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Full text of "Romania"

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ROMANI A 


BOMANIA 

RECUEIL    TRIMESTRIEL 

CONSACRÉ   A   l'étude 

DES    LANGUES   ET   DES   LITTÉRATURES    ROMANES 


PUBLIÉ 

PAR 

Paul  MEYER    ^ 

Gaston  PARIS 

Pur  remenbrer  des  anccssurs 
Les  diz  et  les  faiz  et  les  murs. 

Wacb. 

5«    ANNÉE 

—   1876 

PARIS 
F.  VIEWEG,   LIBRAIRE-ÉDITEUR 

(librairie   a.    FRANCK) 
67,   RUE  RICHELIEU 


LIBRARY  QF  THF 
LELAND  SJAiUORD  JR.  Ui^ivERSlTY, 

NOV  5    1900 


UN 


RÉCIT    EN    VERS    FRANÇAIS 

DE  LA  PREMIÈRE  CROISADE 

FONDé  SUR   BAUDRl    DE   BOURQUEtL. 


La  première  croisade  eut  lieu  en  un  temps  où  h  poésie  vulgaire  était 
déjà  florissante  dans  la  France  du  Nord  comme  dans  celle  du  Midi  : 
die  est  arrivée  à  point  pour  raviver  Timagination  des  jongleurs,  et  pour 
fournir  â  leurs  chants  une  matière  aussi  riche  que  nouvelle.  Les  récits 
légendaires  des  guerres  de  Charlemagne  contre  les  Sarrazins  furent 
rajeunis  à  l*aide  de  souvenirs  de  la  terre  d'Outrenner  ;  des  histoires  en 
vers»  composées  pour  l'usage  de  ceux  qui  n'entendaient  pas  le  latin, 
racontèrent  l'aventureuse  expédition  de  Godefroi  de  Bouillon. 

Malheureusement  ces  histoires  en  vers,  ou  se  sont  perdues,  ou  ne  nous 
sont  parvenues  que  sous  des  formes  très-rajeunies.  Nous  ne  savons  rien  du 
poème  de  Grégoire  de  Bechada,  sinon  ce  que  nous  en  apprend  le 
témoignage  du  Prieur  du  Vigeois*  Nous  ignorons  ce  qu'était  l'ancienne 
chanson  d'Antioche  à  laquelle  font  allusion  Lambert  d'Ardres  '  et  Guil- 
laume de  Tudèle  (v,  29I,  car  les  tirades  en  assonances  que  nous  ont 
conservées  quelques  mss.  de  la  chanson  de  Jérusalem  ^  ne  semblent  pas 
assez  anciennes  pour  pouvoir  être  attribuées  avec  vraisemblance  à  une 
composition  des  premières  années  du  xu""  siècle. 

La  chanson  de  Jérusalem^  œuvre  dans  laquelle  Graindor  de  Douai  a 
remanié  une,  ou,  plus  probablement,  deux  chansons  plus  anciennes,  est 
le  seul  récit  français  en  vers  de  la  première  croisade  que  Ton  connaisse 
]ti&qu*à  présent.  Je  me  propose  dans  les  pages  qui  suivent  de  faire  con- 
naître un  poème  resté  jusqu'à  ce  jour  ignoré,  qui  a  pour  objet  Thistoîre 


1,  Ed,  Godefroy  de  U  Ménilgîaisc  p,  jn 

2.  J*ai  donné  de  ces  tinides  une  èail 


TtxieSf  partie  française  n'  ii. 


ition  critique  dans  mon  Recml  d'ancims 


2  P.  MEYER 

de  l'expédition  de  Codefroîde  Bouillon,  tout  de  même  que  la  chanson  de 
Jérusalem,  et  qui,  dans  une  cominuaiion  conservée  par  un  ms.,  poursuit 
le  récit  jusqu'à  Baudouin  H.  Ce  poème  est  assurément  moins  important 
que  la  chanson  de  Jérusalem,  en  ce  sens  que  la  matière  en  a  été  puisée 
à  des  sources  latines  bien  connues,  et  qu'il  ne  saurait  conséquemmeni 
prétendre  à  aucune  originahté.  Toutefois,  s'il  n'a  pas  de  valeur  comme 
document  historique,  il  n'est  pas  dénué  d'intérêt  comme  document  litté- 
raire. 

Le  poème  qui  est  l'objet  de  cette  notice  ne  se  rencontre,  à  ma  con- 
naissance, que  dans  deux  mss.  : 

i"  Oxford,  Bodleyenne,  fonds  Hatton  77  ;  parchemin,  27^  miilim.  de 
hauteur,  160  de  largeur,  par  conséquent  de  format  très-allongé;  ^92 
pages  '  à  40  vers,  soit  1 5680  vers  environ.  Il  y  a  une  lacune  entre  les 
pages  140  et  141,  Reliure  ancienne  formée  par  des  ais  en  bois  couvens 
de  peau;  fers  représentant  un  quadrupède  fantastique  pourvu  d'un  bec 
et  se  mordant  la  queue.  Ecriture  du  milieu  ou  de  la  seconde  moitié  du 
xiii*  siècle.  Il  me  paraît  très-probable  que  ce  ms>  a  été  exécuté  en  An- 
gleterre et  par  un  scribe  normand.  L'écriture  n'est  nullement  anglaise, 
et  les  formes  propres  au  normand  altéré,  qu'on  appelle  communément 
l 'anglo-normand^  ne  sont  pas  très-nombreuses  dans  ce  ms.  Enfin,  le 
texte,  sans  être  correct,  est  cependant  ioin  d'offrir  les  corruptions  sans 
nombre  que  présentent  ordinairement  les  mss.  exécutés  par  des  copistes 
anglais. 

2°  Spalding  (Lincolnshire)  Ayscough  Fee  Hall,  appartenant  à  M.  Mau- 
rice Johnson  d'Ayscough  Fee  Hall,  mais  confié  présentement  aux  soins 
du  vicar  de  Spalding,  le  Rev.  Ed.  Moore.  J'eus  l'occasion  de  voir  ce 
ms.  en  mai  et  juin  1 87 1  durant  mon  premier  séjour  à  Cambridge,  Il  se 
trouvait  alors  à  King's  Collège,  entre  les  mains  de  M.  H.  Bradshaw, 
bibliothécaire  de  riiniversilé,  qui,  avec  son  obligeance  ordinaire,  me 
permit  d'en  faire  librement  usage.  Mais  alors,  occupé  d'autres  recherches, 
je  profitai  peu  de  la  permission,  et  remis  l'examen  du  ras.  à  un  temps 
ultérieur.  Dans  la  suite,  mes  travaux  sur  les  historiens  de  la  première 
croisade  m'ayant  amené  à  chercher  dans  quelle  mesure  les  chansons  de 
geste  relatives  à  Godefroi  de  Bouillon  étaient  imitées  des  récits  latins, 
je  résolus  d'étudier  de  près  le  poème  conservé  dans  les  mss.  d'Oxford  et 
de  Spalding.  L'exemplaire  que  j'avais  rapidement  examiné  en  1871 
ayant  été  reprendre  sa  place  au  presbytère  de  Spalding,  c'est  là  que  j'ai 
pu  Tétudier  à  loisir  en  août  dernier,  avec  la  permission  de  M.  Moore» 


I.  Contrairemcfit  à  l'usage  de  la  Bodteyennc,  où  les  feuillets  sont  ordinaire- 
ment  numérotés  de  j  en  ^,  le  ms.  Hatton  77  est  paginé  par  pages  et  «on 
par  folios. 


RÉCIT   DE    LA    PREMIÈRE   CROISADE  ) 

que  je  prie  d'agréer  l'expression  de  ma  reconnaissance  pour  i^aimable 
hospitalité  qu'il  a  bien  voulu  m'offrir  pendant  mon  séjour  à  Spaldrng. 

Le  ms»  de  Spalding  est  un  grand  livre  en  parchemin  de  380  millim. 
de  hauteur  sur  265  de  largeur,  écrit  à  2  col.  par  page  et  à  46  vers  par 
colonne.  L'écriture  est  anglaise  et  de  la  seconde  moitié  du  xiV  siècle  : 
on  verra  iout-à-i*heure  qu'il  est  possible  de  circonscrire  plus  exactement 
l'époque  où  le  ms.  fut  exécuté.  Ce  ms.  contient  : 

r  Le  poème  dont  nous  nous  occupons,  intitulé,  tant  à  Texplicit 
que  dans  une  table  écrite  au  r^  du  2«  feuillet,  de  la  même  écriture  que  le 
îDS,  entier  :  Le  siège  (t^tf^tioche  ovcsque  le  conqaesî  de  Jérusalem  de  Codefnd 
de  Boiiion  ; 

20  Le  roman  d'Eneas  ; 

î<>  Le  roman  de  Thèbes  ; 

4*  Le  Songe  vert  ; 

{•  L'Ordre  de  Chevalerie. 

Les  n*'  2,  î  et  5  sont  des  poèmes  dont  on  a  de  nombreuses  copies;  le 
n«  4  me  paraît  jusqu'à  présent  inconnu.  J*ai  copié  quelques  vers  de  cette 
ennuyeuse  composition  :  on  les  trouvera  à  l'appendice.  Le  poème  de  la 
première  croisade  (on  peut  lui  donner  ce  nom  puisqu'il  ne  conduit  pas 
rhistoire,  à  beaucoup  près,  jusqu'à  la  seconde  croisade)  occupe  les 
feuillets  là  loç  '.  C'est  un  total  de  19,000  vers  ou  un  peu  plus.  Le  ms. 
d'Oxford  n*a,  comme  je  lai  dit  plus  haut,  que  1 5600  vers  environ,  et 
contient,  on  le  verra  en  son  Heu,  des  morceaux  qui  manquent  à  Texem- 
pbire  de  Spalding,  mais  par  contre  ce  dernier  a  en  propre,  du  fol.  80 
au  (oL  105,  une  continuation  d'environ  4600  vers. 

Voici  sur  Thistoire  de  ce  ms,  quelques  renseignements  que  Je  dois  à 
M«  Bradshaw,  assurément  Térudit  le  plus  versé  dans  la  connaissance  des 
anciennes  bibliothèques  de  l'Angleterre  : 

Cambridge,  Univcrsity  Library,  20  Aug.  74. 
My  dcar  Sir, 
The  Frcnch  manuscript  which  you  saw  in  my  rooms,  when  you  were  hère 
before,  containing  three  Romances  and  a  poem  called  Le  Songe  vert,  was  lent 
10  me  somc  years  ago  by  the  Rev,  Edward  Moorc,  Vicar  of  Spalding  in  Lin- 
colnshire,  from  the  Library  of  Ayscough  Fee  Hall,  an  old  house  at  Spalding 
belonging  to  Maurice  Johnson,  Fsq.,  who  isthe  descendant  of  another  Maurice 
Johnson  of  the  same  place,  well  known  during  the  second  quarter  of  the  eigh- 
teenth  century  as  an  antiquary,  and  one  of  the  founders  or  restorers  of  the 
Sodety  of  Antiqnaries  of  London. 


t*  J'ai  dû,  pour  établir  avec  précision  mes  références,  paginer  la  partie  du 
ps^  que  j'étudiais.  Le  volume  étant  fortement  endommage  par  l'humiaité  (à  ce 
point  que  les  bords  de  certains  feuillels  sont  en  lambeaux)^  je  me  suis  abstenu  de 
poitsser  la  pagination  au  delà  du  poème  de  ta  croisade,  ne  voulant  pas  tourner 
les  feuillets  sans  nécessité. 


p.  MEYER 

This  manu  script  ts  written  în  an  English  handwriling  of  the  (aller  haïf  of 
the  XIV*  century  ;  and  this  is  confirmed  by  the  coats  of  arms  în  Ihe  initial 
lelters.  The  first  shieîd  is  that  of  Spencer  with  a  smaït  rtd  cross  for  différence. 
The  second  in  that  of  Spencer  within  a  hîm  borda  wtth  bishops  mitres  on  it. 
This  points  withoulfail  lo Henry  de  Spencer,  the  so-called  crusading  Bishop 
of  Norwich  (1570-1406),  who  owed  his  bishopric  lo  his  fighting  in  Italy  on 
behalf  of  Pope  Adrian  V,  and  who,  after  he  becarae  bishop,  led  an  army  înto 
Beigium  în  1383  on  behalf  of  Pope  Urban  VL 
There  can  be  no  doubt  that  the  manuscripl  was  executed  for  this  Bishop. 
The  volume  was  sent  for  ïately  lo  be  relurned  at  once,  so  I  allowed  it  to  go 
back  without  having  made  any  examination  of  the  text, 
Yours  truly, 

Henry  Brabshaw. 

J*aborde  mainienant  Télude  du  poème  de  la  première  croisade.  Mon 
attention  fiit  attirée  sur  !e  ras.  Hatton  77  par  un  coyrt  extrait  (16  vers 
en  tout)  fait  par  feu  Langlois,  de  l'Académie  des  Inscriptions,  alors  qu?il 
recueillait  dans  les  bibliothèques  anglaises,  il  y  a  25  ans  environ,  des 
matériaux  pour  la  collection  des  Historiens  occidentaux  des  croisades  à 
laquelle  il  a  travaillé  pendant  plusieurs  années  K  Cet  extrait  se  trouvait 
parmi  les  papiers  qui  me  furent  confiés  en  1 869  lorsque  je  fus  attaché 
aux  travaux  de  la  commission  des  Historiens  occidentaux.  En  mai  1 870 
j'étudiai  pour  la  première  fois  le  ms.  Hatton  que  j*avais  négligé  dans 
mes  précédentes  explorations  à  Oxford,  et  depuis  lors,  jusqu'à  1875 
inclusivement,  il  ne  s'est  point  passé  d'année  sans  que  j'aie  consacré 
quelques  heures  à  augmenter  mes  extraits,  et  de  toute  façon  à  faire  plus 
ample  connaissance  avec  le  poème. 

Le  poème  contenu  dans  les  deux  mss,  d'Oxford  et  de  Spalding  est  un 
récit  de  la  première  croisade,  jusqu'à  la  bataille  d*AscalonincIusivemem, 
rédigé  en  forme  de  chanson  de  geste,  et  fondé,  au  moins  en  irès- 
grande  partie,  sur  VHistoria  Hicrosolymitana  ^  de  Baudri,  abbé  de  Bour- 
gueil,  puis  évêque  de  DoL  Si  on  s'en  tenait  à  la  lettre  du  texte,  on 
arriverait  à  une  conclusion  plus  précise  encore,  c'est  que  le  poème 
aurait  pour  auteur  Baudri  lui-même  : 

Ore  vos  comencerat  l'esloirc  bien  riméc, 
Tutc  faite  par  mètre,  sanz  siilabc  fausée..... 


1.  M.  Langlois  a  pu  être  averti  de  l'existence  de  ce  ms.  par  la  mention 
très-brève  qu^n  fait  le  caialope  de  Bernard  (Oxford.  1606)  en  ces  termes  : 
■  4093.  68  (le  premier  chiffre  est  le  n"  courant  de  la  série  oes  mss.  de  la  Bod- 
leyenne  dans  Bernard,  le  second  est  le  n<^  du  fonds  Hatton,  qui  depuis  Bernard 
est  devenu  77)  *  The  Siège  of  Jérusalem  by  Godfrey  of  Boileyn,  in  Frenche 
Verse  »,  inaicalion  reproduite  par  le  P.   Leïong,  n»  16502. 

2.  Le  tilre  varie  selon  les  mss,  :  je  cite  celui  qui  a  été  adopté  par  les  édi- 
teurs des  Historiens  occidtntaux  (t,  IV,  non  encore  publié). 


RÉCIT   0£    LA   PREMIÈRE   CROISADE  ^ 

Uns  clcrs  provcncci  »  Tad  premiers  latinée, 
fEt*l  en  fist  un  grant  livre  où  Baudris  Ta  trovée 
L*arcevesque  de  Dol  qui  mull  mielz  Tad  dilée, 
El  sol  une  le  languagc  en  romanz  trastornée 
Pof  ce  que  miels  l'cDlendenl  qui  ne  sunl  leiréc* 
(V,  ji-a,  îMû). 

Mais  il  n^est  personne  connaissant  et  Baudri  et  Tétat  de  la  poésie 
française  à  son  époque,  qui  ne  voie  les  obstacles  auxquels  se  heunerak 
une  telle  conclusion.  Et  d'abord  il  n'y  a  nulle  apparence  qu*un  lettré 
aussi  raffiné  que  Baudri  ait  Jamais  consenti  à  composer  en  langue  vul- 
gaire. Non  qu'il  n'y  ait  des  exemples  de  personnes  ecclésiastiques  ayant 
trouvé  en  roman  aussi  bien  qu*en  latin  :  on  pourrait  citer  l'un  des  plus 
illustres  chanceliers  de  TUniversiié  de  Paris,  Philippe  (f  1236)  ^,  et  plus 
anciennement,  Févêque  de  Rennes  Etienne  de  Fougères  ff  1 1 78)  J  ; 
mais  plus  on  s'approche  des  premiers  temps  de  la  poésie  française»  et 
moins  il  devient  probable  qu'un  latiniste  habile  comme  Pétait  Baudri  ait 
eu  l*idée  d'écrire  en  roman.  Ce  qui  n'est  point  insolite  au  commence- 
ment du  xiir  siècle  ou  dans  la  seconde  moitié  du  xii^  est  invraisemblable 
de  la  pari  d'un  homme  qui  mourut  très-âgé  en  1150,  Ajoutons  que  rien 
dans  les  nombreuses  poésies  latines  que  nous  possédons  de  Baudri^,  et 
qui  le  font  si  bien  connaître,  ne  donne  à  penser  qu'il  ait  exercé  ses  facul- 
tés poétiques  en  une  langue  autre  que  la  latine.  Puis,  ne  serait-il  pas 
singulier  qu'après  avoir  écrit  son  histoire  de  la  croisade  en  latin,  il  eût  eu 
l'idée  de  la  rédiger  de  nouveau  en  vers  français  ?  Enfm  il  se  rencontre 
dans  le  poème  des  développements  fabuleux  ivoy.  le  deuxième  morceau) 
qui  trahissent  le  jougleur. 

D'autre  part,  si  on  considère  la  langue  du  poème,  on  n'y  trouvera 
aucun  appui  pour  une  opinion  qui  le  ferait  remonter  au  premier  quart 
du  xrr  siècle-  Tout  donne  à  croire,  au  contraire,  —  et  la  versification, 
ei  le  choix  des  roots,  parmi  lesquels  bien  peu  de  ces  mots  rares  qu'on 
rencontre  surtout  dans  les  anciens  textes,  —  que  le  poème  ne  remonte 
pas  plus  haut  que  la  fin  du  xii^  siècle. 

Comment  donc  rendre  compte  des  vers  cités  ci-dessus  ? 

Trois  hypothèses  sont  possibles. 

l'e  hypothèse.  L'auteur,  pour  assurer  le  succès  de  son  oeuvre,  l'aura 

j ,  Même  leçon  dans  le  ms.  de  Spalding  \  rhémistiche  étant  trop  court  on 
peut  restituer  :  Uns  [bons]  cUri..,,onon  pourrait  changer  pnmUrs  tn prcmcraim^ 

z.  Ou  [Si]  ;  même  leçon  dans  Spalding. 

j.  Sx  Oxf.  et  Sp.,  corr.  l'cnlauie  ta  gtnt  qui  nest  L  î 

4.  Voy.  Romaniû^  l,  200. 

ç.  Connu  comme  poète  latin  ;  mais  M.  Boucherie  a  récemment  découvert  et 
se  propose  de  publier  prochainement  une  importante  poésie  française  composée 
pir  cet  évêquc. 

^.  Voy.  la  notice  de  M,  Delisle  dans  ta  Romaniû,  t.  l. 


6  P.  MEYER 

mise  sous  le  nom  de  celui  qui  en  avait  fourni  les  éléments.  Au  lieu  de 
dire  :  «  J*ai  traduit  ce  livre  du  latin  de  Baudri  »,  il  a  préféré  dire 
u  Baudri  a  traduit  ce  livre  du  latin  », 

S'il  était  assuré  que  la  continuation  fournie  par  le  seul  ms,  de  Spal- 
ding  fût  du  même  auteur  que  la  partie  contenue  dans  les  deux  mss.  > 
Phypothèse  que  je  viens  de  formuler  ne  pourrait  même  pas  être  présentée. 
Car  à  la  fin  du  texte  de  Spalding  on  lit  ces  vers  : 

Mais  cil  qui  ceo  ad  fait  a  si  son  nom  celé 
Ja  en  tote  Testoire  ne  l'orez  point  nomé. 

Le  même  auteur  ne  peut  pas  dire  au  commencement  du  poème  : 
ic  C^est  Baudri  qui  a  fait  ce  livre  )>,  et  à  la  fin  :  a  Celui  qui  a  fait  celte 
histoire  ne  s'est  point  nommé  ».  Mais  je  le  répète,  on  peut  douter  que 
la  partie  propre  au  ms.  de  Spalding  soit  du  même  auteur  que  le  reste. 

26  hypothèse.  Le  début  du  poème  peut  avoir  été  refait  par  un  jongleur 
qui,  voyant  Baudri  cité  plus  d'une  fois  dans  le  courant  de  l'œuvre,  aura 
jugé  avantageux  de  le  présenter  comme  l^auteur.  Il  est  certain  que  dans 
les  passages  où  Baudri  intervient,  nous  le  voyons  paraître  bien  plutôt 
comme  garant  de  la  vérité  des  faits  rapportés  que  comme  l'auteur  du 
poème.  Ainsi  au  début  du  quatrième  des  morceaux  cî-aprè$  publiés  : 
Barons,  sdon  Testorie  que  Baudri  a  dîtée,.. 

Et  plus  loin,  p.  r6^  du  ms.  : 

Seignors  si  comm  est  veirs  que  Deus  fist  pluie  et  vent, 

Et  mist  soleil  et  lune  la  sus  el  firmament, 

Pur  la  terre  alumer  et  pur  tute  la  gcnt, 

Est  voire  ceslc  estoire,  si  11  livres  ne  ment 

Que  l'arcevesque  Baudri  fisl,  qui  Domedé  garent  '  I 

i  ^^  hypothèse.  Le  texte  serait  altéré.  Après  le  vers  Varcevcsque  de  Dol 
•Rimait  midi  P a  diîée^  on  pourrait  supposer  Tomission  d'un  vers  où 
l'auteur  se  serait  présenté  comme  le  traducteur  du  livre  de  Baudri.  Cette 
hypothèse  peut  parfaitement  se  soutenir,  même  en  présence  de  Taccord 
des  deux  mss.:  ceux-ci,  en  eilet,  ont  très-souvent  les  mêmes  fautes,  d'où 
on  doit  conclure  qu'ils  remontent  sans  beaucoup  d'intermédiaires  à  un 
ms.  déjà  fautif,  dans  lequel  peut  avoir  existé  l'omission  supposée. 

Le  lecteur  adoptera  celle  de  ces  hypothèses  qui  lui  paraîtra  la  plus 
vraisemblable.  Mais  aucune  ne  suffit  à  tout  expliquer.  Quel  est  ce  «clerc 
provençal  n  mentionné  au  troisième  des  vers  rapportés  plus  haut  ?  C'est 
selon  toute  apparence  un  personnage  fictif,  mais  pourtant,  si  nous  nous 


1 .  Le  vers  devient  correct  si  on  supprime  Baadri  et  si  on  lit  cm  Damdex, 
Cependant  la  nme  gartnl  reste  suspecte.  La  mime  idée,  presque  U  même  expres- 
sion, se  rencontre  ci-après,  premier  morceau  v.  241  :  se  lï  hvres  ne  ment 

I  C^*  Baudris  i'arcms^ua  ftst  par  hn  uciint. 


RÉCIT    DE    LA    PREMIÈRE   CROISADE  7 

repartons  au  prologue  «)ue  Baudri  a  mis  en  tète  de  son  Hisioria  H'moso- 
lymitma,  nous  trouverons  les  éléments  à  Taide  desquels  ce  personnage 
a  été  imaginé. 

Voici  le  passage  de  ce  prologue  qu'a  eu  sous  les  yeux  ie  traducteur, 
QU,  si  on  veut,  Pimilateur  français  : 

Non  tamcii  huic  beatae  intéresse  promerui  mililiae,  ncque  visa  narravi  ;  sed 
nescio  quiscompilalor,  nomine  supprcsso,  libefbm  super hac  re  njmis  nisticanum 
ediderat  ;  veritatem  tamen  texuerat,  sed  propter  inurbanitatem  codicîs  nobîlis 
materia  viluerat,  et  simpliciorcs  etiam  inctilia  et  in  compta  lectio  confestim  a  se 
avocabat*  Accessi  tgitur  hoc  ad  studium,  non  manisgloria^  cupidus,  non  super* 
.cilii  tamore  «nflatus;  sed  quod  successive  placeal  Christ i an itali,  membratiulis 
lindidi  curiosus. 

(Hwf,  accid,  IV,  10  ;  Bongars^  p.  85.) 

Le  compilatoT  nescio  ^m  qui  écrivit,  sans  se  nommer,  sur  la  croisade 
un  iihdlum  m  mis  rusticanam,  c*est  l'auteur  des  Gesta  Francorum  \  Com- 
loeni  de  ces  mots  le  poète  a-t~il  fait  un  «  clerc  provençal  *>,  c'est  ce  que 
je  ne  saurais  dire.  Il  n'est  pas  impossible  que  Fauteur  des  Gesîa  ait  été 
provençal,  mais  nous  n*en  savons  rien.  Le  seul  écrivain  qui  puisse  être 
tégitiroement  qualifié  de  provençal  est  Rairaon  d*AguiIers,  le  chapelain 
de  Raimon  de  Saint-Gilles,  qui  n'a  rien  à  faire  ici.  Cependant  le  texte 
n*a  pas  l'air  corrompu  à  cet  endroit,  et  je  ne  vois  pas  ce  qu'on  pourrait 
proposer  à  la  place  de  provinctL  II  n'est  pas  non  plus  probable  que 
l'auteur  français  ait  eu  sous  les  yeux  un  texte  de  Baudn  oi^  le  nescio  quis 
compiiatOT  se  soit  trouvé  accompagné  de  l'épithète  provinciaiis,  de  sorte 
que  le  plus  vraisemblable  est  encore  de  laisser  sous  la  responsabilité  de 
noire  poète  Tatiribution  à  la  Provence  de  Fauteur  des  Gesta. 

O'ailleurs  je  ne  sais  rien  de  Fauteur  du  poème,  Je  ne  suis  même  pas 
en  état  de  déterminer  avec  précision  sa  nationalité.  Ecrivait-il  en  France 
ou  en  Angleterre,  et  dans  la  seconde  hypothèse,  était-il  anglais  ou  nor- 
mand ?  On  peut,  je  crois,  tenir  pour  certain  qu'il  était,  sinon 
un  Français  ou  un  Normand  du  continent,  au  moins  un  Normand 
d'Angleterre  ayant  conservé  le  bon  usage  de  ia  langue,  les  fautes  nom- 
breuses que  nous  rencontrons  dans  les  deux  mss.  de  son  œuvre  devant, 
selon  toute  probabilité,  être  portées  au  compte  des  copistes.  Quant  à 


i.  Cet  ouvrage  est  publié  dans  le  t.   III  des  Historiens  occidentaux  (p.  121- 
Û  tous  le  litre  de  Gâta  Framonim  et  iiliorum  Hierosoîymilanorum  seu  Tudebodus 
JwrfMlwj.  Les  savants  éditeurs  du  Recueit  des  Hisi,   oecid,  ont  en  effet  admis 
iropînion  de  Besly   selon  qui   les  Gcsta  sont  l'abrégé   de  Tudebode.  Mais  je 

rensc  au  contraire  avec  Sybel  que  les  Gcsta  sont  l'original  de  Tudebode,  aussi 
ien  que  de  Robert  le  Moine,  de   Baudri  et,  dans  une  certaine  mesure,  de 
ICuibert  de  Noj^enl.  Cette  question  sera,  d'ailleurs,  traitée  dans   la  préface  du 
t.  ÏV,  Je  citerai   donc  dans  ce  travail  l^ouvragc  en  question  sous  le  litre  de 
Gtsta  et  non  sous  celui  de  Tudchdus  abhreviatus. 


8  p.  MEYER 

l'époque  de  la  composition,  je  ne  vois  aucun  motif  pour  la  placer  plus 
haut  que  le  temps  de  Philippe-Auguste. 

Il  ne  me  reste  plus  maintenant  qu'à  mettre  !e  îeaeur  en  état  d'appré- 
cier par  lui-même  ce  poème  jusqu'à  ce  jour  inconnu.  Les  notes  jointes 
à  chacun  des  extraits  qui  suivent  ont  pour  objet  d'en  indiquer  les 
sources.  J'ai  suivi  la  leçon  du  ms.  d'Oxford,  la  corrigeant  soit  à  Faide 
du  ms,  de  Spalding,  soit,  au  défaut  de  ce  ms.,  par  conjecture.  Les  notes 
et  les  signes  typographiques  dont  j*ai  fait  usage  (des  crochets  et  des  ita- 
liques, voy.  Ci*après  p.  lo,  note  sur  le  v.  48)  permettent  toujours  de 
retrouver  la  leçon  exacte  du  ms.  de  la  Bodleyenne. 

!♦. 

Seignurs,  bien  est  seû^  et  n'est  pas  (ungement, 
Estoient  cil  proisié  et  servi  largement 
Qui  chantoieiïl  les  faiz  de  l'ancienc  gent 


(  *  Voici  le  début  de  la  leçon  de  Spalding.  On  remarquera  combien  le  texte 
en  est  conforme  à  celui  d'Oxford  : 

Scignors  bien  est  seù,  c  n'est  pas  longement, 
Esteint  cil  preisié  et  servie  {sic)  largement 
Qui  chanloient  les  faitz  de  l'ancienie]  jent, 

Sar  prendre  y  poet  l'en  et  sens  et  esperiment; 
'ais  ore  n'ont  de  cure  (su)  :  tout  font  autrement, 

A  l'avoir  se  sont  pris  tout  comunalment  ; 

Vcncu  adcoveîtise  qi  !oul  le  mond  souprent; 

TotJt  entendent  a  lui,  nuls  ne  s'en  deffent  ; 

Remés  sont  li  bamage,  remys  sont  li  présent  ; 
10  Nuls  ne  voet  mes  doner  a  qi  rien  ne  li  rent. 

Mais  por  nient  le  font  ceo  ne  lour  vaut  nient  : 

Tout  lour  estoet  guerpir  a  tour  definement 

El  en  serront  lour  aimes  en  enferu  le  pulenL 

A  cucr  vouspurpensez  qi  avez  escient: 
I  j  ïa  n'est  vie  a  omme  qu'ele  ne  coffle  (sic)  de  vent. 

Purpoi  perdez  vos  aimes  :  pur  un  seul  beau  nient. 

Pcrnez  a  ceux  ensample  oui  ancienement 

Gucrpirent  lour  terres  et  lour  edifiement 

Pourservtr  Dampnedieu  le  roi  omnipotent, 
20  Qui  lour  en  ad  aoné  le  pais  qui  resplent 

Pfiis  qe  soleil  ne  lune  :  fous  est  quj  ne  Talent. 

Por  ceo  vous  voudrai  dire  en  quel  guise  et  cornent 

Fu  la  terre  conquise  ou  prîmeraignement 

Nous  fu  la  loi  donc[e]  qi  lez  autres  dcsmenL 
2$  Et  vous  nomcrai  ceux,  si  Dieu  le  me  consent, 

Qi  la  painc  soffrirent  par  le  comandement 

De  Urban  li  apostoils  qi  Dteus  ama  grandement. 

Et  si  Dieu  plcst,  le  roi  qi  maint  el  firmament, 

Tiel  le  purront  oïr  qi  ferronl  ensemcnt, 
^0  Et  auront  lor  aimes  en  le  fin  salvement. 

IL 
Ore  vous  comencerai  Testorie  bien  riméc, 
Tout  fait  par  mètre  sanz  sillabe  falsée, 


RÉCIT   DE   LA  PREMIÈRE  CROISADE  9 

U  prendre  Ton  poet  sen  et  esperiment  ; 
5  Mais  ore  n'ont  de  ceo  cure  :  tut  le  funt  auitrement, 

A  la  voie  se  sunt  pris  trestuz  communément  ; 

Vencu  ad  conveitise  qui  tut  le  round  suzprent  ; 

Tuit  entendent  a  lui,  neguns  ne  s'en  deffent; 

Remés  sunt  ii  barnage,  remis  sunt  ii  [présent]  ; 
10  Nus  ne  vueit  mes  doner  a  cui  rien  ne  Ii  rent. 

Mais  por  naient  le  funt,  ce  ne  lor  vaut  naient  : 

Tut  lor  estuet  guerpir  a  lor  definement 

E  en  seront  iur  aimes  en  enfern  le  pudlent . 

Au  quer  vos  porpensez  qui  avez  escient  :  (p.  2) 

1 5  Ja  nen  est  vie  d'ome  mes  que  sufQe  de  vent. 

Porquoi  perdez  voz  aimes?  por  un  sul  biau  neent. 

Pernez  a  cels  essample  qui  ancienement 

Guerpirent  Iur  teres  et  Iur  edifiement 

Por  servir  Damedeu  le  roi  omnipotent, 
20  Qui  lor  [en]  ad  doné  le  paîs  qui  resplent 

Plus  que  solel  ne  lune  :  fols  est  qui  la  ne  tent. 

Por  ceo  vos  voldrai  dire  en  quel  guise  et  coment 

Fud  la  terre  conquise  ou  premerainement 

Nos  fud  la  loi  donée  qui  les  autres  desment  ; 

2  5  Et  vos  nomerai  cels,  si  Deu  le  me  consent. 

Qui  la  paine  en  soffrirent  par  le  comandement 
D'Urbains  Ii  apostoilles  qui  Deus  amoit  granment. 
Et  si  Deu  plaist  et  Ii  rois  qui  maint  el  firmament 
Tels  le  porront  oîr  qui  feront  ensement 
30  Et  auront  lor  aimes  en  la  fin  salvement. 

II. 

Ore  vos  comencerai  Testoire  qui  mult  est  bien  rimée, 
Tute  faite  par  mètre,  sanz  sillabe  fausée, 

4  U  est  fort  douteux,  le  premier  mot  du  vers  étant  gratté;  cf.  le  texte  de  Spalding  ci- 
dessous.  —  5  Ici  et  ailleurs  corr.  or.  —  i  j  Vers  répété  d  la  page  suivante  sans  autres 
variantes  que  lor  pour  Iur,  et  puUent  pour  pudlent.  —  18  Corr,  G.  les  1.  t.  Iur  e  ?  — 
20  Corr,  avoit  —  27  Sic,  on  pourrait  corriger  en  s*aidant  de  Sp.  De  Urbain  l'apostoille. 
—  jo  Suppl.  en  après  Et.  —  31  Suppr.,  d'après  Sp.,  qui  mult  est. 

D'Antioche  la  grant  come  ele  fu  recovrée. 
Et  de  Jérusalem  la  cité  renomée 

3  5  Oufu  premierment  nostre  lei  ordenée. 

Un  clers  provincel  Tad  primes  latinée. 
En  fist  un  grand  liver  0  Baudris  Ta  tro[v]ée, 
L'arcevesoue  de  Dol  qi  molt  mielz  Tad  ditée, 
Et  selonc  le  langage  en  romance  trestornée, 
40  Por  ceo  ae  mielz  rentendent  qi  ne  sont  lettrée 
Et  si  je  oie  plus  ne  deit  estre  blasmée, 
Car  mainte  chose  y  ad  lez  (sic)  bons  clers  obliée 
Qe  cil  demainement  ont  pur  veir  chantée. 

Manquent  ensuite  deux  feuillets,  et  le  texte  reprend  à  ce  vers  (ci-après  41 3)  : 
Des  qu'en  Constentinoble  est  Ii  novele  alée. 


10  p.  MEYER 

D'Antioche  la  grant  comme  ele  fud  recovrée, 

Et  de  Jhenisalem  la  citié  renomée 
35  Ou  fiid  premièrement  nostre  l[o]i  ordenée. 

Uns  clers  provencel  l'ad  premiers  latinée, 

En  fist  un  grant  livre  ou  Baudris  Ta  trovée, 

L'arcevesques  de  Dol  qui  mnlt  mielz  l'a  ditée, 

Et  solunc  le  language  en  romanz  trestornée 
40  Por  ce  que  mielz  l'entendent  qui  ne  sunt  letrée 

Et  si  ge  di  plus  ne  doi  estre  blasmée^ 

Car  mainte  chose  i  ad  li  bons  clers  obliée 

Que  cil  demainement  ont  pur  veire  chantée 

Qui  Torent  od  lur  ielz  veûe  et  esguardée. 
45  Li  gentilz  apostoille  comence  ceste  alée, 

Urbains  li  merveillus,  s'aime  est  coninée 

Devant  Deu  enz  el  ciel  ou  ja  n'avra  mellée, 

Orage  ne  tempeste  ne  pluie  ne  gelée, 

Anceis  i  ad  chascons  quanque  a  lui  agrée. 
50  II  en  vint  prerschier  en  France  la  loée, 

E  en  fist  a  Clermunt  merveilluse  jostée 

De  evesques  et  d'abés  et  d'autre  gent  letrée, 

Et  de  grant  baronie  qui  ci  n'est  pas  nomée.  (p.  3) 

Iloec  fud  ad  estrus  la  chose  porparlée, 
5  5  Dunt  fiid  puis  nostre  loi  acreûe  et  levée. 

III. 

Quant  li  bons  apostoilles  qui  Damedeu  ot  chier 
Od  josté  son  concile  a  Clermont  el  mustier, 
La  honte  Damedeu  lor  comence  a  huchier  : 
•  Seignurs,  escutez  moi,  et  cler  et  chevalier. 
60    >  Mult  se  plaint  Deu  de  vos  que  ne  l'alez  vengier 

>  Des  cuverz  Sarazins  qui  por  lui  correcier 

>  Funt  en  Montecal varie  lur  bestes  herbergier  ; 
»  Et  de  sun  veir  sepulchre  u  il  se  veit  cuchier, 
»  Unt  faite  crèche  a  boes  et  les  i  funt  mangier  ; 

65  >  Et  les  autres  sainz  lius  ou  il  vielt  repairier 

»  Tienent  en  tel  viltage  li  eu  vert  pautonier 

»  Que  huntes  est  de  dire,  mes  nel  poûm  neier. 

»  Certes  miilt  me  merveil  qu^  ont  fait  li  premier, 

»  Li  bon  conte  et  li  duc  et  li  autre  princier. 
70  »  Dont  il  ne  sont  aie  les  Sarazins  chascier. 

»  Mais  Deus  Tad  fait  por  vos  qu'il  i  velt  eshaucier, 

»  Et  qu'il  rendra  le  merveillus  luier 

»  Que  nule  rien  qui  vive  ne  set  contrepenser. 

33  Sic  Oxf,  et  Sp.y  de  est  de  trop,  ou  il  faudrait  cl.  —  36  Corr.  Uns  [bons]  c,  ou 
premerains?  —  37  Suppliez  Si  ou  Et  au  commencement.  —  40-1  Ici  la  rime  et  La  gram- 
maire sont  en  contradiction.  Suppl.  rien  après  ge,  et  corr.  doit  ?  —  46  est,  corr.  soit.  — 
48  Le  second  ne  manque.  J'écris  en  italique  les  mots  ou  lettres  qui  ne  sont  fournis  par  aucun 
des  deux  mss.;  plus  loin  je  mettrai  entre  crochets  ce  que  p emprunterai  au  ms,  de  Spaiding 
—  68  Corr.  que  fait  ont  ?  —  72  Con.  Et  a  cui  il  r.? 


RÉCIT    DE    LA    PREMIÈRE   CROISADE  I  I 

»  Oiez  VOS  que  soleit  Damedieu  preeschier  : 
75  »  Qui  por  m'amor  voldra  ses  richeises  laissier 

»  Et  son  père  et  sa'  mère,  ses  enfanz  et  sa  moillier, 

»  Prenge  viaz  la  croiz,  en  rien  n'ait  il  desirier, 

»  Et  vienge  ensenble  od  moi  Jherusalem  deraisnier. 

»  Qui  issi  nel  f^ra  mais  ert  sans  recovrier 
80  »  Ne  ja  rien  qu'il  f^ra  ne  lui  porra  aidier. 

>  Diva  !  que  ferait  cil  s'il  les  en  vielt  jugier  ? 

»  Que  porroit  il  respondre  ne  mes  merci  crier? 

»  Ja  se  laissa  li  sires  por  nos  crucifier 

»  Et  tant  cuvertement  as  Jueus  traveillier, 
85  »  Mais  tut  soffri  por  nos  oster  d'encombrier 

»  Ou  Adam  nos  avoit  mis  par  conseil  d'aversier.  »      " 

Uncore  dist  il  plus  por  els  encoragier, 

Mais  il  lor  vit  mener  si  grant  duel  et  si  fier 

Que  de  la  lur  dœis  qu'il  veoit  enragier 
90  Comença  li  sainz  hom  tant  fort  a  tendreiier 

Qu^  il  ne  sonast  mot  por  les  menbres  trenchier. 

Mais  un  evesque  i  ot  que lom  nomeit  Rengier, 

Nez  estoit  de  la  terre  al  riche  roi  Rogier,  {p.  4) 

Qui  le  sermun  Urbain  voleit  afiner, 
95  Quant  il  li  ont  escrié  :  «  N'en  avom  plus  mester  : 

»  Bien  sûmes  sermoné,  mes  faites  nos  croissier  ; 

»  Si  irom  en  noz  terres  por  nos  appareillier  ; 

»  Trop  avom  nos  esté  a  ice  comencier; 

»  Jhesus  le  nos  pardoinst  qui  tut  ad  a  jugier  !  » 

IV. 

100  Quant  Urbains  li  apostoilles  ot  laissié  son  sermon, 

Que  il  fist  Clermont  a  la  grant  josteison 

Ou  furent  assemblé  cent  mile  homes  par  non; 

Entre  la  haute  gent  dont  i  out  grant  fiiison, 

Si  les  ad  tuz  ^isouz  par  sa  beneïçon  ; 
105  Lors  lur  veîssiez  prendre  la  croiz  a  contençon. 

Mais  li  evesques  del  Pui  qui  fud  saintismej  hom, 

Qui  fiid  tut  premerains,  si  comm  nos  le  trovons, 

Et  li  bons  apostoilles  li  otreia  un  don  : 

Qtt^  il  fust  en  son  liu  por  faire  a^  noz  pardon, 
110  Et  si  qu^  il  l'eussent  a  maistre  et  a  guion. 

Tant  comm  il  fesoient  ce  que  nos  vos  contons, 

Eth  vos  un  message,  Engelier  le  gascon. 

Qui  lui  a  dit  :  «  Biau  sire,  saluz  et  raison 

>  Vos  mande  dan  Raimon  et  si  autre  baron. 
1151  Sire,  fai  mi  les  croiz  od  bone  entencion, 

76  Sappr,  U  second  eL  —  77  Suppr.  il.  —  78  Prononça  Jhersalem.  —  79  ert,  ms. 
est.  —  85  Corr.  de  Tenc.  —  86  Corr.  nos  ot  mis.  —  89  doels,  corr.  dolor.  —  92  ms. 
DBS  eveMines.  —  9$  Sappr.  il  ou  li.  —  103  Corr,  Estrc?  —  107  Qui,  corr.  l?  — 
III  Corr.  Tandis?  —  112  Corr»  Estes  vos.  —  iij  raison  est  sans  doute  une  mauvaise 
Uçom. 


12  P.  MEYER 

»  Et  sunt  plus  de  .xx«.  chevalier  et  geudon 
»  Qui  tuz  iront  conquerre  le  temple  Salomon, 
»  Et  la  sainte  citié  ou  soffri  passion 
»  Le  fiz  sainte  Marie  por  nostre  raençon.  » 

1 20  Quant  li  bons  messagiers  ot  dite  sa  raison, 
Urbains  li  apostoilles,  par  grant  affliction, 
En  loa  Damedeu  par  qui  nos  nos  clamom  ; 
Puis  a  dit  a  l'evesque  :  a  Ore  avez  compaignon 
»  Chevalier  merveillos,  od  lui  vos  justerom  : 

125  »  Vos  assoudrez  la  gent  et  durrez  confession, 
»  Et  li  quens  portera  por  vos  le  gunfanon, 
»  Quant  vos  vos  combaterez  od  le  poeple  Mahon. 


Seignors,  quant  Tapostoille  ad  son  sermon  fine 

Et  il  ot  de  la  voie  preeschié  et  parlé, 
150  Plus  de  vint  mile  homes  en  sunt  vers  lui  aie 
.  Qui  toz  pristrent  les  croiz  por  amor  Damedé. 

Puis  demandent  congié  evesque  et  abé, 

Si  se  sunt  en  lor  terres  maintenant  retorné,  (p.  s) 

Et  il  ont  as  evesques  bien  dit  et  comandé 
1 5  5  Que  il  prengent  la  croiz  par  tute  Tevesquié, 

Et  assoillent  trestoz  cels  qui  seront  atorné 

De  tresioz  ces  péchiez  dont  il  sunt  mesalé 

Envers  lur  creatur  dès  qu^  il  furent  né; 

Et  cil  l'ont  volentiers  otroié  et  graé. 
140  Que  vos  en  diroie  gief  tant  en  ont  sermoné 

Que  poi  en  i  remaint  en  bure  ne  en  citié 

Que  ne  prenge  la  crois  od  bone  volenté. 

Li  hermite  del  bois^  neîs  li  recluse, 

Li  blanc  chanoine  et  li  noir  moine  reulé, 
145  Tut  guerpissent  lur  encloistre,  neîs  li  engroté, 

Por  aler  al  sepulchre  qu'il  ont  tant  désiré  ; 

Que  ainceis  que  ce  fust  en  l'autre  an  trespassé 

Le  lur  ot  nostre  Sire  par  un  songe  songié 

Qu'il  fud  veû  en  France  par  mult  grant  clarté, 
1 50  Que  autres!  comm  pluie  qui  chiet  par  grant  orré 

Chaeient  les  estoilles  del  ciel  a  grant  plenté. 

Ce  fud  signifiance,  bien  est  puis  esprové. 

De  grant  esmovement  de  la  crestienté. 

VL 

Ore  vos  conterons  la  maistre  baronie 
I  $  $  Qui  por  porter  la  croix  ont  lor  terre  guerpie  : 
Li  bers  Huges  li  maines  l'a  as  premiers  saisie. 


ia4  Ms,  cheviUers...  nos.  —  12$  Suppr.  et.  —  i  j6  Corr.  El  trestoz  ccls  assoillent.  — 
I  )9  Ml.  V.  et  0.  —  M4  Corr.  Li  ch.  b.?  —  145  Suppr.  Tut,  ou  corr,  cloistre.  —  148 
songié,  corr.  mandé?  —  149  Corr.  très  g.,  ou  p.  m.  grande? 


RÉGIT  DE  LA  PREMIÈRE  CROISADE  I  3 

Et  puis  la  prist  Roberd  li  coens  de  Normendie^ 

Et  li  bons  coens  de  Flandres  od  grand  chevalerie, 

Et  Estiefne  de  Blois,  qui  Damedé  bénie. 
1 60  N'i  ad  cil  qui  ne  maine  od  sei  grant  compaignie 

Des  meillurs  chevaliers  de  tute  sa  baillie, 

Estre  lur  chastelains  qui  sunt  bien  gent  hardie. 

Des  barons  d'Alemaigne  est  bien  que  je  vos  die, 

Liquel  se  sunt  croisié  por  la  gent  paiennie 
165  Qui  en  Jherusalem  mainent  en  hérésie: 

Li  bon  duc  Godefroi  od  la  chiere  hardie 

Et  ambedui  si  freire  ont  la  croiz  recoillie  : 

L'uns  ot  non  Baudoîns,  puis  fud  roi  de  Sulie, 

Et  li  autre  Eustace,  chevalier  sanz  boisdie  ; 
170  L'autre  riche  barnage  ne  vos  nomerai  mie, 

Car  trop  vos  en  durroit,  espoir,  la  letanie. 

Desi  que  ultre  les  monz  se  reest  la  novele  oïe 

Que  Alemans  et  Franceis  ont  la  croiz  envaîe  {p.  6) 

Por  aler  al  sepulchre  ou  fud  ensevelie 
17$  La  char  Nostre  Seignor  quand  il  eissi  de  vie. 

Li  plus  se  sunt  croisié  de  cels  de  Lumbardie, 

Et  par  tote  Tuschaine  la  gent  mult  esbaudie  ; 

Et  neîs  li  Romain,  qui  sont  gent  replenie, 

En  guerpissent  lor  terres  et  lor  grant  manentie. 
180  Par  Puille  et  Kalabre  la  ront  mult  esjoîe, 

Et  Buiamont  Ta  fet  qui  d'els  ot  la  maistrie, 

Et  Thancré  le  hardi  li  iiz  de  Marchie, 

Et  maint  gentil  baron  que  li  livres  oblie. 

Par  Sessoine  la  grant  et  par  Esclavonie, 
185  Par  la  terre  de  Ros,  de  Frise  et  de  Hungrie. 

N'a  citié  ne  chastel  ou  ele  ne  seit  banie. 

VIL 

Barons,  ceste  novele  ne  se  vieit  pas  celer^ 

Que  de  prendre  la  croiz  pot  hom  s'aime  salver. 

Très  bien  l'ont  envaï  par  les  idles  de  mer 
1 90  Ou  Deus  se  vielt  servir  et  faire  reclamer. 

Trestut  jurent  la  voie  et  viel  et  bachelier  (sic), 

Et  neîs  vieilles  femmes  i  voleient  aler. 

Que  diroie  ge  plus  ?  ne  fet  tut  a  conter, 

Car  nen  est  celé  terre  que  Tom  sache  nomer 
195  Ou  crestienté  ait  ne  vougent  croiz  porter, 

Por  la  sainte  citié  qu'il  voelent  délivrer 

De  celé  paienaille  qui  i  selt  converser. 

Et  vos  dirai  cornent,  pensez  de  l'escuter  ; 

Mais  d'un  maleûré  voldrai  avant  parler  : 

182.  Vers  trop  coàrf,  ce  qui  peut  tire  imouti  au  copiste;  mais  la  forme  Marchie, 
qui,  étant  en  rimCy  paraît  devoir  appartenir  a  Vauteur^  est  mauvaise  aussi,  aidant  pour 
type  le  Marcbionb  filius,  que  Baudri  joint  en  divers  endroits  au  nom  de  Tancrède. —  18^ 
que,  ms.  qui.  —  199  Corr.  des  maleûrés?  Ms.  vos  v. 


l^.  p.  MKYER 

200  Que  danz  Pieres  l'ermite  voleit  par  soi  mener 

Droitement  al  sépulcre  ou  Deus  vielt  reposer. 

Quant  en  Costentinoble  les  ot  conduit  li  ber 

Mult  i  trova  croisiez  qu'aveit  fet  arester 

Li  riches  empereres  qui  nés  voleit  passer. 
205  Por  la  grant  baronie  qu'em  cremoit  correcier 

Il  lur  fesoit  avoir  marchié  a  achater  ; 

Mais  la  gent  estoit  foie  et  maie  a  doctriner, 

Et  n'avoient  pas  prince  quis  peûst  jostisier  : 

Si  comença  par  force  la  contrée  a  rober, 
210  Ne  remanoit  neïs  toaille  sur  alter. 

Mais  Deu  le  lor  fist  puis  malement  comparer, 

Que  a  Tempereûr  se  sunt  venu  clamer 

Li  home  de  la  terre  qui  nés  porent  amer.  (p.  7) 

Et  cil  les  comenda  ultre  le  Braz  passer  ; 
2 1 5  Et  sachiez  bien  de  voir,  s*il  l'osassent  veer, 

Por  les  autres  barons  qui  iloec  dévoient  joster 

N'en  peûst  nesnn  sul  senz  grant  honte  eschaper. 

VIIL 

Quant  la  gent  fud  passée  qui  vint  premièrement, 

Assez  que  plus  anceis  le  firent  malement  : 
220  Tute  mistrent  la  terre  a  grant  destruiement. 

Puis  vindrent  a  Angone  trestut  comunement  ; 

Mais  cel  jor  départirent  por  un  marrissement 

Que  il  firent  entr'els  dont  puis  furent  dolent. 

Aleman  et  Lumbard  unt  fet  un  covenant 
225  Que  il  iront  par  els,  ce  dient,  senglement, 

Et  s^  il  poent  faire  auques  guaâinement, 

Entr'els  le  partiront  senz  autre  ajostement. 

Un  Reinalt  i  avoit  fier  et  de  maltalent  : 

De  lui  ont  fait  seignor  et  lur  guionement. 
230  Et  il  lur  dit  a  toz  :  c  Estez  seùrement  : 

>  Si  creire  me  volez  et  aler  sagement, 

»  Tant  vos  fn'ai  conquerre  ruge  or  et  blanc  argent 

»  Que  riches  en  serez  et  tut  vostre  parent,  t 

Ha  1  Deus,  comm  ot  ci  malveis  sermonement  ! 
235  II  i  erent  venu  por  Deu  tut  purement  : 

Il  les  avoit  espris  par  grant  covoitement, 

Por  ce  lur  avint  mel,  selonc  mien  escient, 

Si  com  oîr  porrez,  si  li  livres  ne  ment, 

Que  Baudris  l'arcevesques  fist  par  bon  escient. 
240  A  eus  en  est  coruz  uns  Grius  ignelement 

Qui  lor  a  dit  :  «  Seignurs,  sachiez  certeinement 

»  Que  tuz  li  Sarrazin  de  cest  apendement 

f  S'en  sunt  fiiï  piecha  por  vostre  avènement. 

»  N'i  ad  bure  ne  citié  n'en  soit  fui  la  gent, 

2)4  Corr,  Haï,  ou  corne  ci  ou 


RÉCIT   DE   LA  PREMIÈRE  CROISADE  I  5 

245  »  Ne  mes  qa^  en  Gorgones,  un  chastel,  sulement, 

»  Ou  est  la  grant  de  tut  cest  tenement  ; 

»  En  treis  jorz  on  en  quatre  i  serez  bêlement, 

>  Et  jo  irai  0  vos  qui  les  haz  voi rement  ; 

»  Et  si  iront  od  moi  chevaliers  plus  de  cent 
250  »  Qui  tut  sunt  mi  ami  u  tut  procein  parent  ; 

>  Et  tut  croient  bien  Deu  le  roi  omnipotent. 

>  Nos  nos  metrom  mult  bien  trestut  celeement, 

>  Qui  savom  la  contrée  et  le  tresturnement 
»  Ou  trov^rom  vitaille  mult  plentivosement  ; 

255  »  Et  si  vos  i  pensez  alcun  deceivement, 

»  Moi  et  mes  compaignons  pernez  par  serinent.  » 
Et  il  lui  ont  respondu  :  «  Mult  parlez  loiaument  ; 
»  Metez  nos  en  la  voie,  et  ce  hastivement.  » 

IX. 

Ore  sunt  li  Aleman  et  li  Lumbard  meû, 
260  Les  Franceis  ont  par  els  altre  chemin  tenu. 

Mult  ont  mal  esploitié,  dont  il  se  sunt  fondu. 

Ge  cuit,  si  Deu  n'en  pense  et  la  sue  vertu. 

Que  li  uns  et  li  autre  seront  en  fin  perdu. 

Ore  oez  des  Lumbarz  comm  lur  est  avenu  : 
265  II  en  vont  a  Gorgone,  al  chastel  coneû, 

Comm  li  Griu  les  menèrent  ou  il  orent  seû. 

Trois  jorz  i  demorerent,  al  quart  i  sunt  venu  ; 

Quant  les  Lumbarz  les  voient  grant  joie  en  ont  eu  ; 

Tuz  se  sunt  aresté  delez  un  bruil  ramu  ; 
270  Puis  unt  dit  al  Griffon  qu(  il  ont  bien  seû  : 

«  Va  nos  en  cel  chastel  ou  sunt  li  mescreû, 

»  Et  diz  lor  de  part  nos,  si  tôt  ne  Tont  rendu 

■  Ja  seront  tuit  mort  et  maintenant  confundu  ; 

»  Et  si  rendre  le  voient,  par  Deu  que  avom  quesu, 
275  •  Tuit  se  poient  aler  quite  et  absolu.  » 

Et  li  Griu  respondi  :  «  Très  bien  Tai  entendu  ; 

>  Tut  issi  sera  dit,  si  ge  aie  salu.  * 

X. 

Li  Griu  s'en  est  tornez  qui  ot  bon  drugement, 

A  Gorgone  env'mi  ainz  le  midi  passant. 
280  Des  cuverz  Sarazins  le  trova  tut  armant  ; 

Mais  Hermines  i  ot  qui  en  Deu  sunt  créant, 

Et  i  furent  od  els  et  femmes  et  enfant. 

Il  ont  le  Griu  veû  qui  les  veit  espiant  ; 

Si  li  ont  demandé  :  «  Diva  1  que  vas  querant  ? 
285  >  Car  tut  s'en  sunt  fuî  li  Turc  et  li  Comant, 

f  Et  nos  sûmes  Hermines  qui  en  Deu  sûmes  créant. 

*  Si  vos  nos  ociez  péchiez  en  fnrez  grant.  > 


246.  Sic,  un  mot  a  été  oublié  après  grant.  —  257  Suppr,  Et  ou  lui.  —  269  Ms.  aramu. 


|6  p.  MEYER 

Il  lor  a  responda  :  «  N'en  i  ad  nul  talant.  > 
Lores  s'en  est  tornez,  mult  tost  esporunant, 
290  Et  ad  dit  as  paumiers  :  c  Seûrs  soiez  estant, 

•  Fuï  s*en  sunt  trestut  li  Turc  et  H  Pensant, 
»  La  vile  poez  mètre  tôt  a  vostre  talant.  » 

Grant  joie  démenèrent  Lumbard  et  Alemant,  (p,  9) 

Mais  onc  a  Damedeu  ne  furent  merciant, 
295  Por  ce  est  grant  dutance  qu'il  ne  la  lor  guarant. 

XI. 

Quant  li  Griu  latimer  ot  son  respons  feni, 

Cil  sunt  aie  avant,  le  chastel  ont  saisi  : 

Onques  n'i  out  assaut  ne  deffense  ne  cri  ; 

De  trestut  le  bien  Deu  l'ont  trové  repleni. 
300  Li  Hermine  lur  ont  crié  mult  grant  merci 

Que  ne  lor  facent  mal,  por  Deu  qui  ne  menti  ; 

Mais  ce  fud  por  naient,  pas  ne  furent  oî. 

Ore  vos  voil  conter  comm  il  les  ont  servi  : 

Tut  pristrent  lor  avoir,  a  foi  que  vos  plevi, 
305  Ainceis  od  lur  femmes  gisent  li  boni. 

Mult  en  sunt  durement  li  Hermine  marri. 

Un  en  /  avoit  d'els  prudhom  et  bien  hardi  ; 

Cil  lur  â  dit  :  c  Seignors,  por  quoi  sûmes  trahi? 

»  Si  nos  seûssom  que  fussiez  nostre  henemi, 
3101  Tant  eriom  nos  fort  que  ne  fust  pas  issi. 

f  Deus  nos  en  face  droit  qui  de  virge  nasqui  !  t 

Atant  s'est  cil  teû,  de  plus  ne  les  guarni, 

Mais  quant  il  vint  al  vespre,  qu^  il  fud  aseri, 

De  la  vile  esteissu  bêlement,  a  tapi; 
3 1 5  Tute  nuit  chevalcha  jesqu'il  vint  a  Baudri, 

A  un  riche  amirail  qui  près  estoit  d'ici  ; 

Il  H  ad  tut  en  pès  son  conseil  tut  gehi. 

c  Sire,  >  dist  li  Hermines,  «  por  verte  le  te  di, 

»  Demain  les  poez  tuz  prendre  ainz  hore  de  midi, 
320  »  Car  ce  est  une  gent  qui  lor  deu  ad  guerpi.  » 

Baudri  li  a  respondu  :  «  N'i  ait  ja  plus  tenti  ; 

•  Va,  tume  t'en  ariere  jesqu'il  soit  esclarci. 

»  Demain  les  prendrai  tut,  leiaument  le  t'afi. 

XII. 

Ore  oez  de  Baudri  comment  il  esploita  : 
325  Lendemain  par  matin  quant  le  soleil  leva 

A  mandé  por  ses  homes  por  quanc  qu^  il  en  a  : 
Plus  sunt  de  trente  .m.  ce  qu'il  en  i  osta. 
Qui  trestut  l'ont  siwi  la  ou  il  les  mena. 
Mais  uns  Grius  de  la  terre  qui  entr'els  habita 

288  lor,  ms.  lui.  —  293  Ms-  dcmaincnt.  —   302  Ms,  sunt.  --  joç  Corr.  A.  od  les  lur 
f.  g.  ii  enemi?  —  309  Ms.  s.  ce  q.  —  318  Ms,  vérité.  —  323  tut,  corr.  toz. 


RÉCIT    DE    LA   PREMIÈRE  CROISADE 

||o  Uala  dire  a  noz  homes  et  tut  lor  acoinU, 
Et  lor  ad  enseigné  par  ou  Baudris  vendra. 
Malt  furent  esmaiè  quant  il  le  lur  conta  : 
Reinald  qui  fud  lor  maistre  trois  mile  d'els  sevra 
De  trestoz  les  mcillors  ou  il  plus  s'afia  ; 

)|)  Chascons  s'est  conreé  des  armes  que  il  a, 
Puis  issent  de  la  vlle^  et  ti  Grius  les  guia 
Jesque  a  un  fort  passage  u  Reinald  lei  quida 
Desconlîre  trestoz,  mes  rien  ne  lui  monta^ 
Car  Baudris  oui  grant  gent,  si  les  desbarcta; 

140  Tuz  les  noz  ont  occis,  mes  Reinald  eschapa 
Et  tn  vint  al  chastel  ou  les  al  très  laissa. 
Ici  les  ont  occis  la  gent  que  Deus  n'ama, 
Forment  les  ont  destraînt  car  point  d'iave  n*i  a; 
Et  le  puis  est  dehors  qui  la  vile  abevra. 

XIII. 

J4J  Scignors,  n'est  pas  merveille  s* il  erent  si  destroit  : 
Bien  poet  estre  angoissus  qui  par  dous  jorz  ne  boit. 
Force  firent  merveilles,  qui  dire  les  voldreit, 
Car  lur  sanc  et  lur  dace  /:  plusors  d'els  beveil  ; 
Cil  qui  nel  voleit  faire  par  foi  si  se  morreit, 

^  ja  Por  ce  lor  dist  Reinald  qui  îor  sires  esloit 
Que  il  iroit  as  Turcs  et  pais  porparleroît  ; 
Et  cil  l'ont  olrié  que  faire  resluveroit. 
Atant  se  sunt  eissut  et  dit  que  lui  plaisoit 
Et  lur  covenança  que  Deu  l'en  requeroit, 

1)5  Et  del  chastel  avoir  tut  son  poeir  feroit. 
Quant  cil  dedenz  oîrent  la  pais  que  il  feroit, 
As  Turs  se  sunt  renduz  qui  soient  luit  maleit  : 
Cil  qui  Deu  renaeit  nul  mal  pur  els  n^avoit. 
Mais  sempres  tert  occis  qui  faire  nel  voleit. 

j6o  Por  ce  lor  avint  mal,  et  si  fud  bien  a  dreit, 
Qu*il  ne  cremoienl  Deu  ne  nul  ne  li  serveit» 

XIV. 

Ceo  fud  fait  en  ochoivre  que  ge  vos  ai  conté, 
Que  Sarrazin  occislrent  noslre  Chrestienlé. 
Mult  se  sunt  vers  les  allres,  seignors,  sevré* 

)6)  Bien  dient  li  eu  vert  mort  sunt  li  baptiziè 
Se  mes  nul  en  trovent  en  bure  n«  en  cilié. 
Si  cum  il  s'en  aloueni  si  en  unt  un  trové 
Qui  lor  ad  dit  cornent  crestïen  unt  ovré, 
Cil  qui  des  Alemans  se  furent  desevré, 

170  Com  il  ont  la  terre  arse  et  le  pais  guasté, 
El  sunt  al  Civetol  lut  ensemble  ajosté. 
Quant  li  eu  vert  î'tnUndent  ccle  part  sunt  aie, 


n 


Ift  atoft,  m.  avcroit.  —  564  sevré,  con,  aseuré  ?  —  566  Ccn,  Se  m.  en  t 
171  Circtot,  mx.  cucilur. 


nul,  — 


l8  p.  MKYER 

Et  troverent  les  noz,  quant  deus  jorz  ont  erré,  (p.  n) 

Quant  dans  Pieres  rernite,  qui  fud  de  grant  bonté, 
375  A  voit  pieça  guerpi  par  sa  graat  foieté; 

Car  creire  ne/  voleient  H  fol  maleûré. 

Por  ce  en  sunt  od  lui  jusqu'à  cent  returné 

Jesqu'en  Constentiooble  ou  il  ont  sejomé, 

Tant  que  li  hait  baron  i  furent  assenblé. 
)8o  Remis  i  sunt  li  altre  de  conseil  esguaré. 

Ceo  fud  un  merscresdi  (sic)  que  Torent  porparlé 

Que  il  iroient  quere  a  char  et  vin  et  blé, 

En  un  val  près  de  ci  ou  iJ  i  avoit  plenté. 

Mar  virent,  ce  sachiez,  icel  jor  ajorné, 
385  Car  si  com  il  venoient  et  charchié  et  trossé 

Lur  sunt  cil  avenu  qui  ne  croient  en  Dé; 

Il  furent  de  lur  armes  richement  conreé, 

Et  troverent  les  noz  qui  furent  desarmé. 

Le  plus  en  ont  occis,  le  mielz  est  eschapé. 
390  Tut  droit  al  Cilvetot  vindrent  par  seûrté, 

Cil  qui  venir  n'i  porent  sunt  par  ces  cloz  bote. 

Un  Galtier  i  avoit,  pordhome  et  alosé, 

Senz-avoir  Tapeloient  estrange  et  privé. 

Car  cel  sornon  avoit  de  par  son  parenté  ; 
395  Tut  le  tindrent  a  mestre  et  a  lur  avoé; 

Celui  ont  li  paien  tut  premier  découpé. 

Puis  asistrent  la  vile  u  cil  furent  entré, 

Mais  ele  fud  bien  close  de  murs  et  de  fossé. 

Si  nés  porent  pas  prendre  le  jor  li  deffaé, 
400  Et  la  nuit  lur  sorvint  qui  lur  toli  clarté. 

L'endemain  per  matin  unt  un  engin  levé, 

Et  Tont  josté  al  mur  sur  roes  acosté  ; 

Mais  nostre  chrestîen  l'unt  ars  et  abrasé. 

Et  ce  fud  por  nient,  quar  tant  i  ont  esté 
405  Qu'il  furent  tresiuz  priz  et  mort  et  afolé. 

Seignors,  ce  fud  miracles  que  Deu  ad  demostré, 

Que  li  sainz  apostoilles  lor  aveit  sermoné 

Qu'il  tenissent  la  voie  od  grant  humilité. 

Et  que  rien  ne  preîssent  sor  la  chrestienté, 
4 lu  Car  Si  il  le  feïssent  Deu  lei  coildreit  en  hé. 

Mais  onques  rien  ne  tindrent  que  lor  fud  devisé, 

Por  ce  lur  avint  mal,  bien  Tont  puis  esprové. 

XV. 

Jeiqu'en  Costentinoble  est  la  novele  alée  (p.  12) 

Que  li  Turc  ont  occis  la  gent  chrestienée. 
41 5  Mult  en  i  ad  des  altres  quant  ele  lur  est  contée 

174  Quant,  <wr.  Que.  —  )8i  que  \\  corr.  qu'il  ?  —  383  il  i,  corr,  en  ?  —  590  par, 
Ci^rr.  por  ^  -•  4n  Ici  Cêsst  la  lacune  du  ms.  de  Spalding,  et  les  restitutions  faites 
d*é(^ris  i-c  ms,  simt  indiquées  par  des  [\. 


RÉCIT    DE   LA    PREMIÈRE  CROISADE  I9 

Qu'ai  plus  tost  qMi  il  porent  pristrent  1g  retorDée  ; 
Mais  onqucs  ne  lur  remist  ne  arme  ne  cspée 
Qoe  l'emperere  n*avoit  |a  tolue  u  achalée. 
Car  plus  furent  seur  puis  la  gcnt  grîffonée. 
410  Deroentres  que  ce  fud  de  ta  gent  mesalée, 
Sunt  venu  \\  baron  de  diverse  contrée 
Droit  en  Costentinoblc  la  citté  renomée. 
Godefroi  et  si  frère  od  lur  gent  aûnée 
Sunt  venu  par  Hongrie,  une  terre  dorée, 
41}  Li  evesque  del  Fui,  que  s'aime  soit  salvée  1 
El  Reimont  de  Saint  Gile  od  la  sue  ajoslée 
Parmi  Esclavonie  ont  la  gent  amenée  ; 
Li  coens  Huge  li  Maines  de  France  la  loée 
Et  Robert  le  Normant  ont  Rome  trespassèe, 
4)0  £t  sunt  venu  par  Poîlle  od  gent  desmesurée. 
Cil  aloerent  nés  a  quoi  ont  mer  passée^ 
Jesqu'cn  Costentinoble  vindrent  par  Jor  jornée. 
La  saivcs  Buiaroont  od  la  raison  menbrée 
A  un  jor  sa  maisntée  tôt  ensemble  apelée, 
41  j  Et  furent  trente  mile  de  gent  asseûrée, 

Estre  la  ma  nu  a  il  le  dont  grand  fud  rassemblée. 
Onques  n'i  ot  un  sul  n'avoit  la  voie  jurée, 

H  avolt  un  mantel,  la  pêne  [enj  ert  ostée  : 
Tut  le  fist  detrenchier  au  lune  d'une  dée  {sk)i 
440  N*i  ot  bon  chevalier  cui  croiz  n'en  ail  donée. 

Li  dux  le  fist  por  ce  quant  Tost  serou  mellée 

Que  des  autres  compaignes  fust  la  sue  sevrée, 

Buiamond  fud  mult  saive,  sa  gent  a  esgardée, 

Et  vit  qu'ele  fud  mult  richement  conreé^; 
445  Al  plus  bel  qut  il  pot  Ta  li  bers  ordenée  : 

Thancré  bailla  s'enseigne  qui  mult  bien  Tad  portée  ; 

A  l'autre  baron ie  qui  ge  ne  sai  pas  nomée 

A  sa  menue  gent  baiilie  et  comandéc  ; 

Puis  entrent  en  navie  qui  lor  fud  aprestée, 
450  Et  vindrent  en  Hungrie  tôt  lor  veille  levée; 

De  lor  nés  sunt  cissu  en  (a  terre  tremce, 

ICar  eslordi  estoicnt  de  la  mer  qu'iert  iroblée; 

Trois  jorz  et  demi  i  oni  fait  demorée;  {p.  t  j> 

Et  quant  il  orent  bien  lor  santé  recovrée, 
4)5  S'unt  siwi  Buiamond  par  la  plus  droite  estrée 

Jesqu'al  val  d'Andernople  par  une  dévalée. 

XVL 

Ore  laissfrom  d'icels,  a  si  vos  prlom  d'al. 
De  dan  Godefrot  le  duc,  le  nobde  vassal, 


416  Uî  diux  ms,  sont  d*atccrd  ;  ctpendjnt  U  faudrait  Qui  aL  —  417  Onqucs,  sic 
f  ^,11  «f  r  i  H  faudrait  Otic.  —  418  n'avoit,  corr.  n'ot  tt  suppr,  ja.  —  419  puis,  Sff. 
r  lor  g.  —  4ÎO  od^  i>.  ovc  tci  et  aiiUurt.  —  417  O^/*  ''  5^*  CHic;  pour 

.L  =•  ^  447  Cùrr.  cui  je  n*ai.  —  4P-J  <S/>*  prhiftte  ces  dtux  ytrs  dans 

û*tl  "  Ai^  Suppr*  din. 


la 

me  '  ^  447 

ttfdt*'  m^ttm^  —  4*7 


20  P.  METER 

Qse  es  Oo^ta/ùxÀÀt  b  râe  tmpazal 
4^  \*»t  od  sa  grast  cospaigie  dons  jorz  araM  Noal. 

L'easpcrere  k  reçut  eo  son  pales  roial  : 

A  toz  sa  coflDpaigDCNB  ad  fait  Ihrrer  ostal. 

Et  lor  ad  0Cro>é  le  mardûé  comnaai  : 

Maïs  psis  hir  ad  esseô  ■ierreil]iis  batestal. 
465  Et  Basda  a  ses  bornes  par  brief  et  par  seial, 

Qmï  de  lui  damèrent  recet  ne  bon  ne  mal. 

S'il  trorent  pétrin  n  en  terre  on  en  Tal, 

Gsardast  qo'il  Toceist,  ja  mar  en  irait  il  al. 

Cîl  [Dampnedien  ea  pense,  le  piere  tspaità\ 
470  Qj^  al  people  Israd,  sanz  trarail  et  sans  mal] 

Ftst  passer  U  Mer  Rage  senz  ahre  gOTemal, 

Et  fist  le  flam  Jordan  entrer  en  son  chanal, 

Qnant  il  fnd  baptizié  por  nos  oster  de  mal 

De  saint  ioban  Baptiste  le  baron  natnral. 

XVll. 

47)  L'emperere  Alexis  ad  fait  par  tôt  mander 

Qui  terre  ne  chastd  Toidra  par  lui  damer. 

Et  porra  pderin  fors  de  rile  trover, 

f  Garde  que  sempres  Tocie  st  il  me  rielt  amer.  » 

La  noirde  ad  oîe  dan  Godefroi  li  ber; 
4S0  Al  riche  empereur  Tala  le  dnx  mustrer  : 

•  Sire,  ti  home  ocdent  les  paumiers  d'ntre  mer  ; 

•  Ne  sai  si  est  par  toi,  mais  fai  les  en  cesser, 
f  Car,  par  icel  seignur  qui  ge  voil  ahorer, 

•  Si  jamès  le  repensent,  chier  Testœt  comparer.  » 
485  L'emperere  respont  :  •  Oste  en  dune  tnn  penser, 

»  Car  ce  n'est  pas  par  moi  ne  [je]  ne!  puis  oster.  • 
Quant  il  l'en  escundit  ne  l'en  vieit  plus  reter; 
A  ses  compaignons  vint  por  conseil  demander, 
Savdr  qu'il  porra  faire  des  pèlerins  guarder. 
490  Baudoin  lui  respont  :  <  Ne  te  chaut  plus  parler  ; 

•  Si  mes  [en]  i  moert  un  moi  en  porras  blâmer.  > 
L'endemain  [par]  matin,  quant  le  jor  parut  der, 

A  fait  les  escuiers  al  forage  aler  : 

Plus  furent  de  troi  mile,  tut  léger  bachelier, 
495  A  toz  ad  fait  li  coens  lur  espées  porter,  (p-  m) 

Et  si  les  ad  seûz,  n'i  velt  plus  demorer, 

Ot  troiz  cenz  [chivalers]  qu^  il  ot  fait  armer 

En  un  val  s'enbuscha,  mes  ge  nel  sai  noroer. 

Et  sachiez  bien  pur  veir,  qui  qu'en  doive  plorer, 
500  Que  si  prince  ne  altre  les  voleit  desturbier, 

Qu^  il  seront  tut  prest  dels  aidier  et  garder. 

Orc  vont  li  escuier,  nés  estuet  rien  duter  ; 

j{6a  Suppr.  Mais.  —  466  Corr,  Q.  cl.  de  lui.  —  467  Sp.  Se  t.  —  468  Corr,  feroit  al; 
C€  qui  est  la  leçon  de  Sp.  —  469-71  Oxf.  Cil  qui  fist  passer  la  mer  Rouge...  —  47*^- 
Ctrt  q'il  I.  —  484  Sp.  le  se  pensent  —  487  P,  corr,  s*?  —  490  Sp.  nefen.  —  49>  ^• 
omet  tnet  Sp.i;  Sp.  porrez.  —  496  5p.  v.  pas.  •—  499  par,  Sp.  dt. 


RÉCIT  DE   LA  PREMIÈRE   CROISADE  21 

AI  forre  sunt  corru,  si  se  voidront  trosser. 
Quant  Pinccnard  les  virent  tôt  durent  forsener  : 
505  Isi  commf  soleient  les  quident  afoler, 

Et  furent  bien  set  mile  que  aveit  fet  asenbler 
Alexis  Teraperere  por  els  desbareter, 
Car  tant  het  les  paumers  s[e]  il  osast  muer 
Volentiers  lur  feïst  sa  terre  deveer. 

XVIII. 

510  De  la  gent  Alexis  furent  bien  set  miller 

Pincenard  et  Turcople  qui  mult  sunt  bon  archier. 

Les  escuiers  assaillent  ;  Deu  lor  doinst  encombrier  ! 

Ja  eussent  toz  morz,  quant  nostre  chevalier 

S'escrierent  :  t  Sur  els  !  mort  estes,  pautonier  !  » 
$15  Quant  li  Grezois  l'oïrent,  sis  estoet  esmaier; 

Défendre  se  quiderent,  mes  ne  lur  out  mestier, 

Car  de  lur  compaignons  virent  tant  trebuchier 

Qu'ai  fuir  se  sunt  pris  tut  li  plus  bobancier  ; 

Mais  il  lor  sunt  si  près  ne  lor  poent  esloignier  : 
520  Plus  de  cent  en  ont  mort  neîs  li  escuier. 

Que  en  diroie  ge  el  ?  nel  vos  voil  aloignier  : 

Trestuz  fussent  occis,  quant  les  ad  fait  laissier 

Baudoin  qui  en  crient  Alexis  correcier, 

Mais  seisante  en  ad  pris  qu[e]  il  ad  fait  lier, 
525  Et  les  ad  présenté  Godefrei  al  vis  fier 

Qui  assez  lur  dona  a  boire  et  a  mangier, 

Et  lur  ad  fait  jurer  par  Deu  le  justisier 

Que  plus  n'eussent  mal  par  els  nostre  paumer. 

Atant  sunt  eschapé,  nés  velt  plus  laidengier, 
530  Car  l'empereur  quida  mult  très  bien  losengier, 

Mais  Alexis  fud  fel,  et  mal  sout  enginnier. 

Icele  nuit  meïsmes  qu^  il  oî  nuncier 

Les  voleit  il  ocire  et  faire  detrenchier, 

Quant  il  en  fud  tumè  par  un  soen  conseillier 
53  5  O  qui  s'iert  acointié  Godefrei  por  luier,  (p.  i  $) 

Mennau  le  nome  il,  le  fiz  Suart  al  notier, 

Cil  ad  dit  Alexi  :  t  Vels  tu  [tej  esragier? 

»  Certes,  se  issi  le  faiz  comm  te  oi  desraignier, 

1  Déshérité  seras,  ne  te  poet  rien  aidier, 
540  •  Car  neis  lor  greinor  force  que  est  encore  arier. 

—  Voire,  •  dist  l'emperere,  «  ne  me  puis  escharier.  » 

Puis  ad  fait  eneveis  Godefrei  acointier 

Qu'il  leist  Costentinoble  et  s'ait  fors  herbergier, 

Car  la  gent  ne  li  sire  ne  li  ont  gueres  chier. 

503  se,  corr.  le.  —  504  'Sp.  Pincenant  ;  ici  et  plus  loin.  —  joj  Sp.  Et  issi  corne; 
Oa^,  qoidoient.  —  ^i^  Sp,  ias  t,  —  ( i S  sis,  Oxf,  et  Sp.  sil.  —  (  16  5;^.  ne  1.  estoit  m. 
—  S 18  Sp,  omet  le  second  hémistiche  de  ce  vers  et  U  premier  du  suivant.  —  Ji9  Corr, 
ncsp.  e.  ?  —  530  Suppr,  Car.  —  $36  Sp.  le  nomoit  ren  f.  —  538  Sp,  C.  si  usi  le  faz 
i  ge  foi.  —  $40  Sp,  C.  neiez.  Omission  après  ce  vers? 


^i  p.  HETER 

.4v  Qiunt  Goiictw  ,r«t?  M  mt  hiX  alogier 
A'mt^fs  Iciit:  ie  b  w»  d<4et  qd  grant  vergier 
vjuî  nid  rempewîr  oMnre^s  et  picnier; 
Kl  !  cvwt  îîw  yiYt  qui  nenoit  grant  poJdrier  ; 
.A*W5  :  iurwt  biw  por  ter  cors  aaissier 
\  \o  Si  iK  ru:ss<ttt  ù  Grhi  kt  les  vont  abaier. 
A  uot  «ir  i  juwtnt  a  lor  fort  desturbier, 
Car  Cîi  »îtti  r<^  dévoient  la  nnit  cschelgaitier 
lî^  Oftt  set  detreiichîez  qui  gisent  el  gravier. 
Biea  le  sout  Temperere  ainz  que  s'alast  cuchier; 
V  \  \  :>M  en  estvMl  narri  nul  ne  se  doit  merveillier. 
Aï  Kutinet  a  Taube,  quant  il  dut  esclarcier, 
Mattia  pi>r  Godeiroi  le  noble  guerroier. 

XIX. 
U  bon$  ^iux  Godefrei  ad  la  parole  oïe 
Que  AleJEis  li  manda  (Jhesus  le  maleïe  !). 
\oo  IV  ses  barvMis  manda  en  qui  il  plus  se  fie  ; 
Bien  les  hst  courtier,  et  fud  grant  cortoisie  ; 
|\itt  montent  es  destriers  qui  vindrent  par  Hungrie. 
DOM  et  dou  sunt  entré  par  la  porte  Golie. 
A  merteilk  es^ardent  la  gent  de  Griffonie, 
\^\  Kt  dit  (|il  uns  a  Tautre  :  «  Voiez  quele  baronie! 
»  Kt  vHMnm  semble  prodome  li  sires  qui  les  guie! 
*  4yiult  fait  nostre  eroperere  Alexis  grant  folie 
»  Qu/il  nés  fait  passer  ultre  la  Romanie, 
»  Car  domage  seroit  si  tele  gent  iert  perie.  » 
\70  II  sunt  a)ez  avant  jesque  Sainte  Sophie, 
LVmpereUr  troverent  qui  fist  chiere  marrie, 
Kt  fud  en  un  encloistre  dedenz  la  praerie  ; 
Sur  dous  pailes  se  jut  qui  furent  d'Aumarie. 
Le  mugalet  goce  (sic)  qui  fud  duc  de  Hongrie, 
\7S  Kt  si  onques  despuis  ot  la  barbe  florie  ;  (p,  16) 

Kt  bien  dous  cent  duc,  conte,  de  maisnée  establie, 
Furent  environ  lui  et  ne  se  sistrent  mie. 
Le  duc  ala  avant  od  la  chiere  hardie. 
L'empereur  salue  del  fiz  sainte  Marie  ; 
s8o  Kt  Alexis  respont  :  t  Et  il  vos  beneïe, 
»  Mais  ge  ne  salu  pas  la  vostre  compaignie 

•  Qui  mes  homes  m'a  mort  et  ma  terre  gastie; 
»  Tute  ceste  contrée  s'en  est  vers  els  marrie. 

»  Si  vos  conseilleroie  senz  negune  boisdie 

\8^  »  Que  vos  passissiez  le  Bras,  le  matin  od  navie. 

»  Ge  vos  ffe)rai  aveir  bone  march[e]andie, 

•  Si  que  vostre  ost  en  iert  toz  jorz  bien  replenie  ; 
i  Kt  vos  m*en  jurerez  qui  'n  avez  la  maistrie, 

»  A  bien  garder  ma  tere,  mes  membres  et  ma  vie. 

14^  M*oït|  iMN^iit  dans  Ox(.  ;  Sp,  loîe.  —  560  Corr.  mande  ?  —  j6i  ftid,  Sp,  fist 
i«4  i\vf.  Menr.  les  eig.  ?  —  $68  nés,  eorr,  les?  —  58 j  Sappr,  vos. 


RÉCIT   DE    LA    PREMIÈRE  CROISADE 

J90  ^  Voientiers,  »  dist  H  duc,  t  Deu  me  soit  en  aïe, 
»  Maïs  seùr  me  refaites  qu'i  ni  ait  Iricberic, 
—  El  gç  issi  l'otroi,  »  Alexis  lui  cscric. 
Les  sainz  fait  aporter  a  l'evesque  Ysaïc, 
Ainbedui  Tunt  juré  et  leiauté  plevie  ; 

i95  Entrcbaisié  se  suni  quant  fud  la  départie. 
U  dux  s'en  est  lornez  a  sa  herbergeric, 
A  loz  ses  compaînons  ad  la  voie  banie 
Qu'a/  demain  passeront,  quant  l'aube  est  esclarcie, 
Ultre  le  Braz  Saint  George  en  la  terre  guarnie. 

XX. 

600  L'endemaîn  par  matin,  quant  le  jor  esclarja, 

Sunt  tut  ultre  passé  en  la  terre  de  la, 

L*emperere  Alexis  a  ses  homes  manda 

Que  bon  marchié  enportent  chascuns  qui  en  avra. 

Et  issi  le  firent  il,  muer  nul  ne  Tosa, 
605  Por  ce  fist  Alexis  qui  ultre  les  passa 

Quant  Buiamond  [Ir  princes]  et  danz  Reimond  vendra 

Et  ne  seront  ensemble,  mull  meins  les  en  criendra, 

Orez  de  Buiamont  cornent  il  esploita  : 

Il  fud  en  Ardennoplc  u  [if]  se  sujorna, 
6to  Ses  barons  et  ses  gens  en  un  plain  ajosta, 

Od  grant  humilité  doucement  les  proia  : 

»  Seignors,  les  voz  merciz,  qui  por  Deu  se  croisa 

»  Et  por  paiens  destruire  est  venuz  od  mei  ça 
61 5  •  Gard  soi  bien  de  rober  jesque  Itus  en  sera, 

»  Et  ne  facenl  pas  tort  a  qui  riens  li  vendra, 

»  Car  tut  creom  en  Deu  qui  lemund  salua; 

t  Si  n'est  mie  raison  que  tort  tor  façom  ja. 

»  Sachiez  tut  de  vérité,  a  celui  qui  [[ejra 
620  »  Se  gel  puis  aparceivre  a  furches  en  pendra.  • 

De  ci  sunt  tut  meu  quant  sa  raison  fina 

Droit  a  une  cttié  ou  li  ber  les  mena, 

Castoire  la  nom  oient  [la  gentj  qui  l  conversa. 

Dehors  se  sunt  tenu,  onc  un  d'els  n'i  entra. 
62^  Ce  fud  a  un  Noël  que  l'ost  i  sujorna, 

AI  plus  bel  quf  il  porenl  chascons  la  célébra, 

Gnc  jorz  sejorna  l'ost  [esqu^:  il  ariva 

Que  nus  de  la  citié  riens  ne  (or  aporta. 

Très  bien  les  en  requist  Buiamon  quîs  guia^ 
6^0  Mais  riens  ne  lor  valut  quar  grant  haine  i  a  ; 

Por  tels  gens  les  tenoient  que  onques  Deus  n'ama. 

Quant  li  princes  ce  vit  que  pès  n'i  trovera 

De  prendre  lor  comande,  qui  faire  le  voldra, 


n 


(p^  n) 


1^  Sp,  m'en  s.  —  594  Oa^,  et  par  !♦  —  ç^  Sp,  Car  d.  ;  est  Oxf.  et  Sp,,  eort,  en. 
«—  604  Suppr*  Ec.  —  6j$  Vers  replié  dans  0%f,  au  haut  de  ta  p.  17.  —  619  Sp.  q. 
ferra;  corr.  idl  q.  ceo  fera  ?  —  610  Sp.  as  f.  —  6a |  5^.  la  geat  qi  conversent  ta. 


24  P-  MEYER 

Et  n  en  ont  pris  tant  que  nus  les  en  bUma  ; 
6|  j  Les  Griffons  et  la  vile  qui  marchlé  lor  voia 
Eussent  tuie  prise  quant  Buiamond  i'osta. 

CoMMENruRE,  —  92- j*  On  ne  voit  figurer  dans  aucun  autre  récit  ni  cet 
évèque  ni  le  rot  Rogier.  Le-  poète  a-t-il  songé  â  Roger  comte  de  Sicile  l 

112,  Ce  qui  suit  est  emprunté  dans  une  certaine  mesure  à  Baudri»  qui,  seul 
entre  (es  historiens  de  ta  croisade,  bit  intervenir  â  ce  moment  le  comte  de 
Toulouse,  Mais  l 'évèque  de  Dol  ne  mentionne  aucunement  le  gascon  Ençe- 
lier  :  «  Du  m  haec  agerenlur^  ecce  ex  improviso  afuerunt  legali  comitis  Toïo- 

■  sani,  Raimundi  scilicet  de  Sancte  .^tdio,  qui  ipsum  iturum,   iamque  stbi 

•  crucem  coaptasse,  papae  relulerunt  et  in  concilio  tesiaii  suni  (Hist,  occid.^ 
IV,  i6  b;  Bongars  38).  •  Engeîier  a  été  simplement  emprunté  à  Pépopce  caro- 
lingienne (voy.  Rolûnt,  V.  12^9,  1474,  2^07), 

123-7*  Ces  vers  semblent  encore  inspires  des  paroles  que  Baudri  place  dans 
la  bouche  des  messagers  de  Rai  mon  :  *  Si  quis  est  Dei,  |ïingatur  ci  {sciL  Rai- 

•  mundo)  quontam  et  opes  suas  indigentibus  communtcabit,  et  auxilium  et 
i  consifium  suum  nemini  viantium  denegabit.  Ecce^  Deo  grattas,  |am  Chrîstia- 
I  nis  iturisduo  ultronei  processcrc  viri  :  ecce  sacerdotium  et  regnum,  clericalis 
»  ordo  cl   laicatis,  ad  exercitum  Dei  conducendum   conccrdanL  Episcopus  et 

•  cornes  Moysen  et  Aaron  nobis  rcimaginanlur.  9(Hist.o£c,  /./.  c;  Bong*  88). 
14B-53.  Baudri  1,7-  «Anno  si  quidem  ab  incarnatione  Domini  .mxcv,^  pridie 

I  non.  ApriK,  feria  .iv.,  luna  ,xxv«,  visus  est  ab  innumens  inspectonbus  in 

■  Galtiis  tantus  stellarum   discursus  ut  grando,  ntsi   lucerent,  pro  densitate 

>  pularentur.  Opinabantur  etiam  quidam  eas  cecidisse  :  nos  taroeo  de  earum 
»  occubitu  nihi  temere  pra?sumimus  affirmare..»  Quid  autcm  concursus  iste 

>  pra^ipue  portenderit  minime  diffinimus  ;  pra^sertim  cum  nobis  oondum  datum 
»  sit  nosse  mysterium  regni  Dei,  Sed  per  parabolas  et  quasdam  competentias 
1  molui  stellarum  Christianilatis  motum  comparabant.  t  (Hist,  occ,  L  /.  fg). 

1^6-69.  Ces  personnages  sont  mentionnés  dans  le  même  ordre  par  Baudri, 
sauf  qu'il  ne  commet  pas  la  faute  d'annoncer  dès  ce  moment  Tarrivée  d'Etienne 
de  Blois,  et  n'en  parie  que  beaucoup  plus  loin  (I,  2;)^  en  son  Heu. 

172  ss.  Baudri  l,  %{H(st.  occ.,  ijê)  ;  t  Ultra  montes  quoque,  inApuiiascilîcet, 
»  verbum  istud  pcrcrebuit  et  boamundum,  virum  admodum  industrium, 
0  Roberti  Guischardi  filium,  duels  Rogerii  fratrem  vocavit,  cique  Tancrcdum 
»  nepotem  suum  et  Richardum  de  Principatu  sociavit.  » 

206  ss.  Cf.  Baudri  1»  9  iHtst.  occ,  18  c  m  :  *  Imperator  autem  intenra   eis 

i  mercatum  dari  jusserat,  sicut  erat  rectum,  in  civitate Gens  etenim  illa 

»  sine  rege,  sine  duce,  variis  aggregata  locis,  indïsciplinale  viventes,  in  rcs 
i  aliénas  rapaciter  invotabant,  et  plumbum,  de  quo  ecclesiae  cooperlae  fuerant, 
»  asportabant  et  vendebant.  » 

121,  «Tandem  venerunt  Nichomiam  »  {HisL  occ,^  iS  e).  Il  y  at  Nkkonuim 
dans  un  ms.  Àngont  est  une  faute  de  lecture  du  rimeur. 

228.  Rmardum  selon  le  ms,  suivi  de  préférence  dans  l'édition  de  TAcadémic, 
mats  Rafiinaldum  ou  RainaUum  dans  la  plupart  des  autres  mss.  ;  le  personnage 
est  en  effet  appelé  Rcinaldus  dans  les  Ge5ta^  la  source  principale  de  Baudri. 

24^,  Exerogorgo,  dans  Baudri  {Eski  Kaîeh),  commt  chez  tous  les  historiens  de 
la  même  famille.  Tout  ce  discours  est  de  Tinvention  du  rimcur. 

259-163.  Ce  récit  de  la  prise  d'Eski  Kaieh  par  les  chrétiens  et  de  sa  reprise 
par  fes  Sarra/.ins  contient  plusieurs  faits  notables  dont  il  n'y  a  pa3  trace  ailleurs^ 
et  qui  vraisemblablement  sont  conlrouvés.  Aucun  historien  ne  fait  mention  de 
la  présence  dts  Hermines  (Arméniens)  dont  le  rôle  est  ici  considérable  (v,  281  ss.), 
ni  de  Vi^mn  Baudri  iv.  315);  mais  en  revanche  ils  s'expriment  plus  nettement 
(surtout  Robert  le  Moine)  au  sujet  de  la  trahison  de  Reinaut.  Voici  le  texte  de 
Baudri  qui  ne  diffère  des  Gâta  hrancorum  que  par  des  détails  de  style. 


6}4  la*  «•'^  net.  —  6ïf  Sp,  L  vcia. 


I 


HêCIT    DE    La   première   CROISADE  2^ 

Qui  traosfretati,  tnultis  itenira  ïllidtis  in  Christianos  pâtratis  (nam  et  domos  eorum  et 
ecdfsias,  hosttUtcr  terra  depr^dat^^  cremaverunt),  tandem  venerunt  Nichooùam.  lUtc, 
Lumbarais,  tongobardis  et  Alamannis  a  Francis  separatis  (Franci  siquidcm  ferociores  et 
intraaabtiiorcs  erant,  eiob  îd,  ad  omne  malum  procliviores),  pr^efeccrunt  sibî  genres  aliae^ 
Frsncis  remotis,  i^uemdam  Rainardum,  et  sub  e|us  ducatu  ingrcssî  suni  Romanïam.  UUra 
aoiem  Nicenam  civiLatem  progredientes  iîincre  quatuor  dierum/invenerum  quoddam  cas- 
leltum  cui  nomen  Exerogorgo/mcertum  an  timoré  an  tndustrîa,  incolis  omnibus  vactium  '  ; 
illttd  igitur  tntrantes  causa  hospiiandi,  ibi  demoraii  sunt,  qtiippe  ipsum  invenenint  om- 
nium victualium  redundantia  plénum.  Quo  Turci  per  exploratores  suos  cognito'^,  haud 
mora  circumvallare  castellum  festioaverunt,  Rainardus  cum  suis  confestim  casteHum  cxierat, 
ut  Turcis  venieniibus  przienderet  insidias.  Prxvaluerunt  auiem  Turci,  et  multos  ex  eis 
gtadio  ceddenim  ;  si  qui  vero  potuerunt,  fuga  eUipsî,  in  castello  recepti  sunt.  quo  undi- 
que  ob»esso,  aquam  illis  confestim  abstulerunt*  Fons  etenîm  et  putcus,  quo  castellum 
tttsfieniabatur,  extra  erat  '  ;  quem  utrumque  viriliter  drcumseptum  Turconim  exercitus 
indestnenler  observabat.  Nihil  taborantibus  aqu?  penuria  durius  ;  nihil  tulius  tuta  expu- 
gskât  locâ,  ()uam  intolerabtiis  sitis  înjuna.  Coacti  sunt  ergo  Christiani  suontm  sanguinem 
dicere  et  bibere  jumentorum;  alii  pannos  in  cisternas  Timosas  deponebant,  ci  si  quid 
hnmorii  invemssent,  in  os  suum  exprimere  non  erubescebant,  Dictum  est,  quod  nimis 
turpe  est,  quoniam  quidam  in  manibus  micturiebant  et  sorbebant.  AJtî,  si  forte  repperis- 
seat  lerrara  humidam  vet  frigidam^  fodiebant;  et  in  ipsa  ve)  nudi  supinabantur,  vel  suis 
appooebam  pectoribus^  ut  saltem  sic  quoquomodo  refrigerarentur.  Quis  in  lantis  anxiatus 
aagustiis  vivcre  potuit  r  Sustinuerunt  tamen  moribundi  grandem  hanc  per  octo  dies  incom- 
moditatem,  sacerdotibus  qui  aderant  sic  intérim  sermocinantibus  :  u  Sustmete,  fratres  ;  ut 
f  enifli  icmct  vos  adest  Deus.  Noliie  itaque  desperare  in  his  etiam  magnis  tribulationi- 
•  bas^  sed  efficite  gnariter,  ut  qui  ejus  provocasti^  iram,  vel  in  arto  positi  nunc^  ejus 
■  largitkam  vobis  everberetis  misericordiam.  Proraercri  poicritis  in  tali  angustia  positi 
B  ejus  beneficium,  si  ad  ipsius  loto  corde  confugietis  auxilium.  tpse  olim  percuti  jussit  in 
»  désert'i  Sina  petram  ;  et  fîuxerunt  aqux,  et  biberunt  patres  nostri  in  satteTate.  Adhuc 
»  est  ejusdem  poienti^  ;  adhuc  est  ejusdem  misehcordif.  Si  \05  modo  non  exaudierit^ 
a  otipa  Qostra  est  :  si  vos  non  respexerit^  no&tra  est  negligentia.  Reminiscamini  quoniam 
m  gnviter  eum  offendimus  et  irritavimus,  qui  in  rcrum  fratemarum  rapacitate  cl  in 
9  ectJesiarum  desiructione  inexplebititer  grassati  sumtis,  n 

X.  H2C  illis  sacerdotes  quoiîdie  referebant,  sed  illi  nullo  vino  compunctionis  potari 
poterant.  Computruerant  iili,  tanquam  jumcnta  in  stCTcoribus  suis,  ideoque  de  peccatis 
suit,  indurati  carde  cum  Ptiaraone^  Deo  saiisfacere  nequaquam  potueruni  ;  quocirca 
peiierunt.  Obtura verunt  igitur  aures  suas^  aspidibus  surdiorcs,  contra  voces  incantantium 
tapienter  ;  et  iccirco  rêvera  opcrati  sunt  iniipienter.  Quin  dux  eorum  Rainardus  cum 
Ttircis  consiUatus  est,  et  ut  eis,  si  posset,  fratres  suos  proderet  paaus  est.  Exivit  itaque 
cum  muUis^  lingens  se  ad  bellum  procedere,  et  tranxfiiga  fugit  ad  Turcos.  Qui  remanse- 
rant,  tabanestam  coacti  fecerunt  dcditionem  ;  et,  o  miserum  facînus  l  versi  m  despera- 
ticMietiL,  contra  Deum  abominabilem  commiserunt  apostasiam.  Illi  vero  qui  lidci  su»  tcs- 
tsmomum  perhibuerunt,  vel  capitalem  subiere  sententiam  ;  vel  in  signum  positi ,  sagittati 
smt;  vel  ab  invicem  divisi»  pro  vili  pretio  venundati  sunt;  vel  in  captiviiatcm  abductî 
mat:  aiii  in  Aatiochtam,  alii  in  Corosanum,  atii  in  Aleph,  aut  ubi  de  th  triumphantibus 
et  capiivantîbus  captivos  captivatum  ire  magis  compbcuit. 

{HiiL  ocCy  j8  t  i  10  a;  Bongars,  89  L  48  à  90  1.  )7.> 


j6j  et  suiv.  Circonstances  qui  manquent  dans  les  sources  latines,  et  qui 
paraissent  inventées.  , 

4ÛK  Dans  les  dsta  et  les  récits  qui  en  soni  sortis  (y  compris  Baudri),  il 
n'est  pas  question  de  machines,  mais  it  est  dit  que  les  Sarrazins  entassèrent 
autour  du  château  des  amas  de  bois ^  adunaverimi  îi^nâ  at  cos  com^urcrent  cum  casiro 
iik$tâ  IV).  Les  chrétiens  réussirent  à  les  incendier  en  temps  opportun,  ce  qui 
au  reste  ne  les  empêcha  pas  d'être  pris. 

417-9.  Ccsta  IV  :  t  Audiens  iroperator  quod  Turci  sic  dissipassent  nostros, 
•  gavisos  est  valde,  et  manda  vit  pro  eisj  fecitque  eos  Brachîum  transmearc, 
t  Fostquam  ultra  fuerunt  comparavit  omoia  arma  eorum.  »  Baudri  ne  fait  pas 
mculjon,  non  plus  que  notre  poéme^  de  cette  joie  assez  naturelle^  mais  peu 
iKoeote^  de  Fempereur  de  C.  P.  ;  il  rapporte^  comme  les  Gtsia^  l'achat  des 


1 ,  Remarques  la  tootradittion  complète  avec  le  poème. 

1.  Il  n'est  niUle  part  question  des  envoyés  arméniens  du  teite  françaii. 


26  p.  MEYER 

armes  des  croisés,  ajoitant  ces  mots^  qui  correspondent  assez  bien  au  v.  419  : 
t  Quatenus  incrmes  suis  mir^us  nocere  possent  ». 

420  ss.  Le  récit  de  l'arrivée  des  croisés  est  visiblement  tiré  de  Baudrî, 
L'ordre  selon  lequel  les  divers  personnages  sont  énuniérés  n*esl  pas  tout  à  fait 
le  même  dans  les  GcsUt, 

4j^.  30,000,  sans  compter  la  vmanuaille*»,  est  un  chiffre  de  pure  fantaisie. 

4)7  ss.  Les  deux  tirades  XVI  et  XVII  suivent  assez  exactement  Baudri,  tes 
(ksta  ne  faisant  aucune  mention  de  la  lutte  ici  racontée. 

492-553.  Tiré  de  Baudri  oui,  du  reste,  se  tient  ici  trop  près  des  Gesiû  pour 

'on  ait  dans  le  cas  présent  la  preuve  que  le   poète  a  suivi  Baudri  plutôt 


qu 

les  Gâta. 

Gmû. 
Baldaînas  itaque  frater  Ducis  hxc 
judiens,  mistt  se  in  insidiis  ;  tandemque 
invcnit  cos  occidentes  gentem  suara, 
eosque  invasit  foni  animo,  ac,  Deo 
juvante,  superavit  eos  ;  et  apprehendens 
sexagînta  ex  eU,  partem  occidit,  partem 
duci  frarri  suo  prxsentavit,  Quod  cum 
audiss<t  imperator,  valde  trato5  est  ; 
videns  vcro  Duîi  înde  tratum  imperato- 
rem,  extii  cum  suis  de  burgo  et  hospi- 
tatus  est  extra  urbcm.  Sero  autem 
facto,  infeluc  imperator  jussit  suis  exer- 
ciribus  invadere  Ducem  cnm  Christi 
gente;  quos  Dux  persequeni  mvictus 
cum  Christi  militibui,  septem  ex  illis 
ocddît,  pers^uendo  alios  usque  ad 
portam  civitatis. 


que 


Baudri. 
Exivit  igitur  Balduinus  ad  suontm  potec- 
tionem  et  si  posset  ad  insidiantium  delctio- 
nem:  invenii  autem  eos  inscqucntcs  suos,  et] 
CJt  improvise»  incautos  invasit  et  superavit  ; 
partem  occidit,  sexaginta  quoque  ex  eis  vivos 
comprehensos  fratri  suo  Duci  impcrterrilus 
prxsentavit  \cj.  v,  514-$)*  Audiens  hoc  impe- 
rator Alexius  (Atexius  enim  vocabatur)^  valdc 
iratus^  matum  exercitui  Chrirti  in  corde  suo 
indcsinenter  michinabatur.  Dux  de  imperatoris 
furibunda  perturbationc  certuî,  prjecavens  in 
futurum^  civitatem  exivit»  et  ubi  pritis  sua  fixe* 
rat  tentoria  collocavit.  Nocte  superveniente, 
jussu  imperatoris  itivasa  sunt  castra  Ducis,  et 
eiercitus  cjus  multis  laccssitûs  iniuriis.  Dux 
iutem^  sictit  erat  hujusce  rei  sagacissimus  et 
pugnator  acerrimus^  excubiatorcs  qui  tenioriis 
fxcubarent  pnidenier  disposuerat,  et  unum- 
quemque  vigiUre  sibi  mandaverat  :  versutias 
enim  imperatoris  non  ncsciebat.  Repulsi  iiunl 
quantocius  invasores  et  ex  illis  septem  peremp- 
tts  [cf.  y.  nî^t  "sque  ad  portam  civitatis 
audacter  dux  fugavit  fugiemes.  [Hisi.  occ,^  22, 
A  b) 

On  voit  qu'il  n'est  question  dans  le  btin  ni  du  conseiller  d'Alexis  fvv,  534- 
41)  ni  de  la  rivière  qui  passait  près  de   l'endroit  où  Godefroi   avait  établi  son 
camp  (v.  ^8),  L'intervention  aun  conseiller  dont  Tinlluence  aurait  été  achetée 
par  Godefroi  n'est  pas  en  soi  invraisemblable.  Mais  si  le  fait  n'est  pas  inventé,.] 
où  peut-il  avoir  été  pris? 

U4  ss.  Le  fond,  c'est-à-dire  l'accord  intervenu  entre  Alexis  et  Godefroi, 
est  nistûrigue,  mais  le  récit  est  ici  trés-dramatisé.  On  reconnaît  pourtant  dans 
les  vers  ^05-7  la  trace  de  ces  mots  de  Baudri  iHiif.  occ,  aa  b)  :  *  Ideo  sic 
■  fecit  imperator, ut  ducem  a  regione  illa  cum  suis  amoverel  copiis^  ne  posset 

•  couti  superveniéniium  principum  consiliis  et  ayxiliis.  » 

612  et  suiv.  Ce  discours  suit  d'assez  près  celui  que  Baudri  met  dans  la 
bouche  de  Boémond.  Les  mots  du  v.  615  itstiue  tius  tn  sera  correspondent  à 
cette  phrase  :  <  Tempus  erit  cum  terram  hostiiem  intrabimus,  cum  de  eorum 

•  spoliis  opimis  ditabimur  et  Ixtabimur.  >  (Hiif*  occ.^  2}  a.) 

611  et  suiv.  Baudri  :  •  Tandem  perventum  est  Castoream^  in  qua  Natale 

•  Domini  solemniter  peregcrunt *  (Hist,  occ,  2)  a.) 


I .  A  rapprocher  de  l'expressiofi   main  mmuit^  tor  laquelle  vof .  Du  Caoge,  manm 
{IV,  a62  «)|  et  G.  Paria,  S.  AUxis,  note  sur  loi  rf. 


^                RéCtT   DE   U   PREMIÈRE 

^^^^^H 

^^^^^^H 

^1 

^^^^^^^^^fr              (Oxford  p,  il  i ,  Spalding.  foL  4)</j 

^1 

^^^^H           Seignors,  ore  ad  Soudan  a  toz  icels  mandé 

{p.       ^^^1 

^^^^H            Qui  de  1i  ttenent  tere,  chasement  ne  fié, 

^^^^B            Que  a  U  citié  d'Orcages  seient  tuit  assemblé, 

^^^H 

^^^^^B            Ai  terme  qu'il  lur  ad  par  ses  soiaus  mandé. 

^^^H 

^^^^H         5  Et  sachiez  bien  de  voir  quant  il  furent  aiîné, 

^^^H 

^^^^H            Par  home  qui  vesquit  ne  par  nul  clerc  letré 

^^H 

^^^^H            Ne  peûssent  jû  estre  li  amtrailz  conté, 

^^^H 

^^^^H             Estre  la  genl  salvage,  dont  tant  i  ad  josté 

^^^H 

^^^^^V             Que  plus  d'une  jornée  tenoient  sul  li  tré. 

^^^H 

^^^^^K        10  Damedé  les  cunftinde  qui  maint  en  trinité  ! 

^^^H 

^^^^^B            Car  durement  manacent  nostre  CKrestienté. 

^^^^H 

^^^^B            Ore  oez  quele  gent  sunt  et  dont  il  furent  ne, 

^^^1 

^^^^K            Si  comm  Ysidres  dit  u  nos  Tavom  trové^ 

^^^H 

^^^^V            Qui  des  merveilles  de  Inde  a  [dejsur  toz  parlé. 

^^1 

^^^^V       1  $  Li  rois  de  Bastanie,  de  terre  désertée, 

^^1 

^^^^H             Et  ot  gent  0  soi  merveilluse  menée; 

^^^H 

^^^^H            James  n'orrez  plus  laide  ne  plus  mal  faiçonée  : 

^^^1 

^^^^P             Les  testes  ont  plus  grosses  d'une  grant  buie  asnée, 

^^^1 

^^M                   leli  gros  et  vcrmetlz  plus  que  charbun  sur  cendrée, 

^^^1 

^^^^^        ao  Et  denz  grandes  et  longes,  onc  tel  gent  ne  fud  née. 

^^^^H 

^^^^H             Del  col  jesque  as  rains  n'ont  pas  une  colée  ; 

^^^^^H 

^^^^H            Les  ventres  ont  Itiisanz  corne  vessie  emflée  ; 

^^^^^1 

^^^^H            Del  piz  ne  de)  meoton  ne  set  Toni  devisée  ; 

^^^H 

^^^^^             ï^s  jambes  ont  plus  grailles  c*uoe  hanste  planée; 

^^^1 

^^^^^        2J  Lung[e)s  sunt  a  merveille,  plus  ont  d'yne  bracée; 

^^^H 

^^^^^&            Et  braz  comme  altre  gent^  mais  lor  main  est  plus  lée  ; 

^^^1 

^^^^H            Et  ont  el  destre  poing  une  votge  si  ferrée 

^^^1 

^^^^^H            Que  onques  ne  veistes  arme  si  bien  soit  acérée 

^^^1 

^^^^H            Qu'ele  mielz  ne  trenchast  quant  ele  est  afilée  ; 

^^^H 

^^^^H       \o  la  altre  ferement  n'avront  en  lor  contrée; 

^^^^1 

^^^^K            0  ce  tranche  chascun  quant  fque]  il  lui  agrée. 

^^^1 

^^^^H             Vers  cels  n'a  nule  gent  en  bataille  durée. 

^^^H 

^^^^H            Tuz  jorz  vivent  de  char,  tels  est  lur  destinée, 

^^^1 

^^^^2           '  Ne  ja  altre  viande  n'iert  par  els  adesée. 

^^^H 

^^^^^       l\  Mult  manacent  les  noz,  Dcu  lur  doinst  mal  entrée, 

^^^1 

^^^^^              Car  SI  Uovcr  les  poent  mort  sont  sanz  recovréel 

^^1 

^^^^H           Setgnors,  granz  fud  tî  ostz  que  ftij  Soudan  manda  : 

^H 

^^^^^K            lÀ  rois  Helanz  i  vint  ;  une  gent  i  mena 

^^H 

^^^^^^           D'entre  Yndc  et  Bestanic  o  ja  riens  ne  croîstra  : 

'^^1 

^^^          f  Soffr, il.  —  rî  u,  Sp.  et,  —  tj  $p.  Bastaine.  —  r6  Sp.  Ot  ou  fei  une gcm.  —  c8            ^^^H 

^^B      i^.  d*itne  buif  aotne.  —  lo  t<  stcond  hémist.  a  hé  laissé  en  blanc  dans  Sp. 
^^H      itns  Sp  :  tuppr.  m.   —  91  que  mamjutdans  OmS*  tt  U  dans  Sp. 

-   i^Omu                   ^H 

1! 

28  p.  MEYER 

40  Baugarie  la  noment,  ne  ja  riens  n'  iavra. 

Iloec  sunt  les  plusors,  mais  uns  formiz  i  a, 

Greinors  sunt  de  gorpilz,  cil  quil  set  le  conta  ; 

Jesque  riens  en  est  mors  ja  puis  ne  guarra. 

Ja  home  de  la  contrée  de  pain  ne  mangera, 
45  Ne  nen  beivra  de  vin,  ne  drap  ne  vestira  : 

D'erbc  vivent  tuz  jors,  que  ja  ne  lur  faudra  ; 

Et  sunt  plus  verz  de  cive,  qui  vérité  en  dira. 

Ne  ja  nul  de  bataille  pur  arme  ne  fuira. 

Ne  d*cscu  ne  de  riens  son  cors  ne  cov[er]ra, 
$0  Car  un  vestement  font  de  glaiol  qui  creist  la. 

Que  riens  nel  pot  perchier,  tant  ne  s'en  pcnera; 

Mais  fundes  criement  mult,  ja  nus  nés  atendra. 

Et  furent  bien  vint  mile  0  celui  quis  guia. 

Mult  manacent  Franceis,  que  ja  nus  n'en  vivera 
$5  S[e]  encontrer  les  poent,  mes  Deus  les  en  guarra. 

Pirrus  d'Orcanie,  de  Gomorre  o  sunt  li  oliphant 

Ramena  une  gent  de  merveillus  semblant  : 

Lung  sunt  a  desmesure,  por  poi  ne  sunt  jaiant. 

Les  testes  ont  bien  lunges,  et  unt  el  front  devant 
60  Un  oil  gros  et  r[o]ont  et  merveillus  luisant; 

Et  ont  becs  cum  ostur,  mes  asez  sunt  plus  grant  ; 

Unques  rien  ne  veîstes  tant  durement  trenchant. 

Si  armer  [se]  seûssent  ja  rien  ne  cremissant. 

Bien  furent  .xxx™.  hardi  et  combatant 
6$  Qui  manascent  les  noz,  Domedé  les  gravant! 

S[e]  encontrer  les  poent  tuz  sunt  mort  sanz  garant. 

Seignors,  d'utre  le  Nil,  d'une  terre  boschage, 

I  vindrent  une  gent  de  mult  laid  façonage  : 

Groinz  et  oreilles  ont  comme  beste  salvage, 
70  Et  soies  comme  pors,  nel  tenez  a  folage. 

Sus  ciel  n  a  ferement  qui  lur  feîst  damage. 

Mais  pieres  criement  plus  que  nul  oisel  volage, 

Et  manjuent  l'un  l'autre  quant  il  lur  a  corage. 

Plus  furent  de  vint  .m.,  trestut  d'un  seignorage. 
7)  Damedé  les  confunde  qui  sur  tuz  a  maistrage! 

Car  mult  dient  tuit  qu[e]  il  nos  f[e]ront  damage. 

Mult  i  vint  uns  princes,  ce  sachiez  voirement, 
Qui  tint  Lande  florie,  d'entre  Ynde  et  Orient,  (p,  213) 

U  sunt  li  Bangarot  plus  neir  que  n'est  serpent 
80  Qui  gettent  feu  et  flambe  quant  ire  les  esprent. 
James  gent  ne  verrez  de  lor  faiçonement  : 
Un  pié  a  chascon  d'els,  seignors,  tant  sulement; 

4)  Sic  dans  Us  iiux  mss.,  corr.  Dès  que  ...garira  —  4$  5p.  Ne  ne  b.  —  47  Sp.  que 
c,  q.  vein.  —  $0  Ox/,  v.  en  f.  —  51  Oxf,  t  et  ne.  —  j6  Sp.  P.  de  Gonorie.  —  J9 
el,  ms,  le.  —  60  Corr,  i  merveilles  1.  ?  —  77  5p.  M.  i  vient  ceo  sachez  icil  richement  ; 
corr,  M.  i  V.  ce  s.  U  princes  richement  ? 


RÉCIT   DE   LÀ   PREMIÈRE   CROISADE 

Plus  est  lé  d'une  mine  selonc  nii[e]n  escient. 
De  ce  funt  co vertu re  a  la  pluie  el  al  vent^ 
85  Car  ne  poent  suffrir  orage  ne  forment. 
Si  cil  Irovenl  les  noz,  mult  ira  malement  ; 
Riens  nés  pot  guarir  fors  Deu  l'omnipotent, 
Car  prui  sunt  a  merveilles,  mais  de  cor[r]e  sunt  lent, 
Et  dorment  bien  cinc  jorz  sanz  nui  resperement. 

90  Près  del  soteil,  un  poi  d'utre  terre  Nubie, 
De  la  contrée  sèche  u  nu  le  rien  o'afie, 
l  vindrenl  Garemant,  une  gent  effroïe. 
Ignel  sunt  a  merveille,  et  est  tute  lor  vie 
El  convers  d'unes  caves  dunt  lur  terre  [estj  garnie, 

95  Mielz  en  flejroil  un  sul  en  une  pescherie 
Que  trente  pescheors  od  reiz  u  od  navie» 
Igncl  furent  as  guerres  de  celé  seignorie^ 
Mais  ]a  borne  de  la  terre  n'en  f[e]ra  coardie  ; 
Et  ont  la  pel  tant  dure  et  tant  acouarcie 

»oo  Ne  prisent  nul  cop  d'arme  une  pome  porrie. 
Cil  jurent  Mahomet,  qui  sur  els  a  maistrie, 
Si  Franceis  les  atcndent  qu'il  ne  lor  fuiront  mie  : 
Ja  nés  guara  H  Deus  qui  nasqui  de  Marte. 

Barons,  ultre  le  flum  que  Ton  nome  Geau, 

10^  Qui  sort  en  Parais,  en  l'ort  espirilau, 

Vindrent  Emofradites,  une  gent  n*estretau  : 
Madles  et  femeles  sunt  de  Tumblir  [en]  avau  ; 
Del  faire  et  del  suiïrrr  sunt  irestut  comunau  ; 
Dès  le  ventre  en  avant  sunt  homes  naturau, 

1 10  Ne  mes  que  la  mamele  senestre  ont  femineau, 
A  norrir  lor  enfanz,  qui  ja  ne  viveronl  d'au 
Jesqu[e]  il  ont  trente  anz,  et  sunt  lur  egau; 
Les  testes  ont  crestécs  ensement  com[e]  gau, 
El  ont  les  denz  plus  cleres  que  pieres  de  cristau. 

Il)  Maldil  soient  il  luit  de  Deu  espiritau, 
Car  trop  sunt  deffaé  [el]  enguinos  el  mau  I 
Mull  dient  qu^as  Franceis  movront  grant  ba[tejslau  ; 
Ja  nés  en  guardera  lor  Damedé  ne  eau. 

Enprès  Emofradites  vindrent  Cenopha!î| 
120  Une  gent  merveilluse^  onques  home  tel  ne  vi  : 
Aboi  de  chien  resemble  br  parole  et  lur  cri^ 
Et  si  ne  sont  pas  grant  mais  forment  sunt  hardi  ; 
Tute  jor  s'en  corn  bâtent,  car  en  ce  sunt  norri, 


29 


8d  Manqut  dans  Sp.  —  87  Sp.  nés  porra.  —  88  corir ;e,  Sp.  cucr.  —  89  Sp.  respi- 
tcnem.  —  94  Sp,  El  mîelieu.  —  9i  Sp.  un  sol  peschor  en  lor.  —  99  Sp.  et  itant  anercie. 
^-  loj  O1/.  fuirent  ;  Sp.  qu*il  ne  s'en  fuient  mic.  —  jo^  Sp.  Ja  ne  les.  — 104  Sp.  Gau. 
—  107  Sp.  del  nombnl  en  avau.  —  ïoB  Sp.  De  f.  et  de  s.  —  tu  Sp.  ei  il  s,  corne  lor 
t,  —  118  lor  mantjue  dans  Sp,  —  120  Corr.  d* après  Sp.  Iiom;  de  mimt  i^i,  eU,  — * 
tai  CQ^.  A  loi,  Sp.  Abaî. 


^O  p.  HSTER 

[O]  ones  granz  serpenz  d'naes  certes  d'id, 
125  Et  lor  Toieot  les  champs  qui  tox  jorz  sboI  flori  ; 

Ja  riens  n'i  eiitr[erja  taot  ait  le  cors  vieUi, 

Ne  tant  i  ait  eogroté  ne  plaie  ne  fiebli 

(Se  on  poi  y  demore,  senprcs  ne  soit  gari  ; j 

Cil  dieot  de  nos  Fraocets  mort  sont  et  csdianHy 
1 30  Ja  par  oostre  Seigoor  ne  seront  goaranti  ; 

Mais  si  Den  pUist  al  roi  il  n'ira  mie  tsâ  : 

Il  les  pnet  bien  deieadre  car  mnh  snnt  si  ami. 

De  la  terre  de  Libie,  d'âne  estrange  régnez, 

U  snnt  les  granz  serpens  que  ont  les  chicb  crestez 
135  [I]  Tindrent  une  genz  jamès  tez  ne  Terrez, 

N^  issi  contrefaite,  n'issi  desfignrez  : 

Sanz  testes  naissent  toz,  mes  très  en  mi  le  pez 

Ont  la  bûche  et  les  denz  durement  enfossez  ; 

Et  vivent  de  langostes  dont  il  i  ad  assez, 
140  Ne  ja  ne  bevra  nus  nen  en  iert  esseez. 

Daniel  les  apde  homes  sanz  testes  nez. 

Por  corfr]e  set  jomées  ne  seroit  uns  lassez. 

Ne  ja  nus  ne  sera  [ne]  vestnz  ne  chauciez, 

Que  plus  snnt  il  vduz  que  rooton  sejomez. 
14)  Pels  portent  en  bataille  granz  et  lungs  et  quarrez. 

Mult  manascent  les  noz,  Deu  nos  les  guarantez  I 

De  terre  d'Ethiope  vindrent  Ethiopès  : 

Neirs  sunt  comme  charbnn,  car  de  charbon  sunt  pr^. 

Onques  de  lor  façons  n'oîstes  homes  mes, 
1 50  Car  nu  sunt  comm  boes  et  ont  ungles  et  becs. 

Grant  sunt  a  desmesure  et  durement  engrès. 

Sul  de  lur  une  main  avroit  un  home  son  fès  ; 

N'i  ad  cil  ne  preist  un  cheval  par  eslès. 

Trestut  jurent  la  loi  Mahomet  al  pooneis 
155  Que  noz  Franceis  f[e]ront  morir  [toz]  desconfès. 

Enprès  cels  d'Ethiope  i  vindrent  Nubien, 
Et  li  paen  de  Egipte  et  II  Arabîen. 
Harauz  de  Capadoce  qui  fud  fiz  Galîen, 

Ad  trente  mile  homes  qui  trestut  furent  soen,  (p.  215) 

160  Et  li  Roges  lions  et  11  Vaacîen, 

Et  li  rois  Aîllrous  cui  sunt  li  Libîen. 

Que  diroie  ge  el?  car  tant  sunt  li  paien. 

Si  Damedé  n'en  pense,  mort  sunt  [li]  crestîen. 

Seignurs,  tant  en  [i]  vint  que  nuls  ne[sj  pot  norobrer  ; 

124  Sp,  d'une  terre  de  qui.  —  12s  Sp.  veem.  —  127  Suppr.  i.  —  128  Manque 
dans  oif.  —  129  Corr.  C.  de  nos  F.  dient  —  13^  Sp.  qu'ont  les  testes  c.  —  144  5p. 
motons  soranez.  —  1 50  Probablement,  selon  G.  Pans  y  cornu  s.  come  hoc.  —  1 52  5p.  S. 
d'u.  de  1.  m.  i.  h.  un  f.  —  154  Sp.  M.  U  puidnes.  —  i($  03^.  omet  [toz],  Sp.  mort 
toz.  —  160  Sp.  Vabicien?  —  161  Sp.  airoux  et  U  L.;  —  cui,  Oxf.  qui.  —  164  Sp.  t.  en 
y  out  que  homme  n. 


RÉCIT   DE   LA   PREMIÈRE  CROISADE  )( 

165  Soz  ciel  n'a  clerc  ne  lai  qui  les  seûst  conter  : 

Ne  remaint  Sarazin  jusqu'à  la  Roge  mer, 

Ne  jusqu'as  porz  de  Libe  u  nus  ne  pot  passer 

Que  [li]  Soudan  de  Perse  iloc  n'ait  fait  joster. 

Corberan  les  comande  trestoz  a  chaeler  ; 
170  II  li  a  dit  :  «  Amis  pensez,  tost  del  haster, 

»  Pensez  sur  tute  rien  de  servir  et  guarder 

»  Mon  biau  fiz  Moadas  que  jo  tant  puis  amer  ; 

>  Car  se  il  i  morroit  il  m'estovreit  desver. 

—  Sire,  •  dist  Corberan,  «  rUns  ne  t'estoet  duter  ; 
175  >  Va  t'en  a  Sarmacene  seignier  et  reposer, 

»  Et  sachiez  bien  de  voir,  si  Franceis  puis  trover, 
»  Tant  t*en  amerrai  gU  dont  tu  porras  poplcr 
»  L'ile  de  Marmoions  u  fait  mal  converser. 
»  Iloc  les  feras  vivre  et  tut  tens  laborer, 
180  »  Et  porras  chascon  an  grant  aveir  conquester. 

>  Mais  ces  salvages  genz  fai  trestoz  trestorner, 
»  Car  trop  i  ad  des  autres  si  ja  les  poez  mener. 

—  Corberan,  »  dist  Soudan,  «  mult  par  dites  que  ber; 
»  Auge  se  donc  chascon  la  ou  sont  converser, 

185  •  Car  mult  fort  te  seroient  en  rieure  a  doctriner; 
»  Et  si  Mahon  otroie  que  peûssez  achever, 

•  Tant  creisterai  vostre  fié  ne  me  porrez  blâmer.  » 
Lores  s'en  torna  Soudan  et  comence  a  plorer 

Por  son  fiz  Moadas  qu'il  ne  pot  oblier. 
190  Et  Corberan  ad  fait  ses  busines  soner. 

Ce  est  signifiance  qu'il  s'en  velt  remuer. 

Donc  peûssiez  voier  ces  granz  chameilz  trosser, 

Muls  et  mules  et  buffles  lur  vitailles  porter, 

Et  les  félons  paens  sur  les  chevals  monter. 
195  Corberan  vait  premier  qui  bien  les  set  guier.' 

Puis  ont  tant  chevalchié  que  vindrent  en  Vaus  cler  ; 

N'orent  mes  que  dez  jornées  solement  a  errer. 

Iloec  fait  tute  l'ost  li  paiens  arester. 

Car  iave  duze  i  ont,  s'i  fist  bon  sejorner.  (p.  216) 

200  Puis  a  hii  les  amirailz  devant  soi  apeler 

Et  lor  a  dit  :  c  Seignors,  entendez  mon  penser  : 

•  Mult  [vos]  voldroic  tuz  servir  et  hennorer, 

•  Et  sor  trcsinie  rien  vostre  travail  oster, 

•  Franceis  sunt  fieble  gent,  bien  l'ai  oï  conter, 
20 (  »  Guerroier  ne  poent  mes  ne  soifrir  n'endurer, 

»  Durement  sunt  coars,  tost  les  poet  l'em  virer  ; 
»  Por  ce  voii  envoier,  si  me  volez  lœr, 

•  Trois  messages  avant  por  els  espo{a]nter, 

16$  conter,  Sp.  nomer.  —  169  Oxf.  chaceler,  Sp.  chadcler.  —  171  Oxf.  et  de  g.  — 
17 j  Sp.  Samarccnc  —  177  Sic,  ajoutez  pris  après  amerrai?  —  178  Sp.  Marmoins.  — 
181  Sp.  si  la.  —  187  Sp.  ne  m'en  p.  —  197  Sp,  fors  dis  jours.  —  200  Suppr.  a.  — 
205  Corr.  G.  m.  ne  p. 


|1  p.  MEYER 

»  Et  les  flejrai  forment  laidier  et  manascicr, 

210  i  Etdel  riche  soudan  et  de  nos  deffier, 

t  Car  s^  il  nos  atendent  mort  sunl  sanz  recovrier, 

•  Et  si  nos  i  poûm  aîtanl  délivrer, 

1  Ne  sai  por  coi  laissom  avant  noz  cors  pener. 

>  Scignors,  »  dist  Corberan,  t  si  vos  le  me  loez, 


J'ai  transcrit  ce  morceau  pour  faire  voir  cjue  le  but  de  Tauteur  était  autant 
d'étonner  ses  auditeurs  par  des  récits  étranges  i|iie  de  les  instruire  des  faits  de 
la  croisade,  L*épisode  qu'on  vient  de  lire  pourrait  être  intitulé  «  des  Merveilles 
de  rinde  >.  Les  merveilles  de  l'Inde  sont,  comme  l'on  sait,  Tun  des  lieux  com- 
muns de  la  littérature  du  moyen-âge^  et  les  metteurs  en  œuvre  des  antiques 
légeodes  sur  Alexandre,  pour  oe  citer  qu'un  exemple,  n'ont  pas  manqué  d*en 
enfler  leurs  compositions.  Ici  comme  toujours  en  ce  sujet,  c'est  Isidore  (voy. 
V*  1^)  qui  a  fourni  la  matière  des  développements  de  notre  auteur  :  non  pas 
entièrement,  toutefois,  mais  je  ne  trouve  pas  la  source  des  faits  peu  nombreux 
qui  ne  sont  pas  au  moins  en  germe  dans  Isidore.  Voici  les  passages  des  Etymo' 
hgia  dont  le  poète  s'est  inspiré. 

V.  41.  Y  a-t-il  ici  un  souvenir  des  fourmis  chercheuses  d'or  dont  il  est 
question  dans  Pline  et  ailleurs?  Voy.  Berger  de  Xi vrey,  Traditions  téralologiqucs^ 
p.  2J9-67,  et  Bergaigne,  Revue  critique ^  ^^74»  «rt.  120. 

V.  82  et  suiv.  Isid.  XI,  iii,  23  r  «  Sciopodum  gens  fertur  esse  in  ^thiopia, 
»  singulis  cruribus  et  celcritate  mirabili;  quos  inde  oxioitoSa;  Graeci  vocant, 
•  co  quod  per  aestum  in  terra  resupini  jacentes,  pedum  suorum  magnitudine 
»  adumbrantur  f. 

Vers  90  et  sutv.  Isid.  XIH,  xiii,  lo  :  1  Apud  Garamanlas  fontem  esse  aiunt 
j>  ita  algentem  die  ut  non  bibatur,  tta  ardente  m  no  de  ut  non  langatur.  i  Je 
doute  beaucoup  que  ce  passage  soit  la  source  à  laquelle  notre  poète  a  puisé. 

Vers  106  et  suiv.  Isid,  XI,  iii,  11:1..,  Hermaphrodilae  autem  nttncupati 
eo  quoà  eis  uterque  sexus  appareat,  1 

Vers  119  et  suiv.  Isid.  XI»  iii,  ïj  :  «  Cynocephalj  appellantur  eo  quod 
1  canfna  capita  habeant,  quosque  ipse  latratus  magis  bestias  quam  homines 
■  confilelur  :  hi  m  India  nascuntur.  t 

Vers  IJ4  et  suiv.  Isid»  XI,  iii,  jy  :  «  Blemmyas  in  Libya  credunt  truncos 
9  sine  capite  nasci,  et  os  et  oculos  habere  in  pectore  ;  alios  sine  cervicibus 
1  gignij  oculos  babentes  in  humeris.  » 

Je  ne  suis  pas  en  état  de  déterminer  la  cité  t  d'Orcages  •  au  v.  3.  Le  même 
nom  de  lieu  figure  en  d'autres  textes  encore.  Il  ne  m'en  revient  actuellement 
qu'un  exemple.  C*est  dans  une  des  plus  récentes  rédactions  de  R&îûnt^  dans  le 
ms.  Bourdillon  (mainlenant  à  Châteauroux).  La  prière  que  le  remanîcur  met 
dans  la  bouche  de  Rolant  mourant,  et  qui  correspond  à  peu  près  d  la  tirade 
clxxviij  du  texte  d'Oxford  (édît.  Th.  Mùller),  fait  mention  de  Jonas 

Que  la  balene  transgloti  en  estant 
Al  port  d'Orcûist,  desoz  la  garillant, 


RÉCIT   DE   LA  PREMIÈRE  CROISADE  3) 

Soz  Niniven  on  erent  mescreant, 
La  le  geta  a  une  aube  aparant. 
(Fol.  64  du  ms.  ;  p.  228  de  mon  Recueil  d* anciens  textes.) 

Je  ne  sais  que  penser  des  Vaaciens  du  v.  160,  mais  au  même  vers  le  c  Rouge 
lion  1  est  un  personnage  connu.  Il  appartient  à  la  tradition  populaire  de  la 
croisade.  C'est  de  cette  tradition,  bien  ancienne  comme  l'on  voit,  qu'il  est 
entré  dans  la  narration  d'Albert  d'Aix,  où  il  figure  au  nombre  des  quatre  grands 
émirs  de  Yaghi  Syân,  (Darsianus)  chargés,  avec  Chems  ed-Daula  (Sansadonias) 
fils  de  Yaghi  Syân,  de  la  défense  d'Antioche.  Ces  quatre  émirs  ont  dans  Albert 
des  noms  qui  indiquent  à  ne  s'y  point  méprendre  le  travail  de  l'imagination 
populaire:  c  Adorsonius,  Copatrix,  Roseleon,  Cazcomutus  •  (Alb.  Aq.  III, 
zxxvi).  Roseleon  (ou  cette  fois  Rossilion)  figure  de  nouveau  dans  Albert  IV, 
xlix ,  et  a  enfin  trouvé  place  dans  la  Chanson  de  Jérusalem  :  voyez  l'index  de  la 
Chanson  d'Antioche  de  M.  P.  Paris  au  nom  Rouge-lion,  Il  a  aussi  un  rôle  dans 
Baudouin  de  Sebourc,  mais  avec  ce  poème  nous  sommes  dans  le  domaine  de  la 
pins  pure  fiction. 

TROISIÈME  MORCEAU. 
{Oxford y  p.  250,  Spaldingfol.  54  b,) 

Quant  nostre  crestîen  orent  le  mur  fermé, 

Un  petitet  en  furent  de  la  aseûré, 

Entr'els  et  le  chastel  u  sunt  li  deffaé; 

Mab  por  endroit  de  viande  sunt  tut  des^eré, 
S  Car  en  tute  la  vile  n'ad  tant  [ne]  vin  ne  blé 

Dont  il  peûssent  vivre  un  sul  jor  a  planté; 

Por  ce  ont  fait,  seignors,  mainte  deshonesté, 

Ja  en  sunt  li  auquant  malade  et  engroté  ; 

Damedé  les  [rejgarde  par  la  sue  bonté! 
10  Si  fn-a  il,  ce  quid,  mujt  lur  a  //  targié. 

Un  jor  en  sunt  trestuil  li  crestîen  josté, 

Et  font  procession  en  l'onor  Damedé 

Par  tûtes  les  églises  qui  sunt  en  la  citié  ; 

Od  eus  ot  un  provoire  vielz  et  de  mult  grant  aé, 
i3  Nostre  Sire  l'amot  et  si  l'ot  espiré;  (p.  251) 

Cil  lur  a  dit  :  •  Seignors,  ne  soiez  effreé  : 

i  Oiez  que  nostre  Sire  m'at  anuit  révélée  ; 

»  Si  m'aît  cil  maïmes  a  qui  ge  ai  parlé, 

»  Ja  n'i  avra  par  foi  nule  rien  contrové. 
20  •  Seignors,  enprès  matines,  ainz  que  fust  ajorné, 

»  Quant  nos  eûmes  tut  nostre  mestier  chanté, 

»  Et  nostre  compaignon  s'en  furent  tut  aie, 

>  Si  remis  al  mostier  qui  est  de  la  mère  Dé 

»  Proier  nostre  seignor  (le  roi]  de  majesté 

2  Sp.  aseguré;  de  mime  scgurté,  v.  aj.  —  4  de,  Sp.  la.  Suppr.  por.  —  10  targié, 
cgrr.  tarie.  —  i^  Sp,  l'amoit  ei  l'avoit.  —  19  Sp,  p.  moy.  —  2}  Sp.  cl  m. 

Romania^  V  3 


34 


25 


3o 


35 


40 


45 


5o 


55 


6o 


65 


P.  MEYER 

Quf  il  lur  amenast  conseil  et  seûrté. 

Atant  me  vint  un  home  de  si  fiere  biauté 

Que  tut  fui  esbahis,  quant  ge  l'oi  avisé; 

Et  ot  en  sa  compaignie  un  viel  home  barbé 

Et  une  bêle  dame  qui  sembloit  flur  d'esté. 

Li  sires  vint  avant  et  si  m'ad  demandé  : 

Diva!  conuis  tu  moi?  di  moi  la  vérité. 

Et  ge  lui  respondi  :  Ge  non,  sire,  a  non  Dé, 

Puis  vi  environ  lui  une  estrange  clarté 

Et  une  croiz  de  fust  pendue  a  son  costé. 

Telc  pour  m'en  est  prise  tut  oi  le  sen  troblé  : 

U  le  volsisse  u  non  m'estoet  chaîr  pasmé, 

Mais  cil  m'en  releva  bêlement  et  sué, 

Puis  m'a  trestut  de  chief  li  sire  araisoné 

Si  ge  l'en  conuîsse,  et  l'en  dis  mon  pensé  : 

Sire,  si  ce  est  veirs  que  ge  ai  esguardé, 

Par  cest  signe  de  croiz  que  tu  m'as  demostré 

Voi  ge  que  tu  es  cil  qui  as  le  mond  salve 

Et  descendis  en  terre  por  prendre  humanité. 

—  Voire,  ce  me  dist  il,  mult  as  bien  deviné  : 

Trente  trois  anz  i  ai  od  vos  conversé  ; 

As  Jueus  fui  vendu  qui  m'ont  chier  achaté; 

Pilate  fui  livrée  a  un  paen  desvé  ; 

Idonc  morrui  por  vos  tut  de  ma  volenté  : 

Voiz  tu  enchore  la  plaie  en  cest  destre  costé 

Ou  me  feri  Longis  o  un  glaive  acéré. 

Al  tierc  jor  surrexi,  bien  est  puis  esprové, 

Et  me  poiai  as  ciels  en  ma  grant  deité 

U  ge  ai  appareillié  le  liu  boneûré 

A  cels  qui  bien  feront  et  tendront  leiauté. 

Mais  ce  n'estes  vos  pas  que  ge  l'ai  apresté.  — 

Lores  li  chaî  as  piez  et  ai  forment  ploré, 

Et  li  criai  merci  de  sa  crestïenté  : 

Sire  qui  toz  jorz  maint  en  sainte  .Trinité , 

Membre  toi  de  tun  poeple,  ne/  laissier  esguaré, 

Car  trop  se  sunt  [cil]  Turc  sur  nos  avertué. 

Ne  guarder  mie,  sire,  a  nostre  foleté  : 

Si  tu  ne  nos  aies  a  mort  sûmes  livré. 

Et  il  me  respondoit  :  Mult  vos  ai  até  : 

Niques  vos  fis  ge  prendre,  onc  n'i  fustes  grevé 

Et  tote  Romanie,  et  de  long  et  de  lé, 

Et  mainte  grant  bataille  vaincte  (sic)  par  poesté  : 

Ore  al  de^rrain  estes  par  moi  entré 

Dedenz  ceste  forte  vile,  onques  ne  fustes  veié. 


(^  2  $2) 


26  Sp.  vient.  —  27  Sp.  omet  ge.  —  30  Sp.  devant.  —  ^$  Sp,  m'en  ot  p.  —  36  le, 
Sp.  je.  —  $7  5^.  me.  r.  —  39  Sp.  le  conoiseic.    Oxf.  et  ge   l'en  ;   Sp.   omet  ge  i*. 

—  40  Oxf.  t.  ore  v.  —  41  Oxf.  P.  iccst.  —  43  Sp,  a  t.  —  45  Sp.  vcirement  c.  —  48 
Sp.  Illoec  mori.~52  Sp.  Et  m'en;  Oxf.  doité.  —  n  qe,  corr.  cuir  Sp.  qi  jeo  ay  ajosté. 

—  60  5^.  esvertué.  —  63  Sp.  aiéj  corr.  ajué?  —  64  n'i,  Sp.  n'en.  —  68  Sp.  onc  n'en. 


RÉCIT   DE   LA  PREMIÈRE  CROISADE  35 

Mais  H  plusor  de  vos  sunt  vers  moi  malmené 
70  •  Et  en  avoient  [ja]  si  grant  orguil  trossé 

Ne  lur  menbroit  de  moi  par  cuil  erent  gardé; 
Por  ce  les  voil  guerpir,  car  forment  les  en  hé, 
Et  issi  s'apercevront  que  de  moi  sunt  sevré, 
Et  que  lur  a  valu  il  qu'il  ont  oblié.  — 
Lores  oi  si  grant  doel,  quant  ge  Toi  escuté 
Que  bien  quidoie  de  voir  que  Deus  nos  fust  fine. 

Barons,  quant  nostre  Sire  nos  ot  si  maneciez, 

Ne  sai  por  coi  mentisse,  tut  fui  désespérez  : 

Mais  la  gentilz  pucele  et  li  vielz  home  barbez 
80  •  Li  chaîrent  as  piez  od  grant  humilitez 

Et  li  ont  dit  :  Biau  sire,  ne  soiez  curreciez, 

Ne  destruiez  les  bons  por  les  maleûrez. 

Sire,  s'il  ont  forfait,  si  [le]  lur  pardonez 

Car  mult  vos  ont  servi  en  estrange  régnez. 
85  1  Par  els  est  cist  païs  des  paens  délivrez 

Et  ceste  citié  prise;  ne  mais  la  fermetez 

Ou  est  hore  Mahom  serviz  et  hennorez, 

Desore  i  sera  mis  nostre  crestientez 

Et  nostre  loi  tenue  et  vostre  cors  sacrez. 
90  I  Sire,  por  vos  meïsmes  prenge  vos  en  pitiez, 

Oiez  en  lur  proieres  [et]  si  les  succurez  !  — 

Et  il  lur  comanda  :  Ore  vos  en  levez. 

Car  a  faire  m'estœt  ce  que  vos  [re]querrez.  — 

Pois  se  toma  a  moi  qui  mult  fui  effreez, 
93  I  Et  me  comanda  dire  :  Ne  vos  esmaï[ss]ez,  (p.  253) 

Car  desque  a  quint  jor  vos  aurai  regardez.  ^ 

Et  issi  com  ge  l'ai  dit,  seignurs,  et  vos  l'oez 

Sui  prest  que  ge  l[e]  jure  si  vos  le  comandez  ; 

U  faciez  un  grant  feu  et  je  soie  enz  getez^ 
ICO  1  U  d'une  de  cesturs  contreval  tresbuchez; 

Et  si  Deu  me  guarist  que  ne  soie  afolez^ 

N'est  pob  droit  ne  mesure  que  ge  soie  dutez. 
—  Par  foi,  •  ce  dient  tuit,  t  mult  grant  chose  en  offrez  : 
I  Le  seranent  nos  faites,  atant  nos  sera  assez.  • 
io5  Lores  aportent  les  sainz  o  cirges  alumez, 
E  si  jura  li  prestres  qu'isi  ert  veritez  ; 
Puis  distrent  tuit  li  autre  sur  les  lur  leiautez 
Que  quant  Deus  nostre  sire  les  avroit  délivrez 
Et  lur  seroit  en  pais  remise  la  citiez, 
1 10  Tuz  iroient  ensemble  la  ou  sis  cors  fud  nez. 
Encore  en  a  plus  dît,  ce  sai,  li  plus  Thancrez 


71  Oj^,  remenbrott.  Sp,  p.  qi  e.  —  7}  Suppr.  Et.  —  74  Sp.  cco  q'il.  —  7J  Sp.  omet 
gt,  —  76  Suppr.  bien,  ou  corr.  quidai.  Sp,  qe  de  n.  f.  aie.  —  86  Sp,  ne  ne  mes  ccstc  f. 
—  91  5^.  me  covient.  —  96  5^.  G.  jusqu'au  ticrz  j.  —  98  Suppr,  ge.  —  99  Sp.  Ou  vos 
fMex  wi.  —  100  tresbuchez  étaprb  Sp.;  Orj,  gettcz.  —  104  Sp.  od  unt;  pour  sera  a>rr,  ert. 


)6  p.  MEYER 

Que  tout  comm  il  auroient  quarante  Francs  armez, 
Ne  s'entorneroient  il  por  estre  découpez. 
Seignors,  ceste  parole  les  a  mult  confortez  : 
*  ii5  N'en  i  ad  un  tut  sul  ne  soit  confessonez 
De  tuz  icels  péchiez  dont  il  est  meserrez 
A  Tevesque  del  Pui  qui  fud  saives  letrez 
Et  il  les  en  ad  toz  et  asolz  et  quitez. 

Quant  tut  iceo  iiid  fait,  seignurs,  que  vos  disom 
120  Et  li  prestres  ot  dit  la  révélation, 

Si  i  out  un  saint  home  que  l'on  nomeit  Perron  ; 
Cil  lor  ad  dit  :  c  Barons,  escutez  m^  raison^ 
c  Si  m'aît  Jhesus  Crist  qui  soffri  passion, 

•  Ne  si  de  mes  péchiez  me  face  Deu  pardon, 

•  Ja  par  moi  n'orrez  vos  nule  rien  si  bien  non. 

>  Bien  a  un  mois  passé  que  en  ma  herbergeison, 

•  La  defors  ceste  vile  la  ou  nos  estîom, 

>  Saint  Andriu  l'apostle  me  vint  en  avision, 

•  Et  me  dist  bien  de  voir  ceste  vile  avrîom. 

>  Et,  quant  Deus  ce  duroit  que  dedens  serîom 

•  Maint  mal  et  maint'  angoisse  nos  i  soffrinom. 
»  Puis  me  redist  li  sires  que  si  nos  foîssom 

•  A  l'église  saint  Pierre,  al  nobile  baron, 

•  Devant  le  maistier  autel,  desuz  un  vert  perron, 

>  Icele  sainte  lance  por  voir  i  troverom 

•  0  quoi  Longis  naffra  nostre  seignor  Jhesum. 

>  Grant  mestier  nos  avroit  si  nos  la  portîom 

•  En  la  fiere  bataille,  quant  paen  li  félon 

•  Se  voidroient  combatre  o  nos  par  contençon. 

>  One  mes  a  nule  rien  n'en  fis  [solj  mencïon, 

•  Car  tut  tenoie  a  fable  et  a  déception, 

•  Et  cremoie  qu'en  fusse  tenu  fol  et  bricon  ; 

•  Mais  anuit  me  revint  et  me  mist  a  raison 

•  Si  ge  le  conuïsse,  et  ge  li  dis  que  non  : 
145  —  Ge  sui  Andreu  l'apostle,  le  frère  saint  Simon, 

»  Qui  de  celé  vile  osta  jadis  la  loi  Mahom 

•  Et  en  chasça  Simon  maga,  Tenchanteor  félon  ; 

•  Crestïenté  i  mist  par  sa  prédication, 

•  Puis  la  reorent  paen  par  leur  séduction^ 

>  Et  l'ont  tut  tens  tenue  jesqual  tens  Garsîon, 

•  Qu^  ore  Pont  perdue  sans  recovration. 

•  Et  m'a  il  dit  de  voir  que  tut  seûr  seions 

•  Des  paiens  desconfire  si  nos  nos  combatom, 

•  Et  que  Deus  nostre  père,  seignurs^  qui  nos  creiom 

•  En  cinc  jorz  nos  avra  tuz  mis  a  guarison 

m  \>,  ne  ic  rctomeroit  il.  —  116  est,  Sp,  ad.  —  120  la,  Sp.  sa.  —  125  par,  Sp, 
por.  -  117  Sp,  quant  nos  y  e.  —  1^2  Sp.  omet  si.  —  13)  A,  Sp.  en.  —  1  j9  Sp.  omet 
YoUtToicnt  —  U)  Sp.  Si  je  le  conoissoie.  —  146  Sp.  ostai,  et  omet  jadis.  —  147  Sp. 
Kl  ih«v«l.  -^  \ii  Sp*  pur,  tt  omet  acheison.  —  149  la  reorent,  Oxf,  la  lorent. 


125 


i3o 


i35 


140 


i5o 


i5.S 


iP'  2S4) 


RÉCIT   DE   LA    PREMIÈRE   CROISADE  Ij 

•  El  nos  délivrera  del  mal  que  nos  soffrom,  i 

Por  ce  que  l'om  le  croie  s[ij  ad  [dilj  Btiiamoti: 

<  Faiia  porter  les  sainz  et  nos  si  le  jurom,  » 

Et  \\  [si]  firent  sempres,  sî  jura  le  prodhom; 
i*>o  Puis  lor  ad  fait  li  evesques  un  mult  pitus  sermon^ 

Et  lur  ad  comandé  qu'ol  granl  affliction 

Preïsscnt  lendemain  des  prestres  confession. 

El  il  si  firent  tuit  od  bone  entencîon  ; 

Por  ce  les  délivra  Deus  de  la  genl  Pharaon 
»6&  Qui  forment  les  assaillent  entur  et  d'environ; 

Damcdé  lur  en  rende  en  enfcm  guerrdon, 

U  a  feu  plus  ardant  que  cel  que  nos  usom  \ 

Freidur  est  vers  celui,  pur  voir  l'aficliom  j 

Hoc  ardent  li  diable  [et]  Pilate  et  Neiron 
170  Et  li  félon  Jueu  qui  par  grant  trahison 

Occistrcnt  Jhesum  Crist  qui  resorst  Lazarom. 

Et  Deusl  comm  iloec  ont  dulureuse  maison  1 

Ci]  Sire  nos  en  guard  que  ja  la  n'en  augom, 

Qui  mua  Teave  en  vin  par  sa  beneïçon  ! 

Comparez  cet  épisode  avec  Baudri^  1.  HI;  éd.  Bongars,  p.  1 14, 1.  \o^  à  p.  1  s6, 
L  18;  ou  éd.  de  TAcadémie,  p.  6 $-7.  Le  poète  s'est  permis  comme  toujours  un  assez 
grand  nombre  de  modifications  :  ainsi  les  deux  personnages  qui  accompagnent 
Jésus  dans  rapparition  sont  ici  désignés  d'une  façon  vague  :  «  un  vieil  homme 
barbé,  —  une  bêle  dame  *  (v.  28-9).  Baudri,  diaprés  les  Gcsia  :  «  Aderat  eliam 
sanctissima  sua  genitrix  et  princeps  apostolorum  Petrus  sanctissimus  w  (Bongars 
iti,  l.  6-7J.  —  La  fin  de  l'épisode,  depuis  le  v.  157,  est  de  pure  imagina- 
tion :  nen  d'équivalent  ne  se  trouve  dansBaudri.  Au  v.  11 1  il  paraît  y  avoir  quel- 
que trouble  dans  le  texte  :  Baudri  (Bongars  n  5,  56,  éd,  de  r^cadémie,  p,  67)  : 
i  Tancredus  Hidem  (uravit,  et  adiecil  quod  quamdiu  secum  posset  haberc  ,xL 
militer,  Iherosolimitano  Jtinere  nequaquam  recederet.  » 


QUATRIÈME  MORCEAU. 

(Oxford,  p.  327,  SpaUing^  fol.  70  b.) 

Seignurs,  si  vait  de  guerre  qui  la  veit  [a]  mener  :  {p,  ^27) 

Les  uns  en  estoet  rire  et  les  autres  plorer. 
Mais  d*ice  vos  lairom  ceste  foiz  a  parler, 
Si  dirom  de  Tevesque  del  Pui  danz  Naïmer 
5  Qui  fud  en  Antîoche  remis  por  sejorner. 
Ha  Deusl  comm  grant  domage!  qui!  porreit  reconter? 
Car  II  mais  lî  est  pris  qui  tut  fait  afmer  : 
Ce  est  U  mort  dotonise  que  Ten  ne  puet  passer. 
Tel  doel  demainent  toz,  nés  poet  Fen  atagler. 
10  Ce  fud  un  diemenche  ainz  terme  de  dîgner 

if8  &p.  Cl  si  les  vos  jorron.  —  164  Corr.  Por  ces  d.  —  168  Sp.  par  Dieu,  —   171 
rtsam  kaorh  Sp.,  Oxj\  resuscita  —  172  Sp.  Deus  corne  ad  illoec. 
'/.  L  ac.  —  <   ^'    '      ' 


10^, 


9  Sic  la  diux  mss. 


j8  p.  MEYER 

Que  [il]  s*est  fait  enoindre  et  bien  confessoner  ; 
Puis  a  fait  les  barons  devant  soi  apeler. 
Et  lur  ad  dit  :  c  Seignurs,  ne  vos  puis  mes  durer, 
»  Ge  me  moer  a  estrus,  Deu  en  pensse  ahorer  ! 
1 5  »  Mais  s[i]  onc  vos  fis  rien  dont  vos  doie  peser, 
»  Pardonez  le  moi  tut,  car  ne  m'en  poet  membrer. 
»  Et  d*icel  menu  peple  que  vos  devez  guier, 
»  Por  l'amur  deu  del  ciel  vus  pri  del  bien  garder, 

•  Et  sor  [tres]tute  rien  de  vos  bien  entre  amer. 
20  f  Et  si  descorde  i  creist,  pensez  de  Tacorder  : 

»  [E]  Deu  sera  o  vos  si  issi  voliez  ester.  • 

Enquore  deïst  il  plus  por  eus  asseûrer, 

Mais  Deus  a  prise  l'aime,  qui  Ta  fait  dévier 

Et  en  Sun  parais  a  ses  angles  porter. 
25  Ha  Deus!  qui  donc  veïst  les  chadaines  plorer, 

Et  lur  chevols  detraire  et  lur  barbes  tirer, 

Et  la  menue  gens  par  ces  rues  crier, 

Et  sur  [tres]tute  rien  sun  grant  sen  regreter  ! 

f  Haï!  gentilz  evesques,  tant  par  estiez  ber! 
3o  f  Le  domage  àt  vos  qui  nos  poet  restorer? 

•  Qui  nos  savra  jamès  durement  comforter! 

•  Vos  nos  paissiez  toz  de  vostre  sermoner, 

•  Nus  ne  poveit  de  vos  desconseillez  aler. 

>  Haï!  Deus  glorios,  coment  poez  endurer! 

35  •  Por  coi  nos  tolz  celui  qui  nos  deust  chadeler, 
f  Par  qui  nos  quidïom  Jerl'm  recovrer 

>  Et  crestienté  mètre  et  ta  loi  eshaucier? 

>  Mais  tu  ne  nos  en  velz  a  cestefoiz  ai[di]er 

•  Et  or  ce  nos  estoet  en  noz  paîs  torner 

40  •  U  morir  en  estur;  nel  poùm  eschiwer,  {p,  328) 

•  Car  mult  avom  fort  gent  et  maie  a  trespasser. 

•  Certes,  s[e]  il  fust  droit  et  l'en  Tosast  penser, 
»  Et  Ten  trovast  a  qui  Ten  s'en  peûst  clamer, 

»  Mult  en  faîssiez,  Sire,  malement  a  blasmer.  » 
45  Et  einsi  les  oîssiez  biau  seignors,  dementer, 
Desi  que  Tendemain  qu'il  l'ont  fait  enterrer 
Od  granz  processions  et  od  messes  chanter 
En  Teglise  saint  Piere,  devant  le  maistre  auter. 

Quant  l'evesque  del  Pui  tu  mort  et  enterrez, 
5o  Et  li  merveillos  doel  fud  alques  trespassez. 

S'est  eissuz  d'Antioche  li  bons  coens  alosez. 

Danz  Raimond  de  Seint  Gile,  et  a  ses  ostz  menez 

Droitement  a  La  Mare  qui  fud  lius  assaziez 

Ou  ot  mult  Sarrasins  qu;  il  en  ad  gettez  ; 
55  Et  s'i  ad  fait  evesque  qui  mult  fud  bien  letrez. 

Et  fud  en  Antioche  benoît  e  sacrez. 

1 1  Sp.  qll  —  24  Ojç/^.  s.  saint  p.  —  îJ  D'aprh  Sp.;  Oxf.  Nos  ne  poet.  —  35  Suppr. 
le  second  nos}  —  ^9  Sp,  Poroc  nos  estoet   —  40  Sp,  Ou  m.  nos  estoet.  —  45  Suppr,  Et. 


RÉCIT   DE   LA  PREMIÈRE   CROISADE  39 

Le  discours  que  notre  auteur  prête  à  Tévèque  du  Puy  mourant  n'est  fondé 
sar  aucun  texte  que  je  connaisse.  Il  n'y  en  a  pas  trace  dans  Baudri,  et  les  quel- 
ques paroles  que  les  Gesta  (p.  153)  mettent  dans  la  bouche  d'Adhémar,  n'ont 
aucun  rapport  avec  l'exhortation  qu'on  vient  de  lire.  Elles  ne  sont,  du  reste, 
ni  plus  ni  moins  vraisemblables. 

CINQUIÈME  MORCEAU. 
(Oxford,  p.  349,  Spalding,  fol  75  c.) 

Barons,  selon  l'estorie  que  Baudri  a  ditée, 

Pu  Jerl'm  assise  qui  de  Turcs  fud  poplée 

A  un  marsdi  de  join,  [enjdroit  la  relevée. 

Mult  angoissement  fud  Tost  de  eve  grevée  ; 
3  Poi  en  porent  trover  al  mains  d'une  jomée, 

Et  celé  que  i  trovent  ère  si  eschaufée 

Et  quant  ele  est  en  l'ost  a  paine  est  adesée. 

Dui  de  lor  chevaliers  de  [mult]  grant  renomée 

Sont  [de] parti  un  jor  od  maisniée  privée  : 
10  Raimonz  Pilez  fud  Tuns,  s'aime  soit  corunée! 

Et  li  autre  Rainolz  de  Taurin  l'efforciée. 

Dreit  al  chasan  saint  Gile  ont  lor  voie  dresciée. 

Ici  ont  une  masse  de  Sarazins  trovée  : 

Bien  estoient  dous  cenz  d'icete  gent  folée, 
i3  Qui  aloient  cerchant  les  pas  de  la  contrée. 

Mult  l'ont  forment  li  nostre,  ce  saciez,  escriée^ 

Mais  onc  point  ne  se  tint,  ainz  est  sempres  virée, 

Car  ne  fud  pas  aprise  de  guerre  ne  usée. 

Solement  des  adubs  dont  la  nostre  est  armée 
20  S'est,  Deu  merci,  la  lor  tant  fort  espo[eJntée 

Qu'il  nés  atendissent  por  nule  rien  née. 

Ne  por  oc  si  l'ont  tant  nostre  Franceis  hastée 

Que  a  l'ateindre  en  ont  mort  dedenz  une  valée 

Et  de  lur  chevals  pris  tute  une  haraschiée,  . 
25  Trente,  ce  dit  li  livres  qui  ad  l'ovre  contée. 

Puis  s'en  sunt  [il]  torné  en  l'ost  a  la  vesprée  (v*) 

Mult  s'en  sunt  esjoï  por  la  gent  que  ont  tuée, 

Et  plus  por  les  chevals  dont  ont  fait  recovrée. 

Et  la  gent  que  remistrent,  qui  ne  funt  reposée, 
3o  Assaillirent  la  vile,  qui  fud  [et]  grant  et  lée, 

[De]  devers  saint  Estiesne  u  ele  est  efforciée 

De  dous  peires  de  murs  et  d'une  tor  quarrée. 

Ha  Deusl  comm  unt  bien  fait,  voire  vertu  nomée! 

Car  le  mur  detorein  u  estoit  lor  fiée 
35  Unt  le  jor  depeschié  que  n'e[n]  remist  bracée  ; 

I  Sf,  Seignof...  notée  —  4  Sp.  Mais  a.  —  19  Oxf.  dous  adubs,  Sp,  des  dons  —  21 
Sv.  atenitissant...  nomée  —  29  Vers  omis  dans  Sp.-^^x  de,  Sp,  il  —  34  deforein,  Sp. 
dicstorem  (!) 


40  p.  MEYER 

Puis  a  li  coens  Robert  une  cschiele  aportée 

De  si  qu'a  l'autre  mur  u  il  Ta  acostée 

One  de  poier  amont  ne  fist  nus  refusée, 

Anceis  s'entrcfoleient  come  gent  forsenée. 
40  Trois  Normanz  et  un  Brct  Tont  prcmerain  montée, 

Qui  onc  jusqu'as  kernels  ne  firent  reposée 

U  estoient  li  Turc,  cui  Deus  doinst  encombrée! 

Les  coigniées  es  poinz  par  doner  grant  colée. 

Ha  !  tant  en  i  receivent  et  tant  i  ont  donée, 
4^  Et  tant  en  velssiez  chaïr  jambe  versée, 

Que  si  sut  quatre  eschieles  eûst  en  Tost  levée 

Prise  fust  la  citié  le  jor  sans  demorée. 

3.  Feria  tertia,  octavo  idus  Jimii,  Baudri,  IV,  9  (éd.  de  TAcad.  p.  97  c);  ce  qui 
est  contradictoire,  puisque  le  8  des  ides  de  juin  (6  juin)  était,  en  1099,  "°  ^^^^^ 
et  non  un  mardi.  II  faut  donc  changer  ou  octavo  en  scptimo^  ou  firia  tertia  en 
feria  suunda.  Cette  faute  vient  des  Gesta  Francorum  (Hist.  occid,^  III,  1 59,  1.  1). 
La  vraie  date  est  le  mardi  7  juin  tertia  feria,  septimo  die  intrante  junio,  Tudeb., 
p.  102;  de  même  Fouchicr  de  Chartres,  I,  2j,  Guill.  de  Tyr,  VIII,  j. 

8-28.  Épisode  tiré  de  Baudri,  IV,  10  (éd.  ae  l'Acad.  p.  97F),  qui  ravait  em- 
prunté aux  Gesta  (p.  1  (9).  Je  ne  sais  ce  que  c'est  que  le  chasan  (?)  Saint-GUt  du 
V.  12.  Rien  de  semblable  dans  le  latin. 

29  et  suiv.  Baudri  IV,  10  :  «  Feria  secunda,  constanter  i.mpetierunt  civîta- 
•  tem  ;  et  ut  putabant,  rêvera  tune  prsevaluissent  si  scalas  suîficienter  praepa- 
f  rassent.  Straverunt  tamen  murum  exteriorem  (cf.  v.  34),  et  scalam  unam 
f  erectam  admoverunt  ad  interiorem.-  Super  illam  autem  vicissim  ascendebant 
»  milites  christiani  ;  et  cominus  praeliabantur  in  muro  cum  Sarracenis.  »  Rien, 
ni  ici  ni  ailleurs,  sur  le  comte  Robert  (de  Flandres  ou  de  Normandie  ?)  qui  paraît 
au  V.  37,  non  plus  que  sur  les  Normands  et  le  Breton  du  v.  40. 

SIXIÈME   MORCEAU. 

{Oxford,  p,  370,  Spalding,  fol.  80  b,) 

Seîgnors,  ceste  bataille  que  ge  vos  ai  contée 
Fud  vencue  en  Aùst  a  une  relevée. 
Al  quart  jor  dedevant  une  feste  sacrée, 
Asumption  l'apele  la  gent  qui  sunt  letrée 
3  Cum<  sainte  Marie  fud  as  ciels  translatée, 
U  Dame  deus  lui  fait  quantque  a  lui  agrée. 
Icele  nuit  se  sunt  nostre  gent  sujornée 
Jesque  vint  lendemain,  qu'ele  s'est  remuée 
Droit  en  Jérusalem  la  citié  renomée, 
10  Qui  ne  crient  roi  ne  conte  si  nen  est  afamée. 

La  chançon  est  finée  qui  mult  est  bien  rimée. 
Si  cels  qui  en  chanteront  ne  font  tresturnée. 
Ore  proiom  por  celui  qui  si  bien  l'a  ditée 
S'il  i  a  rien  dît  u  parole  ajostée 
i5  Que  estre  n'i  deûst,  que  lui  soit  pardonée.  (p.  371) 

40  Sp,  ont  tôt  premer  •—  46  5;^.  Et  si  sol. 
2  Sp.  en  l'ott  (!) 


RÉCIT   DB    LA    PREMIÈRE  CROISADE 

Ore  dîtes  tuii  amen,  qui  l'avez  cscutêe, 
Que  jamès  par  nu)  home  ne  sera  tels  chantée^ 


4t 


Baudri,  IV,  22  {éd.  de  TAcad.  p.  iio  f) :  o  Hoc  autem  bellum  tngens  factum 
est  .ij.  idus  Augusti,  et  Christianllas  ubique  Icrrârum,  Ûeo  gratias,  exaltata 
est.  V  —  Ici  paraît  se  terminer  la  chanson,  juste  au  point  où  s'arrête  Baudri  comme 
son  original  les  Gesta, 


CONTINUATION    DE   L'HISTOIRE   DE   U  CROISADE  (mS,    DE  SPALDING). 

Le  poème  est  fini,  mais  non  pas  le  ms.  d'Oxford .  Le  reste  de  la  page  571 
reste  blanc,  de  même  aussi  que  la  page  572,  mais  à  la  page  575  com- 
mence un  récit  emprunté  à  la  Chanson  de  Jérusalem,  par  conséquent 
tout  à  fait  étranger  à  notre  poème.  J'en  donnerai  un  extrait  à  Tappcn- 
dîce.  Présentement  je  reviens  au  ms,  de  Spaîding  qui  place  ici  une 
contmuatïon  dont  il  n'y  a  rien  dans  le  texte  de  la  Bodleyenne. 

Le  ms.  de  Spaîding  n'a  pas  les  sept  derniers  vers  du  morceau  qu'on 
vient  de  lire  :  La  chançon  est  finèe^  etc.;  mais  aossitôi  après  ie  vers  Qtu 
m  crient  roi  ne  conte...  l'histoire  reprend  ainsi  qull  suit  '  : 


Quant  la  furent  venu  la  joie  fu  molt  grant  : 
Al  Temple  et  au  Sépulcre  en  alerenl  errant, 
De  son  gu[a]aing  y  myst  ch  esc  un  s  de  maintenant, 
Et  Dieu  rendirent  grâces  ii  joefrie  et  li  ferrant; 
3  Puis  sont  acheminé  chivaler  et  servant, 
Et  dames  et  puceles»  burgeys  et  march[e]ânt. 
En  Jenco  parvindrent  tôt  dreit  a  Paves prant, 
Et  la  matyn  al  fîum  ainz  le  soleil  luisant. 
Mis  se  sont  el  repaire  devant  prime  sonant  ; 

10  A  lor  cols  portent  paumes  et  espi  verdeiant, 
En  Jerl'm  vindrcnt  li  paumier  combatant. 
Ove  le  rci  Godcfrei  se  myslrent  li  au  quant, 
Li  autre  de  Taler  se  vont  apareillant. 
Quant  ont  pris  [le]  congié  se  repeirenl  atant. 

|5  Dan  Robert  li  Frisons  et  Robert  li  Normant, 
Ovec  cels  dont  il  erent  el  guion  et  puissant, 
Dreit  vers  Costentinoble  s'en  alerent  siglanl, 
Par  Puille  et  par  Toscane  se  vont  achemynant, 
De  cy  q'en  lor  païs  s'en  vont  csporonanl  ; 

ao  Et  quant  la  sont  venu,  a  Jhesu  lez  cornant» 
De  ceus  qe  sont  remés  nos  estuet  dire  avant. 
Li  bons  reis  Godefrcis  n'ala  pas  somcillant, 


(/.  80  h) 


^^  nous  n'avons  plus  affaire  désormais  qu'à  un  seul  m^,  J'mdtque^  selon  l'usage, 

jr  des  I  I  et  les  suppressions  par  des  (  ). 
j  a  ailUurf  corr,  od. 


42  p.  MEYER 

Molt  sovent  endossa  son  hauberc  jaserant,  (c) 

Et  sovfnt  corocea  le  poeple  mescreant, 
25  Et  fist  son  conestable  d'un  chevalier  vaillant  : 
Del  baron  Tancré,  qi  molt  ala  grevant 
En  dreit  sei  lez  paiens  toz  jors  a  son  vivant; 
Molt  sunt  bien,  (le)  merci  Dieu,  le  pais  acquitaot.  • 

Buiamont  d'Antioche,  desqe  il  de  fi  sout 
3o  Que  TefForz  nostre  Sire  Jérusalem  priz  out, 

Al  conte  Baudoin,  a  Rohés,  enveout; 

Par  brief  et  par  message  certeignement  (lui)  mandout 

De  tôt  la  vérité,  et  qu'il  s'appareillout 

D'aler  ent  au  Sépulcre,  car  molt  le  desirout. 
33  C^ant  Baudoîns  Toi  grant  joye  en  demenout  : 

Achemyné  se  r'est  al  plustost  q'il  pout  ; 

A  ceus  bailla  sa  ville  en  cui  plus  se  fiout. 

A  Buiamont  manda  q'a  la  Liche  en  alout, 

Et  illuec  la  tindrent  o  cels  q'il  guiout. 
40  C^uant  li  messages  vint,  Buiamont  conseillout 

De  sa  citée  garder  a  ceux  que  plus  amout; 

(^uant  il  l'a  entendu,  plus  demorer  n'i  vout: 

Chescuns  de  sue  part  a  la  Liche  aprochout. 

La  troverent  grant  gent  que  Jhesum  auront, 
43  De  Jennes  et  de  Pis[e],  qui  iluec  sejomout, 

Car  en  meer  por  l'iver  nuls  mettre  [ne]  s'osout, 

Et  c'esteit  en  novembre  que  li  tens  refreidout. 

Li  evesque  de  Pise  Danberz  a  eux  parlout. 

Et  les  autres  barons  as  contes  acointout. 
3o  Tant  ont  parlé  ensemble  qu'o  eux  s'acheminout, 

Et  ot  tôt  le  navire  le  mielz  0  sei  menout. 

Quant  [il]  furent  ensemble  la  ou  Dampnedieu  plout 

Vint  et  cinc  mil  furent,  ce  dist  cil  qis  esmout  ; 

Chescuns  porta  0  sei  de  vivre  quant  q'il  pot; 
33  Mais  longe  fu  la  veie  et  petit  lor  durot, 

Et  la  paien[e]  gent  rien  vendre  ne  lor  vout, 

(^r  petit  lez  ama  et  molt  plus  le[z]  doutout, 

Ffors  li  reis  de  César  qi  veer  ne  Tosout, 

Et  icelui  de  Triple  qi  ove  cels  trives  ot. 
60  C^uant  li  vivres  lor  faut  chescun  s'en  esmaiot, 

La  marine  et  la  faims  [et]  l'yvers  lez  grevout, 

Et  tôt  le  mielz  peu  li  cols  amegreout. 

Li  evesques  Danbers  sovent  lez  sermonout  : 

Del  tôt  sofFrir  por  Dieu  bel  lez  amonestout  ; 
63  Et  cil  por  qi  le  firent  molt  tost  lez  visitout, 

Et  la  sainte  citée  devant  eux  lor  mostroit  {sic). 

Chescun,  quant  il  la  vit,  Jhesum  regraciout. 

Et  de  touz  sez  pecchiez  coupable  se  clamout  : 

36  Corr.  qfue]  il  pout,  a  ainsi  en  maint  autre  endroit  —  39  Corr.  l'atendroit? 


RÉCIT   DE   LA  PREMIÈRE   CROISADE  4^ 

Ove  grant  devocion  dedenz  la  ville  entrout,  (d) 

70  La  croiz  et  [le]  Sépulcre  molt  humblement  besout. 

Chescun  d'els  i  soffri  et  del  soen  y  donout. 

Li  bons  reis  Godefreis  lez  contes  apelout, 

Besa  les  et  joî  et  molt  lez  honorout. 

Vers  Beieem  alerent,  qar  Noeus  approchout. 
75  La  vindrent  al  servise  si  corn  il  avesprout  : 

Qi  out  cierge  00  chaandeie  volenters  Talumout, 

Li  junes,  li  chanuz,  tote  la  nait  veillout. 

Le  clergiez  douchement  y  liseit  et  chantout. 

Lendemain  de  la  feste  li  poeples  repairot, 
80  Dedeinz  Jérusalem  ii  poeples  herbergot. 

Quant  furent  li  baron  en  la  cité  venu, 

De  fere  patriarche  ont  concile  tenu 

Car  Emauz  li  cortois  del  tôt  demys  se  fu. 

Danbert  y  ont  eslit  li  joefne  et  li  chanu  ; 
85  Buiamont  s'en  pena  qi  lui  tint  molt  son  dm, 

Et  par  tôt  le  veiage  aveit  bien  entendu, 

Qe  de  tbuz  ceux  des  niefs  ert  durement  c[r]eû. 

Et  iert  de  grant  saveir  et  de  fier[e]  vertu. 

Et  qe  par  lui  sereient  cristlen  maintenu, 
90  Et  li  félon  paien  mat  et  escombatu, 

Vindrent  a  lui  li  mieldre  et  sovent  et  menu. 

Quant  orent  la  citée  et  la  (sic)  pais  veû, 

Chargierent  les  somiers,  si  se  sont  esmeû  : 

Non  par  la  ou  il  vindrent,  qar  bien  estoit  seû 
95  Qe  des  félons  paiens  fu  la  paîs  vestu. 

Et  que  lez  agueteient  le  poeple  Beizebu, 

Mes  devers  Galilé  ou  fu  noriz  Jhesu, 

Et  dreit  par  Nazareth  ou  il  fu  conceû. 

Par  dejost[eJ  César  Baudac  ont  perceû  ; 
100  Illoec  lez  agueitot  un  paien  mescreû 

Qi  fil  reis  de  Damas,  mais  rien  n'i  ot  perdu. 

En  lor  pais  entrèrent  et  del  lor  sont  eissu; 

Chescuns  en  sa  citée  a  joye  est  receu. 

Ore  est  dan  Buiamon  venu  en  sa  citée, 
io5  Molt  ad  bien  la  pâîs  entor  li  aquité. 

Par  force  ou  par  amor  ad  son  oes  atorné. 

Gabrielons  d'Arménie,  qi  proz  fii  et  séné. 

Par  bref  et  par  message  lui  ad  sovent  mandé 

Q^il  voleit  de  lui  fer[e]  seignor  et  avoé, 
iio  Et  q'il  lui  baillereit  sa  mestre  fermeté. 

Ce  fu  dreit  en  juignet,  quant  chaut  est  li  esté  : 

0  trop  petit  de  gent  i  est  li  quens  aie  ; 

Tant  fu  graindre  folie,  trop  est  asseûré. 

Uns  amiranz  de  Turs,  qi  tôt  confonde  Dé! 

101  ot,  corr,  ont?  —  102  Corr.  et dd  soen? 


44  P-  MEYER 

1 13  Damisman  le  fèloa  ove  sa  gent  fu  monté,  (/.  81) 

Molt  près  de  Melentine  s'enboscha  a  cdé. 

Quant  Buiamonz  i  vint,  des  Turs  est  escrié. 

Et  lui  et  toz  sez  hommes  ont  bien  a?ironé  : 

Le  plus  ont  retenu  le  meins  est  eschapé, 
120  Entre  les  primeraignes  li  quens  est  encombré. 

Quant  Damisman  le  tint,  molt  fiit  estreit  gardé, 

Tôt  dreit  a  Melentine  l'en  a  0  lui  mené, 

Assiégea  Gabriel  et  son  règne  ad  gasté 

Por  ce  qu[e]  il  ama  nostre  crestïenté. 
125  De  cens  qui  eschaperent  s'en  est  un'retomé; 

A  Rohans  est  venu,  tant  a  esperoné, 

La  prise  del  baron  lor  a  dist  et  conté, 

Un  loc  [a]  Buiamon  de  sez  chevox  coupé, 

A  un  Arménien  le  bailla  en  privé, 
i3o  Et  Baudoin  manda  tot[e]  la  vérité. 

Et  s[e]  onques  Tama  q'ore  li  fust  monstre, 

Et  a  celés  ensignes  qe  cil  li  ot  porté. 

Quant  Toi  Baudoin  n'[i]  ad  plus  sejorné  : 

0  tant  corne  ot  de  gent  s'est  tost  acheminé, 
1 35  As  barons  d'Antioche  ad  son  effors  josté, 

Vers  Melentine  veil,  tôt  rcngié  et  serré. 

Quant  Damisman  Toî  n'i  ad  plus  sejorné, 

Car  d'atendre  Franceis  n*ert  mie  porpensé. 

Le  siège  déguerpi,  del  fuir  est  hasté, 
140  Le  prince  Buiamon  enmeine  en  son  régné. 

Dolenz  fu  Baudoîns  quant  si  fu  eschapé  : 

Par  treis  jors  Tenchauça,  nen  n'ia  conquesté, 

Ariere  repaira  dolenz  et  abosmé 

Et  vint  en  Melentine,  si  est  dedenz  entré. 
145  Quant  Baudoin  s'en  part  Gabriel  ad  ploré^ 

A  Jhesum  le  comande  qi  en  crois  fii  pené^ 

Le  chemyn  vers  Rohés  a  ses  hommes  guié. 

Quant  il  est  la  venuz  un  message  a  trové 

Qe  li  dist  tieles  noveles  dont  est  molt  effreé  : 
1 5o  Qe  morz  est  Godefrois  li  proz  et  li  séné, 

Et  son  régné  lui  ad  lessé  et  devisé; 

Et  li  baron  lui  mandent  par  brief  ense[e]lé 

Qe  del  moveir  soit  tost  gami(e)  et  conreé. 

Quinze  jors  ainz  aost  fu  li  reis  enterré, 
1 55  Et  dous  ans  tint  la  terre  en  bone  poesté  ; 

Ce  fu  doels  et  domages  qe  si  poi  a  duré. 

Quant  il  Tad  entendu  molt  Tad  desconforté. 

Et  a  mandé  sez  homes,  toz  ceux  de  cel  risné  ; 

Par  le  conseil  de  tous  ad  Baudoin  feoffé 
160  De  trestoste  s'enor,  et  qe  lui  ont  juré 

A  porter  lui  amor  et  iei  et  leiauté  :  (b) 

Il  esteit  son  cosin,  si  Taveit  molt  amé. 

Tant  corn  il  pot  de  gent  a  li  quens  ajosté  : 


RÉCIT  DE   LA  PREMIÈRE  CROISADE  45 

Bien  douz  cenz  chivalers  hardiz  et  alosé, 
i65  Et  set  centz  d'autre  gent,  tant  furent  [il]  esmé; 

D'armes  et  de  chevaux  furent  bien  acesmé  ; 

Tôt  furent  li  somier  de  vitaille  trossié. 

Si  tost  corne  il  ainz  pot  est  li  quens  arroté  ; 

Par  devant  Antioche  a  la  Liche  passé, 
170  Et  Gibel  et  Tortose,  a  Tripel  est  assené. 

Très  devant  la  ville  a  son  paveilon  fermé. 

Environ  lui  sa  loge,  sa  meisn[i]e  einz  el  pré. 

Li  reis  y  est  venuz,  si  ad  0  lui  parlé, 

Et  pain  et  vin  et  meel  lui  ad  assez  doné. 
175  II  iert  ainz  son  amy,  si  l'ad  molt  honuré, 

Trestoz  lez  biaus  aveirs  lui  ad  abandoné, 

El  après  lui  a  dit,  et  tôt  de  veir  conté 

Que  Duhac  de  Damas  qi  fu  reis  coroné, 

Guinnahadol  0  lui,  un  amirail  desvé, 
180  0  mcrveillose  gent  de  grant  mal  porpènsé, 

L'agueitoient  devant  a  une  estreit  fossé. 

Quant  Baudoin  Toî  si  ad  son  chief  levé, 

Et  respondi  au  rei  qi  bien  Tad  escouté  : 

Si  Dex  le  voet  ayder  il  ne  dote  homme  né.    . 
i85  Après  y  ceux  paroles  est  de  lui  desevré, 

Dreit  a  Barut  parvint  tôt  un  cherayn  ferré. 

Or(e)  sont  devant  Baruth  ostelé  li  guerrier. 

D'illuec  a  .xv.  liewes  ot  un  petit  sentier  ; 

La  veie  fu  estreite  et  molt  haut  li  rocher  ; 
190  Devers  la  meer  lor  estoet  costeier  (sic)  y 

Par  iluec  lez  covient  lendemain  chevaucher. 

Par  matinet  levèrent  sergeant  et  esquier. 

Et  desqu'il  comencierent  cel  leu  [a]  aprocher, 

Baudoin  lez  fist  touz  armer  et  arengier, 
193  Et  il  me[îjsmes  sist  armez  sor  le  destrier. 

Avant  ad  enveié  des  suens  por  espier, 

Si  del  destreit  v[er]eient  nul  paien  desbucher, 

Quant  il  y  sont  venu  en  avant  d'un  milier  : 

Lor  saillerent  devant  la  chemyn  chalenger; 
200  L'un  d'eux  l'ala  ariere  a  Baudoin  noncier 

Qi  chivauchout  suef  com  bon  gonfano[n]er  ; 

Quant  il  l'ad  entendu,  n'[i]  ad  que  corocier, 

Lez  suens  amonesta,  si  les  prist  a  hettier  (sic)^ 

Et  bien  les  ordena  si  come  a  cel  mistier, 


Ce  morceau  suffit  complètement  à  montrer  quel  est  l'historien  que 
notre  poète  anonyme  a  suivi  dès  Pinstant  où  Baudri  lui  faisait  défaut. 
Cet  historien  est  Fouchier  de  Chartres:  non  pas  immédiatement  toutefois. 

188  II  y  a  quasi  milliariis  (ou  milliaribus)  quinque  dans  Fouchier  et  les  récits  qui 
m  dépendent. 


P,  MEYEU 

Fouchier  de  Chartres,  sans  parler  des  emprunts  considérables  qui  lui  ont 
été  faits  par  Orderic  Vital,  Guillaume  de  Tyr  ei  d'autres,  a  fourni  presque 
exclusivement  la  matière  de  deux  chroniques  de  la  Terre-Sainte  :  les  Gesta 
Francorum  ihemsaîem  expugnantiam^  d'un  certain  Barlholf,  «  Bartholfus, 
peregrinus  de  Nangeio  »,  selon  Banh  ', eil'H/sfori^  Hierosolymiianafaimi' 
buée  par  le  même  Barth  à  Lisiari  de  Tours  ^  C'est  incontestablement 
du  premier  de  ces  deux  ouvrages  que  se  rapproche  le  plus  notre  poème, 
comme  le  lecteur  en  pourra  juger  dans  un  instant.  Toutefois,  il  y  a  une 
difficulté  :  les  Gesta  Francorum  ihernsalem  expugnanîium,  composés,  paraît- 
il,  d'après  la  première  rédaction  de  Fouchier  de  Chartres,  ne  dépassent 
pas  Tannée  1 106,  et  notre  poème  pousse  l'histoire  d'après  des  sources 
latines  jusqu'à  la  prise  de  Tyr,  en  1 124,  sans  parler  d'un  récit  emprunié 
à  la  tradition  orale,  dont  il  sera  question  plus  loin*  Sans  doute,  on  peut 
se  tirer  de  cette  difficulté  en  supposant  que  notre  poète  aura  fait  usage  à 
partir  de  1 1 06,  soit  du  texte  même  de  Fouchier  de  Chartres,  soit  de  i*abrégé 
mentionné  plus  haut  qui  poae  le  titre  de  Hismia  Hlerosolymîtana,  Mais 
cette  supposition  n'est  guère  admissible.  Outre  que  ni  Fouchierni  VHisîO' 
fia  ne  rendent  pas  très-bien  compte  de  toutes  les  particularités  du 
poème,  il  serait  assez  peu  vraisemblable  que  Tîmitateur  français  n'eût  fait 
usage  de  l'un  ou  de  l'autre  de  ces  deux  textes  qu'au  défaut  des  Gtsîa 
Francorum  expugnanîmm  Iherusakm.  Pourquoi  n'y  a-t-il  pas  eu  recours 
tout  d'abord,  dès  le  moment  où  Baudri  lui  manquait  P  J'aime  mieux 
supposer  qu'il  a  eu  sous  les  yeux  un  abrégé  de  Fouchier  semblable  aux 
Gesta^  mais  conduisant  Thisloire  jusqu'en  1 124,  ou  pour  exprimer  autre- 
ment la  même  idée,  une  édition  des  Gesîa  continuée  jusqu'en  1 124. 

Voici  maintenant  le  texte  latin  des  Gesîa  Francorum  îherasatem  expu- 
gnantium  correspondant  aux  200  vers  qui  précèdent;  les  numéros  des 
vers  placés  entre  parenthèses  faciliteront  la  comparaison  : 

{Histor.  occid,  des  crois. ^  IIl,  çi8.) 
Ubi  (in  castris)  nocte  îlla  pausantes,  crastina  die  Ihemsaîem  cum  gaudio 
reversi  sunt ;  et  de  pra^da  quam  Dei  dono  ceperanl  oblationes  ad  sepulcrum 
Domini  gloriosum,  cum  gratiarum  actione  et  munera  mulla  oblulenint  (4).  Dc- 
hinc  flumen  Jordanis  adeuntes,  et  palmas  ex  more  de  Iherico  asportantes 
(10),  quidam  recedere,  quidam  rcmanere  Hierosolymis  in  pcrpeiuum  vove- 
runt.  Remansit  ergodux  Godefridus,  ut  pra^dtctum  est,  sublimatus  in  regem;  et 
retinuit  secum  Tancredum  quem  pradiccit  ducem  mïlitiae  sux  (z))*;  et  quam- 

1,  Bongars,  Gcsta  Dû  pcr  Francos,  p,  561  ss,;  Historiens  occidtntaux  des  croi^ 
sûdes,  m,  491  ss,;  c[.  ta  préface  de  ce  volume,  p.  xxxvi,  et  Sybel,  Geschichu  d^ 
erstcn  Kreaziugs^  p.  55. 

2.  Bongars^  p,  ^94  ss.;  Hist,  outd,  da  croisades^  111^  ^9  ss.;  cf.  la  préface, 
p.  xxxvii,  et  Sybel,  p.  s6, 

}.  Cet  mots  ifum  fr^iciî  àucm  miUtitt  sué,  sont  imdus  dans  la  trad.fr.  (2t)  R«ï 
ne  peut  les  avoir  empruntés  à  Fouchier,  où  lU  ne  $oni  pas. 


RÉCIT   Ql    LA   PREMIÈRE   CROISADE  47 

plur»  aJit,  um  clerici  quam  laicï,  tune  ibidem  remanseruni,  Robertus  vero^ 
œmcs  NormannÎJe,  el  Robertus  cornes  Flandriae  recedcnles  (15),  navigio  Con$^ 
ttotmopolim  se  conttikrunt  ;  deinde  per  Apuliam  ad  p^itnam  reversi  sunt.  Ceten 
quaque  multi,  Um  de  summis  quam  de  minimis,  quibus  pUcuit  patrias  sedes 
«visere,  quidam  pusillanimes  et  paupertate  despcrantes,  quidam  vcro  divites  et 
spolib  hostîum  locupletati,  Deo  gratias  agentes  discesserunt. 

Cap,  XL\ 
Post  haec  Boamundus  Antiochenus  (29)  et  Balduinus  Rothasiensîs^  audientes 
dvîtatcm  îhcrusalem  a  noslris  cxpugnatam  et  Christian^  professioni  subactam, 
Duntris  ad  se  mvicem  mtssis  proposuerunt  Iherusalem  ad  orationes  venire.  Mense 
igitur  no?embri,dispositis  quisque  rébus  suis  et  firmiter  munitis,  iter  arrrpicntes 
convtncnini  Laodiciam  (jS)a.  Erat  quipp€  ibi  Daimbertus,  Pisanus  episcopus, 
iBultique  alii  Pisani  et  Ravennenses,  qui  portui  Laodicioe  applicuerant,  et  oppe^ 
riebantur  donec  mare  tranquillum  esset  (46),  ut  Hierosotymam  navigarent.  Qui, 
cum  Boamundum  et  Balduinum  per  terram  profisci  novissent,  vecluris  adquisilis 
Daimbertus  episcopus^  cum  quibusdam  nautis  sibi  adhxrentibus,  ilHs  conjuncti 
sunt,  Erantque  simul  aestimati  fere  viginlï  quinquc  millia  (^5),  tam  equitum 
quam  peditum.  Et  cum  fines  Sarracenorum  ingrederenlur,  xslimantes  victus 
venâlia  ibi  reppcrire,  nichil  prorsus  invenerunt  qui  cis  venderel  aut  daret,  prae- 
tcr  Tripolîtanos  et  Catsarienses  r  59-60);  sed  eos  summo  odio  habebant,  utpote 
gealtin  quae  ad  eorum  destructionem  terram  ingressi  erant,  Unde  famé  et  înopla, 
algore  et  inedia  scpe  coniigit  eos  laborare;  hiems  enim  erat.  Patienter  tamcn 
(MBitia  pro  Christ i  nomine  susttnentes,  tandem  venerunt  Iherusaîem;  adoratoque 
Oomino,  et  sépulcre  e)us  orationîbus  et  ceremoniis  venerato,  cum  ingenti  gaudio 
Nitivîtatteni  Christi  celebraturi  Bethléem  veniont;  et  noctem  dominica?  Navîti- 
tts  pervigilem  duxerunt  (74).  Deinde  [herusalem  regressî,  cum  rege  Godf- 
frido  et  clero  et  populo  in  temple  Salomonis  congregati,  die  quadam  de  statu 
regni  et  cccîesta?  Hierosolyraitana?  tractantes,  Dainibertum  illum  Pisanum, 
annnentc  Boemundo^  in  patrîarcham  elegerunt,  et  ccclesiae  Stpulchri^  Emulfo 
\%j\)  deposito,  custodem  pr^efecerunt»  astruentes  illum  Daimbcrtum  exccderc,  el 
loti  regno  magnoperc  profuturum,  tum  quia  doctus  et  litteris  apprirae  eruditus 
eiset,  lum  quia  praeesse  et  prodesse  domi  cl  ecclesiae  jam  didicisset.  Eral  cl 
aliud  que  cum  magis  rctinuerunt  :  Pîsanos  enim  et  Januenses,  cum  quibus  ipse 
Daimbertus  vcnerat,  m  sua  quasi  potestate  habebat,  ut  quicquid  ipse  vellet,  ipsi 
veilent  el  fâcerent  iSyK  Ideoquc  necessarium  et  valdc  opporlunum  rcipublicac 
su*  duxerunt  si  lalem  virum  haberent  cujus  industria  et  sollertia  civitates  super 
mare  sitas  navigio  caperent\  itaquc,  eo  patriarcha  formate,  jumentis  resarci- 


I.  Cest  à  ce  point  que  commence  Tabrégè  de  Fouchier  donc  la  seconde  partie  nouj  est 
Hute  parvenue,  celui  qui  est  attribuée  Lisian  de  Tours,  ouvrage  écrit  d'un  style  préicn- 
lieux  et  1  m  poule,  plein  de  développements  oratoires  dont  II  n'y  a  p^is  trace  dans  le  poème. 

i.  Datu  Fouchier  de  Chartres  [Histor.  occid,^  111,  p«  36^),  il  est  spécifié  que  Baudouin 
rcQcontra  Boémond  auprès  de  Belmas  :  a  cumque  Gibellum  tranâisscmus^  Boamundum 
*•  in  tentoriis  suis  hospit^tum  ante  oppidum  quoddam  VaUnium  nominamm  assccuii 
»  tumus.  «Cette  mention,  qui  est  reproduite  dans  la  rédaction  de  Lisiart,  manque  dans  celle 
de  Sirtholf,  et  conséqucmment  dans  le  poème. 

}.  la  motifs  que  fait  valoir  ici  Bartholf  en  faveur  du  choix  de  Daimbcrt  (motifs  que 
U  poèint  reproduit  en  substance»  v.  8«  et  suiv*)  ne  sont  point  empruntés  à  Fouchier  qui 
ràcoDte  inddemrnent  Télection  ainsi  qu*il  suit  ;  u  Cum  autem  el  nos  et  jumenta  nosira 


48  p.  MEYEa 

tsatiSf  et  stipendiis  peropportune  munitis^ambo  dtices,  Boamundus  et  BalduinuSi 
non  codera  itinere  quo  vénérant,  metuebant  enîm  insidias  (94)*,  sed  juxta  mare 
Galileœ,  per  Tyberiadem  et  Nazareth,  ubi  nuntiatus  est  Chrislus,  et  per  Caesa* 
ream  Philîppi,  qu^  ad  radices  Liban!  montis  sita  est,  et  per  castnim  quod  Bal- 
bach*  (99^)  nomioatur^  ubî  etiam  aTurcis  qui  habitabant  Damasci  iosîdiatî  sunt, 
sed  nichil,Dei  gratia,  laesi,  in  Syria?  fines  pervenerunt.  Ubï  crgo  Syriam  ingressr 
sunt,  divisis  exercitibus,  Boamundus  Ântiochiam,  Baldumus  vero  Edessam,  cîvi* 
tatem  sûam  petiît  (lO}). 

Cap.   XLL 

Elapso  itaque  temporel  dum  Boamundu$  Antîochise  omni  prosperîtate  périme- 
retur,  omnesque  affines  sucs  aut  vi,  aut  obsequenti  amore  sibi  subjugare  mie* 
rctur^,  conligilmense  julio(io6)GabnheJeni  quemdam  Armenum  ad  eum  venirej 
ut  se  et  civilatcm  suam,  Melitimam  vocatam^  e»  Iraderet  atque  dilioni  e|us  sub- 
jugarct.  Ad  quam  susdpicndam  dum  Boamundus  cum  paucis,  oichil  obiter 
limens,  proficisccretur,  circumvenlus  insidiis  cu|usdam  admiraldi  Ttircorura^ 
Damsmanis  nomine  (115),  imprudenter,  non  longe  a  praefaia  urbe  captus  et 
detentos  est.  Civitalem  vero  Melilimam,  ob  idem  quia  Boaniuodum  intus  recipere 
volebant,  obsidîone  claudunt;  ubi  dum  sederent,  divulgatum  est  ab  iltis  qui  de 
captione  urbis  evaserant,  et  Batduino  Edess»  intimalum ,  quia  Boamundus^ 
dominus  et  amicus  ejus,  in  vincuHs  teneretur.  Ab  ipso  quoque  Boaoïundo  clam 
per  quemdam  Arcnenum  Balduino  nuntiatum  est,  cincinno  capitis  sui  absciso 
(  [ 2S),  ut  hoc  inierstgno  ei  subveniret.  Congregatis  ergo  Balduinus  suis  cum 
Anliochenis  ad  eum  succurrendum  properabal.  Quo  audito,  Danismanis  obsi- 
dione  pr2t:termissa  recessit,  et  abiit  in  regionem  suam  (1^9).  Verebatur  enim 
cum  Francis  confligere  nec  ulterius  eos  ibi  ausus  est  expectare.  Balduinus 
lamen,  itinere  dierum  trium  euro  persequitur,  sed  nichil  proficit  {142).  Rediens 
autem  de  persecutlone,  civîtatem  prxdictam  sibt  subjecit,  et  facti  sunt  amici 
ipse  et  GâbriheL 

Cap.  XUL 

Et  factum  est  mense  Augusto,  postquam  Balduinus  Edessam  rediit,  nuntius 
ei  festinus  de  Iherusaiem  occurit^  qui  nuntiavit  et  obitum  fratris  sui  Godefridi 
et  regnum  sibi  haereditario  jure  ab  eodem  tratro  dimissum  (1^1  ).  ÛbiJt  enim  dux 
Godefridus  post  urbe  m  cap  ta  m  Iherusaiem  secundo  an  no,  quinto  decimo  kalen- 
das  Augusti;  qui  dum  viveret,  non  dux  vel  rex,  sed  servus  et  prolector  patriae 
exstitit.  Quod  postquam  Balduinus  audivit%  indilate  terram  ilîam  quam  posside- 

n  quiète  necessana  altquantisper  vegetatî  essemus,  et  patriarcham  io  ecdesla  sancti 
»  SepuICTi  lam  Dux  quam  céleri  optimales  praffecuscnt,  ac\iic«  dornnum  Daiberlum  supc- 
»  rius  memorâtum,  redintegnto  stipendio  et  iumentls  nostris  oneratis...  d  (p,  366  e), 
Lisiart  (p.  no  c^)   reproduit  en  substance  les  paroles  de  Fouchter. 

I.  Les  motj  «i  metuebant  enim  iniidias,  1»  rendus  dam  le  poème  v.  94.  6,  manquent  i 
Fotichier  et  à  Listart. 

1.  Batidac  dans  le  poème,  maïs  une  variante  du  tcite  latin  donne  BaUach, 

).  U  y  a  simplement  dans  Fouchier,  p.  ]68  c  :  0  Doamundus  igitur  Amio<:hiam  pri- 
I»  mitus  advenit,  ubi  a  suis  gaudenter  est  susceptus.  Detnceps  regnum  suum  per  itx  men^ 
»  sesobtinuit  ».  (t'équivalent  dans  Lisiart,  p*  îjOt  «  R"*  w  saurait  rendre  compte  des 
vers  104-6. 

4.  &arthQlflai$se  décote  ta  remarque  [udicieuse  de  Fouchier  (dont  la  substance  est  repro- 
duite par  Lisiart  p.  ai  f):  «  dolens  aliquantulum  de  fratris  morte,  sed  plus  gaudens 
de  hereditate,  n  p.  n9  ^^  ^  poète  suppose  chariublement  (v.  1^7)  que  Baudouin 
fut  o  moU  dcsconfortè.  1» 


RÉCIT   DE    LA   PREMIÈRE   CROISADE  4^ 

bit  Batdamo  cttidnm  cognato  suo  collocans  (159),  Hicrosolymam  petiil,  assump* 
iti  sttrani  ducentis  fere  militibus  et  septingentis  pcdiiibus;  iterque  arripiens  pcr 
Antiochiam  et  Laodiciam  et  Gibellum,  Eracleam  cl  Tortosam  civitates,  Tripo* 
iïm  Tisque  pervcnrt  (170);  ibique  ante  urbem  hospitatos,  a  rege  Tripolitaao  est 
boRorifice  susceptus  (eranl  enim  adinvicem  amici  rex  Tripolitanus  et  Balduinus), 
ftnt  quoquc  cl  vino,  nccnon  eisilveslri  melle  (174)  muneri busqué  donatus,  inli- 
outum  est  ei  ab  eodem,  quod  Ducach  rex  Damascenorum,  et  Gynahadoles  admî- 
raldas  quidam,  cummultitudineTurcoruni  et  Sarracenorum  Arabumque  er  obîter 
msidiarcntur  (181)-  Quare  cavendum  eral  ne  ex  improviso  ab  eis  cjrcumveni- 
reottir.  Quo  audîtOy  Balduinus  hilari  vultu  animoque  constant!  respondit  se 
ncminem  timere  praeier  Deum,  dum  lot  et  taies  socios  itineris  haberet  quot  qua- 
ksque  siios  extstimabat,  profectusque  inde  venit  Birîttium  (186). 

Cap.  XUH. 
Non  enim  longe  ab  urbe  Biritho,  sed  quasi  milHanbus  quinque,  secus  mare 
trames  anguslissimus  et  inevitabilis  eral  (190),  quem  Balduinus  non  ignoran5| 
utpote  qui  jam  per  illum  transterat^  crastlna  aurora  illucescente^  suos  fecit 
armarj  atque  armatos  încederej  donec  ad  illum  venirent  tocum,  prsemitlens  specu* 
latores  qui  praeviderent  si  quae  insidiie  laterent  (197).  El  cum  pervenissenl  ad 
loojm  pracfcriptum,  patuerunt  însidiae,  et  viderunl  Turcos  hac  jllacque  cursi- 
tiotes  eosquc  circumvenire  praeparanles.  Quod  Gum  cognovissent,  conlestim 
Baldnino,  qui  post  acîes  venicbat,  per  quemdam  eorum  rnnotuerunt  (100).  Qui, 
cum  audiret  hostes  adesse,  mox  suos  diligenter  affatus,  et  in  Christo  roboratos^ 
alque  more  soliio  cohorlatos,  per  acies  cl  cohortes  divises^  ad  bellum  corope- 
tenter  ordinales  eduxit  (204)^ 


Le  lecteur  doit  être  maintenant  convaincu  que  le  poète  a  suivi,  non 
point  Fouchier  ni  son  abréviaieur  Lisiart,  mais  la  rédaction  de  Bartholf, 
Je  vais  présentement  transcrire  un  court  passage  où  sont  racontés  les 
é\*én€nients  des  années  1 1  lô  à  r  i  t8,  d*uiie  époque  par  conséquent  pour 
laquelle  la  rédaction  de  Banholf  nous  fait  défaut.  Les  remarques  qui  sui* 
vent  ont  pour  objet  de  montrer  que  si  au  fond  le  récit  du  poète  repro  - 
duil  en  substance  celui  de  Fouchier,  il  y  a  cependant  entre  l'un  et  Pamre 
des  différences  qui  rendent  peu  vraisemblable  Thypothèse  d'une  dériva- 
tion immédiate.  Lisiart  ne  paraissant  pas  non  plus  être  la  source  directe 
dtt  poème,  on  est  forcément  conduit  à  Thypothèse  indiquée  plus  haut 
ip.  45)  :  celle  d^une  rédaction  de  Bartholf  conduisant  l^hisioire  jusqu'au 
poiîit  où  s'arrête  Fouchier. 


D*iloec  vint  en  Helym,  une  cité  sacrée 
Que  li  filz  Israël  ont  faille]  et  conipassé[eJ, 
Quant  orent  la  mer  rouge  tote  a  sec  trespassé[e]  ; 
El  û  [l'Jont  îssi  gasle  de  trestout  bien  tf0vé[e] 
5  Qe  de  nul[ej  viande  n'[il  ont  trové  denrée, 
Qar  la  genl  de  la  ville  l'en  orent  lot*  ostée 
Qï  l'en  fu  por  le  rei  outre  la  mer  passée. 
Puis  vint  a  Montréal,  ove  lot  s'assemblée: 


(/.  93) 


50  P*  MEYER 

D'iloec  en  Jhrlm  par  sa  dreit[ej  jornée, 
10  U  il  [ot]  un[e]  chose,  beaus  seignors,  amendée 

Dont  sa  aime  fiist  a  estros,  s'il  la  tenist,  dampnée, 

De  sa  femme  q'il  ot  lealment  esposée 

Q^il  ot  por  la  contesse  de  Sezile  lessée, 

Mais  puis  la  r'a  ove  sei  lealment  accordée, 
i3  Et  guerpi  la  contesse  q'il  aveit  molt  amée. 

Puis  s*a  fait  un  chastel  en  meins  d'une  jornée 

De  la  cité  de  Surs  qi  molt  en  est  serrée  : 

Scandalion  Tapelent,  molt  i  ad  fort  alée  ; 

Puis  Ta  molt  bien  guarniz  de  meisn[ije  adurée. 
ao  Desci  q[ue]  en  Egypte  ad  sa  veie  atomée, 

U  il  ad  Pharamise  [et]  pris[e]  et  désertée 

Qi  esteit  sor  la  Nyle,  de  toz  biens  asazée. 

Peisons  i  ot,  seignors,  greignors  d'un  dorée  : 

One  nul[e]  viande  ne  fu  plus  savourée; 
i5  De  ces  mangea  li  reis  a  sa  fort  destinée, 

Car  sa  anciene  plaie  s'en  est  [donc]  recrevée 

C'onc  ne  poet  garir  par  aïe  de  mirée  ; 

Il  li  ont  fet  encore,  onc  melior  ne  fist  fée. 

Puis  vindrent  jesq'a  la  par  petit[el  jornée  : 
3o  Illuec  morut  li  reis,  s'aime  seit  coronée  ! 

Puis  li  ont  trait  del  ventre,  la  boel'  et  la  corée, 

Et  l'ont  bien(e)  netié[e]  et  de  bon  vin  lavée. 

En  un  cofre  le  mystrent  quant  il  l'orent  salée. 

Et  ont  en  Jhrl'm  le  corpstaportée. 
33  Moltl'i  a  Dampnedeus  bêle  chose  monstrée 

Dont  trestot[e]  sa  gent  fu  molt  esleecée,  (b) 

Car  le  jor  des  Palmes,  une  feste  honurée, 

Vint  en  monte  Olivete  ou  ja  estoit  montée 

La  processions  seinte  de  la  gent  ordenée. 
40  Ha  Deusl  corne  hautement  l'aveient  purchantée, 

Et  come  la  avoient  grant  joie  démenée  I 

Mais  quant  il  ont  veû  la  ber[e]  encortinée, 

Si  corurent  la  tuit,  si  l'ont  desvolupée  ; 

Quant  la  gent  le  vit,  por  poi  n'en  est  desvée; 
45  Lors  fil  tote  lor  joye  en  dolor  trestomée. 

5.  Il  est  dit  seulement  dans  Fouchier  (p.  432  a)  et  dans  Lisiart  (p.  573  p) 
que  la  ville  avait  été  évacuée  par  ses  habitants. 

9.  Ici  dans  Fouchier  (et  abrésé  dans  Lisiart)  un  Ions  développement  sur  la 
couleur  de  la  mer  Rouge  et  sur  Tes  fleuves  du  Paradis  (T.  II,  ch.  lyii  et  lvui). 

16-iQ.  Fouchier  (1.  Il,  ch.  lxii,  Lisiart^  p.  574  h).  Avant  d'en  arriver  âla  ion» 
dation  de  ce  château,  Fouchier  et  Lisiart  racontent  divers  événements  dont  notre 
poème  ne  dit  rien. 

21  et  suiv.  Fouchier  (1.  II,  ch.  lxiv;  Lisiart,  p.  57$  d).  Les  détails  sur  les 
poissons  donnés  aux  vers  23  et  24  manquent  dans  Fouchier  comme  dans  Lisiart. 

1 1  Corr,  D.  s'a.  a  e.  f.  ^  28  oncore  n*a  pas  de  sens;  corr.  onguent,  ou  entrait?  Les 
textes  latins  ne  sont  d'aucun  secours  —  29  Corr.  P.  v.  a  Laris?  cf.  Fouchier  p.  436  d.  — 
34  Corr.  Et  en  Ihenisalem  ont  la  char  (?)  a.  —  37  Corr.  Rampalmes? 


RÉGÎT    DE    LA    PREMIÈRE   CROISADE  Ç  I 

J*ai  copié,  et  on  trouvera  ci-après,  les  deux  cents  derniers  vers  du 
poème,  tel  qu'il  est  contenu  dans  le  ms.  de  Spalding*  Je  dois  avouer  que 
ces  vers  présenieni  des  difficultés  dont  je  n'ai  pas  trouvé  la  solution.  De 
ces  iQo  wers  les  ç  j  premiers  se  rapporlenl  à  la  prise  de  Tyr  par  les 
Chrétiens.  On  voit  d'abord  Baudouin  ^sans  doute  le  deuxième  roi  de  ce 
nom]  faire  enterrer  un  certain  Bralier,  nom  que  je  n'ai  jamais  rencontré 
dans  Thistoire  des  croisades.  Puis  le  même  Baudouin  se  montre  aux 
bbilants  de  Tyr,  qui  paraissent  fort  surpris  de  le  voir,  et  non  sans 
cause^  car  au  moment  du  siège  et  même  de  la  prise  de  Tyr  (i  124),  le 
roi  de  lérusalem  était  prisonnier  des  Sarrazins'.  Désespérant  de  pouvoir 
défendre  la  ville,  les  Turcs  obtiennent  du  roi  la  permission  d'envoyer 
demander  du  secours  à  BaUî,  leur  seigneur  :  si  dans  huit  jours  ils  ne 
sont  pas  secourus,  ils  se  rendront.  Baîet,  après  avoir  pris  l'avis  de  ses 
conseillers»  leur  fait  dire  de  ne  pas  compter  sur  lui.  Ils  se  rendent  donc 
au  roi  qui  leur  permet  de  quitter  la  ville  en  paix.  Ainsi  fut  prise  Tyr, 
dii  le  poète,  le  cinq  février. 

On  peut  dire  que  dans  ce  récit,  la  fable^  ou  peut-être  l'invention,  tient 
plus  de  place  que  la  vérité.  Le  rôle  qu'on  fait  jouer  à  Balet  est  d'autant 
plus  impossible  que  ce  personnage^  Témir  Balac  ibn  Berhami^  celui  qui 
tint  Baudouin  II  en  sa  prison  (cf.  v.  189),  mourut  pendant  le  siège  de 
Tyr,  tué  dans  un  combat  contre  Joscelin*.  C'est  du  sultan  de  Damas  que 
les  assiégés  purent  un  instant  espérer  du  secours?.  Enfin  la  ville  se  rendit 
non  le  5  février,  mais  le  7  juillet  1 124,  selon  Fouchier  de  Chartres^,  le 
19  juin  de  la  même  année  selon  Guillaume  de  Tyr  L 

Après  avoir  narré  à  sa  façon  la  prise  de  Tyr,  notre  poète  s*interrompt 
(d-après  v.  56  et  suiv.)  pour  nous  dire  que  l'histoire  d'après  laquelle  il 
a  composé  son  poème  s'arrête  là,  et  que  malgré  toutes  les  recherches 
qull  a  fait  faire  en  France,  il  n'a  rien  pu  trouver  de  plus.  Autrement  il 
eût  poursuivi  le  récit  jusqu*à  Foulque  d'Anjou  (1131).  Comme  compen- 
sation il  nous  raconte,  d'après  un  rapport  oral  qui  lui  avait  été  fait 
andennement  par  un  pèlerin  revenant  d*outre-mer,  un  épisode  qu'il 
place  immédiatement  ou  peu  après  la  prise  de  Tyr.  C'est  le  récit  de  la 
mon  de  Térair  Balac,  récit  qui  diffère  de  ceux  que  nous  ont  laissés  Fou- 
chier de  Chartres  et  Guillaume  de  Tyr  quant  aux  circonstances,  quant  au 
temps  et  quant  aux  acteurs,  c'est-à-dîre  sur  tous  les  points.  Le  témoi- 
gnage de  Fouchier  de  Chartres,  écrivain  contemporain  et  en  rapport 


I,  It  fut  délivré  deux  mois  après  la  reddition  de  Tyr:  voy.  Guillaume  de  Tyr, 
L  Xïlî,  ch.  XV,  Hiiior,  occid,^  J,  576, 

1.  Voy.  Fouchier  de  Chartres,  H«f or.  ocaJ.f  111,  46^0. 

|,  Voy.  Fouchier  de  Chartres,  L  L  p,  46 5D,  et  Guill.  de  Tyr,  p,  575* 

4.  L,  L,  p.  461. 

5.  L.  /.,  p.  576. 


52  p.  MEYER 

constant  avec  des  témoins  oculaires,  ne  laisse  rien  subsister  du  conte  de 
notre  romancier. 

Seignors,  quant  Baudolns  et  enterré  Braher,  (/.  104  a) 

De  devant  le  sépulcre,  al  porte  del  mostier, 

Si  est  aie  en  Test,  ove  lui  cent  chevalier. 

Quant  li  baron  le  virent,  si  Tont  aie  beiser, 
5  Tel  joie  li  font  tout  ne  la  siet  espreisier  ; 

Puis  est  venu  as  Turs  sa  venu[ej  mostrer. 

Quant  li  cuvert  le  virent  tout  durent  enrager  : 

De  la  ville  tenir,  ço  dient,  n'ont  myster; 

Il  ont' parlé  au  rei  q*il  lor  leist  enveier 
10  Por  Balet  lor  seignor  q'il  lor  vengeaidier. 

Sinon  prenge  la  ville  et  lor  face  afier 

Qu'il  s'en  puissent  aler  sauf  et  sein  et  entier, 

Mais  seit  desq'a  uit  jors,  n'en  volent  plus  esloigner. 

Mais  al  duc  de  Venice  ont  un  poi  enuier 
i5  Qui  aveit  sez  engins,  sis  feseit  lancier 

A  la  tour  et  as  paiens  que  voIei(en)t  trébucher. 

Puis  ont  pris  li  paien  un  isnel  messagier 

Q^est  aie  a  Balet  por  lour  busoin  noncier. 

[Et]  quant  Balet  Toï,  cui  Diex  doint  encombrer  ! 
20  Si  Le]n  a  apelé  Alebron  e  Noquier  (?) 

E  dous  autres  paiens  qi  rav[e]ient  niolt  cher  ; 

Si  lor  ad  dit  :  «  Seignors,  que  volez  conseiller?  » 

Il  li  ount  respondu  :  «  Par  Mahom(et),  le  lessier, 

»  Car  si  erïon  pris  par  ascun  encombrer, 
25  »  U  nos  fusson  vencu,  q'avindreit  de  legier, 

»  Car  sur  trcstote  gent  sont  li  cristîcn  fier, 

»  U  trovereient  mes  Sarazin  recovrier? 

»  Mais  mande[z]  lor,  biau  sire,  par  vostre  latinîer 

»  Que  vos  estez  malade,  ne  pœz  chevaucher, 
3o  »  Ffacent  ceo  q'il  porront,  n'i  ad  rien  de  Taidier.  » 

Le  jor  sont  cil  meû,  qi  volent  espleitier  ; 

En  treis  jors  sont  a  Sur,  tant  sont  bon  [de  r]errer. 

As  paiens  ont  conté  lesson  a  lour  princier, 

Puis  sont  venu  al  rei  desur  le  chastaignier, 
35  Et  li  ont  dit  :  f  Biau  sire,  ceo  ne  puet  nuls  veer, 

»  Tant  est  ceste  ville  forz,  et  nos  tant  bon  guerrier 

1  Q[assez  puisson  [nous]  tant  longuement  travaillier, 

1  Et  lor  socors  atendre  un  an  [tresjtout  plener  ; 

1  Mais  paiens  ad  çaehz  qi  lor  font  grant  danger, 
40  •  Et  honissent  nos  femmes,  que  nos  deit  envoier; 

»  Por  ço  pren  la  cité,  et  vous  frai  envoier 

•  Desa  [jus]q'a  Damas  ou  sont  li  bel  vergier.  » 

Durement  en  ont  fait  le  rei  esleescer, 

14  ont,  corr.  dut?  —  jj  lesson,  corr.  le  sens  —  34   de  sur,  corr,  desouz  —  39  lor, 
corr,  nous.  —  40  enuoier,  corr,  enuier 


RÉCIT   DE   LA    PREMIÈRE  CROISADE 

Puis  fil]  a  fait  en  l'ost  maintenant  denoncicr 
45  Q^il  n'i  ait  tant  hardy  por  la  teste  trenchcr 

Qi  ost  turc  ne  païen  ne  sarrazin  toucher, 

Car  Sur  li  ont  rendu  sanz  nul  autre loer. 

Molt  en  firent  grant  joye  sergeani  et  esquier, 

Si  orent  tout  li  autre,  qi  oïst  aficber 
3o  Ne  rcmeindreit  païen  des  ci  q'a  la  rouge  mer 

U  Alixandre  fu  pur  la  terre  cerchier- 

Issi  fu  prise  Sur,  ci  ne  jorz  [de)den2  février» 

Si  fust  de  Cristïens,  mentir  ne  vos  en  quier, 

Ne  la  preisent  Turc  desq'al  jor  de  jtigier, 
55  Car  la  mer  la  dot  tout  ne  mais  q[uej  un  sentier. 

Mais  ceo  fîst  Dampnedieu  por  sa  IëÎ  essaucier. 

Cl  vos  fcnîst  Testoire  :  je  n'en  puis  plus  trovcr, 

Et  si  Taî  molt  par  France  fait  querre  et  demander, 

Car  desque  al  rei  Focun  la  fcîsse  durer 
60  Qi  fu  sire  d* Anjou,  onques  ne  fu  tjel  ber 

Por  sa  gent  maintenir  ne  por  terre  garder. 

Ore  larron  de  ço,  si  voldron  d*el  parler, 

Come  Bal  et  redut  puis  Baudoin  encombrer  ; 

Nel  cunt  pas  por  estoire,  jo  Toi  por  voir  conter 
65  A  celui  qi  en  cel  an  aveit  passé  la  mer, 

Et  ceo  fu  lune  tens  a,  mais  bien  m'en  puet  {re)raeiiibrcr. 

Molt  fu  iriez  Balel,  nuls  nel  poet  conforter^ 

Del  rei  et  de  sa  vile  q'il  ne  poet  garder; 

Si  venger  ne  se  poet  estovera  s'en  desver. 
70  Li  pautoner  fu  sages  pur  sez  ovres  mener, 

El  fu  aventures  pur  Franceis  enganer  : 

H  prist  quatre  paiens,  sis  prist  a  tapiner, 

Vesti  lez  come  hermines  por  els  défigurer, 

Por  espier  le  ni  q'il  voudrent  afîoter. 
75  En  la  terre  des  Francs  vindrent  por  habiter. 

Un  jor  dist  Baudoin  q*il  s'trreit  déporter 

Desques  vers  Bclinas,  et  le  quîda  celer, 

Por  veer  de  la  ville  s'il  la  porreil  cmbler. 

Ne  sont  qe  quatre  vinz,  mes  tôt  sont  bachîler, 
80  Q[ue]  il  ameine  od  sei,  et  touz  les  fist  armer; 

Bien  Tôt  seu  un  des  quatre  qi  Tôt  dit  a  Fesclcr, 

Balet  Tengigncour  qi  molt  l'out  mal  penser. 

Il  pnst  Ireis  mil[e|  Tur^  qar  molt  se  volt  haster, 

En  un  val  s*enbuscha  u  se  fist  bien  celer. 
S5  Li  reis  y  est  venuz  e[ijnz  terme  de  disner. 

Quant  il  vit  lez  paiens  fait  Tout  désespérer: 

Ne  fu  mie  merveille,  qar  quis  vousist  conter, 

A  un  fussent  bien  trent,  sanz  parole  fauscr. 

Lî  reis  ad  bien  vieù  nienz  est  det  retorner  ; 


Sî 


71  Ccrr,  hermûes,  ou  s' agit- U  d^Àrmlniens  i 


54  P-  MEYER 

90  Ses  compaignons  apele,  sis  prist  a  sermoner  : 
«  Seignors  hui  est  le  jor  ou  nos  devons  amer  (?) 
1  Ou  morir  nos  estoet  por  noz  aimes  sauver. 
»  Dex  por  qei  morron  [nos]  nos  face  repos(e)  aver 
»  El  sein  seint  Abrham  u  fait  bon  converser  I  (d) 

95  »  Jeo  morrai  toz  premers  por  la  vei[e]  mostrer.  • 
N'en  i  ot  un  sol  [cui]  molt  ne  feîst  plorer, 
Quant  il  Toîrent  si  durement  dementer, 
Ne  fust  Gofreiz  li  maignes  qi  fu  né  de  Valder^ 
Qui  dist  as  compaignons  por  sen  covient  errer  : 
100  f  Si  nos  nos  combatons  toz  nos  estoet  finer, 

I  Mais  oiez  un  conseil  que  jeo  vous  voil  loer, 

»  Por  quei  nos  purron  toz,  ceo  m'est  vis,  eschaper. 

»  Jo  conois  bien  Balez,  q'il  nos  voudra  grever  : 

»  Jo  rirai  ja  ferir,  ne  m'en  voil  plus  targier  ; 
io5  t  Et  si  jel  abatre  puis,  oscire  ou  naffrer, 

»  Fferez  vos  après  mei,  nos  chaut  a  coarder  : 

»  Ja  en  verras  fuïr,  pensez  de  Tescrier.  • 

Assez  ri  ont  prié  q'il  lessie  ceo  ester, 

Mais  onques  trestoz  eux  ne  l'en  porent  torner. 
110  II  broche  le  destrer,  si  laisse  ester  l'ambler 

Et  se  ferî  entr'els,  Deus  penst  del  retomer  ! 

Et  vint  desq'a  Balet  qil  fait  baler  (sic). 

Al  braoun  de  la  quise  si  fist  son  brac  coler. 

II  est  chaûz  a  terre,  qi  q'en  penst  de  lever 

1 1 5  Quant  li  paien  le  virent  tost  lez  a  fait  trembler. 

Al  fuïr  se  sont  pris  quant  le  virent  verser. 

Bien  eschapast  Gofreiz,  qui  q'en  d[e]ù[s]t  peser, 

Ne  fust  li  mes  Balet,  q'il  fait  sor  li  torner 

Plus  de  dous  cenz  [paiens]  qi  l'unt  fait  dévier. 
120  Trestout  le  detrench[er]ent,  ne  remyst  pece  a  pier  (sic); 

Puis  sivirent  lez  autres,  si  s'en  vont  agrever  ; 

Et  Franceis  lez  enchaucent  qi  ent  font  tant  versier 

Ja  la  meitié  ne  porront  oscire  ne  tuer. 

Quant  danz  Gofreiz  [li  maignes]  ot  Balet  abato, 
125  Durement  se  sont  tôt  li  paien  esperdu  : 

Al  fuïr  se  sont  pris  li  juefne  et  li  chanu, 

Mais  ainz  ont  detrenché  Gofrey  qi  [tant]  mar  fii. 

Et  (li)  Franceis  les  enchaucent  tôt  a  col  estendu, 

N'ateignent  Sarazin  n'aient  a  mort  féru.  - 
x3o  Dous  molt  grosses  liues  l'ont  [ilj  issi  seû, 

[Et]  puis  s'en  retornerent,  qar  molt  sont  recr[e]ù 

Des  paiens  detrencher  dont  trop  i  a  eu. 

Puis  vindrent  as  herberges  ou  ont  la  nuit  jeu. 

Et  ont  Go(de)frei  li  maigne  en  un  grant  quir  cosu 

98  Corr.  Val  der?  —  99  Sic.  —  loj  Corr.  jel  p.  a.  —  106  nos /tourne  vous,  comme 
en  provençal  nous?  —  i2j  Corr.  porrcnt. 


RÉCIT   DE   LA   PREMIÈRE   CROISADE  55 

i35  Desques  vint  Tendemein  que  li  jors  a  paru, 

Q^il  ont  cerchié  le  val,  n'i  out  Turc  remansu. 

Molt  en  est  a  Balet  forment  mesavenu, 

Car  quant  a  Tenchaucier  ont  li  Franc  entendu 

Si  s'enbuscha  Balez  en  un  bnissun  ramu, 
140  Car  Go{de)freiz  ne  Tout  pas  por  ver  a  mort  féru. 

Une  esquiers  Go(de)frei,  si  com(e)  Deus  l'ad  volu,  (/.  10$) 

Est  venuz  al  busson,  si  ad  Balet  veû  ; 

11  li  ad  demandé  :  <  Di  mei  tost,  qui  es  tu?  t 

Balez  parla  franceis,  si  li  ad  respondu  : 
14^  «  Seneschal  sui  Balez  qi  vous  avez  vencu, 

»  Naffrez  sui  en  la  quise  od  un  grant  glaive  agu^ 

»  Ne  me  puis(se)  remuer,  tant  ay  del  sanc  perdu  ; 

»  Mes  si  tu  mei  celeiez,  fei  que  dei  Belzebu, 

»  Riche  gent  i  serreient  et  ti  parent  et  tu.  » 

i3o  Quant  li  esquiers  vint  al  boisonet  ramu 

Por  serchier  que  paien  ne  s'i  fussent  musse, 

Il  a  Balet  veû  qi  il  a  demandé 

S'est  amirailz  ou  non,  di[e]  la  vérité. 

Il  li  ad  respondu  :  c  N'ay  pas  haut  parenté; 
x55  •  Seneschal  sui  Balez,  molt  ai  ove  li  esté; 

1  Jo  lui  ay  molt  servi  et  il  m'ad  molt  doné  : 

»  Or(e)  et  argent  en  ay,  q'en  tote  paenité  (sic) 

»  N'a  plus  riche  d'aveir,  tant  ait  rentLe]  ne  fié, 

»  Si  n'est  amirails  riches  ou  de  grant  seignorié  : 
160  »  Sachez,  si  tu  celeiez  ne  m'eûsez  trové, 

»  Tant  te  dorroie  aveir  et  riche  or(e)  esmeré, 

•  Touz  jors  seras  manant  a  trestot  ton  eé. 

•  Car  si  tu  me  ore  oscis  ceo  sera  tost  alé^ 

•  Et  t'en  repentiras  si  tu  as  poverté. 

i65  1  Et  se  tu  m'en  mescreiz  auras  en  seûrté  : 

•  Je  m'en  irray  0  tei  si  or(e)  te  vient  a  gré  ; 

I  Et  si  n'as  enz  uit  jors  que  t'ai  couvenancé, 
»  Si  tu  m'osciz,  ydonc  ce  ert  por  ma  fauseté.  » 
L'esquier  l'esgarda,  si  l'ad  bien  avisé, 

170  Et  [si]  conut  bien  que  sis  sires  l'ot  naffré  : 

Ceo  fu  Go(de)frei  li  maignes  que  H  Turc  ont  tué. 
S'il  vesquist  auques  [plus]  il  l'eûst  adubé  ; 

II  li  ad  dit  :  f  Dan  Turc,  del  non  m'avez  fausé; 

•  Vos  avez  non  Balez,  jol  say  de  vérité  : 
175  »  Toz  jors  avez  grevé  nostre  cristïenté, 

»  Et  feîssiez  uncore,  mais  tout  vos  iert  outré.  » 
Puis  ad  traite  l'espie  q'il  aveit  al  costé, 
Le  chief  li  ad  trenché  at  cuvert  mesalé  ; 
Puis  li  a  dit  paroles  et  Ta  molt  ramponé  : 
180  f  Vos  remaindrez  ici,  vostre  aime  auront  malfé, 


__ — ,    —  _ ._ 

145  qi,  corr,  oui;  de  mime  v.  1 52.  —  1 50  ramu,  corr,  ramé. 


56  p.  MEYER 

»  Molt  VOS  ad  Mahomet  malement  soudeé.  » 

Puis.s'aisist  maintenant  le  chief  ensanglanté, 

Et  est  venu  al  rei,  si  li  ad  présenté, 

Et  li  ad  tout  issi  come  il  [otj  fait  conté. 
i85  Quant  li  reis  r[ot]  01  forment  Ten  ad  pesé, 

Q[uejil  ne  li  aveit  [tres]tot  vif  amené; 

Et  por  un  sol  petit  [que]  ne  Tad  afolé; 

Car  s'il  le  tenist  vif,  mal  li  fust  encontre  : 

Bien  li  gueredonast  ceo  q'il  aveit  pené, 
190  U  il  se  reensist  Chartape  la  cité. 

Cl  fenist  de  Balet,  poi  en  avon  parlé, 

Ore  fineron  Testoire  que  tote  est  de  ver(i)té, 

Dont  sont  trestout  li  mot  en  roroanz  trestorné 

Por  ceo  que  mieuz  l'entendent  cil  qi  ne  sont  lettré. 
195  E  sachez  bien  de  veir  molt  par  sont  bien  rimé; 

Mais  cil  qi  ceo  ad  fait  a  si  son  non  'celé, 

Ja  en  tote  Testoire  ne  Torez  point  nomé. 

Mais  il  prie  a  touz  qe  priez  Dampnedé, 

E  la  vierge  Marie  k'en  son  cors  Ta  porté, 
200  Si  n'out  al  conceyver  ne  meis  un  mot  :  «  ave  •, 

Qe  se  [i]l  i  a  rien  de  part  sei  ajosté, 

Qe  trestoz  ses  pecchiez  li  seient  pardoné. 

Amen. 
Ci  finist  le  siège  d'Antioche  ovesque  le  conqueste  de  Jérusalem  de  Godefrei  de 

Boilion. 

Il  resterait  une  dernière  question  à  examiner  :  celle  de  savoir  si  la 
continuation  que  nous  offre  le  seul  ms.  de  Spalding  est  du  même  auteur 
(quel  qu'il  soit)  que  le  récit  qui  s'arrête  avec  Baudri.  J'ai  dit  plus  haut 
(p.  6)  qu'on  en  pouvait  douter.  Mais  je  me  garde  de  rien  affirmer.  Pour 
être  en  état  de  proposer  une  solution  autorisée  à  cette  question,  il  fau- 
drait avoir  étudié  dans  leur  entier  les  deux  parties  du  poème,  ce  que  je 
n'ai  point  fait.  Je  me  borne  à  dire  que  je  n'ai  rien  vu  qui  s'opposât  à  ce 
que  les  deux  parties  fussent  du  même  auteur. 

APPENDICE. 

I.  —  MANUSCRIT  d'oxford. 

Voici  le  commencement  et  la  fin  du  morceau  ^emprunté  à  la  chanson 
de  Jérusalem  qui  a  été  signalée  ci-dessus,  p.  41.  Il  occupe  les  pages 
373  à  392  du  ms.  d'Oxford.  Je  m'abstiens  de  toute  correction,  me 
bornant  à  donner  en  note  le  début  du  même  morceau  d'après  le  ms., 
B.  N.  fr.  795,  fol.  165': 

1.  Ms.  795  :  Or  s'en  vait  Corbarâns  tous  les  plains  de  Surie 
S'emporte  Brohadas  fil  Soldan  ae  Persie. 


RÉCIT   DE   LA   PREMIÈRE  CROISADE  57 

Ore  s'en  fuit  Corbcrans  tuz  les  plains  de  Surie,  (p.  373) 

Sei  tierce  s'en  vait  fuiant  del  règne  de  Nubie, 

Sin  porte  Moadas,  filz  Soudan  de  Persie  ; 

En  i|estor  Tavoit  mort  li  coens  de  Normandie 
5  Très  devant  Antioche  a  l'espée  forbie. 

En  un  grant  cuir  de  cerf  sur  un  mul  de  Hungrie 

Le  trosserent  li  roi,  n'en  i  laissierent  mie. 

Par  la  neire  montaigne  ont  lur  veie  acoillie, 

Et  costoient  Robais,  que  n'i  aprochent  mie, 
To  Et  passent  Eufrate  sanz  nef  et  sanz  navie. 

Seignors,  ce  est  une  eau  qui  Jhesus  bénie. 

Qui  de  parais  vient  et  surt  et  naist  et  crie  : 

Dont  Damedeus  geta  Adam  par  sa  folie. 

Et  quant  il  furent  ultre  en  la  grant  praerie, 
1 5  Descendu  ont  Tenfant  desur  Terbe  flurie. 

Et  Deus  comm  le  regrete  li  forz  rois  de  Nubie! 

Corberant  d'Olifeme  le  plore  et  brait  et  crie  ; 

•  Damisels  debonaire,  tant  mar  fud  vostre  vie! 

•  Que  fra  vostre  mère,  la  gentilz,  Tescavie? 
20  »  Quant  ele  le  saura,  nel  portera  la  vie. 

1  Li  rois  Soudan  tis  père  qui  nos  ad  en  baillie 
»  Nos  fra  trestuz  pendre  por  son  filz  qu'il  n'a  mie.  » 
Desur  le  cors  se  pasme,  ne  s'en  poet  tenir  mie  ; 
Quant  vint  de  pameisons  ne  poet  muer  n'en  die 
25  Mahom  et  Tervagant  ne  lur  sorcerie, 
Certes,  ne  valent  mie  une  pome  porrie; 
Mult  est  malveis  li  deus  qui  ses  homes  oblie. 
Por  un  sul  petitet  n'ont  lur  foi  relenquie. 

Ore  furent  li  troi  roi  descendu  enz  el  pré, 
3o  Desur  l'eve  de  Eufrate,  si  com  j'ai  conté, 

Une  eve  benoite  qui  Jhesus  a  sacré, 

Et  plorent  lur  seignor  et  plaint  et  regreté, 

Son  senz  et  sa  proesce  et  sa  grant  largeté. 

Desur  un  dromedarie  ont  lor  seignor  trossé , 
35  Ignelement  s'en  vont  et  si  ont  tant  erré 

Qu'il  ont  tant  esploitié  et  tant  esporuné 

Qu'il  le  Pont  d'argent  ont  a  lur  mois  passé,  (V) 

Li  bons  du$  de  Buillon  a  la  chiere  hardie 
L'avoit  mort  en  bataille  a  l'espée  fourbie, 
Très  devant  Antioche,  enmi  le  prée  {corr.  praerie)  ; 
Ens  en-.j.  cuir  de  cerf  sor  un  mul  de  Hongrie 
L'orent  torse  li  roi,  ne  l'i  laissierent  mie. 
Vers  le  noire  montaicne  ont  lor  voie  accuellie, 
Et  chosirent  (sic)  Ronais,  ne  Taproismierent  mie^ 
Et  passèrent  Eufrate  sans  nef  et  sans  navie  ; 
Signor,  çou  est  une  eve  que  Diex  a  benele 


37  Cela  tCa  pas  de  sens.  Il  y  a  dans  79$  : 

Qu'ainçois  .viij.  iors  entiers  acompli  et  passé 
Ymrent  au  Pont  d'argent,  si  sont  parmi  oltré. 


$8  p.  MEYER 

Tut  droit  a  Sannacene,  al  seignnril  citié; 

Le  riche  soadan  lur  seignor  i  ont  trové, 
40  De  tute  Gorgosane  ot  ses  Tares  assemblé, 

Por  une  riche  feste  qu'il  ont  célébré 

Del  baron  saint  Johan  qu'il  ont  mult  honoré. 

Al  servise  qu'il  funt  est  Corberant  entré  ; 

La  dedenz  Sannacene,  desuz  un  pin  ramé, 
4^  A  descendu  l'enfant,  s'a  son  cors  desarmé  ; 

Plus  de  vint  .m.  li  sunt  encontre  aie 

Por  oîr  les  noveles  qu'il  ont  tant  désiré. 

Devant  le  rôi  Soudan  ont  Corberant  mené, 

Et  quant  Soudan  le  voit,  si  Tad  araisoné  : 
3o  «  Por  coi  as,  biaus  amis,  Corberant  tant  demoré? 

»  Avez  me  vos  0  vos  Buiamond  amené, 

»  Godefrei  de  Buillon  et  le  baron  Thancré, 

•  Robert  de  Normendie  et  Baudoin  l'alosé, 

•  Et  Thomas  de  la  Ferre  al  gumfanon  levé, 
55  »  Et  dans  Hugon  le  maine  del  riche  parenté, 

•  Et  le  riche  bamage  de  la  crestienté, 
»  Les  chaenes  es  cois  de  fer  enchaené? 

—  Nennil  veir^  biau  duz  sire,  mal  nus  est  encontre, 
9  Car  tuit  somes  vepcu  et  tut  desbareté, 
60  •  Car  cum  li  baron  furent  toz  assemblé 
»  Très  devant  Antioche  rengié  et  tut  armé, 
»  Certes  si  tu  i  fusses  a  trestut  tun  barné, 
»  Et  tut  idl  0  toi  qui  onques  furent  né, 

•  Et  li  mort  desuz  terre  fussent  resusdté, 
65  •  N'en  reûssent  il  mie  suffert  ne  enduré, 

»  Anceis  nos  ont  trestoz  chasciez  qu'aine  n'i  ot  trestomé, 

•  Qu'a  merveilluse  paine  en  sûmes  eschapé, 
»  Moadas  vostre  enfant  en  ai  mort  aporté  : 

•  Voiez  le  la  ou  il  gist  desuz  cel  pin  ramé.  » 

Fin  (cf.  795  toi.  17s  0- 

Mult  fu  grant  la  bataille,  bien  se  sunt  combatu  (p.  391) 

Li  Turc  et  li  Persant  maint  cop  i  ot  féru, 
Brisiées  sunt  lur  lances,  percié  sunt  li  escu. 
Et  II  plusur  en  sunt  parmi  le  cors  féru. 
5  Nostre  Franceis  i  sunt  mult  fièrement  soutenu  : 
A  set  cenz  Sarazins  lors  cheefs  i  ont  tolu  ; 
Mult  se  sunt  bien  armé  li  jofhe  et  li  chanu. 
Et  Arsulans  s'en  fuit^  qui  mult  i  avoit  perdu, 
Od  lui  mil  Sarazin,  n'ont  lance  ne  escu  ; 
10  II  n'en  i  ot  un  sul  qui  del  sanc  n'ait  perdu. 

42  On  iudt  fersuaié  au  moyen  Age  que  Us  Sarrazins  cilibraient  la  Saint-Jean,  Ainsi 
dans  Aye  d'Avignon,  v.  2236-7  : 

Ce  fa  a  une  feste  Saint  Jehan  le  baron 
Qoe  païen  gardent  miez  assez  que  ne  faison. 


RÉCIT   DE    LA   PREMIÈRE  CROISADE 

Et  Soudan  Toï  dire,  irrîcz  et  dolenz  en  fu. 
Devant  soi  les  manda,  et  cil  i  sunt  venu. 
Fièrement  les  araisone,  onques  n'i  ot  salu  : 

•  Filz  a  putain,  garçon,  Sarazin  mescreû, 
1 5  t  Mult  m'avez  hui  honi  et  malement  féru, 

•  Et  mes  deus  parjurez^  Mahomet  et  Caha 

•  James  ne  mangerai,  si  serez  confundu.  » 
Sun  sencschal  apelc,  Pharaoun  de  Kcrnti  : 

f  Pren  moi  tes  traîtres,  gardez  que  soient  pendu  : 
20  »  Mes  triwes  ont  enfraîntes^  mult  sunt  irascu.  « 
Puis  mande  Corbcrant  amistié  et  salu ^ 
Et  de  la  trahison  qu'il  ne  la  Tôt  ne  n'i  fu  ; 
Prest  est  qu'il  s'en  detTende  a  launce  [et  aj  escu. 
Ou  portera  juïse  a  charbon  et  a  feu. 
25  Corberant  vini  a  la  terre  dont  il  nez  fu, 

Sa  mère  et  sa  maîsnée  ïi  sunt  encontre  alu  (sic). 
Mult  fud  grand  la  joie  qui  la  démené  fu, 
El  Ireslut  por  lur  seignor  qu'il  quidoyent  avoir  perdu, 
Mult  furent  noz  crestiens  a  grant  joie  receù 
3o  Maint  beau  don  lur  fud  doné  et  maint  cheval  kernu. 

Mult  fud  grant  la  richesse  que  lur  fu  donée, 
Corbarant  lur  livra  la  lere  tretut  habandonée; 
A  Richard  dit  :  «  Si  vols  croire  volet  en  mun  dé, 
f  Plus  vos  durai  terre  que  n*ad  un  appencez. 
33  —  Sire,  t  dist  Richard,  t  eyt  merci  de  Dé  : 
»  Ne  guerpiroie  ma  loi  por  nul  aveir  massé, 

•  Ainz  irom  al  sepulchre  ou  Jhesus  fud  posé.  » 
li  s'entre  baisent  tuit  par  mult  grant  amistié, 

Si  s'en  vont  de  la  terre  mult  joius  et  lié, 
40  Et  mercierent  mult  Jhesu  Crist  quis  ad  si  detivté, 

Corberant  lur  bailla  conduit  a  salveté 

Jcsqu'en  ierl'm  o  péril  sunt  tuît  mené. 

Jhesus  soit  gracié  qui  nus  ad  hors  geté 

De  la  prison  as  Turcs,  et  de  grant  chaitiveté. 
45  Amen,  amen,  amen,  par  sainte  charité  I 


(/'•îpi) 


iP>  m) 


A  la  fin  du  ms.  a  été  rattaché  un  feuillet  de  parchemin,  qui  forme 
maintenant  les  pages  39 j  et  J94  du  volume.  Le  v"  contient  un  r6ïe  de 
redevances.  Au  r»  a  été  écrit,  dans  la  seconde  moitié  dy  xm*  siècle,  le 
morceau  qui  suit  : 

Devant  Tincamaciun*  nostre  Seinur  Ihesu  Crist  ert  une  cyté  en  Grèce  qu'ert 
apdè[e|  Elide  et  le  genz  Elidienz,  si  cum  de  Rome  Romain*  Près  de  celé  cyté 


1$  Li  coin  iirpirieur  de  la  page  est  déchiré,  —  22  Corr.  atec  79 J  ■  qu*il  nel  sot  ne  ni 
h,  —  Il  Cette  tirade  matuftie  dans  79 (,  —  |)  Sic,  corr.  A,  R.  a  d.  Si  vokx  c  en  m, 
à,,  (tu  Si  vols  croire  a  Mahom  m.  d.  —  jj  cyt,  carr.  des. 

1.  If/,  lin  camadiui  et  de  mime  pbix  bfis. 


60  p.  MEYER 

iert  un  mons.  E  celé  mont  establirent  Elegens  une  institucion  de  luter  et  de 
cumbatre.  E  celé  institucion  apelerent  olympiade  pur  le  munt  ki  aveit  a  pon 
Olympus.  Olympiade  est  espace  de  .iiij.  anz,  kar  quatre  anz  erint  (sic)  acompli 
en  une  olympiade.  E  quant  li  quatre  erent  passé,  tos  jors  au  quint  au  ert  cele 
batalle  ;  e  pur  ceo  nomerent  olympiade  cele  terme.  Cele  olympiade,  espace  de 
quatre  anz,  ert  cicles  e  comencemens  de  tute[s]  les  choses  dunt  il  voleint  (sic) 
aver  certein  memorie  par  le  conte  des  anz,  si  cum  nos  par  Tincarnacion.  A  qua- 
rante e  set  de  olympiade  prist  Nabugodonosor  Iherusalem,  et  .Ixx.  anz  dura  cele 
prise.  A  .c.  et  .liiij.  anz  de  olympiade  la  prist  Antiocus;  ore  sunt  .ij.  fois.  — 
A  .c.  et  .Ixxviij.  anz  de  olympiade  la  prist  Polpeius;  ore  sunt  .iij.  fois.  —  A 
.c.  et  .Ixxx.  .iij.  anz  de  olympiade  la  prist  Casius  li  provoz  de  Rome;  ore  sunt 
quatre  fois.  —  A  .c.  et  .Ixxxvj.  anz  régna  Herode  sur  Ie[sj  Gius.  —  A  .ce.  et 
.xij.  anz  de  olympiade  et  .Ixij.  de  l'incarnacion  la  prist  Titus  et  Vaspasianus; 
ore  sunt  .v.  fois.  —  Ci  faut  li  numbres  de  olympiade,  et  comence  li  numbres 
de  rincarnaciun.  A  .c.  et  .xxx.  et  .viij.  anz  la  prist  Helius  Adrians^  et  le  des- 
truist,  et  restabli  en  cel  liu  ou  ele  est  uncore  ;  si  Tapela  de  non  Helie  ;  ore  sunt 
.vj.  fois.  —  A  .de.  et  .xviij.  anz  de  incarnacion  la  prist  Cosdroe  li  rois  de 
Perse  ;  ore  sunt  .vij.;  et  Héraclès  li  empereres  la  prist  .xv.  anz  après  et  rendi 
as  Crestiens;  ore  sunt  viij. — A  .de.  et  .xxxviij.  anz  de  rinclalmacion  la  priste- 
rent  (sic)  paens;  ore  sunt  .ix.  fois.  —  A  .c.  et  .1.  anz  après  cele  prise  la  prist 
Charles  li  granz  et  Costantin  rempere[re]  de  Costentinoble,  et  rendirent  a 
Cristiens,  et  il  le  tindrent  .c.c.c.c.  et  .Ixj.  anz;  ore  sunt  .x.fois.  — A  mil  anz  et 
.xlj.  mains  de  i'incarnaciun  la  pristrent  li  Turch  ;  ore  sunt  .xj.  fois.  Et  .xx.  anz 
après  cele  prise  la  pristerent  Buemons  et  [R] aimons  et  Godefrey  de  Bollon,  ki  li 
li  (sic)  rois  en  fii  sanz  corune  porter;  por  ceo  ke  il  ne  la  volt  porter  de  or  la  ou 
nostre  Sire  la  porta  d'espines,  dont  il  est  escrit  en  son  epitafe  :  f  Si  gist  le 
second  Judas  Machabeu'  »;  ore  sunt  xij.  Pus  la  tindrent  Cristiens  .Ixxx.  et 
.viij.  anz.  —  A  .m.  et  .c.  et  .Ixxx.  et  .viij.  anz  de  Tincarnacion  la  prist  Sala- 
dins;  ore  sunt  .xiij.  foiz.  —  A  .m.  et  .ce.  .xliiij.  anz  le  rendi  nostre  Seinur  Jesu 
Crist  a  Templers  chevalers  sa  duce  mère  reyne  du  cel.  Te  Deum  laudamus. 

Ce  petit  morceau  d'histoire  est  l'œuvre  d'un  très-fécond  romancier 
(au  sens  propre  du  mot)  qui  vivait  au  milieu  du  xiii^  siècle,  et  dont  je 
ferai  connaître  quelques  jours  divers  ouvrages  ou  opuscules  jusqu'à  pré- 
sent inédits.  Qu'il  me  suffise  pour  le  moment  de  dire  que  c'est  le  Pierre 
de  qui  nous  connaissons  déjà  une  traduction  du  faux  Turpin^.  Le  mor- 
ceau qu'on  vient  de  lire  se  retrouve  en  effet,  avec  une  attribution  cer- 
taine à  Pierre,  dans  un  ms.  connu  sous  le  nom  de  manuscrit  Noblet  de 
la  Clayete,  dont  Sainte-Palaye  nous  a  conservé  une  copie. 

Voici  le  début  de  la  leçon  que  fournit  ce  ms.: 

1 .  Rien  de  semblable  dans  les  deux  épitaphes  de  Godefroi  qui  nous  sont  par- 
venues (Du  Cange,  Limages  d'Outremer,  ô.  8),  mais  on  lit  dans  Tépitaphe  de 
Baudouin  I,  le  frère  et  le  successeur  de  Goaefroi  : 

Rex  Baldevinus,  Judas  alter  Machabeus, 
(ibid.,  p,  10). 

2.  Voy.  G.  Paris,  De  Pseudo-Turpino,  p.  58. 


RÉCIT   DE   LA   PREMIÈRE   CROISADE  6t 

Ci  commence  l'Otimpiadc, 
Voirs  est  que  pîusors  ont  douté  et  sont  encore  en  queslc  de  savoir  quantes 
kh  la  sainte  citez  de  Jérusalem  que  Sem  ïi  filz  Noé  comença  prîmes,  a  esté 
prise.  Et  pour  ce  que  biens  [est]  a  oïr  et  a  savoir.  Ta  Pieeres  estrait  des  Cro- 
wfu<x,  un  livre  qui  parle  de  tous  les  reneors  qui  rené  onl^  de  ci  a  ore,  par  les 
règnes  du  monde. 

Verriez  est  que  lonc  tans  devant  rincarnalion  Noslre  Seigneur,  ert  une  citez 
en  Grèce  qui  est  {corr.  ert)  apclée  Elyde... 

VOtimpiade  se  rencontre  encore  dans  le  ms.  u  j  de  Berne  ',  mais  le 
nom  de  Pierre  y  manque ♦  le  passage  où  it  aurait  dû  être  nommé  étant 
si  refait  :  «  Et  por  ço  que  bon  est  a  savoir,  je  le  vos  ferai  savoir.  » 


II*  —  MANUSCRIT  DE  SPALDING, 

Au  fol.  10 S,  à  la  suite  du  poème  de  la  croisade,  commence  !e  roman 

d'Eneas  : 

Incipit  historia  de  Entas. 
Quant  Menelaus  ot  Troie  assise 
Onques  ne  torna  tresqu'tl  i'ol  prise... 

Puis  le  roman  de  Thèbes  : 

C\  commence  k  s'uge  de  Theha  : 
Qui  sages  est  nel  doit  celer, 
Mais  pur  ceo  deit  son  sen  moslrer... 

Lç  Songe  vert,  qui  vient  ensuite,  est  un  poème  allégorique  d*an  peu 
plus  de  1 800  vers.  On  verra  par  le  début,  ci-après  transcrit,  qu*il  a  dû 
être  composé  peu  après  la  peste  de  1 348.  Médiocrement  versé  dans  la 
littérature  du  xiV  siècle,  je  n'oserais  affirmer  qu'il  soit  jusqu'à  présent 
demeuré  inconnu  ;  je  me  borne  à  dire  que  je  ne  Tai  jamais  rencontré  nî 
manuscrit  ni  imprimé.  Haenel  (coL  98^  indique  à  Caen  unms.  contenant: 
«  Bon  Veillard,  testament  d*or,  flos  coeli,  triomphe  hermétique,  songe 
vertt  dissolvant  radical,  »  Mais  étant  allé  à  Caen,  j'ai  pu  me  convaincre 
que  ce  ms.  ne  contient  rien  qui  ait  le  moindre  rapport  avec  la  poésie  du 
moyen  âge.  Le  texte  qu'on  va  lire  contient  en  grand  nombre  ces  fautes 
contre  la  grammaire  et  la  mesure  qu'on  est  accoutumé  à  rencontrer 
dans  les  mss.  français  exécutés  en  Angleterre.  Il  a  été  facile  dans  le  plus 
grand  nombre  des  cas  de  rétablir  la  bonne  leçon  par  des  suppressions 
(entre  parenthèses)  ou  des  additions  (entre  crochets). 

Ci  comencc  k  Sûange  vert. 
Après  long(e)  temps  ce  que  j'avoie 
Pris  congié  de  lrestout[eJ  joie, 


i.  Vojr.  Stengcl,  Durmârt  (Soc.  littéraire  de  Stuttgard,  t.  cxvi,  1S7J),  p.  4p. 


62  p.  MBYER 

Sanz  espoir  d'avoir  nul  retour 

Jamais  en  joie  n'en  baudour, 

Sur  toux  (sic)  piain  d'ire  tenebruze, 

Par  fortune  male[ii|reuse 

Qi  m'ot  rendu  son  faix  mérite, 

En  l'an  '  de  Dieu  maidite 

Qe  fut  la  grant  mortalité 

Qe  maint  cuer  ad  desconforté, 

Affligé,  plaine  de  tristour, 

Dont  maint  soi  >  plaint,  sospire  et  plour, 

Covient  faire  a  mainte  pucele, 

Si  en  font  (grief)  compIaint[e]  cruele 

Maint  bon  chevalier  orphelin. 

Pur  la  morl(e)  qe  mel(te)  au  déclin 

Toutfe]  lour  joye  et  lour  amour. 

Apprès  cel  temps  plain  de  dosour 

.1.  deux  triste  de  sospiré" 

Maint  en  Tantré  d'esté*, 

Droitement  en  temps  de  pascour 

Qi  matin  de  la  point  del  jour 

Me  levay  d'un  lit  ou  j'estoie' 

Assez  poverment  reposé, 

Maint  plaint,  ploré  et  dolousé. 

Je  moy  suspire  tendrement. 

Si  me  levay  tout  en  plorant, 

Et  si  tost  com(e)  fu  levé  sus 

Et  de  mon  habit  noir  vestu, 

Auxi  corne  il  m'apartenoit 

Com(e)  celui  en  qi  de  tout  estoit 

Tout[e]  joliveté  faill[i]e, 

Auxi  plain  de  malencolie, 

M'en  al  ai  hors  de  la  ou  er, 

Et  si  me  mys  en  un  sentier 

Droit  countrcval  un  rivière  ; 

Puis  si  fis  a  Dieu  ma  prière 

Et  mes  petites  oreysons, 

Qe  par  sa  grâce  v(er)rai  pardons 

Me  fiist  doné  de  mes  meffais. 

Si  q'il  li  pleûst  qe  le  fais, 

L'ennuy,  le  paine,  le  dolour, 

L'anguisse,  le  ire,  le  tristour 

Qe  me  covenoit  sustenir, 

Me  donast  par  son  doue  plaisir 

En  plaisance  resceyver,  (b) 

Si  qu'il  ne  me  laist  chaier 

Par  nul  cas  en  désespérance, 

I.  Corr,  en  l'année.  —  2.  Corr.  grief?  —  j.  Corr.  désespéré.  —  4.  Corr.  En  mai  à 
rentrée  d'esté.  —  $ .  Ltf  rime  indique  qu'il  manque  un  vers. 


RÉCIT  DE   LA  PREMIÈRE  CROISADE  6} 

Mes  que  la  mort(e)  sanz  delaiance 

Me  voloit  doner  courtement, 

Et  qu'il  m'outast  du  grief  tonnent 

Ou  j[e]  estoie  et  de  Tesmai. 

Atant  mes  orysons  finay, 

Si  m'en  alai  sanz  nul  mot  dire, 

Plain  d'ennuy(e),  de  dolour  et  de  ire, 

Tant  q'en  un  verger(e  je)  m'enbati. 

Lors  regarday  tout  entour  my<e}, 

Et  le  soleil  relusant 

Desur  Terbe  resplendisant, 

Et  rair(e)  cler(e)  et  net  et  serein, 


Je  ne  me  suis  pas  cru  obligé  de  lire  ce  poème,  qui  appartient  à  un 
genre  peu  récréatif,  et  je  me  contente  d'en  rapporter  ici  les  derniers 

vers: 

Et  certes  bien  dois  touz  les  tours 

Savoir,  selonc  ceo  qe  je  cuit, 

Car  maint[e]  joye  et  maint  deduyt, 

Maint(e}  esbanoy(e),  (et)  maint[e]  douçour, 

Et  maint  ennuy(e)  et  maint  pour, 

Et  maint [e]  pénible  durée 

Ha  tes  cors  souvent  endurée; 

Et  je  pense  bien  que  ensi  soit 

Car  autrement  fort  chance^  s[e]rojt. 

Paul  Meyer. 


I.  Corr.  Qu'autr..  chose  ? 


E  +  /  EN  FRANÇAIS 


Plusieurs  linguistes  ont  discuté  dans  ces  derniers  temps  la  question 

de  Porigine  et  du  développement  historique  des  diphthongues  françaises, 

principalement  des  diphthongues  labiales.  L'étude  qu'on  va  lire  a  pour 

)  objet  les  diphthongues  linguales  ou  plutôt  les  combinaisons  d'une  voyelle 

linguale  (e,  i)  avec  un  /  parasite. 

Quant  aux  voyelles  labiales,  le  français  moderne  oi  répond  au  lat.- 
vulg.  ou  ancien  roman  o  +  i  (anc.  fr.  ài]  ou  à  au  (à)  +  /  (anc.  fr.  ^i), 
le  franc,  ui  répond  à  k  +  i  et  d  +  /.  M.  Schuchardt  a  montré  que  le 
changement  de  o  +  i  en  ui  ne  peut  être  expliqué  qu'en  supposant  que  à 
a  été  d^abord  diphthongué  en  uo  ou  ue.  Sur  ce  point  je  suis  essentielle- 
ment d'accord  avec  ce  philologue,  et  les  objections  qu'on  lui  a  faites  ne 
me  semblent  pas  de  nature  à  ébranler  son  hypothèse.  ' 

Dans  la  classe  linguale,  on  a  parallèlement  à  u  6  à  uoles  sons  i  i  è  ie. 
Lorsque  ces  sons  se  combinent  avec  un  /  parasite,  é  +  /  devient  ei  (=s 
prov.  ei)y  la  même  diphthongué  qui  sort  en  français,  dans  les  conditions 
indiquées,  immédiatement  du  latin  vulg.  é  (=prov.  e).  Plus  tard  ei  s'est 
confondu  avec  oi,  mais  ce  changement  n'entre  pas  dans  mon  sujet.  /  + 
(  devient  naturellement  /  simple  ;  mais  ce  son  est  aussi  le  résultat  de  ^  + 
I  comme  ui  l'est  de  d  -+-  /. 

J'essayerai  de  montrer  ces  changements  par  une  suite  d'exemples  | 
pour  ro'arrêter  enfin  avec  plus  de  détails  au  dernier  cas. 

