bion  que  ion 
premier  mouvement  ieroit  d'ambodre 
d*^K>rd  Paccufëe  qui  fe  préfenteroic 
avec  une  pareille  contenance.  Le  Pein> 
Ire  a  varié  le  tempéruient  des  iàmeinc 
vieillards  ;  Tun  paroît  fangutn ,  l'autrcr 
paroît  bilieux  &mélancolique.  Cedeiv 
nier ,  fuivant  le  caraâere  propre  à  ion 
tempérament,  qui  eft  Toblnnaticm  ^ 
commet  le  crime  avec  conftence.  On 
n*apperçoit  Tur  fcHi  vifage  que  de  la 
lureur  &  de  la  rage.  Le  Janguin  paroît 
attendri ,  Se  Ton  voit  bien  que ,  va:3i*- 
gré  Ton  emportement ,  il  fent  d^a  des 
remords  qui  le  font  chanceler  dans  fa 
réfolution.  C'eft  le  caraâere  des  h<Hn> 
mes  de  ce  tempérament.  Affez  vidcm 
pour  fe  venger,  ils  ne  Ibnt  point aâec 
durs  pour  voir  les  fuites  de  leur  veik- 
geance. ,  làns  être  émus  par  des  mou- 
vemehs  de  compaffion. 

Il  eft  facile  de  conclure  après  ce 
que  je  viens  d'expofer ,  que  la  Peinture 
le  plaît  à  traiter  des  fujets  oh  elle  puîâe 
iotroduire  un  grand  nombre  de  pep; 


:,-,zf--„GoOglc 


furtdPoi^&furUPtintun,  to) 
ibnnages  intéreiTés  ifââion.  Tels  font 
les  iuiets  dont  nous  avons  parle  ,  tt 
tels  ïcna.  enc<MT  le  meurtre  de  Céù^^ 
le  Jàcri&e  d'^ïhigénis  ,  &  plufieun 
autres  qu'il  feroit  iiiperila  d'indiquer. 
L'émotion  des  affiâass  les  lie  fumuoi- 
musnt  1  une  aâion ,  dès  que  cette  ac- 
^on  les  agite.  L'ànotion  de  ces  ai^- 
tans  les  rend ,  pour  ainfi  dire ,  ({es 
aâeurs  dans  un  tableau,  au  lieu  qu^tli 
ne  leroicRt  que  de  fimples  fpeâa- 
teurs  dans  Un  poëme.  Par  «xem> 
pie  ,  un  Pdëte  qui  traiteroit  le  facrifice 
de  la  fille  de  Jefdité ,  ne  pourroit  &irs 
intervenir  dans  fon  aôiôii  qu'un  petit 
nombre  d'azurs  très-intëreOTés.  Des 
aâeurs  qui  ne  prennent  pas  un  intérât 
sflèntiel  à  l'aâKm  ,  dans  lacptelle  oit 
leur  fait  jouer  un  rôle  ,  £?nt  &oîds  i 
l'excès  en  Poëfie.  Le  Peintre  au  con« 
traire  peut  faire  intervenir  i  fbn  aâion 
autant  de  fpeâateurs  qu'il  juge  conve* 
naUe.  I}ès  qu'ils  y  paroiflent  toudiés , 
on  ne  demande  plus  ce  qu'ils  y  font. 

La  Poëûe  ne  fçauroit  donc  fe  préva- 
loir d'un  fi  grand  nombre  d'aâeurs. 
Nous  venons  de  dire  qu'un  perfonnage 
qui  ne  prend  ou'un  iotàrét  ni^ocrs 
dans  l'aâion,  devient  un  perfonnage 
Eiv 


:,-,zf--„GoOglc 


104  RèjUxians  crùi^iui 

ennuyeux.  S^îl  y  preod  un  grand  int^-^ 
rêt ,  il  faut  qse  le  poëme  fixe  la  deGi* 
née  de  cet  aâeur.  Il  faut  qu'il  nous 
en  înftruire.  La  multitude  des  aâeurs  , 
que  le  Poëte  tragique  employé  quel- 
quefois pour  cacher  fa  flérilité ,  de 
vient  d'ailleurs  très-embarraflante  pour 
lui  quand  le  dénouement  s'approche  , 
&  quand  il  feiit  s'en  défeirc.  Il  oblige 
donc  ces  perfonnages  ife  défaire  eux- 
mêmes  par  le  fer  ou  par  le.  poilbn  fuM 
le  premier  motif  qu'il  imagine:- 

i.'un  mcun  vnide  de  tàog ,  l'autre  plcll  de  TenÉ. 

C'eft  un  vers  de  Defpréaux  (a)  qu''on 
peut  bien  appliquer  à  ces  perfonnages  , 
quoiqu'il  ne  foit  pas  fait  pour  eux.  On 
ne  demande  point  ce  que*  devient  ufl 
mort,  on  l'enterre.  Mais  cette  réforme 
fanglante  ,  qui  fait  de  la  fcène  tragique 
un  champ  de  bataille ,  fouleve  le  fpec- 
tateur  contre  tant  de  meurtres  fi  peu 
vraifemblables.  Ce  n'eft  pas  la  quantité 
du  fang  répandu ,  c'eft  la  manière  dont 
il  ell  verfe ,  qui  fait  le  caraftere  dp  la 
Tragédie.  D'ailleurs  le  Tragique  outré 
devient  froid ,  &  l'on  eft  plus  porté  à 
rire  d'un  Poëte  ,  qui  croit  devenir  pa- 
thétique ,  à  force  de  verfer  du  fang , 

'   (■)  4rc.  Petc,  c^ol  4, 


:,-,zf-„  Google 


fur  U  Poêfa  if  fur  la  Ptiruurt.  I0( 
<Jii'à  pleurer  à  fa  pièce.  Quelque  efprit 
malin  envoyé  lui  tlemander  la  lifte  de 
Tes  morts. 

Eri  continuant  de  comparer  la  Poëfic 
l>amatique  ïvec  la  Peinture ,  nous 
trouverons  encore  qiie  la  Peinture  a 
l'avantage  de  pouvoir  mettre  Tous  nos 
yeux  ceux  des  incidens  de  l'avion 
qu'elle  traite  ,  qui  font  les  plus  propres 
h  làire  une  grande  impreHion  fur  nous. 
Elle  peut  nous  faire  voir  Brutus  & 
CalHiis  plongeant  le  poignard'  dans  le 
coéiu*  de  CéJar  ,  &  le  Prêtre  enfonçant 
,  le  couteau  dans  le  fein  d'Iphigénie.  Le 
Poëte  Tragique  oferoit  anlH  peu  nous 
préfenter  ces  (Ajets  fur  la  fcene  ,  que  la 
Métamorphofe  de  Cadmus  en  Serpent , 
.&  celle  de  PrognéenHirondelle.  Tous 
ces  objets  font  de  ceux  dont  Horace  a 
dit;     ^■■-  ■ 

Ci.'fM  girl  pnmts  infienam  ,  rnndlfu'  lAUt 
E.r  ocsilÎ!, qvie mox nanti  ficuni'tj  ■piafita.   fal 

Quand  bien  mime  tes  loix  de  la  Tra- 
géi^e ,  fondées  fur  de  bonnes  raifons  ^ 
ne  dcfendroient  point  de  mettre  fur  le 
théâtre  des  événemens  tels  que  ceux 
dont  nous  avons  parlé  y  le  Poète  fenl^ 

li-  tiiw.  d»  Ari.Poù.  y.  itx. 

E  V 


:,-,zf--„GoOglc 


10$  RéjUxtons  cnà^ttts 

éviteroît  toajours  de  les  y  mettre. 
Coatme  ces  événemens  ne  peuvent 
prefque  jamais  y  être  repréfemés  avec 
vraiiemblance ,  ni  avec  décence  ,  ils 
dégénèrent  en  nn  fpeâacle  froid  &  pué- 
rile. U  n'eft  pas  atiffi  facile  d*en  impo- 
ser à  nos  yeux  (ju*à  nos  oreilles.  Certai- 
nes fiâions  réuffifient  donc  mieux  dans 
le  récit  que  dans  le  fpeôacle.  L'événe- 
ment ,  qui  pourroit  nous  toucher  ,  s'il 
nous  étoit  raconté  avec  un  choix  ingé- 
nieux de  circonfbnces  mifes  en  œu- 
vre dans  nn  récit  oil  la  vraifemblance 
feroit  ménagée ,  devient  un  jeu  de  Ma- 
rionettes ,  quand  on  entreprend  de  les 
expofer  fiir  le  théâtre.  En  efiet  les  Mé- 
tamorphofes  qui  fe  repréfentent  fur  la 
fcene  dans  les  Opéra  de  France  &  d'Ita- 
lie y  font  lire  prefque  toujours  y  quoi- 
que l'événement  foit  tragique  par  loi' 
même.  Voilà  pourquoi  le  Poète  qui  fait 
nne  Tragédie,  eft  obligé  d'avoir  re- 
cours à  lui  récit  pour  nous  expoier  tous 
les  événemens  tels  que  ceux  dont  il 
s'agit  ici.  Or  le  récit  d'unafteurn'éft, 
pour  ainfidire  ,que  l'imitation  d'une 
imitation  &  une  féconde  copie. 

Quoique  Faâion  qu'on  nous  mon- 
tre dans  un  récit,  |X)ur  parler  ainfi^ 


■,r  ..Google 


furU  Poêfit  &fur  la  Pânture.  foy 
^i  très -touchante  par  elle  •  même  » 
elle  nous  émouvra  moins  que  ne  !• 
feroit  une  autre  aâioa  moin»  tr^ 
gique,  mais  q^ut  Te  palTeroii  Tous  no» 
yeux  ,  &  qui  i^oit  rejH'éfentée  devant 
nous  drvnatiquementt,  La  {n-emiere 
icene  entre  Rodrigue  &  Chimene  nou» 
émeiu  plus  que  le  récit  de  la  mort  du 
père  de  Chimene  qu'elle  fait  au  Roi  ^ 
bien  que  ce  récit  fe  âflè  par  un  perfon- 
nage  qui  prend  à  Tévenement  un  fi. 

g -and  uitérêt.  Cependant  la  mort  du 
omte  eft  uo  événement  plus  tefrible  y 
&C  par  conlequent  bien  plus  capable 
d'attacher ,  que  la  converution  deChi-- 
mené  &c  de  Rodri^e ,  quelque  intéreC- 
Êinte  qu'elle  puiife  être. 

Les  fujets ,  dont  la  beauté  coAfille 
principalement  dans  l'élévation  d'efimt 
que  font  vc»r  des  adeurs ,  dans  la  no-- 
blefle  de  lews  ièntimens ,-  comme  dans 
des  ficuations  qtû  doivent  agiter  vio- 
lemment Hc  fam  relâche  les  perfoioies- 
iitt^âiées»  5c  qui  doivent  ainfi  donner 
lieu  à  divers  femimens  très-vi&  &c  à 
des  entretiens  anim^ ,  font  plus  heu- 
reux pour  le  Poète  tragique.  Il  peut , 
en  traitant  d£  pareils  Aqets ,  nous  te- 
nir toujours  stteiui&^  &:  nous  faire 
E  vj 


:,-,zf--„GoOglc 


lo8  Réflexions  Crîùquts 

voir  même  tous  les  principaux  événe- 
mens  de  fon  aâion ,  fans  être  réduit  an 
iecours  des  récits.  Ce  difcemement  des 
fujets  eft  extrêmement  important ,  & 
l'on  peut  adrefler  aitx  Peintres  comme 
aux  Poètes  les  vers  qu'Horace  écrivit 
pour  ces  derniers  : 

Saaàtt  iF-i7triim  rifirii ,  çiûJîriHeû ,  tquim 

Soit  qiie  vous  vouliez  peindre ,  foit 
que  vous  vouliez  compofer  des  vers  , 
ayez  autant  d'attention  à  choifir  un  iîi- 
jet  qui  convienne  au  pinceau ,  fi  vous 
voulez  foire  un  tableau  ,  &  qui  con- 
vienne pour  ainfi  dire ,  à  la  phune  ,  fi 
vous  êtes  Poète ,  qu'à  le  choifir  conve- 
nable aiix  forces  de  votre  génie  parti- 
cidier  &  proportionné  avec  vos  talens 
perfonnels.  Nous  traiterons  plus  au 
long  de  ce  dernier  choix  dans  la  finte.  ■ 
Revenons  aux  fujets  fpécialemem  pro- 
pres pour  être  traités  ou  dans  un  poëme, 
ou  dans  un  tableau. 

Le  Poëte  qui  traite  un  fujet  inconnu , 
généralement  parlant ,  peut  faire  feci- 
îement  connoître  fes  perfonnages  dès  le 
,  premier  aûe  :  il  peut  même ,  comme 
nous  avons  déjà  dit,  les  rendre  intéref- 
fans.  Au  contraire  le  Peintre  à  qui  ces 


fur  la  Poëjîe  &  fur  la:  Peincure.  lO^ 
moyens  manquent,  ne  doit  jamaisen- 
treprendre  de  traiter  iin  fujet  tiré  At 
quelque  ouvrage  peit  connu  ;  il'  ne  doit 
introduire  ivà  fa  toile  que  des  perfon- 
nages  dont  tout  le  monde  ,  du  moins  le 
inonde  devant  lequel  il  doit  produire 
fon  tableau  ,  ait  entendu  parler.  Il  faut 
-que  ce  monde  les  connoiffe  déjà  ,  car 
le  Peintre  ne  peut  faire  autre  chofe  que 
delesluifàirereconnoître.  NoUsavons 
parlé  de  l!indifférence  des  fpeâateurs 
pour  le  tableau  dont  ils  ne  connoiflent 
pas  le  fujet. 

■  Le  Peintre  doit  avoir  cette  attention 
fans  celle  ;  mais  elle  lui  eft  encore  plus 
nécelTaire ,  quand  il  iàît  des  tableaux 
de  chevalet  deftinés  i  changer  fouvent 
de  place  comme  de  maître.  Le  fujet  des 
frefques  peintes  fur  les  murailles,  & 
celui  de  ces  grands  tableaux  qui  de* 
meurent  toujours  dans  la  même  place , 
s'il  n'eft  pas  bien  connu,  peut  le  deve- 
nir. On  devine  même  que  le  tableau 
d'autel  d'une  Chapelle  repréfente  quel- 
que «vénement  de  la  vie  du  Saint  fous 
le  nom  duquel  elle  efl  dédiée.  Enfin  la 
renommée  qui  inftruit  le  monde  du  mé- 
rite de  ces  ouvrages  ,  lui  apprend  en 
jiîême-tems  l'hiftoire  que  le  Peintre  y 
peut  avoir  traitée. 


:,-,zf--„GoOglc 


Vid  RéjUxions  cntiqua 

11  eâ  desfujets  généralement  connus* 
U  en  eA  d'aiures  qtii  ne  font  lùûn  con-^ 
tnts  que  dans  certains  pays. 
-  Les  fiqets  les  plus  connus  générale' 
nent  dans  toute  l'Europe ,.  font  tou» 
les  fujets  tirés  de  rËcritureiainte.Voi'' 
là  peut-être  pourquoi  Raphaël  &L  le' 
Pouffîn  ont  préfère  ces  fujets  aux  au' 
très ,  pincipalement  quand  ils  ont  iàit 
des  twleaux  de  dievalet'  De  c^tre 
lableaux  du  Pouffîn  ,  il  y  en  a  trois  qui 
repréiflitent  une  aâiem  tirée  de  la 
Bible.  Les  principaux  évinemens  de' 
l'hiftotre  des  Grecs  &  de  celle  des  Rfv 
mains  ,  ainiî  que  les  aventures  M>uleit-*' 
fes  des  Dieux  qu'adoroient  ces  deux 
Nations ,  fcmt  encore  des  fujets  gôté*- 
■  ralement  connus.  La  coutume  éËd>li« 
maintenant  chez  tous  les  peuples  twlis 
cle  l'Europe ,  veut  qu'on  laâe  de  f'étU' 
de  des  Auteurs  Grecs  Se  Romains  Toc* 
cupation  la  plus  ^eufe  des  enfans.  En 
étudiant  ces  Auteurs ,  on  fe  remplit  la 
tête  des  ^bles  &  des  hiiloires  de  leur 
pays ,  &  Ton  oublie  dtiEcilement  tout 
ce  qu'on  peut  avoir  af^ttis  dans  renf- 
once. 

n  n'en  eft  pas  ainfi  de  l'hiâoire  mo- 
derne ,  tant  Eccléâaitique  que  Pr oûne» 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  ta  Poijîe  Sfjur  la  Peinture.  1 1  f 
Chaque  pays  a  l'es  Saints ,  Tes  Rois  &c 
fes  grands  Peifonnages  très-connus , 
&c  que  tout  le  monde  y  reconnoît  ià- 
cilement,  mais  qui  ne  font  pas  reconnus 
de  même  en  d'autres  pays.  Saint  Pé- 
trone vêtu  en  Evêque ,  &  portant  for 
la  main  la  ville  de  Boulogne  caraâë- 
xiïi£e  par  Tes  principaux  Ëâtimensâc 
par  fes  tours,  n'eA  pas  une  6gure 
connue  en  France  généralement  comme 
elle  Teâ  en  l^mbardte.  Saint  Martin 
coupant  fon  manteau ,  aâion  dans  la- 
quelle les  Peiiftres  &  les  Sculpteurs  le 
repréfentem  ordinairement,  n'cfl  pas 
d'un  autre  côté  une  figure  aiiffi  connue 
en  Italie  qu'elle  l'eft  en  France. 

Les  François  fçavent  communément 
l*hiAoire  de  France  depuis  deux  fiécles. 
Os  ont  une  idée  de  Tair  du  vifaee  & 
des  habillemens  dç  ceux  qui  ontraitla 
plus  grande  figiu:«  dans  ces  tems-là. 
Mais  une  tête  de  Henry  IV  ne  feroit 
pas  deviner  le  fujet  d'un  tableau  en 
Italie,  comme  elle  le  feroit  deviner  en 
France.  Chaque  peuple  a  même  fes 
hhlts  particulières  &  les  Héros  ima- 

f  inaires.  Les  Héros  du  TalTe  &  de 
Ariofte  ne  font  pas  auflî  connus  en 
France  qu'en  Italie,  Ceux  de  TAftrée 


:,-,zf--,GoOglc 


ni  Réjîexîons  cruît}UtJ 

font  plus  coftnus  aux  François  qu*àii^ 
Italiens.  Je  ne  içaïs  que  Don  Quichotte  ^ 
Héros  d'un  genre  particlilier,  dont  leî 
proueffes  foient  aitffi  connues  des  étran-» 
gers  que  des  compatriotes  de  l'ingé* 
nienx  Efpagnol  qui  lui  d  donné  l'être.- 
Horace  pafTe  avec  raifoni  pour  le  plus 
judicieux  des  Auteurs  qtii  ont  donné 
des  enfeignemens  aiix  Poètes.-  Qu^ort 
voye  ce  qu'il  ne  laiffe  pas  de  leur  con-- 
feifler ,  malgré  les  fiicilités  particulières 
qu'ils  ont_  poiïr  faire  connoître  leurs- 
perfonnages ,  &  pojir  mettre  le  leÛeuf 
au  Élit  de  leur  fujet  ;•    ' 

RiHiat  IlUcumarmin  d^lucb  in  aSiii , 
ÇuAnjî  profiira  i^nwa  iaJicIJîut  frimai,    (o)' 

Vous  ferez  encore  mieux  de  clioifir" 
le  fujet  de  votre  pièce  parmi  les  évé- 
nemens  de  la  gûeçre  de  Troye  ,  fi 
fouvent  mis  furie  théâtre,  que  d'imaf- 
giner  à  pi^fir  l'aûion  de  votre  Tragé- 
die ,  ou  de  tirer  de  la  pouffiere  de  quel- 
que livre  ignoré  des  Héros  dont  le  mon- 
de n'entendit  jamais  parler,  &  d'en  faire 
vos  perfonnages.  Quen'efu  pas  dit  Ho- 
race aux  Peintres ,  s'il  leiu-  ayoit  adreffé 
la  parole  ! 
(a)  Hsrtu,  ie  An,  Putt.  V.  T19, 


■,r  ...Google 


fur  ta.  Poëjîe  &  fur  la  Pdrnurt.  II3 


SECTION     XIV. 

Qu'Uefi  mètm  des  fujtts  fpiàaliment  pro* 
pris  à  certains  genres  de  Poefie  &  dé 
Ptiniure,  Des  fujets  propres  à  laTra- 

i\  o  N  feulement  certains  fujets  font 
plus  avantageux  pour  la  Poëfie  que  pour 
la  Peinture ,  ou  pour  la  Peinture  que 
pour  la  Poëiie  \  mais  il  eA  encore  des 
fujets  plus  propres  à  chaque  gem'e  de 
Poefîe  &  à  chaque  genre  de  Peinture  , 
Cfu'aux  autres  genres  de  Poëfie  &  de 
Peinture.  Le  facrifîce  d'Iplùgénie ,  par 
exemple  ,  ne  convient  qu'à  un  tableau 
ott  le  Peintre  puifle  donner  à  Tes  fi- 
gures une  certaine  grandeur.  Un  pareil 
fujet  ne  veut  pas  être  repr^enté  ave« 
de  petites  figures  deftinées  à  i'embel- 
lifiement  d'un  payfags.  Un  fujet  gro<> 
tefque  ne  veut  pas  être  traité  avec  des 
figures  aufiî  grandes  que  le  naturel. 
Des  figures  plu»  grandes  <nie  nature  , 
ne  feroient  point  propres  a  repréfen- 
ler  une  toilette  de  Venus.  Qu  on  ne 
me  demande  point  les  raifoiis  phyfi* 


:,-,zf--„GoOglc 


It4      ^    JUflexioas  cruiqaa 
ques  de  ces  convenances ,  je  n'enpofV^ 
rois  allouer  d'autres  que  Tinâinâ  qur 
nous  les  diâe',  &  l'exeniple  desgrands 
Peintres  qui  les  ont  fenties. 

B  en  eft  de  même  de  la  Poëfie  :  les 
^vénemeos  tragiques  ne  font  point 
nt^es  à  être  racontés  en  Epignumne  : 
L'Epigranune  peut  tout  au  plus  rele- 
ver &  mettre  en  fon  jour  quelqae  cÎT' 
confiance  brillante  de  ces  événonens  ; 
die  peut  nous  en  &îre  adnrirer  que]" 
que  tnûc,  mais  elle  ne  peut  nous  y  îo^ 
térefler.  A  peine  en  corapte-t'on  âoq 
ou  fix  bonnes  parmi  les  anciemKs  fie 
les  modernes  qui  roulent-  fur  de  pareils 
fujets.  La  Comédie  ne  vent  pointtrm* 
ter  des  aâions  atroces  ,.  Thatie  ne 
fçauroit  faite  les  imprécabtHis  ,  m 
impoTer  les  peines  dîtes  aux  grands 
oimes.  L*Eglogne  ne  conviem  pas 
aux  paffions  violentes  &  lài^uinaires. 

Quelques  réfleidons  que  je  vais  fetre 
fur  les  aâÏMis  propres  à  la  Tragédie  , 
cnq)êcheront  peut-être  ceux  qui  vou- 
dront bien  y  nire  attention,  deiemé* 
prendre  Ittr  le  choix  des  fujets  qui  lui 
conviennent. 

Le  but  de  la  Tragédie  étant- d'exci* 
ter  principalement  en  nom  la  terrenr 


:,-,zf--„GoOglc 


fiiriaFoë^  ^furlttPùjuurê.  ir^ 
fe  la  conça^on  ,  il  faut  que  le  Poète 
Tragique  nous  &fle  voir  en  premier 
tieti  des  pérfonnages  aimables  &  elH- 
onfales  y  Se  qu*il  nous  les  reprëfente 
enfuite  en  Oïl  état  véritablemeiit  mal- 
faeureiac.  Gommeiicez  par  faire  efH- 
ner  aux  hommes  ceux  qoe  tous  vou^- 
tei  leur  faire  plaindre.  U  e&  donc  né^ 
ceflaire  que  les  pérfonnages  de  la  Tr^ 
gédie  ne  mutent  point  d'être  malhen- 
reux ,  ou  du  moins  d'être  auffi  maUieo* 
Kux  qu'ils  le  font.  Si  leurs  malheurs 
ne  font  pas  ane  pare  infortune ,  maii 
one  punition  de  leur  faute ,  ils  en  doi^ 
rem  être  vnc  punition  exceillve.  D» 
sioins  û  ces  feutes  font  de  vérîtablei 
crimes  ,  il  ne  fitiit  pas  que  ces  erimn^ 
ayent  ét^  commis  volontairement; 
^dîpe  ne  feroit  plus  un  principal  per» 
fonnage  de  Tragédie  ,  s^I  avoit  Cça 
dans  le  tems  de  fon  combat ,  qu'il  ti' 
«oit  l'épée  contre  fon  propre  père.  Les 
malheurs  des  fcélémts  font  peu  pro- 
pres à  nous  toucher;  ils  fcmt  unjufte 
lup^ice  dont  l'imitation  ne  fçauroit 
exciter  en  nous-  ni  terreur ,  ni  compB& 
fion  véritable. 

Un  événement  terrible  eft  criui  qui 
nous  étonne  pc  qui  nous  fuyante  à 


:,-,zf--„GoOglc 


'1 1 6  Réflexions  cnùqtUS 

la  fols.  Or  rien  n'eft  moins  étoiuiatfC 

Se  le  châtiment  d'un  homme  qui  par 
;  crimes  irrite  le  ci«l  &  la  terre.  Ce 
feroit  l'impunité  des  grands  criminel) 
qui  poiuToit  lîirprendre  :  leur  châti- 
ment ne  fçauroit  donc  caufet  en  nous 
la  terreur  ou  cette  crainte  ennemie  de 
la  préibmptîon  ,  &  qui  nous  fait  nous 
déner  de  nous-mêmes.  La  peine  due 
tMx,  grands  crimes  ne  nous  paroît  -pas 
jk  craindre  pour  nous.  Nous  fommes 
iUfEfamnient  rafltirés  contre  la  crainte 
de  coQunettre  jamais  de  femblables 
£)rfaits,  par  l'horreur  qu'ils  nous  ïnC> 
pirent.  Nous  pouvons  craindre  des  &ta- 
lités  du  même  genre  que  celles  qui  ar- 
rivent à  Pyrrhus  dans  l'Andromaque 
de  Racine  ,  mais  non  de  commettre 
des  crimes  auffi  noirs  que  le  font  ceiix 
de  NarciiTe  dans  Britannicus.  Un  fcé- 
lérat  qui  fubit  fa  deftinée  ordinaire 
dans  un  poëme  ,  n'excite  pas  autli  no- 
tre coropallîon  ;  fon  fapplice,  ii  nous 
le  voyions  réellement ,  exciteroit  bien 
en  nous  une  compallîon  machinale  ; 
mais  comme  l'énwtion  que  les  imita- 
tions produifent,  n'eft  .pas  aufli  ty- 
rannique  que  celle  que  l'objet  même 
^xciteroit  j  l'idée    des  .  crimes  qu'u* 


:,-,zf--„GoOglc 


JurlaPoèfie  &furlaPtîntun.  117 
perfonnage  de  Tragédie  a  commis, 
nous  empêche  de  fentir  pour  lui  une 
pareille  compaâîon.  Il  ne  lut  arrive 
rien  dans  la  catalbophe  que  nous  ne 
lui  ayons  fouhaité  plufieurs  fois  durant 
le  cours  de  la  pièce  ,  &  nous  appku- 
dillons  alors  au  Ciel  qui  &  juiliâe  enfin 
de  fa  lenteur  à  punir, 
■  Pcrfonne  n'ignoré  qu'on  entend  en 
Poëlie  par  fcélérat  im  homme  qui  viola 
volontairement  les  préceptes  de  la  loi 
naturelle ,  à  moins  qu'il  ne  foit  excitfé 
par  une  loi  particulière  à  fon  pays.  Le 
refpeâ  pour  les  loix  de  la  fociéte  dont 
on  eil  membre ,  eft  une  fi  grande  ver- 
tu, qu'elle  excufe  fur  la  fcene  l'erreur 
qui  nous  iàit  violer  la  loi  naturelle. 
Ainfî  quand  Agamenuion  veut  facrifier 
fa  ^e,  il  viole-  la  loi  naturelle  fans 
.être  en  Poëfie  un  perfbnnage  fcëlérat  ; 
si  eft  excufé  par  fa  rélignation  aux  loix 
&  à  la  religioD  de  fa  patrie  qui  auto* 
rifoit  de  pareils  meurtres.  C'eA  la  loî 
de  fon  p^s  qui  fe  trouve  chargée  d© 
l'horreur  du  crime.  On  plaint  la  mifére 
des  hommes  df  ce  tems-là  qui  ne  pou^ 
voient  plus  difcerner  la  loi  naturelle 
  travers  les  nuages  dont  les  hvSe^ 
religions  l'envcloppoiçnt.  Noiij  pou» 


:,-,zf--„GoOglc 


t  iS  Rif  exions  cnâqites 

voas  âbe  la  même  chofè  des  menr- 
triers  de  Cétar,  parce  qu'ils  avoieitt 
été  élevés  dans-  la  maxime ,  que  les 
voies  violentes  écoient  permîtes  contre 
-nu  citoyen  qui  vouloÈt  Êiire  des  -fbjcts 
As  fes  égaux  ;  &  qui ,  pour  parler  le 
langage  des  Romains,  M^iSoù  Im.  ty* 
rannîe. 

'  Mais  un  Aornain  conten^orain  de 
Cé&T,  qiû  Tondroit  ËLoifierfa  prc^ire 
fille ,  ieroit  im  fcélérat  ;  il  violeKHt 
un  précepte  facré  de  la  loi  naturelle, 
^s  être  ezcufé  par  les  loix  de  ik  pa- 
trie :  car  il  y  ivait  longteais  dès  Ion 
que  les  Romains  aroient  défendu  d« 
iacrifier  dra  viâàmes  hninxines ,  Se 
«u*ils  aToient  même  obligé  les  peuples 
libres  qui  vÎToientfQiis  leurproteâioi 
A  garder  cette  défenfe.  Une  errear  eu- 
'  cufalde  peut  donc  râi^nltter  ,  pour 
ainfi  £re,  le  personnage  qui  commet 
un  grand  crime  contre  la  loi  naturelle  ; 
snais  )e  me  donnerai  bien  de  gnde  de 
«lonneraux  emportemens  8c  aux  pro- 
aiiers  mouvemens  ie  droit  d'excufer 
les  rnnds  crimes ,  même  far  te  théâtre. 
Celïii  jt  oui  fes  jn'emiers  mouvemens 
peuvent  kin  commettre  de  m-ands 
crimes ,  eu.  toujoitfs  va  fc^érat,  JL'eia- 


:,-,zf--„GoOglc 


Jitr  U  Pûe^  &  fur  la  Pdniure.  iiy 
ftortement  n'excufe  point  le  meurtre 
volontaire  de  fa  fenune,  même  ruivant 
la  morale  de  la  Poëliç ,  la  feule  dont  il 
s'agit  ici ,  &  la  plus  indulgente  de  tou< 
tes.  De  tels  crimes  répugnent  telle- 
ment aux  cceurs  qui  ne  font  pas  enti^ 
Tetnent  dépravés  ,  qu'il  ne  niffit  point 
id*avoir  perdu  ^elque  chofe  de  la  li- 
berté de  fon  efpnt  pour  les  commettre^ 
iàns  devenir  un  fcélérat  odieux.  Ce 
n*eA  point  par  réflexion  Se  en  ré£ftant 
à  la  tentation  qu'un  honone  à  qui  il 
refte  encore  quelque  vertu ,  ne  le&  com- 
met pas ,  c'eft  parce  qu*il  n'eft  pas  en 
lui  de  mouvement  qui  le  porte  jamais 
k  de  pareils  excès  :  il  eft  en  lui  une  hor- 
reur d'inflinâ ,  &  fi  j'»f«  dire ,  machi- 
nale, contre  les  aoions  dénaturées. 
S'il  7pouvoit être  portéparun premier 
monyement  de  colère  ,  un  premier 
mouvement  de  vertu  le  retiendroit. 
Les  vertus  n*ont-elles  pas  leurs  pre- 
miers moiivemens  ainfi  que  les  pâmons 


:,-,zf--„GoOglc 


Rifiexions  crîtîqius 


SECTION    XV. 

Des  ptrfonnagts  de  StêUnits  qu'on  ptaf 
introduire  dans  Us  TragédUs, 

J>PRfes  cela  je  fuis  très-éloigné  de  dé- 
fendre d'introduire  des  peribnnagesfcé- 
lérats  dans  une  Tragédie.  Le  principal 
tleffein_dece  Poëme  eft  bien  d'exciter 
ennouslaterreur&la  compaflîonpour 
i]uélques-uns  dç  Tes  peffonnages  ,  mais 
«on  pas  pour  tous  fes  peribnnages,  Ain£ 
le  Poëte,pour  arriver  f4us  cenainement 
à  fon  but ,  peut  bien  exciter  en  nous 
d'autres  pallions  qui  nous  préparent  k 
■fenttr  plus  vivement  encore  lès  deux 
(qui  doivent  dominer  fur  la  fcène  tra- 
gitfue ,  je  veux  dire  la  compaâîon  Se 
ia.  terreur.  i.*indignation  que  nous  con- 
fevons  contre  NarcilTe  augmente  la 
■compagnon  &c  la  terreur  oîi  nous  jet- 
tent les  malheurs  de  Britannîcus.  L'hor- 
reur qu'infpirent  les  difcoin-s  d'CEno- 
jne  y  nous  rend  plus  feniibles  à  la  mal* 
heureufe  deftinee  de  Phèdre  ;  le  mau- 
vais  effet  des  confeils  de  cette  confi- 
dente que  le  Poëte  lui  foit  toujours 
«donner  à  Phèdre,  quand  elle  eâ  prête 
à 


,,-,G<.oglc 


Sv-rlaVolfit&  JkrUPànum.  ij, 
Ue  repentir,  rend  cette  PrincelTc  plus 
â  plaindre,  &  fes  crimes  plus  terribles 
Nous  craignons  de  recevoir  de  pareils 
confeils  en  defemblables  conjonflurcs 
On  peut  donc  introduire  des  perfonna- 
ges  Icéléiats  dans  un  poiime ,  ainli  qu'on 
met  des  bourreaux  dans  le  tablcaii  oui 
reprtfente  le  martyre  d'un  Saint  :  mjis 
comme  on  blâmeroit  le  Peintre  qui  dé- 
peindroit  aimables  des  hommes  auf- 
quels  il  fait  faire  une  aôion  odieufe 
de  même  on  blâmeroit  le  Poïte  qui 
donneroit  à  des  perfonnages  fcilérlts 
des  qualités  capables  de  leiu  concilier 
ia  bienveillance  du  Tpeflateur.  Cette 
bienveiUancepourroitaUeriufqu'àfkire 
plaindre  le  fcelérat ,  U  à  diminuer  l'hor- 
reur du  crime  par  la  compaffion  que 
donneroit  le  criminel.  Voilà  cequi  cft 
entièrement  oppofé  au  grand  but  de  la 
fragedie ,  je  veux  dire  à  fon  deffei» 
de  purger  les  paflions. 

Il  ne  faut  point  encore  que  le  princi- 
pal  intérêt  de  la  pièce  tombe  fur  les  per- 
fonnages de  fcâérats.  Le  perfennage 
dlinfceleratne  doit  point,  être  capa- 
ble dintëreflèr  par  hii-même  ;  ainfi  le 
Sieflateur  ne  fçauroit  prendre  part  à 
les  aventures,  qu'autant  que  ces  aven- 

lome  I,  p 


-, Google 


111  Réfitxiom  cr'utquts 

turcs  feront  les  incidens  d'un  évé- 
nement oh  des  personnages  d'un 
autre  caraâere  auront  un  grand  in- 
térêt. Qui  ^t  une  grande  attention 
à  la  mort  de  Narciile  dans  Britanni- 
cus  ? 

n  eft  outre  cela  des  Scélérats  qui  ne 
devroient  jamais  paroître  fur  la  fcène, 
à  quelque  titre  que  ce  fôt  ;  ce  font  les 
impies.  J'appelle  ici  impiété  tous  les 
difcours  brutaux  que  fait  tenir  une  au- 
dace infenfée  contre  la  Religion  en  gé- 
néral ,  ou  contre  celle  qu'on  profeffe, 
telle  que  puiffe  être  cette  Religion-là. 
Ainfi  mon  fentiment  eâ  qu'on  ne  doit 
point ,  par  exemple ,  introduire  jamais 
fur  le  théâtre  un  Romain  encore  Païen 
qui  fe  moqueroit  du  feu  de  Vefta ,  non 
plus  qu'un  Grec  qui  traiteroit  avec  in- 
folence  l'Oracle  de  Delphes  de  fourbe- 
rie inventée  par  les  Prêtres  d'Apol- 
lon. Il  feroit  inutile  d'expliquer  ici  que 
ceux  qui ,  comme  Polieuâe  ,  parlent 
contre  une  Religionrouvrage  des  hom- 
mes )  parce  qu'ils  connoiflent  la  véri- 
table ,  ne  font  pas  de  ces  impies  que  je 
.profcris.  Les  termes  de  ma  propon- 
tion  préviennent  tout  fujet  dç  le  foup- 
çonner. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  U  Poëfie  &  fur  la  Peiniun.  i  j,» 
Mais,  dira-t'on,  Phèdre  viole  vo- 
lontairement les  ïoix  les  plus  faintes  du 
droit  naturel  ;  elle  aime  le  fils  de  fon 
mari ,  elle  lui  parle  de  fa  palïîon ,  elle 
tente  tout  pour  le  ietliiire  ;  enfin  ce  qui 
iàit  le  caraâere  le  mieux  marqué  d'un 
fcélérat ,  elle  accufe  l'innocent  du  cri- 
me qu'elle-même  a  commis.  Cependant 
les  malheurs  de  Phèdre  ne  laiflem  pas 
ti'exciter  la  compaffion ,  quand  on  voit 
la  Tragédie  de  Racine.  On  peut  dire  la 
même  chofe  de  pluûeurs  pièces  des  an- 
ciens Tragiques. 

Je  réponds  que  Phèdre  ne  commet 
pas  volontairement  les  crimes  dont 
elle  eft  punie  ;  c'eft  un  pouvoir  divin 
auquel  une  mortelle  ne  fçauroit  réfiiler 
dans  le  fyftême  du  Paganifiue ,  qui  là 
force  d'être  incefîueufe  &  perfide.  Après 
ce  que  Phèdre  &  fa  confidente  difent 
dès  le  premier  aâe  fur  la  haine  de  Ve- 
nus contre  la  poftéritè  de  Pafiphaé ,  & 
fur  la  vengeance  de  cette  Déeâe ,  qui 
détermine  notre  Princefle  infortunée  à 
tout  le  mal  qu'elle  fait,  fes  crimes  ne 
paroiffent  plus  Être  fes  crimes ,  que  par- 
ce qu'elle  en  reçoit  la  punition.  I^ 
haine  en  tombe  fur  Venus.  Phèdre  plus 
malheiu-eufe  qu'elle  ne  devoit  l'être  , 
Fij 


Coogic 


1 14  Rijîexîons  critiques 

eft  un  véritable  perfonnage  de  Tra- 
gédie. 

Speroné  Speroni ,  Poôte  du  dix-ftp- 
tiéme  fiécle ,  a  fiiit  unp  Tragédie  Ita- 
lienne ,  intitulée  Canac^e  (a) ,  qui  da 
moins  peut  paUèr  pour  une  des  meil- 
leures Tragédies  écrites  en  Italien.  Le 
goût  de  déclamation  y  règne  bien  moins 
que  dans  les  Tragédies  de  fes  compa'^ 
triotes.  Le  fujet  de  la  Tragédie  eft  l'a- 
venture fiinefte  de  Macarée  fils  d'Eole  , 
&  de  Canacée  fœur  de  Macarée.  Ve- 
nus ,  pour  fe  venger  des  perfécutions 
d*Eole  contre  Ënee ,  rend  les  eoËins 
d'Eole  amoureux  i'un  de  l'autre  (^), 
&  Canacée  c<Mnmet  un  incefte  avec 
fon  frère.  L*aftion  de  la  Tragédie  ré- 
volta contre  Spéroné  Speroni  les  beaux 
efprits  d'Italie  ;  mais  on  eft  obligé  de 
condamner  leur  délicatelTe  ,  quand  oa 
a  lu  la  differtation  que  cet  Auteur  com- 
jîoia  pour  jnftifier  le  choix  de  fon  fu- 
jet. Or  comme  la  deftinée  de  Phèdre 
eft  Semblable  à  celle  de  Canacée  , 
tout  ce  que  l'Italien  allègue  pour  fa  dé-  j 
■fenfe  juftifie  le  François  ,  &  j  y  renvoyC  I 
«ion  Leâeur.  ' 


:,-,zf-„  Google 


'fur  laPo'èJîe  &farla  Pùnture'.  iiÇ 
l\  feroh  fuperflu  d'avertir  ici  qu'en 
lifant  une  pièce  de  théâtre  ,  on  admet 
comme  véritables  les  ftippofitions 
feuffes  qui  étoiçnl  reçues  au  tems  oii 
raâion  eA  arrivée  ;  tout  le  monde 
içait  bien  qu'il  faut  fe  prêter  aux  opi- 
nions qui  ont  été  celles  des  AÛeurs. 
Pourjuger  iainement  de  leur  conduite , 
il  iàut  entrer  dans  leurs  idées ,  &  pen- 
fer  comme  eux-mêmes  ils  penlbicnt. 
Ainfi  en  voyant  la  Tragédie  jfj.-Phé- 
dre ,  on  fe  prête  à  la  fuppclition  qui 
Êiifoit  les  Dieux  du  Pa^anifme  les 
auteurs  &c  les  vengeurs  des  crimes  ; 
bien  que  cette  fuMwfition  révolte 
encore  plus  le  bon  lens ,  que  ne  le 
&it  la  plus  extravagante  des  Méta- 
morphofes  qu'Ovide  a  mifes  en  yen; 


SECTION    XVI. 

De  quelques   Tragédies  dont  le  fujet  efi 
mai  ikoijt. 

IN  ON  feulement  il  faut  que  le  càraflerc 
des  principaux  perfonnages  foit  inté' 
relTant  ;  mais  il  eil  encore  néceCTaire 
F  iij 


:,-,zf-„  Google 


g 


tï6  RéfêxtoHS  eritîques 

que  les  accidens  qui  leur  arrivent^ 
foient  tels  qu'ils  puiflent  affliger  tra- 
'iquement  despenonnesraifonnables  y 
l  jetter  dans  une  crainte  terrible  un 
homme  courageux.  Un  Prince  de  qua- 
rante ans  qu'on  nous  repréfente  au 
dëlefpoir  &  dans  la  diijwfition  d'atten- 
ter liir  lui-même ,  parce  que  fa  gloire 
&  fes  intérêts  robtigent  à  ie  feparer 
d'une  femme  dont  il  eft  amonrenx  & 
aimé  depuis  douze  uis ,  ne  nous  rend 
guéres  compatiffant  à  Ton  malheur. 
Nous  ne  fçaurions  le  plaindre  durant 
cinq  aâes.  Les  excès  de  paillons  oîi  le 
Poëte  ^t  tomber  fon  héros  »  tout  ce 
qu'il  lui  &it  dire ,  afin  de  bien  periua- 
der  les  fpeÛateurs  que  l'inténeur  de 
ce  perfonnage  eft  dans  l'agitation  la 
plus  afireufe ,  ne  fert  qu'à  le  dégrader 
davantage.  On  nous  rend  le  Héros  io- 
différent ,  en  voulant  rendre  l'aâion  in- 
téreflante.  L'uTage  de  ce  qui  fe  palTe 
dans  le  monde ,  ôc  l'expérience  de 
nos  amis,  au  défaut  de  la  nôtre» nous 
apprennent  qu'une  paffion  contente 
s  ufe  tellement  en  douze  années,  qu'el- 
le devient  une  fimfJc  habitude.  Un 
Héros  y  obligé  par  fa  gloire  &  par  l'in- 
térêt de  fon  autorité,  à  rompre  cette 


:,-,zf--„GoOglc  ■ 


fur  la.  Poîfît  &fur  U  Peinture,  t  vf 
habitude  ,  n'en  doit  pas  être  afîez  affli- 
gé pour  devenir  un  perfonnage  tragi- 
que :  il  cefîe  d'avoir  la  dignité  requifc 
aux  perfonnages  de  la  Tragédie,  fi 
fon  amiâion  vajufqu'au  déiè^mir.  Un 
tel  malheur  ne  içaivoit  l'abbatre ,  s'il 
a  un  peu  de  cette  fermeté ,  fans  la* 
quelle  on  ne  fçauroit  être,  je  ne  dis 
pas  un  Héros ,  mais  même  un  honunc 
vertueux.  La  gloire,  dira-t'on,  l'em- 
porte à  la  fin  ;  &  Titus ,  de  qui  Ton  voit 
bien  que  vous  voulez  parler ,  renvoyé 
Bérénice  chez  elle. 

Je  répondrai  donc  que  ces  combats 
que  livre  Titus  ne  font  pas  dignes  de 
lui ,  ni  dignes  d'occuper  la  fcene  tra- 
gique durant  cinq  aâes.  Alléguer  qu'à 
U  fin  la  vertu  triomphe  de  la  pafiîon  , 
ce  n*efl  pas  juftifier  le  caraâere  de  Ti- 
tus. Une  pareille  raîfon  pourroit  tout 
au  plus  jumfier  celui  d'uqe  jeime  I^n- 
celle  qui ,  durant  miatre  aâes ,  auroît 
ait  voir  la  foiblefie  que  montre  cet 
Empereur,  C'eft  faire  tort  à  la  répu- 
tation qu'il  a  laiflée ,  c'eft  aller  contre 
les  loix  de  la  vraifemblance  fie  du  pa- 
thétique véritable ,  que  de  lui  donner 
un  caraûere  fi  mol  &  fi  efFéminé.  L'Hif- 
torien,  dont  Monfieur  Racine  a  tiré  le 
Fiv 


:,-,zf-„  Google 


1 18  Ri^exions  critiques 

fujet  de  fa  pièce ,  raconte  feulement 
que  Titus  renvoya  Bérénice ,  &  qu'Us 
le  féparerentà  regret.  Beremcem  fiatittt 
*b  urlv  dimijît ,  invitas  invitam  (a).  Cet 
Auteur  ne  dit  point  que  Titus  le  foit 
abandonné  à  la  douleur  exceflive  où  11 
eA  toujours  plongé  dans  ht  pièce  dont 
je  parle.  Quand  même  l'aventure  feroit 
narrée  par  Suétone  avec  les  cïrconf- 
tances  dont  Monâeur  Racine  a  trouvé 
bon  de  la  revêtir ,  il  n'anrott  pas  du 
la  choifir  comme  un  fnjet  propre  à  la 
fcène  tragique.  La  gloire  du  luccès  ne 
répare  pas  toujours  fejicmte  d'un  com- 
bat oU  nous  devions  remporter  l'avan- 
tage d'abord.  Un  ennemi  bien  inégal 
nous  fiu-mome  en  quelque  façon  »  s'il 
diipute  trop  longtems  la  viâoire  con- 
,  tre  nous.  En  effet  dix  mille  Allemands 
qui  n'auroient  battu  fix  mille  Ttu-cs  en 
rafe  campagne  qu'après-  un  combat  de 
douze  heures ,  feroient  honteux  de 
leur  propre  viâoire.  Aufli  quoique 
Bérénice  foit  une  pièce  très-méthodi- 
que &  parfaitement  bien  écrite  ,  le  pu- 
blic ne  la  revoit  pas  avec  le  même 
goût  qu'il  lit  Phèdre  ,  &  qu'Andro- 
maque.  Monûeiu-  Racine  avoit  mal 
(»J  &tt.  in  Ta,  y^fjf.  Sta.j. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Po'èjîe  &  fur  la  Peinture,  t  tgi 
choifi  fon  fujet  ;  &  pour  dire  plus 
e;aâement  la  vérité,  il  avoit  eu  la 
foibleffe  de  s'engager  à  la  traiter  fur 
les  inftances  d'une  grande  Princefle. 
Quand  il  Te  chargea  de  cette  tâche, 
l'ami  ,  dont  les  confeils  lui  fiirent  tant 
de  fois  utiles ,  étoit  abfent.  Defpréaux 
a  dit  pltilîeurs  fois  qu'il  eût  bien  em- 
pêché fon  ami  de  fe  confommer  far  un 
îiijct  aufli  peu  propre  à  la  Tragédie 
que  Bérénice,  s'il  avoit  été  à  portée 
de  le  difliiader  de  promettre  qu'il  le 
traiteroit. 

Infpirez  toujours  de  la  vénération 
pour  lesperfonnages  deftinés  à  faire 
verfer  des  larmes.  Ne  feites  jamais 
chauflTer  le  cothurne  à  deshommes  in- 
férieurs à  plufieurs  de  ceux  avec  qui 
nous  vivons  :  autrement  vous  ferez 
auffi  blâmable  que  fî  vous  aviez  fait 
ce  que  Quintilien  appelle  :  Donner  le 
rôle  d'Hercule  à  jouer  à  un  en^t  : 
Ptrfondm  Hercutis  &  eotkumos  aptarg 
infantibus. 


'M^ 


vy 


:,-,zf--„GoOglc 


Réflexions  critiques 


SECTION     XVII. 

S'il  efi  à  propos  tU  mettre  de  tamour 
dans  Us  Tragédies. 

JVi  o  N  fujet  amené  ici  naturellement 
deux  queitions  :  La  première  ,  s'il  eft 
à  propos  de  mettre  de  Tamour  dans 
les  Tragédies;  &  La  féconde,  fi  nos 
Poètes  Tragiques  ne  donnent  point 
trop  de  part  à  cette  paffion  dans  les 
intrigues  de  leurs  pièces. 

Tous  les  hommes  que  nous  trou- 
vons dignes  de  notre  eltime,  nous  in- 
téreifent  à  leurs  agitations  comme  à 
leurs  malheurs  ;  maisnous  fommes  fen- 
fibles  principalement  aux  in^iétudes 
comme  aux  aiffiâions  de  cswl  qui  nous 
reflemblent  par  leurs  paffions.  Tons 
les  di&ours  qui  nous  ramènent  à  nous- 
même»,  &  qui  noue  entretiennent  de 
nos  propres  fentimens ,  ont  poiu-  nous 
un  attrait  particiUier,  Il  eft  donc  na- 
turel d'avoir  de  la  prédileftion  pour 
les  imitations  qui  dépeignent  d'autres 
nous-mêmes  ,  c'eft-à-dire ,  des  perfon- 
nages  livrés  à  des  paffîons  que  nous 


....Gooyic 


fur  la  Pocfit  &fur  la  Peinture,  131 
reflentons  aÛuellement ,  ou  que  nous 
avons  refTenties  autrefois. 

L'homme  fans  paflion  eil  une  chi- 
mère ;  mais  Thonime  en  proie  à  tou- 
tes les  paillons ,  n'ell  pas  un  être  moins 
chimérique.  Le  même  tempérament  qui 
nous  livre  aux  unes ,  nous  garantit  des 
autres.  Aïnfi  il  n'y  a  que  certaines 
pallions  qui  ayent  un  rapport  particu- 
lier avec  nous,  &  dont  la  peinture 
ait  des  droits  privilégiés  fur  notre  at- 
tention. 

Les  hommeï  qui  ne  refTentent  pas 
les  mêmes  paffions  que  noixs ,  ne  font 
pas  autant  nos  femblables  que  ceux 
qui  les  repréfentent  ;  ces  derniers  tien- 
nent à  nous  par  des  liens  particuliers. 
Par  exemple ,  Achille  impatient  de 
partirpourallerfiiirele  fîége  de  Troye , 
attire  bi«i  l'attention  de  tout  le  mon- 
de ;  mais  il  inféreffe  bien  davantage 
4  fa  deftinée  im  jeiuie  homme  avide 
de  la  gloire  mUîteire ,  qu'un  homme 
dont  I  ambition  eft  de  fe  rendre  le 
maître  de  foi-même ,  pour  devenir  di- 
gne de  commander  aux  autres.  Ce  der- 
nier s'intéreflera  bien  davantage  au 
caraftere  que  Corneille  donne  à  l'Em- 
pereiu"  Auguile-  dais  la-  Tragédie  de 


:,-,zf--„GoOglc 


t$i  Réflexions  er'uiqaes 

Cinna,  caraflere  qui  ne  touchera  que 

foiblement  le  partilan  d'Achille. 

Les  peintures  d'une  paffion  que  nous 
n'avons  pas  reflènlie ,  ou  d'une  fitua- 
tton  dans  laquelle  nous  ne  nous  Som- 
mes pas  trouvés,  ne  fçauroient  donc 
nous  émouvoir  aiilH  vivement  que  la 
peinture  des  pallions  &  des  Htuatîons 
qui  font  aâuellement  les  nôtres,  on 
qui  l'ont   été    autrefois.    En  premier 
lieu  ,  l'efprit  n'efl:  guéres  pîqué  par  Ja 
peinture  d'une  paffion  dont  il  ne  con- 
noit  pas  les  fymptômes  ;  il  craint  d'être 
la  dupe  d'une  imitation  infidelle.   Or 
refpiit  connoît  mal  les  paffions  que  le 
coeur  n'a  pas  fenties  ;  tout  ce  que  les 
autres  nous  en  racontent ,  ne  fçaiu-oit 
nous  donner  ime  idée  jufte  &  précife 
des  agitations  d'un  intérieur  qu'elles 
tyrannifent.  En  fécond  lîeu ,  il  faut  que 
notre  cœur  ait  peu  de  pente  pour  les 
paffions  que  nous  n'avons  pas  encore 
éprouvées  à  vingt-cinq  ans.  Le  cœur  a 
bien  plutôt  acquis  toutes    fes  forces 
que  l'efprit ,  &  il  me   paroît  prefque 
impoffible  qu'un   homme   de  cet  âge 
n'ait  pas  encore  fenti  les  mouvemens 
de  toutes    les  payions  aufqueUes  ïojq 
tempérament  le  .condamne. 


:,-,.-„G00.jlc 


furld  Po'éjîe  &  fur  la  Pi'mture.  ijj 
Comment  ceux  qiù  n'ont  pas  de  dîf- 
poGtions  à  fentir  une  pafllon ,  com- 
ment un  homme  qiû  n'elt  point  agité 
par  l'objet  même ,  pourroit-il  être  vi- 
vement touché  par  fa  peinture  ?  Com- 
ment un  homme  dont  l'elprit  eft  inlen- 
fible  à  la  gloire  militaire ,  &  qui  ne 
regarde  ce  qu'on  appelle  vulgairement 
un  grand  conquérant ,  que  comme  un 
furieux  à  charge  au  genre  humain , 
peut-il  être  vivement  intérefle  par  les 
mouvemens  inquiets  de  l'impétueux 
Achille  j  quand  il  imagine  qu'on  conl^ 
pire  pour  l'empêcher  de  s'aller  immor- 
talifer  en  prenant  Troye  ? 

L'homme,  pour  qui  les  attraits  du 
jeu  font  fans  amorce  ,  eft-il  touché  de 
l'afflîâion  d'une  perfonne  qui  vient  de 
làire  des  pertes  coniidérablcs ,  à  moins 
qu'iL-ne  prenne  pour  elle  de  ces  inté- 
rêts particuliers  qui  font  partager  tous 
les  fentimens  d'une  autre  perfonne, 
de  manière  qu'on  s'afflige  de  ce  qu'elle 
eft  affligée  ?  Sans  un  pareil  motif  l'hom- 
me qui  n'aime  pas  le  jeu ,  plaindra  feu- 
lement le  Joueur  d'avoir  contrafté  l'ha- 
bimde  dangereufe  de  mettre  à  la  dif- 
pofition  des  cartes  ou  des  dez  la  dou- 
ceur de  fon  humeur  &  .la  tranquillité 


:,-,zf--„GoOglc 


134  Réfiexions  critiqtus 

de  fa  vie  ;  c'efl  parmi  ceux  qiii  font 
tourmentés  de  maux  pareils  aux  nô- 
tres ,  que  l'inftinû  nous  feit  chercher 
des  gens  qui  partagent  nos  peines ,  & 
qui  nous  conlolent  en  s'affligeant  avec 
nous.  IXdon conçoit d'abordune  com- 
paiSon  tendre  pour  Enée  obligé  de 
s'enfiiir  de  fa  patrie,  parce  qu'elle- 
même  avoit  été  obligée  de  s'ennûr  de 
la  fienne.  Elle  avoit  fenti  les  mêmes 
peines  qu'éprouvoitEnée ,  comme  Vir- 
gile le  lui  fait  dire  : 

îicia  ignjtd  mali,  mifa-îi  fuanmr:  dî^fo. 

II  cft  encore  ordinaire  de  juger  des 
mouvemens  naturels  du  coeur  en  gén^ 
rai ,  par  les  mouvemens  de  fon  propre 
cœur.  Ainlî  ceux  qui  n'ont  point  de 
pente  vers  une  paâîon,  ne  conçoivent 
point  que  les  fiireurs  dont  le  Poëte 
remplit  fes  fcénes,  èc  t^'il  expofe 
comme  les  fuites  naturelles  d*un  em- 

Î)ortement  dont  ils  n'ont  jamais  fenti 
es  accès ,  foîent  expofées  fiûvant  la 
vérité  :  ou  bien  les  fuites  d'une  fem- 
blable  paâîon  leur  paroiflbit  les  pures 
iailiîes  de  l'imagination  déréglée  d'un 
Poëte  exagérateur:  ou  bien  les  perfcwi- 
nages  d'une  [ùéce  ceflent  de  les  inté-* 


:,-,.-„C00.jlc 


fur  Ut  Poëfie  &fur  la  Peinture,  i  j  ^ 
relTer.  Ils  ne  les  regardent  plus  comme 
des  hommes  troubles  pariine  paffion, 
mais  comme  des  hommes  tombés  en 
une  véritable  démence.  Saivant  leur 
fentiment ,  ce  Tont  des  hommes  moins 
propres  à  jouer  un  rôle  fur  la  fcène  , 
qu'a  être  reclus  dans  ces  maifons  oiî 
les  Nations  polies  renferment  une  par- 
tie de  leurs  fols. 

Les  tranfports  forcenés  d'un  ambi- 
tieux ,  au  défefpoir  qu'on  hii  ait  pré- 
féré pour  remplir  un  pofte  éminent  &£ 
l'objet  de  fes  defirs ,  celui  de  {&$  ri- 
vaux qu'il  méprifoit  davantage  ,  peu- 
vent donc  bien  intérefler  vivement 
ceux  qui  fçavent  par  leur  propre  expé- 
rience que  la  paiuon  que  le  Poète  dé- 
peint peut  exciter  dans  le  cœur  hu- 
main ces  mouvemens  Airieux:  Mais 
toutes  ces  agitations  ,  que  quelques 
Ecrivains  nomment  la  fièvre  d'ambi- 
tion ,  toucheront  foiblement  les  hom- 
mes à  qui  leur  tranquillité  naturelle  a 
permis  de  fe  nourrir  l'efprit  de  réfle- 
xions philofophiques  ,  te  qui  pluâeurs 
foh  fe  font  dit  à  eux-mêmes ,  que  les 
perfonnes  qui  diftribuent  les  emplois 
fe  déterminent  fouvent  dans  tous  les 
pays  6c  dans  tous  les  tems  par  des  mo- 


:,-,zf--„GoOglc 


I  j6  RéJUxions  critiques 

tifs  injuftes  ou  frivoles.  Ce  qu'Us  fça- 
vent  du  pafle  ,  ce  (fu'ils  prévoyent  de 
l'avenir,  les  empêche  de  s'étonner  de 
ce  qu'ils  voyent.  Peu  mortifiés ,  peu 
furpris  même  des  préférences  les  plus 
bizarres ,  ils  font  mal  difpofés  à  entrer 
avec  affeâion  dans  les  peines  d'un  per- 
fonnage  que  la  promotion  d'un  concur- 
rent fait  fortir  de  fon  bon  fens.  Pour- 
quoi fe  défefpérer  fi  fort,  diront-ils, 
pour  un  malheur  auffi  commun  parmi 
les  hommes ,  que  la  fièvre  ? 

Qirtmut  iubii  mtik'u  majariha  tegrî. 

Tu  vinim  «I  iifcipido  ammat  PhiJippî.  fa) 

II  n'efi:  pas  befoin  d'être  Philofophe 
pour  fupporter  un  pareil  malheur  avec 
confiance.  Il  fuifit  d'être  un  hcnnme 
raifonnable. 

Ainfi  Tonne  fçauroit  blâmer  les  Poè- 
tes de  choifir  pour  ûijet  de  leurs  imita- 
tions les  efiets  des  pafilons  qui  font 
les  plus  générales ,  6c  que  tous  les  hom- 
mes reffentent  ordinairement.  Or  de 
toutes  les  paflîons,  celle  de  l'amour eft 
la  plus  générale  :  il  n'ell  prefque  per- 
fonne  qui  n'ait  eu  le  malheur  de  la  fen- 
tir  du  moins  une  fois  en  fa  vie.  C'en 

(n>  Jiivta.  Sit.  'j. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poijîe  &  farlaPùmur*.  \yf 
eft  affez  pour  s'intérciTer  avec  affec- 
tion aux  peines  de  ceux  qu'elle  tyran- 
nil  e . 

Nos  Poètes  ne  pourraent  donc  être 
blâmés  de  donner  part  à  l'amour  dans 
les  intrigues  de  leurs  pièces ,  s'ils  le 
faifoient  avec  plus  de  retenue.  Mais  ils 
ont  pouffé  trop  loin  la  complaifance 
pour  le  goût  de  leur  iiécle ,  bu ,  pour 
dire  mieux  ,  ils  ont  eux-mêmes  fomen- 
té ce  goût  avec  trop  de  lâcheté.  En 
renchénffant  les  uns  fur  les  autres  »  ils 
ont  fait  unt  ruellt  de  la  fcène  tragique. 
Racine  a  mis  plus  d'amour  dans  fes 
pièces  que  Corneille  ;  &  la  plupart 
de  ceux  qui  font  venus  depuis  Racine  , 
trouvant  qu'il  étoit  plus  facile  de  l'imi- 
ter par  î&s  endroits  foibles  que  par  les 
antres ,  ont  encore  été  plus  loin  que  lui 
dans  la  mauvaife  route. 


■^^ 
'T' 


:,-,zf--„GoOglc 


138  Réflexions  eritîquts 


SECTION     XVIII. 

Qtu  nos  voijlta  dijint  qiu  nos  Poètes  met- 
tent trop  d'amour  dans  leurs  Tragédûs. 

V^  o  M  M  E  le  goût  de  faire  mouvoir 
par  l'amour  les  refforts  des  Tragédies 
n'a  pas  été  le  goût  des  Anciens  ;  com- 
me ce  goût  n'eft  pas  fondé  fur  la  vé- 
rité, &  qu'il  feituncviolaiceprefque 
continuelle  à  la  vraifemblance  ,  il  ne 
iera  point  peut-être  le  goût  de  nos  ne- 
veux. La  poûérité  pourra  donc  blâmer 
l'abus  que  nos  Poètes  tragiques  CMit 
Sait  de  leiu-  elprit ,  &  les  ceraurer  im 
joiu"  d'avoir  donné  le  caraflere  de  Tir- 
ets &  de  Ptùtene ,  d'av(»r  fait  faire 
toutes  chofes  pour  l'amour,  à  des  per- 
fonnaces  illuftres ,  &  qui  vivoient  dans 
des  ûectes  où  l'idée  qu'on  avoit  duca- 
raâere  d'un  grand  homme  n'admet- 
toit  pas  le  mélange  de  [oreilles  foi- 
bleffes.  Elle  reprendra  nos  Poètes  d'a- 
voir ùiït  d'une  intrigue  amoureufe  la 
caufe  de  tous  les  mouvemens  qui  arri- 
vèrent à  Rome ,  quand  il  s'y  forma 
une  conjuration  pour  le  rappel  des  Tar- 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëjît  &fur  la  Pànturt,  \\t) 
quins,  comme  d'avoir  reiwéfemé  les 
jeunes  gens  de  ce  tems-là  fi  polis  hc 
même  fi  timides  devant  leurs  maîtret 
fes ,  eux  dont  les  moeurs  font  connues 
fuffifanunent  par  le  récit  que  fait  Tite- 
Live  de  Taventure  de  Lucrèce. 

Un  Poëte  très-vanté  chez  une  Na- 
tion voifine ,  qui  du  moins  a  beaucoup 
d'émulation  pour  la  nôtre ,  &it  en  dif- 
férens  endroits  de  fes  ouvrages  plu- 
fieurs  réflexions  un  peu  défobbgeantes 
pour  les  Poètes  tragiques  François.  Cet 
Ecrivain  prétend  que  l'affeâation  à  met- 
tre de  l^amour  dans  toutes  tes  intrigues 
des  Tragédies  &  dans  prefque  tous  les 
caraâeresdesperfonnages,  a  fait  tom- 
ber nos  Poètes  en  pluiieurs  fautes.  Une 
des  moindres  eft  de  faire  fouvent  de 
feufies  peintures  de  l'amour.  L'amour 
n'efl  pas  une  paJTion  gaie  :  le  véritable 
amour ,  le  feul  qui  foit  digne  de  mon- 
ter fur  la  fcène  tragique ,  eft  prefque 
toujours  chagrin,  fonmre  &  de  mau- 
vaife  humeur.  Or ,  ajoute  l'Auteur 
Anglois,  un  pareil  caraâere  déplairoit 
biemôt,  fi  les  Poètes  François  le  don- 
noient  fouvem  à  leurs  Amoureux,  Les 
Dames  Françoifes,  aufquelles  furtout 
il  Êiut  être  complaifant ,  ne  trouve- 


:,-,zf--„GoOglc 


I40  Rijîexiom  Crîtîquti 

roient  point  ces  Héros  affez  gracieuïr 
Le  véritable  amour  jette  fouvent  du 
ridicule  fur  les  perfonnages  les  plirs 
férieiix.  En  effet  le  Parterre  rit  prefque 
auffi  haut  qu'à  une  fcèné  de  Comédie  , 
à  la  reprélentation  de  la  dernière  fcène 
du  fécond  aûe  d'Andromaque ,  oii 
Monfieur  Racine  fait  une  peinture  naïve 
des  tranfports  &c  de  l'aveuglement  de 
l'amour  véritable ,  dans  tous  les  dif- 
coiu-S  que  Pyrrhus  tient  à  Phœnix  fon. 
confident. 

L'Auteur  Anglois,quî  reprend  lapa- 
rôle ,  prétend  que  nos  Poètes ,  afin  de 
pouvoir  mettre  de  l'amour  partout,' 
ont  pris  l'habitude  de  donner  le  nom 
d'amoiir  &  de  pafllon  à  l'inclination 
générale  d'un  fexe  pour  l'autre  fexe  , 
déterminée  en  faveur  d'une  certaine 
fherfonne  par  quelques  fentimens  d'ef- 
time  &  de  préférence.  Ils  om  donc  fait 
chauffer  le  cothurne  à  cette  inclination 
machinale ,  qui  n'eft  rien  moins  qu'une 
paflion  tragique  &  capable  de  balancer 
les  autres  pallions.  Quelques-uns  mê- 
me n'ont  pas  de  honte  de  donner  pour 
un  véritable  amour  une  paflîon  qui  ne 
commence  que  durant  le  cours  de  la 
pièce ,  quoiqu'il  foit  contre  la  vraifenb 


:,-,zf-,GoOglc 


JurtaPotJte  &furlaPt'mcure.  141 
blance  qu'une  palTion  nailTante  puilTc 
devenu-  un  jour  une  palTion  extrême. 
Quand  onveut  faire  jouer  unrôleimpor- 
lant  Â  l'amour ,  il  faut  du  moins  qu'il 
foit  né  depuis  un  tems ,  qu'il  ait  eu  le  loi- 
lir  de  s'enraciner  dans  un  cœur ,  &  mê- 
me qu'ilait  eu  de  l'efpérance.  Mais  il  efi 
vrai  que  les  bons  Poètes  François  ne  nous 
amuftnt  point  avec  ces  pafllons  fubites. 
Voilà  ce  qui  rend  les  galands  des 
Tragédies  Françoifes  fi  différens  des 
hommes  véritablement  amoureux.  On 
croiroît  que  l'amour  fût  ime  palHon 
caie  ,  àouïr  les  gentitlelTes  que  ces  ga^ 
lands  difent  aux  peribnncs  qu'ils  ai- 
ment ;  ils  ornent  leurs  difcours  enjoués 
de  ces  traits  ingénieux ,  de  ces  méta- 
phores brillantes ,  en6n  de  toutes  les 
•  expreflîons  fieiu-ies  cpii  ne  fçauroient 
naître  que  dans  une  imagination  libre. 
On  les  entend  fans  ceiTe  s'applaudâ- 
des  fers  qu'ils  portent,  &  ils  fouhai- 
tent  que  leurs  chaînes  foient  ctern^illes  ; 
nouvelle  preuve  qu'ils  n'en  fentent 
point  le  poids.  Loin  de  regarder  leio* 
amour  comme  une  foibleue  des  plus 
humiliantes ,  ils  le  contemplent  comnje 
ime  vertu  glorîenfe  dont  ils  fe  fça- 
yent  gré.  Ce  qui  prouve  fçul  qu'ils  ne 


:,-,zf--„GoOglc 


1 4^  Réflexions  critiques 

font  pas  véritablement  amoureur  ;  ils 
prétendent  mettre  d'accord  l'amour 
avec  la  raifon ,  deux  choies  auffî  peu 
compatibles  que  la  fièvre  &c  la  raifon. 

Qtucm 

Nie  modum  huitt  lajui  eonfiïium ,  mcïont  nioJoque 
TraQari ma  vult.  iBomùrtbirtfintnKda,  btUumi 
Pmx  rarfiun,  Hxcfi  tonpifiaâi  fraft  mu 
MiA'dii  (scacifiiâtamiifirtt,  iabtra 
Rcddert  cent  ,Jïbi  nihilo  plia  txplica ,  oc  fi 
înfilârt  fiitt  eirtâ  rjiiont  meioqta.  (a) 

Les  amoureux  ne  font  point  concer- 
tés. En  amour  on  fe  querelle  fans  fujet, 
onie  raccommode  iàns  raifon.  Les  idées 
des  amans  n'ont  point  de  liaifon  fuivie. 
Le  cours  de  leurs  fentimens  n'eA  pas 
mieux  réglé  que  le  cours  de  ces  vagues 

3u'un  vent  capricieux  fouleve  à  foh  gré 
urant  la  tempête.  Vouloir  afluiettir 
■ces  fentimens  à  des  principes ,  vouloir 
les  ranger  dans  un  ordre  certain ,  c'eft 
vouloir  qu'im  frénétique  ait  des  vifions 
fuivies  dans  fes  délires.  Mais  il  importe 
peu  qi^ellè  foit  la  fubftance  des  chofes 
qu'on  préfente  à  certaines  Narions, 
pourvu  qu'elles  Ibient  affrétées  en 
forme  de  ragoût. 

Un  autre  inconvénient ,  ajoute  ^AI^■ 

(a}H^rjt.  Sa.  i.  1.1» 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  Ifl^  Poëfit  &fur  la  Peimure.  1 4 j 
cLois ,  qui  vient  de  la  mauvaife  mode 
de  mettre  de  l'amoiir  partout  ;  c'eft 
que  les  Poètes  François  font  amoureux 
à  leur  mode  des  Princes  âgés  &  des 
Héros  qui  dans  tous  les  tems  ont  eu 
une  réputation  de  fermeté  qui  nous  les 
représente  d'un  caraflere  bien  oppol'é 
à  celui qti'îls  leur  prêtent.  Ces  Héros, 
ainlî  défigurés  ,  paroîtrom  peut-être 
aux  petits-fîls  de  ceux  qui  les  admirent 
tant  aujourd'hui  ,  des  perfonnages 
barbouillés  exprès  pour  être  rendus 
ridîcides.  Ils  prendront  pour  un  genre 
de  la  Poëfie  biulefque  ,  qui  durant  un 
tems  fiit  en  vogue  parmi  les  François  , 
les  pièces  où  Brunis  ,  Arminius  Se  d'au- 
tres perfonnages ,  illuftres  par  un  cou- 
rage inilexible  &  même  par  leur  féro- 
cité ,  font  repréfentés  fi  tendres  8ç  fi 
galans.  Ils  mettront  ces  poëmesWans 
U  même  claiTe  que  le  Virgile  travefti. 
Voilà  ce  qui  doit  arriver  tôt  ou  tard 
aux  Poètes  qui  ne  s'affujettiffent  pas 
à  copier  la  nature  dans  leurs  imitations  , 
qui  ne  s'embarraflent  point  que  leurs 
perfonnages  refTemblent  à  des  hommes, 
&  qui.  font  trop  contens  ,  quand  ces 
perfonnages  ont  je  ne  fçai  quel  bon 
flir.  C'eft  avoir  bien  oiitiié  la  fage  le-; 


:,-,zf--„GoOglc 


144  Réf  exions  critiques 

çon  que  donne  Monfieur  Defpréaiir 
dans  le  troifiéme  cliant  de  (on  Art  poé- 
tique ,  oii  il  décide  judicieufement  qu'il 
fa\it  conferver  à  fes  perfônnagçs  leur 
cara£tere  national  : 

'Garaeidcnc  de  donner,  ai nfi  ^ucasns  Clélie, 
L'slr  &  rcfprit  Ffançfis  i  l'smique  Italie  ; 
Er  fouidci  noms  BLomxiDcfailiDt  noire  poriniCi 
Peindre  Cawn  ga'.and,  &  Btutuj  dameret. 

L'Auteiu-  Anglois  prétend  que  l'an- 
cienne Chevalerie  &  ies  Infantes  ont 
laiflc  dans  l'efprit  de  quelques  Nations 
le  goût  qui  leur  fait  aimer  à  retrouver 
partout  un  amour  fans  palHon  ,  &  ce 

Qu'elles  appellent  galanterie ,  efpece 
e  politefTe  que  les  Grecs  &  les  Ro- 
mains fi  fpirituels  &  fi  cultivés ,  n'ont 
'  jamais  connue.  Cette  galanterie ,  dit- 
il,  que  les  François,  qui  ne  s'embar- 
Taffent  pas  tant  d'approfondir  les- cho- 
ies ,  n'ont  jamais  bien  définie ,  cft  une 
afFeâation  de  témoigner  aux  femtnes 
par  politefTe  ,  les  lentimens  d'un  anïour 
<jue  l'on  n'a  pas ,  mais  dont  l'apparence 
ne  lailTe  point  de  les  flatter.  Suivant  no- 
tre Auteur  la  narion  Françoîfe  a  beau- 
coup de  pente  vers  l'affeâation  ;  & 
dans  les  tems  où  elle  cefToit  d'être  grof- 
■fiere,  fans  être  encore  polie,  elle  a 
voulu 


:-„r., Google 


furla  Pxiejte  &fur'la  Peinture.  14Ç 
voulu  montrerplus  de  eentillefle  qu'el- 
le n'en  avoit.Tropfpintuelle  pour  être 
encore  barbare  ^  mais  trop  peu  éclairée 
pour  connoître  la  dignité  des  mœurs  ^ 
elle  a  conçu  dans  l'amour  un  mérite  que 
les  Nations  fenfées  n'y  trouvent  point. 
Elle  a  donc  imaginé  qu*il  y  avoit  une 
efpecede  vertu  à  dq)en(lre  en  efclave 
des  volontés  ,  ou  pour  parler  plus  fin- 
cérement,  des  caprices  de  quelque  In- 
fante ,  à  lui  rapporter  tout  ce  qu'on  - 
feifoii ,  à  ne  vivre  que  pour  la  fervir. 
Les  CarrOufels  &  les  Tournois  ont 
nourri  cette  manie ,  par  leurs  livrées  , 
leurs  devifes  &  tout  leur  badinage. 
Enfin  il  eft  devenu  à  la  mode  d'être 
amoureux  dans  un  pays  oîi  tout  fe  dé- 
cide {uivant  la  mode ,  même  le  mérite 
des  Généraux  &  celui  des  Prédicateurs. 
Delà  font  nées  les  extravagances  de 
tant  d'amans ,  dont  la  plupart  n'étoient 
point  amoureux:  les  uns  fe  font  feit 
afTommer  en  écrivant  le  nom  des  belles 

au'ils  penfoient  aimer  fur  les  murailles 
es  villes  ailiégéesi;  d'autres  font  allés 
de  vie  à  trépas  ^  pour  avoir  vouki  rom- 
pre dans  les  portes  d'imc  ville  ennemie 
leur  lance  enrichie  des  livrées  d'urte 
maîtrefle  qu'ils  n'aimoient  point,  ou 
Tome  I,  G 


-,  Google 


146  Réflexions  triti^uts 

qu'ils  o^aÎBioient  gueres.  L'hiâoire  &ît 
foi  qu'il  eu  airivé  à  phifietirs  de  ces 
Memeurs ,  pour  un  fi  di^ie  fujet ,  le* 
aventures  qui  arrivèrent  à  aotre  Hud- 
dîbras ,  *  quand  il  courtHt  les  diai^ 
pour  rétablir  un  diacun  dans  fis  Ëbcr- 
tés  Se  propriétés ,  taéiat  les  ours  qn^on 
menait  par  force  danfer  aux  &>ires. 
Un  Print^e  lie  fait  tuer  dws  un  Tonr* 
nois  y  en  voulant ,  difoit'il ,  ron^jrc  ea* 
(oreiine^lance  çni*)i(Q»eivdesOaBes, 

••  Cdl  le  n*m  du  Héfoi  d^MM  <l><ca  A  Po^ 
tut  épique ,  écrit  en  Ai^lotsfout  le  rsgae  df 
Cluikt  II ,  par  un  honune  de  la  AIai£>n  Bn^ 
let ,  i  ce  qu*on  croit.  H  Tuppolê  que  Ici  mazî- 
nesqoe  prëchoient  le*  Preibjrtérietis  (ôr  l'ex^ 
Aiiude  de  la  juAics»  imsimc*  iaiptsficaUei  en 
ce  bas  Konde,  &  qui  tous  Clnrlci  I  leur  firent 
iMUiIeverfer  l'Angieterre,  aSn  d'y  réparer  de 

g  lits  déroTiIres,  avoietit  toarné  la  tue  à  Ton 
uddjbras,  comme  ta  leâvrc-  derKomans  d* 
Chevalerie  awû  lenveiJÏ  la  corvette  as  pan* 
«re  Doffl  Quichotie.  Huddibraa  fè  mit  don; 
aux  champs  pour  travailler  à  rçedre  à  chacun 
ifes  droits,  propriétés  &  FranchiTss,  &  même 
aux  ours  qu'on  menoii  danfèr  aux  foires  pour 
le  profit  d'astrui ,  &  qu'on  avoii  »bîtiairemeHC 
Jéponilléi  de  leur  liberté  naturelle,  fârw  lent 
avoir  &it  précédemment  le  piopés  tûivant  U 
loi  Se  devant  leuR  Pain,  Ses  aventures  finiSent 
ordinairement  comme  cellei  ia  Hètos  au  Ce» 
mat»  at  de  Trivclin^ 


Coo^tlc 


fur  laPoijU  &JkrU  Peinturt.  x^f 
Un  autre  Veft  ims  au  haeard  de  fctxnn- 
p«  vingt  fois  le  col ,  p» ce  qu'il  trou- 
voit  plus  galant  de  fe  gotnder  à  Ïtàd4 
d'une  écheHe  do  c«rde  dans  l'appurte- 
ment  de  fa  ftiÊotie ,  que  tPy  eatrvr  par 
la  porte.  Un  troifiëme  eâ  defcciida 
^ns  une  fofie  aux  lioas,  pour  en  np> 
porter  à  &  Dams  le  gand  (ju'elte  tfy 
avoir  jette  que  pour  PtnrvyaT  «he». 
cher»  &  ptMir  te  &ire  un  fort  Ugev 
hofuteur  au  péril  de  la  vied'unltoMaMy 
dont  Tentêtemeitt  méritmt  du  «MM 
de  la  compaffien.  C'eft  aSèi  parler  de 
ces  cajvices  <^i  ferment  prendre  lei 
François  ,  les  Eiîttgnols  k  quel^ie» 
autres  Nations  ,  pour  des  pcu^s  d* 
fols- par  les  Grecs  du  tems  d'Alexandre  , 
&  par  les  Romains  du  tems  d'AuguAe  » 
fi ,  pour  me  fervir  de  Texpreffion  tant 
ufitée  f  les  uns  fie  les  autres  pou- 
voient  revenir  au  monde.  Les  Romans 
de  Chevaleiie  6c  de  Bergerie  ont  en« 
core  fomenté  chez  les  Pranç<»s  le  goftt 
ifui  leur  fait  demander  de  Psmour  par* 
tout.  Ycdlà  la  fource  de  cet  amour 
imaginaire  qui  fo  trouve  dans  la  pht* 
part  de  leurs  écrits.  Les  Etrangers-,  fiffi 
font  ceux  qui*  font  diétettnin^  trar  letrf 
Juuneurànefe  contenter  .^e  d'image 
Gij 


.,-,zf-,Googlc 


14^  Réflexions  critîqtus 

&  de  peintures  faîtes  véritablement 
d'après  la  nature ,  UTent  ces  endroits 
fans  être  émus. 

n  n'en  eftpas  de  même  des  peintures 
de  l'amour  qui  Ibnt  dans  les  écrits  des 
Anciens:eIlestouchenttous  les  peuples; 
elles  ont  touché  tous  les  fiécles ,  parce 
que  le  vrai  fait  fon  effet  dans  tous  les 
tems.  &  dans  tons  les  pays.  Ces  pein- 
tures trouvent  partout  des  cœurs  qui 
Îeffentçnt  les  moùvemens  dont  elles 
oot  des  imitations  naïves.  Ain£  Ta- 
mour  que  .les  bons  Poètes  de  la  Grèce 
avoient  mis  dans  leurs  Ouvrages ,  tou- 
çhoit  infiniment  les  Romains ,  parce 
que  les  Grecs  avoient  dépeint  cette 
paillon  avec  fes  couleurs  naturellçs, 

'  fpfrtif  Si^ftiif  ariar 

Vnnatt  ^  rtmrniffi  calant 
■  Molia-fiàibui  paU^, 

dit  Horace  (<i)V  en  parlant  des  vers  de 
Sapho,  Qu'on  voie  dans  celle  des  Odes 
^  cette  nlle  que  Monlieur  Dejpréaux 
a  tournée  en  François  dans  fa  Traduc- 
tion de  Longin,  quels  font  les  fymptô< 
ines  de  Tamour^palEon,  Les  peintures 
de  cette  paillon  qui  font  dans  le$  Ppç- 

(ij  Ode  9.  I.  ^ 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëfie  ù-fur  la  Peinture.  1 4^ 
fies  des  Romains,nous  touchent,comme 
celles  qiii  font  dans  les  Poëfies  des  Grecs 
touchoient  les  Romains.  Les  amoureux 
eue  les  uns  &  les  autres  ont  introduits 
dans  leurs  Ouvrages ,  ne  font  pas  de 
froids  galans  ;  mais  des  hommes  li- 
vrés ,  malgré  eux ,  à  des  tranfports  qui 
les  maîtriient ,  &  qui  font  fouvent  des 
efforts  inutiles  pour  arracher  de  leur 
cœur  des  traits  dont  la  morfurc  les  défef- 
pere.  Telle  eft  l'Eglogue  de  Virgile  qui 
porte  le  nom  de  Gallus. 


SECTION     XIX. 

De  la  galanterie  qui  tfi  dans  nos  Poèmes*   ■ 

J  E  vais  encore  rapporter  aux  Fran- 
çois ce  ([ue  dit  un  autre  Ecrivain  An- 
glois  fur  la  galanterie  de  nos  Poètes, 
l*s  rapports  ont  un  attrait  fi  piquant,' 
qu'on  ne  fçauroit  fe  défendre  d'aimer  à 
les  entendre  ;  &  en  des  matières  pa- 
leiUes  à  celles  dont  il  s'agit  ici ,  il  n  eft 
ni  mal-honnête,  ni  dangereux,  de  con- 
tenter la  curiofits  des  perfonnes  inté-. 
reffées. 

Giij 


.,-,zf-,Googlc 


Monfieur  Perrault  («)  avoit  neprocEfe^ 
aux  Anciens  <]u*ils  ne  coRoomoieiiX 
point  ce  quç  nous  aj^Uons  galanterie  ^ 
Ce  ifï'an  n'en  voroit  aucune  fleur  dans 
leurs  Poètes  ;  au-lleu  que  les  écrits  des 
Poètes  François ,  Toit  en  vers,  foie  at 
p-ofe ,  ces  derniers  écrits  font  les  Ro- 
nuos  ,  fe  trouvent  pariêmés  de  ces  geo- 
ï^eSet.  MonfiFiir  Woton  oui  a  pns  le 
parti  des  Adodenies  en  Ao^terre  ,  fie 
qui  a  défètidu  cogitre  Mylord  Orerr 
a  même  caufe  (çjfi  Monueur  PenaïuC 
avoit  Toutenue  en  France ,  abandonne 
foa  coitq)agn(»i  d'arme  dans  cette  lice. 
Il  ne  veut  point  pafler  à  nos  Poètes 
pour  un  Btérite ,  ce  ^argop  j^eto  de  ùi- 
deitr ,  (elôn  lui ,  qu'on  appelle  galante- 
rift.  CVft  f  ajoute  PAuteur  Aiiglois  (A), 
un  fentiment  qui  n'eft  pas  dans  la  na- 
îur? ,  une  des  afFçftations  extravagvv- 
tes  que  le  mauvais  goût  du  fiéde  a  oiis 
â  la  mode.  Ovide  Se  TiUûlevi'ootpcRttt 
m$  degalaoterie  dans  leurs  écrits.  EKia- 
^on  <^i  ils  oe  connoiâbiem  pat  le  coeur 
humain ,  &c  les  teimiêtes  que  toutes 
ie$  louons  aowureufes  y  fçxvtat  ex- 

ïa)  r^t^tUi  Al  Afirv  6^  é'  Volent.  Twn- 1. 
il**-* 


'furUPûtJUùfuTia.Pwuuri,    \^% 

Cîtek-  ?    L'émotion  <}u'on  éprouve  ea 

Ufant  leurs  vers  ,  ^  bien  fentir  que 

ia  nature  même  sV  ex^que  en  fajvo* 

pre  langue.  Les  Poètes  &  les  &iieurt 

«le  B-oaians,  contmue  Monfieur  'W^o- 

toa  C'),  comme  d'Urfé^Calprenede 

£c.  leurs  femblables,  qui ,  pour  avoir 

occafioa  die  £ùiï  parade  de  Leur  efprit, 

nouspeignentleursperfonnagespleinsft 

la  fcM  d'asour  tc  d  ea)ouëment ,  &  qui 

en  ibnC  des  diâxiureurs  fi  gracieux ,  ne 

Vécanent  pas  moins  de  la  vraiTemblaiH 

ce ,  que  Variilas  s'écarte  de  la  vérité. 

C^  comme  la  vérité  eu  l'ame  de  Itûf- 

toire  ,  la  vraifenÀlance  eA  l'ame  de 

toute  fiâion&  de  toute Poëûe.  C'eflle 

vraifemblable  qui  nous  émeut ,  &  qui 

ttous  fait  iàire  cas  d'un  Oitmge  ^da 

fon  Auteur. 

Quand  je  itis  <{ae  Monfieur  'Voton 
a  défendu  la  même  caufe  que  Monfietnr 
Pert^t  ;  |e  dois  ajouter  que  Monûeur 
"Woloa ,  en  mettuu  le  fçaroir  des  M09 
demes  au-deâits  de  celui  des  Anciens 
danslaphipartdesArtsâcdesSciences,  - 
tombe  Raccord  néanmoins  que  dans  la 
poeiie  &  dans  l'éloquence  les  Anciens 
ont  fiirpailë  les  Modernes  de  bien-loin. 

W  Par-  s*. 

Giv. 


:,-,zf--„GoOglc 


•  151  Rificxïons  critiques 

C'eft  ainfi  qu'il  s'en  explique  loi-même 
dans  le  chapitre  que  j'ai  déjà  cité.  Voi- 
ci même  ce  qu'il  ajoute  :  (a)  Monjuur 
Ptrrault  n'ftott  point  ajftiffavani  fil  n'tff 
tcndoit  point  ajfe^  bien  U  Grec  &  le  Latin 
pour  faire  mê^  «»•  bon  ParaléUe  entre 
FEloquenct  &  la  Poêfiedts  Anciens  &  t£ts 
Modernes.  La  digreffion  feroit  trop  longue 
fifallois  entreprendre  de  faire  une  iimmé- 
TOtion  6xa3e  dejes  bévues  ;  on  mt  regar- 
dait d'ailleurs  dans  toute  l'Europe  com- 
rm  un  téméraire  ,  jt  je  me  mêlais  d'écrire 
fur  ce  fujet  apris  ce  que  M,  Defprlaux 
vient  d'en  dire  dans  fis  Réflexions  criti~ 
ques  fur  Longln,  Il  y  ven^  Us  Auteurs 
illuftret  de  l'Antiquité,  auffi-bien  qiCUles 
fçtut  imiter, 
■  Pour  revenir  à  la  galanterie ,  un  de 
fes  traits  énerve  fouvent  l'endroit  d'un 
poëme  le  plus  pathétique.  Il  fait  cefler 
pour  un  tems  l'affeâion  qu'on  avoit 
prifepourleperfonnage.  Renaudaroou- 
reux  malgré  lui ,  &  parce  qu'il  eA  fub- 
jugué  par  les  enchantemeos  d'Armide , 
jn  mtérefle  vivement  àia  fituation  :  je 
fuis  même  touché  de  fa  paffion  ,  quand 
il  ouvre  la  fcéne ,  en  difant  à  ia  maî- 
ireffe  qui  le  quitte  pow  im  moment: 

(a)  P^S-  il' 


:-„r-.,  Google 


fur  la  PoiJU  Sffur  la  Peinture  n  j 
^rmid* ,  vous  m'alU^  quitter  (a)  ;  Sc 
lorsqu'il  nejui  réplique ,  après  qu'elle 
lui  a  dit  le  motif  important  qui  l'oblige 
à  s'éloigner  de  lui ,  que  les  mêmes  pa< 
Toles  qu'il  lui  avoit  déjà  dites  ,  Armtde^ 
yous  m'alle^  quitter  ^  Renaud  me  paroît 
alors  un  homme  livré  tout  entier  à  l'a- 
moiu*.  L'amour  ne  fçauroit  mieux  fe 
feire  fentir  que  par  cette  répétition  : 
c'eft.la  marque  de  l'yrreffe  de  la  paf- 
iion  y  que  de  n'entendre  pas  les  raifons 
qu'on Uiioppoie.  MaisuDmomentaprès 
Renaud  devient  un  amant  précieux  &; 
un  amoureux  afleâé ,  lorfqu'il  répond 
à  la  maîtrelTe  .qui  lui  dit ,  ^oyei^  ta  quel 
luuje  vous  taiffèy  par  ce  fade  compli- 
ment ,  Puis-je  rien  voir  que  vof  appasj^  ^r 
C'eft  en  qualité  d'Hiflorien  mie  je 
rapporte  ici  ce  que  nos  voifîns  difent  da 
nous.  Si  je  fréquente  les  Nations  jétrai^- 
.geres  pour  apprendre  leurs  fentimeps^^ 
c'eft  fans  renoncer  aux  feniimens.de  la 
mienne.  Je  puis  dire  comme  Senequat 
j^i)  Solto  Jstpe  in  aliéna  caÛra  tranfire^ 
non  tanquam  transfuga  ,  featanquam  «■'- 
plorator.  C'eft  à  nos  Poètes  d'exami- 
ner jufqu'â  qwel  point  ils  doivent  dé^ 

(a.)  OptTi  ^Arnâit ,  A&.  s  •  Sctit.  pnrt. 

■  -Gy  ■ 


:,-,zf--„GoOglc 


f  J4  Riftxt9HS  criants 

fërer  aux  critiques  de  nos  vcàfiiu.  Te 
crois  av(Hr  traité  aâ#2  au  long  les  deux 
queftiofu,  s'il  eft  à  propos  de  mettre 
éà  l'anuHiF  thns  les  TragMÏes  ,  6c  â  nos 
Poëtes  qe  hiî  donnent  pas  ime  Hop 
grande  paît  dans  l^intngue  de  leurs 
|Ȏces.  Auffi  ae  me  relte-t'il  plus  que 
d£ux  nots  à  dire  îv»  ce  fùjet. 


SECTION     XX. 

Dt  ^utiques  maximes  ^'il  finit  ehjhvtr 
M  traitant  des  Sujtts  trap^uts. 

1 L  Importe  b^ucoup  aux  Poètes  tra- 
igiques  de  nous  feire  adAiirer  des  per- 
fonnages  dont  il  &ut  ^e  les  malheiu-s 
nous  cDÛtçnt  des  larmes ,  afin  que  la 
Tragédie  r^uffiffe.  Or  lesfoiWeffesde 
Pamour  déparent  beaucoup  de  caraâe- 
res  hérolmtçs  qui  oous  Inf^eroient  de 
ta  vénération,  s'ils  n'étoient  point  avî^ 
Cs  par  ces  foîblefbs. 

