Skip to main content

Full text of "Rienzi, drame, en vers"

See other formats


This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 
to make the world's books discoverable online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover. 

Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the 
publisher to a library and finally to y ou. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying. 

We also ask that y ou: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web 



at |http : //books . google . corn/ 



•1*1 






• ^-i"' "l'A 




i«ii" 'vf =■ 


^ ;v 


^^TC 


m • '<v^''* '^* 








• 

• 





nili» 



S^ka cL ' Q 



^Trie^vzi^ 


■ 


^TÔhame en cinq actes et en vers 


1 


^^P M. THÉODUHE KAHCUEU 


I 


^^^^L^ l*BunXH5KUn A t'A4:Al)L^;Mli: UaVAt.K MILlTAintl UE WUÙlWHiï 


i-'^^^^^^^^l 


^^^^^^H Kt fuimnnAtt'iir i% t1firt?r'rMU^ tic LonilriH 




^^^B • '-"m^-^' '"^ 


1 


^^^^M 


1 


^^^^^ l'AHlS <^ BUUXELLUS 


1 


^^^^^ \. LACIJOIX, VKUnOKCKIIOVKN KT C» 


^1 


^^^1 


H 


^^^^^1 11. N V l' T , 17 0. 


^1 


1 


J 



RIENZI 



POISSY. — TTV. BT STIR. A. BOUIIT. 



RIENZI 

DKAME EN CINQ ACTES ET EN VERS 



M. THEODORE KARCHER ,, 

PROFESSEUR A l'aCADÉMIE ROYALE MILITAIRE DE WOOLWICH 



(Extrait de la Revue du Progrès) 



i ^:J IO Hh^ > ■ 



PARIS & BRUXELLES 

A. LACROIX, VERBOECKHOVEN ET C'^ 

LONDRES 

D. NUTT, 170, STRAND 
1864 



DÉDICACE 



A VICTOR HUGO 

Quand une ère est éclose, un homme Tinaugure, 
Saint apôtre du ciel et de Thumanité. 
Rienzi, comme toi, servit la liberté : 
Et rhistoire a sacré cette auguste figure. 

Ton nom est pour le monde un rayonnant augure, 
Un symbole éclatant de foi, de charité. 
Ta parole illumine, ô penseur indompté. 
Aigle du chant sonore, à puissante envergure. 

Que t'importe ce drame, hommage indigne et froid? 
Ma voix n'a point d*échos et ma lyre est muette: 
Je ne suis qu'un passant qui chante, espère et croit. 

Mais je t'admire, ô maître, et veux payer ma dette, 
Moi, rimeur ignoré, soldat obscur du droit, 
Au tribun dans l'exil, à l'éminent poète. 

Old Charlton (Kent), i«r janvier 1864. 

Théodore KARGHER. 



Ce drame me fut inspiré d'abord par les graves événements 
dont rilalie est de nos jours le théâtre, ensuite et surtout par 
le beau roman historique de sir Edward Bulwer Lytton, au- 
quel j'ai emprunté les données principales et bon nombre de 
détails. Une ébauche poétique ne saurait être une œuvre mi- 
nutieuse d'histoire : le lecteur voudra bien me pardonner si, 
dans quelques points d'une importance secondaire, je me suis 

• écarté des faits transmis par la tradition ou rapportés par les 
biographes de Rienzi. La peinture des caractères est, à mes 
yeux du moins, le but prédominant qu'un auteur dramatique 
doit avoir en vue. Le grand *ami de Pétrarque a posé devant 
nfoi comme l'idéal du tribun populaire et consciencieux : tel 

, je l'ai conçu et tel je me suis astreint à le représenter, dans 
la faible mesure de mes forces. 



PERSONNAGES 



COLA DI RIENZI. 

LE CARDINAL GILIO D'ALBORNOZ. 

RAIMOND, évêque d'Orviélo. 

ADRIEN DI CASTELLO, jeune noble ro- 
main. 

STEFANO C0L0NNA,\ 

GIUSEPPE ORSINI, | patriciens. 

GIACOMO SAVELLI, ) 

PANDULFODI GUIDO.bonrgeoisdeRome. 

RODOLPHE, officier des mercenaires al- 
lemands. 

CECCO, forgeron. 



LUCA, artisan. 

ANGELO, je.une page. 

NINA DI RASELLI, femme de Rienzi. 

IRÈNE, sœur de Rienzi. 

BENEDETTA, nourrice d'Irène. 

SIGNORA COLONNA. 

SIGNORA FRANGIPANI. 

SIGNORA MALATESTA. 

Patriciens et Dames nobles, Hombies et 

Femmes do Peuple. 
Soldats, Conjurés, Moines et Prêtres. 
Un Héraut, deux Geôliers. 



RIENZI 



ACTE PREMIER 

' - Borne» 134V - 



Le théâtre représeate one place publique & Rome; quelques monooieiits en ruines; 
des colonnes brisées, etc. 



SCÈNE PREMIÈRE 

PANDULFO, bourgeois habillé de noir, GEGGO, en habits de travail, un lourd 
marteau à la main, LUGA, pauvre artisan mal vêtu, BOURGEOIS et OUVRIERS 
auxquels sont mêlées quelques FEMMES DU PEUPLE • 

(Il règne un grand tumulte.) 
LUCA, 

A mort tous les brigands ! 

LE PEUPLE. 

A mort tous les pillards î 

CECCO. 

Voilà votre héroïsme? — Agissez donc, couards! 

LUCA. 

Je ne me soumets plus, par les os de Saint-Pierre! 

CECCO. 

Alors ne fuyez pas devant une rapière» 

LUCA. 

Ils pillent ma boutique.. 

LE PEUPLE. 

Au gibet les larrons I 



RIENZl 

CECCO. 

Jn SU rgez -VOUS enfin contre ces fiers barons. 
Quoi! vous vous inclinez devant des mercenaires, 
Comme de vils vassaux, de peureux tributaires? 
Étés- vous des poltrons qu'on vole impunément, 
Qu'on saccage à plaisir, qu'on tue ouvertement? 

.Pourquoi le souffrez-vous? On vous traite en esclaves, 
Chargés à volonté de chaînes et d'entraves 
Et ployant sous le joug de maîtres inhumains: 
Si vous n'agissez pas, vous n'êtes plus Romains. 

PANDULFO. • • 

Dieu! n'as-tu prolongé ma triste et sombre vie, 
Que pour pleurer sur Rome et la voir asservie? 
Elle se tord de peur sous le pied des soudards, 
La Rome des Brutus, la Rome des Césars. 
Quel sang dégénéré s'est glissé dans vos veines ? 
Il faut des actions : les paroles sont vaines. 

LUCA. 

Écoutons Pandulfo! 

CECCO. 

C'est la voix d'un ami. 

PANDULFO. 

Les chiens ont enchaîné le lion endormi. 

CECCO. 

Eh bien, réveillons-le I soyons enfin des hommes! - 
Au Heu de nous courber, insensés que nous sommes. 
Devant nos oppresseurs, les grands patriciens, 
Que ne réclamons-nous nos droits de citoyens? 
D'où vient à ces barons leur pouvoir despotique? 
Quel décret leur soumit l'État démocratique? 

PANDULFO. 

Leur joug est trop pesant et chaque heure l'accroît; 
L'épée et le poignard sont leur unique droit. 
Ce droit du fer est-il une hideuse idole 
Qui de chair et de sang se fait un monopole ? 
Écrasez sans pitié ces fiers usurpateurs 
Entourés d'assassins, de hideux malfaiteurs ! 
Oui, tous leurs familiers, ramassés dans la lie. 
Sont de grossiers Germains, fléau de l'Italie : 



ACTE PREMIER 9 

Ces vieux gladiateurs, souche de durs forbans, 
SoDt toujours, dans l'histoire, unis à nos tyrans! 

CECCO. 

Au lieu de vous liguer dans vos terribles haines. 
Par vos divisions vous vous forgez des chaînes. 
Au profit des seigneurs le peuple est désuni ; 
L'un hurle « Colonna, » l'autre crie « Orsini! » 
Je dis : à bas tout noble et mort à tous les traîtres ! 
Vous vous laissez toujours exploiter par des maîtres. 
Que nous fait la noblesse? — elle nous enchaîna. 
A bas les Orsini ! mort à tout Colonna ! 

SCÈNE II 

Les Mêmes, ADRIEN, jeune noble à la tournure martiale quoique vêtu avec élé- 
gance, RODOLPHE, portant l'armure complète. 

RODOLPHE. 

Voici, par uion patron! un coquin plein d'audace. 

ADRIEN. 

Qui vient pousser ce cri de haine et de meaace? 

CEr.co. 
C'est moi ! 

RODOLPHE. 

Ce vil manant qui défie un baron I 

UNE FEMME DU PEUPLE, à sa voisine. 

Comparez ce jeune homme au brutal forgeron ; 
Voyez son air hautain, ses yeux pleins de tendresse. 

LA SECONDE FEMME. 

J'admire, en m'enivrarit, sa grâce enchanteresse. 

CECCO. 

Quand j'entends une femme applaudir un seigneur, 
Je prétends qu'elle est prête à vendre son honneur. 

ADRIEN. 

Je suis un Colonna, mais je veux la justice. 

CECCO. 

Justice et Colonna? — Que Dieu nous soit propice ! 
Ces mots retentissants jurent d'être accouplés : 
La justice a l'horreur des châteaux crénelés. 



10 RIENZI 

LES FEMMES. 

Le forgeron diffame. 

QUELQUES HOMMES.' 

 mort cet Orsiniste! 

GECGO, brandissant son lourd marteau. 

Arrière ou garde à vous! Si quelqu'un me résiste, 
Je rétends à mes pieds d'un coup de mon marteau. 
Vous voilà tout tremblants devant ce louveteau, 
Grands enfants, toujours prêts à baiser la férule, 

Brebis tendant le cou sans honte et sans scrupule. 

• 

ADRIEN, à Cecco. 

Trêve à ton impudence, à ta sombre fureur! 

Au peuple. . 

Apaisez-vous, amis, plus de vaine terreur! 
Je vous protégerai; car, par la sainte Vierge! 
Pour Rome et pour vous seuls je tire ma flamberge. 

HOMMES DU PEUPLE. 

Vivent les Golonnas! 

QUELQUES VOIX. 

Vivent les Orsinis! 

CECCO. 

Non, non, vive le peuple ! — Oh ! vous serez punis 
De votre lâcheté; vous tombez dans le piège 
Que ce baron vous tend, disant qu'il vous protège. 

A Adrien. 

La protection pèse au peuple Italien. 

Ainsi, vous combattez pour nous, pour notre bien? 

Au nom des Golonnas, on pille nos familles; 

Au nom des Orsinis on viole nos filles. 

Je suis du peuple, moi; je suis un des vilains, 

Et j'ai juré la guerre aux seigneurs châtelains. 

Je hais vos deux maisons et vous crie : Anathème! 

RODOLPHE. 

A mort le scélérat! à mort, car il blasphème. 

11 s'avance sur Cecco avec quelques hommes; les amis du forgeron se jettent au-devant 

de lui : une lutte s'engage. 



ACTE PREMIER 11 

ADRIEN, tirant son épée et se mettant entre les combattants. 

Le sang coule; arrêtez. — Quel vertige inhumain! ' . 

CECCO. 

Du sang vil aujourd'hui, du sang noble demain. 

RODOLPHE. 

Tuez ce chien hargneux qui s'acharne à nous mordre : 
C'est un conspirateur, un ennemi de Tordre, 
Un ardent démagogue, ami de Rienzi. 
Pour cet homme immoral ni grâce ni merci. 

n se met en face de Cecco, répée haute. 
CECCO reste impassible, et se découvre la poftrine. 

Tu dis vrai, mécréant : c'est là ma seule idole; 
Arrachez-moi le cœur, il contient ce symbole : 
Le peuple et Rienzi, que vous haïssez tant; 
Si je péris pour eux, je périrai content. 
Mais je n'appartiens pas à cette basse engeance 
Qui se laisse insulter et qui meurt sans vengeance; 
le t'afifronterai, moi, mercenaire brigand ! 
Bravache armé de fer, vil suppôt de tyran ! 

ADRIEN, qui se trouve de l'autre côté de Cecco lui donne un coup du plat de son 

épée. 

Tais-toi, rustre impudent, et finis ta harangue : 
Et sache une autre fois mieux contenir ta langue. 

CECCO, se retourne et s'avance sur Adrien, le marteau levé. 

A défaut de poignard, l'outil du plébéien 
Servira de massue. 

RODOLPHE assène un coup d'épée' sur le bras de Cecc*), qui laisse tomber le marteau. 

Ah! misérable chien! 

CECCO, soutenant son bras droit avec la main gaucbe. 

A deux! c'est bien cela! voilà votre vaillance ! 

RODOLPHE. 

C'est le prix mérité de ta rude insolence. 

CECCO. 

Armés de pied en cap, vous vous mettez à deux 

Pour combattre un bourgeois. Oh! que c'est courageux! 



12 RlENZl 

ADRIEN. 

Tu m'as forcé la main; va soigner ta blessure. 

CECCO. 

Cet acte violent a comblé la mesure 

Et redoublé ma haine. Aux armes, plébéiens! 

A mort tous les barons! aux armes, citoyens! 

LES OUVRIERS. 

Aux armes! vengeons-nous I 

RODOLPHE. 

Méprisable canaille! 
Ramassis de poltrons qui murmure et qui braille! 

CECCO. 

Sus au gladiateur qui vous défie ainsi! 
Le peuple et Rienzi! 

LE PEUPLE. 

Le peuple et Rienzi ! 
SCÈNE III 

Les Mêmes j L'ÉYËQUE RAIMOND et RIENZI entrent ensemble au moment 
où la mêlée devient générale. 

RAIMOND, se jetant entre les combattants et élevant an crucifix en Tair. 

Par le Christ, arrêtez ! Par le Christ, paix et trêve! 
Car qui se sert du glaive est frappé par le glaive. 

Tous s'arrêtent et tombent à genoux, Cecco excepté. 

Vous irez en enfer sans absolution ! 

LE PEUPLE. 

Fais grâce, homme de Dieu. 

LES BOURGEOIS. 

Ta bénédiction. 

RAIMOND. 

J'absous tout, pénitent, tout chrétien pacifique 



ACTE PREMIER . 13 

Dont la foi reconnaît TÉglise apostolique. 

II fait to signe de la croix. 

Gloire à Dieu! 

LE PEUPLE, se signe et répète en se levant. 

Gloire à Dieu! 

CECCO, qui &e^t tenu à l'écart et a mis son bras en écharpe. 

Quels vaillants redresseurs ! 
Les prêtres sont ligués avec nos oppresseurs; 
Tous ces grands mots d'amour retardent la récolte. 
Comment les provoquer, pousser à la révolte? 
Les voilà satisfaits depuis qu-ils sont absous, 
Et leur cœur languissant abjure son courroux. 

Haut, avec indignation. 

La paix est mensongère et le calme est factice : 
C'est le jour des vengeurs, le jour de la justice. 
Les tyrans ont beau jeu quand le peuple is'endort, 
Car pour les nations le sommeil, c'est la mort. 

A Rienzi, qui est reste calme, les bras croisés, regardant la scène. 

Parle-leur, Rienzi : la ferveur qui l'anime 
Fera battre du moins leur cœur pusillanime. 

ADRIEN, qui s'est effacé à l'entrée de l'Évéqae. 

Rienzi? — C'est bien lui. Quel est donc son pouvoir? 

PANDULFO, & Rienzi. 

Que ta voix Vienne encore enseigner le devoir ! 

RIENZI. 

Quand Rome est avilie et subit l'esclavage. 

Vous vous battez, Romains, dans votre aveugle rage? 

Rome!!! A ce nom chéri mon cœur est agité : 

La Rome de nos jours pleure sa liberté; 

Et ton fils avec toi gémit, ô ma patrie! 

De leur contact impur les tyrans t'ont flétrie. 

Combien ce mot est vrai : Le sommeil est la mort ! 

Rome,, réveille- toi dans un suprême efifort 

Et reprends de nouveau ton œuvre si féconde : 

Redeviens le génie et le flambeau du monde. 

Fille du Forum libre et mère des Gracchus, 

Nourrice des héros, terre de Spartacus, 

Rerceau du dévoûment, de la foi politique. 



14 RIENZI 

Et des mâles vertus, de l'éloquence antique ! 

Rome, la cité reine, es-tu morte à Jamais? 

Le barbare t'insulte, — et toi, tu te soumets!!! 

Romains jadis si grands, Romains jadis si braves, 

Êtes-vous descendus au rang de vils esclaves? 

Au lieu d'un peuple fort, libre et républicain, 

Une'plébe sans nom, sans travail et sans pain, 

Abdique et se résigne — et, dans son indigence, 

Elle a tout oublié, — tout, même la vengeance! 

Loin de vous émouvoir, vous restez désunis; 

Vos cruels oppresseurs vous bravent, impunis; 

lis ont tout usurpé, jusqu^au saint ministère. 

Et lorsqu'un baron mange on n'a plus faim sur terre. 

La nature a donné du vin, du blé, des fleurs : 

Les grands vous ont tout pris, vous laissant les douleurs. 

Moi, mes concitoyens, je sens votre misère, 

El j'ai faim avec vous, et mon cœur se resserre ; 

Car je suis votre égal, un citoyen romain : 

Homme, je sympathise avec tout être humain. 

Je ne vous comprends pas; indifférents, paisibles. 

Lorsque vous souffrez tant, vous restez insensibles. 

Oh! c'en est trop! Debout, peuple déshérité! 

Le remède à tes maux est dans la liberté. 

Mais, pour la conquérir, abjurez vos rancunes, 

Rétablissez la paix, relevez vos tribunes. 

Renversez les barons et chassez l'étranger. 

Que l'effort soit commun dans un commun danger! 

Je ne croirai jamais notre Rome asservie. 

Tant qu'un dernier Romain conservera la vie. 

CECCO. 

S'il faut périr pour toi, chacun de nous est prêt. 

ADRIEN, à part. 

Oh! si Rome était morte, il la réveillerait. 
Sa parole est de feu, son accent est magique. 
Quelle douleur amère et quel tableau tragique! 

RIENZI. 

Ou vous parle toujours du devoir des chrétiens. 
Et Ton vous dit d'aimer jusqu'aux patriciens 
Qui vous ont étouffés dans leur puissante étreinte. 
Je vous dis de haïr : — la haine est juste et sainte; 
C'est la haine qui fait de tout peuple un Titan, 



ACTE PREMIER 15 

C'est la haine qui brise et foudroie un tyran. 
Nos saints martyrs nous ont légué cet héritage; 
C'est le seul de leurs biens qui nous reste en partage. 
Moi, je ne sens trembler ni mon cœur ni ma voix, 
En vous criant tout haut : revendiquez vos droits. 

CECCO. 

Les droits des plébéiens! 

PANDULFO. 

Les droits sacrés de l'homme! 

RIENZI. 

Pour atteindre ce but, il faut relever Rome. 
A Rome nous devons tous nous sacrifier; 
Rome nous garantit la vie et le foyer; 
C'est Rome qui m'inspire et par moi vous supplie; 
Rome qui vous appelle et vous réconcilie. 
Un pays libre et fort est le premier bienfait : 
Devant lui tout s'efface et l'homme disparait. 
Mais vous, vous le perdez par vos âpres disputes. 
Vos honteux différends, vos misérables luttes. 
Vous versez sans motif votre sang par torrents : 
Ménagez-le, Romains, pour frapper les tyrans. 
C'est de vos oppresseurs qu'il faut purger la terre : 
Paix entre plébéiens! aux nobles, haine et guerre! 

CECCO. 

Nous suivrons ton appel sans trembler ni faiblir. 

PANDULFO, à Rienzi. 

Ta voix vibrante, ami, les a fait tressaillir. 
Leurs yeux sont animés, leur haleine est brûlante ; 
Seul tu peux maintenir leur ardçur chancelante. 
Il faudra maintenant les renvoyer sans bruit; 
Nous reviendrons masqués à l'ombre de la nuit. 
Voici l'instant d'agir : le péril est extrême; 
Le mot d'ordre est donné pour le combat suprême. 

RIENZI, à Cecco et à Pandalfo. 

C'est bien ! tout sera prêt, mes braves recruteurs. 
Ramenez avec vous tous les conspirateurs. 

A haute voix. 

Dispersez-vous, amis! refoulez votre rage, 



IG RlENZl 

Et pour des jours meilleurs gardez votre courage. 
Que chacun en silence excite son voisin I 
Plus tard, accourez tous à la voix du tocsin. 

ADRIEN, à part. 

Oh ! comment prévenir la discorde civile 
Qui menace à présent d'ensanglanter la ville? 
Je veux voir Rienzi, lui parler sans témoins; 
Son âme est généreuse : il m'entendra du moins. 

RÂIMOND, à part. 

Le tigre déchaîné bondit hors de sa cage 
Dévoré de désirs, altéré de carnage ; 
Il pourrait renverser le trône épiscopal : 
Muselpns-le d'abord, dans l'intérêt papal. 

RIENZI, avec enthonsiasme. 

Je prévois le triomphe au bout de la carrière. 
La victoire est à nous. Nobles, arrière, arrière! 
Oppresseurs, faites place au peuple souverain. 
Au vieux maître du monde, au grand peuple romain! 

n fait un signe et tous se retirent en ordre. Adrien sort un des derniers, en se retournant 
vers Rienzi, comme pour voir s'il reste seul. 



SCENE IV 
RAIMOND, RIENZI. 

RAIMOND, observant Rienzi, à part. 

La foule est à ses pieds; sa fougue la domine, 
Et Rome se souvient des discours qu'il fulmine. 

RIENZI, absorbé dans ses réflexions et regardant le peuple qui s'éloigne 

Le lion populaire est sorti des forêts. 

RAIMOND, à part. 

11 sort, mugit et tue — et se prend aux filets. 
Puissant agitateur, malgré ton éloquence, 
L'Église aura bientôt usé ton influence ; 
Contre ce roc puissant jamais rien ne prévaut. 
Mais servons-nous de lui, c'est l'homme qu'il nous faut. 



ACTE PREMIER 17 

S'approchant de lai, à voix haute. 

Sur un seul mot de toi, tous ont quitté la place. 
Quel est donc ton pouvoir sur cette populace? 

RIENZI. 

Mon pouvoir? — Je les aime et je connais chacun ; 

Je suis leur protecteur, leur guide, leur tribun. 

Ils ont des cœurs vaillants dans leurs mâles poitrines. 

RAYMOND, à part. 

Apôtre dangereux de mauvaises doctrines. 

Haut. 

Écoute, Rienzi! dans ces temps orageux, 
Seul tu sus rester pur, dévoué, courageux ; 
Seul tu peux rendre Rome opulente et prospère. 
Je viens auprès de toi par Tordre du Saint-Père. 

RIENZI. 

Oh! parlez, monseigneur; j*écoute avec respect. 

RAYMOND. -5, 

Ton ardent dévoûment ne nous est pas suspect. 
Sa Sainteté connaît ton zèle pour rÉglise 
Qui régénère l'homme et qui le civilise. 
Trois ans sont écoulés : Tu vins à notre cour. 
Dans la belle Avignon, pressant notre retour 
Vers la ville éternelle, au nom de Tltalie. 
L'Église, qui sait tout et qui jamais n'oublie, 
Se souviendra toujours du jeune ambassade 
Dont elle a reconnu la brûlante ferveur. 

RIENZI. 

Ne parlons pas de moi; c'est un détail futile; 
Je n'ai d'ambition que celle d'être utile. 

RAIMOND. 

Par un poste influent tu fu6 récompensé. 

Je te retrouve ici, tout puissant, encensé. 

Exerçant ton empire avec un cœur modeste. 

Et la plèbe romaine obéit à ton geste. 

Le Saint-Père est tout prêt à te combler d'honneurs. 

Si lu nous rends le calme en courbant les seigneurs. 



18 RIENZI 

Arrachons l'Italie à ces hardis satrapes 

Remplis d'iniquités! — Rome appartient aux papes. 



RIENZI. 

Non ! au peuple romain qui toujours se prosterne. 
Qu'on opprime toujours, que toujours on gouverne; 
Mais qui se lasse enfin de traîner son boulet 
Et, dépouillé de tout, veut sa place au banquet. 

RAIMONO. 

Il faut mener le peuple, aveugle démagogue. 

Et borner sa science au simple Décalogue. 

Le peuple est un prétexte, un nom, un instrument, 

Qui tantôt nous sert d*arme et tantôt d'argument. 

Tu dois viser plus haut : Prends parti pour l'Église 

Qui poursuit l'unité, qui prêche et moralise. 

Reine de l'avenir, légitime pouvoir, 

Elle a su tout dompter, tout régler, tout prévoir. 

Le père des chrétiens est lui-môme un mystère. 

Le successeur du Christ, son vicaire sur terre : 

H est le roi des rois qu'on adore à genoux. 

RIENZI. 

Je m'incline à son nom; que me proposez-vous? 

RÂIMOND. 

Compatissant aux maux d'un monde qui s'égare, 
Votre vrai souverain qui porte la tiare. 
Quoique vivant en France et de Rome exilé. 
Dans sa mansuétude octroie un jubilé. 
Aux Chrétiens qui feront le saint pèlerinage 
Aux tombeaux des martyrs, sous notre patronage. 
Clément six veut offrir un pardon génér.al 
Authentique et scellé de l'anneau pastoral. 
Absous et plein de foi, de miracles avides. 
Les dévots rempliront nos coffres qui sont vides; 
Et l'Éghse, mon fils, saura sanctifier 
Tous les objets mondains qu'ils vont sacrifier. 
Pour elle tout est pur : c'est son vieux privilège. 
Et tout doit se plier aux projets du Saint-Siège. 
La fin nous justifie : amassons un trésor, 
Pour que la papauté prenne un puissant essor I 
Rome redeviendra la forte métropole; 
Nous ferons du Latràn le nouveau Capitole. 



ACTE PREMIER 19 

RIENZl, avec ironie. 

L'idée est vraiment grande, et c'est un noble but 
Pour lequel les chrétiens ofifriront leur tribut. 

RAIMOND. 

Mais pour nous garantir un nombreux assemblage, 
Il faudrait mettre fin à Taffreux brigandage 
Qui de la Campanie infeste les chemins; 
Il faudrait rassurer les craintifs pèlerins. 

RIENZI. 

Et que projetez-vous? Les brigands sanguinaires 
Sont tous des Allemands, des soudards mercenaires, 
Des voleurs enrôlés, soldés par les barons, 
• Et vivant de rapine au nom de leurs patrons. 

RAIMOND. 

Je les ai menacés, comme vicaire et nonce. 
De tous les châtiments que l'Évangile annonce ; 
Je mWris pour arbitre : ils m'ont tous récusé; 
Je les supplie en vain : il m*ont tout refusé. 

RIENZI. 

La paix ne convient pas aux seigneurs despotiques; 

Ils aiment mieux piller, saccager les boutiques, 

Torturer des captifs, exiger des rançons, 

User de violence et brûler les moissons. 

Que de sang a coulé dans leurs folles querelles ! 

Regardez leurs palais : ce sont des citadelles. 

Du haut de leurs créneaux ils ont bravé la loi. 

RAIMOND. 

Et qui les domptera? qui peut les punir? 

RIENZI. 

Moi! 
J'en ai la volonté, j'en aurai la puissance. 

RAIMOND. 

A ces patriciens si fiers de leur naissance, 

A leurs murs crénelés, à leurs soudards Germaits, 

Qu'opposer, Rienzi? 



20 RIENZl 

RIENZÎ. 

Les citoyens romains. 
Les tyrans pâliront devant la multitude. 

RÂIMOND. 

Compte, si tu nous sers, sur notre gratitude. 

RIENZI. 

Pour changer ce régime ignoble et dissolu, 
Il me faudrait dans Rome un pouvoir absolu. 

RAIMOND. 

Au nom de Clément six je t'en fais la promesse; 
Commande et règle tout sans crainte ni faiblesse. 

RIENZI. 

Il faut jusqu'au dernier extirper les brigands; 

Pour frapper haut et fort, puis-je frapper les grands? 

RAIMOND le regarde en silence, et dit ensaite d'une voix contenue. 

Un tronc décapité jamais ne ressuscite. 

Ne t'occupe de rien que de la réussite : 

Tout acte audacieux s*absout par le succès. 

Mon doux Jésus! ils n'ont commis que trop d'excès. 

Ces fils de Bélial, ces scélérats indignes ! 

Sourds à la voix du ciel, hérétiques insignes, 

Ils n'ont pas craint, hélas! d'amoindrir nos profils, 

En fermant aux pécheurs l'accès du paradis. 

RIENZl. 

Leur ligue est menaçante : on pourra la dissoudre. 
Si la loi les atteint, tombant comme la foudre. 
Mais pour anéantir tout rebelle importun. 
Je veux les attributs, le titre de tribun. 

RAIMOND. 

Je puis te le donner, comme légat du pape. 
Gouverneur absolu, punis, ordonne et frappe : 
Le sufifrage unanime est plus qu'un parchemin. 

• RIENZl. 

Ronâe sera vengée et libre avant demain. 



ACTE PREMIER 21 



RAIMONO. 



Réussis. Rienzi ! le monde te regarde. « 

Que le Seigneur puissant fait en sa sainte garde! 