Pour  les  signes  phonétiques,  je  renvoie  le  lecteur  à  un  travail  sur  Pi 
parasite  et  les  consonnes  mouillées  qui  paraîtra  prochainement  dans  les 
Mémoires  de  la  Société  de  linguisti(]ue  de  Paris,  J'ai  essayé  d'y  montrer  que 
Vi  parasite  ou  l'i  qui  forme  le  second  élément  des  diphthongues  tire  son 
origine  d'une  ancienne  consonne  palatale  ou  denti-palatale.  Je  désigne 
par  c  ^  î  f  les  consonnes  palatales  /c/r,  dj,  ch,  j;  pzr  fi  z  f  F  n  des 


E  -f  I    EN    FRANÇAIS  65 

consonnes  denti-palatales  ou  dentales  accompagnées  d'un  mouiliement 
(comme  le  polonais  i  2,  le  russe  Tb),  par  y  Vi  consonne  ou  yot, 

I.  Latin  vulgaire  /  +  /  devient  /  en  français  et  en  provençal.  Le  lat. 
vulg.  i  répond  : 

a]  régulièrement  au  classique  I 
dans  une  syllabe  ouverte  : 

dicere,  *  digère,  *diy're,  dire; 
dans  une  syllabe  fermée  : 

dixi,  V/i[f|/,  {*diis)  S  dis; 
*finlscit,  *finiiis]et,  finist,  finit. 

b)  exceptionnellement j  aux  classiques  ê,  i  : 
fêciy  *féci'fici,  ^fiz.fis; 

sufficere,  *suffiy*re,  suffire. 
Dans  une  syllabe  atone  nous  avons  de  la  même  manière  : 
tifionem,  *tidz6ne,  *tizon,  tison; 
pfënsiônenfiy  *prez6ne,  *prizon^  prison, 

IL  Latin  vulgaire  é  +  1  devient  prov.  ei  «  estreit  »  ^,  anc.  fr.  ei,  oi^ 
fr.  rood.  oi. 
Lat.  vulg.  é  répond  : 

a)  au  classique  ï 
dans  une  syllabe  ouverte  : 

picem^  *pécey  *pédze,  *péz,  peiz,  poix; 
video ^  *védyo  {*vé^o?],  *véy\  v«,  vois  (pr.  vei\\ 
dans  une  syllabe  fermée  : 

strtctum  (proprement  strlctum],  ^stréf[f]o,  estreit,  étroit; 
cïnctum^  *céàfo,  ceint  ; 

b)  au  classique  ?  : 
dans  une  syllabe  ouverte  : 

tëgem,  *KyM,  /«,  loi; 
dans  une  syllabe  fermée  : 

ctêscerey  *créi[l]ere^  creistre,  croître  ; 

dirictum,  *d[é]ré([f]Oy  dreit^  droit; 

tëctuniy  *téf[f]o,  teitj  toit. 
Dans  les  syllabes  atones  le  développement  est  le  même.  Je  n'ai  guère 
besoin  d'observer  qu'ici  la  diphthongue  ei  oi  n'est  jamais  issue  immédia- 
tement d'un  é  vulgaire  comme  elle  peut  l'être  dans  la  syllabe  tonique, 

1.  Comp.  prov.  diiss,  Ev.  de  S.  Jean,  Bartsch  8,  30;  9,  2  etc. 

2.  Le  dictionnaire  des  rimes  qui  fait  suite  au  Donat  proensal  cite  comme  des 
rimes  «  in  eis  estreit  »  (Grammaires  prov.  p.  p.  Guessara^  2«  édit.  p.  45)  p.  ex. 
leb  la,  peis  piscis,  ceis  cinxit,  reis  rex,  creis  crescit,  et  «  m  ethz  estreit  »  (p.  )o) 
p.  ex.  drethz  jus  vel  reclus,  thez  tectum  parvum,  estretz  constrictus.      • 

Romania,  V  5 


66  V.  THOMSEN 

mais  qu'elle  doit  toujours  son  origine  au  concours  d'un  i  parasite  >, 
p.  ex. 

lidêre,  *lecére,  *le[d]zir,  leisir,  loisir, 

*piscidnem,  ^péï\i]ànt^  peissoriy  poisson. 
D'autre  part  cependant  la  diphthongue  ei  oi  a  ici  une  étendue  plus 
grande  que  dans  les  syllabes  toniques,  attendu  qu'elle  répond  non-seu- 
lement aux  classiques  ^  F  +  />,  mais  aussi  régulièrement  au  classique 
ë  (ae)  +  ',  p.  ex.  : 

mëdietatem^  *mey'tade,  meitié,  moitié; 

mëdianum,  meien  (anglais  mean),  moyen; 

décanum,  *deganOy  deien  (angl.  dean],  doyen; 

sëxaginta,  *seé[i]anta,  seisante,  soixante; 

méssionem,  *meé[é\one,  meisson,  moisson; 

vïctura,  *vef[f]uray  veiture,  voiture; 

*phtorinay  *pef[f\orina,  peitrine,  poitrine. 
et  parfois  au  class.  7,  abrégé  en  T,  p.  ex.  : 

vlclnum,  *vecino,  *vezin,  veisin,  voisin, 

III.  Latin  vulgaire  è  +  /,  dans  les  syllabes  toniques,  devient  en  prov. 
ei  «  larg  »  '  ou  iei,  en  français ,  ancien  et  moderne,  régulièrement  i. 
Cet  /,  parallèle  au  prov.  />/,  ne  peut  tenir  qu'à  la  diphthongaison  du  lat. 
vulg.  è  en  ie  :  la  combinaison  ie  +  /  a  été  gardée  en  prov.  sous  la  forme 
de  iei,  tandis  que  le  français  y  a  substitué  la  voyelle  simple  i. 
Latin  vulgaire  è,  diphthongue  en  <>,  répond  : 
a)  régulièrement  au  classique  ë  (ae) 
dans  une  syllabe  ouverte  : 

légère,  *liyere,  *liey^re,  lire; 

mëdium,  "mèdyo,  *miey',  mi; 

mëdicum,  *mèdigo,  *mieye,  mie  (Romania  II,  242-}); 

dëcem,   dèce,  *diece^,  *diez,  dis,  diz,  dix; 

1 .  Excepté  les  cas  où  ranalogie  d'autres  formes  s'est  fait  sentir,  comme  | 
voile-voilcr,  voilUr  ;  toile-toilerie. 

2.  Du  reste  déjà  en  latin  vulgaire  17  protonique,  surtout  dans  des  syllabes 
ouvertes,  doit  avoir  pris  la  prononciation  fermée  (i), 

3.  Des  rimes  c  in  eis  larg  •  sont  d'après  \eDonat  proensal  (Guessard  p.  4{) 
p.  ex.  eis  exit,  leis  lectus  (lisez  :  legis,  cf.  Romania  II,  341),  scis  sex,  et  •  m 
ethz  larg  »  (p.  ^o)  p.  ex.  lethz  lectus,  methz  médius,  despethz  dispectus,  pethz 
pectus,  pejus,  delethz  delectatio.  On  sait  que  pour  la  plupart  de  ces  mots  les 
textes  offrent  tantôt  e,  tantôt  u  suivant  les  dialectes^  p.  ex.  leit  iug^  mei  micg, 
peitz  pietz,  de  même  pejer  piéger  pejor  etc. 

4.  La  forme  dieci  se  trouve  en  effet  dans  Tardif,  Monuments  historiaues  19,  38 
(de  Tan  670  ou  671),  peut-être  le  plus  ancien  exemple  de  la  dipnthongue  ie 


mieses.  c'est-à-dire  mises  =  class.  mènses. 


E  +  I    EN    FRANÇAIS  Gj 

âitimum^  *dèimo^  *diiz'me,  disme^  dîme; 

prHium^  *prèdzOj  *  priez,  pris^  prix  ; 
dms  une  syllabe  fermée  : 

t^xere,  'îii[i\eT€^  HiePre,  Hstre; 

i/x,  *S€i,  *5iei,  six; 

iictm,  Uèfino,  *lief,  lit; 

pfctuSf  *pif\f]os^  'piet^Sf  piz^  pis  ; 

victem^  *yèf[t']ef  *n€t\  vit; 

delictum,  'dtlèt\f]o,  'dclief,  v.fr.  délit  (angl  delif^ht); 

propctum^  'profèf[f]o,  " profit f^  profit; 

despccturriy  *despèfiï}o,  'desptef,  despit^  dépit; 
b\  exceptionnellement  au  classique  i  surtout  devant  y  (comp,  Schu- 
diardt  Vocalismus  I,  468)  : 

pilas,  *pcyos^  *piey's,  pis; 

pl-ioFf  *phor,  *piey*re^  pire  ; 
(f\  exceptionnellement  au  classique  a  : 

cerasia,  'cerêia  \  *ctneie^  ctrise  ; 

jacétf  *yacet  ou  yècet,  'giePt,  gist^  giL 
Le  seul  cas  où  le  finançais  ne  présuppose  pas  le  changement  du  lat. 
vulg.  i  en  te  devant  un  i  parasite  dans  une  syllabe  tonique,  et  où  par 
conséquent  la  forme  française  vienne  se  confondre  avec  celle  du  lat.  vulg. 
é  +  if  est  peut-être  : 

fimie,  *jHa,ftire  [ajigl.fair],  foire. 
Dans  ce  mot  la  prononciation  classique  ê  est  devenue  en  lat.  vulg.  è 
icorop.  vulg.  glària  =:  class.  glôrià\,  comme  on  le  voit  par  TitaL  fiera, 
prov.  fieira,  feira  (avec  «  e  larg  »,  Guessard  Gr.  pr,  p.  60]. 

La  diphthongaison  du  lat.  vulg*  t  tonique  en  ie^  commune,  pour  les 
traits  fondamentaux,  à  la  plupan  des  langues  romanes,  a  été  modifiée  de 
diverse  manière  dans  les  différentes  langues.  En  français  et  en  provençal 
comme  en  italien  elle  est  essentiellement  restreinte  aux  syllabes  dès 
l'origine  ouvertes.  Cependant  elle  a  reçu  en  français  (et  en  partie  en 
provençal)  une  extension  particulière  qu'on  ne  paraît  pas  retrouver  ail- 
leurs »  ;  elle  est  devenue  régulière  devant  toutes  les  consonnes  palatales 
ou  mouillées^  non-seulement  dans  des  syllabes  ouvertes,  mais  aussi  dans 
des  syllabes  traitées  ailleurs  comme  fermées.  En  voici  quelques  exemples  : 
devant  /  mouillée  ;  vieil  vieux,  prov,  velh,  vielh  ('re/To);  mieux,  anc. 
fr*  mitlz^  prov.  melhs^  mitlhs  litaL  mègtio)  ;  devant  «  mouillée  :  Compiegne 

t.  Comparez  Schuchardt  Vot,  I,  192;  on  peut  ajouter  anna  dans  Anecàota 
^wiétt  grœco'lai.  éd.  V.  Rose  II  (Berlin,  1870),  p.  96,  6  var.,  et  Ascolî 
Sêigi  iâdm,  p,  48s>  wo» 

2.  Coinp.  cependant  A^coli  5â^gi  W.  p.  15  n.  9,  et  Storm  dans  iVorJiji 
iidikrtftjor  fitoL  elc,  I  p.  168. 


68  V.  THOMSEN 

Compendium)  ;  vienne  y  me,  fr»  viegne  fveniati;  devant  i  :  piège  \*pègga, 
pedicaj  ;  anc.  fr.  miege  (*m^^^o,  medicus)  ;  siège  (ital.  seggio,  -a)  ;  liège 
(V^^^^o,  levio- ?,  comp.  Dîez  GrJ  II,  joij  ;  concierge  Cconservîo- ?)  ; 
devant  c  (ïi)  :  nièce  Cne[î]tia  neptia)  ;  pièce  (h.  pezzo,  -a,  *pè[t]iiùj  -a, 
pëtium,  -a)  ;  ûen^  -ce  [*îèrîéOy  tertius'i  ». 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  devant  ces  quatre  consonnes  que  se  pré- 
sente ce  phénomène  :  le  même  changement  a  eu  lieu  aussi  devant  y  et 
les  consonnes  mouillées  ou  demi-palata!es  dont  j'ai  essayé  ailleurs  de 
démontrer  l'existence  à  une  époque  antérieure  de  la  langue  ;  et,  il  faut 
bien  le  remarquer,  cette  diphthongaison  doit  s*être  introduite  à  une 
époqtie  où  ces  sons  avaient  encore  conservé  leur  valeur  ancienne,  avant 
que  le  y  se  vocalisât  et  que  les  autres  consonnes  se  décomposassent,  de 
plus  en  plus,  en  des  dentales  pures  précédées  d*un  i  parasite.  On  a  donc 
eu  anciennement  non- seulement  *di£ce  \iicz  comme  en  itah  dieci^  rou- 
manche  dksch,  *micy'  comp.  le  roumanche  miez,  mais  aussi  */:>/"  (leciusl 
vis-à-vis  de  ViidJeHo^roum,  teg,  etc.  En  provençal  des  formes  analogues 
ont  parfois  donné  naissance  à  des  trîphthongues,  p.  ex.  miei  (Bartsch 
Chrest.  2,  ^  i ,  8  ;  37,  4),  perfieiî  ;  plus  souvent  la  consonne  suivante  est 
restée  palatale,  sans  engendrer  d'i  parasite,  p.  ex.  Ueg,  profieg.  Pour 
te  français,  qui  ne  connaît  pas  cette  dernière  forme,  on  pourrait  attendre 
pareillement  p.  ex*  *lieiîj  contracté  plus  tard  en  lit.  Cependant,  dans 
aucun  des  dialectes  français,  même  dès  les  plus  anciens  temps,  il  n'y 
a  trace  d'une  triphthongue  semblable.  Mais  cette  circonstance  ne 
peut  passer  pour  une  preuve  contre  mon  explication.  Elle  îui  serait  fort 
contraire  si  Pon  supposait  que  iectus  est  devenu  d*abord  'leyto  ou  'leito  ; 
car  on  ne  saurait  guère  arriver  de  là  à  lit  sans  supposer  l'intermédiait^ 
*tieiî.  Mais  si  Ton  accepte  mon  explication  de  l'i  parasite,  on  peut  aisé- 
ment s*en  passer  :  il  suffit  de  supposer  qu'au  temps  où  s'est  développé 
Vi  parasite  et  où  p.  ex.  '/^f  est  devenu /d/7,  ie  -h  /  s'est  resserré  immé- 
diatement en  un  i  simple,  à  Porigine  peut-être  un  peu  différent  de 
l'i  ordinaire,  mais  qui  a  fini  de  bonne  heure  par  se  confondre  avec 
celui-ci. 

La  diphthongaison  de  è  en  ie  n^ayant  lieu  que  dans  les  syllabes  accen- 
tuées, elle  ne  peut  s'introduire  dans  les  syllabes  atones  que  par  une 
accommodation  secondaire,  comme  dans  miilesse^  miilir  qui  sont  formés 
sur  Tâdjectif  vieiL  Si  mon  explication  de  Vi  est  juste,  il  doit  de  la  même 
manière  être  essentiellement  restreint  aux  syllabes  accentuées.  C'est 


1.  S'il  n'y  a  pas  de  diphthongaison  devant  ch  médial  (:=:  c  appuj^é  devant  4), 
c'^t  que  dans  ce  cas  le  changement  du  c  ne  s'est  introduit  qu'après  U  fixation 
du  vocalisme.  —  Aux  mêmes  conditions  que  T^,  Va  aussi  se  diphthongue  sou- 
vent en  tiû  fu,  surtout  devant  /  mouillée,  p.  ex.  ftmlUt  vmilU,  att,  prov.  folka 
fmika,  votha  vtulha,  olk'S  uelh-s,  etc. 


E  ^  ï    EN   FRANÇAIS  69 

amsi,  en  effet,  que  nous  avons  (par)mi  mais  moyen,  moitié;  six  mais 
Sùixanti ;  pis  mm  poitrine  ;  si  i*on  a  par  ex.  sixième,  litière,  l'(  de  ces 
mots  est  dû  à  TinOuence  de  Vi  de  six,  lit,  La  plupart  des  exceptions  sont 
même  d*origine  assez  récente  et  étrangères  au  vieux  français  *.  Au  lieu 
du  moderne  empiré  (impejoratus],  formé  sous  ^influence  de  pircy  nous 
avons  p.  ex.  S.  Alexis,  ye,  régulièrement  empêtriez  ims,  L  :  ampairet], 
tandis  que  radjeaif,  s'il  se  trouvait  îci^  aurait  déjà^  sans  aucun  doute,  la 
forme  pire.  Le  latin  prho[r]  donne  régulièrement  *priey'  pri  prie;  mais 
p,  ex,  pour  i'infmitif,  où  IV  est  atone,  on  doit  attendre  prêter  proyer,  de 
même  que  le  provençal  offre  Pinfmiiif  pr^^*ir  et  la  i  '«  personne  priée.  Et 
en  effet,  si  nous  comparons  les  plus  anciens  textes  provenant  du  Nord 
de  la  France,  il  semble  que  les  deux  séries  de  formes  sont  encore  assez 
bien  séparées.  Dans  le  S,  Alexis  ^ms.  U  nous  rencontrons  :  i  i  sans 
exception  pri  isubst,  et  i"^  pers.U  priet  et  prient,  mais  aussi  prcïent; 
i)  preiuns,  mais  aussi  une  fois  prièrent  (voy.  Téd,  de  M.  G.  Paris  p.  74); 
Téditeur  a  écrit  partout  ei  excepté  dans  la  forme  pri,  ce  qui  semble  un 
peu  arbitraire.  Le  Ro/ii/ir^  offre  i)pri  (i**  pers,)  1177,  147?,  ï74i  ; 
pnetiQxG,  226t,  a^S?,  2449.  2518;  prient  1857;  prit  (subj.)  854, 
5272  ;  iipreiam  5799  ;  prêtez  ^impér.j  i  iji  ;  prciei  (partie.)  2176;  mais 
aussi  ptiuni  5808  ;  prièrent  451  ;  prierat  1882.  Pour  le  Psautier  d^Oxford 
fai  noté  î  1  prie  ps.  36,6;  je  depri  65,1  (et  p*  2  ^9)  ;  2)  preiams  Ip,  2  5 1 
V.  20if  prêtez  ps.  121,  6;  depreiai  1  i8,  58;  141,  i  ;  depreierunt  ^^,  14; 
prière  6,  9;  21,  25;  27,  2;  jt,  15;  58,  16;  ^9,  2;  $4,  i  ;  60,  î  ; 
87^2;  101,  18;  ii8,  169,  170;  129,  2  (seulement  142,  i  prière); 
deprmre  1 6,  i  ;  27,  8;  dipreiabks  89,  i  ç  *  Je  crois  que  ces  exemples  suffiront 
pour  montrer  que,  dans  les  formes  de  ce  verbe,  la  voyelle  /,  provenant 
de  ie  -f  i,  dès  Torigine,  et  assez  régulièrement  encore  dans  les  xi*  et 
m*  siècles,  ne  se  forme  qu'à  la  syllabe  accentuée,  tandis  quV/  est  propre 
aux  syllabes  atones,  —  rapport  qui  parait  une  preuve  assez  forte  de  la 
justesse  de  mon  explication.  Le  même  rapport  se  démontrerait  aisément 
pour  un  certain  nombre  d'autres  verbes,  p.  ex.  neier  ni  (negare),  scier  si 
(iÊCnTé\^  preisier  pris  (preiiare)^.  Les  exceptions  à  la  règle,  qu*on  ren- 
contre même  dans  les  plus  anciens  textes,  ne  sont  peut-être  en  partie 
que  des  fautes   de  copiste.  Cependant  on  ne  peut  nier  que   dès  le 


Fntre  ai  (=  i/o  -f  t)  et  ôi  il  faut  supposer  le  mètne  rapport  qu'entre  t  (= 

i  «,  mais  c'est  plus  difficile  à  démontrer  en   vieux   franc,   parce  que 

^Myy*  L'Étn  m  que  oi  peuvent  désigner  des  sons  différents.  Comp.  RommalV 

?  n  :inrÀ^  les  éditions  de  Th.  Muiler  et  de  L.  Gautier,  La  liste  des  formes 
qi:  5saire  de  M.  Gautier  n'est  pas  tout  à  fait  complète, 

,,  „,  lues  de  ce  dernier  verbe  qui  se  rencontrent  dans  \c  Rolaftt  sont, 
d'âpres  ic  glossaire  de  M.  Gautier  :  1)  pris  (1"  pers.)  ^89;  priset  6}6j  prist 
27J9;  2'  Pfasa  ^]2,  »U^»  '^S>  i  priiscrcnc  3029;  prasa  (part.)  1872. 


70  V.  THOMSÊN 

xit*  siècle  elles  n'aillent  en  croissant  de  plus  en  plus  ',  de  sorte  qu*ellcs 
ne  peuvent  être  expliquées  que  par  une  véritable  perturbation  du  rapport 
primitif,  due  sans  doute  essenticlîenîent  à  une  accommodation  mutuelle 
des  formes  différemment  accentuées.  Le  résultat  en  a  éié  que»  dans  la 
langue  moderne,  la  forme  accentuée  de  la  voyelle  Ta  emporté  sur  la 
forme  non  accentuée  comme  elle  Pa  fait  p*  ex.  dans  aimer,  pleurer^. 
Cependant  il  y  a  des  idiomes  oi\»  tout  au  contraire»  c'est  la  forme  atone 
de  la  voyelle  qui,  dans  ces  mots-là,  Ta  emporté,  p.  ex.  wallon  no»  nier, 
soy,  picard  soyer  scier.  C'est  ce  qui,  dans  la  langue  littéraire,  s'est  opéré 
pour  nhare  ncier  noyer  (comp,  p.  ex.  prouver,  louer,  îndic.  anc.  fir. 
pruefy  le],  tandis  que  p.  ex.  le  wallon  a  ici  justement  nèi^  et  c'est  la 
même  tendance  qui  se  manifeste  dans  les  formes  anglaises  praise  du 
V.  fr.  preisier  (mais  price^prix],  ptay  du  v,  fr.  prêter  i^iprayer—preiere)^ 
impair  du  v,  fr.  empeirier,  nay  (vieilli)  du  v.  fir,  neitr^  etc. 

En  français  moderne  il  n'y  a  plus  de  différence  entre  i  primitif  ly  com- 
pris i  -h  ')  et  notre  /  -=  ie+i^  non  plus  qu'entre  ut  =  «  +  i  et  ai  ==  no 
-f  /|  ei  la  plupan  des  textes  anc.  fr,  ne  semblent  pas  différer  de  la 
langue  actuelle.  Cependant  il  ne  serait  pas  inutile  d'examiner  si  la  con- 
fusion de  ces  sons  est  en  réalité  complète  et  uniforme  pour  toute  l'éten- 
due de  la  langue  française,  ou  s'il  n'y  aurait  pas  au  moins  certains  dia- 
lectes qui  auraient  conservé  la  différence.  Je  tiens  pour  la  seconde 
alternative  ;  mais  je  regrette  d'être  trop  peu  versé  dans  ie  détail  des 
patois  pour  pouvoir  fournir  une  démonstration  complète,  et  je  dois  m'en 
tenir  aux  grands  traits. 

Il  semble  que  le  phénomène  en  question  n'appartienne  essentiellement 
qu'aux  dialectes  du  nord  et  du  centre  ^français,  normand  et  picard)  ; 

i«  On  trouve  p.  t%.  même  la  i"  pers.  proi  et  nproi  â  côté  de  prokr  dans  une 
chanson  de  Chreslicn  de  Troyes  (Mafizncr  Altjr,  LÂcdcr  XXXVIIl  v.  52  =: 
Bartsch  CAr«f.  p.  142,  37). 

2,  Du  reste  la  concurrence  des  formes  différemnient  accentuées  n'a  peut-èlre 
pas  été  le  seul  facteur  pour  produire  ce  résultat.  Il  y  a  des  exemples  de  change- 
ment de  tl  en  i,  surtout  dans  des  syllabes  atones  cl  dans  des  verbes  à  accent 
variable,  où  ïi  n*est  qu'un  simple  affaiblissement  de  tl  et  n'a  rien  de  commun 
avec  notre  f=  ic  -h  /.  J'admets  qu'une  tendance  semblable  a  pu  aidera  Tintro- 
duction  de  \'t  dans  les  syllabes  atones  des  verbes  mentionnés  plus  haut.  F.  ex, 
tm\  ou  plus  récemment  issi  :=  acqmuc  (Diez)  ou  plutôt  =  tccosi^  ic*st  (Storm, 
Mcm*  de  h  S.  de  iing.  Il  125  n.  )  ;  dans  le  Psautier  etsst  est  peut-être  un  peu  plus 
fréquent  que  issi.  C'est  un  piSénomène  semblable  qu'offrent  les  deux  formes  «jj/ret 
issir  (exire)  ;  on  pourrait  être  tenté  de  voir  ici  le  même  rapport  entre  à  et  /  que 
dans  prêter  pn;  cependant  cela  n'est  pas  confirmé  par  les  plus  anciens  textes  : 
VAlexts  et  le  Psautier  ontpresquetoujoursff,  rarement  1,  et  cela  la  plupart  do  temps 
dans  des  syllabes  atones.  Le  provençal  offre  aussi  tssir  à  côté  de  eusir.  Fr,  mod. 
plîtr  à  côté  de  ployer  =  ctass.  pikarCj  vulg.  plegart  plègo^  v,  fr.  pUUr  pld. 
Pour  Ugare  on  semble  avoir  eu^  aès  les  anaens  temps,  deux  formes  l'une  à  côté 
de  l  autre  :  lUr  =  prov.  //jt,  lat.  vulg.  Itgare^  et  /ftfr  (picard  /4>y<r,  wallon  hit) 
^£=  Ut.  vutg.  iigarej  ttal.  iegare. 


-i^ 


I 


E  4*  I    EN    FRANÇAIS  71 

mais  il  D'y  soutire  aucune  exception.  Déjà  les  plus  anciens  textes  apparte- 
nant à  ce  groupe  de  dialectes  offrent,  dans  les  syllabes  accentuées,  tou- 
jours L  II  est  vrai  que  dans  V Alexis  on  ne  trouve  jamais  un  i  de  cette  pro- 
venance parmi  des  assonances  en  i,  et  même  dans  k  Rolant  il  n'y  en  a 
guère  d^exemple  ^  Cela  peut  n'être  qu'un  simple  jeu  du  hasard  ;  mais  il 
se  peut  aussi  qu'encore  au  xi^  siècle  il  y  ait  eu  entre  les  i  des  deux 
groupes  une  certaine  différence,  quelle  qu'elle  ait  été.  Cependant,  s'il  en 
est  ainsi,  û  faut  en  tout  cas  que  dès  le  xir  siècle  toute  différence  ait  dis- 
paru  ;  car  dés  lors  des  mots  comme  pu ,  mi  forment  des  assonances 
complètes  avec  dit,  mis,  comme  p.  ex.  nuit  le  fait  avec  déduit. 

Mais  si  nous  passons  aux  dialectes  de  Test  (et  du  midi],  il  semble  que 
nous  rencontrions  un  développement  bien  différent.  C'est  à  ces  dialectes 
que  semblent  appartenir  les  plus  anciens  échantillons  de  la  langue  d'oil 
(v.  G.  Paris  Alexis  p.  41),  et  dans  ceux-ci  nous  trouvons  toujours  pour 
Ut.  <f  -f  Ma  diphthongue  ei,  non-seulement  dans  les  syllabes  atones» 
CDais  aussi  dans  les  syllabes  toniques.  Eulalie  offre  non-seulement 
puier^  puiemmî,  mais  aussi  ranmt  (les  Fragm.  de  Valencienncs  n'ont 
que  des  exemples  de  syllabes  atones  :  preirets,  prétest)  ;  ta  Passion  non- 
seulement  neieTy  nciet  (pour  ntiat  ^^h]^  prdat  etc.,  mais  aussi  mei  82  d, 
mddi  78 û,  ftis  (peius)  n^  b^  peiz  (pectus)  27c,  despeis [àtspexitj  jja; 
kS,  Léger,  appanenant  d*après  M.  G.  Paris  (Romania  I,  285-6)  à  la 
Bourgogne,  non-seulement  pr«i>r,  preia,  mais  aussi /?<:(j  (peius)  î2 /;  en- 
fin il  faut  ajouter /^^z  (pectusj,  leyre  (légère/  du  Fragment  d'Alexandre 
d*Albéric  de  Besançon ^^  Dans  tous  ces  textes  nous  avons  donc  toujours 
fl,  même  dans  les  syllabes  accentuées,  jamais  /.  On  objectera  peut-être 
que  c*e$t  là  une  question  de  temps  plutôt  que  de  dialecte.  Mais  c'est  ce 
que  je  ne  crois  pas  ;  car  justement  pour  le  dialecte  bourguignon  on  peut 
poursuivre  la  même  différence  beaucoup  plus  tard. 

Un  texte  où  ce  trait  du  vocalisme  se  présente  de  la  manière  la  plus 
nette,  ce  sont  les  Sermons  de  S.  Bernard^  dont  Le  Roux  de  Lincy  a  publié 
des  morceaux  à  la  suite  de  son  édition  des  Quatre  Livres  des  Rots,  Ici 
nous  rencontrons  assez  régulièrement  ei  répondant  au  lat,  vuig*  £  4-  /,  à 


j.  l-c  seul  serait  sire  aux  v.  1728,  1928,  2712  (édd.  de  Mùllerctdc  Gâîitier); 
cependant  nous  allons  voir  tout  de  suite  une  autre  circonstance  qui  semble  indi- 
quer que  i'^  de  cette  forme  anomale  (5ur  laquelle  voyez  Storm,  Rom.  III  288) 
est  on  véritable  l  Csi[y]or  *siy're}^  différent  de  celui  de  pire  Cp^O  f^ï-  En  tout 
cas  il  ne  faut  rapporter  ici  ni  empire  v.  5994  (corn p.  empirie  S.  Alex,  de  *emuï' 
n^^mpiriam^  comme  rirt  de  téra)^  ni  descanfite  v.  5362  qui  n*est  pas  le  lai. 
4kU,  mais  est  formé  sur  Tinfinilif  français  descanfirc.  —  On  sait  qu'encore  dans 
tt  RoUnt  les  deux  ut  ne  font  pas  assonance. 

a. Si  les  Serments  appartiennent  à  ce  même  groupe  oriental,  ce  qui  semble 
assez  probable,  la  forme  disi  ne  peut  guère  être  ^=:  lat.  direct  (Storm^  Rom.  îll 
289  s«j,  qui  aurait  dû  donner  dast. 


V,   THOMSEN 

Vi  des  dialectes  occidentaux  >  ;  d'autre  part  oi  répond  à  Vel  normand, 
conservé  encore  dans  les  plus  anciens  textes  orientaux  ;  cependant  Viiy 
qui  ne  devait  trouver  place  que  dans  les  syllabes  accentuées,  a  souvent  été 
étendu  par  i*analogie  aux  syllabes  atones^  comme  l'est  Vi  des  dialectes 
occidentaux.  L'i  primitif  est  resté  intact.  Nous  avons  doncp,  ex,  parmel^ 
enmei  ;  meus  (medicus]  p.  526,  528,  570;  j>rW/w  ^prié-je)  557,  preist 
(subj.)  567  \pTcis  (pretium;  553,  568,  puix  541  ;  preisier  549,  i'*  pers. 
preis  ^70;  tu  geis  (jaces)  J28;  esleire  57?,  îa  leis  569,  leist  52],  558, 
esteisent  ç  59,  leisons  5  j8,  esUisons  560,  Utsts  565,  tsîmist  j  ?  j,  «Wf (part.)* 
5  5J,  549  '/^^^^'  573  erratum)  ;Jd/  iléctus)  526;  dtkii  (*delëctus),  Mei^ 
tel  04,  dekitmle  550,  559,  562;  profdtm  547,  profeitauU  $42;  ^azgm 
(subjectus)  570.  C'est  ici  que  se  rapportent  aussi  le  pronom  féminin  Ui 
{cestci  etc.)  =  /t,  lie  des  autres  dialectes  'prov.  Uî[s]y  lUi[s],  ital.  lei)  * 
et  les  pronoms  possessifs  plur.  masc.  mei,  <ei,  set  =  m/,  fi,  W  (G.  Paris 
Alex,  p.  ti6;  Burguy  I,  1 39  ss.,  prov.  met,  miei  etc.).  Cependant  on 
trouve  parfois  des  formes  avec  r\  soit  par  inexactitude  de  l'éditeur,  soh 
par  influence  d'autres  dialectes,  soit  par  affaiblissement  de  <:/(comp.  plus 
haut  p.  70  n.  2),  p.  ex.  respii  525,  priet  538,  540,  prions  540,  priera 
<^6o\  gisant  528;  isscii  528,  issent  jéj.  Vis-à-vis  de  ces  formes  nous 
trouvons  d'une  part,  très-réguliérement  dire,  escrire,  liieit  (ligatura)  537 
etc.  avec  /,  et  de  même  toujours  sire  (jamais  'seirej,  ce  qui  semble  une 
preuve  positive  que  Vi  de  ce  mot  est  primitif  [comparez  plus  haut  p*  71 
note  1)^;  d'autre  part  avec  oi  p.  ex*  droit,  refroidieit,  moyen^  noyer 
(necare)  52 1,  renoyeroit  (renierait)  544. 

Il  est  vrai,  cependant»  que  la  particularité  que  je  viens  de  montrer 
pour  les  Sermons  de  S.  Bernard  ne  se  présente  point  avec  la  même 
rigueur  dans  tous  ks  monuments  littéraires  âc&  dialectes  orientaux.  Il  y  a 
beaucoup  d^autres  textes  qu'on  rapporte ,  avec  plus  ou  moins  de  sûreté, 
au  dialecte  bourguignon,  mais  dans  lesquels  remploi  caractéristique  de 
la  diphthongue  ci  est  fort  inégal,  comme  dans  les  Moralités  sur  Job^ 
d'autres  auxquels  il  semble  même  étranger,  comme  Gérard  de  Vtane  (dans 
l'édition  de  Fierabras  par  Imm,  Bekker)  où  l'on  trouve  p.  ex.  pris  (prix) 
475,  pri  477,  piz  (pectus)  482,/?/;  [peius)  506  parmi  des  assonances  en  /, 


I 
I 


I 
I 


1,  La  même  diphthongue  remplace  aussi  ^  ^  lat.  tf,  et  parfois  «,  comme 
singutetr  p.  ^\o.  Comp.  G.  Paris  Romania  f,  283. 

2,  Ce  part,  ne  répond  pas  au  lat.  lèdus  avec  è,  mais  est  formé  sur  l'infinitif 
français  comme  éltt  sur  élire, 

3.  Comp.  Burguy  I  128-230,  MJM*  D'après  une  correction  de  Hofmann, 
M.  G.  Paris  a  introduit  dans  Akx.  9  c  (v.  p.  116  de  Vèà.)  la  forme  Ici. 
Cependant  cette  correction  paraît  assez  précaire  ;  la  forme  ki,  qui  serait  sans 
doute  Â  sa  place  dans  Eulalie^  ne  convient  guère  au  dialecte  de  VAUxis, 

4.  Le  seul  cas  où  û  faudrait  sans  doute  attendre  1,  mais  06  n  néanmoins 
s'emploie  d'une  manière  très-conséquente,  sont  ics  formes  sofftis  ^4,  loffm*  ^9, 
sojjauvct  J4J,  ioUcsian:  544.  Je  ne  peux  expliquer  ces  îormes* 


E  +  r    EN    FRANÇAIS  7] 

les  Dmlagues  de  S.  GrégotTc  (d'après du  Méril)  etc.  Cependant,  quant  aux 
MûrditissurJob,  Burguy  {Cramm,  !,  p.  ^14^  note  2)  peut  avoir  raison 
eo  admettant  qu'elles  ont  d'abord  été  écrites  en  dialecte  bourguignon, 
mais  que  le  manuscrit  qui  nous  en  est  parvenu  a  passé  par  les  mains 
d*iiii  copiste  picard^  et  pour  les  autres  textes  la  question  de  leur  dialecte 
mérite  sans  doute  une  révision  '. 

(^uoi  qu'il  en  soit,  il  y  a  une  circonstance  qui  n>ontre  décidément  que 
le  vocalisme  des  Sermons  de  S.  Bernard  réfléchit  en  tous  cas  un  véritable 
idiotisme  ;  c'est  que  l'idiome  bourguignon  a  encore  de  nos  jours  conservé 
ttscntiellement  le  même  rapport  que  nous  y  avons  rencontré.  Ici  '  je 
trotive  avec  ei  (dont  j*ignore  du  reste  la  prononciation)  p.  ex.prri  (prix), 
la  Ipronom  fém.  rép.  à  lui),  leire  (lire),p«rr  (pire),  pei  (peius  et  pectus), 
/fl  flecius),  (/fp^i  (despectus),  teissu  (tissu);  [médi  (midi)]  y  quelquefois 
ej  remplace  aussi  é^  p.  ex.  peire  =  v.  fr.  père,  quel  (quel),  ou  i>,  p.  ex. 
pnmei  (premier)  [vén  (vient)].  D'autre  part  on  dit  p*  ex,  dire,  écrire^  rire^ 
pi  f^prit)*  mais  aussi  pnV  (prierl,  je  prie,  si  (six),  parmi, 

C'est  un  fait  tout  à  fait  parallèle  à  celui  de  la  conservation  dans  l'idiome 
bourguignon  de  ta  différence  entre  les  deux  diphthongues  qui  se  sont 
ailleurs  confondues  en  ai.  Où  cette  dipbthongue  répond  à  0  (uo)  +  t, 
nous  trouvons  ici  un  son  particulier  qu'on  note  eàu  p.  ex»  (reùe  (truie, 
tfoial^  meà  fmodius),  aujodeii  ihodie),  pfu  (post),  ^umre  (coxa),  coeù 
icoctuin],  aeà  (noctem  et  nocet)  [veuït  (octoi);  raaîs  où  Vu  est  originaire, 
nous  trouvons  en  bourguignon  u  pour  ui,  p.  ex.  la  (lui),  detrurc  latin 
vulgaire  destruyere,  itai.  disîruggere),  relare,  bru  (bruit),  potu  (pertuis, 
penûsium),  iraîe  i^trQcta),  fru  (fruit),  instru^  égusè  (aiguiser»  acQtiare), 
menmei  (menuisier,  minOtiarius),  hassié  huchier  Ihuissier). 

Tout  ce  développement  ne  semble  pas  borné  à  la  Bourgogne  propre- 
ment dite  ;  on  en  retrouve  des  traces  plus  ou  moins  distinctes  dans  le 
patois  de  Lorraine  (la  V6ge|  tel  quil  a  été  décrit  par  Oberlin^,  p.  ex. 
pQuarmê  (parmi  1^  iére  (lire).  Ut  lée  lèye  (lit),  pré  (prix),  préyi  (prier)  ;  en 
wallon,  p.  ex.  mé  fém.  mèie  (médius),  lére^  pé  (peius,  pectus).  Ut,  net 


1 .  Je  regrette  de  n'avoir  pu  consulter  des  chartes  bourguignonnes,  qui  donne* 
raient  évidemment  ïes  meilleurs  renseignements.  C'est  d'après  de  telles  sources  que 
Burguy  cite  p.  ex.  I  p,  108  les  formes  bourguignonnes  seix  6,  dax  to. 

2.  ma  Borgmgfion  de  Gui  Baràiai,  Cin^aame  édiaon  1758.  —  Mignard,  His- 
tûirt  dt  l'iàiomc  bourguignon  ti  ât  ia  Ihièratute.  Di)on.  1856, 

j.  Cet  (ii  est  bien  différent  de  Vca  ordinaire  qui  se  trouve  p*  ex.  dans  nta  (neuf), 
wa  (veut),  et  qui  remplace  paHois  u,  comme  jeasU^  pitimt.  Dans  le  glossaire 
qtii  hti  suite  aux  Noci  Borguignon^p.  256,1e  son  de  tù  est  défini  comme  resscm- 
bUat  à  ceiui  d'eu  prononcé  aussi  vite  que  si  c'était  un  monosyllabe  des  plus 
brefs* 

4.  Essai  sur  U  patois  torram  dis  environs  du  comté  du  Ban  de  ta  Roche.  Stras- 
ÏKfUtg  !77S-  ^  Autrement,  â  ce  qu'il  semble,  dans  le  patois  messin,  comparez 
M.  Rolland,  Rommta  11,  p.  4^7  ss.  Comp.  aus^t  tbid,  1  p.  )a8  ss. 


74  V.   THOMSEN 

(necare)^  mais  skrlre  (écrire)  etc.  ;  dans  les  patois  français  de  la  Suisse 
(voy*  Haefelin,  dans  le  Journal  de  KuhnXXl]^  p.  ex.  lyi  pour  *lei  (Ut), 
lyin  (lire),  m^^f,  mize  (média),  et  à  ce  qu'il  semble  au  moins  dans  une 
partie  du  Berry,  Je  n'entrerai  pas  dans  les  détails,  les  sources  que  j'ai  à 
ma  disposition  ne  me  permettant  pas  de  préciser  l'étendue  de  ce  phéno- 
mène dans  les  patois  modernes.  Voilà  une  de  ces  questions  qui  ont  une 
grande  importance  pour  les  dialeaes  du  vieux  français,  mais  qui  ne 
trouveront  leur  solution  que  lorsque  les  patois  modernes  seront  soumis  à 
une  étude  plus  approfondie  qu'ils  ne  l'ont  été  jusqu'ici. 

Je  croi^  avoir  montré  que  dans  les  difiérents  dialectes  français  les 
continuations  du  latin  vulgaire  è  (et  à)  suivis  d'un  /  parasite  ont  été  trai- 
tées d'une  manière  différente.  Quant  aux  formes  ordinaires  de  ces  combi- 
naisons, /  et  aiy  je  n'ai  pas  de  doute  qu'il  ne  faille  les  expliquer  par  une 
ancienne  diphthongaison  de  è  en  ie,  et  de  o  en  uo^  comme  M.  Schuchardt 
Ta  déjà  supposé  pour  ce  dernier  cas.  Cependant  M.  Havet  a  proposé 
(Romania  111,  p.  h }i  comparez  IV  p.  119  ss.)  une  autre  explication  du 
changement  de  ai  en  u/,  en  supposant  la  série  01  oi  tùt  iii.  Il  rejette  lui- 
même  à  bon  droit  l'autre  hypothèse  qu'il  indique,  une  prononciation 
successive  0/  mi  ai  iii^  «  parce  qu'au  moment  où  le  oi  issu  de  0  serait 
devenu  ùù,  ii  se  serait  confondu  avec  le  u>/  issu  de  co  ».  Ce  sont  là,  en 
effet,  les  seules  alternatives  possibles,  si  l'on  ne  veut  pas  se  rendre  à  la 
théorie  de  la  diphthongaison  de  0.  Mais  il  y  a  une  objection  capitale 
à  faire  :  c'est  qu'aucune  de  ces  deux  alternatives  n*est  applicable  pour  le 
changement  évidemment  analogue  de  é  -|-  1  en  i.  Car  e  ne  peut  changer 
de  série  de  la  même  manière  que  0  peut  devenir  ô.  il  faudrait  donc 
adopter  Tautre  alternative  de  M,  Havet  :  èi  éi  i[i]\  mais  en  ce  cas  la 
confusion  avec  ei  issu  de  Saurait  été  inévitable  (il  semble,  à  la  vérité,  qu'il 
failîe  admettre  cette  confusion  pour  le  mot  fein  foire].  Pour  la  classe 
linguale  des  voyelles  je  ne  vois  donc  pas  d'autre  explication  possible  que 
de  prendre  pour  base  la  forme  diphthonguée  de  Vè  :  ie  -j-  t  ;  au  lieu  de 
former  une  triphthongue,  cette  combinaison  s'est  resserrée  en  1  de  la 
manière  signalée  plus  haut.  Mais  si  cette  explication  est  nécessaire  pour 
IV,  un  développement  analogue  devient  extrêmement  probable  pour  la 
voyelle  parallèle  à  *. 

1.  Sur  l'histoire  de  ta  diphthongue  romane  uo  en  français^  je  ne  puis 
me  rendre  à  l'avis  de  M.  G.  Paris  (Alais  p.  68)  qui  suppose  le  développe- 
ment uo  tu  Oi  0,  Vu  roman  a  pris  en  français  de  très-bonne  heure  la  prononcia- 
tion û,  et  il  doit  l'avoir  f^it  aussi  bien  comme  premier  élément  de  cette  diph- 
thongue, que  comme  voyelie  simple  ;  mais  alors  il  est  impossible  d'arriver  de  ùù^ 
ûe  k  ùi.  Ajoutez  à  cela  qu'en  général  le  son  0  ^  roman  uo  existe  seulement 
dans  celles  des  langues  romanes  dans  lesquelles  u  à  son  tour  est  devenu  û,  ce 

Îui  semble  indiquer  ou'il  y  a  partout  un  certain  rapport  entre  ces  deux  sons, 
c  suis  plutôt  porte  i  supposer  que  uo  —  soit  immeaiatement  par  ùo,  soit  plutôt 


J 


^ 


E  -H  J    EN    FRANÇAIS  yj 

Reste  l'autre  groupe  de  formes,  spécialement  celles  du  bourguignon, 
pour  lesquelles  Thypothèse  n'est  pas  applicable,  ou  au  moins  ne  semble 
pas  nécessaire,  Ici  il  faut  sans  doute  supposer  que  ei  se  rattache  immé- 
diatement au  latin  vulgaire  è  non  diphthongué,  de  sorte  que  cet  ti  est 
resté  différent  de  éiy  issu  du  latin  vulgaire  é,  combinaison  qui  s'est 
changée  plus  tard,  par  une  espèce  de  dissîmilation,  en  oL  Pour 
b  dasse  des  voyelles  labiales,  Veù  du  bourguignon  moderne  ne  peut 
guère  s^être  développé  autrement  que  d^une  ancienne  diphihongue  67; 
c'est  ce  son,  écrit  tantôt  oi,  tantôt  ui,  qu^il  faut  sans  doute  supposer  à 
l^époque  des  Sermons  de  S.  Bernard  (comparez  la  notation  hollandaise  ui 
pour  le  son  ôi].  Le  parallélisme  de  ii  semble  donc  exiger  que  cet  ëi  ait 
simplement  remplacé  ôi  avec  changement  deo  en  o  devant  i,  phénomène 
qd  n'a  en  effet  rien  d'étonnant  et  qui  se  retrouve  en  beaucoup  de 
langues.  Ce  changement  de  à  en  ô  ne  comprend  au  reste  point  tout 
Pûrieni.  Ordinairement  îl  n'a  pas  lieu  p.  ex.  dans  les  patois  de  la  Suisse, 
p.  ex.  moût  mou  modius,  couisse  côesse  coasse  coxa,  de  même  que  f^ouye 
uuyt  gaudium,  Savouye  Sabaudia.  Pareillement  le  wallon,  dont  le  voca- 
lisme a  du  reste  subi  beaucoup  de  perturbations,  semble  parfois  conserver 
0  devant  /  \pi  se  prononce  comme  Tespagnol  ne]  p.  ex.  moie  muid,  ploive 
pluie  [foie  feuille;  ouit  aujourd'hui).  Ce  n'est  sans  doute  pas  par  hasard 
que  le  seul  exemple  v.  franc,  de  ôi  en  assonance  avec  à  se  trouve  dans 
US**  Eulalte,  écrite  justement  dans  le  pays  wallon  (G,  Paris  S.  Alexis 
p.  411  ;  cet  ôi  n'est  assurément  pas  un  phénomène  de  temps,  mais  de 
dialecte.  Dans  le  fragment  de  Valenciennes  il.  ^i)  nous  trouvons  la 
forme  ai  ihodiei,  qu'il  faut  sans  doute  de  même  lire  01, 


Copenhague,  mai  1875. 


Vilh*  Thomsen. 


par  les  intermédiaires  ue  lic  —  est  devenu  rî^  (c'est  ce  que  peut  désigner  déià 
la  notation  uo  de  la  5*  Eaialic  et  du  5.  Uga);  de  là  est  sorti  plus  lard  là' 
moderne  (en  certains  patois  iô,  p.  ex.  lorrain  [Oberlin]  kimr  cœur,  nieuv  neuf, 
ricar  roue»  pictit  peut;  messin  [Rolland,  Romamn  llj  bti  hotui^  nièf  neuf ,  fie  hon^ 
nâ)i  roue).  Du  reste,  le  développement  ne  doit  pas  avoir  été  parfaitement  égal 
pour  tous  les  dialectes,  et  la  signification  des  différentes  notations  du  vieux 
français  change  sans  doute  non-seulement  suivant  fe  temps,  mais  aussi  suivant 
ia  dialectes.  Quant  à  la  simplification  de  ia  triphthongue  qui  naîtrait  de  la  com- 
binaison de  uo  avec  un  t  parasite,  elle  peut  aussi  bien  sortir  du  degré  ùë  -j-  t, 
qtie  ^-  ■  •  ^  Mais  quel  a  été  le  développement  ultérieur,  et  comment  cette  corn- 
b»  prononcée  encore  à  l'époque  de  VAUxis  et  du  Rohnty  c*est  ce  qui 

est  e  à  préciser.  Du  reste,  dans  le  patois  normand  moderne  on  a 

{4\r  daCy  p.  265)  p.  ex.  tcheu.  coctum,  khcure  coquere,  ichm,  ukicr 

«vl;  .,,  .  ..-.s£^  khiesst  coxa,  formes  gui  semblent  indiquer  qu'ici  encore 
au|Ourd'hui  les  deux  ai  sont  séparés  l'un  de  rautrc. 


LA  NOUVELLE   ITALIENNE 

DU    PRÊTRE    JEAN    ET    DE    L'EMPEREUR    FRÉDÉRIC 

ET  UN  RÉCIT  ISLANDAIS. 


Dans  le  livre  de  Konrad  Gislason  intitulé  :  Fire  og  fyrretyve  for  m  stor 
Ded  forhen  uirykie  Prœver  af  oldnordisk  Sprog  og  Literatur  (Copenhague, 
1860),  on  trouve,  p.  416-18,  un  récit  tiré  d'un  manuscrit  du  xiv^  siècle, 
qui  a  une  grande  ressemblance  avec  une  des  nouvelles  du  recueil  italien 
connu  sous  le  nom  de  //  Novellino  ou  de  Le  ciento  NovelU  antiche  >,  celle 
qui  met  en  scène  le  prêtre  Jean  et  l'empereur  Frédéric.  Peut-être  cette 
ressemblance  a-t-elle  déjà  été  remarquée  par  d'autres,  mais  je  ne  sache 
pas  que  jusqu'à  présent  on  l'ait  signalée. 

Voici  une  traduction  fidèle  du  récit  islandais. 

Un  homme  du  Danemark  eut  la  fantaisie  de  quitter  son  pays,  et  de 
voyager  pour  son  plaisir,  en  allant  toujours  vers  le  Sud.  Il  alla  de  pays 
en  pays,  tant  qu'enfin  il  vint  en  Inde.  Arrivé  là,  il  traversa  villes  et 
villages  et  se  trouva  enfin  dans  une  cité  importante.  Il  logea  chez  unh6te 
qui  se  trouvait  être  un  des  échevins  de  la  ville.  Il  entra  en  conversation 
avec  son  hôte.  Celui-ci  dit  au  Danois  :  «  De  quel  pays  es-tu  ?»  Il  dit 
qu'il  était  Danois.  L'hôte  dit  :  «  Tu  dois  pouvoir  me  raconter  bien  des 
choses  intéressantes  sur  ion  pays.  »  Il  répondit  :  «  Je  ne  trouve  à  en 
dire  rien  qui  mérite  d'être  rapporté.  »  L'hôte  dit  :  «  Y  a-t-il  des  pierres 
précieuses  dans  votre  pays  ?  »  Le  Danois  répondit  :  «  Je  n'en  ai  pas 
connaissance.  »  L'hôte  dit  :  i*  Je  vais  te  donner  trois  pierres  précieuses 
que  tu  donneras  à  votre  roi.  »  Il  prit  alors  trois  petites  pierres  et  les 
donna  au  Danois.  Au  bout  de  quelque  temps  celui-ci  se  remit  en  route  et 
revint  en  Danemark;  il  se  présenta  au  roi  et  le  salua.  Celui-ci  le  reçut 
avec  bienveillance  et  l'interrogea  sur  ses  voyages  et  sur  le  point  le  plus 
éloigné  qu'il  avait  atteint.  Il  dit  au  roi  toute  la  vérité.  Le  roi  dit  : 
(c  Puisque  tu  as  été  en  Inde,  tu  dois  nous  avoir  rapporté  quelques  rares 
joyaux.  —  Ce  que  j'ai  rapporté  est  peu  de  chose,  »  répondit^l;  il  montra 

I.  Voy.  sur  ce  recueil  la  belle  étude  d'A.  d'Ancona  dans  cette  revue,  II,  385- 
422  et  III,  164-174. 


LA  NOUVELLE  DU  PRÊTRE  JEAN  77 

tes  pierres  et  les  tendit  au  roi.  Celui-ci  les  prit^  et  dit  :  «r  Je  ne  vois  pas 
que  ces  pierres  soient  des  joyaux^  et  on  ne  doit  pas  s'attendre»  me 
lemble-i-il,  à  ce  que  je  donne  de  mon  bien  pour  ces  pierres,  puisque  je 
n'en  connais  pas  la  valeur;  mais  je  les  garderai,  car  je  pense  que  celui 
qui  me  les  envoie  me  demandera  quelque  chose  en  échange.  )>  Et  au 
bout  de  quelque  temps,  il  arriva  un  jour,  comme  le  roi  était  à  tabte^ 
qu'un  homme  inconnu  entra  dans  la  salle  et  s^approcha  du  roi  ;  il  salua 
le  roi  ei  lui  dit  r  «  Sire,  vous  a-t-on  remis  des  pierres  envoyées  pour 
vous  de  l*Inde  ?  a  Le  roi  répondit  aftirmaiivemeni.  L'étranger  demanda  : 
«  Voulez-vous  récompenser  celui  qui  vous  les  a  envoyées  ?  —  Je  ne 
sais  pas  w,  répondit  le  roi,  «  jusqu'à  quel  point  elles  méritent  une 
récompense,  car  je  ne  vois  pas  ce  que  j'en  peux  faire,  n  L'étranger 
répliqua  :  «  Montrez-les-moi.  ))  Le  roi  les  fit  apporter.  CJuand  l'homme 
eut  reçu  les  pierres,  il  les  mit  dans  sa  main  et  dit  au  roi  :  <t  Ces  pierres, 
sire,  vous  semblent  sans  valeur;  mais  avec  votre  permission  je  vais 
vous  instruire  de  leur  nature.  »  Là-dessus  il  prit  une  des  pierres,  Téleva 
en  Tair.  et  dit  :  *(  Voici  la  nature  de  celte  pierre.  Si  vous  prenez  un 
poids  d'or  égal  au  sien  et  que  vous  la  mettiez  avec  l*or,  celui<î  8*accroit 
si  bien  qu'il  se  double  rapidement,  et  tant  que  la  pierre  reste  là,  il  va 
toujours  doublant.  »  Le  roi  à  ces  mots  devint  silencieux  et  dit  (en  lui- 
même]  :  <i  C^est  vraiment  un  joyau  de  roi.  >>  L'étranger  prit  la  seconde 
pierre  et  dit  :  «  La  nature  de  cette  pierre  est  telle  que  si  vous  êtes  dans 
un  combat,  même  sans  armes,  et  que  vous  la  portiez  sur  vous,  vous  ne 
recevrez  pas  une  blessure,  w  Le  roi  se  tut,  regrettant  d'avoir  laissé  cette 
pierre  quitter  ses  mains.  L'autre  prit  la  troisième  pierre,  la  leva  devant 
le  roi,  et  dit  :  «  La  nature  de  cette  pierre  est  telle  que  moi,  qui  la  liens, 
je  suis  maintenant  ici  et  je  serai  dans  un  moment  en  Inde,  n  Là- dessus, 
toutes  les  pones  fermées,  il  disparut  et  on  ne  Ta  plus  revu.  Je  ne  puis 
dire  quel  était  ce  roi  ;  j'ai  entendu  assurer  à  quelques-uns  que  c'était 
Waldemar  le  vieux,  parce  qu'il  avait  des  joyaux  rares  qui  venaient  de 
rinde;  mais  je  ne  puis  le  dire  avec  certitude. 
Comparez  avec  ce  récit  la  nouvelle  italienne,  dont  voici  le  texte  '  : 

DeUa  Ticca  ambascemla  (juaiefece  h  Presto  Giovanni  al  nobite  Imperadore 

Federigo* 
Presto  Giovanni  nobilissîmo  signore  îndiâno  mandoe  ricca  e  nobîle 
ambasceria  al  nobile  e  poiente  Imperadore  Federigo,  a  cotui  che  vera- 
mente  fu  specchio  del  mondo  in  parlare  et  in  costumi,  et  am6  molto 
diUcato  parlare,  et  istudiô  in  dare  savi  risposi.  La  forma  e  la  intenzîone 
di  quella  ambasceria  fu  solo  in  due  cose,  per  volere  al  postuito  provare 

^  r.  C'est  la  deuxième  du  texte  Gualteruzxi,  la  première  dti  texte  Borghini. 
Yojti  sur  ces  deux  textes  d'Ancona»  Le.  II,  3S}  ss. 


78  fl.   KŒHLER 

se  lo  ^mperadore  fosse  savio  in  parlare  et  in  opère.  Mandolli  per  H  detti 
ainbascîadori  tre  piètre  nobiiissime  e  disse  loro  :  «  Ûonatele  allô  'rope- 
radore,  e  diteii  dalla  pane  mia  che  vi  dîca  quale  è  la  migliore  cosa  del 
mondo,  e  le  sue  parole  e  risposte  serbereie,  et  avviserete  la  corte  sua 
e  costumi  di  quella^  e  quelio  che  inverrete^  raccontarete  a  me  sanza 
niuna  mancanza.  )»  Furoalb  'mperadore  dove  erano  mandali  perlo  loro 
signore  :  satutaronlo,  siccome  si  convenîa ,  per  la  pane  délia  sua 
Maesiade,  e  per  la  pane  dello  loro  sopra  scritto  signore  donaronli  le 
sopra  dette  piètre.  Quelli  le  prese,  e  non  domandôdi  loro  vinude  :  fecele 
riporre,  e  lodolle  molto  di  grande  bellexza.  Li  ambasciadori  fecero  la 
demanda  loro,  e  videro  li  costumi  e  la  corte.  Poi  dopo  pochi  giomi 
addomandaro  coraroiato.  Lo  'mperadore  diede  loro  risposia  e  disse  : 
H  Ditemi  al  signor  vostro^  che  la  miglior  cosa  di  questo  mondo  si  è 
mtsura  '.  »  Andaro,  e  rinunzîaro  e  raccontaro  ci6  ch'  aveano  veduto  et 
udito,  lodando  molto  la  corte  dello  'mperadore  omata  di  belh&siini 
costumi,  e  'l  modo  de*  suoi  cavalieri.  Il  Presto  Giovanni,  udendo  ciô  che 
raccontaro  li  suoi  ambasciadori,  lodô  lo  'mperadore,  e  disse  che  era 
molto  savio  in  parola^  ma  non  in  fatto,  acciocchè  non  avea  domandato 
délia  vinii  di  cosi  care  piètre.  Himandô  li  ambasciadori,  et  offerseli,  si 
li  piacesse,  che  '1  farebbe  siniscalco  detla  sua  cône.  E  feceli  contare  le 
sue  ricchezze  e  le  diverse  ingenerazioni  de'  sudditi  suoi  e  il  modo  del 
suo  paese.  Dopo  non  gran  tempo»  pensando  il  Presto  Giovanni,  che  le 
piètre  ch'  avea  donato  ailo  'mperadore  avevano  perduia  loro  vinude, 
dappoi  che  non  erano  per  lo  'mperadore  conosciute,  lolse  uno  suo 
carissimo  lapidaro,  e  mandollo  celatamenie  alla  corte  dello  'mperadore, 
e  disse  ;  «  Al  postutio  metti  lo  ^ngegno  tuo  che  tu  quelle  piètre  mi  rechi  ; 
per  niun  tesororimanga.  »  Lo  lapidaro  si  mosse  guernito  di  molle  piètre 
di  gran  bellezza,  e  cominciè  presso  alla  cône  a  legare  sue  piètre.  Li 
baroni  a  cavalieri  veniano  a  vedere  di  suo  mesiiero.  L'  uomo  era  molto 
savio  :  quando  vedeva  alcuno  ch*  avesse  luogo  in  corte,  non  vendeva^ 
ma  donava;  e  donô  anella  moite;  tanto  che  la  Iode  di  lui  andô  dinanzi 
allô  'mperadore.  Lo  quale  mandô  per  lui,  e  raostrolli  le  sue  piètre. 
Lodolle,  ma  non  di  gran  vertude,  Domandô  se  avesse  più  care  piètre. 
Allora  lo  *mperadore  fece  venire  le  tre  care  piètre  preziose  ch'  elli  desi- 
derava  di  vedere.  Allora  il  lapidaro  si  rallegrô»  e  prese  l'una  pielra,  e 
miselasi  in  mano,  e  disse  cosi  :  «Quesla  pielra,  messere,  vaîe  la  migliore 


t ,  Giovanni  Picrolt»  {U  Ctnto  Novtlle  ûntkht  iltastrate  ad  uso  àtlk  scuole,  Mi- 
lano,  i86cï,  p,  jj)  rappelle  les  vers  de  Fra  Jacopone  :  Ogni  cosa  chcfai  Aggia 
ttmpo  t  mtsara  (cl.  Nannucci,  Manuak  dîtla  Uncruîara  dci  primo  lecofo^  2'  cd.| 
1,  408).  La  ressemblance  est  plus  frappante  avec  ces  vers  0  un  poème  allcmana 
(Mcisur  Attswtrt.  Hgg.  von  W.  Holland  und  A.  Kciler,  Stuttgart,  1850,  p.  ^7)  : 
^..Gioubt  mtr  Oai  du  mazi  das  ksu  ist  AlUnthaiben  in  dirre  Jntt.  Voy.  encore 
J»  Zingerle,  DU  daiuchm  Sprichwœrkr  im  Mttulalur^  P-  ^* 


1 


LA   NOUVELLE   DU    PRÊTRE   JEAN  79 

cinà  che  voi  avete.  «*  Poi  presel'alira^c  disse  :  «fQuesta,  messere,  vale  la 
migUor  provincia  che  voi  aveic,  )j  E  poi  prese  la  terza,  c  disse  ;  «  Mes- 
icre,  questa  vale  più  che  tutto  lo  'raperio»;  estrinse  il  pugno  cou  le  sopra 
scrjue  piètre.  La  vertude  dell*  iina  il  cel6,  che  nol  potero  vedere,  e 
diicese  giù  per  le  gradora,  e  tomô  al  suo  signore  Pre&lo  Giovanni,  e 
presentoUi  le  piètre  con  grande  aitegrezza.  » 

Je  vois  dans  Tislandais  une  altération  du  récit  original,  et  dans  l'italien, 
au  contraire,  le  récit  original  même  oy  une  forme  très-voisine-  L'histoire, 
telle  que  nous  la  présente  la  nouvelle  italienne,  est  pleine  de  sens,  bien 
motivée  dans  toutes  ses  parties^  conséquente,  claire  et  complète  :  le 
prince  indien  veut  éprouver  la  sagesse  célèbre  de  l'empereur  occidental  ; 
c'est  pour  cela  qu'il  lui  envoie  les  merveilleuses  pierres;  mais  l'épreuve 
r»ç  tourne  pas  à  Thonneur  de  l'empereur,  qui,  satisfait  de  la  beauté 
extérieure  des  pierres,  ne  songe  pas  à  s'informer  de  leur  vertu  interne; 
c'est  donc  à  bon  droit,  et  par  sa  faute,  qu'il  perd  plus  tard  les  pierres 
qu'il  n'a  pas  su  apprécier.  Dans  le  récit  islandais  la  signification  de  la 
fiouvelie  italienne  est  etfacée  :  ce  n'est  pas  la  faute  du  roi  si  la  «  nature  n 
des  pierres  lui  est  inconnue,  et  il  a  conscience  de  cette  ignorance  à  laquelle 
il  ne  peut  rien  ;  il  les  perd  donc  sans  qu'il  y  ait  de  sa  faute;  à  moins  qu'on 
ne  veuille  le  trouver  coupable  d^avoir  remis  les  pierres  à  un  étranger. 
On  ne  comprend  pas  non  plus  du  tout,  dans  le  récit  islandais,  pourquoi 
l'Indien  envoie  ces  précieuses  pierres  au  roi  de  Danemark;  on  ne  voit 
pas  davantage  si  l'étranger  qui  les  lui  reprend  est  ce  même  Indien  ou 
non. 

En  ce  qui  concerne  la  nouvelle  italienne,  j'ai  encore  à  faire  les  remar- 
ques suivantes.  On  sait  qu'il  existe  une  prétendue  lettre  du  prêtre  Jean  à 
l'empereur  grec  Emmanuel  (i  14^-80),  dans  laquelle  il  décrit  en  détail 
les  pays  et  les  peuples  qui  lui  sont  soumis'.  Cette  lettre  fut  de  très- 
bonne  heure  mise  en  rapport  avec  l'empereur  Frédéric  Barberousse, 
contemporain  d'Emmanuel,  Un  manuscrit  de  la  lettre,  qui  est  attribué 
au  xn*  siècle,  commence  ainsi  :  Incipit  epistola  JohannU  régis  Indiae  Ema~ 
niuli  régi  Graecomm  missa  et  ab  ipso  Frlderico  imperaton  direcîa^.  Albéric 
de  Trois-Fontaines  rapporte  dans  sa  chronique,  à  l'année  1 165  :  £x  hoc 

1.  Crtte  lettre  a  été  publiée  l'année  dernière,  pour  la  première  fois  dans  m 
tctte  critique,  par  Friedrich  Zarncke,  à  Leipzig,  dans  un  écrit  universitaire  qui 
a  pour  titre  :  Ex  ordinis  philosophoram  mandato  renantiantur  pkilosojhtat  dociorcs 
a  Êrimm  Ubualium  mûgistn  indt  a  dit  pnmo  mcnsis  novtmbris  a,M  u  CGC  ÙCXUl 
u^t  ad  ditm  alùmum  mcnsts  oclobriia.  M  D  CGC  LXXÎV aealL  Pratmmàtsl  Fri" 
dirkt  ZarncU  A,  t.  duam  comnientatio  «  de  epistola^  quac  sub  mminc  prtsbyttri 
hkûima  fatar  »  palrio  sermonc  conscripia,  Lîpsiâe,  typrs  A,  Edelmanni,  typogr. 
Klà.,  in-4\ 

2.  Zarncke,  1.  c,  p.  (.  Vov.  aussi  les  rubriques  presque  pareilles  de  deux 
■iBUKrits  postérieurs  (2ârnckej  p.  8,  n«  22,  et  p,  13,  n*"  ^9). 


8o  R.   KŒHLER 

kmfon  JiMium  prtsbyUr^  ladorum  nx,  literas  suas  muUa  admiroÈixm 
fkms  ai  Hvtrsos  reges  christianitatis  misitj  speciaUter  aatm  Mtmmâi 
CofUUHtinopolàuio  et  Romanorum  imperatori  Friderico, 

La  lettre  est  adressée  à  Frédéric  seul  dans  la  traduction  française 
publiée  par  A.  Jubinal  [Œuvres  complètes  de Rutebauf,  Il,454ss.)»  d'après 
un  manuscrit  du  xm*  siècle,  dans  la  traduction  italienne  qui  se  troore 
dans  un  manuscrit  de  Vienne  du  xv^  siècle  s  dans  une  imitation  poétique 
allemande  \  et  peut-être  dans  trois  manuscrits  latins  '. 

La  circonsunce  que  la  nouvelle  italienne  raconte  une  ambassade  du 
prêtre  Jean  à  l'empereur  Frédéric,  ferait  déjà  supposer  une  relation  de 
notre  histoire  avec  cette  lettre  qu'on  a  de  bonne  heure,  comme  nous 
venons  de  le  voir,  supposée  écrite  à  Frédéric.  Un  passage  de  la  nouvelle 
change  cette  vraisemblance  en  certitude,  en  montrant  que  l'auteur  a 
connu  la  lettre,  soit  dans  l'original  latin,  soit  dans  une  traduction.  On 
lit  en  effet  dans  l'italien  :  Rimandà  H  ambasciadoriy  et  offersdiy  se  li 
piacisse,  che  '/  farebbe  siniscalco  délia  sua  corte;  et  c'est  évidemment 
une  allusion  aux  paroles  qui  se  trouvent  au  commencement  de  la  lettre 
du  prêtre  Jean  (§  7  de  l'édition  de  Zarncke)  :  «  Quodsiaddominationem 
nostram  venire  volueris,  majorem  domus  nostrae^  te  constituemus.  »  Ce 
passage  est  rendu  ainsi  dans  la  version  italiennes  :  E  si  vujvolUssij  vemre 
m  k  imtn  terre,  molto  ne  piazareve,  Imperador,  che  nuj  si  vefaremmo  grande 
S4<Mco  [1.  Senechalco]  de  la  nostra  corte  et  de  le  nostre  Urre  apresso  de  la 
imtriliiiiinitadet  et  dans  la  traduction  française  dont  il  a  été  parlé  plus 
haut  :  JCI  sHl  vos  plaisoit  a  venir  en  nostre  tierre,  bien  soiiés  vous  venus,  et 
nos  Vi>us  ferons  senescal  de  nostre  court.  Quant  à  ce  qui  suit  dans  la  nou- 
YtUe  italienne  :  E  feceli  contare  le  sue  ricchezze  e  le  diverse  ingenerazioni 


\^  Ci  /arncke,  p.  20.  Mon  ami  Adolf  Wolf,  à  Vienne,  qui  vient  de  mourir, 
AYAll  bim  voulu  me  donner  quelques  renseignements  sur  cette  traduction  ita- 
\\tmts  Kllf  commence  ainsi  :  Prête  cagne  per  la  gratta  de  dio.  Re  soura  gli  altri 
Rf  \K\  un  bUnc)  Ftdtricho  Imper  adore  de  roma.  Soluté  et  amore^  ce  qui  coïncide 
l^r««^Uf  littéralrment  avec  l'ancienne  traduction  française,  dans  Jubinal  :  Prestres 
AÀiMjk.  JSN  /ti  grass:  de  Dieu  rois  entre  les  rois  crestiens,  mande  salut  et  amistiis 
^  fW»!  rmptitour  de  Roume, 

I.  /«rnctfi  i.  c.,p.  30.  Voyez  aussi  sur  cette  version  Uhland.  Schriften  zur 
iki^\k¥ikh  d<i  Ihthtung  undSage^  I,  495  ss.;  J.  Grimm,  Kleinere  Schriften^  III,  1 1 
tl  A4  »«.;  il.  Voigt  dans  Sybel,  Historische  Zeitschrift,  XXVI,  157.  Dans  cette 
>^>r>KMi  U  Ifttrf  est  accompagnée  d*un  récit,  d'après  lequel  le  prêtre  Jean  envoie 
^  r^wi^rrur»  rn  même  temps  que  sa  lettre,  divers  objets  merveilleux,  entre 
Atttrfn  AUMki  une  nierre  qui  rend  invisible,  mais  en  faisant  connaître  clairement 
l«^v%  v«rtU!(  prv>digicuses.  D'après  Uhland,  p.  497,  ce  récit  serait  aussi  une 
4lt^*uti\Mï  vie  U  nouvelle  italienne. 

r  /^rwAe,  I.  c.p.  ii,  n*  40  et  42,  p.  13,  n-  55;  cf.  encore  p.  17  s. 

4.  Il  Uut  ctrtJiinement  lire  ainsi,  et  non  majorem  et  digniorem  domus  nostrae, 
\\\\t  i^M-tfHt  les  manuscrits. 

\   iAmuuuwiqué  par  Ad.  Wolf. 


LA  KOUVELLE   DU   PRÊTRS  JEAM  8t 

'  suddni  suoi  €  il  modo  dcl  suo  paese,  ce  n'est  autre  chose  qu'un  résumé 
bref,  mais  exact,  de  toute  la  lettre  du  prêtre  Jean* 

il  résulte  clairement  de  ce  qui  précède  qu*en  faisant  adresser  la  lettre 
dn  prêtre  Jean  à  l'empereur  Frédéric,  on  entendait  Frédéric  r*  ou  Bar- 
beroussep  le  contemporain  d'Emmanuel.  Mais  notre  nouvelliste  italien 
songe-t-il  aussi  au  premier  Frédéric  ?  Je  n^oserais  pas  le  décider  »,  parce 
que  je  ne  vois  pas  auquel  des  deux  Frédéric  se  rapportent  plusnaturellc- 
mcni  ces  expressions  :  il  nobile  e  potente  imperadore  Federigo,  colui  dit 

tmaminufa  spccchio  del  mondo  in  parlare  et  in  costami^  et  amà  molto  dili- 
mm  parlare,  et  isludiô  in  dare  savi  risposti  Un  éditeur  déjà  cité  du 
^Utiino,  G,  Pierotii,  remarque  sur  ce  passage  :  «  Che  il  gentile  impe- 
radore  si  dilettasse  di  arguie  ris  poste,  ne  fa  fede  Dante  net  Convito,  ove 
racconta  che  domandato  che  fosse  gentilezza,  rispose  che  era  aniica 
ricchezza  e  bei  costumi.  »  D*après  cela  il  s'agirait  de  Frédéric  11*,  Au 
contraire  une  remarque  que  j*aï  faite  parle  peut-être  pour  Frédéric  K^ 
De  même  que  dans  la  nouvelle  on  dit  de  l'empereur  «  che  veramente  fu 
sptuhlù  del  mondo  in  parlare  et  in  costurai  »,  de  même  Johannes  Adel- 
phus,  dans  le  prologue  de  son  Barbarossa^^  p.  H  h,  dit  de  Barberousse : 
■  Der  bilJich  soi)  geachtet  werden  fur  ein  tautern  claren  weîtspiegel 
allen  fursten  und  herren,  usz  dem  zu  erkùnden  und  erlernen  ein  rum- 
feich  lobiich  régiment  furen  (lequel  doit  être  à  bon  droit  regardé  comme 
on  miroir  du  monde  pour  tous  les  princes  et  seigneurs,  par  lequel  ils  peu- 
vent apprendre  à  avoir  un  gouvernement  glorieux) ,  etc,  »  Peut-être  la 
rencontre  du  Novellino  et  d'Adelphus  dans  la  désignation  de  miroir 
du  monde  ne  signifie-t-elle  rien  :  Tun  et  1  autre  pourraient  l'avoir  rencon- 
trée indépendamment  et  l'avoir  appliquée  arbitrairement  l'un  à  Fré- 
déric II,  l'autre  à  son  grand-père;  mais  il  est  possible  aussi  que 
Tépilhète  de  miroir  du  monde  ait  été  anciennement  attachée  à  Frédéric  1  : 
dans  ce  cas  ce  serait  à  lui,  naturellement,  que  se  rapporterait  le  rédt  du 
Hofellino, 

Reinhold  Kœhler. 
Weiroar. 


1.  Plusieurs  nouvelles,  dans    le  Novtllino^  parlent  de  V Imperadore  Federigo^ 
màh  sans  aucune  spécification. 

2,  Osnte,  à  l'endroit  dont  il  s'agit  {Convito,  IV,  j)  parle  dt  Federtgo  di  Soûve, 
alùmo  imperadore  de'  Romiim. 

^.  «  Barbarossa.  Ein  warhafFtigebeschreibungdes  îebens  and  dergeschichten 
Kcisef  Fridcrichs  des  crsten,  gênant  Barbarossa.  ï>  Strasbourg,  i  520,  m-fol. 


komêma,  V 


CONTES    POPULAIRES    LORRAINS 


RECUEILLIS  DANS  UN  VILLAGE  DU  BARROIS 


A  MONTIERS-SUR-SAULX  (MEUSE). 


Cette  collection  de  contes  populaires  présente  ce  caractère  partîcylier 
que»  pour  la  former ,  nous  avons  puisé  dans  la  tradition  orale  d*un  seul 
village  :  les  quatre-^vingts  contes  environ  dont  elle  se  compose  viennent 
tous  de  cette  même  source*  On  voit  quelle  richesse  a  conservée,  en 
France  comme  ailleurs,  malgré  k^  envahissements  du  livre,  celte  litté- 
rature populaire  non  écrite  sur  laquelle  les  frères  Grimm  ont  les  pre- 
miers attiré  Inattention  des  esprits  curieux. 

C'est  en  1 866  et  en  1 867  que  ces  contes  ont  été  recueillis  par  mes 
sœurs  et  moi  à  Montiers-sur-Saulx,  village  de  Lorraine  ou,  si  Ton  veut 
plus  de  précision,  du  Barrois,  actuellement  chef-lieu  de  canton  du  dépar- 
tement de  la  Meuse,  et  situé  à  quelques  centaines  de  pas  de  l'ancienne 
frontière  de  Champagne.  Nous  devons  la  plus  grande  partie  de  notre 
collection  au  zèle  intelligent  et  à  la  mémoire  prodigieuse  d'une  jeune 
fille  du  pays,  morte  aujourd'hui,  qui  s'est  chargée  de  rechercher  par 
tout  le  village  les  contes  des  veillées  et  nous  les  a  ensuite  transmis  avec 
une  rigoureuse  fidélité. 

De  bons  juges  ont  parfois  exprimé  le  regret  de  trouver  dans  certaines 
collections  de  contes  populaires  un  style  apprêté,  des  développements  et 
des  enjolivements  qui  trahissent  le  littérateur.  Nous  espérons  qu'on  ne 
nous  adressera  pas  cette  critique;  nous  avons  du  moins  tout  fait  pour  ne 
pas  nous  y  exposer,  et,  si  notre  collection  a  un  mérite,  c'est,  ce  nous 
semble,  de  reproduire  avec  simplicité  et  aussi  exaciemeni  que  possible 
les  récits  que  nous  avons  entendus. 

A  la  suite  de  chacun  de  nos  contes  nous  indiquerons  les  ressemblances 
qu'il  peut  présenter  avec  tels  ou  tels  réciu  faisant  panie  de  quelqu'un 


i 


CONTES   POPULAIRES   LORRAINS  8j 

fûm  nombreux  recueils  de  contes  populaires  déjà  publiés  à  l'étranger. 
Pour  ne  point  allonger  démesurément  ces  remarques,  nous  supposerons 
connu  tout  ce  que  contiennent  les  remarques  formant  le  troisième  volume 
de  ta  collection  des  frères  Grimm  et  celles  que  M.  Reinhoid  Ktehler  a 
publiées  en  1866  et  1867  sur  des  contes  italiens  dans  le  Jahrbuch  fur 
fomanUche  and  englische  Literatur  eit  en  1870,  sur  les  deux  volumes  de 
contes  siciliens  recueillis  et  traduits  en  allemand  par  M'^*  Laura  Gonzen- 
bach.  Nous  insisterons  particulièrement  sur  !es  ressemblances  parfois  si 
frappantes  qui  existent  entre  nos  contes  iorrains  ou  autres  contes  euro- 
péens et  les  contes  orientaux.  Notre  collection  fournira  ainsi  un  docu- 
ment de  plus  à  rhistoire  des  migrations  des  ficiions  indiennes  à  travers 
le  monde,  histoire  qui  a  été  tracée  de  main  de  maître  par  M,  Théodore 
Benfey,  le  célèbre  orientaliste  de  Gœttîngue,  et  que  nous  avons  essayé 
naguère'  d*exposer  d'après  les  écrits  de  ce  savant. 


JEAN  DE  L'OURS, 

Il  était  une  fois  un  bûcheron  et  une  bûcheronne.  Un  jour  que  celle-ci 
[allait  poner  la  soupe  à  son  mari,  elle  se  trouva  retenue  par  une  branche 
[lu  milieu  du  bois.  Pendant  qu'elle  cherchait  à  se  dégager,  un  ours  se 
isuf  elle  et  remporta  dans  son  antre.  Quelque  temps  après,  la  femme, 
l<iui  était  enceinte^  accoucha  d'un  dis  moitié  ours  et  moitié  homme  :  on 
|l^appelâ  Jean  de  TOurs. 

>L\»irs  prit  soin  de  la  mère  et  de  l*enfani  :  i!  leur  apportait  tous  les 
Eà  manger;  il  allait  chercher  pour  eux  des  pommes  et  d^auires  fruits 
^aovages  et  tout  ce  qu'il  pouvait  trouver  qui  fût  à  leur  convenance. 

Quand  l'enfant  eut  quatre  ans,  sa  mère  lui  dit  d'essayer  de  lever  la 
pierre  qui  fermait  la  grotte  où  l'ours  les  tenait  enfermés,  mais  Penfant 
Quêtait  pas  encore  assez  fort.  Lorsqu'il  eut  sept  ans,  sa  mère  lui  dit: 
Il  L'ours  n'est  pas  ton  père*  Tâche  de  lever  la  pierre,  pour  que  nous 
ions  nous  enfuir.  —  Je  la  lèverai,  >»  répondit  l'enfant*  Le  lende- 
matin^  pendant  que  Tours  était  partie  î)  leva  en  effet  la  pierre 
jet  sVnfuit  avec  sa  mère.  Ils  arrivèrent  à  minuit  chez  le  bûcheron, 
b  mère  frappa  à  la  porte,  tt  Ouvre,  **  cria-t-elle,  «  c'est  moi,  la  femme.  )» 
Léman  ^e  releva  et  vint  ouvrir:  il  fut  dans  une  grande  surprise  de 
revoir  sa  femme  qu'il  croyait  morte.  Elle  lui  dit  :  «  Il  m'est  arrivé  une 


I.  Voir  Us  Contes  populaires  emopàns  et  leur  origine  dans  le  Correspondant  du 


84  E.  COSQUIN 

terrible  aventure  :  j'ai  été  enlevée  par  un  ours.  Voici  l'enfant  que  je  por- 
tais alors.  )) 

On  envoya  le  petit  garçon  à  l'école;  il  était  très-méchant  et  d'une 
force  exiraordinaire  :  un  jour,  li  donna  à  l'un  de  ses  camarades  un  tel 
coup  de  poing  que  tous  les  écoliers  furent  lancés  à  l'autre  bout  du  banc. 
Le  maître  d'école  lui  ayant  fait  des  reproches,  Jean  le  jeta  par  la  fenêtre. 
Après  cet  exploit,  il  fut  renvoyé  de  récole»  et  son  père  lui  dit  :  «  Il  est 
temps  d'aller  faire  ton  tour  d'apprentissage.  » 

Jean,  qui  avait  alors  quinze  ans^  entra  chez  un  forgeron,  mais  il  faisait 
de  mauvaise  besogne  :  au  bout  de  trois  jours  il  demanda  son  compte  et 
se  rendit  chez  un  autre  forgeron.  Il  y  était  depuis  trois  semaines  et 
commençait  à  se  faire  au  méiier,  quand  Tidée  lui  vint  de  partir.  M  entra 
chez  un  troisième  forgeron;  il  y  devint  très-habiîe,  et  son  maitre  faisait 
grand  cas  de  lui. 

Un  jour,  Jean  de  TOurs  demanda  au  forgeron  du  fer  pour  se  forger 
une  canne.  «  Prends  ce  qu'il  te  faut,  n  lui  dit  son  maitre,  Jean  prit  tout 
le  fer  qui  se  trouvait  dans  la  boutique  et  se  fit  une  canne  qui  pesait  cinq 
cents  livres,  tf  11  me  faudrait  encore  du  fer,  j>  dit-il,  «  pour  mettre  un 
anneau  à  ma  canne.  »  —  Prends  tout  ce  que  tu  en  trouveras  dans  la 
maison,  »  lui  dit  son  maître;  mais  il  n'y  en  avait  plus. 

Jean  de  TOurs  dit  alors  adieu  au  forgeron  et  partit  avec  sa  canne.  Sur 
son  chemin  il  rencontra  Jean  de  la  Meule  qui  jouait  au  palet  avec  une 
meule  de  moulin,  «  Oh!  oh!  »>  dît  Jean  de  TOurs,  tf  tu  es  plus  fort 
que  moi,  Veux-tu  venir  avec  moi?  —  Volontiers,  »  répondit  Jean  de  la 
Meule,  Un  peu  plus  loin,  ils  virent  un  autre  jeune  homme  qui  soutenait 
une  montagne;  il  se  nommait  Appuie-Montagne.  «  Que  fais-tu  là?  »  lui 
demanda  Jean  de  l'Ours.  —  «  Je  soutiens  celte  montagne  :  sans  moi  elle 
s'écroulerait.  —  Voyons,  »  dit  Jean  de  l'Ours,  «  ôte-loi  un  peu.  » 
L'autre  ne  se  fut  pas  plus  t6t  retiré^  que  la  montagne  s'écroula.  «  Tu  es 
plus  fort  que  moi,  »  lui  dit  Jean  de  TOurs,  «  Veux-to  venir  avec  moi? 
—  Je  le  veux  bien,  »  Arrivés  dans  un  bois,  ils  rencontrèrent  encore  un 
jeune  homme  qui  tordait  un  chêne  pour  lier  ses  fagots  :  on  l'appelait 
Tord-Chêne,  u  Camarade,  »  lui  dit  Jean  de  TOurs,  a  veux-tu  venir  avec 
moi  ?  —  Volontiers,  «  répondit  Tord-Chêne. 

Après  avoir  marché  deux  jours  et  deux  nuits  à  travers  le  bois,  les 
quatre  compagnons  aperçurent  un  beau  château;  ils  y  entrèrent,  et, 
ayant  trouvé  dans  une  des  salles  une  table  magnifiquement  servie,  ils  s'y 
assirent  et  mangèrent  de  bon  appétit.  Ifs  tirèrent  ensuite  au  sort  à  qui 
resterait  au  château,  tandis  que  les  autres  iraient  à  la  chasse:  celui-là 
devait  sonner  une  cloche  pour  donner  à  ses  compagnons  le  signal  du 
dîner. 

Jean  de  la  Meule  resta  le  premier  pour  garder  le  logis.  Il  allait  irem- 


ta^ÊÊÊÊÊm 


É 


CONTES   POPULAIRES   LORRAINS  85 

per  la  soupe,  quand  tout  à  coup  il  vit  entrer  un  géant,  ce  Que  fai$-tu  ici, 
drôle?  w  lui  dit  le  géant.  En  même  temps,  il  terrassa  Jean  de  la  Meule 
et  partit,  Jean  de  la  Meule,  tout  meurtri,  n*eut  pas  la  force  de  sonner  la 
cloche. 

Cependant  ses  compagnons,  trouvant  le  temps  long,  revinrent  au  châ- 
teau* «  Qii'est-il  donc  arrivé?  »  deraandèrent-ils  à  Jean  de  la  Meule.  — 
«  J'ai  été  un  peu  malade  :  je  crois  que  c'est  la  fumée  de  la  cuisine  qui 
m'a  incommodé.  —  N^est-ce  que  cela?  »  dit  Jean  de  l'Ours,  «  le  ma! 
n'est  pas  grand.  » 

Le  lendemain,  ce  fut  Appuie-Montagne  qui  resta  au  château.  Au  mo- 
ment où  il  allait  sonner  la  cloche,  le  géant  parut  une  seconde  fois. 
*'  Que  fais-tu  ici,  drôle  ?  >»  dit-il  à  Appuie-Montagne,  et  en  même  temps 
il  le  renversa  par  terre.  Les  autres  n'entendant  pas  le  signal  du  dîner, 
se  décidèrent  à  revenir.  Arrivés  au  château,  ils  demandèrent  à  Appuie- 
Montagne  pourquoi  la  soupe  n'était  pas  prête.  «  C'est,  n  répondii-il, 
«  que  la  cuisine  me  rend  malade.  —  N'est-ce  que  cela  ?  »  dit  Jean  de 
l'Ours,  «  le  mal  n'est  pas  grand,  )i 

Tord-Chéne  resta  le  jour  suivant  au  château.  Le  géant  arriva  comme 
il  allait  tremper  la  soupe.  «  Que  fais-tu  ici,  drôle?  «  dit-il  à  Tord-Chêne, 
et,  rayant  terrassé,  il  s'en  alla.  Jean  de  l'Ours,  étant  revenu  avec  ses 
compagnons,  dit  à  Tord-Chêne:  <f  Pourquoi  n'as-tu  pas  sonné? — C'est,» 
répondit  l'autre,  «  parce  que  la  fumée  m'a  fait  mal.  —  N'est-ce  que 
cela?  »  dit  Jean  de  TOurs,  «  demain  ce  sera  mon  tour.  )> 

Le  jour  suivant,  au  moment  où  Jean  de  POurs  allait  sonner,  le  géant 
arriva.  «  Que  fais-tu  ici*  drôle?  »  dit-il  au  jeune  homme,  et  il  allait  se 
jcier  sur  lui,  mais  Jean  de  l'Ours  ne  lui  en  laissa  pas  le  temps  ;  il  saisit 
sa  canne  et  fendit  en  deux  le  géant.  Quand  ses  camarades  rentrèrent 
au  château,  il  leur  reprocha  de  lui  avoir  caché  leur  aventure.  «  Je 
devrais  vous  faire  mourir,  n  dit-il,  «  mais  je  vous  pardonne.  » 

Jean  de  l'Ours  se  mit  ensuite  à  visiter  le  château.  Comme  il  frappait 
le  plancher  avec  sa  canne,  le  plancher  sonna  le  creux  :  il  voulut  en 
savoir  la  cause  et  découvrit  un  grand  trou.  Ses  compagnons  accoururent. 
On  fit  descendre  d'abord  Jean  de  la  Meule  à  l'aide  d'une  corde;  il  tenait 
â  la  main  une  clochette.  «  Quand  je  sonnerai,  a  dit-il,  «  vous  me  remon- 
terez. »  Pendant  qu'on  le  descendait,  il  entendit  au-dessous  de  lui  des 
hurlements  épouvantables;  arrivé  à  moitié  chemin,  il  cria  qu'on  le  fit 
rcroomer,  qu'il  allait  mourir.  Appuie-Montagne  descendit  ensuite  ;  effrayé, 
lui  aussi^  des  hurlements  qu'il  entendait,  il  sonna  bientôt  pour  qu'on 
le  remontât.  Tord-Chêne  fit  de  même. 

Jean  de  l'Ours  alors  descendit  avec  sa  canne.  Il  arriva  en  bas  sans 
avoir  rien  entendu  et  vit  venir  à  lui  une  fée.  «  Tu  n'as  donc  pas  peur  du 
géant?  »  lui  dit-elle.  —  u  Je  l'ai  tué,  »  répondit  Jean  de  TOurs.  —  «  Tu 


86  E.  cosQurN 

as  bien  fait,  m  dit  la  fée,  u  Maintenant  tu  vois  ce  château  :  il  y  a 
diables  dans  deux  chambres,  onze  dans  la  première  et  douze  dans  la 
seconde;  dans  une  autre  chambre  tu  trouveras  trois  belles  princesses  qui 
sont  sœurs,  d  Jean  de  TOurs  entra  dans  le  château,  qui  était  bien  plus 
beau  que  celui  d'en  haut  :  il  y  avait  de  magnifiques  jardins,  des  arbres 
chargés  de  fruits  dorés,  des  prairies  émaillées  de  mille  fleurs  brillantes. 

Arrivé  à  l'une  des  chambres,  Jean  de  l'Ours  frappa  deux  ou  trois  fois 
avec  sa  canne  sur  la  grille  qui  la  fermait,  et  la  fit  voler  en  mille  pièces  ; 
puis  il  donna  un  coup  de  canne  à  chacun  des  petits  diables  et  les  tua 
tous.  La  grille  de  Tautre  chambre  était  pîus  solide;  Jean  finit  pourtant 
par  la  briser  et  tua  onze  diables.  Le  douzième  lui  demandait  grâce  et  le 
priait  de  le  laisser  aller.  «  Tu  mourras  comme  les  autres,  »  lui  dit  Jean 
de  rOurs,  et  il  le  tua. 

Il  entra  ensuite  dans  la  chambre  des  princesses.  La  plus  jeune^  qui 
était  aussi  la  plus  belle,  lui  fit  présent  d'une  petite  boule  ornée  de  perles, 
de  diamants  et  d'émeraudes.  Jean  de  TOurs  revint  avec  elle  à  Fendroit 
où  il  était  descendu^  donna  le  signal  et  fit  rcmonier  la  princesse,  que 
Jean  de  la  Meule  se  hâta  de  prendre  pour  lui.  Jean  de  l*Ours  alla  cher- 
cher la  seconde  princesse,  qui  lui  donna  aussi  une  petite  boule  ornée  de 
perleSf  d*émeraudes  et  de  diamants.  On  la  remonta  comme  la  première 
et  Appuie-Montagne  se  l'adjugea.  Jean  de  POurs  retourna  près  de  ta 
troisième  princesse;  il  en  reçut  le  même  cadeau^  et  la  fit  remonter  comme 
ses  sœurs  :  Tord-Chêne  la  prit  pour  lui.  Jean  de  l'Ours  voulut  alors 
remonter  lui-même  ;  mais  ses  compagnons  coupèrent  la  corde  :  il  retomba 
et  se  cassa  la  jambe.  Heureusement  il  avait  un  pot  d'onguent  que  lui 
avait  donné  la  fée  :  il  s^en  frotta  le  genou  et  il  n'y  parut  plus. 

Il  était  à  se  demander  ce  qu'il  avait  à  faire,  quand  la  fée  se  présenta 
encore  à  lui  et  lui  dit  :  a  Si  tu  veux  sortir  d'ici,  prends  ce  sentier  qui 
conduit  au  château  d'en  haut;  mais  ne  regarde  pas  la  petite  lumière  qui 
sera  derrière  toi,  autrement  la  lumière  s'éteindrait  et  tu  ne  verrais  plus 
ton  chemin,  » 

Jean  de  l'Ours  suivit  le  conseil  de  la  fée.  Parvenu  en  haut,  il  vit  ses 
camarades  qui  faisaient  leurs  paquets  pour  partir  avec  les  princesses. 
«  Hors  d'ici,  coquins!  >i  cria-t-il,  «  ou  je  vous  tue.  C'est  moi  qui  ai 
vaincu  le  géant,  je  suis  le  maUre  ici.  n  Et  il  les  chassa.  Les  princesses 
auraient  voulu  l'emmener  chez  le  roi  leur  père,  mais  il  refusa,  a  Peut- 
être  un  jour,  «  leur  dit-il,  «  passerai-je  dans  votre  pays  :  alors  je  vien- 
drai vous  voir.  A  II  mît  les  trois  boules  dans  sa  poche  et  laissa  partir 
les  princesses,  qui,  une  fois  de  retour  chez  leur  père,  ne  pensèrent 
plus  à  lui. 

Jean  de  l'Ours  se  remit  à  voyager  et  arriva  dans  le  pays  du  roi,  père 
des  trois  princesses.  Il  entra  comme  compagnon  chez   un  forgeron; 


É 


CONTES    POPULAIRES    LORRAINS  87 

fMune  il  était  très-habile,  la  forge  fut  bientôt  en  grand  renom. 
«'Le  roi  fit  un  jour  appeler  le  forgeron  et  lui  dit  :  a  II  faut  me  faire 
trois  petites  boules  dont  voici  le  modèle.  Je  fournirai  tout  et  je  te  don- 
nerai un  million  pour  la  peine;  mais  si  dans  tel  temps  les  boules  ne 
sont  pas  prêles,  tu  mourras.  j>  Le  forgeron  raconta  h  chose  à  Jean  de 
rOurs,  qui  lui  répondit  qui!  en  faisait  son  affaire. 

Cependant  le  terme  approchait,  et  Jean  de  TOurs  n'avait  pas  encore 
tra>'aillé;  il  était  à  table  avec  son  maîire.  «  Les  boules  ne  seront  pas 
prêtes,  »  disait  le  forgeron.  —  «  Maître,  allez  encore  tirer  un  broc,  » 
Pendant  que  le  forgeron  était  à  la  cave,  Jean  de  l'Ours  frappa  sur  l'en* 
clume,  puis  tira  de  sa  poche  les  boules  que  lui  avaient  données  les  prin- 
cesses :  la  besogne  était  faite. 

Le  forgeron  courut  porter  les  boules  au  roi.  «  Sont-elles  bien  comme 
Yous  les  vouliez?  »  lui  dit-il  —  «  Elles  sont  plus  belles  encore,  >j  répon- 
dit le  roi.  il  fit  compter  au  forgeron  le  million  promis,  et  alla  montrer 
les  boules  à  ses  filles.  Celles-ci  se  dirent  Tune  à  Tautre  :  «  Ce  sont  les 
boules  que  nous  avons  données  au  jeune  homme  qui  nous  a  délivrées,  n 
Elles  en  avertirent  leur  père,  qui  envoya  aussitôt  de  sts  gardes  pour  aller 
chercher  Jean  de  l'Ours;  mais  il  ne  voulut  pas  se  déranger.  Le  roi  envoya 
d'autres  gardes,  et  lui  fit  dire  que,  s'il  ne  venait  pas,  il  le  ferait  mourir. 
Alors  Jean  de  l'Ours  se  décida. 

Le  roi  le  salua,  et  après  force  compliments,  force  remerciements,  il 
lui  dit  de  choisir  pour  femme  celle  de  ses  trois  filles  qui  lui  plairait  le 
plïB.  Jean  de  l'Ours  prit  la  plus  jeune,  qui  était  aussi  la  plus  belle.  On  fit 
les  noces  trois  mois  durant.  Quant  aux  compagnons  de  Jean  de  POurs^ 
ils  furent  brûlés  dans  un  cent  de  fagots. 


Notre  conle  correspond  au  n-  i66  de  Gnmm^  Jean  k  Fort.  Voyez  les  remarques 
de  Guilbame  Gnmtn  sur  ce  conte  suisse.  On  trouvera  un  grand  nombre  de  rap- 
prochements curieux  dans  les  remarques  dont  M.  Rdnhold  Kœhler  a  accompagné 
un  conte  italien  de  Vênétie  {hhrhuck  fur  romanisckc  und  tnghsthe  littmur^ 
tnnkt  1S66,  p.  2\)  et  plusieurs  contes  siciliens  de  la  collection  Gonzenbach 

Notts  nous  bornerons  ici  à  compléter  ces  remarqucs. 

Le  commencement  de  notre  conte  lorrain  est  presque  identique  à  celui  d'un 
conte  du  Tyrol  italien  de  même  titre,  Gtmn  dall'  Urs  (Schncller,  Marchm  ans 
Waischtiroî^  p.  189).  L'enlèvement  de  la  femme  par  Tours,  les  efforts  de  Pcn- 
fetil  pour  soulever  la  pierre  (la  «  montagne,  •  dit  le  conte  tyrolien),  ses  méfaits 
1  rècole^,  tout  s'y  retrouve.  Dans  un  autre  conte,  également  du  Tyrol  italien 
40.  114),  le  héros,  comme  notre  Jean  de  TOurs,  demande  à  son  maître  le  for- 
ftnm  ïa  permission  de  se  forger  une  canne  et  y  emploie  tout  le  fer  qu'il  y  a 
AiBi  l'atelier. 


I 


88  E.  COSQUIN 

Dans  un  conte  russe  dont  rintroduclion  est  citée  par  M.  de  Gubcmatis  (l.  11^ 
p.  1Ï7)  dans  sa  Zoohgical  Mytkohgy^  —  livre  curieux  pour  ses  citations  de 
contes  russes,  mais  de  la  valcnr  la  plus  contestable  au  point  de  vue  scientifique, 
—  le  héros  Ivanko  Mtdmdko  (Jean  fils  de  TOurs)  est  le  fils  d'un  ours  et  d'une 
femme  que  celui-ci  a  enlevée.  Ivanko  est  homme  de  la  tête  à  la  ceinture,  el  de 
la  ceinture  aux  pieds  îl  est  ours  (notre  Jean  de  FOurs  est,  lui  aussi,  *  moitié 
homme  et  moitié  ours  •).  Celle  tniraduction  ne  figure  que  dans  un  petit  nombre 
de  contes  connus,  par  exemple  dans  le  conte  serbe  n*  i  de  la  collection  Vouk 
Stephanowitch  Karadjich,  corile  dont  la  plus  grande  partie  n*a  rien  de  commun 
avec  le  nôtre;  dans  un  conte  allemand  du  gratid-duché  d'Oldenbourg  (cottection 
Slrackerjan,  li,  J26),  où  le  héros  s'appelle  Ham  Bitr  (Jean  TOurs);  dans  un 
conte  hanovrien  (Colshorn,  n"  \\  où  son  nom  est  Putr  Buir  (Pierre  FOurs); 
dans  un  conte  catalan  du  Rofidaiîayre  publié  par  M.  Maspons  yLabros(I,n*»  1), 
où  nous  retrouvons  t  Jean  de  FOurs,  • 

Outre  les  contes  indiqués  par  M,  H.  Kœhler  dans  les  remarques  mentionnées 
plus  haut,  il  faut  rapprocher  du  nôtre  les  contes  suivants: 

D'abord  un  conte  russe,  analysé  par  M.  Ralston  dans  ses  Rusmn  Folk-lûUs 
(London,  iSyj),  p»  144-146.  Quatre  *  héros,  ■  qui  parcourent  le  monde  de  com* 
pagnie,  entrent  un  jour  dans  une  chaumière  inhabitèeau  milieu  d'une  épaisse  forêt. 
L'un  d'eux  reste  pour  préparer  le  repas,  tandis  que  les  autres  vont  à  la  chasse. 
Tout  à  coup  arrive  une  Baba  Yaga  (sorte  de  sorcière  ou  d'être  malfaisant)  qui 
le  bat  et  lui  coupe  dans  le  dos  une  lanière  sanglante.  Même  aventure  arrive 
aux  deux  suivants.  Mais  le  plus  jeune,  Ivan,  roue  de  coups  fa  Baba  Yaga  et 
lui  coupe  trois  lanières  dans  le  dos.  Elle  parvient  à  s'échapper  et  disparaît  sous 
une  pierre.  Ivan  se  fait  descendre  dans  le  trou  et  retrouve  la  Baba  Yaga  qu*il 
réussit  k  tuer,  grâce  aux  avis  des  enfants  de  celle-ci,  trois  belles  jeunes  filles. 
Il  les  fait  remonter  par  ses  compagnons,  qui  l'abandonnent  au  fond  du  trou» 
Il  parvient  à  en  sortir  et  tue  les  traîtres. 

M.  Ralston  (p.  7O  donne  la  traduction  d'un  autre  conte  russe  du  même 
genre.  Le  héros  est  le  plus  jeune  de  trois  princes.  Voulant  poursuivre  un  monstre 
qui  ravage  le  parc  du  roi,  il  se  fait  descendre  dans  le  monde  inférieur,  où  tt 
trouve  successivement  dans  trois  palais,  l'un  de  cuivre,  l'autre  d'argent  et  leJ 
troisième  d'or^  trois  princesses,  sœurs  du  monstre.  La  plus  ieune  lui  enseigne  i 
le  moyea  de  tuer  celui-ci.  Quand  le  prince  est  au  moment  de  les  faire  remonter^ 
les  princesses,  magiciennes^  changent  leurs  châteaux  en  œufs  et  !es  donnent  au 
prince.  Suit  la  trahison  des  deux  frères  et  la  délivrance  du  jeune  prince  qu'un 
aigle  ramène  dans  le  monde  supérieur  l' comme  dans  un  conte  lorrain,  k  Cûnneis 
ctnq  cents  Imts^  que  nous  donnerons  plus  tard).  L^s  princesses,  arrivées  â  la  cour 
du  roi,  déclarent  qu'elles  ne  se  marieront  que  si  elles  ont  des  habits  pareils  i 
ceux  qu'elles  portaient  dans  Fi  autre  monde.  >  Le  jeune  prince,  qui  est  entré 
comme  ouvrier  chez  un  tailleur,  souhaite  que  ses  trois  œufs  redeviennent  des 
palais,  et  y  prend  les  robes  des  princesses,  qu'il  leur  envoie  par  son  maître.  Il  fait 
U  même  chose  chez  un  cordonnier,  etc.  De  cette  façon  les  princesses  connais* 
sent  l'arrivée  de  leur  libérateur. 

Nous  trouvons  dans  la  Zoologicat  Mythohgy  de  M.  de  Gubcrnatis  (t.  lï, 
p.  187)  un  conte  toscan,  et  dans  le  cinquième  rapport  de  M.  F. -M.  Luzel  sur 


CONTES  POPULAIRES    LORRAINS  89 

UAe  inisstoii  eo  Basse-Bretagne*,  p.  10,  un  conte  breton  du  même  genre  que  ce 
conte  russe. 

Mentionnons  encore  un  conte  irlandais,  U$  Trois  CQuronms  (Kennedy,  Ugin* 
dâfj  Fictions  of  îhi  Irish  CsUs.  London,  1866,  p*  4J). 

Enfin  on  a  recueilli  dans  rOricnt  plusieurs  contes  dérivés  de  la  même  source, 
source  indienne  évidemment.  Nous  croyons  qu'\ï  ne  sera  pas  sans  intérêt  de 
donner  une  analyse  de  ces  contes  orientaux. 

\\  existe  sur  le  versant  septentrional  du  Caucase  une  peuplade  d^origine  mon- 
gole,  musulmane  de  religion,  et  qui  porte  le  nom  d'Avares,  que  portaient  les 
tribus  de  même  race  exterminées  jadis  par  Charlemagne,  M.  Ant.  Schiefner  a 
publié  récemment,  d'après  des  manuscrits,  plusieurs  contes  en  langue  avare 
auxquels  il  a  joint  une  traduction  allemande  et  des  remarques  fort  intéressantes 
dues  à  M.  Reinhold  Kœhler'.  Le  second  conte  de  cette  collection  présente  une 
grtade  ressemblance  avec  notre  Jean  de  TOurs.  Qu'on  en  juge  : 

La  fille  d'un  roi  est  enlevée  par  un  ours  qui  en  fait  sa  femme.  Elle  met  au 
monde  un  fils,  qui  a  des  oreilles  d'ours.  L'enfant  grandit  d'une  façon  merveil- 
leqic  ft  devient  d'une  force  extraordinaire.  Un  jour  que  l'ours  est  sorti,  il  se 
fait  raconter  par  sa  mère  toute  son  histoire.  L'ours  survenant,  il  le  précipite 
dans  un  ravin  oh  l'ours  se  tue;  puis  il  dit  à  sa  mère  de  retourner  dans  son 
pays  ei  s*en  va  d'un  autre  côté. 

Oreille-d'Ours  entre  au  service  d'un  roi  qui,  effrayé  de  sa  force,  cherche  à  se 
débarrasser  de  lui  en  le  chargeant  d'entreprises  très-périlleuses  (toute  celle  par- 
tie du  conte  avare  ressemble  à  un  conte  lorrain  que  nous  publierons  plus  loin, 
kFili  dû  diable).  Après  s'être  tiré  de  tous  ces  dangers,  il  s'en  va  droit  devant 
loi  et  rencontre  un  homme  qui  porte  sur  ses  bras  deux  platanes  arrachés  avec 
Irors  racines.  «  Qui  es-tu,  ami,  homme  de  force?  »  lui  dit  Oreilîe-d*Ours.  — 
»  Quelle  force  puis-je  avoir?  »  répond  l'autre,  «  Un  homme  fort  c'est,  à  ce  qu'on 
dit,  Oreille-d'Ours,  quia  traîné  la  Kart  (un  certain  être  malfaisant)  devant  le  roi-  » 
Oreille-d'Ours  se  fait  connaître  et  l'autre  se  met  en  route  avec  lui.  Ils  rencon- 
trent ^  assis  au  milieu  du  chemin,  un  homme  qui  faisait  tourner  un  moulin  sur 
$es  genoux.  Après  avoir  échangé  avec  Oreille-d'Ours  à  peu  près  les  mêmes 
paroles  que  le  premier,  cet  homme  se  joint  aussi  à  lui. 

Les  trois  amis  s'établissent  dans  un  endroit  qu'ils  trouvent  convenable 
et  vivent  de  leur  chasse.  Les  deux  compagnons  d'Oreille-d'Ours  sont  successi- 
vement, pendant  qu'ils  apprêtent  le  repas  »  garrottés  par  un  petit  homme  à  longue 
barbe  qui  arrive  chevauchant  sur  un  lièvre  boiteux  et  qui  mange  toute  la  viande. 
Mais  Oreilled'Ours  empoigne  le  petit  homme  et  lui  emprisonne  la  barbe  dans 
la  fente  d'un  platane.  Le  nain  s'étant  échappé  traînant  le  platane  après  lui,  les 
conpagtions  suivent  ses  traces  et  parviennent  à  une  ouverture,  sur  le  bord  de 
{ai|0tile  le  platane  a  été  jeté.  Oreille-d'Ours  s'y  fait  descendre,  [I  trouve  dans 
it  palais  une  princesse  que  le  nain  a  enlevée  et  tue  le  nain.  Comme  dans  les 
coiktes  analysés  précédemment,  il  est  trahi  par  ses  compagnons,  qui  enlèvent  la 


i.  Publié  dans  les  Anhmt  des  missions  scitnù^qtics  a  litUrainSy  t,  I^  j«  série. 
2.  Mimoires  de  l' Académie  des  uimces  dt  Sâint^Pitersbourg^  }*  série,  L  XÏX, 


' -j:   -:r^^'  Vient  ensuite  Tépisode  d'une 

^     ..    .  .:  :-j^:z  i  neuf  têtes  à  qui  l'on  était 

,     -      *  :  1  :: -5  retrouverons  encore  cet  épi- 

~  -.     J-eiJe-d'Ours  est  ramené  dans  le 

-:;-r:.  :-2î  »'  a  sauvé  les  petits  menacés 

--.j*.  ..  :.  trouve  ses  deux  compagnons 

:.  V..Ï  !fs  deux  par  terre  d'un  revers  de 

. .  re  -'J  père  de  celle-ci  et  l'épouse. 

-   .,-     ixtrème  Orient,  les  Kariaines,  qui 

.    ,-  r.T'jgnes  du  Pégu  et  de  la  Birmanie, 

—    _•  : \"c.:è  de  ceux  que  nous  venons  d'étu- 

.v-ire  sa  mère,   Ta-ywa  est  né  aussi 

--•-.;::  ît  devient  très-fort.  S'étant  fabriqué 

:-..  i:i  soleil  viennent  à  l'eau,  les  menace 

-  -  .t  .   ire  plus  grand.  Le  soleil  envoie  contre 

.-  ...1   .Jnce  des  rayons  brûlants  pour  le  faire 

.•^>Tàr.d.  Les  gens  deviennent  envieux  de  sa 

ri    ..'  -    comme  dans  le  conte  avare  et  comme 

.;--.':cns=.  Voyant  qu'on   ne  l'aime  pas,  il 

--jontre  Longucs-Jambcs  «  qui  a  dans  ses 

--  .v..:e  six  pays.  »  Ta-ywa  lui  raconte  pour- 

.  -  ..  iit  qu'il  s'est  trouvé  dans  le  même  cas  : 

^,.    ..-i-es,  on  ne  m'aimait  pas.  fi  Et  il  se  joint 

.   .  ..::?5  personnages  extraordinaires,  Lo/i/rj.j8rdj, 

-  T^;.  en  détinitive,  avec  Ta-ywa  que  Longs-Bras 

,     ;  TC-j  un  personnage  nommé  Shie-oo,  les  trois 

^^  -i-s,"*'  vide.  K  La  place  où  Ta-ywa  s'assit  était 

V  .'    ;jne  tille  qui  était  cachée  dans  une  fente  du 

■  --^   *  Croyant  que  c'était  un  insecte  qui  l'avait 

.    •;*:.-  et  découvrit  la  jeune  fille.  Celle-ci  leur  dit  : 

.  -r  r:  i-:«-vous  venus  ici?  Le  grand  aigle  a  mangé 

^  ..v^-s  il  nîes  sœurs.  Mes  parents  ont  eu  pitié  de  moi 

.    v."^>  "->  venus  ici?  Le  grand  aigle  va  vous  dévorer.  » 

:-•  <:î  l'a-ywa  parvient  à  tuer  l'aigle.  Puis  il  plante 

;:  !4:ssi*  dans  la  maison  de  l'aigle  Longues-Jambes 

- .  •\'N  s?  flétrissent,  mets-toi  vile  à  ma   recherche.  » 

-  '-rTcr.l  leur  route  et  arrivent  à  une  autre  maison 

. .  .--«  une  jeune  fille  et  où  Ta-ywa  tue  des  tigres, 

•  ;*:;*  encore  des  plantes  herbacées  et,  laissant  derrière 

.^.^,--\înd.ilions  qu'il  a  faites  à  Longues-Jambes^  il  se 

,  •  .-.ir.s  une  troisième  maison  où  se  cache  encore  une 

^ ...  .^^^:i  jjros  serpents  qu'il  doit  combattre.  Il  en  tue 

Ay.jUi:  Society  of  Bengal,  t.  XXXIV  (1865^.  seconde 


CONTES   POPULAIRES   LORRAINS  ^\ 

d««,  mais  le  troisième  l'avale.  Aussitôt  les  plantes  se  flétrissent  :  Longuts* 
limks  el  Longs-Bras  accourent  â  son  aide,  tuent  k  serpent  et  rendent  la  vie  â 
Ta-fwa* 

Comme  ce  conte  kariaine  est  tiré  d'un  recueil  peu  connu  en  Europe,  nous 
ivoos  cru  devoir  donner  une  analyse  assez  étendue,  même  pour  les  passages 
qtit  s'éloignent  de  noire  conte  lorrain.  Nous  publierons  plus  tard  un  autre  conte 
de  Monliers-sur-Saulx,  intitulé  La  Canne  dt  cinq  cents  Imts^  qui  offre  plus  de 
ressemblance  que  Jtan  de  IVars  avec  la  fin  du  récit  kariaine.  Dans  ce  conte,  !e 
héros,  )cune  homme  d*une  force  prodigieuse  et  qui  a  pour  compagnons,  comme 
Jean  de  TOurs  et  comme  Ta-ywa,  des  personnages  extraordinaires,  délivre 
successivement  trois  princesses  gardées,  comme  dans  le  conte  kariaine,  dans 
trois  endroits  différents  par  divers  monstres. 

11  faut  encore  citer  un  conte  kalmouk,  faisant  partie  de  la  collection  de  contes 
imitulée  St4dhi-Kùr  (t  le  Mort  doué  du  sîddhi,  »  c'est-à-dire  d*une  vertu  ma- 
giqocjj  cûlleaion  dont  M,  Théodore  Benfey  a  montré  Torigine  indienne,  el  quî 
est  îmtlée  du  livre  sanscrit  la  Vetàlûpûntchjvtnçaù  {•  les  Vingt-cinq  Htsloircs 
d'un  tetéU,  i  sorte  de  démon  qui  entre  dans  le  corps  des  morts).  Nous  donne- 
rons une  courte  analyse  de  ce  conte  kalmouk  (traduction  B.  Jûlg,  Leipzig, 
1^66,  n'  i). 

Le  héros,  Massang,  a  un  corps  d'homme  et  une  tète  de  bœuf.  Arrivant  dans 
une  forêt,  il  y  trouve  au  pied  d'un  arbre  un  homme  tout  noir,  qui  est  né  de  la 
forêt;  il  le  prend  pour  compagnon.  Plus  loin,  dans  une  prairie,  il  rencontre  un 
homme  vert,  qui  est  né  du  gazon,  el  plus  loin  encore,  près  d'un  monlicule  de 
cristal,  un  homme  blanc,  né  du  cristal:  il  les  emmène  aussi  tous  les  deux  avec 
lui  Les  quatre  compagnons  s'établissent  dans  une  maison  isolée;  chaque  jour 
Ifoii  d*cntre  eux  vont  à  la  chasse,  le  quatrième  garde  le  logis.  Un  jour  Thomme 
Dcir,  cti  préparant  le  repas,  voit  arriver  une  petite  vieille  qui  lui  demande  â 
goûter  de  son  beurre  et  de  sa  viande;  il  y  consent,  mais  à  peine  a-t-elle  mangé 
un  morceau,  que  le  beurre  et  la  viande  disparaissent,  et  la  vieille  aussi.  L'homme 
noir,  bien  ennuyé,  s'avise  d'un  expédient  :  il  imprime  sur  le  sol,  tout  autour  de 
la  maison,  des  traces  de  pieds  de  chevaux,  et  dit  à  ses  compagnons,  à  leur 
retour,  qu'une  grande  troupe  d'hommes  est  venue  et  qu'ils  Tonl  battu  et  lui 
ont  volé  son  beurre  et  sa  viande.  Les  jours  suivants,  la  même  aventure  arrive  à 
Thomme  vert,  puis  à  Thomme  blanc.  Cest  alors  le  tour  de  Mas&ang  de  rester 
seul;  mais  tl  se  méfie  de  la  vieille,  combat  contre  elle  et  la  met  en  sang. 
Quand  ses  compagnons  sont  de  retour,  il  leur  fait  des  reproches  et  leur  en- 
joint de  se  mettre  avec  lui  â  la  poursuite  de  ta  vieille.  En  suivant  les  traces 
du  sang,  ils  arrivent  à  une  crevasse  de  rochers  et  aperçoivent  au  fond  d'un 
grand  trou  le  cadavre  de  la  vieilte  et  d'immenses  trésors.  Massang  se  fait  des- 
cendre dans  le  gouffre  au  moyen  d'une  corde,  puis  fait  remonter  tous  les  trésors 
par  ses  compagnons.  Mais  ceuxci  l'abandonnent  dans  ce  trou.  Massang  croit 
lion  qu'if  ne  lui  reste  plus  qu'à  mourir.  Cependant,  en  cherchant  quelque 
chose  i  manger,  il  trouve  trois  noyaux  de  cerises.  M  les  plante  en  disant  :  «  Si 
letttis  vraiment  Massang,  qu'à  mon  réveil  ces  trois  noyaux  soient  devenus  de 
^K  grands  arbres,  •  Il  s'étend  parterre,  en  se  servant  comme  d'oreiller  du  cadavre 
^H  deli  vaille,  et  s'endort.  Plusieurs  années  s'écoulent  :  il  dort  toujours.  Quand 


I 


92  E<  COSCiUlN 

il  se  réveille,  les  cerisiers  sont  devenus  grands,  et  il  peut,  en  y  grimpant,  sortir 
du  trou.  1)  retrouve  ses  compagnons,  auxquels  il  fait  grâce;  puis,  continuant 
sa  route,  il  monte  dans  le  ciel,  où,  avec  son  arc  de  fer,  il  défend  les  dieux  contre 
les  attaques  des  mauvais  génies. 

Enfin,  dans  la  grande  collection  sanscrite  de  Somadeva,  la  Kâlkà-Sark» 
Sàgâra  («l'Océan  des  Histoires»),  nous  pouvons  signaler  quelques  traits  qui 
ont  du  rapport  avec  plusieurs  points  de  notre  conte  lorrain.  Dans  deux  récits 
de  cette  collection  (t.  I,  p.  no-uj,  et  t.  Il,  p.  17 j  de  la  traduction  alle- 
mande de  Brockhaus),  le  Kéros  donne  la  chasse  à  un  sanglier  énorme,  qui  se 
réfugie  dans  une  caverne»  Le  héros  l*y  poursuit  et  se  trouve  dans  un  autre 
monde,  où  il  rencontre  une  belle  jeune  fille  qui  lui  explique  tout.  Dans  le  pre* 
mier  récit,  la  jeune  fille  a  pour  père  un  rakskasa  (mauvais  génie)  qui  n'est  vul- 
nérable que  dans  la  paume  de  sa  main  droite.  C'était  loi  qui  était  changé  en 
sanglier.  Sa  fille  apprend  â  Chandasena  comment  it  pourra  le  tuir.  Dans  le 
second  récit,  ia  jeune  fille  est  une  princesse  retenue  captive  par  un  démon*  Elle 
dit  à  Saktideva  que  le  démon  vient  justement  de  mourir  d'une  flèche  qu'un  hardi 
archer  lui  a  lancée.  Saktideva  lui  apprend  quil  est  cet  archer  et  l'épouse. 


II. 
LE  MILITAIRE  AVISÉ. 


I 


Il  était  une  fois  un  militaire  qui  revenait  du  service.  Passant  un  jour 
devant  un  château,  il  frappa  pour  demander  à  boire,  car  il  avait  grand' 
soif.  Un  lion  vint  lui  ouvrir  :  dans  ce  temps-là  les  lions  faisaient  Toffice 
de  domestiques.  Le  maître  et  la  maîtresse  du  château  étaient  sortis.  Le 
militaire  pria  le  lion  de  lui  donner  un  verre  d'eau.  <<  Militaire,  n  répon- 
dit le  lion,  c(  je  ne  te  donnerai  pas  de  Teau;  tu  boiras  du  vin  avec  moi.» 
L'autre  ne  se  le  fit  pas  dire  deux  fois.  Ils  burent  ensemble  quelques  bou* 
teilles,  puis  le  lion  dit  au  militaire  :  «  Militaire,  veux-tu  jouer  avec  moi 
une  partie  de  piquet  ?  je  sais  que  les  militaires  jouent  à  ce  jeu  quand  Us 
n*ont  rien  à  faire.  —  Lion,  très-volontiers.  » 

lis  jouèrent  sept  ou  huit  parties.  Le  lion,  qui  perdait  toujours,  était 
furieux.  Il  laissa  tomber  à  dessein  une  carte  et  demanda  au  militaire  de 
la  lui  ramasser;  mais  celui-ci,  voyant  bien  que  le  lion  n'attendait  que  le 
moment  où  il  se  baisserait  pour  se  jeter  sur  lui,  ne  bougea  pas  et  lui  dit  : 
c<  Je  ne  suis  pas  ton  domestique,  lu  peux  la  ramasser  toi-même.  Cepen- 
dant, comme  je  m'aperçois  que  tu  es  un  peu  en  colère,  nous  allons  jouer 
à  un  autre  jeu.  Apporte-moi  une  poulie,  une  corde  et  une  planche.  »  Le 
lion  alla  chercher  tout  ce  qu*il  demandait  i  le  militaire  fil  une  balançoire 
et  y  monta  te  premier.  A  peine  s^était-il  balancé  quelques  instants^  que 
le  lion  lui  cria  r  «  Descends,  militaire,  descends  donc,  c*est  mon  tour. 
—  Pas  encore,  lion,  n  dit  Tauire,  «  tu  as  le  temps  d'y  être*  »  Enfin  le 


É 


CONTES  POPULMRES  LORRAINS  9^ 

mitiuire  sa  décida  à  descendre;  il  aida  le  lion  à  monter  sur  là  balançoire 
ec  lui  dit  :  «  Lion,  comme  tu  ne  connais  pas  ce  jeu,  je  crains  que  tu  ne 
tombes  et  que  tu  ne  te  casses  les  reins.  Je  vais  l'attacher  par  les  pattes.  » 
Il  rattacha  en  effet,  et,  du  premier  coup,  il  le  lança  au  plafond.  «  Ah! 
militaire,  militaire,  descends-moi,  »  criait  le  lion,  et  j*en  ai  assez.  —  Je 
te  descendrai  quand  je  repasserai  par  ici,  n  répondit  le  militaire,  et  il 
sortit  du  château. 

Le  lion  poussait  des  cris  affreux  qu'on  entendait  de  trois  lieues.  Les 
maîtres  du  château,  qui  étaient  au  bois,  se  hâtèrent  de  revenir.  Après 
avoir  cherché  partout,  ils  finirent  par  découvrir  le  lion  suspendu  en  Pair 
sur  la  balançoire,  k  Eh!  lion,  »  lui  dirent^ils,  «  que  fais-tu  là?  — 
Ahl  ne  m'en  parlez  pas!  c*est  un  méchant  petit  crapaud  de  militaire 
sfâ  m'a  mis  où  vous  voyez.  —  Si  nous  te  descendons,  que  lui  feras- 
tu?  —  Je  courrai  après  lui,  et  si  je  Taitrape,  je  le  tue  et  je  le 
mange «  » 

Cependant  le  militaire  continuait  à  marcher  ;  il  rencontra  un  loup  qui 
fendait  du  bois.  «  Loup,  «  lui  dit-il,  <i  ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  s'y  prend. 
Donne-moi  ton  merlin,  et  puis  mets  ta  patte  dans  la  fente  pour  servir  de 
coin.  «  Le  loup  n'eut  pas  plutôt  mis  sa  patte  dans  la  fente,  que  le  mili- 
taire retira  le  merlin,  et  la  patte  se  trouva  prise.  «  Militaire,  militaire, 
dégage-moi  donc  la  patte.  —  C'est  bon,  71  dit  Tautre,  «  ce  sera  pour 
quand  je  repasserai  par  ici.  n 

Le  Hon«  qui  était  à  la  poursuite  du  militaire,  accourut  aux  hurlements 
dttloQp.  «  Qu'as-tu  donc,  loup?  »  lui  dit-il.  —  «  Ahl  ne  m*en  parle 
pas!  c'est  un  méchant  petit  crapaud  de  militaire  qui  m'a  pris  la  patte 
dans  cette  fente.  —  Si  je  te  délivre,  que  lui  feras-tu?  —  Je  cour- 
ni  avec  toi  après  lui;  nous  le  tuerons  et  nous  le  mangerons*  »  Le 
lion  dégagea  la  patte  du  loup  et  ils  coururent  ensemble  après  le  militaire. 

Mais  celui-ci  avait  déjà  gagné  du  terrain;  il  avait  fait  rencontre  d'un 
renard  qui  était  au  pied  d'un  arbre,  le  nez  en  l'air,  «  Ehl  renard,  î>  lui 
dit-il,  «  que  regardes-tu  là-haut?  —  Je  regarde  ces  cerises  de  bois,  — 
Si  tu  veux,  »  dit  le  militaire,  a  je  vais  t 'aider  à  monter  sur  l'arbre.  )> 
En  disant  ces  mots,  il  prit  un  bâton  bien  aiguisé,  l'enfonça  dans  le  corps 
du  renard,  puis  l'ayant  élevé  à  six  pieds  de  terre,  il  ficha  le  bâton  sur 
l'arbre  et  laissa  le  renard  embroché,  «(  Ah!  militaire,  militaire,  descends- 
moi  donc,  n  criait  le  renard,  —  u  Quand  je  repasserai,  »  dit  le  militaire- 
«  Les  cerises  auront  le  temps  de  mûrir  d'ici-là.  » 

Le  renard  poussait  des  cris  lamentables,  qui  attirèrent  de  son  c6té  le 
lion  et  le  loup.  «  Que  fais-tu  là,  renard  ?  />  lui  dirent*ils.  —  «  Ah  î  ne  m'en 
parlez  pasl  c'est  un  méchant  petit  crapaud  de  militaire  qui  m'a  joué  ce 
tour,  —  Si  nous  te  délivrons,  que  lui  feras-tu  ?  —  Je  courrai  avec  vous 
après  lui;  nous  le  tuerons  et  nous  le  mangerons.  » 


94  E«  G0SQUlf4 

Le  militaire,  -lyant  continué  sa  route,  rencontra  une  jeune  fille,  «  Ma- 
demoîseiîe,  »  lui  dit-il,  (t  il  y  a  derrière  nous  trois  bêtes  féroces  qui  vont 
nous  dévorer  :  voulez-vous  suivre  mon  conseil?  faisons  une  balançoire.  » 
La  jeune  fille  y  consentit,  et  le  jeu  était  en  train  quand  le  lion,  qui  était 
en  avance  sur  ses  compagnons^  arriva,  a  Quoi?  f>  dit-il,  «  encore  le 
même  jeu!  sauvons-nous,  »  Ensuite  le  militaire  se  mit  à  fendre  du  bois. 
Le  loup,  étant  survenu,  s*écria  :  «  C'est  donc  toujours  la  même  chose!» 
£t  il  détala.  Ainsi  Al  le  renard. 

Le  militaire  ramena  la  jeune  fille  chez  ses  parents,  qui  furent  bien 
joyeux  d'apprendre  qu*elle  avait  échappé  à  un  si  grand  périL  Us  firent 
mille  remerciements  au  militaire  et  tui  donnèrent  leur  fille  en  mariage. 

Compare?,  le  n"  8  de  la  collection  Grimni  r  Un  joueur  de  violon,  passant  dans 
une  fbrét,  se  met  i  jouer  de  son  instrument  pour  voir  s'il  lui  viendra  un  com- 
pagnon. Arrive  un  loup,  qui  demande  à  apprendre  le  violon  :  le  musicien  lui 
dit  de  mettre  les  pattes  dans  la  fente  d'un  vieil  arbre ,  et^  quand  les  pattes  se 
trouvent  prises,  il  le  laisse  là.  Il  traite  un  renard  et  un  lièvre  à  peu  près  de  la 
même  façon.  Cependant,  le  loup^  à  force  de  se  débattre^  est  parvenu  i  se  dé- 
gager ;  il  délivre  le  renard  et  le  lièvre,  et  tous  les  trois  se  mettent  à  la  pour- 
suite du  musicien.  Mais  les  sons  du  violon  ont  attiré  près  de  celui-ci  un  bû- 
cheron armé  de  sa  hache,  et  les  animaux  n'osent  pas  Taltaqucr» 

Notre  conte  forme,  ce  nous  semble ^  un  tout  plus  complet.  Le  dénouement  do 
Militaire  aytsé^  qui  manque  dans  le  conte  allemand  que  nous  venons  d'analyser, 
a  beaucoup  d'analogie  avec  celyi  d'un  autre  conte,  également  allemand  (Grimm, 
n'  I  r4).  Voici  ce  passage  :  Un  tailleur  a  serré  dans  un  étau  les  pattes  d'un 
ours  qui  veut  apprendre  le  violon  L'ours,  délivré  par  des  ennemis  du  tailleur^ 
se  met  à  sa  poui^uiie^  alors  le  tailleur,  qui  se  trouve  en  ce  moment  en  voiture, 
sort  brusquement  les  jambes  par  la  portière,  et,  les  écartant  et  resserrant 
comme  les  branches  d'un  étau  :  i  Veux -tu  rentrer  ià- dedans?  »  crie-t^ll  i 
l*ours.  Celui-ci  s'enfuit  épouvanté. 

On  peut  encore  comparer  dans  les  contes  allemands  de  la  collection  Wolf 
(Gœttingue,  tS^i)  la  fin  du  conte  page  40a. 


riL 

LE  ROI  D'ANGLETERRE  ET  SON  FILLEUL, 


I 


Il  était  une  fois  un  roi  d'Angleterre  qui  aimait  la  chasse  à  la  fol^. 
Trouvant  qu'il  n^y  avait  pas  assez  de  gibier  dans  son  pays,  il  pasia  en 
France  où  le  gibier  ne  manquait  pas. 

Un  jour  qu'il  était  en  chasse,  il  vil  un  bel  oiseau  d  une  espèce  qu'il  ne 
connaissait  pasj  il  s'approcha  tout  doucement  pour  le  prendre,  mais  au 
moment  oii  il  mettait  la  main  dessus,  Toiseau  s'envola,  et,  sautant  d'arbre 


I 


CONTES    POPULAIRES   LORRAINS  ÇJ 

en  arbre,  il  alla  se  percher  dans  le  jardin  d'une  hôtellerie.  Le  roi  entra 
dans  l'hôtellerie  pour  l'y  poursuivre,  mais  il  perdît  sa  peine  :  l'oiseau  lui 
échappa  encore  et  disparut. 

Après  toute  une  journée  passée  à  battre  les  bois  et  la  plaine,  le  roi 
arriva  le  soir  dans  un  hameau,  où  il  dut  passer  la  nuit.  Il  alla  frapper  à 
la  porte  de  la  cabane  d'un  pauvre  homme,  qui  raccueillit  de  son  mieux, 
et  lui  dit  que  sa  femme  venait  d'accoucher  d'un  petit  garçon  ;  mais  ils 
n'avaient  point  de  parrain,  parce  qu'ils  étaient  pauvres.  Le  roi,  à  leur 
prière»  voulut  bien  être  parrain  de  l*enfant,  auquel  il  donna  le  nom  d'Eu- 
gène. Avant  de  prendre  congés  il  tira  de  son  portefeuille  un  écrit  cacheté 
qu*il  remit  aux  parents,  en  leur  disant  de  le  donner  à  leur  fils  quand 
celui-ci  aurait  dix-sept  ans  accomplis. 

Lorsque  Tenfant  eut  six  ans,  if  dit  à  son  père  :  w  Mon  père,  vous  me 
parlez  souvent  de  ma  marraine  ;  pourquoi  ne  me  parlez*vous  pas  de  mon 
parrain?  —  Mon  enfant,  »  répondit  le  père,  w  ton  parrain  est  un 
grand  seigneur  :  c*cst  le  roi  d'Angleterre.  Il  m'a  laissé  un  écrit  ca- 
cheté que  je  dois  te  remettre  quand  tu  auras  dix-sept  ans  accomplis.  » 

Cependant  le  jeune  garçon  allait  à  l'école  :  une  somme  d'argent  avait 
été  déposée  pour  lui  chez  le  maître  d'école  sans  qu'on  sût  d'où  elle  venait. 

Enfin  arriva  le  jour  où  Eugène  eut  ses  dix-sept  ans,  ïl  se  leva  de 
bon  malin  et  dit  à  son  père  :  «  it  faut  que  j'aille  trouver  mon  parrain,  n 
le  père  lui  donna  un  cheval  et  trente-six  tiards,  et  le  jeune  homme 
lui  dît  adieu;  mais,  avant  de  se  mettre  en  route,  il  alla  voir  sa  mar- 
raine, qui  était  un  peu  sorcière.  «  Mon  ami,  ?>  lui  dit-elle,  «  si  tu  ren- 
contres un  lortu  ou  un  bossu,  il  faudra  rebrousser  chemin.  » 

Le  jeune  homme  lui  promît  de  suivre  son  avis  et  partit»  A  quelque 
distance  du  hameau,  iS  rencontra  un  tortu  et  tourna  bride.  Le  jour  sui- 
vam,  il  rencontra  un  bossu  et  revint  encore  sur  ses  pas.  <<  Demain,  » 
pensait-il,  «  je  serai  peut-être  plus  heureux.  »  Mais  le  lendemain  encore, 
un  autre  bossu  se  trouva  sur  son  chemin  :  c'était  un  de  ses  camarades 
d'école  nommé  Adolphe,  «  Cette  fois,  »  se  dît  Eugène,  «  je  ne  m'en 
retournerai  plus.  )> 

tf  Où  vas-tu  ?  w  lui  demanda  le  bossu,  —  «  Je  m'en  vais  voir  mon  par- 
rain, le  roi  d'Angleterre.  —  Veux-tu  que  j'aille  avec  loi?  —  Je  le  veux 
bien,  n 

Ils  firent  roule  ensemble,  et,  le  soir  venu,  ils  entrèrent  dans  une 
auberge.  Eugène  dit  au  garçon  d'écurie  qu'il  partirait  à  quatre  heures 
du  malin  ;  mais  le  bossu  alla  ensuite  donner  l'ordre  de  tenir  le  cheval 
prêt  pour  trois  heures,  et,  trois  heures  sonnant,  il  prit  le  cheval  et  s'en- 
fuit. 

Ei^ène  fut  fort  étonné  de  ne  plus  trouver  son  cheval.  t<  0£i  donc  est 
icheval?  ^  demanda-t-il  au  garçon  d'écurie.  —  <c  Votre  compagnon,  » 


96  E»  COSQUIN 

répondit  le  garçon,  w  est  venu  de  votre  part  dire  de  le  tenir  prêt  pour 
trois  heures.  Il  y  a  une  heure  qu'il  est  parti,  » 

Eugène  se  mit  aussitôt  à  ta  poursuite  du  bossu  et  il  le  rejoignit  dans 
une  forêt  auprès  d'une  croix.  Le  bossu  s'arrêta  et  dit  à  Eugène  en  le 
menaçant  :  «  Si  tu  tiens  à  la  vie,  jure  devant  cette  croix  de  ne  dire  à 
personne  que  tu  es  le  filleul  du  roi»  si  ce  n'est  trois  jours  après  ta  mort.» 
Eugène  jura^  puis  ils  continuèrent  leur  voyage  et  arrivèrent  au  palais  du 
roi  d'Angleterre* 

Le  roi,  croyant  que  le  bossu  était  son  filleul,  le  reçut  à  bras  ouverts. 
Il  accueillit  aussi  très-bien  son  compagnon,  «  Quel  est  ce  jeune  horame?» 
demanda-t-il  au  bossu.  —  <<  Mon  parrain,  c'est  un  camarade  d'école 
que  j'ai  amené  avec  moi.  —  Tu  as  bien  fait,  n  dit  le  roi.  Puis  il 
ajouta  :  «  Mon  enfant,  je  ne  pourrai  pas  tenir  ma  promesse.  Tu  sais  que 
je  me  suis  engagé  autrefois  à  te  donner  ma  fille,  quand  tu  serais  en 
âge  de  te  marier;  mais  elle  m'a  été  enlevée.  Depuis  onze  ans  que  je  la 
fais  chercher  par  terre  et  par  mer,  je  n'ai  pu  encore  parvenir  à  ta  retrou- 
ver. >» 

Cependant  les  deux  jeunes  gens  étaient  logés  dans  le  palais.  Tous  les 
seigneurs  et  toutes  les  dames  de  la  cour  aimaient  Eugène,  qu'ils  ne  con- 
naissaient que  sous  le  nom  d'Adolphe  :  c'était  un  jeune  homme  bien  fait 
et  plein  d'esprit;  mais  tout  le  monde  détestait  le  bossu.  Le  roi  seul*  qui 
le  croyait  toujours  son  filleul^  avait  de  i'affeciion  pour  lui,  mais  il  témoi- 
gnait aussi  beaucoup  d'amitié  à  son  compagnon,  ce  dont  le  bossu  était 
jaloux. 

Un  jour,  celui-ci  vint  trouver  le  roi  et  lui  dit  :  «  Mon  parrain,  Adolphe 
s'est  vanté  d'aller  prendre  la  mule  du  géant.  »  Le  roi  fil  venir  Adolphe  : 
«  Eugène  m'a  dit  que  tu  t  es  vanté  d'aller  prendre  la  muie  du  géant, 
—  Moi,  sire  ï  comment  m'en  serais-je  vanté?  je  ne  saurais  seuiemem 
où  la  trouver,  cette  mule.  —  N'importe!  si  tu  ne  me  l'amènes  pas, 
tu  seras  brûlé  dans  un  cent  de  fagots.  >» 

Adolphe  prit  quelques  provisions  et  partit  bien  triste.  Après  avoir  mar- 
ché quelque  temps,  il  rencontra  une  vieille  qui  lui  demanda  un  peu  de 
son  pain,  «  Prenez  tout  si  vous  voulez,  n  dit  Adolphe;  <t  je  ne  saurais 
manger,  —  Tu  es  triste,  mon  ami,  »  dit  la  vieille;  «  je  sais  ce  qui  te 
cause  ton  chagrin  :  il  faut  que  tu  ailles  prendre  la  mule  du  géant.  £h 
bien!  le  géant  demeure  de  Tautre  côté  de  la  mer;  il  a  un  merle  dont  le 
chant  se  fait  entendre  d'un  rivage  à  l'autre.  Dès  que  tu  entendras  le 
merle  chanter,  tu  passeras  Teau,  mais  pas  avant.  Une  fois  en  présence 
du  géant,  parle-lui  hardiment.  » 

Le  jeune  homme  fut  bientôt  arrivé  au  bord  de  la  mer,  mais  le  merle 
ne  chantait  pas.  Il  attendit  que  le  chant  de  l'oiseau  se  fit  entendre,  et  il 
passa  la  mer.  Le  géant  ne  tarda  pas  à  paraître  devant  lui  et  lui  dit  : 


CONTES   POPULÂ(RES    LORRAINS  97 

«  Que  vîcns-tu  faire  ici,  ombre  de  mes  moustaches,  poussière  de  mes 
mains?  —  Je  viens  chercher  ta  muîe,  —    Qu'en   veux-tu  faire?  — 

—  Que  t'importe  ?  donne-la-moi,  —  Eh  bien  !  le  te  la  donne,  mais  à  b 

condition  que  tu  me  la  rendras  un  jour,  )>  Adolphe  prit  la  mule,  qui  fai 
sait  cent  lieues  d*un  pas,  et  retourna  au  palais. 
Le  roi  fut  irès-content  de  le  revoir  et  lui  promit  de  ne  plus  lui  faire  de 

[peine.  Mais  bientôt  le  bossu»  qui  avait  entendu  parler  du  merle  du  géant, 
vint  dire  au  roi  :  u  Mon  parrain,  Adolphe  s'est  vanté  d'aller  chercher  le 
merle  du  géant  qui  chante  si  bien  et  qu*on  entend  de  si  loin.  )>  Le  roi  fit 

I  venir  Adolphe  :  «  Eugène  m*a  dît  que  tu  l'es  vanté  d'aller  chercher  le 
merle  du  géant.  —  Moi,  sire?  je  ne  m'en  suis  point  vanté,  et  comment 

'  ferais-je  pour  le  prendre?  —  N'importe!  si  tu  ne  me  le  rapportes  pas, 
tu  seras  brûlé  dans  un  cent  de  fagots*  » 

Adolphe  se  rendit  de  nouveau  sur  le  bord  de  !a  mer.  Dès  qu'il  enten- 
dit le  merle  chanter,  il  passa  l'eau  et  s'empara  de  l'oiseau,  w  Que  viens- 
lu  faire  ici,  »  lui  dit  le  géant,  «  ombre  de  mes  moustaches,  poussière 
tlç  mes  mains?  —  Je  viens  chercher  ton  merle.  —  Qu'en  veux-tu 
faire?  —  Que  t'importe?  laisse-le-moi.  —  Eh  bien!  je  te  le  donne, 
mais  à  la  condition  que  tu  me  le  rendras  un  jour.  »  Quand  Adolphe 
fut  de  retour  au  palais  du  roi,  toutes  les  dames  de  la  cour  furent  ravies 
d'entendre  le  merle  chanter,  et  le  roi  promit  au  jeune  homme  de  ne  plus 
le  tourmenter* 

Quelque  temps  après,  le  bossu  dit  au  roi  :  «  Le  géant  a  un  falot  qui 
éclaire  tout  le  pays  à  cent  lieues  à  la  ronde;  Adolphe  s'est  vanté  de 
prendre  ce  falot  et  de  l'apporter  ici.  »  Le  roi  fit  venir  Adolphe  :  «  Eu- 
gène m'a  dit  que  tu  t'es  vanté  d'aller  prendre  le  falot  du  géant.  — 
Moi,  sire?  comment  le  pourrais-je  faire?  —  N'imponel  si  tu  ne  me 
rapportes  pas  ce  falot,  tu  seras  brûlé  dans  un  cent  de  fagots.  » 

Adolphe  s'éloigna  et  fut  bientôt  sur  le  bord  de  la  mer.  Le  merle  n'était 
plus  là  pour  l'avertir  du  moment  où  il  pourrait  passer  l'eau;  il  tenta 
cependant  l*4venture,  et,  étant  parvenu  sur  l'autre  bord,  il  alla  droit  au 
géant,  it  Que  vîen$*tu  faire  ici,  »  lui  dit  le  géant, «ombre  de  mes  mous- 
taches, poussière  de  mes  mains?  ^ —  Je  viens  prendre  ton  falot.  — 
Qu'en  veux-tu  faire?  —  Que  t'importe?  donne-le-moî»  —  Eh  bienl 
je  te  le  donne,  mais  à  la  condition  que  tu  me  le  rendras  un  jour.  )y  Le 
jeune  homme  remercia  le  géant  et  s'en  retourna.  Quand  il  fut  arrivé  à 
qoelque  distance  du  palais  du  roi,  il  attendit  la  nuit,  et  alors  il  s'avança 
en  tenant  haut  le  falot,  dont  tout  le  pays  fut  éclairé.  Le  roi,  rempli  de 
joie,  promit  encore  une  fois  à  Adolphe  de  ne  plus  lui  faire  de  peine. 

Un  bon  bout  de  temps  se  passa  sans  qu'Adolphe  eût  à  subir  de  nou- 
velles avanies;  enfin  le  bossu  dit  au  roi  ;  u  Adolphe  s*est  vanté  de  savoir 
oii  est  votre  fille  et  de  pouvoir  vous  la  rendre.  »  Le  roi  fit  venir  Adolphe: 

Rûmênia^  V  7 


98  E.  COSQUIN 

(c  Eugène  m'a  dit  que  tu  t*es  vanté  de  savoir  où  est  ma  fiîle  et  de  pou- 
voir me  la  rendre.  — Ah!  sire,  vous  Vavt?.  fait  chercher  partout,  par 
terre  et  par  mer,  sans  avoir  pu  la  retrouver.  Comment  voulez-vous  que 
moi,  pauvre  étranger,  je  puisse  en  venir  à  bout?  —  N'importe!  si  tu  ne 
me  la  ramènes  pas,  tu  seras  brûlé  dans  un  cent  de  fagots,  i^ 

Adolphe  s'en  alla  bien  chagrin.  La  vieille  qu'il  avait  déjà  rencontrée 
se  trouva  encore  sur  son  chemin  ;  elle  lui  dit  :  <t  Le  roi  veut  que  tu  lui 
ramènes  sa  fille.  Retourne  chez  le  géant,  i>  Adolphe  passa  donc  encore  la 
mer  et,  arrivé  chez  le  géant,  il  lui  demanda  s'il  savait  où  était  la  tille  du 
roi.  <t  Oui,  je  le  sais,  »  répondit  le  géant;  ((  elle  est  dans  le  château  de 
la  reine  aux  pieds  d'argent;  mais  pour  la  délivrer  il  y  a  beaucoup  à  faire. 
Il  faut  d'abord  que  tu  ailles  redemander  au  roi  ma  mule^  mon  merle  et 
mon  falot.  Ensuite  tu  feras  construire  un  vaisseau  long  de  trois  cents 
toises,  large  d^auiant  et  haut  de  cent  cinquante  toises;  il  faut  qu'il  y  ait 
dans  ce  vaisseau  une  chambre,  et  dans  la  chambre  un  métier  de  tisse- 
rand. Mais,  sur  toutes  choses,  il  ne  doit  entrer  dans  ce  bâtiment  ni  fer, 
ni  acier  :  le  roi  fera  comme  il  pourra.  » 

Adolphe  alla  rapporter  au  roi  les  paroles  du  géant.  On  fit  aussitôt 
venir  des  ouvriers  et  on  leur  commanda  de  construire  un  vaisseau  long 
de  trois  cents  toises,  large  d'autant  et  haut  de  cent  cinquante  toises; 
dans  ce  vaisseau  il  devait  y  avoir  une  chambre  et  dans  la  chambre  un 
métier  de  tisserand,  le  tout  sans  fer  ni  acier.  En  quarante-huit  heures 
le  bâtiment  fut  terminé;  mais  le  bossu  avait  donné  de  l'argent  à  un  ouvrier 
pour  quil  y  mit  une  broche  de  fer. 

Adolphe  amena  le  bâtiment  au  géant.  «  Il  est  entré  du  fer  dans  ton 
bâtiment,  »  dit  le  géant.  —  *<  Non,  î)  répondit  Adolphe,  a  il  n'y  en  a 
pas.  —  Il  y  a  du  fer  en  cet  endroit,  w  dit  le  géant,  a  Ramène  au 
roi  le  vaisseau;  qu'il  fasse  venir  un  ouvrier  avec  un  marteau  et  nn 
ciseau,  et  l'on  verra  si  je  dis  vrai.  »  Dès  que  l'ouvrier  eut  appuyé  son 
ciseau  à  l'endroit  indiqué,  et  qu'il  eut  donné  dessus  un  coup  de  marteau, 
le  ciseau  se  cassa.  On  relira  la  broche  de  fer,  et  le  géant,  quand  Adolphe 
fut  de  retour  avec  le  vaisseau,  ne  trouva  plus  rien  à  redire* 

«  Maintenant,  n  dit-il,  <*  il  faut  qu'il  y  ait  dans  ce  vaisseau  trois  cents 
miches  de  pain,  trois  cents  livres  de  viande,  trois  cents  sacs  de  millet, 
trois  cents  livres  de  lin,  et  de  plus  qu'il  s'y  trouve  trois  cents  filles 
vierges,  »  Le  roi  fit  chercher  dans  la  ville  de  Londres  et  dans  les  envi- 
rons les  trois  cents  filles  demandées;  quand  on  les  eut  trouvées,  on  les 
embarqua  dans  le  vaisseau,  on  y  mil  aussi  fe  pain,  la  viande  et  le  reste, 
et  Adolphe  retourna  chez  le  géant.  Celui-ci  donna  un  coup  d'épaule,  et 
le  navire  fiit  porté  à  plus  de  deux  cents  lieues  en  mer,  Adolphe  était  au 
gouvernail;  sous  le  pont  les  trois  cents  filles  filaient  et  le  géant  tissait. 

Tout  à  coup  on  aperçut  au  loin  une  grosse  montagne  toute  noire. 


É 


CONTES    POPULAIRES   LORRAINS  99 

cAbl  n  dit  Adolphe^  (t  nous  allons  arriver  I  ^  Non,  ï>  dit  le  géant. 
Cest  le  royaume  des  poissons.  Pour  qu'ils  te  laissent  passer,  tu  diras 
que  tu  es  un  prince  de  France  qui  voyage.  » 

•  Que  viens-tu  faire  ici  ?  w  demandèrent  les  poissons  au  jeune  homme. 

—  «  Je  suis  un  prince  de  France  qui  voyage.  —  Prince  ou  non,  tu  ne 
passeras  pas.  »  Alors  Adolphe  leur  jeta  des  miettes  de  pain  ;  tous  les 
poissons  y  coururent  à  la  fois  et  le  laissèrent  passer.  Il  n'était  pas  encore 
bien  loin  quand  le  roi  des  poissons  dit  à  son  peuple  :  «  Nous  avons  été 
bien  malhonnêtes  de  n'avoir  pas  remercié  ce  prince  qui  nous  a  secourus 
dans  notre  détresse.  Courez  après  lui  et  faites-le  retourner.  j>  Les  pois- 
sons ayant  ramené  le  jeune  homme,  le  roi  lui  dit  :  k  Tenez,  voici  une  de 
BiÊï  arêtes.  Quand  vous  aurez  besoin  d'aide,  vous  me  retrouverez,  rooi 
et  mon  royaume.  » 

it  EJi  bicnl  w  demanda  le  géant,  «  que  t'a  donné  le  roi  des  poissons.^ 
~  ri  m'a  donné  une  de  ses  arêtes  :  mais  que  ferai-je  de  cette  arête  ? 

—  MetS'ta  dans  ta  poche  ;  tu  auras -occasion  de  t'en  servir,  » 

On  aperçut  bientôt  une  autre  montagne  plus  noire  encore  que  la  pre- 
mière, u  N'allons-nous  pas  abordera  »  demanda  Je  jeune  homme.  — 
•  Non,  I)  répondit  le  géant.  ((  C'est  le  royaume  des  fourmis.  »  Les  four- 
mis avaient  le  sac  au  dos  et  faisaient  l'exercice  ;  elles  crièrent  à  Adolphe  : 
<'  ^ue  viens-tu  faire  ici  ?  —  Je  suis  un  prince  de  France  qui  voyage, 
~  Prince  ou  non,  tu  ne  passeras  pas.  >^  Adolphe  leur  jeta  du  millet  :  les 
fourmis  se  mirent  à  manger  te  grain  et  laissèrent  passer  le  jeune  homme. 
«  Nous  avons  été  bien  malhonnêtes,  »  dit  alors  le  roi  des  fourmis,  «  de 
n'avoir  pas  remercié  ce  prince.  Courez  le  rappeler.  j>  Quand  Adolphe 
fat  ret*enu  près  de  lui,  le  roi  des  fourmis  lui  dit  :  «  Prince,  nous  étions 
I  deptûs  s€pt  ans  dans  la  détresse  ;  vous  nous  en  avez  tirés  pour  quelque 
I  len^.  TêneZi  voici  une  de  mes  pattes  :  quand  vous  aurez  besoin  d'aide^ 
tous  me  retrouverez,  moi  et  mon  royaume.  •> 

•  Que  t-a  donné  le  roi  des  fourmis  ^,  »  demanda  le  géant.  —  «  Il  m*a 
donné  une  de  %t%  pattes  ;  mais  que  ferai-je  d'une  patte  de  fourmi  ?  — 
Mets-la  dans  ta  poche  :  tu  auras  occasion  de  t'en  servir,  n 

Quelque  temps  après,  parut  m  loin  une  montagne  plus  grosse  et  plus 
noire  encore  que  les  deux  premières.  ^  Allons-nous  enfin  prendre  terre?  n 
iietnanda  Adolphe.  —  ^  Non,  »  dit  le  géant.  «  C'est  le  royaume  des 
rats. }) 

«  Que  viens-tu  faire  ici  ?  »  crièrent  les  rats.  —  «  Je  suis  un  prince  de 
flrwice  qui  voyage.  —  Prince  ou  non,  tu  ne  passeras  pas.  »  Adolphe 
leur  jeta  du  pain,  et  les  rats  le  laissèrent  passer.  «  Nous  avons  été  bien 
malhonnêtes»  n  dit  le  roi  à^  rats,  «  de  n'avoir  pas  remercié  ce  prince. 
Counezk  rappeler  /»  Et»  le  jeune  homme  étant  retourné  sur  ses  pas: 
i'  Nous  vous  remercions  beaucoup,  »  lui  dit  le  roi,  a  de  nous  avoir 


100  E»  cosQym 

secourus  dans  notre  misère»  Tenez,  void  nn  poil  de  ma  moustache: 
quand  vous  aurez  besoin  d'aide,  vous  me  reirouverez,  moi  et  mon 
royaume.  )» 

ce  Êh  bien!  »  demanda  le  géant,  «  que  t'a  donné  le  roi  des  rats?  — 
Il  m'a  donné  un  poil  de  sa  mousuche;  que  ferai-je  de  cela?  —  Mets- 
le  dans  ta  poche  :  tu  auras  occasion  de  t*en  servir.  « 

Le  vaisseau  continua  sa  route  et  arriva  en  vue  d'une  autre  grosse 
montagne.  «  N'est-ce  point  là  que  nous  devons  nous  arrêter?  )) 
demanda  le  jeune  homme.  —  «  Non,  »  dit  !e  géant.  «  C'est  le  royaume 
des  corbeaux,  « 

<c  Que  vîens-tu  faire  ici  ?  »  dirent  les  corbeaux,  —  <t  Je  suis  un  prince 
de  France  qui  voyage.  —  Prince  ou  non,  tu  ne  passeras  pas.  «  Adolphe 
leur  jeta  de  la  viande,  et  les  corbeaux  le  laissèrent  passer,  a  Nous 
avons  été  bien  malhonnêtes,  »  dit  le  roi  des  corbeaux,  «  de  n'avoir 
pas  remercié  ce  bon  prince.  Courez  après  lui  et  faites-le  retourner,  » 
Le  jeune  homme  fut  donc  ramené  devant  le  roi,  qui  lui  dit  :  (c  Vous 
nous  avez  rendu  un  grand  service  et  nous  vous  en  remercions*  Tenez, 
voici  une  de  mes  plumes  ;  quand  vous  aurez  besoin  d'aide,  vous  me 
retrouverez,  moi  et  mon  royaume.  )> 

te  Que  t'a  donné  le  roi  des  corbeaux?  )>  demanda  le  géant.  —  u  II  m'a 
donné  une  de  ses  plumes  ;  mais  que  ferai-je  de  cette  plume  f  — 
Mets-la  dans  ta  poche  :  tu  auras  occasion  de  t'en  servir.  » 

Au  bout  de  quelque  temps,  Adolphe  aperçut  une  montagne  qui  était 
encore  plus  grosse  et  plus  noire  que  toutes  les  autres,  a  Cette  fois,  ^>  dit- 
il,  <c  nous  allons  arriver.  —  Non,  »  dit  le  géant,  tf  C'est  le  royaume  des 
géants,  j> 

t<  Que  viens-tu  faire  ici  ?  »  crièrent  les  géants.  —  «  Je  suis  un  prince 
de  France  qui  voyage.  —  Prince  ou  non,  tune  passeras  pas.  a  Adolphe 
leur  jeta  de  grosses  boules  de  pain;  les  géants,  les  ayant  ramassées, 
se  mirent  â  manger  et  le  laissèrent  passer.  «  Nous  avons  été  bien  mal- 
honnêtes, »  dit  le  roi  des  géants,  «  de  n'avoir  pas  remercié  ce  prince. 
Courez  le  rappeler.  »  Et,  le  jeune  homme  de  retour,  le  roi  lui  dît: 
«  Nous  vous  remercions  de  nous  avoir  secourus;  nous  étions  sur  le  point 
de  nous  dévorer  les  uns  les  autres.  Tenez,  voici  un  poil  de  ma  barbe  : 
quand  vous  aurez  besoin  d'aide^  vous  me  retrouverez,  moi  et  mon 
royaume.  —  Avec  ceux-ci,  w  se  dit  Adolphe,  te  je  gagnerai  plus  qu'avec 
les  autres,  car  ils  sont  grands  et  forts.  )> 

c<  Eh  bien!  w  demanda  le  géant,  «  quel  a  donné  le  roi  des  géants? 
—  Il  m*a  donné  un  poil  de  sa  barbe;  qu'en  ferai-je?  —  Mets-le  dans 
ta  poche:  tu  auras  occasion  de  t'en  servir.  )» 

«  Maintenant,  «  continua  le  géant,  «  le  premier  pays  que  nous  décou- 
vrirons sera  celui  de  la  reine  aux  pieds  d'argent.  Tu  iras  droit  au  châ- 


CONTES   POPaLAlRES   LORRAINS  JOJ 

teau;  la  porte  en  est  gardée  par  la  princesse,  fiile  du  roi  d'Angleterre, 
changée  en  lionne  qui  jette  du  feu  par  les  yeux^  par  les  naseaux  et  par 
Il  gueule»  11  y  a  trente-six  chambres  dans  le  château  :  tu  entreras  d*abord 
dans  la  chambre  de  gauche,  puis  dans  celle  de  droite,  et  ainsi  de  suite*  n 
Arrivé  dans  le  pays  de  la  reine  aux  pieds  d*argent,  Adolphe  se  rendit 
lucàâtcau.  Quand  il  en  franchît  le  seuil,  la  lionne,  loin  de  lui  faire  du 
mal,  se  mit  à  lui  lécher  les  mains  :  elle  pressentait  qu'il  serait  son  libéra- 
teur Le  jeune  homme  passa  d*une  chambre  dans  l'autre  suivant  les 
recoramandalions  du  géant,  et  pénétra  enfin  dans  la  dernière  chambre 
où  «e  trouvait  la  reine  aux  pieds  d -argent. 

«  Que  viens-tu  faire  ici  ?  »>  lui  dit  la  vieille  reine.  — 1<  Je  viens  chercher 
bprincesse.  ^ — Tu  mériterais  d'être  changé  toi  aussi  en  béie,  en  punition 
de  ton  audace.  Sache  que  pour  délivrer  la  princesse  il  y  a  beaucoup  à 
Édre,  El  d'abord  je  veux  trois  cents  livres  de  lin,  filées  par  trois  cents 
(iUes  vierges,  n  Adolphe  lui  apporta  les  trois  cents  livres  de  lin  et  lui  pré- 
senta les  trois  cents  filles  qui  les  avaient  filées  :  «  C'est  bien,  »  dit  la 
fcîne,  «  Maintenant  tu  vois  cette  grosse  montagne  :  îl  faut  Taplanir  et 
faire  à  la  place  un  beau  jardin,  orné  de  Heurs  et  planté  d'arbres  qui 
portent  des  fruits  déjà  gros;  et  tout  cela  en  quarante-huit  heures.  » 

Adolphe  alla  demander  conseil  au  géant.  Celui-ci  appela  le  royaume 
fa  géants,  le  royaume  des  fourmis,  le  royaume  des  rats  et  le  royaume 
fe  corbeaux.  En  quatre  ou  cinq  tours  de  main  les  géants  eurent  aplani 
h  montagne,  dont  ils  jetèrent  les  débris  dans  la  mer.  Puis  les  fourmis  et 
les  rais  se  mirent  à  fouiller  et  à  préparer  la  terre;  les  corbeaux  allèrent 
cÈercher  au  loin  dans  les  jardins  les  fleurs  et  les  arbres,  et  tout  fut  ter- 
miné avant  le  temps  fixé  par  la  reine.  Adolphe  alla  dire  à  la  vieille 
<fc  venir  voir  le  jardin;  elle  ne  put  rien  trouver  à  reprendre,  cepen- 
dant elle  grondait  entre  ses  dents,  n  Ce  n'est  pas  tout,  n  dit-elle  au 
jeune  homme,  «  il  me  faut  de  Teau  qui  ressuscite  et  de  l'eau  qui  fait 
tQûurir«  /» 

Adolphe  eut  encore  recours  au  géant,  mais  cette  fois  le  géant  ne  put 
rien  lui  conseiller  "  il  n'en  savait  pas  si  long  que  la  vieille  reine.  «  Les 
corbeaux,  n  dit-il,  «  nous  apprendront  peut-être  quelque  chose.  »  On 
battit  la  générale  parmi  les  corbeaux;  ils  se  rassemblèrent ^  mais  aucun 
d'eux  ne  put  donner  de  réponse.  On  s'aperçut  alors  qu'il  manquait  à 
Tappel  deux  vieux  soldats,  La  Chique  et  La  Ramée  :  on  les  fit  venir.  La 
Ramée,  qui  était  ivre,  déclara  qu'il  ne  savait  pas  où  était  l'eau»  mais  que 
peu  lui  importait.  On  le  mit  en  prison*  La  Chique  arriva  ensuite,  plus 
ihrrc  encore;  on  lui  demanda  où  se  trouvait  l'eau;  il  répondit  qu'il  le 
«avait  bien,  mais  qu*il  fallait  d^abord  lirer  de  prison  son  camarade. 
Adolphe  le  fit  délivrer;  puis  il  donna  cinquante  francs  à  La  Chique  pour 
>  boire  à  sa  santé^  et  La  Chique  le  conduisit  dans  un  souterrain  :  à  l'une 


102  E.  COSQUIN 

des  extrémités  coulait  Peau  qui  ressuscite,  à  1  autre  Fcau  qui  fait  mourir, 
La  Chique  recommanda  que  Ton  mît  des  factionnaires  à  l'entrée  du  sou- 
terrain, parce  que  la  vieille  reine  devait  envoyer  des  colombes  pour  bri- 
ser les  fioles  dans  lesquelles  on  prendrait  Peau,  Les  colombes  arrivèrent 
en  effet,  mais  les  corbeaux,  qui  étaient  plus  forts  qu'elles,  les  empê- 
chèrent d'approcher.  Le  géant  dit  alors  ati  jeune  homme  :  «  Tu  présen- 
teras d*abord  à  la  reine  l'eau  qui  ressuscite,  et  tu  lui  diras  de  rendre  à 
la  princesse  sa  première  forme  ;  cela  fait,  tu  ietteras  au  visage  de  la 
vieille  Peau  qui  fait  mourir,  et  elle  mourra,  o 

Quand  Adolphe  fut  de  retour,  la  vieille  reine  lui  dit  :  «  M'as-tu  rap- 
porté Peau  qui  ressuscite  et  Peau  qui  fait  mourir  ?  —  Oui,  >^  répondit 
Adolphe,  «r  Voici  Peau  qui  ressuscite.  —  C'est  bien.  Maintenant,  où 
est  l'eau  qui  fait  mourir?  —  Rendez  d*abord  à  la  princesse  sa  première 
forme,  et  je  vous  donnerai  Peau  qui  fait  mourir,  >> 

La  reine  fit  ce  quil  demandait,  et  la  lionne  redevint  une  belle  jeune 
fille,  parée  de  perles  ei  de  diamants,  qui  se  jeta  au  cou  d'Adolphe  en  le 
remerciant  de  Pavoir  délivrée.  «  A  présent,  n  dit  la  vieille  reine,  a  donne- 
moi  Peau  qui  fait  mourir.  »  Adolphe  la  lui  jeta  au  visage  et  elle  tomba 
morte.  Ensuite  le  jeune  homme  reprit  avec  la  princesse  le  chemin  du 
royaume  d'Angleterre  et  dépêcha  au  roi  un  courrier  pour  lui  annoncer 
leur  arrivée- 
La  joie  fut  grande  au  palais.  Toutes  les  dames  de  la  cour  vinrent  au 
devant  de  la  princesse  pour  la  complimenter  :  elle  les  embrassa  Pune 
après  Pauire.  Le  bossu,  qui  se  trouvait  là,  s'étant  aussi  approché  pour 
Pembrasser  :  u  Retire-loi,  »  lui  dît-elle.  «  Que  tu  es  laid!  » 

Le  soir,  pendant  le  souper,  le  roi  dit  à  ta  princesse:  «  Ma  filie,  je  t'ai 
promise  en  mariage  à  mon  filleul  :  je  pense  que  tu  ne  voudras  pas  me 
faire  manquer  à  ma  parole.  —  Mon  père,  j»  répondit  la  princesse,  «^  lais- 
sez-moi encore  huit  jours  pour  faire  mes  dévotions.  »  Le  roi  y  con- 
sentit. 

Au  bout  des  huit  jours,  U  princesse  dit  au  roi  qu'elle  avait  laissé  tom- 
ber dans  la  mer  un  anneau  qui  lui  venait  de  la  reine  aux  pieds  d'argent, 
et  qu'avant  tout  elle  voulait  le  ravoir.  Le  bossu,  jaloux  de  la  préférence 
que  la  princesse  montrait  pour  Adolphe,  alla  dire  au  roi  :  «  Mon  parrain, 
Adolphe  s'est  vanté  de  pouvoir  retirer  de  la  mer  Panneau  de  la  princesse.  « 
Le  roi  fit  aussitôt  appeler  Adolphe  :  «  Eugène  m'a  dit  que  tu  t'es  vanté 
de  pouvoir  retirer  de  la  mer  Panneau  de  la  princesse.  —  Non,  sire,  je 
ne  m'en  suis  pas  vanté;  d'ailleurs,  je  ne  le  saurais  faire.  —  N'im- 
porte! si  tu  ne  me  rapportes  pas  cet  anneau,  tu  seras  brûlé  dans  un  cent 
de  fagots*  » 

Adolphe  s'éloigna  bien  triste  et  se  rendit  chez  le  géant,  auquel  il  con- 
fia ses  peines.  c<  Je  m'étais  dit  que  je  ne  ferais  plus  rien  pour  toi,  n  dit 


i 


I 


I 


CONTES  POPULAIRES   LORRAINS  lû| 

Pourtant  je  ne  veux  pas  te  laisser  dans  Tembarras.  Je  vais 
les  poissons,  w 

On  battit  ta  générale  parmi  les  poissons;  ils  arrivèrent  en  foule,  mais 
luctin  d'eux  ne  savait  où  était  Tanneau.  On  s'aperçut  alors  qu*il  man- 
quait à  Fâppel  deux  vieux  soldats,  La  Chique  et  La  Ramée;  on  tes  fit 
mur*  La  Ramée,  qui  était  ivre,  déclara  qu'il  ne  savait  où  était  l*anncau, 
insis  que  peu  lui  importait  ;  on  le  mit  en  prison.  La  Chique  arriva  ensuite, 
encore  plus  ivre;  il  dit  qu'il  avait  la  bague  dans  son  sac,  mais  qu'il  fal- 
bit  d'abord  tirer  La  Ramée  de  prison,  Quand  son  camarade  fut  en  llbené, 
U  Chique  remit  la  bague  au  jeune  homme.  Adolphe  lui  donna  cent 
francs  pour  boire  à  sa  santé  et  courut  porter  la  bague  au  roi* 

tf  Je  pense,  ma  fille,  »  dit  alors  le  roi,  «  que  tu  dois  éire  contente  ;  tu 
le  marieras  demain. — Je  ne  suis  pas  encore  décidée,  »  répondit  la  prin- 
cesse; «  je  voudrais  auparavant  que  l'on  transportât  ici  le  château  de 
ta  reine  aux  pieds  d'argent.  t>  On  fit  aussitôt  préparer  les  fondations, 
et  le  bossu,  de  plus  en  plus  jaloux  d'Adolphe^  alla  dire  au  roi  :  ce  Mon 
ptfrain,  Adolphe  a  dit  qu'il  savait  le  moyen  de  transporter  ici  le  château 
et  la  reine  aux  pieds  d'argent  sans  aucune  égratignure,  pas  même  une 
égraugnure  d'épingle*  »  Le  roi  fit  appeler  Adolphe  :  et  Eugène  m'a  dit 
que  îu  t'es  vanté  de  pouvoir  transporter  ici  le  château  de  la  reine  aux 
pieds  d'argent  sans  aucune  égratignure,  pas  même  une  égratignure 
(Fépngle.  —  Non^  sire,  je  ne  m^en  suis  pas  vanté.  D'ailleurs  corn- 
ment  le  pourrais-je  faire?  —  N'importe!  Si  tu  ne  le  fais  pas,  tu  seras 
brûlé  dans  un  cent  de  fagots,  n 

Adolphe,  bien  désolé,  alla  de  nouveau  trouver  le  géant,  qui  lui  dit  : 
«  Demande  d'abord  au  roi  de  te  faire  construire  un  grand  vaisseau,  n 
Le  vaisseau  construit.  Adolphe  s'y  embarqua  avec  le  géant.  Celui-ci 
ippeia  le  royaume  des  fourmis,  le  royaume  des  rats  et  le  royaume  des 
gfamts.  Les  fourmis  et  les  rats  détachèrent  le  château  de  ses  fondations; 
quatre  géants  le  soulevèrent  et  Tallèrent  poner  sur  le  navire;  puis  on 
«ppeb  le  royaume  des  poissons  pour  soutenir  le  navire. 

Tout  le  monde  à  la  cour  du  roi  d'Angleterre  fut  enchanté  de  voir 
Adolphe  de  retour,  et  le  château  fut  posé  sur  les  fondations  préparées 
m-à-vîs  du  palais  du  roi.  Le  roi  dit  alors  à  sa  fille  :  «  Maintenant  fes- 
père  que  tu  vas  épouser  Eugène.  —  Mon  père,  »  répondit  la  princesse, 
"  accordez-moi  quelque  temps  encore;  je  ne  suis  pas  décidée,» 

Comme  la  princesse  ne  cachait  pas  au  bossu  qu'elle  ne  pouvait  le  souf- 
frir, la  jalousie  de  celui-ci  contre  Adolphe  ne  faisait  que  croître.  Un  jour, 
il  dit  au  jeune  homme  :  u  Allons  faire  ensemble  une  partie  de  chasse 
dans  le  bois  des  Cerfs.  —  Volontiers,  j>  répondit  Adolphe.  Quand  le 
bossu  fut  dans  la  forêt  avec  Adolphe,  îi  lui  tira  un  coup  de  fusil  par 


104  ^'  COSQUIN 

derrière  et  l'étendit  mort  sur  la  place  ;  puis  il  creusa  un  trou  et  l'y 
enterra. 

Le  roi,  ne  voyant  pas  revenir  Adolphe,  demanda  au  bossu  ce  qu'il 
était  devenu.  «  Je  n'en  sais  rien,  »  dit  le  bossu,  «  il  sera  parti  pour  cou- 
rir le  monde;  il  se  lassait  sans  doute  d'être  bien  ici.  »  La  princesse  était 
au  désespoir,  mais  elle  n'en  montra  rien  à  son  père  et  lui  demanda  la 
permission  d'aller  chasser  dans  le  bois  des  Cerfs.  Le  roi,  de  crainte 
d'accident,  voulait  la  faire  accompagner  par  quarante  piqueurs  à  cheval, 
mais  elle  le  pria  de  l'y  laisser  aller  seule. 

En  arrivant  dans  la  forêt,  elle  aperçut  des  corbeaux  qui  voltigeaient 
autour  d'un  trou;  elle  s'approcha,  et,  reconnaissant  le  pauvre  Adolphe 
que  les  corbeaux  avaient  déjà  à  moitié  dévoré,  elle  se  mit  à  pleurer 
et  à  gémir.  Enfin  elle  s'avisa  qu'elle  avait  sur  elle  un  flacon  de  l'eau 
qui  ressuscite  ;  elle  en  frotta  le  cadavre,  et  le  jeune  homme  se  releva 
plein  de  vie  et  de  santé. 

Or  c'était  le  troisième  jour  après  sa  mort. 

La  princesse  revint  au  château  avec  Adolphe  ;  elle  le  cacha  dans  une 
de  ses  chambres,  et  alla  trouver  le  roi.  «  Mon  père,  »  lui  dit-elle, 
«  seriez-vous  bien  aise  de  voir  Adolphe  ?  —  Ma  fille,  »  répondit  le  roi, 
«  que  me  dis-tu  là.'*  Adolphe  est  parti  pour  aller  au  bout  du  monde:  il 
ne  peut  être  sitôt  de  retour.  —  Eh  bien!  »  reprit  la  princesse,  «  fiaites 
fermer  toutes  les  portes  du  palais,  mettez-y  des  factionnaires,  et  sui- 
vez-moi. » 

Le  roi  étant  entré  dans  l'appartement  de  la  princesse,  celle-ci  fit 
paraître  devant  lui  le  jeune  homme,  qui  lui  dit:  «  Sire,  Adolphe  n'est 
pas  mon  nom;  je  suis  Eugène,  votre  filleul.  »  Puis,  tirant  de  son  sein  la 
lettre  que  le  roi  avait  remise  à  ses  parents,  il  la  présenta  au  roi  en  lui 
disant  :  «  Reconnaissez-vous  cet  écrit  ?  »  Quand  le  roi  eut  appris  ce  qui 
s'était  passé,  il  fit  brûler  le  bossu  dans  un  cent  de  fagots,  et  Eugène 
épousa  la  princesse. 

Moi,  j'étais  de  faction  à  la  porte  de  la  princesse;  je  m'y  suis  ennuyé, 
et  je  suis  parti. 

Nous  tenons  ce  conte  d'un  jeune  homme  de  Montiers  qui  l'a  entendu  ra- 
conter au  régiment. 

Le  conte  étranger  qui,  à  notre  connaissance,  s'en  rapproche  le  plus  est  un 
conte  grec  moderne,  recueilli  en  Épire  par  M.  de  Hahn  (n«  37  de  sa  collection 
de  contes  grecs  et  albanais,  publiée  à  Leipzig  en  1864I.  En  voici  le  résumé  : 

Un  roi  est  obligé,  pendant  la  grossesse  de  sa  femme,  de  s'éloigner  de  son 
royaume.  Il  recommande  à  la  reine,  si  elle  met  au  monde  un  fils,  de  le  lui 
envoyer  quand  il  aura  seize  ans  accomplis,  mais  de  se  garder  de  prendre  pour 
conducteur  un  homme  sans  barbe  (dans  les  contes  grecs  et  dans  les  contes 
serbes  les  hommes  sans  barbe  sont  représentés  comme  étant  artificieux  et  mé- 


CONTES  POPULAIRES  LORRAINS  lOJ 

^dfiMs)*  Lors<|tie  le  moment  est  venu  d'envoyer  le  jeune  garçon  à  son  père,  la 
rejwe,  s*élattt  rendue  sur  la  place  du  marché  pour  louer  un  cheval  et  son  con* 
ilticteur,  ne  peut  trouver  d'autre  conducteur  qu'un  homme  sans  barbe.  Le  len- 
demain cl  le  surlendemain,  elle  n'est  pas  plus  heureuse.  Elle  se  décide  alors, 
sur  les  instances  de  son  ftls,  à  le  laisser  partir  avec  un  homme  sans  barbe.  Pen- 
dant le  voyage,  le  jeune  garçon,  pressé  par  une  soif  ardente,  se  fait  descendre 
dans  une  citerne  par  son  compagnon.  Celiiici  lui  déclare  alors  qu'il  Taban- 
donncra  dans  cette  citerne,  si  le  prince  ne  s'engage  par  serment  à  lui  céder  son 
titre  et  ses  droits,  et  à  ne  point  révéler  le  secret  jusqu'à  ce  qu'il  soit  mort  et 
ressuscité  des  morts.  Le  pacte  est  conclu,  et  Timposteur,  qui  s'est  revêtu  des 
habits  du  prince,  est  accueilli  par  le  roi  comme  son  fils.  Pour  se  débarrasser  du 
prmce,  il  le  Tait  jeter  en  proie  à  un  dragon  aveugle^  auquel  il  fallait  de  temps  en 
temps  une  victime;  mais  le  jeune  homme,  instruit  par  un  vieux  cheval,  son  con- 
fiderrt^  rend  la  vue  au  dragon,  qui,  par  reconnaissance,  lui  apprend  la  langue 
des  animaux  en  l'avalant  et   le  rendant  quelques   instants  après  i  la  lumière. 
Ensuite,  quand  il  est  obligé  d'aller  à  la  recherche  de  la  jeune  fille  aux  cheveux 
d*or.  <jue l'homme  sans  barbe  veut  épouser,  le  prince,  toujours  d'après  les  con- 
srilidu  vieux  cheval,  se  montre  secourable^  d'abord  envers  des  fourmis  qui  ne 
peuvent  traverser  un  ruisseau,  puis  envers  des  abeilles,  dont  un  ours  dévore  le 
onel^  enfin  envers  de  jeunes   corbeaux  qui  vont  être  déchirés  par  un  serpent. 
GrJce  i  l'aide  de  ses  obligés,  le  prince   vient  â  bout  des  ttkhes  qui  lui  sont 
««posées:  les  fourmis  trient  pour  lui  un  tas  énorme  de  blé,  de  millet  et  d*3utrcs 
^lincs  confondues   ensemble;  les  abeilles  lui  font  reconnaître  la  |eune  fille  aux 
cheveux  d'or  au  milieu  d'un  grand  nombre  de  femmes  voilées;  enfin  les  corbeaux 
^li  apportent  une  fiole  d'eau  de  la  vie.  La  )eune  fiile,  amenée  à  la  cour  du  roi, 
ÎJÎtfon  mauvais  visage   â   l'homme  sans  barbe,  qui,   pour  se  venger,  tue  le 
pntice  à  la  chasse.  Elle  exige  que  le  cadavre  lui  soit  apporté,  et  lui  rend  la  vie 
lu  niO)en  de  l'eau  merveilleuse.  Le  prince  alors^  dégagé  de  son  serment,  puis- 
que est  ressuscité  des  morts,  démasque  l'imposteur  et  le  fait  périr. 

CHoflî  encore  un  conte  breton,  moins  complet,  donné  par  M.  F. -M.  Luzel 
dm  son  cinquième  rapport  sur  une  mission  en  Basse-Bretagne,  déjà  mentionné 
pir  nous.  Dans  ce  conte,  intitulé  la  Princau  de  Tronkoimnt^  un  roi  qui  a  bien 
TDulu  être  le  parrain  du  vingt'sixième  enfant  d'un  charbonnier,  dit  â  ce  dernier 
de  fui  emroyer  l'enfant  â  Paris  quand  il  aura  dix-huit  ans.  Le  moment  arrivé,  le 
fniie  Louis  se  met  en  route  sur  un  vieux  cheval.  Comme  il  passe  auprès  d'une 
tenUine,  un  prétendu  camarade  d'école  lui  dit  de  mettre  pied  à  terre  pour  boire, 
eî,  Louis  l*ayant  fait  malgré  Tavis  que  lui  avait  donné  une  bonne  vieille,  l'autre 
V  jette  dans  la  fontaine,  lui  enlève  le  signe  de  reconnaissance  que  Louis  devait 
ffltmtrerau  roi  et  s'enfuit  sur  le  vieux  cheval.  Louis  l'ayant  rattrapé,  ils  entrent 
^semble  chez  le  roi  qui  fait  bon  accueil  à  son  prétendu  filleul  et  admet  Louis 
6ns  }e  chiteau  comme  valet  d'écurie.  Bientôt,  à  l'instigation  du  faux  filleul, 
Uuîs  est  envoyé  en  des  expéditions  irès-pénlleuses.  Il  doit  notamment  amener 
iu  roi  la  princesse  de  Tronkolaine.  Cette  partie  du  conle  breton  présente  une 
grande  ressemblance  avec  le  nôtre.  Nous  y  retrouvons  le  bâtiment  chargé  de 
promions  dont  le  jeune  homme  régale  les  fourmis,  les  éperviers  et  les  lions  par 
Ici  râpâmes  desquels  il  passe  ;  les  tâches  imposées  par  la  prmcesse  :  démêler 


106  E,  COSQUIH 

un  grand  Us  de  grains  mélangés^  abattre  une  atlée  de  grands  arbres^  aplanir 
une  moDtagne,  —  Uches  dans  lesquelles  le  jeune  homme  est  aidé  par  les  ani* 
manx  ses  obligés  [dans  d'autres  versions  du  conte  breton,  il  faut  apporlo*  le 
palais  de  h  princesse  devant  celui  du  roi  et  aller  quérir  de  Teau  de  b  mort  et 
de  l'eau  de  la  vie)<  Arrivée  chez  îe  roi,  la  princesse  de  Tronkoiaine  dit  de  jeter 
dans  un  four  te  faux  filleul^  comme  étant  un  démonj  et  la  chose  faite,  elle  épouse 
Louis, 

On  peut  encore  comparer^  dans  le  premier  rapport  de  M.  Luzel  (Archiva  damis^ 
sions  scifittifiquis  et  Hittrûira,  i""  série,  t.  VU,  187 1 ,  i"  livraison,  p,  iRi),  le  conte 
breton  de  Trigont-j-Baris  et  dans  la  grande  collection  de  cootes  sicUiens  de 
M,  Pitre,  publiée  en  187^,  le  conte  n"  34,  U  Ckc¥al  enchanté. 

Dans  un  grand  nombre  de  contes  étrangers,  le  héros,  le  plus  souvent  à  T ins- 
tigation d'un  ennemij  reçoit  comme  «  Adolphe^  *  l'ordre  d'aller  chercher  des 
objets  précteuK  appartenant  à  un  géant  ou  à  un  autre  personnage  redoutable  ; 
mais —  à  la  différence  de  notre  conte,  —  c'est  par  ruse  qu'il  y  réussit.  M.  R. 
Kœhler  indique  un  grand  nombre  de  contes  de  ce  genre  dans  ses  remarques  sur 
le  conte  avare  n*  j  de  h  collection  Schiefner^  déjà  mentionnée. 

Disons  un  mot  de  ce  «  falot  du  géant,  ■  qui  éclaire  à  cent  lieu  es  à  la  ronde. 
Dans  un  conte  suédois  (collection  Cavallius,  p.  46  de  la  trad«  allemande),  le 
héros  parvient  à  voler  à  un  géant  une  lampe  qui  éclaire  comme  la  pîeine  lune; 
dans  un  conte  islandais  (collection  Arnason,  trad.  anglaise,  a«  série,  p,  540» 
342)  figure  un  objet  d'or  qui  éclaire  toute  une  campagne,  et  que  le  héros 
dérobe  à  des  îroUs  (sorte  de  géants);  dans  un  conte  sicilien  (collection  GonMn- 
bach,  n^  30),  un  ogre  possède  un  sabre  qui  répand  une  lueur  merveilleuse,  etCi 

Dans  notre  conte,  on  rassemble  les  corbeaux  pour  savoir  où  se  trouve  Teau 
<jui  ressuscite  et  Teau  qui  fait  mourir,  et  un  seul  d'entre  eux,  celui  qui  n'avait 
pas  répondu  à  Tappel,  peut  donaer  des  renseignements  k  cet  égard.  Dans  deux 
contes  grecs  modernes  d'Epire  (collection  Hahn,  n'*  15  et  25),  on  rassemble 
aussi  tous  les  oiseaux  pour  leur  demander  où  est  une  certaine  ville,  et  le  seul 
qui  le  sache  est  précisément  celui  qui  n*esl  pas  venu  à  l'assemblée.  Il  en  est  de 
même  dans  un  conte  suédois  (Cavalfius,  p.  186),  dans  un  conte  avare  (collection 
Schiefner^  n*»  4),  etc.  Dans  la  mythologie  grecque  {ApoUodon  Bibliothua^  1,9, 
1 2),  Melampus  ayant  assemblé  les  oiseaux  et  leur  ayant  demandé  un  remède 
pour  Iphiclus,  le  èls  de  son  maître,  il  n'y  a  qu'un  vautour  qui  puisse  le  lui  indi- 
quer. 

Enfin,  en  Orient,  il  faut  rapprocher  de  notre  conte  français,  pour  l'ensemble, 
un  conte  qui  a  été  recueilli  par  M.  Radloffdans  une  tribu  tarlare  de  la  Sibérie 
méridionale  (Prokn  ici  VolkdUtraiur  da  Târkischen  Siammc  Sud-Sibiriau^  guam- 
mtlt  und  ùbcrsctzt  von  Dr.  W,  Radio^,  4*  volume.  Saint-Pétersbourg,  1872, 
p.  373).  Le  héros,  pauvre  orphelin,  est  entré  au  service  d'un  prince  comme 
vilel  d'écurie.  Les  autres  valets,  jaloux  de  lut  parce  que  son  cheval  a  meilleure 
mine  que  les  leurs,  vont  dire  au  prince  que  le  nouveau  valet  s*est  vanté  de  con- 
naître la  fille  du  roi  des  Péris.  Aussitôt  le  prince  ordonne  à  Torphelin  de  la 
lui  amener.  Le  jeune  homme  s'en  va  pleurer  auprès  de  son  cheval  qui  lui  donne 
le  moyen  d'enlever  la  Péri.  Celle-ci,  arrivée  chez  le  prince,  refuse  de  Tépouser 
s'il  oe  lui  rapporte  son  anneau  qui  est  chez  le  •  jeune  homme  qui  fait  mar- 


I 


CONTES  POPULAIRES  LORRAINS  I07 

cher  le  soleil.  »  L'orphelin,  chargé  de  cette  entreprise,  en  vient  â  bout  (tout 
cet  épisode  du  conte  tartare  offre  une  grande  ressemblance  avec  le  conte  alle- 
mand n*  29  de  la  collection  Grimm,  les  Trois  cheveux  d'or  du  diable,  et  avec  les 
autres  contes  européens  de  même  type).  Une  fois  en  possession  de  son  anneau, 
la  jeune  fille  déclare  qu'elle  n'épousera  le  prince  que  s'il  lui  amène  certain  cheval. 
C'est  encore  l'orphelin  qui  Tamène.  Alors  la  jeune  fille  dit  de  faire  chauffer  de 
l'eau  dans  une  grande  chaudière.  Elle  épousera  le  prince  si  celui-ci  nage  dedans. 
Le  prince  fait  d'abord  entrer  dans  la  chaudière  l'orphelin,  que  son  cheval  pré- 
serve de  tout  mal.  II  s'y  hasarde  alors  lui-même  et  meurt.  L'orphelin  épouse  la 
.  fille  du  roi  des  Péris  (comparez  pour  cette  fin  le  conte  valaque  n^  17  de  la  col- 
lection Schott). 

Notre  conte  français  et  les  contes  ci-dessus  analysés  se  rattachent  au  groupe 
de  récits  que  l'on  peut  désigner  sous  ce  titre  la  Jeune  Fille  aux  cheveux  d*or  et 
^m  de  la  mort  et  de  la  vie.  Nous  avons  étudié  rapidement  ce  groupe  dans  notre 
travail  sur  les  Contes  populaires  européens  et  leur  origine  (Correspondant  du  2  (juin 
187J)  et  MM.  R.  Kœhler  et  Liebrecht  ont  traité  ce  même  sujet  d'une  manière 
plus  approfondie  dans  la  revue  la  Germania  (années  1866  et  1867).  Nous  aurons, 
^  reste,  occasion  de  revenir  là-dessus  à  propos  d'un  autre  conte  lorrain  de 
notre  collection  intitulé  la  Belle  aux  cheveux  d'or, 

[A  suivre.)  Emmanuel  CosqyiN. 


io6 

un  (j;rand  ta 
une  monta;.' 
maux  ses  r . 
palais  de  I. 
de  l*eau  d'- 
dans  un  k 
Louis. 

On  pei.* 
sions  sa-  • 
breton  i 
M.  Pitr 

Dan^ 
tigatiori 
objets  ; 
mais  — 
Kœhl.  • 
le  co:î* 

Dis 
Dan. 
héro . 
dan: 

H- 
dér 
bac 
i 
qu 
p.: 

Cl 


:..-.RE  FRANÇAISE 

•  •.  :•  apparaissent  dans  la  poésie 

5::r.»/ins.  Dans  la  Chanson  de 

:  :  irraraitre  à  son  imagination 

.:  :.'e  Roland  ne  vaincra  plus. 


^.-;  je  celle  façon  ;  on  le  retrouve 

:.\.:-cire  par  une  sorie  d  assimi- 

..'jvent  nommée  dans  les  poèmes 

.  j.::razins.  C'est  à  Falerme  que 

^-5.:r.  du  Moniale  Guillaume  que 

.5:  enfermé  pendant  sept  ans  par 

;  .i>  vents  ont  jeté  sur  les  côtes  Je 


-.  ;,j  Contres  .scientifique  de  F\iicrmc. 
.  .■:^:;*  'jnv  ccinmiinication  orale  d<.»nt 
•.  ..:;  Sinli.i'h.  Je  le  reproduis  ici 
;:  T..>  :  ce  résumé,  écrit  à  Paierm».* 
,\  '.iwjni  de>  erreurs:  c'est  j^nncipa- 
.  !i'  rr::ii;.":!ine.  Je  n'ji  p.i'.  chtTch»'' 
.  jifî.'.ineîr.rnl  tr<-s-nombrei:scs  »ji:'««:i 
•.  -:u  di-nrier  !i •^  preuves  à  rappiii  df 
r  ;:.:j»'\.;!t  N.  ('.et  .irîivie  duil  ^.irJtr 
:  ;•:  :*::pr-  \\  \  !-.  \\\\.w  df  .ji:f::i:es 
:  >."'r.  prv'cip  i!  ::.t'r-*-t  à  l'cnvir»  it'  i-ù 
•::.  :'.L:::l•^l^  ie  !..  ^r.jnJeur  normand-.-. 


:lN 


;\e 


de  !.i  Si.::.- 


;,  p:-:i.:  ::t  tî  .lyr.^.  Le  ^u>î  ••tait 
-  »vvr.«'n.i:''.-.'mt  ::l  :'.  !a-.:!rt:l  du  t- mpN 
.,  ywv ,  i"i  •!  ..:  î.i  !v:ni--  i:;î'-tilio:i  . 
^;  s'.v  I  viv.r  •  ,;.••!  dt-  iiM-  r.-pp'v'e-r  a:i 
î-r.  lî'îtN  -.-l  n;  h::':iveiilanî>,  i.t  de  nv. 
àc  'AWA  ^<v'-'.r  a   I\tiormc  et  do  nuT'. 


LA  SICILE  DANS  LA  LITTÉRATURE  FRANÇAISE  IO9 

Sicile  au  retour  de  la  Terre-Sainie  :  peut-être  ce  poème  inédit  con- 
ticm-il  quelques  détails  curieux  sur  la  ville.  Une  autre  de  ces  men- 
tions est  jniéressante,  c'est  celle  de  Ficrabrai,  Nous  y  apprenons  que 
Fîcrabras  possède  Alexandrie,  Babyîone  (le  Caire),  eic*, 
El  des  tors  de  Palerne  se  fait  scignour  clamer. 
Il  semble  donc  qu'avant  les  constructions  normandes,  Palerme  se  fit 
déjà  remarquer  par  ses  hautes  tours. 

Cette  mention  et  d^autres  (par  exemple  dans  F/o© w/rt)  sont  postérieures 
à  l'époque  où  la  Sicile  avait  été  délivrée  par  les  Normands.  La  poésie 
épique  vit  de  formules  traditionnelles.  Mais  en  même  temps  elle  se  renou- 
velle sans  cesse,  tant  que  Tactivité  poétique  d'un  peuple  n'est  pas  épui- 
sée, sous  ^impulsion  des  grands  événements,  Les  Normands,  qui  appor- 
taient avec  eux  l'habitude  de  célébrer  par  des  chansons  de  geste  les 
exploits  guerriers,  ne  durent  pas  négliger  de  chanter  leurs  merveilleux 
succès  en  Italie  et  en  Sicile,  celte  épopée  toute  faite  à  laquelle  en  vérité 
peu  de  fictions  peuvent  s^égaler.  Ce  qu'on  oserait  presque  affirmerai  priori^ 
divers  indices  le  confirment.  Plus  d'un  passage  des  chroniques  normandes, 
à  bon  droit  suspect  à  l'historien,  a  une  allure  vraiment  épique*  Quelques 
traits  pourraient  même  avoir  une  origine  Scandinave ,  et  jetteraient  ainsi 
du  jour  sur  la  formation  de  l'épopée  normanno-sîcilienne,  où  s^étaient 
fondus,  comme  il  arrive  d'ordinaire,  des  éléments  antérieurs. 

La  part  prise  par  les  Normands  de  Fouille  et  de  Sicile  à  la  première 
croisade  ne  méritait  pas  moins  dlnspirer  Tépopée,  Dans  les  chansons  de 
geste  purement  françaises  du  cycle  des  Croisades  on  trouve  plus  d'un 
trait  qui  doit  provenir  de  chants  spécialement  normands  :  telle  est  Tépî- 
thète  donnée  à  Tangré  (Tancredii  de  «  fils  à  la  sacam,  n  fils  de  la  femme 
savante,  de  la  magicienne,  épiïhèie  mal  expliquée  dans  les  poèmes  eux- 
mêmes.  L'auteur  du  Llgurinus,  qui  écrivait  vers  1187  son  poème  en 
l*honneur  de  Frédéric  Barberousse,  y  résume  un  autre  poème  de  lui,  le 
Sûiy marias,  où  il  avait  chanté  la  première  croisade.  On  remarque  dans 
ce  résumé,  sur  les  Normands  de  ^Italie  méridionale,  de  curieuses 
légendes,  qui  paraissent  bien  provenir  de  la  tradition  \rumor,  fama^  dit 
le  poètei ,  et  qu'il  a  peut-être  même  puisées  dans  une  chanson  de  geste 
française,  c'est-à-dire  normande.  On  y  retrouve  en  effet  un  trait  fréquent 
dans  ces  poèmes,  surtout  dans  ceux  du  cycle  de  Guillaume  d*Orange,  — 
où  les  Normands  ont  eu  certainement  une  grande  part,  —  celui  d'un 
père  enlevant  à  son  fils  son  héritage  légitime  et  le  chargeant  en  échange 
de  se  conquérir  un  patrimoine  sur  les  infidèles.  Enfin  nous  verrons  plus 
tard  qu'au  xiii^  siècle  encore  Robert  Gurscan ,  Boémond  et  Tangré 
avaient  conservé  en  Sicile  une  popularité  que  la  tradition  ne  suffit  pas  à 
donner,  et  qui  remonte  presque  toujours  à  une  poésie  populaire  contem- 
poraine des  faits  qu'elle  chante. 


^^rrtceax  des  habitudes 
•  ^deiationale  française  déjà. 
^J^ffi  dianter  Charlemagne 
M  ÉLAN  G  ^'^litfilMmgi;  fls  localisèrent 

Ils  racontèrent  que 

B,  avaient  passé  par  la 

j  As  montagnes  qui  avaient 

p^di  xn*  siècle]  dit  dans  son 


I. 


LA  SICILE  DANS  LA  LI 

DU    MOV 

La  première  fois  que  la  Sicile  - 
française,  c'est  comme  appartenur 
Roland,  quand  Charlemagne  dése*^ 
les  peuples  ennemis  qui  vont  l'a 
parmi  ceux  qu'il  énumère  figurt> 
E  cil  d'Affrik.  ' 


^^^«« 


Rolindus; 

dnœs. 

dans  la  toponomastique 


Car  déjà  le  nom  de  Pakrme  t 
ainsi  écrit  pendant  tout  le  ni 
lation  à  Salerne.  Plus  tard,  /' 
comme  le  séjour  de  puis^;  ' 
Guillaume  d'Orange,  d'à' 
connaissait  déjà  Pautcui 
Sinagot,  et  délivré  pai 


1.  Me  trouvant,  au  ni 
j'ai  fait  à  la  Section  liT 
le  résumé  a  été  publia*  ' 
avec   quelques   supprc 
sans  l'aide  d'aucun  1 
lement  pour  les  h^- 
à  le  compléter  et  j 
pourra  y  relever, 
certaines  assertion' 
son  caractère  de  r- 
notes  prises  hâliv. 
elle  se  produisait, 
j'ai  trouvé  utile  ■: 
de  la  France,  a- 
neuf  et  intércss. 
et  des  rccherci 
Tesquisse  à  pc» 
bon  souvenir 
rappeler  à  ni>*. 
voyage  autou! 


qd  fut  apporté  et  localisé 
Jgi  On  connaît  le  passage  de 
^^  m*  siècle  les  gens  du  pays, 
—  croyaient  Arthur  enfermé 
^i%ait  pas  le  seul  personnage 
^^e  demeure  des  Cyclopes. 
I^ljndre  celui-là,  fut-il  apporté 
p^'^^ljQçaise.  Il  est  certain  du  moins 
^^^  ^^tt  qui  en  1287  termina  celte 
^^ie  sDCcès,  ne  l'a  pas  prise,  comme 
î^^^gle  trouveur  français  Beneoit  de 
■Bounment  qu'est  dû  le  gracieux 
^  \  travers  Guido  délie  Colonne, 
).  Mais  le  poème  de  Beneoit  a  été 


^'^^7jtatm.  même  au  xiii*  siècle,  arriver 
~         D^iU^"  Guido  avait  longtemps 
^3  avait  pu  y  connaître  un  manus- 


^  ^  pas  bornés  à  répéter  les  poèmes 

*  3i  ks  ont  continués  et  développés,  et 

de  flcste  du  cycle  de  Guillaume  pour- 

^gn  celte  Ue.  C'est  le  cas  pour  la  plus 

jjftraiify  que  plusieurs  critiques  n'hési- 

'^^"^iiW-  C^*  chanson  est  inséparable  d'un 
,J^^  '  poème  à  part,  Loquifer.  Or  non-seule- 
4g^^^  -jr  Raînouart,  est  de  Sicile,  mais  un 
^^^5  Jue  Jendeus  de  Brie,  l'auteur  du  poème, 
Jetait  la  Sicile.  Une  autre  preuve  de  la 


rtClLE  DANS  U  LITTÉRATURE  FRANÇAISE  I  J  1 

,  ce  cycle  dans  llle  normande,  c'est  le  poème  (inédit) 

ni^tn  que  du  xtii*  siècle.  Une  grande  partie  de  Paction  se 

Ifcme,  c'est-à-dire  à  Messine  ;  et  noys  trouvons  pour  cer- 

\ûe  lieux  de  ces  étymoïogies  naïves  qui  semblent  bien  être  le 

!  rate  nouvelle  qui  vient  s'établir  dans  un  pays  qu'elle  veut  à  U 

Btrir  et  comprendre.  Messine  s'appelle  ainsi  parce  qu'elle  a  été 

^  m  temps  de  la  moisson  [messis)  ;  le  Far  {Phare  ou  détroit  de 

Woh  son  nom  à  Peau  dont  il  est  plein  et  comblé  (y.  fr.  fars]^  etc. 

héros  du  poème  sont  généalogiquement  rattachés  à  Robert 

ïftt  à  Boémont  et  à  Tangré.  Le  poème  de  Renier  a  peut-être  été 

poiéen  Sicile  pendant  la  courte  dominalion  de  Charles  d'Anjou;  il 

ue  â  sa  manière  Tongine  des  Guelfes  et  des  Gibelins,  et  la  haine 

1  montre  contre  ces  derniers  indique  bien  qu'il  a  été  écrit  sous  Tem- 

^des  passions  du  moment. 

Voilà  ce  qu'on  peut  dire  de  la  poésie  épique  des  Normands  en  Sicile. 

Sur  tçur  poésie  lyrique,  nous  n'avons  que  des  témoignages  qui  ont  déjà 

(réunis  ailleurs,  ie  remarquerai  seulement  que  ces  témoignages,  ainsi 

la  présence  de  mots  purement  français  dans  le  célèbre  Débat  de 

1II0  d'Alcamo,   rendent    vraisemblable    rinfluence    de  cette  poésie 

lyrique  sur   la   plus  ancienne  poésie  sicilienne,  c'est^*dire  italienne. 

Cest  h  un  point  qui  demanderait  une  élude  à  part. 

lusqu'à  présent  nous  avons  étudié  la  littérature  française  en  Sicile,  Il 
nous  reste  à  nous  occuper  de  la  Sicile  dans  la  littérature  française.  Nous 
(rsiierons  plus  rapidement  celte  seconde  partie.  La  Sicile  figure  dans  la 
littérature  française  soit  comme  l'objet  de  récits  authentiques,  soit  comme 
b  icène  d'aventures  imaginaires.  Les  textes  du  premier  genre,  relatifs 
engéaéral  au  passage  des  Croisés,  sont  en  petit  nombre,  si  on  défalque 
les  chroniques  latines.  Je  n'en  citerai  qu'un,  c'est  la  curieuse  chronique 
d'Ajnbroise,  qui  accompagnait  Richard  Cœur-de-Lion,  et  dont  le  poème, 
omscnré  jusqu'ici,  sous  le  nom  dlttnerarium  Rtcardi^  dans  «ne  version 
latine,  vient  d'être  retrouvé  au  Vatican  ci  sera  incessamment  publié. 
Ambn&ise,  homme  de  peu,  jongleur  peut-être  de  son  métier,  raconte 
I  naïveroent  ce  qu'il  voit.  Il  nous  peint  sous  des  couleurs  peu  aimables  les 
'  bbîianu  de  Messine  ;  d'un  côté  les  Longobards  (ïtaliensi,  qui  ne  peuvent 
pardonner  aux  Français  de  les  avoir  conquis  autrefois,  d'autre  part  les 
\Gnf0ns  (Grecsj,  et  les  autres  «  gens  extraites  de  sarrazins  »  qui  font 
Lj^èlerins  tous  les  ennuis  possibles.  «  Ils  nous  apportaient^  »  dit-il, 
doigts  aux  yeux  »,  geste  injurieux  encore  usité  en  Sicile;  «  ils 
«MB appelaient  chiens,  ....  »  et  surtout  ils  n'aimaient  pas  voir  les  pèle- 
rins causer  de  trop  près  avec  leurs  femmes.  Ambroise  ne  dit  pas  que  les 
Fmçais  De  fussent  sous  ce  rapport  quelque  peu  aventureux,  mais  il 
ajoute  : 


112  MÉLANGES 

Mais  tels  \t  fit  pour  eus  grever 
Qui  n'i  deignast  rien  achever. 

Ce  trait  ne  peint-il  pas  au  vif  la  légèreté  françaisej  en  même  temps 
que  les  conséquences  qu'elle  eut  peignent  la  susceptibilité  sicilienne  ?  et 
ne  trouvons-nous  pas  là  comme  une  explication,  antidatée  d*un  siècle, 
de  la  sinistre  journée  des  Vêpres  ?  A  Messine,  on  le  sait,  les  choses 
allèrent  cette  fois  moins  mal  :  on  se  battit,  mais  on  s^apaisa  ;  Richard, 
pour  dompter  la  population  grecque,  construisit  îe  célèbre  château  de 
Mategriffon,  dont  les  ruines  existent  encore,  et  Ambroise  nous  représente 
comme  plus  paisible  et  plus  agréable  la  dernière  partie  du  séjour  des 
pèlerins  en  Sicile. 

Les  poèmes  français  dont  la  scène  est  en  Sicile  entièrement  ou  en 
partie  n*ont  d'ordinaire  pris  à  Tile  que  des  noms,  C*est  le  cas  pour  Athis 
et  Prophilias  [xne  siècle),  où  figure  îe  roi  de  Sicile  Bilas;  pour  Guillaume 
de  Paltmt  (xiii"  siècle),  où  un  vieux  conte  celtique  a  été,  de  loin,  localisé 
en  Sicile  ;  pour  le  dit  du  Magnificat  et  les  poèmes  anglais  Imais  traduits 
du  français)  de  King  Robert  of  Sicily^  où  la  belle  légende  de  Pempereur 
orgueilleux  et  châtié  par  le  Tout-Puissant  est  attribuée,  non  plus^  comme 
dans  le  Talmud»  à  Salomon,  ou,  comme  dans  les  Gâta  Romanorum,  à 
Jovinien,  mais  au  roi  Robert  de  Palerme.  C'est  aussi  le  cas  pour  le  Doh- 
pathoSj  si  important  pour  Pétude  du  passage  des  contes  orientaux  en 
Europe,  composé  à  la  fin  du  xiT  siècle  par  le  moine  lorrain  Jean  de  Haute- 
Seille.  Racontant  Thistoire  célèbre  des  Sept  Sages,  Jean  a  fait  de  son 
héros  un  roi  de  Sicile  ;  mais  ce  n'est  pas  ia  connaissance  personnelle 
du  pays  qui  lui  a  diaé  ce  choix  :  il  sait  que  Païerme  en  est  la  capitale, 
mais  il  y  place  aussi  Mantoue,  et  ignore  que  la  Sicile  est  une  île. 

Je  n'en  dirai  pas  autant  du  curieux  poème  de  Florian  et  FloreU.  Il  y 
a  là  des  traits  d'une  provenance  réellement  sicilienne.  Le  héros,  fils  du 
roi  de  Palerne,  est  élevé  par  la  fée  Morgain  dans  son  séjour  merveilleux 
de  Mongibcl.  Plus  tard,  avec  Taide  d'Arthur,  il  délivre  sa  mère,  assiégée 
dans  Monréal,  et  après  avoir  entassé  exploits  sur  exploits,  est  trans- 
porté par  Morgain  dans  son  palais  enchanté  ;  dans  le  Mongibel,  encore 
aujourd'hui,  il  goÛie  avec  sa  mie  Florete  une  félicité  sans  mélanges.  Ce 
poème  n'a  pas  été  composé  en  Sicile  :  il  y  a  trop  peu  de  connaissance 
directe  du  pays;  mais  d'autre  part  les  noms  qui  s'y  trouvent,  et  sunout 
la  mention  du  Mongibeî  comme  du  séjour  d'êtres  surnaturels,  indiquent 
une  origine  locale.  Cette  hypothèse  se  confirme  quand  on  se  souvient 
que  la  /ala  Morgana  est  resiée  populaire  dans  Tile  et  a  donné  son  nom  au 
curieux  mirage  qu'on  observe  surtout  â  Messine,  Nous  avons  sans  doute 
ici  une  vieille  légende  celtique,  portée  en  Sicile  par  les  Normands  et 
localisée  par  eux  comme  tant  d'autres,  puis  revenue  en  France,  et  traitée 
de  nouveau  par  un  poète  qui  l'a  dépouilïée  de  presque  toute  sa  couleur  locale. 


G.  P. 


II. 


DIÀ  DANS  GIRART  DE  ROSSILLON. 

RECTlFtCATlON   AU    DICTIONNAIRE   ÉTYMOLOGIQUE   DE   DIE2. 


Dia  DANS  Girart  de  Rossilhn  1 1  j 

Ces  quelques  indications,  tout  insuffisantes  qu'elles  soient,  peuvent 
donner  une  idée  de  rintérét  que  présenterait  le  sujet  de  cette  étude,  s*il 
était  traité  avec  le  temps  et  le  soin  nécessaires.  C'est  une  tâche  que  je 
me  réserve  d'accomplir  quelque  jour,  et  ce  n'est  que  par  cette  promesse 
que  je  puis  me  faire  pardonner  d'oser  présenter  aujourd'hui  un  essai 
^-aussî  informe  que  celui-ci. 

f      M.  ûiez  a  introduit  dans  la  seconde  édition  de  son  Etymologlsches 
W(mtrhuch  der  wmanischen  Sprachen  [h  M,  c),  et  reproduit  dans  la  troi- 

Iti^flie  un  article  ainsi  conçu  : 
w  OU  anc,  fn,  dia  prov.,  Tun  et  l'autre  dans  Gir.  de  Ross,  seulement: 
ï»  Ja  no  sera  mos  sira  ni  ku  seus  dia,  v\  2368  (éd.  Hoffmann)  ;  dans  la 
J»  rédaction  française  (!!)  du  ms.  de  la  Bodleyenne  :  id  ne  sera  mos  seindrc 
«  ne  eu  siens  die^  Mahn,  Ged,  II,  95,  Au  contraire  dans  le  ms-  Harleyen  : 
«  Jane  sera  mis  sires  jor  de  ma  vie  (éd.  Michel  p.  2891  :  le  mot  a  été 
*  évité.  Le  sens  de  «  homme  au  service  d'un  autre,  vassal  n  résulte 
"du  contexte.  Serviteur,  olvÀTttÇ^  est  en  gothique  thius ;  angl.  sax. 
»  theiy^  theéva  ;  anc.  h.  ail.  en  dérivation  et  en  composition,  thio^  theo, 
»  deo,  C*€st  seulement  sur  la  forme  de  Tanc.  h.  ail.  qui  commence  par 
•»  une  douce  [d)  qu'on  peut  fonder  le  mot  provençal^  car*..  ».  Il  est  inu- 
tile de  pousser  plus  laÎTi  la  citation;  les  motifs  que  M,  Diez  fait  valoir 
^^  pour  expliquer  comment  die  peut  dériver  d'un  mot  germanique  signifiant 
^m  «  serviteur  n  ou  «  vassal  »  ne  peuvent  avoir  aucune  espèce  de  valeur, 
^m  puisque  dia  n*a  pas  du  tout  ce  sens  dans  le  passage  en  question.  L'erreur 
|H  <Jans  laquelle  est  tombé  Téminent  auteur  du  Dictionnaire  étymologique  des 
%a«  romanes  est  tellement  évidente  qu'on  peut  s'étonner  qu'elle  n'ait 
pas  été  rectifiée  dans  la  troisième  édition  de  ce  diciionnaire.  Et  non- 

Iïçuîcment  elle  ne  Ta  pas  été,  mais  encore  les  critiques  qui  ont  rendu 
compte  de  cette  troisième  édition  ne  paraissent  pas  l'avoir  aperçue, 
puisque  M.  Diez  revient  encore  une  fois  à  cette  étrange  interprétation 
îtiiâ  par  «  vassal  »  dans  son  récent  opuscule,  Romanische  Wortsclwp- 
Dia,  dans  le  passage  cité  de  Girart  de  Roussillonf  signifie,  comme  par- 
tout ailleurs,  jour,  et  rien  de  plus*  Le  vers  entier,  Ja  no  sera  mos  sire  ni 
«a  uusdia,  veut  dire  :  «  Jamais  aucun  jour  i!  ne  sera  mon  seigneur  ni 
L    ■  mot  sien  i=  son  homme).  » 
■  P.  M. 

^H  Romania^  V  8 


COMPTES-RENDUS. 


La  chanson  de  Roland^  texte  critique,  traduction  et  commentaire,  gram- 
maire et  çlosssùre^  par  Léon  Gautieb,  professeur  à  l'École  des  chartes. 
Edition  classique.  Tours,  Marne,  mdccglxxv^  in-12,  cart.  lx-662  p.  — 
Prix  :  5  fr. 

Nous  avons  peine  à  suivre  les  éditions  du  Roland  que  doone  coitp  ivr  coup 
M.  Léon  Gautier.  Voici  la  cinquième  (pour  les  trois  premières,  voy,  Rf- 
mania,  I,  p.  iij;  II,  p.  97);  la  quatrième,  parue  fort  peu  de  temps  aupvfi- 
vant,  est  épuisée  :  elle  offre  d'ailleurs  peu  d'intérêt,  ne  contenant  qu'une  partie 
de  ce  qui  se  trouve  dans  l'édition  classique.  Celle-ci  au  contraire  mériterait  un 
examen  attentif  :  non-seulement  elle  résume  les  derniers  progrès  de  l'auteur  dans 
la  connaissance  du  sujet,  mais  elle  essaie,  pour  la  première  fois,  de  répandre 
dans  le  public  scolaire  le  goût  et  Tintelligence  de  notre  vieille  épopée.  H  y  a 
dans  cette  initiative  un  mérite  dont  Tavenir  permettra  sans  doutt  d'apprécier 
rétendue.  —  Pressé  par  la  demande  des  acheteurs,  M.  Gautier  n'a  pu  fBOOie 
cette  fois-ci  amener  son  édition  au  point  de  perfection  où  il  serait  trèa-capaUe 
de  la  mettre.  Elle  est  certainement  en  progrès  sur  les  précédentes»  mais  U  sui- 
vante pourra  et  devra  être  en  grand  progrès  sur  elle.  C'est  ^insi  que  les  cor- 
rections indiquées  ici,  et  que  M.  G.  approuve  en  principe,  sont  loin  d'avoir 
toutes  passé  dans  son  texte,  où  subsistent  des  leçons  que  l'éditeur,  â  coup  sûr, 
ne  défendrait  pas  s'il  les  soumettait  à  une  révision  réfléchie.  Cette  révision  n'a 
pas  non  plus  assez  profondément  atteint  le  glossaire,  qui  a  l'inconvénient  grave 
de  reproduire  â  peu  près  celui  de  la  première  édition,  et  de  s'appliquer  par  li 
assez  mal  à  celle-ci,  où  l'éditeur,  avec  toute  raison,  s'est  bien  plus  écarté  du 
manuscrit  d'Oxford.  La  grammaire  laisse  aussi  voir  trop  de  traces  de  prédpi* 
tation,  et  la  <  Rhythmique  •  est  encore  plus  critiquable.  Le  paragraphe  aar 
l'élision,  notamment,  est  à  refaire  d'un  bout  à  l'autre.  —  1^  temps  ne  manque 
pour  soumettre  cette  édition  â  l'examen  critique  qu'elle  appellerait,  et  je  regrette 
d'être  obligé,  en  la  signalant  à  nos  lecteurs,  d'en  indiquer  surtout  les  imper- 
fections.  Mais  l'adhésion  s'exprime  en  deux  mots,  et  la  critique  est  nécessaire- 
ment plus  détaillée  :  la  place  qu'occupent  l'une  et  l'autre  sur  le  papier  ne  répond 
pas  à  celle  qu'elles  doivent  tenir  dans  l'appréciation  générale.  Tout  le  monde 
sait  ce  que  la  Chanson  Je  Roland  doit  à  M.  Gautier  :  cette  édition  est  un 
nouveau  titre  à  la  reconnaissance  du  public,  et  celui-ci,  en  l'achetant  rapidement, 
mettra  bientôt  l'auteur  â  même  de  lui  en  fournir  une  encore  meilleure. 

G.  P. 

1.  Le  cartonnage  imprimé  porte  m  dccc  lxx\i. 


ADEKET,   Œuures^  p,   p*  SCHELER 


IIS 


Les  Enfances  Ogier^  par  Adenès  li  Rois^  publié  pour  ta  première  fois  et 

annoté  par  M.   Aug.  Scheler.   Bruxeltcs,   Closson,   Muquardl,   1874,  in-8% 

XX'jZj  p. 
LI  Romans  de  Berte  ans  g^rans  pies,  par  Adenèâ  u  Hors,  publié 

avec  notes  et  variantes  par  M.  Aug.  Scheler .  Bruxelles^  Closson,  Muquardt, 

1874,  m-8%  xi'jgo  p. 
BneTes  de  Gommarchis,  par  âbenès  lj  Bois^  chanson  de  geste  publiée 

pour  la  première  lois  et   annotée  par  M.  Aug*  Scheler.   Bruxelles,  Closson, 

1874,  in-8%  xvi-iSy  p. 

Adcnet  le  Roi*  peut  se  vanter  d'avoir  eu  entre  les  rimeurs  ses  contemporains 
une  fortune  particulière.  Son  chef-d'œuvre^  Bcrtc^  a  eu  l'honneur  d'ouvrir,  il  y  a 
quarante^troisans,  la  série  des  impressions  de  nos  vieilles  chansons  de  geste.  Parmi 
SCS  autres  ouvrages,  le  C/^m^ti^  offre  assez  d'intérêt  pou  rqu*on  puisse  croire  que 
même  sans  Tintervention  de  l'Académie  de  Belgique  ii  aurait  été  mis  au  jour. 
Mais  c*est  assurément  à  sa  qualité  de  Brabançon  que  Tauteur  des  Enfances  Ogkr 
et  àeBtuvon  dt  Comarchis-  doit  la  publication  de  ces  deux  poèmes.  La  commis- 
lion  d'hjsioire  de  PAcadémie  de  Belgique  a  conçu  le  plan,  aussi  intelligent  que 
patriotique,  de  publier  les  œuvres  des  écrivains  du  moyen-âge  nés  dans  les  pro- 
vinces qui  forment  aujourd'hui  la  Belgique.  C'est  à  cette  résolution  que  nous 
devons,  outre  le  Froissarl  et  le  Chastellaîn  de  M.  Kervynde  Lettenhove*,  VArt 
é*êmom$  publié  par  M.  Peiit^  les  œuvres  de  Baudouin  et  Jean  dcCondé,  les  dits 
de  Watnquel  de  Cou  vin  et  les  poésies  de  Froissart,  publiés  par  M.  Scheler,  et 
enân  le  CUomadis  de  M.  van  Hasselt  et  les  trois  volumes  que  nous  annonçons 
aujourd'hui.  Espérons  que  l'Académie  belge  ne  s'arrêtera  pas  là  et  nous  don- 
sera  encore  plus  d'un  volume.  La  littérature  française  a  jadis  été  féconde  dans 
le  Hatoaut.,  la  Flandre  et  le  Brabant  ;  et  qyand  bien  même  la  Belgique  s'anne* 
serait  sans  preuves  absolument  concluantes  tel  ou  tel  auteur  jusqu'à  présent 
wam  pairie,  nous  ne  lui  en  ferions  pas  un  grand  reproche,  puisque  cette  natura- 
Itsation  plus  ou  moins  régulière  vaudrait  à  cet  auteur  d^èlre  imprimé  plus  tôt  et 
au  sioins  aussi  bien  qu'il  pourrait  l'être  en  France*  En  effet  l'Académie  de 
Belgique  a  le  bonheur  d'avoir  à  sa  disposition,  dans  la  personne  de  M.  Scheler, 
m  éditeur  â  la  fois  zélé,  infatigable  et  excellent  :  heureuse^  —  et  rare,  —  cir- 
constance dont  a  déjà  profité  et  dont  profitera  encore  notre  chère  littérature  du 
no^eiï-Age. 

On  peut  cependant  reprocher  aux  publications  de  M.  Scheler  de  ne  pas 
répondre  encore  absolument  aux  rigoureuses  exigences  de  )a  critique,  tant  en 
ce  qnî  touche  les  leçons  qu'en  ce  qui  concerne  ta  méthode  suivie  pour  l'impres* 


I.  U^  Schder^  qui  sait  fort  bien  que  telle  est  la  forme  normale  à  donner  à  ce  nom, 
■sittbent  cependant  la  forme  A  dénis  comme  a  trop  invétérée  ^k  La  philologie  française 
ai  as&ez  jeune  pour  pouvoir  modifier  au  besoin  ses  habitudes,  et  je  n'Iièsitc  pas  à 
écTÎn,  comme  je  l'ai  déii  fait  ïouvent,  Admet.  Il  faut  dire  de  même  Conon  de  Béthune, 
fUfi|)pe  HiMtsktt,  Aimott  de  Varenne,  Jakemon  Sakcsep^  etc. 
3.  Btufw  et  non  Beunj  ;  voy.  la  note  précédente. 

),  k  propoîde  ce  Ftoissart^  qui  ne  peut  souiertir  la  comparaison  avec  celui  de  M.  Luce, 
t ii|pKakrons  le  précieux  Glossaire  que  M.  Scheler  y  a  jolm.    W   est  piquant  de  voir 
"  r  de  ce  glosuire,   pour  trouver  un  sens  possïblc  ou  une  forme  correcte,  obligé 
l  d'aller  prendre  dans  Tédition  rivale  une  leçon  meilleure  que  celle  de  Pédition 
ptm  )ft|tid)e  il  fait  son  travail. 


1X6 


COMPTES-RENDUS 


sion.  Pour  le  premier  point,  les  quatre  manuscrits  â'Ogitr,  les  six  manuscrits 
de  Bmt^  n'ont  été  ni  classés  ni  même  complètement  collationnés  :  l'éditeur 
s'est  borné  à  «  prendre  pour  base  »  le  manuscrit  qui  îui  a  semblé  le  meilleur  et 
â  indiquer  les  variantes  importantes  de  ceux  qu'iî  a  consultés  en  outre.  Cette 
manière  de  faire  a  peu  d'inconvénients,  on  doit  le  reconnaître^  pour  les  œuvres 
auxquelles  M.  Sch.  Ta  appliquée:  les  manuscrits  d'Adenet  sont  â  peu  près  de 
son  temps,  ils  n'offrent  que  bien  peu  de  différences,  et  l'éditeur  a  su  presque 
toujours  s*âider  des  variantes  de  manière  à  fournir  au  lecteur  la  bonne  leçon. 
Aussi  n'est-ce  que  pour  le  principe  que  je  présente  cette  observation,  convaincu 
que  M,  Scheler,  dans  des  circonstances  différentes^  s'astreindrait  à  ta  rigueur 
des  procédés  seuls  vraiment  scientifiques. 

L'autre  remarque  que  j'ai  à  faire  est  à  la  fois  plus  minutieuse  et  plus  grave 
Elle  concerne  l'emploi  des  signes  diacritiques.  Je  ne  suis  pas  pour  ma  part  de 
ceux  qui  les  proscrivent  absolument,  et  j'exposerai  quelque  jour  mes  raisons  à  ce 
sujet.  Mais  il  faut  en  faire  un  emploi  réfléchi»  conséquent,  conforme  aux  résuU 
tats  de  (a  philologie  et  renfermé  dans  certaines  limites.  Ces  différentes  conditions 
ne  sont  pas  toujours  remplies  par  M.  Scheler.  On  peut  penser  différemment  sur 
remploi  des  accents  :  je  les  regarde  comme  ne  devant  avoir  qu'une  valeur  abso- 
lument phonétique,  et  par  conséquent  je  les  réserve  à  IV  (bissant  de  côté  la 
question  d'o,  ou,  u).  M.  Sch.  écrit  4,  ïà^  où,  pour  distinguer  le  sens  ;  il  veut 
aussi  maintenant  (Beuvcs,  p.  i68)  écrire  h  de  ai  tes  et  es  de  eta  (pourquoi 
pas  l'inverse  ?j.  Mais  où  s'arrêter  dans  cette  voiei*  pourquoi  distinguer 
certains  homophones  à  l'exclusion  des  autres?  La  confusion  de  que  con* 
jonction  et  de  ^lu  pronom,  de  li,  h  article  et  de  /*,  k  pronom^  de  se  conjonc- 
tion et  de  s(  pronom,  est  bien  plus  gênante  que  celles  que  M.  Sch.  signale,  et 
il  ne  fait  rien  pour  les  distinguer.  Et  pourquoi  ne  pas  aller  plus  loin?  pourquoi 
laisser  sans  distinction  le  mot  père,  qu'il  vienne  de  patrm,  parât  ou  parcût; 
le  mot  vcur,  qu'il  réponde  à  vra  ou  i  vidcam  ;  le  mol  pris^  suivant  qu'il 
répond  à  prctmm^  praio,  pnnsus^  '  pnnsi^  et  ainsi  de  suite  ?  En  réalité  on  suit 
sans  y  penser  une  habitude  qui  provient  de  l'orthographe  moderne.  Mais  enfin  je 
conviens  que  ce  point  de  vue  est  nouveau,  et  que  M.  Sch,  n'a  fait  que  se  con- 
former à  l'usage  reçu  sans  objections  jusqu'ici*  —  11  n'en  est  pas  de  même  de 
l'emploi  de  Taccent  aigu.  Je  crois  avoir  démontré  dans  l'Alexis  que  tout  e  pro* 
venant  d'^i  latin  est  aux  Xll»  et  XUl*  siècles  i^U  ionique,  e  féminin  à  l'atone.  Je  ne 
pense  pas  que  M.  Sch.  conteste  cette  loi  :  pourquoi  donc  alors  écrit-il  trou- 
vèrent {BC.  lyi)^  shent  (BC.  i-jii),  Irb  {pass.)^  au  lieu  de  trouvértni,  shent, 
iris^  Pourquoi  écrit-il  ^  l'inverse  poules  (BC,  j  541)  au  lieu  àcpouth^  Et  pour* 
quoi,  tandis  qu'il  écrit  irouvtnnt  et  autres,  laisse-t-il  père,  manière  t\  tous  les  mots 
semblables  dépourvus  d'accents?  Pourquoi  lis  h  côté  de  tris?  L'emploi  du 
tréma  n*cst  pas  sujet  aux  mêmes  erreurs,  mais  ici  encore  M.  Sch.  suit  les  erre- 
ments anciens  sans  faire  preuve  de  réflexion  personnelle.  Pourquoi  marquer  la 
diérèse  par  un  tréma  devant  i,  u  {mchmt,  6i)^  par  un  accent  devant  e  (desjéi^ 
nh),  et  par  rien  du  tout  devant  a  [diable)  ou  une  diphthongue  (v«Mr).'  Simple- 
incni  parce  que  la  typographie  moderne  et  Tusage  des  préc^ents  éditeurs  noui 
ont  habitués  à  cette  routine.  C'est  pour  la  même  raison  que  les  mois  qui 
aujourd'hui  encore  font  la  diérèse  ne  reçoivent  aucun  signe  :  muer  par  exemple 


AOENET,  ŒuvreSf  p.  p.  SCHELER  |  ly 

i  mtâ,  etc.  ]]  est  clair  que  l'ancienne  Ungue  doit  être  traitée  d*après 
~m  arganisme  à  elle,  et  qu'il  n'est  pas  rationnel  de  la  considérer,  au  moins  en 
tant  qu'éditeur^  au  point  de  vue  de  la  langue  et  de  l'orthographe  modernes. 

Ces  critiques  s*ad ressent^  à  vrai  dire^  à  presque  tous  les  éditeurs  français  de 
textes  du  moyen-Âge,  —  les  Allemands  se  rendent  d'ordinaire  la  chose  plus 
lacrle  en  s*abstenant  de  toute  accentuation,  ce  qui  est  au  moins  conséquent,  — 
actant  <ju*i  M*  Scheler,  Mais  je  les  lui  adresse  particulièrement  parce  que 
j'aurais  attendu  de  lui  non-seulement  plus  de  logique,  mais  des  lumières  nou- 
velles sur  ces  points  obscurs.  —  Je  n'ai  plus  maintenant  qu*à  faire  l'éloge  de  ses 
textes  :  son  nom  a  d'ailleurs  aujourd'hui  une  autorité  qui  les  recommande  assez. 
Ce  que  ses  éditions  ont  de  particulièrement  précieux^  ce  sont  les  notes.  M*  Sche- 
ler  est  ttn  profond  connaisseur  de  l'ancien  français,  surtout  de  la  langue  poé- 
tique des  XIII"  et  XIV"  siècles.  Il  sème  dans  tous  ses  commentaires,  avec  beau- 
coup d'observations  purement  explicatives  destinées  au  lecteur  ordinaire,  des 
remarques  iexicographiques,  étymologiques,  giammaticales,  qui  sont  toujours 
iftrtru  Clives  et  souvent  très -importantes  pour  les  philologues,  Je  noterai  en  géné- 
ral rintérèl  particulier  de  celles  qui  concernent  le  sens  des  mots  et  la  syntaxe, 
âtnx  ordres  de  recherches  un  peu  négligés  depuis  quelque  temps  au  profit  de  la 
phonétique  et  de  la  formation  des  mots,  et  qui  constituent  cependant  une  part 
considéra bie,  et  non  la  mojns  t>elle^  de  la  connaissance  de  la  langue. 

le  vais  examiner  avec  quelque  détail,  sous  le  bénéfice  de  ces  observations 
ginérates,  la  dernière  des  publications  de  M*  Schcler,  Bcuvon  de  Comarchh;  elle 
se  recommande  i  ce  choix,  d'abord  parce  qu'elle  est  la  plus  récente^  ensuite 
parce  qu'elle  contient  un  glossaire  qui  se  réfère  aux  deux  autres  et  même  au 
CUûmadh. 

La  Préfaci^  comme  celles  des  autres  volumes,  est  fort  courte.  Pour  ta  partie 
littéraire  du  sujet,  M.  Sch.  se  borne  à  renvoyer  à  VHhtoin  littérmre.  Un  auteur  a 
toujours  le  droit  de  limiter  sa  triche  comme  il  Tentend,  pourvu  qu'il  l'exécute 
bien.  Je  me  demande  seulement  s'il  n'aurait  pas  été  profitable  à  Tédition  de 
comparer  le  poème  d'Adenet  à  la  chanson  plus  .mcienne  (encore  inédite)  dont  il 
n'est  qu*un  ri/ûcimento*.  M,  Sch.  a  fait  quelques  rapprochements  de  ce  genre 
poor  les  Enfances  OgUr,  dont  l'original  est  publié  ;  ils  auraient  été  ici,  je  crois, 
plus  faciles  et  plus  frappants,  et  ils  auraient  eu^  sans  parler  de  leur  intérêt  litté- 
raire, une  certaine  valeur  pour  le  texte. 

Batvon  de  Comarchu  n'est  qu'un  fragment,  soit  qu*Adenet  ne  l'ait  pas  achevé 
(ce  qui  est  peu  probable),  soit  que  le  peu  de  succès  qu*il  obtint  ait  empêché  de 
le  copier  jusqu'au  bout  dans  le  seul  manuscrit  qui  nous  Tait  conservé.  Cette 
dernière  circonstance  fait  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  ici  d'appliquer  les  règles  de  la 
critique  des  textes  :  le  rôle  de  t'éditeur  se  bornait  à  reproduire  intelligemment  le 
aunascril.  C'est  ce  qu'a  fait  M.  Sch.  avec  un  entier  succès.  Je  n*aj  à  proposer 
qu'un  bien  petit  nombre  d'observations,  et  de  peu  de  portée.  V.  40^  il  faut  lire 
mprisj  et  le  sens  est  :  •  Bien  que  j'aie  entrepris  ce  poème  avec  un  système  de 
rime  très-difficile  i/ort)  t  ;  il  s'agit  en  effet  de  la  servitude  que  le  poète  s'est 


f.  Cette  comparaison  vient  d'être  faite  dans  une  dissenition  allemande  quî  n*e$t  pas 
encore jOTivéc entre  mes  mains  (voy.  Romanta^  IV^  p.  su)- 


Il8  COIfPTESHlBNÛUS 

imposée,  mais  en  s'y  soustrayant  plus  souvent  encore  que  dans  0Mr,  de  fiûre 
suivre  chaque  rime  masculine  de  la  rime  féminine  correspondante.  —  V.  70 
Pacolà;  M.  Sch.  écrit  ainsi  sous  Tinfluence  de  V accolade  moderne;  mais  il  fut 
la  colii,  c'est-à-dire  le  soufflet  qui  faisait  partie  intégrante  de  Vââotéement  d'oa 
chevalier.  —  V.  336  Trop  connoistra  bien  gieu  st  celui  sambU  antrmgne t  \, 
ce  lux;  antroingne  signifie  plutôt  «  farce  »  que  t  caprice,  fontaisie  ».  —  V.  665 
H,  1.  ri.  —  V.  900  tendus,  I.  tendu  (cf.  Romania  IV,  286).  —  V.  1025  j*ai 
peine  à  admettre  /(';  je  lirais//.  —  V.  1102  Uamirans  saille  sus;  M.  Sch. 
s'étonne  à  bon  droit  de  cette  forme  ;  les  verbes  suivants  étant  an  parfait,  fe 
n'hésite  pas  à  lire  sailli.  —  V.  1 174  pié,  1.  pic.  —  V.  1956  normans,  j'écrirais 
Normans,  —  V.  1961  l'explication  donnée  en  note  par  M.  Sch.  est  inadmis- 
sible :  il  faut  simplement  intervertir  le  nom  de  Qaldras  et  celui  de  Gerarî  (I. 
Gerars),  —  V.  2^6()feroie,  je  lis  iroie;  cf.  v.  370^  —  V.  2669  l'explication  de 
M.  Sch.  ne  satisfait  pas  et  surtout  ne  convient  pas  au  vers  suivant  ;  1.  un  pour 
uns  et  supprimez  la  virgule  à  la  fin  du  vers.  ^  V.  3253  aj.  une  virgule  après 
avespris,  —  V.  3310  joiaus,  faute  d'impression  sans  doute  pour  joians.  — 
V.  3419  l'explication  de  l'éditeur  n'est  pas  bonne,  car  on  ne  peut  employer 
dans  ce  sens  comme  après  tant  ;  je  lis  Comme,  tout  en  avouant  que  l'expressioo 
homme  de  lascheté  pour  lâche  est  assez  bizarre  ;  aparenter  veut  dire  t  tenir  pour 
parent,  admettre  dans  sa  famille*  •.  —  V.  36^8  pria  ne  donne  pas  un  bon 
sens  ;  je  lis  pris  a. 

Les  Notes  contiennent,  comme  je  l'ai  déjà  indiqué,  la  partie  la  plus  intéres- 
sante et  la  plus  personnelle  du  travail  de  M.  Scheler.  Je  signalerai  les  notes  sur 
l'expression  vez  la,.,  ou  (v.  220),  sur  le  sujet  logique  des  verbes  impersonnels 
mis  au  régime  (v.  279,  mais  je  doute  de  l'application  de  cette  règle  an  v.  825  ; 
cf.  Romania,  IV,  28$),  sur  le  moi  fremier  (v.  634),  sur  les  différentes  locutions 
qui  renforcent  la  négation  (v.  875),  sur  le  mot  rin  (v.  2360),  qui  est  certaine- 
ment à  effacer  de  la  langue  et  à  remplacer  par  riu  comme  Ta  déjà  remarqué 
M.  Tobler  {Gcett.  Gel.  Anz.,  1874,  p.  1044),  sur  le  mot  roi  (v.  2971)  qui  vient 
assurément  de  rota,  sur  gaignart  (v.  3529),  bien  que  je  n'admette  pas  l'étymo- 
logie  de  Diez  (cagne)  acceptée  par  M.  Scheler.  Une  ou  deux  fois  je  me  trouve 
différer  d'avis  avec  l'éditeur.  V.  37  les  deux  explications  proposées  pour /lire 
essaie  sont  très-douteuses,  mais  je  n'en  ai  pas  d'autres  à  donner.  — V.  loi  il  est 
inutile  d'attribuer  ici  le  sens  neutre  d'  «  équivaloir  >  au  verbe  comparer;  il  suffit- 
de  faire  d'Ermengarl  le  sujet  de  compère.  —  Le  v.  472  n'est  pas  bien  interprété. 
Les  Français  se  sont  enfermés  dans  la  tour  de  Barbastre;  les  Sarrazins  furieux 
s'avancent  pour  leur  donner  l'assaut  :  Vers  lagrant  tour  se  traient,  moult  fu  chûs- 
cuns  iriis  Pour  l'amiraut  qui  est  occis  et  detrenchiés  ;  Mainte  fenestre  i  fu  et  mains 
huis  cncharchiés,  Maint  cscu,  mainte  targe  tnbracier  veîssiis,  Maint  martel  et  moud 
pic  de  fer  bien  afaitiès  ;  A  Vaprochier  des  murs  i  fu  mains  durs  lanciis,  Mainte  sajeU 
traite,  mains  quarriaus  descochiès  ;  Cil  dedens  se  desfendent,  etc.  Il  est  clair  que 
toutes  ces  actions  sont  attribuées  aux  assiégeants  ;  cependant  M.  Sch.  remarque  : 
«  Encharchier  a  diverses  acceptions  :  recommander,  confier  (c'est,  paraît-il,  celle 


I .  Je  vois  ce  vers  cité,  bien  lu  et  bien  interprété,  dans  le  Dictionnaire  de  Sainte-Palaye 
(au  mot  aparenter). 


ADENET»  Œuvres,  p,  pv  SCHELER  ÎÎÇ 

de  nctn  passage),  puis  prendre  sur  soi  une  d^âin^,  s'eil  charger*  *  Cette  expli» 
cation  rapporterait  le  v,  1 178  aux  assiégés.  Mais  le  rapprochement  de  passages 
tnaloguci  cités  par  Cachet  montre  qu'il  s'agit  de  portes  et  de  fenêtres  (c'est- 
à4m  de  volets  en  bois,  qui  formaient  d'ordinaire  la  seule  clôture  des  fenêtres) 
que  les  assiégeants  prenaient  et  portaient  au-dessus  de  leurs  tètes  pour  éviter 
eu  cêiUeus  H  Us  purns  d  Us  picx  ûgmstis  que  leur  lançaient  les  assiégés  ;  enchar- 
tkùf  a  donc  ici  son  sens  propre,  —  V.  265 a  ;  ni  dans  ce  \trs  {Se  il  vicnmt  m 
hâÊtu  pUnti  dt  ul  chûdj  I,  a  pUntl  ttl  chatl)^  ni  dans  celui  de  Râotil  de  Cûmkai 
{Il  fait  maim  f$tt  â  vieil  (I.  melf)  chûel^  chad  ne  répond  à  *capiultu5,  mais 
bien  à  càUUus^  ChatL  qui  signifie  primitivement  »  jeune  chien  i»,  puis  par  une 
extension  divergente  du  sens,  *  )cune  animal  »  en  général  et  t  chien  »  en  parti- 
colier^  se  prend  souvent  métaphoriquement  et  entre  dans  beaucoup  de  locutions 
proverbiales.  —  Au  v.  5467  il  ne  me  paraît  pas  nécessaire  de  donner  au  noot 
trchkrc  un  sens  autre  que  son  sens  ordinaire.  -*•  V.  3891  Ne  vûrruma  pus  atn 
fti  m  fiôstft  contrit  El  ne  dmssitm  atn  km  a  celé  millk;  M.  Sch.  remarque  : 
•  Le  sens  réclame  SV  pour  Fi;  il  se  peut  que  l'erreur  soit  duc  à  ma  propre 
inattention  •,  Il  n'y  a  pas  d'erreur  ;  cette  tournure  est  très- habituelle  en  ancien 
français  ;  nous  dînons  encore  :  k  Je  ne  voudrais  pas  être  roi  et  ne  plus  la  voir,  • 
••  Les  Notes  sont  suivies  d'une  Liste  des  personnages  mis  en  sdnc  ou  mentionnis, 
sllente  innovation  de  M.  Scheler  a,  que  Ton  doit  recommander  désormais  â 
;  eeui  qui  publieront  des  chansons  de  geste.  On  dressera  quelque  jour  un 
onomastique  de  notre  ancienne  épopée,  dont  if  est  bon  de  commencer  â 
tKueiîlir  les  matériaux.  Je  voudrais  seulement  qu'on  joignît  les  noms  de  lieux 
jox  noms  de  personnes.  C'est  à  peu  près  la  seule  contribution  de  M.  Sch.  à  la 
partie  littéraire  de  son  sujet.  J'y  relève  une  ou  deux  vétilles.  Bernais  de  Brebant 
est  une  simple  faute  pour  Btrnan  ;  de  même  Ernaut  de  Biânlandc  doit  être  corrigé 
m  ai  Gironde. 

Le  Ghssain  qui  termine  ie  volume  contient  w  la  table  alphabétique  des  termes 
les  plus  intéressants  au  point  de  vue  de  la  lexicographie  qui  ont  fait  l'objet  des 
notes  placées  a  la  suite  des  trois  ouvrages  d'Adenès.  »  L'idée  est  excellente, 
mais  la  notion  de  termes  tnlèressmls  est  bien  vague,  et  â  mon  avis  Tauteur  Ta 
^rm  dans  un  sens  beaucoup  trop  étroit.  Le  choix  qu'il  a  fait  est  tellement 
parcimonieux  que  le  lecteur  est  obligé  de  parcourir  après  lui  les  notes  de  ses 
trois  volumes  et  y  trouve  largement  à  glaner*  M.  Sch.  a  péché  par  excès  de 
ttiodestie,  et  son  glossaire  est  loin  de  donner  une  idée  de  ce  que  contient  son 
triple  commentaire,  en  même  temps  que  de  rendre  les  services  dont  il  aurait  été 
«Bceptible*  En  revanche,  il  y  a  compris  beaucoup  de  mots  empruntes  au  Cleo- 
maià,  suppléant  ainsi  en  quelque  mesure  à  l'absence  d'un  index  dans  l'édition  de 
Van  Hasseil,  —  Tout  petit  qu'il  est,  ce  glossaire  est  précieux  ;  i!  contient  an 
Certain  nombre  d'additions  et  de  rectifications  aux  notes,  et  concourt  à  mériter 
«v  savant  et  laborieux  éditeur  la  reconnaissance  et  l'estime  de  tous  ceux  qui 
s'occupent  de  l'ancienne  langue  française, 

a  p. 


t.  Pourquoi  M.  Sch.,  qui  a  également  muni  O^rer  d'une  liste  semblable, 
privé  BtrU  f 


en  a-t'il 


1 20  COMPTES-RENDUS 

Î4es  Roumains  lîe  la  Maeédoliie,  par  E.  PrcoT.  PariSj  Lefoux,  t%j\, 
gr.  in-8%  48  p.V 

Le  but  de  Tauleur  a  été  de  combmer  tous  les  renseignements  dignes  de  foi 
qu*on  peut  tirer  des  travaux  dont  les  Roumains  de  la  rive  droite  du  Danube 
ont  été  robjet.  Ces  travaux  sont  nombreux,  mais  méritent  rarement  une  entière 
confiance-  Entre  les  écrits  des  auteurs  roumains,  M.  Picot  lait  surtout  usage 
de  ceux  de  Roza  (1808),  de  M.  Boliniineanu  (1865)  et  de  M,  Mergeritu  («874- 
187s).  Parmi  les  voyageurs  étrangers,  Leake  (1814  et  lëj^)  et  feu  Lcjcan 
(1861)  sont  les  plus  exacts.  M,  Hcuzey  (1860)  donne  peu  de  renseignements 
valables  ;  le  travail  de  M.  Fr.  Lenormand  sur  les  Pjlr^i  vaîaquci  dt  la  Gûu 
(j 86 s)  est  fait  de  seconde  main^  et  un  article  de  M,  Emile  Bumouf  (Rot.  des 
d(ux  Mondes,  1870)  paraît  être  tout  à  fait  nul.  M.  Picot  manifeste  avec  raison 
son  étonnement  de  ce  qu'aucun  des  élèves  de  notre  école  d'Athènes  n'ait  dirigé 
son  attention  vers  ce  rameau  valaque  encore  si  peu  connu.  On  jugera  de  ce  qui 
reste  â  faire  dans  cette  branche  de  Tethnographie,  si  on  considère  que  pour  le 
chiffre  de  la  population  les  évaluations  varient  de  80^000  (  Pouqueville)  à 
1,^00,000  (Manuel  de  géographie  imprimé  à  Bucarest  en  1875I.  L*incertitudc 
n'est  pas  moindre  quant  i  la  distribution  géographique  de  ces  Roumains. 
Répandus  sur  les  deux  versants  du  Pinde,  en  Èpire,  en  Thessalic,  en  Macé- 
doine, entourés  de  populations  grecques  et  albanaises,  c'est  avec  peine,  et  au 
prix  de  luttes  incessantes  contre  l'influence  du  clergé  grec,  qu*ils  obtiennent  des 
écoles  de  leur  langue,  et  certains  de  leurs  villages  sont  déjà  grécisés,  M.  Picot 
fait  preuve  dans  tout  son  exposé  d'une  grande  prudence  :  il  se  garde  bien  de 
tirer  des  conclusions  précises  des  données  contradictoires  auxquelles  on  en  est 
présentement  réduit,  et  établit  avec  critique  la  valeur  des  diverses  informations 
qu'il  nous  communique.  Il  donne  une  utile  bibliographie  des  écrits  qui  con- 
cernent  les  Roumains  de  la  Macédoine.  On  remarquera  aussi  au  commencement 
de  son  travail  des  renseignements  précis  sur  les  Roumains  de  l'istrie. 

Romua  elemek   a   magyar   oyelvnes,  par   Antoine  Edelspjlcr^r, 
Budapest,  187J,  34  p,  in-8«, 

L*auleur  de  cette  courte  notice  s'est  proposé  de  rechercher  les  éléments 
roumains  contenus  dans  la  langue  magyare.  Nous  disons  roamam  et  non  pas 
romans  :  il  n'a  pas  eu  pour  but,  en  effet,  de  dresser  un  inventaire  de  tous  tes 
mots  d'origine  latine  ou  italienne  incorporés  dans  son  vocabulaire  maternel  ; 
il  se  borne  â  nous  donner  une  liste  patiemment  et  soigneusement  dressée  des 
mots  qui  selon  lui  ont  été  importés  dans  le  hongrois  par  suite  de  la  fréquen- 
tation des  Vataques  et  de  leur  voisinage^  dans  les  limites  mtnes  du  royaume 
cl  au-delâ  des  frontières. 

11  arrive,  sans  compter  les  noms  de  famille,  à  un  total  de  124  roots,  dont  il 
retranche  aussitôt  14,  comme  étant  des  locutions  d'origine  magyare  ou  slave 
qui  sont  revenues  à  leur  point  de  départ  après  avoir  traversé  le  roumain.  — 
En  effet,  il  y  a  eu  action  réciproque  :  le  roumain  renferme  beaucoup  d*éîémcnts 
slaves  et  magyars;  pour  le  slave,  rien  n'est  plus  connu,  et  quant  aux  mots 
nugyars  introduits  dans  Tidiome  national  des  Vaîaques,  Jemey  et  M.  Roeslcr 


I 


EDELSPACHER,  Rumun  ctcmek  a  magyar  nyelvmn  1 2 1 

fcs  ont  constatés.  —  Restent  1 10  mots,  dont  au  moins  60,  au  plus  85,  seraient 
d'une  origine  purement  et  directement  roumaine. 

C'est  là  un  inventaire  intéressant,  cl  qui  le  serait  plus  encore  si  M.  Edcls- 
pacher,  qui  fait  suivre  son  travail  d*une  complète  bibliographie  du  sujet,  avait 
Dfllenient  indiqué  dans  sa  conclusion  quels  sont  parmi  ces  1 10  mots  ceux  qui 
sont  purement  roumains,  ceux  qui  sont  douteux,  ceux  dont  la  première  origine 
eîl  iilavc.  Il  ferait  peut-être  bien  aussi  de  porter  son  attention  sur  une  question 
délicalc,  celle  des  limites  qui  séparent  la  provenance  latine  de  ta  provenance 
roumaine  et  du  critérium  qui  permet  de  les  distinguer.  Cest  ainsi^  par  exemple, 
que  les  mots  îak  et  mur  signifiant  «  îac  »  et  <f  mur*,  comme  en  français, 
soulèvent  celte  question  :  sont-ils  vaguement  latins^  sont-ils  précisément  rou- 
mains ?  Il  ne  suffît  pas  de  faire  observer  que  les  Valaques  disent  hk  et  mur  : 
nous  le  disons  aussi,  et  cela  ne  prouve  assurément  pas  que  ces  deux  mois 
œagyars  (?)  soient  d'origine  française, 

Ces  deux  mots  magyars  ?  Voilà  encore  une  question  :  sont-ils  devenus  des 
mots  magyars?  Jamais  je  ne  les  ai  entendu  employer^  on  dit  toujours  tô  et/d/.  Ce 
seraient  plutôt  des  provincialismes  limités  à  un  côté  du  pays,  SchtitUur  est-il 
vraiment  un  mot  français,  parce  qu'on  l'emploie  eu  Lorraine  et  parce  que 
M,  Uttré  ïe  recueille  â  ce  titre  ?  placer ions*nous  schlituar  dans  une  analyse  des 
iUmmts  gtrmûmquts  de  la  langue  française?  Et  encore  je  prends  ta  comme 
tirmc  de  comparaison  un  mot  qui  chez,  nous  n'a  pas  de  synonyme  et  dont 
l'einploï  peut  être  nécessaire  dans  un  ouvrage  de  géographie  économique,  tandis 
<jiie  mur  et  i&k  ont  leurs  synonymes  magyars  constamment  employés. 

Je  oe  fais  que  poser  des  points  d'interrogation  pour  attirer  l'attention  de 
H.  B.  s'il  continue  ces  travaux  si  utiles  h  tous  les  points  de  vue.  Je  me  per- 
mettrai d'exprimer  encore  un  désir  :  c'est  qu'après  une  liste  alphabétique  cons- 
ciracieuse  telle  que  la  sienne,  il  groupe  les  mots  énumérés  comme  l'a  fait  par 
exemple  M.  Miklosich  :  agricatlmt^  commacc^  mots  désignant  ta  parente,  gouva^ 
aemenf,  etc.  Cette  classification  est  indispensable  lorsqu'on  veut  arriver  à  des 
cosctusions  historiques  sur  la  marche  de  la  civilisation  ou  sur  les  migrations 
des  peuples* 

M,  E.  aboutit  i  une  importante  conclusion  de  celle  dernière  catégorie.  Une 
(jnestion  mystérieuse,  débattue  avec  la  passion  qui  s'attache  dans  l'Europe 
oneolâlc  à  toute  discussion  ethnographique,  est  celle-ci  ;  les  Roumains  d'au- 
pard'hui,  les  Moldo-Valaques,  sont-ils  les  descendants  des  colons  romains  de 
Trajan,  sans  interruption  dans  l'occupation  du  sol;  ou  sont-ils  venus  Thabiter 
seulement  au  treizième  siècle?  M.  Rœsler  a  soutenu  avec  beaucoup  de  force 
cette  dernière  solution.  M.  E,  la  déclare  confirmée  par  ce  fait  que  les  mots 
roumains  mcorporés  dans  la  langue  magyare  actuelle  ne  se  trouvent  point  dans 
les  anciens  textes  magyars.  Toutefois,  les  textes  magyars  vraiment  trls-anâtm 
{cerne  du  quinzième  stède,  par  exemple,  ne  prouveraient  rien  ici)  sont  trop  peu 
nombreux  et  trop  courts  et  ('inventaire  dont  nous  venons  de  parler  est  trop 
rtsireint  pour  qu'on  puisse  légitimement  aboutir,  dans  l'état  de  ta  question, 
lune  conclusion  histonque,  —  Je  serai  heureux  si  j'ai  pu  encourager  M,  Edets- 
Dichi>r  î  contmuer  et  i  compléter  ses  mléressantcs  recherches. 

Edouard  Sayuu^. 


PÉRIODIQUES. 


I.  —  Revue  des  t.vNauBS  bomanês,  Vlïf,  octobre  1875.  —  Cette  livraison, 
étant  munie  d'une  table,  forme  un  tome  i  elle  toute  seule.  Je  dois  faire  rem.ir- 
quer  à  ce  propos  que  la  grosseur  des  volumes  de  la  Revue  devient  fort  irrégulière. 
Le  t.  V  (janvier-avril  1874),  en  deux  livraisons,  a  J28  pages;  le  t.  VI  ( juillet- 
octobre  1874),  en  deux  livraisons  également^  a  648  pages;  le  t.  VII  (janvicr- 
avril-juillet  1875),  en  une  livraison,  a  476  pages;  le  t.  Vlll  enfin  dont  nous 
allons  parler  n*a  que  264  pages,  II  n'y  a  pas  !Jeu  de  se  plaindre,  en  ce  sens  que 
la  quantité  de  matière  fournie  par  la  Revue  dépasse  notablemeit  les  promesses 
du  prospectus,  mais  il  y  aurait  évidemment  avantage  à  ce  que  la  matière  fût, 
sll  est  possîbîe,  plus  également  distribuée.  —  P*  i^  Ch,  Révilîout,  De  h  date 
possible  du  Roman  de  Flamenca,  L'une  des  idées  les  plus  ingénieuses  que  nous 
offre  ce  roman  est  le  stratagème  par  lequel  Flamenca  et  Guillaume  de  Nevers 
parviennent  i  communiquer  ensemble,  malgré  la  surveillance  d*un  mari  jaloux. 
Guillaume,  qui  exerce  â  réglise  les  fondions  de  clerc,  profite  du  moment  où  îl 
présente  la  paix  à  Flamenca  pour  échanger  avec  elle  un  mot  ou  deux.  C'est  unique- 
ment les  dimanches  et  fêtes  que  cedialogue  d'une  concision  plusque  télégraphique 
peut  avoir  lieu.  Comme  l'auteur  indique  avec  précision  les  jours  oîi  Flamenca 
et  Guillaume  échangent  ainsi  quelques  rapides  paroles,  on  conçoit  qu'il  soit 
possible,  par  Tobservation  des  fêtes  mobiles,  de  déterminer  une  année  en 
laquelle  se  rencontre  la  succession  de  jours  fériés  marqués  par  le  poème.  C'est 
une  opération  que  j'ai  essayée  à  part  moi,  lorsque  je  traduisais  Flamtncâ^  et 
j*étais  arrivé  forcément  à  ce  résultat  que  ta  série  spécifiée  par  le  poème  ne  peut 
s'appliquer  qu'à  l'année  comprise  entre  la  Pâque  de  1234  cl  la  Pâque  de  1255. 
Tel  est  aussi  le  résultat  obtenu  par  M.  Révilîout,  et  il  n'y  a  pas  moyen  d'aboutir 
à  une  autre  année.  Mais  une  difficulté  m'avait  arrêté  et,  par  suite,  détourné  de 
publier  ïe  résultat  de  mes  recherches,  de  telle  sorte  que  c'est  par  des  motife 
d'un  tout  autre  ordre  que  je  suis  arrivé  à  placer  la  composition  de  Flamenca  à 
une  époque  qui  se  trouve  comprendre  l'année  1234,  entre  1220  et  1250.  La 
difficulté  qui  m^avait  amené  à  révoquer  en  doute  Texactitude  des  indications  du 
poète,  est  celle-ci.  Le  poète  place  (v,  <,  1 54)  la  Saint-Jean  le  samedi  qui  suit  la 
Saint-Barnabe  :  comme  la  Saint^ean  est  fêtée  le  24  juin  et  la  Saint-Bamabé  le 
11^  il  me  parut  évident  que  l'auteur  s'était  trompé  dans  son  calcul»  et  je  renon- 
çai à  tinr  aucun  indice  chronologique  de  la  série  des  fêtes  Icîle  qu'elle  ressort 
de  son  poème.  Mais  M.  Révilîout  a  habilement  résolu  la  difficulté  en  montrant 
que,  selon  le  texte  même  du  poème,  le  1  \  juin  coïncidait  avec  la  Pentecôte 
(v.  $086),  que  Tuiage  en  pareil  cas  (c'est  là  ce  dont  je  ne  m'étais  f>as  avisé) 


PÉRIODIQUES  123 

Bt  cfe  renvoyer  la  moindre  des  deux  fêles  (ici  fa  Saint- Barnabe)  au  premier 

pur  libre;  ce  jour  a  dû  être  le  dimartche  suivant,  18  juin,  et  par  conséquent  le 

foar  de  ia  Saint-Jean,  24  juin,  est  en  effet,  comme  dit  le  poète,  un  samedi.  IJ 

e$t  impossible  d'attribuer  au   hasard  la  coïncidence  parfaite  qui  est  dés  lors 

éttblte  etitre  ['année  12)4-^  et  celle  que  le  poète  nous  décrit.  Et  s'il  a  choisi 

cette  année  1214-5  f'^  ^^"'*^  ^"  ^^'ï*  *^^^'^  ^^  ^^  rencontre  la  succession  indi- 

q«ée  par  le  poème) »  c>sl  probablement  qu*i)  composait  cette  année  même  ou 

pe»  après.  Telle  est  la  conclusion  que  M,  Révillout  proposa  avec  réserve,  et 

<(iii  me  paraît  d'autant  plus  acceptable  qu*elle  est  en  accord  avec  l'ensemble  des 

àwftées  du  roman  V  —  P.  19,  Alart,  Etudfs  sur  qucï^ues  mots  nouveaux  d'une 

thant  landaise  de  1268  ou  1269.  Les  remarques  de  M.  A.  confirment  en  général 

Ott  précisent  les  explications  que   j'ai  données  dans   la  Romania  soit  par  mes 

propres  recherches  (ci-dessus  III,  442),  soit  à  l'aide  de  communications  bien- 

ifttMintes  (ci-dessus  IV,  462*4  2).  Je  doute  que  cmm  soit  le  même  mol  que 

feîMiuM  catalan.    —    P.    51,  Chabaneau,   Notes  critiques  sur  quelques  textes 

fmençaux.  Bhndin  de  Cor  nouai  îles.  Remarques  linguistiques  et  correclions  au 

tcïte.  J'aurais  à  mon  tour  beaucoup  à  dire  sor  le  même  sujet,  mais  il  ne  faut 

pas  que  le  comptc-rendii  de  la  Revue  des  langues  romanes  dégénère  en  une  revue 

lie  mes  propres  publications.  —  P.  48,  Alart.  Documents  sur  la  langue  catalane. 