La  même  raUbn  qui  doit  ob^er  les 
Poëtes  à  ne  pas  kifl^r  prendre  à  nmour 
un  trop  gnuid  empire  fur  leurs  Héros ,' 
doit  les  eogager  auffi  à  èxn&t  teint 


■u,:,-,zf--„GoOglc 


fitrlaPoiJtt&fiarUPiàuun.  15^ 
Héros  dans  des  tems  éloignés  d^unc 
certaine dîftmcc  diinôtrc.  Af/or^/on- 
gitt^uo  reviruuùt ,  dh  Tadte  ;  il  eA  fini 
&cile  de  noDS  nÉfpirer  de  la  Téaération 
pour  des  hommes  qui  ne  nous  font  c<Hi- 
nos  que  pv  ce  qu'on  Ht  d'eux  dans  ThiA 
tcnre,  que  pour  ceox  qui  OBtrêcu  dans 
des  tems  fi  peu  éloignes  dn  nôtre,  qu'u- 
ne tradition  encore  récente  nons  inf- 
tniit  exaâentent  des  particularités  de 
leur  vie.  Nons  fçavons  des  détails  fur 
les  petiteflès  des  grands  hommes  que 
BOUS  aroBs  vus,  ou  qite  nos  contem' 
porains  ont  pu  voir ,  qui  rapprochent 
fi  bien  ces  grands  hoounes  des  hom- 
mes or&uiics  ,  que  nous  ne  fçao- 
rions  avoir  pour  eux  la  minK  véné- 
ration  avec  Uqaelle  nous  fmmnes  en 
habitude  de  regarder  les  grands  hommes 
èe  Rome  tic  cenx  de  k  Grèce.  Autbtë 
v'dk  tauJamus  Httatius  {a).  Cet  apo- 
phtegme cft  encore  pfats  vétitable  en 
parlant  des  hommes ,  qu'en  parlant  de» 
ouvrages  de  Vttt  on  des  merrdUes  de 
la  nature. 

il  ntft  point  d'homme  qtù  fok  ad- 
nmtiiilc  ,  tTû  n^eft  vu  d%uie  certaine 
diftance.  Dè£q«*OM  pettt  voir  les  hom- 

ti>  f  «Mm  «k  *^ 

■  Gv, 


:,-,zf--„GoOglc 


1^6  ■  RéfiexioHs  triùquis 

mes  d'atTez  près  pour  difcemer  leurs 
petites  vanités  &  leitrs  petites  jalou- 
fies  ,  comme  pour  démêler  les  idéali- 
tés de  leur  elprit,  l'admiration  cefle. 
Si  nous  fçavions  t'hiftoire  domeftique 
de  Céfar  &  d'Alexandre  avec  autant 
de  détaîL  que  nous  fçavons  celle  des 
^ands  hommes  de  notre  fiécle,  les 
noms  du  Grec  &:  du  Romain  ne  nous 
infpireroient  plus  la  même  vénération 
qu'ils  nous  infpirent.  Je  foufcris  vo- 
lontiers au  livre  qui  a  dit  :  Que  les 
plus  grands  «memis  .de  la  gloire  des 
Héros ,  étoient  leurs  valets  de  cham- 
Bre.Les  Héros  gagnent  toujours  à  n'être 
connus  que  par  le  récit  des  Hiftoriens  ; 
la  plupart  fe  phifent  à  rapporter  ces 
traits  naïfs  &  ces  petits  &its  anecdotes 
^i  font  encore  admirer  davantage  les 
hommes  illuflres  ;  mais  ils  tàfent  vo- 
lontiers tout  ce  qui  feroit  lui  effet  con- 
.  traire.  Voilà  pour  les  Hiftoriens  ortti- 
naires.  Quant  à  ceux  qui  veulent  dire 
du  mal ,  ils  font  bien  quelquefois  les 
hommes  plus  méchans  que  peut-être  'ùs 
n'ont  été  ;  maïs  il  eft  très-rare  que  ces 
Hifloriens.  feflèni  les  hommes  .plus  pe- 
tits. Un  Hiftorien  met  fes  talens  en  évi- 
dence ,  il  peut  même  iàice  parade  de  ia, 


:,-,zf--„GoOg[c 


furlaPoëfit&JkrlaiPtinèure.  iç^ 
jSrobïté ,  en  racontant .  les  aftïons  d'un 
grand  fcétérat  ;  mais  il  fe  dégrade  lu- 
même ,  &  il  devient  un  Ecrivain  infi- 
pide ,  s'il  ^t  de  Tes  Aileiirs  des  hommes 
trop  ordinaires.  LePoëte  tragique  ,  di- 
ra-t  on ,  peut  fupprimer  toutes  les  peti- 
tefles  capables  d'avilir  fes  Héros.  J'en 
tombe  d  accord  ;  mais  l'Auditeur  s'en 
fouvient,  il  les  redit  lorfquele  Héros  a 
vécu  dans  un  tems  fi  votfm  du  fien  , 
que  la  tradition  l'ainAruit  de  ces  peti^ 
tejTes. 

D'ailleurs  Melpomene  fe  plaît  à  i>a- 
rer  fes  vîâimes  de  couronnes  &  de  fcep- 
tres  ;  &  les  Maiibns  Souveraines  font 
aujourd'hui  tellement  enlacées  les  unes 
avec  les  autres  par  les  mariages ,  qu'on 
ne  fçauroit  faire  monter  prefentement 
fur  la  fcène  tragique  un  Prince  qui  att 
cegné  depuis  cent  ans  dans  uii  état  voi- 
fin  ,  iâns  que  le  Souverain  du  Pays  oil 
k  piecerèroit  repréfentée  ,  s'y  trou- 
vât intéreffé  comme  parent.  L'inconvé- 
nient s'expinpie  affez  de  lui-même.  Ain- 
£  j'approuve  les  Auteurs  qui,  lorfqu'îls 
ont  pris  pour  fujet  quelqu'événement 
arrivé  en  Eurc^e  dqniis  lui  fiédc ,  ont 
mafqiié  leurs  peifonnages  fous  le  nom 
.des  anciens  Aomains  ,  ou  de  '  Prince^ 


:,-,zf--„GoOglc 


t^S  Ai/extoiu  erMqtat 

Grecs',  aufquels  perlbmie  ne  prend  plud 
d'mtéràt.  On  ne  fçauroit  mettre  fur  le 
théiâe  tout  ce  qu*un  Hiftonea  peit 
écrire  dam  un  lirrcLe  théâtre  efi,  pour 
ainfi  dire ,  un  livre  deftiné  à  être  lu  en 
puUic  ;  &  les  bieafëances  dcÀveat  être 
obftrvées ,  tous  les  égards  d<nvent2tre 
flardés  dans  tes  ptéoes  qu'on  y  repré- 
unte,  avec  encore  rius  de  féverité 
que  dans  l'iùftoire  la  [Hos  grave.  Qaand 
MDnfienrCanqxlbtioToulut  mettre  au 
théâtre  l'avaiiture  tragique  de  Dont 
Carlos  ,  le  fils  »né  de  PhUippe  U  Roi 
d*El{»^ie ,  il  traita  ce  fujet  tons  le  nom 
d*Aa(bisme.  Mais  ma%ré  le  diat^menc 
du  non  des  perfonnages,  la  rraréTen' 
tation  de  cette  Tr^é^e  a  été  defotdue 
autant  Icsigtems  dus  les  Paj^-Bw  Ef- 
pignols. 

Les  Poëtes  Grecs  naTOtett  pmot 
cette  d^cateffe.  Teo  tombe  d'acccaxL 
Us  cA  «ts  fur  la  ft^tie  des  Sourcnns 
morts  depuis  peu  de  teins ,  &  qnd^pie* 
fois  m✠ des  Princes  virtns.  Mab  ces 
Poëtes  avtùent  été  élevés  dans  l'efprit 
Républicain  qui  régnait  parmi  les  Atbé* 
àens,  &(Biicheitbotttoi90ursïpen> 
dre  odieux  le  gcnvemeatfttt  d*kin  &uL 
C'étoit  Un  mojen  d'y  iéul£r  que  de; 


:,-,zf--„GoOglc 


fm  U  Potjît  &JUr  la  Pànturt.  i  jy 
repréfenterlesRofc  &  les  Princesavec 
un  caraâere  Tictenk ,  dans  des  ipeâa- 
cles  qui  deroient  avoir  encore  pnis  de 
pouvoir  filr  l'imagination  des  Grecs , 
qu'ils  n'en  fcanroient  avoir  fur  rima- 
eination  des  peuples  Septentrionaux. 
Voilà  poiifqnoi  les  Poètes  Grecs  ont 
défiguré  quelquefois  le  véritable  carae- 
tere  des  Souverains  ;  voilà  pourquoi 
ils  ont  introduit  fi  fouvent  fur  la  fcène 
Orefte  malheureux  8c  pourfoivi  des 
Furies  ,  quoique  les  Hiftoriens  citent 
ce  Prince  poor  avoir  vécu  &  régné 
longtems  beureufement.  FaSum  tjus  à 
Dits  approbamm  fpano  vUk  &  feiiàtate 
Imperii  apparuit ,  quippt  vixit  annis  no^ 
naànta ,  regnav'ufeptuaDrua  ,  dit Pater- 
cuîus ,  (jt\  en  pariant  crOrdle. 

Deux  Nations  voifines  de  la  nètre 
font  encore  monter  fiir  le  théâtre  des 
Souverains  morts  depuis  cent  ans  ou 
environ.  EUes  y  traitent  des  éréne- 
mens  tragiques  arrivés  dans  leur  pro- 
pre pays  depuis  un  fiéde.  Peut-être 
eft-ce  qn'eHes  n'ont  point  encore  une 
julïe  idée  de  la  dignité  de  la  fcène  tra- 
gique :  peut-être  entre-t^t  auffi  dans 
leurs  vues  quelque  trait  de  la  poH- 
(j)  Kifi.  lib.frim. 


:,-,zf--„GoOglc 


i  60  RtjUx'ums  ctitîquts 

tique  Athénienne.  La  Tragédie  Fia» 
mande ,  dont  le  fujet  eft  Te  fameux 
Siège  de  Leyde  que  les  Efpagnols  le- 
vèrent durant  les  premières  guerres 
des  Pays-Bas  (a) ,  &  laquelle  ,  fuivant 
lafondationd'uaCitoyende  cette  ville, 
s'y  repréfeote  encore  tontes  les  années 
dans  le  mois  où  l'événement  arriva  , 
ell  pleine  des  maximes  &  des  Sentences 
contre  les  Rois  &  contre  leurs  Minif- 
tres ,  qui  pouvoîent  être  à  la  mode 
dans  Rome  après  Texpulûon  des  Tar- 
quins.  Jamais  aucun  Tragique  Grec  ne 
tâcha  d'e  rendre  les  Souverains  odieux, 
autant  que  Mylord  Comte  de  Rochef- 
ter  Ta  voulu  raire  dans  la  Tragédie  de 
yalentlnien. 

Ce  n'a  point  été  certainement  par 
un  pareil  motif  que  nous-mêmes  nous 
avons  feit monter furnotre  fcène,  lors- 
qu'elle étoit  encore  grofliere  ,  nos  Sou- 
verains encore  vivans.  Les  François 
font  cités  chez  toutes  les  Nations  pour 
refpeÛer  naturellement  leurs  Princes  : 
Ils  font  même  davantage  ,  ils  les  ai- 
ment. Auffi  juge-i'on  facilement  par  le 
çaraûere  des  pièces  où  les  Poètes 
François  ont  Introduit  leur  Souverain 

(«/  En  IJ74. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poifie  &furUPtinturt.  i5i 
même  ,  -qn'ils  n'ont  péché  que  par  grof- 
fiéreté.  Peu  de  mois  après  la  mort  de 
Henri  IV,  on  représenta  dans  Paris  une 
Tragédie  dont  le  lujet  étoit  la  mort  6j- 
nefte  de  ce  Prince  ;  louis  XIII  qui  ré- 
gnoit  alors ,  &ifoit  lui-même  im  per- 
lonnage  dans  la  pièce  ;  fie  de  fa  loge  il 
pouvoir  fe  voir  repréfcnter  iur  le  théâ- 
tre oh  le  Poëte  lui  faifoit  dire  que 
l'étude  l'affommoii ,  qu'un  livre  lui 
failbit  mal  à  la  tête  y  qu'il  ne  poiivoit 
guérir  qu'au  fon  du  tamboiu" ,  6c  plu- 
sieurs autres  gentilleÛes  de  ce  genre , 
dignes  d'un  fils  d'Alaric  ou  d'Attudaric. 
Mais  la  raifon  ou  bien  les  réflexions 
nous  ont  rendu  depiûs  le  peuple  de 
l'Europe  le  plus  délicat  &  le  plus  dif- 
ficile ûir  toutes  lesbienféances  du  théâ- 
tre. Nos  Poètes  ne  peuvent  fe  tromper 
impunément  aufoto-d'hui  fur  le  choix 
dit  tems ,  fie  du  lieu  de  leurs  pièces. 

Moniteur  Racine  foutieiit  dans  la  • 
Préface  de  Bajazet ,  dont  la  mort  tra- 
gique étoit  un  événement  récent  , 
quand  il  le  mit  au  théâtre ,  que  Péloi- 
.  gnement  des  lieux  oit  un  événement  eft 
arrivé  ,  peut  fuppléer  à  la  diftance  des 
tems  i  &  gue  nous  ne  mettons  prefque 
point  de  différence  entre  ce  qui  eft  ar- 


:,-,zf--„GoOglc 


ï6i  Riftxum$  erià^ÊiS 

rivé  mille  ans  Avaitt  notre  teols  ,  tè 
ce  qui  elt  anivé  à  mille  lieues  de  ncH 
tre  pays.  Je  ne  Cuis  point  de  foa 
fenfiment.  On  ne  trouve  perfonne  quî 
ait  reçu  mille  ans  avant  lui  ;  mais  on 
renc<MUre  toiis  les  jours  des  gens  qui 
ont  vécu  dans  ce  pa^  élowné  de  nulle 
lieues,  &  leurs  récits  nniient  i  la^é^ 
néraâon  qu'on  prétend  nous  donner 
pour  ces  hommes  devenus  des  Hérot 
en  paflant  la  mer.  D'ailleurs  le  com- 
merce entre  la  France  8cConifauiti« 
noi^  eA  û  grand  ,  que  nous  coo- 
noiâfons  bien  nûenx  les  moeurs  8c  les 
tifages  des  Turcs  par  les  relations  ver« 
baies  de  nos  amis  qui  ont  vécu  avec 


eux,  que  nous  ne  connointms  ceux 
des  Grecs  6c  des  Romiùas  fur  le  récit 
d'autenrs  morts ,  &  à  qm  l'on  ne  fçau- 
rt»t  demander  des  expbcatimis,  qiôad 
ils  font  oUcnrs  ou  trop  iiicciiÀs.  Un 
Poëte  tnigiqàe  ne  fçanrott  donc  ^oler 
la  notion  générale  que  le  monde  a  iiir 
les  mœurs  &  fin-  les  coutumes  des  na- 
<ions  étrangères,  fans  pr^udicier  à  h 
vrat-femUanee  de  U  fnéee.  Cependant 
les  régies  de  notre  tfaéitre  &  les  ufa- 
;es  de  notre  fcène  tragique ,  qui  veu- 
'-"  que  les  fesmes  ayent  toujours 


...Xooyic 


le 


Jkr  U  Paifa  ù fur  U Pvjitan.  itfj 
Iwtucoup  de  part  dans  l'inti^ue,  & 
que  l'amour  y  foit  traité  fuivant  not 
manières  ,  empêchent  que  nous  ne 
puiffioDs  '  nous  coafbrmer  aux  mœurs 
&  aux  coutumes  des  Nations  étran- 
gères. Il  efl  vrai  que  les  défauts  qû 
réfuUent  de  cet  embarras  ne  font  re* 
marqués  que  par  un  petit  nombre  de 
perfonnes  aiTez  înAruîtes  pour  les  con- 
Boitre  \  mais  il  arrive  qNe  »  pour  ^re 
valoir  leur  érudition  ,  elles  exagèrent 
Couvent  l'importance  des  défauts  y  &  il 
ne  fe  trouve  que  trop  de  gens  qui  fe 
plaifent  i  répeter  leur  critique.  Je  n'a- 
jouterai plus  qu'ua  mot  à  cette  obfer* 
vation  :  c'eft  qu'à  l'exception  de  Ba- 
jazet  Ix.  du  Cc»Bte  d'Eflex  y  toutes  les 
Tragédies  écrites  depuis  quatre-vin^ 
ans ,  dont  le  fujet  étoit  pris  dans  l*hif- 
toire  des  deux  derniers  lîécles,  font 
tombées ,  leurs  noms  mimes  ibm  otH 
Miés. 

La  définition  qn'Aridote  iàit  de  la 
Comédie,  quand  il  l'appelle  une  imi- 
tation du  ridieuk  des  bonunes ,  ensei- 
gne AifEfammmt  quels  fujets  lui  font 
propres .  Comme  elle  n'inflige  pas  d'au- 
tre peine  aux  perfonnages  vicieux  que 
le  ridicule,  <lû  u'eft  pas  laite  pourre- 


:,-,zf--„GoOglc 


164  RéfitxUns  cnû^tui 

,  préfenter  les  aÔions  qui  méritent  des 
châtimens  plus  graves.  Oo  ne  doit  tra- 
duire à  fon  tribunal  que  des  hommes 
coupables  envers  la  fociété  de  délits 
légers. 


SECTION     XXI. 

Du  choix  des  fu/'ets  des  Comidits.  Où  il 
en  faut  mtttre  la  Scène.  Des  Comédies 
Romaines. 

J  *A  I  rapporté  plufieurs  raifons  pour 
montrer  que  les  Poëtes  tragiques  doi- 
vent placer  leur  {cène  dans  des  tems 
éloignés  de  nous.  Des  raifons  oppofées 
me  font  croire  qu'il  faut  mettre  la  fcè- 
ne  des  Comédies  dans  les  lieux  &  dans 
les  tems  oti  elle  eft  repréfentée  :  que 
fon  fujet  doit  être  pris  entre  les  évé- 
nemens  ordinaires  ;  &  que  fes  perfon- 
nages-doiventrelTemblerpar  toutesfor- 
tes  d'endroits  au  peuple  pour  qui  1*00  la 
compofe.  La  comédie  n'a  pas  befoin 
d'élever  fes  perfonnaees  favoris  fur  des 
piedeAaux ,  puifque  fon  but  principal 
n'eft  point  de  les  faire  admirer  pour 
les  faire  plaindre  plus  facilement  :  elle 


:,-,zf--„GpOglc 


furUtPoéJtt&furlaPànturt.  i6j 
veut  tout  au  plus  nous  donner  pour 
eux  quelque  inquiétude  caufée  par  les 
contretems  fâcheux  qui  leur  arrivent , 
&qui  doivent  être  plutôt  des  traverfes 
que  de  véritables  infortunes ,  afin  que 
nous  (oyons  plus  fatisfàits  de  les  voir 
heureux  à  la  fin  de  la  pièce.  Eileveut, 
ennpus  faifant  rire  aux  dépens  desper- 
fonnages  ridicules  y  nous  corriger  des 
défauts  qu'elle  joue  ,  aiîn  que  nous  de-  ~ 
venions  meilleurs  pour  la  fociété.  La 
Comédie  ne  fçaiyoit  donc  rendre  le  ri- 
dicule de  fesperfonnagestrop  feniible 
aux  fpeâateurs.  Les  fpeâateurs,  en 
démêlant  fans  peine  le  ridicule  des  per- 
sonnages i  auront  encore  alTez  de  peine 
â'y  reconnoîre  le  ridicule  qui  peut  âtre 
eh  eux.  *^ 

Or  nous  ne  pouvons  pas  reconnoîtrc 
auffi  facilement  la  nature  ,  quand  elle 
paroît  revêtue  de  mœurs ,  de  manières, 
d'ufaecs  &  d'habits  étrangers ,  que  lorl- 
qu'elfc  eft  mife ,  pour  ainli  dire ,  à  no- 
tre façon.  Les  bienféances  d'Efpagne  , 
par  exemple  ,  ne  nous  étant  pas  aulS 
connues  que  celles  de  France ,  nous  ne 
fonimes  pas  choqués  du  ridicule  de  ce^ 
lut  qui  les  blelTe ,  comme  nous  le  Te^ 
lions  ,  û  ce  peribimage  bleHoit.  les 


:,-,zf--„GoOglc 


s66  RifiexUns  critiques 

bienféances  en  ulàge  dans  notre  p^ 
trie  &  dans  notie  tems.  Nous  ne  fe- 
xions  pas  auffi  frappés  de  tous  Us  traits 
qui  peignent  l'Avare ,  (pie  cous  le  iom- 
mes ,  a  Harpagon  ezerçoit  ià  léâae  fur 
la  dépenfe  d'une  maifon  r^^e  lki> 
yant  rceconooûe  des  nsaifata  d'ttalie. 
Nous  reconnoiflbns  toujours  les 
hommes  dans  les  Hétoê  des  tr^é* 
dies,  fott  que  leur /cène  fbit  à  Rome» 
ou  à  Lacédeuone,  parce  que  la  Tnu 
cëdie  nous  dépeint  les  grands  nces  Si 
les  grandes  vertus.  Or  les  hommes  de 
tous  les  pays  fie  de  tous  les  &îcle$  font 
plus  femblwles  les  uns  aux  autres  dans 
tes  grands  vices  8c  ^aas  les  grandes 
vertus  ,  ^'ils  ne  le  fout  dans  les 
coutumes ,  dans  les  ufages  ordinaires , 
en  un  mot  dans  les  vices  &  les  ver- 
tus dont  la  Comédie  veut  faire  le  po^ 
trait.  AJnfi  les  personnages  de  Comé- 
die doivent  être  taillés ,  pour  ainfi  di> 
re ,  à  la  mode  du  pays  pour  c|ui  la  Co- 
médie eft  &lte. 

Plaute  &  Térence,  dirart'on,  ont 
mis  la  fcène  de  la  plupart  de  leurs 
pièces  dans  un  pays  étranfcjt  pax  rap* 
port  aux  Romains  pour  qm  ces  Conl^ 
oies  jétoient  compoféefe  L'imrigue  d? 


:,-,zf--„GoOglc 


J^  U  Poi^  &fur  la  Pùnlurt.  i6f 
leurs  pièces  fuppofent  les  loix  Se  les 
moeurs  Greç[ues.  Mais  fi  cette  raiibn 
ùàt  aoe  obgeûioB  contre  mon  fenti* 
laect ,  eUe  ne  Cnffit  point  pottr  prou- 
ver le  fcDtiinent  oppofô  a  celui  que 
l'expoiEè.  lyaittenrs  )c  répondrsi  i  l'ob* 
jeûian ,  qie  Plame  &c  Ténnce  ont  pA 
ie  tnwner.  Quand  ils  conporereot 
leurs  pièces ,  h  CcoÊoéAt  itoit  i  Rome 
un  poëme  d\aï  genre  nouveau  ^  te  les 
Gre<s  avoient  déjà  fàît  d'excellentes 
Comtes.  Plante  &  Térence ,  qui  n'a- 
voient  rien  dans  la  Ism^  latine  qui 
fût  leur  fervir  de  guide ,  imitèrent  trop 
lervilement  les  Comédies  de  Ménan- 
dre  6f  d'autres  Poètes  Grecs,  &  ils 
louèrent  des  Grecs  devantlei  Romains, 
Ceux  qui  tranfplantent  quelqu'Art  que 
ce  Ibit  d'un  pays  étranger  dans  leur 
patrie ,  en  fuivent  d'abord  la  pratiqua 
de  trop  près,  &  ils  font  la  mëprif« 
d'imiter  chez  eux  les  mêmes  originaux 
mie  cet  Art  eft  en  habitude  d'imiter 
dans  les  lieux  oh  ils  l'ont  appris.  Mais 
l'expérience  enfeigne  bientôt  à  chan» 
;er  l'obiet  de  l'imitation  :  auffi  les 
^  'oè'tes  Romains  ne  furent  pas  longtems 
à  connoître  que  leurs  Comédies  plai» 
voïtpt  âsivantAp,  »'il9  en  mettoient 


:,-,zf--„GoOglc 


% 


l68  Réfexiàns  cntîquts 

la  fcène  dans  Rome ,  &  s'ils  y  jouoient 
le  peuple  même  qui  devoit  en  juger. 
Ces  Poètes  le£rent,'&  la  Comédie 
compofôe  dans  les  mœurs  Romaines  , 
fe  divifa  même  en  ptufièurs  erpeces. 
On  fît  aufTi  des  Tragédies  dans  les 
mœurs  Romaines.  Horace  y  le  plus  judi- 
cieux des  Poètes.,  fçait  beaucoup  de 
gt-é  à  ceux  de  fes  compatriotes  qui  les 
premiers  introdui£rent  dans  letu^  Co- 
médies des  pet'fennages  Romains,  & 
dui  délivrèrent  ainfi  la  {cène  Labnc 
d*une  efpece  de  tyrannie  que  des  per* 
fonnages  étrangers  y  venoient  exer- 
cer. 

Hïï  tiarmatum  nojln  Kjntrt  Teitx  ; 
Nie  minimvm  mtmai  itaa  ttjUgîa  GrMtt 
Aiffi  difirat ,  (f  ccUbnrt  dom^icafaÛt ,  ■ 
Vd  gui  PratexiM .  *tl  jul  iaetari  Ttgam,    (i) 

XjSS  Romains ,  en  parlant  de  leurs  Poe- 
fîes  dramatiques,  ont  confondu  quel- 
€|tiefois  le  genre  avec  l'efpece.  Je  crois 
néanmoins  devoir  tâcher  de  débrouil- 
ler ici  cette  confiifion,  pour  faciliter 
l'intelligence  de  ce  quimerefte  encore 
^  dire  fur  le  fujet  que  je  traite  aftuel- 
■lemenr.     •  *        ■ 


■,r  ..Google 


furlaPoëJîe  &  far  la  Pelnturt.  169 
Lx  Poëfie  dnimatique  des  Romains  ' 
fe  divifoit  d'abord  en  trois  g.enres,qui  fe 
fiibdivifoient  en  plufieurs  efpeces.  Ces 
trois  genres  étoient,  la  Tragédie,  la 
Satire  6c  la  Comédie. 

LesRomainsavoientdes Tragédies  de 
deux  eCpecë^.  Us  en  avoient  dont  les 
mceiirs  Sclesperfonnages  étoientGrecs,  ■ 
&  îJs  les  appelloient  Palilata  ^  parce' 
.tju'onfefervoitdeshabitsdesGrecspour, 
les  repréfenter.  Les  Tragédies"  dont  les 
mœurs  &  lesperfonnages  éioient  Ro- 
mains ,  s'appeltoient  Pratexiatte  ou 
Pr«texta,^u  nom  de  rhabrt'  i^we  les  per- 
fonnes  de  condition  portoient  à  Rome. - 
Quoiqu'il  ne  nous  foït  demeuré  qu'une 
Tr^édie  de  cette  efpece ,  VOcfavie  qui 
paflefeuB  le  nom  de  Séneque  ,  nous' 
fçavons  néanmoins  que-  les  Romains 
en  avoient  un  grand  nombre.  Telles 
étoient  le  Brutus  qui  chaffa  les  Tar» 
quins  ,  &  le  Decius  du  Poëte  Altius.  ' 
La  Satire  étoit  une  efpece  de  Pafto- 
ralc  que  quelques  Auteurs  <liient  avoir 
tenu  le  milieu  entre  la  Tragédie  &  la 
Comédie.  Nous  n'en  rçavons  guéres 
davantage. 

La  Comédie  ,  ainfi  que  la  Tragédie  ,* 
fc  divifoit  premièrement  en  dpuxefpe-- 
Teme  /.  H 


:,-,zf--„GoOglc 


1^0  Réfitxlons  critiques 

ces  ;  la  Comédiâ  Grecque  ou  PaiiiMa  ^ 
&  la  Comédie  R(»iuùne  ou  Togata ,  par< 
ce  qu'on  y  iotroduifcùt  or^natremeiit 
de  umples  citoyens  dont  Tbabit  étoit 
le  vêtement  appelle  Toga.  Togata  fa- 
buta  liîcumur  qua  fcriftMftuuficttndàm- 
ritas  &  habitus  homimtm  Toffuorutn  ,  id 
efi  Romanoram  ,  dit  Dîomede'  (a^  ait- 
cien  Auteur ,  qui  a  ^àx  quand  l'Em- 
(Hre  Romain  A^ûiloit  encore. 

La  Cooiédie  Romaine  Te  fulxliviroît 
à  ion  tour  en  quatre  efpeçes;  la  Co- 
médie Tf^iM,  fs^opreinent  dite ,  la 
Comédie  Tahtrnaria  ,  les  pièces  AteU»< 
i^es  S(  les  Mimes. 

Xfis  jnéces  du  premier  caraâere 
étoieot  très^ierieufes  ,  &  l'on  y  intro» 
duifoit  même  des  perionnages  de  con- 
^tîtm ,  ce  qui  lesfaitappeller  quelque- 
fois Pnerex/d/A.  ApudRomtnos^  dit  Dio" 
mede  (i) ,  PrtUtxtata  ,  Taiernari4-y  At~ 
ttlUna  ,  Planipts,  Les  pièces  du  fécond 
caraâere  étoient  des  Comédies  un  peif 
pioins  férieufes.  Leur  nom  venoit  de 
Taitrna^  flui  iîgnifioit  proprement  un 
iieu  de  rendez-vous  propre  à  raffembler 
les  ppr&nnes^dp  conditions  difféie^e?, 

(al  Dt  Artt  Crtm.  U  |,  c.  4. 


..Google 


fitr  la  Poëju  &  fur  U  Ptïntun.  lyt 
qui  puoient  un  rôle  daos  ces  pièces. 

Les  Atellanes  étoient  des  pièces 
telles  à  peu  près  que  les  Comédies 
halieiines  ordinaires  ,  c*eft-à-dire» 
dont  le  dialogue  n'eft  point  écrit.  L'Ac- 
leur  des  Atefîanes  jquoit  donc  fon  rôle 
d^imagination ,  &  il  le  hrodoit  à  fon 
plaifir.  Tite-Live ,  en  faifant  l'hiftoire 
du  progrès  de  la  Comédie  à  Rome ,  dit 
(pie  la  Jeunefle  de  Rome  n'avoit  pas 
voulu  que  cet  amufement  devînt  un 
Art.  Elle  fe  Tétoit  réfervè.  Voilà  pour- 
quoi ,  ajoute-t'il ,  (n)  ceux  qui  jouent 
dans  les  Atellanes  ,  confervent  tous 
les  droits  des  citoyens ,  &  qu'ils  fer- 
vent mâme  dans  les  liions ,  comme 
s'ils  ne  montoient  pas  fur  le  théâtre. 
So  infiitucum  manet ,  ut  ASores  Atdla- 
nanim  me  tribu  moveaniur ,  &  fiipepJia 
tanquam  expertes  artis  Ludicra  faciant, 
Feftus  dit  que  les  fpeûateurs  n'avoient 
pas  le  droit  de  les  -  faire  démafquer  , 
comme  ils  pouvoient  faire  démarquer, 
les  autres  Comédiens.  On  fçait  bien 

S|U'ils  n'en  étoient  pas  quitte  quelque—,^ 
ois  pour  s'ôter  le  raafqùe,  AttUdmiu$  . 
hahent perfonam  rtonponere.Tous  ces  Co- 
médiens jouoient  chauffés  avec  cetteef- 

W  i^t.  7. 

H  M 


,  Google 


171  Réjlix'iom  cr'tîqiUS 

pecedefouliers  particuliers  {{u'on  appel- 
ioit  Soque.  te  Çothantt  ^toit  la  chayfliire 
deceuxquijouoient  les  Tragédies. 

Les  Mimes  reffembloient  à  nos  far- 
ces -y  &  leurs  Aâeursjouoient  déchauf- 
fés.  Combien  ,  dit  Séneque ,  trouve- 
t'on  de  Sentences  dans  les  Poëtes  dont, 
des  Philpfophes  pourroîent  fe  faire 
honneur  ?  Je  ne  paf  le  point  des  Tragé- 
dies ni  même  des  Copiédies  à  longue 
robe  f  qui ,  par  la  gravité  qu'elles  gar^^ 
dent ,  tiennent  le  milieu  entre  les  Co- 
médies plaifantes  &  la  Tragé^e.  Mais 
dans  les  Mimes  mêmes ,  combien  y  a<- 
t^l  de  maximes  de  Publîus  Synis  plus 
{Propres  à  être  débitées  par  des  Aâeurs 
montés  fur  le  S^^"**  ^  même  fur  Iç 
Coikume,  que  par  des  A^^urs  fans 
cbaufTurp.  Quàm  multa  Pofta  dUum 
gux  à  Philofopfus  aut  diSafunt ,  aut  Ji- 
cenda.  (a).  Non  aitingam  Tragicos  ont 
Togatas  jtofiras.  Hatcru  ti^m  kfzc  quoqut 
aii^aîd  fivtritatis  ,  &  funt  iruer  Tragc 
jlias  ^  Comtdiof  médise,  Quamiim  fifer-t 
^JJùnorwn  verfuwn  intfr  Mimas  jacet  ? 
tjUàm  multa  Putlii  y  non  excaUeafis  ,Jid 
fothurnatisj  dictndafuat.  Ce  Publius  Syi- 
rqs  éttfit  un  Poëte  qui  feifoit  dg  ^ti 


:,-,zf--„GoOglc 


furtaPoèjU&furtaPtlmuTt',  Xf^ 
Codiédies  appellëesMirhes,  &  le  rival 
de  Laberius.  Macrobe  par!e  beaucoup 
de  leur  concurrence  dans  fes  Saturna- 
les, Diomede  achevé  de  confirmer  câ 
que  je  viens  de  dire  en  écrivant  («)  î 
(^uartd  Jpceies  ejî  Planipedia,  Greci  d'ici' 
tur  Mimos  ,  quod  ASores  plams  pedikuS 
pfofienium  introirent ,  nan  ut  Tragîct  Ac* 
torts  cum  Cothurnis  ,  mqut  Ut  Comici  cunt 
Saccis.  La  quatrième  efpece  de  Comé- 
die eft  celle  qu'on  appelle  Comédie  dU 
chauffle^  parce  que  les  Adeurs  qui  Ul 
jouent ,  ne  chauJient  point  le  Cothurne^ 
comme  lesAfleurs  qui  repréfentent  les 
Tragédies ,  ni  le  Soque ,  comme  ceux 
qui  repréfentent  les  Comédies  des  trois 
premiers  genres.  Les  Grecs  donnent  le 
ïiom  de  \^mes  à  cette  quatrième  efpece 
de  Comédie. 

Nous  Toyons  par  l'aventure  qui  ar- 
riva aux  iùnérailles  de  Vefparien  ^  oii 
Suétone  nous  dit  que  fuivant  l'ufa- 
ge ,  on  jouoit  le  caractère  du  défunt 
dans  une  pièce  de  Mimes,  quHlyavoit 
de  ces  pièces  dans  les  mœurs  Romai- 
nes. L'avarice  de  cet  Empereur  n'en 
avoit  pas  été  moins  fcândaleufe ,  quoi- 
qu'il règayât  ibuvent  par  de  bons  mot9,| 

W  Lit.  a.  e.  7.  Lit.  ),  Cl. 

Hiij 


:,-,zf--„GoOglc 


1 74  Riflexîoas  critiques 

dont  plufîears  font  venus  jnfqti*i 
nous  d).  Tout  le  moade  içait,  par 
exemple  ,  le  trait  dont  il  fe  fervitpour 
cjtcroquer  une  ville  qui  vouloit  depen- 
fer  une  grande  fomme  à  lui  ériger  une 
Statue.  Meflieurs,dit'il  à  Tes  Députés» 
en  leur  préfentantlajpamnedelamain, 
voici  la  Mfe  où  il  raut  placer  votre 
Statue.  Favor  ^rchimmus f  c'e&le  nova 
&  la  profeflion  de  PAÛeur  qui  iàifoit  . 
îe  rôle  de  Vefpafîen ,  ayant  demandé 
aux  Direâeurs  du  convoi  ,  combien 
coutoit  &  pompe  iimébre  ,  il  s'écria  , 
lorTqu^ileitt  apprit  que  ladépenfemon- 
loit  à  des  millions  :  Epargnons ,  Mef- 
fieiirs ,  donnez-moi  cent  mille  écus ,  & 
iettez  mon  cadavre  dans  la  rivière. 
Nous  parlerons  plus  bas  des  PaJatomî- 
mes ,  efpece  de"  Comédiens  qui  dccla- 
inoient  fans  rien  prononcer.  Retour- 
nons à  notre  fujet. 

Nos  Poètes  L^qiies  &  nos  Poètes 
Comiques  ont  &itta  même  m^rîl£  que 
Plante  &  que  Tèrence,  lorfque  notre 
goût  pcrfeâionné  par  Malherbe  &  par 
tes  fuccelteurs  ,  devint  aflez  difficile 
pour  ne  s'accommoder  plus  des  an- 
ciennes farces  ;  nos  Poëtes  Comiques 
.   ■WDm.lih.ft. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  UPiûJtt&furlaPelntun,    175 
François    tâchèrent  de  perfeâionner 
leur  tâche  ,  comme  les  autres  Poè- 
tes avoient  perfeâionné  la  leur.  Ces 
Poètes    Comiques  fans  modèles,   & 
peut-être  fans  génie ,  trouvant  que  les 
Efpagnols  nos  voî£ns  ëtoient  tleja  ri- 
ches   en  Comédies,    copièrent    d'a- 
bord les  Comédies  CaffiUanes.  Pref- 
qiie  tous  nos  Poëtès  Conkiques  les  c»it 
imité ,  jufques  à  Molière ,  qui ,  après 
s'être     égaré  quelquefois,  prit  enfin 
pour   toujours  la  route  qu'Horace  a 
jugé  être  la  feule  qui  fôt  bonne.  Ses 
dernières  Comédies ,  fi  on  en  excepte 
celle  qu'il  fit  poiu-  jouter  contre  Plante,' 
font  dans  les  mœurs  Françoifes.  Je  ne 
parle  point  des  Comédies  héroïque» 
de  Molière ,  parce  qu'il  fongea  moins  ^ 
en  les  écrivant ,  à  faire  des  Comédies , 
qu'à  compofer  des  pièces  dramatiques 
qui  puffent  fervir  de  liaifons  aux  di- 
vertjffemcns    deftinés   à   former   ces 
fpeôacles  magnifiques  que  Louis  XIV 
encore  jeune  donnoit  à  fa  Cour,  il 
dont  la  mémoire  s'eft  confervée  dans 
les  pays  étrangers ,  autant  que  celle  de 
fes  conquêtes.  Le  Public ,  qui  ne  fort 
gueres  du  bon  goût ,  lorfqu'it  y  eft  en- 
tré, a  rejette  depuis  quelques  années 
Hiv 


:,-,zf-,GoOglc 


1 76  Réflexions  eritî^ues 

toutes  les  Comédies  con^orées  <lans 
des  moeurs  étrangères ,  avec  lelquelles 
on auroit  voulu  l'amnfer.  En  effet,  à 
moins  que  de  connoître  l*Ëfpagne  Se. 
les  Efpagnols  (  connoiflance  qu'un  Poè- 
te n'eA  pas  en  droj^t  d'exiger  du  ipec- 
tateiu')  on  n'entend  pas  le  fia  de  la 
plupart  des  plaifanteries  de  fes  pièces. 
Combien  y  a-t'il  de  ipeûateurs  qui  ne 
comprennent  pas  la  moitié  des  plaifaa- 
terîes  deDomJaphetî  celle,  par  exem- 
ple f  qui  roule  iur  te  reproche  que  les 
Cailtlîans  qui  prononcent  bien  &  net- 
tement ,  font  aux  Poitugaîs  qui  pro- 
noncent mal ,  &  qui  mangent  une  par- 
tie des  fyllabes  :  Ce  font  les  guettons 
fuiparltMi  Portugais. 

Nous  avons  eu  depuis  quatre-vingt 
ans  deux  diiFérentes  troupes  de  Comé- 
diens Italiens  établis  à  Paris.  Ces  Co- 
médiens ont  été  obligés  de  patier  Fran- 
çois ;  c'eA  la  langue  de  ceux  qui  les 
iwyent.  Mais  comme  les  pièces  Ita- 
liennes qui  ne  font  point  compofées^ 
dans  nos  mœurs  ,  ne  peuvent  amufer 
le  public  ,  les  Comédiens  dont  je  parle 
ont  encore  été  obligés  de  jouer  des 
pièces  écrites  dans  les  mœurs  Fran- 
■iSoifes,  Les  premiers  Auteurs  Anglois 


fur  U  Poêfit  &fur  la,  Pânture.     i  "jf 

3 uimirent  en  leur  langue  les  Comédies 
eMoUere ,  les  tradmilrent  mot  à  mot. 
Ceux  qui  l'ont  fait  dans  la  fuite  ,  ont 
accommodé  la  Comédie  Françoife  aux 
mœurs  Angloifes.  Ils  en  ont  changé  la 
icène  &  les  incidens ,  &  elles  en  ont 
plu  davantage.  C'eû  ainli  que  Mon- 
fieur  'Wycherley  en  ufa ,  lorfgu'il  fit 
du  Mifantrope  de  Molière  Ton  Homme 
au  franc  procédé ,  qu'il  fuppofe  être  va 
Anglois  &  homme  de  mer. 

ISos  premiers  faiieurs  d*Ope«félônC 
égarés,  ainfi  que  nos  Poëtes-Comiques, 
pour  avoir  imhé  trop  Servilement  les 
Opéra  des  Italiens  de  qui  nous  emprun* 
lions  cegcnre  de  Ipeâade,  fans  faire  at' 
tention  que  le  gout  des  François  ayant 
étééleveparlesTragédies  de  Corneille 
&  de  Racine ,  ainfi  que  par  les  Comé- 
dies  de  Molière ,  il  exigeoit  plus  de 
vraifemblance ,  qu'il  demaodoît  plus 
dcTégularité  &  plus  de  dignité  dans  les 
Foëmes  dramatiques ,  qu  on  n'en  exige 
au-delà  des  Alpes.  Aum  nous  ne  fçau- 
jîons  plus  lîr»  aujourd'hui  fans  dédain 
rOpera  de  Gilbert^  &  la  Pomone  &o 
l'Abbé  Perrin.  Ces  pièces  écrites  de- 
puis foixante-huit  ans ,  nous  paroilTent 
des  Poëmes  gothiques  compofés  cinij 
Hv 


:,-,zf--„GoOglc 


1^5  Réflexions  critiqaa     ■ 

bu  fix  générations  avant  nom.  Mon^ 
fieiir  Quinauk ,  qui  travailla  pottr  notre 
théâtre  Lyrique  après  les  Auteors  que 
j'ai  cités  ,  n'eut  pas  fait  deux  Opéra  ^ 
qu'il  comprit  bien  que  les  perfonnages 
de  bouffons  ,  eflentiels  dans  les  Ope- 
ta  d'Italie  ,  ne  convenpient  pas  dans 
des  Opéra  feits  ponr  des  François. 
Thefëe  eft  le  dernier  Opéra  oh  Mon^ 
fieur  Quinautt  ait  introduit  des  bou& 
fons  ;  &  le  foin  qu'il  a  pris  d'annoblir 
leur  cAâere ,  montre  qu'il  aroit  dé^ 
ia  fenti  que  ces  rôles  çtoient  hors  de 
ienr  place  dans  des  Tragédies  faitet 
pour  être  chantées,  autant  que  datw 
des  Tragédies  faites  ponr  être  déda^ 
mées. 

H  ne  fuffitpas  que  l'Auteur  d'ime  Co- 
médie en  place  la  fcène  au  milieu  du 
peiiple  qiu  la  doit  voir  repréfenter  ^ 
il  faut  encore  qitc  fon  ftijet  fmt  à  la 
portée  de  tout  le  monde ,  Ci  que  tout 
le  monde  puiffc  en  conceroir  fans  pei- 
ne le  nœud,  le  dénouement ,  &  en- 
tendre la  fîn  du  dialogue  des  perfon' 
nages.  Une  Comédie  qui  fotile  fiir  l6 
détail  d'une  proféfîion  particulière ,  & 
dont  le  Public ,  gënéralement  parlant, 
n'eA  pas  inflruit,  ne  fçauroit  réu^. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  PogSS  &fttT  la  Pûmurv,  r/a 
Nous  avons  vu  échouer  une  Comédie , 
parce  tju'il  falloit  avoir  plaidé  !ong- 
tems  pour  remendre.  Ces  forces,  dont 
le  iiijet  étemel  eft  le  train  de  vie  de 
gens  de  manvaifes  mœurs  &  d'un  cer- 
tain étage  ,  font  autant  contre  les  rè- 
gles que  contre  la  bienféance.  Il  n'cft 
qu'un  certain  nombre  de  perfcnnes  qui 
ayent  affez  fréquenté  les  originaux 
dont  on  expofe  des  copies ,  poiu- juger 
fi  les  carattercs  &  les  événemçns  font 
traités  dans  la  vraifemblaitce.  On  fo 
lafle  de  la  mauvaifo  compagnie  fur  le 
Aéâtre  ,  comme  on  i'en  lafle  dans  le 
monde ,  &  l'on  dit  dés-  Poëtes  de  pa- 
reilles pièces,  ce^qiie  Deïpréaux  dit 
du  fatyrique  Régnier. 


SBC  T  ï  O  N    XXII. 

Qaeijms  rema/pusjUr  la  Poi/t  Pafiort^ 
Sffitr  UsBa-ga-s  tUé  Eg^gues, 

JL*4  foène  des  poëmes  Biicolique* 
doit  toujoArs  être  à  la  campagne,  (In 
moins  elle  ne  doit  être  ailleurs  que 
pour  quelques  momens  :  En  voici  ^ 
Hvi 


:,-,zf--„GoOglc 


.l8o  Réfiexions  ciin^ut  • 

raifon.  L'eflence  des  Poëines  Bucol^ 
quçs  conûAe  emprunter  des  prés ,  des 
bois ,  des  arbres^ des  animaux  ,  en  un 
mot^  de  tous  les  objets  qui  parent  nos 
campagnes ,  les  métaphores  ,  les  com- 
paraitbos  &c  les  autres  £giu-es  dont  le 
flyle  de  ces  poèmes  eft  fpécialement 
formé,  n  faut  donc  fuppofer  que  les  In- 
terlocuteurs des  Poëfies  Paftorale* 
ayent  ces  objets  devant  leurs  yeux. 
iJe  fonds  de  ces  efpeces  de  tableaux 
doit  toujours ,  pour  ainfi  dire  ,  être  un 
payfage'.  Ainû  les  itâions  violentes  & 
fanguinaires  ne  içauroieat  être  Iciùjet 
d'une  Eglogue.  De^peifonnages  agités 
par  des  paffions  fiiriçufes  &  tragiques 
doivent  être  infenfibïes  aux  beautés 
rufliques.  Il  ferait  entièrement  contre 
la  vraifemblance  qu'ils  fîffent  aflez 
d'attention  filles  objets  qui  fe  préfen- 
tent  à  la  campagne  ^■pQur  eâ  tirer  leurs 
£gures.  Un  (^néral  qui  donne  udç 
bataille ,  'Ëti^il  r^eiôon.  fi  le  terrein 

Î|u*il  îù.t  occuper  par  ion  corp«  de  ré- 
erve ,  feroit  propre  pour  y  aueoirune 
inaifon  de  campagne  ?.  .. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  foit  de  l'effencft 
de  l'Ëglogue  de  ne  faire  parler  que  des 
amoureux.   Puifque  les  Bergeis  d'£-r 


:,-,zf--„GoOglc 


jfitr  la  Po'éjîe  &  fur  UFétUurt.  \%t 
gypte  &  d'Affyrie  font  les  prenùen 
Ain-onomes ,  poorquoi  ce  qui  le  trouve 
de  plus  facile  &  ae  plus  curieux  dans 
rAnronomie  ne  ieroit-it  pas  un  Aijet 
propre  pour  la  Poèûe  Bucolique  î  Hous 
avons  vu  des  Auteurs  qui  ont  traité 
cette  matière  en  forme  d'Églpgue  avec 
un  fuccès  auquel  toute  l'Europe  a  don- 
né iboapplaudifTement.Le  premier  livre 
de  ia  Pluralité  dçs  Mondes  traduite  en 
tant  de-Langues,  eft  la  meilleure  Eglo- 
gue  qu'on  nous  ait  donnée  depuis  cin- 
<{uante  ans.  Les  defcriptions  &  les 
images  que  font  fes  Interlocuteurs , 
font  très*convenabks  au  caraâere  de 
la  Poëlîe  Pailorale ,  &  il -y  a  plusieurs  ' 
de  ces  images  que  Virgile  9uroit  enw 
ployées  volontiers. 

J  ai  dit  que  les  perfoniiages  tragi- 
ques nous  intéréffent  toujours  par  le 
caraâere  de  leurs  paiHoBs  &  par  l'im- 
portance de  leurs  aventures;  mais  il 
n'en  eA  pas  de  même  des  aventures 
des  Eglc^ues  ni  de  leurs  perf(»inages; 
Ces  personnages  qui  ne  doivent  point 
être  expofës  a  de  {^ai>ds  dangers  ,  nî 
tomber-  dans  des  malheurs  véritable- 
ment- tragiques  &  capables  par  leur 
nature  de  nous  émouvoir  beaucotq) , 


:,-,zf--„GoOglc 


iit  Réfitxiom  aitîques 

veulent ,  iuivant  mon  fentîment ,  âtre 
Ciliés  d'après  ce  que  nous  voyons  dans 
notre  pays.  La  icène  des  Eglo^es , 
atnfi  que  celle  des  Comédies ,  doit  être 
placée  dans  nos  camjiagnes ,  &:  leur 
îlijet  doit  être  une  imitation  des  évé- 
nemens  qui  peuvent  y  arriver. 

Il  eA  vrai  que  nos  Bei^ers  &  nos 
Payfans  font  fi  groffiers ,  qu'on  ne  fçaic- 
roit  peindre  d'après  eux  les  perTonna- 
ges  des  Eglogues  :  mais  nos  Payfan» 
ne  font  pas  les  feuts  qui  puilTent  em- 
prunter des  agrémens  de  la  campagne 
les  fîgiu'es  de  leurs  difcours.  Un  jeu- 
ne Prince  qui  s'égare  à  la  chxffe  ,  & 
qui  feul ,  ou  bien  avec  un  confident , 
parle  de  fa  paffion ,  &  qui  emprunte 
les  images  &  fes  comparaifons  des 
lieautés  rufttques ,  eft  un  excellent  per- 
ibdnage  pour  une  I<ËUe.  La  fiâion  ne 
fe  foutient  que  par  fa  vraiiefflWance , 
&  la  vraifemblance  ne  fçaurcrit  ftU)fif- 
ter  dans  un  Oitvrage  oh  Ton  n'intro- 
duit que  des  peribnnages  dont  le  ca- 
l^âere  eft  entièrement  omo(é  au  na- 
turel que  nous  avons  tok;oars  devant 
Ks  yeux.  Airtfi  je  ne  fçautoîs  i^ptoM* 
ver  ces  porte-houlettes  doucereux  qui 
«rient  tant  de  choies  merveilleufes  ea 


:,-,zf--„GoOglc 


furU  Poêfie  &  far  la.  Pânture^  ï8j 
tendreâe  ficfubliraes  en  fadeur,  dan» 
qiielques-unes  de  nos  Egloeoes.  Ces 
prétendus. paAeurs  ne  font  point  copiés  , 
ni  même  imités  d'après  Nature ,  mais 
ils  font  des  êtres  chimériques  inventés 
â  plaiâr  par  des  Poètes  qui  ne  confnL- 
terem  jamais  que  leur  imagination 
pour  les  forger.  Ils  ne  refiemblent  ea 
rien  aux  hamtans  de  nos  campagnes  Sc 
à  nos  Bergers  d'aujourd'hui  y  malheu- 
reux Payuns  ,  occupes  uniquement  ï 
fc  procurer  par  ks  travaux  pénibles 
d'une  vie  laborienfe ,  de  quoi  fubve- 
inr  aux  befoins  les  plus  preiTans  d'une 
fitmille  toujours  indigente.  Vkpxeti  du 
cUmat  fous  ;Iequel  nous  vivons  ,  les 
rend  groffieis ,  &  les  injures  de  ce  cli^ 
mat  multiplient  encore  leurs  befoins. 
Aînfi  les  Btrgcis  langoureux  de  nos 
£gl<»gu«S  ne  fcmt  point  d'après  Nature  i 
leur  genre  dévie,  dans  lequel  ils  &)nt 
entrer  les  ptaifirs  Les  plus  délicats  en> 
tremêlés  des  foins  de  la  rie  champêtre  , 
&  furtout  de  l'attention  i  bien  âîre 
{KÛtre  leur  cher  troupeau ,  n'efi  pas  le 
genre  de  vie  -d'attcun  de  nos  conc»* 
loyens. 

Ce  n'eft  point  av6c  de  pareils  p^a»- 
tomes  qné  Virgile  &  les  autres  Poëtcs 


:,-,zf-,GoOglc 


1  §4  Klfitxions  crmqaei 

de  l'Antiquité  ont  peuplé  leurs  aima* 
blés  payfages  ;  ils  n'ont&it  qu'intro: 
duire  dans  leurs  Ëglogues  les  Bet^ers 
&  les  Payfans  de  leur  pays  Se  de  leur 
tems  un  peu  annoblis.  Les  Bergers  Se 
les  Paileurs  d'alors  étoient  libres  de 
ces  foins  qui  dévorent  les  nôtres.  La 
pliqïart  de  ces  liabitans  de  la.  camp^ 
gne  étoient  des  eTclaves  que  leurs 
maîtres  avolent  autant  d'attention  à 
bien  nourrir  >  qu'un  Laboureur  en  a 
du  moins  pour  bien  nourrir  ies  cbe* 
vaux.  Le  foin  des  etéaia  de  ces  efcla- 
-ves  regardoit  leur  maître  dont  ils  fai- 
foient  la  rîchefle.  D'autres  enfin  étoîeoc 
chargés  de  l'endiaTas  de ,  pourvoir  aux 
néceffités  de  ces  Bergers.  Auffi  tran? 
quilles  donc  fur  l'eur  fubfiflance  que  1« 
Religieux  d'une  riAe  Abbaye  ,  ils 
âvoieat  la  liberté  d'e^t  neee^^irc 
pour  fe  livrer  aux  goûts  quç  ^  dou- 
-ceur  du  cHnmt ,  dans  les  contréesqu'ils 
habitcnent,  ^foient  oaitre  en  eux. 
L'air  vif  &  prefque  toujours  ferein  de 
ces  régions  fubliÛfcnt  leur  fang ,  &  les 
•difpo^it  à  la  Muûque,  à  la  Poâle  &c 
aux  plaifirs  les  moins  grolSers.  Beaur 
-c»up  d'entre  eux.  étoient  enciore  nés  ou 
.élevés  dans  les  maifons  que  leur  maître 


:,-,zf-„GoOglc 


furlapMJit  &furlaPtîtuuTt.  'i8J 
avoit  dans  une  ville ,  &  ce  maître  ne 
leur  avoit  pas  plaint  une  éducation  tjui 
tournoit  toujours  à  fon  profit ,  foit  qu'il 
voulût  vendre  ou  garder  ces  efclâves. 
-  Aujourd'hui  même  ,  quoique  l*état  po- 
litique de  ces  contrées  n'y  kifle  point 
les  habitans  de  la  campagne  dans  la 
même  aifance  où  ils  étoient  autrefois; 
quoiqu'ils  n'y  reçoivent  plus  la  même 
éducation  ,  on  les  v<Ht  encore  néan- 
moins fenfibles  à  des  plaifirs  fort  au- 
defTus  de  la  portée  de  nos  Payfans. 
C'eA  avec  la  guitare  fur  le  dos  que  les 
Payfans  d'ime  partie  de  l'ItaUe  gardent 
leurs  troi^>eaux ,  &  qu'ils  vont  travail- 
ler à  la  culture  de  la  terre  :  ils  fçavent 
encore  chanter  leurs  amoiurs  dans  des 
vers  qu'ils  compofent  fiu-  le  champ, 
&  qu'ils  acconwagnent  du  fon  de  leurs 
inllrumens.  Us  les  touchent  ^  £nonavec 
délicatelTe',  du  moins  avec  alTez  de 
juilefîe  i  c'eft  ce  qui  s''appelle  improvi- 
fir.  Vida  Evêque  d'Alba  dans  le  fei- 
»éme  fiécle  ,  &  Poëte  fî  connu  par 
l'élégance  de  fes  vers  Latins ,  nous  dé- 
peint les  Payfans  (es  compatriotes  Se 
les  contemporains ,  tels  à  peu  près  que 
ceux  fur  lefquels  il  dit  que  Virgile  avoit 
moulé  lesperfonnages  oc  fesÉglogues. 


.,-,zf-,Googlc 


X86  Réfiexiom  critiqua 

Çim  triâm  agrvelai  ta  f4a£  KBU  rehftai 
Ean^t  iian  iMtt  fyri ,  éammiatpnants 
Incifiam  riies ,  fiâtmia^t  aticrà  nntran 
Fitet  bihunt  1  riifflTfiK,  fiait Jùi%caâbm,  api.  (  a  ) 

Quoique  nos  Payfans  foicM  infini- 
ment plus  grolEers  que  ceux  6.e  la  Si- 
cile &c  d'une  partie  du  Royaume  de 
Naples  ;  quoiqu'ils  ne  connoiflent  ni 
vers  là  guitare  ,  nos  Poètes  font  néan- 
moins de  leurs  Berocrs  des  chantres 
pluE  fçavans  &  [^us  ^licats ,  ils  en  font 
des  perffHmages  bien  plus  iid»tils  en 
tendrefle  que  ceux  de  Gallus  &  de  Vir- 
gile. Nos  galans  porte4ioulettes  font 
paîtris  de  métaj^yhque  amoureufe  ;  ils 
ne  parlent  d'autre  cnofe ,  &  les  moins 
délicats  fe  montrent  capables  de  faire 
im  commentaire  fur  l'Art  qu'Ovide 
profeffoit  à  Rome  fous  AiWfte.  Plu- 
sieurs de  nos  chanfons  feites  U  y  a 
quatre-vingt  ans  ,  &  quand  le  goût 
dont  je  parle  ici ,  regnoit  avec  (rfus 
d'empire  ,  font  infeûées  des  mêmes 
niaiferies.  S'il  en  eil:  quelques  unesoîi 
la  pâflîon  parle  tonte  pure  ,  &  dont 
les  Auteurs  n'invoquèrent  Appollon 
que  pour  trouver  la  rime,  combieu 

(•)  fttt,  Ui,  I,  V.  »•. 


:,-,zf--„GoOglc 


furlaPoift&furlaPdttture.  1S7 
d'autres  font  remplies  d'un  amour  fo- 
phiilîquéqui  ne  refTemble  en  rien  à  ta 
Nature  î  Les  Auteurs  de  ces  chanfons, 
en  voulant  feindre  des  fentimens  qui 
n'étoient  pas  les  leurs  ,  ni  peut-être 
ceux  de  leur  âge ,  fe  font  encore  méta- 
moTphofés  en  Bergers  imaginaires  dans 
leurs  froids  délires.  On  fent  dans  tous 
leurs  vers  un  Poëte  plus  glacé  qa*un 
vieil  Eunuque. 


SECTION    XXIIL 

Quelques  remarques  fur  le  Poème  Epique^ 
OB/iryation  toucham  le  lieu  &  le  ttms 
où  il  faut  prendre  Jbnfujtt. 

U  N  Poëme  Epique  étant  l'ouvrajge 
le  plus  diffitnle  que  la  Poë&e  Françoife 
puifle  entreprendre ,  à  caufe  des  rai- 
ions  que  nous  expoferons  en  parlant 
xlu  génie  de  notre  langue  &  de  la 
mefure  de  nos  vers  ,  il  importeroit 
beaucoup  au  Poëte  qui  oferoît  en  corn- 
pofer  un ,  de  choifu-  lui  fujet  oii  l'in- 
térêt général  fe  trouvât  réuni  avec  l'in- 
térêt particulier.  Qu'il  n*efp«e  pas  d* 


.,..-,Coo.tlc 


lS8  Réjlixîons  erîtîqat» 

réuflir ,  s'il  n'entretient  point  lésFratr- 
çois  des  Keux  fameux  dans  leur  hîftoi- 
re ,  &  s'il  ne  leur  parle  point  des  per- 
fonnages  &  des  événemens  aufejueU  ib 
prennent  déjà  lin  intérêt ,  s'il  eft  per- 
mis de  parler  ainfi,  national.  Tous  les 
endroits  de  l'Hiftoire  de  France  qui 
font  mémorables ,  ne  nous  intérëfleot 

■pa?  même  également.  Nous  ne  pre- 
nons im  grand  intérêt  qu'à  ceux  dont 
la  mémoire  eA  encore  aflez  récente. 
tes  autres  font  prefque  devenus  pota 
nous  les  événemens  d'une  Hlitoire 
étrangère,  d'autant  plus  que  nous  n*a> 
vons  pas  le  foin  de  perpétuer  le  fou- 
venir  des  joursheureux  a  laNation  par 
des  fêtes  &  pardesjeuxanniverfaires, 
ni  celui  d*étemifer  la  mémoire  de  nos 
Héros,  ainfi  que  le  pratiquoient  les 
Grecs  &  les  Romains.  Combien  peu  y 
en  a-t'il  parmi  nous  qui  s'afiëûionnent 
aux  événemens  arrives  fous  Clovis  & 

"fous  la"  première  race  de  nos  Rois  î 
Pour  rencontrer  dans  notre  Hiftoire 
un  fiijet  qni  nous  intéreffe  vivement, 

■je  ne  crois  pas  qu'il  fallût  remonter 
plus  haut  que  Charles  VII. 

Il  efi  vrai  que  les  railbns  que  nous 
avons  alléguéçs  pour  montrer  qu'on 


:,-,zf-,CoOJilc 


fur  la  Poeft  &Jur  la  Peî^turt.  1 89 
ne  ttevoit  point  prendre  une  zùion 
trop  récente  pour  le  fujet  d'une  Tra- 
gédie ,  prouvent  aufli  qu'une  aftion 
trop  récente  ne  doit  pas  être  le  fiijet 
d'un  Poème  Epique.  Que  le  Poète 
(hoififfe  donc  Ton  fujet  en  des  tems. 
qui  foient  i  une  diftancc  convenable, 
<le  fonfiécle,  c'eft-à-dire ,  en  des  tems 
que  nom  n'ayons  pas  encore  perdus 
de  vue.,  &C  qui  {bieot  cependant  alTez 
éloignés  de  nous,  pour  qu'il  puifle  don- 
ner aux  car^âeres  là  nobleue  néçeâaî-p 
Te  ,  Ùlos  qu'elle  ibit  expofée  à  être  dé- 
mentie par  une  tradition  encore  trop 
léccnte  &  trop  commune. 
Quand  bie;i  même  il  ferolt  vrai  que  no$ 
mœurs,  nos  combats,nos  fiBtes,nos  céré- 
monies &  notre  Religion  ne  foiimîroient 
point  aiix  Poètes  une  matière  auffi  heu- 
retïfe  que  celle  que  fourniflbit  à  Virgile 
te  fujct  qu'il  a  trïité  ,  il  ne  feroit  pas 
jmoins  neceflaire  d'emprunter  de  notrç. 
Hiftoire  les  fujets  des  poëntes  Epiques, 
Ce  feroit  un  inconvénient ,  mais  iJ  en 
épargneroit  un  plus  grand  ,  le  défaut 
<f  intérêt  particulier.  Mais  la  diofe  n'cft 
pas  ainfi.  La  pompe  d'un  carroufel  &  Iqs 
évenemens  d'un  tournois  font  des  fu" 
jets  plii»  n»agnifiqups  pweuï-mêniçs 


:,-,zf--„GoOgtc 


1^0  Réflexions  erîtïqtus   '  ^ 

que  les  jeux  qui  Te  firent  au  tombeau 
d*Anchiie  ,  fie  dont  Virgile  Tçait  f^ire 
un  fpeâacle  fi  fuperbe.  Quelles  pein- 
tures ce  Poète  n'auroit-il  pas  iàites  des 
effets  de  la  poudre  à  canon  dans  les 
«afférentes  op^ations  de  guert<e  donc 
elleeftle  reflbrt?  Les  miracles  de  no- 
tre Religion  ont  un  merveilleux  qui 
n'eft  pas  dans  les  fables  du  Paganifme. 
Qu'on  voie  avec  quel  fuccès  Corneil- 
le les  a  traités  dans  Polieuâe  ,  &  Ra- 
cine dans  Athalie.  Si  l'on  reprend  San- 
nazar  ,  l'Ariofte  &  d'autres  Poètes  , 
d'avoir  mêlé  mal-à-propos  la  Religion 
Chrétienne  dans  leurs  Poëmes ,  c'eft 
qu'ils  n*en  ont  point  parlé  avec  la  di- 
gnité &  la  décence  qu'elle  exige  ;  c'eft 
qu'ils  ont  allié  les  faoles  du  PaganiOne 
aux  vérités  de  notre  Religion.  C'eft 
qu'ils  font ,  comme  dit  Defpréaux  , 
follement  idolâtres  en  des  fujets  chré- 
tiens. On  les  blâme  de  n'avoir  pas 
fenti  qu'il  étpit  contre  la  raifon ,  pour 
ne  rien  dire  de  plus  fort,  de  fe  per- 
mettre en  parlant  de  notre  Religion , 
la  même  liberté  que  Virgile  pouvoit 
prendre  ,.  en  parlant  de  la  fienne.  Que 
ceux  qui  ne  voudroient  pas  faire  le 
choix  du  fujet  d'un  Poëme  Epique, 


...Xooyic 


]ur  la.  Poifit  &fur  la.  Ptinture,  191 
tel  que  je  le  propofe ,  allèguent  donc 
leur  véntable  excufe  :  c*eft  que  le  fe- 
coius  de  la  Poëiie  des  Anciens  leur 
étant  néceiTaire ,  pourrendre  leur  ver- 
ve féconde  ,  ils  aiment  mieux  traiter 
les  mêmes  fiijets  que  les  Poètes  Grecs 
Se  les  ?oëtes  Latins  ont  traités ,  que 
desfujets  modernes  oh  ils  ne  pour- 
roient  pas  s'aider  auffi  facilement  de 
la  Poelie ,  du  ftyle  &  de  l'invention 
des  premiers.  Nous  dirons  encore 
quelque  choie  dans  la  fuite  fur  ce 
tujet-là. 


SECTION     XVIII. 

Hts  aSiora  alUffuiqius  &  Jtsperfonnagts 
^gotiques  par  rapport  â  la  Peinture. 

-iNoTBE  matière  nous  conduit  na- 
turellement à  traiter  ici  des  compofi- 
tions  &  des  perfonnages  allégoriques  , 
foitenPoëfie,  foit  en  Peinture.  Par- 
lons d'abord  des  Allégories  Pittoref- 

La  compofition:  allégorique  eft  de 
àwtx  efpeces.  Ûh  le  Peintre  iittroduâ 


:,-,zf--„GoOglc 


ïgl  RiJltxloTis  crit'iqaes 

des  perfonnages  allégoriques  dans  une- 
compoiltion  hiftorîque  ,  c'eft-à-dire  , 
dans  la  repréfenlation  d'une  aâîon 
qu'on  croit  être  arrivée  réellement  , 
comme  eft  le  iacrifîce  d'Iphigénie  ,  & 
c'eA  ce  qu'on  appelle  iaSxt  une  com- 
pofition  mixte  :  Ou  le  Peintre  imagine 
ce  qu'on  appelle  une  compofition  pu- 
rement alÉgorique  ,  c'eft-à-dire  ,  qu'il 
Mivente  une  aâion  qu'on  f^ait  bien 
n'être  jafnais  arrivée  réellement ,  mais 
de  laquelle  il  fe  fert  comme  d'une 
emblème,  pour  exprimer  un  événe- 
ment véritable.  Avant  que  de  nous 
itendre  davantage  far  ce  fu)«,  par- 
lons des  perfonnages  allégoriques. 

Les  perfomiages  allégoriques  font 
des  êtres  qui  n  exiflent  point ,  mais 
tu^G  l'imagination  des  Peintres  a  con- 
çus ,  &.  qutelle  .a  enfantés  en  leur 
donnant  un  nom ,  un  corps  &  des  at- 
tributs. C'eft  ainli  que  les  Peintres 
,  ont  perfonnifié  les  vertus,  les  vices, 
les  royaumes ,  les  provîhces ,  les  villes, 
les  fatfofls ,  les  pallions ^  les  vents, Se 
les  fleuves.  La  France  repréfentée  fous 
une  figure  de  femme  ;  le  Tibre  repré- 
ienléfous  xme  figuire  d*homme  couché; 
&  la  Calopinie  fous  ime  Jîgure  .de 
Satyre, 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poèfie  &  fur  la  Peinture.  19) 
Satyre ,  font  des  perfonoagcs  allégo- 
riques. 

Ces  perfonnages  allégoriques  font  de 
deux  efpeces.  Les  uns  font  nés  depuis 
plufieurs  années.  Depuis  longtems  ils 
ont  feit  fortune.  Us  fe  font  montrés 
fur  tant  de  théâtres ,  que  tout  homme 
un  peu  lettré  les  reconnoît  d'abord  à 
leurs  attributs.  La  France  repréfentëe 
par  une  femme,  la  couronne  fermée  en 
tête ,  le  fceptre  à  la  main ,  &  couverte 
d'un  manteau  bleu  femé  de  fleurs  de 
lys  d'or  :  le  Tibre  reprélénté  par  une 
figure  d'homme  couché,  ayant  à  fe» 
pieds  une  Louve  qui  allaite  deux  en- 
fans  »  font  des  perfonnages  allégoriques 
inventés  depuis  longtems ,  &  que  tout 
le  monde  reconnoît  pource  qu'îlsfont. 
Us  ont  acquis  ,  pour  ainii  dire ,  droit  dt 
bourgeoijîe  parmi  le  genre  humain.  Les 
perfonnages  allégoriquesmodemesfont 
ceux  que  les  Pemtres  ont  inventés  de- 
puis peu,  &  qu'ils  inventent  encore,; 
poiu*  exprimer  leiu-£*idées.  Ils  les  ca-^ 
raftérifent  à  leur  mode ,  &  ils  ■  leur 
donnent  les  attributs  qu'ils  croyent  les 
plus  propres  à  les  faire  j-econnoître. 

Je  ne  parlerai  que  des  perfonnages  al- 
légoriques de  la  première  efpece  ,.c'eft- 

Tvme  I,  I 


:,-,zf--„GoOglc 


'1 94  Rijîexions  er'uîques 

à-dÏFâ ,  des  aînës  ou  des  anciens.  Leurs 
cadets  ,  qui  depuis  une  centaine  d'an- 
nées font  fortis  du  cerveau  des  Pein» 
très ,  font  des  inconnus  &  des  gens  fans' 
aveu ,  qui  ne  méritent  pas  qu'on  en 
fàfle  aucune  mention.  Us  font  des  chi& 
fres  dont  perfonne  n'a  la  clef,  &  même 
peu  de  gens  la  cherchent.  Jemecontea< 
terai  donc  de  dire  à  leur  fujet  que  rin*> 
venteux  fait  ordinairement  un  mauvais 
ufage  de  fon  efprit ,  quand  il  l'occupe 
à  donner  le  jour  à  de  pareils  êtres.  I*es 
Peintres  qui  paflent  aujourd'hui  pour 
fivoir  été  les  plus  grands  Poètes  en 
peinture  ,  ne  font  pas  ceux  qui  ont  mis 
au  monde  le  plus  grand  nombre  de 
perfonnages  allégoriques.  Il  eftvtai 
que  Raphaël- en  a  produit  de  cette  efr» 
pece  ;  mais  ce  Peintre  fi  fage  ne  les 
employé  que  dans  les  ornemens  qui  feri- 
vent  oe  bordure  ou  de  foutien  à  fes 
tableaux  dans  l'appartement  de  la  (i-, 
gnature.  Il  a  même  pris  la  précaution 
d'écrire  le  nom  de  ces  perfonnages  ali' 
légoriques  fous  leur  figure.  (<i)  Quoi- 
que Raphaël  ftit  très-capable  de  les 
|'e^dre  reconnoi0ables  ,  néanmoins  on 

(«)  Cm  f^uns  alUgori^uti  ont  iii  ^ravUs  par  Ç, 


:,-,zf--„GoOglc 


Jhr ia.  Po'èfie  &fur  la  Peinture.  195 
ne  trouve  pas  que  cette  précaution  Ibit 
knitile ,  &  l'on  fouhaite  même  quel- 
quefois qu'il  l'eût  poufTée  jurques  à 
nous  donner  une  explication  des  Tym- 
boles  dont  il  les  orne.  Car  bien  que 
rinfcriptïon  apprenne  leur  nom  ,  on  a 
encore  beaucoup  de  peine  à  deviner  la 
valeur  &  le  mérite  de  tous  les  attributs 
emblématiques  dont  ils  font  ornés. 

Revenons  aux  perfonnages  allégo- 
riques anciens ,  &  voyons  l'ufage  qu'il 
eit  permis  d'en  faire  dans  les  compo* 
Étions  hiftoriques.  Le  fentîment  des 
perfonnes  habiles  eft ,  que  les  perfon- 
nages allégoriques  n'y  doivent  être  in- 
troduits qu'avec  une  grande  difcrétion, 
puifque  ces  compofitions  font  deftinées 
a  repréfenter  un  événemem  arrivé 
réellement ,  &c  dépeint  comme  on  croît 
qu'il  eft  arrivé.Ils  n'y  doivent  même  en- 
trer dans  les  occaiions  oùPon  peut  les  in- 
troduire ,  que  comme  l'écu  des  armes 
ou  les  attributs  des  perfonnages  prin- 
cipaux ,  qui  font  des  perfonnages  hifto- 
riques.  C'eft  ainfî  qu'Harpocrate  ,  le 
Dieu  du  fdence ,  ou  Minerve ,  peuvent 
être  placés  à  côté  d'un  Prince  pour  dé- 
signer fa  difcrétion  &  fa  prudence.  Je 
ne  penfe  pas  que  les  perfonnages  iUlé<) 


Coo.tlc 


rçâ  Réfiexlons  critiques 

goriques  y  doivent  être  eux-mêmes  des 
adeurs  principaux.  Des  perfoimagés 
que  nous  connoîflbns  poiir  des  phan- 
tômes  imaginés  à  plailir ,  à  qui  nous 
ne  fçaurions  prêter  des  palHons  pareilles 
aux  nQtries ,  ne  [>euvent  pas  nous  inté- 
reffer  beaucoup  à  ce  qui  leur  arrive. 

D'ailleurs ,  la  vraifemblaace  ne  peut 
être  obfervée  tropexaûement en Pein- . 
ture  non  plus  qu'en  Poëfie.  C'eft  à  pro- 
portion de  l'exaÛitude  de  la.  vraifem- 
blance  que  nous  nous  laiflbns  féduirc 
plus  ou  moins  par  l'imitation.  Or  des 
perfonnages  allégoriques  employés 
comme  aâçurs  dans  une  compofîtioo 
hiftorique ,  doivent  en  altérer  la  vrai- 
femblance.  Le  tableau  de  la  gallerie 
du  Luxembourg  qui  représente  l'arri- 
vée de  Marie  de  Médicis  à  Marfeille  , 
eft  une compofition hiftorique.  LePeirj- 
tre  a  voulu  représenter  Tévenement  fui- 
vant  la  vérité.  La  Reine  aborde  fur  les 
galères  de  Tofcane.  On  reconnoît  les 
Seigneurs  &(.  les  femmes  de  condition 
qui  l'accompagnèrent  ou  qui  la  reçu-i 
rent.  Ainfi  les  Néréides  &  les  Tritons 
fonnant  de  leurs  w^jbm,  que  Rubens 
a  placés  dans  le  port ,  pour  exprimer 
J'gllégrefle  avec  laquelle  cette  Viljç 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poefit  &  fur  la  Peinture.  1 97 
maritime  reÇoil  ia  nouvelle  Reine ,  ne 
font  point  un  bon  effet ,  fiiivant  mon 
fentiment.  Je  fçai  bien  qu'il  ne  parut 
aucune  des  divinités  de  la  mer  à  cette 
cérémonie ,  &  cette  efpece  de  men- 
songe détruit  une  partie  de  Tefièt  que 
l'inùtation  faifoit  fur  moi.  Je  trouve 

3ue  Rubens  auroit  dû  embellirfon  port 
'ornemens  plus  compatibles  avec  la 
vraifemblance.  Que  ■  les  chofes  que 
vous  inventez  pour  rendre  votre  fujet 
plus  capable  de  plaire ,  ibiènt  compa- 
tibles avec  ce  qui  eft  de  vrai  dans  ce 
fujet.  Le  Poëte  ne  doit  pas  exiger  du 
ipeâateur  une  foi  aveugle ,  &  qui  fe 
foumette  à  tout.  Voilà  comme  parle 
Horace,  (a) 

FiSa ,  volupuiîi  ceu^i ,  Jtra  proxîma  nrSi , 
Ntc  quoicumjue  roUc ,  pqfiat fibi  fabaU  crtli. 

Je  fuis  encore  perfuadé  que  le  ma- 
gnifique tableau  qui  repréfente  l'accou- 
chement de  Marie  de  Médicis ,  plairoit 
davantage  ,  fi  Rubens  ,  au  lieu  du  Gé- 
nie 8e  des  autres  figures  allégoriques 
qui  entrent  dans  l'action  du  tableau,  y, 
avoit  Élit  paroître  celles  des  femmes 
de  ce  tems-là  qui  pouvoient  afTiftex 

{•)  De  Ant  piît, 

liij 


:,-,zf--„GoOglc 


toS  Réjlexîotts  er'uîqtus 

axix  couches  de  la  Reine.  On  le  regar- 
deroit  avec  plus  de  fatis&âion  ,  fi  Ru- 
bens  avoit  exercé  fa  Poëfie  à  repré- 
fenter  les  unes  contentes ,  les  autres 
tranfportées  de  joie,  quelques-unes  fen- 
fibles  aux  douleurs  de  la  Reine,  & 
d'autres  un  peu  mortifiées  de  vcùr  un 
Dauphin  en  France.  Les  Peintres  font 
Foëtes ,  mais  leur  Poëûe  ne  confiâe 
pas  tant  à  inventer  des  chimères  ou  des 
jeux  d'efprit ,  qu*àbien  imaginer  quelles 
paffions  &  quels  fenùmens  Ton  doit 
donner  aux  perfonnages,  iiiivant  leur 
caraâere  &  la  fituation  oîi  l'on  les  fup- 
pofe ,  comme  à  trouver  les  expreffions 
propres  à  rendre  ces  palSons  fenUbtes, 
&  à  faire  deviner  ces  fentimens.  Je  ne 
me  fouviens  pas  que  Raphaël  ni  le 
Pouffin  ayent  jamais  fait  Tufage  vicieux 
des  perfonnages  allégoriques  que  j'ofe 
cntiquer  dans  le  tableau  de  Rubens. 
■  Mais ,  me  dira-t-On ,  les  Peintres  <Mit 
£té  de  tout  tems  en  poâeffion  dépein- 
dre des  Tritons  &  des  Nérâdes  dans 
leurs  tableaux ,  quoiqu'on  n'en  ait  ja^ 
mais  vu  dans  la  nature  : 

'Ç,iiUUla  aaitadi  fmptr  fitit  cgiu  pù^m. 


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Jurta  Poéjît  &fur  là  Peinture',  tç^ 
Pourquoi  donc  rwireiidre  Rubens  de 
les  avoir  introduits  dans  le  tableau  qui 
repréfeme  l'arrivée  de  Marie  de  Médi- 
cis  à  MaHeille  ?  Le  nud  de  ces  Divinités 
lait  un  eSet  merveilleux  dans  la  com- 

Ïiofition ,  parmi  tant  de  iîgures  habil- 
ées  que  l'niftoire  obligeoit  d'y  mettre.' 
Je  réponds  que  cette  licence  donnée 
axix  Peintres  &  aux  Poètes ,  doit  s'en- 
tendre ,  comme  Horace  l'explique  lui- 
même  ,  fid  non  ut  placidis  cotant  immi'i 
lia.  C*eft-à-dire ,  que  cette  licence  ne 
s'étend  point  à  rauembler  en  un  même 
tableau  des  chofes  incompatibles ,  com- 
me font  l'arrivée  de  Marie  de  Mé^cis 
à  Marfeille ,  &  des  Tritons  qui  fon- 
nent  de  leurs  conques  dans  le  port,  Ma- 
rie de  Médicis  n'a  jamais  dû  fe  rencon- 
trer en  un  même  lieu  avec  des  Tritons,' 
quand  bien  même  on  lupporeroit  un 
Uttt  PittoTtfqmy  comme  Monfieur  Cor-' 
neille  vouloit  qu'on  fupposât  un  Heu 
théâtral.  Si  Rubens  avOit  befoin  de  fi- 
gures nues  pour  faire  valoir  fon  def- 
îein  6c  fon  coloris,  il  pouvoit  intro- 
duire dans  fon  tableau  des  Forçats  ai- 
dans  au  débarquement ,  &  les  mettre 
en  telle  attitude  qu'il  aiiroit  voulu. 
Ce  n'eft  point  que  je  dîfpute  aux 
liv 


■„r., Google 


100  Kéfiexions  trinques 

Peintres  le  droit  qui  leur  eft  acquis  de 
peindre  des  Sirènes ,  des  Tritons  ,  des 
Néréides  ,  des  Faunes  &  toutes  les  di- 
vinités fabuleufes  ,  nobles  chimères 
dont  L'imagination  des  Poètes  peupla 
les  eaux  &  tes  forêts,  &  enrichit  toute 
la  Nature.  Ma  critique  n'eft  point  fon- 
dée i'ur  ce  qu'il  n'y  eut  jamais  de  Si- 
rènes &  de  Néréides ,  mais  fur  ce  qu'il 
n'y  en  avoit  plus ,  pour  aînii  dire  , 
dans  les  tems  où  arriva  l'événement 
qui  donne  lieu  à  cette  difcuffion.  le 
tomberai  d'accord  qu'il  eft  des  compo- 
rtions hiûoriques  où  les  Sirènes  &  les 
Tritons,  comme  les  autres  Divinités 
iabuleufes  ,  peuvent  avoir  part  à  une 
aûion.  Ce  iont  les  compoûtions  qui 
repréfentent  des  événemens  arrivés 
durant  le  Paganiline ,  &  quand  le  mon- 
de croyoit  que  ces  Divinités  exiftoient 
réellement.  Mais  ces  mêmes  Divinités 
ne  doivent  pas  avoir  part  à  l'aâion 
dans  les  compoûtions  ntftoriques  qui 
reçréientent  des  événemens  arrivés  de- 
puis l'extinâion  du  Paganiline ,  &  dans 
des  tems  oii  elles  avoient  déjà  perdu 
Tefpece  dVfre,  que  l'opinion  vulgaire 
leur  avoit  donnée  en  d'autres  fiecles. 
£lles  ne  peuvent  être  introduites  dans 


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'far  la I^o'èjît  ùJurlaPeinturt.  loi 
fees  dernières  compofitions  qiie  comme 
des  fîgures  allégoriques  &  des  fym- 
boles.  Or  ;lous  avons  déjà  vu  que  les 
perfonnagâs  allégoriques  ne  doivent 
entrer  dans  les  compofitions  hiftori- 
ques ,  que  comme  des  perfomiages 
hiiloriques. 

Le  Tpeâateur  fe  prête  lans  peine  à  la 
croyance  qui  avoit  cours  dans  leS  tems 
où  ï'événement  que  le  Peintre  &  le 
Poëte  repréfentent ,  eft  arrivé.  Ainfi  je 
regarde  Iris  comme  unperfonnagehif- 
torique  dans  la  tepréfentation  de  la 
mort  de  Didon.  Venus  &  Vulcain  font 
des  perfonnages  hiiloriques  dans  la 
vie  d'Enée.  Nous  Ibmmes  en  habitude 
de  nous  prêter  à  la  fuppoittion  que  ces 
divinités  ayent  exiue  véritablement 
dans  ces  tems-là  ,  parce  que  les  hom- 
mes croyoieDt  alors  Texiitence  de  ces 
I>ivinites.  Le  Peintre  qui  repréfente 
les  aventures  d'un .  Héros  Grec  ou  Ro- 
main, peut  donc  y  faire  intervenir 
toutes  les  Divinités  comme  des  per- 
ibnnages  principaux.  Il  peut  à  fon  gré 
embellir  les  compofitions  avec  les  Tri- 
tons &  les  Sirènes.  Il  ne  fait  rien  con- 
tre fon  lyAême.  Je  l'ai  déjà  dit,  les 
livres  qui  firent  Toccupation  de  notre 


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lOt  Kifixwns  erùt^ia 

JeunelTe  y  la  vraifemblance  qu*on  trotes 
ve  à  voir  un  Héros  iecouru  par  ks 
Dieux  qu'il  adoroit,  nous  mettent  t«  ^ 
difpoiition  de  nous  prêter  fans  aucune 
|>eine  4  la  fiftion.  A  force  d*entendre 
parler  durant  notre  enfance  des  amours 
de  Jupiter  &  des  paflions  des  autres 
Dieux ,  nous  fommes  en  habitude  de 
les  regarder  comme  des  êtres  qui  an- 
Toient  autrefois  exifté  ,  ét^nt  mjets  à 
des  pallions  du  même  genre  que  les 
nôtres.  Quand  nous  Ufons  liiiftoire 
de  la  bataille  de  Pharfale ,  ce  n'eft  que 
par  réflexion  que  nous  difHnguons  le 
genre  d'exiftence  que  Jupiter  foxt- 
droyant  avoit  dans  ces  tems-là  ,  d'avec 
le  genre'  d'exiftence  de  Céfar  &  de 
Pompée. 

Mais  ces  Divinités  changent  de  na- 
turc ,  pour  ainfi  dire  ,  &  deviennent 
desperfonnages  pin^ment  all^oriques 
dans  la  repréfentation  des  évenemens 
arrivés  en  un  fiécle  oii  le  fyflême  du 
Paganifme  n'avoit  plus  cours.  Quand 
on  les  introduit  dans  ces  évenemens 
comme  des  perfonnages  véritables ,  je 
les  comparerois  volontiers  à  ces  Saints  , 
les  Patrons  de  ceux  qui  feifoient  pein- 
dre des  fujets  de  dévotion,  &  que  les 


:,-,zf--„GoOglc 


fuT  U  Potju&fur  la  Peinture^  lo  J 
Peintres  plaçoient  autrefois  danis  de» 
tableaux  plus  dévots  que  fenfés ,  fans 
égard  pour  la  chronologie ,  ni  pour  la 
vraifemblance.  On  y  voyoit  faint  Jé- 
TÔme  préfent  à  la  Cène ,  &  làint  Fran- 
çois alEâer  au  Cniciiîment.  Cet  ufage 
vicieux  eft  relégué  depuis  longtents 
dans  les  tableaux  de  village. 

Après  avoir  difcouru  des  perfonna- 
ges  allégoii^ques  ,  il  convient  de  re- 
tourner aux  compoûtioRs  allégoriques. 
Une  telle  compofition  eft  la  repréfen- 
tatioa  d'une  aâion  qui  n'arriva  jamais  , 
&  que  le  Peintre  invente  à  plalfu-, 
pour  repréfenter  un  ou  plufieurs  évé- 
nemens  merveilleux  ,  cpi'il  ne  veut 
point  traiter  ,  en  s'affujettilTant  à  la 
vérité  hiftorique.  Les  Peintres  font 
fervir  encore  ces  compofîtions  à  peu 
près  au  même  ufage  que  les. Egyptien» 
ençloyoient  leurs  figiues  HiérogUphi- 
ques ,  c'eft-à-dire ,  poiu-  mettre  fenfi- 
blement  fous  nos  yeux  quelque  vérité 
générale  de  la  Morale. 

Les  compofîtions  allégoriques  font 
de  deux  espèces  ;  les  unes  font  pure- 
ment allégoriques ,  parce  qu'il  n'entre 
dans  leur  compoUtton  que  de  ces  per' 
fonnages  fymboliques  éclos  du  cerveau 


:,-,zf--„GoOglc 


104  RéjUxlons  critiques 

Jes  Peintres  Se  des  Poètes.  De  ce  gen^ 
re  font  deux  tableaux  du  Corrége 
peints  en  détrempe  ,  &c  qu'on  peut 
voirdansle  cabinet  du  Roi.Dans  l'un, 
le  Peintre  a  repréfenté  ITiomme  tyran- 
nile  par  les  pâmons  ;  &  dans  l'autre ,  il 
cxpnme  dune  manière  fymbolique 
l'empire  de  la  vertu  fur  les  paffions. 
Les  compoiitions  allégoriques  de  la 
féconde  efpece  ,  font  celles  oîi  le  Pein- 
tre mêle  des  perfonnages  hiftoriques 
avec  les  penonnages  allégoriques. 
Ainfi  rapothéofe  de  Henri  iV,  &  l'a- 
vénement  de  Marie  de  Médicis  à  la 
Régence  ,  repréfentés  dans  le  tableau 
qui  eft  au  fonds  de  la  gallerie  du  Lu- 
xembourg ,  font  une  compofition  mix- 
te. L*aâîon  du  tableau  eft  feinte  ,  mais 
!e  Peintre  introduit  dans  cette  aÛion 
qui  eft  le  type  de  l'Arrêt  du  Parlement , 

far  lequel  la  Régence  flit  déférée  à  la 
-eine ,  Henri  IV  &  plufieurs  autres 
perfonnages  hiftoriques. 

U  eft  rare  que  les  Peintres  réuffiffent 
'dans  les  compofilions  purement  allé- 
goriques ,  parce  qu'il  eft  prefque  im- 
poflîble  que  dans  les  comporitions  de 
ce  genre,  ils  puiffent  faire  connoître 
diftiB^ement  leur  fujet ,  &  mettre  tou- 


:,-,zf--„GoOglc 


ftulaPoeJît&furUPeîiUttrt.  lOJ 
tes  leurs  Idées  à  ponëe  des  ipeâateurs 
les  plus  intelligens.  Encore  moins  peu> 
vent-ils  toucher  le  cœur ,  peu  difpofé  à 
s'attendrir  pour  des  perfonnages  chimé- 
riques ,  en  quelque  iituatîort  qu'on  les 
repréfente.  La  compofition  purement 
allégorique  ne  devroit  donc  être  mife 
en  oeuvre  que  dans  une  néceflîté  ur- 
gente ,  &  pour  tirer  le  Peintre  d'un 
embarras  dont  il  ne  pourroit  fortir  par 
la  route  ordinaire.  Il  nefçauroit  entrer 
dans  cette  compofition  qu'un  petit 
nombre  de  figures ,  &  les  figures  ne 
fçauroient  être  trop  feciles  à  recon- 
noître.  Si  l'on  ne  l'entend  pas  aifément , 
on  la  laiffe  comme  un  vain  galimatias. 
Il  eft  des  galimatias  en  Peinture  auffî- 
bien  qu'en  Poefie. 

Je  ne  me  fouviens  que  d'une  feule 
compofition  piurement  allégorique  qui 
putffe  être  citée  comme  un  modèle ,  &: 
que  le  Pouflîn  &  Raphaël  vouluflent 
avoir  faite.  Je  juge  ici  de  leurs  fcnti- 
mens  par  leurs  ouvrages.  Il  eft  vrai 
qu'il  paroît  impoffible  d'imaginer  en  ce 
genre  rien  de  meilleur  que  cette  idée 
dégante  par  fa  iimplîcité  ,  &  fublime 
par  fa  convenance  avec  le  lieu  ofi 
elle  devoit  être  placée.  Auffi  fîit-elle^. 


:,-,zf--„GoOgk 


lOâ  Rifitxîom  erlàquti 

la  produûion  du  Prince  de  Condé  le 
dernier  mort ,  (-ï)  je  ne  dirai  pas  le 
Prince ,  mais  l'homme  de  fon  tems  aé 
avec  la  conception  la  plus  vive  &  l'i- 
magination la  plus  brillante. 

Le  Prince  dont  je  parle ,  feifoît  pein- 
dre dans  la  gallerie  de  Chantilly  l'hii^ 
toire  de  fon  père  connu  vulgàrement 
en  Europe  fous  le  nom  du  Grand 
Condé.  Il  fe  rencontroit  un  inconvé- 
nient dans  l'exécution  du  projet-  l£ 
Héros ,  durant  fa  jeunefle ,  s  étoit  trou- 
vé lié  d'intérêt  avec  les  ennemis  de 
l'Etat ,  &  il  avoit  fait  une  partie  de  fes 
belles  aftions ,  quand  il  ne  portoit  pas 
les  armes  pour  fa  patrie.  Il  fend>Ioit 
donc  qu'on  ne  dût  point  faire  parade 
de  ces  faits  d'armes  dans  la  gallerie  de 
Chantilly.  Mais  d'un  autre  côté ,  quel- 
ques-unes de  CQS  aâions  ,  comme  le 
fecours  de  CanÂrai  ,  &  la  retraite  de 
devant  Arras  ,  étoient  fi  brillantes  quTl 
de  voit  être  bien  mortifiant  pour  un  fils 
amoureux  de  la  gloire  de  fon  père, 
de  les  fupprimer  dans  l'efpece  de  tern- 
ie qu'il  élevoit  à  la  mémoire  de  ce 
Héros.  Les  Anciens  enflent  dit  que  la 
piété  l'avoit  infpiré  ,  &  que  c'étoit  elle 


:,-,zf--„GoOglc 


JurtdPoife  é'furîaPùmurt.  107 
^lli  lui  avoit  fuggeré  le  moyen  d*^er* 
niier  le  fouvenir  de  ces  grandes  aâions  , 
en  ténvngnant  qu'il  le  vouloit  éteindre. 
il  fît  donc  delTiner  la  Mule  de  rHiâoi* 
re^perfonnage  allégorique  »  mais  trèS' 
connu  ,  qui  tenoit  un  livre  ,  fur  le  do» 
auquel  étoit  écrit ,  Vit  du  Prince  de 
Condé.  Cette  Mufe  arrachoit  des  fèuil' 
lets  du  livre  qu'elle  jettoit  par  terre  , 
&  on  lifoît  fur  ces  feuillets  ,  fieours 
dt  Cambrai  jftcours  de  yaliiuiennts  j  re- 
traite de  devant  Arras  :  enfin  le  litre  de 
toutes  les  belles  aâions  du  Prince  de 
Condé  durant  fonféjour  dans  les  Pays- 
Bas  ^pagnols ,  aâions  dont  tout  étoït 
louable ,  a  l'exception  de  l'écbarpe  qu'il 
portoit ,  quand  il  les  fît.  Malheureufe' 
ment  ce  tableau  n'a  pas  été  exécuté 
fuivant  une  idée  fi  ingénieufe  &  lî 
fimple.  Le  Prince  qui  avoît  conçu  une 
idée  fi  noble ,  eirt  en  cette  occafion  un 
excès  de  complaifance  ;  8c  déférant 
trop  à  l'Art,  il  permit  au  Peintre  d'al- 
térer l'élégance  Se  la  fimplicité  de  fa 
penfée  par  des  figures,  qui  rendent  le 
tableau  pluscCmpofé,  mais  qui  ne  lui 
font  rien  dire  de  plus  que  ce  qu'il  di- 
foit  déjà  d*une  manière  fi  fublime. 
Les  compoCtions  allégoriques  que 


■,r  ..Google 


àoS  RéjUxîons  cr'uiqUes 

nous  avons  nommées  des  compolîtïons 
inixtes,fontd*u[i  plus  grand  ufageque  les 
compofittons  purement  allégoriques. 
Quoique  leur  aÛion  foitfeinte,ainfi  que 
celle  des  compofitions  purement  allégo- 
riques, néanmoins  comme  une  partie  de 
leiu-s  perfonnages  ie  trouvent  être  des 
perfonnageshiftoriquesjonpeutmettre 
le  fens  de  ces  fi£Hons  à  la  portée  de 
tout  le  monde,  &c  les  rendre  ainii  ca- 
pables de  nous  inftruire  ,  de  nous  at- 
tacher &c  même  de  nous  intérefier. 