Il lui donne sa bénédiction et sort. 

SCÈNE V 

RIENZI, seul. 

Ah! vous m'avez élu pour servir vos projets? 

Le Saint-Père nous traite en vassaux, en sujets. 

S'il nous faut obéir, pourquoi changer de maîtres? 

Mais le gouvernement n'appartient pas aux prêtres; 

L'âme est leur seul domaine, et, ministres du ciel, 

Ils n'ont jamais de droits au pouvoir temporel. 

Le pape est à l'Europe, au monde catholique : 

Rome, au lieu d'abdiquer, redevient république. — 

Le destin s'accomplit : déjà l'heure a sonné. — 

Tribun, tribun romain! grand nom qui m'est donné ! 

Titre plus précieux qu'un brillant diadème. 

Du pouvoir populaire illustre et saint emblème! 

Le peuple attend de moi sa honte ou son salut : 

Serai-je des Gracchus un digne substitut? 

Que trouverai-je au bout, triomphe ou calomnies? 

Trainera-t-on mon nom, maudit, aux gémonies? 

Ou sera-t-il de ceux que l'homme peut bénir? 

Terrible question que résout Tavenir! 

Mon Dieu qui m'inspiras ma foi pure et profonde, 

Toi qui m'as dit d'agir, de délivrer le monde. 

Ton regard infaillible a pu sonder mon cœur! 

Tu connais mon dessein, tu connais ma candeur. 

Oh! rends-moi juste et fort, mon Dieu! je t'en supplie! 

Je me dois à mon peuple, à Rome, à l'Italie; 

Je me dois aux souffrants, aux pauvres opprimés, 

Dont la vie est l'enfer, qui pieds nus, affamés, 

Ont bu jusqu'à la lie aux coupes des misères. 

L'ignorance et la faim, ces horribles ulcères, 

Ont dévoré leur chair, brisé leur dignité : 

Ils ont soif de bonheur et soif de liberté. 

Je veux reconquérir les droits imprescriptibles 

Qui les rendront heureux, libres, irrésistibles. 

La loi protégera le pauvre plébéien ; 

Je ferai d'un Ilote un homme, un citoyen. 



22 RlENZl 

Le but est ooble et grand, et c'est assez de gloire 
Que de Tavoir tenté : périsse ma mémoire! 
E^-ce payer trop cher leur afifranchissement? 
Quel homme a pu servir le monde impunément? 
Je saurai tout braver, le poignard du sicaire 
Et le dénigrement : je monte à mon calvaire, 
Gomme ont fait les tribuns et les anciens consuls. 
Une longue existence est hors de mes calculs. 
Je pense avec dédain aux arrêts de l'histoire : 
On ne peut s'assurer Thonneur ni la victoire, 
Mais je ferai du moins un pacte avec la mort. 
L'homme qui ne craint rien est toujours libre et fort. 
Zélé dans ma ferveur, ardent dans ma croyance, 
Je marcherai tout seul, fier de ma conscience. 

n sort par la gauche. 



SCÈNE VI 

IRENE se précipite sur la scène, venant du côté droit, BENEDETTÂ la suit. 
La nuit tombe pendant cette scène. 

BENEDETTA. 

D'où provient votre effroi? qui cause votre ennui? 
Parlez, ma chère Irène! 

IRÈNE. 

Oh! je Tai vu, c'est lui! 
Lui — que j'ai distingué derrière une colonne. 

BENEDETTA. 

Lui? quelqu'un qui vous guette et qui vous espionne? 

IRÈNE. 

Il n'a pas regardé; mais cependant mon cœur 
Palpite éperdument de plaisir et de peur. 

BENEDETTA. 

Qui voyez- vous ? parlez ; avez-vous le délire ? 

IRÈNE. 

Adrien di Castelloî c'est lui, mon Dieu! j'expire! 



ACTE PREiMlER 23 

BENEDETTA. 

Calmez-vous, chère enfant ! C'est un charmant seigneur, 

Mais vous ne pouvez pas l'aimer avec honneur; 

Car il est noble, Irène, et de très-haut lignage : 

L'amour n'aboutirait jamais au mariage. 

Et votre frère et vous, vous avez trop d'orgueil 

Pour qu'il puisse autrement dépasser votre seuil. 

IRÈNE. 

Tais- toi, Benedetta; cette idée est frivole : 
Jamais il ne m'a dit une seule parole. 
Je n'avais que treize ans, mais je l'aimais d'amour. 
Quand l'empereur Germain rappela dans sa cour; 
Je n'étais qu'une enfant étourdie et légère. 
Aujourdhui, je le sais, je lui suis étrangère, 
Car depuis son retour avec soin je l'ai fui! 

BENEDETTA. 

Alors, pourquoi l'aimer? pourquoi penser à lui? 

IRÈNE. 

Tu veux savoir pourquoi? c'est qu'il est mon idole, 

Mon Dieu qui porte au front la brillante auréole. 

Il est plus qu'un amant, il est mon idéal, 

Le beau type d'un preux, d'un chevalier loyal. 

J'ai gravé son image en traits ineffaçables; 

Les élans de mon cœur, trésors inépuisables. 

En lui sont concentrés : son àme est mon domaine. 

BENEDETTA. 

Sainte Vierge ! est-ce ainsi que parle une Romaine? 
Mais savez-vous du moins s'il vous aime en retour? 

IRÈNE. 

Non ! je veux l'ignorer pour nourrir mon amour. 
Seule, je pense à lui, je le vois dans mon rôve : 
Ce songe de bonheur, nul réveil ne l'enlève. 
Te raconter comment cet amour est éclos. 
Je ne le pourrais pas. J'en ai fait mon héros; 
Mon cœur l'a niis si haut et l'a dépeint si tendre 
Que s'il m'approche un jour il ne peut que descendre; 



2\ RlENZl 

BENEDETTA. 

Et c'est là de l'amour? — S'aimer sans se parler, 
Le cœur gros de soupirs qu'on ne peut exhaler ! 
Bon Dieu! doit-on ainsi gaspiller l'existence? 
Moi, je ne comprends pas un amour à distance. 
Si ramant ne m'avait au moins serré la main, 
Je laisserais plutôt périr le genre humain. 
Je resterais plutôt à jamais vieille fille. 
Je mettrais entre nous le couvent et la grille, 
Plutôt que d'épouser Fhomrae le plus charmant 
Qui jouerait aussi mal le rôle d'un amant. 

IRÈNE. 

Tout autre est mon amour : sa chaleur illumine. 
C'est un dieu dont l'ardeur m'inspire et me domine. 
Mon amant disparaît : ce que j'aime est l'amour, 
L'amour tel que le chante un tendre troubadour. 
L'amour qui d'un grand cœur est l'infaillible marque, 
Qui vit dans les sonnets de l'immortel Pétrarque, 
Cet amour si divin qu'il devient une foi. 
Ainsi j'aime Adrien : il est ma Laure, à moi ! 

BENEDETTA. 

Quelle exaltation ; c'est presque la folie. 
Vos sens sont égarés : Vous, si jeune et jolie. 
Qui voyez sur vos pas courir les amoureux, 
Vous vous abandonnez à ces rêves fiévreux? 

IRÈNE. 

Laisse-moi ma folie! oh 1 laisse moi mon rêve! 
Ne me prends pas mon ciel : la vie est assez brève. 
Mon rêve est le bonheur et l'immortalité : 
Combien je le préfère à la réalité! 

BENEDETTA. 

Ma pauvre Irène ! un rêve est toujours chimérique. 
Vous cherchez le bonheur dans l'amour excentrique. 
Notre monde a du bon et c'est un sort bien doux 
De régner dans le cœur d'un excellent épqux. 
Le foyer est plus saint, plus pur qu'un monastère. 
Nous avons beau rêver : nous vivons sur la terre, 
L'amour et le devoir bornent notre horizon. 



ACTE PREMIER 25 

La lâche a sa grandeur : Embellir la maison, 
Être range gardien, la compagne choisie; 
Oh! le ménage, enfant, n*est pas sans poésie. 

IRÈNE. 

Ce ravissant tableau fait palpiter mon cœur. 

Oui, la famille vraie est un divin bonheur. 

Se donner tout entière à Thomme que Ton aime. 

C'est faire de la vie un enivrant poëme 

Qui ne saurait finir, pas même avec la mort. 

Adoucir, partager les coups cruels du sort. 

Deux cœurs à l'unisson et rien qu'une seule âme : 

Quelle félicité I quel ciel pour une femme! 

Oh ! si Dieu m'avait fait un pareil avenir, 

Je vivrais pour aimer, je vivrais pour bénir ! 

Je passerais mes jours à veiller sur la gloire 

De mon vaillant époux ; à garder la mémoire 

De ce qu'il accomplit, chevalier ou tribun ; 

A verser sur son front l'amour comme un parfum ; 

A planer sur sa vie en la rendant prospère; 

A former des enfants dignes d'un pareil père. — 

Mais engager sa foi sans un amour fervent, 

C'est unir un cadavre à quelque être vivant; 

C'est faire de son corps un honteux sacrifice; 

C'est condamner son âme au plus affreux supplice ! — 

Malheur ! il est trop grand celui que j'ai choisi. 

BENEDETTA. 

Qui pourrait dédaigner la sœur de Rienzi? 

IRÈNE. 

Puis-je aspirer si haut, moi, simple roturière? 

Je ne voudrais jamais entraver sa carrière. 

Hélas! c'est malgré mgi que mon cœur m'entraîna. 

BENEDETTA. 

Ne perdez pas l'espoir : la signora Nina, 

Que votre frère épouse, est de vieille noblesse. 

Eh ! qu'importe le rang aux cœurs pleins de tendresse? 

Mais la nuit est venue; il se fait tard. Rentrons! 

IRÈNE. 

J'aperçois des flambeanx; j'entends des pas. Fuyons! 



26 RIBNZl 

SCÈNE VIII 
Les Mêmes, ORSDsl, SAYELLI, Soldats et Valets, portant des torches. 

Irène et Benedetta s'enfuient vers le fond dn théâtre, à ganche, an moment 
où Orsmi et Sayelli paraissent à droite. 

ORSINL 

Dépêchons-nous î Je vois une tunique blanche. 

SAVELLI. 

Des femmes! par Tenfer! je prendrai ma revanche. 

Orsini court après Irène, qu'il atteint. Savelli saisit Benedetta. 
IRÈNE. 

Au secours! 

BENEDETTA. 

Au secours! 

ORSINI, anx valets qui sont restés près de la coulisse. 

Hé! marauds, un flambeau! 
Pour éclairer de près ce ravissant tableau. 

Les serviteurs s'approchent avec des torches. 
ORSINI, étreignant Irène. 

Quelle charmante enfant! 

SAVELLI, repoussant Benedetta. 

Quelle affreuse duègne! 

ORSINI. 

Encore un insuccès? Il faut que je te plaigne! 
Un destin malveillant s'obstine contre toi, 
Mon pauvre Savelli ! Je suis plus heureux, moi, 
Je mets toujours la main sur des beautés pareilles. 
Tu me parais créé pour consoler les vieilles. 
Ma foi! j'en ris encore : Au dernier guet-apens, 
Ta conquête annonçait soixante et dix printemps. 

SAVELLI. 

Oui! mais pour la punir de n'en avoir pas seize, 
J'ai sanglé la figure à la pauvre niaise . 



ACTE PREMIER 27 

RepoQKsaiit. Benedetta. 

Hibou! va-t-en, on bien ton visage mignard " 
S'enlaidirait encor, marqué par mon poignard ! 

BENEDETTA. 

ma jeune maitresse! 

ORSINl. 

Un doux sort me l'accorde. 

SAVELLI, s'avançant sur Benedetta* 

Ah! tu veux raisonner? Malheur! 

BENEDETTA. 

Miséricorde! 

ORSINI. 

C'est peu galant, mon chpr, d'interrompre un discours. 

SAVELLI. 

Au large! ou je te tue. 

BENEDETTA, s'enfuyant. 

Au secours! 

IRÈNE, qai se débat. 

Au secours! 

ORSlNi. 

Tu ne peux l'envoler, gentille tourterelle; 
Roucoule avec tendresse et ne sois pas cruelle. 

SAVELLI. 

Vrai! je te porte envie. 

IRÈNE. 

APaide! à Tassassin! 

SCÈNE VIII 
Les Mêmes, moins BENEDETTA. ADRIEN accoart, snivi de RODOLPHE^ 

ADRIEN. 

On maltraite une femme? Indigne spadassin! 



28 • RIENZI 

Vous vous croyez un homme, et vous n'avez pas honte 
D'insulter la fail)lesse ? Aussi je vous affronte. 

ORSINI. 

Sais-tu que j'ai ]^ur nom Giuseppe Orsini? 

ADRIEN. 

C'est un beau nom, seigneur, mais qui sera honni. 
Et qui, par vos méfaits, perdra tout son prestige. 
Vous ôtes riche et noble : eh bien! noblesse oblige. 

ORSINI. 

Merci de la leçon. 

IRÈNE. 

Par pitié, sauvez-moi ! 

ADRIEN. 

Votre nom, voyez-vous, n'inspire que l'effroi ; 
Vous le déshonorez et, traîné dans la boue. 
Il est un de ces noms que le peuple bafoue. 
Faut-il s'en étonner ? Au lieu de protecteurs, 
. . Ce peuple trouve en vous d'affreux violateurs 
Et d'infâmes couards ; car il est lâche, infâme, 
Pour l'homme vigoureux d'outrager une femme. 

ORSINI. 

Lâche, infâme, as-tu dit, mon gentil damoiseau? 
Vraiment, tu me fais rire, imberbe jouvenceau I 
Tu ne peux m'insulter ; j'aime fort ta harangue : 
Voyons si ton épée est égale à ta langue. 

ADRIEN, tirant son épée. 

Non moins noble que toi, je suis un Colonna. 

ORSINI, se mettant en garde. 

La haine est perspicace : elle m'aiguillonna 
Dès que je t'aperçus; c'est un legs de famille. 

ADRIEN. 

L'air fanfaron messied au vainqueur d'une lllle. 

Ils croisent le fer; Orsini tient trèno enlacée de son bras gauche. 



ACTE PREMIER 29 

SCÈNE IX 

Les Mêmes, CECCO et des Hommes du Peuple accourent masqaés et por- 
tant une écharpe ronge nonée autonr dn bras gauche* 

RODOLPHE. 

A Taide, Colonnas! 

CECCO. 

Sus à ces nobles loups ! 

Les Bourgeois repoussent les partisans d'Orsini an fond du théâtre. 
IRÈNE. 

Jésus ! 

ORSINI. 

Vile canaille! 

CECCO. 

Accablez-les de coups. 

Après nn court combat, Adrien fait sauter Tôpée d'Orsini et lui met la sienne sur la 

poitrine. 

ORSINI. 

J'étoufFe de venin, de rage inassouvie. 

ADRIEN. 

Laisse aller ta victime, ou c'est fait de ta vie. 

ORSINI. 

Oh ! je me vengerai. 

ADRIEN. 

Je ris de ta fureur. 

Orsini lâche Irène, qui tombe à genoux; Adrien le suit quelques pas, jusqu'à ce qu'il 
arrive près do ses valets qui l'entraînent, et revient ensuite près de la jeune fille. Cecco 
cl ses hommes poursuivent la troupe d'Orsini. 

IRÈNE. 

Merci, mon Dieu, merci ! 

ADRIEN. 

Calmez votre terreur. 



30 RIENZl 

SCÈNE X 
IRÈNE, ADRIEN. 

IRÈNE, à genoux, à part* 

C'est lui, c'est lui, grand Dieu î c'est l'élu de mon ûme. 

ADRIEN, allant la relever. 

Scélérats! — Une enfant! — Levez-vous, pauvre femme. 

IRÈNE. 

Ah ! vous m'avez sauvé la vie avec l'honneur : 
Laissez-moi vous bénir, noble et vaillant seigneur. 

ADRIEN. 

Il a flétri son nom, ce baron misérable. 
Je comprends maintenant la haine inexorable 
De tous les plébéiens, leur cœur rempli de flel. 
Le cri des opprimés doit monter jusqu'au ciel. 
Craignez, patriciens, un peuple qui se venge. — 
Rien ne peut les fléchir, pas même un pareil ange. 
Ne tremblez pas ainsi, penchez- vous à mon bras. 

IRÈNE. 

Oh ! je vous suivrai, vous, sans peur, sans embarras. 

ADRIEN. 

Quel enivrant regard! — Son œil se rassérène. 
Informez-moi comment on vous appelle. 

IRÈNE. 

Irène. 

ADRIEN. 

Irène ! quel doux nom ! Je le dirai souvent. 
Le jour dans ma pensée et la nuit en rêvant. 

IRÈNE, à mi-voix. 

Je l'évitais, hélas! C'est Dieu qui me l'amène. 
Je n'ai pas de le fuir la force surhumaine. 

ADRIEN. 

Je suis pour vous un frère, un zélé défenseur, 
Et je vous conduirai. 



ACTE PREMIER 31 

IRÈNE. 

Merci! je suis la sœur 
De Rienzi. 

ADRIEN. 

Mon Dieu ! quelle coïncidence ! 
Je ne saurais assez louer la Providence 
Oui, pour vous protéger, m*a conduit sur vos pas. 
La sœur de Rienzi! venez ! ne tardons pas. 

Ils sortent par la ganche. 

SCÈNE XI 

GEGGO et SCS hommes reviennent par la droite, ensuite PANDULFO et les bonr- 
gcois; enfin RIENZI et les antres CONJURÉS, tous masqués, armés et portant 
lecharpe rouge. 

Le théâtre reste dans l'obscurité. 

CEGGO, allant vers le fond de la scène. 

Le mol d'ordre? arrêtez! 

PANDULFO et les BOURGEOIS dans la coulisse. 

Dieu, Rome ctritalie! 

Ils entrent. 



GEGGO et les siens. 



PANDULFO. 



Liberté! 

Bien. 

GEGGO allant vers la gauche. 

Qui vive? 

RIENZI et les CONJURÉS dans la coulisse. 

Amis de la patrie ! 

Ils entrent. 
PANDULFO. 

Dieu, liberté, patrie ! à ces noms vénérés, 
Nous nous reconnaissons. ATœuvre, conjurés! 

Ils forment un cercle. Rienzi, nu-tête et seul sans masque, est enveloppé dans les plis 
d'un manteau rouge et se met au centre. Un conjuré, placé derrière lui, tient un 
drapeau rouge au-dessus de sa tête. 



32 RIENZI 

CEGCO, à RicDzi. 

Nous t'avons élu chef; sois donc noire interprète. 

RIENZI. 

Je vois dans ce lieu sombre, à cette heure secrète, 

Ce que Rome contient de grands et nobles cœurs, 

Ignorant l'épouvante et les lâches terreurs. 

Les vaillants plébéiens que la vengeance enrôle, 

N'auront pas attendu ma brûlante parole : 

Car les temps sont passés où le peuple mutin 

Se retirait en paix sur le mont Aventin. 

Il attaque aujourd'hui les abus dans leur source 

Par rinsurrection, sa suprême ressource. 

Notre cause est sacrée et le prix vaut l'enjeu. 

Et nous la gagnerons avec l'aide de Dieu . 

L'audace nous unit, la haine nous assemble : 

Résolus, nous vaincrons ou nous mourrons ensemble. 

Romains, plutôt la mort que l'asservissement! 

Êtes-yous prêts? 

LES CONJURÉS. 

Oui, tous. 

RIENZI. 

Répétez le serment. 

Il prend son épée dans la main droite, élevant la garde comme ane croix, et la Bible 
dans la maib gauche. Les conjurés se tiennent par la main, en formant le cercle. 

Sur ce glaive sacré, ce livre symbolique. 
Nous jurons de mourir pour noire république. 

Tous les conjurés répètent ces deux vers. 

Au faible, sympathie! et haine à tout puissant ! 
Et pour la liberté verscms tout notre sang ! 

Los conspirateurs répètent également ces deux vers. 

Les droits nés avec l'homme et transmis par nos pères. 
Les droits de citoyens libres, égaux et frères, 
Nous sont tous enlevés ; nous les reconquerrons. 
Il faut vaincre ou mourir. Jurez. 

LES CONJURÉS, élevant la main et se découvrant. 

Nous le jurons. 

RIENZI. 

Le voilà répandu ce gorme qui féconde. 



ACTE PREMIER 33 

La sainte Liberté fera le tour du monde ; 
11 est beau de périr pour ce noble dessein. 

On entend sonner la cloche du- Capitule. 

Écoutez le signal, c'est la voix du tocsin. 
Suivez votre tribun, Romains, au Gapitole. 
Ah ! le peuple est pour vous la plèbe qu'on immole? 
Messeigneurs, garde à vous! la plèbe, la voici ! 

TOUS. 

Gloire au libérateur, au tribun Rienzi ! 

Ils sortent, Rienzi en tête, ad moment où le rideau tombe. 



FIN DU PREMIER ACTE 



ACTE DEUXIÈME 



Le théâtre représeflte nne salle da €apitole brillamment décorée et illaminée. Des 
tables sont placées de chaque côté, le long de la coulisse. Une fenêtre donnant snr nn 
balcon se trouve à la ganche du spectateur. Portes de chaque côté. Le fond est fermé 
par un rideau. 



SCÈNE PREMIÈRE 

RIENZI, nInA, IRÈNE, COLONNA, ORSINI, SAVELLI, SIGNORA CO- 
LONNA, SIGNORA FRANGIPANI, SIGNORA M ALATESTA, Seigneurs, 
et Dames, Pages et Valets. 

Les convives sont assis aux deux tables; Rienzi préside à celle de droite, Nina à celle 
de gauche. Adrien et Irène se trouvent près de Rienzi; le vieux Colonna est à la même 
table, sur le devant. Savelli et Orsini occupent les premiers sièges de la table de Nina. 
Les Pages se tiennent derrière les Dames; les Valets circulent avec des flacons. Le 
repas touche à sa fin. (Nina est vêtue avec une extrême élégance; Rienzi porte nue 
tunique de pourpre brodée d*or.) 

ORSINI, à Savelli. 

Je pardonne au tribun : il a des mœurs polies; 
Les hommes sont bruyants et les femmes jolies. 

SAVELLI. 

C'est un banquet divin : vois, les vins sont fumeux, 
Les flacons scintillants, les cuisiniers fameux. 
Quand la tête et le cœur sont en proie à l'ivresse, 
Nargue à la politique et vive Pauvresse! 

ORSINI, à mi-voix. 

Il est ivre déjà. — Sois prudent, Savelli. 

SAVELLI se lève, le verre à la main. 

Je bois à notre hôtesse, à Nina Raselli. 
Pour fêter dignement sa beauté sans pareille. 
Versez à pleins hanaps la liqueur de la treille. 



ACTE DEUXIEME 35 

LES SEIGNEURS, se levant. 

 Nina Raselli ! 

ADRIEN. 

La femme du tribun. 

A Texception de Savelli, les nobles posent leurs verres snr la table et reprennent lears 

places. 

GOLONNA, regardant Adrien avec colère. 

Et c'est un Golonna! 

SAVELLI. 

Peste de Pimportun ! 
Je bois à Nina seule, à la belle des belles! 

RIENZI, à part. 

Vous osez m'insulter, conspirateurs rebelles! 

Haut. 

Merci pour ma Nina de ce propos galant. 

GOLONNA, à son voisin. 

Quel hardi parvenu ! quel bourgeois insolent ! 

SAVELLI. 

Soyez reine, Nina; sujets de votre empire, 
Livrons-nous à la joie, et honte à qui conspire 1 

ORSINI, basàSavelli. 

Tu peux tout perdre, ivrogne, et tu me fais trembler. 
Tes indiscrétions viendront tout révéler. 

Hant. 

Point de fête sans chant! Allons, Savelli, chante 
Quelque lai provençal ou bien quelque sirvente. 

SAVELLI. 

Je suis un gai poëte, un joyeux ménestrel : 
L'amour que je célèbre est quelque peu charnel. 



Il chante. 



Où cours-ta, douce maltresse. 
Et quel aiguillon te presse? 



36 RlENZl 

Prôte Toreille à mes vœux. 
Reste ici, belle volage; 
On sait bien que tout voyage 
Fait trouver des amoureux. 

Jeune fille. 
Dont Toeil brille 
Et scintille. 

Écoute le troubadour. 
Il admire 
Ton sourire 
Qui l'inspire; 

Dieu te créa pour l'amour. 

Profitons de l'allégresse. 
Et cueillons chaque caresse : 
Qui peut prévoir l'avenir? 
La sagesse est mensongère; 
La jeunesse est passagère : 
Différer n'est pas jouir. 

Jeune fille, etc. 



NINA. 

Merci, noble baron ! vrai, je vous complimente : 
Le chanteur est habile et la chanson charmante. 

SAVELLI. 

Ce suffrage flatteur fera des envieux. 

A votre tour, madame, un chant harmonieux. 

LES NOBLES. 

Oui, chantez, signora! 

ORSINI. 

Gomme eux tous, je mendie. 
Donnez-nous la faveur de quelque mélodie. 

NINA chante, en s' accompagnant du lath. 

Plus de chagrin, de plainte amèret 
L'homme fut le même toujours : 
Changeant 4e maîtresse et d'amours. 
La constance est une chimère. 



ACTE DEUXIÈME 37 

Plus de soupirs. 

De vains désirs. 
Mais restons belles et rieuses t 

Si nos amants 

Sont inconstants, 
Entonnons des chansons joyeuses. 

Séchons nos pleurs pour le volage 
Qui se rit de notre tourment 1 
L*amour aime le changement, ' 
Depuis que Tarbre a du feuillage. 

Plus de soupirs, etc. 

SAVELLI. 

€'esl divin. 

ORSINI. 

Tais- loi donc, flatteur extravagant! 

SAVELLI. 

Je maintiens : c'est céleste ; el je jette mon gant 

A qui veut proférer cet atroce libelle 

Qu'il est chanson plus douce ou chanteuse plus belle. 

l\ jette son gaot aa miHeu de la salle. 
NINA, se levant. 

Paix, sire chevalier ! Mesdames, levons-nous ! 

Elle vient sur le devant de la scène et s'adresse à Savelli. 

Vous leur jetez le gant? Vraiment ! y pensez- vous ! 
C'est un labeur ingrat. Je vois, non sans délice, 
Que vous voulez pour moi descendre dans la lice; 
Pour parler franchement, je hais les ferrailleurs 
Et me fie à celui qui porte mes couleurs. 

Elle montre Rienzi da geste et fait une révérence; Savelli est décontenancé et se retire 
avec Orsini vers le fond. 

SAVELLI, à Orsini. 

C'est une enchanteresse, une belle sirène. 

ORSINI. 

Elle a Pair arrogant et le port d'une reine. 

Les Seigneurs sont maintenant à Tarrière-plan; les Dames se groupent autour de Nina, 
qui prend dos allures hautaines. 



38 RIENZI 

NINA. 

Vous avez bieu voulu parfumer le banquet, 
Car dans tous les festins la femme est le bouquet. 
Cet hommage flatteur, que dûment j'apprécie 
Comble tous mes désirs et je vous remercie. 

A Signora Colonna. 

J'ai passé Tautre jour devant votre palais, 
Signora Colonna; qu'il a gsigrtt d'attraits, 
Depuis qu'on fait raser créneaux et meurtrières. 
Et que les spadassins font place aux chambrières ! 

A Signora Orsini. 

Kienzi, signora, protège votre époux 

Et lui réserve un poste en dépit des jaloux. 

A Signora Frangipani, qui tient de8 tablettes à la main. 

Af ez-vous lu ces vers? Dans son doux idiome, 
Pétrarque les adresse au grand tribun de Rome. 

A Signora Malatesta. 

Dame Malatesta, je vous fais compliment * 
De recouvrer la vue aussi complètement; 
Car lors du dernier bal, très-illustre baronne. 
Vous m'avez confondue avec une colonne. 

A toutes. 

La vie aura toujours son flux et son reflux ; 
Songez-y bien. Adieu! je ne vous retiens plus. 

Elle les salue et prend le bras d'Irène. 
LA SIGNORA MALATESTA. 

Quel affront! je suffoque! à moi cette impudence? 

LA SIGNORA FRANGIPANI, à la signora Colonna. 

Vous supportez sa morgue et son outrecuidance? 

LA SIGNORA COLONNA. 

Son règne sera bref. Partons ! Chacun son tour ! 
Elle raille aujourd'hui : — nous aurons notre jour. 

Elles sortent; les Seigneurs font la haie pour les laisser passer. 



ACTE DEUXIEME 39 

SCÈNE II 

Les Mêmes, moins les SIGNORAS GOLONNÂ, FRANGIPANI, ORSINI et 
MALATESTA. 

Pendant celte scène, les Valets débarrassent les tables et les emportent. Les Seigneurs 
se tiennent dans le fond. Rienzi, Nina, Irène et Adrien Tiennent sur le devant da 
théâtre. 

COLONNA, aox nobles. 

C'est par trop d'insolence! Il faut punir ce drôle. 

RIENZI, à Nina. 

Ma charmante Nina, tu jouas bien ton rôle. 

A Irène. 

Lorsque tout te sourit, d'où vient cet air penseur? 

IRÈNE, à Nina. 

Oh! je crains leur courroux; ménage-les, ma sœur. 

BIENZI, embrassant Irène sur le front. 

Sois gaie et calme-toi, mon Irène, ma fille ! 