Ordonnances,  criées,  etc.  du   commencement  du  XlV*'  siècle.  Ces  documents 

hmtnl  un  ensemble  intéressant  pour  rhistoire  du  catalan  et  pour  celle  du 

Rûussiilon,  mais,  distribués  comme  ils  le  sont  entre  tant  de  numéros  de  la 

A^ûf,  et  par  suite  dépourvus  d'index,  ils  sont  bien  difficiles  à  consulter.  S*i] 

n'était  pis  possible  d*en  faire  un  volume  â  part,  en  dehors  de  la  Revue ^  il  eût 

p<tit-êtrc  mieux  valu  leur  consacrer  un  numéro    entier.   Alors  on    aurait  pu 

wméroter  non-seulement  les  pièces,  mais  encore  les  articles  de  chacune  d*elles^ 

et  rédiger  un  glossaire  pourvu  de  renvois  précis.    P.    49,   M.   Aîart  exagère 

visiblement  en  disant  que  tde  tout  temps  Va  final  féminin  catalan  n'a  été  qu'une 

itfraïiçaîs.  »  Je  ne  conçois  pas  pourquoi  M.  A.  imprime»  à  la  façon  deRaynouard, 

7,/M7i,  quel:  la  suppression  a  lieu  non  pas  avant,  mais  après  1'/.  —  P.  yr, 

A.  Gizier,  Littres  â  Crégoure  sur  les  patois  de  France  (suite).  Collection  fort  inté- 

fïBante,non  pas  seulement  à  cause  des  faits,  souvent  médiocrement  observés  ou 

(xprimés*  qu'elle  contient,  mais   à  cause  des  notions  qu'elle  fournit  sur  l'état 

intellectuel  et  moral  des  populations  rurales  au  temps  de  la  Révolution^  sur 

Iwr  i  pécorisme  •,  pour  employer  l'expression  d'un  correspondant  gascon.  Ce 

nènje  correspondant  a  eu  l'idée,  assez  malheureuse,  de  rapprocher  le  patois  du 

Gers  de  l'anglais.  Puisqu'on  jugeait  à  propos  d'imprimer  celte  élucobration,  il 

eût  été  utile  de  soumettre  l'épreuve  à  une  personne  sachant  f anglais,  afin  d*éviter 

às\  fautes  de   lecture  aussi   grosses  que  celles^!  :  cougts   Ictfugh)^  bîec  ding 

(Mutgif  amacou  (a  maçon)^  ptayen  (player),  an  wctoden^  shoe-maken  {a  woodm 

ék-mâktr),  weaven  (weanr).  —  P.  1 14^  Richard ,  Las  noças  de  Jauselou  Roubt, 

conédie  dauphinoise  composée  vers  i$i6  et  publiée  par  M.  Ch«  Révtllout.  — 


t. M,  Bartich,  Jahrb.  /.  rom.  Lit  vil,  189,  pUcc  la  composition  du  poème  vers  la  fin 
il  tw*  tièele,  mais  les  argumenis  qu'il  invoque  n'ont  pas  la  portée  qu'il  leur  aunbue. 
a.  Ce  dernier  article  n*avait  pas  encore  paru  quana  M.  Alart  a  rédigé  ses  observa- 


^ 


1 24  PÉRIODIQUES 

P.  tj9,  Utirts  tt  pelms  inédites  de  VabU  Niric^  publiées  par  M.  S»  Léotaixi. 
Passe  encore  pour  les  poésies,  mais  les  fetires,  écrites  de  1817  à  182 j>  n'onl 
aucun  intérêt*  —  P.  [59,  Chabaneau,  Qrûmmain  limousine  (suite),  —  P.  2Jt> 
et  sujv.,  diverses  poésies  modernes.  —  P.  227,  Bibliographie  :  Bartsch, 
Chnswmaîkk  provtnçak^  y  édition,  art*  de  M.Chabaneau;  ce  compte-rendu,  plein 
de  remarques  judicieuses,  tant  sur  le  texte  que  sur  le  glossaire  de  cette  chres- 
tomathié,  est  sensiblement  plus  sévère  que  celui  qu'ion  a  pu  lire  dans  la  Roma- 
nia^  IV,  ijo.  Occasionnellement  M.  Ch.  donne  dans  une  note  (p. 238)  quelques 
exemples,  tirés  de  Matfre  Ermengaut,  du  passage  à' s  en  r,  et  dV  en  1;  cf* 
Romama^  IV^  467*.  —  Rtchars  h  biaus^  hgg.  wa  D'  W.  FcEBSTEn,  compte- 
rendu  par  M.  Boucherie;  cf.  RomaniayW,  478. 

P,  S,  Nous  venons  de  recevoir,  et  nous  mentionnons  ici,  comme  appendice 
à  la  Rcvuc^  le  volume  intitulé  :  U  concours  phihtogiquc  et  littlmn  de  rannit 
1875.  Montpellier  et  Paris,  1875,  in-8'  de  182  p.  Ce  volume  renferme  le 
compte-rendu  des  séances  tenues  par  la  Société  àti  langues  romanes  à  Tocca* 
sion  de  ce  concours,  les  rapports  des  commissaires,  et  des  extraits  des  pièces 
couronnées.  Voy.  sur  ce  concours,  Remania  IV,  lou  P.  M. 

n.  Jahrduch  fur  romanische  Literatub,  XIV,  4.  —  P.  j8s,  Mebes, 
Die  Nasafitat  im  Allfranzôsischen;  cet  article  contient  quelques  remarques  inté- 
ressantes^ mais  aussi  des  erreurs^  et  manque  en  plusieurs  points  de  précision  et 
de  clarté.  —  Knaucr,  Battage  zur  Kmntniss  dcr  franiôsischcn  Sprachc  des  A7F. 
hhrhunderis  (fin).  Enfin!  —  Comptes- rend  us.  P^i^znii^  Dante  sttondo  la  trûdizi&nt 
e  i  novelîatçri  {article  de  M.  Kœhlerj  plein  de  compléments  intéressatits  ;  je  persiste 
à  croire  que  rhistoriette  d'Adelgis  dans  la  chronique  de  Novalèse  est  une 
variante  très-allérée  de  la  répartie  attribuée  à  Hrrcan  :  des  deux  parts  on  trouve 
un  prince  étranger,  assis  à  un  bout  de  la  table,  et  devant  lequel  on  entasse 
des  os  rongés;  le  sens  attribué  à  Taventure  a  été  totalement  changé,  mais 
CCS  coïncidences  fondaroentales  ne  peuvent  père  être  fortuites)  ;  U  Livre  des 
mestiers^  dialogues  français-flamands.,,  p,  p.  H.  Michelant  (art.  de  M.  Scheïer, 
où  se  trouvent  beaucoup  de  rectifications  et  de  remarques  précieuses).— P.  442- 
482,  Bibliographie  de  Tannée  187J. 

ÎIL  —  BlBUOTHÈOtlE  DE   l'ÉcOLS  DES  CHARTES,  XXXVI    (1875),    \.  —  La 

bibliographie  contient  ua  article  de  notre  ami  regretté,  Léopold  Pannîer, 
sur  les  livres  de  MM.  Joret  (du  C  dans  les  langues  romanes)  et  Darmesteter 
{Traité  de  la  formation  des  mots  composés  dans  la  langue  française), 

IV.  —  ZEiTScmuFT  POU  oEtnfiCHEs  Alterthtîm,  N.  F.,  VII^  2.  —  p.  1  I  J, 
II),  nOy  Petites  pièces  en  vers  latins  de  Tépoque  carolingienne,  publiées  et 
commentées  par  M.  Dûmmler,  —  P.  119,  Uenfant  de  neige ]  trois  versions  en 
vers  latins  (une  quatrième  p.  240)  de  ce  conte  si  répandu  au  moyen-âge,  pu- 
bliées pour  la  première  fois  par  M.  Wattcnbach,  —  P.  1 59,  Fragment  d'un 
poème  inconnu,  p.  p.  Steinmcyer.  Ce  poème  semble  bien  être  traduit  du  frao- 

I .  A  cette  page  de  li  Romania^  ligne  avint-dernière,  on  cite  Ramengant^  c^cst  une 
simple  £iute  d'troprestioa.  J'ai  de  bonnes  raisons  pour  ne  pat  ignorer  le  tiom  du  poète 
blterroii. 


i 


PÉRIODIQUES  12^ 

çus  ;  répisode  cootenu  dans  ce  fragment  rappelfe  vivement,  comme  Ta  remar- 
qué r  éditeur,  Apollonius  de  Tyr  (el  Jour  dam  de  Blayi).  ~  Parmi  les  comptes- 
rtndtts,  nous  signalerons  celui  de  M.  Martin,  sur  un  livre  de  M.  Schmîd, 
Hartmann  von  Aue^  oii  se  trouve  la  remarque  suivante,  qui  est  fort  juste  :  «  On 
art  que  les  Orientaux  appellent  tous  les  Européens  de  l'Occident  Francs;  cette 
désignation  était  déjà  usitée  aux  premiers  siècles  du  moyen-Âge^  comme  le 
montrent  les  passages  cités  par  Du  Gange  :  Liuthprand,  notamment,  dit,  dans 
îoo  récit  de  son  ambassade  à  Nicépbore  :  Ex  Francis ^  ijuo  nomme,  tam  Latmos 
fuam  Teutones  comprekcndit,  îudum  habuit..,  îl  résulte  de  ces  passages,  soit  dit 
fo  passant,  que  l'opinion  commune  sur  Torigine  de  celte  dénomination  est 
erronée.  Franc,  dit  Littré,  est  U  nom  que  la  Orientaux  depuis  Us  Croisades 
éênnint  aux  Occidentaux  à  cause  du  grand  raie  que  les  Français  jouèrent  dans  ces 
apUàions,  Ce  sont  les  Byzantins ^  tes  premiers,  et  sans  doute  dès  Tépoquc  caro- 
lingienne, qui  ont  adopté  le  nom  de  Francs  pour  désigner  les  Occidentaux,  et 
qui  l'ont  transmis  aux  autres  peuples  de  l'Orient.  »  Il  serait  facile  d'apporter  de 
DOinbreui  exemples  â  t'appui  de  celte  assertion, 

V,—  NuovA  ANTOLoatA,  nov.  1875.  —  N.  Caix,  Cmîîo  d'Âlcamo  c  gH  imita' 
tort  delU  romanze  e  pastorelle  provenzah  c  francesi.  Le  titre  de  ce  mémoire  de 
46  pages  en  indique  assez  l'objet.  L'auteur  veut  prouver,  contrairement  à 
M,  d'Ancona,  que  le  Conlrasto  de  Ciullo  d'Alcamo  n'est  pas  une  œuvre  popu- 
laire, qui  reproduit  ta  forme  nationale  en  Sicile  du  chant  amibèt^  mais  (ainsi  que 
dautres  compositions  analogues)  une  imitation  des  pastourelles  provençales  et 
b'ançaises.  Les  rapprochements  auxquels  11  se  livre  à  ce  propos  sont  fort  inté- 
ressants; mais  ses  conclusions  paraissent  excessives.  L'influence  de  la  poésie 
lyrique  française  sur  Ciullo»  comme  sur  les  poètes  sicih'ens  de  la  cour  de  Fré- 
déric II,  paratt  incontestable  (les  mots  français  qu'on  trouve  dans  le  Contrasta 
contribuent  à  rallesler,  bien  qu'ils  puissent  provenir  simplement  de  Tusage  du 
français,  st  répandu  alors  en  Sicile),  mais  il  y  a  entre  sa  pièce  et  les  pastourelles 
qoe  nous  connaissons  des  différences  de  ton  et  de  forme  qui  semblent  bien 
montrer  qu'elle  n*en  dérive  pas  directement.  M,  C,  a  signalé  lui-même  Fabsence 
de  rinlroduction  narrative,  qui  ne  manque  jamais  dans  nos  pastourelles.  J'ajoute 
^oe  je  oe  suis  pas  convaincu  par  ses  arguments  du  haut  rang  social  qu^il  attribue 
i  Ciullo  :  or  tout  le  piquant  des  pastourelles  repose  sur  le  contraste  entre 
rhumble  condition  de  fa  bergère  et  le  rang  élevé  de  celui  qui  la  courtise  plus  ou 
moins  heureusement  et  qui  fait  lui-même,  au  point  de  vue  de  ta  classe  à  laquelle 
il  appartient,  le  récit  de  son  aventure.  Ici,  rien  de  pareil  :  tout  indique  que  les 
deux  mtcrlocu leurs  sont  égaux,  et  tous  deux  de  condition  moyenne.  Ajoutons 
ijoe  plusieurs  {it%  rapprochements  signalés  par  M,  C,  et  dans  le  nombre  quelques* 
nos  des  plus  frappants,  concernent  des  traits  qui  se  retrouvent  dans  la  poésie  popu- 
lïirc  cl  spontanée  de  toutes  les  nations,  et  que  nos  pastourelles  elles-mêmes  avaient 
•apnmtés  à  celle  de  la  France.  On  a  donc  ici,  à  ce  qu'il  semble,  comme  Ta 
fnsé  M.  d'Ancona,  une  composition  qui  se  relie  i  l'ancien  ne  poésie  populaire 
liàiieDDe,  mais,  —  faut-il  ajouter  avec  M«  Caix,  —  qui  a  fortement  subi  l'in- 
intpce  étrangère.  Même  ainsi  restreint,  ce  résultat  est  d'un  grand  intérêt,  cl  il 
ixA  savoir  gré  au  savant  critique  qui  l'a  dégage.  C.  P. 


U6  PlÎBIQDlQUBS 

VI.  BULLBTIN  DE  hk  SOGIÉTt  BBS  ANGIBM8  TBXTI8  FRANÇAIS,  1875,  11*'  3  et 

4.  -^  P.  37-43,  Procès-verbanx  des  séances  du  Conseil  d'adramistratk»  (jnn* 
octobre  1875).  —P.  44,  G.  PzTis,Noticedums,  de  laBibMhk^  àt  Di'fm^n*  298  *. 
Ms.daté  de  1 362,  contenant  un  grand  nombre  de  poésies  du  XHI'  etdu  KIY^siède, 
et  quelques  textes  en  prose.  Quelques-unes  de  ces  pièces  paraissent  n'avoir  pas 
encore  été  signalées.  —  P.  so-82,  P.  Meyer,  Notice  du  ms.  fî.  N.fr.  254151 
contenant  divers  ouvrages  en  provençal.  Ce  ms.,  autrefois  Gaignièrcs  41»  crt 
à  peu  prés  daté  de  1373.  II  contient  i«  un  texte  en  prose  de  la  Destncthit 
de  Jérusalem;  a*  la  plainte  de  Notre-Dame  (en  vers);  3«  les  Sept  joies  de  N.^. 
(en  vers);  4*  V Enfant  sage  (prose);  50  l'histoire  d'un  moine  qui,  trompé  par  le 
diable,  se  crucifia;  6«  Ave  Maria  (en  vers);  j^  un  fragment  d'une  imitation  en 
vers  de  l'Evangile  de  l'enfance.  Les  n»*  I,  V,  VI  et  VII  n'ont  été  rencontrés 
jusqu'à  présent  dans  auctin  autre  ms.  Le  n*  VII  est  d'une  versification  très* 
grossière  où  abondent  les  assonances.  •—  P.  83-4.  Une  chanson  populaire  (eo 
français)  tirée  du  ms.  B.  N.  lat.  3445. 

VII.~  Revue  Critique,  octobre-décembre  1 87  5 . —  195.  Chants  et  contes  popa^ 
laires  italiens^  p.  p.  Comparetti  et  d'Ancona(Th.  de  Puymaigre).  — 199.  Marty- 
Laveaux,  Cours  historique  de  langue  française  (A.  Darmcsteter).  —  205.  Aycr, 
Phonologie  de  la  langue  française  ;  Scheler,  Exposé  des  lois  qui  régissent  la  transfor' 
mation  française  des  mots  latins  (A.  Darmesteter).  —  218.  Kœnig,  Etude  sur 
l* authenticité  des  poésies  de  Clotilde  de  Surville. 

VIII.  —  L1TBRÀBI8CHES  (}bntralblatt,  octobre^iécembre.  —  N*  41,  Caix, 
Osservazioni  sul  voealismo  italiano.  —  43,  Hegel,  Die  Ckfonxk  des  DinoCompagm. 
—  49,  Bartsch,  Chrestomathie  de  l'ancien  français. 

IX.  — ^  Jenaer  LiTERATURZEiruNQ,  octobre-décembrc.  —  N<>  40,  Koschwitz, 
Ueber  die  Chanson  du  voyage  de  Charlemagne  à  Jérusalem. 


CHRONIQUE. 


Dans  sa  séance  du  19  décembre  1875,  l'Assemblée  des  professeurs  du  Collège 
de  France  a  proposé  en  première  ligne,  pour  occuper  la  chaire  de  langues  et 
littératures  du  Midi  de  l'Europe,  M.  Paul  Meyer,  et  en  seconde  ligne  M.  Emile 
Chasies.  —  Les  mêmes  présentations  ont  été  faites  par  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres  dans  sa  séance  du  2 1  janvier  1 876. 

«-  La  pétition  que  nous  avons  reproduite  l'année  dernière  (IV,  p.  302),  deman- 
dant réublissement  de  chaires  de  langue  et  littérature  romane  dans  ptuakun 
Facultés  du  Midi  de  la  France,  a  été  l'objet  âl'Assembléenationalc  d'an  rapport 
favorable;  mais  il  n'a  pas  encore  été  pris  de  décision  à  cet  égard. 


CHRONtQUB  117 

—  CiMX  dt  nos  iecieurs  qui  s'occupent  spécialement  de  rancienne  poésie 
frioc^isc  se  souvieiment  sans  doute  d'un  intéressant  article  de  Brakelmann,  paru 
dans  k  t*  XI  du  JaMuch  fâr  romamsche  Uteratur  et  mlitulé  *  Verïorcne 
Handschriften.  *  Il  montrait  que  MM.  P.  Paris  et  P.  M eyer  s'étaient  trompés  eo 
Identifiant  le  ms.  B.  N.  fr.  845  avec  le  chansonnier  CUircmbayt,  que  citent 
souvent  Siînte-Palaye  et  Cangé  ;  cf.  Ro/minia  l^ioi .  Le  chansonnier  Claîrembaut 
devait  être  considéré  comme  perdu, —  \\  vient  d'être  retrouvé  dans  !a  possession 
d'UQ»  dame  à  laquelle  il  venait  de  son  père,  mort  fort  âgé  il  y  a  déjà  longtemps, 
L*un  des  directeurs  de  la  Romania^éUni  lié  avec  la  famille  de  cette  dame,  fut  prié 
d'exammer  un  manuscrit  qu'on  lui  remit.  Il  reconnut  facilement^  d'abord  â 
rînspfction  du  titre  écrit  sur  la  couverture  en  parchemin,  puis  à  bien  d'autres 
détails  qu'il  est  maintenant  inutile  d'énumèrer^  qu'il  avait  aHaire  au  chansonnier 
CUirembaut,  Tous  les  livres  et  papiers  de  Ciairembaut  ayant  été  transportés, 
lors  delà  Révolution^  à  la  Bibliothèque  Nationale  avec  tous  ceux  de  l'Ordre  du 
Saint-Esprit,  ce  manuscrit  devrait  être  à  la  B.  N.;  il  figure  en  effet  dans  Tin- 
ventaire  des  papiers  de  Clairembaut  tels  que  les  reçut  l'Ordre  du  Saint-Esprit, 
Il  est  probable  qu'il  s'égara,  par  un  accident  quelconque,  lors  du  transport  de 
en  pipiars  à  la  Bibliothèque.  —  Le  Cabinet  des  manuscrits  est  entre  en  arran- 
fment  avec  les  propriétaires  actuels^  et  nous  avons  la  satisfaction  d'annoncer 
qae  le  chansonnier  Clairembaut  va  reprendre  sa  place  dans  notre  grand  âèpài 
litlératrei  à  càté  des  manuscrits  de  même  famille  qui  en  font  déjà  partie, 

—  Les  quatre  volumes  attribués  par  îe  Conseil  de  la  Sociéti  des  Anciens  Textes 
i  reiercice  1S75  sont  tressa vâncés.  Le  second  Bulletin  aura  paru  quand  nos 
lecteurs  liront  ces  lignes^  ils  en  trouveront  d'ailleurs  plus  haut  la  notice.  Parmi 
b  publications  dont  le  Conseil  a  récemment  agréé  le  projet,  nous  citerons  :  Brun 
de  la  Mçntdgne,  roman  d'aventure  en  lormede  chanson  de  gestç  (M.  P.  ^leye^)J  le 
roman  de  rEscoujh  (M.  Michelant);  ia  Vu  de  Saint  Gi//f^  texte  fort  intéressant  du 
3UI*  sjccle  (MM.  Bos  et  Pans);  Aqain  (M*  Longnon);  Deux  pèlermages  en  Terft^ 
SamU  au  XI V^  siick  (MM.  Bonnardot  et  Longnon);  la  traduction  française  (XIll' 
sj  du  TrMc  de  Fauconnerie  de  Frédéric  II  (M.  Michelant).  On  a  en  projet,  pour 
krt  prochainement  commencés,  le  Recueil  général  des  Farces,  le  Recueil  général  des 
Unm  dt  rémission^  h  Rutuil  des  Miracles  (dramatiques)  de  Notre  Dame^  etc. 

—  Nous  avons  reçu  de  la  librairie  Hennin  g  à  Heilbronn  le  prospectus  d'une 
édition  à'Aiol  par  M,  Wcndelin  Fterster,  Le  rédacteur  de  ce  prospectus  a 
cherché  â  allécher  le  public  par  une  appréciation  des  mérites  du  poème,  notam- 
mott  de  ses  côtés  comiques  et  aventureux,  qui  semble  avoir  été  écrite  pour  un 
rouan  nouveau  plutôt  que  pour  une  chanson  de  geste  en  vieux  français  ;  en 
mèffle  temps  il  recommande  son  texte  aux  <i  commençants  «  comme  un  excellent 
ftfft  d'exercice,  idée  qui  ne  serait  sûrement  venue  à  l'esprit  d'aucune  autre  per- 
lOBne*  M.  Focrster  est  sans  doute  étranger  à  la  composition  de  ce  bonmunt^mm 
à  Bt  d^autant  plus  fAchcux  qu'il  en  ait  laissé  précéder  sa  publication  que  l'édition 
eilMoéiDe  est  une  des  entreprises  les  moins  utiles  qu'on  pût  attendre  de  lui, 
M.  Foerster,  quand  il  a  cherché  un  libraire  pour  publier  Aiol^  savait  en  effet 
fMffaâtement  que  l'impression  de  ce  poème  était  commencée  à  Paris,  par  les 

\  de  MM*  Normand  et  Raynaud,  pour  ta  SiKtétédes  Anciens  Tmes,  M.  Fœrster 


1 28  CHRONiqiJE 

a  les  mains  pleines  de  copies  d'anciens  manuscrits  :  il  aurait  jugé  Tédition  de 
tout  autre  texte  plus  opportune  s'il  n'avait  voulu  jouer  oc  qu'il  a  sans  doute 
pris  pour  un  bon  tour  à  la  Sociàé  parisienne.  On  peut  se  demander  si  ce  tour 
n'est  pas  de  ceux  qui,  comme  on  le  disait  autrefois,  *  retournent  à  leur  maître.  • 
Nos  lecteurs  penseront  en  effet  quc>  dans  Télat  actuel  des  choses,  en  présence 
d'une  littérature  qui^  comme  le  déplore  Tauteur  du  prospectus  en  question,  est 
pour  une  bonne  moitié  inédite,  il  est  bien  inutile  de  publier  deux  fois  en  mémt 
Umps  le  même  texte;  il  est  surtout  puéril  de  le  faire  exprès  pour  vexer  ceux  qu'on 
regarde  comme  des  concurrents,  comme  s'il  pouvait  être  question  de  concur- 
rence en  pareille  matière.  Contrarier,  par  suite  d'un  dépit  tout  personnel  et  pea 
justifié^  une  entreprise  qui  a  droit  à  tous  Ifs  encouragements  et  à  tous  les  appuis, 
c'est  faire  un  acte  qu'on  ne  peut  excuser  que  si  on  en  sourit. Quand  M.  Fœrsler 
a  demandé  à  quelques  membres  de  h  Société  si  elle  voudrait  publier  sa  copie  d*/tii}/| 
il  lui  a  étérépondu  qu'il  s'y  prenait  trop  tard,  la  copie  de  MM.  Normand  et  Kaynaud 
ayant  été  acceptée  et  envoyée  à  l'impression.  On  a  d'ailleurs  engagé  l'éditeur  de 
Rulhjrt  k  Bel  h  présenter  à  la  SoaéU  quelque  autre  projet  ;  on  aurait  notamment  été 
disposé  à  admettre  son  édition  de  Chrétien  de  Troyes.  M.  Fœrster  a  vu  de  la  mal 
veillanceli  où  il  y  avait  au  contraire  une  bonne  volonté  complète,  et  il  s'est  hâté 
d'imprimer  sa  copie  pour  devancer  l'édition  française.  Afin  d'en  être  plus  sûr,  il  a 
mis  dans  une  première  livraison  le  texte  tout  seul^  réservant  pour  plus  tard  les 
noles^  le  glossaire  cl  l'introduction.  Cette  livraison,  au  moment  où  nous  écri- 
vons ces  lignes  (  i  j  janvier),  vient  d'arriver  à  Paris  ;  ainsi  le  susceptible  philo- 
logue  a  atteint  son  but.  Nous  croyons  qu'en  réfléchissant  de  sang-froid  it 
regrettera  lui-même  cette  espièglerie.  —  Pour  donner  â  son  édition  une  valeur 
particulière,  M.  Fœrster  a  joint  à  Ami  le  petit  poème  à' Elu  de  Saint-GUU,  La 
Socièii  publiera  aussi  cette  chanson,  mais  à  part.  —  En  ce  moment,  dix  feuilles 
de  l'édition  de  la  Société  sont  tirées  ;  les  leuilles  n  et  1 2  vont  l'être.  UAht  sera 
attribué  à  l'exercice  1876  :  les  éditeurs  français  n'ont  pas  essayé  de  lutter  de 
vitesse  avec  M.  Fœrster^  dont  ils  n'ont  connu  d'ailleurs  qu'assez  lard  la  con- 
currence; leur  édition  n*y  perdra  peut-être  rien. 

—  MM.  Fredrik  Wulff  et  Gustaf  Cederschiôld  préparent  une  édition  de  la' 
Mëttuîs  Saga,  d'après  tous  les  mss*,  avec  traduction  et  introduction  littérairCi 
La  Môttuls  Sûgû  est  une  traduction  norvégienne  du  conte  français  bien  connu 
du  Mantei  maataillié. 


RECTIFICATION. 
Dans  un  feuillet  joint  â  la  plupart  des  exemplaires  de  la  brochure  dont  noui 
avons  rendu  compte  ci-dessus,  ÎV,  492,  M.  Favre  a  cru  pouvoir  affirmer  que 
M,  P.  Meyer  s'était  fait  inscrire  au  nombre  des  souscripteurs  au  Glossaire  de 
Saintc-Palaye.  C'est  tout  récemment  et  par  une  circonstance  fortuite  que 
M.  Meyer  a  eu  connaissance  de  ce  feuillet  ^ui  ne  tui  a  pas  été  adressé.  Autrement 
il  n'eût  point  attendu  jusqu'à  maintenant  pour  déclarer  que  l'assertion  de 
M,  Favre  est  entièrement  fausse. 


Le  propriétaire-gérant  :  F.  VIEWEG. 


iroprimeric  Gouverneur,  G.  Daupeley  à  Nogenl-le-Botrou, 


LES 

TRADUCTIONS    HÉBRAÏQUES 

DE  VIMAGE  DU  MONDE. 


M.  V.  Le  Clerc  dans  son  article  très-détaillé  >  sur  les  mss.  et  les  édir 
tions  du  «Livre  de  Clergie  ou  l'Image  du  monde»,  en. vers  et  en 
prose,  en  français  et  en  d'autres  langues,  ne  mentionne  pas  les  traduc- 
tions de  cet  ouvrage  faites  par  les  Juifs.  Pourtant  nous  en  possédons  une 
en  hébreu  dont  il  existe  deux  rédactions  qui  diffèrent  Pune  de  l'autre, 
sinon  entièrement,  du  moins  en  quelques  parties^  et  nous  en  avons  une 
seconde  en  judéo-allemand,  espèce  d'allemand  du  moyen  âge  conservé 
dans  les  ghettos  comme  c'est  le  cas  pour  l'espagnol  parmi  les  Juifs 
de  la  Turquie.  Déjà  M.  Zunz,  le  fondateur  des  recherches  critiques  sur 
h  littérature  hébraïque  du  moyen-âge,  mentionne  la  traduction  hébraïque 
dans  son  savant  mémoire  sur  la  géographie  chez  les  Juifs,  qui  forme  un 
appendice  à  lar  traduction  anglaise  de  la  relation  du  voyage  du  fameux 
Boijamin  de  Tudèle^.  M.  Zunz  fait  justement  observer  que  la  traduction 
a  été  faite  sur  un  texte  français.  D'autre  part,  un  savant  bibliographe, 
M.  Steinschneider,  nous  a  fait  connaître  3  la  traduction  judéo-allemande, 
laquelle,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  prétend  être  faite  sur  l'arabe. 
Ce  dernier  mentionne  de  plus  un  ms.  de  la  traduction  hébraïque  : 
nous  en  connaissons  un  second.  Avant  de  nous  occuper  de  ces  dernières, 
nous  donnerons  une  description  succincte  des  deux  rédactions  imprimées, 
qu'on  ne  rencontre  pas  dans  toutes  les  bibliothèques.  Bien  que  la  rédac- 
tion judéo-allemande  ait  été  imprimée  avant  le  texte  hébreu,  nous 
devons  donner  la  précédence  à  celui-ci,  l'autre  n'en  étant  que  l'abrégé. 

1.  Histoire  littéraire^  tome  XXIII ^  p.  296.  sqq. 

2.  The  itinerary  of  Rabhi  Benjamin  of  fudela  etc.,  1841,  vol.  II,  p.  264. 

3.  Cûtalogus  Iibr.  hebr.  in  Bibl.  BodUiana^  col.  1683. 

Romania,  V  9 


t^O  A.    NEU8AUER 

La  iradyciion  hébraïque  fut  imprimée  pour  la  première  fois  '  à  Amster- 
dam en  ^49î  a.m,  ;=  175?  a.  d.  avec  le  titre  ûî>i5n  V^c  *ibd  «  livre 
de  Torobre  du  monde  w.  On  l'attribue  sur  le  tiîre  au  rabbin  Matlhatyah 
fils  de  Sàlomon  aïKpbij  nom  qu'on  ne  trouve  dans  aucun  des  deux 
mss.  que  nous  avons  pu  consulter.  Voici  d'ailleurs  la  traduction  de 
Tavant' propos  du  traducteur,  qui  ne  nous  a  fait  connaître  ni  son  nom  ni 
le  texte  sur  lequel  il  a  fait  son  travail,  L*auteur  dit  :  «  J*ai  cherché  et 
»  j*ai  trouvé  ce  livre  qui  renferme  les  règles'  des  sciences  avec  les  figures 
n  géométriques  ?  et  qui  fut  composé  par  un  des  savants  chrétiens  *.  Ce 
ï)  livre  est  la  clef  de  toute  intelligence,  puisqu'on  y  explique  comment  le 
n  monde  est  distribué^  et  qu'on  y  parle  du  continent,  des  îles  et  des 
»  mers  ;  en  un  mot  de  tout  ce  qui  se  trouve  au-dessous  de  la  planète 
j»  qui  tourne  ï.  Voyant  cette  apparition,  Je  me  suis  écrié  :  0  Dieuî 
»  pourquoi  le  fils  de  Tesclave  ^  possède-t-il  les  habitations  de  Tinielli- 
»  gence,  tandis  que  le  fiis  de  la  maîtresse  est  assis  solitaire  et  silencieux?? 
»  Cependant  la  volonté  de  Dieu  sera  accomplie,  car  ce  n^esl  pas  à  cause 
«  de  ma  grande  intelligence  que  j^ai  osé  entreprendre  celte  traduction, 
»  mais  parce  que  je  comprends  la  langue  de  Toriginat,  ainsi  que  celle 
»  dans  laquelle  je  traduis,  ft 

L'ouvrage  est  divisé,  comme  presque  toutes  les  rédactions,  en  trois 
parties  renfermant  en  tout  69  chapitres  :  la  première  partie  en  a  14, 
la  seconde  57,  et  la  troisième  18,  Nous  verrons  à  la  suite  comment  la 
2^  partie,  qui  d^ordinaire  n'a  que  19  chapitres,  en  a  ici  ?7.  Nous 
désignerons  cette  édition  par  la  lettre  A. 

Passons  maintenant  à  la  description  des  mss.  qui  renferment  la  tra- 
duction hébraïque.  Le  premier  qui  se  rapproche  le  plus  de  l'édition  se 
trouve  dans  la  bibliothèque  de  M.  Gunzburg,  à  Paris,  n»  287.  Nous  le 
désignons  parla  lettre  G.  L^auteur^  ou  plutôt  le  traducteur,  ^'appelle 
ici  David,  fils  de  Moise  ■^r^son  ou  '^an^^on^;  le  titre  du  livre  est, 
dans  Tavant-propos,  n^iai  et  à  la  fin  :  cbi?in  npbi  «  image  du 
monde  ».  L'index  donne  la  division  suivante  :  trois  parties  renfer- 
mant en  tout  55  chapitres  avec  ji  figures,  savoir  :  la  première 
partie    14  chap.,  la  seconde   19   avec    9    figures,  la    troisième    22 


I 


I 


I 


I 


t.  H  en  existe  une  réimpression  faite  en  Pologne  que  nous  n'avons  pu  voir. 
2,  Selon  le  ms.  G  qui  lit  ^î3*iE« 
j.  Ms.  G.  D"»n-ini2m. 
4.  LitléraleiTtent  :  da  savants  des  naiions. 
j.  L'édition  porte  u  h  planète  du  jour  ». 

é.  Cette  expression  est  ordinairement  employée  pour  les  Arabes,  et  fait  allusion 
à  Haçar,  la  mère  d'Ismaèl. 

7.  Lamentations  III,  2H. 

8.  Ce  mot  cache  probablement  la  traduction  d'un  nom  de  ville,  chose  assez 
fréquente  cheî  les  Juifs  provençaux  (voir  Hist.  iitUr.,  etc.,  tome  XX VII). 


TRADUCTIONS  HÉBRAÏQUES  DE  iJImagC  du  Mondt  I  J  I 

avec  autant  de  figures.  Dans  le  corps  même  du  livre  la  seconde  panie 
en  a  ^j,  et  la  troisième  partie  commence  avec  le  36^  chap.  et  finit  par 
k^)^  La  différence  entre  cette  énumération  et  celle  qu'on  verra  dans 
'autre  ms.  vient  de  ce  que  dans  le  deuxième  chapitre  de  la  seconde 
partie  les  subdivisions  sont  marquées  comme  des  chapitres  séparés* 
Nous  devons  ajouter  que  ce  ms.  n'est  pas  en  bon  état  :  un  grand 

mhtt  de  feuilles  sont  déchirées^  et  le  copiste  y  a  ajouté  delà  confusion 
par  son  ignorance.  Inutile  de  dire  que  les  mots  étrangers,  c.-à-d»  les 
siots  français^  y  sont  plus  ou  moins  estropiés»  défaut  dont  les  deux 
lutrcs  rédactions  ne  sont  nullement  exemptes. 

En6n  le  ms.  d'Oxford  (Bodleyenne)  marqué  Oppenheim  579  a  aussi 
un  double  titre  :  dans  Tavani-propos  '  •^—xn  rir^s  u  Image  de  la 
terre  ;?,  et  dans  la  souscription  o^t?  n^aîjx  «  image  du  monde  ». 
Il  est  divisé  selon  riniroduction  en  ^j  chapitres  avec  28  figures,  savoir 
Impartie  :   14,   II*  :    19,  et  Hh   :   20  chapitres.  Ce  ms.   a  quelques 

I ligures.  Il  sera  désigné  par  la  lettre  0. 
Arrivons  maintenant  à  la  rédaction  sur  laquelle  nous  croyons  fondée 
latraduaion  hébraïque  au  moins  telle  qu^on  la  trouve  dans  ce  dernier 
l^'est  la  rédaction  en  prose  imprimée  à  Paris  sans  date  ;  elle  porte 
^thfe  :  V  L*image  du  monde  contenant  en  soy  tout  le  mode  mis  en 
«  trois  parties.  C*est  assauoir  Asie,  Alïnque  et  Europe.  Auec  les  pays  : 
»  prouinces  et  citez  :  et  les  merueilleuses  et  diuersites  créatures  qui  sont 
a  dedans,  contenant  en  soy  troys  parties.  Comme  il  appert  cy  après  en 

*  la  table  de  ce  présent  liure.  »  La  figure  ronde  sur  le  titre  représente 
la  terre  avec  le  ciel  voùié  entouré  des  quatre  éléments.  Au  bas  de  la 
page  on  Ut  :  «  Imprime  a  Paris  ».  Le  volume  est  de  format  in-40  et 
contient  28  feuilles  (sans  pagination),  les  pages  étant  à  deux  colonnes. 
Celte  édition  se  termine  par  les  mots  suivants  :  <<  Finis.  Cy  fine  Lymage 

•  du  monde  nouuellement  imprime  audit  lieu.  »  Au  verso  du  premier 
MIet  commence  Tindex  :  «  Sêsuit  le  liure  de  clergie  appelle  Lymage 
j^  du  inonde,  j»  Nous  allons  reproduire  ici  cet  index  pour  deux  raisons  : 
1*  pour  pouvoir  donner  la  concordance  des  chapitres  de  ce  texte  avec 
ceux  des  traductions  hébraïques  ;  2*^  parce  que  les  éditions  de  l^lmage 
du  Monde  sont  assez  rares  (M.  Le  Clerc  n'en  a  pas  vu,  et  celle  dont 
nous  nous  servons  n'a  pas  même  été  connue  de  Brunet^),  D'ailleurs 
ctne  citation  ne  fait  pas  double  emploi  jusqu^à  présent,  M.  V.  Le  Clerc 
ayant  négligé  de  donner  les  titres  des  chapitres  dans  sa  notice  de  VHis- 


Il  ne  diffère  point  essentiellement  de  celui  des  autres  rédactions  ;  il  est 
produit  dans  noire  catalogue  n*  1 269. 

Voy.  Manmt  du  Ltbrmn^  ç^  ^^^  vol.  III,  p.    1118;  l'édition  dont  nous 
!  la  description  se  trouve  à  Oxford  dans  la  collection  Douce  M.  M.  48;. 


}p  A.    NEUBAUER 

toire  littéraire  * .  Voici  le  commencement  de  l'index  :  «  Le  presêt  Imre 
dit  Lymage  du  Monde  coniieni  en  tout  cinquante  et  cinq  chapitres  et 
quinze  figures  et  est  diuise  en  troys  parties,  n  Suit  Ténuméralion  des 
chapitres,  ainsi  conçue  : 

«  La  première  partie  cOtieni  xuii  chapitres  et  vu  figures  sans  compter 
le  prologue  », 

**  Le  premier  chapitre  est  de  la  puissance  de  Dieu  i»  ;  correspond  au 
premier  chapitre  de  toutes  les  trois  rédactions  hébraïques,  avec  la  diffé- 
rence que  A  traduit  oinn  n-'b^n  «  but  de  Thomme  ï>,  0,  nseTJvi  '•ûts 
chapitre  de  la  confession  ?  et  G  ^n  bx  ^i^bt  •^ixpa  «  sur  les  buts  de 
merveilles  du  Dieu  vivant  »>. 

u  Le  IL  pourqy  Dieu  feist  le  mSde  n  =  i^  ch.  de  A  0  et  G. 

«  Le  tiers  pourquoy  dieu  fist  Ihomme  a  sa  sembiance  »  ~  y  ch*  de  A 
OetG. 

<f  Le  quart  pourquoy  dieu  ne  tisi  Ihôme  tel  quil  ne  peux  pécher  »  = 
4«  de  A  0  et  G. 

v  Le  quint  cQmant  les  sept  ars  furent  trouvez  et  de  leurs  ordres  et 
affaires  »  =  j^  de  A  0  et  G. 

a  Le  VL  des  trois  manières  de  gens  que  les  philosophes  mirent  au 
monde  et  aussi  cOmant  clergie  vint  en  France  )>  =  6"^  de  A  0  et  G  très- 
abrégé;  la  dernière  partie  manque  tout-à-faii.  Le  contenu  du  texte  fran- 
çais est  conforme  à  celui  qu^a  donné  M*  Le  Clerc. 

«  Le  VIL  de  ia  manière  des  vn.  arts  »  =  6*'  de  A  0  et  G, 

cï  Le  Vlll.  de  nature  comment  elle  oeuvre  et  que  cest  »  ^  7<  de  A 
0  et  G. 

«.Le  IX.  de  la  forme  du  firmament  n  ^  g"  de  A  0  et  G. 

«  Le  X.  comment  les  quatre  éléments  sont  assis  »  =  io«  de  A  Oet  G. 

*<  Le  XL  cDmenl  la  terre  se  tient  droit  au  milieu  du  monde  ?  «  ^  1 1 
de  Au  et  G. 

«  Le  XIL  comment  la  terre  est  rOde  j)  =:  ii*  de  A  0  et  G. 

«  Le  XI  IL  commet  et  pourquoy  Dieu  fist  le  monde  tout  rond  n  := 
15' de  A  OetG. 

«  Le  XIIIL  comment  le  firmament  court  îsnellemèt  et  du  ciel  dessus  les 
sept  planettes  n  =  «4"  de  A  0  et  G 

<•  La  secôde  partie  contient  xix  chapitres  et  huyt  figures. 

tt  Le  pmier  chapitre  est  cOmenl  la  terre  est  divisée  en  un.  parties  et 
en  quelles  pars  est  habitée  »  =  r  de  A  0  et  G. 

«  Le  IL  est  la  mape  mode  de  A^ie  et  paradis  terrestre  de  yude  de  la 

r.  Loc,  cit.  p.  J04. 
2,  En  hébreu  HSian  inî>i3. 

j.  A  a  ici  une  note  additlonnetle  contenant  une  explication  sttr  le  sujet  en 
question  par  le  savant  Nicolas. 


I 


TRADLfCTIONS  HÉBRAÏQUES  DE  Clmâge  du  Moftde  I  J^ 

diversité  des  gês  des  besies  des  c5trees  et  des  pierres  et  de  Azie  le 
minour,  des  gês  et  des  poissons  des  arbres  de  turc  w  —  2*  de  O  et  G 
divisé  en  douze  subdivisions,  dont  la  dernière  est  relative  aux  arbres  ;  ^ 
i  à  1  ï  de  0  {2  à  I  j  de  G  dans  le  corps  du  livre), 

«  Le  IlL  dEurope  et  de  ses  regiOs  »  =  j*^  de  0  et  G,  12*  de  A. 

««  Le  quatriesme  est  dAfrique  et  de  ses  contrées  n  =  4*  de  0  et  G, 
t)«de  A, 

«  Le  quint  est  de  isles  et  de  leurs  choses  «  ^  ^«  de  0  et  G,  14*'  de  A, 

«'  Le  Vl.  des  choses  dEurope  et  dAffrique  des  bestes  des  oyseaulx  qui 
jsom»  =6«deO  et  G,  1 5»  à  ly^'de  A. 

tf  Le  septième  des  vertus  daucunes  choses  communes  »  =  7  -  de  0  et 
C^  18^  de  A. 

i  Le  huytiesme  que  cest  enfer  et  ou  il  est  séant  ?>  ^  8«  de  0  et  G, 
lyet  20*  de  A. 

tf  Le  IX.  pourquoy  eau  doulce  deuient  chaude  et  salée  en  enuenimee 
som  îï  =  9«  et  10"  de  0  et  G,  22*  de  A. 

«•  Le  X.  la  ou  la  mape  m5de  finîst  »  =  1  r  de  0  et  G,  2 1«  de  A. 

»«  Le  XL  est  de  diuerses  fontaines  en  plusieurs  lieux  )>  ^^  it*  de  0 
«  G,  2î*  de  A. 

K  Le  XIL  coma  la  terre  croie  et  fet  »  =  1 2"  de  O  et  G,  24"  de  A. 

«Le  Xïïl.  comment  la  mer  deuient  salée  »  ^  ij*  de  0  et  G,, 
ij'deA. 

t  Le  XilIK  de  Tair  et  de  sa  nature  n  =  14"  de  O  et  G,  lô*"  de  A. 

*  Le  XV.  comment  nues  gelées  neges  et  autres  tempeste  par  tonnoirre 
adiâicm  »  =  1 5*  de  0  et  G,  27*^  à  30*  de  A. 

<»  Le  XVL  comment  les  vens  naissEï  »  =  16"  de  0  et  G.,  51*  de  A. 

«  Le  XVIL  du  feu  et  des  estoiles  qui  semble  courre  et  du  dragon  que 
c«!t»=  17*=  de  0  et  G,  3  2*  et  33*  de  A. 

^  Le  XVI H.  du  pur  air  et  cSmant  les  sept  planettes  y  sOt  assises  »  = 
iS'deO  et  G,  54'' de  A. 

♦<  Le  XIX.  des  estoilles  et  de  la  côcordâce  du  tour  du  firmamèt  »  = 
19*  de  0  Cl  G,  ]y*  de  A. 

35  de  G  traite  de  l'opacité  de  la  lune  et  des  mois  lunaires  et  solaires; 
J6  des  noms  des  sept  jours  selon  les  planètes. 

«  La  tierce  partie  côtient  xx  chapitres  et  douze  figures. 

«•  Le  premier  chapitre  comment  il  est  iour  et  nuyt  et  pourquoy  on  ne 
voit  le  soleil  de  nuyct  et  les  estoilles  de  iour  n  =^  1  de  0  G  et  A. 

t' L^secod  commet  la  lue  reçoit  diuersemêt  lumière  du  souîeil  »  ^ 
2*  [les  suscriptions  manquent  pour  tes  deuxchap.  dans  0)  de  0,  G  et  A. 

«Le  tiers  comment  esclipse  de  lune  aduient  »  ==  3*  de  O  et  G. 
i*deA. 


1^4  A-    NEUBAUER 

«  Le  quart  commÇt  aduîçt  éclipse  de  soleil  »  =  4«  de  O  et  G, 
}"  de  A. 

V  Le  cinquiesme  de  lesclipse  du  soleil  qui  aduît  a  la  mort  de  Nostre 
Seigneur  Jesucrist.  »  Ce  chapitre  manque  chez  les  traducteurs  juifis. 

«  Le  VI.  de  la  vertu  du  ciel.  Et  des  estoiles  »  =  5»  de  O  et  G, 
4«  de  A. 

«  Le  septiesme  pourquoy  on  mesure  le  monde  »  =  6«  de  O  et  G, 
5«  de  A. 

a  Le  VIII.  du  roy  Ptolemeus  et  des  autres  philosophes  »  •=  7*  de  O 
et  G,  6*^  de  A. 

«  Le  neufiiiesme  commet  on  sauua  les  clergies  par  le  déluge  i»=r  g«et 
9«deOetG,  7*  de  A. 

(c  Le  dixiesme  des  merueilles  que  Virgile  fist  par  astronomie  »  =  io« 
de  0  et  G,  8°  de  A. 

i<  Le  unziesme  pourquoy  monnoye  fut  establie  »  =  1 1«  de  0  et  G, 
9«  de  A. 

«  Le  dousiesme  des  philosophes  qui  allaoient  aux  champs  pour 
apprendre  »  =  1 2°  de  0  et  G,  lo*  de  A. 

«  Le  treziesme  du  philosophe  et  de  la  responce  de  Platon  »  =  15*  de 

0  etc.,  II»  de  A. 

«  Le  XII II.  c5bien  la  terre  a  de  iQg  enuirO  et  de  lez  et  despes  panoy» 
=  14  de  0  et  G,  12  de  A. 
«  Le  XV.  combien  le  soleil  côtient  de  hault  chacun  endnnt  soy  »  = 

1  j*  de  0  et  G,  1 3»  de  A. 

«  Le  XVI.  delà  grâdeur  et  de  la  haultesse  des  estoilles  et  de  leur 
ymage  »  =  i6«  de  0  et  G,  14»  de  A. 

«  Le  XVII.  du  nObre  des  estoilles  »  17*  de  0  et  G,  1 5»  de  A. 

<(  Le  XVIII.  de  la  grandeur  du  firmament  et  du  ciel  qui  est  dessus  » 
=  18"  deO  et  G,  i6«  de  A'. 

«  Le  XIX.  du  ciel  cristien  et  de  ciel  impérial  »  =  19»  de  0,  18*  de 
G,  et  i7«de  A». 

«  Le  XX.  du  celestiel  paradis  et  de  son  estre  »  =  20®  (ms.  10)  dcO, 
19M  OG.,  i8"deA. 

Pour  compléter  les  indications  bibliographiques  de  notre  édition  fran- 
çaise, nous  ajouterons  que  le  prologue  (page  2  verso)  est  suivi  d'une 
image  représentant  le  Christ  comme  créateur  de  tous  les  êtres. 

Malgré  les  différences  de  l'arrangement  des  chapitres  que  nous  venons 
de  voir  dans  les  trois  rédactions,  elles  émanent  certainement  d'une  seule 

1.  En  hébreu  de  O  et  A  [0.  '<:D'':Dtt5n]  "j^  "p  anic  t  la  grandeur  du  pa- 
radis céleste. 

2.  En  hébreu  de  0  rh^'n^ri  '<»0'!  nxinh  '<a©a. 

3.  Ne  se  trouve  pas  dans  l'index  de  G;  dans  le  corps  c'est  le  19»  chap. 


TRADUCTIONS  HÉBRAÏQUES  DE  h'ïmagt  du  MOTldl  \  ^5 

et  même  source  ;  les  variantes  soni  l'œuvre  des  copistes.  Le  style  est  le 
même  et  ii  n'y  a  que  des  chapitres  plus  ou  moins  développés,  selon  le 
caprice  des  copistes  '.  La  date  de  la  composition  est  dans  les  trois  rédac* 
tions  de  l'année  1 24^.  La  plupart  des  mots  qui  donnent  la  traduction  en 
langue  vulgaire  sont  français  {plus  ou  moins  estropiés)  \  dans  la  rédaction 
imprimée  f  le  copiste  en  a  changé  quelques-^uns  en  expressions  latines 
Voici  des  exemples  d'une  grande  partie  de  ces  mots  d'après  le  ms.  0  : 

L  7  arv»Q^a  =  Grammaire  (rédition  a  «p'^îsTaHi^i  =  Grammalica), 
Les  noms  des  bêtes,  ainsi  que  les  noms  des  pays  et  des  villes^  cités  dans 
ïî»  j  j  à  5 ,  sont  trop  estropiés  pour  pouvoir  les  citer  comme  argument 
pour  notre  thèse.  IL  2  lasTai'^st  —  aimant  (l'éd.  a  :î:^iï<TO  ~  Magnet)  ;  le 
m.  cite  ici  le  livre  Lapidaire  {*^'''v^tb),  H,  10  en  parlant  des  eaux  ther- 
males, les  mss.^  ainsi  que  Véd.,  ont,  outre  Tibériade  (qu'on  ne  trouve 
pas  dansPéd.  française),  Aix-la-Chapelle  (hVbp^  y*^^h  ;  Téd.  française  a 
«  ais  et  plomiers  q  est  en  Lorraîe  ^  ».  II,  11  p'^^i  ir»  =  feu  grégeois'. 
Les  noms  des  jours  de  la  semaine,  qui  se  trouvent  seulement  dans  Tédi- 
lion  imprinnée  (llj  :j6 1  sont  en  français.  III,  11  pour  le  passage  français  : 
«  et  fut  dicte  monnoye  pour  ce  qlle  maine  le  monde  »  on  iil  en  hébreu 
dans  le  ras.  0  .naruncir  te  ^G.  nn^^iat^)  nH'i''rï<  tr^  *)v^bs  ificsisn  at^p^^ 
Ajoutons  encore  que  la  traduction  n'est  nullement  littérale  comme  celles 

b<fu  sont  dues  aux  Juifs  de  Provence,  mais  qu*elle  est  remaniée  et  adap- 
tée au  génie  rabbinique,  elle  est  écrite  dans  une  langue  un  peu  moins 
pure  que  celle  des  fables  composées  par  Berakyah,  et  qui  rappelle  plutôt 
celle  de  TYsopel  hébreu^. 

Après  avoir  décrit  les  différentes  rédactions,  il  nous  reste  à  traiter  de 
I*époque  vers  laquelle  la  traduction  semble  avoir  été  faite  et  du  nom  du 
traduaeur.  La  traduction  d^un  ouvrage  français  ne  peut  être  rapportée 
qu'à  une  époque  où  les  Juifs  étaient  maîtres  de  cette  langue,  par  consé- 
quent avant  l'expulsion  des  Juifs  de  la  France  par  Philippe  le  Bel  i  vers  la 
lin  du  XIII*  siècle  au  plus  tard];  on  ne  peut  en  effet  supposer  un  Juif  érudit 
îjant  appris  le  français  à  l'étranger  :  ce  serait  un  fait  unique.  D'ailleurs 


^ 


i.  On  trouve  dans  Tune  et  Tautrc  rédactions  d'autres  sentences  a gadiqu es, 
q«i  $e  rapportent  au  sujet  traité  dans  le  chapitre.  Seul  le  ms.  d*Oxford  cite 
plusieurs  lois  Maîmonide  (quelquefois  seulement  avec  l'expression  de  «  le  juste 
i maître  •),  une  lois  (III,  i)  îc  hvre  Çoarath  hd-tuç  d*Abraham  Iben  Ezer  (sic, 
(rauletiT  en  est  Abraham  fils  de  Hiyi)  et  une  autrefois  le  livre  Àlqothl  (livre  astro* 
[iiomique  par  Jacob,  fils  de  Samson  (rabbin  français),  composé  en  4885  A.  M. 
[^  H2|  A  D.  Un  fragment  de  ce  dernier  ouvrage  se  trouve  en  ms,  à  Oxford, 
|VoinK)tre  catalogue  n'  692,  7. 

1.  La  Lorraine  est  assez  souvent  citée  dans  notre  rédaction  française. 
f.  Le  mot  Archu^  cité  par  M.  Zunz  (L  c.)  à  Tâppui,  représente  le  nom  du 
f^osophe  Archas  écrit  eo  hébreu  vp^st. 
4.  Voy*  le  savant  article  de  M.  Steinschncidcr  dans  le  Mrbuch  de  Lemcke. 


136  A.   NEUBAUER 

un  Juif  qui  aurait  traduit  l'Image  du  Monde  un  siècle  seulement  après 
la  composition  de  cet  ouvrage  n'aurait  pas  donné  la  date  de  la  composi- 
tion sans  ajouter  un  mot  sur  la  date  de  sa  traduction.  Il  ne  faut  donc  pas  la 
reculer  plus  loin  que  la  fm  du  xiir  siècle.  Or  M.  Paulin  Paris  nous  a  fait 
connaître  un  certain  Juif  Hagins  comme  ayant  traduit  les  livres  astrolo- 
giques d'Abraham  Im  Ezra,  en  1 273 ,  dans  la  maison  de  Bâte  à  Malines  <. 
Ce  nom  est  probablement,  comme  M.  Graetz  le  suppose^,  identique 
avec  le  nom  hébreu  Hayyim  ;  le  nom  de  Hagin  se  rencontre  assez  sou- 
vent dans  des  documents  anglais  du  xiii»  siècle  3.  Il  est  assez  curieux  que 
huit  ans  plus  tard,  en  1281,  nous  trouvions  un  Juif  du  même  nom  en 
faveur  à  la  cour  d'Angleterre,  et  nommé  sur  les  instances  de  la  reine 
Aliénor  grand-rabbin  de  Londres.  Voici  le  document  concernant  cette 
nomination,  daté  année  IX  Edouard  1,15  mai  ^  : 

Rex  justiciariis,  vicecomitibus,  ballivis  et  omnibus  ministris  et  iidelibus  suis, 
ac  Judeis  suis  Anglie,  salutem.  Sciatis  quod,  ad  instantiam  karissime  consortis 
nostre  Alionore  Régine  Anglie,  et  par  assensum  communitatis  Judeonim  predic- 
torum,  volumus  et  concedimus,  pro  nobis  et  heredibus  nostris,  quod  Haginus, 
filius  Deulacres^',  Judeus  Londoni,  habeat  et  teneat  tota  vita  sua  officium 
presbiteralus  Judeorum  eorundem  libère,  quiète,  intègre,  cum  omnibus  pertinen- 
tiis,  libcrtatibus,  et  liberis  consuetudinibus  ad  Ipsum  presbiteratum  pertinentibus, 
sicut  Haginus,  filius  magistri  Mosei,  quondam,  Judei,  Londoni  defunctus,  vel 
alius  ante  ipsum,  officium  illud  prius  tenuit... 

Sans  nier  l'influence  que  l'argent  donné  à  la  cour  pouvait  avoir  eue 
dans  cette  nomination  de  Haginus  (nous  verrons  par  les  autres  documents 
que  nous  allons  publier  que  Haginus  était  en  effet  riche),  nous  devons 
insister  sur  certains  mérites  littéraires  d'un  homme  nommé  par  assenti- 
ment de  la  communauté  grand-rabbin  de  Londres.  Voici  deux  documents 
tirés  d'un  Cartulaire  conservé  à  Oxford  ^  concernant  Hagin  fils  de  Deu- 
letre,  qui  nous  semble  être  identique  avec  Haginus  le  grand-rabbin. 

I. 
Quiela  clamalio  Hagini  "  Judei  facta  Priori  et  Convenlui  Sanctc  Frideswide 
de  terris  et  tenementis  que  quondam  fuerunt  Johannis  Halegod. 


1.  Hist,  littér.  tome  XXI,  p.  499  pass. 

2.  Geschichtc  dcr  Judcn^  t.  VII,  p.  210. 

3.  Voir  ci-après 

4.  Rymer,  Fœdcra^  etc.  Londres  1816,  vol.  I,  pars  II,  p.  $511. 

5.  Rymer  (répété  par  M.  Graetz  1.  c.)  écrit  ucnlacrcs^  l'original  a  la  bonne 
leçon  Deulacrcs  ;  ce  nom  est  écrit  DeuUcrcssc  (Macray,  dans  The  ChronicUs  of 
Carfax^  Oxford  1873,  p.  3S)  et  Deulccrd^  ce  qui  est  la  traduction  du  mot 
hébreu  Gcdalyahou.  On  trouve  ce  nom  latinisé  Dcus-ci^m-crcscat  {Acta  Sanctorum^ 
Ocl,  VIII,  p.  S76). 

6.  Cartul.  S.  Fridcswidac  (ms.  de  Christ  Church  Coll.,  Oxford,  n^*  340)  p.  384. 

7.  Ms.  Hat. 


TRADUCTIONS  HÉBRAÏQUES  DE  L^ Image  dit  Monât  i  57 

Hjginus  filius  Dculetre  *  Judeus  recipit  per  sUrrum  suum  quod  quietavit^  per- 

I  liooivit,  rcmisit,  et  pro  se  et  pro  heredibus  suis  et  assignatis  in  perpeluum  omnino 

j  quielujii  clamavit  Johanni  de  Leukenore  Priori  Sancte  Frideswide  Oxon.  clcjusdem 

I  loci  convcntui  cl  eorura  successonbus  et  assignatis,  lotum  jus  demandere  (5tc)  da- 

m'tuin.Gatumniam.  obligationem^ querelani  et  actiones^ que  tinquam habuit  velhabere 

I  potflit  super  quascumque  terras  et  tenementa  cum  omnibus  pertinentiis  suis, 

qojs  terras  et  que  tenementa  idem   Prior  et  conventus  habuerunl  et  tenuerunt 

l  d»c  confectionis  istius  slarri,   que  terre  et  tenementa  aliquo  tempore  fuerunt 

EJoHannis  Halegod  tn  villa  Oxon.  vel  alibi  ;  ita  quod  predictus  Haginus  seu 

Eljeredcs^  vcl  assignati  sui  seu  aliquis  pro  se  vel  per  se,  nichtl  cxigere  vel  vendi- 

I  arc  seu  quoquo  modo  calumniare  possint  versus  predictos  Priorem  et  Con- 

vcntum  vcl  eorum  successorcs  vel  assîgnatos,occasioneterrarumet  tenementorum 

[prtdktonim  cam  pertinentiis  suîs^   ratione  alicu[us  debili,  in    quo    predictus 

iohannes  Haiegod  vel  aliquis  antecessonim  suorum  unquani  tenebatur  Cressio 

I  Wio  magistri  Mossei  patris  ipsius  Hagini^  vel  îpsi  Hagino  vel  altcui  antecessorum 

;  vel  hercduni   suorum    per    carlam   chirographariam  obligaljonem   tallium    seu 

aliquo  alîo  modo  a  creatione  seculi^  usque  ad  tlnem.    El  si  aliquis  Judcus  vcl 

Judea,  Chnstiaîius  vcl  Christiana,  aliquid  exigere,  vcl  calumniare  possit  versus 

prtdictos  Priorem  et  Conventum  seu  eorum  successorcs  vel  assignâtes  occa- 

I  .îionf  prediclaru m  terrarum  et  tenementorum   cum   pertinentiis   suis  pro  aliquo 

débite,  in  quo  predictus  Johannes  Haiegod  vel  antecessores  sui  unquam  predicto 

Cressio  vel  predicto  Hagino  vel  antecessoribus  vel  heredibus  suis  idem  Hagrnus 

rt  heredcs  et  assignati  sui  tenentur  ipsos  inde  acquietare,  warantizare  et  dcfen- 

4cre  m  perpetuura  contra  quoscunque  calomniantes.  Actum  die  Martis  proxima 

pûsl  festum  Sancii  Andrée  anno  regni  régis  Edwardî  decimo  (7  dec»  17821. 

IL 

Starrtim  Hagini  filii  Deuletre  Judei  recognitum  est  et  irrotulalum  infra  Starra 
de  Icrmino  Sancti  Michaelis  anno  regnî  régis  Edwardi  fiîiî  Régis  Henrici  \\\ 
«cipiciitc  X",  ad  scaccarium  Judeorum  coram  H.  Hauteyn  et  H.  de  Ludhara, 
tunt  justiciariis  ad  custodiam  Judeorum  assignatis.  Et  sequitur  brève  domini 
î^îgtt  vicccomiti  Oïon.  dire  du  m  et  ab  eo  ballivis  ville  Oxon.  super  materia 
praedicta,  in  hacc  verba  : 

).  de  Thedmers  vicecomes  Oxon.  ballivis  ville  Oxon.  salutem.  Mandalum 
imm  Régis  m  hec  verba  suscepimus*  «  Edwardus,  Dei  gralia^  etc.  viceco- 
»  mili  Oxon.  salutem.  Quia   Haginus  filius   Deuletre  Judeus  qui  dicitur  Cok 

•  Hag)*n  in  curia  nostra  coram  juslicianis  nostns  ad  custodiam  Judeorum  assi- 

•  gnatis  recognovit  per  starrum  suum  quod  quietavit   et  reniisit  Priori  Sancte 

•  Ffidcswide  Oxon,  et  eorum  successonbus  omnta  débita  cl  actioncs  et  deman- 
»  dâs  quascumque  in  quibus  ci  tenebatur  occasione  terrarum  et  tenementorum, 

•  que  Icncl,  que  fuerunt  Johannis  Haiegod  de  Oxon.,  libi  precipimus  quod 

•  ddcm  Pnori  demandam,  quam  eisfacit  occasione  terrarum  seu  tenementorum, 


**  M  faudrait  plutôt  DeuUcrc;  ce  ms.  est  en   général  assez  incorrectement 
[krki  i\  ne  but  donc  pas  être  étonné  d'y  trouver  les  noms  propres  estropiés. 
1.  Dans  ic  cartul,  habcnd\ 


1^8  A.    NEUBAUER 

■  quac  fuerunt  Johannis  Hilegod,  et  que  idem  Prior  tcnuil  ante  festum  Sanclt 

•  Michaelis  nu  ne  proxîmo  preterito  pacifiée  haberc  permittas.  Et  districlionem 
«  si  quam  ei  feceris  vel  si  quîd   ab  eo  ceperis  *occasione  predtcta  eidem  sine 

•  dilatione  délibéra  ac  restituas.  #  Teste   H.   Hatiten   apud  Westmonastenum 
XV  die  Aprilis  anno  regni  régis  nostri  dedmo  (1283)', 

Nous  croyons  donc  que  Hagin,  le  traducteur  des  ouvrages  d'Ibn  Ezra, 
est  identique  avec  Haginus  Deulecres  ou  Deulecret  le  grand-rabbin,  et 
que  c'est  aussi  lui  qui  est  le  traducteur  de  Tlmage  du  Monde,  iraduaion 
qui  aurait  fait  sa  réputation  littéraire  parmi  ses  coreligionnaires  â 
Londres*.  Ce  qui  vient  à  ï'appni  de  notre  hypothèse,  c'est  le  nom  de 
Matthatyah  Delacrat  auquel  on  attribue  dans  l'édition  d'Amsterdam  la 
traduction  de  Flmage  du  monde.  Ce  rabbin,  qui  est  d*origine  polonaise 
et  qui  vivait  en  1 5  5  o  en  Italie,  ne  savait  cerlainemeni  pas  le  français  ; 
en  outre,  à  cette  époque  où  le  livre  géographique  d*Abraham  Farissol 
composé  à  Ferrare  en  1 524!  était  suffisamment  connu^  un  traducteur  de 
limage  du  monde  aurait  ajouté  des  notes  tirées  du  livre  de  Farissol 
concernant  les  dernières  découvertes  géographiques.  Ajoutons  encore  que 
Matthatyah  ne  mentionne  pas  cette  traduction  dans  ses  autres  ouvrages,  . 
el  que  les  seuls  Juifs  qui  connaissent  )a  traduction  hébraïque  de  l'Image 
du  monde  avant  son  impression,  Joseph  Safomon  del  Medîgo  de  Candie 
{'l  16911  î,  et  le  traducteur  anonyme  de  cet  ouvrage  en  judéo-allemand, 
le  mentionnent  comme  un  livre  anonyme. 

Il  nous  semble  que  le  ms,  sur  lequel  l'édition  d'Amsterdam  fut  faîte 
avait  le  nom  de  traducteur  a^^-^pbn  (Delcret!  [^^  s^^^n],  et  comme  le  rabbin 
Matthatyah  était  le  seul  connu  sous  ce  nom  de  famille  ^,  on  n'hésitait  pas 
à  la  lui  attribuer.  Quanta  David  fils  de  Moïse  désigné  dans  le  ms,  G. 
comme  le  traducteur,  il  nous  semble  être  le  copiste,  ce  nom  étant  toui- 
à-fait  inconnu  dans  la  littérature  juive. 

Pour  compléter  notre  notice  il  nous  reste  à  décrire  la  traduction  ou 
plutôt  Tâbrégé  de  l'Image  du  monde  en  judéo-allemand,  imprimé  à  Ans- 
bach  (?")  en  l'année  5479  a.  m,  =  1719  a»  d.  avec  le  titre  de  «  livre  de 
la  connaissance  du  monde  »  tbi:?  n5*'*T*<  *ibd. 

Le  traducteur  s^exprime  ainsi  :  a  Le  livre  (sur  lequel  il  a  fait  sa  traduc- 
»  tion)  se  trouvait  en  ms.  seulement,  et  fut  traduit  de  l'arabe  en  hébreu 


1.  Un  Haginus  h  Evtsk  est  mentionné  sur  un  reçu  de  Kent  daté  XIIL 
Edouard  L  (Record  office,  Jew  Rolî  Kanc.  \\  Edw.  L) 

2.  Les  Juifs  à  Londres  étaient  à  celte  époque  pour  h  pbpart  d'origine  fran- 
çaise, comme  on  te  voit  par  leurs  noms  ;  Bmtncdiose,  Btnefry,  Bonamy  etc.  (Tite 
Ckfomclis  of  Car  fax,  p,  57)  ;  voir  aussi  l'article  Moisi  de  Londta  dans  VHtiïùin 
Imirauc,  tome  XX Vil,  p.  484. 

j.  Voyez  Geiger,  MiiÔ  Ho/naim,  p.  88,  note  1  14. 

4.  On  trouve  le  nom  de  famille  Ibn  Gcdalyah  dans  le  XV*  siècle* 


TRADUCTIONS  HÉBRAÏQUES  DE  L^Imagô  du  MOfldô  I  59 

»  par  un  Juif  espagnol  (*n^&b)  il  y  a  plus  de  deux  siècles  >.  Le  langage 
»  étant  trop  difficile  à  comprendre,  il  l'a  traduit  en  langue  vulgaire  pour 
»  que  tout  le  monde  puisse  comprendre  les  choses  merveilleuses  que 
»  Dieu  a  créées.  »  Bien  que  divisée  en  paragraphes  séparés,  cette  tra- 
duction n'est  pas,  à  proprement  parler^  divisée  en  chapitres.  L'ordre  en 
diffère  de  toutes  les  rédactions  connues.  En  voici  la  concordance  d'après 
l'édition  imprimée  :  §  i  =  III,  6,  7  avec  beaucoup  de  variantes;  2  = 
ni,  8,  9  (on  y  lit  n«Bta  pour  n&(*iat»)  ;  3  =  III,  10  et  I,  6;  4  =  I,  7 
(abrégé);  5  =  11,  2,  3  ;  6  =  II,  4  à  10;  7  =  II,  10  ;  8  =  II,  1 1  ; 
9=  II,  14,  15  avec  des  variantes;  10  =  II,  ï6  (plus  développé)  ;  1 1 
=  H,  12,  13,  17  (plus  étendu),  14=  II,  2^  ;   15  =  I,  10;  16  =  II, 

24;  17  =  1,  îm;  18  =  11,25. 

A  l'intérieur  de  la  reliure  de  l'édition  française  se  trouve  l'indication 
d^ine  édition  anglaise  autre  que  celle  de  Caxton  mentionnée  par  M.  Le 
Clerc  ;  elle  a  été  découpée  d'un  catalogue  de  vente  et  collée  probable- 
ment par  Douce.  En  voici  le  texte  :  «  The  Myrrour  end  Dyscrypcyon 
»  of  theWorlde,  with  many  Meruaylles,  and  the  .vu.  Scyences,  as  Gra- 
»  mayre,  Rethorike  with  the  Arte  of  memorye,  Logyke,  Géométrie 
»  etc.  etc.  (black  letter  with  many  curions  woodcuts  etc.  etc.  very  rare 
»  12  I.  12  s.).  Folio,  Emprynted  by  me,  Laurence  Andrewe,  dwel- 
»  lynge  in  flete  streie,  at  thee  sygne  ctf  the  goldê  crosse  by  flete  brydge 
1).  » 

Ad.  Neubauer. 


I.  Cette  date  approximative  suffirait  à  écarter  le  rabbin  Matthatyah.  Voyez 
M.  Zunz,  Benjamin  of  Tudcla  II,  p.  274,  n*  75. 


PHONÉTIQUE  FRANÇAISE. 


LA  PROTONIQUE  NON  INITIALE,  NON  EN  POSITION. 


Dans  une  étude  qui  fit  faire  un  grand  pas  à  la  théorie  des  voyelles 
atones  dans  les  langues  romanes*,  parce  qu'elle  abordait  pour  la  pre- 
mière fois  le  problème  de  la  protonique,  M.  Brachet  éublit  en  1866  les 
deux  lois  suivantes  :  i<>  La  protonique'  non  initiale,  non  en  position, 
tombe  en  français  quand  elle  est  brève;  2^^  elle  se  maintient  quand  elle 
est  longue.  Deux  ans  après,  dans  son  Dictionnaire  étymolog^jue,  l'auteur 
reprit  et  compléta  son  travail.  Il  dressa  d'une  part  ià  l'article  accointer) 
une  liste  fort  étendue  de  mots  dans  lesquels  est  tombée  la  protonique 
brève  à,  ?,  F,  d,  û,  et  de  l'autre  (à  l'article  aider]  une  courte  liste  des 
mots  dans  lesquels  la  protonique  longue  est  tombée  par  exception  >.  La 
première  loi ,  appuyée  sur  un  nombre  considérable  d'exemples ,  et  la 
seconde,  combattue  seulement  par  quelques  exceptions  qui  semblaient 
pouvoir  être  négligées^  furent  admises  toutes  deux  sans  discussion. 

Toutefois,  en  1872,  M.  J.  Storm,  dans  un  mémoire  rempli  d'observa- 
tions fines  et  neuves  sur  les  atones  ^,  mit  en  doute  la  valeur  de  la  seconde 
loi  :  «  Ce  n'est  pas,  dit-il,  la  longueur  qui  a  sauvé  les  voyelles,  c'est 
plutôt,  dans  la  plupart  des  cas,  le  souvenir  des  primitifs  où  ces  mêmes 
voyelles  sont  accentuées  :  en  outre,  la  commodité  de  la  prononciation  : 
stnùment  fait  penser  à  sentir  et  ne  pouvait  devenir  "senfmeni  senment; 
de  même  avarice  et  non  ^avrice^  de  avare^  etc.  Plusieurs  mots  dont  l'ori- 
gine n*est  plus  sentie  en  roman  font  exception  à  la  règle  de  M.  Brachet, 
comme  il  le  reconnaît  lui-même,  ainsi  vergogne  de  verecundia.  »  M.  Storm 
ôuit  fondé  dans  son  doute  ;  il  avait  raison  de  soutenir  que  dans  un  cer- 

I  Lhi  t^ii  J(s  voyflies  latines  atones  dans  let  langues  romanes,  dans  le  Jahrbuch 
':;>  .\\».'«j/*.vsAc  LiU'iatur,  VU,  p.  301  et  suiv. 

'.    V  •    Ot;.*lfiwnt  hé  face,  page  lxxxi. 

i  ^i.'Mj/y^\  sui  Us  voyelles  atones  du  latin,  des  dialectes  italiques  et  de  V italien, 
M;uK'.ivA  Jv*  li  Sv»ci^tc  de  linguistique  de  Paris,  II,  p.  81  et  suiv. 


U   PROTONIQUE   EN   FRANÇAIS  141 

mn  nombre  de  cas  les  lois  posées  par  M.  Brachet  ne  peuvent  rendre 
raison  des  faits  ;  seulement  l'explication  qu'il  proposait  était  elle-même 
insuffisante* 

Il  faut  aller  plus  loin.  En  effet,  la  liste  des  exemples  apportés  à  l'appui 
de  la  théorie  doit  être  diminuée  ;  celle  des  exceptions  doit  être  considé- 
rablement augmentée.  Dés  lors,  les  lois  établies  ne  peuvent  plus  être 
maintenues,  et  il  faut  en  trouver  d'autres  qui  rendent  raison  de  tous  les 
faits,  et  de  ceux  qui  paraissent  démonirer  et  de  ceux  qui  combattent 
ces  lois.  C'est  ce  que  montre  un  rapide  examen  des  deux  listes.  Voyons 
d'abord  les  exemples  donnés  pour  prouver  la  chute  de  la  protonique 
brève. 

Pour  Va,  aucun  ne  convient  :  ébâîre  au  xvr  siècle  est  aUbastre  •  ; 
iHfuyriiiU  est  un  dérivé  français  de  bouvier  et  vient  d'une  forme  bouve- 
rmih  ;  denrée  dérive  de  même  de  denier  et  est  pour  denerée  î.  Le  dernier 
exemple  est  sevrer;  or  sevrer  vient  non  de  separare,  mais  de  seperare^. 
Bien  plus.de  nombreux  exemples  contredisent  la  règle.  En  voici  quel- 
ques-uns :  chalemel  de  calâmcUumy  d'où  plus  lard  ckalumel  chatumeau; 
thtnevls  de  canâbisium  ;  cheneviere  de  canâbaria  ;  parets  de  paradisum 
(plus  tard  parem parvis]  ;  etc.,  etc. 

Pour  l'f/ quelques  exemples  sont  inexacts  ;  ainsi  bercail^  non  de  verve- 
Cflk,  mais  de  vervHalium;  berger^  non  de  vervecariam^  mais  de  vervecarium. 
De  plus  pour  Vt  comme  poiîr  Vâ^  la  règle  est  contredite  par  des  mots 
comme  souverain  de  'supcranumj  (en]sevelir  de  sepcUre^  etc. 

De  même  pour  17.  Effaçons  arracher  et  racine  qui  reposent,  non  sur 
tTâdïcdre^  radkinay  mais  sur  tradicare^  raiicina  ;  dortoir  qui  vient  de 
icrmUoriam  et  non  de  dormïîorium;  meunier  qui  a  pour  origine  mo/ï/iiinum 
et  non  molïnarium,  comme  son  presque  homonyme  saunier  vient,  non 
de  saUnariam,  mais  de  sarinariuin  K  En  revanche  opposons  carrefour  de 
quadrifurcum,  demoiselle  de  domimceiia^  senefie  de  signïficaî^  etc.,  où  la 
protonique  brève  est  représentée  par  e,  oi.  Comment  encore  expliquer  le 
maintien  de  ï  dans  sainteé  (sanctitatem),  neteé^  chasteé  et  les  formes 
analogues  f 


_^%,  •  Il  me  nomma  le  gif  et  l*ûWjjfr£»  (Palissy,  éd.  Cap,  p. 23 3).  La  contrac- 
tioo  lie  âUbastn  en  ûlbûsin  était  dé|à  commencée  au  siècle  précédent.  Le  gto&saire 
de  Lille  (éd.  Scheler}  donne  aibaslrt  (p.  jy  a). 

~^a.  Bouner  donne  les  diminulifs  *bouvenm!  bouvreuil^  huvcron  ou  bouvron,  et 
qui  ont  la  même  signification:  «le  p^ii  bouvier».  Ct.  G.  Paris^  dans  les 
MimQÎrcs  de  la  Société  He  linguistique  de  Pans,  ï,  p.  264, 
5.  C'est  une  loi  propre  au  vieux  français  de  We  tomber  Ve  entre  n  ct  r  : 
NK/41  4onrai  dorrm,  mènerai  menrai  mer  rai, 
[4,  Cf.  plus  bas,  p.  145. 

i*  A  l'article  mder,  M.  Brachet  cite  plus  exactement  saunier  parmi  les  mots 
()ui  font  tomber  la  protonique  longue. 


142  A.  DARMESTETER 

Pour  Oj  parmi  les  exemples  produits,  il  en  est  un  qui  est  cité  à  tort| 
c'est  petrôselinumf  en  vieux  français  pcresil  ou  peresin  '  » 

La  liste  de  û  bref  contient  des  mots  où  Vu  est  long  :  ceintrer  de  cinc- 
tUraUj  pétrir  de  pistârire  », 

Reportons-nous  maintenant  à  l'article  aidera,  La  persistance  de  la 
voyelle  atone,  dit  M.  Brachet,  ne  souffre  qu'un  très-petit  nombre  d'ex- 
ceptions, dont  les  unes  s'expliquent  par  la  date  récente  de  la  contraction; 
les  autres  par  ce  fait  que  dans  le  latin  vulgaire  l*atone  longue  était  déjà 
tombée.  M.  Brachet  cite  comme  appartenant  au  latin  populaire  des 
formes  telles  que  cosinus^  costuma,  matinutn^  âisnarc,  dmosna^  vcrcandia. 
Mais  ces  formes,  pourquoi  et  comment  ont-elles  été  tirées  des  formes 
antérieures cortso^rmum,  *consuetuma,matuttnum,  decanare  (?),  eleemosyna, 
verecundia  i 

Ni  dans  l'article  du  Jahrbuch^  ni  dans  le  Dictionnaire ^  on  ne  trouve  la 
liste  des  mots  à  protonîque  longue,  ayant  conservé  cette  voyelle»  La 
seconde  loi  de  M.  Brachet  est  fondée,  dans  le  Dictionnaire,  sur  le  mot 
cimetière  de  cœmêteTium,  lequel  est  d'origine  savante,  et  sur  ornement  de 
ornïïmentum;  dans  le  Jahrbuchy  sur  le  mot  pèlerin  de  peregrinum^  dont  le 
second  e  est  bref*.  Les  exemples  posant  la  loi  sont  douteux;  ceux  qui 
rinfixment,  de  Taveu  même  de  l'auteur^  sont  bien  constatés  etappanien- 
nent  à  la  langue  populaire,  et  encore  ils  ne  forment  qu'une  faible  partie 
des  exceptions  réelles.  Car,  comme  nous  l^avons  vu  lout-à-Pheure, 
dans  un  certain  nombre  de  mots  la  chute  de  la  protonîque  longue  est 
expliquée  par  la  brièveté  supposée  de  la  voyelle,  et  d'un  autre  c6té 
beaucoup  d'autres  exceptions  sont  oubliées,  par  exemple  parçon  de  pani- 
tionenîj  mangier  de  mandUcare,  maisnil  de  mansiomle,  raisnîerd^  ratiOnan^ 
couture  de  consUtura,  etc.,  etc.  Il  faut  conclure  de  ces  observations  que 
le  maintien  ou  la  chute  de  la  voyelle  ne  dépend  pas  de  sa  longueur  ou 


I 
I 


1.  Picrrtùli  {Livre  du  bon  Jehan^  2}o,  dans  Littré).  Pensin  dans  le  Ghssaite 
de  Douai  (Remarques  sur  le  patois,  suivies  du  Vocabulaire  la  tin -français  de 
Guillaume  Brilon,  car  E.  A.  E.,  Douai,  i8p).  On  trouve  déjà  p£rsil^  patin 
dans  lesglossGsdu  dtctionnaire  de  J.  de  Garlandc  {Jahibuch^  i^'^Si  P-  ?7^}- 

2.  'Canûiirc  également  cité,  étant  tiré  de  canûtus^  doit  avoir  la  protonique 
longue.  D'aiîlcurs,  comme  me  le  fait  remarquer  M.  Paris,  ce  mot  ne  peut  donner 
chancir^  qui  vient  sans  doute  de  canus  par  l'addition  du  suffixe  cir;  cf.  noir  et 
noir-dr. 

j.  Nous  ne  parlons  pas  ici  des  dérivés  français  placés  â  tort  parmi  les  mots 
du  latin  populaire.  Toutes  ces  listes  comme  aussi  celles  qui  sont  données  dans  le 
Jûhrbmh  contiennent  un  certain  nombre  de  ces  faux  exemples^  qui  sont  saas 
valeur  :  dénombra  qui  vient  non  de  dinmmrait  mais  de  nombre;  ttrntaa  non  de 
*cir<tncllum,  mais  de  arm,  hommùgt  non  de  */iowi>w(jVum,  mit^àt  homme;  prina- 
pauti^  non  ^t^principahtûHm^xud^x^àt  principal;  iviché^  non  de  cptHopmum^  miis 
dcAV-îuf;  marbré,  non  àc  niannonttum,  mais  de  marbre,  etc.,  etc.  Rapporter  ces 
mots  A  des  types  latins^  c'est  méconnaître  la  force  de  création  du  français. 

4.  Voir  plus  Iws,  p.  147,  n.  i. 


LA    PROTONiqUE    EN    FRANÇAIS  14^ 

de  sa  brièveté.  Car  qu'est-ce  qu'une  loi  qui  vient  se  heurter  contre  tant 
d'exceptions  formelles  ? 

Nous  allûDS  essayer  d'établir  que  le  sort  de  la  protonique  en  irançais  < 
repose  non  sur  la  quantité,  mais  sur  la  qualité  de  la  voyelle,  non  sur  sa 
darét,  mais  sur  son  timbre ^^  tout  comme  pour  Tatone  finale;  que 
r*ccent  tonique  divise  le  mot  en  deux  moitiés,  et  que  les  voyelles  finales 
de  ces  deux  moitiés  sont  soumises  à  des  lois  de  même  nature. 

L'atone  fmale  est  soumise  aux  trois  lois  suivantes  >  : 

i  ^  a  bref  ou  long  se  maintient. 

2**  e,  I,  0,  u  brefs  ou  longs  tombent. 

.j«  Après  un  groupe  de  consonnes  demandant  une  voyelle  d'appui  ^ 
lês  voyelles  qui  seraient  lorpbées  sont  représentées  par  un  e  féminin, 
que  cet  c  soit  un  atfaiblissement  de  la  voyelle,  ou,  ce  qui  est  plus  vrai- 
semblable j  qu'il  en  vienne  prendre  la  place  après  sa  chute.  Ve  se 
maintient  même  après  la  réduction  du  groupe  qui  a  amené  sa  présence. 

Ces  trois  lois  régissent  la  protonique. 

Notre  démonstration  sera  faîte  si  nous  établissons  :  i  **  que  â  bref  se 
maintient  aussi  bien  que  â  long  ;  2"  que  f ,  F,  0,  u  se  maintiennent  sous 
l'influence  d'un  groupe  de  consonnes  ;  \^  que  ?,  I,  5^  U  tombent^  excepté 
quand  ils  sont  protégés  par  un  groupe  de  consonnes. 

L  —  A. 

A  bref  ou  long,  non  initial,  non  en  position,  reste  généralement  sous 
forme  dV. 
4  bref  :  adàmdntem     —     *âdemdnt  *açmânt  aimant  mmant^, 
al^bdstrum      —    akbastre  et  plus  tard  atbastre  \ . 


1.  Nous  ne  nous  occupons  que  de  la  protonique  non  inîtiale,  non  en  position, 
lelle  qu'on  la  trouve  dans  siur^minUim  ;  nous  laissons  de  côté  la  protonique  ini- 
iialt  \Ub6rtm)  et  la  proionique  noîï  initiale,  mais  en  position  ijuyQRcillum),  quj 
>ônt  soumises  à  d'autres  lois.  Voir  p.  164. 

2.  M.  J.  Storm  (/.  c,  p,  9^)  posait  déjà  ce  principe  que  (es  atones  italiennes 
ftncoiïtreni  on  fonds  de  résistance  à  laccent  qui  varie  selon  feur  qualité. 
ÎMlefois  il  n'a  pas  poussé  ce  principe  dans  toutes  ses  conséquences  et  ne  l'a 
pis  appliqué  au  trançais. 

|.  Voir  Zupitza  :  Die  nordwtstromanischtn  Auslautgesetze,  dans  le  hkrbach, 

4.  Pir  suite  d'une  conlusion  entre  la  première  partie  du  grec  àSafiévra  et  de 
Il  préposition  5iâ,  le  mot  s'est  altéré  soit  en  diamanUm  d*où  diamantc^  diaman^ 
dimenl^  elc^  soit  en  adimantcm  d'oîi  le  prov.  adiman  aziman  atiman,  et  par  la 
ditile  de  aj^  considéré  à  tort  comme  une  préposition,  Tespagnol  et  le  portugais 
imirt.  Le  fr.  se  rattache  directement  à  addmàfitem,  La  forme  aicmanl  qui  se  ren- 
coBtre  I  côté  de  almûnt  tpar  ex.,  God,  de  Bouillon,  14456)  est  une  modification 
esphonioue  de  aemant  par  intercalation  d'un  yodj  comme  aimant  est  une  modifi- 
cation d  un  autre  genre ,  par  changement  de  £  en  i. 

^  Voir  plus  hautj  p.  141,  n.  1. 


144  A.  DARMESTETER 

Atàmdnni  —  Aleman,  Allkmànni  est  plus  urité  que  Ali- 
manni;  dest  la  forme  officielle;  elle  se  rencontre  dans 
les  écrivains  latins  aussi  bien  que  dans  les  inscriptions  et 
les  médailles  < . 

ascdilônia  —  eschelogne  eschaloigne  (Livre  des  Métiers 
J54;  glosses  du  Dictionnaire  de  J.  de  Garlande,  Jahrbuch 
1865,  p.  J72],  escalone  (Rom.  d'Alexandre  41  j.;  Jean  de 
Gariande,  ibid.,  p.  571),  eschdongne  (Glossaire  de  Lille, 
42  a),  esc^ongne  (Panser  glossar,  éd.  Hoffmann,  262, 
384,  449);  —  échalotte  est  une  altération  postérieure  de 
échalogne  ». 

calàméllum  —  chalajnel  chdtmel  chaRmel  chabmd  cAâ/u- 
meau;  prov.  carsimeh. 

canlbària^  —  chénevière,  et,  avec  changement  de  sufiSxcs, 
chénevb  chénevotte. 

Cat^ldunis  —  Chadalons  Chaulons  Châlons. 

in^micum^  forme  du  latin  populaire  pour  inimicums  —  entmi, 
prov.  emmic  ^. 

orfaninum  —  orftnim. 

parMisum  —  partais  partis  pàrtvis  et  plus  tard  parvis  (on 
trouve  zm%\  parais). 

pergkminum^  et  latin  populaire  percMinum  —  parchemin. 

prirrikvera  — primtvoire^. 
Les  autres  exemples  à  nous  connus  de  à  protonique  sont  scarâbdus, 
compàrdre  et  sepàrdre  9. 

1.  Alamanni,  Alamannia  dans  Claudien,  Cons.  Stilich.  III,  17;  IV  Cons.  Honor, 
^4p;  Delaudibus  Stilich.  I,  234;  Aurelien  Victor,  Epitome,  II,  47.  Pour  les  oié- 
aailles,  voir  Cohen,  Médailles  impériales ,  VI,  p.  191,  n»*  29  et  jo.  Cf.  le  Notitia 
Dignitatum,  index  du  tome  I,  AlamannuSy  Alamanni. 

2.  Dans  échalone,  réduction  de  cschalogne,  one  a  été  considéré  comme  le 
suffixe  d'un  radical  échal  et  ensuite  échange  contre  un  autre  suffixe  :  khal-one 
:=  échal-otte, 

3 .  Le  V.  fr.  chalmel^  chaumel,  et  le  pr.  calmelh  dérivent  de  chalme  chaume^ 
calme.,  dérivés  de  càlamus. 

4.  Et  non  cannahdria,  o\x  Va  de  ca  étant  en  position  devant  un  aurait  été  con- 
servé. Canabària  est  aussi  usité  que  cannabària. 

5.  Cf.  A.  Darmesleter,  Noms  composés,  p.  7^  et  suiv.,  et  p.  321. 

6.  Vinimi  de  la  Cantilène  de  Sainte-Éulalie  est  sans  doute  déjà  un  mot 
savant  refait  sur  le  latin.  La  Cantilène  a  d'autres  mots  savants  :  clément,  mgi- 
mtet, 

7.  On  pourrait  dire  qu'ici  Vc  est  dû  au  groupe  rf  qui  précède. 

8.  Primevoire  n'est  pas  un  composé  français,  car  ver  n'a  pas  changé  de  forme 
dans  la  vieille  langue  et  de  plus  a  gardé  le  sens  de  printemps.  Le  sens  de  prime- 
voire (première  fleur  du  printemps)  et  la  forme  de  ce  mot  nous  reportent  néces- 
sairement à  un  composé  du  latin  populaire  primavcra,  -rue,  latin  classique  primum 
ver,  première  fleur  du  printemps;  cf.  ver  novum,  nouvelle  fleur  du  printemps. 

9.  Nous  ne  citons  pas  par  avëredum  palefroi  parce  que  le  second  «n'est  pas  un 


LA   PROTONIQUE   EN   FRANÇAIS  14^ 

Scûtabacus  n'est  pas  l'original  A'tscarboi^  lequel  dérive  d^escharbe  = 
tcdrabus  =  G%xpaîoq, 

La  conjugaison  normale  de  comparer  en  v.  fr,  est  pour  les  formes 
accentuées  sur  le  radical  compère,  compères  y  compère ,  compétent^  —  que  je 
CQmp€rc,  etc.  ;  pour  les  formes  accentuées  sur  la  terminaison  :  comparons 
ou  camperons^  comparez  ou  camperez ,  comparer  ou  compercr^  etc.  '.  Ces 
formes  s'expliquent  par  le  composé  latin  comparare^  décomposé  en  ses 
deux  éléments  cém  et  pardrc.  De  là  les  formes  ayant  a  :  comparons, 
comparer ,  etc.,  et  les  formes  ayant  e  :  {je]  compère,  {ils)  comperenî,  etc. 
Ensuite,  par  une  réaction  de  ces  dernières  sur  le  reste  de  la  conjugaison, 
on  \oit  nahre  les  formes  analogiques  :  comperer  comperons  comperrai,  etc* 
A  côté  de  ces  formes  on  trouve  plus  rarement  comprer  qui  dérive  du  latin 
populaire  comperare^  lequel  est  à  comparare  ce  que  imperare  est  à  'iVi- 
^arare  et  ce  que  Ueperare  est  à  separare, 

Scperare  en  efet,  comme  comperarc^  appartient  au  latin  populaire  *. 
Toutefois  le  v,  fr,  severaU  severalemeat  peut  être  rapporté  à  Padjectif 
latin  stpar,  separis,  d'où  *separalis. 

A  long.  Le  maintien  de  a  long  ne  fait  pas  Tombre  d'un  doute.  Les 
exemples  sont  inutiles.  Signalons  seulement  les  contractions  de  donerai 
mfittai  denerée  en  donral  dorrai^  menrai  merrai,  denrée  dont  nous  avons 
pirié  plus  haut. 

La  seule  exception  à  la  loi  du  maintien  de  l'a  est  donnée  par  merveille 
km^biUa;  merveille  parait  déjà  dans  l'Alexis.  Il  esta  remarquer  que  la 
langue  d'oll  se  sépare  ici  de  toutes  les  autres  langues  romanes  ;  aurait- 
elk  dit  miribilid  sous  Tinfluence  de  mirïficus  î  ? 

protcnique  immédiate.  D'ailleurs  paranrtdum  est  un  coTTiposé  qui  a  été  décom- 
pwc  eu  ses  deux  éléments  :  para  devenu  pan^  pah  et  venJum  devenu  vredum 
H  hjllarCj  bryHart^  briller),  puis  frdam  jmd  froi  Le  changement  de  v  en  /. 
fFDcjibtc  que  pour  le  v  iDilial,  montre  bien  que  v^re^/wm  a  été  considéré  comme 
M  «KJt  séparé. 

1.  Jusqu'à  quel  point  toutePoîs  peut*on  se  Her  aux  leçons  des  éditions  împri* 
""te }  Souvent  les  m&s.  représentent  la  syllabe  cr  ou  ar  de  ce  mot  par  une  sigle. 
Comment  résoudre  l'abréviation? 

i.  Voir  Schuchardt,  VoUl.  I,  19^  ;  Storm,  /.  c,  p.  100. 

j.  Les  noms  propres  présentent  des  singularités.  Va  (quelle  en  est  la  quan- 
tité r)  S€  maintient  dans  Acqaaiina  Yveline^  Alâmons  Alamoni^  Aravardum  Alivardy 
Limmum  Umerjy,  Nugarciam  (Nucâretum?)  Notroj  (aujourd'hui  Nortoy), 
SHêMctim  SdUnay  1  aujourd'hui  Sunay)^  Tncassinum  Troksiriy  etc.  Mais  il  tombe 
diflj  Cimaracum  Cambray,  Curaciacum  Charci,  Gcvcrannam  Javron  (on  ne  trouve 
gïTUiîs  ChmuCf  Jav(fon)^  ulannativa  GtandèUf  Silvancdis  S(niis^  Tanuncnsis  Tirnois  : 
Uff/irajf  s'eiplique:  au  IX*^  siècle  on  écrivait  Camaacum^  et  il  y  a  là  une 
Actite  évidente  de  câmcra^  chambre;  les  autres  noms  sont  pour  moi  jusqu'ici 
weiplicables,  toutefois  il  est  possible  que  la  forme  primitive  àt  Sihanectis  soit 
Sthmtclis  el  quil  y  ait  eu  une  confusion  avec  siiva.  Le  Notilia  Dignttatam  donne 
Sihtintais  :  ïa  plus  ancienne  forme  romane  m'est  signalée  par  M.  Flammermont 
diDS  les  Monuments  historiques  de  Tardif  (p.  ^j),  c'est  le  dérivé  Selncctinse 

Romiinidy   V  10 


146  A,  DARMESTETBR 

Ve  issu  de  J  ou  rî  tombe  généralement,  à  une  époque  postérieure, 
après  une  liquide  ou  une  voyelle;  a  :  alhastrc  pams;  1  :  serment  dernier 
vraiment^  etc, 

II.  E,  h  0,  U  brefs. 

Nous  ne  donnons  pas  d'exemples  de  la  chute  de  ces  voyelles  ;  nous 
renvoyons  aux  listes  dressées  par  M.  Brachet,  listes  qui  présentent  plu- 
sieurs exemples  douteux  ou  faux  ',  mais  qui  toutefois  sont  assez  riches 
pour  établir  cette  chute  avec  certitude  ^^  Nous  voulons  examiner  les 
exceptions  dont  M.  Brachet  n*a  pas  tenu  compte»  et  qui  se  ramènent  en 
général  à  la  troisième  loi  delà  chute  des  finales.  Toutefois,  avant  d*en- 
treprendre  cet  examen,  il  est  nécessaire  de  constater  que  les  exigences 
de  l'euphonie  ne  sont  pas  les  mêmes  dans  Timérieur  et  à  la  fin  d'un  mot, 
et  que  tel  groupe  de  consonnes  l'males  ne  demande  pas  après  lui  dV 
féminin  comme  voyelle  d'appui,  qui,  placé  avant  ta  tonique,  réclame 
absolument  cet  c  féminin.  Que  |-on  compare  sunctum,  saint  à  sancûtdtemf 
sainttded  saintçé;  il  est  évident  que  la  présence  de  Ve  féminin  est  dû 
dans  ce  dernier  mot  non-seulement  au  groupe  net  qui  précède  la  proto- 
nique,  maïs  encore  au  i  qui  la  suit  K 

qui  se  trouve  dans  une  charte  de  770.  —  Les  noms  qui  précèdent  sont  anté- 
rieurs â  Tan  8^0;  ien  dois  la  liste  â  Tobligeance  de  M.  Lungnon  ainsi  que 
d'autres  listes  aue  j  ai  mises  plus  loin  4  profit. 

I ,  Il  faut  d*aDord  retrancher  de  ces  listes  les  mots  qtir  sont  de  purs  dérivés 
français^  voir  pitis  haut.  p«  142  n.  3.  Il  faut  ensuite  supprimer  les  mots  dont 
la  quantité  est  donnée  faussement  :  racine  de  radKinâ  et  non  radicina^  etc.  et 
enfin  ceux  qui  en  vieux  français  avaient  un  £  féminin,  comme  pcrresiL  Nous 
retrouverons  plus  loin  ces  deux  dernières  catégories  de  inots. 

a.  Ajoutons  toutefois  ici  deux  exemples  pitié  et  moitié.  PietnUm^  par  réduction 
de  rhiatus  au  moyen  d'un  yod  intercalé,  est  devenu  ûiyëtàtm  d'où  piytat  pitû 
(je  dois  celle  explication  à  M.  Louis  HavetJ,  de  même  que  imdtttatem  donne 
mcdtyetàUf  nuJiytût^  màytat,  mdtù^mouU,  Toutefois  ce  dernier  mot  peut  s'expli- 
quer encore  par  la  série  mediëtaUj  mcdyi^tntj  mtydtat,  matU,  moitié.  —  A  cAté  de 
puU  on  trouve  les  formes  pild  et  ptà^  pèc.  Ptteé  sera  expliqué  plus  loin;  quant 
à  piii,  piCf  que  Ton  rencontre  dans  te  mirack  de  Saint- Eioi  (pages  J9  j,  71  è  et 
77^^  voir  le  Jahrbuch^  1869,  p.  262),  cette  forme  est  étrange;  je  ne  puis  guère 
y  voir  qu'un  dérivé  de  Tadiectif  p«  (dans  œuvres  pin). 

j.  Un  peu  différents  sont  les  faits  que  présentent  les  mois  comme  markrin, 
chamkricre,  etc.,  où  Ve  ne  peut  représenter  une  protonique  latine.  MûrUrin  est 
un  adoucissement  de  marbnn^  dérivé  français  du  français  mûrhrt,  A  la  (in  du 
mot,  la  langue  n'admettant  pas  de  proparoxytons,  était  contrainte  d'accepter  le 
groupe  rbr  \ma:hn);  à  rititerieur  du  mot  c'étail  autre  chose,  et  morbria  pou- 
vait devenir  markrm.  De  même  le  latin  càmcrana  a  dû  passer  par  une  forme 
camrandf  chamhtikn  (trisyllabique)  d'où  par  adoucissement  chixmïcrihi  (et  plus 
tard  (hambri-àn).  Dans  ces  mois  et  les  analogues,  rîntercalation  de  IV  est  un  fait 

fjoslérieur,  propre  au  français  ;  celte  voyelle  ne  représente  aucun  élément  élymo- 
ogique.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans  Texemple  de  mnicè  =  sanclitatcm. 
Toutefois  ces  deux  orores  de  faits  présentent  de  grands  rapports  et  on  ne  peut 
guère  les  séparer;  au  fond  ils  reposent  sur  le  même  principe.  Il  n'est  pas  sûr 
que  \'c  de  tarrecin  soit  un  affaiblissement  de  Ta  de  /afrocmmm;  ce  peut  être  un  i 


LA    PROTONïQUE    EN    FRANÇAIS  I47 

Voîcî  maintenant  des  exemples  de  Taction  des  groupes. 
Protomque  e  :  intégrinum    —     iniegrin  enterin. 

pertgrinum    —    pciegrin  lit.  pdlegrino]  pe\erin. 
Dans  ces  deux  mots  les  goupes  nt-gr,  r-gr  ont  sauvé  la  protonîque  ' . 


wplioniquc  mlcrcalé,  dés  l'époque  romane,  aussitôt  après  la  chute  de  ïo,  pour 
f^ntr  le  groupe  ir*c;  le  fait  serait  tout  à  fait  analogue  alors  à  celui  âçmarmin^ 
bdalc  seole  a  itérerait. 

î,  M.  Brachet  dans  le  Jakrbuch  cite  pcngrimis  comme  exemple  du   maintien 

tleli  long^  i  lurt  j  car  IV,  bref  par  nature,  ne  s'allonge  pas  devant  gr.  Le  latin 

populaire  )gnorJÎl  la  quantité  cta  hbiium  qui  n'était  qu  une  licence  à  l'usage  des 

poet«3i  clasirques.  Ceux-ci  scandaient  piUr-an^  allongeant  la  syllabe  gai,  mais 

ftoa  )a  voyelle  à  ;  le  peuple  disait  pn-uem.  M.  Havet  m*assure  que  ni  Plaute  ni 

TéfMoe  ne  scAndent  pat-rm  {et  les  mots  analogues),  mais  pa-înm,  D'ailleurs  la 

position.   Si  elle  modifie  la    nature  de  la   syllabe,  laisse  jntacte  la  voyelle  qui 

çirtie  sa  qtiJtTlrté  el  par  suite  son  timbre  spécial  :  scx  (cf.  le  gret  ï\  )  se  pro- 

fKiocait  %h  ;  ièx  (cf.  lt*gcm)  se  prononçait  lix  ;  cf.    desphium  devenant  dapxt 

et  duêttum  devenant  drou.  Si  la  voyelle  conserve  son    timbre  devant  deux 

fflucttts,  à  plus  forte  raison  devant  deux  consonnes  dont  la  seconde  est  r.  En 

iiil,  on  na  pas  d\xcmpk  dhint  vûyelU  brève  par  nalun^  ûllongèe  en  roman  devant 

nia  (ùniûnm  smvk  dt  f.  M,  G.  Paris  dans  son  Accent  iatm  (p.    ^9),  M.  Scheler 

te  son  Exposl  des  lots  i^ui  régissant  la  transformation  jrançaiu  des  mots  latins 

'       '  piX  tonnerre  toniiotrt  de  tànilru  ;   le  mot  latin  presque  exclusivement 

:■  ia  Vulgate  est  tontirimm  ;  arbin  de  arbiter^  il  faut  partir  de  arbi- 

:  detir^brum^  tatùre  vient  de  larâirurn  qui  a  donné  l'espagnohdWfO, 

taratre  (cf.  latro  laire)^  le  v.fr.  iarèrt  encore  existant  dans  les  patois, 

- •.  -..jiuite   en  tariltrc.  Ahurem,  d'où  alcgre,  s'est  confondu  avec  acrem 

dont  i)  a  reçu   Paccenluation.  Entier  vient  bien  de  tnlegrum^   mais  Yc  n'a  pas 

it-  iIÎAno.  ^^r  le  groupe  gn  il  y  a  eu  là  simple  déplacement  d'accent  de  m  sur 

tenir  le  suffixe.  Même  déplacement  d'accent,  même  conservation  de 

titvt  à ins  paupilrc  de  palpébra   (conservé  plus  fidèlement  dans   le 

^iprrduPs.  d'Oxf.,X,  j)  ou  suivant  M.   Àscoli  {Studj  critici,   parte  II)  de 

^(p^lra  qu'indique  Varron.  On  peut  citer  encore  couleuvre^  mais  colubra  présente 

îant  d'anomalies  qu'on   ne  peut  rien  conclure  de  ce  mot,  Cotûbir  â  Vu  bref^ 

Buis  noo  toiubrù,  -brnm  qui  cfiez  les  poètes  ont  presque  toujours  Vu  long,  d'où 

■^l'oB  tsl  en  droit  d'affirmer  une  prononciation  générale  colîtbra^  -brum.  dont 

j/i^rf  *hmm  est  une  licence  due  a  l'analogie  de  colûber.  D'un  autre  côté,   le 

w-/.   prov.  colobrc  ^bra^  esp.  aïkiffa  (âe  calmbra)  mdiquenl  un  type 

et  même  càlSbra  -brum.  11  semble  qu'il  faille  admettre  Texistence 

-bram  qui,  par  une  singulière  métathese  de  voyelles,  serait  devenu, 

Ht   Faccenl  primitif,   cMbra-brunK  Enfin  citons  encore  ténèbre  de 

-     j    riijis  tintbre  est  savant;  il  vient  du  latin  de  la  liturgie,  comme  le  prouve 

Li forme  f^rifkor  qui  dérive  de  l'oifice du  soir:  primà^  secundA  tenebrarum  (G.  Paris, 

'     '  '-'      p,  42),    Le  Psautier  du  Bnttsh  Muséum  {Codex  Couonianas  Nero, 

Kr.  Michel,  Ps,  d'Oxfordj  p.  18),  traduit  cette  ligne  de  la  Vulgaïe 

«      A>  M,  I  j)  »  Et  posuit  tencbras  laitoulum  suum  p  par  «  E  posât  tenebras  sa 

'^ortiille  ».   Le  mot  latin  est  tout   bonnement  reproduit.   C'est  un  exemple 

-r^  f^oHCoup  d'autres  de  mots  dus  aux  clercs  ou  au  latin  de  la  liturgie,  et 

;  primwi  temps  dt  lu  langue  dans  le  parler  populaire.  Tels  sont 

'f^     titre,  ordre  j  tpitn^  dtacrt,  etc.;  si  ces  mots  étaient  populaires , 

c*è-é  I tarent  par  tradition  orale  au  latin  parlé  en  Gaule  au  IV'  siècle, 

à  irn  us  ihanf  ou  chcvi^  [avec  /  mouillée),  seil  (cf,  sullcàt  situta)^  orne 


iWH  liaiilrurs  existe  en  v.  fr.  au  sens  de  rang,  ligne,  et  dans  les  patois  att 
lem  de  jiHon,  de  U  orniire),  ivatte^  diaîgttc  (ou  quelque  chose  d'analogue).  Ces 
«^  ont  cùnscfvé  l'accent  Ulln  parce  qu'ils  ont  pénétré  dans  ta  langue  avant  le 


I 


[48  A.  DARMESTETER 

"siipérJnum  —  sovtrain  à  côté  de  sovrain  < 

'bibéràûcum —  bevtrage  à  c6lé  de  bevrage* 

opérdre         —  overer  à  côté  de  ovrtTî 

s€péUre         «-  sevelir^ 

'paup^rhum  —  povcrin  î. 
Ici  nous  trouvons  raction  combinée  des  groupes  v-r,  M  devant  li 
voyelle  accentuée.  La  forme  primitive  et  normale  est  ovrcr^  bevragi, 
soyrain,  sevlir,  pQvtin  ;  mais  la  langue  a  senti  le  besoin  d^adoucir  ces 
formes  ;  ce  n'a  été  qu'une  tendance,  et  non  une  transformation  absolue  ; 
voilà  pourquoi  Tintercalation  de  IV  féminin  n*a  lieu  en  somme  que  spora- 
diquement. De  même  les  futurs  en  vrai  {avraiy  savrai^  devrai]  sont  h  ^ 
règle;  les  formes  postérieures  en  verai  l'exception  6.  I 

XH''  siècle,  époque  où  se  perd  le  sentiment  de  Taccent  btin  et  français.  Dans 
capitulum,  chapitre^  ça  devient  cha  parce  qu'on  sentait  encore  la  parenté  de  cha 
(prononcé  sans  doute  kha  ou  peut-être  encore  kcha)  avec  Cê  :  c  est  ainsi  que  le 
mot  savant  canddabrum  devient   chanddûhrt  dans  l'Alexis.  II  faut  donc  disiin- 

ffuer  soigTieusement  des  mots  vraiment  populaires,  ceux  qm  sont  entres  par  le 
atin  des  clercs  ou  le  latin  liturgique  dans  la  langue,  et  qui  àh  tors  se  sou- 
mettent aux  lois  phonétiques  générales  de  b  langue.  Pour  en  revenir  à  (éntkrc, 
s*il  venait  directement  du  latin  populaire,  en  admettant  Taccentuation  knékrû  et 
même  icn'ibrd^  il  serait  devenu  knuvn  (cL  /(brtnt  fuvn)  ou  icnoivn  (cf.  bîhtfc 
bfà*rc  [=  ifcb'u]  boivrej.  L'espagnol  tmicbla,  au  XI V»  siècle  tmiebra  (Berceo,  Sdft  | 
Mtllm,  212,  2)  rentre  dans  (a  série  des  mots  comme  chapitre. 
i.  Fille  stJi  Dieu  le  sovram  père  (Rose,  J840). 

Car  pleust  au  souvrain  roi  (Bartsch,  Rom.  tt  Pastour.y  p.  49). 

Moût  amoit  Dieu  sotivraincmm  (Tobler,  Amcl^  Si). 

Liqueuls  d*euls  doux  est  lor  sires  souvfjins  (Amb,  J 1 20). 

He  Dex,  fait-il,  biaus  pères  souverains  (Id,  jo8o). 

Dont  est  ferme  par  droit  sus  amour  souvcramt  (Le  dit  des  Darnes^  24) 

Ou  sont-ils,  Vierge  souveraine  ?  (Villon,  Ballade  des  dames  de  jadis), 

2.  Ains  de!  beveragc  ne  bui  (Crestien  de  Troyes,  dans  Msetzncr,  /t/(/r,  Ueder, 

xxxviii,  28,  p.  64)»  La  mesure  demande  de  lire  beverage  et  non  bevrage; 
Ve  de  ve  n'est  donc  pas  orthographique.  Le  texte  publié  par  Wackcr- 
nagel  dans  ses  Altfraniceslsche  Ueder  porte  (p.  44)  :  Onkes  del  bovraige 
ne  bui, 

3.  Tut  ad  oes  uv^rif  {Ph,  de  Thaûn,  Bestiaire,  éd.  Wright,  83).  Vers  de 

7  syllabes. 
Por  qui  Deus  a  plus  overi  (Chronique  des  ducs  de  Norm.   ]tl|  p.  50^, 
vers  IJ07);  vers  de  huit  syllabes. 
Ouveraigne  dans  Palsgrave,  20, 

4.  La  forme  sevehr  est  ia  seule  usitée;  sevHr  ne  se  rencontre  pas. 

5.  Si  lui  *n  remaint,  si  T  rent  as  poverins  (Alexis,  20,  ej. 
Nos  somes  ci  -iii.  conte  povmn  (Girbert  de  Metz,  aans  Bcehmer,  Romaa. 

SW.,  I,  512).  Povtrm  peut  èlre  un  dérivé  français  de  pone,  comme 
marbtrin  Test  de  marbre. 

6.  Et  vos  nevcus  tos  quites  ra:veres  (Aliscans,  i^jo), 
Voslre  amour  avérai  (Barslch,  Rom,  tt  Pasteur.,  p.  1^1), 
Tenez,  biaus  fieus,  vous  Vaveres  (Tobler,  Anut,  145). 
No(s|tre  grant  guerre  avencns  afinei  (Girberl  de  Metz,  ibid,,  î,  p.  44), 

Vers  tôt  le  mont  les  deyeries  tenir  (Id.,  tbid.,  p.  457,  v.  26). 
Faut-il  attribuer  à  l'action  des  groupes  (tout  comme  dans  cfuimb(ricr£  mûr- 


J 


LA    PROTONIQUE    EN    FRANÇAIS  J49 

Il  faut  encore  citer,  comme  exemples  du  maintien  de  la  protonique 
Mtrpknar,  maleïr,  qui  sont  des  mots  de  formation  savante  ',  alevain 
qui  présente  un  fait  particulier*,  oliphant  de  ïlephdnicm,  mot  bizarre 
qui  ne  semble  pas  être  d'origine  populaire,  empcrere  qui  est  une  véritable 
anomalie.  On  ne  peut  guère  admettre  dans  ce  dernier  mot  l'action  d'un 
gnMJpe  m/Kr,  car  temperare  donne  lemptcr  et  non  tempérer;  il  est  vrai 
qoe  11  métathèse  tremper  semble  indiquer  une  difficulté  de  prononciation 
qui  rendrait  compte  de  Ve  de  emp-e^-rere  ;  toutefois  le  groupe  mpr  est 
nonnal  en  vieux  français.  Y  aurait-il  dans  empcrere  une  influence  savante 
du  iiu"e  mperaîor  remis  en  honneur  par  Charlemagne  et  ses  successeurs? 


hoionique  ï  :  ûgmficat 

cerûficat 

magnificat 

mulfipUcat 

(juadrifurcum 

qmidfUiôncm 

matrtcukrium 

dommcella  domnicella 

Paîriciacum 

asperitatem 

sanctMatan 
<t  k  même     castxtâiem 

*nitidltdtim 


—  sentfie 

—  {a]certefie 
^  magnefie  > 

—  montçplie  moutepîlc 

—  carrefour 

—  careilhn 

—  marreglier  4 

—  dameiseile 

—  Pcrrecy 

—  asperté,  aspr^té 

—  saintedé  (Pr.  d'Oxf.  xcii,  7) 

—  chast^é 

—  neteé 


^)ou  bien  â  l'action  analogique  du  futur  de  la  première  conjogajson  les 
tortnes  telles  que  framdcrat  {P.  d'Oxford,  XXVllI,  j),  knûslcrat  (id.,  ibid., 
•0),  fnndtrai  (Huon  de  Bordeaux,  2j9ï,  binera  (Barlsch,  Rom.  d  Pastour.^ 
^149),  nndtrQitnt  (Joinville,  éd.  de  Wailly,  LXII,  jiS),  mtltrons  (id.,  ibid., 
CXll,  00),  etc.,  etc.?  Vraisemblablement  il  faut  distinguer  suivant  tes  mots. 
Ce  formes  exceptionnelles  se  poursuivent  jusqu'au  XVl*-*  siècle,  et  Ronsard 
iJmi  îon  An  poétique  recommande  de  les  éviter. 

KOkéin  aurait  donné  ob-auditc  ovoir;  cf.  le  prov.  ahûuzir:  benedicreei  rttakdi^re, 
«w laction  du  latin  liturgique,  ont  conserve  intact  le  premier  terme  kne.  Les 
tewes  populaires  d'ailleurs  sont  bcndin  et  malJm.  Ces  trois  mots  ayant  été 
introdttits  avant  le  XI*'  siècle,  le  d  média!  a  pu  ensuite  disparaître. 

a.  Aiofûin  vient  de  allMimm^  et  appartient  à  la  famille  de  aîlcvare^  v.  fr, 
^^f»cr^  composé  dans  lequel  Uvart  a  été  traité  comme  s'il  était  simple  :  a  -tevir 
^of  plus  haut,  p.  (44,  n.  5).  Le  maintien  de  IV  dans  al-fvcr  a  déterminé 

).  Les  composés  en  "*jîc^îre  :=Jï^f,  se  décomposent  en  leurs  deux  éléments 

''-'  ^^^""--nT  chacun  l'accent  ;  voili  pourquoi  *ficâr£  garde  son /,  Le  traitement 

omme  *fi£are  semble  toutefois  indiquer  qu*on  a  affaire  à  des  mois 

nt.^  et  ce  qui  vient  h  Tappuî  de  cette  manière  de  voir,  ce  sont 

nement   populaires  algta^   froûgicr  =^  ad  t fie  an  ^  fructiftcare  ^ 

,       .    1  protonique  immédiate  dt  kàre  tombe  régulièrement.  Même 

ieote  pour  monlipiïcr. 

4*  Dani  maimaïaTium  =  matndarium  marrtgiitr^  le  maintien  de  V%  est  rendu 
imttire  par  le  groupe  précédent  tr  et  c'est  la  seconde  protontque  u  qui 


ttifflbe. 


—  zLrzizJ  Roland,  907),  etc. 

.   rî   v-r  rr.^ntifs  :  saintcé,  cliastcc;  les 

.  -—rr?  .  et  remontent  certainement  à 

-.  ..  ^.  'stidus,  etc.,  ne  s'étaient  pas 

•  .-.  -  sjtlîxe  était  encore  vivant  sous 

s  r-re  côté,  des  mots  tels  que  boni-' 

.. -.  :?:  .  devait  se  dégager  plus  tard, 

--.  .  r-:  a  développé  des  mots  comme 

-  .  .i-\.  on  voit  tantôt  paraître  un  c 
■  J-.   :-and  l'adjectif  radical  est  ter- 

.  -:.-  j::e  ou  plusieurs  consonnes  qui, 

..  •..;-::  ^n  groupe  peu  harmonieux  [fais, 

Enfin  dans  certains  mots,  Vc 

-  .;-:r-e  savante   pureté,  sciircti,  à  côté 


I  ..  v  •    .  .:',  cmpeechier  qu'on  rapporte  à 

i  .  r.z  i-tre  forme  prcchUr^  qui  est  direc- 

I  ....    .T.  •:/tT  à  côté  de  vcngier  .  Qiiant 


-.i.:.::iArc  ?  Quoique  le  changement 
..  n'en  parait  pas  moins  formel  dans 
evrlication  des  diverses  formes  de 


;•:..,  mois  qu'on  rencontre  A  co\(i  d'j 
■ .'  .;.î"^  :  "  I-ors  donn  li  empercres  Bau- 
.  jf  N:que  *  [VilldurJ..  cxxvi,i.  «  Qiiant 

_•  'S.  ;iool.  -  Kl  le  meilleur  castcl  de 
:.;  .  '  IV  l;i  J^rjleur  qu'Ole  a  cl  de  la 
..' .  î'U'.i.  11  faut  voir  dans  ces  mi^U  non 

■  •;■  v:  jiiON  de  date  relativement  récente. 
.;  ;  de  ce  mot.  jpns  le  VU-  Sièrlc,  on 

..-^::..■•.■  qui  devient  rc£;uIierement</»cA/t-, 

■-.";'  telle  que   iJjiL   ou  cJùi),  le  second 

^  i"  VIî'  sircle,  le  chan^'cmenl  de  ce  ci  en 

;•  ..■•..;•;.;■■;    Kiskiinuni   chiisciin,   ijvcicmnm 

■   y.:  tait    .:::ch-c>si.  tr,inc-Uui  tumch-ise. 

.   :..  d.'uMel  d'à  à   l'anal^^gii'  dt-s  fnrnii'N 

^!:■•ve  i\p!:catii':i  pour  r.:-.*.  lontf.'  :cc 
••■■:   par  ..•...■'!.•.'.    d'après   le  p.iralii-li«;i>:c 

;.  \    "ineN  ■  .'.;  .'..'■•:  preesc'-iLT  v     <.::;•.'..■ 
■. .■»*i.    \^-..-NN-.    l/.x    qu'on    r- nconirc 

. -.■■  î   s.ii'i.    p'i4'vrifar'!nj-it  .".1  chK)^»'- 

••  ;':e  à  .  ■'.■.:)  vi'.i:  .i  aM;-::]!    i.i  p.ilatalv. 

•  ■•:    «"1    in':n!-  t'-tiips  d  nis    l'-s    lîivers'-s 

\;  ..■  ^\(».:a  l.i  rmti'  ;  de  telle  p.J^ci  li.iiisdc 

:  v  .;cra'an:i;i:c    .e  .  p.jî.iIj!  ^a,  i...  i:    ,f 


LA    PROTONIQUE   EN    FRANÇAIS  r^l 

mfkbier  :  impaiechier^  empéedner,  empeschier,  empegier  reste  insuffisante  : 
mpûichier  empegier  rtmonitni  à  *tmpactiart  empedicare^  mais  empeectiiert 

Proionique  ô  et  û.  Je  ne  vois  à  citer  que  petràsélinum  ^  percsil  ' ,  et 
tJirtùrdia  qui  donne  torîrelU  ^  d'oix  plus  tard  par  adoucissement  tontreïic  ». 

U  convient  maintenant  de  rappeler  l'action  exercée  par  les  consonnes 
mouillées  n  i  sur  les  proioniques  qui  les  précèdent  :  humUiare  umçîicr^ 
Afmontm  Angrwn,  \dmpinionem  champignon ,  acùleonem  aguilhn^  pf^pl- 
llènem  pavillon  (de  là  les  suffixes  illon  ignon^  qu'on  trouve  dans  chambrillon, 
mtâxm^  échannUon^  maquignon ^  lumignon  ^^  etc.). 

ni.  E,  /,  0,  U  longs, 

La  chute  de  la  protonîque  longue  est  aussi  réelle  que  celle  de  la  brève; 
et  n'a  pas  été  reconnue  jusqu'ici  parce  que  dans  un  grand  nombre  de 
mots  elle  est  contrariée  par  diverses  causes  qui  agissent  spécialement  sur 
bmols  dérivés  et  sur  les  formes  de  la  conjugaison*  Dans  coUôcàrc  col- 
tkier,  Vô  étant  une  protonique  brève  tombe  comme  il  tombe  dans  c<î//ofd/ 
cokk  où  il  est  atone  finale.  Bonum  a  i 'accent  sur  o  et  devient  bon  ;  dans 
kmtâtemj  Vo,  tout  en  perdant  Taccenl  tonique,  reçoit  un  accent  second  : 
hôni-tilkm  et  Vi  de  boni  comme  Vc  de  tàtem  tombe.  Ici  le  jeu  des  lois 
phonétiques  est  simple.  H  n'en  est  pas  de  même  pour  certains  mots  à 
proionique  longue  ;  la  voyelle  atone  dans  quelques  formes,  ou  dans  les 
fidicaux  de  ces  mots  peut/ecevoir  Pacceni;  'rahûnàre  *rafiànaî^  ajûîJrc 
ajiUij  doi^rôsum  doléremj  amUâbilem  amicum.  De  là  des  actions 
fiverses  d'analogie  qui  viennent  troubler  l'harmonie  de  la  loi  phonétique. 
A  ceb  s'ajoutent  encore  des  changements  de  suffixes  qui  jusqu'ici  n  ont 


cbnge  en  français  en  ê  cl  le  groupe   {c)ti  +  une  voyelle,   reformé  alors,   subit 
^plœicnt  ce  changement. 

I.  Voir  plus  haut,  p.  142.  n.  i.  Cf.  latr^mmm  îûrrmn^  latroUrre.  —  Nous  ne 
GtORS  pas  ICI  le  mot  iwparJum  parce  que  Vo  n'y  est  pas  réellement  une  proto- 
>i<|iie  Ce  mot  a  revêtu  des  formes  variées  en  frarï<;ais  :  luparl  (Crest.  deTroyes, 
Clipf.  au  lyon.  178  ;  Doon  de  Mayencc,  16^7  ;  Durmart  le  Galois,  1279;  etc.)  j 
^«fljitfrf  (Durmart  7024);  Uupart  (Kûbnd,  755,  im,  2 <^j^2)  ;  k part  [Roland ^ 
/w);  tupart  (Huon  de  Bordeaux,  ^9^;  Chans.  d'Antîoche,  VîJÎ,  98^),  Uparî 
rt/itftfff  sont  deux  affaiblissements  différents  de  Uupart  doux  hcupatt  est  une 
ferme  diph thon guée.  On  se  trouve  donc  en  présence  de  deux  formes  lupan  et 
^«^ff  dans  lesquelles  le  maintien  du  ^j  ne  peut  s'expliauer  que  parce  que  par^ 
^tfiî  est  traité  comme  un  mot  à  part.  Lco  étant  traite  comme  simple  a  donné 
^tièrfmcni  soit  /«,  soit  luu  Uu  (d'où  plus  tard  devenu  atooe  lu,  U)^  tout 
corfime  Utu'fjï)  a  donné  DU  ou  Ditu  Dtu, 

Ore  vivrai  en  guise  de  tortrelc  (Alexk,  ?o  d). 

Si  r'avoit  aillors  grans  escoles 

De  roieliaus  et  torUroks  \Rosc,  65  j). 
Plus  simple... 

Que  torUrcU  ne  coulons  (Id.  8jsa). 
4^  Voir  lur  ce  mut  Scheler.  dans  h  Romarna,  IV,  p.  460. 


152  A.  DARMESTETER 

pas  été  reconnus.  Il  résulte  de  ces  diverses  causes  que  dans  beaucoup 
de  mots  la  protonique  longue  paraît  s'être  conservée  ;  mais  il  ne  &ut 
pas  être  dupe  de  ces  apparences,  et  quelque  nombreuses  qu'elles  soient, 
donner  comme  des  exceptions  à  une  loi  les  applications  d'autres  lois. 

lo  La  protonique  longue  tombe.  2®  Préservée  par  un  groupe  de  con- 
sonnes, elle  reste  sous  la  forme  d'un  e  féminin.  }"  Elle  est  conservée 
dans  certains  mots  sous  l'influence  de  mots  de  même  forme  lorsque  la 
protonique  des  premiers'  se  trouve  être  la  voyelle  accentuée  des  seconds. 
4®  Dans  d'autres  mots  elle  parah  conservée  sous  forme  d'e  féminin, 
quoique,  en  réalité,  par  suite  d'une  substitution  de  suffixes,  cet  e  repré- 
sente normalement  un  a  étymologique.  Tels  sont  les  faits  que  nous  allons 
maintenant  établir. 

i«  E,  I,  O,  U  longs  tombent, 
ë  :    Audéndcum  >  (Audnay  Aunay]  Aulnay 

AutElidcum  Orly 

Aurtlidnis  Orliens 

bksphèmdre  blasmer  > 

consvttàdlnem  costume 

et^môsyna  almosne 

er^mita  ermite  ^ 

inquiêtùdinem  enquitume 

Laiinidcum  Lagny 

quiêtdre  quitter^ 

Sey^rinum  Seurln  Surin  [Vocab.  Hagiol.) 

Sevériacum  Civray 

vertcundia  vergogne 

verv^cdrium  bergier 

1 .  La  plupart  des  noms  géographiques  que  nous  donnons  dans  ces  listes  nous 
ont  été  fournis  par  M.  Longnon.  Ils  sont  empruntés  à  des  documents  antérieurs 
à  Tan  8)o.  Quand  la  forme  moderne  s*écarte  beaucoup  de  la  forme  primitive, 
nous  donnons  les  intermédiaires  entre  parenthèses.  La  quantité  de  Audènacum 
est  indiquée  par  celle  de  Audèna,  nom  de  rivière  dont  on  ne  peut  pas  séparer 
Audènacum. 

2.  On  peut  hésiter  toutefois  pour  blasmer  qui  peut  dériver  de  blasme  =  blas- 
phéma =  ^d(T9T)(Aov  :  cette  dérivation  expliquerait  l'absence  de  formes  blasfà- 
met  =  blasphémai.  Le  Roland  a  déjà  un  subjonctif  blasme  =  blasphèmet  (vers 
1 546). 

3 .  Il  n'est  pas  évident  que  de  érëmus  (provençal  erms)  on  doive  conclure  à 
erëmita  ;  car  érëmus  doit  sa  quantité  à  l'accentuation  du  grec  ipr,[u^  (  =r  érèmus)  ; 
ce  fait  ne  se  produit  pas  pour  èpr^iiiTric  oui  doit  donner  régulièrement  erèmUa. 
Erëmus  est  fréquent  dans  les  poètes  cfirétiens,  spécialement  dans  Prudence 
CIV«  siècle)  ;  erëmita  ne.se  trouve  qu'une  fois  au  VI"  siècle,  dans  Fortunat  {Vita 
Sancti  Martini f  III,  628). 

4.  Quièlàre  présente  un  développement  phonétique  analogue  à  celui  de  piëtâ- 
tem  (cf.  plus  haut,  p.  146,  n.  2)  :  quiHâre  quijètàre  quijtare  quitter.  — Smt  enqui- 
tume, voir  le  Jahrbuch,  1869,  p.  255,  et  1870,  p.  145. 


^^^^^^^^^^^^"    LA   PROTONIQUE   KN   FRANÇAIS             ^^^^Ï^^^^^^^^B 

^m           vtrvêcalium 

bercail                                                                 ^^| 

Hp           VÉryéciie 

^H 

1                 vidèrJbeo 

Vfir^z/,  verrai                                                        ^^H 

1         et  de  même  tous  les  futurs  des  verbes  ère  :                                                      ^^| 

1                caièrdbet 

c/r^/ra  chaidra                                                        ^^H 

^^^^    deb^ràbeo 

^^^ 

^^^K    *cadçrdbeo 

chtdrai  cherrai                                                  ^^m 

^M          *fall€rdbet,  etc. 

falra  faldra  ^ ,  etc.                                                ^^H 

f         i:     Camxsidcum  (î/) 

Chûinsy  (aujourd'hui  Citangy]                                ^^^Ê 

1                 dormltorium 

^^H 

1                iradicdre 

arachierei  de  même  esrachier  etragitr  mragier           ^^H 

^H           motînarium 

molnier  mounier  meunier  >                                      ^^H 

^H          parmtôntm 

parçon                                                                 ^^| 

^B          radicina 

^^H 

^H          saûndrium 

sahier  saunier  et  de  même  sallnan  sauner              ^^H 

^P          Ktcmdffitî 

(*Kéfro//if  K^/om;)  Vdaine                                      ^^H 

[                ywîrifc^o 

Ff/iraf  vendrai  W^/i^râi                                         ^^H 

^H    et  de  même  : 

^^H 

^^          audirdbeo 

odrai  orrai                                                        ^^H 

f              fugîrdbeo^  etc. 

(/fierai  fuyraij  fuirai  (dissyllabique) ,  etc .                 ^^H 

1        5:  tfttc/anViïr 

^^H 

1                 *barQndticum 

barnage  et  de  même  barnê                                    ^^H 

1               coniùhrinum  cosûbrinum 

^^^1 

^^          Comnidrias 

Coignieres                                                             ^^| 

^H         *grandi6rare 

(in)graignier                                                       ^^H 

^^^H    masi6ndîa 

maysnada  maisniée                                            ^^^^H 

^^^V   masi^nile 

maysniie  maimi                                               ^^^^H 

^V        Mediùldnum 

MtiUanî,  Melanty  Miian                                           ^^H 

^H          mtHôrdre 

(ajmieldrer                                                          ^^^M 

^H          *min^nrt 

^^H 

^H          'pijJirdrc 

{emVpirier                                                          ^^H 

^H          raùàndbiUm 

raysnable  raunabk                                               ^^H 

^H       1.  Plmai,  tairai,  recmaij  etc.  peuvent  venir  de  piathako.tachako^ncipi^ra-             ^^^1 

^H   ^,  etc.,  parce  qu'à  côté  des 

formes  ;?/jccV^  (plaisir),  (iicc«  (laisir),  ^rmpëre             ^^^M 

^H   (recevoir) y  etc.,  on  trouve  les 

formes   *phcëri  (plaire)^   *;AaVf  (taire),  rutpëre             ^^^| 

^H  irecoivre), 

^^^^M 

^H      i.  Molimtf,  qu'on  rencontre  en  v.fr.  et  qui  existe  encore  comme  nom  propre,             ^^^| 

^^H  at  un  dérivé  de  mo/m.                                                                                                   ^^^^ 

^^^^M 

^^B       1.  Mot  des  idiomes  du  nord-ouest  :  cusdnn  (ladin),  cosin  (fr.  etprov.).  Cosnn^             ^^^H 
^^M  réauclion  de  cosbnrtf  donne  aisdnn  ou  cofj^f  comme  mtscrunt,  fccfruni  donnent             ^^^1 

^^B   miiirmî  fi  sir  m  ou  mrjr/t^  /rif^r. 

Il  ne  serait  pâs  étonnant  qu'on  rencontrât  une             ^^^H 

^H  forme  cortn  (qui  ne  serait  pas  cosm  rhutacisé)  analogue  à  minnt  ftrenL                              ^^^1 

^H      4.  Dénvé  primitif  du  la  t.  populaire  fo^pmo,  classique  cjr^ô/iiam  (italien  collo-             ^^^1 

^H  gnâ).  Le  mot  est  mérovingien. 

1 

154  A.  DARMBSTBTÈR 

ramndre  a-raisnier  « 

Sotondcum  Sonnay  » 

^taxlinâria  taisniere  ) 
tetonéum  (tcXwvcTov)        *tenoléo  tenliu  tonliu  tonlieû 

ViMridcum  Vitry 

a  :    ajutdre  aidier 

cinctUrdre  ceinîrer 

consUtura  costure  couture 

culmrdre  [a)coltrer  {ac)coutrer^ 

mamtinum  matin 

paMridre  {pastriare  paistrar) ,  em-,  dé-paUtrier,  -pétrer  $ 

pistûrire  pestrir 

pro-mûtvdre  (em)prunter  ^ 

Stadxïnénsem  (Stadnése)  Estenois 

*venmrdre  [a]v€ntren 

VedUnétta  Besné  « 

La  loi  de  la  chute  de  la  protonique  longue,  suffisamment  établie  par 
les  exemples  précédents,  trouve  son  application  la  plus  intéressante  et 
en  même  temps  sa  confirmation  la  plus  éclatante  dans  les  formes  de  la 
conjugaison  du  vieux  français.  Soit  le  verbe  ajûtdre;  le  présent,  d'après 
la  théorie,  doit  être 

ajûto  ai\ï  ajûtdmus  aidons 

ajùtas  aiûes  ajûtdtis  aidiez 

ajûtat  aiûe  ajùtant  aiûent 

Or  la  théorie  est  ici  pleinement  confirmée  par  les  faits.  On  n'a  qu'à 

jeter  un  coup  d'oeil  sur  les  index  réunissant  les  formes  diverses  de  ce 


1 .  Latin  classique  ratiocinari  ;  cf.  sermonare  pour  sermocinari  dans  Auln-Gelle 
XVII,  2. 

2.  La  quantité  est  donnée  par  le  mot  Solôna^  fréquent  dans  la  géographie  de 
la  Gaule. 

3.  Comparez  *tax6ncm  taisson. 

4.  Si  retymologie  de  ce  mot  est  costure  {ad'COs{û)t(û)rdre),  c'est  un  exemple 
également  convenable  de  la  chute  de  Vu  proionique. 

5.  Il  faut  partir  de  pasturiare  et  non  pasturare,  comme  le  prouve  également 
l'italien  spastojare. 

6.  L'étymologie  est  mise  hors  de  doute  par  les  formes  que  cite  Dicz  dans 
son  Dictionnaire.  Il  faut  toutefois  admettre  que  dans  le  laim  populaire  Vu  de 
'tuare  était  tombé  comme  il  était  tombé  dans  battalia,  quûttor  «  battualia,  quat- 
tuor. 

7.  Tout  aventra  quanqu'il  conta  {Miracle  de  St-Eloi,  i\\  b).  Voir  le  Jahrbuch^ 
1869,  p.  247. 

8.  La  filière  est  Vidûnéttum  Vednct  Benêt  Besné  ou  Vcdnet  Vesnet  Besné,  —  La 
quantité  de  la  protonique  dans  ce  vc\o\tl  àdiTi% Stadânensis  est  donnée  par  ce  fait 
que  Stadnnensis  et  Vidnnetta  sont  des  dérivés  de  *Stadanuni  et  *Vidûnum  où  l'on 
reconnaît  sans  hésitation  le  mot  bien  connu  dûnum. 


LA    PROTONIQUE   EN    FRANÇAIS  l)) 

verbe  '  pour  se  convaincre  que  les  personnes  où  le  radical  est  accentué, 
c,^*d.  les  trois  personnes  du  singulier  et  la  ^"  personne  du  pluriel  de 
rindicatif  et  du  subjonaif,  et  la  2^  personne  du  singulier  de  Pimpératif, 
gardent  la  voyelle  longue,  que  ïes  personnes  où  la  terminaison  reçoit 
l'accent  font  tomber  cette  voyelle  longue  devenue  protonique* 

Dans  une  note  récemment  publiée,  M*  Cornu  établissait  dans  làRoma- 
niâ  la  conjugaison  de  parler  ^,  d'après  le  seul  examen  des  faits.  Cette 
conjugaison  s'explique  maintenant  régulièrement  par  la  chute  de  la  pro- 
tonique  longue  o  =^  au  =^  av  iparuyldre].  On  voit  en  même  temps  que 
cette  conjugaison  n^est  plus  isolée  et  qu'il  faut  y  rattacher  aidkr  et  les 
verbes  que  nous  avons  précédemment  cités*  Ainsi parraisone^  nous  arais- 
nonsi  ;  je  manjue,  nous  manjons^;  fempasture,  no\ts  cmpaistrons  ^  ;  il 
aventra^,   Quiëîare  a  dti  à  Torigine  donner  />  (juet,  ïn  quêtes^  U  qaeU,  ils 


1.  Voir  par  exemple  Tindex  de  Roland  dans  t'édit.  de  M,  Gautier  ;  Tindex  de 
Duimarl  U  Gallois  dans  Tédil.  de  M.  Stengel.  A  une  page  de  distance  je  lis  dans 
Tobler,  Anid  :  aiam  (386),  aidUr  (427).  —  Disons,  en  passant,  que  ce  verbe 
présente  des  formes  secondaires  assez  difficiles  à  expliquer,  aie,  aient ^  etc.  qui 
Correspondent  à  celles  de  ûiuc^  aiucnt, 

2,  komdniây  187s,  p.  4J7. 

j.  Voir  des  exemples  des  formes  au  radical  accentué  et  cootenant  To  ij  arrai- 
wnt)àzm  Roland -^^^6;  Benoit -;(:>  14,  84^1,  «Up;  Rinârd^l,p.  250;  etc., etc., 
et  des  formes  contractées  (araisnier)  dans  Binoit  845 1 ,  10 ^  50,  1 1 683 , 1 3  {94,  etc. , 
Mûri  de  Gann  p.  74,  Raoul  de  Cambrai,  p.  45  ;  Gormont  d  hambari^  dans  Ph. 
Moaiktt,  Ht  XXX  ;  Oatm  dt  Trojis,  Chevûlier  au  lyon  :  1782,  etc.  ;  Amh  d 
AmiUs  264OJ  Jourdain  dt  Blaim^  2619,  etc.  ;   Benoît  de  Sle-More,  R.  dt  Troie ^ 

S 20^  etc.;  Hoffmann,  Panser  Glossar^  314;  etc.,  etc.  Toutefois  l'action  ana- 
;iûuc  des  formes  pleines  avec  0  sur  les  formes  contractées  sans  0  et  de  celles-ci 
»r  les  premières,  en  même  temps  que  l'influence  du  mot  raison  duquel  on  tirait 
naturellement  un  dérivé  raisonner  ont  amené  la  double  conjugaison  araisnier^ 
farmnc  (Chev,  au  lyon,  6103  ;  Trisîran,  ^}U  ;  Amis^  2171  ;  Durmart  1)59, 
2ÎJ2.  J268;  cf.  9240,  1842,  3778,  etc-);  et  j  araisone  araisoner  (Durmart  Î413, 
to^jo,  12408^  UM^i  '4^75i  Amis  y  324,  Paristr  Glossar  125,  etc.,  etd. 

4.  Vorci  la  conjugaison  demfl^grtirdans  Joînville:  manjtu,  mangiez^  mânjucnt^  majy 
joit,  mangtenSf  nujnfierfut,  manjue  (Im^ér,),  mangiens  (subi.),  mangitr^  mangti  tvoir 
ilfidex  de  M.  de  Waillyi.  On  s'attendrait  toutefois  à  1/  mandm^  nous  manjons. 
Mais  vraisemblablement  il  y  a  eu  d'abord  influence  des  formes  avec  /  sur  les 
autres  :  de  là  manjue  manjons  ;  plus  tard  manjons ^  mangier  ont  encore  agi  sur 
mafue  pour  le  changer  en  mange. 

^.  Depuis  longtemps  on  avait  reconnu  Texistence  des  formes  empasture  ^ 
mpiiu^  Diez  fait  de  empêtrer  une  contraction  de  empêturer  (Et.  W,,  I,  pastofa); 
E.  du  Méril,  dans  son  Dictionnaire  normand ^  rattache  justement  le  normand 
mpaturer  au  verbe  impHrer  ;  Burguy  (III,  s.  v.  paistre)  enregistre  des  formes 
comme  empatsturer,  tmpeisturer^  empesturer^  *>  d'où,  par  rejet  de  l'u.  empestrer,  * 
C»  savants  n^ont  pas  vu  que  les  formes  qui  ont  le  radical  accentué  seules  ont 
Tû  :  •  Ses  cevaus  cmpaslure  *  (Aiol,  ^46):  non  les  autres  :  «  Fussent  il  assez 
mpàstrit  »  (Chr.  des  D.  de  N..  Il,  2^94^  Des  deux  formes  empàsiurt,  empats- 
trom  fa  langue  commune  a  étendu  la  seconde  à  toute  la  conjugaison  :  j'empêtre: 
le  dialecte  normand  la  première  :  cm  pâturer. 

C\  Sur  le  présent  il  aventnrc  et  sur  le  substantif  aventure,  la  langue  refit  la 
oooîtig^ison  de  aventiinr^  si  bien  que  Li  conju^aiîon  primitive  disparut  <*ans 
Uificf  d'auu-cs  traces  que  Texemple,  jusqu'ici  unique,  du  Miracle  de  5aint*Eloi, 


'  l  56  A.  DARMESTETER 

quacni,  comme  'con-fedo  a  donné  con-rei ,  -reies,  -rm^  -nient; 
mais  en  même  temps  cjuitons,  quiîiet,  quitter  ^  etc.  Et  si  les  plus  anciens 
textes  ne  nous  offrent  pas  d*exemples  réels  de  celte  double  conjugaison 
restaurée  par  induction,  il  faut  admettre  que  l'analogie  s'exerçant  de 
bonne  heure  sur  ces  formes  si  opposées,  les  a  ramenées  soit  à  je  quiîê^ 
tu  quitcs^  il  quiU,  nous  quiîons,  soit  à  je  quei^  nous  qucons^  queer  {ci 
con-rar]  formes  dont  nous  trouvons  la  trace  dans  te  composé  aquecr 
El  quant  chil  l'ont  oî,  si  se  sont  û^ud  (Doon  de  Mayence  479  s). 

La  théorie  nous  amène  également  à  admettre  des  formes  comme  3 
acouîurty  il  empejore  [impejârat],  il  araïe  (cradicûî),  il  empromue  [im-pra^ 
mutuat)^  etc.  Peut-être  les  irouvera-t-on  ;  peut-être  faut- il  admettre  que 
des  conjugaisons  aussi  complexes  n-étaient  pas  à  l'origine  complètes.  Si 
des  verbes  inchoatifs  comme  pestrir  il  pesirit  =  pisî(û)rire  pisî{n)risdt^ 
amenrir  il  ammrit  =  ad-min{d]rir€  âd-min{ô]risciî  sont  devenus  réguliers, 
parce  que  la  longue  U  était  ?ou/owr5  protonique,  dans  les  verbes  oh  ce  fait 
ne  se  produisait  pas,  la  langue  a  pu  dès  l'origine  abandonner  les  formes 
pleines  :  il  acoutun,  iî  empejore,  il  araïCy  il  empromue,  etc.,  pour  ne  con- 
server que  les  formes  coniraaées  qui  étaient  dominantes  jccoufrer,  empeirier^ 
arachier.  emprunter,  etc. ,  quitte  plus  lard  à  refaire  par  voie  d'analogie  la 
conjugaison  entière  sur  ces  formes".  Un  pareil  procédé  est  conforme  aux 
lois  du  langage.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ressort  des  observations  qui  pré- 
cèdent que  la  théorie  de  la  conjugaison  dans  notre  vieille  langue  doit 
être  reprise  et  étudiée  au  point  de  vue  que  nous  venons  d'indiquer. 

2"  De  même  que  la  protonique  brève,  la  longue  sous  l'action  d'uii 
groupe  est  représentée  par  un  e  féminin. 

L'action  des  groupes  est  sensible  dans  laUodmum  larrecin  1,  nuXTltùra 
nodïtdure  (Raschi)  \  nutrlûônem  non^on,  su^piciânem  sosp^on*.   Dans 

Mais  cet  exemple  suffit  pour  reconstituer  cette  conjugaison  primitive,  qu'il  n'est 
pas  téméraire  d'étendre  à  accoutrer,  ctminr,  malgré  l'absence  d'exemples  tels 
que  ûccûatmCy  amturc. 

i.  Ajoutons  l'action  analogique  des  substantifs  sur  les  verbes  dérivés 

2.  Voir  plus  haut,  p.  î  ji,  n.  i*  Quelle  est  la  quantité  de  Va  dans  Petrùcérit; 
Picreguys  dans  la  langue  doîl,  Pmgiimx  dans  la  langue  d'oc?  Vo  est  long  dans 
Pttrômlta  PtmndU. 

l ,  Nournîun  est  savant  ;  de  même  pourriture.  Entred  porrdure  en  mes  os, 
dit  le  traducteur  de  la  prière  d'Habacuc  (dans  le  Ps,  d*Oxf.,  éd.  Michel)  pour 
rendre  la  Vulgate  :  IngraUmur  puiredo  m  ossibus  mci$  (Abac,  111,  16),  Il  en  est 
de  môme  de  tous  les  mots  en  itutc;  cf,  d  ailleurs  plus  bas,  p.  163, 

4»  LV  de  norrcçon  est  dû  évidemment  au  groupe  précédent  tr  ;  mais  n'y  a  l-il 
pas  i  tenir  compte  du  ti  qui  suit?  Les  terminaisons  ttoncm  tiare  présentent  des 
iCrbscurités  dilficiles  à  dissiper.  Pourquoi  'acûttarf  *m\nûùarc  etc.,  donnent-ili' 
l^uwwr,  mmuiiicr,  etc.,  *triciontm  UûdMuSncm,  hoiçon  irûïsonf  De  même  hmm  \ 
un  iérivé  Atïmej'Cfï ;  mais  f/^rt,  tcu,  mjûnt^  etc.,  kml  tltrçon^  kuçon^  tnfan^on 
sms  voyelle  intercalée.  Trmon  csl  spécialement  curieux  ;  il  semble  que  ce  mol 
ail  subi  l'inftucnce  de  trahir  de  tradm^  comme  aussi  traUn  de  ira4hùf  (lequel  a 
de  plus  irrégutiérement  conservé  le  i  latine  Tout  cela  csl  peu  clair.  Les  noms 


I 


4 

I       II 


il 

Si 

n       \ 
ïl       1 


LA   PROTONIQUE   EN    FKANÇAtS  ï  ^y 

ces  trois  mots  le  groupe  précède  la  protonique  ;  dans  les  suivants  il  la 
suit  et  se  montre  sous  la  forme  d*un  n  ou  d*un  l,  dont  nous  avons  étudié 
plus  haut  i'intluence  sur  la  protonique  brève  :  caUmàntm  chûcgnon  chai- 
gnon  chignon f  Sablniacum  Savigny  Sevigné,  Flaviniacum  Flavigny.  Les 
noms  propres  de  lieux  fournissent  un  nombre  assez  considérable  de 
formes  de  ce  genre.  Les  noms  suivants,  que  me  communique  M.  Lon- 
gnon  et  dans  lesquels  la  quantité  de  la  protonique  est  inconnue,  peuvent 
être  ajoutés  soit  aux  noms  qui  précèdent^  soit  à  ceux  que  nous  avons 
cités  p.  151.  Us  sont,  sous  leur  forme  latine,  antérieurs  à  Pan  noo  : 
Cipiliactim  Chevilly^  LuziUacum  Luziilé,  Ceviniacum  Chevigné,  Romiliacum 
Romitly^  Buriniacum  Burigny,  Juvimacam,  Juvigny,  AcuHa-Curûs  Agmk^ 
Court  (aujourd'hui  Aguikourî]  • . 

$**  Nous  arrivons  aux  exceptions  *,  commençant  par  Pexamen  des  futurs 
en  irai  =  irû-hâbeo.  Nous  avons  vu  plus  haut  comment  debndbco,  audî- 
fâhto  donnent  régulièrement  devrai^  odrai  orrai.  Pourquoi yî/iJrtftfo  ne 
donne^t-il  pdts  finr ai  findr ai  t  II  faut  considérer  à  part  les  inchoatifs- 

Les  inchoaiifs  doivent  le  maintien  de  Vi  de  l'infinitif,  dans  les  formes 
du  futur  et  du  conditionnel  où  il  est  atone,  à  l'aaîon  analogique  de  Pi 
qui  parait  à  toutes  Us  personnes  de  tous  les  autres  temps.  On  disait  fJoris^ 
Horissoic^  fioriSj  florisse^  etc*  On  ne  pouvait  dire  sous  peine  de  rompre 
l'harmonie  de  la  conjugaison  fiorrai.  Ceci  est  conforme  aux  principes  qui 
ont  dirigé  le  français  dans  sa  refonte  de  la  conjugaison  latine. 

Parmi  les  verbes  non  inchoatifs,  les  uns  laissent  tomber  régulièrement 
H  :  oir,  odrai  t>rrai  ;  venir ^  vendrai  viendrai^  etc.;  les  autres  le  conser- 
vent :  mentir  mentirai;  sortir  sortirai  y  etc.  Cette  différence  tient  à  la 


propres  présentent  les  mêmes  obscurités.  Aguciacum  donne  Aieuisy^  Loco^iagum 
\l0codiumm)  Ligugé^  Domitidcam  Domesy,  mais  Codkkcum  Coacy^  Panticiacum 
PwiSât^  Vmdtciûcum  Vansat  (?>. 

(.  Toutefois  il  y  a  des  exceptions  :  Turiiidcum  Tourly,  Cruciniacum  Crugny^ 
Bovintacum  Bogny^  Litmtacurn  Lagny^  Nobdiacum  NcrnÙy,  Amiliacum  Amblts, 
Cûfmtmum  Chamblj  {mais  aussi  ChemtUc  dans  T Anjou).  —  On  peut  saisir  Tin- 
lltecncc  des  groupes  dans  Andtgavum  Andgavum^  opposé  à  Anddavum  Anddoi^ 
AnJttiaum  AnJdy^  Vindonessa  Vcndencssc,  VandaUnum  Vandiiein  :  le  groupe  mt 
suivi  (Tune  muette  g  se  réduit  à  n/  ;  le  même  groupe  nd  suivi  d'une  liquide  / 
ou  n  n*admet  pas  cette  réduction  ;  preuve  de  plus  du  rôle  que  |oue  la  consonne 
qui  sépare  la  protonique  de  la  tonique.  Voir  plus  haut,  p.  146* 

2.  Nous  laissons  de  côté  les  formes  savantes  :  canddabrc  {thanâdabn  dans 
AlîXii^  I  \G<i)y  chanddcurj  amdicrc^  motivimcnl^  îenitudi,  impôt tuna\  argument ^  etc. 
Eitrummi  vient  de  mstrununtum  par  le  latin  populaire  istrumcntum  dans  lequel 
h  a  été  considéré  comme  l'i  prosthélîque  de  Vs  impurum^  de  sorte  que  la 
syllabe  stru  est  initiale.  Dans  sosptrcr  [sozpircr),  envur  (mvilarc)  et  quelques 
autres,  le  composé  latin  est  décomposé  et  les  particules  în  et  sos  (sublus)  et 
les  radicaux  sont  traités  comme  mots  simples.  CrUr  et  toutes  les  autres 
formes  romanes  nous  reportent  non  à  ^uîrîttirc,  mais  à  critare.  Chemina  est  un 
dérivé  primitif  d'un  simple  dumin  que  son  homonyme  chtmin  (via)  a  fait  dispa- 
tàllrt.  Le  kcminada  du  glossaire  de  Casse!  ne  contredit  pas  cette  affirmation. 


I  58  A.  DARMESTETER 

nature  de  la  consonne  ou  des  consonnes  qui  précèdent  Pc  :  ki  non 
retrouvons  la  loi  des  groupes. 

Les  verbes  en  ir^  latin  ire,  qui  font  tomber  l'f  au  futur,  présentent  des 
formes  correspondantes  à  celles  des  verbes  en  oir^  ir^  latin  ?rr,  qui  font 
tomber  IV  au  même  temps. 

1  dire  :  sedere^  *cadire,  vidire,  potêre  *podtre  ;  inânitif  français  -deir, 

futur  nirai  -rrai 
dire  :  audirey  *hatire  hadire  ;  infin.  fr.  -dir^  futur  -drai  -rrai  (orrai 
harrai; 

2  lire  :  caïire^  valire,  *volëre,  dolëre,  solêre,  *faUire;  infin.  -Aoir^  Alir; 

fut.  -/wi,  'Idrai,  -tidrai 
tire  :  satire  ibuUire  '  ;  infin.  -//>,  -///>;  fiit.  -/m/,  4draij  -udrai. 

3  rûre  :  nuuiire*,  tenëre;  infin.  -noir^  -nir;  fut.  -nrai  -ndrù 
nire  :  venir e;  infin.  -/z/r,  fut.  -nrai  -ndrai 

4  fëre  :  parère  ;  infin.  -roir;  fut.  rrai 

rire  :  ferire,  *morire,  ^gwarire;  infin.  rir;  hit,  rrai^ 

5  tire  :  jatire^;  infin.  gésir,  fiit.  *jaisrai  gerrai 

cire,  gire  :  exire  *  escire,  infin.  issir,  fut.  israi,  istrai;  fugire^  infin.  fiûr; 
fut.  fuirai  (=ifùyrai)  J 

Il  n'existe  pas  de  verbes  en  ire  correspondant  aux  verbes  en  pire^  bëre, 
vire  :  *sapëre,  debëre,  movëre,  pluvëre,  *sîuvêre  (estovoir). 

Jusqu'ici  la  parité  est  complète;  le  traitement  de  7  est  identique  à  celui 
de  c.  La  parité  cesse  dans  les  verbes  mentir,  sentir,  partir,  sortir,  servir^ 
dormir,  vestir,  offrir  souffrir  {offerlre],  ovrir  covrir,  mots  dans  lesquels  la 
terminaison  latine  rire  est  précédée  des  groupes  nt,  rt,  rv,  rra,  st,  fr,  vr. 
M  entrai,  sentrai,  partrai,  sortrai,  servrai,  dormrai,  offrrai^  ovrrai  étaient 
trop  durs  ;  si  nt-c  se  réduit  à  ne  dans  monticellum  monceau,  rt-^  à  rc  dans 
particella  parcelle,  rm-t  à  rt  dans  dormitorium  dortoir,  il  n'en  est  pas  de 
même  pour  les  groupes  nt-r,  rt-r,  rv-r,  rm-r,  st-r,  fr-r,  vr-r  où  la  troi- 
sième consonne  est  une  liquide,  qui  n'entraîne  pas,  comme  le  ferait  une 
muette,  la  chute  de  la  consonne  précédente.  L'euphonie  a  donc  exigé  le 
maintien  d'une  voyelle  intermédiaire,  tout  comme  dans  suspicionem  sospe- 
çon,  nutritionem  norreçon,  et  cette  voyelle  qui  primitivement  a  dû  être  un 
e,  est  redevenue  /  sous  l'influence  de  Tinfinitif.   La  langue  de  nos 


1 .  Je  ne  connais  pas  d'exemples  en  ancien  français  du  futur  de  bouillir. 

2.  Manere  z  toutefois  donné  un  infinitif  maindre  d'où  peut  être  sorti  le  futur. 

3.  Il  se  peut  que  pour  la  série  rêrc  rire,  la  chute  de  Vt  et  de  Vi  au  futur  soit 
due  à  la  présence  des  deux  r  ;  cf.  comparer,  comparerai  comparrai,  etc. 

4.  Quoique  les  verbes  rapprochés  dans  ce  n»  5  ne  traitent  pas  de  la  même 
manière  les  groupes  de  consonnes,  ils  s'accordent  à  faire  tomber  1'^  et  l't,  et 
cela  suffit  pour  légitimer  notre  rapprochement. 

y.  Fugire  donne  régulièrement  /«-/>  ;  de  leur  côté  (je)  fui  (en  une  syllabe)  de 
f^ê^o»  il<^)  fuirai  (en  deux  syllabes)  de  fag{i)rdbeo  sont  tout  aussi  réguliers. 


LA    PROTONIQirB   EN   FRANÇAIS  |  J9 

Jours  a  le  sentiment  très-net  de  la  parenté  du  futur  avec  llnfinîlif  '  ; 
^  plus  forte  raison  la  langue  primitive.  Voilà  comment  il  se  fait  que  de 
Ma  foule  des  verbes  en  ire,  un  petit  nombre  seulement  a  pu  se  soumettre 
^  U  loi  de  la  chute  de  la  protonique  longue  i. 

Les  futurs  en  irai  représentent  la  double  influence  des  groupes  et  de 
M  ^analogie.   Dans  les   diverses  exceptions   que   nous  allons  examiner, 
M  'analogie  seule  agit.  Dans  les  substantifs  ou  adjectifs  tels  que  amiable ^ 
^^knie  ftUnte  felmesse^  charbonnier^  doloros,  amoras,  vertuos^  langoros^ 
te,   la  protonique  a  dû  sa  conservation  à  Taction  de  la  tonique  de 
r/ni,  fihn,  charbon ^  dolor,   etc.    Non  pas  que  doloros   par  exemple 
loive  être  considéré  comme  un  dérivé  de  création  française  ;  car  tl 
!-5i  invraisemblable  de  faire  de  ce  mot  non  la  transformation  du  latin 
^Milorosus,  mais  une  formation  nouvelle,  originale,  tirée  de  dolor,    Les 
^lioses  se  sont  passées  autrement.    A   l^époque  du  latin  populaire  où 
La  protonique  brève  ou  longue,  avant  de  tomber,  s'était  réduite  au  son 
<ie«  féminin,  à  l'époque  oii  Ton  disait  doUréso  pour  dolôrôsum^  ïe&  popu- 
lations romanes,  reconnaissant  la  parenté  de  ce  mot  avec  dolôre  (=  dolô- 
rem\  Pont  soustrait  à  laction  des  lois  phonétiques  qui  en  devaient  faire 
dolros  doldros,  C*est  ce  qui  explique  pourquoi  dans  les  formes  dérivées  de 
ce  genre  on  voit  le  plus  souvent  un  e  féminin  doleros,  ameros,  langueros^ 
felinit,  etc.  La  langue  pouvait  à  chaque  instant  rapprocher  les  dérivés 
des  simples  ;  elle  les  sentait  et  par  suite  les  maintenait  parents. 

Même  action  dans  les  verbes  dérivés  de  noms  ou  d*adjectifs  :  coroner^ 
(ievintr,  deviser ,  inchaener ^  honorer  honerer^  jeûner  juncr^y  marier ^  men- 
iifr4,  moneer^  oblier^^  etc  La  présence  des  simples  comme  corone,  devin, 
iwf,  devise,  chaeine^  honor,  jeun  jun^  mari,  nundis^  moneie,  obli^  etc., 
a^s$ait»  dés  l'époque  latine,  et  à  tous  les  moments  de  l'existence  de  ces 
Tnois,  pour  protéger  la  proîonique.  A  celte  action  s'ajoutait  d'ailleurs 

».0n  entend  souvent  dans  le  peuple  :  je  trouverai^  je  changérm^  par  suite 
i'inciction  de  l'intmilif  en  er  sur  le  futur. 

3.  Le  recueil  des  Inscriptions  de  TAl^éric  de  M.  L.  Renier  porte  au  n*  5974 
If  nora /fo/iôfiïiuj,  Honoratai.  M.  Lolijs  Havet,  oui  a  collationné  le  texte  de 
cette  rnscripiion  sur  Toriginal  déposé  au  Louvre,  m  assure  ^u'il  faut  lire  Ho.ne- 

^'  u,  Ctii  un  eiîeTnpIe   à  ajouter   aux  trois  exemples  cités  par 

îismuSj  II,  Z14)  d'après  des  inscriptions  italiennes*  Si  IV  de  ces 

'-    n  L-it  pji  iong,  on  peut  rattacher  honos-oris  à  onus-ms^   en  vieux  latin 

^  ^-hon'-ni  (L.  Havet)*  Cf,  les  deux  significations  du   mot  Irançais  charge. 

^1    rme  hon?.rân  rendrait  compte  des  formes  italiennes,  espagnoles,  provençales 

■■H,  honur^  hondtât  ;  toutefois  elle  ne  peut  valoir  pour  le  français  honorer  ou 

''^'Ji^^^T  qui  repose  sur  honôràre. 

\.  De  f€Jumtm  on  a  tiré  par  chute  de  la  première  syllabe  /un,  par  chute  du  / 
ŒiÉdul  i>û/i  ;  de  njéme  pour  jmur,  itûiui 

4,  Mtndut  n*est  pas  même  un  dérivé  de  nundicare^  conservé  sous  l'influence 
^mtnJis^  de  mtndtcus.  Mtndur  dérive  de  mcndts  par  Tintermédiaire  du  suffixe 
^ft.  ■  ^fe  nu2  suions  cunduiz  a  mendcicr  »  lit-on  dans  le  HoUnd  (v.  46). 

),  Dans  obiicr  a  pu  se  faire  sentir  encore  l'action  du  groupe  bL 


l6o  A.  DARMESTBTER 

celle  des  formes  verbales  ayant  l'accent  sur  le  radical  verbal,  je  coraac^ 
je  divinty  je  devise^  etc.*.  Que  l'on  compare  memSria  mémoire  et  memâ" 
rare  membrer  à  coréna  corone  et  coronare  coroner^  on  reconnaîtra  l'in- 
fluence puissante  de  l'analogie  qui  maintient  parents  corone  et  son  dérivé 
verbal,  mais  refuse  d'agir  sur  meméria  et  memôrdre  parce  que  radical 
et  dérivé  sont  déjà  quelque  peu  éloignés  l'un  de  l'autre,  que  mémoire  ne 
rappelle  pas  directement  memerer  qui  peut  devenir  memrer  membrer*. 

4®  M.  Storm  avait  reconnu  cette  influence  des  mots  simples  sur  leurs 
dérivés,  comme  aussi  l'action  des  groupes  ;  mais  il  l'a  appuyée  sur  des 
exemples  inexacts  :  avarice^  mot  savant,  et  sentiment  (ou  plut6t  sentement) 
qui  présente  une  autre  particularité  qu'il  nous  £aut  maintenant  étudier. 

La  protonique  latine  ê,  7,  parait  se  maintenir  sous  fonne  d'e  féminin 
dans  des  mots  tels  que  sentement ^  parlement^  tenement^  etc.,  mots  qui 
semblent  appartenir  à  la  première  formation  de  la  langue  et  remonter 
à  des  dérivés  du  latin  vulgaire  senfimentum,  parûmentum^  tendmentum^  etc. 
Ici  on  est  dupe  des  apparences,  et  l'on  ne  tient  pas  compte  d'une  actkm 
générale  qui  a  modifié  la  dérivation  française.  Les  suffixes  mentamf 
torem,  tura,  ticius,  -iilis,  se  sont  attachés  dans  la  période  française  dès 
l'époque  primitive,  au  thème  du  gérondif  ou  du  participe  présent.  Or  au 
participe  présent  et  au  gérondif,  la  première  conjugaison  a  exercé  une 
action  si  forte  sur  les  autres  conjugaisons  qu'elle  leur  a  donné  ses  formes 
propres  :  chant-ant  de  cant-antem  ;  de  même  floriss-ûnt^  partninî^  vend- 
ant. Il  en  a  été  de  même  pour  les  formes  dérivées  en  ment,  or^  ure^  à, 
"ble  ;  c'est-à-dire  que  les  suffixes  amentum,  atorem,  aiura,  aticius,  abilis^ 
à  l'époque  sans  doute  où  ils  étaient  affaiblis  en  ement,  edor,  ediz,  edure. 
Me  (ou  en  quelque  autre  forme  plus  ou  moins  archaïque),  se  sont  géné- 
ralisés, et  sont  devenus  les  types  de  suffixes  pouvant  s'adapter  à  toutes 
.  les  conjugaisons. 

Suffixe  ment  :  noisement  (Raschi) ,  esjoissement  (Psautier  d'Oxford , 
p.  2J\\),  frémissement  (id.,  p.  248),  desfendement  (Aliscans,  1238,  5757)? 
rajonissement  (id.  5709),  conoissemant  (Amis,  1299),  mescroiement  (id. 
1 }  1 8)  et  tous  les  dérivés  populaires  en  issement,  nous  reportent  incon- 
testablement à  un  type  amentum,  PavJmentum,  vestJmentum,  et  les  ana-> 


1 .  Pourquoi  la  langue  se  décide-t-eile  à  conserver  la  protonique  dans  tels 
mots  {coroner,  honorer  etc.)  alors  qu'elle  la  fait  tomber  dans  tels  autres  qui  se 
présentent  dans  les  mêmes  conditions,  ce  semble  (raisnier^  à  côté  de  ratson)  ? 
Cette  question  dans  Tétat  actuel  nous  paraît  insoluble  ;  c'est  un  problème  de 
psychologie  du  langage.  Comment  arriver  à  pénétrer  dans  les  conceptions  les 
plus  délicates  d'un  idiome  comme  le  latin  populaire,  que  la  science  ne  recons- 
truit qu'à  force  d'inductions  ? 

2.  D'ailleurs  la  différence  de  signification  (memorare  tendant  à  prendre  un 
sens  impersonnel)  et  les  formes  comme  mimoraty  qui  ne  peut  donner  que  membre^ 
ont  aidé  â  la  divergence  des  deux  mots. 


LA    PRÛTONIQUE   EN    FRANÇAIS  t6t 

logises  font  donc  devenus  dans  le  latin  populaire  quelque  chose  comme 
pmHÊmtatum  vestamentum  ou  plutôt  comme  pavamntQ  vestementa.  C'est  ce 
^M  conGnne  encore  la  forme  paver  qui  a  été  tirée  du  substantif'.  De  là 
^  suffixe  ement  qu'on  retrouve  dans  garnement^  mamment^  hardement 
«  autres  mots  d'origine  non  latine  ', 

^^    Suffutc  orem.  Que  Ton  compare  les  mots  liems  et  ravissieres  ou  doneors 

^Bl  pTtncors  dans  les  vers  suivants  : 

^^m  Parfois  si  g*estoie  ore  tUrres 

^^^^  Ou  traislres  ou  ravissUres  (Rose,  1517-8)* 

^^^^^v  Dons  donnent  loz  âs  doneors 

^^^^K  Et  empirent  les  pnaeors  (Ibid.,  8278-79)^ 

^B^oti  saisira  sur-le-champ  le  vrai  caractère  des  suf6x^.  LUnu  est  làtro  ; 
^K^ànsmru  est  *raptsc-dîùr,  de  'rapisc-antem,  Doneors  tlpreneors  supposent 
^Ktousdeux  donedors  et  prenedors^  c.-à-d.  donatores  de  donanîem  tVprena- 
^Hlora  [*prendatores]  de  ^prtnanUm  [prtndantem].  De  même  pour  les  formes 
comme  conoissiere  conolsseor,  faisiere  [==:  'faciator)  faiseor^  et  les  dérivés 
populaires  en  isstur^  qui  s'appuient  sur  les  formes  en  issant^^  isc-anum^^ 
Suffixe  erra.  Raschi  dans  ses  glosses  a  les  mots  batedurCy  premedare  qui 
lïe  peuvent  s'expliquer  que  par  le  suffixe  aîura  {baUamra,  premaîura), 
étendu  à  ces  verbes  d'après  Panalogie  qu'on  reconnaît  dans  bâtant  ^ 
kamem  pour  batuentem^  premant  ^  premanttm  pour  prementem.  Le 
inm  français  vestcûre  (Amis,  1978)  remonte  également  à  vcstcdure 
nmara  et  vient  confirmer  l'origine  de  vestement.  Même  origine  encore 
pour  les  dérivés  populaires  en  Usure  (Isseure  issadura)  =  isc-atura  d'après 

Suffixe  fdtts.  Les  dérivés  batcdiz  (Raschi),  abaieïzyfereh^çic.  ne  peuvent 
égaiement  être  rapportés  à  des  types  bâttutidust  fcriticius  ;  il  faut  y  voir 
«ac  extension  analogique  du  suffixe  affdiis  que  contiennent  piorcïi,  sonetz^ 

Ciéit,  lofaZf  tornciz^  etc. 
Suffixe  ahilis*  Même  extension  dans  les  exemples  comme  credablc 
(Psautier  d'Oxford,  xcu,  7)  d'où  croyable,  qui  tranche  nettement  avec 
le  latin  crédibilisa  metabte  (Ruteb.,  dans  Littré)  et  les  adjectifs  populaires 
GiusdbU  :  aparissable^  de  aparisc-anîem. 
Ces  diverses  formes  montrent  la  puissante  action  exercée  par  la  déri- 
vation de  la  première  conjugaison  sur  celle  des  autres  conjugaisons. 
A  part  un  certain  nombre  de  dérivés  en  um,  or^  icius^  etc.,  tirés  de 

1.  Peut-être  est-ce  11  qu'il  faut  chercher  rexplicalion  de  Ycmpdcmtnz  (cmpe* 
dbentum,  'empedamentutn)  de  la  Cantilène  de  Ste*£uhiie.  Toutefois  l'absence 
tfun  mol  roman  motdur ^  impedantcm  rend  cette  explication  douteuse.  D'ail- 
kun  on  ne  peut  guère  séparer  ce  mot  des  diverses  formes,  si  obscures  encore, 
kmpcehitr  (voir  plus  haut,  p.   150). 

2.  Ce  que  nous  disons  de  or  doit  évidemment  s'appliquer  à  oir  ^  edoir^  ato- 


nam. 


HtMânié^  V 


11 


JÔà  A.  DARMÊSTETER 

supins  OU  particîpes  forts  laiins  qui  vivaient  comme  adjectifs  ou  comme 
substantifs  dès  le  latin  populaire,  et  qui  ont  pu  prolonger  leur  existence 
à  travers  Tépoque  romane  et  même  jusqu'à  nos  jours,  sans  recevoir 
Tatteinte  de  ces  vastes  actions  analogiques  %  la  plupart  des  verbes  de  la 
seconde  et  de  la  troisième  conjugaison  ont  vu  leurs  dérivés  se  soumettre 
à  ces  formes  de  suffixes  qu'a  fourmes  !â  première  conjugaison.  De 
la  sorte,  pour  en  revenir  à  l'objet  même  de  notre  étude,  Ve  qui  renferme 
ces  suffixes  ne  représente  ni  un  ^,  ni  un  /  brefs  ou  longs  primitifs,  mais 
un  â  >. 

Résumons  ce  chapitre  111  :  ?,  ï,  ô,  â  tombent;  protégés  par  un  groupe 
ils  sont  généralement  représentés  par  e  féminin.  Cette  loi  phonétique  est 
contrariée  par  Faction  analogique  des  mots  simples  sur  les  mots  dérivés, 
et  l'action  analogique  des  dérivés  de  la  première  conjugaison  sur  ceux  des 
deux  autres. 


IV.  De  la  protonique  faisant  hiatus  avec  la  tonique. 

On  a  pu  voir  par  plusieurs  des  exemples  cités  dans  cette  étude  que  la 
prolonique  faisant  hiatus  avec  la  tonique  n'est  pas  soumise  aux  lois  pré- 
cédemment établies  ;  celles-ci  n'atteignent  en  effet  la  protonique  que 
quand  elle  est  séparée  de  la  tonique  par  quelque  consonne.  On  n'a 
qu'à  comparer  cana-baria,  boni-îâîem^  pere-grlnum,  conso-brinum,  etc.,  à 
Avcnt-ôncm,  Aureti-dnis,  papdi-énem^  etc.  Ce  fait  n'a  rien  d*étonnant  ;  le 
contact  des  deux  voyelles  suffit  à  protéger  la  première,  qui,  quelque 
forme  qu'elle  prenne  ensuiie,  laisse  toujours  des  traces  visibles  de  son 
existence. 

Tantôt  elle  mouille  Vn  ou  IV  qui  la  précède  et  forme  avec  ces  con- 
sonnes un  groupe  n,  /,  devant  lequel  la  voyelle  précédente  —  la  seule 
vraie  protonique  — se  maintient,  généralement  sous  forme  d'i  :  ÂvtniO' 
ncm  Avignon,  papUionem  pavillon,  etc.,  ou  elle  palatalise  le  ^  et  le  /  pour 
les  changer  en  f ,  ii  :  'ericioncm  hériçonj  'minutiare  mcnuimr^  etc.  Tantôt 
elle  parait  rester  purement  et  simplement:  Aarelianis  Oriiens^  chrisîmum 
crestien.  Ce  dernier  cas  mérite  examen*  Le  vieux  français  dit  Orliiens^ 
crestiien  ;  Diez  explique  ces  formes  par  intercalations  du  yod  qui  adoucit 
l'hiatus  :  Orli-ens  =  Orli-yens  ;  crati-m  =  cresti-yen.  Cette  explication 
nous  paraît  juste  ;  comparez  en  effet  le  vieux  français  obli-cFf  mari-er 
(plus  anciennement  ohlidcrj  mander]  devenant  dans  la  prononciation  mo- 


I.  k'iml  escriiurt^  monmt^  jûîùs^  etc.,  et  même   pàntarc  (de  *pinctum 
tum  d*  a  prés  pin^en),  fcmtn  (rfe  *picùcm  «  ficticius,  diaprés  fingcn). 


p\c- 


2.  Les  participes  en  tdai  eût  ta  comme  conçu  pareû  oit  la  protonique  e  est 
nservée,  sont  dus  â  ranalogie  des  nombreux  participes  dissyllabiques  :  bcû^ 
lii^  crtù^  dcûj  tii,  g(ûf  Uù^  ptû,  pUà^  seù^  teiit  v#«,  où  Vc  est  dans   ta  syllabe 


conservée 
initiale. 


LA    PROTONIQUE    EN    FRANC  AÏS  !6? 

dcrne  àubtà-ytr,  man-yer.  Toutefois  l'explication  de  Dtez  doit  être  serrée 
de  plus  près.  Il  est  difficile  de  ne  pas  admettre  que  le  latin  populaire 
disait  cfiittmo^  Aureliano^  changeant  Vî  bref  atone  en  t*  De  cresuan, 
Aureltan  AurUan  sortent,  par  adoucissement  de  Phjatus,  cresteyan^  Aar- 
teyan.  Dans  cette  terminaison  eyan^  Va  suit  son  évolution  naturelle  ae^  ee^ 
puis,  au  lieu  de  se  réduire  à  c  comme  dans  les  cas  ordinaires  {pûrem 
pari  pair  p€er  p$r)^  tt  devient  k  sous  Tinfluence  du  yod  précédent  :  Or-- 
leiieni  crtsteuertf  d*où  par  réduction  de  et  à  i  :  Orliiens  crestikn.  Même 
explication  pour  anciien  qui  toutefois  vient  non  de  Tadjectif  "anîeanum 
qoi  aurait  donné  seulement  â/ip-iVn  (cf.  capùan  chaç-ltr]  mais,  à  l'aide  du 
si^ffixe  ianiLSy  de  l^adverbe  *anHi%  à  l'époque  oh  il  devenait  antjs^  ainz. 
Cette  explication  rend  compte  également  des  cas  d'hiatus  où  la  protonique 
est  initiale.  Viaiicum  donne  vtadgî  veiage.  Dans  ce  mot  on  ne  peut 
voir  une  influence  de  veie  =  via,  car  il  se  trouve  déjà  sous  cette  forme 
vàagi  dans  le  Roland  (660).  L'influence  de  vde  n'agît  que  plus  tard  pour 
niainieûir  au  mot  sa  forme  et  l'amener  ensuite  à  voyage,  au  lieu  de  le 
réduire  réguUèrement  à  mge.  C'est  vraisemblablement  par  l'intermédiaire 
de  la  diphibongue  ei  que  les  mots  comme  Èeônem  ont  passé  à  iion.  Com- 
parez les  formes  populaires  actuelles  Leion  {Léon)^  agrmhk. 

CONCLUSION. 

Résumons  notre  étude. 

La  protonique,  quand  elle  n'est  ni  en  position  ni  en  hiatus,  est  sou- 
mise aux  lois  suivantes  i  \^  a  bref  ou  long  reste^  ou  plus  généralement 
s'aflaiblit  en  e  féminin. 

a*  i,  i,  0^  u  brefs  ou  longs  tombent,  à  moins  qu'ils  ne  soient  protégés 
par  un  groupe  de  consonnes  qui  les  précèdent  ou  les  suivent. 

î*  Ces  lois  phonétiques  sont  contrariées  par  deux  sortes  d*actions 
anaJogiques,  l'influence  exercée  par  la  forme  des  mots  simples  sur  celle 
des  dérivés,  l'influence  exercée  par  la  dérivation  de  la  coniugaison  ta 
plus  usuelle  sur  la  dérivation  des  autres  conjugaisons. 

Si  nous  ne  tenons  pas  compte  des  exceptions  indiquées  par  la  troi- 
nème  loi,  et  qui  sont  dues  à  des  causes  tout  à  fait  particulièreSi  tes  lois 
de  b  protonique  se  ramènent  â  la  suivante  : 

l-*accent  tonique  divise  le  mot  en  deux  moitiés  et  la  finale  de  la 
première  moitié  est  soumise  à  des  lois  de  même  nature  que  celle  de  la 
seconde. 

Or,  b  raison  de  cette  loi  est  apparente.  La  presque  totalité  des  mots 
iiue  nous  venons  d'examiner  a  deux  syllabes  avant  la  tonique  :  boni- 
tatim,  Cdna-bdriar  conso-brinarrij  et  la  première  de  ces  deux  syllabes  a 
ttn  accent  second  :  béni-,  câna-,  cônso-,  tandis  que  la  seconde  est  atone. 


STE.  :c  r:cT€  dans  une  situation 

►  1  Trrr:  i  /jcceni  principal.  De  là 

Bcaédiate  et  finale.  De  là 

■TrrTie  ventre,  sapôrem,  etc. , 

.^    -^   ^  ^  srav:  pas  d'une  syllabe  anté- 

^  ._^  Ts.    r  -  J=s  e  maintien  de  la  protonique 

.   -^  -n  rarï-  rjsî  i'atone  finale  en  position  ; 

_         ^-îsc  ,^y'.:jr  donnera  jouvenceau  ;  cd/Zo- 

.. ._-:  .rars^  jrbreissel  arbroissel  «. 

-;«  .-^  jg:'*!!  pas  d'appliquer  aux  langues 

^  l'^js  .r=2rttser.  Elles  doivent  évidemment 
^.^  ^-^-s^zwàrcfons  spéciales.  Puisque  le  sort 
Tis:  -».  :  A  «r  de  la  finale  correspondante, 
^^.,  -^^.-3SRr;:Jûeniiqueen  français,  en  italien, 
^  «  ^  of  II  finale  ne  sont  pas  les  mêmes 
_  .^  sji*  r-cTons-nous,  de  retrouver  sous 
^^    3^  ji  3K;dpe  que  nous  avons  essayé 

Arsène  Darmesteter. 


,^^  vr.:rM  d'ailleurs  —  dans  lesquels  Tac- 

-..,  7  iL'ô     tîTiri'iàtcm  aspreté^  adificdre  aigier, 

*"  ^.r  r.  îSetc,  présentent  des  obscurités  ; 

T'afr::.  >?::?  ic  le  croire,  sur  la  syllabe  initiale  : 

^     -^^  <fir.i«i  l'indiquer  les  formes  françaises, 

1   *.  r-îC2«  àc  l'accentuation  binaire  :  aspcri. 


-  «*  ;?  jccte  sur  la  valeur  de  Texemple  ascàlô- 

'"   --^  .>  *îfu  «îi!  devenu  escalônia  (comme  dans 

■'      .V^r * tjilc a  été  prise  pour  IV  prosthétique 

W  "à^"*  mitiale.  Cf.  p.  1 57,  n.  2.  —  Il  faut 

-■"^   "^\.-"  >».•«;  l'ancienne  langue  disait  non  Or- 

\^    '•'.  R^'  ^"^-  ^^7^»  ^'  ^  ^irt.  io8)i  ce 


XS. 


^  sort  du  cadre  de  cette  étude. 


MÉLANGES  ÉTYMOLOGIQUES. 


ALBOROTAR  CSf., 

port,  alvorotar,  troubler,  agiter;  esp»  alborotane^  se  révolter,  aWoroto, 
agîtatioTi»  révolte.  Il  y  a  en  latin  ruîuba^  perturbatio  :  Nunc  samus  in  ruîiibay 
V'arron  dans  Nonîtis.  On  le  trouve  dans  Vanicek  à  Tappendice  qui  con- 
tient les  mots  obscurs  ;  il  est  probablement  à  rapprocher  de  ruîabalam, 
pelle  ou  cuiller  à  remuerj  cf.  rutrïm,  «  instrument  qui  tenait  à  la  fois  de 
U  bêche  et  de  ta  pelle,  et  servait  à  gratter,  à  creuser  et  à  remuer  la 
terre,  à  mêler  différentes  substances  »  (Rich,  D/cf.  dcianûquilés  romdtnes)^ 
d'où  le  diminutif  mtellunif  râcloire  ou  radoire,  La  métathèse  de  rutuha  à 
*buruta  est  violente,  mais  l'espagnol  et  le  portugais  présentent  des 
transpositions  aussi  fortes,  voy.  Rom.  Il,  87,  89;  Diez,  Gram.,  I,  295, 
le  ne  décide  pas  si  alborozOj  transport  de  joie,  est  de  la  même  origine; 
du  moins  il  n^est  pas  identique^  puisqu^il  présente  un  sens  sensiblement 
différent»  mais  non  assez  éloigné  pour  exclure  une  dérivation*  D'après 
Dory  la  forme  avorozo  (/'o^ma  i^d  Cid^v.  i6^8|  démontre  que  <2/ n'est 
pas  Tarticle  arabe;  il  faut  probablement  y  voir  le  lat,  ad;  plus  tard  on 
a  inséré  l.  Pareillement  de  ruîtiba  on  aura  formé  ad-mUtba  ou  probablç- 
meni  d'abord  le  verbe  ad-rutubare^  'arrotobary  d  où  sans  trop  de  difficulté 
on  pouvait  faire  ^aborotar^  de  là  alborouir. 

ASEAR,  esp., 

nenoyer,  parer,  «  adornar,  componer  alguna  cosa  con  curiosidad  y 
impieza  ^ ;  dieo  propreté,  délicatesse,  élégance;  port,  asseiar,  asseio. 
Ce  verbe  rappelle  l*ital  asscttarc  ajuster,  arranger,  parer,  placer  à  table, 
pirov.  asilar  eiassieta^  arrangement,  fr.  assiette,  place  des  commensaux. 
DicE  voudrait  tirer  assctîare  de  assectarcy  mais  alors  la  forme  provençale 
fierait  asseita^  cf.  dreit,  direcius,  peitz,  pectus,  etc.  Il  faut  expliquer 
aniOûri  de  'asseditarCy  proprement  asseoir,  placer  à  table,  de  là  ranger, 
arraiiger,  ajuster,  parer,  ital.  asscUatuziOj  paré  avec  affectation.  Il  ne 


l66  U    STORM 

faut  pas  oublier  que  assettarsi  peut  signifier  simplement  s'asseoir^  «  ada- 
giarsi,  sedcrsi,  mettersi  a  sedere  »,  comme  assetto  «  vale  anche  sede  », 
Fanfanî.  En  sicilien  assittarisi^  s'asseoir:  assittata  davanti  la  porta^  Bibi. 
dittt  Trad.  pop.  di  Sic.  V,  87  et  pasiim. 

L'emploi  de  l'csp.  astar  touche  de  près  à  celui  de  l'italien  asunan. 
Dans  Gil  Blas  trad.  p.  îsla,  on  trouve  r  Como  era  tùMm  bien  pancida^ 
ASEADA  iproprene  et  bien  mise),  livre  I,  chap.  ç,  Emptcé  à  cuidar  dd 
ASso  de  mi  persùna^  ibid.  livre  IV,  ch.  1.  Il  est  difficile  d'identifier  atear 
au  mot  italien  ;  on  s'attendrait  à  asetar  ou  tout  au  moins  à  asedar.  Mais 
on  pounaii  expliquer  asear  d'un  latin  asstdare  qui  a  pu  être  compris 
comme  causatif  de  sedere  non-seulement  au  figuré,  mais  aussi  au  sens 
propre.  M.  Bugge  me  Éait  observer  que  cette  explication  peut  être  ap- 
puyée par  le  roumain  aiez,  -d/.  -a(,  asseoir,  mettre  en  place,  en  ordre, 
disposer,  établir,  composer,  fixer,  etc.,  lequel  verbe  ne  saurait  être  que 
asudart. 

AStR  esp.-port.y 

V.  csp»  ûiir,  saisir,  Diez  tire  ce  mot  de  apiscor,  mais  je  ne  m^explique 
pas  comment  alors  la  forme  espagnole  du  mot  n*est  pas  devenue 
ât($cer,  abecer:  d'autre  pan*  cette  étymologie  ne  rend  compte  ni  de 
Tancien  t  ni  de  Vs  moderne.  La  transition  de  apiscor  à  *apsco  serait 
contraire  aux  lois  de  l'accentuation  latine  et  espagnole;  et  puis  \ipscQ 
deviendrait  tout  au  plus  *azco,  *a$co,  non  asgù  [aigo,  donné  par  Ùkz, 
(JMm.,  Il  f,  182,  en  est  la  forme  ancienne).  Autant  que  je  sache,  le  g 
paragogique  des  présents  espagnols  ne  vient  jamais  d'un  c  [sca]  latin, 
mais  toujours  d'un  /  ou  e  «  palatal  >»,  soit  que  celui-ci  se  trouve  en  latin 
ou  qu'il  soit  ajouté  par  l'analogie.  Ainsi  salgo,  salio,  valgo,  valeo;  v.  esp, 
firgamo$,  fcriamus;  nngo,  venio,  îengo,  teneo;  par  analogiepongo,  *poneo, 
comme  l'a  très-bien  montré  Bœhmer,  Jahrbuch,  X,  178;  de  même  aigo 
audio,  CMgo,  •cadco,  traigo,  *traheo;  enfin  yazgo,  jaceo  (à  côté  de  yaga^ 
'jaco,  formé  comme  hago,  *fiico)*  Mais  Bœhmer  tire  à  tort  et  sans  preuve 
suffisante  asgo  dtadcio,  ibid.  i8j.  —  Ensuite  le  sens  matériel  de  saisir 
fait  à  peu  près  défaut  au  mot  latin  apisci,  qui  est  plutôt  poursuivre, 
atteindre,  gagner,  obtenir,  —  Enfin  il  esi  difficile  de  séparer  w,  v,  esp, 
a:ir  du  prov.  sazn,  fr.  saisir^  ital  sagire^  saisir  quelqu'un  de  quelque 
chose,  le  mettre  en  possession  (comme  dans  la  phrase  :  le  mort  saisit  U 
m/}.  L'usage  et  la  construction  sont  les  mêmes  :  on  dit  asirse  de  una  casa 
comme  on  dit  se  Sûistr  de  (fuel^ue  chose;  asido  ^^  comme  saisi  de;  desasint 
Jt  comme  se  dessaisir  de.  Il  s'agit  donc  d'expliquer  l'aphérèse  de  s,   H 
mf  ttmble  probible  qu'on  a  commencé  par  dts-sazirse;  comme  de  bonne 
h$utt  \â  gémination  des  consonnes  ne  se  faisait  plus  sentir,  on  n^a  entendu 
i|lé«  4lHueri  dts^str,  de  ta  s'est  formé  le  nouveau  primitif  aiir,  asir.  Je 


MÉLANGES   ÉTYMOLOGIQUES  167 

ne  sais  quel  âge  a  cet  ^  de  z^  et  s'il  doit  être  expliqué  par  asstinitation  : 

I  iosir  de  saur.  Par  contre,  dans  le  changement  de  sam^  sasir  en  âsir  la 
disîimilaiion  des  deux  s  (ou  bien  de  s  et  z)  entre  peut-être  pour  quelque 

!  part,  comme  me  le  fait  observer  M.  Bugge, 

Ce  mot  appartient  à  ceux  qu'on  a  pris  à  la  nomenclature  du  droit  ger- 
Lmanique,  Il  est  vrai  que  le  mot  espagnol,  surtout  à  cause  de  son  présent, 

II  Pair  d'être  d'origine  latine  \  mais  on  sait  combien  de  verbes  romans  en 
pr  rienneni  du  germanique,  généralement  de  thèmes  verbaux  en  /-,  inf. 
U/dn;  or  une  fois  qu'on  avait  formé  asir^  le  présent  asgo  n'est  guère  plus 
*àrange  que  salgo  de  salir.  Précisément  parce  qu'en  espagnol  il  y  a  peu 

de  ces  verbes  germaniques  en  ir  et  que  les  verbes  en  ir  n'admettent  pas 
la  forme  inchoativej  il  était  naturel  de  leur  faire  suivre  l'analogie  des 
verbes  venant  du  latin.  Reste  à  déterminer  l'éiymologie  de  sazir. 

D'un  côté  il  est  difficile  de  séparer  lit.  sagire  de  staggire  (saisir,  user 
de  main-mise),  comme  le  fait  observer  Schder  qui  propose  les  étymolo- 
gies  b.  1.  stagiam  fslaticurai,  et  pour  le  sens  de  prendre,  l'itaL  staggh 
'obsidaticuml .  Mais  ce  dernier  perdrait  difficilement  son  o,  vu  que  la 

'  forme  française  de  staggio  est  otage,  et  que  le  français  est  en  général  peu 
tnclin  aux  aphérèses.  Pour  staggire  Diez  propose  le  v.h.a.  stâtigôriy  sistere, 
iôlidare,  dénominatif  de  stâtig,  ail.  mod.  st^ictig,  stetig,  ou  bien  stîitian, 
Hâian,  dénom.  de  stâît,  stable,  constant,  ail.  mod.  stet.  Pour  moi, 
j'opterais  pour  le  dernier,  ou  mieux  encore  pour  un  verbe  stadjan  con- 

j  serve  en  norois  sous  la  forme  staija,  stabilire,  sistere,  statuere,  dénom. 

jitttadr^  thème  stadi^  locus.  Quant  à  staggiria^  saisie,  séquestre,  sagina, 
possession,  fr.  sdisirte,  prise  de  possession,  leur  forme  n'exclut  pas  une 

j  provenance  germanique,  cf.  lemodénais/uc/im4,  bourde,  du  v*h.a*  fûgina 

14 côté  de  lugiRi  mensonge;  v.fr*  guastine,  désert,  de  'guastir^  gastir^ 
d'une  racine  qu'on  a  généralement  crue  germanique  (M.  Buggeen  doute; 

'en  tout  cas  le  dérivé  est  roman,  non  latin'[.  Les  suffixes  germaniques  tn{a)y 
tn[i\  se  confondaient  avec  le  latin  Ina  dans  raïna,  fodïna,  etc.  ;  comp. 
encore  le  prov.  aisina.  On  sait  que  les  suffixes  germaniques  se  romani- 
sent  souvent  en  prenant  l'accent,  comme  gastei  de  wàstelf  etc.,  Diez, 
Qram.  Il,  286. 

BANASTA  esp  ,  cai.,  prov,  mod., 

U,  fir.  banasiet  grande  corbeille,  banne  ou  hotte.  «  S'il  vient  de  bertna,  ce 
'  qiiin*^st  guère  douteux,  ast  doit  être  abrégé  de  aster  [astro\^  un  suffixe 
'  ASt  élânt  inconnu  :  aussi  le  mot  est-il  en  v.  fr,  banastn,  en  piém. 
de  même»»;  Diez  1,  benna.  La  chute  de  r  n'est  point  rare:  c'est  le  contre- 
pied  de  l'épenîhése  si  fréquente  en  roman.  D'abord  l'esp.  unasta  est  pour 
cùnasîra  lequel  vient  non  de  cantsirum  comme  dit  Diez,  Gram.  11»,  590^ 
wm  du  b.  L  unastra  =  gr*  îdvjt<npa*  C'est  sur  canasta  comme  le  mot 


lis  i,   STORM 

plef  fréq/ÊOH,  tp^z  été  calqué  kaoêskt,  Enstiiie  3  j  a  l'csp.  madram  de 
madrâttrA,  orquista  de  orqaestra^  port,  ramàt  tûHpo^  îtal.  et  vénit.  trâito 
de  trêSÊT^^  enfin  lltal.  calail0  à  cdté  de  câlssliv.  Dans  la  plupart  de  ces 
cai  3  y  a  ea  dissunOatioii*  C'est  le  phéaonièiie  comraîre  qui  a  lieu  dans 
figisirû^  fegestuni,  dans  Tesp.  rUtTA  ^  Tital.  resU^  Tesp.  ristre  =  port* 
rutt,  csp,  lastrtz=  fr.  /oife,  et  d'autres  qu'énuroèrc  Mlle  Michaelis, 
JahTbuch^  XIII,  216;  j^aioute  encore  lit,  bdlûuîtrû,  balaustium,  it. 
giùstrari,  giostra  à  c6té  de  giustart^  giusta,  tosc.  aiiustra,  Jocusu  (marma)  ; 
déjà  en  latin  aplaariy  à^^x^rcov,  Sdiuchardt,  Kdt*  ni,  87. 

BUFARD, 

d'un  blanc  terne,  Lhtré.  Le  mot  français  ne  parait  qu'au  xiv""  siècle,  le 
bas  lat.  blaffarduSy  «  nom  d*une  monnaie  qui  paraît  répondre  à  un  blanc  », 
au  xiH%  néerL  Haffaart,  blaffert,  «  Kœllnische  Mùnze,  die  vier  albus 
betrxgt  n  Kraroer;  norvégien  du  xvu*  siècle  hverken  blaffert  citer  hvid^ 
ni  sou  ni  maille  Ichez  Petter  Dass;.  Dieztire  ce  mot  d'un  v,h.a.  hjrpothé- 
tique  *bUih-jaTO  :  en  fait,  le  mol  ne  paraît  que  dans  le  m.h.a.  comme 
bleich^vart  c^est-à-dlre  à  une  époque  où  l'influence  germanique  ne  se 
faisait  guère  plus  sentir.  Blafûrd  semble  être  pour  'blamrdou  ^blduard^ 
bleuâtre,  cf.  le  prov,  blau^  fém.  bld¥a.  Ou  reste  blafard  ne  parait  pas 
être  très-ancien  en  français,  et  il  se  peut  qu'il  ait  été  emprunté  à  quelque 
dialecte  du  midi.  C'est  précisément  en  provençal  que  le  thème  blau,  btav^ 
est  le  plus  productif.  Quant  au  sens  on  peut  comparer  d'abord  le  prov. 
U  \itih  me  son  îornaî  îug  blav,  les  yeux  me  sont  devenus  tout  livides; 
vfr  Que  la  char  enfu  bloe,  Berte  XXXIII  (Littré,  Raynouard).  Ensuite 
on  peut  remarquer  que  Pitalien  dit  sbiadito,  d*une  couleur  mate  ou 
effacée  :  un  quadro  [riîratto]  assai  sbiadïto,  comme  je  Tai  entendu  souvent 
et  vu  p,  ex.  dans  le  joumal  La  Rijorma  du  29  septembre  1869;  le  labbra 
appena  tinte  d*un  roseo  sbiadito  (Manzoni,  Promessi  Sposi,  \j*  éd., 
p,  140I,  cf*  sbiadire  <f  dicesi  de*  colori  che  divengono  smorli,  e  corne 
dilavatii  che  perdono  la  loro  vivacità  ^t  Fanfani.  On  dit  aussi  Madûto^ 
dont  le  sens  primitif  est  expliqué  moins  bien  par  Fanfani  comme  a  Colon 
VERDE  moltô  chiaro^  verde  pistiio  »  Voc,  dcUa  Ling.  ItaL  et  Borghmi^  II, 
482,  corrigé  ibid,  ÏI,  569,  par  Gargiolli  qui  prouve  que  le  sbiadato  était 
une  nuance  bleue  :  <<  Nel  trattato  su  Tarte  délia  seta...  sono  registrati 
i  panni  de'  vari  colori  e  gli  sbiadati  sono  posti  tra  i  turchîni  e  i  cilestri; 
appunto  perché  lo  sbîadato  faceva  pane  délia  scala  degli  Alessandrini^ 
vale  a  dire  de'  colori  d'oricello,  che  sono  propriamente  i  violetîL  »  Ct 
aussi  tf  biavo  e sbiâvatû  turchino  chiaro  n,  Fanfani;  hiavo  est  usité  surtout 
dans  les  dialectes  du  nord  comme  le  vénitien.  Pour  d  dsni&sbiadito^  etc. 
cf.  cinodoj  clavus,  padiglionef  pavillon,  etc.  Pour  le  sens  on  peut  com- 
parer btimCf  si  M.  Bugge  a  raison  de  le  tirer  du  norois  biami^  blàman. 


MÉLANGES   éTYMOLOGI<yjES  169 

Rom.  lUy   t4jj   146.  Quant  au  passage  de  v  en  /,  cf,  toutefois  de 
toutesmes,  totesyeieSy  h.  schijare,  esquiver,  etc.,  Rom,  III,  160,  161. 

BOSCO,  BOIS;  dusca;  bossolo. 

Grimm  a  tenté  en  vain  de  montrer  l'origine  allemande  de  ce  moi  en 
nipposant  un  ancien  'bmvisc  de  bùan,  bâtir  ;  Btisch  n'a  jamais  en  allemand 
le  sens  de  bois  de  construction.  Le  mot  se  présente  d'abord  en  m. h. a. 
sous  la  forme  bosche  évidemment  empruntée  au  roman  ;  puis  on  trouve 
biisc^  btuch  ;  Pangl.  bash  ne  paraît  qu'après llnvasion normande.  Lemotne  se 
trouve  en  norois  que  dans  tes  dialectes  modernes,  norv,  buskdy  néo-island, 
buskiy  dan.  Busk^  ctc.  On  ne  saurait  séparer  bois  de  É^umo/ique  tout  !e  monde 
s'accorde  à  dériver  de  buis  y  buxus.  L'allemand  Busch,  l'anglais  buih  ont 
précisément  le  sens  de  buisson,  M.  L.  Havet  a  montré  que  ce  n'est  que 
par  un  développement  exceptionnel  qu'est  née  la  diphthongue  ui  au  lieu 
àçoi  dskns  huis ^p^tok  bonis  {Romani a,  III,  ju,  cf,  ^28,  po),  et  que 
d'autre  part  l'espagnol  hosquc  et  non  bues^jue  prouve  un  0  fermé  du  latin 
Tulgaire.  Le  buis  a  toujours  joué  un  rôle  important  dans  l'Europe  mé- 
ridionale :  c'est  pourquoi  on  a  pu  donner  le  nom  spécial  de  cet  arbuste 
à  tout  le  genre,  comme  au  rebours  on  a  donné  le  nom  générique  à  l'espèce 
la  plus  notable^  cf.  le  grec  SpQç,  chêne,  orig.  arbre,  sanskr.  daru^  bois, 
espèce  de  pin,  lit.  derva,  pin  résineux,  voy.  Curtius,  Griech,  Eiym., 
n"  27  5  ;  peut-être  en  roman  àlbaroy  alhrro^  ûubrdit,  peuplier  noir  ! 
cependant  Texplication  de  albulnst^  à  préférer,  voy.  Diez,  Bîym.  Wb.^ 
\\û.  Du  sens  d'arbuste  on  a  passé  à  celui  de  collection  d'arbustes, 
bocage,  bois.  En  outre  en  considérant  la  matière,  comme  on  a  de  tout 
temps  employé  l'excellent  bois  du  buis  pour  une  infinité  d'outils  et 
d'objets,  on  a  passé  ici  également  de  l'espèce  au  genre.  Chez  les  Romains 
huxus^  bîixum  s'employait  pour  toutes  les  choses  faites  de  ce  bois,  comme 
tes  sabots,  les  flûtes,  les  peignes  et  les  tablettes.  En  bas  latin  on  emploie 
de  même  buxus  et  boxus,  dans  la  langue  vulgaire  vivante  bàxo  (0  fermé). 
Pour  le  sens  de  bois  il  s'est  détaché  une  forme  buscus^  boscus^  raétathèse 
comme  l'it.  lasco  (laxus).  En  italien  bôxo  est  devenu  bàsso  au  lieu  de 
Wwo,  cf.  crèsia^  crusta,  nozze,  nuptiae.  En  prov.  hoïs^  buis,  bosc,  bois, 
hyssadûf  forêt,  bois,  boisson^  buisson.  En  français  la  forme  bosco  a  peut- 
être  eu  moins  d'étendue  qu'ailleurs  ;  bois  vient  plus  régulièrement  de  box 
que  de  base,  comme  boiste,  botîe  de  boxida  (puxïda;^  et  oissor  de  oxàr 
IttiOfem).  Du  thème  ^oic  on  ^boscage,  boschageâéjk  auxii*^  siècle,  boschet 
^  au  xiii=  :  si  cela  n'était,  on  serait  tenté  de  voir  dans  ces  mots  des  emprunts 
faits  au  provençal  ou  à  l'italien.  En  français  *hoisson  est  devenu  buisson 
comme  cdgitare  est  devenu  caidier  ^ .  Comme  il  faut  avec  M.  Havet  expli- 

K  M.  L.  Havet^  Rom,  Ui,  530,  lait  remonter  â  dans  ce  mot  it  un  ù  latin 


m^^ 


170  I.   STORM 

quer  le  fr.  cuidier  par  le  cuidar  hispaiio-provençai,  on  peut  mm  ezpUqoer 
buisson  par  IHtalien  busàone.  On  peut  consuter  id  un  :agni«icBt  ea 
rétrécissement  sporadique  de  l'atone  initiale  comme  dans  fusU^  h.  facilt, 
de  *fbcilem,  it.  facile  ;  6  devient  d'abord  ou,  et  celui-d  en  français  a; 
quelquefois  le  français  va  plus  loin  que  Mtalien^  cf.  bum^  ÎL  borino, 
butin,  bottino;  le  v.  esp.  boril  est  devenu  en  esp.  mod.  bardj  oonmie  en 
tant  d'autres  cas  Vo  protonique  du  v.  esp.  est  devenu  u,  coomie  anc  esp. 
«o««r,  esp.  mod.  muger;  anc.  esp.  atordir,  esp.  mod.  âtaréir^  etc. 

Pour  ce  qui  est  de  (usai,  bûche,  le  u  radical  pourrait  faire  penser  à  un 
*bUsii€4  latin,  surtout  si  l'on  admettait  en  même  temps  l'éq^moiogie  bràUr 
de  *bUstulare  sur  laquelle  je  reviendrai  plus  bas.  Mais  d'une  part  Pane, 
fr,  buisse  (=£  *^ttXii)  et  le  verbe  embuissier,  embnscher  =s  lit.  imhoscnre 
rattachent  bûche  à  bosco,  boxa;  d'autre  part  on  a  tt  à  cAté  de  on  dans 
buter  (it.  bumre)  «=  bouter  (it.  dibottarêy. 

Quant  à  l'it.  bossolo,  bussola  d'où  le  fr.  boussole  et  Pesp.  brûjula, 
M.  Caix«  S/ttJ.  etim.,  U  le  dérive  de  piocûia,  boite,  cf.  trèipo/o  de  irj^ûfe. 
Cette  dérivation  ne  difière  pas  radicalement  de  celle  de  Diez,  puisque 
Tj;t^  vient  de  7J^«  et  que  dans  le  bas  lat.  bwdda,  boxida^  on  sentait 
encore  buxus,  boxo.  Du  reste  bossolo  signifie  aussi  buis,  «  lo  stesso  que 
twss^  tt  (Fanfani);  dans  ce  sens  du  moins  il  ne  peut  être  que  le  dimi* 
nutif  de  bosco,  buxus.  Il  faudrait  donc,  pour  maintenir  l'étjmologie  de 
M.  Caix,  assigner  aux  deux  sens  de  bossolo  une  origine  dîffârente,  ce  qui 
nVst  pas  sans  difficulté. 

BRAVO. 

Aucune  des  étymologies  proposées  par  Diez  pour  ce  mot  ne  me  parait 
&Ati;Uaisante.  Ménage,  Origini  délia  lingua  italiana,  dit  :  «  Altri  lo  cavano 
iU  tM'us,  primitivo  di  rabidus,  »  Je  m'en  tiens  au  mot  exisunt  rabidus 
\\\\\  me  semble  offrir  une  origine  légitime  et  pour  la  forme  et  pour  le 
seuH.  Hahidus  est  devenu  d*abord  *brabidus  par  prothèse  de>  devant  r), 
phénomène  qui  n*est  pas  des  plus  fréquents,  mais  qui  a  lieu  précisément 
vbns  des  mots  qui  peignent  le  tumulte,  le  bruit,  le  cri  de  la  passion, 
ivnuuc  huite,  huit,  braire  (je  ne  vais  pas  aussi  loin  que  M.  Bœhmer, 
UhibuKh,  X,  194).  Diez  lui-même  se  demande  s'il  y  a  une  connexion 
^\\\\t  hau  et  brMre.  De  *brabidus,  d'abord  le  v.  it.  brdido  «  uomo  lesto, 
brilo»  \isiH>.  K  voce  usata  fino  da  tempi  antichissimi  di  Guittone,  ed  è 

i,«.>;:M'i\  ce  OUI  nVsl  pas  admissible.  Les  formes  romanes  cuidar,  cuidier  prou- 
\v\\\  unii  .lu  plus  un  cufiitjre  bas  latin,  qui  du  reste  n*a  pas  encore  été  cite  que 
!«•  ^.^^tu^ll.  Sihuohardt,  KoA.,  III,  211. 

I.  M  lUi^^f  me  communique  une  dérivation  nouvelle  :  f  Vu  la  relation  du 
Mil'.  ,\  irlui  lit'  hsnK  \c  trouve  plus  probable  de  tirer  busca  non  de  ^buxa  mais 
»U*  '^H^^4,  p<mr  la  formation  voy.  Diez,  Gram.  II.  »  J'adopte  cette  étymologie 
pour  bUihi,  iiui^  bmsse  ne  s'accommode  que  de  buxa. 


MÉLANGES   ÉTYWOLOCIQUBS  171 

pur  vjvi  tuttora  in  qualche  parte  del  contado  aretina  n  Fanfani  ;  de  là 
braio  qui  conserve  le  sens  primitif  :  bue  brada,  taureau  sauvage  ;  d'autre 
pari  'brabidus  est  devenu  *bravio^  it.  hravo^  cf.  it.  rancïo  rancldus, 
loobù  turbidus,  en  esp.  bravio  cL  rocio,  rosudus  (selon  Dicz,  Gram.^ 
lîi,  v6j.  pour  'bravivo  comme  vacio],  et  bravo  comme  en  iiaL  :  cabatlo 
bîiivOf  cheval  sauvage,  non  dressé,  los  indios  bravos^  les  Indiens 
sauvages,  Pajeken,  Cram,  d,  span,  Sprache^  p.  }8,  maru  bravas 
CaballerO;  Cuenîos,  p,  17,  en  ancien  ital,  unde  brave  (Diez)*  Les  acceptions 
modernes  de  bravo  sont  connues.  En  provençal  cavaili  braidiu  «  cheval 
fougueux,  alerte,  n  aussi  a  braillard,  hennissant  »,  vient  de  braidir, 
braire,  brailler,  en  v.  fr,  braidif  {mémt  sens),  voy.  Diez,  Wœrurb,,  lie. 

On  voit  que  le  sens  roman  le  plus  ancien  est  u  enragé,  farouche,  0 
comme  Ta  déjà  montré  Diez.  L'origine  que  j'ai  indiquée  donne  lieu  à  des 
rapprochements  directs  :  avec  unde  brave^  mares  bravas  cf.  rabidum  Pelo- 
rum  (Lucain),  râbles  caiiqae  marisque  (Virgile)*  Avec  bue  brado,  cabalh 
ktfw,  cf.  rabidi  canes  (Lucrèce),  tabidi  Icônes  (Horace). 

On  conçoit  facilement  comment  au  moyen-âge  Tidéc  de  v  farouche, 
martial,  vaillant^  «  prend  la  place  de  toutes  les  belles  et  bonnes  qualités. 
On  peut  comparer  l*emploi  semblable  de  fier  dans  le  langage  familier,  et 
i^  galant,  vaillant  et  paré,  comme  braye  fam,  =  paré  avec  soin.  Ce  mot 
est  devenu  d'usage  populaire  dans  les  langues  germaniques  dans  le  sens 
de  vaillant,  honnête,  paré,  etc.,  en  anglais  p,  e.  she  was  brave  in  ribbons 
(Dickens,  Chrisîmas  Caroly  éd,  Tauchnîiz,  p.  42).  Dans  les  langues  Scan- 
dinaves on  dit  tous  les  jours  braVy  brâ  pour  *<  honnête  »  (adj .)  et  «  bien  » 
adv.|,  danois  et  norv.  Hvoriedes  lever  De?  Taky  bra.  «  Comment  vous 
ponez-vousi^  Bien,  je  vous  remercie  »;  en  suédois  de  même  bra.  En 
kûv  Mand,  un  brave,  honnête  homme,  chez  nos  paysans  «  un  homme 
riche  »,  comme  honesîtis  en  bas  latin,  voy.   Rœnsch,  Itala  a.   Vutgata^ 

M.  Ba£hmer,J dhrbuch,  X,  197,  dérive  brave  delà  racine  fru  dans 
i^utum,  étymologie  trop  aventurée  pour  être  discutée  ici. 


BREGaR,  BRIGA, 

pr.  cal.  brcgar,  fr.  broyer.  Broyer  [le  chanvre]  se  dit  en  allemand  [Hanf] 
Jncfnn,  et  c'est  là  Tétymologie  évidente  du  mot  roman,  en  bas  ail  breken^ 
.  break,  goth.  brikan^  rompre.  La  ténue  et  Vi  radical  sont  maintenus 
le  lomb.  brica,  miette,  prov.  briga;  verbe  csbrigdy  émietter,  briser, 
voy,  Diez,  Jï,  2;9.  Cf.  it.  septenir.  brega,  bûche,  i£»r^^dr,  déchirer,  etc. 
Mttitaâaj  Beitr.  $7  (Ascoli,  cité  ibid,].  Que  briga,  brega,  tumulte,  que- 
relle, âfferc,  fr*  brigue,  ait  la  même  origine,  c'est  moins  sûr.  Diez  ratta- 
chait autrefois  ces  mots  au  goth.  brakjaj  combat  :  maintenant  il  se  con- 
tente  de  déterminer  la  racine  brîk  et  n'en  décide  plus  la  provenance,  it- 


172  J.    STORM 

tenterai  de  réhabiliter  l'origine  germanique.  Le  goth,  brikan  signifie  aussi 
lutter,  SÔXeiv;  de  ce  verbe  dérive  kakja,  ttûiXt],  conluctaiio»  Brigfl. 
dérive  non  pas  de  brakja^  mais  du  thème  du  verbe  brikan^  dont  on  a 
formé  d'abord  bngare^bregare,  rompre,  faire  du  bruit,  se  quereller  ;  corap, 
pour  le  sens  le  lat.  fragor,  bruit,  Atfrangmj  rompre,  Tangl  /wtw,  bruit, 
V.  fr.  nols€y  bruit,  querelle.  En  cat.  bregar^  broyer,  quereller;  anc,  cal* 
bruar^  diminuer  :  est-ce  le  même  mot  avec  la  ténue  conservée  ?  Corop. 
pour  le  sens  v.  fr.  souffraiîe,  alL  Abbrtich  ieldeny  souffrir  diminution.  Le 
fr.  brigue  répond  surtout  pour  le  sens  au  norois  èr^Â:,  instance  ou  intrigue, 
notamment  pour  le  bien  d'autrui,  brcka,  tâcher  d'obtenir  ce  à  quoi  on  n*a 
pas  de  droit.  L'italien  bnga  s'emploie  surtout  dans  le  sens  de  a  ennui, 
querelle,  affaire  difficile  »,  ainsi  :  Avan  che  di  qutsto  vi  dan  brîca  td 
impaccia^  Nannucci,  Manuale  I,  ^4:1,  sanza  brïga^*  nom  vivente,  ibid.  I, 
440;  k/g<arc,  briguer  :  brigan  cotai  lussara,  \h'\d,  I,  458,  cf.  brigare, 
wingegnarsi  d'ottenere  checchessia  per  mezzo  di  raggiriedi  cabale  »  Fan- 
fani  ;  dans  les  dialectes  italiens  surtout  anciens,  brigare,  bregare^  bregar 
peut  signifier  simplement  «  bazzkare,  frequeritare,  )>  voy.  Mussafia, 
RonL  II,  110,  cf.  it.  bfigata^  réunion,  Mussafia,  Beitr.^  37  (cf.  avoir 
affaire  à). 

Dans  presque  tous  les  mots  de  cette  famille  on  voit  un  g  pour  le  k 
germanique,  comme  dans  braguer  (voy.  plus  bas),  it.  FedmgOj  etc.  La 
voyelle  gothique  i  comme  dans  le  v.  fr.  frtque  =  goth.  frtks,  dans  les 
autres  langues  germaniqnes/r^^,  frech,  voy.  Diez  Ik;  cf.  tirer  =  goih, 
tdiran  =  teran.  On  pourrait  aussi  citer  tricher,  v.  frv  trecher,  h,  treccarc, 
d'après  Diez  du  bas  ail,  trekken^  faire  un  trait.  Mais  ici  j'incline  au  latin 
tmari  repoussé  par  Diez.  Ce  maître  dit,  iî  est  vrai,  que  la  dérivation  de 
trlcari  est  inadmissible  à  cause  de  IV  qui  se  présente  dans  le  radical  à  c6ié 
de  i.  Mais  dans  l'article  précédent  de  son  dictionnaire,  il  admet  sans 
scrupule  Pît.  tribbia^  esp.  trilh  de  frZfcu^a^  toutefois  sans  marquer  la  quan- 
tité qui  pourtant  n*est  pas  douteuse,  cf.  Virg.  Ceorg,  I,  164: 

Tribulaqaef  traheaeque  et  iniquo  pondère  rastri. 
Cf.  fréddo  de  fr'tgidus^  dont  j'ai  parlé  à  propos  de  l'opinion  de  M.  AscoU 
dans  la  Tidskriftfor  Filotogi  og  Pddagogiky  N.  R.  ï,  170;  tict  de  llicem, 
Trlcari  est  devenu  'triccàrej  h.  tnccare,  comme  glûîus  est  devenu  •g/«f- 
tïis,  h.  ghiotto,  Diezl,  et  comme  cûpa  est  devenu  cuppa,  Jt.  coppa^  Diez, 
ibid.  Comp.  encore  bieco  de  oblJquus,  Diez  Ua, 

De  brikan  le  germanique  forme  le  subst.  brak,  fragor,  de  là  brakdn^ 
faire  du  bruit,  broyer  (le  chanvre^  en  norois  brakay  patois  norv.  mod. 
braka,  kj^d  S  faire  du  bruit,  faire  étalage.  Avec  Diez  j'en  vois  le  réflexe 


i.  Proprement  de  brâkôn  qui  vient  du  subst.  fém.  ^/'ôiS:,  tandis  que  braka  vient 
du  neutre  brak,  comme  me  le  fait  observer  M.  Buggc. 


■ 


MÉLANGES   ÉTYWOLOClCilJES  175 

dans  le  V.  fr.  tragufr,  mener  vie  joyeuse,  bragard,  galant,  prov,  mod. 
bfâfiâf  faire  étalage,  parade,  angl.  tû  kag,  braggart,  voy.  Mùller,  Etym. 
Warîcrh.  d,  engL  Sprachc]  adj.  norm.  brague,  vif,  emporté,  proprement 
«  qui  fait  du  bruit  »,  en  pic.  brake^  avec  la  ténue  ou  sourde  conservée. 

BR1NCAR  esp.,  port. y 

sauter,  danser,  folâtrer,  jouer,  brinco^  saut  :  nos  pusimos  de  un  brinco  en 
ç4sa  dei  Ucenciado ,  Git  Bks  trad.  p.  Isla,  d'un  saut,  o  Peut-être  du  ger- 
manique blinkan,  micare  ?  »  Diez.  Selon  moi  ce  mot  est  identique  à 
l'italien  springare^  trépigner,  v.  fir.  espringucr,  danser  en  trépignant, 
D*âbord  brincar  est  pour  *esbrincar  ctymmt  pasmo  pour  *eipasmo^  cL  port. 
Unifue  pour  estanqut^  cat.  tancar^  étancher  :  on  aura  pris  es  pour  le  pré- 
fixe ^=  lât.  ex.  Ensuite  '«^nVi^ar  est  pour  'esprincar,  comme  esp*-port. 
fsgrimir  pour  escrlmir.  Enfin  *  esprincar  est  pour  *espnngar  comme  tsirin- 
qiii  est  pour  cstringuc,  cf.  V\i,  stringUj  Diez  J,  et  comme  l'esp,  estanque 
répond  au  fr*  étang,  grâce  à  Phésitation  entre  fortes  et  douces  assez  fré- 
quente dans  le  contact  des  explosives  avec  des  nasales. 

BRUCIARE,    BRUSTOLARE. 

En  ancien  ital.  brusciarc.  Selon  Muratori  brasctare  de  perastare^  et  brusto- 
hrij  bràler  de  perusîulare,  Diez  fait  observer  que  bjustoïau  est  formé 
comme  ustoldre.  Ut.  astulare,  pr.  asdar^  anc,  esp.  uskr^  «  de  sorte  que 
les  formes  commençant  par  b  ont  Pair  d'en  être  nées  par  extension.  » 
W,  Bœhmer,  Jahrbuch  f.  rom.  u.  engL  Lit.  X,  195,  fait  venir  bruciare  de 
'bnutare  ==  *bustdre^  en  comparant  îe  lyonnais  baddy  brûler.  J'avais 
pensé  à  une  étymologie  semblable  que  je  me  permets  d'exposer  ici.  Comme 
de  ustus  on  a  faituj/u/tïr^,  ainsi  de  combusins  on  aura  formé  *€ombusîulare, 
de  !à,  par  une  aphérèse  à  laquelle  a  contribué  Pinfluence  de  bustum  », 
*hustidare.  D'autre  part  comme  de  angùsias  angûsîiare,  it.  angosciâre^ 
ainsi  de  combûstas  *(com]bastiare.  Ces  deux  roots  *bustulare  et  ^bustiare 
sont  devenus  bnutulare  et  brusûare  comme  lecat,  brusca,  bûche,  de  buscûf 
Pesp.  brùjula  de  Pît.  bùssola,  etc.,  épenthèse  à  laquelle  a  contribué 
puissamment  Pinfluence  du  germanique  brunst  {*hrUsî},  incendie  *,  de 
hrinnan^  brmnen,  brûler.  Enfin  *brustiare  a  donné  régulièrement  l'italien 
hmsdare,  *Brusîare  sans  i  ne  pourrait  pas  donner  brusdare  :  si  ne  devient 
se  que  devant  /,  surtout  i  «  palatal  ».  Le  seul  exemple  de  Diez,  Gram, 

t.  Cette  influence  serait  corroborée  par  le  grisoa  bist^  buste,  si  ce  mot  est 
rallaché  avec  raison  par  Ascolt,  Arch,  I,  jj,  à  busîum  :  i  La  indentiti  di  busto 
col  bustum,  lat,,  è  nqgata  a  torto  dal  Diez.  »  Mais  je  ne  m'explique  pas  ledévc- 
toppement  du  sens. 

î.  Cf.  le  vén.  bronza^  braise,  t  peut-être  l'ail,  i^runst  1  Diez,  1,  89,  voy. 
Mussafia^  Bear,  ^y^  hâ  dérivation  de  pruna  est  à  préférer,  soit  prunia  (Ascoïi), 
soit  peut-être  pTunida,  cf.  hronzo  *brunitius,  Diez^  Gram,  !,  503. 


176  J-    STORM 

Gluck,  Celtische  namen  bel  Cûtsar^  p.  28.  parle  d'un  cumba  gaulois 
qu'il  croit  retrouver  dans  le  gallois  cwmm  et  qu'il  compare  à  xu|jL0t;, 
comme  me  le  fait  observer  M.  Bugge.  il  serait  intéressant  de  savoir; 
quelle  est  Tautorité  de  ce  cimba.  Chambers,  Exercises  on  Etymalogy^  1 
Etymological  Dictionary,  p,  589,  en  dérive  Wycambe  et  Comffton. 

CORTINA. 

D'après  Dtez  de  chors,  et  signifie  en  b.  L  petite  cour  ou  enclos,  mur 
entre  deux  bastions,  rideau  suspendu  devant  Tautel,  *(  au  fond  identique 
au  classique  cortina^  chose  ronde.  »  En  effet,  toutes  les  acceptions  de 
cortina  renferment  Tidée  de  rondeur  :  1 .  vase  circulaire,  2*  couvercle  rond, 
j,  autel  ou  trépied  rond,  4,  voûte  ou  plafond  rond  (Freund,  Rich).  Mais 
c'est  précisément  pour  cela  qu'il  faut  séparer  ce  cortina  de  chors  cl  le 
rapprocher  du  grec  ^^-^^'iz^  rond,  Je  ne  trouve  pas  ce  rapprochement! 
dans  Curtîus,  mais  bien  dans  Fick,  p.  441  '.  —  il  faut  donc  séparer  le^ 
mot  latin  du  mot  roman,  tant  qu'on  ne  pourra  pas  retrouver  Tidée  de^ 
rondeur  dans  le  cortina  du  moyen-âge. 


CUTIK, 


esp. 


<i  Golpear  una  cosa  con  otra,  ant.  poner  en  competencia;  combatir, 
competir  n  Dicc.  de  fa  Acad,  Diez  le  tire  de  competere  moyennant  une 
syncope  «  forte,  mais  non  sans  exemple.  »  Pourquoi  pas  du  radical  dcj 
recutêre,  concaîere  ?  Il  est  vrai  que  l'espagnol  a  sacudir  de  succutere,  et  kr 
V.  port,  precudir  dtpercutere  :  on  s^attendrait  donc  à  cudir  et  non  à  cutiA 
(encore  moins  à  quaier,  quadir,  le  primitif  latin  étant  inconnu  au  roman). 
Mais  d'autre  part  l'espagnol  nous  présente  des  formes  savantes  comme 
pcrcntidor,  concutriz,  et  même  repercaîir,  H  n*est  donc  pas  déraisonnable 
de  supposer  qu'on  a  pu  construire  ou  conclure  un  primitif  cutir,  forme 
savante  quoique  non  btine;  cf.  aussi  le  prov.  percutir^  heurter.  En  vfr,, 
dans  la  Vie  de  St.  Léger,  i^b^  le  ms.  offre  :  Et  a  gîadies  percutant,  ce 
que  M.  Gaston  Paris,  Rom,  1,511,  change  en  Et  a  glavies  persécutant, 
parce  que  a  percaîere  n'a  donné  de  verbe  dans  aucune  langue  romane; 
à  Pépoque  du  Saint  Léger^  le  participe  du  verbe  hypothétique  percadre 
eût  d'ailleurs  été  percodant.  »  Mais  on  trouve  une  forme  française  de  ce 
verbe  aussi  dans  le  fragment  de  Valenciennes  :  si  rogavit  deas  ad  un 
verme  que  percussist  cet  edre.  Si  la  forme  percutant  ne  peut  se  maintenir 
dans  le  vers  du  Saint  Léger  à  cause  du  rhythme,  le  copiste  s'y  est  peut* 


suivants  :  Cumbû,   locus  iinus  navis,  Isidore,  Orig.  XIX,  2,  1 .  Cumba,  tûcii$ 
[imus]  navis,  gloss.  Piacid*  éd.  peuerling  XXII,  k  ■  S.  Bugge. 

I.  Selon  M.  Bugge.  il  faudrait  plutôt  s^attendre  à  *cunma,  cf.  curous.  C'est 
pourquoi  il  préfère  I  explication  cortina  de  'covmm,  et  rombrîen  covonust 
(ourtut^  forme  comme  angtna^  fodltm,  ruina. 


MÉLANGES    ÉTYMOLOGIQUES  I77 

èirc  trompé  précisément  parce  qu'il  connaissait  ce  mot-là.  On  pourrait 
peut-être  aussi  combler  la  lacune  d'autre  manière»  p.  e.  Et  a  gtavies  lo 
ptrcutant,  c'est-à-dire  lo  règne  (22f\.  Il  me  semble  qu'un  mot  comme 
frapper  convient  mieux  à  glavies  eî  fait  pendant  à  ardanî  :  c'est  le  terme 
spécial  qu'il  faut  ici  plutôt  que  l'expression  générale  persécutant.  Seule- 
ment et  percuianî  et  percussist  et  l'int  percutir  qu'on  peut  supposer 
ju'il  se  trouve  en  provençal,  sont  des  formes  demi-savantes. 


jmtsqu 


DISNARE. 


^^Pour  expliquer  le  bas  lat.  [se]  dUnare,  le  plus  simple  est  de  le  rattacher 

U^^y^tscinare  calqué  sur  [se)  âisjljMart,  déjeuner.  *Disc£nare  est  devenu 

nbord  dhdnan,  La  première  phase  romane  a  été  *discenar€  ou  *discinar€, 

iormequî  serait  régulière  en  italien;  la  seconde  *diisenarc,  conforme  au 

taîc  du  roman  du  N*  0.  (italien  du  nord  et  franco-provençal)  comme 
ta  devient  ici  pcsst^  pes,  poisson;  la  troisième  disnar  reste  en  pro- 
vençal et  italien  du  nord;  la  quatrième  dlsner,  forme  française.  L'italien 
littéraire  semble  avoir  adopté  la  forme  septentrionale,  loscanisée  en 
âisinarij  desinarc,  s'il  ne  Ta  pas  empruntée  au  provençal  ou  au  français 
comme  je  l'ai  supposé  ailleurs  'Mèm.  de  la  Soc.  de  /m^.,  Il,  ï2i,  note). 
J'explique  maintenant  Ve  dans  desinare  par  les  formes  des  verbes  où  il 
^êX  accentué  :  on  a  dit  desinare  à  cause  de  désino,  comme  destare  de 
^fcitare  (1.  c,  iji;  à  cause  de  désto,  H  est  vrai  que  c  devient 
quelquefois  s  italien  dans  les  formes  syncopées,   mais  c'est    presque 

iijours  par  le  contact  d^une  ou  plusieurs  dentales  suivantes  ;  avant 
syncope  c  devient  se  ==  s  entre  deux  voyelles  comme  toujours 
toscan  et  roman  :  dieci  à  Florence  eî  à  Rome,  prononcé  diesel 
di),  puis  ia  syncope  opérée^  la  pression  des  deniales  fait  changer  i 
i  :  comme  fasîeilo  vient  de  {asceUillo,  fisteik  de  fiscitelia^  mcstare  ' 
miscitare  [\,  c.  iji)»  et  destare  de  disnitare^  ainsi  amiciiàte 
vient  amistà  (esp,  amistad,  v,  fr*  amisîieî]^  ciaccepîôre  astâre^  cf.  Dîez» 


H  t.  Cancilo,  /ï(v,  di  filof.  rom.  î,  17  :  e  Miscita  si  dice  comunemcnte  a  Firenze 
^luogo  ovc  si  tncscono  0  mrnestre  0  vini  od  ohi  :  ed  è  un   sostantivo  partici- 
piale da  'niixita  per  mtxta^  da  miidrt^  che  in  ital.  dîventô  mlsctrc.  Dal   supino 
ttam  trasse  origine  tl  frcquenUlivo  ital.  mtitarc;  menlre  mixttum  hsàb  traccia 
se  nel  vencziano  €  lombardo  messcdar^  e  ndl'  anlico  ïtaL  maadarc^  manda n  • 
lis  d'abord  i  latin  persiste  généralement  en  italien  devant  s  ^^  Xj   cf,  dhsl^ 
Ki«  nss\,  vixij^ïfo,  fixus^  hmva^  lixivia,  nssa,  rixa  (rma,  rare,   maintenant 
Dsitè,  peut-être  d'origine  dfalectaîen  Mtsio  pour  mrjro  chez  Guitlone  et  Ristoro 
ail,  «/!'♦  Km,  déc.    1874,   p.   77)  sont  des  îormcs  arélines.  Puis  se  dans 
\itla  et  l'ancien  macuiarc  indique  plutôt  un  se  latin  qu'un  x.   ftUssidan  et 
"^  Ve  (Fanfani)  sont  des  formes  lombardisântes  et  ne  se  trouvent,  si  je  ne  me 
^e,  que  chez  des  auteurs  de  couleur  septentrionale  (de  l'écoïe  bolonaise?). 
fjfJrf  vient  donc  de  misatarc.  Aussi  Ascoli,  Arch,  I,  44,  lire-t-il  avec  raison 
I  foumanche  mûsthadar^  frioulan  mcsscda,  de  mtscttan. 


Homania^  V 


12 


178  J.    STORM 

Gram,  lî,  255,  54^»  ^^  ^^^ris,  Accent,  p.  49,  note.   Le  seul  moyen 
d'expliquer  destnare  comme  forme  toscane  indigène,  ce  serait  par  Tactioii 
de  Vn  dans  la  forme  syncopée  ;  mais  alors  il  faudrait  supposer  les  phases^ 
1,  deccnau  ou  discenare,  2.  dis'nare,  ].  disinare,  i(;ii/7<3r^,  c'est-à-dire  que 
le  toscan  ferait  une  syncope  pour  la  défaire  aussitôt  après^  procédé  peu 
naturel  Or  ta  forme  disnare  n'est  pas  du  tout  prouvée  pour  le  toscan ^ 
même  dainare  n*est  pas  usité  dans  les  dialectes  de  Pkalien  propre  [centra 
et  méridional)  où  Ton  dit  pranzare,  praazo,  comme  je  Tai  montré  \Mém!] 
de  la  Soc.  de  ling.^  îf  »  1  î  1).  Quant  à  l^analogie  que  semble  offrir pi/^^/ia] 
de  post'Cenhm,  il  ne  faut  pas  s'y  tromper.  Le  régulier  serait />u^ci^rta,  cf.] 
Juscelh  de  fustkdh;  même  en  milanais  on  dit  puscènna  ou  posclnna  (Che-l 
rubinij.  Je  suppose  que  pixs/^no  comme  desinare  sont  venus  de  quelque 
dialecte  du  nord,  peut-être  de  l'émilien. 

Quant  au  sens,  il  est  vrai  que  dis-ctnart  constitue  un  contre-sens,  mais 
il  s'explique  d'abord  par  i^imitation  de  dis-jejunare,  et  ensuite  par  letl 
changements  apportés  dans  les  autres  noms  des  repas.  Tandis  que  les| 
Italiens  retenaient  pfiirtzo  et  ccna,  les  Français^  qui  avaient  perdu  pam/iam. 
le  remplacèrent  par  un  terme  moyen  entre  disjcjunare  et  cenan,  savoîij] 
discenare,  Disccnare  et  recenan  furent  différenciés  en  disner  et  rainer, 
iovmt  digmr  tsi  ï  dhner  commt  maisgniée^  maignéc  à  maisnlée,  etc,  ell 
ne  renvoie  pas  à  dignari.  On  disait  se  dhnaTj  se  disner^  comme  on  disai^ 
se  dtsjemer,  esp.  daayunârse.  —  Il  est  peut-être  plus  sûr  de  supposer 
qu'on  a  dit  d'abord  *de-cenare;  ensuite  après  avoir  oublié  le  vrai  sens  de! 
ccnare^  on  a  changé  "decenare  en  'disccnare  sous  l'influence  de  disjejunar^g] 
et  comme  dearmare,  defnire^  etc,  devient  en  ital.  disarmare,  disfinire^ 
esp.  desamar,  etc.,  Diez,  Gram,^  lU,  424. 

ENCENAGAR,  eSp., 

souiller,  salir,  usité  proprement  et  au  figuré,  p.  e.  Un  kombre  encena- 1 
GADO  en  îodos  hs  viàos  (Gii  Bias  trad.  p.  Isla,  livre  ÏV,  ch,  }),  Ce  rooli 
vient  évidemment  de    *incoenicare,   comme  trûfagar^  trJfago  =  îtal, 
trafficare,  trdffico.  Esp,  cenagoso,  fangeux,  marécageux,  vient  de 'co«/ïtcoi«i 
formé  comme  famicosus  ;  cenagal,  bourbier^  de  *coenicale,  formé  comme 
Tesp,  arenal,  Diez,  GramJU,  528,  Diez  dît  au  mot /m/agÉar  quïl  n'y  a  paij 
de  suffixe  ag  en  espagnol.   Mais  cette  forme  existe  du  moins  coraroej 
modification  de  ic  ou  plutôt  de  eg  comme  dans  dbrego  :  c*est  ainsi  qué| 
l'espagnol  présente  reldmpago  à  côté  du  cat,  Mmpeg,  et  dlaga  du  latin 
aiïca,  etc.  Matériellement  on  trouve  le  même  suffixe  dans  halagar,  Ct 
mot,  V.  esp.  falagar.afakgar,  caL  afattgar^  vient  peut-être  de  *affldticari 
qui  est  devenu  d'abord  'aftagar  comme  sosegar  de  subsedicare  (voy,  plus' 
bas),  ensuite  ajalagar  comme  fiiibote  de  jlihote.  On  pourrait  peut-être 
tirer  de  la  même  racine  le  fr.  flatter.  Pour  ce  mol  Scheler  ^gnale  le  lai. 


MÉLANGES   ÉTYMOLOGIQUES  t79 

flatan  «  augere  vel  amplum  reddere  n  Closs.  Plac,  ;  mais  suivant 
M.  Buggc  FtATARE  esi  probablement  une  faute  pour  elatare.  Pour 
la  forme  je  préférerais  yatitare,  puisque  flatare  aurait  probablement 
donné  'fl^ytr^  Jléer^  cf.  délayer^  dilatare,  agréer,  aggraiare.  Je  suppose 
qu'on  a  dit  afjUre,  flatitan^  afflaîkare^  d-abord  dans  le  sens  de  flatter  les 
sens  par  un  souffle  léger  en  agitant  Téventaïl,  cfr.  v.  fr.  fUvelle,  flatterie, 
de  flabdlum;  de  U  d*une  part  <<  flatter  de  la  main,  »>  passer  doucement 
la  main  par-dessus  quelque  chose,  d'autre  part,  flatter  la  vaniié  de 
quelqu'un,  —  Une  forme  pareille  semble  se  présenter  dans  empalagarf 
dégoûter,  mais  je  ne  sais  pas  en  déterminer  Porigine.  Je  propose  avec 
bésîtation  *impaiâticarty  dénominatif  d'un  adjectif  'impalaticas  qui  a  pu 
avoir  le  sens  de  Sanglais  mpaiaiahle  (qui  flatte  peu  le  palais).  Le  verbe 
anglais /7«i//,  rendre  insipide,  devenir  insipide^  n'est  qu'un  écho  lointain 
et  douteux,  dont  je  ne  sais  pas  la  provenance, 

lODER,  esp., 

cwe^  V.  esp.  hoitr  {Lozana  Andaluza,  p.  199);  de  futuerc,  ce  qui  est 
corroboré  par  le  port,  foder,  identique  au  prov.  fotre,  etc.  Le  /  du  mot 
espagnol  est  un  reste  ou  un  produit  de  Tâncienne  aspiration  qu'on  entend 
encore  dans  le  midi  de  l'Espagne,  d'où  p,  ex.  ce  proverbe  des  Mata- 

guenoî  : 

Quien  no  diga  Hachuj  Higo,  y  Higuera, 
No  es  de  mi  îurra. 
Ce  h  aspiré  andalous  et  grenadin,  qui  répond  toujours  à  un  /  latin, 
s'exprime  en  castillan  par  un  /.  Ainsi  dans  Santa  Ana,  Cuentos  y 
Romances  ÀndaluciS^  2"^"  éd.  Madrid  1869,  on  trouve  yo  jûblo  (hablo) 
p.  22^  jaciendo  (haciendo),  p.  25,  etc.  C'est  à  cause  de  celte  aspiration 
que  les  Castillans  disent  par  plaisanterie  Jândalo  pour  el  liabla  andalaza. 
Celte  prononciation  se  trouve  aussi  chez  les  paysans  de  Puerto-Rico. 
Paieken  dans  son  excellente  Grammatik  der  spanischen  Sprache^  2"  éd. 
Brème  1868,  dit  p.  160  :  0  C'est  parmi  les  paysans  dits  Jibaros^  de  llte 
de  Puerto^Rico,  lesquels  sont  des  descendants  pur  sang  des  premiers 
conquérants  du  pays,  que  l'ancien  espagnol  s'est  probablement  maintenu 
le  plus  longtemps.  Chez  eux  je  trouvais  d'usage  journalier  des  mots 
comme  ansl,  agora ^  qui  ont  vieilli  partout  ailleurs^  et  le  h  des  mots 
kambri,  hemhra,  hablar,  [//om^re],  etc.,  aussi  fortement  aspiré  que 
dans  rallemand  hahcn^  Hand^  Hand.  *>  L'exemple  hombre  est  probable- 
ment erroné.  Le  son  irrégulier/  provient  donc  d'un  léger  déguisement 
«{it'on  a  donné  au  mot  obscène,  en  imitant  la  prononciation  andalouse. 

LLÉMENA,    Cat. 

Diez,  î,  Itndint,  dit  :  «  le  cat.  llmcna  est  étrange  :  si  c'est  une  meta- 


l8o  J.    STORM 

thèse  à^Uenema  llendemat  le  m  ne  peut  être  autre  chose  que  la  termi- 
naison de  l'accusatif.  »  Llémena  s'explique  bieri  plus  naiurellemeni  de  la 
manière  suivante.  Lêndinem,  *iènâina,  *Undena  est  devenu  d^abord 
*/^ff«/ï<j, /i  pour /îJ  latin  étant  régulier  en  catalan,  comp,  nap.  lènmne^ 
sic.  iénnini.  Ensuite  'Untna  devient  *iémma  par  dissimilaiion.  La  forme 
régulière  serait  ^lekna,  mais  comme  /  se  trouve  dans  la  syllabe  précé- 
dente, n  devient  ici  /h,  comme  dans  venimeux,  venenSsus,  esp.  légamo, 
anc.  UganOy  tiliginem, 

MARIPOSA,  esp., 

papillon.  Ce  mot  tant  de  fois  discuté  vient  tout  simplement  de  Mana 
posa  V  Marie  pose-toi,  »  comme  le  portugais  pousâlousa  «  [Marie] 
assieds*toi  sur  la  pierre  (sépulcrale),  j)  Dans  le  norvégien,  un  coiéoptère, 
la  coccinelle,  s'appelle  Marja  Marjaflyfiy^  «  Marie,  Marie,  vole,  vole,  »♦ 
La  coccinelle  s'appelle  en  français  btte  à  la  Vierge  {bête  à  Dieu,  à  bon 
Dieu,  à  Martin j^  en  anglais  Udy  bird,  en  danois  Marihane,  «  poule  à  la 
Vierge.  »  Quant  au  sens  de  posa,  on  peut  comparer  le  proverbe  :  Bi$n 
sabc  la  rosa  cft  qiiè  mam  posa.  Mari  pour  Maria  dans  le  premier  membre 
d'un  mot  composé  comme  Maritornes^  Marlsancha  ^Don  Quijolei,  Mari* 
pérez  (Trueba,  Cid],  Mariroâtigiuz  {Lozamx  andaluza,  p.  29),  Mari-sabi- 
dilla  (CaballerOj  Ckmenciâ],  On  sait  combien  de  noms  d'histoire  natu- 
relle, surtout  d'objets  petits  et  mignons,  sont  formés  du  nom  de  la 
Vierge.  A  d'autres  de  trouver  la  tradition  ou  superstition  spéciale  sur 
laquelle  repose  le  nom  espagnol  du  papillon, 

P.  S.  —  La  formule  complète  qu'on  prononce  en  Norvège  en  voyant 
la  coccinelle  c'est  :  Marja  Marja  jly  [om]  fty  !  idager  detgodt  Vm^  imofgtn 
bltr  det  oiïdt  Vtir;  idag  cr  det  ondt  Veir,  imorgen  bllr  det  godt  Vtif  î 
«  Marie,  Marie,  vole»  vole  !  aujourd'hui  il  fera  beau  temps,  demain  il 
fera  mauvais  temps;  aujourd'hui  tl  fera  mauvais  temps,  demain  il  fera 
beau  temps  *>,  et  suivant  les  mots  qu'on  se  trouve  prononcer  au  moment 
où  l'insecte  s'envole,  on  augure  bien  ou  mal  du  temps  qu'il  fera 
le  lendemain.  Il  est  possible  que  le  nom  espagnol  du  papillon  se 
fonde  également  sur  quelque  tradition  relative  au  temps.  Tajoulc 
que  dans  plusieurs  provinces  de  la  Norvège,  le  papillon  a  pré* 
cisément  le  nom  qu'a  la  coccinelle  en  danois,  savoir  Manhœnc^  poule  à 
la  vierge,  dans  un  patois  Marihane,  coq  à  la  Vierge.  —  Voy,  du  reste 
Mannhardt,  Germaniscla  MytheHy  p.  24^  ss.,  où  se  trouvent  une  foule 
de  noms  de  la  coccinelle  rattachés  à  celui  de  la  Vierge  Marie*  H 
donne  aussi  beaucoup  de  variantes  du  refrain  adressé  à  la  coccinelle, 
presque  littéralement  le  même  dans  tous  les  pays  germaniques  ;  tr  chez 
les  Slaves  et  les  Romans,  ces  chansons  semblent  manquer  «,  dil-îl^ 
p,  248.  C'est  à  M.  Bugge  que  je  suis  redevable  de  cette  dtation. 


I 


I 
I 
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I 


I 


MÉLANGES   ÉTYMOLOCJQlfES 
MELINDRE,  CSp-,  port. 


r8i 


hCiçfto  género  de  frutilla  de  sarten  hecha  con  miel  y  harina,  muy 
ada  y  gustosa;  ciena  especie  de  pasia  hecha  de  azûcar»  harina,  y 
^os;  la  afectada  y  demasiada  delicadeza  en  las  acciones  6  el  modo  » 
Nous  avons  évidemment  ici  un  dérivé  de  mel;  peut-être  melïtïnus 
HMTiv:^,  miellé,  mêlé  avec  du  miel.  Mais  meirttutus,  mielleux,  nous 
nit  une  origine  plus  régulière,  n  et  r  comme  dans  afmendrj,  amygdâla , 
J  par  rinfluence  de  /  à  peu  prés  comme  dans  cabilde  pour  'cabidUt  capi- 
tulum  ;  ou  bien  de  meltitaîus  d'abord  'meliide^  de  là  'melinde^  mdindre, 

MOZALVETE»  esp. 

^Blanc-bec,  surtout  faisant  Télégant,  aussi  motalhcUy  momîbiUo^  motai" 
èito.  La  dernière  partie  vient  probablement  de  albo,  cf.  vino  kiuMLO.  Le 
^premier  membre  de  la  composition  semble  être  non  pas  le  moro  ordinaire 
(mousse,  garçon),  mais  moio  =.  ital  muso^  museau,  de  morsus,  comp. 
t'arag.  mueso,  morsure.  L*Acad,  regarde  mozâtveie  comme  un  simple 
diminutif  de  moto,  mais  sans  expliquer  la  terminaison. 

POLÉORO,  PULÉORO,  it., 

e^,  port,  potTO,  v.  fr.  poltrt,  poultre,  bas  lat.  puUitrus,  poledms;  diaprés 
Ascolt,  Arch.  1,  i8,  de  pullUrus^  sic,  pudifitru,  ladin  de  Surselva  putiédr 
avec  voyelle  tertiaire  ie^i:  è=^éi=ï  d'après  Ascoli,  r>  =  ^  =  ?  d*après 
Schuchardt  {ché  par  Ascoli,  L  c).  Diez  dit  que  les  ressources  du  latin 
lu  du  roman  ne  suffisent  pour  expliquer  le  suffixe  edrus  ou  etrus  et  pro- 
pose comme  étymologie  un  TMÙdî^io'/  hypothétique  pour  T:ti)At3icv,  ou 
bien  ce  dernier  avec  épenihèse  de  r  propre  au  roman.  Cependant  rt  se 
pourrait  que  notre  mot  fût  de  formation  latine.  On  trouve  en  latin  le  mot 
ponettii  i'  sus  quae  semel  peperit  >i,  Aulu-Gelle  XVI H,  6.  Si  *pulkîrus 
n'a  pas  existé  de  toute  antiquité,  on  a  pu  le  former  sur  le  modèle  de 
fOîcttfû*^  peut-être  d'abord  *puUdra^  pouliche,  ^^  b*  l.  puledra,  fulihha, 
Cl.  Cass*,  lad.  de  Surselva  pnlkdra  (Schuch,  Lautwandely  î8);  de  là 
P^lletrui,  poulain  ;  Freund  donne  porcîîra,  mais  rien  ne  prouve  cette 
«juantiié;  le  mot  rentre  dans  la  catégorie  de  penïiro  qui  a  donné  en  ital. 
pftï^froàcôté  depcTï^-fro,  voy,  Diez,  Gram.  h,  $o;,  plutôt  que  dans  celle 
d^fonfrni^  prov.  tonédre^  Diez»  ibid.  Le  latin  favorise  le  vieil  e  atone 
devant  tr  comme  devant  r,  et   penetro  (mais  penitus],  mereîrlx  (mais 
^ffifus],  gmetrix  plus  fréquent  que  gtnctor^  prov,  gtntdris,  Diez,  Gram.^ 
11*,  HL  Ce  'pulUtrus  avec  f  fermé,  bref,  atone,  pouvait  aussi  prendre 
une  forme  classique  ^putlïtrus  comme  tonïîru.  D'autre  part,  Vê  de  'pulté- 

*.  Si  porcctra  n'est  pas  un  cochon  tout  petit,  c'est  au  moins  une  truie  jeune. 


J,    STORW 

îrus  pouvait,  par  effet  de  la  position,  devenir  irrégulièremem  ouvert,  puis 
prendre  Taccent  et  devenir  ie  en  roman»  comme  teaïbrat  devient  régu- 
lièrement en  esp.  tinkhias. 

RAFALE. 

((  Coup  de  vent  de  terre  à  rapproche  des  montagnes.  Il  se  dit  aussi, 
sur  terre,  de  coups  de  vent  violents,  imprévus^  et  de  peu  de  durée, 
Etym.  Mot  qu'on  peut  concevoir  comme  formé  de  re  et  affaler;  cepen- 
dant, diaprés  Richelet,  on  a  dit  aussi  rajlais  »  Littré.  On  ne  saurait 
séparer  rafale  de  Tesp.  rdfaga^  coup  de  vent,  lequel  est  identique  à  Tii. 
ràffica  l'même  sens),  cf.  Tesp.  îrdfago  =  l'it.  tràffao.  En  français  la  forme 
du  mot  a  pu  être  modifiée  par  l'influence  du  verbe  affaler.  Quant  à  l*on- 
gine  de  râfficd,  on  peut  la  trouver  dans  le  verbe  raffare^  de  rallemand 
raffen,  rafler,  voy.  Diez,  Wb,  1.  —  La  forme  française  est  contraire  aux 
lois  de  l'accent,  et  M.  Bugge  y  voit  avec  raison  le  mot  espagnol  iniro- 
duil  et  changé.  Déjà  Honnoral  lire  rafale  de  l'espagnol  rdfagu, 

REDOR,  V.  esp.,  port,| 

pourtour,  esp.  mod,  airededor,  port,  ao  redûfy  autour.  M.  A.  Morcl- 
Fatio,  Rom.,  iV,  59»  explique  très-bien  rededor  de  de-udor^  mais  en 
repoussant  justement  Tétymologie  donnée  par  Diez  frotulus)^  il  se 
demande  :  ^  d  où  vient-il?  »  Je  propose  de  le  tirer  d'un  latin  'rotatorium^ 
devenu  d*abord  'rodador  formé  comme  lavador,  mirador,  obrador,  etc., 
puis  *rodor  par  syncope,  et,  pour  éviter  la  dureté  des  deuxo»  enfin  redar 
comme  rcdondo,  rotundus,  reloj,  horologium.  Si  l'on  parvient  à  trouver 
ti^dcdor  déjà  en  v.  esp.,  on  pourra  y  voir  le  produit  direct  de  rotaîoriam 
lequel  serait  à  redor  comme  mediodia  est  à  Fane,  meydia^  et  memskr  à 
Pane,  mesîer,  A  défaut  de  cela,  il  est  plus  sûr  d'expliquer  rededor  comme 
le  fait  M.  Morel-Fatio.  —  Redor  est  donc  de  la  même  racine  que  rodcar, 
entourer  (talus). 

RIVELLINO,  it,, 

d*où  esp.  nbclUa,  fr.  ravelin,  v.  fr*  reyelirit  Roquefort.  Diez  se  demande 
d'où  peut  venir  le  mot  italien  lui-même.  Riveilina  est  probablement  pour 
ri-vallino;  on  a  peui-êlre  formé  d'abord  un  verbe  ^re-vailaret  jeter  un 
nouveau  rempart,  de  là  *rmillo,  d*où  le  diminutif.  Du  reste  re  se  joint 
quelquefois  à  des  substantifs  comme  ripiano,  second  plan,  cf.  Okz,  Gram. 
Jlv,  4J0.  *Rivailino  est  devenu  rivcUino  par  éîymologie  populaire,  comme 
s^il  venait  de  rivdLij  riva,  bord. 

SERENO,  esp., 
prov,  strif  fir.  serân,  nap.  serena,  rosée  du  soir,  esp.  serm^t  garde 


MÉLANGES    éTYMOLOGIQj.lES    *  ïS^ 

nuit.  Dîcz  se  demande  comment  le  suffixe  en,  si  rare  en  roman,  pourrait 
s'expliquer,  et  si  peut-être  un  français  serein  pour  serain  (serânus)  aurait 
passé  par  emprunt  d'abord  en  provençal,  puis  en  espagnol.  Selon  moi 
nous  avons  ici  le  lat.  S€r7nits,  dont  le  sens  a  été  changé  par  une  étymo- 
logie  populaire,  parce  qu'on  y  a  vu,  et  très-naturellement,  un  dérivé  de 
sera.  C'est  ainsi  que  l'instinct  populaire  a  dérivé  Vesp,  forense,  forain,  it. 

forese,  paysan,  de /or^j  conservé  en  roman,  tandis  que  le  lat,  fortnsk 

vient  à^  forum  perdu  en  roman. 

SORTI  RE. 


Dans  le  sens  de  cxfr^,  d'après  Ménage  et  Frisch  de  *siirrecùrej  dériva- 
tion approuvée  par  Diez  et  Littré  ;  cependant  le  dernier  admet  comme 
possible  aussi  que  sortir  soit  tin  doublet  de  sourdre  (surgere),  v.  fr.  et 
portugais  surdir.  H  est  vrai  qu'on  trouve  parfois  après  les  liquides  comme 
après  les  nasales  une  certaine  hésitation  entre  forte  et  douce,  ainsi  d'une 
pan  marcotte,  mergus,  parcamin  parchemin,  pergam^num,  Diez,  Gram.  H, 
267,  V.  fr.  estortre  ou  esioertre^  *étordre^  Chans.  de  Roi    59^,  esp.  norte 
-=  it,-fr.  nord,  drcen  arger  (agger),  arciîla,  argilla»  —  d'autre  pan  esp* 
mûrga,  amurca,  v.  esp.  huer  go,  orcus,  ît.  spdda  =  speiîa,  spâldo  =  vén. 
spailo,   Baldasdrre,  Balthasar,  etc.  Toutefois  estorire,  le  seul  véritable 
analogue  français  du  cas  en  question,  n'est  qu'un  phénomène  sporadique 
qui  a  fini  par  disparaître,  A  part  l'hésitation  de  quelques  cas  que  je  viens 
de  constater,  la  vraie  tendance  du  roman  est  de  changer  la  forte  en 
douce,  comme  celle  du  haut  allemand  de  changer  la  douce  en  forte  : 
sardir  de  sortir  serait  plus  nature!  que  le  contraire.  Cette  provenance 
plus  régulière,  on  l'obtient  en  modifiant  légèrement  l'étymologie  de  Diez. 
Sartir  est  formé,  non  de  surrectus^  mais  de  l'ancien  sortiis  :  «  ^urregit  et 
sortus  antiqui  ponebanl  pro  surrexit  et  ejus  partiel  pio,  quasi  sit  surrectus^ 
quibus  L,  Livius  [Andronicus]  fréquenter  usus  est  »   Festus  297,  éd. 
Wuller,  cité  par  Schuchardt ,  V^oL  H,  1 78.  Schuchardt  compare  avec  raison 
l'italien  sorio.  Ainsi  le  participe  vulgaire  sorîus,  sortols],  a  coexisté  de 
lout  temps  avec  stirrecius.  Ct  aussi  Titalien  insorto^  insurgé.  Il  est  vrai 
que  sortir e  en  italien  est  considéré  par  plusieurs  comme  gallicisme,  le 
vrai  mot  étant  nsdre\  cependant  sorîire  se  trouve  déjà  chez  Fra  Guittone. 
Tandis  qu'en  français  sortir  l'a  emporté  sur  issir^  c'est  en  italien  usure 
qtiî  a  été  préféré  à  sortire.  Il  est  vrai  aussi  qu'en  prov.  et  v,  fr.  le  parti- 
cipe passé  est  sots  et  non  sort,  mais  que  sort  ait  existé  aussi,  du  moins 
antérieurement,  cela  ne  souffre  point  de  doute,  puisque  larrffiui  tv  sortus 
existent  en  latin  et  en  italien    La  transition  du  sens  de  «  surgere  »  à 
celui  de  cr  exire  *>  ne  fait  pas  de  difficulté.  Une  analogie  parfaite  nous 
e$i  offerte  par  l'espagnol  salir,  sortir,  vis-à-vis  de  l'ital.  satire ,  monter, 


184  J.   STORM 

tandis  que  le  français  saillir  (sauter  en  avant)  est  le  terme  moyen  entre 
le  sens  espagnol  et  celui  du  latin  salirc  (sauter) . 

M,  Rœnsch,  Jahrbuch,  XÎV,  175,  dérive iorf/re  de  exôrtus.  Je  ne  mé- 
connais pas  ce  que  cette  étymologie  a  d'ingénieux,  mais  je  crois  la  mienne 
plus  simple  et  tirée  d'un  élément  plus  populaire. 

M.  Bœhmer,  Jalirbuch,  X,  200,  explique  sorîtr  de  'sivoritu. 

sosECAR, esp. 

Calmer,  tranquilliser,  sosiego,  calme,  eic,  Diez  propose  avec  hésitation 
sos-igitar  comme  d'un  latin  siih-ac^uare,  aplanir  doucement-  Cette 
étymolûgie  me  parait  trop  recherchée  quant  au  sens.  Quand  on  pense 
que  la  signification  de  sosegar  est  identique  à  celle  du  latin  s^dare,  on  est 
induit  à  chercher  Tétymologie  dans  un  latin  mbieàicau  ou  plutôt  subsèdi- 
care  qui  a  pu  être  le  causalif  de  substâere  dans  le  sens  conservé  par  l'an- 
glais subside f  se  rasseoir,  baisser,  se  calmer.  La  forme  espagnole  serait 
tout  à  fait  analogue  à  vengar  de  vendicare,  comp-  aussi  le  prov.  fasligar 
ât  fastidicare ^  Diez,  Qram.  11^  398,  Si  l'on  songe  à  juzgar  de  judicare^ 
on  croirait  possible  une  forme  sosezgtir;  mais  si  une  forme  pareille  eût 
existé,  elle  aurait  probablement  été  changée  tout  de  suite  par  dissimilaUon 
(en  soitgiur)  à  cause  des  deux  s  qui  précèdent.  —  Je  vois  que  Cabrera 
tire  sosegar  directement  de  sabsidcre^  ce  qui  est  inadmissible. 