Les  Peintres  tirent  de  grands  iecours 
de  ces  comportions  allégoriques  de  ia 
féconde  efpece ,  ou  pour  exprimer  beau- 
coup de  chofes  qu'ils  ne  pourroient 
pas  &ire  entendre  dans  une  compofî- 
tion  hiftorique ,  ou  pour  repréfenter  en 
un  feul  tableau  pluiieurs  aâîons  dont 
il  femble  que  chacune  demandât  une 
toile  féparee.  La  gallerie  du  Luxem-' 
bourg  &  celle  de  Verfailles  en  font  foi. 
Rubens  &  le  Brun  ont  trouvé  moyen 
d'y  repréfenter  par  le  moyen  de  ces 
fioions  mixtes ,  des  ch(^es  qu'on  ne 
concevoit  pas  pouvoir.. être  rendues 
avec  des  couleurs.  Ils  y  font  voir  en 
un  feul  tableau  ,  des  événemens  qu'un 
Hiflorien  ne  pourroil  narrer  qu'en  plu-. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëjîc  &furU  Ptinture.    10^ 
fieurs  pages.  En  voici  un  exemple. 

Enoiiffix  cent  Soixante  6c  douze,' 
la  France  déclara  la  guerre  aux  Etats 
Généraux ,  &  les  Espagnols  ,  à  qiii  les 
Traités  fubriftans  défendoient  de  le  mê- 
ler de  la  querelle ,  ne  lailTerent  pas  de 
leur  donner  des  fecours  cachés.  Mais 
ces  fecours  n'apportoient  à  la  rapidité 
.des  conquêtes  de  la  France,  que  des 
obfîacles  bientôt  furmontés.  Les  Ef^ 
pagnols ,  pour  s'oppofer  plus  etScace- 
ment  à  ces  progrès ,  levèrent  le  mafque 
fie  ils  fe  déclarèrent.  Le  fuccès  de  leurs 
fecours  avoués ,  ne  fiit  pas  plus  heu- 
reux que  celui  de  leurs  fecoiirs  fecrets. 
Malgré  ces  fecours,  le  feu  Roi  prît 
Maurich  ,  &  portant  enfuite  la  guerre 
dans  les  Pays-Bas  Efpagnols  ,  il  y  en- 
levoit  chaque  campagne  un  nombre 
des  plus  fortes  places ,  par  des  con- 
quêtes que  la  paix  feule  put  arrêter. 
Voilà  ce  que  Monfieur  le  Brun  avoit 
à  repréfenter.  Voici  comment  il  a  trai- 
té fon  fujet  qui  paroît  plutôt  du  reflbrt 
de  la  Poëfie  que  de  celui  de  la  Peinture. 
Le  Roi  paroît  fur  un  char  guidé  par 
la  Viûoire ,  &  traîné  rapidement  par 
des  courfiers.  Ce  char  renverfe  dans 
ix  courfe  les  Figures  étonnées  des  Villes 


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110  RéJUxîons  erîtîquts 

&  des  Fleuves ,  qui  formoient  la  fron- 
tière des  HoUandois ,  &  chaque  %ure 
fe  reconnoît  d'abord ,  ou  par.  l'écu  de 
fes  armes ,  ou  par  fes  autres  attributs. 
C'eft  l'image  véritable  de  ce  qu'on  vit 
arriver  dans  cette  guerre ,  oîi  les  Con- 
quérans  furent  furpris  eux-mêmes  de 
leurs  propres  fucces.  Une  femme  qui 
reprélente  l'Efpagne  ,  Se  qui  s'annon- 
ce fufBfamment  par  fon  Lion  fie 
par  fes  autres  attributs  ,  veut  ar- 
rêter le  char  du  Roi  en  faififlant 
les  guides.  Mais  au  lieu  des  guides, 
elle  n'attrappe  que  les  traits.  Le  char 
qu'elle  voiuoit  arrêter  ,  l'entraîne 
elle-même,  &  le  mafque  qu'elle  por- 
toit ,  tombe  par  terre  dans  cet  ef- 
fort inutile. 

Il  feroit  fuperflu  de  prendre  beau- 
coup de  peine  pour  perfuader  aux 
.  Peintres  qu'on  peut  faire  quelquefois 
un  bon  ufage  des  compofitions  Se  des 
perfonnages  allégoriques.  Us  n'ont  que 
trop  de  penchant  à  employer  l'allégo- 
rie avec  ^xc^  dans  tous  les  fujets ,' 
même  dans  ceux  qui  font  le  moins  fuf* 
ceptibles  de  ces  embelliflemens.  Mais 
le  défaut  d'aimer  trop  à  feire  ufage  du 
brillant  de  l'imagination,  qu'on  appelle 


:,-,zf--„GoOglc 


Jitr  la  Poëfit&  furlaPàntun.  m 
communéinent  refprit,  eil  un  défaut 
général  à  tous  les  hommes ,  qui  les  fait 
s'égarer  fouvent ,  même  en  des  pro- 
femons  bien  plus  lerieufes  que  la  Pein- 
ture, Rien  ne  fait  dire  ,  nen  ne  fait 
faire  autant  de  fottifes ,  que  le  déiir  de 
montrer  de  l'elprit. 

Four  nous  renfermer  dans  les  limi- 
tes de  la  Peinture  ,  j'ofe  avancer  que 
TÎen  n'a  plus  fouvent  écarté  les  bons 
Peintres  du  véritable  but  de  leur  Art,  Se 
ne  leur  a  ^t  faire  plus  de  chofes  hors 
de  propos ,  que  le  defir  de  fe  ^re  ap> 
plaudir  fur  la  fubtilité  de  leiu*  imagi- 
nation ,  c'efl-à-dire ,  fur  leur  efprit. 
Au  lieu  de  s'attacher  à  l'imitation  des 
payons ,  ils  fe  font  plus  à  donner  l'ef- 
fort àime  imagination  capricîeufe  ,  &c 
à  foreer  des  chimères ,  dont  l'allégorie 
myfterieufe  eâ  une  énigme  plus  obf^ 
cure  que  ne  le  furent  jamais  celles  du 
Sphinx.  Au  lieu  de  nous  parler  la  lan- 
gue des  pailîons  qui  efl  commune  à  tous 
[es  hommes ,  ils  ont  parlé  un  langage 
qu'ils  avoient  invente  eux-mêmes,  Sc 
dont  les  expreflîons  proportionnées  à 
la  vivacité  de  leur  imagination ,  ne 
font  point  à  la.portée  du  refte  des  hom- 
ises.  Ain£  tous  les  perfoonages  d'un. 


:,-,zf--„GoOglc 


^: 


ill  Réfiexlam  Critiques 

tableau  allégorique  font  fouvent  muets 
pour  les  fpeâateurs  dont  rîmagina- 
tien  n'eft  point  du  même  étage  que 
celle  du  Peintre.  Ce  fens  myftérieux: 
eft  placé  fi  haut ,  que  perfonne  n'y  fçau^ 
roit  atteindre.  Je  Tai  dit  déjà ,  les  ta- 
bleaux ne  doivent  pas  être  des  énig- 
mes ,  &  le  but  de  la  Peinture  n'eft 
pas  d'exercer  notre  imagination ,  en  lui 
donnant  des  fujets  embrouillés  à  devi- 
ner. Son  but  eft  de  nous  émouvoir  , 
&  par  conféquent  les  fujets  de  fes  ou- 
vrages ne  fçauroientêtre  trop  faciles  à 
entendre. 

On  voit  dans  la  gallerîe  de  Verfailles 
beaucoup  de  morceaux  de  Peintiu-e 
dont  le  fens  enveloppé  trop  myftérieu- 
fement ,  échappe  à  la  pénétration  des 
plus  fubtils  ,  éc  palTe  les  lumières  des 
mieux  inftruits.  Tout  le  monde  eft  in- 
formé des  principales  'afHons  de  la  vie 
du  feu  Roi,  laquelle  feit  le  fujet  de  tous 
les  tableaux ,  &  rintelligence  des  cu- 
rieux eu  encore  aidée  par  des  infcrip- 
tionsp  lacées  fous  les  fujets  principaux  : 
néanmoins  il  refte  encore  une  inlînité 
d'allégories  &  de  fymboles  que  les  plus 
lettrés  ne  fçauroient  deviner.  On  s'eft. 
VU  réduit  à  mettre  fur  les  tables  de  ce 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëjtt  &fur  la  Peinture.  %  i }' 
magnifique  vaîffeau,  des  livres  qui  les 
expliquaflent ,  &  qui  donnaffent ,  pour 
ainfi  dire  ,  le  net  de  ces  chifFres.  On 
peut  dire  la  même  chore  de  la  gallene 
du  Luxembourg.  Les  perfomies  les 
mieux  informées  des  particularités  de 
la  vie  de  Marie  de  Médïcis ,  comme 
les  plus  fçavantes  dans  la  Mythologie 
&  dans  la  Tcience  des  Emblèmes ,  ne 
conçoivent  pas  la  moitié  des  penfées 
de  Rubens,  Peut-être  même  qu'elles 
ne  devineroient  pas  lequartdecequ'a 
voulu  repré(ênter  ce  Peintre  trop  in- 
génieux, fans  l'explication  *  de  ces 
tableaux ,  qu'une  tradition  encore  ré- 
cente avoit  confervée  ,  quand  Mon- 
fieur  Felibien  la  mit  par  écrit ,  &  l'in- 
fçra  dans  fes  Entretie/is  fur  Us  vies  Jes 
Peintres,  (a) 

Toutes  les  Nations ,  6c  les  François 

*  Cette  explication  a  été  renouvellée  avec 
iet  augmentations  aar  IVIonfieur  Moreau  de 
Mautour  dans  un  Ecrit  ^ui  fut  imprimé  Se 
répandu  datif  le  Public  en  1704,  lorfijuc  Mon- 
iteur le  Duc  de  Mancoue  loeeoit  au  Palais  du 
Luxembourg ,  où  tout  Parît  alloit  en  foule  pour 
voir  le  Prince  Se  la  belle  gallerie  de  ce  Palaisi 
Peu  de  tenu  apréi  elle  a  paru  gtavéet 


:,-,zf--„GoOglc 


114  Rêjtexîom  crUïques 

principalement ,  fe  laflent  bientôt  de 
chercher  le  Tens  des  penfées  d'un  Pein- 
tre qui  l'enveloppe  toujours.  Les  ta- 
bleaux de  la  gallerie  du  Luxembourg, 
dont  on  regarde  le  fujet  avec  le  plus 
de  plaifu* ,  font  ceux  dont  le  fujet  eft 
purement  hiftoiîqite,  comme  le  ma- 
riage &  le  couronnement  de  la  Reine. 
Teleil  le  pouvoir  de  la  vérité ,  que  les 
imitations  &  les  fiûions  ne  réiuSileat 
jamais  mieux,  que  lorfqu'elles  l'altè- 
rent le  moins.  Après  avoir  regardé 
ces  tableaux  du  côté  del'Art ,  on  les 
regarde  encore  avec  l'attention  qu'on 
donneroit  aux  récits  d'un  contempo* 
rain  de  Marie  de  Médicis.  Chacun 
trouve  quelque  chofe  qui  pique  fon 

Î;oût  particidier  dans  des  tableaux  oiï 
e  Pemtre  a  repréfenté  un  point  d'hit 
toire  dans  toute  fa  vérité  ,  ceft- à-dire, 
fans  en  altérer  la  vralfemblance  hifto-  ' 
rique.  L'un  s'arrête  fur.  les  habits  du 
tems  qui  ne  déplaîfent  jamais  ,  lorf- 
qu'ils  font  traites  par  un  Artifan  ,  qui 
a  fçu  les  accommoder  à  l'air  comme 
à  la  taille  de  fes  perfonnages  ;  &  leur 
donner  ,  en  les  drapp^nt ,  la  grâce 
dont  leur  toumiu-e  les  rendoit  fufcep- 
tlbles.  Uo  autre  examine  les  traits  &c 


:,-,zf--„GoOglc 


h] 


/urlaPoîJît  &  fur  ta  Peinture,  w» 
\z  contenance  des  perfonnes  illuftres. 
L&  bien  ou  le  mal  que  l'HlAcire  en 
raconte ,  lui  donnoit  envie  depuis  long- 
tems  de  connoître  leur  phylionomie. 
Un  autre  s'attache  à  l'ordre  &  aux 
rangs  d'une  fcéance.  Enfin  ce  que  le 
monde  a  remarqué  davantage  dans  la 
gallerie  du  Luxembourg  &L  dans  celle 
de  Verfailles  ,  ce  ne  font  pas  les  allé- 
;ories  Temées  dans  la  plupart  des  ta* 
ileaux  ,'ce  font  les  exprefltons  de  quel- 
ques paflions  où  véritablement  il  entre 
plus  de  Poëfie  cme  dans  tous  les  em- 
blèmes inventés  jufques  ici. 

Telle  eil  l'expreffion  qui  arrête  les 
yeux  de  tout  le  monde  fur  le  vïfage 
de  Marie  de  Médicis  qui  vient  d'ac- 
coucher. On  y  apperçoit  dijftinâement 
la  joie  d'avoir  mis  au  monde  un  Dau- 
phin ,  à  travers  les  marques  fenfibles 
de  la  douleur  à  laquelle  Eve  fut  con- 
damnée. Enfîn  chacun  en  convenant 
que  cts  galeries,  deux  des  plus  riches 
Portiques  qui  foient  en  Europe  ,  four- 
millent de  beautés  admirables  dans  te 
deiTein  &  dans  le  coloris ,  &:  que  la 
compofition  de  leurs  tableaux  eft  des 
plus  élégantes  ;  chacun ,  dis-je ,  vou- 
dfoit  bien  que  les  Peintres  n'y  euffcnt 


-,  Google 


il 6  RiJIexîoTts  cmîquti 

point  introduit  un  Çi  grand  nombre  de 
ces  figures  qui  ne  peuvent  point  nous 
parler  comme  tant  d'aâions  qui  ne 
îçauroient  nous  intéreffer.  Or,  comme 
nous  le  dit  Vitruve  en  termes  très-feiv* 
ies  y  it  ne  fufEt  pas  que  nos  yeux  trou- 
vent leur  compte  dans  un  tableau  bien 
peint  &  bien  deffiné  ;  l'efprit  y  doit 
auffi  trouver  le  lien.  Il  faut  donc  que 
rÂrtifan  du  tableau  ait  choiii  un  fujet , 
que  ce  fujet  fe  comprenne  diftinâe- 
ment ,  &  qu'il  foit  traité  de  manière 
qu'il  nous-intéreffe.  Jen'eiHme  guère, 
ajoute-t*il ,  les  tableaux  dont  tes  fujets 
n'imitent  pas  quelque  vérité,  (a)  Ne- 
que  enim  plciuree  prohari  dtbtm  qaœ  non 
funt  Jimiles  vtr'uati ,  ntc  /i  facia  funt  élé- 
gantes ab  arte  ,  ideb  de  his  débet  jiatimjw 
dicari  ,  niji  argumeniatioms  certas  hahte» 
Tint  ratioms  *  Jîne  offtnjîorùbus  expUca- 
tast  Ce  paffage  m'exemtera  de  parler 
de  ces  ngures  qu'on  appelle  commu- 
nément  des  Grotefijues. 

Les  Peintres  doivent  employer  l'al- 
légorie dans  lestableaux  de  dévotion , 
plus  fobrement  encore  que  dans  les  ta- 
bleaux profanes.  Ils  peuvent  bien  dans 
ïes  fujets  qui  ne  repréfentent  pas  les 

(«jFtmme,  i.  j ,c,  j, 

Myfteres 


:,-,zf--„GoOglc 


furiaPotfit  &  fur  la  Pelnmrt,  117 
Myfieres  &C  les  miracles  de  notre  Reli- 
gion ,  fe  Tervir  d'une  compoûtion  allé- 
gorique ,  dont  l'aâion  exprimera  quel- 
que vérité  qui  ne  fçauroit  être  ren- 
due autrement,  foit  en  Peinture  ,  ibtt 
en  Sculpture.  Je  confens  donc  que  la 
Foi  Ôc  l'Efpérance  foutiennent  un  mou- 
rant ,  &  que  la  Religion  paroilTe  affli- 
gée aux  pieds  d*un  Evêque  mort.  Mais 
je  crois  que  toute  compofition  allégo- 
rique eft  défendue  aux  Artifans  qui 
traitent  les  miracles  &c  les  dogmes  de 
notre  Religion.  Ils  peuvent  tout  au 
plus-  introduire  dans  leur  aâion  ,  qui 
doit  toujours  imiter  la  vérité  hiftori- 
que  ,  quelques  figures  allégoriques  de 
celles  qui  font  convenables  aufujet, 
comme  feroit ,  par  exemple ,  la  Foi  . 
repréiemée  à  côté  d'un  Saint  qui  feroit 
im  miracle. 

Les  faits  fur  léfquels  notre  Reli- 
gion eil  établie ,  &:  les  dogmes  qu'elle 
enfeigne ,  font  des  fujets  où  il  n'eft  pas 
permis  à  l'imagination  de  s'égayer. 
Des  vérités  auïquelles  nous  ne  tçau- 
lions  penfer  fans  terreur  fie  fans  humi;- 
'■liation,ne  doivent  pas  être  peintesavec 
■  tant  d'efprit ,  ni  repréfentées  fous  l'em- 
blème dune  allégorie  ingénieuTe  ïn? 
TomtL  K 


t  iS  Kifitx'i9ns  cntlqtus 

ventée  à  plaifir.  II  eft  encore  moins  peN 
mis  d'emprunter  les  petibnoages&les 
fiâions  de  la  Fable  pour  peindre  ces 
Yérités.  Michel-Ange  fiit  univerfelle- > 
ment  blâmé  pour  avoir  mêlé  avec  ce 
qui  nous  eft  révélé  du  Jugement  uni- 
vcrfel  ,  les  fiûions  de  Taocienne  Poi>- 
fie,  dans  la  repréfentation  qu'il  en 
peignit  fur  le  mur  du  fonds  de  la  Cha- 
pelle de  Sixte IV.  Rubens  ,  àmonTens, 
aura  conm^s  uoe  faute  encore  plus 
grande  que  celle  de  Michel- Ange ,  es 
compofant  ^  ainlî  qu'il  Ta  fait,  le  ta- 
bleau du  maître-Autel  des  Domini* 
quaîns  d'Anvers.  Ce  grand  Poète  y 
cxf^imç  trop  inaénieufement ,  par  une 
compofition  all^orique  ,  le  mérite  de 
l'intërcelEon  des  Saints  ,  dont  les  prie* 
res  procurent  fouvent  aux  pécheurs  le 
tems  &  les  moyens  d'appaiier  laccdere 
Je  Dieu. 

.  Jefus-Chrlft  fort  d'entre  ks  deux  au- 
tres per^mies  de  la  Trinité  ,  comme 
.pourçxéçuter l'arrêt  de  condamnation 
qu'elle  vient  de  prononcer  ctmtre  le 
monde  ,  figuré  par  un  globe  placé  dans 
iç  bas  de  ce  tableau.  Il  tient  ta  foudre 
jt  la  main ,  &  dan^  l'attitode  du  Inpi- 
■i/ex  4^  \^  Fable  ,  il  paroît  pêt  à  k.  lao- 


■,r  ..Google 


fuT  la  Poêjie  &fur  la  Peinture,  tif 
ai  fur  le  monde.  La  Vierge  &  plufiatrs 
Saints  placés  à.  côté  de  Jefus-Chrift  , 
intercèdent  pour  le  monde  ,  fans  que 
JeAis>Chrift  Aifpende  fon  aâion.  Mais, 
.  ce  qui  convient  au  lieu  où  le  tableau 
le  trouve  placé ,  Saint  Dominique  cou- 
vre le  monde  de  l'on  manteau  Se  du 
Refaire.  Je  crois -voir  trop  d'efprit  dans 
la  repréfentation  d*un  fujet  auflî  tHii- 
bie.  Les  hommes  inlpirés  pouvoient 
bien  employer  des  paraboles  ,  pour 
nous  expofer  plus  fenliblement  les  vé^ 
rites  que  Dieu  nous  révéloit  par  leur 
bouche.  Dieu  leiu  infpiroit  lui-même 
les  figures  dont  ils  dévoient  fe  fervir  , 
&  l'application  qu'il  en  feUoit  feire. 
Mais  c'eft  alTez  d'honneur  à  nos  Peintres 
que  d'être  admis  à  rcpréfenter  hiftorï- 
quement  ceux  des  événemens  de  nos 
Myfteres ,  qui  peuvent  être  mis  fous 
nos  yeux ,  Il  ne  leur  eft  point  permis  d'in- 
venterdes  fixions ,  &  de  s>n  fervir  à 
leur  gré ,  poiu  expofer  de  pareils  fujets* 
Ce  que  je  dis  des  Peintres  ,  je  le  penfe 
des  Poètes ,  &  je  n'approuve  pas  plus  le 
Poëme  àe  Sannazar  ,  fur  les  couches  de 
la  Vierge ,  ni  les  vifions  de  l'Ariofte  , 
que  la  compofitio*  à&M  Rubens  s'eft 


:,-,zf--„GoOglc 


iiO  Rifiexioni  erîtl^ms 

fervi  pour  repréfenter  le  mérite  deTin- 

terceffion  des  Saints. 

Vous  riduifez  donc  les  Peintres  à  la 
condition  de  Amples  HiAoriens ,  m*ob- 
jeaera-Von,fans  foire  attention  que  l'in- 
vention âc  la  Poëûe  font  de  l'eflence  de 
la'Peinture  ?  Vous  voidez  éteindre  dans 
l'imagination  desPeintres  ce  feu  qui  mé- 
rite qu'on  les  traite  quelquefois  d'Où- 
vriers  divins ,  pour  les  réduire  aux  fonc- 
tions d'un  Aiuialifte  fcmpuleux  }  1c  ré- 
ponds que  l'çnthoufiafme  qui  fait  les 
Peintres  ^  les  Poëtes  ,  ne  confifte  pas 
^ns  l'invention  des  myfteres  allégori- 
quâSjn^ais  bien  dans  le  talent  d'ennchir 
tes  compolitions  par  tous  les  osrnemens 
que  U  vraifembl^nce  du  fujet  peutper- 
mettre,  ainfi  qu'à  donner  de  la  vie  à  tous 
ces  perfonoages  par  l'expre^on  des  paf- 
^ons.  Telle  eft  U  Poëfie  de  Raphaël  î 
telle  eft  la  Poëfie  du  Poulfin  &c  de  le 
Sueur  ;  Ôt  teUe  fiit  fouvent  celle  de 
Monlîeur  le  Brlm  &  de  Ruben$. 

Il  n'çft  pas  néceffaire  d'inventer  fon 
fujet ,  ni  de  créer  fes  perfonoages ,  pour 
être  réputé  ui^  Poëte  plein  de  verve.  On 
mérite  le  nom  de  Poëte,  en  rendant  l'ac- 
tion qu'on  traitç  capable  d'émouvoir,  ce 
qui  fe  ^t  en  imaginant  quels  fçatimens 


...Xooyic 


.    furlaPoèfit&JUrlttPùntun.     m 

conviennent  à  deSperfonnagesfuppofés 
dans  iine  certaine  utuatioA  ,  &  en  tirant 
de  fon  génie  les  traits  les  plus  propres  à 
bien  exprimer  ces  fentimens.  Voilà  ce 
qui  diftinguelePoëte^d'un  Hiftorien,qui 
ne  doit  point  orner  fes  récits  de  circonf- 
tances  tirées  de  fon  imagination  ,  qui 
n*inventepas  desTitiiations  pourrenve 
les  événemens  qu'il  narre  plus  intérci^ 
fans  ,  &  à  qui  même  il  eft  rarement  per- 
mis d'exercer  fon  génie ,  en  lui  faiiant 
produire  des  fentimens  convenables  à 
les  perfoniiages  pour  les  leurprêter.  Les 
dîfcours  que  le  grand  Corneille  fait  te- 
nir à  Céfar  dans  la  mort  de  Pompée  , 
font  une  meilleure  preuve  de  l'abondan- 
ce de  fa  veine  5c  de  la^  fublimité  de  Ton 
imagination ,  que  l'invention  des  allé- 
gories du  Prologue  de  la  Toifon  d'or.  " 
Il  faut  avoir  une  imagination  plus  fé- 
conde &  plus  jufte ,  pour  imaginer  6c 
pour  rencontrer  les  traits  dont  laNature 
ie  fert  dans  TexprelTion  des  paffîons,que 
pour  inventer  des  6giires  emblémati- 
ques. On  produit  tant  qu'on  veut  de  ces 
iymboles  par  le  fecours  dedeux  ou  trois 
livres  qui  font  des  fources  intarilTables 
de  pareils  colifichets ,  au  lieu  qu'il  finit 
avoir  luie  imagination  fertile ,  &  qui 
Kii) 


.,-,zf-,Googlc 


m  Réftxions  aiù^ues 

folt  guidée  encore  par  une  intelligence 
fage  &  judicieure,  pour  réuffir  dans  l'ex- 
preffion  des  palEons ,  &:  pour  y  peindre 
avec  v^té  leurs  fymptômes. 

Mais ,  diront  les  Partilans  de  l'efprit , 
ne  doit-il  pas  y  avoir  phis  de  mérite  à  in- 
venter des  chofes  qui  ne  furent  )anuis 
penfées,  qu'à  copier  la  Nature ,  ainû  qiie 
lait  votre  Peintre  ,  qui  excelle  dans  l'ex- 
preflion  des  paOîons  ?  Je  leur  réponds 
qu'il  hMt  fçavoir  ^re  quelque  cbole  de 
plus  que  copier  fervilement  laNature^ce 
qui  ell  déjà  beaucoup ,  pour  donner  i 
chaque  paffion  Ton  caraÂere  ctxiveoa' 
ble ,  âc  pour  bien  exprimer  Us  fentimens 
de  tous  les  perlonnages  dNui  tableau.  11 
iaut ,  pour  ainû  dire ,  {çavoir  co}Her  la 
Nature  lans  la  voir.  Il  &ut  pouvoir  inU'- 
gineraveçjufteffcquelsfontfesmouve- 
mens  dans  des  circonAances  oît  on  ne  la 
vit  jamais.  Eft-ce  avoir  laNaturc  devant 
les  yeux  que  de  defliner  d'après  un  mo- 
dèle tranquille ,  lorfqu'il  s'agit  de  pein- 
dre une  têteoù  l'on  découvre  de  l'amour 
à  travers  la  ftu-eur  de  la  (aloufie?On  voit 
bien  une  partie  de  la  Nature  dans  fon 
modèle  ,  mais  on  n'y  voit  pas  ce  qu'il  y 
a  de  plus  important  par  rapport  au  fiijet 
qu  on  peint.  On  voit  bien  le  fujetquela 


■,r  ..Google 


le 


furia  Pocjît  &  fur  U  Peinture,  n^ 
paffîon  doitammer ,  mais  on  ne  le  voit 
point  dans  l'état  où  la  palTion  doit  I9 
réduire  y  &  c'eA  dans  cet  état  qu'il  t« 
faut  peindre.  Il  faut  que  le  Peintre  ap* 
clique  encore  à  la  tête  qu'il  fait  ce  qu« 
.es  livres  dilènt  en  général  de  l'efFet  des 
paffîons  fur  le  vifage ,  &  des  traits  auf- 
c]uels  elles  y  font  marquées.  Toutes  les 
czpreâîoDs  doivent  tenir  du  car«âer« 
de  t&equ'on  donne  auperfonnage  qu'on 
repréfente  agité  d'une  certaine  pafTion» 
U  faut  dtmc  que  Tunagination  de  l'oU' 
vrier  fupléâ  à  tout  ce  qu'il  a  de  plus  dtf* 
ficile  à  raire  dans  TexprelHon ,  a  moins 
•qu'il  n'ait  datis  fon  attelier  un  modèle 
encore  plus  grand  Comédien  que  Baron, 


SECTION    XXV. 

JDes  perfonnagts  èf  des  actions  allégori' 
^ues  f  par  TuppoTt  à  la  Poèjît. 

"arlons  prâfentement  de  l'ufage 
qu'on  peut  faire  en  Poëfte  des  perfon- 
nages  &  des  aâions  allé^riques.  Les 
perfonnages  allégoriques  que  la  Poëfie 
employé  ,  font  de  deux  efpeces.  U  en  ell 
de  parfaits  «  &  d'autres  que  nous  appel- 
lerons imparfaits,  K  iv 


:,-,zf--„GoOglc 


'  1X4        '    Réflexioas  critiques 

Les  perfonnages  allégoriques  par^ts 
font  ceux  que  la  Poëue  créé  entiére- 
meat,  aufquels  elle  donne  un  cotps  Se 
une  sme  ,  &  qu'elle  rend  capables  de. 
toutes  Iesaâions,&  de  tous  les  fenti- 
mens  des  hommes.  C'eft  aînfi  que  les 
Poètes  ont  perfonifié  dans  leurs  vers  la 
Vîâoire ,  la  Sagefle ,  la  Gloire ,  en  un 
totot,  tout  ce  que  nous  avons  dit  que  les 
Peintres  avoient  perfonifié  dans  leurs 
tableaux. 

Les  peribnnages  allégoriques  impar- 
faits font  les  Etres  qui  exifteot  déjà  réel- 
lement ,  aufquels  la  Poëûe  donne  la  fa- 
culté de  penfer  &  de  parier  qu'ils  n'ont 
pas  ,  mais  fans  leur  prêter  une  exiâence 
patate ,  &  lâns  leur  donner  un  être  tel 
que  le  nôtre.  AinfilaPoëfiefeitdesper^ 
lonnages  allégoriques  imparfàîts^quand 
eUe  prête  des  fentimens  aux  bois  ,  aux 
fleuves  ,  en  un  mot  quand  elle  fait  pen- 
fer &  parler  tous  les  êtres  inanimés  ,  ou 
quand,  élevant.lesanimauxaudeffiisde 
leur  fphere  ,  elle  leur  prête  plus  de  rai- 
fon  qu'ils  n'en  ont ,  &  la  voix  articulée 
qui  leur  manque.  Ces  derniers  perfon- 
nages  allégoriques  font  le  plus  grand  or- 
nementdela  Poëfie  ,  qui  n'eft  jamais  â. 
pompeufe  ,  que  loriqu'elle  anime  6c 


:,-,zf-„  Google 


Jur la Potfit  &Jur~ta Pànturt',  ii 5 
^'elle  feJtparlertoutelaNature.  C'cft 
en  quoicoimile  le  fublime  du  PCeaumé 
Jnexiitt  Ifrael  de  Egypto ,  &  de  quelques 
autres^  dont  les  perfonnes  de  goût  font 
auin  touchées  que  des  plus  beaiix  en- 
droits de  rUiade  &  de  l'Enéide.  Mais 
ces  peribnnages  imparfaits  nefont  point 
propres  à  jouer  un  rôle  dans  Tadion 
d'un  Poëme ,  à  moins  que  cette  aÛîon 
ne  fojt  celle  d'un  Apologue.  Ils  peuvent 
feulement  comme  fpeûateurs  ,  prendre 
part  aux  aâîons  des  autres  personnages  , 
ainii  que  lesChœurs  prenoientpart  aux 
Tragédies  des  Anciens. 

Je  crois  qu'on  peut  traiter  dans  la  Pcfr* 
fie  les  perfonnages  allégoriques  par- 
faits ,  comme  nous  les  avons  traités 
dans  la  Peinture.  Ils  n'y  doivent  pas 
joiier  un  des  rôles  principaux  d'une  ac- 
tion ,  mais  ils  y  peuvent  feulement  in- 
tervenir ,  foit  comme  les  attributs  des 
perfonnages  principaux ,  foit  pour  ex- 
primer plus  noblement,  par  le  fecours' 
de  la  lîâion,  ce  qui  paroîtroit  trivial, 
s*ilétoitdîtfimplement,  Voilàpourquoi 
Virgile  perfoni6e  la  Renommée  clans 
l'Enéide.  On  remarquera  que  ce  Poëte 
feit  entrer  dans  fon  ouvrage  un  petit  , 
nombre  de  perfonnages  de  cette  efpece, 
Kv 


■„r-:, Google. 


li5  Réflexions  emiques 

-  6c  je  n'ai  jamais  entendu  loiiet  Lucaia 
d'en  avoir  fait  un  ufage  "^as  â-équent. 
Le  Leâeur  fera  de  lui  même  la  réfle- 
xion^que  Venus ,  rAmour,  Mars  Sc  les 
autres  divinités  du  Paganifme  ,fontdes 
perfonnages  hîftoriques  dans  i*Ënâde. 
Lesévénemens  dépeuits  dans  ce  Poëme, 
font  arrivés  en  des  tems  où  le  commun 
ides  hommes  étoit  perfuadé  de  leur  exi- 
fience.  Ces  divinités  font  même  des  per- 
fonnages  hilioriques  dans  les  Poëmes 
des  Ecrivains  modernes  qui  choifîiTent 
leur  Scène  2f  leurs  Aâeurs  dans  les 
tems  du  Paganifoie.  Ils  peuvent  donc, 
en  traitant  de  pareils  fujets-,  employer 
ces  divinités  comme  des  Aâeurs  prin- 
cipaux ;  mais  qu'ils  obfervent  de  ne 
point  confondre  avec  elles  les  perfonoa- 
ges  f  qui ,  comme  la  Difcorde  &  la  Re- 
nommée ,  n*étoient  déjaque  des  perfon- 
nages  allégoriques  dans  ces  tems-U. 
Quant  aux  Poëtes  qui  traitent  des  ac- 
tions qui  ne  fe  font  point  payées  entriC 
des  Payens  ,  ils  ne  doivent  employer 
les  divinités  fàbuleufes  que  comme  des 
perfonnages  allégoriques.  Ainli  Miner- 
ve ,  l'Amour^  ôc  Jupiter  même,  ne  doi- 
vent pas  y  joiier  un  rôle  principal.  - 
Quant  aux  aÛi<His  allégoriques  ,  les 


:-„r., Google 


furUPoifa&furUPèinmrt.  117 
Poètes  n'en  doivent  foire  ufage  qu'avec 
un  grand  difcemement.  on  peut  s'en 
fervir  avec  fuccès  dam  lesFables  &  dans 
piuûeurs  autres  ouvrages  qui  font  dcfti^ 
nés  pourinftrairereipritenledivertiii 
fant ,  &  dans  lefquels  le  Poëte  parle  en 
ion  nom ,  &  peut  faire  lui-même  l'appli- 
cation des  leçons  qu'il  prétend  non» 
donner.  C'eft  à  l'aide  des  aÛions  âUégo- 
Tiques  q«e  plufieunPoëtes  nous  ont  dit, 
avec  agrément,  des  vérités  qu'ils  n'ati- 
toient  pu  nous  etpoferfans  le  fecours  de 
cette  fiâion;  Les  converfations  que  le* 
FaMes  fiippofent  entre  les  animaux  , 
font  des  aâions  allégoriques ,  &  les 
Fables  font  un  des  plus  aimables  genres 
de  la  Poeïie. 

^  Je  ne  crois  point  qu'une  aftion  allégo- 
TÎquefoit  im"-fujet  propre  pour  les  Poë' 
mes  dramatiques ,  dont  le  but  eft  dé 
nous  toucher  par  l'imitation  des  palïïons 
humaines.  Comme  l'Auteur  ne  nous 
parle  point  dîreôemeni  dans  cej  fortes 
de  Poëmes  ,  &  qu'ainfi  il  ne  fçcvuroit 
ïious  expliquer  lui-même  ce  qu'il  veut 
Jire  par  fon  allégorie  ,  il  nous  expofe- 
Toit  fouvent  à  la  lire  ,  fans  que  nous  puf- 
ïfions  comprendrefon  idée.  H  faut  avoir 
Érop  d'eipritpourdémêler  toujoursaveç 


:,-,zf-,GoOglc 


llS  RéjUxions  critiques 

îpiftefle  l'application  que  nous  devoni 
^re  d'une  allégorie.  Je  croîs  donc  qu'il 
en  iaut  abandonner  l'ufage  aux  Poètes 
cjui  raconteht ,  &  qu'elle  ne  dent  point 
Être  employée  par  les  Poètes  dramati- 
ques. 

'.  D'ailleurs  il  eft  impoâSble  qu'une  piè- 
ce ,  dont  le  fujet  eftune  aâîon  allégori- 
que ,  nous  intéreffe  beaucoup.  Celles 
que  des  Ecrivains  à  qui  perfonne  ne  re- 
nife  de  l'efprit ,  ont  hafardées  en  ce 
genre-là,  n'ont  pas  .autant  réuâî  que 
celles  où  ils  avoient  bien  voulu  être 
moins  ingénieux  ,  &  traiter  un  fujet 
liilloriquement.  Le  brillant  qui  naît  d'u- 
ne aâion  métaphorique ,  les  penfées  dé- 
licates qu'elle  luggere ,  &.les  tours  fiiïs 
avec  lefquels  on  applique  ion  allégorie 
aux  folies  des  hommes ,  en  un  mot,tou- 
tes  les  grâces  qu'im  bel  efprit  peut  tirer 
d'une  parâiUe  fiâion  ,  ne  font  pcnnt  en 
leur  [dace  Air  le  théâtre.  Le  piédellal 
n'eft  point  fait  pour  la  ilatuë.  Notre 
coeur  exige  de  la  vérité  dans  la  iîâioii 
même  :  8c  quand  on  hii  préfente  une  ac- 
tion allégorique  ,  il  ne  peut  Te  refondre^ 
pour  parler  ainfi  ,  à  entrer  dans  les  feU' 
tîmens  de  ces  peribnnages  chimériques. 
U  les  regarde  comme  des  fymboles  & 


:,-,zf--„GoOglc 


JkrlaPoêfa&furUiPtlntun.  119 
'des  énigmes ,  fous  lefquels  font  enve- 
loppés des  préceptes  de  Morale ,  &  des 
traits  de  Satyre  qui  font  du  reâbrt  de 
l'efprit.  Or  une  pièce  de  théâtre  qui  ne 
parle  qu'à  l'efprit ,  ne  fçaiuoit  nous  te- 
nir attentif  pendant  toute  fa  durée. 
C'eft  donc  principalement  aux  Poètes 
dramatiques  qu'on  peut  dire  avec  Lac-  ' 
tance  :  Apprenez  que  la  licence  Poéti- 
que a  fes  bornes ,  au-delà  defquelles  il 
n'eil  point  permis  de  porter  la  fiûion. 
C'eft  à  bien  repréfenter  ce  qui  a  pu 
véritablement  arriver  ,&à  l'orner  par 
des  images  nettes  &  élégantes  ,.  que 
«onfifte  l'art  du  Poëte.  Mais  inventer 
une  aâion  chimérique ,  &  créer  des  per- 
fonnages  du  même  genre  que  l'aâion , 
c'eft  être  impofteiir  plutôt  que  Poëte. 
Ntfciuiu  homints  qui  fit  Poaicte  Uctruia 
modus  ;  quoufjueprogretii  fingtndoUctai  : 
cùm  officium  Potia  in  ta  fit  t  ta  ta  qua 
veri  geri  potutrim  ^  in  alias  fpecits  ohliquia 
figurationibus  cum  dtcort  aliquo  converfa 
traducat  Totum  aattm  quod  rtfiras  fin- 
gtre ,  id  ift  intpium  tjft  &  mendaetm  fo- 
tins  quàm  Paetàm. 

Je  n'ignore  pas  que  les  perfonnages 
de  plufieurs  Comédies  d'Ariflophane, 
ceux  des  Oifeaux  U  des  Chœurs  des^ 


:-„r., Google 


«3©  RéjUxtojù  eriûqius 

Nuées  ,  par  exemple ,  ne  foîent  allégiv 
liqucs.  Mais  on  devine  aifôment  les 
raifons  qu'Ariftophane  avoit  de  traiter 
ainiî  les  fujets  ,  quand  on  fçait  que  ce 
Poëte  vomoit  jouer  dans  Athènes  les 
hommes  les  plus  confidérables  de  la  Ré* 
publique ,  &  principalement  ceux  qui 
.  venoient  d*avoir  la  plus  grande  part  à 
la  guerre  du  Péloponere.  Les  Sçavans 
font  tous  convaincus  que  ce  Poëte  fait 
fouvent  allufion  dans  ces  Comédies  à 
différens  événemais  arrivés  dans  cette 
•guerre ,  ou  à  des  aventures  dont  elle 
avoit  été  Toccafion.  Ariiiophane  qiù 
vouloit  attaquer  des  gens  plus  à  crain- 
dre que  Socrate  ,  ne  pouvoit  pas  donc 
trop  mafmier  fesperionnages,  ni  trop 
déguifer  fes  fujets.  Ainfi  ime  aâion  & 
des  perfonnages  all^oriques  étoient 
I^us  propres  à  fon  deuein  ,  que  des  per- 
fonnages &  une  a£Hon  à  l'ordinaire. 
D'ailleurs  fes  trois  dernières  Comédies, 
du  moins  ftiivant  l'ordre  où  elles  font 
arrangées  ,  {Mit  pour  iùjet une  a£Hon hu- 
maine &  vraifemblable.  Les  François 
fe  font  mépris  comme  les  autres ,  fur 
la  nature  du  Drame ,  lorfqii'ils  ont  com- 
mencé à  faire  des  pièces  dramatiques 
qui  méritaiTent  d'avtûrùn  nom. 


:,-,.-„G00.jlc 


furlaPoëfit  &  fut  la  Pénturt.  -15 1 
Ils  crurent  alors  quedes  aûions  allé- 
goriques poiivoient  être  des  fujets  de 
Comédie.  Nous  avons  encore  unePiéce 
qui  fut  repréfentée  aux  noces  de  Phili- 
bert Emmanuel  Duc  de  Savoie,  &  de 
Ja  Sœur  de  notre  RoL  Henri  II.  dont 
raâroneil purement  allégorique.  Paris 
y  paroiflbit  comme  le  père  de  trois  filles 
qu'il  vouloit  marier,  &  ces  trois  filles 
Âoient  les  trois  principaux  quartiers  de 
la  Ville  de  Paris ,  l'Univerfité  ,  laViUe 
proprement  dite  &la  Cité,  que  le  Poète 
avoit  perfonifiés.  Mais  ou  la  raifon ,  ou 
l'inflinfl  nous  ont  fait  quitter  ce  goût 
très-propre  à  faire  compofer  de  mau- 
vaifes  pièces  par  de  bons  Auteurs  ;  8c 
les  Poètes  qui  depuis  quelques  années 
ont  voulu  le  renouveller ,  n'y  ont  pas 
féufli.  Les  aâions  allégoriques  ne  con- 
viennent qu'aux  Prologues  des  Opéra 
deftinés  pour  fervir  d'une  efpec»  dePré- 
iàce  à  la  Tragédie  ,  &  pour  enfeigrter 
^application  de  fa  morale.  M,  Quinault 
a  montré  comment  il  y  iàlloit  traiter  ces 
aflions  allégoriques,  &  les  allufions 
qu'on  y  pouvoit  laire  à  des  événepiçns 
récens  dans  lestems  oU  les  Prologues 
font  repréfentés. 


e.o^^jlc 


Ï31  RéjUxions  critiques 


S  E  C  T  I  O  N^XXVL 

■Que  Us  fujets  ne/on:  pas  épuifés  pour  Us 

Peintres.  ExempUs  tirés  dts  Ta~ 

bltaux  du  Crucifimeiu. 

\J  N  plaint  quelquefois  les  PeinO-es 
&  les  Poètes  qui  travaillent  aujour- 
d'hui ,  de  ce  que  leurs  prédécefleurs 
lexu-  ont  enlevé  tous  les  fujets.  Ces  Ar^ 
tifans  s'en  plaignent  fouvent  eux-mê- 
mes ;  mais  je  crois  que  c'eAà  tort.  Un 
'peu  de  réflexion  fera  connoître  que  les 
Artifans  qui  travaillent  préfentement , 
ne  doivent  point  être  reçus  à  s'excuTer 
.fur  la  dllètte  des  fujets  «  quand  on  leur 
reproche  quelquefois  que  leurs  nou- 
veaux ouvrages  ne  font  point  nou- 
veaux. La  Natiu'e  efl  û  variée  qu'elle 
fournit  toujours  des  fujets  neufs  a  ceux 
qui  ont  du  génie. 

Un  homme  né  avec  du  génie  voit  la 
Nature,que  fonArt  imite  ,  avecd'autres 
yeux  que  les  perfonnes  qui  n'ont  pas  de 
génie.  Il  découvre  une  différence  infi- 
nie entre  des  objets ,  qui  auxyexK  des 
autres  hommes  {aroillent  les  mêmes , 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëfie  €ffur  la  Pànture.  13  j 
&  il  fait  ii  bien  fentir  cette  difFérence 
dans  fon  imitation ,  que  le  fujet  le  plus 
rcbatu ,  devient  un  Aijet  neuf  fous  fa 
plume  ou  fous  fon  pinceau.  U  eA  pour 
un  grand  Peintre  une  infinité  de  joies  Sc 
de  douleurs  différentes  qu'il  fçait  varier 
encore  par  les  âges ,  par  les  tempéra- 
xnens ,  par  les  caraderes  des  nations  & 
des  particuliers  ,  &  par  mille  autres 
moyens.  Comme  un  tableau  ne  repré- 
fente  qu'xm  inftant  d'une  aftion ,  un 
Peintre  né  avec  du  génie ,  choifit  l'inf- 
tant  que  les  autres,  n'ont  pas  encore 
fâiû ,-  ou  s'il  prend  le  même  inftant ,  il 
Tenrichit  de'xirconftances  tirées  de  fon 
imagination,  qui  font  paroître  l'aâion 
unlujet  neuf.  Or  c'eft  l'invention  de 
ces  circonftances  qui  conftituë  le  Poëte 
enPeinture.  Combien  a-t'on  fait  de  cru- 
cifimens  depuis  qu'il  efl  des  Peintres  ? 
Cependant  les  Artifans  doués  de  génie , 
n'ont  pas  trouvé  que  ce  fujet  fiit  épuîfé 

far  mille  tableaux  déjà  faits.  Ils  ont  fçù 
orner  par  des  traits  de  Poëfie  nou- 
veaux ,  &  qui  paroiffent  néanmoins 
tellement  propres  au  fujet,qu'on  eft  fur- 
pris  que  le  premier  Peintre  qui  a  mé- 
dité (ur  la  compofition  d'un  crucïfîment, 
ne  fe  foit  pas  lailî  de  ces  idées. 


:,-,zf--„GoOglc 


1^4  Réfixioas  critiques 

Tel  eft  le  tableau  de  Rubens  qu*oit 
Toit  au^maître-Autel  desRécoltets  d'An* 
vers.  Jefûs-Chriû  paioît  moft  entre  les 
deux  Larrons  qui  ibnt  encore  vivans. 
Le  bon  Larron  regarde  le  Cie!  avec  uae 
confiance  fondée  fur  les  paroles  de  Je- 
fus-Chrill ,  &  qui  fe  &it  remarquer  à 
travers  les  douleurs  du  fupplice.  Ru- 
bens ,  fans  mettre  des  diables  à  côté  de 
fon  mauvais  Larron.,  comme l'avoient 
pradcnié  plulieiu's  de  fes  devanciers  ,  n*a 
pas  laiffé  d'en  iàire  un  objet  d'horreur. 
II  s'eft  fervi  pour  cela  de  la  cîrconilance 
du  fupplice  de  ce  réprouvé  qu'on  lit 
dans  rEvangile  :  Que  pour  hâter  fa 
mort,  on  lui  cslSsl  les  os.  On  vc»t  par 
la  meurtrilTuTe  de  la  jambe  de  ce  mal' 
heureux ,  qu'un  boiureau  l'a  déjà  frap- 
pée d'une  barre  de  fer  qu'il  tient  à  la 
main.  L'impreâîon  d'un  grand  coup 
nom  oblige  à  nous  ramaffer  le'  corps 
par  un  mouvement  violent  &  naturel. 
Le  mauvais  Larron  s'eft  donc  foulevé 
fur  fon  gibet ,  &  dans  cet  effort  que  la 
douleur  lui  a  iàit  faire ,  il  vient  d'arra- 
cher la  jambe  qui  areçù  le  coup,  en  for- 
çant la  tête  du  clou  qui  tenoit  le  pied 
attaché  au  poteau  fiinefte.  La  tête  du 
clou  eft  même  chargée  des  dépouilles 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poèfie  &fur  Ut  Pànturt.  13  J 
bideu(ès  qu'elle  a  emportées  en  déchi- 
rant les  chairs  du  pied  à  travers  lequel 
elle  apaifé.  Rubens  qui  fçavoit  fi  bien 
en  impofer  à  l'œil  par  la  magie  de  Son. 
clair  obfcur  ,  &it  paroître  le  corps  du 
Larron  ibrtant  du  coin  du  tableau  dans 
cet  effort ,  &  ce 'corps  eA  encore  la 
chair  la  plus  vraie  qu'ait  peint  ce  grand 
Colorifte.  On  voit  de  profil  la  tête  du 
fupplicié ,  &  fa  bouche  dont  cette  fitua- 
tion  fait  e[)core  mieux  remarquer  Tou- 
vertiu-e  énorme ,  fes  yeux  dont  la  pru- 
nelle eft  renverfée  ,  &  dont  on  n'ap- 
perçoit  que  le  blanc  lillonné  de  veines 
rougeâtres  &  tendues  ;  enfin  l'aâion 
violente  de  tous  les  mufcles  de  fon  vifa- 
ge  ,  font  [M-efque  oiiïr  les  cris  horribles 
qu'il  jette.  On  découvre  derrière  lit 
Croix  des  fpeftateurs  mù  la  font  avan- 
cer ,  &  qui  femblent  tellement  enfoncés 
dans  le  tableau  ,  qu'à  peine  ofe-t'on 
croire  que  toutes  ces  figures  foient  pla- 
cées fur  une  même  fuperficie. 

Depuis  Rubens  jufqu'à  Coypel  ,1e  fu- 
jet  du  crucifiment  a  été  traité  pUiûeurs 
fois;  Cependant  ce  dernier  Peintre  a 
rendu  fa  compofition  nouvelle.  Son  ta- 
bleau repréfente  le  moment  oii  laNature 
t'émut  d'horreur  à  la  mort  de  J.  C,  le 


:,-,zf--„GoOglc 


1^6  RéJUxions  eritiqaes 

moment  oh  le  Soleil  s'éclipfa  fans  Tin- 
tcq)oiitionde  laXune,  &ohIesinorts 
fortirent  de  leurs  fëpulcrâs.  Dans  Tun 
des  côtés  du  tableau  l'on  voitdes  hoiU' 
mes  faiûs  d'une  peur  mêlée  d'étonné- 
ment  à  Tafpeâ  du  déTordre  nouveau  oii 
paroîtle  Ciel,  fur  lequel  leurs  regards 
font  attachés.  Leur  épouvante  ^t  im 
contrarie  avec  une  crainte  mêlée  d'hor- 
reur ,  dont  font  frappés  d'autres  fpec- 
tateurs ,  au  milieu  defquels  un  mort  fort 
tout-à-coup  de  Ion  tombeau.  Cette  pen* 
fée  très-convenable  à  la  fituation  des 
perfonnages  ,  &  qui  montre  des  acci- 
dens  diflerens  de  la  même  paffion  y  va 
jufqu*au  fublime  ;  mais  elle  paroît  lî 
naturelle  en  même-tems  ,  que  chacun 
s'imagine  qu'il  l'auroit  trouvée  ,  s'il 
eût  traité  le  même  fujet.  La  Bible  qui 
eil  celui  de  tous  les  livres  qu'on  lit  le 
plus ,  ne  nous  àpprend-t'elle  pas  que  ta 
Nature  s'émut  d'horreiu-  à  la  mort  de 
Jefus-Chrift ,  &  que  les  morts  fortirent 
de  leurs  tombeaux  î  Comment,  dirions- 
nous  ,  a-t'on  pu  faire  un  feul  tableau  du 
Crucifiment  ,fans  y  employer  ces  acd- 
dens  terribles ,  &  capables  de  produire 
unfi  grand  effet?  Cependant  le  PouHin 
introduit  dans  fon  tableau  du  Crucifi- 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Pocfit  &  fur  U  PàiUitrt.  137 
mentun  mort  fortant  du  féputcre ,  fans 
tirer  de  Tapparîtion  de  ce  mort  le  trait 
de  Poëfie  ,  que  Monfieur  Coypel  en  a 
tiré.  Mais  c  efl  le  caraâere  propre  de 
ces  inventions  fublimes  que  le  génie 
feul  fait  trouver ,  que  de  paroitre  tel- 
lement liées  avec  le  fujet ,  qu'il  fem- 
blie  qu'elles  ayent  dû  être  les  premières 
idées  qui  fe  foient  préfentées  aux  Arti- 
fans,  quionttraitéce  fujet. On fuë vai- 
nement f  dit  Horace  ,  quand  on  veut 
trouver  des  inventions  du  même  genre, 
lâns  avoir  un  génie  pareil  à  celui  du. 
Poëte ,  dont  on  veut  imiter  le  naturel 
&lafiinpUcité.(a) 

Vc  JtK  pitnr 
Sfcnt  iitm  j  faia  mulnon  fiujhaqui  Ubom  anfié 

Le-  génie  de  la  Fontaine  lui  fait  ren* 
contrer  dans  la  compofition  de  fes  Fa- 
bles une  inâmté  de  traits  quiparbiffent 
finaïfs  &c  tellement  propres  à fon fujet , 
que  le  premier  mouvement  du  LeÛeijr 
eftde  croire  qu'il  les  eût  trouvés  auffi 
lùen  que  lui  «  s'il  avoit  eu  à  mettre  en 
vers  le  même  Apologue.  Cette  penfée 
a  ùjt  venir  domis  longtems  à  quelques 
Poètes  le  deueind'inuter  la  Fontaine  ; 


<-,Googlc 


S38  Rifltxions  critiques 

mais  il  s'en  làut  beaucoup  qu'en  l'îmî- 

mitant  ,  Us  aient  fait  comme  lui. 


SECTION    XXV  II. 

Qm  Us  fujtts  m  font  ptu  ifidJUpour 

les  Poius. 
Qu'on  ptm  tncoTt  trouver  de  aotevuuix 

earaàerts  Jans  UCemétiie. 

C_>  E  que  nous  venons  de  dire  de  la 
Peinture  ,  fe  peut  dire  auffi  de  la  Poëfie. 
Non-feulement  un  Poète  né  avec  du 
génie  ,  ne  dira  jamais  qu'il  ne  fçaur(»t 
trouver  de  nouveaux  Aijets ,  mais  j'ofe 
même  avancer  qu'il  ne  trouvera  jamais 
aucun  fujêt  épûifé.  La  {>énétration  , 
compagne  ioTéparaMe  du  génie ,  Itii  ait 
découvrir  des  faces  ijouvelles  dans  les 
fujets  qu'on  croit  vulgairement  les  plus 
ufés  ;  car  le  génie  conduit  chaque  mor- 
tel dans  festravauxpar  une  route  parti- 
culière ,  comme  je  l'eiqwferai  dam  la 
feconde  partie  de  cet  oavnige.  Aaffiles 
Poètes  guidés  chacun  parim  ^ghit  pir> 
ticulier  ,  fe  rencontrent  £  rafeinent, 
qu'on  peut  dire ,  que  généralement  par* 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  Poîfit  ù  fur  UPtinturt,  339 
lant^  ils  ne  fe  rencontrent  jamais.  Quand  ~ 
Corneille  &  Racine  ont  traité  le  même 
flijet  ;  &,  quand  ils  ont  fait  chacun  une 
Tragédie  de  Bérénice ,  ils  ne  fe  fontpas 
rencontrés.  Rien  n'eft  fi  différent  dv 
plan  &  du  caraâere  de  1b  Tragédi<e  de 
Corneille  ,  que  le  plan  &  le  caraâere 
de  la  Tragédie  de  Racine.  Les  Comé- 
dies que  Molière  compofa  ,  quand  il  eut 
atteint  le  période  de  les  forces  ,  ne  ref^ 
femblent  aux  Comédies  de  Tétence , 
que  parce  qite  les  unes  &  les  autres 
font  des  pièces  excellentes,  Leur  genre 
de  beauté  eft  bien  différent. 

Les  Artifans  nés  avec  du  génie ,  ne 
prennent  point  pour  modèles  les  ouvra- 
ges de  leurs  devanciers  ,mais  la  Nature 
même  ;  &  la  Nature  eft  encore  plus  fé- 
conde en  fiijets  difïérens  ,  que  le  génie 
des  Artifans  n*eft  varié.  D'ailleurs  tous 
les  fujets  ne  font  point  à  la  portée  des 
yeux  d'un  feul  homme.  Il  ne  découvre 
que  ceux  qui  font  convenables  à  fon 
talent .  &  aufquels  il  fe  fent  propre  pap* 
ticuliérement.  Comme  fon  génie  ne  lut 
fournit  pas  d'idées  frappantes  fur  les 
autïeK  fujets  «  ils  lui  paroifîent  ingrats. 
Une  les  regarde  p(»tit  comme  des  fu* 
jets  propres  à  réuffir.  Un  autre  -Poëte 


:,-,zf--„GoOglc 


's40  Rifeiàons  aiàqtus 

les  trouve  des  fujets  heureux  ,  parce 
que  ion  génie  eft  d'un  cara£tere  difie- 
reot  dug^ede  l'autre.  C'eftainiî  que 
Corneille  &  Racine  ont  découvert  les 
liijets  convenables  à  leurs  talens  ,  & 
qu^ds  les  ont  traités ,  chacun  fuivantftm 
caradere.  Un  Poëte  tragique  qui  auroit 
autant  de  génie  qu'eux ,  trouveroit  des 
fujets  a^  leur  ont  échappé  ,  &  il  traî- 
teroit  les  fujets qu'ilmettroitauTliéâr 
tre  dans  im  goût  auffi  dîfôfent  du  goût 
de  Coroeille  tpie  le  goût  de  Racine  «  & 
auflî  éloigné  du  goût  de  Racine  que  le 
goût  de  Corneille.  Ccxnoie  le  ditCicé* 
ron  ,  (a)  en  parlant  de  quelques  Poëtes 
dramatiques  illuAres  dans  la  Grèce  &  à 
Rome  :  c*efi  fans  ië  reflembler  qu'ils 
ont  réuifi  également.  Aiqueiâprimum^ 
ia  PoeâscaTÙluet^uihuseBproximaeog- 
/tatto  cum  Oraiorihis  f  quàmfi/u  uutrft 
Pacatvius  ,  Ennms  ,  Acciufyue  dij^m- 
U$  ,  quàmapudGracosEfckyltSt  Sopho- 
(îeSf  Earipides  t  quaiaquàmommiuspar 
ptrû  tous  ùi  dijjîmiîi  goure  fcribtndi  tri' 
tuatur. 

Les  fujets  qui  CotA  encore  intaSs  nous 
échappent ,  oc  nous  lifons  pluJîeurs  f<HS 
ji'hifloire  qui  les  raconte,  lansles  remar- 

f^)I>t  Prau  lib.  ut. 

gues; 


:,-,zf--„GoOglc 


Jkr  ta  Poëfit  ù fur  la  Ptîntan.  141 
^quer ,  parce  que  le  génie  n'ouvre  pas 
nos  yeux  :  mais  ceslujets  frapperoient 
d'abord  le  Poëte  qui  auroit  un  génie 
propre  à  les  traiter.  Voilà  ooiirquoi  le 
nijet  d'Andromaque  qui  n  avoit  [K)int 
frappé  Corneille  ,  frappa  Racine  dès 
qu'il  commença  d'être  un  grand  Poëte. 
L,e  fujet  dlphigénie  en  Tauride ,  qui  n'a 
point  frappé  Racine  ,  happera  de  même 
un  jeune  Auteur.  On  peut  dire  des  lii- 
jets  de  Tragédie  ce  que  TEfope  Latin 
dit  de.s  Fables.  («) 

...  Maarii tiittd iiuniat copia , 
l^hori  fihtr  ut  dl^ ,   ittn  fabro  lahoTt 

11  eft  vrai ,  me  dira-t'on ,  que  les  fu- 
jets  ne  Içauroient  manquer  aux  Poètes 
tragiques ,  qui  peuvent  faire  entrer  dans 
une  aflion  des  perfbnnaees  auiquels  ils 
donnent  des  caraQeres  faits  à  plaifir,  & 
.  qui  peuvent  encore  orner  leur  fable 
pardes  incidens  extraordinaires  inven- 
tés à  leur  gré.  Il  fuffit  aux  Poètes  tragi- 
ques de  faire  de  belles  têtes ,  &  ils  peu- 
vent ,  pour  les  rendre  plus  admirables  , 
s'écarter  à  un  certain  point,  des  pro- 
portions que  la  Nature  obferveordmai- 
rement.  Mais  il  faut  que  le  Poëte  co- 
mique faffe  des  portraits  où  nous  recou- 

Tffml,  h 


:,-,zf-,GoOglc 


44*  Réftxions  critiques    • 

inoîifions  les  hommes  avec  qui  nous  y^ 
vons.  Nous  nous  mocquons  des  carac- 
tères qu'il  donne  à'  fes  perfonnages ,  fi 
nous  ne  reconnoilTons  pas  ces  caraâeres 
pour  être  dans  la  Nature,  &  Molière, 
&  quelques-uns  de  fes  lucceCeurs^fe 
ibntfaifis  de  tous  les  caraûeresvrais& 
naturels.  Le  Poète  tragique  peut  bien 
inventer  de  nouveaux  caraâeres  ,  mais 
le  Poëte  comique  ne  peut  que  copier 
les  caraâeres  des  hommes.  Les  fujets 
de  Comédie  font  épuifés. 

Je  réponds  que  Molière  &c  fes  imita" 
teurs  n'ont  pas  mis  fur  la  fcéne  laqua» 
triéme  partie  des  caraâeres  propres  à 
faire  le  fujet  d'une  Comédie.  Il  en  efl 
de  l'efprit  &  du  caraflere  des  hommes 
à  peu  près  comme  de  leur  vifage.  Le 
vifage  des  hommes  ell  toujours  compo- 
fédes  mêmes  parties,  de  deux  yeux, 
d'une  bouche ,  &c.  cependant  tous  les 
vifages  font  dîfFérens,  parce  qu'ils  font 
compofés  différemment.  Or  les  carac- 
tères des  hommes  font  non-feulement 
compofés  différemment,  mais  ce  ne  font 
pas  toujours  les  mêmes  parties ,  je  veux 
dire  les  mêmes  vices  ,  les  mêmes  ver- 
tus, &  les  mêmes  projets  qui  entrent 
^ns  la  compoûtion  de  leur  caraâere. 


:,-,zf--„GoOglc 


.  furUPoëJîe  ^farlaPeinturt.  14J 
J^Hifi  les  caraâeres  des  hommes  doi- 
-vent  être  encore  plus  variés  ,  plus  dif- 
ierens  que  les  vilages  des  hommes. 

Qui  dit  un  caraâere  ,  dit  un  mé- 
lanee  ,  dit  im  compofé  de  plufieurs 
défauts  &  de  plufieurs  vertus ,  dans 
lequelmélangeceitain  vice  domine, fi 
le  caraâere  efl  vicieux  ;  c'eft  une  ver- 
tu laquelle  y  domine  ,  fi  te  caraâere 
doit  être  vertueux.  Ainfi  les  différens 
carafteres"  des  hommes  font  tellement 
variés  par  ce  mélange  de  défauts ,  de 
vices,  de  vertus  &  de  lumières  diver- 
fement  combiné ,  cpje  deux  caraâeres 
parfaitement  ferabubles  font  encore 
plus  rares  dans  la  Nature  que  deux  vi- 
fages  entièrement  femblables. 

Or  tout  caraûere  bien  peint  fait  un  bon 
perfonnage  de  Comédie.  U  peut  joqer 
avec  fuccès  un  rôle  furla  fcene  vérita- 
blement plus  ou  moins  long ,  &  plus  ou 
moins  important.Pourquoii'amourfera- 
t'il  une  paflion  privilégiée ,  &  la  feule 
qui  foiimilTe  des  caraâeres  diSërens ,  à 
l'aide  de  la  diverfité  que  l'âge  ,  le  fexe 
&  la  profeflîon  mettent  entre  les  fcn- 
timens  des  amoureux  }  J^e  caractère 
d'un  avare  ne  peut-il  pas  de  même  être 
varié  par  l'âge ,  par  le  fexe  ,  -par  d'au- 
Lij 


:,-,zf-„  Google 


144  Réfitxlons  Critiques 

très  paffions  &  par  la  profeffion  ?  Ces 
caraâeres  bien  peints  n'ennuiroienC 
point ,  parce  qu'ils  font  dans  la  Natu- 
re,  &  la  peinture  naïve  de  la  Nature 
plaît  toujours.  C'eft  donc  parce  que  les 
tàifeursde  Comédie  n'ont  pas  les  yeux 
affez  bons  pour  bien  lire  dans  la  Na- 
ture, pour  Y  démêler  diitinâement 
les  differens  principes  des  mêmes  ac- 
tions ,  &  pour  y  voir  comment  les 
mêmes  principes  font  agir  différemment 
chaque  individu ,  qu'ils  ne  fçauroient 
plus  mettre  au  Théâtre  de  nouveaux 
caraâeres.  Il  s'en  (àut  bien  que  tousies 
ridicules  du  genre  humain  ne  foient  en- 
core réduits  en  Comédie. 

Mais  quels  font ,  me  dira-t'on ,  les 
caraâeres  neu&  qui  n'opt  point  encore 
été  traités.  Je  réponds  que  j'entrepren- 
drois  d'en  indiquer  quelques-uns  ,  iî 
j'avoisun  génie  approchant  de  celui  de 
Térence  ou  de  Molière ,  mais  je  fuis 
de  ceux  dcmt  Defpréaux  a  parlé  dans 
ces  Vers:  1 

La  Ntiure  féceadc  en  birairwponnitf 
1)101  chiquE  Ame  eft  marqaéEàil:diJïr-n>tniii(         ! 
Un  geAe  U  découvre ,  un  t\ta  U  fait  piroiire. 
Ml! lout inoitEl n'a pai d29 yeux )>oiir  11 conoalcre.  ' 

Pour  démêler  ce  qui  peut  former  un  ca- 


■,r  ..Google 


JuT  Ut  Poêjîe  &fur  U  Ptinture.  14  J- 
nâere  ,  il  faut  être  capable  de  difcer- 
ner  entre  vingt  ou  trente  chofes  que 
dit,  ou  que  &it  un  homme ,  trois  ou 
«juatre  traits  qui  font  propres  fpéciale- 
xnent  à  fbn  caraâere  particulier,  It  faut 
ramaffer  ces  traits  ,  &  continuant  d'é- 
tudier fon  modèle ,  extraire ,  pour  par- 
ler ainii ,  de  Tes  aâions  &  de  fes  dif- 
cours  les  traits  les  plus  propres  à  faire 
reconnoîtr»  le  portrait.  Ce  font  ces 
traits  qui  fépares  des  chofes  indifféren- 
tes que  tous  les  hommes  difent  &  font 
à  peu  près  les  uns  comme  le^utres  , 
qui  \  rapprochés  &  réunis  emRible  , 
tonnent  un  caraâere  ,  ÔC  lui  donnent, 

Ç)ur  ain£  dire  ,  fa  rondeur  théâtrale, 
ous  les  hommesparoiflentimiformes, 
aux  efprits  bornes.  Les  hommes  pa- 
roiH'ent  différens.  les  uns  des  autres 
aux  efprits  plus  étendus  ;  mais  les  hom- 
mes font  tous  des  originaux  particu- 
liers pour  le  Poète  né  avec  le  gérife  de 
la  Comédie. 

Tous  les  portraits  des  Peintres  mé- 
'diocres  font  placés  dans  la  mâme  atti- 
tude^  Us  ont  tous  le  même  air,  parce 
que  ces  Peintres  n'ont  pas  les  yeux 
alTez  bons  pour  difcemer  l'air  naturel 
qui  cA  différent  dans  chaque  perfonne, 
L  iij 


:,-,zf--„GoOglc 


i.46  Réflexions  critiques 

&  pour  le  donner  à  <^aque  perfonit*^ 
dans  fon  portrait.  Mais  le  Pemtre  ha- 
bile fçait  donner  à  chacun  dans  fotr 
portrait  l'air  &  l'attitude  qni  lui  fonf 
propres  ,  en  vertu  de  fa  conformation. 
Le  Peintre  habile  a  le  talent  de  difcer- 
rter  le  naturel  qui  eft  toujours  varié. 
Ainfi  la  contenance  &  Taûion  des  per- 
(bnnes  qu'il  peint",  font  toujours  va- 
riées. L'expérience  aide  enîore  bean- 
coup  à  trouver  la  différence  qui  eft 
réellement  entre  des  objets ,  qni  sa 
pTemi^fc|pup  d'œil  nous  paroiiTent  les 
mêmcs^T^eux  qui  voyent  des  Nègres 
pour  la  première  fois ,  croyent  que 
tous  les  vîfages  des  Nègres  font  pres- 
que femhhbles  ;  mœs  à  force  de  les 
voir ,  ils  trouvent  les  vîfages  des  Ne- 

fes  auffi  diâererts  entre  eux  que  le- 
nt les  vîfages  des  hommes  blancs. 
Voilà  pourquoi  MoKere  a  trouvé  plus 
d'originaux  parmi  les  hommes^  quand 
il, a  été  à  l'âge  de  cinquante  ans,  qu'il" 
n'en  trouvoit  lorfqu'il  n'avoit  encore 
que  quarante  ans.  Je  reviens  àmapro- 
pofition ,  c'eft  qu'il  ne  s'enfuit  pas  qtie 
tous  les  itijets  de  Comédîefoient  épui- 
fés  ,  de  ce  que  les  perfonnes  qui  n'ont 
point  de  génie  pour  la  Comédie ,  &  qiti 


:,-,zf--„GoOglc 


JkrlaPotJîe  &  fur  la  Puntun,  t^f 
h'ontpas  étudié  les  hommes  par  le  côté 
qtie  la  Comédie  doit  les  étudier ,  n'en 
peuvent  pas  indiquer  de  nouveaux. 

Le'  commun  des  hommes  eu  donc 
bien  capable  de  reconnoître  un  carac- 
tère ,   lorfgue  ce  caraôere  a  reçu  fa 
forme  &  ia  rondeur  théâtrale  ;  mais 
tant  que  les  traits  propres  à  ce  carac- 
tère, &  tjui  doivent  fervïr  à  le  defli- 
ner ,  demeurent  noyés  &c  confondus 
dans  une  infinité  de  difcours  &  d'ac- 
tions que  les  bienféances ,  la  mode ,  la 
coutume,  la  profeffion  &  l'intérêtfont 
faire  à  tous  les  hommes  à  peu  près  du 
même  air,  &  d'une  manière  fi  uni- 
forme que  leur  caraôere  ne  s'y  décelé, 
qu'imperceptiblement  ,   il  n'y  a  que 
ceux  qiri.  fcsit  nés  avec  le  génie  de  la 
Comédie ,  qui  puiffent  les  diicerner^ 
Eux  feiris  peuvent  dire  quel'  caraâerc 
•réfulteroit  de  ceS'  traits ,  fi  ces  traits 
étoient  détachés  des  aflions  &  des  dif- 
cours  îndifFércns,  fi  ces  traits  rappro- 
chés les  uns  des  auttes  ,  étoient  immé- 
diatement réunis  entr'eiix.    Enfin  dif- 
.  cerner  les  carafteres  dans  la  Nature', 
c'eft  invention.  Ainfi  l'homme  quin'eft 
.   pas  né  avec  le  génie  de  la  Comédie  , 
'ne  les-  fçauroit  démêler  ;  comme  celui 
Liv 


..Google 


2'4d  RijLtxiom  critiqua 

qui  n'efl  pas  né  avec  le  génie  de  \iA 
Peinture ,  n'ell  pas  capable  de  di^^cer- 
ner  dans  la  Nature  qaeîs  font  les  objets 
les  plus  propres  à  être  peints.  Quàm 
multa  virent  FiSores  in  umbris  j  &  ix 
em'taentia ,  quœ  nos  non  videmus.  Cont* 
bien  de  chofes  «n  Peintre  n-'obferve- 
t'il  pas  dans  un  incident  de  lumière 
que  nos  yeux  n'aj^erçoivent  point , 
dit  Ciceron.  (a) 

Je  conclus  donc  que  les  Peintres  & 
les  Poètes  qui  tiennent  leur  vocatîoa 
aux  Arts  qu'ils  profeflent ,  du  génie, 
&  non  pas  de  la  nécelTité  de  fublUler, 
trouveront  toujours  des  fujets  neufs 
dans  la  Nature.  Pour.parlerfigurément, 
leiu-s  devanciers  ont  encore  laifle  plus 
de  marbre  dans  les  carrières  qu'ils  n'en 
ont  tiré  pour  le  mettre  en  œuvre. 


SECTION    XXVIII. 

De  la  vrtùfimblanci  tn  Poijte.- 

A  I A  première  règle  que  les  Peintres 
&  les -Poètes  foient  tenus  d'obferver 
en  traitant  le  fujet  qu'ils  ont  choifij 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëjte  &fur  la  Ptinturt.  149 
c'eft  de  n'y  rien  mettre  qui  foît  contre 
la  vraifemolance.  Les  hommes  ne  fçau- 
roient  être  guère  touchés  d'un  événe- 
ment qui  leur  paroît  fenfiblement  im- 
|)oflible.  U  eft  permis  aux  Poètes  com- 
me aux  Peintres  qui  traitent  les  feits 
hiftoriques,  de  fupprimer  une  partie 
de  la  vérité.  Les  uns  &  les  autres  peu- 
vent ajouter  à  ces  faits  des  incidensde 
leur  invention  : 

FiSa  poKi  multd  slJert  vti'a , 

dit  Vida.  On  ne  traite  point  de  men- 
teurs les  Poètes  &  les  Peintres  qui  le 
font.  La  fî£tion  ne  pafle  pour  menfon- 
ge  qi!e  dans  les  ouvrages  qu*on  donne 
pour  contenir  exaâement  la  vérité  des 
faits.  Ce  qui  feroit  unmenfonge  dans 
l*hiftoire  de  Charles  VU  ,-ne  Fell  pas 
dans  le  Poëme  de  la  Pucelle.  Ainft  le 
.Poëte  qui  feînt  une  aventure  honora- 
ble à  fon  Héros  pour  le  rendre  plus 
grand  ,  n'eft  pas  un  impolleur ,  quoi- 
que l'Hiftorien  qui  feroit  la  même 
chofe  ,  palsât  pour  tel.  On  n'a  rien  à 
reprocher  au  Poëte,  fi  fon  invention  ne 
choque  point  la  vraifefflblance ,  &  lî  le 
fait  qu'il  imagine  ,  eil  tel  qu'il  ait  pft 
arriver   véritableménr..  'Parlons   d  a* 


:,-,zf--„GoOglc 


%^o  Rifiexîons  crm<pus 

bord  du-  vraîfemblable    en  Poëfiè^ 

Un  fait  vraifemblable  eft  iin  fait  pof^ 
fible  dans  les  circonfîances  où  on  le- 
fait  arriver.  Ce  qui  eft  împoUible  en 
ces  circonflances ,  ne  fçaiiroit  paroître 
Traifemblable.  Je  n'entends  pas  ici  par 
impoffible'ce  qui  eft  au-deffus  des  for- 
ces humaines ,  mais  ce  qui  paroît  im- 
poflible ,  même  en  fe  prêtant  ^  toutes 
les  fuppofitîons  que  le  Poëte  fçauroîf 
faire.  Comme  le  Poëte  eft  en  droit 
d'exiger  de  nous  que  nous  trouvions, 
poftible  tout  ce  qm  paroifToit  pof&ble 
dans  les  teois  où  il  met  fa  fcène  ,  Se 
©îi  il  tranfporte  en  queltpie  façon  fes 
leâeurs ,  nous  ne  pouvons  point  ,  par 
exemple ,  l'accufcr  de  manquer  à  la 
vraifemblance ,  en  fuppofant  que  Dia~ 
ne  enlevé  Iphigénie  pour  la  traofpor- 
ter  dans  la  Taïuide ,  dans  le  moment 
qu'on  allolt  facrifîer  cette  Princeffè, 
L'événement  étoit  poftîble  ,  fuivant  la 
théologie  des  Grées  de  ce  tems-là. 

Après  cela,  que  des  personnes  plus 
hardies  que  moi,  ofent  marquer  les 
bornes  entre  la  vraifemblance  &  le- 
metveillçux  ,  p^  rapport  i  chaque 
^enre  dePo^e,'pdr  rapport  au  teins 
«h  Ton  ^{^ofe  que  l'événement  eft; 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  ■Poïjii  (f  far  la  Peinture.  I5Y 
4^rivé  ;  eillîn  par  rapport  à  la  créduli- 
té ,  plus  OH  moins  grande  ,  de  ceiix 
^our  qui  le  Poème  eft  compofé.  Il  me 
-paroît  trop  difficile  de  placer  ces  bor- 
nes. D'un  côté  ,  les  hommes  ne  font 
point  touchés  par  les  événemens  qui  . 
ceffent  d'être  vraifemblables ,  parce 
tp.i'ils  font  trop  merveilleux.  D'un  au- 
tre côté  ,  des  événemens  (i  vraifem- 
tlables  qu'ils  ceflent  -d'être  merveil- 
leux', ne  tes  rendent  guère  attentiftï^ 
Il  en  eft  des  fentimens  comme  des  évé- 
nemens. Les  fentimens  oh  il  n'y  a  rien 
■de  merveilleux  ,  foit  parla  nobleffe  ^ 
'ou  par  la  convenance  du  fentiment, 
foit  par  la  précifion  d«  la  penfée ,  foit 
■par  la  jarteffe  de  l'expreflion ,  paroif- 
fent  plats.  Tout  le  monde ,  dit-on , 
"auroit  penfé  cela.  D'un  autre  côté ,  lés 
fentimens  trop  merveilleux  paroiffent 
feux  &  outrés.  Le  fentiment  que  D«- 
■rier  prête  à  Scévola ,  dans  la  Tragé- 
■die  qui  porte  ce  nom ,  quand  il  Un  faif. 
■dire  ,  en  parlant  du  Peuple  Romain, 
"que  Porfenna  auquef  il  parle ,  vouloît. 
aiîàmer  : 

.    Senourrlrid'uivbru,  ftcombairraderiUD'e, 

devient  auiB  comique  par  Texagéra- 
L  vj 


:,-,zf--„GoOglc 


Ijl  Rcfiexions  erlilpus 

tion  qu'il  renferme  ^  qu'aucun  traît  i9 

l'Ariofte. 

Il  ne  me  paroît  donc  pas  poiIibI« 
d'enfeigner  l'art  de  concilier  le  vrai- 
femblable  &  le  merveilleux.  Cet  art 
n'eft  qu'à  la  portée  de  ceux  qui  font 
nés  Poètes  &  grands  Poètes.  C'eft  à 
eux  qu'il  eil  rélervé  de  faire  une  al* 
liance  du  merveilleux  &  du  vraifem- 
blable  ,  oii  l^in  &  l'autre  ne  perdent 
pas  leurs  droits.  Le  talent  de  faire  une 
telle  alliance ,  eâ  ce  qui  dillingue  émi- 
nemment les  Poètes  de  la  claffe  de  Vir- 
gile, des  Veriificateurs  fans  invention, 
&  des  Poètes  extravagans.   Voilà  ce 

Ïii  dillingue  ys  Poètes  illullres  des 
uteurs  plats ,  &  des  fiiifeurs  de  Ro- 
mans de  Chevalerie  ,  tels  que  font  les 
Amadis.  Ces  derniers  ne  manquent 
pas  certainement  de  merveilleux.  Au 
contraire  ils  en  font  remplis  ;  mais  leurs 
fiûions  fans  vraifemblance  ,  Sc  les  évé- 
nemens  prodigieux  à  l'excès  ,  dégoû- 
tent les  Leûeurs  doitf  le  jugement  eu 
formé,,  &c  qm  connoiflent  les  Auteurs 
judicieux. 

Un  Poëme  qui  pêche  contre  la  vrai- 
lèmblance  ,  ell  d  autant  plus  ^cieux 
que  fon  dé&ut  eft  fenfible  à  tout  k 


:,-,zf-„  Google 


Jhr  la  Poljlt,  Srfur  la  Peinlure.    i  J  J 
monde.  Nous  avons  une  Tragédie  de 
M.  Quinaiilt,  intitulée  Le /aux  Tibt- 
rinus  ,  où  le  Poëte  fuppofe  que  Tibe- 
TÏnus  Roy  d'Albe ,  étant  mort  dans  une 
e7q>édition ,  tin  de  les  Généraux ,  alîn 
<l'empêcher  le  découragement  des  trou> 
ces ,  dérobe  à  leur  connoiflance  U 
mort  du  Roi.  Pour  mieux  cacher  l'ac- 
.   rident,  il  firitfoBtenir à  fon  propre  fils 
le  perf  onnage  du  Roi  Tibermus ,  à  la 
iaveur  d'une  reffemblance  parfaite  qiû 
fe   trouvoit  entre  le  Roi  &  Agrippa. 
-C'efl  le  nom  de^ce  fils  qui  palle  pour 
Tiberînus.    Son  père  fuj^oîe  encore , 
pour  mieux  cimenter  TimpoUure  ,  qn« 
le  Roi  mort  a  fait  tuer  fécretemenc 
Agrippa.  Tout  le  Royaume  d'Albe  s'y 
méprend  un  an  durant ,  &  le  dénoue- 
ment de  la  pièce,  laquelle  fournît  d'aâc 
en  afte  des  fituations  merveilleufes  » 
eft  encore  très-intéreflant.  Cependant 
-on  ne  comptera  jamais  cette  Tragédie 
parmi  celle  qui  font  l'honneur  de  notre 
Théâtre.  Elle  ne  touche  que  par  fur- 
:prife ,   3c  l'on  defavoue  fon  émotion 
propre ,  dès  qu'on  fait  réflexion  à  l'ex- 
travagance de  la  fuppofition,  fur  la- 
quelle toutes  les  fituations  merTeilleti- 
-&s  de  la  Tragédie  font  fondées.  Oa 


:,-,zf--„GoOglc 


n'a  prefque  point  de  plaifir  à  revoir  uiMf 
pièce  qui  fu[^ie  que  la  reJTeniblaDce' 
du  Roi  Tiberinus  &  d'Agrippa  GiX.  ab- 
iblumeni  fi  parfeite ,  même^du  côté  de 
l'efprit ,  que  Tamante  d'Agrippa ,  après 
avoir  en  de  longues  converfation* 
avec  lui ,  continue  i  le  prendre  pour 
Tiberinus- 

.  J'avouerai  cependant  qu'un  Poëme 
fens  merveilleux,  me  deplairoit  en- 
core plus  qu'im  Poëme  fondé  fur  une 
Â:4)poJîtion  ians  vraiiemblanee.  En  ce-- 
h.  )e  fuis  de  l'avis  de  Monfieur  Def- 
préaux  ,  qui  préfère  le  voyage  do. 
iDonde  delaLunedeCyranOrauxPoë'- 
mes  fana  invention  de  Motin  èc  de 
Cotin. 

.  Comme  rien  ne  détruit  plus  la'vrai- 
jémblance  d'un  fait  que  la  connoif- 
iànce  certaine  que  peut  avoir  le  Spec- 
tateur que  le  feit  eft  arrivé  autrement 
que  le  Poëte  ne  le  raconte ,  je  crois 
«lue  les  Poëtes  qui  contredifent  dans 
leurs  ouvrages  des  faits  hiftoriques 
très  -  connus  ,  raiifent  beaucoup  à  la 
vraifemblance  de  leurs  fiâions.  Je  fçai 
bien  que  le  faux  eft  quelquefois  phts 
-Traifemblabble  que  le  vrai  ;  mais  noie 
ne  ceglons  pas  notre  croyance  ^totf- 


...Xooylc 


fitr  Lz  Poçft  &fur  la Pt'mture.  \<^  ^ 
chant  les  faits  fur  leur  vraîfemblance 
métaphyilque ,  ou  Air  le  pied  de  leur 
poffibilité  :  c'eft  fur  la  vraîfemblance 
niftorique.  Nous  n'examinons  pas  c? 
qui  devoir  arriver  plus  probablement, 
mais  ce  que  les  témoins  néceffaires  » 
ce  que  les  HiAoriens  racontent  ;  fie 
c'eft  leur  récit ,  &  non  pas  la  vrai- 
semblance qui  détermine  notre  croyan-- 
ce.  Ainii  nous  ne  croyons  pas  l'eW- 
nement  qui  eft  le  plus  vraifemblable* 
Se  le  pitis  poflible,  mais  ce  qu'ils  nous- 
difent  être  vëritableraeni  arrivé.  Leur 
dépofition  étant  la  régie  de  notre 
croyance  fur  les  faits ,  ce  qui  peut 
être  contraire  à  lein*  dépofition,  ne* 
fçaiiroit  paroître  vraifemblable.  Or 
comme  la  vérité  eft  l'ame  de  l'Hif— 
toire,  la  vraîfemblance  eft  l'ame  d& 
U  Poëfie. 


>€ 


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X^S         RijUxions  critiques 


SECTION     XXIX. 

Si  Us  Poètes  Tra^quesfont  obligés  de  fi 
conformer  à  ce  que  la  Géographie , 
VHifioire  &  la  Chronologie  nous  ap- 
prenneru  pofitivement. 

_  Remarques  à  cefujet  fur  quelques  Tragc- 
^dies  de  CormilU  &  de  Racine. 

J  E  crois  donc  qu'un  Poëte  tragique 
va  contre  fon  Art,  quand  il  péehe  troj^ 
groffierement  contre  l'Hiftoirc  ,  la 
Chronologie  &  la  Géographie  ,  en 
avançant  des  faits  qui  font  démenas 
par  ces  Sdences.  Plus  le  contraire  de 
ce  qu'il  avance ,  eft  notoire ,  plus  (on 
erreiU'  devient  nuifible  à  fon  ouvrage. 
Le  Public  ne  pardonne  guère  de  pa- 
reilles fautes,  quand  il  les  connoît  ;  & 
jamais  il  ne  les  excufe  fi  pleinement 
qu'il  n'en  efiiftie  un  peu  moins  l'ou- 
vrage. 

U«  Poëte  ne  doit  donc  pas  faire  fau- 
ver  la  vie  à  Thomiris  par  Cyrus,  ni 
feire  tuer  Brutus  par  Céfar.  Je  crois 
encore  qu'il  doit  à  la  Fable  univerfel- 
lemeot  établie  »  le  même  refpeâ  qu'à 


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fur  ta.  Peëjii  &  fur  la  Peî/iturt.  ity 
PHiiloire.  Ce  que  la  Fable  nous  débite 
de  fes  Héros  &c  de  fes  Dieux,  s'eft 
acquis  le  droit  de  palTer  pour  vérité 
dans  les  Poëmes ,  &c  nous  ne  Ibmmes 
plus  parties  capables  de  contredire  Tes 
narrations.  Un  Poète  ne  doit  aufli  rien 
changer,  fans  une  grande  néceffité, à 
ce  que  rHiftoIre  Se  la  Fable  nous  ap- 
prennent des  événemens  ,  des  mœurs  , 
des  coutumes  Se  des  ufages  des  pays 
oh  il  place  fa  icène. 

Ce  que  je  dis  ne  doit  pas  s'enten- 
dre des  faits  de  peu  d'importance ,  Sç 
conféquemmentpeuconnus.  Par  exenv 
pie  ,  -ce  feroit  une  pédanterie  que  d« 
reprendre  Monfieur  Racine  d'avoir  fait 
dire  à  NarcilTe ,  dans  firitannicus ,  que 
Lpcufte ,  cette  ^meufe  empoîfonneufe 
mi  tems-  de  Néron ,  a  hit  expirer  uq 
Efclave  k  fes  yeux ,  pour  eflayer  l'ac- 
tivité du  poîfon  qu'elle  avoit  préparé 
pour  Britannicus ,  parce  que  les  HiHo- 
liens  racontent  que  cette  épreuve  flit 
faite  fur  un  'porc.  La  circonllance  que 
le  Poè'te  change ,  n'eft  point  affez  im- 
portante pour  la  conferver  aux  dépens 
du  pathétique  que  ta  vie  d'im  homme 
facrifié  pour  faire  une  épraive  ,  jette 
dans  te  récit ,  &c  de  l'embarras  qu'il  ^ 


■,r  ..Google 


ï^  Héfiexîom  crïtiqutf 

auroit  à"  raconter  cet  incident ,  cOnWfcr 
fe  narrent  les  Hiftoriens.  Mais  je  ne" 
sondamnerois  pas  de  même  celiri  qui 
reprendroii  dans  cette  pièce  de  Racine 
beaucoup  de  chofes  pleinement  démen- 
ties par  ce  que  nous  fçavcns  pofitive— 
ment  des  mœurs  de  ce  tems-là  &  de 
l'Hiftoîre  de  Néron. 

Junia  Calvina ,  l'amante  de  Britan-- 
aicus  fur  laquelle  le  Poète  («"end  foiir 
de  nous  inftruîre  dans  fa  Préface , 
&'  qu'il  a  tant  de  peur  que  nous 
ne  confondions  avec  Junia  Sîlana ,  n'é- 
«oit  point  à  Rome  dans  le  tems  de  la 
tfiort  de  Britannicus.  Il  n'çft  pas  pofE- 
ble  qu'elle  air  été  un  perfonnage  de 
Faftion  qu'il  met  fur  le  théâtre,  jtmia 
Calvina  avoit  été  exilée  vers  la  fin  ckt 
règne  de  Claude,  comme  coupable 
d'incefte  avec  fon  frere,,&  Néronne  la 
fappella  de.fon  exil ,  que  lorfqu^il  vou- 
lut faire  un  certain  nombre  d'afKons 
de  bonté ,  afin-  d'adoucir  les  efprits  aï- 
gris  contre  lui  par  le  meurtre  de  fa' 
mère.  Dailleurs  le  caraflère  que  Mon- 
sieur Racine  s'eft  plù  à  donner  à  cette 
Junia  Calvina,  eft  bien  démenti  par 
THiftoire.  Il  affefle  de  la  peindre  com- 
ÉiË  une  fille  vertueufe  en  jeune,  per- 


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,  fur  laPoëfu&fur  [aPtintUTC.  ÏJ^g 
fonne  :  &  plus  d'une  fois  il  lui  fair 
dire  ,  en  phraies  poétiques ,  qu'elle  n'a 
point  vu  le  monde ,  &  qu'elle  ne  le- 
connoît  pas  encore. 

Tacite  ,  qui  doit  avoir  vu  Junia  Cal- 
TÏna ,  puifqu'elle  a  vécu  jufques  fous 
le  règne  de  Vefpafien,  dit  (a)  dans 
l'Hiftoire  de  Claudius,'  qu'elle  étoit 
une  effrontée.  Avant  que  Claudius- 
ëpousât  Agrippine  ,  8c  plus  de  fept  ans- 
avant  ia  mort  de  Britannicus  ,  elle- 
avoit  été  mariée  à  Lucius  Vitcilius  ,- 
le  frère  de  Vitellius  qui  fiit  Empereur 
dans  la  fuite.-  Seneque  ,  dans  la  Satyre' 
iiîgénieufe  qu'il  lîcrivit  fur  la  mort  de- 
l'Empereur  Claudius,  parle  de  Juniaj 
Calvina  en  homme  qui  la  tenoit  réel- 
lement coupable  du  crime  d'incefte- 
avec  fon  propre  frère ,  8c  pour  lequel 
elle  avoit  été  exilée  fous  le  règne  de 
ce  Prince.  Racine  rapporte  une  partie 
<lii  paffage  de  Seneque  ,  d'une  manière 
à  fîtîre  croire  qu'il  ne  l'avoit  pas  liV 
tout  entier.  Il  cite  bien  l'expreflion 
dont  Seneque  fe  fert  pour  dire  qu'elle 
étoit  la  jeune  perfonne  de  fon  temsla 
pllis  enjouée  ;  Feflivifimam  omnium  puel- 
^um.  Mais  Racine  ne  nous  dit  pas  ce 


:,-,zf--„GoOglc 


i6o  Réficxîons  erîàquti 

qu'ajoute  Senecjue  ;  Que  Junia  Calvi» 
fia  paroifToit  une  Venus  à  tout  le  mon- 
de ,  mais  que  fon  frère  aimoit  mieux 
en  faire  fa  Junon.  Perfonne  n'ignore 
que  Junon  ctoit  a  la  fois  la  fœur  &  la 
femme  de  Jupiter.  Monfieur  Racine 
fuppofe  dans  fa  Préface  que  l'âge  feul 
de  Junia  Carvina  rempêcna  d'être  re- 
çue chez  les  Veflales  ,  puifqu'il  penfe 
avoir  rendu  fa  réception  dans  leur 
Collège  vraifemblable  ,  en  lui  faifant 
donner  parie  peuple  une  difpenfe, d'â- 
ge, événement  ridicule  par  rapporta 
ce  temsJà ,  oii  le  peuple  ne  falfoit  plus 
les  toix.  Mais  outre  ^le  l'âge  de  Junia 
Calvina  étoit  trop  avancé  pour  fa  ré- 
ception parmi  les  Veflales  ,  il  y  avoit 
encore  plufieurs  raifons  qui  rendoient 
fa  réception  dans  Teur  Coîlége  impof^ 
fible.  Enfin  ce  inÀt  eft  détruit  par  tout 
ce  que  les  Hifloriens  nous  appren- 
nent de  la  vie  de  Junia  Calvina. 
Je  ne  penfe  pas  auIH  qu'il  fût  permis 
à  M.  Racine  de  reflufcîter  NarciiTe ,' 
perfonnage  auffi  fameux  dans  l'Hiftoirc 
Romaine  que  les  Confuls  les  plus  \i- 
Juftres,  pour  en  faiie  un  desAâeiirs 
de  fa  pièce.  Tacite  nous  apprend  que 
dès  les  premiers  joiu-s  du  règne  de  M' 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  P0êjzt&  fur  la  Peinture,  16 1' 
ion,  Agrippine  obligea  cet  aliranchi 
célèbre  à  le  donner  la  mort. 