IRÈNE. 

Songe à mon Adrien, il est de leur famille. 

ADRIEN, à Rienii. 

Pourquoi punirais-tu? quel crime ont ils commis? 

RIENZI. 

Ma vie est en danger, mon pouvoir compromis. 
Si tu les connaissais 1... — Garde ton ignorance. 

Aux Nobles. 

Demeurez, messeigneurs, pour une conférence. 

Adrien sort arec Nina et Irène, ainsi que les Pages et les Valets. 

SCÈNE III 
RIENZI, COLONNA, ORSINI, SAVELLl, sept autres Seigneurs. 

SAVELLI, bas à Orsini. 

Aurait-il découvert? je tremble malgré moi! 



40 .RIENZl 

ORSINI, à TOix basse. 

Rassure-toi, poltron ! point d'inutile effroi ! 

Les Nobles viennent se ranger antour de Rienzi, sur le devant de la scène. 
RIENZl, à Golonna. 

Seigneur, votre figure est bien rébarbative ; 
Vous étiez plus joyeux quand j'étais un convive 
A votre table. 

COLONNA. 

Eh bien! les rôles sont changés. 

RIENZl. 

Je reconnais bien là vos étroits préjugés. 
J'ai remonté l'échelle avec la populace : 
Vous avez conservé votre rang, votre place. 
• • On ne vous vexe pas : d'où vient ce désarroi? 
Personne n'est sujet quand tout le monde est roi ! 
L'égalité vous choque et la paix vous désole; 
Vous regrettez l'abus, votre vieux monopole. 
Quel mal vous a-t-on fait, effrénés tyranneaux? 
De chasser vos routiers, d'abattre vos créneaux? 
Au droit d'oppression vous ne sauriez prétendre : 
Obéir à la loi, ce n'est jamais descendre. 

COLONNA. 

N'est-ce rien d'avilir les grands patriciens? 

RIENZl. 

lis ont des droits égaux à ceux des plébéiens. 

COLONNA. 

Égaux ! — Et nos pouvoirs, notre prérogative ? 
Vous nous les enlevez par votre tentative. 

RIENZl. 

Et quels sont ces pouvoirs ? Le mot est maladroit, 
Car Tusurpatidn ne fut jamais un droit. 
Colosse gigantesque à la base d'argile. 
Pour l'étayer un peu, vous citez TÉvangile 
Qui dit : César et Dieu devront avoir leur part. 
Jamais la liberté n'appartint à César. 

COLONNA. 

D'où prenez- vous le droit d'ôter un privilège? 



ACTE DEUXIÈME 41 

RIENZI. 

Du peuple, du Saint-Père et du sacré collège. 
Si le chef de TÉglise est notre suzerain, 
Le peuple tout entier est le vrai souverain. 

COLONNA. 

Vous n'avez pas eu peur d'insulter la noblesse. 

Pour avoir violé, tué quelque drôlesse, 

Le pauvre Martino mourut sur le gibet : 

Un vieux patricien pendu comme un valet! 

Vous, fils d'un hôtelier, fîtes mourir un comte : 

C'est un affront sanglant dont nous demandons compte. 

RIENZI. 

Je punirai de mort tout brutal meurtrier, 
Qu'il soit patricien ou modeste ouvrier. 

. COLONNA. 

C'est un fait révoltant, un odieux outrage. 

RIENZI. 

Je connais le motif de votre ignoble rage, 

De votre sympathie avec des assassins: 

Le guel-apens. Seigneurs, entre dans vos desseins. 

SAVELLI, effrayé. 

Il a tout découvert. 

RIENZI. 

Voyez votre complice; 
Ha ! ne dirait-on pas qu'on le traîne au supplice? 
Mais votre heure suprême est marquée au cadran ! 

ORSINI. 

Puisque tout est perdu, vengeance ! et meurs, tyran ! 

II s'élance sur Rienzi, le poignard k la main; l'arme 8'émousse sur la cotte de mailles 
que le tribun porte sous sa toge de pourpre. 

RIENZI, jetant sa robe. 

A moi î — Depuis hier je connais votre race. 
Et vous m'avez appris à porter la cuirasse. 

Il frappe ses mains l'une contre l'autre ; à ce signal, des hommes armés entrent, avec 
Cecco, et se placent derrière les nobles, qui se trouvent refoulés le long des coulisses, 
des deux côtés de la scène. Au même instant, le rideau du fond s'ouvre et laisse voir 



42 RIENZI 

la salle de justice, tendue de soie rouge avec des raies blanches. Pandulfo et deox 
conseillers, vêtus de longues robes rouges, sont assis k une table derrière laquelle est 
placé un fauteuil élevé sur une estrade et surmonté d'un baldaquin. Rodolphe, les bras 
enchaînés, est debout près de la table; deux soldats le gardent. 



SCENE IV 

Les Mêmes, PANDULFO, GEGGO, RODOLPHE, deux Conseillers, 

Soldats. 

SÂVELLl. 

Tout est liai, grand Dieu ! qu'allons-nous devenir? 

RIENZI, qui est resté au milieu de la scène. 

Vous violez la loi : la loi va vous punir. 

ORSINI, regardant Rodolphe. 

Oh! le lâche Saxon! Tabominable traître! 

RODOLPHE. 

Traître et lâche, vraiment? Vous vous trompez, mon maître ! 

Gardez ces noms pour vous. Reître et coupe-jarret, 

J'ai vendu mon poignard et n^en fais pas secret. 

Le tribun m^a vaincu ; mais, par la sainte Messe \ 

J'ai scrupuleusement accompli ma promesse. 

Vous m'avez payé, vous! Il m'épargna la mort, 

Et la vie, après tout, vaut plus que tout votre or. 

RIENZI. 

Vous voilà pris au piège ; il n'est plus de retraite, 
Nobles condottieri ! Justice sera faite. 

PANDULFO. 

Vous êtes prévenus d'un forfait infernal : 

Montrant Rienâ. 

Voici l'accusateur; 

Montrant les Assesseurs. 

— Voici le tribunal. 

RIENZI. 

Juges, écoutez-moi. Par le vieux privilège 
Cher au peuple romain, que le Seigneur protège. 
Hier du Saint-Esprit on me fit chevalier. 



ACTE DEUXffiME 43 

Selon le rite ancien, qui vous est familier, 

A Saint- Jean de Latran, pour la veille des armes, 

Je dus passer la nuit. Le cœur exempt d'alarmes. 

Je reposais en paix, tout vêtu, sur mon lit. 

Sorti victorieux d'un terrible conflit, 

Je remerciais Dieu qui, dans sa providence, 

A daigné protéger Tœuvre d'indépendance 

Et rendre la grandeur à ce peuple immortel. 

Quelques faibles rayons venaient du maltre-autel. 

Ces seigneurs, occupant la cbapelle voisine, 

Veillaient, — comme un sicaire alors qu'il assassine. 

Tout à coup j'aperçois un visage hagard, . 

Et je vois une main brandissant un poignard. 

Se traînant sur la dalle et dans l'église sombre, 

Un homme jusqu'à moi s'était glissé dans l'ombre. 

Je lui saisis le bras ; je désarme sa main ; 

Je terrasse d'un coup ce meurtrier germain. 

Nul cri ne fut poussé ; Tarme sur sa poitrine, 

J'arrache son secret qui tous les incrimine : 

Oui, les barons romains soldent des malfaiteurs. 

Il vous dira les noms des vils conspirateurs. 

Quelle noblesse, hélas ! elle rampe et s'eflace : 

L'un d'eux s'est-il levé pour me frapper en face ? 

Us ont tué la foi, violé le sommeil. , . 

L'échafaud les attend ; je les livre au oiDseil. 

RODOLPHE. 

Le tribun a dit vrai : je suis sicaire à gages. 

Mouvement parmi les Nobles. 

La pâleur de la mort s'étend sur vos visages; 
Vous me croyiez en fuite, et vous voilà surpris. — 
Ils ont loué ma main, ils m'ont payé le prix : 
Ces superbes seigneurs, les plus beaux noms de Rome, 
M'ont dit d'assassiner, pendant la nuit, cet homme 
Qu'ils n'osaient point frapper en plein soleil, debout. 
Je fus leur instrument, leur bras, et voilà tout. 
Ils ont tramé le meurtre, ouvert la basilique, 
Prêts à souiller de sang le temple catholique ; 
Ils m*ont marqué la place où j'étais embusqué. 
Ce n'est pas, voyez-vous, le cœur qui m'a manqué, 
Et l'on ne dira plus que je suis lâche et traître ; 
J'ai marché hardiment, j'ai tenté, foi de reître! 
J'ai tenté, moi tout seul, d'accomplir le méfait; 



41 RlENZl 

Mais au lieu de dormir la viclime veillait; 
Sa main me terrassa, brisa ma résistance : 
Et moi, pour échapper au fer, à la potence. 
J'ai révélé tout bas chaque fait aggravant. 
Qu'attendez- vous de plus d'un homme qui se vend? 

PANDULFO. 

Et les instigateurs? il faut que tu les nommes. 

RODOLPHE. 

Et pourquoi les nommer? les voilà. Tous ces hommes, 

Savelli, Colonna, le vieux Frangipani, 

Guido Malatesta, Giuseppe Orsini, 

Vous les reconnaissez à leurs Ogures blêmes; 

Et leurs cœurs défaillants se trahissent eux-mêmes : 

Ils ne sont pas taillés pour des conspirateurs. 

RIENZI. 

Vous croyiez tout fini, sombres agitateurs ! 

Vous qui me poursuiviez d'hommages hypocrites, 

Sycophantes hideux! meurtriers émérites! — 

Lorsque vous jouissiez, j'ai ployé sous le faix; 

Vous troubliez le pays, je lui rendis la paix ; 

De vos afiFreux soudards j'ai purgé les campagnes. 

Rejeté les brigand! au loin dans les montagnes. 

Le commerce fleurit dans l'antique cité : 

Mais vous conspirez, vous, contre la liberté, 

Et même un Colonna dégrade sa vieillesse. 

Tas de coupe-jarrets ! vous vous nommez noblesse? 

Vous l'avez avilie : un titre est un affront. 

Et la rougeur pour vous vient me monter au front. 

Noblesse est de nos jours synonyme de vice. 

D'abus et de complot, de haine et d'injustice. 

l\ va s'asseoir sur le fauteuil placé sur l'estrade. 
PANDULFO, aux accusés. 

Avez-vous à parler contre le châtiment? 

COLONNA. 

Non ! mais nous protestons contre tout jugement. 

ORSINI. 

Des preuves ! 



ACTE DEUXIÈME 45 

GEGCO. 

Les voilà sur vos faces livides ! 

PANDULFO, aux assessears. 

Ces dix barons romains sont-ils des homicides, 
Convaincus par cet homme et de leur propre aveu? 
Juges du grand-conseil, répondez devant Dieu. 
Quel est votre verdict ? 

LES ASSESSEURS. 

Nous les trouvons coupables. 

PANDULFO. 

Pour meurtre et guet-apens, ces ciimes exécrables, 
Quelle est, selon la loi, là peine? 

LES ASSESSEURS. 

C'est la mort! 

SAVELLL 

Dieu! 

PANDULFO. 

Le texte est formel; les juges sont d'accord; 
Et nous vous condamnons à la mort des infâmes. 
Que le Seigneur clément ait pitié de vos âmes ! 

RIENZT. 

C'est la loi qui vous frappe et vous livre au bourreau 
Dont le glaive vengeur va sortir du fourreau. 
Terrible et flamboyant, pour abattre vos tôtes ! 

COLONNA. 

Dix tôtes de seigneurs! Ah ! ce sont-là vos fêtes? 

SAVELLL 

Grâce, tribun, fais grâce ! 

COLONNA. 

Allons, tais-toi, poltron ! 
Sois brave comme un homme, et meurs comme un baron ! 



46 RIENZI 

PANDDLFO. 

Occupez-vous plutôt de votre âme immortelle - 
Nous vous accorderons une heure à la chapelle. 

SAVELLI. 

Oh ! sauvez-moi ! j'ai peur ! — oui j'ai peur de mourir! 

PANDULFO. 

Une heure pour prier et pour le repentir. 

n se lève, ainsi que les Assesseurs, qui se découvrent et joignent les mains. 

Nous t'invoquons ici, Seigneur, Dieu de justice! 
Nous les avons jugés sans peur et sans malice, 
Sur notre conscience, après mûr examen. 
Confirme notre arrêt, juge suprême ! 

LES ASSESSEURS. 

Amen ! 
SCÈNE V 
Les Mêmes, des Moines. 

On entend chanter au dehors la première strophe du Dies irœ; des moines entrent an 
dernier vers et marchent deux par deux, en entonnant la seconde strophe, vers le de- 
vant de la scène, où chacun se trouve en face d'un noble. 

Dies irae, dies illa. 
Cruels expandens vexilla, 
Solvet sœclam in fayiUa. 

Judex ergo quum sedebit, 
Quidquid latet apparebit : 
Nil inultum remanebit. 



Ah! 



LES NOBLES, saisis de terreur. 
LES MOINES. 

Mémento mxni. 



PANDULFO, aux religieux. 

Remplissez votre office. 
Voici des criminels destinés au supplice, 
Condamnés à mourir par notre tribund : 
Moines, emmenez-les au confessionnal. 



ACTE DEUXIÈME 47 

SAVFXLI. 

Le frisson de la mort roidil toutes mes libres ! 

COLONNA. 

Non, non! nous protestons; nous voulons être libres. 

Suis-je un manant obscur, un abject hobereau, 

Pour qu'on m'insulte ainsi, qu'on me livre au bourreau? 

Se tournant vers Rienzi. 

Viens cracher ton venin, ténébreuse vipère ! 

LE MOINE, placé près de Colonna. 

Apaisez-vous, "mon fils! 

COLONNA, éclatant. 

Je ne veux pas, mon père! 
Je ne veux pas mourir. G^est un injuste arrêt! 
C'est atroce, à la fin. -r- Non je ne suis pas prêt; 
J'ai le cœur plein de fiel, Tâme préoccupée. — 
Lâches! rendez-moi donc ma dague et mon épée. 

RIENZI. 

Vous allez à ma haine ajouter le mépris. 

LE MOINE. 

Mon fils, ^nge à ton àme, au nom de Jésus-Christ ! 

RIENZI. 

Quand le soleil couchant fera place aux ténèbres, 
Vous entendrez au loin les tintements funèbres 
Et le glas du supplicç. pécheur endurci, 
Va prier : dans ce monde il n'est plus de merci ! 

LES MOINES. 

Ingemisco, tanquam reus, 
Cnlpâ ruhet vultus mens, 
Supplicanti parce, Deas. 

Ils sortent en chantant le dernier vers et emmènent les Nobles, qui marchent chacun entre 
un Religieux et un Garde. Rodolphe est entraîné du coté opposé. Cecco sort le dernier. 



48 RIENZI 

SCÈNE VI 
RIENZI, PANDULFO, les Assesseurs. 

RIENZI. 

Aux meurtriers, la mort I C'est la loi qui les juge. 

PANDULFO. 

Permets-moi de parler sans fard ni subterfuge. 
Vois, je suis chargé d*ans, mes cheveux sont blanchis; 
C'est la voix d'un vieillard qui te dit : réfléchis. 
Pendant qu'il en est temps et que le bourreau chôme. 
Dix barons d'un seul coup! c'est décapiter Rome. 

RIENZL 

Tant que je survivrai, lui faut-il d'autres chefs? 

PANDULFO. 

Pardonne aux criminels, oubliant tes griefs. 
Le sang est pour tout homme une amère semence : 
Personne n'en profite et mieux vaut la clémence. 
Le juge a disparu; je suis ton conseiller : 
Si le juge condamne, un ami doit veiller. 

RIENZI. 

Et la loi, prétends-tu que je la rapetisse? 
Un pardon n'est-il pas un déni de justice? 
Le châtiment inspire un salutaire effix)i : 
Quand le criminel meurt, force reste à la loi. 

PANDULFO. 

Mais rhumanité veut que la loi se relâche. 
Unir tous les Romains, c'est une belle tâche. 
Je le répète encor, seul de tout le conseil : 
Tribun, fais démolir le terrible appareil. 

Il sort avec les Assesscnrs qui s'inclinent devant Rienzi. 

SCÈNE Vil 
RIENZI, seul. 

La justice est toujours la meilleure tactique. 
Elle a tracé pour moi la ligne politique. 



ACTE DEUXIÈME 49 

» 

Une faasse indulgence est souvent un défaut; 
Leurs têtes tomberont ce soir sur l'échafaud. 
Le sang de l'assassin jaillit Bans flétrissure, 
Sans laisser sur mon front la moindre éclaboussure. 
Un tribun ne peut pas suivre la voix du cœur; 
Et je les frappe en juge et non pas en vainqueur. 



SCÈNE VIII 
RIENZl, ADRIEN. 

ADRIEN. 

Des larmes dans, la voix, Pâme en deuil, je m'approche; 
Mais je te parle, ami, sans plainte et sans reproche. 
Coupables — ils le sont, et d'un noir attentat, 
Et leur mort te paraît le salut de TÉtat. 
Peut-être as-tu raison, c'est un moment de crise. 
Je ne viens pas prier : — à quoi bon ? je méprise 
Ce vieillard, dont l'orgueil fit un Catilina. 
Plains-moi, pleure sur moi : — je suis un Colonna. 

RIENZI. 

Ohl j'aurais préféré le reproche et la plainte, 
A tes sombres regrets, à ton air de contrainte. 
Nous sommes dominés, entraînés par le sort : 
C'est le salut commun qui demande leur mort. 
Je dois veiller sur Rome et Rome me l'ordonne; 
Rome sera perdue, ami, si je pardonne. 

ADRIEN. 

Je connais ta grande âme et ton horreur du sang 
Ton cœur est trop viril pour envier leur rang. 

RIENZI. 

Je les ai condamnés sans peur comme sans haine. 
Dans mon sein la patrie est seule souveraine; 
Je suis son champion, son dernier défenseur, 
Je ne puis l'immoler au bonheur de ma sœur. 

ADRIEN. 

Oh! par pitié, tais-toi! Ma douleur est poignante; 
N'ouvre pas ma blessure, elle est encor saignante. 
S'il faut nous séparer, pourquoi nous émouvoir? 



50 RIENZI 

Chacun de nous ici doit remplir son devoir. 

Le chef de ma maison meurt de la mort du traître : 

C'est la honte et Texil, — et je dois disparaître; 

Car réchafaud des miens me défend ce séjour; 

Il faut que je renonce à la vie, à Tamour. 

C'est la conduite, ami, que prescrit la décence : 

On me reprocherait d'aduler la puissance; 

Je ne puis violer le code de l'honneur. 

Pour toi, plus de repos ! pour moi plus dé bonheur ! 

RIENZI. 

Bien ! cela nous suffit; point de vaines paroles! 
Chacun rfemplit sa tâche; à chacun ses idoles! 
Tu te dois à l'honneur, je me dois aux Romains : 
Quittons-nous pleins d'estime et suivons nos chemins! 

ADRIEN. 

Soit! Nous nous comprenons : toi, gouverne et travaille; 
J'irai chercher la mort sur les champs de bataille. 

Il regarde vers la coulisse. 

C'est ta sœur, Rienzi, qui s'avance en ce heu; 
Laisse-moi lui parler pour un dernier adieu . 

RIENZI. 

Oh ! de son désespoir je m'accuse moi-même ! 

Je dois porter malheur à tout être que j'aime; 

Mon étoile l'emporte et je vais triomphant. 

Mais j'écrase en chemin cette innocente enfeint. 

Elle éclate en sanglots : — ses pleurs sont mon ouvrage; 

Cherche à la consoler, je n'ai plus de courage. 

Il sort par la droite. 



SCÈNE IX 
ADRIEN, IRÈNE. 

ADRIEN, se précipitant au devant d'Irène qui entre par la gauche « 

Irène ! chère Irène ! — Oh ! tout est consommé ! 

IRÈNE se jette en pleurant dans ses bras. 

C'en est fait ! Je suffoque ! Adieu, mon bien-aimé ! 



ACTE DEUXIÈME 51 



ADRIEN. 



Adieu! Quel mot navrant 1 L'illusion fut brève, 
Le réveil est affreux : — Envole-toi, mon rêve, 
Mon beau rêve d'amour et de félicité! 
Disparais et fais place à la réalité. 

IRÈNE. 

Pourquoi souffrons-nous tant, innocents que nous sommes ! 
Que nous faisaient, à nous, les querelles des hommes? 
Notre univers était notre amour chaleureux : 
Nous vivions Tun pour l'autre et nous vivions heureux. 

ADRIEN. 

Nul ne peut s'isoler et rester égoïste : 
On se doit aux humains du moment qu'on existe. 
De renoncer au monde on n'a point le pouvoir. 
L'humanité prescrit à chacun le devoir 
D'augmenter le bonheur, les droits de ses semblables, 
Dût-il en ressentir des douleurs incurables. 

IRÈNE. 

H te sied de parler en héros, en penseur, 
Je ne puis que souffrir des blessures du cœur. 

ADRIEN. 

Tes yeux sont fatigués et lu pâlis, Irène! 
Avant de m'avoir vu ta vie était sereine. 
Oh! combien je maudis mon amour indiscret 
Qui t'enleva la paix, te laissant le regret' 

IRÈNE. 

Le regret!... de m'avoir fait connaître mon âme? 
De l'avoir échauffée à ton regard de flamme? 
Quand mon amour serait sans but, sans avenir. 
Jusqu'à mon dernier jour je voudrais le bénir ! 
N'est-ce donc rien pour moi d'avoir eu ta pensée ? 
D'avoir, devant le monde, été la fiancée? 
N'est-ce donc rien pour moi d'avoir goûté l'amour, 
D'avoir su que ton cœur m'adorait en retour? 
Mais c'est un sort brillant que toute femme envie. 
Ami, tu m'as donné du bonheur pour la vie : 
Que dis-je, pour la vie ? oh ! pour l'éternité ! 
Car l'amour bien compris est l'immortalité. 



52 RIENZI 

Oui, nous nous aimerons, anges parmi les anges; 
Nos cœurs seront unis dans d'éternels échanges. 
J'ai la conviction, le consolant espoir 
Que, môme après la mort, nous pourrons nous revoir. 
Là, plus d'inimitié, de rang qui nous proscrive! 
Ami, je t'attendrai, debout sur l'autre rive. 
Au seuil du beau pays de l'amour immortel ; 
Le malheur de la vie est le bonheur au ciel ! 

ADRIEN. 

Ton cœur bien inspiré devine ce mystère : 
Notre amour se survit au-delà de la terre, 
Et, môme séparés, nous ne nous perdrons pas. 

IRÈNE. 

Nous ne devons jamais nous revoir ici bas; 
L'amour que je te porte est exclu de ce monde. 
Mais ma fidélité n'en est que plus profonde. 
Mon rôve était hardi, mais il était bien doux ; 
Car j'osais espérer de t'appeler époux. 
Mon bien-aimé, pardonne à l'innocente fille 
Dont la folle tendresse oubliait ta famille. 
J'irai me retirer dans quelque saint couvent. 
Pour t'unir avec Dieu dans mon culte fervent. 
Lorsque la femme souffre, elle s'incline et prie ; 
Mais un homme, Adrien, se doit à sa patrie. 
Viens, encore un regard ! — et maintenant adieu I 
Oh! souviens-toi d'Irène et sois béni de Dieu ! 

Elle l'embrasse. 
ADRIEN. 

Adieu ! — Non, au revoir ! Ce mot seul m'électrise 
Et me soutient. Adieu ! — Mon pauvre cœur se brise, 
Mon cœur que je te laisse ! — Adieu, toi que j'aimais. 
Ma sainte, mon Irène ! Adieu donc pour jamais ! 

Il sort précipitamment, en se couvrant les yeux. 

SCÈNE X 

IRÈNE, seule. 
Dès qu'Adrien est parti, elle tombe à genoux et éclate en sanglots. 

mon Dieu! c'est fini! J'étouffe, je me pâme !... 
Il emporte avec lui la moitié de mon âme. 



ACTE DEUXIÈME 53 

J'en mminrai ! j'en mourrai ! — c'est un trop grand effort ! 
Se quitter, c'est plus dur, plus navrant que la mort ! 
Mon Dieu, tu compatis à tout être qui tombe ; 
Lorsqu'il n'est plus d'espoir, tu nous ouvres la tombe. 
J*ai perdu mon amour, j'ai perdu mon soutien ; 
Je ne reverrai plus jamais mon Adrien, 
Plus jamais, plus jamais î — Cette heure me l'emporte. — 
Il fait nuit dans ma vie. — Oh ! que ne suis-je morte ! 
Je trouverais du moins la paix dans le cercueil. 

Elle se lève et jette uo regard d'angoisse autour d'elle. 

Je suis seule ici, seule! — Eh! que leur fait mon deuil? 
Vers un but isolé chacun se précipite. 
Qu'importe à l'univers la femme qui palpite? 
Qu'importe à l'infini ma poignante douleur? 
On écrase un amour comme on coupe une fleur. 
Oh! j'abjure ma foi. — Juste ciel! je blasphème. 

Elle retombe à genoux. 

J'ai péché! j'ai péché! Pardon, Seigneur suprême! 
Pardon! je te supplie, à genoux, sanglotant. — 
Je ne peux plus prier. — Mon Dieu ! je souffre tant I 

Elle sanglote et se tord les mains. 

SCENE XI 
IRÈNE, NINA, RIENZI. 

Rienzi et Nina sont entrés pendant les dernières paroles d'Irène. Rienzi la regarde avec 
douleur ; Nina va la relever. 

NINA. 

Mauœur! 

IRÈNE, jetant les bras autour du cou de Nina. 

Pitié, Nina! je suis anéantie. 

RIENZI, s'approchant d'elle. 

Et c'est moi ! 

IRÈNE. 

Non, pas toi! c'est Dieu qui me châtie. 

RIENZI. 

Irène! 



54 RIENZl 

IRÈNE. 

Je suis seule. 

NINA. 

Eufanl! nous t'aimons, nous! 

IRÈNE, avec passion. 

mon frère, pitié ! Je t'en prie, à genoux ! 

Pitié ! non pas pour moi : — Je n'ai plus d'espéi:ance ; 

Moi, je suis condamnée au deuil, à la soufifrance. 

Mais pour lui, pour lui seul! On lui tue un parent: 

C'est un arrêt d'exil. Oh! le savoir errant. 

Dans son âpre douleur, maudit et solitaire. 

Portant sur son blason la tache héréditaire! — 

Il t'aimait tant, hélsis! tu ne peux concevoir. — 

Il était éperdu, réduit au désespoir; 

Il pleurait son amour, il souffrait dans sa race. 

Et moi, moi j'en mourrai. 

RIENZI, à Nins. 

Vois ! l'orage s'amasse. 
Je voudrais pardonner ; le ciel m'en est témoin : 
Mais il faut un exemple et Rome en a besoin. 

NINA. 

Ainsi ton cœur s'accorde avec la politique. 
L'échafaud ne convient qu'au pouvoir despotique : 
Un tribun populaire est prêt à pardonner; 
S'il règne par l'amour, qui peut le détrôner? 
Sois clément, Rienzi ! l'impartiale histoire 
Célébrera ce jour comme un jour de victoire. 
Veux -tu que le remords vienne te mordre au flanc? 
Qu'on imprime à ton front une tache de sang? 
Je parle avec chaleur; je ne suis qu'une femme. 
Mais je redis les mots que Dieu me met dans l'àme. 
Plus grand que les barons, ose être généreux. 
Tu n'as jamais songé qu'à faire des heureux : 
. La paix et le bonheur sont tes seules conquêtes. 
Ils ont voulu ta mort: toi, préserve leurs têtes. 

RIENZI. 

Vous m'avez convaincu; plus de peur! plus d'émoi i 
Ce sont mes ennemis; je leur fais grùce, moi ! 



ACTE DEUXIÈME 55 

Je le sens, la clémence est la vertu chrétienne. 
' Ma sœur, cherche Adrien. 

IRÈNE, se jetant à son coa. 

Mon Cola ! 

RIENZI. 

Qu'il revienne ! 
IRÈNE : 
Mon rôve était affreux : quel enivrant réveil ! 

NINA, prenant la main de Rienzi et le regardant arec affection. 

Grand tribun î 

RIENZI. 

Laissez-moi ; c'est Theure du conseil. 

NINA. 

La peur est sans pitié, la force est téméraire. 

IRÈNE. 

Et je t'aimerai tant. 

Elles sortent; Irène revient sur ses pas et embrasse de nouveau Rienzi. 

Je t'aime, mon bon frère ! 

SCÉiNE XII 
RIENZI, ensuite PANDUL FO, C ËCCO, Conseillers et Hommes du peuple . 

RIENZI. 

Le droit de pardonner est mon plus beau fleuron : 
C'est ainsi qu'un tribun se venge d'un baron. 

PandulfOi Cecco et les autres personnages entrent et se>ffroapent autour de lui. 

Fidèles conseillers, chaleureux patriotes! 

Je vous ai réunis, bons et vaillants pilotes 

Qui guidez avec moi le vaisseau de l'État ! 

C'esl.de vous, citoyens, que je tiens mon mandat. 

Éclairez ma raison dans ce moment si grave. 