SOURNOIS, 

prov.  soTrif  sombre,  obscur,  v.  fr*  sorne,  crépuscule.  Diez  a  pensé 
d'abord  au  kymr.  swrndchj  gronder,  grommeler,  mais  cette  étyraologie 
n*esi  pas  satisfaisante  pour  le  sens.  Puis  en  rapprochant  le  piém.  saturno, 
sarde  saturnu,  esp.  et  Horemin  saiurnino,  etc.,  ^  sournois»  il  dérive  ces 
formes  de  taciturnas,  origine  pour  lui  évidente.  Scheler,  tout  en  pensant 
à  une  contraction  de  sourdinois,  ajoute  :  a  Les  formes  italiennes  citées, 
avec  le  terme  saturn^  ne  viendraient-elles  pas  de  Saturnus,  ce  dieu  ayant 
été  considéré  comme  causant  Thumeur  sombre  et  la  tristesse  ?  Le  prov, 
sorn,  le  v.fr.  iorne,  se  prêtent  également  à  cette  étymologie.  »)  Je  crois  que 
c'est  là  la  vraie  étymologie,  seulement  je  dirais  :  de  Saturnus,  comme 
représentant  la  planète  d'influence  funeste,  et  opposé  à  Jupiter,  d'où 
joml,  comme  me  fait  observer  M,  Bugge.  Il  serait  impossible  d'expliquer 
avec  Diez  le  tlorentin  saîarnino  de  taciturnus  ou  îaciturnlnus.  Je  suis 
confirmé  dans  celle  opinion  par  l'anglais  saturnine^  sombre,  morne,  ce 
qui  en  français  du  xvr  siècle  se  disait  saturnien  1  Littré].  Le  v.  fr.  sarnt 
est  pour  *sddorne,  *soorne  à  peu  près  comme  rogner,  y,  fr.  rooigniTj  pr. 
redonhar  de  rotundiare  :  toutes  ces  contractions  ne  s'accomplissent  pas 
à  une  seule  et  même  époque  ;  quelques  mots  offrent  de  bonne  heure 
une  forme  qu'on  dirait  moderne.  Comme  en  prov,  la  chute  de  f  est  rare» 


MÉLANGES   ÉTYMOLOCÏQUES  î$i 

peut  que  sorn  ait  été  emprunté  à  la  langue  d*oil  où  le  primitif  de 

,«our/ioLs,  à  savoir  *sorn£  adj.  a  dû  exister.  L'italien  susornione,  générale- 

TTient  abrégé  en  sornione,  personne  sournoise,  c«  chi  tenga  in  se  i  suoi 

P^nsieri  ne  si  lasci  intendere  »>,  vient  probablement  de  1-anc.  It.  suscf" 

niarc,  murmurer,  qui  doit  être  un  proche  parent  de  sustirrare,  bien  que 

1^  ne  me  rende  pas  bien  compte  de  Vn,  Si  belle  que  soit  l'explication  de 

Oiex  du  mot  sorna  qui  en  argot  espagnol  signifie  la  nuit,  par  iadtarna, 

We    oflfre  de  trop  grandes  difficultés   phonétiques  pour   pouvoir  être 

acceptée.  Ce  sorna  de  la  Ger mania ^  et  le  v,  fr*  sorne,  crépuscule,  rap- 

pellent  la  sorgm^tn  argot  parisien  =  la  nuit,  employé  par  Victor  Hugo 

<ians  Les  Misérables.  Il  est  vrai  qull  n^y  a  pas  de  passage  régulier  de  n 

*  gt  mais  les  argots  sont  un  peu  «  hors  la  Loi  »>  :  ils  s'altèrent  de  jour 

en  jour  peur  continuer  d'être  incompréhensibles,  et  peuvent  admettre 

des  corruptions  extraordinaires. 

TERTULIA,  esp. 

Club,  réunion,  petite  réunion  d'amis,  soirée.  Ce  mot  manque  dans 
Cabrera,  Monlau,  Diez.  Tertùlia  est  peut-être  pour  Uersttdia  et  celui-ci 
P^^ï*  'irasîulia^  aîlié  ou  emprunté  à  Tital.  îrastulh,  passe*temps,  entretien 
'^€î,  Ua)f  et  changé  comme  Tesp.  (erliz  =z  Tital.  tTâikcio.  S  est  tombé 
entre  deux  consonnes  à  peu  près  comme  dans  fr.  bifteck  (ang.  beef-sUak)) 
^^  poltro  (ail.  bolster). 

Tosco,  esp.»  port. 

*'  Rude,  grossier,  se  dit  des  choses  et  des  personnes  ;  dVigine  inconnue. 
^*  Pebrer  l'emploie  aussi  en  bonne  part,  appelant  une  troupe  de  guerriers 
U^\^Unia  eTOSCA»  str,  97  »*  Diez  Mb.  Je  propose  de  tirer  losco  de 
làrtico^  Uhyrsïcus,  dérivé  de  îhyrsus,  vulg.  tursus,  torse,  esp.  îrozOj  etc. 
égayant  le  sens  de  «  tronqué,  obtus,  »>  de  là  «grossier.  »  Pour  la  forme, 
^oico  viendrait  de  tôrsico  comme  Pital.  pcsca  de  pérsica^  syncope  semblable 
Scelle  de  Tesp.  masco  de  mdstko.  On  aurait  pu  s'attendre  à  tozgo  ou 
*wgo  comme  rasgo,  aricsgo,  cf.  aibérchigo,  tésigo;  mais  îôrslcOf  vulg. 
meco  est  devenu  d'abord  'tosseco^  comme  arsus  *os5o  d*où  oso;  et  cet 
"^  protégé  Cf  comme  Va  protégé  ss  de  sî  dans  masco;  d'ailleurs  il  y  a 
peut-être  eu  différenciation  de  tâsiga,  toxicum.  Quant  à  la  formation  de 
^otre  mot,  Dîez  dit,  il  est  vrai,  que  le  suffixe  ïcus  n'admet  pas  de  nou- 
velles formations  d'adjectif  excepté  des  gentilia  ti  foresticus ,  pr.  fonsgue; 
P^^rtant  on  a  p,  e.  en  espagnol  cénifko,  central;  on  peut  objecter  que 
test  peut-être  là  one  formation  récente  et  savante.  Mais  en  italien,  il  y 
^P^  e.  cappônka  et  le  v.  it«  culko;  puis  on  a  des  exemples  indubitables 
^^  substantifs  dont  plusieurs  som  à  Torigine  des  adjectifs,  comme  lit. 

(otiC4^  couenne,  pr.  auca,  it.  oca  oie,  de  aoka.  Enfin  it  faut  tenir  compte 

t.  Influencé  par  morgue?  S.  Bugge. 


|86  J*    STORM 

des  nombreuses  formations  en  êgo,  légo  qui  n*est  que  la  forme  populaire  de 
ïcus  romanisée  par  l'accenluaiîon,  ainsi  que  écca  en  italien.  Il  faut  donc 
dire  que  ïcus  est  un  suffixe  productif  en  roman,  qu'ordinairement  il 
prend  la  forme  accentyée  éco,  égo^  mais  qu'il  y  a  quelques  restes  de  la 
phase  antérieure.  En  Espagne^  surtout,  cette  désinence  a  été  favorisée 
dès  ies  premiers  temps  :  c'est  ce  que  prouvent  les  noms  latins  Majorîca^ 
M'morïca  (aujourd'hui  Matlorca  =  Mayorca  et  Menorca)  cités  par  Schu- 
chardt,  Vok.  H,  279  n.^  où  il  est  prouvé  que  ce  suffixe  est  encore  plus 
fréquent  dans  le  latin  africain.  On  peut  ^mter  Salmantica  devenu  aujour- 
d'hui Salamanca\  pour  Simancas  on  trouve  Septimanca  dans  l'itinéraire 
d*Amonin  incité  par  Cabrera),  mais  la  forme  primitive  a  dû  être  *Septi~ 
manicd  formé  de  septimanus,  —  L*esp.  îoiho,  grossier,  rustre,  s.  pièce 
de  bois  ronde,  gaule,  semble  être  une  forme  parallèle,  en  v.  esp.  iozo, 
Cl  tocho,  lonto,  fatuo,  2  como  en  nmaïado  por  nmachado  »  Sanchez; 
îozo  est  plutôt  la  forme  primitive;  il  rappelle  l'arag*  îozo^  adj.,  rabougri, 
nain,  toza^  bout,  tronc,  toiar,  frapper  des  cornes,  heurter,  u  de  titnms, 
broyé,  »  Diez;  c'est  plutôt  le  sens  de  (^  obtus,  tronqué,  »  qu'il  fallait  : 
il  faudrait  donc  recourir  à  obîumus^  mais  il  est  plus  simple  d'expliquer 
tous  ces  mots  de  thyrsus,  torso,  comme  Diez  lui-même  explique  l'ital, 
tosoy  pr.  los,  V,  fr,  tosd,  garçon^  originairement  <f  petit  bout,  tronçon.  » 
A  tocfiûj  îozo  il  faut  encore  comparer  Pesp.  tosa,  poutre  équarrie,  qui 
rappelle  le  sens  de  tocho  cité  plus  haut.  A  Tarag.  tozar  il  faut  comparer 
le  castillan  retozar,  lascivire,  folâtrer,  <t  saîtar,  brincar,  jugnetear  de 
alegria  »  ;  retozo  «  el  salto  6  brinco  que  da  el  animal  cuando  esta 
alegre  >»  ;  sens  bien  éloigné  de  celui  de  retimsus.  —  Diez  se  demande  si 
/ocAo  est  identique  à  TitaK  Wzio,  trapu,  morceau.  îl  est  plus  sûr  de 
séparer  les  deux  mots,  tant  qu'on  ne  connaît  pas  avec  certitude  Pétymo- 
logiedu  mot  italien. 

TRINCHETTO,  it., 

esp*  îrinquîte,  cal,  îriqatîy  ir.  trinquet,  mât  de  misaine  des  bâtiments 
gréés  en  voiles  triangulaires.  «  Mûller  cite  le  l.  ïriquetrus  «  Schelcr. 
J'avais  pensé  à  la  même  étymologie  avant  de  consulter  Scheler.  Trique- 
tms,  triangulaire,  a  donné  d'abord  triqudo,  tnketîo,  par  dissimilation, 
ensuite  trinkeitô^  par  nasalisation,  phénomène  fréquent  devant  les  guttu- 
rales, cf,  esp.  hincar  —  it-  Jiccare. 

L'esp.  înnqaeîc  ne  vient  pas  de  trinca,  irinité»  ni  celui-ci  de  trinitaSt 
mais  on  a  pris  trinketto,  trinkete  pour  un  diminutif  dont  on  a  construit  un 
nouveau  primitif  Urinco^  trinca,  proprement  un  triangle,  puis  un  assem- 
blage de  trois  choses'. 


I,  Selon  M.  Buggc  plutôt  de  'tr'inka  [formé  comme  unicus  de  urnisL  ce  qui 
Cit  pcui-êtrc  plus  probable,  puisque  le  sens  de  triangle  n*esl  pas  démontré 
pour  trmcâ. 


MÉLANGES    ÉTYMOLOGIQUES 


187 


VASTAGO. 


^^  Rejeton,  pousse  d'un  arbre,  u  d'origine  incertaine  »  Diez*  Peut-être 
du  goth.  yahstus,  croissance.  On  sait  quil  y  a  beaucoup  de  dérivés  en  ago 
(proparox.)  de  formation  récente.  Il  y  a  beaucoup  d'exemples  de  suffixes 
romans  attachés  à  des  racines  germaniques  :  wambais,  borino,  giulivo, 
gmime.  Enfin  v  du  goth.  v  =  w  comme  dans  mguido,  Diez  Ub, 

VILUPPO,  VILUPPARE, 

««  Forme  ancienne  j'o/upparc,  v.  esp.  volopar,  v.  fr.  l'o/f/ïÈr, envelopper; 
fi  rapproché  que  semble  yolutan,  il  est  gramraaiicalement  impossible  de 
identifier  avec  ce  mot.  »  Cependant  il  semble  matérielîement  impossible 
de  séparer  ces  deux  mots,  du  moins  quant  à  la  racine;  le  sens  est  presque 
identique;  quant  à  la  forme  il  n'y  a  que  p  qui  fasse  difficulté.  Je  propose 
sous  toutes  les  réserves  Thypothèse  suivante.  Voluppan  dérive  non 
directement  de  volûlare,  mais  de  *voluîuare  formé  comme  fluctwzre^ 
iiestuare,  flatuare  (prov.  flaatar],  Volutarc  et  *volutaare  seraient  des  formes 
parallèles,  à  peu  près  comme  aciarias  et  actmnus\  seulement  actariiis 
est  plus  jeune,  volutarc  plus  ancien  que  la  forme  parallèle.  Ce  volutuare 
est  devenu  voluppare  par  une  transition  sporadique  qui  se  trouve  dans 
fipilA  de  pitmia,  Diez  I  ;  transition  analogue  â  celle  de  da  (dv)  en  b  dans 
hts^  Mium.  Ud^mpipita  on  peut  voir  une  espèce  d'assimilation  :  la  Iran- 
silion  irrégulière  en  p  a  été  aidée  par  le  p  précédent*  Peut-être  v  dans 
'vQhtiiàn  a-t-il  pu  exercer  une  influence  semblable  ? 

Celte  transition  aurait-elle  des  analogies?  M,  Schneller  en  donne 
beaucoup  d'exemples ^  mais  aucun  ne  me  satisfait. 

VIRARE. 

Diez  rejetant  létymologie  de  gyrare  propose  le  lat.  viria^  bracelet,  d'où 
V.  fr.  vin,  it.  viera,  anneau.  Je  ne  conteste  point  cette  dérivation  du 
substantif  roman,  mais  pour  le  verbe  je  propose  le  fat.  vibrare  comme 
étymologie  principale,  peut-être  influencée  par  vlna.  Le  sens  est  un  peu 
changé,  mais  la  transition  de  Tidée  ne  laisse  pas  d'être  naturelle.  Vibrarc 
hâîtam  est  i*'  agiter  la  lance,  2**  ta  lancer.  Or  vibrer,  brandir  une  lance 
est  le  plus  souvent  la  faire  tournoyer  ou  virer.  Cf.  angl.  s^ving,  brandir, 
swinga  ship^  faire  tourner  un  navire.  Or  le  virement  n'est  qu'un  tour 
pardel,  comparez  les  expressions  tourner  et  virer ^  tournevirer^  d'où  le 
substantif  iournevirt.  Pour  ce  qui  est  de  la  forme,  vtrare  est  venu  de 
vibrare^  comme  Tiial,  lira  de  iibta.  Forme  différenciée  vimbrart^  forer, 
Hom,  in,  1 50. 


l88  J.    STORM 


ZARANDA,    esp., 


port,  ciranday  crible,  tamis,  sas;  c  Pétymol.  est  encore  à  trouver  i>  Diez 
11^.  Je  crois  y  voir  un  latin  cernenàdj  comp.  cribrum  de  la  même  radne. 
On  aura  dit  d'abord  cernenda,  se.  grana^  comme  on  dit  encore  en  esp. 
moUenda,  du  grain  à  moudre;  ensuite  on  l'aura  dit  de  i'instramem  em- 
ployé, à  peu  près  comme  on  dit  en  ital.  filanda,  du  lieu  où  r<Hi  file.  Le 
premier  n  est  tombé  par  dissimilation  ;  e  devant  n  est  devenu  a  comme 
dans  resplandeccTy  milmandro  de  milimendrum,  cf.  Alicante  =  Lucentum.. 
A  pour  e  devant  r  est  connu.  Zarandar,  zarandear^  secouer,  comme  le 
prov.  mod.  barounta,  —  On  dit  encore  en  esp.  cerner  cribler. 

Joh.  Storm. 
Christiania,  juin-septembre  1875. 


VOCABULAIRE 

DU  PATOIS  DU    PAYS   MESSIN 


COMPLÉMFNT. 


J'ai  publié  dans  le  tome  II  de  la  Romania  le  Vocabulaire  du  patois  de 
Rémilly  (pays  messin).  J'ai  eu  depuis  l'occasion  de  le  compléter  et  aussi 
de  recueillir  quelques  renseignements  sur  le  patois  de  Woippy  (près 
Metz)  et  sur  celui  de  Landroff  (près  Faulquemont).  Le  petit  travail  qui 
suit  contient  le  résultat  de  mes  nouvelles  recherches  '. 

On  y  trouvera  : 

i^  L'exposition  des  différences  principales  qui  distinguent  le  parler  de 
Woippy  et  le  parler  de  Landroff  de  celui  de  Rémilly  >. 

2*"  Un  vocabulaire  comprenant  les  mots  de  Rémilly  omis  dans  ma 
première  liste,  et  un  cenain  nombre  de  motl  usités  à  Woippy  ou  à  Lan- 
droff. 

j^  Des  spécimens  de  conjugaison. 

Je  reproduis  ici,  avec  quelques  modifications  nécessitées  par  une  étude 
plus  minutieuse  des  faits  de  phonétique,  la  clef  de  l'orthographe  que  j'ai 
adoptée. 

VOYELLES. 

a  est  une  voyelle  brève  dont  le  son  est  intermédiaire  entre  ^  et  o  fran- 
çais. 

fl  est  une  voyelle  dont  le  son  est  intermédiaire  entre  a  et  ^  ou  ^  fran- 
çais. C'est  Va  du  persan  moderne  tel  qu'il  se  prononce  dans 

1.  M.  Nicolas  Butin,  de  Rémilly;  MM.  Auguste,  Félix  et  Emile  Gandar,  de 
Flocourt,  ont  bien  voulu  m'aider  pour  ce  oui  concerne  le  patois  de  Rémilly  et 
des  environs  immédiats.  Tout  ce  qui  est  relatif  au  patois  de  Landroff  m'a  été 
communiqué  par  M.  Eugène  Pougnet,  de  Landroff. 

2.  Les  villages  qui,  à  ma  connaissance,  parlent  le  même  patois  qu'à  Rémilly 
(en  pat.  Rhmli)  sont  :  Béchy  (Bihi),  Luppy  [Upi),  Flocourt  (Fiôco),  Aubecourt 
(ôéca),  Adaincourt  {Adtco),  Vittoncourt  (Vitôco)^  Voimhaut  {Uèmhé),  Chanville 
{Hhàyèl\  Ancerville  {àsrivïV),  Lemud  (Vmà),  Sorbey  (Sarbc),  Dain-en-Saulnois 


190  E.    ROLLAND 

pédar  (père],  dah  (dix),  man  (je,  moi),  dans  les  désinences  parti- 
cipiales "ta,  -ddy  etc.  Je  dois  cette  observation  à  M.  Stanislas  - 
Guyardi. 

J'ajouterai  que  cet  à  me  semble  être  celui  que  l'on  entend  dans 
le  bêlement  des  moutons  (qu'on  pourrait  très-bien  rendre  par  bà 
ou  ma)  ;  mais  le  son  en  est  moins  prolongé. 

é    se  prononce  comme  en  français  dans  les  mots  liiy  cidi,  bAè^blé. 

è  se  prononce  comme  e  français  dans  les  mots  cerf,  tel,  sujet j  sujette, 
bec,  renne. 

i    se  prononce  comme  en  français.  Ce  son  se  rencontre  rarement. 

é  se  prononce,  même  quand  il  est  final,  comme  e  français  dans  chemin, 
demain,  besoin,  je,  me,  te,  se. 

i     a  la  même  valeur  qu'en  français. 

0    se  prononce  comme  dans  les  mots  français  croquer ^  police. 

u=zou  français. 

ii^:^  u  firançais.  En  patois  messin,  il  est  généralement  long. 

7,  0  es  t,  ô  français. 

U    est  la  longue  de  s  (=  ou). 

ô    se  prononce  comme  eu  français  dans  peu,  ceux,  ijuiue,  mcrfeux. 

à,î,d  =  an,  in^  on. 

â  représente  â  long  firançais.  Il  est  connu  à  Woippy  et  à  Landroff, 
mais  pas  à  Rémilly^. 

SEMI-VOYELLES. 

Devant  une  voyelle,  les  lettres  i  et  u  ont  la  valeur  de  semi-voyelles; 
/  ==  j  allemand  et  u  =  h^  anglais. 

DIPHTHONGUES. 

ou  dans  cette  diphthongue  Vu  se  perçoit  à  peine. 

au  cette  diphthongue  se  prononce  comme  en  provençal. 

èy^  se  prononce  comme  ay'  dans  les  mots  français  paye,  rayon. 

ay  et  ày*  se  prononcent  comme  ay  dans  Bayonne  (sauf  la  valeur  de  Va). 

oy*  se  prononce  comme  oy^  dans  goyave,  boyard. 

[l  mouillée  n'existe  pas  dans  le  patois  de  Rémilly,  par  conséquent  les 
syllabes  ail,  aill,  oil,  oill,  uil,  uill,  èil,  èill,  etc.,  qui  se  trouvent 
dans  la  première  partie  de  mon  travail  [Romania  1873)  doivent 
être  remplacées  par  ay,  oy,  uy,  èy,  etc.) 

1 .  Voir  sur  la  pronondation  de  cet  a  en  persan  Polak,  Persien,  Dos  Land 
und  seine  Bewohner,  Leipzig  1865,  t.  I,  p.  viij. 

2.  C'est  par  erreur  que  j'ai  dans  mon  premier  travail  donné  â  comme  appar- 
tenant au  pat.  de  Rémilly. 


VOCABULAIRE    DU    PATOIS    MESSIN 


JÇ»! 


CONSONNES. 

I  cAj  ^f  i*  h  '•  '"«  ^>  py  ^r  *'i  >i  2^  ont  la  même  valeur  qu'en  français. 
a  partout  la  valeur  de  k, 
a  parîout  la  valeur  gutturale  de  gu  français, 
est  toujours  aspirée. 
f   est  une  h  très-aspirée,  se  prononçant  comme  le  hha  arabe.  On  Tob- 
tient  en  essayant  de  prononcer  deux  h  consécutives  ;  hh  très- 
aspirée  se  distingue  très-bien  de  h  simplement  aspirée  quand  elle 
est  initiale.  Au  contraire  quand  h  ou  hh  se  trouvent  entre  deux 
voyelles,  après  une  consonne,  ou  à  la  fin  des  mots,  il  est  difficile 
de  savoir  auquel  des  deux  sons  aspirés  on  a  affaire.  La  règle  que 
je  me  suis  imposée  d'écrire  hh  après  une  consonne  ou  â  la  ïm 
d'un  mot,  et  h  entre  deux  voyelles  ne  répond  à  rien  d*absolu  *. 
n  ^=:  gn,  comme  en  espagnoi. 

représente  une  résonnance  nasale,  correspondant  à  Tanusvâra  sans- 
crit, résonnance  analogue  à  celle  que  font  entendre  les  méridio- 
naux dans  aman,  les  Anglais  dans  muîîoti. 
2  partout  la  valeur  de  ç,  ss, 

ABRÉVIATIONS. 

m.  —  masculin. 
L  =  féminin, 
plur.   =  pluriel. 

prov.  =  proverbialement,  proverbe, 
L.  =  Landroff, 
W.  -=  Woippy. 
R.  —  Rémilîy. 
r>ans  le  vocabulaire,  tout  mot  non  suivi  de  W.  ou  de  L.  appartient  au 
Patois  de  R- 


Différenca  tntre  le  patois  de  Woippy  et  ctiui  de  Rémilly, 

VOYELLES. 

a  de  R.  n'existe  pas  à  W,  Partout  où  l'on  trouve  <i  à  R.,  on  trouve  o 
^  >JV.  Ex.  : 

R.  W.  Franc, 

av*  oy'  oui 

afâ  ojà  enfant 

I .  Je  crois,  en  orthographiant  ainsi,  rendre  assez  exactement  la  prononciation 
yibitudlc  de  Taspirée  h.  Toutefois  cette  dernière  varie  selon  les  mots  et  selon 
W  ifidividas  qui  parlent. 


192 

B.    ROLLAND 

R. 

W. 

Franc. 

ba 

bo 

crapaud 

chaaaf 

chouof 

chouette 

graP 

groV 

grêle 

^atô 

s*oto 

c'était 

fa 

Vo 

il  est 

oui 

ouè 

avoir 

s'épayë 

s'époye 

S  de  R.  n'existe  pas  à  W.  Il  est  remplacé  par  l'a 

long  français. 

R. 

W. 

Franc. 

àtriy' 

âtrèy' 

cimetière 

èmày' 

imây' 

aimée 

âdié 

Mé 

aider 

brSf 

bràf 

pleurer 

chà 

châ 

viande 

bâsil'    . 

baser 

fille 

cttàl 

cuàl 

caille 

j'à 

Ta 

j'ai 

ï  de  R.  est  représenté  à  W.  par  «,  i  et  i.  Ex.  : 

lo  è  se  trouve  dans  les  deux  patois 

R. 

•W. 

Franc. 

bréhh 

bréch 

brosse 

cric 

crée 

cruche 

cïmé 

cïmé 
2**  é  est  représenté  par  è. 

écumer 

R. 

W. 

Franc. 

fi 

n 

fils 

fiy' 

nr 

fille    • 

àtér 

àtèr 

entre 

b'érà 

bèrâ 

bélier 

bëyàr 

bèyâr 

verrat 

/fié 

d*fiè 
3°  é  est  représenté  par  é. 

dehors 

R. 

W. 

Franc. 

bozrë 

bozré 

barbouiller 

chîjï 

chîjé 

changer 

brîjé 

brîjé 

hameçon 

ré 

Vé 

il  a 

Les  infinitif  et  les  participes  passés  terminés  en  c 

à  R.  sont  tous  ter- 

minés  en  ^  à  W. 

CONSONNES. 

hh  ou  /i  de  R. 

est  régulièrement  représeniéeà  W. 

par  ch.  Ex.  : 

VOCABULAIRE   DU    PATOIS  MESSIN                                  19^ 

R.                                 W.  Franc. 

hhûr                             chûr  suivre  ou  sAr 

hhala                           cholo  noix 

hho                              chô  sourd 

hhUih                             chich  six 

hhddiir^                         chôâ'èf  ortie 

gihô                            gichô     ^  garçon 

con'hhii                        con*chû  connu 

céhh                             uch*  cuisse 

conahh                         conoch  connaître 

cohh                            côck  court 

jdhh                             fôch  four 
Exception.  —  Quand  hh  (ou  h]  de  R.  tient  la  place  du  son  z,  elle  est 

représentée  par  y  à  W. 

R.                                W.  Franc. 

irithô                          èrtejô  artison^  mite 

cifhin'                           ciïjèn'  cuisine 

demhhal                        demjol  servante 

pciïhà                          fcûjà  nous  cuisons 

ïriôhô                            môjô  maison 

dihh                              dij  dix 

àhié                            njié  aisé 
Autre  exception.  —  On  trouve  encore  /  de  W.  =  ^  de  R.  dans  les 

mots: 

R.                               W.  Franc. 

dàhh                               dixj  dur 

miihh                              mùj  mur 

Différences  entre  le  patois  de  Landroffet  celui  de  Rémilly. 

VOYELLES. 

d  de  R.  est  généralement  représenté  à  L.  par  2  (=  <)  long  française 


Exemples: 

R. 

L. 

Franc. 

bâsèP 

bâsèV 

fille 

èmây' 

émây' 

aimée 

piàhi 

plShi 

phûsir 

rà 

y'a 

j'ai 

jëfà 

je  fa 

je  fois 

gravie 

grlvis' 

écrevisse. 

è  de  R.  est  souvent  représenté  par  ^  à  L.  Ex.  : 

R. 

L. 

Franc. 

alôdrèP 

érôdrél 

hirondelle 

Momania,  V 

13 

194 


R. 

micérdi 

pètëré 

uèré 


E.    ROLLAND 
L. 

émi 

léf 

mécfédi 

pétiïré 

uéré 


Franc, 
ami 
elle 

mercredi 
pàtureau 
taureau 


ë  de  R.  est  tantôt  conservé  à  L.,  tantôt  représenté  par  /  ou  par  9.  Ei 


R.  W. 

r'ép'é  r'épsé 

smf  sévir' 

m'éy  te  më,  té 

fie  fié 

béyâr  biyâr 

énô  inô 

trëcaf  iricat* 

ciûa  cina 

réséné  résine 

liéf  liôf 

séc  soc 

créy*  crôf 

étéy'  étoy* 
é  qui  termine  presque  tous  les  infinitifs  et  les  participes  passés  à 
est  remplacé  à  L.  soit  par  é,  soit  par  /.  Ex. 
R.  L. 

framé  framé 

trévé  trové 

haué  haué 

cayé  cayi 

càyé  câni 

bèyé  bèyi 

fôché  fôchi 

chîjé  chïji 
0  de  R.  est  souvent  représenté  par  a  à  L 
R.  L. 

cozi"  cuzi- 

poy  puf 

soti  suti 

cor  cur 

ovri  uvri 
û  de  R.  est  souvent  représenté  par  ô  à  L. 

R.  L.  Franc. 

cûn  côn  corne 


Franc, 
roter 
civière 
moi,  toi 
dehors 
verrat 
oignon 
jarretière 
petit  coin 
souper  une  seconde  i 
lièvre 
sucre 
craie 
outil 


Franc, 
fermer,  fermé 
trouver,  trouvé 
piocher,  pioché 
secouer,  secoué 
loucher,  louché 
donner,  donné 
ftcher,  ftché 
changer,  changé 

Franc, 
cousin 
poule 

à  la  maison 
courir 
ouvrir 


^^^^^                                   VOCABULAIRE    DU 

PATOiS   MESSIN                                ^^^^^^^^^H 

^Ê 

L. 

Franc.                            ^^H 

■ 

pô 

^H 

^B           fûn 

Un 

tige  (de  pomme  de  terre)             ^^H 

^B 

hâté 

^^H 

^B 

flôch 

horloge                             ^^H 

^B 

rdt'é 

^^M 

^^^filr 

for 

fort                            ^^^H 

CONSONNES, 

^^^1 

f         /  de  R,  est  souvent  remplacé  à  L. 

par  cA,  à  la  fin  d'un  mot.                           ^^^ 

^H                R. 

L. 

^^H 

^m 

rtôck 

horloge                              ^^H 

^B         iii<;n^* 

méfjécfi 

f 

^^1 

^H          mèriéj 

mériéch 

mariage                             ^^H 

^P          moff/' 

mmtàch 

culture  mélangée                   ^^H 

/  précédé  d'une  consonne  s*est  maintenu  à  L.  tandis  qu'à  R.  il  s*est             ^^H 

changé  en  L  Ex. 

^^^B 

R, 

L. 

^^H 

te               )f^K 

flôn 

conte                                ^^H 

^K 

pliir 

pleuvoir                           ^^^| 

^V 

fl'ûta 

^^H 

^H      z''^^' 

plâhi 

^^H 

■ 

bla 

blet                                ^H 

^■^    ^ioc 

Moc 

^^B 

p 

VOCABULAÏRE. 

B 

» 

âchiché, 

âchècM'e  mettre  en  sac.                  ^^H 

^i'auf  débraillé,  mal  vêtu. 

àchës^né 

chauler  (le  blé).                            ^H 

^tfarjt  disjoint,  qui  a  des  fentes. 

âcocomiô  àsan'  {éV\   être  bien  en-             ^^H 

^^^g*ni'  embarrasser. 

semble,  faire  bande  à  pan,  être             ^^B 

^i^ihh  r,  récipient  quelconque*  A 

compé 

tes  et  compagnons.                        ^^B 

f^lénois,  près  W.  âbah^ 

panier 

âcrMtU  entrelacé.                                      ^^| 

irèa-profond. 

àcntôi'  f 

^^H 

j      ^^^rlodc  éperdu,  effarouché 

,  qui  ne 

àcTohié , 

àcnbie  enmèler   idu  fil,             ^^H 

sait  plus  ce  qu'ii  fait. 

etc.) 

^^^^Ê 

^^r^Uù,  ûbrauo  embarrassé. 

âcuàhié  (s'I  s'accroupir,  se  baisser.        ^^^^H 

"^^^asu  qui  ne  vient  pas  à  maturité 

ûciiniï  entasser,  presser  fortement,       ^^^^| 

^  (sediidubléK 

serrer 

fortement  (de  la  pâte,  de             ^^H 

1      ^f^k  difforme  des  jambes. 

la  terre,  etc.)                                         ^^H 

^cfe*  a  Ci  jusqu'à  ce  que. 

âfèmt  affamer^  être  affamé.                          ^^H 

Lfr*' 

On  dit  prov.  /  vo  mu  far  i  but             ^^^Ê 

^. 

■ 

^^^^^                        ^^^^                                                         ^ 

^^^^^^         r^pè  ce  d^ân^  aimé   du$^  =  il 

âiddè  [et]    avoir  mal    aux    reins, 

^^^^^H         vaut  mieux  faire  un  bon  repas 

avoir  une  courbature,  avoir  un 

^^^^H        que  d'en  faire  deux  où  Ton  ne 

tour  de  reins. 

^^^^^P        mange  pas 

âht'  t.,  éclair,  foudre  ;  à  W.  àluf. 

^          âférnâhîc    pressé,    empressé,    qui 

âliinc  maniaque,  qui  a  des  lubies, 

^^^^^^        veut  faire  son  ouvrage  trop  vite. 

à  moitié  fou;  à  W.  âliiné. 

^^^H        A  W.  âfèrnâjié. 

àm*  defèhh  f.,  menu  bois  que  Ton 

^^^^^     âfctné,  âfeîme  envenimer,  empirer 

met  au  milieu  d*un  fagot.             * 

^^^B              (par  exemple  un  mal). 

âmenuatày^  f.,  se  dit  d'une  fille  qui 

^^^H          âgô  m.,  graisse  pour  les  voitures. 

a  été  gâtée,  choyée  par  ses  pa- 

^^^B         âgôgrié  invétéré,  empiré   (en  par- 

rents. 

^^^H              lant  d'un  mal). 

âmi  au  milieu. 

^^H          âhâb'é  enjamber,  faire  de  grands 

amlèf  f.,  omelette  ;  à  W.  èmlet\ 

^^M 

âmohic  amorcer,  enjôler.           ^^ 
âmohiti  m.,  enjôleur.                 ^^M 

^^^M          àhâic  embarrassé,  embourbé  (se  dit 

^^^1              d'une  voiture  qui  ne  peut  plus 

ânarmâ  entièrement. 

^^^1             avancer).  A  W.  âhoté. 

ânohh  m. ,  individu  dont  on  ne  peut 

^^H          àhèfû  f.,  semaine  dy  blé. 

se  débarrasser,  importun. 

^^^H          àkèrhél'c  effaroucher,  disputer. 

ânovrc  qui  a  du  travail  à  faire ,  qui 

^^^H           âhcric  ahuri. 

est  occupé. 

^^^H          âkévlé  qui  a  les  cheveux  ébourriifés. 

âpaum    m.,    épouvamail;    à    W. 

^^^B          ahlwc  ourler.  A  W.  ochné. 

dpoiîtd. 

^^^M          âhhtn  m.,  imbécile,  maladroit. 

âpélé  enflammer,  faire  fiambcr;  à 

^^^B          ahiô  m.,  noyau.  L.  A  W.  on  dit  : 

W,  àpélé. 

^^^H 

âpôlè  qui  a  l*épaule  démise. 

^^H          àkôché  flanquer  une  pile  à  quel- 

âpoyc  chargé  de  fruits  (se  dit  des 

^^^H             qu'un ^  le  rosser.  W, 

arbres  ;  se  dit  aussi  d'un  pré  bien 

^^^1          àjalé  geler  (verbe  transitif. 

garni  d'herbe  . 

^^^B          âjé  communiquer  la  contagion  à 

âprcm  maintenant,  à  cette  heure* 

^^^H              quelqu'un  (verbe  transitif) . 

L.  W. 

^^^1          âjhîe  qui  a  des  crampes  dans  les 

âpuéz^  f.,  gaude,  herbe  dont  on  se 

^^H              jambes  (se  dit  des  cochons). 

sert  pour  durcir  la  toile  d'un  lit 

^^M         alcofl,  alcôve.  R.,  W. 

de  manière  à  ce  que  ta  plume  ne 

^^1          aU-giès*  f.,  alun;  à  W.  olhgièi\ 

passe  pas  à  travers. 

^^^M          aîivaf  f.,  chose  de  peu  dimpor- 

àr  dôjo  m.,  aurore  ;  à  W.  âr  dâja. 

^^^1              tance,  niaiserie. 

arâ  !  allons  î  en  avant  !  mol  usité  à 

^^^1          almcfi'    f.,    lame   de   couteau.    A 

Château-Salins. 

^^^^^^        Sanry,  près  R.,  on  dît  armèn\ 

arma  m.,  poitrail  du  cheval. 

^^^^^1        A  R.  on  dit  prov.  quand  un  in- 

armonèc  f.,  almanach  ;  à  W.  èrmo^ 

^^^^1             dividu  a  fait  un  mauvais  marché. 

nec,  f. 

^^^1              un  échange  désavantageux  :  iV 

ârode  enrouler,  entortiller,  entre- 

^^^H             chije  suçoté  po  en*  almèâ'  —  il  a 

lacer. 

^^H             changé  son  couteau  pour    une 

âsif,  âsJv'  f.,  gencive  ;  à  W.  âsJv\ 

^^^^^       lame  de  couteau. 

âsoy^  m.,  imbécile,  étourdi. 

^^^^                                VOCABULAIRE    01 

PATOrS   MESSIN                                  J97                   ^^M 

ifoarec,  ito  me,  avec  moi.   Mot 

bat  ôz  m*  même  sens.                                   ^^| 

usité  à  Hcmy, 

hâté  m.,  grabat,  mauvais  lit;  à  W.               ^^| 

im'  f ,  commencemem  (d'un  ré- 

^H 

cit). 

bâuâ  m.,  garde  champêtre.  L.                    ^^H 

âtripe  embarrassé,  entravé.  Se  dît 

bauaf  {.,  roquet,  petit  chien  qui              ^^H 

d*un  cheval  pris  dans  ses  traits. 

n'est  bon  qu'à  aboyer.                             ^^H 

itrimolé  empêtré,  entremêlé.  W. 

baya  m.,  ulcère,  bouton  à  la  tête,               ^^B 

âtnpoyc  entortillé,  emmêlé. 

On  dit  prov,  i  se  rdras'  corn  i  pii              ^^H 

ûîune  assourdir,   ennuyer  par  du 

su  i  bayô  d'un  individu  qui  fait              ^^H 

bruit»  des  paroles  ;  à  W.  âtiiné. 

le                                                            ^H 

qui  a  perdu  la  tête  (pour  avoir 

bécày'  Cén'}  un  peu,  une  petite  part,              ^^M 

buf. 

une  miette.                                              ^^H 

àtiW  t,  prétexte,  mensonge* 

bccré  m.,  pointe  du  soulier;  à  W.              ^^M 

^M 

B 

bêchîé  m.,  vaisselle,    armoire  oi^               ^^H 

hûbré  m.,  gamin  ;  à  W.  bobré. 

l'on  met  la  vaisselle  ;  à  W.  béch-              ^^^Ê 

hâc  m,,  banc.  R.  W. 

té^  récipient  quelconque,                          ^^H 

kcduém,,  têtard  de  grenouille  :  à 

bèdèl'  t,  cheville  de  fer  qui  règle              ^^H 

W.  bricAué. 

une  charrue.                                           ^^H 

b^^iy'f.»  belette»  L.;  à  W.  boeoi 

bedén*  f ,  oseille  sauvage.                            ^^H 

huit  limer  :  se  dit  d'une  cloche  qu'on 

bidii  peut-être.                                           ^^H 

sonne  seule  d'une  manière  con- 

bèg*nof  f.,    cuiller  en   bois   pour              ^^H 

tinue,  par  ex.  pour  un  incendie; 

faire  les  confitures.  W.                             ^^H 

à  W.  bocé. 

béhèn'  f.,  attache  pour  les  vaches.                 ^^H 

tac/ boiter.  L. 

héhhli  tousser;  i  béfuV  il  tousse  ;  à              ^^H 

hiciâ  m.»  bûcheron  ;  à  W.  hociu. 

W.  bèhôîé,  tousser.                                 ^^H 

fcnoîîr*  f.,  chambre  avec  de  grandes 

hclas*  f. ,  coup,  bosse  à  la  tête.  On              ^^H 

cheminées  pour  fumer  le  lard. 

dit  aussi  bolas\                                       ^^H 

bâdriâyt^  bande,  troupe  'degens. 

hémlr  so  se  gâter  (se  dit  du  bois|.                 ^^^| 

eic.]. 

bèrboze  barbouiller  ;  à  L.  barbàzé.                 ^^H 

hffâ  m,,  bègue. 

bergaV  \én]  f.,  un  brin,  une  miette,               ^^H 

*«gw  bégayer  ;  à  W.  bogU, 

un                                                          ^^1 

Hk9   \ô]    au  grand  air,   en  plein 

bergay'  m  brëgày'  (frti  une  miette,               ^^M 

vent;  Nhh  a  d  bàh^,  la  porte 

un  peu,  un  tantinet.                                 ^^H 

est  au  grand  ouverte. 

bërio  m.,  selon  les  uns  un  petit  co-              ^^H 

bàhùr"  f.,  place  où  deux  miches  de 

chon,    selon    d^autres   un   petit              ^^H 

pain  se  sont  trouvées  en  contaa 

bélier,  ou  un  petit  taureau.                      ^^H 

dans  le  four  ;  à  W.  bajiir\ 

On  ma  assuré  aussi  que  c'était              ^^H 

hârit  taper,  frapper,  remuer  conti- 

un quelconque  de  ces  trois  ani-               ^^| 

nuellement    se  dit  particulière- 

maux quand  il  était  petit  et  ché-               ^^H 

ment  d'un  cheval  1. 

^M 

tatô  diàll  exclamation  signifiant  : 

bàlàsé  Ué  mato  sô  a)  le  bit  caillé              ^^H 

va  le  promener  î  allons,   bon  ! 

n'est  pas  pris  (ce  qui  arrive  quand              ^^H 

patatra  1  etc. 

îl  fait  très-chaud  ou  très-froid  ,               ^^H 

^^^H                                                                             ^^^^^ 

^^^1          berlat'  t,  petite  cloche,   montre, 

bich  m . ,  berceau .  W .                ^^^| 

^^^H              horloge  qui  ne  va  pas;   à  W. 

bichi  baiser,  embrasser.  L.        ^^H 

^^^H 

bichié  bercer.  W.                       '^^^ 

^^^H          bcrié  m  M  tamis  pour  la  farme. 

biosii  m. ,  lieu  oii  l'on  fait  mûrir  les 

^^^H           bèrténc  gronder,  grommeler. 

fruits.  W.                                     M 

^^^B          berirtf  î.,  bretelle. 

bîrt.hïètc.  R.  L.                           I 

^^^1          bértrèl'  f.,  partie  du  cochon  où  Ton 

biuraf  t^  pluche,  saleté  qui  s  at-   1 

^^^H              a  coupé  le  jambûn.  R.  W. 

tache  aux  vêtements.                    ■ 

^^^H          bertiir*  {.,  huche  au  pain,  coifre  où 

hlà  bona  m. ,  fille,  femme.  L.             1 

^^^H              l'on  met  la  farine,  le  son,  etc. 

hlày'  {dé]  i.  plur,,  de  la  bouillie.        ■ 

^^^H          bef  i, ,  écorce  repliée  en  deux  au 

btcy'  bleu.                                         ■ 

^^^H              moyen  de  chevilles  de  bois,  dont 

blof  f.,  blouse.  Ce  mot  est  employé 

^^^H              se  servent  en  guise  de   panier 

à  Vigy.  Retonféy,  etc. 

^^^H              les  enfants  pour  aller  chercher 

bô  Die  m.,  tourniquet  d'une  voiture 

^^^H              les  fraises* 

de  foin  lainsi  appelé  parce  quil 

^^^H          bètà  grifir  m.,  pie  grièche,  oiseau. 

forme  une  croix).  R.  W. 

^^^H          bitis'  f.,  petit  lait  de  beurre  ;  à  L. 

bdd'été  m. ,  fil  de  la  Vierge,  filandre, 

^^V^ 

b&dé 0r  m. ,  clématite àt^  haies.  L. 

^^^K           Bctmi  Barthélémy,  prénom. 

bùliihim,,  genêt,  plante. 

^^H           bètûr'  r,  bout  du  fléau.  R,  W. 

boc  ro.,  bouton  à  la  lèvre. 

^^^^H          bévîiy  f.,  écurie  des  bœufs. 

hoc  \fàr  lé)  bouder;  m.  à  m,  faire 

^^^^B          bénô  m.,  grange  aux  dîmes.  Ancien 

les  boucs. 

^^^H              terme  dont  on  a  conservé  le  sou- 

bdcé  viser,  espionner,  jeter  un  coup 

^^^H 

d'œil.                                           ■ 

^^^H          béyà  ou  b'éyâf  m.,  mot  injurieux 

boclt^l,  bouche.  R.  W.                   ■ 

^^^H              employé  par  euphémisme  au  lieu 

boche  frapper.  W.                              ■ 

^^^H              du  mot  bcyar  —  verrat  ;  au  lieu 

bochô  m.,  pone  du  four;  à    W.    1 

^^^H              d'être  une  injure,  c'est  presque 

bdcho,  m.                                       f 

^^^H              un  terme  d'amitié. 

bacsen  f.,  espèce  de  salsifis  sau- 

^^^H          h'éyi  bouilli  {part,  passé). 

vage  dont  on  mange  la  raci  ne  crue . 

^^^H           b'tz^  ou  bï'zdu  f.|  instrument  en  fer, 

bocuP  f,,  espèce  de  longue  poutre 

^^^^^H         contourné,  assez  long,  qui  $er~ 

au  bout  de  laquelle  il  y  a  un 

^^^^^1        vait  autrefois  de  clef  pour  fermer 

seau.  Cet  assemblage  placé  près 

^              ou  ouvrir  les  portes  extérieure- 

d'un  puits  sert  à  tirer  de  l'eau; 

^^^H 

pour  cela  on    fait  basculer  la 

^^^H          bèiuaic  faire  petite  besogne. 

poutre.  La  veille  du  jour  de  Pan, 

^^^H           bituatriy^  f.,  chose  de  peu  de  va- 

au  coup  de  minuit,  on  y  suspend 

^^^H               leur;   objet    sans    importance; 

des  rubans  et  des  œufs.  Le  gar- 

^^^H             travail  de  peu  d'importance. 

çon  qui  est  arrivé  le    premier 

^^^V           biàchrèy'  f.,  blanchisserie. 

pour  cette  opération  est  sûr  de    ■ 

^^^H           bk  i  bùc  tète  bêche,  en  sens  in- 

se  marier  dans  l'année.                 1 

^^H 

bodé  (l'a  é)  tu  en  as  menti.  H.  W.    1 

^^^H          bicbostc  qui  est  tète  bêche,  en  sens 

bodnur'  f.,  tuyau  servant  à  faire  le    1 

^^^H              inverse.  W. 

boudin.                                         1 

^1 

^^F                                             VOCABULAmE    DU 

PATOtS   MESSIN                                   19C^                ^^^^ 

L         bodré  masc.  plur.,  lait  tourné. 

brèzat'  t,  petite  braise.                             ^^^| 

^H  bMlo  m,,  bûcheron.  Mot  usité  à 

bnzié  toucher  à  tout,  faire  te  tâtil-            ^^H 

^      Norroy. 

ion,  faire  du  mauvais  ouvragei             ^^^H 

bêlat^  f.,  baleine  (de  parapluie,  de 

s'occuper  à  des  bêtises.                          ^^^| 

crinoline). 

bribu  m.,  gueux,  vagabond.  On  dit             ^^H 

bûtén'  f.  *  hydrophile  ou  dytisque , 

prov,v/e  chhu,  vie  brilm,                         ^^^M 

insecte  aquatique. 

brihit  m.,  instrument  à  une  lame             ^^^| 

bolic  se  dépêcher. 

pour  rompre  le  chanvre;  à  L.            ^^H 

bôlu  qui  a  les  yeux  chassieux  ;  au 

^^^1 

féminin  bolUz\ 

briji  rompre   le    chanvre  avec  la            ^^^| 

bosa  m. ,  paquet  de  chanvre  de  re- 

^^H 

but  que  ion  met  sur  la  que- 

hwhiô ou  brébiâ  m.,  bouton  (à  la            ^^H 

nouille. 

6gure,  à  la  peau).                                 ^^^| 

hii  ni.,  étui  du  feucheun  W, 

brocha  Ifàr  h)  se  dit  du  mâle  de            ^^^| 

^f.,  borne.  R,W. 

Foie  qui  fait  le  beau  près  de  sa            ^^^| 

H    hof  à  brîm.,  gâteau  percé. 
^B  htitu  qui  a  des  boulons  sur  le  corps. 

femelle  et  par  extension  se  dit            ^^^| 

des  hommes  et  des  femmes  qui             ^^^H 

mk  tn,,   boutoir,  instrument  qui 

font  des  manières.                                   ^^^H 

tert  à  ferrer  les  chevaux. 

brôcht  tremper  un  instant  un  linge            ^^^| 

bùfl,  ampoule.  W. 

dans  Teau  et  le  retirer  aussitôt.            ^^^| 

tejrfl  m.,  bâillement. 

brôdne  bourdonner.                                     ^^^| 

%i>*  f.,  cri,  hurlement. 

brua  m.,  lataar  à  peine  cuit  (Voyez            ^^^| 

%£  crier,  jeter  des  cris,  hurler. 

au  mot  làmar).                                    ^^H 

On  dit   d'un  individu  qui  crie 

brua  m.,  boue.  Ce  mot  n'est  em-            ^^^Ê 

fort  :  1  bdf  corn  m*  èviii  de  pèda 

ployé  que  dans  le  prov.  agricole            ^^^| 

so  batd. 

^^^1 

bSyè  bâiller. 

Bïéôpusa,                                    ^^H 

bdyu  m.,  bâillon. 

Auén  6  brua,                                  ^^^H 

brac  r*  instrument  à  deux  lames 

ce  qui  veut  dire  qu'on  doit  semef            ^^^Ê 

pour  rompre  le  chanvre  L.  ;  à 

le  blé  dans  un  terrain  meuble  et            ^^H 

W.  broy'  t 

sec,  et  l'avoine  dans  une  terre           ^^^| 

brââôm,,  repas  de  réjouissance  à 

bien  humide.                                           ^^^| 

l'occasion  d'un  baptême. 

bmâdén*  f.,  quelque  chose  de  mal            ^^^| 

bràyûV  f. ,  ouverture  du  pantalon  ; 

accommodé^  de  mauvais  à  man-            ^^^| 

volet  des  pantalons  de  l'ancien 

R.  W.                                           ^^H 

temps;  à  W;  brayof  f. 

bnie  presque  brûlé.                                     ^^^| 

kèiif  hhhh'  m.,  chahô  de  devant 

brusa  m.,  os  percé  qu'on  fait  tour-            ^^^| 

d'une  voiture  (voy,  le  mol  chahô]. 

ner  avec  bruit  au  moyen  d'une            ^^^| 

krihum,^  gourmand. 

double  ficelle  L.  ;  à  W.  briiyom.            ^^H 

brd*  m,,  odeur  de  brûlé.  R.  W. 

briisie,  brus* ne,  brûsiaîé  verbe  em-            ^^^| 

hriicrnc  toucher  à  tout,  faire  le  ta- 

ployé pour  indiquer  qu'il  tombe            ^^^| 

tillon,  s'occuper  à  des  bêtises,  à 

une  pluie  fine.                                      ^^^^ 

des  riens. 

budràf  f.,  tâche  que  Ton  se  donne           ^^^| 

brété  gêné. 

d  remplir  ;  bout  d'ouvrage.                   ^^^| 

^^^P               200                                                                ROLLAKD                                                            ^^| 

^^1          hué  bon  W. 

Catich*  Nicolas^    prénon.    On    dit  1 

^^H           buèya  m.,  buveur  W.  ;  à  L.  buéviL 

aussi  Lilich\                                 1 

^^^1          buhô  cDm  brusque,  emponé. 

calomé  soldat  de  cavalerie.          ^^J 

^^^H           bai  m.,  buis,  arbuste. 

Caior  Nicolas,  prénom.               ^^Ê 

^^H           but'  t,  feu  de  la  Saint-Jean.  On 

cani  loucher  L.                          ^^| 

^^^^^^         croit    qu'un    charbon    ramassé 

càpîis*  f.,  poursuite,  chasse.        vH 

^^^^^B         dans  ce  feu  et  jeté  dans  un  champ 

câpasii  poursuivre  quelqu'un  ;  don- 

^^^^^"       d'oignonslesfaitdevenirénormes. 

ner  la  chasse  à  quelqu'un. 

^^^[^     bUlc  s'écrouler,  s'ébouler.  On  dit 

cas'  mïzé  ro.,  gâteau  fait  avec  des 

^^^^^B        d'une  vache  dont  la  matrice  sort 

quaniers  de  pomme.  Selon  d'au- 

^^^P 

très  personnes,  espèce  de  gâteau, 

^^^V         burach*  L,  bouchon  de  chiffons  en 

biscuit. 

^^^H              tiretaine  qu'on  allume  pour  faire 

cam  m.,  étui  où  l'on  met  la  pierre 

^^^H              périr  les  abeilles  dont  on  veut 

à  aiguiser  la  faux. 

^^^1             prendre  le  mîe!« 

ce  ma.  Je  ne  connais  ces  mots  que 

^^^B           buri!  buri!  cris  pour  appeler  les 

dans  le  proverbe  suivant  :  «  u 

^^H 

lé  bié  dcmuèr  ô  châ^  léz  auln*  n* 

^^^1           biis^  [le  haày  a  â)  se  dit  quand  la 

â  pcy'  ce  ma  »>,  c.  à  d.  si  les  blés 

^^^^^^         lessive  commence  à  sécher  dans 

restent  aux  champs,  les  avoines 

^^^^^p         le  cuveau  ;  c'est  alors  le  moment 

nUn  peuvent  mais.  Quand  une  tille 

^^^^^^         d'y  remettre  de  l'eau. 

aînée  ne  se  marie  pas,  cela  ne 

^^^H          biiic  m,^  mur  circulaire  qui  entoure 

doit  pas  empêcher  la  cadette  de 

^^H              un  puits* 

se  marier. 

ccmras*  f.,  écumoire. 

^^^^H                 C  {=  K  panout). 

unie  m.,  gâteau  des  rois,  gâteau  à 

^^^^^     ai  quand. 

quatre  coins. 

^^^H          ca  encore  ;  à  W.  co. 

cénié  mettre  dans  un  coin. 

^^^H          câbô  ro.,  cambouis. 

céniôP  1 1  rose  trémière.            flH 

^^H           càbé  m,,  mauvais  produit.  Ce  mot 

censé  m.,  espèce  de  selle  dont  ^ff 

^^^H               sert  d'injure. 

se  servait  autrefois. 

^^^H           càhô  m.j  écuelle  de  bois. 

c'épé  cracher,  W. 

^^^1          câbrey*  f.,  nuage  qui  annonce  le 

cèpèl  f.,  sommet  d'un  arbre,  d'un 

^^^H              beau  temps.   Un  nuage  qui  an- 

édifice. 

^^^1              nonce  ie  mauvais  temps  s'appelle 

ccpot*  f-,  crachat,  salive,  W. 

^^^H               le  mô  câbrey*  f.  (mots  usités  à 

cèpsat'  f.,  petite  tète  de  chou,  chou 

^^H          ^  Bacouni. 

mal  venu. 

^^H          Câcié  caqueter  r$e  dit  des  poules 

cëriaté  prendre  par  petites  cuille- 

^^^H             qui  veulent  pondrei. 

rées  ;  à  W.  cerioté. 

^^H          caclijô  coquelicot,  L.;  à  W.  coclijd. 

cèsoV  f.,   pot  pour  mettre  le  lait 

^^H          calihlès*  L,  éclat  de  rire. 

après  qu'il  est  passé,  W. 

^^^H          caiboti-  m.,  panier  d'osier  ou  boite 

cêvat"  f. ,  petit  cuveau  de  lessive  à 

^^H             en  carton  à  l'usage  des  coutu- 

deux  anses. 

^^H 

ccvcy'L,  litière  ;  à  W.  cmy' f. 

^^^^         caliV  ti  calotte,  bonnet  sans  visière. 

cevey'  [i  tè  hôs)  ou  è  le  hdt)  précipi- 

^^^^^                                    VOCABULAIRE    DU    PATOIS    MESSIN                                    2or                 ^^^ 

^1        Tatntnem,  à  la  hâte,  vite  et  mal. 

servant  à  faire  le  boudin  :  mor-            ^^H 

dvu  donner  la  litière  ;  ceviélé  p'hhé 

ceau  de  lard  r6ti  ;  à  W.  dwuâé             ^^^M 

donner  la  litière  aux  cochons. 

chè  hcrâ  m,,  chouette,  hibou.  W               ^^^| 

ûy^baf  r,  quelque  chose  qui  n*est 

chècha  m.,  petit  sac.                                  ^^| 

ni    solide    ni    liquide,  fromage 

chcchie  chuchoter,                                     ^^H 

blanc* 

chèfsèn^   f,,  corde    pour   conduire           ^^H 

clyi)f'f,,  clef  de  porte. 

paitre  les  animaux;  à  W.  cour-           ^^H 

tiyiy*  t,  cuiller;  à  L.  ciyi  L 

roie  pour  attacher  les  chevaux  à           ^^H 

ûyYi  m.,  coin  non  nettoyé. 

la  mangeoire,                                         ^^^| 

cmsii  remuer  vigoureusement  ;  à 

chcl  f,,  soif;  mot  usité  à  Hemy.                ^^H 

W.  àzàm  faire  marcher,  faire 

chcmhaV  t,  chemise.                          ^^^^H 

aller 

chcmi-  ai  Si  Jac  m.,  voie  lactée.        ^^^^H 

cnàto  f  aaivité. 

chènc  pleurer,  pleurnicher;  à  Metz      ^^^^H 

cim  chasser,  pousser. 

on  dit:  chigner  {chifié).                           ^^^M 

éâ  \i)  m,,  un  imbécile,  un  hans. 

chèrây'     t^    charretée,    voiture           ^^^1 

ckàhcs^  m.,  synagogue. 

^^^1 

àacï  exclamation  pour  indiquer 

chcsâ  gourmand,  friand.   On  dit           ^^H 

qu'on  s'est  brûlé  les  doigts;  à 

j^rov.  Châ  bon'  afà,  ca  Pa  sô,  i           ^^H 

W.  choc  ! 

n'a  m  chèsâ,  c.-à-d.  Jean  est  bon            ^^H 

thacé  (101  se  brûler  (les doigts, etc.). 

enfant,  quand  il  est  repu  il  n'est           ^^H 

châdol*  i,,  chandelle.  Au  plur.Ja 

pas  gourmand,                                       ^^^| 

fêle  de  ia  Chandeleur.  R.  W. 

chèy  'ri  m . ,  céleri .                                      ^^H 

chafâ!  ou  5a/ô/ mot  d'enfants  jouant 

chiauti  m . ,  cloutier .                                  ^^| 

à  la  cachette  qui  prévient  celui 

chic  f.,  boule  de  pierre  ou  de  terre           ^^H 

qui  cherche  que  l'on  est  caché. 

cuite  dont  tes  enfants  se  servent           ^^^| 

àûgnnô  m.,  individu  difficile  pour 

pour                                                     ^^^1 

la  nourriture. 

chici  {se]  secondaire  ibîen  ou  malk            ^^^1 

chakô  m.,  bois  qui  recouvre  les 

L.  ;  i  s'é  mô  chici,  il  s'est  mal            ^^^B 

eisieux,  servant  à  maintenir  les 

conduit  ;  chicé-v,  conduisez-vous            ^^^| 

clefe  ou  les  bras  d'une  voiture. 

^^H 

Chala  Charles,  prénom. 

c/r/r/'f.,  échelle,  W.                               ^H 

édiat  t,  fricassée  de  viande  ha- 

chô m.^  chou.  On  dit  prov.  sa  cno            ^^H 

chée. 

po  joî\  c.'à'd.  c'est  chou  pour            ^^^| 

chatàf  f,,  espèce  de  galette.  L, 

chou,  c'est  Ja  même  chose;  joi*           ^^^| 

chant'  m-,  ossuaire,  charnier;  à 

â  aussi  le  sens  de  chou.                          ^^H 

L.  chanL 

chô  ;  chof  sourd  ;  sourde,  W.                    ^^H 

ckponié  (so)  se  battre,  se  querel- 

chôce su  to  ràvayix  renchérir,  exa-            ^^^| 

ler.  W. 

^^H 

thûpoai'  m-,  cage  en  bois  où  Ton 

chUn  t,  ortie,  W.                                   ^^H 

met  engraisser  les  volailles. 

chôdrat*  f,,  marmite  en  fer  blanc            ^^^| 

chaujâm,,  pommier  sauvage.  C'est 

dont  on  se  sert  pour  porter  à            ^^H 

probablement  le  mot  sauvageon. 

manger    aux    travailleurs    des            ^^H 

chauo  ou  citaac  loger,  contenir. 

^^H 

chauô  ra,  plut.,  résidu  du  saindoux 

chôfié  souffler,  W.                                     ^^M 

^^^^H^HI                                                            ^^^^^^1 

^^^H          cholthh  m.,  appareil  adapté  à  un 

cQJié  écosser  des  fèves,  W*         ^^Ê 

^^^H             tuyau  de  poêle  pour  faire  cuire 

cdha  gitet.                                  ^^Ê 

^^H             des  pommes  de  terre. 

côhh  bande  de  lard.                  "^^| 

^^H         chôf  sèri  f*j  chauve-souris,  W. 

cahie  écorcher.                           ^H 

^^H          choué  laver^  essuyer,  W. 

côlnt  tourner  autour  du  pot,  iaifl^ 

^^H          chUô  m.,  essaim. 

biner,  s'amuser  à  des  bagatelles. 

^^H          chu!    exclamation    pour   indiquer 

coltr  m,,  espèce  de   gilet  ou  de 

^^H              qu'on  a  froid.  H.  W.  Se  dit  sur- 

veste. 

^^^1             tout   quand  on  touche  avec  b 

colii  m.,  linge  servant  à  passer  le 

^^H              main  quelque  chose  de  si  froid 

lait  que  Ton  vient  de  traire.  R.W* 

^^H             qu'on  est  obligé  de  la  retirer. 

corn  os  a  s  effectivement,  en  effet, 

^^H          chvddrè  m,,  trépied  pour  meure  le 

c'est  comme  ça,  comme  de  juste. 

^^H             tonneau  à  lessive. 

comàs^  f.,  commencement,  L. 

^^H          cfwôdr't  m,,  ce  qui  supporte  les 

cornu  {so)  se  loger,  se  serrer,  se 

^^^B              poutres  d'une  toiture. 

caser. 

^^H          ciaclii  m.,  clocher. 

comiiz'f.,  affront. 

^^H          ciçJy  L  plur.»  débris  de  vaisselle 

coniy'  f.,  blague,  farce,  moquerie. 

^^H              cassée,  débris  de  poterie  ;  à  W. 

cônld  qui  a  la  consistance  de   la 

^^M 

corne  ou  du  cuir. 

^^H          dimsû  ou  cémsit  m. ,   régulateur 

conioli,,  cornouille,  fiiiit. 

^^H              d'une  charrue. 

copél^  f.,  sommet  ;'d*un arbre,  etc.i 

^^^1          ciipô  m.,  crachat. 

copia  ât  rmîT   m.,  réceptacle    de 

^^H         cièvof  f.,  espèce  de  chaîne  dont  on 

rhuile  des  anciennes  lampes  à 

^^H              se  sert  pour  la  charrue,  W. 

crémaillère. 

^^H          ciri  /  âri  !  C' est  par  ces  cris  qu'on 

côpâ  m.  y  reste  de  bois  brûlé,  tison 

^^H              appelle  les  canards. 

qui  a  déjà  brûlé  ;  à  W,  cupô  m. 

^^H          dôbosie  éclabousser,  L.  ;  à  W.  ciô- 

coré;  cordy^  bien    portant;   bien 

^^H 

partante. 

^^H          cnèp^  t  plur.f  boulettes  de  ferine, 

cdrirst  cïïrics  flexible,  actif,  agile. 

^^H              de  lait  et   d'œufs    cuites   dans 

conô  m.,  lait  caillé  cuit. 

^^1 

cariô  m.,  ancienne  bourse  qui  ser- 

^^H         cocat  f. ,  casserolle. 

vait  de  ceinture. 

^^H          cocaC  f.,  rapporteuse,  cancanière. 

corndr  qui  n'entre  pas  facilement 

^^B          côccl  f . .  espèce  de  gâteau  que  font 

ise  dît  d^une  cheville  ou  de  dous 

^^H               les 

qui  ne  sont  pas  droits  i. 

^^H           cocrô  m.,  mite  de  la  farine  et  du 

cdra,  côréy'  m.,  terre  forte,  terre 

^^H 

argileuse,  terre  du  sous-sol. 

^^H           côcsô  m.,  imbécile. 

coron'  r,  sommet  d*un  arbre,  W. 

^^^1           codcl  (l'c  itii  è  mt)  il  a  été  sous  ma 

coron'  de  Si  Banar  f.,  arc*en-ciel 

^^^^^        coupe»  sous  ma  direction,  à  mon 

corponat'  f.,  cime  d'un  arbre,  etc.). 

^^^1 

côsiu  m.,  conseilleur.  On  dit  prov. 

^^^^1          cotPli  tordre  une  corde»  une  ficelle. 

s  n'  a  m  U  côsiu  lé  pm,  ce  ne 

^^^^^     codô  m.,  brassée  de  chanvre  raffiné 

sont  pas  les  conseilleurs  qui  sont 

^^^^H        préparée  pour  la  quenouille. 

les  payeurs. 

i 

.    .  1 

^^^^^^^^^                 VOCABULAIRE    DU 

PATOrS   MKS5ÏN                                   20? 

cot\itf  Si)  cela  n'y  fait  rieti,  c'est 

autrement  dans  la  chambre  où 

égal,  c'est  indifférent.    Ne  con- 

se  tenait  une  veillée.  En  perce- 

naissani  pas  Torigine  de  cette 

vant   celte    odeur   les   femmes 

locution,    je  ne    sais   comment 

croyaient   que  leurs  vêtements 

Orthographier,     Doit-on    écrire 

étaient    brûlés    par    leur    cova 

m-$iccV  en  un  seul  mot  r 

ichaufferetie?  ;  à  W.  ccmiw. 

mm,,  coude,  W.;  à  R.  et  à  L. 

crés  {h)  le  creux  ^d'un  arbre  par 

iat 

exempiei. 

mr  suivre  de  près,  ne  pas  perdre 

crmr  f,,  corps  malingre;  i  n'é  cHe 

de  vue. 

cntur  ou  s*na  ^in'  crctur  «  il 

(ùtri  m,,  coude. 

n'a  que  la  peau  et  les  os;  à  W. 

m  L,  queue»  W. 

enter. 

md  m.,  paquet  de  chiffons  au  bout 

cri' cale  dentelé. 

d'une  perche  qui  sert  à  retirer  la 

crkhâ  ou  cnpà  qui  a  des  nœuds  ou 

braise  du  four 

des   crampes    dans   les  jambes 

conas*  i.,  constellation.  Probable- 

par suite  du  manque  d'exercice 

ment  celle  qu'on  appelle  en  fran- 

ise dit  principalement  des   co- 

çais le  Poulailler. 

chons  que  Ton  ne  son  pasi. 

cotnis  (1  nicj  un  œuf  gâté,  pourri  ; 

cripà  m.,  volaille  qui  a  des  crampes 

à  W.  covis  (i  nie). 

dans    les    pattes,    malade    des 

mar  m.»  pièce  de  bois  servant  à 

pattes. 

charger  d'autres  grosses  pièces. 

Crisîô  Christophe,  prénom. 

côziima  presque,  L. 

crobé  m.,  pièce  de  bois  d*une  roue. 

aafay*  f.,  coquille,  écaille^  coque  ; 

crôcé  attendre  longtemps,  faire  le 

à  W,  crâfoy\ 

pied  de  grue  ;  à  W.  crocé. 

crakn),^  bourbier,  fondrière,  en- 

CTôcc glousser^  se  dit  des  dindons;           ^^H 

droit  humide  où  l'on  enfonce  ;  à 

à  W,  cmé.                                         ^^H 

L.  cnlii. 

cros  mcfiéy*  f.^  échine  du  cochon,          ^^H 

ciâmèlf,,  meurtrissure,  blessure. 

échine,  L.  W.                                      ^^M 

Udf  f.,  crotte^  crête,  croûte. 

cîoyô  ou  grôyd  m.,  petit  champ,           ^^H 

crâtc  dsii  ou  aàcé  dsù  ne  plus  vou- 

sillon de  peu  d ^étendue.                       ^^H 

loir  d'une  chose,  en  avoir  assez, 

criidk  m.,  grand  voite  blanc  que          ^^H 

renoncer  à  quelque  chose  ;  à  W, 

les  veuves   en  signe   de  deuil          ^^H 

crâté  dsii. 

ponent   par-dessus  leurs  vête-          ^^H 

irità  i'â  y  M  reculé,  j*ai  renoncé. 

ments  et  qui  forme  capuchon,           ^^H 

crûyèy  f.,  crevasse. 

Elles  le  portent  pendant  six  se-          ^^H 

crMlat*  t,  espèce  de  petite  prune 

maines  après  la  mort  du  mari,           ^^H 

noire. 

seulement  le  dimanche  pour  aller          ^^H 

^ihu  écraser  ;  croquer,  avaler  avec 

à  la  messe;  à  W.  ciirchè  m.;  les           ^^H 

bruit. 

femmes  le  portent  pendant  trente           ^^H 

cfcmzii  m.  On    appelait  autrefois 

jours  le  dimanche  pour  aller  à  la           ^^^| 

ainsi  un  paquet  de  chiffons  en 

^^H 

tirelaine  qu'on  allumait  et  qu'on 

cfiihaf  L,  alphabet  ;  â  W.  cru^oC           ^^^k 

fourrait  par  dessous  la  porte  ou 

C'si-  m.,  coussin  ;  à  W.  cai- .                ^^H 

^^H       104                                                                  ^^ 

^^H          cû  à^chh  m.,  fruit  de  l'églantier; 

dâ  d*€hh  m.,  chiendent,  R.  L. 

^^H             à  L.  signifie  nè^e. 

dà  d'ïy'  m.,  dent  œillère;  à  W. 

^^H          cuàie  \so\  se  tapir^  se  baisser,  s'ac- 

cyMâ  m. 

^^H             croupir. 

dàdin*  {N  ivu  en')  il  a  reçu  une 

^^H         ctiarai'  f ,  champ  large  mais  très- 

réprimande,  il  a  eu  un  savon. 

^^H 

dagôn  mauvais  lard,  lard  tout  en     1 

^^H          màîic  bavarder,  faire  des  groupes 

couenne;  couenne,  R.  L. 

^^H             pour  causer,  faire  des  cuàray\ 

'  ddgrihh  d'accord,  n'importe,  soit,     ' 

^^H         cmm*  f  ,  bavardage,  cancan,  W.; 

cela  m*est  égal  (peut-être  faut-il     . 

^^H             à  R.  £uàray\ 

orthographier  d'agnhhl). 

^^H         cùbasie  qui  est  en  sens  inverse,  tête 

dàjï  m.,  danger,  L. 

^H 

daniô  m.,  étourdissement,  vertige. 

^^H          càboyot'  i,,  culbute,  W. 

dâyc  tarder.                                       1 

^^H         cabale  culbuter,  L. 

^'tr^aye  se  ditde  Pépi  qui  sort  de 

^^H         coder  t,  culture,  W. 

la  tige,                                          , 

^^H          ciidhof    espèce   de  chausson    aux 

d'ca^é  écosser  (des  fèves,  etc.),  L. 

^^^H              pommes,  L. 

dchàt  descendre,  L.  ;  à  W,  dkhât. 

^^M         cuél  f.,  écuelle,  R    L.  W. 

dci'sô  m.,  éclaboussure. 

^^H         came  aplatir. 

dcrâchii   m.,  peigne  à  décrasser, 

^^H          cuèti  m.,  quart,  quartier. 

démêloir,  R.  W. 

^^H          caètrô  m.,  quarteron  (mesureU 

debïriené   [sà\  ou   d'ébfttné   \io\  se 

^^H          di^é:  m.»  couvercle;  à  W.  ciiiché. 

démener  ;  à  W.  so  dèbiirténé. 

^^H 

dèbactnï  débusquer,    faire  sortir 

^^H          cûhùr  ou  ciihèr  {,,    dépôt  qui  se 

d*une  cachette. 

^^H              forme   au  fond   de  la   marmite 

dibètzalc  déguerpir,  vider  la  place. 

^^H             quand  le  beurre  cuit. 

débourser. 

^^H         cuji  [se]  se  tenir  tranquille,  se  taire. 

dcbiâuîë  (rè  ètii  bit]  il  a  été  bien 

^^1             L.;  à  W.  so  cajiL 

surpris,  bien  désillusionné. 

^^H          cM  f.,  couenne,  W. 

debiscdyè  qui  est  défait,  qui  a  mal 

^^H          car  m.,  noisetier. 

aux  cheveux,  qui  a  la  figure  fati- 

^^H        ciiiàbôi  \far  le),  faire  la  culbute,  L. 

guée  à  la  suite  d'une  ribotte. 

^^H          cUz  coudre,  R,  W. 

débrotc   détruire,    abîmer;  à    W. 

^^H          câza  m.,  ce  que  l'on  coud  ;  ouvrage 

dèbrôlé. 

^^H             que  l*on  est  en  train  de  coudre. 

decahhic  déplumé. 

dcchagn-nc  qui  a  des  traces  de  coups 

^^^H 

de  griffes  ;  griffé. 

^^^^^    dû.   Cette   préposition  marque  le 

déci'sië  éclabousser. 

^^H              point  de  départ,  da  toU  =  de 

dccofu  empêcher  une  poule  de  cou- 

^^H             là,  j'à  uyi  âa  tose  ^  j^ai  entendu 

ver  ou  de  continuer  à  couver. 

^^^1              depuis 

dkrak  (io)  sortir  du  marais,  de  la 

^^H          dâ  m.,  frelon,  W. 

bourbe. 

^^^V          dâ  w,,  dent.  Le  mot  est  masculin 

Dcdiô  Didier,  prénom. 

^^H               en  patois  comme  en  vieux  fran- 

dedj^t  ce  depuis  que. 

^^H 

dèim  (auo  po  î*)  avoir  en  suffisance 

j 

^1 

^^^^                                     VOCABULAIRE    DU 

PATOIS    MESSlN                                   20^               ^^^^| 

pour  soi,  avoir  pour  son  entre- 

dérvi-^d'èrvà (aie)  aller  çà  et  là,           ^^H 

tien. 

venir.                                      ^^H 

é^ojië  dépouiller  quelqu'un    (par 

dcserié  rongé  par  les  souris.                       ^^H 

ex.   lui  gagner  son  argent  au 

déîîdu  éteint,  L.                                        ^^H 

jeu). 

dëtrèhie  défricher.                                     ^^H 

digray'  f.,  escalier  ;  à  W.  digrây' 

dètrèp  {bel)  f ,  bon  débarras.                   ^^H 

itgrïlé  (so)  se  démener,  W  ;  à  L. 

déniyé  déranger  quelqu'un  de  son           ^^H 

se  dgrolé. 

ouvrage^  mettre  en  retard  quel-          ^^^| 

*-       àtgnmit  (jto)  tomber  en  poussière. 

qu'un,  ^ire  traioer  en  îongueur;           ^^H 

àigrimont  (soi  se  griffer. 

à  W.  dctnyé  empêcher  de  tra-           ^^H 

Hgrimoné  qui  a  la  figureen  sang,W. 

vaiiler,  mettre  en  retard.                      ^^H 

dïgroboye  {sû\  se  débarrasser. 

dcva  à  côté,  auprès  ;  deva  liï  ^  à          ^^H 

^K     dihdbié  chasser,  empêcher  de  rêve- 

côté  de  lui.  On  dit  aussi  de  /ir,  L.           ^^H 

^v 

dévà  avant.  Je  su  ériv€  dévâ  H  =  je           ^^H 

W          dèhaié  (so)  se  débarrasser  d'un  obs- 

suis  arrivé  avant  lui.  Dévâî  ihô          ^^H 

^H         tacle,  se  tirer  d'une  difficulté; 

avant-h  ier .                                     ^^H 

^f        en  parlant  d'une  voilure,  sorur 

dëyéhié  mangé  des  vers.                            ^^H 

de  l'ornière. 

dt'vni  dé  ck  âdrô  venir  de  quelque          ^^^| 

dthèi  i^a  en  bel)  c*est  un  bon  dé- 

^^^^H 

barras. 

dèvozic  tutoyer  ;  à  W.  dèvozU,                 ^^M 

dihlrpoy'c  mettre  en  charpie,   en 

dëvudd  m.,  dévidoir.                                  ^^H 

lambeaux,  déchirer. 

dczuru  qui  ne  sait  plus  l'heure.               ^^H 

dihhtendy  f,,  épouvante. 

d^hôpoye  déchirer,  mettre  en  bm-         ^^^| 

dëhipic  mettre  en  morceaux. 

^^^1 

dthipiu  m.,  individu  qui  use,  qui 

di  du  (artictel ,  L.                                      ^^H 

déchire  ses  vêtemems. 

dià  m.,  iris,  plante.                                  ^^H 

dëliiye  mettre  le  bois  en  bûches. 

Didôch  Claude,  prénom.                           ^^^| 

dchoiU  étrangler. 

dlo  à  gauche  (en  s'adressant  à  un         ^^^| 

dejcdnè   couper  le  menu  bois,  la 

^^^1 

broussaille. 

diôriu  glorieux,  6er.                               ^^H 

dèm  f.,  lanterne  à  trois  faces. 

dir  dire  ;  je  djô,  nous  disons,  L.  ;         ^^H 

dïmâgoye  débraillé,  qui  a  ses  effets 

à  W.  je  djâ,  nous  disons.                   ^^H 

en  lambeaux. 

dlicèf  [au  m.  et  au  f.l  agile,  K.  W.          ^^H 

deman  demeurer  ;  à  W,  dcmoré. 

dob  m.,  iiard,  monnaie  de  peu  de          ^^H 

dimafL,  libellule. 

^^H 

dmaaië  [so]  s'abîmer,  se  détruire, 

dôbô  (et  lo)  ou  dàbô  (et  h)  être  le         ^^H 

tomber  en  ruines. 

jouet,  le  dindon  de  la  farce,  la         ^^^| 

dmi  sèrjâ  m.,   espèce   de   poire 

dupe  \kV/.  étlo  dâhvL.                       ^^H 

^H         icorrupûon  du  mot  MessireJeanj. 

dobofc  \Vân  a]  il  en  est  rempli,            ^^^| 

^~       dipitie  enlaidir. 

taché.                                     ^^^1 

1           dtpmrtnc  grogner. 

dôdô  ancien  caraco  de  femme                 ^^H 

1           dtpônïné  [so]  se  démener. 

dolaf  L  plur.,  maladie  de  foie  des         ^^H 

^^       dtpusîây^  f.,   volée  de  coups  ide 

moutons  causée  par   de  petits         ^^H 

^B          bâton,  etc.),  rossée. 

^^^1 

^^H               2q6                                                             ROLLAND                                                         ^"^ 

^^H          dôkf  ty  choucas,  oiseau. 

rencontre  dans  la  rue  ;   arrêter 

^^^1          domthh  domestique  ladjectifu 

quelqu*un  dans  la  rue  pour  lui 

^^H          dota  craint;  part,  passé  du  verbe 

causer.  Le  verbe  égak  est  transi-    | 

^^H 

tif. 

^^H          drïju  vis-à-vis,  à  côté  ;  à  W.  drojû . 

cgûy'  f,,  aiguille,  W.  ;  à  L.  éguy\ 

^^H          drcYô  Via  par  ci  par  là,  à  droite  et 

ehhtotii  m.,  embarras,  gêne,  obs- 

^^H             à  gauche,  çà  et  là. 

tacle. 

^^^H          droya  m.,  qui  est  à  moitié  gras,  qui 

chi  m.,  essieu  ;  à  W,  èchi. 

^^H             commence  à  engraisser  ;  au  fémi* 

chietn  m.,    banc    pour    s'asseoir, 

^^^H              Tiin»  droyaî'  ;  à  W.  drôyo  m,  et 

siège,  à  W.  csictu. 

^^H 

èiioyt'  mal  habillé  ;  à  W.  ihoyé. 

^^H         dsâgonâ,  dsâgolâ  ensanglanté. 

èlédi  étourdi,  assommé ^                ^H 

^^H          Diidné  Dieudonnéf  prénom. 

èpayQ  m*,  appui;  à  W.  cpoyo  m. 

^^H          duhiô  m.,  durillon. 

mvaf  à  souhait,  très-bien,  juste, 

^^H          ^um  ouvrir,   ouvert,    L.  ;   à  W, 

suffisamment,  plus  qu*il  n*en  faut. 

^^^1 

Peut-être  faut-il  onhographier  r 

^^H         duya  m.,  endroit  resté  non  labouré 

rèvat'  ? 

^^H             par  suite  de  maladresse. 

hozu  m.,  arrosoir. 

^^H          duziem  deuxième.  R.,  L..  W. 

Ersàsiô  f.,    fête   de   l'Ascension. 

^^^1         dzo  dessous  jadvj. 

Prov.  agricole  :  ca  î  pi'é  lo  jo  de 

PErsàm  ~-  U  bie  déclin'  jûsc'  e 

^^^B 

il'  mohô  ;  c.-à-d,  quand  il  pleut 

^        ébà  (tnh  an]  tenir  en  arrêt,  obser- 

le  jour  de  l'Ascension ,  les  blés 

^^H            ver^  guetter. 

déclinent  jwsqu'à  la  moisson. 

^^H         ébasic  (s')  è  cèci'c   s'adresser  à 

èscali-  m.,  ancienne  pièce  de   la 

^^H              quelqu'un. 

valeur  de  sept  sous    et  demi. 

^^H         éc  aigre,  R.  L. 

C'était  autrefois  le  prix   d'une 

^^H         èchèvat*  f.^  écheveau  de  fil. 

messe  dans  le  pays  messin. 

^^H          èchîé  pbhé  dà  l^sk  acheter  de  con- 

csdm  \s')  s'esquiver;  à  W.  fh- 

^^H             fiance,  acheter  chat  en  poche. 

clivé. 

^^H         èchtomcce  (s),  s^aftliger. 

Hdà  aliéranti  qui  donne  soif. 

^^H         àolé  attacher  la  vigne  aux  échalas 

htac  m.|  finesse  dans  l'esprit,  in- 

^^^^           avec  de  la  paille,  W. 

telligence. 

^^^H   ccUl  L,  école.  R.  W.  ;  à  L.  àoL 

htrcjàV  f.,  accident,  événement. 

^^^^H  écnrô  m,  écureuil,  L. 

ètac  m.,  étau,  R,  ;  à  W.  ctoc.       ^^ 

^^^V        èdrasu  adroit. 

éiièné,  écurie,  éclairer.               ^H 

^^H         ifoni  épuisé^  qui  n'a  plus  de  sang 

étôp  f.,  écurie.                            ^H 

^^H             dans  les  veines,  qui  n*a  plus  que 

éttij  étranger,  L,                         ^^H 

^^H            le  souffle. 

èvaltoru  étourdi. 

^^H         ^gàgic,  gâgic  répandre,  ébruiter  les 

éyiô,  éra  avec,  L,  ;  à  Vigny  et  autres 

^^H 

lieux  èvié. 

^^H         égale  faire  accueil  à  quelqu'un,  lui 

hozic  ne  pas  tutoyer   quelqu'un. 

^^H            faire  fête,  le  flatter  ;  adresser  de 

dire  «  vous  »  à  quelqu'un. 

^^H^           bonnes  paroles  à  quelqu^un  qu^on 

t  V  d'ègiès  m.,  cor  aux  pieds. 

■ 

^^^^^^^^^^^B                                                                         I 

.  .  1 

^^^r                                  VOCABULAIRE   DU 

PATOtS  MESSIN                                  307               ^^H 

ifûl^  cornent,  à  son  aise. 

jiat*  f ,  confiance.                                     ^^| 

èyô(t  [bèyè}  donner  en  location  un 

^^c/i'm..fiel  W.                                      ^^1 

animal  en  s'en  réservant  la  moi- 

fthaf f.,  eau  amère  qui  vient  dans           ^^H 

tié    comme   paiement.    On   dit 

la  bouche.                                           ^^H 

aussi  ;  bèy'é  èyat^  bèyè  è  ôrf,  bèyé 

fuhh  acide,  aigre,                                    ^^H 

è  aâd. 

fxôm,,  quolibet,  mot  piquant, lardon.            ^^H 

È 

fi^s*  eut  ô  sla  f.,  bouse  de  vache,           ^^H 
terme  de  plaisanterie.                           ^^H 

JUô  m,,  petit  morceau   de  bois 

fié  m  m.,  fil  retors  imot  employé           ^^H 

fendu. 

à  Thimonviliei  ;  à  W.  fé  rtu.                 ^^H 

lâfâ  François^  prénom. 

fléflà  m,,   celui   qui  flcfcl* ;   voy^           ^^H 

J^àfè  id. 

fltflt.                                                   ^H 

yai' f.,  boucle  de  cheveux  recou- 

fl'éfle parler  très-vite,  bredouiller.              ^^H 

vrant  le  haut  de  roreille. 

Fhp  Philippe,  prénom.                               ^^H 

Jkhé  planter  des  échalas  dans  la 

flou  f.,  conte,  histoire^  L.                          ^^H 

vigne,  W. 

fùchné  fâcher.                                           ^^M 

/ihaf  t,  maillot  d'un  enfant;   à 

fohâs'  f.,  vigueur,  santé.                           ^^H 

W.  fèdwt\ 

/o//.ir*  f.,  fourchette;  perce-oreille,           ^^H 

F        fthh  à  moitié  sec,  sec  et  mauvais, 

^^H 

^B        qui  a  mauvais  goût^  farineux. 

folilî  f.,   ciseaux  pour  tondre   les          ^^H 

^        fade;àW./rt/L 

moutons.                                           ^^H 

fricAôm.,brind'herbe,tiged'herbe. 

fôhh  îô  chlr  f. ,  ciseaux  pour  tondre          ^^H 

/*iU'f.,  fileuse. 

les  chaises,   chose  qui  n'existe          ^^H 

jiRô  m.,  dent  dune  fourche. 

pas.  Envoyer  quelqu'un  de  mai-           ^^H 

firéy'  f.,  trou  que  fait  un  cochon 

son  en  maison  chercher  \2fohh  tô          ^^H 

dans  un    champ;   champ    mai- 

chlr  est  une   farce  semblable  à           ^^H 

propre  ;  ouvrage  mal  fait. 

celle  du  poisson  d'avril.                        ^^H 

firfoyà  m.,  individu  qui  parle  trop 

fohiipèru,  forckù  p<ru  m.,  espèce           ^^H 

vite,  qui  bredouille  ;  individu  qui 

de  maladie  que  Ton  guérit  par          ^^H 

est  trop  pressé  dans  son  ouvrage. 

des  formules  cabalistiques.                   ^^H 

féria  ra,,  gâcheux;   mauvais  ou- 

folnàhh f.,  sottise,  folie.                            ^^H 

vrier;  au  (ém.faiàt\ 

fônaf  t,  petite  fourche.                          ^^H 

fifk  fouiller  ;  faire  du  mauvais  tra- 

forlr f.,  tournaille  de  champ,  bout          ^^H 

vail. 

de  champ  qu'on   est   obligé  de          ^^^| 

fi^df  t,  trou  du  cochon  dans  les 

cultiver  d'une  certaine  manière          ^^^| 

champs* 

parce  que  la  charrue  ne  peut  pas          ^^H 

iitnàhh  m.,  zèle,   empressement, 

^^H 

précipitation. 

fràdof  L,  guenille.                                  ^^H 

fln'naf  f.,  petite  pioche. 

Jrahi'  m.,  scorie.                                    ^^^| 

ihaf  f.,  fève  des  marais,  fèverolle. 

frayô  m.,   écorchure    aux    fesses          ^^H 

jivàV  f„    véronique   beccabunga, 

causée  par  le  frottement,  par  la          ^^H 

plante. 

marche  ;  à  W.  froyô,                          ^^H 

Jîm.,fiL 

jrigié  farfouiller,  se  servir  du  frègiô,          ^^H 

k  m.,  nœud  (de  ruban,  etc.). 

^^M 

^^^^^H 

^^H       208                                                                 ^^ 

^^^1          f^ig^ô  m,  y  fourgon  pour  attiser  le 

ganofià  m.,  gourmand,  grand  man- 

^^H             feu,  pour  retourner  les  fagots 

geur. 

^^H              dans  le  four,  W. 

gas'  [gTQi]  f.,goîire. 

^^^1          fr'émiur  f,,  fourmilière. 

gay*s  f.,  chèvre;  chevalet  à  scier 

^^^1          fr'csnc  se  dit  d'une  béte  qui  ne  reste 

le  bois. 

^^^H              pas  en  repos,  d'un  cheval  inquiet 

gthô  [fd]  m.,  trachée  artère. 

^^H  *             qui  souffle. 

^i*r/i^je  s'amuser,  faire  de  la  dé- 

^^^L         frésnûr  t  ^  résidus  de  paille ,  de  bois , 

pense. 

^^H 

gefmaf  f.,  coureuse,  fille  qui  fré- 

^^^1         fntim.,  garde-champêtre,  L.  R. 

quente  les  garçons. 

^^^H          frihu  m.,  aiguisoir  des  cordonniers, 

gefté  m,,  étui  à  épingles;   à   W. 

^^H              des  bouchers. 

gèy*îé. 

^^^1          frijalé  scutpter. 

giatUf  dîatu  humide.                   ^^Ê 
gi-chla  m.,  guichet,  R.  L.        ^BB 

^^H         fris'  (de  fè  chàj  t,  de  la  viande 

^^^B 

gin  t,  bouloir,  perche  à  battre 

^^^1          frisîur  f,,  petit  restant,  poussière. 

l'eau. 

^^^1             objet  dont  il  ne  reste  qu'une 

g0  difficile    pour   la   nourriture. 

^^H             poussière. 

friand. 

^^^H          fromrô  m, ,  fumier,  L.  ;  à  W.  fomrô. 

gibdaî\  giodinif  f . ,  narcisse,  plante. 

^^^m         frovic  avoir  peur. 

Giîên*  Marguerite,  prénom. 

^^^B         friîlhhô  {auo  îé]  avoir  les  frissons. 

Giîôii. 

^^^H          fuérUz  f,,  mercuriale,  plante. 

0yé  glisser  sur  la  glace.  Mot  usité 

^^^H         fiifi  îrô  m.,  bousier,  insecte. 

à  Metz. 

^^^1          fiind  m.,  bout  du  groin  du  cochon. 

glisi  à  cén  glisser  accroupi  sur  les 

^^^H         /ili'  que  cela  soit  ;  soit  ;  d'accord, 

talons,  L. 

^^H 

gdchi  gaucher. 

gôdrô  m.,  goudron. 

^^H                     G  (=GU  partout). 

gôdrô,   bona  è   gddrô  m.,   ancien 

^^H         gàbardé  plaisanter,  rire. 

bonnet  de  femmes. 

^^H         gâboyàt'  f. ,  coureuse,  fdie  de  mau- 

gogà  m.,  individu  endiablé,  d^allure 

^^^1 

très-décidée,  mauvais  sujet. 

^^^B          gâboye  aller  de  côté    et   d'autre. 

gorje   ou  gohit   m.,    embouchure 

^^^B             secouer,  ballotter. 

d'une  rivière,  d'un  ruisseau. 

^^^B         gàchuye  gâter. 

gôrmaf  f. ,  cordon  des  bonnets  de 

^^^1         gadà  m.,  timbale  en  fer  blanc  avec 

femme    qui    s'attache    sous  le 

^^^1             une 

menton.  —  Glande  que  les  mou- 

^^^1         gaj*  r,  fille  (mot  usité  à  Marangel. 

tons  ont  sous  le  cou. 

^^^1          g^^*  f^  grande  perche^  gaule. 

gosa  m,,  coin  qui  sert  à  élargir  un 

^^^1         galaf  m . ,  gourmand . 

sac. 

^^^H         galich    r,    vieux    soulier,    vieille 

gùV  [de  le]  f.,  du  saindoux.          ^_ 

^^^H             chaussure. 

goV  {è  no)  dans  l'obscurité.          W^Ê 

^^^B         galic  donner  des  coups  de  gaule, 

gôyu  m.,  individu  mal  mis  ;  mauva^^ 

^^^1 

ouvrier  ;  rôdeur,  maraudeur.          1 

^^H^        gatmirô  m„  gamin,  polisson. 

grâ  îâ  époque  du  carnaval               1 

^^^^^HP^             VOCABULAIRE   Dl 

J    PATOIS  MESSIN                                   209                ^^^| 

gîà  \k]  OU  lo  grà  vala  m.,  le  pre- 

plumes  ou  des  herbes.                            ^^H 

1           micr  valet  de  ferme. 

hadrèy^  f.,  fatigue.                                        ^^H 

^ràhu  grincer  (se  dit  d'tine  porte. 

hailh  auo  dô)  avoir  du  mal.                         ^^H 

'           d'une  voilure  qui  criei. 

haie  raconter,  dire.                                  '    ^^^H 

grauye  retourner  lun  tison,  etc.); 

hdlii  m.,  espèce  de  .grenier^  R.  L.               ^^H 

1          déboucher  (une  bouteille). 

hûlao  Lorsque  les  garçons  et  les             ^^H 

irauyôf  gToyô  m.,  morceau  de  bois 

filles  se  trouvent  réunis  dans  les             ^^H 

d'une   certaine  grandeur    pour 

champs  pour  un  travail  agricole             ^^H 

remuer  le  bois  dans  le  four. 

quelconque,   ils  se   divertissent            ^^H 

fâ}'  f.  raie  dans  les  cheveux. 

quelquefois  de  la  manière  sui-             ^^H 

fi  é'iè  jàb  [lo]  m.,  Tos  de  la  jambe. 

vame  :  ils  saisissent  brusquement             ^^H 

^nhhlâ  m.,  cochon  en  graisse. 

Tun  d'entre  eux  désigné  d'avance,             ^^H 

gnnak  frissonner. 

par  les  pieds  et  par  la  tête ,  le             ^^H 

irèviV  L^  cravate. 

lèvent  en  Pair,  et  tandis  qu*il  se             ^^H 

gri-fL,  griffe. 

débat,  toute  la  bande  passe  par-             ^^H 

1        gri-^fne  griffer. 

dessous.  C'est  ce  qui  s'appelle             ^^H 

gri-fnès*  f.,  égratignure,  coup  de 

haluo  quelqu'un.  Les  garçons  ont             ^^H 

griffe. 

l'habitude  de  haluo  les  filles,  et             ^^H 

j        ffîgjini  dé  dâ  grincer  des  dents. 

les  fdles  les  garçons  quand  elles            ^^H 

^fj"  f  ,  grange. 

sont  en  nombre.                                     ^^^| 

pipa  m  ,  petiie  montée,  petite  côte 

hàmâf  f.,  se  dit  d'une  femme  qui             ^^H 

ji  monter. 

se  plaint  toujours.                                  ^^M 

gripc  grimper. 

karhuU  [so]  se  disputer.                            ^^H 

iâpld  m^f  grimpereau,  oiseau. 

haric  vexer,    tourmenter,   provo-             ^^H 

gripoyây*  \J€îé  è  It']  jeter  à  la  volée. 

^^H 

g^^  m.,  écuelle  en  bois,  W. 

harof  f.,  rosse,  mauvais  cheval,  L.             ^^H 

fff^là'^grôlàf  grondeur,  grondeuse. 

harla,  fierîà  m.,  retardataire,  cuki-             ^^H 

iromblr  f. ,  pomme  de  terre,  L.  ;  à 

vateur  qui  est  toujours  en  retard             ^^H 

Bacourt,  truf;  à  Plénois,  grdiîr; 

pour  ses  récoltes.                                  ^^^H 

à  Saiiiny  gôbJr, 

haué  m^  grosse  pioche.                              ^^H 

gûrt   f.,   espèce  de  plante  qu^on 

hâf  dnè   Mrôu  f.,   Qèche  de  la             ^^Ê 

niange  en  salade. 

charrue.                                                ^^H 

Sftrim.,  grande  pierre  ronde. 

hayaf  f,  chariot  flamand  ,  meuble             ^^H 

,        $iiri£  {lo;  se  rouler  dans  un  pré,  se 

monté  sur  des  roues  destiné  à             ^^H 

coucher  sur  Therbe  ;  se  vautrer. 

apprendre  à  marcher  aux  enfants.             ^^H 

pnès'  f.,  trace  laissée  sur  Therbe 

hazi  qui  branle»  qui  boche^qui  bal-            ^^H 

quand  on  s'est  roulé  ou  couché 

^^H 

dessus 

haiic  agiter,  secouer,  remuer.                     ^^M 

hc  [pé]  par  ici.                                             ^^H 

H  (^  H  aspirée). 

hè  m,,  pas,  enjambée,  L.                            ^^H 

hat,  lien. 

hidlé  \i  nie]  m.,  un  œuf  sans  co-             ^^H 

hiu  {auo  dô\  avoir  du  maL 

^^H 

A*ic  m.,  pioche  à  deux  dents. 

hèhitr  {â)  en  mauvais  état,  négligé.             ^^H 

hâdiaf  f.,  petit  balai  fait  avec  des 

fhjrô  m. ,  boUe  où  l'on  loge  le  pain.             ^^H 

Romania,  V 

2tO 


E.    ROLLAND 


hcla  m.,  mulet. 

bèlay'  ï.,  bousculade. 

kelc  bousculer. 

lièlot^  f.,  coiffure  des  femmes.  Mot 

ushé  à  Châté  Saint-Germain, 
licme  avertir  quelqu'un  secrètement 

au  moyen  de  l'inierjeciion  htm  ! 

hm  ! 
hinàhh  m,,  tapage. 
hinày*  f,,  hennissement, 
hené  hennir, 
hènè  m.,  linge  qui  sert  à  presser 

les  fromages. 
hipé  arpenter,  mesurer  au  pas,  faire 

un  pas. 
hèrcde  qui  est  toujours   en   retard 

pour    son     ouvrage ,    mauvais 

ouvrier. 
hèrèn,  htrcn  f,,  dispute. 
hèrpctè  faire  du  mauvais  ouvrage, 

travailler  avec  un  mauvais  outil 

ou  avec  mauvaise  volonté, 
lîèrpi^c  herser. 
hcrsii  f-,  paille  que  l'on  coupe  pour 

donner  à  manger  aux  bestiaux. 
WrUj    hèrUz    monstrueux,    mons- 
trueuse. 

Val  t  cô  hèru,  voilà  un  coup 

magnifique,  extraordinaire. 
héîèn*  f.,  haine,  entêtement. 
hétii  m.,  pièce  de  ferd^une  voiture. 
hivày*  f.,  brassée  \de  bois,  exe,], 
hty*  !  hry^t  ou  hoy  J  hoy  !  cris  pour 

faire  avancer  les  vaches. 
hiy*   [en*]  f.,  un  instant,  un  clin 

d'œil,  un  moment. 
héya  !    héya  !   héyabà  '    cris   pour 

appeler  les  brebis. 
hine  réprimander,  gourmander;  à 

W,  hiné, 
hô  (Jàrlo)  faire  le  glorieux,  le  hau- 
tain. 
hô  piàtï  m,  plantain, 
hd  va  m.,  asthme. 


I 


I 


fMm  (/  n^  pit  pii)  il  ne  peut  plus 
se  mouvoir,  il  est  malade,  mal  à 
son  aise. 

tionèy*  f..  vieille  harde,  vieux  vêle- 
ment, guenille. 

liopa  m,,  poignée  (de  foin,  etc.). 

hop'é  {so)  se  formaliser,  se  fâcher, 

kôsi,  hosic  exciter  (par  ex.  un  chien 
contre  quelqu'un)  à  L.  ;  à  W,       M 
hasié,  à  R.  hi-sït,  ■ 

hof  davà  ou  kokm  davà  mot  adressé 
à  un  cheval  à  ta  charrue  pour  le 
faire  tourner  à  droite.  L. 

houle  piocher.  W. 

hôyà  m.,  personne  qu'on  est  tou- 
jours obligé  d'appeler,  qui  se 
fait  attendre. 

hûiày*  f,  hurlement- 

hûlc  grogner,  hurler,  crier.  Oa  dit 
prov.  5*  n'a  m  le  vhh  ce  h  ai  lé 
pu  ce  hèy^  h  pu  d*idsé  c.  -à-d.  ce 
n'est  pas  la  vache  qui  beugle  le 
plus  qui  donne  le  plus  de  lait. 

hiis'  f.,  bouderie,  fâcherie,  mau- 
vaise mine. 


HH  =  H  très-aspirée. 
hhabû  m.,  tour  à  filer. 
khal  f.,  ampoule,  tumeur. 
hhalaf  f.,  petite  échelle  de  voiture. 
hhabti  m.,  noyer,  arbre. 
lihdli  m.,  haleine;  à  W.  choit, 
hhalmà  m.,  trèfle  ou  luzerne  qu'on 

donne  en  vert  aux  bestiaux. 
hhainè  respirer,  flairer, 
hhaiuat'  f.,   copeau  fait  avec    le 

rabot;  à  W.  choluot*, 
hhây*  priin-  m.,  homme  qui,  sous 

prétexte  d'acheter,  goûte  à  tout 

et  n'achète  pas. 
hhàycy*  (l'a  mu)  se  dit  d'une  femme 

qui  a  perdu  sa  fraîcheur  de  jeune 

fille  par  suite  du  mariage. 
hhikt*  t ,  ensemble  des  poutres  du 


^P                                         VOCABULAIRE   Dl 

PATOIS   MESSIN                                  2ft                   ^^^M 

plafond  servant  chez  les  paysans 

^^M 

à  suspendre  le  lard,  le  jambon, 

i  un   (article  indéterminé)  devant               ^^H 

ctc 

une  consonne  ;  on  dit  m'  devant               ^^H 

hhèmém.y  entame,  trou  commencé 

une  voyelle.  Ex.  i  tù^  un  tour^               ^^H 

^r  ex.  dans  un  tas  de  foin). 

//z'  om,  un  homme.                                   ^^^| 

hkin  f.,   éclat   de    bois    (dans   la 

i*c,  i-g  m.,  ongle.                                     ^^H 

main)  ;  épine  (dans  le  pied,  etc.)  ; 

i-giat  f.,  griiïe  des  oiseaux.                        ^^H 

â  W.  cliin. 

^^^H 

hhmây'  f.,  échine. 

^^^H 

hhtnê  donner  des  éclats  (se  dit  du 

jàbuié  chanceler,  vaciller  sur  ses              ^^H 

1          bois  dont  des  morceaux  se  déta- 

jambes.                                                   ^^H 

chent]. 

jâhuîë  enjamber  (mot  usité  à  Villers-               ^^H 

hhèp  f.,  courroie   qui  attache   le 

aux-Oies).                                                ^^H 

manche  et  le  bout  du  fléau  ;  à 

jac  {de  U]  bonne  foi,  honnêteté,  i               ^^M 

W.  chcp. 

à  é  de  le  jac  à  U  =  on   peut                 ^^H 

hhipi  échapper. 

avoir  confiance  en  lui.  (Exprès-               ^^H 

hhipiâ  m.,  ciseau  de  charpentier  ; 

sion  usitée  à  Soigne]  *                              ^^^ 

à  W.  chèpio. 

jacc  tarder,  rester  en  place.                         ^^H 

hhabùr  T,  ramassis  de  petit  bois, 

Jâca  Jacques,  prénom.                                 ^^H 

de  petites  choses  combustibles 

[ûla  m.,  petit  jd^  c-àni.  petit  pot.                ^^H 

que  l'on  prend  à  poignée. 

Voyez  au  mot  je,                                     ^^H 

hkèn  (sa)  se  tromper. 

jano/ri  giroflée  ;  à  L.  jirôfté.                         ^^H 

hhcriis*  f.,  déchirure. 

jaya,  jayuz  joyeux,  joyeuse.                         ^^H 

hh*nô  m. ,  boite  où  l'on  met  égoutter 

jazé  m.,  gésier.                                            ^^H 

les  fromages;  à  W.  chnô. 

jhblr  f.,  fenêtre  du   grenier   par                ^^M 

hho  m.,  planche  de  rebut;  première 

laquelle  on  rentre  les  denrées.                   ^^| 

planche  d'un  arbre  qu'on  scie  en 

jcrnlr  f.,  poulailler^  L.                                   ^^H 

long. 

fit  juste  (adv.j,   cape  jtt  couper               ^^H 

fihdba  m,,  banc  à  secouer  le  bit*. 

^^H 

hho  m,,  paille  pour  lier. 

jèvé  m.,  javelle.                                              ^^H 

hhôdc  émécher  (un  tonneau). 

jèyà  {fàj  de)  jeter  des  cris^  faire              ^^H 

hhodé  m.,  tartre  en  général. 

des  héias.                                                ^^H 

hhddmâ  m.,  action  d'émécher  un 

ji-gèt  f.,  chose  de  peu  de  valeur.               ^^H 

tonneau. 

/ô  m.,  pot  en  terre  cuite  avec  anse              ^^H 

làôn  ou  hlion  f.^  graisse  de  porc 

et   goulot  dont   on  se    servait              ^^H 

avant  qu-elle  soit  cuite  pour  faire 

autrefois  pour    porter    à   boire               ^^H 

le  saindoux  \lè  go/'|. 

dans  les  champs.  On  buvait  à              ^^H 

hhôîH  regarder  de  côté,  guetter, 

même  au  goulot.                                      ^^H 

observer,  espionner. 

jôdi'  m.,  coq-dinde.                                  ^^H 

hiwpu  m.,  individu  mal  habillé,  mi- 

jôbic  badiner,                                          ^^^^H 

sérable»  individu  taré. 

jdg^naf  î,,  espèce  de  champignon        ^^^^H 

khorie  chatouiller. 

entièrement  jaune.                             ^^^^H 

hhot*  {puer  d'q  f.  poire  de  certeau. 

Jôha  Georges,  prénom.                                 ^^H 

hhmm,  banc  à  lessiver. 

jr^y*  f.,  érable  champêtre.  L.                      ^^H 

^^^^1                212                                                                                                                                        ^^^^ 

^^^H          juif  ras*  f  « ,  bonnet  de  nuit  de  femme. 

linèî  f.  plur.  Maladie  particulière 

aux  volailles. 

^^^H 

Unit  {mat  dé)  è  i  phhé  passer  dans 

^^H           kbém.,Ahé. 

le  nez  d'un  cochon  un  fil  de  fer 

^^^^r           lâbUz  f.,  femme  malpropre. 

pour  Tempêcher  de  fouiller  dans 

^^^H             tacha  m.  friandise,  chose  à  lécher 

une  écurie.                                   ^ 

^^^^H                {lachi).  On  dit  prov.  jèma  chct* 

litiàf  t ,  ponée  de  cochons.             H 

^^^H                c^c  chèsô  —  n'(  buî  lachô^  c.-à- 

lô  {de)  à  la  longue.  On  dit  prov.    ^ 

^^^H                d.  qu'une  chatte  qui  a  des  petits 

piat  chchh  pez  de  lô,  petite  charge        1 

^^^^H              leur  laisse  tout  ce  qu'il  y  a  de  bon. 

pèse  à  la  longue.                          ^À 

^^^^H           làdur  î,,  injure  grossière. 

lôb  m.,  ombre.  So  mat  5  lôb,  se  ^M 

^^^^B          làhh  m.,  lierre  terrestre,  plante. 

mettre  à  Pombre.                         H 

^^^^H          lahh  de  chcr'ôii  f,.  bande  déterre 

lochîic  {in'  a  m]  il  n'est  pas  à  son    ^ 

^^^^H              retournée  par  le  versoir  de  la 

aise,  il  n'est  pas  bien  portant,           J 

^^^^B 

lôji"  lambin,  lent.                           ^M 

^^^^B           khh  dé  pi  {.,  tranche  de  pain  qu'on 

lôju  f.,  longueur.  R.  L.                   ^M 

^^^^H               met  dans  la  soupe. 

lônà  m.,  sournois,  qui  regarde  de  H 

^^^^B           lànas'  f.,  instrument  en  fer  pour 

côté.                                          ■ 

^^^^B               retirer  les  seaux  tombés  dans  les 

lot,  ici  lourd,  lourde.                       ^Ê 

^^^^H 

iôzèn*  f.j  bois  qui  relie  deux  essieux       ] 

^^^^H           lard'  m.,  lard.  On  dit  d'un  homme 

ensemble.                                    ^À 

^^^^H               insatiable  :  torto  ii  côvii  jiisc  è 

lu  tui.  L.                                         H 

^^^^H                   côhh  de  lard! 

lûr  f.,  purin.  On  dit  aussi  Mu         ^| 

^^^^M          las'   (masculin   et    féminin),    las, 

Imè,  lisie  m.,  huissier.             ^^^^M 

^^^H 

lié  m.,  espèce  d^herbe.             ^^^H 

^^^^H          Idiuàr  m,,   confiture    épaisse    de 

^^^M 

^^^^H              campagne  faite  avec  des  prunes, 

^^H 

^^^^1              des  poires,  etc.,  raisiné,  mar- 

macarô  m.,  tubercule  de  la  gesse        ] 

^^^^H 

tubéreuse.  L.                               ^J 

^^^^H           le  sii      ceux  qui,  L. 

mâch  f.,  trou  d'eau,  mare.  W.    ^^^B 

^^^^H           Ucsis  Alexis,  prénom. 

maciô  m.,  flocon  de  laine.          ^^^| 

^^^^H           lemchâ  m.,  mèche  de  lampe. 

Madlich  Madeleine,  prénom.      '^^^| 

^^^^H          Imîr  f.f  lampe. 

madu  f.,  amadou.                      ^^^| 

^^^^H          lés'  {i  p'é\  un  sale  individu,  un  être 

mahmf  f.,  mercerie.                  ^^i 

^^^^1              dégoûtant,  insatiable. 

muhlr  f.,  terrain  non  bâti  dans  un 

^^^H          lèf  l,  petit  pont  en  planches. 

village,  chènevière  entourée  de 

^^^^H           liyô  Léon,  prénom. 

fascines.                                      ^d 

^^^H          ihlté,  Vhhè  de  fi  m.,  rouleau  de  fil, 

mdhu,    mdhè    m.,    flaque    d'eau,    H 

^^^^1               pelote  de  fit. 

mare.                                           ^| 

^^^H          M  bai  se  dit  d'un  cheval  de  cette 

màhûV  f.,  femme  mal  mise^  mal   ^| 

^^^^H              couleur). 

faite^  méchante.                           H 

^^^^B          ii-c  m.,  lin,  plante. 

malàf  f . ,  pain  fait  d'un  mélange  de    ^ 

^^^^1          iinàs'  {mat  ()  ne  rien  laisser,  faire 

blé,  de  seigle,  d'orge,  etc,                 J 

^^^^1 

i 

^                                             VOCABULAIRE   OU   PATOIS   MESSIN                                  21?                 ^^^| 

mûièdm  maladif. 

je  le  ntni-  ^è  te  Sî  JâJ'à            ^^H 

malt'  malày*  pèle-mèJe  (adverbe). 

^^1 

mimich  f-,  grand'mère,  L.  ;  à  W. 

Ce  qui  veut  dire  qu'à  la  Saint-            ^^^M 

màmi. 

Michel  on  ne  maâd  plus,  qu'à            ^^^| 

màpuol  ro. ,  individu  qui  fait  le  fan- 

la Saint-Remi,  on  le  regrette,  et            ^^^| 

faron,  l'entendu. 

qu'à  la  Saint-Jean^   on  recom-            ^^^^ 

mat  àjni  (so\  se  mettre  à  genoux. 

mence  à  mèrandé.                                  ^^^H 

rail  de  ba  f.,  menthe  de  crapaud, 

mcrgoy'  f,^  femme  laide,  difforme,            ^^^H 

menthe  de  ruisseau. 

bavarde.  (Injure.)                                  ^^^| 

math  m,,  morceau  de  bois  qui  sert 

M  mon'  Marion,  prénom.                           ^^^| 

à  tendre  les  pièges  appelés  sau- 

mcriijich f.,  décor,  ornement.                       ^^^| 

terelles  ou  rejets. 

mis*  f.t   tas  de   bois   qu'on   met              ^^^| 

màtridâ  m.,  làtuàr  cuit  à  moitié. 

devant  les  maisons.                                 ^^H 

Voyez  au  mol  laimr. 

mesa  m.,  recoin,  cachette.                          ^^H 

mchê  (aao)  aimer  mieux;   on   dit 

mèsèl  f.,  tas  de  bois  que  Ton  met             ^^^| 

prov,  l-c  mchc  po  so  grô  —  ce 

devant  les  maisons.                                 ^^^H 

po  so  nalâ^  c.-à-d,  il  aime  mieux 

mesie  [so]  se  coucher.                                 ^^^^ 

(dépenser!     pour    manger    que 

mésié  {ji  li  an  d)  je  lui  en  ai  dit            ^^^H 

pour  danser. 

(des  sottises)  ;  je  ]*ai  grondé,  je            ^^^| 

mi  point  de  départ  au  jeu,  limite 

l'ai  secoué  d'importance.                        ^^^H 

qu'on  ne  peut  dépasser  quand  on 

On  dit  dans  le  même  sens  :  je            ^^^| 

joue. 

/(  an  a  mësccyé.                                    ^^^| 

méc  maigre.  R,  L, 

méy'  {maî  ô  vit)  mettre  au  rebut.                ^^H 

mcchaf  f.,  ce  qui  reste  de   pâte 

méya  m.,  bois  qui  sert  à  décrotter            ^^^M 

quand  Ton  cuit  au  four;  on  fait 

une  charrue,                                          ^^^H 

une  petite  miche  que  l'on  cuit 

mczale  broyer,  abîmer,  exterminer.             ^^^| 

telle  quelle  pour  les  enfants. 

mezare  trouver  le  temps  long.                     ^^^H 

médit  suppurer. 

meziir  f. ,  toute  espèce  de  corbeille.             ^^^| 

mehîm,^  chancre,  ulcère. 

mia  m.f  boulie.                                          ^^^H 

mehhniât*  qui   se   plaint,    qui    se 

miau  (Jram  îè)  tais-toi,  ferme   ta            ^^^| 

lamente  toujours   (se  dit  d'une 

^^^1 

femméi. 

mïck  m.,  manche  d'outil.                          ^^^H 

mm*  f, ,  manche  d'une  charrue. 

mkhaf  f,,  manche  d'habit.                         ^^^H 

mefUchm.,  ménage.  L. 

miî\lo]  le  mien.  Au  fém.  le  mil  h            ^^^H 

menhî  m-,  menuisier;  à  L.  monhi. 

^^^1 

mtmafi.t  œillet,  plante. 

mîj*  pt  m.  carabe  doré  (P).                         ^^H 

minie    m. ,    rétameur   ambulant , 

Mina  Dominique^  prénom.                          ^^^| 

Minic,  Nie,  id.                                            ^^^| 

mcniô  m,,  manche  d'outil. 

Minor  id.                                                     ^^^H 

menaa,  mlnuaf  petit,  petite  ;  mince. 

miôi'   miel    (mot    usité  à  Suisse            ^^^Ê 

mèràd'  f.,  goûter  que  l*on  fait  à 

^^H 

quatre  heures;  on  dit  :  t  le  Si 

mitèn  f.,  manche  de  fléau.                           ^^^H 

Michel  (29  sept.),  le  mèrâd  môV 

mizlên^f.,  bure,  tiretaine.                           ^^^Ê 

dsiit,  è  U  SlR€mi{\^'oct)âvôri- 

mjï  m.,   mélange  de  crème,   de            ^^^H 

^^^H       214                                                                      ^^f 

^^^H             fromage  et  d*Œuf$  pour  faire  de 

nâfé  m.,  inseae  noir  (le  carab^J 

^^^H 

JI^H 

^^^H          m'nof  f.,  monnaie.  R.  L. 

nâhâs'  f, ,   panies   génitales  dfl^ 

^^^H          mochu  m. ,  morveux  ;  /  vô  mit  iehu 

juments  et  des  vaches. 

^^^H              Vafâ  mochu  et  dH   raye  h   né. 

nam  n'est-ce  pas?  (quand  on  tutoie 

^^H 

la  personne  à  iaquelle  on  parlei  ; 

^^^H          mochu  m.,  mouchoir;  à  L.  mudm. 

R.  L.  —  mo  à  R.  et  à  L.  = 

^^^M         modrigaf  l ,  boisson  pour  les  porcs . 

n'est-ce  pas,   quand  on  ne   la 

^^^H          mohic  [so]  se  dit  des  chevaux  quî 

tutoie  pas. 

^^^H             chasseni  les  mouches  avec  leurs 

Nand  Anne,  prénom. 

^^^H 

nâîèy'  f,,  lentille.   —  Germe  d*un 

^^^H          mokm  m.,  époussetoîr  en  crin  pour 

œuf. 

^^^H              les  chevaux. 

natië  nettoyer. 

^^^H          mol  m.,  moelle. 

natiûr  f.,  ce  qui  provient  d-un  net- 

^^^H         moia  m. ,  mou  (de  veau,  d'agneau, 

toyage. 

^H 

Naué  Noël,  fête.  On  dit  prov,  : 

^^^H          modaf  r ,  coureuse,  petite  fille  qui 

f  Natié  ô  tard 

^^^H              fréquente  les  garçons. 

è  PiU  su  U  côpo              dj^H 

^^^H           mônàrn  m. ,  farceur^  individu  endta- 

C.-à-d.  que  si  Ton  se  ticnr^^* 

^^^H               blé,  enragé  ;  qui  a  un  aîr  décidé. 

Noël  sur  le  pas  de  la  porte  (s'il 

^^^H           moni'  m,,  femme  sans  souci,  qui 

fait  beau),  à  Pâques  on  se  tiendra 

^^^1              se   laisse   aller,   grosse    femme 

sur  les  tisons  (il  fera  mauvais).       _ 

^^^H 

nayU  f,,  nielle,  plante,  L.                 ■ 

^^^H          môniu  délicat,  difBcile  pour  la  nour- 

naiô  m.,  morve.  L,                           ■ 

^^^H 

nehh  f. ,  rondelle  s'appllquant  à  la     1 

^^^H          mosie  {ij  un  monsieur,  un  hère,  un 

bobine  d'un  tour  à  filer                 1 

^^^H               personnage. 

nirctï.,  narine.                          ^^Ê 

^^^H          m^té  desséché,  fané  (en  parlant  des 

nèviïy'  f.,  colza»  navette,            ^^| 

^^^H 

m  dé  truâî  m.,  grumeau  de  farine 

^^^H          motlaf  (rlr  è  le)  rire  en  dessous. 

insuffisamment    pétrie    qui    se 

^^^H          motras*  f.,  ferme,  métairie. 

trouve  dans  le  pain. 

^^^H          mdyc  panser  (quelqu^un). 

niîrUz  (.,  femme  malpropre. 

^^^H           moine  murmurer. 

nô  nos  'pronom  possessif i.  L. 

^^^H          muiifMf.  «culture mélangée  (d'orge 

nôch  f.,  neige. 

^^^1              et  d'avoine  par  ex.)- 

nohid  m.,  barbouilléj  noir  comme 

^^^H           mûr  Lj  fruit  de  la  ronce. 

un  charbonnier. 

^^^H           murât*  f,  pâte  composée  de  farine 

noji  nager.  L. 

^^^H               délayée  pour  faire  des  crêpes. 

niiày*  f.,  grand  ouragan.             ^^ 

^^^H           mutrày*  f.  taupinière. 

nue  m.,  nc&ud.  L.                    ^^H 

^^^H           màye  mugir. 

niihâtt  m.,  noisetier.                  ^^W 

^^^^^^     muzà  m.,  paresseux. 

nuri  nourrir.  On  dit  prov.  5'  ff'  a    ( 

m  le  cé'f  ce  nur  !*dhiÔ,  ce  n'est 

^^^^ 

pas  la  cage  qui  nourrit  l'oiseau 

^^^■^     nàfé  m . ,  enfer 

!  l'habit  ne  fait  pas  le  moine). 

■ 

....  1 

^^^^                                    VOCABULAIRE   Dl 

J  PATOrS                             ^^^^^^^^^^^H 

mzâ  sti  (i  nH  e)  il  n  y  a  personne 

pahô  m.,  échelon.                                   ^^^| 

à  la  maison. 

pàhh  t  yàhh  tranquille,  content,           ^^H 

^^^1 

0 

pal  m.,  chambre  d'honneur  chez           ^^^| 

àm.,zxU 

les  paysans,  la  belle  chambre;           ^^H 

0È%  ô  jidi- ,  au  jardin;  ô  mèti- , 

^^M 

au  malin.  R,  L. 

paie  pelé,  chauve.                                    ^^H 

ohlaf  r^  femme  imbécile. 

païuhh  f.,  pelure,  écorce.                         ^^H 

obrépi-c  aubépine    (mol    usité    à 

pj/^t  m.,  grand-père.                                 ^^^| 

Villers-aux-Oiesi  ;  à  W.  obrtpèn' 

Pàpuè  François^  prénom.                         ^^H 

féro. 

patchi  m.,  aubépine,  arbuste.                    ^^^Ê 

Wi-  ra.  onde.  L. 

pâtcufi.f  espèce  de  crêpe  faite  sur           ^^^| 

^^'  t,  coccinelle.  W. 

le                                                        ^^^1 

Wkh  i.,  cheville  en  fer  traversant 

pat'c  le  tàf  à  Flocourt,  près  R.,  le           ^^H 

l'essieu  pour  empêcher  la  roue 

jour  de  la  fête  les  pâtureaux  des           ^^^| 

de  tomber. 

villages  voisins    viennent   faire           ^^^| 

Mira  \conahhV\  savoir  s'y  prendre. 

claquer  leurs  fouets  devant  les           ^^^| 

connaître  les  ficelles. 

maisons   pendant  le  repas;   on           ^^^| 

Wi-  [y  chose  ou  personne  ennu- 

leur donne  de  la  tarte.  C'est  ce           ^^^| 

yeuse. 

qu'on  appelle  paie  le  tàt.                       ^^^H 

Mù  m.,  petit  oiseau;  enfant  en 

patras'  f . ,  espèce  de  saule  qui  casse           ^^^| 

bas  âge. 

facilement.                                           ^^^^| 

êhto  â'bon'tiovH  rapporteur, bavard. 

paîriyc  pétiller^  crépiter,  claquer  (se           ^^H 

Uas'L,  sottise,  bêtise,  baliverne, 

dit  d^un  fûueti.                                       ^^H 

sornette,  manie,  lubie. 

paut  avoir  peur.                                        ^^H 

mûàs*  \mo  è\  avoir  quelque  chose 

pdui  m.,  rustre^  paysan.                             ^^H 

en  grande  abondance,  à  ne  plus 

paaiô  m. ,  papillon.                                   ^^^Ê 

savoir  quoi  en  faire. 

payai^  f.,  barre  en  bois  servant  à           ^^^| 

cm;  rf.,  panier  en  paille  dans  lequel 

tenir  en  équilibre  le  timon  d'une           ^^^B 

on  conserve  les  œufs  frais. 

^^^1 

ô$ô  m.,  oison,  petite  oie. 

p^A/if.,  abcès.                                          ^H 

> 

pchhU  rassasié.                                         ^^^| 

pèhhU  m.  ,    mélange  d'avoine  et            ^^^| 

pa  dt  sri  m.,  troglodyte,  oiseau. 

^^H 

pâdihh  L,  partie  d'un  arbre  fruitier 

pchô,  pahô  f.,  portion,                               ^^^H 

qui  se  uouve  au  dessus  du  jardin 

pêl  f.,  poêle  à  frire.  On  dit  d'une           ^^^| 

du  voisin  et  dont  ce  dernier  pro- 

personne qui  tourne  beaucoup  :            ^^^1 

fite;  àW.  pàdich. 

i  ton'   corn  in'  ènô  dà  en"  pcl,  il            ^^^f 

pàdur  f.,  croix  suspendue  à  une 

tourne  comme  un  oignon  dans           ^^^| 

chaîne  ou  à  un  cordon  que  les 

la  poêle.                                                ^^^1 

femmes  portent  au  cou,  en  guise 

pcmkf  f.,  le  jaune  de  Tœuf.                      ^^H 

d'oniement. 

pèn  de  la  m.,  chardon  à  foulon.                  ^^H 

pafkli'   m.,  panade  très-épaisse; 

pénir  sevrer.  R.  L.                                   ^^H 

au  figuré,  femme  saie. 

p^piô  m . ,  pépin .                                        ^^^| 

^^^^       276                                                                                       ^^^^^1 

^^^^        pèixdi  pis  nàfè  jeu  d*enfams. 

piok  beaucoup  travailler.             ^^fl 

^^^H        pcrié  presser  avec  les  doigts. 

pi-sô  (m.  pi)  onglée.                         H 

^^^^^        pcniy*  f.,  purée. 

p'itta  !  piùa  !  c'est  par  ces  cris  qu'on       ■ 

^^^        pcrii  m,,  colle  de  farine  dont  se  ser- 

appelle  les  poulets.                         ^Ê 

^^^B           vent  les  cordonniers,  les  tisse- 

pniric  dégoutter,  suppurer.            ^A^| 

^^^H           rands,  etc. 

plèf  è  repèse  f.,  fer  à  repasser.       ^^H 

^^m             pès*  Lj  pièce,  morceau. 

plûr  pleuvoir.  L.                            ^^^| 

^H              pcf  fîi.,  fringale. 

P'fû  m.,  pot  au  feu.  L.                 ^^H 

^^^^        pitié  y  pèîné  piétiner,  trépigner,  ma  r- 

polûd  collant,  gluant.                    ^^^| 

^^^H           cher  à  petits  pas. 

pohiô  m.»  petit  cochon  de  lait.       ^^H 

^^^^        pit'nat'  f.  paienôtre.  On  dit  d^un 

Pôl  Paul,  prénom.                         ^^H 

^^H                 chat  qui  ronronne  qu'il  dit  ses 

poît  m.,   poulain;  bavure  qui  se       H 

^H                 piî'nat\ 

forme  entre  deux  miches  de  pain       H 

^H             pcyé  écaler  des  noix^  des  noisettes, 

mal  cuites.                                      H 

^H 

pôliô  m,,  dîmeur;  celui  qui  était       H 

^^^^         pha  m.,  balance  appelée  romaine. 

chargé  de  lever  la  dîme,                   H 

^^^P         phè  m.,  écosse  de  fève,  W. 

potîr  f. ,  petite  entrée  d'un  poulailler       H 

^H             pi!  pi!  pi!  cris  pour  appeler  les 

destinée  aux  poules  et  qui  se       H 

^^^H                 dindons. 

ferme  avec  une  trappe.                    H 

^^H              pidrd  i.,  toupie. 

Pôm  {lé\  (au  plur.)  le  dimanche  des       H 

^H             piëhli  t^  perche. 

Rameaux.  On  dit  prov.  frod*       H 

^H              picl  f,,  espèce  d'insecte  aquatique. 

Pôm^  chbd*  Pac\  c.-à-d.  s'il  fait       H 

^^H             pi^l   f'i    attache   qu'on    entoritlle 

froid  le  jour  des  Rameaux,   il       ■ 

^^^^^           autour  de  Pécheveau  pour  que 

fera  chaud  à  Piiques.                         H 

^^^B           les  brins  ne  se  brouiltent  pas. 

pômi'  m.,  espèce  de  sapin  dont  on        H 

^^m             piïm  f.,  plume. 

se    sert    particulièrement   pour       H 

^H              pi^t  le  gnv  plumer  la  grive.  Se  dit 

faire  des  rameaux  pour  la  fête.         fl 

^^l^            du  repas  que  font  les  batteurs  en 

poraî'  r,  porreau,  légume.              ^^H 

^^^H           grange  à  trois  heures  du  matin. 

porjetc  i  mûhh  crépir  un  mur.         ^^^^| 

^^^^V        picmc  le  grâ  gnv  plumer  ïa  grande 

porpclur  f.,  petite  vérole.               ^^H 

^^r                grive.  Se  dit  du  repas  que  foM 

posé  f.»  petit  pont.                         ^^^| 

^^^H            les    domestiques    la    veille    de 

pôslb,  pûslb  possible.                     ^^H 

^^^Ê 

p0mm.,poi.                               ^^1 

^^Ê             picmô  m.,  lit  de  plumes. 

pmày'  f.,  terre  ramassée  sous  les      B 

^^H              pihh  f.,  pêche,  fruit;  à  L*  pékh. 

souliers.                                         H 

^^M             pila  m.i  pilon. 

potchèl  f.,  fruit  de  Paubépine.               H 

^H             pi'gîc  pincher,  criailler  (se  dit  des 

poîré  m.,  laid  visage,  figure  gri-      H 

^^                 oiseaux). 

maçante.                                        H 

^M              pi'giô  m.,  mal  aux  doigts  (causé 

pdtnnh'  \dir  sé^  dire  ses  patenôtres.       H 

^^^^            par  le  froid,  etc.). 

(Se  dit  du  chat  qui  ronronne.)           H 

^^^K       pi' Rio  m.,  ardillon  d'une  boucle. 

poyYi  m. ,  cavité  qui  se  trouve  sous       H 

^^Ê             pinâbul  L,  topinambour,  plante. 

la  nuque.                                         H 

^H              pinach  f ,  éplnard. 

precalé  avenir.                       [que.       H 

^^^^1              pion  f.,  pivoine. 

prèma  ce  vu  que,  attendu  que,  parce       H 

4 

VOCABULAIRE   Dl 

PATOIS  MESSIN                                217               ^^H 

ffiiK  parquer  des  moutons. 

sans  fondement.  Mauvaise  excuse.            ^^^| 

fnti  pétrir,  manier  la  pâte. 

râjayé  réjouir.                                            ^^^| 

fTOfitm.^  pourpier,  plante. 

raid  m.,  coquet >  vif,  vaillant,  fier,            ^^^| 

frmt  pourvoir  (à  quelque  chose) . 

gaillard.  Au  fém.  raiât\                         ^^^M 

fû  m,,  pou. 

ratu  asthmatique,  poussif.                           ^^^| 

fil  m.,  semence  d'une  plante  aqua- 

raminé réfléchir,  chercher  à  se  rap-            ^^^Ê 

tique  qui  s'attache    aux   vête- 

^^^M 

ments. 

ràpidrc  réparer  un  bas.                             ^^^^ 

putkihf  f.,  pincée  de  sable,  etc. 

ràpoyc  qui  a  repris  des  forces,  qui            ^^^H 

p\Uraft^  poire  sauvage. 

est  rétabli  (se  dit  de  quelqu'un           ^^^| 

/TûiV  f.»  peine. 

qui  était  malade).                                   ^^^H 

pupà,  pupàr  m.,  prunelle  de  l'oeil. 

rà$da  m . ,  lancerot ,  oiseau  de  proie .            ^^^^| 

pusd  m.,  poussière. 

rauô  m.,  le  plus  gros  morceau  de           ^^^^ 

pùsiau;  pùsic  travailler  minutieuse- 

bois  d'un  fagot.                                     ^^^| 

mem,  chercher  avec  beaucoup 

fhô  m. ,  grappe  de  raisin  dépouillée            ^^^| 

de  soin. 

de  ses  graines.  Rebut  de  n'im-            ^^^H 

pàsna  !  pusna  !  cris  pour  appeler  les 

porte  quoi.  R.  W.                                 ^^^| 

poulets  (usités  à  Oron,  Lucy). 

rhoié  rebrousser,  retourner,  river           ^^H 

paya  {i\  un  pauvre,  un  misérable, 

^^^1 

un  glorieux  sans  le  sou. 

rchljd^  f.  changement.                              ^^^Ê 

■ 

rèbèhh  revèche,   acariâtre,  maus*           ^^H 

■                             R 

^^^H 

râ  m.,  rayon  d*une  roue. 

nbty'{à]  en  morceaux,  cassé^  dé-           ^^^| 

Tâbiu  f.,  air  de  feu,  flambée  de  feu, 

^^^1 

^ef^et  d*une  clarté. 

rebdd  reprendre    quelqu'un    dans           ^^^H 

ràhû   m.,  pomme   de    Rambour, 

une  conversation,  lui  donner  ta           ^^^^ 

H        pomme  estimée  des  paysans.  On 

^^H 

^1        dit  prov.   s*  n'a  m  tjàr  é  pia 

rëbrèze  rattacher  deux  morceaux  de           ^^H 

pohiô  de  mijc  dé  râbô,  è  mai  ci 

fer  avec  du  cuivre.                               ^^^| 

n'  si"  pari,  C.-à-d.  ce  n'est  pas 

réch  m.,  crible;  à  L.  rkh,                         ^^H 

aux  cochons  à  manger  des  ram- 

rèchè  m.,  repas  que  font  les  veil-            ^^^| 

bours  à  moins  qu'ils  ne  soient 

leuses  à  la  fin  de  Fhiver.                        ^^^^ 

pourris. 

nchéric  contrefaire,  singer,  imiter           ^^^H 

râds*potam.,  rapporteur, personne 

les  gestes  ou  les  grimaces  de           ^^H 

qui  ébruite  les  nouvelles. 

quelqu'un.                                            ^^^| 

râ€cza  m.,  cancanier,  rapporteur. 

rkhevi    achever,    W.;  je    rkhef,            ^^^M 

'     Tûctzic  rapporter  ce  qu'on  dit. 

j^achève;/f  rèchèvâ^  nous  ache-            ^^^| 

îâcm  interpeller,  appeler. 

vons;  1  rèchcf,  ils  achèvent.                  ^^^| 

râdiiy'  f.,  rayon  de  soleil. 

r'écodè,  Tcodï  raccommoder,  récon-           ^^^| 

râdûr  (ïa  en  bèi'\   c'est  un  beau 

ciiter.   ^    Mettre  au   courant,            ^^H 

produit.  (Se  dit  par  ironie.) 

renseigner.                                          ^^^| 

r^g'^y^p  ràgit  râler,  respirer  avec 

muta*  f.,  couture.  Marque  sur  le            ^^^| 

effort,  être  court  de  respiration. 

corps  ou  sur  la  figure  causée  par           ^^H 

ràhhnâi*  i. ,  raisonnement  sans  suite, 

une  blessure*                                      ^^H 

^^^^                                                                            ROLLAND                                                             ^^1 

^^^            rcdoyè  replier,  répliquer. 

rèpehi^    rp^hi  manger   'se  dit  dei^^H 

^^^B        rifîècsiô  f.,  réflexion.  —  Répara- 

chevaux).                                      H 

^^^K           tien  à  une  toiture.    Le    prov. 

npione  étamer.                                ,^^H 

^^^H           suivant  contienl  le  mot  avec  les 

nptone  répéter  toujours  la  mèmei^^H 

^^^H           deux  sens  : 

chose,  rengainer.                            ^M 

^^^H               é  ¥Ïéf  jâf  i  é  viiéy*  mdhô, 

réphnur  f . ,  débris  de  ce  qui  a  été       H 

^^^H               /  fô  to  lé  jo  dé  rfflècsiô. 

étamé.                                              M 

^^^H           C.-à-d.  aux  \neilles  gens  et  aux 

repsé  roter,  L.                                 ^^H 

^^^H           vieilles  maisons,  il  faut  tous  les 

TCpsôdnf  (fém.  pïur.)  paroles  insi^^^H 

^^^H           jours  des  réflexions  (réparations 

gnifiantes.                                  ^^H 

^^^^           de  toiture) . 

TcsdTsim.y  reprise  dans  une  cou-^^H 

^^^^        regéy*  mézé  iè]  tant  qu'on  a  voulu, 

^^H 

^^^K           jusqu'à  plus  soif,    jusque    par 

rcsor  recevoir.  L.                          ^^^Ê 

^^^V           dessus  la  tête. 

rèsu  tranquille,  corrigé.                 ^^H 

^V             ugiché  retenir,  rattraper. 

rrf  f.,  souris.                                 ^^H 

^H              r'égoboyè    remettre    à     sa    place, 

rt7/-/om' m.,  réplique.                         ^B 

^H                  arranger  de  nouveau. 

Tctlày'  f.,  ce  qu'on  donne  en  une       H 

^H             rtgràs'L,  rallonge. 

fois  aux   chevaux  au    râtelier;       H 

^H              ngrâsic  rallonger,  ragrandir. 

rangée  de  grosses  dents.                    V 

^H              rcgroboyc   \so]   se  refaire,   réparer 

Hîôye,    rétaye    ca't'c    rembarrer        H 

^H                 ses  forces. 

quelqu'un,  rabattre  le  caquet  à        ■ 

^H              rehkhe   le  mena  y  \   Au  sortir  de 

quelqu'un.                                             1 

^H                  l'église  la  mère  du  marié  ou  à 

rèmie  chargé  de  fruits  (se  dit  des        ■ 

^^^^^           son  défaut  une  proche  parente 

arbres).                                      ,^^fl 

^^^H           attend,  sur  le  seuil  de  la  maison 

rcyarjc  aller  dans  les  jardins  après ^^H 

^^^H           où  se  fait  la  noce,  la  mariée  et 

la   cuetUeoe    des    fruits .,   pour        V 

^^^H           lui  remet  selon  sa  fortune  une 

ramasser  ceux  qu'on  a  oubliés,         ^Ê 

^^^H           pièce  d'or  ou  d'argent.  C'est  ce 

nvarjc   repasser  la  herse  sur  les       H 

^^^H           qui  s'appelle  nhkhè  le  m(riày\ 

champs  semés.                                  H 

^^^H           (Usage  encore  en  vigueur  à  Re- 

rtTôiirt^/ f.,  objet  de  peu  d'impor-       B 

^^^H           tonféy.) 

tance.                                            ■ 

^^^^        rëjtile  résonner,  retentir. 

r^y  m.,  rouille.                                    H 

^H              rr/f  passer  au  crible;  à  L,  richi. 

reyc  ronger,  ruminer  la  pâture  (se  ^^H 

^H             rcjii  r  t ,  criblure. 

dit  des  animaux).                      t^^H 

^H              rclâci  d'sii  ne  plus  vouloir  quelque 

réyt  rouiiler.                                   ^^H 

^H                  chose,  laisser  là  d'ouvrage,  etc.  i , 

rèyôté  m.,  gâteau  du  jour  des  rois     ^H 

^H                  être  dégoûté  de  quelque  chose. 

dans  lequel  est  la  fève.                 rf^H 

^^L^        nmistacé  réparer  à  la  hâte,  rafisto- 

riày^  f.,  ensemble  du  chanvre  quf^^H 

^^m 

a  été  roui.                                        H 

^^^^        rcnàcic  répéter  souvent,  rabâcher. 

rie  è  rac  tout  juste.                          ^^^M 

^H              rcnô  m.,  trognon. 

m  faire  rouir  le  chanvre.               ^^H 

^H              fcnotié  nettoyer  la  vigne.  W. 

rièt*  f , ,  versoir  d'une  charrue.        ^^^H 

^H             repà  m.,  renvoi,  rot. 

rffvam.,  vaurien.                           ^^H 

^^^        répay*  f.,  renvoi,  rot 

rima  m . ,  gâteau  salé,                     i^^H 

J 

vocABuume  di 

)    PATOIS   MESSIN                                   219              ^^^| 

rié\h'së{îém,  pJur.)  dimanche  qui 

rtronô  masc.  plur.,  sons  fins.                    ^^^| 

soit  le  dimanche  de  la  fête  ou  le 

riidiye  couler  fortement,  couler  à           ^^H 

jour  d'une  noce.  Ce  dimanche- 

torrents;   l^ou   riidiye  z=   Peau           ^^^H 

U  on  recommence  la  fêle. 

coule  à  torrents,                                  ^^^H 

rmaf  vomir. 

mêlât'  t,  ruelle.                                    ^^H 

mdni'  m.,  romarin. 

ruèynàm.,  tardon,  animal  dômes-           ^^^H 

f'fldf  m.,  renard. 

tique  qui  nait  longtemps  après          ^^^^ 

fna  {jûT  U\  vomir. 

Tépoque  habituelle,  par  ex.  en          ^^^| 

rgtfff.,  nielle. 

^^^1 

Tùboyé  grêlé,  marqué  de  la  petite 

rui   d'elle  m»,   ornière,    trace    de          ^^^| 

vérole. 

roues  d'une  voiture.                            ^^^H 

n^hoyu  raboteux. 

r2£â  m.,  petit  ruisseau.                              ^^^| 

fôdii  ronfler. 

râsô  m.,  verrat.                                      ^^H 

fOJHdri,^  rougeole. 

ruîâ  m.,  espèce  de  verdière,  oi-           ^^H 

rômu*  t.,  rengaine,  chose  qye  tout 

^^^1 

^B        le  monde  répète  ;  radotage. 

rùte   (se    dit    habituellement    des           ^^^| 

^H     rtrur  \à}  maigre,  qui  ne  profite  pas. 

porcs^  grogner.                                   ^^^| 

^H        Se  dit  par  ex.  d'un  cochon  qui 

ni-  dépôt  qui  se  forme  au  fond  de          ^^^| 

^^         n'engraisse  pas. 

la  marmite;  gratin.                              ^^^| 

^^     rôù  m.,  coureur  de  filles. 

^^^1 

^H    f1taf«,  rue.  R.  L. 

S  (partout  =  Ç                          ^^H 

^V    Tda  m.,  espèce  de  roseau  dont  on 

sacaî\  sccai^  f. ,  racine  d'arbre.                 ^^H 

^^        se  sert  pour  calfeutrer  les  lon- 

sàfoyû  m.,  gras  double.                            ^^^| 

W             neaux. 

salbrê  {l'e  èîû  mô]  il  a  été  mal  reçu,           ^^^| 

1          roMi  chercher  partout,  fouiller. 

mal  servi,  mal  régalé.                           ^^^| 

1          Tôya m.,  rouleau  de  bois  servant  à 

samos^  (.,  lisière  d'une  étoffe,  le          ^^^| 

■              écraser  les  gazons. 

bord  d'une  toile  de  tisserand.               ^^^H 

^^     r^ya  ô  pm  m.  ou  rôyat  d  pém  f., 

Siine  {so\  se  signer,  faire  le  signe  de          ^^^H 

^H         pâtisserie  composée  d'une  pomme 

^^H 

"         cuite  entourée  de  pâte. 

î3p  m  ,  sable.  L.                                    ^^^M 

rô>flv' accouchée  ipart.  passé). 

satmèf  f.,  chose  invraisemblable,          ^^^| 

rôyc  rouler. 

superstition.                                        ^^^| 

rdyé  nenoyer  (une  écurie). 

sata  \rc  èVd  i)  il  a  reçu  une  répri-          ^^^| 

rôyc  i  fofih  tirer  la  braise  du  four 

mande,  un  savon.                                ^^^| 

pour  mettre  le  pain. 

sâyé  goûter.  W.                                        ^^H 

rdyum.,  rôdailleur,  vagabond. 

séj  sn  son  (pronom  possessif  mascu-           ^^^H 

rcfuécà  m.,  épinoche,  poisson. 

^^1 

f'sfnô  m.,  souper  nocturne. 

se  sa  (pronom  possessif  féminin).  L.           ^^^| 

r*(é  m.,  râtelier.  On  dit  prov.  Ca  i 

sèciô  m.,  groupe,  ensemble,  tas.              ^^^| 

^^L         n'i  c  pu  rit  a  né  léz  an'  so  hêt  t=- 

Kco^r  abimer  quelque  chose,  gâcher          ^^^| 

^H         quand  il  n'y  a  plus  rien  au  rate- 

ouvrage.                                       ^^^H 

^H         lier  les  ânes  se  battent. 

stkf  f.,  petit  siège  en  bois  sur         ^^H 

^^     nope  reboucher. 

lequel  on  s'assied  pour  traire  les          ^^^| 

^          rtid  masc.  pi. ,  sons  (résidus  de  blé) , 

^^^1 

-^^^^^^^^^1 

^^H             2  20                                                       E,    ROLLAND                                                           ^'H 

^^H         selhi  m . ,  cerisier. 

sdfî  t,  cigogne  (mot  employé  à 

^^^■^ 

Lucy). 

^^^^H    sémjii  m.,  médecin.  R.  L. 

sorvor  apercevoir.  Sorvii^  aperçu. 

^^^^1   sèscnaft^  ortie  blanche  (dont  on 

sôsé  ceci. 

^^^^^       $uce  les  fleurs). 

sôiet  (s'a  le)  c'est  celui-là,  L, 

^^H 

sôtà  m.,  fagot,  pierre  ou  palissade 

^^H         s'ésâô  m.,  grillon  «   Personne  ma- 

qui  barre  les  chemins  dans  une 

^^H             lingre. 

chènevière.  Les  hommes  peuvent 

^^H         sivû  su  ;  part,  passé  du  verbe  sauo^ 

passer  par  dessus,  en  enjambant. 

^^H 

Le   bétail   est    arrêté  par    cet 

^^H         sèyê  m.,  seille  servant  à  traire  les 

obstacle.                                         , 

^^H 

sôtû  (Je  bchh  hày'   do  h).  Cette 

^^H         s'éyô  m.,  petit  siyé.  On  dit  aussi 

phrase  signifie  que  le  plus  faible 

^^V              c/i  séyaf  f. 

doit  toujours  céder  au  plus  fort. 

V          ^  siéy'  f,  suie. 

Le  sens  primitif  était  que  la  chè- 

^^^         siey^  r,  soie  de  cochon. 

nevière  qui  devait  un  passage  à 

^^H          sii  ilo]  le  sien  :  au  fém.  le  sti,  la 

enjamber   pour  les  piétons   ne 

^^H 

pouvait  être  enclose  que  par  une 

^^H         slnàtàr  f. ,  signature. 

haie  basse.  Donc  toute  haie  basse 

^^^1          sine  signer. 

supposait  /  sdîii. 

^^H          siom,  si 5 m  sensible,  qui  affecte  de 

spiidir.   Ce  mot  a  un  sens  assex 

^^H              la  sensibilité. 

vague  et  assez  difficile  à  définir. 

^^H          Sisis  François,  prénom. 

Quand  on  dit  pod  f=  pourquoi) 

^H          sitlè  (s'a  le)  c'est  celle-là.  L. 

et  quand  on  répond  spiidir,  cela 

^^H          sival  f. ,  ciboule,  plante. 

signifie,  je  crois,  parce  que. 

^^H          sla  gcfri  [lo\  !e  beau  soleil  d'hiver. 

srhé  m.,  cervelle. 

^^H                  On  dit  quand  il  fait  un  beau 

sii  ci  {lé)  ceux  qui. 

^^H              soleil  en  hiver  et  quand  il  fait 

subrhd  m. ,  à  compte  que  Ton  prend 

^^H              froid  en  même  temps  :  s^alo  sla 

sur  un  repas  quand  on  a  trop     ' 

^^H              gey'ri  —  c\àjal  le  mo  y- il  —  C'est 

faim  pour  attendre. 

^^H              le  beau  soleil  d'hiver  qui  gèle 

sudàr    m. ,    soldat    d'infanterie , 

^^H              les  mal  vêtus. 

soldat. 

^^H          sii  (masc.  plur.)  instrument  pour 

surcrui*  f.,  choucroute;  à  L.  ùr- 

^^H              raffiner  le  chanvre. 

crut. 

^^H          sô  f.,  saule,  arbre. 

T 

^^H          SQch  m,,  soc  de  charrue.  L. 

îabore  battre,  frapper  à  coups  re- 

^^H         socric,  Siicrie  plaindre  quelqu'un. 

doublés. 

^^H          som  f.,  blé  en  sac  prêt  à  la  mou- 

tac  m.,  amas  (de  foin,  de  blé,  etc.) 

^^H 

tâcie  mettre  des  planchettes  pour 

^^H          somô  m.,  mauvais  bots  de  chêne. 

comprimer  une  blessure,   pour 

^^^1           sëmii  stupéfait. 

resserrer  un  membre  fracturé. 

^^H           mi-  m-,  espèce  d'horloge  ancienne 

tacmcrchô  m.,  traquet,  oiseau. 

^^^^H         dont  la  caisse  ressemble  à  un 

tâdïr^  f.,  barre  qui  maintient  les 

^^^^1         sont-  [boite  au  sel). 

échelles  d'une  voilure. 

^^r                                                 VOCABULAIRE   DU 

PATOIS   MESSIN                                   121             ^^^| 

W          tâgéHé  (so)  se  disputer,  n'être  pas 

îiautt  m.  y  cloutier,                                 ^^H 

^K          d^accord. 

îk  îac  mèrchd  m,,  taupin^  insecte.           ^^^M 

^H      tâhhtonc  parler  obscurément^  mentir 

^^H 

^H         en  bredouillant ,  parler  d'une  ma- 

îiïpdy^  dé  chvd  (erC)  f.,  un  nombre         ^^^| 

^H          nière  confuse. 

quelconque  de  chevaux  ou  de        ^^^| 

^H     Ulboic  pousser,   harceler,  exciter, 

vaches  tenus  en  corde.                       ^^^H 

^H          persuader    à    force  d'imporlu- 

îièrté  f.,  clarté.                                       ^^H 

^W          nités. 

tict'  d'à  f.,  gousse  d'ail.                         ^^H 

V           tanï  Uo)  s*étendrc. 

til  (h)  te  tien,  au  fém.  li  tit,  U        ^^H 

^H       tàpïîj  iâplt  redresser  les  gerbes 

^^^1 

^^P          mouillées  pour  les  faire  sécher. 

îincr  m.,  tonnerre;  à  L.  tinôr.               ^^^H 

■           îaTÔ  m.,  devant  de  la  maison,  de 

tior  clore,  fermer  ;  je  tiô,  je  ferme  ;         ^^^| 

^^m           la  porte  où  Pon  se  tient  quand 

je  tiéyâ,  nous  fermons,  i  tidy'  ils         ^^H 

^f          îl  fait  beau.  Seuil  de  la  poae. 

^^^1 

■            tSLîlc  téter. 

fia!    tiaî   ùu!  péiià !   cris   pour         ^^^H 

^^      iif  è  t'dl  1,  grand  souci,  personne 

appeler  les  cochons.                           ^^^^ 

^H          lente  qui  ne  dit  rien. 

îô  m,,  établi  d'un  marchand  forain.         ^^^^| 

^^       tauô  ra.;  laon,  insecte. 

f^  m.,  taudis.                                         ^^^| 

1            tfc  f.,  plaque  de  cheminée. 

îô  {éî  ica  su)  être  encore  sur  pied.        ^^^| 

1            tihaf  f.,  espèce  de  cich  faite  avec 

miom.,  linge  entonillé;  brassée        ^^H 

^^m           ies  coins  de  la  paie  rabattue  sur 

[de    foin,    etc.);    torchon    de        ^^^| 

^^P          la  mûrat. 

^^^1 

^^       uhi  m. ,  amas  (de  foin,  de  blé,  etc.). 

{è7^rf.,  crépine,  toile  qui  enveloppe        ^^^| 

■             Ténich  Etienne,  prénom. 

la  panne  du  cochon.                         ^^^| 

1            tir  tenir  debout^  se  tenir  debout. 

tôln  m.,  têtu,  sournois,  imbécile        ^^^| 

^^          je  té  je  tiens  debout,  je  tiyâ  nous 

(injure),                                           ^^^| 

^H          tenons  debout,  je  tèyoj  je  tenais 

îonaV  f.,  marteau  en  bois  dont  se         ^^^| 

^H           debout. 

servent  les  femmes  pour  battre         ^^^| 

*       tirkîc  dorloter. 

U  codô  dé  chèn.  (Voy.  au  mot        ^^^M 

terni  étemuer.  L. 

^^^1 

tfî'  f,,  toux.  On  dit,  en  plaisantant. 

tonaV  espèce  de  juron  (peut-être        ^^H 

â  quelqu*iin  qyi  a  un  gros  rhume  : 

pour  tonnerre  l).                                ^^^M 

VéUtcs'mcrlu^t'l'irich'  c'è 

tôniày*  f.,  rossée.                                 ^^^| 

Il  mû. 

tdnié,  tânu  battre,  rosser,  malme-        ^^H 

têt'  d*ôinô  f,,  espèce  de  scabieuse. 

ner,  taquiner.                                    ^^^| 

Tèién*  Etienne,  prénom. 

topa  m.,  œillet  de  poète                         ^^^| 

îtja  m.,  tilleul. 

topaf  f,,  étoupe  de  lin.                          ^^^| 

îtyt  détacher  le  filament  du  chanvre 

tope  étouffer  (verbe  neutre],                  ^^^| 

avec  la  main. 

topé  in'  ohh  fermer  une  porte  avec        ^^H 

ûyo  d^chèn  m.,  tîge  de  chanvre  dé- 

^^^1 

pouillée  de  ses  filaments. 

tara  m.,  tour  à  filen                            ^^H 

fî  d^vèn  m.»  raisin  dont  le  jus  d'un 

Tdtkh  Anne,  prénom.                           ^^^| 

rouge  vif  sert  à  donner  de  la 

îdtic  manier,  tâtonner.                           ^^^H 

couleur  au  vin. 

iozlè  tondre  (une  haie).                        ^^^Ê 

^H                                                                                     ^^^ 

^H            trâhiaf  ï.,  tremblement,  frisson. 

gerbes  symétriquement  disposées       H 

^H             trepi!rsc  mouillé  jusqu'aux  os. 

dans  un  sillon.                             ^^M 

^^^        tramuè  m, ,  culture  mélangée  d Vge 

tricués'  \t  singulier) >  tenailles.         ^^M 

^^^H           et  d'avoine. 

trihaf  f ,  eau  dans  laquelle  on  a       S 

^^^~       trlt'  i.,  écheveau.  L. 

savonné  le  linge,  eau  qui  a  passé  ^^H 

^V            îraiu  m,,  entonnoir.  L. 

à  travers  la  lessive.                    ^^H 

^H             tray*  f,,  trèfle  des  prés»  petit  trèfle. 

trihic  passer  la  main  (sur  le  poilH^f 

^H             irébia,  twhta  m.,  tourbillon. 

d'un  chien^  etc.).                        ^^H 

^H            trèfhhu  m.,  che\ille  en  fer  servant 

tri' sic  seringuer^  partir  en  jet.        ^^H 

^^^H           à  relier  la  lôzên'  à  l'avant-train 

îrizalc  retentir,  résonner.                ^^M 

^^^^P          de  la 

ira  m.,  excrément.                          ^^H 

^^Ê            îrclih  [à]  en  friche. 

tro   iVcuchô   m.,   trombe,    violent^^^f 

^H             irejtm.j  endroit  où  Ton  engrange 

orage;  à  W.  îrô  d'cochô,             ^^| 

^H                les  denrées. 

irô  de  jac  m.,  gomme  des  arbres^^^^f 

^H             trmay*  (fém.  plur.)  gerbes  étalées 

fruitiers.                                      ^^H 

^^Ê               sur  le  sol  d'une  grange  pour  être 

trô  de  Hch  m.,  bouse  de  vache.       ^^H 

^^^g            battues. 

trochc  taller  (se  dit  du  ble                ^^| 

^^F^        trèmùr  f,,    caisse  où  Ton  jette  le 

trôhu  chercher.                                ^^H 

^H                grain  pour  le  moudre  ou  pour  le 

îrdpoyc  aller  çà  et  là,  0ner.            ^^| 

^H                vanner. 

îrâpaé  m.,  embarras  quelconque.  L,  ^^| 

^H             irénc  m,,  corde  de  cuir  tressé  qui 

troui^   trosàf    plaintif;    plaintive;  ^^B 

^H                pend  ay  manche  du  fouet. 

dolent,  dolente.                                1 

^H            trénià  m.,  traînard,  paresseux. 

trosie  se  plaindre.                           ^^M 

^^^^        trèpiûr  f.,  menu  bois  qui  reste  d'un 

(Tôutr  f.,  femme  sale.                       ^^m 

^^^H           fagot,  qu^oa  met  dans  un  autre. 

truàdrèy'  f.,  paresse.                            B 

^^^ 

tru-cauây    f.,   femme  cancanière,       H 

^K^        tnpic  piétiner,  trépigner.  On  dit  à 

rapporteuse.                                    H 

^^^B           un  paresseux  qui  se  lève  tard  : 

îrfiU,  îrïïelc  nettoyer  à  la  pelle.              H 

^^^^1           te  r'  trèpdré  m  su  lé  cùpô,  c.-à-d. 

f  tôlàhh,  d'mlàhh  partout.  On  dit        H 

^^^H          tu  ne  marcheras  pas  sur  les  cra- 

prov,  ce  chèci"  hâdlès*  àévà  ché        H 

^^^H           pauds  parce  que  tu  verras  assez 

if,  i  fré  hé  dUdlàhiL  Que  chacun        S 

^^^V           cl^ii'  pour  ne  pas  les  écraser. 

balaye  devant  chez  lui,  ce  sera        H 

^^m            trèsâ  m. ,    redevance   en   nature; 

propre  partout.  —  Autre  pro-        H 

^H                (terme  ancien). 

verbe  :  le  grèfih  a  bon*  d'tôtdhh,        ■ 

^^^       trèsâ  \pâr  /t  môd^  li  se  faire  de  la 

jusc'è  dà  h  tph  la  graisse  est        ■ 

^^^K          bile,   du  chagrin   pour  ce   qui 

bonne  panout    même  dans    la        ■ 

^^^r 

soupe.                                              m 

^m           trèiril  l ,  crécerelle  ;  à  L.  trétéi 

tU-^hr  m.,  repas  de  fête  que  i*on       fl 

^H            tnye  étriller. 

fait  à  la  6n  des  travaux  de  la       H 

^^^^        trtyèy'    f.,    petite    écurie    fermée 

moisson,  de  la  fenaison,  etc.             H 

^^^K          jusqu'à    une    certaine    hauteur 

tut  tous,  toutes;  i  $q  tut*  ioU  ils       1 

^^^^          pour  les  cochons  et  les  moutons. 

sont  tous  là,                               ^^Ê 

^H            rrc2<^  m,^  un  des  tas  de  la  tralîr. 

^^M 

^H            trèith  f.,  l'ensemble  des  tas  de 

■ 

^^^^^^P                         VOCABULAlHfi  DU 

PATOIS   MESStN                                                       ^^^| 

^^^^K        U  =  Ou  partout. 

vircïié  mangé  des  vers^  piqué  des             ^^H 

^^Bfll'f.,  personne  paresseuse. 

^^^H 

mhiâ  qui  branle,  qui  hoche,    qui 

viyuè  m,,  table  d^un  cordonnier,            ^^^| 

ballotte.   On  dit  d'un  vêtement 

d'un                                                   ^^^1 

trop  large  :   to   rcha    le   a   tra 

vlàti  volontiers.                                          ^^^| 

aèhiâ. 

vlâîru  m.,  qui  montre  de  la  corn-           ^^^| 

B^«*f.,  veine»  anère. 

plaisance,  de  ta  bonne  volonté.             ^^^| 

ainâr  m.,   bouton  à   la  paupière 

vô  vos  (pronom  possessif).  L.                   ^^^H 

appelé  Compère  Loriot.  On  dît 

vôfxeuf.  L.                                              ^^^1 

aux  enfaiîU  qui  font  des  incon- 

souple.                                              ^^^H 

gruités  au  milieu  des  chemins. 

volât'  f.,  clayon,  éclisse.                            ^^^| 

qu'il  leur  viendra  un  aènàr  dans 

voltra  m.,  hanneton.                                  ^^^| 

l'œil. 

vôt'  f.,  espèce  de  pâtisserie.                      ^^H 

nirbroci'  m.,  vilebrequin. 

V(izna  (j)  un  Valemin.  Le  i''di>           ^^^| 

mcayc  m.,  sellier,  bourrelier. 

manche  de  carême,  le  dernier           ^^^H 

mém,^  pièce  d'une  charrue. 

marié  de  l'année  réunit  les  gar-           ^^H 

uiUarlf  U,  saleté.  L. 

çons  du  village  que  tous  ensem-           ^^^| 

urcie  jeter  des  cris  (se  dit  des 

ble    parcourent    en    s'arrêtant           ^^^^ 

porcs)* 

devant  la  fenêtre  où  il  y  a  des            ^^^^ 

aihh  m.,  gui. 

tilles.  Le  dernier  marié  s'arrête            ^^^^ 

iïf ^  tta  Us,  hUs  !  interjection  qu'on 

et  dit  :  j'y  donne,  j'y  donne;  les           ^^^| 

adresse    aux    chiens    pour    les 

garçons  répondent  :  à  qui?  à           ^^^H 

chasser. 

qui  ?  —  m  ul  à  tint  telle  —  et  il           ^^^H 

V 

ajoute  <c  l'aura-t'il  »,  l^s  garçons           ^^^| 

yij*  f.j  pervenche. 

répondent  :  oui,  ouï,  et  alors           ^^H 

vâld  dH'ohh  m.,  clavette  servant  à 

tout  le  monde  de  crier  hèrô  !           ^^^M 

maintenir  le  verrou  fermé. 

^^H 

valhhâ  bien  portant. 

Si  la  fille  n'accepte  pas  elle           ^^^| 

vàrpan'  L,  nuage  bianc  qui,  quand 

son  avec  un  torchon  de  paille           ^^^^ 

il  est  tourné  au  nord,  annonce 

auquel  elle  met  le  feu.  Le  di-           ^^H 

le  beau  temps,  et  à  l'est,  la  pluie. 

manche   suivant   les  vôzna   (les           ^^^^ 

yâthit,  vâtri'  m.,  tablier. 

amoureux  désignés]  qui  ne  sont           ^^^H 

pâtô  m.,  vanne  pour  retenir  Teau. 

pas  brûlés,  se  rendent  chez  leurs           ^^^| 

védcfomrô  m,,  quantité  de  fumier 

rôznaî-  qui  leur  ont  préparé  des           ^^^| 

qu'on  prend  en  une  fois    avec 

pâtisseries  appelées  puo  dé  phhL           ^^^M 

une  fourche  après  l'avoir  roulé. 

Le  j^  dimanche,  les  garçons           ^^^^ 

yéU  «'écrouler,  s'ébouler. 

portent  un  cadeau  à  leurs  vôznat*,           ^^^H 

YtUnïsô  m.,  limaçon. 

v^naf  f.,  Valentine.   (Voyez,   ci-           ^^H 

vttmu  venimeux,  vénéneux. 

^^H 

¥€nâ  tosc  viens  ici.  Cette  façon  de 

vuy'  (ai  en  route,  en  voyage.  L.               ^^H 

^H        rendre  la  i*"  pers.  de  l'impératif 

v'zèy\  fzèj^ f .^  vessie.                              ^^^| 

^H        n'est  employée  que  pour  le  verbe 

^^H 

^B 

zag'né  fouetter.                                        ^^^^ 

t 

zdbc  battre,  rosser  quelqu'un.                  ^^^| 

224  E.    ROLLAND 

CONJUGAISON. 

(rémilly.) 
Verbe  auxiliaire  aué  (avoir). 


Indîc.  prés. 

pèrâ 

i'à 

v'èrô,  v'iref 

fé 

Vèrô 

Vï 

Conditionnel  présent. 

fèvàrfà 

fèrô.fèftf 

v'hb,  v'o 

Vèrô,  Vèr'éf 

V5 

Vèrô,  Vèrïf 

Imparfait. 

fèri- 

yivô,  j'èvëy' 

v'èri- 

Vivo,  fèv'éf 

«ri- 

rhô,  Vhïf 

Subjonctif  présent  et  imparfait. 

i'èvi- 

céj'èvès' 

v'èvh 

ce  Vèvès' 

l'èvh 

ci  Vèvès" 

Futur  présent. 

céj'èvhs' 

fera 

ce  v'èvhs' 

fèré 

et  Vèvhs' 

Pèr'é 

Verbe  auxiliaire  it  (être). 

Ind.  prés. 

j'é  srâ 

je  sii 

vï  srô 

fa 

i  srô 

Va 

Conditionnel  présent. 

i'  ^^à 

je  srô 

v'atô^  v'atëy' 

té  srô 

isô 

i  srô 

Imparfait. 

je  sri" 

j'atoj'atéy' 

ve  sri" 

Vatô,  faiéy' 

i  srh 

Vatô,  Vatéy' 

Subjonctif  présent  et  imparfait 

fati" 

ce  f  sô,  et  i'atès' 

v'ati" 

ce  V  sô,  ce  Vatès' 

Vati- 

c'  isôyCéVatès' 

Futur  présent. 

cëf  si-,  ce  j'ati-ï 

je  srà 

ce  v'  si",  ce  v'ati-s. 

té  sré 

c'i  si",  ce  Vati-^s 

i  sré 

VOCABULAIRE   dU    PATOIS 

\  MESSÎN                                 225 

Verbe  mîjë  (manger). 

Indicat.  prés. 

Conditionnel  présent. 

j'é  mîj- 

je  mîj-rô 

té  mîj-- 

të  mîj'Tô 

*  1  mîj" 

i  mîj'Tô 

je  mîj-â 

je  mîj'îC 

vt  mîj-o 

ve  mîj-rh 

i  mîj- 

i  mîj'-ri- 

Imparfait. 

Impératif. 

je  mîj'-o 

mîj  =  mange 

te  mîj-ë 

mîj'à  mangeons 

i  mîj-ô 

rnîj'd  mangez 

je  mîj'i" 

Impératif  négatif. 

vë  mîj'i" 

ne 

mïj'ér  më  ne  niange  pas 

i  mîjA" 

ne 

mîj'àr  ment  mangeons  pas 

Futur  présent. 

ne 

mîj'ôr  më  ne  mangez  pas 

je  mîj'Tà 

Subjonctif  présent  et  imparfait. 

të  mîj-ré 

ce  /'  mîj-is' 

i  mîj'-rë 

ce  f  mîj-^s 

je  mîj-rà 

c'  /  mîj-ès 

vë  mîj-rô 

ce  j'  mîj'i^s 

i  mîj-rô 

ce  v'  mîJH-s 
c'  /  mîj'hs. 

Sur  ce  verbe  mîj-ë,  or 

1  peut  conjuguer  1" 

le  plus  grand  nombre  des 

ircrbcs  dont  Tinfinitif  est  en  ë,  ex.  : 

charch-ë 

bach'ë 

bau'ë 

fiàr-ë 

résan-ë  etc 

• 

2*  Un  grand  nombre  de  verbes  dont  l'infinitif  en  e  est  précédé  d'un 

,  ex.  : 

huy-c 
râvay-ë 
s^ànay-ë 
géy-ë 
trôy-ë  etc. 

■ 

30  Un  grand  nombre  de  verbes  dont  l'infinitif  est  en  iè,  ex.  : 

ruàt-ië 

so  cuh-ië 

bih-ië 

bacès'ië 

hi-s-ië 

tës-ië 

Romania^  V 

«5 

2l6  E.    ROLLAND 

4^  Un  certain  nombre  de  verbes  dont  l'infinitif  est  en  i,  ou  î-,  ex.  : 

m'ér-i  :•    ' . 

drém-i" 

VUH 

50  Un  certain  nombre  de  verbes  comnie 


cor 

cm 

Verbe  àrnè  (éreinter). 

Ind.  prés. 

'f  âfèn' 

i*  àrtnrfd 

V  afin' 

etc. 

V  àrën'^ 

Impératif. 

j*  âm^â 

àrln' 

V*  ârn-o 

ârn-â 

V  ârire 

àrn-d 

Imparfait. 

Impératif  négatif. 

f  ârn-o 

/?'  àren-ir  m'é 

etc. 

rC  âren-âr  m 

Futur  présent. 

n'  ârin^-ôr  më 

j'  Sfén-rà 

Subjonetif. 

etc. 

cëj'ârn-is' 

etc. 

Sur  le  verbe  ârne  conjuguez  les  verbes  terminés  en  ne  précédés  d'une 

consonne,  comme 

àfohhne 

séné 

On  conjugue  d'une  façon  analogue  des  verbes  comme  trèplé  piétiner 

{j'é  trèp'élf  je  piétine,  j'é  tripla^ 

•nous  piétinons)  ;  àtfé^  entrer  [fàtïr^  j'entre, 

j'àtrà,  nous  entrons)  ;  biauféj 

,  cligner  des  yeux  (j'é  biauxf^  je  cligne,  je 

biauîà^  nous  clignons). 

Les  verbes  comme  tfévé  font  aux  premières  personnes  du  singulier  du 

présent  de  l'indicatif,  j'é  tr'éf. 

té  tr'éf,  i  tréf(crévëj  crever,  ye  cféf,  etc.). 

Verbe  Më  (aider). 

Indic.  prés. 

Imparfait. 

j'àdiy' 

Sing.  j'adi'ô 

fàdif 

etc. 

ràdif 

Plur.  fadi'i* 

i'àdi'à 

etc. 

v'àdi-ô 

Futur  présent. 

Vàdf 

j'adiy'-rày  etc. 

VOCABULAim^  OU   PATOIS  MESSIN  237 


Con(&ionnel  présent. 

n^adi*àr  m'é 

j'àdiy'-rô^  etc. 

n'àdi-^ôr  m'é 

Impératif. 

Subjonctif  présent  et  imp. 

àdiy' 

Sing.  ci  j'àdi'ii 

etc. 

etc. 

Impératif  négatif. 

Plur.  céj'àdi'hs' 

n'idi'^mé 

etc. 

Sur  ce  verbe  conjuguez  r  un  certain  nombre  de  verbes  en  S  comme 

Mit  nettoyer. 

20  Les  verbes  en  iy'é. 

Remarque.  Quelques  verbes 

comme  cacie,  gàgil  font  au  singulier  du 

présent  de  l'indicatif  :  je  cacèy\ 

,  je  gàgèy\  mais  au  pluriel  jï  caciâ,  j'é 

gàgiâ. 

Verbe  àtir  (choisir). 

Ind.  prés. 

Conditionnel  présent. 

i'àli 

j'an-ro^ 

Vàli 

etc. 

Pâli 

Impératif. 

pàlih'à 

âli 

v'àlih-o 

etc. 

l'àlihh 

Impératif  négatif. 

|inparfaix« 

n'âlihr^r  mi 

pilih'd 

n^âlih-âr  m'é 

etc. 

rCàlih'ôr  me 

Futur. 

Subjonctif  présent  et  imp. 

j'àli-râ 

Sing.  u  j'âlih-èSy  etc. 

etc. 

Plur.  çë  j'àlih'h  s  y  QIC, 

Sur  ce  verbe  conjuguez  certains  verbes  dont  l'infinitif  est  en  i  cbmme 
fiéri. 

Le  verbe  dîr  (dire)  se  conjugue  ainsi  :  Prés.  ind.  j'é  di^  etc.,  j'é  d^hhâ. 
Imp.. jidéhô,  etc.  Futur  y>  dira,  etc.  Subj.  ce  jéd'éhis'y  etc. 

Verbe  buér  (boire). 

Indic.  prés.  Futur. 

je  buo  je  hué'fà 

tï  buo  etc. 

/  buo  Conditionnel  présent. 

j'é  bov^à  je  hié-fo 

vt  bov-ô  Impératif, 

i  buo-n  buo 

Imparfait.  bov-à 

Sing.  jï  bovô  boy-o 

etc.  Impératif  négatif. 

Plur.  je  bovi"  né  boihér  mé 


n8 


E 

.   ROLLAND 

né  bov-'àr  mé 

Subjonctif  préscM^étihip. 
ce  je  bov^* 

né  bov'ôr  mé 

etc. 

Verbe  cher  (tomber). 

ïndic.  prés. 

Conditionnel  présent. 

je  cht 

je  chor-o 

té  chï 

1 

Impératif. 

i  ché 

chï 

je  chèy^â 

chiy-â 

vë  chèy-o 

chiy-ô 

i  ché-n 

Impératif  négatif. 

Imparfait.. 

né  chèy-ér  mé 

je  chèy-^ô 

etc. 

etc. 

Subjonctif. 

î'utur  présent. 

ce  je  chiy'-ès' 

je  chô-rà 

etc. 

Verbe 

par  (prendre). 

Ind.  prés. 

Conditionnel. 

je  prâ 

je  pâ-ro 

té  prâ 

Impératif. 

i  prâ 

prâ 

je  prén-â   • 

prën-â 

vë  prén-ô 

prén-ô 

i  prâ-n 

Impératif  négatif. 

Imparfait. 

né  prënrér  më 

je  prën-o 

etc. 

etc. 

Subjonctif  présent  et  imp. 

Futur. 

ce  je  prén-ès' 

je  pâ-rà 

etc. 

etc. 

Verbe 

crôr  (croire). 

Ind.  prés. 

Imparfait. 

je  crô 

je  criy'-ô 

të  crô 

etc. 

i  cro 

Futur. 

je  crèy^'â 

je  crô-rà 

vë  crèf'ô 

etc. 

i  crëHi 

VOCABULAIRE   DU   PATOIS  MESSIN  229 

Verbe  conahh  (connaître). 

Indicatif  présent.  vë  conhh^ô 

j'é  cona  i  conahh 

të  cona  Imparfait. 

i  cona  j'é  conhh-6 
i'èconhh'à  etc. 

Verbe  maf  (mettre). 

jï  ma  y'é  mat-o 

té  ma  i  maV 

i  fna  Imparfait. 

je  mat'à  je  mat-o 

Etc. 

Eugène  Rolland. 


MÉLANGES. 


1. 

JOCA  CLERICORUM, 

Le  ms.  0  245  de  la  bibliothèque  de  Trinity  Collège,  Cambridge,  con- 
tient un  grand  nombre  de  petites  pièces  latines  plus  ou  moins  intéres- 
santes, les  unes  connues,  les  autres  inédites.  J'en  tire  quelques  énigmes 
et  charades  réunies  (p.  12-13)  ^^"^  ^^  ^^^  •  ^^<  comencent  devinailUs  a 
meinte  gent  mervaUle,  L'explication  a  été  souvent  ajoutée  en  marge  et  est 
d'ailleurs  facile  à  trouver.  Je  les  ai  notées  fort  en  courant  et  dans  un 
ordre  qui  n'est  pas,  je  crois,  celui  du  ms.  ;  je  n'en  ai  d'ailleurs  recueilli 
qu'une  partie  ' . 

DAPES. 

Ori  quinque  placent  ;  si  quatuor^  aère  pendent  ; 
Si  tria,  pars  hominis  ;  si  duo,  duice  sonant. 

CORNIX. 

Est  avis  in  nemore  nigro  vestita  colore  ; 
Si  caput  abstuleris,  res  erit  alba  nimis. 

NUX. 

Ligneus  est  lectus,  nullo  tamen  arbore  sectus  ; 
Solvere  qui  poterit  solvat,  et  ejus  erit. 

L'auteur  de  quelques-unes  de  ces  pièces  était  d'une  ville  qu'il  appelle 
Cemel  dans  plusieurs  morceaux  ;  il  donne  son  propre  nom  dans  l'énigme 

suivante  : 

Qui  legis  hos  versus  auctoris  queso  memor  sis. 
Littera  prima  necat,  micat  altéra,  tertia  cecat, 
Quarta  resolvit,  quinta  revolvit,  sexta  coheret  : 
Si  conjungantur  que  dicor  nomine  fantur. 

Cette  devinette  est  conçue  dans  un  système  que  je  n'ai  pas  vu  employé 

I .  On  y  trouve  aussi  la  charade  sur  Saturnus,  dont  on  peut  voir  le  texte  et 
l'explication  dans  P.  Meyer,  Documents. 


JOCA  CLERICORUM  IJi 

ailleurs.  Cela  veut  dire  qu'il  faut  prendre  la  prmière  lettre  de  necat,  la 
U(ond€  de  micat^  et  ainsi  de  suite  ;  on  obtient  ainsi  Nicole  de  Cemel^ 
nom  de  notre  auteur.  Le  glossateur  n'a  pas  saisi,  car  il  a  ici  omis  Tex- 
plication'.  Ce  Nicole  était,  comme  il  l'avoue  lui-même  dans  une  énigme 
autrement  bâtie,  d*un  tempérament  amoureux  : 

AMO,   OMA. 

Prima  Iriangula  sît,  tripedem  propone  rotunde, 
El  convcfte  :  scies  quis  sit  mihi  morbus  et  unde. 

Ce  nom  d'Oma  ne  m*esi  pas  connu  ;  mais  la  personne  qui  le  portait 
n*a  pas  seule  été  aimée  de  Nicole.  En  voici  la  preuve  : 

!MALOT». 
Si  vertas  totam  res  est  quam  diUgo  solam. 
W  AL1Z. 

B  Prima  triangtila^  longa  subambula,  curta  sequatur, 

B  Greca  sit  uîtima  :  talis  in  intima  cordis  amatur. 

B  ISABEIL. 

B  Si  vertas  Bachique  caput  linemque  SibittCt 

B  Advertas  pro  qua  patior  suspiria  mille. 

Je  ne  sais  sll  faut  attribuer  au  même  d*autres  balivernes  du  même 
genre  qu'on  lit  à  d'autres  endroits  du  ms.  Ainsi,  p.  3  : 
Ar-  cupit  esse  -tifcï  -ander  de  plaribus  Alex-. 
P.  Il  :        Phi  nota  fetoris,  lippui  gravis  omnibus  horis; 
Sit  /'/»,  sit  lippus  seraper  procul  ergo  Philippus. 
Celle-ci  (p.  ?)  est  assez  curieuse  en  ce  qu'elle  nous  fournit  un  spéci- 
men antique  d'un  genre  encore  en  faveur  auprès  de  nos  écoliers  : 

Mantica  mentilur  janua  vestcr  cquus, 
c'csi-à-dîre  évidemment  :  MaUmenl  porte  vonn  chevaL 

D'autres  pièces  sont  inintelligibles.   Parmi  celles  qui  ne  contiennent 
pas  des  énigmes,  je  relève  celle-ci  : 
(P.  36$).  In  barba  longa  si  sît  sapientia  magna, 

Credimus  hiis  diclis  hyrcum  remanere  magistnim. 

Ces  deux  vers  sont  un  lieu-commun  de  la  philosophie  cléricale  du  moyen 
âge  ;  on  les  retrouve  en  français  au  début  da  fabliau  de  Coqualgne  (Bar- 
bazan-Méon,  11^  p.  lyj): 

Une  chose  poez  savoir 

Qu'en  gratit  barbe  n'a  pas  savoir  ; 

Se  li  barbé  le  sens  seusscnt, 

Bouc  et  chievres  molt  en  eussent, 

t.  Je  ne  me  souviens  plus  si  celte  explication  est  donnée  pour  les  noms 
propres  suivants  ;  elle  ne  I  est  pas  en  tout  cas  pour  le  dernier* 

2.  Forme  contracte  de  Maahi^  diminutif  familier  de  Mahitlt;  on  trouve  aussi 
Maalei. 


2  32  MÉLANGES 

Ce  qui  est  plus  remarquable,  c'est  qu'une  épigramme  attribuée  à 
Lucien  reproduit  le  même  raisonnement  (éd.  Teubner,  1861  ^  t  Illy 
p.  468)  : 

El  TA  Tpsf  etv  7C(0Y(i>va  Soxci  (toçCov  iceptiroietv, 
Kal  Tpàfoc  eOttcoyov  eûaroXéc  ^i  IIVdTWV. 

Y  a-t-il  là  une  simple  coïncidence  ?  Je  crois  plutôt  à  une  transmission, 
par  l'intermédiaire  des  écoles  :  c'est  aux  philosophes  barbus  dont  s'est 
aussi  moqué  Julien  que  cette  plaisanterie  s'applique  le  mieux  :  au  moyen 
âge  elle  n'avait  pas  grande  raison  de  se  produire. 

Deux  ou  trois  petits  contes  en  vers  se  remarquent  dans  notre  manus- 
crit. L'un,  intitulé  Versus  de  mola  piperis  (p.  16),  est  bien  connu  ;  Paotre 
est  une  des  formes  de  V  Enfant  déneige^  en  deux  vers,  récemment  publiées 
par  M.  Wattenbach  (voy.  Rom.  V,   124)  : 

De  nive  conceptum  quem  mater  adultéra  fingit 
Sponsus  eum  vendens  liquefactum  sole  refingit  (p.  13); 

le  troisième  (p.   17),  intitulé  Versus  de  mure  et  murilego,  est,  je  pense, 

inédit  : 

Caseolum  quidam  servandum  misit  in  archam  : 
Mus  veniens  forât  hanc,  intrat,  comedit,  satur  exit. 
Vir  ne  mus  rediens  évadât  ponit  in  archam 
Muvilegum  :vorat  hic  id  quod  mus  ante  reliquit. 
Sic  vastant  muiti  quod  debent  jure  tueri. 

G.  P. 

II. 
SUR  QUELQUES  PRONOMS  PROVENÇAUX. 

NOTES  SUPPLÉMENTAIRES. 

De  nouvelles  recherches  ou,  plus  exactement,  de  nouvelles  ren- 
contres me  permettent  de  faire  quelques  utiles  additions  à  plusieurs  des 
Notes  sur  les  pronoms  provençaux  publiées  dans  le  dernier  numéro  de  la 
Romania, 

10  Oc.  Cette  forme,  dont  l'origine  (lat.  hoc)  ne  peut,  ce  me  semble, 
faire  l'objet  d'un  doute,  et  dont  je  n'avais  vu  d'exemples  que  dans  les 
œuvres  d'un  poëte  de  nos  jours,  se  rencontre  plusieurs  fois  dans  les 
poésies  gasconnes  de  d'Astros  <  (xyii"^  siècle) .  Elle  y  suit  toujours  le 
verbe,  quelquefois  affaiblie  en  og.  Devant  le  verbe  c'est  ac  (ag),  qui  n'en 
est,  je  l'ai  dit,  qu'un  renforcement  que  l'on  trouve  toujours».  Ex.  : 

1 .  Poésies  gasconnes  y  recueillies  et  publiées  par  F.  T.  sur  les  manuscrits  les  plus 
authentiques.  Paris,  1867-9.  2  vol.  in-8*. 

2.  Même  emploi  respectif,  comme  je  Tai  déjà  noté,  à  Montauban  et  ailleurs, 
de  bo  et  de  ba,  et,  dans  quelques  parties  de  la  Provence,  de  vo  et  de  va. 


SUR  QUELOyES  PRONOMS  PROVENÇAUX  IJ? 

<^  Boulets  qu*4g  digo?  j»  —  «  0,  digats-oc  i>  (T.  Il,  p.  202).  Lorsque 
oc,  dam  ces  poésies,  suit  immédiatement  une  voyelle^  ce  qui  est  le  cas 
le  moins  fréquent,  ou  il  se  contracte  avec  celte  voyelle  et  alors  l*o 
disparaît  (Ex.  ;  houtag  en  cent  (I,  1421;  ptr  hec  entene  (I,  170);  per 
diâu  (1,  1S5),  ou  bien  un  g  (non  un  b  ni  un  v)  s'introduit  pour  éviter 
Iliiatus.  Ex,  :  per  bouta  goc  en  obro  {\,  222);  ptr  da  goc  a  'mené  (1,  j8). 
Cf,  deguens,  irès*fréquent  dans  le  même  texte,  pour  dehcns  [=^dedens) 
qu'offrent  d'autres  variétés  du  dialecte  gascon,  et  pugom  {=^prehouii 
i=  pTofandum),  que  possèdent  aussi  d'autres  dialectes'. 

2**  Ou.  Cette  forme,  ai-je  dit,  est  très-répandue  en  Languedoc.  Elle 
y  était  déjà  en  usage,  au  moins  dans  la  contrée  de  Béziers,  dès  la  fin 
du  xn\*  s.  ou  le  commencement  du  xiv*.  C'est  ce  qu'on  peut  induire 
avec  certitude  des  exemples  ci-après  où  le  pronom  0,  suivant  un  /, 
est  traité  comme  l'était  souvent  dès  lors  ou  peu  après,  dans  la  même 
contrée^  Vo  des  mots  tels  que  passio^  devenu  passiu  et  pasiieu^. 

Qu'uei  non  es  vius  ifuiti  fo  îer 

{TrouMonrs  de  Biziers,  p.  104.) 

Equar  non  es  quiu  dtfenda 

Niu  castic  los  mais  penden. 

{Ibid,,  p.  ÏÎ7.) 

E  no  troba  qum  aprenda. 

(Ibid.,  p.  157.) 

Ces  trois  derniers  exemples  sont  de  Matfre  Ermengaud,  ainsi  que  le 

suivant,  tiré  du  Breviari  d'amor  (Mahn»  Gedichîc,  I,  180,  l  jj  et  qui 

est  le  seul  que  j'aie  rencontré  de  ce  nouveau  déguisement  de  notre 

pronom  : 

Nosson  pas  veray  aymador, 
Quar  slm  fosson,  volgran  suffrir... 

j*»  Vo,  L'examen  des  leçons  rejetées  par  M.  Barisch  au  bas  des  pages 
de  sa  Chrestomaihie  provençale  m'a  fait  découvrir  deux  exemples  de 
cette  forme  dans  {^Évangile  de  l'Enfance^  ouvrage  dont  le  ms.  est  anté- 
rieur d'environ  120  ans  à  celui  du  Ludus  Sancti  Jacobin  qui  m'avait 
fourni  le  plus  ancien  de  ceux  que  j'avais  rapportés.  Ce  sont  les  sui- 
vants : 

Sapjas  que  ieu  vau  fort  doptan 
Que  v'aga  fag  aquel  effant. 

(Chreslomathie  prov.^,  386,  2^-6.) 

Dis  Joseph  :  *  Senher,  que  dizes?  » 
—  <  Scnhcr,  vo  le  dirent  addes.  * 
jlbid.,  387,  7^.) 

I  *  Cf.  encore  le  limousin  agaf  =  fr.  haïr  iRevut  dts  kngua  romanes ^  [V,  78). 

2.  Voy.  là-dessus  Paul  Meyer,  Guillaume  de  la  Barre,  p,  j;,  et,  pour  la 
prononciation  (ou)  de  Vo  de  passio^  le  mémoire  du  même  auteur  sur  I  0  pro- 
vençal {Mimoifcs  de  fa  SocUie  de  Unguisti^uej  1 ,  145-161). 


3J4  MELANGES 

M.  Barisch  a  changé  dans  le  premier  cas  vaga  tn  hâga^  dans  le  se- 
cond vô,  qu*il  avait  lu  no^  en  nos.  Voir  là-dessus  la  Revue  des  langues  r<H 
maneSf  yui^  2^^, 

4**  Vou,  Cette  forme,  que  je  n'avais  remarquée  qu'en  Auvergne, 
existe  dans  le  Vivarais  et  le  Dauphiné.  Voy,  Revue  des  langms  romanes^ 
VI[,  2pi  VIII,  i\ù-i^^S  passim. 

5*  Vey  be.  Ces  formes  ont  cours  aussi  dans  le  Rouergue.  J'en  ai  rap- 
proché se  =  îo,  dont  j'ai  donné  un  exemple  du  xv*  siècle.  Le  suivant, 
que  j'ai  trouvé  depuis,  est  du  xiv\ 

Quar  se*  diso  lî  artîsta  ^ 

Que  la  terra  loi  la  vîsta.  ^^H 

iBrevîari  d*âmor,  v*  J 620-1. J*^^! 

6**  Aux  exemples  anciens  que  j'ai  rapportés  de  son  ou  sïeu  pour  for, 
il  faut  joindre  les  suivants,  tirés,  le  dernier  du  Poème  de  Sâinî-Trophime, 
tous  les  autres  du  Brevian  d'amor,  ouvrages  composés  dans  des  pro- 
vinces qui  font  aujourdhui,  et  qui  ont  dû  évidemment  faire  de  tout 
temps,  un  pareil  usage  du  pronom  possessif. 

Qiiez  alcunas  vetz  a  mon  may 

Son  effan  no  fan  se  mezets. 


{Breviari,  V,  784*^*) 
(md.,  3258-9.) 

iltid.,  9445.) 

Ulfid^t  18296-7.) 
Cant  eran  mort,  les  metian  sos  parens. 

{Saint'Trophime^  dans  la  Chrcst,  prov.  j8]-i4.) 

C.  Chabanëau. 

P.  S.  —  Je  trouve  un  exemple  ancien  de  oc  [hoc]  dans  la  chronique 
biterroise  de  Mascaro,  p*  143  :  ef  feron  hoc;  et  deux  de  ag,  forme  qui 

1.  [Cet  exemple  est  fort  douteux  :  M.  Mussafia  a  fait  remarquer  qu'à  cet  en- 
droit tes  mss.  ae  Vienne  portent  l'un  ja,  Tautre  son  (faute  qui  a  so  oour  point 
de  départ).  Voy.  les  Comptes  rendus  de  rAcadémie  de  V^ienne,  XLvl,  p.  429, 
—  R  M.J 

2,  Un  ms.  donne  la  variante  en  ïor  joven. 


Que  part  tota  re  amo  Dieu 
E  si  cum  se  lo  prueime  suu. 

E  totz  aticcls  naturalmen 
Noiris  sos  pois  e  son  joven  *. 

Eïon  vezetz  que  sos  bcfachors, 
Sos  senhors  e  50J  noiridors 
Conoîsson  li  cavaf  elh  ca. 

Ans  puesco  be  vieure  del  sUu, 

E  sovcn  pecco  atressi 
Emblan  lo  frug  de  so  vttu 


1 


I 


SOR  OyELQOES  PRONOMS  PROVENÇAUX  2^J 

n'avait  été  encore  *  je  crois,  relevée  que  dans  des  chartes,  dans  un 
lexie  littéraire  du  xiv«  siècle,  la  Vie  de  S*  Marguerite,  publiée  récemment 
par  M.  Noulei  (voy.  Romania^  IV,  48^^  Ce  sont  les  suivants  : 

V.  6[  Si  no  &g  es  (NoaUt  aguesl  ma  drudan  fare. 

V.  91  A  lor  scnhor  ag  an  (Noula  agan)  contât*. 

Le  même  texte  offre  encore  a  (v.  562  :  m'a  fana  far),  forme  qui  se 
trouve  aussi,  au  moins  une  fois  (vos  a  mostre),  dans  les  Joyas  del  gay 
sâhtî,  p.  252. 

—  Se  (î=s  to]  se  lit  deux  fois  dans  la  Chanson  de  la  Croisade  albigeoise^ 
ir,  rot 9  [se  cug),  où  M.  Meyer  conserve  cette  forme,  et  v,  8249  (per 
j^qu'o  entendatz]  où  il  la  change  en  so^.  Je  croîs  qu*i!  n'y  a  aucune 
témérité  à  conclure  de  ces  deux  exemples,  comme  de  celui,  relaté  plus 
laut,  que  j'ai  tiré  du  Breviari  d'amor^  que  la  forme  se,  aujourd'hui  sî 
répandue,  était  déjà  en  usage  à  l'époque  où  le  ms,  de  la  Croisade  et 
celui  du  Breviari  d'amor  suivi  par  Tédition  de  ce  poème  ont  été  exécutés. 

C.  a 


b 


1.  [Ces  deux  exemples  de  la  Vie  de  S,  Margamte  mè  semblent  contesUbks, 
Ce  n*est  pas  que  }e  conteste  la  poxsibilîlé  de  la  forme  ag  ou  a  dans  ce  texte, 
puisque  je  l'y  ai  signalée  le  premier,  ci-dessus  IV»  487,  mais  je  doute  qu*elle 
5it  à  prendre  place  dans  les  deux  vers  cités  par  M.  Chabaneau.  J*ai  proposé 
iRomanta  IV^  485)  de  corriger  le  premier  ainsi,  le  v.  6t:   Si  no  es  ma  drudan 

Jau  {pom  farai),  et  |e  mainHens  ma  correction  :  celle  de  M.  Ch.  donne  au  vers 
iioe  syllabe  de  trop  :  à  la  vérilé^^  il  n'est  pas  impossible  de  prononcer  ntng 
pour  no  àgy  mais  si  on  lit  la  phrase  entière,  ou  seulement  les  deux  vers  60 
et6ij  on  verra  au'un  pronom  n'est  pas  nécessaire.  Voici  ces  deux  vers  :  Si 
"itrgts  a  molhtcr  taure  |  Si  no  es  (=  si  elle  n'est  pas  [vierge])  ma  tiradan  fare, 
— ^ Quant  au  vers  ^\^  A  lor  senhor  ag  an  comtat  ne  rime  pas  avec  le  vers  suivant^ 
qui  se  termine  par  gazanhar  :  û  faut  donc  adopter  au  moins  une  partie  de  ma 
correction  et  lire  :  ag  van  comiâr.  Mais  puisque  agan  doit  nécessairemcnl  être 
corrigé,  ag  devient  fort  inceriain,  et  0  van  comtar^  que  j'ai  proposé.  n*est  point 
inadmissible.  Le  poème  fait  en  effet  usage  de  la  forme  0^  la  plus  fréquente  de 
beaucoup j  comme  on  sait  ;  ainsi  v.  224  que  0  ^oîz  far.  —  P»  M.] 

2.  [C  est  à  dessein  :  le  v.  1019  est  de  Guillaume  de  Tudela,  dont  la  langue 
est  incorrecte  cl  imprégnée  de  français.  Chez  cet  auteur,  se  peut  être  une 
(onnc  française  pour  ce.  Au  v.  8249,  qui  appartient  au  poète  toulousain,  se 
Cït  très*  probable  ment  une  forme  introduite  par  le  copiste,  ou  peut-être  tout 
simpieraenl  une  faute,  —  P.  M.] 


COMPTES-RENDUS. 


Romaolsche  ^Vortschœpfang,  von  Friedrich  Diez*  Bonn,  Weber,  iSyjjJ 

in-8*,  vj-98  p. 

On  retrouve  dans  rayant -propos  de  ce  petit  livre  la  discrétion  et 
modestie  avec  lesquelles  l'illustre  auteur  a  toujours  parlé  de  ses  travaux.  Quanti 
i  l'opuscule  en  I ut-même,  il  est  attrayant  et  instructif*  11  ne  contient  rien  de^ 
nouveau^  si  l'on  entend  par  là  des  faits  inconnus  ou  des  lois  non  encore  établies^ 
mais  ce  qu'il  rassemble  est  rajeuni  par  le  rapprochement  même  el  le  point  de 
vue  de  l'auteur.  Qu'est  devenu  entre  les  mains  des  Romans  l'héritage  de  li 
langue  latine?  en  quoi  l'ont- ils  accru,  transformé,  laisse  perdre?  C'est  ce  qufi| 
M.  Diex  recherche,  en  se  limitant  aux  substantifs  concrets^  â  ceux  qui  servent  i 
nommer  les  choses  les  pîus  nécessaires  à  fa  vk.  Il  compare  lui-même  son  îovctpJ 
taire  à  ces  glossaires  du  moyen-âge,  appelés  Nominulia^  où  les  mots  étaient  rangéii 
par  classes.  Voici  la  iiste  de  ces  classes  :  Ùuu,  Seigneur  ;  —  Univtrs^  SaiiontA 
Heurts f  Phénomènes  natureh;  —  Sarjaa  du  sot:  —  Homme;  —  Corps  de  t'hommeu 
—  Âme  de  fhomme  ;  —  Aga  ;  —  Parmlè,  Familk  ;  —  Animaux  (Mammifirts^  à 
Oiseaux,  Amphibies,  Poissons j  insecUs):  —  Plantes  (Arbres, Fruits,  Fleurs);  ^\ 
Minéraux  ;  —  Jardinage  ;  —  Agriculture  ;  —  Navigation  :  —  Guerre,  Comkût  ; 
Armée,  Guerrier  ;  —  Armure  du  guerrier;  -^  Armure  du  ckcval:  —  Mélurs  ;  —  Ar\ 
et  Science;  —  Ville;  —  Eglise;  —  Maison;  —  Intérieur;  —  Mobilier;  —  Vitement^ 
Nourriture  ci  Boisson;  -^  Ustensiles  de  table.  Pour  chacune  de  ces  catégories,.] 
Tauteur  ênumère  d'abord  les  mots  latins  qui  servent  à  rexprimer,  puis  il  indiquai 
ceux  qui  se  sont  perdus  en  roman,  ceux  qui  se  sont  conservés,  ceux  qui  onli 
changé  de  sens,  et  les  mots  étrangers  qui  sont  venus  réparer  les  pertes  ou^ 
combler  les  lacunes  du  vocabulaire  latin.  Ce  travail,  M.  Diez  Tavait  déjà  fait  eai 
partie  dans  la  Grammaire  des  lanpes  romanes  ;  il  le  reprend  ici  avec  plus  dti 
détail  et  de  liberté.  L'intérêt  historique  et  philosophique  de  semblables  recherche»^ 
est  évident;  l'auteur  met  finement  en  relief  l'intérêt  pu  rement  grammatical  qu'elles  i 
peuvent  avoir  :  la  comparaison  des  diverses  langues  se  fait  d'elle-même  dansJ 
l'esprit  et  se  dessine  avec  précision  par  la  juxtaposition  des  représenunts  que  | 
le  mot  latin  a  trouvés  dans  chacune  d'elles» 

Quelques  légères  inadvertances  ont  échappé  çà  et  là  à  la  révision  des  épreuves, 
et  les  travaux  récents  n'ont  pas  toujours  été  mis  à  profit.  Mais  qui  aurait  te 
courage  de  faire  des  critiques  de  détail  à  un  homme  qui  depuis  cinquante  ans  n'a 
cessé  d'enrichir  et  de  faire  marcher  la  science  qu*il  a  fondée,  el  qui,  à  Tige  de 
quatre-vingts  ans,  sait  encore  apporter  à  Tétude  h  fraîcheur  d'esprit,  la  finesse 
de  pensée  et  l'élégante  concision  d'expressioo  qu'on  admire  dans  plusieurs 
passages  de  ce  petit  livre?  Tous  !es  philologues  romans,  élèves  de  M.  Diez,  le 
remercieront  de  ce  nouveau  cadeau^  fleur  d'arrière-saison,  qu'ils  n'espéraienl 
plus  guère,  éclose  sur  Tarbre  puissant  â  l'ombre  duquel  ils  travaillent. 

G.  P. 


R,  FÉRAUT,  Vida  de  sont  Honorât 


H7 


La  Vida  de  sant  Honorât,  légende  en  vers  provençaux  par  Raymond 
Fkbaut,  troubadour  niçois  du  Xi  If"  siècle,  publiée  pour  )a  première  fois  en 
son  entier  par  les  soins  et  aux  frais  de  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts 
des  Alpes -Maritimes,  avec  de  nombreuses  notes  explicatives,  par  M.  A-L. 
8\flDou,  Nice,  imp.  Caisson  et  Migiîon,  s.  d.  [1875].  —  ln-8",  xx-214  p. 

La  fie  de  saint  Honorai,  composée  par  Raimon  Féraui,  prieur  de  la  Roque- 
Estéron,  à  la  requête  deGaucelm,  abbé  de  Lérins,  pour  Marie  de  Hongrie,  femme 
de  Charles  II,  comte  de  Provence,  occupe  tin  rang  fort  honorable  entre  les  der- 
niers écrits  de  h  lillérature  provençale  :  les  récits  dont  elle  se  compose  ne  sont 
poînt  dépourvus  d*art  ;  la  versification  offre  une  variété  dont  on  n'a  pas  d'autre 
exemple;  la  langue,  qui  n'affecte  aucune  prétention  savante,  qui  reste  populaire^ 
toui  en  étant  habilement  maniée,  offre  peu  de  difficultés,  et  réserve  nombre  de 
petites  découvertes  au  philologue  qui  cherche  à  se  renseigner  sur  Pélat  du  pro- 
vetîçal  dans  la  basse  Provence  aux  environs  de  l'an  i  joo.  On  ne  peut  donc 
qti 'approuver  la  société  savante  des  Alpes-Maritimes,  et  particulièrement 
ft^ .  Sardou,  d'avoir  songé  à  mettre  au  jour  \xn  ouvrage  qui  a  pour  le  départcr 
wienl  des  Alpes-Marilimes  un  intérêt  tout  spécial.  Mais  il  faut  regretter  que 
l'édition  n'ait  pas  été  dirigée  par  un  philologue  suffisamment  préparé  â  sa  tiche. 
Ce  défaut  de  préparation  était  déjà  trop  sensible  dans  la  notice  du  poème  de 
R  .  Fcraut  que  M.  Sardou  a  publiée  en  i8j8  ou  1859',  mais  il  Test  bien  plus 
encore  dans  une  édition  oii  Ton  s'attend  naturellement  à  rencontrer  un  travail 
«Complet  et  méthodique  sur  Fouvrage  édité. 

le  ne  pourrais,  sous  peine  de  reproduire  des  observations  que  j'ai  déjà  formu- 
ailleurs  ',  entreprendre  ici  Texamen  de  cette  édition.  Je  me  bornerai  à  résu- 
er  en  quelques  lignes  les  critiques  qui   peuvent  lui  être  adressées.  Le  texte, 
1* ^bord,  n*a  point  été  établi  sur  une  base  suffisante.  M.  Sardou  n'a  mis  A  con- 
"îbution  que  trois  mss.  :  celui  de   Raynouard,  maintenant  en   la  possession  de 
^^Ctjpssard,  et  deux  des  trois  mss.  de  la  Bibliothèque  nationale;  et  encore 
*a-l-il  guère  fait  usage  de  ces  deux  derniers  que  pour  compléter  le  ms.  Ray- 
*^Ouard  qui   a  perdu   ses  derniers  feuillets.  Or  nous   connaissons  de  la  vie  de 
^^^itit  Honorai  jusqu'à   neuf  mss,,  sans  parler  d'une  traduction  catalane'.  Des 
^Circonstances  fortuites,  et  non  pas  un  examen  comparatif  de  ces  mss.,  ont 
^^terminé  le  choix  de  l'éditeur.  En  outre,  M,  S.   paraît  n'avoir  pas  toujours 
>ien  lu  SCS  mss.,  d'où  un  certain  nombre  de  leçons  fautives,  parfois  même  inin- 
telligibles. Enfin,  les  notes  fort  nombreuses  qui  accompagnent  le  texte,  —  notes 
t'ès-èlémentaires,  rédigées  en  vue  d'un  public  n'ayant  du  provençal  qu'une  con- 
'  ''JAissance  bien  superficielle,  —  contiennent  souvent  des  explications  erronées  *. 
Voilà  potir  le  texte  et  pour  son  commentaire.   Quant  à  la  préface,  je  n*en  puis 
1^  dire,  sinon  que  M.  S.  ne  paraît  pas  soupçonner  l'existence  de  divers  travaux 
^ui  ont  été  faits  dans  ces  d\K  dernières  années  sur  des  sujets  qui  touchent  de 


i*  La  Vida  de  Sant  Honorât,.,  analyse  et  morceaux  choisis,  par  A.-L.  Sardou.  Piris, 
iinatt  €1  Dciobry,  vi-j8  p.  gr,  in-8'  (s.  d.). 

1,  Voy.  mon  rapport  sur  la  publication  de  M.  Sardou  dans  le  dernier  cahier  piru  de 
Il  ktfuc  des  Sociitts  savantes^  6'  série,  t.  Il,  p.  i6*6î. 

^.  Voj,  Rev,  dts  Soc.  sav.  t*  /.  p,  jy  note  1. 

4.  i'ai  donné  dans  l'article  précité  des  échantillons,  qu'il  serait  aisé  de  multiplier,  de 
(Cl  divers  genres  de  fautes. 


a)8  ,    .1..  ,-•  COIIPTES-RENDUS 

prés  à  R,  Féraut.  Il  ignore  tes  recherches  de  G.  Pariç  sur  les  récits  empruntes 
à  rèpopée  carolingienne  qui  occupent  une  assez  grande  place  dans  la  Vie  de 
saint  Honorat\  Il  ne  connaît  pas  davantage  les  études  qui  ont  démontré  k  peu 
de  valeur  des  assertions  de  Jean  de  Nostre-Dame  a,  et  il  n*hésite  pas  â  recueillir 
chez  cet  auteur  si  peu  véridîque  b  plupart  des  faits  de  la  vie  de  R.  Féraut, 

Entre  les  questions  dont  se  sont  occupées  les  personnes  qui  ont  écrit,  avant 
M-  Sardou,  sur  R.  Féraut,  Tune  des  plus  intéressantes  est  celle  des  sources  de 
la  Vie  rédigée  en  forme  poétique  par  ce  religieux.  Dès  le  début  du  poème.  Tau* 
leur  nous  fait  savoir,  en  des  termes  qu'il  ne  faut  petit-étre  pas  prendre  au  pied 
de  la  lettre,  qu'il  existait  une  biographie  latine  de  son  héros  : 

La  vida  s'atiobet  en  un  temple  jadis  ; 

De  Roma  l'aportci  uns  mongcs  de  lx:ri*. 

De  lay  si  trays  11  gesta,  d'una  anitgua  scriptural 

Rcn  non  i  trobares  mays  de  veritat  pura. 

Cette  gisldj  celte  histoire  qui  fut  tirée  deîa  Vie  en  écriture  ancienne  apportée 
de  Rome  par  un  moine  de  Lérins  (pourquoi  «  apportée  de  Rome  »  ?)  étaîl 
assurément  en  latin.  Au  début  du  quatrième  livre,  où  sont  contés  les  miracles 
opérés  par  Tintercession  d' Honorât  après  sa  mort,  R.  Féraut  dît  :  l^esloria  n 
gnus  1  E  h  lutins  ts  hnus^  Thisloire  est  pénible  (sans  doute  longue,  et  par  suite 
pénible  â  raconter)  et  le  latin  est  bref,  ce  qui  est  une  évidente  allusion  à  la  Vie 
latine  que  le  poète  avait  sous  les  yeux  \  A  la  fin  de  ce  même  livre  <p,  188),  Féraut 
remarque  que  le  saint  a  fait  bien  d'autres  miracles  que  ceux  qu'on  trouve  en 
écrit  :  £  mot  mays  tn  fa  le  grazitz  \  Que  non  n'anm  trobat  cscnck,  11  est  inutile 
de  démontrer  plus  longuement  ce  que  personne  ne  songe  à  contester  ;  tenons 
pour  établi  que  Féraut  a  mis  à  contribution  une  vie  latine.  Mais  quelle  est  cette 
vie?  Est-ce  celle  que  les  Botlandistes  mentionnent (^cfd  SS,,  16  janvier)  comme 
imprimée  à  Paris  en  1  p  1  et  qui  leur  a  paru  Irop  fabuleuse  pour  mériter  de 
figurer,  même  en  extrait,  dans  leur  vaste  recueil?  Cette  question  n'a  pu  jusqu'id 
être  résolue  définitivement.  La  vie  latine  de  saint  Honorât  est  un  livre  tellement 
rare  que  G.  Paris  n*a  pu  en  voir  aucun  exemplaire,  et  a  dû  se  contenter  d*une 
traduction  en  provençal  du  XV!^  siècle  dont  le  ms.  se  trouve  à  Lyon  ♦. 

1.  Histoire  poétique  de  Charlemagne  p.  88,  291,  etc. 

2.  Voy,  mon  mémoire  sur  les  Derniers  Troubûdours  4*  ta  Fwfemt  {ïS7i),et  Romaaia 
11,  142. 

54  Car  M.  Sardoii  est  certainement  dans  Terreur  lorsqu'il  traduit  en  note  (p.  IJI)  : 
f  k  Uitins  es  breus  par  «  et  mon  sévoir  est  bref  ». 

4.  Bibliothèque  cfe  U  ville  n"  tioi  (n*  1121  du  catalogue  Dclandinc).  G.  Paris  n^l 
même  eu  (voy.  Htsi  poit.  de  Charlcm.  p.  88)  que  la  copie  des  rubriques  de  cette  tra- 
duction, de  lorte  qu^il  n*a  pu  étudier  comparativement  les  deux  textes.  Du  reste  cette 
traduction  n'est  pas  complète.  Une  note  du  père  Papebroch^  daiic  de  janvier  i68j  et 
écrite  sur  un  feuillet  de  garde^  indique  qu'elle  contieni  iculemcnt  les  deux  premiers 
livres  de  l'édition  latine,  et  encore  abrégés  en  maint  endroit-  Le  traducteur  provençal  a 
njouté  un  prologue  de  ^  (açon,  qui  commence  ainsi  :  u  A  la  glorio  et  lausor  de  U 
»  sanctissimo  et  individuo  Trînitat^  $i  acomensso  la  vido  et  iigendo  dai  sacratissime  e 
»  glorios  cvesque  et  confesser  de  Jésus  Crist  monsur  Sanct  Honorât,  permicroment 
m  fundador  et  aoat  de  la  saaado  insulo  de  terios,  filh  dai  reî  de  Omgrio  et  evesque  de 
0  Arte...  n  En  void  les  dernières  lignes  :  «  Affin  que  ca&cun  puesque  emtendre  aqucsto 
j^  sanao  vido^  l'on  l'a  volgudo  tra&slatar  de  Utim  tm  vtilgar,  la  quai  vido  comten  très 
i>  pctis  libres  :  lo  permier  parlo  que  fe$  lo  sanct  cve^que  Sanct  Honorât  essent  em  sum 
n  evcsquat,  et  lo  scgunt  que  fes  davant  que  fosso  evcsque  ;  lo  ters  que  miracle»  a  Ëich 
»  après  sa  mort.  Volent  nos  parlar  dai  premier,  preguem  Dieu  que  nos  spire  et  nos 
»  donc  sa  gratto.  Amen,  w 


R.  FÉRAUT,  Vida  de  sani  Honorai  2\^ 

yi\  été  plus  heureux  :  M.  F.  Denis,  conservateuradministratetir  de  la  Bibljo* 
thè^jue  Sainte-Geneviève,  a  bien  voulu,  avec  son  obligeance  nccoututnée,  me 
pfèlcf  le  seul  exemplaire  acluellement  connu  de  ce  précieux  petit  livre,  celui 
que  possédait  feu  A.  Denis,  ancien  député  du  Var,  et  d'après  lequel  des  extraits 
de  11  vie  latine  ont  été  publiés  tant  par  le  possesseur  du  livre  *  que  par  diverses 
personnes  â  qui  il  Pavait  libéralement  communiqué. 

J'ai  donc  pu  instituer  une  comparaison  détaillée  entre  le  latin  et  le  provençal^ 
mais  cette  opération  n*a  pas  produit  des  résultats  tout  i  fait  sûrs,  La  Vie 
Utioe  et  le  poème  sont  dans  un  rapport  très-inttme  :  la  marche  du  récit  est  la 
mêroe  de  part  et  d'autre»  les  chapitres  se  correspondent  en  général  assez  exac- 
tement; et  cependant  il  n'est  guère  possible  d'admettre  que  la  Vie  latine  que 
Dûus  possédons  soit  l'original  suivi  par  R.  Féraut.  En  effet,  ce  dernier  offre 
pour  ainsi  dire  à  chaque  page  des  détails  qui  manquent  au  latin;  et  ces  détails, 
qui  consistent  en  indications  toutes  locales,  ne  sont  pas  de  ceux  qu'imaginerait 
un  traducteur  cherchant  à  amplifier  sa  matière.  Je  ne  vois  place  ici  que  pour 
deux  hypothèses  :  ou  bien  ia  Vie  latine  imprimée  est  faite  sur  ie  provençal 
(auquel  cas  elle  n'aurait  pour  nous  aucune  valeur,  et  il  nous  faudrait  chercher 
ailleurs  le  récit  mis  à  contribution  par  R,  Féraut)^  ou  bien  cet  imprimé  n'est 
que  Tabrégé  d'une  Vie  plus  ample  que  Féraut  aurait  eue  à  sa  disposition.  Cette 
seconde  hypothèse  me  paraît  jusqu'à  présent  la  plus  vraisemblable.  En  effet, 
sans  tenir  compte  pour  le  moment  de  quelques  menues  différences  entre  les  deux 
textes  qui  s'expliquent  mieux  ainsi,  je  ne  puis  m'empêcher  de  croire  que  si 
l'auteur  anonyme  s'était  contenté  de  mettre  en  latin  sous  une  forme  abrégée  te 
texte  provençal  de  Féraut,  il  n'eût  pas  manqué  de  mentionner  une  circonstance 
aussi  importante  dans  le  prologue  où  il  indique,  comme  sources  de  son  ouvrage, 
tes  écrits  de  saint  Hilaire,  de  saint  Césaire,  de  saint  Eucher. 

Quoi  qu'il  en  soit,  je  crois  devoir  donner  ici  une  description  détaillée  et  des 
extraits  de  ce  livre  infiniment  rare,  peut-être  unique.  Les  Bollandistes  ont  connu 
de  ta  Vie  latine  une  édition  imprimée  par  J,  Petit  en  i  ^m  ;  celle  que  j'ai  sous 
les  yeux  a  clé  imprimée  en  1 50Ï  à  Venise  par  Luc- Antoine  de  Junte,  V^oici  ce 
qu'on  lit  au  dernier  feuillet,  qui  n'existe  plus  en  original  dans  l'exemplaire  de 
M,  Denis,  mais  a  été  refait  à  la  pîume,  assez  grossièrement  du  reste,  et  à  une 
époque  déjà  ancienne,  tout  de  même  que  le  premier  feuillet*.  Je  ne  cherche 
point  à  reproduire  la  ponctuation  ni  les  abréviations  de  l'onginal  :  ces  dernières 
seraient  difficiles  à  figurer  avec  notre  typographie  moderne  : 

Dulds  Hononte  per  secula  cuncte  béate, 

Dirige  servorum  mentes  et  vota  tuorum. 
Impressum  Venetiis  auaore   Deo  ad   laudem   îpsîui  et  monaitid  ordinîi  decus,  qui 
tilihis  ab  initie,  ipsa  scilicet  Chris ti  predicatione,  et  deinceps  per  omnia  tempora,  ftmdi- 
tofibus   ac   reparatoribus  cLaruit  floruitque.  Cura   autem  et  impensii  Nobitis  viri  Luce 


I.  A.  Denis,  Promeaûdes  pittoresques  à  Hyirts,  2"  cdirion,  rSjj,  p.  ji2. 

1.  l*e  feuillet  8  aussi,  qui  manque  â  l'eiemplaire,  a  été  remplacé  p^r  une  copie  faite 
ligne  pour  ligne  et  qui  reproduit  les  abréviations,  mais  sans  viser  à  imiter  la  forme 
de»  caractères.  L'écriture  me  parait  indiquer  que  ces  réj^arations  ont  été  exécutée*  dans 
la  première  moitié  du  siècle  dernier.  Il  faut  donc  qu'il  ait  existé  abrs  un  exemplaire  com- 
plet d'apréi  lequel  on  a  pu  copier  ce  qui  manque  à  celui  de  M,  Denis. 


a40  .*r<t«iP<ï^COMPTBS-ltEKDUS 

AntQiûî  de  Giunti  Plorcntuiif  ane  et  solerti  ingento  magistri  'Jobamis  de  SpSri,  jriio 
gr3tie  sdlutaris  miliesimo  quingence^imo  pnmo,  pridk  Kai.  AugtiÂti.  , 

Le  format  est  in-8%  el  le  caractère  est  gothique.  Bandini  ne  memtonac  pas 
notre  Vie  de  S.  Honorât  parmi  les  livres  de  Luca  Antonio  d\  Giunta  qu'il  énu- 
mére  au  commencement  du  deuxième  volume  de  ses  Juntarum  typographiat  Annata 
(1791,  8**),  mais  il  décrit  un  ouvrage  dont  l'explictt  est  presque  semblable. 
C'est  une  Vie  de  saint  Benoît  accompagnée  de  divers  autres  opuscules,  qui  fut 
absoluta  Vcnttiis  feticibus  ûuspiais  D.  Martyr ts  Cforgîi,  me  non  Monackortim 
Cotnobix  ipsius  mictissimi  Chnsîi  Militis  nomine  digne  addicati,  cura  et  mpmsis  m- 
iniis  viri  Luae  Antonii  de  Giufitâ  Fionnim^  Arît  et  solerti  ingenio  Magistri  Joanniî 
de  Spirâ  ;  imno  salutts  Domimcae  MCCCCC,  Idibtts  AprUis,  4*».  —  La  Bibliothèque 
nationale  possède  (H,  réserve;  un  exemplaire  de  ce  volume,  et  j'ai  pu  constater 
c(ue  le  caractère  en  était  identique  à  celui  de  la  Vie  de  Saint  Honorât.  —  L'édi- 
tion de  la  Vie  de  S.  Honorât  est  peu  soignée  :  les  fautes  typographiques  y  abon- 
dent. Il  y  a  95  feuillets  numérotés  qui  se  répartissent  en  ti  cahiers  sîg:nés  de  A 
à  M*  Le  cahier  C  est  paginé  17,  20,  19,  22,  21,  24,  25,  26;  (e  cahier  D  reprend 
correctement  au  feuillet  25.  Le  frontispice  (refait  dansTcxcmplairedeM*  Denis) 
présente  au  recto  l'avertissement  qui  suit  : 

Lectori  satutcm. 
Habes  hoc  insigni  novoqu?  opusculo,  lector  optîme,  quod  aUi  quïdem  tîbi  coâ'tces  per- 
pauci  dabunt  ;  jucundiiatis  videLicei  fructu&que  plenissimam  lectlonem^  que  nimîrum  et 
hystorie  grata  varietas,  et  celestis  in  ea  doctrine  digmtas  prestat.  Est  in  ipsa  quod  secu<^ 
larU  et  JalcuSf  quod  retigiosus  quUque^  quod  dericus  monachuâquc  desiderent,  Ergo,  qms* 
quises,  ne  spemas^  sed  stve  acclpias,  relinque  sue  (liseï  sWe  reltnquas  ?}^  honora  quod 
respîds.  Est  enim  raagni  Honorati  vîta,  qui  inter  nobiles  primus,  inter  raouachos  sura- 
mm,  inter  sacros  antistite»  digniisimus  extitit.  Emc  modo  quod  parvi  comiit  :  magni 
interest.  Lege,  ei  lia  sim  felbt  quomodo  opimonem  quam  facio  vincei  res  ip&a,  Vale. 

L'ouvrage  est  divisé  en  trois  livres  ayant  pour  objet  :  i  '  l'histoire  du  saint 
avant  qy'ii  fût  évêquc  d'Arles  ;  2°  son  histoire  pendant  son  épiscopat  ;  y  le 
récit  des  miracles  accomplis  par  son  intercession  après  sa  mort.  Le  début  du 
prologue  (fûL  i)  fera  connaître  la  disposition  de  l'œuvre  ; 

PTOlogUS. 

lacfpit  prologus  in  vita  $ancti  Honorati  confe&soiis. 
Quîa  gloriosi  ChrLsti  confessoris  Honorati,  olim  monasterii  Lyrineniis  abbatis  ac  poit^ 
mûdum  ArdatensiA  episcopi  gcsta  a  divcrsis  auctoribus  exarata  reperimiu  m  diventii 
volumtnibus  dispersa,  ea  hmc  înde  coUigere  et  sub  unius  libelli  compendio  redigere  cura- 
vimus,  pluribus  ex  industria  pretermi^^i»^  ne  prokixitate  materie  icgentii  imcUectum  gra* 
varemus.  quod  siquidem  opus  tripartimmT  id  est  tribus  Ubris  comprehensum,  pcr  titulot 
vet  rubricasi  disponert  tibuit,  ut  sludiosus  inspector  quod  de  predaris  cjus  actibus  cupit 
citius  ac  fadlius  invenire  possit.  tn  qua  mmirum  compilatîone  dicta  vd  scripta  dartssi- 
morum  potitificum,  sanctorum  videHcet  Kylarii^  Ce&arii,  Eucherli  et  Maximi,  secuti  sumus, 
qui  de  sancti  vin  admîrandis  \îrtutibus  credibiUa  .nimis  testimonîa  prcbueruni.  Et  in 
prima  huju«  opuscuU  nostri  parte,  quid  ante  epiacopatum  vir  beatus  egerit  ;  qualiterVero 
iti  epïsœpatu  vixerit^  in  secunda  ;  tertia  quoque  quibus  post  obitum  miraculis  claruerit. 
seu  quomodo  t\\is  monastcrium  quod  Lynnensc  nuncupatur,  pro  ejus  oratiODibus  oreverit, 
ut  meliuj  potuimus^  auctore  Dommo,  dcîcripslmus..... 

La  disposition  des  matières  est  la  même  (ou  bien  peu  s'en  faut)  dans  le  tatin 
et  dans  te  poème  provençaL  Comme  j^  Tai  dit  plus  haut,  les  chapitres  se  cor- 


I 


I 


I 


R.  FÉRAUT^  Vida  de  îont  Honorât  ^t 

idast  isiez  eiuctement  de  l'un  à  l'autre  texte.  Ils  sont  répartis  dans  le 
•^roftoçal  en  quatre  livres,  quî  correspondent  aux  trois  livres  du  latin  selon  que 
le  tableau  sommaire  qui  suit  le  montrera. 
I  latin.  provençal 

livre     I  =    ch,  I  à  38. 

—  n         =    ch.  19  à  Si  (fin  du  L  II  et  I.  01  % 

—  m         ^    ch,  82  â  118  (K  IV). 

Je  réclame  d^avance  Tindulgence  du  lecteur  pour  h  comparaison  longue  et 
itunutieuse  que  j'ai  dû  établir  entre  tes  deux  textes  afin  de  me  former  une  opinion 
'  leur  relation.  Si  Tun  de  ces  textes  n'était  pour  ainsi  dire  inaccessible^  je 
'  bomerats  à  donner  les  résultats  de  mon  étude;  mais  précisément  parce  que 
>  résultats  ne  sont  pas  de  tout  point  assurés^  et  que  d'autre  part  il  n'est  pas 

possible  de  les  contrôler  sans  faire  usage  de  la  Vie  latine,  je  ne  crois  pas  pouvoir 

me  dispenser  de  faire  connaître  avec  quelque   détail  les  différences  comme  les 

ressemblances  des  deux  documents  rapprochés. 

Je  commence  par  transcrire  les  rubriques  du  livre  I,  y  joignant  (en  chiffres 

XTïmaiiis)  la  concordance  avec  les  chapitres  de  la  Vie  provençale  : 

indpîunt  capitula  Ubri  primL  Et  primo  : 

I  De  pâfentibui  sancti  Honorati  et  facta  eis  revetatione l  et  tl 

i  De  ettts  ortu  atque  infantia..     .     •     .     .     , IL 

)  De  panperc  Chmtiano  elemosynam  peteme.      .    ,     . U: 

4  De  matris  sue  dîs&uasione  a  Chriati  fide. Il 

f  De  reveUtîoae  facta  sancto  Caprasio  et  sociis  fjus,     ,          .          ,         ,  Il 

6  De  cervo  invento  et  apparitione  sancti  Caprasii.     ........  itl 

7  Qujliicr  cervus  sanrtum  Honoratiim  dircxit  î« .    ,*  Ul 

5  De  dolore  patm  et  matris  obitu  proptcr  converiionem  filii IV,  V,  VI 

^  De  dissuaiione  (sic)  patris  a  fidc  christiana ,    ,    .    .  VU 

1  0  De  pcrseverantia  fiUi  in  proposito  fidei,  et  de  Germano  ejtu  fratre.    .     .        vu,  IX 

*  1  Qualiier  ^pparuerii  ei  Dominus  Jcsus  Christus IX 

«  ï  De  ciaritate  cdesti  et  conversione  Germani  et  virtutibus  amborum.    .     .  X 

X  3  De  proposito  fratrum  e  patria  fugicndi,  et  de  eorum  baptismale  ac  nominum  '  muta- 

lioœ. 

•  4  De  coQversatîooe  eorum  ♦  post  baptismum. 

jji  î  De  eorum  navigatione,  et  miraculo  facto  in  maris  lurbaii  pacificationc  >.  XV 

16  De  advcntu  sancti  Honorati  et  sociorum  ejus  ad  montem  qui  Argeniarikis 

dicitur,  et  obitu  jancti  Macrobii XVI 

17  Qyajîler  appamit  ibi  eis  Christus,  et  de  eorum  adveniu  ad  ForôjaHum,  .  XXIU 
|I8  De  airattone  AnoUm  «  paralytid  fratris  episcopt  ForojuUensis  ,  .  .  .  XXIV 
II9  De  miraculonim  multitudine,  et  sanctontm  fiigj^  et  lupa  candîda  dingente.  XX IV 
'  )o  oe  electione  sancti  Leoncii  socii  beaii  Honorati  *. XXV 


I.  Dans  l'édition  de  M.  Sardou  Ja  numérotation  des  chapitres  se  poursuit  en  une  seule 
lérie:  livre  I  =  ch.  1-20;  l.  il  =  ch.  il  à  6ï  ;  L  Ul  =  ch,  fii  à   8t  ;  I.  IV  =  ch, 

i.  Pour  ce  chap.  il  y  en  a  deux  dans  le  texte,  Tun  et  Tautre  numérotés  vi)  (fol.  6  v 
«  toi.  7).  îlï  ont  pour  rubriques  :  Quaiikr  ctnus  inâmttas  contra  naturum  suâm  domtS' 
tlcuiïî  Si  txhibuit.  —  QudtiUr  ctjyus  sanctum  Honoratam  datent. 

j.  La  table  omet  ac  nommum^  que  îc  rétablis  d'après  ta  rubrique  du  icxlc. 

4.  Dans  le  texte  ff.  11  r")  :  De  coavertîone  sancti  Honorati  et  Venancii  e/us  fratris,,. 

5.  Dans  te  texte  {L  12  v»)  in  maris  turbatione  et  uacificationt. 

6.  ànôlini  manque  l  la  table,  mais  se  retrouve  à  la  rubrique  placée  en  tête  du  chapitre. 

7.  Mieux  à  la  rubrique  du  texte  :  Dt  e,  5.  L.  ad  epiicopatum  Forûjtttiensem, 

Remania^  V  16 


142  CaMPTES--RSNDUS 

21  Deelectioii«  ^aiicti  Magondi.    ,    «    ^    «    «    .  .  XXV] 

Il  De  insuU  Lirinensi  et  ingrcssu  sanoi  Honorâii  in  eim.  ...  XXVUt 

z{  De  iflterfectione  serpenium  et  fuga  draconb  et  maris  elevatione.  XXIX 

14  Testimonia  sanctorum  Hylarii  ci  Euchcrii  *, 

aj  Testimoaia  sanctorum  Cesaril  et  Maitimi  de  insuta  Lyrinensh 

26  De  cûovcrsatione  -'  sancti  Honorati  et  rcgiminc  Lyrinen*ii  monasteriL     *        XXXV II 

17  Tesiimonia  sanctorum  Euchcrii  et  Hylarii  et  Saiviani  de  monasterio  tyrineosi, 

28  De  sancto  Lupo  monacho  Lyrinensi^  et  postea  Treccnsi  episcopo*. 

29  De  aqua  duld  miratuJOÂe  obtenta XXXVltl 

}o  De  multiplicîbus  viriutîbus  «ancti  Honorati,  et  speciallteT  de  eju^  mumûcentii. 

31  De  converslone  sancti  Hylarii,  sancti  Honorati  discipuli* 

)2  De  sermone  sancti  Hylarii  habiio  ad  populum  in  die  annivcrsaria  sancti  Honorati  *. 

La  naïssance  d'Andronic  (qui  fut  plus  tard  saint  Honorai),  sa  rencontre 
avec  un  mendiant  qui  lui  demande  raum6ne  au  nom  de  Jésus-Christ  le  roi  de 
Paradis,  la  conversatiûn  que  le  jeune  homme  eut  ensuite  à  ce  propos  avec  sa 
mère  Helenborc^  sont  racontées  avec  les  mêmes  détails  dans  les  deux  textes,  avec 
plus  de  développemenls  toutefois  et  non  sans  un  certain  talent  poétique  par 
Féraut,  Le  seul  trait  de  quelque  importance  (et  encore  n'en  a-t-il  pas  beaucoup) 
qui  me  paraisse  propre  à  l'une  des  deux  rédactions,  est  la  mention  par  Féraut 
(ch.  II,  p»  7)  de  persécutions  exercées  contre  !es  chrétiens  par  ordre  du  roi  de 
Hongrie  père  d'Andronic.  Môme  accord  dans  le  récit  de  la  rencontre  du  jeune 
homme  avec  saint  Capraîs  qui  devait  le  convertir  (Vie  latine,  ch.  \  et  soiv.). 

Je  ne  vois  rîen  d*ititéressant  à  noter  dans  les  chapitres  qui  suivent,  sinon  que 
tes  lamentations  (qualiBées  de  lai^  p.  j6)  du  roi  de  Hongrie  sur  la  mort  de  sa 
femme,  sont  un  développement  poétique  propre  à  R*  Féraut.  —  Dans  le  ch.  9 
du  latin  comme  dans  îe  ch.  VU  du  prov.  le  roi  de  Hongrie  gourmande  son  (ils 
au  sujet  de  son  inclination  au  christianisme^  mais  Féraut  seul  fait  intervenir 
dans  le  discours  du  roi  les  noms  de  personnages  sarrazins  empruntés  i  Tépopèe 
carolingienne^  Aygolant  et  Marsille  (p.  18  et  20);  seul  aussi  il  nomme  (Rose- 
monde)  la  fille  de  l'empereur  de  Rome  que  le  roi  de  Hongrie  veut  faire  épouser 
â  son  fils.  —  Il  n'y  a  rien  dans  le  latin  qui  corresponde  au  ch.  VIII  du  prov, 
Ayzi  fay  duasar  los  Siinti  U  rey  Andrm  dt  la  fortst.  —  Les  deux  textes  s'ac- 
cordent pleinement  dans  le  récit  de  la  conversion  miraculeuse  de  Girman,  frère 
d'Andronic  (latin  ch.  12,  prov.  ch*  X>  ;  mais  immédiatement  après  une  diiîé- 
rence  sensible  se  manifeste.  Selon  R.  Féraut  (ch,  XI),  Andrioc,  le  roi  de  Hon- 
grie, envoie  ses  deux  fils  à  l'empereur  de  Constânlinople,  les  plaçant  sous  la 
conduite  d'un  noble  personnage  appelé  Homn  dd  LrujtîL  Ils  entrent  en  Romanie 
(rempire  de  Constantinopie)  et  parviennent  â  h  cité  d'Héraclée  {HeurocU^  éd. 
SardoUi  p>  26  b),  Là,  sur  le  bord  de  la  mer^  ils  rencontrent  saint  Caprais  et  ses 
deux  compagnons  (ch,  12)  avec  lesquels  ils  s*embarquent  de  nuit  (ch,  ij).  Ces 
circonstances  manquent  dans  le  latin  : 

Cap,  i).  —  Inito  itaque  consilio  et  quodamodo  [sic)  paisi  honoris  sui  persécution  cm, 
parentes  »c  patriim  occulte  fugieado  deserere,  regnum  mundi  et  omnem  ornatum  scculi 


I 

I 


I .  La  rubrique  du  leite  ajouce  :  di  insala  LyrmtnsL 

ï.  Comtriione  à  la  table  des  chapitreji* 

),  Là  rubrique  du  texte  aiouie  h  Francia. 

4,  La  rubrique  du  lente  ajoute  :  ti  ttstimonia  sancti  Ctiûrih 


R.  FÉRAUT,  Vida  de  sant  Honorât  24  j 

coBtentoere  et  ad  peregrina  et  incognîta  locj  transire  decreverunt.  Obmîtto  insercre 
isterim  Icctioitl  qiuntU  quibusve  macbiDamentis  obvtus  pater  tiittttur  eoi  a  proposito 
fWahetc,  qiiibusque  obsiaculus  (sic)  cepti  kinerii  eïfcctum  iïitercipefe,  quanias  eis  diffi- 
I  «ttlutes,  quam  varU  impedimenta  omnis  simul  patria  parentes  et  affines,  cognafi  pariter 
'  m  Doci  paraverint  ;  uf  bene  eorum  quiltbet  cum  prûpheta  dkcre  potai$set  :  «  Amici  mci 
et  proiimi  mci  adversuiA  me  appropinquaverunt  et  tteterunt.  »  Et  alio  in  loco  : 
A  Laqueum  parueruni  {stc^  l.  parav-)  pedibus  meis,  ut  inctirvarent  atiimam  meam.»  Que 
«nDia,  dîvina  virtute  roborati«  hi  duo  }uvene$  a  Oeo  preelecti  forti  animo  superaverunt, 
Ttmc  primum  quidam  {slc^  l.  quidem)  patri  carnali  vi^î  sunt  rctiiti^  cum  Dei  summi 
«niUcni  patcrniute  censeri.  Tandem  exeuntes  de  terra,  de  domo  et  de  cognaiiotie  sua, 
tanquam  vcri  Abrahc  filii  sponic  deserenies  regnum  et  imperium,  Deo  duce,  ad  sanaum 
venerunt  Caprastum^  quem  tanquam  ordinatorem  in  Domino  atque  custodem  sue 
.  eJegeruDt 

R.  Féraut  nous  représente  (ch,  j  j)  les  fugitifs  naviguant  sur  la  mer  de  Morée 
andis  que  Horion,  leur  gouverneur,  se  désole  el  veut  se  tuer  de  désespoir. 
Tout  ceh  manque  dans  le  latin,  aussi  bien  que  les  lamentations  du  roi  d'Hongrie 
[R.  Féraut,  ch.  14),  et  la  tentation  que  les  deux  enfants  éprouvent  d'abandon- 
les  saints  et  de  retourner  en  Hongrie  (R.  Féraut  ch,  15),  I)  n*est  guère 
rratsemblable  que  tous  ces  événements  aient  été  entièrement  imaginés  par  le 
été  provençal  :  d'où  la  conclusion  annoncée  ci-dessus^  qu'il  a  eu  sous  les  yeux 
an  texte  latin  plus  étendu  que  celui  qui  nous  est  parvenu.  Et  cette  supposition 
acquiert  une  grande  probabilité,  quand  on  lit  au  début  du  chap.  16  du  latin 
€:cs  lignes  d'où  il  semble  résulter  que  l'écrivain  latin  abrégeait  l'histoire  r 

Scd  quoniam  brevttas  arnica  noscitur  esse  memorie,  et  nonnumquam  narrationis  lon- 
iiiidine  audientium  corda  gravari  conspicimus»  plurima,  tam  de  vita  et  conversaiioric 
icrandi  Caprasii  quam  ciiam  beati  Venantii  '  eximii  Christi  confessons  ob\iu,  aliasque 
[««ariai  et  prolixjs  hystorias  ex  Industria  pretereo,  quîa  ad  mérita  beati  pacris  Honorât! 
f  Jiiius  ezpUcaada  festino, 

La  visite  des  deux  jeunes  gens  à  saint  Macrobe^  au  mont  de  TArgentière, 
drïïère  peu  de  Tun  à  l'autre  texte  (ch.  16).  On  peut  noter  que  la  mention  du 
passage  du  col  de  hBrascha  ne  se  rencontre  que  chez  K,  Féraut  (Sardou  p.  33). 
iiBmédiitefnent  après  ce  chapitre,  le  provençal  place  l'épisode  de  Chariemagne 
pnsoDnier  chez  les  Sarrazins,  récit  sur  lequel  on  peut  voir  les  recherches  de 
G.  Parts  1. 

Le  même  récit  se  trouve  dans  le  texte  latin,  mais  non  pas  à  la  même  place. 
Le  voici  tel  qu'on  te  lit  au  ch.  50  du  iivre  III  ; 

De  Karolo  magno  imperatore. 
Kafftttii  etiam  magnus  llle  Franconim  et  Romanorum  imperator,  fidei  pervigil  ortho^ 
dooie  et  Christi  ecclesie  defensor,  bcatum  Hono-  {fot.  78  v*)  -ratum  olim  monasterii 
Ljrriiietui»  abbatem,  ac  saoctos  ejus  comités  vel  successores  ferventi  colcbat  devotionii 
afectu,  nec  immerito.  Nam  prout  alibi  scriptum  repcrimtis,  ipse  idem  magnus  Karolus^ 
iDerttis  beati  Honorati  d«  Barbarorum  manibui  legitur  ereptus.  Hoc  qualiier  factum  fuerii, 
«  his  que  sequuntur  constabit,  Dum  quodam  temporc  Karolus  apud  Barbares  habcretur 


j.  Venanîius  est  le  nom  que  le  frère  d'Honorat,  d*abord  appelé  Girmânus  (àim  le 
prov.  Girmam),  reçut  au  baptême;  voy.  R.  Féraut  ch.  XV,  èd,  Sardou  p.  jz» 

3.  Le  texte  provençal  de  cet  épisode  de  Saint  Honorât  {=  édition  Sardou,  L  1  chi 
ïtVll-X!X)  a  été  publié  d'après  le  ms.  B.  N.  fr,  149^4  par  G.  Parw,  Hist,  poét,  àt 
CkarUm^  p.  49e  $00. 


244  COMPTES-RENDUS 

capHvui,  in  obprobrium  cîiristiane  rcltgionis  hune  mM  alïligebant  injuriis,  variis  contu- 
meliîs  Uccssabani  (sic).  Erat  autem  principi  eorum  ucica  fiîia,  d  super  omncm  mundi 
gtoriam  chara,  Que^  Deî  permutante  judicio,  quadam  die  arrepta  a  diabolo^  mcredibni 
petic  crudatu  vexabatur.  Quod  rcx  audieiu,  diro  amantudinis  jaculo  sauciatua,  medicos 
invitât^  saptentes  consuîit»  omnia  remediorum  gênera  adhiberî  procurât.  Sed  nihil  otnnino 
profufriittt.  Ciun  autcm  rcx  cernerct  ftliam  suara  nalla  mcdîdnalii  artis  periua  poue 
sanari,  exorciiatores  advocat,  phliones  ci  incantatores  adducit.  Qui  juiia  nephandi  sut 
rîtus  abusum  opcrames,  et  diebus  quamplurimis  vanis  sacrificiis  et  sacrilegis  invocatîo- 
nlbus  insistantes,  nullum  penhus  inianienti  juvencuic  potuerunt  subdium  [L  substd-) 
adhibere.  Scd  qunato  {sic)  plus  his  insudabani,  tamo  puella  acrius  torquebatur,  Qua  de  re 
pâier  e|u5  nima  replebatur  dotoris  amaritudine.  Cui  aliquando  pro  fitie  stie  anguitiA 
lachrymanti  astiiit  beatui  Honoratus  sub  ha-(/.  79)'bttu  pcregrini,  arabicia  vestibus  induti, 
dixiique  illi  Quid  vis  tu  mihi  dare,  et  ego  fiUam  tuam  sânabo.  Cui  rex  :  Poterisne 
ci  salutcm  prestare  ?  Respondit  Honoratus  :  Potero  utique,  si  condignam  mihi  redderc 
volueris  pro  re  lanta  merredeni.  Ait  autem  rex  :  Pete  a  me  quicquid  libucrît  :  tan- 
tuni  perfice  quod  promittis.  Et  juravit  itii.  Accessit  îtaque  Honoratus  ad  tocutn  ubi 
furens  pueUa  vinculis  ferrers  tenebatur  alligata,  et  benediccns  aquam^  ex  ea  muticrem 
aspersit;  et  ab  ipsa  malignus  confestim  spiritus  abscessit.  Que  pristine  restituta 
sanitatif  postmodum  sacre  fidei  suscepit  initia,  et  usque  ad  cathoUca  pervenirc  meruit 
salutaria  saaamenta.  Pater  vero  ejus  immense  repletus  gaudio,  pro  6lre  sue  adeptj 
sospitate,  apud  Honoratum,  quem  hominem  putabat  peregrinum^  instabat  ut  celerius  edi- 
-  ceret  quid  mercedis  pro  tanto  exhibito  beneficio  habere  desideraret.  Cui  Honoratus  : 
Volo  ut  Karolus  captivus  habeat  liberam  quocunque  voluerit  abeundi  libertatem.  Quod 
rex  Hbenlcr  annuens,  et  quod  pctierat  pro  gaudio  sanitatis  filie,  parvum  quid  c$$e  judicans» 
Karolum  cum  pluribui  aliis  concaptivis  liberum  dimisit.  Quibus  iode  ercptis^  qui  pritts 
sub  specie  peregrini  eis  loquebaïur  Honoratus  disparuit.  Karolus  autem  erga  sancium  Dd 
confessorem  Honoratum  majon  cepit  devotionc  fervere,  ejusque  auxitium  in  agendU 
imptûrate.  Cujus  suffragântibus  meritis  ad  imperium  sublima  tus,  et  Ecdesle  ribertatcs  a^ 
debitum  siatum  reduxit,  et  inimicos  cathoUce  fidei  fideliter  pugnando  superavit.  quorum 
non  îmmemor  Karolus,  donationem  Pipini  quam  supra  memoravimus  {ûu  ch,  pricèdttst) 
non  solum  contirmavit,  sed  omnia  que  infra  ilios  designatos  confines  crant,  absquc  uUa 
retentione  Lyrinenaî  monasterio  perpétue  possidenda  donavit. 

Le  texte  latin  n'a  rien  qut  corresponde  au  chap.  22  du  provençal  (luttes  de 
Charlemagne  contre  les  Sarrazins,  auprès  d'Arles);  l'histoire  de  ta  neige  noïrt 
<éd,  Sardou  ch*  23)  manque  également.  Le  miracle  d'Annolin,  rendu  à  la  santé 
par  l'attouchement  de  saint  Honorât,  est  raconté  à  peu  près  de  même  de  part  et 
d*«utre;  de  même  aussi  la  relratie  des  saints  qui  fuient  Frèjus  et  le  concours  de 
peupte  qu'attirait  la  renommée  des  guérisons  miraculeuses  accomplies  par  saint 
Honorai.  Toulelois,  ici  encore  le  latin  est  moins  précis,  moins  îocal  que  le 
poème  :  Ar  s'en  van  va  Levant  ît  cor  sani  per  la  ALvliia,  dit  R.  Fera  ut  (p.  50) 
là  où  nous  lisons  dans  le  latin  :  *  ad  montent  nemorosum  eidem  civitati  vicinum 
a  parte  orientait  fugierunt  »  (ch*  19).  Le  nom  de  la  vallée  d'ob  sort  une 
source,  Balma  de  Birtulnncu,  manque  au  latin.  La  phya  d'Agaas^  du  provençal, 
maintenant  Agay\  plage  entre  Naplouse  et  Sainl-Raphael,  est  dans  le  latin  un 
lieu  I  qui  Agathon  dicitur  ».  —  Le  ch.  26  de  R.  Féraut  (élection  deS.  Magons 
à  Vienne)  nous  otfre  au  moins  un  détail  qui  manque  au  latin  :  c'est  que  les  fidèles 
de  Vienne  s'en  remirent  au  sacristain  du  choix  de  leur  pasteur  :  El  iâgmtjn 
u  son  manlcnm  comproma  |  Que  lui  donis  evaqm  qmïquù  mais  lui  pîûgucs  (p*  i  i)* 


I 


I 


I 


t«  «  Du  celtique  agait,  guet  »,  selon  M.  Sardou,  ètymologie  peu  vraisemblable. 


R.  FÉRAUT,  Vida  de  sant  Honorai  24  c 

—  Le  chap.  27  de  R,  Féraut  est  consacré  à  la  mort  de  S^Vénans  et  auxlamca- 
Utions  de  ses  compagnons.  Le  latin  n*a  rien  de  correspondant.  Au  ch.  22  seu* 
lement  (étabUssenient  de  saint  Honorât  dans  l'Me  de  Lérins),  racontant  Tappa- 
rition  de  S.  Vénans  à  son  frère,  l'hagiographe  nous  dit  :  «  El  subito  beatus 
Veîwntius,  germanus  ejus,  qui  nupcr  âb  hac  Itict  substractus  ctîkas  jam  adkrat 
matisioncs^  cum  magno  splendore  appaniit,  »  —  Le  récit  de  l'entrée  du  saint 
dans  l'île  diffère  absolument  d'un  texte  à  Tautrc,  Tandis  que  dans  le  latin  Hono* 
rat  s*y  rend  de  son  propre  mouvement  :  «humane  conversation! s  impatiens,  et  a 
mundo  sequestrari,  vel  objectu  freti  concupiscens  illuc  ingreditur  »  (ch*  22); 
tians  le  provençal  au  contraire,  nous  voyons  Honorai  enlevé  par  des  brigands  et 
déf>osé  â  Lêrins  où,  disent-ils,  ils  en  feront  fête  aux  serpents  :  A  ks  urpmz  dt 
Tiih  diion  ^utn  faran  festâ  (p.  ^6),  Le  récit  lalin  est  plus  conforme  aux  paroles 
de  saint  Hilaire  dont  il  est  évidemment  inspiré  :  v  Vacantem  ilaque  insulam  ob 
>  nimieLatem  squalloris^  et  inaccessam  venenatorum  animalium  metu  Alpino  haud 

»  fûoge  jugo  subdilam  petit Verum  iîU  humana  connrsûûoms  impatum^  d 

t  (irmmcidi  a  mundo  ni  objecta  freti  concupiscens^  illud  corde  et  ore  gestabat, 
•  nunc  sibî,  nunc  suis  proferens  :  Super  aspidem  et  basiliscum  ambulabis..,'  » 

Là  fin  du  récit  est  la  même  dans  les  deux  textes  :  Honorai,  réconforté  par 
l'apparition  de  S.  Venans  et  de  S.  Caprais,  fait  périr  les  serpents  par  le  seul 
ligne  de  la  croix,  et  la  mer  sortant  de  son  lit  vient  purger  Tîle  de  leurs  cadavres 
sous  les  yeux  d'Honorat  qui  s*est  réfugié  au  haut  d'un  palmier.  Ce  sont  là  des 
merveilles  dont  S.  Hilaire  n*est  plus  responsable.  Le  poëme  â  son  tour  ajoute 
cette  circonstance  que  les  misérables  qui  avaient  transporté  le  saint  homme 
dans  Ttle^  se  convertissent  à  ta  vue  du  miracle,  et  se  font  ermites  eux  aussi. 

Les  deux  chap.  24  et  2^  du  latin,  qui  consistent  en  extraits  de  saint  Hilaire, 
<le  saint  Eucher^  etc,  continués  au  ch.  27,  sont  naturellement  sans  correspon- 
dants en  provençaU. 

Ici  R.  Féraut  interrompt  le  récit  de  la  vie  du  saint  par  l'introduction  de  ma- 
tières épisc^diques,  Au  ch.  }o  nous  voyons  Charlemagne  accompagné  d'Eslout  de 
Ungres^,  de  Gondebeuf  de  Frise,  de  Rainaut  de  Beaulande  et  d'autres  barons» 
assiéger  sans  succès  Narbonne^  lorsque  saint  Magons  (dont  ^arrivée  n'est  guère 
molivéc)  vient  s'entretenir  avec  lui  de  saint  Honorât  ei  de  ses  compagnons,  ^i 
l'assure  que  s'il  a  foi  en  l'intercession  du  saint,  il  prendra  la  ville  dès  !e  lende- 
main ;  ce  qui  a  lieu  en  effet,  un  tremblement  de  terre  venant  fort  a  propos  ren- 
verser les  murailles  de  la  ville*.  Au  cÎï.  31  Magons^  porteur  d*u ne  lettre  de 
Charlemagne,  se  rend  auprès  de  saint  Honorât.  Chemin  faisant  il  guérit  miracu- 
leusement Mayme  (Maximus)  de  Riez.  Il  trouve,  non  sans  quelque  peine,  saint 
Honorât  à  Ttle  de  Lérins  et  lui  remet  la  lettre  dont  la  teneur  occupe  le  ch.  32. 
Tout  cet  épisode  manque  dans  la  vie  latine.  Je  n'y  trouve  pas  davantage  la 
^lUtière  du  ch.  33  qui  raconte  comment  les  saints  de  Lérins  envoyèrent  quérir 
n  mont  Cassin  un  exemplaire  de  la  règle  de  saint  Benoît  ;  et  pourtant  ce  fait 

I.  Dt  fita  S,  Honorati  strmo,  S  Mi  dans  les  BolU,  16  )3nv  ^  ou  Mlgne,  L^  la^» 
a.  Césonf,  pour  saint  Hilîirc  le  pîisagc  relatif  à  rentrée  du  saint  dans  Hle,  dont  on 
ieot  de  lire  quelques  lignes,  cl  pour  saint  Eucher,  un  court  extrait  du  traité  Dt  laudc 
tnmi  (g  41}  :  c  Equidcm  tunctis  hererni  locts.,»  »  Migne,  L,  710. 

3,  De  Lundns  selon  B.  Féraut,  ou  du  moins  selon  le  ms.  suivi  par  M.  Sardou. 

4,  Cl  G-  Parii,  Hist.  poêt.  de  C.harîem.,  p,  2t8. 


246  COMPTES-RENDUS 

est  bien  de  ceux  que  les  hagiographes  se  plaisent  à  recueillir.  Avec  le  ch. 
nous  retombons  dans  la  légende  carolingienne  :  c'est  Ttirpin  qui.  de  la  pari  de 
Charlemagne,  vient  faire  â  l'abbaye  de  Lérins  m  don  très-considérable  ; 

Trastot  lo  drech  del  rey  c  iota  manentia 
Si  corn  va  y  lî  rivîeîra  que  part  a  m  Lombardla 
E  passa  per  los  Alps  de  Pueymoni  a  en  sus 
Tro  a  la  font  de  Durenza,  e  deysscnt  a  en  jus^ 
E  si  mescU  am  lo  Rose  lay  desotz  Avignon, 
De  toi  aquesi  domaine  tro  !a  mar  environ 
Vol  far  don  Penperayrcs  a  la  santa  abadia. 

C'est  la  Provence  entière  qui  est  ainsi  concédée  aux  religieux  de  Lérins.  [f  y 
a  Ytr^  h  fin  de  la  Vie  latine  ().  lll  ch.  29)  Textratt  d*une  donation  semblable^ 
attribuée  cette  fois^  non  pas  à  Charlemagne,  mais  à  Pépin  le  Bref*  Voici  le 
texte  de  ce  document,  dont  un  récent  historien  de  Lérins  *  ne  paraît  pas  avoir 
reconnu  Tinsigne  fausseté  : 

Previlegium  seu  âonath  Piptni  Francorum-  rcgis  dt  tota  patria  Provincitf  facta  monasitrio 

lyrinmsL 
Post  tllam  patratam  a  Vuandalis  monasterii  Lyrinensi^  eversionein,  et  sanctonim  oiar- 
tyrum  preciosî  sanguinijc  eff^sionem,  tllustris  Pipinus  rex  Francorum  Romanorumque 
pâtTÎciuSf  insistente  viro  Dei  Eleutherio,  per  pragmaticam  sanxionem,  eidem  monasterio 
Sûtemnem  fedt  donationem  de  quitita  parte  totius  ducatus,  ex  subschptione  eiiam  Stephanî 
junioris  Romani  pontificij^  qui  cum  rege  conveuerat  in  loco  qui  dicitur  Carisiacus.  Et 
ultra  hcc  [sic)  metas  cidem  monasterio  donatas  limitavii,  infra  hos  affines  :  videlicet  trans- 
alpine Provincic,  sicut  incîpit  a  primo  latere  longum  mare  Circei  montis  fine  extendente 
se  Provimia^  usque  in  ca&tetio  Sistarico^  dividente  via  regia  Sancti  Pétri  usque  in  fontem 
Dure  que  prorupit  de  monte  Genevo  ;  et  exinde,  ducente  AlpiDorum  montium  decessu, 
in  montem  Agelli  maritimi,  cum  omnibus  suburbania  aique  viculis  et  terrorii^  [sk^  t. 
terril-)  eju5,  montants  ac  marltimis  insuiis,  littoribus  atque  portubus  seu  civitatibu»,  cas- 
fellis,  opptdis  ac  viculis,  i^ecnon  pensionibus,  censibus,  pischatoriis,  salinis,  pascualibus, 
herbaticis,  sîlvis  atque  glandaretis.  Que  omnia,  ut  supra  diximus,  rex  ipse  sanxîvit  ta 
usus  dicti  Lyrinensis  cenobii  et  monachorum  inibi  degentium  perpctuo  debere  converti. 

Plus  d'une  fois,  dans  le  cours  de  ces  recherches,  j'ai  été  tenté  de  ne  voir  dans 
la  Vie  latine  qu'une  imitation  du  poème  provençal  ;  mais  ici  il  est  de  toute  évi* 
d6nce  que  c'est  bien  Féraut  qui  est  l'imitateur.  Dans  la  Vie  latine,  Télrange 
notice  qu'on  vient  de  lire  ne  se  présente  point  isolée  :  elle  se  relie  â  un  pri- 
vilège do  pape  Etienne  II  qui  en  est  la  confirmation  (l  Ili,  ch*   28)^  j  elle  est 

1.  M.  Tabbé  AUici,  qui  dans  son  Hiitoîre  du  monasîln  de  Lirîns  (1S62)  I,  çi?  (cf. 
p,  41  î)  a  imprimé  le  même  document,  y  joignant  en  regard  un  texte  à  peu  près  identique 
qui  est  transcrit  au  fol  1  ^0  v"  du  cartuiaire  de  Lérm-!,  Ce  texte,  que  M.  de  Fia  mare, 
archiviste  des  Alpes-Maritimes,  a  eu  Tobligeancc  de  vérifier  pour  moi  sur  l'original^  est, 
comme  le  reste  ciu  manuscrit,  d'une  écriture  du  xii'  s.;  il  est  précédé  de  cette  rubrique  : 
Hoc  tnvetitum  (st  inttr  prmltgia  Rûmanorum  Ponîificum^  et  ne  diffère  de  la  pièce  ci*après 
rapportée  que  par  le  préambule  et  par  la  fin  que  voici  :  m  *....  glandaretis.  Sed  quod 
I*  cadem  provincia  de  regaiibus  Beati  Pétri  esse  dinoscitur,  prcmctus  papa  pensionem 
»  constituii  in  ordinaiione  abbatis  codicem  quatuor  evangeliorum  auro  argenloque  déco- 
M  ratum.  Cujus  loci  abbas  a  Romanis  pontificibus  consecratur  cum  dalmattca  et  sandaliîs, 
»  inierventu  ejusdem  impcratoris  Pipini.  Quod  monasterium  habet  privilégia  sue  tuictonîs 
I»  a  Romanis  pontiûcibus,  ab  ipso  Stephano  tuniorc,  et  {nom  gratté,  nmplaié  au  Mièdt 
«  dernier  par  Adriano)  et  Leone  terdo.  " 

2.  La  transition  de  la  confinnation  pontificale  au  privilège  royal  est  établie  par  ces 
derniers  mots  du  ch.  18  :  «  Sed  quoniam  Plpini  régis  incidit  occasio,  ordinem  donattocûi 


l 


I 
I 


R,  FÉRAUT»  Vida  de  sdnl  Honorât  247 

sttifie  du  chapitre  reialif  à  Charlemagne  prisonnier  des  Sarrazins  et  délivré 
par  iainl  Honorai^  qui  a  été  rapporté  plus  haut  ;  elle  est  plus  précise,  plus 
complète  <}ue  le  récit  de  Péraut.  Elle  ne  petit  pas  avoir  été  rédigée 
daprés  les  vers  provençaux  que  j'ai  Iranscrîts  tout  à  l'heure,  tandis  que 
Tinversc  est  fort  admissible.  Féraul,  plein  de  la  lecture  des  chansons  de  geste 
du  cycle  carolingien,  a  jeté  Pepîn  par  dessus  bord  pour  allnbucr  à  Charlemagne, 
non  plus,  comme  dans  le  latin,  une  confirmation  cl  un  accroisscmeni  de  prîviJégCj 
mats  te  privilège  fui-méme.  Et,  soit  dit  en  passant^  il  y  a  dans  le  chapitre  dont 
nous  nous  occupons  actuellement  un  vers  qui  montre  combien  Féraut  était  nourri 
de  nos  chansons  de  geste  françaises.  C'est  celui-ci  que  l'auteur  place  dans  la 
bouche  de  Turpin  :  SeynorSj  saîuda  vos  KarlUs  maincs  li  bitrs^  dont  le  second 
hémistiche  est  tout  français. 