On  trouve  dans  Britanmcuspliifie,iirs 
autres  fautes  pareilles  à  celles  que  je 
viens  d'expofer  ;  mais  il  y  en  a  encore 
davantage  dans  la  Tragédie  de  Béré- 
nice. Monfieur  Racine  y  feit  aggran- 
dir,  par  Titus  ,  les  Etats  de  cette  Rei- 
ne. Il  eft  parlé  vingt  fois  des  Etats  de 
Bérénice  dans  la  pièce  ,  &  cette  Prin- 
ceffe  n'eut  jamais  ni  Royaume ,  ni 
Principauté.  On  l'appelloit  Reine  ,  ou 
parce  qu'elle  avoit  époiifé  des  Souve- 
rains,ou parce  qu'elle  étoit  fille  de  Roi: 
l'ufage  d'appelier  Reine  les  filles  de 
■îlois,  a  eu  cours  dans  plufieurs  pays, 
&  même  en  France  (a).  Racine  mp- 
pofe  que  fon  Antiochus  ,  celui  qui  tut 
blefle  dans  un  combat  des  troupes 
d'Othon  contre  celles  de  Vitellius,  & 
qui  avoit  mené  un  fecours  aux  Ro- 
mains devant  Jérufalem ,  fut  Roi  de 
Commagene  fous  l'Empire  de  Titus  , 
quoique  les  Hiftoriens  nous  appren- 
çent  que  le  père  de  ce  Prince  infor- 
tuné ,  a  étç  le  dernier  Roi  de  Comma- 
gene. Il  fut  foupçonné  fous  l'empire 
de  Vefpafien ,  le  père  &  le  prédécef- 

W  t'Oï/ifluiiti  Orirtt .  th.  Tj.  s.  3t. 


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3.6i  Réflexions  xritiquts 

■feur  de  Titus  ,  d'intelligence  avec  le» 
farthes  ,  &  il  fîit  obligé  de  fe  fauver 
chez  eux  avec  fes  fils,  dont  l'Antio- 
chus  de  Racine  étoit  un  ,  pour  éviter 
de  tomber  entre  les  mains  de-Cefen- 
nîus  Pœtus  qui  avoit  ordre  de  les  eo- 
Jever.  Pœtus  fe  mit  en  poffeflion  de  la. 
Commagene  ,  qui  fut  dèflors  réduite 
pour  toujours  en  Province  de  l'Empire. 
Ainfi  lors  de  l'avènement  de  Titus  aa 
Trône  *  Anthiocus  Ephiphane  étoit  re- 
fiigié  chez  les  Parthes ,  &  il  n'y  avoit 
plus  de  Roi  de  Commagene.  Notre 
Poëte  pèche  encore  contre  la  vérité  > 
quand  il  &it  dire  à  Paulin  que  Titus 
charge  ,  comme  fon  confident ,  de  lui 
parler  fur  le  mariajge  de  Bérénice: 
Qu'on  a  vu 

D«  fcrt  de  CIaud[ui  Fdlt  encore  flétiî 
De  dsuxReinei ,  Seigneur ,  devcDirteinir!'. 
El  t'ilfaut  jnr^u'iu  bout  que  je  vaut  abéîlTe , 
Cei  deux  Reine:  éioicnt  du  fang  de  ^tirCite- 

Ce  Félix  ,  fi  connu  par  Tacite  &  par 
Jofeph ,  n'époufa  jamais  qu'une  Reine 
ou  fille  d'un  fang  royal ,  qui  fut  Dni- 
fille.  Il  eft  vrai  qu'elle  étoit  du  fang 
de  Bérénice.  C'étoit  fa  propre  fœur. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  laPoifit&furla  Pànturt.  i$j 
.Je,  ne  voiidrois  donc  pas  acciifer  de 
pédanterie  celui  qiiî  ceniiireroit  Mon- 
fieur  Racine  d'avoir  fait  un  fi  grand 
nombre  de  fautes  contre  une  Hifloire 
autant  avérée ,  &:  généralenuînt  aulH 
connue  que  l'Hiftoire  des  premiers 
;Empereurs  des  Romains ,  comme  d'êtr-e 
tombé  dans  des  erreurs  de  Géogra- 
phie ,  qu'il  pouvoit  aifément  s'épar- 
gner. Telle  efl.  l'erreur  qu'il  fait  coni#- 
mettre  par  Mithridate ,  en  lui  faifant 
dire  à  fes  fils  dans  l'expofition  de  fon 
projet,  de  pafTer  en  Italie,  &  de  fur- 
prendre  Rome. 

Doutei-voii!  (]iie  rEimio  nemeportcendïui  jouii 
AuxlieuioiileDinubey  vkni finit  fon cours! 

U  en  pouvoit  bien  douter ,  dit  un  Prin*' 
ce  qui  a  commandé  des  Armées  furies 
bors  du  Danube  ,  &  qui ,  comme  Mi- 
thridate ,  a  confervé  la  réputation  de 
grand  Capitaine  dans  Time  âc  dans  l'au- 
tre fortune ,  puifque  la  chofe  eft  réel- 
lement impomble.  L'armée  navale  de 
Mithridate  ,  en  partant  des  environs 
d'Âfaph  &C  du  détroit  de  CafTa  ,  oii 
Racine  établit  la  fcène  de  fa  pièce 
avoit  près  de  trois  cens  lieues  ^  faire 
avant  que  de  débvquer  fux  les  rives 


:,-,zf--„GoOglc 


164  Réflexions  crinqifts 

du  Danube,  Des  vaiiTeaiix  qui  mvî- 
guent  en  flotte  ,  ôc  (jui  n'ont  d'antres 
moyens  d'avancer, que  des  rames  &  des 
voiles  ,  ne  fçauroient  fe  promettre  de 
foire  cette  TCMte  en  moins  de  huit  ou 
dix  jours,  Monfieiu-  Racine  ,  iàns  crain- 
dre d'ôter  le  merveilleux  de  l'entre- 
jMÎfe  de  Mithridate  ,  ponvoit  bien  en- 
core accorder  fix  mois  de  marche  à 
fon  armée ,  qui  «voit  fept  cens  lieues  à 
faire  pour  arriver  à  Rome.  Le  vers  qu'il 
fsLit  dire  à  Mithridate  , 


révolte  ceux  qui  ont  quelque  cotuioil- 
fance  de  la  dîftance  des  lieux.  Quoi- 
que les  Armées  Grecques.  &  Romai-; 
nés  marchaffent  avec  phis  de  célérité 
que  les  nôtres,  il  eft  toujours  vrai  qu'il 
n'y  a  point  de  troupes  qui  puiffent  du- 
rant trois  mois,  &  fans  jamais  féjour- 
ner ,  faire  chaque  jour  près  de  huit 
lieues ,  furtout  en  paffant  par  des  pays 
difficiles  &  ennemis ,  ou  du  moins  fiiC- 
peûs ,  tels  qu'étoient  la  plupart  des 
•pays  que  Mithridate  avoît  a  traverferj, 
Ces  fortes  de  critiques  courent  dans 
le  monde ,  furtout  quand  une  pièce 
eft  nouvelle,  ôc  fouvent  on  les  fait 
valoir 


:-„r.,  Google 


fur  ta.  Poijîe  &fur  la.  Ptlature.  16  5 
valoir  contre  un  Poëte -encore  plus 
qu'elles  ne  devroient  valoir. 

Monfieur  Corneille  eft  fouvent  tom- 
bé dans  la  même  inattention  que  Mon- 
fieur Racine.  Je  n'en  citerai  qu'un 
exemple  ;  ce  que  dit  Nicomede  à  Fla- 
mixiius ,  rAmbaJTadeur  des  Romains 
auprès  ou  Roi  Pnifias  Ton  père.  Nico- 
mede ,  après  avoir  fait  reffouvenir 
r^mbaâadeur  qu'Annibal  avoit  gagné 
la  Bataille  de  Trafimene  fur  un  Flami- 
nivis ,  il  ravertit  encore  de  ne  pas  ou- 
blier f 

Qu'tucrcfoitce^indhomme 
Comnenfipufon  père  i  triompher  de  Rome. 

I^ais  Titus  Quintus  Flaminius ,  celui  i 
qui  parle  Nicomede ,  &c  qui  avoit  con- 
traint  Annibal  d'avoir  recours  au  poi- 
ibn,  n'étoit  pas  le  fils  de  celui  qui  per-- 
dit  la  bataille  de  Tralîmene  co«re  An- 
nibal. Ils  éto|^nt  même  de  maifon  fiç- 
de  races  diiFérehtef.  Flaminius  défait  à 
Trafimene,  étoit  Plébéien;  &  Flami- 
nius qui  iiit  Ambafladeur  de  la  Répu- 
blique auprès  de-  Prufias ,  &c  qui  fut 
caufe  de  la  mort  d' Annibal ,  étoit  Pa- 
tricien. D'aUieurs  la  Bataille  de  Tra- 
fimcne  ne  fut  point  le  pren)i<;r  iiiccc^ 
Tomtl,  '  M 


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i66  .  Réflexions  critiques 
d'Ânnibal  en  bàiie.  EUe  avoit  été  pré- 
cédée  par  la  Jiataille  de  la  Trébbia ,  &c  ' 
par  le  ramenx  combat  du  Téfin  que  le 
Général  Carthaginois  avràt  déjà  ga- 
gné ,  quand  il  battit  Flaminius  auprès 
du  Lac  de  Péroulê.  Je  ne  Tçai  pour- 
quoi il  a  plû  à  Moniteur  ComeiÛe  de 
faire  cette  fente ,  en  confondant  deux 
Flaminius ,  qnandks  Sfarans  la  repo- 
choient  depuis  loi^tems  à  TAuteùr  de 
la  vie  àx  Hofomes  lUuftres,  qui  eft 
Jbus  le  ocMB  d'AnreUiu  Viâor. 

II  eft  vrai  que  les  Tragiques  Grecs 
ont  fait  quelquefois  de  lemblables 
feutes .  mais  çUes  n'excufent  point 
celles  des  modernes  ,  d'autant  plus  que 
VArt  devroit  du  moins  être  ^ourd*hui 
plus  parfait.  D*aiUeuis  on  a  toi^ours 
repris  les  Poëtes  tragiques  de  ta  Grè- 
ce de  ces'  fentes  qui  oinfent  i  la  viai- 
femblance  de  leurs  fiqipofitions ,  en 
(çunbattant  des  vérités^certaines  &. 
coofuies.  Faterculu  (<)  reproche  mê' 
me  à  ces  Poëtes  ,  comme  une  erreur 
groffiere ,  d'avoir  a[^Ué  Tli^alie 
cette:  partie  de  la  Grèce  qui  fiit  »oâ^ 
pomaiée  dans  la  .fuite,  en  des  temS'' 
OÙ  elle  ne  port<£tpa5  encore  ice'novii 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poift  SffuT  la  Peiniurt.  167 
Orne  SMHM  oùréri  eonvtnit  tes ,  fiu , 
itiaca  componenus  ttmpora ,  de  ta  regîone 
ut  TktJpiÛa  comnumorant  ;  qitèd  eùm  alii 
/aciant  Tragicî  ,  fTtqmmiffimï  fac'tunt  , 
quitus  minime  id  tonctdtriduW  efi  ,  nihll 
taim  fmb  perfona  Potttt  ,  fid  oHinia  fub 
eorum  »  qui  dlo  umpore  vixtnlnt ,  dixe- 
runt.  En  effet  la  faute  choque  d'au- 
tant fJusdansk  Poëte  tragicjue  ,  qu'il 
Ja  fait  commettre  à  un  perfonnage 
qui  vivoît  dans  des  téifis  oti  il  ne  poii- 
voit  point  faire  cette  faute.  Nous  ptAi- 
vons  encore  confirmer  notre  fentiment 

rce  qii'Ariftote  dit  (<i)  au  fujei  de 
vraifemblance  hiftonque  qu'il  faut 
garder  dans  les  Poèmes.  11  blâme  ceux 
qui  prétendent  que  l'exaâifude  à  fe  con- 
former à  cette  vraifemblance ,  foitunô 
affeûation  inutile  ;  &  même  il  reprend 
Sophocle  d'avoir  fait  atinoncer  d^ns  la 
Tragédie  d'EIeâre  qu'Orefte  s'étoit 
tué  aux  Jeu»  Pythiens  ,  parce  qlie'  ces 
jeux  ne  furent  inflitués  que  phifieur's 
fiécles  après  Ore Ae.  Mais  il  aii  plus  faci- 
le aux  Poètes  de  traiter  cette  exaâitude 
de  pédanterie ,  que  d'acquérir  les  con- 
■noiffances  néceffaires  pour  ne  point 
faire  de  fantes  pareilles  à  l'erreur  qu'A- 
riftote  reproche  à  Sophocle. 

{■Dfamc.ch.ii.  M  ij 


.C.<x,8lc 


1^8  Réflexions  aiùques 


SECTION      XXX, 

P»  la  vraîfembîanct  en  Petraure  y  &  des 
égards  que  les.  Peintres  doivent  aux 
TraditioTis  reçues^ 

1  L  efl  deux  fortes  tle  vraîfemblance 
en  peinture,  la  vraisemblance  poétique 
&  la  vraifemblance  mécanique.  La 
vfaifemblance  mécanique  confifte  à  ne 
rien  repréfenter  qui  ne  foit  poâîble, 
Aiivant  les  loix  de  la  ûatique  ,  les  loix 
du  mouvement,  &  les  loix  dç  l'op^ 
tique. 

Cette  vraifemblance  mécanique  con- 
iUle  donc  à  ne  point  donner  à  une 
lumière  d'autres  effets  que  ceux  qu'elle 
aiiroit  dans  la  Nature  :  par  exemple , 
à  ne  lui  point  faire  éclairer  les  corps 
fur  lefquels  d'autres  coriM  interpolés 
l'empêcbent  ,de  tomber.  Elle  conAAe 
jt  ne  point  s'éloigner  fenftblement  de 
la  proportion  naturelle  des  corps  ;  à 
ne  point  leur  donner  plus  de  force 
qu'il  eft  vraifemblabk  qu'ils  en  puiflent 
avoir.  Un  Peintre  pécherojt  contre 
ces  loix  ^  s'U  faifoit  lever  paç  un  tupav- 


:,-,zf-,GoOglc 


fur  ta  Poîfit  &furU  Peîaiure.  1^9 
me  t^ù  feroit  mis  dans  une  attitude  , 
laquelle  ne  lui  laifleroit  que  la  moitié 
de  fes  forces ,  un  ferdeau  qu\m  hom- 
me ,  qui  peut  faire  ufaee  de  toutes  fes 
forces,  auroit  peine  à  ébranler.  Encore 
moins  faut-il  faire  porter  à  utie  fieiire 
iin  tronçon  de  colonne ,  ou  quelque 
autre  tajrdeau  d'ime  pefanteur  exceflî'- 
ve  y  &  au-deiTus  des  forces  d'im  Her- 
cule. Mais  fi  Ton  Aippofe ,  dira-t'on , 
que  CES  %ures  font  des  Génies  bons 
ou  mauvais,  dont  les  forces  font  plus 
qu'humaines ,  alors  la  vraifemblance 
n*en  fouâiira  point.  A  cela  je  réplique , 
que  le  Peintre  aura  bien  alors  la  raifon 
pour  lui  f  mais  il  aura  les  fens  contre 
lui.  A  qui  doit-il  plaire  principalement  i  ■ 
Je  ne  parlerai  point  plus  au  long  de 
la  vraifemblance  médianique  ,  parce 
qu'on  en  trouve  des  règles  très-détail- 
léestlans  les  livres  qui  traitent  de  l'Art 
de  fo  Peinture. 

La  vraifemblance  poétique  conlifte 
à  donner  à  fes  perfonnages  les  payions 
qui  leur  conviennent,  fuivant  leur  âge , 
leur  dignité  ,  fuivant  le  tempérament 
qu'on'  leur  prête ,  &  l'intérêt  qu'on 
leur  hit  |Hendre  dans  l'aâion.  Elle 
confiâe  à  cbfcTvet  dans  fon  tableau 
Miij 


:,-,zf--„GoOglc 


ija  RéjUxians  critiques 

ce  que  les  Italiens .  appellent  //  Coflu- 
mi^  c'eÛà-dire,  à  s'y  conformer  à  ce 
que  nous  fçavons  des  mœurs,  des  ha- 
bits ,  des  bâtiment  &c  des  aimes  [^rti- 
euHercs  des  peuples  qu'on  veut  repré- 
fenter.  La  vraifemblaace  poétique,  con- 
fiée enBn  à^  donner -aux  perionnages 
d'un  tableau  leur  tête  &  leur  caraÔere 
connu ,  quand  ila  en  ont  un ,  foit  que 
ce  caraâerç  ait  été  pri«-fur  des  por- 
tjaits ,  Ibit  qu'il  ait  été  iangÎBé.  Nous 
parlerons  tantôt  plus  au  Ipng  de  ces 
caraûeres  connus. 

Quoique  tous  l'es  ipe^itfeurs  dans 
un  tableau  deviennent  des  Ââeurs, 
leur  aûionnéannKîinsnedaitêïirevive 
qu'à  proportion  dâ  l'intérêt  (^ulh  preo- 
n£at  à  l'événement  dant.<Hi  les  rend 
témoins.  Ainlî  le  A>ldat  qui  voit  le  fa- 
crifîce  d'f  phigrâîe  doit  être  énui ,  mais 
il  ne  'doit  point  être  aulS  ému  qu'un 
frère  de  la  viâtme.  Une  femme  qui 
affîile  au  ji^emont  de  Suzaimo  ,  &C 
qu'on  ne  reconnoàt  point  à  fon  aiv  de 
^te  ou  à  fes  traits  pour  ^re  la  iœas 
ou  la  mère  àa  Suzanne ,  ne  doit  pas 
montrer  le  même  degré  d'aAlâion, 
qu'une  parente.  Il  raiit  qu'un  jeune 
homme  applaudiflè  avec  plus  d'en^ref- 
fement  qu'un  vieillard. 


fur  ta  Poêfit  &  fur  la  Ptimurt.     17 1 
L'attention  à  la  même  chofe  eft  en- 
core difFérente  en  ces  deux  âges.  Le 
jeune  homme  doit  paroître  livré  plei- 
nement à  tel  fpeâacle  que  l'homme 
d'expérience  ne  doit  voir  qu'avec  une 
légère  attention.  Le  fpeâateur ,  à  qui 
l'on  donne  la  phifîonomie  d'un  homme 
d*efprit ,  ne  doit  point  admirer  comme 
celui  qu'on  a  caraâérifé  par  une  phy- 
fionomie  ftupîde.  L'étorniement  d'un 
Roi  ne  doit  point  être  celui  d'un  Som- 
me du  peuple.  Un  homme  qui  écoute 
de  loin  ,  ne  doit  pas  fe  préienter  com- 
me celui  qui  écoute  de  près.  L'atten- 
tion de  celui  qui  voit ,  eft  différente 
de     Tattention  de  celui   qui  ne  feit 
qu'entendre.    Une  perfonne  vive  ne 
voit  pas  &  n'écoute  pas  dans  la  même 
attitude  qu'une    perfonne  mélancoli- 
que. Le  refoeô  &  Pattention  qite  la 
Cour  d'un  Roi  de  Perfe  témoigne  pour 
fcn  maître  doivent  être  exprimés  par 
des  démonftrations  qui  ne  conviennent 
•  pas  à  l'attention  de  la  fuite  d'un  Con- 
ml  Romain  pour  fon  Ma^rat.    La 
crainte  d'unEîclave  n'eft  pas  celle  d'un 
Citoyen ,  ni  la  peur  d'une  femme  celle 
d'im  foldat.  Un  foldat  qui  verroit  le 
ciel  s*entrouvrir ,  ne  doit  pas  même 
Miy 


:,-,zf--„GoOglc 


271  RèfitxÀons  CTiàqms 

avoir  jïeur  comme  une  perfomie  d*iuie 
autre  condition,  La  grande  frayeur  peut 
rendre  une  femme  immobile  ;  mais  le 
ibldat  éperdu  doit  encore  fe  mettre 
en  polhire  de  fe  fervir  de  fes  armes, 
du  moins  par  un  mouvement  purement 
machinal.  Un  homme  de  tourage  ,  at- 
taqué d'une  grande  douleur  ,  laifle 
bien  voir  fa  fouâiance  j>einte  fur  fon 
vifagei  mais  elle  n'ydoitpointparoître 
tejle  'qu'elle  fe  montreroit  fur  le  vi- 
fage  d'une  femme.  La  colère  d'un  hom- 
me bilieux  n'elt  pas  celle  d'im  homme 
mélancolique. 

On  voit  au  maître-^utel  de  la  pe- 
tite Eglife  de  faint  Etiemie  de  Gènes 
un  tableau  de  Jules  Romain  qui  repré-. 
fente  le  martyre  de  ce  Saint.  Le  Pein- 
tre y  exprime  parfaitement  bien  la  dif- 
férence qui  eft  entre  l'aftion  naturelle 
des  perfonnes  de  chaque  tempéra- 
ment ,  quoiqu'elles  agifleni  par  la  mê- 
me pallion  ;  &  l'en  fçait  bien  que  cette 
forte  d'exécution  ne  fe  faifoit  point 

fiar  des  bourreaux  payés ,  mais  par 
e  peuple  lui-même.  Un  des  Juifs  qui 
lapide  le  Saint ,  a,  des  cheveux  rouf- 
fâtres,  le  teint  haut  en  couleur  ,  enfin 
toutes  les  marques  d'im  homme  bilieux 


:,-,zf-„  Google 


far  U  Poêfie  &  far  la  Peiruure.  ly  3 
&  fanguin ,  &  il  paroît  Iranfporté  de 
colère.  Sa  bouche  &  les  narines  font 
ouvertes  extraordinairtment.  Son  gefte 
eft  celui  d'un  furieux  ;  &  pour  lancer 
fa  pierre  avec  plus  d'impétuofité ,  il  ne 
iè  foutient  que  fur  \m  pied.  Un  autre 
hiif  placé  auprès  du  premier ,  &  qu'on 
reconnoît  être  d'un  tempérament  mé- 
lancolique à  la  maigreur  de  fon  corps , 
à  fontein  livide  ,  comme  à  la  noirceur 
des  poils  5  Ce  ramaffe  tout  le  corps  en 
jettant  ia  pierre ,  qu'il  adreffe  à  la  tête 
du  Saint.  On  voit  bien  que  fa  haine 
eil  encore  plus  forte  que  cçlle  du  pre- 
mier f  quoique  fon  maintien  &  fon 
gefte  ne  marquent  pas  tant  de  fureur. 
Sa  coUre  contre  un  homme  condam- 
né par  la  loi ,  &  qu'il  exéaite  parpriri-' 
cipe  de  religion  ,'  n'en  eft  pas  moins 
grande  pour  être  d'une  efpece  diffé-' 
rente. 

L'emportement  d'un  Général  ne  doit 
pas  être  le  même  que  celui  d'un  fmiple 
îbldat.  En&i  il  en  ell  de  même  de  tous 
lesfentimens  &c  de  toiues  les  paflîons. 
Si  je  n'en  parle  point  plus  au  lon[;, 
c'eft  que  j'en  ai  d^a  dit  trop  pour  les 
perfonnes  qui  ont  réfléchi  fur  le  grand 
ait  des  expreflions  y  quand  je  n'en  fç:ut' 
Mv 


:,-,zf--„GoOglc_ 


3.74  Rdfiexi^ns  critiques 

rois  dire  alTez  pour  celles  qui  n'y  oot 

pas  réfléchi. 

La  vraifembUnce  poétique  conHûe 
enccM'e  dans  l'observation  dçs  regif» 
que  nous  comprenons,  ainfi  qi^  les 
Italiens,  fous  le  mot  de  Coftumé:  oI>- 
l^rvatiop  qui  donne  un  li  grand  mérite 
aux  tableaux  du  Pouflîn,  Suivant  ces 
■  règles ,  il  faut  repréfenter  les  lieux  oU 
l'aflion  s'eft  paffée ,  teis  qu'ils  ont  été  , 
£  nous  en  avons  connotflance  ;  âc  quand 
il  n'en  eft  pss  demeuré  de  notion  pré- 
«tife  ,  il  faut ,  en  iniagînani  leur  dif- 
pofilion  ,  prendre  ga^rde  à  ne  fe  poiat 
trouvereBccwti-adiâionavecce  qu'on  ■ 
en  peut  fç9Voir.  Les  mêmes  règles 
veulent  encore  qu'on  doima  aux  diffé- 
rentes Mations  qui  paroiflent  (vdinai- 
r«mettf  fiu- 1^  fcène  des  tableaux ,  la 
couleur  de  vifage  &.1 'habitude  de.cprps 
que  l'Hiftoîre  a  remarqué  leur  être, 
propres.  Uefi  même  beau  de  pouffer  la 
vraifemblance  jufqïi'à  fuivre  ce  que 
nous  fçavOQs  de  particulier  des  ani- 
matix  de  chaque  p4ys  ,  qi^nd  nous 
repréfentons  un  événement  arrivé  dans 
ce  pays-rlà.  Le  pQuffin  qui  a  traité  plu-  . 
fieurs  aûions ,  dont  la  fcène  efl  en 
Egypte  >  met  prefque  toujours  dans  fes 


:,-,zi-,GoOglc 


fur  là  Pùifit  &fur  ia  Ptloturt.  17  J 
tableaux  des  bâtinwns ,  des  arbres  ou 
des  animaux,  qui,  par  dllFérentesm- 
ibns  ,  font  regardés  comme  étant  par- 
nculiers  à  ce  p^< 

Monfieùr  le  Brun  a  Aiîvi  ces  règle» 
dans  Tes  tableaux  de  lUIftoire  d'Alexan- 
dre arec  la  même  poHâttaliré.  Les 
Perfes  8t  les  IndieAs  s'y  diftfai^ent  des 
Grecs  à  leiu*  phyfionomie  aurant  qu'à 
leurs  armes.  Leurs  chevaux  n'ont  pas 
le  même  corfage  que  ceux  des  Macé- 
doniens. Conformément  à  la  vérité, 
les  chevaux  .des  Perfes  y  font  repré- 
fentés  plus  minces.  J'ai  entendu  dire, 
à-Monfiellr  Perrtuit  que  fon  ami  Mon- 
fKur  le  Brun  avoir  fait  deffiner  à.Alep 
des  chevaux  de  Perfe ,  afin  d'obferver 
le  Coflami  fur  ce  point-là  dans  fes  ta- 
bleaux. Il  eft  vrai  qu'il  fé  trompa  fur 
la  tête  d'Alexandre  dans  !e  premier 
qu'il  fit.  C'efi  celui  qui- repréf ente  les 
Reines  de  Perfe  auxpieds d'Alexandre. 
On  avoit  donné  à  Moniteur  le  Brun 
pour  la  t£te  d'Alexandre  une  tête  de 
Minerve  qui  ^oit  fur  unfrMédaille ,  au 
revers 'de  laquelle  on  lifoit  le  no** 
d'Alexandre.  Ce  Prince  ,  contre  la  vé- 
rité qui  nous  eft  connue  ,  paroît  dbhc- 
beau  comme  une  femme  dans-  ce  ta< 
Mvj 


:,-,zf-,GoOglc 


iy6     *    Rlfitxhns  cfitiquts    .  " 

bleau.  Mais  Monfieur  le  Bnui  fe  cot- 
rigea ,  dès  qu'il  eut  été  averti  de  Ta 
mépriie ,  &  il  nous  a  donné  la  véri- 
table tête  d'Alexandre  dans  le  tableau 
du  paâàge  du  Granique  ^  &  dans  celui 
de  Ion  entrée  à  Babylone.  U  en  prit 
idée  d'après  le  bufte  de  ce  Prince  qui 
£e  voit  dans. un  des  bofquets  de  Ver- 
failles  fur  une  colonne ,  &  qu'un  Sculp- 
teur moderne  a  déguîfé  en  Mars  Gau< 
lois,  en  lui  mettant  un  coq  fur  fon 
cafque.  Ce  bufte ,  ainfi  qite  la  colonne 
qui  eft  d'albâtre  Oriental,  ont  été  ap- 
portés d'Alexandrie. 

La  vraifemblance  poétique  exige 
aufli  qu'on  repréfente  les  Kations  avec 
leurs  vâtemeiis ,  leurs  armes  &  leurs 
étendarts.  Qu'on  mette  dans  les  en- 
feignes  des  Athéniens,  la  Chouette; 
dans  celles  des  Egyptiens  ,  la  Cigo- 
gne ;&  l'Aigle  dans  celles  des  Eomains  ; 
enfin  qu'on  fe  conforme  à  celles  de  leurs 
coutumes  qui  ont  du  rapport  avec  l'ac- 
tion du  tableau.  Ainfî  le  Peintre  qui 
fera  un  tableau  de  la  mort  de  Britanni- 
cus ,  ne  repréfcntera  point  Néron  &  les 
auues  convives  aâis  autour  d'ime  ta- 
ble ;  mais  bien  couchés  fur  des  lits. 
L'eneur  d'introduire  dans  une  aâion 


:,-,..-,C<»^.ilc 


fur  la  Potfie  &fur  U  Ptîhtun.  17^ 
des  perfonnages  qui  ne  putent  jamais  en 
être  les  témoins ,  poiir  avoir  vécu  dans 
des  tems  éloignés  de  celui  de  l'afiion, 
eft  une  etteiir  grofllere  oiinos  Peintres 
ne  tombent  plus.  On  ne  voit  plus  un 
faim  François  écouter  la  prédication  de 
faim  Paul,  rtiiin  Confeffeiir le  Cruci- 
fix en  main ,  exhorter  le  bon  Larton. 

Enfin  la  vraifemblance  poétique  de- 
mande que  le  Peintre  donne  à  fes  per- 
fonnages  leur  air  de  tête  connu ,  foit 
que  cet  air  de  tête  nous  ait  été  tranf- 
mis  par  des  médailles  ,  des  ftatuës,  ou 
pat  desportraits;foit  qu'une  tradition, 
dont  ne  connoît  pas  la  fource,  nous 
l'ait  confervé  ;  ioit  même  qu'il  foit 
imaginé.  Quoique  nous  ne  fçachions 
pas  bien  certainement  comment  faint 
Pierre  étoit  fait ,  néanmoins  les  Pein- 
tres &  les  Sculpteurs  font  tombés  d'ac-  . 
cord  par  une  convention  tacite  de  le 
représenter  avec  un  certain  air  de  tête 
&  une  certaine  taille  qui  font  devenus 
propres  à  ce  Saint.  En  imitation ,  Ti-  . 
dée  reçue  &  généralement  établie  , 
tient  lieu  de  la  vérité.  Ce  que  j'ai  dit 
de  faint  Pierre ,  peut  aufli  le  dire  de  la 
figure  fous  laquelle  on  repréfente  phi- 
fieurs  autres  Saints,  &  même  de  celle 


■,r  ..Google 


ayS  Rifitxions  critiqms 

qu'on  donne  ordinairement  à  Taînt 
Paul ,  quoiqu'elle  ne  convienne  pas 
trop  avec  le  portrait  que  cet  Apôtre 
iàit  de  lui-^ême.  Il  n'in^rte ,  la  cbofe 
eA  établie  ain£.  l£  Sculpteur  qui  re- 
préfenteroit  faint  Paul  plus  petit ,  plus 
décharné ,  &  avec  une  barbe  plus 
courte  que  faint  Pierre ,  feroît repris, 
autant  que  le  fiit  BandînelU  ,  pour 
avoir  nus  à  côté  de  la  ftatuë  d'Adam 
qu'il  a  faite  pour  le  dôme  de  Florence, 
une  ftatuë  d'Eve  plus  haute  que  celle 
de  fon  mari,  (n) 

Nous  voyons  par  les  Epîtres  de  Si- 
donius  Apollinaris  (i)  que  les  Philofo- 
phes  illimres  de  l'Antiquité  avoient 
auili  chacun  Ton  air  de  tête  ,  fa  figure 
&  fon  gelle  qui  lui  étoient  propres  en 
peinture.  PerGymnaJîapinguaeurZtu- 
jîppus  ctrvUt  fuma,  Aratus panda ,  Ze~ 
non  frontc  tontraHa ,  Epkmus  cuu  tUfi- 
tenta  ,  Dî^tnes  harbot  eoméntt ,  Sona- 
tes coma  camUnie  ^  ArifioteUs  brachi»  ex* 
ferto  ,  Xtnocraus  crun  coUeUo  ,  Heracli- 

(t)  Ccideni  flatuës  ne  fent  flus  dam  l'EgLfe  ciéii- 
drilc  de  FlMcnce;  ellei  ea  oui  été  âréc*  en  1711  yu 
otdre  du  Grand  Duc  Corme  III ,  pour  Htt  tràCcs  dam 
H  grande  Sile  du  vieux  Paliii.  On  Icdf  »  Tubftiiud  an 
«groupe  que  Michel-Ange  avoiCliiA'é  impuAiti  *  mil 
repréf^ ^i._.n  j.r___  .     .    ,    ^_.  _ 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  Potjit  &fur  la  Peinture.  17g 
tus  fietu  otulis  claujîs  ,  Democriius  rifu 
lahrLs  spertis  ,  Chryfippus  digitis  propter 
numerorum  indicia  coafiriSis  ,  Eucîides 
propter  menfurarumfpt^a  laxatls ,  Clean- 
ihts  propter  utrumque  corrojîs.  Raphaël 
s'cft  bien  fervi  de  cette  érudition  dans 
fbn  tableau  de  TEcoIe  d'Athènes.  Nous 
apprenons  aiiffi  de  Qiiintilien  (a)  que 
les  anciens  Peintres  s*étoient  affujet- 
tis  à  donner  à  leurs  Dieux  &c  à  leurs 
Héros  la  phylionomie  &  le  même  cà- 
raftere  que  Zeuxis  leur  avoit  donné , 
ce  qui  lui  attira  le  nom  de  Légidatelir. 
J/ie  verit  ita  circumfcripjît  omnia  ut  eum 
iegumlatoremvocent ,  quia Deorum &  He- 
roum  effigies  quales  abeofunt  traditee ,  ca- 
teri  tanquàm  ita.mceffefitjequntur. 

L'Obfervation  de  lavraifemblannce 
me  paroît  donc  ,  après  le  choix  du  fii- 
jet ,  la  chofe  la  plus  importante  dans 
le  projet  d'im  poème  ou  d'un  tableau. 
La  règle  qui  enjoint  auxPrintres  com- 
me aux  Poètes  de  faire  un  plan  judi- 
cieux, &  d'arranger  leurs  idées  de  ma- 
nière que4es  objets  fe  débrouillent  fans 
peine ,  vient  immédiatement  après  la 
règle  qui  enjoint  d'obferver  lavraifero- 
blancc. 

ta)  Iliflit. /i>.  11,  ex. 


■,r  ..Google 


i8o  Réflexions  tmiques 


S  E  C  T  ION    XXXI. 

Dt  ia  difpojîtion  du  Plan.  Qu'il  faut, 
divifcr  C  ordonnance  des  Tableaux  en 
compofition  Poétique  &  en  compbfitioa 
PittoreJ^ue. 

JVIes  réflexions  fur  le  plan  des  Poë* 
mes  feront  bien  courtes,  quoique  la 
matière  Toit  des  plus  importante:^.  Ce 
oue  l'on  peut  dire  touchant  les  POemes 
ae  grande  "étendue ,  fe  trouve  déjà  dans 
le  Traité  du  Poëme  Epique  par  le  Père 
le  Boflii ,  dans  ta  pratique  du  Théâtre 

fiar  l'Abbé  d'Aubignac ,  comme  dans 
es  diflertations  que  le  grand  Corneille 
a  faites  fur  fes  propres  pièces.  Ce  qu'on 
peut  dire  touchant  les  petits  ouvrages 
fle  Poëfie ,  eft  très-coiut.  S'ils  font  le 
récit  d'ime  aâion ,  il  feut  qu'ils  ayent , 
ainfi  que  les  pièces  de  théâtre ,  une  ex- 
polition ,  une  intrigue  &  un  dénoue-, 
ment.  S'ils  ne  contiennent  pas  une  ac- 
tion ,  il  faut  qu'il  y  ait  un  ordf  e  ou  len- 
fible  ou  cacha  ;  &  que  les  penfées  y 
fuient  dif[>ofées  de  maiùere  que  nous 
lesc  oncevions  fans  peine ,  &  que  nous 


Coo^jlc 


fur  la  Poijît  &  fur  la  Ptîruure.  18 1 
imiflîons  même  retenir  la  fubftance  àe 
l'ouvrage  &  le  progrès  du  raîfonne- 
ment. 

Quant  à  la  Peinture ,  je  crois  qu'il 
faut  divifer  l'Ordonnance  ou  le  pre- 
mier arrangement  des  objets  qui  doi- 
vent remplir  un  tableau,  en  compoii- 
ùon  pittorefque  &  en  compolition 
poétique. 

.  J'appelle  compofition  pittorefque  , 
Tarrangement  des  objets  qui  doivent 
entrer  dans  un  tableau ,  par  rapport  à 
l'effet  général  de  ce  tableau.  Une  bon- 
ne compoiition  pittorefque  eil  celle 
dont  le  coup  d'œil  fait  Un  grand  effet , 
fuivant  l'intention  du  Peintre ,  &  le 
but  qu'il  s'eA  propofé.  11  faut  pour  ce- 
la  que  le  tableau  ne  foit  point  em- 
barralfé  pa'ï'  les  figures  ,  quoiqu'il  y  en 
ait  affez  poiu-  bien  remplir  la  toile. 
Il  faut  que  les  objets  s'y  démêlent 
facilement.  Il  ne  &ut  pas  que  les 
figures  s'cftropient  l'une  Vautre  en  fe 
cachftit  réciproquement  la  moitié  de 
la  tête ,  ni  d'autres  parties  du  corps , 
lefquelles  il  convient  au  fujet  que  le 
Peintre  fkfle  voir.  Il  &ut  enfin  que  les 

Êroupes  foient  bien  compofés  ;  que  la 
imiere  leur  foit  diftribuéc  judicieufe- 


:,-,zf--„GoOglc 


iS  t  Réflexions  critiques 

ment  ;  &  que  Tes  couleurs  locales  « 

loin  de  s'entretuer,  foient  difpofées 

de  manière  qu'il  réfiilte  du  tout  une 

harmonie  agréable  i  l'œil  par  elle> 

raâme. 

La  conu>ofition  poétique  d'un  ta- 
bleau y  c'ea  un  arrangement  ingénieux 
des  fîgiu'es  inventé  pour  rendre  l'ac- 
tion qu'il  repréfente',  plus  touchante 
&  plus  vraiiemblable.  Elle  demande 
que  tous  lesperfonnages  foient  liés  par 
une  aâicHi  principale  ;  car  un  tableau 
peut  contenir  plufieurs  incidens ,  à 
condition  que  toutes  ces  aâions  par- 
ticulières fe  réuniffent  en  une  aoion 
principale  ,  &c  qu'elles  ne  fafTent  toutes 
qu'un  feul  &  même  ftijet.  I^es  règles  de 
la  Peinture  font  autant  ennemies  delà 
duplicité  d'aôion,  que  ceMes  de  la  Poë- 
ûs  dramatique.  Si  la  Peirttiu'e  peut 
avoir  des  Epifodes  conmie  la  Poëfie , 
il  £àUt  dans  les  tâUeaux ,  comme  dans 
les  tragédies,  qu'ils  foient  liés  arec  le 
fnjet ,  Se  que  l'unité  d'aâion  foît  con- 
fervée  dans  l'ouvrage  du  Peintre  com- 
me dans  le  Poëme. 

11  faut  encore  que  les  perfonnages 
foient  placés  avec  dilcemement ,  &  vê- 
tus avec  décence,  par  rapport  à  leur 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poifii'  &fur  la  Ptînturti  î8  j 
dignité  comme  à  Timportance  dont  ils 
font.  Le  père  d'Iphigénie ,  par  exem- 
ple', ne  doit  pas  être  caché  derrière 
d'autres  figures  au  lacriâce  oîi  Ton  doit 
immoler  cette  Princeffe.  II  doit  y  tenir 
la  place  lapins  remarquable  après  celle 
de  la  Viâime.  Rien  n'eu  plus  infui>- 
portable  que  des  figures  indifférentes  , 
placées  dans  le  milieu  d'un  tableau. 
Un  foldat  ne  doit  pas  être  vêtu  aulÏÏ 
richement  que  fou  Général ,  à  moins 
qu'une  circonftance  particulière  ne 
oemande  que  cela  foil  ainfi.  Comme 
nous  l'avons  déjà  dit  en  parlant  de  la 
vraifembiance  ,  tous  les  perfonnages 
doivent  faire  les  démonftrations  qui 
leur  cçnviennent,  &  l'exprelTion  de 
chacun  d'eux  doit  être  confoxme  au 
caraftere  qu'on  lui  fait  foutenir.  Sur- 
tout il  ne  raut  pas  qu'il  fe  trouve  dans 
le  tableaii  des  figures  oifeufes ,  &  qui 
ne  prennent  point  de  part  à'I'aiHon 
principale.  Elles  ne  fervent  qu'à  dif- 
traire  l'attention  du  fpeâateur.  It  ne 
feut  pas  encore  que  t'Artifan  choque 
Is  décence  ni  la  vraifembiance  pour 
fevorifer  fon  deifein  ou  fon  coloris ,  & 
qu'il  facrifie  ainli  la  Poëûe  à  ta  méca- 
nique de  fon  art. 


:,-,zf--„GoOglc 


184  Réflexions  crînqutî 

Le  talent  de  ta  compoâtlon  poétique 
&  le  talent  de  la  compofition  pittorel' 
qiie  font  tellement  fëparés,  que  nous 
voyons  des  Peintres  excellens  dans 
l'une,  être  grofliers  dans  l'autre.  Paid 
Veronefe,  par  exemple,  a  très-bien 
r^lli  dans  cette  partie  de  l'ordonnance 
.que  nous  appelions  compofîtion  pîtto- 
refque.  Aucun  Peintre  n'a  fçu  mieux 

Î[ue  lui ,  bien  arranger  fur  une  même 
cène  un  nombre  infini  de  perfonna- 
ges  ,  placer  plus  heureufement  fes  £- 
gures ,  en  un  mot  bien  remplir  une 
grande  toile ,  fans  y  mettre  de  la  con- 
fofion.  Cependant  Paul  Veronefe  n'a 
pas  réufli  dans  la  composition  poétique. 
Il  n'y  a  point  d'imité  d'aâion  dans  ia 
plupart  de  fes  grands  tableaux.  Un  de 
les  plus  magnifiques  ouvrages,  les  no- 
ces de  Cana ,  qu'on  voit  au  fond  du 
Réfeâoire  du  Couvent  de  faïnt  Geor* 
ges  à  Vdiife-e^rempli  de  foutes  con- 
tre la  Poëfi(^ptttbr5ifâaé'.  Un  petit  nom- 
bre des  perfonnages  fans  nombre ,  dont 
il  eil  rempli ,  paroît  être  attentif  aw 
Miracle  de  la  converfion  de  l'eau  en 
vin  ,  qui  fait  le  fujet  principal.  Perfon- 
ne  n'en  eft  touché  autant  qu'il  le  fou- 
étroit.  Paul  Veronefe  introduit  parmi 


:,-,;*- -„GoOglc 


fur  ta  Potjie  Sffur  la  Pdaturt.  aSj 
les  conviés  des  Religieux  Bénédiflins 
du  Convent  pour  lequel  il  travailloit. 
Enfîn  fes  perîbnnages  font  habillés  de 
caprice  »  &  y  comme  dans  fes  autres  ta- 
bleaux ,  il  y  contredit  ce  que  nous  fça- 
vons  pofitivement  des  mœiu-s  &c  des 
itfages  du  peuple ,  dans  lequel  il  choi- 
fit  us  Aûeurs. 

Monfieur  de  Kles  grand  amateur  de 
la  Peinture  ,^ôc  qui  mi-même  manioit 
le  pinceau ,  nous  a  laifTé  plufieurs  écrits 
touchant  cet  Art,  qui  font  dignes  d'être 
connus  de  tout  le  monde  ;  mais  un  de 
ces  écrits  mérite  toutes  les  louanges 
qui  font  dues  aux  livres  originaux  , 
c'eû  fa  balance  desPeintres.  Onyap- 
iwend  dlilinÛement  à  quel  point  démé- 
rite chaque  Peintre ,  dont  il  parle ,  eft 
parvemi  en  chacune  des  quatre  parties 
dans  lefquelles  l'Art  de  la  Peinture  peut 
fe  divifer#Ces  parties  font  la  compo- 
fitîon ,  le  deflein ,  l'expreflion  &  le  co- 
loris (a).  Après  avoir  fuppofé  que  le 
vingtième  degré  de  fa  balance  marque 
le  plus  haut  point  de  perfeâion  où  il 
foit  poilible  d'atteindre  en  chacune  de 
fes  parties  :  11  g»oiis  dit  à  quel  degré 
chaque  Peintre  eft  demeuré.  Mais  pour 


:,-,zf--„GoOglc 


lS6  RéjUxtotts  emiqius 

n'avoir  pas  diAribué  l'Art  de  la  Peintm-e 
en  cinq  parties ,  ni  dîvife  ce  qu'on  ap- 
pelle en  général  Tordoiinance ,  encom- 
poâtion  pittorefque  &  en  compofition 
poétique,  il  tonwe  dans  des  propofî- 
lions  infoutenables ,  comme  eft  celle 
Â&  placer  au  même  d^é  de  Ta  balance 
Paul  Veronefe  &  le  Pouffin  en  qualité 
<ie  Compofiteurs.Cependantles  Italiens 
mêmes  tomberont  d'accord  que  Paid 
Veronefe  n'eft  nullement  comparable 
dans  la  Poëlie  de  la  Peîotiire  au  Pouffin  , 
qu'on  a  nommé  dèsfbn  vivant  le  Peintre 
des  gens  d'efprit ,  éloge  le  plus  flateur  ' 
qu'un  Artilan  pût  recevoir. 

Le  même  Paul  Veronefe  fe  trouve 
encore  placé  dans  notre  balance  à  côté 
de  Moiweur  le  Brun ,  quoique  dans  la 
partie  de  la  comparaîfon  poétique ,  la 
ieule  dont  il  s'agit  ici ,  le  Bnm  ait  peut- 
Être  été  àuffi  loin  que  Rapbftl.  On  voit 
dans  le  grand  appartement  du  Roi  à 
Verfailles  les  deux  exceliens  tableaux , 
placés  vis-à-vis  l'un  de  l'autre,  les 
Pellerinsd'Emmaiis  par  Paul  Veronefe, 
&  les  Keines  de  Perfe  aux  pieds  d'A- 
lexandre, parle  Bnii%Un  peu  d'atten- 
tion fur  ces  tableaux  fera  juger  que , 
û  Paul  Veronefe  eft  un  méchant  voi- 


:,-,zf-,GoOglc 


fuT  la  Poife  &fi&  la  Ptinture,  x%y 
&i  pour  le  Brun  quant  au  coloris ,  le 
François  eft  encore  un  plus  méchant 
voiûn  pour  ritalLen,  quant  à  la  Poëlîe 
pittorefque  &  à  l'exprelfion.  Il  n'eft 
pasdifficile  de  deviner  à  qui  Raphaël  aii- 
roit  donné  le  prix:  fiiivant  l'apparence  , 
Raphaël  auroit  prononcé  en  faveur  du 
genre  de  mérite  dans  lequel  il  excelloit, 
Je  veux  dire  en  faveur  de  Texpreffion  , 
&  de  la  Poëfie.  Je  confeille  à  mon  Lec- 
texv/^ï\re  dans  le  premier  volume  des 
Parallèles  de  M.  Perrault ,  {a)  le  juge- 
ment raifonné  qu'il  porte  fur  ces  deux 
tableaux.  Ce  galant  homme  ,  dont  la 
inémoire  fera-  toujours  en  vénération 
à  ceux  qui  l'ont  connu ,  nonobftant  tout 
ce  qu'il  peut  avoir  écrit  fur  l'antiquité , 
étoit  auffi  capable  de  faire  une  bonne 
ComparaifcHi  de  l'ouvrage  de  Paul  Ve- 
roneie  &  decehii  de  le  Bnm ,  qu'il  étoit 
incapable  ,  iiiivant  Monfieur  Woton  , 
de  faire  un  bon.paratlele  entre  les  Poë* 
tes  anciens  Se  les  Poètes  modernes.    ' 


:-„r., Google 


Réflexions  critiques 


SECTION    XXXII. 

De  V importance  des  fautts  que  Us  Peintres 
&  Us  Poètes  peuvent  fitire  contre  Ivirs 
règles. 

Vj  OM  M  E  les  parties  d'un  tableau 
font  toujours  placées  l'une*  à  côté  da 
l'autre ,  &  qu'on  en  voit  VEnfetiÊ^  du 
même  coup  d'oeil ,  les  défauts  qui  font 
dans  fon  ordonnancé  ,  nuifem  beau- 
coup à  l'effet  de  fes  beautés..  On  apr 
perçoit  fans  peine  fes  feutes  relatives, 
quand  on  a  fous  les  yeux  en  même  teins 
les  objets  qui  n'ont  pas  entr'eux  le  rap- 
port qu'ils  doivent, a  voir.  Si  cette  faute 
confme ,  comme  celle  du  Bandinelli , 
dans  une  figure  de  femme  plus  haute 
qu'une  figure  d'homme  d'égale  dignité, 
elle  eft  facilement  remarquée  ,  puifque 
ces  deux  figures  font  l'unfi  à  côté  de 
l'autre.  I!  n'en  eft  pas  de  même  d'un 
poème  de  quelque  étendue.  Comme 
nous  ne  voyons  que  fucceflîvement 
un  Poëme  dramatique  ou  im  Poème 
épique ,  &  comme  il  faut  employer 
plufieurs  jours  à  lire  ce  dernier,  les 
défauts 


:,-,zf-„  Google 


/urta  PoëJtt&  fur ia Peinture.  i8j 
âcfaiits  <3fxi  font  dans  l'ordonnance  & 
dans  la  diftribution  de  ces  Poèmes ,  ne 
viennent  pas  fauter  aux  yeux ,  comme 
y  fautent  les  défauts  pareils  qui  font 
dans  un  tableau.  Pour  remarquer  les 
feutes.  relatives  d'un  Poëme ,  il  faut 
fe  rappeller  ce  qu'on  a  déjà  vii  ou  en- 
tendu ,  &  retourner ,  pour  ainfi  dire  , 
furfes  pas  ,  afin  de  comparer  les  objets 
qui  manquent  de  rapport  ou  de  pro- 
portion. Par  exemple  ,  il  faut  fe  reflbu- 
venir  que  l'incident  aui  fait  le  dénoue- 
ment dans  le  cinquième  Afle ,  n'aura 
point  été  fuffîfamment  préparé  dans  les 
Aûes  précédens  ;  ou  qu'une  chofe  dite 
par  un  perfonnage  dans  le  quatrième 
Aâe ,  dément  le  caraflere  qu'on  lui  a 
donné  dans  le  premier.  Voilà  ce  que 
tous  les  hommes  n'obfervent  point  tou- 
jours :  plufieurs  même  ne  l'obfervenc 
Jamais.  Us  ne  lifent  point  les  Poèmes 
pour  examiner  fi  rien  ne  s'y  dément  , 
mais  pour  jouir  du  plaifîr  d'être  tou- 
chés. Ils  lifent  les  Poèmes  comme  ils 
regardent  les  tableaux  ';  &  ils  font  cho- 
qués feulement  des  fautes  qui ,  pour 
ainfi-dire ,  tombent  fous  le  fentiment  , 
&  qui  diminuent  beaucoup  leur  plai- 

Tomt  /.  a 


:,-,zf--„GoOglc 


loO  Réflexions  criûquts 

D'ailleiirs  les  &utes  réelles  qui  font 
dans  un  tableau ,  comme  une  figure 
trop  coiute ,  un  bras  eftropié  «  ou  un 
perfonnage  qui  nous  préfente  une  gri» 
mace  ,  au  lieu  de  re:q)reflton  naturelle  , 
font  toujours  à  côté  de  fes  beautés. 
Nous  ne  voyons- pas  ce  quç  le  Peintre 
a  fait  de  bon ,  féparément  de  ce  qu'il  a 
fiiit  de  mauvais.  Ainfi  le  mauvais  em- 
pêche le  bon  de  faire  fur  nous  toute 
î'impreffion  qu'il  devroit  faire.  Il  n'en 
eft  pas  de  même  d'un  Poème  ;  fes  fiiu- 
tes  réelles ,  comme  une  fcène  qui  forf 
de  la  vraifemblance ,  ou  des  fentimens 

3ui  ne  conviennent  point  à  la  iituatîon 
ans  laquelle  un  perionnage  eft  fuppo- 
fé ,  ne  nous  dégoutem  que  de  la  partie 
d'un  bon  Poëme  où  elles  fe  trouvent. 
Elles  ne  jettent  même  fiu*  les  beautés 
vpifioes  qu'une  ombre  ïà&ilé^çje. 


,  Google 


fur  la  Poëjïe  &  fur  la  Pe'iaturt.     ta  r 


SECTION    XXXIII. 

De  la  Pflijîe  du  Style ,  dans  Uqutlît  Us 
mou  fom  regardes  en  tant  qfit  lesfgnes 
de  nos  idées. 

Que  c^ejl  la  Poifie  du  Style  qui  fait  la  def 
tinée  des  Poïmts, 

A  I N  s  I  la  beauté  de  chaque  partie" 
du  Poëme ,  je  veux  dire  la  manière  dont 
chaque  fcène  eïl  traitée  &  la  manière 
4ont  s'expliquent  les  perfonnes  ,  con- 
tribue plus  au  fuccès  d'un  ouvrage , 
que  la  juftefîe  du  plan  &c  que  fa  régu- 
larité ,  c'efl-à-dire ,  que  l'union  &  la 
dépendance  de  toutes  les  différentes 
parties  qui  compofent  un  Poëme.  Une 
Tragédie ,  dont  toutes  les  fcènes  prifes 
en  particulier  feront  belles ,  mais  mal 
cbiifijes  enfemble  ,  doit  réuffir  plutôt 
qu'une  Tragédie ,  dont  les  fcènes  bien 
liées  entr'efles  ,  feront  froides.  Voilà 
pourquoi  nous  admirons  plufieurs  Poè- 
mes quinc  fontrien  moins  queréguliers, 
mais  qui  font  foutenus  par  Tinven 
tion  &  par  un  ftyle  plein  de  poefie ,  qui 


:,-,zf--„GoOglc 


i,q%  Riflexîom  critiques 

de  moment  en  moment  préfente  desimaJ 
ges  qui  nous  rendent  attentifs ,  &  nous 
émeuvent.  Le  plaifîr  fenfible  que  nous 
font  des  beautés  renailTantes  à  chaque 
période ,  nous  empêche  d'appercevoîr 
une  partie  des  déiauts  réels  de  la  pie- 
ce  ,  &  il  nous  fait  excufer  l'autre.  C'eft 
qinfi  qu'un  homme  aimable  en  préfence 
feit  oublier  fes  défauts  ^  &  quelquefois 
fes  vices ,  durant  les  momens  où  Ton 
eft  féduît  par  les  charmes  de  fa  çon-r 
verfatîon.  U  réuflit  même  fouvent  4' 
ijpus  les  &ire  oublier  dans  la  définition 
générale  de  fon  caraâere. 

La  Poëfie  du  ilyle  confifte  à  prêter 
'  dçs  fentimens  intérelTans  à  tout  ce 
qu'on  fait  parler,  comme  à  exprimer 
par  des  figures ,  &  à  repréfenter  fous 
des  images  capables  de  nous  émoU" 
voir  ,  ce  qui  ne  nous  toucheroit  pas  , 
s'il  étoit  <Ht  ^plement  en  âyle  pro> 
ftique, 

Ces  premières  idées  qui  nailTent  dans 
l'ame,  torfqu'elle  reçoit  ime  afieôion 
vi  ve  ,&  qu'on  appelle  communément  des 
Jintimens^  touchent  toujours,  bien  qu'ils 
fpient  exprimés  dans  lestermes  les  plus 
fimples.  Ils  parlent  le  langage  du  cœur. 
Éfluliç  intçrefie  dpnc,  «juahd  ellç  dit 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  ta  Poêjîe  ^fur  la  Pàntuft.  19J 
.dans  les  termes  les  plus  funples  , 

J'ume  encor  plut  Cinna  qu*  )■  ne  hali  Augii[lE> 

Un  fentiment  celferoït  même  d'être 
aufiî  touchant,  s'il  étoit  exprimé  en 
termes  magnifiques  &  avec  dts  figures 
ambitieufts.  Le  vieil  Horace  ne  m'inté* 
refleroit  plus  autant  qu'il  m'intérelTe  , 
fi  au  lieu  de  dire  simplement  le  fameux 
Q«  'il  mûurât ,  il  exprimoit  ce  fentiment 
en  ftylè  figuré.  La  vraifemblance  péri- 
Toit  avec  la  fimplicité  de  l'expreltion. 
Où  j'apperçois  de  l'afFeftation,  je  ne 
reconnois  plus  le  langage  du  cœur. 

dit  Horace.  Mais  les  retours  que  lej 
Interlocuteurs  font  fur  leurs  fentimens 
&  fur  ceux  des  autres ,  les  réflexions 
du  Poëte ,  les  récits ,  les  defcriptions  , 
en  un  mot  tout  ce  qui  n'eft  pas  fenti- 
ment, veut,  autant  que  la  nature  du 
poëme  &  la  vraifemblance  le  permet* 
tent,  nous  être  repréfenté  fous  des 
images  qui  forment  des  tableaux  dans 
notre  imagination. 

l'excepterai  de  cette  règle  générale  les 
récits  ces  événemens  prodigieux  qui  ' 
N  ii; 


:,-,zf--„GoOglc 


4.94  Refitxions  crùiquts 

fe  font ,  lorfquc  ces  événemens  vien- 
nent d'arriver.  Il  eil  dans  la  vraifera- 
blance  que  le  témoin  oculaire  de  pa- 
reils  événemens ,  &  qu'il  convient 
d'empkiyer  pour  en  faire  le  récit ,  ak 
été  frappé  d'un  étonnenient  qui  dure 
encore.  Il  feroit  ainfî  contre  la  vrai- 
semblance qu'il  fe  fervît  dans  fon  récft 
des  figures  qu'un  homme  faifî  ,  &  qui 
ne  fonge  point  à  être  pathétique  ^  ne 
trouve  pas.  D'ailleurs  ces  événemens 
jM-odigieux  exigent  du  Poëte  de  letu- 
procurer  la  croyance  du  fpeâateur  , 
autant  qu'il  eft  pofKbIe  ;  &  un  moyen 
de  la  leur  procurer ,  c'eft  de  les  faire 
raconter  dans  les  termes  les  plus  fim- 
ples  &  les  moins  capables.de  faire  foup- 
çonner  celui  qui  parle  d'exagération. 
Mais ,  comme  je  viens  de  le  dire  ,  il 
faut  que  hors  de  ces  deux  occafions  , 
le  ftyle  de  la  Poëfie  foit  rempli  de  fi- 
gures qui  peignent  fi  bien  les  objets 
décrits  dans  les  vers  ,  que  nous  nepuïf- 
■fions  les  entendre ,  fans  que  notre  ima- 
gination foit  continuetleoient  remplie 
des  tableaux  qui  s'y  fuccedent  les  uns 
aux  autres  ,  à  mefure  que  les  périodes 
du  difcours  fe  fuccedent  les  unes  aux 
autres. 


.-,0  ..Google 


fur  la  P&ijîe  &fw  la  Peînturt.  a  9  5 
Chaque  genre  de  Poëme  a  quelque 
chofe  de  particulier  dans  la  Poëfie  de 
fbn  ûy\e.  La  plupart  des  images ,  dont 
il  convient  que  le  ftyle  de  la  Tragédie 
foit  nourri ,  pour  ainfi  dire  ,  font  trop 
graves  pour  le  flyle  de  la  Comédie.  Du 
moins  le  Poète  comique  ne  doit-il  en 
faire  qu'un  ufage  très-fobre.  II  ne  doit 
les  employer  que  pour  iùire  parler 
Chrimisy  lorfque  ce  perfonnage  entre 
pour  un  moment  dans  une  palllon  tra- 
gique. Nous  avons  déjà  dit  que  les 
Eglogues  emprjjntoient  leurs  peintures 
&  leurs  images  des  objets  qui  parent 
la  campagne,  &  des  événemens  de  la 
vie  niuique.  La  Poëfîe  du  ftyle  de  la 
Satyre  doit  être  nourrie  des  images  les 
plus  propres  à  exciter  notre  bîle.  L'Ode 
monte  dans  les  Cicux ,  pour  y  emprun- 
ter fes  images  &  fes  comparaîfons  du 
Tonnerre,  des  Aflres  &  des  Dieux  mê- 
mes. Mais  ce  font  des  chofes  dont  l'ex- 
périence a  déjà  inllratt  tous  ceux  qui 
aiment  la  Poëfie, 

Il  faut  donc  que  nous  croyions  voir  ,' 
pour  ainfi  dire ,  en  écoutant  des  Vers  : 
Ut  Piclura  Poïfîs ,  dit  Horace.  Cléopa- 
tre  s'attireroit  moins  d'attention  ,  file 
Poëte  lui  faifoit  dire  en  ftyle  profaïque 
Niv 


:,-,zf--„GoOglc 


i^S  Réfltxîoiu  entîques 

aux  Minières  odieux  de  Ton  frere  :  Ayez 
peur ,  méchans  ;  Céfar  qui  ell  jufte ,  va 
venir  la  force  à  la  main  :  II  arrive  avec 
des  troupes.  Sa  penfée  a  bien  un  autre 
éclat ,  elle  paroit  bien  plus  relevée  , 
lorfqu'elle  eft  revêtue  de  figures  poeti- 

3ues  ,  &  lorfqu'elle  met  entre  les  mains 
e  Céfar  l'inftrutnent  de  la  vengeance 
de  Jupiter.  Ce  vers  (a) 

Tremblez,  méchant,  iremWei:  voici  venir  li  fbudre; 

me  préfente  Céfar  armé  du  tonnerre,  & 
&  les  meurtriers  de  Pompée  foudroyés. 
Dire  fimplement  qu'il  n'y  a  pas  un  gt'an^! 
mérite  à  fe  faire  aimer  d'un  homme 
qui  devient  amoureux  facilement ,  mais 
qu'il  eft  beau  de  fe  faire  aimer  par  un 
homme  qui  ne  témoigna  jamais  de  dif- 
pofition  à  l'amour  ,  ce  feroit  dire  une 
vérité  coniinune  ,  &  qui  ne  s'attireroit 
pas  beaucoup  d'attention.  Quand  Mon- 
iîeur  Racine  met  dans  la  bouche  d'Ari- 
cie  cette  vérité  ,  revêtue  des  beautés 
que  lui  prête  la  Poëfie  de  fon  ftyle ,  elle 
nous  charme.     Nous  fommes  féduits 

far  les  images  dontle  Poëte  fefertpour 
exprimer;  &  la  penfée  ,  de  triviale 
qu'elle  feroii,  devient  dans  ies  Vers 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poiju  6"  fur  ta  Ptintan.  197 
un  difcours  éloquent  qui  nous  frappe  , 
&  que  nous  retenons  (<t). 

Pour  moi,  ie fuit  plui6ère,  fifubli  gloire aiCJe 
Ctmclur  on  hommage  1  mille  lutrci  ofléct  ■ 
Etd'eatrcrdiDiuDcccur  «kiouiMpintouTcn. 
Mais  de  faire  fléchir  un  courige  inllïiible, 
De  porter  Sa  douleur  dans  une  ame  infenfible  « 
D'enïhiiner  an  captif  de  rcifèri  éioaai, 
Contre  UD  joug  qui  lui  plati  vainemenc  mutioi , 
VoiUceqiùme  pUtt,  voiUcequim'îrritei 

Ces  vers  tracent cinqtableauxdansri-- 
magination. 

Un  homme  qui  nous  diroit  ftmple- 
ment ,  Je  mourrai  dans  le  même  château 
où  )e  iiiis  né  y  ne  toucheroit  pas  beau- 
coup. Mourir ,  eft  la  deftinée  de  tous 
les  hommes  ;  &  finir  dans  le  fein  de  fes 
Pénates ,  c'eft  la  deftinée  des  plus  heu- 
reux. L'Abbé  de  Chaulieu  nous  préfente 
cependant  cette  penfée  fous  des  images 
qui  la  rendent  capable  de  toucher  infi- 
niment : 

Foncenty ,  lieux  délicieux 
Oil  je  vil  d'abord  la  lumière  « 
Bientôt  au  bout  de  ma  curieto 
Chez  toi  je  joindrai  mei  Aycux; 

Uurei ,  qË  dini  ce  lieu  chanpttte 
Avec  foin  mç  litct  nourrit  (  , 
Beaux  arbres, qui m'avEz vu natcre,' 
BicDiôt  veut  me  Tetrei  moutir< 


(t)Phtir..M,n. 


Nv 


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IçS  RifUxîons  erîùquts 

Ces  apoftrophès  me  font  voir  le  PoStff 
en  converfation  avec  les  Kvinîtés  8c 
avec  les  arbres  de  ce  lieu.  Je  m'imagine 
qu'ils  font  attendris  par  la  nouvelle  qu'il 
leur  annonce  ;  &  le  fentiment  qu'il  leur 
prête ,  fait  naître  dans  mon  cœur  un 
îentiment  approchant  du  leur. 

L'art  d'émouvoir  tes  hommes  &  de 
les  amener  où  l'on  veut ,  confifte  prin- 
.cipalement  à  fçavoir  faire  un  bon  ufage 
de  ces  images.  L'Ecrivain  le  plus  auile- 
re  ,  celui'  qui  &)t  ta  profi^on  la  plus 
férieufe  de  ne  mettre  en  ceuvre ,  pour 
nous  perfuader,que  la  taifon  toute  nue, 
fentbientôtque,poiii- nous  convaincre, 
il  nous  faut  émouvoir  ;  &  qu'il  &ut , 
pour  nous  émouvoir ,  mettre  fous  nos 
yeux  par  des  peintures  les  objets  dont 
il  noiu  parle.  Un  des  plus  grands  par- 
tifans  du  raifonnement  féirerejqiie  nous 
ayons  eu,  le  Père  Mallebranch«,aécrit 
contre  la  contagion  des  imaginations 
fortes  ,  dont  le  charme ,  pom-  nous  fé- 
duire ,  confifte  dans  leur  fécondité  en 
images,  &  dans  le  talent  qu'elles  ont 
de  peinf^re  vivement  les  tAjets  (n). 
Mais  qu'on  ne  s'attende  pbint  à  voir 
dans  fon  difcours  une  precifion  féche 

(]}  Riîherckt  di  U  Và-'ai,  lin.  i ,  ftrt,  i. 


■,r  ..Google 


farlu  Pwfit  SrfuT  U  Peinture.  199 
qui  écarte  toutes  tes  figures  capables  de 
nous  émouvoir  &c  de  nous  l'éduire  ,  nï 
qui  Te  borne  aux  raifons  concluantes. 
Ce  djfcours  efl  rempli  d'images  &  de 
peintures ,  &c  c'eA  à  notre  imagination 
qu'il  parle  contre  l'abus  de  l'imagina- 
tion. 

La  Poëfie  du  ftylë  fait  la  plus  grande 
dîJFérence  qui  Toit  entre  les  vers  &c  la 
profe.  Bien  des  métaphores  qui  palTe- 
roient  pour  des 'figures  trop  hardies  dans 
le  ftyle  oratolreïe  plus  élevé,  font  re- 
mues en  Poéfie.  Les  imaees  &  tes  6gu< 
res  doivent  être  encore  plus  fréquentes 
dans  ta  plupart  des  genres  de  ta  Poëfie , 
que  dans  les  difcours  oratoires.  LaRé- 
thorique,  qui  veut  perfuader  notre  rai- 
fon  ,  doit  toujours  conferver  un  air  de 
modération  &  de  iîncérité.  It  n'en 
eApas  demêmede]aPoélie,quironge 
à  nous  émouvoir  préférablement  à  tou- 
tes chofeSi  âcqui  tombera  d'accord, 
fi  l'on  veut ,  qu'elle  eft  fouvent  de 
inauvaife  foi.  C'eft  donc  lA  Poéfie  du 
ftyle  qui  fait  te  Poète  ,  plutôt  que  la 
rime  &  la  céfin-e.  Suivant  Horace ,  on 
peut  être  Poète  en  un  difcours  en  pi  ofe  ■, 
«  l'on  n'eft  fouvent  queprofateur  dans 
un  difcours  écrit  en  vers.  Quintilien 
Nv) 


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300  Réflexions  critiques 

explique  fi  bien  la  nature  &  l'ufage  deS 
images  &  des  figures  dans  les  derniers 
chapitres  de  fon  huitième  Livre  ,•  ôc 
dans  les  premiers  chapitres  du  Livre 
fuivant ,  qu'il  ne  lailTe  rien  à  Biire  que 
d'admirer  ia  pénétration  &  fon  grand 
fens. 

Cette  partie  de  la  Poefie  la  plus  im- 
portante ,  eil  en  même  tems  la  plus  dif- 
ficile. C'eft  pour  inventer  des  images 
3ui  peignent  bien  ce  que  le  Poëte  veut 
ire ,  c  eft  pour  trouver  les  expreflîons 
propres  à  leur  donner  l'être ,  qu'il  a  be- 
îoin  d'un  feu  divin ,  &  non  pas  pour  ri- 
mer. Un  Poëte  médiocre  peut ,  à  force 
de  confultations  &  de  travail ,  faire  un 
plan  régulier ,  &  ^  donner  des  mœurs 
décentes  à  Tes  perîbnnages  ;  mais  il  n'y 
a  qu'un  homme  doué  du  génie  de  l'Art , 
qui  puifle  foutenir  ies  vers  par  des  fic- 
tions continuelles,  &  par  des  images 
renaifTantes  à  chaque  période.  Un  hom- 
me fans  génie  tombe  bientôt  dans  la 
froideur  qui  naît  des  figures  qui  man- 
quent de  jufteffe ,  &  qui  ne  peignent 
point  nettement  leur  objet ,  ou  dans  le 
ridicule  qiù  naît  des  figures ,  lefquelles 
jie  font  point  convenables  au  fujet.  Tel- 
les font ,  par  exemple ,  les  figures  que 


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furla  Poijîe  &  fur  iaPànture.  30! 
met  en  œuvre  le  Carme  Auteur  du  poè- 
me de  la  Magdelaine ,  qui  forme  ibu- 
vent  des  images  groterques ,  oh  le  Poète 
ne  devoit  nous  offrir  que  des  images 
férieufes.  Le  confeild'un  ami  peut  bien 
nous  ftire  fupprimer  quelques  figures 
impropres  ou  mal  imaginées  :  mais  il. 
nepeu/nous  infpirer  le  génie  néceflaire 
pour  inventer  celles  dont  il  convien- 
droit  de  fe  fervir.  Le  fecours  d'autniï  , 
comme  nous  te  dirons  en  parlant  dû 
.  génie  ,  ne  fçauroit  faire  un  Poëte  :  Il 
peut  tout  au  plus  lui  aider  à  fe  former. 
Un  peu  de  réflexion  fur  la  deAinée 
des  Poèmes  François  publiés  depiûs 
quatrevingt  ans ,  achèvera  de  nousper- 
iuader  que  le  plus  grand  mérite  d'im 
poëme  vient  de  la  convenance  &  de  la 
continuité  des  images  &  des  peintures 
que  fes  vers  nous  préfentent.  Le  carac- 
tère de  la  Poëfie  du  ftyle  a  toujours  dé- 
cidé du  bon  oirdu  mauvais  fuccès.  des 
poèmes ,  même  de  ceux  qui  par  leur 
étendue  femblent  dépendre  te  plus  de 
Tœconomie  du  plan ,  de  la  diflribution 
de  l'aâion  &  de  la  décence  des  mœurs. 
Nous  avons  deux  Tragédies  du  grand 
Corneille,  dont  la  conduite  &  la  plu- 
part rfes  caraûeres  font  irès-défeâueui. 


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30i  Réflexions  cmlquts 

le  Cid  &  la  Mort  de  Pompée.  On  pour- 

roît   même  dil'puler  à  cette  dernière 

f)iece  le  titre  de  Tragédie.  Cependant 
e  public  enchanté  par  la  poëfie  du  flyle 
de  ces  ouvrages  ,  ne  fe  laffe  point  de 
les  admirer ,  &  il  les  place  fort  au-def- 
fus  de  pKifieurs  autres,  dont  les  mœurs 
font  meilleures ,  &  dont  le  plan  ell  ré- 
gulier. Tous  les  raifonnemens  des  cri- 
tiques ne  le  perfuaderont  jamais  qu'il 
ait  tort  de  prendre  pour  des  ouvrages 
ex'cellens  deux  Tragédies  ^  qui  depuis 
qiiatrevingt  ans  font  toujours  pleurer 
les  fpeâateuTs.  Mais ,  comme  le  dit  le 
Poëte  Anglois  Auteur  de  la  Tragédie 
de  Caton  :  Les  Vers  dta  Pottcs  anglais 
Jhni  fou\enl  harmonieux  €r pompeux  ,  avec 
unfens  trivial ,  ou  qui  ne  conjijie  qu'en  un 
jeu  de  mots,  lequel  ne  fait  point  d'image; 
au  lieu  que  dans  les  Tragédies  des  j4ncienSy 
einfi  que  dans  celles  de  Corneille  &  de  Ra- 
eine ,  le  vers  préfente  toujours  quelque 
chofe  à  l'imagination.  Leur  Poëjîe  eji  eo- 
ttire  plus  belle  par  lesimages  queparl'har- 
monie.Lefens  des  mots  enrichit  leurphrafe, 
encore  plus  que  le  choix  &  C'a  emblage  mé- 
hdietix  desfons  qui  la  compofem  (n) . 
La  Pucelle  de  Chapelain  &  le  ClO'* 

(i)  Sptilattur  du  14  AkU  171  >• 


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fur  laPoïjîe&furla  Ptmture,  30  J 
vis  de  Defmarets  font  deux  poèmes  épi'-i 
ques ,  dont  la  conftitution  &  les  mœurs 
■valent  mieux  fans  comparaifon  que 
celles  des  deux  Tragédies  dont  j'ai  par- 
lé. D'ailleurs  leurs  incîdens,  qui  font  la 
plus  belle  partie  de  notre  Hiîloire , 
doivent  plus  attacher  la  Nation  Fran- 
çoife  que  des  événemens  arrivés  de- 
puis longtems  dans  l'Ëfpagne  &  dans 
l'Egypte.  Chacun  fçait  le  luccès  de  ces 
poèmes  épiques  ,  qu'on  ne  fçaiiroit  im- 
puter qu'au  défaut  de  la  poëfie  du  ftyle. 
On  n'y  trouve  (M-efque  point  de  fenti- 
mens  naturels  capables  d'intéreffer.  Ce 
défaut  leur  eA  commun.  Quant  aux 
images ,  Defmarets  ne  crayonne  que 
des  chimères  :  Se  Chapelain ,  dans  ibn 
flyle  Tudefqiie  ,  ne'  deflîne  rien  que 
d  imparfait  &  d'eftropié  ;  toutes  fes 
peintures  (ont  des  tableaux  Gothiques. 
De-^à  vient  le  feul  défont  de  la  Pucelle  , 
mais  dont  il  feut,  fuivant  M.  Def- 
préaux,  que  fes  défenfeurs  convien- 
nent :  le  défaut  Qu^on  ne  la  fçauroù  liru 


:,-,zf--„GoOglc 


)04  Rifitxîons  crîthjtus 


SECTION    XXXIV. 

Du  motif  qui  fait  lire  Us  Focfits  :  ^ 
ton  n'y  cktrclu  pas  l'infiru3ion  commt 
dans  i outra  Livres* 

J^  ES  gens  du  métier  font  Us  ieuls 
qiù  fe  faflent  une  élude  de  la  leâure 
des  Poètes.  On  ne  les  lit  plus  ,  nous 
l'avons  déjà  dit,  que  pour  s'occuper 
agréablement ,  dès  qu'on  eft  forti  du 
Collège  y  &  non  pas  comme  on  lit  les 
Hiftoriens  &  les  Philofophes,  c'efl-à- 
dire  ,  pour  apprendre.  Si  l'on  peut  tirer 
àes  inflniâions  de  la  leâure  d'un  poè- 
me, cette  inftruâion  n'eft  gueres  le 
motif  qui  fait  ouvrir  le  livre. 

Nous  iâifons  donc  le  contraire  en  Ut 
fant  un  Poète  de  ce  que  nous  &ifons  en 
lifant  un  autre  livre.  En  lifant  un  Hîno- 
rien ,  par  exemple  ,  nous  regardons  foa 
ftyle  comme  l'acceffoire.  L'important, 
c'eft  la  vérité,  c'eft  la  fingularité  des 
faits  qu'il  nous  a()prend.  En  tifant  un 
poëmé ,  nous  regardons  les  inflruâions 
que  nous  y  pouvons"  prendre  comme 
l'acceffoire.  L'important,  c'eftleftyle, 
parce  que  c'eft  du  ftyle  d'un  poëme  que 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poifit  Srfur  la  Peinture.  505 
dépend  le  plainr  de  ion  leâeur.  Si  la 
Poëfre  di!  ftyle  du  Roman  de  Téléma- 
que  eût  été  languilTante,  peu  de  per- 
lonnes  aiiroient  achevé  la  leâure  de 
l'ouvrage,  quoiqu'il  n'en-eùt  pas  été 
moins  rempli  d'inliruflions  profitables. 
C'eft  donc  liiivant  que  la  leilure  d'un 
poëme  nous  plaît  que  nous  le  louons. 
On  remarquera  que  je  ne  parlcîci  que 
des  perfonnes  qui  étudient  ;  car  celles 
qui  lifenl  principalement  pour  s'amufer, 
&  en  fécond  heu  pours'inftruire  (c'eft 
Tufage  cependant  que  les  trois  quarts 
du  monde  font  de  la  leâure  )  aiment 
encore  mieux  les  livres  d'hîftoire  dont 
le  flyle  eft  intéreffant,  que  les  livres 
d'hiftoire  mal  écrits ,  mais  pleins  d'e- 
xaâitude  &  d'érudition.  Bien  des  per- 
fonnes fuivent  même  ce  goCit  dans  le 
choix  qu'elles  font  des  livres  de  Phi- 
lofophie,  &  d'autres  Sciences  encore 
plus  férieufes  que  la  Philofophie.  Qu'on 

iuee  fi  le  monde  ne  doit  pas  trouver  que 
eT)oëme  qui  fçait  le  mieux  lui  plaire  , 
doit  être  le  meilleur. 

Les  hommes  qui  ne  lifent  les  poèmes 
que  pour  être  entretenus  agréablement 
par  des  fixions  y  fe  livrent  donc  dans 
cette  leâure  auplaifiraâuel.  Ilsfelaif- 


■,r  ..Google 


^o6  Rif exions  aiii^es 

fent  aller  aux  imprelTions  que  fàît  fur 
eux  l'endroit  du  pOëme  qui  eftfous  leim 
yeux.  Lorfquc  cet  endroit  les  occupe 
agréablement ,  ils  ne  s'avifent  gueres 
de  iiifpendre  leur  plaifir  j  poiu-  faire  ré- 
flexion s'il  n'y  a  point  de  fautes  con- 
tre les  règles.  Si  nous  tombons  fiir  une 
faute  groflîere  &  fenfible ,  notre  plaiiir 
eft  bien  interrompu  ;  nouspouvonsbien 
alors  faire  des  reproches  au  Poëte  : 
mais  nous  nous  réconcilions  avec  lui, 
dès  que  ce  mauvais  endroit  du  poëme 
eft  paAié ,  dès  que  notre  plaifir  a  re- 
commencé. Le  plaifir  aâuel  qui  domi- 
ne les  hommes  avec  tant  d'empire, 
qu'il  leur  fait  oublier  les  maux  paffés , 
&  qu'illeur  cache  les  maux  à  venir, 
peut  bien  novis  faire  oublier  les  fautes 
d'un  poëme  qui  nous  ont  choqués  da- 
vantage ,  dès  qu'elles  ne  font  phis  fous 
nos  yeux.  Quantàcesfeutes  relatives, 
fie  qu'on  ne  démêle  qu'en  retournant 
fur  fes  pas  ,  &  en  faifant  réflexion^ur 
■ce  qu'on  a  vu ,  elles  dimrmient très-peu 
le  plaiiir  du  lefteur  &  du  fpeâateur, 
quand  même  il  lit  la  pièce ,  ou  quand  il 
la  voit,  après  avoir  été  informe  de  ces 
fautes.  Ceux  qui  ont  lu  la  Critique  du 
Cid ,  n'en  ont  pas  moins  de  plaî£r  à 
voir  t^tte  Tragédie. 


■,r  ..Google 


fur  U  Poëjtt  Srfur  la  Peinture.  307 
En  effet ,  l'événement  qu'un  Poëte 
tragique  aura  trop  laiffé  prévoir  en  le 
préparant  grofliérement  ,  ne  laiflera 
point  de  nous  toucher  ^  s'il  eft  bien 
traité.  Cet  événement  nous  intéreffe- 
ra  ,  bien  qu'il  ne  nous  furprenne  point 
réellement.  Quoique  les  événemens  de 
PolleuÛe  &  d'Athalie  ne  furprennent 
pas  véritablement  tieux  qui  ont  vu  plu- 
fieurs  fois  ces  Tragédies ,  ils  ne  laiffent 

Îas  de  les  toucher  jufques  aux  larmes. 
1  femble  que  l'efprit  oublie  ce  qu'il 
fçaît  des  événemens  d'une  Tragédie 
dont  il  connoît  parfeitement  la  fable , 
afin  de  mieux  jouir  du  plaifir  de  la  fur- 
prîfe  que  ces  événemens  caufent ,  IofT- 
qifils  ne  font  pas  attendus.  Il  faut  bien 
qu'il  arrive  en  nous  quelque  chofed'ap- 
prochant  de  ce  que  je  dis;  car  après 
■avoir  vu  vingt  fois  la  Tragédie  de  Mî- 
thridate,  on  eft  prefqu'aum  frappé  du 
retour  imprévu  de  ce  Prince  ,  quand  il 
eft  annoncé  à  la  fin  du  premier  AQe  , 
que  fi  cet  incidt  de  ta  pièce  furprenoit 
véritablemenif^^ctre  mémoire  paroît 
'donc  fufpendue  au  fpeflacle  ;  &  il  fem- 
tle  que  nous  nous  y  bornions  à  ne  fça» 
voir  tes  événemens ,  que  lorfqu'on 
hous  les  annonce.  On  s'interdit  d'anti* 


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308  Réflexions  crlùqtus 

ciper  fur  Içs  événemcns  ;  &  comme  oa 
oublie  ce  qu'on  a  vu  à  d'autres  repré-  ■ 
fentattons ,  on  peut  bien  oublier  ce  que 
l'indifcréiion  d'un  Poète  lui  a  fait  révé- 
ler avant  le  tems.  L'attrait  du  plaiiir  a- 
t^il  tant  de  peine  à  étouffer  la  voix  de  la 
raifcn  î 

Enfin  fi  le  charme  du  coloris  eft  fi 
puilTant  qu'il  nous  fafie  aimer  les  ta- 
bleaux du  BalTan,  nonobAant  les  fautes 
énormes  contre  l'ordonnance  &  le  Aeî- 
fein,  contre  la  vraîfemblance  poétique 
&  pittorefqiie  dont  ils  font  remplis  ;  fi 
le  charme  du  coloris  nous  les  lait  van- 
ter ,  bien  que  ces  fautes  foient  aâuel- 
lement  fous  nos  yeux ,  lorfque  nous  les 
louons;  on  peut  aifément  concevoir 
comment  les  charmes  de  la  Poëfte  du 
âyle  nous  font  oublier  dans  la  le^hire 
d'un  poëme  les  fautes  que  nous  y  avons 
apperçues. 

Il  s'enfuit  de  mon  expofition ,  que  le 
meilleur  poëme  eflceliu  dontlale£hire 
nous  intéreiTe  davanta^  ;  que  c'eft  ce* 
lui  qui  nous  féduit  atiÇKnt  de  nous  ca- 
cher la  plus  grande  partie  de  fes  fautes, 
&  de  nous  faire  oublier  volontiers  cel- 
les mêmes  que  nous  avons  vues ,  &  qui 
nous  ont  choqués.  Or  c'eA  à  propot'; 


:,-,zf--„GoOglc 


furlaPoêJîe  Sf fur  la  Peinture,  300 
tion  des  charmes  de  la  Poefie  du  ftyle 
qu'un  poëtne  nous  intéreffe.  Voilà  pour- 
quoi les  hommes  préféreront  toujours 
les  poëmes  qui  touchent ,  aux  poëmes 
réguliers  :  voilà  pourquoi  nous  préfé- 
rons le  Cid  à  tant  d'autres  Tragédies. 
Si  l'on  veut  rappeller  les  chofes  à  leur 
véritable  principe ,  c'ell  donc  par  la 
poëfie  du  ftyle  qu'il  faut  juger  d'un 
poëme  ,  plutôt  que  par  fa  régularité  6c 
par  la  décence  des  mœiu^. 

Nos  voifins  les  Italiens  ont  deux 
poëmes  épiques  en  leur  langue ,  la  Jé~ 
TufaUm  délivrée  du  Taffe ,  &  le  Roland 
furieux  de  l'Ariofte  ,  qui ,  comme  l'I- 
liade &  l'Enéide ,  font  devenus  des  li- 
vres de  la  Bibliothèque  du  genre  hu- 
main. On  vante  le  poëme  du  Taffe  pour 
U  décence  des  mœurs ,  pour  la  conve- 
nance &  pour  la  dienité  des  caraûeres, 
pour  l'économie  dii  plan  ,  en  un  mot 
fa  régularité.  Je  ne  dirai  rien  des  mœurs, 
des  caraâeres ,  de  la  décence  &  du  plan 
du  poëme  de  l'Ariofte.  Homère  fut  un  " 
Géomètre  auprès  de  lui  ;  &  l'on  fçait  le 
beau  nom  que  le  Cardinal  d'Eft  donnii 
au  ramas  informe  d'Hiftoires  mal  tiffues 
enfemble  qui  compofent  le  Roland  fu- 
rieux. L'imité  d'aâion  y  ell  £t  mal  ob- 


:,-,zf-„  Google 


}  10  RéjUxtons  cmîqtics 

l'ervée ,  qu'on  a  été  obligé  dans  les 
Editions  pcfiérieures  ,  d'indiquer  ,  par 
une  note  mife  à  côté  de  l'endroit  où  le 
Poëte  interrompt  une  hiftoïre,  l'endroit 
du  po'ëme  où  Û  la  reconnnen'ce ,  afin 
que  le  leâeur  puifTe  fuivre  le  fil  de 
cette  hiiloire.  On  a  rendu  en  cela  un 
grand  fervice  au  public  ;  car  on  ne  lit 
pas  deux  fois  l'Anofte  de  fuite  ,  &  en 
palTaot  du  premier  chant  au  fécond  , 
&  de  celui-là  aux  autres  fucceffive* 
ment  ;  mais  bien  en  fuivant,  indépen- 
damment de  l'ordre  des  livres  ,  les  dîf» 
férentes  hifloires  qu'il  a  plutôt  incor- 
porées qu'unies  enlemble.  Cependant 
les  Italiens,  généralement  parlant, 
placent  l'Ariofte  fort  au-deffus  du  Taffe. 
L'Académie  de  la  Crufca,  après  avoir 
examiné  le  procès  dans  les  formes ,  a 
fait  une  déciUon  autentique  qui  adjuge 
à  l'Ariofte  le  premier  rang  entre  les 
Poètes  épiques  Italiens.  Le  plus  zélé  dé- 
fenfeur  du  Taffe  (a)  confeffe  qu'il  at- 
taque l'opinion  générale  ,  &  que  tout 
le  monde  a  décidé  pour  l'Ariofte  ,  fé- 
diiit  rar  la  poëfie  de  fon  ftyle.  Elle 
l'emporte  véritablement  fur  la  poèCe 
de  la  Jérufalem  délivrée ,  dont  les  fî- 


:,-,z'f.--„GoOglc 


fur  U  Poëfie  &furia  Pthuure.    311 

f  lires  ne  font  pas  fouvent  convenables 
l'endroit  oii  le  Poëte  les  met  en  œu- 
vre. Il  y  a  fouvent  encore  plus  de  bril- 
lant &  d'éclat  dans  ces  figures ,  que  de 
vérité.Je  veux  dire  qu'elles  furprenneat 
Se  qu'elles  éblouiffent  l'imagination  , 
xnais  qu'elles  n'y  peignent  pas  dïAInâe- 
ment  des  images  propres  à  nous  inté- 
reffer.  Voilà  ce  que  Monfieur  Def- 
préaux  a  déâni  le  CUnquaru  du  Tajfc  ;  &C 
les  Etrangers ,  à  l'exception  de  (quel- 
ques compatriotes  du  dernier ,  ont  louf- 
crit  à  ce  jugement.  Quant  au  Poïte  dont 
toutes  ces  menieiUts  font  tirées ,  dit  Mon- 
sieur Addifon ,  en  parlant  d'un  Opéra 
Italien  dont  le  fujet  avoït  été  pris  dans 
le  Taffe  ,  je  fuis  de  l'avis  de  Monfieur 
Defpriaux .  qu'un  vers  de  Virgile  vaut 
mieux  que  tout  U  Clinquant  du  Tajfe  {à), 
U  eft  vrai  néanmoins  ,  pour  continuer 
la  figure ,  qu'on  trouve  quelquefois  de 
Ter  le  plus  pur  à  côté  de  ce  clinquant. 
On  voudroit  inutilement  faire  chan- 

Ser  de  fentiment  aux  Italiens ,  &  l'on  fe 
oute  bien  de  ce  qu'ils  répondroient 
à  rétrangerqui  s'aviferoit  de  les  répri- 
mander fur  la  dépravation  de  leur  f;oùt. 
Ils  feroient  ce  que  firent  nos  percs, 

(IJ  SpttIflKW  lia  s  AîarH711. 


:-„r., Google 


3 1 1  RijUxions  crmqaa 

quand  on  voulut  diminuer  leur  amour 
pour  le  Cid.  Les  raîfonnemens  des  au- 
tres peuvent  bien  nous  perfuader  le 
contraire  de  ce  que  nous  croyons ,  mais 
non  pas  le  contraire  de  ce  que  nous 
Tentons.  Or  nous  Tentons  bien  quel  eft 
celui  de  deux  poèmes  qui  nous  fàît  lé 
plus  grand  plaifir.  C'eft  de  quoi  je  dois 
parierplusau  long  à  la  fin  de  la  féconde 
partie  de  cet  ouvrage. 

L'expreflîon  me  paroît  dans  un  ta- 
bleau ce  que  la  poëfie  du  ftyle  eft  dans 
un  poëme.  le  comparerois  volontiers 
le  coloris  avec  cette  partie  de  l'Art 
poétique  qui  confifte  à  choilîr  &  arran- 
ger les  mots ,  de  manière  qu'il  en  ré- 
iulte  des  vers  qui  foient  harmonieux 
dans  la  prononciation.  Cette  partie  de 
l'Art  poétique  peut  s'appeller  la  méca» 
nique  de  la  Poëfie. 


eT"^ 


SECTION 


:,izf--„GoOglc 


fur  la  Poejîe  &  fur  ta  Ptînturt,     31  j 


SECTION     XXXV. 

Dt  la  Mécanique  de  la  l'oëjîe  qui  m  re- 
garde Us  mots  que  comme  de  Jîmples 
forts,  avantages  des  Poètes  qui  ont 
tompofi  en  Latin  fur  ceux  qui  compojent 
en  François. 

V>  6  M  M  E  la  Poëfie  du  Jlyle  confiftc 
dans  le  choix  &  dans  l'arrangement  des 
mots ,  considérés  en  tant  que  les  fignes 
des  idées  -,  la  mécanique  de  la  Poefie 
confifte  dans  le  choix  &  dans  l'airan- 
gement  des  mots,  confidérés  en  tant 
qiie  de  (impies  ions,  aufquels  il  n'y  au- 
roit  point  «ne  fignificatîon  attachée. 
Ainli  comme  la  Poëfte  du  ftyle  regaide 
les  mots  du  côté  de  leur  fignification, 
qui  les  rend  plus  ou  moins  propres  à 
léveiller  en  nous  certaines  idées;  U 
mécanique  de  la  Poëfie  les  regarde 
uniquement  comme  des  fons  plus  ou 
moins  harmonieux,  &  qui  étant  com- 
binés- diverfement ,  compofent  des 
phrafes  dures  ou  mélodieufes  dans  la 

iTononciation.  Le  but  que  fe  propofe 
a  Poëfie  du  ftyle,  eft  de  fairedfsima- 
Tomtl.  Q 


:,-,zf--„GoOglc 


}I4  .  Rifextonscrîàqius- 
ges }  &  de  plaire  à  rîmagination.  Le 
but  que  la  mécaniqiie  de  la  Poëfie  fe 
propofe ,  eft  de  jfaire  des  vers  harmo- 
nieux, &  de  plaire  à  l'oreilIê.  Leurs 
intérêts  feront  fouvent  ■oppofés ,  me 
dira-t^Mi.  J'en  tomberai  craccord,  &C 
<ju'il  faut  encore  être  né  Poëte  poux  les 
concilier. 