Nous tenons sous nos pieds l'ennemi qui nous brave : 

Les criminels sont là, liés, la corde au cou. 

La hache est dan^ nos mains : Abattrons-nous d'un coup 



56 RIENZl 

Les dix têtes de Thydre ? — Il faut y réfléchir. 
Est-ce le sang versé qui doit nous aflfranctiir? 
De notre acte dépend le sort de Pltalie : 
La rigueur nous divise et la bonté rallie. 

PANDULFO. 

Tu le sais, j'ai moi-môme émis cet argument; 
Nul n'a, dans le conseil, suivi mon sentiment. 

CECCO. 

Est-ce ainsi que tu veux arrêter la tempête ? 

On ne frappe les rois, les seigneurs, qu'à la tête. 

Vous pensez rallier tous ces nobles jaloux? 

Je crois voir des brebis qui feraient grâce aux loups. 

RIENZI. 

C'est un but glorieux que mon esprit contemple. 
Le rédempteur nous donne un magnifique exemple : 
Il prêcha le pardon pour tous les malfaiteurs, 

PANDULFO. 

Ce que tu fais est grand. 

LE PEUPLE, au dehors. 

Mort aux conspirateurs ! 

CECCO. 

Entendez-vous d'ici tout un peuplé qui gronde? 
Sa forte voix s'élève et mugit comme l'onde ; 
Mieux que tous les rhéteurs il enlend'son%alut. 
C'est un avis fatal, tribun, qui prévalut : 
Pour le bonheur public j'exige leur supplice. 

RIENZI. 

Nous pouvons les tuer, et ce n'est que justice; 
Le peuple est plus que juste, il sera généreux. 
Un pardon général n'est jamais dangereux. 
Peut-être j'eus des torts : l'orgueil, le persiflage; 
J'ai fait de mon pouvoir un frivole étalage. 
Ds ont cru voir en mol leur cruel oppresseur : 
Il faut les ramener à nous par la douceur. 

PANDULFO. 

L'ingratitude, ami, n'est pas dans la nature; 
La bienveillance impose à toute créature. 



ACTE DEUXIÈME 57 



RIENZI. 



L'amnistie est le sceau d'un pouvoir affermi : 
D'un ennemi César se faisait un ami. 

CECGO. 

11 fut assassiné pendant la tentative I 
L'un de vous périra: Choisis Talternative. 

RIENZI. 

Soit ! — Je devrais peut-être écraser le serpent 
Qui me mord au talon, comme un traître, en rampant. 
Si ton cri prophétique est la voix de Cassandre, 
Jusqu'à la cruauté je ne veux pas descendre; 
Et nul 6ur mon tombeau ne viendra buriner : 
a Ci-gît un vil poltron qui n'osa pardonner. » 
Peu m'importe qu'en route un sort fatal m'écrase! 
Je ne veux renoncer au droit de faire grâce. 
L'homme seul peut mourir, les faits sont éternels. 

Élevant la voix. 

Qu'on nous amène ici les barons criminels. 



SCÈNE XIII 

Les mêmes, les dix Barons, les Dames, les Moines, ADRIEN, NINA, 
IRÈNE, Gardes. 

Rienzi se place sur son fauteuil élevé; les conseillers se groupent autour de son siège; 
Cecco se tient un peu à l'écart des autres. Nina et Irène entrent et se mettent à 
droite et à gauche du tribun. La grande cloche du Capitole commence à sonner le 
glas funèbre. Les nobles sont amenés entre les moines et les gardes ; ils ont les bras 
liés, une corde au cou et une chemise de pénitent par-dessus leurs habits ; on les place 
le long des coulisses, sur le devant de la scène. Les dames les suivent, en robes de 
denil, et se mettent à genoux, des deux côtés, sur le second plan, entre leurs maris et 
Rienzi. Adrien entre tristement et va se placer près du vieux Colonna qui se trouve près 
de la rampe. 

LES MOINES commencent la dernière strophe du Dies IVX au dehors et entrent 

en chantant. 

His ergo parce, Deus, 

Pie Jesu, Domine, 

Dona eis requiem. Amen. 

LES NOBLES, à l'exception de Colonna. 

Épargnez-nous la mort ! 



58 RIENZl 

LES DAMES. 

Grâce ! miséricorde I 

ADRIEN. 

Voilà lesfruits amers de Thorrible discorde ! 

Rienzi, j'ai toujours été ton adhérent : 

Pour moi, sinon pour lui, pardonne à mon parent. 

Les voila désarmés, au bord du précipice : 

Vers ces agonisants tourne un regard propice. 

J'ai blâmé leur complot, j'exècre leurs forfaits; 

Gè sont des assassins: moi, soldat, je les hais. 

Sois plus noble qu'eux tous ; renonce à ta vengeance ; 

Jusqu'à tes meurtriers étends ton indulgence. 

IRÈNE. 

mon frère, ô Gola ! 

LE PEUPLE, au dehors. 

Mort aux séditieux ! 



Oh ! ces cris ! 



SAVELLI. 
LES DAMES. 

Montrez-vous miséricordieux î 

RIENZI. 

Dans vos sombres fureurs, mornes ônergumènes, 

Vous avez violé toutes les lois humaines. 

Et vous avez enfreint toutes les lois du ciel. 

Haïssez-vous en moi l'ennemi personnel? 

Je suis chef de TÉtat : les plus hauts feudataires 

Ont reconnu sacrés les rois héréditaires. 

Si je n'ai pas trouvé de sceptre en mon berceau. 

Le Dieu des nations m'a marqué de son sceau. 

Respect au citoyen que le peuple couronne! 

Son pouvoir me rend fort, son éclat m'environne. 

Vous vous inclinez tous bien bas devant uiî roi ; 

Je suis plus haut qu6 lui, plus grand : je suis la loi ! 

L'élu de l'Italie est plus que légitime. — 

Vous m'avez, néanmoins, recherché pour victime. 

Assassiner dans l'ombre, est-ce un acte viril? — 

Vous voyez qu'un complot n'est jamais sans péril. 



ACTE DEUXIEME 59 

Et que j'ai, cette nuit, échappé par miracle. 
Dans le monde il n'est pas de plus touchant spectacle 
Que de voir des seigneurs, de grands patriciens 
Se soumettre à la loi, fiers d'être citoyens. 
Sur les champs de bataille exercez vos prouesses ; 
Défendez la patrie; employez vos richesses 
A décorer la ville, à protéger les arts : 
Nous vous entourerons de respects et d'égards. 
• Ayez des bras vaillants, des âmes bien trempées 
Et des cœurs de Romains ! — Je vous rends vos épées : 
Tirez-les désormais dans le danger commun. 
Contre tout oppresseur, s'appelât-il tribun î 
Vous avez au bourreau livré votre existence : 
Le conseil, plus clément, révoque, la sentence. 
Dévouons au pays nos cœurs associés ! 
Réconcilions-nous! — Vous êtes graciés. 

LES DAMES. 

Soyez béni, tribun ! 

LES «SEIGNEURS, excepté Colonna. 

Merci ! merci ! 

La clocho ne soone plus; les moines délient les hras des nobles et leur ôtent la corde 
et la robe de pénitent. 

IRÈNE. 

Mon frère ! 

PANnULFO. 

11 est grand comme Dieu, l'homme qui se modère. 

RIENZI. 

Jurez obéissance à Rome, au «< Bon État. » (I) 

ADRIEN, qui est allé se mettre près do Rienzi. 

Que la foudre du ciel écrase l'apostat ! 

LES SEIGNEURS, à l'exception de Colonna. 

Nous le jurons ! 
(1) Le gouvernement de Rienzi était appelé Btumo Stato. 



60 RIENZI 

GOLONNA, bas à Orsini. 

Vraiment ! le tribun nous pardonne ! 
C'est un nouvel affront! Sa vigueur Tabandonne. 
Vous l'avez imploré ; nos femmes, à genoux, 
Ont pleuré devant lui, pour sauver leurs époux : 
Je ne Toublierai pas, par les os de ma mère ! 
Et je renverserai son pouvoir éphémère. 

ORSlNI. 

Il faut dissimuler. 

LE PEUPLE, aa dehors. 

Mort aux conspirateurs! 

CECCO. 

Voyez, il est encor d'autres accusateurs ! 

RUSNZI descend de son fauteuil, prend Orsini et Savelli par la main et se plar^ 
avec eux à la fenêtre qui donne sur la place. 

Soyez cléments, Romains ! c'est Dieu qui le commande; 
Il ne veut pas la mort du pécheur qui s'amende. 
S'ils ont tramé ma perte ils sont assez punis; 
Tous libres, désormais nous serons tous unis 
Pour la gloire de Rome, en citoyens paisibles. 
Liés en un faisceau nous serons invincibles. 
Voyez, ils sont amis! je les tiens dans mes bras! 

n les entoure de ses bras; Savelli Tembrasse. 
LE PEUPLE, an dehors. 

Gloire au tribun clément! 

GECGO, à part. 

Quel baiser de Judas ! 
Le grand homme est aveugle et le destin Pentraine. 

IRÈNE, à Adrien qui s'est approché d'elle » 

Je te retrouve, ami! 

ADRIEN. 

Pour toujours, mon Irène ! 



ACTE DEUXIEME 61 

RIENZI. 

Et maioteoant, RomaiDs, allons tous au saint lieu 
Gtianter un Te Deum pour remercier Dieu. 

n va donner la main à Nina qui est restée silencieuse auprès dn fanteoil et sort arec elle. 
Les antres actenrs forment nne procession pour le suivre. 

GEGGO, à part. 

Il pardonne aux barons au lieu de les contraindre : 
Il a soufflé le feu qu'il ne pouvait éteindre. 

Le rideau tombe pendant que le cortège continue à défiler. 



FLN DU OEUXIÈME ACTE 



ACTE TROISIÈME 



Le théâtre représente une place de Rome, près de la porte de SatfLorenzo qui se trouve 
à la gauche du spectateur. Le fond est fermé par les murs de la ville, au haut desquel» 
on monte par un escalier. La perspective laisse entrevoir la campagne. 



SCÈNE PREMIÈRE 

GEGGO, LUGÂ, Hommes et Femmes du peuple en groupes. 
CECCO. 

Longtemps le privilège a su nous dominer, 
Et Ton nous abrutit pour mieux nous enchaîner. 
Deshérité de tout, que peut le prolétaire 
Qui n'a pas eu sa part des trésors de la terre, 
Et qui reste épuisé de fatigue et de faim? 
Qu'il ait aussi ses fleurs et son morceau de pain ! 
Tout comme vous seigneurs, le pauvre a sa famille; 
Tout comme vous il tient à l'honneur de sa fille : 
Respectez son enfant qu'il porte dans son cœur. 
Qu'il ait droit au travail et droit à la pudeur! 
Qu'il ait droit à la vie ! —■ Et jamais la nature 
N'a reconnu pour vous de primogéniture, — 
Mais nous obtiendrons tout avec la liberté 
Qui donne à tous la force, à tous la dignité. 

LUCA. 

Que nous importe un droit, pendant que la misère 
Nous étreint sans pitié de sa terrible serre? 
Du travail et du pain ! Il serait opportun 
De voir réaliser le grand mot du tribun. 

CECCO. 

Gela dépend de toi : prends l'initiative. 
Au lieu de t'endormir dans cette expectative. 
« Recherchez avant tout le royaume des cieux. 
Et le reste viendra I » pour les laborieux. 



ACTE TROISIEME 63 

Faut-il dODC que TÉlat nous prenne en curatelle? 
Non, non I les mineurs seuls ont besoin de tutelle. 
La liberté, Romaitis, exige un grand effort ; 
Un peuple a ce qu'il vaut, l'homme se fait son sort. - 
Ayons tous plus de zèle et plus de confiance ! 

LUCA. 

Cecco, nous avons eu trois mois de patience. 

CECCO. 

Le tribun n'a-t-il pas fait la guerre au bandit, 

Courbé tous les barons, rétabli le crédit, 

Chassé loin de nos murs la baade usurpatrice? 

N'a-t-il pas raffermi la paix et la justice. 

Libéré le travail, protégé les bourgeois? 

C'était plus qu'un miracle, — il l'a fait en trois mois.' 

LUCA. 

Je l'admets volontiers; mais il peut davantage. 
Des fêtes et du pain : c'est là notre héritage. 
11 nous doit son pouvoir, son titre, ses honneurs; 
Nous attendons de lui bien plus que des Seigneurs. 

CECCO. 

Voilà le peuple, hélas ! souffrant tout d'un despote. 
Exigeant, oublieux envers un patriote. 

LL'CA. 

Nous demandons bien peu : qu'il abaisse l'impôt! 

CECCO 

Rienzi pouvait-il répudier plus tôt 
Tout le legs odieux des précédents systèmes? 
Eh! faites- vous soldais 'et combattez vous-mêmes. 
Au lieu d'en enrôler pour chasser les larrons. 
Vous payez aujourd'hui moins que sous les barons. 
Sachez de votre force appuyer vos requêtes; 
Cessez de réclamer des splendeurs et des fêtes. 

LUCA. 

Qu'avons-nous gagné, nous? Les droits sont abaissés; 
Cela ne suflit pas : nous sommes surtaxés. 
Je parle hautement, vois-tu, sans subterfuge : 
Un seul homme sur dix plaide devant un juge; 



64 RlENZl 

Un seul homme sur vingt tombe sous les brigands, 
Ou voit livrer sa fille aux seigneurs arrogants. 
Mais chacun sent Timpôt, car chacun boit et mange. 
Eh! moins de liberté, mais dii pain en échange ! 

CECCO. 

Bien ! raisonnez ainsi, ramenez les abus ; 

Mais bientôt, sachez-le, vous ne mangerez plus. 

Et c'est vous, travailleuxs, qui prêchez Tégoïsme? 

Le plus poignant des maux, c'est Taffreux despotisme, 

Avec ses faux semblants de la paternité, 

Qui vous jette Paumône et fait la charité. 

Je ne peux être oisif, comme la valetaille : 

Je suis un ouvrier, un homme qui travaille 

El veut manger son pain à la sueur du front. 

Vous labourez le champ, vos fils récolteront. 

J'entends au fond du cœur la forte voix qui vibre 

Et crie incessamment : sois un homme, sois libre î 

Toujours la liberté fut le plus grand trésor, 

Et sous sa forte égide un peuple prend l'essor. 

LUCA. 

Ton discours est brûlant, ta parole hardie. — 
Grand Dieu ! que voyons-nous? 

Depuis quelques instants, une lueur rouge illumine la campagne dans le lointain. 
CECCO. 

Oh ! c'est un incendie. 



SCENE II 

Les Mêmes, PÀNDULFO, Paysans et Paysannes se précipitant pêle-mêle sur la 
scène par la porte de San-Lorenzo. 

TOUS. 

Au secours ! au secours! 

PANDULFO. 

On brûle nos maisons. . 

UNE PAYSANNE. 

Ma fille! 



ACTE TROISIEME (if» 

UN PAYSAN. 

Mon bétail! 

PANDLLFO. 

Ma villa I 

SECOND PAYSAN. 

Mes moissons ! 

PANDULFO. 

Les affreux scélérats ! 

CECCO. 

Qu'avez-vous? 

LES PAYSANS. 

Ils arrivont! 

PANDULFO. 

Tirez lepont-levis; tous les brigands nous suivent. 

CECCO. 

D'où vient votre terreur, bon signor Panduifo? 

PANDULFO. 

Grâce à Dieu ! je suis sauf. — mon pauvre Cecco I 
Ma maison de campagne est en feu, — les infùmcs ! 
Et ma femme malade a péri dans les flammes. 
Ce malheur si terrible est Toeuvre des barons; 
Nous fuyons, éperdus, devant leurs escadrons. 
lis dévastent les champs ; leurs soldats éparpillent 
Nos trésors amassés ; les lansquenets nous pillent. 
On dirait à les voir, routiers bardés de fer, 
La troupe de Satan, la*bande de Penfer. 

CECCO. 

Je vous Tavais prédit: ménagez cette engeance, 
Elle en profitera pour tramer la vengeance. 
La haine des vaincus n*est jamais en défaut, 
Et le pardon leur pèse autant que Téchafaud. 
Vous pouviez par leur mort pacifier la ville. 
Paralyser d'un coup la discorde civile. 
La saine politique exigeait leur trépas ; 



50 RIENZI 

Vous leur avez fait grâce : ils ne Toublierontpas. 
Leur orgueil le permet, leur vanité rordoime : 
Us voient un ennemi dans celui qui pardonne. 

PANDULFO. 

On doit quand on est fort se montrer généreux. 

CECCO. 

Il faut anéantir les êtres dangereux, 

Les tigres et les loups qu'aucun soin ne ramène. 

Vous prêchez le. respect de Fexistence humaine: 

La loi du talion exclut le meurtrier. 

Sans réchafaud la loi n'est plus un bouclier. 

L'homme qui froidement commet un crime atroce 

Appartient au bourreau comme animal féroce. 

LUCA. 

Voilà ce que Ton gagne à sauver des barons. 

On entend des trompettes dans le lointain. 
PANDULFO. 

Us sont tout prés de Rome : écoutez les clairons. 

' LUCA, qui est monté snr le rempart. 

On voit leurs étendards du haut de ces murailles. 

CECCO. 

Ils nous infligeront d'horribles représailles. 

PANDULFO. 

Nous serons massacrés sans être défendus. 

Luca descend du rempart. 

SCÈNE m" 
Les Mêmes, RIENZI. 

CECCO. 



Le tribun 1 



RlENZl. 

Qu'avez-vous? 



ACTE TROISIÈME 67 

LES PAYSANS. 

Oh I nous sommes perdus. 

PANDULFO. 

L'incendie et le vol désolent la campafgne; 
Sous les pieds des barons la fertile Romagne 
Se change en un désert, et je dois m'accuser: 
J*ai retenu ta main prête à les écraser. 
Insensé que j'étais ! j'ai prêché» la clémence. 
Pardonnez-moi, Romains! c'était de la démence. 

RIENZI. 

Mon propre cœur, ami, penchait vers la douceur. 

CECCO. 

Puis, un patricien doit épouser ta sœur. 

RIENZI. 

C'est toi qui prononças cette parole amère? 

J'ai payé chèrement ma puissance éphémère, 

Puisque je suis en butte à ce vilain soupçon. 

Oh! vous m'accuserez bientôt de trahison. 

J'ai voulu ménager et gagner la noblesse : 

Je n'avais pas prévu tant de scélératesse ; 

Et j'en suis bien puni ! Du haut d'un chàteau-fort 

Les barons fugitifs ont répandu la mort 

Jusque dans les hameaux ; leur race frénétique 

Détruit la sainteté du foyer domestique. 

Oui, c'est un acte infâme et, par le Tout-Puissant ! 

\ou8 serez vengés d'eux : je vous donne leur sang. 

CECCO. 

J'applaudis de grand cœur à cet ardent langage. 
Nous les vaincrons enfin : ton courroux m'en est gage. 

RIENZI. 

Et ces hommes perdus sont appelés seigneurs? 
Ils ont par des complots reconnu mes faveurs. 
Répondu par le meurtre à la mansuétude: 
C'est un vice odieux que cette ingratitude ! * 
Romains ! me suivrez- vous ? 

LE PEUPLE. 

Oui! vive Rienzi! 



ti8 R!EÎNZI 

RIENZI. 

Bourgeois! n'attendez d'eux ni pardon ni merci. 
Le laboureur paisible est tué sous son porche ; 
Et, d'une main Tépée et de l'autre la torche, 
Tuant, pillant, brûlant, mettant ma tête à prix, 
lis ont marché sur Rome à travers les débris. 
Des morts sont les jalons de leur itinéraire. 
Ils traînent sur leurs pas la horde sanguinaire 
Dressée à nous combattre À grands cpups de stylets; 
La pudeur de la femme est le jeu des varlets. 
Partout, sur leur passage, ils font la solitude : 
Leur arme est le poignard, leur but la servitude. 
La patrie est en deuil ! l'honneur de nos foyers 
Fera des citoyens de valeureux guerriers. 
Le tocsin va donner le signal des alarmes. 
Défendons-nous, Romains ! 

CECCO. 

Aux armes, tous I 
LE Peuple. 

Aux armes! 

Ils sortent tous par la droite. 

SCÈNE IV 
RAIMOND, SAVELLl. 

Dès que la scène est vide, TÈvêque Raimond et Savelli entrent par la gauche et regardent 
avec inquiétude autour d'eux. 

SAVELLl. 

Us sont partis enfin. Monseigneur l'ablégat. 
Nous pouvons aborder ce sujet délicat. 

RAIMOND. 

Le moment est venu ; tout ici coopère : 

Il faut dans tous leurs droits rétablir le Saint-Père 

Et la religion, en chassant Rienzi. « 

11 n'est plus l'instrument que nous avions choisi : 

Au lieu de gouverner pour le bien jde Féglise, 

Il nous corrompt le peuple, il le démoralise 

Et se déclare hostile au pouvoir temporel. 



ACTE TROISIÈME 69 

Le Pontife en gémit dans son cœur paternel 
Et prétend maintenir la force séculière, 
L'héritage sacré que lui transmit Saint Pierre. 

SATELLI. 

Je suis bon catholique et votre partisan. 
Le tribun voit en moi son zélé courtisan ; 
Naguère il m'a nommé chef de sa compagnie ; 
Mais'je n'oublierai pas sa sanglante ironie. 
J'ai juré sur la croix de livrer ses combats. 
Tout en me réservant d'emmener ses soldats. 

RAIMOND. 

Il est fier de sa gloire et vain de sa puissance; 
Nous lui rappellerons qu'il doit obéissance. 
Croit-il pouvoir régner et dominer sans nous? 
C'est un péché d'orgueil qu'on expie à genoux, 
Et pour lequel la loi n'a pas trop.de supplices. 
Mais pouvons-nous, mon fils, compter sur vos services 
Pour renverser Tingrat qui se trouve affermi ? 

SAVELU. 

Au moment décisif je passe à Tenuemi, 
Avec mes lansquenets, sa meilleure cohorte. 
Prévenez Colonna que j'ouvrirai la porte. 

RAIMONU. 

Le motif'absout tout : la sainteté du but. 
Mais soyons circonspects : c'est là qu'est le salut. 
Un travail souterrain fait plus que le génie. 
Renversez le tribun, et je Texcommunie. 
Mais voici le contrat que je pose aux seigneurs : 
Prêtres et cardinaux seront vos gouverneurs ; 
Pour couronne prenez la tiare et la chape. 
Pour trône notre autel, pour monarque le pape. 
Car Dieu veut rehausser le saint pontificat. 
Maîtres de la Romagne et de tout l'exarchat, 
Nous revendiquerons la part de l'Italie 
Qui des rives du Pô s'étend à l'Aquilie ; 
Car depuis Charlemagne et depuis Constantin 
Le Saint-Siège a des droits sur le pays latin. 
Le royaume des cieux en nous se symbolise : 
Nous tenons pour le Christ les Étais de l'Église. 



70 RIENZl 

SA VELU. 

Nous souscrivons à tout. Soyez prêts ! Pour signal 
Au haut de ces remparts vous, verrez un fanal. 

Le tocsin commence à sonner. 

Voici Tbeure annoncée ; entendez-vous la cloche? 
Séparons-nous, mon fils, le cortège s'approche. 

Saveili sort. 



• SCÈNE V 

RAIMOND, seul. 

Il veut frapper les yeux, et par des jeux payens . 
Remplacer les splendeurs de nos rites chrétiens. 
Tu t'es trompé, tribun ! tes pompes de théâtre 
Transporteront peut-être un peuple icouolâitre ; 
Mais tu ne peux ainsi fonder la liberté 
Qui ne fleurit jamais sans la simplicité. 
Circenses et panera: Rome exige des fêtes, 
Et n'aura nul souci de plus grandes conquêtes. 
Nous lui donnons l'aumône et la procession, 
Le culte de la Vierge et Tabsol^tion. 
Vous parlez de patrie et des vertus antiques : 
La nation s'adonne à des rêves mystiques. 
Le monde a-t-il besoin de justice et de loi? 
^ Un sentiment puissant tient lieu de tout: — La foi. 

\\ sort. 



SCÈNE VI 

GEGGO, se montre derrière un pilier. 

Quels profonds scélérats ! Mon Dieu ! les doubles traîtres I 
Oh ! je reconnais bien les nobles et les prêtres. 
Quel complot ténébreux ! J'en suis encor transi. 
Je cours de ce dauger prévenir Rienzi. 

n sort par la droite. 



ACTE TROISIÈME 71 

SCÈNE VU 

La Procession arrive par la droite. La Garde bourgeoise marche eo* tête. Elle esl 
sniTie d'une foole d'Hommes, de Femmes et d'Enfaots, ao milieu de laquelle 
marche PÂNDULFO. Le corps de lansquenets, commandé par SAYËLLI, vient 
ensuite. Le GRAND GONFALON de Ronàe précède RIËNZI qui porte une armure 
complète, avec une guirlande de feuilles de chêne et d'olivier sur le casque. 
GEGCO se glisse auprès de lui. Sur un char do triomphe antique arrive NINA, 
habillée en déesse de la liberté, le bonnet phrygien sur la tête et la pique en 
main. La foule se range des deux côtés de la scène. Rienzi occupe le milieu; le 
char s'arrête an fond. 



Vive notre tribun ! 



LK PEUPLE. 
.RIENZI. 

Romains, plus d'indulgence ! 
Ge jour est à la haine, à la sainte vengeance ; 
Car la vengeance est sainte en frappant les tyrans, 
La haine est légitime envers leurs partisans : 
La vengeance foudroie et la haine délivre. 
Debout ! que l'oppresseur cesse aujourd'jjui de vivre ! 
La foi ne fait plus grâce à la déloyauté. — 
Répondez à Tappcl que fait la liberté, 

NINA(l). 

Abandonnant ma céleste demeure. 

Je viens vers vous pour guérir tous vos maux. 

L'humanité se désole, et je pleure 

De voir partout de funèbres rameaux. 

Mais je ferai bientôt tomber les chaînes 
Qui chargent tant les malheureux humains. 
Tyrans, tremblez t vos menaces sont vaines. 
Le fer sanglant s'échappe de vos mains. 

Mes combattants sont toujours intrépides : 
La liberté sait créer des héros. 
Et les martyrs des luttes fratricides 
Sont remplacés par des soldats nouveaux. 

Peuples, doboutt car ma voix vous appelle. 
Tirez le glaive, ô Romains que j'aimais! 

(I) Cette allocution ne doit pas être chantée, mais déclamée. 



72 RIENZI 

Si vous ayez du courage et du zèle. 
Vos ennemis sont vaincus à jamais. 

Je vous soutiens dans la sainte bataille - 
• Que vous livrez pour vos biens, vos enfants. 
Honte éternelle au peuple qui défaille t 
Gloire immortelle aux guerriers triomphants ! 

Dans ces sillons que votre sang féconde, 
Tout fleurira, vos fils récolteront. 
La liberté fera le tour du monde. 
Et vos neveux, un jour, vous béniront. 

Levez-vous donc, apôtres de Tidée, 
Vous qui devez guider Thumanitét 
Accomplissez sa belle destinée : 
Le droit de tous à la félicité. 

Dignes enfants de grands et nobles pères. 
Sachez pour moi verser tout votre sang. 
A Toeuvre donc! tous les peuples sont frères t 
Amour au faible et haine à tout puissant! 

Vous êtes nés dans celte chaîne immense 
Qui sur la terre allonge ses anneaux \ 
En briser un serait de la démence : 
Gardez-vous bien de creuser vos tombeaux. 

Que désormais les peuples solidaires 
A mon appel se donnent tous la main. 
En se liguant contre mes adversaires, 
Pour affranchir enfin le genre humain ! 

Et lorsque moi je verrai dans ce monde 
Les oppresseurs abattus et chassés, 
Quand j'aurai dit : « Votre terre est féconde, 
Et qu'au fourreau les glaives soient p'oussés ! • 

Je rentrerai dans le ciel, ma patrie, 
Pour protéger encor l'humanité. 
Ne laissant plus germer de tyrannie. 
Et pour jamais donnant la liberté I 



LE PEUPLE. 

Vive la liberté ! 

CECCO. 

Nous combattrons pour Rome, 
Pour tout ce qui sur terre est précieux à Thomme. 



ACTE TROISIÈME 73' 

RIENZI. 

Je retrouve à ces mots mes dévoués Romains 
Et Tabnégation des temps républicains. 
Assyrez le succès» consommez votre ouvrage ! 
Ayez, pour vous défendre, un seul jour de courage. 
Gourons à l'ennemi qui cherche à nous flétrir, 
Et montrons lui comment un Romain sait mourir 
Pour la liberté sainte et son indépendance. 
Notre cri de bataille est: Justice et vengeance ! 

LE PEUPLE. 

Oui ! Justice et vengeance ! 

En avant! 

LE PEUPLE. 

En avant ! 

CECCO. 

Que jamais un baron ne rentre ici vivant î 

RIENZI, auquel Cecco a parlé bas pendant le discours de Nina, 
montre Sarelli du doigt. 

Mes amis ! arrêtez et désarmez ce traître 

Qui vendit bassement ses soldats et son maître. 

Savelli est désarmé et lie. 

Mon cœur pardonnait tout: vous conspirez ma mort. 
J*écrase sous le pied le serpeut qui me mord. 

SAVELLI. 

Grâce, tribun ! pardon ! 