Aux  ch.  35  et  î6  Féraut  raconte  un  voyage  à  Lérins  du  pape  saint  Eugène, 
<t  fait  connaître  les  indulgences  accordées  à  ceux  ^^ui  accompliront  le  même  pèîe- 
lîtiage.  Même  récit  dans  la  Vie  latine  1.  llï,  ch.  jk  Mais  Féraut  développe  son 
original  cl  y  ajoute  :  il  se  complaît  à  énumérer  les  étapes  accomplies  par  le  pon- 
iétx  il  nous  montre  saint  Honorât  et  ses  compagnons  venant  au*devant  de  leur 
auguste  visiteur  (p.  70),  et  n'éprouve,  comme  on  voit,  aucun  embarras  à  mettre 
son  héros  en  rapport  avec  un  pape  qui  vivait  au  milieu  du  XII*  siècle» 

Avec  le  ch.  jy  de  Féraut,  qui  correspond  au  1,  I  ch.  26 du  latin,  nous  repre- 
nons k  cours  de  la  vie  du  saint.  Les  chap,  27  et  28,  le  premier  peu  narratif,  le 
second  étranger  à  l'histoire  de  S,  Honorât,  ne  sont  pas  représentés  dans  le  pro- 
irençal;  mais  le  miracle  rapporté  au  ch.  29  a  naturellement  été  recueilli  et  fidèle- 
^  joent  narré  par  Féraut  (ch.  38).  —  Il  y  a  encore  ici  trois  chapitres  Tatîns  (les 
trois  derniers  du  livre  I)  qui  manquent  en  provençal. 

Avec  le  ch.  J9  de  F'éraut  commence  la  matière  du  second  livre  de  ta  Vie 
latine.  Désormais^  je  ne  m'arrêterai  plus  dans  cette  comparaison  qu*aux  points 
T^ritablement  saillants.  L'apparition  de  Vivien  d'Aliscamps  {Veiians...  Qa'tn 
Aiitùsmpr  mortz  is  p.  75)  que  Féraut  a  introduite  en  ce  chapitre,  répond  â  ces 
simples  mots  du  latin  :  (L  H,  ch.  1)  :  <  divina  extitit  admonitionecompulsus.  » 
—  Aux  ch.  44  cl  45  Féraud  raconte  comment  les  héréiiques  d'Arles  appelèrent 
i  (cnr  secours  Girart  de  Vienne  pour  expulser  de  la  ville  S.  Honorai  leur  arche* 
vêqne*  Mais  peu  de  temps  après,  Louis  [le  pieuxî  rassemble  une  armée  où  figu- 
rent Garin  duc  de  Lorraine,  le  comte  Engelier  etBcrenger,  comte  de  Bretagne. 
Il  marche  contre  Girart  de  Vienne,  le  défait  et  le  met  en  fuite,  lui  enlevant  ses 
enfants  et  tout  son  équipage.  Ce  récit  n'a  aucun  rapport  avec  le  Gùûrtdi  Vienm 
deBertran  de  Bar-sur-Aube,  ni  avec  l'ancienne  chanson  de  geste  dont  la  matière 
nous  a  été  conservée  par  la  première  branche  de  la  Karbmûgnus^Saga^.  Les 
seub  points  communs  sont  le  nom  de  Girart  de  Vienne  et  le  fait  d'une  ïutte 
entre  ce  personnage  et  le  roi  de  France  ;  les  circonstances  de  la  lutte  étant  du 
reste  entièrement  différenles.  Le  nom  de  Girart  a  été  introduit  ici  (tout  de  même 
que  Garin  (e  Lorrain,  eicj  par  Féraut^  car  le  personnage  en  question  est  appelé 
dans  le  latin  Prévalus  (pour  Pnvatas)  : 


ipiiiu,  et  qucinadmodum  a  Karolo  qus  fiUo  non  tantum  coofirroata  fucrit  sed  ctîam  am- 
pUiti,  coa&equenter  subjungamus.  t^ 
1.  Voy.  G.  Psris^  Hisi,  poiî.  de  CharUm.p,  |i{,  et  cf,  BibLàel^Êc.  àtsch*,  i  V,  100. 


248  COMPTES-RENDUS 

Nam  die  eodctn,  «nno  laroen  rcvolufo  quo  bçatus  Honoratus  fuer^t  ab  Areîate  expulsus, 
rrevatus,  Vienncnsis  printeps^  licct  per  prius  multis  fflix  divitiw,  pluribusque  victoifis 
auctus,  inha  adversus  eum  hostili  congressione,  oovissime  aim  omni  exercitu  siiû 
contrittts,  miserabiHKrmtenit(ll,  9). 

On  voit  que  Féraut  employait  avec  asser  peu  de  discrétion  ses  souvenirs  de 
répopée  carolingienne^  et  que  Ton  risquerait  singulièrement  de  se  fourvoyer  à 
chercher  dans  son  poème  la  trace  de  chansons  de  geste  perdues, 

La  suite  du  chap.  9,  les  chap.  10,  n  et  u  du  texte  latin  concordent  exac- 
tement avec  les  chap.  48  à  H  ^^  provençal.  Mais  poor  les  chap.  suivants ^  le 
poème  lïe  marche  plus  parallèlement  au  latin.  En  effet,  les  chap.  ^5  à  60,  qui 
terminent  le  deuxième  livre  de  Féraut,  corrÊspondent  respectivement  aux  cha- 
pitres 31  à  37  du  2*  livre  de  la  Vie  latine  : 

35,  Qualiier  sanaus  Honoratus  apparuit  monichis  Lyrînensîbus  m  cumi  igneo,  dsqjue 
obitum  5unm  denunciavii  (=  Féraut  ch.  n)* 

14*  Quomodo  Dominus  Jésus  Christus  sancto  Hooorato  aparuir,  et  diem  sui  obitus 
predixic  (=  Féraut  ch.  j6). 

H  •  De  instructione,  sancti  Hylarii  et  Nazarii  abbatls,  et  prophetia  destructionis  monas- 
leni  Lyrinensis.  (=  Féraut  jy,  j8). 

j6*  De  transitu  sancti  Honorati  (^  Féraut  J9), 

37.  Qualiier  îpsa  die  sui  transttus  apparuit  tnonacbis  Lyrinensibus  (=  Féraut  60). 

Mais  je  ne  rencontre  rien  dans  le  latin  qui  corresponde  au  ch«  61,  le  dernier 
du  second  livre,  dont  voici  la  rubrique  :  Ayzi  du  com  s^nl  Naians  en  Jâna 
poriûr  lo  cors  ât  sant  Honorât  in  t'isla^  t  dû  mirack  d'Aliscamps, 

Le  livre  [II  de  R.  Féraut  (ch.  62-81)  est  tout  entier  consacré  aux  miracles 
du  saint,  pendant  son  épiscopat.  Les  mêmes  miracles  sont  racontés  dans  le 
livre  II  de  la  Vie  latine,  cb.  1  J*^i> 

Le  livre  III  du  latit},  contenant  les  miracles  accomplis  par  le  saint  après  sa 
mort,  correspond  au  1.  IV  de  R.  Féraud.  La  suite  des  miracles  est  identique 
pour  les  1 1  premiers  chap.  (=  82  à  92  du  provençal).  Mais  à  partir  de  « 
point  l'ordre  n'est  plus  tout  à  fait  le  même  dans  îcs  deux  textes  i 

II.  Oe  fîliû  Reybaudi  in  mare  submerso  et  a  sancto  Konorato  ad  insulam  Lyrînensem 
vivo  déportât©  (=  Féraut  95), 

I),  D€  sancto  Amando  et  muliere  Montanina  pro  commisso  adulterïo  iamtre  projecta, 
sed  per  beatum  Honoratum  salvata  (=  100). 

14.  De  Hugone  sub  saxorum  ruina  per  viginti  dies  conservaio  (=  99). 

If.  De  muliere  leprosa  per  sanctum  Honoratum  sanitati  resthuta  (^  toi)* 

ï6.  De  quodam  Syffredo  pttibulo  adjudicato,  sed  mirabiliter  Uberaio(=  loj). 

17.  De  tribus  pueris  jugulatis^  poïtea  vite  restituiù  (=  Jo6)* 

18.  De  nautis  ex  maris  pcrkulo  préservatif  (=  109), 

19-  Deobitu  sancti  Amandi,  et  de  Tbcodoro  in  mari  mortuo  et  resusciiaio  (=110). 
îO*  De  sancto  Porcario,  et  de  Cîbeliiia  a  Icpra  curata  (=  in). 
21.  Oe  epïscopo  cui  sanctus  Honoratus  apparuit, 

hendit  (=  116), 

22*  De  monacho  Rabano   qui   sanctum   Petrum   et  sanciuin 
monachonim  Lyrinensium  ingredientcs  pluries  vidit  (^  1 17), 

a|  De  Richo  monacho  Lyrinensi  et  barbiionsore,  cui  Dominus  appirens,  pfo  pecunîa 
latenter  ocuUata,  ipsum  increpavit  (^  1 18). 

Le  chap.  14  du  latin  :  Dt  mûrùrio  sancti  Pùrcanï  abbâûs  Lyrinmsii  et  somrum 


I 
I 


et  de  quodam  peccato  eum  rcprc^ 
Honorât  um   in  refectorio 


B.  FÉRAUTj  Vida  de  sanî  Honorai  149 

npt^('  eomm^mor^fiOp  contient  quelques  phrases,  vagues  et  oratoires,  sur  saint 
Popcaire.  On  sait  qu'aux  quatre  livres  de  sa  vfe  de  S.  Honorât,  R.  Féraot  j 
ifouté  tin  cinquième  livre  dont  le  sujet  est  la  vie  de  saint  Porcaire.  —  Viennent 
ensuite  des  chapitres^  qui  interrompent  sans  raison  le  récit  des  miracles,  et  qui 
concernent  Thistoire  du  monastère  de  Lérins  bien  plutôt  que  la  vie  de  S.  Hono- 
rai, En  voici  les  rubriques  : 

if .  De  privilegiis  beati  Gregorîi  pape  monasteno  Lyrînensl  concessU, 
jô,  Epistola  sanct!  Gregorii  pape  ad  sanctum  Chononem  abbatem  monasterii  LyrinensisL 
—  Inc,  Revcrcndiisimo  viro   in  Christo  amaniissimo  fratrî   ei  commmîstro  Chononi» 
ibbati  GaUiarum  monasterii  Lyhnemis»  episcopus  Gregorius,  &ervus  servorum  Dei... 

27.  Item  alÎJ  episîota.  —  Inc,  Si  vcra  est  propositio  qua  dicitur  :  omnc  quod  compo- 
sitiim  est... 

18,  Pfivikgium  Stephani  pape  sccundi  monajierîo  Lyrinensi  colla itim. 

19,  Previlegium  seu  donatio  Pipint..  {voy.  ci-dessus  p*  a46)> 
jo.  De  Karolo  magno  imperatore  [ci- dessus  p.  14}). 

|i*  œ  generalibus  mdulgcntiis  Lyrinense  monasterium  viiitantibus  ab  Eugenio  papa 
CoocessU  (wjr.  ci-dessus  p.  147). 

Tous  les  actes  rapportés  dans  ces  chapitres  sont  autant  de  faux,  Fuis  les 
miracles  recommencent  : 

ji.  De  mtraculis  propter  indulgentias  factis,  et  primo  de  naso  multerts  absciso  et  pcr 
smctimi  Honoratum  Integrato  (=  Féraut  95). 

13.  De  juvene  nomine  Cajtellano^  capto  a  Sarracenls  in  insula  Lyrinensî,  deinde  a 
beaio  Honorato  tempore  îndulgentiarum  reportato  (=  94). 

14.  De  qulnquaginta  tnbus  peregrinis  venientibus  de  Ptsis  ad  predicas  indutgeniias  de 
rnaan  Barbaroruni  mirabiliter  crept»s»  et  de  conversione  ipsorum  Barbarorum,  ei  de 
adventu  ducis  illius  regionis  ad  insulam  Lyrinensem  (=  97)* 

ÎJ.  De  mortuo  soscitato»  et  palmi  propier  indulgemias  ddem  donata  (=  96)*. 

|6«  De  viginti  septem  nobilibus  ad  indulgenttas  venientibus  captts  a  Barbaris,  et  post- 
modum  a  sancto  Honorato  liberatis  (—  loi) 

17.  De  Iatrombu5  divtnitus  excecatis,  quia  peregrinos  venientes  ad  indulgentias  spolia- 
fcranï  (^  10$). 

)8.  De  feneratore  ceco  pertactum  palme  propter  ladutgentias  date  iHamlnato  (=104). 

J9.  De  dttabui  muticribus  supra  mare  ambulantibus  (=  107). 

40.  De  folio  rami  palme  quod  invcntum  est  ultra  modnm  ponderosum  {^  \o%). 

41,  De  quodam  Deodato  qui  peregrinos  ad  indulgeniias  venientes  gratis  portabai, 
cuitts  anima  ad  celos  visa  est  scander e  (^  lit). 

4a*  DeBadano,  qui  cum  barcha  sua  peregrinos  gratis  transibati  quem  sanctus  Hono- 
ratus  de  manu  Sarracenonim  liberavit  (—  m), 

4).  Miraculum  mulieris  que  mintstrabat  Lyrinensibus  peregrints,  qujun  sanctus  Hono- 
ranu  ab  obligatione  creditonim  absolvit  {=  1 1 4)* 

44.  De  miraculo  cujusdam  cujus  mtnus  arult,  quia  per  reliqnîas  monasterii  nomen 
lynnensis  jurans  pcrjuravit  (:=  115). 

L'hagiographc  termine  le  récit  de  ce  miracle  par  ces  mois  qui  Itiî  servent  de 
transition  pour  revenir  â  l'exposé  des  privilèges  accordés  au  monastère  de 
Lérins  : 


t.  On  connaît  une  lettre  de  S.  Grégoire  à  l'abbé  Conon  {S.  Gregoriï  Epl$l.«  1.  XI, 
«piit*  la),  mais  elle  n'a  aucun  rapport  avec  le  faux  ridicule  de  la  vie  de  S.  Honorât. 

i*  Le  personnage  qui  est  appelé  Arnaut  dans  le  prov,  est  «  Amandus  nomine  «  dans 
(elitin. 


2{0  COMPTES-RENDUS 

Multa  alia  patrati  mincula  etiam  temporibus  nû^tris  audivimuS)  quorum  tanra  Poil 
|ividentia  ut  cuncto  audietite  ti  admirante  populo  publice  predicarentur  m  ecclesta,  pr^t 
I  îlos  qui  pres<;ntes  fuimiis,  auribus  nostris  audivtmus.  Sed  ea  intérim  pneterire  maluîmui, 

ad  i\ia  apoïtolicorum  pontifïcum  munera  explicanda  citius  veniamus. 

Suivent  enfin  c\nq  chap,  qui  contiennent  deux  bu  lies  de  Calixte  II,  une 
Id'Honorius  Ifl,  également  fausses*,  et  enfin,  au  ch,  49  et  dernier,  un  pompeux 
Kioge  de  rîle  sainte  deLérins. 

La  vie  provençale  se  termine  (ch.  119)  par  le  récit  d'un  miracle  qui  n'est  pas 
aconté  dans  le  latin.  Nous  ne  devons  pas  nous  en  étonner^  car  Féraut  donne 
entendre  que  ce  miracle  raconté  n'avait  pas  été  écrit  en  latin.  Voici  comment 
I  entame  le  récit  : 

Complit  aj  los  miracles  grans 
Que  (t&  le  glorios  corsantz. 
E  mot  mays  en  fes  le  graiitz 
Que  non  n'avem  trobat  e&crich» 
E  ganren  en  fay  caitcun  dii 
Per  lo  mon  et  cq  Tabadia 
A  cels  c'umîlmentz  e  de  fe 
Oc  bon  cor  11  queron  mcrce^ 
Qu'ieu  en  ssy  novas  veriadieras» 
L\  gentils  dona  de  Cipieras,.« 

Suit  le  récit  du  miracle.  A  la  fin  du  chapitre,  Féraut  nous  fait  savoir  qu'il 

était  chapelain  de  celte  dame  de  Cipières.  Il  me  semble  qu'il  y  a  là  une  preuve 
assez  forte  que  l'auteur  de  la  Vie  latine  n'a  pas  fait  usage  du  poème  provençal. 
La  conclusion  â  laquelle  je  suis  amené  est  celle  que  fài  exprimée  plus  haut  : 
â  savoir  que  la  Vie  latine  et  R.  Féraut  ont  Tune  et  l'autre  puisé  â  une  source 
commune,  â  une  compilation  de  l'histoire  des  miracles  de  saint  Honorât  dans 
rjaqucitc  beaucoup  de  pièces  fausses  ont  été  utilisées,  soit  qu'elles aitnl  été  fabri- 
I  iquées  par  le  pieux  hagiographe,  soit  qu'il  les  ail  trouvées  dans  les  archives  de 
J'abbaye.  Cette  conclusion  admise,  il  devient  sans  intérêt  de  rechercher  i  quel 
moment  la  vie  imprimée  a  été  rédigée.  Qu'elle  l'ait  été  l'année  de  sa  publication 
ï  k  Venise,  ou  longtemps  avant,  peu  nous  importe  :  ce  que  nous  avons  à  déter- 
miner, c'est  répoque  où  fut  composée  la  vie  dont  Tédition  imprimée  n'est  qu'un 
abrégé. 


i,  I!  suffira  de  rapporter  ta  plus  courte  de  ce*  pièces  (ch.  46)  :  «  Caltitus  episcopuî, 
»  servus  tcrvorum  Dci,  omnibus  cpiscopis  sivc  abbaiibus,  monachia  atque  ciericis»  ainc- 
»  tisque  comittibus  et  totius  militie  oplimaiibus ,  seu  Claromootensi  comitisse^  omnique 
V  populo  chhstiano,  salutem  et  apostolicam  bénédiction em,  Lyrinense  monaitcrium» 
ti  quod  est  juris  beati  Pétri,  audivimus  multoliens  vastationc  Sarricenorum  dcsiructum. 
»  Unde  hûrtamur  dilectionem  vesirâm  ut  ctdcm  toco  adiutoriuat  faciatii,  Porro,  &â  ^uts 
w  eî  secundum  posse  iuum  adjutorium  fcccrit,  mentîi  béate  Virginis  Marie  matris  Dei  et 
n»  apostolonini  Pétri  et  Pauli,  omniumque  sanctorum  et  martyrum  qui  in  supradîcfa 
n  requiescunt  insula  quingentorum,  omnipotentii  Dei  grati^m  et  nosiram  benediciiooem 
w  consequi  raercantur^  atque  lertiam  partem  penitentie  peccatorum  que  confessi  fucrint  eii 
»  condonamus.  Data  deomo  quinio  kalcndas  januarii,  anno  nostn  poniificatus  secundo,  » 

i-a  seconde  bulle  de  Calixte  H  (ch.  47J  est  datée  du  4  des  nones  de  ianvier,  indici. 
XIV  (i  janvier  tut)-  ^1  ^^  notable  qu'il  existe  sous  la  même  date  une  autre  buUe  de 
ce  pape,  égaleinent  relative  k  Lérins,  M.  Robcn,  qui  l'avait  considérée  comme  authen- 
tique (vay,  Çalixie  U;  Huit  sur  Us  actts  dut  ^pt^  Piri»,  1874^  n*  \^t)y  inctine  main- 
tenant  i  fa  regarder  aussi  comme  fausse. 


I 


MorsY,  Noms- de  fmtîk  mrmands  2  s  t 

Cette  époque  peut,  je  croiSj  être  circonscrite  assez  cxactemetil,  La  Vie  latine 
perdue,  étant  la  source  du  poème  de  S.  Honorât,  doit  avoir  été  composée 
«vint  1)00,  date  a  laquelle  R.  Féraut  achevait  son  œuvre^.  Quant  à  la 
Iteiîtt  fupérieure^  elle  peut  être  établie  à  Taide  des  actes  faux  que  contient 
llmprimé  de  Venise.  Il  me  paraît  en  effet  peu  probable  que  ces  actes  aient  été 
JBtrodails  dans  la  Vie  latine  au  moment  de  T impression,  en  1501,  qu'ils  n'aient 
pu  £iit  partie  de  h  Vie  perdue.  Or^  parmi  ces  documents  apocryphes  %ure 
une  prétendue  btille  d'Honorius  Ht  qui  accorde  une  indulgence  à  quiconque 
$é|ournera  troii  mois  à  Lérins,  On  ne  peut  guère  supposer  que  cette  bulle  ait 
été  faite  du  vivant  même  d'Honorius  :  il  était  plus  sûr  et  tout  aussi  efficace 
d'attribuer  la  pièce  fabriquée  à  un  pape  décédé  depuis  quelque  temps  dé]i« 
Honorius  étant  mort  en  1227,  c'est  entre  cette  date  et  [300  qull  conviendrait, 
i  mon  xn^j  de  placer  la  composition  de  Totivrage  perdu  dont  rimpriroéde  Venise 
paraît  n'être  que  l'abrégé. 

II  est  vraisemblable  que  des  personnes  plus  versées  que  moi  dans  la  diploma- 
tique réussiraient  à  déterminer  avec  cne  certaine  approximation  l'époque  oh.  les 
fjiusses  cfiarles  de  la  Vie  latine  ont  été  fabriquées  ;  mais  cette  recherche,  qui 
peut  être  intéressante  en  elle-même,  s'écarterait  du  but  que  je  me  suis  proposé, 
qui  est  simplement  l'étude  des  rapports  de  la  Vie  latine  avec  le  poème  provençal. 

P.  M. 

Noms  de  fkmltle  normands  étudiés  dans  leurs  rapports  avec  ta  vieille 
langue  et  spécialement  avec  le  dialecte  normand  ancien  et  moderne,  par  Hcnrt 
Moïsv,  membre  de  la  Société  des  antiquaires  de  Normandie,  et  de  la  Société 
de  Imguisilque*  Pans,  Vieweg,  «875,  un  vol.  in*8%  p.  xxiv-449. 

Dresser  des  listes  aussi  complètes  que  possible  des  noms  d'une  province, 
ffiettre  à  pari  ceux  qui  se  retrouvent  dans  d'autres  régions  de  la  France,  pour 
ne  conserver  qne  ceux  qui  appartiennent  en  propre  â  cette  province;  dans 
ceux-ci  distinguer  encore  les  noms  qui  ne  sont  locaux  que  par  leur  forme 
pitoise,  de  manière  à  arriver  au  fonds  véritablement  et  essentiellement  indigène; 
ceci  fait,  étudier  l'origine,  la  formation,  l'histoire  de  ces  noms,  montrer  comment 
ils  se  fâttichcnt  aux  institutions,  aux  mœurs,  aux  habitudes  locales;  tels  sont, 
pODf  les  tracer  rapidement,  quelques-uns  des  nombreux  travaux  auxquels  petit 
donner  lieu  l'onomastique  d'une  province. 

Tel  n'a  pas  clé  le  but  de  M.  M*  dans  son  étude  des  noms  normands.  ît  a 
relevé  ces  noms  dans  des  recueils  d'adresses,  dans  des  tables  d  actes  publiéSp 
dans  des  listes  électorales,  tous  cjfclusivement  normands  ;  mais,  il  te  rcconnaîl 
lui-même,  •  il  n'est  pas  douteux  que  beaucoup  d'entre  eux  se  rencontrent  dans 
toute  la  France  et  particulièrement  dans  les  contrées  a  voisinant  la  Normandie,  » 
Ces  listes,  d'ailleurs  trop  étendues  d'un  cÔlé,  ne  le  sont  pas  assez  de  Taulrc. 
L'auteur  n*a  pas  recueilli  tous  les  noms  de  famille  normands  susceptibles  d'of- 
frir quelque  intérêt  philologique.  Il  sVst  contenté  de  citer  un  nombre  assess 
considérable  de  noms  portés  par  des  habitanls  de  la  Normandie,  et  quand 
rerplîcalion  en  était  obscure,  d'en  demander  l'étymologie  au  patois  ou  au  vieux 


.  Voir  tes  derniers  vers  de  la  vie  de  S,  Porcaîre,  éd,  Sardoa^  p.  loS. 


252  COMPTES-RENDUS 

français.  Acceptons  Touvrage  tel  que  1  auteur  nous  ï'ofFre  ;  nous  aurions  mau- 
vaise grâce  à  lui  demander  plus  qu'il  n*a  voulu  nous  donner. 

Le  commentaire  dont  M.  M.  fait  suivre  les  noms  renferme  des  exemples  et 
des  discussions  étymologiques.  Les  exemples,  empruntés  aux  textes  du  patois,  du 
bas-latin  et  du  vieux  français*  forment  la  plus  solide  partie  du  livre;  on  a  là 
réunis  sous  la  main  des  matériaux  assez  abondants  qui  ont  leur  valeur,  ie  signa* 
lerai  surtout  le  Cariulaire  de  révêché  de  Lisietix  dont  M.  M.  donne  d'importants 
extraits,  spécialement  dans  la  préface  de  son  livre,  et  qui  présente  beaucoup 
de  formes  intéressantes  pour  la  philologie  et  pour  Fonomastiquc.  Cette  partie 
est  faite  avec  soin  et  conscience,  et  suppose  des  recherches  méritoires.  Le 
partie  étymologiqne  est  très-faible.  Malgré  de  louables  efforts,  Tauteur  n'est  pas 
arrivé  à  se  mettre  au  courant  de  Thistoire  de  la  vieille  langue  ;  ce  qui  l'a  con- 
duit à  des  élymologies  plus  que  téméraires.  On  en  a  relevé  ailleurs  un  certain 
nombre».  Je  me  contenterai^  entre  de  nombreux  autres  exemples,  d*en  citer 
deux  qui  me  paraissent  typiques  :  •  Coxroy,  troupe  de  soldats,  ordre,  rang, — 
Du  latin  congnx^  qui  fait  partie  de  la  même  compagnie,  de  la  même  troupe.  — 
Par  la  chute  régulière  du  g,  comme  dans  inttgtû  qui  adonné  entière;  pmgnnta 
pèlerin;  magisUr  maistre,  etc.,  ce  radical  a  formé  comtXy  d'où  fOffr«,  qui, 
comme  nous  allons  le  voir,  est  la  forme  normande  du  mot  (p.  76  et  77),  » 
Suivent  deux  exemples  de  comoi  {Parkn,  de  BL,  v.  2167  et  Dit  de  Narc, 
V.  200)  et  deux  de  conrei  {Bmoiî^  v.  m  ^4  ;  Jorà,  Fantôme,  v.  1917).  L^auteur 
ne  voit  pas  que  ce  conroi  est  le  substantif  verbal  du  verbe  ccnreir^  conreder 
•  mettre  en  ordre>  disposer,  préparer  p,  qui  reste  encore  dans  le  mot  technique 
corroyer  {de  Tacier,  des  cuirs),  —  Page  201  :  «  Hue,  œuf.  —  Le  nom  Hue> 
très-répandu  en  Normandie,  se  rencontre  fréquemment  dans  les  vieilles  chro- 
niques de  cette  province.  Hue,  Huez,  Huien,  Huon,  Huge,  Hugue»  Hugon, 
Hugun,  Hugo,  etc.,  reproduisent  en  réalité  un  même  nom  sous  des  formes 
différentes,  i  Quelle  idée  d'aller  rattacher  au  latin  ovum  ce  nom  d'origine  ger- 
manique! 

M.  M.  termine  la  préface  de  son  livre  par  les  lignes  suivantes  :  c  Nous  nous 
estimerions  très-heureux  si  nous  étions  parvenu  à  attirer,  sur  ce  sujets  l'atten* 
tion  des  personnes  compétentes,  et  à  provoquer  de  leur  part  une  étude  plus 
complète  des  questions  que  nous  ^vons  soulevées,  t  Nous  ne  pouvons  que  nous 
associer  à  celte  conclusion. 

A.  DauRmesteteh. 


Enfermes  popolaires  en  langue  d^oc,  publiées  par  Alph.  Bûques-Peii* 
niER.  Montpellier,  imprimene  centrale  du  Midi,  1876,  in-8*,  xxiij-25  p. 

Ce  petit  recueil  a  déji  paru  dans  h  Revue  des  langues  romanes  (voy.  iîom,  JV); 
mais,  comme  le  dit  Tédileur  dans  son  avant-propos,  cVst  en  réalité,  grâce  aux 
additions,  une  édition  nouvelle.  Elle  mérite  un  bon  accueil,  tant  par  les  pièces 
qui  y  sont  soigneusement  publiées  et  suffisamment  expliquées, que  par  Tintroduc- 
tion  littéraire,  dont  la  sobriété  ne  cache  pas  l'érudition.  Nous  pensons  que  les 
recherches  de  M.  Roques-Ferricr  n'ont  encore  atteint  que  la  surface  du  sol 


ROQUES-FERRiER^  Énigmcs  populdires  2  5  ) 

populaire,  et  qu'en  les  poursuivant  il  a  toute  chance  de  découvrir  des  filons 
plus  profonds  et  plus  précieux.  Aussi  regardons-nous  surtout  ce  recueil  comme 
une  pierre  d'attente  ;  il  aura  le  grand  mérite  d'indiquer  â  bien  des  gens  qui  ne 
s'en  doutent  pas  l'intérêt  que  peuvent  présenter  des  collections  de  ce  genre,  et 
par  lâ  même  d'en  provoquer  de  nouvelles.  L'éditeur  a  soulevé  la  curieuse  ques- 
tion des  rapports  des  énigmes  des  différents  peuples  latins  (il  laisse  de  côté  celles 
des  peuples  germaniques)  :  pour  la  résoudre  il  faut  avant  tout  multiplier  les 
recueils  originaux;  M.  R.  F.  en  annonce  plusieurs  qui  vont  prochainement 
paraître.  Quant  au  sien,  nous  ne  doutons  pas  qu'il  n'ait  bientôt  besoin  d'être 
réédité  :  il  y  aurait  alors  avantage  à  numéroter  les  objets  que  désignent  les 
daignas  (le  ciel,  le  soleil,  etc.),  ou  au  moins  à  en  placer  les  noms  en  vedette, 
de  façon  à  permettre  de  s'y  retrouver  sans  peine  et  d'intercaler  aisément  les 
additions. 


PÉRIODIQUES. 


I.  JjLffaBucH  FUR  BOMANiscHE  Llteratur,  XV,  I.  ^  P.  I,  Matthes,  Du 
OxforUr  Rcnâuskandschrift^  ms,  Hatton  42  Boàt.  59,  und  ihrc  Btdmtttng  fur  du 
Rcnaussagc  ;  continuation  des  recherches  de  l'auteur  sur  les  manuscrits  anglais 
du  Rcnaut  (voy.  Romania  IV,  471);  il  communique  notamment  un  long  morceau 
d'une  version  différente  des  autres  conservée  à  Oxford.  Cette  version  n'est  d'aii- 
Jeurs«  autant  qu^on  en  peut  juger^  dans  sa  partie  originale,  qu'une  fiction  tout 
individuelle,  mise  en  vers  au  XIJl'  siècle  par  quelqu'un  qui,  ne  possédant  pas  le 
poème  entier,  s'est  avisé  de  le  compléter  à  Taide  de  son  imagination.  On  ne 
trouve  dans  son  œuvre  aucun  trait  Iradiiionnel,  et  elle  est  restée  parfaitement 
inconnue  :  aussi  ne  surs-^je  pas  disposé  à  croire  avec  M.  M.  qu'elle  ait  eu  de 
rinfluencesuf  h  poésie  épique  italienne,  —  P.  3?,  Meyer,  Romûmschc  Wctrtcr 
m  Kypnschcn  Mitulgneckiich  ;  relevé  de  mots  empruntés  à  ritalien  ou  au  fran- 
çais. —  P.  i7,  C,  Michaelis,  Nachtrage  und  BcnchUgangtn  zudenetymohgischm 
Venuchen^  concernant  les  mots  guadana^  mogigato,  couirc^  carcaj  et  targuais,  — 
P.  6^,  Scholle,  die  a-,  ai*^  an-,  en  Assonanzm  in  dcr  Chanson  de  Roland  ;  travail 
Irès-approfondi,  ÎM  avec  méthode  et  intelligence,  à  joindre  à  celui  de  M,  Bœh* 
mer  (voy,  Romank  IV,  joo)  et  à  discuter  en  même  temps.  —  P.  82^  Grceber^ 
dU  Eidt  \on  Stnnsburg  ;  cet  article,  daté  de  juin  1874,  paraît  déjà  un  peu 
arriéré;  dik  pour  d(b€i  ne  peut  se  comparer  au  difi  défendu  ici  par  i.  Cornu  ; 
non  to  suon  iint  pour  non  lostanh  est  peu  vraisemblable  ;  it  y  a  pourtant  quelques 
bonnes  remarques.  —  P,  90,  Suchier^  BmthUgmg  zu  Bartsck's  Vazeichntss  dtr 
Troubadour-Gcdtchu  ;  montre  que  dans  cette  liste  plusieurs  numéros  font  double 
emploi.  —  P.  92,  Bœddcker,  Engtischc  Utda  and  Bailadm  (suite).  —  P.  rjo, 
compte-rendu  de  Riller,  Rtthmks  sur  te  patois  deGcnm{voy.  Romama  IV,  1 54). 
—  Périodiques.  Le  dépouillé  de  la  Romama  est  fait  d'habitude  dans  le  Jahrbuch 
avec  négligence;  ici  encore  on  m'attribue,  dans  notre  i  ^'fascicule,  deux  articles^ 
signés  tous  deux,  l'un  de  mon  père  et  Tautre  de  P.  Meyer,  G.  P. 

II,  Il  PftopuGKATORB,  VIII,  5.  -^  Depuis  le  fascicule  4-5  du  tome  Vî  (année 
1873  ;  voy.  Romama  II ^  ^o;),  ce  recueil,  par  suite  d'un  malentendu,  ne  nous 
était  pas  parvenu.  Nous  remettons  à  ta  prochaine  livraison,  faute  de  place,  le 
compte-rendu  sommaire  des  années  1874  et  187^,  après  quoi  nous  reprendrons 
le  dépouillement  régulier  *. 

IIL  NuovE  Effemeridi  Siciliane,  h$c.  VII,  janvier-février.  —  CtX  excel- 
lent recueil  se  publie  depuis  le  commencement  de  l'année  dernière  sous  ta 
direction  de  MM.  V.  di  Giovanni,  G,  Pilrè,  S.  Salomone-Marino.  Dans  le 
premier  volume  nous  signalerons  un  remarquable  article  de  M.  Pilré  sur  le 
Débat  de  Ciullo   d'Akamo,  à  l'occasion  de  la   publication  de  M.  d^Ancona, 


I 


I 


I 


I 
I 

I 


I.  Dans  chacun  des  tomes  VII  et  VHl, 
manque. 


U  livrabon  qui  devitl  porter  le  n*  f  nous 


FÉRIODIQUES  2\$ 

et  une  note  de  M.  Sabmone-Marino  sur  une  upnsmiûûon  sacra  à  Borgetto 
(faubourg  de  Palerme)  il  y  a  une  vingtaine  d'années.  —  Le  présent  vofuiue 
s'ouvre  par  un  article  de  M.  di  Giovanni,  Salia  siabiliià  dct  Volgan  sicilmno  àal 
stcoto  Xlï  ai  prcscnU,  qui  contient  plusieurs  taits  très-intéressantS|  mars  aussi 
des  idées  fort  contestables  ou  un  peu  vagues.  H  serait  bien  à  désirer  que  tous 
les  anciens  monuments  du  dialecte  sicilien  fussent  recueillis  et  mis  au  jour, 
iusque-fâ  il  est  impossible  de  se  prononcer  sur  plusieurs  des  points  abordés  dans 
cette  étude. 

IV.  BeEICHT  DER  KŒN1QL.ICHSN   SvECHSISCHEN  GSSELLSCItAFT  D£R  WlSSENS- 

caArrEN.  Philologisch-historische Classe^ Sitzung am  27  nov.1875.— M.Zarncke 
a  communiqué  à  cette  séance  une  Vie  de  saint  Georges  en  latin,  tirée  d'un 
m%,  de  Sainl-Gall  du  IX*  siècle,  et  différente  de  celle  qu'il  |vait  déjà  publiée 
(voy.  Rommia  ]\%  i  ^).  Il  montre  que  ces  deux  légendes  sont  deux  traductions 
bdtpcndantes  d*un  texte  grec,  aujourd'hui  perdu  ;  celle  de  Sainl-Gall  paraît 
plus  fidèle. 

V.  Journal  des  Savants^  janvier  et  février.  Premier  et  deuxième  articles 
de  M.  Littré  sur  le  roman  de  TroU  publié  par  M.  Joly.  Dans  le  premier,  on 
remarquera  surtout  les  arguments  ajoutés  par  le  critique  à  ceux  de  Tédileur 
pour  établir  Tidentilé  de  Beneoit  de  Sainte-More  avec  fauteur  de  la  Chronique 
kî  ducs  de  Normandie.  Dans  le  second  article^  M,  Littré  commence  Texamen 
d^une  série  de  passages  qu'il  explique  ou  corrige.  Les  remarques  de  T illustre 
Mvant  sont  toujours  intéressantes,  mais  il  faut  «observer  que  Tédition  de  M,  Joly, 
dont  le  grand  défaut  est  de  ne  pas  reposer  sur  la  comparaison  et  la  classification 
des  manuscrits,  appelle  une  critique  d*un  autre  genre  :  avant  de  rechercher 
qoel  rensédc  on  peut  apporter  par  conjecture  à  un  vers  défiguré  dans  l'édition, 
il  (aul  s*enquérïr  de  la  leçon  des  mss.,  si  rarement  communiquée  par  l'éditeur. 
C'est  ce  qu'avait  marqué  L.  Pannicr  dans  son  remarquable  article  sur  la  pubîi* 
Cation  de  M.  Joîy  {Rcv.  criL  1875  I,  p,  247-256),  que  M.  Littré  ne  paraît  pas 
avoir  connu. 

VL  Revue  ciiitique,  janvier-mars  1876.  —  6.  Moisy,  Noms  de  familk  nor- 
mnds  (F.  Baudry)*  —  u.  Zarnclce ,  De  ngt  David  fiîio  Johannis  presbitm  ;  qui 
primas  prcsbyter  Jokamts  vocatus  sit. 

VIL  LiTEHâîiiscHÊS  Cbîstralblatt,  janvier-mars.  ^  N*  i ,  (tf  Dtme  de  Phi- 
imUj  p.  p.  Breymann.  —  5,  Demattio^  Fonologta  itûliana.  —  7,  Wiïïiams,  y 
lewt  Gftai,  —  II,  Gelmetti,  la  Ungaa  parhta  di  Firenze  t  la  Ungoa  kturam 
d'italu;  il  Canzomerc  portoghese  delta  Vatcana^  messo  a  stampa  da  Monaci.  — 
u,  Riller,  ta  Noms  dt  famille;  Os  Lusiadas^  hgg.  von  Reinhardstceiiner. 

VIIL  Ienaer  LiTEnATURZEïTUNO,  —  J9.  Scheffer-Boichorst,  die  Chrontk  des 
Dino  Compagni.  —  123.  La  Vida  de  sant  Honorât^  p*  p.  Sardou  (important 
article  de  M.  Tobler). 


CHRONIQUE. 


Par  décret  en  date  du  28  janvier  1876,  M.  Paul  Meyer  a  été  nommé  profes- 
seur de  langues  et  littératures  du  midi  de  l'Europe  au  Collège  de  France. 

—  On  vient  de  fonder  en  Italie  trois  chaires  de  philologie  romane,  i  Naples, 
â  Rome  et  à  Padouc.  On  a  nommé  comme  professeurs  M*  d'Ovidio  à  Naples, 
M.  Monaci  à  Rome,  et  comme  chargé  de  cours  à  Padouc  M.  CaneJlo,  Nous 
félicitons  Tïtalie  de  celle  intelligente  initiative,  dont  le  mérite  revient  à  M,  Bon- 
ghi,  et  nous  souhaitons  aux  nouveaux  professeurs  des  élèves  nombreux  et  stu- 
dieux. Chez  nous,  il  n'existe  toujours  pas  une  seule  chaire  de  philologie  romane, 
et  c'est  parfaitement  logique.  Pourquoi  instituer  des  cours  d'une  science  qui  ne 
mène  à  aucun  examen  et  ne  facilite  rentrée  d'aucune  carrière?  Les  élèves  feraient 
naturellement  défaut,  si  les  professeurs  se  trouvaient.  Au  Collège  de  France  et  1 
l'Ecole  des  hautes  éttides  on  peut  enseigner  ce  qu'on  veut,  et  par  îà  l'élude 
scientifique  des  langues  et  des  littératures  romanes  pénètre  dans  le  haut  ensei- 
gnement; mais  les  auditeurs  des  cours  qui  leur  sont  consacrés  sont  pour  la  plu- 
part des  étrangers,  et  il  ne  peut  en  être  autrement.  Les  certificats  qu'ils 
demandent,  et  qui  leur  sont  utiles  dans  leur  pays,  à  quoi  pourraient*ils  servir 
â  des  étudiants  français  ?  Ni  pour  enseigner  la  langue  française  ou  les  langues 
étrangères  dans  les  lycées  et  les  collèges,  ni  pour  enseigner  dans  les  facultés 
la  littérature  française  ou  les  littératures  étrangères  on  n'a  besoin  de  les  avoir 
étudiées  historiquement.  A  TEcoIe  des  charte  seulement  on  fait  de  ta  philo* 
logie  française  et  provençale  sérieusement,  parce  qu'elle  est  nécessaire  à  Texa* 
men  de  fin  d'année.  Aussi  ne  demandons-nous  pas  qu'on  fonde  des  chaires  en 
l'air  pour  ainsi  dire,  qui  ajouteraient  à  nos  Facultés  des  lettres,  dans  la  meil- 
leure hypothèse,  un  ornement  purement  superflu.  C'est  sur  les  examens,  à  la 
fois  sur  leur  caractère  et  sur  leur  utilité,  que  doit  porter  aujourd'hui  toute 
réforme  sérieuse  de  renseignement  supérieur.  C'est  pourtant  ce  dont  jusqu'î 
présent  on  s'est  le  moins  occupé. 

—  Parmi  les  nombreux  prix  que  décerne  l'Académie  française,  on  annonce 
qu'un  prix  de  philologie  française  va  enfin  trouver  place.  Nous  donnerons  des 
détails  sur  ce  sujet  dès  que  nous  en  aurons  de  précis.  On  sait  qu'aux  termes  de 
la  fondation,  la  langue  française  est  formellement  exclue  du  concours  pour  le 
prix  de  linguistique  fondé  par  Volney  et  décerné  par  rinstitot, 

—  La  SociiU  des  Anciens  textes  va  probablement  entreprendre  la  publication 
des  Œuvres  complètes  d'Eustache  Deschamps,  Elle  espère  en  faire  autant  pour 
celles  de  Christine  de  Pisan  et  d'Alain  Chartier.  Elle  a  décidé  Timpression^ 
entre  autres  ouvrages,  du  recueil  complet  des  Mirùcies  dt  Notre  Dame  dramatisés 
dont  MM,  Francisque  Michel,  Frère,  E»  du  Méril,  Keller,Wahtundi,  ont  publié 
des  échantillons  ;  cette  publication  est  confiée  à  MM.  G.  Paris  et  Ulysse 
Robert. 

—  Le  Journai  da  Sa>ants  contiendra  incessamment  un  fragment  i'Ogier  (t 
Danois  (deuxième  partie),  découvert  et  publié  par  M,  de  Longpérîer. 


Le  propnétain-gérani;  F.  VÏEWEG. 


Imprimerie  Gotivemeur,  G.  Daupdey  à  Nogcnt-lc-Rotrou 


I 

1 


DE 


L1NFLUENCE  DES  TROUBADOURS 


SUR  LA  POÉSIE  DES  PEUPLES  ROMANS  *- 


Lei  langues  de  i*Eiirûpe  méridionale,  c'est-à-dire  celles  du  midi  de  la 
France,  de  TEspagne  (y  compris  le  Portugal;  et  de  Pllalie  ont  un  rap- 
port intime,  qui  consiste  dans  l*unité  de  leur  origine,  et  qui  se  manifeste 
par  des  caractères  communs.  En  y  ajoutant  le  français  et  les  dialectes  qui 
%y  rsxiBchtnif  enfin  le  roumain ,  on  a  Tensemble  des  langues  appelées 
romanes,  dont  on  peut  dire  qu'elles  sont  le  latin  vulgaire  des  Romains, 
modifié  selon  des  conditions  de  temps  et  de  lieu.  La  langue,  par  cela 
^^elle  est  la  propriété  du  peuple  entier  qui  la  parle,  subit  peu  l'action 
des  individus  :  elle  vît  d'une  vie  en  quelque  sorte  végétative,  dont  le 
cours  ne  peut  guère  être  interrompu  que  par  quelque  grand  événement 
<{ui  viendrait  à  supprimer  le  peuple  qui  s'en  sert,  ouïe  mêler  dans  de  fortes 
proportions  avec  un  peuple  parlant  un  idiome  différent.  El  c'est  ainsi 
(jue  b  langue  conserve,  même  après  des  milliers  d'années  (notre  expé- 
rience ne  dépasse  pas  ^ooo  ans),  les  principaux  au  moins  de  ses  carac- 
tères originaux. 

Il  en  est  tout  autrement  de  la  littérature.  Sa  marche  est  beaucoup 
moins  régulière.  Etant  la  création  d'un  petit  nombre  de  personnes,  elle 
est  accessible  à  toutes  sortes  d'influences.  EllesubitPimpulsion  de  chaque 
nouveau  courant  d'idées.  Il  peut  arriver  qu'un  écrivain  ait  assez  de 
puissance  pour  lui  tracer  une  nouvelle  voie.  Dans  l'Europe  moderne,  les 
littératures  ont  si  bien  réagi  les  unes  sur  les  autres  qu'aucune  n'offre  plus 
un  caractère  véritablement  national.  Elles  sont  toutes  plus  ou  moins  cos- 
mopolites. On  conçoit  donc  qu'on  ne  peut  pas  établir  un  parallélisme 


!•  Cçt  aitkle  reproduit  la  plus  grande  partie  de  la  leçon  d'ouverture  du 
Wun  des  langues  et  litlératures  du  midi  de  I  Europe^  faite  le  jeudi  27  avril  au 
Coltége  de  France.  Nous  .ivons  seulement  faisse  de  cÔlé  le  préambule,  qui 
n'tvart  qu'un  intérêt  de  circonstance. 


2$B  p.  HEYER 

parfait  entre  le  groupement  des  langues  et  celui  des  littératures.  Force 
est  de  reconnaître  que  le  lien  qui  unit  les  innombrables  dialectes  des  pays 
romans,  est  beaucoup  moins  sensible  dans  les  littératures  des  mêmes 
pays.  Ce  lien  existe  cependant.  Il  faut  le  chercher  dans  l'influence  exer- 
cée par  les  premières  écloses  d'entre  ces  littératures  sur  leurs  cadettes. 

Quelles  sont  ces  aînées  des  littératures  modernes  ?  Vous  le  savez,  mes- 
sieurs, ce  sont  les  nôtres,  celles  du  nord  et  du  midi  de  la  France  ac- 
tuelle. Voyons  d'abord  comment  elles  sont  nées,  puis  nous  verrons  en 
quelle  façon  elles  ont  aidé  à  la  naissance  de  leurs  jeunes  sœurs. 

Plaçons-nous  aux  premiers  temps  du  rooyen-âge.  L'invasion  barbare^ 
et  d'autres  causes  que  nous  étudierons  dans  nos  prochains  entretiens,  ont 
amené  dans  tout  le  monde  romain  un  rapide  affaiblissement  des  études, 
La  noblesse  romaine,  en  général  lettrée,  est  ruinée  et  disparait  ;  les 
écoles  se  ferment  ;  celles  qui  subsistent  ou  se  fondent  sont  dans  la  dépen- 
dance des  monastères  :  les  clercs  seuls,  et  parfois  quelques  grands  per- 
sonnages, reçoivent  une  instruction  limitée.  Or,  dès  celte  époque,  par  le 
simple  effet  du  temps,  et  sans  que  l'établissement  des  Barbares  dans 
Fempire  y  ait  en  rien  contribué,  l'écart  entre  le  latin  littéraire  qu'on  écrit 
et  le  latin  vulgaire  qu'on  parle  est  assez  grand  pour  qu'on  ne  puisse  en- 
tendre, et  à  plus  forte  raison  écrire  le  premier  sans  l'avoir  étudié»  Par 
suite  la  grande  masse  de  la  population,  non-seulement  les  serfe,  mais 
même  la  majeure  partie  des  hommes  libres,  se  trouve  réduite  à  la  pos- 
session de  l'idiome  vulgaire  qui  n'est  rien  de  plus  qu'un  moyen  de  com- 
munication orale,  de  conversation,  et  ignore  toute  la  production  intel- 
lectuelle tant  du  présent  ice  qui  n'est  pas  une  grande  pêne)  que  du  passé. 
La  civilisation  ancienne,  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  élevé,  est  donc  abolie 
pour  le  plus  grand  nombre. 

La  réforme  des  études  poursuivie  avec  un  zèle  admirable  par  Charie- 
magne  ne  change  rien  à  cet  état  de  choses.  Outre  que  celte  réforme  ne 
produit  pas  ses  heureux  effets  dans  tous  les  pays  romans,  elle  reste  essentiel- 
lement ecclésiastique  et  latine,  le  but  de  l'empereur  ayant  été  d'élever  le 
niveau  de  l'instruction  chez  les  clercs,  qui  du  reste  n'avaient  jamais  manqué 
entièrement  des  moyens  de  s'instruire*  Désormais  le  latin  est  définiti- 
vement passé  à  l'étal  de  langue  savante. 

Mais  l'empire  que  le  latin  exerce  sur  tout  le  domaine  littéraire,  pri- 
vant ainsi  la  masse  des  illettrés  de  toute  jouissance  de  l'esprit,  ne  tarde 
pas  à  être  entamé.  Dès  l'époque  carolingienne,  nous  voyons  se  produire 
sur  divers  points  de  la  Gaule  des  compositions  en  langue  vulgaire 
qui  correspondent  aux  besoins  intellectuels,  du  reste  fort  limités,  des 
populations.  Au  commencement  du  ïX'  siècle,  l'Eglise  recommande 
aux  prêtres  de  prêcher  en  roman  ou  en  allemand,  selon  l'auditoire. 
A  la  fm  du  même  siècle  et  pendant  le  suivant  apparaissent  des  poésies 


I 

I 

I 


I 
I 


L'tNFLUENCE   DES  TROUBADOURS  I59 

religieuses,  faîtes  pour  être  chantées  par  les  fidèles^  ou  pour  leur  être 
récitées.  Au  même  temps,  des  témoignages  précis  nous  font  connaître 
Taistence  de  chants  historiques,  désignés  en  latin  par  le  terme  assez 
TSgQe  de  amîiUns,  de  chansons  (on  pourrait  déjà  dire  de  chansons  de 
geste)  composées  sur  des  événements  qui  avaient  vivement  frappé 
l'imagination  populaire,  de  chants  satiriques  qui  sont  ce  qu'on  appellera 
plus  tard  en  provençal  des  esîribùts  ou  des  sirventès.  En  somme,  au 
xt<  siècle,  vers  ïe  temps  de  la  conquête  de  FAngieterre  parles  Normands, 
la  France  du  Nord  possède  toute  une  littérature  épique,  et  un  peu  plus 
tard,  mais  toujours  avant  la  croisade  de  109$^  la  France  du  Midi  a  ses 
troubadours. 

Nous  nous  avancerions  beaucoup  si  nous  affirmions  que  ces  composi- 
tioDs  de  genres  variés  n'ont  pas  eu  leurs  analogues  dans  le  reste  des 
pajs  romans.  En  Espagne  et  en  Italie,  sans  doute,  au  x*'  siècle  comme 
aa  xin%  et  comme  actuellement,  les  jeunes  gens  ont  chanté  leurs  amours, 
les  guerriers  ont  aimé  à  entendre  le  récit  de  leurs  exploits,  les  jaloux  et  les 
méchants  ont  été  chansonnés,  le  clergé  a  voulu  que  le  peuple  ignorant 
du  latin  reçût  un  enseignement  religieux  et  prit  quelque  part  aux  céré- 
monies du  culte*  Mais,  de  toute  cette  littérature  hypothétique  rien  ne 
nous  est  resté,  et  vraisemblablement  rien  n'a  été  écrit. 

Pourquoi  en  a-t-il  été  autrement  en  France  ?  quelle  condition  particu- 
lière a  pu  assurer  chez  nous  plus  tôt  qu- ailleurs  la  naissance  et  le  déve- 
teppement  de  la  poésie  ? 

Cette  condition  particulière,  je  crois  qu'il  faut  la  chercher  dans  la 
protection  accordée  par  les  seigneurs  à  la  poésie,  et  dans  la  part  que 
certains  y  ont  prise.  La  poésie,  qui  n'a  besoin  pour  naître  du  secours  de 
personne,  ne  peut  se  soutenir  ni  se  perfectionner  sans  un  appui  qui, 
lelon  Téiat  de  la  civilisation,  lui  est  donné  par  le  peuple  en  général  ou 
seulement  par  les  classes  supérieures  de  la  société.  Elle  est  par  suite 
atnenée  à  se  proportionner  au  goût  de  ceux  qui  lui  font  accueil.  Au 
moyen-àge  notamment,  et  surtout  dans  les  premiers  temps,  elle  est,  en 
une  grande  mesure,  dans  la  dépendance  de  son  auditoire  ;  car  elle  n*a 
pas  encore  de  lecteurs  :  le  poète  chante  ou  récite  ^çs  vers,  et  se  trouve 
par  conséquent  en  contact  immédiat  avec  son  public.  Plus  tard,  lors- 
qu'elle se  sera  fortifiée,  elle  agira  à  son  tour  sur  les  sentiments  et  les 
tendances  de  certaines  classes  au  moins,  sinon  de  la  masse  du  peuple, 
mm  à  Torigine,  elle  ne  peut  que  subir  Tintluence  de  ceux  qui  l*encou- 
ragent. 

C*est  parce  qu'en  France  la  poésie  a  été  de  bonne  heure  encouragée 
qu'elle  s'est  développée  là  plus  tôt  qii*ailieurs  ;  c'est  parce  qu*elle  a 
rencontré  des  milieux  difîérents  au  Nord  et  au  Midi,  que  nous  avons  eu 
au  moyen-âge  deux  grandes  littératures,  la  française  et  la  provençale* 


26o 


p.  MEYER 


bien 


Le  point  de  départ  de  Pune  et  de  Tautre  est  le  même,  et  il  est 
humble.  Des  témoignages  plus  d'une  fois  recueillis,  et  qui  se  suivent 
depuis  la  fin  de  l'empire  romain  jusque  bien  avant  dans  le  moyen-âge, 
nous  font  connaître  l'existence  d'une  classe  d'individus  désignés  sous  les 
noms  antiques  de  scurfs,  thymdici,  histriones,  enfin  dt  jocalatores ,  amu- 
seurs  publics  qui,  par  des  divertissements  variés  où  les  tours  d'acrobates 
tenaient  autant  de  place  que  la  musique  et  le  chant,  égayent  les  oisife 
sur  les  places  publiques  et  dans  les  villas.  Ils  se  multiplient  à  mesure  que 
le  goût  s^abaisse;  on  les  voit  même  avant  la  fin  de  l*empire,  prendre  dans 
les  maisons  des  grands  la  place  qu'occupaient  tes  rhéteurs,  faisant  ainsi 
succéder  la  vulgarité  au  mauvais  goût.  Ils  traversent  sans  disparaître 
les  misères  des  temps  mérovingiens  et  carolingiens.  Nous  les  retrouvons 
au  XI*  siècle  florissant  par  toute  la  Gaule,  mais  particulièrement  au  sud. 
En  Aquitaine,  notamment,  ks  seigneurs  se  plaisent  à  s'entourer  de  ces 
personnages  d'abord  méprisés,  et  peut-être  méprisables,  mais  qui  s'élè* 
vent  à  proportion  des  encouragements  qu'ils  reçoivent.  On  fut  surpris, 
scandalisé  même,  dans  la  France  du  Nord,  lorsqu'à  la  suite  du  mariage 
du  roi  Robert  avec  Constance,  fille  de  Guillaume  J'',  comte  d'Arles,  on 
vit  se  répandre  par  les  pays  situés  au  nord  de  la  Loire  des  hommes  du 
Midi  au  costume  excentrique,  aux  façons  légères,  ayant  toute  l'apparence 
de  jongleursi  et  l'étant  probablement  en  effet.  C'est  que  dans  la  France 
proprement  dite,  dans  les  pays  dits  de  langue  d*oui,  les  jongleurs,  tout 
en  servant  à  Tamusement  de  tous,  des  grands  comme  de  la  foule,  res- 
taient dans  une  condition  infime  :  en  Aquitaine  ils  étaient  devenus  poètes 
de  cour.  Us  le  devinrent  à  ce  point,  ils  exercèrent  une  telle  action  sur 
leurs  protecteurs,  qu'on  vit  ceux-ci  participera  l'œuvre  des  jongleurs  en 
ce  qu^elle  avait  de  plus  élevé,  et  composer  eux-mêmes.  Les  deux  plus 
anciens  troubadours  dont  nous  ayons  conservé  les  noms,  et  en  partie  les 
œuvres^  sont  deux  seigneurs  :  Guillaume,  comte  de  Poitiers  et  duc 
d'Aquitaine,  et  Eble,  vicomte  de  Ventadour.  Le  jour  où  le  duc  d'Aqui- 
taine qui,  en  i  ici,  conduisait  plus  de  cent  mille  hommes  à  la  croisade, 
se  prit  à  exprimer  ses  pensées  en  vers  romans,  la  poésie  des  troubadours 
fut  fondée. 

Cette  différence  que,  dès  les  premiers  temps,  nous  apercevons  dans 
Taccueil  fait  aux  jongleurs,  d'une  part  au  Nord,  de  l'autre  au  Mtdii  cor- 
respond à  une  diversité  très*-sensible  dans  le  caractère  des  populations. 
Au  Nord  on  est  belliqueux.  Les  seigneurs  s'efforcent  de  s'établir  à  liire 
définitif  dans  des  terres  qui  ne  leur  ont  été  concédées  qu'à  titre  précaire. 
Leurs  rapports  de  vassalité,  encore  mal  définis,  sont  l'occasion  de  luttes 
sans  cesse  renouvelées.  On  s'accoutume  â  une  vie  agitée  et  dure  qui 
exclut  la  mollesse  et  aussi  la  politesse  des  mœurs,  Au  Midi  on  est  plut 
pacifique.  Plus  éloignés  du  siège  de  l'empire  qui  est  à  Paris  ou  à  LaoO| 


4 


l'influence  des  troubadours  261 

lei  anciens  fonctionnaires  carolingiens  se  sont  de  bonne  heure  et  sans 
trop  d'opposition  approprié  leurs  bénéfices»  Ils  y  vivent  tranquillement 
et  largement.  Ils  ont  des  ioisirs  et  recherchent  tout  ce  qui  peut  les  char- 
mer.  A  la  vérité,  ils  ont,  au  vuf  et  au  ix*  siècle  »  à  lutter  contre  les 
Arabes,  mais  dès  lors  ils  sont  défendus  plutôt  qu'ils  se  défendent  eux- 
mêmes.  C'est  aux  guerriers  du  Nord,  aux  armées  de  Charles  Martel  et 
de  Charlemagne  que  revient  l'honneur  des  plus  grands  coups.  Aussi, 
lorsqu'un  entraînement  universel  autant  qu'irréfléchi  jeta  les  forces  de 
[•Occident  chrétien  contre  TOrient  musulman,  la  différence  de  caractère 
entre  les  populations  du  Midi  et  celles  du  Nord,  accidentellement  réu- 
nies pour  une  œuvre  commune,  se  manifesta  d*une  façon  éclatante.  Mal- 
gré rincontestable  vaillance  d'un  certain  nombre  de  leurs  chefs,  les  Pro- 
vençaux (sous  ce  nom  on  désignait  tous  les  habitants  de  la  Gaule  méri- 
dionale) paraissent  dans  l'ensemble  plus  industrieux  que  les  Francs 
{Francij  Francigens)^  mais  moins  soucieux  de  la  gloire  des  armes.  On  a 
iouveni  cité  le  portrait  que  le  chroniqueur  Raoul  de  Caen  a  tracé  des 
CToisés  provençaux  :  «  Les  Francs^  dit-il,  ont  le  regard  hautain,  i*esprit 

•  fier,  la  main  prompte  aux  armes,  toujours  prête  à  dépenser,  lente  à 
B  amasser.  Les  Provençaux  formaient  contraste  avec  eux  par  les  mœurs, 
i  par  l'esprit,  par  la  manière  de  se  vêtir  et  de  se  nourrir  :  ils  savaient 

•  ménager  leur  nourriture,  scruter  partout  pour  la  trouver,  supporter 
>  le  travail  j  mais,  à  vrai  dire,  ils  étaient  peu  belliqueux.  Par  leur  in* 
M  dustrie,  au  temps  de  la  famine,  ils  rendirent  plus  de  services  que 
»  d*autres  plus  prompts  au  combat.  A  défaut  de  pain,  ils  vivaient  de 
ji  racines,  de  cosses  même  ;  armés  d*un  fer,  iïs  fouillaient  la  terre  pour 
»  y  trouver  leur  subsistance;  d*où  le  dicton  que  les  enfants  chantent 
»  encore  :  Les  Francs  à  la  bataille,  les  Provençaux  aux  vivres  !  « 

Le  contraste  n'est  pas  moins  frappant  dans  la  littérature.  Les  Français 
aiment  les  expéditions  aventureuses,  les  beaux  coups  d'épée,  et  voilà 
pourquoi  ils  ont  une  épopée  :  les  Provençaux  se  soucient  peu  d^entendre 
conter  des  prouesses  pour  lesquelles  ils  n'ont  pas  de  goût,  et  voilà  pour- 
quoi ils  n*ont  pas  d'épopée. 

lis  n'ont  pas  d'épopée,  mais  ils  ont  créé  une  poésie  lyrique  qui,  de 
proche  en  proche,  a  gagné  tout  le  monde  latin,  faisant  sentir  son  influence 
jusque  dans  les  pays  germaniques.  Là  est  le  lien  qui  unit  les  littératures 
romanes,  et  principalement,  comme  on  le  verra  plus  foin,  celles  du  Midi 
de  l'Europe. 

L'accueil  fait  aux  jongleurs  par  les  classesélevéesa  donné  à  la  poésie  le 
champ  dont  elle  avait  besoin.  Il  fallait  la  vie  des  cours,  les  fêtes  et  les 
loisirs  élégants,  pour  faire  naître  et  entretenir  ces  longues  amours  qui, 
avec  leurs  ahematives  de  joie  et  de  chagrins,  ont  donné  lieu  à  tant  de 
chansons.  Il  fallait  qu'entre  l'objet  de  ces  amours  et  le  poète  il  y  eût 


2^2  P.  MEYER 

toute  la  distance  qui  séparait  un  pauvre  vassal  de  la  femme  ou  de  la 
parente  d'un  seigneur,  pour  que  la  poésie  amoureuse  prit  tout  d'abord 
ce  caractère  réservé  et  respectueux  qu'elle  a  acquis  pour  la  première  fois 
chez  les  chanteurs  provençaux,  et  qu'elle  a  conservé  depuis,  même  en 
des  cas  où  la  cause  qui  avait  commandé  ce  respect  et  cette  réserve 
n^existait  plus»  Il  fallait  enfm  un  auditoire  attentif  et  déjà  préparé,  pour 
apprécier  ces  délicatesses  de  pensée,  cette  forme  parfois  admirable, 
presque  toujours  recherchée,  qui  caractérise  la  poésie  lyrique  des  Pro- 
vençaux. 

Les  conditions  de  la  poésie  s'étant  ainsi  élargies  ei  élevées,  on  voit 
apparaître,  pour  désigner  Pan  de  composer,  une  expression  nouvelle  qui 
peint  bien  Tessor  de  la  pensée  :  c'est  le  verbe  trobar,  trouver,  composer, 
et  son  substantif,  trobatre,  celui  qui  trouve,  qui  crée,  ou,  selon  le  terme 
antique  repris  par  les  modernes,  le  poète.  Et  réellement,  depuis  Tanti- 
quité,  aucun  effort  aussi  grand  n'avait  été  fait  vers  la  poésie  la  plus 
haute,  celle  qui  concentre  sa  puissance  dans  la  description  du  sentiment 
intime. 

Nous  ne  sommes  pas  placés  dans  de  bonnes  conditions  pour  apprécier 
ta  poésie  des  troubadours.  Sans  doute,  nous  admirons  chez  la  plupart 
d'entre  eux  Téléganie  construction  des  strophes,  et  Taisance  avec 
laquelle  la  pensée  se  développe  au  milieu  des  entraves  d'une  versification 
compliquée  ;  mais  la  poésie  italienne  et  notre  poésie  classique  nous  ont 
accoutumés  à  ce  genre  de  perfection,  et  nous  ne  songeons  pas  assez  que 
c'est  la  poésie  provençale  qui,  la  première  depuis  l'antiquité,  a  réalisé, 
pour  ainsi  dire  de  prime  abord,  cet  accord  parfait  de  l'idée  et  de  l'cx* 
pression.  La  pensée  aussi,  dans  les  chansons  d'amour,  qui  sont  la  partie 
la  plus  originale  de  la  poésie  provençale,  nous  semble  plutôt  raffinée  que 
profonde,  plutôt  gracieuse  que  passionnée,  et  en  somme  n'éveille  pas  en 
nous  assez  de  sensations  nouvelles.  C'est  que  nous  avons  trop  de  lecture  : 
trop  d'idées  empruntées  aux  littératures  les  plus  diverses  se  mêlent  dans 
noire  esprit.  Nous  ne  pouvons  pas  facilement  nous  abstraire  de  cette 
abondance  un  peu  confuse  que  nous  devons  à  notre  éducation»  Sans  le 
savoir,  nous  faisons  poner  à  la  poésie  des  troubadours  la  peine  de  son 
succès  et  de  sa  célébrité  :  nous  oublions  que  si  beaucoup  de  ses  idées  et 
dt  ses  formes  nous  produisent  l'impression  de  lieux  communs,  c'est  elle 
qui  b  première  les  a  trouvées  et  mises  en  circulation. 

A  cet  égard  nous  sommes  bien  mieux  placés  pour  apprécier  i*épopée 
qui  n'a  pour  ainsi  dire  rien  fait  passer  ni  de  sa  forme  ni  de  ses  idées 
dans  nos  littératures  modernes^  et  dont  par  suite  nous  goûtons  pleine- 
ment ÏA  fraîcheur  et  roriginalité. 

A»iurément  les  contemporains  étaient  mieux  que  nous  en  état  de  jouir 
di>  U  nouvelle  poésie,  ils  savourèrent  avec  passion  cette  vie  intellectuelle 


I 


I 


à 


l'influence  des  troubadours  26} 

i  s'ouvrait  à  eux,  et  bientôt,  il  n'y  eut  si  petite  cour  seigneuriale  qui 
fût,  au  moins  pour  quelque  temps,  un  centre  poétique.  Les  trouba- 
dours passaient  volontiers  de  l'une  à  l'autre,  et  la  différence  des  dialectes 
Ti'étaii  pas  telle  que  les  compositions  nées  en  Limousin  ne  pusseni  être 
entendues  en  Provence,  ou  réciproquement.  Bien  plus,  Tart  de  trobar 
se  propageant  rapidement,  se  fit  sentir  en  des  pays  voisins.  Des  Lom- 
bards, des  Catalans,  voulurent  aussi  trouver^  et  à  défaut  de  leur  idiome 
propre,  quils  n'eurent  pas  tout  d'abord  l'idée  d'employer,  ils  emprun- 
tèrent la  langue  de  leurs  maîtres.  De  sorte  qti*on  voit  figurer  sur  les 
listes  des  troubadours  les  rois  d'Aragon  Alphonse  11  et  Pierre  lU,  les 
Italiens  Bertolomeu  Zorgi,  Lanfranc  Cigala,  Sordel  de  Manioue,  Dante  de 
ajano,  et  bien  d'autres  étrangers. 

L^âge  d'or  de  la  poésie  des  troubadours  ne  fut  pas  long  :  il  dura  un 
siècle  environ,  des  premières  années  du  xii^  siècle  à  la  croisade  aibi- 
loise  ;  mais  ce  fui  pour  le  midi  de  la  France  une  époque  d'un  éclat  et 
ne  prospérité  incomparables.  Le  pays  est  riche  :  il  suffit,  même  impar- 
faitement cultivé,  aux  besoins  d'une-  population  probablement  égale  à 
celle  de  nos  jours.  Le  commerce  y  est  plus  développé  qu'en  aucune  partie 
de  l'Europe,  Il  est  assez  également  réparti  tout  le  long  de  la  côte  médi- 
lerranéenne  :  Narbonne,  Montpellier  (par  le  port  de  Lattes! ,  Aiguës- 
Mortes^  sont  encore  en  communication  avec  la  mer.  Une  bourgeoisie 
puissante  s'est  formée  dans  la  plupart  des  villes  et  en  dirige  Tadminis- 
tration  sous  Tautorité  très-débonnaire  des  seigneurs.  Le  pouvoir  muni- 
cipal, dont  la  transmission  est  minutieusement  réglée,  n'y  est  pas  aux 
mains  de  certaines  familles,  de  factions,  comme  dans  les  cités  italiennes, 
et  par  suite  les  guerres  intestines  sont  rares*  Les  guerres  entre  seigneurs 
sont  moins  fréquentes  que  dans  le  Nord  :  les  hommes  répugnent  au  ser- 
vice d'ost  et  de  chevauchée,  et  en  plusieurs  lieux  l'ont  racheté  ou  fait 
réduire  à  des  limites  si  étroites  qu'il  est  devenu  presque  illusoire, 
y  reste ,  la  vie  municipale  est  tellement  puissante  et  maintenue 
ec  une  telle  énergie,  que  la  cité  est  proprement  la  patrie  de  ses 
abitants:  le  suzerain  peut  donc  changer  parle  hasard  des  succes- 
sions, par  usurpation  même,  sans  que  la  condition  des  citoyens  en  soit 
sensiblement  affectée.  Les  seigneurs  sont  surtout  puissants  par  leurs 
grandes  richesses.  La  libéralité  est  en  quelque  sorte  de  tradition  chez 
X,  A  la  première  croisade,  Raimon  de  Saint-Gille,  comte  de  Tou- 
ise,  suffit  à  des  dépenses  énormes  qu'il  s'impose  dans  Tintérêt  général 
4Îe  l'armée.  La  splendeur  de  certaines  fêtes,  sur  lesquelles  nous  avons 
des  témoignages  dignes  de  foi,  étonne  l'imagination.  A  défaut  d'une 
issance  très-réelle ,  les  seigneurs  du  Midi  conservent  du  moins  un 
and  prestige  qui,  dans  les  circonstances  difficiles,  comme  au  moment 
la  guerre  albigeoise,  ieur  assure  l'entier  concours  de  leurs  vassaux. 


sic 
sei 


254  P-  MEYER 

Les  troubadours  contribuent  dans  une  grande  mesure  à  l'éclat  des 
cours  et  applaudissent  à  tout  ce  qui  peut  l'accroître,  Jl  se  peut  qu*iin 
certain  relâcbemem  dans  les  mœurs  ait  accompagné  cet  essor  du  luxe 
et  de  la  poésie  :  on  ne  voit  rien  pourtant  qui  rappelle  le  dévergondage 
criminel  dont  les  grandes  époques  de  l*art  et  de  la  littérature,  par 
exemple  le  xvi«  siècle  italien,  ont  donné  parfois  le  spectacle.  On  se 
contente  de  n*ètre  pas  austère» 

Le  frottement  des  diverses  classes  de  la  société,  les  nécessités  du 
commerce,  par  dessus  tout  ce  sens  pratique  qui  se  dévoile  chez  les 
méridionaux  dès  la  première  croisade,  ont  fait  naître  un  esprit  de  tolé- 
rance en  matière  de  religion,  qu'on  ne  trouverait  probablement  au  mênjc 
degré  en  aucune  partie  du  monde  chrétien.  Les  juifs  vivent  en  paix, 
jouissant  d'une  protection  qui,  d'ailleurs,  ne  leur  a  pas  été  accordée 
gratuitement.  Leurs  établissements  de  Béziers  et  de  Narbonne  sont 
prospères.  Des  hérétiques  de  diverses  sectes,  les  Cathares  d'abord,  puis 
les  Vaudoisou  Pauvres  de  Lyon,  profitant  de  cette  tolérance,  sont  venus 
s'établir  dans  l'Albigeois  et  dans  le  Toulousain ,  espérant  y  vivre  tran- 
quilles. Ce  sont  des  hérétiques  austères,  les  Pauvres  de  Lyon  sunoui. 
Aussi  font-ils  presque  tous  leurs  prosélytes  dans  les  populations  rurales 
qui  ne  participent  pas  à  la  vie  agitée  et  brillante  des  cités  et  des  cours. 
Comme  ÎIs  ne  gênent  personne  ,  ils  sont  tolérés  panout,  même  par  le 
clergé  local,  au  grand  déplaisir  de  la  cour  de  Rome.  Ainsi*  peu  à  peu, 
la  liberté  de  conscience  s'établit,  en  dehors  du  droit,  par  la  seule  puis- 
sance de  l'usage. 

En  somme,  le  xii*  siècle  nous  présente»  au  Midi,  un  état  de  civili- 
sation qui  nous  parak  assez  avancé^  en  ce  sens  du  moins  qu'il  a  beau- 
coup de  points  communs  avec  le  nôtre.  Si  ces  conditions  persistent ,  le 
pays  semble  destiné  à  une  prospérité  sans  limites.  Des  changements 
politiques  s*y  produiront.  Le  système  féodal  y  disparaîtra  comme 
ailleurs,  mais  probablement  sans  secousse  ;  et  si  Jamais  contrée  parait 
devoir  être  à  l'abri  des  guerres  religieuses  qui  feront  le  malheur  du  xvi* 
siècle,  c'est  bien  celle-là. 

Une  agression  brutale  ^'nt,  au  commencement  du  xiir  siècle,  anéantir 
cts  espérances.  En  1109,  les  croisés,  partis  du  nord-ouest  et  du  nord- 
est,  se  dirigent  sur  deux  lignes  vers  le  comté  de  Toulouse,  brûlant  les 
villes  qui  résistent,  expulsant  des  populations  entières  et  les  réduisant  à 
chercher  un  refuge  soit  dans  les  montagnes,  soit  au  sud  des  Pyrénées. 
Les  cités  du  Midi  n'étaient  pas  organisées  pour  une  défense  prolongée. 
Elles  ne  résistent  pas  mieux  en  1 209  à  l'invasion  française  que  cent  cin- 
quante ans  plus  tard  à  la  chevauchée  du  prince  de  Galles.  Aussi,  lorsque 
le  comte  Raimon,  d'abord  pacifique  spectateur  de  sa  spoliation,  se  fut 
décidé  à  la  résistance,  il  n'obtint  que  d'éphémères  succès,   et  ne  fit,  en 


I 


I 

I 

I 

I 
I 


l'influence  des  troubadours  265 

prolongeant  l*agome  des  provinces  méridionales,  que  consommer  leur 
ruine.  Plus  tard,  saint  Louis  essaya,  et  c'est  V\in  de  ses  plus  beaux 
litres  de  gloire,  de  réparer  les  désastres  dans  lesquels  son  père,  Louis  Vill, 
s'était  si  gravement  engagé  ;  les  propriétaires  dépouiliés  furent,  autant 
que  possible,  rétablis  dans  leurs  possessions,  et  le  pays  fut  en  un  certain 
sens  pacifié.  Mais  les  cours  seigneuriales  appauvries  ne  retrouvèrent 
plus  leur  splendeur  d'autrefois  ;  la  plupart  des  troubadours  émigrèrent 
en  Aragon,  en  Casiille,  en  Italie,  et  la  poésie  provençale  y  jeta  un 
dernier  éclat,  tandis  qu'elle  s'éteignait  lentement  dans  les  pays  où  elle 
^tait  née.  Pourtant ,  toutes  les  parties  de  la  littérature  ne  furent  pas 
égalemcm  atteintes.  Certains  genres  persistèrent .  sans  beaucoup  de 
gloire  toutefois,  pendant  plus  d'un  siècle,  li  restait  toujours  un  public 
pour  des  nouvelles,  pour  des  légendes  pieuses,  pour  des  romans  parfois 
imit^  du  français ,  mais  le  grand  art  de  la  poésie  lyrique  avait  disparu 
dès  la  fin  du  xiir  siècle.  On  le  vit  bien  lorsqu'en  1^5  quelques  Toulou- 
sains eurent  Tidée  de  fonder,  sous  le  titre  de  Consistoire  de  la  gaie 
science,  une  sorte  d'Académie  destinée  à  faire  refleurir  ta  poésie  des 
troubadours  en  instituant  des  récompenses  (églantines,  soucis,  etc.]  pour 
les  meilleures  compositions.  Nous  possédons  le  recueil  des  pièces  cou- 
ronnées par  cette  Académie  (qui  fonctionne  encore  maintenant  sous  le 
nom  d'Académie  des  jeux  floraux  1 ,  et  nous  pouvons  reconnahre  que 
rien  n'est  plus  éloigné  de  la  véritable  poésie  des  troubadours,  et  même 
de  toute  poésie.  Cependant ,  tel  était  encore  le  prestige  qu'excitait  ce 
seul  nom  de  troubadours,  que  l'institution  toulousaine  fut  imitée  à  Bar- 
celone, et  là,  rencontrant  des  conditions  plus  favorables  que  dans  le 
midi  de  la  France,  elle  prospéra  et  devint  le  point  de  départ  d'un  mou- 
vement littéraire  important  qui,  avec  Ausias  March,  acquit  au  xv"  siècle 
une  valeur  tout  à  fait  originale,  et  dont  l'influence  se  fit  sentir  en  Castille 
et  même  en  Portugal. 

C'est  ainsi  que  la  poésie  catalane  se  rattache  à  la  poésie  provençale , 
dont  elle  a  recueilli  les  derniers  fruits.  De  nos  jours,  le  lien  s'est  renoué, 
Cl  nous  avons  vu  toute  une  renaissance  poétique  se  manifester  en  Cata- 
logne sous  l'influence  des  troubadours  modernes  de  fa  Provence,  et 
surtout  du  premier  d'entre  eux,  Frédéric  Mistral 

Lorsque  le  Consistoire  toulousain  fut  fondé  pour  la  restauration  de  la 
poésie  des  troubadours,  celle-ci  revivait  en  quelque  sorte  hors  de  sa 
patrie  sous  des  formes  nouvelles.  Nous  l'avons  vue  de  bonne  heure 
adoptée  et  cultivée  par  des  étrangers.  Un  honneur  plus  grand,  surtout 
plus  durable,  l'attendait.  Dans  la  France  du  Nord,  en  Sicile  à  la  cour 
du  jeune  Frédéric  II,  en  Toscane^  en  Galice  à  la  cour  du  roi  Denis, 
on  composa  â  la  manière  provençale.  A  ce  point  que,  si  même  les 
œuvres  des  troubadours  ne  nous  avaient  pas  été  conservées,  un  air  de 


266  P*  MKYER 

famille  résultant  de  la  forme  des  strophes,  de  certains  tours  de  pensée, 
de  certaines  locutions  en  quelque  sorte  consacrées»  nous  ferait  deviner 
rorîgine  commune  d'une  grande  partie  de  la  poésie  lyrique  du  moyen  âge; 
tout  ainsi  que  dans  tes  langues  romanes,  tels  caractères  communs  dont  le 
latin  littéraire  ne  rend  pas  compte,  ne  se  peuvent  expliquer  que  par  la 
supposition  qu'ils  existaient  déjà  dans  le  latin  vulgaire. 

[|  ne  faut  pas  s  exagérer  le  mérite  de  ces  imitations.  A  vrai  dire,  elles 
sont  d'autant  plus  faibles  qu'elles  se  tiennent  plus  près  âe^  originaux. 
Mais  il  en  est  souvent  ainsi.  Ce  que  les  imiiateurs  s*approprient  le  plus 
facilement,  c'est  une  certaine  phraséologie,  un  certain  nombre  de  lieux 
communs  qui  ne  sont  que  l'enveloppe  de  la  poésie.  Aussi ,  n'est-ce  pas 
pour  leur  valeur  propre  que  nous  faisons  cas  des  compositions  des 
poètes  siciliens  ou  galiciens,  mais  simplement  parce  qu'elles  relient  la 
littérature  de  l'Italie  et  du  Portugal  avec  celle  des  Provençaux, 

Le  mérite  des  Provençaux  est  d'avoir  introduit  dans  le  monde  roman 
l'idée  d'une  poésie  élevée  par  la  pensée,  distinguée  par  la  forme,  capable 
de  satisfaire  les  esprits  supérieurs,  et  cependant  s'exprimant  non  en  latin, 
mais  en  langue  vulgaire.  Pour  concevoir  le  mérite  de  cette  idée ,  il  faut 
se  représenter  l'ascendant  que  conservait  le  latin  littéraire,  la  ténacité  avec 
laquelle  il  se  maintenait  en  possession  de  toute  littérature  élevée,  l'obsti* 
nation^  en  un  mot,  qu'il  mettait  â  se  faire  passer  pour  langue  vivante  , 
alors  qu'il  était  mort  depuis  des  siècles.  Les  troubadours  ont  prouvé 
pratiquement  ce  que  Dante  a  démontré  logiquement  après  eux  dans  le 
Convito  et  le  de  Vulgari  eloquio^  la  dignité  de  la  langue  vulgaire. 

Quand  Pidée  eut  fait  son  chemin,  la  voie  se  trouva  ouverte  à  toute  une 
poésie  qui  ne  savait  par  où  entrer  dans  le  monde,  qui  n'attendait  qu'un 
exemple  pour  s'épanouir  à  son  tour  en  pleine  lumière.  La  France  du 
Nord  fut  la  première  à  suivre  l'exemple  de  la  Provence  :  non  qu*elle  ne 
possédât  depuis  longtemps,  sans  parler  de  sa  grande  épopée,  une  poésie 
sirophique,  par  conséquent  chantée,  d*une  grande  valeur,  si  nous  en 
jugeons  par  les  spécimens  assez  nombreux  qui  nous  en  sont  parvenus  ; 
mais  c'était  une  poésie  essentiellement  populaire,  ayant  peu  de  chances 
d'exercer  jamais  aucune  influence  sur  la  formation  d'une  Hitéralure,  et 
destinée,  selon  toute  apparence,  à  disparaître  dans  Poubli.  Il  en  fut 
autrement  dès  qu'on  eut  commencé  en  France  idès  la  fin  du  xu*  siècle)  à 
composer  dans  la  manière  des  troubadours.  Pour  goûter  les  nouvelles 
formes  de  la  poésie,  on  ne  dédaigna  pas  les  anciennes;  on  les  cultiva  et 
on  les  perfectionna ,  de  sorte  que  la  poésie  lyrique  française  est  formée 
de  deux  courants ,  l'un  proprement  national ,  l'autre  d'origine  méridio- 
nule.  Ces  deux  courants  sont  représentés  dans  nos  vieux  chansonniers 
français  du  xui''  et  du  xïV*  siècle,  et  il  y  a  toute  apparence  que  les  chan- 
sons de  filcuses  et  les  chansons  à  danser  qui  forment  la  partie  la  plus 


■ 


L*INPLUENCE    DES  TROUBADOURS  ïSy 

prédcuse  de  nowe  ancienne  poésie  populaire,  n'auraient  jamais  été 
recueillieSi  si  le  succès  de  la  poésie  dans  le  Midi  n'était  venu  les  mettre 
en  honneur. 

La  même  chose  arriva  en  Portugal*  Dans  le  Cancioneiro  du  roi  Denis, 
que  le  zèle  intelligent  d*un  savant  italien  vient  enfin  de  mettre  au  jouri 
figure  à  côté  de  poésies  savamment  construites,  mais  parfois  un  peu 
froides  et  conventionnelles,  tout  un  essaim  de  chansonnettes  légères  et 
gracieuses  qui  ne  doivent  rien  aux  Provençaux,  sinon  de  leur  avoir  frayé 
la  voie. 

En  Italie,  la  poésie  populaire,  dont  nous  avons  d'anciens  spécimens^ 
ne  semble  pas  avoir  beaucoup  profilé  du  mouvement  suscité  par  les 
troubadours.  Le  grand  effort  s'est  opéré  dans  le  sens  de  la  poésie  artis- 
tique, et  de  ce  côté  les  Italiens  ont  été  jusqu'au  bout  de  la  voie  que  leur 
avaient  ouverte  les  Provençaux,  car  après  tes  poètes  siciliens  de  la  cour 
de  Palerme  ils  ont  eu  les  poètes  toscans,  et  parmi  eux  Dante. 

Ouvrir  la  voie  à  la  pensée,  lui  fournir  une  forme  au  moins  temporaire, 
c'est  tout  le  service  que  les  Provençaux  pouvaient  rendre  à  leurs  contem- 
porains^ et  on  n^en  saurait  imaginer  un  pfi;s  grand.  Ce  n'est  point  affaire 
aux  hommes  de  créer  le  génie  :  leur  seul  devoir  est  de  lui  ménager  les 
moyens  de  se  produire.  Mais ,  s'il  y  a  lieu  de  croire  que  les  dons  intel- 
lectuels qui  forment  le  génie  se  rencontrent  selon  une  proportion  peu 
variable  en  tous  les  temps ,  il  s*en  faut  que  les  conditions  qui  lui  per- 
mettent de  se  faire  jour  soient  toujours  les  mêmes.  Il  y  a  dans  l'histoire 
de  rhumanité  des  espaces  déserts  oh  les  hommes  semblent  avoir  gaspillé 
à  plaisir  la  tradition  du  passé,  sans  même  laisser  après  eux  une  idée  qui 
pût  servir  à  leurs  successeurs.  Telle  est  la  période  qui  s'étend  de  la 
chute  de  l'empire  d'Occident  à  Tavéneraent  des  littératures  romanes. 
C'est  comme  une  vaste  nécropole  sans  épitaphes,  qui  fait  penser  à  ces 
vers  inspirés  au  poète  Gray  par  la  vue  d^un  cimetière  de  village  : 


Perhaps  in  this  neglected  spot  is  laid 
Some  hcarl  once  pregtianl  with  cdestial  fire, 

Hands  that  ihe  rod  of  emptre  might  hâve  sway'd. 
Or  waked  to  ecstasy  the  living  lyre. 

But  Knowledge  to  theîr  cyes  her  ample  page 
Rich  with  the  spoii  of  time  did  ne  er  unroll  ; 

Chili  Pcnury  repress'd  their  noble  rage, 
And  froze  the  génial  current  of  the  souL 

Fuit  many  a  gcm  of  purest  ray  sercne, 
The  dark  unfâthora'd  caves  of  Océan  bear  ; 

Fuit  many  a  flowcr  is  borne  lo  blush  unscen 
And  waste  its  swcetness  in  the  désert  air* 


268  P.  MEYER 

Ainsiy  pendant  plusieurs  siècles^  le  cœur  de  Phomroe  a  pu  contenir 
des  trésors  de  poésie  sans  qu'aucune  parcelle  s'en  échappât.  Mais  les 
premiers  chants  qui  retentirent  en  Aquitaine  et  en  Limousin  réveillèrent 
la  pensée  engourdie;  bientôt,  un  vaste  concert  se  forma  par  tout  le 
monde  latin,  et  depuis  lors  les  chants  n'ont  plus  cessé. 

Plus  tard,  dévenues  puissantes,  les  littératures  de  l'Italie  et  de  PEs- 
pagne  exercèrent  autour  d'elles  une  large  influence,  et  la  France  fut  la 
première  à  en  profiter.  L'ancienne  théorie  qui  faisait  naître  la  poésie 
française  d'une  sorte  d'imitation  de  la  poésie  italienne,  conserve  encore 
une  part  de  vérité,  si  on  la  restreint  au  xvi«  siècle.  Au  xvii*  aussi, 
Corneille  contracta  quelques  dettes  envers  l'Espagne.  Mais  ce  que  nous 
devons  à  nos  voisins  du  Sud,  n'est  nullement  comparable  à  ce  qu'ils 
doivent  à  la  France  du  Midi.  Car  ce  ne  sont  pas  seulement  des  sujets  ou 
des  formes  poétiques  que  la  poésie  provençale  a  transmis  à  la  poésie  de 
l'Espagne  et  surtout  de  l'Italie  :  c'est  l'existence  même. 

Paul  Meyer. 


DIALOGUS 

ANIME   CONQUERENTIS    ET    RATïONIS  CONSOLANTIS. 

TRADUCTION   EN   DIALECTE   LORRAIN   DU   XIl**  SIÈCLE. 


Dans  mon  Rapport  sur  une  mission  en  Lorraine  et  à  Metz^  j'ai  dit 
quelles  circonstances  m^oni  amené  à  étudier  quelques-uns  des  mantascrits 
de  la  bibliothèque  d'Épinal,  et  comment  j'ai  rencontré  dans  le  ms.  t8i 
un  document  précieux  pour  Tétude  de  la  langue  parlée  dans  la  région  de 
ta  V6ge  au  xiT  siècle*  L'importance  de  ce  texte,  dont  l'existence  avait 
échappé  à  Tauteur  du  Catalogue  des  mss,  des  bibL  des  déparîemenîs  (t.  III: 
Epinal  n**  58),  m*engagea  à  en  copier  quelques  extraits  pendant  la  durée 
de  mon  séjour  trop  restreint  à  Épinal  ;  ces  extraits  ont  élé  publiés  à 
la  suite  du  Rapport,  appendice  VL  J'ignorais  alors  que  ce  ms., 
comme  tous  ceux  de  la  même  bibliothèque  qui  ont  trait  à  l'histoire  poli- 
tique et  littéraire  de  Meiz  et  de  la  Lorraine,  avait  élé,  pendant  plusieurs 
mois,  aux  mains  de  Jean-François  Huguenin,  qui  préparait,  avec  ks  maté- 
riaux tirés  de  ces  divers  mss.,  son  édition  des  Chroniques  de  la  VilU  de 

C'est  pendant  les  années  i8î4  ^^  suivantes  que  Huguenin  exécuta  ses 
copies.  Celle  que  nous  avons  entre  les  mains  porte  à  la  tin  celte  men- 
tion :  a  Fini  de  collatjonner  le  8  mai  i8]^  à  7  heures  du  soir,  n 

Ce  simple  détail  permet  d'apprécier  le  soin  consciencieux  apporté  par 
Huguenin  dans  ses  transcriptions  de  manuscrits  :  et,  en  effet,  cette  copie 
d'un  texte  chargé  d'abréviations  et  d'une  langue  quelque  peu  étrange,  a 
été  très-remarquablement  faite  pour  le  temps  \  elle  esl  bien  supérieure  à 
celles  de  la  plupart  des  documents  imprimés,  en  ancien  français,  vers  la 
même  époque.  La  collation  sur  l'original  m'en  a  été  facilitée  d'autant* 


1.  Archives  des  Missions,  j°  série,  tome  I,  pp.  i^-)  (pp,  10  et  1  ]  du  tirage 

2.  Ouvrage  posthume,  imprime  et  édité  par  S,  Lamort,   Metz,  M.  d,  ccc 
^xxxvin,  m-4*.  Voy.  la  notice  sur  l'auieur  en  tète  du  volume. 


270  F-  BONNARDOT 

Les  nombreuses  copies  laissées  en  manuscrit  par  Huguenîn  sont  venues 
à  M.  de  Bouteiller,  qui  a  bien  voulu  me  faire  de  celle-ci  un  généreux 
abandon  dès  que  je  lui  eus  parlé,  à  mon  arrivée  à  Metz,  du  ms,  d*Epi- 
nal.  Je  prie  M,  de  Bouteiller  de  recevoir  ici  l'expression  publique  de  mes 
sentiments  de  gratitude. 

1. 

DESCRIPTION    DU    MANUSCRIT. 

Bien  que  notre  ms.  ait  été  compris  dans  le  Catahgue  des  mu.  dis 
Bibliothèques  des  départemenîs  (t.  III,  Êpinal  n**  58),  il  mérite  mieux  quel 
cette  notice  sommaire  et  non  toujours  exacte  ni  complète.  Il  compte 
75  feuillets  in-4^^  vélin,  et  se  compose  de  divers  morceaux  et  fragments 
rangés  dans  l'ordre  suivant  : 

L  SuMMA  MAGiSTRi  JoKANNts  Beleth.  —  Com.  Ifî  prîmitiva  Ecclesiâ 
prohibitam  erat  ne  quis  loqueretur  lingais  nisi  esseî  qui  inîcrpreîaretar,  — 
Fin.  Capit,  de  genufîexione  in  oraûone  dominîca^  sous  laquelle  rubrique 
est  rapponée  la  conversion  de  Thaïs  par  saint  Augustin,  —  ExpUciî  liber 
de  ecdesiasîicis  officiis,  qmm  composait  magister  Sohanes  Belezit  (sic).  Deo 
gratias.  xxxix  feuillets  numérotés  en  chiffres  romains  du  temps.  La 
somme  de  Jean  Beleth  se  retrouve  dans  nombre  de  mss,  ;  elle  a  été 
imprimée  pour  la  première  fois  à  Anvers  en  1555  (voy»  Hisî.  liîî,  XIV, 
220). 

A  une  époque  peu  postérieure  à  l'exécution  de  la  copie,  on  a  mis  en 
tête  une  table  analogique  remplissant  cinq  feuillets  et  demi,  non  paginé 
Au  verso  du  6«  feuillet  la  même  main  qui  venait  de  transcrire  la  tabl| 
avait  commencé  aussi  la  transcription  de  îa  Somme^  travail  interromp 
au  bout  de  quelques  lignes.  En  résumé,  le  traité  de  Jean  Beleth,  y  corn* 
pris  la  table,  remplit  les  45  premiers  feuillets  dums. 

n.  F°  46  (xl).  —  Fragment  de  j}  vers  latins  en  deux  colonnes  sur 

les  vertus  de  certaines  pierres,  telles  que  ralleaoire,  la  chélidoine,  le 

jayet,  etc.  Voici  le  début  de  ce  fragment,  exlmi  du  Lapidaire dç  Marbode: 

Vedtriculo  galli  qui  tcstibus  est  viduatus, 

Cum  tribus  tit  tninimuTti,  fa  et  us  spado,  vîxerit  asnis, 

Nascitur  ille  lapis  cujus  nunc  {sic,  corr.  non)  ultima  laus  est. 

Huic  allectorio  nomen  posoere  priores. 

IIL  F*  46.  —  A  la  suite  de  ce  fragment,  la  même  main  a  ajouté  ce 
qui  suit  : 

Notandum  est  quod  Adam  fundil  .vij.  dona  :  ex  quibus  Salomon  habuit 
sapienliam,  Absalon  pukhnludinem,  Sanson  fortîtudincn),  Azacl  vclocilatem, 
Matusalem  longitudinem  vite^  Moyses  sanitatem. 

ce  qui,  tout  bien  compté,  ne  fait  que  six. 


TEXTE   LORRAIK   OU   XII«  SIÈCLE  27 1 

Le  bas  de  la  seconde  colonne  ainsi  que  le  verso  du  feuillet  est  resté  en 
blanc. 

IV,  F*  47.  —  Compilation  de  préceptes  liturgiques,  extraite  de  la 
Somme  de  Beleih. 

V.  F<»*  48-70  éf.  —  DiALOGus  Anime  conquerentis  et  Rationïs  con- 
SOLANTis,  sur  deux  colonnes.  De  tous  les  morceaux  contenus  au  ms,,  le 
Dialogus  est  celui  qui  présente  Taspect  le  plus  ancien  sous  le  rapport  de 
récriture,  surtout  dans  sa  première  partie.  Je  donnerai  tout  à  l^heure 
quelques  détails  à  ce  sujet. 

La  même  main  qui  a  traduit  la  fin  du  Dîdogus  a  aussi  fait  sur  deux 
colonnes  la  copie  des  deux  pièces  dont  il  nous  reste  à  parler, 

VL  F»*  70  b-d,  —  Fragments  d'un  traité  sur  les  Sacrements.  —  Com. 
In  tcdtsia  duo  sunî  principalia  sacramenta  quibas  homo  et  animal  libe- 
ratur  et  bonis  impleîur  :  ptr  sacrammtum  bapîismatls  mandamur  a  viciis, 
per  sacramentum  altaris  imptemur  bonis,  —  Fin.  Qui  tnim  manducat  corpus 
meum  ci  bibit  sanguinem  m£um  eî  crédit  ei,  in  me  habet  ntam  Atcrnam.  — 
Cette  citation,  qui  reproduit  les  propres  termes  du  Christ»  selon  saint 
Jean,  vi^  $5^  est  transcrite,  comme  il  arrive  souvent  en  pareil  cas,  par 
la  lettre  initiale  de  chaque  mot* 

VIL  ¥^  70  d-'js  b.  —  Sans  titre.  Bestiaire,  orné  de  dessins  à  la 
plume,  d'une  exécution  soignée.  Ces  dessins,  dont  îa  majeure  partie  a 
été  mutilée  par  le  ciseau  du  relieur,  sont  intéressants  pour  Pétude  de  ta 
^mbolique.  Ils  sont  au  nombre  de  28  sous  les  rubriques  suivantes  : 
DeLeone^  de  Pantera,  de  Untcorni^  de  Idro^  de  Serenis,  de  Monocentauro^ 
de  Simia^  [de  Elephanîe],  de  Vitula',  de  animali  quod  diciîur  Serrât  de 
Vipera^  de  Dracone,  de  Aspidibus,  de  Lacerta,  de  Cervo^  de  Caprea,  de 
Vutpe^  de  Castorej  de  Formica,  de  Erinatio,  de  Aquila,  de  PeUicano^  de 
fiiticoTâce^  de  Falica,  de  Perdme^  de  Stmclone^  de  Hupipa^  de  Caradrio.  — 
l-a  plupart  des  descriptions  mises  sous  chacun  de  ces  noms  sont  en 
forme  de  commentaire  du  passage  de  la  Bible  où  il  est  question  de  ces 
animaux.  Je  donne  à  titre  d'exemple  le  début  du  premier  article  : 

De  Leone. 
Igitur  Jacob  benedîcefis  âlium  soum  Judam  dicebat  :  Catalus  konis  Jada;  quis 
mmtabit  tum^  ?  Phisiologus  dicil  très  naturas  Iconem  babere.«... 

Le  Bestiaire  se  termine  par  ces  mots  : 

Nam  si  etiam  aliquis  [interrogat]  cur  immunda  animalia  ad  Cristi  stgnifica- 
tionem  referantur,  ut  serpens,  leo,  draco,  aquîla  et  bis  sîmilia,  sicut  Phisiologus 
fecit  :  sciât  quod  leo  qtiando  fortiltidinem  Cristum^  quando  vero  r?pacitatem 
sigmiicat  diabolum  3. 

ExPLiciT  liber  Bestïarum- 


1.  Geoes.  XLIX,  9. 

2.  Ce  Bestiaire  est  vraisembiabîement  extrait,  pour  le  lond^  du  traité  de 


1^1  p.    BONNARDOT 

En  résuiD^,  te  ms.  d'Épinal  18 1  est  formé  de  la  réunion  de  deux  mss. 
eiécuiés  l*un  et  i*autre  au  xït«  siècle.  Le  feuillet  47  (ci-dessus  n"*  IV)- 
sépare  les  deux  parties  du  volume  actuel,  recouvert  d'une  demi-reliur 
au  siècle  dernier,  avec  le  litre  frappé  :  Ftsla.  Bellus*,  Il  est  venu  à 
Epinal  de  l'abbaye  de  Moyen-Moutier  et  plus  anciennement  de  celle  du 
Saînt-Mont,  ainsi  qu'en  font  foi  les  deux  notules  suivantes,  inscrites 
léte  de  la  table  de  la  Somme  de  Jean  Beîeih  :  Sancti  Romand  de  Sam 
Monte.  —  Mtdiani  Monasîerii  Catalogo  tnsmptus^  1717. 


LE   TEXTE. 

Indépendamment  de  la  copie  faite  par  Huguenin,  j'ai  entre  les  mains"" 
une  autre  leçon  du  texte  latin  seul.  Cette  seconde  leçon,  écrite  par  une 
main  qui  m*est  inconnue»  et  dépourvue  de  toute  indication  de  source, 
contracte  violemment  le  texte;  ainsi,  la  longue  lamentation  du  début  qui^ 
s'étend  à  travers  les  huit  premiers  paragraphes  de  notre  édition,  esl^ 
réduite  à  une  dizaine  de  lignes.  En  outre  elle  est  incomplète,  se  terminant 
à  peu  près  avec  le  troisième  quart  de  la  version  de  notre  ms.  Cette  rédac-i 
lion  abrégée  n'a  pas  été  faite  d'après  le   ms.  actuel  d 'Epinal  ;  dans^ 
ce  ms.,  en  effet,  le  texte  latin  est  attribué  faussement  à  saint  Ambroîse  : 
Incipit  Dialogus  beau  Ambrosii.,,,  tandis  que  l'abrégé  en  fait  honneur  à 
saint  Isidore  :  Sancti  Isodôri  de  Contempla  mundi  ibdlas  aureus,  C*cs 
celle  dernière  attribution  qui  est  la  bonne.  Notre  texte  se  trouve  en 
effet  dans  les  œuvres  d'Isidore  de  Séville,  t.  LXXXIII,  coL  825-S68  dci 
la  Patrologie  de  Migne,  sous  le  litre  de  Synonyma  de  lamenîatîone  animé 
peccatricis.  Ce  que  ce  terme  Synonyma,  donné  pour  titre  à  une  composi- 
tion morale  '»  peut  avoir  de  singulier^  est  expliqué  dans  un  premier  pro- 
logue* qui  n'est  pas  d'Isidore  et  qui  ne  se  retrouve  pas  dans  notre  ma- 
nuscrit. L'auteur  de  ce  prologue  s*exprime  en  ces  termes:  tn  subsequentit 
hoc  lihro^qui  nuncupatur  Synonyma  »  id  est,  mnita  vttba  in  unam  significationen 
coeunlla.^  Et  de  fait  le  lecteur  s'apercevra  promptement  que  la  pensée* 


Bestiis  attribué  à  Hugues  de  Saint-Victor,  La  phrase  qu'on  vient  de  lire  rcproduil 
presque  identiquement  les  termes  de  celle  qui  figure  à  l'article  de  Chjradrio  dttl 
iraité  d'Hupues  de  Saint-Victor  dans  Mfgne,  t.  CLXXVII,  col;  78  A.  —  W  esl^i 
bien  probable  aussi  que  le  fragment  du  SacraTueniaire  (ci-dessus  n'  VJ)  est  un 
extrait  du  même  auteur,  en  son  traité  de  Sûcrjmenîis, 

r.  Quelques  détails  de  cette  description  sont  empruntés  au  CataL  desmss.  HLn 
p.   422.  L'assertioa  émise  'au  même  endroit,  que  •  quelques  (euillets  oal  iti\ 
enlevés  >  ne  s'est  pas  trouvée  jusUfice  par  l'examen  que  )'ai  tait  da  ms.,  complet 
en  son  élat  niaténcl. 

2.  Voy,  aux  notes  des  col.  82^-7  de  rédition  Mr^nc  la  dissertation  sur  ce 
mût  et  les  dïHèrents  titres  donnas  à  l'ouvrage  par  les  mss.  Ni  l'un  ni  Tau^e 
titre  de  nos  deux  versions  n'y  figure. 


TEXTE   LORRAIN    DU   XJI*  SIÈCLE  I7J 

tourne  sur  elle-même,  qu'elle  pivote  et  revient  trois  et  quatre  fois  sous 
autant  d'expressions  synonymes»  dont  la  répétition  systématique  engendre 
parfois  la  satiété.  C'était,  faut-il  croire,  ie  goût  dti  vir  siècle,  et  le  titre 
de  Synonyma ,  bien  qu'il  nous  semble  affecté  d'une  rhétorique  puérile, 
aurait  été  inscrit  par  l'auteur  lui-même  en  tête  de  son  ouvrage. 

Dans  Pédîiion  Migne,  après  ce  premier  prologue  ou  sommaire  du  livre, 
vient  un  second  prologue  qui  est  celui  par  lequel  débute  notre  texte  : 
Venit  naper,.,^  précédé  des  mots  :  hidorus  Iccfori  sâluîem^  La  mention 
d*un  traité  des  Synonymes  de  Cicéron,  auquel  Isidore  aurait  emprunté  le 
plan  de  son  ouvrage,  est  erronée  et  ne  se  trouve  que  dans  deux  mss. 
outre  le  nôtre.  —  Il  est  inutile  de  pousser  plus  avant  la  récension  du 
texte  latin  avec  les  autres  mss.  à  travers  Tédition  imprimée.  Dans  les 
notes  placées  au  bas  du  texte,  Je  me  suis  borné,  pour  le  latin,  à  relever 
les  erreurs  patentes  du  copiste  et  à  signaler  en  leur  lieu  quelques  formes 
curieuses  comme  lixaridj  hâbandacia,  offerandaSy  dagnat. 

Le  traité  d'Isidore  est  divisé  en  deux  livres»  dont  le  second  (Mignc, 
coL  Î45)  commence  avec  notre  g  XXIX  :  Queso  te,  anima.  —  Ces  mots 
se  rapportent  dans  le  ms.  d'Epinal  au  f>  60*^  où,  précisément,  une  ligne 
est  restée  en  blanc,  sans  lacune  au  texte,  comme  pour  marquer  la  divi- 
sion entre  les  deux  parties  de  l'ouvrage. 

Avant  de  passer  à  la  lecture  du  texte,  il  est  nécessaire  d'informer  le 
lecteur  de  la  disposition  particulière  que  nous  avons  dû  donner  à  la  pagi- 
nation. Bien  que  le  ms.  porte  deux  colonnes  par  page,  il  s'en  faut  que  le 
texte  et  la  traduction  soient  toujours  disposés  en  ordre  parallèle  :  le  plus 
souvent  il  n'en  est  rien,  puisque  chaque  paragraphe  du  texte  latin  est 
immédiatement  suivi  de  la  version  romane.  Que  cet  agencement  ait  été 
motivé  par  le  désir  de  ne  pas  laisser  de  blancs  (ce  qui  serait  immanqua- 
blement arrivé  par  défaut  de  concordance  entre  le  texte  respectif  de 
chaque  colonne),  ou  quil  procède  d'une  cause  plus  intime  et  plus  profonde 
quWe  vulgaire  raison  d'économie,  la  conséquence  obligée  est  que,  dans 
notre  édition,  la  pagination  d'un  même  passage  latin  et  français  se  pour- 
suit à  travers  deux  pages  différentes»  de  gauche  à  droite,  pour  revenir  à 
gauche  avec  le  paragraphe  latin  suivant,  puis  à  droite  avec  la  traduction 
de  ce  second  morceau,  et  ainsi  du  reste.  L^empîoi  des  chiffres  latins 
pour  la  numérotation  des  alinéas  donnera  à  cette  disposition  une  clarté 
suffisante.  Le  même  système  a  été  suivi  pour  les  notes,  —  Quant  aux 
numéros  intercalés  entre  crochets  dans  le  texte  latin,  ils  renvoient  aux 
divisions  correspondantes  de  ce  même  texte  dans  la  Patrologie.  Le  pre- 
mier livre  y  compte  78  alinéas  et  le  second  105. 


Momania, 


18 


274 


F.    BONNARDOT 


[PROLOCUS.j 


(F*' 48(21  »  renil  nuper  ad  manus  meas  quedam  scedula  Ciceronis  *  quâm 
1  [}]  V  sinonimam  dicunt,  cujus  formula  persuasii  animo  quoddam 
lamemuni  inichi  vel  miseris  condere»  muutus  profectus  non  ejus  operis 
eloquium,  sed  meum  volum  ^  [4I  Quisquis  ergo  ille  es,  libenter  id  per- 
lege,  et  dum  adversitatibus  mundi  tatiger[s,te  ipsum  censorio  judicîo  dis- 
cute ;  et  statim  agnosces  quia  quascunque  afflictiones  pateris  in  hoc 
seculo,  relributione  tibi  justissima  inferanlur.  Duorum  autem  persone 
hic  inducuniur  deflentis  Hominis  et  ammoneniis  Raiionis. 


INCIPIT   DIALOGUS  BEATÎ  AMBROSll 


àNJME  CONQJJERENTIS    et    RATIÛNIS  CONSOUNTIS  K 


[Homo.] 

II  A  nima  mea  in  angustiis  esi,  spiritusmeus  estuat^cor  meum  Huctuat, 
[j]r\Angustja  animi  possideime,  angustiaanimiaffligitme.  Circuradatus 
sum  enim  nialis,  circumseptus  erumpnis,  circumcfusus  adversis,  obsitus 
niiseriis,  opertus  infelicitate^  opressus  angustiis.  Non  reperio  uspiani 
lanii  mali  perfugium,  tanii  doloris  non  invenio  argumentym.  Evadendi 
calamitaiis  indiiionem  non  comprehendo.  minuendi  doloris  argumenta 
non  cotlîgo,  effugiendi  funeris  vestigium  non  invenio.  Ubique  me  infeli* 
citas  mea  persequitur  ;  domi  forisque  me  caiamitas  mea  non  deserit  ; 
1 61  ubicumque  fugero  mala  mea  me  insecuntur. 


L  I.  Le  f  initial  est  surmonté  d'un  5,  ainsi  :  mtroms.  —  2.  Ms,  notum.  Il 
y  a  ici  uo  contre-seris  qui  se  répercute  dans  la  traduction  ;  corr.  mutûtus  en 
umtdtas,  —  j.  ms.  tjt  1.  Après  nmonlf  le  ms»  porte  hô  séparé  du  mol  précédent 
par  un  point.  La  ponctuation  et  l'orthographe  obligent  a  voir  dans  hù  —  hom 
le  nom  de  i'un  aes  interlocuteurs.  Aucune  autre  indication  de  ce  genre  ne 
figure  dans  tout  le  DUhgut,  sj  ce  n'est  en  tête  du  §  XXV  où  on  lu  :  Ha, 
La  seule  marque  distinctive  des  divers  paragraphes  ou  répliques  est  un  trait 


TEXTE    LORRAIN    DU    XU^   SIÈCLB 


27s 


fpROLOCUS.l 


[P*  48^)  A  d  mes  mains  est  venu?-  noveJemem  uns  tuvres,  li  ques  est 
1  /*diz  Sinonimes ;  la  forme  del  qel  amonesta  a  mon  corage 
a  tare  une  plainte  e  mo  ou  e  toz  chaids.  Je  en  ell  0  pais  changiez  dis 
ne  mies  del  sens  dicel  ovre»  mais  del  mien.  0  tu,  hom,  quiunqes  tu  es, 
S  leis  et  parleis  volentirs  icès;  et  dentrementres  laes  adversitez  del  munde 
letochent»  enquir  toi  meimes  par  esgardét  jugement,  si  saverés  qui  tu 
sofres  îçales  par  irédroii  wardon.  Dous  persones  sunt  in  ces  escrit, 
li  Hom  îngemischans  et  h  Raisons  qui  1'  1  simont. 


[ÎNCIPIT  DIALOGUS  BEATÏ  AMBROSIf 
anime  conquerentis  et  rationis  consolantis.] 

[Homo.] 

Il»  «  -anime  est  en  anguise,  ei  mes  espiriz  est  chauféz,  et  mes  curs 
IVi  est  periliz.  L'anguse  de  mon  corage  mepossîs,  etl'angusede  mon 
corage  me  tor mente.  Evironéz  soui  de  mais,  asiiéz  de  misères,  enclos 
d'aversitéz,  avironez  de  chaitivetéz,  coverz  de  malaûrtéz,  apressé  d'an- 
fgusses.  En  nul  b  n^atroiz  di  si  gran  mal  "  refugii,  ni  de  si  grant  dolor 
proviance.  Çjem  pues  avoir  demunstremeni  d'eschaper  misère»  nen  ai 
provance  d'amenrir  ma  dolor,  nen  atroiz  trace  de  fuir  la  mort.  Par  tôt 
me  porsè  malaûrtéz,  ma  misère  ni  mi  deverpist  ;  ou  que  je  fui  mé  mal 
me  porsoeve» 


oodulc  rouge.  Jlndiquepar  les  mots  Homo  et  RatiOf  mis  entre  crochets,  la  suc- 
€fsskm  des  répliques  entre  les  deux  interloculeurs,  —  4.  Ce  titre  est  rubrique. 
Avec  l'enluniinure  en  rouge  et  bleu  des  lettres  V  et  A,  initiales  du  Prologue  et 
du  Dialogue  dans  le  texte  latin,  cette  rubrique  constitue  le  seul  ornement  du 
ms,^qui  ^  recommande  d'ailleurs  par  le  soin  de  son  exécution^ 
II.  I.  grâmûL 


^ 


2^6  F.    BONNAROOT 

ÎIL  Ubicumqueconvertero  me,  malorum  meorum  meonera  comitantur, 
velue  umbram  corporis  sic  mala  mea  fugere  non  possum.  Ego  ilîe  homo 
ignûli  nominis^  homo  obscure  opinionis,  homo  infimi  generis,  cognitus 
per  me  tantum»  cogniius  tanium  mîchi,  nulli  unquam  maie  feci»  nulti 
calumniaius  sum,  nulli  ad  versus  exstiti,  nulli  (48c)  molesiiam  ïntuli, 
nulli  inquietus  fui,  sine  ulla  querela  apud  omnes  vixi  :  vitara  meam 
delere  omnes  nituntur;  omnes  conira  me  frendent  atque  ima- 
niunt.  CoTiserta  manu  in  me  pericula  ingerunî,  ad  exilium  me  per- 
trahunt,  ad  penculum  me  adducunt,  ad  discrimen  vocant  me.  Ad 
saluiem  [7]  nullus  michi  protectionem  prebet,  nulJus  defensîonem 
adhibet,  nullus  adminlculum  subtribuii,  nullus  malis  meis  succurrii  :  de- 
sertus  sum  abs  ^  omnibus.  Quicumque  me  aspiciunt,  aui  fugiunt  aui  for- 
tasse  me  persecuntur;  intuentur  me  quasi  infelicem.  Nescio  quem  tocun- 
tur  michi  dolum  ver  bis  pacificis,  ocukam  maliiiam  blandis  sermonlbus, 
Aliud  ore  promunt,  aliud  corde  volutant  ;  opère  destruunt  quod  sermone 
promîitunL  Sub  pietatis  habîtu  animo  venenaio  incedunt,  maittias  vêlant 
fuco  bonitatîs^,  calliditatem  simplicitute  occultant^  amicitiam  dolo  simu* 
lant,  osiendunt  vuku  quod  in  corde  non  gestant. 

IV.  Cui  credas  ?  Cui  fidem  adhibeas  ?  Quem  fidei  proximum  seniîas  ? 
Nullus  habere  fidem  novit,  Ubi  jam  fides  ?  Périt  fides»  ablata  est  fides, 
nusquam  tuta  fides.  Si  tegitîmum  nichil  est,  si  veritas  judicti  nulla  est»  si 
equitas  abicitur,  si  jus  non  (49a)  creditur,  si  justicia  cunctis  negatur  : 
pereunt  leges,  avaricia  judicante;  [8]  cupiiatis  amore  jura  nichil  valent  ; 
premia  et  dona  legibus  vires  tulerunt,  Ubique  pecunia  vincii,  ubique 
judicium  vénale  est.  Nullus  legibus  metus,  nullus  judicii  timorest:  impu- 
nîta  manet  maie  vivendi  licentia.  Nemo  peccantibus  contradicit,  nec 
scelus  ulciscitur  quisquam  ;  omne  crîmen  inultum  manet.  Iniqui  salvi 
fiunt,  innocentes  pereunt.  Boni  indigent,  improbi  habundant.  Scelerali 
patentes  sunt,  [9]  justi  egent,  Iniqui  honorantur,  justi  decipiuntur.  Iniqui 
letantur,  justi  in  merore  etluctusunt-NulIareinpediente,  [10]  nulla  causa, 
nulla  criminatione,  nuila  crimen  malicla  michi  obttiunt^  crîmen  michi 
imponunt  ',  crîminis  nodos  contra  me  nectunt,  criminis  et  suspectionis 
locum  in  me  convertum.  In  crimen  periculumque  me  deducunt,  obiciunt 
michi  crimen  cujus  non  habeo  conscientiam.  Nichil  exploratumest,  nichil 
patefactum  est,  nichil  invesdgatum  est,  nichil  repertum  est  :  non  tamen 
qaiesGunt  adversum  me  mala  configere ,  non  quiescunt  falsa  testimonla 
preparare^  non  desinunt  accusatores  obicere,  judicesnon  sintint  conscri- 
bere  ;  [n]  testium  falsa  senienlia  ad  necem  innocens  ducor, 

II.  I,  at'^,  —  2.  vclunt^  suco,  — 5.  SrV,  passage  altéré  dont  je  ne  puis 
donner  une  restitution  sûre  ;  corr.  defftnd ^  mi  avec?  iavctat),  —  4,  amoituisâ  qL 

IV.  i.  impûncnt, — 2  .Immédiatement  après  ces  mots  le  copiste  avait,  par  inadver^ 
lâflcc,  transcrit  ceux-ci  :  Si  loauU:  al  nlan:  n  nulle  viriez  ^  (ju'ïl  n'a  pas  exponc- 


j^^ 


TEXTE    LORRAIN    OU    Xlï*  SIÈCLE  277 

IH,  Ou  que  je  me  lorne,  li  fais  de  mé  mas  me  porsevem;  ne  pois  fuir 
mfô  mais  jp^lç^s  rumbre  de  mon  cors.  Ju  suis  homo  de  mesconuiz  non, 
d'ûscure  co^oseance,  de  base  esclaie»  par  moi  ei  a  moi  lam  solement 
cognuiz  ;  unques  homme  ma  ne  fis,  ei  nulu  unques  ne  detrais,  unques  a 
5  Homo  contrare  ne  fui,  nullu  mo-''48</|-leste  n'ai  fait,  a  nulu  n'ai  esté  pas- 
sibles, chïs  loz  hommes  ai  viscu  sen  complente  :  tresiu  s*enforceni  des- 
irure  ma  vie,  et  frémissent  ei  forsenne  encontre  moi.  Par  asenblée  main 
poneni  encontre  moi  les  perilz,  etsitrahenta  montormenl;simeraonent 
el  m'apelent  a  perilsce.    Nus  ne  me  defent  a  salut,  uijxiâ.nen  ajoste 

lodefendement,  nuns  ni  mi  donenlfdeffendeme  av^ee  J,  jriuns  ne  secort  a 
mes  mas;  divirpit  suiz  de  loz.  Qui  unques  me  vaii,  ou  me  fuit  ou  par 
aventure  me  porseut.  Il  m'esgardent  loit  cumme  chatif,  et  parolent  a 
rooît  ni  sa  qeN  boisie  par  pasibles  paroles,  par  soés  paroles  aorneni  lor 
reponue  malice.  Altre  chose  matent  fors  par  boche,  et  altre  porpenseni 

t  5  en  curs  ;  cel  qu'il  promeienî  par  diz,  desiruent  par  ovre.  Si  vunt  par 
vinimé  corage  desoz  l'abit  di  pieté,  et  cuvrent  lor  malice  par  la  color  de 
bonté.  Vosotét  reponent  par  simplicitét,  amisté  figneni  par  bosie,  et 
deraonstrent  par  viare  qu'il  ne  funt  pas  en  cuir. 

IV.  (49^1  A  eu  croes  tu  ?  A  eu  ajoste  tu  fai  ?  Quel  visin  sentes  tu  de 
fai?3  Wuns  ne  set  avoir  foit.  Ou  est  foii  ?  péri  est,  tollue  est;  et  mûm 
nen  est  seure  foit.  Si  loauté  est^nianz  et  mjMê  venez  de  jugemenUML 
est,  si  droiture  est  disjetée  et  nçn  est  trovée,  [si]  justice  est  deneie  a  toz  : 
S  les  lois  périssent,  jujant  ravarice;  drotures  ne  valent  niant  par  amor  de 
ctivise;  li  loir  et  les  dones  portent  forces  as  lois*,  partot  vaint  richace, 
et  jugement  est  venaus.  tluUe  paor  n'est  a  lois,  jiiiUe  paors  jn'est  de 
jugement  :  sen  pone  est  li  congiéz  de  mal  vivre.  Mus  ne  contradist  as 
pechanz,  nus  ne  vange  félonie  ;  toz  blasmes  maint,  Li  félon  suni  sait, 
iqU  innocent  périssent.  Li  bon  unt  disate,  li  prochié  ?  abundent,  el  li  escu- 
rnenié  sunt  possant.  Li  felun  sunt  lié  et  onoré,  li  juste  sunt  deceû  et 

■  dolanté  et  em  plor.  Sen  cause  et  sen  crime  contrajetent  et  amatent  a  moi 
blasme,  lient  encontra  moi  lor  noz,  atornent  en  moi  leu  de  suspiciun. 
En  blasme  et  en  péril  me  moinent,  amatent  a  moi  lou  bîasmes  ke  je  ne^ 
*SSâi  del  quel.  J^ule  chose  n'est  esquise,  nule  auilre]  veriei  nen  est  cha- 
chie  nen  atrovéfel  :  nekedant  ne  reposent  fmdre^  mais  contra  me  apar- 
relier  fas  tesmonege  ;  .ne  cesent  de  contrajetir  Ii  acusor^  ne  finent  de 
dampner  li  €nvioz  et  la  fause  des  tesmonz  :  et  je  innocenz  suy  menez  a 
mort. 


lyés  en  les  relranscrivant  deux  lignes  plus  bas  à  leur  place  légitime.  —  j.  pro- 
chu  est  sans  doute  une  faute  du  copiste  pour  nprochtè  =^  improbi;  voy.  upio- 
ûuz  =  improbis  dans  V,  a,  17,  et  ailleurs  ;  cependant  îesucistanlif  proches  se 
rencontre  à  côté  de  reprocha  XXXV  i|  et  14.  —  4,  Ms.  mvm,  sous  nnfluence 
d'âcusot  qui  précède. 


à 


^78  F,    BONNARDOT 

V*  Ex  eodem  concilio  testes,  ex  eodem  conciliabulo  judices,  ex  eodem 
cetu  ac-(49c)-cusatores.  Imprabosjudicesopponuntjalsos  testes  obttiunt 
in  quorum  testimonio  confideniia  est.  Nemo  ab  illis  djscedit,  nemo  dis- 
cordât, nemo  consiîium  eorum  répudiai.  Cuidicam  ?  Quem  adeam  ?  Quem 
potissimum  queram  ?  A  quo  consiîium  petam  ?  In  quo  animuni  meum  po* 
nam  ?  [  1 2]  Omnibus  odiosus  sum,  omnium  *  cariiate  desertus  sura  ;  proje- 
cerunt  me  omnesa  se  ;  abhominatione  meomnesabhominantur.  Inborres- 
cunt  me  omnes,  répudiant  me  omnes,  abdicaiionem  intendunt.  Voloadeos 
confiigere,  sed  minaniur  ;  cupio  eorum  deprecari  vestigia,  sed  fugiunt,  ad- 
versamur  et  odiunt.  Supplicando  propitios  eos  habere  voie,  illi  autcm 
molesti  sunt  magis.  Inierdum  autem  adjungunt  se  ficta  cantate,  non  ad 
consoiationemsedadtemptationem.  Loquntur  simulaie,  etsictacent  non  est 
simplexsilentiumi.  Querunt  quid  audiant,  querunt  quid  prodant  J,  explo- 
rant unde  decipiant.  [r  5]  Ego  autem,  reclinaio  capite,  humiiiato  vultu,  de- 
posila  facie,  sileo,taceo,  inceptopersistosilentio.  On  meocustodiam  posui, 
ori  meo  signaculum  dedi,  vocem  ac  sermonem  repres&i ,  linguam  a 
locutione  restrinxi.  Etiam  de  bono  inlerrogatus,  laceo;  malui  enim  reti- 
cere  improbîs  quam  respondere.  Illi  autem  non  quiescunt  ;  illi  amplius 
149^)  perseviuni,  percussum  amplius  persecuntur,  magis  magisque  super 
me  irru[u]nt. 

VI.  (jotf)  Obstrepunt  etiam  super  me  damoribus;  jactant  in  me  petu- 
lamer  convicia  ;  voce,  ambitu,  strepiiu  [i4]prosiliunt;  voce  aperta  super 
me  conitiraelias  et  obprobria  jactant,  Ab  alio  provocati  ad  me  omnescon- 
citaniur,  omnes  in  me  seviuni,  omnes  in  exicium  meum  intendunt,  om- 
nes  in  mortem  manus  suas  préparant.  In  tanto  igitur  metu  ^ ,  in  tanto 
pavore,  in  tanta  formidine  coniabui  miser,  palîui  miser,  exanguis  effec- 
tus  sum.  Emarcuit  cor  meum,  pavore  estuo,  formidinis  metu  labesco  ; 
timor  ei  tremor  animam  meam  quassaverunt.  [!  5]  Sic  exilio  trusus  sum, 
sic  exilio  dampnaïus  siim,  sic  exilii  penam  lugeo,  sic dampnationem  exilii 
gemo,  Vinculo  serviiuiis  addictus  sum,  conditionis  pondère  pressus, 
servîli  opère  mancipatus,  in  algore.  in  nive,  in  langorenimio,  in  frigore, 
in  tempestaiibus  tetris,  in  omni  labore,  in  omni  periculo  positus.  Post 
dampna  bonorum,  post  amissionem  omnium  rerum,  inobs  et  pauper  effec- 
tus  sum,  Egeo,  mendico,  infelix  publice  posco  alimoniam  :  nemo  egenti 
manum  porrigît.  [16]  Omnes  mendicantem  spernunt,  esurientem  ncc 
micis  suis  reficiunt,  in  os  sicientis  nulius  distillât  guttam  refrigerii,  nullus 
mîchi  prebet  vel  modicum  unde  rorem  :  effectus  sum  enim  cunctis  abho- 
minabilis. 


V,  I.  omium.  —  2,  Corr.  si*  Le  ms.  porte  deux  fois  le  mot  simptex. 
prodeam,  —  4.  Le  copiste  a  omis  le  mot  qyj  traduit  la  t.  nspondere. 


TEXTE    LORRAIN    DU   XII*   SIÈCLE  279 

V*  D'iiTi  mesmes  consel  et  d^une  companie  sunt  li  tesmun,  ti  jujoret  U 
acQSor*  Les  reprachiéz  jujors  oposent,  les  temon  contrejate  en  cui  tei- 
monage  unt  lor  fiace.  Nus  ne  s'en  vait  diceos.  ne  ne  discorde  ;  nu  ne 
refuse  lor  consel.  A  qui  dirai  ?  Cui  requereai  ?  Cui  demanderai  consel  ? 
$  Ent  cui  meterai  mon  corage  t  Haï  soi  a  t02  ;  devirpit  de  la  charité 
àeriôz\  ensus  de  toz  de  soi  me  dejeient  tuii;  tuii  me  funi  beste  par 
abomination.  Tuit  me  horisent,  et  refusent,  et  portedent  escuraenge- 
iBcnt*  le  voil  fuir  a  os,  mais  il  me  menacent.  Je  cuveit  deprier  lor 
piex,  mas  il  me  fuient,  contrarient  et  heent.  Je's  voil  avoir  propices 

*  *^em  proant,  mais  ill  me  sunt  plus  moleste.  Nekedam  a  la  fie  s^acompagne 
a  moi  par  fonte  carité  ne  n^ie  por  conforte,  mas  por  asair.    Finiement 
parolent,  et  lor  coisier  n^est  pas  simples.  Il  quirem  que  il  manifetscent, 
et  quel  chose  ill  me  deçovent.  Mais  je,  encline  lo  chtf,  humilié  lo  viare^' 
diroisc  la  faiçon,  roi  tace  et  si  permagne  en  Temcomencé  silence,  J'a  mis 

■  V  varde,  et  signade  a  doné  a  ma  boche;  ma  voisce  et  ma  parole  ai   re- 

^  pressée  et  ma  langue  restroite  de  parler  ;  et  nés  de  bien  entervéz  me 
fois  ge  :  kar  miez  voil  coisier  as  reprochiez  que,.,.-'  Mais  il  ne  reposent, 
et  plus  forsanne,  et  plus  et  plus  porsevent  moi  ferut,  et  trabuchent  sor 
raoy. 
VK  {$oh\  Resonent  sor  moi  par  clamors  ;  em  mai  jeient  cnvoisement 
blasmes  ;  par  voîz,  par  quvise,  par  resonemenz  sallent  sor  moi^  par 
aoverte  voiz  jaient  sor  moi  orguelous  diz  et  reprochent,  D'atrui  pon^o- 
chicf,  luit  sunt  commeùt  sor  moi,  tui  forsennent  em  mot,  tui  entendent 
S  em  mon  torment,  tui  apparellent  lor  mains  em  ma  mort.  Je  chatis  en 
si  grant  docta  ^  et  si  grant  paor  sui  porriz,  jechaitis  sui  empaliz,  je  dimè 
roorz  suis  atleveliéz.  Mes  curs  est  enmarcit,  j'eschaufe  et  puris  par 
pavor;  irenblement»  et  pavors  unt  quassée  m'anme.  Ensi  sui  botéz  en 
essil  et  damnez  par  essil,  et  plor  la  poine  d'essil,  et  gémis  la  dampna- 
*<^  lion  d'essiL  Amenez  sui  a  lîendeservitut^,  apresséz  par  fais  de  serjamie, 
sumis  a  ovre  de  serjam;  en  froidor.  et  noif,  et  trop  grant  langor,  et 
noires  tcmpestez,  en  tôt  travail,  et  loz  periz  sui  mis.  Après  les  damages 
des  bins»  après  la  perde  de  loies  choses>  soi  faiz  besongnos,  povrcs  et 
aftavilîiéz.  J'ai  besogne^  je  mendie,  je  malaurois  aûvenement  demani 
^  5  mon  vivre,  et  jius  n'adrace  sai  main  a  moi  bosengnant,  Tuit  me  despi- 
&ent  mendiant,  ne^ne  saolent  de  lor  miates  lou  famîliant;  nuns  n'espant 
ses  gottes  de  réfrigère  en  la  boche  de  soillant  ;  jauni  ne  denei  a  moi  nés 
une  yrtit*"  rosée  d^aigue  :  kar  je  sui  fayz  a  toz  hahynos. 


VI.  I ,  tanta,  —  2,  tic  poor  éoifa  avec  Va  final  en  valeur  de  e  muet,  — 
irenbiaitatt,  —  4.  Traéndioti  ta^ve  :  amau*  suppose  que  le  traducteur  aur^ 
lu  adduLtas  pour  aédtcùis. 


iSo  F.    BONNARDOT 

Vïl*  (50c)  Omnes  ut  uicerosum  comempnunt,  ut  feteniem  expuunl,  ut 
leprosum  tangere  horrent.  Jacet  caro  asiricta  ferro,  jacet  pressa  catenis, 
jacei  Hgata  vinculis,  jacet  vincla  compedibus.  Non  désuni  tormenta, 
non  desunt  crue  lamenta,  non  sunt  minus  supplicia*  Cotidie  crudescit  in 
me  sevit[i]a'  :  [lyjcorpus  meurn  carnifices  novissime  cruliatibus  lacérant; 
inaudito  génère  penarum  ^  viscera  mea  et  membra  dilaniam  ;  quidquid 
possunt  super  me  crudele  excogitant.  Mille  pénis  extortus,  mille  subacius 
lormentis,  mille  lacerâtus  suppliciis.  Caro  mea  plagis  secta  computruiti 
semper  latera  saniem  fundunt,  lacerata  menbra  puiredine  defluunt.  Cum 
fletibus  sanguis  manat,  cum  lacrimis  sanguis  slillai  :  non  est  solus  cruor 
lacrimarum,  sed  vulnerum,  [18]  Comsumplus  sum  in  dolore  misera, 
in  dolore  et  animus  et  corpus  defecît.  Mens  jam  victa  est^  anima  preclusa 
dolore.  Mtilta  intolerabilia  sensi,  multa  acerba  sustinui,  multa  bravia 
periuli  :  tam  grave  4  et  crudele  vulnus  nunquam  excepi.  Momen- 
taneo  interitu  percussus  sum  «  inopinato  vulnere  oppressus  sum. 
Inprovisum  me  in  tantis  malis  calamitas  vite  conjecit;  ignocantero  subito 
oppressit  calamitas,  repeniinus  tmeritus  casusque  me  obruerunt. 

VU  h  [19]  Cur  infelix  natus  sum  ?  Cur  in  hanc(5  ta)  miseram  viiam  pro- 
jectus  sum?  Ut  quid  miser  hanclucem  vidî  ?  Ut  quid  misero  michi  hujus 
vite  ortus  occurrit  ?  Utinam  otius  egrederer  a  seculo!  Quamlibet,  fessus 
quanquam  '  jam  ratione,  recederem  !  Cupientî  mori  jam  liceret  ûccu[m]- 
bere;  vivendi  enim  michi  est  tedium,  moriendi  votum.  Sola  mihi  mors 
placet;  sedeo  miser,  expecto  ;  mors  larde  venii.  0  mors  quam  dulcis  es 
miseris!  Quam  suavis  es,  0  mors,  amare  viveniibus!  Quam  jocunda 
es,  0  mors,  irisiibus^  atque  mereniibus!  [20]  Accédai  ergo  ad  vite  ma- 
gnum malum,  monis  grande  solatium  î  Del  finem  miserie  requies  sépul- 
ture !  et,  sinon  vite,  certe  vel  mors  miserie  incipiat  !  Mors  malorum 
omnium  finem  ponat,  mors  calamiiaii  lerminum  prebeat,  omnem  calami- 
tatem  mors  adimaiî  [21]  Melius  esi  bene  mori  quam  maie  vivere!  melius 
est  non  esse  quam  infelicem  esse!  Ad  comparaiionem  miseriarum  mearum 
feliciores  esse  puio  moriuos  quam  vi ventes.  Parcite  dolori  meo ,  queso  ! 
Parcite  merori  meo,  queso!  Parcite,  ignoscite  angustieroee!  Veniam 
date,  indulgete  meis  doioribus,  in  tanio  dolore  conira  me  commoveri 
nolite  !  Percussionem  enim  meam  deploro,  familiarem  cladem  miserie 
mee  lugeo  ;  plura  enim  ministrat  dolor.  Non  valeo  consoiari  miser, 
inpa-(5  jt)-iiens  est  enim  dolor  meus,  infinitus  est  enim  meror  meus,  nul- 
latenus  linitur  vulnus  meum  k  Nuilus  lacrimis  modus  est,  nullus  do[lo]ruiii 


VIL  1.  scvitêû,  le  premiers  exponclué.  —  2.  Ce  passage  est  gravement  altéré 
dans  le  ms.  :  m  ûudita  genert  Imguamm  penùnwu  —  î  .  Le  copiste  a  répété  drux 
fois  encore  m  dolore  miser.  —  4.  Un.  —  \.  Ms,  hens.  La  traduction  de  la  phrase 
JacU  caro....  vmda  compedibus  a  été  omise.  — ù.  Je  restitue  la  syllabe  initiale  de 
tsîrtnge  (voy.  plus  bas  aslrangc  tstrangc)  sans  me  dissimuler  qu'il  y  a  des  cas 


TEXTE    LORRAIN    DU    XU*   SIÈCLE  jSl 

VIU  (joii  Tui  me  despisent  cumme  rugnois,  et  derachent  cumme  fla- 
rmt,  et  enhorrisent  cumme  lipros  dépens  et  de  boes  L  Li  torroam  iie_de- 
faitlem,  ne  ja  nin  i  ait  moins.  Chascum  jor  est  plus  cruirtéz,  et  a  dariens 
(li  torroent)  li  tormemor  descirent  mon  cors  par  tormani»  et  dépècent  mes 
5  entrailles  et  mes  membres  en  [es]trcnge  ^  manières  des  poines.  Qui- 
cunque  cruer  chose  il  paient,  porpenseni  sor  moi  ;  par  mii  poines  lor- 
meméiz,  sumis  a  mil  tormenz  et  disciriéz.  Ma  chars  est  purie»  detalUc 
par  plaies  ;  meu  cosiét  tos  tens  espandeni  porroture  ;  meu  descirit 
menbre  decorreni  de  porreiure.   Enseble  les  plors  et  les  larmes  decort 

loli  sans,  Il  ques^D'es  pas  Idespasi  des  larmes  mas  des  plais.  Je  chatis  sui 
consumez  en  dolor,  mes  cors  et  mes  corages  défait  en  doior.  Ma  pense 
est  vcncue  et  m*anime  est  devant  close  par  dolor.  Mentes  choses  ai 
sofert  kejQfi^foni  a  sofrir,  mente  agrès  choses  a  sustenui,  mente  lenceon 
â  portée  7  :  unques  si  gris  et  si  cruir  plai  ne  ceù»  feruz  sui  par  subitcn 

r  ^  destniimem,  et  apresséz  par  aslrange  plaie;  la  misère  m'at  apressei  su- 
bitenement.  )S[i^qt  sapant  li  subitens  desiruamenz  et  aventure  m'ont 
ascravantét. 

VI lï,  Chatïs,  por  koisuî  je  néz et  jetez  en  ceste  mortel  vie  ou  en  ceste 
chatîve  vie?  Porkoi,  chatis,  ai  veu  ceste  lumire,  et  cncontrét  li  nasche- 
roenz  de  cestee  vie  a  moi  chatif  ?  ^  La  mee  volenté  usise  isnelement  del 
sicle  j  Et,  cum  W  is  te  plaist  ï,  laiséz  par  ancune  raison^  m'en  alase  del 
)  siècle  1  et  a  moi  covaiianl  morrir  leust  endroit  a  jesir,  Icar  annois  de 
vivre  est  a  moi  et  desiers  de  morir!  La  sole  morz  plais;  mais,  je 
chatis,  entent  et  A^la  vie  tart.  0  tu,  morz,  cumme  es  dolce  a  chaitis! 
Cam  suis  as  mant  amèrement  !  Cum  es  joose  as  dolanz  et  as  ploranz  ! 
Or  aproche  li  conforz  de  la  grie  mort  a  grant  mal  de  la  vie  l  Li 
lo  repois  de  sépulture  donc  fm  de  misère  !  et  si  la  morz  de  vie  ne  vient, 
jtivpji^  nf,^  la  morz  de  misère  s'encomencest  et  mate  fm  des  mais  et  ter- 
mine des  misères,  et  lollet  lote  chativiié  !  Mioz  est  bien  morir  que  mal 
vivre,  et  jiiiUU  estre  que  a  *  esire  malaûros!  A  resgardemeni  7  des  mess 
misères,  eu  je  les  morz  estre  plus  auros  que  les  vivantz.  Les  pri  :  Aspar- 

iSgniz  a  {^ic)  [ma]  dolor  et  a  mon  plor  !  Pardenéz  a  mon  anguise  !  Denéz 
me,  pardenéz  a  mes  dolorsl  Ne  voil  estre  commeui  encontre  moi  en  si 
gram  dolors.  Kar  je  plagne  ma  batuire,  deplor  ma  misère,  et  plor  la 
privée  pastiience  di  chaitivitét  ;  et  dolor  m'aminisire  pîusors  choses.  Je, 
chaitis,  ne  pois  estre  confortez,  kar  mas  dolors  est  iiianz  ^ofraî^ï^»  et  mes 

^0  plors  est  sainz  fin,..eiLimk  manire  n'est  plaie  asuagie.  Nule  fins  est  as 

d'aphérèse  analogues  dans  le  dialecte.  C'est  même  le  cas  ordinaire  dans  le  patois 
Ktuel,  qui  dit  tranticr  :=  cstrangler,  pds  =^  es  pais,  chouwï  =r  essuyer,  car  chou 
•*  escorcheur,  et  autres.  —  7.  Le  premier  e  de  ^oriit  est  surmonte  d'un  signe 
d'abréviation.  Si  ce  n'est  pas  pure  inadvertance,  il  faut  lire  ponkn  comme  plus 
bas  subiUn  sabitms. 
VI H.  r.  Corr.  quaiamqti€,  —  2.  trhûs.  —  3.  mmi,  — 4.  Après  le  mot  chatïj^ 


j82  F.    BONNARDOT 

modus  est,  nullus  dolorum  finis  est.   Jam  nultâ  fîdutia  est  aniinî,  fam 
ferre  non  potest  animus,  jam  victus  miseriis  concidit  animus. 

[Ratio.I 
IX.  [22]  0  homo!  Quid  tanium  diffidis  animo?  Cur  adeo  mente  debilhansf 
Caranimo  tantum  diffunderis  ?  Quare  tama  pusillanimitate  deiceris  ?  Quare 
in  adversis  adeo  fra[n'geris  ?  Omitte  iristiciam,  desine  tristis  esse,  tristi- 
ciam  repelle  a  te,  raesiicie  noii  subcumbere^  noli  te  multura  dare  tristicie. 
Repelle  a  corde  luo  dolorem,  abanimoexcladedolorem,  inhibe  itnperum 
doloris.  Non  persévères  in  dolorem,  vince  animi  dolorem,  supera  mentis 
dolorem. 

[HOMO.J 

[2?]  Qualiter  ?  quo  facto?  quo  modo  ?  quemadmodum  ?  qtia  rationef 
qua  arte  ?  quo  consilio  ?  quo  ingenio  ? 

[Ratio. j 

[24]  Omni  opère,  omni  vi^omni  arte,omniratione,omni  consilio,  oroni 
ingenio,  omni  virtute,  omni  instantia.  Syroe  luctamen  contra  tem-(5ri) 
porales  molestias  ;  esto  in  ctincirs  casîbus  firmus  ;  patienter  toléra  om- 
nia  ;  omnia  adversa  equo  animo  lolera.  No!i  singularem  condictioncm 
tuam  intendere.  Non  est  a  te  sola  tua  acerbitas  pensanda  ;  non  est  sola 
a  te  tua  consideranda  calamilas  :  respice  similes  aliorum  casus,  intendc 
miserîas  eorum  quibus  acerbe  aliquid  accîdit.  Dum  tibi  aliéna  pericula 
memoras,  mîtius  tua  portas;  aïiorum  enim  exempta  dolorem  relevant'  ; 
alienis  maiis  facilius  consolaïur  homo,  [25I  Q^uid  incusas  acerbissima  tua 
décréta  ?  quid  causam  tui  periculi  tantum  luges?  Non  sunt  nova  tua  sup- 
plicia :  habes  exempta  calamitatis.  Quanti  taies  casus,  quanti  Talia  peri- 
cula pertulerunt  ?  Patienter  ab  une  ferendum  est  quod  myllis  accidit 
tolerabile.  Pena  hujus  vite  brevis  est;  et  qui  affligitur,  morialis.  Tribu» 
latio  hujus  temporis  fmem  habet;  1 26]  transeunt  omnia  seculi  hujus,  nec 
permanent,  Omne  quod  venit,  stare  non  potest,  Nichil  est  inhominisviia 
diu  ;  nichil  tam  »  longum  quod  non  in  brevi  fmiatur  ;  habent  sub  celo 
fmem  suum  omnia.  Impos&tbile  est  ut  homo  sis  et  non  gustes  angustias 
Dolor  et  tristicia  omnibus  communia  sunt  ;  omnia  in  hoc  seculo  evcntu 
simili  sustinemus.  Nemo  in  perpetuo  expers  mali  est  ;  nemo  est  qui  in 
hoc  seculo  non  doleat. 


on  lit  dans  le  ms.  ces  mots  :  La  m  fu  0  U  voUnît  qui  ne  répondent  â  rien  dans  fe 
texte  latin.  —  j.  J'interprète  ainsi  le  cGkisk  du  ms.,  qui  peut  se  rendre  en  Grin- 
çais par  cûmmt  ou  commn  qu'il  u  phise,  C'est  une  tradition  absolument  litté- 
rale de  quûmhbet,  et  non  moins  absolument  fausse.  —  6.  Ms.  qQa,  qu'il  faut 
p.-è.  interpréter  <faam.  Ce  ne  serait  pas,  dans  ce  texte,  le  seul  eienuplc  d^une 
orthographe  purement  latine.  —  7.  On  pourrait  tout  aussi  bien  lire  m  a, 

IX.  1 ,  Le  copiste  avait  commencé  à  écrire  le  simple  le^fûnt  :  s'élanl  aperçu  de 
son  erreur  il  a  corrigé  en  ntojnt,  mais  sans  songer  â  exponctucr  les  trors  lettres 
ieu  de  sa  première  transcription.  —  2.  U/t,  —  j.  Ici  et  plus  bas  ce  mol  est 


TEXTE    LORRAIN    DU    Xlt*   SîÈCLE  28 ^ 

larmes  et  des  dolors  ;  nule  fiance  n*est  ja  de  corage.  ni  puit  ja  sofrir  li 
congés,  et  vencuz  est  et  cheûz  par  misères. 

[Ratio.] 
IX.  {\2a^  0  tu.  hom  !  por  ko  difies  lu  de  ton  corage  ?  et  si  granmeni 
esaflavelliz  par  penses?  et  confus  en  ton  corage? et  digeiiz  par  tanzdes- 
coragemem  ?  et  es  humiliez  en  contrarioses choses  ?  Lassce  et  bote  en  sus 
de  toi  tristace,  et  ne  soies  dolanz.  Ne  soujeces  ne  ne  dener  leu  a  dolan- 
î  lei.  Debote  et  esclou  dolor  '  de  ton  corage,  retien  la  force  de  dolor.  Ne 
persévérer  mies  en  dolor,  venc  et  sormonte  la  dolor  del  corage  et  de  la 
panse. 

[Homo.' 
En  quel  manîre  ?  par  quel  coveni  ?  comment  ?  con  faiemeni  ?  par  quel 
raison  ?  par  quel  art  ?  par  quel  consel  ?  par  quel  engeng  ? 

C  [Ratio  0 

D  Par  loie  ovre,  et  force,  et  art,  et  raison,  et  consel,  et  engeng,  et  ver- 
tuit,  et  par  toi  enchacement,  Prent  Iule  encontre  les  temperaus  dolan- 
Icz.  Sofranmem  et  par  euga!  corage  sofre  toies  contrares  choses.  Nen 
cniendre  a  ta  sole  aventure.  Ne  doies  pas  penser  a  ta  sole  adversîtét  ne 
_  de  ta  sole  misère  :  esgarde  les  semblanz  aventures  des  aires,  et  entent 
1  5  les  misères  d'iceous  a  ques  avient  ancune  chose  agrément.  Quant  lu 
riraembrcs  les  maus  astrenges,  plus  soef  portes  les  tiens,  kar  li  exanple 
des  atres  t*alegent  la  dolor  ;  li  hom  est  confortez  plus  ligierement  par 
astrenges  mas.  Por  ko  encuses  tu  tes  très  cruirs  jugemenz,  et  plores  tant 
por  la  cause  de  ton  péril  ?  Teu  tormeni  ne  sunt  pas  novel  ;  exanple  es  ^ 
2 ode  la  misère  :  quant  homme  uni  sofert  tes  aventures  et  tes  perilz?  Ceu 
que  sofraule  chose  est  avenuz  (52^^)  a  menz,  fait  a  sofrir  a  un  sofran- 
ment*  La  poene  de  cesie  vie  est  briés,  et  cil  qui  est  tormeniéz  est  mortes. 
La  tribulations  de  cesi  lens  al  fin  ;  loies  les  choses  del  secle  trespassent 
et  ne  maînenimies*  Toi  qui  vient  ne  puit  ester.  Nule  chose  n*est  longe- 
2  5  ment  en  la  vie  de  Tumme,  ne  si  longe  ki  ne  fmeiscei  en  brif  tens  ;  lote 
riens  soz  cel  at  sa  fin.  Ne  puit  estre  ki  soies  hom  et  ne  sofres  anguîsses  : 
dolors  et  instace  sunt  communes  choses  a  toz.  Nos  sofruns  toit  en  cesi 
secle  par  senblani  aventure  ;  nun^  n*e$t  parmingnalmenl  sens  partie  de 
mal,  et  que  [ne]  se  dollet  en  cesi  secle. 


écrit  par  uti  d  avec  la  marque  d^abréviation  qui  se  résout  ordinairement  en  de  ; 
toutefois  n'ayant  pas  rencontré  le  mol  »  douleur  »  écrit  ddor^  je  transcris 
dolor;  mais  Jaier  à  la  ligne  précédente  est  josliiié  par  son  composé  pardtner  qui 
est  écrit  en  toutes  lettres;  comp.  plus  bas  temperaus  pour  Umporaus.  —  4.  a, 
pour  ejf  ^*  p,  s.  de  atre,  se  rencontre  fréquemment  dans  notre  texte;  cependant 
il  vaut  mieux  lui  donner  ici  la  valeur  de  ttûks  du  texte  latin,  et  raccentuer  en 
conséquence. 


184  P-    BONNARDOT 

X.  Nulltis  est  qui  m  hac  vitapositusiîonsuspiret  :  «  Malisomnia  plena 
suniî  n  [27]  Interpone  ergo  tibi  rationem,  particeps  csto  rationi[s],  pre- 
valeat  ratio.  Tempera  animum  ratione,  animam  ratione  confirma  ;  vimtanti 
merorîs  reprimat  ratio  ;  confirmato  animo  tiullum  periculum  penimes- 
cas,  Oponet  nos  per  mullas  tribulaiiones  introire  in  regnum  Dei  '.  Non 
sunt  condigne  passiones  hujus  lemporis  ad  futuram  gloriam  2.  Quod  in 
presemiesi,  momemaneum  est  et  levé  :  tribylationes  in  nobis;  quod 
etemum  est  supra  modum  est  :  pondus  excellens  glorie.  lîtilis  est  tribu- 
latïo,  utiles  vite  hujus  pressure.  [28]  Malorum  praviias  non  te  occidit,  sed 
erudit  ;  pravorum  adversitas  non  te  deictt,  sed  extollil  ;  humana  tempta- 
cio  arguit  te,  mh  inierficit.  Quanium  enim  in  hoc  seculo  alligimar,  tan- 
tum  in  perpeluo  solidamur  ;  quantum  in  presenti  lugemus,  tantum  in 
future  gaudebimus. 

Xî.  Si  hic  flageilis  alteriraur,  purgaii  in  judicium  Jnvenimur.  Semper 
Deus  hic  vulnerai  qtios  ad  saîutem  perpetuara  préparai.  In  fomace  proba- 
tur  aurum,  m  sordibuscareat:  tribulaiionis  camino  purgaris  utpurior  pa- 
rcas,  Persecutionibus  conflaris  ut  omni  peccalorum  sorde  purgerîs  :  ap- 
probatione  sunt  ista  omnia  que  susiines  «.  [29]  Non  igitur  murmures,  non 
blasphèmes,  non  dicas  :  «  Quare  sustineo  mala  »  ?  Sed  ma^'s  die  :  <c  Pec^ 
»  cavi;  ut  eram  dignus,  non  recepi  ;  equalem  vin-(52i^)-dîctam  peccati 
a  mcî  non  semio  ;  minus  me  percussum  quam  verebar,  agnosco  ;  juxia 
j)  modum  criminis  minor  est  retributio  ultîonîs*  secundum  meritum  pec- 
»  catorumj  dîspar  est  causa  penarum  :  non  sunt  tanta  supplicia  quanta 
»  extiteruni  peccata*  »  Qui  enim  in  fîagellis  mtjrmurat,  Deum  plus  irri- 
tât, furorem  Dei  amplius  provocat,  iram  indignationis  Dei  plus  sibi 
exaggerat:[^o]qui  vero  adversa  pacienter  tolérât,  Deum  cicius  plaçât.  Si 
enim  purgari  vis,  in  pena  te  accusa,  et  Dei  justiciam  lauda.  Ad  purgalio- 
nem  luam  proficit,  si  ea  que  paieris  ad  justiciam  Dei  retulcris,  si  pro 
irrogata  miseria  Deum  glorificaveris,  Corripit  enim  te  Deus  ;  flagello  pie 
casiigationis  te  arguit  ;  exercel  in  te  disciplinam  ;  et  qui  parcendo  te  ad 
se  revocabat,  feriendo  clamât  ut  redeas.  Cogita,  homo,  quotlibet  mundî 
cruciaius,  intende  animo  quascunque  seculi  penas,  quoscunque  lormen- 
torum  dolores,  quascunque  dolorum  acerbitates  :  compara  hoc  toium 
géhenne,  et  levé  est  omne  quod  pateris.  Si  limes,  illas  penas  lîme  :  si 
enim  iste  temporales  sunt,  ille  vero  sine  fine.  Jn  ista  pena  morîe[n]do, 
tormenia  recedunt;  in  illa  moriendo,  etemus  dolor  succedit.  [3 1]  Si  enim 
conversus  fueris,  emendaiio  est  que  pateris  ;  conversum  namque  flagella 
a  peccatis  absolvunt  ;  conversis  instantes  plage  ad  purgationem  profi- 
ciunt.  Qui  enim  hic  castigaïur,  illic  liberatur  ;  qui  vero  nec  sub  flagello 


X.  I.  Ad,  XJV,  21.-2.  Rom.  Vm,  ig. 

XL  I.  11  semble  qu'il  faille  corriger  :  a  probàùom^  et  mieuic  âd  protaiionem. 


à 


* 


TEXTE   LORRAIN    DU    XH'    SîÈCLE  28^ 

X.(î2C)_N US  n'est  mis  en  cesie  vie  qui  ne  sospire  :  et  Totcs  choses  suni 
plenes  des  mais  !  «  Enireraas  le  [raison]  a  toy,  et  soies  parcinîrs,  et  venket 
loi  raisons.  Aiempre  to  corage  et  confarme  t'anime  par  raison,  li  quele 
rapresse  la  force  de  si  grant  plor  :  n*aies  dote  de  nul  péril  par  confarme 

I  corage.  Par  mentes  tribulations  nos  covient  entrer  o  règne  Deu.  Les 
passions  de  cest  tens  ne  sunt  pas  dignes  a  la  glore  qui  est  a  avenir.  Ceu 
qui  ore  est  est  temperas  chose  et  lîgire,  ensi  cum  les  tribulations  en  nos; 
ce  qui  parmingnable  est  sor  mesure  est,  li  haîz  faz  de  glore.  Li  iribula- 
tions  et  les  apressures  de  cesie  vie  sunt  uties.  Li  mavistiz  des  maus  ne 
iot*ocit  pas,  mais  l'enstrut;  Taversitéz  des  mavaz  ne  te  dejelet  pas,  mas 
t^enlivet;  li  humene  tempiacions  t'arguei,  ne^l'ocit  mies.  Tant  cum  nos 
suns  lormentét  en  cest  secle,  tant  suns  confarme  ou  parmignaule;  tant 
cum  nos  or  plorons»  tant  enjoirons  el  secle  qui  est  a  avenir. 

XL  (Çîa)  Si  ci  suns  irivlei  par  tlaès ,  atrové  suns  espurgié  el  juje- 
tnent,  Deus  nevret  îoiens  tsci  ceos  qu'il  aperellet  a  la  parmingnant  salut, 
li  ors  est  provéz  en  la  fornase  qu'il  soit  senz  ordéz  :  et  tu  es  espurgiz 
par  la  fornase  de  iriblation,  ki  purs  apperes.  De  persécutions  es  faver- 

5  giz,  ki  de  totc  orde^  de  pechi  soes  espurgiz  :  tôt  que  tu  sofres,  est 
esprovemenz.  Por  ce  ne  murmurer  pas,  nen  aphetes,  j^e  dies  :  »<  Por  qoi 
D  sofre  je  mas  ?  »  Mais  di  :  <(  Pechi  aî  et  reçu  si  cum  dignes  estoe  ^  ; 
n  ancor  ne  sen  je  pas  égal  venjance  de  mon  pechi  ;  mojns  me  conois 
a  féru  que  je  ne  dotase  ;  selunc  la  manire  del  crîmîne  est  menres 

10 n  li  wardons  de  venjance;  seltinc  la  diserte  des  pechiz,  est  desugas  la 
0  cause  des  poines  :  U  torment  ne  sunt  pas  si  grant  cum  li  pechi.  »  Kar 
plus  tarie  Deu  qui  murmuret  ens  batures,  plus  porvoche  la  forsennerie 
de  Deu,  et  amoncelé  Pire  de  Tindignation  Dammedeu  :  mais  qui  les 
àdversetéz  sustient  sofranment ,  apasenie  plus  tost  Deu.   Kar  si  vues 

ïçestre  espurgiz,  accuse  to  en  la  poene  et  loe  la  justie?  Deu.  A  espurge- 
menz  te  profetei,  si  çu  que  tu  sofres  atomes  a  la  justice  Deu  ,  et  por 
tadenée  misère  humbles  avérés  glorifiii  Deu,  Kar  Deus  te  chastoit,  el 
l'argue  par  flael  de  pi  chastiement  ;  et  qui  esparnant  te  rapelevet  a  so, 
firant  huche  qui  tu  repères.  Pense,  hom,  toz  les  tormenz  do  munde,  et 

ioles  poines  do  secle,  et  les  dolors  des  tormenz,  les  aspritéz  des  dolors, 
et  tôt  mat  en  Pesgart  d'enfer:  s'irt  ligir  tôt  que  tu  sofres.  Si  tu  criens, 
dote  içales  poenes  :  kar  si  çaz  sunt  temperaus,  cale  sunt  senfm.  En  çax 
s'en  vunt  li  tormant,  morant  i  et  en  cales  sosentret  parmignaule  dolors. 
Si  tu  es  conveniz,  amademenz  est  çu  que  lu  sofres,  kar  li  flael  asoveni 

ijlo  converti  des  pechiz,  et  li  porfetenl  a  purgalion  les  enchaçam  plaies, 
Kar  qui  ci  est  chastiéz,  la  est  délivrez  ;  et  qui  ne  sunt  amendé  desoz  lo 


—  2.  Contre-sens  par  omission  de  la  négation.  —  3.  sic,  mais  à  la  ligne  sui- 
vante :  justut. 


l86  F.    BOKNARDOT 

corriguniur,  et  lemporali  pena  et  etcrna  dampnantur,  et  in  hoc  prius 
.judicantur  seculo  et  illic  in  futuro.  His  duplex  dampnatio  est,  gemma 
his  est  percussio»  quam  et  hic  habeni  initium  lormentorum  et  illic  post 
perfectionem  penarum* 

XII.  (<jlb)  [}2]  Scito  autem,  homo^  îiuUum  tibiadversaripotuissc,msi 
Deus  potestaiem  adversariis'  perraiterei.  Universa  que  tibi  acciduntabsque 
Dei  non  veniunt  voluntaie.  Iniquorum  potestas  super  te  ex  Dei  datur 
licentia.  Qui  tibi  adversanlur;  Dei  consilium  facium.  Manus  Dei  te  ad 
penam  tradidit,  indignatio  Dei  te  affligere  jussit.  Ipse  iratus  jussit  te 
mala  omnia  experire  ;  nam  et  quando  corporis  debilitatibus  firangeris. 
quandû  carnis  morbis  afficeris ,  quando  ianguorum  stimuHs  crudaris , 
quando  mentis  angusiiis  torqueris,  quando  pasâionibus  anime  quateris^ 
quando  crassanîe  impugnaîione  spirituum  agitaris  :  et  hoc  ipsum  pro 
peccato  tibi  divina  justicia  inrogat,  et  ipsum  pro  culpa  tibi  judicîi  divina 
infertur  sententia.  [n]  Omnis  enim  adversitas  rerum  deliciorum  luonim 
meriiis  exciiatur.  Tua  contra  te  dimicant  arma,  et  sagittis  tuis  con- 
foderis,  telis  tuis  vulneraris.  Per  que  enim  peccasti,  per  hec  et 
torqueris^  :  seculus  es  carnem,  Hagellaris  in  carne;  in  ipsa  gémis, 
in  qua  peccasti  ;  in  ipsa  cruciaris^  in  qua  deliquisti  ;  in  ipsa  tibi  est 
censura  supplicii,  que  fuit  causa  peccati  ;  unde  corruisti  ad  vicia ^  inde 
lues  peccati  »  tormenta.  [54]  Discute  concientiam  tuam,  intende  mentem 
tuam,  examina  te ,  loquatur  libi  cor  tuum,  considéra  meriium  tuum  : 
juste  argueris,  jusio  judicio  judicaris,  procella  justa  te  content,  justicie 
pena  te  premit.  NichiH  enim  boni  agis;  nichil  rectum,  nichii  equum, 
nichil  in  te  sanctum  est  ;  nichil  pudoris,  nulla  memoria  dignitatis.  Hoc 
considéra,  si  hoc  in  te  habes  quod  sequitur:  [1  j]  cotidie  peccas,  cotidie 
laberis,  cotidie  preceps  in  deterius  vadis  ;  elatio  tua  non  restdet.  Superbi 
non  deponitur  tumor,  et  jactantia  non  coibetur.  Rapit  te  quoque  furor, 
inflammat  ira,  clamor  excitât. 

XIII,  (^ji)  Commovet  te  indignatio;  paratos  semper  ad  iram,  supr 
modum  irasceris,  supra  mensuram  anîmi  furore  moveris.  Zelare  bonis,/ 
invîderemelioribus  solitus,  alienis  feliciiatibus  emulus,  aliems  virtutibus 
semper  invidus,  cui  iinquam  non  deiraxisti?[56]quem  non  lacerasti?cujus 
vitam  non  abhormisti  ?  cui  non  jactastt  infamiam?  Fallax,  iîif:onsianj|^ 
invidus,  avarus,  tenax,  sierilis,  iûbumanus,  infructuosus  ;  non  est  in  li 
ulla  misericordia.  Cecidisti  in  concupicentiis  seculi,  detluxisti  in  cupid!- 
talibus  mundi,  fîagras  in  terreno  amore.  Congeris  res  perituras,  nesds 
cxpiere  cupiditates  tue  sîtts.  Novis  te  cotidie  peccatis  involvis,  novis 
facinoribus  vetera  auges.  Non  dilyis  scelus,  sed  dilatas  ;  nec  satias  un* 

XIK  1 ,  Entre  ce  mot  et  le  suivant  le  ms,  répète  l'abrévialron  de  nisi.  —  a.  Sâf> 
Xî,  ITT,  —  3,  undt^  peccûta.  — 4,  nmtchil,  —  j.  Su;  il  faut  p.-è.  corriger  J*ii- 
liignâcmi, — é.  La  traduction  du  second  membre  de  la  phrase,  in  qua  duiqmsù^ 


JO 


1  « 


k 


2o 


TEXTE    LORRAIN    DU   XI^   SIÈCLE  iSf 

flad,  sum  damné  en  ceste  tempérai  poene  et  la  parmingnam  ;  et  suni 
jugé  prumirs  en  cesi  secle  et  la  en  celu  qui  est  a  avenir.  A  içaz  est  dovle 
poene  et  dovle  bature,  car  ci  unt  i'encomencement  des  lormenz,  et 
après  lai  la  perfection  des  poines. 

XH.  (\^c)  Hom,  saches  nus  ne  te  puii contrarier,  si  Deus  ne  otroevel 
pohosté  a  tes  aversares.  Toi  que  t'avieni  ne  vient  sens  la  voîenté  de 
Dcu,  La  postez  de  Deu  est  denei  sor  toy  par  le  congiét  Deu.  Qui  te 
contrarient  funt  lo  conseil  de  Deu.  Li  mains  Deu  te  donéi  a  paine,  et  si 
indignacions  >  te  commandéi  tonnenter.  Il  coreciéz  te comandét  esprover 
loz  mas  ;  kar  ceu  que  t'es  debrisiéz  par  tlovoiéz  de  ton  cors»  et  aflaveliz 
par  enfartéz  de  ta  char,  et  par  aguilenemenz  des  languors,  par  angusse 
de  pnse,  par  passions  de  t'anime,  par  envaisant  batalle  d'espiritz,  te 
done  divine  justice  por  ton  pechié,  et  por  ta  colpe  lo  t'aporte  divine 
sentence  de  jujement  ;  kar  tote  contrarietéz  de  chosses  est  commote  par 
diserte  de  les  péchiez.  Tes  armes  combatent  encotre  toi  ;  tu  es  navrez 
par  tes  saetes  et  tes  darz.  fCar  par  cen  que  l'és  pechié,  es  tormeniéz: 
enseùt  es  la  char^  flaeléz  es  en  char;  en  içale  gemts,  en  laquele  tu 
pechis  ;  en  içale  es  tormeniéz  ^  ;  en  içale  t'es  jujemeniz  de  torment 
laquele  le  fu  cause  de  pechié  ;  de  cen  compères  les  lormentz  dun  t'es 
chaùz  en  vices.  Esquir  ta  conciance,  entent  ta  panse^  esprove  loi  ;  a  toi 
paroce  tes  curs,  engarde  la  déserte  i  par  droit  es  arguez,  par  juste  juge- 
ment es  jugiez,  droite  tempestéz  te  detrivlet,  poîne  de  justice  t*apresse, 
Kar  tu  ne  fas  niant  de  bien  ;  niant  de  droituire\te  coise,  nule  riem  sanae 
es  en  toi,  niâDiL,d'anguse,  nule  memore  de  dignité,  Esgarde  si  tu  es 
en  toi  ce  que  seu  :  chaken  jor  pèches,  et  dechiés,  et  trabuchales  vas  en 
pcis  ;  t*ebcions  ne  se  raisiei.  Li  orgueuz  de  Torguilous  7  ofi^est  demis, 
la  vantaceji'est  retraite.  JifisJorsennerie  te  ravist;  mautelent  t'enflam- 
ment^ huchors  te  commuet. 


XHL  Indignations  te  commuii;  apariliz  es  adès  a  ire^  outre  mesure 
t'aîres,  et  es  commuiz  par  forsennerie  de  ton  corage.  !  54^2)  Acustumirs 
estreenvios  as  bons  et  as  melors,  as  estranges  aurtezetastrangesveriuz, 
S  acui  nen  es  ^  tu  jeihei  maie  renommei?  Decevables^jûant  esiables,  envious, 
aschars»  tenaules,  briins,  jaUDÎ-  humainSi  et  sens  fruit,  in  toi  ne_n  est 
miséricorde.  Chaûz  es  en  cuvise  del  siècle,  lu  ars  en  terrene  amor, 
T'asenble  choses  que  sunt  a  périr  ;  ne  ses  finir  les  cuvisses  de  ta  saif. 
Chaskun  jor  t'envolepes  de  novès  péchiez  et  iioveles  falonies,  et  acras 
les  viéz*  Tu  ne  destruît  falonîe,  mais  Temlesges  ^  ;  ne  ja  ne  saoles  la 


nwfiquc  au  ms.  —  7.  Lecture  douteuse;  le  copiste  avait  d'abord  répété  Voreeus, 
puis  )1  a  surchargé  les  deux  lettres  eu^  et  surmonté  le  tout  de  la  syllabe  anale 
iim  écrite  ions, 
XUL  1*  es  surmonté  d*un  tilde.  —  2.  Lecture  douteuse  :  ms.  km  Uga  avec 


288  F.    BONNARDOT 

quam  flammam  libidinose  concupîscentie.  [^7]0  te  infelicem!  non  te  pudet 
permulias  aspergi  libidines?  Corrupius,  libidinosus,  adulier,  sic  in  flagi- 
tio  persévéras,  sic  in  luxuria  permanes,  sic  in  carnali  amore  consistis  ! 
Heu  !  quam  diu  ?  quousque  ?  quem  ad  finem  te  defrenata  trahei  luxuria^ 
Jam  tandem  peccare  quiesce,  jam  tandem  ab  scelere  !  Aliquando  mores 
malos  commuta  in  melius;lj8]  noli  diu  versari  miser;  ponepeccatis  finem, 
pone  legem  nequiiie.  Habeat  culpa  modum,  habeat  iniquitas  terminuna. 
Delictorum  tuorum  considéra  magniiudinem  ;  culpas  tuas,  sakim  vel 
verberatus,  agnosce.  Emenda  dum  tempus  est;  vide  ne  umquam  pec- 
cando  in  deterius  vadas, 

[Homo.] 
X[V.  [î9]  Heu  mel  heu  infelicem  me!  miserum  me!  Nesciebam  quod 
mea  iniquîïate  percutior;  ignorabam  quod  meo  meritojudicofj  quodîstud 
judicîum  de  mea  [sit]  injusticia'.  Tu  michi  manifestati,  tu  michî  indîcasti, 
tu  michî  notum  fecisti  ;  per  te  cognovj  quod  nesciebam.  Jaro  pro  certo  scio, 
jam  non  me  la-(ç4t)-tet,  manifestum  michi  est,  satis  michi  est  cogni- 
tum,  perpensum  michi  est  satis,  occultum  jam  michi  non  est,  jam  non  est 
michi  ambiguum,  jam  non  esi  michi  abscondiium, 

[Ratjo,] 
XV.  [40]  Inde  est,  homo,  inde  est  omnis  ista  calamitas;  inde  est  îsta 
acerbitas;  inde  ista  crux,  inde  ista  pena,inde  ista  erumna.  Extenuate  sunt 
cause  '  peccatorum  tuorum  ;  non  ex  aliquo  casu,  non  ex  quolibet  aveniu 
fonuito>,  iste  langor  proprie  culpe  est,  ista  egntudo  proprie  iniquitatis 
est.  An  aliud  tibi  videtur  ?  An  aliud  putas  ?  An  aliter  existimas  ?  An 
aliter  sentis  f  An  aliud  judicas?  An  aliud  députas  ? 

[Homo.] 

XVL  [41]  Nichil  sane,  nichil  prorsus,  nîchil  penitus,  nîchil  omnîno, 
nichil  ominus.  Nichil  habeo  quod  contra  dicam.  Credo  veriiati  ;  negare 
non  possura  ;  fateor  esse  verum,  Quis  hoc  dubitat  ?  quis  istud  negat  ? 

[Ratio.] 

XVIL  [42]  Si  ita  est,  si  certum^  habes,  si  perpensum  est,  si  exploratum 
est  :  aufer  jam  iniquiiatem,  crimen  remove  a  te,  a  vanitatis  le  malo 
coerce,  a  vitio  et  a  peccato  te  retrae;  fuge  vicii  cultum^  fuge  turpitu- 
dtnem  vite,  puritate  vite  mala  veteris  ablue. 


un  si^ne  d^abréviation  au-dessus  du  second  €  ;  cnlegkr  ^  mlatan  comme  delâjtr 
:==  dikiûn.  —  3,  Usl. 

ê      • 

XIV.  1.  Je  supplée  le  verbe  diaprés  rédiiion  imprimée.  —  2,  ms.  àtmonUt 
qui  ne  peut  être  maintenu  en  i«  pers.  d'indicatif  présent  au  milieu  des  autres 


J 


TEXTE    LORRAIN    OU    XII"   5IÈCLE  289 

loflaimne  dol  luxurios  cuivise,  0  malauiros  loi!  jiê  te  hotoh  H  estre 
aspars  par  maintes  luxures  ?  Enspris,  avoteres,  luxurios»  ensî  persévères 
en  cel  tormeni  et  en  luxures  et  en  charnal  amor  ?  Lais  !  cum  longemam, 
et  de  kequani,  et  a  quel  fin  te  trarél  ces  encorse  luxure  ?  Ja  a  la  parfin 
repose  pechier  ei  de  la  filenie  !  Acune  faie  mue  tes  maies  mors  en  raièz  ; 

f^î  ne  voilés  longement  estre  chaitis  ;  mat  (m  a  tes  péchiez  et  loi  è  la  félonie. 
Ta  coipe  ait  mesure  et  ta  falonie  terme.  Esgarde  la  grandace  de  tes  » 
péchiez,  et,  siveas  non.  baiu7.  conois  tes  colpes.  Amende  tan  cutn  es  lo 
lens;  ne  ja  ne  VûUesen  pis  pechant. 

[HOMO.J 

X!V.  Las  moi,  malaiiros!  chatîf!  Ne  savoie  que  je  fusse  feruz  par 
miniquitét,  et  jujéz  par  ma  déserte,  et  ke  cest  jujemenz  fust  de  ma 
mavaise  justice.  Tu  lo  m*é  manifesté,  et  demonstrés  et  fesis  conosant; 
par  toi  ai  coneùt  ce  que  je  ne  savoie.  Je  lo  sa  por  cerfr]!;  n'est  plus 
l  reposz  a  moi  ;  manifest  est  et  asez  coneii  et  esgardé.;  ji'est  mais  obscur 
a  moi  ne  dotose  chose ,  et  ja  nen  est  reponu  a  moi. 

[Ratio.] 
XV.  0  tu,  hom,  de  c'est  tote  ceste  misère,  elceste  agrace,  cestecruz, 
ceste  polne.  Les  chauses  de  tes  pechiz  sunt  atenuies  ;  ceste  langors 
n'est  pas  d*aveniure,  mas  de  propre  colpe;  ceste  enfartéz  ?  est  de  ta 
propre  iniquité.  Semblct  il 4  dune  autre  ?  Ou  quides  to  ?  Ou  sens  to  ?  Ou 
juges  tu  f  Ou  amaz  los  tu  a  atre  chose  i  ï 

[Homo.] 

XVL  [^4c)  Certesjuaui.  Nule  chose  de^lûUEJa.lûL  n'ai  ke  je  pue  dire 
encontre.  Je  crei  a  la  vertei,  ne!  puis  deneir,  et  je!  reje'is.Qui  doteicest? 
î  qui  denoie  îce  ? 

[Ratio.] 
XVIL  Si  ensi  est,  si  tu  Pés  por  cert,  por  esgardét  et  enqais,  oste  tr 
iniquité,  remuf  de  toi  ton  blasme.  Restrin  toi  de  ton  mal  vice  de  vanitei, 
et  te  retrai  de  pechié  ;  fui  lo  cultivement  de  vice  et  la  laide  vie  de 
4 vanité,  levé  les  maus  de  Tancine  vie  par  ceste  pure  vie. 


fermes  verbales  qui  appartiennent  I  un  temps  passé. 

XV.  1.  caie,  —  2.  fonmlu.  —  3.  cnjana,  —  4.  smhk  til,  ^uî  pourrait  être 
3IU8I  transcrit  sembU  t'it,  f  pour  te  pron.  —  y  ms.  amaz  to  sttia  a.  c 

XVn.  I,  ctrtam. 


390  ^^^  ^'  bonnardot 

[Homo.] 

XVni.  [4î]Bene  dîcîs,  bene doces,  bene  instruis,  bene  aramones,  bene 
persuades,  bene  instruis,  Sed  ego  obtabam  a  peccaii  nexu  rcsolvi,  cupie- 
bam  a  consuetudine  malaretrahî,  desiderabam  animo  recedere,  querebam 
usum  nequissimum  superare  ;  sed  diu  diu  difficile  >  est  peccati  consuetu- 
dinem  vincere.  Pravus  usus  vix  abolitur,  assidua  consuetudo  in  naiuram 
convertitur  ;  assiduus  usus  in  nature  vertitur  vicium  :  animus  sceleribus 
astrictus  divelli  ab  eis  vix  potest*  Tanta  sunt  mea  vicia  ut  vix  evelli  po$- 
siai  ;  vix  credo  peccata  mea  ullospaiiotemporisexolescere»  [44]  UUro  me 
(54J)  miserum  antea  viciavi,  sponianeo  me  dudum  studio  pollui ,  pro- 
prio  même  prius  arbitrio  perdidi,  propria  voluntate  me  macula vi.  Bonus 
eram ,  sponte  ad  peccatum  dilapsus  sum  ;  liber  eram,  sponte  mea  haus 
sura  debiior  mords.  Infelix,  ego  peccatum  sponte  michi  prius  ipse  paravi  ; 
ego  primus  occasionem  peccandi  amplexus  sum  :  nunc  peccati  casu 
astrictus  detineor.  Mala  consuetudo  me  sibi  graviter  implicavit  ;  [45]  longa 
consuetudo  in  me  jus  sibi  graviter  et  legem  fecit.  Consuetudine  peccandît 
quando  nescio,  sic  delînquo  ^;  peccati  usum,  quando  non  optOj  incurro. 
Volo  agere  bona,  sed  desideria  consueia  non  sinunt  ;  pravo  usui  con- 
tra ire  nitor,  sed  camis  desiderio»  aggravor.  Ad  justiciam  me  amor  erigit* 

[Ratio.] 

XIX.  [46]  Relucta  contra  pravam  consuetudînem  ;  contra  consuetudi- 
nem  peccandi  tota  virtute  répugna.  Vince  usum  camalem  etiam  corn  do- 
lore;quamvis,  difficulîate,  pemiciosam  consuetudînem  vince;  qua[m]vîs 
[cum]  dolore,  usui  malo  résiste*  Propone  (55^)  tîbi  adversus  présentas 
camis  ardorem  futuri  supplicii  ignem.  Syperet  estum  incendii  recordatîo 
eterni  incendii  ;  memoria  ardoris  géhenne  ardorem  excludat  luxurie;  [47] 
fornicationis  penam  metus  gravions  supplicii  vincai  ;  forcîor  dolor  dolorem 
minorem  exuperet  :  pacienter  leviora  portabis,  si  graviora  fueris  recor- 
datus.  Versetur  etiam  ame  ocuios  tuos  imago  futuri  judicii  ;  previde 
que  post  modum  eris  passurus  ;  futuram  Dei  sententiam  cogita,  futurum 
Dei  judicium  super  te  formida.  Terreai  te  géhenne  metus,  terreat  fiiiurt 
judicii  seniemia  ;  revocei  te  terror  pertarum  culpa.  [48]  Vite  tue  cotidîe 
terminum  intuere;  omni  hora,  habeto  mortem  pre  oculîs;ante  oculos 
tuos  penarum  semper  versetur  adventus  ;'  de  morte  tua  cotrdie  cogita, 
finera  vite  tue  semper  considéra.  Recole  semper  diem  mortis  incertum; 
esto  sollicitas  ne  subito  rapiaris.  Cotîdie  dies  ultimus  adpropinquat; 
viiam  nosiram  coiidie  dies  aufert;  cotidie  ad  fmem  tendimus,  ad  mor- 
tem cotîdie  properamus,  ad  vite  [terminum  cotidie]  tendimus,  momentîs 
decurrentibus  ad  finem  deducimur.  [49]  Nescimus  quid  hodie  nobis  con- 
lingat  ;  ignoramus  anîmam  nostram  si ,  hac  nocte,  condicio  mortis 
deposcat,  finis  noster  nobis  abscondilus  est;  venturi  '  exitus  JgDO- 
rantia  nobîs  încerta  est. 


I 


I 


texte  lorrain  du  xll'  siècle  ici 

[Homo,] 

XVIIL  Bien  dis,  bien  ensegnes,  bien  enstrus»  bien  semons,  bien  amo- 

nesles.  Mais  je  desireve  esire  asos  des  liens  de  pechieit,  et  fuir  par  mun 

corage»  et  esire  retrait  de  la  maie  custume,  etsormonter  lo  très  félon  us  ; 

mas  mot  est  grès  chose  vencre  la  custume  de  pechié^  et  limavas  us  a  poines 

$  est  destruiz.  Li  assidues  custume  et  là  cunstinuéz  us  est  tornéz  en  nature. 
Li  corages  estroiz  de  félonies  (55^)  a  poines  puit  estre  raiét  d'içales.  Si 
grant  sunt  mé  vice  n'em  puis  estre  raiéz;  a  poines  croi  mes  péchiez 
destruire  par  acuen  espasce  detens.  De  mon  gré  ai  corrompu  moi  chaitif 
ça  avant;  par  mon  spoine  estude  m'ai  conchié  ja  de  pece;  pardeu  m'a 
loprimerement  par  mon  propre  jujement ,  par  ma  propre  volenté  m'a  vas- 
tei.  Bons  estoie,  de  gré  sui  chauz;frans  estoie,  de  mon  gré  sui  faiz 
datres  de  mort.  Malavoros,  je  meïmes  prumerement  de  mon  gré  aparilai 
a  moi  pechié  ;  je  primiers  enbraçai  Tokeson  de  pechier  :  et  je  sui  tenuz 
estroit  par  Tavanture  de  pechiét.  Li  maie  custume  m'ét  emploi  griement» 
Ijet  fait  a  soi  droit  et  loi  em  moi.  Ensi  pèche  je^  quam  je  ne  sai,  par  la 
custume  de  pechir;  et  quam  je  ne  voil,  encor  é  Pus  de  pechiet.  Je  voil 
bin  faire,  mais  li  acustumét  désir  ne  me  laisent"  je  m'enforz  aier  encontre 
lo  mavais  us,  mais  je  sui  grevez  par  lo  desier  de  la  char.  Li  amors  me 
drace  a  justice. 

[Ratio.] 

XIX.  ($  je)  Relucta encontre  mauvaise  aislume  de  pechié^  et  recombat 

partota  ta  vertu.  Venc  lo  cbarnal  us,  ne&par  dolor,  et  la  nosant  custume; 

jasace  zo  par  grieteî,  aresta  au  mavais  us.   Devant  met  a  tei  lo  fudel 

parmanable  torment  contre  Tardor  de  ceste  char.  La  remanbrance  do 

5  durant  torment  sormonce  ta  calor  ;  la  memore  de  Tardor  d'enfer  escloent 
l'ardor  de  luxure;  la  poine  de  fornicacions  venquent  li  paors  del  ptus 
grief  torment;  li  plus  forz  dolors  sormunt  la  menor:  soframent  porte- 
rés  les  legiers,  se  tu  recordes  les  gries.  Lisanblance  de  l'avenir  jujemani 
seil  devant  tez  oiz;  porvoi  que  tu  es  a  sofrir  en  avant;  porpanse  Pave- 

lOnir  sentence  de  Dé,  et  redote  lo  jugemant  de  Dé  a  avenir  sor  lei.  Li 
paors  d'enfer  et  de  poines  le  poante  et  te  retrace  de  colpe,  Esgarde 
châùra  jor  la  fin  de  ta  via  :  totes  hores ,  aies  la  mon  devant  tai  et 
l'avenemant  des  paines;  remanbre  toi  del  niant  cer  jor  de  ta  mort,  seies 
cusencenos  que  ne  soies  raviz  subitainemant.  Cbascun  jor  aproche  li 

ijdarains  jorz;  chascun  jor  nos  tôt  de  la  via;  adès  nos  hastons  a  la  mort 
Cl  au  terme  de  via,  et  sons  mené  par  decorranz  momanz  a  fin.  Ne 
savons  que  nos  avennet  oe,  et  se  li  mors  require  anoit  nostre  arme. 
Nostre  fms  es  reponue  a  nos,  et  li  mesconosance  de  l'avenir  esue  est 
jÛjEl^certe  a  nos. 

XVllL  u  dilficiUm.  —  2.  rdinquo.  —  j.  Le  copiste  avait  mis  d'abord  dcsU 
dcfiâ  ou'il  3  corrigé  en  desiderio  de  telle  façon  que  Vo  est  conjoint  à  \*a. 
XIX.  I.  Ce  mot  est  surmonté  d'un  signe  abréviatif. 


292  F,    BONNARDOT 

XX,  Inprovisusestmortîs  occursus;inçertitsestevemiJset  finis  omnium, 
Dum  nescimus,  (5  $d\  repente  mors  venit;  dum  non  estimaraus,  înprovisi 
tollimur;  dum  ignoramus,  repeme  subirahimur,  Timeamus  ne  dies  ilU 
tanquam  fur  comprehendap,  ne  nos  Turbo  divinijudicii,  dum  ighoramus, 
diripiat,  ne  nos  rependnusimerilus  auferat.  [  ^  oj  Spiritus,  quiad  peccandum 
succendit,  peccamem  subito  rapit;  qui  viventes  inflammat,  morientes 
subito  dévorât;  qui  inflectit*  ad  vitia,  pertrait  subito  ad  tormenta.  Quan- 
tos  ad  penam  mortis  improvisus  exitus  rapuil  !  Quanti  subito  subtracti 
defidunt!  Quanti,  dum  mori  non  existimant,  auferuntur!  Quanti  ad 
mortem  subito  rapiuntur!  Quanti  repente  ad  etema  suplicia  deducumur! 
Aspice  ergo  ex  alieno  tormento  quod  timeas;  respice  in  alieno  exitîo 
quod  pavescas,  Vita  foveam  in  qua  vides,  coram  te,  alium  cecidisse; 
pericula  aliéna  in  te  potius  perlimesce  :  alienos  casus-fîïnïfici^ul  lua 
fouisse  pericula'.  Morientis  vocatiotua  sit  emendatio; aliorum perdicio  tua 
sit  vocaiio,  [5  ï]Reirabat  te  a  peccato  impiorum  interiius;  absirahat  te  a 
culpa  pereuntitim  pena  ;  delinquemium  finis  te  corrigat;reproboruminle- 
ritus  te  abducat;  îniquorum  pena  ad  tuam  salutem  proficiat.  Quod  maie 
fecisii,  dum  potes,  emenda;  dum  potes,  a  vicio  et  a  peccato  te  rcvoca; 
dum  tempus  est,  clama;  dum  datur  spacium,  luge;  dum  est  licentia,  peni- 
te-(s6^)-[re]  fe&tina;  dum  potes,  plange,  Dum  adhuc  anima  versator  in 
corpore,  dum  adhuc  vivis,  remedium  tibi  futurum  adquire,  prius- 
quam  te  dies  mortis  prevenîat,  priusquam  te  profundus^  absorbcat» 
priusquam  te  infernus  rapiat,  ubi  jam  nullus  est  induigentie  locus,  ubî 
nulla  penitentie  patet  libertas,  ubî  nulla  correctionis  î  datur  Itcentia,  ubi 
nullus  est  ad  confessionem  recursus,  ad  veniam  nullus  est  régressas. 


[HOMO.l 


XXI.  [Ç2]  Verum  dicis;  narras michi  quod oportunum  est; informas  me 
quod  magis  michi  expédiât.  Ego  scio,  novi,  didici  isiud.  lllud  item  quero, 
«rest  illud  scire  volo,  illud  nosse'  maxime  cupio,  si  est  spes  in  confes- 
sione»  sî  est  fiducia,  si  est  remisio,  si  est  venia,  si  est  indulgentia,  si 
est  locus  per  penitenciam  regredi  ad  justiciam. 


XX,  I.  /  Thess.  V»  2.  —  2.  inpctd,  —  j.  Le  verbe  manque  dans  celte 
phrase.  Je  supplée  profuiant  d'après  prof  dent  de  la  traduction  ;  voy.  dans  le 
mime  §  propaat  rendu  par  profctu.  Le  tcxie  imprimé  porte  ;  a,  c.  tua  Jac  ase 
pmcuiâ,  —  4.  pTojandu$ç d^^ttz  un  tilde  sur  le  second  u,  —  5,  cùrniptiùttis.  ^ 
6,  Le  copiste  avait  d'abord  eu  rintejilion  d'écrire  dcnen, 

XXL  I.  riQsu  répété  deux  lois.  -«  2,  En  tète  de  la  traduction  de  ce  $  te 


TEXTE   LOBRAÏN    DU  XU«  SIÈCLE  293 

XX.  Li  encontre  de  mort  est  desporveùe,  etlifinsdetoz  esudani cette. 
Nos  nel  savons,  et  li  morz  vient  isnelemenl;  et  desporveùi  sons  tolu  et 
sosirail.  Dosons  que  cil  jorz  ne  nos  reprehengne  comme  li  leres,  et  li 
turbins  del  devin «^  jugement  nos  ravisse,  et  li  subitaine  morz  nos  hot. 
5  Li  esperiz  qui  esprent  a  pechier  ravis  subitanement  lo  péchant  ;  et  qui 
intlamment  les  vivant  as  vices,  les  partrait  tosias  tormanz.  Quant  homes 
li  desporveuhe  fins  ha  ravi  a  la  pohene  de  mon,  et  sostrait  desfaîllent,  et 
sunt  ostei  quant  il  decuideni  morir,  et  ravi  subitenemant  a  mort,  et 
démené  as  parmenables  tormenz!   Esgarde  d*altrui  lormant  cui  tu  re- 

10  dotes,  Eschois  la  fosse  ou  tu  vaiz  altrui  devant  tei  chaù;  redote  en  toi 
maiismemant  les  estranges  periz;  les  esiranges  aventures  te  profecent 
avoir  fait  les  periz.  Li  apès  del  morant  soit  tes  amandemant,  et  li  perde 
des  altres  tes  apelemant.  Li  morz  des  félons  te  retrace  de  pecbié,  et  li 
poine  de  colpe;  la  fms  des  pechanz  t'amance»  et  li  morz  dçs  reprochiez 

151e  sostrace;  la  poine  des  félons  profeiie  a  ta  salu.  Tant  cum  tu  puiz, 
amande  ce  que  tu  es  mal  fait,  et  repale  (56^)  tai  de  vice  et  de  pechié; 
tant  cum  es  lo  tens  et  Tespace  et  !o  congié,  uche,  plore  et  te  repant, 
tant  cum  tu  puiz  ;  et  li  ame  est  ancor  e!  cors  et  tu  vis,  plaing,  et  anquesta 
l'avenir  remède,  ançois  que  li  jorz  de  mort  t'avance,  et  lî  parfundace 

lot'engluîisse,  et  enferz  te  ravisse,  ou  nus  tous  n*est  de  pardun,  nule  fran- 
chise de  pénitence,  nuz  congiez  d'amandemani,  nus  recors  de  confes- 
sion» nus  retorzau  pardun. 


[Homo.] 


/^.^ 


XX1.=  Vor  dis;  («fjmii  recontes  ce  ic'est  convignable;  tu  m'aparoles  a 

ce  que  plus  m*est  mestiers.  Jel  sai,  conu  l'aîet  apris.  Lo  paras  demant 

ice,  et  vul  savoir  et  avoir  coneû,  si  est  espérance  en  confession,  et 

fiance, et  remisions,  et  pardons;  et  si  leus  est  reparir  a  justice  par  pêne- 

S  tance. 


copiste  a  reproduit  les  derniers  mots  du  §  précédent  avec  quelques  variantes 
orthographiques  :  Nuns  congié  de  mdndemanî,  nans  recors  de  confession^  nas  refori 
â  pardon,  —  j.  Le  ms*  présente  ici  un  çroupe  de  sept  jambages  qui,  patéo- 
graphiquemcTil,  peuvent  se  lire  m  mi;  ni  etanl  inadmissible  pour  le  sens^  je  le 
remplace  par  ai  :^  prép.  a.  Mais  il  serait  peut-être  plus  rationnel  de  voir  dans 
tumi  une  rnadvertance  du  copiste^  analogue  à  celle  qui  a  produit  plus  haut 
aanchti,  g  XII  n,  4. 


292 


BONHARC 


XX.  Inprovisusestmortis  occursus;incertusa 
Dum  nescimus,  {^^d\  repente  mors  venii;  dum 
tollimur;  dum  ignoramus»  repente  subirahîmU 
tanquam  fur  comprehendat',  ne  nos  Turbo  divii 
dîripiat,  ne  nos  repeniinusinteritus  auferat.  [joj 
succendit,  peccantem  subito  rapit;  qui  viven 
subito  dévorai;  qui  inflectil  ^  ad  viiia,  périrait  1 
tes  ad  penam  mortis  improvîsus  exitus  rapuif! 
deficiunt!   Quanti»  dum  mori  non  existimantj 
mortem  subito  rapiunlurl  Quanti  repente 
Aspice  ergo  ex  alieno  tormento  quod  tij 
quod  pavescas.  Vita  foveam  in  qua  vîdei^ 
pericula  aliéna  in    te  potius  pertimesce:  âlie 
fêokst  pericula).  Morientis  vocatîoiuasit  emeii 
sit  vocalio.  [5rjRetrahat  te  a  peccato  impîorui 
culpa  pereuntiLim  pena;  delinqtientium  finis  te 
ritus  le  abducat;  inîquorum  pena  ad  tuam  sal 
fecisti,  dum  potes,  emenda;  dum  potes,  a  vie 
dtim  tempus  est,  clama;  dum  datur  spadurn.  f 
te*(s6^)4re]  fesiina;  dum  potes,  plange»  Du 
corpore,    dum  ad  hue   vivis,  remedium 
quam  te  dies  mortis  preveniat»   priusqu; 
priusquam  te  infernus  rapiat,  ubi  jam  nulli 
nulla  penîtentie  patet  libenas,  ubi  nulla  co 
nutlus  est  ad  confessionem  recursus,  ad  vc 


[HOMOJ 

XXI.  [ç 2]  Verum  dicîs;  narras mîchi  q^ 
quod  magis  michi  expédiai.  Ego  scio,  no' 

{^i  est  iliud  scire  volo,  îllud  nosse  ■  maxi 
sione,  si  est  fiducia,  si  est  remisio,  s 

,  est  locus  per  penitenciam  regredi  ad  ji 


XX.  I,  /  Thfss.  V,  2.  —  2.  infîuut. 
phrase.  Je  supplée  profictant  d'après  pr 
même  §  profiaat  rendu  par  profciU,  Le  \> 
ptfKuia,  —  4.  projuiidufÇ  avec  un  %i\ûi 
6.  Le  copiste  avait  d'abord  eu  l'intentii' 

XXI.  I,  nossi  répélé  deux  (ois.  — 


T£XTE    LORRAIN    DU    Xll^    SIÈCLE  açj 

[Ratio.] 
XXÏÏ.  Oïl  plaiTjemani,  de  tôt  en  tôt,  certes,  sanz  dote.  La  confessions 
«aine  et  justifie,  et  done  pardon  as  péchiez*  Tote  espérance  et  leus  de 
miséricorde  est  en  confession:  crohies cet temant,  ne  doter  d*esperer  de  la 
miséricorde  Deu.  Aies  espérance  et  fiance  en  confession,  ne  desperer  de 
j  salut,  aînz  sohies  convertit  en  miez.  Car  qui  despere  del  pechié  pardon, 
plus  est  dagnéz  de  desperacion  que  de  la  faite  félonie  :  desperance 
acroist  lo  pechié  et  es  père  de  toz  péchiez.  Por  ce  l'amande,  et  aies 
espérance  de  pardon  ;  demat  ton  tort  et  ta  iniquité  et  spere?  via  et  salut. 
Nulle  si  granz  colpe  nen  est  qui  n*ait  pardon.  Car  con  tu  soies  pechieres 
^  10  et  fel  et  apresséz  d'orz  crimnes,  li  leus  de  pénitence  ne  t*est  ja  déniez  : 
i  la  pitié  de  Deu  socort  legieremeni  as  repentanz;  par  pénitence  est  denéz 
[        pardons,  et  tuit  li  pectiié  ostei. 

^K  XXIII.  Moi  chatif!  perdu  avoîe  espérance  et  fiance,  et  difiéa  mon  co- 
^"  rage;  vencuzestoit  et  bim  près  chauzen  desperance  mes  corages.  Or  ai, 
et  espor  de  la  pieté  de  Du,  et  ne  dot  pas  de  sa  bonté,  J'abite  en  espérance, 
et  m'a  endracié  a  espérance  de  pieti,  et  m'ai  dené  espérance  de  vie  en 
5  penitance.  Si  Deus  m 'et  revardei  et  aprochié  a  m*aïe,  et  m'adet  amplir 
ce  que  je  covoit,  ce  ai  jugié  et  estaubli  a  faire,  et  ce  est  fichié  e  mon 
corage  et  n'en  puit  estre  esraié. 

|Ratio.) 

XXIV,  Deus  te  dengnc  les  désirées  choses,  et  otroit  a  tes  diseiers,  et 
l'an  fast  possant,  et  parface  ta  volonté  en  bien,  et  conferme  et  ahust  a 
tes  dîsiers;  tote  chose  faces  parDeuoutrehantî  Tan  con  te  laist  et  li  mors 
atarze,  ore,  demande,  deprihe,  netasir,  essauce  ta  vois,  clama  formant, 

5  plain  tes  iniquitez,  les  mans  de  tes  félonies  déplore;  par  plors  destrui  ce 
que  tu  es  fait  mauvasemant,  levé  par  larmes  ce  que  t'es  fait  contre  loi  : 
les  ploreis  falonies  suileni  estre  destrutes. 

[Homo.] 

XXV,  Las  moi!  malaguré  anme!  en  si  granz  péchiez  et  crîmînes,  en 
mentes  félonies,  ke  plore  je  primiers  et  plangne?  ques plors,  ques  larmes 
pregne  je  ançois  ?  Memore  ne  sosfest  a  reconter  les  faiz  de  tant  crîmînes. 
Nés  meu  pechié  m'ont  aporté  consentemant  de  dolor;  mes  larmes  sum 


parmi  les  termes  synonymes,  j'ai  restitué  de  préférence  celui  qui  répond  litté- 
ralement au  mot  roman. 


P 


XXXI V*  1.  V.  tist,  —  2.  confirmât.  —  j.  suffragaîur. 


296  r.    BONNARDOT 

sum  doloris  tuleruni  :  hebetudtne  »  cordiscoagulatesuntlacrime;  obriguit 
animus,  nullomerore  compungitur;  [j8] anima  mea  in  merorem conversa 
esL  Ubi  es,  merorîs  unda  ?  Ubi  eslis^  lamenta  ?  redite^  obsecro.  Movemini 
fontes  lacrimarum  !  insensata  facta  est  anima  mea.  0  lacrime  I  ubi  vos  sub- 
duxistis?  ubi  esiis  fontes  lacrimarum^  ?  Aspergiteme  fletibus,  fluite super 
faciem  meara,  humectaie  maxillas  meas,  gênas  meas  irrigaie,  date  michi 
planctum  amarumî  Inter  omnes  enim  gravius  cornii,  inter  omnes  dele- 
rîus  cecidi,  omnium  impiorum  penas  scelere  raeo  vici:  tartharea  lor- 
menta  vix  malis  meis  suffidunt.  [59]  Non  est  peccatum  super  peccatum 
melim  ;  non  est  iniquitas  super  iniquiiatem  meam  ;  nequiorem  me  cunciis 
peccatoribus  penso  :  comparatione  mea,  nullus  inîqus  est.  Juste  penas 
débitas  infelidtatis  exsoîvo;  juste  lantis  suppliciis  conteror  :  ex  meo 
peccato  mala  michi  omnia  advenerunt*  Deus  ista  in  me^  infligit  justo 
judicio;  rependiiur  peccaiis  meis  congrua  vidssitudo  :  minus  tamen  iri- 
buîtur  michi  quam  ipse  delîqui.  Peccaiorum  meorum  vicissitudo  impen- 
ditur.  Plagis  meîs  culpa  dur [i] or  invenitur,  levior  est  peccato  meo  pena 
dampnationis  mee.  Gravius  est  quod  âtnîsi;  levius  est  quod  lolero;  gra- 
vior  est  culpa  quam  feci,  minor  vindicta  quam  perfero.  Penso  malum 
quod  gessî,  non  est  tantum  quod  pacior.  [60]  {j6b]  Levior  est  plaga  mea 
pondère  peccatortim  meorum.  Aliud  est  prorsus,  aliud  est  quod  plus  me 
afïligit,  quod  me  magis  contristat,  quod  me  magis  perturbât,  quod  me 
magis  terriricat,  cujus  simile  malum  nullum  est,  cujus  imcomparabilis 
omnispena  est,  quod  omnibus  suppliciis  antefertur,  quodantecellitcuncta 
tormenta^  quod  exsuperat  omnia  mala, 

[Ratio.] 

XXVL  [61]  Heu  anima!  quid  [est]  quod  multum  metuisf  Quid  est  quod 
te  magis  corripit?  Quid  est  amplius  quod  ad  mesticiam  te  impellit? 
Quid  amplius  reformidas?  Quid  amplius  metuis? 

[Homo,] 

XXVII.  [62]  Metuo  diem  judicti;metuodiemtenebrarum,  diem  amarum, 
diem  durum.  Perpendo  quidem  malum  quod  tolero;  sed  amplius  quod 
restât,  formido.  Lugeo  que  in  hac  vita  jam  paiior  ;  sed  post  hanc  ne  gra- 
viora  pacîar  pertimesco.  Sententîam  licet  ciiam  tolero  in  pena,  tormenta 
tamen  géhenne  formido  ex  culpa.  Jam  presens  pena  me  lanîat,  sed  futura 
magis  conturbat;  gravia  »  sunt  que  susteneo.  graviorain  perpetuum  per- 
timesco. De  presentibus  quidem  pénis  doleo,  sed  de  futuris  amplius 
ingemisco,  [6î]Succurre^  michi,  Deus  meus,  antequam moriar,  amequam 
mors  me  preveniat,  antequam  tarlhara  me  rapianl  antequam  fîamma 
(57^)   me  conburat,  antequam  ténèbre  me  involvant!  Subveni  michî 


I 

I 


I 
I 
I 


I 


XXV.  I.  hûbitaâim»  —  2.  lacrimiûrum,  —  ).  Au  ms.  quatre  jambages  seufe- 
ment  liés  de  cette  façon  :  unt.  —  4.  sou  est  fa  i'  p,  pL  impéralil  ;  il  faudrait 


TEXTE    LORRAIN    DU    XII*  S»ÊCLE  297 

i  csqualies  parla  duracc  del  cuir;  li corages  enrediz  n'éx  niile compuntioni 
eni  plor  m'enime  [est]  convertie  et  en  trisiace.  Ou  es  tu,  ave  de  plor?  Ou 
estes  vos,  plor?  Je  vos  prei,  reparieiz.  Ou  vos,  fontaines  de  larmes»  soii* 
moites  :  m'ennîme  [est]  faites  sen  sens.  Ou  vos,  larmes^  et  vos^  fonteines, 
ou  vos  avoiz  sustraii  ?  Asperdoiz  me  par  pîors,  et  decoroizsor  ma  façon, 

loemmostiz  mes  faces  et  arosez  mes  jusses;  denéz  moi  amer  plagnemanl. 
Entre  toz  sui  chaùz  piez  et  plus  gravenemant;  vencu  ai  les  painesdetoz 
feluns  par  ma  félonie  :  li  enfernal  tormeni  sofesent  a  poines  a  mesi  mais. 
Nus  péchiez  n'est  sor  lo  mien;  nulle  félonie  sur  la^  meie;  je  me  pens 
plus  félon  de  toz  pechors;  nus  n^es  fal  a  ma  compareson.  A  droit  rent 

ijles  poines  de  la  due  malaiirtei,  et  sui  tribléz  par  tant  tormenz,  et  de 
mon  pechié  vienent  tuit  li  mal.  Par  droit  [Deus]  denet  a  tormant  icès 
choses;  par  droit  jugemant  est  revierdoné  a  mes  (57CI  pechiz(etl  conve- 
nables changes:  necedani  mons  m*est  denei  k*en  éje  pechié.  Li  changes 
de  mes  pechîz7  est  doné.  Ma  colpe  atrovei  est  plus  dure  de  mes  plaies, 

20  €t  li  poine  de  ma  dagnacions  est  plus  legiere  de  mon  pechié.  Ce  qe  je  ai 
pechié  est  grevain»  ce  que  sofre  est  plus  liegier  ;  la  colpe  que  je  a  fait  est 
grcvene ,  li  vangence  que  je  sofre  est  menre.  Je  pens  lo  mal  qe  je  ai 
tâi,  et  ce  que  sofre  n'est  pas  si  grant  :  ma  plaie  est  plus  legiere  del  fais 
de  mes  pechiz.  Aire  est  de  lot  en  tôt  que  plus  me  tonnante,  et  fait  triste^ 

2  5  que  plus  me  destorbe,  que  plus  m'espaetet,  a  coi  nus  mas  nera  est  sem- 
blanz,  et  loie  poîne  est  desiigas;  li  ques  chose  est  devant  portée,  et  sor- 
monte  toz  tormanz  et  trestoz  mas. 

[Ratio.] 
XXVI.  Lassa,  0  tu,  anma!  ce  que  est  que  tu  dotes  munt?  et  que 
2  plus  te  chasteit  ?  que  plus  te  debote  a  dolente  ? 

[Homo.] 

XXVI L  Je  dot  l'amer  jor  et  lo  dur  del  juisse  et  des  te[ne]bres.  Certes  je 

asvuiart*^  lo  mal  que  je  sofre,  et  plusfist  cil  que  remant.  Je  plor  ce  que 

sofre  en  ceste  vie;  mais  je  redot  que  ne  sofre  plus  gris  après.  Ja  soit  ce 

que  je  sente,  jel  sofre  en  la  poine  ;iiei:^edani  je  dot  les  tormanz  d*enfer 

.-  jde  la  colpe.  Li  prenseme  poine  me  désire  J  ja  mas  li  a  avenir  me  troble 
plus.  G[r|even  est  ce  que  soleing^î,  je  redot  plus  gries  chose  en  parma- 
nablc.  Certes  je  doil  de  presantes  poines,  mas  plus  eingemis  des  a  ave- 
m'r^^.  Mes  Deus,  soscorre  a  moi,  anz  que  je  moire,  et  li  mor  m'avance» 
li  enfer  me  ravisent,  li  fîame  m*ardet,  les  ténèbres  m'envolopent.  Sovi- 

lonaa  mai,  ançois  que  je  m'aéhais^?  as  tormanz,  et  soie  dévorez  parles 
foies  d'enfer,  et  tormenléz  sens  fin.  Je  colpables  sui  aspaentéz  par  la 


^K^ 


peut*étre  rétablir  soi[t]2,  —  ç.  Le  copiste  répète  ici  par  erreur  le  mot  palms, 
—  6.  ta,  —  7.  dtpmtspichu. 


2q8  F.    BONNARDOT 

priusquamsiiîetermino  crucier,  Reus  enim  timoré  judicii  t|cr|rcor;pavofe 
peccaii  iram  tuam  formido;  înmanilate  sceleris  ex  adventu  trépidas, 
conscientiam  meiuo.  [64]  Si  enim  justus  vix  salvabiiur,  ego  inpius  ubi  ero? 
Quid  faciam ,  cum  venerit  iremendi  judicii  formido  ?  Cum  examen  judidî 
venerit,  quid  respondeam»  ?  Quid  ero  dicturus,  cum  ame  tribunal  Christi 
fuero  presentatus.  Ve  diem  illum,  quando  peccavil  Ve  diem  iUura, 
quando  trangressus  sum^  \  Ve  diem  illum,  quando  malum  expertus  sumî 
Utinam  non  illuxisset  michi!  Uiinam  non  fuisseï  onus super  me!  Utinam 
non  aparuisseï  super  me!  O  dtes  detesianda!  0  dies  abhominanda!  O 
dies  penitus  nec  dicenda,  que  me  in  hoc  seculo  pertulit^que  michi  claus- 
tra partus  apperuii,  que  ortus  mei  hostia  reseravii  !  Dies  il!a  a  luce  in 
tenebras  permutetur!  profunda  illam  caligo  confundatî  eierna  illam  ceci- 
tasobruat!  Amittats  temporis  statum!  omni  memoria  extingatur!  nullis 
digna  seculis  memoretur!  [65]  Meïius  michi  fuerat  non  esse  ortum^melius 
non  fuisse  genitum,  melius  non  fuisse  in  hoc  seculo  procreatum  quam 
cternos  perpeti  crutiatus.  Flcte  me,  celi  et  terra!  flete  me,  omnis  créa- 
tura!  plorate  me,  omnia  elemema!  ïngemiscite  super  me,  universum  gen- 
ris;  et,  quo  poiesiis  vite  sensu,  super  me  lamenium  effundiie  !  Peccavi 
enim  crudeliter,  lapsus  sum  fortiter,  cecidi^graviterj  corrui  miserabiliter* 
Nultum  (çStî)  invenitur  peccatum  cujus  sordibus  non  sim  coinquinatus. 
Nullus  morbus  est  viciorum  a  quo  non  contraxi  contagium  ;  nuUa  sordium 
repentina7  extitii  que  in  me  miserum  non  confluxit,  [66]  Probrosus,  sce- 
leratus,  flagiiiis  cunctis  obruius,  innumerabiliter  freqtsentavi  inpudiciciam 
feditaiis.  Ut  bene  viverem^  ultro  promis!  :  quod  pollicitus  sum,  nunquam 
servavi.  Semper  ad  peccatum  meum  redii;  semper  delicta  mea  iieravi; 
prioribus  sceleribus  semper  détériora  conjunxi.  Nunquam  in  melius  mu- 
tavî  mores;  nunquam  a  malis  factis  recessi.  Plurimos  etiam  maculavi  me 
perdens,  plurimos  pravis  moribus  in  in[ilquiiatem  perverti,  Scelere  meo 
mulie  anime  perierunt ,  exemplis  meis  et  vite  mee  multi  subversi  sunt  t 
ego  multis  causa  malorum  fui.  [67]  Orate  pro  me,  viri  sancti,  ad  Domi- 
num  l  obsecrate  pro  me^  omnis  plebs  sanctorum  I  si  forte  misereatur  met 
Deus,  si  forte  recipiat  me,  si  forte  deleat  peccatum  meum,  si  forte  aufe- 
rat^  iniquitatem  meam,  si  forte  raisencordiam  presiet  michi,  Iratus  est 
enim  super  me  nimis,  compte  vit  furorem  suum  in  me  :  in  plorate  pro  me, 
omnis  chorus  sanctorum  !  Effuditiram  indignationis  sue  super  me,  prop- 
ter  mtiltitudinem  iniquitatts  mee  :  quia  creverunt  adversiones,  quia  mai- 
tiplicate  suni  prevaricationes.  Ve  michi!  quia  consumptus  sum.  Ve  michi! 
quia  defedt  anima  mea,  afflicta  merore,  conlriu  luctu,  extenuala  gérai  tu. 
[68]  Qui  miserebitur  lui»  anima?  Quis  consolabitur  le?  Quis dabit  lamenta 
pro  te?  Magna  est  sicut  Imare]  contric-;^86j-tio  tua^,  afflictio  tua  sicui 
pelagusseviens,  dolortuus  quasi  fluaustumens.  Que  tempestas  non  irruii 
super  le  ?  Que  procelle  non  accidcrunt  tibî  ?  Omnes  molestiarum  [grave- 


I 

I 
I 

I 


TEXTE   LORRAIN    DU    Xlie   SIÈCLE  299 

paor  de  toin  jugemant;  ton  ire  dot  por  la  paor  de  mon  pechié;  par  la 
grandace  de  nia  félonie,  trenbables  de  (/îc)a)  ton  advenemant,  redot  ma 
consdance.  Car  si  fi  jusz  a  poine  sura  salvéz,  je,  fal,  ou  sirai?  Ke  ferai 

i^jc,  cura  li  paors  del  trenbiable  jujemeni  sirat  venuei?  Cum  la  cognie 
dcl  jujemant  sira  venue,  que  responderay  je?  K*avera  je  a  dire,  quant 
seray  présentez  devant  lo  siège  de  Crist?  Wa  ai  icel  jor,  quant  je  péchai; 
jel  trespassa  quant  resprovei  fnoi*^*  La  moie  volume  ne  luxit  ne^^ne  fust 
néz»  ne  n^aparust  sor  moi!  0  jor  a  dejujer,  et  abhominabks!  jors  qui 

ion^est  a  dire  ik,lQt_en  tôt,  le  ques  me  mist  fors  a  cest  secle,  et  avré  mes 
en^cemanz,  et  les  uses  de  mun  natsemeni  defarma!  Icet  jor  soimuit  de 
lumire  en  ténèbres!  Granz  oscultéz  la  confunde!  parminableî°  avuglace 
Tescravante!  aie  perde  Pestation  del  lens!  et  soit  estime  de  tote  mémo- 
rie!  et  ne  soit  remanbré  digne  en  cest  siècles»  Miaz  me  fust  jûânz  estre 

2)  nci,  ne  enjanréz  ne  creei  en  cest  siècle,  ke  sofrir  les  parminables  poines 
[et]  tormanz.  Ciel  et  terre,  et  toie  créature,  et  tuit  li  elemant,  ploréz 
moi!  Universe  genz,  eingimis  sor  moi,  et  tanz  cum  poit  par  senîement 
de  vie,  aspandoiz  sor  mo  lo  plor.  Pechié  aï  crûment,  chaùz  soi  formant 
et  griment,  et  repitablement.  Nus  péchiez  n'est  de  cui  ordez  ne  seie  en- 

;otachiéz.  Nuiie  enfartéz  de  vice  n*es  dun  je  n'ai  trait  entacbemant;  nule 
sobitaine  des  ordez  î'  n'est  que  ne  corrue  en  moi  chaitif  de  lot  en  tôt, 
Excuminiéz,  par  toz  tormanz  escra-(59/?)-vaméz,j2iani  noblamani ai  fire- 
quentei  la  luxure  d'ordei.  De  grei  promis  ke  je  en  bien  vivoroie  :  ce  que 
P^promas,  ne  kardé  unques,  Toz  tans  je  reparai  a  pechié,  et  rencom- 

55  mencé  rai  î*  icelui,  et  a  primieres  falonies  ajosta  adès  paor.  Ne  chanja 
unques  mes  morz,  et  miuz  ne  retornai  des  mas  faiz.  Pluors  ai 
entachié,  perdanz  moi  maimes,  et  pervertie  a  falonie  par  mauvaises 
roors.  Mentes  anmes  sunt  peries  par  ma  falonie,  et  mainte  sunt  pervers 
fait  par  enxample  de  ma  vie;  je  fui  a  me[njzH  causa  des  mais.  Sainz 

40 homme,  et  li  poples  des  sainz,  oréz  por  moi  a  Deu!  si  par  aventure  ait 
pieté  de  moi,  et  me  reçouveu,  et  destruemon  pechié,  etostema  folonie, 
Cl  me  prestei  miséricorde.  Car  trop  est  iriz  sor  moi,  et  at  empli  sa  far- 
soennerie  em  moi  :  tote  li  congpanie  des  sainz,  deproiéz  por  moi  !  L'ire  de 
«^indignation  at  espandue  sor  moi  por  la  grandace  de  m 'iniquité!  :  kar 

45  les  adversitéz  sunt  crues  et  tes  prévarications  multiplies,  Wa  a  moi  !  car 
je  suî  consommez,  et  m*anime  defaîllie,  tormenteie  en  tristor,  trivlei  em 
pk)r»  atenuie  en  gemissemenz,  Qui  repiteré  de  toi,  0  tu  anme,  et  te  con- 
sentereit,  et  donreit  plors  por  toi  ?  Granz  est  les  tormenz  asi  con  ta  con- 
tricions**»,  et  si  con  li  mers  forsennas;  ta  dolors  asi  cum  li  fluves  enflanz. 

]oQue  lempestez  n^est  trabuchie  sor  toi,  et  ne  sunt  avenues  a  toi? 
Totes  les  pesantumes?7  des  moleste  et  les  très  troblestempestezunttoné 
sor  tun  chief  :  plaine  es  de  fluives  et  de  tempestez,  os  tu  anmeî^.  Ij9c) 
Oa  es  tu^  warde  des  homes,  rachiteres  et  pastres  des  animes?  For  coi 


^./^ 


JOO  F.    BONNARDOT 

dînes] '"jOioTies  lurbiîlentissime  tempestates  super  caputtuumhitonuerunt: 
plena  es  fliictibus,  plena  es  tempestatibus,  anima  !  [69]  Ubi  es»  custos  homi- 
nura?  Ubi  es,  animarum  redemptor  ?  Ubi  es,  pastor?  Cur  [s]previsti  me? 
Cur  averirsti  faciem  tuam  a  me?  Ut  quid  longe  factus  es  a  me,  consolator 
anime  mee-'  ?  Revertere  jam»  Deus  meus;  non  me  obliviscaris  in  finem; 
non  in  perpeluum  deseras;  non  me  ad  perdendum,  in  potestaiem  demo- 
num  derelinquas!  Lîcei  offensa  sit  gratia,  tu  autem  démens,  tu  pius,  tu 
mulie  miseralionis.  Nulliim  relinquis,  nul!um  spernis,  nullum  [dejtestaris, 
nullum  récusas  a  misericordia  ; sed  ullro  [ad]  dementiam  peccantes  expec- 
tas  ut  redeant.  [70]  Quanti  enim  scelerati,  quanti  luxuriis  dediti,  quanti 
concupiceniiis  seculi  agiiatî,  bonitate  tua  ad  indulgentiam  perveneruntf 
Multis  non  raerentibus  gratis  peccaia  donasii  :  ostende  eiiam  in  me  de- 
mentiam tuam;  paieal  michi  venia,  pateat  indulgentia;  non  abneges  uni, 
quod  pîurimis  es  consolatus!  Scelera  mea  non  défende,  peccata  mea  non 
vindicabo'».  Displidt  michi  quod  peccavi  :  errorem  meum  confiteor;  cul- 
pas  meas  agnosco;  voce  manum  confessionis  aperio  '»,  Suscipe»  queso, 
merorem  confiientis;  audî  vocem  precantis,  audi  vocem  peccatoris  cla- 
mantis:  [71]" Peccavi, Deus, miserere  meî!  peccavi,  Deus,  propitiarc  mel! 
)t  Parce  malismeis,  ignosce,  (ç8c)  îgnosce  peccatis  meis,indulge  sceteri- 
»  bus  meis;  sana  animam  meam,  quia  peccavi  dbi  !  »'4  si  enim  iniquitatem 
recordaberis,quissusiinebit?'î  Ad  examen  luum  nec  justicia  justi  secura 
est.  Quis  enîm  justus^  qui  se  audeat  dicere  sine  peccatoP  Quis  présumât 
coram  te  aliquîd  de  justicia  ?  Nullus  homînum  absque  peccato,  nulius 
mundus  a  delicto.  Ecce  inter  sanctos^  nemo  inmacuiatus;  ecce  qui  ser- 
vierunt  Deo,  non  fuerunt  stabiles,  et  in  angelis  reperta  est  pra- 
vitasJ^  Astra  inmunda  sunî  coram  le;  celi  non  sunt  mundi  in  conspectu 
tuo:'7  quanio  magis  ego  abhominabilis,et  putredo,et  filius  hominis^ver- 
mis!  Qui  hausi,  quasi  gurges,  peccaium  ;  et  bibi,  quasi  aquas»  iniquitatem; 
qui  habito  in  domo  lutea,  qui  commoror  in  pulverem  '*,  qui  lerrenum 
habeo  fundamentuml  [72]  Merorare»  Domine,  que  sit  mea  susiantia'^; 
mémento  quia  a  te  sum;  memenio  quia  terra  sum;  mémento  l^quia]  cinls 
sum  et  pulvis^'»,  Aperi  manum  tuam;  porrige  dexteram  tuam^'  ;  consule 
infirme  materie;  succurre  carnali  fragilitati;  pateant  tibi  vulnera  mea. 
Coram*»  le  est  egrîtudo  mea;  tu  vides  quantum  sauciatus  sum  et  ian- 
guidus  :  medicinam,  qua  saner,  tribue;  medelam,  qua  cur(r)er,  inpende, 
Revoca  infesium  a  viciis,  reforma  corruptum  peccatis,  extingue  flam- 
ma[m]  concupiscentie.  Jacula  ignita  diaboli  me  ultra  non  pénètrent; 
non  exardescant  in  me  ulterius.  [7  j]  Tu  enim  scis  temptaiiones  quas  porto; 
tu  scis  fl^ius  quos  patior;  tu  nosti  tempestates  quas  tolero.  Ubi  lapsus 
sum^  ubi  defîuxussum,  ubi  infelix  demersus  (ç8i}  sum^tusas,  Incurri 
enim  neglegens  in  ruinam  ;  corrui  incautus  in  turpitudinis  foveam  ;  decidi 
in  ccnum  flagidorum;  descendi  in  profunduro  maiorum,  miser.   Ecce 


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I 


TEXTE    LORRAIN   DU    Xil*   SIÈCLE  JOÎ 

m'es  tu  despez,  et  tomei  ta  façon  en  sus  de  moi  ?Por  koî  es  tu  faz  lonz, 

j^  0$  tu  confor  de  m*anime  ?  Or  repaire,  mes  Deus  !  ne  me  oblier  en  fin  J^, 
ne  me  iasier  em  parmignable,  et  ne  degirpir  a  perdre  em  poistés  des 
diables,  la  soit  ce  que  ta  grâce  soit  correciej  tu  es  pis  et  di  metes^°  repi- 
tances.  Nul  ne  degirpis,  nul  ne  despès  ne  déjuges,  ne  refuses  de  misé- 
ricorde, mais  de  grei  pitance  atens  les  pechor  ki  reparent.  Car  quant 

6o&âlenos,  et  denei  as  luxures^  et  demonei  par  cuvises,  sunt  venu  a  pardon 
par  la  bontei  !  Tu  es  pardoné  en  pardons  les  péchiez  a  menz  qui  nel 
dese[r]vîrent  :  monstre  aisi  ta  repitance 41  em  moi  ;  a  moi  sait  aiuverés*^  tes 
pardons;  ne  dûner4j  a  un  ce  que  t'es  consiiié  a  plusors.  Je  ne  defent  pas 
mes  félonies»  ne  ne  vengerai  mes  pechiz.  A  medesplaist  ke  che  péchai: 

6^)6  rejesis  m'error,  et  conuis  mes  colpes;  demonsira  mas  ovres  par  voiz 
de  confession 44,  Je  prei,  reçois  lo  plor  del  richesani,  la  voizdel  priant  et 
del  pechor huchant  :  u  Pechit  ai;  Deus,  aies  merci  de  moi!  esparne  âmes 
n  mais!  pardonea  mes  péchiez  et  a  mesfelonies!Sainem'ennime4î,carje 
»  ai  pcchié.')Car  situ  recorde Tiniquitét,  qui  losoferre ai PMe^li justice  del 

70  juste  n'est  seùre  a  ton  exprovement.  Kar  qui  est  si  juste  qu'il  ose  dire 
sens  [pechiéj  ?  Qui  si  die  presumption  avoir  justice  devant  toi  ?  Car  nus 
des  homes  n'est  sainz  pechiéj  et  nus  n'en  est  nez.  Echevos  entre  les 
sainz,  n'est  nus  sens  tache;  cil  qui  servirent  (59^)  Deu  ne  furent  esta- 
Mes»  et  ens  angeles  est  ratrovei  mauvestiz.  Les  estoiles  ne  li  ceil  ne 

7î  sunt  net  en  ton  esgardement  :  aséz  plus  abhominables  et  porriture,  fiz 
d'omme  et  vers,  qui  ai  espusiéz  lo  pechié  cumme  les  rigorz,  et  buit 
la  félonie  cumme  l'ave»  qui  habite  en  maison  de  bran  et  demor  en  poi- 
driere,  et  ai  terrien  fundemant  l  Sire,  remembre  toi  ques  soit  ma  sus- 
tance,  et  ke  je  suis  de  tos4^,  et  terre  sui  et  cendre  et  poîsire.  Uvre  ta 

80  main,  esten  ta  destre  ;  conseille  a  la  malade  matire  ;  socor  a  la  charnal 
flavotei;  mes  plaies  soient  auvertes  a  toi.  M'enfertéz  est  devant  toi;  tu 
voes  cum  je  sui  navrez  et  languissanz  :  done  medicine  par  quoi  je  soie 
sanéz  et  curez*  Rapele  lo  hainois  des  vices,  reforme  lo  corrompu  par 
pechié,  esting  em  moi  la  flamme  de  cuvise.   Des  or  mas  ne  me  treper- 

^Kent  li  ardant  dart  del  diable,  et  ne  ardent  plus  em  moi,  Kar  tu  ses 
qoes  temptacions  je  port^  ques  fluves  et  tempestez  je  sofre  :  ou  je  sus 
cbaùz  et  decoru/z,  ou  je  malaùros  sui  plungiéz.  Car^  negtigenti  al 
ençorru  en  decheemam;  et  jpj^nt  vaisos  sui  chauz  en  laide  fosse,  et  el 
bran  des  tormenz;  et  chailis  sui  desenduz  em  parfundece  des  maus! 

90  Etquetu  m'arme  est  caitive  des  infemaus  :  délivre  mai  del  très  grant 
enfer  :  ne  me  cloe  parfundece,  ne  ne  me  denèt  l'essue.  Etquetu  li  jorz  a 
redoter  aper  ja;  li  dariens  )orz  vient  ja,  et  aproche  li  fins  de  vie. 
Nulle  chose  ne  sorest  a  moi,  jDais  que  li  tonbles  et  li  sepul-(6ofl)-cres» 
Esparne  a  moi,  ancès  que  je  en  yaille+T;  netaie  moi,  anz  que  isse  des 

9Sceste  vie;  et  sol  les  liens  de  mes  p|ecjhiéz  anz  que  je  moire* 


?02  P.    BONNARDOT 

anima  mea  captivata  ab  inferis  :  erue  me  de  inmanîssima  abisso;  non  me 
concludat  profundutTî,  non  michi  deneget  exilum,  [74]  Ecce  dies  raetuen- 
dus  jam  inminet;  jam  dies  ultima  venit;  insiat  limen  vite.  Nichil  supe- 
resi  michi,  nisi  tumulus  ;  nichil  superest^  preier  sepylcrum^?.  Parce  michi, 
antequam  eam  ;  munda  me^  aniequam  ab  hac  vita  egrediar;  soWe,  prius- 
quam  moriar,  peccatorum  meorum  vincula  ! 

[Ratîo.] 
XXVIII.  [75]  Commotussumadlacrimastuas;  ad  fletustuoscompuncttis 
sum;  lamematio  tua  ad  lacrimas  me  cogit;  lamentandoadtletum  mecom- 
movîsti;  ad  lamentum  tuum  lacrimas  fudi;  ad  planctum  tuum  lacrimis 
resolutus  sum*  Deus  tibi  opiata  tribuai;  Deus  tibi  veniam  tribuat;  Deus 
tibi  culpas  tuas  parcendo  ignoscat  1  Peccaia  tua  Deus  a  te  suspendat  ;  pec- 
cata  tua  laxando  dimittai>  ;  crîminum  tuomm  maculas  absotvat;  ab  omni 
te  malî^  tabe  detergat;  liberet  te  ab  omni  inminenie  peccato!  [76]  Age 
itaque  ut  oportet;  âge  ut  decet;  âge  ut  dignum  est;  âge  ut  reaum  est; 
âge  ut  equum  est!  Propone  ut  non  pecces  ulterius;  ne  ultra  delinquas  sta- 
tue. Cave  cuîpas  tuas  iterare  ;  cave  mala  tua  repetere  ;  ad  vicium  ex  quo 
tibi  excidisii  ne  revoces;  que  deliquisli  ne  itères.  Transacta  mala  ne 
répétas;  post  ïapsum  denuo  non  delinquas.  Non  te  polluas  post  lamen- 
tum; post  penitentie  luctum  non  redeas  ad  peccatum;  non  denuo  admit- 
tas  deplorata  deiicta,  [77]  ne  culpa[m],  proqua  veniam  postulati,  iierare 
présumas.  Inanis  est  penitentia  quam  culpa  sequens  coinquin^t.  Vulnus 


XXVn.  t.  q  a.  —  2.  Snccurrc  avec  un  signe  d'abréviation  sur  b  dernière 
lettre;  ce  qui  donne  l'infinitif  iticcurrtn  pour  l'impérattL —  j.  Joh  XXXI, 
14.  Rem.  la  désinence  du  futur  respondfûm,  —  a.  Le  ms.  présente  deux  fois 
cette  imprécation,  avant  et  après  celle  de  Vc  ...  piccûit  !  La  traduction 
montre  que  la  seconde  de  ces  transcriptions  est  la  seule  bonne,  —  5 .  amittas, 

—  6.  jortiitr  est  répété  après  caidL  —  7.  Au  lieu  At npcnimâ^\t  texte  imprimé 
donne  smima  qui  est  évidemment  la  bonne  leçon  ;  je  suis  obligé  de  maintenir 
upcnima  à  cause  de  la  trad.  sobitmne,  —  8,  auftrd,  —  9,  Thrcn.  Il,  ij.  Le 
terme  de  comparaison  a  été  omis;  il  y  a  par  suite  un  contre- sens  dans  la 
traduction,  —  10,  Passage  gravement  altéré;  le  lerme  corrcspondatit  de 
trad.  paaniumts  est  omis  :  l'imprimé  donne  rm\  oui  ne  convient  pas  pour 
ptsantumcs.  En  outre  moksimum  se  présente  sous  la  forme  molts  tuarG,  —  11^ 
â.  mt  m,  —  12.  vindtcîindo^  qui  n*a  pas  de  sens.  La  traduction  montre  qu'il 
faut  ici  le  futur.  —  13*  Passage  altéré;  l'imprimé  donne  wam  conftsswms. 

—  14.  PsaL  XL,  ç.  —  ij.  PsaL  CXXIX,  3,-16,  M  IV,  18,  —  17  Job 
XY,  15.  —  t8.  M  Vil,  21.  -  19.  Pj4/.  LXXXVUI.48,  ^  20.  Cm.XVlll, 
27.  —  2U  Citation  altérée,  dans  notre  ms,,  de  M  XIV,  i  ç.  —  22.  coran,  — 
23.  Job  XVII,  I,  —  24.  Notation  variée  de  aswan  ^=  esgard(e);  c'est  du 
moins  la  seule  lecture  plausible  pour  moi  du  groupe  de  lettres  asumart.  — 
z\.  C'est  ainsi  que  j'interprète  la  leçon  du  ms.  qui,  à  première  vue,  donne 
quelque  chose  comme  soft  Ig.  -^  26,  aaucmm^  les  deux  j  surmontés  d'un  apcjt 
comme  déjà  deux  lignes  plus  haut  et  en  maints  autres  endroits.  Peut-être 
doit'On  corriger  ta  désinence  vcmm  en  veninr;  la  nasalité  des  voyelles  i  e  est 
fréquente  dans  le  dialecte  lorrain,  vov.  ci-dessus  pnnsmU,  —  27.  ms.  ma 
km  par  a  conjoint  ;  €*est  te  subj.  de  amiu  \zx,  adhartrt.  {}) —  28.  Le  rapport 


j 


I 


I 


TEXTE   LORRAIK    DU    3tll*  SIÈCLE 


JOl 


[Ratio/j 
XXVIIÎ,  Comuzsuî  et  componz  a  larmes;  les  plors  riquirt  larmes  a 
moîj  et  me  constrent  a  larmes;  a  piors  sui  commui,  loi  plorant  J'ai 
espandu  larmes  a  ton  plor,  et  a  ton  plaineman  sui  remis  en  larmes. 
Deus   t'otrûit  tes  disiers  et  pardon,  et  asparnant  pardonet  a  toi  tes 

çcolpesl  Deus  pendet  ensus  de  toi  et  te  relaxe  les  pechieiz,  asolve  les 
taches  de  tes  crimines»  et  te  levé  de  tote  porreiure  de  mal,  et  te 
delirt  de  toz  aparant  pechiz!  Or  fais  ensi  cum  il  covient,  et  digtie  chose 
et  droit  est  ;  propose  et  estaulis  qui  tu  ne  pèches  des  or  en  avant.  Ës- 
civis  recommentier  les  colpes,  et  requerretes  maus.  Ne  te  rapeler  a  vice 

lodun  lu  es  chaùz,  ne  recomender  ce  que  l'és  pechié,  ne  requirres  les 
trespasséz  mas,  ne  pechir  lo  parais  après  ton  dechaemenc,  ne  t'awas- 
ter 6  après  ton  plor,  ne  repariera  pechi  après  pénitence,  ne  fare  lo  paras 
les  ploréz  péchiez,  ne  recommentier  par  presumption  (a  colpe  dum  tu  es 
prié  pardon.  Vene  est  li  pénitence  la  quele  li  ensuanz  colpe  ordet.  Li 

i;  plaie  refaite  est  sane  a  plus  tar;  li  sovant  ploranz  ses  péchiez  désert  tost 


: 


de  la  traduction  au  texte  accuse  ici  un  écart  sensible,  qui  ne  me  paraît  pas 
devoir  être  imputé  exclusivement  au  copiste.  —  29.  r^.  —  30.  Entre  ces  deux 
mots  le  copiste  a  ghssè  un  jambage  qui  n'est  d  aucune  valeur  et  qui  aurait 
dix  être  exponclué.  —  Ji.  Voy.  note  7*  —  jz.  C'est  ainsi  que  je  lis  le  groupe 
de  lettres  qui  dans  le  ms.  se  présente  avec  ces  abréviations  :  rêncomrai,  — 
3|.  mamt,  —  54.  ma  .  il  manque  à  mtz  le  tilde  qui  est  en  trop  â  màni^ 
Yoy.  note  40.  —  35.  uconac,  —  j6.  Pour  ce  passage,  voy,  ci-dessus  note  9, 

i 

—  )7.  Voy.  note  10.  —  38.  olu^  le  s  en  interligne  comme  il  arrive  fréqucm- 
meol  dans  notre  texte.  La  même  forme  revient  trois  lignes  plus  bas,  et  cette 
k\%  le  1  de  os  est  lié  avec  le  t  dt  lu.  —  39.  Celte  phrase  est  reproduite  une 
seconde  fois  dans  J'originaL  —  40,  sic;  corr.  moUs  (multas)  qui  convient 
mieux  au  sens  ;  cependant  de  metes  pour  me[n]ks  on  peut  rapprocher  Tex.  de 
mi  rapporté  ci-dessus  note  34.  —  41.  rtpjtanu.  ^  ^i.  afuueres  au  ms.  ; 
imvirés  est  une  notation  plus  complète  du  même  verbe  qu'on  a  rencontré  (ci- 
dessus  L  20)  sous  fa  forme  avn  ^  v.fr.  ûovrit^  t  ouvrit  t.  —  43.  l^  sens 
demanderait  plutôt  dmeir  {denigan).  —  44.  Voy.  note  13.  —  4c.  On  pourrait 
aussi  lire  mcn.  tnime^  le  tilde  étant  placé  iiu-dessus  et  m  initial  ;  mm  serait  un 
affaiblissement  de /non  iém.  devant  une  voyelle,  voy.  plus  haut /an  (I.  12).— 
46.  tos  o^re  le  même  s  paragogique  que  cj  dessus  aj;   voy.  note  j8*  —  47. 

XXVniK  1.  é'mlm.  —  2.  mâk.  —  3.  La  restitution  de  ce  mot  est  com* 
mandée  par  la  traduction.  Le  texte  imprimé  est  ici  assez  différent,  —  4.  Matlh, 
Xp  22.  —  5.  Sût,  —  6.  fiz  wâsta;  peut-être  faut-il  maintenir  cette  coupe  p  alors 
la  serait  une  notation  individuelle  du  pron.  U  toi^  fréquemment  réduit  en  lo; 


^04  ^'    BOHNARDOT 

iteratum  tardius  sanatur  ;  frequentius  peccata  sua  lugens,  veniam  cite  me* 
retur.  Nichil  prosunt  lamenta,  si  replicent  peccata;  nichil  valet  vcniam  a 
malis  poscere,  et  mala  denuo  iterare.  Persiste  ergo  in  confessione;  sta 
în  pénitent  ia  foriiten  [78]  Confirma  vitam  bonam  quam  cepisti  lenere;  non 
deseras  propositum  bone  vile  ;  conserva  {60b)  {Jfgetn]  î  jam  jugiîer.  Tune 
erit  perfectum  opus,  si  (in  fmem}  usque  in  finemduraverit:  salus perseve- 
rantibus  promititur;  premium  perseverantibus  datur.  Non  est  beatus 
qui  bonum  facit,  sed  qui  incessabiliter  facit.  Qui  enim  perse veraverit 
usque  in  finem,  salvus  erit-*. 


XXIX.  [  I  ]Queso te,  anima»  obsecro  te,  imploro  te,  deprecor  te,  ne  quid 
ultra  leviier  agas,  ne  quid  inconsulie  géras,  ne  temcre  aiiquid  fadas,  ne 
repeiatur  malum,  ne  renascalur  peccatum,ne  redeatiniquitas,  ne  recourrai 
malicia,  ne  denuo  exoriatur  nequitia,ne  résumât  injusticia  vires,  [2]  Scilo, 
homo,  temeiipsum  ;  scito  quid  sis,  quare  sis  factus  ;  scito  cur  ortus  sis, 
quare  natus  sis,  in  '  quem  usum  genitus  sis,  qua  condiiîone  sîs  editus,  ad 
quam  rem  sis  in  seculo  procreatus.  Mémento  condictionis  tue;  estoquod 
factus  sis,  quaiem  te  Creator  instiiuit.[?]  Servarectam  fidem;  tene  sinceram» 
fidem  ;  custodi  imemeratam  fidem;  maneat  in  te  recta  fides;  sit  in  te  jjicor- 
rupla  confessionis  fides;  nullate  insipiens  docirinadecipiat;  nullareligio 
perversa  corrumpat  ;  nulla  pravitas  afideisocietateavertat.  Nichil  temere 
de  Christo  loquaris,  nichil  de  Deo  pravum  vel  impium  semias,  nichil  per- 
verse seniiendo  indilectione  ejus  offendas,  Esto  in  fide  justus;  habeto  in 
fide  recta  conversationem  sanctam.Quemînvocasfide, non abneges  opère, 
Ab  omnibus  quelex  vetat,abstine;  orania  queScripta  prohibc[n]t,  cave; 
[4]  nichil  contra  preceptum  Domini  facias.Viveinbono,nulloadjunctomalo- 
Bonos  \6odj  mores  nulla  conversaiioprava  coinquinet?;  opéra  reaasinis* 
tra  facta  non  maculent.  Malum  mixtum  bonis  contaminai  plura  :  unum  ma- 
lum  multa  bona  perdit.  Qui  in  uno  peccaverît,  scito  eum  omnibus  viciis 
subJ3cere4,[  5 ]  Per  unum  peccatum  mufle  jusiicie  pereunt;  per  unum  malura 
multa  bona  possunt  subverti.  In  id  quod  deiectatur  corpus,  animum  non 
déclines.  Camali  delectationi  confessum  non  prebeas.  Non  des  anîmam 
in  potestate  carnis.  Refréna  mentem  ab  apetiiu  camis.  Cor  luum  cotidie 
examina  privata  examinatione;  ocuhorum  luorum  discute  tatebras.  A 
cogitatione  noxia  custodi  animam  ;  mentem  tuam  turpis  cogitatio  non 
surripiat.  Munda  conscientiam  tuam  a  peccato.[6]  Sit  anlmus  luus  ab  omni 


cf.  14  XXX,  12.  —  7.  Corr.  si  s*  7  — ^8,  Ce  passage  est  violemment  altéré;  Use 

t 
présente  ainsi  dans  le  ms.  :  sait  lecûlûm.  En  interprétant  par/  le  signe  qui  sur- 
monte le  dernier  a  on  liiyin;  mais  que  devient  Tabrémtion  nnale?  et  le  verbe? 
U'  sens  voudrait  s'ait  jtca  la  fin  dard. 


TEXTE   LORRAIN    DU   XII*  SIÈCLE  :o< 

pardon  des  mas.  N'aient  niant  11  plor,  si!  7  refunt  les  péchiez;  ni  vait 
niant  preïr  pardon  des  mas,  et  rencommentier  les  mas,  Parmain  en 
confession»  et  sta  formant  em  pénitence.  Conformae  ta  bone  vie  que 
t*és  encommemie  (6oc|  a  tenir;  ne  devirpitlo  proposemant  de  bone  vie; 
^Owarde  îol  a  parmanablement.  Dumc  ler  parfaite  t'uvre,  s'ale  jec'a  ...  *; 
U  saluz  est  promisse,  et  li  loiers  denéz  as  perseveranz.  N'es  pas  bin 
aùfos  qui  bien  fait,  mas  qui  adès  lo  fait;  car  qui  perseveret  jec'a  la  fin, 
ilcil  ert  sas. 


XXIX,  (6ifli  Je  te  prè,  anrac,  ki  des  or  en  avant  ni  faces  niant  soef- 
^  ment,  ne  sens  consel  nés  dément;  ne  soit  requis  li  mas,  ne  renasse  li  pe- 
chîzS  ne  ne  repère  iniquitéZ|  ne  la  malice  ne  renasse Xnel  lo  paras  li  falinie, 
Cl  li  lorie  justice  nereprenet  forces.  Hom,  sachestoi  maimes,  quiiusoies, 
S  porcoi  soies  néz,  et  en  quel  us  enjanréz,  por  coi  soies  faitz,  par  quel  con- 
dition soies  formis,  et  a  quel  chose  sôies  creéiz  en  cest  sicle.  Remanbre 
toi  de  ta  condicion;  soies  ce  por  coi  tu  es  faiz,  et  les  cum  li  Creheres 
l'esiaublî.  Garde  de  to  ^  fai  et  nate  et  jiianLcorrumpue ;  maigne  en  toi 
droiture  et  niant  corrumpue  foiz  de  confession;  et  nulle  fause  doctrine 

•  c  ne  te  sosdue  ;  nulle  perverse  religions  ne  te  corrumpe  ;  nulle  mavistiz  ne 

te  detome  de  la  companie  de  foit.  Ne  parler  nule  chose  folemeni  de  Deu, 
ne  cuidir  nule  chose  maivaise  ne  felonesse  de  Crist,  ne  correcier  niant 
en  sadileaion,  sentant  perversemem.  Soies  juste,  et  aies  sancte  conver- 
sation en  droiture  foit.  Celui  cui  te  apeles  par  foit,  ne  deneier  par  ovre. 

*  S  Fai  astinance  de  tôt  qui  li  lois  defent,  et  eschevis  ce  que  li  Escrii  contra- 

dieni;  ne  faire  niant  contre  le  comandement  de  Dé»  Vif  em  bien,  senz 
ajunte  de  nul  maL  Nule  mauvaise  conversations  entache  tes  bones  mors: 
limai  fait  ne  corrumpent  les  bones  uvres.  Li  mas  mesléz  a  bien  caste 
pluors?  choses  :  uns^  raaus  per  maint  biens.  Qui  en  une  coise  et  pechi, 
20 saches  qu'il  sochest  a  loz  autres  vices.  Par  un  pechié  périssent  meintes 
justices;  par  un  mal  puent  esire  i6iti  destruit  men  bien.  Nen  abassier 
ton  corage  en  ce  qui  li  cors  est  dilectiz,  ne  doner  assentemant  a  la 
charnal  délectation,  ne  dener  l'ame  en  la  postée  de  char,  nés  ne  t'ai- 
punse  del  disier  de  char.  Esquir  ton  corage^  kaches  jor  et  esprove  ton 
-Kur  par  prievée  panse;  esquir  les  repostailes  de  tez  secréz.  Garde  t*ame 
de  mauvaise  panse;  laide  cogitations  ne  ravisse  ta  panse  ;  mundeta  cons- 


XXIX*  i-/m.  —  2.  sincenm,  —  3,  coinquinat.  —  a.  Jac.  II,  10.  —  t.  ttmûî 
Imas  mr amasse  li  p,  —  6.  Après  garde  le  sens  demanclerail  en  t,  de  préférence 
k  dt  t.  —  7.  pluorsors.  —  8.  nos,  —  9.  Entre  corage  et  kachis  le  copiste  a 
répété  les  mots  suivants  :  in  ce  qui  li  cors,  qui  appartiennent  à  la  phrase  pré- 
lédenle. 


Romania^  V 


20 


|06  F.    BONNARDOt 

poltutione  purgatus,  sitmens  tua  pura;  nulle  ibi  sardes  resideant.  Sit 
vicium  abste;  exterge,  ut  nec  animo  quippiam  apud  le  reraaneat.  In  ini- 
lio,  résiste  cogitaiioni  pessime  :  scito  îe  et  de  cogitationibus  judicandum 
Deus  conscientias  judicat;  Deus  non  solum  carnem,  sed  et  mentem  exa- 
minât; Deus  judex  et  de  cogitationibus  judicat  animam,  Quando  te  titillât 
prava  cogitatio,  non  cooseniias  lili;  quando  aliquid  sugerit  illîcitum,  non 
ibi  teneas  anîmum.  Prîmam  peccati  suggestionem  contempne;  non  sinas 
eam  in  corde  tuo  manere  ;  quacunque  hora  venerit,  expelle  illam  ;  ut 
apparuerit  scorpio,  contempne  eum. 

XXX.  [7]  Calcaserpentîs  caput;  caica  prave  suggestionis  initiura  i.  Cul- 
pam  ibiemenda,  ubi nascitur.  fnipso  initio  cogitatîoni résiste^,  adversus 
cogitationis  iniiium  certare,  et  vinces;  caput  cogitaiionis  exclude,  cetera 
superantur.  Si  spreveris  cogitationem  a  corde,  nun  prorumpit  in  opère; 
si  cogitaiioni  non  consenseris^  operi  cito  résistes^.  Quem  dileciio  non  rapit, 
con-(6  K)-sensus  sibi  non  subdîdit  :  non  enim  potest  corpus  corrumpi, 
nisi  prius  corrupius  fuerît  animus.  Dum  animus  labitur,  statim  caro  ad 
peccandum  paraia  est;  anima  enim  precedii  camem  in  crimine,  nichilque 
potest  caro  facere,  nisi  quod  voluerit  animus.  Emunda  ergo  cogitatione 
animum,  et  caro  non  peccat;  si  enim  volueris,  vinci  aliter  omnino  non 
poteris.  [8]  Audi,  anima,  que  locor;  ausculta  que  dico;  adtende  que  moneo. 
Nulla  jam  inmundicia  poUuaris;  nulla  libidine  maculeris;  ab  omni  te 
carnis  corrupiela  suspende;  ab  omni  te  carnis  corruptione  exirahe. 
Luxuria  in  te  ultra  non  invalescat;  libido  te  ultra  non  devincai.  Custodi 
a  fornicatîone  corpus  luum;  nullo  unquam  carnali  contagio  inquineris: 
fornicatione  contaminari  deterius  peccatum  puto.  Omnibus  peccaiis  for- 
nicatïo  major  est.  [9]  Fornicatio  universa  accendit  mala.  Melius  est  enim 
mori  quam  fornicari.  Melius  est  enimraori  quam  libidine  maculari.  Melius 
est  animam  effundere  quam  eam  per  incontinentiam  perdere.  Continentia 
hominis  Deum  proximum  facit;  coniineniia  homînem  Deo  proximum 
reddii  :  ubi  ista  manserit,  et  Deus  permanet.  [loj  Castitashominemcelo 
jungit;  castiias  hominem  celo  pertrait;  casdtas  celi  regnum  promitit; 
castitas  hereditatem  celi  donat  ;  libido  vero  hominem  in  infernum  demer- 
git;  luxuria  hominem  ad  îariara  mitùt;  ad  penas  tanari  hominem  libido 
perducit.  [  1 1  ]  Quod  si  adhuc  carnis  molestias  sentis,  si  adhuc  carnis  stimulis 
tangeris,  si  adhuc  (te)  libidinis  suggestione  pulsaris,  si  ani-(6 1  ^)-mum 
tuum  fornicatîonis  adhuc  titillât  memoria^  si  te  adhuc  caro  inpugnat,  si 
adhuc  te  luxuria  temptat,  si  adhuc  libido  invitât  :  memoriam  libi  roortis 

XXX.  I.  initîdum.  —  2.  c,  rata  r.;  mta  est  la  traduction  de  nsïste  (voy. 
d'autres  t%.  XXIX  jo,  XXX  s)-^^  copiste,  qui  avait  cette  traduction  sous  (es 
yeux,  a,  par  inadvertance-j  fait  pénétrer  le  mot  français  dans  le  texte  Ulin.  — 
y,  ODtra^  rcststu.  —  4.  prucs.  —  5.  iu;  je  vois  dans  jaloUs  une  contraction  de 
ja  illoqucs^  doublet  formai  de  illuec:  jûhqms  se  retrouve  dans  XXXIJI^  ij.  — 


TEXTE    LORRAIN    DU    XÏ|C   SIÈCLE  JO7 

rience  de  pcchié.  Tes  corage  suiet  expurgizde  totes  polluciotis;  ta  pense 
soii  pure;  nules  ordez  n^asiceni  en  ilcelei.  Vices  soit  en  sus  de  toi; 
îialoie  toi,  si  que  n*és  niant  remagnenl  en  ton  corage.  En  Pencomance- 
|o  mam,  resta  a  la  mavaise  pense  :  saches  toi  a  jugier  nés  des  penses.  Deus 
juge  les  consciances  ;  Deus  ji^esprove  raies  lan  solemant  ta  char,  mais 
i[es_  les  panser;  Deus  jugieres  juge  Tarae  nés  de  cogitations.  Quant  li 
mauvaise  pense  te  comuit,  ne  asentir  a  icelei;  et  quant  t'amoneste  au- 
cune desleaus  chose,  n'i  tenir  ton  corage.  Despis  ta  premire  sugestion  de 
H  pechié,  ne  la  lasier  manair  en  ton  corage;  debote  la,  quelcon[que] 
hore  qu'aie  vient;  despis  lo  sarpant,  pois  qu'il  t'iert  apereùz. 

XXX»  Calche  lo  chief  del  serpent  et  Penncommencement  de  mauvaise  su- 
gestion.  Jalokes  (  ç  )  araade  la  colpe  on  aie  nast.  En  meimes  lo  comancemant, 
resta  a  la  cogitation  et  tence;  si  venqtterés.  Esclo  lo  ctf  de  cogitation, 
et  les  au-(62â)-tres  chosse  sunt  vencues.  Si  tu  despès  la  cogitation  en 
çtoncuiri  neperveré  mies  a  l'uvre.  Si  tu  ne  consens  a  la  pense,  tost  reste- 
rés  a  Puvre.  Li  otroiz  ne  sumaît  pas  a  soi  celui  cui  li  dilestîon  ne  ravist  : 
Ucors  ne  puit  estre  corrupuz,  si  li  curs  n'est  pnmiers  corrumpuz.  Quara 
l'ame  chiei,  mantenant  la  char  apenlie^  a  pechîer;  car  li  corages  avance 
la  char  en  crimine,  et  11  chars  ne  puit  faire  niant»  y  nr  ""^i  que  li  corages 

îovuii.  Sor  ce  7  esmttnde  ton  cuir  de  cogilaiion  ;  kar  si  vus,  ne  pues  atre- 
mant  de  tQt  en  tôt  estre  vencuz.  Anîme,  oi  que  je  paroi,  ascote  que  je 
di,  entent  que  semon  :  ne  soies  vastéz  par  nule  ordet,  par  nule  luxure 
entachiz;  sustrai  toi  de  tote  corruption  de  char.  Luxure  nes'esforst  plus 
en  toij  ne  te  vanque.  Varde  ton  cors  de  fornication;  ne  soies  ordéz  par 

I  ^nuiechamal  eniachemant:  ne  cuit  estre  paor  pechiét  k'estre  ordéz  par 
fornication.  De  toz  peehiz  est  fornications  plus  granz...^  Car  mîez  est 
mon  que  faire  fornication,  etk*estre  entachizpar  luxure,  Miez  est  espandre 
Panroe  quam  perdre^  icele  par  nule  iin]continance.  Continance  fait  Deu 
prochien  aTanme,  et  rent  lo  homme  prochien  a  Deu  :  îai  ou  [a]!a  mant, 

20 et  Deus,  Li  chastéz  ajoste  Tomme  au  ciel,  et  trait  en  cil;  et  promal  lo 
raîgne  de  ceil,  et  donc  Piritage  del  ciel;  mais  li  luxure  plungei  et  envoit 
et  moine  a  poines  dVnfer.  Mas  se  tu  sens  ancore  les  molestes,  et  es 
tochiéz  par  les  agulenemant,  et  botéz  par  la  sugestion  de  char;  si  mé- 
moire de  fomicaiion  t'esprent  ancores,  et  li  charz  si  conbat  a  toi,  et 

ij  luxure  te  saie  et  (ùih)  te  simont,  contrejate  a  toi  la  mémoire  '°  de  mort 
etlo  )or  de  ton  exemant,  et  ajoste  devant  té  ouz  la  fin  de  ta  vie;  pro- 
pose a  toi  Pavenir  jugemant,  et  les  tormanz,  et  les  horribles  poines 
d^enfer.  Oure  niâni defalantpar  larmes  '*  ;  proi  adès  Nostre  Segnor*  Nuit 

6  ipi-ilit  ;  il  faut  sans  doute  rcstîluer  le  verbe  [est].  —  7.  fora  ;  j'interprète 
îor  ce  en  traduction  de  crgo,  —  8.  La  traduction  de  la  fin  ae  la  phrase  manque. 


^^.pcJrc,  —  10.  Umtmoirc, 
constitue  un  non-sens. 


1 1 .  niafit  est  répété  avant  par  larma,  ce  qui 


^OS  F.    BONNARDOT 

obîce,  diem  exîtus  tui  propone  tîbi,  finetn  vite  tue  ante  oculos  tuos  ad- 
hibe;  propone  libi  futurum  judicium,  propone  tibi  futura  tormema,  pro- 
pone libi  géhenne  penas horribiîes.  [m]  Ora lacrimîs indçsinenter,  ora  ju- 
giter,  precare  Dominum  indesinenier.  Diebus  ac  noctibus  sil  sine  cessaiione 
oralio ,  sit  frcquens  oratio ,  sint  orationes  arma  assidua ,  oratio  non  défi- 
ciat.  Insiste  orationi  fréquenter,  incumbe  orationi  assidue»  geme  seroper 
et  plange.  Surge  in  ïiocte  ad  precem,  vigilet  oratio,  pernoctain  oraiionc 
et  prece,  incumbe  nocturnis  vigiliis,  ad  modicum  clausis  oculis  rursus 
ora.  Oralio  frequens  diaboli  jacula  submovet;  [i  jjoraiio  frequens  et  con- 
tinua diabolîtelaexpellit,  diabolîtelaexuperat  :  hecprîmaest  virtusadver. 
sus  temptationum  incursus,  hec  prima  telaadversusomnia  diaboli  tempta- 
menta,  Inmundus  spiritus  précis  ^  expeiliiur  frequentia;  inmundus  spiritus 
orationis  evincitur  instantia.  Demonia  oratione  vincuntur;  oratione 
dcmone[sJ  superantur  :  omnibus  malis  prevalet  oratio* 

XXXI .  [  1 4]  Adime  quoquetibisaturitaiis  panem  ;  parsimomatuum  corpus 
castiga.  Jejuniis  et  orationibus  et  abstînentiis  înservire  scude;  paliîda  ora 
gere.aridum  corpus  porta,  esuri  et  siii,abstineet  aresce*  :  non  potes  tern 
lationes  vincere,  nisi  jejuniis  erudiarîs.  Escisenîm  libido  crescit;  cîborum 
satufitas  carnis  luxuriam  suscitai;  edacitatis^  vitio  crescit  camîs  temp- 
latio  ;  saturiiati  libido  semper  adjuncta  est:  at  contra  jejunio  (62  c)  libido 
resiringitur  3 ,  jejunio  luxuria  superatur.  Sequasiraia4  saiuritate,  non 
dominaturluxurîa;[i  5]absiinenîia  enimcarnis superatur, abstineniia  fran- 
git  libidinis  impetum,  Siti  s  et  famé  carnis  luxuriam  interfice;  famé  et  sitt 
carnis  lasciviam  supcra.  Vino  quoque  muko  gravatur  mens;  v[i]num*' 
virus  est  prevalens  animo;  vino  luxiria  exciiatur,  vino  fomes  libidinis 
enutritur  :  pocula  quippe  instrumenta  luxirie  sunt*  Ignis  enim,  adjeao 
fomîte,  incendio  crescit;  adjecta  igni  materia^  plusaugeturflamma.  Oculî 
quoque  prima  tela  libidinis;  Visio  prima  concupîscentia  mulierum  ;  mens 
per  oculos  capitur.  Aspectu  namque  amorum  jacula  miUuntur^;  concupis* 
centia  libidinem  nutrit.  Aspectus  memem  illîcitat,  animam  titillât,  cor 
vulnerat.  Subtrahatur  visio  ;  reprime  oculos  a  petutantia;  non  eos  defigas* 
in  specîem  carnis;  nullam  ad  concupicendum  aspicias;  nul! am  hoc  animo 
adtendas  ut  concupiscas.  Toile  occasionem  peccandi,  aufer  maieriam 


—  2.  edûtitûtts,  —  y  mtringmtur.  —  ^.  Le  dernier  a  csl 
:  ta  résolution  doRnerait  la  lecture  se^uai'' 


XXXI.  r.  asTtia, 
surmonté  d'un  signe  d^abréviation,  dont  I 

irùttira,  —  5*  atii,  —  6.  mU  qui,  lîtléralemenl,  devrait  être  noté  unum\  mais 
le  sens  exige  vinum  ;  la  même  erreur  est  répétée  dans  la  traduction  qui  donne 
uns  =  v(ij«j,  —  7.  Aspatvii  ...  mtttttur,  —  8.  dtfigan;  le  copiste  avait  d'abord 
écrit  dtfigût^  qu'il  a  corrigé  en  defigas  sans  exponctuer  le  t.  —  ^,  Après  auttm 
le  ms.  a  Umpus,  qui  n'offre  aucun  sens  et  qui  ne  se  retrouve  pas  dans  le  texte 
imprimé.  —  10.  Après  dia^  la  ligne  est  terminée  par  la  lettre  i  surmontée 
du  tilde  :  f.  Le  copiste,  ayant  voulu  écrire  tnUsus^  se  sera  repris  en  commen- 
çant la  ligne  suivante  par  Ulaus.  Hugucnm  avait  transcrit  :  ibi*  —  1 1 .  Ms.  : 
p.  p,  d,  tectus  n,  i.  L  Le  mot  tcxtus  avait  d'abord  été  exponctué,  puis  la  marque 


TEXTE    LORRAIN    DU    XII*    51ÈCLE  |09 

€1  jor  l'oresons  soit  sanz  censer  et  espause.  Tes  oresons  soient  asidues 
)oarme$«  et  ne  défaillent  ja.  Esta  espasemant  et  adès  en  oresons,  et  gémis 
et  plain  los  tans*  Lieve  de  noiz  ta  a  praire;  l'oresons  vaiie;  soies  par 
noit  en  oreson,  e  panse  as  noturnaus  vailles;  tes  ouz  clos,  a  mesure  praie 
io  parax.  Li  epense  et  li  continués  oresons  ostent  et  debotent  et  sor- 
montent  les  darz  des  diables  :  c'est  li  première  vertuz  encontre  les  en- 
35  vaïssemanz  des  tentacions  et  les  essaimanz  des  deables.  Li  orz  esperiz 
est  vencuz  et  debotéz  par  fréquente  praire  et  chaucemant  d'orcson,  lî 
diables  sunt  vencut  par  oreson,  et  aie  vaut  encontre  toz  matis. 