Ce  que  je  pourrois  avoir  à  dire  de 
nouveau  fur  la  mécanique  des  vers 
Françtûs ,  fe  trouvera  dajs  le  parallèle 
que  je  vais  faire  de  la  Lai^ie  Latine 
avecjla  nôtre ,  pour  montrer  ravanta^e 
que  les  Poètes  Latins  ont  eu  fur  les 
Poètes  François  en  cette  partie  de  TArt 
poétique.  11  efl  bon  de  prouver  en  for- 
me une  fois  que  ceux  qui  foutieonent 
que  la  PoëSe  Françoife  ne  l^auroit  éga- 
ler la  Poëfie  Latine  ,  ni  dans  la  Poâe 
du  Ayle ,  ni  dans  la  cadence  &  lliarmo* 
nie  des  vers ,  n'ont  point  de  tort.  Ainfi, 
après  avoir  fait  voir  que  le  Latin  eft 
plus  propre  à  Ëiire  des  images  que  le 
François ,  à  caufe  de  fa  brièveté  &  dq 
l'inverfion ,  je  montrerai  encore  ,  par 
pluâeurs  ralfons^que  celui  qui  compofe 
des  vers  en  Langue  Latine ,  a  des  racï» 
lités  pour  faire  des  vers  nombreux  & 
}iannonieuX|  que  n*a.  point  celui  qui 


furla.  Poifit  &  fur  la  Piînturt.  315 
compofedes  vers  en  Langue  Françoife. 
Le  Latiil  «ft  ^hs  court  que  le  Fran- 
çois ,  géwflétriqiienient parlant.  Si  cer- 
tains mots  Latins  font  plus  longs  que 
1ë5  mots  François  qui  leur  Ibnt  l'ynony-' 
mes  ,  il  eft  aulfi  des  mots  François  qui , 
fontphis  longs  que  tes  mots  qui  leur  font 
relatifs  en  Latin  :  en  compenfatit  les' 
uns  par  les  autres ,  le  François  n'a  ri^n' 
à  repi-ocher  a«  Latin  à  cet  égard.  Mais 
les  Latins  déelînent  leurs  mots  ^  de  ma-' 
lûere  que  liiÙfinanee  ou  ta  terminaifon 
feule  dft  nom  marque  le  cas  où  H  eff 
efftployé.  Quand  bn  trouve  dans  une' 
jArafe  Latine  le  mot  Dominas'i  on  con-^ 
noît  par  fa  définance ,  s'il  eft  au  génitif, 
au  datif,  ou  à  t'accufatif.  Le  Latin  dît 
Doirùrù  au  génitif,  Dommum  à  l'accufa- 
tif.  On  connoît  encore  par  la  définance  ^ 
s'il  eft  au  pluriel  ou  bien  au  fingulier  : 
ft  qiielquGâ  cas  ont  la  même  terminai- 
fon ,  le  régime  du  verbe,  empêche  qu'on 
rie'  s*y  méprenne.  Ainfi  lés  Latins  dé- 
cliiient  leurs  noms  fanS  Je  fecoars  des 
articles  le,  du,  6Cc.  que  nous  fommes 
obligés  d'employer  ,  en  déclinant  les 
noms  François ,  parce  que  nous  n'en 
changeons  pas  la  difiname  fiiivant  le 
cas.  Il  nous  fëut  dire  le  Maître ,  dti 
Maître  ,  au  Maître.  Oi)  ' 


}i6  RtjUxiôm  erîtlquis' 

Le  Latin  conjuge  encore  fês  verbes^ 
comme  il  décline  fes  noms.  La  définan- 
ce  marque  le  tems,  la  perfonne,  le 
nombre  6c  le  mode.  Si  quelques  dé^- 
nances  font  femblables ,  le  fens  de  la 
phrafe  levé  Tambiguité.  A  douze  ans 
on  ne  s'y  trompe  pas  ,  &  à  quatorze 
on  n'y  héûte  plus.  On  ne  conjugue  en 
François  la  plupart  des  tems  des  ver- 
bes qu'avec  le  fecoius  de  deux  autres 
verbes  ,  que  pour  cela  même  nous  ap- 
pelions des  verbes  auxiliaires ,  fçavotr , 
I9  varbe  poiTeffif  Avoir  ^  âc  le  verbe 
Atblïantif  Etrt.  Si  les  Latins  étoieiU 
obligés  dç  s'aider  d'im  verbe  auxiliaire 
pouf  conjuguer  quelque  tems  du  pafTif , 
nous  fommes  prefque  toujoius  obligés 
d'y  en  mettre  deux.  Pour  rendre  j^am- 
■  tus  fui  f  il  faut  que  nous  difions  ,  J'ai 
été  aimé.  Il  eft  encore  néceflair^  ,  pour 
conjuguer  les  verbes  François, que  nous 
ijpus  aidions  de  l'article ,Jcftu,  ilj6c 
du  pluriel  ds  cet  ^icle;  Scnous  ne 
pouvons  pas  encore  fupprimer  la  .pré* 
pofition ,  comme  les  Latins  le  faifoient 
prefque  toujours.  Le  Latin  dit  bien, 
i/lum  enft  occldit }  mais  pour  dire  tout 
ce  qu'il  dit  en  trois  mot&,  il  &ut  que  le 
François  difc  ,  il  U  tua  avec  une  éfét. 


Coo^jlc 


furUPotfie&furlaPùaturt,  317 
Ainfî  it'  eft  aiilTi  clair  que  le  François 
eft  plus  long  efiçiuiéllement  qiiele  Lar 
tin,  qu'il  eu  clajrrqu'iïh  cercla  eft  plu*  . 
grand  qu'un  Butre,lorrqu'il  faut  une  plus 
grande  ouverture  de  compas  pour  le 
mefurer. 

■  Si  l'on  allègue  qu'il  fe  trouve  des  tra- 
durons  Latipes  plus  longues  que  les 
originaux  François ,  je  répondrai  que 
cette  excédence  de  la  traduftion  arrive 
ou  par  la  nature  du  fujet,  cnù  eil  traité 
dans  l'original ,  ou  par- la  feute  du  tra- 
duâeur,  mais  qu'on  n'en  fçauroit.rien 
conclure. contre  la  brièveté  du  Latin.  , 
En  pi-emier  lieu,  un  traduftBur  eft 
Latin  qui  fçait  igat  cçtte  langue,  ne 
rencontrant  point  affei-tôt  le  mot  pro- 
pre pour  figniHer  le  mot  François  qu'il 
veut  rendre  ,  au  lieu  de  le  cherchet 
danRunDi^ionnaire.prend  le  parti  d'ea  , 
ejxpiim^r  «$i  Teps  par  une  pei-iphrafç, 
C'eA  alniî  que  W  thèmes  de$  eçQliets 
font fôuvi$nt plus' lodgs. que  lesdifcoiurs 
François  que  le  Régent  lem  a  diâé.  En 
fécond  lieu ,  il  arrive  que  le  tiaduâeur 
Latin  d'un Hiftorien François,  qui  pour 
iàire  le  d^étsi)  d'un  fiége  «  d'un  cQmlïat 
naval  ou  d'une  féance  du  Parlemept , 
a  eu  Iqus  fa  mai|i  tous  tes  termes  pro- 
Oiij 


i),:-„r-.,  Google 


31?  RèjÎLxiùns  cfitiqats 

près  qui  font  nécdraîres  à  fa  narration', 
ne  pent  trou'WT  des  nK>ts  fynonymes 
dans  la  Langue  Latine.  Contme  les  Ro- 
mains ne  connoiflbient  pas.  les  chofes 
dont  le  traduâeur  doit  parler  ^  tes  Ro* 
mains  n'avoient  point  de  termes  pto- 
}H%s  pour  les  lignilîer.  Ils  n'avoient 
point  de  mois  propres  pour  tUre-un 
^nôrtier ,  &  l'angle  fkiltant  d^1nc  con- 
trefcarpe ,  parce  qu'ils  n'avoient  pas 
ces  chofes-là.  Le  traduôeur  eft  4onc 
réduit  à  fe  fervir  de  périphrafé  ,  &  à 
ne  pouvoir  rendre  qu'en  plufieiirs  mots 
ce  que  l'Ecrivain  François  a  pu  dire  par 
un  îetil  mot.  Mais  cette  prolixité  'n  eft 
qu'une  fn-otixité  d'accident ,  comme 
feroit  la  prolixité  d'un  François  qui  tra- 
duiroit  le  récit  d'un  repas  donné  par 
Lucultus ,  Ou  ta  defcription  d'un'  com- 
bat de  gladiateurs ,  &'qui  par  confis- 
quent (eroit  obligé  de  parler  de  beau* 
éoup  de  chofes  <[ui  n'ont  pas  de  nom 
en  notre  langue.  Ainfi  lô  Làtm  vft  tOD- 
jours  plus  court  que  le  François,  dès 
qu'on  écrit  fur  des  fujets  pour  lefquels 
les  denr  langues  font  également  avan- 
tagées de  tenaes  ptopres.  Or  nen  ne 
fert  plus  à  rendte  uné'phrafd  énei'gi- 
que^  qttefabnëTeté.-H«Beft'desfflet9 


.  fur  ta  Poèjtt  &fur  la  Peinture.  5 19 
comme  du,métal  qu'on  employé  pour 
monter  un  diamant.  Moins  on  y  en 
«let ,  plus  ia  pierre  fait  un  bel  effet. 
Une  image  terminée  en  fix  mots  y  frap- 
pe plus  vivement,  &  fiiit  plutôt  Iba 
effet,  que  cdie  quin'eft  achevée  qu'au 
bout  de  dix  mots.  Tous  nos  meilleurs 
Poètes  m*ont  fort  affuré  que  cette  vé- 
rité ne  feroit  iamais  cohteftée  par  aiw 
cun  Ecrivain  fenfé. 

Non^feulement  le  Latin  eft  plus  avan- 
tageux que  le  François  ,  par  rapport  à 
la  PoëCe  du  ftyle  ;  mais  il  eft  encore 
infiniment  plus  propre  que  le  François 
poiu  réuflir  dans  la  mécanique  de  la 
Poëfie ,  &  cela  par  quatre  raifons.  Les 
roots  Latins  font  plus  beaux  que  les 
mots  François  à  tous  égards.  Il  eft  plus 
aifé  de  compofer  harmonieufemait  en 
latin  qu'en  François.  Les  régies  de  la 
Poëfie  Latine  gênent  moins  le  Poète 
que  les  règles  de  la  Poëfie  Françoife. 
Enfin  l'obiervation  des  règles  de  la 
Poëfie  Latine  jette  plus  de  beautés  dans 
des  vers ,  que  n'y  çn  jette  l'obferva- 
tion  des  règles  de  la  Poëfie  Françoife. 
Expofons  fommairement  ces  quatre  vé- 
rités. * 
En  premier  lieu  les  mots  Latins  font 
Oiv 


Coo^tlc 


3 10  Réfltxions  cntiqius 

plus  beaux  que  les  mots  François  à 
deux  égards  :  les  mots  peuvent  être  re- 
gardés:, ou  coimne  les  l^nes  de  nos 
idées ,  ou  comme  de  fimples  fons.  Les 
mots ,  comme  fignes  de  nos  idées  ,  font 
fufceptibles  de  deux  beautés  différentes, 
La  première  eft  de  réveiller  en  nous 
une  belle  idée.  A  cet  égard  les  mots  de 
toutes  les  langues  font  égaux.  A  cet 
égard  le  mot  perturhator  qui  fonne  fi 
bien  à  l'oreille ,  rv'efl  pas  plus  beau  en 
Latin  que  celui  de  brouillon  en  Fran- 
çois. Ils  réveillent  la  même  idée.  La 
féconde  beauté,  dont  les  mots  font  ful^ 
ceptibles  comme  fignes  de  nos  idées, 
c'eil  un  rapport  particulier  avec  l'idée 
qu'ils  (ignlfient.  C'eft  d*imiter  enquel- 
.  que  façon  le  bruit  inaniculé  que  nous 
ferions  pour  ta  figoifier.  Je  m'expli- 
que. 

Les  hommes  fe  donnent  à  entendre 
les  uns  aux  autres  par  des  fons  artificiels 
&  par  des  fons  naturels.  Les  fons  arti- 
ficiels font  les  mots  articulés ,  doniJes 
hommes  qui  parlent  une  même  langue, 
font  convenus  de  fe  fervir  pour  expri- 
mer certaines  chofes.  Voilà  pourquoi 
Un  mot  n'a  de  fignification  qiif  parmi 
un  certain  nombre  d'hommçs.  Un  inOt 


:-„r -iCoO^ilc 


fur  la  PoifieSr  fur  la  Peinture.  311 
François  n'a  de  fignification  qiie  pour 
Ceux  qtiî  entendent  cette  langue.  Il  ne 
réveille  aucune  idée  ,  quand  on  ne  la 
fçait  pas.  Lorique  les  hommes  ont  for- 
mé ces  Tons  artificiels ,  toutes  les  fois 
-qu'ils  ont  fait  ime  nouvelle  langue  ,  ils 
ont  du ,  fuivant  l'inftinfl  de  la  Nature  ,' 
feire  ce  que  font  encore  aujourd'hui 
les  hommes  qui  ne  fçauroient  trouver 
'  le  mot  dont  ils  ont  befoin  pour  expri- 
mer quelque  choie.  Ils  fe  donnent  à 
entendre  en  contrefaifant  le  bruit  que 
Élit  la  chofe ,  ou  en  mettant  dans  le  ton 
imparfait  qu'ils  forment ,  quelque  ton 
qui  ait  le  rapport  le  plus  marqué  qu'il 
(oit  poflible',  avec  la  choie  qu'ils  veu- 
lent donnèt  à  comprendre,  fans  pou- 
voir la'nommer.  C'eii  ainfi  qu'un  Etran-  ■ 
ger  qui  ne  fçauroit  pas  comment  le  ton- 
nerre s'appelle  en  François  ,  fupptéroït 
àxe  mot  par  un  fon  qni  ïmiteroit ,  au- 
tant qu'il  feroit  poffible ,  le  bruit  de 
ce  météore.  C'eft  apparemment  ainJï . 
quelles  anciens  Gaulois  avoient  formé 
le  nom  de  OKq ,  dont  nous  nous  fervons 
aujourd'hui  dans  la  même  fignification 
qu'eux,  en  imitant  dans  lefon  du  mot 
le  fonoubfuit.que  cet  oifeau  fait  par- 
intervalles.  C'eft  encore  ^nfi  qu'ils 
Ov 


:-„r., Google 


ont  foniié  le  mot  de  bu  qui  âgiùâorC 

la  même  dic^e  chez  eux  que  chez 

vous. 

.  '  Ce$  fons  imttatifs  autont  été  mis  ep 

ufage  y  principalement  cpiand  il  aura 
feUu  (lonner  des  noms  aux  foujûrs  ,  au 
rire ,  aux  gémifiemens ,  &  à  toutes  les 
«xpreffions  inarticulées  de  nos  fenti- 
mens  &  de  nos  pa£ons,.Ce  n*eil  poîat 

Car  coniefhires,  que  bous  iavons  que  ^ 
;s  Grecs  en  ont  uieaiirii.  Quintilien  (a) 
Qous  dit  cxpre^'ément  qu'ils  Tavoient 
fait ,  6c  il  les  loue  de  leur  invention. 
Fiagtrc  Gracis  magis  cvnce^um  tfi^  quifo- 
nis  quihujtàan  &  affecUbus  non  dubitavt-. 
ruât  nomina  apfare  >  non  aàâ  Ubtruut 
qaàot  qud  illi  primi  ktmi/us  reius  apfti' 
laiiones  dtdtruM.'<^  tes  ^ooi  qu^  ces 
'  mots  imitent^  le  trouvent  être  des  £•« 
goes inAitués par  laNa^r^même,  pour 
Signifier  les  payons  Se  les  autres  chofes 
dont  ils  iirât  les  figues.  C'eft  d'ella- 
iBêihe  qu'ib  brent  leur  Hgnificattoa  &c. 
leuréAei^e.  EneiFet  ilsfoat.àpeuD^ 
les  mêmes  partout ,  femblahles  en  cela 
aux  cris  des  animaux.  Du  moins  fi  les 
ions  par  tefquels  les  horames  marquent 
leur  fiirprife,  leur  joie,  leur  douleiff 


.Ccoylc 


far  la  Potjîe  &  fur  la  Pt'mturt.  315 
&  leurs  autres  pafïïons  ,  ne  ibnt  pas 
entièrement  les  mêmes  dans  tous  les 
pays ,  ils  y  font  fi  femblables  que  tous 
tes  peuples  les  entendent  ;  t/t  in  tantà 
per  omnts  gerues  narionffyue  lingua  di- 
verjîtate  ,  hic  mihi  omnium  hominum  com- 
munisfirmo  viJeatur  (a).  C'eft  ,  s'il  eft 
permis  d'ufer  ici  de  cette  expreiïîon , 
une  monnoie-frappée  au  coin  de  la  Na- 
ture ,  &  qui  a  cours  parmi  tout  le  genre 
humain. 

■  Ils  s'enfuit  donc  mie  les  rtots  ,  qui 
dans  leur  prononciation  imitent  le  bruit 
qu'ils  iignîfient ,  ou  le  bruit  que  nous 
ferions  naturellement  pour  exprime^ 
la  chofe  dont  ils  font  un  figne  inûitué, 
ou  qui  ont  quelqii'autre  rapport  avec 
la  chofe  fîgnifiée ,  font  plus  énergique^ 
que  les  mots^  qui  n'ont  d'autre  rapport 
avec  la  chofe  lignifiée,  que  celui  que 
l'ufage  y  a  mis.  Un  mot  qui  a  natu- 
rellement du  rapport  avec  la  chofe 
iignifiée  ,  en  réveille  l'idée  plus  vive- 
ment. Le^wie  qui'tient  de  la  Nature 
même  un^^artie  de  fa  force  &  de 
fa  fignification ,  eft  plus  puiffant  Sç 
agit  plus  efficacement  fiir  bous  ,  que 
le  figne  qui  doit  au  hafard  ou  au  ca- 

(a)  Jn/îit.  Jifr.  u.  ci. 

Ovj 


Cooylc 


314  .  Rifltxîons  crinqaes 
ptice  de  l'Inftituteur ,  toute  fon  énergie. 
Les  langues  qu*on  appelle  langues 
mères, pour  n'être  pas  dérivées  d  une 
autre  langue  ,'inaïs  pour  avoir  été  for- 
mées du  jargon  que  s'étoient  faifi  quel- 
ques hommes  dont  les  cabanes  fe  trou- 
voient  voifines,  doivent  contenir  un 
plus  grand  nombre  de  ces  niots'imita- 
tifs ,  que  les  langues  dérivées.  Quand 
les  langues  dérivées  fe  forment ,  le  ha- 
fard,  la  condition  des  organes  de  ceux 
qui  les  comppfent ,  laquelle  eft  diffé- 
rente fuivant  l'air  &c  la  température 
de  chaque  contrée  »  la  manière  dontCe 
fait  le  mélange  de  la  langue  q^u'tls  par- 
loient  auparavant  avec  celle  qui  entre 
dans  la  eompofition  de  la  nouvelle  lan- 
gue ;  enfin  le  génie  qui  préfide  à  fa  naif- 
fanCe  ,  font  caufe  qu'on  altère  la  pro- 
nonciation de  la  plupart  des  mots  iroi- 
tatîfs.  Ils  perdent  amli  l'énergie  que 
leur  donnoit  le  rapport  naturel  de  leur 
fon  avec  la  choie  dontils  étoient  les  li- 
gnes inAihiés,  Voilà  d'oîi^eiit  l'avan- 
tage dçs  langues  mères  ufllts  langues 
dérivées.  Voilà  pourquoi ,  par  exem- 
ple ,  ceux  qui  fçavent  l'Héûreu ,  £ont 
charmés  de  l'énergie  des  mots  de  cette 
'langue. 


fur  la  Poêjîe  Ofur  la  Ptîmure.  3 1 Ç 
Or  quoique  la  langue  Latine  Toit  elle- 
même  utie  langue  dérivée  du  Grec  ic 
du  Tofcan ,  néanmoins  elle'eâ  ime  lan^- 
gue  mère  à  l'égard  du  François  :  la  plu- 
part des  mots  François  viennent  du  i^- 
tin.  Ainfi  quoique  les  mots  Latins  foient 
moins  énergiques  que  ceux  des  langues 
dont  ils  font  dérivés  ,  ils  doivent  en- 
core l'être  plus  que  Jes  mots  François. 
D'ailleurs  le  génie  de  notre  langue  elt 
très-timide,  &  rarement  il  ofe  entre- 
prendre de  rien  faire  contre  les. règles 
pour  atteindre  à  des  beautés  o(t  il  ar- 
riveroit  quelquefois,  s'il  étoit  moins 
.  fcrupuleiix. 

Nous  voyons  donc  que  pluficurs  mots 
qui  font  encore  des  mots  imitatifs  en 
Latin,  ne  font  plus  tels  en  François. 
Notre  mot,  hurlemeiit,  n'exprime  pas 
le  cris  du  loup ,  ainfi  que  celui  d*ulu- 
latus  dont  il  eft  dérivé,  quand  on  le 

{•rononce  ouloulatous ,  ainU  que  le  font 
es  autres  Nattons.  II  en  eft  de  même 
àes  y  fiaguliits  ,  gtmitusy  &  d'une  iniî- 
nité  d'autres.  Les  mots  François  ne 
font  pas  aiiiU  énergiques  que  les  mots 
Lgtins  dont  ils  furent  empnmtés.  J'ai 
donc  eu  raifon  de  dire  que  la  plupart 
d^s  mo. s  Latins  font  plus  beaux  que  la 


:,-,zf-„  Google 


3 16  Réflexions  er'uiqius 

plupart  des  mots  François ,  même  en 
^examinant  les  mots  entant  que  ûgrieî 
Je  nos  idées. 

Quant  aux  mots  confiderés  comme 
de  amples  fons  qat  ne  fignifieroient 
tien,  il  eft  hors  de  doute  qu  à  cetégard 
les  uns  ne  platfent  davantage  que  les  ' 
autres  «  &  par  conféquent  que  certains 
mots  ne  foient  plus  beaux  que  d'antres 
mots.  Les  mots  qui  font  compofés  de 
fons  ,  qui  par  eux-mêmes  &  par  leur 
fiiâlange  plaifent  davantage  à  l'oreille  , 
doivent  lui  être  plus  agréanles  que  d'an- 
tres mots  oh  les  fons  ne  fèroient  pas 
combinés  auffi  heureufement ,  &  cela 
comme  je  l'ai  àxx ,  indépendamment  de 
leur  fignificatîon.  Ofera-t'on  nier  que 
le  mot  de  compagnon  ne  plaife  plus  i 
l'oreille  que  celui  de  collègue ,  bien 
que  par  rapport  à  leur  fignification  le 
mot  de  collègue  fbitphis  beau  que  ce- 
lui de  compagnon }  Les  fin^)les  fol- 
dats  ,  les  ouvriers  même  ont  des  corn- 
pagnons  ;  mais  les  Magiftrats  feuls  ont 
des  collègues.  Car,  comme  le  dîtQuin- 
tîlien  (a)  ;  Nom ,  ut  fylLahx  i  Utttris  mt- 
liks  fnnanàbus  clariorcs  funt ,  ita  verha 
i  Jyllabis  magis  vocalia  ,  &  jad  /jIus  qua' 
(a>  h^it.  lih.  %.  txp.  S. 


...-.Coogic 


fur  ta  Pocfit  &  fur  la  Pelnturt,  J17 
f  Ufc  fpiritus  habet ,  ta  auditu  pidchrior. 
Il  y  a  phis  de  cesfylhbes  foncves  dans 
compagnon  que  dans  collègue,  &  l'un  de 
nos  meilleurs  Poètes  (a)  &  en  même 
tems  c'eft  ce  qui  fait  ici ,  Tun  de  nos 
meilleurs  confiruSeun  de  vers ,  a  mieux 
aimé  fe  fervir  du  mot  de  com|Mignon 
que  de  celui  de  collègue ,  en  une  phrafe 
où  celui  de  collègue  étoit  le  mot  pro- 
pre. Il  s'eA  prévalu  de  la  maxime  de 
Ciceron  qui  permet  de  facrlBer  quel- 
quefois la  régie  &  même  une  partie  du 
lens  aux  charmes  de  l'harmonie.  Jmpt' 
tratum  tfi ,  dit-ïl ,  en  parlant  de  quel- 
ques mots  Latins,  à  confuttudine  ,  ut 
Jùavitalis  causa  ptccare  licertt. 

Or ,  généralement  parlant ,  les  mots 
Latins  foiment  mieux  dans  la  pronon^ 
ciation  que  les  mots  François.  Les  fyi- 
labes  fimlesdesmiotsqui  iefont  mieux 
fentir  que  les  autres ,  a  caufe  du  repos 
dont  elles  font  ordinairement  fuivies , 
font ,  générateilient  parlant ,  plus  {<>• 
tiores  &  plus  variées  en  Latin  qu'cft 
François.  Un  trop  grand  nombre  de 
mots  François  eft  terminé  par  cet  e  que 
nous  appelions  féminin.  Les  mots  Fran- 
çois  font  donC)  généralement  parlant  ^ 

la)  M,  Itglfjlïtui. 


,.,,Cooglc 


jl8  RJJtexions  etitiques 

moins  beaux  que  les  mots  Latins ,  foit 
qu'on  les  examine  comme  fignes  des 
idées ,  Toit  qu'on  les  regarde  comme  de 
fimplesfons.  C'eû  ma  première  raifoa 
pour  Ibutenir  que  la  langue  Latine  eil 
plus  avantageufe  à  la  Poëûe  que  la  lan- 
gue Françoife. 

Maieconderaifonefltiréede  lafyn- 
taxe  de  ces  deux  langues.  La  ccMiûruc- 
(ion  Latine  permet  de  renverfer  l'or- 
dre naturel  des  mots  ,  &  de  les  traol^ 
poier  jufqu'à  ce  qu'on  ait  rencontré  un 
arrangement  dans  lequel  ils  fe  pronon- 
cent fans  peine ,  &  rendent  même  une 
mélodie  agréable ,  Mais  fuivant  notre 
conftruûion  ,  le  cas  d'un  nom  ne  fçau- 
roit  être  marqué  diiWnâeihejtf  dans  luie 
phrafe ,  qu'à  l'aide  de  la  fuite  naturelle 
de  la  coiiilruâion  ,  &c  par  le  rang  que 
le  mot  y  tient.  Par  exemple ,  on  dit  /e  ~ 
perek  1  accufatif  ainlî  qu'au  nominatif^ 
Si  je  mets /e/w^e  avant  \e  verbe,  quand 
il  ell  à  l'accufatif ,  ma. phrase  devient 
«n  galimathia».  Nous-  forantes  donc 
aftreints,  lotis  peine  d'être  ininteUigi- 
bles ,  à  mettre  le  mot  qui  doit  êfre  re- 
coniu  pour  le  nominatif  du  verbe  ,  le 
premier,  enfuite  le  verbe  &  puis  le  ncMO 
qui  eft  i  l'accuiatif.  Ainfi  ce  font  les 


■,r  ..Google 


furUPoëJie  ùfurU  Ptinture.  319 
règles  de  la  conftmâion  ,  &:  non 
pas  les  principes  de  rharmonie  qni 
décident  de  1  arrangement  des  mots 
dans  une  phrafe  Françoife.  Les  inver- 
llons  peuvent  bien  avoir  lieu  dans  no- 
tre langue  en  certains  cas  ;  mais  c*elt 
avec  deux  reftriâions,  aiifquelles  les 
Latins  n'étoieni  point  affujettis.  Pre- 
mièrement la  Iangue.Françoi('e.ne  per* 
met  que  l'inverfion  des  membres  d'ime 
phraie  ,  &  non  l'inverfion  des  mois  qui 
compoient  ces  membres  ;  il  faut  tou- 
jours que  l'ordre  du  régime  foit  gardé 
entre  ces  mots ,  ce  qui  n'étoit  point nér 
celTaïre  en  Latin ,  où  chaque  mot  pou-* 
voit  être  tranfpofé.  Secondement  nous 
exigeons  de  nos  Poètes  qu'ils  ufent  en- 
core avec  fobriété  des  inverfions  q\ù 
leur  font  permïfes.  L'inverfion  &  les 
tranfpofitions  qui  font  des  licences  en 
François ,  étoient  dans  ta  langue  Latine 
l'arrangement  ordinaire  des  mots. 

Cependant  les  phrafes  Françoifes  a«- 
roient  encore  plus  de  befoin  de  l'inver- 
fion ,  pour  devenir  harmonicufes ,  que 
les  phrafes  Latines  n'en  avoient  befoirs 
Une  moitié  des  mots  de  notre  langue 
efl  terminée  par  des  voyelles  ,  &  de 
ces  voyelles ,  Vc  muet  eil  la  feule  911 


:,-,zf--„GoOglc 


}30  Rifieicioitscmhpus 

s'élide ,  qu'on  me  permette  ce  mot  ^ 
contre  la  voyelle  qui  peut  commencer 
le  mot  fuivaot.  On  prononce  donc  bien 
fans  peine  filtt  aimable  ;  maïs  les  autres 
voyelles  qui  ne  s'élident  pas  contre  la. 
voyelle  qui  commence  le  mot  fiiîvant , 
amènent  des  rencontres  de  fons  def- 
agréables ,  dans  la  prononciation.  Ces 
rencontres  rompent  fa  continuité  ,  8c 
déconcertent  (on  harmonie.  Les  ex- 
preffions  fuivantes  font  ce  mauvais  e^ 
fet.  L'amitié  aiamhnrUe  ,  la  fiertiopu- 
UttU  f  ttnmmi  idolmtn.  Nous  fentons  lî 
bien  que  la  coUiiion  du  {on  de  ces 
voyelles  oui  s'entrechoquent ,  efl  déf- 
agréable  dans  la  prononciation,  que  les 
règles  de  notrePoëfîe  défendent  aujour- 
d'hui la  combinaifon  de  pareils  mots.  . 
Elles  défendent  la  liaifon  des  mots 
qui  commencent  te  qui  fimlTent  par 
ces  voyelles  ^  dcmt  la  prononciation  ne 
fe  peut  faire  fans  un  laatus.  Cette  diffi- 
culté ne  fe  préfente  pas  en  Latin.  En 
cette  langue  toutes  les  voyelles  font 
élifion  l'une  contre  l'autre ,  lorfqu'un 
mot  terminé  par  une  voyelle  rencon- 
tre un  mot  qui  commence  par  ime 
voyelle.  Dailleurs  un  Latin  eviteroît 
facilement  cette  collifion  defagréableà 


fur  la  Ppifitù  furlaPtinturt.  55  i 
1^  au  lieu  qu'il 
is  puiffe  fortir  de 
édietit.  Il  trouve 
Durce  que  celle 
3mpt  rharmonie 
ivent  obligé  de' 
énergie  du  îen^ , 
'harmonie.  Rien 
de  conferveraii 
eurs  droits  '  Iqrf* 
i ,  tant  on  trouve 
irs  intérêts ,  ea 
angue. 

;rt  encore  à  faire 
fariélé  des  fons  , 
insiepUisagréa- 
çauroit  y  avoir 
:  dans  une  phrafe 
.  Les  plus  oeaux  . 
i  ils  fe  Iticcedent 
s  fois.  Qu'on  les 
;  fons ,  ils  paroî- 
de  la  phrafo.  H 
Lies  fons  de  blef- 
vienrientlafrap- 
près  de  certains 
aiiir  à  l'oreille  , 
■es  d'antres  fons. 
ïs  plis  que  les  or- 


:,-,zf--„GoOglc 


)3l  Réfitxions  critiques 

canes  qui  lerveat  à  la  prononciation  ', 
font  obligés  de  prendre  pour  amculet 
certaines  lyllabes  ,  ne  permettant  pa9, 
à  ces  organes  de  k  replier"  aifément , 
ainfi  qu'il  faudroit  qu'ils  fe  pliaiTent 
pour  articuler  fans  peine  les  fyllabes 
luivantes.  L'on  a  remarqué  depuis  long- 
tems  que  .toute  prononciation  pénible 
pour  la  bouche  de  celui  qui  parle  ,  de- 
vient pénible  pour  l'oreille  de  celui 
qui  l'écoute.  Voilà  pourquoi  nouiXom- 
mes  choqués  machinalement  par  la  pro< 
nonciation  d'un  homme  qui  ivofere 
avec  peine  certains  mots  d'une  langue 
étrangère ,  &  qui  ell  obligé  à  forcer 
fouvent  fes  organes  pour  en  arracher 
des  fons  qu'ils  ne  font  point  en  habitu- 
de de  former.  Notre  premier  mouve- 
ment ,  que  la  politefTe  même  à  peine  à 
réprimer  en  beaucoup  de  pays ,  eil  de 
jire  de  lui ,  &  de  le  contrefaire. 

Il  eÛ  clair  par  les  ra.ifons  que  nous 
avons  expofées  ,  qu  il  eft  bien  plus  fa- 
cile aux  Écrivains'  Latins  de  faire  des 
alliances  agréables  entre  les  fons ,  de 
placer  tous  les  mots  d'une  phrafe  auprès 
d'autres  mots  qui  fe  plaîfent  dans  leur 
voirmage.;  en  un  mot  ,.de  parvenir  à  ce 
que  Quintilien  appelle  ino^infam^vtrto'^ 


■,r- .Ctxiglc 


fur  la  Pocfit  &  fur  la  Ptïnmre.  3  ^  J 
rum  copulam,  qii'iln'eftpoflîbleaux  écri- 
vains François  de  le  faire.  Cette  phraTe 
Françoife  le  perc  tùme  fon  fils  ^  ne  fçau- 
roit  être  écrite  que  dans  l'ordre  où  je 
viens  de  l'écrire  :  il  faut  y  fuivre  cet 
arrangement  de  mots.  Mais  les  mots 
qui  la  compofent ,  lorfqu'elle  eft  mife 
en  Latin,  peuvent  être  arrangés  do 
quatre  manières  différentes. 

Entroilîéme  lieu,  les  règles,  de  la 
Poëûe  Latine  font  plus  faciles  à  prati- 
quer que  les  règles  de  la  Poëfie  Fran- 
çoife.  Les  règles  de  la  Poëfie  Latine 
prefcrivent  une  figurt  particulière  à 
chaque  efpece  de  vers.  Cette  figure  eft 
f  ompofée  d'un  nombre  de  pieds  déterr 
miné.  La  valeurde  chaque  pieds  cftauin 
réglée.  Il  eil  dit  de  combien  de  fyllabes 
il  fera  compofé ,  Ôf  la  longueur  ou  la 
brièveté  de  ces  fyllabes  eft  auflî  défi- 
gnée,.  Quand  la  règle  laide  le  choix 
3*une  alternative ,  c  eft-à^dire,  la  liber- 
té d'employer  xm  pied  à  la  place  d'un 
autre  dans  la  figure ,  elle  prefcrit  en 
même  tems  ce  qu'il  faut  faire ,  fuivant 
ïe  choix  auquel  on  fe  détermine. 

En  effet ,  ces  règles  ne  font  autre 
chofe  que  les  obfervations  &  la  prati- 
que des  meilleurs  Pçctes  Latins  rédui- 


:,-,zf--„GoOglc 


}}4  Rifltjàom  aiàjpus 

tes  ea  art.  Lf!s  horames  ont  a>iiiiiiencé 
à&  &ire  des  vers ,  avant  qu'il  y  eût  des 
règles  pour  en  bien  faire.  Us  ont  tra- 
vaillé d'abord  >  Tans  conûitter  d'autres 
règles  que  l'oreille.  Leots  r^einoiu 
fur  les  vers  ,  dont  le  nombre  &  Iliar- 
tnome  plaifbîent  >  &  fur  ceux  dont  la 
cadence-éttMt  deCm-éable  ,  ont  produit 
les  loîxdelaTermication.  Sum  Poéma 
tttmo  duiuaverie  hnptriio  fuodam  iaitio 
fufum  ,  &  aufiian  nunfuri  &  Jbmli~ 
ttr  dtcurrtmium  fpatiorum  <^faVétio- 
ne  effi  gtaeraïufn  ,   mcx  ta  eo  nptrtoî 

peJts ^nu  inim  carmm 

orttim  efi  quàm  ohfirtatio  eérminis  (a). 
Là  Poëfie,  comme  les  autres 'Afts» 
n'eâ  donc  qu'un  aifemblage  lAétbodï^ 
que  de  principes  arrêtes  d'un  confen- 
(ement  général,  en  conféquènce  de* 
obiervations  faites  fur  les  effets  de  laNa- 
ture.  Ntque  enim  ipft  vtrjiis  rature-  i^ 
cognltus ,  JidNaturd  gt^ùe  finfu  quetà  dt^ 
mtnfà  ratio  docult  quid  dcciderit.  ha  «ff- 
taûù  Natura  &  animadvtrfio  peptrit  af 
ttm  (A).  Tous  les  péuplesont  bien  ten- 
du au  même  but  dansleurpoëfie  ;  mais 
tous  n'y  ont  pas  tendu  par  des  routes 
aiiin  bonnes. 

(4)  Qi/Fnt.  /n/h'f.  ïil.  9,        (t)  Octra  Jn  Oralàrt, 


:,-,zf-,GoOglc 


fur  la  Poijît  &fur  la  Peinture.  3  j  y 
Il  eil  vrai  que  les  règles  de  la  Poefie 
Latine  ibnt  en  bien  plus  grand  nombre 
que  les  règles  de  la  Poëfîe  Françoife  , 
à'caufe  qu'elles  entrent  plus  dans  le 
détail  de  k  verfification  que  les  règles 
de  la  Poëfie  Françoife  ;  mais  comme 
ces  règles  fe  delSgnent ,  poiu*  ainii  dire  , 
comme  on  en  fait  ia  figure ,  en  fe  fer- 
vant  des  caraâeres  différens  qui  mar- 
quent la  quantité  des  fyllabes,  elle» 
tont  aifées  à  comprendre ,  &  faciles  à 
retenir. 

Un  peu  de  £gure  fait  tout  compren* 
dre,  dit  le  Proverbe  Italien-  Ne  voyons- 
notis  pas  en  effet  que  les  enfans  fçavent 
par  cceur ,  &  qu'ils  mettent  même  en 
pratique  les  règles  de  la  Poëfie  Latine 
dès  l'âge  de  quinze  ans,  bien  que  le 
Latin  loit  pour  eux  une  Langue  étran- 
gère ,  qu'ils  n'ont  apprife  que  par  mé- 
thode }  Lorfque  la  langue  Latine  étoit 
une  langue  vivante ,  ceux  qui  vc\iloicnt 
faire  des  vers  en  cette  langue ,  connoit  , 
foient  déjà  par  l'ufage  la  quantité ,  c'eft- 
A-dire ,  la  longueur  ou  la  brièveté  des 
fyllabes.  Aiyourd'hui  même  il  ne  faut 
iras  mettre  fiir  le  compte  de  la  Poëfie 
Latine  la  peine  d'apprendre  cette  quan- 
tité. On  doit  la  (çavoir»  pouiêtre  ca- 


:,-,zf-,GoOglc 


53  é  RtjUxïotu  criùtjues 

pable  de  bien  parier  Latin ,  comme  on 
doit  fçavoir  la  quantité  de  fyllabes  de 
fa  langue  natureUe  pour  la  bien  parler. 

Dès  qu'on  fçavoit  une  fois  les  règles 
de  la  Poëfie  Latine ,  rien  n'étoit  plus  fa- 
cile que  d'arranger  les  mots  fuivant  un 
certajn  métré  dans  cette  tangue  où  l'on 
tfanipoie  les  mots  à  fon  gré. 

La  conftruâion  de  nos  vers  François 
eft  affujettie  à  quatre  règles.  Nos  vers 
doivent  être  compofés  d'un  certain 
nombre  de  fyllabes  ,  fuivant  l'efpece 
du  vers.  Secondement  nos  vers  de  qua- 
tre, de  cinq  &  de  fix  pieds,  doivent 
avoir  un  repos  ou  une  céfure.  Troifié- 
mement  il  faut  éviter  daps  les  vers  le 
concours  des  lettres  voyelles  Bnales  & 
initiales ,  lefguelles  ne  foufFrent  pas  l'é- 
lilion.  Enfin  il  faut  rimer.  Mais  la  rime 
feule  devient  par  J'afferviffement  des 
phrafes  Françoifes  à  l'ordre  natui^el  des 
mots ,  une  chaîne  aufli  gênante  pour  un 
Poëte  fenfé ,  que  toutes  les  règles  de  la 
Poëfie  Latine.  En  effet  nous  n'apper- 
cevons  gueres  dans  les  Poètes  Latins 
les  plus  médiocres  ^  des  épithetes  oifcu- 
fes ,  &  mifes  en  œuvre  uniquement 
jiour  finir  le  vers  ;  mais  combien  en 
voyons-BOus  dans  nos  meilleures  Poë- 
fies 


:,„.-„  CoO^ilc 


fur  la  Poêfit&furU  Ptlnture,  3  J7 
(tes  que  la  feule  néccHîté  de  rimer  y  a 
mtrodiûtes  ?  Après  c«Ia ,  que  mon  lec- 
teur trouve  bon  que  je  le  renvoyé  fur 
la  difficulté  de  rimer  à  l'Epître  que  Def- 
préaux  adrefla  au  Roi  Louis  XIV  fur 
le  paflage  du  Rhin ,  ainfi  qu'à  l'Epître 
que  le  même  Poète  a  écrite  à  Molière. 
On  y  venamjeiix  que  je  ne  pourrois  le 
dire ,  que  fi  la  rime  eft  uoe  efclave  qui , 
ne  doit  qu'obéir ,  il  en  coûte  bien  pour 
ranger  cette  efclave  à  Ton  devoir. 

Nos  Poètes  font  encore  chargés  du 
foin  d*obferver  la  céfure  ,  le  nombre 
des  fyllabes  ,  &  d'éviter ,  en  compo- 
fant ,  la  rencontre  choquante  de  celles 
tpii  s'entreheurtent.  AiifTi  voyons-nous 
■bien  des  François  qui  compofent  plus 
facilement  des  vers  Latins  que  des  vers 
François.  Or  moins  l'imaginction  du 
Poëte  eft  gênée  par  le  travail  méca- 
nique, mieux  cette  imagination  prend 
l'elTor,  Moins  elle  eft  refferrée ,  plus  il 
lui  refte  de  liberté  pour  inventer.  Un 
Artifan  qui  peut  manier  fes  inftn.mens 
fans  peine,  met  xme  élégance  &  une 
propreté  dans  fon  exécution ,  que  l'Ar- 
tifan  qui  n'a  point  entre  fes  mains  des 
wiftrumensaufli  dociles  ne  fçauroit  met- 
tre dans  la  fienne.  Ainfi  les  Ecrivains 
Tomt  I.  P 


:,-,zf--„GoOglc 


3î8  Réflexions  critiques 

Latins ,  &  particulièrement  les  Poëtes 
latins  (jui  n'ont  pas  été  gênés  autant 
que  les  nôtres,  ont  pu  tirer  de  leur 
Jan^e  des  agrémens  &  des  beautés 
<]i)*il  efi  prefque  impoffible  aux  nôtres 
de  tirer  de  la  langue  Françoife.  Les  La- 
tins ont  pu ,  par  exemple ,  parvenir  à 
faire  de  ces  pnrales,  que  )'a[^Ileraiici 
des  phrafes  imitatives.  Il  eft  des  phrafes 
imitatives  ,  ainfi  qu'il  eft  des  mots  iini- 
tatifs. 

L'homme  quj  manque  de  mots  pour 
exprimer  quelque  bruit  extraordinaire  , 
ou  pour  rendre  à  Ton  gré  le  Tentiment 
dont  il  çft  touché ,  a  recours  naturelle- 
ment à  l'expédient  de  contre&ire  ce 
même  bruit ,  &  de  marquer  Tes  fenti- 
Biens  par  des  fons  inarticulés.  Nous 
ibmmes  portés  par  un  mouvement  na- 
Ciu-el  à  dépeindre  par  ces  fons  inarti- 
culés le  fracas  qu'une  maifon  aura  lait 
en  tombant ,  le  bruit  confiis  d'une  af- 
femblée  tumultueufe ,  la  contenance  & 
les  difcours  d'un  homme  tiaofporté  de 
colère ,  &  plufieurs  autres  chofes, 
L'inftinft  nous  porte  à  fuppléer  par  ces 
fons  inarticulés  à  la  ftérilité  de  notre 
langue ,  oul>ien  à  la  lenteur  de  notre 
imagination.  Ceux  quiontélevédespit- 


:,-,zf--„GoOglc 


furlaPeifi&furlaPeinturt.  539 
fans',  fçavcnt  combien  il  faut  de  loin 
poLir  les  corriger  du  penchant  qu'ils 
^nt  à  ie  (errir  de  ces  Tom  inarticulés  , 
^ODt  aousregardoosruTage  comme  une 
snauvaife  habitude.  Les  Jiommes ,  ea 
qui  la  Nature  n*a  point  été  redreÂee  , 
les  Sauvages  &  le  bas  peuple  ,  fe  fer- 
vent fréquemment  durant  toute  leur 
vie  de  ces  fcns  inarticulés. 

J'appellerai  donc  des  phrafes  imita- 
tives  celles  qui  font  dans  la  prononcia- 
tion lui  bruit ,  lequel  imite  en  quelque 
manière  le  bruit  inarticulé  dent  nout 
aoiis  fervirioas  par  inftinâ  natiu-el, 
.pour  donner  l'idée  de  la  chofe  que  la 
phrafe  ex;prime  avec  des  mots  articu- 
lés. Les  Auteurs  Latins  font  remplis  de 
ces  phrafes  imitatives ,  qui  ont  été  ad- 
mirées &  citées  avec  éloge  par  les  Ecri- 
vains du  bon  tenu.  Elles  ont  été  louées 
par  les  Romains  du  tems  d'Augufte ,  qui 
étoient  Juges  compétens  de  ces  beau- 
tés. Tel  eft  le  ycrs  de  Virgile  qui  dé- 
peint Poliphéme  : 

Mor\firum  hamnium  ,  iaformt ,    injno ,    mi  lumm 

Ce  vers  prononcé ,  enfupprimant  les 
i^llabes  qui  font  éiifion ,  6c  en  &ifani 
■      Pij- 


:,-,zf--„GoOglc 


3  40  RéjUxlons  crit'ufues 

ibnner  IV ,  comme  les  Romains  le  faw 
foient  ibnner, devient, pour  ainfi  par-i 
ier ,  un  versmonftnieux.  Tel  eft  encore 
le  vers  oîi  Perie  parle  d'un  homme  qui 
nazille ,  &  qu'on  ne  fçauroit  auffi  pro- 
noncer qu'en  nazillant  ; 

Le  changemMit  arrivé  dans  la  pro- 
nonciation du  Latin  nous  a  voilé  , 
Suivant  les  apparences ,  une  partie  de 
ces  beautés ,  mais  il  ne  nous  les  a  poïnt 
cachées  toutes. 

Nos  Poètes  qui  ont  voulu  enrichir 
leurs  vers  de  ces  phrafes  imitatives  , 
n'ont  pas  réuffi  au  goût  des  François  , 
comme  ces  Poètes  Latins  rëuffiffoieni  : 
au  goût  des  Romains.  Nous  rions  du 
vers  où  du  Bqjtas  dit ,  en  décrivant  un 
comiier ,  le  champ  plat  bat ,  aitat.  Nous 
ne  traitons  pas  plus  férieufement  les 
vers  oii  Ronfard  décrit  en  phrafes  inù, 
tatives  le  vol  de  l'Alouette; 

Elle  guindé  ia  Z^hirc 
f  ublime  CD  l'air  yïre  fl£  rtsitf. 
Et  y  dédSqat  un  joli  cit'. 
Qui  lir,  guéricft  lire  l'ire 
.   Dïiïfprits.mieuiiiicjeo'icrî». 

■     Pafquier  rapporte  plufieurs  autres 


:,-,zf-„  Google 


JUrlaPoëfie  &furUPttnture:  341 
parafes  imitatives  des  Poètes  François 
dans  le  chapitrede fes Recherches, oit 
il  veut  prouver  ^ue  noire  langue  Françoi- 
Jin'ejlpas  moins  capable,  que  la  Latine  t 
de  beaux  traits  Poétiques  (a)  ;  tnaîs  les 
exemples  que  Pafquier  rapporte  ,  réfli- 
tent  fa  propofition. 

En  effet,  parce  qu'on  aura  introduit  _ 
quelques  phrafes  imitatives  dans  des 
vers,  il  ne  s'enfuit  pas  que  ces  vers 
foient  bons.  11  faut  que  ces  phrafes  imi- 
tatives y  ayem  été  introduites  »  fans 
préjudicier  au  fens  &  à  la  conftruflion 
grammaticale.  Or  il  ne  me  fouvient  que 
3*un  feul  morceau  de  Poëfie  Fraoçoife 
qui  fort  de  cette  efpece,  &qu'onpuiire 
oppofer  en  quelque  façon  à  tant  d'au- 
tres vers  que  les  Latins  de  tous  les  tems 
ont  loués  dans  les  ouvrages  des  Poètes 

Îui  avoîent  écrit  en  langue  vulgaire. 
i'eft  la  defcription  d'un  aflaut  <yji  fe 
trouve  dans  l'Ode  de  Defpréaux  fur  la 
prife  de  Namur,  Le  Poëte  y  dépeint 
enphrafes  imitatives  &  en  versélégans 
le  foldat  qui  gravit  contre  une  brèche  , 
&  qui  veut, 

Sur  lei  moncEidi  Je  piqu«f , 
De  ïorpt  mont  I  de  locs,  de  biiquct. 
S'ouvrir  un  lar(^  cheniiu 

(a)  Uv.  I.  ch,  .0.  P  iij        ' 


CoDgIc 


34*  Réflexions  crhîqnâ 

Je  demande  pardon  à  ceux  de  nos 
Poëtes  qui  peuvent  avoir compofë  dans 
ce  goût-là  avec  autant  de  fuccès  que 
Monfieiir  Defpréaux ,  de  fie  les  point 
citer  ;  c'eft  que  je  ne  connois  pas  leurs 
vers. 

Non- feulement  la  langue  Françoife 
h'ell  pas  aufli  fufceptîble  de  ces  beau- 
tés qtre  la  langue.  Latine  ;  mais  il  fe 
trouve  encore  que  nous  n'avons  pas 
étudié  autant  que  les  Romains  l'avoient 
fait,  la  valeur  des  Tons,  la  combînai- 
fon  (les  fyilabes  ,  l'arrangement  des 
mots  propres  à  produire  de  certains  ef- 
fets ,  ni  le  rithme  qtti  peut  féfirfter  de 
la  compofition  des  phrafes.  Ceux  de 
nos  Ecrivains  qui  voudroient  tenter 
de  faire  quelque  choie  d'approchant  de 
ce  que  faifoient  les  Larins  ,  ne  feroient 
point  aidés  par  aucune  recherche  aii- 
thodiqiie  déjà  fiiite  fur  cette  «wfiere-. 
Leur  unique  reflburce  feroit  de  con- 
fiilter  l'oreitle  ;  mais  la  rtieilleure  oreil- 
le ne  ftrffitpas  toujours ,  pmicipalement 
lorfque ,  pom-  parler  ainfi ,  on  ne  l'a 
point  cultivée.  Pour  réuffir  eerïaine- 
inent  dans  ces  tentatives ,  il  faudroit 
avoir  des  règles  établies  qu'on  pût  con- 
ililter  dans  la  chaleur  de  la  compofîtion  ; 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Po'ép  &fur  ta  Peinture.  34} 
OU  du  moins  il  faudroit  avoir  fait  d'a- 
vance pluficurs  réflexions ,  en  confé- 
quence  dcfqiielles  on  eût  établi  quel- 
ques maximes.  Les  Anciens  avoient 
cultivé  avec  foin  leur  terrein.  Us  étoicnt 
encouragés  par  fa  fertilité.  Ceux  qui 
feront  curieux  de  voir  dans  quels  dé- 
tails les  Anciens  étoïent  entrés  îiir  cette 
matière,  &  jufques  à  quel  point  ils 
avoient  porté  leurs  vues  ,  peuvent 
lire  le  quatrième  chapitre  du  neuvième 
livre  de  Quintilien ,  l'Orateur  de  Ci- 
ceron ,  &  ce  que  Longin  a  écrit  du  choix 
des  mots  ,  du  rithme  &  du  métré  ,  dans 
fon  Traité  du  Sublime  ,  &  dans  fes  pro- 
légomènes fur  l'Enchiridion  d'Ephef- 
tion. 

Ma  quatrième  raifon  pour  prouver 
que  la  mécanique  de  la  Poëfie  s'aide 
mieux  de  la  langue  Latine  que  de  la  lan- 
gue Françoife  ^  c'eft  que  les  beautés 
qui  réfultent  de  la  fimple  obfcryation 
des  règles  de  la  Poëfie  Latine ,  font  plus 
erandes  que  les  beautés  qm  réfultent 
de  l'obfervationdes  règles  de  la  Poëfie 
Françoife. 

L'obfervation  des  règles  de  la  Poëfie 
Latine  introduit  néceflairement  le  rith- 
me dans  les  vers  compofés  fuivant  les 
P  iv 


:,-,zf--„GoOglc 


344  Réflexions  critiques 

règles  As  cette  Poëfie.  La  fuite  des  Tyl-  , 
labes  longues  &  brèves  >  entremêlées 
diverfem;nt ,  fuivant  la  proportion 
prefcrite  par  '  l'Art  «  amené  toujours 
dans  les  vers  Latins  une  cadence  telle 
que  l'efpece  y  dont  font  les  vers ,  la  de- 
mande. Les  règles  de  la  Poëûe  Latine 
ne  font  autre  chofe  que  les  obfervatîons 
&  la  pratique  des  meilleurs  Poètes  La- 
tins ,  Au*  rarrangement  des  fyllabes,  la- 
quelle eft  néceuaire  pour  produire  le 
rithme,  réduites  en  préceptes,  &puis 
en  méthode.  Cesredes,  ilellvrai,  ne 
prefcrivent  pas  queldoit  être  le  fon  de 
chaque  fyllabe  :  Elles  fe  conteittent  de 
déterminer  le  nombre  arithmétique  des 
iyllabes  qui  doivent  entrer  dans  cha- 
que efpece  de  vers,  &  de  marquer 
quelles  de  ces  Tyllabes  doivent  être 
longues,  quelles  doivent  être  brèves, 
&  oit  Ton  peut  mettre  ou  des  longues 
ou  des  brèves.  Elles  difent  tûen ,  par 
exem^ile,  que  les  deux  dernières  fyl- 
Idbes  d'un  vers  hexamètre  doivent  être 
longues  ;  mais  elles  ne  diient  pas  quel 
doit  être  le  fon  de  ces  deux  dernières 
fyllabes.  Ainft  les  règles  de  la  Poëfie 
Latine  n'introduifent  pas  dans  les  vers 
Latins  Tharmonie ,  qui  n'efl  autre  cbor 


^  Cooyic 


fur  la  fotfit  &fur  U  Peinture.  3  4  y 
ïê  qu'un  mélange  agréable  de  difFcrens 
fons.  C'étoit  à  roreitle  du  Poëte  à  cher- 
cher quel  étoit  le  mélange  de  ces  (bns  le 
plus  propre  à  produire  une  harmonie  a- 
gréable  &  convenable  au  fens  des  vers. 
Voilà  pourquoi  les  vers  de  Properce, 
f]ui  n'avoit  pas  l'oreille  aufïï  délicate 
cjue  Tibulle  ,  pour  bien  juger  du  mé- 
lange des  fons ,  font  tnoins  harmonieux 
que  ceux  de  TibuUe  ,  dans  la  pronon- 
ciation defquels  on  trouve  une /«<ivk^ 
jîngulitrt.  Quant  à  la  différence  qui 
eft  entre  la  cadence  des  vers  ëlégia- 
ques  de  ces  Auteurs  ,  elle  vient  de 
1  affeâatioii  de  Properce  à  imiter  la 
cadence  des  vers  pentamètres  grecs  j 
&  il  ne  faut  pas  la  confondre  avec 
la  différence  qui  eft  entre  l'har- 
monie de  ces  deux  Poètes.  Mais  h 
]a  chute  près ,  leurs  vers  CHit ,  poiir 
parler  ainn,  la  même  démarche ,  quoi- 
que ceux  de  Properce  ne  cheminent 
pas  d'auflî  bonne  grâce  que  ceux  de  Ti- 
Dulle.  Orc'eftdirebeaucoupàla  louan- 
ge des  règles  de  la  Poëfie  Latine  ,  que 
de  foutemr  qu'elles  font  la  moitié  Se 
plus  de  l'ouvrage,  &  que  l'oreille  du 
Poëte  n'y  eft  chargé  que  d'un  foin  ; 
c'eft  à  fçavoir,  du  loin  de  rendre  les 
Pv 


:,-,zf--,CoO^(lc 


j4^  RéfUxîonscmî^ues 

vers  mélcKËeuz  par  tui  heuretixtnélan'^ 

ge  du  ion  desfyllabes  dont  ils  fontconar* 

pofés. 

Je  vais  montrer  que  l'c^ferTationcles 
règles  de  h  Poëfie  Françoife  iw  produit 
ni  i'un  ni  l'autre  effet.  L't^ièrrationde 
«es  règles  ne  rend  les  vers  ni  nom- 
breux ,  m  mélodieux.  Des  vers  Fran- 
çois très-conformes  à  ces  règles ,  peu- 
vent être  fans  rithme  &  fens  hannonte 
dans  la  prononciation. . 

I,.es  règles  de  la  Poiifîe  Françoife  ne 
décident  que  du  nombre  arithmétique 
des  fyll^es  qui  doÎTent  entrer  dans  les 
vers.  £[les  ne  ftatuentrien^in'la  qiian* 
tité ,  c'eft-à-dire  en  Poëfie ,  fnr  !a  lon- 
gueur &  for  la  brièveté  de  ces  fyllabes. 
Mais  comme  les  fyllabes  des  mots  Fran- 
çois ne  laiffent  pas  d'être  quelquefois 
longues  &  brèves  dans  la  prononcia- 
tion ,  il  réfolte  phiËeurs  înconvéoieBS 
du  filence  que  nos  règles  gardent  for 
leur  combinaifon.  Il  arrive  en  prenrier 
lieu  que  des  vers  François  ,  anfquels 
les  règles  n'auront  rien  à  reprodier  ,  ne 
laifTerom  pas  de  comenir  des  fuites 
trop  longues  de  fyllabes  brèves  ou  de 
fyllabes  longïies.  Or  fi  ces  fuites  durent 
trop  longtemj ,  elles  empêchent  qu'on 


:,-,zf-,GoOglc 


fur  la  Poijle  ùfur  la  Peinture.  3  47 
ne  fente  aucun  rithme  dans  la  pro- 
nonciation des  vers. 

Le  rithme  ou  la  cadence  d'un  vers 
confifle  dans  une  alternative  de  fylla- 
bes  longues  &  de  fyllabes  brèves ,  va- 
riées fui  vant  une  certaine  proportion. 
Un  trop  grand  nombre  de  iyllabes  lon- 
gues employées  de  fuite  retarde  trop 
la  progreffion  du  vers  dans  la  pronon- 
ciation. Un  trop  grand  nombre  de  fyl- 
labes brèves  employées  de  fuite,  la 
précipite  défagréablement. 

En  fécond  lieu,  il  arrive  fouvent  que 
lorfqu'on  veut  examiner  deux  vers  ■ 
Alexandrins  François  liés  enfemble  par 
une  rime  commune,  par  rtpportautcms 
que  dure  la  prononciation  de  chaque 
vers  ,  il  fe  trouve  une  différence  énor- 
me entre  la  longueur  de  ces  vers,  bien 
que  l'un  &  l'autre  foient  compofés  lui- 
vant  les  règles.  -Que  dix  fyllabes ,  des 
douze  fyllabes  qui  compoient  im  vers 
mafculin ,  foient  longues  ;  &  que  dix 
fyllabes  du  vers  fuivant  foient  brèves  ; 
ces  vers,qui  paroîtront  égaux  fur  le  pa- 
pier,feront  dans  la  prononciation  d'une 
inégalité  choquante.  Aînfîces  vers  ré- 
ciproques &  liés  enfemble  par  une  ri- 
me commune,  perdront  toute  la  ca- 
Pvj 


:,-,zf--„GoOglc 


34^  .  BÂfiticlons  Criii^uts 

dence  qui  poutroît  naître  de  régalhf 
de  leur  mefure.  Or  ce  ne  font  pas  les 
yeux ,  c'eft  Toreille  qui  juge  de  Ja  ca- 
dence des  vers. 

Cet  inconvénient ,  cooune  je  l'ai  déjà 
dit ,  n*arrive  point  à  ceux  qui  con^o- 
fent  des  versLatins,  les  reglesles  pré- 
viennent. Le  noDibre  arithmétique  des 
fyllabes  qui  doivent  entrer  dans  la 
compofition  de  chaque  efpece  de  vers 
Latins ,  efi  déterminé  avec  égard  à  la 
longueur  ou  à  la  brièveté  de  ces  fylla- 
bes. Ces  règles  ,  qui  ont  été  faites  en 
■gardant  la  proportion  convenable  à 
chaque  efpece  de  vers  entre  le  nombre 
arithmétique  •&  la  quantité  des  fylla- 
bes ,  décident  en  premier  lieu  que  dans 
tels  &  tels  pieds  du  vers  ,  il  feut  met- 
tre des  fyllabes  d'une  quantité  prefcrî- 
te.  En  fécond  lien-,  lorfque  ces  règles 
lailTent  au  Poële  le  choix  d'employer 
en  un  certain  endroit  du  vers  des  fyl- 
labes longues  ou  bien  des  fyllabes  bré-  ~ 
'  ves  ;  elles  lui  enjoignent ,  s'il  fe  déter- 
mine à  y  mettre  des  fyllabes  longues  , 
d'y  mettre  alors  xm  moindre  nombre 
de  fyllabes.  Si  le  Poëte  fe  détermine 
en  faveur  des  fyllabes  brèves ,  les  rè- 
gles lui  prefcrivent  alors  d'en  mettre 


:,-,zf--„GoOglc 


fm ïa  Peêjit  &fur  l&  Pùnture'.  341^ 
un  plus  grand  nombre.  Or  comme  dans 
la  prononciation  une  fyllabe  longue 
dure  deux  fois  aiilTi  longtems  qu'une 
fyllabe  brève  ;  tous  les  vers  Hexamè- 
tres Latins  fe  trouvent  être  de  même 
longueur  dans  la  prononciation  j  bien 
que  les  uns  contiennent  un  plus  grand 
nombre  de  Tyllabes  que  les  autres.  La 
quantité  de  fyUabes  ell  toujours  com- 
pense par  leur  nombre  arithméti- 
que. 

.  Voilà  pourquoi  les  vers  hexamètres 
Latins  font  égaux  dans  la  prononcia- 
.tion ,  nonobftant  la  variété  de  leurpro- 
grefïïon  ;  au  lieu  que  nos  vers  Alexan- 
drins font  très-fouvent  inégaux,  quoi- 
qu'ils aient  prefque  tous  une  progref- 
iion  uniforme.  Voilà  pourquoi  quel- 
quesCritiques  ont  penfe  qu'il  étoit  com- 
me impoflible  de  niire  tm  Poëme  épi- 
que François  de  dix  mille  vers ,  lequel 
réufsît.  Il  eâ  vrai  que  cette  uniformité 
de  rithme  n'a  point  empêché  le  fuccès 
de  nos  Poëmes  dramatiques  en  France 
&  dans  les  Pays  étrangers  ;  mais  ces 
Poëmes  qui  n'ont  que  deux  mille  vers , 
font  affez  bons  pour  fe  foutenir  malgré 
le  dégoût.  D'ailleurs  elle  eft  moins  fen- 
fible  au  Théâtre, oii brillent  lephisces 


:,-,zf--„GoOglc 


3  JO  Riflexîons  aitlques 

fortes  d*ouvrages,  parce  que  les  Ac- 
teurs ,  qui  enjambent  prefque  toujours 
fiir  le  vers  fuivant  avant  que  de  re- 
prendre haleine ,  ou  qui  la  reprennent 
avant  que  d'avoir  fini  le  vers  ,  empê- 
chent qu'on  ne  fente  le  vice  de  la  ca- 
dence trop  uniforme. 

Ce  que  notis  avons  dit  des  vers  hexa- 
mètres «  peut  être  dît  des  autres  efpe- 
ces  de  vers.  Les  vers  qui  s'accélèrent, 
parce  qu'ils  font  ccmpofés  de  fyllabes 
Brèves  ,  durent  donc  autant  que  ceux 
qui  fe  rallentiffent ,  parce  qu'ils  font 
compofés  de  fyllabes  longues.  Par 
.  exemple,  Virgile  a  mis  des  fyllabes 
brèves  partout  où  les  règles  du  métré 
hij  permettoient  d'en  mettre  dans  le 
vers  qui  dépeint  fi  bien  un  courtier  qui 
galoppe ,  que  la  prononciation  du  vers 
nous  raitprefque  entendre  te  bruit  de  la 
courfe  : 

Quaimplitintlfiaremfiiàtu  {uillic  ui^a  cvnpuni. 

Ce  vers  contient  dix-fept  fyllabes  : 
mais  il  ne  dure  pas  plus  long-tems  dans 
la  prononciation ,  que  le  vers  fiiivant 
qui  n'en  renferme  que  treize  ,  &  que 
Virgile  a  fait  pour  décrire  le  travail 
des  Cyclopes,  qui  lèvent  leurs  bras 


,-,..-,Coo.jlc 


fur  la.  Po'éjît  Sffar la  P amure.  J  j  f 
Hrhiés  de  marteaux ,  pour  battre  fur 
renclume  ;  effet  que  décrit  le  vers  qut 
le  fuit  immédiatement  : 

l\\\  iniirfifi  multi  »i  limchid  ralluat 
Innumciurn,  vafmaqui  leiucifiirci/l  miffamt 

Ainlî  la  cadence  des  vers  n'efl  pas 
rompue  par  cette  affeâaticm  d'em- 
ployer ,  pour  mieux  peindre  fon  objet , 
ÎpIus  de  iyllabes  brèves  ou  plus  de  fyl- 
abes  Iong;ues. 

L'art  «ï'employer  h  propos  les  fylla- 
bes  longues  &  les  iyllabes  brèves  ,  art 
que  les  Anciens  avoient  tant  culti- 
vé ,  fert  encore  à  une  infinité  d'autre» 
vues.  Pour  en  dire  un  mot  en  paffant , 
on  remarque  que  Ciceron  (a)  n'ofant  ' 
pas  mettre  en  œuvre  des  figures  fré- 
quentes dans  le  récit  du  fupplice  indi- 
gne d'un  citoyen  Romain ,  que  Verres 
avoit  fait  battre  de  verges,  &  cel» 
par  la  crainte  de  Te  rendre  fufpeâ  de 
déclamation  ,  trouve  une  reflburce 
dans  la  complaifance  de  Ta  langue ,  pour 
arrêter  néanmoins  durant  longtems  fon 
Auditeur  fttr  l'image  de  ce  fupplice. 
L'afrocité  du  fait  étoit  fi  grande  ,  qu'il 
fiiffifoit  que  l'auditeur  s'y  arrêtât.    Il 


:,-,zf--„GoOglc 


3ft  RêjUxtons  trUlques 

devoît  fuppléer  les  figures  de  lui-même.' 
C'eft  l'effet  que  prodmt  la  lenteur  avec 
laquelle  fe  prononcent  les  expreffions 
fimples  &  en  apparence  fans  art ,  que 
Ciceron  répète  pour  parler  de  l'aâion 
contre  laquelle  il  veut  foulever  l'ima- 
gination de  l'Auditeur.  Catiekaiiir  virgis 
fivis  Romanus.  On  recoonoit  l'art  dans 
les  (afférentes  répétitions  de  ces  mots, 
qu'il  varie  pour  dégiùfer  l'affeâatiofl  : 
Mais  revenons  à  l'ufage  de  mettre  ta 
œuvre  la  combinaîfon  des  fyllabes  brè- 
ves &  des  fyllabes  longues,  pourren* 
dre  les  phrafes  nombreufes  &  caden* 
cées. 

Les  Romains  étoient  tellement  épris 
de  l'effet  que  le  rithme  produifoit ,  que 
leurs  Ecnvains  enprofe  s'y  attachè- 
rent avec  tant  d'aaeâion,  qu'ils  en 
vinrent  par  degrés  jufques  à  facriâer 
le  fens  &  l'énergie  du  difcours  au  nom- 
bre &  à  la  cadence  des  ^afes.  Cice- 
ron dit  (<i)  que  de  fon  tems  la  profe 
avoitdéjafa  cadence  mefurée  comme 
les  vers.  La  différence  effenttelle  qui 
étoit  entre  la  profe  &  les  vers ,  ne  ve- 
noit  plus  de  ce  que  les  vers  flUTent  zî' 
treints  à  ime  certaine  mefure,  quand 

{»)  1(1  OrtL:oTt. 


:,-,zf--„GooglC 


fuT  la  Pocjît  &fur  la  Peinture.  3  53 
la  proie  en  étoït  affranchie  ;  mais  de  ce 
que  le  métré  de  la  ptofe  étoit  différent 
du  métré  des  vers.  L'ancienne  défini- 
tion àefoluta  &  de  (îricia  oratio  ne  conf- 
tituoit  plus  cette  différence.  Nom  tcietnt 
Po'ètœ  quaftionem  attuUrunt^quidnam  ejptt 
illud  quo  tpfi differrent  ab  Oratoribus.  Nu- 
mtro  vidtbaniur  aniea  maximi  &  vtrfu, 
Hune  apud  Oratores  jam  ipftnumtrus  in- 
crebuit.  Ciceron  traite  enfuîte  des  pieds 
comme  d'une  connoiffance  aum  nc'- 
ceflaire  aux  Orateurs  qu'aux  Poètes 
mêmes. 

Quintilien  qui  écrivoit  environ  un 
fiécle  après  Ciceron ,  parle  de  certains 
Profatturs  de  fon  tents  y  qui  penfoient 
avoir  égalé  les  plus  grands  Orateurs  , 
lorfqu'îls  pouvoient  le  vanter  que  leurs 
phrafes  nombreufes  rendoïent  dans  la 
prononciation  un  rithme  iî  bien  marqué, 
que  la  déclamation  en  pouvoit  être  par- 
tagée entre  deux  perfonnes.  L'une  pou- 
voit faire  les  gefles  au  bruit  de  la  réci- 
tation de  l'autre  ,  fans  s'y  méprendre  , 
tant  ce  rithme  étoit  fenfime.  taudis  & 
gloria  &  ingenii  loco  plerique  JaSani  tan- 
tari  faltarique  commentarios  fuos  (a). 
Ce  que  nous  dirons  fur  la  réàtatioa  des 

{«}  O'uiag.  il  O"' 


o,:,-,zf--„GoOglc 


3  54  Réjlexions  critiques 

Comédiens ,  achèvera  d'exfrfiquer  ce 
paflTage. 

Il  faut  que  les  Poètes  François,  aprb 
avoir  obfervé  les  règles  de  notre  Poë- 
iie,  déjà  plus  contraignantes  que  les  rè- 
gles de  la  PoëfieLatine, cherchent  enco- 
re avec  le  feul  fecours  de  l'oreille  la  ca- 
dence &  rharmonie.  On  peut  juger  de 
la  difHaiIté  de  ce  travail ,  en  faifant  ré- 
flexion que  l'inverfion  des  mots  n'eft 
pas  permi(e  à  nos  Poètes  dans  la  ving- 
tiéme  partie  des  occaHons  oîi  elle  étoit 
permife  aux  Poètes  Latins.  Après  fêla 
je  fuis  bien  éloigné  de  penier  qu'il  foit 
impoffible  aux  Poètes  François  de  faire 
des  vers  harmonieux  &  nombreux.  J'ai 
feulement  prétendu  foutenir  que  les 
Poètes  François  ne  pourroïent  pas  met- 
tre autant  de  cadence  &  d'harmonie 
dans  leurs  vers  que  les  Poètes  Latins  ; 
&  que  ce  pen  qu^iIs  en  peuvent  intro- 
duire dans  leurs  vers ,  leur  coûte  plus , 
que  toutes  les  beautés  que  les  Poètes 
Latins  ont  fçu  mettre  dans  les  leurs, 
n'ont  coûté  à  leius  Auteurs.  Je  ne  crois 
pas  même  qu'aucun  Porte  moderne  de 
ceux  qui  ont  compofédans  les  langues 
qui  fe  font  polies  depuis  trois  fiécles , 
ait  mis  plus  de  cadence  &C  de  mélodie 


:,-,zf--„GoOglc 


far  la  Poïjît  &fur  la  Peinture.  3^5 
que  Malherbe  en  a  mis  dans  les  Tiens  , 
apparemment  au  prix  d'une  peine  ôc 
d  une  perfévérance  dont  il  avoit  ohli.- 
gation  au  pays  oit  il  étoit  né.  Le  lec- 
teur n'en  trouvera  j)as  moJns  dans  les 
vers  que  j'inférerai  ici  pour  le  dclaflcr 
de  tant  de  difcufTions  grammaticales. 

Monfieur  le  Marquis  de  la  Farre  que 
le  monde  &c  la  république  des  lettres 
regrettèrent  comme  im  de  leurs  plus 
beaux  ornemens  ,  lorfqu'il  mourut  en 
1 7 1 1 ,  avoit  prié  Monfieur  l'Abbé  de 
Chaulieu  de  lui  donner  fon  portrait. 
Au  lieu  de  paye''  «n  Peintre  pour  le 
iâire ,  il  le  nt  lui-même.  H  y  3  peu  de 
perfonnes  capaWes  d'une  pareille  épar- 

fre.  Voici  les  premiers  (raits  de  ce  Ta- 
leau  qui  durera  pju»  k»igtcms  qu'au- 
cun de  ceux  du  Titien. 

O  toi  1  qui  de  mon  «ne  »  U  chcrc  moitié  } 

Toi,  qnijoiniUdélicatellt 

Dei  (VDiimcpt  d'une  mihrtlK 
A  la  lblidiié'4'uDcnirc  imiiié; 
LtFare,  Uraut^Entàlquc  bPirque  cruelle 

Vienne  rompre  de  û  btaux  nzuii  ; 

El  nulgié  noE  crk  &  no>  vaux , 
fiicniôc  nom  elfiiU romane  abfence  éteraelic. 

Chaque  joui  je  feni  qu'à  grindspu 
J'enTiedinicefcBtierobfi:ur&  difficile. 

Qui  va  me  conduire  U-bas 

Rejoiodre  Catulle  &  Virgiltt 


:,-,zf--„GoOgk 


3  j6  RijUxions  critiques 

I.à ,  Ttui  dei  bcrceam  UHqotKi  rerif 
^      Artii  à  côif  de  Lcibie  , 
Je  leur  pirtcrii  As  tu  ver* 
Er  de  ton  aimiblc  génie. 

Tb  recneilUt  fi  gaUmmem 
Li  Mule  qu'îli  avokiK  liîBîe , 
Et  comme  die  r^ut  r^emeiu 
Par  ti  pireflt  latorUëe 
Préfïrer  «ree  igrêiiieDi 
Alt  tonr  biillioc  de  la  penG^ 
La  ïéril*  dn  fcnttmcDi , 
El  l'eiprimer  G  leedremei» 
Qnt  Tibulleencore  mainlEDitlt 
Ed  eft  iilom  dam  rslilife. 

Je  voiidroîs  pouvoir  ici  publier  l'otf- 
vrage  tout  entier;  ficpourpreuve  dénia 
bonne  volonté ,  je  vais  donner  encore 
au  leÛeur  deux  fragmem  d'une  lettre 
écrite  par  le  même  Auteur  à  M.  le  Prin- 
ce d'Auvergne. 

Aa  milieu  cepeodint  de  mea  peinei  truellcf , 
DelaSn  dcDoijouricompagneitrop  fidil1ei> 
Jerui(iraD']uilUftgi}.  QuelbieapluiprJcieas 
Puii-je  erpértr  iamaii  de  la  boBt£  det  Dieux  ï 

Tel  ^u'un  rocher  dont  U  lèce 

Egale  U  Moac  Athoi 

Voit  \  Tei  pifdi  la  tempête 

Troubler  le  calme  dei  flou  ; 

LameraiKour  bnùt&eroiide,   ' 

Malgré  ce<  émotlont 
Str  Ton  front  iltvé  règne  une  paix  ptofôndK 

Que  tant  d'agitation* 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëjîe  OJur  la  Peînturt.     357 

fiiijgs  Ifs  turcuts  di  l'onde 
ftirpcâCDE  à  l'^'l  du  nid  dci  Akiont. 

Quoique  la  fcène  du  fécond  fragment 
Toit  dans  les  Champs  Elifées  le  centre 
du  pays  fabuleux ,  ce  morceau  contient 
néanmoins  une  louange  des  .plus  véri- 
tables qu'aucun  poëte  ait  jamais  donr 
née^. 

Dans  UDï  foalc  de  guerrîerti 

VcndûnelW  uoetn^MiKe  ' 

^aroli  touiomié  de  liurieri  { 

yendâne  de  qui  k  vùllacte 

Fait  avouer  lux  Stipioni 
Que  le  Tic  de  CiTtli*ge  &  celui  de  Nutnance 

N'obrcurùcpuresBâioii;! 

EilailTe  àjugei  it  l'Erpagae 
&i  Ton  biiin'y  fo  puplvienune  campagne 
^u'iliD'yfiicoccii  dix  avec  vingt  LJ£ioai. 

Le  leâeur  qui  fe  donnera  (a  peine  de 
prononcer  tout  haut  ces  vers  de  l'Ab- 
bé de  ChaiiHeu  ,  fentira  bien  que  le 
ïi.tbme  qui  tient  roreille  dars  une  at- 
tention continuelle  ,  &  que  l'harmonie 
qui  rend  cette  attention  agréable  ,  & 
qui  achevé ,  pour  ainfi  dire  ,  d'affervir 
roreille  ,  font  bien  un  autre  effet  que 
la  richelfe  des  rimes.  Peut-ond'ailleurs 
ne  point  regarder  le  travail  bifarre  de 
ximer  comme  la  plus  baffe  ùinâion  de 


:,-,zf--„GoOglc 


jcS  Rèjîexions  erîiiques 

la  mécanique  de  la  Poëfie  ?  Mais  puif- 
qiie  le  Poëte  ne  fçaiiroit  faire  faire  cet- 
te beibgne  par  d'autres,  comme  le 
Peintre&itbroyerfes  couleurs,  il  nous 
convient  d'en  parler. 


SECTION     XXXVI. 

De  la  Rime. 

J_*  A  liéceffité  de  rimer  eft  la  règle  de 
la  Poëiie  dont  l'obfervation  coûte  le 
plus ,  &  jett€  le  moins  de  beautés  dans 
les  vers.  La  rime  eftropîe  fouvent  le 
iens  du  difcours  ,  &  elle  l'énervé  prêt 
^e  toujours.  Pour  une  penfée  heu- 
reuie  que  l'ardeur  de  rimer  richement 
peut  faire  rencontrer  par  haiard  ,  elle 
fait  certainement  employer  tous  les 
jours  cent  autres  penfees  dont  on  "au- 
roit  dédaigné  de  fe  fervir  fans  la  ri- 
chelTe  ou  la  nouveauté  de  la  rime  que 
ces  penfées  amènent. 

C  ependant  l'agrément  de  la  rime  n'eft 
point  à  comparer  avec  l'agrément  du 
nombre  &  de  Fharmonie.  Une  fyllabe 
terminée  par  im  certain  fon  ,   n'ell 


:,-,zf--„GoOglc 


fiirlaPoiJît  &furlaPeinturt,      35^ 

Ïoint  une  beauté  par  «llc-même.  La 
eauté  de  la  rime  n'cft  qu'une  beauté 
de  rapport  qui  coofiftè  en  une  confor- 
mité de  dlfinanu  entre  le  dernier  mot 
d'un  vers,  &  le  dernier  mot  du  vers 
réciproque.  On  n'entrevoit  donc  cette 
beauté  qui  paffe  fi  vite  ,  qu'au  bout  de 
deux  vers ,  &  après  avoir  entendu  le 
dernier  mot  du  fécond  vers  qui  rime 
au  premier.  On  ne  fent  même  l'agré- 
ment de  la  rime  qu'au  bout  de  trois  Se 
de  quatre  vers ,  lorfque  les  rimes  maf- 
culines  &  féminines  font  entrelacées  , 
de  manière  que  la  première  ■&  la  qua- 
trième foient  mafcultnes ,  &  la  féconde 
â(  la  trofiémc  féminines ,  mélange  qui 
eft  fort  en  ufage  dans  plufieurs  efpeces 
de  Poëfie. 

Mais  pour  ne  parler  ici  que  des  vers 
oîi  la  rime  paroît  dans  tout  fon  éclat 
&  dans  toute  fa  beauté ,  on  n'y  fent 
la  richeffe  qu'au  bout  du  fécond  vers. 
C'eft  la  conformité  de  fon ,  plus  ou 
moins  parfaite ,  entre  les  derniers  mots 
des  deux  vers, qui  fait  fon  élégance.  Or 
la  plupart  des  Auditeurs  qui  ne  font  pas 
du  métier  ,  ou  qui  ne  font  point  amou- 
reux de  la  rime,  bien  qu'ils  foient  du 
Bii^tier,  ne  fc  fouvicnnent  plus  de  la 


:,-,zf--„GoOglc 


369  RéjUxtons  critiques 

pemiere  rime  aflez  diftinôemeitt , 
iorfqu'ils  entendent  la  féconde  y  pour 
être  bien  flattés  de  la  perfedion  de  ces 
rimes.  Ceft  plutôt  par  réflexion  que 
par  lentîment  qu'on  en  connoît  le  mé- 
rite, tantlepIaifirqu'ellefeitài'oreUIe 
cA  un  platlir  mince. 

On  me  dira  qu'il  faut  mi'H  fe  trouve 
dans  la  rime  ime  beauté  DÎen  ftipérieu- 
re  à  celle  que  je  lui  accorde.  L'agré- 
ment de  la  rime ,  ajoutera-t'on  ,  s'eft 
fait  fenûr  à  tontes  les  Nations.  Elles 
ont  toutes  des  vers  rïmés. 

En  premier  lieu ,  je  ne  dîfccnviens 
-pas  de  l'agrément  de  la  rime;  maîsjj 
tiens  cet  agrément  fort  au-defl"ous  de 
celui  qui  naît  du  rithme&  de  l'harmo- 
nie du  vers ,  &  qui  te  (ait  fentir  con- 
tinuellement durant  la  prononciation 
du  vers  métrique.  Le  rithme  &  ITiar- 
monie  font  une  lumière  qui  luit  tou- 
jours ,  &  fa  rime  n'eft  qu'im  éclair  qui 
^fparoît  après  avoir  jette  quelque 
kteur.  En  effet ,  la  rime  la  plus  riche 
ne  fait  qu'un  efF^t  bien  paflager.  A 
n'eftimer  même  le  mérite  des  vers  que 
par  les  difficultés  quil  faut  ftirmonter 
pour  les  faire ,  il  eft  moins  difficile  fans 
comparaifoji  de  rimer  ricbemcnt  que 
de 


:,-,zf--„GoOglc 


furla  Poijîe  Ofurla  Peinture,  jâl 
Je  compofer  des  vers  nombreux  &  rem- 
plis d'harmonie.  On  trouve  des  embar- 
ras à  chaque  mot,  lorfqu'on  veut  faire 
des  vers  nombreux  &  harmonieuY. 
Rien  n'aide  un  Poète  François  à  fiir- 
monter  ces  difficultés ,  que  (on  génie  , 
fon  oreille  &  fa  perfévériince.  Aucune- 
méthode  réduite  en  art ,  ne  vient  à  fon 
fccours.  Les  difficultés  ne  fe  préfentent 
pas  fi  fouvent ,  quand  on  ne  veut  que 
rimer  richement ,  &  l'on  s'aide  enco- 
re ,  pour  les  furmonter ,  d'un  Di^ion- 
naire  de  rimes ,  le  livre  fiivbri  des  Ri- 
meurs  féveres.  Quoiqu'ils  en  difent , 
ils  ont  tous  ce  livre  dans  leur  arrière- 
cabinet. 

Je  ton^e  d*accord  en  fécond  lieu 
que  nous  rimons  tous  nos  vers ,  &c  que 
nosVoifins  riment  la  plus  grande  par- 
tie des  leurs.  On  trouve  même  la  rime 
établie  dans  l'Afie  &  l'Amérique.  Mais 
la  plupart  de  ces  peuples  rimeurs  font 
barbares  ;  &  les  peuples  rimeurs  qui 
ne  le  font  plus  ,  &  qui  font  devenus 
des  Nations  polies ,  étoîent  barbares 
&  prefque  fans  lettres,  lorfque  leur 
poëfie  s'eft  formée.  Les  langues  ou'ils 
parloient ,  n'étoient  pas  fufceptibles 
d'une  poëfie  plus  parité ,  lorfque  ces 
Toiiul.  Q 


'  u,:,-,zf--„GoOglc 


^6x  Rifexîotu  critUpus 

peuples  ont  pore,  pour  ainfi  dire,  les 
premiers  fondemens  de  leur  poëtique. 
h  eft  vrai  que  les  Nations  Européen- 
nes ,  dontje  parle  ,  font  devenues  dans 
la  l'uite  içavatites  &  lettrées.  Mais 
comme  elles  ne  fe  font  polies  que  long* 
tems  après  s'être  formées  en  un  corps 
politique;  comme  les  fufages  natio» 
naux  étaient  déjà  établis ,  &  même  for- 
tifîés  par  le  long  tems  qu'ils  avoient 
<luré,  quand  ces  Nations  fe  font  culti' 
vies  par  une  étude  judideufe  de  la 
langue  Grecque  &  de  la  langue  Laii* 
ne,  on  a  bien  poli  &  reâiâé  ces  uià* 
ges,  mais  il  n'a  pas  été  poffîble  de  les 
changer  entièrement.  L'Architeâe ,  k 
qui  iWdonne  un  bâtiment  gothique  à 
racconmioder ,  peut  bieny  &ire  quel'^ 
ques  ajuAemens  qui  le  rendent  logea* 
ble  ;  mais  il  ne  fçauroit  corriger  les  dé-' 
iàuts  qui  viennent  delà  première  con£> 
trufHon,  11  ne  fçauroit  feire  de  fon  bâ> 
liment  un  édifice  régulier.  Pour  cela  il 
ftudroit  ruiner  l'ancien ,  pour  en  élever 
un  tout  neuf  fur  d'autres  fondemens. 

Ainfi  les  Poètes  excellens  qui  ont 
ffavaillé  en  Fiance  &  dans  les  pays 
Voi^s  ,  ont  bien  pu  embellir ,  ils  ont 

bi9P  pu  f^/tfUftTf  ({u'on  me  psrdonqq 


...Xooylc 


fur  la.  Poifie  €f  fur  la.  Ptmture,  jtf» 
ce  mot ,  la  Poëfie  moderne  ;  mais  il  ne 
leur  a  pas  i\i  poffible  de  changer  fa  pre- 
mière conformation ,  qui  avoit  fon  fon- 
dement dans  la  nature  &;  dans  le  génie 
des  langues  modernes.  Les  tentatives 
que  des  Poëtes  fçavans  ont  faites  en 
France  de  tems  en  tems  pour  changer 
les  relies  de  notre  Poëfie ,  &  pour  in- 
troduire l'ufage  des  vers  mefures ,  à  la 
manière  de  ceux  des  Grecs  &  des  Ro- 
mains ,  n'ont  pas  eu  de  fuccès. 

La  rime  ,  ainfi  que  les  lîe&  &  les 
duels ,  doit  donc  Ion  origine  i  la  bar- 
barie de  nos  Ancêtres.  Les  peuples  , 
dont  defcendent  les  Nations  modernes  , 
&  qui  envahirent  TEmpire  Romain  , 
avoieat  déjà  leurs  Poëtes ,  quoique  bar- 
bares, lorsqu'elles  s'établirent  dans  les 
Gaules  fie  dans  d'autres  Provinces  de 
TEmpire.  Comme  leslaneues  dans  leT- 
quelles  ces  Poëtes  fans  étude  compo- 
loient,  n'étoient  point  aflez  cultivées- 
pour  être  maniées  fuivant  les  règles  du 
.métré  ;  cpmme  elles  ne  donnoient  pas 
lieu  à  tenter  de  le  faire ,  ils  s'étoient 
avifés  qu'il  y  aurait  delà  grâce  à  ter- 
miner par  le  même  fon-,  deux  {urdes 
du  difcDurs  qui  fiilTent  confécutives  ou 
relatives  ficdîune.  étendue  égaleXemêi' 
*  Qii 


,  Google 


^64  RijUxions  erltiqius 

me  ion  final ,  répété  au  bout  <i*un  ctti 
tain  nombre  de  iyllabes ,  f^ifoitune  ef- 
pece  d'agrément,  &  il  fembloitmar* 
quer,'ou  il  marquoit ,  fi  l'on  veut,  queli 
■  que  cadence  dans  les  vers.  C'eflappa-r 
remment  ainfi  que  la  rime  s'eft  établie, 
Dans  les  contrées  envahies  par  les 
Barbares  ,  il  s'eft  form^  un  nouveau 
peuple  compofé  du  mélange  de  ces 
nouveaux  venus  &  des  anciens  habi- 
tans.  Les  vfages  de  la  Nation  domi» 
nante  ont  prévalu  en  plulieurs  chofes, 
&  principalement  dans  la  langue  comT 
mune  ,  qui  s'eft  formée  de  celle  que 
parloient  les  anciens  habitans,&  de  cel* 
le  que  parloient  les  nouveaux  venus, 
Par  exemple,la  langue  qui  fe  forma  dam 
les  Gaules ,  où  les  anciens  habitant  par* 
loient  communément  Latin ,  quand  les 
Francs  s'y  vinrent  établir,  rie  confer* 
va  que  des  mots  dérivés  du  Latin.  La 
Syntaxe  de  cette  langue  fe  forma  en- 
tièrement différente  ic  la  Syntaxe  de 
la  langue  latine ,  ainfi  que  nous  l'avons 
dit  déjà.  En  un  mot ,  la  langue  naiff 
faute  fe  vit  aftervie  à  rimer  Tes  vers , 
&  la  rime  paiTa  même  dans  la  langue 
Latine ,  dont  l'ufage  s'étoit  confervé 
paijqj  un  ççrt^in  jm^ni^Çf  Verç  le  bui« 


:,-,zf--„GoOglc 


yUr  la  Pùijît  &/ur  ta  Peinture.  365 
tiéme  fiecle  les  vers  Léonins ,  qui  font 
des  vers  Latins  r'tmés  comme  nos  vers 
François ,  furent  en  ufage ,  &  ils  y 
étoient  encore ,  quand  on  fit  ceux-ci  : 

Tingirur  hâc  lp<ci<  bonitarii  oJort  rtfirtu 
IJlba  Ectiejiitfuniatiir  Rtx  D:gabmui, 

Les  vers  Léonins  difpanirent  avec 
la  barbarie  ,  au  lever  de  cette  lumière 
dont  le  crépufcute  parut  dans  le  quin- 
zième fiecle. 


SECTION    XXXVIL 

Que  les  mots  de  notre  langue  naturelle  font 
plus  d'imprtjjîon  fur  nous  que  les  mots 
tCune  langue  étrangère. 

Une  preuve  fans  conteftation  de  la 
fupériorité  des  vers  Latins  fur  les  vers 
François,  c'eftque  les  vers  Latins  tou- 
chent plus,  c'eA  qu'ils  afFeâent  plus 
que  les  vers  François ,  ceux  des  Fran- 
çois qui  fçavent  la  langue  Latine.  Ce- 
pendant l'impreffion  que  les  expreflions 
d'une  langue  étrangère  font  uir  nousr^ 
eft  bien  plus  foible  que  rinK>reflîon 
gue  font  fur  nous  les  exprefuons  de 

'  lin 


.C.oogic 


^66  Rifiexions  crîàques 

noB-e  langue  naturelle.  Dès  qne  le» 
vers  Latins  font  plus  d'impremon  fur 
nous  que  les  vàrs  François ,  il  s'enfitit 
donc  que  les  vers  Latins  ftmt  plus  par- 
faits &  plus  c^ables  de  plaire  qne  les 
vers  François.  Les  vers  Latins  n*ont 
pas  naturellement  le  même  pouvoir  fur 
une  oreille  françoife,  qu'ils  avoient  fur 
une  oreille  latine.  Ils  n'ont  pas  le  pou- 
voir que  les  vers  Françcns  doivent 
avoir  fur  une  oreille  françmfe. 

A  l'exception  d'un  petit  nombre  de 
mots  qui  peuvent  paffer  pour  des  mots 
îmîtatifs  y  nos  mots  n'ont  d'autre  liai- 
fon  avec  ridée  attachée  à  ces  mots , 
qu'iAie  liaifon  arbitraire.  Cette  \aJ£oa 
m  Ve^t  du  cs^iice  ou  du  ha^A.  Par 
exemple,  pna.pu  attacl^rdans  notre 
langue  l'idée  du  cheval  au  motfoËvtau  ; 
êc  1  idée  de  la  [»ece  de  bois  qu'il  figm- 
6e  f  au  mot  ehtval.  Or  ce  n'eu  que  du- 
rantlespremieres années  denotrevîe» 
que  la  liaifon  entre  im  certain  mot& 
une  certame  idée  fe  iait  A  Inen ,  que 
ce  mot  nous  partnlTé  avc»r  une  énergie 
naturelle ,  c'eft-à-dire  ,  une  pn^uieié 
particulière  ,  pour  fignifier  la  diofe 
dont  il  n'eu  cependant  qu'un  ligne  inf- 
titué  arbitrairement.  Ainû  quand  nous 


:,-,zf--„GoOglc 


ftiT  U  PoiJU  &fur  Id,  Pthiturt.  367 
avons  appris  dès  I*en&nce  la  fignifica- 
tîon  du  mot  aimv ,  quand  ce  mot  eft  le 
premier  que  nous  ayons  retenu  pour 
exprimer  la  chofe  dont  il  eA  le  figne , 
il  nousparoît  avoir  une  énergie  natu- 
relle ,  bien  que  la  force  que  nous  lui 
trouvons ,  vienne  uniquement  de  notre 
éducation,  &  de  ce  qu'il  s'eft  fatfi, 
pour  sinfi  dire ,  de  la  première  place 
dans  notre  mémoire. 

U  arrive  même  que  lorfque  nous  at>< 
prenons  tme  langue  étrangère ,  après 
que  nous  fonunes  parvenus  à  un  cer- 
tain âee,  nous  ne  rapportions  point 
immédiatement  à  leur  idée  les  mots  de 
cette  langue  étrangère  ,  mais  bien  aux 
mots  de  notre  langue  naturelle ,  qm 
font  affociés  avec  ces  idées-là.  Ainfî 
lin  François  qui  apprend  l'Anglois ,  ne 
lie  tx)int  immédiatement  au  mot  An- 
glois  God  l'idée  de  Dieu ,  mais  bien  au 
mot  Ditu.  Lorsqu'il  entend  enfuite 
prononcer  God,  l'idée  qui  fe  réveille 
d'abord  en  hù,  eft  celle  de  la  fignilî- 
cation  que  ce  mot  a  en  François.  L'i- 
dée de  Dieu  ne  fe  réveille  en  lui  qu^en 
fécond  lieu.  U  femble  qu'il  lui  faille 
d'abord  fe  traduire  le  premier  mot  à  luii 
même. 