RIENZI. 

Aussi méchant que lâche ! 
Qu'on le mène au bourreau qui remplira sa tâche ! — 
Au haut de ces remparts allumez de grands feux : ' 
Nous les prendrons au piège imaginé par eux. 

SAVELLI. 

Grâce! 

, * RIENZI. 

A la mort î ta vue afflige un cœur honnête. 
Colonna Tattendait : — Qu'on lui jette sa tète. 

Savplli, qui se débat, est entraîné. 



74 RIENZl 

PxVNDULFOf est monté sur le rempart au haut duquel'il allume un feu. 

Alerte, citoyens ! les voici, les voici ! 

RIENZI, tirant son épée et saisissant la bannière. 

Pour Rome ! suivez-moi! 

LE PEUPLE 

Pour Rome et Rienzi ! 

nINA, embrassant Rienzi. 

Xu \^iacras, mon époux ; que le Seigneur t'escorte ! 

RIENZI 

Baissez le pont-levis ; au large ouvrez Ja porte. 

Femmes, formez des vœux et priez à genoux. 

Les hommes au combat ! que Dieu soit avec nous ! . 

Il se met à la tête; les hommes se rangent en ligue et s'apprêtent en chaulant l'hymne 

populaire. 

Noble pays, Rome chérie l 

A toi nos cœurs et notre sang ! 

Nos bras sauront, beUe patrie, 

Te conserver le premier rang. 
Que la liberté, fruit de la victoire, 
Domine à jamais ta sublime histoire t 

Romains, aux combats! 
Aux armes, soldats ! 
L'honneur nous rallie. 
Guerre à nos tyrans! 
Mort aux conquérants ! 
Vive l'Italie I 

Ils sortent par la porte de San Lorenzo. 

SCÈNE VIII 

PÀNDULFO, sur le rempart; NINA, sur le devant de la scène; IRÈNE 
et 6ËNËDËTTA, entrant par la droite. LeS FemMES, groupées au fond. 

NINA. 

mon Dieu ! si c'était la dernière embrassade ! 

IRÈNE, à Banedetta, en entrant. 

Je respire : — Adrien partit en ambassade ; 
Je mourrais de terreur si je tremblais pour lui. 



ACTE TROISIÈME 75 

NINA, à part. 

Il remplit son devoir : Seigneur,- sois son appui. 

BENEDETTA, à Irène. 

L'amour est égoïste: —Et Cola, votre frère? 

IRÈNE, allant à Nina. 

Oh I je suis une ingrate ! — Hélas ! ma sœur, espère? 

NINA, pleurant au cou d'Irèno. 

Irènef, s'il tombait! si l'horrible trépas... • 

J'ose à peine y penser! Je n'y survivrais pas. 

PANUULFO, sur le rempart. 

Les barons! les barons! voici leiir calvarade ; 

Elle arrive au galop auprès de Tembuscade. 

Je les vois s'arrêter. — Ha! ce sont les Romains ! • 

Rienzi marche en tète ; — ils en viendront aux mains. 

NINA. 

Grand Dieu ! 

LES FEMMES. 

Jésus-Marie ! 

NINA. 

A genoux, ô matrones! 
Pour invoquer la Vierge et nos saintes patronnes. 

Elles se mettent toutes à genoux, Irène et Nina au premier plan. 

Notre Père éternel, qui règnes dans le ciel. 
Seigneur qui conduisis les tribus d'Israël, 
Jéhovah créateur que les chrétiens adorent! 
Exauce, Dieu clément, les femmes qui t'implorent. 
Donne-nous la victoire, écrase les méchants. 
Délivre de la mort nos maris, nos enfants. 

PANDULFO. 

Notre tribun s'avance au fort de la mêlée ; 
Je vois flotter au vent sa bannière étoilée. 

NINA. 

Doux Jésus, notre Dieu ! daigne être son support ! 
Toi qui pour nous sauver t'es soumis à la mort ! 



76 RIENZl 

Christ ! qui de la tombe as connu Tamertune ! 
Allège, ô rédempteur, Feffroi qui nous consume ! 
Par ta grande agonie et par ta sainte croix! 
Sois avec les Romains qui luttent pour leurs droits! 

PANDULFO. 

Le tribun se retire: ô malheur! Plus de doute! 
L'étendard disparaît ; l'armée est.en déroute. 

NINA, jetlo uo cri. 

Col^ ! 

LES FEMMES. 

Miséricorde ! 

IRÈNE. 

Exauce-nous, mon Dieu ! 
Je me consacre à toi: daigne accepter mon vœu. 
Je fais une neuvaine et je bénis un cierge, 
Qui brûle nuit et jour sur l'autel de la Vierge. — 
Je suis folle de peur. — J'irai dans un couvent ; 
Je mourrai volontiers, si mon frère est vivant. 

NINA. 

Pitié ! pitié, Seigneur ! pour la femme qui prie. 
Et toi, reine des cieux, Notre-Dame Marie, 
Entends notre prière. Vierge des douleurs! 
Tu vis mourir ton fils et tu connus les pleurs: 
Sympathise avec moi ; si j'ai péché, pardonne. 
Au nom de Jésus-Christ, je t'invoque, ô madone ! 
Et jamais une épouse en vain ne te pria. 
Grâce! mère de Dieu! grâce! 

LES FEMMES. 

Ave Maria î 

PANDULFO. 

Ils se sont reformés ; le tribun les rallie 
Et fond sur les barons. Leur ligne se replie. 
Oh ! les vaillants Romains ! ils redoublent d'efforts : 
Je les vois s'avancer et lutter corps à corps. 
Dans un noir tourbillon ils vont tous disparaître. 



ACTK TROISIEMK 

NINA. 

Toi qui frappas du fer pour défendre Ion maitre, 
Saint-Pierre! exauce-nous, grand évoque et martyr ! 
Roc sur lequel le Christ a déclaré bâtir ! 
Intercède pour nous, ô prince des apôtres ! 
Contre les ennemis viens protéger les nôtres ! 
Et du haut de ton trône, à la droite du fils, 
Jette un regard sur nous ! Grâce ! 

LES FEMMES. 

Ora pro nobis ! 

PANDULFO. 

Nous l'avons emporté, nous triomphons. Victoire! 
Les barons sont défaits, chassés du territoire.- 
Des fanfares, clairons ! femmes, chantez en chœur! 
Voyez! Tennemi fuit, le tribun est vainqueur. 

NINA. 

Reçois, Seigneur clément, nos actions de grâces! 
Saint-Pierre, d'ex-voto nous couvrirons tes "châsses. 
Et toi, vierge Marie, étoile de la mer, 
Toi qui nous préservas de ce calice amer. 
Qui sur nos cœurs saignants versas ton divin baume, 
Nous te magnifions, nous entonnons ton psaume. 
Jusqu'à la fin des temps dérends-nous du péril, 
Veille à jamais sur iious,*sur Rome ! 

LES tEMMES. 

Ainsi soit-il ! 

Elles se relèvent. 
PANDULFO. 

Ils rentrent dans nos murs, les guerriers intrépides 
Dont Taudace arrêta les oppresseurs cupides. 
Couronnez-les de fleurs : A leur témérité 
Nous devons la vengeance et notre liberté. 

Il descend du rempart. 



78 RlENZl 

SCÈNE IX 
Les Mêmes; RIENZI, CEGGO, LUGA et les Combattants, dont 

quelques-uns sont blessés; COLONNA, mourant et. porté sur une civière. 
Les Femmes se mêlent aux vainqueurs. Nina et Irène entourent Rienzi. 

LES FEMMES. 

Nos iils et nos maris! 

LES HOMMES. 

Nous reveDons. Victoire! 

NINA, à Rienzi. 

Te voilà de retour, le front couvert de gloire. 

IRÈNE* 

Que le Seigneur est bon ! il entendit ma voix. 

RIENZI. 

Ma Nina, mon Irène! heureux, je vous revois. 
D'autres sont -immolés au démon des batailles. 
Et je sens de pitié remuer mes entrailles 
En voyant que la guerre a fait tant d'orphelins : 
Les mourants et les morts couvrent tous les chemins. 
C'est affreux I j'en gémis! — Par le ciel que j'atteste, 
Nous avons combattu pour un droit manifeste. 
Je préchais aux barons la paix et le progrès : 
Leur fureur convertit nos lauriers en cyprès; 
Ils nous ont imposé les combats fratricides 
Et rendront compte à Dieu des cadavres livides. 
Je les cite sans peur devant son tribunal : 
Il sait lequel de nous fut traître et déloyal. 

• UNE FEMME. 

Oh! j'ai perdu mon fils, Tappui de ma vieillesse. 

UNE AUTRE. 

Mon époux ! 

RIENZi. 

Voilà donc ce qu'a fait la noblesse! 
Leurs lamentations m'ont déchiré le cœur: 



ACTE TROISIÈME 79 

Ce n'est pas sans remords qu'un tribun est vainqueur. — 

La mort les moissonna dans sa sombre furie, 

Mais leurs enfants seront les flls de la patrie. 

Rome à leur dévoûment devra la liberté; 

Blartyrs pour Tltalie et pour l'humanité, 

Leur courage a vaincu les bandes meurtrières. 

Nous versons èur leurs corps nos pleurs et nos prières. 

Ceux qui pour leur pays sont tombés vaillamment, 

S'érigent dans les cœurs un noble monument 

Plus ferme que Tairain. Paisible et protégée, 

Rome, ville éternelle, est à son apogée. 



SCENE X 

Les Mêmes \ ADRIEN, arrivant par la porte de la rille, avPC une suite. 
ADRIEN. 

Me voici de retour. 

IRÈNE. 

C'est Adrien, grand Dieu! 

COLONNA, se soulevant sur le branranl. 

Adrien ! viens ici, mon enfant, mon neveu. 

ADRIEN. 

Hélas! j'accours trop tard. Oh! malheureuse Rome ! 

Il va s'agenouiller près du brancard. 
COLONNA, étendant le bras vers Rienzi. 

Viens-tu pour me. venger? Fais la guerre à cet homme. 

ADRIEN, se tournant vers Rienzi. 

Ce vieillard va mourir; son sang souille tes mains. 
Est-ce ainsi que tu crois affranchir les Romains? 

RIENZI. 

Son bras nous infligea de cruelles blessures. 
Devions-nous rétablir tous ces seigneurs parjures, 
Traîtres à leur pays et deux fois assassins? 
Tu n'as rien de commun avec ces spadassins. 



RIENZl 

ADRIEN. 

Dans mon cœur so» orgueil n'a pas laissé de trace : 
Je ne vois plus en lui que le chef de ma race. 

COLONNA. 

Vivant, je le combats; mourant, je le maudis: 
Quand je devrais céder ma part du paradis ! 

A Adrien. 

Jure de le haïr. Plus de lâche mollesse ! 

Si le tribun survit, c'est fait de la noblesse. 

« 

ADRIEN, 

Entre moi, son parent, toi, son exécuteur, 
Le sang que tu versas s'élève accusateur. 

RIENZI. 

C'est un mot révoltant! Mon âme est indignée 

Que la vertu succombe à l'orgueil de lignée. 

Qu'importe le pays à des patriciens? 

Ils sont nobles toujours et jamais citoyens. 

C'est moi que Ton accuse ? Oh ! si je suis coupable, 

C'est de m'étre montré trop réconciliable. 

Aux hommes comme à Dieu j'en demande pardon : 

Je supposais du cœur, môme chez un baron. 

Il ne saurait qu'en faire : Il a de la naissance 

Et son titre lui donne un brevet de licence, 

IRÈNE. 

Mon âme pressentait un horrible malheur. 

NINA, à Irène. 

Je vois sur ton visage une affreuse pâleur. 

IRÈNE. 

Ne me plains plus, Nina! je suis guérie et forte. 
Je renonce à la vie, au monde je suis morte: 
J'enterre mon amour. — Tu n'es plus Adrien ! 
Ah ! tu viens l'accuser? — Ami, ce n'est pas bien. 
Toi, qui l'as tant connu, tu veux ternir sa gloire 
Et rabaisser son nom qui vivra dans l'histoire? 
Depuis ma tendre enfance il fut mon seul appui: 
Je l'aime en l'admirant ; je suis fière de lui 
Et fière de mon nom, malgré mon humble sphère. 



ACTE TROISIÈME 81 

Je ne serai jamais honteuse de mon frère. — 
Mon âme est attristée et mon cœur est tremblant. 
Je t'aimais, Adrien, et d'un amour brûlant; 
J^aurais sacrifié ma vie et ma famille. 
Mais blesser Kienzi? —Je suis sa sœur, sa fille. 
S'il ne naquit pas noble, il est victorieux : 
Un tribun triomphant peut se passer d'aïeux. 

NINA. 

Ta parole est sublime et sort d'une belle âme. 

RIENZI. 

Merci, merci, mon Dieu! toi qui créas la femme. 
Et qui transmets ta force à tout cœur innocent. 

A Irène. 

J'écoute avec orgueil ton chaleureux accent 
Et crains peu de braver la haine prête à mordre. 

COLONNA. 

Prends le glaive, Adrien ! Sois fidèle à ton ordre. — 

Oh! la plèbe maudite !! — Ah î —je souffre! — je meurs I 

Il expire. 
ADRIEN lui ferme les yenx. 

Dors en paix. 

CECCO. 

Vengeons-nous! 

, RIENZI. 

Pas de vaines clameurs ! 

ADRIEN. 

Adieu donc, Rome! Irène! et que Dieu vous protège! 

11 jette an dernier regard à Irène qui cache sa tête sur l'épaule de Nina; ensuite il se 
précipite parla droite . 

RIENZI. 

Oh! le meilleur d'entre eux tient à son privilège. 
C'est le glas de la mort au milieu tlu festin. 
Le cartel de douleur jeté par le destin. 



82 RIENZI 

SCÈNE XI 

Les MEMES, moins ADRIEN. RAIMOND entre par la droite, snivi de prêtres 
et de moines qui tiennent des cierges allumés à la main et portent la chasuble des 
funérailles. 

LES MOINES, en entrant. 

Libéra^ Domine. 

RIENZI. 

Quel est ce nouveau piège? 

RAIMOND. 

Chrétiens ! je suis évêque et légat du Saint-Siège. 

L'Église, ici, c'est moi! J'ai droit à cet honneur. 

Étant nonce du pape, envoyé du Seigneur. 

Pasteur de la cité que l'hérésie infeste. 

Au nom de Jésus-Christ, je viens et je proteste 

A la face du ciel, car tel est mon devoir. 

Et je dénonce au monde un abus de pouvoir. 

RIENzi. 

Qui parle d'hérésie, et que me veux-tu, moine? 

RAIMOND. 

La chaire de Saint-Pierre est notre patrimoine, 
Que nous tenons du Christ pour propager la foi ; 
Le pape est absolu, sa volonté fait loi. 
Qui t'élut dictateur des États de PÉglise? 

RIENZI. 

L'ÉgUse a tous mes vœux lorsqu'elle évangélise ; . 
Fils modeste et soumis, je cède avec bonheur. 
Posséder le Saint-Père est pour Rome un honneur : 
Quant au gouvernement, je dis sans réticence 
Qu'au peuple romain seul appartient la puissance. 
Ce peuple m'a choisi, non tyran mais tribun, 
Et tel j'ai gouverné dans l'intérêt commun. 
D'agir en dictateur vous m'accusez d'emblée ! 
J'ai prescrit aux Romains d'élire une assemblée ; 
Je m'astreignis moi-même aux avis d'un conseil; 
J'arrachai l'Italie à son trop long sommeil. 



ACTE TROISIEME 83 

De la chaîne des temps renouant la lacuni* : 
Jamais la liberté ne fleurit sans tribune. 
Et vous me reprochez mon usurpation? 
J'ai fait bien plus que vous pour la religion. 

RAIMOND, se signant. 

Il insulte rÉglise; il blasphème, il blasphème, 
11 outrage le pape! Anathème ! 

LES MOINES. 

Anathème! 

RAIMOND. 

Ingrat! Et ce pouvoir, qui te le" confia? 
Disciple trop fervent d'Arnaud de Brescia, 
Comme lui, tu le plais dans un rêve mystique; 
T« combats, comme lui, Tétat théocralique. 

RIENZI. 

Arnaud de Brescia fut un martyr, un saint. 
Je partage sa foi.: mon cœur en est empreint. 
Tout son enseignement est fondé sur la Bible, 
Legs de tous les chrétiens, lumière inextinguible. 

RAIMOND. 

Écoutez! il l'avoue: hérétique gratuit, 
Il nie, il s'est damné. 

LES MOINES. 

V<p! Anathema sit! 

RAIMOND. 

N'as-tu pas insulté dans le roi de Bohème 

Un monarque aspirant au sacré diadème ? 

Tu fis un ennemi du prince Bavarois 

Qui s'est toujours montré si fervent pour la croix. 

Rome, sous ton empire, est un foyer d'intrigue. 

Et tu veux des Lombards ressusciter la ligue. 

RIENZI. 

Ce qu'Auguste a pu faire avec la royauté. 
J'ai voulu l'établir, moi, parla liberté. 
Pourquoi cet empereur par delà la montagne? 
Si Léon III jadis proclama Charlemagne, 



S\ RIENZI 

S'ensuit-il que l'empire appartienne aux Germains? 
On élit sans nos voix Tempereur des Romains 
Qui se nomme César. C'est une anomalie ! 
Les Italiens seuls ont droit sur l'Italie. 
La terre des héros, en dépit des revers, 
Un jour redeviendra reine de l'univers. 

RAmOND. 

Tu commis un péché qui n'a point d'analogue. 
Frémissez, bons chrétiens! Ce fougueux démagogue. 
Cet hérétique ardent, dans son orgueil hautain 
Profana — j'en gémis ! — Turne de Constantin, 
En s'y baigTiant. 

LES MOINES. 

Horreur! 

RAIMOND. 

Ce fait vous scandalise. 
Et tant d'impiété doit révolter l'Église. 

RIENZI. 

Qui dit que je profane un emblême»chrétien? 
Ce vase appartenait à l'emperenr payen. 

RAIMOND. 

C'est trop de sacrilège et trop d'ignominie ! 
Analhème au tribun ! moi, je Texcommunie. 
Dans Rome plus de messe et plus de sacrements ! 
Plus d'enfants baptisés, de confesseurs cléments! 
Les morts ensevelis loin dÔ la terre sainte ! . 
Des églises de Dieu nous fermerons l'enceinte. 
L'autel n'a plus d'encens, la cloche plus de sons. 
Un^pays est en deuil quand nous le maudissons. 

Tous tombent à geiw^ix, excepté Rionzi, Nina et Cecco ; Irène, tremblante d'effroi, se 
penche au bras do son frère. 

LUCA. 

Remettez no5 péchés : nous faisons pénitence. 

RAIMOND. 

L'ÉglistB a le pardon prêt pour la repentance. 
Et reçoit dans son sein tous ses enfants soumis. 



ACTE TROISIÈME 85 



RIENZI. 



C'était là le complot! ! — Romains, mes vieux amis ! 
Vous saurez déjouer ces manœuvres hostiles. 
Pour me perdre on a pris des prétextes futiles: 
On invoque TÉglise et la religion 
Contre la liberté dont je suis champion. 
Quel malai-je donc fait pour qu'ainsi je l'expie? 
M'avez-vous jamais vu méchant, cruel, impie? 
Sur un seul mot de lui vous tombez à genoux: 
Ce prêtre est-il un dieu? — Le pape est loin de vous: 
Du pontife un chrétien parle avec déférence : 
Peut-il nous gouverner pendant qu'il vit en France? 
Clément nous absoudra quand il saura nos vœux. 
Accordez-moi du temps : C'est tout ce que je veux. 
J'ai cherché la grandeur, la liberté de Rome ; 
J'ai voulu rétablir un empire autonome. 
Perdrez-vous sans lutter le fruit de tant d'efforts? 
Oh! reprenez courage en songeant à nos morts! 

LUCA. 

Devons-nous tous périr? Rome a-t-elle trop d'hommes? 

CECCO. 

Taisez- vous, lâches cœurs! Malheureux que nous sommes! 
Rome est dégénérée, et tout cède en ce lieu 
A l'évéque qui parle au nom de notre Dieu. 

•RAIMOND. 

En vertu des pouvoirs transmis par l'évangile, 
Je marquerai ton front du signe indélébile. 
Ali nom du Dieu jaloux, tribun, je te maudis. 
Sois maudit dans ta race, exclu du paradis ! 
Sois maudit dans le ciel et maudit sur la terre! 
Vis sans communion, meurs sans saint ministère ! 
Sois mis hors de l'Église et hors Thumanité! 
Hors la loi de l'amour, de l'hospitalité! 
Erre comme un fantôme, à travers l'Italie! 
Sois maudit du clergé qui lie et qui délie ! 

LES MOINES, étoignant les cierges que chacan d'eux tient à la main. 

Pereat! 

IRÈNE, 80 laissant tomber à genoux. 

Je me meurs! Tout espoir s'est enfui! 
Ne pouvoir le sauver, me dévouer pour lui ! 



RlENZl 

LUCA. 

Pardonne, ô saint prélat ! 

LE PEUPLE. 

Ton courroux nous menace ! 

RIENZl. 

Est-ce un peuple, cela? — Non! C'est la populace! 
Soit! creusez mon tombeau! Le droit est mon linceul, 
Et. maudit ou béni, je saurai marcher seul. 

NINA. 

Seul, as- tu dit? Et moi ? — Ne suis-je plus ta femme? 
Ne t'ai-je pas donné mon corps, mon cœur, mon âme? 
A mendier pour toi je mettrai mon honneur. 
Et mourir en t'aimant, c'est encor du bonheur ! 

Elle saisit une de ses mains. 
CECCO, allant à Rienzi 91; lai prenant l'autre main. 

Je t'admirais toujours, car seul tu fus honnête. 
Je t'aimais comme on aime un oracle, un prophète. 
J'ai du cœur après tout, si j'ai trop peu de foi. 
Tu fuis! je t'accompagne et je marche avec toi. 

RAIMOND, donnant un parchemin à uo moine qui l'affiche. 

Voici Tordre sacré : que partout on l'affiche ! 

RIENZI. 

Ma Nina! mon ami! je suis heureux et riche ! — 
Ma conscience et vous! Oh ! je pars triomphant. 

IRÈNE, se levant avec un cri de douleur et se jetant à son cou. 

Et moi, mon frère, et moi ? 

RIENZI, lui mettant les mains sur la tête* 

Dieu, bénis cette enfant. 

IRÈNE. 

Maudit! maudit! maudit! Oh! je prendrai le voile. 

RIENZI, à Cecco. 

Adieu, Cecco! 



ACTE TROISIÈME 87 

A Nina. 

PartoDs! J*ai foi dans mon étoile. 

Au peuple. 

Je VOUS quitte sans haine, ô crédules poltrons I 
Je ne serai. que trop venj^é par les barons 
Dont les penchants cruels se donneront carrière. 
Je vous fois, de mes pieds secouant la poussière, 
Gomme a fait dans le temps le grand tribun Gracchus : 
Mais de cette poussière il naquit Marins! 

Il sort, tenant Nina par la main. — Lo rideau tombe sur le peuple aKenouill(^, auquel 
Raimond donne la hénédirlion. 



FIN nu TROISIKME ACTK 



ACTE QUATRIÈME 

««igaaa, ISfiS. 

PREMIÈRE PARTIE 



Le théâtre représente an riche appartement. Une porte à deux battants an fond; à 
droite, une porte conduisant dans un boudoir; à gauche, une croisée. Un jsopha, des 
sièges, des tabourets. 

SCÈNE PREMIÈRE 
NINA, ANGELO. 

Nina est assise sur le sopha, dans un élégant négligé. Ângeio, jeune page {râle de femme) 
est assis sur un tabouret à ses pieds. 

ÂNGELO joue du luth et chante (1). 

Quittant les cendres de sa mère, 
L'exUé fuit de son pays, 
En proie à cette peine amère 
Qui dévore tous les proscrits. 

Mais> déchiré par la souffrance. 
Il s'arrêta sur le rempart. 
11 enterrait toute espérance : 
Lel)anni pleurait son déparU 

• Adieu, dit-il, rêves de gloire î 
Adieu, rêves de liberté! 
La force a gagné la victoire. 
Et l'exil seul nous est resté ! 

» Adieu, charmante et tendre fille t 
Adieu, doux espoir de mon cœur! 
Je ne vois plus ton œil qui brille : 
Je laisse ici tout mon bonheur t » 

NINA. 

Pitié pour le banni sur la terre étrangère 1 
initié pour le martyr que vivant on enterre! 

(i) Cette romance est adaptée à la musique du chant populaire russe, le 
Postillon. 



ACTE QUATFaÈME 89 

Loin de son toit béni, Pexilé marche seul, 

S'enlourant de regrets comme d'un noir linceul. 

Un souvenir amer l'absorbe et l'emprisonne; 

Isolé dans la foule, il ne connaît personne 

Et nul n'aura souci de cet hôte importun. 

Le ciel n'a plus d'éclat, la fleur plus de parfum. 

Près de lui la gaieté devient presque uoe offense ; 

Les chants ne sont pas ceux qui berçaient son enfaDce. 

n a dans la poitrine un serpent qui le mord: 

.Oh! l'exil c'est Toubli, mais l'oubli c'est la mort. 

Elle pleare. 
ANGELO. 

Je voulais vous distraire, et vous pleurez, madame. 

NINA. 

En partant, le proscrit prend congé de son âme: — 

Quitter ceux que l'on aime. — Oh ! cela fend le cœur ! — 

A sa plainte on répond par un rire moqueur 

Et sur sa plaie, hélas, nul ne répand du baume. 

Sa voix n'a plus d'écho dans un autre idiome. 

Il passe inaperçu, solitaire, étranger, 

Et rien que sa présence est parfois un danger. 

De l'hospitalité les tyrans font un crime, 

Polluant le foyer pour traquer leur victime, 

Et le persécuteur n'est jamais endormi : 

L'exilé par son hôte est traité d'ennemi. 

On le taxe aisément d'orgueil, d'ingratitude ; 

Aigri par le malheur et par la solitude, 

Seul avec sa pensée, il se meurtrit le sein : 

Sa vie est sans objet et presque sans dessein ; 

Il se débat, rongé par un affreux ulcère. 

L'exil c'est l'abandon, l'exil c'est la misère. 

Elle éclate en sanglots. 
ANGELO. 

Par pitié, signera, ne pleurez pas ainsi. 

NINA, se levant. 

Oh! ce n'est pas sur moi ! Je pense à Rienzi, 

Mon amant, mon époux. mon seigneur et maître ! 

Us t'ont emprisonné comme un rebelle, un traitre ! 

Elle va près de la croisée, Touvre et regarde. 

Si près, et cependant si loin ! Tout mon amour 



90 RIENZI 

Ne saurait pénétrer dans cette sombre tour. 

On entend frapper un coup à la porte du fond. 
A Angelo. 

Si c'est le cardinal, va le prier d'attendre. 

Angelo sort. 

Voilà donc ce qu'un pape appelle se défendre ! 

Il punit la grandeur comme une trahison : 

Rienzi sauva Rome et trouve.... une prison. . 

Mais je lui reste, moi, sa complice et sa femme; 

Et toujours la pensée est présente à mon âme 

De l'arracher des lieux où l'on veut le flétrir: 

Et j'y réussirai, — sinon, je vais mourir. 

ANGELO, revenant. 

C'est une Italienne, humble religieuse. 
Qui vient, vous connaissant miséricordieuse, 
Briguer votre influence auprès du cardinal 
Pour voir un prisonnier dans le donjon papal. 

NINA. 

Pour voir un prisonnier? Mais c'est une œuvre exquise! 
Ehl vite! 

ANGELO, allant Ters la porte du fond et faisant entrer une religieuse. 

Entrez! voici la signora marquise. 

H sort. 



SCENE II 
NINA, UNE Religieuse. 

LA RELIGIEUSE s'arrête pr^s de la porte, sans lever les yeux, la tête inclinée et 
les mains croisées sur la poitrine. 

Je viens importuner : je le sens, je le vois ; 
Je suis si malheureuse! 

NINA, à part. 

Oh ! quelle est cette voix ? 

LA RELIGIEUSE. 

Il est un prisonnier que j'ai connu prospère, 
Qui, dans l'isolement, soufl're et se désespère : 
Ma vue apporterait un rayon de soleil. 



ACTE QUATRIEMK 91 

NINA. 

Je ne puis qu'admirer un dévoûment pareil. 

LA RELIGIEUSE. 

Moi, qu'on ne connaît pas, partout on me repousse. 
Intercédez, madame! On vous dit bonne et douce. " 

NINA. 

Je vais tenter, du moins. J'ai souvent réussi : 
Son nom? 

LA RELIGIEUSE. 

11 s'appelait le tribun Rienzi. 

NINA s'approche Tivemeot de la religiease, lai prend la main et l'amène sar le devant 
de la scène ; après l'avoir flxée un moment, elle s'éerie : 

Irène! 

LA RELIGIEUSE tressaille et regarde Nina de son côté. 

Dieu! Nina! 

NINA la serre dans ses bras. 

Ma sœur aimée ! — Irène! 

IRÈNE. 

Mon Dieu! je reconnais ta bonté souveraine 
Qui pour me soutenir guida mes pas errants. 

NINA. 

Nous pourrons épancher nos pauvres cœurs souffrants. 