XXXI.  Tou  a  toi  Io  pain  de  solace;  chastîe  ton  cors  par  archarsiteî  *>. 
Estudoitei  en  junes  et  abstinances;  porte  pale  viare  eisaccorsfamelîos, 
et  aies  soif;  abstin  toi  et  te  desache  :  ne  pues  venkre  temptations ,  si 
n>s  estruit  par  junes  Luxure  craist  par  vivandes,  et  li  solace  de 
Jmangier  la  suscite.  Li  tentacions  de  char  crast  par  vice  de  glotenîe. 
Luxure  tos  tens  [est]  ajosiei  a  solace;  encontre  est  rastroite  et  sormontei 
par  jugne.  Ostei  la  soilace,  n'est  li  luxure  plus  damme;  car  vencue  [est] 
par  astinance  de  char  ei  brise[i];  li  asiinance  voint  la  force  de  luxure.  Oci 
et  sormunte  la  luxure  et  Tenveseùre  de  char  par  saif,  parfain.  Et  il  panse 

1 0  est  agravaia  par  mut  vin.  V[i]ns  '  J  venins  est  miez  vaïUanz  del  corage  ; 
li  lîxure  et  se  nurisemans  est  ensiea  '4  et  nuria  par  vin;  car  li  boivre  sunt 
cslrument  de  luxure,  Li  enbrasemani  del  fu  craist,  ajosté  Io  nurixemant; 
li  flamme  est  plus  acreue,  ajosîée  la  matière.  Mesme  li  oil  sunl  dart  de 
luxure;  li  veùhe  est  primerains  covise  de  famés;  li  panse  est  prise  par 

•  J  les  ouy.  Car  ii  dat  d  amor  sunt  enveié  par  esgardemant;  !i  cuvises  nurisi 
lix\irc»  li  esgarz  fait  la  panse  desleal>  esprant  Tanme,  nevrent  Io  cuir, 
Li  veers  soit  sosîrait;  raprese  tes  ouiz  d'enveseûre;  nés  fichier  en  la 
beauté  de  char;  n'esgarder  nule  en  cuvir  icelei.  Oste  Io  eu  vise  et  la 
matière  de  pechié.  (63  a)  Si  lu  vois  esire  seùrs,  soies  departiz  M  de  ton 


d*cxponcluatïon  a  été  grattée.  Le  texte  imprimé  s*accorde  avec  la  traduction 
jîour  rejeter  définitivement  Uctus.  —  12.  pour  asckarsitu  dèr.  de  ischan; 
si  le  premier  r  n'est  pas  dû  k  une  nèaligence  du  copiste,  il  faut  y  voir  un 
dîci  dalliltéralion.  —  ij.  Vns^  voy.  la  note  6  ci-contre.  —  14.  sic;  msiea 
est  le  part.  p.  fém.  de  cncicr^  régulièrement  dérivé  de  matart.  —  L*j  final  est 
muet  comme  dans  nuna^  agravaia  et  nombre  d'autres  cas  analogues  oîi  a  n'est 
que  Tune  des  nolalions  diverses  de  ce  que  nous  appelons  t  muet  ou  féminin.  — 
i^.  ms.  diparùf^  cjui  pourrait  être  maintenu  en  le  considérant  comme  une 
réduction  de  dipartur  ^  lat.  dcpeftimium .  Rien  de  si  fréquent  dans  notre  texte 
<ïtic  l'atténuation  de  Ur  en  t>,  —  16.  Lacune  correspondant  aux  mots  latins 
wluntatcm  fdciL 


?I0  F.    BONNAROOT 

delînquendi.  [17]  Si  vis  esse  a  (ornicatione  tutus,  esto  corpore  et  visione 
discretus;  corpore  quippe  sejuncius,  a  peccati  intentione  discedis. 
Circa  serpentem  autem  *?,  non  eris  âm  illesus"';  ante  ignem  consis- 
tens,  etsi  ferreus  sis,  aliquando  dissolveris.  Proximo  periculo,  diu  non 
eris  tutus  '*;per  assiduitatem  cito  peccat  homo.  [18]  Sepe  faroiliarhas  im- 
plîca[t];  sepe  occasio  peccandi  voluntatem  (62  if)  facit;  sepe  quos  nun 
poiuil  [voluntas],  assiduîtas  superavit. 

XXXII.  Otio  etiam  dedito  cito  luxuria  surripit'  ;  vacantem  cito  luxuria 
preocupat.  Gravis  libido  uritquemocciosuminvenerit;  cedit  autem  libido 
rébus,  cedit  operi,  cedit  industrie  et  labori.  Libido^  quippe  carnis  sepe 
labore  vincitur;  corpus  enim  labore  faiigatum  minus  deleciaïur  flagicium. 
[19]  Qiiapropter  precave  otium,  non  diligas  otiumj  non  ducas  vitam  in 
otium;  faliga  corpus  laborîbus,  exerce  operis  cujusîibet  siudium  >;  quere 
tibi  opus  mile  qtio  animi  inplicetur  inieniio.Cum  operevacalectiom.vaca 
in  mediiaiione  Scripturarum,  vaca  in  lege  Domini.  Habeio  in  divinis 
libris  frequentiam ;  assiduitas  legendi  sit  tibi,  sil  frequens  lectio,  sil 
colidiana^  legis  meditaiio  :  lectione  sensus  et  inlellectus  augeatur* 
Leciio  enim  docet  quid  caveas,  leciio  osiendit  quo  lendas.  Multum  pro- 
ficis,  cum  legis,  si  tamen  facis  quod  legis  ^  (6;  b)  jam  et  si  cetera  bona 
placent  et  alia  graia  sunt,  si  in  voto  sunt,  si  in  bonis  îctinclis  animus  est 
preparams.  [20]  Esto  humilis,  esto  inhumilitate  fundaïus,  esto  omnium 
hultimus^  funditus  humilitate  minimum  te  fac.  Nulli  te  preponas,  nullité 
superiorem  députes;  estima  omnes  superiores esse  tibi.  Quamvis summus 
sis,  humilitatem  lene;  si  humititatem  tenueris,  habebis  gtoriam:  quanto 
enim  humilior  fueris,  tanto  sequetur  teglorie  aititudo.  [2  T,  Cave  autem  jac- 
tantiam,  cave  ostentationisappetitum,caveinanis  glorie  studium.  Non  te 
arroges ,  non  te  jactes ,  non  te  insolenter  extoilas  ;  alas  superbie  non 
cxtendas,  elationis  pegnas  non  erigas;  nichil  de  te  présumas,  nichil  tibi 
[boni]  tribuas.  De  justlcie  virtuienulIaelationesuperbias;debonisfactisne 
attollaris,  de  bono^  opère  non  glorieris.  Descende  utascendas^  humiiîare 
ut  exalteris,  ne  exaliaîus  humilieris  :  qui  enim  attoiliturj  humiliatur;  qui 
exaltatur,  deicitur;  qui  elevaiurj  prosiernitur;  qui  infiatur,  alliditur  :  de 
cxceiso  gravior  casus  est,  de  alto  major  ruina.  [22]  Superbia  angelosdepo- 
suit;  eiaiio  excelsos  deicit.  Arrogantia  sublimes  humiliavit;  humîlitas 
autem  casus  nescii,  lapsum  non  novit,  ruinam  nunquam  incurrit, 
nunquam  lapsum  passa  est  humilitas.  Cognosce,  homo,  quia  Deus 
humilis  venit,  qui  se  in  formam  servi  humiliavit,  factus  obedîens  usquead 
morlem  7.  Ambula  sicut  et  ille  ambuîaviti  sequere  exemplum  ejus,  inmi- 
tare  vesti-(650"ê'^  illius;  existe  vilis,  existe  despectus,  existe^  abjectus; 
displice  tibi,  despectus  esto  apud  temetipsum,  [25]  Qui  enim  sîbi  vilis 
est,  ante  Deum  magnus  est;  qui  sibi  displicet,  Deo  placet. 


XXXII.  ] .  Peut-être  faut  il  cor.  daiititm^  VoîXh,  scUodu  ms.  n'est  pas  autorisée 


< 


« 


TEXTE   LORRAIN    DU    Xll*  SIÈCLE  ^11 

loccrs  et  de  ton  vair;  car  departiz  de  ton  cors,  vas  en  sus  de  l'entencion 
de  pechié.  Mas  mis  entor  lo  sarpam,  ne  serés  mie  sans  maumise  longe- 
mant  Estanz  devant  lo  fuf,  jiesLsi  tu  es  de  fer,  seras  ramis  acune  faie. 
Ne  seras  mie  seùrs  longement,  prochiek  lo  periL  Li  om  pèche  les  par 
assiduité,  et  priveiéz  Fentachera  sovant  :  li  ocusun  de  pechié...  »*»;  li 

2$  asiduitéz  sormonie  sovenie  faiz  icès  les  ques  li  voîuntéz  de  pechié  ne  pot 
ventre, 

XXXIL  Nés  li  luxure rampetostaldené  ai  osevies,  eiporprentlo  taisant. 
Gris  luxure  brusle  celui  cui  atrove  osos  ;  luxure  denei  lui  as  choses  ei  a 
Puvre,  a  savor  et  a  travail  9.  Luxure  de  char  est  vencue  par  labor  sovent; 
car  li  corz  travaliéz  par  travail  est  moins  deleiiz.  Por  ce  escheviz  et  nen 
j  ame  [osose],  et  ne  moveir  ta  vie  enosose  :  travaille  ton  cors  partravaz, 
et  ouvre  del  quel  que  te  plaist  estude;  quirulle  ovre  a  toi  ou  renieniions 
de  toncorage  soit  emploiae,  Done  cure  a  leiçon,  soies  em  pense  des  Es- 
cretures  et  de  la  loi  Nosire  Segnor.  Aes  fréquence  es  devins  livres;  assi- 
duité de  lire  soit  a  loi;  espasse  soit  ta  leiçons,  et  chasdhornax  ta  panse  de 

10 loi:  par  leçon  est  li  sanz  et  li  entendemanz acruz.  Li  leçon ensegnet quî te 
cuisses, et monstret  ou  t^emtendes.  Mont  profeies  cum  tuiez,  si  tu  faices 
ce  quetulez,  si  liatre  bien  te  plaisent  et  te  sunt  acetable,  et  ton  disir  et  tes 
corages  est  aparilliz  en  toz  biens.  Soies  humiles,  fundéz  en  humilîtéz,  et 
dariens  de  touz  '<>,  espanduz  du  humilitei  fait  toi  menor  de  toz.  Ne  te 

I S  davant  matre  a  nelui,  ne  te  cuidir  soverain  a  nelui  ;  aasme  îoz  estre  sove- 
rains  a  toi.  Cum  tu  soies  soverains,...  "  et  en  humilité,  s'averés  glore  : 
iantcumseras(65  d)pliis  humiles,  tant  plus  te  sure  autauce  de  glore* 
Eschîvis  vantace  et  délit  de  demonstrance  et  estude  '=  devene  gloric.  Ne 
te  haucier,  ne  te  vanter,  non  estandre  les  aies  d*orguïl  et  les   pannes 

^od'elacion;  ne  dener  a  toi  nun  bien  par  presumption,  nuns  essaucemant 
ne  soit.  De  vertut  de  justice  nen  ergellit,  et  ne  soies  essauciz  des  bien 
fâîz,  ne  te  glorie  des  bones  ouvres.  Dessant  que  tu  munces,  soies  humi- 
liez que  lu  soies  assauciéz,  que  tu  essauciéz  ne  resoies  humiliez  :  car  qui 
est  essauciéz,  est  humiliez,  et  degitiéz,  et esgra vantez,  et  hurtéz,,.,  "  Li 

-2}orgouz  demist  les  angeles;  arogance  degiie  et  humilia  les  hauz;  mais 
humilitéz  ne  set  ne  ne  sofert  dechaemant  •^.  Hom,  conois  que  Deus  vin 
humiliez  et  en  forme  de  serjant,  faz  obiesanz  jec'a  [l]a  mor.  Vai  cum 
ilcil;  ensui  Tessample  de  celui  et  ses  traces;  soies  vis,  et  despèz,  et  de- 
gitéz  ;  displaces  a  toi,  et  soies  despiz  chis  toi  maimes.  Qui  a  soi  est  vis, 

îogranz  est  devant  Deu;  qui  displaitasoi,  plaist  a  Deu. 

pir  la  iraductioti,  —  2.  Uhidintm.  —  5.  opcnhus,  — ^4.  conJiiiami^  comme 
plus  haul  tnitkium.  —  y  bono.  —  6.  bom.  —  7.  Phiîipp,  11,  8»  — 
8.  exissU.  —  9.  L'expression  doner  tua  à...  doit  s'entendre  au  sens  de  ccder 
k  piûu  i...  —  10.  toni,  —  il.  Lacune  dans  la  Iraduciion  du  corps  de  la 
phrase.  —  12.  tsUnâc,  —  ïj.  Manque  la  traduction  du  passage  :  dt  ixctlio.*, 
raina.  —  14.  dcchaemamant. 


|I2  F.    BONNARDOT 

XXXIIL  Esto  igitur  parvus  in  oculis  tuis,  utmagnus  sisinoculis  Dei  : 
tanto  eris  ante  Deum  preciosior^quanto  fueris  anteoculos  tuos  despectior. 
Porta  quoque  semper  verecutidiam  rn  vultu,  ob  recordationem  dilecti; 
porta  pudorem  in  facie,  [ob]  memonam  commissi  peccali.  Peccati  pudore, 
oculûs  luos  aiiollere  erubesce.  Incede  abjecte  vultu,  humiliato  ore,  (64a) 
deposita  facie;  fatescentes  anus  ciîiciumetcinisinvolvat;  evalescentia  ei 
tabescentia  menbra  saccus  operiat  ;  exaustum  corpus  luctuosus  habitus 
tegat.  [24]  Terra  sit  tibi  cubile;  stratus  humus  ;  pulvises,  in  pulvere  sede; 
cinis  es,  in  cinere  vive,  semper  lugens,  semper  merens,  semper  suspiria 
cordis  emittens.  Sit  tibi  compunctio  in  corde,  sint  tibi  crebro  in  pectore 
suspiria,  fréquentes  ocuîis  lacrîme  ;  [dîlige  lacrymas,  suaves  smt  tibi 
lacrymael  ';  delectet  te  semper  planctus  et  ïuctus,  plancium  et  lacrîmas 
nunquam  deseras.  Tamium  sis  promptus  ad  lamenta  quantum  fuisti  pro- 
nus  ad  culpam.  Qualis  tibi  fuit  ad  peccandum  intentio,  talis  ad  peniten- 
dum  sit  devotio.  lia  revertere,  sicut  in  profundum  recesseras.  Secundum 
morbum  inpercienda  >  est  medicina,  juxta  vulnus  adhibenda  remédia  : 
grandia  peccaia  grandia  lamenta  desiderant,  [25],  Nulla  te  res  de 
peccaio  securum  faciat;  nulla  tibi  ibi?  securitatis  deceptio  blandiaîur  ; 
nulla  te  securitas  deceptum  a  penitentieimentionesuspendat.  Incessanter 
in  corde  tuo  spes  et  formido  consistant.  Pariter  sint  in  te  timor  atque-* 
fidutia,  pariter  in  le  spes  aique  metus  :  sic  spera  misericordîam,  ut  jus- 
ticîam  metuas;  sic  te  spes  indulgentie  erigat,  ut  metus  géhenne  semper 
affligat,  [26]  Timor  enim semper  emendat,  timor  expellit  p^ccaium^  timor 
reprimit  vicium,  timor  autem  captum  facithominem  atque  sollicitum.  Ubi 
vero  timor  non  est,  ibi  dissolutto  vite  est;  ubi  limor  non  est,  ibi  perditio 
est,  ibi  (64  b)  scelerum  habunda[njtia  est. 

XXXI V.  (64  c)  ïn  infirmitatibus  tuis  non  contristerîs,inlangoribus  tuis 
gratias  âge  Deo.  Valere  te  magis  animo  opta  quam  corpore,  valere  te 
magis  mente  quam  carne.  Adversa  corporis  remédia  anime  sunt.  Egritudo 
carnem  vulnerat,  mentem  curât;  languor  enim  vitia  excoquit,  languor 
vires  libidinis  frangit.  [27]  Si  prosperitas  tibi  arriserit,  non  atiollaris;  si 
adversiias  acciderit,  non  deiciaris;  si  félicitas  eluxerit,  non  sis  jactans;  si 
calamitas  contigerit,  pusillanimis  non  existas.  Habeto  temperamentum  in 
prosperis,  habeto  patientiam  in  adversis.  Probari  in  dolore  te  cognosce, 
non  firangaris;  probari  te  in  prosperitate  cognosce ,  non  exaheris.  El 
equalis  esto  in  omnibus,  mentem  nec  gaudio  nec  merore  commutes. 
Omniaequa!ijuresustrne,adnullam  insojentiam  commuteris.  [iSj  Nullusiôj 
casus  imparatum  inveniat,  nullus  sit  casus  quem  meditaiio  tua  [non] 


XXXIIL  r.  Le  copiste  avait  omis  ici  une  phrase,  que  je  restitue  avec  îe 
texte  imprimé.  —  2.  iapàandà.  —  j.  ùhi  U  ibi  ;  U  ne  peut  être  maintenu,  ihi 
est  assuré  par  la  traduction  jatoifucs  sur  lequel  voy.  XXX  note,  5.  ^  4-  at(f  ; 
est  répété  induement,  —  ^^  ff.  —  6.  tonz,  —  7.  soies,  h  supprime  l'j  final  qui 


TEXTE    LORRAIN    DU    Xll*"   SIÈCLE  J  |  ; 

XXXIil.  Soes  petiz  en  tes  oez,  ketusoes  grans devant  Deu:  tantsirés 
plus  granz  devant  Deu,  cum  plussirésdespeczentesoez.  Porte  adès  ver- 
gunne  et  honte  en  ton  viare,  em  la  memore  del  fat  pechié.  Hontoie  elle- 
ver  les  oez,  por  la  honte  de  pechié.  Va  par  degitié  et  par  humiïiét  viare, 
j  par  dimise  façon;  cendre  et  astamine  envolope  les  defallanî  menbres;  li 
ils  cuvre  ses  purissanz  et  aflevillani  menbres;  li  plorables  habit  covre 
l'espusit  cors.  Terre  ti  soit  lez;  possere  es  î,  sie  em  podriere;  cendre  es, 
vis  en  cendre,  toz  jorz  ploranz  et  envoanz  sospirs  de  cuir.  Compuntion 
te  soit  en  ton  cuir,  et  sospir  en  ton^  pez,  espasses  larmes  soie 7  espandues 

igde  tess  oiz  ;  aime  et  soies  ti  soent  les  larmes;  li  plaignemeni  et  li  plor  ti 
soient  adèsaméz,  nedeguerpir  ja  plainte  et  larmes.  Sois  si  aperiliz  a  plorz 
cum  lu  fus  a  la  colpe.  Tes  cum  fua  toi  l'îtencions  a  pechier,  soit  li  dévo- 
tions a  repentir,  Ensî  repaire,  cumîumalésfait.  Selunc  l'enferté  a  partir  ti 
mecine,  et  selunc  la  plaie  li  remède  :  grant  pechiét  désirent  grant  plors, 

I  j  Nulle  chose  ne  te  face  seùr  de  pechier,  ne  ne  blandisse  a  toi  jaloques, 
ne  le  sosirace  d^entention  de  pénitence*...  Espérance  et  fiance  et  paors 
soient  en  toi  :  espoire  ensi  miséricorde,  que  tu  doce  justice;  espérance 
de  pardon  t*esdracei,  qui  li  paors  d'enfer  te  tormence.  Aie  emende  adès, 
et  debote  pechié  et  vice,  et  fait  vaisos  et  cusencenos.  Ou  pai*r  n'est,  est 

le  disolucions  de  vie,  et  perditions  et  habundace  de  félonie. 


XXXI V*  Ne  soies  dolanz  de  tes  enfertéz,  rant  grâces  a  Deu  de  tes 

-     langors,  Disire  toi  plus  MYair  en  corage  que  par  cors,  et  par  panse  plus 

que  par  char.  Les  adversetéz  del  cors  sunt  remède  a  Tanme.  Li  enfertéz 

nevrelâ  char,  sainneïa  panse;  car  liîangors  escuit  les  vices  et  brise  les  for- 

0iaces  de  luxure.  Se  prosperitéz  t*arist,  ne  soies  essauciéz;  se  adversitéz' 

Tâvient,  ne  soies  degitiéz;  si  aùrté  t*a vient,  ne  soies  vantanz;  si  misère 

fàvient,  ne  soies  de  ponl'e  corage.  Aies  temprance  em  prospres  coses, 

et  pacience  en  averses.   Conois  toi  estre  esprové  en  dolor,  ne  soies 

vencuz;....  4  ne  soies  essauciéz.  Soies  eugaus  a  toz,  ne  cangier  ton  corage 

lo  ne  par  joie  ne  par  plor.  Sostîen  tôt  par  égal  droit,  ne  soies  cangiéz  a  nule 

desavemure.  Nuns  cases  ne  t^atruve  dessaparelié,  et  lo  quel  ta  panse  nen 

avance.  Propose  a  toi  nune  cose  estre  que  ne  puit  avenir.  Pensa  encontre 


e$t,â  coup  sûr,  une  faute.  Les  exemples  de  y  p.  pi.  terminée  par  e  au  lieu  de 
«lîï  ne  sont  pas  rares  dans   noire  texte.  —  8.  Manque  la  traduction  de  ta 
phrase  :   Incesiûnkr  ...  consistant. 
XXXIV.  I.  Répétition  indue  de  propone  dans  le  texte.  —  a.  Uniora,  —  j. 


|J4  P«    BONNARDOT 

proveitut  Propoïie  libi  mchî!  esst  quod  non  accidere  '  possit,  Pre-  ' 
ae^tare  contra  omnia  foriuita;  futuras  semper  commentare  tniserias; 
in  seamdis^  meditare  quo  pacto  adversa  feras.  Ne  aliquid  adversum  accî- 
du,  semper  animo  cogita  :  sapiemis  est  periculi  previdere  jacturam. 
OoNiûi  mediiata  Icviora  accedunt  ^  expectata  mata  tolerabilher  feruntur. 
Odît  advcrsus  casus  consilio;  prospecla[s]  res  non  adraireris,  cura  acd- 
derint.   Advcnicnies  inpetus  meditatio  frangit;  precogitatio  mo[cstias 

i  atténuât;  previsio  malorum  lenit  adventum;  inopinatum  (64  d) 

malum  fortiter  ferît. 


XXXV.  [29]  Acerba  suntque  cogitaia  nonfuennt ;  gravia existunl  in qui- 
businproyisi  incurrimus;  inprovisa  mala  graviter  feriunt.  Repentinam  ma- 
lum  cito'  frangit*  Quod  provisum  non  est,  vehemenler  affljgit.  Subita* 
maris  tempestasterroremexuscitat.  Inprovisushostismale  perturbât,  ino- 
pinatus  hostis  facile  opprimit.  Omnia  repentinagraviora  vertunt  ;que  repente 
accidunt,  graviora  occurrunt.  Et  ad  bona  igitur  et  ad  maia  prépara  cor 
luum  ;  et  bona  et  mala ,  prout  tibi  eveniunt ,  porta  ;  et  adversa  et  pros- 
péra^ utcumque  occurrerini,  toléra,  Quodcunque  evenerit,  libéra  mente 
suatine.  [?o]  Si  prevenerit  iracundia,  resiringe  illam;  si  preoccupavcrit 
ira,  coibe  eam.  Tempera  furorem,  tempera  iadignationem.  Coibeanimum 
tuum;  refréna  iracundie  inpetum.  Si  non  potes  iracundiam  vitare,  vel 
tempera;  si  non  potes  furorem  cavere,  vel  coibe.  Promptus  esto  ad  sus- 
cipiendam  quam  ad  ofTerandam  molestiam?.  Disce  mala  [magis]  tolerare 
quamfacere;  disce  mala  ferre  poiius  quam  referre.  [?i]  Esto  paciens»  esto 
mitis»  esto  mansuetus,  esto  modestus.  Serva  patientiam,  serva  modes- 
tiam,  sen-a  mansuetudinem  ;  stude  paiientie,  mansuetudini.  Despice  pro- 
bra  illate  contumelie  ;  irrisionum  probra  despiciendo  exprobra  ;  dissimu- 
(jiS  ^yiando  errores  calca  ;  coniumelias  detrahentium  palientia  4  supera. 


kî  |M  ^  QOii  fxponctué,  —  4.  lacune  ;  omission  de  la  phrase  qui  fait  pendant  â 
h  fficMfUtei  \Cofwts  toi  estre  esprové  m  prosûrtîé,].  —  5.  sk,  en  toutes 
«  6,  la  fonnc  futfm  pour  qut  a  déjà  été  rencontrée  maintes  fois.  Au 

fiàm  ^^  "^"'vt  des  deux  mots  cuis  (?)  conragts^  dont  le  sens  m*cchapp€> 
^  ^  t'W  L  ^rpobtion  pure,   il   serait  possibte  de  lire:  qut  (ou  qua) 

^iiu  >^^tÊ^<  re  la  Coupe  des  mots  s'y  oppose,  qui  est  telte:  âm  \  mis 

4  1^^^  ^  Lt  terme  iom  h  traduisant  ctdii  a  déjà  été  vu  dans  XXXU|  2* 

W\Y    K   M*   Htfc»,  comme  dçjA  dans  XXXII  i,  voy.  fa  note,—  2.  Suhtta. 


V     U    î» 


)iy%Uu  cUiSJque  exigerait  promptior.  Rem.  dans  la  même  phrase 


%'yai4«MM 


iin^  —  4.  paticntià.  —  5 


TEXTE    LORRAIN    DU   XII«   SIÈCLE  JIJ' 

ïotes  aventuroses  coseset  les  avenir  misères,  Em  prospres  coses,  popanse  i 
cornant  lu  sosferas  les  contrares.  Panse  adès  en  ton  corage  quamï  con- 

I  jîraires  ne  t*aviene  :  au  sage  afiert  porvair  lo  damage  del  péril.  Tuii  li 
porpansé  et  li  atendu  mal  aviene  et  suni  sofer  plus  soéz.  Li  contraire 
aventure  et  li  porveuhe  cose  par  coseiï  dont  lu  7,  ne  te  marveiier  cum 
il  avienent.  Li  panse  brise  les  venant  asauz,  et  (65  a)  aleneuisl  les 
avenir  molestes;  li  porvars  asoagent  raveneraant  des  maus,  et  fien  for- 

aomant  l*outrecuidie/mal. 


XXXV.  Aygresunt  li  malquinonsunt porpansé,  et  grevain  ou  noscahuns 
desporveu,  et  fièrent  griemant.  Li  subitains  maus  voint  lost.  Ce  que  n*esi 
porveù  lormente  plus  fort.  Li  sotene  tempesiéz  de  mer  commuit  ta  paor, 
Li  desporveùzenemis  tarbe  malemant,  et  li  messaîné  (?)  apressent  male- 
5  mant.  Totes  soteines  cosses  qui  avinent  subitainemant,  avienent  gre- 
vaines.  Aparalle  ton  cuir  et  as  biens  et  as  mas  :  soffre  bien  et  mal, 
aversitéz  et  prosperitéz  ensi  corn  il  avienent.  Que  que  t'aviem,  soffre  par 
délivre  panse.  Se  mautelanz  t'avient,  restrein  lo;  atempre  ta  forsennerie 
et  l'indignation ,  hou  estrain  ton  corage  et  la  force  d*ire.  Se  ne  poiz 

locschevir  l'ire,  atempre  la,  et  defalir  de  forsennerie,  espren  lai.  Plus 
soîes  apareliéz  î  a  recevre  qu*a  faire  la  moleste»  et  a  soffrir  que  faire  les 
maus.  Soies  soffranz,  et  soies  et  passibles  et  atempréz;  garde  patience  et 
temprance  et  pais;  esiudoie  a  patience  et  a  pais.  Despis  les  proches  des 
faites  laidanges  ;  reprove  despisant  les  reproches  des  gas,  vaint  les  errors 

1 5  finnant,  et  sormunte  par  patience  les  ledanges  des  maus  dissanz. 


Sagîtas  contumelie  patîencîe  clipeo  frange,  prépara  contra  aspera 
verba  lolerantîe  clipeum,  contra  lingue  gladium  (65  c)  patientie  prebe 
scutura 

Avec  le  f^  6^c  commence  la  seconde  main  qui  a  terminé  la  transcription  du 
texte  latin,  mais  sans  y  joindre  de  irûducmn  ;  l'on  verra  plus  bas  quelles 
conséquences  peuvent  être  déduites  de  ce  fait.  Dans  ce  nouvel  état,  le  latin 
seul  remplit  près  de  20  colonnes  du  f"  6\c  au  f*  70e.  S'il  était  accompagné 
de  sa  traduction,  il  faudrait  doubler  les  chiffres  et  Itii  attribuer  au  moins 
40  coionnes,  peut-être  45^  récriture  de  ta  seconde  main  étant  plus  fine 
et  plus  chargée  d'abréviations  que  celle  de  la  première.  Or  le  texte  publié  ci- 
dessus  représente  70  col.  du  ms.  (f**  48-6^^),  d'où  il  suit  qtie  la  traduction  n'a 
été  effectuée  que  pour  moios  des  deux  tiers  du  Diahgas, 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  donner  le  texte  latin  isolé  de  sa  traduction  ;  je  me  borne 
à  transcrire  les  conclusions  de  ce  long  colloque. 


jlb  F.    BONNARDOT 

[Ratio.] 

(yofl)  [loo]  Nulla  te  ignorantia  excusai  peccato;  non  es  jam  vile  nes- 
cms,  non  imprudens  aut  ignarus.  Legem  quam  custodias,  quid  debcas 
sequi  disposai;  qualem  debeas  esse  scripsi;  cognîdonem  ma[n]datorum 
babes;  jam  scis  quid  sii  recte  vivere  :  vide  ne  ultra  offendas,  vide  ne 
deinceps  bonum  quod  nosti  despicias,  vide  ne  quod  legendo  respicis 
vivendo  contempnas.  Donum  sciencie  rétine,  impie  opère  quod  didicisti 
perceplione. 

[Homo.] 

[loi] Grattas  ago,gratus  refero,gratiarum  actiones  rependo, persolvo» 
Ago  quantas  habeo  ubertim  tibi  gratias';  quaiitas  valeo  gratias  celebro; 
quantas  pro  viribus  possum  gratias  ago,  Muïta  sunt  a  te  michi  concessa, 
colïata  multa,  speciali  miseratione  iargita.  Omnia  mihi  placent;  grata  sunt, 
obsederunt  anima,  me  blandiunt,  me  oblectant.  Quam  igitur  satisfac- 
tionem  persolvam  ?  Quam  rerounerationem  rependam  ?  Quid  com-(7o  ^)- 
pensare  possim  donis  tuis,  nisi  ut  preceptis  tuis  obtemperem  et  utar? 
Tibi  jubenti  obediam:[io2]tu  enim  dux  viiemee,  tu  magistra  virtutis,  tu 
es  que  regulam  in  dîscretum  ducis,  que  a  recto  nunquam  discedis,  que  a 
veritate  nunquam  avertis.  Inventrix  bonorum,  magistra  morum,  indica- 
irix  virtuium,  sine  qua  vita  hominis  nichil  nosse  potest.  Per  te  cunctis 
Vivendi  [régula]  *  dattir  ;  devitaîa  pravitate  ad  meliorem  vitam  homines 
adducuniur;  [103]  preceptis  tuis  formantur  animî.  Si  quis  distonus  csi 
tu  corrigis,  si  quis  corrigendus  est  tu  emendas.  Nichil  mihi  te  carius, 
nichil  mihi  te  dultitis;  tu  michi  super  viiam  meam  places. 


C'est  par  ce  chant  d'action  de  grâces  que  se  termine  dans  notre  ms.  cette 
composition  qui  respire  une  morale  si  élevée  et  si  pure  dans  sa  forme  volon- 
tairement recherchée.  —  Celte  fin  est  légèrement  modifiée  cl  abrégée,  en  regard 
de  la  leçon  imprimée.  11  efi  est  de  même  pour  nombre  d'autres  passages^  oii  ces 
différences  n'ont  pas  été  mentionnées  d*une  façon  expresse.  Je  dirait  ou  t-l'T  heure 
quelles  inductions  Ton  peut  tirer  de  ce  fait^  pour  déterminer  la  date  de  la  tra- 
duction et  sa  valeur  philologique. 


1.  Ce  passage  paraît  altéré  ;  !e  texte  imprimé  porte...  rependo,  âcùonts  gra^ 
tiarum  Dirsolvo.  Ago  atquc  habeo  uknm  ùh\  grauam.  —  2.  Je  comble  la  lacune  à 
Taidc  du  texte  imprimé,  qui  n'est  d'atllcurs  pas  entièrement  conforme  â  la 
leçon  de  notre  ms.  Après  la  phrase  „.  mtndi  rcguia  datur^  l*injprimè  porte  : 
Pir  H  de  vita  prmtûU. 


TEXTE    LORRAIN    DU    Xll"   SIÈCLE 


!i7 


La  date  du  document  qu'on  vient  de  tire  suffirait  à  elle  seule  pour 
attirer  sur  lui  raltenlion  des  romanistes,  maisTorigine  locale  de  ce  texte 
lui  assure  un  autre  genre  d'intérêt  non  moins  appréciable.  Ecrit  dans 
Tune  de  ces  nombreuses  abbayes  qui  flortssaieni  dans  les  vallées  les  plus 
profondes  des  Hautes-Vosges,  il  renferme  nombre  de  faits  de  phonétique 
Cl  de  vocabulaire  propres  à  la  région  de  l'extrême  domaine  de  la  langue 
^ançaise  du  nord-est.  C'est  un  témoin  authentique  et  considérable  de 
l'idiome  en  usage  au  xii''  siècle  aux  confins  de  la  province  de  Lorraine  et 
de  la  langue  d'oïl.  Les  indications  philologiques  consignées  dans  les 
pages  suivantes  sont  marquées,  par  Torigine  même  du  ms,,  au  coin 
d'une  individualité  plus  tranchée,  rendue  sensible  par  un  archaïsme  plus 
persistant  que  partout  ailleurs,  même  dans  la  sphère  du  dialecte  lorrain. 
L'opinion  émise  d'une  façon  générale  par  Fallot,  que  le  langage  de 
Lorraine  était  «  en  retard  )>  ' ,  trouve  sa  confirmation  la  plus  complète 
dans  notre  texte. 

Ces  vestiges  d'archaïsmes  demandent  à  être  mis  en  plus  grand  jour 
que  les  autres  faits  de  phonétique,  communs  à  ^ensemble  du  dialecte. 
De  même,  il  convient  de  signaler  à  part  quelques  néologismes  qui 
montrent  déjà  constitué  dans  ses  principes  généraux  l'élément  vulgaire 
du  langage,  le  patois,  qui  allait  bieniôi  être  refoulé  par  la  réaciion  clas- 
sique du  xni«  siècle.  Dans  un  précédent  travail  j'ai  déjà  eu  occasion  de 
signaler  ce  fait,  d'après  l'étude  comparative  des  chartes  appartenant,  par 
leur  date,  aux  périodes  extrêmes  de  la  littérature  dialectale;  aujourd'hui 
c'est  à  un  document  plus  reculé  d'un  siècle  environ  que  j'emprunterai 
de  nouveaux  arguments  à  l'appui  de  la  théorie  exposée  dans  l'une  des 
précédentes  livraisons  de  ce  recueil  (Romama,  II,  251  et  note  1). 

Enfin,  j'appellerai  ratiention  des  romanistes  sur  les  cas  de  ressem- 
blance qui  existent,  soit  pour  la  dérivation,  soit  pour  le  vocabulaire, 
entre  notre  texte  et  divers  monuments,  sur  le  caractère  dialectal  desquels 
on  n'est  pas  encore  suffisamment  fixé.  Les  Sermons  de  saint  Bernard  et  tes 
Moralités  sur  Job,  entre  autres,  sont  écrits  dans  une  langue  etuneortho- 


I .  Fallût,  Recherches  sur  les  Jormes  grammatkates  de  U  langue  française  d  de 
su  dtûUcles  au  XIU'  sMe,  p.  y* 


5l8  r.  BONNARDOT 

graphe  sensiblement  identiques  à  celles  du  Dialogue.  Il  y  a  là  un  sujet 
d'étude  d'autant  plus  intéressant  que  ces  textes  sont  plus  anciens  et 
pîus  importams.  Attribués  d'abord  sans  fondement  au  dialecte  bourgui- 
gnon, à  une  époque  où  Ton  étendait  le  domaine  de  ce  dialecte  sur  toute 
la  région  centrale  et  orientale  de  la  France  \  ils  ont  été  revendiqués 
timidement  pour  le  pays  wallon  par  M.  P.  Meyer  V 

Par  h  langue  et  la  syntaxe,  notre  Dialogue  appartient  au  même  groupe 
dialectal  que  ces  divers  documents.  Et  comme  Torigine  locale  du  ms. 
d'Epinal  est  certaine,  il  parait  juste  d'assigner  au  groupe  tout  entier  la 
même  origine,  à  savoir  le  dialecte  lorrain,  tel  qu'il  était  parlé  dans  les 
cantons  nord-orientaux,  formant  de  ce  côté  V extrême  frontière  de  U 
langue  d'oil  '.  Sans  entrer  dans  une  analyse  détaillée  de  ces  textes  mis 
en  parallèle  avec  le  Dialogue,  j'ai  cependant  relevé  quelques  formes  ei 
mots  dont  lldentité  absolue  ne  laisse  subsister  aucun  doute  sur  ce  point  ; 
le  lecteur  les  trouvera  consignés  à  la  suite  de  l'exemple  fourni  par  le 
Dialogue.  C'est  aux  éditeurs  futurs  de  ces  divers  textes  qu'il  appartient 
de  démontrer  ce  qu'il  y  a  de  fondé  dans  nos  simples  observations  ^. 

Je  répète  que»  dans  les  pages  suivantes,  les  faits  communs  à  l'ensemble 
du  dialecte  ne  sont  Tobjet  que  d'un  relevé  sommaire;  il  ne  peut  être 
question  de  revenir  ici  sur  les  détails  exposés  soit  dans  les  volumes  pré- 
cédents de  la  Romaniâf  soit  dans  l'élude  critique  du  poème  de  la  Guitre 
de  Metz  en  i  ^  24. 


1.  Le  Roux  de  Lincy,  introduction  aux  Quatre  Livres  daRois,  pages  cxxvi et 

CXKXIV. 

2.  Revue  des  Sociétés  savantes^  5*^  série,  t.  VI ^  p.  240, 

3.  Toute  cette  région  de  Metz  â  Besançon  fut,  aux  xi'  et  xm  siècles,  un 
centre  d'études  florissant.  Dans  son  Mémoire  sur  Us  plus  anciennes  traductms  en 
langue  française  fMém.  de  l'Acad.  des  L  et  B.-L.,  t.  XVII),  l'abbé  Lcbeuf  a 
réuni  de  nombreux  témoignages  qui  montrent  combien  la  culture  de  la  langue 
romane  était  en  faveur  dans  ces  contrées.  La  plupart  des  livres  saints  avaient 
été  traduits,  et  la  traduction  accompagnée  de  commentaires  à  l'usage  des  laïques 
àt%  deux  sexes.  Parmi  ces  versions  mentionnées  dans  la  lettre  que  le  pape  Inno- 
cent III  adressa  en  1  199  â  Tévèque  de  Metz^  figurent  les  Moralités  sur  Job  : 
«  ,,.  Laicorum  et  mulicrum  multitudo  non  modica,  tracto  quodam  modo  desi* 
derio  Scriplurarumy  Evangelia,   Episloïas    Pauli»  Psaltcrium,   Moratia  Job^  cl 


plures  alioii  libros  sibi  fccit  in  gallico  sermonc  Iransferre  o,  \Epist.  hnoanùi  ÎU^ 
lib.  Il,  ep.  i-^i)*  D'autre  part,  on  sait  que  saint  Bernard  vint  à  Metz  en  uj)  ci 
nn,  etûu'il  y         ' 
fixer  dans  la  ville 


prêcha  pour  les  intérêts  de  son  ordre  qui  commençait  â  se 
Ile  et  dans  le  pays  messin  (voy.  HnL  de  Metz,  t.  Il,  26 j  et 
suiv.;  Bégin^  Hïsl,  dis  Sciences ,  dis  Uures...  dam  U  pays  messm,  p.  243  et 
suiv,), 

4.  U  Diâloge  saint  Gregorc  lo  pape,  Pun  des  monuments  les  plus  considérables 
de  cette  branctic  de  la  litléralure  ecclésiastique  populaire,  viennent  d'être  publiés 
par  M,  W.  Fœrster,  Halle.  1876.  Le  texte  seul  a  paru,  l'élude  philologique  et 
les  commentaires  sur  l'origine  du  document  étant  réservés  pour  le  second 
volume. 


TEXTE  LORRAIN   DU  XII*  SIÈCLE 
i».  ^  Déritration. 


ÎI9 


VOYELLES. 

A.  —  Latin  ou  roman  s'est  déjà  diphihongué  avec  1  pour  former  ai  : 
pais  I  j,  mi  vi  1 5,  ai  xxvii  17,  lai  adv.  xi  ?o,  et  dans  !a  même  ligne 
la  Mi.  ^parais  paras  xxviii,  i  i-j  2,  agravaia  part.  pas.  xxxi  10.  Par  contre, 
l'on  trouve  a  et  même  é  en  certains  cas  où  le  fr.  a  maintenu  ai  :  hument 
XII,  sabilen-s^  sabiîenemenî  vu  (4-15-16,  vene  xxxu  18;  lat.  habeo 
rendu  par  ai  et  aussi  é  es  (habes)  ix  19  et  passim,  très-fréq.;  e  est 
aussi  la  notation  de  la  prép.  a  ad  en  passant  par  ai  ;  ex*  de  ad  1  1  et 
pass.,  de  ai  xxvti  17^  de  ^  i  3,  xtii  \  ^ 

E,  —  Roman  devient  a^  lequel  fait  entendre  yn  son  sourd ^  intermé- 
diaire entre  â  et  ô  ;  aussi  le  rencontre4-on  quelquefois  noté  par  au , 
jamais  par  ai.  Celle  mutation  de  e  en  a  est  ordinaire  dans  le  dialecte 
lorrain  ;  les  nombreux  exemples  relevés  ici  témoignent  de  sa  date  reculée, 
tandis  que  leur  fréquence  donne  à  ce  texte  du  xïi<^  siècle  une  physionomie 
distinctive  telle  que  je  n'en  ai  rencontré  d'équivalente  que  dans  quelques 
chartes  des  bas-temps,  francs  témoins  de  la  langue  populaire.  Voici 
quelques-uns  de  ces  exemples  :  foz,  çale^  içaiy  içales  1  7,  xi  22-2 î-28, 
etc.  richace,  disate  iv  6*ro,  mtaîes  vi  16,  ckaîis~f  wn  10  et  pass.,  mfoz, 
miaz  VIII  12,  xxvii  24,  mas  et  mes  pron.  vni  19,  tristace  ix  4-27,  m^ 
Jact  xti"^,  grandace  xm  16,  xxvu  44,  agrace  xv  11,  datres  xvin  12, 
parjundau  xx  19  [parfundece  xxviï  89-91,]  durace  xxv  5,  fal  xxv  14, 
xxvu  14,  avaglace  xxvii  22,  autauce  xxxii  17. 

D'autre  part  é  s'atténue  en  i  alors  même  qu'il  représente  a  latin  : 
cruir-s  vu  14,  ix  18,  pechis  (peccasîi)  xii  14,  picti  xxm  4,  aspargnii 
(impér.)  viii  m,  immostit  (impér)  xxv  10,  pràirt  xxx  ji-36,  formis 
XXIX  6,  Dans  un  grand  nombre  d^autres  participes  de  la  r*  conjug.  la 
dé&in.  /  peut  s'expliquer  par  une  réduction  de  ié^  voy.  les  exemples 
plus  bas. 

Pour  les  cas  qui  suivent,  il  convient  de  réunir  sous  un  seul  chef  t  et 
i  lâl.»  le  traitement  étant  le  même  pour  l'une  eiTautre  voyelle  :  otetâi; 
ai\  qui  est  sans  doute  une  notation  locale  ou  individuelle  du  v.fr.  «,  peut 
se  résoudre  en  a.  Je  cite  d'abord  les  ex.  de  ol  :  avolz^  dsperdoiz,  déco- 
roiz,  (emmosîiz^  denez)  xxv  9-to,  aspandoiz  xxvu  28,  estadoi  xxxi  1, 
estudoie  xxxv  i  ?.  Ce  sont  toutes  formes  de  la  2"*  personne.  —  Les  cas 
de  (ei)  ai  sont  plus  nombreux  et  plus  étendus  :  vait,  voit  {vidci-is)  m  i  1 , 
XX  10,  fai^  faie  (fidem^  yicem)  iv  i,  xm  14,  xxix  8,  xxxi  22,  mai  vt  1, 
xxvii  90,  ici  et  tai  xix  j-i2,  xx  »6,  xxxi  2,  rutaie  xxvïi  94,  manoir 4 


)JO  F.    BONNARDOT 

XXIX  35,pwiexxx  33,  saifyoiKi  9,  craist  xxxi  4;  (//)  vww  xxxi  17,  et 
vair  ibid.  20,  fâvâ/r  xxxiv  2,  porvair  xxxiv  15,  réduit  en  (//)  ponars 
ibid.  19.  D'autres  cas  de  réduction  sont  ceux  de  acrasxm  iycrastyaxi  5, 
de  /?rfl/r«  p.  praiire  (=  proiere)  xxx  31-36.  —  Quelques-unes  de  ces 
formes  reçoivent  indifféremment  les  deux  diphthongues  ai-â,  oi-o)  à  côté 
de  tel,  taiy  mai  on  trouve  mo  i  3,  /o  M  xi  15,  xxix  8,  xxx  31;  savair  a 
pour  doublet  savor  xxxii  3,  etc. 

Dans  sumait  xxx  6,  a/  n'est  pas  la  diphth.  de  Va  dialectal  qui  existe 
p.  ex.  dans  promas  xxvii  34  ;  sumait  est  à  soumet  ce  que  d/,  âi5  est  à  ^ 
es  (lat.  habeo-habes). 

I  et  U.  —  Il  n'y  a  qu'à  signaler  l'affinité  de  ces  deux  voyelles  l'une 
pour  l'autre  :  1  devient  u  dans  luvre  i  1 .  C'est  le  seul  exemple  du  texte. 
Les;  cas  du  changement  inverse,  u  devenant  /  par  l'intermédiaire  de  ai, 
sont  beaucoup  plus  nombreux.  Toutefois  lixure  xxxi  16  >  est  le  seul  mot 
où  cette  permutation  soit  formellement  accomplie,  encore  est-ce  dans 
une  syllabe  atone.  Quant  à  u  accentué,  il  s'arrête,  pour  notre  époque,  à 
la  forme  intermédiaire  ui  :  sustenui  vu  13,  batuire  viii  17  (comp. 
batures  xi  12-29),  vertuit  ix  10,  commuix,  commui  xiii  2,  xxviii  2,  en 
concurrence  non-seulement  avec  comuz  xxviii  i ,  mais  avec  la  forme 
plus  explicite  commeut  pass.  ;  malauiros  xiii  10,  contre  des  ex.  bien  plus 

nombreux  de  aiiros,  malaûros;  buit  xxww  76 Cette  distinction  dans 

le  traitement  de  la  voyelle,  selon  qu'elle  est  ou  non  pourvue  de  l'accent, 
a  disparu  dans  le  parler  populaire  depuis  longtemps,  qui  atténue  toutes 
les  voyelles  de  la  gamme  descendante  en  /,  de  même  qu'il  renforce 
toutes  celles  de  la  gamme  ascendante  en  0;  sur  quoi  voy.  l'exposé  en 
détail  et  les  ex.  Romania,  l,  333-4  et  Guerre  de  Metz  p.  337-8. 

0  AU  —  se  diphthongue  volontiers  avec  /  devant  les  liquides  /  r  et  la 
sifflante  5;  malaiïrois  vi  14,  rugnois  vu  i,  repois  viii  10,  soilace  xxxi  7, 
aussi  solace  ibid.  4. 

Quand  0  provient  de  au  lat.,  il  se  comporte  de  même  que  0  d'origine  : 
loir  (aurum)  iv  6,  cose,  cosses,  chosses^  pass.  et  coise  xxix  19,  en  regard 
du  doublet  savant  chauses  xv  2,  causa  xxvii  39. 

U  —  voy.  sous  I. 


Les  voyelles  atones  présentent  dans  notre  texte    la  plus  grande 
mobilité  ;  elles  sont  fluides  à  l'excès,  sans  aucune  consistance.  Le  même 


I .  A  la  ligne  1 1  du  même  §  dans  le  texte  latin,  luxiria  offre  un  cas  analogue 
de  ce  genre  de  romanisme. 


TEXTE   LORRAm    DU    XH*  SIÈCLE  ^21 

mot  revêt  indistinctement  pour  ses  syllabes  non  accentuées  trois  ou  quatre 
formes  différentes  qui  n'ont  pas  plus  de  motif  pour  devenir  définitives 
l'une  que  Tauire,  L'écrivain  semble  indécis  du  choix  à  faire  entre  elles. 
C'est  qu'en  effet,  dans  cette  région  reculée,  la  valeur  particulière  du 
caractère  e  en  syllabe  finale  atone,  celui  que  nous  appelons  e  muet  ou 
mieux  e  féminin,  est  loin  de  faire  entendre  le  même  son  que  dans  le 
français  proprement  dit  K  C^est  une  question  de  physiologie  sur  laquelle 
je  ne  puis  m 'étendre  ici,  Je  me  bornerai  donc  à  relever  les  diverses 
notations  par  lesquelles  le  scribe  a  tenté  de  rendre  ce  son  particulier. 
Pour  plus  de  clarté  j'examinerai  d'abord  les  cas  de  t  féminin  dans  Vin- 
teneur  du  mot^  puis  les  cas  de  c  en  syllabe  finale. 

Dans  la  première  catégorie,  qui  est  de  beaucoup  la  moins  nombreuse, 
[^emploi  des  différentes  voyelles  est  suffisamment  motivé  par  ce  qui  vient 
d'être  dit  sur  l'évolution  continue  des  voyelles  suivant  la  gamme  ui  e  ao. 
Bien  que  Téchelle  des  gradations  ne  soit  pas  représentée  en  entier  par 
des  exemples  appropriés  à  chacune  d'elles,  néanmoins  l'on  remarque 
dans  ces  notations  diverses  l'application  d'une  loi  intime,  un  balancement 
harmonique,  qui  détermine  l'emploi  instinctif  de  telles  voyelles  à  Texclu- 
sion  de  telles  autres.  On  pourrait  dire  que  c'est  la  théorie  des  compen- 
sations appliquée  à  la  phonétique.  Voici  une  liste  d'exemples  rangés 
dans  l'ordre  où  les  présente  le  texte  ;  simont  \  8,  anme^  antmt  ii  i  et 
pass.  (aussi  anmù)^  espiriz  ii  i,  porroîure,  porreture  vn  8-9,  besongnos, 
hoscngnant  vi  H-i  5,  destraiment  desîruamenz  vu  1 5-16,  floioîez^  fiavoui 
xnd^xx^n^ij  fiUnief  falome-i^foionie,  faiiniexm  14-16,  xxvn  }7"î^' 
41, XXIX  ^ySiira.  sirai,  sirat  xxvn  14-15,  nobîament  xxvn  ^i^vivoroîe 
xxvn  n* 

En  syllabe  finale,  e  féminin  revêt  plusieurs  notations  dont  le  nombre 
même  accuse  l'incertitude  de  l'écrivain  en  présence  d'un  son  propre  à 
son  idiome  et  pour  lequel  la  langue  usuelle  ne  lui  fournit  aucun  signe 
approprié.  Devant  cette  difficulté ^  il  a  recours  à  un  double  procédé, 
Tantôt  il  conserve  dans  le  mot  roman  la  voyelle  même  du  mot  latin 
correspondant,  et  par  là  il  esquive  la  difficulté.  Mais  dans  d'autres  cas 
il  s'évertue  à  fixer  ce  son  fluctuant  au  moyen  de  diverses  combinaisons. 
Les  cas  où  la  voyelle  latine  persiste  en  français  forment  la  grande 
majorité  ;  en  voici  la  liste  : 

û  :  contra  simple  et  en  composition  iv  15^17,  docîâ  vi  6  (voy.  la  note), 
filma  qui  est  proprement  le  latin  xix  1,  îoia  xix  2,  aresîa  xix  ?,  via 
XIX  12-1  $-16,  xxit  8,  anqucsia  xxt  8,  clama  xxiv  4,  lassa  anma  xxvi  1^ 
mina  xxvn  10,  causa  xxvn  39,  demonsîra  xxvn  6j,  sta  xxvm  18,  resîa 


I.  Voy.  Romania  l  3} 5,  Il  24$  et  suiv.,  3^8*9. 


11 


;22  P.    BONNARDOT 

XXIX  50,  XXX  i,  ala  xxx  19,  esta  xxx  50,  agravaia,  ensiea,  naria  xxxi  lo- 

1 1  (voy*  la  note),  hamiiia  xxxii  2^ y  pensa  xxxïv  12,  [panse  ibid.  i  î-14); 
i  :  refugii  n  5,  comp*  la  glise  de  Ptr garni  (Job^  440  '  i 
0  :  homo  m  2-5, 

Pour  les  exemples  qui  suivent,  nous  n'avons  plus  affaire  à  une  nota- 
tion empirique  dans  sa  simplicité,  à  un  calque  servile  du  latin,  mais  à  la 
représentation  figurée  de  valeurs  phonétiques  particulières  au  dialecte. 
Ainsi,  la  mutation  de  e  en  i  dans  di  n  5,  ni  16,  vin  18,  xxvu  57,  est  un 
fait  du  même  ordre  qoe  la  mutation  mi  11  8,  m  10^  ordinaire  en  lorrain 
pour  le  pron.  me,  moi  ;  ainsi  s'expliquent  encore  ni  n  8,  ui  lo,  viu  21  > 
qui  ki  \  6,  XXVII  $9,  xxvrii  8,  xxix  1  ; 

Vei  final  de  ordd  xxvii  j  j  auquel  il  convient  d'assimiler  or^/ef  xxx  12, 
y^/nl^l  xxvii  1  ç,  pnsiei  xxvii  42,  est  fréquent  à  Metz  dans  les  chartes  du 
commencement  du  xiif  siècle  et  dans  celles  du  xiv*  ;  de  nombreux 
exemples  ont  été  réunis  dans  Romania  11  j  249  et  ss.  Il  en  est  de  même 
pour  d^  final  de  conformât  xxviii  18  et  de  emplotae  xxxii  8,  fém.  de 
emploi  xvui  14  (=  lat.  impHciîam,  cf.  exploit  de  explicitam}.  Dans  une 
charte  de  Metz  sous  la  date  de  12^5,  je  rencontre  terrae  et  dans  une 
autre  de  1240,  tend,  —  Notre  texte  fournit  en  outre  deux  cas  du 
caractère  ae  ailleurs  qu*à  b  finale  atone  :  iaes  i  j,  son  intermédiaire 
entre  les  et  tas  {et  mas  viii  19),  ^tachais  xxvn  10. 

Ces  notations  ne  sont  donc  pas  des  créations  arbitraires  du  sciibe, 
mais  ce  qui  lui  appartient  en  propre  c'est  la  confusion  entre  ei=^e  fém. 
et  et  =  lat.  d  dans  les  participes  (etsubst.  en<if£m),  si  bien  que  ces  par- 
ticipes n'ont  qu'une  seule  orthographe  pour  les  deux  genres  ;  en  d'autres 
termes  la  désinence  féminine  eie  =  lat.  aîa  est  presque  toujours  réduite 
en  ei,  sous  l'influence  des  formes  comme  venuei  ct-dessus.  Dans  quel- 
ques-uns même,  la  réduction  va  d'un  degré  en  avant  et  produit  é  ^=  ei 
=  eie  =■  dei.  Voici  une  liste  de  ces  participes  tous  au  féminin  :  denti 
XII  ?,  r^/ïommeixni  4,  plordsxxwj.makguré^atroveixxW'i^.remaRbré 
xxvii  24  (dans  la  même  ligne  estinte)^  trivlei  xxvti  46  et  tout  à  c6té 
lormentde,  ratrovei  xxvn  74,  ajostei  xxxi  6  et  sept  lignes  plus  bas 
ajustée^  ostei  xxxi  7 ,  A  ces  exemples  de  la  suppression  de  la  voyelle 
caractéristique  du  féminin,  il  faut  ajouter  ceux  de  péri  iv  2,  ptai-s  vit, 
10-14  ^  ^^^^  dt  plaie  1  $. 

Dans  l'étude  sur  les  caractères  phonétiques  d'une  charte  de  Flabé- 
mont  (1240};  j'ai  fait  remarquer  que,  des  diverses  notations  locales  de  Te 


1 .  Les  exemples  de  la  désinence  latine  maintenue  dans  les  noms  propres  romaos 
{Jhcsunîj  Moyscn,  Pergami)  sont  fréquents  dans  les  plus  anciens  monuments  de  la 
langue  dloîL  L'intérêt  particulier  de  notre  texte  est  de  montrer  cette  désinence 
maintenue  dans  les  noms  communs. 


TEXTE    LORRAIN    DU   XH*  SIÈCLE  ^2^ 

féminin,  celïe  qui  se  figure  par  les  lettres  en  est  la  plus  fréquente  dans 
les  documenls  vosgiens  ;  elle  caractérise  le  dialecte  de  la  Vôge  comme  et 
caractérise  le  dialecte  de  Metz.  Ce  fait  rapproché  de  quelques  autres  de 
même  signification  ma  permis  d'attribuer  à  cet  idiome  le  Bestiaire  publié 
dans  une  des  premières  livraisons  de  ce  Recueil  (I,  426  et  s$,).  Les 
cas  de  w  =  <;  dans  notre  texte  affectent  les  mois  suivants  :  portéen  vrr 
14  (voy.  la  note);  chaken  xu  21  (cf.  bonnea  Job,  511);  pour  donenî  in 
10,  reprochenîyi  ?,  esdoent^  venquentxix  j-6,  nevrcnt  xxxi  î6,  asoagent 
xxjLiv  19,  le  t  est  sans  doute  une  méprise  du  même  genre  que  celle 
qui  donne  aux  part,  abûtuen  prisen  l'apparence  extérieure  de  la  ^*  per- 
sonne plurielle  :  abaîuenî  prisent  (voy,  Romartia^  I,  ^jj). 

De  ces  deux  catégories  de  notations  employées  pour  figurer  le  son  de 
I      e  féminin,  la  première  qui  maintient  la  voyelle  latine  est  par  là  même 
plus  archaïque  que  la  seconde;  en  revanche  celle-ci  est  plus  intéressante, 
I      qui  prend  sur  le  vif  et  essaie  de  fixer  la  prononciation  locale.  Si  la  Vie  de 
saint  Alexis,  qui  connaît  £î  en  valeur  de  c  fém.,  eût  représenté  çà  et  là 
cette  même  valeur  par  des  caractères  analogues  à  ceux  de  notre  texte, 
\      il  n'est  pas  douteux  que  M,  G,  Paris,  au  lieu  d'éliminer  Va  de  medra^ 
j      conîreda^  bdament  \  n'eût  signalé  et  maintenu  toutes  ces  diverses  nota- 
lions  comme  autant  de  précieux  vestiges  du  parier  antique.  En  ce  qui 
j      concerne  noire  texte,  il  est  certain  que  la  diversité  même  de  ces  nota- 
[      lions  exclut  tout  caprice  individuel  de  la  pan  de  l*écrivain.  J'ai  montré 
ailleurs  que  ces  variantes  orthographiques  se  sont  perpétuées  à  travers  le 
j      moyen-âge  :  elles  répondent  donc  à  des  accidents  de  prononciaiion  dus 
I     à  des  conditions  physiologiques  locales  ei  permanentes. 

^^^mjne  façon  générale  on  peut  dire  que  le  dialecte  lorrain  se  refuse  au 
I  développement  des  diphihongues  ;  il  atténue  toujours  l'un  de  leurs  élé- 
I  ments  constitutifs»  quand  îi  ne  l'élimine  pas  absolument;  cVst  ce  second 
c^  qui  se  présente  presque  partout  dans  notre  texte,  en  quoi  il  témoigne 
^de  son  caractère  populaire. 

^V   Diphth.  ai  réduite  en  a  qui  peut  même  s'assourdir  en  0,  au  :  porvars^ 

Hb^ii^,  .,.,  voy.  les  ex.  réunis  sous  la  voyelle  É,   p.  po.  Dans  tous 

ces  roots  et  dans  Tadj.  espaiise^  espasse  et  Tadv.  espasement  xxx  29- 

!     ^o,  xxxii  9,  la  diphth,  ai  est  une  notation  locale  pour  oi.  —  Quand  ai 


t,  Viide  saint  Alcxts  h  U'i7'  -^  Malgré  la  force  des  raisons  alléguées  par 
rédJteur,  on  peut  regretter  que  le  système  critique  appliqué  à  rensemble  du 
-^-^-Tic  n'ait  pas  été  suivi  pour  ce  cas  particulier. 


DIPHTHONGUES. 


}24  F*    BONNARDOT 

représente  a  ^  iouaei  une  gutturale,  la  diphthongue  peut  se  résoudre 
en  a  mais  jamais  en  o  :  fan  i  î,  û  (hahto)  v  14-1 J,  Vïi  14,  et  au 
futur  avéra  xxvii  16,  etc.,  sa  {sapid)  m  i?,  xiv  4,  mai  v  9-n,  x  10, 
agrès,  agrace  vu  1 3,  xv  i,  /di  x  8^  mamz  x  10,  xvm  4,  fornase  xî 
j-4,  îrespassa^  ajosta,  chanja  (parf.  1*  p,)  xxvii  iS-^j,  ûto  xxxu  19, 
etc.,  etc, 

Diphth,  au,  provenant  de  ^ï  +  /,  subit  aussi  la  réduction  en  a,  qui 
même  passe  à  ai  comme  si  la  voyelles  était  d'origine  :  ma^  mas  m  t-4- 
î  I ,  d*où  mais  11  3,  lu  2,  viii  ii^fas  iv  17,  fiaiz  x  8,  asi,  aisi  xxvii  48- 
62,  vait  xxwiu  ï6;  les  trois  eoiaiions  sont  représentées  dans  maumist, 
mavaz  et  manstiz,  maivaise  x  10,  xvïii  4,  xxix  10-12-17, 

Pour  un  certain  nombre  de  ces  mots  on  peut  admettre  la  chute  pure 
et  simple  de  /  :  ti  ^  a  (!)  ;  c'est,  en  effet,  ce  qui  arrive  pour  le  groupe 
W,  où  la  liquide  tombe  sans  laisser  de  trace  p.  ex.  dans  novès  xiii  8^ 
mortèz^  ix  22 ^ftacs  xi  i,  assidues  xvui  j,  cf.  assiduels  dans  S.  Bernard, 
540;  apès  XX  12  et  les  analogues.  Dans  les  documents  postérieurs,  le 
son  grave  de  la  voyelle  è  est  marqué  généralement  par  ei:  nova,  mantet^ 
coiiîei.  On  sait  que  la  notation  eau  ^^  v.fr.  et  est  inconnue  au  dialecte 
lorrain, 

Diphth.  éi  en  0  par  rintermédiaire  de  6e  :  0  (habui)  i  i^  ma  ta  so  i  i^ 
XI  I  $-18,  XXIX  8,  croes  iv  i,  décodent  v  1  j,  ko  ix  1-18,  soes  x  15,  utùi 
XI  8,  vor  XXI  I,  espor  xxm  j,  voes  xxvii  82,  lai/or  xxxn  j;  (-or 
désin.  de  Pinf,  est  assez  fréquent  dans  Job  et  S,  Bernard  :  ensiwor  446» 
yt'or  porveor  52J-562-564,  seor  j6i,  c/iaor  567).  —  Cet  0  de  réduction 
peut  s'assourdir  en  ou  :  reçoavcnt  xxvn  41 ,  et  même  passer  à  Va  :  ta  xxx 
îi  et  la  note  j  du  §  xxvin. 

Dîphth.  u€  {ocj  eu  atténuées  en  ui,  «;— diphth*  ai  réduite  en  u:  cu^ret 
cuir  car-s  11  i,  m  j  ç-18,  V17,  anguise  anguse  vu  1-2,  vii[  1 5,  nuiuui4-^^ 
tresîu  m  6,  suis  soef  viii  8,  ix  j6,  eu  (1.  cogiîo)  vtn  14,  égal  mgai-gaus 
desugas  rx  12,  xï  10,  xxv  26,  xxxiv  9-10,  fu  (pron.  neut.)  xï  16-24,  ^^^^ 
XV  K  espusiei  espusiî  xxvii  76,  xxxiu   7,  suieî  (L  'ikf)  xxix  27,  fuf 

XXXl  22. 

Diphth.  ié  ic  réduite  en  i.  C'est  le  cas  le  plus  fréquent  et  le  plus  înté- 
ressant  à  constater,  puisqu*ii  ne  se  produit  que  par  l'élimination  com- 
plète de  la  voyelle  accentuée  é  t\  et  transporte  l'accent  sur  Télément 
secondaire,  ou  même  le  plus  souvent  inorganique  et  adventice,  du  groupe 
a  ;  é  accentué  disparait,  il  ne  reste  plus  que  i.  Voici  une  liste  d*exeniples 
parmi  lesquels  j'ai  compris  les  part-  fém.  en  iée  ieie  et  quelques  mots  où 


mm 


É 


TEXTE    LORRAIN    DU    Xir   SIÈCLE  }Z^ 

u  se  trouve  interverti  et  affaibli  en  ei,  notation  iniermédiaire  entre  ié  et 
i:  wUntirs  i  5,  enfuir  esquir  i  6,  xii  16,  chls  111  6,  xxxii  29,  bin-s 
bim  '  VI  tj,  xviii  17,  xxiiJ  2,  gris  vn  14,  xxvu  j,  lumire  vm  2,  ifcfe 
vm  4,  (jsiecle  vin  5,  sede  ix  28-29),  manire  viii  20,  ix  8,  brif  ix  25, 
parcinirs  x  2,  %V-f  x  7,  xi  21,  mavisîiz  x  9,  «rï  xi  21,  prumirs  xi  28, 
^castumirs  xni  2,  aacme  •  xvïi  4,  poisire  xxvii  79,  m^/irt  xxvu  80,  cif 
XIX  ^  ;  chachk  iv  1 5,  ji^  v  10,  multiplies  xxvii  45,  df/  cn7  d/  xxvu  74, 
XXX  20-21.  —  Par  ainsi,  it  arrive  que  les  verbes  de  la  i""  conjug.  en 
i>,  rejetant  Vé  =  â  lat.,  prennent  l'apparence  de  verbes  de  la  4''  conjug. 
à  rinfin.,  aupart.  masc,  au  parf.  ;  notre  texte  donne  p.  ex,  contrajcUr 
IV  17,  digetiz  IX  2,  espurgiZf  favtrgizxi  i-^^,pechis  (nom  et  part.)  xi 
7-8-10-1 1  etc.,  pechis  (pf.  2*'  p.)  xii  14,  pechir  (inf.)  xvin  16,  ghrifiit 
XI  17,  repartr  xxi  4  {rcparier  xxviu  12),  caidirxxvx  12*  -^  il  faut  noter  à 
litre  d*opposition,  un  cas  de  parf,  en  ^^f,  pervertie  xxvu  57,  dont  voyez 
d*autres  exemples  et  leur  discussion  ^  dans  Romania  i  ÎÎ8-9,  h  2jj, 
Cl  dans  Guerre  de  Metz  456-7. 

VOYELLES   NASALES. 

Rien  à  noter  que  Pinfection  de  /  dans  toutes  les  tonalités  :  sainz  vm 
20,  xxvu  72,  plus  souvent  orthographié  sen^  loin  xxvu  12  ;  ta  prép.  en^ 
simple  ou  en  composition,  est  souvent  notée  in  ein:  in  i  7,  xuï  5,  inge- 
mischans  1  8,  etngemis  xxvu  27  :  de  même  nen  adv.  de  nég,  est  noté  nin 
vu  5  (cp.  Job  :  infcr  454-465-472  etc.,  et  la  chane  de  Flabémont  dans 
Romania  n  246  et  suiv,).  —  Au  §  xui  ç,  je  relève  brilns  en  traduction 
de  steriliSf  c'est  une  forme  réduite  de  berain^  pour  brehains  brehaing  dont 
le  fém.  existe  encore  dans  les  patois  :  bnhaingne^  héreingne, 

CONSONNES. 


Gutturales.  —  Contrairement  au  Vk^allon,  l'usage  du  w  est  presque 
ignoré  de  notre  texte,  même  pour  les  mots  d*origine  germanique.  Voici 
le  très-petit  nombre  de  cas  que  j*en  ai  rencontrés  :  wardon-s  i  7,  xi  \o,wa 
♦intcrj,)  xxvu  17-45,  Q^<^i^^  xxviu  12  et  mieux  vastezxxx  12,  warde 
xxvui  20,  à  côté  de  varde  xxx  14,  Dans  les  deux  ex.  suivants,  le  v  est 
même  francisé  en  g  noté  par  Jfc  c  ;  kardè  xxvu  ^4,  caste  xxxix  1 8, 

Pour  les  autres  consonnes  du  même  ordre,  il  faut  signaler  l'emploi 
des  caractères  k  et  ch.  H  n'y  a  qu'à  mentionner  kl  kc  xxvu  59-64, xxix  1 , 

1 ,  Pour  ce  mot,  il  convient  de  tenir  compte  de  l'Influence  de  la  nasale. 

2 .  C'est  à  ce  même  ordre  de  faits  qu'appartiennent  les  formes  verbales  tinaet 
àâm  Job  481-2,  possiti  ibid*  447-4$ 5-460,  auquel  correspond  le  possis  de  notre 
texte  11  2. 


526  F.    BONNARDOT 

en  regard  de  la  forme  commune  qui  que  plus  fréquente,  vinkn  xxxi  î  . 
Des  formes  plus  spéciales  sont  celles  de  necedartt  xxv  ï8,  ailleurs 
nekedânt  ;  calche  ilat.  calca)  xxx  i ,  qui  tient  à  la  fois  à  calquer  et  à  chau-- 
chier;  n/xxx  ?  à  côté  de  chiefïhià.  1  ;  echepos  xxvnya^eiquelqueslignes 
plus  bas,  etquetti  90-91  (ecce  vos^  tcct  ru).  Le  pronom  chaqui  chacun  se 
présente  sous  diverses  variantes  orthographiques  :  chascum  jor  vu  î,  et 
comme  adjectif,  chaschornax  [quotidianus)  x\xu  9,  c/iato  xii  21  et  it^cArcj 
XXIX  24,  chaiim  xix  12,  Cette  dernière  forme  est  identique  à  cheiim  chaum 
des  Rois  et  à  rii<i//iJ7ï«  des  Serments,  3lu  prov.  cadauncadnnK  Po\xr  chaque^ 
il  est  généralement  admis,  d'après  Diez,  que  c*est  une  forme  tirée  de 
chacun  parle  retranchement  de  la  finale;  et,  de  fait»  le  Dkûonnairt  de 
Littré  ne  produit  pas  d*ex,  de  chasquc  avant  le  xvr*  siècle.  Il  semblera 
difficile  de  maintenir  cette  conjecture  en  présence  des  formes  chakcn  ei 
kûches  de  notre  texte  du  xii"  siècle,  qui  elles-mêmes  dérivent  d'une 
forme  chaque  assez  fréquente  dans  les  chartes  de  Metz.  De  plus, 
chaschornax  ne  peut  s'expliquer,  dans  sa  syllabe  initiale,  ni  par  cûscunum 
=  chascuTty  ni  par  cada  unum  ^  chaiim  ;  on  ne  peut  y  voir  que  chaque 
sous  l'orthographe  locale  ou  individuelle  chache^  dont  le  second  ch  s'est 
fondu  avec  le  /  de  journal  :  chaschornax.  Le  Dialogue  offre,  en  effet, 
d'autres  cas  de  ch  pour/  ou  ^  :  le  pron.  de  la  r**  p.  s.  che  xxvii  64,  le 
part,  rechcsant  pour  regehisant  xxvii  66  \rejcsis  05),  le  subj\  sochesi  xxix 
20, en  regard  de  soujeces  ix  4. 

Sifflantes  et  aspirées.  —  S  intervocal  fait  toujours  entendre  le  son  dur; 
aussi  le  même  mot  se  rencontre-t-il  écrit  indifféremment  par  s  ou  ss  : 
usise  vin  j,  alase  vin  4,  dotase  xi  9,  chauses  coisi  cost  chosse  cosses 
XV  2,  XXIX  19,  XXX  4,  xxxiv  12,  xxxv  ç,  laisenl  xviii  17,  désire  xx^fw  5, 
ui£5  xxvii  i\ y  promisse  xvim  i\.  —  L'aspiration  intervocale,  marquée 
par  X  ss,  si  caractéristique  de  la  langue  de  Metz,  ne  se  fait  pas  sentir  dan 
le  parler  de  la  Vôge  ;  tout  au  plus  pourrait-on  en  constater  quelque 
vestige  âmsjusses  (=ju€S  joes  joues)  xxv  10.  —  En  dehors  des  mots  où  h 
est  d'origine,  il  n'y  a  à  relever  que  son  emploi  arbitraire  dans  hou  (lat. 
aut)  xxxv  9,  et  son  épenthèse  entre  deux  voyelles  pour  marquer  la 
diérèse,  dont  voy,  les  exemples  plus  bas». 

Labiales.  —  Deux  cas  de  la  substitution  de  ta  forte  à  la  douce  en 
finale  :  remufxwu  2,  vif  xxix  16.  Le  /  final  de  fufjxyix  12  est  dû  à  la 


1.  Voy.  les  exemples  dans  la  notice  de  M.  P.  Meyer  sur  quis^ut  et  cûia  dans 
tes  tangues  romanes  {Romama  II  80  et  suiv.). 

2.  Le  texte  latin  offre  quelques  exemples  de  la  prosthèse  de  Vh  :  haitimas 
xxxii  14,  hostia  xxvu  21  sous  Tinfluence  de  fr.  huis. 


TEXTB   LORRAIN    DU    XII*   SIÈCLE  ;27 

consonnificatjon  de  Vu  de  focum  ;  j'ai  rencontré  nombre  de  cas  analogues 
dans  d'autres  textes  lorrains  des  bas  temps,  ainsi  :  akvonf  (elemmus)^ 
ftchitf  {ptctâtum)  nif  {nidum)  comp.  le  v.fr.  meuf  mœuf  [moduni]  et  les 
noms  de  lieu  Faimbeuf,  Marbeuf,  etc. 

Liquides,  —  Rien  à  signaler  que  la  permutation  de  r  à  /  dans  oscultéz 
xxvji  22,  et  la  permutation  contraire  1 7  en  r)  dans  crud  et  ses  dériv. 
devenant  cruer  cmr-s  cruirtéz  vu  6-14,  ix  18  etc.;  dans  crament 
XX vn  28,  la  consonne  est  complètement  tombée  (pour  d'autres  cas  de 
la  chute  de  /,  voy.  sous  diphth.  au).  —  Les  dîphlh,  mouillées  aitl 
oitl  offrent,  comme  les  autres  diphth,,  des  exemples  de  réduction  par 
la  suppression  soit  de  /  soit  de  Tun  des  deux  /  :  baîalle  trabuchales 
xn  8-2 1 ,  voiles  xiiï  1  j,  valUs  {suhj.  de  aller)  xïii  1 8,  mais  vaille  xxvn  94, 
repostailes  xxix  zj-  U  n'y  a  d'ailleurs  rien  dans  ce  fait  qui  ne  soit  com- 
mun à  l'ensemble  du  dialecte. 

Nasales,  —  Permutation  de  Vm  à  n,  même  autre  part  que  devant  les 
labiales  :  em  cai  pass.,  chascumjor,  chaûmvn  ?,  xix  12,  rian  xn  19,  Wm 
xxiit  2f  dam  dumc  xxviit  1  ^>2o,  tam  pour  tan  apocope  de  îant  m  ^.  On  a 
vu  que  la  nasale  propre  au  dialecte  joue  différents  rôles  dans  notre  texte. 
Considérée  comme  pure  consonne,  elle  s'introduit  dans  quelques  mots 
après  la  voyelle  a  (e),  p.  ex.  :  ancune  ix  1  j  et  ailleurs,  prensente  enxample 
xxvH  5-59,  ccnser,  epense  xxx  29-3  3 ,  forme  nasalisée  de  espassc  xxxn  9.  Le 
même  fait  est  fréquent  dans  Job.  Il  n'est  pas  douteux  que  dans  tous  ces 
mots  et  leurs  analogues  en  est  l'équivalent  orthographique  de  an  et  non 
de  m. — ^^  Par  contre  il  arrive  souvent  que  la  nasale  tombe  dans  rinlérieur 
ou  à  la  fin  du  mot  :  £  i  5,  avironez  i  4,  fiace  v  3 ,  portedent  v  7,  ensebk  vu 
9,  lu  X  3,  amademtm  amade  xi  24,  xxx  2,  hoioiî  xm  10,  espaetes  xxv  2$, 
parveré  xxx  5,  iiencions xxxin  12,  habundace  xxxiii  20  que  le  scribe  a  fait 
passer  dans  le  texte  latin /ïiî/?u/îrftîffiï.  La  chute  de /i  témoigne  que  cette 
consonne  n'avait  pas  encore  pris  d'une  façon  définitive  la  valeur  nasale, 
—  La  nasale  double  est  çà  et  là  notée  par  gn:  dagnéi  xxii  6  qui  a  influé 
sur  le  laL  dagnat^  dagnacions  xxv  20;  par  contre  dans  xxji  21  le  lat  a 
pignas  et  le  fr.  pannes. 

Je  terminerai  ce  chapitre  des  consonnes  par  quelques  remarques  sur 
la  modification  extérieure  des  mots  par  prosihèse,  aphérèse,  paragoge,  etc. 

Dans  la  phrase  il  loir  et  les  dones  iv  6,  loir  est  un  exemple  non  encore 
signalé  de  |a  prosîhèse  de  l'article  :  li  loir  =  li  or  l'or-y  —  spoine  xviri  9 
et  ipne  xxii  8  sont  dépourvus  de  Ve  prosthétique  ;  à  ces  exemples  il  faut 
peut-être  joindre  celui  de  strenge  pour  estrengc  vu  5  et  la  note.  La 
permutation  normale  de  e  en  a  a  donné  une  grande  extension  aux  faits 


j38  f-    BONNARDOT 

d'aphérèse  dans  le  dialecte  lorrain,  particulièrement  à  Metz  ;  ainsi  Viglia 
est  devenu  Vaglise,  séparé  plus  tard  en  la  glise  d'où  ceU  glbe^Vçsxnyt  ^ 
Vastuve  =^  la  siuve  d'où  dér.  stuvour  sîuvcrasse.  Les  faits  de  ce  genre  ne 
sont  déjà  pas  rares  dans  Job  et  Saint-Bernard,  La  diérèse  est  souvent 
accusée  par  llntercalatîon  de  //  qui  n'est  pas  toujours,  il  est  vrai,  mis  en 
bonne  place:  pobosîé  x\i  2,  veahe desporveulie  xx  7,  xxxi  14,  pohene  xx  7, 
deprihe  xxiv  4,  crohiés  sohïés  xxii  5-^,  ahusî  xxiv  2,  outrchant  xxiv  }. 
Dans  malaguré  xxv  ï-8,  (cf.  segiire  dans  /oi'  passim)^  c'est  la  consonne 
étymologique  qui  marque  la  diérèse.  Bien  que  les  formes  où  le  g  est 
tombé  (aïnos,  matauroîs]  soient  plus  nombreuses  déjà  dans  notre  texte»  la 
gutturale  n^en  a  pas  moins  persisté  dans  le  patois  actuel  qui  dit  agrou 
mologrou  —  heureux  malheureux. 


La  physionomie  particulière  du  Dialogue  n'est  nulle  part  plus  accen- 
tuée que  dans  le  traitement  des  consonnes  finales,  Soit  qu'il  remplace  les 
sonores  par  les  sourdes  ou  qu'il  les  supprime  complètement,  soit  au  con- 
traire qu'il  en  renforce  la  valeur  en  les  redoublant,  dans  l'un  et  l'autre 
cas,  le  souci  de  l'écrivain  est  de  serrer  la  prononciation  au  plus  près. 
Voici  quelques  exemples  d'apocope,  laquelle  affecte  surtout  les  consonnes 
5  et  (  :  pron.  me  îé  même  quand  le  mot  suivant  commence  par  une 
voyelle,  11  8,  m  1,  xvm  7,  xxx  26;  ajoste  en  2<=  p.  s.  rv  i,  les  temon 
V  2  et  d'autres  fautes  contre  la  déclinaison  ;  —  foi  iv  1,  xxix  8,  mais  (oit 
IV  2  et  ailleurs,  cer  apcr  tar  xix  i  ^,  xxvii  92,  xxvin  1  ç,  pron,  ces  même 
au  fém.  sing.  i  7,  xiii  ï  3  ;  les  formes  verbales  à  la  5«  p.  s.  :  possis  11  2, 
plais  vui  6,  seuei  comp.  porsè  i\  8,  xii  2 1 ,  ravis  xx  j ,  sot  xxvii  2 1 ,  et  à  la 
î"  p.  p.  où  la  chute  du  t  est  accompagnée  de  celle  de  n  :  porsoeve  11  9 
(et  plus  h3k%  porsevent  m  1^,  forsenne  forsanne  m  7,  v  18,  contrejau  v  2» 
acompagm  v  10  »  ,  —  dans  fuit  m  1 ,  î  s'est  substitué  à  r  final  de  l'inf. 
fuir,  lequel  était  sans  doute  éteint  dans  la  prononciation,  cp,  morixxx  17; 
—  tan  XIII  ï7  et  tam  m  i  peut  avoir  perdu  son  t  final  sous  l'influence  de 
quam,  notation  purement  latine  de  la  conj.  ijue^  dont  notre  texte  fournit 
maints  exemples'. 

Dans  le  cas  opposé,  c'est-à-dire  pour  les  mots  où  la  consonne  finale 
se  fait  entendre,  le  scribe  note  la  valeur  en  la  renforçant  soit  par  le 
redoublement,  soit  par  l'adjonction  d'une  autre  consonne  du  même 
ordre  ou  plus  simplement  d'un  ^  muet.  Ce  cas  de  redoublement  se  ren- 
contre aussi,  mais  plus  rarement  dans  l'intérieur  du  mot.  Voici  les  prin- 


!-  La  chute  de  la  désin.  -nt  en  3*»  p.  pi.  a  pour  contre-poids  radjonctioti  de 
cette  même  désin,  en  j*^  p.  sg.  :  eschwt  et  autres  ex.  relevés  à  la  p.  52 j. 

2.  Ces  diverses  dérogations  à  Torlhographe  classiaue  se  rencontrent  en  abon- 
dance dans  les  textes  populaires  des  bas*temps  ;  FinterH  est  d'en  signaler  l'eiis* 
lencc  aux  origines  mêmes  de  ta  littérature  écrite. 


TEXTE   LORRAIN    00   XII*  SIÈCLE  JIQ 

dpaux  exemples  de  ces  notations  diverses  :  perilsce  m  9  (et  à  la  ligne 
pfécédemc  pinlz)^  msct  v  ij  [voit  vi  j) ',  conforu  v  u,  tact 
pirmagrti  plagne  v  14,  vin  17,  en  i"  p.  s,»,  kisce  ix  ^,  isci  xi  2,  emlesges 
XIII  9  (voy.  la  noiel,  rcpost  xiv  j^  pron.  mess  tess  vm  ij,  xxxîu  10. 
—  Un  certain  nombre  de  suj.  sîng.  et  ace.  plur.  marquent  leur  dési- 
nence casuelle  par /r  :  tormentetz  vu  7,  vivant!  vin  14,  jugementz  xn 
14,  tonnenîz  xjï  15,  rrcdr  xxix  6?.  —  La  liquide  se  double  aussi» 
sans  amener  la  mouillure,  dans  les  pron.  dl  \  },  illv  lo-tj,  précédant 
une  consonne-  —  Enfin  je  signalerai  l'adjonction  de  s  k  h  voyelle  0 
finale  pour  marquer  la  longueur  du  son  :  pron.  neui.  bs  xv  ç,  imerj. 
os  XXVII  52-$  s  en  regard  de  0  47.  Pareillement  la  prép.  de  est  notée  des 
xxvïi  94. 

2  —  Flexion. 

DÉCLINAISON. 

Les  fautes  contre  la  déclinaison  sont  très-nombreuses  dans  le  Dialogue, 
Au  premier  abord  il  peut  paraître  surprenant  qu'un  texte  du  xii*  siècle, 
exécuté  avec  un  grand  soin,  respecte  aussi  peu  les  lois  de  la  flexion 
casuelle  ;  mais  c*est  là  précisément  un  témoignage  de  poids  en  faveur 
du  caractère  populaire  que  nous  revendiquons  pour  ce  document.  Par 
là  encore  s'affirme  !a  communauté  de  physionomie  générale  entre  le 
Dialogue  et  les  textes  de  Job  et  de  Sainî-Bernard,  Il  suffit  de  signaler  le 
fait  avec  quelques  exemples  à  l*appiii,  choisis  parmi  ceux  qui  montrent, 
comme  étant  déjà  accomplie  dans  le  parler  populaire,  révolution  qui  a 
transforméle  français  ancien  en  français  moderne.  Les  citations  suivantes, 


u  Cette  noution  redoublée  de  ta  sifflante  s  ou  (  n'est  pas  inconnue  à  la 
langue  de  M,  qui  offre  de  nombreux  exemples  de  via  orthographié  viscc. 

2.  Pour  permagne  plagne  il  faut  tenir  grand  compte  de  la  présence  de  la 
nasale  mouillée.  —  Si,  dans  ces  divers  exemples,  Tadjonction  de  c  i  la  consonne 
terminale  témoigne  de  la  sonorité  de  cette  consonne,  le  même  fait  est  attesté 
a  contrario  par  la  suppression  de  e  désinentiel  féminin  dans  les  mots  où  celte 
voyelle  est  dongine.  Les  textes  populaires  du  xrv"  et  du  xv«  siècle  fournissent, 
en  rime,  de  nombreux  cas  de  manière  rivière  première,.,  écrits  manier  nvier  premier 
(voy.  dans  la  Guerre  Je  Metz  les  noies  variantes  aux  couplets  6-9-15...),  Peut* 
lire  avons-nous  déjà  un  cas  de  celte  orthographe  phonétique  dans  triur  crmr 
tfwu  vu  6-J4,  le  fcm.  du  fr.  cruci  se  rencontrant  souvent  avec  l'orthographe 
crtuin  dans  les  textes  lorrains.  Ce  cas  serait  assuré  si  enter j  au  lieu  d'être  une 
simple  permutation  du  fém.  eratL  pouvait  remonter  à  un  type  crudariam. 

j*  Dans  tous  ces  mots,  le  t  final  est  purement  étymologique,  puisque  le  z 
avait  encore  la  valeur  de  ts  comme  en  témoigne  lormellement  jusz  (=:  justus} 
xx\u  14.  —  Mais  en  finale  fém.  j  est  souvent  employé  pour  j;  c'est  ce  qui 
m'a  obligé  de  marquer  d'un  accent  Yé  masc.  afin  d'éviter  toute  confusion  p.  ex, 
entre  ontez  subst,  et  ordéz  part.  J'ai  aussi  adopté  la  même  régie  pour  les  finales 
terminées  en  éL 


]^0  F.    BOKNARDOT 

auxquelles  pourraient  s'ajouter  beaucoup  de  cas  analogues,  appartiennent 
toutes  à  des  mots  en  sujet  mais  orthographiés  en  régime  :  suj.  plur.  dous 
(duo)  i  7  ;  suj.  sing.  apressé  n  4,  divirpiî  deverpiî  m  1 1,  v  $^foit  iv  i-j, 
rtu  V  },  enmarcit  vi  7,  etc.,  etc.  La  distinction  des  genres  r/est  pas  plus 
fidèlement  observée  que  celle  des  cas  :  aveniiz  tx  2 1  est  un  sujet  neutre 
orthographié  comme  s'il  était  masculin. 

Notre  texte  offre  deux  exemples  de  mots  appartenant  à  des  genres 
différents  en  latin  et  en  français  :  dona  et  osîia,  neutre  pluriel  =  féminin 
singulier,  se  présentent  sous  la  forme  dones  ïv  6,  uses  xxvii  21.  Le  pre- 
mier de  ces  mots,  fréquent  dans  Job  446  (ï^r),  452,  etc.,  se  rencontre! 
aussi  dans  Saint-Bernard:  donnes  529;  je  relève  de  plus  dans  Job  les 
formes  analogues  osses  (très-fréq.)^  fruitte  (cf.  itaL  frutîà). 

Avant  de  passer  à  la  conjugaison,  je  signalerai  quelques  formes  par- 
ticulières de  Tarticle  et  des  pronoms  :  —  art.  masc.  rég.  sing.  dol  xiii 
10,  dont  PI  est  dû  aune  réversion  erronément  étymologique  deTude^i^Ju; 
cette  forme  dol  est  plus  tard  devenue  dor^  qui  a  été  d'un  usage  assez 
fréquent  en  Vôge  ;  la  seule  charte  de  Flabémont  en  offre  plus  de  dtxcas<.j 

—  Pron.,  r  p.  diexxyu  64;  2*  p.  to  îd  tai  ta  xi  15,  xix  ?-i2,  xx  16, 
XXX  î  I  ;  5"  p.  rég.  masc.  plur.  aos  v  S^  neul.  rég.  los  xv  ^,  réfléchi  so  xi 
ï8.  —  Poss.  :  suj.  masc.  plur.  mea  Ua  ix  19,  xxv  4;  fém,  sing  fa  f*  et 
déjà  le  solécisme  fo/ïdans  ton  ire  xxvii  12,  duquel  rappr.  son  maiisct  [Job 
517)  qui  ne  peut  invoquer  aucune  circonstance  atténuante  en  sa  faveur  ■; 
— démonst.  masc,  plur,  rég»  ceos  iceos  keous  passim,  formes  logiquement 
postérieures  à  içaz  xi  28  ;  fém.  sing.  rég.  cestce  vm  5,  var.  de  cestei 
{cL  celei  ci-dessous);  fém.  plur.  icès  xxv  16,  içales  cales  cale  et  çaz  xi 
22  ;  neut.  ice  icest,  cet  ni  t  j,  et  deux  formes  plus  spéciales  :  çu  xi  16-j 
24,  réduit  de  ceu  plus  anc.  ceo  qui  se  laisse  reconnaître  dans  zo  xix  )• 

—  J*ai  mentionné  plus  haut  l'apocope  du  t  de  cest  cesîe  ramenés  à  ces  1 
7,  XIII  [}  y  et  c'est  par  un  phénomène  d'allittération  que  la  consonne  / 
s^introduit  dans  la  syllabe  initiale  de  ilcil  xxxii  27,  ikelei  xxix  28. 

CONJUGAISON. 

Je  me  bornerai  à  relever  ici  les  formes  verbales  intéressantes  qui  n'ont 
pas  trouvé  leur  explication  dans  la  première  partie  de  ce  travail,  en  ren- 
voyant pour  les  autres  formes  à  la  lettre  affectée.  —  Inf.,  part*  et  parf. 
de  la  V"  conjugaison  (  réduit  de  ié  :  pechir-^his,  reparir  etc.,  voy.  les  ex. 


I .  I>ans  mm  spoim  estude  xvm  9,  mon  pourrait^  â  U  rigueur^  être  justifié 
par  le  jgcnre  neutre  (c.-à-d*  masculin)  de  cstudc  (studium).  —  D'une  manière 
générale,  Temploi  de  mon  ton  son  en  fém.  paraît  appartenir  en  propre  aux  dia- 
lectes extrêmes  du  nord  et  du  nord-est  ;  ce  ne  serait  alors  qu'une  variante  de 
prononciation  de  mm  Un  scn,  formes  nasalisées  du  fém.  me  U  se  ^=  fr.  ma  ta  sa. 


TEXTE    LORRAIN    OU    Xtl*   SIÈCLE  531 

SOUS  diphth.  iép.  ^2^;  part,  fera.  M*  conjv  en  ei  è  :  denet  remanbré^  voy. 
le*  ex.  à  la  p.  ^zi)  —  imparf.  F**  conj.  eve  ;  rapeUvet  xi  i8,  otroevct  xii 
I,  âairevû  xviii  2  ;  —  fut.  T"  p.  s.  requercai  v  4,  sofemai  xxvii  69,  où 
l'on  voit  les  deux  éléments  de  formation  encore  distincts  ;  —  subj.  avec 
la  désinence  ce  st,  notation  locale  de  la  désin.  lat,  iam  [eam)  dont  Fi  est 
devenu  un  jot.  Cette  désinence,  qui  appartient  en  propre  à  ta  4*  (et  2") 
conj.  latine,  a  passé  par  analogie  à  la  y  (am),  puis  à  ta  r^  Çem)  où  elle 
s'est  maintenue  de  préférence  à  toute  autre  ;  notre  texte  en  offre  déjà  de 
nombreux  exemples  :  manifeiscent  v  ï2,  soujeces  ix  4,  paroce  (de  parler) 
xti  17,  sace  (de  seoir  en  valeur  du  verbe  substantif)  xix  5,  munces  sor- 
monce  xix  ç,  xxxn  22, retrace  sostrace  xïx  n,  xx  ij,  xxxiii  ï6,  amanct 
XX  14,  aipunse  XXIX  24,  asicent  xxix  iS^  puisses  (trad.  f^vtay)  xxxu 
tl,  4oce  XXX ni  17,  tormmct  xxxiiï  18,  On  remarquera  que  tous  ces 
verbes  ont  leur  thème  terminé  par  une  dentale  romane  ou  latine,  deux 
seulement  étant  exceptés  :  paroces  et  cuisses.  —  Formes  isolées  :  aîroiz 
r*'  p.  s,  ind.  de  atrover,  u  5-7  {atroz  dans  S.  Bernard  555);  porsè,  possis 
?<  p.  sJnd.  de  porscvre  ou  porsegrc  et  de  posseir  (Job  496,  j  1 5),  dériva- 
lion  normale  de  possidere,  u  i-S]  valles  vaiîle  2'  et  y  p.  s.  subj.  de  alter^ 
sous  l'influence  de  Pindicatif,  xm  18  et  xxvn  94.  Le  verbe  ouvrir  st  ren- 
contre dans  ses  diverses  flexions  temporelles  sous  des  formes  assez  diver- 
gentes, dont  les  unes  ont  maintenu  et  renforcé  Va  de  Tanc.  fr ;  aùvrir^ 
tandis  que  les  autres  Pont  laissé  tomber  comme  dans  le  fr.  moderne  : 
pan,  aoverte,  aiuvacs  amenés  et  adv.  auveriemenî  vi  3-14,  xxvit  62-81  ; 
parf,  y  ^.  s.  avré,  impér.  uvre  xxvn  20-80.  Les  trois  formes  en  é-és 
permettent  de  ranger  ce  verbe  parmi  ceux  qui  ont  appartenu  à  la  fois 
à  la  1^  et  à  la  4<'  conj. 


Tels  sont  les  principaux  caractères  phonétiques  de  ce  texte  précieux 
par  sa  date,  dont  la  limite  inférieure  peut  être  déterminée  d'une  façon 
assez  précise*  La  seconde  partie  du  Dialogas,  celle  qui  ne  comporte  pas 
de  traduction,  a  été  transcrite  par  la  même  main  qui  a  copié  les  deux 
extraits  du  Sacramentaire  et  du  Bestiaire,  Comme  ces  fragments  sont 
tirés  des  œuvres  de  Hugues  de  Saint-Victor,  l'exécution  de  cette  partie 
du  ms.  ne  peut  guère  être  antérieure  à  la  seconde  moitié  du  xn«  siècle, 
Hugues  de  Saint-Viaor  étant  mort  en  1 142.  Mais  la  première  partie  de 
notre  texte,  celle  qui  contient  la  traduction,  est  incontestablement  plus 
ancienne*  C'est  au  f*  6çc  que  se  marquent  le  changement  de  main  et  l'ab- 
sence  de  traduction  :  la  coïncidence  de  ces  deux  faits  autorise  la  con- 
jecture que  le  traducteur  du  texte  fut  aussi  le  copiste  du  ms.  En  effet, 
si  l'on  admettait  une  double  individualité  et  la  préexistence  de  la  tra- 
duction, comment  expliquer  que,  lorsque  le  premier  copiste  se  fût  arrêté 
dans  la  transcription  du  texte  et  de  la  traduction,  le  second  n'eût  pas 


IP  F.    BONNARDOT 

continué  l'œuvre  restée  inachevée,  et  qu'il  se  fût  seulement  borné  à 
copier  le  latin  s*il  avait  eu  le  français  sous  les  yeux  ?  Au  contraire,  avec 
un  seul  personnage  remplissant  la  double  fonction  de  traducteur  et  de 
copiste,  on  s'explique  que  la  mort  de  celui-ci  ait  fatalement  entraîné 
l'arrêt  de  celui-là. 

Il  n'est  pas  jusqu^à  la  disposition  respective  des  deux  textes  latin  et 
français  qui  ne  soit  un  argument  de  poids  en  faveur  de  notre  hypothèse. 
J'ai  dit  à  la  p.  27}  que  texte  et  traduction  sont  rangés,  non  pas  en  ordre 
parallèle,  mais  en  suite  l'un  de  l'autre  '.  Une  raison  tirée  de  l'économie 
des  blancs  et  de  la  symétrie  des  deux  moitiés  du  feuillet  n'est  pas  suffi- 
sante pour  justifier  cette  disposition  insolite.  Mais  elle  devient  naturelle 
et  forcée,  si  le  copîste-traduaeur,  après  avoir  découpé  le  texte  latin  en 
tranches  pour  facihler  son  travail  de  version,  a  ensuite  reporté  sur  le 
ms.  chacune  de  ces  tranches  à  la  suite  l'une  de  l'autre  dans  les  deux 
langues  *. 

Le  texte  du  ms.  d'Epinal  est  quelque  peu  abrégé  en  comparaison  du 
texte  imprimé  dans  la  Patrologie  ;  ïe  lecteur  diligent  pourra  s'en  assurer 
à  l'aide  des  numéros  d'ordre  intercalés  entre  crochets  dans  le  texte 
latin  et  qui  renvoient  à  la  leçon  imprimée.  La  plupart  des  mss.  du 
traité  disidore  sont  dans  le  même  cas  k  En  ce  qui  concerne  notre  ms. , 
la  concordance  de  ces  lacunes  dans  le  double  texte  latin  et  français* 
témoigne  qu'elles  existaient  ainsi  dans  la  leçon  latine  que  notre  traduc- 
teur a  divisée  en  fragments  de  diverse  étendue ,  qu'il  a  ensuite  recopiés 
de  sa  propre  main,  en  faisant  suivre  chacun  de  ces  fragments  desa  trans- 
lation en  roman. 

En  résumé,  le  texte  lorrain  du  ms.  d'Epînal  tSi  est  un  document 
unique,  un  témoin  authentique  du  langage  parlé  dans  la  région  monta- 
gneuse des  Vosges  au  milieu  du  xii«  siècle,  dans  ce  centre  d'abbayes 
florissantes  où,  selon  toute  probabilité,  furent  composées  les  traductions 
romanes  des  Moralités  sur  Job  et  des  Sermons  de  Saint  Bernard. 

François  Bonnardot. 


1 .  Sauf  toutefois  à  la  première  page  (f*  48)  où  les  deux  textes  sont  en  regard. 

2.  Parfois  la  symétrie  a  été  cherchée  ei  obtenue  à  l'aide  d'artifices  palèogra- 
phiques,  tels  que  surcharge  d'abréviations,  empiétement  d'une  colonne  sur  les 
marges^  amincissement  de  récriture,  le  tout  afin  due  le  français  se  tînt  tout 
entier  en  regard  du  latin.  Mais  ce  sont  là  des  acciaeits  dans  l'ensemble  du  ms. 
—  II  va  sans  dire  que  la  traduction  n'a  pas  été  coulée  d'un  seul  jet  dans  les 
colonnes  du  m  s.  ;  chaque  morceau  a  été  traduit  rsotément,  puis  transcrit  à  ta 
suite  du  latin,  ce  ^m  explique  quelques  inadvertances  de  lecture* 

y.  C'est  ce  qu'indique  la  note  du  j^  lOj  et  dernier  dans  Migne  :  Ut  m  hùc 
ioco  a  maitii  Mss.  omtttuntur  nrba,..  itû  passim  alus  in  lotis  plura  alla  fr,^^ 
tcrtuntur,  quoi  faciU  fuit  m  îanta  smUntiaram  vahorumqnc  imilium  œpm,  (Note 
de  Faustimis  Arevatus,  éditeur  des  œuvres  complètes  de  Isidore  de  Sévîlle^ 
Rome,  Ï797.) 


CONTES  POPULAIRES  LORRAINS 

RECUEILLIS  DANS  UN  VILLAGE  DU  BARROIS 

A    MONTIËRS-SUR-SAULX  (MEUSE) 

(Suite), 


IV. 


TAPALAPAUTALî. 

Il  était  une  fois  un  homme  qui  avait  autant  d'enfants  qu*il  y  a  de 
trous  dans  un  tamis.  On  beau  jour,  il  s'en  alla  faire  un  tour  dans  le  pays 
pour  chercher  à  gagner  sa  vie  et  celle  de  sa  famille.  It  rencontra  sur 
son  chemin  le  bon  Dieu  qui  lui  dit  :  «  Où  vas-tu,  mon  brave  homme  f 
—  Je  m'en  vais  par  ces  pays  chercher  à  gagner  ma  vie  et  celle  de  ma 
femme  et  de  mes  enfants.  —  Tiens  »,  dit  le  bon  Dieu,  <t  voici  une 
serviette.  Tu  n'auras  qu'A  lui  dire  :  Scrvieîîc,  fais  ton  devoir^  et  tu  verras 
ce  qui  adviendra,  j*  Le  pauvre  homme  prit  la  serviette  en  remerciant 
le  bon  Dieu,  et  voulut  en  faire  aussitôt  l'expérience.  Après  l'avoir  étendue 
par  terre,  il  dit  :  u  Serviette,  fais  ton  devoir  »,  et  la  serviette  se  couvrit 
d*excellents  mets  de  toute  sorte.  Plein  de  joie,  il  la  replia  et  reprit  le 
chemin  de  son  village. 

Comme  il  se  faisait  tard,  il  entra  dans  une  auberge  pour  y  passer  la 
ntiit,  et  dit  à  l'aubergiste  :  «  Vous  voyez  cette  serviette,  gardez-vous 
de  lui  dire  :  Serviette^  fais  ton  devoir.  —  Soyez  tranquille,  mon  brave 
homme.  »  Il  était  à  peine  couché,  que  Taubergiste  dit  à  la  serviette  : 
Ci  Serviette,  fais  ton  devoir.  i>  Il  fut  grandement  étonné  en  la  voyant  se 
couvrir  de  pain,  de  vin,  de  viandes  et  de  tout  ce  qu'il  fallait  pour  faire 
un  bon  repas^  dont  il  se  régala  avec  tous  les  gens  de  sa  maison.  Le 
lendemain,  il  garda  la  bienheureuse  serviette  et  en  donna  une  autre  au 
pauvre  homme,  qui  partit  sans  se  douter  du  tour  qu'on  lui  avait  joué. 

Arrivé  chez  lui,  il  dit  en  entrant  :  «  Ma  femme,  nous  ne  manquerons 
plus  de  rien  à  présent.  —  Oh  î  »  répondit-elle,  «  mon  mari,  vous  nous 
chantez  toujours  la  même  chanson,  et  nos  affaires  n'en  vont  pas  mieux.  » 


ÎÎ4  E.  cosqyiN 

Cependant  Thomme  avait  tiré  la  serviette  de  sa  poche.  «  Serviette,  n 
dit-il,  «  fais  ton  devoir.  )>  Mais  rien  ne  parut.  Il  répéta  les  mêmes 
paroles  jusqu'à  vingt  fois,  toujours  sans  succès,  si  bien  qu'il  dut  se 
remettre  en  route  pour  gagner  son  pain. 

Il  rencontra  encore  le  bon  Diey.  a  Où  vas-îu,  mon  brave  homme?  — 
Je  m'en  vais  par  ces  pays  chercher  à  gagner  ma  vie  et  celle  de  ma 
femme  et  de  mes  enfants.  —  Qu'as-tu  fait  de  ta  serviette  ?  >»  L'homme 
raconta  ce  qui  lui  était  arrivé.  «  Que  tu  es  simple ,  mon  pauvre 
homme  î  »  lui  dit  le  bon  Dieu.  «  Tiens,  voilà  un  âne.  Tu  n'auras  qii*à 
lui  dire  :  Fais-moi  des  écuSy  ei  aussitôt  il  t*en  fera.  » 

L'homme  emmena  Pane,  et  à  la  tombée  de  la  nuit,  il  entra  dans  l'au- 
berge où  il  avait  déjà  logé.  Il  dit  aux  gens  de  ta  maison  :  «  N'allez  pas 
dire  à  mon  âne  :  Fais-moi  des  écus,  —  Ne  craignes  rien,  »  lui  répondi- 
rent-ils. Dès  qu'il  fut  couché^  l'aubergiste  dit  à  l'âne  :  «  Fais-moi  des 
écus  ;  Jï  et  les  écus  tombèrent  à  foison.  L'aubergiste  avait  un  âne  qui 
ressemblait  à  s'y  méprendre  à  l'âne  aux  écus  d'or  :  le  lendemain,  il 
donna  sa  bête  à  Thomme,  et  garda  l'autre. 

De  retour  chez  iui,  le  pauvre  homme  dit  à  sa  femme  :  «  C'est  mainte- 
nant que  nous  aurons  des  écus  autant  que  nous  en  voudrons!  n  La  femme 
ne  le  croyait  guère.  «  Allons,  )>  dit  l'homme  à  son  âne,  «  fais-moi  des 
écus,  »  L'âne  ne  fit  rien.  On  lui  donna  des  coups  de  bâton,  mais  il  n'en 
fit  pas  davantage. 

Voilà  notre  hmitme  encore  sur  les  chemins,  M  rencontra  le  bon  Dieu 
pour  la  troisième  fois.  «  Où  vas-tu^  mon  brave  homme  ?  —  L'âne  ne 
m'a  point  fait  d'écus.  —  Que  tu  es  simple,  mon  pauvre  homme!  Tiens, 
voici  un  bâton,  quand  tu  lui  diras  :  Tapalapautau^  il  se  mettra  à  battre 
les  gens;  si  tu  veux  le  rappeler,  tu  lui  diras  :  Alapautau.  j>  L'homme 
prit  le  bâton  et  entra  encore  dans  la  même  auberge.  Il  dit  aux  gens  de 
l'auberge  :  k  Vous  ne  direz  pas  à  mon  bâton  :  Tapalapautati.  —  Non, 
non,  dormez  en  paix.  » 

Quand  les  gens  virent  qu'il  était  couché,  ils  s'empressèrent  de  dire  au 
bâton  :  c<  Tapalapautau.  »  Aussitôt  le  bâton  se  mit  à  les  corriger  d'im- 
portance et  à  leur  casser  bras  et  jambes,  a  Hé  I  l'homme  î  »  criaieni-iJs, 
«  rappelez  voire  bâton,  nous  vous  rendrons  votre  serviette  et  votre  âne.  » 
L'homme  dit  alors  :  «  Alapautau,  »  et  le  bâton  s'arrêta.  On  lui  rendit  bien 
vite  sa  serviette  et  son  âne;  il  s'en  retourna  chez  lui  et  vécut  heureux 
avec  sa  femme  et  ses  enfants. 

Moi,  je  suis  revenu  et  je  n'ai  rien  eu. 


Voir  les  remarques  du  ti*  36  de  la  collection  Grimmet  celles  de  M,  R.  Kœh> 
1er  sur  le  conte  sicilien  n°  p  de  la  collection  Gonzenbach. 
Il  faut  y  ajouter,  comme  rapprochements,  le  n®  2^  de  la  grande  collection  d< 


CONTES   POPUUIRES   LORRAINS  ^}{ 

contes  siciliens,  publiée  en  187$  par  M.  G.  Pitrè,  ainsi  que  les  contes  de 
diverses  parties  de  Tltalîe  qu*'û  cite  dans  ses  remarques  ;  les  contes  siciliens  n»* 
7  et  ta  de  la  collection  Comparetti  (NovdUne  popolari  itaHam,  1875);  un  conte 
catalan  du  Rondaliayre  publié  par  M.Maspons  y  Labros(j*part.,  187$,  p.  ji); 
un  conte  grec  moderne  (Simrock,  Dcaischc  Marchen,  1864,  Appendice,  n«»  1),  et 
eoHn  deux  contes  russes  anal^iiés  par  M.  de  Gubernatis  dans  sa  Zoologkal 
Mythcîogy  (t.  lï,  p*  262). 

On  a  remarqué  quel  rôle  familier  Dieu  joue  dans  notre  conte  lorrain  ;  il  en 
est  de  même  dans  un  conte  toscan  semblable,  recueilli  par  M.  de  Gubernatis 
{Lt  Nayeîiine  di  Santo-Sufano  di  Cakmata,  [S69,  n*  2O,  où  c'est  •  Jésus  •  qui 
donne  successivement  â  trois  frères  les  trois  objets  merveilleux.  Ce  serait  â  tort 
que  Ton  voudrait  y  voir  une  intention  tant  soit  peu  railleuse.  Il  y  a  là,  au 
contraire,  —  comme  on  l'a  fort  bien  dit  au  stijel  de  détails  de  ce  genre  qui  se 
trouvent  dans  d'autres  collections,  —  un  trait  propre  aux  traditions  populaires 
des  pays  profondément  religieux  et  des  époques  naïvement  croyantes.  Ainsi  cette 
fjunilianté  est  partout  dans  la  littérature  populaire  du  moyen4ge. 

Nous  ne  savons  $1  jusqu'à  présent  on  a  découvert  dans  la  littérature  indienne 
ou  dans  les  ouvrages  orientaux  dérivés  plus  ou  moins  directement  de  FInde,  un 
récit  qui  présente  la  suite  d'idées  de  tous  ces  contes  européens.  Pour  notre 
pari,  nous  n'en  connaissons  pas.  Nous  ne  pouvons  citer  à  ce  sujet  qu'un  passage 
du  livre  mongol  intitulé  Siddhi-Kâr^  livre  dont  Torigine  est  certainement  indienne. 
Dans  le  sixième  récit  de  cette  collection  figurent  une  coupe  d'or  qu'il  suffit  de 
retourner  pour  avoir  ce  que  l'on  soubaite,  et  un  bâton  qui,  sur  l'ordre  de  son 
tnatire,  s'en  va  tutr  les  voleurs  et  leur  reprendre  ce  qu'ils  ont  dérobé.  —  Mais 
ta  tradition  orale  de  l'Inde  nous  offre  un  conte  qui  est  tout-à-fait  le  pendant  de 
ceux  qui  précèdent.  En  voici  le  résumé  (Miss  Frère,  Old  Dekkûn  Days^  1870, 
!•  éd.  p.  166), 

Un  brahmane  très-pauvre  a  marié  sa  fi!le  à  un  chacal,  lequel  n'est  autre  qu*iin 
prince  qui  a  pris  cette  forme.  Un  jour,  il  va  trouver  son  gendre,  et  lui  demande 
de  le  secourir  dans  sa  misère.  Il  en  reçoit  un  melon  que,  sur  le  conseil  do  cha- 
cal^ il  plante  dans  son  jardin.  Le  lendemain  et  les  jours  suivants,  à  la  place  où 
il  a  planté  le  melon,  il  trouve  des  centaines  de  melons  mûrs.  Sa  femme  les  vend 
tous  successivement  à  sa  voisine,  sans  savoir  qu'ils  sont  remplis  de  pierres  pré- 
cieuses. Quand  enfin  elle  s'en  aperçoit  et  qu'elle  réclame,  l'autre  fait  semblant 
de  ne  pas  comprendre  et  la  met  à  la  porte.  Le  brahmane  retourne  chez  le  cha- 
cal j  celui-ci  lui  fait  présent  d'une  jarre,  toujours  remplie  d'excellents  mets. 
Mais  le  brahmane  ne  sait  pas  garder  le  secret^  et  le  ministre  du  roi,  apprenant 
les  vertus  de  la  jarre  merveilleuse,  s'en  empare  au  nom  de  son  maître.  Nouveau 
iroyage  du  brahmane,  qui  celte  fois  rapporte  une  seconde  jarre  d'où  il  sort, 
quand  on  en  soulève  le  couvercle,  une  corde  qui  lie  les  gens  et  un  gourdin  qui 
les  roue  de  coups.  Grâce  au  gourdin,  le  brahmane  rentre  en  possession  de  ce 
qtii  lui  a  été  volé. 

Notre  conte  se  retrouve  en  substance  chez  les  nègres  du  pays  d'Akwapiro, 
pays  qui  fait  partie  du  royaume  des  Achanlis.  Ces  nègres  racontent  au  sujet 
«Tiiii  personnage  nommé  Anansé  (l' Araignée)  et  que  certains  d'entre  eux  révèrent 
k  Créateur,  Thistoire  suivante  {Petifmanîiî  Mitthcitungin  aus  J,  Periha 


|)ti  E.  COSQUIN 

geùgraphmker  Anstalt^  iSjô,  p.  467):  Au  temps  d'une  grande  famine,  Anansé 
s'en  fut  au  bols  et  trouva  un  grand  pot.  <  Ah  I  »  dit-il,  t  voilà  que  j'ai  un 
potî  »  Le  pot  lui  dit  :  «  Je  ne  ni*appelle  pas  pot,  mais  Hâ  hon  {îhel  comme 
on  dit  de  la  pâte  qui  fermente).  »  Et,  sur  le  commandement  d'Anjnsé,  ii  se 
remplit  de  nourriture.  Anansé  remporte  cher  lui  et  le  cache  dans  sa  chambre. 
Ses  enbntS)  étonnés  de  voir  qu'il  ne  mange  plus  avec  eux^  entrent  dans  la 
chambre  pendant  son  absence,  trouvent  le  pot  et  lui  parlent  à  peu  près  comme 
avait  fait  leur  père.  Après  avoir  bien  mangé,  ils  brisent  le  pot  en  mille  pièces 
Anansé,  de  retour,  est  bien  désolé  et  s'en  retourne  au  bois  06  il  voit  une  cra- 
vache pendue  à  on  arbre.  •  Voilà  une  cravache  1  t  s'écrie-l-îL  —  «  On  ne 
m'appelle  pas  cravache  ;  on  m'appelle  Abndlabradu  (fouaillc!).  —  Voyons!  * 
dit  Anansé,  «  fouaille  un  peu  !  »  Mais  au  lieu  de  lui  donner  à  manger,  comme 
ii  s'y  attendait,  la  cravache  lui  donne  force  coups.  Il  remporte  chez  lui,  la  pend 
dans  sa  chambre  et  sort  en  laissant  â  dessein  ta  porte  ouverte.  Ses  enfants 
s'empressent  d'entrer  pour  voir.  Il  leur  arrive  avec  la  cravache  ce  qui  est  arrivé 
à  leur  père.  Quand  la  cravache  cesse  de  les  battre,  ils  la  coupent  en  morceaux 
et  dispersent  ces  morceaux  dans  tout  le  monde.  «  Voilà  comment  il  y  a  beat>- 
cotip  de  cravaches  dans  le  monde  ;  auparavant  il  n'y  en  avait  qu'une.  » 

Un  dernier  mot  sur  un  détail  de  notre  conte.  Dans  le  conte  hongrois  n*»  4  de 
la  collection  Gaal-Sticr  (Pcsth,  1857),  il  est  parlé,  exactement  dans  les  mèoies 
termes  que  dans  TapalapauUu^  d'un  pauvre  homme  «  qui  avait  autant  d'enfants 
qu*il  y  a  de  trous  dans  un  tamis.  > 


LES  FILS  DU  PÊCHEUR. 


Il  était  une  fois  un  pêcheur.  Un  pur  qu'il  était  à  pêcher^  il  prit  un 
gros  poisson.  <(  Pécheur,  pêcheur,  »  lui  dit  le  poisson,  <»  laisse-moi  aller, 
et  tu  en  prendras  beaucoup  d^autres,  î»  Le  pêcheur  le  rejeta  dans  Peau 
et  prit  en  effet  beaucoup  de  poissons.  De  retour  chez  lui,  il  dit  à  sa 
femme: <r J'ai  pris  un  gros  poisson  qui  m'a  dit  :  Pêcheur,  pêcheur,  laisse- 
moi  aller,  et  tu  en  prendras  beaucoup  d'autres*  —  Et  tu  ne  l'as 
rapporté  ?  n  dit  la  femme,  «  j'aurais  bien  voulu  le  manger.  »* 

Le  lendemain,  le  pécheur  prit  encore  le  gros  poisson.  *t  Pêdieur^ 
pêcheur,  laisse-moi  alïer,  et  tu  en  prendras  beaucoup  d'autres.  «  Le* 
pêcheur  le  rejeta  dans  l*eau,  et,  sa  pêche  faite,  revint  à  la  maison.  Sa 
femme  lui  dit  :  «c  Si  tu  ne  rapportes  pas  demain  ce  poisson,  j'irai  av 
toi,  et  je  le  prendrai,  n 

Le  pécheur  retourna  pêcher  le  jour  suivant,  et,  pour  la  troisième  fois, 
prit  le  gros  poisson,  u  Pêcheur,  pêcheur,  laisse-moi  aller,  et  tu  en  pren- 
dras beaucoup  d'autres.  —  Non,  »  dit  le  pêcheur,  «  ma  femme  veut  te 
manger.  —  Eh  bien  !  »)  dit  le  poisson,  «  s'il  faut  que  vous  me  man- 
giez, mettez  de  mes  arêtes  sous  votre  chienne,  mettez-en  sous  votre 


CONTES    POPULAIRES   LORRAINS  ^^J 

jument,  mettez-en  dans  le  jardin  derrière  votre  maison  ;  enfin^  emplissez 
trois  fioles  de  mon  sang.  Quand  les  fils  que  vous  aurez  seront  grands, 
vous  leur  donnerez  à  chacun  une  de  ces  fioles,  et^  s'il  arrive  malheur  à 
Van  d*cux,  le  sang  bouillonnera  aussitôt.  » 

Le  pécheur  fit  ce  que  le  poisson  lui  avait  dit  et,  après  un  temps,  sa 
femme  accoucha  de  trois  fils,  la  jument  mil  bas  trois  poulains  et  la 
chienne  trois  petits  chiens.  A  Tendroit  du  jardin  où  Ton  avait  mis  des 
arêtes  du  poisson,  il  se  trouva  trois  belles  lances. 

Quand  les  fils  du  pêcheur  furent  grands»  ils  quittèrent  la  maison  pour 
voir  du  pays,  et,  à  une  croisée  de  chemin,  ils  se  séparèrent.  De  temps 
en  temps,  chacun  regardait  si  le  sang  bouillonnait  dans  sa  fiole. 

LVmé  arriva  dans  un  village  où  tout  !e  monde  était  en  demi;  il 
demanda  pourquoi.  On  lui  dit  que  tous  les  ans  on  devait  livrer  une  jeune 
fiUe  à  une  bête  à  sept  têtes,  et  que  le  sort  venait  de  tomber  sur  une  prin* 
cesse. 

Aussitôt  le  jeune  homme  se  rendit  dans  le  bois  où  Ton  avait  conduit 
la  princesse;  elle  était  à  genoux,  et  priait  Dieu.  «  Que  faites-vous  là  ?  y> 
lui  demanda  le  jeune  homme,  —  <«  Hélas  !  »  dit-ellej  u  c'est  moi  que  le 
son  a  désignée  pour  être  dévorée  par  la  bêle  à  sept  têtes.  Eloignez*vous 
bien  vite  d'ici.  —  Non,  »  dit  le  jeune  homme;  «  j'attendrai  la  bête.  »» 
Et  il  fit  monter  la  princesse  en  croupe  sur  son  cheval* 

La  bête  ne  larda  pas  à  paraître.  Après  un  long  combat,  le  jeune 
homme,  aidé  de  son  chien,  abattit  les  sept  têtes  de  la  bête  à  coups  de 
lance.  La  princesse  lui  fit  mille  remerciements,  et  rinvita  à  venir  avec 
elle  chez  le  roi  son  père,  mais  il  refusa.  Elle  lui  donna  son  mouchoir, 
marqué  à  son  nom  ;  le  jeune  homme  y  enveloppa  les  sept  langues  de  la 
bête,  puis  il  dit  adieu  à  la  princesse,  qui  reprit  toute  seule  le  chemin 
du  château  de  son  père. 

Comme  elle  était  encore  dans  le  bois,  elle  rencontra  trois  charbonniers 
à  qui  elle  raconta  son  aventure.  Les  charbonniers  la  menacèrent  de  la 
tuer  à  coups  de  hache,  si  elle  ne  les  conduisait  à  l'endroit  où  se  trouvait 
le  corps  de  La  bête.  La  princesse  les  y  conduisit  Us  prirent  ies  sept 
têtes,  puis  ils  partirent  avec  la  princesse,  après  lui  avoir  fait  jurer  de  dire 
au  roi  que  c'étaient  eux  qui  avaient  tué  la  bête,  lis  arrivèrent  ensemble  à 
Paris,  au  Louvre,  et  la  princesse  dit  à  son  père  que  c^étaient  les  trois 
charbonniers  qui  Pavaient  délivrée*  Le  roi,  transporté  de  joie,  déclara 
qu'il  donnerait  sa  fille  à  Pun  d'eux;  mais  la  princesse  refusa  de  se  marier 
avant  un  an  et  un  jour:  elle  était  triste  et  malade. 

Un  an  et  un  jour  se  passèrent.  On  commençait  déjà  les  réjouissances 
des  noces,  quand  arriva  dans  la  ville  Talné  des  fils  du  pêcheur,  qui  se 
logea  dans  une  hûtelkrie.  Une  vieille  femme  lui  dit  :  «  li  y  a  aujourd'hui 
un  an  et  un  jour,  tout  le  monde  était  dans  la  tristesse,  et  maintenant  tout 

Romama^  V  22 


);8  E.  COSQUIN 

le  monde  est  dans  la  joie  :  trois  charbonniers  ont  délivré  ta  princes 
qui  allait  être  dévorée  par  une  bête  à  sept  tètes,  et  le  roi  va  la  marier  â  ' 
l'un  d'eux.  » 

Le  jeune  homme  dit  alors  à  son  chien  :  «  Va  me  chercher  ce  qu'il  y 
a  de  meilleur  chez  le  roi.  »  Le  chien  lui  apporta  deux  bons  plats.  Les 
cuisiniers  du  roi  se  plaignirent  à  leur  maître,  et  celui-ci  envoya  plusieurs 
de  ses  gardes  pour  voir  où  allait  le  chien.  Le  jeune  homme  les  tua  tous 
à  coups  de  lance,  à  l'exception  d'un  seul  qu'il  laissa  en  vie  pour  rapporter 
la  nouvelle.  Puis  il  dit  au  chien  d'aller  lui  chercher  les  meilleurs  gâteaux 
du  roi.  Le  roi  envoya  d'autres  gardes  que  le  jeune  homme  tua  comme 
les  premiers,  «  Il  faut  que  j'y  aille  moi-même,  >»  dit  le  roi*  Jl  vint  donc 
dans  son  carrosse,  y  fit  monter  le  jeune  homme  et  le  ramena  avec  lui  au 
château,  où  il  Tinvita  à  prendre  part  au  festin. 

Au  dessert,  le  roi  dit  :  «  Que  chacun  raconte  son  histoire.  Commen- 
çons par  les  trois  charbonniers,  »  Ceux-ci  racontèrent  qu'ils  avaient 
délivré  la  princesse,  quand  elle  allait  èlre  dévorée  par  la  bête  à  sept 
tètes.  «  Voici,  j>  dirent-ils,  a  les  tètes  que  nous  avons  coupées.— Sire,  m 
dit  alors  le  jeune  homme,  «  voyez  si  les  sept  langues  y  sont.  »  On  ne 
les  trouva  pas.  «  Lequel  croira-t-on  plutôt,  «  coniinua-t-il,  «  de  celui 
qui  a  les  langues  ou  de  celui  qui  a  les  têtes  ?  —  Celui  qui  a  les  langues,  n 
répondit  le  roi.  Le  jeune  homme  les  montra  aussitôt.  La  princesse 
reconnut  le  mouchoir  où  son  mm  était  brodé,  et  fut  si  contente  qu'elle 
ne  sentit  plus  son  mal.  «  Mon  père,  )>  dit-elle,  «t  c'est  ce  jeune  homme 
qui  m*a  délivré.  »  Aussitôt  le  roi  commanda  qu'on  dressât  une  potence 
et  y  fu  pendre  les  trois  charbonniers.  Puis  on  célébra  les  noces  du  ftls 
du  pêcheur  et  de  la  princesse. 

Le  soir,  après  le  repas,  quand  le  jeune  homme  fut  dans  sa  chambre 
avec  sa  femme,  il  aperçut  par  la  fenêtre  un  château  tout  en  feu.  a  Qu*est- 
ce  donc  que  ce  château  ?  n  deraanda-t-il.  —  «i  Chaque  nuit,  »  répondit 
la  princesse,  «  je  vois  ce  château  en  feu,  sans  pouvoir  m'ejcpliquer  la 
chose.  »  Dès  qu'elle  fut  endormie,  le  jeune  homme  se  releva»  et  sortit 
avec  son  cheval  et  son  chien  pour  voir  ce  que  c'était. 

Il  arriva  dans  une  belle  prairie,  au  milieu  de  laquelle  s'élevait  le  châ- 
teau, et  rencontra  une  vieille  fée  qui  lui  dit  :  «  Mon  ami^  voudriez-voua 
descendre  de  cheval  pour  m'aider  à  charger  cette  botte  d'herbe  sur  mon 
dos?  —  Volontiers,  »*  répondit  le  jeune  homme.  Mais  sitôt  qu'il  eut  mis 
pied  â  terre,  elle  lui  donna  un  coup  de  baguette,  et  le  changea  en  une 
touffe  d*herbe,  lui,  son  cheval  et  son  chien. 

Cependant  ses  frères,  ayant  vu  le  sang  bouillonner  dans  leurs  fioles, 
voulurent  savoir  ce  qu'était  devenu  leur  aine.  Le  second  frère  se  mit  en 
route.  Arrivé  dans  la  \ille,  il  vint  à  passer  près  du  château  du  roi.  En 
ce  moment,  la  princesse  était  sur  la  porte  pour  voir  si  son  mari  ne  rêve- 


s'y  méprendre, 
it 


mon 


CONTES   POPULAIRES  LORRAtNS  ^^ 

l\ie  c'était  lui,  car  les  trois  frères  se  ressemblaient 

^h!  )>  s'écria-l-elle,  «  vous 
inan!  vous  avez  bien  tardé,  —  Excusez-moi,  »  répondit  le  jeune 
homme,  «  j'avais  donné  un  ordre ,  on  ne  l'a  pas  exécuté^  et  j'ai  dû 
faire  la  chose  moi-même,  >»  On  se  mit  à  table,  puis  la  princesse  alla 
dans  sa  chambre  avec  le  jeune  homme.  Celui-ci,  ayant  regardé  par  la 
fenêtre,  vit,  comme  son  frèrCj  le  château  en  feu,  «  Qu*est-ce  que  ce 
château  ?  »  dit-il.  —  «  Mais,  mon  mari,  vous  me  l'avez  déjà  demandé,  — 
Cest  que  je  ne  m'en  souviens  plus.  —  Je  vous  ai  dit  que  ce  château  est 
en  feu  toutes  les  nuits  et  que  je  ne  puis  m*expliqyer  la  chose.  »  Le  jeune 
homme  prit  son  cheval  et  son  chien  et  partit.  Arrivé  dans  la  prairie,  il 
rencontra  la  vieille  fée,  qui  lui  dit  :  «  Mon  ami,  voudriez-vous  descendre 
de  cheval  pour  m'aider  à  charger  cette  botte  d*herbe  sur  mon  dos?  «  Le 
jeune  homme  descendit,  et  aussitôt,  d'un  coup  de  baguette,  la  fée  le 
changea  en  une  touffe  d'herbe,  lui,  son  cheval  et  son  chien* 

Le  plus  jeune  des  trois  frères»  ayant  vu  de  nouveau  le  sang  bouil- 
lonner dans  sa  fiole,  fut  bientôt  lui-même  dans  la  ville,  et  la  princesse, 
le  voyant  passer,  le  prit  lui  aussi  pour  son  mari*  Il  la  questionna,  comme 
ÈCs  frères,  au  sujet  du  château  en  feu,  et  la  princesse  lui  répondît  :  e»  Je 
vous  ai  déjà  dit  plusieurs  fois  que  ce  château  brûlait  ainsi  toutes  les  nuits 
et  que  je  n'en  savais  pas  davantage,  »  Le  jeune  homme  sortit  avec  son 
cheval  et  son  chien,  et  arriva  dans  la  prairie,  près  du  château,  «  Mon 
ami,  »  lui  dit  la  fée,  v  voudriez-vous  descendre  de  cheval  pour  m'aider 
à  charger  cette  botte  d'herbe  sur  mon  dos?  —  Non,  n  dit  le  jeune 
homme,  «  je  ne  descendrai  pas*  C'est  toi  qui  as  fait  périr  mes  deux 
frères;  si  tu  ne  leur  rends  pas  la  vie,  je  te  tue,  n  En  pariant  ainsi,  il  la 
saisît  par  tes  cheveux,  sans  mettre  pied  à  terre.  La  vieille  demanda 
grâce;  elle  prit  sa  baguette,  en  frappa  les  touffes  d*herbe,  et,  à  mesure 
qu'elle  les  touchait,  tous  ceux  qu'elle  avait  changés  reprenaient  leur  pre- 
mière forme.  Quand  elle  eut  fini,  le  plus  jeune  des  trois  frères  lira  son 
sabre  et  coupa  la  vieille  en  mille  morceaux,  puis  il  retourna  avec  se5 
frères  au  château.  La  princesse  ne  savait  lequel  des  trois  était  son  mari. 
«  C'est  moi,  m  lui  dit  Paîné, 

[Ses  frères  épousèrent  les  deux  sœurs  de  la  princesse,  et  Ton  fil  de 
grands  festins  pendant  six  mois. 
poiss 
rai  fa 


VARIANTE. 

LA  BÊTE  A  SEPT  TÊTES. 

Il  était  une  fois  un  pécheur.  Un  jour  qu^il  péchait,  il  prit  un  gros 
poisson.  <*  Si  tu  veux  me  laisser  aller,  »  lui  dit  le  poisson,  «^  je  i*amène- 
rai  faeaucoup  de  petits  poissons.  *>  Le  pécheur  le  rejeta  dans  l'eau  et  prit 


^40  E,  COSQUIN 

en  effei  beaucoup  de  petits  poissons.  Quand  il  en  eut  assez,  il  revint  i  la 
maison»  et  raconta  à  sa  femme  ce  qui  lui  était  arrivé.  «  Tu  aurais  dû 
rapporter  ce  poisson,  »  lui  dit-elle,  *.<  puisqu*il  est  si  gros  et  qu'il  sait  si 
bien  parler  :  lï  faut  essayer  de  le  reprendre,  f> 

Le  pêcheur  ne  s'en  soudait  guère,  maïs  sa  femme  le  pressa  tant,  qu'il 
retourna  à  la  rivière;  il  jeta  le  filet  et  ramena  encore  le  gros  poisson,  qui 
lui  dit  :  «  Puisque  tu  veux  absolument  m'avoir,  je  vais  te  dire  ce  que  to 
dois  faire»  Quand  tu  m'auras  tué,  tu  donneras  trois  gouttes  de  mon  sang 
à  la  femme,  trois  gouttes  à  ta  jument,  et  trois  à  ta  petite  chienne;  lu  en 
mettras  trois  dans  un  verre,  et  tu  garderas  mes  ouïes,  » 

Le  pêcheur  fit  ce  que  lui  avait  dit  le  poisson  :  il  donna  trois  gouttes  de 
sang  à  sa  femme,  trois  à  sa  jument  et  trois  à  sa  petite  chienne;  il  en  mit 
trois  dans  un  verre  et  garda  les  ouïes .  Après  un  temps,  sa  femme  accou- 
cha de  trois  beaux  garçons;  le  même  jour^  la  jument  mit  bas  trois  beaux 
poulains,  et  la  chienne  trois  beaux  petits  chiens  ;  à  Tendroit  où  étaient 
les  ouïes  du  poisson  il  se  trouva  trois  belles  lances.  Le  sang  qui  était 
dans  le  verre  devait  bouillonner  s*»l  arrivait  quelque  malheur  aux 
enfants. 

Quand  les  fils  du  pêcheur  furent  devenus  de  grands  et  forts  cavaliers, 
Tainé  monta  un  jour  sur  son  cheval,  prit  sa  lance,  siffla  son  chien  et  quitta 
la  maison  de  son  père,  l!  arriva  devant  un  beau  château  tout  brillant  d'or 
et  d'argent,  t<  A  qui  appartient  ce  beau  château  ?  »  demanda-i-il  aux 
gens  du  pays.  —  <«  N*y  entrez  pas,  »  lui  répondit-on,  f*  c*est  la  demeure 
d'une  vieille  sorcière  qui  a  sept  têtes.  Aucun  de  ceux  qui  y  sont  entrés 
n'en  est  sorti  ;  elle  les  a  tous  changés  en  crapauds.  —  Moi  je  n*ai  pas 
peur,  »  dit  le  cavalier,  n  j*y  entrerai,  »  Il  entra  donc  dans  le  château  ci 
salua  la  sorcière  ;  «  Bonjour,  ma  bonne  dame,  »  Elle  lui  répondit  en 
branlant  ses  sept  têtes  :  n  Que  viens-tu  faire  ici,  pauvre  ver  de  terre  ?  » 
£n  disant  ces  mots,  elle  lui  donna  un  coup  de  baguette,  et  aussit6til  fut 
changé  en  crapaud,  comme  les  autres. 

Au  même  instant,  ses  frères,  qui  étaient  restés  à  la  maison,  virent  le 
sang  bouillonner  dans  le  verre.  «  ]|  est  arrivé  malheur  à  noire  frère,* 
dit  le  second,  n  je  veux  savoir  ce  qu'il  est  devenu,  «  Il  se  mit  en  route 
avec  son  cheval,  son  chien  et  sa  lance,  et  arriva  devant  le  château. 
«t  N'avez-vous  pas  vu  passer  un  cavalier  avec  un  chien  et  une  lance  ?  » 
demanda-^t-il  à  une  femme  qui  se  trouvait  là  ;  ^  voilà  trois  jours  qu'il  esi 
parti;  il  faut  qu'il  lui  soit  arrivé  malheur.  —  Il  a  sans  doute  été  puni  de 
sa  curiosité,  »  lui  répondit-elle  ;  «  il  sera  entré  dans  le  château  de  la 
bête  à  sept  tètes,  et  il  aura  été  changé  en  crapaud.  —  Je  n'ai  pas  peur 
de  la  bête  à  sept  têtes,  )>  dit  le  jeune  homme;  «  je  lui  abattrai  ses  sept 
têtes  avec  ma  lance,  »  Il  entra  dans  te  château  et  vit  dans  réturie  m 
cheval,  dans  la  cuisine  un  chien  et  une  lance.  <«  Mon  frère  est  îd»  » 


CONTES    POPULAIRES    LORRAINS  ^41 

pensa-t-iL  !l  salua  la  sorcière  :  «  Bonjour,  ma  bonne  dame*  —  Qye 
viens-tu  faire  ici,  pauvre  ver  de  terre?  »  Et,  sans  lui  laisser  le  temps  de 
brandir  sa  lance,  elle  lui  donna  un  coup  de  baguette  et  le  changea  en 
crapaud. 

Le  sang  recommença  à  bouillonner  dans  le  verre.  Ce  que  voyant,  le 
plus  jeune  des  fils  du  pêcheur  panii  à  la  recherche  de  ses  deux  firères. 
Comme  il  traversait  une  grande  rivière,  la  rivière  lui  dit  :  «  Vous  passez, 
mais  vous  ne  repasserez  pas.  —  C'est  un  mauvais  présage,  »  pensa  le 
jeune  homme,  «  mais  il  n'importe.  »  Et  il  poursuivit  sa  route.  «  N*avez- 
vous  pas  vu  passer  deux  cavaliers?  »>  demandait-il  aux  gens  quil  ren- 
contrait. —  "  Nous  en  avons  vu  un,  »  lui  répondait*on,  «  qui  cherchait 
son  frère.  >»  En  approchant  du  château»  il  entendit  parler  de  la  sorcière; 
il  accosta  un  charbonnier  qui  revenait  du  bois,  et  lui  dit  :  «i  De  bons 
vieillards  m'ont  parlé  de  la  bête  à  sept  têtes  ;  ils  disent  qu'elle  change  en 
crapauds  tous  ceux  qui  entrent  dans  son  château*  —  Oh!  »  répondit  le 
charbonnier,  «  je  ne  crains  rien,  j'irai  avec  vous  ;  à  nous  deux  nous 
en  viendrons  bien  à  bout  » 

Ils  entrèrent  ensemble  dans  le  château,  et  le  jeune  homme  vit  les 
chevaux,  les  chiens  et  les  lances  de  ses  frères.  Dès  quil  aperçut  la  sor- 
cière, il  se  mit  à  crier  :  «  Vieille  sorcière,  rends-moi  mes  frères,  ou  je  te 
coupe  toutes  tes  têtes.  —  Que  viens-tu  faire  ici,  pauvre  ver  de  terre  ?  n 
diî-etle  ;  mais  au  moment  où  elle  levait  sa  baguette,  le  jeune  homme  lui 
abattit  une  de  ses  sept  tètes  d'un  coup  de  lance.  «  Vieille  sorcière,  où 
sont  mes  frères  ?  »  En  disant  ces  mots,  il  lui  abaiiit  encore  une  tête. 
Chaque  fois  qu'elle  levait  sa  baguette,  le  jeune  homme  et  le  charbonnier 
lui  coupaient  une  tête.  A  la  cinquième,  la  sorcière  se  mit  à  crier  : 
cf  Anendez,  attendez,  je  vais  vous  rendre  vos  frères,  n  Elle  prit  sa 
baguette,  la  frotta  de  graisse  et  en  frappa  plusieurs  fois  la  porte  de  la 
cave.  Aussitôt  tous  les  crapauds  qui  s*y  trouvaient  reprirent  leur  pre- 
mière forme.  La  sorcière  croyait  qu'on  lui  ferait  grâce,  mais  le  char- 
bonnier lui  dit  :  4f  II  y  a  assez  longtemps  que  tu  fais  dti  mal  aux  gens,  i> 
Et  il  lui  coupa  ses  deux  dernières  têtes. 

Or  il  était  dit  que  celui  qui  aurait  tué  la  bête  à  sept  têtes  aurait  le 
château  et  épouserait  la  fille  du  roi  ;  comme  preuve,  il  devait  montrer 
les  sept  langues.  Le  fils  du  pêcheur  prit  les  langues  et  les  enveloppa 
dans  un  mouchoir  de  soie.  Le  charbonnier,  qui  avait  aussi  coupé' 
plusieurs  têtes  à  la  bête,  n'avait  pas  songé  à  prendre  les  langues.  Il  se 
ravisa  et  tua  le  jeune  homme  pour  s'en  emparer,  puis  il  alla  les  montrer 
au  roi  et  épousa  la  princesse. 


Voir  dans  la  collection  des  frères  Grimm  les  n"  60  (L«  deux  Frères)  et  8ç 
(Us  Enfants  d'or),  et  les  remarques  de  GuillaumÊ  Grimm  sur  ces  deux  contes. 


342  E.  COSQUIN 

M.  Reinhold  Ktthler  a  traité  plus  à  fond  le  même  sujet  dans  ses  remarques  sur 
le  conte  sicilien  n**  40  de  la  collection  Gonzenbach  et  sur  le  n^  4  de  la  collec- 
tion de  contes  écossais  de  Campbell  (dans  la  revue  Orient  uni  Occident,  t.  II> 
p.  118). 

Aux  contes  mentionnés  par  M.  Kœhler,  il  faut  ajouter  un  conte  breton,  les 
Deux  Fils  du  Pécheur  (Contes  bretons  recueillis  par  F.-M.  Luzel.  Quimperlé, 
1870,  p.  63),  un  conte  languedocien  (Contes  populaires  recueillis  dans  l'Agenaîs 
par  J.-F.  Bladé,  1874^  n*  2),  un  conte  catalan  du  Rondallayre  publié  par 
M.  Maspons  y  Labrors  (r*  partie,  1871,  p.  2$),  un  conte  italien  du  Montferrat 
(Gubernatis,  Zoological  Mythology,  II,  p.  338),  un  conte  toscan  (ibid.  II,  p.  342), 
un  autre  conte  également  toscan  (collection  Comparetti,  n*  32). 

Notre  conte  lorrain  des  Fils  du  Pécheur  présente  un  type  assez  complet  de  ce 
conte  trés-répandu.  Il  serait  trop  long  d'en  comparer  les  divers  traits  avec  ceux 
des  récits  analogues  des  autres  collections.  Nous  nous  bornerons  à  quelques 
observations. 

Au  sang  du  poisson  qui  bouillonne  dans  la  fiole  en  cas  de  malheur  correspond 
dans  un  conte  serbe  (Vouk,  n<>  29)  une  fiole  d'eau  qui  se  trouble  en  pareil  cas; 
dans  un  conte  allemand  (Grimm,  n*  85),  dans  un  conte  écossais  (Campbell, 
n*  4),  dans  un  conte  grec  (Hahn,  n<»  22),  etc.,  des  lis  d*or,  des  cyprès  ou 
d'autres  arbres  qui  se  flétrissent;  dans  un  conte  tyrolien  (Zingerle,  n®  35),  un 
couteau  qui  se  rouille,  etc.,  etc.  Notons  en  passant  que  ce  trait  s'est  introduit 
dans  certain  récit  légendaire  de  la  vie  de  sainte  Elisabeth  de  Hongrie.  D'après 
les  documents  historiques,  le  duc  Louis,  en  partant  pour  la  croisade,  dit  à 
sainte  Elisabeth,  sa  femme,  que  s'il  lui  envoyait  son  anneau,  ce  serait  signe 
qu'il  lui  serait  arrivé  malheur.  Ce  fait  si  simple,  que  devient-il  dans  la  légende? 
Le  duc  Louis  aurait,  à  son  départ,  donné  à  sainte  Elisabeth  une  bague  dont  la 
pierre  avait  la  propriété  de  se  briser  lorsqu'il  arrivait  malheur  à  la  personne  qui 
l'avait  donnée.  Ce  trait  merveilleux  se  retrouve  aussi  dans  les  contes  orientaux. 
Ainsi,  dans  un  conte  arabe  des  Mille  et  une  Nuits  (Hist.  de  deux  Saurs  jalouses 
de  l(ur  Cadate)j  le  prince  Bahman,  au  moment  d'entreprendre  un  voyage,  donne 
A  sa  sœur  un  couteau  :  si  la  lame  vient  à  se  tacher  de  sang,  ce  sera  un  signe 
qu'il  ne  sera  plus  en  vie.  Ainsi  encore,  dans  le  premier  récit  de  la  collection 
mongole  du  Siddhi-Kûr,  plusieurs  compagnons,  avant  de  se  séparer,  plantent 
chacun  un  «  arbre  de  vie  »,  qui  doit  se  dessécher  s'il  arrive  malheur  à  celui  qui 
l'a  planté.  De  même  dans  le  conte  kariaine  de  Birmanie,  dont  nous  avons  donné 
l'analyse  dans  les  remarques  de  notre  n»  i  *. 

Dans  la  plupart  des  contes  où  figure  le  combat  contre  le  dragon,  l'individu 
qui  M'  donne  pour  le  libérateur  de  la  princesse  a  assisté  de  loin  au  combat. 
{x\W  version  est  meilleure  que  la  rencontre  fortuite  des  trois  charbonniers. 

l /épisode  du  chien  que  le  «  fils  du  pêcheur  »  envoie  prendre  des  plats  dans 
U  iU»\ine  du  roi,  nous  paraît  également  mieux  conservé  dans  certains  contes 


i  l\»n\  plu^iours  des  contes  ci-dessus  indiqués,  la  relation  entre  les  jeunes 
^\'\\\  il  K«  vin»;  vlu  poisson  ou  les  plantes  qui  en  sont  sorties,  s'explique  facile- 
nu  ni  p.ii  lv-u:\vr.ununaulé  d'origine.  Dans  d'autres  contes,  par  exemple  dans 
Iv'^  ^\»nicx  orientaux  cités,  l'idée  première  paraît  s'être  obscurcie. 


CONTES    POPULAmES    LORRAINS  J45 

étrangers,  par  exemple  dans  le  conte  allemand  des  Deux  Frtres  (Gnmm,  n*  60) 
et  dans  le  conte  suédois  de  Wattuman  a  Wattam  (CavalliuS)  n**  $  de  la  trad* 
allemande) .  Dans  ces  deux  contes,  le  héros,  revenu  au  bout  de  l'an  et  jour  dans 
le  pays  de  la  princesse,  parie  contre  son  hôtelier  que  les  animaux  qui  le  suivent 
lui  rapporteront  des  mets  et  du  vin  de  la  table  du  roi  ;  la  princesse  reconnaît  les 
animaux  de  son  libérateur  et  leur  fait  donner  ce  qu'ils  demandent. 

Un  détail,  commun  i  la  plupart  des  contes  de  ce  genre,  a  disparu  de  noire 
conte.  Le  frère  du  jeune  homme,  qui  passe  la  nuit  dans  la  chambre  de  la  prin- 
cessej  laquelle  le  croit  son  mart,  met  dans  le  lit  son  sabre  entre  elle  et  lui.  Ce 
sabre  se  retrouve  dans  les  Mdk  et  une  NuUs  (Hist,  d'Alûddm)  et  aussi  dans  le 
vieux  poème  allemand  des  Niklimgat^  ainsi  que  dans  son  prototype  Scandinave, 
où  Siegfried  (ou  Sigurd)  met  une  épée  nue  entre  lui  et  Brunehilde,  qui  doit 
devenir  l'épouse  du  roi. 

Un  livre  mongol,  VHisîoirt  (PArdji  Bordji-Khan  (traduit  en  allemand  par 
B.  J&lg.  Insprûck^  1868)  nous  fournit  un  trait  à  rapprocher  de  nos  deux  contes 
lorrains,  et  surtout  d'un  conte  italien  analogue,  recueilli  au  XVJl'  siècle 
par  Basile  dans  son  Ptnlameronc. 

Dans  ce  conte  ilahen  {Ptntdmcronc^  n*  9),  un  ermite  conseille  à  un  roi  sans 
enfants  de  prendre  le  cœur  d'un  dragon  de  mer^  de  le  faire  cuire  par  une  fille 
vierge  et  de  le  donner  à  manger  à  la  reine.  Le  roi  suit  ce  conseil  et,  quelques 
|ours  après,  la  reine,  et  aussi  la  jeune  fille  qui  a  respiré  la  vapeur  de  ce  mets 
merveilleux,  mettent  au  monde  chacune  un  fils.  Les  deux  enfants,  qui  se  res- 
remblenl  à  s'y  méprendre,  ont  à  peu  près  les  mêmes  aventures  que  nos  F\U  du 
Picfuar, —Dèn^  le  conte  mongol  (p.  7J  seq.),  la  femme  duroiCandharva,qui  n'a 
point  d'enfants,  prépare,  d'après  Tavis  d'un  ermite,  une  certaine  bouillie,  (^and 
elle  en  a  mangé,  elle  devient  grosse  et  met  au  monde  un  fils,  Vikramatidya.  Une 
servante  a  mangé  ce  qui  restait  au  fond  du  plat  :  elle  donne,  elle  aussi,  fe  jour 
i  un  fils  qui,  sous  le  nom  de  Schalou,  deviendra  le  fidèle  compagnon  de  Vikra- 
matidya. 

M.  Th.  Benfey  {GœUing,  Gtkhrte  Anze\gtn  j8^8,  p.  1  p  1)  nous  apprend  que 
ce  trait  se  trouve  dans  un  conte  indien  qu'il  publiera  quelque  jour  *. 

Un  conte  persan  du  Touù-Nameh,  recueil  dont  l'origine  est  indienne,  nous 
offre  encore  un  détail  de  notre  conte  lorrain.  Dans  Thistoire  intitulée  L*oiseaa 
He/streng  (U  II,  p.  291  de  la  trad.  ail.  de  G.  Rosen),  un  roi  a  promis  sa  fille  à 
celui  qui  tuerait  certain  dragon.  Le  héros  Férîd   le  tue  et  épouse  la  princesse. 


K  Dans  un  roman  hîndoustani,  ks  Aventures  i/fX^mnlp,  analysé  par  M.  Garcin 
de  Tassy  (Discours  d'ouverture  du  cours  d*hindoustani,  1861,  p.  iî),  nous 
remarquons  le  passage  suivant  :  Le  roi  d'Aoudh  n*a  point  d'enfants.  Il  se  pré- 
sente un  jour  clcvanl  lui  un  faqutr  qui  lut  donne  un  Iruit  de  srt  «  prospérité  t, 
en  lui  recommandant  de  le  faire  manger  â  la  reine.  Celle-ci  manee  en  effet  ce 
fruit  et  ne  larde  pas  â  se  sentir  enceinte;  bien  plus,  six  autres  dames,  femmes 
des  principaux  officiers  du  roi,  qui  avaient  goûté  du  même  fruit,  se  trouvent 
encemtes  en  même  temps  et  accouchent  le  même  jour  que  la  reine.  —  Comparez 
encore  un  conte  arabe  des  Mttk  et  une  Nuits  (Hist.  de  Seif  Aîmouhuk  et  de  la 
FiiU  du  Roi  du  Génies)  où  le  «  prophète  Salomon  »  dit  â  un  roi  cl  à  son  vizir, 
jtti  n'ont  point  d'enfants,  de  tuer  deux  serpents  qu'ils  rencontreront  à  tel  endroit» 
*en  faire  apprêter  ta  chair  et  de  la  donner  à  manger  à  leurs  femmes. 


î 


J44  ^*  COSQUIN 

Le  reste  de  ce  conte  (la  i"  partie)  est  différent  du  nôtre  ;  mais  it  ressemble 
beaucoup  à  Tîntroduction  d'un  conte  allemand,  très-proche  parent  de  nos  Fils 
du  Pécheur^  les  Dmx  Frcrcs  de  la  collection  Grimm  *. 

L'épisode  de  la  princesse  exposée  â  la  bête  à  sept  têtes  peut  encore  être  rap- 
proché du  mythe  si  connu  de  Persée  et  Andronïède  {ApùUodori  Bihliothua^  2» 
4,  y)*  Ce  mythe  de  Persée,  l'on  des  rares  mythes  de  l'antiquité  classique  qui 
offrent  d«  ressemblances  avec  nos  contes  populaires  actuels,  fournil  encore, 
ce  nous  semble,  un  rapprochement  intéressant  avec  les  contes  du  genre  de  nos 
Fih  du  Pécktur  et  surtout  avec  le  conte  suédois  de  Wattuman  rf  Wattusin 
mentionné  plus  haut.  Rappelons  les  principaux  traits  de  ce  mythe  de  Persée  ; 

Acrisius,  roi  d*Argos,  à  qui  il  a  été  prédit  qu'il  serait  tué  par  le  fils  de  sa 
fille  Danaé,  enferme  celle-ci  sous  terre  dans  une  chambre  toute  en  airain. 
Jupiter,  métamorphosé  en  pluie  d  or,  pénètre  par  le  loit  dans  le  souler- 
rain  et  rend  la  jeune  fille  mère.  (Dans  le  conte  suédois,  la  princesse  et  sa  sui- 
vante, enfermées  dans  une  tour,  deviennent  mères  après  avoir  bu  de  l'eau  d'une 
source  qui  jaillit  toul-à-coup  dans  la  tour.)  Quand  elle  a  donné  le  jour  à  Persée, 
Acrisius  la  fait  mettre  avec  son  enfant  dans  un  coffre  que  Ton  jette  a  la  mer. 
Après  diverses  aventures  qui  sont  assez  dans  le  genre  des  contes  populaires 
(Persée,  par  exemple,  a  un  bonnet,  xwïï,  qui  le  rend  invisible),  Persée,  devenu 
grand,  arrive  en  Ethiopie,  où  règne  Céphée.  lî  trouve  la  fille  de  celui-ci,  An- 
dromède, exposée  en  pâture  à  un  monstre  marin,  en  vertu  d'un  oracle.  Il  ïb 
délivre  et  l'épouse. 

On  remarquera  que  dans  notre  variante,  la  BiU  à  sept  tius^  deux  personnages 
de  la  forme  première  se  sont  fondus  en  un  :  le  dragon  à  sept  létes  auquel  on 
expose  une  princesse  et  la  sorcière  qui  change  en  pierres  ceux  qui  s'approchent 
d^etle.  La  fin  tragique  du  Fils  du  Pécheur  ne  se  trouve  non  p!us  que  dans  celle 
variante. 


VL 


LE  FOLLET. 

Il  y  a  bien  trois  mille  ans,  notre  voisin  avait  beaucoup  de  blé  en 
grange.  Tous  les  matins  il  trouvait  une  partie  de  ce  blé  battu,  et  des 
gerbes  préparées  sur  Taire  pour  le  lendemain  :  il  ne  savait  comment 
expliquer  La  chose. 


i.  Cette  introduction  du  conte  persan  présente  le  thème  de  l'oiseau  merveilleux 
dont  celui  qui  mangera  la  tête  deviendra  roi,  et  dont  celui  qui  mangera  le  coeur 
trouvera  tous  les  jours  une  bourse  sous  son  chevet  (ces  deux  éléments  ne  sont 
pas  toujours  réunis,  ici  par  exemple*.  Disons  en  passant  que  ce  thème»  qui  est 
développé  dans  divers  contes  européens,  se  retrouve  dans  un  conte  des  Tartarcs 
de  la  btbérie  méridionale  (Radloff,  Probcn  dtr  VolkiliUratur  Jat  îùrkischen  Stammc 
Sud'Stturiens^  t.  IV,  p,  475),  dans  une  légende  birmane  «Bastian,  Dk  Vœikir 
dts  aitlichen  Asiens^  i.  I,  p.  i-j),  dans  un  conte  du  Cambodge  {Ibid.,  t.  IV, 
p-  128  seq,)  et  dans  un  conte  de  ille  de  Bornéo  (L.  de  Backer,  L'Archtpeî 
indien^  1874,  p.  203), 


CONTES  POPULAIRES  LORRAINS  ^S 

Un  sair,  s*étani  caché  dans  un  coin  delà  grange,  il  vit  entrer  un  petit 
homme  qui  se  mit  à  battre  le  blé.  Le  laboureur  se  dit  en  lui-même  :  «  Il 
faut  que  je  hii  donne  un  beau  petit  habit  pour  sa  peine.  »  Car  le  petit 
homme  était  tout  nu.  Il  alla  dire  à  sa  femme  :  w  C'est  un  petit  homme  qui 
vient  battre  notre  blé;  il  faudra  lui  faire  un  petit  habit,  o  Le  lendemain, 
ta  femme  prit  toutes  sortes  de  pièces  d'étoffe,  et  en  fit  un  petit  habit,  que 
le  laboureur  posa  sur  le  tas  de  blé. 

Le  follet  revint  la  nuit  suivante,  et  en  battant  le  blé,  il  trouva  l'habit. 
Dans  sa  joie  il  se  mit  à  gambader  à  Tentour,  en  disant  :  «  Qui  bon 
maître  sert,  bon  loyer  en  tire,  »  Ensuite  il  endossa  l'habit,  et  se  trouva 
bien  beau,  «  Puisque  me  voilà  payé  de  ma  peine,  battra  maintenant  le 
blé  qui  voudra!  »  Cela  dit,  il  partit  et  ne  revînt  plus. 

Dans  un  conte  hessois  de  la  collection  Grimm  {n*»  J9),  un  pauvre  cordonfiicr 
trouve  cousus  tous  les  malins  les  souliers  qu'il  a  taillés  la  veille.  [1  s'aperçoit 
que  ce  sont  deux  petits  hommes  qui  font  l'ouvrage.  Comme  ils  sont  nus^  sa 
femme  leur  fait  de  petits  habits.  Ils  les  revêtent  tout  joyeux  et  disparaissent  pour 
ne  plus  revenir. 

Guillaume  Grimm  cite  une  histoire  analogue  qui  se  raconte  dans  le  Tyrol,  et 
nous  avons  trouvé  dans  le  recueil  de  contes  irlandais  de  M.  Kennedy,  Ugatdary 
Ftaions  of  tht  Imh  Ccks  (p.  u6)  un  conte  du  même  genre,  intitulé  U  Pooka  4e 
Kxtdarc,  Ce  Fooka  (sorte  de  follet)  vient  toutes  les  nuits  dans  une  maison^  sous 
b  forme  d'un  âne,  laver  la  vaisselle,  balayer  le  pbncher,  etc.  L'un  des  domes- 
tiques s'étant  hasardé  i  lui  demander  d'où  it  vient,  le  Fooka  répond  qu'il  a, 
pendant  sa  vie,  servi  dans  cette  même  maison  Après  sa  mort,  il  a  été  condamné, 
en  punition  de  sa  paresse,  i  faire  h  besogne  qu'il  fait  toutes  les  iuits.  Quelque 
temps  après,  les  domestiques,  voulant  lui  témoigner  leur  reconnaissance,  lui 
font  demander  par  l'un  d*cux  en  quoi  ils  pourraient  lui  être  agréables.  Le  Fooka 
leur  répond  qu'il  serait  fort  aise  d'avotr  un  habit  bien  chaud.  L'habît  est 
apporté,  et,  dès  que  le  Fooka  en  est  revêty,  il  s'enfuit  en  disant  :  •  Maintenant 
ma  pénitence  est  terminée.  Elle  devait  durer  jusqu'à  ce  qu'on  eût  trouvé  que  je 
méritais  un  salaire.  1  Et  on  ne  le  revit  plus  jamais.  Mentionnons  encore,  comme 
offrant  une  grande  ressemblance  avec  le  nôtre,  un  conte  de  l'Oberland  bernois, 
U  TailUur  d'hmfïuk  (Gtizciic  de  Carbrahc^  n*  du  8  août  1875)^  un  conte  suédois 
recueilli  par  Afzelius  [Magasin  pittonsifue^  i86jj  p.  2)5)  et  deux  contes  recueillis 
en  Angleterre,  où,  parait- il,  îl  se  raconte  beaucoup  d'hislojres  de  ce  genre 
^Halhwell,  Popuhr  Rhymcs  md  Nursery  TaUs^  1849,  p.  tQO). 


VU. 

LES  DEUX  SOLDATS  DE   1689. 

Il  était  une  fois  deux  soldats  qui  avaient  bien  soixante  ans.  Obligés  de 
quitter  le  service,  ils  résolurent  de  retourner  au  pays.  Chemin  faisant, 
ils  se  disaient  :  (t  Qu*ailons-nous  faire  pour  gagner  notre  vie  ?  Nous 


^4<5  E.  COSQUIN 

sommes  trop  vieux  pour  apprendre  un  métier;  si  nous  demandons  notre 
pain,  on  nous  dira  que  nous  sommes  encore  en  état  de  travailler,  et  on 
ne  nous  donnera  rien.  —  Tirons  au  sort,  »  dit  l'un  d'eux,  *«  à  qui  se 
laissera  crever  les  yeux,  et  nous  mendierons  ensemble*  »  L*aulre  trouva 
ridée  bonne. 

Le  sort  tomba  sur  celui  qui  avait  fait  la  proposition  ;  son  camarade  lui 
creva  les  yeux  et,  l'un  guidant  Pautre,  ils  allèrent  de  porte  en  porte 
demander  leur  pain*  On  leur  donnait  beaucoup,  mais  Taveugle  n'en  pro- 
fitait guère  :  son  compagnon  gardait  pour  lui-même  tout  ce  qu'il  y  avait 
de  bon  et  ne  lui  donnait  que  les  os  ei  les  croûtes  de  pain  dur.  «  Hélas  î  » 
disait  ie  malheureux,  «  n'est-ce  pas  assez  d*êire  aveugle  ?  Faut-il  encore 
être  si  maltraité  i*  —  Si  tu  te  plains  encore,  v.  répondait  Pautrc,  «  je  te 
laisserai  là.  w  Mais  le  pauvre  aveugle  ne  pou%^ait  s'empêcher  de  se 
plaindre.  Enfin  son  compagnon  l'abandonna  dans  tin  bois» 

Après  avoir  erré  de  cAlé  et  d'autre,  Taveugle  s'arrêta  au  pied  d'un 
arbre.  «  Que  vais-je  devenir  ?  »  se  dit*il.  «  La  nuit  approche,  les  bêtes 
sauvages  vont  me  dévorer!  »  Il  monta  sur  l'arbre  pour  se  mettre  en 
sûreté. 

Vers  onze  heures  ou  minuit,  quatre  animaux  arrivèrent  en  cet  endroit  : 
le  renard,  le  sanglier,  le  loup  et  le  chevreuil.  «  Je  sais  quelque  chose» 
dit  le  renard,  «  mais  je  ne  le  dis  à  personne.  —  Moi  aussi,  je  sais  quel— ^ 
que  chose,  »  dit  le  loup.  —  «  Et  moi  aussi ^  o  dit  le  chevreuil.  — 
w  Bah  !  »  dit  le  sanglier,  i<  loi,  avec  tes  petites  cornes,  qu'est-ce  que  tu 
peux  savoir  ?  —  Eh  !  >»  repartit  le  chevreuil,  «  dans  ma  petite  cervelle 
et  dans  mes  petites  cornes  il  y  a  beaucoup  d'esprit.  —  Eh  bien  !  »  dit  le 
sanglier,  a  que  chacun  dise  ce  qu'il  sait*  j> 

Le  renard  commença  :  «  Il  y  a  près  d'ici  une  petite  rivière  dont  Teau 
rend  la  vue  aux  aveugles.  Plusieurs  fois  déjà,  dans  ma  vie,  j'ai  eu  un 
œi!  crevé;  je  me  suis  lavé  avec  cette  eau  et  j'ai  été  guéri.  —  Cette 
rivière,  je  la  connais,  »  dit  le  loup;  «  j'en  sais  même  plus  long  que  toi. 
La  fille  du  roi  est  bien  malade;  elle  est  promise  en  mariage  à  celui  qui 
pourra  la  guérir.  Il  suffirait  de  lui  donner  de  l'eau  de  cette  rivière  pour 
lui  rendre  la  santé.  »  Le  chevreuil  dit  à  son  tour  :  «  La  ville  de  Lyon 
manque  d'eau,  et  Ton  promet  quinze  mille  francs  à  celui  qui  pourra  lui 
en  procurer.  Or,  en  arrachant  l'arbre  de  la  liberté,  on  trouverait  une 
source  et  Ton  aurait  de  l'eau  en  abondance,  —  Moi,  »  dit  le  sanglier, 
«  je  ne  sais  rien.  ))  Là  dessus,  tes  animaux  se  séparèrent. 

<(  Ah  !  n  se  dit  l'aveugle,  «  si  je  pouvais  seulement  trouver  cette 
rivière!  *>  H  descendit  de  l'arbre,  et  marcha  à  tâtons  à  travers  la  cam- 
pagne. Enfin  il  trouva  ia  rivière.  Il  s'y  lava  les  yeux,  et  il  commença  à 
entrevoir  ;  il  se  les  lava  encore,  et  la  vue  lui  revînt  tout  à  fait. 

Aussitût  il  se  rendit  près  du  maire  de  Lyon  et  lui  dit  que,  s'il  voulait 


CONTES   POPULAIRES   LORlUiNS  Î47 

avoir  de  l*eau,  il  n'avait  qu'à  faire  arracher  Tarbre  de  la  liberté.  En  effet» 
l'arbre  ayant  été  arraché,  on  découvrit  une  source,  et  la  ville  eut  de 
Peau  autant  qu'il  lui  en  fallait.  Le  soldat  reçut  les  quinze  mille  francs 
promis  et  alla  trouver  le  roi.  «  Sire,  »  lui  dit-il,  «  ï*ai  appris  que  votre 
fille  est  bien  malade,  mais  j^ai  un  moyen  de  !a  guérir,  n  Et  il  lui  parla 
de  l'eau  de  la  rivière.  Le  roi  envoya  sur-le-champ  ses  valets  chercher  de 
cette  eau  ;  on  en  fit  boire  â  la  princesse,  on  lui  en  fit  prendre  des  bains, 
et  elle  fut  guérie. 

Le  roi  dit  au  soldat  :  «  Quoique  tu  sois  déjà  un  peu  vieux,  tu  épou- 
seras ma  fille,  ou  bien,  si  tu  le  préfères,  je  te  donnerai  de  Targent.  )>  Le 
soldat  aima  mieux  épouser  la  princesse  :  il  savait  bien  qu'avec  la  fdle  il 
aurait  aussi  l'argent.  Le  mariage  se  fit  sans  délai. 

Un  jour  que  le  soldai  se  promenait  dans  le  |ardin«  il  vit  un  homme  tout 
déguenillé  qui  demandait  l'aumône  ;  il  reconnut  aussitôt  son  ancien 
camarade*  «  N'éiiez-vous  pas  deux  à  mendier  autrefois?  >^  lui  dit-il  en 
l'abordant,  «  Où  est  votre  compagnon?  —  Il  est  mort,  »  répondit  le 
mendiant.  —  m  Dites  la  vérité,  vous  n*aurez  pas  à  vous  en  repentir. 
Qu'esi-il  devenu  ?  —  Je  Tai  abandonné.  —  Pourquoi?  —  Il  était  tou- 
jours à  se  plaindre  ;  c'était  pourtant  lui  qui  avait  les  bons  morceaux  : 
quand  nous  avions  du  pain,  je  lui  donnais  la  mie,  parce  quil  n'avait 
plus  de  dents,  et  je  mangeais  les  croûtes;  je  lui  donnais  la  viande  et  je 
gardais  les  os  pour  moi.  —  C'est  un  mensonge;  vous  faisiez  tout  le 
contraire.  Pourriez-vous  reconnaître  votre  compagnon  ?  —  Je  ne  sais, 

—  Eh  bien!  ce  compagnon,  c'est  moi.  —  Mais  n'êtes- vous  pas  le  roi  ? 

—  Sans  doute,  mais  je  suis  aussi  ton  ancien  camarade.  Entre,  je  te 
raconterai  tout.  » 

Quand  le  mendiant  eut  appris  ce  qui  était  arrivé  à  l'aveugle,  il  lui  dit  : 
*n  Je  voudrais  bien  avoir  la  même  chance.  Mène-moi  donc  à  cet  arbre-là  ; 
les  animaux  y  viendront  peut-être  encore,  —  Volontiers,  »  dit  l'autre, 
M  je  veux  te  rendre  le  bien  pour  le  mal.  j>  Il  conduisit  le  mendiant  auprès 
de  Tarbre,  et  le  mendiant  y  monta. 

Vers  onze  heures  ou  minuit,  les  quatre  animaux  se  trouvèrent  là 
réunis.  Le  renard  dit  aux  autres  :  <<  On  a  entendu  ce  que  nous  disions 
l'autre  nuit  :  la  fille  du  roi  est  guérie  et  la  ville  de  Lyon  a  de  l'eau.  Qui 
donc  a  révélé  nos  secrets  ?  —  Ce  n'est  pas  moi,  »  dit  le  loup.  —  «  Ni 
moi,  n  dit  le  chevreuil.  —  u  Je  suis  sûr  que  c'est  le  sanglier,  »  reprit  le 
renard  ;  a  il  n'avait  eu  rien  à  dire,  et  il  est  allé  rapporter  ce  que  nous 
autres  avions  dit.  —  Ce  n'est  pas  vrai,  «  répliqua  le  sanglier,  —  a  Prends 
garde,  n  dit  le  renard,  «  nous  allons  nous  mettre  tous  les  trois  contre 
loi.  —  Je  n'ai  pas  peur  de  vous,  j»  dit  le  sanglier  en  montrant  les  dents, 
*f  frottez- vous  à  moi.  » 

Tout  à  coup,  en  levant  les  yeux,  ils  aperçurent  le  mendiant  sur 


^4^  E,  COSQUIH 

l'arbre.  «  Oh!  oh  !  »  dirent-its,  «  voilà  ufi  homme  qui  nous  espionne,  o 
Aussitôt  ils  se  mirent  à  déraciner  l'arbre,  puis  ils  se  jetèrent  sur  l'homme 
et  le  dévorèrent. 

On  a  remarqué  la  bizarrerie  de  ce  titre  :  Us  Deux  Soldats  dt  i6$9«  i6$9  est 
probablement  pour  1 789  :  Je  souvenir  de  V  »  arbre  de  la  liberté  »  se  rapporte 
lotit  naturelleinent  A  Tépoque  de  la  Révolu  lion. 

La  personne  de  qui  nous  tenons  ce  conte  l'avaÊt  appris  à  Joinville,  petite  vHle 
de  Champagne^  â  quatre  lieues  de  Montiers-sur-SauIx.  On  le  raconte  aussi  à 
MonUers,  mais  d^unc  manière  moins  complète. 

Dans  cette  variante,  intitulée  Jncquis  et  Purrc^  les  animaux  sont  âu  nombre 
de  trois,  le  lion,  le  renard  et  l'ours.  Le  renard  seul  a  quelque  chose  à  dire.  Il 
raconte  que  la  fille  du  roi  Dagobert  est  aveugle  de  naissance  :  si  on  lui  lavait 
les  yeuît  avec  l'eau  d'une  certaine  fontaine,  elle  verrait.  L'aveugle  apprend  aussi 
que  les  animaux  se  réunissent  une  fois  tous  les  ans,  à  pareil  jour^  à  ta  même 
heure  et  au  même  endroit.  Jacques,  le  méchant  camarade,  instruit  par  Pierre 
de  cette  particularité,  se  rend  à  Tendroit  indiqué  pour  entendre  la  conversation 
des  animaux.  Le  lion  dit  :  «  Je  sais  quelque  chose.  La  princesse  d'Angleterre  a 
quatre  millions  cachés  dans  un  pot.  »  Jacques  se  baisse  pour  mieux  entendre. 
Au  bruit  qu*il  fait,  les  animaux  lèvent  fa  t^te;  Tours  grimpe  sur  Tarbre,  tire 
Jacques  par  îe  bras  cl  le  fait  tomber  par  terre,  où  les  animaux  le  dévorent. 

Voir  dans  le  j"  volume  [p,  342)  de  la  collection  Grlmm,  l'analyse  d*un  conte 
bohème  qui  présente  une  grande  ressemblance  avec  nos  deux  contes  français. 

A  propos  d'un  conte  italien  de  Vénétk,  recueilli  par  MM.  Widter  et  Wolf, 
M.  Rcinhold  Kœhlera  résumé  divers  contes  qui  se  rapprochent  des  nôtres  (Jahr^ 
buch  fur  romanischt  and  tngliscke  Liuratur,  1866,  p,  j  seq,)*  Nous  citerons  en  plus 
un  conte  roumain  de  Transylvanie,  publié  dans  la  revue  VAusland  (1857, 
p.  1028). 

Dans  ce  conte,  un  pauvre  cordonnier  n'obtient  du  pam  d^un  homme  riche, 
son  frère,  qu'à  fa  condition  de  se  laisser  crever  d'abord  un  oeil,  puis  Tautre.  Ce 
méchant  frère  le  conduit  ensuite  sous  une  potence,  où  il  l'abandonne.  Vers 
minuit  rirrivent  douze  corbeaux.  Ils  ont  pitié  de  l'aveugle  et  lui  donnetit  le 
moyen  de  recouvrer  la  vue  et  de  guérir  une  impératrice.  Son  frère,  rayant 
appris,  se  fait  crever  les  yeux  par  sa  femme  et  conduire  sous  la  potence  ;  mais 
les  corbeaux  le  dévorent. 

Mentionnons  encore  trois  contes  du  Tyrol  italien  (n*»*  9,  10,  1 1  de  la  collec- 
tion Schncllcr,  tSôy),  deux  contes  suisses  (n'*  4î  et  47  de  la  collection  Sutcr- 
meistcr,  2*  éd.,  187?,  et  un  conte  catalan  du  Rondaltayn  de  M,  Maspons  y 
Labros  (c  partie,  1871,  p.  68). 

Dans  la  plupart  des  contes  populaires  de  même  type,  serbe,  grec  moderne, 
italien,  finnois,  —  et  aussi  dans  un  récit  analogue  du  XVi'  siècle',  —  Tintro- 


I,  Notre  conte  se  retrouve  en  substance  dans  te  cliapitre  464  du  recueil 
d*anecdotes  publié  en  1  ^19  par  le  moine  franciscain  allemand  Jean  Pauli  sous  le 
titre  de  Schmpf  und  Ernst  (Plaisanteries  et  choses  sérieuses)  et  qui  a  eu  plus 
de  trente  éditions  en  Allemagne. 


I 


CONTES   POPULAIRES   LORRAINS  {49 

duction,  différente  de  celle  de  nos  Deux  Soldais ^  peut  se  résumer  ainsi  :  Deux 
compagnons  se  disputent  au  sujet  de  cette  question  :  Est-ce  la  justice  ou 
l'injustice  qui  gouverne  le  monde  ?  et  ils  conviennent  de  s'en  rapporter  au  juge- 
ment de  tels  ou  tels;  celui  qui  aura  perdu  son  procès  aura  les  yeux  crevés  par 
Tautre,  Le  diable,  prenaiît  diverses  formes,  décide  toujours  en  faveur  de  l'ia- 
justice,  et  le  champion  de  la  justice  a  les  yeux  crevés. 

Celle  même  introduction  se  retrouve,  avec  d'assez  fortes  altérations,  dans  un 
récit  qui,  pour  le  reste,  ressemble  beaucoup  à  notre  conte  et  quj  fait  parlie  d'un 
recueil  de  fables  et  paraboles  moralisées,  écrites  en  Espagne  au  plus  tard  dans 
les  premières  années  du  XI V**  siècle^  le  Ltbro  de  los  Gatos  K 

Ëfi  Orient,  nous  trouvons  comme  pendant  de  tous  ces  récits  un  conte  arabe 
existant  dans  certains  manuscrits  des  Mille  et  une  Nuits  (éd.  du  Panthéon  litté- 
raire, p.  717).  Abou-Nyout  (le  Bienveillanlj,  pressé  par  la  soif,  se  fait  descendre 
dans  un  puits  par  son  compagnon  de  voyage  Abou-Nyoutine  (le  Trompeur). 
Celui-ci  coupe  la  corde  et  abandonne  Abou*Nyout,  Pendant  la  nuit^  le  mal- 
heureux, du  fond  de  son  puits,  entend  deux  mauvais  génies  qui  s'entretiennent 
du  moyen  de  guérir  certaine  princesse  et  de  découvrir  certain  trésor.  Tiré  du 
puits  le  matin  par  des  voyageurs  qui  passe nt^  Abou-Nyout  met  à  profit  ce  qu'il 
vient  d'apprendre  et  devient  l'époux  de  la  princesse.  Quelque  temps  après,  il 
rencontre  son  ancien  compagnon,  réduit  à  mendier.  11  lui  pardonne  et  lui 
raconte  tout.  Mais,  la  nuit,  les  génies  reviennent  au  puits,  se  plaignent  de  ce 
que  leurs  secrets  ont  été  découverts  et,  de  colère,  comblent  le  puits,  écrasant 
sous  d'énormes  pierres  le  méchant  Abou^Nyoutina,  qui  y  était  descendu  pour 
épier  leur  con versa tîon« 

Dans  un  conte  kirghis  publié  par  M,  Radiofî  dans  son  immense  collection  de 
chants  et  récits  des  tribus  tarlares  de  la  Sibérie  méridionale  (vol.  j,  St-Pélers- 
bourg.  1870,  p*  543),  nous  retrouvons  a  peu  près  la  forme  de  nos  contes  euro- 
péens. Le  Bon  et  le  Méchant  voyagent  de  compagnie.  Ce  sont  les  provisions  du 
Bon  qu'ils  mangent  d'abord.  Quand  elles  sont  épuisées^  le  Méchant  lui  coupe 
successivement  les  deux  oreilles  et  lui  arrache  fun  après  Tautre  les  deux 
yeux  qu'il  lui  donne  à  manger.  Finalement,  il  labandonne  dans  un  bois. 
Arrivent  trois  animaux,  un  ligre^  un  renard  et  un  loup.  Le  loup  dit  auK  autres 
que  dans  la  forêt  il  y  a  deux  trembles  qui  rendent  des  yeux  et  des  oreilles  à  qui 
n'en  a  plus.  Le  tigre  indique  un  certain  chien,  dont  les  os  ressuscitent  les 
morts,  Le  renard  connaît  un  endroit  où  il  y  a  un  morceau  d*or  gros  comme  la 
tête,  Le  Bon  profite  de  ces  avis,  recouvre  ses  yeux  et  ses  oreilles,  achète  le 
chien  avec  le  morceau  d'or  qu'il  a  déterré  et,  au  moyen  des  os  du  chien,  res- 
suscite un  prince  qui  lui  donne  sa  fille  en  mariage.  Un  jour  il  rencontre  son 
compagnon  qui,  apprenant  l'origine  de  sa  fortune^  lui  dit  de  lui  couper  les 


i.  Voir  dans  le  Jahrbuch  fër  romamschc  md  engltschc  UuraHir^  t.  VI,  p,  28,  la 
traduction  de  ce  conte.  ^  M.  H.  Qesierley  a  montré,  dans  la  revue  la  U£rm*j/iid 
(années  1864,  p.  126,  et  1871,  p.  129)  que  le  Ltbro  de  los  Gatos  n*est  qu'une 
traduction»  souvent  servile,  des  NarrâUona  composées  dans  le  dernier  tiers  du 
Xll"  siècle  par  le  moine  cistercien  anglais  Eudes  de  Shirton  (0</o  J^  Cirmgtoma). 
Mais,  dans  ce  que  M.  Oesterley  a  publié  des  Nanationcs^  nous  n'avons  pas 
retrouvé  notre  conte. 


J  $0  E.  COSQUIN 

oretlies,  de  lui  crever  les  yeux  et  de  le  conduire  dans  la  forêt,  Qiiand  ti  y  est^ 

les  trois  animaux  le  dévorent. 


Vïll. 


LE  TAILLEUR  ET  LE  GÉANT. 


Un  jour,  un  tailleur  mangeait  dans  la  rue  une  tartine  de  fromage 
blanc.  Voyant  des  mouches  contre  un  mur,  il  donna  un  grand  coup  de 
poing  dessus  et  en  tua  douze.  Aussitôt  il  courut  chez  un  peintre  et  lai 
dit  d^écrire  sur  son  chapeau  :  j'en  tuf>  douze  d'un  coup,  puis  il  se  mit 
en  campagne. 

Arrivé  dans  une  forêt,  îl  rencontra  un  géant.  Le  géant  lui  dit  tout 
d'abord  :  «  Que  viens-tu  faire  ici,  poussière  de  mes  mains,  ombre  de 
mes  moustaches  ?  n  Mais  quand  il  vit  ce  qui  était  écrit  sur  le  chapeau  du 
tailleur  :  J'en  tue  douud'm  coup  :  w  Oh!  oh!  n  se  dit-il,  «  il  ne  faut  pas 
se  frotter  à  ce  gaillard-là.  ?)  Et  il  lui  demanda  s'il  voulait  venir  avec  lui 
dans  son  château,  où  ils  vivraient  bien  tranquilles  ensemble. 

Quand  ils  furent  au  château,  ils  se  mirent  à  table,  et  le  géant  régala  le 
tailleur.  Après  le  repas,  il  lui  dit  :  «  Veux-tu  jouer  aux  quilles  avec 
moi  ?  nous  nous  amuserons  bien.  —  Volontiers,  »  répondit  le  taiUetir. 
Chaque  quille  pesait  mille  livres  et  la  boule  vingt  mille.  «  Le  jeu  csi^l 
trop  loin  ou  trop  près  ?  »  demanda  le  géant.  —  */  Mets-le  comme  lu 
voudras.  »  Le  géant,  qui  maniait  la  boule  comme  si  elle  n*eûtrien  pesé, 
joua  le  premier.  Après  avoir  abattu  quatre  quilles»  il  dit  au  petit  tailleur 
de  jouer  à  son  tour;  mais  celui-ci,  au  lieu  de  prendre  la  boule,  voyant 
qu'il  ne  pouvait  même  la  soulever,  se  jeta  par  terre  en  se  tordant, 
comme  s'il  avait  fa  colique,  h  Si  tu  as  mal,  n  lui  dit  le  géant,  «  viens» 
je  te  rapporterai  au  logis  sur  mon  dos.  —  C'est  bon,  »  répondit  le  tail- 
leur, ce  je  marcherai  bien.  »  Quand  ils  furent  revenus  au  château,  le 
géant  lui  fit  boire  un  coup  pour  le  remettre. 

Il  y  avait  en  ce  temps-là  un  sanglier  et  une  licorne  qui  désolaient  tout 
le  pays;  le  roi  avait  promis  sa  fille  en  mariage  à  celui  qui  les  tuerait.  Le 
géant  se  mit  en  route  avec  le  petit  tailleur  pour  aller  combattre  les  deux 
bêtes.  Le  tailleur  prit  un  tranchet  bien  aiguisé  et  se  coucha  par  terre; 
quand  le  sanglier  passa,  il  lui  enfonça  le  tranchet  dans  le  ventre  et  se 
retira  bien  vite  pour  ne  pas  être  écrasé  par  Panimal  dans  sa  chute* 
«  Porte  cette  bête  au  roi,  »  dit-il  au  géant,  *«  tu  es  un  grand  paresseux, 
tu  ne  fais  jamais  rien.  )i  Le  géant  chargea  le  sanglier  sur  ses  épaules  et  le 
porta  au  roi.  «  C'est  bien,  o  dit  le  roi,  «  je  suis  content,  mais  il  y  â 
encore  une  licorne  à  combattre,  n 

Les  deux  compagnons  retournèrent  dans  la  forêt,  et  bientôt  ils  virent 


I 


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CONTES   POPULAIRES    LORRAINS  Jjr 

la  licorne.  Le  tailleur  était  auprès  d'un  arbre  ;  elle  se  mît  à  tourner  tout 
autour,  et  le  tailleur  faisait  de  même  ;  enfin,  comme  elle  s'élançait  sur  lui, 
sa  corne  s'enfonça  dans  l'arbre,  et  elle  ne  pyt  Ten  retirer.  Le  petit  tail- 
leur prit  son  tranchet  et  tua  la  licorne,  puis  il  dit  au  géant:  ((Toi  <)ui  n'as 
rien  fait,  porte  cette  bête  au  roi.  n 

Lorsqu'ils  se  présentèrent  devant  le  roi,  celui-ci  fut  fort  embarrassé, 
car  le  géant  voulait  aussi  épouser  la  princesse,  «t  J'avais  promis  ma  fille  à 
un  seul,  i>  dit  le  roi,  «  mais  vous  êtes  deux.  Je  vms  faire  venir  ma  fille  : 
celui  qui  lui  plaira  ie  plus  l'épousera.  »  Ils  entrèrent  ensemble  dans  la 
chambre  de  la  princesse,  qui  préféra  le  petit  tailleur  :  elle  trouvait  le 
géant  trop  grand  et  trop  laid.  Le  géant,  furieux  contre  le  tailleur,  jura 
qu'il  le  tuerait.  L'autre  avait  pensé  d'abord  à  se  sauver,  mais  il  se  ravisa 
et  vint,  pendant  la  nuit,  enfoncer  d'un  grand  coup  de  masse  la  porte  du 
géanL  c(  Je  vais  t'en  faire  autant,  )»  lui  dit-il,  ^^  si  tu  ne  me  laisses 
pas  épouser  la  princesse,  a  Le  géant,  effrayé,  céda  la  place  et  s'enfuit. 

Le  tailleur  épousa  la  princesse;  on  fit  un  grand  festin,  et  depuis  on  ne 
-revit  plus  le  géant. 

Voir  dans  b  colicclîon  Grimm  les  remarques  du  n»  20,  ie  Vaillant  pdit  îaiUiur ^ 
qui  a  été  emprunté  en  grande  partie  à  un  vieux  livre  allemand  publié  m  1  ^57 
par  Martinus  Montanus  de  Strasbourg  (vid.  t.  IH,  p.  29). 

Aux  allusions  faites  à  ce  conte,  d'après  G.  Grimm,  par  Fischart  (1^75)  et 
par  Grimmdshausen  (1669)^  ofi  peut  ajouter  un  passage  d  un  sermon  de  Bosec- 
ker^  publié  à  Mtinkh  en  1614,  et  oà  il  est  parlé  du  tailleur  m  qui  tuait  sept 
mouches,  —  sept  Turcs,  je  me  trompe  —  d'un  coup,  i  (Gtrmam<i^  1872,  i"^  li- 
vraison, p.  92.) 

Sur  cette  introduction  de  notre  conte,  voir  les  remarques  de  M*  R,  Kahler 
sur  le  conte  sicilien  n'*  41  de  la  collection  GorizenbacK, 

11  y  a  une  altération  dans  le  passage  de  notre  conte  où  le  petit  tailleur  feint 
d'être  malade  pour  ne  pas  montrer  ati  géant  qu'il  ne  peut  manier  sa  boule.  Dans 
les  versions  bien  conservées  de  cet  épisode,  —  lequel  forme  souvent  tout  le  récit 
à  lui  seul,  par  exemple,  dans  un  conte  lorrain ^  îe  Cordonnier  a  les  Vokurs.  que 
nous  publierons  pfus  tard^ —  le  tailleur  s'y  prend  de  façon  à  persuader  de  plus  en 
plus  Je  géant  de  sa  force,  et  il  emploie  à  cet  effet  diiérenles  ruses. 

Dans  un  conte  suisse  (Sulermeisler,  n*  41),  nous  trouvons  le  seul  exemple  à 
nous  connu,  en  dehors  de  notre  conte  lorrain,  d'un  récit  oh  le  géant  est  associé 
avec  !e  tailleur  dans  une  entreprise  (ici  tuer  un  dragon)  ob  la  main  d'une  prin- 
cesse est  en  jeu. 

En  îriande,  on  raconte  l'histoire  du  Pttit  tisserand  de  la  porte  âeDuiuk\  qui, 
un  jour,  lue  d'un  coup  de  poing  cent  mouches  rassemblées  sur  sa  soupe.  Après  cet 
exploit,  il  fait  peindre  sur  une  espèce  de  bouclier  cette  inscription  :  k  suis 


i.  Ce  conte  a  été  inséré  par  le  romancier  irlandais  Lover  dans  sa  nouvelle 
Le  Cheval  kktu  des  Peppers  (Semaine  des  Familles.  Paris,  1861-62,  p.  ^jjj. 


JJl  E,  COSQJJÏN 

l'homme  fui  tn  a  tul  cent  d'un  coup  ;  puis  lî  se  rend  i  Dublm,  Le  roi,  ayant  lu 
i'inscriplion,  prend  le  héros  à  son  service  pour  te  débarrasser  de  certain  dra- 
gon. Le  pelit  tisserand  se  met  en  campagne.  A  la  vue  du  dragon^  il  grimpe 
au  plus  vite  sur  un  arbre.  Le  dragon  s'établit  ati  pied  de  cet  arbre  et  ne  tardi; 
pas  â  s'endormir.  Ce  que  voyant,  le  tisserand  veut  descendre  de  son  arbr 
pour  s'enfuir;  mais,  on  ne  sait  comment,  il  tombe  à  califourchon  sur  le  dragon 
et  le  sajsit  par  les  oreilles.  Le  dragon^  furieux,  prend  son  vol  et  arrive  â  toute 
vitesse  jusque  dans  la  cour  du  palais  du  roi,  oii  i!  se  brise  la  tête  contre  le  mur. 

Citons  encore  l'analyse  d'un  conte  russe,  donnée  par  M.  de  Gubcrnalîs  dans 
sa  ZoohgiCdi  Myîhology  (t.  1,  p.  20j  et  53 ^j.  Le  petit  Thomas  Berenmkoff  lue 
une  armée  de  mouches  et  se  vante  ensuite  d'avoir  anéanti,  à  lut  seul,  toute  une 
armée  de  cavalerie  légère.  Il  fait  la  rencontre  de  deux  vrais  braves,  Etie  de 
Murom  et  Alexis  Papowilch,  qui,  l'entendant  raconter  ses  exploits,  le  recon- 
naissent immédiatement  comme  leur  »  frère  aîné  *,  La  valeur  des  trois  com- 
pagnons ne  larde  pas  à  être  mise  à  Tépreuve.  Elie  et  Alexis  se  comportent  en 
véritables  héros.  Vient  ensuite  le  tour  du  pelit  Thomas.  Par  iine  chance  hett- 
reusc,  il  tue  l'ennemi  contre  lequel  il  est  envoyé  pendant  que  celui-ci  aies  yeui 
fermés.  Il  essaie  ensuite  de  monter  le  cheval  du  «  héros  i.  Ne  pouvant  en  venir 
à  bout,  il  attache  le  cheval  à  un  chêne  et  grimpe  sur  Tarbre  pour  sauter  de  làj 
en  :ifi\k.  Le  cheval,  sentant  un  homme  sur  son  dos,  fait  un  tel  bond  qu'il  déra 
cîne  l'arbre  et  le  traîne  après  lui  dans  sa  course^  emportant  Thomas  |usqu*jii 
cœur  de  l'armée  chinoise.  Dans  celle  charge  furieuse,  nombre  de  Chinois  sontl 
renversés  par  l'arbre  ou  foulés  aux  pieds  par  le  cheval  ;  le  reste  s'enfuit^  L'em- 
pereur de  la  Chine  déclare  qu^il  ne  veut  plus  faire  la  guerre  contre  un  héros  de  la 
force  de  Thomas,  et  le  roi  de  Prusse,  ennemi  des  Chmois,  donne  à  Thomas, 
en  récompense  de  $ts  services,  sa  fille  en  mariage. 

Venons  maintenant  â  la  littérature  orientale  et  résumons  rapidement  le  19* 
récit  de  la  collection  mongole  du  SttUht'Kâr  : 

Un  pauvre  tisserand  d'une  ville  du  nord  de  Tlnde  se  présente  un  jour  devant 
le  roi  et  lui  demande  sa  fille  en  mariage.  Le  roi,  pour  plaisanter,  dit  à  la  prin- 
cesse de  l'épouser.  Naturellement  la  princesse  se  récrie,  et,  comme  le  roi  lui 
demande  quel  homme  donc  elie  veut  épouser,  elle  répond  :  »  Un  homme  qui 
sache  faire  des  bottes  avec  de  la  soie  \sic).  *  On  examine  les  bottes  du  tisse- 
rand, et,  à  la  grande  surprise  de  tout  ie  monde,  on  en  lire  de  la  soie.  Le  roi 
se  dit  que  ce  n'est  pas  un  homme  ordinaire  et  le  garde  provisoirement  dans  le 
palais  ;  mais  la  reine  n'est  pas  contente,  et  elle  voudrait  se  débarrasser  du  pré» 
tendant.  Elle  lui  demande  de  quelle  façon  il  entend  gagner  la  main  de  la  prin- 
cesse :  par  ses  richesses  ou  par  sa  bravoure.  L'autre  répond  :  •!  Par  ma 
bravoure.  »  Comme  justement  un  prince  ennemi  marchait  contre  le  roi,  od 
envoie  contre  lui  le  tisserand.  Celui<t  monte  à  cheval,  mais,  étant  fort  mauvais 
cavalier,  il  est  emporté  dans  un  bois.  11  se  raccroche  aux  branches  d'un  arbre  ; 
l'arbre  est  déraciné,  et,  le  cheval  portant  notre  homme  au  milieu  de  l'armée 
ennemie,  le  tronc  d'arbre  fait  grand  carnage  et  les  ennemis  s'entuienl  épouvan- 
tés'. Le  tisserand  est  ensuite  envoyé  contre  un  grand  et  terrible  renard,  avec 


i .  Cet  épisode  de  Tarbre,  que  nous  avons  déjà  vu  dans  te  conte  russe,  ne  se 


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CONTES   POPULAIRES    LORRAINS  ^J^ 

ordre  d'en  rapporter  la  peau.  Il  parcourt  le  pays  sans  rien  rencontrer.  En  reve- 
nant, il  s'aperçoit  qu'il  a  laissé  son  arc  en  route.  Il  retourne  sur  ses  pas  et 
retrouve  Tare  avec  le  renard  tué  à  côté  :  en  voulant  ronger  la  corde  de  l'arc, 
le  renard  a  fait  partir  la  flèche,  —  Enfin  le  roi  ordonne  au  tisserand  de  lui 
ramener  les  «  sept  démons  des  Mongols  »  avec  leurs  cKevaux.  Comme  provi- 
sions de  voyage,  la  princesse  lui  donne  sept  morceaux  de  pain  noir  et  sept  de 
pain  blanc.  Le  tisserand  commence  par  le  pain  noir.  Comme  il  est  à  manger, 
arrivent  les  démons  qui,  le  voyant  s'enfuir,  le  laissent  aller  et  mangent  son  pain 
blanc.  Aussitôt  ils  tombent  tous  morts,  car  le  pain  blanc  était  empoisonné.  Le 
tisserand  rapporte  au  roi  leurs  armes  et  leurs  chevaux^  et  il  épouse  la  prin- 
cesse. 

On  sait  que  les  récits  du  SiddhhKùr  ont  été  empruntés  par  les  Mongols  à  des 
recueils  indiens.  Nous  ignorons  si  Ton  a  retrouvé  jusqu'à  présent  dans  la  litté- 
rature sanscrite  le  prototype  de  ce  conte.  Tout  ce  que  nous  pouvons  citer  ici 
comme  venant  directement  de  Tlnde,  c'est  un  conte  populaire  actuel^  recueilli 
par  miss  M.  Frère  {Old  Dckkan  Ddys^  a*  éd.,  1870,  n*  16).  Le  voici  en  quel* 
ques  mots  : 

Un  potier,  un  peu  gris,  prend,  pendant  un  orage,  un  tigre  pour  son  âne 
égaré.  Il  saute  dessus,  le  bal  et  l'attache  auprès  de  sa  maison.  De  son  côté,  le 
tigre  le  prend  pour  un  être  terrible  dont  il  a  entendu  prononcer  le  nom,  et  il 
n'ose  faire  de  résistance  <.  Voilà  le  potier,  preneur  de  tigres,  en  grand  renom 
dans  toute  la  contrée.  Le  roi,  dont  le  pays  est  envahi,  lui  donne  son  armée  à 
conduire.  Le  potier,  mauvais  cavalier,  se  fait  attacher  par  sa  femme  sur  le  che- 
val de  guerre  que  le  roi  lui  a  envoyé.  Le  cheval,  agacé  de  se  sentir  lié,  prend 
le  mors  aux  dents  et  emporte  le  potier  dans  le  camp  des  ennemis  qui  sont  pris 
de  panique  et  font  retraite,  laissant  une  lettre  pour  demander  fa  pair. 

Comme  trait  d'union  entre  l'Asie  et  l'Europe,  nous  citerons,  pour  finir,  un 
conte  avare  3,  le  n"  11  de  la  collection  traduite  par  M.  Schiefner  :  Il  y  avait 
dans  le  Daghestan  un  homme  si  poltron  que  sa  femme,  lasse  de  sa  couardise, 
finit  par  le  mettre  à  la  porte.  Le  voilà  donc  parti,  armé  d'un  tronçon  de  sabre. 
Passant  auprès  d'un  endroit  oh  s'étaient  amassées  des  mouches,  il  jette  dessus 


rencontre  pas  seulement  chez  les  Russes,  voisins  des  Mongols,  mais  aussi,  sous 
une  forme  altérée,  chez  des  peuples  de  rintérieur  de  l'Europe.  Ainsi,  dans  un 
conte  tyrolien  (Zmgerle,  II,  p.  1  g  et  dans  un  livre  populaire  hollandais  (Grimm, 
ni  p.  Jî/,  le  tailleur,  emporté  par  son  cheval  vers  rennemi^  saisit  sur  son 
passage,  pour  se  retenir,  une  croix  plantée  le  long  du  chemin  et  la  déracine, 
<5uan3  les  ennemis  voient  accourir  cet  homme  à  cheval,  une  croix  dans  ses  bras, 
sl$  sont  pris  d'épouvante  et  s'enfuient.  Ce  même  trait  se  retrouve  chez  les  Hon- 
grois (collection  Gaal,  traduite  en  ail.  par  Stier,  n*  n). 

1 .  Dans  un  conte  du  Cambodge,  un  homme,  apercevant  un  tigre,  se  réfugie 
sur  nn  arbre.  La  branche  sur  laquelle  il  s'est  mis  vient  à  rompre  et  il  tombe  à 
califourchon  juste  sur  le  dos  du  tigre  (comme  le  petit  tisseranJ  irlandais  sur  le 
dos  du  dragon).  Alors  c'est  le  tour  du  tigre  d*avoîr  peur.  Il  s'enfuit  à  toutes 
latmbes,  emportant  à  travers  champs  son  cavalier  malgré  lui.  Celui-ci,  de  son 
càUf  tremble  si  fort  de  Irayeur  quc^  sans  le  vouloir,  il  ne  cesse  d'éperonner  sa 
monture*  £t,  dit  le  conte  cambodgien,  ils  courent  encore.  (Ad.  Bastian^  Dit 
Valktf  da  mt lichen  Asitns,  t.  IV,  p.  122). 

2,  Voir  sur  les  Avares  du  Caucase  les  remarques  de  noire  conte  n'  1. 

Remûnia^  V  2  ^ 


I.  COSQUIN 

i  er  :3t  3arcni|  cents.  Alors  il  fait  graver  sur  son  sabre  :  t  Le 
Suaunr.  m  tac  cinq  cents  hommes  d'un  coup.  >  Il  continue  son 
r:S  :  uzrcfie  vtaai  jae  grande  ville.  Le  roi,  informé  de  l'arrivée  d'un  td 
Xi  :aamt  .si  lile  a  mariage  pour  le  retenir  auprès  de  lui.  Peu  de  temps 
*  ^1  ut  «  >^«HHÙ  i'ailer  combattre  un  dragon  qui  ravageait  ses  trôn- 
ait atemuin  ^tficr  de  dragon,  Nasnaî  est  pris  de  coliques  et,  la  nuit 
.-  enioiL  .^tittr  sectre  sa  vie  en  sûreté.  11  arrive  dans  une  forêt  et  grimpe 
;aaL  -tf  -^-^f^  -"^^^  !'  ionnir.  Le  lendemain,  en  se  réveillant,  il  aperçoit  le  dia- 
^.^-«  .a  .*nai  4S  ^tftm .  1  perd  connaissance  et  tombe  sur  le  dragon  qui  est  si 
^miv^axt  ;«.  î-  >K  'Murt  de  peur.  Nasnaî  lui  coupe  la  tête  et  va  la  porter  au 
^:rt.  Stsuce  <  ^n  9wie  son  gendre  contre  trois  narts  (sorte  de  géants  ou 
;^c^f^ai«>  ^rct  )Qiins«seaKnt  pour  le  •  héros  du  Daghestan  >,  les  trois  narts, 
^«»  .^  stMi  icnte»  «us  l'irbre  où  Nasnaî  s'est  réfugié  comme  la  première  fois, 
.«  :%uMmi  ^  .$it«raiie  et  se  tuent  les  uns  les  autres.  Nasnaî  rapporte  triom- 
.^^uMKiK  «KO  :Ktes  ;ït  leurs  dépouilles.  Enfin  le  roi  lui  dit  que  le  •  roi  infi- 
,j»«  >  ;t:  ^  .9vare  a  ^erre  et  qu'il  s'avance  avec  une  armée  innombrable  pour 
.^^^  1  ---u^  \J^Q«u  est  obligé  de  se  mettre  à  la  tête  des  troupes  du  roi.  A  la 
«1  jife'  cAïKMkiSv  i  :«  :)ent  fort  mal  à  Taise.  11  ôte  ses  bottes,  ses  armes,  ses 
imx«»s  x«r  ^(r<  4iU;>  léger  à  se  sauver.  L'armée,  qui  a  reçu  du  roi  l'ordre  de 
.<  ^^'  ot  ^"uc  )ur  Nasnaî,  fait  comme  lui.  Justement  il  vient  à  passer  un 
^-«Ki»  >ftîxM  ;u»  sai:tit  une  des  bottes  de  Nasnaî  et  s'enfuit  dans  la  direction  de 
u?«w  x<wM4h<  \x:aai  court  après  lui,  toute  l'armée  le  suit.  A  la  vue  de  ces 
VMAcv  MS^  ^(iMK  vers,  les  ennemis  se  disent  que  ce  sont  des  diables  et  pren- 
«««I.  A  miR.  Ni«u/i  rasasse  un  grand  butin  et  revient  en  triomphateur. 


IX. 
L'OISEAU   VERT. 

V  ^(«(  ««  iiMS  un  jeune  homme,  fils  de  gens  riches,  qui  aimait  à  se 
,AM4t4u<c  Jt^  ^^  ^'^  i^"''  V^*^^  ^'y  pi'oi^^'^^i^  il  vî^  un  bel  oiseau  vert; 
1  j^  m^  Jt  SA  ixvtrsutte,  mais  l'oiseau  sautait  de  branche  en  branche,  et 
i  Mit^  M»im  '<!C  kuiM  homme  bien  avant  dans  la  forêt.  Le  jeune  homme 
^^^1^  ïiWtM  à  l^^ttnper  vers  le  soir,  et,  comme  il  avait  grand'&dm, 
;  s.'îfisi  ^MU*  Wt  «rbrc  pour  manger  quelques  provisions  qu'il  avait 
««ihKtC<^^  «<*»  ^  *  ^^^^  ^"  ^°"^®'  ^^  marcha  une  partie  de  la  nuit 
^^^^g^\j^  il  jOUil.  Enfin  il  aperçut  une  lumière,  et,  se  dirigeant  de 
V  Ntex  ^  *ttt^4  v<r$  deux  heures  après  minuit  près  d'une  maison  :  or 
^x<i  :ii«Mft  <t»l  U  demeure  d'un  ogre, 

'  ^  ,ïU«<ÎKîm«<  firappa  ^  la  porte;  une  belle  jeune  fille  vint  lui  ouvrir. 

e  >»4»*i««  ùtt^»  *  1^  ^*^"*'>  *^  voulez-vous  me  recevoir  ?  »  La  jeune 
'  ^Hjttcit  *  3^1^  P^"^  ^^  "^  ^^^'^  ^^  ^^  rentrer.  Toute  la  nuit  il 
>>»  .H>Vi^  ^  tî  «  '^P*^*^  pendant  le  jour.  —  Peu  m'importe,  »  dit  le 


CONTES   POPULAIRES   LORRAINS  ;j{ 

jeune  garçon,  ^^  pourvu  que  je  puisse  dormu'.  >>  La  jeune  fille  le  laissa 
donc  entrer. 

Bientôt  après,  Togre  revint*  «  Je  sens  ta  chair  de  chrétien,  a  dii-il  en 
entrant.  —  «  Mon  père,  c'est  un  jeune  homme,  un  beau  jeune 
homme»  qui  sait  très-bien  travailler  en  tous  métiers,  —  Cest  bien,  »  dit 
l'ogre. 

A  huit  heures  du  matin,  Togre  appela  le  jeune  homme  et  lui  dit  :  n  Tu 
vas  me  démêler  tous  ces  écheveaux  de  fil;  situ  n'as  pas  fini  pour  midi, 
je  le  mangerai.  »  Le  pauvre  garçon  se  mît  à  l'ouvrage,  mais  le  fil  était 
si  emmêlé  qu'il  n'en  pouvait  venir  à  bout.  Il  commençait  à  se  désespérer, 
quand  il  vil  la  fille  de  l'ogre  entrer  dans  la  chambre.  «  Eh  bien  1  f>  dit- 
elle,  <ï  que  vous  a  commandé  mon  père  ?  —  Il  m*a  commandé  de  lui 
démêler  son  fil,  et  je  ne  puis  y  parvenir  :  quand  je  le  démêle  par  un 
bout,  il  s'emmêle  par  l'autre.  »  La  jeune  fille  donna  un  coup  petit  de  ba- 
guette, et  le  fil  se  trouva  démêlé.  A  midi,  l'ogre  arriva,  u  As-tu  fini  ta 
besogne?  —  Oui.  —  Demain  il  faudra  me  trier  toutes  ces  plumes,  et  si 
tu  n*as  pas  fini  pour  midi,  je  te  mangerai,  » 

Il  y  avait  là  des  plumes  d'oiseau  de  toute  couleur;  le  jeune  homme 
essaya  de  les  Trier,  mais  il  n'y  pouvait  réussir.  Un  peu  avant  midi,  la 
fille  de  l'ogre  entra,  u  Eh  bien  !  que  vous  a  commandé  mon  père?  —  Il 
m'a  commandé  de  trier  ces  plumes,  et  je  n'en  puis  venir  à  bout  :  quand 
|*en  ai  trié  une  partie,  elles  s'envolent  ei  vont  se  mêler  aux  autres.  >>  La 
jeune  fille  donna  un  petit  coup  de  baguette^  et  voilà  toutes  tes  plumes 
triées.  L'ogre,  étant  arrivé,  demanda  au  jeune  homme  :  «  As-tu  fini  ta 
besogne?  —  Oui.  —  C'est  bien,  n 

Le  lendemain  la  fille  de  l'ogre  vint  encore  trouver  le  jeune  homme. 
«  Eh  bien  !  n  dit-elle,  «  que  vous  a  commandé  mon  père  ?  —  Il  ne  m'a 
rien  commandé,  —  Alors,  c'est  qu'il  veut  vous  manger.  »  Et  elle  lui 
proposa  de  s'enfuir  avec  elle.  Ils  partirent  donc  ensemble. 

Après  qu'ils  eurent  couru  quelque  temps,  la  jeune  fille  dît  au  jeune 
homme  :  «  Regardez  derrière  vous  si  vous  voyez  mon  père.  —  Je  vois 
U-bas  un  homme  qui  vient  vite,  vite  comme  le  vent.  —  C'est  mon 
père,  n  Aussitôt  elle  se  changea  en  poirier  et  changea  le  jeune  homme 
en  femme  qui  abattait  les  poires  avec  un  bâton.  Quand  Togre  arriva  près 
du  poirier,  îl  dit  à  la  femme  :  «  Vous  n'avez  pas  vu  passer  un  garçon 
et  une  fille?  —  Non,  je  n'ai  vu  personne,  w 

L'ogre  s'en  retourna,  et,  quand  il  fut  à  la  maison,  il  dit  à  sa  femme  : 
(c  le  n'ai  rien  vu  qu'un  poirier  et  une  femme  qui  abattait  les  poires  avec 
un  bâton.  —  Eh  bien!  n  répondit  l'ogresse,  u  le  poirier  c'était  elle,  et  la 
femme  c'était  lui.  —  J'y  retourne,  »  dit  l'ogre. 

Cependant  les  deux  jeunes  gens  avaient  repris  leur  course.  «  Regardez 
derrière  vous  si  vous  voyez  mon  père.  —  Je  vois  là-bas  un  homme  qw 


156  E^  COSQUIH 

vient  vite,  vite  comme  le  vent.  —  C'est  mon  père.  »>  Aussitôt  la  jeune 
fille  se  changea  en  ermitage,  et  changea  le  jeune  homme  en  ermite  qui 
balayait  les  araignées  dans  la  chapelle.  L'ogre  ne  tarda  pas  à  arriver. 
«  N'avcE-vous  pas  vu  passer  un  garçon  et  une  fille  ?  »  dit-il  à  l'ermite. 
—  Non,  je  n*ai  vu  personne.  » 

L'ogre,  de  retour  chez  lui,  dit  à  sa  femme  :  «  Je  n'ai  rien  vu  qu'un 
ermitage  et  un  ermite  qui  balayait  les  araignées.  —  £h  bien!  »  dit 
l'ogresse,  et  l'ermitage,  c'était  elle,  et  l'ermite,  c'était  lui.  —  Cette 
fois,  >i  dit  l'ogre,  <»  je  prendrai  ce  que  je  trouverai,  n  Et  il  se  remit  en 
marche. 

La  jeune  fille  dit  au  jeune  homme  :  «  Regardez  derrière  vous  si  vous 
voyez  mon  père.  —  Je  vois  là-bas  un  homme  qui  vient  vite,  vite  comme 
le  vent.  —  C'est  mon  père.  >>  Elle  se  changea  en  carpe  et  changea  le 
jeune  homme  en  rivière.  Lorsque  l'ogre  arriva,  il  voulut  prendre  la 
carpe,  mais  il  fit  le  plongeon  et  se  noya. 

Le  jeune  homme  emmefia  la  jeune  fille  avec  lui  dans  son  pays  et 
l'épousa. 


Voir  dans  la  collection  GrJmm  les  remarques  des  n"  ^t,  ^6  et  1 1)  ;  dans  la 
collection  Gonzenbach  les  remarques  de  M.  R.  Kœhler  sur  les  n^  14,  ^ 
et  js. 

Dans  presque  tous  les  contes  de  ce  type  que  nous  connaissons,  les  tâches  impo- 
sées ati  jeune  homme  par  l'être  malfaisant  ^  ogre,  sorcier,  diable,  etc.  —  cheti 
lequel  i!  se  trouve,  sont  autres  que  celles  de  notre  conte.   Nous  ne  retrouvons 
celles-ci  que  dans  un  conte  français,  d'ailleurs  différent  pour  le  reste,  recueilli  au 
XVI I'^  siècle  par  M"^«  d'.AuInoy,  Gracuusc  et  Ptnma, 

En  revanche,  les  transformations  des  deux  jeunes  gens  sont  presque  iden- 
tiques dans  notre  conte  et  dans  divers  contes  étrangers.  1  Dans  un  conte  français 
analogue  de  M"»"  d'Aulnoy,  VOrangtr  tt  l'AbalUt  elles  sont  différentes.)  Ainsî^ 
dans  la  collection  de  contes  siciliens  publiée  tout  récemment  par  M*  Pitré 
(n"  15)  ces  transformations  sont  les  suivantes:  brocolis  et  jardinier,  rivière  et 
anguille,  église  et  sacristain  ;  dans  un  conte  du  Tyrol  italien  (Schneller  n^  27)» 
jardin  et  jardinier,  lac  et  pécheur^  église  et  chapelain;  dans  un  conte  westpha- 
lien  (Grimm,  n"  ijj),  buisson  d'épines  et  rose,  église  et  prédicateur,  étang  cti 
poisson,  etc.  Dans  le  conte  n*  5 1  de  Grimm,  la  petite  fille  change  le  petit  gar- 
çon en  étang  et  se  change  en  cane  ;  quand  la  vieille  sorcière  qui  les  pcurstiît 
veut  saisir  la  cane,  celle-ci  la  prend  par  la  tète  et  ta  noie.  —  Oans  un  conte 
catalan  du  Rondailayt  de  M.  Maspons  y  Labros  (i*  série,  1872,  p.  30),  la  fille 
du  géant  change  son  cheval  en  sac  â  noix,  elle-même  en  noix  et  le  jeune  homme 
en  marchand.  Viennent  ensuite  les  transformations  en  église,  statue  delà  Vierge 
et  chapelain,  puis  en  mer  et  poissons  (cf.  i"  série,  1871,  p.  89). 

Comparez  encore  les  contes  italiens  n"  ^  et  6  des  Nùvcllinc  dt  Santo  Sttfàno  di 
Cakinma,  publiées  par  M.  de  Gubernatis,  et  le  n*>  m  de  )a  collection  Compa- 
rettî. 


CONTES  POPULAIRES  LORRAINS  ^57 

Un  poème  héroïque  recueilli  chez  les  Tarlares  de  la  Sibérie  méridianalc 
(Râdloff,  Proben  der  VoîksUttratur  dcr  tùrkischm  Summc  Sud-Sibinens^  2*  partie, 
(8^8,  p.  202  sq,)  offre,  parmi  les  transformations  qui  y  sont  accumulées,  un 
pomt  de  comparaison  avec  VOisean  vat  et  les  contes  analogues.  Le  héros,  Ai 
Tolysy  a  enlevé  une  jeune  fille;  les  trois  frères  de  celle-ci  se  mettent  à  sa 
poursuite.  Alors  la  |eune  fille  change  le  cheval  d'Ai  Tolysy  en  peuplier.  Ai 
Tolysy  et  eile-mème  en  deux  corbeaux,  et  les  trois  frères  passent  sans  se  douter 
de  rien. 

Dans  le  plus  grand  nombre  des  contes  de  ce  genre,  le  récit  ne  s'arrête  pas 
après  la  poursuite  â  laquelle  échappent  les  deux  jeunes  gens.  Par  suite  d'un 
mauvais  sort^  parfois  de  la  malédiction  de  ses  parents,  la  jeune  fille  est  pour 
un  temps  oubliée  par  son  fiancé.  Nous  aurons  occasion  de  revenir  sur  ce  point 
à  propos  d*un  autre  de  nos  contes  lorrains,  Chatti  Blanche,  Nous  donnerons 
éigalement^  dans  nos  remarques  sur  ce  conte,  l'analyse  d'un  conte  indien  qui 
se  rapproche  sur  plusieurs  points  de  VOiseati  vert. 

dai 
Pal 


X. 


RENÉ  ET  SON  SEIGNEUR. 


î!  était  une  fois  un  homme  appelé  René,  qui  demeurait  avec  sa  femme 
dans  une  pauvre  cabane  et  n'avait  pour  tout  bien  qu'une  vache.  Celte 
vache  étant  morte,  René  voulut  tirer  quelque  argent  de  la  peau  en 
Fallant  vendre  à  la  ville  voisine.  Après  avoir  dépouillé  fa  vache,  il  jeta 
la  peau  sur  ses  épaules  et  se  mit  en  route.  Comme  il  n'avait  pas  détaché 
la  tête  de  la  bête,  elle  lui  faisait  une  sone  de  capuchon,  au-dessus  duquel 
se  dressaient  deux  grandes  cornes. 

Pour  arriver  à  la  ville,  il  y  avait  à  traverser  une  forêt.  Au  moment  aËi 
René  passait,  des  voleurs,  assis  sur  le  bord  du  chemin,  étaient  en  train 
de  compter  leur  argent.  Voyant  de  loin  venir  l'homme  aux  cornes,  ils 
crurent  quec^était  le  grand  diable,  et  décampèrent  au  plus  vite,  lais- 
sant là  tout  leur  argent  :  il  y  en  avait  un  tas  qui  était  bien  haut  de  six 
pieds.  René  remplit  de  pièces  d*or  sa  peau  de  vache  et  continua  sa  route. 
Arrivé  à  la  ville,  il  acheta  un  âne  et  lui  donna  à  manger  du  son  dans 
lequel  il  avait  jeté  quelques  louis  d*or,  puis  il  retourna  chez  lui*  Il  n*élait 
guère  rassuré  en  repassant  par  la  forêt.  «  Ce  matin,  »  pensait-il,  w  j*ai 
fait  peur  aux  gens;  ce  sera  peut-être  mon  tour  ce  soir  d'avoir  peur,  » 
Mais  personne  ne  se  montra  et  il  rentra  à  ta  nuit  dans  sa  chaumière. 

Le  lendemain  matin,  on  trouva  des  pièces  d'or  sur  la  litière  de  l'âne. 
La  nouvelle  s'en  répandit  dans  tout  le  village  et  arriva  aux  oreilles  du 
seigneur,  qui  vint  aussitôt  trouver  René  et  lui  dit  :  «  On  raconte  que  tu 
as  un  âne  qui  fait  de  Tor.  —  Monseigneur,  c'est  la  vérité,  —  Combien 


5^8  E.  COSQIJtN 

veux-tu  me  le  vendre  ?  —  Deux  mille  écus,  Monseigneur.  —  C*est  bien 
cher.  —  Oh!  Monseigneur,  un  âne  qui  vous  donnera  chaque  jour  un  las 
d*or!  n  Bref,  le  seigneur,  qui  était  un  peu  timbré,  lui  compta  deux  raille 
écus  et  emmena  Tâne.  En  rentrant  chez  lui,  il  fut  querellé  par  sa  femme 
à  cause  du  sot  marché  qu'il  avait  fait.  Le  premier  jour,  Tàne  donna 
encore  quelque  peu  d'or,  mais  les  jours  suivants,  il  n'y  en  eut 
plus. 

Le  seigneur,  furieux,  sortit  pour  aller  faire  des  reproches  à  René. 
Celui-ci,  Payant  aperçu  de  loin,  dit  à  sa  femme  :  «  Je  gage  que  le  sei- 
gneur vient  pour  me  chercher  noise  au  sujet  de  notre  marché.  Qu'allons- 
nous  faire  ?  )»  En  disant  ces  mots,  il  jeta  les  yeux  sur  la  marmite  qui  était 
sur  le  feu  et  bouillait  à  gros  bouillons.  Il  éteignît  le  feu  en  toute  hâte,  prit 
la  marmite  et  la  porta  toute  bouillante  sur  le  toit  de  sa  cabane  ;  puis  il 
descendit  et  se  mit  à  tailler  la  soupe.  A  ce  moment  arriva  le  seigneur. 
«  Es-tu  fou,  )i  dit-il  à  René,  «  de  tailler  la  soupe  sans  avoir  mis  le  pot 
au  feu  ?  —  Monseigneur,  »  répondit  René,  «  le  pot  est  sur  le  toit,  — 
Comment,  sur  le  toit  ?  par  le  froid  qu'il  fait  !  »  (En  effet,  il  gelait  à  pierre 
fendre).  —  «  Monseigneur,  »  dit  René,  v  j*aî  un  moyen  de  faire  cuire 
ma  soupe  en  un  instant  et  sans  feu.  Voulez-vous  voir  ?  —  Volontiers.  « 
Le  seigneur  suivit  René  et  monta  non  sans  peine  avec  lui  sur  le  toit  ; 
alors  René  donna  au  pot  de  grands  coups  de  fouet  et  le  découvrit  ensuite. 
*c  Voyez,  n  dit-il  au  seigneur,  m  il  bout  à  gros  bomlions.  Quand  je  veux 
faire  cuire  ma  soupe,  je  n*ai  qu'à  mettre  ce  pot  sur  le  toit  et  qu'à  lui  don- 
ner des  coups  de  fouet  :  il  bout  aussitôt.  —  Combien  veux-tu  me  vendre 
ce  pot  ?  »  demanda  le  seigneur,  —  «  Deux  mille  écus,  Monseigneur.  — 
C'est  bien  cher.  — Oh  !  Monseigneur»  vous  qui  usez  pour  mille  ou  douze 
cents  écus  de  bois  par  an,  songez  quelle  économie  cela  vous  ferait.  »  Le 
seigneur  donna  les  deux  mille  écus  et  retourna  avec  le  pot  au  château, 
où  il  fut  encore  fort  mal  reçu  par  sa  femme,  «  Attendez,  madame,  i>  dît 
le  seigneur,  w  et  vous  verrez  merveilles.  »  Il  ordonna  à  quatre  de  ses 
valets  de  mettre  le  pot  sur  le  toit  et  de  le  frapper  à  grands  coups  de  fouet, 
ce  qu'ils  firent  avec  tant  de  conscience,  que  bientôt  la  chaleur  les  obligea 
d'ôter  leur  habit;  mais  le  pot  ne  bouillait  toujours  pas. 

Le  seigneur,  encore  plus  furieux  que  la  première  fois,  courut  chez 
René  qui,  le  voyant  venir,  remplit  de  sang  une  vessie  et  dit  à  sa  femme  : 
«  Mets  cette  vessie  sous  ta  ceinture  :  tout  à  l'heure  je  donnerai  un  ccMip 
de  couteau  dedans,  et  tu  tomberas  par  terre  comme  si  je  t*avais  tuée. 
Je  sifflerai,  et  tu  te  relèveras  aussitôt.  »  Quand  le  seigneur  entra,  il  trouva 
René  qui  sautait  et  gambadait  dans  sa  cabane.  *<  Es-tu  fou,  René,  m  lui 
dit-il,  «  de  danser  ainsi  ^  —  Monseigneur,  »  dit  René,  «  ma  femme  va 
danser  avec  moi.  —  Nenni,  vraiment,  »  répondit  la  femme.  Alors  René 
prit  un  grand  couteau  et  lui  en  donna  un  coup*  Elle  tomba  comme  mortei 


CONTES   POPULAIRES    LORRAINS  ^J9 

et  tout  le  saTîg  qui  était  dans  la  vessie  se  répandit  par  terre.  «  Malheu- 
reux 1  qu*as-tu  fait  ?  )>  cria  le  seigneur  *  «  voilà  ta  femme  tuée.  Tu  seras 
pendu.  —  Oh!  ï)  dit  René,  «  je  ne  serai  pas  pendu  pour  si  peu,  »  Il 
donna  un  coup  de  sifflet,  et  à  rinstant  sa  femme  fut  sur  pied  et  dansa 
avec  lui.  <t  Voilà,  »  dit  le  seigneur,  a  un  merveilleux  sifflet  !  Combien  en 
veux-tu  ?  —  Deux  mille  écus,  Monseigneur.  —  Voilà  deux  mille  écus.  » 
Et  le  seigneur  s*empressa  d'aller  montrer  son  emplette  à  sa  femme,  qui 
le  querella  encore  plus  aigrement  qu-auparavant- 

Un  jour,  le  seigneur  était  avec  sa  femme  au  coin  du  feu  et  s'amusait  à 
siffloter,  u  Que  tu  es  ennuyeux  !  )}  lui  dit  sa  femme;  «  finiras-tu  bien- 
tôt ?  n  Le  seigneur  se  leva,  prit  un  couteau,  et,  le  plus  tranquillement 
du  monde,  le  lui  enfonça  dans  le  corps  ;  la  pauvre  femme  tomba  raîde 
$ur  le  plancher.  Alors  il  tira  son  sifflet  de  sa  poche,  mais  il  eut  beau 
siffler^  sa  femme  était  morte  et  resta  morte. 

Aussitôt  le  seigneur  fit  mettre  les  chevaux  à  son  carrosse  et,  accompa- 
gné de  deux  laquais,  se  rendit  en  toute  hâte  chez  René.  Il  s*empara  de 
lui  et  le  fit  porter  dans  le  carrosse,  pieds  et  poings  liés,  pour  aller  le 
jeter  dans  un  grand  trou  rempli  d*eau.  Mais,  en  chemin,  !e  seigneur  et 
ses  gens  étant  descendus  un  moment,  un  pâtre  vint  à  passer  avec  ses 
vaches;  il  vit  René  qui  était  seui,  garrotté  dans  le  carrosse.  «  Que  fois- 
tu  là  ?  »  lui  demanda-t-îl  —  «  Ah  i  »>  répondit  Vautre,  <f  on  m'emmène 
de  force  pour  être  curé,  et  je  ne  sais  ni  lire  ni  écrire.  —  Ma  foi,  »  dit  le 
pâtre,  «  cela  ferait  joliment  mon  affaire  â  moi  qui  sais  lire  et  écrire  cou- 
ramment. —  Mets-toî  donc  à  ma  place,  »  dit  René.  Le  pâtre  accepta  la 
proposition;  il  délivra  René  et  se  laissa  mettre  dans  le  carrosse,  pieds  et 
poings  liés.  Cela  fait,  René  partit  avec  le  troupeau.  Quand  le  carrosse  fut 
arrivé  près  du  trou,  les  laquais  prirent  le  pâtre  et  le  jetèrent  dans  l'eau. 

Quelque  temps  après,  le  seigneur,  étant  rentré  au  château,  vit  arriver 
René  conduisant  ses  vaches.  «  Pourriez- vous,  Monseigneur,  î>  dit  René, 
u  me  recevoir  pour  la  nuit  avec  mes  bêtes  ?  —  Comment  ?  »  s*écria  le 
sdgneur,  «  le  voilà  revenu  l  —  Oui,  Monseigneur.  Je  serais  encore  là-bas, 
si  vous  m*avîez  fait  jeter  un  peu  plus  loin  ;  mais  à  l'endroit  où  je  suis 
tombé,  j'ai  trouvé  un  beau  carrosse  à  six  chevaux,  et  de  Tor  et  de  Far- 
gent  en  quantité.  » 

Le  seigneur  commanda  à  René  de  le  conduire  à  cet  endroit  avec  sts 
deux  laquais.  Quand  ils  furent  au  bord  du  trou,  René  dit  au  seigneur  : 
Mettez-vous  ici;  —  et  vous,  »  dit-il  aux  laquais,  (»  mettez- vous  là.  n 
Puis  il  les  poussa  tous  les  trois  dans  le  trou,  où  ils  se  noyèrent. 

Après  cette  aventure,  René  se  trouva  le  plus  riche  du  village  et  en 
devint  le  seigneur. 


Ce  conte,  qui  correspond  au  conte  hcssois  n*  61  de  Grimin,  est  cxlrêraement 


560  E,  COSQUIN 

répandu.  M.  R.  Koebler  l'a  étudié  très-longuemenl  en  1863  dans  la  revue 
Ormt  und  Ocààcm  (t.  Il,  p.  486  seqO-  ^^^  récils  dont  il  a  donné  Tanalyse  danj 
ce  travail,  il  faut  ajouter  divers  contes  indiqués  également  par  lui  dans  ses 
remarques  sur  les  contes  siciliens  n<*'  70  et  71  de  la  collection  Gonzenbach. 

Nous  citerons  encore  d'abord  un  conte  breton  recueilli  par  M.  Luzcl  {Conlts 
bretons.  Quimperlé^  (870,  p.  80.  C'est  là  seulement  que  nous  a  von  s  retrou  vêles 
voleurs  effrayés  par  la  peau  de  vache  et  ses  grandes  cornes,  et  qui  laissent  11 
leur  argent,  et  le  fouet  avec  lequel  on  fait  bouillir  la  marmite.  Puis  un  conte 
norvégien  de  la  collection  Asbjœrnsen,  traduit  récemment  en  anglais  par 
M*  Dasent  {Talcs  from  îk  Fjdd,  Londres,  1874,  p.  94),  Dans  ce  conte,  Peîk 
vient  demander  au  roi^  quil  a  maintes  fois  attrapé,  s'il  peut  avoir  dans  la 
•  grange  du  roi  «  de  la  place  pour  ses  chevaux  et  ses  moutons,  comme  René 
demande  au  seigneur  si  cebi-ci  peut  le  recevoir  pour  la  nuit  avec  ses  bêles.  Ce 
petit  trait  ne  se  retrouve,  à  notre  connaissance,  dans  aucun  autre  des  récils 
analogues  qui  ont  été  recueillis.  —  Le  coRte  norvégien  a  également  la  marmite 
qui  bout  sans  feu.  Ce  détail  manque  dans  un  grand  nombre  des  contes  de  ce 
genre;  nous  ne  Pavons  trouvé  que  dans  un  conte  allemand  de  Cologne  (Koehler, 
hc.  ci/.,  p,  ^04)^  dans  les  contes  siciliens  indiqués  plus  haut,  dans  un  conte 
également  sicilien  publié  en  1875  par  M.  Pitre  (n*  157),  dans  un  conte  toscan 
des  NovcÏÏmt  di  Sânto-Sufano  de  M.  de  Gubernatis  (n"  50),  dans  un  conlc 
catalan  du  Rondaîlayrc  {}''  partie^  187$,  p.  83)  et  dans  deux  contes  dont  il  nous 
reste  à  parler. 

Un  conte  fort  ressemblant  a  été  ^xè  par  écrit  dès  le  XI«  et  peut-être  le 
X"  siècle,  sous  forme  de  petit  poème  en  latin  (Kœhler,  hc.  ai.,  p.  4881. 
Une  autre  version  figure  dans  un  livre  imprimé  en  1^9,  le  Nâchtbûihtan 
de  Valentin  Schumann  (Pfeiffer's  Gctmantûjlj  p.  3J9).  Vers  la  même  époque 
paraissait  en  Italie  un  petit  livre  dont  nous  reproduirons  le  titre,  qui  résume 
tout  le  sujet  :  u  Histoire  du  paysan  Campriano,  lequel  était  fort  pauvre 
et  avait  six  filles  â  marier,  et  qui  par  adresse  faisait  faire  des  écus  â  son  Âoe, 
et  le  vendit  à  des  marchands  pour  cent  écus,  et  puis  leur  vendit  une  mar- 
mite qui  bouillait  sans  feu.  un  lapin  qui  portait  des  dépèches,  et  une  trompette 
qui  ressuscitait  les  morts,  et  finalement  jeta  ces  marchands  dans  une  rivière. 
Avec  beaucoup  d'autres  choses  plaisantes  et  belles.  Composée  par  un  FIciren- 
tjji  i  (Orunt  und  Ocàdtat^  III,  p.  348). 

Nous  avons  entendu  raconter  i  Montiers^sur-Sauîx,  outre  d'autres  variantes 
que  nous  donnerons  plus  loin,  un  récit  trés^voisrn  du  conte  hessois  de  Grrmm  et 
contenant,  comme  ce  conte,  un  épisode  qui  rappelle  beaucoup  trop^  par  la 
manière  dont  il  met  un  prêtre  en  scène,  certains  fabliaux  du  moyen  âge.  Aussi 
nous  conte  nions -nous  d*indiquer  Texistence  de  celte  variante. 

Enfin  nous  avons  trouvé  dans  la  collection  de  chants  et  récris  des  tribus  tar* 
lares  de  ta  Sibérie  méridionale,  publiée  par  M.  RadIofT  (vol.  ïïl,  Saint-Péters- 
bourg, 1870,  p.  ÎJ2),  un  conte  kirghis  qui  ressemble  beaucoup  au  nôtre. 

Eshigzldi  est  dépouillé  par  des  voleurs;  il  ne  lui  reste  plus  que  deux  roubles 
et  un  cheval  rogneux.  Il  lui  fait  faire  de  l'argent  à  peu  près  comme  Renè«  et  le 
vend  à  trois  frères.  Quand  ceux-ci  viennent  pour  se  plamdre,  il  leur  vend  Ofl 
pot  qui  bout  tout  seul.  Furieux  d'avoir  été  deux  fois  trompés,  les  trots  Iriits 


CONTES  POPUUIRES  LORRAINS  ^Ôï 

gâTTOlXcni  Eshigaeldi  et  le  déposent  sur  le  bord  de  la  rivière  pour  l'y  jeter.  Pen- 
dant qu'ils  sont  allés  chercher  une  perche  pour  le  pousser  dans  Peau,  vient  â 
passer  un  homme  â  cheval,  très-bien  vêtu,  qui  demande  à  Eshigaîldi  pourquoi  il 
se  lamente.  L'autre  lui  répond  qu*on  veul  le  faire  prince  de  la  ville  cl  que  lui 
ne  veut  pas.  L'homme  se  met  à  sa  place  et  Eshig^ldi  s'en  va  avec  les  beaux 
habits  el  le  beau  chevaL  Une  fois  revenus,  les  trois  frères  jettent  l'homme  dans  la 
rivière  el  sont  ensuite  bien  étonnés  de  revoir  Eshigseldi,  qui  leur  dit  que  c'est  au 
fond  de  Peau  qui!  a  trouvé  ce  beau  cheval  et  qu'il  y  en  a  encore  bien  d'autres. 
Les  trois  frères  se  jettent  à  l'eau  et  se  noient.  (Dans  le  P'  voL,  p.  50,  de  la  col- 
lection se  trouve  un  conte  tartare  d'une  autre  tribu  qui  présente  la  même  idée 
sous  une  forme  qui  se  rapproche  assez  du  conte  latin  du  moyen  âge  mentionné 
plus  haut.) 


XI. 


LA  BOURSE,  LE  SIFFLET  ET  LE  CHAPEAU. 

Il  était  une  fois  trois  frères,  le  sergenu  le  caporal  et  l'appointé  %  qui 
montaient  la  garde  dans  un  bois.  Un  jour  que  c'était  le  tour  de  Tappoimé, 
une  vieille  femme  vint  à  passer  près  de  lui  et  lui  dit  :  «  L'appointé, 
veux-tu  que  je  me  chaufie  à  ton  feu  ?  —  Non,  car  si  mes  frères  s'éveil- 
laient, ils  te  lueraienL  —  Laisse-moi  me  chauffer,  et  je  te  donnerai  une 
petite  bourse.  —  Que  veux-tu  que  je  fasse  de  ta  bourse  ?  —  Tu  sauras, 
l'appointé,  que  cette  bourse  ne  se  vide  janiais  :  quand  on  y  met  la  main, 
on  y  trouve  toujours  cinq  louis.  —  Alors,  donne-la-moi.  ï> 

Le  lendemain,  c'était  le  caporal  qui  montait  la  garde;  la  même  vieille 
s'approcha  de  lui,  u  Caporal,  veux-tu  que  je  me  chauffe  à  ton  feu  ?  — 
Non,  car  si  mes  frères  s'éveillaient,  ils  te  tueraient.  —  Laisse-moi  me 
chauffer,  et  je  te  donnerai  un  petit  sifflet.  —  Que  veux-tu  que  je  fasse  de 
ton  sifflet  ?  —  Tu  sauras,  caporal,  qu'avec  mon  sifflet  on  fait  venir  en 
un  instant  cinquante  mille  hommes  d'infanterie  et  cinquante  mille  hommes 
de  cavalerie.  —  Alors,  donne-le-moi.  w 

Le  jour  suivant,  pendant  que  le  sergent  montait  la  garde,  il  vit  aussi 
venir  la  vieille.  «  Sergent,  veux-tu  que  je  me  chauffe  à  ton  feu  ?  —  Non, 
car  si  mes  frères  s'éveillaient,  ils  te  tueraienL  —  Laisse-moi  me  chauf- 
fer, et  je  te  donnerai  un  beau  petit  chapeau.  —  Que  veux-tu  que  je 
fasse  de  ton  chapeau  ?  —  Tu  sauras,  sergent,  qu'avec  mon  chapeau  on 
se  trouve  transporté  partout  où  l'on  veui  être.  —  Alors,  donne-le-moi.  » 

Un  jour,  l'appointé  jouait  aux  cartes  avec  une  princesse  ;  celle-ci 
avait  un  miroir  dans  lequel  elle  voyait  le  jeu  de  l'appointé  :  elle  lui 


i.  Avant  la  Révolution,  on  appelait  appoinlis  les  soldats  qui  touchaient  de 
plus  grosses  paies  que  les  autres. 


î02  E-  COâQUïN 

gagna  sa  bourse.  Il  s*en  retourna  au  bois  bien  triste,  et  il  sifflait  en 
marchant.  La  vieille  se  trouva  sur  son  chemin*  «  Tu  siffles,  mon  ami^  u 
lui  dit-elle  ;  «  mais  tu  n'as  pas  le  cœur  joyeux.  —  En  effet,  »  répondit- 
il  —  «  Tu  as  perdu  ta  bourse,  —  Oui.  —  Eh  bien  !  va  dire  à  ton  frère 
de  te  prêter  son  sifflet  ;  avec  ce  sifflet  tu  pourras  peut-être  ravoir  la 
bourse,  n 

i(  Mon  frère,  »  dit  l'appointé  au  caporal,  «  je  crois  que  si  j'avais  ion 
sifflet,  je  pourrais  ravoir  ma  bourse.  —  Et  si  lu  perdais  aussi  mon  sifflet  ? 
—  Ne  crains  rien.  » 

L'appointé  prit  le  sifflet  et  retourna  jouer  aux  cartes  avec  la  princesse. 
Grâce  à  son  miroir,  elle  gagna  encore  la  partie,  et  l'appointé  fut  obligé 
de  lui  donner  son  sifflet.  Il  revint  au  bois  en  sifflotant.  «  Tu  siffles,  mon 
ami,  >>  lui  dit  la  vieille,  *f  mais  tu  n'as  pas  le  cœur  joyeux,  —  En  effet,  » 
répondit-il  —  «  Tu  as  perdu  ton  sifflet.  —  Oui.  —  Eh  bien  !  demande 
à  ton  frère  de  te  prêter  son  chapeau  ;  avec  ce  chapeau  tu  pourras  peut- 
être  ravoir  ta  bourse  et  ton  sifflet.  » 

u  Mon  frère,  »  dit  Tappomté  au  sergent,  ((  je  crois  que  si  j'avais  ton 
chapeau,  je  pourrais  ravoir  ma  bourse  et  mon  sifflet.  —  Et  si  tu  perdais 
aussi  mon  chapeau  ?  —  Ne  crains  nen.  » 

L'appointé  s*en  retourna  jouer  aux  cartes  avec  la  princesse,  et  elle  lui 
gagna  son  chapeau.  Il  revint  bien  chagrin  et  trouva  la  vieille  dans  le 
bois.  «  Tu  siffles^  mon  ami,  »  lui  dit-elle,  «  mais  tu  n'as  pas  le  cœtJtr 
joyeux.  —  En  effet,  n  répondit-il  —  ^<  Tu  as  encore  perdu  ton  cha- 
peau* —  Oui  —  Eh  bien  l  tiens,  voici  des  pommes  ;  tu  les  vendras  un 
louis  pièce  :  il  n'y  aura  que  la  princesse  qui  pourra  en  acheter,  »> 

L'appointé  alla  crier  ses  pommes  devant  le  palais.  La  princesse  envoya 
sa  servante  voir  ce  que  c'était.  «  Ma  princesse,  n  dit  la  servante,  «  c'est 
un  homme  qui  vend  des  pommes.  —  Combien  les  vend-il?  —  Un  louis 
pièce,  —  C*est  bien  cher,  mais  nlmporte.  »  Elle  en  acheta  cinq,  en^ 
donna  deux  à  sa  servante  et  mangea  les  trois  autres  :  aussitôt  il  leuf 
poussa  des  cornes,  deux  à  la  servante,  et  trois  à  la  princesse.  On  fit  venir 
un  médecin  des  plus  habiles  pour  couper  les  cornes;  mais  plus  il  coupait, 
plus  les  cornes  grandissaient. 

La  vieille  dit  à  l'appointé  :  <f  Tiens,  voici  deux  bouteilles  d'eau,  l  une 
pour  faire  pousser  les  cornes,  et  l'autre  pour  les  enlever.  Va-t'en  trouver 
la  princesse.  »  L'appointé  se  rendit  au  palais  et  s'annonça  comme  un 
grand  médecin.  H  employa  pour  la  servante  l'eau  qui  faisait  tomber  les 
cornes;  mais,  pour  la  princesse,  il  prit  l'autre  bouteille,  et  les  cornes 
devinrent  encore  plus  longues.  <«  Ma  princesse,  ^v  lui  dit-i!,  «  vous  dtvez 
avoir  quelque  chose  sur  la  conscience.  —  Rien,  en  vérité,  —  Vous 
voyez  pourtant  que  les  cornes  de  votre  servante  sont  tombées,  et  que 
les  vôtres  grandissent.  —  Ah!  j'ai  bien  une  méchante  petite  bourse...  — 


CONTES   POPULAIRES    LOftRAïNS  ^6? 

Que  voulez-vous  faire  d*une  méchante  petite  bourse,  ma  princesse? 
donnez-la-moi,  —  Vous  me  la  rendrez?  —  Oui,  ma  princesse,  certaine- 
ment je  vous  la  rendrai.  »»  Elle  lui  donna  la  bourse»  et  il  fit  tomber  une 
des  trois  cornes.  «  Ma  princesse,  vous  devez  avoir  encore  quelque  chose 
sur  la  conscience.  —  Rien,  en  vérité.,,  J^ai  bien  un  méchant  petit 
sifflet...  —  Que  voulez-vous  faire  d'un  méchant  petit  sifflet,  ma  prin- 
cesse? donnez-le-moi.  —  Vous  me  le  rendrez?  —  Bien  cenainemeni.  « 
Il  fit  tomber  la  seconde  corne,  mais  il  en  restait  encore  une.  «  Vous 
devez  encore  avoir  quelque  chose  sur  la  conscience.  —  Plus  rien,  en 
vérité,».  J'ai  bien  un  méchant  petitchapeau...  —  Que  voulez-vous  faire 
d'un  méchant  petit  chapeau,  ma  princesse?  donnez-le-moi,  —  Vous  roe 
le  rendrez  ?  —  Oui,  oui,  je  vous  le  rendrai.,.  Par  la  vertu  de  mon  petit 
chapeau,  que  je  sois  avec  mes  frères,  ji 

Aussitôt  il  disparut,  laissant  la  princesse  avec  sa  dernière  corne. 
Quand  je  la  vis  l'autre  jour,  elle  Pavait  encore. 

La  forme  actuelle  de  notre  conte  remonte  évidemment  au-delà  de  la 
Révolution  ;  car,  depuis  ce  temps  au  moins,  il  n'y  a  plus  d*appointis  dan^ 
l^arraée  française. 

On  trouvera  dans  Crimm  (t,  III,  p,  202)  m  conte  hcssois  qui  présente  une 
grande  ressemblance  avec  le  nôtre.  Comparez  cgaîemetit  les  contes  siciliens 
n"  jo  et  51  de  la  collection  Gomenbacb,  Aux  contes  mentionnés  par  M.  R. 
Kœhler  dans  ses  remarques  sur  ces  deux  récits,  il  faut  ajouter  le  conte  sicilien 
n«  28  de  la  collection  Pitre,  un  conte  italien  recueilli  â  Rome  {The  Folk-Lon  of 
Rome,  by  miss  Busk.  Londres,  1874,  p,  129),  un  conte  catalan  du  Rondallajre 
i}*  partie,  1875,  p,  j81  et  enfin  un  conte  esthonien  (collection  Krcutzwald, 
n**  2j),  Notre  conte  existe  également,  mais  d'une  manière  fragmentaire, 
dans  la  collection  de  contes  grecs  modernes  de  M.  de  Hahn  (var.  du  n''  9 
et  n^  44). 

Citons  encore  le  livre  de  Fortunatus,  publié  â  Augsbourg  en  1J30.  Fortu- 
natus,  égaré  dans  un  bois,  a  reçu  de  dame  Fortuna  une  bourse  qui  ne  se  vide 
jamais,  et  il  a  enlevé  par  ruse  au  sultan  d'Alexandrie  un  chapeau  qui  vous 
transporte  oh  vous  voulez.  En  mourant,  il  laisse  à  ses  deux  fils,  Ampedo  et 
Andafosia,  ces  objets  merveilleux.  Andalosia  se  met  à  voyager  avec  la  bourse, 
et  se  la  laisse  dérober  par  Agrippine,  fille  du  roi  d'Angleterre,  dont  il  s'est  épris. 
Il  retourne  dans  son  pays,  prend  à  son  frère  ïe  chapeau,  et,  s*étant  introduit 
dans  le  palais  du  roi  d'Angleterre,  il  enlève  la  princesse  et  la  transporte  par  le 
moyen  du  chapeau  dans  une  solitude  d'Hibemie.  Li  se  trouvent  des  arbres  char- 
gés de  belles  pommes.  La  princesse  en  désirant  manger,  Andalosia  lui  remet  les 
objets  merveilleux  et  grimpe  sur  l'arbre.  Cependant  Agrippine  dit  en  soupi- 
rant :  «  Ah  !  si  j'étais  seulement  dans  mon  palais  I  1  Et  aussitôt,  par  la  vertu 
du  chapeau,  elle  s*y  trouve.  Andalosia,  bien  désolé,  erre  dans  ce  désert  et, 
pressé  par  la  faim,  il  mange  deux  des  pommes  qn'it  a  cueillies  :  aussitôt  il  lui 
pousse  deux  cornes.  Un  ermite  entend  ses  plaintes,  et  lui  indique  d'autres 
pommes  qui  ledébarrassent  de  ses  cornes.  Andalosia  prend  des  deux  sortes  de  fruit  : 


j64  ^'  cosQyiN 

arrivé  à  Londres^  il  vend  des  premières  pommes  à  la  princesse  et  se  présente 
ensuite  comme  médecin  pour  lui  enlever  les  cornes  qui  ïui  ont  poussé,  \\  trouve 
l'occasion  de  reprendre  ses  objets  merveilleux;  puis  il  transporte  la  princesse 
dans  un  couvent,  où  il  la  laisse. 

La  littérature  du  moyen  âge  nous  ofFre  un  récit  analogue.  Dans  les  Gma 
Romanorum  (ch.  CV  de  la  traduction  intitulée  le  Vtolkr  des  histoires  romaines), 
on  voit  un  prince,  nommé  Jonathas,  qui  a  reçu  en  legs  du  roi  son  père  trois 
précieux  joyaux  :  «  un  anneau  d'or^  un  fermail  ou  monile^  semblablement  un 
drap  précieux,  »  i  L'anneau  avait  telle  grâce  que  qui  en  son  doigt  le  portait, 
il  était  de  tous  aimé,  si  qu'il  obtenait  tout  ce  qu'il  demandait.  Le  fermail  faisait 
à  celui  qui  le  portait  sur  son  estomac  obtenir  tout  ce  que  son  cœur  pouvait 
souhaiter.  Et  te  drap  précieux  était  de  telle  et  semblable  complection^  qui  reo* 
dait  celui  qui  dessus  se  séait  au  lieu  où  il  voulait  être  tout  soudamemeiit.  # 
Jonathas,  qui  est  tombé  dans  les  pièges  d'une  •  jeune  pucelle  moult  belle  •»  se 
laisse  successivement  dérober  par  elle  ses  trois  objets  merveilleux  ^  et  finalemcoi 
il  se  trouve  seul^  abandonné  dans  un  désert,  où  il  s'était  fait  transporter  ainsi 
que  ta  traîtresse.  Comme  il  a  faim ,  il  mange  du  fruit  d'un  arbre  qu'il  rencontre 
sur  son  cliemin,  •  et  fut  ledit  Jonathas  fait  par  la  commenstion  dudjl  fruit 
adoncques  ladre.  «  Plus  loioj  il  mange  du  fruit  d'un  autre  arbre,  et  sa  lèpre 
disparaît.  Il  arrive  dans  un  pays  où  il  guérit  un  lépreux  et  acquiert  ta  réputa* 
tîon  de  grand  médecin.  De  retour  dans  sa  ville  natale,  il  est  appelé  auprès  de 
t  son  amoureuse  »  malade,  qui  ne  le  reconnaît  pas.  Il  lui  dit  :  «  Ma  trés-chière 
dame,  si  vous  voulez  que  je  vous  donne  santé,  il  faut  premièrement  que  vous 
vous  confessiez  de  tous  les  péchés  qu'avez  commis,  et  que  vous  rendiez  tout  de 
Tautrui,  s'il  est  ainsi  que  aucune  chose  vous  en  ayez;  tout  autrement  jamais  ne 
serez  guérie.  *  Elle  raconte  alors  comment  elle  a  volé  Jonathas,  et  dit  au  pré- 
tendu médecin  où  sont  les  trois  joyaux.  Quand  Jonathas  est  rentré  en  possession 
de  son  bien,  il  donne  à  la  fille  du  fruit  qui  rend  lépreux  et  s'en  retourne  chez 
lui. 

Cette  vieille  histoire  ressemble  beaucoup  à  un  conte  hindoustani  que  M.  Car* 
cm  de  Tassy  a  traduit  sur  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  et  publié 
dans  la  Rnue  orUntaU  H  amàtcaint  (année  1865,  p.  149)  :  Un  roi  à  qui  vient 
l'idée  de  voyager,  confie  son  royaume  à  son  premier  ministre  :  s»,  dans  un  an, 
il  n'est  pas  revenu,  celui-ci  doit  remettre  le  gouvernement  au  second  ministre  et 
aller  â  la  recherche  de  son  maître.  Le  roi,  s'étant  mis  enroule,  rencontre  bienidt 
quatre  voleurs  qui,  après  s'être  emparés  de  quatre  objets  de  grand  prix,  se  dîs^ 
pulcnl  pour  savoir  à  qui  d'entre  eux  chacun  de  ces  objets  doit  appartenir.  Le 
premier  de  ces  objets  est  une  épée  qui  a  la  propriété  de  trancher  la  tête  à  un 
ou  plusieurs  ennemis,  à  une  grande  distance;  le  second,  une  tasse  de  porce- 
laine de  Chine,  qui  se  remplit,  au  commandement,  des  mets  les  plus  exquis;  le 
troisième,  un  tapis  i|ui  fournit  tout  l'argent  qu'on  peut  souhaiter  ;  enân  le  qua» 
Irième,  un  trône  qui  vous  transporte  partout  où  vous  désirez  aller.  Le  roi.  pris 
pour  arbitre,  conçoit  le  dessein  d'enlever  ces  ob)ets  à  ces  voleurs.  Il  les  engage 
i  plonger  dans  un  étang  voisin,  en  leur  disant  que  l'objet  le  plus  précieux 
appartiendra  â  celui  d'entre  eux  qui  restera  le  plus  longtemps  sous  IVau.  Ut 
acceptent  la  proposition.  Mais  à  peine  ontHtsIa  tète  dans  Teau  que  le  roi  prend 


CONTES   POPULAIRES   LORRAINS  ;6ç 

répée,  la  tasse  et  le  tapis,  monte  sur  le  trône  et  se  souhaite  dans  une  ville  lojn- 
laine^  où  il  est  aussitôt  transporte.  Là,  il  s'éprend  d'une  célèbre  courtisane 
et  lui  prodigue  l'or  fourni  par  le  tapis  magique,  La  courtisane,  étonnée  de  cette 
prodigalité,  ordonne  à  une  suivante  d'épier  le  prince  et  apprend  ainsi  le  secret 
du  tapis.  Elle  fait  si  bien  que  le  prince  lui  apporte  ses  objets  merveilleux*  Alors 
elle  le  presse  d'aller  voir  le  roi  du  pays  et  faire  avec  lui  une  partie  de  chasse.  Dès 
qu'il  est  parti,  elle  place  les  quatre  objets  en  lieu  sûr,  puis  elle  met  le  feu  à  sa 
maison.  Le  prince  aperçoit  de  loin  la  Hamme  et  accourt.  [I  trouve  la  courtisane 
les  cheveux  épars  et  se  roulant  par  terre.  Il  la  console  et  lui  demande  ce  que 
sont  devenus  les  objets  merveilleux.  Elle  répond  qu'elle  Fignore,  Bientôt  le  prince  a 
dépensé  tout  ce  qui  lui  restait  d'argent,  et  la  courtisane  lefaitmeltrcâlaporte.  Il 
est  tellement  fasciné  qu'il  ne  peut  quitter  le  seuil  de  la  maison  de  cette  femme. 
—  Cependant  une  année  s' étant  écoulée,  le  grand  vizir  se  met  en  route.  H  arrive 
auprès  d'un  puits  dont  l'eau  noire  bouillonne  avec  bruit  :  un  chacal  s*étant 
approché  pour  boire^  quelques  gouttes  de  Teau  tombent  sur  sa  tête  et  il  est 
métamorphosé  en  singe.  Le  vizir  comprend  la  vertu  de  celte  eau  merveilleuse,  et 
en  remplit  une  outre.  U  finit  par  trouver  le  prince,  lui  donne  de  l'or  et  lui  dit 
d'aller  chez  ta  courtisane  en  remmenant,  lut  vizir,  comme  son  serviteur.  Au 
moment  de  Tablutionj  le  vizir  jette  sur  la  tête  de  la  courtisane  un  peu  de  Teau 
merveilleuse,  et  aussitôt  elle  est  changée  en  singe.  Ses  femmes  supplient  le  vizir 
de  lui  rendre  sa  première  forme.  Il  répond  qu'il  lui  faut  pour  cela  une  tasse  chi- 
noise, une  épée,  un  trône  et  un  tapis.  On  lui  apporte  les  objets  du  prince.  Alors 
lui  et  son  maître  mettent  le  tapis,  Tépée  et  ia  tasse  sur  le  trône,  s'y  placent 
eux-mêmes,  et,  en  une  heure,  ils  sont  de  retour  dans  leur  pays. 

Dans  ce  conte  hindoustani,  on  a  pu  remarquer  comme  un  Irait  particulier  la 
métamorphose  en  animal.  Ce  trait,  nous  le  retrouvons  dans  un  conte  romain  de 
U  collection  mentionnée  plus  haut  (p.  146). 