Qiv 


:,-,zf--„GoOglc 


g6S  RijUxlom  .eriàpuf 

Qu'on  traite ,  fi  Ton  veut,  cette et- 
'  plication  de  fubtilité ,  îl  fera  tou)ouis 
vrai  de  dire  y  que  dès  que  DOtre  cer- 
veau n'a  pas  été  habitué  dans  Tenfance 
à  nous  repiéfentcr  promptement  cet- 
taines idées,  auflî-tôt  que  certains fom 
viennent  irapper  nos  oreilles  ,  ces  mots 
font  fva  nous  une  impreâlon  &  plus 
foible  &  plus  lente  que  les  mots  auA 

Îiels  nos  organes  font  en  habitude 
ohiâi  dès  Tenfance.  L'<x>ération  que 
font  {es  mots,  ell  dépentuitte  du  tti- 
fort  mécanique  de  nos  CM^anes ,  &  par 
conféquent  elle  doit  dépendre  de  U 
iàcilité  ,  comnfe  'de  la  promptitude  de 
leurs  mouvemens.  Voilà  pourquoi  le 
même  difcoùrs  ébranle  en  des  tems 
inégaux  tul  homme  d*un  tempérament 
vif,  &  un  autre  homme  d'un  tempéra- 
ment lent ,  quoiqu'ils  en  viennent  en- 
.£n  à  prendrèie  même  intérêt  à  la  chofe 
dont  il  s'agît. 

L'expérience  qui  eft  plus  déciiive 
dans  les  faits ,  que  tous  les  raifonne- 
menï  ,  nous  enfeigne  que  la  chofe  eil 
ainfi.  Un  François  qui  ne  fçait  l'Efpa- 
gnol  que  comme  une  langue  étrai^ere , 
n'eft  pas  afTeûé  par  le  mot  ^uerer , 
cofflme  par  le  mot  aimer  ^   quoique 


:,-,zf--„GoOglc 


furUPotJie  Sffurta  Peinture.    369 
ces  mots  fignifîent  la  même  chofe. 

Cependant  les  vers  Latins  plaifent 
plus ,  ils  afTeûent  plus  que  tes  vers 
François.  On  ne  fçauroit  recufer  le  té- 
moignage des  Etrangers  à  qui  Tufage 
de  u  langue  Françoife  eft  beaucoup 
plus  familier  aujourd'hui  que  riiTage 
de  la  langue  Latine.  Ils  difent  tous 

3ue  les  vers  François  leur  font  moins 
e  plaifîr  que  les  vers  Latins ,  quoique 
la  plupart  ils  ayent  appris  le  François 
avant  que  d'apprendre  le  Latin.  Les 
François  mêmes  qui  fçavent  affez  bien 
le  Latin  pour  entendre  facilement  les 
Poètes  qiiiontcompofôdans  cette  lan- 
gue, font  de  leur  avis.  En  fuppofant 
que  le  Poëte  François  &c  le  Poëte  La- 
tin ayent  traité  la  même  matière ,  qu'ils 
ayent  également  réuflî ,  les  François , 
dont  je  parle  ,  trouvent  plus  de  plaifif 
à  lire  les  vers  Latins.  On  fçait  le  bon 
mot  de  Monfieur  Bourbon ,  ^u'il croyait 
boire  de  teau ,  quaitd  il  Itfoit  des  vers 
François.  Enfin  les  François  &  les  Etran- 
gers ,  je  parle  de  ceux  qui  fçavent  notre 
langue  aulE-bien  que  nous-mêmes ,  & 
qui  ont  été  élevés  un  Horace  dans  une 
main ,  &  un  Defpréaux  dans  l'autre  , 
ne  fçauroient  fouiïrir  qu'on  mette  en 
Qv 


-,  Google 


3  70  Rifiexioas  emi^us 

cotnpïraîlbn  les  vers  Latinî  &  les  vers 
François  confidérés  mécaniquement.  Q 
faut  donc  qu'il  fe  rencontre  dans  les 
vers  Latins  une  excellence  qui  ne  folt 
pas  dans  les  vers  François  :  FEtrangeF 
qui  fait  plutôt  fortune  dans  une  Cour, 
qu'un  homme  du  pays  ^  eft  réinité  avoir 
plus  de  mérite  que  celui  qu'il  a  laiffé 
derrière  lui. 


SECTION    XXXVIII. 

Que  Us  Ptimres  du  terns  de  Rapfuûl  h'o-^ 
voieru  point  d^avanta^  fur  ceux  d'aU' 
jourd'hà.    Dts  Pântns  de  VAnti- 
•  quiti. 

IN  OS  Poètes  François  font  donc  i 
plaindre',  lorsqu'on  veinteur  Ëùre  ef- 
myer  la  compsu'aifon  des  Poètes  La- 
tins qui  avoient  tant  de  fecours  &  tant 
de  ^cilité  jKHir  fiiire  mieux  qu'il  n'eft 
poffiWe  de  faire  aux  Poètes  François. 
Us  poutToient  dire  ce  que  ^ùidlien 
répond,pouf  les  Poètes  Latins*  aux  Cri- 
tiques qui  avoient  voulu  ^ï^er  des 
Ëoivains  Latins  qu'ik  touchaHeat  au> 


.,;..Gooylc, 


furlaPoêJît  Cf  fur  la  Peinture,  jyr 
tant  que  les  Ecrivains  Grecs  :  Rc4idez 
donc  notre  lan^e  aiu£  féconde  en 
expreffîons  &  auHî  agréable  dans  la 
prononciation ,  que  la  langue  de  ceux 
que  vous  prétendez  que  nous  devions 
^aler  pour  mériter  votre  eftime.  Dee 
iKuhi  in  loqmnJo  tamdem  jucuaduatem  & 
panm  copiam  (à).  L'Architeâe  qui  ne 
içaur(»t  bâtir  qu'avec  de  la  brique  »  ne 
peut  pas  élever  un  édifice  qui  plaife 
autant  que  s'il  pouvoit  le  bfttir  avec 
de  la  {nerre  &  avec  du  marbre.  Nos 
Peintres  font  en  cela  bien  plus  heureux 
que  nos  Poètes.  Les  Peintres  qui'tra- 
vaillent  aujourd'hui ,  employent  les 
mêmes  couleurs  &  les  mêmes  inftni- 
mens  qu'ont  employé  les  Peintres , 
dont  on  peut  oppofer  les  ouvrages  à 
ceux  qu  ils  fbm  tous  les  purs.  Nos 
Peintres  ,  pour  ainfi  dire  ,  confient 
dans  la  même  langue  que  parloiem  leurs 
prédécefleurs.  En  parlant  des  Peintre» 
les  prédécefleurs  des  nôtres ,  je  n*en- 
tends  point  parler  des  Peintres  du  tems 
d'Alexandre  le  Grand ,  &  de  ceiix  du 
tems  d'Auguâe.  Nous  ne  fçavons  pas 
aflez  diftioâementles  détails  de  la  mé- 
canique de  la  peinture  antique ,  pour 

Qvj 


:,-,zf--„GoOglc 


3^1  Rifitxions  eritiques 

eo  faire  un  parallèle  avec  la  mécaiù- 
que  de  la  peinture  moderne.  Par  les 
Peintres  predécefleurs  des  nôtres ,  j'en- 
tends parler  feulement  des  Peintres  qitî 
fe  font  produits  depuis  le  renouvelle- 
ment des  Lettres  fie  des  beaux  Arts. 

Je  ne  fçache  point  qu'il  foit  venu 
jufqiies  à  nous  aucun  tableau  des  Pein- 
tres de  l'ancienne  Grèce.  Ceux  qui 
nous  reftent  des  Peintres  de  l'ancienne 
Rome ,  font  en  fi  petite  quantité ,  & 
ils  font  encore  d'une  efpece  telle ,  qu'il 
eft  bien  difficile  de  juger  fur  l'infpec- 
tion  de  ces  tableaux ,  de  l'habileté  des 
meilleurs  ouvriers  de  ce  tems-là,  ni 
des  coideurs  qu'ils  employoîent.  Nous 
ne  pouvons  fçavoir  pofitivement  s'ils 
en  avoient  que  nous  n'ayons  plus;mais 
il  y  a  beaucoup  d'apparence  qu'ils 
n'avoient  point  les  couleurs  que  nos 
ouvriers  tirent  de  l'Amérique  &  de 
quelques  autres  pays  ,  avec  lefquels 
l'Europe  n'a  un  commerce  réglé  que 
depuis  deux  fîecles. 

Un  grand  nombre  des  inorceaux  de 
la  peinture  antique  qui  nous  refte ,  eft 
exécuté  en  Mofaique ,  c'eft-à-dire  ,  en 
peinture  faite  avec  de  petites  pierres 
coloriées,  fie  des  aiguilles  de  verre 


■„r  .,Coo)glc 


furlaPotfit  &furldPàrUure.  37J 
cotnpaiTées  &  rapportées  enfemble ,  de 
manière  qu'elles  imitent  dans  leur  af- 
femblaee  le  trait  &  la  couleur  des  ob- 
jets quon  a  voulu  rejM-éfenter.  On 
voit ,  par  exemple ,  dans  le  palais  que 
tes  Barberinsdnt  fait  bâtir  dans  la  ville 
de  Paleftrine,  à  vingt-cinq  milles  de 
Rome ,  tm  grand  morceau  de  Mofaï- 
que  qui  peut  avoir  douze  pieds  de 
longs  fur  dix  pieds  de  hauteur,  &  qui 
fert  de  pavé  a  une  efpece  de  grande 
niche ,  dont  la  voûte  foutient  les  deux 
rampes  féparées  ,  par  lefquelles  on 
monte  au  premier  palier  du  principal 
efcalier  de  ce  bâtiment.  Ce  Aiperbe 
morceau  eft  une  efpece  de  Carte  Geo- 

'  ique  de  l'Egypte  ;  &  »  à  ce  qu'on 


prétend ,  le  même  pavé  que  Sylla  avoit 
fait  placer  dans  le  Temple  de  la  For- 
tune Préneftine,  &  dont  Pline  parle- 
dans  le  vingt-cinquième  chapitre  du 
trente-fixiémc  livre  de  ion  HiAoir^,  Il 
fe  voit  gravé  en  petit  dans  le  Latium  du 
P.  Kircher;  mais  en  1711  le  Cardinal 
Charles  Barberin  le  fitgraver  en  quatre 
grandes  feuilles.  L'Ouvrier  ancien  s'eft 
tervi  pour  embellir  fa  Carte  »  de  plu- 
fieurs  efpeces  de  vignettes  ,  telles  que 
les  Géographes  en  mettent  pour  rem- 


:,-,zf--„GoOglc 


^74  RiJUxîom  erU'upus 
plir'les  places  vmdes  de  leurs  carte*.' 
Cesvignettesrepréfentent  des  hommes, 
des  ammaux,desbâtimens,'des  chaflies, 
des  cérémonies ,  &  plufîeurs  points  de 
l'Hifloire  morale  &C  oaturelte  de  TË- 
gypte  ancienne.  Le  nc»n  des  choies  qui 
Y  font  dépeintes ,  eu  écrit  au-deflos 
en  caraâeres  Grecs,  à  peu  près  comme 
le  nom  des  Provinces  eft  écrit  dans  une 
carte  générale  du'^yaume  de  France. 

Le  Pouffin  s'efi  iervi  de  quelques* 
unes  de  ces  comportions  pour  embel- 
lir plufieiu's  de  fes  tableaux  ,  entre  an- 
tres celui  qui  repréfente  rarrivée  de  la 
Sainte  Fandlle  en  ^ypte.  Ce  grand 
Peintre  vivoit  encore ,  quand  cette  fu- 
perbe  Mofaïque  fiit  déterrée  des  ruines 
d'un  Temple  de  Serapis ,  qui  devoit 
être ,  pour  parler  à  notre  manière ,  vas 
ChapeUe  du  Temple  célèbre  de  la  For- 
tune  Prtatfiine.  Tout  le  loonde  fçaitqne 
Tancien  Préneâéeftlamême  vUIe  que 
Paleftrine,  Par  bonheur  elle  en  fitt  ti- 
rée très-entière  &  très>bien  conTervée  ; 
mais  malheureusement  pour  les  cu- 
rieux ,  elle  ne  fortit  de  fon  tcMiibeau 
que  cinq  ans  après  que  Monâeur  Sua- 
rez  Ëvêque  de  Vaiffons  eut  fait  im- 
priiaçr  ion  livre  Precoefies  arui^ua  Hiri 


:,-,zf--„GoOglc 


furlaPoêJîi  ù  fur  Ut  Pàmare.  jyj. 
duoXfi).  La  carte,  <lont  je  parle,  ëtoit 
alors  enfevelie  dans  les  caves  de  TEvê- 
ché  de  Paleftrïne  où  elle  étoit  comme 
învifîble.  On  en  appercevoit  feulement 
quelque  chofe  à  force  d'en  laver  les 
endrqits  qui  étoient  d^ja  découverts  , 
&  Ton  ne  les  voyoit  encore  qu'à  la 
clarté  des  flambeaux.  Ainlî  Monfieur 
Suarez  n'a  pu  nous  donner  dans  fon 
Ouvrage  (^)  que  la  defcription  de 

3uelques  morceaux  que  le  Cavalier 
el  PoMO  avoit  feit  deiîiner  fur  les 
ïieux.  (c) 

On  voit  encore  à  Rome  &  dans  plu- 
fieurs  endroits  de  l'Italie  des  fragmens 
de  Mofaïque  antique  ,  dont  la  plupart 
ont  été  gravés  par  Pietro  Santi  Barto- 
li,  qui  les  a  inférés  daiK  fes  différens 
recueils.  Mais  pour  plufieurs  raifons 
on  jugeroit  mal  du  pinceau  des  Anci^is, 
fi  l'on  vouloit  en  juger  fur  ces  Mofaï- 
ques.  Les  curieux  gavent  bien  qu'on 
ne  rendroit  pas  au  Titien  la  juAice  qui 
lui  eft  due ,  fi  Ton  vouloit  juger  de  fon 
mérite  par  celles  des  Molaïgues  de 
r%tife  de  Saint  Marc  de  Venife ,  qui 

(«)  Jm^'imtt  iKtmt  tni*il' 

lb)  frffir/l.  Amiq.  lib. {Hm.  p,  jai 
lç)lbii,  lib.  *.p.  :il. 


:,-,zf--„GoOglc 


furent  &itesfuT  les  defleios  de  câ  M^ 
tre  de-la  couleur.  U  e&  unpoffible  dl- 
miter  avec  les  pierres  &  les  morceaux 
de  Terre,  dont  les  Anciens  fe  font  fer- 
vi  pour  peindre  enMo&îque,  toutes 
les  beautés  &  tous  les  agrémens  que 
le  pinceau  d'un  habile  honune  met  dans 
un  tableau  ,  oîi  il  eA  maître  de  voiler 
les  couleurs  ,  &  de  faire  fur  cha- 
que point  ph)'iique  tout  ce  qu'il  ima- 
gine f  tant  par  ranrart  aux  traits  que 
par  rapport  aux  teuites.  En  efTef ,  les 
Molàîques  fur  lefquelles  on  fe  récrie 
davantage  ,  celles  qu*on  prend  d'une 
certaine  difiance  pour  des  tableaux  faits 
au  pinceau ,  font  des  Mofaïques  copiées 
d'après  de  Itmples  portraits.  Telle  eft 
le  port;;ait  du  Pape  Paul  cinquième , 
qu'on  voit  à  Rome  au  Palais  Borghefe.  ■ 
Il  tid  réAe  dans  Rome  même  qu'un 
petit  nombre  depeintiu-es  antiques^- 
tes  au  pinceau.  Voici  celles  que  je  me 
fouviens  d'y  avoir  vues.  En  premier 
lieu ,  la  Noce  de  la  Vigne  Aldobran- 
dine  ,  &  les  Figurines  de  la  Pyramide 
de  Ceftius.  Il  n'y  a  point, de  curieux, 
qui  du  moins  n'en  ait  vu  des  eftampes. 
En  fécond  lieu ,  les  peintures  qui  font 
au  Palais  Barberin  ikns  Rome,  Se  qui 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Paëjît  &fiirla  Peinture.  37^ 
furent  trouvées  dans  des  grottes  fou- 
terreines,  torfqu'on  jetta-  les  fonde- 
jnens  de  ce  Palais.  Ces  peintures  font 
le  Payfage  ou  le  Nymphée  dont  Lucas 
Holftenius  a  publié  l'eUampe,  avec 
une  explication  qu'il  avoit  faite  de  ce 
tableau  \  la  Venus  reAaurée  par  Carie 
Maratte ,  &  une.  figure  de  Rome  qui 
tient  une  Viâoîre.  Les  connoifTeurs 
qui  ne  fçavent  pas  l'hiftotre  de  ces  deux 
.Prefques ,  prennent  l'une  pour  être  de 
Rapmiël ,  &  Tautre  pour  être  du  Cor- 
rege.  On  voit  encore  au  Palais  Far- 
nefe  un  morceau  de  peinture  antique , 
trouvé  dans  la  Vigne  de  l'Empereur 
Adrien  à  Tivoli,  oc  un  refte  de  plav- 
fond  dans  le  jardin  d'un  particulier  au-  ■ 
près  de  Saint  Grégoire.  On  a  trouvé- ,- 
depuis  la  première  édition  de  cet  Oû4 
vrage  ,-plufieurs  autres  peintures  anti- 
ques dans  la  Vigne  Farnefe  futle  Mont 
Palatin,  dans  l'endroit  qu'occupoit au- 
trefois le  Palais  des  Empereurs.  Ces 
peintures  ornoient  le  plafond  d'une  falle 
de  bains  ;  mais  ni  Monûe\u-  le  Duc  de 
Parme  à  qui  elles  ont  appartenu  ,  ni  le 
Roi  des  deux  Siciles  qui  les  a  fait  tranf- 
porter  depuis  à  Naptes,  ne  les  ont  point 
encore  ikit  graver.  Monûcur  le  Doc;; 


:,-,zf--„GoOglc 


37$  RéjUxions  critiqua 

teoT  Mead,  fi  connu  dans  tonte  l*£it^ 
rope  par  fes  talens  &  par  jibn  amour 
pour  les  Arts  a  enriclu  fon  Catmiec 
d'un  morceau  de  peinture  antique  ,  qm 
s'ell  pareillement  trouvé  dans  les  im* 
nés  du  palais  des  Empereurs ,  ic  il  a 
fait  graver  ce  précieux  fragment.  U 
repraedte  ,  à  ce  qu'on  afujet de  crcnre, 
l'Empereur  Auguile ,  ayant  à  côté  de 
lui  Agrippa ,  Mecenas  Âc  quelques  au- 
tres perlonnes,  &  donnant  une  cou- 
ronne à  une  figure  qui  ne  paroît  plus. 
Monfîeurle  Marquis  Capponi ,  qui  )oîitt 
à  beaucoup  d'érudition  uA  goût  luign- 
lief  pour  tout  ce  qui  eft  du  refîbrt  de 
l'antiquité ,  a  lait  encore  graver  un 
morceau  fingulier  de  peinture  antique 
de  fon  Cabmet.  C'eft  le  portrait  d'un 
Architeûe ,  aujM-ès  de  qui  Ton  voit  les 
inilnjmens  de  fon  Art.  Cette  peinture 
a  été  découverte  dans  un  tombeau. 

On  voyoit  il  y  a  quelque  tems  pïii- 
fieurs  autres  morceaux  de  peintures  an- 
tiques dans  les  bâtimens  ipii  font  com- 
pris vulgairement  fous  le  nom  des  rui* 
nés  des  Thermes, de  Titus  ;  mais  les 
uns  font  péris  »  comme  le  tableau  qui 
repréfentoit  Coriolan  ,  que  fa  inere 
perfuadoit  de  ne  point  venir  attaquer 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  U  Paêfie  ^  fur  U  Pànmrt.  3  75 
Rome  ,  &  dont  le  defTein  fait  par  An- 
nibal  Cairache  ,  &c  qui  a  été  gravé  , 
ell  aujourd'hui  entre  les  mains  de  M. 
Crozat ,  qui  l'a  eu  du  Chanoine  Vlt- 
toria  ;  les  autres  ont  été  enlevés.  C*eft 
de-là  que  le  Cardinal  MalTimi  avoit  tî- 
ré  les  quatre  morceaux  qui  paflent  pour 
repréienter  l'Hiftoire  d'Adonis  ,  & 
deux  autres  fragmens.  Ces  fçavantes 
reliques  font  pafTées  à  fa  mort  entre 
les  mains  du  Marquis  MaHuni  ,  &  l'on 
en  voit  les  eftampes  dans  le  livre  de 
Monlieur  de  la  ChaufTe ,  intititlé  U 
Piuwt  aneiche  deUe  Grote  di  Rama.  Cet 
Auteur  a  donné  dans  ce  livre  pluiieurS 
deffeins  de  peintures  antiques  qui  n'a-* 
voient  pas  encore  été  rendus  publics  , 
Se  entre  autres ,  le  deflein  du  plafond 
d'une  chambre ,  qui  fut  déterrée  auprès 
de  Saint  Etienne  in  Rotundâ  en  1705  , 
c'ell-à-dire  ,  une  année  avant  l'édition 
de  fon  Ouvrage.  La  figure  de  femme 
peinte  fur  im  morceau  de  iluc  qui  étoit 
chez  le  Chanoine  Vîttoria ,  eft  jM"éfen- 
tement  à  Paris  chez  Monfieur  Crozat 
le  jeune. 

Quant  à  ce  qui  relie  dans  les  Ther- 
mes de  Titus,  il  n'y  a  plus  que  des 
peintures  à  denûeflàcéesj,  lePere  {le 


:-„r., Google 


}8o  Réflexions  cruî^ti 

Montfaucon  (a)  &  François  BaRofi 
nous  ont  donné  (J>)  l'eflampe  du  mor- 
ceau le  plus  entier  qui  s'y  voye ,  5c  qui 
représente  un  payfage. 

On  voyoit  encore  en  1701  dans  les 
ruines  de  l'ancienne  Capouë  ,  éloignée 
d'une  lieue  de  la  Ville  moderne  de  Ca- 
pouë  ,  une  Gallerie  enterrée  ,  en  La- 
tin Cripto^Porficus,  dont  la  voûte  étoit 
peinte ,  &  repréfentoït  des  figures  qui 
le  jouoient  dans  diâerens  ornemeos. 
En  1709,  le  Prince  Emmanuel  d'EI- 
beuf  ^  en  tàifant  travailler  à  fa  maiiba 
de  campagne  ,  fituée  entre  Naples  &le 
mont  Vefiive  ,  fur  le  bord  de  la  mer, 
•trouva  un  bâtiment  orné  de  peintures 
antiques  ;  mais  je  ne  fçache  point  que 
perfonne  ait  publié  le  delTein  de  ces 
peintures ,  non  plus  que  le  deiïeîn  de 
celles  de  Ja  vieille  Capouë. 

Je  ne  connois  point  d'autres  pêintu* 
res  antiques feites  au  fnnceau,  Sc-qui 
fubUftent  encore  aujourd'hui ,  que  tes 
morceaux  dont  je  viens  de  parler.  H 
eA  vrai  que  depuis  deux  lîecles  on  en 
a  déterré  un  bien  plus  grand  nombre, 
ibit  dans  Rome ,  foit  dans  d'autres  en- 


....Gooylc 


fur  la  Poëft  te  fur  la  Piîntun.  381' 
droits  de  l'Italie;  maïs  je  ne  fçai  par 
quellç  fatalité,  la  plupart  de  ces  pein- 
tures ioût  péries.  &  il  ne  nous  en  eft 
demeuré  que  les  defTeios.  ht  Cardi- 
nal Maflimi  avoit  ^it  un  très-Jîeau  re- 
cueil de  ces  deiTeins,  &pariine  aventu- 
re bifarre,  c'étoit  d'Efpagne  qu'il  avoit 
rapporté  à  Rome  les  plus  grandesricheC- 
fes  de  fon  recueil  {k\.  Durant  &  Non- 
ciature ,  il  y  avoit  fait  copier  un  porte- 
feuille qui  étoit  dans  le  Cabinet  dil 
Roi  d'Efpagne  ,  &  qui  contenoit  le 
deffrfn  de  plufieurs  peintures  antiques  , 
qui  forent  trouvées  à  Rome,  lorfqu'on 
commença  durant  le  feiziéme  fiecle  à 
fouiller  avec  ardeur  dans  les  ruines  , 
pour  y  chercher  des  débris  de  l'antiqui- 
té. Le  Cavalier  de]  Pozzo ,  dont  le  n<Hn 
eil  fi  célèbre  parmi  les  amateurs  de 
la  Peinture ,  le  même  pour  qui  le  Pouf- 
fm  peignit  fes  premiers  tableaux  des 
fept  Sacremens  avoit  fait  auffi  un  très- 
beau  recueil  de  deffeins  d'après  les 
peintures  antiques,  que  le  Pape  Clé- 
ment XI.  acheta  durant  fon'PontifîcBt , 
pour  1^  mettre  dans  la  Bibliothèque 

f(L)CeRtcucU  dcDi^fTciM  cH  piffii  dtpult  peu  en 
An^lcierie,  &  eft  eouB  Ui  miiudcM.le  Do4teuc 
Wetd. 


:,-,zf--„GoOglc 


381  Rèftxiûns  criûqms 

■particulière  qu'il  s'étoit  formée. 

Mais  prefque  toutes  les  peintures 
d*après  lefquelles  ces  defleias  iïirem 
^ts ,  font  péries.  Celles  du  totobeau 
des  Na2ons  qu'on  déterra  près  de  Pon- 
temole  en  1674.  ne  fubfiilentdéja  plus, 
n  ne  nous  eft  refié  des  peintures  de 
ce  Maufolée  ,  que  les  copies  coloriées 
qui  furent  Eûtes  pour  Mon£eur  Col- 
bert  &  pour  le  Cardinal  Maffîmi ,  & 
les  eiUmpcs  gravées  par  Pietro  Santi 
Bartoli,  qui  font  avec  les  explications 
du  Bellon  un  volume  in-folio  imprimé 
à  Rome,  (à)  A  peine  demeuroit-il ,  il 
y  a_  déjà  quarante  ans ,  quelques  veAi- 
ge»  des  peintures  ori^nales  ,  quoi- 
qu'on eut  eu  l'attention  de  pafier  def- 
ius  une  teinture  d'ail ,  qui  eft  fi  propre 
â  çonferver  les  Frefques.  Malgré  cette 
précaution ,  elles  fe  font  détruites  elles- 
mêmes. 

Les  Antiquaires  prétendent  que  c'eft 
la  deftinée  de  toutes  les  peintures  aa- 
ciennes  ,  qui  diuant  un  grand  nombre 
d'années  ont  été  enterréesen  des  lieux 
fi  bien  étouâés ,  que  l'air  exérieur  ait 
été  longtems  fans  pouvoir  agir  fur 
elles.  Cet  air  extérieur  les  détruit  au£- 


:,-,zf-„  Google 


fuT  îàPùëJîe  &fur  la  Ptbaurt.  j  j  j 
tôt  qu*elles  '  redeviennent  en>ofée$  à 
fon  aâion ,  au  lieu  qu'il  n'endommage 
les  peintures  enterrées  en  des  lieux  oti 
il  avoit  conSetvé  un  libre  accès ,  que 
comme  il  endommage  tous  les  tableaux 
peintG  à  frefque.  Ainli  les  peintiues 
qu'on  déterra  il  y  a  vingt  ans  à  la  Vi- 
gne Cpriîni  bâtie  fur  le  Janicule ,  dé- 
voient durer  encore  longtems.  L'air 
extérieur  s'étoit  confervé  un  libre  ac- 
cès dans  les  tombeaux  dont  elles  or- 
noîent  les  murailles  ;  mais  par  la  &ute 
du  propriétaire,  elles  ne  iubfifterent 
pas  longtems.  Heureufement  nous  èa 
avons  les  eAampes  gravées  par  Barto- 
li  (a).  Cette  aventure  n'amvera  plus 
déformais.  Le  Papç  Clément  XI  qui 
^voit  beaucoup  de  goClt  pour  les  Arts , 
&  qui  aimoit  les  antiqultés-'i  n'ayant 
pu  empêcher  la  deAruâicn  des  pein- 
'  tures  de  la  Vigne  Corlîni  fous  le  pon- 
tificat d'un  autre,  n'a  point  voulu  que 
Jes  curieux  puflent  reprocher  au  iien 
de  pareils  accidens ,  qui  font  pour  eux 
des  malheurs  fignalés.  II  fit  donc  ren- 
dre un  Edit  dès  le  commencement  de 
fon  règne  par  le  Cardinal  Jean  Bap- 
liAe  S^nola  ,  Camerlit^uc  du  Saint 


:,-,zf--„GoOglc 


)S4  Rifiexîons  craiqats 

Siège ,  qui  défend  à  tous  tes  in'Oprié* 
taires  des  lieux  où  ron  aura  trouvé 
quelques  veftiges  de  peinture  antique^ 
de  démolir  la  maçonnerie  où  elles  ie- 
roient  attachées  ,  fans  une  permijlîon 
expreffe. 

On  conçoit  bien  qu'on  ne  peut  fans 
témérité  entreprendre  un  parallèle  de 
la  peinture  antique  avec  la  peinture 
moderne ,  fur  la  foi  des  iragméns  de 
la  peinture  antique,  qui  ne  liibfiftent 
plus  qu'endommagés  ,  du  moins  par  le 
teips.  D'ailleurs  ce  qui  nous  reHe,& 
ce  qui  étoït  peint  à  Rome  fur  les  mu- 
railles ,  n'a  été  fait  que  longtems  après 
la  mort  des  Peintres,  céleWes  de  U 
Grèce.  Or  il  paroît  par  les  écrits  des 
anciens ,  que  les  Peintres  qui  ont  tra- 
vaillé à  R«me  fous  Augufte  &  fous  les 
premiers  fucceffeurs ,  étoient  très-ift* 
férieurs  au  célèbre  Appelle  &  k  fesil- 
luftres  contemporains,  Pline  qui  corn- 
pofoit  fon  hiftoire  fous  Vefpafien,  & 
quand  les  Arts  avoient  atteint  déjà  le 
plus  haut  point  de  perfection  od  ils 
îbient  parvenus  fous  les  Empereurs, 
ne  cite  point  parmi  les  tableaux  qu'il 
compte  pour  un  des  plus  grands  orne- 
^ens  de  la  Capitale  de  l'Univers, 
aucua 


:,-,zf-,CoOJilc 


furîa.  Poiju  &fmU  Peinture.  385 
a:nçun  tableau  qu'il  donne  lieu  de  croire 
avoir  été  fait  au  tems  des  C^lars.  On 
ne  fçaurcût  donc  afleoir  fur  les  frag- 
m^is  de  la  peinture  antique  qui  nous 
iffetlent ,  8c  qui  font  les  débris  d'ouvra- 
ges'^ts  dans  Rome  fous  les  Empe- 
reurs ,  auciui  jugement  certain  concer- 
nant le  degré  de  perfeâion  oti  les 
Crées  &  les  anciens 'Romains  pour- 
roient  avoir  porté  ce  bel  Art.  On  ne 
fçauroit  même  décider  par  ces  frac- 
tnens ,  du  degré  de  perfeÛion  où  la 
peinture  pouvoit  être ,  lorfqu'ils  forent 
faits. 

Avant  que  de  pouvoir  juger  fur  un 
certain  ouvrage,  ne  l'état  où  l'Art  étoit, 
iorfque  cet  ouvrage  a  été  fait ,  il  fau- 
flroit  fçavoir  pofitivement  en  quelle 
eflime  l'ouvrage  a  été  (kns  ce  tems-là , 
&  s'il  y  ajâué  pour  un  ouvrage  ex- 
cellent en  fon  genre.  Quelle  injufticê  , 
par  exemple  ,  ne  feroit-on  pas  à  notre 
fiécle ,  fi  l'on  jugeoit  un  joiu"  de  l'état 
où  la  Poëfie  dramatique  aiu'oit  été  de 
notre  tems  fur  les  Tragédies  de  Pra- 
don ,  ou  fur  les  Comédies  de  Haute- 
roche  ?  Dans  les  tems  les  plus  féconds 
en  Artifans  excellens ,  il  fe  rencontre 
encore  un  plus  grand  nombre  d' Artifans 
TnJM  I.  R 


:,-,zf--„GoOglc 


386  Rêfiexions  critiques 

médiocres.  Il  s'y  fait  encoce  plus  iA 
mauvais  ouvrages  que  de  bons .  Or  nous 
coiu-erions  le  rifquc  de  prononcer  fur 
la  foi  d'un  de  ces  ouvrages  médiocres, 
fi,  par  exemple  ,  nous  voulions  jug* 
de  l'état  où  la  peinture  étoit  à  Rome 
fous  Augufte  ,  par  les  figures  qui  font 
dans  la  pyramide  de  Ce^lius  ;  quoiqu'il 
foit  très-probable  que  ces  figures  pein- 
tes à  frefque ,  ayent  été  faites  dans  le 
tems  même  que  le  Maufolée  fut, élevé, 
&  par  conféquent  fous  le  règne  de  cet 
Empereur.  Nous  ignorons  quel  rang 
pouvoir  tenir  entre  les  Peintres  de  fon 
tems ,  l'Artifah  qui  les  fit  ;  fie  ce  qui 
ie  paffe  aujoiu-d'hui  dans  tous  les  pays, 
nous  apprend  fuffifamment  que  la  ca- 
bale fait  diftribuer  fouvent  les  ouvra- 
ges les  plus  confîdérables  à  des  Arti' 
fans  très-inférieurs  à  ceux  qu'elle  feil 
négliger. 

Nous  pouvons  bien  comparer  la  fculp- 
tiu-e  antique  avec  la  notre  ,  parce  que 
nous  femmes  certains  d'avoir  encore 
aujourd'hui  les  chefs-d'œuvres  de  la 
fculpture  Greque  ,  c'eft-à-dire ,  ce  qui 
s'eft  fait  de  plus  beau  dans  l'Antiquité, 
Les  Romains  dans  le  fiecle  de  leur 
/plçndeur ,  qui  fut  celui  d' Augufte ,  w 


:,',zf--„GoOglc 


fur  la  P^tfit  &fur  la,  P«lnture.  3  87 
tf  fputerent  aux  illuflres  de  la  Grèce 
que  lafciencedugouveroemeat.  Ilsles 
reconnurent  pour  leurs  Jiiaîtres  dans  les 
arts ,  &  nommément  dans  TÂn  de  la 
iculpture.  ' 

Excuitnt  dlii  Jfirrattiii  moXIiui  ma  , 
OnJo  tq\âitrn. ,  rivai  ifunnt  de  niarmtre  yultas, 
Turfgcre  inytrio ptputni ,  Uamara  ,'num;m) 
Hit  dbi  aum  tna,  (1) 

Pfine  eft  du  même  fentiment  que 
Virgile.  Mais  ce  qu'il  y  avoit  de  plus 
précieux  dans  la  Grèce ,  avoit  été  ap- 
porté à  Rome  ,  &  nous  fommcs  cer- 
tains d'avoir  encore  aujotird'hni  les 
plus  beaux  ouvrages  qtù  fuffent  dans 
cette  Capitale  du  monde  ,  après  qu'elle 
eut  été  enrichie  des  chef-aœiivres  les 
plus  précieux,  nés  fous  le  cizeau  des 
Grecs.  Pline  (^)parle  avec  diftinÛion  de 
la  ilatuë  d'Hercule ,  qui  préfentement 
eft  dans  la  cour  du  Palais  Farncfe  ,  ôc 
Pline  écrivoit  quand  Rome  avoit  dé- 
jà dépouillé  l'Orient,  l'un  des  plus 
beaux  morceaux  de  fculpture  qui  fiif- 
fent  à  Rome.  Ce  même  Auteur  nous 
apprend  encore  (  e  )  que  le  Làocoon 

(  »  )  Efirid.  lib.  «. 

(bl  Plln.  Hi^.  lih.  If. 

<cj  llilor.  lib.  i$. 

Rlj 


:,-,zf--„GoOglc 


jSS  Réflexions  chiques 

qu'on  voit  a}ourd'hui  dans  une  cour  ia. 
Palais  de  Belveder^  étoit  le  morceau  de 
fculpturele  plus  précieux  qui  fut  à  R.o* 
me  de  fon  tems.  Le  caraâere  que  Pline 
donne  aux  Statues  qui  compofent  le 
grouppe  du  l/aocoon ,  le  lieu  où  U  nous 
dit  qu'elles  étoient  dans  le  tems  qu'il 
écrivoit,  &  qui  font  les  mêmes  x{ue 
les  lieux  oit  elles  ont  été  déterrées  de- 
puis plus  de  deux  lîecles  ,  rendent 
confiant ,  malgré  les  fcrupules  de  quel- 
ques Antiquaires ,  que  les  Statues  que 
nous  avons ,  ibnt  les  mêmes  dont  Pline 
a  parlé.  Aiofî.jiausibmTnes  en  état  de 
juger  Sx  les  Anciens  nous  ont  iiirpafies 
dans  l'Art  de  la  fcupltiu:e.  Pour  me  fer. 
VÎT  de  cette  phrafe  .  les  parties  au  pro- 
cès ont  produit  leurs  titres.  Gr  je  n'en, 
tendis  jamais  prononcer  en  faveur  des 
Sculpteurs  modernes.  Je  n'entendis  ja* 
mais  donner  la  préférence  au  Moîfe 
de  Michel-Ange  fur  lel-aocoon  du  5eA 
yeder.  J'avouerai  après  cela  qu'il  ferolt 
imprudent  de  foutenir  que  les  Peintres 
de  l'Antiquité  Grecque  &  Romaine  , 
ayent  fiirpaffé  nos  Peintres ,  parce  que 
les  Sculpteiu^  anciens  ont  furpaffé  les 
Sculpteurs  modernes.  La  Peintnrè  Se 
la  Sculpture ,  il  eft  vrai ,  fpnt  dev« 


:-„r -iCoO^ilc 


fur  la  Poifit  ùfur  la  Ptinturt.  3  89 
lœurs  ;  mais  elles  ne  font  pas  dans  une 
union  fi  parfaite ,  que  toutes  leiu-s  def- 
tinéesleur  foient  communes.  Lafculp- 
ture ,  bien  que  la  cadette  ,  peut  laifler 
derrière  elle  fa  fœur  aînée. 

Il  ne  feroit  pas  moins  téméraire  de 
décider  la  queftion  fur  ce  crue  nos  ta- 
bleaux ne  font  point  ces  effets  prodi- 
gieux que  les  tableaux  des  anciens  Pein- 
tres ont  fait  quelquefois  :  fiiivant  les  ap- 
parences ,  les  récits  des  Ecrivains  qui 
nous  racontent  ces  effets  ,  font  exagé- 
rés &  nous  ne  fçavons  pas  même  ce 
3u'il  en  faudroit  rabattre  pour  les  ré-' 
uire  à  l'exaâe  vérité.  Nous  ignorons 
quelle  part  la  nouveauté  de  "Art  de  la 
peinture  peut  avoir  eue  dans  Timpref- 
iion  qu'on  veut  que  certains  tableaux 
ayent  faits  fur  les  fpéôateurs.  Les  pre- 
premiers  tableaux  ,  quoique  grolBers  , 
ont  dû  paroître  des  ouvrages  divins. 
L'admiration  pour  un  Art  naifiant ,  fait 
tomber  aifément  dans  l'exagération 
ceux  qui  parlent  de  fes  produâïons  ; 
&  la  tradition  en  recueillant  ces  ré- 
cits outrés  ,  aime  encore  quelquefois 
à  les  rendre  plus  merveilleux  qu'elle 
ne  les  a  reçus.  On  trouve  même  dans 
les  Ecriraias  wciens  des  chofes  un- 
Riij 


:,-,zf--„GoOglc 


J  ^  RéflexloTts  erinqaer 

poffibles  données  pour  vraies  ,  &  des 
cbofes  ordinaires  traitées  de  prod^es, 
Sçavons-nous  d'ailleurs  quel  effet  au- 
Toient  produit  far  des  hommes  aufli 
ienûbles  &C  auflî  dj^fés  à  fe  paillon- 
ner,  que  Tétcwent  tes  cod^îatriotcs  «es  . 
anciens  Peintres  de  ta  Grèce ,  plufieurs 
tableaux  de  Raphaët,  de  Rt^ens  &: 
d'Annibal  Carrache? 

Enfin  on  ne  fçauroit  donner  une  idée 
tin  peu  précîfc  des  tableaux  à  ceux  qui 
ne  les  ont  pas  vus  abrolnment ,  &c  qut 
ne  connoMent  la  manière  dn  Pein- 
tre qui  les  a  faits ,  que  par  vt)ies  de 
comparaifon.  Nous-mêmes ,  îorfque 
noBS  parlons  à  quelqu'un  des  tableaux 
d'un  Peintre  qu'il  ne  connoît  pas ,  nous 
fommes  poulies  par  l'inftinâ  à  nous 
fervir  de  cette  voie  de  comparaifoir. 
Nous  donnons  l'idée  du  Peintre  incon- 
"nii ,  en  le  conçarant  aux  Peintres  con- 
nus ,  &  cette  vcne  e  A  la  meilleure  voie 
de  defcription ,  quand  il  s'agit  des 
chofes  qui  tondent  fousie  feriîiment. 
Il  colorie  à  peu  près  comme  un  tel , 
dilbns-nous  ;  il  deflùie  c<Miime  celui- 
là  ;  il  compofe  comme  l'autre.  Ot  nous 
n'avons  pas  fin-  les  ouvrages  des  an- 
ciens Peintres  de  la  Grèce,  le  femiment 


:,-,zf-„  Google 


pir  la  Poifit  ùfur  la  Peinture.  39I 
iâe  perTonne  qui  ait  vu  les  ouvrages  de 
nos  Peintres  modernes.  Nous  ne  fça- 
vons  pas  même  quelle  comparaifon  on 
pouvoit  faire  autrefois  entre  les  frag- 
mens  de  la  peinture  antique  qui  nous 
reftent,  &  les  beaux  tableaux  des  Pein- 
tres de  !a  Grèce  qui  ne  AibliAent  plus. 
Les  Ecrivains  modernes  qui  ont  trai- 
té de  la  peinture  antique,  nous  rendent  - 
plus  fçavans  ,  fans  nous  rendre  plus 
capables  de  juger  la  queftion  de  la  fu-  ' 
périorité  des  Peintres  de  l'antiquité 
îîir  les  Peintres  modernes.  Ces  Ecri- 
vains fe  font  contentés  de  ramaffer  les 
ftalTages  des  Auteurs  anciens  qui  par- 
ent de  la  peinture ,  &  de  les  commen- 
ter en  Philologues ,  fans  les  expliquer 
par  l'examen  de  ce  que  nos  Peintres 
font  tous  les  jours ,  &  mêmes  fans  ap- 
pliquer cespàfTages  aux  morceaux  de 
la  peinture  antique  qui  fubfîftent  en- , 
core.  Je  penfe  donc ,  que  pour  fe  for- 
mer une  idée  auflî  diftinûe  de  la  pein- 
ture antique  qu'il  foit  poffible  de  l'a- 
voir ,  il  feut  confidérer  féparément  ce 
eue  nous  pouvons  fçavolr  de  certain 
ftir  la  compofition ,  fur  l'expreffion  ÔC 
fur  Je  coloris  des  Peintres  de  l'Anti- 
quité. 


....Google 


J^  Réfitxîons  critiques 

Noos  avcMis  cm  à  pr<^s  dans  cet 
ouvrage   de  divifer  l'ordonnance    ea 
compolîtion  Pittorefque  &  en  compo- 
Étion Poétique.  Quant  à  lacompofition 
Pïttorelque ,  il  tàut  avoiier  que  dans 
les  monumens  qui  nous  reflent,  les 
■  Peintres  anciens  ne  paroiffent  pas  fu- 
périeurs  ,  ni  même  égaux  i  Raphaël , 
à  Rubens ,  à  Paul  Veronefe  ,  m  à  M. 
le    Bnui.    Suppofé    que'  les  Anciens 
ii*ayent  fait  rien  de  mieux  dans  ce  gen- 
re que  les  bas-reliefs ,  les  médailles  & 
les  peintures  qui  nous  font  demeurées , 
ils  n'ont  pas  égalé  les  Modernes.  Pour 
ne  point  parler  des  autres  déiàuts  des 
Compofiteujs  ancienG  ,    leur  perfpec- 
tive    ell     ordinairement     manvaiiè. 
Monfieur  de  la  Chauffe  (a)  dit,  en 
parlant  du  payfage  des  Thermes   de 
Titus  :  Da  quejîa  Pitturafi  co^iofu  cht 
gli  AnticM  fono  fiaù  altretanto  infeUd 
ntUtfprofptttiva  j  cA*  iruditi  luldiJigTW, 
.    Quant  à  la  compolition  Poétique^ 
les  Anciens  fe  piquoient  beaucoup  d'ex- 
celler dans  fes  inventions  y  &  comme 
ils  étoient  grands  defHnateurs  ,    ils 
avoient  toutes  fortes  de  fedlité  poiu  y 
téuffir.  Pour  dernier  une  idée  du  pro^ 

i3)  fittur,  Ânsick.  p.  il> 


■,r  ..Google 


fur  ta  Po'ifie  &furlaPeîatar€,  39} 
grès  que  les  Anciens  avoïene  faits  dans 
cette  partie,  de  la  peinture  qui  com- 
prend le  grand  art  des  exprefllons  ,' 
nous  rapporterons  ce  qu'en  diient  les 
Ecrivains  de  l'Antic|uite.  De  toutes  les 
parties  de  la  peinture  ^  la  .compofitiofi 
Poëtiqtie  eft  celle  dont.il  ed  plus  facile 
^  donner  une  idée  avec  des  paroles*' 
Ceiï  celle  qui  fe  décrit  le  mieux. 
.  Pline ,  qui  nous  a  parlé  de  la  pein- 
ture encore  plus  méthodiquement  que 
les  autres  Ecrivains  ,  compte  pour  un 
grand  mérite  dans  un  Artiun ,  tes  ex-  ' 
preâions  &  les  autres  inventions  poé- 
tiques. 11  eÀ  fenfitde  ,  par  fes  récits  , 
que  cette  partie  de  l'art  étoit  en  hon- 
neur chez  les  Anciens ,  &c  qu'elle  y 
étoit  cidtivée  autant  que  dans  TEcoIe 
Romaine,  Cet  Auteur  raconte  comme 
tm  point  d*hiâoire  important  v  que  ce 
fut  unThebain,  nommé  Ariftide,  qui 
iît  voir  le  premier  qu'on  pouvoit  pein- 
dre les  mouvemens  de  l'ame ,  &  qu'il 
étoit  poffible  aux  hommes  d'exprimer 
avec  des  traits  &  des  couleiu-s  les  î^a- 
timens  d*uneiîgure  muette ,  en  im  mot , 
qu'on  pouvoit  parler  aux  yeux.  Pline 
parlant  encore  d'un  tableau  d'AriAide 
qui  repréfeatoitimefeDune  percée  d'uB 
Rv 


:,-,zf-,GoOglc 


394  Kifltxhns  criâqaù 

coup  de  poignard,  &  dont  l'en^nt  (û' 
çoit  encore  la  maouneUe ,  s'énonce 
avec  autant  de  goût  &  de  fentûneot 
que  Rubeos  l'aurtùt  pn  faire  ^  en  -par- 
tant d'un  beau  tablean  de  Raphaël.  On 
voit,  dit-il",  furie  vifage  de  cette  fem- 
me ,  abbatue  dqa  &  dans  ^es  fymptô- 
jnes  d'une  mc^  prochaine  ,  les  fenti- 
mens  les  plus  vi&  &  tes  foins  les  plus 
eniprefles  de  !a  tendr^e  maternelle. 
L3  crainte  que  fon  eniànt  ne  ic^  mal 
en  liiçant  du  fangauiieu  de  lait.,  ét<Mt 
fi  bien  marquée  fiir  le  vifage  de  la 
mère ,  tonte  l'attitude  de  fon  corps  ac- 
compagnoit  &  bien  cette  expreffion, 
qu'il  étoit  âcile  de  comprendre  quelle  - 
penfée  occapoit  la  mourante. 

On  ne  parte  pas  de  l'expreffion  anffi 
bien  que  Pline  Se  les  autres  Ecrivains 
de  l'Antiquité  en  ont  parlé ,  quand  on 
n*a  pas  vu  urt  grand  nombre  de  taHeaux 
excellens  dans  cette  partie  de  la  pein- 
ture. D'ailleurs  il  felloît  bien  que  dej 
ilatuës  3  où  il  fe  trouve  une  expreflion 
aufîi  fçavante  &  anffi  correâe  que 
celle  du rtaocoon,  du- Rotateur,  &c. 
rendiffentles  Aaciehs  connoiffeiu^, & 
mêmes  difficiles  far  l'expreffion.  Les 
Anciens,  qui  outre  les  flatuës  q^ue  i'ai 


:,-,zf-„  Google 


'fur  la  Poëfie  &fuTlaPàmurt.  39c 
fcitées  »  avoient  encore  une  Inanité 
d'autres  pièces  de  comparaifon  excel- 
lentes ,  ne  pouvoient  pas  fe  tromper 
«n  jugeant  de  Texpreffion  dans  les  ta- 
bleaux ^  ni  prendre  le  médiocre  en  ce 
genre  pour  l'exquis.  - 
Nous  lifons  encore  dans  Pline  un  grand 
nombre  de  &its  &  plufienrs  détails  , 
flui  prouvent  que  les  Peintres  anciens 
le  [ûquoient  d'exceller  dans  l'expref- 
fion ,  du  moins  autant  que  les  Peintres' 
«le  l'Ecole  Romaine  fe  font  piques  d'y 
exceller.  La  plupart  des  louanges  que, 
les  Auteurs  atuiiens  domient  aux  ta- 
bleaux dont  ils  parlent,  ibnt  l'éloge  de 
Fex[aeflîon.  C'eft  par-là  qu'Aufonne 
vante  la  Médée  de  Timomache  ^  oh 
Mëdée  étoit  peinte  dans  l'inAant  qu'elle 
levoitfe  poiaiarcl  fur  fes  enfiins.  On 
voit ,  dit  le  Poëte ,  la  ra^e  &  la  com- 
paffion  mêlées  enfemblemrfon  vifage.' 
A  travers  la  fiireur  qui  va  commettre 
un  meurtre  abominable ,  on  apperçoit 
encore  des  reÛes  de  la  tendreue  ma- 
ternelle. 

fiB^tra  afftltia»  mirrîi  nt  aiaBîgaa'i' 

tttJiiltflUtr/ma  ,  tnifiietip. nm eamrfi g 

Mtautiam  ridietucfiiaàbwart. 

Kvj 


:,-,zf--„GoOglc 


■356     ■     Rifextons  critiqua 

On  fçait  avec  quelle  afiefHon  Plinâ 
vante  le  trait  ingénieux  de  Tintante^ 
qui  peignit  Agamemnon ,  la  tête  vm- 
lee  au  lacti^ce  à'ipbîzémt  y  pour  mar* 
quer  qu'il  n'avoit  ofé  tenter  d'expri- 
mer la  douleur  du  père  de  cette  jetus 
Viâime;  Qùîntilien  parle  de  cette  in* 
vcrttion  f  comme  Pline  ,  fie  i^ufieiin 
Ecrivains  de  l'Antiquité  en  parlent  corn* 
me  Quintilien  (a),  l/t/ic  t  Timarukes..i 
Nam  cum  in  Ipkigtms  immolaiione  pui' 
xijfet  trifiem  Calckaneem ,  trijiiortm  C/âfi 
ftm,  addidiffit.  Mintlao  quem  fummam 
poterat  efficert  aft  mœronm  :  toa/ùmpâl 
affeSibas ,  non  npoiens  quo  digai  moh 
patris  vultum  pojftt  txpnmtn  ,  velavil 
ejus  caput ,  ùfuo  cuique  anima  dédit  afii- 
-mandum.  C'eft  un  trait  qu'il  proi»ie 
pour  modèle  aux  Orateurs. 

Lucien  décrit  (^)  avec  admiration 
une  grande  compolition  qui  reprâen* 
toit  le  mariage  d'Alexandre  &  de  Ro- 
xane.  11  eu  vrai  que  ce  tableau  devoit 
furpafler  \  pour  les  grâces  de  l'inven- 
tion &  pour  l'élégance  des  allégories, 
ce  que  i'AIbane  a  fait  de  plus  riant 
dans  le  genre  des  cûmpofitlons  galani 


■„r., Google 


tesi  Roxane  était  couchée  for  ua  Ut, 
La  beauté  de  cette  fîUe^relevée  encore' 
par  la  pndeur  qui  lui  ^IcMt  bailTerles 
yeux  À  l'approche  d'Alexandre  y  fixoit 
Airelle  les  premiers  regards  du  fpe£U' 
teur.   On  la  rec<»inomc»t  iàns  peine 

Cur  la  %Qre  principale  du  tahleaa. 
5  amours  s'en^reflbient  i  la  fervir. 
Les  tuu  prenoieitt  fes  patins,  &  lui 
dtoiem  fes  habits.  Un  »ttre  amour  re- 
lèvent Ton  Toilc ,  aiîn  que  fan  amant  la 
vit  mieux  ;  &  par  un  fourire  qu'il  adre^ 
foit  à  ce  Ptiuce ,  il  le  félidtoit  fur  les 
charmes  de  &  mattrefle.  D'autres 
amours  faiâfibient  Alexandre  ,  &  le  ti- 
rant par  fa  cotte  d'armes^  ils  l'entraî- 
noient  vers  Roxane  dans  la  pofture 
d'un  homme  qui  vouloit  mettre  foit 
diadème  aux  [Heds  deFobjet  defapaA 
fion.  Epheftion  le  confident  de  Tintri-' 
gue  ,  s  appuyoit  fur  l'hymenée ,  pour 
montrer  que  les  fervices  qu'il  avoit 
rendus  i  fon  maître',  avoient  eu  pour 
but  de  ménager  entre  Alexandre  £s 
Roxane  une  union  légitime.  Une  trou- 
pe d'amours  en  belle  humeur  badinoit 
dans  un  des  coins  du  tableau  avec  les 
armes  de  ce  Prince.  L'énigme  n'étoit 
pas  bien  difficile  à  comprendre ,  5c  U 


:,-,zf--„GoOglc 


^9'  TtJ/exîcrtï  cntiquâ 

feroit  à  roiihaiter  que  les  Peintres  tno^ 
deroes  n'euflent  jamais  inventé  d'allé- 
gorie plus  obfcure.  Quelques-uns  de  ces 
amours  ponoient  la  lance  d'Alexandre  ^ 
&  ils  paroiflbient  courbés  fous  un  hi~ 
deau  trop  pefant  pour  eux.  D'autres  fe 
iouoient  avec  ioa  bouclier.  Ils  y 
aroient  fait  afleoir  celui  d'entre  eux 
qui  avoit  iàit  le  coup ,  &  ils  le  portoient 
en  triomphe ,  tandis  qu'un  autre  amour 
qui  s'étoit  mis  en  eînbulcade  dans  la 
cuiiafTe  d'Alexandre  ,  les  attendoit  au 
palTage  pourleur&ire  peur.  Cet  amour 
embmqué  ppuvoit  bien  reffembler  à 
quelqu  autre  maîtrefie  d'Alexandre ,  ou 
bien  à  quelqu'un  des  minîflres  de  ce 
Prince,  qui  avoit  voulu  traverfer  le  ma- 
riage de  Roxane.  Un  Poëte  dîroitqtie 
le  dieu  de  l'hymen  fe  crut  obligé  de 
récompenfer  le  Pôntre  (|ui  avoit  célé- 
bré fî  galamment  nn  de  fes  triomphes. 
Cet  Artiiân  ingénieux  ayant  expolé  fou 
tableau  dans  la  folemnité  des  jeux 
Olympiques,  Pronexides  qui  devoit 
être  on  homme  de  grande  confidéra- 
tion ,  puifque  cette  année-là  il  avoit 
l'intendance  de  la  fête ,  donna  fa  fille 
en  mariage  au  Peintre.  Raphaël  n'a 
pa$  dédaigné  de  crayonner  le  fujet  dé^ 


:-„r., Google 


fur  la  Poëfit  &fur  la.  Pùmure.  jj  J 
krit  par  tucien.  Son  deiïein  a  été  gra- 
vé par  un  des  difcipies  du  célèbre  Marc- 
Antoine, 

L'Auteur  (<i)  Spirituel ,  de  qui  j'em- 
pnmte  cette  niftoire  ,  vante  encore 
prîncipatement  îa  conrpofition  poétique 
d'un  tableau  de  Zeuxis ,  repréfentant  la 
£a^1itled^m  Gemaure.  Mais  il  efl;  fuper- 
flu  de  citer  davantage  les  Ecrivains  de 
l'Antiquité.  Qui  p«ut  douter',  après 
avoir  vit  l'expreffion-  des  figures  du, 
Grouppe  detaocoon,  que  les  Anciens 
n'ayent  excellé  dans  fart- qui  fçait  don- 
ner une  ame  au  marbre  &  au  bronze  ,  ' 
&  qui  fçait  prêter  la  parole  au»  cou- 
leurs. 11  n'y  a  point  d'amateur  des  beaux 
Arts  qui  n  ait  vu  de*  ctTpies  d«  moins 
de  la  figure  d'un  Gladiateur  expirant, 
laquelle  étoh  autrefois  à  la  Vigne  Lu- 
dovife,  &  qu'wï  a  vue  depuis  au  Pa- 
lais Clugr.Ce  tnalheureax^bleiTé  à  mort 
d'un  coup  d'épée  à  travers  le  corps ,  elî 
affis  à  terre ,  &  il  a  encore  la  force  de 
fe  foutenir  fur  le  bras  droit.  Quoiqu'il 
aille  expirer,  on  voit  qu'il  ne  veut  pas 
s'abandonner  à  fa  douleur  ni  à  fa  dérail- 
lance  ,  &  qu'il  a  encore  l'attention  à 
ia  contenance ,  que  les  Gladiateurs  Te 

(>}  LucitndMifoaZfunn 


■,r  . .Google 


400  Rcfitxîons  erin^us 

piquaient  de  conferver  dans  ce  AineAtf 
moment.  Il  ne  craint  point  de  mourir  ; 
il  craindroit  de  faire  une  grimace  (^}* 
,  Quis  mtéiacris  GlaJiator  ingemtùt ,  quis 
vidtum  mutavU  unquam ,  quis  nom  maJA 
fiuit ,  verumttiam  detuhait  turpittr  ,  dît 
Ciceron  dans  l'endroit  où  il  nous  ra- 
conte tant  de  chofes  merr^lleufes  fiir 
la  fermeté  de  ces  m^heurenx.ïe  reviens 
au  Gladiateur  expirant.  C'eâunbommc 
qui  fe  meurt ,  mais  qui  vient  de  rece- 
voir le  coup  dont  il  meurt.  On  fent 
donc  que,  malgré  ta  force  qui  lui 
relie,  ]I  n'a  plus  qu'un  moment  îhreP- 

Firer,  &  l'on  regarde  longtems  dam 
attente  de  le  voir  tomber  en  expirant. 
Qui  ne  connoît  pas  le  Grouppe  célè- 
bre qu'on  voit  encore  à  la  V^ne  Ludo- 
vife ,  &  qui  repréfej*e  un  événement 
célèbre  dans'  THiftoire  Romaine  ,  Ta- 
ventiu-e  du  jenue  Papirius.  (*)  Tout  le 
-  monde  fçait  que  cet  en&nt  étant  un  jour 
demeuré  auprès  de  fon  père  diuantune 
aflemblée  du  Sénat ,  la  mère  hùlît  plu< 
fieurs  quelHons  à  la  fortie  ;  pour  fça- 
voir  ce  qiù  s*y  étoit  dit,  clioft  qu'el- 
le n'efpéroit  pas  d'af^rendre  <ie  foa 

(a)  Gctr.  Tafcvl.  Qu.  1. 1. 

(b)  Aid.  G<U,  lib.  pim,  (.  1, 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  iaPocJîtO  fur  la  Peinture:  40 1 
mari,  les  Romains  étant  encore  auffî 
peu  polis  qu'ils  Tétoient  alors.  La  mère' 
ne  put  jamais  tirer  de  fon  fils  qu'une 
réponfe ,  laquelle  ne  lui  permettoii  pas 
de  douter  qu'il  n'éludât  fa  ciu'ioiité. 
X-e  Sénat ,  répondit-il ,  conftamment , 
a  délibéré  fi  l'on  donneroit  deux  fem- 
mes à  chaque  mari  ,  ou  deux  maris  à 
chaque  femme.  Cet  incident  a  donné 
lieu  au  proverbe  latin ,  Curiat  capax 
Prettexta^  qu'on  employé  en  parlant 
d'un  enfant  qui  a  beaucoup  plus  de  dis- 
crétion qu'on  n'en  doit  avoir  à  fon 
âge.  . 

Aucun  lentiment  ne  ftit  jamais  mieux 
exprimé  que  la  curiofité  de  la  mère  du 
jeune  Papirius.  L'ame  de  cette  femme 
paroit  Être  toute  entière  dans  fes  yeux 
qui  percent  fon  fils  en  le  careflant.  L'at- 
titude de  toutes  les  parties  de  fon  corps 
concourt  avec  fes  yeux ,  &  donne  à 
connoître  ce  qu'elle  prétend  faire.  D'u- 
ne main  elle  careiTe  fon  61s ,  Se  l'autre 
main  ell  dans  la  contraction.  C'eA  un 
mouvement  naturel  à  ceux  qui  veulent 
réprimer  les  lignes  de  leur  inquiétude 
prêts  à  s'échapper.  Le  jeune  Papirius 
répond  à  fa  mère  avec  une  complai- 
faoce  apparente  j  mais  il  eft  fenubls 


:,-,zf--„GoOglc 


401  Rifitxîons  criùques 

que  cette  comptaifance  n'eftqu'afledée.' 
Quoique  Ion  air  de  tête  foît  naïf,  fjuoî- 
que  fon  maintien  paroiffe  ingénu  ,  on 
devine  à  fon  fourire  malin ,  qui  n'efl 
pas  entièrement  formé  ,  parce  que  le 
refoeâ  le  contraint ,  comme  au  mou- 
yement  de  Tes  yeux  fenfiblement  gêné, 
que  cet  enfant  veut  paroître  vrai ,  mais 
qu'il  n'eft  pas  fincere.  On  voit  qu'il 
promet  de  dire  la  vérité  ,  &  on  voit 
en  même  tems  qu'il  ne  la  dit  pas.  Qua- 
tre ou  cinq  traits  que  le  Sculpteur  a 
fçu  placer  à  propos  for  fon  vîfage  ,  je 
ne  fçai  quoi  qu'on  remarque  dans  l'ac- 
tion de  tes  mams ,  démentent  la  naïve- 
té &  la  fincerité  qui  paroitTent  d'ail- 
leurs dans  fon  gefte  &  for  fon  vi- 
dage. . 

On  peut  donner  les  mêmes  louan- 
ges à  la  figure  nommée  ordinairement 
le  Rotateur  ou  l'Aiguifeur,  déterrée"  à 
Rome ,  &c  transportée  depuis  foixante 
ans  à  Florence ,  oîi  l'on  peut  la  voir 
dans  le  cabinet  de  fon  AltefTe  Royale. 
Cette  figure  repréfente  l'efolave  ,  qui  ' 
fuîvant  le  récit  de  Tite-live  ,  (a)  en- 
tendit par  hazard  le  projet  que  feifoient 
les  fils  de  Brutus  ,  pour  rétablir  dans 

.    W  Ub.i,  wp.-». 


:,-,zf--„GoOglc 


[^r laPoêJte  &fur  la  Pelncun.  403 
Home  les  Tarqiiins ,  &  qiii  faiiva  la 
République  naiuante,  en  révélant  leur 
conjuration  au  Conful. 

Tttdita  laxJxua  pontmm  cIiujTni  Tyrannit 
Exulibui  j  juvcnti ipjïia  Cinfu'.ii  Cy  quoi,  (fct 
Ociutu  ad  PatrfsproiiaU  ciimiiiafimi. 
Mitnnh  lupaisit.  (1) 

Les  peribnnes  les  moins  attentives  - 
remarquent,  en  voyant  làftatue  dont 
je  parle  ,  que  cet  efclave  qui  fe  cour- 
be ,  &  qui  (c  montre  dans  la  polhire 
convenable  pour  aiguîfer  le  fer  qu'il 
tient,  afin  de  paroître  uniquement  oc- 
cupé de  ce  travail ,  eA  néanmoins  dîf- 
trait ,  &  qu'il  donne  fon  attention  ,  ' 
non  pas  à  c&  qu'il  femble  faire ,  mais  à  ' 
ce  qu'il  entend.  Cette  diftraâion  eft 
feniiole  dans  tout  fon  corps ,  &  princi- 
palement dans  fes  mains  &  dans  fa 
tête.  Ses  doigts  font  bien  placés ,  com- 
me ils  le  doivent  être  ,  pour  péfer  fur 
le  fer ,  &  pour  le  preffer  contre  la  pier- 
1%  k  aiguiier  ;  mais  leur  aâion  eft  fuf- 
pendue.  Par  im  gefte  naturel  à  ceux 
j3ui  écoutent  en  craignant  qu'on  ne 
s  apperçoive  qu'ils  prêtent  l'oreille  à 
ce  qu'on  dit ,  notre  efclave  tâche  de 

-  f»)  Jartittî.  Sitt  h 


.Cooglc 


404  Réflexions  erutques 

lever  affez  la  prunelle  Je  fes  yeuit  pour 
appercevoir  l'on  objet  ians  lever  la  tè- 
te ,  comme  il  la  leveroit  naturellement , 
s'il  n'étoit  pas  contraint. 

Le  talent  du  delfein  donne  de  gran- 

-  des  facilités  pour  réufïïr  dans  les  ex- 
preflîons.  Or  il  Tuffit  de  voir  T  Antinous  , 
la  Venus  de  Médicis ,  &  pUifieurs  au- 
tres monumens  de  l'antiquité,  pour 
être  convaincu  que  les  anciens  fça- 
volent  du  moins ,  auffi-bien  que  nous , 
deâîner  élégamment  &  correâemeiit. 
Leurs  Peintres  avoient  même  plus 
d'occalions  que  les  nôtres  n*en  peuvent 
avoir ,  d'étudier  le  nud  ;  &  les  exer- 
cices qui  étoient  alors  en  ufage.pour 
dénouer  &  pour  fortifier  les  corps ,  les 
dévoient  rendre  mieux  conformés  qu'ils 
ne  le  font  aujourd'hui.  Rubens  ,  dans 
lin  petit  Traité  Latin  que  nous  avons 
de  lui  fur  l'ufage  qu'on  doit  faire  en 
peinture  des  ftatues  antiques ,  ne  doute 
point  que  les  exercices  en  ufage  chez 
les  Anciens,  ne  donnaffent  aux  corps 
une  perfeâion ,  à  laquelle  ils  ns  par* 
viennent  guéres  aujourd'hui. 

Comme  le  tems  a  éteint  les  couleurs, 
&  confondu  les  nuances  dans  les  frag- 

,  jnens  qui  nous  reftent  de  la  peintur» 


■,r  ..Google 


fur  la  Poîfit  &fur  la  Peinture.    40^ 
antique  faite  au  pinceau ,  nous  ne  fçau- 
rions  juger  à  quel  point  les  Peintres  de 
l'Antiquité  ont  excellé  dans  le  coloris  , 
ni  s'ils  ont  égalé  ou  furpaflTé  les  grands 
Maîtres  de  l'ÎÉcole  Lombarde  dans  cette 
aimable  partie  de  la  peinture.   Il  y-  a 
plus.  Nous  ignorons  u  la  Noce  delà 
Vigne   Aldom-andine  ,   &  les  autres 
morceaux  ,  font  dhm  grand  Colorifte 
ou  d'un  Ouvrier  médiocre  decestems-- 
là.  Ce  qu'on  peut  dire  de  certain  fur 
leur  exécution ,  c'eft  qu'elle  eft  très- 
hardie.  Ces  morceaux  parciffent  l'ou* 
vrage  d'Artîfans ,  autant  les  Maîtres 
de  leurs  pindeaux ,  que  RiUiens  &  que 
Paul  Veronefe  l'étoient  du  'leur.  Les 
touches  de  la  Noce  Aldobrandine  qui 
font  très-heurtées,  &  qui  paroiffent 
mêmes  groflieres ,  quand  elles  font  vues 
de  près  ,  font  un    effet  merveilleux 
quand  on  regarde  ce  tableau  à  la  dif- 
tance  de  vingt  pas.  C'étoit  apparôm- 
pient  de  cette  diftance  qui'I  étoit  vu 
.  fur  le  mur  oîi  le  Peintre  l'avoît  fait. 
Il  femble  que  les  récits  de  Pline  & 
ceux  de  plufieurs  Auteurs  anciens  duf- 
fent  nous  perfuader  que  les  Grecs  &  les 
Romains  excc-Uoient  dans  le  coloris  ; 
mais  avant  que  de  fc  laifler  perfuader. 


4o6  RéfUx'ions  critiques 

il  Eut  faire  réflexion  que  les  hpmmei 
parlent  ordioatremeot  du  coloris  par 
rapport  à  ce  qu'ils  peuveitt  avoir  vu. 
Le  Colorifte  qui  aura  mieux  réuffî  que 
tous  les  autres  Coloriûes  qui  feront 
veuus  jufques  au  tems  d'un  Hiilorien 
qui  parlera  de  l'état  où  la  peinQu-e  fe 
trouve  de  fes  jours ,  fera  cité  par  cet 
HiAoTÎen  pour  le  plus  grand  Colorifie 
qui  puifle  être ,  pour  un  homme  dont 
la  Nature  même  eft  jaloufe.  M^is  ii 
arrive  des  tems  dans  la  fuite  où  l'on 
îaiit  mieux  qu'on  avoît  encore  &it.  Le 
Colorifte  divin  des  tems  palTés,  celui 
que  le»  Ecrivains  ont  tant  vanté  ,  de* 
vient  un  artifan  ordinaire  en  comparât- 
fon  des  nouveaux  Artifans.  On  ne  fçau- 
roit  décider  notre  queûion  ûir  des  rér 
cits.  n  faut  pour  la  juger ,  avoir  dej 
pièces  de  comparaifon.  Elles  nous  nunr 
quenL 

On  ne  fçauroit  former  un  préjugé 
contre  le  coloris  des  Anciens ,  de  oe 
qu'ils  ignoroient  l'invention  de  dé- 
tremper les  couleurs  avec  de  l'huile, 
qui  ml  trouvée  en  Flandres,  il  n'y  a 
guéres  plus  de  trois  cens  ans.  On  peut 
très-bien  colorier  en  peignant  à  fret 
•gue.  La  MeiTe  du  pape  Jules  >  un  our 


.Cookie 


7î/r  ta  Poèjù  &fur  U  Peinture.  407 
Trage  de  Raphaël  dont  nous  avons  dé- 
jà vanté  le  coloris.^  eft  peinte  à  fref- 
que  dans  Tappartemem  de  la  Signature 
au  Vatican. 

Quant  au  clair-Kîbfcur  &  à  la  diftrî- 
fcution  enchanterefle  des  lumières  & 
des  ombres ,  ce  que  Pline  £c  les  autres 
Ecrivains  de  l'Antiquité  en  difent ,  eft 
fi  pofitif,  leiu-s  récits- font  fî  bien  cir- 
conflanciés  &  fi  vraiferablables ,  qu'on 
ne  fçauroit  difconvenir  que  les  Anciens 
n'égalaflent  du  moins  dans  cette  par- 
tie dsTArt,  les  plus  grands  Peintres 
modernes.  Les  paflages  de  ces  Auteurs 
que  nous  ne  comprenions  pas  bien  , 
fjuand  les  Peintres  modernes  ignôroient 
encore  quels  preAiges  on  peut  faire 
avec  le  fecours  de  cette  magie ,  ne  font 
plus  £  embrouillés  &:  fi  difficiles ,  de- 
puis que  Rubens ,  fes  élevés  ,  Polidore 
de  Caravage ,  &  d'autres  Peintres ,  les 
ont  expliqués  bien  mieux ,  les  pinceaux 
à  la  main  ,  que  les  commentateurs  les  . 
plus  érudits  ne  le  pouvoient  faire  dans 
des  livres. 

Il  me  paroit  réfulter  de  cette  difcuf- 
fion  «  que  les  Anciens  avoient  pouflé  la 

fartie  du  deflein ,  du  clair-obfcur ,  de 
expreltîon  6;  de*l)i  ÇQmpoiîtion  pge^ 


-,  Google 


'  4oS  Rêfiexlons  aitiqois 

tique  du  moins  auffi  loin  que  les  Mo- 
dernes les  plus  habiles  peuvent  l'avoir 
lait.  11  me  paroît  encore  que  nous  ne. 
fçaurions  juger  de  leur  coloris ,  mais 
que  nous  connoilTons  fuffiiamment  par 
leurs  ouvrages ,  fuppofé  que  nous  ayons 
les  meilleurs ,  que  les  Anciens  n*ont 
pas  réujC  dans  la  compoiition  jûttoref' 

?Lie  auffi-bien  que  Raphël ,  Rubens , 
aul  Veronefe  ,  &  quelques  autres 
Peintres  modernes. 

Le  ledeur  fe  ibuviendra  de  ce  qui  a 
donné  lieu  à  cette  digreffion  iîir  la  ca- 
pacité des  Anciens  dans  TArt  de  la 
peinture.  Après  avoir  parlé  de  favaiH 
tage  que  les  Poëtes  Latins  avoient  fur 
les  Poëtes  François ,  j'avois  avancé 
que  les  Peintres  des  fiécles  précédeos 
n'avoient  pas  eu  le  même  avantage  fur 
les  Peintres  qui  travaillent  aujoiird^ui, 
ce  qui  m'a  mis  dans  la  néceflité  de 
dire  les  raïfons  pour  lefquelles  je  ne 
comprenois  pas  les  Peintres  Grecs  & 
les  anciens  Peintres  Romains  dans  ma 
prt^lition.  J'y  reviens  donc,  &  je 
dis ,  que  les  Peintres  qui  ont  travaillé 
depuis  la  renaiflance  des  Arts,  que 
Raphaël  &  Tes  contemporains  n'ont 
point  eu  aucun  avantage  fur  nos  Ani- 
fans. 


:,-,zf--„GoOglc 


JurïaPoiJîe  SffurlaPàrkure.  409. 
fens.  Ces  derniers  fçavent  tous  les  l'e- 
crets ,  ils  connoiflent  tenues  les  cou- 
leurs dont  les  premiers  fe  font  fervis. 


SECTION    XXXIX.      . 

En  quel  fias  on  peut  dire  que  U  Nature  fi 
'    .foit  ewichie  depuis  Raphaël. 

A  U  contraire  les  Peintres  qui  tra- 
vaillent aujourd'hui  y  tirent  plus  de  fe- 
cours  de  l'Art,  que  Raphaël  Se  (es 
cont-emporains  n'en  pouvoient  tiier. 
Depuis  Raphaël,  l'Art  &la  Nature  fc 
ibnt  perfeâionnés  ;  &  fi  Raphaël  reve- 
noit  au  monde  avec  fes  talens ,  il  fe- 
roit  mieux  encore  qu'il  ne  l'a  pu  taire 
danc  le  tems  oiiladefiinée  l'avoit  pla- 
cé-» au  lieu  que  Virgile  ne  pourroit 
point  écrire  un  Poëme  épique  enFran- 
çois ,  aufïï-hicn  qu'il  l'a  ecrît  en  La- 
tin. L'Ecole  Lombarde  a  porté  le  co-. 
loris  à  une  p«rfeâion  où  il  n'avoït  pas 
encore  atteint  du  vivant  de  Raphaël. 
L'Ecole  d'Anvers  a  fait  encore  depuis 
lui  plufieurs  découvertes  fur  la  niaeie 
du_clair-obfcur.  Michel-Ange  de  Ca- 
Temc  I.  S 


:,-,zf--„GoOglc 


410  R  êjlexions  crieiquts 

ravage  Se  fes  imitateurs  ont  auffi.  fait 
fur  cette  partie  de  la  peinture ,  des  dé- 
couvertes excellentes,  quoiqu'on  puif- 
fe  leur  reprocher  d'en  avoir  été  trop 
amoureux.  Enfin  depuis  Raphaël,  la  Na-r 
tiue  s'eft  embellie.  Exphquons  ce  pa- 
radoxe. 

.  Nos  Peintres  connoiflent  préfente- 
ment  une  nature  d'arbres  &  une  na- 
tiu-e  d'animaux  plus  belle  &  plus  par- 
faite  que  celle  qui  fiit  connue  aux  dcr 
vanciers  de  Raphaël  &  à  Raphaël  lui- 
même.  Je  me  contenterai  d'en  alléguer 
trois  exemples  ,  les  arbres  des  Paysr 
Bas  ,  les  animaux  d'Angleterre  &  de 
quelques  autres  Pays:  enfin  les  fruits, 
les  (leurs  &  les  arbres  des  Indes ,  tant 
Orientales  qu'Occidentales. 

Raphaël  &  fes  contemporains  ont 
-vécu  dans  des  ternsoùTAfie  Orientale 
&  l'Amérique  n'étoicnt  pas  encore  dé- 
couvertes pour  les  Peintres.  Un  pays 
n'en  découvert  pour  les  gens  d'une 
certaine  profeflîon ,  ils  ne  fçâuroient 
profiter  de  celles  de  fes  Arhefles  ,  qm 
font  à  leur  ufage  ,  qu'après  qu'il  y  a 
palTé  des  gens  de  leur  profeffion.  Xe 
Bréfil ,  par  exemple ,  étoit  découvert 
pour  les  Marchands  longtems  avantque 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poëfa  &fur  la  Ptimun.  411 
â^être  découvert  pour  les  Médecins. 
Ce  n'-a  été  qu'après  que  Pifon  &  d'au- 
tres Médecins  habiles  ont  été  au  Bré- 
fil  ,  que  les  Médecins  d'Europe  en  ont 
bien  connu  les  ûmples  &  les  arbres. 
De  même  l'Afie  Orientale  &  l'Améri- 
que étoient  déjà  découvertes  pour  les 
Epitiers  &  pour  les  Lapidaires  au  tems 
de  Raphëi  ;  mais  ce  ne  n'eft  qu'après 
lui  que  ces  parties  du  monde  ont  été  dé- 
couvertes pour  les  Peintres  ,  &  qu'on 
en  a  rapporté  les  defleîns  des  plantes  , 
des  fruits  &  des  animaux  rares  qui  s'y 
trouvent ,  6c  qui  peuvent  lervit  à  l'em- 
beiliffement  des  tableaux. 

La  température  du  climat  des  Pays- 
Bas  ,  &  la  nature  du  fol ,  y  font  croître 
les  arbres  plus  près  l'un  de  l'autre, 
plus  droits ,  plus  hauts  &  mieux  gar- 
nis de  feuilles ,  que  les  arbres  de  la 
même  efpece  qui  viennent  en  Grèce, 
en  Italie  &  "môme  en  plufieurs  Pro- 
vinces de  la  France.  Les  feuilles  des 
arbres  des  Pays-Bas  font  non-feulement 
en  plus  grande  quantité  ,  mais  elles  font 
encore  plus  vertes  &  plus  larges.  Ainfi 
les  collines  des  Pays-Bas  donnent 
l'idée  d'un  payfage  plus  vert ,  plus 
frais  &  plus  riant  que  les  collines  d'I- 
talie. S  ij 


-,  Google 


j^li,  Réflexions  eritiquts 

Les  vaches  ,  tes  taureaux ,  les  mou* 
tons  &  même  les  porcs,  ont  en  An- 
gleterre le  corfage  bien  mieux  formé 
qu^ils  ne  l'ont  en  Italie  &  en  Grèce. 
Avant  Raphaël  les  Marchands  Véni- 
tiens ft-équentoient  bien  les  Ports  d'An- 
gleterre ;  les  Pellerins  Anglois  alloient 
bien  à  Rome  en  grand  nombre  gagner 
les  pardons ,  iirais  les  uns  &  les  autres 
n'étoient  pas  Peintres,  &  cequ'ilspon- 
voient  raconter  des  animaux  de  ce 
Pays-là ,  n'en  étoit  pas  un  deffein. 

11  eft  vrai  que  Raphaël  &  fes  cos- 
tempotains  n'etudioient  pas  la  Nature 
feulement  dans  la  Nature  même.  Os 
rétndioient  encore  dans  les  ouvrages 
des  Anciens.  Mais  les  AncienseuxTinèr 
mes  ne  connoiiToient  pas  les  arbres  fic 
les  Animaux  dont  nous  venons  de  parr 
1er.  L'idée  de  la  belle  Nature  que  les 
Anciens  s'étoient  formée  (va  certains 
arbres  ^  fur  certains  animaux  y  en  pre^ 
nam  pour  modèles  les  arbres  &  les 
animaux  de  ta  Grèce  &  de  l'Italie, 
cette  idée ,  dis-)e ,  n'approche  pas  de 
ce  que  la  Nature  i>roduit,en  ce  genret 
là.  Pourquoi  les  beauïr  chevaux  anti- 
ques ,  même  celui  iur  lequel  Marc- 
^birele  eft  monté  ,  &  à  qui  Piçrre  d? 


:,-,zf--„GoOglc 


Jur  la  Poejît  &  fur  la  Peinture.  415 
Cortonne  adreHott  la  parole  toutes  les 
fois  qu'il  palToit  dans  la  cour  du  C:ipi- 
tole  ,  en  lui  diiant  par  un  enthoufiafme 
pittorefque  :  Avances  donc  :  nejçais-iu 
pas  tjue  tii  es  vivant  ?  n'ont  pas  les  pro- 
portions auili  élégantes ,  ni  le  coriage 
&c  l'air  auâi  nobles  que  les  chevaux 
que  les  Sculpteurs  ont  faits  depuis 
qu'ils  ont  connûtes  chevaux  du  nord 
de  l'Angieterre,  &  que  Tefpece  de 
ces  animaux  s'eft  embellie  dans  dilfé-; 
rens  pays  par  le  mélange  que  les  Na- 
tions indufirieules  ont  fçu  faire  des 
races. 

■  Les  chevaux  de  Montécavallo ,  par 
la  proportion  vicieufe  de  différentes 
parties  de  leurs  corps,  &  principale- 
ment par  leur  encolure  énorme  ,  font 
Itttié  à-  tous  ceux  qui  connoiflent  les 
chevaiix  d'Angleterre  &  d'Andaloufie. 
L'infcription  mife  fous  ces  chevaux  ^ 
&  qui  nous  affure  que  l'un  eft  l'ou- 
vrage de  Phidias ,  Sc  l'autre ,  l'ouvrage 
de  Praxitèle ,  eft  une  impofture.  .J'en 
tombe  d'accord.  Mais  il  falloit  néan- 
moins que  les  Anciens  Tes  eftimaflent 
beaucoup ,  puifque  Conftantin  les  fit 
venir  d'Alexandrie  à  Rome  ,  comme 
yok  monument  précieux  dont  il  vou- 
Siij 


:,-,zf--„GoOglc 


'4ï4  Rèfiaàons  ermqias 

toit  oraer  fes  Thermes.  La  vache  ie 
Myron ,  cette  vache  fi  fameufe ,  Sc  que 
les  Pallres  comptoient  pour  une  pièce 
de  leur  bétail,  quand  il  venoit  paître 
autour  d'elle ,  n'approchoit  pas ,  fuivant 
les  apparences,  de  deux  milles  vaches, 

3Lii  lont  aujoiu'd'hui  dans  les  Comtés 
u  nord  d'Angleterre,  puifqu'^elle  étoit 
fi  femblable  à  fes  modèles.  Du  moins 
nous  voyons  certainement  que  les  tau- 
reaux ,  les  vaches  &  les  poixs  des  bas- 
reliefs  antiques  ne  font  point  à  compa- 
rer aux  animaux  de  la  même  eTpece 
que  l'Angleterre  élevé.  On  remarque 
dans  ces  ccmiers  une  beauté  où  l'ima- 
gination des  Artifans  qm  ne  les  avoîeot 
point  vus ,  ne  pouvoit  pas  atteindre. 

Il  faudroit  connoître  le  monde  pref- 
qu'aufÏÏ  bien  que  l'Intelligence  qui  l'a 
créé ,  &  qui  a  décidé  de  fon  arrange- 
ment ,  pour  imaginer  la  perieâion  où 
la  Nature  eft  capable  d'arriver  à  la  fa- 
veur d'une  combinaifoB  de  halàrds  fe- 
Torables  à  fes  produâions ,  &  de  cîr- 
conftances  heiireufes  dans  leur  nutri- 
tion. Les  connoiâances  des  hommes 
fur  la  conformation  de  l'Univers  ,  étant 
auffi  bornées  qu'elles  le  font ,  ils  né 
peuvent ,  en  prêtant  à  la  Ntfure  les 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  Poijlt  ^fur  laPànttin.  41  ç 
beautés  qu'ils  imaginentjl'annoblir  dans 
leurs  inventions  autant  qu!elle  fçait  Tan- 
noblir  elle-même  à  la  faveur  de  certai- 
nes conjonûur es. Souvent  leur  imagina- 
tion la  gâic,  au  lieu  de  la  perfeflionner. 
Ainii  tant  que  les  hommes  découvri-" 
ront  des  pays  inconnus ,  &  que  les  ob- 
fervateyrs  pourront  leur  en  apporter 
de  nouvelles  richefles ,  il  fera  vrai  de 
dire  que  la  Nature  ,  confidérée  dans  les 
portefeuilles  des  Peintres  &  des  Sculp- 
teurs ,  ira  toujours  en  fe  perfeÛtonnant. 


SECTION     XL. 

SI  U  pouvoir  de  la  Peinture  fur  Us  hommes^ 
tfi  plus  grand  que  le  pouvoir  de  la  Poéfie* 

J  E  croîs  que  le  pouvoir  de  la  PeinJ 
ture  eft  plus  grand  fur  les  homînes ,  qua 
celui  de  la  Poëfie ,  &  j'appuie  mon  fen- 
ttment  fur  deux  raifons.  La  première  eft 
que  la  Peinture  agit  fur  nous  par  le 
moyen  du  fens  de  la  Tuë.  La  féconde 
eft  que  la  Peinture  n'employé  pas  des 
fignes  artificiels,  ainfi  que  le  fait  la 
Foëûe  f  mais  bien  des  lignes  naturels, 
Siy 


..Google 


4r6  RcfUx'ums  cndques 

C'eft  avec  des  fignes  naturels  qii&  la 

Peinture  fait  fes  imitations. 

'.    La  Peinture  fefert  del'œilpouinous 

émouvoir.  Or  ,  comme  le  dit  Horace  , 

Sri' (liai  trr'i-.aaz  ininwt  dtm'ffa  per  aurcn  , 
Quim  ju«/un(  acuHifubjtaafiiihtiit. 

La  vaë  a  plus  d'empire  fur  l'^ne  que 
les  autres  fens.  La  vue  eft  celui  des 
■fens  en  qui  l'atae  ,  par  an  inftinâ:  que 
l'expérience  fortifie ,  a  le  plus  de  con- 
tiance.  C'eil  au  fens  de  la  vue  que  Fa- 
mé appelle  du  rapport  des  autres  fens , 
lof  fqa  elle  foupçonne  ce  rapport  d'être 
infidèle.  Ainfi  les  bruits  &  même  les 
fons  naturels  ne  nous  affe&env  pas  k 
proportion  des  objets  vilibles.  Par 
exemple,  les  cris  d'un  homme  U'ejfé 
que  nous  ne  voyons  point ,  ne  nous 
affeâent  pas ,  bien  que  nous  ayons  con- 
noiffance  du  iiijet  qui  lui  fait  jetter  les 
cris  que  nous  entendons ,  comme  nous 
affeâeroit  la  vue  de  ion  fang  Se  de  & 
bleffure.  On  peut  dire  ,  métaphorique- 
ment parlant ,  que  l'ceU  ell  plus  près 
de  l'ame  que  l'oreillç. 

i'n  fécond  lieu  ,  les  fignes  que 
la  Peinture  employé  ,  pour  nous 
parler,  ne  font  pas  des  fignes   arbï: 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poïjlt  &  fur  la  Peinture.  4 1  f 
Iraires  &  inftïtucs  ,  tels  r[iie  font  les 
mots  dont  la  Poiifie  (e  (en.  La  Pointure 
employé  des  figues  naturels  dontl'éner- 
gie  ne  dépend  pas  de  réducatïon.  Ils 
tirent  îeiir  force  du  rapport  que  laN^a- 
ture  eilc-mème  a  pris,  foin  de  mettre 
entre  les  objets  extérieurs  &  nos  or- 
ganes, afin  de  procurer  notre  conier- 
vation.  le  parle  peut-être  mal ,  quand 
je  dis  que  la  Peinture  employé  des  fi- 
cnes  T  c'eft  la  Nature  elle-même  que  la 
Peinture  met  fous  nos  yeux.  Si  notre 
efprit  n'y  eft  pas  trompé,  nos  fens  dit 
moins  y  foiit  abufés.  La  figure  des  ob- 
jets ,  leur  couleur,  les  reflets  de  la  lu- 
mière ,  les  Mnbres ,  enfin  tout  ce  que 
l'œil  petit  appercevoir  ,  fe  trouve  dans 
un  tableau  comme  nous  le  voyons  dans, 
la  Nature  ;  eDe  le  ptéfente  dans  un  ta- 
bleau fous  la  même  forme  où  nous  la 
.voyons  réellement.  Il  femble  mûme 
^ue  l'œil  ébloui  par  l'ouvrage  d'un 
grand  Peintre  ,croye  quelquefois  apper- 
-cevoir  du  mouvement  dans  fcs  figures. 
Les  vers  les  plus  toucRans  ne  fçau- 
joient  nous  émouvoir  que  par  dégrés  , 
.&  en  faifant  Jouer  plufîeurs  relTorts  d'à: 
notre  machine  les  uns  après  les  autres. 
Les  mots  doivent  d'abord  réveiller  les. 
Sv 


:,-,zf--„GoOglc 


'41 8  Réflexions  aîàqua 

idées  dont  ils  ne  font  que  des  fignes  arï 
bitraires.  It  &ut  enfnite  que  ces  idées 
s'arrangent  dans  Fimagination  ,  & 
qu'elles  y  forment  ces  tableaux  qui 
nous  touchent ,  &  ces  peintures  qui 
nous  îméreffeni.  Toutes  ces  opéra- 
dons  ,  il  eil  vrai ,  font  bientôt  ^tes  ; 
mais  il  eft  un  principe  inconteAable 
dans  ta  mécanique ,  c'eft  que  la  mul- 
tiplicité des  reuorts  afibiblit  toujours 
le  mouvement ,  parce  qu'un  reflbrt  ne 
communique  jamais  à  un  autre  tout  le 
mouvement  qu'il  a  reçu.  D'ailleurs  il 
eft  une  de  ces  opérations,  celle  qui  fe 
fait  quand  le  mot  réveille  l'idée  dont 
n  eft  le  iigne ,  qui  ne  fe  fait  pas  en 
vertu  des  loîx  de  la  Nature,  Elle  eft  ar- 
tificielle en  partie^ 

Ainfi  les  objets  que  les  taWeanx  nous 
préfentent  agilTant  en  qualité  de  lignes 
,  naturels ,  ils  dmvent  agir  plus  promi>- 
tement.  L'impreflion  qu^ls  font  fur 
nous ,  doit  être  plus  forte  &  plus  fou- 
daine  que  celle  que  les  vers  peuvent 
feire.  Quand  nous  lifons  dans  Ho- 
race (a)  la  defcriplion  de  l'Amour  qui 
aiguife  fes  traits  enflannnés  fur  une 
pierre  arrofée  de  fang ,  les  mois  j  dpat 
(aj  Lib.  i.  01.  t. 


fur  la  Poefit  &furU  Ft'mmre:  jfi^ 
le  Poëte  fe  fert  pour  faire  fa  peinture , 
réveillent  en  nous  les  idées  de  toutes 
ces  chofes ,  &  ces  idées  forment  en- 
fitite  dans  notre  imagination  le  tableau 
où  noiïs  voyons  l'Amour  dépêcher  ce 
travail.  Cette  image  nous  touche  ;  mais 
quand  elle  notis  eft  repréfentée  dans  urr 
tableau ,  elle  nous  touche  bien  davan' 
tage.  Nous  voyons  alors  en  un  inftant 
ce  que  les  vers  nous  fontjfeulement 
imaginer ,  &  cela  même  en  plufieurs 
ïnlîaiis.  Ainfi  la  peinture  contenue  e» 
«es  vers , 

Fc.i:s  &  ar^'o- 
Cixt  enterai , 

paroït  en  quelque  façon  une  Tmage  rrorfi 
Telle  à  caix  qui  la  voyent  à  Chantilly 
dans  un  tableau.  Elle  ne  les  avoit  pas- 
encore  frappés  atitant  qu'elle  les  frappe 
alors.  Le  Peintre  s'cu  fervi  de  cette 
image  pour  faire  îe  fond  d'un  tableau  y 
dont  la  princïparc  figtirc  eft  le  portrait 
•d'une  Princeffefortic  du  Sang  de  Fran- 
ce ;  mais  qui  eff  phis  illuftre  aujourd'hur 
dans  la  focîété  des  Nations ,  &  qui  doit 
être  encore  plus  célèbre  dans  l'avenir  y 
par  fa  beauté  ^ue  par  Ton  raoE;  £c  par 


.C.oogic 


E' 


410  RéfiexîoTts  critiques 

ia  naifTance.  On  voit  dans  ce  tableau 
des  Amours  qui  tournent  une  pierre  à 
aiguifer.  Un  autre  Amour  qui  s'eA  pi- 
qué le  bras,  darde  Ton  fang  fur  cette 
Merre  ,  où  Cupidonaffile  des  traits  dont 
le  fer  étincelle. 