IRÈNE 

Nous parlerons de lui. C'est Dieu qui m'a poussée. 

NINA. 

' Nos destins sont unis par la môme pensée. 

Montrant la tour k travers la croisée. 

Voilà notre fanal: la prison du banni. 

Elle attire Irène sur le sopha. 
IRÈNE. 

le croyais m'adresser à la Gèsarini. 



92 RIENZI 

NINA. 

C'est moi ! Je suis pour tous La marquise hautaine 

Dont le luxe éblouit; beauté napolitaine 

Qui voit à ses genoux la folâtre Avignon, 

Et qui traîne à sa suite, amoureux compagnon, 

Un cardinal romain. — C'est un odieux rôle 

Qui me coûte à remplir ! mais il faut que j'enrôle, 

Pour sauver mon époux, de puissants protecteurs : 

J'ai trouvé des amis parmi ses prescripteurs. — 

Je me suis abaissée à des minauderies, 

Et j'ai prêté l'oreille à leurs galanteries. 

Je joue — oh! je le sais, — un jeu bien hasardeux : 

J'ai calculé la chance. — Ah! le monde est hideux! 

IRÈNE. 

Six ans sont édbulés ; mais depuis votre fuite 
Qu'avez-vousfait? 

NINA. 

Le pape, ardent à la poursuite, 
Nous chassa dans sa haine à travers le pays. 
Naples alors nous vit, auprès du roi Louis; 
Ce prince généreux refusa de nous rendre, 
Mais contrôle Saint-Siège il ne put nous défendre. 
11 fallut fuir encor : j'accompagnai Cola. 
Errant et retiré sur le mont Maiella, 
Dont il n'osait jamais dépasser les limites, 
Il vivait solitaire au milieu des ermites. 
Sans un cœur sympathique et sans ami zélé. 
Un an se passe ainsi : puis vient le jubilé. 
En pieux pèlerin il retourna dans Rome, 
Apparaissant à tous comme un vivant fantôme. 
Mais excommunié pour la seconde fois, 
11 partit de nouveau. 

IRÈNE. 

Quels malheurs je prévois ! 

NINA. 

Poussé par son génie ou par un espoir vague. 
Il erra bien longtemps, puis se rendit à Prague 
Et dit à l'empereur : « Je suis prince de fait ; 
Quoique bâtard, mon père était fils d'Henri sept. 



ACTE QUATRIÈME 93 

J'étais tribun romain, moî l'enfant d'aubergiste. 
Charles quatre accueillit l'étrange apologiste. 
Mais il n'est pas de ceux dont la vigueur décroit.: 
Jusqu'à son dernier souille il maintiendra son droit. 
Il quitta librement la cour impériale, 
Et sa marche, ma sœur, fut longue et triomphale. 
Partout les nations le saluaient en chœur; 
Jusque dans Avignon il entrait en vainqueur. 
De Clément six la mort avait clos la carrière ; 
Innocent occupait le trône de Saint-Pierre. 
Devant lui comparut Rienzi, ce proscrit. 
Cet excommunia qui, d'un air peu contrit. 
Interjetait appel contre l'arrêt du nonce. 

IRÈNE. 

Que dit Innocent six? 

NINA, montrant la tour. 

Rien ! voilà sa réponse. 

IHÈNE. 

La prison? 

NINA. 

C'est le lot de ce vaillant penseur. 

IRÈNE. 

Ses amis? 

NINA. 

Lès voici: son épouse et sa sœur. 

IRÈNE. 

Hélas ! 

NINA. 

Je veille, moi! 

IRÈNE. 

C'est comme un mauvais rêve! 

NINA. 

Du donjon au palais la route est souvent brève. 

IRÈNE. 

Que veux-tu dire? 



94 RlENZl 

NINA. 

II meurt! le sauver est urgent. 
J*ai mûri mon projet. 

IRÈNE. 

Lequel? 

NINA. 

J'ai de Targent 
Et j'ai de la beauté ! 

IRÈNE. 

Mais son âme est jalouse. 
Oh ! ne fais rien d'indigne. 

NINA, se levant avec digDÎté. 

Ah ! — Je suis son épouse, 
Et Rienzi c'est moi. — Ce soupçon m'a fait mal. 
Gilio d'Albornoz, le puissant cardinal, 
M'aime d'un fol amour quelque peu sacrilège ; 
•Parfois je lui souris, pour qu'auprès du Saint-Siège 
Rienzi trouve en lui ce qui manque : un support. 
Contre le déshonneur — 

IRÈNE. 

Eh bien ! 

NINA. 

.J'aurai la mort. 

IRÈNE. 

La mort ! ! 

NINA. 

Pour l'affranchir je donnerais mon âme ! 
Ai-je un autre moyen? — Oh! le monde est infâme! 
Qu'il soit libre, mon Bien ! je mourrai sans regret, 
Je mourrai chaste et pure, emportant mon secret. 

IRÈNE, lui baise la main. 

Pardon! • 

NINA, se ra^ied. 

Ma pauvre enfant ! Te voilà donc novice. 



ACTE QUATRIÈME 95 

Consacrée au Seigneur, vouée à son service ! 
Mais Adrien ? 

IRÈNE, jette un cri de douleur. 

. Grand Dieu! 

Avec résignation. 

— Ma sœur, il est au ciel. 

NINA. 

Mort! — pour toi! pour Tamour! 

IRÈNE. 

L^amour est immortel. 
Sa destinée hélas! est encor la meilleure: 
II. m'attend, lui ! — Mon Dieu, pardonne si je pleure. 

NINA. 

Oh ! tous ceux que j'aimais sont frappés par le sort. 
Tous punis — par Texil, la prison ou la mort. ^ 

IRÈNE. 

L'Église nous maudit : nous devons disparaître. 

NINA. 

Non! Dieu ne maudit pas par la bouche d'un prêtre. 
Rienzi, seul de tous, fut vertueux et pur : 
Qu'importe alors Parrôt d'un cardinal obscur 
Dont le cœur trop étroit frémit d'intolérance? — 
Parle-moi d'Adrien. 

IRÈNE. 

Arrivée à Florence, 
Pour mon noviciat j'habitais le couvent. 
Essayant d'oublier mon amour trop fervent. 
Je m'absorbais en Dieu, quand le courroux céleste 
Dans la folle cité fit éclater la peste. 
C'était afTreux ! partout on pillait sans remords. 
Plus assez de vivants pour enterrer les morts 
Qu'on ramassait en tas, au milieu des ténèbres I 
Partout des cris de deuil, partout des sons funèbres! 
Plus d'amour, d'amitié, de liens sociaux! 
Rien n'était respecté, pas môme 4es tombeaux ! 
Pour le malheur d'autrui rempli d'indifférence, 
Chacun ne songeait plus qu'à sa propre souffrance. 



96 RIENZI 

Ce naufrage moral, où surnageait la peur, 

Enlevait à la mort son exquise pudeur. 

Les êtres dépravés, ceux que le vice embauche, 

Passaient leur dernier jour, livrés à la débauche. 

Quand chacun est maudit, à quoi bon s'attendrir? 

Les survivants, hélas! ne pensaient qu'à jouir, 

Et provoquaient la peste : au milieu de Torgie, 

Un convive éhonté tombait en léthargie, 

Le blasphème à la bouche et le verre à la main, 

Recevant pour adieu: « G*est notre tour demain. » • 

NINA. 

Quel tableau saisissant de ce fléau terrible î 

IRÈNE. 

Un matin nous sortions. — Quel souvenir horrible I 
. Nous allions prier Dieu pour les pestiférés. 
Un jeune homme était là, couché sur les degrés. 
Et mes sœurs reculaient, car du signe funeste 
Ses traits étaient marqués : — Il souffrait de la peste. 
Juge de ma terreur; c'est lui, c'est Adrien ! 
Je voulus le veiller, comme un ange gardien, 
A son chevet, debout, dans ma douleur profonde 
Ne voyant plus que lui, oubliant Dieu, le monde! 
J'espérais le guérir, le sauver du trépas; 
Mais lui, faible, mourant, ne me reconnut pas. 
Il prononçait mon nom dans son fiévreux délire, 
Car il m'avait cherchée. — Oh ! comment le redire? 
Je vois l'heure venue, — il va mourir. — Je cours 
Presque folle, éperdue, appelant du secours. 
Je reviens — C'en est fait! — En vain je m'agenouille: 
Je ne trouve plus rien, pas même sa dépouille! 
Hélas ! les fossoyeurs, qui fouillaient les maisons 
Pour emporter au loin leurs tristes cargaisons, 
L'avaient pris dans son lit, porté hors des murailles. 
Jeté dans le tombeau, sans chants, sans funérailles. 
Il ne m*est rien resté: mais j'ai le souvenir, 
Et j'ai l'espoir qu'un jour Dieu peut nous réunir. 
En attendant la mort, je vis sans défaillance. 

NINA. 

Ma sœur, résignons-nous! . 

On frappe à la porte. 

Qu'est-ce? 



ACTE QUATRIÈME 97 

SCÈNE m 

Lks .MÊMES, ANGËLO. 

ANGELO. 

Son ËmiDence. 

NINA, 

Dans quel momeat, grand Dieu ! — Je vais la recevoir. 

Angelo sort. 

Laisse-moi seule, Irène! entre dans mon boudoir. 

Elle la conduit à la porte de droite. 

Ne songeons plus qu'à lui ! . 

IRÈNE. 

Mon Cola, mon bon frère ! 
Oui, tout pour lui, Nina! Sois forte et persévère! 

Elle sort. 

Nina prend un air souriant et s'asseoit avec nonchalance sur le sopha. Angelo ouvre la 
porte du fond et fait entrer le cardinal d'Albornoz, puis il referme la porte et st. 
retire. 

• 

SCÈNE IV 
NlNA, D'ALBORNOZ. 

D^ALBORNOZ, baisant la main de Nina avec galanterie. 

Je VOUS revois enfin, charmante signora! 

Trop longtemps pour mes vœux la cour m'accapara. 

NINA. 

Avoir Votre Éminence est un grand privilège. 
Et je commets un vol aux dépens du collège. 

d'albornoz. 

Pal vis-à-vis de vous une autre ambition: 
Heureux, je m'abandonne à mon impression. 

Il lui prend la main. 
NINA fait un geste pour retirer sa main; mais elle se contient. 

' Non, je ne feindrai pas ; c'est de la maladresse, 
Et puisque vous m'aimez, prouvez votre tendresse. 

7 



98 HlBNZi 

d'albornoz. 
Parlez, reine d'amour! Puis-je vous protéger? 

NINA. ^ 

• Me protéger? Non pas : Vous pouvez me venger. 

D'ALBORNOZ, la regardant avec admiration. 

Bien ! Laissons les manants oublier les injures! 
Un noble rejeton se souvient des blessures 
Et met dans la revanche un légitime orgueil : 
Il étendra sa haine au -delà du cercueil. 
La vengeance ne plaît qu'à des ànles bien nées. 

NINA. 

Moi, je poursuis la mienne, et depuis des années 
Pai fait pour l'assouvir des efforts surhumains. 

Bnisqoement. 

Cardinal ! que fait-on dans les États romains? 

d'ABLORNOZ, avec étonnement. 

Que me demandez-vous, vous, la Napolitaine? 

NINA. 

Auprès de vous, seigneur, la feinte serait vaine. 
Vous saurez mon secret; je crois à votre honneur. 
Je suis Romaine, moi. 

d'albornoz. 
Romaine? 

NINA. 

Oui,' monseigneur. 
d'albornoz. 

J'aurais dû deviner : la molle Gampanie 

Ne peut donner aux traits cette belle harmonie. 

NINA, faisant un geste d'impatience. 

Et Rome, cardinal? 

D ALBORNOZ, la regardant avec surprise. 

Rome est sur son déclin. 
Quand le tribun tomba, le vieux comte Pépin 



ACTE QUATRIÈME 99 

Gouverna les barons : c'était un chef peu sage ; 
Le sang et les méfaits ont marqué son passage. 
(In second démagogue apparut : Gerroni. 
Il abdiqua bientôt. Puis, Bertold Orsini 
Et Tun des Golonnas ont pris le Gapitole ; 
Désignés sénateurs, leur règne fut frivole. 
Le peuple se leva, violent, débordé : 
Golonna put s'enfuir, l'autre fut lapidé. 

NINA. 

Enfin ! 

d'albornoz. 

Mais Rome, hélas ! ne s'est point affranchie. 
Tout est confusion, brigandage, anarchie. 
La campagne est livrée aux routiers vétérans, 
Et les plus hauts seigneurs sont autant de tyrans. 
Chacun veut dominer et chacun extermine : 
Et, pour comble de maux, la peste et la famine. 

NINA. 

Oui, la terre est en deuil et le ciel s'est voilé : 

Lorsque tout se taisait la nature a parlé, 

En s'écriant : « Malheur, malheur à qui me brave ! 

Je ne donnerai pas mes moissons à Tesclave, 

Ni mes vins au parjure, au perfide assassin : 

11 est trop de martyrs qui dorment dans mon sein. 

Et comme, immolant tout à la haine assouvie, 

Les vivants oubliaient les devoirs de la vie. 

Laissez-les s'épuiser en stériles efforts! 

Je serai, par la faim, la vengeance des morts. » 

d'albornoz. . 
Vous êtes belle ainsi, brûlant d'enthousiasme. 

NINA. 

Je sens ce que J'énonce, et tout votre sarcasme 
Ne saurait le détruire. Or, retenez ceci : 
Vous n'avez qu'un seul homme... 

d'albÔrnoz. 

Et qui donc? 

NINA. 

Rienzi. 



100 HIËNZI 

d'albornoz. 
Un plébéien? Vraimeni! Vous, femme de noblesse, — 

NINA. 

Pardonnez-moi, seigneur, si ce nom-là vous blesse. 
Je suis, vous l'avez dit, d'un sang illustre et vieux, 
Comme vous qui comptez des rois pour vos aïeux; 
Vous, archevêque à Tâge où d'autres se font hommes. 
Cardinal d'Albornoz, tout nobles que nous sommes. 
De naissance et de cœur, au plus haut échelon, 
Moi, lenfant des Romains, vous, des rois d'Aragon, 
Nous savons ce que vaut un vain titre sonore 
Si Thomme est faible et nul. Le grand vainqueur du Maure 
A le droit d'oublier des préjugés étroits : 
Qui verrait le blason en pesant les exploits? 

d'albornoz. 

Je suis brûlé du feu dont son regard pétille. 

NINA. 

L'univers vous admire; Alphonse de Gastille 
A voulu par vos mains être armé chevalier. 
Le pape Clément six vous nommait son pilier.* 
Quand le Saint-Père osa vous demander des comptes, 
Au milieu de sa cour de cardinaux, de comtes, 
Sachant que les jaloux tramaient ce vil complot, 
Sans répondre, de clefs vous comblez un chariot. 
C'étaient les clefs des forts conquis en Italie, 
Un trophée éloquent : — le nombre, je l'oublie. 
Lorsqu'on est, comme vous, grand parmi les guerriers, • 
On n*est lier, croyez-moi, que des propres lauriers. 

. d'albornoz. 
Parlez, parlez encoj', ma muse et ma sirène ! 
Votre voix inspirée éblouit et m'entraîne. 

NINA. 

Un conquérant illustre est plus haut que son rang: 

Son titre glorieux s'écrit avec du sang. 

Rienzi, comme vous, s'est fait sa destinée: 

Il est un des Titans, fondateurs de lignée. 

Lui seul peut restaurer le suzerain papal : 

Lui seul peut rétablir le droit municipal. 

Que par vous il soit libre et ramené dans Rome! 

On l'admire, on le craint; lui seul est vraiment homme. 



ACTE QUATRIÈME 101 

D'âLBORNOZ, la regardant d'an œil scrutateur. 

J'en suis presque jaloux : — Un dévoûment pareil 
Provient-il de Tamour? 

Nina baisse les yeux. 

Vous donnez un conseil 
Que je trouve excellent pgur le bien de PÉglise ; 
Mais l'amant, signora, veut qu'on le tranquillise. 
Rienzi servirait le trône épiscopal, 
Mais d'Albornoz en lui peut trouver un rival. 

NINA, se leTant. 

Vous m'aimez, monseigneur? 

' D'ALBORNOZ, l'imitant. 

Jusqu'à ridolàtrie. 

NINA. 

Eh bieni diaprés les lois de la chevalerie, 
J^i droit de commander; vous devez m'obéir. 

d'albornoz. 

Commandez, siguora! que faut-il accomplir? 

Je n'entends pa» en vain votre appel sympathique. 

NINA. 

Restaurez Rienzi. 

D'ALBORNOZ. 

Mais c'est un hérétique. 

NINA. 

Il n'est pas condamné; qu'il trouve un jugement ! 
d'albornoz. 

Il l'aura dès demain, j'en prends l'engagement. 
A mon tour, moi, — 

NINA, vivement. 

Comptez sur ma reconnaissance. 

D ALBORNOZ lui baise Ja main et dit avec intention. 

On défait ce qu'on fait quand on a la puissance. 
Envoyez au tribun votre jeune écolier, 



102 RIENZI 

Ce page italien; j'expédie au geôlier 
L'ordre de Padmettre. 

NINA. 

Ah! 

D'ALBORNOZ,àpfiirt. 

Là, je le questionne, 
Et je saurai bientôt ce qui la passionne. 

11 la salue et gort. 



SCENE V 

NINA, seule. 

Ah ! je suis seule enfin. Qu'ai-je fait? qu'ai-je dit ? 

Quel combat douloureux ! Quel effrayant conflit! 

Qui, mw, même en rêvant je serais infidèle? 

Je suis à toi, Cola, toi que mon cœur appelle. 

Vis pour la gloire ! — Et moi? — Moi, je saurai soufiFrir ! 

Mais je veux ^embrasser, te voir et puis mourir! 

Elle ouTre la porte du boudoir. Irène et Angelo entrent. 



SCENE VI 
NINA, ANGELO, IRÈNE. 

NINA. 

Ma sœur, j'ai réussi. Le seigneur qui console 
A donné la chaleur, la force à ma parole. 

IRÈNE. 

Rienzi. — 

NINA. 

Sera libre et vénéré demain. 

ANGELO. 

Quel beau jour, signora, pour le peuple romain! 

IRÈNE. 

Et toi? 



ACTE QUATRIÈME 103 

NI\A, chanc«lanl. 

Moi? 

ANGELO. 

Qu'avez-vous? 

JRÈNE. 

Nina, ta joie est fausse. 

NINA. 

Non, non ! Mon cœur déborde et c'est Dieu qui m'exauce. 
Je vais le voir, Irène! On m'ouvre le château; 
Du silence! Ângelo, tes habits, ton manteau. 

Elle entre dans le boudoir où Irène et Angelo la taÎTent. 



SECX)NDE PARTIE 



Le théâtre représente nne cellule voûtée dans la tour d'Avignon. Une table en pierre, sur 
laquelle sa trouve nne lampe allumée, est placée à gauche, Auprès d'une petite fenêtre 
grillée. Un grabat dans un coin. An fond, une porte basse et massive. 



SCENE VII 

RIENZl, wal. 

Il est assis sur un banc auprès de la table et lit dans une Bible. 11 porte une robe brune, 
serrée autour des reins par une corde ; sa barbe est longue et inculte, et ses cheveux 
tombent en désordre sur ses épaules; il a beaucoup vieilli et son front est couvert de 
rides. Il est attaché k une chaîne qui lui permet la liberté des mouvements. Au lever 
du rideau, il lit à hante voix quelques versets du premier livre de Samuel, 
Cbap. VIII. 

iO. Ainsi, Samuel dit toutes les paroles de l'Éternel au peuple qui lui avait 
demandé un roi. 

il. Il leur dit donc : Voici comment vous traitera le roi qui régnera sur 
vous : il prendra vos fils et 11 les mettra sur ses chariots et parmi ses gens 
de cheval, et ils courront devant son char. 

13. Il prendra aussi vos filles, pour en faire des parfumeuses, des cuisi- 
nières et des boulangères. 



lOi RlËNZI 

14. Il prendra aussi vos champs, vos vignes et vos bons oliviers, et il les 
donnera à ses serviteurs. 

15. Il dîmera ce que vous aurez semé et ce que vous aurez vendangé, et il 
le donnera à ses officiers et à ses serviteurs. 

17. Il dîmera vos troupeaux et vous serez ses esclaves. 

18. Alors vous crierez, à cause de votre roi que vous vous serez choisi, et 
rÉternel ne vous exaucera point (i). 

Il ferme la Bible. 

Se plaisant sous le joug et dans rignominie, 

Les peuples ont toujours voulu la tyrannie : 

Leurs bourreaux sont leurs dieux. — Stupide humanité ! — 

L'homme a peur de lui-môme et craint la liberté ; 

Oubliant volontiers les futurs bénéfices, 

Son lâche abattement répugne aux sacrifices. 

Des maux accumulés par les réactions 

Il vient demander compte aux révolutions, 

Et vénère en tremblant le tyran qui l'opprime. 

De rinsurrection le peuple a fait un crime; 

Et servile, adulant jusqu'aux plus vil^suppôts, 

Il maudit le penseur qui Tarrache au repos. 

Satisfait quand nul bruit ne trouble le silence, 

Le citoyen poltron subit la violence. 

Ou'importe le progrés et que lui fait le droit? 

Il rit de ces grands mots : sa fortune s'accroît. 

Aux martyrs du devoir il réserve sa haine 

Et prétend qu'il est hbre: — il ne sent pas sa chaîne. 

Le despote applaudit : Tabjoction lui sert; 

Il se croit à l'abri, régnant sur un désert, 

Et crie à ses sujets: « Lapidez les prophètes ! » 

Il s'endort, en repos, rassasié de fêtes. — 

Mais de la liberté Dieu nous donna l'instinct. 

Dans Tombre entendez- vous ce murmure indistinct? 

Un éclair a jailli dans la nuit si profonde ; 

Le tonnerre a grondé pour réveiller le monde ! 

Et l'idole d'un jour vient tomber de l'autel 

Sur lequel on replace un principe immortel. — 

Or, moi je vous le dis: tyrans, rivez ma chaîne. 

Persécutez, tuez; mais votre heure est prochaine! 

J'écoute en tressaillant le bruit sourd, précurseur, 

Qui vient percer ces murs, malgré leur épaisseur. 

(1) Version revue par J.-F. Ostervald, publiée par la société biblique pro- 
testante de Paris 1839. 



ACTE QUATRIÈME 105 

C'est plus qu'un vafpie espoir qui gonfle ma poitrine. 
Voyez : déjà la rose apparaît sous l'épine. 

l\ se lève avec un rire amer. 

Quoi! d'ici mon cerveau veut lancer des éclairs? 

n fait quelques pas et regarde le ciel k travers la fenêtre grillée. 

nuages errants, voiliers actifs des airs! 

Vous que le vent emporte ! Au loin, sur votre trace, 

Que ne puis-je avec vous naviguer par l'espace. 

Et traverser les mers, pour retourner aux lieux 

Où mes jours s'écoulaient, enivrants et joyeux? 

Si d'ici vous voguez vers ce coin de la terre 

Où Nina pense à moi, prisonnier solitaire. 

Si son œil vous poursuit, si son regard si doux, 

nuages du ciel, vient s'arrêter sur vous. 

Répétez-lui mes vœux et mon espoir suprême : 

Transmettez mon amour à cette âme qui m'aime. 

11 se rassied, épuisé, et <;ache sa tête dans ses mains ; un léger bruit le fait tressaillir. 

Quel bruit vient me troubler? — Ce sont mes compagnons 
Qui prennent leurs ébats. — Libres, nous dédaignons 
Les fol&tres souris, et nous leur cherchons noise. 

Quelques souris viennent sous la table; il leur jette du pain. 

Égayez la cellule où je vous apprivoise. 

Voici le vieux tyran : — Prends la part du lion ! — 

Et vous le supportez? — pas de rébellion? — 

Il a les gros morceaux, vous raïnassez les miettes ; 

Les rats ont donc aussi leurs beaux piqueurs d'assiettes? 

Et moi qui vous nourris et vous jette mon pain. 

M'aimez- vous, commensaux? — Oui, quand vous avez faim. 

Et si demain je meurs, — réflexion qui navre, — 

Vous viendrez sautiller, jouer sur mon cadavre. 

Oh! des ingrats partout — jusqu'aux animaux! Fi! 

Retirés dans vos trous, vous portez un défi. 

Pareils à bien des grands que partout on renomme. 

n frappe dans les mains; sa chaîne résonne, les souris se sauvent. 

Tout bruit vous fait trembler: — Vous ressemblez à l'homme! 

n reste de nouveau absorbé dans ses réflexions. La porte s'ouvre et se referme sur un 
Page couvert d'un long manteau et portant un chapeau à plumes rabattu sur le visage. 
Le Page s'appuie tremblant contre la muraille, près de la porte. 



106 RIËNZl 

SCÈNE VIII 
RIENZI, UN Page. 

RIENZl, arraché à sa rêverio, regarde un instant en silence; puis il se lève. 

Est-ce un être réel? Ai-je encor ma raison ? 
Est-ce un ange qui vient visiter ma prison ? 

LE PAGE éclate en sanglots et vient se jeter aux genoux de Rienzi, qu'il étreint; 
le* chapeau et le manteau tombent et laissent voir Nina dans un costume pareil k 
celui d*Angelo. 

Rienzi! 

RIENZI. 

Dieu! Nina! — Non, non ! ce n'est pas elle. 
Oh I je m'égare ! — Es-tu fantôme, es- tu mortelle? 

NINA. 

C'est moi, c'est ta Nina. 

RIENZI. 

Toi ! toi ! — Viens sur mon coeur. 

Elle se jette dans ses bras et pleure en silence. Rienzi la tient fortement; ensuite, il lui 
met ses deux mains sur la tête. 

Femme, je te bénis : te vorr est le bonheur. 

NINA. 

Rienzi I mon époux ! 

RIENZI. 

Non, ce n'est pas un songe. 
Oh! parle, oh! parle encor! — La solitude ronge. 

NINA. 

Toi, le tribun romain, sans air, sans liberté ! 

RIENZI. 

En te voyant, j'oublie. 

NINA. 

Oh 1 comme ils t'ont traité ! 

Elle le regarde avec angoisse. 

Cola! ton cœur palpite et sur ton front la ride. — 



ACTE QUATRIÈME 107 

RIENZI. 

Tout seul, le front se plisse et le cœur est aride. 

NINA. 

Paurais dû, malgré toi, m'unir à ton dessein, 
Bttu courrais du moins reposer sur mon sein. 

RIF.NZI. 

J'avais plus de vigueur pour affronter la haine. 

NINA. ^ • 

Tu vins chercher justice, — et tu trouvas la chaîne. 

RIENZI. 

Quand l'homme aspire au faite, 11 doit subir son lot : 
Les splendeurs du pouvoir ou Tombre du cachot ; 
Un jour, puissant tribun ; le lendemain, rebelle. 

Il écarte les chevenx du fronl de Nina et la regarde. 

Laissons cela, Nina! — Doux ange ! qu'elle est belle ! 

Te voici, mon amour! que me font ces barreaux? 

Tu m'as rendu ma foi ; qu'ils viennent, mes bourreaux ! 

Je t'ai vue, et ton cœur est resté pur et chaste : 

Je puis mourir en paix. Avant l'heure néfaste, 

vous qui m'accordez ce tendra adieu, merci ! 

Le patient pardonne. 

NINA. 

Oh ! non, mon Rienzi I 
Non, tu ne mourras point! J'ai demandé justice: 
Tu confondras demain la voix accusatrice. 

RIENZI. 

Us m'entendront alors? et Rome aura la paix? 

Il se met k genoax. 

Tu parles, ô Seigneur, et le nuage épais 
Se dissipe à ce mot. 

Il prie quelques instants en silence; quand il se relève, il redresse sa taille et relève 

la tête. 

NINA. 

Tribun, je te retrouve. 



108 RIENZI 



RIENZI. 



Où chercher des. accents pour tout ce que j'éprouve? 
Juger, c'est m'acquitter. 



NINA. 



Ami, je te revois. 
Tel que tu fus quand Rome obéit à ta voix 



RI£NZI. 

Les fers n'ont pas encore brisé mon éloquence. 
Je te dois tout, Nina. Dis-moi, quelle espérance 
T'a conduite en ces lieux ? Quel hasard te guidait? 

NINA. 

Le hasard? — Près de toi mon amour m'attirait. 
Nul instinct, Rienzi, n'a donc dit à ton âme 
Que près de ta prison veillait un cœur de femme, 
Un cœur affectueux? que j'étais, dans ma foi. 
Prête à te délivrer ou mourir avec toi? 

RIENZI. 

Dans cette ville infâme, où règne la licence, 
La beauté, je le sais, est souvent la puissance. 
On a pu sans vergogne abuser ta candeur : — 
Je ne veux pas devoir la vie à l'impudeur. 

NINA. 

Ah! 

RIENZI. 

J'aime mieux qu'ici mon front ridé pâlisse ! 
Que plutôt on me traîne au bûcher, au supplice I 

NINA. 

Nui ne saitqui jesuis. 

RIENZI 

Eh! qu'on le sache ou non! 
Votre honneur, signora, n'est pas dans votre nom. 

NINA. 

Serais-je ici, Cola, si je n'étais pas pure? 