Un  jeune  homme  qui  a  mangé  le  cœur  d*un  oiseau  merveilleux  trouve  chaque 
malin  sous  sa  tête  une  boîte  de  sequims  '.  En  voyageant,  il  arrive  dans  une  ville 
où  it  demande  l'hospitalité  dans  une  maison  où  habitent  une  femme  et  sa  ïilte. 
La  leune  fille,  qui  est  très-belle,  lui  a  fait  bientôt  raconier  son  histoire  et  révéler 
le  secret  de  sa  richesse.  Elle  lui  donne  alors,  au  souper,  du  vin  où  elle  a  mis  de 
rémélique,  et,  quand  il  a  rejeté  le  cœur  de  l'oiseau,  elle  s'en  empare  et  met  le 
jeune  homme  à  U  porte.  Des  fées,  prenant  pitié  de  son  chagrin,  lui  donnent 
successivement  divers  objets  merveilleux,  qu'il  se  laisse  dérober  par  la  jeune 
ftllc.  En  dernier  lieu,  celle-ci  l'abandonne  sur  le  haut  d'une  montagne  où  un 
anneau  magique,  qu'elle  lui  vote  encore,  les  a  transportés  tous  les  deux.  Le 
jeune  homme,  mourant  de  faim,  mange  d'une  sorte  de  salade  qui  croît  sur  cette 
montagne.  Aussitôt  il  est  changé  en  âne.  Au  pied  de  la  montagne,  il  trouve  une 
autre  herbe  qui  lui  rend  sa  forme  naturelle.  Il  prend  de  Tune  et  l'autre  herbe  et 
va  crier  sa  «  belle  salade  >  sous  les  fenêtres  de  la  jeune  fille.  Celle-ci  en  achète, 


I .  Pour  abréger,  nous  supprimons  dans  cette  analyse  toute  la  partie  du  conte 
oh  se  trouve  combiné  avec  le  thème  principal  le  thème  de  1  oiseau  merveilleux  et 
des  deux  frères,  auquel  nous  avons  fait  allusion  dans  une  note  de  nos  remarques 
sur  len'  ^  de  notre  collection,  Us  Fils  du  Pécheur, 


^66  K.  COSQUIN 

en  mange,  el  la  voilà  changée  en  ânesse.  Quand  elle  a  restitué  les  objets 
merveilleux,  le  jeune  homme,  par  le  moyen  de  sod  autre  herbe,  lui  rend  sa  pre- 
mière  forme.  « 

Ce  conte  italien,  qui  a  son  pendant  dans  le  n<>  122  de  Grimm,  présente  de 
grands  rapports  avec  un  conte  kalmouck  de  la  collection  du  SiddhiKâr^  laquelle 
est,  nous  l'avons  dit,  d'origine  indienne.  Dans  ce  conte  kalmouck  (2*  récit), 
deux  jeunes  gens,  un  fils  de  khan  et  son  ami,  doivent  être  Itvrésen  proie  à  deux 
grenouilles  monstrueuses,  sortes  de  dragons,  qui  exigent  chaque  année  une  vic- 
time. Ils  surprennent  une  conversation  des  deux  grenouilles  qui,  sans  le  vouloir, 
leur  révèlent  la  manière  de  les  tuer  et  leur  apprennent  que  ceux  qui  les  auront 
mangées  cracheront  (jîc)  à  volonté  de  For  et  des  pierres  précieuses.  Us  tuent  l 
deux  grenouilles  el  les  mangent.  Ensuite  ils  se  mettent  en  route  et,  arrivés  an 
pied  d*une  montagne,  ils  se  logent  chez  deux  femmes,  la  mère  et  la  fille,  qui 
vendent  de  Teau-dc-vie.  Ces  deux  femmes,  une  fois  instruites  des  dons  merveil- 
leux de  ces  deux  étrangers,  les  enivrent,  se  fournissent  d'or  et  de  pierres  pré- 
cieuses à  leurs  dépens,  puis  les  mettent  à  la  porte.  Plus  loin  ils  rencontrent  des 
enfants  qui  se  disputent  un  bonnet  qui  rend  invisible.  Le  fils  du  khan  leur  dit 
que  îe  bonnet  appartiendra  à  celui  qui  arrivera  le  plus  vite  à  un  certain  but,  et» 
pendant  qu'ils  courent,  il  s^empare  du  bonnet.  Il  se  met  de  la  même  façon  en 
possession  d'une  paire  de  bottes  qui  vous  transporte  où  vous  voulez  et  que  se 
disputaient  des  démons'.  Après  diverses  aventures,  l'ami  du  prince,  se  trouvant 
près  d'un  temple,  regarde  A  travers  une  fente  de  la  porte;  i!  voit  un  gardien  du 
temple,  qui,  après  avoir  déployé  une  feuille  de  papier  et  s*étre  roulé  dessus,  est 
transformé  en  âne,  et  qui  ensuite,  se  roulant  une  seconde  fois  sur  ce  papicfi 
reprend  sa  première  forme.  Le  jeune  homme  s'introduit  dans  le  temple,  empoi 
le  rouleau  de  papier  et  se  rend  chez  les  marchandes  d'e3u*de-vie.  Il  leur  dit  que. 
s'il  a  tant  d'or,  c'est  qu'il  s'est  roulé  sur  le  papier.  Elles  lui  demandent  (a  per* 
mission  de  le  faire  aussi,  et  aussitôt  elles  sont  changées  en  ânessas.  Après  trois 
ans  de  châtiment,  il  leur  fait  reprendre  leur  forme  naturelle. 

Emmanuel  Cos<ujin. 


I.  On  se  rappelle  que  cet  épisode  âgurait  déjà  dans  le  conte  hindousiaxii 
analysé  plus  haut.  Il  se  retrouve  dans  bon  nombre  de  contes  européens,  — j 
notamment  dans  le  conte  catalan  analogue  à  ootre  conte  lorrain  et  ci'dessnST 
mentionné,  —  et  aussi,  en  Orient,  dans  un  conte  arabe  des  MiUe  et  une  Nuiu 
(Histoire  de  Mazen  de  Khorassan,  éd.  du  Panthéon  littéraire,  p*  741),  dans  un 
conte  persan  du  Bahar-Darmsh  {Ibid,^  p.  xxii]),  dans  un  conte  chinois  du  recueil 
des  Avddanas^  traduit  par  M.  Stanislas  Julien  (n*  74)  et  enfin  dans  un  conte 
indien  de  la  collection  de  Somadeva  (trad.  Brockhaus,  t.  L  p-  19). 


MÉLANGES. 


I. 

MAUFË. 


«  Mauféf  V.  fr.,  nom  du  diable;  de  maie  facîus,  »  Cette  explication  de 
Diez  n'a  été,  que  je  sache,  contestée  par  personne.  Elle  est  cependant 
contraire  aux  lois  de  la  phonétique,  factum  ne  pouvant  donner  en  fran- 
çais que /ai/,  et  maufé  présentant  toujours  un  é  et  non  un  i. 

L'étymologie  de  ce  mot  est  le  latin  vulgaire  malus  fatus,  qui  se  trouve 
dans  Pétrone  et  dans  plusieurs  inscriptions  funéraires  pour  malum  fatum. 
Il  est  curieux  de  voir  les  populations  de  la  Gaule,  devenues  chrétiennes, 
transporter  au  diable  le  nom  qu'elles  donnaient  à  la  mauvaise  destinée 
et  plus  spécialement  à  la  mort.  Au  reste,  maufé  ne  signifie  pas  tant  «  le 
diable,  »  au  sens  propre  du  mot,  que  «  mauvais  esprit,  démon  malfai- 
sant »  en  général.  Par  là  il  se  rapproche  du  iémimnfée,  tiré  du  plur. 
neutre /â/a,  devenu  de  bonne  heure  unsing.  féminin.  Les  fées,  représen- 
tantes d'anciennes  divinités  celtiques,  ont  souvent  été  conçues  comme 
belles  et  bienfaisantes;  le  mot  fatus  au  contraire  n'a  pas  conservé  dans 
le  français  d'existence  indépendante,  et  ne  s'y  est  maintenu  que  dans 
la  locution  malus  fatus^  restée  vivante  en  France  jusque  vers  le  xv* 
siècle.  G.  P. 

II. 

PLAINTE   DU   VICOMTE   DE  SOULE  CONTRE  SIMON,   COMTE   DE  LfetICESTER. 

TEXTE  VULGAIRE   DU    PAYS   DE   SOULE 

(1252). 

Ce  document  faisait  partie  des  pièces  justificatives  de  la  thèse  que  M.  Bémont 
a  soutenue  à  l'Ecole  des  chartes  en  janvier  dernier  sur  Simon  de  Montfort  comte 
de  Leicester.  Les  textes  vulgaires  du  pays  de  Soûle  étant  fort  peu  communs,  il 
m'a  paru  que  celui-ci  méritait  d'être  communiqué  aux  lecteurs  de  la  Romania. 


^6S  MÉtANGES 

M.  Bèmont  â  bien  voulu  nou&  le  donner,  y  joignant  une  notice  hàstorîquep  La 
lecture  de  cette  pièce  m'avait  laissé,  sur  certaines  leçons,  des  doutes  que  j'espé- 
rais éclaircir  par  Texamen  de  )*origiiial,  conservé  au  Musée  britannique.  Mais 
la  collation  attentive  que  j'ai  farte  en  avril  dernier  de  la  copie  de  M,  Bémont 
n'a  pas  amélioré  le  texte  autant  que  je  l'espérais.  Il  reste,  malgré  tous  nos 
efforts,  un  certain  nombre  de  passages  obscurs  et  sans  doute  fautifs  pour  lesquels 
j'ai  risqué  en  note  quelques  con)€ctures.  li  est  d'ailleurs  peu  surprenant  que  \t 
document  contienne  des  fautes,  s*iî  est,  comme  son  aspect  matériel  me  porte  à 
le  croire,  non  pas  l'original,  mais  une  copie,  faite  probablement  par  un  clerc 
anglais  ou  normand,  du  mémoire  présenté  par  le  vicomte  de  Soûle. 

Les  caractères  de  la  tangue  sont  naturellement  ceuic  que  nous  connaissons 
déjà,  non  pas  toujours  avec  une  précision  suffisante,  par  des  documents  de  U 
région  environnante.  Beaucoup  se  retrouvent  dans  la  charte  landaise  que  j'ai 
publiée  ici  il  y  a  deux  ans*.  Aussi  pour  plus  de  brièveté,  me  référeraï-]c,  dans 
les  observations  très-sommaires  qui  vont  suivre,  à  l'étude  linguistique  que  j'ai 
faite  de  cette  charte.  Les  renvois  se  rapportent  aux  lignes  du  ms.,  indiquées 
dans  l'édition  qui  suit  par  des  chiffres  placés  entre  (  ). 

Suffixe  '€f  z=  lat.  -mus,  ou  plutôt  -^rius^  dans  frontadtr  24.  —  De  même 
dans  la  charte  landaise  {Romaniû^  IV,  p.  4)4). 

a  tinal  atone  s'affaiblit  ici  en  t  dans  des  imparfaits  tels  que  atiàin^  porloH  j, 
tre  )|  dans  les  participes  dadt  28,  torudt  2$,  jo,  dans  dit,  7^  22^  unont  3j, 
ûqueiîts  laUs  20,  UrrCj  forc^  21,  22^  Batonc  25,  etc.  Il  est  conservé  dans  un 
nombre  d'exemples  à  peu  près  égal  :  aqucstû^  rancura^  Sonia  i^  mana  2,  ausa  4^ 
tara  27,  Budha  20,  tuncuda  ;o,  etc.  —  Dans  la  charte  landaise  l'affaiblisscmeat 
de  Va  est  tout  à  fait  exceptionnel,  voy.  p.  43  ^,  n*>  j.  Il  y  en  a  au  contraire  de  nom* 
breux  exemples  dans  un  autre  document  qui  appartient  à  la  partie  la  plus  méri- 
dionale du  département  des  Landes,  le  cartulaire  de  Saint-Jean  deSorde,  écrit  vers 
le  milieu  ou  dans  ta  seconde  moitié  du  Xlil*'  siècle  :  Abadie^  chzrit  r2o;  aguade^ 
ch,  uj  ;  AmbûlU^  Arnbaute,  ch,  8,  88;  Barurt^  ch.  19;  Martk,  ch.  66;  Cam- 
pant, ch.  77;  dineratcs,  ch.  14;  Gorzc^  ch.  6^;  Lanebielfit,  ch.  106;  Sah^ 
ch.  122;  Oire^  ch.  13,  jj  ;  Oure,  ch.  42,  75  ;  SalvaUnc^  SaibaUrrc,  ch.  8,  19; 
Satirifs^  ch,  ji,  etc.  Les  chartes  d'où  ces  exemples  sont  tirés  appartiennent  aa 
XIÎ*  siècle;  mais  il  est  plus  prudent  de  laisser  la  responsabilité  des  formes  i 
l'auteur  du  cartulaire. 

Le  groupe  nd  perd  son  d  comme  dans  toute  la  région  des  Pyrénées,  mana  2, 
—  Charte  landaise»  p.  43^,  n^  6, 

La  mutation  de  v  en  h  s'observe  dans  bescoms  \,  bau  [vatet)  19»  biao  (y\ 
aj,  furabs  {furat  vos)  i],  bahs  2j.  —  Charte  landaise,  p.  436,  n*  7. 

/final  en  roman  (médial  en  latin)  se  vocalise  :  dtii  2,  maai,  comunaa  16; 
qui  n'a  pas  lieu  dans  la  charte  landaise,  mais  est  très-fréquent  dans  d^autres 
documents  du  même  pays  et  du  même  temps,  et  par  exemple,  dans  le  cartulaire 
de  Sorde. 

il  entre  deux  voyelles  devient  r  dans  toradt  (^ioikla  28,  jo).  —  Charte 
landaise,  p.  436,  n'  10. 


I.  Romûttiû,  IV^  4JJ  si. 


TEXTE   VULGAIRE    DU    PAYS   DE   SOULE  J69 

Lorsque  la  voyelle  finale  du  latin  vient  à  tomber,  tes  deux  II,  qui  se  trouvent 
dés  lors,  non  plus  entre  deux  voyelles,  mais  à  h  fin  du  mol,  deviennent  g,  dans 
casteg  {usuU-ttm)^  Zf  12,  fg  (it-lum)  27.  Dans  b  charte  landaise  17  double 
devient  en  ce  cas  t  on  d  (p.  4J6,  n*  7),  Cet  emploi  du  f  ou  <^  d'une  part,  du  g 
d'autre  part,  au  lieu  d'un  même  groupe  latin,  marque  évidemment  deux  sons 
distincts;  et  a  prion  on  peut  croire  que  ces  deux  prononciations  appartiennent 
à  des  lieux  différents.  Cependant  il  n'eo  est  pas  tout  à  fait  ainsi^  comme  on  va 
le  voir.  Je  remarque  d'abord  que  l'une  et  l'autre  prononciation  ont  existé  suc- 
cessivement en  Bèarn,  celîe  avec  g  étant  la  plus  ancienne^  car^  diaprés  le  diction- 
naire topographique  des  Basses-Pyrénées  de  M,  P,  Raymond,  les  lieux  qui 
actuellement  sont  nommés  CâsUt  sont  généralement  écrits  CasUg  ]usqu*au 
XVII*  siècle.  D'autre  part  les  Fors  dt  Biarrij  qu'on  peut  considérer  comme 
représentant  Tétat  du  béarnais  au  XV'  siècle,  ont  à  peu  près  constamment  la 
lorme  en  g.  Ainsi  dans  les  premières  pages  on  voit  paraître  eg^  egs  {tîU,  illos), 
et  son  composé  aqueg^  ^^^^g^^  puis  cûsicg^  etc.  Mais  on  rencontre  aussi  dés  les 
premières  lignes  (voir  mon  Recuaî  d'anciens  textes,  n'  58)  aquetts  et  ûqueîgj  qui 
indiquent  une  prononciation  incertaine,  06  le  t  se  faisait  aussi  entendre.  Bien 
plus  :  îi  y  a  des  documents  oii  les  deux  Bnales  sont  employées;  amsi  dans  un 
acte  écrit  à  Meilhan  (entre  la  Réole  et  Marmande)^  je  trouve  successivement  eg^ 
cdj  â^uetj  quel.  Un  peu  plus  au  nord  la  terminaison  en  { ou  J  règne  exclusivement; 
et  je  ne  rencontre  point  de  g  pour  //  latin  dans  les  documents  très-nombreux 
qu'on  possède  du  Bordelais. 

r  initial  attire  au  devant  de  lui  un  a  dans  annon  i  j .  —  Charte  landaise, 
p.  417,  n*  II. 

r  a  conservé  u  place  latine  dans  soher  10,  ou^  pour  parler  plus  exactement, 
il  y  est  revenu  :  le  latin  super  est  devenu  sobre^  puis  sober.  W  faut  bien  qu'il  en 
ait  été  ainsi,  puisque  nous  avons  noster  21,  qui  est  féminin,  et  par  conséquent 
vient  de  nostra  en  passant  par  nostre.  —  Charte  landaise^  p,  437,  n"  la. 

Tandis  que  dans  la  charte  landaise,  p.  437,  n»  14,  frairc  se  réduit  à  frait  ici 
patrt  conserve  du  moins  son  r  :  pair  19,  27. 

P.  M. 

L'original  de  ce  texte  se  trouve  au  British  Muséum ,  Addttional 
charters  m  3301 .  Il  fait  partie  d*une  série  de  pièces  dont  une  (n*  jîoj) 
porte  la  mention  suivante  :  «  purchased  feb.  1839;  arch.  de  Joursan- 
vault,  lot  3370.  » 

Voici  dans  quelles  circonstances  la  pièce  ci-après  publiée  fut  écrite  : 
Simon  de  Monifon,  comte  de  Leicesierj  troisième  fils  du  vainqueur  des 
Albigeois,  avait  reçu  le  gouvernement  de  la  Gascogne  pour  sept  ans 
(l'ornai  1248)^;  il  dompta  tour  à  tour  tous  les  ennemis  de  rautorité 
royale;  mais  iï  les  traita  si  durement  qu'ils  se  plaignirent  au  roi  d'Angle- 
terre Henri  JIJ,  et  lui  demandèrent  justice.  Henri  111  répondit  à  cet  appel 


I.  Btb.  nit.  Cabinet  d«  titres;  pièce  Uthographièe  pour  l'École  des  chartes  (n'  108). 
1.  Charte  originale  et  médite^  Bibl.  nat.  mss.  Clairembault  it88. 


Romaniû^  V 


H 


J70  MÉLANGES 

en  cîtam  les  plaignants  devant  lui  (6  janvier  1252)  ^  Ceux-d  se  réuni- 
rent en  l'absence  du  comte,  et,  après  avoir  décidé  de  comparaître 
devant  la  cour  dy  roi  en  Angleterre,  rédigèrent  par  écrit  leurs  griefs; 
Parchevèque  de  Bordeaux  fui  choisi  pour  conduire  Pambassade  et  pour 
remettre  au  roi  «  scripta  communiarum,  civitatum  Gasconie,  magnaiuro, 
casiellaiîorum  et  baltivorum  n  ^ 

Les  plaintes  de  Raimond-Guilîaume,  vicomte  de  Sôule,  ont  dû  être 
rédigées  tout  d^abord  en  langue  vulgaire  ;  mais  pour  que  rintelligence 
en  fût  plus  facile,  elles  furent,  sans  doute  en  Angleterre  même,  remises 
en  latin.  Elles  sont  connues  sous  cette  nouvelle  forme  depuis  qu*elles 
ont  été  publiées  par  M.  Shirley  dans  les  Royal  ktUTs  iltastmûve  of 
English  hisîory^.  Bien  que  le  texte  latin  ne  soit  pas  une  traduction  du 
texte  en  langue  vulgaire,  il  aide  cependant  à  mieux  comprendre  ce 
dernier.  Nous  avons  aussi  la  réponse  de  Simon  de  Montfort  aux  plaintes 
du  vicomte  de  Soûle '«. 

Voici  le  sommaire,  article  par  article,  du  document  qui  suit  : 

Le  vicomte  de  Soûle  avait  été  mandé  à  la  cour  du  comte  de  Leicester 
pour  répondre  aux  plaintes  portées  contre  lui;  mais,  redoutant  le  traite- 
ment que  Simon  de  Montfort  avait  déjà  fait  subir  à  d'autres  barons,  il  fit 
demander  un  sauf-conduit  par  un  de  ses  chevaliers.  Pendant  qu'à  Bor- 
deaux (?)  on  amusait  celui-ci  par  de  belles  promesses,  les  gens  du  comte 
prirent  Mauléon,  firent  le  vicomte  de  Soûle  prisonnier,  lui  imposèrent 
une  rançon  de  2000  marcs,  et  exigèrent  des  cautions  qui  s'engagèrent 
pour  la  somme  de  1 0,000  sous  de  Morlaas;  le  vicomte  ne  payant  pas/ 
Simon  de  Montfort  fit  confisquer  les  terres  des  garants  et  lever  des  tailles 
sur  leurs  sujets. 

L*année  suivante,  Guillaume  Pigorel  fit  jurer  au  vicomte  et  aux  siens 
la  paix  commune  de  Gascogne;  puis,  malgré  cette  paix,  il  leva  une  nou- 
velle taille  pour  des  hommes  et  des  chevaux  tués  [Pannée  précédente] ,  et 
saisit  les  terres  du  vicomte. 

Le  vicomte  de  Soûle  a  toujours  été  fidèle  sujet  du  roi  d'Angleterre  ; 
quand  celui-ci  est  venu  en  Gascogne  (1241-45),  il  lui  a  prêté  le  serment 
de  foi  et  d'hommage;  il  Ta  toujours  tenu,  et  n'a  fait  jamais  aucun  tort 
aux  sujets  du  roi. 

Enfin  il  réclame  une  terre  qui  avait  appartenu  à  son  père,  ainsi  qu*un 
autre  bien  saisi  injustement  par  le  sénéchal  Guillaume  de  Boelle* 

Ch.  Bémont. 


I.  shirley  :  Royal  Uttm^  citées  plus  ba»,  II,  p.  70. 
t.  Mathieu  Paris,  éd.  de  M  89^  p.  809. 
}.  H,  7j  (collcctioû  du  Maître  des  Rôles), 

4.  En  latin  et  en  français  ;  p.  p.  Balasque  et   Dulaurens,  Etudei  sur  Bayonne^    tt, 
appendice. 


TEXTE  VULGAIRE  OU  PAYS  DE  SOULE  }y  t 

(i)  Aquesta  es  ta  rencura  e  Jo  clam  que  R.  W.  vescoms  de  Soula  ha  deu 
com$  Simon. 

Vers  es  que  lo  coms  (2)  Simon  <  mana  lo  bescoros  de  Soula  *  que  anas  denant 
luey,  que  cJamanz  ave  de  luey  ;  e  la  bescoms,  {;)  per  se  que  audive  mans 
eissemples  deu  coms  Simon,  e  que  mau  se  portavebers^  los  autres  barouus^  (4)1 
ago  lemcnga  de  son  coos,  e  no  i  ausa  anar,  mas  trameto  assa  cort  .j,  caver,  en 
W.  R.  de  (5)  Fou  ^  qui  mostras  per  luejs  aus  (sic)  coms  Simon  que  apareilad  cre 
d^cn  cort  ^  anar  en  tôt  loc  or  au  (6)  coms  plagas  so  (?)  ^  e  per  aspone  aus  cla- 
manz,  solemenz  que  le  coms  lo  fes  segurtad  de  son  cos  (7)  qu'en  saubas.  E  lo 
coms  e  la  cort  e  los  sos  asponon  que  euren  lur  acort  or  dessen  aquet  die** 
E  vencon  (8)  ab  aquel  cosseil  tant  lo  denant  dit  cauver  en  cort,  entro  entertant 
lo  casteg  de  Mau-^fçl-lo^  agon  feit  panar  au  davant  dit  besconte  de  Soula,  en 
que  lo  fen  taie  de  *m*>i.  marx  e  de  (lo)  plus;  e  que  lo  davant  dit  cauver  fos 
peu  bescunte  a  Bondes ^*\  aussi  cum  soberdit  es,  en  (i  r)  la  cort.  Saben  ac  : 
o'Amaneu  de  Labrid**^  en  P*  de  Bordeu'^,  n^AmaubindeBares^^;  esaben  (12) 
ac  de  Bordeu  :  en  Gaillard  Colin,  en  W.  R.  Colin  ^*,  e  en  P.  Caillau,  Apres, 
cant  lo  casteg  (ij)  Tarenon,  fes  i  lo  asegurar  .x.  mile  st.  de  MorPs,  deus 
queus  son  peigneraz  e  tribaillaz  (14)  sos  segurs  tôt  die,  e  an  ne  levadde  dan;  e 
fen  tôt  die,  que  ades  ne  thiei  (?)  lo  coms  terres  (i^)  banides  deus  segurs» 

llcr*^,  après  de  so,  en  GuilleImesPicoreu'^sencscoine''''deu  coms  Simon  (16) 
fe  iurar  a*^  vescoms  de  Soula,  si  ters  de  eau  vers,  la  paz  comunau  de  Gascoigne*^ 


t.  ^mon  de  Monifori,  comte  de  Leicester. 

a.  Le  pays  de  Soûle  faisait  partie  de  la  Basse-Navane:  capit*  Mauléon. 
j,  \Bers  est  la  leçon  que  le  sens  paraît  réclamer»  mais  il  y  a  dans  le  ms,  bere  ou  bert 
{b  bané  suivi  de  (,  ou  plus  probablement  â*e),  —  P,M.] 

4.  Le  texte  latin  est  plm  précis  :  «  quia  vidcbai...  quod  cornes  ceperat  nobiiemvirum 
dominam  W*  de  Agramont,.,  »  (Guillaume  vicomte  de  Cramont). 

j.  Fos,  Haute-Garonne,  canton  Saint-Béat,  arrondi  Saint-Gaudens» 

6.  A  la  cour  féodale  présidée  par  le  comte.  Pour  Padministration  de  la  justice  féodale 
la  Gascogne  était  alors  divisée  en  quatre  cours  ou  ressorts  :  Bordeaux,  Bazas,  Dax  et 
St-Sever.  Celte  dernière  cour  est  citée  plus  loin. 

7.  Plagas.  so;  Vs  de  so  est  barrée  [^  Jero?);  comme  il  y  a  un  point  entre  pîagâs  et 
10,  on  ne  peut  songer  à  réunir  en  un  ces  deu;;  mots  dont  le  second  nous  est  obscur. 

5.  Cela  veut  dire  probablement  ;  «  qu'ils  leur  auraient  (^  consentiraient)  un  accord 
le  jour  qu'ils  (=  l'autre  partie)  fixeraient  m  ;  ou  c  qu'ils  les  entendraient  {ûudirtn)  en  cour 
(4  corf)  i>  r 

9,  Mauléon»  Basses- P)Ténées. 

10.  Bordeaux  ? 

it.  Amanieu  d'Atbret  (voy.  Luchaire,  Origines  delà  maison  d'Albrtt^  dans  le  Bulletin 
dt  ta  Société  des  sdtnus,  kttus  ti  arts  de  Fau^  1"  série»  t.  I,  i%-jz).  Il  est  un  de  ceux 
qui  portèrent  plainte  devant  le  roi  ;  la  réponse  à  ses  plaintes  a  été  publiée  par  M«  Balasque. 

12,  Pierre  de  Bordeaux,  bourgeois  fort  riche  {v oy,  Noticu  et  extraits  des  mss.^  XV,  J67)» 

J}.  En  latin  tiAmahlnus  de  Vareyso.  Cet  Amauvtn  était  sire  de  Montferrand  (Gironde, 
arrtmd.  Bordeaux,  canton  Carbon-Blanc)  dans  TEntre-deux-Mers.  C'était  un  partisan  du 
comte  de  Leicester, 

(4.  La  famille  des  Colon  (cf.  1.  10  Olorin  pour  Oloron)  était  dévouée  aux  intérêts  du 
comte  de  Leicester.  Guillaume-Raimond  Colon  et  Pierre  Caillau  avaient  représenté  dans 
le  conseil  du  comte  le  parti  des  Colon  hostile  à  celui  des  Rostein. 

I  j.  tter,  en  toutes  lettres,  cette  mauvaise  îorme  vient  sans  doute  d'une  mauvaise  inter- 
prcttlion  de  Tabréviation  /f'.  —  p.  M.J 

é6.  Lieutenant  de  Simon  de  Monifort  ;  il  commandait  la  Gascogne  en  son  absence. 

17.  Leçon  bien  douteuse,  le  lis  plutôt  senesouic  c*csi  je  pense  une  faute  du  copiste, 
pour  scnescaat.  —  P»  M.| 

tS.  (Il  faudrait  d/.  —  P.  M.l 

19.  Après  la  prise  de  Castillon  (cf,  Mathieu  Paris,  798),  le  comte  de  Leicester  imposa 


Î73  MÉLANGES 

aissî  com  (17)  atis  autres  barons;  e  eg  estan  en  querre  paz^  médis  tos  qui  la 
taie  Taven  fer  denant^  an  (18)  lo  feit  de  tate  de  homis  morlz  e  de  cavagers  e  de 
rocis  e  de  autres  bestiars,  tantd^)  ken  la  taie  bau  ,c,c.  m  a  ne  d'argent^  la 
queti  *  taie  a  be  sera  cum  en  Gaslo  de  Bearn  ^  (20)  e  Tabesche  d'Olorio  ^ 
c  b  corl  de  Sencever^  cenoghe  (sic);  e  totes  aquestes  tates  has  (sic)  prc-(2i)*scs 
de  la  noster  part,  de  îa  noslcr  terre  en  fore^  e  a  nostcr  terre  tornan,  en  poder 
deu  con-(22)-te  Simon,  e  toi  die  esta  en  médis  ceu  {sic}  deu  coos  c  de  sa  terre. 

It*p  vos  fe  assabcr  que  cant  (2j)  vos  fas-^en  Gascoigne^,  e  [IJo  vescoms  bieco 
denant  vos  a  Baione  e  jurabs^  aquî  senorie  e  (24)  ledautad^  e,  com  sie  fron- 
tader  deu  rey  d^Aragon  e  deu  rey  de  Naverene,  ne  trûbe-(2  5)-razquiauiab  lor 
fes  tiuille  maie  certa^on  vostre  terre  bâlos  meigs  ni  ameigsmasse,  (26)  ni  fara  ja 
nuils  temps  ni  que  es  arrabas  cami  ne  pogge^.  Eg  o  troberas  en  lesliino-(27)* 
niatgc^^  de  prodomis  de  Bordeu,  d'Ax^  e  de  Baione* 

Jt^,  es  damant  de  terra  que  son  pair  {28)  ï  tenco  ;  e  li  ave  dade  e  venduda  ** 
une  nasse  que  ave  a  Mîunsa,  e  ha  li  torude  Gulllelmes  (29)  de  la  Buela*^,  pect 
haj  e  que  lo  vescoms  e  son  pair  laosses  tiencuda^^  tuz  {su)  paz,  entro  co**  (jo) 
torude  los  fo  per  Guillelmes  de  la  Buella.  Saben  ac  lo  cauver  e  les  boracs  e  (j  t) 
l'autre  pradomi  de  Bord  a  les,  e  prega  lo  bescoms  al  son  seinor  lo  roy  (su)  ke 
los  davant  (|2}  ditz  Tadobie  0  lo  face  adobar. 


4 
I 


III. 
SUR  LI  EMPLOYÉ  POUR  LOR  EN  PROVENÇAL. 

Depuis  que  fai  signalé  ici  (IV,  546)  et  essayé  d'expliquer  cette  singu- 
lière substitution  de  II  k  lor  dans  le  provençal  moderne,  j'en  ai  remarqué» 
dans  des  textes  du  moyen  âge,  quelques  exemples  qui,  joints  à  celui 
du  xv^  siècle  que  j*ai  rapporté,  suffiront,  je  pense,  à  établir  l'ancienneté 
de  cet  usage  : 

I ,  Vie  de  Sarark  de  Maufeon  :  «  Plus  f€  fins  amies  de  domnas  e 
d'amadors  que  nuills  autres  cavalliers,  e  plus  envejos  de  vezer  bons 
homes  e  de  far  ii  plazer.  » 


la  paix  h  tous  ses  ennemis.  Le  texte  de  cette  paix  (signée  le  2j  mai  tifi)  en  inédit  : 
Arch.  nat.  J.  top,  n*  10. 

1.  [Ms.  qn,  ïi  faudrait  qaau.  —  P.  M-l 

I.  Gaston  IV,  vîcomte  de  Béarn.  —  )►  Pierre,  évécjne  d'Obron. 
4.  Saint-Sever,  sous-préf.  du  dép.  des  Landes, 
j.  5/ccorr. /oj, 

6.  Henri  ÏU  passa  en  Gascogne  l'hiver  de  1141  il  124}. 

7.  Leçon  douteuse;  ce  serait  jurât  vos, 
à.  [Dans  la  pièce  latine;  «  Numquam  lamen,  licet  posset,  cnm  aliquo  iîtonim  vel  i\\o 

aliqukd  procuravit  vel  procurari  1  fecitj  contra  regem   AngUc.  *»  On  pourrait  proposer  • 
no  Irùhiraz  que  aut  {—  agos)  ab  lor  jcit  nui  mal  acorî,  —  P.  M.] 

9.  jCorr.  ni  que  el  ûrr^uhas;  mais  pogge  est-il  podium  f —  P.  M.] 

10.  Ms.  testimoniarge.  —  m,  Ms.  nentuba. 

II,  Guillaume  de  Bodle,  gardien  de  la  Gascogne  du  16  juin  1145  au  21  nov.  1247* 
(Voy.  Shirley,  Roy  ai  letterXy  H,  a  pp.) 

1),  ^Le  ms.  a  plutôt  trtncuda^  qui  n*aurait  aucun  sens.  —  P.  M  ] 
14.  [Corr,  qut,  et  plus  loin  lor  au  lieu  de  hs*  ^  P.  M,] 


SUR   //   EMPLOYê    POUR    ht    EN    PROVENÇAL  ^7} 

2.  Sirveniis  de  Lanfranc  Cigala  {Parnasse  occitanUn^  »  J9)  - 

Si  vais  per  dir  als  avols  so  qutiî  pes. 
La  même  pièce  offre  un  exemple  de  sas  pour  lor  : 

Mas  d'aquels  pages  non  es  razos  qu'om  taia 

Sos  honniz  pretz^ 

à  moins  que  sos  ne  soit  ici  une  forme  de  l'article,  ce  qui  parait  moins 
probable,  quoique  très-possible. 

j.  Guillaume  de  la  Barre  (Meyer,  Recueil^  p.  128,  v.  96-9)  : 

Los  fey  venir  els  vole  menar 

En  .j.  port  de  mar  tan  suau 

Hon  ïufih  temps  no  perîro  tiau 

Ni  vens  no  ti  poc  contra  star. 

4.  Vida  de  Sanî  Honorât,  p,  67  : 

Mantenent  son  intrat  en  la  sancta  abadia. 
Li  frayre  que  la  son  U  ^  fant  mot  gran  honor 
El  an  los  receuputz  a  m  gauch  et  am  baudor. 

5,  Chanson  de  la  Croisade  contre  les  Albigeois  (v.  3545)  * 

Anen  lo  paire  el  filhs  lai  on  promes  li  es. 

Il  est  extrêmement  probable  que,  dans  le  dernier  exemple  cité  (si  //» 
comme  le  contexte  semble  llndiquer,  y  est  bien  en  efl^etpour  lor%  c'est 
le  copiste  seul  qui  doit  être  rendu  responsable  de  ce  provincialisme.  Cela 
est  possible  aussi  dans  les  autres;  mais  il  importe  peu  pour  Pobjet  que 
j'ai  en  vue,  qui  est  uniquement  d'établir  que  l'emploi  de  //  pour  lor 
Qllis),  corrélatif  de  celui  de  son  pour  lor  [illorum)^  devait  être  déjà  habi- 
tuel, dans  le  dialecte  des  provinces  où  on  le  constate  aujourd'hui,  à 
Tépoque  où  furent  exécutés  les  mss.  d'après  lesquels  on  a  imprimé  les 
textes  qui  m'ont  fourni  mes  exemples,  c'est-à-dire^  au  plus  tard,  au 
XIV*  siècle. 

Camille  Chabanbau, 

IV. 
CHANSON  NORMANDE. 


Dans  un  voyage  que  j'ai  fait  en  Normandie  au  mois  d'octobre 
dernier,  j*ai  recueilli  la  chanson  suivante,  dont  le  caractère  populaire 
m'a  frappé.  H  m'a  semblé  que  par  là  elle  pourrait  intéresser  les  lecteurs 

1 .  [Telle  est  ia  leçon  de  l'édition,  et  sans  doute  du  ms.  suivi  par  M.  Sardou, 
mais  les  trois  mss.  de  la  BibL  nat,  (2098  fol.  76  v«,  11J09  foL  i^d,  24954 
fol  yn  ont  iur.  _  p.  M.] 

2.  C'est  du  reste  ainsi  que  M,  Mcyer,  avec  raison,  selon  moi,  propose  de 
corriger, 


Î74  MÉLANGES 

de  la  Romaniâ.  Une  autre  raison  pour  laquelle  ils  ràccueilleront  encore, 
je  l'espère,  avec  empressement,  c*est  qu*ils  y  trouveront  un  spécimen 
authentique  dy  patois  normand,  dont  les  monuments  de  ce  genre  scmi, 
on  le  sait,  assez  rares.  Les  chansons  du  recueil  si  précieux  de  M.  de 
Beaurepaire,  qu'on  peut  regarder  comme  vraiment  normandes  d'inspi- 
ration ou  dWgiae,  ont  en  effet  le  grave  inconvénient  de  n'être  commu- 
niquées qu'en  français  ;  aucune  ne  peut  donc  servir  à  faire  connaître  le 
patois  usité  dans  notre  province.  Tout  autre  est  la  ronde  que  l'on  lintl 
ci-dessous.  La  vieille  dame  qui  me  Ta  communiquée  demeure  près  de 
Bayeux  et  a  été  élevée  dans  le  canton  de  Trévières  ;  c'est  là  qu'elle  l*a 
apprise,  et  on  y  trouvera  fidèlement  conservés  tous  les  caractères  du 
patois  actuel  du  Bessin  et  même  quelques-uns  aujourd'hui  effacés*  Ce 
le  cas  par  exemple  pour  la  diphihongue  au  [âo)  de  càosè  (causé  v.  4)! 
réduite  aujourd'hui  à  ô  comme  en  français'. 

Je  n'ai  que  peu  de  choses  à  dire  sur  la  manière  dont  j*aî  établi  le 
texte  et  sur  Torthographe    que  j-ai  employée.   Je  me  suis  attaché  à 
reproduire  les  sons  tels  que  je  les  entendais,  en  me  servant  de  signe 
connus  de  tout  le  monde.  Les  quelques  mots  qui  auraient  pu  n'être  pa 
assez  facilement  compris  sous  la  forme  qu'ils  ont  prise  ainsi,  ou  qui  diffè-^ 
rent  trop  du  français,  ont  été  expliqués  dans  des  notes;  quelques-unes 
des  particularités  grammaticales  ou  phonétiques  les  plus  curieuses  du j 
patois  bas-normand  y  sont  également  signalées.  La  publication  de  cette! 
chanson  sera  ainsi  dans  une  certaine  mesure  une  compensation  à  Tétudei 
sur  le  patois  du  Bessin,  longtemps  annoncée  dans  la  Romania^  et  que' 
mes  occupations  ne  m'ont  pas  permis  de  revoir  et  de  donner» 


ROKDE. 


No^  di  partou  dan  IVilâge 
Que  j'm'en  vouée  ^  m-marié  ; 
în'  n'on  menti  par  leu*  goDle^ 
Car  jamoiiès  j'u'eti  é  caôsé^. 


Rtfrain. 

Vo^  vo  ri^,  vo  vo  moqués 
Vo  vo  ries  torjou  de  mé^. 


1.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  le  mot  camcr  soit  d'origine  normande,  il  a  été 
emprunté  probablement  au  français  â  une  époque  o£i  la  diphthongue  ûu  subsis- 
tait dans  les  deux  idiomes  >  mais  le  français  Ta  atténuée  en  ô,  le  normand  plus 
archaïûue  Ta  conservée  parfois  msque  dans  ses  derniers  temps. 

2.  /va  pour  o/ij  par  suite  de  la  transposition  de  T/i,  on  dit  de  même  nt  (v.  i) 
pour  en. 

},  Voûk  pour  uis  par  suite  du  développement  de  â  en  ou^;dc  même /amottès 
pour  jamais,  etc. 

4^.  Lm  pour  hur-,  IV  finale  tombe  le  plus  souvent  à  la  fin  des  mots;  ainsi  v.  6 
for/  ou  pou  r  ton  jour  [s] , 

y  Caâiè:  causé.  La  diphthongue  au  réduite  maintenant  à  a  a  été  conservée 
ici;  elle  subsiste  aussi  éans  le  patois  de  la  Bague. 

è.  Ko,  vous  <Ul.  vos), 

7.  Me  :  mot  (lat,  mt),  L'e  long  du  latin  se  change  en  é,  atténuation  de  l'ao- 
cicnnc  iorme  et. 


CHANSON    NORMANDE 


In'  0*011  menti  par  leu  goûle*, 
Cat  jamouès  j'n*cn  é  caOsé. 
Ch'est  vré  qu'roi^jouor^  en  danchan* 
Pierro  m*pili^  su  l'orté*^. 
Vo  vo  ries,  etc. 

Ch*csl  vrè  qu'l'Ol  jouor  en  danchan 
Pierre  m'pili  su  Torté, 
En  mMisan  :  ma  gentil'  ôle^ 
Ma  gentir  file^  éme^  mé. 
Vo  vo  ries,  etc. 

En  ra'disan  :  ma  gentil'  61e, 
Ma  gentir  file,  ème  me. 
—  Coman  veus  tu  que  j' l'éme  ? 
Tu  n*  Tn'as  jamouès  rien  bayé^. 
Vo  vo  nés,  etc. 

Coman  veus-tu  que  j' t'éme? 
Tu  n'  m'as  jamouès  rku  bayé. 
Crac!  i  tir"  de  sa  pouquette* 
Eun'  bague  é  m'Ia  four'  5  dé^^. 
Vo  vo  ries,  etc. 


Crac  I  i  tir'  de  sa  pouquette 
Eun'  bague  é  m'ia  four'  5  dé, 
En  m'disan  :  ma  jolie  file, 
rvodrès  bien  couchi^'  do*^  té, 
Vo  vo  ries,  etc. 

En  m'disan  :  ma  jolie  6Ie, 
J'vodrès  bien  couchi  do  té, 
E  couchi  dans  eun'  chambre 
Bien  frcméc"  â  la  dé. 
Vo  vo  ries,  etc. 

E  couchi  dans  eun^  chambre 
Bien  fremée  à  la  clé, 
E  qu'  la  clé  ne  fQ(t}  perdue 
Dan  un  pré  prëlà  fôquié**. 
Vo  vo  ries,  etc. 

E  qu'  la  clé  ne  fû  perdue 

Dan  un  pré  prêt  à  tûquié. 

E  qu'  la  bon'  fam*  qui  la  Irache^^ 


u  Conlc  :  gueule,  bouche  (iat.  galam). 

2*  Uùf  pour  ïmirt^  par  suite  de  rafaiblissemenl  de  ^  en  ô  et  de  la  chute  de 
f  dans  le  groupe  tr. 

).  Joaor  ou  fouo  (v.  n.  5)  :  jour.  Le  patois  moderne  a  diphthongué  oa  en 

4.  Danchant  :  dansant.  Vs  latin  persiste,  mais  Vs  germanique  et  surtout  le  z 
ou  (s  peuvent  se  changer  en  ch,  comme  le  c  latin  suivi  de  i  ou  i 

y  Fili  :  marcha.  Le  passé  défini  des  verbes  de  la  1"  conjugaison  a  été  assimilé 
à  celui  des  verbes  de  la  seconde  et  se  termine  en  t, 

6.  OrU:  orteil,  Vl  mouillé  Ênal  tombe  ou  devient  /  simple^  17  mouillé  médiat 
suivi  de  t  muet  se  change  en  /  ordinaire  ;  ainsi  i  ta  stropne  suivante  gcnitV  file 
pour  gentille  ftllt. 

7.  Emc  :  aime.  Al^  au  lieu  de  se  diphthonguer  en  ùul^  s'atténue  en  è  fermé  au 
commencement  des  mots  et  souvent  aussi  à  la  6n  comme  dans  vr^,  fr.  vrai. 

8.  Bâ^i  pour  haiUè  (donné);  VI  mouillé  médlai  non  suivi  de  t  muet  se  change 
en  jf. 

9.  PouquctU  :  poche.  Diminutif  dt  pouquc  {^poccam]^  petit  sac, 

10.  Dé  :  doigl  {digitum),  L't  bref  ciu  tatin  se  change  en  é^  atténuation  de  €t, 
tout  comme  Vè  long. 

1 1 .  Coucht  ou  couchti  :  coucher.  Après  les  chuintantes  t'a  long  du  latin  s'est 
changé  en  /f,  atténué  en  i  au  participe  passé  et  parfois  aussi  à  Tinlinilif. 

12.  Do  :  avec.  On  disait  aussi  0,  ce  cjui  est  même  la  forme  primitive;  ces  mots 
sont  aujourd'hui  peu  usités:  on  dit  ordmairement  anuc  ou  dimac, 

11.  Fnmèt  :  fermée,  avec  transposition  de  l'r;  de  même  plus  loin  qucni  pour 

14.  Fôquiè:  faucher  (r,  falcan).  Avec  conservation  de  la  valeur  gutturale  du 
c  latin^  voy.  Du  c  latin  dans  Us  langues  romanes,  p,  234.  On  remarquera  de  plus 
Fatténuation  en  ô  de  ta  diphthongué  au  conservée  dans  causé. 

1  ç.  Tracht  :  chercher,  r.  *uatdâ(c.  Le  e  latin  suivi  de  e  ou  i  se  change  en  ih 
dans  le  normand;  voy.  ibid.,  p.  266. 


376  MÉLANGES 

Eusse  les  deux  Qs^  queurvé.  E  que  V  guiab'^fS  à  la  porte 

Vo  vo  ries,  etc.  Pandan  eun'  éternité. 

E  qu'  la  bon'  fam'  qui  la  trache  Vo  vo  ries,  vo  vo  moqués 

Eusse  les  deus  Qs  queurvé,  Vo  vo  nés  torjou  de  mé. 

Charles  Jorkt. 
Aix-en-Provence,  i*' avril  1876. 


NOTE  SUR  LES  CHANSONS  DE  LA  GRUYËRE, 
PUBLIÉES  PAR  j.  CORNU  (Romania,  t.  iv). 

Un  lecteur  de  la  Romania  écrit  (juin  1876)  :  1°  à  propos  de  la  chanson 
imprimée  au  bas  de  la  note,  Rom.  IV,  216  :  «  J'ai  entendu  il  y  a  plus 
de  50  ans,  et  je  me  rappelle  très-bien,  une  chanson  française  toute 
semblable.  Une  femme  de  Cloyes,  Eure-et-Loir,  la  chantait  chez  ma 
mère  et  j'en  sais  encore  l'air.  Le  refrain  était  :  Je  l'aimais  tant^  —  tant, 
tant,  tant  —  Je  l'aimais  tant,  mon  mari  !  Elle  commençait  comme  celle 
que  cite  M.  Cornu  :  Mon  mari  est  bien  malade,  —  en  grant  danger  de 
mourir,  etc.;  il  s'appelait  Gros  Guillot  ou  Gros  Guillaume,  » 

2°  A  propos  de  la  chanson  imprimée  au  bas  de  la  note,  ibid.,  p.  220, 
«  Il  y  a  plus  de  60  ans,  ma  bonne,  une  Picarde,  me  chantait  une  chanson 
toute  pareille  ;  je  n'en  ai  pas  oublié  l'air.  » 


ï.  Us  :  yeux,  pluriel  de  ù,  transformation  probable,  après  la  chute  de  /  mouillé 
final,  de  a(/7). 

2.  Guiab(e)  :  diable.  Le  groupe  di  +  voy.  se  change  en  gui  +  voy,  de  même 
que  ti  -f  voy  donne  k'i  H-  voy.  De  plus  /tombe  dans  le  groupe  bl. 


COMPTES-RENDUS. 


La  mort  du  roi  Gormond^  fragment  unique  d'une  chanson  de  geste 
inconnue,  conservé  à  la  bibliothèque  royale  de  Belgique,  réédité  littéralement 
sur  l'original  et  annoté  par  M.  Auguste  Scheleh.  Bruxelles,  Olivier,  1876, 
in-S",  $4  p.  (extrait  du  BlbUophik  belge,  t.  X), 

Comme  j'ai  depuis  longtemps  Tintentian  de  publier  un  travail  étendu  sur  le 
poème  de  Gormond  d  hmbart  ou  plutôt  du  Roi  Lom^  j'ai  fait  dans  ces  dernières 
années  plus  d'une  recherche  et  d'une  demande,  notamment  d  la  Bibliothèque 
royale  de  Bruxelles,  à  Feffet  de  retrouver  le  fragment  publié  par  Reiffenberg 
de  l'ancienne  rédaction.  Toutes  mes  investigations  étaient  demeurées  sjns 
succès;  ce  n'est  que  tout  récemment,  dans  des  papiers  provenant  de  la  collection 
de  M.  de  Ram,  que  M.  Scheler  a  eu  la  bonne  fortune  de  retrouver  ces  huit 
précieuses  pages,  sur  lesquelles  son  attention  avait  été,  par  suite  de  mes 
demandes  (et  sans  doute  de  celles  d  autres  personnes,  voy.  p,  2),  éveillée  depuis 
quelque  temps.  M,  Scheler  s'est  empressé  de  rééditer  ce  texte,  en  y  joignant 
des  notes  nombreuses. 

Il  va  sans  dire  que  son  édition  est  fort  supérieure  à  celle  de  ReifTenberg  ; 
cependant  celui-ci  avait  en  général  assez  bien  lu,  et  la  plupart  des  corrections 
importantes  de  M.  Sch.  consistent  dans  la  disposition  des  mots,  la  distinction 
des  lettres  doubles  a,v,  i,  /),  h  ponctuation,  etc.  Ce  sont  celles  que  tout  lecteur 
familier  avec  l'ancienne  langue  avait  pu  noter  déjà  sur  son  exemplaire.  Le  com- 
mentaire du  nouvel  éditeur  est  aussi,  bien  entendu,  tout  autrement  compétent 
et  judicieux  que  celui  du  premier  Cependant,  et  dans  rétablissement  du  texte 
et  dans  les  notes  il  y  a  à  relever  un  plus  grand  nombre  de  méprises^  quelques- 
unes  graves,  qu^on  ne  s'y  serait  peut-être  attendu.  Cela  tient  sans  doute  â  la 
hâte  avec  laquelle  le  savant  philologue  belge  a  voulu  mettre  sa  trouvaille  à 
profit;  nous  y  gagnons  d^avoir  sans  aucun  retard  un  texte  qui,  s*il  n'est  pas 
définitivement  établi,  apporte  du  moins  avec  soi,  grâce  â  la  fidélité  paléogra- 
phique que  garantit  le  nom  de  l'éditeur,  tous  les  moyens  de  rétablir. 

Dans  les  quelques  remarques  qui  suivent,  je  n'essaierai  pas  d'empiéter  sur  le 
travail  de  restauration  critique  que  M.  Sch.  a  laissé  à  un  autre  éditeur.  Je  me 
borne  à  signaler  les  passages  où  j'ai  relevé,  soit  dans  le  texte,  soit  dans  les 
notes,  des  erreurs  évidentes  ou  probables,  ou  ceux  où  je  crois  voir  une  correc- 
tion indiquée.  11  reste  plus  d'un  endroit  difficile,  et  je  souhaite  que  d'autres 
critiques  contribuent  à  éclaircir  ce  morceau  si  intéressant. 


578  COMPTES-RENDUS 

Les  V.  8,  40,  64,  86,  IJ7,  163,  identiques  comme  les  six  quatrains  (i 
de  refrains)  dont  ils  font  partie,  sont  ainsi  conçus  :  Nm  la  h  batiU  un  UumTi, 
Le  fac-similé  joint  par  M.  Sch.  à  sa  publication  et  qui  contient  la  rcprodoclion 
dti  V.  64  ne  permet  pas  de  douter  de  la  leçon  Nm^  et  cependant  j'ai  peine  à 
la  croire  bonne.  Le  scribe  du  XHI*  siècle  qui  copiait,  peut-être  à  travers  plus 
d'un  intermédiaire,  un  poème  plus  ancien  d'environ  cent  cinquante  ans^  1 
défiguré  ïe  texte  en  maint  endroit  et  ne  s'est  pas  toujours  piqué  de  le  comprendre. 
Ntm  serait  un  nom  propre,  celui  d'un  païen;  mais  je  ne  connais  aucun  nom, 
dans  toute  notre  épopée,  qui  ressemble  le  moins  du  monde  à  celui-là;  enoutre 
ce  Ntm^  qui  se  trouverait  six  fois  aux  côtés  de  son  maître  pour  remplacer  son 
écu  brisé,  n'est  d'ailïeors  pas  mentionné  une  seule  fois.  Je  crois  qu'il  y  avait 
dans  Toriginal  Utm  «  on  n^  que  le  copiste  a  changé  par  distraction  une  première 
fois,  puis  toutes  les  autres,  tn  Ncm  (aux  vers  137,  16},  on  lit  Ncn^  ce  qui 
rappelle  la  forme  picarde  bien  connue  en  pour  on).  Quant  à  lotnart  ou  tuatéft, 
M.  Sch.  l'a  bien  interprété  par  bouclitr  (Reilîenberg  y  voyait  t  un  habitant  de 
Tunes  *);  il  aurait  pu  joindre  à  la  citation  à'Akxandn  deux  exemples  dans  la 
Ch,  d'Antmhtt  c.  VIIIj  §  58,  et  un  autre  dans  Parîonopeus,  y.  2252. 

Pourquoi  aux  v,  41  et  45,  M.  Sch.  écril-il  Qajûu^  Il  s'agit  de  Cayaix 
(Somme),  écrivez  donc  Qaiou.  «- V.  69,  0  vit  Gormond;  M.  Sch.  corr.  £, 
inutilement  ;  0  =  où,  —  V.  72,  Sor  son  cscu  li  dona  grande,  D'un  or  [a  PmUn] 
ii  fist  fendrt^  La  blanchi  brome  dcsconcendrc ;  M,  Sch.  raille  Reiffcnberg,  qui 
met  en  note  :  «  d'esconcendre,  qui  sert  à  couvrir  ?  »  Mais  son  explication  est  à  peu 
près  aussi  malheureuse;  il  [\l  d'Esconandrt,  et  voit  dans  ce  mot  un  nom  de 
lieu.  Je  ne  connais  pas  en  effet  d'autre  exemple  do  verbe  irifo/î«/tJrf  en  français» 
mais  c'est  bien  évidemment  un  mot  ïormé  comme  le  provençal  tscoissendre^  acos^ 
andn,  TitaL  scosandcrc^  composé  d'un  préfixe  et  de  consàndtn,  et  signifiant  t  déchi- 
rer, I — V.  94,  [E]  de  sun  blanc  hmbtrc  Us  plus;  plcis  ne  vient  pas  de  pkxtiSt  c*c$t 
le  pluriel  de  ;»/«,  pli.  —  V.  100,  Quant  a  lui  lançû  un  iras  ;  <  iriis^  dit  M.  Sch.^ 
désigne  ici  une  arme  offensive  pour  lancer  d'origine  irlandaise  •  ;  en  conoa!t41 
des  exemples?  L'original  portail  uns^  et  Lmcn  est  pris  au  sens  absolu  qu'tl  a 
souvent;  le  vers  signifie  «  quand  un  Irois  lui  lança  {suppléez  un  trait)  »;  cf. 
y.  28a,  —  Le  y,  102  et  les  vers  180,  186,  247  commencent  par  A  disî  Gùr* 
mond,  puis  viennent  ses  paroles.  M.  Sch.  balance  entre  deux  corrections,  A  dit 
et  E  disi;  il  n'en  faut  pas  faire  du  tout,  mais  lire  A  f  dist  Gormond;  tf  ^  ah  f 
se  retrouve  aux  y,  20^  (voy.  ci-dessous)  et  ^8)  (où  M.  Sch.  Vi  bien  contpets;. 
—  M,  Sch.  a  raison  de  soupçonner  dans  bruieni  un  dérivé  dé  bruyhe  (cf.  Guill. 
de  S.  Pair,  y,  7J3);  il  aurait  seulement  dÙ  introduire  cette  lecture  dans  sofl 
texte  au  lieu  de  brivtrti.  —  V,  1 1  ^ ,  Sor  un  dtslrltr  %ot  bauzan  ;  le  vers  est  lrO|l 
court  et  la  rime  exige  un  é  (au  vers  précédent  1.  Peiteus,  forme  qui  se  IrooTf  I 
côté  de  PcitiaiSj  d'où  plus  tard  Poaitrs);  M.  Sch.  lit  baaz&nl  :  je  ne  pois 
admettre  cette  forme  pour  plus  d'une  raison,  mais  |e  ne  sais  comment  corriger; 
p.  L  hardiment  pumeU,  —  V.  ti^,  Mh  ne  n'a  pas  sun  cors  dampni^  L  iiniple- 
ment  mn.  —  y,\^^^Aar€i  Gormond  muist  espu,  Josttr  1  vait  son  cors  mmmit 
passage  fort  obscur;  M.  Sch.  propose  de  lire  i  mist  apiij  t  il  épia  le  roi  Cîor- 
mond.  >  Je  crois  cette  restitution  insoutenable,  mais  je  n'en  puis  fournir  uïït 
bonne  ;  en  tout  cas  le  sens  semble  être  :  «  Il  n'envoya  pas  d'espion  au  roi  Gor* 


La  mort  du  roi  Cormond,  p.  p,  schelêr  ^79 

mond,  il  alla  lut-même  jouter  contre  lui,  »  —  V.  145,  PUmt  sa  tame  h  souvit; 
M.  Sch,  dit  qu'il  n'y  a  pas  lieu  desonger  à  joi/vc/irr,  jeter  à  terre  (lisez  t  étendre 
sur  le  dos  1),  et  reconnaît  dans  ce  mot  un  type  latin  svHtare^  qui  voudrait  dire 

•  attaquer  par  surprise,  *  Il  ajoute  d'ailleurs  qu'il  n'a  jamais  rencontré  ce  mol, 

•  mais  bien  la  forme  savante  sovbiter.  »  SoubiUr  n'a  pas  ce  sens,  mais  celui  de 
t  faire  périr  de  mort  subite  w,  de  soubiit,  comme  on  disait  absolument  :  c'est 
îe  sens  du  passage  même  cité  par  M.  Sch.^  et  d'autres.  Puis  que  voudrait  dire 

•  Pleine  sa  lance  il  l'attaque  par  surprise?  »  Soime  est  une  simple  faute  du 
icribe  pour  sow^im.  —  V.  149,  Gorrnmd  H  lame  \mt  gviwe  :  pour  compléter  le 
▼ers,  M.  Sch.  propose  lança;  je  crois  que  le  poème  employait  encore  les  formes 
de  la  5«  pers.  en  -tt  (cf.  au  v.  211,  oà  M.  Sch.  ne  remarque  rien,  Que  ke  m*m 
dac  ânnif)^  et  que  souvent  au  contraire  le  copiste  les  a  fait  disparaître  en  rem- 
plaçant le  présent  par  le  parfait.  —  V.  195,  je  suppléerais  plutôt  md  que  vos 
ou  cil.  —  V.  202,  //  Ctn  apde  :  «  Fil  •,  H  dhi,  t  A  gentil  ni  de  riche  Un  •; 
mais  Louis  était  roi  lui-même^  et  non-seulement  (ils  de  roi;  L  //  l'en  apile,  si(l) 
U  disî  :  t  A!  gentil  rei,  etc.  t  (cf,  stir  le  v.  102).  —  V.  218»  la  proposition  de 
M.  Sch.  d^intercaler /i/ après  Pntz  est  évidemment  bonne;  on  s'étonne  qu'il 
tn  doute.  —  V.  228,  //  ne  vait  gens  cum  terrestre  :  ce  vers  a  été  expliqué  dès 
1846  par  Dicz  dans  les  Altrom.  Sprachdenkmale  (p.  ç|),  et  je  l'ai  reproduit 
dans  une  note  sur  gims  dans  les  Mém.  de  la  Soc.  de  Hng.\  comment  M.  Sch. 
a-l'il  méconnu  le  mot  gens  =:  pr.  ges^  et  veut- il  Irre,  avec  Reiffenberg,  came 
gens  terrestre^  —  V.  238,  au  lieu  de  le,  pour  il,  I.  /r,  avec  l'ellipse  fréquente  du 
pronom,  —  V*  241,  Cest  Hueims  qui  vos  meisele;  quoi  qu'en  dise  M.  Sch.,  il 
faut  pour  la  construction  lire  Cest;  ensuite  mmder  ne  veut  pas  dire  t  égorger, 
tuer  >,  cl  ne  vient  pas  du  lat.  (?)  maceliare;  il  signifie  <  souffleter  •  et  vient  de 
maxilla  (voy.  Alexis,  Ml).  —  V-  246,  inutile  de  corriger  mis  en  muf;  ce  verbe 
peut  très-bieo  être  à  la  r*^  personne.  —  V.  2\i^Qaù  tute  est  madlk  la  suzctk; 
pour  la  mesure  M.  Sch.  supprime  Qui,  je  lirais  plutôt  en  muille,  — V.  2j6, 
dire  que  Trop  ws  estes  vantez  serait  c  contraire  au  génie  de  l'ancienne  langue 
qui  omettait  volontiers  le  pronom  des  verbes  réfléchis  aux  temps  composés  1, 
c'est  aller  dans  tous  les  sens  beaucoup  trop  loin.  Remarquons  encore  que 
bncon^  à  ma  connaissance,  ne  signifie  que  *  fou  »  et  non  i  coquin,  scélérat  t 
(voy.  Alexis f  54*1).  —  V.  268,  iVc  navras,  l  Nen  avras,  —  V,  274,  £  m^  verrez 
par  iscampon;  je  lirais  est  (ou  même  ist)  tampon.  —  V.  277,  lÀl  serrunt  cil 
kawenLn\  M.  Sch.  propose  k'ajaerun,  i  très-acceptable  •  et  Lié  en  serrunt  cil 
k'avirun^  t  encore  plus  plausible.  >  M  n'y  a  rien  à  corriger;  lisez  seulement 
kf  avtwrun,  —  V»  287,  depieie,  je  mettrais  depleti.  —  V.  joo,  Navré  dons  fin 
del  grant  espilt  la  leçon  de  Reifîenbcrg,  dous  feii,  est  sûrement  la  bonne, 
puisqu'en  effet  Hugon  a  été  blessé  deux  fois  par  la  lance  de  Gormond  ;  d'ailleurs 
r  et  i  sont  faciles  à  confondre  dans  le  manuscrit.  —  V.  ^o^,  Que  mes  porhome  h 
ptrdist,  t  Ce  perdist  est  gênant,  dît  l'éditeur;  ta  syntaxe  appelle  le  subjonctif, «t 
l'assonnance  l'indicatif  fïfri^i^  Que  faire?  i  L'embarras  de  M,  Sch.  m'étonne. 
Au  parf.  ind.  perdit  correspond  naturellement  l'imp.  subj.  pcrdiesse,  lisez  donc 
perditstf  de  m.  au  v.  J71  ven^uicst,  —  V.  547^  Conoisterez  vus  resqmer  ;  au  lieu 
d'ajouter  vus  pour  compléter  le  vers,  lisez  Conoisteritz ,  —  V.  jyo,  une  w/ n'est 
pas  une  cbisse,  mais  un  grand  vase  â  boire.  —  Après  Icv.  5  58,  M.  Sch.  admet, 


> 


)8o  COMPTES-RENDUS 

je  ne  vois  pas  pourquoi,  une  lacune;  le  vers  est  trop  court  (ajoutez  E  au  lit 
bien  preisies),  mais  se  lie  très-bien  au  précédent.  -  V.  3  59  et  367,  I.  tTi  et  n'i 
et  suppr.  la  note  (qui  renvoie  en  outre  â  tort  au  v.  439).  —  V.  369,  Ja  est  il 
rei  et  tei  sui  jeo:  dans  ce  vers  M.  Sch.  attribue  à  Ja  la  valeur  de  c  quoique  • 
en  remarquant  que  «  ce  qui  est  intéressant  c'est  l'emploi  de  l'indicatif.  •  Mais 
précisément  ce  mode  ne  permet  pas  de  donner  ce  sens  à  ja.  Ja  est  ici  presque 
purement  explétif,  et  ne  fait  que  renforcer  l'affirmation;  il  répond  à  peu  près  â 
iloch  dans  certaines  locutions  allemandes;  ce  sens  est  encore  plus  clair  an 
V.  379,  que  M.  Sch.  compare.  —  V.  377,  Fors  sul  Deu  U  lurr  del  ciel,  lisez 
avec  U.  veir  (cf.  la  remarque  sur  le  v.  joo),  et  non  père  avec  M.  Sch.,  et 
ct)mplétc7  lo  vers  et  le  sens  en  ajoutant  de  avant  Deu.  —V.  408,  Si  s'afichasur 
SCS  csttins:  Tassonancc  est  en  U.  M.  Sch.  dit  :  «  II  faut  «/ri^5  ou  estriers  >,dod 
pas,  mais  (stiinis:  (stiins  est  une  forme  plus  récente,  qui  ne  vient  pas  d'estri- 
vins,  comme  lo  dit  Oie/,  mais  qui  est  à  estrieus  ce  que  Peitiers  est  à  Peitieus, 
Anf^yons  .\  .iMci^iii.  etc.  La  vieille  forme  s'est  conservée,  quoique  avec  diérèse, 
dans  lo  mol  technique  <itiii:\.  —  V.  422,  M.  Sch.  remarque  que  le  MargaritA 
lo  svirnom  donn»^  ,\  Iscmbart.  et  renvoie  A  ce  sujet,  avec  raison,  à  Ph.  Mooskel 
V qu'il  appelle  lou;ours  yh»sUs^.  Mais  l'explication  qu'il  en  donne,  c  qui  a  été 
sauvé  A  son  maîî^cïir  »,  aurait  pu  sans  inconvénient  rester  dans  Reiffenberg. 
v^utro  s\\\'c\c  est  peu  claire,  elle  est  absolument  fausse;  mais  Texpîication  de  ce 
mot  mVntratncra-.t  trop  loin  rt  drirarde  ure  étude  à  part.  —  V.  443,  Sf  kb- 
c  r.c  rus  croire  que  Tart.  U  n*c!ide  pas  son  e  devant  une 
voxolio,  oojvnd.înt  ;r  rr  !:r.*.:s  pas  .".-î-v.  en  ajoutant  unesyilabc  ailleurs  :  c'est, 
iVn  A\  rowr,  lo  irot  .V.r.\  c;:i  est  fajtir.  H  qui  a  été  substitué  par  le  copiste  i 
v.r\  rot  c;;"'l  r.c  00- p-rr.' i  pas  c:  c-i  e>l  rfria  Docr  nous.  Pect-étre  aussi 
X  a  :  !  \rc  \.Wx.r.c.  A;:  v.  4;-^.  V.  Sc'^t.  a  OL:!:é  if  marquer  îe  CDEîccnce- 
~*or.î  *'.'r."0  .;v\o.  »'.f  t  .*.;:  \  c^cv.".  —  V  v  .~.  ■^♦J  jiLi'-mfiU  m.,  d s^mc:  ;  pour 
*\-x  \"  vc  V  V  S»''  r-or^.".sf  v^.  ;l  r...  ces:  sl-emert  rr.u.  qui!  âuî;  après 
"■  o-  V  :vi  ■-:  :  -,''::-.■  .  -  .  ;.;:  cor:ri:-j  pràe  ic.  a.  izrmt  eî  .a  valeur 
^-i-     ".-   ■'  -    N"     v:     0:    -A.'     Tj-:   -j-    ."l  iifL.  pocr  larre  ie  vers, 

.'.  .N  o;  :xv  Si":  .:f    -f  -j      \-^-rf   rorcL— en:f.  —  V.    --t.  Mais  qu'il 

■■     .■■."••■•'.•■  .    r^-- .  'f    -;.  <     ::•:":   .^v.;    r.s.  t  i  raf  Tout  :  :ai:  le  sens  indiqué 
\"    ,Sx-.  V    r.  r  .:.  —■  '.r:r/.:'.  er  aamrtian:  !' ingénieuse cor- 
S,'*-  .    ■-.•.■:  r;  rrrr.-iis  ?a>  jî  \'rgu\t  anres  ce  mœ  et  j'en 
■    A  r-   r:    vr->     •   Vaiva:?   c.-^rvs-    pour  î^  iir&  a    voos 
^sr..    .       -,v,-  »"'•  '  ,'^-o:  pr    —  V     r:.   •:'";j-:;;;    rT  aucixr  rapnorx  avec 

•*t .■  ■  <:  -  ?:^.■-T;  :    .—.•.;:;:  .  •:  >:jn:n;  .  tacil-men:  conoos.  »  — 

c  .  :    V    .   -Tv   .-v"^-;  ,v-:..  T^rrrr:  •:..■•.■.■   rrîTTTf    :;  j::  K  Sch.,  k  rerien- 
:  N  .  ,^ . — ».^  V     - .   r  -.-- '  ■  ;'  -f  r  r  :  r  ■  r  -  :  ?>■-;-::  -•  .  -era-2f  -  cettf  forme  comme 
V".'"  ■     .  :  <;'-*  :>*.:  :  r-:r  .--.^  ^  .irr.-r.T.."»:îr  l-jt  nasse  acssi 

..    ,...  ^.  .  .   ......         ^.,   .     .  .     *...-,    V.-    ."'.\.   .îjît:    ..  /iiTTMT  dat, 

V    V*    ■  -.  .    ^       ."  .         .•-:    .:.'-•.•-  .:.;.    m:,}.-  -îfr  r»:  7  lus  fréquent 

•V  •  .-    "»  .-     .:.'--s>-;  .    :  \-.fv:  Vi.-^-îL    f.  --•«  au  masc. 

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SETTEGAST,  Benoit  de  Sainte-More  )8i 

crittqti€S  générales  et  plos  d'une  remarque  relative  à  la  ponctuation.  Ce  que  je 
dois  surtout  dire  en  terminant,  c'est  que  je  n'ai  relevé  que  les  passages  où 
l'éditeur  m*a  paru  élre  dans  l'erreur,  et  que  je  n*ai  pas  signalé  les  nombreuses 
restitutions,  corrections,  explications  et  conjectures  excellentes  qu'on  trouve 
dans  le  texte  et  dans  les  notes.  J'ai  voulu  surtout  contribuer  pour  ma  part  à 
Tamélioration  d'un  texte  qui  m'intéresse  depuis  longtemps,  et  que  nous  possé- 
dons, grâce  à  M.  Scheler,  sous  une  forme  bien  supérieure  à  celle  qui  était 
accessible  jus<{u'à  lui. 

G.  P. 


Benoit  de  Sainte-More.  Eine  sprachliche  Untersuchungen  ùber  die  Iden- 
titaet  der  Verfasser  des  "  Roman  de  Troie  n  und  der  <f'  Chronique  des  ducs 
de  Normandie,  »  von  Franz  SETT£OAST,Dr.  phil.Breslau,  Korn,  1876,  in-8», 
7J  p. 

^f     En  même  temps  que  paraissaient  les  articles  où  M.  Littré  cherche  à  établir  par 
des  rapprochements  choisis  Tattri billion  à  un  même  poète  de  la  Chronique  des 

IdïLcs  dt  Normandie  et  du  roman  de  Trou  (voy.  ci-dessus),  Tauteur  de  ce 
travail  arrivait^  par  une  étude  approfondie  de  la  langue  des  deux  poèmes,  â  la 
même  conclusion.  La  dissertation  de  M.  Settegasl  est  faite  dans  une  très-bonne 
méthode  et  conduite  avec  tnieltigence  et  circonspection.  Il  étudie  successivement 
dans  les  deux  ouvrages  la  métrique  (p.  5-12),  la  phonétique  (p.  13-^8),  la 
flexion  (p.  39-5?),  le  vocabulaire  (p,  ^-62)  et  le  style  (p.  63*74).  Dans  chacun 
de  ces  domaines  il  trouve  entre  fusage  de  Beneeit  et  celui  de  Beneoit  de  Sainte- 
More  des  ressemblances  frappantes.  Il  a  réuni  à  la  fin  celtes  qui  lui  paraissent 
déiDontrer  le  plus  sûrement  sa  thèse;  c'est  a  le  changement  d'o  en  a  dans  cûntc 
pour  conU  (venant  de  compuh{o^  usi,  aussi  bien  que  de  zomit-icm^  ts)\  le  dépla* 
cernent  de  Taccenl  dans  la  y  pers.  plur.  de  Timparf.  du  subj.  (fchsént),  aussi 
bien  que  t'rV  dérivatif  du  parfait;  la  possession  commune  des  mots,  d^ailteurs 
inconnus  en  ancien  français^  du  (iour)j  macum  (puissant  ou  habife),  qui  (mais), 
et  du  mot  presque  inconnu  au  moins  sous  cette  forme  icncrgi  (obscur)  ;  enfin,  en 
ce  qui  concerne  le  style,  la  tendance  excessive  à  la  prolixité  dans  l'expression  et 
raccumulalion  de  mots  ou  de  locutions  apparentés.  » 

Ces  arguments,  à  dire  vrai,  sont  de  valeur  iort  inégale.  Le  déplacement  de 
Taccent  dans  des  formes  comme  fassent  s'observe  dans  un  grand  nombre  de 
leirtes;  les  parfaits  en  i^  sont  encore  plus  communs,  et  même  très-réguliers;  le 

■mol  die^  qui  a  certainement  été  en  français  d*un  usage  général  comme  Tatteste 
le  dérivé  dumtnck^  dimanche^  ne  saurait  rien  prouver  non  plus;  Uncfge  qui  est 
provençal  (Umrc)  et  se  retrouve,  comme  l'indique  l'auteur,  sous  une  forme  voisine 
dans  Amts  et  Amik  et  ailleurs  encore  %  doit  aussi  être  rayé.  Les  rapprochements 
importants  dti  vocabulaire  se  réduisent  donc  à  deux,  macmnz  et  qui  y  dont  le 
second  serait  il  est  vrai  capital,  maïs  n'est  pas  très-bien  attesté.  La  forme  quante 
=:  conte  est  certainement  très^araclérislique.  Toutefois,  c*est  dans  le  style  qu*csl 
à  mon  avis  la  force  principale  delà  thèse  soutenue  par  M.  Settegast.  En  joignant 
à  SCS  listes  de  formules,  parfois  de  vers  identiques,  les  rapprochements  plus 


}83  COMPTES-RENDUS 

étendus  et  un  peu  dî^érenls  qu'a  donnés  M,  Littré^  on  se  sent  très-porté  i 
adopter  la  condtision  des  deux  savants.  La  question  n  est  cependant  pas  encore 
vidée.  Il  faudrait  qu'un  critique  disposé  à  contester  cette  conclusion  ÎÛl  à  son 
tour  les  deux  poèmes*  et  relevât  les  différences ^  comme  on  a  reîcvé  les  ressem- 
blances. Une  de  ces  différences  a  été  signalée  par  M.  L,  Pannier  {Rev.  criL, 
1870.  p.  2^0)  :  tandis  que  Beneoit  de  Sainte-More  se  nomme  tout  au  long  dans 
le  roman,  Tauteur  de  la  chronique  ne  se  nomme  pas  une  seule  fois^  et  son  noio, 
très-souvent  mentionné  dans  les  rubriques  du  ms.  harléien,  est  toujours  fîf/ïf/il  sans 
addition  fWace  aussi  rappelle  Bcncai  tout  court);  il  y  a  là,  non-seulement  une 
diversité  d'appellations,  mais  un  procédé  tout  différent.  Cette  objection  n*est 
toutefois  que  préjudicielle,  et  ne  pourrait  être  opposée  sérieusement  au  résultat, 
s'il  était  favorable,  du  contre-examen  que  je  provoque'*. 

davantage  d'un  travail  du  genre  de  celui  de  M.  S,  est  de  faire  passer  en 
revue  toutes  les  particularités  grammaticales  de  deux  ouvrages  importants  par 
leur  étend ue-j  leur  date  et  le  talent  (trop  peu  reconnu  par  M.  Sj  de  leur  auteur 
(ou  de  leurs  auteurs|.  Les  observations  de  M.  S.  sont  généralement  judicieuses 
Cl  bien  présentées;  elles  attestent  qu'il  a  été  à  bonne  école  (l'ouvrage  est  dédié 
  M.  Grœber),  Sa  dissertation  vient  donc  s'ajouter  aux  diverses  monographies 
du  même  genre,  toutes  utiles  et  recommandables,  que  l'Allemagne  nous  a  donoées 
depuis  quelques  années,  et  que  j'ai  pour  la  plupart  appréciées  ici  (excepté  la 
plus  remarquable  et  la  plus  importante,  celle  de  M.  Mail  sur  le  Compat  de  Phi- 
lippe de  Thaon).  Elle  sera  tue  avec  proiît  par  les  philologues  ;  j'y  joins  quelques 
remarques  crkïques. 

P,  io  la  rime  se  rétablit  en  lisant  «/«irai  pour  destmnz,  —  P.  14  misirx  : 
amére  est  régulier;  les  mots  de  ce  genre  qui  pourraient  donner  1,  quand  Us  ont 
un  £,  l'ont  fermé  et  non  ouvert.  —  P.  1  j,  huitk  ou  bodU  ibotiitlc)  en  deux 
syllabes  n'est  pas  une  variante  de  bock;  c'est  une  forme  curieuse,  qui  remonte  à 
botuta  comme  boelt  à  bottllâ  ;  ainsi  le  mot  boudas  signalé  par  Aulu-Gellc  comme 
populaire  ne  s'est  pas  perdu  en  roman  dès  l'origine  (cf.  Diez,  Et,  IVb,,  I, 
budiîlù)  :  botala  a  donné  botlû^  puis  bodû  d'ofi  boudU,  comme  sUula  a  donné 
sickf  scdU  et  capitula  capicla  (dans  VApp,  Probi  on  lit  capitulum  non  capiclam} 
cfuvtiU  (it.  cavicchia)^  qui  ne  vient  pas  de  clavicula  comme  le  pensent  Diez  et 
Liltré.  —  P,  20,  c'est  à  tort  que  M.  S.  veut  changer  le  chante  du  texte  en 
canti  =  contt;  chanitr  dans  ce  sens  est  fort  usité  au  moyen -âge  (voy.  l'exemple 
de  Rutebeuf  dans  Littré,  s.  v.  chanta),  —  P.  22,  ials,  adverbe  de  lieu,  —  M, 
n'est  pas  une  faute;  c'est  au  contraire  la  bonne  forme;  cf.  Bartsch,  Rom.  et 
Pûst,  II,  79,  ?2;  ta  ChûTcit^  p.  p.  Jonckbioet,  p.  6;  Lancdot^  cité  ibid.  p.  xliv. 
—  P,  J5,  M.  S.  cite,  comme  exemples  dV  changée  en  s,  uvtr  de  advistim  et 
porskàt  possukal.  Le  premier  exemple  est  contraire  à  toute  phonétique;  jeratta- 


I .  Pour  tout  ce  qui  concerne  la  langue^  l'édition  de  M.  Joly,  comme  le  remarque 
M.  S.  lui-même^  est  absolument  mKuflîsattte.  W  faudrait  d'abord  établir  par  ua  tnviU 
cridqae  le  texte  authentique  du  roman  de  Troie» 

1,  On  peut  citer  la  terminaison  -tain  pour  •Un,  trés^rare  en  ancien  français,  et  qui 
paraît  propre  au  Homan  (Scitegast,  p.  28). 

j.  tl  faudrait  dans  ce  contre-examen  rechercher  si  des  poète*  contemporains  emploient 
les  mêmes  procédés  de  ityle  que  M.  S.  a  signalés  dans  les  deux  poèmes^  s'ils  présentent 
ces  vtrs'formaits  que  L.  Pantiier  regarde  comme  le  patrimoine  commun  de  tous  les 
rimeurs  du  temps. 


XATTHES,  De  oùùrljrJscr.e  O^ier  î8î 

dnîi  TokMtîers  air  u  pr.  ^m  ,  esp.  jisczrv.  de  jriàrisx:  Ix  setik 
dBcdtésenk  le  dungemRt  de  ?  en  v,  suis  -e  le  ret.-oure  daos  ua  TÎnix 
Ml  fraacaïs  qm  ne  paraît  csrir  une  astre  fonce  du  mèoe  saot  Ijthy 
mtmn  oa  jznocrc*,  et  sans  doute  aussi  dans  ie  bas4at:a  j-t^ij-^^  cité  par 
I^  Cange  d'après  une  charte  de  1:49.  et  qui  ce  provient  certainezrent  pas, 
coaoe  le  propose  Henschd,  du  breton  j'-»i';  T.*  de  j.>:1';ztx,  attesté 
pv  le  pr.  et  Tesp.,  sera  tcabée  i.ou  peut-être  déjà  C  .-  de  i.->.:-::L"^'  1  cause 
derrsurante;  enfin  Vi  de  jij-  se  retrouve  en  prov.,  tandis  que  h  forme 
rignlîère  c  00  a  (oit  se  présente  dans  j.rvjno  (avec  un  singulier  déplacement 
d*ac8nt)  et  dans  anoire.  Quant  à  porsiir^  iormt  peu  rare  \porsMir  dans  Littrê^^ 
a  l'est  pas  possLiae.  mais  un  équivalent,  où  rj::r  a  remplacé  ^vj-,  devenu 
îûiteQigible.  —  P.  40.  orguAz^  isTJLÏs,  dans  les  exemples  allégués,  doivent  être 
regardes  comme  des  pluriels,  l'ancienne  langue,  surtout  en  vers  et  pour  les 
besôos  de  la  rime,  employant  volontiers  les  abstraits  i  ce  nombre.  Dans  pUs 
àttis  cent  chaalur  alerait,  le  mot  chivjlur  est  considère  comme  un  nominatit. 
fl  l'est  pas  étonnant  que  les  ouvrages  examinés  ne  justifient  pas  la  règle  de 
Bnrgny  snr  remploi  de  monz  et  monde,  car  elle  n'a  aucun  fondement.  ~  P.  4S, 
oinuâaa  poissâait  sont  de  simples  bizarreries  de  copiste  pour  entrissu.it  poissUnty 
et  ies  rapprochements  £ait!i  par  M.  S.  n  ont  pas  plus  de  valeur.  La  forme 
^ÊÔeuemaa  (voy.  p.  n)  doit  être  regardée  non  comme  un  allongement  de  ^utine- 
nur  (notons  que  Tun  et  Tautre  de  ces  mots  manquent  dans  le  Roman  et  sont 
fréquents  dans  la  chronique),  mais  comme  la  forme  primitive;  quant  à  Tétymo- 
logie  de  cet  adverbe,  qui  est  évidemment  identique  à  Tit.  chignamente  (voy.  Rfr. 
difiol,  romanza  \\,  54),  elle  est  fort  obscure. 

le  pourrais  faire  encore  bien  des  remarques  sur  le  mémoire  de  M.  Settegast, 
nais  les  unes  seraient  trop  minutieuses^  les  autres  au  contraire  soulèveraient 
des  questions  trop  complexes.  Nos  lecteurs  auront  suffisamment  vu  par  cet 
article  eue  ce  mémoire  est  un  bon  début. 

G.  P. 


De  BederlaBdsche  Ogier,  door  J.-C.  Matthes.  Groningen,  s.  d.,  in-S*, 
27  p.  (Extrait  du  Taal-  en  Letterbode). 

Cette  nouvelle  contribution  de  M.  Matthes  à  l'histoire  du  cycle  carolingien 
en  Néerlande  contient  dans  son  petit  espace  un  grand  nombre  de  faits  inté- 
ressants. L'auteur  réimprime  d*abord  les  fragments  du  poème  néerlandais  sur 
Ogier  qu'avait  publiés  Willems.  Ces  fragments  avaient  été  regardés  par 
M.  Jonckbioet  (qui  a  depuis  modifié  son  opinion)  et  admis  par  moi  (//.  P.  de 
Charl.^  p.  138)  comme  accusant  un  original  français  plus  archaïque  que  le 
poème  publié.  M.  Matthes  montre  que  bien  loin  d'avoir  cette  valeur,  ces 
fragments  appartiennent  au  poème  néerlandais  du  XIV*  siècle  dont  on  conserve 
à  Heidelberg  une  rédaction  grossièrement  rapprochée  des  formes  du  haut-aile- 

t.Auvoire  est  donné  dans  Roquefort  avec  le  sens  de  «  folie,  vertige,  enchantement, 
vapeur  »;  je  ne  sais  où  il  a  pris  le  mot.  Arvoire  (mençonge  et)  est  dans  la  Châtelaine  de 
Vergi,  V.  595  ;  auvoirre  (je  ne  cont  pas  chose  d^)  dans  les  Mir,  de  N.D.  de  Chartres^ 
p.  54.  Est-ce  le  même  mot  qui  se  trouve  dans  Rutebeuf,  I,  41  (sous  la  forme  auvarre 
(:  Navarre)  et  avec  le  sens  de  «  trouble,  égarement  d'esprit  »  ? 


j84  COMPTES-aENDUS 

mand,  et  il  imprime  en  regard  du  teitte  la  partie  correspondante  du  ms.  de  Hei* 
dqlberg.  —  Etudiant  ensuite,  à  Taide  de  ce  ms.^  le  poème  néerlandais  dans  son 
ensemble,  il  fait  voir  que  ce  poème  est  la  traduction,  sans  doute  fidèle,  d'un 
poème  français  postérieur  à  celui  de  Raimbert,  et  naturellement  inférieur  sous 
tous  les  rapports  ;  l'auteur  n'a  d'ailleurs  connu  ni  Adenet  ni  la  rédaction  en 
alexandrins  dont  nous  avons  un  ms.  du  XV"  siècle.  —  Le  poème  néerlandais 
comprend  deux  parties,  qui  semblent  bien  ne  pas  être  du  même  auteur  La 
première  s'arrête  aux  Enfances  Ogicr  ;  la  seconde  répond  d'abord  à  tout  le  reste 
du  poème  publié  par  BarroiS|  puis  raconte  une  série  d'aventures  qui  ne  se  trou- 
vent pas  dans  Ratmbert,  et  qui  tie  remptis<;ent  pas  moins  de  ^o  feuillets  du  tns. 
de  Heidetberg,  Ces  aventures  ressemblent  beaucoup  à  celles  de  la  rédaction 
française  conservée  dans  le  ms.  B,  N.  fr*  i  0}  (Cangé  34),  mais  M*  M-  montre 
que  l'original  du  néerlandais  était  plus  ancien  que  le  ms.  français;  car  il  ne 
présentait  pas  divers  épisodes  contenus  dans  celui-ci,  et  manifestement  posté- 
rieurs (par  exemple  le  récit  de  la  honteuse  conduite  des  Templiers  envers  Ogier 
à  Acre,  et  toute  la  fable  du  royaume  de  féerie).  MM.  apprécie  avec  beaucoup 
de  justesse  le  caractère  si  différent  de  la  vieille  chanson  de  geste  et  de  ses 
diverses  suites.  —  Il  termine  son  excellent  travail  en  appliquant  la  mention  de 
Jan  de  Clerk,  faite  par  le  rimeur  néerlandais,  non  à  lui-même  mais  â  l'auteut 
contemporain  du  Ltkcnspïtgd,  et  en  fixant  ia  date  approximative  de  son  cctîvr 
au  milieu  du  XIV«  siècle. 

G.  P. 


Vie  de  seiot  Aiibaii,  a  poem  in  Norman-Frcnch,  ascribed  to  Matthew  Paris, 
now  for  ihe  first  time  edited,  from  a  manuscnpt  in  the  library  of  Trinity 
Collège,  Dublin,  with  concordance  glossary  and  notes,  by  Robert  Atkinsojï, 
M.  A.,  L«  L.  D.^  professor  of  sanskrit  and  comparative  phtiology  in  tlie 
university  of  Dublin.  London,  Mtirray^  1876,  in-4",  xvJMîy-cxlvij  p. 

On  sait  qu'il  existe  toute  une  série  de  manuscrits  exécutés  au  Xîll*  siècle  dantj 
l'abbaye  de  Saint-Alban,  et  qu'on  regarde  depuis  longtemps  comme  ayant  été' 
f  écrits  par  Mathieu  Paris»  le  plus  célèbre  moine  de  Tabbayc  à  cette  époque.  Le 
ms.  qui  contient  la  vie  de  saint  Al  ban  fait  partie  de  cette  série.  Sir  Thomas  Duffus 
Hardy  a  récemment  combattu  cette  tradition  (CataL  Brit,  Hist.j  t.  III,  Pre/,, 
p.  lij  ss.)  par  des  raisons  qui  n'ont  pas  convaincu  M.  Alkinson^  mais  auxquelles 
îl  n'oppose  que  son  sentiment.  Au  reste,  Sir  Thomas  D.   Hardy  lui-même  e$l 
porté  à  attribuer  ù  Mathieu  Paris  une  partie  du   manuscrit  de  Trinity-Coîte 
(Dublin),  celle  qui  contient  ia  vie  latine  de  saint  Alban  et  la  version  française  de^ 
cette  vie.  Il  ne  s*en  suit  pas  qu'il  ait  composé  cette  vie,  mais  si  ce  fait  n*est  prouvé 
par  rien,  il  n'a  non  plus  rien  d'invraisemblable.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  ms.  remonte 
au  milieu  du  XII i*  siècle,  et  le  poème  est  à  peu  près  du  même  temps. 

Bien  que  cette  digression  nous  éloigne  du  vrai  sujet  du  livre  de  M.  A»,  il 
n'est  pas  peut-être  inutile  de  éirç  quelques  mots  des  vies  de  saint  Alban.  Eltes 
sont,  comme  beaucoup  de  celles  des  martyrs  de  l'époque  romaine,  pres4|ue 
entièrement  légendaires.  Alban  paraît  avoir  réellement  vécu  et  avoir  souffert  le 
martyre  à  Verulam  (en  joj.  dit-on,  sous  Dioclétien),  puisque  Fortunat  le  cite 
et  que  déjà  plus  anciennement,  s'il  faut  en  croire  Bède,  S,  Germain  et  S.  Loup 


Vie  de  seint  Auhan,  p.  p.  atkinson  }8f 

lièrent  en  pèlerinage  à  son  tombeau.  Mais  c*est  \à  loul  ce  qu'on  sait  de  lui.  La 
biographie  qu'en  donne  Bèdedoit  cependant  avoir  une  base  assez  ancienne,  car 
elle  est  encore  pleine  de  traits  de  l'époque  romaine.  Elle  est  d'ailleurs  sobre^  et 
ne  conlienl  que  peu  d'événements  extraordinaires, 

Au  Xïî"  siècle,  ou  pîus  exactement  entre  1 166  et  118S,  Guillaume,  moine 
de  Saint -Alban,  dédia  à  un  abbé  Simon  une  vie  traduite,  dit-il,  d'un  livre  écrit 
ûngîicQ  scrmonc  (publiée  dans  les  AA.  SS.  du  22  juin).  Je  ne  vois  pas  de  raisons 
pour  révoquer  en  doute  l'existence  de  la  vie  anglo-saxonne  ;  mais  à  quelle  date 
a-t-elle  été  rédigée?  L'auteur  se  présente  comme  un  chrétien  vivant  au  milieu 
des  païens,  et  n'osant  pas  se  nommer  de  peur  d*êlre  victime  de  leur  fureur  : 
c'est  ce  qui  a  déterminé  les  Bollandistes  à  croire  qu'il  vivait  avant  la  conversion 
des  Anglo-Saxons*,  c'esl-^-dire  au  plus  tard  vers  la  fin  du  Vl*^ siècle.  Mais  toute 
celte  vie  a  un  caraaère  extrêmement  fabuleux  :  Tauteur  a  visiblement  eu  sous 
les  yeux  le  réxiit  de  Bède,  qu'il  a  amplifié  et  orné  de  toutes  façons  2;  il  prétend 
avoir  lu  Thistoire  d*Alban  sur  les  murs  de  Verulam  {où  les  païens  l'avaient  gravée!) 
quand  la  ville  était  déjà  en  ruines,  et  en  même  temps  avoir  encore  trouvé  vivant 
parmi  les  gens  du  pays  le  souvenir  de  ses  miracles  ;  il  prophétise  la  conversion 
de  l'Angleterre^  etc.  Je  pense  donc  que  cette  vie  a  été  composée  par  un  faussaire 
vers  le  X'  ou  le  XI**  siècle.  Guillaume  l'a  traduite,  en  empruntant  seulement  â 
VHistona  regum  Britannia  de  Galfrei  de  Mommoutb  (L  V,  ch.  j)  le  nom  d'Am- 
phibalus,  attribué  au  clerc^  anonyme  jusque  là,  qui  convertit  Alban.  Où  Galfrei 
ravait-il  pris  lui-même  j"  Une  conjecture  ancienne,  renouvelée  par  M,  A,,  et  très- 
vraisemblable,  veut  que  ce  nom  ait  été,  par  erreur  plus  ou  moins  volontaire,  donné 
au  clerc  â  cause  de  Yaclmne  {vtitosâ  dans  un  passage  de  Mathieu  Paris,  vatis 
villosû^  pûnnicuhs  villosus)  qu'il  laissa  à  Alban  et  dont  celui-ci  se  revêtit  â  sa 
place  {amphibalus  est  glosé  précisément  par  vistis  nUosa^  etc.,  angl.-sax.  ruA* 
r€gd^  etc.,  voy.  Du  Gange),  en  sorte  qu'on  ne  sait  au  juste,  comme  dit  un  cri- 
tique, si  Amphibalus  est  tin  saint  ou  un  manteau  ^.  C'est  cette  vie  de  Guillaume 
que  Tauteur  de  notre  poème  a  mise  en  vers.  Mais  il  faut  encore  dire  quelques 
mots  d'une  autre  biographie  plus  ou  moins  fictive  du  «  prolomartyr  n  de  la 
Bretagne. 

Mathieu  Paris,  dans  ses  Vks  des  vingt -trois  abhis  de  Saint-Altan,  raconte  que 
sous  le  gouvernement  d'Eadmer,  neuvième  abbé  (au  X«  siècle),  en  réparant  un 
mur  dans  la  cité  ruinée  de  Verulam,  on  y  trouva  dans  une  cache  un  livre  fort 
hkn  relié,  écrit  avec  soin,  mais  dans  une  langue  inintelligible;  «  tandem  unum 
senem  jam  decrepitum  invenerunt,  sacerdoiem^  litteris  bene  imbutum,  nomine 
Unwonam,  qui,  ïmbutus  diversorum  idiomatum  linguis  ac  litteris,  legit  distincte 
et  aperte  scripta  libri«  Erat  enim  liltera  qualis  scribi  solefbajttemporequo  cives 
Werlamecestrani  inhabitabant,  et  idioma  anliquorum  Britonum,  quo  tune 
Icm porc  utebantur.  »  Unwona  traduisit  en  latin  la  vie  de  saint  Alban  contenue 


1.  Il  annonce  en  finissant  qu'il  va  â  Rome  chercher  le  baptême,  ce  qui  indiquerait 

3uH  ne  pouvait  pas  te  recevoir  en  Angleterre.  Mai*  celte  condusion  a  surtout  pour  but 
e  notis  faire  croire  que  la  vie  de  saint  Alban  a  été  soumise  à  l'ejtamea  des  Romani  et 
approuvée  par  eux, 

2.  S'il  avait  vécu  au  vi*  siècle,  ftst  au  contraire  Bède  qui  l'aurait  eu  sous  les  yeux, 
ce  qui  est  tout  à  fait  inadmissible  quand  on  compare  les  deux  récits. 

|.  Voy.  là -dessus  la  noie  de  San  Marte  à  son  édition  de  Galfrei  (Kallef  18(4). 


Romania^  V 


lî 


î86  COMPTES'RENDUS 

dans  ce  livre,  et  dès  que  ce  fui  fait,  «  exemplar  originale,  quod  mirum  est  diciu , 
irreslaurabiliier  in  pulverem  subito  redaclum  cectdit  annuliatum.  i  M.  Â.  transcrit 
ce  passage,  et  remarque  ensuite  :  «  Tel  est  le  récit  traditionnel  de  la  découverte 
de  [a  vie  originale  de  notre  protomartyr,  et  a  mil  m  ccrtâmemcnt  vrai,  •  On 
croirait  qu'il  parle  ironiquement,  s'il  n^ajoutait  :  *  On  ne  connaît  pas  le  sort  de 
cette  traduction  latine  par  Unwona  »  ;  et  surtout  s'il  n'exprimait  pas  encore  la 
même  opinion  i  propos  d'une  méprise  singulière  qu'il  commet.  L*auteur  de  la 
vie  latine,  Guillaume,  dit  dans  son  prologue,  comme  nous  l'avons  vu,  qu'il  a 
pris  le  nom  d'Amphibalus  *  ex  historia  quam  Gaufridus  Arturus  de  Britannico 
in  latinum  se  vertisse  testatur.  *  M.  A.,  au  lieu  de  reconnaître  là  VHistona 
ngum  Bniannut^  s'est  figuré  que  Galfrei  avait  traduit  du  breton  une  vie  de  saint 
Alban  :  t  Cette  version,  dil-it,  semble  avoir  été  faite  d*aprè$  le  même  langage 
que  celle  d'Unwona,  c'est  A-dire  l'ancien  breton;  mais  était-ce  d'après  une  copie 
de  l'original,  ou  une  variante,  ou  un  récit  totalement  différent,  c*esl  ce  qu'on  ne 
peut  naturellement  préciser.  »  Les  Bollandistes  étaient  plus  critiques,  qui  appré- 
cient  ainsi  toute  l'histoire  qu'ils  empruntent  à  Mathieu  Paris  :  «  Mira  quidem, 
et  qu£  haud  tmmerîto  possunt  suspiciooem  movere  fiction is.  «  Cette  fable  paraît 
n'avoir  d'autre  fondement  qu'une  tradition  vague  d'une  vie  de  saint  Alban 
écrite  dans  un  idiome  ancien  et  traduite  en  latin,  c  est-à-dire  de  la  vie  anglo< 
saxonne  latinisée  au  XII°  siècle  par  Guillaume* 

C'est  cette  Vita  Albani  de  Guillaume  qui  à  son  tour  a  été  mise  en  vers  angl4 
normands  par  l'auteur  {peut-être  Mathieu  Paris;  dont  M,  A,  public  l'ouvrag 
Il  n'a  guère  attribué  à  sa  publication  qu'un  intérêt  philologique,  cl  c'est  en  eifet 
le  seul  qu'il  présente.  Mais  l'éditeur  n'a  pas  mis  en  relief  le  point  spécialement 
intéressant  de  son  sujet.  Il  nous  présente  tout  le  temps  le  poème  qu*il  édite 
comme  un  monument  du  dialecte  normand  ou  même  du  français,  tandis  qu*il 
appartient  incontestablement  à  l'anglo-normand,  La  tâche  du  commentateur, 
restreinte  mais  délicate  et  susceptible  d'être  très- fructueuse,  devait  être  précisé* 
ment  de  discerner  dans  ce  texte  ce  qui  appartient  au  dialecte  propre  à  l'Angle- 
terre  de  ce  qui  est  commun  avec  le  français  ou  le  normand  en  générai.  C'est  ce 
que  M.  A.,  dans  son  commentaire  si  ample,  a  absolument  laissé  de  ct^té,  et  ce 
péché  d'omission  lut  a  fait  faire  aussi  des  péchés  de  commission.  Ainsi  il  déclare 
(note  sur  ïe  v,  îjç)  que  Diez  a  eu  tort  de  prétendre  quVn  normand  Tu  provenant 
deô,  îi  et  Tu  provenant  de  «,  quoique  confondus  par  Torthographe,  restent 
distincts  pour  la  prononciation  et  ne  riment  pas,  car  son  texte  ks  confond  : 
mais  c'est  ce  que  ne  fait  aucun  texte  normûnd.  Le  tableau  des  rimes,  tel  qu'il 
est  donné  p*  1 18,  aurait  dû  recevoir  bien  des  explications  ;  par  exempte  ce 
n'est  qu'en  a nglo -normand  qu'on  peut  trouver  dans  une  même  laisse  (II)  dener^ 
parler  et  pocr.  Les  ouvrages  auxquels  le  poème  attribué  à  Mathieu  Pans  auraient 
toujours  dû  être  comparés  sont  ceux  qui  ont  été  également  écrits  en  Angleterre 
au  X»  et  au  XIIi«  siècle. 

Malgré  cette  omission^  M.  A.  a  donné  à  son  édition  un  commentaire  dont  les 
proportions  sont  tout  à  fait  inusitées.  Aux  ^4  pages  de  texte  succèdent  67  grandes 
pages  à  deux  colonnes  petit  texte  de  notes  philologiques,  et  un  glossaire  de 
144  pages,  où  tous  les  mots  sont  relevés  sous  toutes  leurs  formes  et  tous  les 
passages  cités  in  extenso.  Je  fera»  d'abord  quelques  remarques  sur  le  texte ^  puis 


vie  di  seini  Aaban,  p.  p.  atkinson  jSy 

sur  le  commentaire,  y  compris  le  glossaire  qui  n'en  est  que  Tindex,  et  en  ètu^ 
dtant  à  part  certains  points  qui  ont  été  pour  M.  A.  Tobjet  d 'observât! ons  déta- 
chées. 

Le  texte^  fort  bien  écrit,  a  été  bien  lu  et  reproduit  d*après  une  méthode 
intelligente  et  soigneuse.  Il  ne  prétait  guère  qu'à  deux  genres  de  fautes,  outre  les 
fautes  de  ponctuation  :  la  lausse  séparation  des  mots  et  h  mauvaise  lecture  de 
lettres  faciles  â  confondre,  M.  A.  a  en  général  évité  les  erreurs  de  ces  deux  der- 
niers genres;  en  voici  cependant  quelques  exemples,  V.  1 18  :  Ctt^  ^  à  ki'l  plut 
à  lut^  etc.;  la  note  montre  que  l'éditeur  n'a  pas  compris;  L  Ci  là  k*il^  etc., 
c.-i*d.  f  jusqu'à  ce  qu'il  plut,  etc.  »;  cf.  v.  1831.  —  V.  162,  ki  mtm^  I,  l^i 
mtm.  —  V.  173,  U  najra  jamais  mortz,  etc.,  je  lirais  rfavra\  le  copiste  aura  fait 
lui-même  la  confusion.  —  V*  320,  lit,  il  faut  lié;  c'est  un  participe,  dépendant 
comme  dclmt  de  uni  au  vers  précédent.  —  V-  570,  le  ms.  porte  i/«/î  c  d5  Ut 
luidut;  M.  A.,  après  avoir  hésité,  a  lu  duni  ai  tu;  il  faut  dun  (pour  dunt)  ne  as 
tu,  locution  très-usitée.  —  V.  763,  Li  uns  les  autres  passent ^  cnviz  va  hon  gri: 
M.  A.  signale  ici  i  une  hyperbole  antithétique  »  ;  lisez  cnviz  a  a  bon  grij  ce  qui 
est  fort  simple.  —  V.  815,  au  lieu  de  pur  vers^  je  lirais  puncrs^  usité  pour 
pervers  notamment  en  anglo-normand.  —  V.  860  ,  il  n*est  pas  néces- 
saire de  lire  feu;  il  suffit  de  prononcer  fu  le  mot  écrit  feu  (voy.  au 
glossaire).  —  V.  1145,  ms.  Hupcz  e  megns  e  paies  cum  penani;  M.  A.  corrige 
/Vu/«r,  ce  qui  est  fort  admissible  (cf.  v.  514,  1248,  1828),  mais  je  préfère 
Hcrupez.  —  V.  1270,  ii  taul  évidemment  ne  larrum  pour  le  larram. —  V.  1383, 
je  lirais  volontiers  ke  eit  pour  ki  cist^  en  faisant  régir  ce  vers  par  le  précédent. 
—  V.  1466^  le  mot  jieus^  qui  a  donné  bien  du  fil  à  retordre  à  M.  A.^  doit  se 
lire  aeus  1  la  pUmne  kt  veriz  fu  t  tieus^  c'est-à-dire  t  unie,  égale  i»  ;  cf.  dahuel^ 
i  inégal,  o  au  v.  1427.  Jamais  Tancienne  écriture  n'admet  la  notation  /  avec  la 
valeur  de  /  devant  un  autre  i  (cf.  Romania,  U^  104).  —  V.  1604^  Les  meins  h 
um  liétdané  resnt  a  chofai;  L  d*uneresne;  il  ne  s'agit  pas  de  cheval  dans  tout  ce 
passage. 

Après  le  texte  viennent  les  notes.  J'en  ai  déjà  indiqué  l'étendue.  M.  A.  nous 
apprend  dans  sa  préface  que  ces  notes  représentent  essentiellement  un  de  ses 
cours  à  l'université  de  Dublin.  Elles  en  portent  en  effet  tout  le  caractère  :  ce 
sont  des  explications  détaillées,  où  il  s'agit  moins  d'être  neuf  que  d'être 
instructif.  C'est  Dm  qui  a  fourni  à  l'auteur  tout  le  fond  de  ses  recherches 
étymologiques,  mais  il  faut  se  hâter  d'ajouter  qu'il  l'a  toujours  contrôlé,  souvent 
complété,  et  parfois  corrigé.  Il  est  au  courant  de  la  plupart  des  travaux  mo- 
dernes, surtout  allemands  (il  ne  parait  pas  connaître  la  Româma)^  et  en  outre  il 
applique  à  tout  ce  qu'il  traite  une  attention  pénétrante  éclairée  par  une  très- 
bonne  méthode.  Je  n'ai  pas  remarqué,  dans  ces  114  colonnes  serrées^  de  faits 
ou  de  résultats  proprement  nouveaux  de  quelque  importance,  mais  l'auteur  a  le 
mérite  d'avoir  élevé  des  doutes  sur  plusieurs  points  regardés  jusqu'ici  comme 
établis  et  qui  appellent  à  coup  sûr  un  nouvel  examen.  Je  citerai  notamment  ses 
articles  sur/c/on  (v.  259),  estuer  (367),  iruant  {^2^}^  trouver  (^25),  tramer  (6io)^ 
chûiand  (790)^  caractes  (1006;  ici  Tauteur^  en  rattachant  l'a.  fr.  charaie  à  cha- 
racla,  a  certainement  raison,  mais  \t  pense  avoir  déjà  vu  cette  étymologie  bien 
préférable  à  celle  de  Diez),  sa  note  sur  Longis  (i$8),  ses  remarques  sur  les 


^88  COMPTES-aBNDUS 

mois  employés  dans  Tancientie  langue  pour  renforcer  b  négalion  (v.  jg),  et 
ses  observations  sur  divers  points  de  syntaxe,  notamment  en  ce  qui  concerne  les 
pronoms  relatifs.  J'aurais  à  signaler  quelques  erreurs.  V.  4,  acastoné  n'est  pas 
«  agate-onyx  »,  mais  le  partie,  passé  du  verbe  âcûstoner  •  enchâsser,  mettre  en 
chalon,  »  —  V.  5,  l'auteur  fait  entre  Vûccusatif^  \e  génitif  et  le  priposUionnd  du 
mol  hume  des  distmctîons  tout  â  fait  illusoires;  on  retrouve  encore  dans  d'autres 
passages  des  traces  de  cette  fantaisie.  —  V.  11,  M.  A.  dit  que  Ta.  h.all. 
weigaro  (origine  de  guèns)  •  existe  encore  dialectal ement  en  Allemagne,  p.  ex. 
w  wagiTf  oui  ma  foi,  not  wagtr,  non  ma  foL  »  Ces  exemples  paraissent  de  toutes 
façons  fort  douteux.  —  V.  32,  M.  A>  trouvant  dans  le  ms.  Junthcnl  par  hasard 
dunst  {dunst  vcm  /  d'où  viens4u  0  fait  cette  étonnante  remarque  :  «  Cette  forme, 
qui  ne  se  présente  qu^une  fois,  est  sans  doute  cciite  avec  une  s  pour  marquer  k 
sens  propre  dlnlerrogaiif  local  qu*a  ici  cette  forme  du  pronom  oblique.  » 
I  —  V,  90,  il  y  a  longtemps  qu'on  connaît  ta  vraie  étymologie  de  arcmit 
>  (sarcùphagus)^  et  que  la  forme  sarctt^  qui  est  dans  S.  Auban  même,  a  fait  dispa* 
raître  les  objections  de  Diez  aussi  bien  que  les  prétentions  de  sarcophdgutus,  — 
Le  mot  qmr  se  trouvant  dans  une  rime  en  tr  (v.  104  et  ailleurs)^  M.  A.  en 
conclut  que  ce  mot  se  prononçait  à  peu  près  comme  aujourd'hui  cœur\  c*est  toat 

iisimplemeni  une  orthographe  archaïque,  et  l'auteur  du  poème  devait  prononcer 
Iciffr,  que  d'ailleurs  un  Anglo-Normand  seul  pouvait  faire  rimer  en  tr.  —  A 
propos  de  gmé  (v,  289),  M.  E.  parle  du  mot  mf^  et  nous  donne  le  choix^  pour 
expliquer  Vf  de  ce  mol^  entre  l'influence  de  l'alL  sûMfcn  (proposée  par  Diet)  ei 
celle  de  smf^  qui  lui  semble  bien  préférable,  et  joint  un  tableau,  d*ailleurs  fort 
inexact,  de  la  transformation  du  latin  smm  (lisez  ubum)  en  suif.  \\  oublie  qtie 
Suif  n'est  pas  le  seul  mot  où  on  trouve  une/  pour  une  dentale  (voy.  les  rappro- 
chements donnés  par  Scheler),  —  P.  307,  mcspnson  est  donné  comme  ayant 
pour  sens  primitif  t  la  non  révélation  d'une  félonie  commise  par  un  autre  •  ;  je 

Ine  sais  où  M.  A.  a  pris  cet  te  traduction;  mcsprison  signifie  l'action  de  mnpnnàn^ 
c'est-à-dire  de  se  mal  conduire.  —  V,  442,  M.  A.  avait  très- bien  ex  pli  que  dans 
son  glossaire  sautrra  par  savra  =  saur  a '^  û  s'en  repent  ici,  à  tort,  car  la  forme 
ne  fait  pas  de  difficulté,  et  le  sens  est  excellent.  —  V.  ^69,  nmî,  subjonctif  de 
nuirt^  pour  nmid  est  comparé  par  erreur  à  des  formes  comme  alst^  etc.;  ces 
formes  sont  régulières;  nuit  au  contraire  est  une  faute  imputable  au  poète  angiais. 
—  V.  9^6,  en  expliquant  le  îat.  mvolart,  M.  A.  reproduit  l'erreur  de  Liiuéetdc 
Brachet  (voy.  une  note  dans  les  C/r^/iJO/u  du  XV'sikUj.—VAO^'jy  M.  A.  pense  que 
dans  mcham  k  côté  de  chanu  \i  est  dû  à  l'influence  de  la  nme;  c'est  une  méprise; 
le  verbe  cnchjmr  ('in-can^m)  est  indépendant  de  'cafi'Utus  et  se  trouve  p.  ti. 
dans  le  L.  da  Rois^  p.  j8.  — ^  V.  tij^i  l'éditeur  aurait  bien  mieux  fait  et 
regarder  bienvoiUant  comme  un  seul  mot;  la  raison  qu'il  donne  pour  sa  décisjoii 
contraire  n'est  pas  bonne,  ~  V-  1841,  à  propos  du  mot  pauns  dt  pusîm^  qu'il 
faut  lire  ou  au  moins  expliquer  puf  /m,  l'auteur  rapproche  fort  inutilement />ttff<ar 
(écrit  aussi  puknt,  pustant]  qui  est  'putuUnium  (it.  puizoknio)  et  le  sobriquet  de 
Poulains  donné  aux  chrétiens  de  Syrie^  dont  l'origine  est  inconnue  (notons  a  ce 
propos  que  ta  citation  de  Joinville  où  figure  ce  mot,  au  v.  862,  aurait  bien  di^ 
être  faite  d'après  une  bonne  édition). 
Il  me  reste  à  dire  quelques  mots,  ayant  déjà  parlé  du  tableau  des  rimeSi  < 


i 
I 


Vk  di  seint  Auban,  p,  p.  atkinsoh  JS9 

ux  appendices  sur  l'orthographe  ci  des  remarques  sur  la  métntjue.  M,  A.  a 
iojgneusemenl  relevé  tous  les  cas  où  le  ms.  emploie  z  ou  i  à  la  fin  des  mots^  et 
i\  en  a  lire  des  conclusions  qui  ne  sont  pas  sans  intérêt.  —  Il  a  ensuite  dressé  la 
liste  complète  de  toutes  les  combinaisons  de  voyelles  qui  se  trouvent  dans  son 
manuscrit^  en  les  ramenant  à  leur  origine,  et  celte  liste  aussi  est  utile, —  malgré 
quelques  erreurs  étymologiques  *,  —  surtout  pour  Tétude  de  la  graphie  ^  anglo- 
normande. 

Le  poème  de  Satnt  Autan  est  écrit,  comme  beaucoup  de  productions  angb- 
normandes  contemporaines,  dans  un  rhythme  assez  incertain.  L'auteur  a  voulu 
en  général  faire  des  alexandrins,  mais  il  ne  réussit  qu'exceptionnellement  à  donner 
six  syllabes  à  chacun  de  ses  hémistiches.  M.  A.  a  construit  li-dessus  une  théorie 
toute  nouvelle,  d'après  laquelle  «  le  principe  de  scansion  est  le  triple  accent  dans 
chaque  moitié  de  vers.  »  Il  est  vraiqu'il  ajoute  qu'  «  il  esldifficile,  dans  les  vers 
particuliers,  de  déterminer  précisément  sur  lequel  des  deux  ou  trois  petits  mots 
doit  être  placé  faccent,  *  mais  il  n'en  maintient  pas  moins  son  principe,  qui  ne 
soutient  pas  Texamen,  Il  en  excepte  seulement  les  v.  589-619,  auxquels  il  attribue 
sept  accents  au  lieu  de  six.  Il  est  plus  dans  te  vrai  quand  il  rapproche  ces  3 1  vers 
de  vers  cités  dans  la  préface,  et  qui  se  composent  de  deux  vers  de  quatre 
syllabes,  rimant  ensemble,  et  d*un  vers  de  six  syllabes,  rimant  de  son  c6té; 
ainsi  :  Auban  par  moi  Gmrpi  ta  foi  K'ûîmc  cntuschc  c  mahainnc;  Li  premcrs  fit 
Kl  pvr  Jesu  Mort  suffri  m  Bnitûinnû;  les  vers  en  question  de  notre  poème  sont  a 
peu  prés  pareils,  si  ce  n'est  que  les  deux  premiers  groupes  sont  sans  rimes,  et  qu'on 
a  alors  en  réalité  un  vers  de  quatorze  syllabes  ;  ainsi  :  Dt  tut  (o  n'est  Autans  esmus^ 
m  gmst  m  dcut  ne  plurt..,  Di  lui  rdenc  par  amtsli  asti  moie  vniun  Et  ccstc  croh 
u  de  Jisu  est  fétc  la  figure.  Seulement  il  faut  remarquer  :  r  '  que  comme  l'alexan- 
drin, le  vers  de  14  syllabes  n'arrive  que  de  temps  en  temps  à  tomber  juste  sur 
ses  pieds  ;  2<*  que  des  vers  ainsi  construits  se  trouvent  non-seulement  dans  le 
passage  où  M.  A.  les  a  remarques,  mais  à  d'autres  endroits  du  poème;  ;*  que 
ce  vers  a  été  employé  par  d'autres  poètes  anglo- normands,  si  mes  souvenirs  ne 
me  trompent  pas. 

J'ai  fait  sur  le  livre  de  M,  A.  de  nombreuses  observations,  auxquelles  invitait 
l'importance  de  ce  travail  et  le  soin  extrême  qu'y  a  apporté  rauteur.  Je  dois 
terminer  en  insistant  sur  les  mérites  de  cette  publication,  la  première  de  ce  genre 
faite  de  l'autre  côté  du  détroit,  et  en  souhaitant  qu'elle  répande  en  Angleterre, 
avec  les  bonnes  méthodes  dont  l'auteur  est  imby,  le  goûl  des  études  romanes, 
qui,  vu  la  longue  durée  de  la  littérature  anglo-normande  et  la  part  considérable 
du  français  dans  la  formation  de  la  langue  aDglaise^  sont  presque  aussi  nationales 
chez  nos  voisins  que  chez  nous. 

G.  P. 


I,  Par  exemple  et  est  donné  comme  s  irrationnel  i>  dans  ii  de  avum  (lis.  e/,  qui  vient 
de  .etaUm)  ei  J^ns  reisUft  de  yiîalinus  (1.  *ntdlinus\ 

1.  Un  mot  pour  dire  ce  qu'eiprime  graphU  (manière  d'écrire,  au  poinl  de  vue  de  rem- 
ploi et  de  la  valeur  des  caractères)  est  bdispensable,  et  je  préfère  ce  mot  k  épd,  proposé 
,  par  M.  t.  Havet. 


)90  COMPTES-RENDUS 

^  Cent  qnarante-cinq  Rondeaux  d*amoars,  publiés  d'après  an  manuscrit 
autographe  de  la  fin  du  XV«  siècle,  [par  M.  E.-M.  Bancbl].  Paris,  Lemerre 
et  Rouquette  [1875],  pet.  in-8'  ail. 

On  doit  témoigner  une  reconnaissance  particulière  aux  bibliophiles  qui  con- 
sentent à  faire  part  au  public  de  leurs  trésors,  qui  veulent  bien  employer  leurs 
loisirs  à  copier  les  manuscrits  précieux  ou  les  plaquettes  inconnues  dont  ils  sont 
les  heureux  propriétaires  et  les  préservent  de  la  destruction  en  en  donnant  eux- 
mêmes  une  reproduction  fidèle.  M.  Bancel  vient,  sous  le  voile  de  Tanonyme,  de 
suivre  l'exemple  donné  par  M.  le  baron  James  de  Rothschild  et  par  quelques 
autres  amateurs  érudits.  Le  volume  qu'il  vient  de  publier  est  un  modèle  d'élé- 
gance et  de  bon  goût.  Il  ne  se  distingue  pas  seulement  par  une  charmante 
impression  due  à  Louis  Perrin,  il  a  le  mérite,  plus  sérieux  encore  aux  yeux  des 
lecteurs  de  la  Romania,  de  reproduire  avec  fidélité  un  manuscrit  qui  ne  manque 
pas  de  valeur  littéraire. 

Les  Cent  quarantt'cinq  Rondeaux  forment  une  suite  assez  agréable  ;  on  y  recon- 
naît un  certain  ordre,  et  comme  ils  étaient  ô:rits  d'une  même  main,  M.  B.  a  pu 
croire  qu'ils  étaient  l'œuvre  d'un  même  auteur  dont  il  avait  entre  les  mains  le 
manuscrit  «  autographe  ».  Partant  de  cette  donnée,  l'éditeur  n'a  pas  songé  à 
rechercher  si  quelques-unes  des  pièces  qu'il  imprimait  ne  se  trouvaient  pas 
ailleurs  ;  or,  on  va  le  voir,  une  bonne  partie  des  cent  quarante-cinq  rondeaux 
figurent  dans  des  recueils  déjà  connus  ;  nous  pouvons  même  indiquer  les  auteurs 
de  quelques-uns  :  ainsi  tombe  la  supposition  faite  par  M.  B.  qu'ils  seraient  sortis 
.    tous  d  une  même  plume. 

Les  Trois  cens  cinquante  Rondeaulx  singuliers  et  à  tous  propos,  dont  il  existe 
plusieurs  éditions  publiées  vers  1 520  ou  1 530  et  que  certains  bibliographes  ont 
I  si  maladroitement  attribués  à  Gringore,  contiennent  25  des  pièces  publiées  par 
M.  Bancel.  Nous  en  donnons  la  liste  d'après  l'édition  d'Alain  Loctrian  (sic)  et 
Denys  Janot  (pet.  in-S*»  goth.  de  6  ff.  non  chiff.  et  106  ff.  chiffrés);  les  initiales  et  les 
chiffres  font  connaître  la  place  que  chaque  pièce  occupe  dans  les  deux  recueils  : 
Autant  ou  plus  et  il  vous  doibt  souffire  : 

R.  20;    B.  25. 
Doubtant  reffus  que  par  trop  fait  à  craindre  : 

R.  160;    B.  8. 
Dueil  et  ennuy,  soulcy,  regret  et  peine  : 

R.  142;    B.  139. 
En  cœuvre-chief  me  semblez  si  très  belle  : 

R.  160;    B.  18. 
Faisant  soubhaits  parez  de  joye  estaincte  : 

R.  134;    B.  39. 
Femme  de  bien^  s'il  en  est  point  au  monde  : 

R.  128;    B. 9. 
Fors  de  pitié  estes  toute  remplye  : 

R.  135;    B.  20. 
//  est  bien  vray  que  fay  une  maistressc  : 
R.  125;    B.  66. 


Cent  quarante-^inq  Rondeaux  d^amour^  p.  p.  bancel  ^91 

//  me  faut  heur,  se  je  vueil  bien  avoir  : 

R.  53;    B.  4. 
//  ne  me  tient  de  chanter  et  de  rire  : 

R.  12;    B.  iio. 
Je  Payme  bien  et  l'aymeray  : 

R.  80;    B.  62. 
Je  la  soustiens  ung  chef  d'œuvre  en  nature  : 

R.  118;    B.  51. 
La  congnoissance  ay  pris  pour  héritage  : 

R.  15s;    B.  10. 
Maintenant  il  est  bien  heureux  : 

R.  77;    B.  71. 
Par  trop  aymer  ma  douleur  dire  n'ose  : 

R.  84;    B.  108. 
Piteusement  je  vaulxjà  trespassée  : 
R.  317;    B.  145. 
Cette  pièce  est  de  Jean  Rnuchpt  et  se  trouve  dans  la  Fleur  a  Triumphe  de  cent 
et  cinq  rondeaulx^  qui  forme  la  seconde  partie  des  Trois  cens  cinquante  Rondeaux 
(voy.  Brunet,  IV,  col.  1372).  Le  petit  poème  de  Jean  Bouchet  a  été  reproduit 
par  M.  Edwin  Tross,  en  1863,  sous  le  titre  de  Cent  cinq  Rondeaulx  d'amour. 
Notre  pièce  y  occupe  le  recto  du  dernier  f.  du  8«  cahier. 
Pour  accomplir  le  vouloir  de  mon  cueur  : 

R.  18;    B.  21. 
Pour  ma  maistresse  et  dame  je  vous  tiens  : 

R.  83;    B.  64. 
Pour  obéir  au  plaisir  de  mes  yeulx  : 

R.  123;    B.  97. 
Pour  tant,  madame,  en  rien  qu'on  vous  raportt  : 

R.  70;    B.  106. 
Quant  je  vois  quelqu'[u]ng  qui  vous  baise  : 

R.  78;    B.  70. 
Qu'en  dictes  vous  de  ces  folz  amoureux  : 

R.  7;    B.  79. 
Qui  mieulx  ne  peut  il  est  bien  à  son  aise  : 

R.  124;    B.  57. 
Tant  de  longs  jours  et  tant  de  dures  nuictz  : 

R.  152;    B.  37. 
Tant  suis  dolent  et  de  douleur  espris  : 
R.  163;  B.  115. 
N'était  le  rondeau  tiré  de  Jean  Bouchet,  on  pourrait  croire  que  c'est  le  com- 
pilateur des  Trois  cent  cinquante  Rondeaux  qui  a  été  l'emprunteur,  car,  il  faut  le 
reconnaître,  le  texte  du  manuscrit  est  presque  toujours  plus  correct,  mais 
l'auteur  du  recueil  de  M.  B.  a  fait  d'autres  emprunts  encore  plus  manifestes. 
Les  7  pièces  suivantes  figurent  au  Jardin  de  plaisance  : 
Doubtant  refus  qui  par  trop  fait  à  craindre  : 

Jard,  de  plais.,  éd.  de  Lyon,  Ollivier  Arnoullet,  f.  77  v»  ;  B.  8. 


392  COMPTES-RENDUS 

En  désirant  ce  que  ne  puis  avoir  : 

Jard.  plais. ^  f.  75  V;  B.  134. 
Esse  bienfait,  dictes  le  moy,  ma  mye  : 

Jard.  plais.,  f.  78  r';  B.  124. 
Excepté  vouSf  chef  d^ œuvre  de  nature  : 

Jard.  plais.,  f.  77  v";  B.  1  j. 
Loing  de  plaisir  et  près  de  desplaisance  : 

Jard.  plais.,  f.  78  r*;  B.  127. 
Puis  que  plus  ne  suis  aymé  de  M.  : 

Jard.  plais.,  f.  77  r»;  B.  81. 
Vostre  œul  qui  est  si  fort  à  dextre  : 

Jardin  plais,  f.  62  v»;  B.  76. 
La  pièce  : 

fayme  Fortune,  aussi  elle  le  vault 
(M.  B.  imprime  par  inadvertance,  p.  3  :  aussi  elle  vault)  se  retrouve  parmi 
les  œuvres  attribuées  à  Georges  Chasteilain  (éd.  Kervyn  de  Lettenhove,  VIII, 

p.  3»  9). 
Le  rondeau  : 

Au  hault  de  la  roue  de  Fortune  (B.  83) 
figure,  avec  variantes,  au  Vcrgier  d'honneur,  éd.  de  Philippe  le  Noir,  f.  X,  6,  r*. 
Nous  arrivons  aux  trois  pièces  les  plus  intéressantes  du  recueil.  Le  volume  de 
M.  B.  contient  deux  rondeaux  de  Baude  et  un  de  Charles  d'Orléans.  Les  ron- 
deaux de  Baude  sont  : 

Le  cueur  la  suyt  et  mon  eul  la  regrette  : 

B.  184;  Baude,  éd.  de  J.  Quicherat,  p.  40. 
Tous  les  regretz  qui  les  cueurs  tourmentez  : 

B.  120;  Baude,  p.  41. 
Jusqu'ici  les  œuvres  de  Baude  ne  sont  connues  que  par  un  seul  ms.  ;  un  seul 
de  ses  ouvrages,  le  Débat  de  la  Dame  et  de  FEcayer,  parait  avoir  été  imprimé  à  la 
fin  du  XV«  siècle;  nous  ignorons  si  Ton  a  jamais  constaté  des  emprunts  faits  â 
ses  poésies  par  des  contemporains. 
Enfin  le  rondeau  de  Ch.  d'Orléans  est  le  suivant  : 
Pour  tous  vos  maulx  d^amours  garir  : 

B.  137;  Ch.  d'Orl.,  éd.  d'Héricault,  II,  196. 
Le  texte  de  cette  dernière  pièce  a  été  légèrement  remanié  par  le  compilateur 
du  recueil  de  M.  B.  en  vue  surtout  de  donner  au  rondeau  la  forme  moderne  oh 
le  refrain  ne  se  compose  plus  que  du  premier  hémistiche  du  premier  vers. 

Les  emprunts  faits  par  des  contemporains  aux  œuvres  de  Ch.  d'Orléans  sont 
si  rares  ^  que  nous  croyons  curieux  d'en  relever  un  qui  n'a  pas  encore  été 
signalé. 

1 .  Les  seuls  que  nous  connaissions  sont  les  suivants  : 
I  *  Billade  sur  le  refrain  : 

L'omme  esgari  qui  ne  scet  où  il  va  : 

Ch.  d'Orl.,  éd.  d'Héricault,  I,  p.  82  ;  Jard.  de  plais,,  f.  149  t\ 
On  trouve  dans  le  Vergier  d'honneur  (f.  Xb,  v*)  une  curieuse  imitation  de  cette  ballade, 
due  probablement  à  l'un  des  poètes  de  la  cour  du  duc.  Le  refrain  en  est  légèrement  mo- 
difié : 

L'homme  esgari  qui  ne  scet  où  il  est. 


Cent  quarante-cinq  Rondeaux  d^amour,  p.  p*  bancel  59? 

Nous  ne  rechercherons  pas  plus  longtemps  les  sources  auxquelles  a  puisé 
Tauteur  du  manuscrit.  Les  57  rondeaux  que  nous  avons  cités  ne  sont  probable- 
ment pas  les  seuls  qu'on  puisse  retrouver  ailleurs^  mais  si  la  publication  de 
M.  B.  n'a  pas  le  mérite  d^élre  absolument  inédite,  ce  n'est  pas  à  dire  qu'elle 
manque  pour  cela  d'intérêt^  ni  d'utilité.  D^abord,  nous  l'avons  remarqué,  le 
texte  est  généralement  correct  ^  et  nous  n'aurions  que  peu  d'observations  à  faire 
sur  la  reprodoction  qu'ei  a  donnée  le  savant  bibliophile;  puis  le  compilateur,  qui 
a  peut-être  composé  une  partie  du  recueil,  a  su  disposer  ses  matériaux  de 
manière  â  leur  donner  l'apparence  d'une  œuvre  sortie  d'une  même  main.  Enfin 
la  mise  au  jour  de  ces  rondeaux  vient  confirmer  un  Fait  que  nous  avions 
soupçonné  depuis  longtemps^  c'est  que  les  recueils  de  poésie  publiés  au  commen- 
cement du  XVI*  siècle  étaient  avant  tout  des  manuels  commodes  dans  lesquels 
venaient  puiser  les  poètes  inexpérimentés.  C'est  surtout  pour  les  rondeaux,  pièces 
d'une  nature  fugitive,  moins  saillantes  que  les  ballades^  que  nous  avons  été  à 
foême  de  constater  de  fréquents  plagiats.  L'exemple  que  nous  venons  de  faire 
comiaître  n'a  donc  rien  qui  doive  nous  surprendre. 

M.  6,  n'a  pas  cru  devoir  aborder  Tétudede  ces  questions  accessoires;  il  s'est 
borné  au  rôle  d'éditeur  scrupuleux  et  nous  avons  déjà  dit  qu'il  a  réussi.  It  ne 
paraît  pas  cependant  avoir  donné  ^ts  soins  personnels  à  la  table  des  rondeaux, 
dans  laquelle  nous  avons  remarqué  un  trop  grand  nombre  de  fautes  d'impression  : 
p.  ix,  A  hain,  lis.  A  heur \  p,  xj,  Dcul  «I,  lis.  Dcul  it\  Eik  la  prm,  lis.  ElU 
ra  prms:  Esse  bUn  fmt...  ma  mjt^  lis.  m'amye;  p,  xij,  Hture  m* a  failly,  Httin 
me  fîi)t,  lis.  Hoir;  lî  me  pu  il  heur,  si  je  le  vculx  hkn  avoir  ^  eff.  le;  H  me  suffit 
d'être^  lis.  atre;  //  n*tst  plu^  lis.  plus;  p.  xiij,  fayme  le  noir,  c'est  ta  couleur 
que  je  porte  ^  eff.  je;  fenay  cogna  tequen  veutx  cognoistre^  lis.  congnu  et  ca/i- 
gnoistre,  etc. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  joli  volume  de  M.  B.,dont  il  n'a  malheureusement  été  tiré 

que  80  exemplaires,  forme  un  digne  pendant  à  l'élégant  volume  publié  par 

M.  E.  Tross  en  1863,  et  mérite  d'être  favorablement  accueilli   par  tous  les 

amateurs  de  notre  ancienne  poésie. 

Emile  Picot^ 


r  Baibde  sur  le  refrain  : 

roui  est  mtnpu  (ou  perdu);  c'est  à  refaire: 

Ch.  d'Orh,  I,  89  i  Jard.  de  plais  ,  f.  149  v*. 
f  Rondeau: 

Quant  fe  fus  prias  ou  pavillon  : 

Ch.  d»OrU,  II,  loj  ;  Ve^.  rf'A/ww.,  l  V,  j,  v 
4'  Rondeau  : 

Sot  euit,  raporteur  de  nouvelles  : 

Ch   dW.  Il,  in  ;  J^rà.  de  plais.,  f.  77,  r'. 
M.  d'Héricauli  dit  que  le  Jardin  de  Plaisance  contient  encore  la  balUde  sur  le  refrain 
Qs*encore  eitviye  la  souris  fl,  IJJ),  le  rondeau  :  Des  amoureux  de  l'observance  (II,  r<>ol, 
et  le  rondeau  de  Frcdei  :  En  ta  forât  de  Longue   Attente  {11,    iôj)  ;  nous   pouvons 
affirmer  qu'aucune  de  ces  trois  pièces  ne  figure  dans  rédiiion  d'Olivier  \moullct 


194 


COWPTES-RENDUS 


Oe  la  prononciation  de  la  lettre  U  au  XVI«  siècle,  lettre  â  M.  Ar- 
sène Darmesteter,  répétiteur  à  TEcote  des  Hautes-Études,  par  F.  Talbbrt. 
docteur  ès-lettres,  professeur  au  prytanée  militaire*  Paris,  Thorin,  1876,  graiïa 
<i»-8',  3  S  pages. 

En  réponse  â  un  article  de  la  Revue  critti^ue^  sur  son  étude  du  Dialecte 
blaisois^  M.  Talbert  m*a  fait  Thonneur,  dans  une  lettre  d'une  parfaite  courtoîsicv 
de  reprendre  la  discussion;  il  l'a  portée  sur  un  point  spécial,  la  prononciation 
de  la  voyelle  u  au  XV!**  siècle.  J'avais  écrit  les  lignes  suivantes  :  «  M»  Talbert 
démontre  que  Tu  s'est  jadis  prononcé  eu.  Telle  a  été,  en  efifet,  dit-il,  non  pas  U 
seule  prononciation  de  la  voyelle,  mais  une  des  pîus  communément  employées 
depuis  l'origine  de  la  langue.  Il  fonde  cette  étonnante  affirmation  d'un  côté  sur 
des  exemples  établissant  la  prononciation  eu  pour  des  mots  qui  depuis  ont  eu  un 
u,  mais  qui  se  prononçaient  d'abord  eu  ci  plus  anciennement  eu,  ce  qui  ne  prouve 
rien  ;  de  Tautre  sur  le  témoignage  de  Palsgrave  qui  note  par  €u  notre  u,  ce  qtit 
n'est  pas  plus  étrange  que  b  notation  allemande  du  même  son  par  ue  (ucber),  • 
L'auteur  n'accepte  pas  ce  jugement,  et  il  sVfforce  d'établir  que  u  sonnait  cw,  en 
s'autonsant  à  nouveau  du  témoignage  de  Palsgrave  et  ens'appuyant  sur  les  rimes 
de  quelques  poètes  du  XVI'  et  même  du  XV'  et  du  XIV*  siècle. 

J'ai  lu  avec  soin  la  lettre  de  M,  T,,  et  examiné  attentivement  ses  preuves.  Je3 
ne  me  sens  pas  convaincu,  et  j'en  reste  à  mon  appréciation  première.   Eu  n'a 
certainement  pas  été  la  prononciation  générale  de  la  voyelle  u  au  XVI**  siècle  et 
dans  la  vieille  langue  depuis  ses  origines.  Toutefois  b  question  est  complexe;  el 
pour  la  poser  nettement,  il  faut  établir  diverses  distinctions.  La  première  est 
celle  des  dialectes.   Quand  on  parle  de  la  prononciation  générale,  il  est  bien 
entendu  qui)  s'agit  de  celle  du  dialecte  français  de  rile-de-France^  de  celui  qui 
est  devenu  la  langue  de  la  cour,  la  langue  commune.  Or  au  moyen^ge,  jusqu'au 
XIV'*  siècle,  et  de  nos  jours   depuis  le  commencement  du  XViI'\  on  peut 
affirmer  que  la  prononciation  de  Vu  3  été  la  nôtre.  Pour  le  moyen-âge  il  n'y 
qu'à  passer  en  revue  les  nombreuses  assonances  en  u  des  chansons  de  geste  |1 
elles  sont  toutes  sans  exception  d'une  pureté  par^ite,  l'u  y  repose  sur  un  û  du 
latin  classique  ou  populaire  cl  n'y  assone  qu'avec  lui-même.  Pour  Tépoque 
moderne,  la  question  se  complique,  parce  que  les  variations  subies  par  des 
sons  voisins  de  Vu  en  viennent  troubler  l'histoire.  Posons  d'abord  les  faits. 

En  thèse  générale,  dans  le  dialecte  de  rile-de-France,  c'est-â-dire  dans  U 
langue  commune^  ^et  â  latins  accentués,  devenus  ô  fermé  dans  le  latin  populaire, 
ont  conservé  cette  prononciation  jusqu'i  l'époque  encore  mal  précisée  à  laquelle 
cet  é  fermé  s'est  scindé  en  deux  sons  différents,  ou  et  eu  :  lat.  nos,  v.fr.  nos,  fr. 
mod. /ïouji  lat.  Itpunt^  v.fr.  /o,  fr.  mod. /ou/»;  lai.  doltnm^  hAt,  dotor^ 
fr.  mod.  douleur ^^  lat.  j^vencm,  v.fr.  jonc,  fr.  mod,  jcMne,  U6  bref  accentué  est 
devenu  successivement  ao  (X*  siècle),  ut  (X1-X11*J,  œ  (XII-XIII"),  eu  (XIV. 
XIX*).  Ainsi  p  u  en  partie  et  o  régulièrement  ont,  par  des  chemins  différents» 
abouti  à  m  et  y  sont  restés,  sauf  dans  deuï  ou  trois  mots  tels  que  *mora^  au 
XVI"  siècle  mturcj  de  nos  jours  mûrt;  firrum^  au  XVI'  siècle  Jeur^  de  nos  )ours 
fur.  Eu  a  une  tendance  à  s'affaiblir  en  u»  sous  l'action  de  consonnes  voisines; 


u  Kitniéro  du  lû  janvier  187$ ,  p.  97*40. 


TALBERT,  De  la  prononciation  de  t\i  ^95 

celle  lendancej  plus  marquée  au  XVI*  siècle,  i  laissé  des  traces  dans  ta  pronon- 
ciation et  l'orthographe  du  temps,  où  Ton  trouve  /une  à  c6té  de  feune^  hurU  à 
c6té  de  luurU^  et  dans  la  prononciation  actuelle^  dans  les  mots  dtés  ptu$  haut 
mân  et  fur. 

(/long  du  latin  classique  ou  populaire  (c'est-à-dire  ou)  est  devenu  notre  u 
actuel,  qui  dh  tes  premiers  temps  de  la  langue  s'est  prononcé  u  (û)  et  n'a  pas 
changé  jusqu'à  nos  jours.  Il  n'en  feut  excepter  qu'un  petit  nombre  de  mots  dont 
la  prononciation  un  moment  a  hésité  entre  eu  et  u  pour  revenir  à  u.  Nous  allons 
les  examiner  tout  à  l'heure. 

Enfin f  la  chute  qui  eut  lieu,  vers  la  fin  du  XI«  siècle,  des  muettes  médiales, 
donna  naissance  dans  les  mots  où  la  muette  était  suivie  d'un  â  long  à  des 
dissyllabes  qui  furent  d'abord  eu,  puis  eu,  puis  généralement  u:  tels  sont 
^  maturumj  meâar^  meûr^  mem,  mûr:  secarum,  segur,  seûr,  seur^  sûr:  augurium^ 
jgurmrjif  ûgur,  aûr^  eûr^  eur^  heur;  les  participes  en  edut,  eût,  eu,  eu,  u;  les 
parfaits  indicatifs  et  imparfaits  subj,  en  eus,  eus,  us;  eùsse^  eusse^  asse;  les  substan- 
tifs verbaux  en  edure^  eûre,  tart^  ure. 

Dans  ces  formes,  cù^  après  avoir  passé  à  un  son  eu  qui  se  distinguait  de  \'m 
issu  de  Q  u,  (\  est  devenu  dans  ïa  langue  commune  a,  mais  non  sans  subir  des 
fluctuations  diverses  au  XVK  au  XVII*  et  au  XVI II"  siècle.  On  trouvera  une 
histoire  détaillée  de  ces  hésitations  entre  eu  et  «  dans  Télude  de  M.  T.  sur  le 
|dialccte  blaisois;  j'y  renvoie  le  lecteur.  Il  n'en  est  resté  d'autres  traces  dans  la 
j langue  usuelle  que  jeûner  au  lieu  de  juner  et  heur,  heureux  au  lieu  de  hur,  hureux. 
Toutefois,  SI  la  prononciation  de  cet  eu  a  été  longtemps  indécise^  celle  qui  devait 
triompher  dominait  déjà  au  début  du  XVII"  siècle  et  à  la  fin  du  XVI*  siècle. 
Cest  ce  que  nous  allons  établir. 

Pour  le  premier  quart  du  XVII'  siècle,  nous  avons  un  document  important 
de  la  prononciation  commune  dans  le  Grand  dictionnaire  des  rimes  française  s 
(Genève  iBij)  K  Nous  allons  passer  en  revue  les  indications  qu*il  donne  sur  ta 
prononcialian  de  Vu.  Nous  trouvons  la  prononciation  actuelle  pour  les  rimes  en 
lie  (page  loj,  ud  (11),  udc  (3O,  "<^^  usche  (56,  j8>,  ule  (74)  distinct  de  eule 
(87},  uble^  uple(jj,  8^)  séparés  de  euhle^  eaple  (78,  85),  ure  (98),  upe,  urpe 
(m),  aque,  uîque^  urque^  usque  (116,  117),  ubre  (i  14),  ucre^  ulcre  f  1 1  j),  ustre 
{140),  u£e,  usse  (27,  1  p),  eusse  (imparfait  du  sub|onctif)  (1  ^4),  t  Cette  termi- 
naison (en  eusse),  fait  observer  Tâuteur^  ne  se  prononce  point  comme  ayant  la 
diphthongue  eu  à  la  pénultième,  mais  comme  si  c^était  un  u  simple,  assavoir 
comme  celle  en  usse.  •  Parmi  les  mots  en  urne  (90),  Fauteur  cite  rume,  que  l'on 
écrit  aussi  reume,  dit-il,  mais  qui  se  prononce  comme  s'il  n'y  avait  que  l'u.  A 
propos  des  rimes  en  ure  (p.  122  et  123)  on  lit  la  note  suivante  :  «  Il  y  a  une 
terminaison  ci-après  en  eure,  qui  se  prononce  entièrement  comme  celle-ci  avec 
on  u  simple,  hormis  qu'elle  a  la  penultîesme  longue,  que  ceste-cî  a  brève,  à  la 
page  143,  c,  2.  Il  se  faut  garder  de  les  apparier  car  il  y  a  mauvaise  grâce  de  dire  : 

L homme  de  sa  nature,  Est  tout  plain  de  souillure. 
Là  quantité  de  mots  rend  la  chose  facile  en  Tune  et  l'autre.  »  Plus  loin  (142* 


I .  Cet  ouvrage  est  la  seconde  édition  d'un  Dietionnaire  da  Rimes  françoisis  publia ^ 
uns   nom   d*auieur  X   Genève  (m9^}  id-S'),  et   amibué  avec  beaucoup  de  vraue 
blince  à  La  Noue,  fiU  du  célèbre  Bras^dt-fer. 


196  COMPTES-RENDUS 

144),  Pauteur  donne  en  effet  les  rimes  en  ain^  qu*il  divise  eo  trois  séries;  Tune 
comprend  les  substantifs  féminins  en  eurt  —  lat.  atura;  sur  celle  terminaison» 
fauteur  dit  qu'elle  «  s'escrit  improprement  avec  la  diphthongue,  veu  qu'elle  ne 
prend  la  prononciation  qtjc  de  Vu  simple  et  se  prononce  comme  si  elle  csloii 
escrile  ure,  puisqu'on  le  fait.  II  est  ainsi  aussi  ici  (c'est-à-dire,  nous  adoptons  id 
aussi  t'orthographe  £arc}  en  attendant  qu'on  se  résolve  à  eîi  user  autrement.  • 
L'auteur  ajoute  qu'on  ne  peut  rimer  cette  terminaison  avec  celte  en  arc  de  ta 
page  122,  parce  quVIIe  a  ta  pénultième  longue,  tandis  que  celle  en  are  l'a  brève. 
Toutefois  des  mots  en  urrc  {conclarre  et  autres  composés  de  ^lûjire  et  concurre} 
ayant  Vu  bref  riment  avec  les  mots  en  eurc  =-  ûtura.  Une  autre  série  comprend 
les  mots  en  mre  (ce  sont  nos  mots  actuels)  qui  ont  Veu  long.  La  troisième  com- 
prend les  mots  asseurt,  meure  (môra),  meure  {maîara)  et  leurs  composés  qui  ont 
luie  double  prononciation,  soit  tu  bref,  soit  u  long,  et  qui  peuvent  rimer  avec 
les  mot  en  eure  (prononcé  are)  =  <itura,  mais  qui  riment  difficilement  avec  les 
mots  en  ûre,  \à  nous  saisissons  le  passage  de  eu  issu  de  eu  k  u,  P.  16$  nous 
trouvons  les  rimes  ute  auxquelles  l'auteur  adjoint  (p.  18 1)  le  mot  cheuîe  et  ses 
composés,  et  le  mot  meute  et  ses  composés  (toutefois  meute^  esmeute^  etc.  se  pro* 
noncent  également  bien  avec  cu^  dit  rauteur),  mais  dont  il  sépare  (p,  177)  les 
mots  en  uste  avec  u  long,  où  s  ne  se  prononce  pas  (flaiste,  tabusle  et  leurs  com- 
posés, ajuste  oii  Vs  est  muette  ou  sensible,  ad  libitum).  P.  186-189,  rauteur 
donne  les  rimes  en  ne  et  eue.  <  Ces  deux  terminaisons,  dit- il,  sont  appariées 
pour  ce  qu'elles  n'ont  qu'une  mesme  prononciation,  qui  est  la  première  en  ue^ 
la  diphthongue  eu  ne  tenant  rang  en  la  seconde  que  d'un  u  simple.  C'est  pourquoy 
elles  peuvent  fort  bien  rimer  ensemble.  »  De  ces  mots,  il  faut  séparer  ceux  qui 
font  entendre  le  son  eu,  tels  que  bleue^  queue.  P.  534,  les  mots  mur^  pur, 
dar^  ohcur,  futur j  azur  et  sur  (aigre)  t  ne  se  peuvent  apparier  à  la  terminaison 
en  eur  en  aucune  façon,  i  Celle-ci  comprend  (337-340)  les  mots  en  eur  =:  onm 
et  de  plus  heur  (auguriumjj  mcur  (maturum),  seur  (securum),  sur  (super;,  ce  qui 
ne  contredit  pas  les  renseignements  de  la  page  t22  sur  ure^  eure,  P.  jp-^jj^ 
on  indique  les  parfaits,  première  et  deuxième  personne  du  pluriel,  en  usmes  et 
eusmcs^  ustes  et  eustes^  lesquels  o  n'ont  qu'une  prononciation,  la  dernière  [termi- 
naison] se  prononçant  comme  si  elle  avait  Vu  simple  à  la  pénultième.  »  P.  564, 
Fauteur  distingue  us  reposant  sur  un  latin  ûsium)  qui  a  l'u  long  de  as  avec  « 
bref,  lequel  vient  généralement  d'un  antérieur  eu.  Nous  passons  sur  les  rimes  en 
ucs  (j60,  uses,  uls  (367K  urs^  euls  (369),  uss,  eurs  (J79;  meurs  =:  maturos  et 
seurs  ^  sccuros  peuvent  rimer  en  eu  et  en  u),  uts(}%\),  ustes { 383), pour  arriver 
aux  rimes  en  eux  {euse)  et  en  uî^  eut;  u,  eu  (390,  396,  416,  4^,  461).  Il  y  a 
un  eu  hrd  (feus,  jcus^  etc.,  tu  peus^  tu  meus,  etc.)  qui  rime  difficilement  avec  eus 
long  {herkus  et  les  mots  en  eus  =^  csum,  àeux^  ceux,  etc.)  et  qui  ne  peut  pas 
rimer  avec  eus  prononcé  us,  par  ex.  dans  les  participes  passés  {sceus,  receus,  deus, 
Uus^  meus^  etc.=;5fuj,  etc.).  Il  y  a  un  eut  bref  (pleat^  au  prés,  indic,  meut,  etc*) 
qui  rime  difficilement  avec  eut  long  (deut  de  deuit,  doki,  veut  de  veuU,  volet)  et  ne 
rime  pas  avec  eut  prononcé  ut  dans  les  parfaits  (receut^  leut^  peut,  etc.).  Enfin,  il 
y  a  des  mots  écrits  en  eu  et  qui  doivent  se  prononcer  en  u,  comme  les  participes 
beu^  sceu,  deceu^  deu,chea,  leu^  meu^  conneUy  peu^  creu,  seu,  etc. 
Il  ressort  de  cette  analyse  sommaire  que  dès  le  commencement  du  XVII^  siècle 


TALBERT,  Di  ta  prononciation  de  l*u  197 

là  prononciation  générale  de  a  et  de  tu  était  telle  que  nous  la  voyons  aujour- 
d'hui ;  les  seules  différences  indiquées  sont  des  distinctions  entre  ai,  u  brefs  et 
tu,  u  longs,  distinctions  aujourd'hui  disparues^  et  la  double  prononciation  des 
adjectifs  mcur^  senr^  de  meuU,  csrruuU^  la  prononciation  de  m(ur  et  de  fcur  qui  ne 
sont  pas  encore  mùrCj  fur  et  celle  de  sur  isuperj^  prononcé  smr. 

Vers  la  un  du  XVI*  siècle,  en  1)8},  Th,  de  Bèze,  dans  son  opuscule  lif 
Frûncica  Lnguac  ncia  pronmtlûùojiCf  donne  des  renseignements  abondants  sur  la 
valeur  de  Tu  et  de  Vta  dans  U  langue  commune  et  dans  les  dialectes.  La  descrip- 
tion de  Vu  (p.  tS^)  prouve  qu'il  le  prononçait  comme  nous.  Quant  à  Ffu,  il 
résuite  des  pages  qu'il  consacre  à  cette  voyelle  [p,  yj,  jj)*^  que  i^  ta  est  un 
son  simple  où  Ton  n'entend  plus  Vc  ni  l'u,  son  inconnu  des  Grecs  et  des  Latins. 
1^  Que  les  Picards  dans  quelques-uns  des  mots  en  ca  suppriment  IV;  disant 
par  exemple  dm^  ju  pour  dim^  fcu,  3°  Que  Tusage  a  prévalu  cheîc  ceux  qui 
passent  pour  bien  parler  de  réduire  eu  à  a  dans  quelques  noms  et  verbes  comme 
smr  (securus),  s£urté^  asscanr,  assiurance^  mcur^  murcii^  et  qu'en  général^  les 
substantifs  verbaux  en  carc^  les  participes  passés  en  lu^  les  imparfaits  du  subjonctif 
en  tusse  ne  doivent  faire  entendre  qu'un  u  :  urt^  u,  uist,  4**  Qu'à  Orléans  et  à 
Chartres,  on  prononce  à  tort  ca  en  deux  syllabes  %  et  que  les  habitants  de 
Chartres,  de  la  Normandie  et  de  la  Gascogne  prononcent  en  tu  celte  voyelle 
réduite  à  u  dans  la  langue  commune.  \^  Enfin  que  les  poètes  gascons  usent  de 
fausses  rimes  comme  heur  et  dur^  tngrsveun  et  figun,  heure  et  nature  *. 

On  voit  donc  qu'en  t  j88  la  prononciation  qui  triomphera  plus  tard  tend 
déjà  â  dominer.  Th.  de  Béze  prononçait  ïa  et  Vcu  comme  nous  le  faisons  aujour- 
d'hui. 11  note  des  divergences  pour  certains  mots  et  reconnaît  implicitement  qu'on 
prononçait  meur  et  scur  à  cÔlé  de  mûr  et  de  sûr  ;  prononciation  admise  expressé- 
ment par  t'auleur  du  DtcUonnairt  des  nmcs. 

Pour  Vu  pur  issu  de  Vu  latin,  Th.  de  Bèze  n'indique  aucune  exception: 
l'auteur  du  Dictionnaire  des  rimes  indique  la  prononciation  scur  pour  sur,  con- 
tredisant ici  Talfîrmation  de  Bèze,  qui  admet  un  u  simple  dans  la  préposition 
sur  t  super)  comme  dans  Fadjectif  sûr  (aigre).  On  voit  par  là  que  la  prononciation 
de  sur  était  douteuse  ;  d'ailleurs  si  l'on  songe  à  Tétymologie  super  qui  n*a  pu 
dooner  régulièrement  que  jor,  usuel  en  v.fr.,d*oii  sûur^seur^on  est  porté  à  voir 
dans  sur  un  atîaiblissement  normal  d'une  forme  antérieure  régulière  seur^  issue  du 
tor  du  moyen  âge. 

Jusqu'ici  nous  ne  voyons  que  des  mots  en  eu  (remontant  &oit  à  ô  u,  soit  à  d, 
soit  à  d  ou  tf  -h  [,..]+")  qui  hésitent  entre  eu  et  u.  Des  exemples  authenti- 
ques de  raltératjon  inverse  de  Vu  qui  devient  eu^  nous  n  en  avons  pas  rencontré 
encore.  Toutefois  il  en  existe,  c'est  ce  que  nous  apprend  le  Dkûonnaire  des  rimts 

I .  Je  cite  d'après  Pexcelleme  réimpression  que  M.  A.  Tabler  a  donnée  de  cet  opuscule, 
Berlin  et  Paris,   t868. 

1.  Dans  son  étude  sur  le  dialeac  blaisois,  M*  T.  résume  cette  page^  ce  semble,  d*ipréî 
Fanalyse  donnée  par  M.  Ch.  Livet  dans  son  livre  de  ta  grammaire  française  au  xvi"  siècie 
(p,  jir).  Cette  analyse  coniiept  quelques  mexaaimdes  que  je  retrouve  dans  le  résumé  de 
M.  T.  Aussi  je  crois  devoir  la  reprendre  ici, 

;.  Th.  de  Bèze  blâme  cette  Sia^vai;  ;  î)  ne  pouvait  y  rcconnattrc  un  archaïsme ^  un 
reste  de  la  prononciation  du  moyen -âge. 

4»  Nous  croyons  que  les  mots  engraveure  ti  figure  sont  cités  I  tort;  la  prononciation 
gèttéralc  étant  engravure  et  figure,  ils  forment  des  rimes  correctes. 


JÇS  COMPTES-RENDUS 

/rançoisa  de  Jean  Lefèvre^  dont  Etienne  Tabourot^  seigneur  des  Accords,  a 
donné  une  première  édition  incomplète  en  1 572  (Dijon,  pel.  jn-8»)  cl  une  seconde 
édition  bien  préférable  en  1 588  (Paris^  Pour  le  sujet  qui  nous  concerne  b 
seconde  édition  développe,  sans  la  contredire,  la  première  ;  c'est  elle  que  nous 
examinons. 

La  valeur  du  témoignage  de  Jean  Lefèvre  ou  de  son  éditeur  Tabourol  est  en 
partie  diminuée  par  le  peu  d'exaclitnde  et  de  précision  avec  lequel  sont  classées 
les  rimes.  Toutefois,  à  Tinterroger  avec  soin,  on  peut  trouver  des  indications 
précieuses  sur  la  prononciation  qu'il  reconnaît  pour  la  lettre  u.  Nous  atloos 
passer  en  revue  d'abord  ses  rimes  masculines. 

Fol.  10^  :  rimes  en  urc,  uCj  tous  ces  mots  ont  aujourd'hui  encore  Vu  ;  I4^^ 
ud  :  «  nœudj  Bogud,  crud^  nud^  pour  le  surplus  lu  le  rimeras  en  u  :  Il  ne  tut 
ncognu  Parce  qu'il  estoit  nud.  »  L'auteur  prononçait  donc  Bogud,  crud,  nui. 
Quant  à  naad^  il  semble  que  ce  mot  ait  atfaibli  \*tu  en  a  et  se  soit  prononcé  nu; 
toutefois  comme  ailleurs  (fol.  210e)  nmd  est  donné  aux  rimes  en  oj,  il  faut 
admettre  que  l'auteur  a  fait  précéder  les  rimes  en  ud  du  seul  mol  en  md  qu^il 
connaissait  pour  n'avoir  pas  à  faire  une  catégorie  spéciale  pour  ce  mot  unique. 
On  a  d'autres  exemples  de  celte  disposition  dans  Lefèvre.  FoL  99*1,  rimes  en 
titf  :  ne  contient  que  des  mots  en  œ  prononcés  aujourd'hui  encore  «<i,  hormis 
(u/qui  vient  de  tophus  et  a  dû  passer  par  Utij\  FoL  î66â,  ul  :  toutes  les  rimes 
données  ont  aujourd'hui  encore  u  :  ici  même  fauteur  distingue  soigneusement  n/ 
de  €ui  qu'il  rattache  à  eit,  mit.  Fol.  209^^-212  sont  donnés  les  mots  en  u  ;  dans 
l'ordre  des  terminaisons  ba^  eu,  du,  eUj  Uu^fu,  chu^  gu^.lu^  ma,  ntt,  pu,  m,  ai^ 
tu.  Tous  ces  mots  hormis  ceux  de  la  série  ea,  icu  ont  aujourd'hui  «  etsepronon- 
çaient  certainement  en  a  :  après  la  série  eu  ku  qui  contient  des  mots  pro- 
noncés aujourd'hui  les  uns  ca^  îes  autres  ir,  l'auteur  dit  expressément  que  ces 
mots  en  m  t  ids  sont  bien  choisis ^  ptnveni  nmcT  avec  u.  Exemple  :  Encor  Targent 
m  estoit  dcu  Du  vin  que  j'avois  vendu.  El  si  lu  veux  en  escrivant  dm  y  pour  plui 
grand'  grâce  tu  esteras  t,  et  escriras  simplement  du.  •  Preuve  évidente  que  les 
mots  en  eu  venant  de  eu  jouissaient  du  privilège  de  rimer  avec  eu  et  avec  u  et 
que  a  distinct  de  eu  avait  notre  son  actuel.  La  liste  des  mots  en  vs,  m^  eus 
(foL  176e*  179*1)  présente  les  mômes  caractères,  d'un  côté  les  mots  en  u  mis  i 
part,  de  Tautre  les  mots  en  ett  dant  les  uns  ont  gardé  Veu,  dont  les  autres  sont 
devenus  m.  Ici  seulement  Tauteur  s'est  dispensé  de  dire  que  les  mots  en  n/,  iVi 
sont  bien  choisis^  peuvent  rimer  en  i/.  Fol,  207 1,  on  trouve  la  liste  des  parfaits 
rndic,  et  imparf.  subj.  y  pers.  en  wl,  wf,  fwf,  eust^  plus  des  substantifs  eu  vf. 
Tous  les  mots  cités  font  entendre  aujourd'hui  l'y  à  l'exception  de  peut  =r  pcttîi 
qui  paraît  égaré  ici  dans  cette  liste.  Seules  des  rimes  en  ur  urt  présentent  quelque 
chose  de  spécial.  Fol,  2076,  sous  la  rubrique  urt,  on  trouve  les  trois  motsftuff, 
/wrf,  matrî.  Cette  liste  de  trois  mots  dont  le  premier  se  prononçait  au  XVI»  siède 
hvrt  ou  heun,  et  ïe  3«  meurt  n'aurait  pas  d  autorité,  si  pour  la  série  des  mots  en 
ur  donnés  foL  \\{a  (dur,  futur,  obscur,  pur,  mur,  sur^  azur)  l'auteur  ne  diuit 
explicitement  qu'ils  riment  aussi  en  eur.  Et  en  etfet  ces  mots  sauf  azur 
reproduits  dans  la  liste  des  mots  en  air  {fol.  146  et  suiv,)  :  dur  entre 
et  brocûrdcur  (147^,  2)  et  entre  déjendeur  cl  grandeur  (148*,  a),  mur  â 
ftimeur  (149U,  2),  pur  k  c6lé  de  peur  (id.  ibid.),  obscur  â  côté  de  ranquevr 


zitr  sont  S 
crmimr  ^| 
I  côté  de     ■ 


TALBERT.  De  k  prononciation  de  /*u  jçç 

ibid.),  sur  à  côté  de  amuswr  { 1 49^,  2)\  futur  écrit  futeur^  entre  /rotwr  et  gasUur 
(i  p^,  i),  Od  peut,  semblet-ilj  conclure  de  ces  faits  que  l'usuivi  d^un  r  pouvait 
se  prononcer  tur. 

Nous  arrivons  aux  rimes  féminines.   Aucune  indication  ne  nous  autorise  à 

admettre  une  prononciation  différente  de  la  nôtre  pour  les  rimes  en  urbc^  ubt 

^ÊLtiû)^  ulu  {i^â) ,  uffc  i^\b)f  urgt  ugut  (4^^),  ugt  vcht  (44^7)^  uicU  ()5^),  uU 

^■{94-6)^  umt  (62tf),  ugm  (65^),  urm  (68^)^  urpi  upc  (69^),  y/^w  (71^),  wf^u« 

^Bi^yf  (71W,  v^wf  <72fl),  t/ire  (72W,  uc«  w/c«  (73<ï)t  u/?«  (784),  i/Jf«  (804),  ulu 

^■8^),  ustt  (9^13).  Fol.  28^  et  b,  sont  données  d'abord  les  rimes  en  eusse^  toutes 

^terminaisons  d'imparf.  du  subj.,  que  suivent  les  rimes  en  uu,  vssc.  A  la  fin  de 

là  liste  en  eusse  Fauteur  écrit   cette  note  :    «   Rime  le  surplus  avec  usse  et  uce 

comme,  Que  pleust  à  Dieu  que  converti  en  pukt  Sur  vos  tetins  i  l'aise  |e  rcpcusse. 

Auquel  il  est  loisible  d'oster  Ve  de  pcusse  pour  adoucir  le  son  du  vers.  ■  Cette 

note  prouve  bien  que  le  son  de  uce,  usse  était  alors  ce  qu'il  est  maintenant. 

Fol.  }2b,  à  la  rime  en  udc  on  trouve  le  mot  Eudc  et  toute  une  série  de  mots  en 

^■k</c  correspondant  pour  ta  plupart  au  latin  udo.  On  peut  croire  quel' auteur  pro- 

^HODçait  Ud£;  mais  il  est  plus  vraisemblable  d'admettre  que  comme  pour  nœud  il 

^n'a  pas  voulu  faire  une  liste  spéciale  pour  ce  mot  unique.  Fol  ^3*1,  jjtf,   jç^, 

Hb  distinction  formelle  de  eubU  et  de  ubk^^,  celle  de  eugU  et  de  ugle,  de  wpk  et 

^Hc  vple  montrent  que  la  prononciation  de  Vu  était  distincte  de  celle  de  Viu. 

^roK  68i».  on  Ht  :  *  Eiune,  jeune  (et  dispos),  jeusne  desjune  (lire:  desjeunc).  — 

I      Rime  avec  u«f  retrenchant  Vc.  — Une;  aucune^  brune,  etc.  (suivent  vingt  mots 

^Hcn  une  correspondant  au  lat.  ûna),   i  Là  encore  on  voit  d'un  côté   nettement 

^'tranchée  la  différence  de  prononciation  de  eu  et  de  u,  et  de  l'autre  l'hésitation  de 

la  prononciation  pour  les  mots  feunc  {juvenis)  et  jeûner.  Fol.  84^,  8541,  Tauleur 

donne  les  rimes  en  cuse  et  en  use  :  celles-ci  sont  suivies  d'une  note  ainsi  conçue: 

•  Aucuns  (mots  en  ust)  riment  avec  euse^  mais  advise  bien  au  son  de  1  aureille, 

et  en  use  rarement,  car  ie  trouve  ceste  rime  dure.  Estant  vers  son  amoureuse^  11 

^^|ui  foue  d'une  ruse.  >  Comme  on  le  voit  par  l'exemple  cité  ces  quelques  mots  en 

^■pie  qui  peuvent  rimer,  mais  difficilement^  avec  euse  sont  {(a)  ruse  et  {it)  ruse^  en 

^"vieux  français  nùse  d'où  plus  tard  reuse  et  finalement  rujf.  En  condamnant  cette 

,       prononciation  reuse ^  l'auteur  établit  en  même  temps  la   différence  qui  sépare  te 

■son  (use  du  son  use.  Fol.  936,  on  lit  :  f  Eute,  voy.  ute  :  chcutt^  esmeute, 
mchmte^  meute^  fleute  b  puis  à  ute  est  donnée  une  série  de  mots  prononcés  encore 
aujourd'hui  en  uteti  Ta  uteu  rajoute  ensuite  «  Voy.  les  mots  terminez  en  n/fc.  •  Faut-il 
conclure  de  ces  faits  que  uU  sonnait  euicf  Nullement,  mais  au  contraire  que  les 
mots  en  eute  pouvaient  sonner  uU  :  et  en  effet  ckeutc  s'est  réduit  à  chuU  ;  rechcute 
est  un  composé  de  cheuU;  on  trouve  ailleurs  mute  et  esmute  A  côté  de  meute  et 
esmeute.  tXfimte  didihoMXi  h  fluie.  Fol.  9^*1  et  9^^,  Tauteur  donne  deux  listes 
premièrement  celle  de  eut^  où  au  milieu  d'une  série  de  participes  féminins 
^^en  eue  prononcés  aujourd'hui  ue^  on  trouve  Itmc^  banîkue  et  i^teut  \  ensuite  celle 

ï.  N*oublion3  pas  que  le  dictionnaire  de  Génère  alfimic  la  prononciation  seur  pour  tur 

^K     1.  *i  Affeubie  (pour  aftfbk)^  meuble^  immeuble  —  rime  avec  uble     affubU,  chasuble, 
^B  indissoluble.  »  On  voit  ki  nettement  tranchée  la  différence  de  m  et  de  u  ;  pour  affubtt 
rameur  indique  une  double  prononciation  afeubie  et  affuble. 


400  COMPTES-RENDUS 

de  Ut  qui  est  formée  de  substantifs  féminins  en  uc  =  lat,  ûvtf,  ûw,  de  parlidpcs 
passés  et  d'adjectifs  féminins  en  ue^  et  de  quelques  participes  qui  se  trouvent 
dans  la  première  liste  avec  rorlhographe  en  etu  :  d'ailleurs  tous  ces  mots  se  pro- 
noncent aujourd'hui  et  se  prononçaient  du  temps  de  Tauteur  en  ve;  il  n'y  a 
d'exception  que  pour  le  seul  mot  bkùc,  dont  la  prononciation  a  hésité  d'ailleurs 
entre  bkueel  hlueK 

Il  ne  nous  reste  pour  épuiser  les  rimes  féminines  en  u  de  notre  dictionnaire 
qu'à  examiner  les  mots  féminins  en  enr  -\-  Cj  vr  -{-  u  Fol  ySi,  on  lit  :  t  beurre, 
Seurre  (ville  de  Bourgogne},  leurre,  leurre^  susurre  •;  fol.  c^2à\  heurte  (il  tauti 
heurte)^  heurte  (de  heurter)^  meurle  (arbre  sacré  â  Venus,  pour  myrthe).  •  Pour 
myrîhe  on  sait  par  d'autres  témoignages  que  la  prononciation  de  ce  mot  hésitait 
entre  ntiru,  murtc  et  meuru.  —  Pour  susurre,  Jean  Lefèvre  semble  dire  que 
pour  ce  mot  d'origine  savante  il  y  a  eu  une  prononciation  susmrrc.  Fol.  Bu- 
%ib,  on  lit  une  série  décent  quarante  mots  environ  terminés  en  un  qui  se  pro- 
noncent tous  aujourd'hui  en  un.  Celte  liste  est  précédée  de  l'indication  suivante  : 
i  Voy.  cutt  cy 'dessus,  parce  qu'ils  peuvent  rimer  ensemble  »  et  en  effet  fa 
colonne  précédente  contient  des  mots  en  cun.  Mais  parmi  ces  mots  les  uns  ont 
gardé  le  son  cu^  les  autres  dans  lesquels  ru  repose  sur  un  fi3  =  iî(urj  antérieur  ont 
aujourd'hui  le  son  u  :  et  c'est  ce  que  déclare  l'auteur  par  la  noie  suivante  : 
t  Voy,  art  cy  après  en  son  ordre.  Elle  ploroit  de  sa  bkssturc^  Qui  n'estoit 
qu'une  csgratignurt,  Carmesmesonpeutescrtre  bUssurc  et  oster  l'^  de  devant  u,  » 

On  voit  encore  ici  que  Jean  Lefèvre,  fidèle  à  son  habitude,  sépare  les  mots 
écrits  par  u  des  mots  écrits  par  eu  et  réunit  dans  une  même  série  ceux  des  mots 
en  eu  qui  se  prononcent  eu  et  ceux  qui  se  prononcent  v^  taissinl  au  tecteur  le 
soin  de  faire  lui-même  le  départ. 

Nous  venons  de  passer  en  revue  la  liste  complète  des  rimes  en  u  m  du  diction- 
naire de  Jean  Lefèvre.  Avons- nous  constaté  la  moindre  indication  qui,  je  ne  dis 
pas  prouve,  mais  permette  de  supposer  que  ta  et  u  se  confondaient  dans  la  pro- 
nonciation générale  i  Nullement,  De  cet  examen  général  il  résulte  que  pour  Jeaa 
Lefèvre  sept  mots  en  ur  *  et  susarrt  se  prononçaient  également  en  a  et  en  «i, 
vraisemblablement  sous  Tinfluence  de  IV  voisine. 

Résumons  les  renseipements  que  nous  donnent  les  dictionnaires  de  rimes  et  le 
traité  de  Bèze  :  ils  suïfisenl  à  nous  édifier  complètement  sur  la  prononciation 
de  Va  dans  la  seconde  moitié  du  XVI*  siècle.  Eu  issu  de  o  ff ,  0  reste  m  quoique  | 
dans  quelques  mots  iï  tende  â  devenir  a  :  jtane  (jûvenis),  tuj^  sur  (super).  Les  I 
Picards  changent  volontiers  cet  eu  en  u.  Eu  de  eii  dans  la  bonne  prononciation  «1 
générale  est  devenu  u;  sauf  dans  quelques  mots  où  il  y  a  encore  hésitation  :U 


1.  Uadjeciif  masculin  bleu  est  donné  parmi  les  mots  en  fu,  foL  itob^  et  non  parmi 
les  mots  en  u.  Il  y  a  contradiction  et  peut-être  erreur  de  la  part  de  Jean  Lefèvre  pour 
bkut. 

2,  Le  texte  porte  hltssurty  mais  c'est  une  faute  évidente,  comme  le  prouve  la  seconde 
orthographe  blessure  que  propose  J.  Lefèvre  D'ailkurs  blcsstun  est  cité  parmi  les  rimes 
en  tare  ei  esgrûtignurt  parmi  les  rimes  en  are. 

j.  Remarquons  que  Tiiuteur  du  dictionnaire  de  Genève,  qui  suit  de  très-près  Jean 
Lefèvre  pour  le  développer  et  le  corriger,  a  évidemment  en  vue  de  combattre  ia  pronon* 
dation  eur  de  mur^  dur^  etc.,  quand  à  la  fin  de  sa  liste  de  rimes  en  ur  îl  croit  devoir 
ajouter  la  note  spéciale  que  nous  avons  relevée  plus  haut,  à  savoir  que  ces  mots  ne  »c 
peuvent  en  aucune  façon  apparier  aux  mois  en  eur. 


TALBERT,  De  k  pvononciation  de  Tu  401 

um^  mtur,  etc.  ;  toutefois  les  Normands^  les  habitants  du  centre,  ceux  du  sud- 
ouest  prononcent  «i.  U  de  û  latin  se  prononce  u  comme  dans  la  langue  actuelle^ 
comme  d:ins  la  vieille  langue,  c'est-à-dire  que  depuis  les  origines  il  est  resté 
sans  changement,  sauf  dans  quelques  mou  où  il  est  suivi  d'un  r  et  où  une  pro- 
nonciation populaire,  ce  semble,  et  non  autorisée  fait  entendre  au  XVI<^  siècle 
un  eu. 

Tels  sont  les  faits  que  donne  Tétude  des  documents  contemporains.  Y  voit-on 
que  la  prononciation  générale  de  l'u  était  ^w,que  Ton  prononçait  tat^  vertcu^  teue^ 
etc.,  pour  ta^  vcrta^  tui^  etc.?  M.  T.  s*appuic,  il  est  vrai,  sur  quelques  rimes  de 
poètes  de  t'époque*  Or  les  faits  que  nous  venons  d'établir  rendent  compte  des  ar- 
guments qu'il  veut  faire  servir  à  la  démonstration  de  sa  thèse.  Il  s'autorise  éga- 
lement du  témoignage  de  Palsgrave;  mais  Palsgravc,  bien  interrogé,  dira  tout 
le  contraire  de  ce  qu'il  lui  fait  dire, 

Palsgrave  transcrit  eu  et  u  français  par  as.  U.T,  en  conclut  qu'il  y  a  là  une 
grave  présomption  que  ces  deux  sons  se  confondaient  de  son  temps.  Mais  il 
n*C5t  pas  absolument  exact  de  dire  que  Vcu  et  Vu  français  sont  identifiés  par 
Palsgrave.  Le  grammairien  anglais  note  notre  eu  par  <f«j  notre  w  par  fa,  et  cette 
différence  de  notation  aje  pense, sa  raison  d'être.  Qu'on  voie  p.  6a,  /usquts  sujfftrt 
transcrits  joikcs  smjjtn^  mais  posussmn  transcrit  passesséan,  P.  61,  successeurs 
est  noté  par  saïkcesséurs^  cureax  (prononcez  ureux)  par  euréux^  etc.  Cet  accent 
sur  IV  paraît  mis  ou  omis  dans  quelques  mots  irrégulièrement,  et  ce  sont  vrai- 
semblablement des  fautes  de  Tédition  originale,  0  n'y  a  pas  de  doute  quep,  57  It 
faille  lire  vaynkhtrs  vaynkeas  ^  vmn<fucurs  vaincus.  Mais  laissons  même  de  c6tè 
cette  notation  dont  rirrégularité  peut  prêter  à  discussion,  Palsgrave  est  explicite. 
Il  distmgue  formellement  ta  d^  u  :  qu'on  lise  le  passage  suivant  (p.  14  et  15)  : 
•  Eu  in  ihe  frenche  tong  haih  nvo  diverse  soundynges,  for  sometyme  they  sounde 
hym  lîke  as  we  do  in  our  tonge  in  thèse  wordes  :  a  dewe^  a  shrewe^  afewc  n  and 
sometyme  liKe  as  we  do  m  thèse  wordes  tnwe^  gtew^  rewe^  a  mewc.  »  Le  premier 
son  qui  est  le  plus  général  est,  dit  Palsgrave,  celui  qui  se  trouve  dans  iréux, 
euréux^  luu.  Dieu;  c'est  donc  notre  son  eu.  L'autre  se  fait  entendre  dans  les  par- 
tictpes  deccu^  receu^  beUy  deu^  etc.,  dans  les  parfaits  en  eus,  et  dans  quelques 
noms  adjectifs  tels  (\ue  fourcha ^  barbu,  etc.,  dans  lesquels  Jean  Le  Maire  omet 
Ve  comme  cela  devrait  se  faire  en  rcaltlé  (of  whiche  adjectives  Jehan  Le  Maire 
leaveth  the  e  unwritten,  tike  as  they  shulde  in  dede  be  written),  Ici^  on  le 
voit,  on  a  affaire  à  notre  u.  Et  en  effet,  p,  8,  quand  Palsgrave  explique  la  pro- 
noactation  de  lu,  il  la  compare  à  celle  de  l'anglais  ew  dans  les  mots  :  c  rewe  an 
herbe,  a  mcwe  for  a  hauke,  a  ciew  of  threde  d  précisément  ceux  qu'il  cite  potir 
noter  le  second  son  de  eu^  celui  qui  est  aujourd'hui  écrit  u. 

Palsgrave  distingue  donc  catégoriquement  d'un  côté  eu  qui  est  resté  eu^  de 
l'autre  eu  (que  Ton  écrit  aujourd'hui  u)  et  u  qui  ont  même  prononciation.  Il 
représente  ces  deux  sortes  de  sons  par  un  même  équivalent  eWj  mais  cet  équivalent 
a  une  double  valeur.  Comme  j'ignore  quelle  était  au  temps  de  Palsgrave  la  pro- 
nonciation de  dewe  et  celle  de  trcwe^  \e  ne  puis  dire  jusqu'à  quel  point  ces  nota- 
tions sont  précises.  Mais  il  n'en  ressort  pas  moins  que  pour  Palsgrave  u  n'est 
pas  identique  à  eu. 
Nous  arrivons  maintenant  aux  rimes  citées  par  M.  Talbert.  La  plupart  des 
Remania,  V  26 


401 

ffiffiln  Mil  eapnrt£i  «■  pso»  Dk  B«tjs  et  an  provençal  Lirtigaes  :  je 
téèwéamhaaKmfkÈétÙmBanméet  natefloqfBe/nMiôr  iar,  kmém, 

mafe,  ctc^  efc  ;  dans  LattigMs  dci  liaci  Idks  (fÊtfm  JnllB,  lâîaur  ^«scMdaj, 
fnîimâMt  dax,  €rs3sea  damâ^  ÊÊnt  fémmst^  de.  Cn  noMiy  on  en  peitl  mui* 
tijplier  le  «OMbrc  ndéfianeat  ;  ks  poêles  mèMoÊornsL  m  «eut  et  abusent.  Nous 
aïons  TD  qae  Tb.  ëe  Bcie  signiaii  éql  ce  fait  cMBe  propre  a  la  Gascogne; 
il  appartient  i  tool  le  doinuM  île  la  hngioe  d*oc.  Les  OBèridjûfiattx  eo  effet  ut 
connaissent  pas  dans  leur  idione  le soo  cn,  lo  et  Fi  bfef  af ant  donné  chez  eoi  é 
on  00,  el  To  bref  ayant  donné  ^«  onr,  m^  etc«  D  en  réssite  que  quand  les  éciitajos 
dn  »dî  se  mirent  â  tant  on  à  parkr  le  Irançais,  ne  poaviot  prononcer  ce  son 
a  qoi  lenr  était  étrangler,  ils  l'assonilàent  an  sooqnîenéUit  le  plus  voism,  ira, 
on,  par  noe  de  ces  erreurs  dont  on  voit  yonnidUenieot  des  exemples  dans  U 
boncbe  des  personnes  cherchant  à  parler  nne  langne  étrangère,  identi6ércnt  m 
et  it  et  donnèrent  à  tous  deux  soit  le  son  n,  soit  le  son  en. 

ToutekMS  la  réduction  de  <a  à  n  est  le  cas  le  pins  ordinaire;  et  ce 
n'est  pas  seulement  chez  les  poètes  qu'on  la  constate,  m^M  chez  les  prosa* 
leurs  :  Montaigne  écrit  àsturi  pour  à  cttu  ktmt^  Mooluc  écrit  ant  cts  d'hommf^ 
c.-i-d,  mie  qaau  (Commentaires,  L  11^  p.  6;o^  éd.  de  Rnble).  Il  est  inutile  de 
multiplier  ces  exemples  qui  oe  prouvent  quelque  chose  que  pour  U  prononctâtioo 
du  avançais  dans  la  bouche  des  méridionaux  *.  En  dehors  de  Du  Bartas  et  de  Larti* 
gués,  M.  T.  cite  encore  des  rimes  de  Ronsard  :  issu  reau  (p.  m)i  <^c  Malherbe 
cmx  dkmx  (ibid.).  Il  n'y  a  pas  à  mettre  en  doute  que  Ronsard  proaooçait 
comme  nous  issu  et  n^a  ;  et  quant  aux  rimes  de  Malherbe^  ce  sont  ces  nmfS 
normanda  dont  parle  Th.  de  Béze  et  que  nous  avons  signalées  plus  haut 
Malherbe^  d'après  la  pronouciation  de  son  pays^  disait  dàtutXnondèçu,  Lorsque 
Rabelais  fait  rimer  minute  avec  mcuu^  c'est  qu'il  donne  à  mmte  la  prononciation 
de  muu  que  nous  avons  également  reconnue  plus  haut.  Quand  Guill.  Crétin  dans 
SCS  rimes  équivoquées  oppose  pîantmtmi  à  planu  hearetist^  il  n'y  a  rien  d'invrai- 
semblable à  admettre  qu'il  prononçait  pUnU  hurmse,  M.  T.  s  appuie  encore 
sur  des  rimes  de  mots  latins  en  n^,  ur  ;  £nntuj  rimant  avec  mîaa  dans  B.  des 
Périers,  Je  ne  contesterai  pas  la  prononciation  Enniius;  c'est  là  un  mol  latin  cl 
non  français;  or  c'est  la  prononciation  de  lu  français  seulement  qui  seule  est  en 
discussion»  et  les  exemples  latins  de  Brantôme,  de  Coquillart^  de  Tabourol,  que 
M.  T.  apporte  soit  dans  sa  lettre  sort  dans  son  Etude  sur  h  diaUcît  blaUois^  ne 
prouvent  rien  pour  la  prononciation  de  la  voyelle  française. 

Après  avoir  examiné  les  poètes  du  XVI'  siècle,  M  T.  remonte  au  XV*  pour 
établir  que  cette  prononciation  fu  de  u  est  un  héritage  d'une  époque  antérieure^ 
et  il  interroge  le  mystère  du  siège  d'Orléans,  Sur  les  vingt  mille  vers  dont  se 
compose  cette  composition  indigeste^  écrite  et  rimée  avec  une  négligence  qui  lui 
enlève  toute  autorité,  il  trouve  une  vingtaine  de  strophes  dans  lesquelles  m 
rime  avec  u,  Admettons  la  valeur  de  ces  rimes.  M.  T.  cite  p.  ex.  Duu  pada^ 
wuliu  Duu^  tenu  luu^  nau  provcu^  perdu  to,  tsieu  conclu,  venue  car,  lîeae  rtpttà 
où  rien  ne  nous  défend  de  lire  Dm,  liu^  lirnc^  prononciation  dont  on  a  d'aui 


9t 


l 


TALBERT,  De  la  prononciation  de  /*u  40^ 

eiemplcs.  Ailleurs  trouvant  la  série  vcmi^  nuls,  menui,  rntnuZj  M.  T.  lit  hardi- 
ment  ventât^  ntah,  mtnaii,  nttttmz  en  s*aulortsanl  du  vers  suivant  :  Neulz  m 
vousosifOU  contredire  (139),  mais  là  neuh  est  dissyllabe,  se  prononce  ni-uh  et 
vient  non  de  nuilus  qui  a  donné  nul^  mais  de  ne  uîlus  «  pas  même  un  p.  Les 
rimes  murs  (muros),  /ï^fjrj  (heurts),  seigncun  fureurs,  seigneurs  heurs  saurs  (securos>, 
vo/earj,  hbeurs^  diffamateurs,  àecenurs,  leurs  (turcs),  honneurs,  n'ont  rien  que 
de  régulier  et  prouvent  seulement  que  la  prononciation  meur  de  mur,  seiir  à  côté 
de  jdr,  signalée  plus  haut,  remonte  au  XV  siècle,  ce  qui  n'est  pas  étonnant. 
Quant  à  Turcs  prononcé  Tturs,  on  peut  y  voir  la  même  influence  de  IV.  \\ 
cite  enfin  plusieurs  strophes  où  Ton  voit  demeure,  heure,  labeure^  meure,  rekcure 
rimer  avec  adventure,  conclure,  creûUire,  deconfitan,  dure,  laidure^  mesure,  parjure, 
procure,  stpuilatc.  Faut-il  admettre  une  prononciation  demure  hure,  etc.  ?  nous 
ne  le  pensons  pas;  des  rîmes  par  à  peu  près?  c'est  vraisemblable;  mais  on  peut 
croire  à  une  prononciation  adventeurc,  etc.,  car  on  a  ici  précisément  cette  termi- 
naison ure  o\i  nous  avons  déjà  signalé  Taction  troublante  de  IV  ^ 

Pour  le  XIV*  siècle,  M.  T,  cite  un  exemple  d'E,  Deschamps  qui  fait  jimeffeu 
^ocum)  (écrit  fa)  avec  /«  —  fait.  11  en  conclut  qu'il  faut  lire  et  prononcer  dans 
les  deui  mots  feu;  conclusion  bien  hardie  quand  on  songe  que/u  =^  fuit  se  pro- 
t  noflçait  fu  dans  la  vieille  langue  et  a  gardé  cette  prononciation  dans  la  langue 
moderne;  qu'au  contraire  il  n'est  pas  plus  étrange  que  fècum  ait  en  passant  par 
fm  abouti  dialectalemcnt  i  fu  qu'il  ne  l'est  de  voir  fùram  en  passant  par  fear 
aboutir  â  fur, 

Enfin  M.  T<  cite  un  dernier  exemple  pris  au  poème  de  Hugue  Capet  i  t  A 
Wons  cl  à  Mabeuge^à  Vins  et  à  Reus,  »  Il  ïît  ce  dernier  mot  Rkus.  «  Comment», 
me  demande-t-il,  t  comment  rendez- vous  compte  de  Rius  qui,  sauf  erreur,  vient 
de  Rodiamî  II  aurait  dû,  me  semble-t*il,  prendre  la  forme  Rui  et  non  Réus^^ 
]  comme  hui  ou  ui  de  hodic,  cnui  de  modiOf  put  de  podium,  muid  de  modium,,.  Je 
crains  bien  (pourquoi  ne  pas  le  dire  franchement?)  que  pour  rendre  compte  de 
Rius  aujourd'hui  Rœulx  Mat,  Rodium)  vous  ne  soyez  obligé  d'avoir  recours  h  une 
de  ces  formes  ingénieusement  hypothétiques  dont  l'école  historique,  sous  une 
apparente  rigueur,  offre  à  mon  avis  de  si  nombreux  exemples  n^.  M*  T»  s'alarme 
à  tort  :  odium,  podium^  hodie,  modium  ont  donné  ennui,  pai,  hut,  mui,  parce 
qu'ils  ont  l'a  bref,  mais  Rodium  pour  donner  Rcux  avait  sans  nul  doute  Vo  long 
comme  vorum  qui  a  donné  vœu,  nodum  qui  a  donné  nœud  et  les  mots  en  6rem 
qui  ont  donné  eur.  On  comprend  maintenant  comment  le  Reus  de  Hugues 
Capet  se  prononçait  bien  Reus  comme  il  est  écrit,  et  comme  il  se  prononce 
encore  aujourd'hui,  et  non  Rèus  ou  Ràus  par  un  dissyllabe  dont  la  méthode 
•  d'observation,  de  comparaison  et  d*induction  1  que  revendique  pour  lui  i*au- 


K  Dam  le  Dialecte  btaisoîs  (p.  49)»  M-  T.  dit  qu'ju}ourd*hui  I  Blois  et  aun  environ* 

\  M  tonne  i  généralement  »  eu  ;  il  cite  des  panidpes  passés  en  i/,  et  des  substantifs  en  ur, 

I  urt,  La  prononciation  des  participes  tels  que  vaincu  =  yainqueu  peut  être  une  extension 

tnalûgique  de  la  prononciation  de  beu  =  beà,  etc.  ;  la  diphihongue  tû  dont  Th.  de  Bèit 

constate  en  1  i84  la  prononciation  eu  dam  l'Orléanais,  a  aussi  conservé  jusqu'à  nos  iours 

'  '••*£  prononciation.   Quant  aux  substantifs  en  ur,  un  où   Vu   repose  sur  un  a  laun,  il 

l  voir  dans  la  prononciation  eur,  iure  qu'ils  affectent  TmAuence  de  Vr  voisin  {nature 

eure,  morsure  mourseure^  piqûre  piqueure), 

2.  Pronoocet  Ritus.  Aujourd'hui  Rceulx  prononcé  Reu. 

|.  P.  (6  et  H. 


404  COMPTES-RENDUS 

leur,  aurait  peine  à  rendre  compte;  qu'ainsi  du  X1V«  siècle  à  nos  jours  la  pro- 
nonciation Rioi  n'a  p;is  changé.  Mais,  dira  M.  T.,  le  vers  d'Hugues  Capet 
est  faux  ?  oui|  comme  bien  d*autres  du  poème  édité  par  M.  de  La  Grange.  Qui 
ne  voit  qu'il  faut  le  corriger  tout  bonnement  en  :  A  Morts  et  à  Mauhmgc  et  à 
Ym  a  à  Rms? 

11  est  temps  de  clore  cette  discussion.  Je  crois  avoir  réduit  à  leur  exacte 
valeur  les  arguments  dont  M.  T.  se  sert  et  auxquels  il  donne  une  portée  qu'ils 
ne  sauraient  avoir.  Le  témoignage  de  Palsgrave  montre  qu'il  distinguait  a  de 
tu;  les  rimes  des  poètes  qui  sont  alléguées  ne  prouvent  que  leur  prononciation 
dialectale;  et  il  reste  établi  que  dans  la  langue  commune  t'ô  û  et  Vo  ont  abouti  à  f 
un  m  qui  sauf  deux  ou  trois  mots  est  resté;  que  «  n'a  pas  subi  de  changement 
depuis  les  origines  de  la  langue  jusqu'à  nos  jours,  sauf  quelques  mots  où  s'est  •■ 
fait  sentir  Taction  d'un  r  voisin  dans   ta  prononciation  populaire  ;  et  que  iu  ^\ 
abouti  à  u  dans  la  langue  après  quelques  incertittides  et  quelques  fluctuations  | 
dont  nous  avons  conservé  encore  une  ou  deux  traces. 

Un  dernier  mot  pour  finir*  Dans  les  pages  précédentes  je  n*ai  cherché  qu'à 
établir  ou  qu'à  discuter  des  faits  qui  combattent  ou  paraissent  prouver  la  théorie 
de  M.  Tatbert.  Cette  théorie  elle-même,  malgré  les  développements  qu'il  lui 
donne^  il  ne  la  formule  point  d'une  façon  assez  précise  pour  qu'il  ne  me  reste 
aucun  doute  sur  le  fond  de  sa  pensée.  Admet-il  que  depuis  les  origines  Vu  avait 
deux  sons,  ^etu,  qui  vécurent  l'un  à  côté  de  Tau  ire  presque  jusque  vers  la  fin  du 
XV!'  siècle,  époque  où  u  aurait  supplanté  ta  ?  Ou  croit-ilqu'à  un  moment  donné 
de  l'histoire  de  la  langue,  le  XIV  siècle  peut-être,  des  sons  d*origine  diverse, 
venant  ainsi  de  Tô,  u  et  de  l'il  latin,  se  seraient  fondus  en  un  son  unique  m  qui 
à  la  fin  du  XVI*  siècle  aurait  commencé  â  se  scinder  en  m  et  en  u  î 

Je  crois  que  M.  T.  est  forcé  d'admettre  Tune  ou  l'autre  de  ces  deux  manières 
de  voir.  Or  non  seulement  elles  ne  reposent  sur  aucune  preuve  sincère,  mais  en 
elles-mêmes  elles  sont  insoutenables.  A4-on  un  seul  exemple  d'une  langue  qui 
aurait  deujf  sons  différents  pour  une  même  voyelle,  et  cela  non  pas  dans  quelques 
mots  isolés  à  prononciation  incertaine,  mais  dans  tous  les  mots  présentant  cette 
voyelle?  Ce  serait  un  miracle,  ou  plutôt  une  monstruosité  dans  Thisloire  du 
langage.  Et  pour  prendre  la  seconde  manière  de  voir,  ne  serait-il  pas  également 
merveilleux  que  quand  deux  sons  différents  £?  et  u  seraient  venus  se  fondre  dans 
un  son  unique  ta^  celui-ci,  se  scindant  â  son  tour  en  eu  et  en  u,  la  répartition  se 
fût  faite  si  exactement  que  précisément  IVu  serait  revenu  aux  mots  ayant  Vé 
primitif  et  Vu  aux  mots  ayant  Vu }  Li  encore  on  aurait  un  fait  unique  dans 
Thistoire  des  langues.  Et  c'est  pourtant  entre  ces  deux  impossibilités  que  M,  T. 
devra  choisir  s'il  persiste  à  soutenir  une  théorie  dont  je  pense  avoir  détruit  les 
appuis  même  apparents. 

A.  DARUEfiTlTEB. 


I 

I 


PERIODIQUES 


h  Rsvue  DES  LAKOUBs  RûMANBS,  2*  séfie,  t.  I,  ii<>*  I  à  4  (jaDvief-avril 
1876).  —P.  I.  Boucherie,  Um  nouvelle  révision  des  pointes  de  Ckrmont.  M.  B., 
prenant  pour  h^st  rédition  de  ces  poèmes  publiée  par  G.  Paris  dans  la /Îi)m4/îw 
(lel  JI),  a  collalionné  le  ms.  de  Clermont,  et,  comme  il  arrive  généraîemenl 
en  ce  cas,  a  rectifié  un  certain  nombre  de  leçons.  Ce  sont  en  général  des  fautes 
de  Champollion,  ïe  premier  éditeur,  que  G.  Paris  avait  négligé  de  rectifier.  A 
dire  vrai,  le  travail,  en  soi  méritoire,  de  M.  B.  perd  beaucoup  de  son  intérêt 
par  ce  fait  que  la  Société  des  anciens  textes  français  vient  de  publier  un  fac- 
similé  complet,  et,  disons-le^  fort  réussi,  des  poèmes  de  Clermont*  Il  faut  bien 
ajouter  qu'ici,  comme  dans  la  plupart  de  ses  travaux,  M.  B.  manifeste  des 
opinions  fort  hétérodoxes,  comme  !orsqu*il  prétend  (p,  13)  que  des  finales 
masculines  peuvent  s*accorder  (en  rime  ou  en  assonance)  avec  des  finales  fémi- 
nines, par  ex.  rjmj  dans  ta  Passion  (couplet  lo)  SiStc  branchts.  C'est  là  une 
hérésie  des  plus  condamnables,  et  c'est  l'aggraver  encore  que  chercher  à  l'ati- 
toriser  des  passages  du  Rolani  où  des  assonances,  les  unes  masculines,  les  autres 
féminines,  se  trouvent  mêlées  dans  la  même  tirade  (tirade  2 13).  Les  récents 
éditeurs  s'accordent  en  effet,  et  avec  toute  raison,  à  considérer  ce  mélange,  du 
reste  tout  à  fait  accidentel,  comme  une  des  nombreuses  erreurs  commises  par 
le  copiste  peu  attentif  i  qui  nous  devons  le  ms.  unique  de  la  plus  ancienne 
rédaction  de  Rolûnî.  —  P.  34,  Chabaneau,  Noies  critiques.  Le  roman  de  Fia- 
mtnca.  Les  observations  de  M.  Ch.,  qui  s'appliquent  aux  143 1  premiers  vers  du 
poème,  ne  se  recommandent  pas  toutes  par  leur  nouveauté.  Mon  édition  de  F/4- 
maica  a  été,  lors  de  sa  publication^  l'objet  d'un  examen  critique  très-détaillé 
de  la  part  de  MM.  Bartech,  Mussafia  et  Tobler,  M.  Ch.,  informé  de  l'existence 
de  ces  comptes-rendus  (voy.  p.  24,  note)^  mais  ne  les  ayant  pas  lus^  a  cru 
pouvoir  néanmoins  publier  ses  remarques.  D'où  il  résulte  que  sur  bien  des 
points  il  s'est  rencontré  sans  le  savoir  avec  ses  devanciers,  tandis  que  pour 
d'autres  passages  des  corrections  peut-être  meilleures  avaient  déjà  été  proposées. 
Ci  et  là  cependant,  entre  des  interprétations  nouvelles,  mais  peu  admissibles, 
se  rencontrent  quelques  remarques  utiles,  il  ne  faut  pas  du  reste  oublier  qu'il  est 
assez  aisé  en  1876  de  trouver  à  reprendre  dans  un  texte  provençal  publié  en 
1S65.  Il  y  a  longtemps  que  je  me  suis  fait  à  moi-même  plusieurs  des  obscrva- 


1 .  Le  manque  d ^espace,  dans  ce  numéro  déjà  surchargé,  nous  oblige  à  remettre  au 
mois  d'octobre  plusieurs  périodiques  doni  ta  notice  e^t  composée. 


406  PÉRtODÎQyES 

lions  que  présente  maintenant  M,  Ch.  :  ainsi,  en  i86},  jVi  pu  hésiter 
sur  la  forme  du  futur  en  *ûa  que  M,  Cb*  me  reproche  d*avoir  corrige  au 
V.  n59  en  -an.  Mais  M.  Cb.  peut  bien  croire  que  maintenant  je  ne 
ferais  plus  la  même  correction.  De  même  pour  les  hoinetâs  du  v.  94)  que  je 
proposais  de  modifier  en  pomtias.  Ce  serait  selon  M.  Ch.  t  le  nom  d'une 
pâtisserie  en  forme  de  borne  (boina),  *  Sur  ce  point  j'étais  déjà  mieux  renseigné 
un  an  après  la  publication  de  Flamenca,  Je  ne  me  représente  pas  bien  un  gâteau 
en  forme  de  «  borne  i,  et  je  ne  connais  pas  boina  en  provençal  ancien,  bien 
qu'il  y  ait  botiino  en  prov.  mod.,  mais  dès  1866  je  rapprochais  toineias  du  prov. 
mod.  botigfiito,  beignet  (fî£v.  cnf,,  1866,  I,  J91).  —  P.  ^6,  Poésies  de  l'abbé 
Niric  (suite).  Faible.  -  P.  44.  Langarenne,  Notice  sur  le  patois  sainiongcms 
(suite).  Utiles  remarques  quf  auraient  pu  être  présentées  dans  un  meilleur  ordre. 
Soit  dit  en  passant,  châ^  dans  chd  petit,  a  châ  «/i/ijetc,  n*est  point  du  tout  chaque^ 
mais  cata;  voy.  Romania,  II,  83,  —  P,  60.  Noulet,  Histoire  littéraire  du  midi  de 
la  France  au  XVIII'  siècle  (suite).  Travail  fait  avec  goût  et  parfaite  connaissance 
du  sujet,  nombreux  extraits  de  pièces  rares*  On  regrette  seulement  la  pauvreté, 
je  pourrais  dire  l'absence,  des  indications  bibliographiques,  —  P.  12^.  Roqucs-J 
Ferricr,  De  la  double  forme  de  l'articU  et  des  pronoms  en  langue  d*ce.  On  sait  quc-^ 
le  plur.  de  l'article  languedocien  est  loas  (masc.)  et  las  (fém  )♦  A  côté  de  ces 
formes,  M.  R.-F,  en  a  retrouvé,  dans  le  parler  de  diverses  parties  du  Lan- 
guedoc, d'autres  où,  devant  une  consonne,  Vs  fait  place  i  un  /,  ainsi  :  loas 
ornes,  las  aucas^  mais  loui  loups,  lai  femnas;  et  le  même  fait  s'observe  dans  les 
pronoms  qui  se  terminent  au  plur.  par  une  i,  nious  et  moui,  mas  et  mat,  etc. 
Poursuivant  curieusement  ses  investigations  à  travers  un  certain  nombre  de 
poésies  du  siècle  dernier  et  de  notre  temps,  M.  R.-F.  y  a  reconnu  Tobservation 
plus  ou  moins  régulière  de  cette  règle  d'euphonie,  qui  paraît  actuellement 
tomber  en  désuétude,  loas  et  las,  ctc,  tendant  de  plus  en  plus  à  s'employer 
aussi  bien  devant  les  consonnes  que  devant  les  voyelles.  Le  fait  mis  en  lumière 
par  M,  R.-F,  n'avait  point  été  que  je  sache  remarqué  jusqu'à  ce  jour,  tl  est 
d'autant  plus  intéressant  qu'il  se  rattache  à  un  certain  développement  de  Vi 
semi-voyelle  en  ancien  provençal,  qui  depuis  longtemps  a  attiré  mon  attention, 
et  sur  !pqu€l  je  publierai  prochainement  quelques  recherches.  —P.  158.  Monteî 
et  Lambert,  Chants  populaires  du  Languedoc  (suite).  —  P.  192.  Bibliographie  : 
La  Chanson  de  la  Croisade  contre  les  Albigeois^  p.  p.  P.  Meyer,  t.  I,  compte- 
rendu  très-étudié  pour  lequel  j'adresse  tous  mes  remerciements  à  M.  Chabaneau 
qui  pourra  voir,  par  les  additions  et  corrections  que  renfermera  le  second  tome 
de  ma  pubticalion,  dans  quelle  mesure  j'aurai  profilé  de  ses  remarques.  Je  suis 
obligé  de  constater  que  les  questions  posées  dans  un  précédent  cahier  de  la 
Remania  {IV,  267  et  suiv/)  sur  douze  passages  difficiles  demeurent  toujours  sans 
solution*.  Mais  les  critiques  d'outre  Rhin  n'ont  pas  encore  examiné  mon  texte, 
et  il  y  a  grand  espoir  qu^iïs  tiennent  en  réserve  les  corrections  que  j'ai  vainement 
cherchées,  —   Vie  de  sainte  Marguerite  en  vers  romans^  p,  p.  le  D''  Noulet  Urt, 


j.  Du  moins,  sins  jotution  définitive.  Pour  la  question  IV,  sur  et  vers  «i  Doncs  aportoit 
tas  faihai  tan  grandas  com  us  rais  (p  t)  où  rais^  m.  à  m.  urayon  »,  ne  paraît  pas  offrir 
beaucoup  de  sens,  M.  Ch.  propose /rd/j  (Irène)  qui  me  semble  infiniment  peu  vrabem* 
blable* 


PÉRIODIQUES  407 

de  M.  Chabaoeau»  cf.  România,  IV,  482),— t//ï  iToabadour  apiisun^f^rV ,\Àt\i- 
taud  (le  même;  cf.  Romanta^  IV,  $io)«  —  La  conqulU  de  ConstaniinopU  dtG,  de 
VUUhardomn,  p,  p,  N.  de  Wailly;  Ectaircissements  (A.  B.),  —  La  Guerre  de 
Metz  en  i  J24,  p.  p.  E.  de  Bouteillcr,  suivi  à*iiuda  criù*jucs  par  F.  Bonnardot 
(A.  B.)-  —  Historia  littcraria  del  dtcaniabo)  enduâsiUbo  anâpesticôs,  par  M»  Mila 
y  Fontanais  (A.  B.,  cf.  Romarxia,  IV,  ^o8J.  —  Trei  camoi  tn  pkna  Ungua 
romatia  com  data  Jmfn  RudtL  M.  Chabaneau  loue  le  mérite  poétique  de  ces 
trois  chansons  récemment  composées  et  publiées  à  Montpellier  ;  il  devait  ajouter 
que  Tauteur  eût  été  mieux  inspiré  en  faisant  usage  soit  du  français  soit  du 
patois  de  son  pays^  au  lieu  de  faire  de  vains  efforts  pour  s^exprimcr  en  pro- 
vençal ancien.  —  P.  429,  Périodiques. 

j  (15  niai  1876).  Avec  ce  cahier  la  Revue  des  langues  romanes  inaugure  un 
nouveau  mode  de  publication.  Désormais  elle  parakra  le  1  ^  de  chaque  mors. 
L'avenir  montrera  si  une  périodicité  aussi  fréquente  n'est  pas  sans  inconvé- 
nients. Il  nous  semble  que  la  publication  par  minces  fascicules  (celui-ci  n'a 
que  trois  feuilles  et  demie)  obligera  les  directeurs  de  la  Revue  à  morceler,  plus 
encore  que  par  le  passé,  les  mémoires  étendus.  Le  présent  fascicule  ne  contient 
qu'un  travail  qui  soit  de  noire  ressort:  Une  colonie  imotaine  en  Samtonge  (Saint- 
Eutrope),  par  M.  Boucherie.  Il  s'agit  d'une  enclave  de  patois  limousin 
formée  par  la  commune  de  Saint- Eutrope,  située  dans  une  partie  du  départe- 
ment de  la  Charente  où  se  parle  le  patois  saintongeais.  On  ne  sait  pas  à 
quelle  époque  le  limousin  a  été  apporté  dans  celle  localité^  et  il  résulte 
des  renseignements,  bien  incomplets  il  faut  le  dire,  qu'a  pu  réunir  M.  B., 
qu'il  disparaît  rapidement,  chassé  par  le  saintongeais  el  le  français.  C'est  de 
toute  façon  une  enclave  fort  peu  importante^  et  qui  ne  peut  légitimement 
être  comparée  aux  colonies  albanaises  et  grecques  de  fltalie  que  M.  B. 
rappelle  au  début  de  son  article.  Je  ne  sais  ce  que  M.  B.  veut  dire  lorsqull 
parïe,  comme  d'une  colonie,  do  canton  de  Courtisofs,  en  Champagne.  11  n'y  a 
là  rien  qui  ait  îe  caractère  d*une  colonie.  Les  habitants  de  Courlisols  parlent 
un  patois  qui  n'est  que  l'ancien  dialecte  champenois  plus  ou  moins  altéré.  Ce 
qui  fait  la  différence  entre  eux  et  leurs  voisins^  c'est  qu'ils  ont  conservé  un 
patois  qui  dans  la  contrée  environnante  a  cédé  la  place  au  français.  —  P.  J04-), 
Création  de  chaires  de  phihhgte  romane.  Dans  cette  note  non  signée,  la  rédaction 
de  la  Revue  constate  que  son  voeu  en  faveur  de  la  création  de  chaires  de  philo- 
logie romane  vient  de  se  réaliser,  sinon  en  France  du  moins  en  Italie  [voy. 
ci-dessus,  p.  256)-  Sans  vouloir  le  moins  du  monde  faire  obstacle  à  un  désir 
qui  de  la  part  de  nos  amis  du  Midi  nous  semble  fort  légitime,  nous  devons 
cependant  faire  remarquer  que  leur  critique  de  Tétat  actuel  de  notre  ensei- 
gnement^ en  ce  qui  touche  la  philologie  romane,  n'atteint  pas  exactement  le 
but.  Il  ne  serait  pas  exact  de  dire  que  renseignement  des  Facultés,  tel  qu'il  est 
ofÔciellement  constitué,  ne  laisse  aucune  ouverture  à  l'enseignement  de  la  phi- 
lologie romane.  Il  y  a  dans  chacune  de  ces  facultés  un  professeur  pour  la  litté- 
rature française  et  un  autre  pour  les  littératures  étrangères.  Il  est  parfaitement 
loisible  à  ces  professeurs  de  faire  des  leçons  de  pure  philologie,  soit  française, 
soit  italienne,  soit  espagnole^  soit  portugaise  ;  de  même  que  les  professeurs  de 
littérature  ancienne  traitent  de  \3  philologie  grecque  ou  latine.  Ils  ont  sinon  le 


^0%  PÉRIODIQUES 

devoir,  dti  moins  le  droit  d*exp!iqiier  Rohnt,  Joinvitle,  Dante  Je  poème  du  Cid, 
Le  provençal  même  n'est  pas  en  dehors  de  leur  ressorL  Fauriel,  il  y  a  plus  de 
<|uar3nte  ans,  et  plus  récemment  M.  Baret,  ont  traité  de  b  littérature  proven- 
çale dans  des  chaires  de  littérature  étrangère»  De  sorte  qu'en  rcaltté,  ce  qui 
manque,  ce  ne  sont  pas  les  chaires,  mais  les  maîtres.  Assurément,  pour  la 
philologie  en  général  (non  pas  seulement  pour  les  études  romanes  en  particulier) 
nous  sommes  fort  Inférieurs  à  TAilemagne;  mais  je  ne  crois  pas  que  pour  nous 
éleverj  il  suffise  d'obtenir  de  l'Étal  de  nouvelles  chaires  qui  feraient  en  partie 
double  emploi  avec  celles  qui  existent  déjà.  P.  M. 


IL  JaHRBUGH  fur    ROMAN180HE    UND    ENGLISCHE   St»R\CHE    V^ti    LlTERATU», 

XV,  2,  —  P*  i}h  Hsefelin,  Recherches  sur  Us  patois  romans  du  catiton  de  Fn* 
tour  g  (nous  publierons  dans  le  prochain  numéro  des  observations  étendues  àe 
M*  J.  Cornu  sur  cet  article).   —  P.   178,  Kœlbing»  lu  der  Ancrm  RiwU  (colla- 
tion du  ms»  de  Cambridge).  —  P.  198,  Rœnsch,  NachUse  au/  dcm  Ccbictt  roma- 
ntschtr  Etymologk  (textes  latins  reîalifs  aux   mots  subgrunda^  mmisitrialis,  et 
suggestion  peu  acceptable  de  gazetum  comme  étymologie  à  gaztttà),  —  P,  201, 
Gcssner,  Esse  ah  HUfsvcrb  des  riptxinn  Zeitnorus  m  Franictsischin  (j'ai  étudié 
cette  question  dans  une  de  mes  leçons  celte  année,  à  propos  du  Fragment  4t 
Vahncunms^  et  je  suis  arrivé  à  peu  près  au  même  résultat  que  rend  si  vraisem- 
blable ta  savante  exposition  de  M.  G*;  on  notera  dans  son  travail  les  exemples 
de  iVïïiploi  d'wse  avec  les  verbes  réfléchis  en  ancien  espagnol),—   P,   iix , 
Lindner,   zut  Formcnîehre  des  Pron,  ni.   im  tngUschen.   —   Comptes -rendus. 
Darmesteter,    Traité  de  k  formation  des  mots  composés  en  français  (Koschwitz). 
[La  récension  de  M.  K,  est  surtout  consacrée  à  discuter  te  plan  de  Touvrage. 
M*  K,   me  reproche  d*avoir  rejeté    le   plan   de  Dic2,   plus  conforme  â   une 
grammaire  historique,  pour  suivre  une  classification   reposant  sur  des  prin- 
cipcs    psychologiques  qui  n'ont  leur  place  que  quand  rélude  historique  d'une 
langue  est  achevée  dans  ses  détails.  J'ai  d'ailleurs  été  inconséquent  en  admet- 
tant la  composition  par  particules  entre  h  juxtaposition  et  la  compositron, 
cellesci   reposant   sur   des    procédés    logiques»   celles  li   sur   les   caractères 
extérieurs  des  mots.   Mes  divisions  sont  incomplètes,  n'offrant  pas  de  place 
à  la  composition  impropre^  celle  oh  des  mots  formés  par  juxtaposition  arri- 
vent à  former  des  mots  simples  {îitnac  dies,  lundi}.  Les  subdivisions  du  cha* 
pitre  de  la  juxtaposition  ne  reposent  pas  sur  les  mêmes  principes  que  les  divi- 
sions générales.  J'ai  tort  de  ne  pas  voir  des  composés  dans  les  juxtaposés  avec 
synecdoque  ou  métaphore;  de  n'avoir  pas  distribué  dans  les  premiers  chapitres 
les  composés  latins  d'origine  savante,  devenus  populaires»  etc.,  etc.  —  M.  K. 
ne  semble  pas  avoir  vu  que,  dans  Tétude  des  composes,  le  point  de  vue  histo- 
rique se  confond  avec  le  point  de  vue  psychologique.  Un  mot  composé  est  une 
proposition  en  raccourci,  et  l'étude  historique  des  mots  composés  est  l'étude  des 
conceptions  diverses  qui  ont  présidé  k  la  construction  de  ces  propositions,  de 
même  que  Tétude  historique  de  la  syntaxe  est  Télude  des  conceptions  diverses 
qui  ont  successivement  présidé  à  la  construction  de  la  phrase.  Si  donc  l'on  veut 
étudier  la  jormation  des  mots  composés,  on  doit  renoncer  au  plan  de  Dieï  qui 
ne  répond  pas  à  l'étude  hislori^ui  du  sujet,   mais  aboutit  à  des  statistiques, 


PÉRIODIQUES  409 

classées  artiftciellemeitt,  des  composés  de  la  langue  actuelle.  On  doit  classer  les 
composés  d'après  les  principes  psychologiques  auxquels  ils  ont  dâ  leur  naissanct^ 
et  mettre  au  second  rang  les  traits  qui  ont  pu  caractériser  leur  évolution  posté- 
rieure. On  doit  renoncer  â  faire  une  classe  spéciale  de  ces  prétendus  «  composés 
impropres  qui  deviennent  propres  »  et  qui  sont  de  simples  juxtaposés,  où,  après 
la  réduction  à  l'unité  d'image  des  deux  concepts  du  déterminant  et  du  déter- 
miné, les  deux  éléments  se  sont  soudés  :  lundi  ne  diffère  pas  de  gendarme  pour 
la  formation  et  le  développement  du  mot.  On  doit  mettre  à  part  les  composés 
de  formation  savante^  qu'ils  soient  devenus  populaires  ou  non,  quels  que  soient 
les  principes  de  leur  composition,  C*est  en  conséquence  des  mêmes  principes  que 
je  o'ai  pu  voir  des  composés  dans  les  juxtaposés  par  synecdoque  ou  métaphore, 
qui  présentent  dans  leur  formation  non  les  procédés  employés  par  l'esprit  pour 
créer  des  composés^  mais  ceux  qu'il  met  en  œuvre  dans  la  transformation  des 
signi6cations  des  mots  simples.  J'ai  dû  faire  une  section  de  la  composition  par 
particules,  parce  qu'elle  doit  être  étudiée  d'ensemble,  et  que  par  certains  traits 
organiquei  (la  production  des  parasynthétiques)  sa  formation  ïe  sépare  de  celle  de 
la  juxtaposition  et  de  la  composition.  Je  n'ai  pas  subdivisé  les  juxtaposés  d'après 
des  principes  logiques,  parce  qu'il  n*y  en  a  pas;  tous  les  juxtaposés  présentent 
les  mêmes  caractères  de  formation.  M.  K,  aurait  voulu  qu*après  une  introduc- 
tion générale  consacrée  à  l'étude  logique  des  composés  j'eusse  suivi  t  ïa  divi- 
sion précise,  facile  à  embrasser,  des  grammairiens  allemands  Grimm,  Diez  et 
Koch  $•  ;  mais  l'une  aurait  été  la  contradiction  formelle  de  l'autre.  —  Il  y  a 
encore  d^autres  critiques  que  le  manque  d'espace  m'empêche  de  relever.  Je 
reconnais  des  inconséquences  dans  le  détail,  inévitables  dans  le  classement  de 
plus  de  dix  mille  mots.  Sur  quelques  points,  comme  l'explication  de  marage^  j'ai 
depuis  longtemps  passé  condamnation.  Enfin  je  rencontre  dans  ce  compte-rendu 
plusieurs  observations  neuves  et  fines,  telles  que  Tanalyse  des  phrases  comme 
mèchantt  petite  vitdU  femme  ;  j'en  ferai  mon  profit  et  j*en  remercie  l'auteur. — A»D.J 
Adenet,  les  Enfances  Ogier,  p.  p.  Scheler  (long  article  de  M.  Tobler,  riche^ 
comme  toujours,  en  remarques  neuves  et  intéressantes.  Je  m'étonne,  malgré 
l'approbation  de  Diez,  que  le  savant  philologue  maintienne  son  explication 
ancienne  de  la  locution  /ji,  faites  mot  cscouter,  qui  d'après  lui  équivaudrait  à 
écoute^  icûutei-moi;  s'il  veut  bien  relire  les  passages  qu*il  a  cités  et  tous  ceux 
qu'il  a  sans  doute  réunis  depuis,  il  verra  que  ces  paroles  sont  toujours  pronon- 
cées dans  une  assemblée,  et  qu'elles  ont  pour  but  de  demander  qu'on  fasse  faire 
silence,  qu'on  fasse  apaiser  la  noise^  ce  qui  en  beaucoup  de  cas  est  expressément 
mentionné).  —  Périodiques.  G.  P. 

III.    BtBUOTHFQUE   DE  L*EcOLE   DES   CHARTES,    XXXVÎÏ,    1-2.  —    P.    5-34, 

G.  Raynaud,  Etude  sur  k  diûlcctt  picard  dans  le  Ponthieu  d*aprà  des  tfutrta  da 
Xltt  d  XIV»  siècles  \  première  partie  d'un  bon  travail,  sur  lequel  nous  revien- 
drons.—  Comptes» rendus»  P.  i  la-i  14,  Meyer,  la  Chanson  de  ta  Croisade  contre 
hs  Albigeois  (R.  L,). 


IV.  NtJOVE  Effemeridi  SictLiANB,  fasc.   VIIL  —  P.    129-160,  G.  Pîlrè, 
DtlU  sacre  rappresmtazioni  in  Siàlk  ;  notice  intéressante,  mais  les  plus  anciennes 


4ÎO  PERIODIQUES 

rtprisentations  en  Sicile  ne  sont  pas  antérieures  au  XVI*  siècle.  —  Dans  les 
complci-rendus,  nous  signalerons  la  noie  de  M.  PJtrè  sur  les  Proverks  du  pays 
et  Béarn^  de  M.  Lespy  :  elle  indique  divers  rapprochements  omis  par  l'éditeur. 

V,  ZEiTsauBJFT  FUB  BEUTscuEs  Altebthum,  XIV,  j*  —  P,  j86,  Poème 
énigmalique  tiré  d'un  ms.  de  Saint-Gall  et  Vmus  Ratbodi  de  himndine^  P-  P- 
Dûmmfer.  —  P.  462,  Poème  inédit  de  Walahfnd  Strabo,  p.  p.  Dûmmier.  — 
P.  466,  Catalogue  de  livres  du  commencement  du  XI"  s.  (Cologne). 

VL  Journal  oe?  Savants,  mars.  —  P.  1^1-148,  Troisième  article  de 
M.  Littré  sur  le  roman  de  Troie;  correctioûs  au  texte.  —  Avril,  p,  2i9-j|j* 
La  dèlivrana  d'Ogier  k  Danois^  fragment  d'une  chanson  de  geste  pubîlé  par  A. 
de  Longpérier.  Ce  fragment  de  200  et  quelques  vers  décasyllabiques  se  trouve 
sur  un  feuillet  écrit  au  XI V*'  siècle  qui  appartient  à  la  bibliothèque  de  Saint- 
Germain-en-Laye*  M.  de  L,  l'a  publié  avec  soin,  en  a  comparé  le  texte  avec 
celui  du  ms.  de  la  B.  N*  fr.  1 585  (Cangé  54)  et  y  a  joint  des  remarques  inté- 
ressantes.  ti  appartient  à  la  continuation  du  poème  que  contient  ce  seul  manu- 
scrit :  on  y  raconte  b  délivrance  d'Ogier  de  la  prison  ou  il  gémissait  à  Baby- 
tone.  Quand  Gautier  le  retrouva^  il  tui  donna  des  nouvelles,  et  lui  parla  eotre 
autres 

De  Gui  son  frère  si  corn  il  les  atenl 

En  Jersalem,  et  com  11  va  gardant 

Les  maus  Templiers  que  Dame  Dieu  cravent, 

Qui  dedeos  Acre  l'alerenl  traisant. 

Ce  dernier  vers  manque  dans  le  ms.  i  ^8^,  et  M,  de  L.  est  portée  le  regarder 
comme  interpolé  et  comme  contenant  one  allusion  à  la  trahison  reprochée  aux 
Templiers  lors  du  siège  d'Acre  en  1 29 1  :  le  pronom  te  se  rapporterait  alors  à 
DUti.  Mais  ce  vers  renvoie  à  un  épisode  précédent,  relatif  au  passage  d'Ogier 
â  Acre^  et  contenu  tout  au  long  dans  le  ms,  t  ^83  i  il  n'a  donc  été  omis  ici  que 
par  inadvertance  et  k  se  rapporte  i  Ogier.  Au  reste  cet  épisode  lui-même  est 
une  addition  au  poème  plus  ancien  (car  il  manquait  dans  le  texte  français  qui  a 
été  traduit  en  néerlandais;  voy.  Matthes^  Dt  ntdtrlandscke  OgUi^y  p.  22);  mais 
il  était  déjà  dans  Torigmai  commun  du  ms.  1  ^83  et  du  fragment  de  Saint-Ger- 
main. —  M.  de  L.  a  laissé  échapper  quelques  inadvertances  de  lecture  ou  d'édi- 
tion que  nous  redressons  ici,  et  quj,  de  la  part  d'un  savant  engagé  depuis  si 
longtemps  dans  d*aulres  études,  étonnentbien  moins  que  la  compétcncequ'il  montre 
en  général  dans  celles-ci.  Au  v.  4  :  £(,  dist  Ogicr^  I.  Et  dtst  Ogicr;  de  m.  aux 
V,  92,  126  et  204.  —  V.  20,  confort  cheval  voiia^  L  plutôt  wi  la.  —V.  24-2  j, 
ponctuez  ainsi  :  Et  fiert  Soudan,  mit  nt  rtspargfia^  Dtsor  son  cime;  mes  VespU 
(orna.  —  V.  jo,  prisa,  I.  pris  a,  —  V.  36,  Qui,  1.  Que^  et  de  m.  v,  raj,  ^ui, 
l  que,  —  V,  J9,  Girart  li  mainne,  L  iï.  —  V,  67,  pour  ./.  tant^  faute  du  copiste 
qu'il  faut  corriger  en  pour  ittint.  —  V.  1  $  j,  Si  /i  dott  voir^  K  Si  U  dit  voir,  — 
V.  1)7,  niot  que  Itcssier,  t.  n*i  ot  qu*deessier.  —  Après  le  v.  î&i,  il  faut  sans 
doute  admettre  une  lacune.  —  V.  176,  a  la  dure  ta  km,  L  a  Vadurl  ta  Uni,  — 
V*  189,  mphrant,  \,  cm  plorant,  —  V.  199,  Naymcs  k  ftrvant^  1.  ferrant*  —  Au 
V.  174  (cité  plus  haut),  le  ms.  porte  Ikrkm^  et  M.  de  L,  dit  qu'il  faut  lire 


PÉRIODiqUES  411 

ainsi  :  d'autres  tcxta  montrcDl  qae  c*t%i  Jtrsatm  qu'on  prononçait.  A  ce  propos 
rédileur  cite  trois  exeroples  de  cas  où  l'abréviation  graphique  serait  complée 
dans  le  vers  à  la  place  du  moi  qu'elle  désigne;  il  faut  en  retrancher  Do,  qui  est 
le  nominatif  et  non  rabrévialion  de  Doon.  G.  P. 

Vil,  Rbvub  carriQUE,  avril- juin.  —  Art»  70.  Boscan,  Œunes^  p,  p.  Knapp 
(A.  Morel-Fatio),  —  75.  Po^nu  sur  l'enUam  4c  FmniOts  /"  et  de  Char  Us- 
Quint^  p»  p.  Lindner  (voy.  une  note  rectificative  de  M.  J.  de  Rothschild  à  la 
p.  362).  —  74.  Noël  du  Fail^  Œuvra^  p,  p.  Hippeau  (Ch.  Defrémcry).  — 
7^.  Régnier,  Œuvres ^  p.  p.  Courbet  {T.  de  L.)*  —98.  Ricuâl  de  poésies  fran- 
çêisesj  p.  p.  de  Montaiglon  et  de  Rothschild  (G,  P.).  —  m.  De  Gramonl, 
Les  nn  j tançais  a  leur  prosodit  (A.  Darmesleler;  voy.  une  note  rectificative 
de  M.  Quicherat  à  la  p.  ^96).  —  n  5.  Mebes,  Garnier  de  Pont-Sainte- Maxtnu 
(P,  M.;  le  critique  se  restreint  à  la  partie  historique  de  ce  travail,  dont  il  dé- 
montre l'inanité)* 

VIIL  LiTERAiiiSGHEs  CBNTBALBtATT,  avril-juin,  —  14.  Meyer,  Récit  en  vers 
français  de  la  prcmihe  Croisade  (quelques  corrections  de  M.  A.  Tobler  au  texte 
publié  dans  notre  n"  16),  —  25.  Atkinson^  Vie  Je  seint  Auban  (article  détaillé  de 
M.  W,  Foerster,  qui  contient  sensiblement  les  mêmes  critiques  et  remarques 
que  celles  qui  ont  été  faites  ci-dessus  indépendamment),  —  25.  Victor,  D;^ 
Handsthnjicn  der  Geste  des  Lohcrains  (Suc hier). 

tX.  RivtaTA  EuROPEA,  juin*  —  M.  Caix,  Àncora  del  contrasto  di  Ctalh 
4*Akamo,  M,  Caix  s'attache  surtout  à  répondre  à  M.  Bartoli,  qui  avait  contesté 
son  opinion  sur  ce  poème  qui  fait  tant  parler  de  lui.  Aux  rapprochements  qu'il 
avait  déjà  donnés  il  en  ajoute  de  nouveaux  avec  des  poètes  provençaux,  français 
et  italiens,  qui  ne  permettent  pas  de  douter  que  Ciullo  n'ait  subi  l'influence  de 
la  poésie  artistique  contemporaine.  Mais  je  persiste^  malgré  les  objections  de 
M.  C.|  â  voir  dans  le  Contrasta  une  pièce  en  partie  populaire  et  tout  autre 
chose  qu'une  imitation  des  Pastourelles,  Ce  qu'un  imitateur  aurait  surtout  copié, 
c'est  assurément  la  forme  narrative  et  la  donnée  de  Tinégalité  des  deux  person- 
nages, et  c'est  précisément  ce  qui  manque  au  contrasto.  Toute  pastourelle  est 
une  aventure,  avec  introduction,  nœud  et  dénouement i  la  pièce  de  Ciullo  nest 
qu'un  débat;  \à  l'intérêt  est  dans  les  faits,  ici  il  est  simplement  dans  les  mots*. 

G,  P. 

X.  Thb  AthenjEUM.  —  24  juin*  La  Vie  de  seinl  Auban^  p.  p.  Alkinson  (P.  M  J. 


î.  M.  Caix  a  publié  sur  te  même  suict,  étudié  au  point  de  vue  philologique,  dans  la 
Riyiita  di  filologia  romanza,  un  article  étendu  sur  lequel  nous  reviendrons. 


CHRONIQUE. 


Nos  lecteurs  le  savent  déjà  tous,  le  maître  de  la  philologie  romane  n'est  plus. 
Frédéric  Diez  est  mort  à  Bonn,  le  29  mai  1876,  âgé  de  82  ans.  Ce  n'est  pas 
ici  le  lieu  d'apprécier  dans  son  ensemble  l'œuvre  immortelle  de  Diez;  nous  y 
reviendrons  longuement  quelque  jour*.  La  mort  du  doyen  de  notre  science  est  un 
deuil  peut-être  plus  sensible  pour  les  Romans  que  pour  les  Allemands^  puisqu'il 
avait  consacré  toutes  les  forces  de  son  esprit  à  l'étude  et  à  l'éclaircissement  de 
nos  langues  et  de  nos  littératures.  Il  n'a  cessé  non  plus  de  témoigner  à  ses  discj-.. 
pies  welchcs  une  bonté  et  une  indulgencetoutesparticulières/bes  deux  directeurs 
"  de  la  Romania^  l'un  a  été  son  élève  il  y  a  vingt  ans  et  a  toujours  gardé  pour  lui 
les  sentiments  du  plus  affectueux  respect  ;  l'autre  est  allé  le  visiter  dans  sa 
petite  maison  de  Bonn  et  a  pu  apprécier  autrement  que  par  ses  livres  cette 
anima  gentile^  cette  modestie  presque  craintive  jointe  à  la  décision  la  plus  nette 
et  aux  vues  les  plus  claires,  cet  amour  exclusif  de  la  science,  cette  simplicité 
touchante  qui  mêlait  parfois  un  sourire  au  sentiment  de  vénération  avec  lequel 
on  s'éloignait  de  lui.  La  nouvelle  de  sa  mort  n'était  pas  pour  nous  imprévue; 
elle  nous  a  cependant  causé  une  profonde  impression^  plus  mélancolique  encore 
que  douloureuse.  Nous  sommes  un  peu  maintenant  comme  des  orphelins  ;  nous 
n'avons  plus  ce  doux  sentiment  du  disciple,  qui  aime  à  s'incliner  devant  une 
parole  respectée  et  chère;  et  nous  nous  disons  aussi  avec  regret  que  nous  ne 
pourrons  plus  lui  offrir  les  quelques  épis  ramassés  sur  ses  pas  dans  le  champ 
qu'il  moissonna  si  héroïquement,  glanes  accueillies  toujours  par  lui  avec  tant 
de  bienveillance,  et  avec  une  sorte  d'admiration,  comme  si  c'eût  été  quelque 
chose  en  comparaison  de  sa  récolte.  Tous  les  romanistes  actuels  se  sont  assis 
au  pied  de  sa  chaire  ou  se  sont  formés  à  la  lecture  de  ses  livres;  puisse  le  sen- 
timent de  cette  filiation  commune  les  animer  toujours  de  son  esprit!  Nul  homme 
ne  fut  plus  inaccessible  aux  rivalités  mesquines,  aux  passions  étroites,  aux 
préjugés  de  clocher  ou  de  pays.  Il  mettait  son  patriotisme  à  faire  des  œuvres 
dont  sa  nation  pût  être  fière,  et  il  se  plaisait  tout  particulièrement  à  se  dire  que  les 
nations  romanes  auraient  à  un  Allemand  l'obligation  de  leur  avoir  révélé  une 
grande  partie  de  leur  histoire.  C'est  en  nous  inspirant  de  ces  sentiments  élevés, 
c'est  en  continuant,  avec  la  méthode  qu'il  nous  a  enseignée,  l'œuvre  qu'il  a 
entreprise,  que  nous  rendrons  à  sa  mémoire  un  hommage  vraiment  digne  d'elle.  / 

—  Enfin  deux  publications  de  la  Société  des  anciens  textes  y  les  Chansons  du 
XV'  siècle  et  VAÎbum  contenant  la  photogravure  des  plus  anciens  monuments  de 
la  langue  française,  ont  été  livrées  aux  souscripteurs.  Les  deux  volumes  qui 

I.  Voy.  dans  la  revue  Im  neuen  Ràch^  1876,  1,  n"  24,  un  article  ému  de  M.  Ad. 
Tobler  sur  Frédéric  Diez.  Peut-être  pouvons-nous  espérer,  d'après  cet  article,  que  le 
savant  professeur  de  Berlin  nous  donnera  une  biograpnie  que  personne  ne  saurait  faire 
mieux  que  lui. 


CHRONIQUE  41  î 

complètent  Texerclce  187^^  Brun  de  fa  Monta gnt  et  le  Débat  des  hérauts  de 
Franu  n  d'AngUterrCf  seront  prochainement  livrés  à  leur  tour» 

—  La  Société  des  anciens  textes  a  leniï  son  assemblée  générale  le  jeudi  S  juin»  i 
la  Bibliothèque  Nationale,  sous  h  présidence  de  M.  Egger.  Elle  a  entendu,  après 
une  courte  allocution  du  président,  un  rapport  du  secrétaire  el  un  autre  du 
trésorier.  Elle  a  ensuite  volé  le  règlement  préparé  par  le  Conseil  d'administra- 
tion* Enfin  elle  a  procédé  au  renouvellement  de  son  bureau,  et  a  nommé 
M.  G.  Paris  président,  MM.  Thurol  et  Michelanl  vice-pr^idents.  Les  discours 
et  rapports  seront  publiés  dans  le  Bulletin  de  la  Société. 

—  Le  Mystère  dt  la  Passion,  d'Arnouï  Greban»  publié  par  MM*  G,  Paris  et 
G*  Raynaud,  va  paraître  incessamment  â  la  librairie  Vieweg. 

—  La  Société  Jersiaise^  qui  a  publié  dans  les  derniers  mois  de  1 87  ^  son  «  premier 
bulletin  annuel  »',  indique  comme  l'un  de  ses  principaux  objets  Tétude  de  la 
iangac  du  pays.  A  côté  de  ses  comités  d'archéologie  et  d'histoire,  elle  a  formé 
un  comité  spécial  de  la  langue^  composé  de  dix  membres,  qui  ont  pouvoir  de 
s*en  adjoindre  d'autres.  Dans  la  liste  de  ces  membres,  on  remarque  le  nom  de 
M,  A.-A.  Le  Gros,  l'éditeur  et  l'un  des  auteurs  d'un  recueil  de  poésies  jersiaises 
qai  a  paru  pendant  plusieurs  années  sous  le  titre  de  La  neuve  annaU  ou  La  nou- 
nlU  année.  —  Il  n'existe  sur  le  patois  jersiais  aucun  ouvrage  méthodique.  Les 
textes  imprimés  dans  ce  dialecte  sont  d'ailleurs  de  peu  de  ressource  pour  la 
science,  parce  que,  l'orthographe  y  étant  réglée  par  des  considérations  étymo- 
logiques, la  prononciation  n'y  est  pas  figurée  avec  une  entière  rigueur  :  il  serait 
â  souhaiter  qu'il  parût  sous  les  auspices  de  la  Société  Jersiaise  un  dictionnaire 
qui  satisfit  aux  besoins  des  phonétistes^  et  qui  fît  connaître  exactement  les 
diverses  prononciations  que  reçoit  chaque  forme  dans  les  diverses  régions  de 

nie. 

—  A  l'occasion  de  la  note  insérée  dans  la  chronique  du  mois  de  janvier  sur 
VAiûl  de  M,  Fœrster,  celui-ci  nous  a  adressé  une  longue  réponse,  qui  est  arrivée 
trop  tard  pour  être  insérée  dans  le  numéro  d'avril.  Sur  le  désir  de  l'auteur', 
nous  la  donnons  maintenant.  Nous  ne  la  discuterons  pas  par  le  menu  ;  nous 
pourrions  répondre  à  tout  ce  qu'elle  contient,  si  ce  débat  n'était  pas  dépourvu 
d'iotèrèt  pour  le  public.  Nous  nous  bornons  à  reproduire  ici  les  deux  seuls  points 
importants  de  notre  première  note^  qui  ne  sont  nullement  touchés  par  la  réplique 
du  professeur  de  Prague:  1'  M.  Fœrster,  quand  il  a  cherché  un  libraire  pour 
publier  Àiol^  savait  parfaitement  que  Timpression  de  ce  poème  était  commencée 
â  Paris;  2«  dans  ses  négociations  avec  la  Société  ou  tel  ou  tel  de  ses  membres, 
M.  F.  a  vu  de  la  malveillance  là  où  il  y  avait  au  contraire  une  bonne  volonté 
complète, 

•  Le  dernier  numéro  de  la  Romama  annonçant  mon  édition  à'Aiût  et  Mirahel 
ajoute  la  remarque  suivante  :  <  Quand  M,  F.  a  demandé  à  quelques  membres 

^^^  I.  Sociiti  Jersiaise,  pour  l'étude  de  l*hîsîûire  et  de  la  langue  du  pays,  ta  conservation 

^^^  des  antiquités  de  CUe,  et  la  publication  des  documents   hîjtoriquts,  etc.^  fie,  fondée  li 

H  18  janvier  187}.  Premier  bulletin  annuel,  i^ju  (J^r*cyt  in-4%  »9  pages.) 

^^^  2.  Ce  désir,  bien  que  nous  n'eussions  nullement  refusé  d'y  accéder,  M.   F.  a  trouvé 

^^H  délicat  de  nous  Texpomer,  sans  autre  avis,  par  un  exploit  d'huissier,  en  date  du  4  avril. 


414 


CHRONIQUE 


de  la  Sociéîi  si  elle  voudrait  publier  sa  copie  d*Aio(^  il  lui  a  été  répondu  qu'il  s*y 
prenait  trop  tard,  la  copie  de  MM.  Normand  et  Raynaud  ayant  été  acceptée  et 
envoyée  â  l'impression,  n  II  en  est  autrement.  Lors  de  mon  premier  séjour  à 
Paris,  dans  l'hiver  1872-75 ,  j'ai  copié  entre  autres  la  chanson  d*Aiol  tt  MïraUl 
et  celle  de  son  père  Elu  de  SamtCilU,  M.  Pannier  qui  était  bien  placé  pour  le 
savoir  m'ayant  assuré  que  personne  n'était  dans  Tintention  de  publier  ces  textes. 
Lorsque  j'eus  terminé  mon  travail,  je  ne  laissai  pas  d'en  informer  ies  romanistes 
avec  lesquels  j  étais  alors  en  relations  personnelles  et  notamment  MM,  G.  Paris 
et  P.   Meyer,  et  je  saisis  la  première  occasion  pour  annoncer  au  monde  savant 
les  éditions  que  je  préparais  et  don!  j'avais  déjà  depuis  longtemps  analysé  les 
matériaux.  C'est  ce  que  je  fis  dans  le  deuxième  numéro  de  la  a  Oesterrcichrsche 
Cymnasial  Zeilschrift  1874  (février),  p.   1J4  note,  •♦  afin  {comme  j'écrivis  alors) 
d'empêcher  que  sans  le  faire  exprès  on  ne  me  fît  concurrence.  En  même  temps 
j'annonçais  aussi  bien  VEUe  que  ÏAiol  (là  il  faut  lire  «  Julien  [le  père  Elic],  le 
père  AioL  *  De  plus^  j'ai  envoyé  cet  article  à  tous   les  romanistes  de  ma  con- 
naissance et  la  Romania  lui  consacra  dans  son  onzième  numéro,   p.  450^  une 
courte  notice.  Pendant  mon  séjour  à  Paris  de  Fêlé  1874,  M.  G.  Paris   me  dit 
un  jour  que  \m  et  quelques  savants  avaient  l'intention  de  fonder  une  Société  du 
ancitm  texUs  français  et  il  m'invita  à  lui  céder  mes  textes,  mais  sans  en  préciser 
aucun;  c'est  à  quoi  j'adhérai  aussitôt,  —  Le  21   février  je  reçus  le  ProspccWs 
de  la  Société  et  là  je  vis  à  la  tête  des  textes  que  l'on  se  proposait  de  publier 
l'Aiol.  Je  m'adressai  alors  le  22  février  187^  à  M.  G.  Paris  pour  lui  demander 
si  rédilion  annoncée  était  la  mienne  et  en  même  temps  j'envoyai  à  M,  le  secrétaire 
de  la  Société  mon  acte  d'adKésion.  Le  j  mars  1S75,  M*  P.  Meyer  me  répondit 
que  la  Société  n'avait  pas  annoncé  mon  Aiol,  mais  celui  de  MM.  Normand   et 
Raynaud.  A  cela  je  n'avais  rien  à  dire.  La  Société  est  libre  comme  chaque  par- 
ticulier de  publier  ce  que  bon  lui  semble;  car  les  manuscritS|  grâce â  la  libéralité 
du  gouvernement  français,  sont  à  la  disposition  de  chacun;  mais  je  terminai  mon 
travail^  afin  de  faire  paraître  mon  édition  au  plus  tôt  et  de  conserver  au  moins 
la  priorité.  Je  ne  pris  cependant  aucune  décision  avant  îe  mois  de  juillet  1875, 
je  voulais  auparavant  épuiser  tous  les  bons  procédés  et  résoudre  personnellement 
le  malentendu  {j'y  croyais  encore).  Par  malheur,  à  cette  époque  M,  G,  Paris 
avait  déjà  quitté  Paris  et  j'appris  de  M.  Pannier  que  l'Aiol  de  MM.  Normand 
et  Raynaud  avait  été  un  mois  auparavant  accepté  par   la  Société.   Dès  lors  la 
situation  était  claire  :  je  me  plaignis  par  lettre  à   M.  G.  Paris  que  Ton  çtïl 
traité  de  la  sorte,  et  cela  avec  connaissance  de  cause,  un  membre  de  la  Société, 
auquel  on  avait  demandé  sa  collaboration  qu'il  s'était  empressé  de  promettre, 
et  je  livrai  mon  Aiol  à  l'impression,  —  De  tout  cela  il  résulte  :  i»  Que  j'ai  fait 
mon  travail  deux  ans  avant  la  fondation  de  la  Société^  que  j'ai  annoncé  mon 
édition  m  an  avant  cette  même  date  et  que  par  conséquent  j'ai  le  droit  incon- 
testable de  la  priorité,  et  si  ce  droit  ne  peut  empêcher  quelqu*un  d'entreprendre 
le  même  travail  aprls  moi,  tl  me  met  du  moins  à  l'abri  du  reproche  d'avoir 
voulu /tfirf  concurnnct  à  qui  que  ce  soit.  Il  résulte  encore  ce  qui  suit  :  i*  ce 
n'est  pas  à  quelques  membres  que  j'ai  demandé  st  ta  Société  voulait  publier  ma 
copie  d' Aiol,  mais  c'est  bien  à  un  seul  membre  que  je  me  suis  adressé  pour  savoir 
if  ridition  annonck  par  k  Société  était  la  mienne  (l'on  a  vu  plus  haut  que  j'avais 


CHRONIQUE  4IJ 

des  raisons  pour  pouvoir  admettre  une  telle  hypothèse)*  Enfin  i*  il  est  inexact  de 
dire  qu'à  Tépoque  06  j'ai  fait  cette  question  il  était  «  déjà  trop  tûrd,  la  copie 
de  MM.  N.  et  R.  ayant  été  déjà  acceptée  et  envoyée  k  Fimpression,  >  car  ma 
question  date  du  22  février  1875  et  la  Société  ne  fut  fondée  ^uc  U  \  $  amî^  le 
jour  où  furent  élus  son  bureau  et  son  Conseil,  MM.  Normand  et  Raynaud  ne 
purent  conséquemmeni  présenter  leur  texte  qu^après  ce  jour.  Le  Bulletin  de  ta 
Société  est  d'accord,  menlionnant  Toffre  du  texte  à'Aiol  dans  la  séance  du 
19  avril,  et  ce  n^esl  que  le  17  jain  que  sur  la  proposition  du  rapporteur  de  la 
commission,  M.  G.  Paris,  il  fut  accepté  et  pouvait  être  envoyé  à  l'impression. 
On  voit  donc  que  s'il  y  a  lieu  de  parler  d'un  bon  loar  ou  d'une  espUgkrUf  cxprU 
pour  vexer,  etc.^  je  n'en  suis  pas  l'auteur,  mais  la  victime. 

«  La  Romaniâ  rtmàrqvLt  que  je  n'ai  ajouté  VEiU  à  TAiol  que  •  pour  donner  â 
mon  édition  une  valeur  particulière.  «  Je  ne  sais  ce  qui  a  déterminé  la  Société 
de  vouloir  publier  VElie  après  moi  â  son  tour,  mais  la  Romama  ne  voit  pas  que 
je  me  suis  laissé  guider  par  d'autres  motifs.  Elie  est  le  père  d'AioJ^  si  bien  que 
non-seulement  il  y  a  un  rapport  intime  entre  les  deux  textes  pour  le  fonds 
même  du  sujet,  mais  encore  le  remanieur  du  texte  des  deux  poèmes  qui  est 
parvenu  jusqu'à  nous,  dit  à  la  fin  d'Elie  :  •  Cil  (Elie)  engendra  Aiol  qui  tant 
fist  a  loer,  Si  con  vous  m'ores  dire,  sel  voles  escouter*  v  C'eût  été  aller  contre 
Tintention  de  ce  remanieur  que  de  séparer  fes  deux  textes.  Il  va  sans  dire  qye 
dans  cette  sorte  de  poèmes,  quant  à  la  date  de  la  composition,  te  père  est 
toujours  postérieur  à  son  fils.  Une  autre  remarque  de  ta  Romama  est  aussi  peu 
fondée.  On  y  dit  que  je  n'ai  publié  le  texte  dMi^/  séparément  que  «  poor  être 
plus  sûr  de  devancer  l'édition  française*  »  En  ce  qui  concerne  cette  manière  de 
faire  paraître  un  livre  en  deux  parties,  je  n*ai  besoin  que  de  m'en  rapporter  à 
rilluslre  exemple  de  M,  P.Meyer,  qui  sans  doute  n'est  pas  sans  connaître  l'auteur 
de  la  notice  en  question*  :  M.  P.  Meyer,  en  effet,  a  publié  de  celte  manière  son 
*  Recueil  *  et  vient  de  le  faire  encore  tout  récemment  avec  sa  «  Croisade  al  bi- 
aise. P  Je  pourrais  de  la  même  manière  réfuter  les  autres  suppositions  ;  mais 
je  me  borne  à  répondre  au  reproche  encouru  par  le  Prospectas  de  mon  édition^ 
qui  énoncerait  Tidée  baroque  de  recommander  VAïol  comme  un  excellent  livre 
d'exercice.  Apparemment  l'auteur  de  la  notice  n'est  pas  suffisamment  fort  en 
allemand,  aussi  ne  doit^on  pas  trop  lui  en  vouloir  de  l'étrange  erreur  dans 
laquelle  il  est  tombé  ici.  Ce  n'est  pas  t  le  texte  du  poème  *  (v.  Romama ^  l,  c. 
p,  127)  qui  a  fait  recommander  mon  Aiol  comme  un  livre  d*exercice;  mais 
comme  il  est  dit  très-clairement  dans  le  prospectus^  ce  sont  «  les  remarques 
grammaticales^  critiques  et  lexicograpbiques  qui  y  sont  }ointes,  »  qui  donnent  à 
notre  texte  le  caractère  d'un  véritable  livre  d'exercice  et  le  glossaire  qui  se 
trouve  à  la  An  du  poème  est  un  secours  qui  vient  à  propos  et  qui  ne  serait  pas 
facile  à  remplacer,  —  Prague,  le  23  mars  1876.  —  W.  FoEntiiTEB.  » 

—  La  seconde  partie  de  l'Aiol  publié  par  M.  Fœrster,  qui  avait  été  annoncée 
pour  le  mois  de  février,  a  été  ensuite  promise  pour  le  mois  de  juin,  parce  que 
Tautcur  avait  découvert  un  livre  excessivement  rare  {les  journaux  auxquels  on 

f .  [Si  M.  P.  veut  insinuer  par  ces  mots  que  le  suis  u  l'auteur  de  U  notice  en  question  », 
il  se  trompe,  —  P.  M.] 


4l6  CHRONIQUE 

envoyait  cette  annonce  l'imprimaient  en  gros  caractères)»  indispensable  pour 
rintroduction.  Le  mois  de  juin  est  passé,  et  rien  n'a  paru.  Attendons-nous  à 
quelque  nouvelle  surprise.  Le  pauvre  Aiol  était  réservé  dans  notre  siècle  à  des 
aventures  presque  aussi  fantasques  que  celles  dont  il  est  le  héros  dans  la  vieille 
chanson. 

—  Dans  un  paragraphe  qui  termine  la  chronique  du  n"  17  de  la  Romania  (ci- 
dessus^  p,  128)^  nous  avons  dit  que  M.  Favre,  1  éditeur  du  Glossaire  de  Saînte- 
Palaye,  avait  joint  â  la  plupart  des  exemplaires  de  la  brochure  qu'il  a  consacrée 
à  la  défense  de  sa  publication  (voy.  Romania,  IV,  492I  une  note  imprimée 
portant  que  M.  P.  Meyer  s'était  fait  inscrire  au  nombre  des  souscripteurs  au 
Glossaire.  Nous  avons  opposé,  comme  c'était  notre  devoir,  une  dénégation 
absolue  à  l'assertion  de  M.  Favre,  Présentement  M.  Favrc  nous  fait  savoir  qu'il 
a  agi  de  bonne  foi,  mais  qu'il  a  été  induit  en  erreur  par  le  libraire  chargé  â 
Paris  de  la  vente  du  Glossaire,  Nous  n*y  contredisons  point.  M*  Favre,  à  qui 
nous  nous  empressons  de  donner  acte  de  sa  déclaration,  voit  par  cet  exemple 
combien  il  est  dangereux  de  faire  usage  de  renseignements  non  contrôlés.  Nous 
espérons  qu'il  mettra  cette  observation  à  profit  pour  la  publication  du  Glossaire, 
où  bien  des  textes  ont  grandement  besoin  d'être  vérifiés.  Mais,  si  nous  croyons 
fermement  que  M.  Favre  a  été  de  bonne  foi  en  comptant  un  instant  M.  Meyer 
au  nombre  de  ses  souscripteurs,  nous  continuons  à  manifester  notre  surprise  de  ce 
que  la  note  malencontreuse  que  nous  avons  dû  démentir  ne  nous  ait  pas  été 
adressée,  de  telle  sorte  que  nous  avons  été  des  derniers  à  la  connaître. 

—  Nous  avons  reçu  de  Madrid  le  Pmgrama  de  la  asignatura  de  gramàiica 
comparùdd  dt  tas  knguas  neolûtinas  tn  tî  ptriodo  de  su  formmonj  cours  professé 
à  l'Ecole  supérieure  de  diplomatique,  par  M,  le  D'  V^ignau,  Ce  programme 
comprend  k  titre  de  quatre-vingts  leçons.  Si  le  professeur  est  en  étal  de  remplir 
les  promesses  de  ces  titres  (ce  que  nous  ne  pouvons  pas  savoir,  n'ayant  encore 
rien  lu  de  M.  Vignau),  les  élèves  de  l'École  des  chartes  espagnole  reçoivent  une 
instruction  linguistique  fort  étendue^  —  trop  étendue  à  notre  avis  et  assez  sin- 
gulièrement proportionnée.  Nous  sommes  heureux  de  ce  symptôme  du  réveil  des 
études  romanes  en  Espagne,  et  nous  espérons  que,  tant  par  ses  écrits  que  par 
les  élèves  qu'il  formera,  M.  Vignau  nous  mettra  bientôt  à  même  de  rendre  pleine 
justice  à  ses  efforts. 

—  Nous  apprenons  au  dernier  moment  que  M.  Fœrsler  vient  de  publier  la  fin 
du  texte  d'Eiie  dt  Saint-GUics.  Le  commentaire  et  le  glossaire  sont  remis  à  nous 
ne  savons  quelles  calendes. 


Le  propriétaire-gérant  :  F.  VIEWEG. 


Imprimerie  Gouverneur,  G.  Daupeley  à  Nogent-le-Rotrou, 


LA 


POESIA  POPOLARE  ITALIANA 


In  Italia,  corne  altrove,  la  poesia  popolare  e  tradizionale  è  o  recitata, 
come  sono  i  giuochi,  gP  indovinelli,  le  rime  infantili,  le  preghiere,  le 
giaculatorie,  o  cantata,  Fra  la  recitazione  ed  il  canto  piglia  un  poste 
intermedio  la  cantilenay  propria  délie  ninne-nanne.  La  poesia  cantata  ha 
poi  argomento  o  religioso  o  profano.  La  présente  indagine  è  ristretta  alla 
poesia  popolare  italiana  cantata  e  profana, 

Questa  puè  ammettere  le  seguenti  distinzioni  général!  : 

1 .  Canti  narrativi,  o  canzoni  : 

a)  canzoni  storiche; 

b)  canzoni  romanzesche  ; 

c)  canzoni  domestiche. 

2.  Canti  lirici  : 

a)  strambotti  ; 

b)  stomelli. 

<}iova  1'  accennare  fin  d'  ora  un  fatto  che  sarà  esaminato  e  dilucidato 
in  seguito,  cioè  che  gli  strambotti  non  rari,  e  gli  stomelli,  meno  fré- 
quent! in  tutta  l'  Italia  settentrionale,  e  rarissimi  in  Piemonte  proven- 
gono  dirrettamente,  o  per  imitazione,  dall'  Italia  média  ed  inferiore.  Le 
canzoni  invece,  straniere  al  centro  ed  al  mezzodi  délia  Penisola,  sono 
in  parte  indigène  nell'  Italia  settentrionale,  ed  in  parte  comuni  a  popola- 
zioni  romanze  non  italiche. 

Tutti  i  canti  popolari  profani,  ail'  infuori  degli  strambotti  e  stomelli, 
sono  detti  dal  popolo  canzoni.  Noi  conserveremo  quest'  appellazione, 
avvertendo  che  essa  avrà  qui  il  significato  générale  predetto,  e  non  il 
significato  spéciale  attribuitole  nella  poesia  italiana  artificiosa,  e  notando 
altresi  che  lo  stesso  nome  di  canzone  è  dato  talvolta  in  varie  parti  d' 
Italia,  in  senso  più  générale  ancora,  ad  ogni  specie  di  canto. 

Romania,  V  IJ 


41 8  C.   NIGRA 

I  caratteri  esteriori  délia  canzone  (degl'  interni  diremo  a  suo  luogp) 
sono  :  la  pluralité  délie  strofe  ;  1'  uso  prédominante  di  metri  diversi  dall' 
endecasillabo;  1'  altemazione  di  versi  rimati  e  non  rimati,  o  assonanti  e 
non  assonanti  ;  Tassenza  délia  consonanza  atona  *  ;  la  desinenza  tronca 
(ossitona,  mascolina  o  giambica)  dei  versi,  in  proporzione  almeno  eguale 
alla  desinenza  piana  (parossitona,  femminina  o  trocaica).  La  canzone, 
salvo  qualche  raro  esempio  di  canzone  a  ballo,  non  è  cantata  in  forma 
alterna;  ne  è  cantata  mai  a  modo  di  sfida  o  tenzone.  Essa  si  canta  nei 
villaggi  e  nelle  campagne;  raramente  in  città. 

Strambotto  è  il  nome  più  antico^  e  più  générale  che  si  dà  dall'  un  capo 
ail'  altro  délia  Penisola  al  brève  canto  che  divide  quasi  esclusivamente 
coUo  stornello,  ma  in  proporzioni  molto  maggiori,  lo  sterminato  dominio 
del  lirismo  popolare  italiano.  Noi  troviamo  questo  vocabolo  colla  stessa 
précisa  significazione  in  Piemonte  (stranoty  stramot^  strambot),  neir  Erai- 
lia,  nelle  Marche,  in  Toscana  (nel  Pistojese),  nelle  provincie  meridionali 
ed  in  Sicilia  [strammottu,  strambottu).  Oitre  a  questa  générale  denomina- 
zione,  lo  strambotto  piglia  anche  nelle  varie  provincie  nomi  speciali, 
determinati  per  lo  più  dalle  particolari  circostanze  nelle  quali  è  cantato. 
In  Toscana,  al  Pistojese  nome  di  strambotto  prévale  quello  di  rispetto, 
dato  in  opposizione  al  dispetto  che  è  uno  strambotto  di  sdegno,  di  coruc- 
cio,  di  sprezzo  o  d'  offesa,  come  la  distorna^  cosî  chiamata  in  Piemonte 
e  nel  Veneto,  si  oppone,  nello  stesso  signifîcato  di  dispregio,  allô  stor- 
nello i.  Nelle  Marche  lo  stesso  canto  è  detto  strambotto,  canzone^  rispettOy 
dispetto  ed  anche  sonetto^.  In  Sicilia  strambottu,  canzuna  e  cantu,  Nel 
Veneto  vilota.  Se  è  cantato  di  sera  o  di  notte,  o  ail'  alba,  prende  il  nome 
di  serenata,  inserenata  (Toscana,  Marche,  Sicilia,  Veneto),  di  notturno 
(Piemonte,  Sicilia),  di  mattinata  (Marche,  Veneto).  Se  è  cantato  inbarca, 
si  dice  barcarola  (Veneto,  Sicilia)  o  marinara  (Sicilia).  Ma,  ripetiamo,  il 
nome  più  diffuso  in  tutta  Italia  è  quello  di  strambotto^  e  noi  stimiamo  di 
non  dovere  oramai  adoperare  per  ciô  altra  denominazione.  In  Provenza 
ed  in  Francia  si  trova  una  voce  non  dissimile,  ma  usata  a  significare 
un'  altra  specie  di  composizione  poetica.  Secondo  il  Ducange,  estrabot  è 
una  poesia  satirica,  specie  di  serventeses.  Secondo  i  poeti  provenzali 


1 .  La  consonanza  atona  si  distingue  dalla  rima  per  la  diversità  délia  vocale 
tonica  finale.  Exempii  :  rima  -àre-drc  :  consonanza  atona  -àrt-irt.  Le  varie 
specie  d'omofonia  saranno  descritte  in  apposito  articolo. 

2.  «  Mangiato  ch*  egli  hanno,  canlino  qualche  strambotto.  •  Miracolo  di 
Nostra  Donna,  lllustrazione  di  Codici  Palatini^  di  Francesco  Palermo,  II,  355. 

3.  V.  una  série  di  dispctti  in  Gianand.  p.  240  e  seg.  ;  e  cf.,  per  le  distornc, 
Dalmed.,  p.  207. 

4.  Gianandrea,  Canti  pop.  March,  Prcf.  XXII. 

5.  Closs.  med.  et  inf.  lat.^  ad  voc. 


LA    POESIA    POPOLARE   ITALIAKA  4I9 

învece,  V  estribot  o  stribot  deve  essere  distinto  dal  serveniese,  corne 
appare  dai  seguenti  esempi  citati  dal  Raynouard  : 

«  CKanso,  nî  serventcs, 

Ni  stribot  »  B,  Martin, 

•  Vers,  estribot  ni  serveatcs.  » 

R.sjkin,  d'Oranoe*. 

în  Ispagna  la  voce  esirambote'  è  adoperata  per  signicare  i  versi  aggiunti 
in  fine  d'  una  composizione  poetica,  corne  sarebbe  ciô  che  noi  chiamiamo 
in  Italia  ta  coda.  Tutti  questi  vocaboli  sono  forme  diminutive  di  strambo^ 
corne  ionctîo  è  un  diminutivo  di  suono,  La  voce  sîrambo  poi,  che  in  ita- 
liano,  corne  in  provenzale,  vuol  dire  storto  o  divergente,  non  appaîato, 
e  si  applica  specialmenle  aile  gambe,  applicata  a  verso  o  rima  ha  dato 
origine  nella  poesia  provenzale  alla  locuzione  rims  estràmpSj  che  significa 
verso  non  appaîato,  cioè  non  rimato?  oscioito;  e  con  questa  appella- 
zîone  viene  designata  una  composizione  di  più  strofe,  ciascuna  délie 
quali  è  composta  di  nove  versi  endecasillabi  non  rimati-*.  In  iiaîiano  il 
diminutivo  sîrambotîo  prese  un  significato  dîverso  dal  provenzale  rims 
istramps,  corne  il  dimunitivo  sonetto  vi  prese  un  significato  diverso  dal 
provenzale  son.  Presso  di  noi  stramboUo  non  ha  il  senso  provenzale  di 
non  rimato ,  perché  anzi  di  regoîa  esso  è  rnteramente  rimaîo.  Ma  ha  il 
senso  di  strofa  separata,  non  legata,  non  appaiaia,  e  ciô  in  opposizione 
aile  composizioni  letterarie,  le  quali  sono  per  rego la  générale  polisirofeed 
hanno  spesso  le  strofe  încatenate,  corne  p.  e,  le  terzine,  e  varie  forme 
di  canzone  e  di  ballata,  L'  appellativo  significante  non  appaiato  che  în 
provenzale  fu  applicato  al  verso,  in  italiano  si  applic£^  alla  strofa.  Ries- 
cono  quindi  evidenti  la  connessione  logica  e  la  ragione  etimologica  délie 
due  appellazioni  provenzale  ed  italiaua  ^ . 