Enfin  il  n'y  a  perfonne  qui  n'ait  eu 
Toccafion  de  remarquer  pIufieiu-5  fois 
dans  fa  vie  ,  combien  il  étoit  plus  â- 
cile  de  6iire  concevoir  aux  homme~s 
tout  ce  qu'on  veut  leur  faire  com- 
prendre  ou  imaginer  par  le  moyen  des 
yeux,  que  par  le  moyen  des  oreil- 
les. Le  denein  qui  repréfente  l'élé- 
vation d'un  Palais,  nous  fait  conce- 
voir en  un  inftant  l'effet  de  fa  mafle. 
Son  plan  nous  fait  comprendre  en  un 
moment  la  diftributiin  des  apparte- 
mens.  Un  discours  méthodique  d'une 
heure-,^  quelque  attention  que  nous 
vouluffions  y  donner  ,  ne  nous  le  feroit 
pas  entendre  auffi-bîen  que  nous  le 
concevons  ,  pour  ainû  dire  ,  fur  un 
coup  d'œil.  Les  phrafes  les  puis  nettes 
fuppléent  mal  aux  defTeins;  &  il  eu 
rare  que  l'idée  d'un  bâtiment  que 
notre  imagination  aura  formée ,  mê- 
me fur  le  rapport  des  gens  du  mé- 
tier, fe  trouve  conforme  au  bâtiment. 


...Cooyic 


fuTla.Poe.fit  ùfitrla-Pàxturti  jf^) 
}\  nous  arrive  fouvent^  quand  nous 
voyons  ce  bâtiment  dans  la  fuite  ,  de 
reconnoître  que  notre  imagination 
avoit  conçu  une  chimère.  U  en  eA  de 
même  des  environs  d'une  place  de 
guerre,  dn  campement  d'une  armée, 
d'un  champ  de  bataille  ,  d'une  plante 
Mouvelle,  d'un  animal  extraordinaire, 
d'ime  machine  ,  enfin  de  tous  les  ob- 
jets fur  lefquels  la  curiofité  peut  s'exer- 
cer. Il  faut  des  figures  pour  faire  eni> 
tendre  fiu-ement  &  diuin^temeat  les 
livres  les  pIuS'  méthodiques  qui  traitent 
de  ces  fortes  de  chofes.  L'imagination 
la  plus  fage  forge  fouvent  des  fantômes, 
lorfqu'elîe  veut  réduire  en  tableau  les 
^efcriptions  ;  principalemeat  quand 
. Thomme  qui  prétend  imaginer ,  h  a  ja- 
mais va  des  chofes  pareilles  à  celles 
dont  il  lit  ou  dont  il  entend  ta  defcrij;»* 
tion.  Je  conçois  bien  par  exemple.,' 
que  l'homme  de  guerre  peut ,  fur  une 
defcription ,  fe  former  l'image  d'un- 
certain  afTaut  ou  d'un  certain  campe* 
ment  ;  mais  celui  qui  ne  vit  jamais  ni 
campemens  ni  alTauts ,  ne  peut  s'en 
faire  une  juAe  image  Air  des  relations. 
Ce  n''cft  que  par  rapport  aux  chofes 
que  nous  avons  vues ,  que  nous  pou- 


:,-,zf--„GoOglc 


'4li  RijUxîons  mà^iut 

Tons  imaginer  arec  quelque  préâ&oii 

celles  qu'on  nous  décrit. 

Vitruve  n'a  pas  écrit  fon  livre  de 
l'Architeâure  avec  autant  de  méthode 
&  de  capacité  qu'il  l'a  fait^fans  Vavme 
•écrit  en  même  tems  avec  tonte  la  clar- 
té dont  ion  fujet  eft  fuTceptible.  Ce' 
fondant  il  eft  arrivé  que  les  %ures 
dont  Vitruve  avait  accompagné  tes  ex- 
-ptications  ,  s'étant  perdues  ,  la  plupart 
de  ces  explications  paroïflent  obfcu' 
res  aujourdTiui.  Les  fçavarts  difputem 
donc  fur  le  fens  d'un  grand  nombre  de 
paffages  de  Vitruve  ;  mais  ils  tombent 
■tous  d'accord  que  fon  texte  feroit  clair, 
fînousavionsfes  figures.  Quatre  lignes 
tracées  fur  le  papier,  concilieroieqf 
ce  que  des  volumes  entiers  de  com- 
■mentaires  ne  fçaoroient  accorder.  Les 
Anatomiftes  les  plus  experts  tombent 
auili  d'accord  qu'ils  anroient  peine 
à  concevoir  le  rapport  d'une  nou- 
•Telle  découverte  ,  fi  l'on  ne  joignoit 
ime  figure  à  ce  rapport.  Vn  des 
Proverbes  Italiens,  dont  l'ufage  eft 
le  plus  fréquent ,  efl  qu'on  fait  tout 
■concevoir  à  l'aide  d'un  deffein  ,  d'une 
figure. 

Les  Anciens  prétendoïent  que  leurs 


:,-,zf--„GoOglc 


fiirlaPoëJîe  &  fur  IttPdmurt^  ^| 
i£vimt^s  avoient  été  mieux,  fervie» 
par  les  Peintres  &  par  les  Sculpteurs  ^ 
que  par  tes  Poètes.  Ce  flirent ,  feloa 
eux,  les  tableaux  &  les  ftatues  qui 
condlierent  à  lein-s  dieux  la  vénéra- 
tion des  peuples,  aufquelsils  firent  faire 
attention  fur  les  merveilles  que  les  ' 
Poètes  racontoient  de  ces  dieux.  L% 
iUtue  de  Jupiter  Olympien  fit  ajouter 
j(bi  plus  tellement  a  la  fable  qui  lui 
iàifbit  difpofer  du  tonnerre. 

Si  P'ininm  Ciuj  maquam  piaxijfit  Âppellrl , 
Mtrfi  fui  a^umtit  illti  Uttrtc  aquit.  (i) 

Pour  alléguer  des  faits  plus  pofitifs  ^ 
lorfqu'on  brûla  le  corps  de  Jules  Cefar  , 
il  nV  avoit  perfonne  dans  Rome  qui  ne 
fe  fut  fait  raconter  les  circonfïances.  de 
fatTaffinat  de  Céfar.  Il  n-'eft  pas  croya- 
ble qu'aucun  habitant  de  Rome  igno- 
rât le  nombre  de  coups  dont  Céfar  avoit 
été  percé.  Cependant  le  peuple  fe  eon- 
tentoit  de  le  pleurer.  Mais  tout  ce  peu- 
ple fut  faifî  de  frayeur ,  dès  qu'on  eut 
'  étalé  devant  lui  la  robe  fanglante  dans, 
laquelle  Céfar  avoit  été  mafTacré.  It 
fembloit ,  dit  Quintilien ,  en  parlant 
du  pouvoir  de  l'œil  fur  notre  ame^ 

M  Ovid.  it  Artt  *m.  lib-  i- 


:,-,zf--„GoOglc 


414  Réflexions  emîqjui 

qu*on  affaffinât  aâuellement  Céfar  déî 
Tant  le  peuple  (a).  Stiebatur  interfe3um 
tum.  yejiis  tamenilla  fanguinemadens  ita 
rcpreferttavii  imaglnem  fceUris  ,  uz  non  oc~ 
tijits  ejft  Cajar ,  ftd  tum  maximi  ocçidi  vi~ 
éeretur. 

Dn  tems  des  Romains ,  ceux  qut 
avoient  fait  naufrage  ^  portoient  ,  en 
demandant  l'aumône ,  tm  tableau  ,  dans 
lequel  leiu*  infortune  éloient  repréfen- 
tée ,  comme  un  objet  plus  capable  d'é- 
mouvoir la  compajTion  ,  &  d'exciter  à 
la  charité,  que  les  relations  les  pfus 
pathétiques  qu'ils  pouvoient  faire  de 
leiirs  malheurs.  On  peut  s'en  rapporter 
aux  lumières  &  à  l'expérience  des  hom- 
mes ,  dont  la  fubâftance  dépend  des 
aumônes  de  leurs  cpnciKyyens  ,  fur  les 
voies  les  phis  ï«-crpres ,  fiir  les  moyens 
les  plus  efficaces  d'atteodrijr  le  cœur  h[> 
main. 

On  peut  faire  cxmtremonfentïment, 
ime  objeftion  dont  on  conclueroit  que 
les  vers  touchent  plus  que  les  tableaux. 
C'eft  qu'il  eft  tr^-rare  qu'un  tableau 
faffe  pleurer  ;  &  que  les  Tragédies  font 
fouvent  cet  effet ,  même  fans  être  des 
^hefs-d'œuvres. 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  Poëjîe  &fur  la  Peinture.  41% 
Je  puis  répondre  deux  chofes  à  cette 
obj  eâion.  La  première ,  qu'elle  ne  con- 
clut pas  abfoliiment  en  faveiu'  de  la 
Poëfie.  Une  Tragédie  qu'on  entend  ré- 
citer fur  le  théâtre,  fait  fon  effet  à  l'aide 
des  yeux.  Elle  sik  aidée  par  des  fecours 
crrangers  dont  nous  eîtpoieroiis  tantôt 
le  pouvoir.  Les  Tragédies  qu'on  lit  en 
particulier  ,  ne  font  guéres  pleurer  , 
principalement  ceux  qui  les  lifent ,  fans 
les  avoir  entendu  réciter  auparavant. 
Car  je  conçois  bien  qu'une  lefture  par- 
ticulière qui  n'eft  point  capable  par 
elle-même  de  faire  une  impreffion ,  qui 
aille  jufqucs  aux  larmes  ,  eft  capable 
de  rcnouveller  cette  impreffion,  lorf^ 
qu'elle  a  été  faite  une  fois.  Voilà  mê- 
me, (ïiivant  mon  opinion,  pourquoi 
ceux  qui  n'ont  fait  que  tire  une  Tragé- 
die, &  ceux  qui  ont  entendu  réciter 
la  pièce  fur  le  théâtre  ,  font  quelque- 
fois d'un  fentiment  oppofé  dans  le  ju- 
gement qu'ils  en  portent. 

Je  réponds  en  fécond  Keu  ,  qu*une 
Tragédie  renferme  une  infinité  de  ta- 
bleaux. Le  Peintre  qui  fait  un  tableau 
du  facrifice  d'Iphigénie  ,  ne  nous  repré- 
fente  fur  la  toile  qu'un  inftantde  1  ac- 
tion. La  Tragédie  de  Racine  met  foîi^ 


'4i6  Réfexîoas  eiiâques 

nos  yeux  pluHeurs  inAans  de  cette  ac- 
tion ,  &  ces  differens  incldens  fe  ren- 
dent réciproquement  les  uns  les  autres 
plus  pathétiques.  Le  Poëte  nous  pré- 
lente  {iiccemvement  ,  pour  ainii  dire, 
cinquante  tableaux  qui  nous  condui- 
fent ,  comme  par  dégrés  ,  à  cette  émo- 
tion extrême  ,  qui  rait  couler  nos  lar- 
mes. Quarante  Scènes  qui  font  dans 
une  Tragédie ,  doivent  donc  nous  tou- 
cher-plus qu'une  feule  Scène  peinte 
dans  un  tableau  ne  fçauroit  faire.  Un 
tableau  nerepréfente  même  qu'un  int 
tant  d'une  Scène.  Ainfi  un  poëme  en- 
tier nous  émeut  plus  qu'un  tableau, 
bien  qu'un  tableau  nous  émeuve  plus 
qu'une  Scène  qui  reprêfenteroit  le  mê- 
me événement  ,  fi  cette  Scène  étoit 
détachée  des  autres,  &  fi  elle  étoit 
lue ,  fans  que  nous  euffions  rien  vu  de 
ce  qui  l'a  précédée. 

Le  tableau  ne  livre  donc  qu'un  aflaut 
à  notre  ame  ,  au  lieu  qu'un  poëme  l'at- 
taque durant  longtems  avec  des  armes 
,  toujours  nouvelles.  Le  poëme  eft  long- 
tems à  ébranler  l'ame,  avant  que  de 
la  conduire  a  l'émotion  qui  la  fait  pleu- 
rer. Racine ,  pour  nous  faire  frémir 
d'horreur,  lorfqu'Iphigénie  fera  con^ 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poêfit  &  fur  la  Pànture.  417- 
Alite  à  l'autel  fatal ,  nous  la  peint  ver- 
tueufc  ,  aimable  &  chérie  d  un  amant 
qu'elle  aime.  Ce  Poète  nous  fait  palTer 
par  diSerens  dégrés  d'émotion  ;  &e  pour 
nous  rendre  plus  fenfiblesaux  malheur» 
de  la  viâime,  ilnouslaifTe  même  ima- 
jginer  durant  un  tems  qu'elle  eft  échap* 
pée  au  couteau  du  Sacrificateur. 

Un  Peintre  qui  repréfente  l'inftant 
OÙ  l'on  va  plonger  le  fer  facré  dans 
la  gorge  d'Iphigénie  ,  n'a  pas  l'avanta- 
ge d'expofer  ion  tableau  devant  des 
îpeâateurs  auflî  bien  préparés ,  &  rem- 
plis d'amitié ,  &  d'une  amitié  récente 
pour  cette  PrinceiTe.  II  peut  tout  au 
plus  nous  intéreffer  pour  elle  ;  ma;s  il 
ne  fçauroit  nous  la  rendre  anili  chère 
que  le  Poète  peut  le  faire.  La  grandeur 
4'ame  ,  |ous  les  fentimens  élevés  d'un 
bon  naturel  que  le  Poëte  peut  nrêter 
k  Iphigénie,  nous  affeâionncnrhien 
plus  à  unperfonnagede  Tragédi&,que 
les  qualités  extérieures  dont  unTfein- 
tre  peut  orner  le  perfonnage  d'un  ta- 
bleau, ne  nous  aneûionnent  àceper-» 
fonnage  qui  ne  parle  prefque  pas.  Voi- 
là pourquoi  nous  fommes  plus  émus 
paruntableauque  par  un  poème,  quoi- 
que la  Peinture  ait  plus  d'en^ire  fuc 
BOUS  que  la  Poefie.. 


:,-,zf--„GoOglc 


4t8  RiJUxiom  critiques 

L'efpece  de  parallèle  que  je  viens  de 
faire ,  n'eft  pas  auffi  rempli  d*éruditîoa 
que  fa  comparaîron  de  la  Peintrtre  &  de 
la  Poëfie  qui  (e  trouve  dans  le  fçavant 
livre  de  du  Jon  te  fik ,  fur  la  Peinture 
des  Anciens  ;  mais  je  m'imagine  que 
mes  réflexions  vont  mieux  au  fait  que 
l'érudiriondecet  Auteiff.  (a) 

L'induftrie  des  hommes  a  trouva 
quelques  moyens  de  rendre  les  ta- 
bleaux plus  capables  de  faire  beaucoup 
d'impreflîon  fur  nous.  On  les  vemif. 
On  les  renferme  dans  des  bordures 
dorées  qui  jettent  un  noirvel  éclat  fur 
les  couleurs ,  &  qui  femblent  ,  en  fé- 
parant  les  tableaux  des  objets  voifins, 
réunir  mieux  entr'elles  les  parties  dont 
ils  font  compofés ,  à  peu  prés  comme 
il  paroît  qu'une  fenêtre  raffemble  les 
diffémns  objets  qu'on  voit  par  fon  ou- 
verture. Enfin  quelques  Peintres  des 
plus.iaodernes  fe  font  avifés  de  placer 
dans  les  compofitïons  deftinées  à  être 
vues  de  loin ,  des  parties  de  figures  de 
ï'onde  bofl'e  qui  entrent  dans  l'ordon- 
ilance ,  &  qui  font  coloriées  comme 
les  autres  figures  peintes  entre  lef- 
quelles  ils  les  mettent.  On  prétend  qu^ 

(1}  JuaÎBt,  il  piS'  va.  l,  4.  (•  Il    ' 


■,r  ..Google 


fur  la  Poïfif  Sffuria  Ptmturt.  4i(^ 
l'œU  gui  voit  diAihâement  ces  parties 
de  Tonde  bolTe  faillir  hors  du  tableau  , 
en  foit  plus  aiiement  fcduît  par  les  par- 
ties peintes ,  lefquelles  font  réelle- 
ment plates  ,  &  que  ces  dernières  font 
ainii  plus  facilement  l'illufion  à  nos 
yeux.  Mais  ceax  qui  ont  vu  la  voûte 
Jde  l'Anoonciade  de  Gènes  &  celle  du 
jefus  à  Rome ,  oh  l'on  a  fait  entrer  des 
iîgnres  en  reli^  dans  l'ordonnance ,  ne 
trouvent  point  que  l'effet  en  foit  bien 
merveilleux, 

L'induftrie  des  hommes  a  beaucoup 
inîeux  feivi  les  vers  que  les  tableaux, 
pile  a  trouvé  trois  manières  de  leur 
prêter  une  force  nouvelle  pour  nous 
plaire  ÔC  pour  nous  toucher.  Ces  trois 

■  manieresïontlafimplefécitation,  celle 
qui  eft  accompagnée  des  monvemenj  • 
4u  corps  ,  laquelle  on  nomme-  dççls-- 

*   mation  ,  &  le  chant. 


^  S  E  C  T  I  O  N    X  L  I. 

"'j  JDe  la  fimpU  ricitation  ^  de  la  diUlamaùont 

;  .1  y  F  S  premiers  hommes  qui  ont  fait 
''*  dci  vers  ,  ont  dû  s'appercçvoir  que  Ig. 


:,-,zf-„  Google, 


'j^yo  RiflextoTU  eritifus 

récitation  donnoit  une  force  aux  vert 
qu'ils  n'ont  pas ,  quand  on  les  lit  foi- 
même  fur  le  papier  où  ils  font  écrits.  Ils 
auront  donc  mieux  aimé  réciter  leurs 
▼ers  que  de  les  donner  à  lire.  L'har- 
monie des  vers  qu'on  récite ,  flatte 
Foreille  ,  &  augmente  le  plaifir  que  le 
fens  des  vers  cil  capable  de  donner. 
Au  contraire ,  l'aâion  de  lire  eft  eu 
quelque  &çon  une  peine.  Oeft  une 
opération  que  roeil  apprend  à  fei- 
re  par  le  fecours  de  l'Art ,  &  qm 
n'efl  pas  accompagnée  d'auain  ferai- 
Aient  agréable ,  comme  efl  celui  qm 
naît  de  l'application  des  yeux  fur  les 
objets  que  nous  offrent  des  tableaux. 

Ainfi  que  les  mots  font  les  fignes  ar- 
bitraires de  nos  idées,  de  même  les 
différens  caraâeres  qui  compofent  l'é- 
criture ,  font  les  fignes  arbitraires  des 
fons  dont  les  motsfont  compofés.  Il  eff 
donc  néceâaire  ,  quand  nous  llfons  des 
vers ,  que  les  caraâeres  des  lettres  ré- 
veillent d'abord  l'idée  des  fons  dont  ils 
fe  trouvent  être  les  fignes  arbitraires  ; 
&  il  fàm  enfuite  que  les  fons  des  mots , 

2ui  ne  fe  trouvent  être  eux-mêmes  que 
es  fignes   arbitraires,  réveillent  les 
idées  attachées  à  ces  mots.  Avec  quel- 


:,-,zf--„GoOglc 


Jttrla  Poijie  &  fur  la  Peinture.  43 1 
que  vîtefTe  &  quelque  ikctlité  que  ces 
opérations  fe  faflent ,  elles_  ne  fçau- 
roient  fe  faire  aufli  promplement  qu'u- 
ne feule  opération.  C'eft  ce  qui  arrive 
dans  la  récitation,  oiilemot  que  nous 
entendons  réveille  immédiatement 
l'idée  qui  eft  liée  avec  ce  mot. 

Je  n'ignore  pas  qu'une  belle  édition,' 
dont  les  caraàeres  bien  taillés  &  bien 
noirs  ,  font  rangés  dans  une  proportion 
élégante  fur  du  papier  d'un  bel  œil ,  ne 
faue  un  plaifir  fenfible  à  la  vue  ;  mais 
ce  plaiiir  plus  ou  moins  grand ,  fui» 
vant  le  goût  qu'on  peut  avoir  pour 
l'art  de  l'Imprimerie  ,  eft  un  plaifir  à 

fart ,  &  qui  n'a  rien  de  commun  avec 
émotion  que  caufe  la  Icfture  d'un 
poëme.  Ce  plaifir  ceffe  même,  dès 
qu'on  applique  fon  attention  à  la  lec* 
ture  ,  &  l'on  ne  s'apperçoit  plus  alors 
de  la  beauté  de  l'impreffion  que  par  la 
facilité  que  les  yeux  trouvent  à  recon- 
noître  les  caractères ,  &  à  raffembler 
les  mots.  Confidérer  le  Virgile  des 
Elzcvirs  comme  un  chef-d'œuvre  d'im- 
preiÏÏon ,  ou  lire  les  vers  de  Virgile 
pour  en  fentir  les  charmes,  ce  font 
deux  aâions  très-diftinftes  &  très- 
diâférentas.  Il  s'agit  ici  de  la  dernière. 


:,-,zf--„GoOglc 


4.J3.  Réflexions  tr'aîquts 

Elle  n'eft  pas  ua  plaUir  par  elle-même^ 

Elle  eft  fi  peu  un  plaifir  ;  elle  nous 
fait  fentir  fi  peu  l'harmonie  du  vers  , 
cju£  rinAiaÛ  nous  porte  à  prononcer 
tout  haut  les  vers  que  nous  ne  liibm 
que  pour  ■ncus-mêriles ,  loriqu'il  nous 
lemble  que  ces  vers  doivent  être  nom- 
breux &c  harmonieux.  CeA  im  de  ces 
jugemens  que  refpnt  fait  par  une  opé- 
ration qui  n'eft  pas  préméditée  ,  &  que 
nous  ne  coonotiTons  même  que  par 
une  réflexion  qui  nous  fait  retourner, 
pour  ainli  dire ,  mr  ce  qui  s'«ft  paffé 
dans  nous-mêmes.  Telles  font  ia  plu- 
pari  des  opérations  de  l'ame  dont  nous 
avons  parlé  .  &  la  plupart  de  celles 
dont  nous  devons  parler  encore, 

La  récitation  des  vers  eft  donc  un 
plaifir  pour  nos  oreilles ,  au  lieu  que 
leur  le£lure  ell  un  travail  pour  nos 
yeux.  En  écoutant  réciter  des  vers, 
nous  n'avons  pas  ■  la  peine  de  lire ,  âc 
nous  Tentons  leur  cadence  &C  leur  har- 
monie. L'auditeur  eA  plus  indulgent 
que  le  leûeur,  parce  qu'il  eft  plus  fia- 
te  par  les  ver^  qu'il  entend,  que  l'autre 
par  ceux  qu'il  Ht.  N'eft-ce  pas  recon- 
^loître  que  le  plaifir  d'entendre  la  réci- 
tation en  impofe  à  notre  jugement, 
que 


..•,zf-,Googlc 


JurlaPoëfie&furUPtmture.  435 
qwe  de  remettre  à  prononcer  fur  le  mé- 
tite  d'un  pqëme  qui  nous  a  plû ,  en  l'en- 
tendant réciter  jiifques  à  la  leâure  que 
nous  en  voûtons  faire  ,  comme  on  dit , 
l'œil  lur  le  papier  ?  Il  faut ,  difons-nous  , 
ne  pomt  compromettre  Ion  jugement  ; 
6c  fouvent  la  récitation  en  impose. 
L'expérience  que  nous  avons  de  nés 
propres  fens  ,  nous  enfeigne  donc  que 
l'œil  eftun  cenfeur  plus  févere,  qu'il 
eft  pour  un  preëme  un  (cmtauur  bien 

Plus  fubtil  que  l'oreille ,  parce  que 
œil  n'eft  pas  expoié  dans  cette  occa- 
fion  à  fe  laifîerféduire,  parfonpiaifîr, 
comme  l'oreille.  Plus  imouvrage plaît, 
moins  on  eft  enétat  de  reconnoîire  Si 
de  compter  fes  défauts.  Or  l'ouvrage 
qu'on  entend  réciter ,  plaît  plus  que 
l'ouvrage  qu'on  lit  dans  fon  cabinet. 

Aufli  voyons-nous  que  tous  les  Poè- 
tes, ouparinftinâ,  ouparconnoiflàn- 
ce  de  leurs  intérêts  ,  aiment  mieux  ré- 
citer leurs  vers  que  de  les  donner  à  li- 
re; même  aux  premiers  confidens  de 
leurs  produâions.  Ils  ont  raifon ,  s'il* 
cherchent  des  loiianges  plutôt  que  des 
confeils  utiles. 

C'étoit  par  la  voie  de    la  récita- 
lion  f{\xe  les  anciens  Poètes  publioieot 
Tomt  /,  T. 


:,-,zf--„GoOglc 


4^4  Réflexions  crmques 

ceux  de  leurs  ouvrages  qui  n'étoient 
pas  compofés  pour  le  théâtre.  On  voit 
par  les  Satyres  de  Juvenal  (<i) ,  qu'il  fe 
lormoit  à  Rome  des  affemblées  nom- 
breufes  pour  entendre  réciter  les  poë* 
mes  que  leurs  Auteurs  vouloient  don- 
ner au  public.  Nous  trouvons  rnSme 
dans  les  ufages  de  ce  tems-Ià  une  preu- 
ve encore  plus  forte  du  plaifir  que  don-  , 
ne  la  ûmple  récitation  des  vers  quifoot  : 
riches  en  harmonie;  Les  Romains,  qui 
joignoient  fouvent  d'autres  plaifin  a" 
plaifir  de  la  table ,  faifoient  lire  quel- 
quefois durant  le  repas  Homère ,  in- 
cite ôc  les  Poètes  eTtcellens  ,  quoi^ 
la  plupart  des  convives  duflentfçavwc 

f)ar  coeur  une  partie  des  vers  dont  on 
eur  faifoit  entendre  la  leûure.  Maïs 
les  Romains  conmtoient  que  le  plailif 
du  rithme  fie  de  l'harmonie  devoit  fup; 
pléer  au  mérite  de  la  nouveaiité  ^ 
(nanquoient  à  ces  vers. 

Juvenal  (i)  promet  à  l'ami  qu'il  iih 
vite  à  venir  manger  le  foir  chez  luii 
qu'il  entendra  lire  les  vers  d'Homère 
&  de  Virgile  durant  le  repa^,  coiniBB 
pn  promet  aujourd'hui  aux  çopvi't^ 

t»>  Satyr.  prim.  bftft. 

Ikl    Satvr     T  ■  ' 


iCoojilc 


fur  la  Poëjù  &fw  ta  Peinture.  45  ^f . 
ime  reprife  de  brelan  après  le  {biiper. 
Si  mon  leâeur,  dii-il,  n'eft  pas  des 
plus  habiles  dans  là  proféf&on ,  les  vers  ' 
<iu'il  nous  lira ,  font  fi  beaux,  tju'ilsner 
laifleront  pas  de  nous  &ire  plailîri 

WoJIrj  iihunt  alioi  hoiii  caMÎvU  ludoi , 
Cjtiavr  Rxado)  ctiaahimr  ncqiu  Minini'i 
Ale^oià,  iabiam facitiati  carTaÙKtfslaam  i 
^uii  r^fin  lalti  Krjia  fiU  vKf  Itgioaai 

Dés  que  ïa-  fimple  -récitation  ajoute 
tant  d'énergie  au  poëme ,  il  eft  fecile 
de  concevoir  quel  avantage  les  pièces 
qui  fe  déclament  fur  un  théâtre  ,  tirent 
dfe  la  répréfentation-  (a)  Scemci  ABons 
cptimis  Poïtarum  tantkm  adjidunt  gra- 
tis t  ut  nos  infinité  magii  eadtm  iUa  su~ 
dîta  quàm  U^a  dthUcnt ,  &  viiiffimis  eeiam 
qutbufdam  impétrant  aures ,  ut  qaibus  rml- 
lus  tjiîn  bibliothtcis  locus  jjît  tciam  in  tkea- 
.tfis.  Si  ceux  qui  trouvent  les  Comédies 
deTérence  froides ,  les  avoient  vu  re- 
piféfenter  par  des  Comédiens ,  qui  met- 
toient  du  moins  autant  de  vivacité  dans  ■ 
leur  aftion  que  les  Comédiens  Italiens, 
ils  changeroient  de  fentiment.  Pour  re- 
venir à  Quintilien  :  Qui  voudroit  met- 
tre dans  fon  cabinet  Us  vendanges  de 
Surent ,  s'il  falloit  &ire  copier  cette 
(1)  la^.  Otoc.  va,  t.  u 

Tij 


-,  Google 


43^  JUflexioTts  critiqua 

Comédie  ,  comme  il  auroît  &Ilu  la 
faire  copier  de  fon  tems ,  que  Tart  de 
l'impreffion  n'éioit  pas  encore  inven- 
té )  Cependant  la  repréfentation  de  cet- 
te farce  nous  divertit. 

L'appareilde  la  Scène  nous  prépare 
à  être  émus ,  6c  l'aâion  théâtrale  donne 
une  force  merveilleufe  aux  vers.  Com- 
me Féloquence  du  corps  ne  perfuade 
pas  moins  que  celle  des  paroles  ;  les 
ceAes  aident  intîniment  la  voix  à  faire 
Ion  imprelTion.  L'inftinâ  naturel  nous 
l'apprend ,  en  nous  enfeignant  que  ceux 
qui  nous  écoutent  parler ,  fans  nous 
voir,  ne  nous  entendent  qu'à  demi.  Ea 
ejFet  la  nature  a  alTigné  un  air  de  vifa- 
ge  &  vm  gefte  particulier  à  chaque  paf- 
fion ,  à  chaque  fentiment.  a  )  Ornais 
grfim  m  ^tus  animi  fuum  quemdam  à  rut- 
turdhaba  vuliutHy  &  funum^  &  gefium. 
Chaque  paffion  a  de  même  un  ton  par- 
ticulier &{.  une  expreffion  particulière 
fur  le  vifage. 

Le  premier  mérite  du  Dcclamateur, 
efl  celui  de  fe  toucher  lui-même.  L'é- 
IDOtion  intérieure  de  celui  qui  parle 
Jette  un  pathéti[|ue  dans  fes  tons  8ç 
dans  fes  geftes ,  que  l'^rt  &  l'étudç  n'y 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poèjîe  ùfur  la  Pàtitare.  4  ff 
tfçaxiroientmettre.On  eftprévenu  pour 
l'Afleur  qui  paroît  être  éma  lui-même. 
On  fe  prévient  contre  celui  qu'on  re- 
connoît  n'être  point  ému.  Or  je  ne  Içai 
quoi  de  fi-oiddans  les  exclamations ,  de 
forcé  dans  le  gefte  ôcdegênédanslacon- 
tenance,  décèlent  toujours  l'Aâeur  in-r 
dolent  pourun homme  que  l'artfetfl  fait 
mouvoir,  &  qui  voudrolt  nous  faire 
pleurer  ,  fans  reffentir  lui-même  aucu- 
ne affliÛion  ;  caractère  odieux  ,  &  qui 
tient  quelque  chofe  de  celui  d'iinpof- 
teiu*. 

Si  vil  mtfitrt ,  ioUnium  ifi 
Primùm  ifjî  liji.  • 

Tous  ceux  qui  exercent  un  de  ces 
arts  dont  le  but  eft  d'émouvoir  les  au- 
tres hommes  ,  doivent  s'attendre  d'être 
jugés  luivant  la  maxime  d'Horace  :  que 
pour  faire  pleurer  les  autres,  il  faut 
être  affligé.  On  imite  mal  une  pallion 
qu'on  ne  feint  que  du  bout  des  lèvres- 
Pour  la  bien  expritner ,  il  faut  que  le 
coeur  en  reffente  du  moinsquelque  14-; 
gère  atteinte,  (a)  Nu  agamus  rem  ijuafi 
tUimam  ,  fed  ajfumamus  panunptr  illitm- 
dolorem. 

Je  conçois  donc  que  le  génie  qui  for^- 

(«)  Quùii.  Jib.  t.  Mf.frim, 


Coogic 


4)8  Rifitjàons  criàquts 

tne  tes  excellens  Déclamateurs  ^  c<ja^ 
fiAe  dans  me  fenfîbiltté  de  cœur  ,  qui 
les  fait  eiurermachinalement,iBais  avec 
aâeâion,  danslesTentimeDsclelenTper' 
fonnage.  11  cwi&fte  dans  une  difpolitioD 
mécanique  à  fe  prêter  ^citement  à  ton- 
tes les  payons  qu'on  veut  exprimer. 
Qutiitilien  qui  avok  cru  que  ia  pro- 
feiEon  d'enfeigner  l'art  d'être  êioqoeat, 
le  niettoit  dans  l'c^ligation  d'étudkr 
les  mouvemens  du  cœiir  humain  ,  du 
iBoins  autant  que  les  règles  de  la 
Grammaire  ,  dît  que  l'Orateur  qui  tou- 
che le  plus ,  c'eA  cehii  qui  fe  toncbe 
lui-même  davantage,  (_a)  Imagiaesn- 
Tum  ^uifyuis  béni  eoA^^erk;  is  trit  ta 
affccîihus  patemiffimus.  Dans  un.  autre 
«ndroit  il  dit ,  en  {>arlantde  rinùtatÎM 
4es  mouvenœns  des  paflîons  que  &ic 
J'Orateur  dans  fa  dédaaiation  ,  ou  <& 
^tffc3ibus  qua  eJ^aguHUir  imitatione;  que 
l'eflentiel  pour  k  Déclamateur  *  c'ell 
de  s'échai^ï  l'imagiBatton ,  en  fe  ne- 
préfeuant  vivement  à  lui-mâme  let 
objets  de  la  Peinture ,  defquels  il  pré- 
tend fe  fervir  wœ  émouvcnr  les  au- 
très  ;  c'eft  de  ie  mettre  à  la  place  de 
ceux  qu'il  veut  &ire  parler,  [k)  Priimim 

(•)QuinrJ.«.r.i.     ■    (b)£ût.J.  II.  (.1. 


furlaPo'iJît  éjîir  la  Peinture.    459 
*fi  béni  affid ,  Sf  concipere  imagims  r^ 

■  rum  ,  &  tanquam  veris  movtrî. 

Tous  les  Orateurs  &  tous  les  Co- 
médiens que  nous  avons  vu  réuflîr  émi- 
nemment dans  leurs  profeffions,  étoîent 
des  perfonnes  nées  avec  la  fenfibilité 
dont  )e  viens  de  parler.  L'Art  ne  la 

■  donne  point.  Sans  elle  néanmoins,  le 
beau  Ion  de  voix  &  tous  les  autres  ta- 

■  lens  naturels  ne  fçauroient  former  un 
graiid  Déclamateur.  Onpeut&ire  dans 
tous  les  tems  fur  les  bons  Adeiirs  la 
même  obfervation  que  Quintilien  fai- 
ibit  fur  ceux  qui  jouoient  de  fon  tems. 

_  C'eft  que  ces  Aâeurs  avoient  encore 
■les  larmes  aux  yeux  au  fortir  de  la  Scè- 
ne ,  lorfqu'ils  venoient  d*y  jouer  quel- 
-que  endroit  bien  intéreirant(  £)  ,  Kidi 
*gofape  Hifirioms  aiqut  Omutt^^cùm  ti 
^quo  graviore  a3u  perfonam  depéfuifféat^ 
fientes  adhuc  egredi. 

Comme  les  femmes  ont  une  fenfibilii- 
té  plus  foudaine ,  &:  qui  eft  plus  à  la  dif- 
pontion  de  leur  volonté  ,  que  la  feiUî-' 
bilité  des  hommes';  comme  elles  ont,' 

i)Oiu'parlerainfi,  plus^^fouplefledans 
e  cœur  que  les  hommes ,  elles  réufTif- 
£flent  mieux  que  les  hommes  à  ^e  ce 

Tiv 


:,-,zf--„GoOglc 


;44û  Rijlexions  critiques 

que.Qtimtilten  exige  Ae  tous  cetntqm 
veulent  fe  mêler  de  déclamer.  Elles  fe 
touchent  plus  facilement  qu'eux  ,  des 
~  pallions  qu'il  leur  plaît  d'avoir.  En  un 
mot ,  les  hommes  ne  lé  prêtent  pas  d'auf- 
fi  bonne  grâce  que  les  femmes ,  aux  feiv- 
timens  du  perfonnage  qu'ils  veulent 
jouer.  Ainfi  quoique  les  hommes  foient 
plus  capables  que  les  femmes  d'une 
application  forte  &  d'une  attentiçm 
.Ûiivie  ;  quoique  l'éducation  qu'ils  re^ 
.çoivent ,  les  rende  encore  plus  pro- 
pres qu'elles  à  bien  apprendre  tout  ce 
que  l'art  peut  enfeigner ,  on  a  vii  néan- 
moins depuis  foixante  ans  fur  la  Scène 
Françoife  un  plus  grand  nombre  d'Ac« 
trices  excellentes  que  d'excellens  Ac 
tgurs.  Depuis  que  le  théâtre  de  TOpe- 
ra  eft  ouvert  en  France",  on  n'y  a 
point  vu  d'hommes  exceller  dans  l'art 
de  la  déclamation  propre  pour  accom- 
pagner une  récitation  ralentie  par  le 
chant ,  autant  que  Mademoifelle  Ro> 
dio'ix. 


fur  la  foifii  &fiir  la  Pttniare.    44* , 


SECTION     XLII. 

^e  notrt  mamere  dt  ricittr  la  Tragédie  ■ 
&  ta  Comidie.  1 

X^  u  I S  Q  VE  le  but  de  la  Tragédie  eft. 
d'exciter  la  terreur  &  la  compaflion  ; 
pwifqiie  le  merveilleux  eft  de  l'effence 
de  ce  Poëme  ,  il  faut  donner  toute  la 
dignité  podlble  aux  perfonnages  qui  la 
repréfentent.Voilàpourquoi  l'on  ha  bille 
aujourd'hui  communément  ces  perfon- 
nages de  vêtemens  imaginés  -à  plaifir  , 
Se  dont  la  première  idée  eft  pnfe  d'a- 
près l'habit  dé  guerre  des  anciens  Ro- 
mains ,  habit  noble  par  lui-même  ,  &C 
qui  femble  avoir  quelque  part  à  la  gloi- 
re du  peuple  qui  le  portoit.  Les  habits 
des  Aârices  font  ce  que  l'imagination. 
peut  inventer  de  plus  riche  &  de  plus 
majeihieux.  Au  contraire  on  fe  lert  des 
habits  de  vilU ,  c*eft-à-dire  ,  de  ceux  quî 
font  communément  en  ufage  ;  pour 
jouer  la  Comédie. 

Les  François  ne  s'en  tiennent  pas  aux 
liKibits  pour  donner  aux  Aâeùrs  de  la 
TragéfÙe  la  noblefie  £c  ta  dignité  qui 
Tv 


:,-,zf-,GoOglc 


441  ~  Rifiexions  criaques 
leur  conviennent.  Nous  voulons  eo^ 
core  que  ces  Aâeurs  parlent  d'un  ton 
de  VOIX  pins  élevé ,  plus  grave  &  plus 
foutenu,  que  celui  iur  lequel  on  parle 
dans  les  converiations  ordinaires.  Tou- 
tes les  négligences  que  Tufage  autorife 
dans  la  prononciation  des  entretiens  &- 
mîliers,  leur  font  înter<tites.  Cette  ma- 
nière de  réciter  eft  plus  péniUe  ,  à  la 
vérité,  que  ne  le  feroit  une  prononda- 
ùon  ap(»ochante  de  celtes  des  conver- 
fations  (H-dinaîres  :  raais  outre  qu'elle 
a  plus  de  dignité  y  elle  eft  encore  plus 
avantageufe  pour  les  Ipeâateurs ,  au 
par  i<m  Kioyen ,  entendent  mieux  les 
vers.  Les  Ipeâateurs  ,  qui  la  plupart 
font  aâez  éloignés  du  théâtre ,  auroient 
trop  de  peine  i  iMen  entendre  des  vers 
tragiques  dont  le  âyle  eft  %uré  ,  s'ils 
étoient  récités  plus  vite  &  ]^us  bas  ,  fur- 
tout  IcMfque  ces  fpeâateurs  verroient 
une  pièce  pour  la  première  fcns.  Une 
partie  des  vers  lenr  ét;lia{^>eroit  ;  Se 
ce  qu'ils  auroient  perdu ,  les  en^>êche- 
rwt  fouvent  d'être  touchés  de  ce  qu^ils 
entendroient.  Il  faut  encore  que  les  gef- 
tes  des  Aâenrs  tragiques  foient  plu^ 
mefurés  &  (rfus  nobles  ;  que  leurs  dé- 
marches foient  grzve&i  Se.  que  leur 


:,-,zf-,GoOglc 


'far  la  Poêfie  &fur  la  Ptlnture.  44^ 
tcontenance  foitplus  lerieufe,  que  les 
^eAes ,  les  démarches  &  le  maintien 
de?  perfonnages  de  Comédie.  Enfin 
nous  exigeons  des  Aâeurs  de  Tragé- 
die ,  de  mettre  un  air  de  grandenr  &  de 
dignité  dans  tout  ce  qu'ils  font ,  commet 
nous  exigeons  du  Poète  qui  lés  faitpv 
1er ,  de  le  meOre  dam  tout  ce  ^qii'il  leur 
^t  diie. 

■  Auffi  voyons -nous  qu'au  {eMimeat 
général  des  peuples  de  l'Europe ,  les 
François  font  ceux  qui  rénffinent  le 
nûeux  aujourd'hui  dans  la  rcpréfema-' 
tion  des  Tragédies,  (a)  Qvotia  Mfuffit 
Mfnuiaiio  yfacatdit  humaaitas,  Leshaliens 
qui  nous  rendent  juâice  fans  trop  de^ 
répugnance,  quand  il  s'agit  des  arts.  6t 
des  talens  ,  oiiils  ne  fe  piquait  pas  d'ex- 
celler, difent  que  notre  déclamation 
tragique  Jetir  doniie  une  idée  du  chant 
eu  de  la  dédamation  théâtrale  des  An- 
Àens,  que  nous  avons  perdue.  En  étfety 
à  juger  de  la  déclamation  des-ftomains  ^ 
&  ^ar  conféquent  de  celle  dès  Gxec» 
fsa  la  Scène ,  par  ce  qu'en  dit  Quinti*^ 
lien  y  la  récitation  des  Anciens  devoir 
'être  audqnè  chofe  d'approchant  de  no- 
tre déclamation  tragiqift.  LaScètie  des 

.(a)  Çirint.I,ïi,Mp.prim.  ' 

Tïj 

u,:,-,zf--„GoOglc 


^44  Riftxums  amtptti     . 

Romains,  s'était  fonnée  fur  celle  deà 
Grecs. 

.  C'eâ  de  qnoi  nous  parierons  plus  au,' 
loi^  dans  le  traité  de  la  Mufîque  dès- 
Anciens  ,  qu'on  ttouvera  à  la  fin  de  cet 
Ouvrage. 

•  Il ellafiezétaUi  en  Europe,  comme. 
fe  l'ai  àéja.  dit,  que  les  François  ,  qui 
depuis  cent  ans  comporeot  les  meilleur 
res  pièces  dramatiques  qui  paroiâent 
aujourd'hui ,  ibnt  auâi  ceux  qui  réci- 
tent le  nùeux  les  Tragédies  ,  &  qui  fça- 
vent  les  repréfenter  avec  le  plus  de 
décence.  En' Italie ,  lesAâeurs  récitent 
la  Tragédie  du  même  ton  &  avec  les 
msiKes  geAes  qu'ils  récitent  la  Ccmié- 
die.  Le  Cothu/ne  n'y  eâ  presque  pas  di& 
fôrent'du  Socque.  0ès  que  les  Aâeurs 
Italiens  veulent  s'animer  dans  les  en- 
droits pathétiques,  ils  fonCioutrés  aui^ 
fi.-tôt.  Le  Héros  devient  ua  Capùan,}^' 
oedirai  qu'un  jnot  des  Tragédies  des 
Poètes  Italiens  faites  pour  être  décla-, 
mées.  Elles  font  autant  au-deiTous  deSt 
pièces  de  Corneille  &  de  Racine  ^  que 
tes.  moins  mauvais  de  nos  Poëmes^é^ 

Sues  ibnt  au-defib>us  du  Roland^rksx  ; 
d'Ariofle  fic<de  la.Jértiff^  lié/ivrée 
du  Taffe.  Ou  par  d?fefpoir  d'y  réuiEr, 


:,-,zf--„GoOglc 


JuT  îa  Poëfe  Srfur  Î4  Pàrtture'  1^^%, 
bu  par  d'autres  motifs  que  je  ne  devine 
point,  il  paroît  que  les  Italiens  négU-*. 
gent  depuis  longtems  la  Poefie  drainar^ 
tîque.  La  Mandragore  de  Machiavel^ 
l*ime  des  nieilleures  Comédies  qiiï 
ayent  été  faites  d&pnis  Térence ,  6s. 
qu'on  ne  prendroit  jamais  pour  ttnei  . 
produâion  d'e^nit  née  dans  le  même, 
cerveau,  oh  font  éclofes  tant  de  r^ 
flexions  ii  profondes  fur  la  guerre  ,  fiur 
la  politique  ,  &  principalement  fur  les 
conjurations ,  eu  demeurée  en  Italie 
une  piéct  unique  en  fa  ctaife.  La  Cli- 
tie  du  même  LAuteur  lui  eft  bien  infé- 
rieure, le  ne  croîs  pas  que  durant  le 
cours  du  dix-feptiémefiécle ,  les  Préffes 
d'Italie  nous  ayent  donné  plus  d'une 
trentaine  de  Tragédies  faites  pour  être 
déclamées;  elles,  qui  dans  ce  tems-là 
mirent  au  jour  tant  d'ouvrages  d^efprft. 
Du  moins  n'en  ai-je  pas  trouyé  un  plus 
grand  nombre  dans  les  Catalogxïes  de 
ces  fortes  d'ouvrages ,  que  des  Italiens 
illullres  dans  la  R^ublique  des  Lettres 
ont  donnés  depuis  vingt  ans ,  à  l'occa- 
fion  des  difputes  qu'ils  ont  foutenues 
poiu-  l'honneur  de  leur  Nation.  • 

Les  Poètes  dramatiques  Italiens  né-, 
pompofent  plus  guéres  que  des  Opéra  ^ 


:-„r., Google 


^4^5  "^ifivqons  criàqua 

en  comparaÎTon  defqueU  toute  Itx^ 
roçc  ait  que  les  bons  Open  Françtns 
ibnt  des  chef-^'oeuvies  d'eijnît^  de 
bon  Tens  &  de  r^ularité.  M.  TAbbé 
Gravina  £t  imprimer  à  Naples  ,  il  y  a 
environ  trente  ans  ,  cinq  Tragédies 
compoiees  &  faites  pour  être  décla- 
mées. Ce  font  Palamede  ,  Andromède  ^ 
Appius  Claudius ,  Painnien  &  Servius 
TuUius.  U  (e  pbàat  eicg»nment  dans 
la  Préface  en  vers  qu'il  mit  à  la  tête  de 
ces  Tragédies  «  que  Melpomene  ,  potv 
«uï  la  Sc^e  fut  inventée  ,  n'y  panù^ 
ié  [Jus  en  Italie  que  oomme  une  fui- 
Tante  de  Polynuiie;  enfin  qu'elle  jk  s'y 
montre  plus  que  comme  la  vile  eiidave 
de  la  Peinture ,  de  la  Mofique  &  de  U 
Sculpttire.     . 

■  E  in  vraiFaiBfrjrltftirit proprie 

■  Debhi  le  far^t  aii^nr  it  gV  ait^i  t 
m  Guaeri ,  Pictfri  i  Stataarii , 

Di  fiuli  è  iirrma»  OTuilla  igiutiU  * 

Clinditfapralorohalfwnnui  in^tna, 
E  Safra  le  Sceni  ha  minar  pane  ti  il^ma 
•  l^ueltaptriuiltSctntt'i 


.  Dans  une  autre  contrée  de  l'Europe , 
le  pathétique  de  la  déclamation  tragi- 
que confiftoit  encore  îl  n'y  a  que  qua- 
rante ans  ,  en  des  tons  ftuieux,  eu  mi' 


...Xéoylc 


fur  la  Poêjîe  &far  U  Pàntttnl  '44^ 
Maintien  Dunionie,oubiene6aré,  & 

dans  des  geAes  de  forcenés.  LesAâevirs 
de  la  Scène  tragique  y  dont  je  parle; 
^toient  dilpenfes  de  noblefle  dans  leur 
geAe  y  de  mefure  dans  leur  prononcia- 
tion ,  de  dignité  dans  leur  maintien  ,  6c 
de  décence  dans  leurs  démarches.  U 
fuffiToit  qu'ils  Meitt  parade  d'aune  mor- 
gue bien  noire  &  bien  fombre',  ou  qu'ils 
panifient  livrés  à  des  tranfports  de  f\i- 
xeuF  qui  les  BlTent  éxtravagner.  5ur  cc 
théâtre  y  il  étoit  permis  à  Tuks  CéTar 
«le  s'arracher  les  cheveux ,  ainfi  que  1« 
feroit  un  homme  de  la  lie  du  peuple  i 
pour  exprimer  fa  colère.  Alexandre  ; 
pour  ihieux  marquer  fon  emportement  ^ 
y  pouvoit  frapper  du  pied ,  démonifa'a- 
tion  que  nous  ne  permettons  pas  aux 
Ecoliers  qui  jouent  la  Tragédie  dans  nos 
Collèges. 

Dans  un  autre  pays  ,  tes  Héros  font 
entièrement  avilis  par  des  choies  baf- 
ies  ou  indécentes  qu'on  leur  fait  &tre 
fur  le  théâtre.  On  voit  fur  la  Scènes 
dont  je  parle  ici ,  Scipîon  fumer  une 
pipe  de  tabac ,  éc  boire  dans  un  pot 
de  bière  fous  fa  tente ,  en  méditant  le 
plan  de  la  bataille  qu'il  va  donner  auj( 
Carthaginois, 


:,-,zf--„GoOglc 


^4^  Rijtexhms  mtîqua 

-  Je  ne  parlerai  point  ici  du  théâtre 
Flamand ,  parce  que  dans  le  tragique  ^. 
il  ne  fait  prefque  autre  chofe  que  de 
copier  la  Scène  Françoife  ,  dès  le  tems 
oîi  l'on  y  repréfentoit  les  Comédies  de 
la  PaOion,  Les  Comédiens  Flamands 
ont  uft  petit  nomtwe  dé  Tragédies  ori- 
^nales ,  ^  leur  déclamation  eft  feule- 
ment un  peu  moins  chantante  Se  mcnns 
Bnimée  que  celle  des  Comédiens  Fran- 
çois. 

Nonifeulement  notre  Scène  tragique 
eft  noble  ,  mais  elle  eft  encore  purgée 
de  tous  les  appareils  fiivoles  ;  elle  eft 
dégagée  de  tous  les  fpeôacles  puéri- 
les qui  ne  font  propres  qu'à  dégrader 
Melpomene  de  fa  dignité.  Voici  com- 
ment s'explique  un  des  plus  grands 
Poètes  tragiques  d'Angleterre  fur  la  dé- 
cence de  nos  repréfentations.  (  <z  )  /e 
m  fçaurois  trop  recommander  à  mes  Com- 
patriotes, de  fe  conformer  aux  ufages  da 
théâtre  François.  Les  Rois  &  les  Reines  y 
liùjfent  leurs  gardes  à  la  porte  de  la  Scène  , 
6  ils  y  entrent  fans  ce  cortège  très-emBar- 
raffant ,  qui  Us  fuit  far  la  nôtre.  Je  fouhtù- 
terois  encore ,  tju  'à  Cexemple  des  François^ 
nous  voulajjtons  bien  banwr  de  nos  repri- 

ia)  Speaauur  du  II  Ai-rUijtt, 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Toîfie  &fur  la  Ptlntare'.  449 
ykntations  le  fracas  iaormt  qu'y  font  les 
tambours,  U  tocftn^  les  trompettes»  Sf 
Jurtaut  les  cris  de  joie  des  moucheurs  de 
chandelle  &  des  autres  gagijles  revêtus , 
qui  viennent  là  pour  repréf enter  le  peuple  , 
tintamarre  qu'on  entend  quelque  fois  à  gua.' 
tre  rues  delà  Comédie. 

Monteur  Adifon ,  c'efl  lui-même  qu* 
je  viens  de  citer  ,  dit  encore  bien  des 
chofes  dans,  cet  écrit ,  Se  dans  celui 

au'il  publia  huit  jours  après  contre 
'autres  ufages  communs  iur  le  théâtre 
Anglois ,  &  qui  lui  paroliTent  avec  rai" 
ion  des  ufages  vicieux.  Tel  eft  Tufage  . 
d'y  expofer  les  appareils  des  fupjdices 
les  plus  alireux,  &  quelauefois  le  ru|>> 
plice  même.  Tel  eft  l'urage  d'y  faire 
apparoître  des  fpeûres  hideux  6c  des 
fantômes  horribles.  Il  eft  vrai ,  fuivant 
fon  fentiment,  que  les  Poètes  Fran- 
çois évitent  avec  trop  d'atFeâation  de 
donner  dufpeaacle.  Par  exemple  ,  U 
reprend  le  grand  Corneille  de  n'avoir 
pas  fait  tuer  fur  la  Scène  Camille  Ça}, 
Corneille  ,  dit-il ,  afin  d'éviter  d'enfan- 
glanter  la  Scène  ,  rend  encore  l'adion 
du  jeune  Horace  plus  atroce  ,  en  lui 
donnant  le  tems  de  faire  quelque  ré^ 

{li  Les  Ibriiett ,  AU.  4. 


Coogic 


'4f(>  'KijUxîons  crîtîquà 

H6don  ,  fie  cela  fans  fongêr  qu'il  doit 
fauver  à  la  fin  de  la  pièce  le  meurtrier 
defafœur.  Horace  feroit  mmns  odieux, 
s'il  tuoit  Camille  dans  le  tems  même 

$  Telle  profère  fes  imprécations  contre 
ome.  Quoiqu'il  enfoit  de  cette  ob- 
fervation  ,  on  ne  fçauroit  difconvenir, 
que  fi  la  repréfentation  des  Tragédies 
teft  trop  chargée  de  fpeâacles  en  An« 
gleterre ,  elle  n'en  foit  trop  dénuée  en 
France.  Qu'on  demande  à  l'Aûrice  qui 
Joue  le  rôle  d'Andromaque(iï),  fila  Scè- 
ne dans  laquelle  Andromaque  prête  à  fe 
donner  la  mort ,  recommande  AfHanax, 
le  fîls  d'Heaor  &  le  fîen ,  à  fa  confi- 
dente ,  ne  deviendroit  pas  encore  plus 
touchante  en  y  foifant  paroître  cet  cn- 
&nt  infortimé  >  &  en  donnant  lieu  par 
fapréfence  aux  démonflrations  les  plus 
èmprefTées  de  la  tendrefTe  maternelle 
qui  ne  fçauroient  paroître  &oides  en 
«ne  pareille  fituation. 

Il  n'en  etl  pas  de  la  Comédie  comme 
de  la  Tragédie.  Je  ne  crois  pas  qu'on 

SuilTe  dire  que  des  différentes  mameres 
ont  on  récite  aujourd'hui  la  Comédie 
en  différens  pays  «  l'une  foit  meilleure 
que  l'autre.  Chaque  pays  doit  avoir  ùt, 

i»)  Dans  U  Tragtdii  it  Raciati 


:,-,zf--„GoOglc 


'fur  la  Poëfie  &  fur  la  Pùnmrtl  ^Jil 
xnaniere  propre  de  rëclter  la  CométUçJ 
D^ns  la  repréleotatîon  des  Com^ 
^es ,  il  ne  s'agit  pas  de  procurer  de  là 
vénération  aux  perfonnages  introduits 
iiir  la  Scène ,  mais  biea  de  les  rendre 
reconnoilTables  auxipeâateurs.  Il  faut 
-donc  que  les  Comédiens  copient  ce  que 
)eur  nation  peut  avoir  de  Singulier  dans 
Je  geAe ,  dans  le  maintien  &  dans  la 
prononciation.  Il  faut  qu'ils  fe  mouleid 
id'après  leurs  compatriotes.  Générale- 
mejît  parlant ,  il  eft  des  peiqjles  qui  va« 
■^iest  davantage  leurs  tons  de  voix^ 
^ui  mettent  des  accens  plus  aigus  £e 
^usiréquens  dans  leur  prononciation^ 
&  qui  geAiculent  avec  plus  d'aâivité 
que  d*autr<es.  Comme  le  naturel  de 
certaines  nations  eu  f^us  vif  que  le 
jiaturel  d'autres  nations,  l'aâion  des 
loies  eâ  plus  vive  que  l'aâion  des  au- 
tres. Leurs  fentimens',  leurs  pafiions 
s'^bap^>em  avec  une  impétuofité  qu'on 
n'itpper^it  pas  en  d'autres  nati<»i$. 
Les  François  n'uTent  point  de  c^tain^ 
^fles  ,  de  certaines  d^onArations 
avec  les  doigts ,  ils  ne  rient  point  com- 
aie  les  Italiens,  Les  Françcùs  ne  varient 
pas  leur  prononciation  par  de  certains 
tccen^  ^uî  font  ordinaires  en  Italie , 


:,-,zf--„GoOglc 


ïf  ift  Rifiaàons  entufaû 

nême  dans  les  converfations  fjunilîe^ 
Tes.  Or  un  Aâeur  de  Comédie  ,  qui 
dans  ia  déclamation  îmiteroit  la  pronon- 
ciation &  la  gefticulation  d'an  f>euple 
étranger,  pécheroit  contre  la  règle  que 
nous  avons  rapportée.  Par  exemple  , 
un  Comédien  Anglois  qui  mettroît 
autant  de  vivacité  dans  les    geftes  ; 

3ui  marquerait  autant  d'inquiétude 
ans  fa  contenance ,  autant  de  ccmten- 
tion  dans  Ton  vifaee  ;  qui  ptaceroit  des 
exclamations  au(n  fréquentes  dans  (& 
prononciation  ,  qui  les  feroit  auffi 
marquées  qu'un  Florentin  ;  un  Comé- 
dien Anglots  en^n  qui  ioueroît  comme 
un  Comédien  Italien ,  joueroit  mal.  Let 
Anglois  qui  doivent  lui  fervir  de  mo- 
dèle ,  ne  ie  comportent  pas  aînfi.  Ce  qui 
fuffit  pour  agiter unltalien,n'eftpasfute. 
{knt  poiu"  remuer  un  Anglois.  Un  Aa- 
elois ,  à  qui  l'on  prononce  l'arrêt  qui 
le  condamne  à  la  mort,  montre  mouu 
d'agitation  qu'un  Italien  que  fon  juge 
condamne  à  un  écu  d'amende. 

Le  meilleur  Aâeur  de  Comédie  eft. 
donc  celui  qui  réulfit  le  mieux  dans  VU 
mîtation  théâtrale  de  fesoriginaux,  tels 
que  puifTentêtre  les  originaux  qu'il  co-- 
pîe.  Si  les  Comédiens  d'un  pays plaïfeaç 


..Google 


furlaPoîJît&furlaPeimart.  45  J 
plus  aux  étrangers  que  les  Comédiens 
des  autres  pays  ,  c'eft  que  ces  premiers 
Comédiens  feront  formés  d'après  une 
nation,  qui  natitreilementaura  plus  de 
gentillefTe  dans  les  manières  ,  &  plus 
d'agrément  dans  l'élocutlon  ,  que  les 
autres  nations. 


SECTION    XLIII. 

IQ/ze  Uplaijtr  qut  nous  avons  au  Tkiâtn  ,* 
^UJl  point  produit  par  Villujtan, 

\j  E  S  perfonnes  d'efprit  ont  cru  que 
l'illufion  étoit  la  première  caufe  du 
plaiHr  que  nous  donnent  les  fpeâacles 
&  les  tableaux.  Suivant  leur  fentiment , 
"la  repréfentation  du  Cidne  noiii  tlou- 
ne  tant  de  plaifir  que  par  l'illufion 
qu'elle  nous  fait.  Les  vers  du  grand 
Corneille,  Tappareil  de  la  S:ène  Ôc  la 
<léclamation  des  Aftetirs  nous  en  tm- 
pofent  affez  pour  nous  faire  croire , 
qu'au  lieu  d'aflifter  à  la  repréfentation 
ce  l'événement,  nous  alfiflons  à  l'é- 
vénement même ,  &  que  nous  voyons 

(filament  l'aâion,  &  npa  pas  uns 


:,-,zf--„GoOglc 


^^4  Rlfeiàmts  aîàques 

imitadon.  Cette  opinion  me  paroît  in^ 
ibutenable. 

n  ne  fçauroit  y  aroir  d^ufion  dans 
refprit  d'un  homme  qui  eft  en  ion 
bon  fens ,  à  moins  que  précédemment 
fl  n'r  3it  eu  une  illubon  &ite  à  fesiens. 
Or  il  eft  vrai  que  tout  ce  que  nous 
voyons  au  théâtre,  concourt  i  nous 
émouvoir  ;  mais  rien  i^y  iàit  illufion 
à  nos  fens  ,  car  tout  s*y  montre  comme 
imitation.  Rien  n*y  paraît,  pour  ainfi 
dire ,  que  comme  copie.  Nous  n'ani* 
Vons  pas  au  théâtre  dans  l'idée  que 
nous  y  verrons  véritablement  Chime- 
ne  &  Rodrigue.  Nous  n'y  apportoiff 
point  la  prévention  avec  laquelle  celui 
qui  s'eft  laiffé  perfuader  par  un  Magi* 
cien  qu'il  liû  fera  voir  un  fpeftre  ,  en- 
tre dans  la  caverne  où  le  phantôme 
doit  apparoître.  Cette  prévention  dif- 
pofe  beaucoup  à  l'illuuon ,  mais  nous 
ne  l'apportons  point  au  théâtre.  L'afS- 
che  ne  nous  a  promis  qu'une  imitation 
ùa  des  copies  de  Chimene  &  de  Phè- 
dre. Nous  arrivons  au  théâtre ,  prépa- 
rés à  voir  ce  que  nous  y  voyons  ;  & 
nous  y  avons  encore  perpétuellement 
cent  chofes  fous  tes  yeux  ,  lefquelles 
^iaftant  en  inftant  nous  font  fouveoir 


:,-,zf--„GoOglc 


fuTÎa  Poëfie  &  fur  la  Peinture.  45^ 
du  lieu  oîi  nous  fommes  ,  &  de  ce  quf 
nous  fommes.  Le  ipeâateur  y  conler< 
ve  donc  fon  bon  fens  ,  malgré  l'émo- 
tion la  plus  vive.  C'eft  fans  exîrava- 
guer  qu'on  s'y  paflionne.  Il  i*e  peut  faire 
tout  au  plus  qu  une  jeune  perfonne  d'un 
naturel  très-fenfible ,  fera  tellement 
tranfportée  par  un  plaifir  encore  nou- 
veau pour  elle ,  que  fon  émotion  £c 
fa  furprife  lui  feront  faire  quelque  ex» 
clamation  ou  quelques  geftes  involonf 
taires ,  qui  montreront  qu'elle  ne  fait 
point  une  attention  afïuelle  à  la  con- 
tenance qu'il  convient  de  garder  dan* 
une  aflemblée  publique.  Mais  bien-tôt 
elle  s'apperçevra  cle  fon  égarement 
momentanné ,  ou  «  pour  parler  plus  )u& 
te ,  de  fa  diflra£lion.  Car  il  n  ell  ras 
vrai  qu'elle  ait  cru ,  durant  fon  ravine- 
ment ,  voir  Rodrigue  &  Chimene.  Elle 
a  feulement  été  touchée  prefque  aufit 
vivement  qu'elle  l'auroit  été ,  fi  réel-, 
lement  elle  avoit  vu  Rodrigue  aux 
pieds  de  fa  maîtrefle  dont  il  vient  dd 
tuer  le  père. 

Il  en  eA  de  même  de  la  Peinture.  Le 
tableau  d'Attila  peint  par  Ra[^ël ,  ne 
tiie  point  fon  mérite  de  ce  qu'il  nous 
£0  impofe  a0ez  poiu-  nous  féduire  ôg 


:,-,zf--„GoOglc 


-  %^6  RèJUxhms  cnàquts 

^ur  nous  faire  croire  que  nous  voyot» 
véritablement  faînt  Pierre  &  faint  Paul 
en  Faîr ,  &  menaçant  l'épée  à  la  main 
ce  Roi  barbare  entouré  des  troupes 
<pi'itmenoit  faccagerRome.  Mais  dans 
le  tableau  dont  je  parle  ,  Attila  repré- 
fente  fi  naïvement  un  Scythe  épouvan* 
té ,  le  Pape  Léon  qui  lui  explique  cette 
vilion,  montre  une  afliirance  fi  noble 
&  un  maintien  fi  conforme  .à  fa  dignité; 
tous  tes  al£flans  reflemblent  fi  bien  î 
des  hommes  qui  fe  rencontreroieot 
chacun  dans  la  même  cïrconiïance  oh 
Raphaël  a  fuppofé  fes  différens  per- 
(bnnages ,  les  chevaux  même  concou* 
rent  iî  bien  à  l'aftion  -principale  ;  l'imi- 
tation eft  fi  vraifemblabLe ,  qu'elle  fait 
fur  tes  fpeôateurs  une  grande  partie  de 
l'impreffion  que  l'événement  auroit  pu 
làire  fur  eux. 

On  raconte  (  a  )  un  grand  nombre 
d'hifloires  d'animaux ,  d'enfans  ,  &  mê-  ■ 
me  d'hommes  faits  qui  s'en  font  laifTé 
impofer  par  des  tabteaux ,  au  point  de 
les  avoir  pris  pour  les  objets  dont  ils 
n'étoient  qu'une  imitation.  Toutes  ces 
perfonnes  ,  dira-fon  ,  font  tombées 
d^ns  l'illuûon  que  vous  regardez  cont- 
ra) piiiu>  Ui.j.c>ia. 

me 


:,-,zf-,GoOglc 


fur  UPoëfii  Sf  fur  la  TUntun,  '■i^^y 
itne  impolTible.  On  ajoutera  que  plu- 
lïeurs  oifeaux  fe  font  fi'oiffé  la  tête  con- 
tre la  perfpeâive  de  R«el  ,  trompés 
par  fort  ciel ,  lî  bien  imîtë  qu'ils  ont  cru 
pouvoir  prendre  l'effor  à  travers.  Des 
hommes  ont  fouvent-adrelié  la  [r-arole 
à  des  portraits  ,  croyant  parler  à  d'au- 
tres Jwmmes.  Tout  le  monde  fçait  l'hif- 
toîre  du  portrait  de  la  fervante  de  Rem- 
brandt. Il  l'avoit  expofé  à  ime  fenêtre 
oit  cette  fiUe  fe  tenoit  quelquefois ,  &c 
les  voifms  y  vinrent  tbur  à  tour  pour 
feire  converfation  avec  la  toile. 

Je  veiTx  bien  tomber  d'accord  de 
tous  ces  faits ,  qui  prouvent  feulement 
que  les  tableaux  peuvent  bien  queU 
quefbis  nous  faire  tomber  en  illufion  , 
mais  non  pas  que  l'illufion  foit  la  four- 
ce  du  plaifir  que  nous  font  les^  imita- 
tions Poétiques  ou  Pittorefques.  La 
preuve  eft  que  le  plaifir  continue , 
qiiand  il  n'y  a  plus  de  lieu  à  la  furprife. 
Les  tableaux  plaifent  fans  le  fecours 
de  cette'  illufion ,  qui  n'cft  qu'un  inci- 
dent du  plaifir  qu'ils  nous  donnent^ 
&  même  un  incident  affez  rare.  Les 
tableaux  jrfaifent ,  quoiqu'on  ait  pré- 
fent  à  l'efprit  qu'ils  ne  font  qu'une 
toile  fur  laquelle  on  a  placé  des  cou* 
ïomeh  V 


■,r  ..Google 


J^^t  Rifexîons  enàjtus 

leurs  avec  art.  Une  Tragédie  touché 
«eux  qui  connoiflent  le  plus  diflînÔe* 
ment  tous  les  refibrts  que  le  génie  du 
Poëte  &  -le  talent  du  Comédien  meti 
tent  en  oaivre  pour  les  émouvoir. 

Le  plalfir  que  les  tableaux  &  les  poè- 
mes dramatiques  excelléns  nous  peu- 
vent faire  ,  çA  même  plus  grand  ,  lori^ 
que  nous  les  voyons  pour  ta  féconde 
fois,  &  quand  il  n'y  a  plus  lieu  à  Til- 
luûon.  La  première  f<MS  qu'on  les  voit  y 
on  eft  ébloui  de  leurs  beautés.  Notre 
efprit  trop  inquiet  &  trop  en  mouve- 
ment pour  fe  fixer  fur  nen  de  par- 
ticulier ,  ne  jouit  véritablement  de 
rien.  Pour  vouloir  parcouiir  tout  fiC 
vcMr  tout,  nous  ne  voyons  rien  dif- 
tinâement.  Il  n*eft  perfonne  qui  n*ait 
expérimenté  ce  que  j'avance ,  £  ja- 
mais il  lui  eâ  tombé  dans  les  mains 
quelque  livre  qu'il  fouhaitât  avec  beau- 
coup d'impatience  de  lire.  Avant  que 
d'en  pouvoir  lire  les  premières  pages 
avec  une  attention  entière  ,  il  lui  a 
faWvi  parcourir  fon  livre  d'un  bout  à 
Tautre.  Ainfi  quand  nous  voyons  une 
belle  Tragédie  ,  ou  bien  un  beau  ta< 
bteaUf^pour  la  féconde  fois,  notre  efprit 
^A  plys  capable  dç  «'arrêter  fur  les  pan» 


:,-,zf  -„CoOglc 


fur  la  Poëjîe  ^far  la  Ftbuurt.  4^  9 
^es  d'an  ob^et  qu'il  a  découvert  &  paiy 
couru  en  entier.  L'idée  générale  d^ 
l'ouvrage  a  pTÎ>i  fon  affîette ,  pour  ainJî 
^ire ,  dans  l'imagination  ;  car  il  faut 
<ju'une  telle  idée  y  demeure  quelque 
lents  avant  que  <l'y  bien  prendre  ia  piaf- 
fe. Alors  rârpritfeiivrefànsdiftraâioii 
-à  ce  qui  le  touche.  Unctu-ieux  d'Archi- 
Xe£lure  n'exaniine  une  colonne ,  &  'i 
ne  s'-arrête  fur  aucune  partie  d'un  Pa- 
lais ,  qu*apr^  avoir  donné  le  coup-d'aU 
À  toute  la  malle  dit  bâtiment ,  qu'après 
avoir  bien  plaûé  dans  Ton  imaginatioA 
ridée  diiliBâe  «le  ce  Palais. 


SECTION     X  L  I  Y. 

■Çae  its  Poèmes  Ardmàtiquts  purgint  &* 
pdffiotts. 

J  Lfuffit  dé  bien  connc^irelespaffion» 
violentes,  pour  defirer  rérieufement  de 
p*y  jamais  Srre  affujetti ,  &  pour  pren- 
-dre  des  réfolutions  qui  les  empêchent, 
■du  moins  ,  de  nous  fubjnger  fi  facile- 
ment. Un  homme  qui  fçait  quelles  \n- 
îqiiîémdes  {a  palîîon  de  l'amour  eft  ca- 
■pablie  4e  catoer  ;  un  homme  qui  fçtiit 
Vij 


:,-,zf--„GoOglc 


^  ËD  RijUxîons  criûqaa 

à  quelles  extravagances  elle  conduit 
les  plus  Cages ,  &  daos  quels  périls  ella 
précipite  les  plus  circonfpeâs  «  defirera 
trèsférieufementde  n'être  jamais  livré 
k  cette  y  vreffe.  Or  les  Poëfies  drama- 
tiques ,  en  metunt  fous  nos  yeux  les 
égarcmens  où  les  palSons  nous  condui- 
sent ,  nous  en  font  connoître  les  fymp- 
tomes  &  la  nature  plus  fenlîblement 
qu'im  livre  ne  fçauroit  le  faire.  Voilà 
pourquoi  Ton  a  dit  dans  tous  les  tems, 
que  la  Tragédie  purgeoit  les  paflioos. 
Les  autres  Poèmes  peuvent  bien  faire 
quelque  effet  approchant  de  celui  de  Ja 
Tragédie  :  mais  comme  l'impretSon 
qu'ils  font  fur  nous ,  n'eft  point  à  beau^ 
coup  près  auâi  grande  que  l'impre^îoa 
que  la  Tragédie  fait,  à  l'aide  du  théâtre, 
as  ne  ron^pa^aufEefS,cacesquelaTnh 
gédie  pour  purger  les  paffions. 

Les  hommes  avec  qui  nous  virons  i 
nous  laiflent  prefque  toujours  à  devi- 
ner le  véritable  motif  de  leurs  aâîons, 
&  quel  eft  le  fond  de  leur  cœur.  Ce 
qui  s'en  échappe  au  dehors,  ^  ce  ouj 
ne  paroît  qu'une  étincelle ,  vient  fdur 
vent  d'une  incendie  qui  fait  des  rav^ 

§es  affreux  dans  l'intérieur.  Il  arrive 
QPC  fouvent  q^e  pous  noii^  trompop; 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Po'èjîe  &fur  la  Peinture,  ^  i' 
Wous-mêmes ,  en  voulant  deviner  ce 
que  penfent  les  hommes  ;  &  plus  fou- 
vent  encore  ils  nous  trompent  eux* 
mêmes  dans  ce  qu'ils  nous  difcnt  de  la 
fituaticn  de  leur  cœur  6c  de  leur  ef- 
prit.  Lesperfonnages  de  Tragédie  quit- 
tent le  mafque  devant  nous.  Us  pren- 
nent tous  les  fpeâateurs  pour  confî- 
dens  de  leurs  véritables  projets  &  de 
leurs  fentimens  les  plus  cachés.  Us  ne 
lailTent  rien  à  deviner  aux  fpeftatciirs- 
que  ce  qui  peut  être  deviné  ûirement 
&  facilement.  On  petit  dire  la  même 
chofe  des  Comédies; 

D'ailleurs  la  profeffion  du  Poëte 
dramatique ,  eft  do  peindre  les  paffions 
telles  qu'elles  font  réellement,  fans 
exagérer  les  chagrin*  qui  les  accMnpa- 
gnent,  &  les  malheurs  qui  lés  fiiî' 
vent.  C'eft  encore  par  des  exemples 
qu'il  nous  inftruit.  Enfin  ,  ce  qwi  doit 
achever  de  nous  convaincre  de  fa  fin- 
cërité ,  nous  nous  reconnoîflbns  nous- 
mêmes  dans  fes  tableaux.  Or  la  pein- 
ture lîdelle  des  pallions  fiiffit  feule  pour 
noiis  les  faire  craindre,  &  pour  nous 
engager  à  prendre  la  réiblution  de  les 
éviter  avec  toute  l'attention  dont  nous 
ibmmes  capables.  E  n'eft  pas  befoîa 
V  iîj 


:-,r.,  Google 


'^1  Ê.if[txwHs  criâqua 

qiie  cette  peinture  foît  charg&.  Qiâ 
peut ,  après  avoir  vn  le  Cid,  ne  point 
appr^nder  (favoîr  hik  explication 
chatouilleuTe  dans  nn  de  ces  motnens 
•h  nos  htuneurs  (bat  aigries  }  Quelle 
Téfolution  ne  fotme-t'on  pas  de  ne  point 
traiter  tes  affînres  qui  nous  tiennent 
trop  au  cœur,  dans  ces  inilans ,  oà  iteft 
fi  facile  que  Texi^ication  aboutifTe  1 
«ne  cpierelle  J  Ne  fe  promet-on  point 
de  fe  taïre  ,  du  moins  dans  toutes  les 
occaiions  oà  notre  imagination  trop 
«mue  peut  nous &ire  dire  quatre  mots  , 
que  nous  voudrions  racheter  par  un  fi- 
lence  de  fîx  mois  ?  Cette  crainte  des 
pafTions  ne  hifle  pas  d'avoàr  quelque 
effet. 

tl  n'eft  gu^res  depaffion  qui  ne  fbic 
un  petit  fe»  diuis  Ton  commencement , 
Se  qui  ne  s*éteigmt  bientôt ,  fi  une  fufte 
défiance  de  nous-mêmes  nous  faiibit 
fait  les  objets  capables  de  Fattifer.  Phè- 
dre criminelle  ,  malgré  elle-même  ,  eft 
une  fable  comme  celte  de  ta  naiffiuoce 
de  Baccbus  8c  de  Minerve* 

Qu'on  ne  me  6iffe  pomt  dire  après 
oela ,  que  ks  Poemeis  dramatiques  font 
un  remède  fouverain  &  univerfel  en 
morale;  je  fuis  trop  ékugné  de  rien 


:,-,zf--„GoOglc 


furlaPoëfit&fwiaPiù'nturt.     4fij 

E enfer  d'approchant  :  je  veux  dire  feu- 
;ment  que  les  Poëntes  dramatiques 
corrigent  quelquefois  les  hommes  ,  6c 
'  ^e  fouvent  iû  leur  donnent  l'envia 
d'être  meilleurs.  C'eft  ainfi  que  le  fpec» 
tacle  imaginé  par  les  Lacédemoniens  , 
pour  infpirer  l'averûon  de  l'yvrogne» 
rie  à  leur  }euneâ«  ,  faifoït  ion  effet, 
li'horretu-  que  la  manie  &  l'abrutifle- 
inentdes  eklaves,qu'onexpofoityvTi;s 
fiir  un  théâtre,  donnoit  aux  ipeÛa- 
teurs ,  laiiToient  en  eux  une  ferme  léfo* 
lution  de  réfifter  aiuc  attraits  de  ce  vice.. 
C^lt&  réfoluiion  empêchoit  quelques, 
jeunes  gens  de  prendre  du  vin  avec 
excès ,  quoiqu'elle  ne  fût  point  cap»< 
ble  d'en  retenir  ^ufîeurs  autres.  11  eA 
4es  hommes  trop  fougueux  pour  être 
retenus  par  des  exen^es  ,  &  des  pa& 
£ons  trop  allumées  pour  être  éteintes- 
«tr  des  réflexions  philoibphiques.  Lx 
Tragédie  pui^e  donc  les  payions  ï  peu 
près  comme  les  reme<les  guériffent,. 
&  comme  les  armes  défeniîves  garan- 
tiflTent  des  coups  des  armes  c^enlivcs, 
La  chofe  n'amve  pas  toujours^  nuls 
.elle  arrive  quelquefois. 

Tai  (vtyooÇé,  dans   tout  ce  que  je 
£iens  de  dire ,  la  morale  des  pièces  de 
Viv 


...Xooyic 


J^4  Kifitxtxms  erîihptef 

théâtfc  au£î  bonne  qu'elle  doit  l'être; 
Les  Poètes  dramatiques  dignes  d'écrire 
pour  ie  théâtre  ,  ont  toujours  regardé 
^obligation  d'inlptrer  la  haine  du  vice 
Ce  l'amour  de  la  vertu  ,  comme  la  pre- 
mière obligation  de  leur  Art.  Ce  qu* 
j*  puis  affitrer^  dit.Monfieur  Racine  à 
ce  fujet  (d) ,  c'tfi  qacjf  n'ai  point,  fait 
dt  Tragédit  où  la  vertu  fait  plus  imfe  aa 
jour  qui  dans  celle-ci.  Les  moindres  fiuuet 
y  font  févt>emtm  punies,  La  feuk  penfU 
du  crime  y  efl  regardée-  avec  auiant  d'hôr" 
reur  que  le  crime  mime.  Les  fottlejfis  d* 
l'amour  y  pajfent  pour  de  véritahUs  ffù" 
bleffes.  Les pafflons  n'y  font préftniéts  aux 
.yeux  ,  tjue  pour  montrer  le  defordre  doni- 


dhs  font  caufe  ;  &  le  vice  y  efl  peint  par-- 
toutavec  des  couleurs  qui  en  jont  connoîtrA 
&  kaîr  la  difformité.  Cefi-là-  proprement: 
h  but  que  tout  homme  qui  travaille  pom  I4 
théâtre ,  doitjepropofer  ,  &  c'ejl  et  que  la 
premiers  Po'éies  tragiques  avaient  en  vue 
ffir  toute  ckofe.  Leur  théâtre  était  une  école- 
ou  la  vertu  rCétott  pas  moins  hien  enjeigné^ 
$ue  dans  les  écoles  des  Philofophes, 
■  Les  Ecrivains  qui  ae  veulent  pas 
comprendre  comment  la  Tragédie  pur- 
ge les  pafCons ,  allèguent,  pour  juftmer 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Pvêjte  &fier  la  Pànture.  46^ 
ïéur  fentiment ,  que  \t  biit  de  la  Tra- 
gédie eft  de  les  exciter.  Un  peu  de- 
réflexion  leiir  auroit  fait  trouver  l'é- 
'  clairciffement  de  cette  ombre  de  diC- 
ficulté ,  s'ils  avoieni  daigné  !e  cher- 
cher. 

La  Tragédie  prétend  bien  que  toii- 
"  tes  les  pâmons ,  dont  elle  fait  des  ta- 
bleaux, nous  émeuvent;  mais  elle  ne- 
Veut  "pas  toujours  que  notre  affeGion 
foit  la  même  que  l'aflèâion  du  perfon- 
nage  tourmenté  par  une  paflïon  ,  ni 
que  nous  époufions  fes  fentiiDens.  Le 
plus  fouvent  fon  but  eft  d'exciter  en 
nous  des  fentimens  oppofés  à  ceiijc 
qu*eUe  prête  à  fes  perfomiages.  Par 
exemple  ,  quand  la  Tragédie  nous  dé- 
peint Médée  qui  fe  venge  par  le  meiir- 
we  de  fes  propres  enfans,  eUe  difpofe 
fcn  tableau ,  de  manière  que  nous  pre- 
nions en  horreur  la  paffion  de  la  ven- 
feanfce,  laquelle  eft  capable  de  porter 
des  excès  fi  fimeftes.  Le  Poète  pré- 
tend feulement  nous  infpirer  les  fenti- 
mens qu'il  prête  à  ceux  des  pei-fonna- 
ges  qu'il  dépeint  vertueux  ,  &  encore 
ne  veut-il  nous  feire  époufer  que  ceux 
de  leurs-  fentimens  qui  font  touabîcs. 
Or  epand  on  dit  q*ie  la.-  Tragédie  piit- 
V  V 


:,-,zf-„  Google 


'i^  Réfiexùms  aitîqius 
'  ee  lev  pa^ns ,  chi  entend  parler  feu-^ 
leHienc  des  paâioos  vicieufes  Se  pr^u- 
diciaUes  à  la  Ibcieté.  Une  Tragédie 
qm  donneroit  du  dégoût  des  pâmons 
utiles  àla  fociété,  telles  que  fctfUramoar 
de  la  patrie  ,  Tamour  de  la  gloire  ,  la 
crainte  du  deshonneur ,  &c.  feroit  auffi 
TÎcieufe  qu'une  Tragédie  qui  reodrok 
le  vice  lûmable. 

Il  eft  vrai  qu'il  eft  des  Poètes  dra- 
matiques ignorans  dans  leur  Art,  & 
qui,  fans  connoilTance  des  mœurs, re- 
pi^fentent  fbuvem  le  vice  comme  une 
grandeur  (Pâme  ,  Se  la  vertu  comme 
unepetiteffed'erprit  5cdec(xur.  Maïs 
cette  faute  doit  être  imputée  i  Tigno- 
rance,  ou  bien  k  la  dépravation  de 
rArtifan ,  £c  non  point  à  l'Art.  On  dit 
du  Chirm^ien  qui  eâropie  ceiK  qu'il 
faigne  ,  qu'il  ell  un  mal-adroit  ^  mais 
fa  faute  ne  décrie  point  laiàjgoéâ,  âc 
ne  ^crédite  pas  la  Chirurgie.  Un  Au* 
leur  étoin-di  fait  une  Comédie  qui  dé- 
truit un  des  principaux  élémens  de  la 
fociété  ,  je  veux  dire  la  perfuafîon  oh 
doivent  être  le$  enâns  que  leurs  pa- 
rens  les  aiment  encore  plus  que  ces 
parens  ne  s'aïmem  eux-mêmes.  Il  fait 
rouler  l'intrigue  de  iâ  pièce  fur  la  rufe 


:,-,zf--„GoOglc 


fttrlaPoëjîe&furlaPâmurt:.     4S7 
d'un  père  qui  met  en  œuvre  la  fourbe- 
rie la  plus  rafinée  ,  pour  feire^  enfer- 
mer fes  enfans  qui  (ont  bien  nés ,  afin 
de  s'approprier  leiu-  bien ,  &  d'en  jouir 
avec  fa maîtreffe.  L'Aute\ir  domie par- 
le ,  expofe  ce  myftere  d'iniquire  fur  la 
Scène  comique ,  fans  le  rendre  plus 
©dieux  qiie  Terence  cherche  à  rendre 
odieux  les  tours  de  jeune  ffe  des  Efchi- 
nes  &  des  Pamphiles ,  que  le  bouillant 
de  l'âge  précipite  ,  malgré  leurs  re- 
mords ,  dans  des  foiWeffes  que  le  moit» 
^e  excufe ,  de  dont  les  pères  eux-m^ 
mes  ne  font  pas  toujoiu^  aitifi  défafpé^ 
rés  qu'ils  le  difent.  D'ailleurs  l'intri- 
gue des  pièces  de  Térence  finit  par  un 
cÙnouement  qui  met  le  fils  en  état  de 
fatisfaire  à  la  fois  fon  devoir  &  ftMi  ii> 
clination.  La  tendreffe  paternelle  com- 
battue dans  le  père  par  la  raifon  ;  les 
agitations  d'un  enfent  bien  né  ,.  tour- 
menté par  la  crainte  de  déplaire  à  feS 
parens ,  ou  de  perdre  fa, maîtreffe  ,  don- 
nent lieu  à  plufieurs  incidens  intérêt- 
Éiiis ,  dont  il  peut  réfulter  une  morale 
mile.  Mais  la  barbarie  d'un  père  qui 
veut  facrifier  fes  enfans  à  une  pafiîon  j 
que  la  jenneffe  ne  fçaurœt  plus  excofer 
en  lui ,  ne  peut  être  regardée  ^e  corn» 
Vyj 


:,-,zf--„GoOglc 


4)S8  Réfixwm  aîàqueÈ 

me  un  crime  énorme ,  &  tel  à  peu  pris 
que  celui  de  Médée.  Si  ce  crime  peut 
être  expofé  fur  le  théâtre,  s'U  peut  y 
doner  heu  à  une  morale  utile  ,  c*eft  ea 
cas  qu*il  y  paroifle  dépeint  avec  Us  cou- 
leurs tes  plus  noires»  &  qu'il  y  ibil 
«nfin  puni  des  châtimens  les  ^us  fére- 
tes  que  Melpomene  en^loye  ,  mais 
dont  Thalie  ne  peut  pas  fe  fervir^  Il  efl 
contre  les  bonnes  mœurs-  de  donner  Tï- 
dée  que  cette  aâion  n*eft  qu'uoe  faute 
ordinaire  ,  en  la  &ifant  iervir  de  fujet 
à  une  pièce  Comique.  Qu'on  âétrilTe 
donc  cette  pièce  odieufe  ;  mais  qu'on 
tbn^e  d'accord  en  même  fems  que  les 
Comédies  de  Térence ,  &  la  plupart 
de  celles  de  Molière  font  propres  à  pur- 
ger les  paUions. 


S  E  C  T  r  ON    XLV. 
Delà  MttfiqucpropnnKnt  dite, 

J.  L  noits  refte  à  parler  de  laMufiqfie  f 
comme  du  troifieoie  des  moyens  que 
les  hommes  ont  inventés  pour  dernier 
ime  nouvelle  force  â  la  Poeûe ,  &  pour 
la  mettre  en  état  de  faire  fur  nous  luç 


:-„r., Google 


fur  Ut  ^oëjîe  &  Jhr  la  Piînturt.  4^9 
t^us  grande  impreffion.  Ainfi  qtie  le 
Peintre  imite  les  traits  &  les  couleurs 
de  la  nature  ,  de  même  le  Mnâcien 
imite  les  tons  ,  les  accens ,  les  foupirs  i 
les  inflexions  de  voix  ,  enfin  tous  ces 
fons,  à  f  aide  defqiiels  la  nature  mêmej 
exprime  fes  fentimens  &  fes  pafïtonsj 
Tous  ces  fons,  comme  nouS  l'avons 
déjà  expofé ,  ont  une  force  merveil- 
leufepoiir  nous  émouvoir ,  parce  qu'ils 
font  les  lignes  des  paflions  ,  inftitué* 
par  la  nature  dont  ils  ont  reçu  letu? 
énergie;  au  lieit  qUe  les  mots  articu- 
lés ne  font  que  des  f^nes  arbitraires 
des  paflions.  Les  mots  articulés  ne  ti- 
rent leur  lignification  &  leur  valeur 
cjue  de  riniiitution  des  hommes ,  qui 
n'ont  pu  leur  donner  cours  que  dans 
un  certain  pays, 

■  La  Muûque",  afin  de  rendre  l'inîita- 
tîA  qu'elle  fait  des  fons  naturels  plus.  ' 
capabfle  de  jrfaire  &  de  toucher,  ]'» 
réduite  dans  ce  ^ant  continir  qu'on 
appelle  le  fujet.  Cet  art  a  trouve  en- 
core deux  moyens  de  rendre  ce  cirant 
plus  capable  de  nous  plaire  &  de  nous 
émouvoir.  L'un  eftrharmonie  ,  &  l'au- 
tre eflle  rithme. 
Les  accords  dans  lefquels  )^naQ* 


.Cooylc 


470*  Réflexions  mâqius 

nie  confifle ,  ooc  un  grand  channe  poo^ 
J'oreille  ;  £c  le  concours  des  ^fferen> 
tes  parties  d'une  coii^Kïlîtioa  muûcale 
qui  font  ces  accords,  contribue  enccve 
9  FexprelBon  du  bruit  que  le  Muficiea 
prétend  inûter.  E^  bafie  continue  5c  les 
9utres  parties  aident  beaucoup  le  diatit 
à  exOTÏm»  i^us  parCittement  le  fuiet  de 
Tinutation. 

Les  anciens  a[^H(Ment  rithme  en 
taufique ,  ce  que  nous  aroellons  mefmt 
^  mottvemem.  Or  la  mefitre  &  le  mou- 
vement  donne  l'ame ,  pour  ain&  dire, 
aune  compofitionmulicale.  Lafcience 
«lu  rithme  ,  en  montrant  à  varier  i 
propo»  la  raefure,  ôte  de  la  imifi<)ae 
cette  uniformité  de  cadence, -qm  fe- 
roit  capable  de  la  rendre  bientôt  eo- 
auyeufe.  En  fécond  lieu ,  le  ridune 
içait  mettre  une  nouvelle  vraifegi- 
Mance  dans  Tinûtation  que  peut  îmc 
une  compofîtion  muficale ,  parce  que 
le  rithme  lui  fait  imjler  encore  la  (Mt>- 
greâion  &  le  mouvement  des  bruits 
&  des  fons  naturels  qu'elle  imitoît  dé* 
)z  par  le  diant  &  par  Ilurmonie.  Ain- 
u  le  rithme  donne  une  vr^femblaoce 
de  plus  à  l'imitation. 

La  Muiique  Ëit  donc  fes  inûtatioDS 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Pocft  &fur  la  Ptînture,  ^% 
par  le  fecours  du  chant ,  de  l'hannonie 
&  du  rithme.  In  earuu  triapracipuino^ 
tandafunt ,  karmonia  ,  Jerma  &  rilkmas» 
JHarmonia  vcrfatur  circa  fonum  ;  Strmo  . 
àrca  irutUeéium  verhorum  â*  enuntiaùo^ 
nem  difiinciam  :  Rithmus  circa  conùnnun» 
-  «a/jr/ci'mofa/n.C'eftainllqne  la  Peinture 
^it  les  inûtâtions  p%r  le  fecours  du 
trait,  duclair-obrcur,  ÔC  des  couleurs 
locales. 

Les  lignes  naturels  despalHons  que  la 
Musqué  ralTentble  ,  &  quelle  emptoye 
avec  art  pour  augmenter  l'énergie  des 
paroles  qu'elle  met  en  chant,  doivent 
donc  tes  rendre  plus  capables  de  nous 
toucher  ,  parce  que  ces  lignes  naturels 
ont  une  force  merveilleuïe  pour  nous 
émouvoir,  fis  la  tiennent  de  la  nature 
même.  NihUeJi  enim  tam  cognatum  men-r 
tibus  nofiris  ,  quàm  numeri  alque  voces  y 
quièus  V  excitamur  j  &  incendimur  >  ^ 
lenimur^  &  languefcimus ,  dit  un  des 
plus  judicieux  obfervateurs  des  affec- 
tions des  hommes  (a).  C'elï  ainfi  que 
le  plaillr  ds  l'oreille  devient  le  plailîr 
du  cœur.  De-là  font  nées  les  chanfons  ; 
$C  robfervation  qu'on  aura  faite ,  que 
les  paroles  de  ces  chanfons  avoicnt 


.,-,zf  -iCoôglc 


af^*'  Tlijiexlons  ctîàques 

IJien  une  autre  énergie  ,  lorfqu'on  les 
entendoit  chanter,  que  lorfqu'on  les 
entendoit  déclamer,  a  donné  lieu  à 
mettre  des  récits  en  mufique  dans  les 
ipeftacles ,  &  l'on  eft  venu  fucceffive- 
vement  à  chanterune  pièce  dramatique 
en  entief.  Voilà  nos  Opéra. 

Il  eft  donc  une  vétité  dans  les  récits 
des  Opéra;  &  cette  vérité  confifte 
dans  l'imitation  des  tons,  des  accens, 
des  foupirs  ,  &  des  fons  qui  font  pro- 
pres naturellement  ainr  fentimens  con- 
tenus dans  les  paroles.  La  même  véri- 
té peut  fe  troirver  dans  l'harmonie  & 
dansle  rithtne  de  toute  la  compofîtion. 

La  Mufique  ne  s'eft  pas  contentée 
d'imiter  dans  fes  chants  te  langage  in- 
articulé de  l'homme  ,  &  tous  les  fons 
naturels  dont  il  fe  lêrt  par  inftinit.  Cet 
Art  a  voulu  encore  faire  des  imitations 
de  tous  les  bruits  qui  font  les  plus  ca- 
pables de  faire  impreffion  fur  nous^ 
îorfque  nous  les  entendons  dans  la  na- 
ture. La  Mulîqiie  ne  fe  fert  qtie  des 
inftnunens  pour  imiter  ces  Bruits,  dans 
lefquets  il  n'/  a  rîen  d'articulé  ;  &  nous 
appelions  commimement  ces  imîta- 
iions ,  des  fymphonies.  Cependant  les 
fympho;nes  ne  laiffent  pas  de  jouer  , 


:,-,zf--„GoOglc 


Jur  la  Po'èjît  &  fur  ta  Pelmun.  473Î 
*p<y\iT  atnfi  dire  ,  difïerens  rôles  dans  nos 
Opéra, &  cela  avec  beaucoup  de  fuccès,' 

■  En  premier  lieu  ,  bien  que  cette  Mu- 
fique  foit  purement  inftrumeotale  ,  elle 
ne  laiflTe  pas  de  contenir  une  imitation 
véritable  de  la  nature.  En  fécond  lieu  9 
U  y  a  pluTieurs  bruits  dans  la  nature 
capables  de  produire  un  grand  effet 
fur  nous ,  quand  on  nous  les  &it  en» 
tendre  à  propos  dans  les  Scènes  d'une 
pièce  dramatique. 