ACTE QUATRIÈME t09 

Moi, le déshonorer? ~ Ce soupçon me torture; 
Me connais-tu si peu? — Quand fugitif, proscrit, 
Tu quittas la fiohême, ami, que m'as-tu dit? 

RIENZI. 

« Auprès de la beauté le séducteur s'empresse, 
Saps souci des moyens : — Souviens- toi de Lucrèce. » 

NINA. 

Et puis tu me donnas... 

RIENZI. 

UTi poignard. 

NINA, le tirant lie sa ceinture. 

Le voici ! 

RIENZI, la serrant dans ses brat. 

Ma Nina, mon trésor! 

NINA. 

Mon noble Rienzi ! 

La porte de la cellale s'ouvre et se referme sans bruit, pour donner passage au cardi- 
nal d'Albomoz, qui reste d'abord. spectateur muet de la scène. 



SCÈNE IX 
D'ALBORNOZ, RIENZI, NINA. 

NINA, que Rienzi tient embrassée. 

Oh! tes pleurs sur mon front sont un nouveau baptême. 
A toi, toujours à toi ! Mon Rienzi, je t'aime. 
J'ai, pour sauver tes jours, trompé le cardinal. 
Feignant de me prêter à son amour banal : — 
Il t'ouvre la prison. A toi seul ma tendresse! 

D'ALBORNOZ. 

Ah! le page, c'est vousl — Vous êtes sa maltresse. 

NINA jette un cri et se dégage des bras de Rienzi. 

Oh ! — Non, je suis sa femme. 



110 RlENZl 

d'albobnoz. 

Eh ! quoi ? lui, votre époux ? 

NINA, se prosteraant devaDt lai. 

Monseigneur, pardonnez! je suis à vos genoux. 

RIENZI 

Nina, relève-toi ! c'est Dieu seul qu'on supplie. 

NINA. 

Si je vous ai déçu, voyez, je m'humilie. 

Pardon ! je suis sa femme : Ohl croyez-moi, seigneur ! 

Pour lui j'ai tout donné, tout, excepté Thonneur. 

Elle se relève. 

d'albornoz. 

Je vois bien que lui seul ici vous préoccupe. 
Mais alors, signora, vous m'avez pris pour dupe? 
Pour aider les projets de votre compagnon. 
Ne pouviez-vous choisir plus bas qu'un Aragon, 
Un cardinal romain, un prince de FÉglise? 
Vous avez bien joué le rôte de marquise. 

RIENZI. 

Ah! ne l'insultez point! mon bras est désarmé. 

d'albornoz. 
Elle a cru vous servir : vous restez enfermé. 

NINA. 

Oh ! déversez sur moi le fiel qui vous anime ; 
Il ne savait rien, lui ! Que je sois la victime ! 
Ma voix dans votre cœur trouvera de Técho : 
Autant que cardinal vous êtes hidalgo. 
• C'est du sang espagnol qui coule dans vos veines. 
Du sang de chevalier qui répugne à nos haines. 
Pauvres femmes, hélas! on nous ment bien souvent, 
Et maint homme pour nous feint un amour fervent. 
Pour glisser dans nos cœurs un poison qui corrompe: 
Mais tous sont indulgents, jusqu'à celle qu'on trompe. - 
Monseigneur d'Albornoz, montrez-vous généreux, 
Montrez vous noble et fort, en faisant deux heureux. 
Un pardon bienveillant n'a rien qui rapetisse. 



ACTE QUATRIÈME 11 i 

Et lui, le grand tribun, a droit à la justice. 

Oh ! quMl sorte aujourd'hui de la tour d'Avignon, 

Et mes enfants un jour béniront votre nom. 

RIENZI. 

Gilio d'Albomoz, cardinal qu'on renomme! 
Je ne peux supplier, car moi je suis un homme ! 
Vous devez me connaître : oh ! jugez-moi demain. 
Ma présence est la paix pour le peuple romain. 

NINA, sanglotant. 

Inspire-moi, mon Dieu! je n'ai plus de courage. 
Soyez grand, monseigneur ! achevez votre ouvrage. 

d'albornoz. 

Oui, je cède au penchant que j'ai trop combattu: 

Je suis homme et je rends hommage à la vertu. 

Je ne saurais prétendre, ô belle et noble dame, 

Aux sentiments si purs que vous avez dans Tàme. 

Vous avez fait vibrer les cordes de mon cœur. 

Et ce serait infâme et forfaire à l'honneur 

De vous persécuter. Signora, je m'incline 

Devant votre grandeur : vous êtes l'héroïne 

De ce siècle énervé. J'ouvrirai ce cachot. — 

Dans un cœur aussi grand l'amour est plus qu'un mot. 

Je veux vous égaler : aussi, soyez heureuse. 

Et suivez les élans d'une âme chaleureuse. • 

Je renonce avec peine à l'enivrant espoir 

Que mon illusion me faisait entrevoir. 

En vous disant adieu, malgré moi je soupire. 

Je vous ai bien aimée : Oh! je ne puis vous dire! 

Mais de vous perdre ainsi j'aurai moins de douleur. 

Si vous dites de moi : Cet homme avait du cœur. 

NINA. 

Je bénirai toujours votre mansuétude. 

RIENZI. 

Cardinal, je suis fait à la vicissitude; 

Je refuse un pardon s'il est déshonorant. 

Mais vous m'avez vaincu : vous êtes vraiment grand. 

Je fléchis devant vous, moi qui jamais ne plie. 

A nous deux, monseigneur, délivrons Tltalie! 



112 RlENZl 

d'albornoz. 

Soit! je compte sur vous pour briser les tyrans, 
Les malfaiteurs armés qui se croient conquérants. 
D'un jugement loyal ayant le bénéfice, 
Demain vous paraîtrez devant le Saint-Office. 

RIENZI. 

Oh! je suis libre, alors. 

NINA, présentant sa main k baiser au cardinal. 

Seigneur, voici ma main. 
Vous avez été noble, et plus que noble : — humain. 

d'albornoz. 

Gardez ce souvenir dont je vous vois émue. — 
Mais j'oubliais quelqu'un qui cherche une entrevue. 

W va à la porte et fait un signe. 



SCÈNE X 
Les Précédents, ADRIEN. 

ADRIEN entre et va tout droit à Rienzi, devant lequel il fléchit le genou. 

Quand j'ai fui loin de toi, ton bras était puissant. 
J'écoutai le vieillard mort en te maudissant. 
J'embrassai le parti de ces seigneurs parjures. 
Moi, ton admirateur, je t'accablai d'injures 
Et j'osai t'appeler implacable vainqueur! 
Pardon, noble tribun ! j'ai méconnu ton cœur. 
C'est un cuisant remords qui près de toi m'attire. 
Te voilà prisonnier, sacré par le martyre, 
Couronné par le deuil, absous par le malheur : 
Sur ton front la souffrance a versé la pâleur. 
D'un confesseur du droit j'adore en loi l'image ; 
Prométhée enchaîné, je viens te rendre hommage; • 
Gomme à mon souverain je demande pardon. 

rienzi. 
Adrien! ta présence efface l'abandon. 

NINA. 

Adrien! lui, vivant! 



ACTE OUATRIKME 113 

RIENZI. 

Oliî ma joie est profonde! 
Tout honneur n'est donc pas exilé de ce monde? 
Il est encor des cœurs remplis de loyauté ? 
Dieu me réconcilie avec rimmanité. 

\\ le tient par la main ainsi que Nina. 

Je VOUS retrouve enfin. Que mon àme est sereine! 
Mon ami, mon épouse ! 

MXA. 

Et notre S(i»ur Irène? 

RIENZI. 

Irène! 

ADRIEN. 

Oh! taisez- vous! Quels regrets superllus! 

RIENZI. 

Parlez ! ma douce Irène? 

ADRIEN. 

Hélas! elle nVst plus. 

lîlENZl. 



Morle! 

Oh non ! 



NINA. 



ADRIEN. 



Je rai vue, - - et j'ai gardé sa tombe, 
Quand la (K^ste immolait uneatTreuseiiécaloinbe. — 
Je venais la chercher jusque dans le couvent. — 
Je Tai vue — enterrée — et suis encor vivant. 

RIENZI. 

Mon Irène, ma sœur! 

NINA. 

Ne perds pas Tcspérance ! 
On n'est que trop souvent déçu par Tapparence. 

Ricnzi s'assied fort l'inu. Nina va parler au cardinal, dans le fond. 

Seigneur, elle est chez moi : — s'il pouvait la revoir ! 

8 



114 UlENZl 

u'albornoz. 
Mais ne craignez-vous pas de Irop les émouvoir? 

NINA. 

î/homme qui sut souffrir peut supporter la joio, 
Quand l'espoir dans son cœur étincelle et chatoie. 

d'albornoz. 
Bien! je vais donner Tordre. 

\\ on?re la porto, deux geôliers paraissent; il parle bas h Tun et dit tout haut h Tantre : 

Allumez des flambeaux. 

NINA, qui s'est rapprochée do Ricnzi et d*Adrioii. 

Ceux que Ton croyait morts vont sortir des tombeaux. 

ADRIEN.. 

Au jour du jugement. 

NINA. 

Ami, Theure est prochaine. 

RIENZI. 

Fleur sitôt moissonnée! 

U^ALDORNOZ au geôlier, qui apporte des flambeaux. 

Enlevez cette chaîne. 

Le geôlier détache la chaîne de Rienzi. 

Voilà le premier pas vers votre liberté : 
J'éprouverai bientôt votre sincérité. 

ADRIEN à Nina. 

Quel secret savez-vous? Votre trouble est étrange. 

SCÈNE XI 
Les Mêmes, IRÈNE, ANGELO. 

Le geôlier fait entrer Irène et Angelo. D'Albornoz et Rienzi sont h droite. Nina so 
trouve près d*Adricn qui occupe le milieu de la scène et voit le premier Irène. 

ADRIEN, terrifié. 

Irène ici? - Le ciel laisse échapper son ange. 



ACTK QUxVTRlÈMK 115 

IRKNE, chanrolant. 

Lui! lui! — C'est son fantôme. 

ADRIEN se précipite vers ollc ; elle tombe évanoaic dans ses bras. 

Seigneur! elle vit. 

RIENZI, s'approchant. 

Irène! 

AimiEN. 

Oli ! ne meurs pas. 

D*ALBORNOZ k Nina, qai est maintenant près de lui. 

Le bonheur vous sourit. 

HIENZr. 

Ma sœur! 

ADRIEN. 

Reviens à toi. Plus rien qui nous tourmente! 
Moi qui la croyais morte! Oh ! vis, vis, mon amante! 

IRÈNE, n»?enant h elle dans les bras d'Adrien. 

Adrien ! 

Elle le regarde et touche ses cheveux «h* la main« comme pour s'assurer qu'elle ne rêve 
• pas. 

Oui! vivant! 

Soudain, le souvenir lui revient, et elle s'arrache de ses bras en poussant un cri. 

Oh! — j'appartiens à Dieu. 

Tous restent consternés, Adrien se couvre la figure. 
« 
, n'ALROUNOZ, allant près d'eux, dit gravement. 

I/Église a le pouvoir de délier ce vœu. 

IRÈNE. 

Dieu ne maudirait pas une telle alliance? 

ADRIEN. 

Et tu m'appartiendrais? 

d'albornoz. 
Reprenez confiance/ 



1 16 RIENZI 

NINA, à d'Albornoz (1). 

Quels bienfaits voire cœur a semés aujourd'hui! 
L'espoir pour ces enfants, la liberté pour lui. 

D'aLBORNOZ, à Nina. 

C'est pour me consoler de Taraour qui m'échappe. 

A part. 

Et puis, ils m'aideront quand on m'élira pape. 

Le rideau tombe. 



(1) Position des acteurs en commençant par la droite du spectateur: 
Adrien, Irène, d'Albornoz, Nina, Rienzi. Angelo est au fond, et les deux geô- 
liers sont près de la porte. 



FIN nu QUATUIPME ACTE 



ACTE CINQUIÈME 



Le théâtre représente anej>artie de la place dn Lion on des exécutions devant le Capi- 
tôle. An fond, le Gapitole ; la statue colossale d*an lion é^ptien est placée sur Tesca- 
lier qui y conduit. 



SCENE PREMIERE 
LE CARDINAL D^ALBORNOZ et L'ÉVÈQUE RALMOND entrent. 

D'ALBOnXOZ. 

J'aurais dû le prévoir sans mon aveuglement : 

Cet homme était trop haut pour un simple instrument ; 

Convaincu, plein de foi, fier de son éloquence, 

U nous a débordés par sa forte influence. 

RAIMOND. 

U est trop résolu pour un coadjuteur. 
d'albohnoz. 

Du tribun prisonnier jo fis un sénateur; 

Je croyais l'amoindrir dans la faveur publique 

Et rattacher de cœur au pouvoir catholique. 

HAIMOND. 

Il veut des seuls Romains dériver son mandat. ' * 

d'albornoz. 

Philosophe, érudit, politique et soldat, 
U est universel dans son puissant génie : 
Donnez-loi tout on monde et lui le remunie. 
Ennemi nHlùiiUbie, inm jjUls duni^iH lj\, 
Trop vubtc en âcs ém^m^ trop uv\ iiiurt^ia, 




118 RIENZI 

S'il réussit jamais, l'église est condamnée. 
^ J'ai sondé son esprit pendant toute une année; 
Je connais son pouvoir : la population 
Revint, à sa parole, à la soumission. 
Son courage est terrible et son courroux acerbe : 
Je Tai vu, glaive en main, sous les murs de Viterbe. 

RAIMOND. 

De ses brillants succès Rome se fit l'écho. 

d'alborxoz. 

C'est lui qui subjugua le grand Jean de Vico. 
Un jour il vint à moi, se détachant d'un groupe, 
Et me dit: u Cardinal, vous me laissez sans troupe; 
Mon nom vaut une armée et Rome s'en souvient: 
Confirmez devant tous le rang qui m'appartient. » 

RAIMOND. 

Qu'avez- vous répondu? 

d'albornoz. 

Sachant mon impuissance, 
J'accomplis ses souhaits, mais non sans réticence. 
11 s'aboucha dès lors avec ce Provençal, 
Le brave aventurier Gautier de Montréal, 
Chef de tous les soudards unis en compagnie 
Et qui tient sous ses pieds la débile Italie. 
Pour punir les barons, il prit des flibustiers 
Et, pour menacer Rome, enrôla des routiers, 

RAIMOND. 

Ce sont de vrais Germains faits à la discipline. 
La noblesse aussitôt s'enfuit à Palestrine, 
Redoutant sa vengeance et craignant son retour. 
Quand Rienzi revint, ce fut un brillant jour, 
Un triomphe plus pur que toutes les victoires : 
Un peuple entier versant des pleurs expiatoires, 
Se frappant la poitrine avec sincérité, 
Et criant : « Rienzi ! la paix ! la liberté ! » 
Témoin de ces transports, j'ai vu Rome en délire; 
Il peut, s'il est hardi, se fonder un empire. 

d'albornoz. 
Souvenez-vous du Christ devant Jérusalem : 



ACTE CINQUIEME 119 

Le bruyant hosanna se change eu requiem. 
Il ne faut pas qu'il vive, il ne faut pas qu'il règne ! 
Plus de rébellion ! le monde s'en imprègne, 
Et Fesprit scrutateur doit périr avec lui. 
Sauvons l'autorité, notre suprême appui ! 
La victoire appartient à la sainte milice : 
Extirpons Thérésie, et que tout front p&lisse! 

RAiMoyo. 

Mais comment pourrez- vous renverser Rienzi ? 

o'aldornoz. 

Par de vils instruments. Écoutez : les voici. 



SCÈNE 11 
Les Mêmes; ADRIEN, ORSINI, PANDULFO. 

Tons s'inclinent on entrant devant le cardinal. 

o'aldornoz. 

Je vous ai convoqués, car l'heure est menaçante : 
Rome a besoin de vous, Rome est agonisante. 

ADRIEN. 

Elle refleurira sous le grand sénateur. 

ORSINI. 

Il est notre adversaire, un vil usurpateur, 

PANDULFO. 

Qui méconnaît les droits de notre bourgeoisie. 

RAIMOND. 

Catholique inlidèle, il sert l'apostasie. 

d'albornoz. 

Du pape il a reçu son pouvoir et son titre: 
Sujet ambitieux, il s'est fait notre arbitre. 
Il veut gouverner seul et, tyran des Romains, 
On le voit s'eiftourer de lansquenets germains. 



120 RIENZl 

ADRIEN. 

Rome Ty cootraignit par sa lâche mollesse. 

ORSINI. 

Rome est un corps sans tôte, un peuple sans noblesse. 

ADRIEN. 

Noblesse qui se plaît dans les assassinats. 

ORSINI. 

La foule a bassement tué deux Golonnas : 

Ne veux-tu pas venj^er le sang de tes ancêtres? 

RAIMOND. • 

Le peuple a désappris le respect pour les prêtres; 
Il n'est plus catholique, — 

ADRIEN. 

Et d'autant plus chrétien. 

PANDULFO. 

Rienzi dans la plèbe a cherché son soutien. 

ADRIEN. 

Les cœurs des ouvriers sont exempts d'égoïsmc. 

RAIMOND. 

Il leur inculquerait des ferments d'athéisme. 

PANDULFO. . 

H détruit le commerce en l'accablant d'impôts. 
Le bourgeois le plus riche a peur de ses prévôts: 
Il nous met aussi bas que la vile canaille. 

ADRIEN. 

Voilà donc vos égards pour l'homme qui travaille? 
Vous étiez glorieux d'hériter des seigneurs. 
Rienzi vit en vous ses humbles flagorneurs; 
Autour du grand tribun vous formiez tous cortège, 
En clabaudant bien haut: « A bas tout privilège! » 
Mais la peur vous saisit, misérables trembleurs, 
Quand il veut s'occuper des vaillants travailleurs. 
Vous voulez démoHr tout ce qui vous dépasse, 



ACTE CINQUIÈME 121 

Erpuis vous aspirez à former une classe, 

Et vous, les parvenus, oiez l'é^^alilél 

Ab ! j'en rougis pour vous et pour l'humanité. 

ORSINI. 

Je Pavais toujours dit: il est de vieille race 
Et fera Iriompher le parti qu'il embrasse. 

ADRIEN. 

Je suis noble, c'est vrai, mais avant tout, Romain! 
Je hais toute injustice et mon cœur est humain. 
Rienzi, seul de tous, peut sauver la patrie : 
Il poursuit le progrès et vous la barbarie. 

DALBORNOZ. 

Je comprends ce beau zôle et ses effusions: 
Vous vous bercez toujours de vos illusions. 
Mais le siècle a l'horreur des gouvernants novices, 
Car il faut ici-bas compter avec les vices. 
C'est un combat mortel : pour en sortir vainqueur. 
Il fdut plus de finesse et de tact que de cœur. 
Vivons pour le présent! Jeune homme, en politique 
Rien n'est plus dangereux qu'un esprit dogmatique; 
Un rêveur au pouvoir est par trop absolu. 
Rienzi doit tomber, son temps est révolu. 

ADRIEN. 

Je ne suis qu'un soldat, ennemi de l'intrigue; 
Je laisse la puissance à celui qui la brigue. 

d'albornoz. 

La puissance est au pape, au corps sacerdotal. 
Seul élément de paix dans un âge brutal. 
Mais un trône est requis : pour que la foudre gronde, 
il faut du haut des cieux la lancer sur le monde. 

ADRIEN. 

Dans ce projet si vaste, et pour vous l'aplanir, 
Rome devient esclave et n'a plus d'avenir. 

d'albornoz. 

De l'univers cliréticn Rome sera la reine, 
Le siège de la loi, la cité souveraine. 



122 RIENZl 

ADRIEN. 

Que nous fait la grandeur si Thonncur est perdu ? 

d'albornoz. 

Un but si gip:antesque omet l'individu. — 

Le saint-pôre est de droit le monarque de Rome; 

Mais pour la gouverner il nous faudrait uu homme 

Regardant Pandulfo. 

Jouissant de l'estime, honorable bourgeois, 
Conciliant, habile, éminent et courtois; 
Un légiste érudit, versé dans la finance. 

PANDULFO, s*inclinant. 

Vous me comblez d'honneurs, et si Votre Éminence 
Veut se servir de moi, je ne suis pas ingrat. 

A part. 

A mon tour je serai le premier magistrat. 

D'ALBORNOZ, à Orsini. 

 la cour du Pontife on prise la naissance*, 
Et les patriciens seront une puissance. 
Les fonctions d'éclat, les emplois, les honneurs 
Reviendront désormais aux plus nobles seigneurs. 

ORSINK 

On ne fait p^s en vain un appel à ma haine; 
ïe préfère un tyran à cet énergumône. 

D'ALBORNOZ, à Adrien. 

Le saint-siége, investi du pouvoir séculier, 
Réserve un brillant poste à ce preux chevalier 
Connu par les hauts faits des tournois et des guerres. 

ADRIEN. 

Faire argent de Tépée appartient aux sicaires. 
u Honneur » est la devise inscrite à mon pennon ; 
Je suis noble de cœur plus encor que de nom. 
Vous vous trompez en moi. 

ORSINI. 

Seras-tu toujours traître? 



ACTE CINQUIEME 123 

D*ALDOKNOZ. 

L'étoile du tribun pAlit, pour ilisparaitre. 
Montréal est à Rome, attendant le signal ; 
Son frôre, à Paicstrine, est un soldat vénal. 

ADKIKN. 

Montréal? 

KAIVOND. 

Voulez-vous servir la tyrannie 
Sons les pieds des routiers venus de Gennanie ? 

ADRIEN. 

Mais Rienzi peut faire un appel aux Romains. 

RAIMOND. 

Ne leur demandez pas des otforts surhumains. 

ADRIEN. 

Un homme audacieux peut accomplir la tâche. 

d'albornoz. 
G^est un peuple énervé, pusillanime et Iftche. 

ADRIEN. 

Non ! je le connais mieux : c'est un peuple qui dort ! 
Mais, pour le faire agir, réveillez-le d'abord, 
Déployez h ses yeux un drapeau qui rallie. 
Malheur à qui pressent la mort de l'Italie ! 

RAIMOND. 

Son cœur est obstiné, sourd à la voix de Dieu. 
d'albornoz. 

Moi qui, pour vous servir, relevai de son vœu 
La belle Irène. — 

ADRIEN. 

Irène î 

d'albornoz. 
Et vous, l'ûmc occupée... 



m RŒXZl 

ADRIEN. 

Je ne vends mon amour pas plus que mon ép(?o. 
La posséder, pour moi c'est le bonheur du ciel ! 
Mais ce serait Ton fer si j'étais criminel. 

RAIMOND. 

C'est l'esprit de Satan ! Il est incorrigible. 

d'albornoz. 
Il est temps de finir cet entretien pénible. 

ORSINI. 

Apostat ! si jamais nous devons nous revoir! 

ADRIEN. 

Advienne que pourra! j'aurai fait mon devoir. 

Raimond, d'Albornoz et Orsini sortent avec Pandulfo. 

SCÈNE III 

ADRIEN, seul. 

l/avonir est douteux et le présent est sombre. 
Le reptile aux aguets, rompant dans la pénombre, 
Va jeter son venin ; quel ennemi hideux ! 
C'est une lutte infâme, un combat hasardeux ; 
Mais je braverai tout, sans peur, sans lassitude, 
Dans Tespoir d'expier ma noire ingratitude. 
Hommage à la vertu! Cet adroit suborneur 
Réveilla le désir le plus cher à mon cœur. 
Dieu voulut me tenter : la vie est une arène; 
Le prix me fascinait. Oh ! reverrai-je Irène ? 

SCÈNE IV 
ADRIEN, IRÈNE, BENEDETTA. 

Irène et Benedctla sont entrées pendant les dernières paroles d'Adrien. Irène no porte 
plus le coutume de religieuse. 

IRÈNE. 

Entcnds-tu, ma nourrice? Il pense encore à moi. 



. ACTE CINQL'IKME 125 

ADRIRN, se retournant. 

Ah! 

IRÈNE, s'approchant de lui. 

Me voici, fidèle et libre de ma foi. 

ADRIEN. 

Irène ! 

IRÈNE. 

Je reviens, confiante et joyeuse. 
Dieu permet ; j'ai cessé d'être religieuse. 

ADRIEN. 

Mon cœur m'inspirait bien ; te voilà de retour. 

IRÈNE. 

Je n'avais pas encor sondé tout mon amour. 

ADRIEN. 

Mon bonheur est-il vrai ? — Si ma joie était fausse ! 
Dans mes rêves souvent je revois cette fosse. 
Pendant quatre ans, mon cœur, rongé par ce cancer, 
Souffrait tous les tourments qu'on souffre dans l'enfer. 
Mais non! c'est moa Irène, et toujours jeune et belle, 
Et dans tes yeux Tamour fait jaillir rélincelle. 

. IRÈNE. 

Et moi? — Si j'ai vécu dans mon anxiété, 

C'est pour ne pas aussi perdre l'éternité. 

Ami, Dieu seul connaît ma douleur, mes alarmes. 

Et nuit et jour lui seul a pu compter mes larmes. 

Je croyais le prier : soudain, dans son émoi 

Mon âme l'oubliait et s'envolait vers loi. 

Faisant dans ma prière an singulier mélange, 

Je t'invoquais parfois comme un saint, comme un ange, 

Te contant mes chagrins, les regrets de mon cœur: 

Jamais je ne priais avec tant de ferveur. 

BENEDETTA, à part. 

Dans un couvent chrétien ! sainte Catherine ! 

ADRIEN. 

Mon bonheur est trop grand et gonfle ma poitrine. 



126 RlENZl 

IRÈNE. 

A loi seul désormais ma pensée et mes vœux! 

BENEDETTA. 

Qu'auront-ils à se dire après de tels aveux ? 
Ils feront de la vie un long épithalame. 
L'amour ne fut créé que pour perdre la femme. 

ADRIEN. 

L'existence avec toi — 

IRÈNE. 

C'est la félicité. 

ADRIEN. 

En dehors de Tamour tout n'est que vanité : 
Dieu me pardonnera si ma langue blasphème. 

Irène. 
Puis-jo assez le redire, Adrien, que je t'aime? 

Adrien. 
Répète-le. 

. . IRÈNE. 

Je t'aime. 

BENEDETTA. 

Hélas ! la pauvre enfant ! 

ADRIEN. 

Ce mot venu du ciel me rendra triomphant. 

BENEDETTA, 8'approcbant d'eux. 

Que vous êtes heureux ! Vos accents pleins de flamme 
Ont remué mon cœur et réchauffé mon âme. 
Moi, j'ignore ces feux, mais ma voix vous bénit. 
L'amour, ô mes enfants, ne peut être maudit ; 
C'est pour le créateur le plus sublime hommage : 
L'amour est saint, car Dieu lit l'homme à son image. * 

IRÈNE. 

Oh îoui ! Tamour est saint, bonne Benedetta! 
Si mon cœur est aimant, c'est Dieu qui me dota. 



ACTE CINQUIÈMK 127 

nENEDETTA. 

l'our le remercier, vous faisiez des neuvaines? — 
Hélas ! contre l'amour nos prières sont vaines; 
Il sait toujours convaincre, arbitre intéressé, 
Seul fou judicieux dans ce monde insensé. 

IIIÈXE. 

Oh! Tamour est l'espoir qui jamais ne succombe. 

Je Tai senti moi-même : il survit à la tombe. 

L'idéal ne meurt pas ; un pur attachement 

Sait inspirer à Tûme un entier dévoûmenl. 

Un cœur froid dit en vain : « L'amour est Tégoïsme. « 

Ma ferveur lui répond : « L'amour, c'est Théroïsme. « 

AOHIEN. 

Le doux feu de ton ùme illumine ton front ; 
Ta foi t'a révélé des mots d'amour profond. 

RENEDETTA. 

Ils sont innés, ces mots, chez la ferhme amoun>usc. 

. IRÈNE. 

SLje m*épanchc ainsi, c'est que je suis heureuse. 



SCÈNE V 
Les Mêmes, UIENZI. 

RIENZI, qui a entendu les dernières paroles. 

Heureuse ! 

IRÈNE. 

Oui, je le suis. 

RIENZI. 

Sois bénie, ô ma sœur! 
L'amour inaltérable est le seul vrai bonheur: 
Quand la nuit la plus sombre étend sur nous ses voiles. 
Il fait au firmament scintiller les étoiles. 
Aimez-vous, aimez-vous ! Un sentiment réel 
Fait de la vie un rôvc et de la terre un ciel. 



128 RlENZl 

ADRIEN, & part. 

Et moi qui l'oubliais ! 

IRÈNE. 

Je Taime tant, mon frère ! 

RIENZI. 

Enfin tout vous sourit et cette heure est prospère. 

ADRIEN, à part. 

Comment le prévenir qu'il court un grand danger ? 

RIENZI. 

La joie est rare, enfants, le bonheur passager. 

Il faut goûter la paix quand notre àme est sereine. 

La vie est une grappe et chaque heure Tégrène, 

Y laissant sa morsure et sa part de douleur; 

Le plaisir nous échappe et fait place au malheur. 

Cueillez, sans réfléchir, la fleur quî vous caresse : 

Le temps, ce noir démon, nous harcèle et nous presse. 

Respirer c'est lutter," vivre c'est se roidirî 

Je tombe de fatigue; — oh! je voudrais dormir, • 

Dormir d'un bon sommeil, sans réveil et sans rêve. 

Sans rien qui rappelùt ce long combat sans trêve! 

Oui, je voudrais dormir, — comme on dort au tombeau. 

IRÈNE. 

Cola! c'est blasphémer, car le monde est si beau. 

RIENZI. 

La joie est dans ton cœur: moi, dans ma lassitude, 
J'ai l'horreur de ce monde et de sa turpitude. 

IRÈNE. 

Mon frère! 

RIENZI. 

Ce n'est rien ; je suis parfois distrait. 

ADRIEN, bas à Rienzi 

Il faut que je te parle, ici môme, en secret. 

RIENZI, à Irène 

Et Nina, mon enfant! Ke la fais pas attendre. 



ACTE CINUllÈME 1J9 

IRÈXE. à Ri^ii. 

Reste tel que tu fus : contiaot. bon et tendre. 
Que je Yous aime tous! Cola, mon Adrien, 
Et la belle Nina, mon doux an$!e gardien. 

Ell^ sort avec BewtleUa. 



SCÈNE Yl 



RIENZI, ADRIEN. 

RIENZ1, soifant Irèop des yeax. 

L'innocence est heureuse 1 Aimable et noble fille I 

• A Adrien. 

Fais-lui trouver la paix au sein de la famille. 

Fleur délicate et frêle; oh ! crains de la broyer 

Si le froid tourbillon Tarrache à son foyer. 

Le monde est un tyran qui brise et crucifie: 

Tout son MdX yaut-il ce qu'on lui sacrifie? 

Oh ! que n'ai-jc aussi, moi, dans quelque coin secri't, 

Élevé mon autel ? — Inutile regret ! 

Je combats pour Thonneur du drapeau que j'arbore ; 

La ferveur politique, amour qui nous dévore, 

A, comme un autre amour, d'invincibles appas: 

On lutte, on soufTre, on meurt, mais on no rc^de pas. 

ADRIEN. 

Eh bien! il faut lutter, rappeler ton courage, 
Redoubler tes efforts, tenir tôte à Forage. 
La cité se remplit de noirs conspirateurs; 
D'Albornoz et Raimond, ces adroits séducteurs, 
Ont gagné Pandulfo; les nobles se préparent; 
Ou livre les châteaux : les routiers s'en emparent : 
Montréal est à Rome et son frère est vendu ; 
La trame est bien ourdie et l'on te croit perdu. 

RIENZI. 

Perdu? — Non, non ! — je vis! - Montréal est à Rome? 
Il s'est livré lui-même. Ah ! vaillant gentilhomme ! 
Vous seul m'îivez toujours inspiré de relTroi, 



130 * • UIENZI 

Car vous avez un but : vous vouiez être roi. 
Ah! je vous tieus enfin, malgré votre génie, 
Loin de tous vos soudards, de votre compagnie ! 
J'écraserai du coup celte rébellion. 
Tremblez : -—je vais sortir mes griffes de lion. 

ADRIEN. 

Te Voilà plein de feu, courageux, énergique. 

RIENZI. 

Ils m'ont trop provoqué: la fin sera tragique. 
Commande à mes soldats, va saisir Montréal : 
Un bourreau sera juge, un gibet tribunal. 

ADRIEN. 

Sénateur! 

RIENZI, avec colère. 

Obéis! je veux avoir leurs têtes. 
J'ai retrouvé ma force au milieu des tempêtes. 

ADRIEN, 

Rt Pandulfo? 

RIENZI. 

Mon Dieu! C'est donc vrai? Ce vieillard 
S'est uni, pour me perdre, à ce seigneur pillard? 
Sous la faux de la mort et le pied dans la tombç, 
Il se meta trahir? — Qu'on me le prouve, il tombe! 
Ahl vous me reprochiez d'avoir été trop doux? 
Craignez à l'avenir mon terrible courroux. 

ADRIEN. 

Sois calme, sénateur! cette humeur irascible... 

RIENZI, avec emportement. 

Je n'ai plus de pitié, je veux être inflexible. 
Odieux intrigants ! Ingrats! — Qu'ils soient punis! 
Montréal doit mourir, les autres sont bannis. 
Ce mot te fait trembler? je vois que lu tressailles. — 
Je sens rugir en moi le démon des batailles. 



ACTE CINQUIÈME 13! 

Je suis le sénateur ; j'ai la force et la loi 

Et je me vengerai: le peuple est avec moi. — 

Je te nomme aujourd'hui commandant de ma garde; 

Obéis. 

ADRIEN s*i]icline et sort; mais il rerient anssitôl snr ses pas. 

Sois prudent: un homme te re^rdo. 

Il sort. 



SCENE Vil 



RIBNZI, puis CECCO. 

RIENZI, allant à la coolisse. 

En serais- je réduit à la peur d'un bravo? 
Non! je le reconnais: c'est mon vaillant Cerco. 

Appelant. 

Gecco ! viens, brave ami ! 

# 

Cjocco entre. 

Quoi grief te désole? 
Pourquoi ne viéns-tu pas m»» voir au Capilole? 

CECCO. 

Qu'importe un prolétaire? il passe inaperçu. 
J'étais bien prés de vous: — Vous ne m'avez pas vu. 

RIENZI, souriant. 

Tu m'as gardé rancune, ami, decelto oifense? 
Gecco! tu m'as connu dès ma plus tendre enfance! 
Je tiens à rappeler, en revenant vainqueur, 
Ton ardent dévoûment, ton grand et noble cœur. 
Tout Romain se courbait, tout visage était pûle: 
Toi seul, fier et debout, tu restas ferme et mâle. 
Gecco! t'ai-je oublié, mon vieux conspirateur? 

CECCO. 

Oh! le charme est rompu : vous êtes sénateur. 



132 RIRNZI 

RIENZl. 

Sénaleprott tribun, que vous importe un titre? 

CECCO. 

Le rang seul vous ravit tout votre fraqc-arbitre. 

RIENZI. 

On m'a donné ce poste en m'ouvrant la prison : 
Convient-il aux Romains d'exprimer un soupçon? 
Eux qui m'ont laissé seul, à Theure des alarmes, 
Sans aitle et sans argent, sans amis et sans armes? 
M'avez- vous défendu quand j'étais un tribun, 
Quand ma voix proclamait : « Liberté pour chacun ! » 
Vos tyrans ont joui des faveurs propulaires: 
Vous m'avez, à moi seul, réservé vos colères. 

CECCO. 

Le rang vous fait du tort aux yeux des plébéiens : 
C'est un titre porté par les patriciens. 
Qu'est-ce qu'un sénateur? Un instrument du pape, 
UA despote impuissant, un docile satrape. 

RIENZI. 

Prononcez sur des faits; attendez pour juger. 

CECCO. 

Le Capi'tole, où veille un soldat étranger, 

Voit suivre tous vos pas de routiers sanguinaires. 

Ainsi font les tyrans; pourquoi ces mercenaires? 

RIENZI. 

C'est un reproche oiseux qu'aisément je réfute. 

M'avez- vous secondé pour achever la lutte? 

Il fallait des soldats : à défaut de Romains, 

Je n'ai pu recruter que des soudards germains. 

Et vous murmurez, vous, dans votre humeur chagrine, 

Tandis que les barons, sortant de Palestrine, 

Viendront tout dévaster,- rétablir les abus? 

Un peuple est asservi quand il ne se bat plus. 



ACTE CINQUIÈME 13? 

CECCO. 

Jadjs nous nous battious iK)ur notre iudépeudana'. 

RIENZl. 

Jadis! Mais aujourd'hui Rome est en décadence. 

CECCO. 

Et c'est nous qui payons, et nos enfants ont faim. 
Ni pape ni soldats! — Je suis républicain ! 
Le peuple a seul des droits, et c^est le méconnaître 
Que de prétendre ainsi nous imposer un maître. 

RIENZI. 

Eux aussi, juste ciel! Mais il n'est plus d'espoir ! 
Rien ne vous émeut plus, ni pays ni devoir? 
Es-tu si vieux, Cecco? Rien ne parle à ton âme? 
Vous allez perdre Rome ! mon Dieu ! c'est infâme ! 

CECCO, éma. 

Rienzi! mon tribun ! — Oui, je suis vieux, c'est vrai! 

Montre-moi le chemin; marche, et je te suivrai. 

Je t'ai toujours aimé; — ton accent me désole. 

Je crois à ton honneur, je crois à ta parole ; 

Et quoique Pandulfo... ' 

RIENZI, éclatant. 

Pandulfo! C'est donc lui! 
Adrien a dit vrai. Son dernier jour a lui. 

CECCO. 

Écoutez ! * 

RIENZI. 

Pandulfo! — C'est trop d'ingratitude I 
11 faut un joug de fer à cette multitude. 
Non, vous n'avez jamais compris la liberté, 
Peuple sans prévoyance et sans virilité î 
Et moi, qui me dévoue et qui me sacrifie, 
On m'ap[)elle un tyran dont chacun se défie? 
Ah ! vous*me haïssez ? — Je vaincrai néanmoins ! 
J'ai ma tâche à remplir: Vous en serez témoins. 

Il sort vivement 



13i RIENZI 



SCENE VII ( 



CEGGO, seul. 

Ce n'est plus Rienzi ! Soupçonneux, irritable, 

11 a le ton haineux d'un despote intraitable. 

En entendant sa voix, mon cœur a tressailli. 

11 ne me comprend plus et nous avons vieilli. 

Ce n*est plus le tribun ! — Sa fosse est entr'ouverte; 

Ses ennemis jaloux ont conspiré sa perte. 

S'il tombe, — alors debout! tout pour les roturiers ! 

Les puissants exploiteurs font place aux ouvriers. 



SCÈNE IX 
CECCO, PANDULFO, LUCA, Bourgeois et Hommes du peuple, pius 

tard, UN HÉRAUT. 
CECCO, àPandulfo. 

J'ai trouvé Rienzi bouillant d'intolérance. 

PANDULFO. 

Je le sais ; la prison aigrit par la souifrance. 

CECCO. 

Pour notre cause et nous, il a beaucoup pàti. 

PANDULFO. 

Qui n'en ferait autant pour notre grand parti? 

LUCA. 

Ne souffrons-nous pas tous depuis bien des années? 

PANDULFO. 

flous devrions, nous seuls, régler nos destinées. 



ACTE CLNQUIÈMB 13S 

Pourquoi des séDatenrs? Nos droits soot mécoooas ! 
Josqnes à quand, Romains, dUnsoients parvenus 
Viendront-ils gouverner? Un bon bourgeois de Rome, 
Populaire, à son aise, honnête et vieux prud'homme : 
Voilà ce qu'il vous (auL 

CEGCO. 

Non, non! pas de bourgeois! 
Serons-nous allégés si nous changeons de poids? 
La puissance appartient au peuple, aux prolétaires. 
Plus de gouvernement et plus de dignitaires! 

LCCA. 

Le chef ne saurait être un obscur plébéien : 
On ne peut obéir à celui qui n'a rien. 

CECCO. 

Enfants dégénérés, songez à vos ancêtres. 

Vous VOUS croyez perdus si vous n'avez des maîtres. 

PASDULFO. 

Mais vous ferez du peuple un troupeau sans berger. 

CECCO. 

Le berger tond l'agneau. 

PANDULFO. 

C'est pour le protéger. 

CECCO. 

Nous saurons y pourvoir si Rome est affranchie. 

PANDULFO. 

Plus de supérieurs? Mais c'est de l'anarchie. 

Il faut, dans chaque État, quelqu'un pour enrayer. 

LUCA. 

Des fêtes et du pain ! plus d'impôts à payer! 

CECCO. 

Taxez le revenu, le capital du riche. 

Od entend le son d'une trompette ; un héraut entre. 



136 RIBNZl 

LE HÉRAUT, affichant ane proclamation. 

Bourgeois romains ! respect au décret que j'affiche, 
Pour que chacun le lise, au nom du sénateur! 

n sort. 
PANDULFO, s*àpprochant de Tafficbe. 

Mes amis, écoutez Tordre du dictateur. 

u lit. 

« Romains! Vous m'accusez d'avoir des mercenaires : 

Dès ce jour ils font place à vos légionnaires. 

D'artisans tout quartier fournit deux bataillons; 

Leur travail est leur pain : nous les en dépouiUons; 

il faudra les solder s'ils font ce sacrifice. 

En vertu des pouvoirs, des droits de mon office, 

Je décrète un impôt facile et régulier. 

Pour tous ceux que la guerre arrache à l'atelier. 

Soyez unis, Romains, et sur les bords du Tibre 

Vous montrerez au monde un peuple fort et libre. » 

CECCO. 

Un impôt? 

LUCA. 

Quelle horreur ! 

PANDULFO. 

Il se croit afTermi. 

CECCO. 

Et ce tyran subtil se disait notre ami? 

LUCA. 

Le fils d'un aubergiste — et c'est lui qui nous frappe! 

CECCO. 

Eh 1 que n'a-t-il puisé dans les coffres du pape? 

LUCA. 

L'impôt fait renchérir et le pain et le vin. 



ACTE CINQUIEME J37 

PANDULFO. 

Il n'en aura pas moins son somptueux festin. 

LUC A. 

C'est de la cruauté. 

CEGCO. 

C'est de riogratitude. 

PANDULFO. 

La nation qu'on taxe est dans la servitude. 

LUCA. 

 mort le sénateur ! 

GECGO. 

A mort et plus d'impôts ! 

PANDULFO. 

Chut! il va renvoyer ses sauvages suppôts. 
Nous serons les plus forts. Âh! si j'étais le maître l 
Vous verriez tout fleurir, les taxes disparaître ; 
Je m'occuperais, moi, du bien matériel. 

LE PEUPLE. 

Honneur à Pandulfo ! 

La cloche des exécn lions commence à sonner an Gapitole. 
PANDULFO. 

Le glas funèbre, ô ciel ! 



SCÈNE X 
Les Mêmes, RIENZI. piqs urd, ADRIEN et des Gardes. 

Depuis quelques instants Rienzi a paru en haut de l'escalier du Capitule, revêtu de la 
robe de sénateur, pourpre et or. Au son de la cloche, les autres acteurs se retournent 
et restent consternes en l'apercevant. 

RIENZL 

Montréal va mourir! — Le bourreau le réclame. 

Une pause; la cloche sonne k coups redoublés. 



138 RlENZl 

Use meta geooux. 

Seconde pause, après laquelle la cloche cesse de sononer. 

Priez Dieu pour son kme. 

PANDDLFO. 

Je tremble. 

CEGCO. 

Montréal!! 

LUGA. 

Hélas 1 c'est fait de moi. 

A rexception de Gecco, tous essayent de s*enfuir ; à la coalisse ils rencontrent Adrien et 
ses gardes qui leur barrent le chemin et les refoulent vers la milieu de la scène. 

RIENZI. 

L'exécuteur attend! Qu'on sonne le beiïroi ! . 

La -cloche se fait entendre de nouveau. II désigne Pandulfo. 

Voici le condamné. 

PANDULFO. 

Mon angoisse est mortelle. 

ADRIEN, avec un regard suppliant. 

Rienzi ! 

RIENZI. 

Plus un mot ! meure ainsi tout rebelle! 

Les gardes saisissent Pandulfo. 
PANDULFO, au peuple. 

Sauvez-moi ! sauvez-moi ! 4 

Ils restent tous muets et éperdus. 
ADRIEN. 

Ce vieillard ! 

RIENZI. 

11 le faut. 



ACTE CINQUIÈME 139 

PANDULFO. 

Grâce! 

RlENZl. 

J'ai prononcé. Qu'il monte à Péchafaud! 

Adrien sort avec les gardes qui eoiraineot Paodalfo. 
CECCO. 

Il se venge, il Ta dit. 

LUGA. 

Grand Dieu! que c'est horrible ! 

RIENZI. 

Regardez ! je veux faire un exemple terrible. 

CECCO, regardant dans la coulisse. 

Le bourreau le saisit! — Il le traîne à genoux. 

On sonne la cloche k coups redoublés. 
LE PEUPLE. 

Ohl 

CECCO. 

Le glaive flamboie!... Aii ! 

n détourne les yeux. La cloche s'arrête. 
LUCA. 

Dieul protége-nous ! 

RIENZI, s'essuyant le tront. 

Jadis je Taimais tant! — Et lui? — Point de foiblesse! 
Il a par un complot pollué sa vieillesse* 

Au peuple. 

Âh! VOUS conspirez tous, au sein de la cité, 
Contre moi qui puis seul sauver la liberté, 
Moi votre champion ? — Que Dieu vous le pardonne! 
J'ai la vie en horreur et Je vous l'abandonne ! 
Mais avec moi tout tombe, et le dernier flambeau 



140 RIENZI 

S'éteindra pour longtemps, caché dans mon tombeau. 

Si je meurs sans éclat, deux siècles de ténèbres 

Sur l'Europe étendront leurs grands voiles funèbres. 

Le droit sera vaincu ; la féodalité 

Régnera sur le monde, avec la papauté. 

Bien souvent dans Ttiistoire un homme est peu de chose: 

Mais quand un âge est mûr et qu'il se décompose, 

Dieu d'un individu se fait un instrument. 

Rome a besoin de moi dans sou affaissement, 

Et je la sauverai des seigneurs et des préires, 

Allez 1 souvenez-vous que je punis les traîtres. 

Ils sortent tons frappés d*effroi. 



SCÈNE XI 



RIENZI, seal ; il descend l'escalier et se place près de la statae du lion. 

Deux tètes!... Et c'est moi qui les jette au bourreau! 

C'est par moi que le glaive est tiré du fourreau ! 

Suis-je un haineux César, un tyran qui réprime? — 

Le sang versé sans cause est un odieux crime : 

Le bruit de l'échafaud va retentir au loin ! — 

Sont-ils morts pour moi? Non! —Je t'en prends à témoin, 

Toi, muet spectateur de nos sombr.es délires. 

Lion qui vis tomber tant de puissants empires 

Dans la brûlante Asie et sur les bords du Nil ! 

N'es-tu pas le destin qui m'annonce un péril ? 

Si c'est la catastrophe et s'il faut que je meure, * 

Nul remords n'assombrit ma dernière demeure. 

Je puis braver l'histoire et ses subtils dédains: 

Tu sais que j'ai tué pour sauver les Romains. 



. SCÈNE XII 
RIENZI, NINA. 

NINA, venant du Capilole, observe Rienzi avec anxiété et s'approche de lui. 

Rienzi ! • * . . 



ACTE GINOUIKMK 14 J 



RIENZI. 



Ma Nina î c'est un amer calice ! 
Le sénateur a pris le bourreau pour complice. 
La Némésis du sort n'est jamais en défaut; 
La liberté ne peut fleurir sous i'échafaud. 



NINA. 



lis trahissaient tous deux! Eh quoi! ton cœur défaille ? 
Les regretterais-tu, tombés dans la bataille? 
Que d'hommes seraient morts pour leur ambition! 
Leur supplice a sauvé toute une nation. 



RIENZI. 

Hélas ! je n'avais plus le droit de faire grâce; 
Mais c'est un lourd fardeau qui me pèse et m'écrase. 
Ma vie est triste et sombre, et punir c'est l'enfer : 
La nature et mon cœur sont glacés par l'hiver. 

NINA. 

L'hiver est encor loin : c'est le splendide automne. 
Écoute le péan que la nature entonne : 
Dans les prés, dans les bois, partout de joyeux sons ! 
C'est le temps du labour, des fruits et des moissons, 
La sîiison du glanage et le jour des vendanges. 
Vois-tu sur les coteaux ces bruyantes phalanges? 
Oh! la vie est partout, jusque dans les débris, 
Et les champs où naguère on coupait les épis 
Sont déjà de nouveau creusés par la charrue: 
Jamais, petite ou grande, une œuvre n'est perdue. 

RIENZI. 

Ta voix m'a ranimé: je veux braver le sort. 
Qu'importent les mépris, la souffrance et la mort? 
Je vivrai dans vos cœurs, êtres choisis que j'aime ! 
Et chacun ici-bas récolte ce qu'il sème. 

NINA. 

La vie aura pour nous plus d'un fortuné jour. . 

RIENZI. 

Oh! j'ai peur des Romains; j'ai perdu leur amour, 

Nina fait un geste d'eiïroi. 



142 RIENZI 

Je puis les ramener — et j'en ai l'assurance, 
Si je suis seul ici; — partez tous pour Florence. 

• NINA. 

Partir? Non, non ! jamais! Je reste près de toi. 
L'absence est trop cruelle. Oh! je suis sans effroi. 
C'est loin de mon époux, c'est seule que je tremble. 
Si le bonbeur t'écboit, nous le goûtons ensemble \ 
Si le destin fatal te réserve un danger. 
Je requiers tous mes droits et veux le partager. 
Heureux ou malbeureux, mort ou vif, je réclame 
Ma place auprès de toi. Cola, je suis ta femme. 

RIENZf, la serrant dans ses bras. 

Ma femme ! 

NINA. 

Est-il au monde un sort qui soit plus beau \ 

RIENZI. 

Ton cœur si dévoué brave jusqu'au tombeau. 
Mais Irène, Adrien? 

NINA. 

Pour eux, le jour commence; 
Et l'amour leur promet un avenir immense. 

RIENZI. 

. Ils ont asçez souffert, qu'ils partent pour s'unir 1 . 
Du moins ils vivront, eux, et pourront me bénir. 



SCENE VIII 
Les Mêmes; IRÈNE, ADRIEN. 

NINA. 

Les voici. 

RIENZI. 

Mes enfants ! mon cœur bondit de joie. 



ACTE CINQUIÈME 143 

Jouissez de l'amour: c'est Dieu qui vous Teuvoie. 
Enfin Téglise est prête à couronner vos vœux ; 
Il faut nous séparer. 

ADRIEN. 

Rienzi ! 

RIENZI. 

Je le veux. 

ADRIEN. 

N'es-tu pas en péril? 

IRÈNE. 

Pourquoi partir, mon frère ? 

RIENZI. 

J*ai promis d'envoyer mes soudards à la guerre ; 
Leur présence en nos murs est un trouble, un grief. 
A dater de ce jour Adrien est leur chef 
Et mon ambassadeur au fort de Palestrine. 

IRÈNE. 

Un indicible effroi vient serrer ma poitrine. 

RIENZI, à Adrien. 

Les soldats sont rangés en dehors du rempart; 
Va to mettre à leur lête et presser leur départ. 

IftÈNE. 

Reviendrons-nous bientôt? Hélas! mon cœur palpite. 

RIENZI. 

Hàtcz-vous! le temps fuit, l'heure se précipite. 

ADRIEN. 

Je crains de t'obéir; réponds-moi, Rienzi ! 

N'est-il pas de danger qui te menace ici? 

Je sais combien ton âme est grande et généreuse. 

RIENZI. 

Rome est. pacifiée. 

A Irène. 

Irène, sois heureuse! 
Dieu veillera sur toi. 



144 RIBNZI 

A Adrien. 

Mon frère, aime-la bien 

NINA, serrant Irène dans ses bras. 

Aimez ; n'oubliez pas : tout le reste n'est rien. 

RIENZI, à Irène. 

Marche au milieu des fleurs par un sentier prospère ; 
Dans ton cercle d'amour, souviens-toi de ton frère. 

IRÈNE. 

Je te dois tout. Cola ! ma joie et mon bonheur : 
Ton nom, que je bénis, est gravé dans mon coeur. 

RIENZI, r embrassant. 

Ohl je l'espère, enfant ! — Que Dieu te soit propice! 

Adrien serre la main de Rienzi en silence, et sort avec Irène. Rienzi monte lentement 
les degrés du Capitole avec Nina qui pleure. Arrivé au péristyle, il se retourne, lève 
les yeux au ciel ot dit : 

Merci ! — Ma sœur du moins échappe au sacrifice. 

Nina et Rienzi entrent dans le Capitule. ' 

SCÈNE XIV 

D'ALBORNOZ. RAIMOND et ORSINl se glissent sur le théâtre. 
Il commence à Taire nuit. 

D'ALBORNOZ. 

Les soudards sont partis. 

ORSINI. 

Les miens sont près des murs. 

RAIMOND. 

Le Capitole est vide et nos hommes sont sûrs.. 

D'ALBORNOZ. 

Que fait la populace? 

RAIMOND. 

Elle hurle de rage. 
Le tigre veut du sang — pour peu qu'on l'encourage. 



ACTE CLNQUIÈME 14.") 

LE PEUPLE, au dehors. 

A mort ht sénateur! 

RAIMOND. * 

Écoutez; il rugit. 
d'albornqz, 
Nous saurons arrêter le torrent qui mugit. 

ORSIM. 

Écrasons sous le joug la multitude immonde ! 

d'albornoz. 
Tout pour la sainte Église ! à nous Rome et le monde! 

Hs Mrtent. 

SCÈiNE XV 
GECCO, LUGA, Hommes du peuple. 

CCCCO, derrière la scène. 

Gourons au Gapitole. 

le peuple. 
A mort le sénateur ! 

Ils fuDl irruption sur U scène, portant des armes ctdi>> torchon. 
CECC0. 

IL trahit les Romains. 

LUCA. 

G'est un lûcbe imposteur 
Qui prend pour s'enrichir notre dernière obole. 

CECCO. 

Ni roi ni gouvernants! voilà notre symbole. 

LUCA. 

IL tua Pandulfo dans un transport jaloux ; 

Et ce bourgeois si riche aurait payé pour nous. 

JO 



146 lUENZI 



CECCO. 



Il menace, il nous frappe, en rival des despotes. 
Vengeance ! il m'a parlé comme on parle aux Ilotes! 
Et c'est à moi, Cecco, qu'il doit le premier rang. 
Soyons libres, Romains ! A mort ! 

LE PEUPLE. 

Mort au tyran ! 



SCENE XVI 
Les Précédents, RIENZI. 

RIENZI, paraissant à la porte du Capitole. 

C'est moi qui tyrannise? — Indigne populace, 
Que chaque vent entraine et que tout effgrt lasse ! 
Vous conspirez ma mort lorsque j'ai réussi ? 
Arrière, vils couards! — Respect à Rienzi! 

Le peuple reste intimidé et garde le silence. 
CECCO, à part. 

Rien ne saurait courber ce lutteur intrépide. 

RIENZI. 

A moi ce cri sauvage? — Oh! la foule est stupide! 
Mais je respire encor : craignez mon bras vengeur! 

CECCO. 

Et vous restez muets devant cet égorgeur. 
Quand le sang fume au ciel et vient crier vengeance? 
Romains! songez aux morts! plus de vaine indulgence! 
Que Rome et le pouvoir, que tout nous soit commun! 

RIENZI, descendant l'escalier. 

Et qui donc oserait insulter le tribun ? 

Le peuple se retire devant lui. 

Pourquoi reculez-vous et d'où vient votre alarme. 
Citoyens égarés? Voyez, je suis sans arme 
Au milieu des Romains. Frappez ! je suis tout seul. 
La toge qui me couvre est un brillant linôeul. 
Si j'ai pu mériter vos haines, vos colères. 



ACTE CINQUIÈME 147 

Frappez comme Brutus, vous mes Gis, vous mes frères ! 
Tuez-moi ! j'en appelle à la postérité. 

Le peuple est éma. 
LUCA. 

Sans arme! —A mort ! à mort! 

CECCO. 

Sauvons la liberté ! 
Il nous entraînerait : sa parole est un leurre. 
U ose menacer? — Romains! il faut qu'il meure. 
Au peuple le pouvoir ! 

RIENZI. 

Frappez, si vous l'osez. 
Je ne crains pas la mort si vous me l'imposez. 
Je tombe au champ d'honneur, mourant pour l'Italie! 

Il se croise les bras et reste immobile; Cecco, Laça et les antres Tentoarent île façon à 
le dérober anx regards. ' 

LUCA. 

A mort ! ^ 

CECCO, brandissant son arme. 

Sus au tyran qui tue et qui spolie! 



SCÈNE XVII 
Les Précédents, NINA. 

NINA, sortant du Capitole. 



Oh ! - Rienzi ! 



A ce cri, le groupe qui entourait Rienzi s'écarte et l'on voit ce dernier par terre blessé 

mortellement. 

RIENZI. 

Je meurs, massacré par les miens! 

Des clairons retentissent derrière la scène. Le peuple est consterné. Luca et quelques 
autres courent au Capitole pour y mettre le feu. Nina descend quelques marches et 
s'appuie contre la statue du lion. 

CECCO. 

Les barons! 



148 RIENZl 

RIENZI. 

Mes vengeurs ! 

NINA. 

J'ai ton poignard: je ^ens! 

Elle se frappe et tombe. 



SCÈNE XYIII 

Les Précédents, D'ALBORNOZ, RAIMOND, ORSINI, Soldats et 

Prêtres. 

Le Capitole commence à brûler. D'Alborooz et Raimond entrent d'un côté avec des 
prêtres ; Orsini rient de l'autre avec des soldats. Le peuple est refoulé et reste groupé 
autour de Rien». 

d'albornoz. 
Nous triomphons. 

CECCO. 

Malheur! 

RIENZI. 

C'est Rome qu'on immole ! 
Le dernier tribun tombe avec le Capitole. 

Il expire. 
La toile tombe. 



FIN DE lUENZI 



30 svm 



POISSY. — TYP. ET STÉR, DE A. BOtRET.*