■  La  vérité  de  l'imitation  d'une  fym- 
phonie  confifte  dans  la  reffemblance 
ce  cette  fymphonie  avec  le  bruit  qu'el- 
le prétend  imiter,  fl  y  a  de  la  vérité 
clans  une"  fymphome ,  compofée  pour 
imiter  une  tempête  ,  lorfque  le  chant 
de  la  fymphonie,  fon  harmonie  &  fou 
lithme  nous  font  entendre  im  brnit  pa- 
xeii  au  ,fracas  que  les  vents  font  dans 
Vair&  au  mugiffement  des  flots,  qm 
s'entrechbquent ,  ou  quife  brifent  con- 
tre des  rochers.  Telle  eft  la  fymphonie 
qui  imite  une  tempête  dans  l'Opéra 
d'AIcione  de  M.  Marais; 

Ainfi ,  quoique  ces*-  fymphonies  né 
BOUS  faffent  pas  entendre  aucun  fon  ar- 
ticulé ,  elles  ne  laiffent  pas  de  pouvoir 
JQuer  des  rôles  dans  ^s  pièces  dn^ 


:,-,zf--„GoOglc 


4^4  Rifitjdons  amquts 

natiques ,  parce  qu'elles  coatribneiit  S 
nous  intérefier  à  l'aâion,  en  fàïTanl 
ùa  nous  une  impreffion  approchante 
4e  celle  que  feroit  le  bruit  même  dont 
«lies  font  une  imitation ,  fi  dous  enten< 
4ions  ce  bruit  dans  les  mêmes  circons- 
tances que  nous  entendons  la  fympbo- 
nie  qui  limite.  Par  exemple  ,  l'imita- 
tion du  bruit  d'une  tempête  qui  va 
jiibmei^er  un  perfonnage ,  à  qui  le 
Poëte  nous  fait  prendre  aâuellement 
un  grand  intérêt,  nous  aflfeâe  comme 
BOUS  affederoit  le  bruit  d'une  tempête 

Eête  à  fubmerger  une  perfonne  poof 
quelle  nous  nous  intéreflerions  avec 
chaleur ,  fi  nous  nous  trouvions  à  por- 
tée d'entendre  cette  tempête  véritable. 
U  feroit  inutile  de  répéter  ici  que  ru»- 
peffion  de  la  fympbonie  ne  içaurcHt 
être  auffi  férieufe  que  rimpre^onqœ 
la  tempête  véritable  feroit  fur  nous  • 
car  j'ai  déjà  dit  plufieurs  fois ,  que  l'im- 
preflîon  qu'une  imitation  fait  fur  nous 
eft  bien  moins  forte  que  l'impreffioa 
feite  par  lajrhofe  imitée,  {a)  Sine  du^ 
èio  lit  omm  re  vincit  imitatiantm  vtritas. 
■  Il  n'eft  donc  pas  furprenant  que  les 
fyini^nies  nous  touchent  beaucoup. 


:,-,zf--„GoOglc 


Jufla  Poèfii&fitrlaPàTitare.  jpfH. 
I^ioîqiie  leurs  fous ,  comme  te  dît  Lon- 
gin  (a) ,  ntfoiitnt  qut  dcjimplti  imitations 
•  éfun  Brait  inarticulé ,  &  ,  i  ^il  faut  parler 
i»injî ,  deifons  qui  n'ont  qut  la  moitU  d0^ 
tiur  éire ,  &  une  dem-vit. 

Voilà  pourquoi  l'on  s'eft  fervi ,  dan» 
tous  les  pays  êc  dans  tous  les  tems ,  du 
chant  inarticulé  des  inllrumens  pouf 
remuer  le  cœur  des  hommes  ,  &  pour 
mettre  certains  femimens  en  eux ,  prin- 
cipalement dans  les  occafions  otï.  l'on' 
ne  fçauroit  leur  inlî»rer  ces  ientimens 
en  fe  fervant  du  pouvoir  de  la  parole. 
tes  peuples  civilifés  ont  toujours  fait 
lifage  de  la  Mufique  inilrumentaîe  dans 
leur  culte  religieux.  Tous  les  peuples 
<}nt  eu  des  inflrumens  propres  à  la  guer* 
Té ,  Jk  ils  s'y  font  fervi  de  leur  chant 
inartieulé,  non-feulement  pour  faire 
entendre  A  ceux  qui  de\'oient  obéir 
les  ordres  de  leurs  Commandans ,  mais 
encore  pour  animer  le  courage  des 
combattans  ,  &  m£me  quelquefois 
pmiT  le  retenir.  On  a  touché  ces  inf-  ■ 
trumens  différemment,  fuivant  l'effet 
qu'on  vouloit  qu'ils  fiiTent ,  &  on  a 
cherché  à  rendre  leur  bruit  convenable 
à  Pufage  auquel  cHi  le  dèftinbil. 

(al  TraitiiuSuU.cb,ii. 


:,-,zf--„GoOglc 


Jfj6  '  Réfiexîons'critt^ui  ' 
■  Peut-être  anrionS'notis  étudié  Fart 
de  toucher  les  inlbiimens  militaires  au- 
tant que  les  Anciens  Tavoient  étncUé, 
fi  le  Â-acas  des  armes  à  feu  laiffoit 
nos  combattans  en  état  cTentendre  dii^ 
rinâement  le  fon  de  ces  inftrumens. 
Mais  quoique  nous  n*ayons  pas  travail* 
té  beaucoup  à  perfeâionner  nos  infiru" 
jïiens  militaires  ;-&  quoique  nous  ayons 
fi  fort  n^ligé  Tart  de  les  toucher  »  qui 
donnoit  tant  de  confidération  parmi  les 
Anciens  ■  que  nous  regardons  ceux  qui 
exercent  cet  art  aujourd'hui ,  comme 
la  partie  la  plus  vile  d'une  armée,  nous 
ne  laiflbns  pas  de  trouver  les  premiers 
principes  de  cet  art  dans  nos  camps. 
Nos  trompettes  ne  fonnent  point  la 
charge ,  comme  ils  fonnent  la  retraite. 
Nos  tambours  ne  battent  poim^  la  cha- 
made du  même  mouvement  dont  ils 
battent  ta  charge. 

Les  fymphomes  de  nos  Opéra  ,  & 
'  principalement  les  fymphomes  des 
Opéra  de  Lulli',  le  (dus  grand  Poëte  en 
ftiufique  dont  nous  ayons  des  ouvra- 
ges ,  rendent  vraifemblables  les  effets 
les  ^us  furprenans  de  la  mufique  des 
Anciens,  Péut-^tre  que  les  bruits  de 
guerre  deThefée^lesiburdiaesd'Arî 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Poijît  &fur  la  Peinture.  47;^ 
fandc  »  5c  pliifieurs  autres  fymphcftiie^ 
du  même  Auteur  auroient  produit  de 
ces  effets  qui  nous  paroifToient  fabuleux 
dans  le  récit  des  Auteurs  anciens ,  fion 
les  avoit  fait  entendre  à  des  hommes 
d'un  naturel  auflî  vif  que  des  Athép 
niens;  &  cela  dans  des  fpeflacles  oh 
âls  eulTent  été  émus  déjà  par  l'aflion 
d'une -Tragédie.  Nous-mêmes  ne  fen- 
tons-nous  pas  que  ces  airs  font  fur 
nous  rimprelTion  que  le  Mulîcicn  a  eu 
l'intention  de  leur  faire  produire  ?  Ne 
ientons-nous  pas  que  ces  fymphonies 
nous  agitent ,  nous  calment ,  nous  at- 
tendriffent  ;  enfin  qu'elles  agiffent  fur 
flous ,  à  peu  près  comme  les  vers  de 
Corneille  &  ceux  de  Racine  y  peuvent 
agir  ? 

Si  J'Auteur  anonyme  du  Traité  De 
Poëtnatum  cantu  &  \iribus  Ritkrmi  ,  quç 
je  crois  êtM  Ifaac  Voffius ,  parce  que 
içs  amis  mel'cnt  dit ,  &  parce  que  cet 
■ouvrage  eft  rempli  des  préventions  eri 
iaveur  de  la  Chine  &  des  Chinois ,  c;uç 
tout  le  monde  fçait  bien  avoir  été  par- 
:ticulieres  à  Ce  fçavant  homme  ;  fi ,  dis- 
je  ,  cet  Auteur  avoit  pu  entendre  les 
P^eï-a  fleLuUi,  ^  principalem  nt  le» 
derniers ,  avant  que  d'écrire  le  Traita 


:,-,zf-,GoOglc 


47^  JtifitxîoBS  crm^ues 

dont  je  parle  ,  il  n'auroh  pas  dit ,  com^ 
me  il  Ta  lait ,  'a)  que  la  Mufique  mo-* 
dcme  n'avoit  rien ,  ni  de  la  force  ni  de 
rénei^ie  de  la  Mufique  ancienne.  Faut' 
il  s'étonna* ,  c'eft  le  iens  de  Ces  pa- 
tôles  ,  que  notre  Mufique  ne  ^Sc 
point  les  effets  que  celle  des  Anciens 
içavoit  faire ,  puisque  les  chants  les 
plus  variés  &  t  harmonie  la  plus  riche 
ne  font  que  des  fadaife»  fonores  &des 
niaiferies  hannonieulès  i  quand  le  Mu* 
£cien  ne  fçait  pas  Étire  un  ufage  iéafi 
de  ces  chants  &c  de  cette  harmonie , 
jwur  bien-exprimer  fon  fujet  ;  &  qnaeé 
il  ne  fçait  pas  animer  encore  fa  com- 
pofition  par  un  rithme  convenable  à  et 
iîijet  ,  de  manière  que  cette  compofr- 
tion  exprime  quelque  chofe ,  &  qiiVU* 
l'exprime  bien?  Qui/>pecùmomms<afuus 
£f  harmonia  ,  ^uantumvis  elegans  ',  fi  & 
i/trhoTum  intelUSus  &  motus^Jînt-aliquii 
Jipiijuanus  ,  nUiU  tùfi  intmtm  comineiit 
Jbnumy  nemini  mirum  videri  tU^et  aht^ 
^kodUrndmuJùâvirtutem,  qita  tamoftri 
ta  veieri  pradkatur. 

Si  quelque  Mufique  moderne  manque 
du  mérite  dont  parte  ici  Monfieur  Vof- 
jfius,  ce  n'efi:  point  calle  d«  Lulli,  C^ 


:,-,zf--„GoOglc 


furUPoîjif& furU.  Peinture.  47^ 
qu'il  appelle  ici  yertorum  inulU3um  \ 
ou  rexprefTion,  eft  parfaite  dans  ce 
Mulîcien.  Les  perlbnnes  qui  ne  içavent 
pas  le  François ,  devinent  les  fentimeiw 
&C  les  paflions  des  Aâeurs  qu'il  fait  dé- 
clamer en  mufique.  Qu'on  fe  figure 
donc  quelle  comparailbn  VolIî\is  auroit 
Ëiite  des  cantates  &  des  fonates  de» 
Italiens  avec  les  fymphonies  &  les  ré- 
cits de  LulK ,  s'il  les  eût  connus ,  lorf- 
qii*il  écrivit  le  livre  dont  je  parler 
Mais  il  paroît  par  la  date  mife  au  bas 
de  la  Pré&ce  (o) ,  qu'il  l'avoît  faite  dès 
1671  f  précifément  quand  LuUi  travail* 
loit  àfon  premier  Opéra. 

Les  fymphonies  convenables  au  fu- 
Jet  &  bien  caraftérifées,  contribuent 
donc  beaucoup  à  nous  faire  prendre  in- 
térêt dans  l'aèion  des  Opéra  ,  oîi  Tort 
peut  dire  qu'elles  jouent  un  rôle.  La[ 
fiûion  qui  feîl  endormir  Atys ,  &  qui 
lui  préfente  enfuite  des  objets  fi  diver* 
iifiés  durant  fon  fommeil ,  devient  plut 
vraifemblable  Se  plus  touchante  par 
l'imprefHon  que  font  fur  nous  les  fj-oi* 
phonies  de  diffërens  citraâeres  qui  pré- 
cèdent le  fommeil ,  &  les  airs  qui  fe 
fiiccedent  à  propos  pendant  fa  duréei 


:,-,zf--„GoOglc 


4^4  lUjUxioas  iMtîquts 

La  fymphonte  de  l'Opéra  de  Rolanj  j' 
qu*oa  appelle  communément  LogiiUl- 
le  ,  joue  très-bien  fon  rôle  dans  raâion 
où  elle  eA  introditite.  L*a^on  du  cin- 
quième a£te  où  elle  eâ  placée ,  confîlle 
k  rendre  la  raifon  à  Roland,  qui  eit;  Torti 
furieux  de  la  Scène  à  la  fin  du  quatrième 
afte.  Cette  belle  fymphonie  donne 
même  l'idée  de  celles  dont  Ciceron'& 
Quintilien  difent  que  les  Pythagori- 
ciens fe  fervoient  pour  appailer  ,  avant 
que  de  mettre  la  tête  fur  le  chevet ,  les 
idées  tumultueufes  que  les  mouvemens 
de  la  iournée  laiiTent  dans  TiniagiDa- 
tion ,  de  même  qu'ils  employoient  des 
fymphonîes  d'un  caraâere  oppofé , 
pour  mieux  mettre  Ids  elprits  en  mou- 
vement ,  lorsqu'ils  s'éveilloient  ,  8e 
pour  fe  rendre  ainfi  plus  pro{M-es  à  l'ap- 
plication, (a)  Pythagorais  certè  moris 
fiùtj  &cùm  evigilajftm  animas  ad  fyram. 
excitare ,  qub  cjfent  ad  agendam  ere3i^ 
r«  ,*  &  t:ùm  fomrzum  peurtrU  ad  eamdtm, 
prias  lenire  mtntes  ,ut,Jî  quidfuijfa'tttr-- 
bidorum  negoùorum  ,  componcrttu.  Pour 
le  dire  en  paffant ,  Is  premier  air  dan- 
fant  du  Prologue  d'Amadis,  celui  qui 
yient  après  la  fin  du  ibmmeil ,  donne 

rid2ç 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  foïjîe  ^  fur  la  PeirHure,  48 1 
l'idée  de  ces  airs ,  au  ion  defqiiels  les 
Pythagoriciens  achevoient  de  s'éveil- 
ler. 

Pcrnr  revenir  à  la  fyinphonie  de  l'O- 
péra de  Roland ,  qui  nous  donne  une 
jdéc  des  airs,  au  ton  deftjiiels  les  Py- 
thagoriciens fe  difpofoient  an  fommeil , 
«Ile-  eft  entièrement  dans  la  vérit-é  de 
4'iniitation.  Il  eil  vraifemblable  qu'elle 
puifle  produire  l'effet  poiu  lequel  la 
Poëfie  du  Muficien  la  deftine.  Le  fenti- 
4nent  nous  enl'eicne  d'abord  <iit'eHe  cft 
■très-propre  à  calmer  les  agitations  de 
-l'efi»-!!  ;  &  comme  ime  dilcufiion  bien 
■faite ,  piftifie  toujours  le  fentiment , 
îious  trouvons  en  l'examinant ,  par 
■quelies  raifons  eUe  eft  fi  propre  à  faire 
1  inwreilîon  que  nous  avons  dé\a  fentic. 

Ce  n'eft  point  le  filence  qui  calme  le 
mieux  ime  imagination  trop  agitée. 
L'expérience  Se  le  railbnnemem  nous 
«nfeignent  qu'il  eft  des  bruits  beaucoup 
plus  propres  k  la  calmer ,  que  le  filence 
même.  Ces  bruits  font  ceux ,  qui ,  com- 
me celui  de  Logijîille,  continuent  long- 
tems  dans  un  mouvement prefque  tou- 
jours égal,  &c  fans  que  les  fonsfuivans 
ibient  beaucoup  plus  aigus  ou  plus  gra- 
ves, beaucoup  plus  lents  Ou  pKis  vîtes 
Tcml.  X 


:,-,zf--„GoOglc 


481  RèJUxions  eriàquis 

que  les  fons  qui  les  précédent ,  de  ma- 
nière que  la  progrellion  du  chant  fe  falTe 
le  plus  Ibuvent  par  les  intervalles  moin- 
dres. Il  fembie'  que  ces  bmits  qui  ne 
s'accélèrent  ou  ne  fe  retardent ,  quant 
à  rintonnation  &  quant  au  mouvement, 

J[ue  fuivant  une  iwoportion  lente  ôc  uni- 
orme  y  fbient  plus  propres  à  faire  re» 
[>rendre  aux  efpritsce  cours  égal,  dans 
equel  conGfte  la  tranquillité  »  qu'un  fî- 
lence  qui  les  laifferoii  iiiivre  le  cours 
forcé  Se  tumultueux ,  dans  lequel  ils 
auroient  été  mis.  Un  hon^ne  qui  parle 
longtems  fur  le  même  ton ,  endort  les 
autres ,  &  la  preuve  que  leur  afloupit- 
fement  vient  de  la  continuation  d'ua 
bruit  qui  fe  foutenoit  toujours  à  peu 
près  le  même  ,  c'eft  que  l'auditewr  Tq 
réveille  en  furfaut ,  ii  l'Orateur  cefle 
tout'à-coup  de  parler ,  ou  s'il  lui  arrive 
de  faire  quelque  exclamation  fur  un 
ton  beaucoup  plus  haut  que  le  ton  fur 
lequel  il  déclamoit  auparavant.  On  voit 
tous  les  jours  despenonnes  travaillées 
d'infoimnie ,  ne  pouvoir  s'endormir 
qu'au  bruit  d'une  leâure  ou  d'une  con- 
verfation.  Dès  que  le  bruit  celfe  ,  elles 
fe  réveillent. 

il  çi^  donc  unç  vraifemi>lajice  çq 


:,-,zf--„GoOglc 


furlA  Poipe  &furîaPeiaiurè,  483 
fymphonic ,  comme  en  poëfie.  Comme 
le  Poète  elt  alUijetti  dans  fes  fîâions  i 
ie  conforoter  à  la  vérité  de  convenan- 
<fe  ,  de  même  le  Muficien  doit  fe  con- 
former à  cette  vérité  dans  la  compofî- 
tion  des  (es  fymphonies.  Je  m'expUtjue, 
Les  Mtdicuns  compofent  fbuvent  des^ 
iymp^onies  pour  exprimer  des  In-uits 
que  nous  n'avons  jamais  entendu,  âc 
<[tti  peut-être  ne  fiirent  jamais  dans  la> 
nature.  Tels  font  le  mugiâement  de  lu 
terre ,  quand  Pluton  fort  des  Enfers  ï 
le  ûâement  des  airs,  quand  Apolloa 
inrpire  la  Pythie,  le  bruit  que  fait  ua 
ombre  en  ibrtant  de  fon  tombeau ,  Sc 
le  frémifTeroent  du  fenillage  des  chê- 
nes de  Dodone.  Il  efl:  une  vérité  de 
convenance  pour  ces  fymphonies.  Le 
donvtniaitia  finge  d'Horace  a  lieu  ici 
comme  dans  la'Poéfie.  On  connoît 
quand  la  vrai'femblance  requife  s'y  ren- 
contre. La  vraifemblance- s'y  trouve 
certainement,  quand  elles  font  un  ef- 
fet approchant  de  l'eiFet  que  les  bruits 
qu'elles  imitent ,  auroient  pu  faire  , 
&  quand  elles  nous  paroiffent  confor- 
mes à  ces  bruiis  ijODuis ,  mais  dont  nous 
ne  laifTons  pas  de  nous  être  formé  une 
idée  confufe  par  rapport  à  d'autres 
Xij 


■,r  ..Google 


'4^4  Rifitxions  endqttts 

bruits  que  nous  avons  entendus.  Oit 
dit  donc  des  fymphonies  de  cette  efpe-r 
ce  ,  ainfi  quede  celles  qui  peuvent  îmi-r 
ter  des  bruits  véritables,  qu'elles  ex-» 
priment  bien,  ou  qu'elles  n'expiîment 
pas.  On  loue  celle  du  tombeau  d'Àma-r 
dis  ,  &  celle  de  l'Opéra  d'iilé,  en  di? 
iànt  qu'elles  imitent  bien  le  naturel, 
quoiqu'on  n'ait  jamais  vu  la  nature 
dans  les  circonfla^ces  oii  ces  fynipho- 
nies  prétendent  la  copier.  Âin£ ,  bien 
que  ces  fymphonies  foient  en  un  ceiv 
tain  feas  inventées  à  plaiûr,  elles  ai- 
dent beaucoup  néanmoins  ~à  rendre  le 
fpeâacle  touchant,  &  Taâion  patheT 
tiqite.  Par  exemple  ,  les  accens  funér 
bres  de  Ja  fymphonie  que  Monfieur  da 
Luili  a  placé  <^ns  la  Scène  de  l'Oper^ 
d'Amadis  (a) ,  oîi  l'OmBre  d'Ardan  fort 
du  tombeau ,  font  autant  d'impreffion 
fur  notte  oreille  que  le  fpe£hicle  S>L  I3 
déclamation  en  font  fur  nos  yeux. 
Notre  imaginarioR  attaquée  en  même 
tems  par  l'organe  de  la  vue  &  par  l'ofr 
gane  de  l'ouïe ,  eÛ  beaucoup  plus  émue 
ce  l'apparition  de  l'Ombre  ,  que  fi  nos 
yeux  feuls  étoient  féduits.  La  fymphof 
pie  par  laquelle  Monfieui'  de^Tppch^S 


:,-,zf-,GoOglc 


furlaPolp&furlaPiîheurt.  48  c 
Ikit  précéder  l'Oracle  que  rendent  les 
chênes  de  Dodone  j  produit  un  effet 
iemblable  (o).  Le  trémiâement  du 
feuillage  de  ces  arbres  qu'elle  imite  par 
fon  chant ,  parfon  harmooie  &  par  ion 
lithme  »  tÛfpore  à  trouver  de  la  vrai- 
femblance  dans  la  fi^pofîtion  qui  va 
leur  prêter  la  parole.  Il  paroît  croya- 
ble qu'un  bruit  approchant  de  celui  da 
cette  fymphonie  ait  précédé ,  qu'il  ait 
[«réparé  1^  fons  articulés  que  l'Oracle 
proféroit. 

Enfin  ces  fyrtipfionïes  qui  nousfem- 
blent  fi  belles ,  quand  elles  font  em- 
ployées comme  I  imitation  d'un  certain 
bruit  y  nous  paroitroient  inûpides ,  el- 
les nousparoitroient  mauvalles ,  û  l'on 
les  amployoit  comme  l'imitation  d'un 
autre  bruit.  La  fymphonie  de  l'Opéra 
d'IlTé  dont  je  viens  de  parler  y  femble- 
roit  ridicule,  fi  l'on  la  mettoit  à  la 
place  de  celle  du  tombeau  d'Amadis. 
Ces  morceaux  de  mufîque  qui  nous 
émeuvent  fifenfiblement  y  quand  ils 
font  une  partie  de  l'aâion  théâtrale  , 

ftlairoient  même  médiocrement  y  fi  l'on 
Bsfaifoit  entendre  comme  des  Sonates^ 
pu  des  morceaux  de  fymj^onies  déta^ 

Xiij 


:,-,zf-,GoOglc 


■486  Rifltxîons  critiques 

cfiés ,  à  ime  perfonne  qui  ne  les  atiroJf 
iamais  entendiics  i  l'Opéra ,  &  qui  en 
pigeroit  par  coniequeot  faas  ccMinoïtre 
leur  plus  grand  mérite  ;  c*eA-à-<lîre  ,  le 
rapport  qu'elles  ont  avec  faâion  ,  oii  ^ 
pour  parler  ainfi ,  elles  joiient  un  rôle. 

Les  premiers  principes  de  k  Mufi» 
que ,  lont  donc  les  mêmes  que  ceux 
ée  la'  Poëâe  &  de  la  Peinture.  Aiofi 
que  la  Poëfie  &  la  Peinture  ,  la  Mnfi- 
«ue  eft  une  imitation.  La  Mulique  ne 
içauroit  être  bonne  ,  fi  elle  n'eil  pas 
conforme  aux  règles  générales  de  ces 
deux  Atts  fur  le  choix  des  fnjets  ,  fur 
la  vraifemblancë ,  &  fur  ^trfienrs  au- 
tres points.  Commele(litCîceron(<i): 
Omnti  Anes  qutt  ad  Aamaaitatem  ftrù- 
ntnt  y  habtnt  qaoddam  tommuae  vinat- 
lum  &  quttfi  cognatiotu  quadam  tour  fi 
eontinaanmr. 

Comme  il  eft  des  perfonnes  qui  ibnt 
plus  touchées  du  coloris  des  tableaux 
que  de  rex^effi<m  despafCons,  il  eH 
de  même  des  perfonnes  ,  qui  dans  la 
Mufique  ne  fcmt  fenfibles  qu'à  l'agré- 
ment  du  chant ,  ou  bien  à  la  richefle 
de  Pharmonie ,  &  qui  ne  font  point 
afléz  d'attenti^i  ^  fi  ce  chant  imite  bien 

W  Fn  Arià.. 


...Xooylc 


farlaPoêp^fufUPtmturt.  4S7 
le  bruit  qu'il  doit  imiter,  ou  s'il  eft 
convenable  au  fens  des  paroles  auf-* 
quelles  il  eft  adapté.  Elles  n'exigent 
poiijt  du  Muficien ,  qu'il  aflbrtine  fa 
mélodie  avec  les  fentimens  contenus 
dans  les  paroles  qu'il  met  en  chant. 
Elles  Te  contentent  que  les  chants 
foient  variés  ,  gracieux ,  ou  même  bi- 
garres ,  &  il  leur  Tuffit  qu'ils  expriment 
en  paffant,  quelques  mots  du  récit.  Le 
nombre  des  Muficiens  qui  fe  confor- 
ment à  ce  goût ,  comme  (\  la  Muiique 
étoit  incapaole  de  fuite  rien  de  mieux  ^ 
n'eft  que  trc^  grand.  S'ils  mettent  en 
chant,  par  exen^lè,  celui  des  verTets 
du  Pfeaume  Dixtt  Doimmts ,  qui  com- 
mence par  ces  mot  ,  Dt  torrtntt  in  vîd 
biba ,  ils  s'attachent  uniquement  à  l'ex- 
preâion  de  la  rapidité  du  torrent  dans 
fi.  courfe ,  au  lieu  de  s'cUtacher  au  fens 
de  ceverfet,  qui  comientime  prophé- 
tie fur  la  Paffion  de  Jefus-Chrift,  Ce- 
pendant Texpreffion  d'un  mot  ne  fçau- 
roit  toucher  autant  que  TexpreJlion 
^'un  fentîment ,  à  moins  que  le  mot  ne 
contînt  feul  un  fentiment.  Si  le  Mufi- 
cien  donne  quelque  chofe  à  l'expref- 
fion  d'un  mot  qui  n'eft  que  la  partie 
d'une  phrafe ,  iJ  faut  que  ce  foit  fans 
Xnr 


:,-,zf--„GoOglc 


4S8  Ré^exions  eriiique§ 

perdre  de  vue  le'  fens  général  de  I« 

p^hrafe  qu'il  met  en  chant. 

Je  placerois  volontiers  la  Mufique 
où  le  Compofiteur  n'a  point  fçu  faire 
fervir  fon  art  à  nous  émouvoir  ^  au 
rang  des  tableaux  qui  ne  Ibnt  que  bien 
coloriés ,  &  des  poèmes  qui  ne  font 
que  bien  verfifiés.  Comme  les  beautés 
de  l'exécution  doivent  fervir  en  Poë- 
iie ,  ainli  qu'en  Peinture  ^  à  mettre  en 
œuvre  les  beautés  d'invention  &  les 
traits  de  génie  qui  peignent  la  nature 
qu'on  imite ,  de  même  la  richefle  &  la 
variété  des  accords  ,  les  agrémeos  Sc 
la  nouveauté  des  chants  ,  ne  doivent 
fervir  en  muûque  que  pour  faire  & 
pour  embellir  l'imitation  du  langage  de 
la  nature  6c  des  payons.  Ge  qu'on  ap- 
pelle la  fcience  de  la  compomion  ell 
une  fervante ,  pour  ufer  de  cette 
cxpreflion,  que  le  génie  du  Mufîciea 
doit  tenir  à  fes  gages ,  ainfi  que  le  gé- 
nie du  Poëte  y  doit  tertir  le  talent  de 
rimer.  Tout  eft  perdu ,  qu'on  ine  par- 
donne cette  figure,  fi-î'efclave  ferend 
la  maîtrelTe  de  la  maifon  ,  &  s'il  lui  eft 
permis  de  l'arranger  à  fon  gré ,  comme 
un  bâtiment  qui  ne  feroit  fait  que  pour 
elle.  Je  crois  même  que  tous  les  Poëtes 


:,-,zf--„GoOglc" 


fur  la  Pocjîi  &  fur  la  Pebuure.  48^ 
&  que  tous  les  Muôciens  feroient  de 
mon  fentiment ,  s'il  n'éiott  pas  plus  fa- 
cile de  rimer  févéremcnt ,  que  de  fou- 
tenir  un  Ayle  poétique,  comme  de 
trouver  ,  fans  fortir  du  vrai ,  des  chants 
qui  foient  à  la  fois  naturels  ôC  gracieux. 
Mais  on  ne  fçauroit  être  pathétique 
itans  avoir  du  génie  ,  6c  il  fuifit  d'avoir 
profefle  l'Art ,  même  quand  on  s'y  fe- 
roit  appliqué  fans  génie  ,  pour  conipo- 
fer  fçavamment  en  mufique  ,  ou  pour 
rimer  richement  enpoëfie. 


SECTION     XLVI. 

Quelques  réflexions  fur  la  Mufique  des 
Italiens.  Que  les  Italiens  rCont  cultivé 
cet  Art  qu'aprïs  les  François  ù  les 
Ilamands, 

Vj  E  difcours  paroît  me  conduire  na- 
turellement à  parler  de  la  différence  du 
goût  des  Italiens ,  &  dii  goût  des  Fran- 
çois fur  la  mufique.  Je  parle  du  goiit 
des  Italiens  d'aujourd'hui  beaucoup 
plus  éloigné  du  goût  des  François ,  qu'il 
ne  l'étoit  fous  le  Pontificat  d'Urbain 
y  II  I.  Quoique  la  nature  ne  change 
Xv 


:,-,zf--„GoOglc 


490  '  RéJUxîons  critiques 

point ,  &  quoiqu'il  femble  par  conie- 
quent  que  la  muliqne  ne  dût  point 
clianger  de  goût ,  elfe  en  change  néan- 
moins en  Italie  depuis  un  tems.  11  eft 
en  ce  pays-là  une  mode  pour  la  mufi- 
que  ,  comme  il  en  eft  une  en  France 
pour  les  habits  &  pour  les  équipages. 
Les  Etrangers  trouvent  que  nouseiv 
tendons  mieux  que  les  Italiens  ,  le 
mouvement  jSc  la  mefure  ,  &  qu'ai  nfi 
nous  réuffiflons  mieux  que  les  Italiens 
dans  cette  partie  de  la  muliqne ,  que 
les  anciens  nommcùent  le  lîtbme.  Ea 
eâèt  les  plus  habiles  violons  d'Italie 
exécuteroient  mal,  je  ne  dis  pas  tes  fym- 
phonies  caraflériiées  de  Monfîeur  de 
Lulli ,  mais  mâme  une  gavotte  (a).  Iraii 
longioribus  utunturjtextbus  ,  imde  rùkn- 
tar  à  GaUis ,  veiati  /fui  uno  formajuh 
pfalmitte  utrumquc  exhaurium  pulmonim. 
Gain  prœierea  infuo  cantu  rithmum  maps 
«bfervant  quàm  Italî ,  unde  fit  tu  apad  d- 
los  complura  cccurant  canàca  qua  concài* 
nos  &  eUgames  admodum  baient  matus^ 
Quoique  les  Italiens  étudiait  beau- 
coup la  mefure  ,  il  femble  néanmoàns 
qu'ils  ne  connoiiTentpas  lerithms  ,& 
qu'ils  ne  fçachent  pas  s'en  fervir  pour 
U)  ^4*'  ^c^ocm.  Canif.  III. 


:,-,zf-„  Google 


far  la.  Po'ijîe  &  fur  la  Tttntare.    491. 
rexpreffion,  ni  l'adapter  au  iiijet  de- 
Pimitation ,  aulH-bienque  nous. 
-  Si  Monfieur  l'Abbé  Gravina  ne  loue. 
pas ,  comme  Monfieur  Vollîiis ,  la  mu- 
sique Françoile  ,  du  moins ,  dit-il  en- 
core plus  de  mat  que  lui  de  la  mufique 
Italienne  a).  Voici  fes  propres  paroles^ 
Correper  ^  thtatria  di  nojlriuna  mufica 
fieriU  di  talieffetij  (  l'Auteur  vient  do 
parler  des  effets  merveiUeuK  de  la  mu- 
iique  des  anciens  )  epercio  da  qutUa  ajfai 
difformt,  efitfaltApirlo  piùqueil' armo' 
nia  )  laquait  quanta  allatagli  a/iimiStm* 
ptrati  e  diffona^t ,  tanto  lacera  coloro  ck^ 
danno  a  guidar  ilftnfo  a  la  ragione  ;  ptr 
ehe  in  camb'w  dit  tfprimtre  td  imitart , 
fuoVpik  tofto  tfiinguert  e  canctllart  ogni 
Jimbicn^a  ai  vtrita  :  fe par  n»n  godiamo^ 
che  in  tamiio  di  tfprijtwe  fentimenti  tpafi 
^ni  umanf  td'  imitar  le  nofirt  atlioni  t 
eofiumi ,  fomigli  td  tmià  corne  fafaventt 
■conquà  triUi  tantç  ammirati ,  la  Lecora  &l 
Canario  :   Quantumqut  à  di  noftri  vada 
Jôrgendo  qualche  dtfiro  Modulai >rt  il  qua- 
U  contro  la  commun  carruttella  da  natunU 
giudii^io  e  proportion  '  di  mente  portata  \ 
imita  ancJufpeJfo  la  natura^  à  cai  pià  fi 
uviccinarebie ,  fe  l'antica  arte  mufica  po^ 
(1)  DtlU  Trtg.  p,  70. 

Xvj 


:,-,zf--„Googlc 


49*  RiJUxlons  critiques 

itjfe  da  jt  Iwf^u  e  foUt  untbre  al^are  î£ 
topo.  Ne  ci  dothiamo  mara  vigliarcfi  cor- 
rotta  la  poefia ,  fe  ï  anche  corrota  la  rau- 
fica ,  perclu  corne  ne  la  Ragion  Poetîca 
accennammo  ,  tate  le  arti  imitativt  hanns 
itna  iita  commune  dalla  eui  ahcratione  fi 
alteraao  tutte ,  &  partiaslarmaue  la  mu- 
fica  doit  altération  délia  poefia  fi  can^ 
corne  d^  corpo  Combra,  Onde  cotrotta  la 
poefia  da  i  foverehi  ornamemi  e  dalla  co^ 
j>ia  délit  figure  ,  ha  communicato  il  fuo 
morio  anche  alla  mufisa  ^  onmùtantofi- 
gurata  che  ka  perduia  quafi  la  naiurtU  cf- 
prefitone.  Nepvche  rteca  diiftto  ait  orchio  , 
ferciofidei  convenêvole  alla  Tragtdiare~ 
putart  ;  poiche  il  dUttto  proprio  délia  mu- 
fica  Dramatica  i  quelh  cke  nafce  dalla 
imkaiione.  Ma  Upiaeer  preftme  najce pri- 
ma dalla  mancania  délia  vent  idea ,  e  poi 
per  accidente  da  quella  qitalfifia  modulor- 
tione  di  voce  ch»  lu/înga  e  notice  la  paru 
animale ,  cioè  il/enfi>fido/eni[a  coneorf» 
délia  ramone  corne  fa  qualfi  yoglia  cant» 
di  un  CardeUo  ^o  diun  Ufignuolo  ;  e  co- 
pie dalla  vive^^  e  varietà  de  i  eolori  dilet- 
tano  t  ftn^a  imitatione  di  verità  ,  fe  Pit- 
ture  Chenefi.  C'eft-à-dire  :  La  mtifique 
«ue  nous  entendons  aujourd'hui  fur 
nos  théâtres,  çfi  bien  éloignée  de  pro^ 


Coogic 


furlafoifit  OfurlaPtinture.  4gif 
diiire  les  mêmes  elFets  que  celle  des 
anciens.  Au  Heu  d'imiter  &  d'expri- 
mer le  fens  des  paroles ,  eHe  ne  ferf 
Sii'à  l'énerver,  qu'"à  rétoiiffcr.  Aullî 
éplaït-elle  autant  à  ccax  qui  ont  de  la 
jufteffe  'dans  le  goitt,  qu'elle  trfaît  â 
ceux  qui  ne  font  point  d'accord  avec 
la  raifon.  En  effet ,  le  diant  des  paro- 
les doit  imiter  le  tangage  naturel  des 
paHîons  humaines  ,  plutôt  que  le  chant 
des  Tarins  &  des  Serins  de  Canarie,' 
■  lequel  notre  mufique  s'attache  tant  à 
contrefaire  avec  fes  paffages  &  Tes  ca- 
dences fi  vantées.  Néanmoins  nous 
avons  un  Mttfïcien,  qui  cft  â  la  fois 
grand  Artifan  &  homme  de  fentiment , 
lequel  ne  fe  laiffe  pas  entraîner  au  tor- 
rent (*i).  Mais  notre  poëfie  ayant  ét^ 
corrompue  par  l'excès  de's  ornemens 
&  des  figures ,  la  corruption  a  pafTé 
de-là  dans  notre  mufique.  C'eft  la  def- 
tinée  de  tous  les  Arts  ,  qui  ont  une 
origine  &  tm  objet  commun,  que  l'in- 
feâion  paffe  d'un  Art  à  l'autre.  Notre 
mufique  eft  donc  aujourd'hui  fi  char- 
gée de  colifichets,  qu'à  peine  y  re- 
connoît-oii  quelque  K'ace  de  l'expret^ 

(a)  L'Auttur,  ih-9H,  tactnUic garltr  et  Buwu: 


:,-,zf-„  Google 


^94  Rificxîottâ  critlfius 

jGon  naturelle.  Ainfi  elle  n'en  cft  poîiK 

Elus  propre  à  la  Tragédie ,  parce  qu'el- 
:  flatte  l'oreille  ,  puifque  l'iiniiatiort. 
&  rexprefllon  du  langage  inarticulé 
4es  paJEons  font  le  plus  grand  mérite 
de  la  mufique  dramatique.  Si  notre  mu- 
fique  nous  plaît ,  c*eil  parce  que  oous 
ne  connoiâbns  pas  rien  de  mieux  ,  6c 
parce  (juelle  chatouille  les  fens,  ce 
qui  lui  ell  commun  avec  le  ramage 
oes  Chardonnerets  &  des  Roffignols. 
Ellp  ell  femblable  à  ces  peintures  de 
ta  Chine ,  qui  n'imitent  point  la  natu- 
re ,  &  qui  ne  plaifent  que  par  la  vi- 
vacité &  par  û  variété  de  lem-s  cou- 
leurs. 

^  Mais  je  ne  veux  point  entrer  davan- 
tage dans  l'examen  du  mérite  de  la 
mulique  Frahçoife  &  de  la  mufique  Ita- 
lienne. C'ell  un  fujet  traité  depuis  un 
trop  petit  nombre  d'années  par  des 
penonnes  d'esprits.  D'ailleurs  je  cx&a 
qu'il  faudroit  la  commencer  par  une 
queAion  préliminaire  >  dont  la  dilcuf- 
fion  ferolt  trop  longue.  Je  voudrois 
donc  examiner  d'abord  le  femimem 
d'un  Anglois ,  homme  de  beaucoup  d'eA 
prit ,  qui  foutient ,  enreprochant  à  fes 
compatriotes  le  goût  que  beaucoi^ 


:,-,zf--„GoOglc 


Jar  U  Poëjtt  &fur  la  Pdnture,  49^ 
d'eux  croyent  avoir  pour  les  Opéra 
d'Italie ,  qu'il  eft  une  miifique  conve- 
nable particulièrement  à  chaque  lan- 
gue ,  èc  fpécialement  propre  à  cha- 
aue  nation  (a).  Suivant  lui  ^  le  genre 
e  la  mufique  Françoife  eft  aulu  bon 
que  le  genre  de  la  ntufique  Italien- 
ne. La  mufiqut  Françoife  ,  continne- 
t-il ,  efi  tris-bien  adaptée  au  fan  Jes  mots  , 
&  convient  fort  avec  la  prononciation  de  la 
langue.  Elle  rend  trh-bien  Us  accens  ,  dont 
les  François  accompagnent  lear pronoruia* 
tion.  Les  diffirtm  airs  de  leurs  Opéra  «:- 
primtju  À  merveille  les  mouvement  de  gens 
natarelUment  gais  &  éveillis  ^  comme  h 
font  les  Français,  CTefi  dommage  qu'on 
les  écoute  mal ,  &  que  le  Parterre  y  fa^e 
^ Jouvent  Choras  avec  le  théâtre.  Souvent 
la  vaixde  .' ASeur  efi  couverte  par  celle  des 
Auditeurs ,  qai  ne  lui  laijftnt  chanter  feul 
jqitt  les  premieru  paroles  de  fin  air.  Je  me 
figurais ,  quand  fe  rrCyfids  trouvé  ^  voirum 
Clere  de  nos  Paroijfes ,  qui  n'a  pas  fltSt 
tmonné-U  premier  vtrfet  du  Pfeaume  *  qta 
tout  rauditeirt  fe  met  à  ckanur  y  fi  hiem 
qu'on  ne  r entend  plus. 

Je  me  contenterai  donc  de  faire  quel- 
'f]ues  remarques  hîAoriques  touchant  la 
(1}  S^t^actur  du  j  Avril  1711. 


:,-,zf--„GoOglc 


HtfC  RcjUxîons  enûquêt    ' 

mufîque  Italienne.  L'Autetir  d'un  Po3-^ 
me  en  quatre  chants  (k)  fur  la  mufique  , 
où  l'on  trouve  beaucoup  d'efprît  &  de 
talent ,  prétend ,  que  lorfque  le  genre 
humain  commença  ,  vers  le  feiiiéme 
fiécle ,  à  fortir  de  la  barbarie ,  Sc  à 
cultiver  les  beaux  arts ,  les  Italiens  fu< 
rem  les  premiers  Muficiens,  &  que  la 
fociété  des  Nations  ptofita  de  leurs  lu- 
mières pour  perfeâionner  cet  Art.  Le 
fait,  ne  me  paroît  pas  véritable.  L'Ita- 
lie fut  bien  alors  le  berceau  de  l'Archi- 
teÛure  ,  delà  Peinture  &  de  la  Sculp- 
ture, mais  la  mufique  renaquit  dans  les 
Pays-Bas  ,  ou  pour  mieux  dire  elle  y 
fleurifTott  déjà  depuis  tongtems,  avec 
un  fuccès ,  auquel  toute  l'Europe  ren- 
doit  hommage.  Je  pourrois  alléguer  en 
preuve  ,  Commine  &  plusieurs  antres 
Ecrivains ,  mais  je  me  contenterai  de 
citer  un  témoin  fans  reproche ,  &  dont 
la  dépofitipn  eft  tellement  circonftan- 
ciée ,  qu'elle  ne  laifTe  plus  aucun  lieu 
au  doute.  C'ell:  un  Florentin  ,  Louis 
Guichardin  ,  neveu  du  fameux  Hifto- 
rien  François  Guichardin.  Voici  ce  qu'il 
en  dit  dans  un  difcours  fur  les  Pays- 
Bas  en  général ,  qui  fert  de  Préface 

(a)  Imfrlmiea  f]ii. 


:,-,zf-„  Google 


fur  la  Po'éfit  &fur  la  Ptïntun.  497 
à  fa  defcription  de  leurs  dîx-fept  Provin- 
ces ,  livre  très-connu  &  traduit  en  plu- 
fieiirs  lanf;ues  (n).  Nos Btlgesfom  Us Pa- 
triarckes  de  la  mu/ique  qu'ils  ont  fait  renaî- 
trt ,  &  qu'ils  ane  portée  à  un  grand  point  de 
perfeélion.  Ils  naij/int  avec  un  génie  heu- 
reux pour  la  cultiver ,  &  leurs  lalens  pour 
Vexerctrfontjî  grands  que  les  hommes  & 
les  femmes  de  ce  pays  chantent  prefque  tous 
naturellement  avecjufieffe  commeaveegra- 
ce.  En  /oignant  enfuite  l'art  avec  la  na- 
ture ,  ils  parviennent  àfefaireadmirtrpar 
la  compojition,  comme  par  l'exécution  <& 
leurs  çhanfons  #  de  leur  Jympkonies /ioas 
toutes  les  Cours  de  la  Chrétienté ,  oà  leur 
mérite  leur  fait  faire  de  ft  belles  fortunes* 
Je  ne  nommerai  que  ceux  qui  font  morts 
depuis  peu ,  &  les  vivans.  Au  nombre  des 
premiers ,  font  Jean  Teinturier  de  Nivelle  , 
dont  le  rare  mérite  m'obligera  de  faire  ci- 
deffous  une  mention  particulière ,  Jo£» 
JJaprat  ;  Aubère  Ockeghuem  ,  Richefort  y 
Adrien  Filiart ,  JeanMouton  ,  Verdtlot , 
Gombert ,  Laup-Louvart ,  Courtier  ,  Cré- 
quillon ,  Clément ,  Corneille  Hont.  On 
compte  parmi  les  vivans  ^  Cyprien  de  la 
Rofée  ,  Jean  Cuick  ,  Philippe  du  Mont , 
Roland  Laffé  ,  Mancicourt ,  JfJJê  Bafion  j^ 


:,-,zf-,GoOglc 


49^  Rifitxîons  critiqués 

Chnfiitn  HoUand  ,  Jac^tus  Vas ,  Sort' 
marcht^  ,  Sevefla  Corna  ,  Pierrt  Hot  , 
Gtrard  Tomhoiu  ,  Hubert  VaUrandy  Joi- 
nts Btrdutas  d' Aavtrs  ^  André  Ptvtr- 
fiage  ,  CoratU/e  Verdonk ,  &  plufiturs  au- 
tres répandus  dans  toutes  Us  Cours  de  la 
Chrétienté  t  oà  ils  font  combUs  de  biens  (f 
d'honneurs  tomme  Us  Maîtres  de  cet  Art. 
£o  effet  la  poftéritéde  Moutoo&  celle 
de  Verdelot  ont  été  célèbres  en  Fran- 
ce dans  la  musqué  jttTqu'à  nos  jours. 
On  obfervera  que  Louis  Guichardïn  , 
oui  mourut  (a)  Vannée  de  révénemeoC 
de  notre  Roi  Henri  IV  à  la  Courqnne  , 
^  parte  de  la  pofleflîon  où  étoient  tes 
Pays-Bas,  de  fournir  l'Europe  deMu- 
ficiens ,  ainfi  que  l'Italie  le  rait  aujour- 
d'hui concurremment  avec  la  Fiance  , 
comme  d'une  pofleâion  qui  duroit  de- 
puis longtems. 

Lltalie  etle^même ,  qui  penfe  main- 
tenant que  les  autres  peuples  ne  fçaTcnt 
en  muâque  que  ce  qu'ils  ont  appris 
d'elle ,  faifoit  venir  les  Muficiens  de 
nos  contrées  avant  le  dernier  fiécle  , 
&  payoit  alors  le  même  tribut  à  l'art 
4es  Ultramontains ,  qu'elle  prétend  re- 
cevoir aujourd'hui  de  tous  les  peuples 

(»)  En  tit9. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Toîfit  &fur  ÛPànturc.  499 
de  l'Europe,  l!  me  fouvient  bien  d'a- 
voir lu  dans  les  Ecrivains  Italiens  plu- 
iîeiirs  paflages  qui  le  prouvent ,  mais 
je  crois  devoir  épargner  au  leâeur 
la  peine  de  les  lire ,  &  à  moi  celle 
de  les  retrouver.  Je  ne  penfe  pas 
qu*ii  demande  d'autres  preuves  que  le 
partage  de  Guîchardin  que  j'ai  cité.  Je 
me  contenterai  dcmc  d'alléguer  encore 
un  pâffage  du  Corio  ,  qui  nous  a  doiv 
né  une  Hiftoire  de  MiUn  fi  curieuie  Se 
fi  connue  de  tous  tes  Cçavans.  Dans 
le  récit  que  le  Corio  fait  de  la  mort  du 
Duc  Galeas  Sforce  Vifcomti  »  qui  fut 
aiTaâiné  en  1476  dans  t'Eglife  de  faint 
Etienne  de  Milan ,  il  dit  ;  (a)  Le  Du€ 
aimait  beaucoup  la  Mujiqui ,  &  mime  U 
ttaoit  à/es  gages  une  trentaine  deMujîcieia 
Ultramontains,  aiifyuels il dojinoit dt gros 
appointtmens.  t/n  ttenx  nomme  Cordiér  ^ 
touckoit  du  Prince  eint  ducats  par  mois. 
L*erreur  de  croire  que  les  Italiens 
foffent  les  reflaurateurs  de  la  Mufiquft 
en  Europe  ,  a  jette  le  Poëte ,  dont  je 
prie ,  dans  un  autre  erreur  ;  c'eft  de 
faire  un  Italien  de  Roland  Laffé ,  un 
des  Muficiens  des  Pays-Bas  ,  loué  par 
Guichardin.  Ce  Poëte  le  cite  donc  foos 


>,:,-,zf-,GoOglc 


'^oo  '  RiJUxîons  aiti^ttO 
le  ftom  d'Orlando  Laffo ,  &  il  nous  dîc 
qu'il  fut  un  des  premiers  réparateurs 
de  la  MuGque.  M^s  cet  OrlandoLaf- 
ib  t  quoiqu'on  le  trouve  danS'  quelques 
Auteurs  mal  informés  avec  les  deux 
noms  terminés  à  l'Italienne  ,  n'en  étoit 
pas  phis  halien  cjue  le  Feniioando  Fer- 
dinoTidi  de  Scarron,  qui  étoit  natif  de 
Gaën  en  France,  La  méprife  vient  de 
ce  que  Rc^and  Laflé  a  pris  à  la  tête  de 
pluneurs  œuvres  dont  les  paroles  font 
Latines ,  le  fumotn  ^OrUmdus  Laffm  , 
en  lattnifant  foR  iumom  fuivant  Tu- 
fage  de  ce  tems-Ià.  Quelqu'un  préve- 
nu que  tout  bon  Muficien  devoit  être 
Italien  aura  donné  i  ces  deiix  noms  Ix 
terminaifon  Italienne,  en  les  tradui- 
fant  en  François.  Rcdand  LafTé  étoit 
François  ,  ainô  que  la  plupart  des  Mu- 
ficiens  cités  par  Guichardin  ;  à  prendre 
le  nom  de  François  dans  fa  fignilîcation 
la  [dus  naturelle,  qui  efi  de  âgnifier  tous 
les  peuplesdont  la  laïque  maternelle  eft 
le  François  ,  fous  quelque  domination 
qu'ils  foient  nés.  Comme  un  honune 
né  à  Strasbourg  ,  eft  Allemand  y  quoi- 

Îu'il  fcHt  né  fujet  du  Roi  de  France , 
e  même  un  homme  né  à  Mons  en  Hai- 
na'ult  eft  François ,  <]uoiq^u'il  foît  né  fu: 


..Google 


far  ta.  Po'ijîf  Srfur  la  ■Peîruun.  çot 
iet  d'un  autre  Prince ,  parce  que  la 
langue  françolTe  eu  dans  le  Hainault  la 
langue  naturelle  du  pays.  Or  Roland 
X^alTé^  qui  mourut  fous  le  règne  de  no- 
tre  Roi  Henri  IV ,  étoit  de  Mons ,  com- 
me on  le  peut  voir  dans  l'Hiftoire  de 
Monfieur  de  Thou ,  qui  fait  lui  éloge 
alTez  long  de  ce  Muiicien  (<i).  On  ne 
fçauroit  même  dire  que  Laffe  puiffe  être 
xéputé  Italien ,  parce  que  l'Italie  auroit 
été  ia  patrie  d'éleûipn.  Après  avoir 
demeuré  en  dif^rens  endroits  de  l'Eu- 
rope» il  mourut  au  fervice  de  Guillau- 
me Duc  de  Bavierre ,  &  ii  fut  enterré 
1^  Munich.  Enfin  ce  Muficien  eft  poftéf 
rieur  à  Gaudimelle  &  à  phifieurs  autres 
Muficiens  célèbres  du  tems  de  Henri  II 
&  de  François  premier. 

Revenons  aux  Opéra  &c  à  l'énergie 
que  le  chant  donne  aux  vers.  Ce  que 
1  art  du  Muficien  ajoute  à  l'art  du  Poè- 
te ,  fupplée  en  quelque  façon  à  la  vrai- 
femblancç,  laquelle  manque  dans  ce 
^peâacle.  Il  eu  contre  la  vraifemblan- 
,ce  y  me  dîra-t'on ,  que  des  Aâeurs  par- 
lent tcwjours  en  vers  Alexandrins , 
xom^eilsje  font  dans  nos  Tragédies 
(Ordinaires,  l'en  tombe  d'afcord;  mais 


:,-,zf--„GoOglc 


50i  Ri^ixtons  aiùtjties 

la  Traifemblance  eA  encore  bien  ptus 
choquée  par  des  Aâcitrs  qui  traitent' 
leurs  pamoQE,  leurs  querelles  &  leurs 
intérêts  en  chantant.  Le  plailîr  que 
nous  fait  la  muûque ,  répare  néanmoins 
ce  défaut.  Ses  expreffions  rendent  aux 
Scènes  des  Opéra  le  pathétique  <^ie  le 
manque  de  vraifemblance  devroit  leur 
dter. 

On  ^e\ire  donc  aux  Scènes  touchan- 
tes des  Opéras ,  ainfi  qu*»ix  Scènes 
touchantes  des  Tragédies  qui  fe  dé* 
clament.  Les  adieux  d'Iphigénic  i  Cli- 
teinnelire ,  ne  firent  jamais  verfer  plus 
de  larmes  à  l'Hôtel  de  Bourgogne  , 
que  la  reconnoilTance  d'ipbigénte  & 
«FOreflc  en  ont  fait  répandre  à  l'Opé- 
ra. Defpréaux  auroit  pu  dire  de  TAc- 
trice  qui  faifoit  le  perfonnage  d'ïphigé- . 
nie  dans  l'Opéra  de  Duché,  il  y  a 
quelques  années  ,  ce  qu'il  a  dit  de 
l'Aûrice  qui  faifoit  le  même  perfbnna- 
dans  la  Tragédie  de  fon  anû. 

Jimiîs  Iphlf  àii;  en  Anlidc  îiniPoUe 
N'i  coulé  tiDt  de  pkufiàl'GricciiirtmU^, 
Cire  d»ns  FheuMUX  {ftitKU  à  nos  yf  ui  étali  , 
En  a  fait  foui  Ton  nom  vcrfei  la  Chinintm.  ^a) 

{>)  £p2:n  i  Raciac. 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Po'èjît  &  fur  U  Peinture.  ÇOJ 
..  Enfin  les  <ens  font  fi  flattés  par  le  chant 
des  récits  ,  par  l'harmonie  qui  les  ac-> 
compagne  ■,  par  les  chœurs  par  les  fym- 
phonies  £c  par  le  fpeôacle  entier ,  que 
l'âme  qui  fe  laifTe  facilement  féduire  à 
leur  piaifir ,  veut  bien  être  enchantée 
par  une  lîâion  dont  l'illulion  ell  palpa- 
We  ,  poiu"  ainfi  dire.  Ex  ^oluptau  Jides 
fiafciair. 

Je  parle  du  commun  des  hommes. 
Ainfi  qu'il  eft  plufieurs  perfonnes  ,  qui 
pour  être  trop  fenfible  à  la  muftque., 
6*en  tiennent  aux  agrémens  du  chant, 
comme  à  la  richeiTe  des  accords,  & 
qui  exigent  d'un  compofîteur  qu'il  fa- 
crifie  tout  à  ces  beautés  ;  il  eil  auifi 
des  hommes  tellement  infenfibles  à  la 
mufique  ^  &  dont  l'oreille  ^  pour  me 
■fervir  de  cette  expreffiori  ,  eft  telle- 
ment éloignée  du  coeur ,  que  les  chants 
les  plus  naturels  ne  les  touchent  pas. 
Il  eu  jufte -qu'ils  s'ennuy enta  l'Opéra. 
L'art  du  Muficien  ne  fçauroit  compen- 
ser le  plaifir  que  leur  fait  perdre  le  dé- 
faut de  vraifemblance  ;  défaut  elTentiel 
pour  un  Poëme  ,  &  cependant  iniepa- 
«ble  de  l'Opçra. 


.Cooyic 


^04  RIfitxîons  croiras 


SECTION    XLVII. 
Quels  vers  font  Us  plus  propres  à  être  mis 

y\  PR ks  cela  j'oferai  décider  quegéné- 
ralement  parlant,  lamuâque  eil  beau- 
coup plus  efficace  que  la  Ample  décla- 
mation ,  que  la  muÂcpe  donne  plus  de 
force  aux  vers  que  la  déclamation , 
quand  ces  vers  font  propres  à  être  mis 
en  inufique.  Mais  il  s'en  6iBt  inBniment 
que  tous  les  vers  y  foient  également 
propres ,  &  que  la  mufique  leur  puiflê 
prêter  la  même  énergie.'* 

Nous  avons  dit,  en  parlant  de  lapoë- 
fie  duîlyle  ,  qu'elle  devoit  exfirmter 
avec  des  termes  {impies  les  fentîmens; 
.mais  qu'elle  devoit  noui  préfemer  tcrui 
Jes  autres  objets,  dont  eile  par^e, 
■ibusdes images  &des  peintures.  Nous 
-avons  expoié ,  en  parlant  de  la  mu- 
fique ,  qu  elle  devoit  imiter  dans  feï 
■chants  les  tons,  les  foupîrs  ,  les  ac- 
cens ,  &  tous  ces  Tons  inarticulés  de  la 
voix ,  qui  font  les  fignes  naturels  de 
nos  fentimens  &  de  nos  palCons.  Il 
•eft 


fuT  la-PpéJie  &fur  la  Pttniure,  jo'y 
,éff  trèi-alfé  d'infërer  de  ces  deux  vé- 
-Tités,  qne  les  vers  qui  contiennent  des 
fentimens  ,  font  très  propres  à  être  mis 
■eii  miriique  ;  8c  que  ceux  qui  contien- 
nent des  peintures ,  n'y  font  pas  bien 
■propres. 

■  La  nature  fournit  elle-même,  pour 
•  ainfi  dire ,  leschants  propres  à  exprimer 
.  les  fentimens.  Nous  ne  fçaiu-ions  même 
-^ononcer  avec  àfFeÛron  les  vers  qui 
■contienneirt  des  fentimens  tendres  & 
.  rouchans;,  ùm&  faire  des  foupirs ,  fans 
employer  d£S  àccenis  Se  des  ports  de 
voix  qu'un  hoipme  doué  du  génie  de 
la  mufique,  réduit  facilement  en  un 
chant  continu.  Je  fuis  certain  que  Lullî 
n*a  pas  cherché  longtems  le  chant  de 
ces  vers  que  dit  Medée  dans  l'Opéra  de 
„théfée.-  ■      ■      • 


Il  y  a  plus.  L'homme  de  génie ,  qui 
compofe  fur  des  paroles  femblables^ 
trouve  qu'il  a  faît^  des  chants .  variés  » 
même  fans  avoir  penfé  à  les  diverfi- 
.fier.  Chaque  femiment  a  fes  tons  ,  fes 
accens  &  fes  foupirs  propres.  Ainfi  le 
Muficien,  en  cgmpofant  fur  des  vers  , 

Totml,  -  Y 


:,-,zf--„GoOglc 


~50â  RifUxions  eriàpus 

tels  que  œiut  dont  nous  parlons  i<3,- 
fùt  oes  cli9nt5  auffi  variés  que  la  n»* 
ture  même  efl  variée. 

Les  vers  qui  contiejaoent  des  pein- 
tures &  des  images  ,6c  ce  qu'on  ap- 
pelle fouvent  par  excellence  de  la 
-jKMÛe  t  ne  donnent  pas  au  Mu£cieo  U 
miine  âcilité  de  Inen  &ire.  La  nature 
ne  foi^t  prefque  rien  i  Texis-effioii. 
L'art  feul  aide  1«  Mufiden  qui  va»' 
drwt  mettre  en  chant  des  vers  teb  que 
feux  oii  ComeiUe  ^t  une  pôntweâ 
^itagnifique  duTtiiuiTirat. 

i^  n^Eianc  pir  le  ptîi  lu  crime  cocoon^, 
\.K  tegà  iUdi  foB  Ik  pir  &  fcmme  i%m^  : 
1«  61stoiitd%Dat«iitdp«ic«ni«deI(»pcrB 
Et&titeàU  miindtiMftibaifiiafil^irc 
fte. 

En  effet ,  le  Mufîcien  obligé  de  mt^F 
tte  en  mufique  de  pareils  vçrs  ,  ne 
trouveroit  pas  beaucoup  de  refiburçe 
pour  fa  mélodie  dans  la  déclamattcm 
naturelle  .des  paroles.  Il  &ut  donc 
^*il  fe  jette  dans  dçs  chants ,  plutôt 
celles  &  impoians  qu'expreffin  ;  fif 
parce  que  la  nature  ne  lui  aide  pas  i 
Varier  ces  chants,,  il  hut  encore  qu*3s 
deviennent  à  la  fti  uniformes.  C(>mme 
ia  mufique  n'ajoute  |»efque  point  ^é: 


:,-,zf--„GoOglc 


fkr  la.  P«^  &fur  Ut  Ptinture.  ^Of 
«lei^te  aux  vers ,  <lont  la  beauté  con- 
iîfte  dans  des  images  ,  quoiqu'elle  ea 
^moulTe  la  force  en  rallentiuant  leur 
prononciatioa.  Un  bon  Poète  Lyri- 
<[ue ,  quelque  ridie  que  fa  veine  puif- 
ie  être ,  ae  mettra  guéres  dans  fes  ou- 
vrages de  vers  pareils  à  ceux  de  Cor- 
neille que  j*ai  âtés.  Ainfi  le  reproche 
<]u*on  faifoit  à  M,  Quînault ,  quand  il 
compofaiespremiers  Opéra:  Que  fes 
vers  étoient  dénués  de  ces  images  Sc 
'>de  ces  peintures  qui  font  le  fublime  de 
3a  Poëâe  ,  fe  trouve  un  reproche  mal- 
fondé.  On  coftiptoit  pour  un  défaut 
dans  fes  vers  ce  qui  enfeifoit  le  mé- 
rite. Mais  on  ne  connoiffoit  pas  ett- 
eore  en  France  en  quoi  confifte  le  mé- 
rite des  vers  faits  pour  être  mis  en 
xnufique.  Nous  n'avions  encore  com- 
pofé  que  des  chanfons  ;  &  comme'ces 

fetits  Poëmes  ne  font  deftinés  qu'à 
exprefllon  de  quelques  fentïmens , 
ils  n'avoient  pas  donné  lieu  à  faire 
fur  la  Poëfie  Lyrique  les  obferva- 
tâons  que  nous  avons  pu  faire  depws. 
Dès  que  nous  avons  eu  fait  des  Opé- 
ra, l'efprit  philofophique  ,  qui  eft  ex- 
cellent pour  mettre  en  évidence  la 
ItétUé ,  potuTu  qu'il  chemine  à  la  fuite 
Yij 


:,-,zf--„GoOglc 


1J08  RéjUxions  trâl^ua 

de  Texpérience ,  nous  a  ùàt  ttaavtl 
que  les  Ters  les  plus  remplis  d'images; 
ocgénéralement parlant  les  plus  beaux, 
ne  font  pas  les  plus  propres  à  réuffir 
«n  mufique.  11  n'y  a  pas  de  comparai* 
foB  entre  les  deux  Strophes  que  je  vais 
citer,  quand  elles  font  déclamées.  La 
{n-emiere  eft  de  TOpera  d«>Thefëe  écrit 
par  Quinault. 

Dont  lepM,  iniM»iite  pùz. 
Heumut .  hcarcni  un  taac  qd  ne  toui  p«(di  jawll 
L'impîiof  abic  amour  m'i  taojODri  pouriiiînc  , 
'    N'ftoit-tepwntiflèiduinaaiqa'ila'avah&itiï 
Pourqutice  Dicncnid  trecdciuiiiTCiiixtnîu, 
.Vient-il  ÇDCMc  irouUci  k  lefte  de  lU  vie  ) 

La  féconde  cil  de  ndille  de  Çceanx^ 
par  Racine. 

Df }■  gcoBdolcDt  lei  horrible!  toofierrci 
Pir  qui  Ibut  bàlii  les  rcmpacu , 
Déjà  maichait  devMit  lei  éiendaru 
Bellone  Ict  cheveux  jpui, 
Et  Te  flinoii  d'^ioifer  lei  gnerm 
Que  rci  fureuri  fooffloient  de  loutei  pini^ 

Il  s'en  faut  beaucot^  que  ces  deta 
Strophes  n'ayent  réuu  paiement  en 
muûque.  Trente  perfonnes  ont  retenu 
la  première  pour  une  qoi  aura  retemi 
Jaiecondç,  Ce^ieadan^'une  âfj'autr^ 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Patjù  &fur  la  Peinture',  fo^ 
Jbnt  mifes  en  chant  par  Lullî ,  qui  même, 
avoit  dix  années  d'expérience  de  plus  , 
lorfq'uil  compofa  l'Idille  de  Sceaux. 
Mais  les  premiers  renferment  les  fenti- 
mens  naturels  d'un  cœur  agité  d'uiK 
nouvelle  paffion.  Il  n'y  entre  qu'une 
image  des  phis  fîmples ,  celle  de  l'a- 
mour qui  jlécoche  Tes  traits  fur  Me- 
dée.  Les  v^s  de  Racine  contiennent 
les  images  les  plus  magnifiques  dont  la 
Poëfie  le  puiffe  parer.  Tous  ceux  qui 
pourront  oublier  un  moment  l'effet  que 
font  ces  vers  ,  lorfqu'ils.font  chantes , 
jH-éféreront ,  avec  raifon ,  Racine  i 
Qiiinault. 

On  convient  donc  généralement  aU' 
jourd'hui  que  les  vers  Lyriques  de . 
Quinault  font  très-propres  à  être  mis 
en  muftque ,  par  l'endroit  même  qut 
les  faifoit  critiquer  dans  les  commen- 
cemens  des  Opéra  ;  je  veux  dire  par 
le  caraâere  de  ta  Poëfie  de  leur  flyle. 
Que  ces  vers  y  fojent  très-propres  par 
la  mécanique  de  la  compofition ,  ou 
par  l'arrangement  des  mots  régardés 
en  tant  que  de  ûmples  fons ,  c'eft  de 
quoi  il  a  fallu  convenir  dans  tous  le4  , 
tems,  . 


:,-,zf--„GoOglc 


f  lO  JUfejiàms  triti^aa 


SECTION   xLvnr, 

Dts  Zpimfcs  Sr  its  Peiiiu$  m  projet 

J  E  comparcFois  volontiers  les  Es- 
tampes ,  oh  l'on  retrouve  tout  le  ta- 
bleau ,  à  Texception  du  coloris ,  aux 
Romans  en  profc ,  où  Ton  retrouve 
la  fiaion  &  le  ftyle  de  la  Poëfie.  Ib 
font  des  Poëmes  à  la  mefnre  &  à  la 
rime  près.  L'invention  des  EAampes 
&  celle  des  Poèmes  en  profes ,  font 
également  heureuiès.  Les  Eftampes 
multi[^!ent  à  rmffnî  les  tableaux  des 
grands  Maîtres.  Elles  mettent  à  por- 
tée d'en  jouir  ceur  qne  la  diflânee* 
des  lieux  condamnoit  à  ne  les  v<»r 
jamais.  On  voit  de  Paris  par  le  fe- 
cotirs  d'une  Eftampe ,  les  plus  grao*- 
des  beairtés  que  Ka^ttaA  ait  petntes 
fur  les  murs  du  VaticaUi  Un  partîcn^ 
lier  peut  même  mettre  dans  fon  ca- 
binet tout  fefpi-it  &  tonte  la  poëfie 
qui  font  dans  des  chefe  -  d'oeuvres  ^ 
dont  les  beautés  fembloient  réfervée* 
pour  les  cabinets  des  Princes  ^  ou  de 
ceux  qui  fc  Ibnt  rendus  aulTi  riches 


:,-,zf--„GoOglc 


fur  la  Po'ifii  &  fur  la  Ptînture.  5 1 1" 
qii^eux ,  .  en  maniant  leurs  finances. 
De  même  nous  avons  l'obligation  à  U 
Poëfie  en  profe ,  de  quelques  ouvra- 

fes  remplis  d'avantures  vraifembla- 
les  &  mervèilleufes  à  la  fois  ;  cora^ 
tnc  de  préceptes  fages  &  praticables 
en  même-tems  ,  qui  n'auroient  peut- 
être  jamais  vu  le  ]our ,  s'il  eût  fallu 
fliie  les  Auteurs  enflent  affujctti  leur  gé- 
nie à  la  rime  &  à  la  mefnre.  Les  Auteurs 
de  la  Princeffe  de  Cleves  &  de  Télé* 
irtaqiie  ,  ne  nous  aufoient  peut-être 
jamais  donné  ces  Ouvrages  ,  s'ili 
avoiem  dii  les  écrire  en  vers.  Il  eil 
Ae  beaux  Poëmes  fans  vers ,  comme 
il  eft  de  beaux  vers  (ans  poëfie  ,  & 
dé  beaux  tableaux  fans  im  riche  co- 
loris. 

■  Qu'on  ne  dife  point  que  c'eft  la  par- 
tie dw  coloris  qui  conflîtiie  le  Peintre  ,' 
&  qu'on  n'cft  Peintre  qu'autant  qu'on 
fçait  colorier.  C'eftall^uer  pourpreu- 
re  une  queftion  que  je  crois  même  de- 
voir demeurer  fans  décifion.  Expli-' 
goons-nou». 


:,-,zf--„GoOglc 


{Il  Ré/lexîoas  eriilqius 


SECTION    XLIX. 

Qu'il  tft  inutiU  de  dijpuur  Jî  la  partit  Ja 
àeffdn  &  de  l'txprtj^a  tfi  préférabl* 
à  celle  du  coloris. 

1  /  A  perfeûion  du  deffein  &  celle  du 
coloris  font  des  chofes  réelles  ,  &  fur 
Jefquelles  on  peut  dilputer  &.  conve- 
nir à  l'aide  d'un  compas  ou  de  lacoai' 
paraiibn.  Ainâ  les  peribiuies  intelli- 
gentes conviendront  bien  entre  elles 
du  rang  que  le  Bnui  tient  entre  les 
Compoûtetirs  &  les  Deûînateiirs , 
comme  du  rang  du  Titien  entre  les  Co- 
Ibriftes.  Mais  la  quefHon ,  ii  le  Brua 
eft  préférable  au  Titien  ;  c'eft-à-dire, 
£  la  partie  de  la  compofitîon  poétique 
&  de  l'expreffion  efl  préférable  à  celle 
du  coloris  ,  &c  laquelle  de  c^s  parties- 
cft  fiipérieure  à  l'autre  :  je  tiens  qu'il 
çft  inmile  de  Tagiter.  Jamais  les  per- 
sonnes d'un  fentiment  oppofé ,  ne  içau- 
roient  s'accorder  fur  cette  prééminent 
ce  dont  on  juge  toujours  par  rapport  à 
foi-même.  Suivant,  qu'on  eft  plus  ou 
moins  fenûble  au  coloris ,  ou  bien  i 


:-„r., Google 


fut  ta  Poêjîe  &fur  la  Peînturt.  J  i  J , 
la  Poëâe  pittorefque  ,  on  place  le  Co- 
Iprifte  au-defTiis  du  Poète ,  ou  le  Poëte 
au-deffns  du  Colorifte.  Le  plus  grand 
Peintre  pour  nous  eft  celui  dont  les 
cuivrages  nous  font  lu  plus  de  plailir. 

,  Les  hommes  ne  font  pas  affeflés 
également  par  le  colons ,  ni  par  l'ex- 
preflîon.  Il  en  eft  qui ,  pour  ainfi  dire  , 
ont  l'œil  plus  voluptueux  que  d'autres. 
Leurs  yeux  font  organifes ,  de  ma- 
nière que  l'harmonie  &  la  vérité  des 
couleurs  y  excite  un  fentimcnt  plus  - 
vif  que  celui  qu'elle  excite  dans  les 
yenx  des  autres.  Un  autre  homme , 
clont  les  yeux  ne  font  point  conformés 
auflî  heureufement ,  mais  dont  le  cœur 
eA  plus  fenfible  que  celui  du  premier , 
trouve  dans  les  expreflions  touchantes 
un  attrait  fupérjeur  au  plalfir  que  lui 
donnent  l'harmonie  &  la  venté  des 
couleurs  locales.  Tous  les  hommes 
n*ont  pas  le  même  fens  également  dé'^ 
licat.  Les  uns  auront  le  fens  de  la 
vue  meilleur  à  proportion  que  les, 
autres  fens.  Voilà  pourquoi  les  uns' 
préfèrent     le    Pouflin    au    Titien  , 

?uand  d'autres  préfèrent  le  Titien  au' 
ouffin. 

.    Ceux  qui  jugent  fens   réflexion,' 
Y  V 


:,-,zf--„GoOglc 


fi4  Rlfltxîans  cmtqms 

ns  manquent  pas  de  Tuppofer  y  en 
faifant  leurs  jugemens ,  que  les  objets 
affeftent  înténeurement  les  autres  , 
amfi  qu'eux-mênres  ils  en  font  affec- 
tés. Celui  qui  défend  la  fupériorité  du 
PouiSn,  ne  conçoit  donc  pas  qu'oa 
ptrifle  mettre  an-deflns  d'un  Poëte, 
dont  les  inventions  lui  donnent  nn 
plaifir  fenâble  ,  un  Artifan  qui  n*a 
içu  que  dîrpofer  des  couleurs ,  dont 
ITiarmonie  &  la  richeffe  lui  font  un 
plailn-  médiocre.  Le  partifan  du  Titien 
de  Ton  câté  »  plaint  le  partifan  du 
Pou£En  ,  de  préférer  un  Peintre  qui 
n'a  pas  fçu  charmer  les  yettx  ;  &:  ce- 
la pour  quelques  inventions  do«  il 
jnge  que  tous  tes  hommes  ne  doivent 
pas  être  beancpiip  touchés  ,  parce  que 
lui-même  il  ne  l'eft  que  médiocrement. 
Chacun  opine  donc  en  fuppofant  , 
comme  une  chofe  décidée,  que  ta 
partie  de  la  peimra-e  qui  lui  plaît  da- 
vantage ,  eft  U  partie  de  FArt  qui 
doit  avoir  le  pas  fur  tes  autres  ;  &  c'eft' 
en  fiiivant  le  même  principe  ,  que  les 
hommes  iè  trouvent  dlin  avis  oppofé, 
trahît fua  qutm^iu  voluftas.  Ils  anroient 
raifon ,  û  chacun  fe  contentoit  de  ju-- 
ger  pour  foi.  Lem*  tort  efl  de  vou^ 


:,-,zf--,;Googlc 


furtaPoifie  &furlttPiîntuTe.  yVf 
loir  juger  pour  tout  le  monde.  Mais 
les  hommes  çroyent  natiireltement  que  ■ 
leur  goût  eft  le  bon  goût  ;  &  par  con- 
ftqiicnt  ils  penfent  que  les  perfonnes' 
qui  ne  jugent  pas  conrmc  eux,  ont 
les  organes  impariàits  ,  ou  qu'elle» 
fé  laiffent  conduire  à  des  préjugé» 
qiti  les  gouvernent  ,  fans  qrfellej- 
mêmes  s  apperçoivent  du  pouvoir  de  : 
la  prévention. 

Qu'on  change  les  organes  de  ceux 
à-  qtit  Pon  vondrott  faire  changer  de 
fcntinrent  fur  les  chofes  qui  font  pu- 
rement de  goftt  ;  on  ^  pour  mieux  dire  , 
mie  draain  demeuredans  fon  opinion  , 
fans  blâmer  l'opinion  des  autres.  Vou- 
loir pcrfuader  à  un  homme  qui  préfére 
le  caloris  à  l'expreffion  ,  en-ïuivant  fou 

firopre  fentiment,  qn'il  a  tort:  c'eft: 
ni  vouloir  perfiiader  de  prendrepIiTS 
de  plaifir  à  voir  les  tableaux  du  Poiif- 
fin  que  ceux  du  Titien.  La  chofe  ne! 
dépend  pas  plus  de  hti  qu'il  dépend 
<i*un  homme  dont  !e  palais  eft  confor- 
mé, de  manière  que  le  vin  de  Cham- 
pagne lui  fait  plus  de  p!aifir  qtre  le  vin  ' 
çl*Efpagne  ,  de  changer  de  goût  ,  &' 
d'aimer  mieux  le  vin  d'Efpaghe  que 
Tautre. 

Yvj 


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Yl6  Rifitxtoas  crhiquti 

La  prédile^ion  qui  nous  fait  donner 
la  préférence  à  une  partie  de  la  pein- 
ture fur  une  autre  partie  ,  ne  depen4 
flonc  point  de  notre  raifoo ,  non  plus 
que  la  prédileûion  qui  nous  fait  aimer 
un  genre  de  poëfle  préférablement  aux 
autres.  Cette  prédileâioji  dépend  de 
notre  goût ,  Se  notre  goût  dépend  de 
notre  organifatioo ,  de  nos  inclina- 
TÎons  preientes  &  de  ta  iituatioD  de 
notre  efprit.  Quand  notre  goût  change  , 
ce  n'en  point  parce  qu*on  nous  aura 
perfuadé  d^en  changer;  mais  c'éft  qu'il 
eft  arrivé  en  nous  un  changement  phy- 
sique. Il  eft  vrai  que  fouveni  ce  chan- 
gement nous  a  été  infeniible ,  &  que 
nous  ne  pouvons  même  nous  en  ap- 
percevoir  qu'à  l'aide  de  la  réflexion  , 
parce  qu'il  s'efl  fait  peu  à  peu  &(.  im- 
perceptiblement. L'âge  &  pluGeurs 
autres  caufes  produiient  en  nous  ces 
fortes  de  changemens.  Une  paflîontrif- 
te  nous  fait  aimer  durant  im  tems  des 
livres  aflbnis  ànotre  Inimeiu-  préfente. 
Nous  changeons  de  goût  aufli-tôt  que 
nous  fommes  confoles.  L'homme ,  qui 
durant  fon  enfance ,  frouvoit  plus  de 
plailtr  à  lire  les  Fables  de  la  Fontaine  , 
que  les  Tragédies  de  Racine ,  leur  pré-: 


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furU  Poêjû  &  fur  ÎAftlmure.  ^17. 
ftre  à  trente  ans  ces  mêmes  Tragédies, 
Je  dis  préférer  &  aimer  mieux ,  &  non 
pas  louer  &  blâmer  :  car  en  préférant 
la  leûiire  des  Tragédies  de  Racine  à 
celle  des  Fables  de  la  Fontaine  ,  01^ 
né  laifTe  p%&  de  louer  &  même  d'ai- 
mer toujours  ces  Fables.  L'homme  ,, 
dont  je  parle ,  aimera  mieux  à  foixante" 
ans  les  Comédies  de  Molière  »  qui  lui, 
remettront  iï  bien  devant  les  yeux  le. 
monde  qu'il  a  vu ,  &  qui  lui  fourniront 
des  occafions  fi  fréquentes  de  faire  des 
réflexions  fur  ce  qu'il  aura  obfervé 
dans  le  cours  de  fa  vie  ,  qu'il  n'aimera-. 
les  Tragédies  de  Racine  »  pour  lef- 
mielles  il  avoit  tant  dégoût,  lorfqu'it 
etoit  occupé  des  paffions  que  ces  piè- 
ces nous  dépeignent.  Mais  ces  goûts 
particuliers  n'empêchent  pas  les  nom-, 
mes  de  rendre  juftice  aux  bons  Au-, 
leurs ,  ni  de  faire  le  difcernement  de , 
ceux  qui  ont  réuflî ,  même  dans  le  genre , 
pour  lequej  ils  nont  point  de  prédilec-- 
tion.  C'eft  fur  quoi  nous  nous  éten- 
drons davantage  à  la  6n  de  la  fecondd 
partie  de  cet  Ouvrage. 


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yi8  Rifiexîons  cntîqnei 


SECTION    L. 

10e  ia  Sculpture  ,  Ja  talent  qu'elle  Je-' 
'  mande  3  &  de  l'Art  da  Bas-reliefs, 

X  o  u  T  ce  qtie  nous  avons  dît  tou- 
chant rordonnance  8c  Texpreffion  des 
tableanx ,  pent  aufli  s'appliquer  à  la 
Sculpture.  Le  cizeau  ett  capable  d'i- 
miter ,  &  dans  les  mains  d'un  homnw 
de  génie,  il  fçait intérefler  prefqu'aii- 
tant  que  le  pinceau.  II  eft  vrai  qu'on; 
pËW  être  lu»  bon  Sculpteur,  fans  avoir 
autant  d'invention  qu'il  en  faut  pour 
être  un  excellent  Peintre;  mais  fi  la 
Poëfie  n'eft  pas  fi  nécefîaire  au  Sculp- 
teur, un  Sculpteur  ne  laiffe  pas  d'en 
faire  un  ufage  qui  le  met  fort  au- 
defliis  de  fesconcurrens.  Nous  voyons 
«îonc  par  plnfieurs  produ£Hons  de  la 
Sculpture  ,  qu'entre  les  mains  d'un 
homme  de  génie ,  elle  eft  capable  des 
^us  nobles  opérations  de  la  Peinture. 
Telle  étoit  l'hiftoire  de  Niobé  ,  repré- 
fentée  avec  quatorze  ou  quinze  fta- 
tuës  liées  entre  elles  par  une  même 
aâion.  On  voit  à  Rome  dans  la  Vigne 


fur  ta  Poêfie  &fur  ta  Psnturt.  y  !  çf 
cTc  Médicis,  les  fçavantes  reliques  de 
cette  compofitlon  antique.  Tel  ^toic 
le  Grouppe  d'Alexandre  bleffé ,  & 
foutenu  par  des  foldats ,  dont  le  Pat- 
miin  &  le  Torfe^  de  Belveder  font  des 
figures.  Pour  parler  de  la  Sculpture 
moderne  ,  teïs  que  font  le  tombeait 
du  Cardinal  de  Richelieu  «  &  Ten- 
levement  de  Proferpine  par  Girar- 
don ,  la  Fontaine  de  la  Place  Na- 
vonne ,  &  l'extafe  de  Sainte  Thë- 
refe  par  le  Bernin,  comme  le  grand 
bas-relief  de  l'Algarde  qui  reprefente 
Jaint-  Pierre  6c  faint  Paul  en  l'air 
menaçans  Attila ,  qui  venoit  à  Rome 
pour  la  faccager.  Ce  bas-relief  fèrt 
d'e  tableau  à  un  des  petits  Autels  d& 
la  Bafilique  de  faint  Pierre. 

Je  ne  fçai  point  même  s'il  ne  faut, 
pas  plus  de  génie  pour  tirer  dn  mar- 
bre «ne  compofîtion  pareille  à  celle 
de  l'Attila ,  que  pour  la  peindre  fiir 
une  toile.  En  effet ,  la  poëlte  &  les 
e^prelKons  en  font  atim  touchantes 
que  celle  du  Tableau  oti  Raphaël  a 
traité  le  même  ftijet  ;  &  l'exécution 
ùa  Sculpteur  qui  femble  avoir  trouvé 
le  clair-obfcur  avec  fon  cifeau  ,  me 
paroît  d'un  pluigrand  mérite. que  celle  ■ 


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^XO  Kéfoxîons  enùqmr 

du  Peintre.  Les  figures  qui  font  fv^ 
le  devant  de  ce  fuperbe  morceau  font 
prefque  de  ronde  bo0e.  Elles  font  de 
véritables  ftatues.  Celles  qui  font  der- 
rière, ont  moins  de  relief,  &  leurs 
traits  font  plus  ou  moins  marqués , 
félon  qu'elles  s'enfoncent  dans  le  loia- 
btin.  Enfin  la  composition  finit  par  plu* 
fieurs  figures ,  deffînées  fur  la  fuperfi- 
çîe  du  marbre  par  de  fimples  iraits. 
Je  ne  prétends  pas  louer  l'Algarde , 
d'avoir  tiré  de  fon  génie  la  première 
idée  de  cette  exécution  ,  ni  d'être  l'in- 
venteur du  grand  art  des  bas-reliefs  ; 
mais  bien  (Tavoir  beaucoup  perfec- 
tionné par  l'ouvrage ,  dont  il  s'agit 
ici ,  cet  art  déjà  trouvé  par  les  Mo- 
dernes. 

Nous  ne  voyons  pas  du  moins  dans 
les  morceaux  de  la  Sculpture  Grec- 
que ou  Romaine  qui  nous  font  reliés, 
que  l'art  des  bas-reliefs  ait  été  bien 
connu  des  Anciens,  Leurs  Sculpteurs 
ne  fçavoient  que  couper  des  figures 
de  ronde  bofie  par  le  milieu  ou  par. 
le  tiers  de  leur  epaifleur  ,  &  les  pla- 
quer ^  pour  aînfi  dire ,  fur  le  fond  du 
bas-relief,  fans  que  celles  qui  s'en- 
fonçoient ,    fiiflent  dégradées  de  lu- 


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Jurla  Poéfie  ^  fur  la  Pihiture.  511% 
miere.  Une  toiir  mû  paroît  éloignée  de  , 
cinq  cens  pas  du  devant  du  bas-relief; , 
à  en  juger  par  la  proportion  d'un  foldat , 
monté  iiir  la  tour ,  avecles  perfonnages  : 
placés  le  plus  près  du  bord  du  plan  ;  ; 
cette  tour,  dis-je  eft  taillée,  comme  fî, 
Ton  la  voyoit  à  cinquante  pas  de  dif- 
tance.  On  apperçoit  diftinâement  l^ 
jointure  des  pierres,  &  l'on  compte 
les  tuilles  de  la  couverture.  Ce  n  eft 
pas  aînli  que  les  objets  Ce  préfentent 
a  nous  dans  la  nature.  Non-feulement- 
ils  paroilTent  plus  petits  ,  à  mefiire 
qu'ils  s'éloignent  de  nous;  mais  ils  fe 
confondent  encore  ,  quand  ils  font  à  une 
certaine  diAance,  à  caufe  de  l'inter- 
pofition  de  la  maffe  de  l'air.  Les  Sculp-. 
teurs  modernes ,  en  cela  mieux  inAniîts 
que  les  anciens  ,  confondent  les  trait» 
des  objets  qui  s'enfoncent  dans  le  bas-,- 
relief,  &  ils  obfervent  ainû  la  perfpec- 
tive  aérienne.  Avec  deux  ou  troispou- 
ces  de  relief,  ils  font  des  figiu-es  qui 
paroiïïent  de  ronde  boffe  ,  &  d'autres 
qui  femblent  s'enfoncer  dans  le  loin- 
tain. Ils  y  font  voir  encore  des  pay- 
sages artillement  mis  en  perfpeûivë 
par  une  diminution  de  traits,  lefquels 
étant  non7fculement  plus  petits,  maî^^ 


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511  RÂJtésiUlts  eritiqtm 

encore  ffioins  marquas  »  &  fe  con^n»^ 
dam  même  dans  Téloigneroent ,  pn>* 
duifcnt  i  peu  près  le  même  effet  ea 
Sculpture  ,q  ue  la  dégradation  des  cou' 
leurs  fait  dans  un  tableau.  On  peut 
donc  dire  que'  les  anciens  n'avoîent 
point  l'art  des  bas-reliefs  ,  aalE  parfit 
que  nous  l'avons  aujourd'hui,  qurâ- 

3u*on  voye  des  figures  admirables  dans 
es  bas-reliefs  antiques.  Telles  font 
les  Danfeufes  du  Louvre  copiées  d'a- 
près le  bas-retief antique  qtii  eft  àRome^ 
&  que  tant  de  Sculpteurs  hatntes  ont 
I»ires  pour  étude. 

Je  ne  trouve  donc  pas  que  larécoffl* 
penfe  de  l'AIgarde  ,  à  qui  le  Papcinno* 
cent  X  donnartrente  mille  écns  pour 
ibn  bas- relief,  ait  été  exceffire*  Je  k- 
to\s  voir  encore  que  le  Cavalier  Ber- 
inn  &  Girardon  ont  mis  atnant  de  poë- 
fie  que  lui  dans  leurs  ourraws ,  fije  ne 
craignois  d'ennuyer  mon  leCTcnr.  Je  de 
raponerai  donc  de  toutes  les  inven- 
tions du  Bernin  ,  qu'un  trait  qu'il  a 
placé  dans  fa  Fontaine  de  la  place  de 
Navonne ,  pour  exprimer  une  circonf- 
tance  particuRere  au  cours  du  Nil  ;  que 
fa  fource  foit  inconnue ,  &  que ,  cont- 
re le  dit  Liicain^  la  nature  n'ait  pa; 


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furlaPoi^t  tffittUPtîntun.  f  i^ 
TOulu  qu'on  ait  pût  voir  ce  ficuve  foiu) 
lafimne  d'un  nulTeaur 

Ârcanum  ruvwa  tfifut  non  protuf  il  alli , 
tftc  lukir pefulU paryum  et,  Nlli,  tiiai, 

La  ftattte  qui  repr^r«nre  le  Nil ,  SC 
qne  le  fiemin  a  rendue  recotlnoilTable 
par  les  attributs  que  les  Anciens  onf 
alHgn^s  à  ce  6euve  ,  fe  couvre  la  tête 
d'un  voile.  Ce  trait  qui  ne  fe  trouve  pas- 
clans  l'antique ,  &c  qui  appartient  au 
Sailpteur ,  exprime  ingénieiilemenr 
l'inutilité  d^un  grand  nombre  de  tenta- 
tives, qwe  tes  Anciens  Scies  Modernes- 
avoient  faits  pour  parvenir  jiil'qu'aux 
iburces  du  Nil ,  en  remontant  l'on  ca- 
nal. L'allégorie  du  fiernin  déligne  no- 
blement que  le  Nil  a  voulu  cacher  la' 
foarce.  Voilà  ce  qu'on  croyoit  encore 
coromuRément  à  Rome  fous  le  Pontifi- 
cscd'imiocentX.,  quand  leBeminfitHi 
Fântaine.  Il  eft  vrai  que  les  perfonnes 
curieufes  T  dévoient  avoir  déjà  con- 
noiffance  des  décotivertes  du  Père  Ma- 
nuel d'Alm^a  &  du  Père  Hieronimo 
Lobo  ,  quoique  l'hifloire  de  la  haut» 
Ethiopie  du  Fere  Tcllez  ,  qui  le  pre<> 
niier  a  donné  ces  découvertes  au  pu- 
blic^ ne  fût  pa5  encore  imprimée.  ËUç 


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f44  Rifexions  eriuquts 

qe  parut  que  fix  ans  après  la  mort  d*Ià^ 
nocem  X  (a.\  Mais  les  relations  parti- 
culières que  les  Jéfuites  Portugais 
avoient  envoyées  à  Rome ,  &  ce  qu'en 
avoit  raconté  ceux  d'entre  eux  qui 
ëtoient  repafl<£  en  Europe  «  dévoient  y 
avoir  appris  déjà  aux  curieux  comment 
Soient  faites  tes  Cources  du  Nil  C  ^  ) 
qu'on  avoit  enfin  découverte»  oans 
PAbyffinie. 

Les  &tts  merveilleux  font  encore  vé- 
ritables pour  les  Poètes  de  tout  genre, 
longtems  après  qu'ils  ont  cefle  de  l'être 
pour  les  Hiftoriens  &  [>our  les  autres 
Ecrivains ,  dont  la  vérité  eft  le  premier 
objet.  Je  penfe  même  que  fur  beau- 
coup de  faits  de  Phyiîque ,  d'Aflrono- 
mie  &  de  Géographie  ,  les  Peintres  , 
les  Poètes  &  les  Sculpteurs  doivent  s'en 
tenir  i  l'opinion  communément  reçue 
de  leur  tems ,  quoiqu'elle  foit  contre- 
dite avec  fondement  par  les  Sçavans. 
Âinlî  le  vol  de  l'hyTondelle  qui  rafe  la 
terre  «  fera  pour  le  Poète  un  vol  timi- 
de ,  quoique  ce  vol  foit  très-hardi  pour 
Borelli,  &  pour 'les  autres  Sçavans, 
1^  ont  étudié  les  mouTemens  desani;.      | 


....Google 


fur  la  Poljît  &fur  la  Pànture.  515 
maux.  La  femelle  d'une  ruche  d'Abeil- 
les fera  le  roi  de  l'eflain  ,  &  on  lui  at- 
tribuera encore  tout  ce  qui  peut  avoir 
été  dit  d'ingénieux  fur  ce  roi  prétendu 
qui  ne  porte  point  d'aiguillon.  Je  ne 
difconviens  point  que  ces  vérités  de- 
venant plus  communes  avec  le  tems , 
il  ne  faille  un  joiu-  que  les  Poètes  s'y 
conforment.  Mais  ce  n'eft  point  à  eux 
de  les  établir ,  ni  de  choquer ,  pour  les 
établir  ,  Topinion  vulgaire,  a  moins 
qu'ils  n'écriviflent  de  ces  Poèmes  que 
nous  avons  appelles  des  Poèmes  dog- 
matiques. 


FIN  du  prmur  Tome't 


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