1.  Ux  Rom.  m,  231. 

2.  Dk.  lie  la  Ung.  CâsUlL^  ad  voc, 

3.  *  Rims  tstramps  es  digz,  quar  no  s'  acorda  am  degu  dels  autres  am  \u\  en 
leyal  acordansa.  «  —  «  Aquesta  cobla  de  si  meteysha  non  ha  lunha  acordansa  ; 
ans  es  lola  de  si  cstrampa.  «  Uys  d*  amors^  Raynouard,  Lex.rom.^  III,  22^. 

4.  V.  csempî  in  Ausias  March. 

5.  Occorre  appena  notare  che  1'  etimologia  di  sUamboUo  derivata  dal  Redi  e 
da  allri  da  sirano  motto  non  regge  in  nessuna  guisa.  Essa  fu  probabilmentc  ori- 
ginata  dalla  forma  méridionale  di  questa  vocce  strammaotto^  e  dal  non  aver 
osservato  che  la  seconda  m  di  strammuotto  rappresenta  una  h  originaria  assi- 
milita.  Del  resto  anche  il  significato  storico  délia  paroU  fu  spesso  maie  inteso. 
F.  Pasqualmoj  citato  in  Ukx  {Et.  Wort.  iui  vofjdefinisce  •  strammotta  nJuula 
cantiuncula  a  strjmmu  (il.  strambo),  at  innuaîm  dtflexio  a  vcra  significaiionc  in 
maiam  partem  âcupîa.  »  Crescimbeni  nella  sua  Storm  dclla  volgar  pocstti  {l^  h  4) 
fa  una  distinzione  tnesalta  fra  gli  strambottî  ed  i  rispetti,  faccndone  due  forme 
scparale,  mentre  iî  rispelto  non  è  che  una  denominazione  locale,  proprja  di 
alcTini  paesi  délia  Toscana,  detlo  strambotlo.  Dériva  poi  sîrambotto  da  Urambo^ 
il  che  e  giusto;  ma  lo  dériva  meno  giustamentc  da  strambo  «  ne!  significato  di 


420  C.    NIORA 

1  caratteri  esicmi  dello  strambouo  sono  :  strofa  unica;  versi  endeca- 
sillabi;  lerminazione  d'  ogni  verso  regolarmente  piana  fparossitona)  ; 
rima,  assonanza  o  consonanza  costaate  in  ogni  verso,  cioè  assenza  di 
versi  non  rimati,  salve  perô  le  non  infrequenii,  ma  irregolari  eccezioni; 
fréquente  parallelissimo  di  rime  alterne  e  di  consonanze  aïone  baciaie 
[ârt4n-^f€-ire).  L' unica  strofa  è  composta  di  quatiro,  sei,  otto,  dieci 
0  più  versi*  Lo  strambotto  si  canta  non  solo  nelle  campagne  e  nei 
villaggi,  ma  anche  nelle  città.  Si  canta  poi  inoltre  corne  lo  stornello, 
in  forma  amebea,  aguisa  di  gara  o  tenzone*. 

Lo  sîornâUo,  per  una  persistente  confusione,  di  cui  daremo  ragione  in 
appresso,  fu  chiamato  da  parecchi  raccoglitori  col  nome  di  ritornello^  che 
è  tutt'altra  cosa^  Prtmi  a  dar  credito  colla  loro  autorità  a  quesla  confu- 
sione furono  i  fraielii  Grimm,  che  fin  dal  iSi;  pubblicarono  nel  loro 
libro  Aluieuîschen  W^tldern  alcunî  stomellî  raccolti  nel  territorio  romano. 
L*  erronea  appellazione  adottata  poi  da  scritori  nostri  e  stranienî»  fa 
ancora  confermata  ai  nostri  giornî  da  due  aliri  dotti  tedeschi,  il  sig. 
C,  Blessig.  chè  stampô  la  sua  collezione  di  stornelli  romani  col  titoto  di 
RcEmische  Ritorneile,  ed  il  prof.  Hugo  Schuchardt,  che  iniitoiô  la  sua 
récente  e  pregievole  monografia  :  Ritornell  und  îerzine.  Queste  locuzioni 
sono  inesatte.  Lo  stornello  non  è  il  Titorndb^  il  quale  consiste  in  uno  o 
più  versi,  in  una  o  più  frasi,  ed  anche  in  semplicl  siliabe  prive  di  senso, 
che  si  cantano  in  mezzo  o  nella  fine  dello  stornello»  dello  strambotto ^ 
o  délia  strofa  d*  una  canzone.  L^errore  nacque  da  ciô,  che  nella  campa- 
gna  romana,  dove  prima  furono  raccolti  gli  stornelli,  perdutala  memoria 
del  senso  originale  di  questa  voce,  il  popolo  la  corruppe,  o  per  dir 
meglîo  la  confuse  con  quella  di  rltOTnello^  che  gli  ricorda  un*  altra  forma 
di  canto,  La  raccolta  del  Blessig  ci  fornisce  la  prova  di  codesto  errore. 
Egli  cosi  trascrive  lo  stornello  41  délia  sua  raccolta  (p.  1  j)  : 


i  tantastico  nel  ({ualc,  dtce  egit,  comunetnente  si  trasferisce;  imperciocchèf 
i  soggiunge,  negli  strambotti,  per  vero  dire^  si  leggono  bizzarrîsstme  fantasie  e 
«  acuiczze.  x  II  Vocahoimo  îklla  Cruua,  più  prudente,  non  si  compromette  in 
pericolose  Hccrche,  e  si  limita  adefintre  lo  strambotto  «  poesia  soliu  a  canlarsi 
dagli  innamorati,  1*  aggiungendo  pcr6  non  molto  csattamente  9  e  per  lo  pid  in 
ottava  rima.  *  Anche  u  Cresctmbeni  dite  che  lo  strambotto  è  in  ottava  rima*  H 
che  è  vero  soltanto  d'  alcune  forme  popolari  dello  strambotto  e  del  le  Imitazioni 
arlificiose  che  di  essi  ci  lasciarono  van  scrittori  del  cinquecento,  fra  i  quali  lo 
stesso  Crescimbeni  nomina  Tibaldeo,  Cornazzano,  Serafino  dall*  Aquila,  Bernardo 
Accoltt,  a  cui  si  possono  aggiungere  il  Verini,  e  V  Olimpo  degli  Alessandri. 

i.  «  Etc  cantato  voîjCanter6  io; 

«  E  quanlo  vi  rispondo  voîonlieri.  • 

V.  Tigri,  pref,  xlii.  La  Sjcilia  ha  il  triste  privilégie  di  possedere  slrambotli 
c  stornelli  de  carccrati.  V.  Vigo,  p.  492;  G.  Pitre,  Cittitt  pop.  sic,^  1,  45; 
F.  Di  Felice,  Prose,  Catania  i8j2,  p*  Ji  ;  Salomone  Marino,  p.  22^*240 

2.  V.  la  Disscrtazione  sui  mttn. 

l.  V.  M.  Graham;  Mûllcr;  Torloniâ  ncIla  Strenna  Romana^  1858, 


4 


4 


I 


LA   POESIA    POPOLARE    ITALIANA  42  I 

«  Chi  ci  vuo!  far  con  me,  canta  ritornelli^ 
«  Li  tengo  accaricati  a  sei  cavalli, 
«  Alza  la  voce  chi  11  sa  più  bclli.  » 

Dove,  oitre  aile  scorrezioni  grammatical],  il  primo  verso,  se  si  legge 
ritornelli,  è  sbagliato  ed  ha  una  sillaba  di  troppo,  mentre  invece  ha  la 
giusta  misura  se  si  legge  stornelliy  corne  deve  leggersi  senza  dubbio,  e 
corne  del  resto  si  canta  nelle  vicine  Marche,  secondo  la  corretta  lezione 
data  dal  Gianandrea  : 

«  E  chi  vuô  fà  con  me  a  cantà  storneili, 

«  Li  porto  caricati  a  sei  cavalli. 

c  Alzi  la  voce,  a  chi  li  sa  più  belli.  » 

E  cosî  nei  canti  piceni  del  Marcoaldi  : 

«  Chi  vuol  provà  con  mené  a  di'  storneili. 
«  Un  carico  ce  n*  ho  per  sei  cavalli  : 
«  Alzi  la  voce  chi  li  sa  più  belli  ^  • 

La  stessa   osservazione   è  applicabile  allô  stornello  65  (p.    i6\   del 
quale  il  Blessig  trascrive  cosi  il  primo  verso  : 
«  Voi  che  siete  maestra  di  ritornelli.  t 

Anche  qui  il  verso  ha  una  sillaba  di  troppo,  e  si  deve  leggere  storneili^. 
Or  son  già  parrecchi  anni ,  noi  avevamo  verbalmente  segnalato  quest'  errore 
al  sig.  E.  Rathery,  il  quale,  in  un  dotto  articolo  sulla  poesia  popolare 
italiana  stampato  nella  Revue  des  Deux-Mondes  del  marzo  1862,  accennô, 
sotto  forma  di  nota  la  spiegazione  da  noi  datagli  dell'  appellazione  stor^ 
nello.  Il  vero  è  che  stornellOy  etiraologicamente,  è  un  diminutivo  italiano 


1.  Gianandrea,  Canti  pop.  March.,  n*  JiiPag.  8;  Marcoaldi,  pag.  118. 

2.  Occorrono  nella  raccolta  del  Blessig  altn  cinque  esempî  ai  questa  voce. 
Noi  trascriviamo  qui  i  versi  che  li  contengono,  aggiungendo  quella  che  a  noi 
sembra  la  primitiva  e  genuina  lezione  : 

N"        I,  p.     }  u  Col  primo  riiornello  vi  saluto  »  si  legga  :  «  E  col  primo  stornello  ecc.  » 

—  213,-44  «  Sto  ritornello  lo  voglio  cantare  »    —      «  Questo  stornello  ecc.  » 

—  225,-46  «  Canto  il  ritornello  per  la  seconda  »  —      «  lo  canto  lo  stornel  ecc.  » 

—  2}  3,  —  48  «  Di  ritornelli  ne  saccio  una  vena  »     —      «  E  di  storneili  ecc.  » 

—  712, —  82  «  Di  ritornelli  io  ne  so  un  sacchetto  »  —      «  E  di  storneili  ecc.  » 

Si  comparino,  per  la  Toscana,  Tigri,  p.  220-1  : 

«  E  io  degli  storneili  ne  so  mille.  » 

«  E  io  degli  storneili  ne  so  tanti.  u 

«  E  di  storneili  che  ne  so  una  soma.  » 
Pei  Veneziani,  Dalmedico;  Bernoni,  p.  26  : 

«  E  dei  storneli  ghe  ne  so  'na  soma.  » 
Pei  Liguri,  Marcoaldi,  p.  8^  : 

«  E  cantu  de  strunelli  e  ne  so  tanti.  » 
La  nostra  raccolta  : 

«  Quattru  strunelli  mi  voelio  cantare.  • 

<  E  ri  strunelli  mi  ne  s6  oui  sacchi.  » 

«  E  ri  strunelli  mi  ne  s6  na  cuffa.  » 


42  2  C,    NICRA 

del  provenzale  estorn,  corne  soneîto  lo  è  di  son  e  corne  strambùtîo  lo  è  di 
estramps.  La  voce  eslorn  in  provenzale  significa  combattimcnto.  Ora 
gli  siorndli  italiani  si  cantano  precisamente  in  forma  alterna  a  guisa  di 
sfida,  come  anticameme  i  versi  amebei,  e  in  tempi  meno  lontani  le  Un- 
zoni  c  i  contrastiK  11  carauere  amebeo,  o  di  sfida  degli  stomelli  è  indi- 
caio  in  moite  di  quesie  composizioni,  in  quelle  specialraente  con  cui  si  dà 
principiû  al  canto  di  una  série  di  essi.  Cost  p.  e<  si  esordisce  in  Toscana 
al  canto  alterno  degli  stornelli  : 

M  Se  vuoi  venir  cou  meco  a  stornellare, 

€  Piglia  una  sedia  e  metliti  a  scdere  : 

d  Di^  quante  stelte  è  in  cielo  e  pescî  in  mare^.  i* 

Ed  in  Liguria  : 

•  E  ri  striinelU  mi  ne  se  duc  sacchi, 

•  Se  a  tr  cantu  tutti  ti  ten  scappi,  • 

Lo  slornelloin  Sicilia  si  chiama  pure  fwre.fioreîto^  motkîîOf  nopdla  (dure, 
cîurettu,  siurneitu,  muttettu,  nuvellu)  î;  e  nella  montagna  pisiojese  usa- 
no  le  due  voci  sîorndh  e  romanietto^,  11  nome  âifiore  è  pur  dato  allô  stor- 
nello  nelle  Marche-*,  I  caratieri  esierni  deilo  stornello  sono  :  strofa  unica, 
composta  solilamenle  di  tre  versi  endecasiliabi  o  di  un  verso  quinario 
e  di  due  endecasiliabi  ;  assonanza  nel  primo  e  terzo  verso  ;  consonanza 
atona  nel  seconde.  Lo  stornello  si  canla  nelle  campagne  e  nelle  ciltà 
e,  come  già  indicammo,  principalmente  in  forma  alterna  a  guisa  di 
sfida.  Tuttâvia  esso  è  pur  cantato,  non  di  rado,  commisio  agli  strain- 
botti,  e  nelle  stesse  occasioni»  senza  disfida>  In  Sicilia,  una  délie  più 
fréquent!  occasioni  di  questa  specie  di  canto  sono  le  serate  di  came- 
vale^.  Quando  lo  stornello  si  canta  insieme  collo  strambotto,  quello 
précède  ordinariamenle  queslo.  Non  di  rado  allo  stornello  Ipiù  rara- 
mente  allo  stramboito)  s*  intercala  il  niorndlo^  che  in  Toscana  è 
chîamato  ora  con  questo  nome  di  ntorndio'^,  o  di  rkordino^  ed  antica- 
mente  era  con  quello  di  rifiorita'*.  ïn  Venezia  1*  intercalare  è  detio  nio 
che  il  Dalmedico  interpréta  nido*°. 


I 
4 


4 


1 .  «  £  vogiiono  altri  che  siorndli  sieno  detti  da  questo.  che  si  cantano  a  starno 
«  e  quasi  a  rimbaïzo  di  voce,  o  a  rtcambîo  d,i  un  colle  aîP  altro,  fra  uno  e 
i  1'  akro  pastore  o  pecoraro.  Il  quai  brève  canto  è  invcro  più  adaltato  de*  ris* 
*  pttti  per  quelle  loro  dJsfidc  e  gare  amorose,  in  motti  ai  due  o  tre  versi, 
f  sjccome  quelli  soliti  a  ricambiarsi  i  pastori  di  Virgibo  negli  altcrnicanli  ed  in 
f  uguâli  lenzoni.  »  Tigri,Pref.,  p.  xlvj. 

2,  Tigri,  n*»  j^  p.  î2o. 
).  Pilrè,  Canu  pop,  sic.^  1,  ?  i.  —  4.  Tigri,  Pref-,  p.  xlvj. 

,Pr' 


Gianandrea^  Pref. 


p.  ÏXIl. 


6.  Pitre,  Stuàd  di  poeûa  popotarc^  P*  SS* 

7.  V.  Nerucci,  p,  187. 

8.  Schuchardt.^  p.  1J7. 

9.  V.  Tigri»  Pref.,  p.  xlviij. 
10.  V.  Dalmedico,  p.  196, 


J-Ai 


LA   POESIA    POPOLARE   ITALtANA  42^ 

Si  è  insistito  sui  caratieri  esiemi  délie  varie  specie  délia  nostra  poesia 
popolare,  perché  lanotizia  di  tali  caratterî  giova  motte  âll'  îndagîne  délia 
provenienia  immediata  ed  anche  delF  origine  di  essa.  Cosî,  la  presenza 
deii'  endecasillabo,  la  desinenza  regolaraeme  piana  o  parossitona, 
l' assenza  di  versi  sciolti,  che  sono  caratteri  estemi  comuni  allô  strambotto 
ed  allô  stomellOj  bastano  di  per  se  ad  indicare  subito  la  provenienza 
diretla  o  per  imitazione,  dair  ïtalia  média  ed  inferiore  dei  componimenti 
di  questa  specie  che  si  cantano  In  Piemonte  e  nelP  aitra  lulia  superiore. 
Per  contro,  V  assenza  quasi  costanie  dell'  endecasillabo,  la  desinenza 
tronca  od  ossitona  alternata  colla  pîana  o  parossitona,  e  i  versi  sciohi 
0  blanchi  alternati  coi  versi  rimati,  che  forniano  i  caratteri  esterni  délia 
canzone,  marcano  la  provenienza  dall'  ïtalia  settentrionale  délie  rare  can- 
zont  che  s'  odono  oiire  îa  Magra  e  il  Rubicone.  Lo  strambotto  e  lo  s\or^ 
nello  cantati  ai  piedi  délie  Aipi  portano  nel  métro,  nella  struttura  délia 
frase  e  nella  forma  délia  parola,  évidente  I'  impronta  délia  provenienza 
0  dell*  imita zione  sud-italica,  mentre  la  canzone  trasportata  accidental- 
mcme  sull-  Arno  o  al  di  là  dello  Stretto,  corne  la  lezione  fjorentina  di 
Donna  Lombarda  e  la  siciliana  délia  Povtra  Cccilia^  conservano  nella  ter- 
minazione  ossitona  délia  meta  de'  loro  versi  il  segno  non  equivoco 
délia  loro  origine  settentrionale.  Questo  fatto  trova  la  sua  ragione  nella 
diversa  indole  dei  dialetti  délie  due  parti  d'  Ïtalia.  I  versi  a  desinenza  cos- 
tamemente  piana  non  possono  essere  indigeni  nell'  ïtalia  settentrionale, 
perché  i  dialetti  di  questapane  d'  Ïtalia  sono,  in  larga  proporzione,  ossi- 
loni,  I  versi  con  desinenza  soliiamente  tronca  non  possono  essere  origi- 
narl  dell'  ïtalia  média  ed  inferiore,  perché  queste  fanno  uso  di  dialetti 
quasi  inieramente  parossitoni. 

L'  argomemo,  di  cui  entriamo  a  discorrere,  puô  oramai  esser  trattato 
senz'  alcuna  preoccupazione,  fuor  quella  délia  verità  scientifica,  e  nés- 
suno  vorrà  supporne  altre  nello  scrittore  âi  queste  pagine.  LMiaiia,  per 
quando  spetta  ai  dialetti  in  essa  parlati  ed  alla  sua  poesia  popolare,  va 
di\nsa  in  due  grandi  zone,  nettamenie  distinte.  Lasciando  in  disparle  la 
Sardegna,  la  di  cui  poesia  popolare  non  ci  è  nota  che  per  alcuni  troppo 
rari  eseinpi  tratti  dalla  raccolta  di  poesia  artificiose  dello  Spano;  il  Friuli, 
coi  suoi  dialetti  e  coi  suoi  canti  speciali,  la  Corsica  coi  suoi  voceri,  dei 
quali  v'  è  traccia  anche  in  altre  parti  d*  ïtalia,  ed  omesse  naturalmente 
le  colonie  straniere  stabilité  nella  penisola,  queste  due  zone  si  dividono 
quasi  per  meta  la  popolazione  italiana,  e  comprendono,  V  una  la  Liguria, 
il  Piemonte,  la  Lombardia,  V  Emilia  e  la  Venezia;  l'altra  il  resio  d'italia. 
Chiameremo  la  prima  zona  ïtalia  superiore  e  la  seconda  ïtalia  inferiore. 
Neir  ïtalia  superiore  i  dialetti  hanno  carauerî  fonologici  e  sintattici 
diversi  da  quelli  deir  Italîa  inferiore.  Non  è  qui  luogo  opportune  né  è 
necessario  d'enumerare  tutti  questi  caratteri.  Basta  pel  nostro  scopo 


424  C,    KÏCRA 

l' insistere  sopra  un  solo,  che  è  la  desinenza  délie  voci  largamentc  ossi- 
lona,  propria  di  tutti  i  dialetti  dell*  Iialia  superiore  e  contraria  air  indole 
dei  dialetti  dell*  îtalia  infenore,  A  questo  diverse  caraltere  det  dialetti 
délie  due  parti  d-Italia  corrisponde  un  diverse  carattere  estemo  délia 
rispettiva  poesia  popolare.  L'  Italia  superiore  ha  la  caniont^  colla  meta 
almeno  dei  versi  a  desinenza  ironca  ;  V  Italia  inferiore  ha  lo  sîrambùm 
coi  versi  a  desinenza  ordinariamente  piana,  Che  se  lo  siramboiîo  col  suo 
verso  piano  invade  talora  la  provincia  délia  canzone  e  dei  versi  ironchi^ 
e  viceversa,  la  poesia  cosl  trapiantata  fuori  délia  sua  sede  naturale  pona 
pur  sempre  con  se  vi&ibili  ed  evidenii  i  segni  délia  sua  origine.  E  se  in 
questo  scambio  la  proporzione  non  è  uguale^  irovandosi  gli  sirambotti 
non  rari  nell'  Ualia  superiore,  mentre  la  canzone  non  dà  che  esetnp)  iso- 
lati  neir  Italia  inferiore,  ci6  deve  attribuirsi  aile  prevalenza  eserdtata 
dalla  lingua  letteraria,  a  cul  tendono  ad  avvicinarsi  i  dialetti  in  lutta  Tlta- 
lia,  geograficameme,  storicamente,  letterariamente  ed  ora  anche  poliii- 
camente  unita.  E  qui  giova  notare  che  pur  nella  poesia  artificiosa  detr 
Italia  il  carattere  estemo  dominante  è  la  terminazione  piana  0  paros- 
sitona  dei  verso.  Il  verso  tronco  od  ossitono  nella  poesia letterariaîtaUana» 
salve  le  eccezionî,  rare  anch'  esse^  e  ristrette  quasi  sempre  aile  sole  desi* 
nenze  ossiionein  vocale,  è  un'innovazîoneassai  récente.  Il  verso  tronco  in 
consoîiante,  che  ha  cosl  larga  parte  nelia  poesia  popolare  delF  Iialia 
superiore^  ove  dominano  i  dialetti  ossitoni^  fu  introdotto  nella  nostra 
poesia  letteraria  dai  poeti  melodrammatici,  obbedienti  a  consuetudini  c 
ad  esigenze  musicali  e  teairali  affatto  speciali,  e  non  vi  ebbe  definiiiva» 
mente  diritto  di  citiadinanza  che  per  opéra  e  coll*  autorità  de'  retenti 
poeti  nord-italici  Parini  e  Manzoni  ■ .  L'abborimento  dei  dialetti  dell'  Ita- 


t .  Il  prof.  Alessândro  D'Ancona,  il  nome  dei  qualc  vuoi  essere  cilato  qui 
a  tutta  Iode,  ci  scrisse  iotorno  a  questo  argomento  le  scguenti  istnittive 
nottzie  : 

«  Rispcttoal  tronco,  credo  che  vadano  distiiîti  fra  loro  il  tronco  accentato  c 
ff  in   vocale,  e  il  tronco  In  consonantf.   Dd  primo  abbiamo  qualche  es^mplo 

•  antïco,  e  voi  sapete  bcne  che  ce  n*  è  anche  nci  nostri  classici  de)  trecento. 
«  Dante,  Pelrarca  ccc.  Se  aveie  le  daiiaU  ûntkht  raccoltc  dal  Carducci  ne 
«  vedrete  un  esempio  curioso  in  una  poesia  dei  Sacchetti,  p.  209,  nella  quale 
«  sono  accentate  anche  parole  che  natural mente  nol  sono,  corne  domino ^  asmo^ 
t  mondo  ecc.  Vi  è  pure  un  curioso  sonctto  di  Filippo  di  ser  Albîzzo  siampalo 

•  ncir  Allacci,  dove  anche  dopo  le  rime  délie  auarime  in  d  c  in  ^  ndic  terzine 
«  sitrova  esempio  di  tronco  m  consonanle  :  Ai  ongiugato  btao  d'amor  pUn  — 
«  Dt  tutti  aca  che  ma  farono  0  fïcn  (pag.  ^06,  c  anche  J09).  —  Ma  la  poesia 
«  toscana  anlica  non  amava  questi  troncamenti  :  tanto  vero  che  nelle  Canzo* 
t  netls  sacre  c  profane,  nelle  Ballate  e  nelle  Laudi  trovate  sempre  vcrsr  piani 
f  ed  intcri,  e  le  rime  al  mezzo  sono  lali,  quand*  anche  se  ne  accrcsca 
t  qualchc  volta  una  sillaba  al  verso*  Per  es.  :  Egli  à  potcn:a  di  cangtarU  U 
€  caoTt    E    amiliar   furon    —  d'  ogm  crudclc.   —  La  rima    vuoI  intera    la 

•  parola,  e  io  uso  cosi  stamparla  ;  resta  a  sapere  che  cosa  si  facesse  nella  oro- 
«  ntinzii  e  nel  canto,  Forse  c'  cra  un  rîposo  nella  voce  :  lanio  più  che  ordini- 


4 

i 


^^  ■  '-'       •  -^    ^^- 


LA    POESIA    POPOLARE   TTALIAKA  41$ 

lia  mfêriore  per  la  desinenza  ossiiona  è  cosi  naturale  alla  loro  îndole, 
che  essi  sogliono  spesso  allungare  con  aggiunte  inorganiche  le  sillabe 
finali  grammaticalmenie  accentaie,  ed  in  ispecie  i  monosillabi*. 

Finora  ci  siamo  limilati  a  notare  i  caraiteri,  per  dir  cosi,  esterni  délie 
due  specie  di  poesîa  popolare  italiana,  Dobbiamo  ora  esaminare  i  carat- 
leri  intemi  e  il  contenuto.  Sappiamo  che  la  canzone  apparliene  air  Italia 
superiore,  e  che  lo  sirambouo  è  originario  delF  inferiore,  Abbiarao  tro- 
vato  la  spiegazione  dî  questo  fatto  nella  diversîtà  d' îndole  dei  dialelti 
deir  una  e  delP  altra  pane  d'Itaiia.  Ma  questa  diversité  dei  dîaletli  ha 
d'  uopo  anch'  esso  d*  una  spiegazione,  la  quale  alla  sua  voila  ci  servira 
a  dar  ragione  délia  diversiià  intrinseca  délie  due  specie  di  poesia. 

Il  fondo  lessicale  e  le  forme  grammalicaîi  dei  dialetti  delF  îtalia  supe* 
riore  e  dei  dialetti  dell'  îtalia  inferiore  (corne  di  tutti  gP  idiomi  romanzi) 
procedono  sostanzialmeme  dalla  lingua  latîna,  ed  hanno  quindi  una  base 
sostanzialmenie  ideniica.  Ma  se  nei  due  rami  dialettati  délia  penisola  la 
pane  lessicale  e  la  grammaticale  sono  sosTanzialmente  idemiche,  la  parte 
fonologîca  e  la  sintassi  offrono  invece  notevoli  diiïerenze.  La  ragione  di 


•  riamenle  queste  rime  alme^zo  cadono  alla  melâ  oalla  fine  délia  strofa. 

«r  Di  buon  ora  invece  nelle  Barzellelte  e  Canzoni  popolari   di  aJtri  dialetti 

<  d'Itiilta^  e  spécial  mente  dei   Venelo,  cominciano  î  verst  Ironchi,  qualche  voila 

<  mischiali  coi  piani  ;  ma  àh  non  dipende  da  un  intenlo  di  confonJerc  insieme 

■  queute  varietà  di  ntmi,   ma  dalla  nalura  stessa  dei  dialetti.  Potrebbe  esscre 

<  che  I'  esempio  e  ta  popolarità  di  queste  strole  miste  di  Ironchi  e  piani  avessero 
«  di  poi  indotlo  a  farne  uso  nei  loro  Canzonieri  anche  i  poeti  cuiti  e  delTarte; 

•  ma  non  saprei  dire  a  cht  precisamente  si  debba  atlribuire  que^t'usanza.  Fu 
«f  detlo  che  il  primo  fosse  Serafino  delt'  Aquila  pocta  dei  XV  secolo,  che  scri&se  : 
i  Non  mi  ncgar  signora^  Di  pogcrmt  ta  man  —  Ch'\o  vo  da  U  lontan,  —  Non  mi 
t  n(gûr^  signera.   Ma  i«  non  ve  n*è  allri  esempî  in  altre  sue  consimili  canzo- 

•  nette,  2*  nella  stessa  canzonelta  questo  sareboe  l'unico  escmpio  :  onde  TAflb 

■  giudica  ess«r  slato  questo  un  arbilrio  dei  copisti  0  stampatori.  L'Affô  stesso 
1  nei  suo  Diiionario  prcctiîiw  ddU  potm^  nonaice  chi  fu  il  primo  a  usarei  versi 
rt  tronchi  in  consonanlc,   e  ne  dà  la  colpa  agli  autori  moaerni  di   canjonette 

•  musicali.  Se  fossi  a  Firenze,  dove  èunabella  raccolta  dj  siffatti  componimenti 

•  dei  cinque  e  setcenio,  polrei  darci  uaocchiata,  ma  da  Pisa  non  posso  levarrai 
t  questa  curiosilâ.  Ne  anche  posso  consuhare  la  Lira  dei  cav.  Marini,  ma  ho 
«  scartabellato   il  Canzonierc  dei  Chiabrera^  e  ne  ho  rinvenuto  un  esempio,  che 

•  parmi  unico,  nei  Ditirambo  LUI  délie  Vendemmie  di  Parnaso,  che  comincia  : 
t  In  queita  aagusta  terra  :  dovc  pcrè  i  ironchi  cominciano  in  fondo,  quando 
t  cresce  0  sovercbia  V  enlusiasmo.  Ma  questo  è  un  caso  isolalo  ;  e  oscrei  dire 
i  che  divcnta  un  caso  coslante  sollanlo  nelle  poésie  musical»  dei  Rolli,  de)  Fru- 

•  goni,  dei  Melastasîo  ecc.  e  si  iramuia  da  quelle  aile  poésie  d'  arle  per  l'aulo- 
«  revole  escrapio  dei  Parini,  ClHeslo  c  quello  che  so,  che,  corne  vedete,  è  molto 

•  poco  :  ma  non  posso  dirvi  di  più,  perché  è  quanto  si  irova  a  mia  cogni- 
«  zione,  s 

I.  Esempî  toscani  in  Tommaseo  e  Trgri  :  dureràne,  benïgnitàne,  piétine, 
libertine,  verlùne,  stanc,  pitine,  tune,  ènc»  mené,  lene,  ptùe,  tue,  noe,  giûe, 
trce,  icc;  — ^^Umbri  m  Marcoaldi  :  dîne;  —  Marchigiani  in  Gîanandrea  :  hber* 
tâne,  làne,  giùnc,  piûfie,  adène,  mené,  tene,  Irène,  none,  fone,  dinc,  quine;  — 
Romani  m  Blessig  :  none,  perchéne;  —  Méridional!  in  Casetti-lmbriani  :  trene, 
linc^  sine,  none  ecc. 


426  c.  mcKk 

questo  fatto  deve  cercarsi  nella  diversité  originaria  délie  due  razze  che 
prevalsero  nelle  due  parti  délia  penisola.  Le  popolazioni,  che  ail'  epoca 
de!  dominîo  romano  abitavano  1'  Italia  inferiore,  appartcnevano,  in 
proporzione  prevalente,  al  gran  ceppo  italico,  di  cui  i  Latin i  siessi  erano 
il  ramo  più  %'igoroso.  Per  contro  V  Italia  superiore  era  popoiata  da  Galli 
e  da  altre  razze  celttche,  0  strettameaie  affini  aile  celiiche,  che  prima  di 
subire  il  dominio  romano  parlavano  i  proprî  idiomî.  In  aliri  lermim, 
nell*  Italia  inferiore  sotto  il  latino  non  v'  è  substrato  se  non  italico;  nell' 
Italia  superiore  sotto  il  latino  v'  è  un  substrato  celiico',  Ora  gl'  idiomi 
celtici  e  gV  italici,  benchè  originariamenie  cognaii,  forma vano  nel  periodo 
storico  di  cui  si  traita  lingue  quasi  altrettamo  diverse  fra  loro,  che  il 
latino  ed  il  greco,  sia  pel  lessico  e  per  la  grammatica,  sia  per  la  fonetica 
e  per  la  sintassi.  Adotiando  la  îingua  dei  vincitori,  i  Celti  dell*  lialia 
superiore  pigliarono  in  sostanza»  corn'  era  naiurale,  il  fonde  tessicaleJ 
le  forme  grammatical  i  latine.  Ma  non  polerono  con  eguale  facilita 
gliarne  intera  la  fonetica  e  la  sintassi,  perché  queste  due  parti  del  lin- 
guaggio  hanno  siretia  relazione  cogli  organi  maieriali  délia  pronunzia  e 
del  pensiero,  che  neïle  due  razze  non  dovevano  essere  assoiaiamenie 
identici,  secondochè  risulta  daîla  comparazione  délia  Iingua  latina  coi 
resti  di  favelle  celiiche  che  pervennero  fmo  a  noi.  Ne  gli  organi  di  cui 
parliamo  possono  mutarsi  0  modificarsî  pel  solo  fatio  délia  volontà.  Per 
questa  ragîone  la  parola  latina  suona  diversa  sulle  labbra  del  piemomese 
o  del  lombardo  e  su  quella  del  toscano  0  del  siculo.  Per  questa  ragione, 
ometlendo  altre  differenze,  che  non  giova  V  indicare  per  lo  scopo  nosiro, 
la  terminazione  originaria  parossilona  délia  voce  latina,  conservata  dal 
toscano  e  dal  siculo,  diventô  largamenle  ossilona  sulle  Aipi  ed  in  riva 
al  Po'. 


1 .  Noi  ci  preoccupiamo  qui  soUanto  del  periodo  storico.  È  possibiie,  è  anzi 
probabile  che  le  ra^ze  tlalkhe  e  le  celiiche  abbiano  incontra to  nelle  loro  emi* 
gnzioni  dâir  Asia  in  Europa  e  sopra  i]  stiolo^  dove  poi  si  stabiiirono^  popola- 
zioni  dt  schiatta  diversa  colle  quali  successivamente  st  tusero.  Noi  ammettiamo  in 
massima,  che  oueslc  popolazioni  preistoriche  e  non  ariane,  mescolate  cogl'  liai; 
e  coi  Cciti,  abbiano  esercitalo  un'  azione,  ancora  duratura,  nello  sviluppo  deïlâ 
série  continua  d'  idiomi  di  quelle  due  razze.  Ma  non  abbiamo  Ênora  e  non 
avremo  forse  mai  elementi  sullîcienti  per  determinare  l'indole  e  la  forza  di 
quest'  azione.  Essa  si  sottrae  quindi  ai  necessiti  aile  nostre  indagtni  pré- 
sent!. 

2.  Una  certa  tendenza  a  desinenze  ossitone  si  manifesta  pure  tieir  Apennii 
Abruzzese  ed  in  qualche  punto  délia  Basilicata.  Anche  il  dialeUo  NapoiiUI  ^ 
présenta  traccie  d'ossitonismo.  Per  quest'  ultimo,  il  fatto,  d'altrondc  non  itt^ 
qucnte,  puô  spiegarsi  arameltcndo  Tazione  persistente  d'un  antico  substrato 
greco.  Ma  il  fenomeno  che  si  produce  nei  dialetti  deir  Abruzzoe  della  Basilicati 
richiedc  una  diversa  spiegazione,  che  noi  non  ci  avventuriamo  dt  date  per  on. 
Forse  anche  qui  conviene  ricorrere  aW  ipotesi  d'un'  infikrazione  cetticao  d'  un 
substrato  preitalico. 


LA    POESÏA    POPOURE    ITALtANA  427 

Ma  la  poesia  popolare,  al  pari  délia  lingua^  è  unacreazionespontanea» 
essenzialmente  etnica.  Razza,  lingua  e  poesia  popolare  sono  tre  forme 
successive  délia  medesima  idea,  e  seguono  neila  loro  genesl  e  né  loro 
sviluppo  un  procedimenio  analogo.  Con  ciô  noi  non  vogliamo  escludere 
la  possibilità  del  passaggio  delïa  poesia  popolare  da  una  nazione  ad  un'altra. 
Quellocheaccadde  délia  lingua  potè  accadere  délia  poesia  popolare.  Intal 
caso  sarà  cômpito  deila  storia  il  cercar  le  ragioni  del  faiio,  e  il  discernera 
in  questa  poesia  mutuaia  la  parie  originaria  e  la  parte  che  potè  esservi 
âggiunia  di  proprio  dalla  nazione  che  V  adottô  e  seppe  assimilarsela. 
Perô  si  pu6  stabilire  per  principio  générale,  che  la  poesia  popolare  è 
creazione  spontanea  délia  popolazione  che  la  canta,  risponde  al  senti* 
mento  poelico  ed  esietico  proprio  di  questa  popolazione  e  cosiituisce 
un  caraiiere  einico  spéciale  délia  medesima.  Applicando  quesio  principio 
ail'  italia,  siccome  noi  trovammo  nelle  due  parti  delîa  penisola  il  subs- 
trato  dî  due  razze  distinte,  e  due  tronchi  dialeiiali  diversi,  cosl  noi  dob- 
biamo  trovarvi  e  viiroviamo,  perfettamentecorrispondenti,  due  spededi 
poesia  popolare  nettamenie  separaia,  non  solo  pei  caratteri  estemi  che 
abbiamo  giàindicato,  ma  anche  pei  caratteri  interni,  ossia  pel  contenuto, 
Infaiti  il  contenuio  poedco  degli  strambotti  corne  degli  stornelli,  che 
costiiuiscono  la  poesia  popolare  delP  Itaîia  inferiore,  è  altreuanto  diverso 
da  quello  delte  canzoni ,  che  sono  il  patrimonio  poetîco  popolare 
delP  Italia  superiorej  quanio  la  forma  esterna  degli  uni  è  lontana  da 
quella  délie  altre. 

Lo  strambotto  icome  lo  stornellol  è  originale  ed  indigeno  nell'  Italia 
inferiore.  Lacanzone  è  solamente  in  parle  indigena  nell*  Italia  superiore, 
in  parte  è  comune  ad  altre  popolaziani  romanze,  La  poesia  delP  Italia 
inferiore  è  lirica,  quella  deir  Italia  superiore  è  generalmenie  narraiiva. 
Laprimaè  soggettiva^  la  seconda  è  oggettiva.  La  prima  ha  per  argomento 
ordinario  V  amore,  la  passione  e  l'affelto  dell'  animo,  e  più  raramenie  un 
conceito  morale  o  politico  o  un'  allusione  a  falii  siorici'  ;  la  seconda  ha 
per  argomento  fatti  storici,  racconti  romanzeschi  o  familiari,  e,  per 
una  parte  soltanto,  Tamore*  La  prima  si  adopera  ed  ha  probabile  origine 
nel  canio  alierno;  la  seconda  non  ha  mai  il  caraitere  amebeo.  La 
prima,  senza  cessare  d*  essere  popolare  e  comunque  dettata  dal  popolo 
incolto,  ha  una  forma  appena  meno  artificiosa  e  quasi  altreuanto  accu- 
rata  che   la  migUore   poesia   dotia';   la  seconda  invece  conserva   la 


I  *  Il  si^,  Gherardo  Nerucci  pubblicô  nelU  sua  raccoUa  una  série  nolevole  e 
Guriosa  di  stornelli  polilici  e  patriollici  (V.  p.  204).  Se  ne  Icggono  allri  nella 
raccotta  di  Lionardo  Vigo,  p.  684  e  seg-,  ed  mqyclla  del  Salomone  Marino, 
p.  a86-88. 

2,  Qujndi  frequenti  le  imitazioni,  e  non  scmpre  facile  irdistînguerle  anche 
id  orccchio  fino  ed  esperto.  Lo  slesso  Tonimaseo,  crilico  ed  osservatore  sagacc, 


428  C.    NIGRA 

veste negletta  e  disadorna,  ma  schietta  ed  ingenua  délia  poesia  d'origine 
strettamente  popolare.  Nella  prima  dominano  la  preoccupazione  délia 
forma  e  V  induigenza  al  suono  ;  nella  seconda  la  forma  è  subordinata  al 
pensiero.  Nella  prima  la  parola  accidentale  dà  spesso  occasione  al  con- 
cetto';  nella  seconda  la  parola  obbedisce  alla  coscienza.  Nella  prima, 
anzichè  poeta,  il  popolo  aulore  si  révéla  artista,  elegantissimo  e  stupendo, 
superiore  in  questa  forma  d'  arte  ad  ogni  altro  popolo,  il  solo  greco 
eccetuato;  nella  seconda  il  popolo  autore,  assai  più  che  artista,  è  poeta. 
Questo  parallelo  non  è  certamente  completo,  ne  puô  pretendere  a  rigo- 
rosa  esattezza.  Nella  vasta  materia  di  cui  trattiamo  è  impossibile  il  pro- 
cedere  a  riduzioni  sintetiche  précise  ed  assolute.  Ma  confidiamo  che  in 
sostanza  la  comparazione  da  noi  fatta  sia  fondata  sopra  una  base  vera. 
Communque  poi  si  vogliano  ridurre  i  termini  e  diminuire  i  risultati  di  taie 
comparazione,  rimane  pur  sempre  évidente  che  sarebbe  difficile  V  ima- 
ginare  diiferenze  più  essenziali  e  piCi  spiccate  di  quelle  che  distinguono  la 
poesia  popolare  délie  due  parti  d'  Italia.  Se  anche  diifettasse  ogni  altro 
argomento  storico,  basterebbe  questo  solo  per  dimostrare  la  lunga  coe- 
sistenza  dei  due  substrati  italico  e  celtico  nella  vecchia  e  gloriosa  peni- 
sola. 

Rimane  ora  il  tentare  1'  indagine  sulie  origini.  A  questo  proposito 
conviene  premettere  che  la  lingua  délia  poesia  popolare,  finchè  questa 
non  è  fissata  dalla  scrittura,  présenta  le  forme  lessicali  e  grammaticali 
moderne,  anche  quando  si  traiti  d*  un  canto  d*  origine  antica  incontestata. 
La  poesia  popolare  segue  nella  sua  esplicazione  le  modificazioni  lente 

raccoglitore  ed  illustratore  di  canti  popolari  nostri  e  stranien,  accolse  nella 
prima  collezione  ch'  egli  pubblicô  di  canti  popolari  toscani  parecchi  rispetti 
apocrifi  fabbricati  dal  Bianciardi.  Giuseppe  Tigri  ammise  nella  sua  ottave  di 
fattura  classica  e  parecchie  lettere  in  versi  telle  da  autografi;  le  raccolte 
siciliane  abbondano  di  componimenti  di  riconosciuta  0  d'  évidente  origine 
letteraria  0  semi-letleraria,  e  la  pubblicazione  di  Oreste  Marcoaldi,  opéra 
d'  aitronde  utilissima  e  pregievolissima  pel  tempo  in  cui  fu  fatta,  comincia  con 
un  canto  artefatto  e  segue  con  parecchi  altri  d'eguale  natura  (V.  special- 
mente  nei  Canti  Umbri,  i  NN.  i.  ?,  26,  28,  54,  39,  76  dati,  credo,  dal  Pen- 
nacchi,  e  nei  Piemontesi  il  N*»  i6cIato  dal  Buffa). 

I.  Domenico  Buffa,  in  una  collezione  da  lui  fatta  di  canti  popolari,  inseriva  il 
scguente  strambotto  cantato  a  Porto  Maurizio  : 

«  Suspira,  cuore,  che  ragion  tu  n*  hai  ! 

«  Tu  n'  hai  la  casa  versu  la  marina. 

«  Alla  marina  sunu  pesci  pesci, 

«  Alla  muntagna  sunu  pecurelle  : 

«  A  fa'  r  amù  ghe  vô  de  fie  belle.  » 
E  cosi  commentava  :  «  Ho  inserito  questo  strambotto,  non  perché  lo  meri- 
«  tasse,  ma  per  recare  uno  de'  moltissimi  esempî  che  mi  si  offersero  nelle  mie 
«  raccolte,  m  cui  la  parola  trascina  una  idea.  Avviene  spesso  al  popolo  di 
««  cominciare  un  canto  con  una  idea,  e  poi  trascinato  da  una  parola  che 
■■*  neir  esprimerla  gli  esce  di  bocca,  quasi  per  distrazione.  passare  ad 
«  un'  altra.  » 


U  POeSIA  POPOURE  italuka  429 

ma  continue  del  dialeito,  cosicchè  si  pu6  dire  che  il  popolo  dà  opéra  ad 
una  redazione  perpétua  del  suo  canto,  Questo  faiio  riesce  spedalmente 
évidente  in  quelle  canzoni,  la  di  cui  primitiva  redazione  puô  fissarsi  ad 
un  tempo  deierminato.  La  moderniià  délia  frase  e  del  vocabolo  non  puô 
quindi  essere  considerata  corne  un  argomentocontrorantichitàdelcanto, 
corne  una  prova  d'  origine  récente.  La  lingua,  salvo  qualche  raro  caso 
affâtto  spéciale,  non  puô  fornire  elemenii  sicuri  per  determinare  T  antîca 
0  la  moderna  redazione  d'  un  canio.  Inolîre,  occorre  distinguerez  sem- 
prechè  si  parla  d*  origine»  il  fondo  0  contenuto  poetico  puro  e  semplice» 
dall*  elemento  formale.  Il  pensiero  espresso  in  uno  strambotto»  il  fatto 
narrato  in  una  canzone^  possono  irovarsi  nella  poesia  popolare  0  artifj- 
dosa  d'  altro  paese,  senza  che  da  questo  fatto  possa  argomentarsi 
l'origine  estera  délia  canzone  0  dello  stramboito.  Nella  poesia  popolare, 
cotne  in  ogni  oltra  manifestazione  deir  arte,  la  forma  fa  parte,  e  pane 
principale,  délia  cosastessa.  Ove  fosse  leciio  il  ravvîcinare  cose  cosl  dis- 
paiate^  si  pûtrebbe  qui  giustamente  applîcare  I'  assîoma  del  diritto 
romano  :  forma  dai  esse  rei.  Un  dato  motivo  poetico,  una  data  materia 
poetica  possono  passare  con  facilita  da  un  paese  ali*  altro  c  trasmettersi 
successivamente  a  popoli  di  lingua  e  di  razza  diversî,  separati  anche  da 
continent!  e  da  mari.  Cosî  accadde,  per  esempio,  d*  una  série  considere- 
vole  di  favole,  d'  apologhi,  di  racconii  e  di  novelle,  che  dair  ultimo 
Oriente  venero  in  Europa,  0  dalP  Europa  andarono  in  Oriente,  fm  da 
tcmpi  molto  remoti»  sotto  forme  diverse.  Ma  quando  ta  materia  poetica 
è  fissata  dal  verso,  dalla  strofa,  dalla  composizione,  quando  essa  fu 
modeliata  in  uno  stampo  déterminai©,  foggiata  in  una  forma  più  0  meno 
précisa,  il  novum  opus  che  ne  risulia  non  si  trasmette  più,  di  regola  géné- 
rale» in  questa  sua  forma,  se  non  a  popolazîoni  omoglolie,  parlant!  cioè 
idiomi  îdeniici  0  molto  simili,  e  talî  in  sostanza  da  poter  essere  compresî 
senza  grande  difficoltà  da  ognuna  di  esse«  Le  eccezioni  a  questa  regola, 
quando  eststono,  hanno  una  ragîone  storica  accidentale^  e  non  possono 
invocarsi  contro  questa  regola  générale. 

Frcroesse  queste  osservazioni,  e  cominciando  dallo  strarobotto  e  dallo 
stomello,  cerchiamo  di  stabîlîre,  se  è  possibile,  come  e  dove  abbia  avuto 
origine  questa  specie  intéressante  di  poesia  popolare, 

Lo  siornello  ha  due  forme  tipiche  principal!,  L*una  di  queste  forme  è 
un  lerzeito  composio  di  tre  endecasillabi,  dei  quali  il  primo  ed  il  terzo 
hanno  la  rima  0  V  assonanza,  ed  il  secondo  ha  la  consonanza  atona. 
Questo  terzetto  s*avvicina  assai  alla  terzina  classica  ;  ma  le  due  forme  si 
dislinguono  in  questo,  che  lo  stornello  è  monostrofo  e  la  terzina  è  poli- 
strofa,  e  mentre  nella  terzina  la  rima  di  mezzo  è  incatenata  e  si  connette 
colle  rime  délia  strofa  seguente,  nello  stornello  invece  la  desinenza  del 
verso  mezzano  s'accorda  coi  due  altri  versi  dell*  unîca  strofa  per  mezzo 


4^0  c.  mcRA 

d'una  nuova  specie  di  omofonia ,  îgnota  alla  poesta  illustré,  che  nd 
chiamiamo  conmnanza  atona,  Nessun  fatto  positivo  ci  abilita  a  determî-- 
nare  se  al  terzetto  popolare  abbia  preceduto  la  terzina  letieraria,  o 
piuttosto  qoello  a  questa.  Noi  siamo  perô  naturalmente  inclinati  a  con- 
cedere  la  priorilà  al  terzetto  popolare,  per  la  ragione  che  il  semplice  è 
generalnienie  anteriore  al  composto,  e  la  forma  popolare  alla  letteraria, 
L'altra  forma  tîpica  dello  stornello  si  componed*  un  quînario,  contencnte 
l'invocazione  d*  un  flore  o  altra  invocazîone,  e  di  due  endecastllabi ,  Il 
primo  e  V  ultimo  verso  hanno  la  rima  o  Passonanza,  il  secondo  ha  la 
consonanza  atona.  Quale  puô  esser  l*origine  di  queste  due  forme  cosî 
caratteristiche  délia  poesia  popolare  iialica  ?  Qui  ci  è  d'uopo  confessare 
che  non  possiamo  emeitere  che  pure  supposizioni.  Noi  stimiamo  che  la 
rima  od  assonanza  sono  un  fatto  relativamente  récente,  un  fenomeno 
posteriore.  A  nostro  giudizio  il  verso  italiano,  nei  principali  suoî  melri, 
esistetie  prima  che  sorgessero  V  assonanza  e  poi  la  rima ,  e  fmalmente 
anche  la  consonanza  aïona.  Conseguentemente  le  due  forme  di  stornelto 
han  poluio  esistere  spoglie  d'ogni  omofonia  in  quel  perîodo  di  tempo 
che  ha  preceduto  Papparizione  délia  rima.  L'endecasillabo  italiano  è  nato, 
moltoprobabilmente,  dal  safficogreco-latino.  Ora  lastrofa  saffica,ove  si 
faccia  astrazione  dalla  rima,  ci  dà  appunto  ne'  suoi  primi  tre  versi  Tuna 
délie  forme  dello  stornello,  il  terzetto,  e  nella  combinazione  del quarto  suo 
verso  di  cinque  sillabe  con  due  de!  précèdent!  o  dei  seguentî  ci  dà  Taltra 
forma  dello  stornello,  composta,  corne  s'è  detto,  d*  un  quinario  e  di  due 
endecastllabi.  Perquesta  ultima  forma  v'è  anche  un'  altra  spiegazîone.  El 
nome  del  fiore,  o  queliValtra  invocazione  che  gli  tien  luogo,  nel  quinario, 
non  è  in  sottanza  che  la  formola  délia  dislîda!  1  due  cantori  gareggjanti 
devono  trovare  iï  nome  di  nuovi  fiori  o  nuove  invocazioni,  e  chi  prima  si 
trovicortodimemoria  o  d^invenzione  è  vinto.  Questo  quinario  non  sembra 
quindi  far  parte  necessaria  ed  intima  del  conrponimento.  Non  gli  è  unito, 
direm  cosî,  chimicamenie.  Ed  infaitiraramenle  il  nome  e  gli  attribut!  del 
flore  o  deir  oggetto  invocato  hanno  una  relazione  logica  col  contenuto 
dei  due  versi  seguenti.  La  composizione^  in  taie  ipotesi,  consterebbe  in 
realtà  di  questi  due  ultimi  versi,  ed  offrirebbe  pertanto  la  forma  semplice 
e  molto  antica  d'un  distico,  Ed  in  questa  forma  d'un  solo  distîco,  composto 
di  due  endecasillabi,  senza  invocazione  di  sorta,  non  sono  del  tutto 
infirequenti  gli  esempî  dî  stornelli  nelle  raccolte  italiane. 

Lo  sirambotto  ammene  una  maggiore  varieîà  di  forme,  che  noi 
abbiamo  colla  possibile  esattezza  descritto  a  parte  e  délie  qualî  acceïi- 
niamo  qui  soltanto  le  principali.  Le  differenze  che  distinguono  le  varie 
forme  derivano  dalla  maggiore  o  minore  quantità  di  versi  del  componî- 
mento,  e  dalla  diversa  combinazione  délie  rime  od  assonanze.  Una  prima 
formai  usata  in  tuita  Italia,  ma  specialmente  in  Toscana,  nell'  Umbria, 


LA    POESIA   P0|)OLARE   tTALlAKA  4)1 

netle  Marche,  e  largamente  adotlala  nell'  Italia  superiorc,  è  il  letrastico 
endecastllabo,  coa  rima  od  assonanza  alterna,  il  dt  cui  tipo  congiunge 
talora  aile  rime  od  assonanze  alterne  anChe  le  consonanze  atone  contro- 
alterne.  Questo  fatlo  d*  una  doppia  omofonia  nelle  rime  alterne  {-dre^ 
ire-àre-irt,  ecc),  che  noi  chiamiamo  paraïkllsmo  ai  consonanze  atone ^  si 
verifîcai  in  larga  proporzione  in  lutte  le  altre  forme  di  strambolto  a  rima 
alterna,  e  noi  lo  notiamo  qui  una  voila  per  lutte  a  fine  di  evitarc  inutîlt 
repetizioni.  Aggiungeremo  perô  che  esso  non  è  costante,  e  diviene  di  più  in 
più  raro  quanto  più  si  procède  dair  Itaiia  inferiore  alla  superiore)  il  che 
è  un  altro  indizio  d'origine  méridionale.  Al  letrastico  con  rime  altitnt 
rîsponde  il  letrastico  con  rime  badatc  hdre-tîre'ito-itQ)  usato  di  rado  nel 
mezzodi,  più  spesso  in  Toscana,  neir  Umbria  e  nelle  Marche,  prin- 
cîpalmeme  in  fine  del  rispettî,  e  con  maggiore  frequenza  nell*  lialia  supe- 
riore.  Occorrono  pochi  esempi  d*  una  lerza  forma  di  letrastico,  la  quale 
présenta  le  rime  abbracciate  {'dre-ito-ito-drej.  Noi  la  notiamo  qui, 
malgrado  la  sua  rarità,  perché  concorda  con  una  dellc  forme  soliie  dei 
letrasiici  del  sonetto. 

Vengono  quindi  le  varietà  di  esastici  o  sesiine,  che  sono  princi- 
palmenle  tre.  La  prima  ha  quattro  versi  con  rime  alterne  ed  i  due  ultimi 
versi  con  rime  baciate.  Ordinariamente  i  due  ulîimi  versi  ripetono  il  con- 
cetlo  ed  in  gran  parte  le  parole  dei  versi  precedenti,  o  s'incaienano  in 
altra  guîsa  con  essi  nella  parota  o  neir  idea.  Essi  hanno  quindi  ilcaraltere 
di  un'  aggtunta  posieriore  al  primitivo  letrastico  a  rime  alterne.  Questa 
forma,  perché  più  fréquente  in  Toscana  che  altrove,  è  anche  delta  seslina 
toscana.  La  seconda  varielà  di  sestina  è  più  rara.  Essa  consta  di  sei 
endecasillâbi  con  rime  alterne  ed  è  nata  senza  dubbio  o  dalla  mutilazione 
dell*  oitava,  o  da  propagine  del  letrastico.  La  lerza  varietà  ha  i  sei  versi 
con  rime  bacuite  ed  occorre  neir  lialia  superiorej  più  rararaente  nell' 
Ualia  média. 

Gli  strambotti  d*olto  versi  offrono  quattro  forme  principali.  Di  queste, 
la  cosi  detla  ottava  siciliana,  con  rime  alterne,  e  spesso  con  parallelismo 
di  consonanze  atone  nelle  rime  conîro-alieme,  è  senza  dubbio  la  più 
imponante,  sîa  perché  coslituisce  lo  stampo  in  cui  si  getlô  e  si  getta 
lutiavia  uno  dei  più  ricchi  tesori  délia  poesia  popolare  itaïiana,  sia 
perché  questo  medesimo  stampo  è  uno  de'  perfetli  e  forse  il  più  perfeito 
nel  suo  génère,  che  si  conosca,  Lo  strambotiodi  MarillimaeCampagna, 
composto  di  dieci  versi  con  rime  alterne,  non  è  in  sosianza  che  l'  oiiava 
iiciliana,  giacchè  in  quello  il  nono  e  decimo  verso  sono  la  ripetizione 
tesiuale  del  primo  e  secondo.  In  Toscana  V  ottava  è  generalmenie  com- 
posta di  quattro  versi  con  rime  alterne  e  di  quattro  con  rime  baciaie.  Ma 
anche  qui  i  quattro  ultimi  versi  sono  ripetizioni  di  parole  o  di  conceili 
conienuii  nei  precedenti;  cosicchè  quest'  ottava  si  riduce  essa  pure, 


4^2  *  C.    NIGRA 

come  ta  sestina  toscana,  al  tipo  del  tetrastico.  Viene  poî  in  terzo  luogo 
r  ottava  propriamente  detta  coi  primi  sei  versi  a  rime  alterne,  e  coi  due 
ultimi  a  rime  baciate.  Questa  forma,  resa  illustre  e  cara  al  monde  dai 
nostri  poeii  epici»  è  usata  ton  rara  parsimonia  nello  strambotio  popolare. 
Finalmente,  stccome  accennammo  V  eststenza  di  sirambotti  tetrasuci  ed 
esastici  con  lutte  le  rime  baciàte,  cosi  con viene  ancora  nolare  lo  slram- 
botto  d'otto  endecasillabi  con  tutte  le  rime  egualmente  haciate^  che 
trovîamo  talora  nella  média  ïtalîa  e  meno  raramenle  nella  superiore. 

Tutte  le  forme  a  rime  baciaîe  sono  propaginî  del  disiico  rimaio.  Ove 
si  tolgano  alla  sesiina  ed  air  ottava  toscane  i  versi  di  chiusa^  che  gène- 
ralmente  sono  ripetizioni,  e  costiiuiscono  un*  addizione  posteriore,  ed 
ove  pure  si  tolgano  alla  diecina  romana  i  due  uUimi  versi,  che  sono  la 
rrpetizione  testuale  dei  due  primi,  rimangono^  per  lo  strambotio  due 
proiotipi  soli»  cioè  il  tetrastico  a  rime  alterne,  e  V  otlava  siciliana.  Ma 
l*oitava  siciliana  è  in  sostanza  un  doppio  tetrastico  a  rime  alterne.  Ed  in 
faiti  dopo  i  quaitro  primi  versi  v*è  pausa,  ed  i  due  teirasiici  delP  ottava 
si  possono  facil mente  separare.  Ne  son  rari  gli  esempi  di  oltave  sicrliane 
che  cambiano  addiritîura  Tassonanza  nei  quattro  ultimi  versi.  Sembra 
perciô  molto  prob3bile,  che  la  forma  archetipa  dello  strambotio  sia  il 
tetrastico  endecasillabo  con  rime  alterne.  Tuilavia  V  unione  dei  due 
tetrastici  risale  ai  tempi  î  pîù  remoti  délia  nosira  sioria  letteraria, 
L'  ottava  siciliana  è  coeva  coi  primi  documeniî  poeiici  delP  isola»  ed  il 
sonelio,  che  è  pure  una  délie  vecchie  forme  délia  poesia  iialiana,  si 
compone  nella  sua  prima  parte  di  due  tetrastici  endecasillabi  con  rime 
frequentemente  alterne. 

Noi  non  possiamo  spingere  lo  sguardo  più  oltre,  per  quanto  spetta 
allô  Slampo  o  forma  storica  in  cui  lo  stornello  e  lo  strambotio  perven* 
nero  fino  a  noi.  Il  verso  endecasillabo,  e  le  rime  alterna  e  baciata,  ed  il 
loro  uso  nei  distici,  nei  tristici  e  nei  tetrastici,  coesistettero  coi  primi 
vagîti  della  musa  italiana. 

Le  forme  speciali,  proprie  dello  stornello  e  dello  strambotio,  che 
abbiamo  indJcato,  si  trovano  sohanio  in  Italia,  e  sono  indigène  nelP 
Italia  inferiore.  Abbiamo  dunque  nello  stornello  e  nello  strambotio  una 
poesia  originale,  schiettamente  italica,  e  possiamo  aggiungere  per  lo 
meno  altrettanto  antica,  rispetto  al  suo  slampo  formale,  quanto  la  più 
antica  poesia  colla  della  penîsola. 

Passando  daîlo  stampoformale  maleriale,  al  contenuto  poetico  ed  alli* 
redazione  dello  strambotio  e  dello  stornello,  è  necessario  di  stabilire  una 
distinzione.  In  questo  contenuto  v*è  una  parte  moderna.  Certisentîmenti^ 
certe  idée,  che  recano  con  se,  direm  cosi,  la  loro  data,  le  aspirazionî  ed 
i  pensieri  politiri  (nei  rari  casi  in  cui  occorrono)  ed  anche  certe  formole 
o  locuzioni  poetiche  e  la  redazione  nei  suo  slato  attuale  portano  l'tai' 


LA    POESIA    POPOLARE-  ITALIANA 


43î 


L 


pronia  récente  o  coniemporanea,  Anzi  la  redazione  si  puô  dire  continua 

e  tnutabile,  corne  l'idioma,  e  quindi  sempre  contemporanea ;  e  nuovi 

strambottî  e  nuovi  siomelli  sono  ogni  giorno  improvvisati  nella  lingua 

vivenie  sul  vecchio  modello.  Ma  una  parte  del  contenulo  risale  ad  una 

grande  antichità.   Noi  non   voglîamo  parlar   qui  dei  sentiment!,  délie 

passioni,  dei  pensieri  che  si  possono  dir  comuni  ali'  umaniià  e  sono  anti- 

chi  quanio  i'  uomo,  ma  deila  loro  particolare  espressione  in  questa  specie 

di  canii,  la  quale  costituisce  un  vero  carattere  etnico,  ha  necessaria 

relazione  col  modo  di  seniire  e  di  pensare  délia  nazione,  ed  ha  perciô 

dovuio  trasnîetlersi  per  tradizione  antica  non  interrotia.  Ma  questa  îra- 

dizione  è  dessa  interameme  popolare  ?  Anche  la  poesia  colta  ha  la  sua 

tradizione,  e  costituisce  essa  pure,  in  determinatecondiziom*,  un  carattere 

etnico.  Noi  solleviamo  qui  una  questione  che  tocca  V  essenza  stessa  e 

l'origine  del  conlenuto  antico  e  îradizionale  délia  poesia  degli  strambolii 

e  degli  stornelli,  la  questione,  cioè  del  maggior  o  minor  grado  d'indole 

popolare  di  questa  poesia.  Non  si  pu6  dubitare  ch'  essa  appartenga  al 

popolo  che  la  conservô  e  trasmise  per  tradizione,  che  la  modifica  conti- 

nuamente  e  la  riproduce  da  secoli.  Ma  si  puô  domandare  se  questi  non 

si  sia  valso,  nella  forma zione  délia  sua  poesia  tradizionale,  di  eiementi 

letterari.  La  demanda  è  giustificata  dalla  stessa  nobiità  d'origine  detl' 

€ndecasilIabo  italiano,  nato  dal  saffico  greco-laiino^  non  meno  che  da  un 

évidente  car^.ttere  artificioso  da  cui  è  impromata  tutta  questa  poesia  non 

solo  nella  forma,  regolare,  élégante,  doviziosa  di  rime,  d'assonanze  e  dî 

consonanze  ingegnosamente  intrecciate,  ma  anche  nel  contenuto.  Ed  in 

venta  è  un  fenomeno  abbastanza  curioso  e  raro  questa  nota  d'artificio 

in  una  poesia  d'aîtronde  indubbiamente  popolare.  Un  taie  fenomeno  si 

manifesta  negli  strambotti  e  negli  stornelli  di  lutta  italia,  ed  è  spécial- 

mente  rimarchevole  nei  rispetti  e  stornelli  toscani,  Nei  quali  uliimi,  se 

Teleganza    delta    lingua,    loneslà    délia    sentenza,    l'esatezza   e    la 

decenza  deir  espressione,  possono  sembrare  e  sono  pregi  naturali  detla 

popolazione  che  li  créa  e  che  li  canta;  d'altro  lato  la  ricercaiezza  dei 

concetii,  rinalterata  e  metodica  temperanza  délia  passîone,  la  cortesia 

convenzionale  espressa  in  termini  che  ricordano  le  corû  d^amore»  accu- 

sano  una  tradizione  artificiosa,  Lo  strambotto   trapiamato  nell*  Italia 

superîore,  per  Findole  délia  popolazione,  ed  anche  perché  si  trovô  in 

contatto  meno  cominuo  colla  poesia  erudiia,  pigliô  un  carattere  più 

energico,  e  meno  gentile,  non  è  sempre  corretto  ne  misurato.  Ma  l'im- 

pronta  originale  delP  artîficio  vi  è  pur  sempre  apparente.  Lo  slrambotto 

siciiiano  poi  nell*  artificio  del  verso,  délia  rima  e  délie  imagini,  nella 

perfezione  e  nel  magnifico  procedere  dell'  ottava,  supera  ancora  i  pîti 

artistici  modelli  di  rispetti  toscani,  É  impossiblle  il  negare  Tesisienza  dî 

una  relazione   più   o  meno  intima  fra   lutta    questa  poesia  popolare 


434  ^'   NÏCRA 

deir  Italia  centrale  e  méridionale  e  la  nostra  arnica  poesia  artistica.  Certa- 
menie  quella  non  nacque  da  questa,  seguendo  un  processo  contrario  alla 
nalura  délie  cose.  Prima  che  nell*  Italia  inferiore  si  sviluppasse  quell' 
aniica  poesia  leiteraria  che  pervenne  sino  a  noi,  vi  esisteva  senzadubbio 
una  poesia  popolare,  da  tempi,  corne  vedremo  in  appresso,  assai  rcrooti. 
Quei  medesimi  fatti,  idée  e  sentimenli,  sotto  llmpero  dei  quali  prese 
origine  e  sviîuppo  la  nostra  prima  poesia  colla,  han  dovato  esercilafe 
la  loro  azione  sutla  poesia  popolare  già  esislenie,  Ciô  accadde  con 
tanto  maggior  facilita,  quanto  minore  fu  tn  ogni  tempo  nelP  Iialia  infe- 
riore la  distanza  che  sépara  il  popolo  dalla  poesia  dei  dotti.  La  poesia 
letierata  vî  fu  in  faîti  quasi  sempre  compresa  ed  amata  anche  dall'  in- 
dotto  voîgo.  Non  è  quîndi  a  siupire  se  le  due  manifestazioni  poeiiche 
di  questa  parte  dltalia,  la  popolare  e  ta  letteraria,  offrono  molli  punti  di 
coniaito  e  tradiscono  nella  struttura  come  nei  concetto  un  artifido  in 
parte  comune,  A  questo  risultamento  contribui  eziandio  in  larga  misura 
il  caraltere  araebeo  di  questa  specie  di  canio.  NelP  autore  délia  canzone 
narrativa  popolare  non  deve  esisîere  e  generalraente  non  esîsle  allra 
preoccupazione  che  V  espressione  dei  vero,  come  è  seniiio  e  compreso» 
Invece  Taulore  dei  canto  amebeo  obbedisce  al  desiderio  di  vincere  il 
rivale.  Quindi  egli  ha  una  costante  îendenza  ail*  idéale,  e  qui  Tidealc  è 
l'artificio  délia  poesia  colla.  Gl'  infelici  sforzi  che  fa  il  Genovese,  il 
Piemonlese,  il  Lombardo  per  giitare  nello  siampo  dello  sirarobotïo 
italico  la  ribelle  materia  de*  suoi  vernacoli  serai-ossîtont,  e  le  curiose 
storpiaiure  che  ne  escono,  poirebbero  muoverci  a  riso,  se  non  ci  inspi- 
rassero  un  alto  rispeito  per  quesla  indomita  tendenza  verso  Tideale. 

La  poesia  popolare  delF  Iialia  inferiore  risponde  dei  resto,  ncl  suo 
contenuto  al  genio  poeiico  délia  nazione.  Se  v*è  poesia  popolare  avenîe 
un  carattere  etnico  determinato,  questa  è  certameme  taie,  Abbîamo  ffà 
visio  che  la  sua  forma  èafTatto  originale.  Non  sarebbe  possibile  Tescludere 
ogni  più  o  meno  lontana  rassomiglianza  dei  contenuto  colla  poesia  d*altri 
popoli  vicini.  Nei  distici  popolari  delîa  Grecia  moderna  vi  sono  rooltî  c 
curiosi  riscontri  cogli  stornetli  e  cogli  strambotii.  Ma  non  v*è  tra  gU  uni 
e  gli  aliri  relazione  di  diretta  origine.  Nella  poesia  popolare  rumcna  si 
trova  qualche  cosa  di  sîmile  ail'  invocazione  dei  fiori  dei  nostri  stomelK. 
Perd  r  insieme  délie  composizioni  rumene  che  offrono  quella  particolariti 
è  troppo  diverso  nella  forma  e  ne!  fondo  dallo  stomello  perché  posa 
essere  ad  esso  comparato.  Molto  maggîore  rassomiglianza  presentano 
collo  stomello  le  serenate  provenzali,  chei  giovani  abiiaiori  délie  sponde 
délia  Duranza  sogliono  cantare  sotto  le  finestre  délie  loro  fidanzate, 
facendo  al  principio  d*ogni  sirofa  Tofferta  d'un  fiore'.  Tuttavia  anche 


ê 


4 


4 


u  D.  Arbaud,  Chants  pop.  dt  la  Provence^  I,  220. 


LA   POESU    POPOURE    ITALIAMA 


4H 


^ 


questa  rassomiglianza;  derivata  da  una  comune  occasione  di  canto  è 
accidentale  ed  esiema^  e  non  dà  argomento  d'indurre  ta  procedenza 
dello  siomello  italîco  dalla  serenata  pravenzale  o  di  questa  da  quello.  In 
nessun  altro  paese,  fuori  dMialia,  si  irova  una  poesia  popolare  cheabbia 
una  vera  ed  intima  affinità  colla  poesia  dello  strambotto  e  dello  stornello. 
Essa  è  dunque  essenzialmente  iialica  ;  è  il  frutto  naturale  e  spontaneo 
del  genio  délia  nazione  quale  si  manifesté  fm  dai  primi  lempi  storici. 
Essa  consta  infatti  di  concetti  amorosi,  di  epîgrammi,  di  sentenze  morali 
0  politiche.  È  ona  poesia  soggetiiva,  amorosa  e  morale.  1  Laiini  non 
ebbero  altra  poesia  originale  e  loro  propria  che  questa,   li  canto  storico 
tradizionale  che  célébra  le  gesta  degli  eroi  nazionalî  non  poteva  sviïup- 
parsi  a  Roma,  ove  l'individuo  scomparve  di  buon'  ora,  confuso  nella 
citîàenello  stato.  Il  freddo  razionalîsmo  dei  Latini,  il  loro  caraitere 
temperaio,  posiiivo  ed  esaito,  l' indole  naturalisiica  délia  loro  religione, 
il  raro  equilibrio  délie  loro  facolià  intelleitive  e  morali,  s'  opponevano 
aile  creazioni  immaginose  deir  epopea  e  del  dramma»  ed  allô  slancio 
dell'  ode  eroica.  M  entre  da  un  aliro  lato  il  senso  che  avevano  squisito 
délia  forma  fece  di  essi  e  dei  loro  succedanei  gli  emuli  dei  Greci  nella 
parte  formale  o  plastica  di  tutte  le  arti.   Percio  la  iîrica  eroica  non 
esisiette  a  Roma.   L'epopea  ed  il  dramma  dei  Latini  sono  imitazionî 
greche,  Virgilio  e  Catullo  sono  celli  con  cultura  ellenica.  La  salira  poli- 
tica  e  morale,  il  poema  filosofico  di  Lucrezio,  Orazio,  e  gli  elegiaci  com- 
pongono  tuttoquanto  il  bagaglio  poetîco  originale  paleo-italico.  Lasciando 
in  disparte  il  poema  di  Locrezio,  cbe  non  pa6  considerarsi  come  una 
tnanifestazione  etnica,  e  cercando  nella  poesia  originale  latina  Telemento 
indigeno  e  popolare,  noi  troviamo  in  essa  indizi  non  dubbî  di  concor- 
danza  e  d'affmità   colla  poesia  degli  sirambotti  e  degli  siornelli.   La 
poesia  d'Orazîo,  che  personifica^  si  puè  dire,  il  genio  poetico  romano,  è 
poesia  di  sentenze  morati  o  saliriche.  epigrammatica  nella  sostanza 
come  nella  stnittura,  È  un  mosaico^  ma^  per  vero  dire»  è  un  mosaico  di 
perle  e  diamantî.  Neglî  elegiaci^  se  si  tolga  la  vuota  ed  însopportabile 
congerie  d'allusioni  miiologiche,  foggîate  sul  vezzo  délia  scuola  alessan- 
drina,  resta  Tespressione  del  sentimento   deir  amore  nelle  sue  varie 
fasi,  il  concetto  amoroso,  quale  appunto  si  trova,  vesiito  d'altra  forma, 
nello  strambotto  e  nello  stornello,  Questa  poesia  erotica  e  morale,  in 
forma  spesso    concettosa    ed   epigrammatica,  che  troviamo  nei  poeti 
originali  latini,  ebbe  in  Italîa  una  fase  anteriore,  nelP  eghga,  la  quale  a 
noi  non  pervenne  cbe  sotto  le  vesii  ornate  dall*  artificio  dei  Greci  di 
Sicilia,  ed  imitate  poi  da  Virgilio,  ma  che  lascîa  vedere  sotto  la  nuova 
acconciatura  una  forma  più  antica  veramente  popolare  e  d'origine  italica, 
La  poesia  bucolica,  amebea,  la  più  antica  e  la  più  popolare  che  abbia 
avuio  rualia,  è  in  realià  la  lontana  progenitrice   dello  strambotto  e 


4;6  C.    NIGRA 

dello  stomeîio  modernî.  In  altri  termîni^  la  poesia  dello  strambotto  e 
dello  siornello  non  è  che  una  trasformazione  di  quel!'  arnica  poesia 
amebea.  Vero  è  che  quest'  ultima  poesia,  noi  la  irovjamo  per  la 
prima  voila  fra  i  Greci  di  Sicilia  ed  in  lingua  greca.  Ma  una  tradizione 
costante  la  fa  nascere  fra  i  pastori  di  razza  italîca  indîgenî  délia  Sicilia, 
che  avevano  popolato  Tisola  prima  deîlo  sîabilimenlo  dei  coloni  greci  e 
che  vi  si  mantennero  neirinterno  dopo  V  arrivo  di  quesii  e  durante  lo 
sviluppo  délia  cultura  ellenica  délia  Magnagrecia.  La  poesia  amebea 
paleo-sicula  composta  di  brevi  strofe  di  pochi  versi,  d*eguale  misura  e 
d'Cgual  numéro,  altemate  nelP  egloga,  présenta  nella  forma,  nell*  occa- 
sione  e  nello  scopo  del  canto  un'  anaiogia  troppo  grande  collo  strambotto 
e  collo  stornello,  perché  possa  ritenersi  corne  puramenie  accideniale»  Il 
contenuto  dell'  egloga ^  passando  sotto  le  penne  elegantî  ed  erudite  di 
Teocriio,  di  Bione,  di  Mosco  e  di  Virgilio^  ha  dovuto  naiuralmenie 
subîre  cambîamenti  profondi  ed  essenziali.  Tuttavia,  anche  nel  contenuto 
cosi  modificato,  possono  pur  sempre  scorgersî  le  traccie  d'affinità  collo 
strambotto  e  collo  stornello  ' , 

Riassumendo  il  fm  qui  deito,  ci  sembra  dî  poter  conchiudcre,  che  la 
poesia  degU  strambotti  e  siomelli  è  indîgena  neir  Italia  infenore,  che 
nel  suostampo  aiiuale  è  almeno  coeva  colla  formazîone  délia  più  anlica 
poesia  letteraria  italiana,  e  che  neir  occasione  e  nella  modaliià  del  canto, 
corne  in  una  parte  del  suo  contenuto  Iradizionale,  essa  risale  proba- 
bilmente  air  antichissimo  canto  alterno^  adoperato  dai  popoli  di  razza 


i.  Virgilio  :    Die  quibus  in  terris,  et  eris  mihi  magnus  Apollo, 

Très  pateat  cadi  spatinin  non  amplius  ulnos,  EgL  IIÏ,  104. 

Ante  levés  ergo  pascentur  in  aelherc  cervi, 

Et  fréta  destituent  nudos  m  littore  pisccs,  de. 

Quam  nostro  illius  îabatur  pectore  vultus.  EgL  I,  60. 
E  si  comparino  : 
Tigri  :  Sappimî  dir>  sappiml  dichiarare... 

Quante  goccine  d'acaua  c'è  nel  mare.  Risp.  57. 

—  Di'  quante  stelle  e  in  cielo  c  pesa  in  mare.  Storn.  j. 
Ferraro  :        E  ancura  mi  lo  vojo  addimandare, 

A  vôi  sa  ver  ouant'  eoa  y  j'è  ant  ir  mare... 

E  quante  stelle  u  j'é  nal  ciel  sereno  etc.  Stramb.  67. 
Visconti  :        Pnma  c'h'io  lasci  le,  gentil  signora, 

i  durî  sassi  si  faranno  cera, 

Madré  dell'  ombre  di  verra  Taurora, 

Il  mezzo  giorno  sonerà  la  sera  etc.  p.  21,  XVllJ. 
De  Nino  r      Quando  te  lascerô^  speranza  cara  ? 

Quando  del  cielo  vien  la  neve  nera  ; 

Quando  îo  lordo  volera  scnz'  ala, 

Quando  lo  sole  lèvera  di  sera  etc.  p.  z8*2^. 

Prima  d*abbandonarti  pensa'  voglio, 

Prima  se  scmttcrâ  l'acqua  allo  marc, 

Lopesce  nuoterà  sopra  lo  scoglio.  P.  ^0. 


LA    POESIA    POPOLARE    ÏTALIANA  4^7 

italica  nel  centre  e  nel  mezzodi  délia  penisola,  ed  in  particolar  modo  da 
quelle  che  tutti  !i  precedette  sul  suolo  italîco,  dal  sicîliano  ', 

La  canzone  cosiiiuisce  propriameote  î[  patriraonio  poetico  dell'  Italia 
superiore.  Essa  è  polistrofa,  poliraetra,  dialetiale,  spoglia  di  carattere 
artîficioso,  e  qyindi  essenzialmenie  popolare  nella  sua  origine  corne  nel 
suo  processo,  nel  contenuto  corne  nella  forma.  în  Piemonte  e  nel  resto 
deir  Italia  superiore  le  canzoni  sono,  corne  fu  già  notato,  o  sîoriche  o 
romanzesche  o  domesîiche.  Di  esse  una  parte  è  originaria  e  propria  del 
Pîemonieo  dell-  altra  Italia  superiore,  ed  una  parte  è  comune  ad  altri 
popoli  romanzi  non  iîaliani.  Noi  poniamo  per  principio  générale,  che 
una  canzone,  quando  essa  esiste  in  un  solo  paese,  e  non  in  vaii,  deve 
essere  considerata,  salvo  prova  contraria,  corne  nata  cola  dove  si  canta, 
e  creata  dal  popolo  che  la  canta.  Quindi  una  canzone  siorica,  rommuKa 
0  domesîica^  h  di  cui  esistenza  non  sia  stata  constatât»  che  nell'  Italia 
superiore,  deve,  seconde  questa  regola  générale,  essere  giudicaia  d'ori- 
gine nord-italica.  Esisie  in  Piemonte^  corne  nell*  alua  Italia  superiore, 
una  poesia  storica,  narrativa,  tradizienale,  che  ha  per  eggetto  di  ricor- 
dare  fatli  délia  storia  patria,  e  che  quindi  è  realmente  indigena  e  nazio- 
nale.  Le  canzoni  sîoriche  tradizionali  che  traitano  di  faiii  di  storia  non 
italiana,  e  si  cantano  dal  nosiro  popolo,  sono  d'origine  straniera,  e  noî 
le  abbiamo  comprese  in  una  série  spéciale.  Le  cagioni  ed  îl  modo  d'in- 
iroduzione  in  Ilalia  di  queste  canzoni  sîoriche  eriginariaraente  siraniere 
sono  eguali  per  tune  le  canzoni  délia  medesima  origine  estera^  e  noi  ne 
ragioneremo  di  proposilo  in  appresso.  L'esistenza  in  Piemonte  e  neïie 
altre  parti  délia  superiore  Italia  d'una  poesia  storica  narrativa,  nazionale 
e  popolare,  che  manca  in  questa  forma  nell'  ïtalia  inferiore,  è  un  nuovo 
argotnento  per  dîmostrare  la  persislenza  del  substrato  celtico  nell'  alla 
Italia,  La  differenza  profonda  che  distingue,  per  questo  rjspetto,  le  due 
poésie  popolari  dell*  Italia  superiore  e  del?  inferiore,  non  è  îl  risultato  di 
circostanze  speciali,  accidentali  ed  esteme,  È  un  failo  etnico  ^  La  poesia 


1 .  Un  erudlto  molto  benemerito  di  questistudt,  diligente  raccoglitore  ed  illus- 
Iratore  di  canli  popolari  ilalia  ni,  il  sig.  Vitlorio  Imbriani,  in  un  pregievole 
icritto  che  ha  per  titolo  :  Dcil'  organhmo  letierano  e  ddîû  potaa  popolan  ita^ 
lianûj  ha  emesso  V  ipotesi,  che  gU  strambotli  non  siano  che  frammenti  dîcanti 
epicî  ora  perdutt.  La  nostra  osservazione  per&onale  ci  condusse  ad  un'  opposta 
lenlcnza.  NeH'ingente  congeric  di  strambolli  e  di  slornelti  che  abbiamo  esami* 
nalo,  noi  non  ne  abbiam  irovalo  un  solo  che  offra  agli  occhi  nostri  i'indizio 
deir  a  ver  esso  fatto  parte  d*  un  perduto  canto  epico  popolare.  Il  carattere 
monostrofo  di  quesli  componi menti  èessenziale  ed  originario. 

2.  NelF  Itâlia  inferiore  esîstono  strambotti  e  slornelli  con  allusioni  a  fatti 
storici,  ma  quando  sono  di  vera  origine  popolare  non  presentano  ïa  forma  nar- 
rativa,  L'  illustre  Lioeardo  Vigo,  che  diMeairUalia  la  prima  e  la  più  compléta 
raccolta  di  canti  popolari  sicîliani,  frutto  di  litnghe,  c  dotte  indagini, 
V*  inseri  un*  inliera  calegoria  di  poésie  che  intitol6  Uggende  e  Storu.  Occorrc 


4^8  C.    NICRA 

epico-narrativa  corne  abbiamo  già  detto,  ripugnô  al  genîo  latino,  e  fu 
invece  predilelta  in  ogni  tempo  air  eccitabile  ed  imraaginoso  tempera- 
menlo  dei  Celii»  soliti  converlire  !a  storia  in  leggende,  e  non  avemi  anzi 
anticamente  altra  storia  che  le  leggende  tradizionali  messe  in  versî,  e 
recitate  o  cantate.  La  formazione  délia  canzone  storîca  segue  un  pro- 
cesse  che  si  lascia  più  facilmenie  sorprendere  che  non  quello  délie 
canzoni  romanzesche  e  domestiche.  Qui  il  faiio  storico  serve  di  termine 
di  coraparazione,  ed  îndica  insieme  Tepoca  délia  prima  redazione.  La 
poesia  siorica  verameoie  popolare  e  tradiziooale  è  coeva  al  faîto  da 
esso  narrato,  Questo  principio  è  générale.  La  formazione  del  canto 
popoiare  storico  non  è  spiegabile  che  colia  impressione  ancora  viva 
prodotta  dalF  evento  narrato  sulF  immaginazione  popolare.  Se  vi  sono 
eccezioni,  comCj  per  esempio,  quelle  che  occorrono  in  aUri  generi  di 
poesia  popolare,  quali  sono  le  leggende  religîose,  o  le  trasforniazioni 
posteriori  di  anlichi  canti  di  cicli  epici,  esse  hanno  origine  in  cause 
speciali  che  converrà  investigare  e  spiegare.  Perô  lo  coevità,  di  oui 
parliamo,  non  vuol  essere  intesa  in  un  sensoassoluto,  nèsideve  pensare 
che  il  canto  storico  esca,  subito  dopo  l'  evento  a  cui  si  riferisce,  perfetio 
e  finito.  Per  le  canzoni  storiche,  non  meno  che  per  le  alire,  esiste 
sempre  un  periodo  più  o  men  lungo  d'incubazione,  al  quale succède  una 
continua  elaborazione  che  si  va  perpetoando  con  fasi  diverse,  finchè  la 
canzone  cada  a  poco  a  poco  nell*  obblio,  o  sîa  fissata  dalla  scrirtura.  La 
poesia  popolare  si  trasforma  costaniemente,  seguendo  le  modificazioni 
dialetiali  di  tempo  e  di  luogo.  Obbedisce  alla  tendenza,  propria  d'ogni 
creazione,  di  conservarsi  e  di  perpetuarsi  coi  suoi  caratteri  speciali,  c 
subisce  ad  un  tempo  le  esîgenze  trasformatrici  e  mutevoli  deir  ambieme 
in  cui  vive.  Anche  tieîla  poesia  popolare^  corne  negli  idiomi»  trova  la 
sua  legittima  applicazîone  la  doppia  legge  darwîniana  délia  trasmissiom 
ercdiîaria  c  deli*  adaîtamento,  H  popolo  si  va  continuamente  adattando 


I 
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appena  di  notar  qui,  che  tali  noesie  non  sono  popolari  net  senso  che  da  noi  st 
allribuiscc  aquesto  vocabolo,  Lo  stesso  raccogiUore  ha  cura  d' indicare  il  nome 
degli  autori  délia  maggior  parte  di  questc  composizioni  popolareschc.  Quanlo 
aile  otlave,  dette  neila  raccoUa  Canzoni  storichc^  e  relative  âl  Conte  Ruggiero, 
a  Costanza  Normanna,  a  Manfredi,  al  Vespro  ecc,  noi  non  presumiamo  di 
risolver  qui  la  questione  della  loro  origine.  Spetta  ai  criUci  siciliani  e  spécial* 
mente  agli  altivi  discepoli  e  successori  del  Vigo  d'  investigare ,  colla 
scorta  délia  moderna  critica  e  senza  idée  preconcette,  V  origine  di  quci  compo- 
nimenti.  Noi  ci  lirnîtiamo  ad  esprimer  qm^  colla  dovuta  riserva,  ta  nostra 
impressione  per&onale;  e  questa  e  che  le  otlave  di  cui  è  qucslionc  non  sono 
popolari  ne!  senso  csatto  délia  parola,  nècontemporanee  dei  fatti  e  dellc  personc 
a  cui  vorrebbero  rifcrirsi.  Agli  occhi  noslri  esse  presentano  i  caratteri  di  corn- 
priazioni  posteriori,  più  o  meno  recenii,  e  letlerarie  o  semi-lelterarie.  Cos»,  per 
citare  un  solo  escmpio.  1'  autore  delT  oltava  che  ci  descrive  il  re  Manfredi,  che 
va  cantando  strambotti  la  notte,  ci  sembra  essersi  inspirato  non  già  alla  iradi- 
zione  viva,  ma  bensi  alla  spuria  cronica  attribuita  a  Matteo  Spinello. 


LA    POESIA    POPOLARE    ÏTALIANA  459 

la  sua  propria  poesia.  E  seconde  che  questa  si  trapîanta,  o  si  riproduce, 
a  guisa  di  semé,  in  un  terreno  più  o  meno  propizio,  vi  germoglia  e  si 
sviluppa,  o  dégénéra  ed  isterilisce.  Non  è  quindi  a  stupire  se  délia  siessa 
canzone  noi  troviamo  modelli  quasi  perfeiii  in  un  luogo,  e  coroiti  avanzi 
in  un  altro.  Perciôla  scelta  giudiziosa  e  coscienziosa  délie  fonti,  quando 
è  pûssibile,  è  délia  piu  alla  importanza.  La  siessa  canzone,  cantata  in 
duc  luoghi  anche  vicirn,  o  dalla  stessa  persona  inepoca  diversa,  présenta 
sempre  varianti  più  o  meno  notevoli.  La  canzone  storica  popolare,  corne 
la  romanzesca  e  la  domesiica,  è  anonîma.  Non  è  improvvisata  da  una 
sola  persona,  come  accade  spesso  degli  siraraboui  e  degli  siomelli.  Ê 
opéra  complessiva  e  successîva  di  più  persone,  Uno  dei  processi  più 
famigliari  di  formazione  deîla  canzone  storica  popolare  si  è  di  applicare 
al  fatlo  che  ha  colpito  la  fantasia  popolare  la  melodia,  il  métro,  il  movi- 
mento,  e  spesso  le  parole  stesse  d*una  canzone  anleriormenie  esistente, 
modificando,  togîiendo  ed  aggiungendo  secondo  il  bisogno,  Cosi  la 
célèbre  canzone  francese  di  Malbrouk  fu  tolta  dalla  canzone  composta 
in  morte  del  Duca  di  Guisa,  la  quale  era  stata  probabilmenie  foggiala 
anch^  essa  sopra  un  canto  più  antico  ;  e  per  citare  un  esempio  nostro, 
la  canzone  storica  plemontese  che  narra  il  malrimonio  e  la  parienza  per 
la  Sassonia  délia  Prîncipessa  Carolina  di  Savoia^  canzone  nata  nel 
1781  o  1782,  fu  formata  suir  îmiiazione  d*una  canzone  anteriore, 
Malrimonio  tnglese.  È  poi  curioso  l'osservare,  corne  alcuni  versi 
origiîiali  délia  Carolina  di  Savoia  siano  passaii,  alla  lor  volta,  quasi  a 
guisa  di  compense,  in  alcune  lezioni  piemoniesi  dell*  antica  canzone  che 
le  servi  di  modello. 

Le  canzoni,  aile  quali,  a  difetto  di  più  précise  appellazioni^  abbiam 
dalo  il  nome  di  romanzeschc  e  di  domesîiche^  costiluiscono  le  due  série 
più  numerose  dei  canti  popolari  del  Pîemonte,  e  sono  anche  largamentc 
diffuse  nelle  altre  regioni  deir  Italia  superiore.  Molle  di  esse  sono  orîgi- 
narie  ed  indigène  nelP  iîalîa  superiore,  e  non  si  cantano  che  là,  ecceito 
alcune  che  furono  accidenialmente  irasponaie  in  altre  parti  d'Italia.  Ma 
moite  altre  sono  comuni  alF  Italia  superiore,  alla  Provenza,  alla  Francia» 
alla  Caialogna  e,  dentro  certi  limiti,  al  Portogallo.  E  quando  diciamo 
comuni,  intendiamo  non  solamente  per  l' identiià  del  contenuto,  ma  anche 
per  r  identità  o  quasi  indenlità  délia  forma,  cioè  del  métro  e  délia  rima. 
Undato  contenuto  poetico,  siccome  abbiamo  digîàaccennato,  pubpassar 
facilmeme  in  paesi  diversi  dî  razza  e  di  lingua.  Per  contro,  la  parte  for- 
male  d*  un  canto,  il  meiro,  la  rima,  non  si  trasmettono  che  fra  popoli 
omoglotli,  Cosi,  a  modo  di  esempio,  il  ratto  d'  una  sposa  in  assenza  del 
marito,  che  al  ritorno  va  in  pellegrinaggio  per  riiorla  al  rapitore,  è  un 
leroa  che  puô  essere  stato  adoperato  in  varie  guise,  in  paesi  diversi, 
nella  poesia  popolare,  senza  che  vi  sia  stata  di  nécessita  una  trasmissione 


440  C.    MIGRA 

dirella.  ïnvece  la  canzone  particolare  délia  Fiorenza,  rapita  dal  moro 
saracino,  colla  sua  assonanza  îronca  alterna  ed  m  parte  monorima  in  i, 
che  si  canta  nella  stessa  forma,  e  pressochè  colle  stesse  parole  in  Pie- 
monte^  in  Provenza  ed  in  Catalogna^  suppoue  una  vera  irasn[iîs&iûne 
dall'  uno  ail*  aliro  paese;  e  questa  trasmissione,  che  non  è  accidenlaiCi 
ma  regolare,  non  si  produce  che  fra  popoli  omogloiti.  Or  bene»  una 
lunga  série  di  canzoni,  fra  cui  moiiissime  romanzesche,  si  trova,  corne 
nell'  esempio  citato,  col  medesimo  conienuto,  col  medesimo  raovimemo 
poetico,  con  métro  e  rima  che  accennano  ad  un'  identità  originaria,  talora 
in  tutti^  talora  in  parecchi  dei  paesi  che  abbiamo  nominato.  Con  quai 
nome  possiam  chiamare  questa  comune  poesia  ?  Dove,  quando  e  corne 
nacque  ?  Corne  e  donde  si  irasmise  P  Cercheremo  di  rispondere  a  quesiî 
quesiti,  per  quella  parte  almeno  per  cui  ci  sembra  possibile  il  tentare 
una  soltizione.  Questa  poesia  popolare  noi  chiamiamo  ccUo-românza,  per 
la  ragione  ch'  essa  si  trova  esclusivamenie  presso  i  popoli  romanzi  Anrùl 
an  subsîrato  alùco.  Dicendo  questa  poesia  celto-romania  o  alicy-laii/ut, 
non  iniendiamo  dire  pertanto  ch*  essa  sia  comune  aile  popolazioni  ceîtiche 
ed  aile  romanic  o  latine.  No.  Le  popolazioni  ceîtiche  che  conservarono 
idiomi  celtici,  corne  i  Bretoni  di  Francia,  possono  avère  alcuni  canti, 
simili  nel  contenuto  poetico  a  quelli  délie  popolazioni  anticamente  sorelle 
che  hanno  assunlo  V  idioma  romanzo,  ma  questi  cami  per  la  diversità 
délia  lingua  non  possono  avère  forma  identica  Non  vi  fu  trasmissione 
diretia,  sistemaiica  e  popolare,  perché  questa  non  puô  aver  luogo  là 
dove  è  necessaria  una  traduzione  da  una  lingua  incompresa  ad  un'  altra 
lingua  compresa  e  parlata.  Rîmane  adunque  bene  ;inteso,  che  dîcendo 
poesia  celto-romanza  iniendiamo  la  poesia  propria  délie  popolazioni 
romanze  che  furono  anticamente  ceîtiche.  Le  popolazioni  romanze  che 
non  hanno  substrato  cekico,  corne  l*  Itaîia  inferiore  e  la  Spagna  Castî- 
gliana,  non  hanno  nemmeno  questa  poesia.  PerT  Italia  inferiore  la  cosa 
è  fijordi  dubbio.  Quanto  alla  Spagna  Castigliana,  essa  ha  bensi  qualche 
traccia  di  poesia  popolare  comune  ai  popoli  celto-romanzi,  ma  questa 
poesia  fu  împortata  in  Ispagna  da  Valenza^  da  Barceliona»  dalla  Provenza 
o  dal  Portogallo,  e  porta  évidente  F  impronîa  di  questa  sua  provenienia 
celto-romanza.  Le  altre  denominazionl  tentate  fmora,  corne,  ad  esempio, 
quelle  di  poesia  popolare  romanza  o  neo-kûna,  o  mediterranea,  devenu 
essere  abbandonate  corne  inesatte,  giacchè,  ripetiamo,  questa  poesia  non 
esiste  presso  tutti  i  popoli  romanzi  o  neolaiini.  ne  esiste  lungo  tutia  la 
Costa  del  Mediterraneo.  Essa  è  indlgena  soltanto  cola  dove  la  popola- 
zione^  originariamenie  celtica,  adotiô  la  lingua  latina,  cioè  nelP  Italia 
superiore,  nella  Provenza»  nella  Francia,  nella  Svizzera  romanza  e  nel 
Belgio  Vallone,  nella  Catalogna»  nel  regno  dî  Valenza  e  nella  regtone 
gallizîano-portoghese.  Questo  gruppo  di  popolazioni  celîo-romanzi  si  dis- 


I 


4 


JlÊàm 


LA    POEStA    POPOLARE    ITAUIANA  44! 

dngue  dalte  altre  popolazioni  romanze  per  gV  idiomî  e  qumdi  per  la 
poesia  popolare.  I  dialetti  parlai!  nelle  regîonî  predette  non  solameme 
hanno  il  fondo  lessicale  e  grammaiicale  îatino  comune  a  tutti  glî  altri 
popoli  romanzi,  ma  hanno  di  più  alcuni  caratieri  loro  specîali  principal- 
mente  fonologici,  che  non  derivano  dal  laiino  o  da  altri  substrati,  ma 
che  rimasero  dal  substrato  celtico.  Il  coniadino  bolognese  parla,  senza 
averne  coscienza,  un  linguaggio  più  affine  a  quello  del  pescaiore  délie 
isole  Azorre,  che  non  a  quello  del  vicino  Pisiojese,  ed  il  dialetto  catalano 
s'  avvicina  assai  più  a  quello  del  Canavese  o  del  Monferraio,  che  al  limi- 
trofo  castigliano  ' .  Fra  i  caratteri  che  distinguono  gl*  idiomi  ctUo-romanzi 
dagli  altri  idiorai  romanzi,  ve  n'è  uno  sul  quale  è  necessario  d'insîstere, 
perché  è  specialmente  importante  al  punto  di  vista  délia  forma  délia 
poesia  popolare.  Questo  carattere  consiste  nella  preponderanza,  o 
almeno  nella  iarga  proporzione  délie  desinenze  tronche  od  ossitone. 
Conseguenteraente  si  puô  dire,  in  certa  guisa  a  priori^  che  se  questi 
popoli  hanno  una  poesia  popolare  propria,  questa  poesia  deve  avère  in 
vasta  misura  metri  con  versi  tronchi  od  ossitoni,  Per  contro  V  Italia 
inferiore  e  la  Spagna  Castigliana,  colle  loro  lingue  più  o  men  fortemente 
parossitone,  devono  avère  una  poesia  popolare  con  versi  piani.  E  nel 
fetto  cosi  accade-  La  poesia  popolare  propria  dei  popoli  ttho-romanti 
ha  versi  per  meta  ossitoni.  La  poesia  popolare  delP  lialia  inferiore  ha 
verstsempreo  quasi  sempre  parossitoni.  Quella  délia  Spagna  Castigliana, 
che  è  proprio  spagnuola,  ha  pure,  in  proporzione  prevalente,  versi 
parossitoni.  Il  métro  ottonario,  col  monorimo  alterno,  delîe  romanze 
spagnole,  è  generamente  parossitono  in  lutte  le  terminazioni  dei  versi. 
Quando  una  romanza  spagnuola,  avenie  carattere  popolare,  offre  termi- 
nazioni ossitone  ahernate  colle  parossitone,  si  puô  di  regola  presumere 
che  essa  ha  un'  origine  straniera  e  che  fu  importata  in  Castiglia  o  dalle 
provincie  spagnuoledi  linguaggio  non  castigliano,  o  dalla  Provenza  o  dal 
Portogallo  Noi  ci  facciamo  leciio  di  indicare  questo  criierio  agli  studios! 
che  dirigono  le  loro  indagini  sui  fonti  e  sulla  formazione  del  romancerù 
spagnuolû.  La  presenza  del  verso  tronco  od  ossitono  nella  Spagna  casti- 
gtiana  e  nell'  lialia  inferiore  indica  regolarmente  la  provenienza  o  rimita- 


W  I.  È  appcna  necessario  il  constatare  chei  caratteri  linguistici,  che  noi  siamo 
condotti  dal  nostro  assuoto  ad  enumerare  qui^  non  hanno  oramai  che  un  valore 
storico-scientifico.  La  Provenza  e  la  Linguadoca  sono  fuse  da  gran  tempo,  al 
pari  délia  Borgogna  o  délia  Normandia,  nel  forte  slampo  della  nazionalilâ  fran- 
cese;  i  Catalani  ed  i  Valenziani  son  diventati  altretlanlo  Spaçnuoli  di  cuore 
quanto  i  Casljo^liani  e  gli  Andalusi  ;  ed  i  successori  degh  anlichi  Gallî  subalpin! 
e  cisalpini,  latmizzali  fra  i  primi,  non  solo  si  mostrarono  per  tempo  congiunti 
alla  patria  italica  per  secolari  aspirazioni  e  per  costanle  c  chiari  coscienza  dei 
proprî  diritti  e  dei  proprî  înleressi,  ma  furono  i  principal!  fatton  dell'  unilâ 

-^lilica  dcir  Italia,  corne  ne  sono^  al  pari  d'  ogm  altra  popolazione  della  Pcni- 
ola,  i  tenaci  c  vigorosj  mantenilori. 


442  C,    NrCRA 

zione  celto-romanza.  Le  romanze  spagnuole,  che  in  seguito  ad  altri  cri- 
terî  furono  riconosciute  d'  origine  non  castigliana,  altemano  quasi  tuttei 
versi  parossiioni  cogli  ossitoni,  E  naturale  che,  non  trovandosi  questa 
poesia  celio-romanza  se  non  presso  le  popolazioni  dell'  Jtalia  superiore, 
deUa  Provenza,  délia  Francia,  délia  Catalogna.  di  Valenza  e  di  Porto- 
gallo,  essa  debba  considerarsi  corne  nata  inquesti  paesi*  Ma  ognî  singola 
canzone  non  puô  avère  che  un  sol  luogo  d'  origine,  e  non  puô  nascere 
tempo  in  Piemonte  ed  in  Portogallo,  a  Venezia  eda  Barcellona,  sulla  ad 
un  riviera  di  Genova  ed  in  Normandia,  sul  Tîcino  e  sul  Rodano»  Conside- 
rata  la  questione  teoricameme  ed  in  asiraito,  non  vi  è  difficoUà  ad 
ammettere  che  ciascuno  di  questi  paesi  abbia  potuio  dare  origine  a  can- 
zoni  diventaie  poscia  comuni  per  trasmissione.  Questi  popoli,  apparte- 
nendo  tutti  alla  medesina  razza  originaria  celtica,  edavendo  tutti  provato 
1'  azione  délie  medesime  circostanze  che  li  forzarono  a  sublre  le  leggi  e 
la  lingua  di  Roma,  il  loro  genio  poetico  etnico  ha  dovuto  rimanere  sos- 
tanzialmenteidentico.  Edin  prova  di  ciô,  fra  le  canzoni  di  cui  possiamo 
conoscere  positivamente  P  origine,  fra  quelle  cioè  che  hanno  per  sog- 
getto  un  fatto  storico,  noi  netroviamo  d'  origine  nord-italica  tome 
Donna  hmbarda,  provenzaie  come  Gli  scoîari  di  Tolosa^  francese  come  II 
matfimonio  ingtae.  Ma  se  teoricamente  la  canzone  celto^romanza 
comune  ha  potuio  nascere  in  ciascuno  di  questi  paesi,  conviene  perô 
esaminare  come  la  cosa  si  verifichi  nel  fatto,  se  cioè  le  varie  canzoni 
comuni  abbiano  non  un  solo  ma  divers)  luoghi  d*  origine,  in  guisa  che 
una  canzone  sia  nata  neli*  alta  Italia,  un*  altra  in  Provenza  od  in  Fran- 
cia, un'  altra  in  Calalogna  o  in  Portogallo.  Per  quanto  speiia  aile  can- 
zoni, di  qualsiasi  specie,  che  non  sono  comuni,  e  che  si  trovano  esclusi- 
vamente  in  un  solo  dei  paesi  sopra  nominatif  vale,  come  abbiam  dette 
sopra,  il  principio  générale,  secondo  cui  la  canzone  deve  cssere  consi- 
derata  oriunda  del  luogo  dove  la  si  trova  e  dove  la  si  canta.  Quindi  le 
canzoni  domestiche,  storiche  e  romanzesche,  che  si  trovanon  soîtanio 
nell*  alta  Iialia,  devono  considerarsi,  fino  a  prova  contraria,  di  origine 
nord-iialica,  quelle  che  si  trovano  soltanto  in  Provenza,  od  in  Francia, 
od  in  Catalogna,  od  in  Portogallo,  devono  considerarsi  rispettivamentc 
d*  origine  provenzaie,  o  francese,  o  catalana,  o  portoghese,  finchè 
un'alira  origine  non  sia  staia  provata.  Ma  qui  ora  si  tratta  di  canzoni 
comuni  y  che  si  cantano  in  luoghi  diversi,  e  ciascuna  délie  quali  non  puô 
avère  che  un  sol  îuogo  d'  origine.  Si  tratta  d'  un  fenomeno  importante 
di  trasmissione  in  luoghi  distanti  e  separati  geograficamente  e  potitica- 
mente.  Il  modo  e  la  via  di  trasmissione,  in  circostanze  simili,  devono 
servirci  di  criierio  per  determinare,  se  non  il  luogo  di  origine  délia  can- 
zone, aîmeno  la  sua  provenienzaimmediata.  Si  supponga,  ciô  che  accade 
sovente,  una  canzone  che  si  trovi  identica  nell*  alta  Italia,  nella  Pro- 


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U   POESU    POPOLARE   ITALUKA  445 

venza  e  nella  Catalogna.  Quesia  canzonenon  avendo  poiulonascere  che 
in  uno  di  questî  paesi,  la  sua  presenza  negti  altri  due  è  un  fatto  ûi  tras- 
missione  ;  il  quale  non  ci  dimostra  di  per  se  solo  che  la  canzone  sia  nata 
neir  uno  piuiiosiochè  nell*  aliro  paese^  ma  ci  prova  che  certamenie 
qualunque  sia  la  sua  origine^  essa  passé  o  in  Catalogna  o  nell'  alta  Italia 
per  r  iniermediario  délia  Provenza  che  sta  geograficamente  in  mezzo  aï 
due  altri  paesî.  Una  trasmissione  diretta,  regolare  e  costante  daîralta 
Italia  alla  Catalogna^  o  vîceversa,  senza  passare  pel  paese  che  sta  nel 
mezzOj  non  è  ammessibile,  Parimente,  una  canzone  che  si  trovi  in  Pie- 
monte,  per  esempio,  ed  in  Normandia,  suppone  necessariamenie  IMnier- 
mediario  délia  Provenza  o  délia  Borgogna.  Noi  iroviamo  dunque  in  ogni 
caso,  semprechè  si  iratti  di  canzoni  œmuni  alP  Italia  superiore  e  ad  ahre 
région!  celio-romanze,  T  inlermediario  forzaio  deila  Francia  délia  lingua 
à*  oc  o  délia  Francia  délia  lingua  d' oïL  Ci6  posto^  occorre  ora  di  vedere 
se  l*  una  e  V  altra  parle  della  Francia  si  iimilino  air  ufficio  puro  e  semplice 
d^  inlermediario,  ovvero  se  siano  ad  un  teir-po  crealrici  délie  canzoni  che 
poi  irasmettono  aile  regioni  vicine.  Qui  pure,  per  trarre  indizî  probabili, 
bisogna  ricorrere  aile  canzoni  di  cui  si  conosce  V  origine  certa.  Fra  le 
canzoni  d'origine  certa  nord-italica,  corne  quella,  p.  e.  di  Donna  lom- 
barda ^  non  se  ne  trova  forse  una  sola  che  sia  stata  trasportata  nella  lin- 
gua d'  oc  o  nella  lingua  d' oïl,  Fra  le  canzoni  portoghesi  che  hanno  per 
soggetloun  fatto  di  storia  ponoghese,  non  se  ne  trova  parimeml,  a  nos- 
Ira  nolizia,  una  sola  che  sia  staia  irasmessa  in  Francia  od  rn  Provenza. 
Per  comronoi  troviamo  neir  Italia  superiore  o  in  Catalogna  oin  Porto- 
gallo  e  talora  in  tutti  e  tre  i  paesi,  canzoni  d' incontestabile  origine  pro- 
venzale,  corne  quelle  di  CloîUdt  e  degli  Scolari  di  Tolosa  o  d'origine 
francese,  corne  quelle  della  Ragazza  nel  bosco  e  del  Matrimonio  ingkst.  Se 
maie  non  ci  apponiamo,  vi  è  in  questi  fatti  un  primo  argoraenio  in  favore 
deila  doppia  origine  pro venzale  e  francese  délie  canzoni  comuni,  Quesio 
argomemo  non  ha  certamenie  un  valore  assoluto,  perché  non  si  puô 
affatto  escludere  il  caso  in  cui,  fra  le  canzoni,  di  cui  non  ci  è  nota  l'ori- 
gine, ve  ne  sia  alcuna  nata,  per  esempio,  in  Piemonte  o  in  Portogallo, 
passata  poi  e  naturalizzata  in  Provenza,  e  di  là  posteriormenie  irasmessa 
in  Portogallo  o  in  Piemonie  dopo  esserli  perduta  nel  luogo  d'origine. 
Ma,  comunque  non  abbia  un  valore  assoluto,  esso  cosiituîsce  un 
criterio  importante,  del  quale  gioverà  lener  conto.  Un  altro  argo- 
menio  per  questa  tesi  consiste  nelP  influenza  esercitata  di  buon' 
ora  sui  popoli  vicini  dalla  Provenza  e  dalla  Francia  e  dalle  loro 
due  letîerature,  L'  influenza  provenzale  fu  considerevole  in  Italia  nei 
secoli  Xll  e  Xllï.  La  prima  poesia  colta  italiana  porta  con  se  evidenti 
le  traccie  dell'  imilazione  della  lirica  provenzaie.  Qiiest'  influenza 
lu  poi  più  spéciale  e  maggiore  nelP  Italia  superiore,  ove  la  lingua  pro- 


'444  ^-   WIGRA 

venzale  era  parlata  e  scritia  nelle  corti  e  dalle  dassl  elevate,  L*  ttalia 
superiore  f\i  pei  irovatori  provenzali  una  seconda  pairia  ' .  e  fti  cutla 
essa  stessa  di  irovatori  illustri  che  vi  poetarono  iri  provenzale.  Questi 
trovatori  italiani.  osserva  giustamente  lo  Schlegel,  non  avrebbero  cantalo 
in  lingua  provenzale,  se  non  avessero  potuto  sperare  di  trovare  un  udi- 
lorio  fra  i  loro  compatrioti  *.  Eguale  o  maggiore  influenza  esercitô  ta 
précoce  letteratura  provenzale  suilaSpagna  Celtiberica,  ossia  sulla  Cata- J 
iogna,  sui  regni  di  Valenza  e  d'Aragona,  e  sul  Portogallo,  Quando  sull 
princîpio  del  XII  secolo  (i  i  ni  Raimondo  Berengario  I,  Conte  di  Bar- 
cellona,  sposô  l*  erede  del  contado  di  Provenza,  molti  trovatori  pro- 
venzali seguirono  in  Cataîogna  la  figlia  del  loro  signore.  Poco  dopo^  nel 
11^7,  Raimondo  Berengario  11,  col  suo  matrimonio  con  Petronilla, 
figlia  di  Ramiro  U,  riunî  T  Aragona  ai  suoi  stati*  Barcellona  e  Saragozza 
divennero  allora  le  sedi  di  nuove  scuole  di  poesia  provenzale.  j 
L'  affinità  degr  idiomi  di  Provenza  e  di  Cataîogna  rese  quesia  in- 
fluenza facile  e  rapîda  ad  un  tempo.  La  dinasiia  francese  di  Bor* 
gogna  che  s*  impianlô  fin  dall'  undecimo  secolo  nel  Portogallo,  e 
che  nel  secolo  seguente  associô  successivameme  al  trono  portoghese 
una  figlia  d'  Amedeo  II  conte  di  Savoja,  ed  una  figlia  di  Raimondo 
Berengario  IV,  conte  di  Barcellona,  porto  ed  estese  sulle  rive  del  Tago 
r  influenza  dei  due  idiomi  délia  Francia,  e  più  specialmente  del  proven- 
zale. La  lingua  portoghese  poi,  anch*  essa^  corne  la  provenzale  e  b 
francese,  d'  origine  celto-romanza,  per  mezzo  délia  Gallizia,  penetfô 
iargamente  nel  seno  délia  penisola  iberica  ;  e  per  lestîmonianza  del  mar- 
chese  di  Santillana  i  primi  trovatori  e  poeti  di  Castiglia,  d'  Andalusia  e 
di  Estremadura  «  componevano  le  loro  opère  in  lingua  gallega  o  por- 
toghese K  n  Per  îal  modo  la  Spagna,  fin  dal  primo  apparire  délia  sua 
letteratura  nazionale,  si  trovô  accerchiata  e  compenetrata  dovunque 
dair  azione  délie  lingue  e  letteraiure  celto-romanze.  Lo  stato  di  civîltà, 
a  CQÎ  in  queir  epoca  era  pervenuia  la  Francia  méridionale,  non  basta  a 
spiegare  questa  specie  àl  grande  irradiazione  esercilata  dalla  letteratura 
provenzale  sui  paesi  vîcini;  giacchè  Venezia  e  Genova,  per  esempio, 
erano  allora  in  una  condizione  di  civiltà  almeno  eguale.  Altre  cause  con-* 
corsero  a  produrre  questo  fenomeno  siorico  importante,  e  fra  esse,  la 
posizîone  geografica  centrale  délia  Provenza,  posta  fraTltalia,  la  Francia 


i,  A.  W.  de  Schlegcl,  Observations  sur  la  tangue  et  la  littérature  provençales^ 
t8i8,  p.  io6;  Diez,  Die  Poésie  d,  Tronbad,  1826;  Faunel,  Histoire  de  la  poisu 
provençale  f  1846- 

1.  A.  W.  de  Schlegel,  op.  ciL,  »o6;  cf.  Galvani,  Sulla  verità  délie  dotirmt 
perlicariane  ^  Milano,  1846, 

j.  Sanchez,  ColUctlon  de  poesias  amenons  al  siglo  XV,  Cit.  da  Braga, 
Cane,  c  Rom.  Gérai  Port.,  L  8* 


LA    POESU    POPOLARE    rTALlANA  445 

e  h  Spagna^  e  soprattutto  P  indole  deila  sua  iinguai  più  afïîtie  ai  dialetti 
francesi,  ai  nord-italici  ed  ai  celiiberici,  che  non  fossero  questi  rispeui- 
vamenle  fra  di  loro.  Linguisticamenie,  corne  geograficamenie,  la  Pro- 
venza  occupava  il  centre  d*  una  periferia  i  di  oui  punii  principali  erano 
più  distanti  fra  loro  che  ciascim  di  essi  non  fosse  dal  cenlro  stesso.  In 
seguito  poi  ad  una  série  di  circostanze,  che  non  è  nostra  cômpiîo  di 
narrar  qui,  la  lingua  provenzale  ebbe  uno  sviluppo  précoce  ed  una  vasta 
letteratura  prima  che  i  dialetti  e  gli  idiomi  vicini  (ad  eccezione  della 
lingua  francese  d*  oïl]  fossero  fissati  dalla  scrittura  ed  assunti  ail'  onore 
d'  una  cuUura  letteraria.  Ora  se  per  le  ragioni  sovraesposle  la  leiieraiura 
anisiica  della  Provenza  polè  falcîmente  irradiarsi  fuor  de'  suoi  limiii 
naiurali,  la  poesia  popolare  provenzale,  coeva  ed  anteriore  ail'  ariisiica, 
per  ragioni  non  molto  diverse,  ha  poiuio  e  dovuto  propagarsi  nei  paesi 
vicini.  Che  poi  in  Provenza  esisiesse  una  poesia  popolare  coeva  ed  ante- 
riore alP  ariificiosa,  non  serobra  oramai  cosa  dubbia'.  Ne  per  spiegare 
la  trasmissione  della  poesia  popolare  provenzale  ai  paesi  vicini  è  d'  uopo 
ricorrere  alP  inlervenio  dei  giuUari  che  correvano  sulle  orme  dei  irova- 
tori  e  caniavano  in  pîii  dimesso  meiro  romanze  popolari  sulle  piazze  e 
sulle  strade^  mentre  i  loro  nobili  coUeghi  cantavano  la  loro  lirica  amorosa 
nelle  corti  e  nei  casielli.  Potè  queslo  essere  un  mezzo  di  trasmissione, 
ma  non  fu  il  solo  ne  il  più  efficace.  La  trasmissione  ha  dovuto  farsi  dalla 
Provenza  ai  paesi  vicini  nello  stesso  modo  con  cui  si  fa  anche  ora 
daiP  uno  ail'  altro  villaggio  dello  stesso  paese.  Il  canto  passa  di  bocca  in 
bocca  aitraversando  montagne  e  fiumi,  enonfermandosi  se  non  colàdove 
non  è  più  capito.  In  questa  sua  varia  e  talvoka  lunga  peregrinazîone, 
conservando  pur  sempre  il  suo  carattere,  la  sua  unità  e  generalmente 
l' impronta  formale  orîginaria,  esso  si  modifica,  perquanio  speiiaal  lin- 
guaggio^  adattandosî  aile  forme  dialettali  dei  luoghi  per  dove  passa.  Ma 
quando  aile  varietà  dialettali  succedono  le  varietà  di  lingua,  le  varietà 
etniche,  il  canto  popolare  s'  arresta  corne  dinanzi  ad  insuperabile  bar- 
riera.  Per  ciô  che  riguarda  più  partie ol a rm ente  le  canzoni  celto-romanze 
cantate  în  Piemonte  e  da  noi  pubblicate,  l' origine  provenzale  à*  alcuna 
di  esse  è  provata  da  argomenti  più  diretti.  La  canzone  di  Cloûtde,  che 
nella  nostra  raccolia  s*  intitola  La  sorella  yendicaîa^  e  quella  degli  Scotari 
di  Tolosa,  sono  dimostrate  d*  origine  provenzale  dal  soggetto  stesso  di 
cui  trattano.  In  altre,  come  in  quella  di  Fwrenza  e  di  Giovanni  Anîonnio^ 
i  nomi  propri  Fiorenza  e  Maria  sono  preceduti  dalP  appellativo  proven- 
zale caratteristîco  'NUf  che  avendo  smarrito  nei  nostrî  dialetti  ogni  signi- 


I,  Diez.,  op.  cit.  pasum;  Fauricl,  op.  cit.,  dite  espressamente  :  •  Mars  en 
laissant  de  côté  les  raisons  tirées  de  la  vraisemblance^  on  peut  affirmer  direc- 
tement qu'il  y  eut  dans  le  midi  de  la  France,  auxXII^et  XIII*  siècles,  une 
vraie  poésie  populaire,  j* 


44^  C.    NIGRA 

ficato,  è  talora  niutato  in  Ana  e  scambiato  col  nome  proprio 
Questo  monosillabo  'Na  irapiantato  cosi  nell*  lialia  superiore,  dice  di 
per  se  solo  molto  di  più  che  nol  farebbero  lunghe  dissertazioni, 

Noi  non  staremo  qui  a  dimostrare  il  fatto  incontestabile  dell*  influenza 
eserciîala  a  sua  volta  suUa  letteratura  deî  paesi  vicini  dalla  lingua  d'  oil 
e  dalla  sua  letteratura.  Quest'  influença  fu  più  dure  vole  che  quella  délia 
lingua  d'oc»  ed  anzi,  dopo  che  la  nazionalità  provenzale  fu  soffocata  nd 
sangue  dalla  spada  di  Simone  di  Montfort,  si  esercilè  sulla  stessa  Gallia 
méridionale.  La  poesia  medioevale  romanza  che  si  rannoda  intorno  ai 
cicli  epicï,  porta  in  générale  l' impronta  originaria  francese,  benchè  essa 
debba  al  solo  genio  italiano  V  onore  d*  essere  stata  irasformaia  in  vera  e 
splendida  epopea-  Ben  inieso,  noi  parliamo  qui  di  poesia  romanza  nar- 
rativa  d*  indole  più  o  meno  artîficiosa  ' .  Resta  a  vedere  se  quest*  in- 
fluenza  francese  abbia  loccato  anche  la  poesia  popolare  corn  une  ai  popoli 
celto-romanzi,  ed  în  quale  misura,  o,  in  akri  termini,  se  canzoni, 
d'  origine  francese,  siano  state  trasmesse  dalla  Francia  alla  Provenu, 
air  ïtalia  superiore,  alla  Catalogna,  al  Portogallo,  e  corne  questa  irasmis- 
sione  siasi  prodotta.  Qui  bisogna  disiinguere  fra  la  Provenza  e  V  Italia 
superiore  dall'  un  lato,  e  la  Catalogna  e  il  Portogallo  dalP  altra.  È  indu- 
bitato  che  canzoni  d*  origine  francese  furono  trasmesse  in  tutti  i  paesi 
sopradetti.  Ma  questa  irasmissione,  per  quanto  spetta  alla  Catalogna 
e  al  Portogallo,  non  fu  diretta.  Essa  doveue  farsi  per  mezzo  délia  Pro- 
vcnza.  Per  contro  la  trasmissione  dalla  Francia  alla  Provenza  fu  natu» 
ralmente  diretta.  Rispetto  ail'  Italia  superiore  la  trasmissione  ha  potutoe 
dovuto  farsi  nei  due  modî,  cioè  sia  per  mezzo  délia  Provenza,  sia  diret- 
tamente,  essendo  una  parte  del  Piemonte  limitrofa  ai  dialetti  francesi 
d'  otl  (délia  Borgogna),  mentre  un'  altra  parte  di  esso  e  la  Liguria  con- 
finanocoi  dialetti  provenzali.  La  Francia  d'oltre  Loira  non  è  più,  corne 
la  Provenza,  un  centro  geografjco  e  lînguistico  quasi  equidisiante  da 
ciascuno  degli  altri  paesi  celto-romanzi-  Ma  lo  è  tuttavia,  rispetto  al 
Piemonte,  il  quale  dall*  una  parte  pel  Vallese  e  per  la  Savoja  si  con- 
giunge  geograficamente  e  linguisticamente  colla  Francia  délia  lingua 
d' oïly  e  dalf  altra  parte  pel  colle  di  Tenda  e  per  le  valli  délie  Alpi  marit-^ 
time  e  Cozîe  si  rannoda  ai  dialetti  ed  ai  confmi  occitanici.  Conseguente- 
raente,  una  canzone  nata  nell'  Isola  di  Francia  o  in  Normandia  potè 
penetrare  nel  cuore  del  Piemonte  seguendo  1'  una  o  1'  altra  délie  due  vie 
sopra  indicate,  cioè,  o  quelîa  délia  Provenza  o  quella  délia  Borgogna. 
Per  tali  due  direzioni  il  canto  potè  successivamente  propagarsî  dal  Pie- 


I.  Quanto  aîl'  italia  cosi  si  esprime  Dicz,  op.  cil*  :  «  Fin  dal  XIH  secolo 
due  ïingue  sorellc  si  dividevano  T  Italia  :  la  romanza  d^  otl  cra  prcvalsa  ne! 
gencrcepico»  e  la  romanza  d*  oc  s*  era  arrogato  il  dominio  lirico.  * 


lA  POESL\  popclare  rritiiANA  447 

monte,  dal  Moofemto  c  dalia  Lignria  sel  CuuTcse.  ndli  Lccrwv^. 
ndl'  Emilia  e  DcHa  Vesczia.  senz'  alcurj  solaiios*  i:  cc:i±::±i  ^=c^?^ 
fica  o  lingois&ca.  Ma  La  dov^to  arresurs  e  s"  arrestc  c:l  jessir*  5é. 
dialeni  a  snbsiraio  cehico.  Infaii:  I*  rar.zcsi  del  Pie=}o=:e,  cû=~  ji 
altri  popolî  ceho-romazzi.  rroœdono  calla  copria  orkizs  cbe  a'rcdas» 
indicato.  Le  cac  accenna::o  ai  oridne  provenzile,  ie  altre  ai  cci^iisie 
francese,  c  di  qaeste  aliiae  le  ur.e  pervenzero  ir  Pieaccîe  iireraaesie, 
doè  pcr  la  Borgcpia.  le  alîrc  vi  pervcr:=tro  passasio  per  la  Provenza. 
c  pcr  00^  dire  vesâie  alla  provenzalc.  La  iîsÊx:z:or.e  fra  q^^esra  coppû 
proveoîenza  delIc  canzorj  Loxi-::,  penetiata  in  Pienozte,  doz  è,  coaie 
ben  si  poè  imagisare,  sanzre  |>Dss:b:le.  Tunavia  inalcun:  cas:  la  coa- 
parazione  dei]e  lezioci  pieascniesi  cclîe  frascesi  e  colle  provenzal:  for- 
lûsce  indizi  abbastanza  probabili  per  detenninare  V  oiip::e  ie!  ca^io,  o 
almeno  la  sna  provenfesza  diretu  ed  uliima.  La  canzcne.  passasdo  in 
PieiDome,  assnnse  naiuralmente  le  tonne  dialetiali  piescoiites:.  ma  non 
sempre  înteramecîe.  Spesso  rimasero  nelle  lezfoni  pieœonîesi  tracde 
ancora  visibili  di  fonce  francesi  o  prover^zali.  Alih  ir.iizi  sono  sotami- 
mstrad  dal  métro.  Il  tetrastico  settenario  ed  ottonario.  ccn  altenuzione 
di  assonanze,  talora  monorime,  e  di  versi  non  riman.  e  di  lenninazioni 
ossitone  e  parosâtone.  accenna  pi  à  spesso  ad  origine  provenzale.  Per 
cootro  î  poHmeth  con  versi  di  misura  disuguale.  e  queJi  in  on  prédo- 
mina la  desinenza  ossitona.  accennano  di  preferenza  ad  crlzine  francese. 
Questi  van  indizi  saranno  esposti.  quando  occon-ano.  a  loro  luogo.  nelle 
awenenze  premesse  aile  singole  canzoni. 

In  tutte  le  canzoni  poi.  di  qualsiasi  caiegoria .  storïche.  romanzescbe, 
domesûcbe,  ad  eccezione  di  qualche  caso  sporadicc.  cbe  sirï  norito, 
OYC  si  produca,  non  tro\iamo  traccia  d*  origine  ladna.  o  p*eca.  o  ger- 
manica,  o  tanto  meno  araba. 

Non  d  losînghiamo  di  penenire  a  detenninare  in  un  axMo,  ancbe 
approssimativamente  esatto.  V  epoca  di  fonnazione  délie  ra-.scni,  ]t 
sale  storicbe  eccenuate.  Accade  della  poesia  popolare  ce  cbe  accaie  des 
dialetd  e  délie  lingue.  Il  periodo  genetico  ha  seapre  qiisLcbe  casa 
d'  occuho,  forse  perché,  fino  a  quando  V  una  e  V  alr^a  cariresubone 
delte  spirito  umano  non  sono  fissate  daila  scrim:ra  e  dalla  1er  erarjra,  v'  è 
luogo  ad  una  genesi  continua.  Ne  le  indicaziorJ  !on*ite  ial^e  canroni 
storicbe  di  dau  certa  valgono  a  penneîîere  conclusion:  posiùve,  giacchè 
abbiamo  canzoni  storiche  appartenenti  quasi  ad  ogn:  epoca.  dal  v;  secojo 
in  poi.  In  fatti,  le  canzoni  Donru  icnibjrli  e  Lj  i.-rî.L;  ifrd::Ji:2  11 
Clotilde  provenzale^  ripetono  la  loro  prima  fonnazione  f.n  dal  VI  s^^o'o. 
mentre  la  canzone  Carolina  di  Sj;o:j  è  cantata  in  Pieraonte  ia  persone 
viventi,  i  di  cui  genîtori  assistettero  alla  panenza  della  gic\-ine  prlnd- 
pessa  per  la  Sassonia  anno  17S1  .  In  questo  lungo  spazio  di  dodid 


448  C.    NÎGRA 

secoli  moite  canzoni  nacquero  e  morirono,  e  quelle  che  ci  pervennero 
subirono  numerose,  profonde  e  continue  modificazioni.  Anche  qui  ripe- 
tiamo  non  doversi  dimemicare  che,  parUndo  dell'  epoca  di  formazione 
délie  canzoni,  s' inlende  pariare  non  tamo  delPargomento,  quanto  délia 
forma.  L*  argomento  d*  una  canzone  puô  essere  ed  è  in  molti  casi  più 
antico  délia  formazione  délia  canzone  stessa.  Nei  canti  religiosi,  per 
esempio,  il  contenuto  ha  ordinariamenie  per  base  una  leggenda,  la  quale 
s'  è  formata  lentamenie  per  tradizione,  solio  forma  di  racconto,  o  in  altra 
forma  diversa  dalla  canzone,  e  questa  leggenda  è  naturalmenie  più 
aniica  che  la  formazione  del  canto»  Le  nosire  indagini  non  risalgono 
alPorigine  primiliva  del  contenuto  poeiico  ;  çsst  si  limitano  a  rintracciare 
gr  indizi  delV  epoca  probabile  in  cui  la  canzone  si  effigiô  nel  suo  stampo 
storico,  assumendo  la  sua  forma  cosiîtutiva  attuale.  In  realtà  non  si  pos- 
sono  indicare  date  certe  che  per  le  canzoni  storiche.  Essendo  ques 
coeve  al  fatto  narrato,  ponano  con  se,  per  dir  cosî,  il  loro  atto  di  nascit 
Per  le  altre  dobbiamo  contentarci  di  semplici  induzioni.  Le  canzoni 
romanzesche  comuni,  d*  origine  provenzale,  sembrano  essere  state  iras-J 
messe  principal  mente  verso  P  epoca  délia  maggiore  espansione  délit  1 
cultura  occitanica,  cioè  dalP  undecimo  secolo  al  decîmoquano.  E  siccome 
la  trasmissione  si  fece  di  nécessita  dopo  la  formazione,  quella  deve  ailri- 
buirsi  ad  un'  epoca  più  0  meno  immediatamente  ameriore.  La  canzoïiGl 
di  Fiormza^  per  esempio,  che  narra  un  ralto  comraesso  da  un  moro 
saracino,  potrebbe  essere  contemporanea,  nella  sua  originaria  forma- 
zione, aile  prime  escursioni  dei  Saracini  sulle  coste  del  Mediterraneo,  e 
quindi  risalire  al  nono  secolo.  Le  canzoni  d*  indole  cavalleresca  possono 
con  probabilità  attribuîrsi  aî  periodo  in  cui  dominarono  nel  mezzodî  e 
nell'  occidente  d'Europa  i  sentimemi  ed  i  costumi  cavallereschi.  Le  pas- 
loraîi  furono  di  giàcoltivate  dai  trovieri  francesi,  che  le  imitarono  certa- 
mente  su  raodelli  popolari  anteriori  ' .  Non  sarà  quindi  temerario  îl  famé 
risalire  la  formazione  originaria  ail*  epoca  che  precedette  i  primi  trovieri. 
Se  è  difficile  lo  assegnare  il  periodo,  o  per  meglio  dire  i  vari  periodi  di 
formazione  délie  canzoni,  è  altrettanto  difficile  il  determinare  un'  epoca 
in  cui  questa  poesia  non  abbia  esistito.  Noi  abbiamo  canzoni,  la  cui 
prima  formazione  risale,  come  fu  notato,  al  VI  secolo.  Non  è  probabilei 
che  queste  siano  State  le  prime  creaie  dai  popoli  celto-romanzi.  Questa 
poesia  ha  un  carattere  einico  e  tradizionale.  Essa  è  un  frutlo  spontaneo 
e  géniale  délia  razza,  che  ebbe,  fra  i  suoi  caratteri  proprl,  l'attiiudinee 


t.  n  I  trovieri  coltivarono  con  succcsso  un'  allra  specialitâ,  génère  apparcn- 
«  lato  senza  nessun  dubbio  alla  canzone  popolare,  ordinariamenie  fornito  di 
«  ritornello,    che   accusa   Timpronta    nazionalc,    Noi   vogiiamo   pariare   delte 

•  romanze,  délie  pastoraii  {pastourdUs]  e  d'  altre  composizioni  narranti  avveo- 

•  ture  amorose.  »  Diez,  op.  cil,,  2. 


LA   POESIA   POPOURE   ITALIANA  449 

la  tendenza  a  questa  particolar  forma  di  poesia.  Quando  le  popolazioni 
celtiche  delPllalia  syperiore,  délie  Gallie  e  della  Penisola  celtiberica, 
adoliando  il  lessico  latino  e  la  grammauca  latina,  fonnarono  i  loro  nuovi 
idiomi  cello-romanzi,  esse  adauarono  aile  eslgenze  del  nuovo  linguaggio 
il  fondo  poetico  ed  anche  lo  stampo  formale  dei  loro  cantitradizionali, 
scguendo  in  ciô  il  medesimo  processo  che  fu  seguito  nel  cambiamento 
d' idioma.  £  siccome  i  Celtî^  nell'  assîmilarsi  il  lessico  e  la  grammatica 
dei  Laiini,  conservarono  d'  alironde  in  gran  parte  la  fonologia  e  la  sin- 
iBSsi  délie  aniiche  loro  favelle,  cosi  mantennero  lo  stampo  spéciale  e  la 
materia  della  loro  antica  poesia  nazionate,  di  cm  del  resto  avrebbero 
cercato  invano  i  modelli  nella  lelieratura  artistica  o  popotare  latina.  La 
canzone,  cosi  considerata  idealmente,  fu  dunque  coeva  agi*  idiomi  celto- 
romanzi,  Nattiralmenie  di  quel  periodo  primîtivo  non  rimane  altro  che 
lo  stampo  formale,  quale  ci  fu  conservaio  dalle  riproduzioni  posteriori, 
ta  un  certo  fondo  di  materia  poetica  in  raille  guise  successivamenie 
foggiata,  trasformata  e  rinnovata.  L*  atuvità  poetica  della  razza,  nata 
con  essa,  non  venne  mai  meno  nelle  varie  epoche  della  sua  sioria  e 
presso  i  varî  popoli  che  la  compongono.  Taie  attività  non  fii  sempre 
eguale.  Vi  sono  epoche,  per  esempio  il  periodo  cavalleresco,  di  spéciale 
sviluppo  poetico.  E  fra  i  popoli  dt  razza  celto-latina,  alcuni,  corne  il 
provenzale  ed  iJ  francese  per  ragioni  geografiche,  îinguistiche  e  politiche 
panicolari,  ebbero  la  sone  di  potertrasmeitere  la  propria  poesia  ai  paesi 
vicini,  mentre  in  questi  ultimi  la  produzione  poetica  popolare  rimasc 
quasi  sempre  locale.  Ma  V  attività  poetica  perdura  egualmente  presso 
tutti  i  popoli  celto-romanzi.  I  quali  non  si  limitano  a  ripetere  le  antiche 
canzoni  ed  a  modificarle  continuamente.  Essi  creano  nuove  canzoni 
anche  oggi.  Solamente  quesie  creazioni,  che  si  producono,  lungi  dalle 
dttà,  negli  oscuri  viilaggi,  neicampie  sui  monti,  difficilmente  si  lasciano 
sorprendere  dair  osservatore  nel  periodo  genetico.  Questo  periodo,  corne 
già  dicemmo,  ba  sempre  qualche  cosa  di  misterioso.  La  canzone,  gîova 
ripeterlo,  non  è  improvvisata.  Non  è  opéra  d'  un  solo  individuo.  Non 
nasce  ad  un  tratto  perfetta,  Ê  lentamente  elaborata  da  mold  congiunta- 
mente  e  successivamenie.  De'  suoi  elementi  cosiitutivi  una  parte  si  puô 
dire  sempre  antica.  Quando  daî  nostri  contadini  si  compone  una  canzone, 
si  comincia  a  fissare  la  melodia,  e  questa  è  tolta  ordinariamente  da  una 
canzone  anteriore.  La  melodia  détermina  il  métro.  Intere  frasi  ed  inieri 
versi,  e  spesso  il  principio  della  composizîone  sono  mutuati  a  canzoni 
già  esistenti.  Ciô  che  si  aggiunge  di  nuovo  è  spesso  scorretto,  rozzo  c 
talora  confuse;  a  poco  a  poco,  passando  per  moite  bocchc  si  modifica, 
si  purifica,  si  compie;  nuove  idçe  si  aggiungono;  le  espressioni  scorrettc 
od  impropric  sono  successivamente  eliminate  e  sostituiie  da  alire  più 
roprie  e  più  corrette  ;  queste  alla  loro  volta,  passando  per  altre  bocche, 


4fO  C.    NIGRA 

e  trovandosi  in  ambîenti  meno  propizi,  si  corrompono  di  nuovo,  si  oscu- 
rano,  per  rinnovarsi  di  poi.  Strofe  iniere  si  corrodono  lentameme.  si 
dimenîicano,  si  perdono;  altre  nuove  pigliano  il  posto  délie  antiche. 
Reniiniscenze  d'  aliri  canti  s*  innestano,  si  propagano,  e  muiano  non 
solo  l'economia,  ma  il  senso  e  la  conclusione  délia  canzone.  I  cosî  detli 
luoghi  comuni  poeiici  sono  larganienie  messi  a  contribuio.  Talora  due 
canzoni  si  fondono  in  una.  Talora  invece  una  sola  canzone  si  spezza  e  dà 
origine  a  due  canzoni  diverse,  Nel  trasmetlersi  di  bocca  in  bocca  il  pro- 
prie  canto,  il  popolo  lo  rinnova  e  lo  modifica  cosianiemente  nelle  forme 
dialetiali  e  nel  contenuio,  e  fmalmente  anche  in  parte  nella  melodia  e  nel 
métro,  e  quesie  continue  ed  împortanti  modificazioni  cosiituiscono  in 
realtà  una  perpétua  creazione  délia  poesia  popolare;creazione  che  passa 
per  molle  e  varie  fasi,  e  le  di  coi  condizioni  di  viia  e  di  perfezione,  o  di 
degenerazione  e  di  obblio  sono  intimamente  legate  con  quelle  del 
popolo  au  tore  e  conservatore.  Le  canzoni,  più  che  i  libri,  hanno  i  loro 
destin!» 

Abbiamo  dette,  parlando  deir  origine  deïle  canzoni,  sia  speciali  al  Pie- 
monte  ed  ail'  Itatia  superiore,  sia  comuni  ai  popoli  celto-romanzi ,  che 
non  si  scuopre  in  esse  tracda  di  derivazione  straniera.  £  per  venta  esse 
portano  un'  impronta  afïatlo  originale,  I  Latini  ed  i  loro  naturalî  e  direili 
succédané!  non  ci  offrono  nulla  di  simile  nella  loro  letteralura  artistica  o 
popolare.  Nulla  di  simile  ci  ofFrono  i  Greci,  ed  oramai  sarebbe  inutile  il 
soffermarci  a  provare  che  non  v*  è  nuila  di  comune  fra  il  carattere  délie 
nostre  canzoni  popolari  e  quello  délia  poesia  araba.  Ma  nemmeno  la 
lelieratura  germanica  esercitô  un'azione  apprezzabile  sulla  poesia  popo- 
lare celto-romanza.  1  Tedeschi  presero  da  noi  la  rima  e  la  tinta  cavalle- 
resca  che  già  appare  nei  loro  Nibelunghi,  Atiinsero  abbondamememe  aile 
sorgentj  dei  cicii  epici  romanzi.  Non  ci  lasciarono  un  solodei  loro  canti* 
Le  rassomiglianze  che  occorrono  qua  e  là  fra  canti  tedeschi  e  celto- 
romanzi,  o  fra  alcune  parti  degli  uni  e  degli  altrî,  non  hanno  nulla  di 
specifico  alla  Germania,  e  trovano  per  lo  più  la  loro  spiegazione  in  un 
sentimento  poetico  générale  ed  anteriore,  che  è  in  varia  misura  comune  a 
tutti  i  popoli  derivati  dalP  arnica  fonte  ariana. 

Si  puô  ancora  domandare  se  la  poesia  popolare  spagnuola,  da  cui 
sorse  nel  XVI  secolo  la  poesia  semiartificiosa  del  romancero^  abbia  eser- 
citaiû,  per  trasmissione  o  per  imitazione,  un*  influenza  sulla  poesia 
popolare  del  Piemome  e  dell'  Italia  superiore  ed  in  générale  su  quelladei 
popoli  ceilo-romanzi.  Le  raccoUe  dei  canti  popolari  portoghesi  non 
lasciano  dubitare  che  romanze  spagnuole,  prima  o  dopo  la  loro  redazionc 
definitiva,  siano  state  trasmesse  in  Portogallo;  corne  è  certo,  d'alira 
parte,  che  canti  popotan  d'  origine  portoghese  penetrarono  nelîa  Spagna 
Casiigliana,  La  posizione  particolare  geografica  e  linguistica  del  Porto- 


« 


LA   POESIA    POPOLABE    ITALIAVA  45  I 

gallo  rispeuo  alla  Spagna  e  le  spécial!  relazioni  storiche  e  sociali  dei  due 
paesi  fra  loro  spiegano  facilmente  la  produzione  di  questo  fenomeno.  Ma 
le  nostre  ricerche  c'inducono  ad  escludere  ogni  influenza  spagnuob  sulla 
poesîa  popolare  celto-romanza.  Le  poche  romanze  spagnuole  che  si  tro 
vano  più  o  meno  completamente  riprodolie  nella  poesia  popolare 
cello-romanza,  non  sono,  secondo  la  nostra  convinzione,  d*  origine 
spagnuola.  Esse  furono  introdotte  nella  Spagna  dai  fmitîmi  paesi  celto- 
romanzi. 

Jnfine  puô  farsi  quesiione,  se  !e  canzoni  popolari  (specialmeme  le 
storiche  e  le  romanzesche)  comuni  ai  popoli  celio-romanzi  sianoavanzi, 
comefu  asserilo  talora,  di  poemi  epicï  antichi  caduti  in  oblio.  Una  simile 
ipoiesi  non  ha  fondamento  nella  realtà.  Nessun  faiio  pu6  essere  invocaio, 
a  notizia  nosira,  in  suo  sosiegno.  Un*  attenta  osservazione  dell*  orga- 
nisme délie  nostre  canzoni  ci  conduce,  al  comrijrio,  a  considerare 
ciascuna  di  esse  corne  un'  unltà  perfetla  e  distinta  fin  dalla  sua  origine,  !l 
poema  epico  puô  nascere  dair  esplicazione  più  o  meno  artificîosa  del 
brève  canto  popolare,  quai  è  la  canzone.  Ma  non  abbiamo  esempl  del 
tatto  contrario,  cioè  dello  sminuzzarsi  d'  un  poema  epico  in  una  série  di 
canzoni  veramente  popolari, 

Conchiudiamo.  L'  Italia,  rispetto  alla  poesia  popolare  (come  rispetto 
aï  dialetti)  si  dîvide  in  due  zone  :  italia  înferiore,  con  substraio  italico  ; 
ed  Italia  superiore,  con  subsirato  celtico.  La  poesîa  popolare  dell*  Italia 
inferiore  è  monostrofa,  monometra  (salvo  il  quinario  dello  stomello), 
endecasillaba,  assonante  \  parossiionica,  araebea,  lirica,  soggettiva,  non 
senza  coniatto  colla  poesia  colta,  e  procedente  in  parte,  per  tradizione, 
dalP  antico  canto  alterno  pastorale,  e  d'  origine  interamente  italica» 
Quella  deir  italia  superiore  è  polistrofii,  polimetra,  semi-assonante^ 
serai-ossitonica,  anamebea,  narra tiva,  oggettiva,  senza  coniatto  colla 
poesia  colta,  d'  origine,  in  parte  celto-italica,  in  parte  celto-romanza. 
Entrambe  iradizionali,  etniche,  immuni  d'  ogni  influenza  siraniera  alla 
loro  origine  rispettiva. 

Le  osservazioni  fin  qui  faite,  giova  ripetere,  sono  applicabîli  alla  poesia 
popolare  cantaîa  e  profana,  La  recitata  (giuochi,  indovinelli^  rime  infan- 
tili,  ninnenanne,  proverbif  e  la  religiosa  Ipreghiere,  gjaculatorie, 
leggendej  hanno  un  carattere  meno  etnico  e  più  générale,  e  seguono, 
nella  loro  origine  e  nel  loro  sviluppo,  un  processo  in  parte  distinto. 

Perché  questo  studio  fosse  meno  incompleto,  converrebbe  ora  esami- 
nare  e  giudicare  i)  valore  estetico  e  morale  dei  due  grandi  rami  délia 
poesia  popolare  italiana.  Ma  noi  lasciamo  volentieri  questo  cômpito  meno 


i,  Cioè,  di  regola,  coa  tutti  i  versi  rimaii  o  assonanti  e  spesso  con  paralle- 
iismo  di  con&otianzç  atone. 


452  C.  NIGRA,  LA  POESIA  POPOLARE  ITALIANA 

arido  e  più  attraente  a  critici  più  riposati  e  meno  esposti  aile  tentazioni 
di  parzialità,  aile  quali,  pur  non  volendo^  potrebbe  accondiscendere  un 
raccoglitore  di  canti  popolari.  Questi  è  naturalmente  portato  a  trasmodare 
nelP  indulgenza  e  neir  elogio  rispetto  à  ciè  che  forma  1'  argomento  ed 
il  pregio  delP  opéra  sua.  La  critica  délia  poesia  popolare  italiana,  con- 
siderata  nel  suo  intierio  sviluppo  in  tutte  le  parti  délia  Penisola,  è  une 
studio  che  ancora  ci  manca,  e  che  mérita  di  esser  fatto.  Avemmo  finora 
molti  lavori  pregevoli,  ed  alcuni  eccellenti.  Ma  essi  sono  per  lo  più  spe- 
ciali  alla  poesia  popolare  d'  una  o  di  parecchie  provincie  d'Italia.  Noi 
non  vogliamo  far  qui  la  storia  délia  critica  délia  poesia  popolare  italiana. 
Essa  conta  molti  nomi  di  scrittori  autorevoli  ed  illustri.  I  loro  studi 
dovranno  essere  attentamente  consultati  da  chiunque  si  assumera 
l' impresa  di  fare  délia  nostra  poesia  popolare  non  più  un  esame  più  o 
meno  limitato,  ma  una  critica  générale.  Oramai  tutte  le  provincie  ita- 
liane  hanno  recato  la  loro  pietra  alla  costruzione  del  nobile  edifizio  ;  ed  il 
critico  futuro  avràa  sua  disposizione  elementi  che  facevano  difetto  a'suoi 
antecessori.  D' altra  parte  gl'  importanti  lavori  fatti  negli  ultimi  anni  da 
critici  stranieri  sulla  poesia  popolare  d'  altri  paesi  potranno  agevolare  i 
paralleli,  e  servire  di  stimolo,  d' esempio  e  di  guida.  Ma  per  questo 
appunto  la  scienza  moderna  crebbe  le  sue  esigenze.  Essa  vorrà 
conoscere,  accanto  ai  meriti  reali  del  nostro  canto  popolare,  le  sue 
mende  ed  i  suoi  difetti,  egualmente  reali,  liberamente,  largamente, 
coscienziosamente  esposti  e  discussi,  senz'  altra  preoccupazione  che 
quella  délia  verità. 

Un  importante  elemento  di  comparazione  e  di  studio  mancherà  sven- 
turatamente  nella  nostra  raccolta.  Noi  non  abbiam  potuto  raccogliere  e 
notare  che  pochissime  délie  mélodie  che  accompagnano  le  canzoni,  e 
nessuna  di  quelle  che  accompagnano  gli  strambotti  e  gli  stornelli.  Altri, 
speriamo,  riempirà  questa  lacuna  che  noi  riconosciamo  come  un  difetto 
grave  di  questo  libro.  La  cognizione  esatta  délie  mélodie  è  indispensabile 
per  la  critica  délia  poesia  popolare. 

C.    NiGRA. 


FRAGMENT 
d'un 

CONTE  CATALAN 

TRADUIT  DU  FRANÇAIS. 


Le  manuscrit  Espagnol  154  de  la  Bibliothèque  nationale  (anc.  7696) 
d'où  est  tiré  le  morceau  catalan  publié  ci-dessous  se  composait  originai- 
rement de  72  feuillets  écrits  sur  deux  colonnes  à  la  fin  du  xV  siècle. 
Des  quatre  derniers  feuillets  qui  ont  été  arrachés  il  ne  subsiste  aujour- 
d'hui que  quelques  lambeaux  restés  attachés  à  la  reliure.  Les  ff.  i  à 
62  v"",  col.  I  y  contiennent  une  rédaction  en  prose  catalane  de  la  vie  de 
S.  Honorât'.  Cette  rédaction,  faite  sur  la  vie  provençale  en  vers,  a  passé 
tout  le  livre  III  de  l'original  qui  contient  le  récit  des  miracles  opérés  par 
le  saint  pendant  sa  vie^  sauf  le  ch.  lxiii  intitulé  :  Ayzi  nomna  los  santz 
que  foron  en  lahadia  (éd.  Sardou,  p.  106).  Une  vie  de  S.  Honorât  en 
catalan  qui  procède  sans  doute  aussi  du  poème  provençal  a  été  imprimée 
à  Valence  en  1485  ou  1495  >.  De  la  rubrique  de  la  table  «  Aquesta  es  la 
taula  del  présent  libre  de  sant  Honorât  ab  la  sua  vida  e  ab  diversos  mira- 
cles que  ell  ha  fets  axi  en  vida  com  après  mort  »,  on  peut  conclure  que 
l'imprimé  de  Valence,  que  nous  n'avons  pas  vu,  ne  présente  pas  la  lacune 
de  notre  manuscrit.  Ajoutons  que  M.  Bruce-Whyte  a  reproduit  fort 
incorrectement  dans  son  Histoire  des  langues  romanes ^  t.  II,  p.  406-414, 
les  douze  premières  colonnes  du  manuscrit  1 54. 

Les  derniers  feuillets,  62  v°,  col.  2  à  68  v*»,  col.  2,  sont  occupés  par 
la  traduction  du  conte  dévot  français  Du  roi  qui  voloitfere  ardoir  lefilz  de 
son  seneschal,  que  la  mutilation  du  manuscrit  ne  nous  permet  malheureu- 
sement pas  de  publier  en  entier. 

Nous  laissons  maintenant  la  parole  à  M.  Gaston  Paris,  qui,   après 


r .  Sur  les  versions  en  prose  de  la  vie  de  S.   Honorai  voy.  le  rapport  de 
M.  P.  Meyer,  Rcv.  des  Soc,  sav.  6«  série,  t.  Il,  j6  ss.  et  Romama^i.  V,  237  ss. 
2.  Voyez  Mendez,  Tïpografxa  cspanola,  éd.  Hidalgo,  p.  46. 


454  A.  morel-fatio 

nous  avoir  indiqué  roriginal  direct  du  texte  catalan,  a  bien  voulu  rédiger 

sur  l'histoire  de  ce  conte  la  notice  suivante  : 

«  Ce  morceau  est  littéralement  traduit  (on  retrouve  les  rimes)  du  conte 
dévot  français  publié  par  Méon,  Nouveau  Recueil^  t.  II,  p.  331.  Quant  au 
récit  lui-même,  les  diverses  formes  en  ont  été  récemment  étudiées  avec 
grand  soin  par  M.  Hertz  (^Deutsche  Sage  im  Elsass,  p.  278  ss.).  Le  conte 
est  d'origine  indienne,  il  a  passé  en  arabe  et  de  là  dans  les  littératures 
occidentales.  Dans  les  versions  sanscrites,  un  roi  veut  faire  périr  un 
jeune  homme  qu'il  hait,  et  c'est  son  propre  fils  qui  est  tué  à  sa  place; 
dans  un  récit  arabe,  c'est  un  oncle  de  Mahomet  qui  tombe  lui-même 
dans  le  piège  qu'il  lui  avait  tendu;  enfin  dans  deux  autres  versions 
arabes  (mais  qui  n'existent  l'une  qu'en  bengali,  l'autre  qu'en  turc),  le 
drame  comprend  trois  personnages  :  un  calomniateur,  un  innocent  et  un 
roi  ;  le  premier  accuse  le  second  auprès  du  roi  qui  veut  le  faire  mettre  à 
mort,  mais  c'est  l'accusateur  qui  est  tué  à  sa  place.  Dans  les  deux  ver- 
sions arabes,  —  par  un  reste  de  la  forme  plus  ancienne,  —  le  calomnia- 
teur ignore  le  sinistre  but  de  la  commission  que  le  roi  a  donnée  au  jeune 
homme  innocent  et  se  charge  volontairement  de  la  remplir  pour  lui  ;  dans 
toutes  les  versions  européennes,  il  sait  que  cette  commission  est  un 
ordre  de  mort  pour  le  porteur  et  il  va  s'assurer  qu'il  a  été  exécuté,  mais 
le  jeune  homme  ayant  été  retardé  il  arrive  avant  lui  et  est  tué  en  son  lieu 
par  les  gens  qui  ont  reçu  l'ordre  du  roi.  —  La  calomnie  qui  vaut  au 
jeune  homme  la  haine  du  roi  n'est  pas  la  même  dans  toutes  les  versions 
européennes  :  dans  les  Gesîa  Romanoruniy  Bromyard,  les  Cento  Novelle 
Antiche  (voy.  Romania  III  187),  Timoneda,  notre  conte,  Gautier 
Map  I,  etc.,  on  fait  croire  au  roi  que  le  jeune  homme  a  dit  de  lui  qu'il 
était  lépreux  ou  simplement  qu'il  avait  une  haleine  intolérable  >.  Les 
Gesia  seuls  ont  conservé  la  première  forme,  évidemment  plus  ancienne, 
puisqu'elle  se  retrouve  dans  l'une  des  deux  versions  arabes  indiquées 
plus  haut  {les  Quarante  Vizirs  5).  Dans  une  seconde  série,  dont  nous 
n'avons  rien  à  dire  ici,  l'accusation  portée  contre  le  jeune  homme  est 
d'être  l'amant  de  la  femme  de  son  maître  :  c'est  là  une  heureuse  altéra- 
tion du  récit  plus  ancien  4,  qui  se  retrouve  dans  un  grand  nombre  de 

1.  Le  très-bizarre  récit  de  Gautier  Map  (De  Nugis  Curialum^  111,  ^),  oui  par 
certains  côtés  semblerait  se  rapprocher  des  versions  orientales,  doit  plutôt  être 
regardé  comme  une  forme  altérée  de  la  version  européenne. 

2.  Dans  la  Cantiga  d'Alphonse  X  Uahrbuch^  I;,  la  calomnie  n'est  pas  spécifiée, 
mais  le  récit  paraît  se  rattacher  à  ce  groupe. 

3.  Mais  toutes  les  versions  occidentales  ont  en  commun  une  modification  de 
ce  récit.  Pour  faire  que  le  jeune  homme  détourne  sa  bouche  de  celle  du  roi,  son 
ennemi,  dans  les  Quarante  Vizirs^  lui  fait  manger  de  l'ail  ;  dans  les  versions  occi- 
dentales, il  lui  persuade  qu'il  a  lui-même  une  mauvaise  haleine  et  que  le  roi  s'en 
plaint. 

4.  Une  accusation  analogue  se  retrouve,  il  est  vrai,    dans  l'autre  version 


FRAGMENT   D'UN   CONTE   CATALAN  455 

variantes  et  qui  a  reçu,  comme  on  sait,  sa  plus  belle  forme  dans  la 
ballade  de  Schiller^  der  Gang  nach  dem  Eisenhammer^  directement  et  uni- 
quement imitée  d'une  nouvelle  de  Restifde  la  Bretonne'.  —  Notons 
enfin  que  dans  toutes  les  versions  européennes  le  retard  du  jeune  homme, 
qui  amène  le  dénouement,  est  dû  à  sa  piété  (combinée,  dans  un  certain 
groupe  de  la  deuxième  série,  avec  sa  fidélité  aux  conseils  reçus  de  son 
père).  L'insistance  de  Termite  à  retenir  le  messager  est,  dans  notre 
conte,  un  trait  particulier  qui  remplace  peu  heureusement  le  sommeil 
envoyé  par  Dieu  au  jeune  homme  dans  d'autres  versions. 

<c  Entre  les  formes  orientales  et  les  formes  occidentales  de  cette  légende, 
il  faut  sans  doute  admettre  un  intermédiaire  byzantin  '.  Notre  conte 
spécialement  parait  avoir  eu  un  original  latin  ;  toute  la  seconde  partie, 
assez  ennuyeuse,  est  puisée  à  d'autres  sources  et  n'a  rien  à  faire  avec  le 
sujet.  » 

Le  travail  du  Catalan  anonyme  est  fort  médiocre.  Peu  versé  dans 
la  connaissance  du  français  il  n'a  fait  autre  chose  que  calquer  le  conte 
dévot,  sans  se  préoccuper  toujours  de  le  comprendre  ni  de  soigner  le 
style  de  sa  traduction.  En  un  mot  cette  version  est  infidèle  au  point  de 
vue  du  français,  et  incorrecte  au  point  de  vue  du  catalan.  J'ai  indiqué  de 
temps  en  temps  les  vers  de  l'édition  de  Méon  pour  permettre  au  lec- 
teur de  comparer  plus  facilement  l'original  à  la  copie.  Au  reste,  à  en 
juger  par  quelques  variantes,  le  manuscrit  qui  a  servi  au  traduaeur 
catalan  se  rapproche  plus  du  ros.  fr.  12471  [f^  237  ss.i  que  du 
n*  23 1 1 1    f"  81  ss.    d'où  Méon  a,  je  crois,  tiré  son  texte  K 

arabe  (bengali),  mais  les  circonstances  sont  si  différentes  qu'il  parait  bien  n'y 
avoir  aucun  lien  entre  les  deux  histoires. 

1.  M.  Hertz,  I.  I.,  montre  fort  bien  que  c'est  Schiller  qui  a  substitué  â  ia 
Bretagne  et  à  (^imper,  qu'il  trouvait  dans  Restif,  TAlsace  et  Saverne.  On  n'en 
montre  pas  moins  près  de  Saverne  la  forge  où  le  méchant  Robert  aurait  été 
brûlé  en  venant  voir  si  l'ordre  du  comte  (il  n'y  a  jamais  eu  de  comtes  â  Saverne) 
avait  été  exécuté. 

2.  C'est  ce  que  pense  aussi  M.  Wesselofsky,  Russischt  Revue,  '87s,  p.  1^7, 
oui  nous  révèle  1  existence  fort  intéressante  de  ce  récit  dans  les  anciens 
Èjnaxaires  russes  M 8  avril/,  oii  il  est  donné  comme  extrait  d'un  i:a?tpixov.  La 
forme  russe,  qu'il  analyse,  est  très-curieuse,  en  ce  qu'elle  se  rapproche  de  l'une 
des  versions  arabes  ^bengali,,  et  que  cependant  elle  a  en  commun  avec  toutes  les 
versions  occidentales  le  retard  causé  par  un  exercice  de  piété,  et  avec  un 
groupe  de  la  deuxième  série  occidentale  la  fidélité  du  jeune  homme  aux  conseils 
paternels.  Il  y  a  là  un  problème  qu'il  serait  trop  long  d'examiner  id.  On  peut 
croire  que  les  contes  occidentaux  de  la  première  série  flèpre.  mauvaise  haleine) 
proviennent  de  l'une  des  versions  arabes,  et  ceux  de  la  seconde  série  /adul- 
tère; de  la  seconde,  à  travers  un  intermédiaire  grec. 

5.  Le  conte  du  fils  du  sénéchal  se  trouve  encore  dans  le  n*  i  S46,  f*  18  V, 
et  dans  k  ms.  de  Berne  décrit  par  M.  Tobler,  Jahrb.J.  roman.  Uîcr..  VII,42(. 
C'est  à  lo.'t  que  M.  A.  WcLcr,  Handschrifthche  Stadun,  p.  9,  indiaue  le 
ms.  24452.  :*  i  ;î5.  comme  contenant  tnc  rédaction  en  vers  de  six  syllates  de 
notre  conte  :  le  texte  copié  à  cet  endroit  est  le  Dit  du  charalur  qui  devint  hermàe. 


456  A,    MOREL-FATÏO 

Vlla  65  aquell  qui  fa  a  allre  so  que  no  vol  que  sia  feyt  a  eiL  Aqvielt  qui 
scnlremct  de  cnganar  altre  soven  li  esdeve  que  cl  mal  que  ell  vol  fer  li  ve 
desobre  :  axi  com  mal  e  dret  rêve,  les  bones  obres  nos  menen  en  los  sants 
cels  e  los  mais  a  perdicio  e  a  pena,  E  axi  cascu  troba  en  taJlre  setgle 
$  segons  que  en  aquest  obra,  mas  aquest  setgte  nos  te  tant  aprop  que  sol  no  < 
nos  menbre  del  altre.  Ten  cobecyosos  som  clergucs  e  lecs  que  nos  ne  aflfoyl-' 
lam  nostre  tigl  Lo  gran  enemich  que  havem  es  laver  del  dolent  quil  ha 
mai  guanyal,  car  axil  le  aprop,  el  ensegua  per  la  força  de  cobea  e  de  ava- 
ricia,  que  non  despen  nen  fa  negun  be,  ans  nés  longament  sacli  e  borssa,  c 
to  en  son  cor  ha  ten  gran  guerra^  qui  del  estalviar  e  del  guanyar,  qui  del 
guardar  e  del  conquistarj  que  cil  no  ha  pensaroenl,  ne  saber,  ne  enteniinenl, 
sino  ten  solament  de  son  haver.  E  quant  ell  ha  moll  estalviat  e  guanyat 
a  ops  daltre^  malaltîa  lo  pren  el  puny,  si  que  en  el]  no  ha  gens  de  sanilat. 
Lo  cor  li  dol  e  lots  sos  membres,  con  li  sove  de  son  haver  que  lexara  mal 

1  )  son  grat,  e  que  bira  en  mans  daltre;  car  sos  infants  lo  despendran^  que  ia 

no  li  reIran  compte,  e  un  altre  haura  sa  muyiler;  axilo  foyll  mesqui  oblida 
la  sua  anima.  Aço  pense  e  en  aço  trebayllc  tant  que  ve  quil  derrocha,  qui 
envia  la  sua  anima  el  foc  dinfern.  Axi[l]  acompanya  lo  seu  haver; 
perque  es  lom  be  orp  e  be  enganat  e  fora  de  son  dret  seny  qui  per 
20  cobeeyança  de  haver  pert  la  amor  de  Deu  en  tots  temps^  sens  esperança 
de  recobrar^  si  que  enpeny  !a  sua  anima  en  infern,  e  altre  lo  guaste  el  des- 
pen, car  ell  no  sen  porte  gens  daçi.  Perque  devem  conseil  creure  e  ccrcar;^ 
tant  con  som  sans  e  vius.  Un  eximpli  vos  comtare  e  direus  la  istoria  duii^ 
rey  qui  fo  en  Egipte,  c  noy  vu  II  larguar. 

2  5      (54)  Aquell  Rey  hac  entorn  de  si  un  seneschal   quil  havia  tant  servit 

quen  merexia  gran  guardo.  E  devets  saber  que  qui  bc  vol  servir  deu  soferir 
be  e  mal  e  mètre  cors  e  haver.  Aquell  scnescal  havia  un  fill  molt  beyil  e 
ros  e  hac  beyila  persona  e  beyila  cara,  e  fo  fort  gracios  e  bc  enrahonal,  c 
hac  enlorn  .XV»  anys,  c  fo  molt  savi,  segons  la   sua  edat,    car  lot  fo  en 

jo  amar  Deu.  Axi  mes  e  despes  tôt  son  temps,  car  neguna  amor,  sino  aqueila 
de  Deu,  no  es  sino  una  bufada  de  vent.  Esdevenchse  quel  senescal  fo  tort 
ma  lait  e  tant  que  quax  tôt  sécha.  E  quant  lo  Rey  o  sabe  fon  tort  dolent  peri 
amor  del  servcy  que  li  havia  feyt  e  li  feya,e  per  ço  com  lamave  molt.  Tant 
que  un  dia  lo  Rey  vench  lo  visitar,  e  lo  senescal  li  dix  :  «  Senyor,  ious  he" 

î  j  molt  servit  de  vostra  fadrinesa  en  sa,  be  ha  .XXV,  anys  que  ious  comense 
a  servir;  io  sent  en  mi  matex  que  yo  no  pusch  escapar  daquest  mal  afer; 
cove  que  muyre,  cor  iom  sent  fort  feblament,  e  axi  no  pux  moît  viure. 
Perque  ious  vull  demanar  un  do,  senyor,  per  amor  de  Deu,  c  en 
rcverencia,  e  en  gloria  del  bon  servey  queus  e  fet,  e  on  he  despes  tôt  mon 

40  temps  :  ço  es  que  vos  façats  be  a  mon  fil!  c  que  li  guardonets  lo  serviy 
que  jous  e  feyt,  e  farets  be,  e  seraus  honor  gran  ;  con  a  senyor  e  con  1 
amie  vos  en  requir  eus  en  prech.  »— Lo  Rey  lirespos:  t  Amie,  jous  promet 
en  me  leyaltat  que  tots  temps  mentre  que  yo  sia  vju,  io  tendre  vostre  fill 
entorn  de  mi,  el  fare  senyor  e  cap  de  ma  terra,  salva  to[tJ  hora  la  mîa 

4$  honor  e  de  mon  filL  E  li  dare  tanla  terra  e  tant  haver,  sia  que  muyra  0 
que  viva»  que  cil  sera  rich  tots  temps.  *  —  Lo  senescal  lidtx  :  t  Senyor»  bon 


FRAGMENT  0*UN  CONTE  CATALAN  4J7 

guardo  nayats  de  Dcu.  ■  Lo  rey  sen  ana»  e  aqucll  qui  cra  len  atenl  mori 
daquclla  malaltia.  (m)  Lo  rey  qui  ama  leyallal  Icnch  bc  ço  que  hic  pro* 
mes,  es  captench  be  det  infanl,  e  îiurali  un  maestre  qui  li  mostras;  ab  un 

50  seu  fil!  ensemps  lo  mes.  E  aprengueren  lanl  be  abduy  que  aço  fo  mara- 
veyila.  Lo  Rey  los  anava  vaher  cascun  dia  ets  tramclia  lots  dics  de  iO% 
présents^  mott  los  ama  abdosos.  E  los  dos  infants  con  a  bons  (adrins  se 
amarcn  molt,  axi  con  a  aqucîls  quis  nodrien  ensemps*  Lo  maestre  tur,  per 
gran  traycio  e  per  gran  cnveya,  fo  moll  dolent  e  irai  daço  coq  lo  rey 

55  amava  tant  aqucîl  q«i  res  no  li  atenyia,  e  per  gran  fcllonia  étx  entre  son 
cor  :  ■  Per  ma  fe^  yono  tench  per  sav»  lo  Rey,  que  un  fadri,  vengut  deno 
rc  c  no  sab  don,  amaaytanl  con  son  fill;  ab  mis  devria  fer,  e  mi  devria 
amar,  c  mon  seny  li  devria  ptaure,  caryo  son  provadamenl  bon  clergue  de 
arts  e  de  leys,  e  nom  ama,  ans  ama  un  fadrivil  e  mesqui  qui  rahû  no  fa  ne 

60  enten.  Si  ell  ama  son  fill  ell  la  molt  be,  mas  en  aquest  altre  amar,  jo  no 
veg  re  perque  ell  lo  dega  tant  amar;  mas  yo  deparlirc  e  trcncare  aquesta 
amor,  o  yo  no  preare  re  lo  meu  sen  ne  saber  valent  de  una  glan.  •  EH 
pensa  en  fer  mal  al  infant,  e  en  aquell  mal  despes  son  sen.  (145)  Un  jorn 
Jo  mes  en  paraules  e  lidix  quax  axi  con  a  caslicb  :  t  Bell  ftllcon  lo  rey  vcn- 

6ç  dra  açi  eus  tendra  entre  ses  mans,  girats  fi  ta  tara,  carlo  vostrc  aie  no  li  ti 
bo,  ell  nés  fort  irat  e  mohadit.  E  axi  no  obltdets  per  re  que  no  II  gireti  la 
tara.  >  —  Lo  fadri  li  dix  :  «  Mestre,  moll  volunler,  sapîits  que  bem 
membrara.  »  —  •  Vos  deyts  be,  »  dix  ell,  •  e  ara  0  vourem.  •  Lo  Rey 
tosvench  vaher  un  dia,  e  tench  los  amdosos  entre  soi  braços.  Ë  lo  fill  dé 

70  senescal  qui  negun  mal  noy  entenia,  gira  son  cap  e  sa  tara  quel  Rey  no  11 
acostas,  per  ço  con  lin  cuydava  fer  desplaer  Axi  0  feu  .V.  o  .VL  vegi- 
des  que  tota  hora  li  fugîa  e  li  girava  ta  cara,  con  el)  lo  ténia  entre  tôt 
braços  e  con  en  aicunes  paraules  lo  tnetia,  tant  quel  Rey  sen  près  guarda, 
quin  fo  fort  dolent  en  son  cor  e  vcnchsen  al  maeitre,  e  dixli  que  li  degues 

75  dir  allô  quel  fadri  feya  e  que  00  loy  degues  çelar.  Lo  maestre  h  dii  : 
•  Senyor,  per  ma  fe,  voluntera  vos  en  diria  la  veritat,  %i  sabra  que  noi» 
fos  greu<  •  —  Lo  Rey  li  dix  :  •  Vos  a  m\  nom  podets  agreuyar,  ani  vos 
amaremes,  ■  —  Axi  dix  lo  mestre  :  •  Donchs  jou$  0  dire.  Sapiats  quel 
fadri  ma  dit  e  jurât  tant  que  vos  havets  ten  fort  aie,  que  ell  no  baiobre 

$0  si  nenrii,  ne  vena,  ne  corada  que  no  lin  regrr  con  lo  lent,  ait  quel  cors 
cuyde  perdre,  el  cor  Irn  desana.  •  El  Rey  qui  sesbay  aqui  daqncstef 
pamies,  e  aqui  ahira  lenfant  de  Lot  son  poder  e  iura  que  yimes  no  b  (aria 
ht,  e  partissen  quax  exit  de  seny.  ((^8)  E  lo  maestre  malirat  qtii  poyi 
compli  sa  errada^  hac  gran  ptaer  daço  que  feyt  hac.  Lo  Rey  qui  00  oMîdi 

8f  pas  U  sua  tra  neu  vokhdir  a  negu,  feu  çercar  tro  a  ,V,  iadnnes  punçdlei 
bctflki  e  gentils  e  gualardes  e  acostas  a  dles^  e  lei  corteya  e  les  besa^  Un 
soiament  per  assegar  e  prorar  si  laie  li  pudia»  car  laolt  ocitafc  ot  g^m 
Rgnaft  ;  taat  qm  ptr  aifuesies  pnncfflcf  sabe  q«t  aa  kaiîa  tadka  4aq«ff 
fîcs,  PttqÊm  fe  Mit  aiMgivat,  otai  gens  pcf  aço  «o  fo  pas  gùriS  sm 

90  cor  ^  a  afiidl  isiMit  10  vo%»o  «al  f«r  ço  ^  li  en  «sm  4«t^  Tolc$ 
ng^à»  bdb  awoitre  cor,  e  ya  âepsft  MJ  «oldi,  oef  qm  rakm,  per  tal 
fêé  tafcer  oolagmipf  tqaeoo  iértdis  la  pÊâ  ira;  e  dia  q»e  fi  wa 


458  A.    MORBL-PATIO 

deliuraha  en  guisa  que  yames  nol  veuria.  Hira^  qui  molt  hom  descar- 
rera, mes  fora  de  bona  via  e  de  la  senda  de  veritat  lo  Rey,  axi  que  tota 

93  sa  leyaltat  oblida  per  venyarse  e  per  complir  sa  iellonia  sobre  aquell 
que  no  amava  gens  ;  tant  que  trames  a  un  seu  forester,  e  aquell  vench  ten 
tost.  E  ell  li  mana  que  en  lo  bosch  seu  fahes  un  fforn  de  cals  e  quel  primer 
hom  qui  y  vengues  de  la  sua  part  dir  re  que  loy  metes.  E  feu  li  manament 
que  aço  tengues  ten  secret  que  hom  del  mon  non  pogues  res  saber.  E  aço  li 

100  mana  fortcarament  e  sobre  la  sua  fe  que  li  dévia.  Aquell  li  atorga  eli  pro- 
mes  que  axiu  faria  con  ell  volia,  e  encontinent  se  parti  dell.  (229)  Len- 
dema  lo  forester  apparella  e  feu  lo  fforn  de  la  calç,  axi  con  lo  Rey  11  hac 
dit  e  manat.  E  con  lo  Rey  viu  lenfant,  feu  li  manament  que  tantost  cavalcas 
e  que  aportas  aquella  missatgeria  al  forester,  e  quey  anas  al  bosch,  e  que 

105  tost  sen  espetxas.  E  leniant  cavalca  tantost  e  fo  cuytat  de  fer  espetxada- 
ment  sa  missatgeria.  E  dalli  on  ell  parti  ha  via  dues  leugues  tro  la  hon 
dévia  anar,  e  lenfant  tota  sa  pensa  havia  e  tôt  son  enteniment  en  Deu  e 
sabia  les  hores  de  nostra  dona  Sancta  Maria,  e  anave  les  dient  ab  cor  pur 
e  vergée  net,  a  honor  de  la  mare  e  del  fill,  per  tal  quel  guardassen  de  mal 

110  e  de  tôt  perill  e  de  tôt  affany.  E  sapiats  per  cert  que  aquell  qui  de  cor  diu 
les  hores  e  les  mante  e  les  acustuma  de  dir  e  quis  te  de  cor  bo  ab  Dcu,  que 
ya  no  hira  a  perdicio,  lo  iorn  que  les  dira  de  bon  cor.  Lenfant  cavalca  e 
dix  les  hores,  cor  gram  ançia  navia  que  les  hagues  dites.  E  entretant  hoy 
sonar  un  seny,  e  dix  entre  si  matex  :  •  Si  yo  pusch  atendre  a  lesgleya  on 

1 1 5  aquell  seny  sona,  la  ire,  e  aqui  dire  e  acabare  de  dir  les  hores,  e  si  y  trop 
missa  apparellada  hoyr  la  he,  car  yo  no  he  ten  gran  cuyte  que  be  nou 
puscha  fer.  »  E  tentost  gira  daquella  part  on  lo  seny  sonave  e  mantinent 
vench  en  una  capella,  e  sabe  li  fort  bo  que  un  ermite  hi  troba  qui  fo  appa- 
rellat  de  cantar  la  sancta  missa.  Lenfant  escolta  volunter  la  missa,  e  lermite 

120  la  canta  devotament  e  plorant  e  bâtent  son  pits.  E  un  colom  blanch 
vench  denant  ell  e  tench  en  son  bech  un  escrit  e  lexal  caher  desobre  laltar, 
axi  que  aquell  0  viu,  e  con  ell  hac  cantada  la  missa,  ell  reguarda  lescrit  e 
besal  .111.  vegades,  e  viu  quel  escrit  deya  que  retengues  lenfant  el  menas 
per  noves  tant  que  mig  dia  fos  passât  e  puys  quel  lexas  anar,  car  Nostre 

123  Senyor  quil  havia  en  sa  guarda  lo  volia  salvar.  Lermita  se  cuyta  de  des- 
puyllar  sos  vestiments,  per  tal  con  hac  gran  pahor  quel  infant  no  sen  anas 
sens  que  no  preses  comiat,  car  y  a  volia  ca  val  car  cuytadament.  (292)  Ler- 
mite vench  tantost  a  ell  e  dixii  :  <  Amie,  entenets  me,  espérais  vos  e  tenits 
vos  a  mon  conseyll,  del  quai  vos  vendra  tôt  be,  no  hiciscats  tro  hora  de 

130  mig  dia  sia  passada,  venits  açi  dins  la  mia  casa,  que  io  he  un  poch  a  par- 
lar  ab  vos.  »  —  Lenfant,  qui  fo  cuytat  que  sen  anas,  li  dix  :  «  A,  senyor,  per 
amor  de  Deu,  no  sia,  car  yo  açi  no  pux  mes  aturar.  Lo  Rey  menvie  en 
una  missatgeria.  »  —  Lermite  lidix  :  «  Cert  si  farets,  al  menys  tro  que  siats 
dinal  ab  mi.  Donchs  romanits.  »  — Lenfant  dix  :  «  No  fare.  »  —  «  Si  farets,  » 

135  dix  lermite,  «  per  vostre  prou,  e  pus  0  man  de  part  de  Deu.  »  —  «  Per 
ma  fe,  »  dix  lenfant,  «  yo  romandre,  pus  tant  o  volets,  e  fare  vostre  con- 
seil. »  —  Lermite  lidix  :  •  Be  deyls,  descavalcals  e  venits  ne.  »  (310) 
Lenfant  descavalca  tantost  e  venchsen   vers  lermite,  e  ell  li   près   son 


» 


FRAGMENT  D^UN  CONTE  CATALAN  4<9 

cavall  e  ii  trach  lo  fre  e  li  dona  a  mcnyar  de  la  erba  vert.  E  tcnchlo  tant  ei 
(40  serniona  per  beyites  paraules  con  lach  itX  dinar^  que  fo  enlre  hora  nona  e 
roig  dia. 

Al  mestre  seu  vos  torn  qui  no  sabta  on  len^ant  fo  anat  e  per  açoti  lo 
gclos  en  cstech  en  dupte,  e  venchsen  al  Rey  c  demana  liu.  E  lo  Rey  Vi  dix  : 

•  Tantost  cavaicals  sus^  ara  cuytadament,  e  anats  en  lo  bosch  e  demanats 
145  al  meu  forester  si  ha  fet  ço  que  yo  li  mane  e  li  dJx.  E  mantinent  oyretsde 

sa  bocha  tat  cosa  que  yames  no  vourets  aquell  infant.  El  maestre  cavatca 
tantost  cuytadament,  e  ana  tant  que  ell  vench  al  bosch.  El  forester  li  exi 
a  carrera.  El  mestre  li  dix  :  •  Mantinent  lo  Rey  roe  tramet  a  vos  per 
sabcr  si  havcts  feyl  ço  que  cil  vos  dix,  »  —  «  No,  »   dix  aquell^   •  mas 

T  ^0  tost  sera  fet.  i  Ë  encontment  lo  forester  abrassa  lo  mestre,  e  al  pus  tost 
que  poch  gïtal  en  lo  foch  tôt  pleguat.  Tost  fo  mort  con  lo  foch  era  gran. 
Axi  mori  lo  mcsqui  ënvcyos.  E  encontinenl  vench  lenfanl  e  viu  lo  mestre 
al  foch,  mas  nol  poch  conexer,  E  el  forester  li  dix  :  «  Amie  be  se  que 
demanats,  anats  vos  en  e  deyls  al  Rey  que  yo  he  fet  son  manamenl.   *  E 

I  ^  ^  lenfant  sen  torna  encontinent  per  fer  e  acabar  la  sua  missatgeria.  E  cant  lo 
Rey  sabe  e  vju  quel  infant  fo  vengut,  fo  molt  feyllo  e  nDogut  per  ço  con 
dl  lo  relornal,  car  de  ver  cuydava  que  fos  mort.  Molt  pensa  que  podia 
csser  estât,  e  tant  pensa  que  ell  devina  en  son  cor  queî  forester  ha  via 
errât,  c  no  havia  be  entes  lo  feyt^  e  que  havia  près  lo  maestre  en  loc  del 

r6o  infant.  Et!  feu  venir  lenfant  denant  si  e  mantinent  li  demana  on  havia  estât 
len  longament.  E  aquell  li  dix  la  veritat  e  en  quâl  manera  el)  vench  a  la 
capella,  e  con  lermite  lo  retench  con  hac  cantada  la  missa  e  comtali  con 
lavia  preycat  e  sermonat  e  iet  dinar,  c  comtaliu  lot  mot  a  mot.  E  cl  rey 
encontinent  conech  que  Deus  lach  restaurât  de  mort,  e  destruhit  lo  maestre 

16^  per  sa  colpa.  ()7i)Lendema  lo  Rey  cavalcaeanassenal  boschsiquartesabe 
»  la  aventura  del  maestre  e  iutya  en  si  matex  que  era  gran  raho.  Apres  passa 
per  lermite  e  tench  lo  molt  grant  pessa  a  partament,  e  tant  que  lermite  ti 
dix  lo  fet  del  colom  e  del  escrit  que  li  havia  aportat  en  to  bech.  E  lavors 
sabe  lo  Rey  tota  la  veritat  daço  quel  mestre  li  hac  mentit.  E  tantost  feu 
venir  lenfant  denant  si  e  denant  lermite.  E  1  infant  los  dix  la  veritat  del 
mestre  que  li  havia  dit  quel  Rey  se  clamave  fort  dell  qui  ten  fort  aie  havia, 
c  que  molt  li  enuyave  con  par  lave  ab  dL  «  Ë  pcrço,  senyor,  »  dix  lenfant, 

*  girava  la  cara  en  altra  part,  per  ço  que  nous  agreuyas,  e  axim  0  dava  a 
entendre  mon  maestre,  quim  deya  que  axi  era.  t —  E  lo  Rey  dix  :  *  EU  dey  a 

17^  a  mi  tôt  lo  contrari,  mas  mils  fa  a  creure  lenfant  que  aquell  traydor^  qui  es 
mort  a  gran  rabo.  Si  ell  no  fos  mort,  jol  fera  auciure,  e  non  cstorçcra  per 
re,  »  Lo  Rey  se  parti  de  lermite  tantost  ques  fo  certiffical  del  fet  per  len 
fant  e  menalsen  ab  si  e  amal  molt  e  molt  li  dona,  e  molt  tench  car  la  suci 
companyia.  Lenfant  qui  no  oblida  pasto  be  que  Deus  li  hacfet^  on  cascuif 

^0  jorn  pensa ve  es  mirave  es  adetitave,  dix  entre  si  matex  que  daqui  anant  no 
séria  en  lo  mon,  que  nol  retendria  hom  del  mon  ne  ha  ver  que  esser  pogues, 
e  mes  e  posa  tôt  son  cor  que  fos  ermite,  axi  con  aqueti  qui  amava  lot  be 
ey  ténia  son  cor,  Ell  pensa  que  de  nit  sen  partiria  per  ço  con  duptave  que 
alcun  nel  seguis  e  anassen  a  peu  sens  tuta  conpanyia  e  apona  ab  si  tes 


460  A.    MOREL-FATIO 

185  hores  de  madona  Sancta  Maria  e  un  saltiri  e  no  aïs,  salvant  ço  ques  vestia. 
E  ana  tant  que  vench  al  sant  ermita,  e  con  li  hac  dita  sa  voluntat  e  son 
proposit  lermite  fo  fort  alegre  e  vestili  cota  longua  e  caparo  tôt  peiras  axi 
con  era  romas  al  prom,  e  vestilo  axi  con  a  ermite,  e  dixli  :  «  Frare,  con 
vos  partirets  daçi  vos,  vos  nirets  en  lo  désert  de  la  landa  sécha  qui  es 

190  sobre  la  ribera  e  poblar  vos  ets  aqui,  e  serets  hi  assats  tost,  que  no  es 
gayre  luny.  >  Eli  se  parti  de  lermite  qui  li  ensenya  la  carrera  e  ell  sen  ana 
molt  alegre  e  paguat  es  comena  a  Deu.  E  foy  assats  tost  al  désert  e  foy 
anans  de  hora  nona  e  troba  aqui  una  caseta  appareyllada  molt  be  cuberta. 
E  hac  hi  bon  lit  e  tôt  liu  hac  appareyllat  Nostre  Senyor,  e  fo  prop  de  la 

195  ribera  perque  a  ell  plach  molt  mes.  Ell  sen  entra  dins  la  caseta  e  assechse 
en  lo  fe  e  fo  vyat  e  causât  e  hac  fam  e  ell  no  hac  re  que  menyas,  ne  en  la 
landa  aquella  ne  en  tota  la  terra  non  hac  gens,  ne  en  .V.  leugues  entom 
ne  hac  sino  besties  saivatges,  ne  ell  en  tôt  aquell  iorn  no  hac  res  menyat,  e 
fou  deyu,  de  que  li  pesa  molt,  tant  que  ell  se  planch  fort  e  plora  e  dix  : 

200  t  Pare  Jesu  Christ  que  nasques  de  la  verge,  yo,  senyor,  me  son  donat  a 
vos,  perqueus  clam  merce,  senyor,  que  per  lo  vostre  gran  poder  e  per  la 
vostra  bonea  menviets  cosa  de  que  yom  puscha  sostenir  e  que  no  perescha 
ne  muyre  açi  de  fam,  cor  yo  son  del  tôt  en  la  vostra  merce,  e  yo  haurc 
assats  de  poch.  »   (462)  E  mantinent  que  ell  aço  hac  dit  ell  viu  una  poma 

205  qui  venia  per  laygua  aval  e  amenavala  laygua  dretament  vers  la  sua  casa. 
E  ell  tantost  levas,  car  tota  hora  hac  bona  fe  en  Deu,  e  près  la  poma  e  parala 
e  gita  la  paradura  en  laygua  e  b  paradura  anassenmolttostaavall,axicon 
laygua  la  sen  porta.  E  lo  frare  se  adelita  molt  en  menyar  la  poma  blanchae 
beylla,  axi  con  si  menyas  lo  mellor  menyar  del  mon.  E  fo  pus  sadoll  e  pus 

210  pagat  e  pie  de  tots  délits  e  de  tot[s]  bens  que  si  hagues  menyat  dels  mellors 
.X.  menyars  del  mon.  E  ell  estech  bellament  e  a  gran  plaer  ben  .V.  anysen 
aquell  ermitatge  e  Nostre  Senyor  li  enviave  cascun  jorn  una  poma  con  era 
hora  de  dinar,  e  ell  eren  ten  pagual  e  ten  pie  de  tots  bens  que  no  desiyavc 
ne  volia  als,  car  Nostre  Senyor  li  metia  tal  sabor  que  ell  hi  sentia  totço  que 

2 1 5  desiyave  ne  volia  e  de  menyar  e  de  tots  bens,  e  tota  vegada  gitave  la  para- 
dura en  lo  riu  e  laygua  aportavalassen  e  menava'a  a  un  altre  ermite  qui 
estave  luny  daqui  e  vivia  da  quella  paradura  e  no  dais,  axi  con  plahia  a  Nostre 
Senyor,  e  la  un  no  sabia  re  del  altre,  tant  que  al  ermite  de  la  landa  vench 
un  pensament  qui  molt  lo  continua  e  molt  lo  moch  lo  pensament.  Aquell  fo 

220  que  ell  hiria  e  que  sercara  lo  mon  tant  que  ellpogues  trobar  mellor  de  si  e 
maior  en  be  a  fer.  Ell  cuyda  haver  servit  tant  Deu  que  ell  hagues  merida 
la  sua  gracia  e  la  sua  gloria.  Un  jorn  ell  se  mes  en  lo  cami  e  ana  riba  del 
riu  tant  que  ell  viu  un  ermitatge  prop  la  riba  del  riu,  lo  quai  era  scgons 
son  semblant  aytal  com  lo  seu,  e  en  tôt  aytal  loc.  E  vench  a  lermitatge  e 

225  trobahi  un  ermite  qui  mantinent  quel  viu  se  leva  e  ell  lo  saludae aquell  ell, 
e  dix  li:  «  Frare  siguam  açi.  »  E  en  nom  de  Deu  ells  se  assegueren,  e  sient, 
la  un  compta  al  altre  son  affer  e  sa  voluntat.  Tant  parlaren  que  fo  hora  de 
dinar.  Lermite  de  la  landa  guarda  e  viu  la  poma  qui  fo  denant  la  porta  de 
laltre  ermite  e  fos  aturada  en  laygua.  Lermite  de  la  landa  dix  :  «  Gracies  a 

i]o  Deu  queyo  hc  mon  dinar,  lo  quai  Nostre  Senyor  ma  enviât  entro  al  jorn  de 


FRAGMENT  D*ON  CONTE  CATALAN  46 1 

Yvy,  assats  naurem  abdosos.  1  £  près  h  poma  e  para  la  e  la  adoba  e  gita 
b  paradura  en  laygua  axî  ton  cascun  îarn  (eya.  (^26>  E  lallre  frare  la  près 
tantost,  e  ell  li  dix  :  t  Frare,  lansats  h  paradura  c  prends  la  meytal 
daquesta  poma,  !a  quai  jous  do  per  bona  amor,  Unta  de  bona  sabor  hi 

ajj  Irobarets  quen  seretssadoll  c  pie  axi  con  vos  voircts,  •  —  Laltre  respos  : 
f  SapiatSj  frare,  que  no  Ëire^  ans  nienyare  la  paradura  de  la  quai  me  son 
aîudat  e  sostengut  .V.  anys.  »  —  t  Es  ver?  ■  âh  aqucil.  —  •  Och  cert>  • 
dix  aquell  altre.  —  «  E  com  se  pot  fer,  »  dix  laltre,  «  que  yo  he  les 
pomes  menyadcs,  les  quales  Noslre  Senyor  ma  enviades  .V.  anys  egilava  les 

140  paradures  en  bygua,  per  ço  com  no  les  preava  re,  e  vos  havcls  menyal 
mon  releu  ;  per  la  fe  que  yo  deg  a  Deu^  que  es  nostre  capenostre^lvadory 
vos  sots  mellor  que  yo  no  son,  sapiats  que  yo  no  cuydava  trobar  vuy 
negun  ten  prop  qui  fos  meyllor  de  ini,  ara  men  pux  anar  con  a  pech  e  con 
a  folL  »  —  Laltre,  qui  lo  pus  savi  e  pus  sénat  que  ell,  U  dix  :  #  Frare  amie» 

24$  vos  devets  saber  que  aqueK  qujs  gloniica  en  son  be,  que  beque  faça,  no  ti 
val  res^  si  vos  vos  senti ts  bo^  hagats  b  lengua  apparellada  a  dir  que  vos  sots 
pîyor  de  tuyt  :  aquell  quis  humilia  sera  exalçat,  e  aquell  qui  son  befeyt 
loha  e  sen  vana,  pert  tots  sos  bens  els  met  abax  els  affona^  tôt  axî  coq  la 
roela  en  laygua  ;   perqueus  devets  humiliar  e  glori6car  Nostre  Senyor  Deus 

2$o  quius  ha  feyt  ten  gran  plaer  e  ten  gran  cortezla  que  de  una  pocha  poma  ha 
sostenguts  e  sadollats  ten  longament  vos  e  mi,  sapiats  que  pus  a  ell  menbra 
de  vos  que  a  vos  deu  menbrar  deil,  tant  que  puscham  venir  a  lasua  gloria. 
—  Lermite  de  la  landa  dix:«  Frare,  vos  havets  dit  mott  be,  jom  atorcb  cm 
repren  del  tôt  daço  que  vos  havets  dit,  em  pînet  de  cor  e  de  bocha  de  ma 

i)^  folla  voluntat  e  de  mon  gran  oltracuydament,  jo  cstare  vuymes  en  pau  e 
y  a  mes  no  pensa  re  aytal  (et.  1  £  dix  :  «  A  Deu  sials,  que  vagmen.  •  E  eil 
hoy  una  vou  qui  li  dix  :  ■  Mantinent,  frare^  vos  romandrets  açi  un  any  tôt 
entegre  e  mengarets  la  paradura  e  laltre  menyara  la  poma,  e  aquesta  sera 
la  penitencia  que  vos  portarels  delà  vostra  crrada,  »  E  dix  a  laltre  :  t  Vos 

260  hirets  al  seu  ermitatge  e  ell  romand ra  açi,  axius  ho  die  de  part  de  Deu.  » 
(^81)  Aquell  romas  e  laltre,  sens  tôt  contrast,  ana  a  laltre  ermitatge  e  con 
la  poma  li  venia  ell  la  parava  tan  espessamenl  que  lallre  navia  la  meytat 
complidament,  per  ço  con  navia  gran  pietat;  de  la  quai  cosa  Nostre  Senyor 
li  grahia  per  la  carital  que  ell  havia  a  .«on  conpanyo  e  a  son  frare.  Lermite 

26^  de  la  landa  feu  la  penitencia  entegrament,  tant  que  ell  dix  e  afferma  en  si 
matex  que  axi  be  fort  se  sentia  e  axî  be  sadotl  de  la  paradura,  con  si  ente- 
grament e  coniinuada  hagues  hauda  la  poma  cascun  dia,  E  dix  que  Deus 
li  havia  feyt  mayor  be  que  ell  no  avîa  raerit,  e  dix  encara  que  daqui  avant 
faria  tôt  son  poder  e  tota  sa  punya  en  servir  Nostre  Senyor  tant  tro  li 

270  hagues  merce  a  la  sua  fi.  E  al  cap  del  any  per  velunlat  e  per  conseil  del 

altre  ermite  ell  torna  en  son  ermitatge  e  a  recobrar   la  sua  poma  ;  la  sua 

raho  e  la  sua  força  e  lo  seu  seny   mes  en  lo  servey  de  Deu,  de  cor  net  e 

de  cor  contrit,  e  amatant  lo  seu  Salvador  que  ell  io  conferma  en  si. 

(609)  Açius lexarea parlar  dell,  eus  tornare  al  611  del  Rey  qui  fo  donzell  bcll 

275  e  gran  e  hac  en  torn  .KXV.  anys,  Lo  Rey  son  pare  lo  volch  fer  cavalier  c 
donar  una  Alla  dun  altre  rey  per  muller,  mas  ell  no  la  votia  per  re,   per  la 


462  A.    MOREL-FATIO 

quai  cosa  lo  Rey  son  pare  era  fort  dolent.  Nostre  Senyor  Deus  qui  totes 
coses  governa  e  tots  mais  destrouex  e  qui  met  la  sua  gracia  en  bon  cor,  li 
hac  axi  lo  cor  espirat  e  lunyat  de  mal  que  ell  hac  lo  mon  en  menyspreu, 

280  axi  que  oltra  son  grat  hi  vivia.  Ell  ama  e  crech  Deu  de  bon  cor,  e  quant 
mes  ana  avant  e  mes  cresch,  tant  sesforça  mils  de  fer  tôt  ço  que  mils  ven- 
gues  a  plaer  a  Deu.  Esdevenchse  que  un  dia  lo  donzell  qui  moit  amavacans 
e  auzells  e  caza  ana  un  jorn  de  fora  per  deportarse  e  feu  menar  falcons  e 
canSy  e  quant  ells  foren  en  lo  pla  ells  viren  un  cabirol  blanch  bell  e  gros  e 

285  paxent  en  lo  pla.  E  lo  donzell  feu  desencoblar  los  cans  e  feu  cridar  e 
ahucar  e  vengren  fortment  corrent  e  cridant  envers  lo  cabirol.  E  lo  cabirol 
qui  viu  los  cans  e  hoy  los  auchs^  fo  molt  lauger  e  messe  en  fuyta  per  mig 
del  pla,  e  aquells  après  lencaiçaren  fortment.  Lo  donzell  hac  bon  cavall 
e  lauger,  e  analin  detras  tant  que  en  una  gran  vall  ell  perde  sa  companya, 

290  e  segui  lo  cabirol  del  mati  tro  al  vespre,  e  tant  ana  tro  que  ell  esdevench 
en  la  landa  sécha  e  vench  corrent  detras  lo  cabirol,  car  no  li  era  semblant 
que  yames  lo  pogues  aconseguir.  E  lo  cabirol  correch  tant  tro  quel  amena 
a  la  casa  daquell  ab  lo  quai  ell  era  estât  nodrit  a  gran  délit  e  a  gran  plaer. 
Ell  vench  a  la  porta  daquella  caseta,  e  lo  cabirol  qui  fo  vengut  de  part  de 

295  Deu  fo  ben  tost  amagat  e  perdut  axi  que  ell  no  sabeques  fo  feyt.  E  lermite 
vench  encontinent  e  saludal  de  part  de  Deu.  E  ell  qui  fo  molt  suât  e  las 
saludalo  axi  matex  e  devalla  de  son  cavall.  E  lermite  entes  en  ell  servir  e 
honrar  de  tôt  ço  que  poch  e  pensa  de  son  cavall.  Lermite  lo  conech  be, 
mas  nos  voich  descobrir  a  ell,  per  ço  con  dupta  que  ell  nol  pregas  tant  tro 

300  quel  faes  tornar  en  lo  mon,  ço  que  ell  fahera  be  a  tart.  Molt  fo  irat  e  torbat 
daço  con  ell  no  havia  de  que  li  donas  a  menyar,  de  la  quai  cosa  fo  molt 
dolent  en  son  cor.  (683)Ellssenanarenmirardesobrelriuperdeportare  per 
vaher  laygua  e  per  haver  oreg.  E  quant  ells  se  foren  asseguts,  ells  viren 
una  poma  qui  venia  per  lo  riu  tota  parada.  E  lermite  qui  fo  fort  alegre  per 

30$  raho  del  seu  hoste,  feu  gracies  a  Deu  :  t  Ha  e  con  ha  açi  cortes  do,  Senyor, 
grans  gracies  e  merce  vos  en  ret  ».  E  puys  dix  al  donzell  :  «  Veus  açi  nostre 
sopar  lo  quai  Nostre  Senyor  nos  donaens  envia.  »  E  ell  estes tantost  la  ma  e 
près  la  poma  e  molt  pagat  appareylla  son  sopar  e  soparen  e  begueren  de 
laygua,  e  puys  lo  donçell  dix  :  «  Bona  fo  conreada  aquesta  poma,  car 

3 1 0  Nostre  Senyor  hi  ha  mesa  e  posada  de  la  sua  sabor,  cor  jo  hanc  mes  no  fuy 
mils  past  ne  mils  sadoyil  de  negun  menyar.  »  E  après  se  anaren  colgar  e 
lermite  feu  li  lit  de  fe  e  de  un  poch  de  boua,  e  ell  dormi  mils  en  aquell  lit 
que  en  negun  que  han[cj  hagues  gegut,  si  be  noy  hac  cobertor  ne  vanoua 
ne  lançol  e  son  cavall  hac  erba  e  fe.  E  lendema  con  ell  fo  levât,  ell  volch 

3 1  $  saber  la  esser  e  lestament  del  ermite,  e  dixli  :  t  Senyor  jous  prech  que  vos 
me  diguats  em  façats  çert  vos  perque  menats  e  fets  ten  aspre  vida,  no  creu 
queu  façats  sens  raho,  digatsmo  e  iremen.  »  —  Lermite  li  dix  :  t  Pus 
queus  plau,  jous  ho  dire,  vos  devets  saber  per  veritat  que  nos  som  fets  per 
haver  Deu,  e  aquell  quil  pert,  perça  (sic)  follia,  son  peccat  !o  mena  tôt 

320  dret  en  infern,  sens  haver  james  merce  ne  perdo.  E  per  ço,  mon  amie, 
estich  yo  açi  e  vag  axi  e  fas  ço  que  vahets.  Jo  viu  en  gran  desayre  e  en 
gran  pobrea  per  la  mia  carn  affliccionar  e  domdar.  E  lo  foll  quis  partex  de 


FRAGMENT   D'UN   CONTE   CATALAN  46^ 

Deu  es  dona  a  servir  lo  mon  per  layre  de  son  cors  pert  la  sua  anima.  (729) 
SapiatSy  amie,  que  les  riqueses  e  les  alteses  e  los  honors  daquest  mon  fan 

325  tots  mals^  axique  envides  es  rich  salvat.  Per  ma  fe,  si  ells  james  no  moris- 
sen,  e  mengassen  e  beguessen  be  e  manas[sen]  tots  temps  larga  vida,  yo  no 
men  maraveyliare  ;  mas  ells  moren  tuyt  ensemps  sens  que  yames  no  hic 
tornaran,  axi  jovens  con  veylls  e  forts  con  flacs,  e  cascu  trobara  juy  segons 
ses  obres.  E  per  ço  con  yo  no  se  lo  jorn  ne  la  hora  de  la  mia  fi,  met  e  pas 

330  lo  meu  cors  a  Irebayll e  a desayre,  e  menyspreu  lo  mon.  Folles  qui  pert  la 
anima  per  lo  cors  e  qui  nodrex  la  carn  en  délits,  e  yo  daço  fas  tôt  lo  con- 
trari,  car  io  he  tots  temps  en  memoria  e  en  remembrança  la  mia  anima  e 
nom  membre  sol  del  cors  per  ço  con  torne  a  no  re.  La  anima  viura  tots 
temps  e  durara,  car  yames  no  morra,  donchs  guardem  ço  qui  val  e  dura,  e 

335  iugam  e  esquivem  ço  qui  fayll  e  mor.  i  Aquell  qui  hac  avisât  lermite  e  la 
raho  que  dita  li  hac  el  hac  be  esguardat  e  figurât,  lo  conech,  e  aytant  con 
poch,  besant  e  abrassant  li  fou  gran  alegria  e  hac  gran  plaer  dell.  E  ab 
gran  gog  li  dix  :  «  Bell  dolç  amie,  bell  dois  companyo,  molts  pensaments 
e  molts  enugs  e  hauts  per  vos,  per  ço  con  yo  no  sabia  res  de  vos  ne  vent, 

340  ne  hora,  ne  carrera,  ne  re.  Ara  vull  que  sapiats  que  yames,  pus  trobat  vos 
he,  e  per  neguna  re  del  mon,  yo  nom  partire  de  vos,  axin  fas  promessa  a 
Nostre  Senyor.  Yo  no  cuydava  morir  yames,  mas  pus  que  a  Deu  ha 
plagut  que  açi  ma  fet  venir  ab  vos  ensemps,  salvare  ma  anima  e  yames 
no  tornare  el  mon,  tant  me  plau  em  agrada  la  vostra  vida  que  daltra 

34S  cosa....(774). 


NOTES. 


Le  morceau  qu'on  vient  de  lire  et  qui  ne  paraît  pas  antérieur  au  commence- 
ment du  XV®  siècle  présente  peu  d'intérêt  philologique.  Il  n'y  a  guère  à  remar- 
quer que  réchange  constant  de  ^  et  â  atones,  surtout  à  la  finale,  l'hésitation 
entre  l'orthographe  y  et  g  (cf.  mengants  258  et  menyara  ibid.),  peut-être 
quelques  vestiges  de  déclinaison,  produits  de  l'influence  du  provençal  littéraire  : 
par  ex.  abduy  )o,  cas  sujet,  abdosos  $2,  amdosos  69,  cas  oblique,  mais  abdosos 
231,  cas  sujet;  puis  Dcus  164,  179,  cas  su)et. 

Nous  avons  conservé  partout  l'orthographe  du  manuscrit  et  n'avons  pas 
employé  d'apostrophe  pour  séparer  les  enclitiques  et  les  proclitiques.  Nous  ne 
prétendons  pas  que  ce  système  soit  le  meilleur  ni  qu'il  doive  être  appliqué  en 
toutes  circonstances  —  bien  qu'il  puisse  être  défendu  par  de  bonnes  raisons,  — 
mais  pour  un  texte  aussi  court  il  ne  valait  pas  la  peine  de  s'écarter  de  Tusage 
du  scribe,  qui  est  du  reste  assez  conséquent. 

Quant  aux  abréviations,  nous  avons  écrit  par  le  p  barré  dans  l'intérieur  des 
mots  <la  préposition  isolée,  quand  elle  n'est  pas  abrégée,  est  écrite  per),  et  con 
l'abréviation  co  surmontée  d'un  trait. 

Pour  permettre  à  ceux  de  nos  lecteurs  qui  n'ont  pas  l'original  français  sous 
les  yeux  de  se  rendre  compte  du  rapport  des  deux  versions,  nous  transcrivons 


464  A.   MOREL-PATIO 

les  vingt  premiers  vers  de  l'édition  de  Méon  avec  les  variantes  de  mots  (non  pas 
celles  de  formes)  du  ms.  fr.  12471,  f'  237  ss. 

Vilains  est  qui  fet  a  autrui 

Ce  qu'il  ne  velt  qu'on  face  a  lui. 

Qui  d'autrui  décevoir  se  paine 

Si  avient  sovent  que  la  paine, 

Du  mal  qu'il  <  quiert  seure  H  vient. 

Si  corn  li  max  a  droit  revient, 

Li  biens  fez  as  sainz  ciels  nos  maine, 

E  li  mais  a  perte  et  a  paine. 

Einsi  en  l'autre  siècle  trueve 

Chascun  selon  ce  que  il  œuvre. 

Mes  cist  siècles  si  cort  nos  tient 

Que  de  l'autre  ne  nos  sovient  : 

Tant  convoitons  et  clerc  et  lai 

Que  nos  enblocons^  nostre  loi. 

Li  granz  avoirs  est  anemis 

A  celui  3  qui  le  mal  a  quis; 

Car  si  le  tient  *  cort  et  justise 

Par  la  force  de  covoitise 

Que  bien  n'en  fet  n'il  nel  despent, 

Ainz  en  fet  borse^  seulement. 

3  Axi  corn  mal  e  (pour  a?)  dret  rêve,  traduction  littérale  du  vers  français  qui 
ne  donne  pas  de  sens. 

6  som,  Ms.  son.  —  affoyllam.  —  t  Follar  ant.  =  frustrar.  »  Labernia. 

7  Lo  gran  enemich guanyat,  phrase  mal  calquée  sur  le  français. 

8  ensegua.  Du  verbe  enseguir  ?  Cela  convient  peu  au  sens. 

9  ncs  a  été  pris  au  français  et  rend  la  phrase  inintelligible  pour  qui  n'a  pas 

l'original  sous  les  yeux. 
10  estalviar  épargner,  économiser. 
1 3  cl  puny  (fr.  si  le  prcnt  maladie  et  point).  On  pourrait  croire  au  premier  abord 

que  le  catalan  n'a  pas  compris,  et  a  pris  le  verbe  pour  le  substantif,  mais 

punyir  (auj.  punxar)  se  retrouve  dans  l'ancienne  langue. 
24  larguar,  Ms.  laguiar, 
37  cor  (cf.  113,  203,  310)  fréquent  dans  les  mss.  catalans  comme  le  remarque 

M.  Mila,  PoUes  catalans^  Montpellier,  1876,  p.  42. 
57  ab  mis  devria  fer  (fr.  a  moi  deust'il  joie  f  ère).  11  manque  ici  le  correspondant 

du  mot  joie. 
81  desana.  Desanar,  comme  me  le  fait  observer  M.  Mila^  paraît  répondre  au 

cast.  desandar. 
1 14  seny  (aussi  1 1 5-1 17)  cloche. 
120  pits.  Dans  le  cat.  mod.  pit^  Vs  de  pectus  ne  se  fait  plus  sentir. 


I  qui  —  2  emblecons  —  3  au  dolent  —  4  sil  le  trait  —  j  ainz  est  cmborsc.   Le  ms. 
231 1 1  donne  A.  en  est  borse. 


FRAGMENT   D'UN  CONTB  CATALAN  465. 

1 29  hiciscats.  Nous  avons  là,  d*après  M .  Mila,  une  forme  régulière  de  issir  (cf. 
serviscats  de  servir).  M.  Mila  observe  encore  que  issir  est  plutôt  provençal 
pour  eixir  ou  ixir^  mais  que  cette  forme  néanmoins  n*a  rien  d'anti-catalan. 

165  a/  bosch  siquart  (sic,  en  un  mot  dans  le  ms.)  —  fr.  a  lendemain  monta  H 
rois^  Soi  quart  sans  plus  sen  vins  al  his.  Le  traducteur  catalan  n'a  évi- 
demment pas  compris. 

176  fera,,,  estorçera  {zussi  fahera  300),  pi.  q.  pf.  avec  le  sens  du  conditionnel. 

187  caparon.  C'est  le  fr.  chaperon, 

188  prom,  contraction  de  prohom. 

189  landa.  Ms.  banda^  de  même  197;  partout  ailleurs  landa  comme  dans  l'ori- 

ginal. 
196  vyat,  fatigué  d'avoir  marché. 

219  qui  molt  lo  continua.  Le  sens  de  continuar  serait  ici  m  préoccuper.  • 
237  aiudat.  Ms.  avidat. 
254  em  pinety  poenitet  me. 
27 1  la  sua  raho.  Ms.  la  s,  oraco.  Le  fr.  donne  :  Sa  reson^  sa  force,  son  sen  Mist 

el  service  J.  Chr. 
281  Ms.  (0  qui. 
287  auchs.  Corr.  aucellsf 

3 1 2  boua.  Fr.  boue  ? 

3 1 3  vanova,  Labernia  écrit  bànova^  •  plassada,  teixit  de  lano  0  coto  pera  abri- 

gall  de  llit.  »  Cf.  Du  Cange,  vanoa. 
3  2  5  envides  es  rich  salvat^  calqué  sur  le  fr.  A  enviz  sera  riche  saus, 
34$  L'original  français  continue  encore  pendant  210  vers. 


komania^  V  ÎO 


LES     MANUSCRITS 

DES    SERMONS    FRANÇAIS 

DE 

MAURICE     DE     SULLY. 


Notre  ancienne  littérature  compte  peu  d'ouvrages  dont  le  succès  ait 
égalé  celui  des  sermons  en  français  de  l'évêque  de  Paris,  Maurice  de 
Sully.  On  en  connaît  déjà  seize  manuscrits,  dont  l'indication  précise 
sera  donnée  plus  loin,  et  il  n'est  pas  douteux  que  de  nouvelles  recher- 
ches augmenteront  ce  nombre  déjà  élevé  pour  une  œuvre  du  moyen- 
âge.  Ces  mss.  appartiennent  à  des  dialectes  fort  divers  :  plusieurs  ont 
été  exécutés  en  Angleterre;  l'un  même  (le  ms.  Laud,  à  la  Bodleienne), 
renferme  la  traduction  en  anglais  du  xiii^  siècle  de  plusieurs  sermons  ^ 
Enfin,  le  recueil  de  Maurice  de  Sully  a  été  plusieurs  fois  imprimé  à  la  fin 
du  xv**  siècle  et  au  xvic.  Ainsi  se  trouvent  réunies  toutes  les  circonstances 
qui  peuvent  attester  un  succès  durable. 

Un  ouvrage  qui  a  été  l'objet  d'un  accueil  aussi  favorable  ne  saurait 
être  dépourvu  d'intérêt.  Et  en  effet,  quelque  opinion  qu'on  puisse  conce- 
voir de  la  science  théologique  ou  du  talent  littéraire  de  l'évêque  Mau- 
rice, ses  sermons  méritent  à  bien  des  titres  l'attention  des  philologues 
et  des  historiens  de  notre  littérature.  Jusqu'à  ces  dernières  années  ils 
sont  pour  ainsi  dire  restés  inédits  (car  les  exemplaires  des  anciennes 
impressions  sont  plus  rares  que  les  mss.),  et  n'ont  été  connus  que  par  les 
extraits  qu'en  ont  cités  divers  érudits.  En  187^,  ils  ont  été  publiés  par 
M.  Boucherie  d'après  un  ms.  de  Poitiers.  Malheureusement  cette  édition 
ne  peut  être  considérée  comme  suffisante  pour  diverses  raisons  dont  la 


I.  Elle  a  été  publiée  en  1872  par  M.  R.  Morris  pour  la  Société  des  anciens 
textes  anglais  (n»  49). 


MSS.    DE   WAUBICiS    DE   SULLY  467 

principale  est  que  le  ms.  publié,  outre  qu'il  a  perdu  quelques-uns  de  ses 
feuillets,  n'est  pas  de  ceux  qui  offrent  la  leçon  la  plus  pure.  Il  n'est 
que  juste  d'ajouter  qu'on  serait  cependant  mal  fondé  à  blâmer  le  choix 
fait  par  Téditeur,  M.  Boucherie  ayant  édité  le  ms.  de  Poitiers  non 
pas  pour  l'ouvrage  qui  s'y  trouvait  copié,  mais  parce  qu*il  portait  la 
marque  du  dialecte  poitevin.  C'est  ce  que  fait  entendre  clairement  le  titre 
de  la  publication,  où  le  nom  même  de  Maurice  de  Sully  n^est  pas  men- 
tionné '.  Une  critique  équitable  doit  donc  se  borner  à  examiner  comment 
M.  Boucherie  a  édité  son  ms.,  et  quel  parti  il  en  a  tiré  pour  l'étude  du 
dialecte  poitevin,  questions  que  je  n'ai  pas  à  aborder  ici.  Le  but  que  je 
me  propose  actuellement  est  de  préparer  les  voies  à  une  édition  des 
sermons  de  Maurice  de  Sully,  en  signalant  les  mss.  qu'on  en  possède,  et 
en  indiquant,  du  moins  dans  une  certaine  mesure,  leur  valeur  relative. 

Jl  m'a  paru  que  le  moyen  le  plus  simple  d'arriver  à  un  classement,  au 
moins  sommaire,  des  mss.  en  question,  était  d'imprimer  d'après  la  leçon 
de  chacun  d'eux  un  même  passage  de  l'ouvrage  ;  le  morceau  ainsi  choisi 
comme  type  étant  divisé  en  très-courts  paragraphes,  numérotés  comme  les 
versets  d'un  chapitre  de  la  Bible,  afin  de  faciliter  la  comparaison  de 
chacun  d'eux  dans  les  divers  textes.  Mon  choix  s*est  arrêté  sur  une 
amusante  parabole  insérée  dans  le  sermon  du  troisième  dimanche  après 
Pâques,  celui  qui  a  pour  texte  :  MalUr,  cum  panî,  îrisùîiam  liahet,  quia 
yenit  hom  ejus  (Jo.  xvi,  21).  Cette  parabole  manque  dans  le  texte  latin» 
On  a  déjà  remarqué  qu'il  y  a  entre  lesdeux  textes  des  sermons  de  Maurice 
de  Sully  une  distance  beaucoup  plus  grande  que  celle  qui  sépare  ordinaire- 
ment une  traduction  de  son  original  ^,  A  vrai  dire,  on  n'a  pas  encore 
expliqué  d*une  manière  tout  à  fait  précise  le  rapport  des  deux  textes  :  il 
parait  toutefois  acquis  que  les  sermons  ont  dû  être  prononcés  en  fran- 
çais, et  rédigés  dans  les  deux  langues.  Quoi  quil  en  soit,  on  ne  peut  nier 
que  le  français  ait  réellement  le  caractère  d'une  composition  originale* 

Il  résulte  de  la  comparaison  à  laquelle  je  me  suis  livré  —  et  dont  le 
détail  prendra  place  plus  loin,  à  la  suite  des  spécimens  —  que  les  quinze 
textes  dont  j'ai  eu  connaissance  (14  mss.  et  l'ancienne  édition)  se 
répartissent  assez  nettement  entre  deux  groupes.  La  famille  A  est  celle 
qui  a  été  la  plus  répandue.  Elle  offre  dans  ses  plus  anciens  mss.  la 
leçon  la  plus  pure»  et  au  contraire,  dans  les  plus  récents,  un  texte 
fort  remanié.  Elle  contîem  jusqu'à  présent  neuf  mss.  et  l'ancienne 
édition*  La  famille  B  se  compose  de  cinq  mss. y  tous  normands  (Florence 


l«  U  diûUcte  pùiUrin  aa  XllI'  sàde^  par  A.  Boocherie.  Paris  et  Monlpetfîef, 
1S7).  lfi-ê%  XXIV-3S8  pages.  »  C'est  un  extrait  (cette  circonstaiioe  aunil  dfl 
être  mentionnée  en  quelque  endroit  du  titre)  du  Btiiktin  di  Ut  SocOU  êttkkkh 
giqnt  a  ïàmnqm  àt  la  ChannU,  4*  série^  1.  VUL 

2.  Vojex  Leooy  de  U  Marche,  U  àmn  frûHem  tu  moycn-dge,  p,  214-11. 


^§S  ^*  MEYER 

ft  pfobablcment  le  ms.  Renault)  et  anglo-normands  —  j^emends  écrits 
tA  Angleterre  —  (Haiton,  Laud,  Ashmole). 

Dans  chaque  groupe  j'ai  rangé  les  spécimens  selon  leur  degré  d'éloî- 
joemenlde  la  leçon  que  je  considère  comme  la  plus  pure.  Il  est  vrai- 
semblable que  si  j'avais  opéré  sur  un  morceau  plus  long,  ou  mieux 
encore  sur  des  morceaux  choisis  en  plusieurs  endroits  de  l*ouvrage,  je 
serais  arrivé  à  préciser  un  peu  plus  le  rappon  des  divers  textes^  à  établir 
quelques  sous- divisions.  Mais  l'impression  de  plusieurs  extraits  de  chaque 
texte  eûi  donné  à  mon  mémoire  des  dimensions  que  je  ne  désirais  pas 
lui  voir  atteindre.  D'ailleurs,  je  suis  persuadé  qu*en  aucun  cas,  même 
après  un  examen  complet  de  tous  les  textes»  on  ne  saurait  parvenir  à 
dresser  de  ceux-ci  une  classification  rigoureuse,  à  établir  leur  généalogie. 
En  général  il  est  très-rare  qu'on  puisse  arriver  à  déterminer  le  rapport 
précis  que  des  mss.  d'ouvrages  du  moyen-âge  ont  entre  eux.  C'est  là 
un  fait  sur  lequel  je  tiens  d'autant  plus  à  m'exprimer  clairement  qu'il  me 
semble  avoir  été  trop  souvent  méconnu.  Ainsi,  dans  ces  dernières 
années,  on  a  publié,  principalement  en  Allemagne^  dans  des  dissenations 
académiques,  divers  essais  de  classifications  de  mss.  qui  ne  prouvent  rien 
de  plus  que  l'inexpérience  de  leurs  auteurs.  On  peut  établir  d'une  façon 
sûre  l'arbre  généalogique  des  mss.  d'un  ouvrage  lorsqu'on  a  l'heureuse 
chance  de  posséder  l'original  ou  k&  originaux  dont  tous  les  mss.  à  classer 
sont  dérivés.  Ce  cas  se  présente  pour  plusieurs  chroniques  du  moyen-âge, 
et  parfois  aussi  pour  des  compositions  d'un  autre  ordre,  comme  M.  Delislc 
l'a  montré  dans  ses  Observations  sur  plusieurs  mss,  delà  Politique  et  de 
l'Economique  de  Nicole  Oresme  ^  On  a  encore  de  grandes  chances  d'éta- 
blir la  généalogie  de  mss.  qui  remontent  à  un  ou  à  deux  originaux 
pcrduSi  pourvu  que  les  ouvrages  copiés  n'aient  pas  subi  trop  de  modi- 
fications arbitraires  de  la  part  des  copistes.  C'est  le  cas  ordinaire 
des  textes  de  Tantiquité. 

Kn  dehors  de  ces  deux  cas,  le  classement  rigoureux  des  mss.  devient 
une  entreprise  toute  de  conjecture.  Il  peut  arriver  qu'une  hypothèse 
capable  d'expliquer  le  rapport  cherché  soit  imposée  par  une  circons- 
tance irès-caracléristique  —  et  c'est  la  chance  que  je  crois  avoir  rencon- 
Xîi^  une  fois,  en  étudiant  les  mss.  de  Girart  de  Roassiibn,  —  mais  le 
|v)iM  ordinairement  on  est  obligé  de  se  borner  à  déterminer  des  groupes 
|4wi  im  moins  larges,  sans  pouvoir  préciser  le  rapport  qu'ont  entre  eux 
\m  ililférents  membres  de  chaque  groupe.  Arriver  jusque-là  est  déjà  un 
I^Uêt  iVune  grande  utilité,  et  on  n'y  arriveras  toujours.  Ainsi  je  dois 
WNt^  <J»*e  toutes  mes  tentatives  pour  grouper  d'une  façon  quelconque 
Wtmuu  du  Ptrceval  de  Chrétien  ont  absolument  échoué. 


\ 


S.mi.4*  m.  du  th.,  6-  sirie,  V,  601 


JHÉkà 


MSS.    DE   MAURICE    DE   SULLY  469 

Je  vais  maintenant  indiquer,  et  décrire  lorsqu'il  y  aura  lieu,  les  mss. 
des  sermons  français  de  Maurice  de  Sully  qui  sont  parvenus  à  ma  con- 
naissance. 

BiBL,  NAT.  Fonds  français  187.  Ms,  exécuté  en  Italie  vers  le  milieu 
du  xiv*  siècle*  On  en  trouvera  la  description  dans  les  Manuscrits  français 
de  M.  P.  Paris^  I,  97;  dans  le  Catalogue  des  manuscrits  français  de  la 
Bibliothèque  nationale,  l  ;  dans  Barlaam  unâ  Josaphat.,.  von  Gui  de  Cambrai 
(Stuttgart,  1864),  p,  346*—  La  leçon  de  ce  ras,  est  peut-être  la  plus 
mauvaise  de  toutes  :  c'est  du  moins  la  plus  abrégée.  —  Famille  A, 

BiBL.  NAT.  Fonds  français  13314  (Ane.  suppl.  fr.  2056»^),  19  cent* 
sur  I  r,j.  Ecriture  des  premières  années  du  xiif  siècle.  Bon  texte.  — 
Famille  A. 

BîBL,  NAT.  Fonds  français  MPS  (Ane.  suppL  fr.  ^S'î'Iï  17  cent, 
sur  12.  Ecriture  du  temps  de  saint  Louis.  Ms.  acquis  à  la  vente  de 
MonteiL  Une  note  du  siècle  dernier,  inscrite  au  haut  du  premier  feuillet, 
indique  qu'il  a  fait  partie  de  la  bibliothèque  de  Marmoutiers.  Bon 
texte.  —  Famille  A. 

BiBL.  NAT,  Fonds  fr.  24858  (Ane,  S.  Victor  620);  129  feuillets; 
2r  cent,  sur  ti.  Ecriture  du  temps  de  Phitippe-le-Bel.  Leçon  très- 
remaniée.  —  Famille  A. 

Arsenal.  Théol.  fr.  65.  Ms.  à  2  colonnes,  ayant  à  peu  près  le  format 
d'un  in* 4**  (^4  cent,  sur  17).  L'écriture  est  de  la  seconde  moitié  du 
xiii*  siècle.  Il  y  a  en  divers  endroits,  notamment  sur  le  dernier  feuillet, 
des  notes  écrites  à  la  fin  du  xiir  siècle  (entre  autres  la  copie  d'une  lettre 
du  pape  Alexandre  [IV  ?j  d*où  on  peut  induire  que  ce  ms.  a  été  exécuté 
à  Senlis,  Texte  médiocre.  —  Famille  A. 

Sainte-Geneviève.  D  1  2î  Jn-8^,  160  ff.,  \j  cent,  sur  u;  écriture 
du  temps  de  saint  Louis,  moins  les  9  derniers  feuillets,  qui  sont  du 
xrv*siècle.  Rubrique  initiale  :  Incipiunt  sermones  beati  Mauricii.  Bon  texte. 
—  Famille  A, 

Poitiers  124.  Ms.  du  xirt^  siècle  qui  ne  m'est  connu  que  par  Tédi- 
tioTi  de  M.  Boucherie  â  laquelle  j^aî  emprunté  mon  texte  (p.  91-2).  Leçon 
remaniée.  —  Famille  A. 

Poitiers  232.  Ms.  du  xrv" siècle, en  dialecte  picard,  signalé  par  M.  Bou- 
cherie, p.  xx-xxj.  Mauvais  texte.  Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  A.  Richard, 
archiviste  du  département,  le  spécimen  ci-après  publié.  —  Famille  A. 

Ms,  Renault.  M.  Hippeau  a  donné  quelques  extraits  de  ce  ms. 
dans  les  Mémoiresde  l'Académie  de  Caen  (année  1856),  et  dans  le  t.  V 
des  Archives  des  missions  scientifiques.  M.  Hippeau  nous  apprend  que  ce 
ms.  a  le  formai  d'un  petit  in-4^»  qu'il  est  incomplet  au  commencement 
et  à  la  fin,  et  qu'il  est  du  xiir  siècle.  Les  sermons  que  M.  Hippeau  en  a 
tirés  sont  les  suivants  : 


p.  MEYER 

1  Qma  yidisti  Tkoma  ..*  (Acad.  de  Caen^ 
Ego  mm  pastor  bonus...  (Acad.  de  Caen, 
Mulitr  cumparit...  (Arch.  des  miss.,  V, 

:  Vadù  ad  mm  qui  misit  me,..  (Acdd.  de 

9î)- 

Super  marnis  imponent  (Acad,  de 

(Arch.  des  miss.,  p.   154;  == 

Reddite  que  sunt  Cesaris  Cesari... 


470 

!•*  Dimanche  après  Pâques 
p.  226;  =  Boucherie,  p.  85), 

2**  Dimanche  après  Pâques  : 
p,  229-  =  Boucherie,  p,  87). 

5«  Dimanche  après  Pâques  ; 
51  ;  =  Boucherie,  p*  89). 

4*  Dimanche  après  Pâques  »  : 
Caen,  p.  2^1  ;  =  Boucherie,  p. 

L*Ascension.  Commence  à  ces  mots 
Caen,  p.  252;  ^  Boucherie,  p.  98). 

La  Pentecôte  ^  :  Si  quis  diligii  me. . 
Boucherie,  p.  toi)* 

2^"  3  Dimanche  après  la  Pentecôte 
(Arch*  des  miss.,  V,  1 55  ;  ^^^ Boucherie,  p. 

Ce  ms.  appartient  à  la  famille  B. 

OXFORD,  BoDLÉîENNE,  Ashmole  1 280.  On  trouvera  dans  le  catalogue 
de  Black  [Oxford,  184c,  4*)  la  description  de  cems.  qui  est  un  recueil 
composé  de  morceaux  tout  à  fait  distincts.  Les  sermons  sont  écrits  à 
2  coL  par  page,  récriture  paraît  être  du  milieu  du  xiu=  siècle,  — 
Famille  B. 

BoDLÉrENNE^  DoucE  270,  écriture  très-fme  et  très-régulière  du  com- 
mencement du  xin**  siècle.  Ce  ms.  ayant  été  suffisamment  décrit  par 
M.  Coxe,  dans  le  catalogue  de  ta  collection  Douce,  je  me  borne  à  dire 
qu'on  y  trouve,  outre  les  sermons  de  Maurice  de  Sully,  le  Lucidaire  en 
prose  (voy.  Romania^  I,  421),  et  la  vie  de  saint  Nicolas  par  Vuace. 
C'est  le  ms.  que  M.  Delius  a  suivi  pour  son  édition  de  ce  dernier 
ouvrage.  Très-boa  texte.  —  Famille  A. 

BoDLÉiENNE,  Hatton  67  (autrefois  50).  Recueil  formé  de  plusieurs 
petits  ras.  reliés  ensemble  : 

Fol.  10.  Turpin.  Ecriture  de  la  fin  du  xiii"  ou  du  commencement  du 
xiv*^.  Inc.  *<  Voiis  est  que  lî  plusour  ont  01  volentiers...  » 

Fol  1 8.  Ecriture  un  peu  différente,  mais  qui  paraît  du  même  temps. 
Poëme  d'environ  6$o  vers,  qui  me  paraît  être  une  version  de  la  pro- 
phétie de  Merlin  ♦,  Inc.; 


1.  Pour  le  jour  de  TAsccnsion,  selon  M.  Hippeau,  qui  a  réuni  par  mégarde 
ce  sermon  avec  le  suivant.  La  fin  du  premier  et  le  commencement  du  second 
font  défaut,  ce  qu'il  faut  sans  doute  attribuer  à  la  perte  d'un  feuillet. 

2.  Attribué  par  M,  Hippeau  au  premier  dimanche  après  la  Pentecôte. 

3.  24%  selon  M.  Htppeau. 

4.  Sur  les  diverses  rédactions  de  ces  prophéties,  qui  font  partie  du  septième 
livre  de  Geotïroy  de  Monmoulh,  mais  se  trouvent  souvent  à  part,  en  tatin  ou 
en  français,  voy.  une  note  de  M.  W.  Hardy,  Chroniques  dt  Jehan  Wavrin^  J, 
iS9-6o. 


DE   MAURICE   DE  SULLY 

he  de  Bretane  majour 
fBreton  primes  furent  seigneur 
escrit  qu'i[l]  la  perdirent 
line,  par  quoi  la  guerpirent; 
Rs  Carduvaladres  et  tut  li  meillur 
alerent  en  Bretaigne  menour, 
^eus  enchasça  ki  n*urent  que  manger, 
Kar  la  terre  ne  vont  fructifier. 


471 


Es  oscurtez  des  Adriens  sentiers 

Se  atapîra  dune  Janus  li  portier  ; 

El  cop  del  rai  ki  pert  en  un  moment 

Se  drescerunt  les  mers  ignelement  ; 

La  poudre  iert  dune  del  viel  renoveIé[e]. 

Deu  nus  doint  bone  destiné[e]  ! 

E  dune  entre  els  estriveront  li  vent, 

Par  grant  bufée  e  cruelement 

De  lour  baratre  e  lour  conflictions, 

De  ke  entre  lez  esteilles  iert  li  sons. 

Explkiij  txplïceat,  ludere  scriptor  cat. 

FoL  27.  La  partie  du  roman  d'Alexandre  qui  est  connue  sous  le  nom 
de  siège  de  Tyr  et  de  Fuerre  de  Cadres.  Ecriture  du  xiv«  siècle.  Inc.  : 

[)evant  les  murs  de  Tyr  la  dedens  en  la  mer. 

Ce  morceau  correspond  aux  p.  93-188  de  l'édition  de  M.  Michelant, 
l'ordre  des  tirades  n'étant  pas  toujours  le  même  que  dans  le  ms.  qui  a 
servi  à  cette  édition. 

Fol.  5 1 .  Sermons  de  Maurice  de  Sully.  Jolie  écriture  normande  du 
milieu  du  xiii®  siècle  environ,  qui  ressemble  un  peu  à  celle  du  ms. 
Douce  270.  19  cent,  sur  13.  C'est  un  simple  fragment  qui  commence  au 
sermon  Cum  natus  esset  Jhesus,..  (Boucherie,  p.  32)  et  se  termine 
(fol.  75  V**)  au  cours  d'un  sermon  ayant  pour  texte  Johannes  cum 
audisset....y  que  je  ne  trouve  pas  dans  l'édition  de  M.  Boucherie.  — 
Famille  B. 

Laud,  mbc.  47 1 .  Je  me  réfère  à  la  description  que  j'ai  donnée  de  ce 
ms.  dans  mes  Rapports,  Archives  des  missions^  2«  série,  V,  162,  et  244-8; 
tirage  à  part  p.  1 57  et  240-4.  —  Famille  B. 

FLORENCE,  Laurentienne,  fonds  des  couvents  supprimés,  n»  99. 
Ce  ms.  qui  parait  être  de  la  première  moitié  du  xiii*  siècle,  sera  décrit  en 
détail  dans  la  préface  de  la  Vie  desaint  Cille  que  MM.  G.  Paris  et  A.  Bos 
font  actuellement  imprimer  pour  la  Société  des  anciens  textes  français. 
C'est  à  l'obligeance  de  M.  Bos  que  je  dois  la  copie  du  morceau  emprunté 
à  ce  ms.  —  Le  meilleur  ms.  de  la  famille  B. 

Editions  du  xv«  siècle.  —  Il  y  a  plusieurs  anciennes  éditions  des 


472  P.  MEYER 

sermons  de  Maurice  de  Sully;  h  première  est  celle  de  Chambéry,  1484, 
Elle  se  termine  par  l'expilcit  suivant  : 

Cy  finist  lexposition  des  euuâgilks  et  des  epistres  de  tout  lan  |  translatées  de 
nouveau  de  latin  en  françoys.  Imprimées  a  chambe  |  ry  par  Anlhoine  neyrct, 
Lan  de  grâce  M.  cccc.  Uxxiij.  Le  vi  \  jour  du  moys  de  juillet. 

Deo  gratias. 

La  Bibliothèque  nationale  en  possède  un  exemplaire  (Inv,  A  197^, 
Réserve),  qui  est  celui  dont  j'ai  fait  usage.  —  Texte  assez  remanié  et 
rajeuni.  —  Famille  A. 

Je  dois  encore  signaler  deux  mss.  dont  je  n^ai  pu  me  servir  parce 
qu'ils  ont  perdu  les  feuillets  où  se  trouvait  le  sermon  auquel  j'aî 
emprunté  mon  spécimen.  L'un  est  le  ras.  [3517  de  la  Bibliothèque 
nationale  (anc.  suppl.  fr.  254^3),  qui  paraît  écrit  au  temps  de  saint  Louis. 
L'autre  est  lems.  n"  457  de  la  bibliothèque  archiépiscopale  de  Lambethi 
dont  on  trouvera  la  description  dans  le  catalogue  de  Todd  (London  i8i2,J 
fol.).  C'est  un  recueil  de  fragments  divers.  L'un  d'eux  (fi.  1  j?-!  j8)  est 
la  fin  d'un  ms.  des  sermons  de  Sully.  L'écriture  est  du  xm«  siècle,  les 
dimensions  18  cent,  sur  15,5.  Voici  le  début  : 

...ke  cil  Ici  Deu  aime  k'tl  aime  son  prosme,  kar  s'il  n'eime  suti  prosme  k'rj  veit, 
cornent  puet  il  Deu  amer  k'il  ne  veit  mie  ?  Amons  nostre  prosme  si  corne  nus 
meîsmes.  Faisons  lî  bien  s*il  en  ad  mes  lier,  et  nus  eiuns  de  queî;  kar  autrement 
n'est  mie  la  charité  Deu  en  nus.  E  si  nus  amons  Deu  sur  tûtes  choses  e  nostre 
prosme  si  eu  m  nos  meîmes,  si  avcruns  fa  vie  perdurable  ijaod  nohis  p. 

C'est  la  fin  du  sermon  ayant  pour  texte  :  Dilige  Dominam  Deum  tuum 
ex  îoîo  corde  tao...  (Boucherie,  p.  147).  Le  sermon  Mulkr  cum  parité 
d'où  est  tiré  notre  spécimen,  était  compris  dans  la  partie  qui  manque 
au  ms.  de  Lambeth.  Le  texte  se  termine  (fol.  1^7  v^)  par  ces  mots: 
a  Expliciunt  sermones  Mauricii,  parisiensis  epîscopi,  de  sîngulis  dicbus 
«  dominicis  per  anni  circulum,  et  de  festivitatibus  sanctorum^  in  galUco» 
<t  —  Qui  dédit  expleri  laudeiur  raenie  fideli.  n 

En  dernier  lieu  j*ai  à  mentionner  un  ms.  dont  actuellement  la  trace  est 
perdue  :  c'est  celui  dont  Pabbé  Lebeuf  a  donné  un  court  extrait  dans  les 
Recherches  sur  les  plus  anciennes  traductioas  en  langae  françoise  (Acadimk 
des  ïnscripUons,  XVH,  721-3).  Il  portait  le  n"  54  dans  le  catalogue  des 
manuscrits  du  chapitre  de  Sens.  C'était  un  ms.  du  xin"  siècle  ayant  le 
format  d'un  petit  in-4''  *. 

Un  ms.  de  Trinity  Collège,  Cambridge  (0.  2.  14),  porte  cette 
rubrique  :  Sermones  Maunûi  parisiensis  eptscopi,  mais  le  texte  qui  vient 
après  est  un  récit  en  vers  de  la  Passion  : 


1 .  Voy.  Caiahgut  des  manuscrits  dt  rancitnm  bUftiothè^uc  du  ckâpitn  de  Sens^ 
tt  note  txpiuatiH,  par  Ph.  Salmon.  Paris,  Aubry,  t8j9. 


MSS.    DE   MAURICE  DE  SULLY  47} 

Or  cscutcz  mult  duccment, 
Gardez  qu'il  n'i  ait  parlement, 
L^  passion  Deu  entendez.., 

qui  se  trouve  encore  dans  le  ms*  BibL  nat.  fr.  1 822, 

11  me  parait  bien  étonnant  que  ni  le  Musée  britannique,  ni  aucune 
des  nombreuses  bibliothèques  de  Cambridge  ne  possèdent  aucun  ms*  de 
nos  sermons.  Tout  ce  que  je  puis  dire,  c'est  que  je  n*en  ai  pas  trouvé . 


Famille  A,  —  Ms.  Douce, 
*  Il  fu  ans  bons  ho  m  de  religion  qui  preia  Deti  sovenl  en  ses  oreisons  qu  ji 
It  donast  voîer  (su)  et  demostrast  aukune  chose  de  ta  grant  duceur  et  de  h 
bcaalié  et  de  la  joie  qu'il  estoie  et  promet  a  cels  que  lui  aiment,  ^ El  Dei  nostre 
sire  Teo  oî,  car  si  cum  il  fu  assis  une  fotz  a  une  amonée  (sic),  tut  suis  en  Teo- 
cloistre  de  Tabbale  si  li  envea  Damledex  un  angle  en  semblance  d*ua  oisel 
qui  s'asist  devant  lui.  ^  Et  com  il  esguarda  cel  angle,  de  qui  il  ne  sa  voit  pas 
que  cest  fust  angles,  eioz  quidout  que  ceo  fust  ons  (sic)  oisels.  si  ficha  son 
csgart  en  la  bcltc  de  lui  tant  durement  qu'il  oblia  tôt  quanqu'il  avoit  veu  ça, 
en  arires.  *  Si  leva  sus  por  prendre  cel  oiscl  dunl  il  esteit  mut  covdlus  ;  mes 
si  cum  il  vint  prés  de  lui,  si  s'en  vob  li  oisds  un  poi  arieres.  ^  Que  vos 
dirron  long  conte  ?  Li  oisels  traist  le  bon  home  après  lui  si  qu'il  esteit  avjs 
au  bon  home  que  il  esteit  el  bois  hors  de  Tabalîje.  ^  Et  si  cum  il  li  esteit 
avis  qull  iert  el  bois  devant  Toisel,  si  se  traist  vers  Toisel  pur  li  prendie, 
et  lores  s'en  vola  li  oisels  en  un  arbre.  'Si  comença  a  chanter  issiut  très  du- 
cement  que  onques  rien  nen  fu  oî  si  duce.  ^  Si  estut  li  bons  hom  devant  Totsel 
et  esgarda  la  beauté  de  lyî  isu\,  et  escota  la  duceur  del  chant  issint  très  enteoti- 
vement  que  il  en  oblia  tûtes  choses  terrienes.  *  Et  cum  li  oisels  ont  chantié  tant 
cum  a  Deu  plout,  si  bâti  ses  eleS|  se  s'en  vob  ;  et  ti  bons  hom  comcsiça  a 
repairer  a  soi  meisme  celli  pr  a  bore  de  midi.  *^  Et  cum  ii  fut  rcpairié  a  soi 
meisme,  si  dist  :  Dey  (sic)  !  fo  [oej  di%  bui  mes  hores  ;  cornent  i  recovereîe 
jo  mes  r  *'  Et  cum  il  regarda  s^abbaie,  si  ne  se  recuauit  puiot;  si  Im  seo»- 
bloit  que  les  piusuri  choses  furent  bestoniées.  *'  Et  Ûexl  fist  it^  ou  sm  jo 
dune  ?  Et  n'est  ceo  mîe  Tabeie  duat  jo  issi  huî  malin  >  ^^  Lors  vint  a  la  porte  - 
si  appela  lu  portier  par  sun  nuu  :  Huevre,  fist  iL  **  U  portier  vint  a  b  porte, 
et  cum  il  vint  a  la  porte,  et  cum  il  vit  le  bon  home,  s  ne  le  cooofl  nie 
qui  il  estoit.  —  *'  Geo  iac;  sui,  fist  il,  {foi  37)  moines  de  çacu^  et  û  voil  entrer* 
—  ^^  Vos,  fist  se  li  poftierSf  ne  estes  pas  moines  de  çaens;  qnaat  ai  etisistes 
vus?  —  ^^  Hui  matin,  fist  se  fui  moine  ;  si  voi  çaesz  entrer.  —  ^  De  caais, 
6st  si  lui  portiers  y  n*ei^  hoi  moines.  Vos  ne  eu  nuis  ge  mie  por  BOfsae  de 
çaenz.  —  *^  Li  bon  hnom  fu  ttit  csbaî  ;  it  respondi  :  Fastes  ooî  parlier  as  por- 
tier, Est  se  loi  bons  boo .  Si  noms  antre  portier  par  m  ans.  ^  Et  ki 
portier  respnndi  :  Çaeaz  s'at  portier  se  moi  aoa.  Vos  ne  leabiet  hoot  qù 
n'est  mie  bien  en  sna  sen,  qtti  vos  Uttei  notiae  de  çaeis,  car  vui  ne  vi  p 
onques  mes.  —  ><  Si  sui^  dist  lui  bons  lioo.  Don  n'est  ceo  Tabbak  fcint 
cestui  ?  Si  mina  In  «int.  «-*  »  CT,  te  Ini  portiers.  ~  Et  jo  sd  aMnei 
de  çaenz,  te  b  bons  hom.  Faites  moi  venir  TMii  et  lui  prîor,  û  piffkrai 


474  P*  MEYER 

a  els.  ^*  Lores  al  a  lu  portiers  querre  Tabbié  et  lu  prior,  et  U  vindrenl  ai 
la  porte  ;  et  cum  il  les  vit»  si  ne  tes  conçut  mlCf  ne  il  ne  coneurent  lut* 

Famille  A.  —  Ms.  de  SAmTE-GENEVïèvB, 
*  Il  fu  *j.  bons  hom  de  religion  qui  sovent  pricit  Dieu  en  ses  orisons  qu'il  tt 
donast  veoir  et  demostrast  aucune  chose  de  sa  (sic)  douceur  et  de  la  joie  qu'il 
estuie  a  ccaos  qui  l'aiment.  ^  Et  Diex  nostre  sires  l'en  oî,  car  si  com  il  (a  assis 
une  fois  eins  |our  el  ctoistre  de  Tabeie,  si  li  envoia  nostre  sires  un  ang 
{fai,  XXX vij]  en  samblance  d'un  oisel  qui  s'asist  devant  lui.  ^  Et  cum  il  esgard 
cel  angle,  dont  il  ne  savoit  pas  que  ce  fust  angles,  ains  cuidoil  que  ce  fust 
«j.  oiseauS)  si  ficha  si  son  esgart  en  la  biaoté  de  lui  qu'il  oblia  tôt  quanqu*il 
avoit  veu  en  ariere,  *  et  s*en  leva  por  prendre  cet  oisel  dont  il  estoit  moût 
covoiteus;  maisj  cum  il  vint  près  de  lui,  si  s'en  vola  li  oisiaus  .j.  poi  arrière. 
^  Que  feroie  lonc  conte?  Li  oisiaus  traist  le  bon  homme  après  lui  si  qu'il  li 
estoit  avis  qu'il  estoit  en  .\.  bois  hors  de  l'abeïe,  ^  Et  si  com  lui  estoit  vis  qu'il 
estoit  en  .j.  bois  de-{^)-vant  l'oisel,  pour  le  prandre,  et  li  oisiaus  s*en  vola  en 
.j.  arbre;  ^  si  commença  a  chanter  si  très  doucement  que  onques  riens  n'avoit  oï 
si  douce.  ^  Si  s'estut  li  bons  hom  et  esgarda  la  biauté  de  l'angle,  et  escouta  la 
douceur  de  son  chant  si  ententivement  qu'il  en  oublia  les  choses  terriencs.  ^  Et 
cum  li  oisiaus  ot  chanté  tant  cum  lui  plot,  si  batt  ses  eles  et  s'en  vola.  L] 
bons  hom  commença  a  repairier  a  soi  endroit  l'eure  de  miedi.  *^  Et  cum 
il  fu  repairiés,  sî  dist  :  Diex  1  je  ne  dis  hui  mes  cures.  Coramcot  reco- 
verrai  je  hui  mais?  **  Et  cum  il  regarda  s'abcie^  se  ne  se  reconut  point,  si 
sambloient  les  choses  trestournée[s].  <^  Hé  Dieux  l  dist  il,  ou  sui  je?  Dont  n'e 
ce  m'abeïe  dont  je  issi  hui  matin  ?  <^  Vint  a  la  porte,  si  apcla  le  portier  par  : 
nom  ;  Oevre,  fisl  il.  **  Li  portiers  vint  a  la  porte,  si  ne  conut  mie  le  bod 
homme;  demanda  li  qui  il  estoit.  —  ♦^  Je  sui^  fist  il,  moines  de  çaiens,  sî  voii 
entrer.  —  *^  Vos,  dist  li  portiers,  n*estes  mie  de  çaiens  moines  ;  vos  ne  vi  je 
onques  mais.  Et  se  vos  estes  moines  de  çaiens,  quant  en  isites  vos  ?  ^ —  *'''  Hui 
matin,  dist  li  moines.  —  '^  De  çaiens,  dist  li  portiers,  n'issi  hui  moines;  ne  vos 
ne  connois  je  mie  pour  moine  de  çaiens.  —  *^  Li  bons  hom  fu  tous  eshabis,  si 
dist  :  Faites  moi  parler  au  portier,  si  nomma  ,].  autre  portier;  ^  et  cil  li  dist  : 
Çaiens  n'a  portier  se  moi  non.  Vos  me  sambïés  homme  qui  ne  soit  mie  bien  en 
son  sens,  qui  vos  faites  moines  de  çaiens  ;  je  ne  vos  vi  onques  mais.  3*  Si  sui, 
dist  li  bons  hom.  Don  n'est  ce  l'abeïe  S.  cestui?  si  nomma  le  seint  dont  rabcïe 
estoit.  —  ^  Oïl,  dist  li  portiers.  —  Dont  sui  je,  dist  li  prodom,  moines 
çaiens.  Faites  me  venir  l'abé  et  le  priol,  si  parlerai  a  aus.  ^  Lï  {foL  xxjcviij) 
abes  et  li  prious  vinrent  a  la  porte,  et  cum  il  les  vit,  si  ne  tes  conut  pas  ne  il 
ne  conurent  mie  lui. 


Famille  A.  —  Ms»  BibL  nat.  fr.  13514, 
Ml  se  fu  uns  buens  hom  de  religion  qui  sovent  prioit  Deu  en  ses  orisons 
qu'il  li  donast  aucune  cose  veoir,  et  qu'il  li  demostrast,  de  ia  grant  joie  et 
de  la  douçor  que  il  estoie  a  cels  qui  lui  aiment.  ^  El  N.  S.  D.  l'en  oi,  quar^ 
si  com  il  fu  asis  une  fois  a  une  ajornée  en  Tenclostre  de  Tabeîe,  si  li  envo 
Deus  un  angele  en  samblance  d'oisel,  qui  s'asîst  devant  lui.  ^  Et  com  tl  esgar 


MSS.    DE   MAURICE   DE   SULLY  475 

doit  cd  angele,  dont  il  ne  savoit  pas  que  ço  fust  angeles,  ains  cuidoit  que  ço 
fost  uns  oisels,  si  fiça  si  son  esgart  en  la  belté  de  lui  que  il  oblia  qoanqne 
il  avoit  en  ça  {su)  en  arrière.  ^Si  leva  sus  por  prendre  cel  oisel  dont  il  estoitmolt 
covoiteus  ;  mais,  si  corn  il  venoit  près  de  lui,  si  s'en  voloit  li  oisels  un  poi 
plus  arieres  {fol.  37),  et  li  buens  hom  aloit  après.  '  Que  vos  diroie  plus  lonc 
conte  ?  li  oisels  traist  le  buen  homme  après  lui  tant  qu'il  estoit  avis  au  buen 
homme  que  il  estoit  en  un  bel  bois  hors  de  s'abeîe  ;  *  et  si  com  il  li  estoit  avis 
que  il  estoit  devant  Toisel,  si  se  traist  vers  Toisel  por  lui  prendre,  et  lor  s'en 
vola  li  oisels  sor  un  arbre  ;  ^  si  commença  a  canter  si  très  dolcement  que 
onques  rien  n'avoit  oîe  si  dolce.  ^  Si  s'estut  li  buens  hom  et  esgarda  le  beltè 
de  foisel,  et  escolta  le  dolçor  de  'son  cant  ensi  ententivement  que  il  oblia 
totes  les  coses  terrienes.  *  Et  quant  li  oisels  ot  canté  tant  comme  lui  plot,  si 
bâti  ses  des,  si  s'en  vola  ;  et  li  buens  hom  commença  a  repairier  a  soi  meîsme  a 
hore  de  midi.  ^  Et  com  il  lu  repairiés  en  soi  meîsme,  si  dist  :  Dens  !  ge  ne 
dis  hui  mes  hores,  comment  i  recovrerai  jo  uimais?  **  Et  com  il  esgarda 
s'abeie,  se  ne  s'i  reconut  point;  si  li  sambloient  les  coses  totes  bestomèes. 
*>  Et  Deus  I  fist  il,  u  sui  jo  ?  Dont  n'est  ço  m'abeîe  dont  jo  escî  hui  matin  ^ 
**  Vint  a  la  porte,  si  apde  :  Portier,  ncvrc,  fist  il.  **  Vint  li  portiers  a  la 
porte,  et  com  il  vit  le  buen  homme,  si  nd  con[n]t  pas,  si  li  demanda  qui  il 
estoit.  —  *'  Je  sui,  fist  il,  monies  de  çaiens  ;  si  i  vndl  entrer.  —  *^  Vos,  fist  li 
portiers,  n'estes  pas  mones  de  çaiens  ;  vos  ne  vî  jo  onques  mais.  Et  se  vos  en 
estes,  quant  en  issistes  vos?  —  "  Hui  matin,  fist  li  monies  ;  si  vudi  çaiens 
entrer.  —  ^^  De  çaiens,  fist  li  portiers,  n'issi  hui  monies.  Vos  ne  conois  jo 
mie  por  monie  de  çaiens  ^*  Li  buens  hom  fu  tos  esbahis  ;  si  li  respondi  : 
Faites  moi  parler  an  portier  de  laiens  ;  si  noma  un  antre  portier.  —  ^  Vos 
me  samblés,  dist  li  portiers,  home  qui  ne  soit  mie  bien  en  son  sens,  qui  vos 
tûtes  monie  de  çaiens,  et  jo  ne  vos  vi  onque  mais.  —  ^*  Si  soi,  dist  li  boens 
bon.  Dont  n'est  ço  Tabde  de  saint  cestui?  Si  noma  le  saint  de  la  glise. 
^  Gû,  fist  li  portiers.  —  Et  g'en  sni  monies  de  çaiens.  fist  li  boens  boa. 
Faites  mevenir  l'abé  et  lepriosde  çaiens;  si  parlerai  a  ds.  —  ^  Vînt  lî  abes 
et  li  prios  a  la  porte,  et  com  il  les  vit,  si  ne  les  connt  pas  ne  il  ne  coowot 
mie  loL 

Famille  A.  —  Ms.  Bibi.  nat.fr.  1  h  ^  S- 
Ml  fn  un  bons  bom  de  rdiginn  qui  sovent  pria  Damleden  merd  en  ses  orînns 
qu'il  li  donast  veoir  et  demostrast  alcune  chose  de  se  grant  doçor  e  de  le  bealté 
e  de  le  joie  que  il  estoie  a  ceals  qni  l'aiment  *  E  Dex  N.  S.  Yta  oi, 
car  si  cnm  il  fu  assis  une  foiz  en  une  ainz  ajoniée  d  dotstre  de  s'abeie,  s  i 
envoia  Damiedex  nn  angde  en  le  semblance  d'an  oisd  qni  s'asÉsl  devant  Im;  ^t 
cum  esgarda  od  angde,  dont  il  [ne]  sdt  mie  que  c'estoh  as^de,  eals  'sic)  qâ- 
doit  qui  ce  estoit  uns  oisals,  si  fiça  si  snn  esgard  en  le  beaHé  ^l^^st^  ob5a 
tôt  qnanqn'U  avoit  ven  ça  en  arere.  *  Si  leva  sss  por  presdre  od  c«s<d  isst 
il  estoit  mott  covoitos,  mais  si  com  il  vint  près  de  in:,  si  s'a  voia  fi  c^seis  ss 
poi  pins  ariere.  •  Que  vos  diroie  pins  bnc  conte?  ::  oîseis  irast  ic  »e  Icmt 
après  loi  sî  kU  estoit  avîz  ai  bon  home  qn'ii  estoiït  es  u  bces  lors  de  Tabôt. 
*  E  si  cnm  li  estoit  nu  qn'il  estoit  d  bn  devant  Tood,  s:  se  tnkt  ven  Voéé 


476  p.  MEYER 

por  li  prendfCj  e  lors  s'en  vola  \i  oisel  sur  un  arbre.  "^  Si  commença  a  cantor  si 
très  doceinent  que  unques  rien  n^oi  de  si  doce.  ^  Si  estut  li  bons  hom^  si 
esgarda  le  bealté  de  roîseî,  si  escota  le  doçor  del  cant  ensînt  enlentivemenl  que 
il  en  oblia  les  choses  ternenes.  ^  E  cum  îi  oiseals  ut  {sic)  canté  tant  cum  ti  pïout, 
si  esbati  ses  eiles^  si  s'en  vole;  e  \i  bons  hom  comença  a  repairer  a  soi  meismes 
a  ore  de  miedi.  ^^  E  cum  il  fu  repairez  a  soi  meîsme,  si  dist  :  Dex  !  dit  il,  joue 
dis  huî  mes  ores.  Comment  revendrai  jo  uimais?  *^  E  cum  il  esgarda  {fol.  44) 
s  abeïe,  si  ne  s*i  recoist  {sic)  point  ;  se  lui  sembloil  choses  en  si  trestornces.  **  E 
Dejt!  fisl  il,  u  soi  jo?  Dunl  n'est  ço  m'abeïe  dunl  je  issi  hui  malin?  **  Vînta  le 
porte»  si  apela  le  porter  par  son  non  :  Ovre^  fist  il.  ^*  Vint  le  portera  le  porte, 
e  cum  il  vît  le  bon  home,  si  ne  le  conoist  mie,  se  li  demanda  qui  il  estoit.  —  ^*  Jo 
sui,  fist  il,  un  moines  de  céans;  si  veil  entrer.  —  *^  Vos,  iîst  li  porters,  n*cstes 
pas  moine  de  chaïns;  Vos  ne  vi  je  unques  mais,  Esi  vos  estes  moines  de  chaem, 
quant  issiles  vos  ?  — ^'^  Hui  bien  matin  dist  li  moines  ;  si  voil  laîensentrer.  —  *^De 
chaiens^  dist  li  portiers,  n'issi  hui  moines  ;  vos  ne  conois  je  mîe  por  moisne  de 
chaeins.  ^^  Li  bons  hom  fu  toz  jors  esbahi,  si  respondi  :  Faites  moi,  fist  li  bons 
hom,  parler  al  portier;  si  noma  un  altre  portier  par  sun  non.  ^  E  It  portier 
respondi  :  Il  n'a  chaeîns  portier  si  moi  non.  Vos  me  semblés  home  que  ne  soit 
mie  bien  en  sun  sens  qui  vos  faites  moines  de  chaens,  car  vos  ne  vi  je  unkes 
mais,  —  ^*  Si  sui,  dist  li  bons  hom.  Dunt  n'est  co  Tabeïe  seint  cestui?  Si  noma 
le  seint.  —  ^^  Oïl,  dist  li  portiers.  —  E  jo  sui  moines  de  ceanls  (sic),  Dist  li  bons 
hom  :  Faites  moi  venir  Tabé  e  le  priors,  si  parlerai  a  eals.  ^  Vint  li  abbcs  c 
li  priors  a  la  porte,  e  cum  il  les  vit,  se  ne  les  conoit  mie,  ne  il  ne  conureot 
mie  lut. 

Famille  A.  —  Ms.  de  I'Arsenal. 
^  Qui  fu  uns  bons  homs  de  religion  qui  souvent  proia  Dieu  en  ses  oroisons 
qui  li  donnas!  veoir  et  demontrast  aucune  joie  de  la  grant  douchor  et  de  la  grant 
beauté  qui  (sic)  promet  et  ostroie  a  cens  qui  Faimenl,  ^  Et  nostre  sires  I*en  01, 
car,  si  corn  il  s'asist  une  fois  a  une  ajornée  ou  cloistre  de  l'abeïe  tous  seos,  si  li 
envoia  Diex  un  angles  (sic)  enssamblance  d'un  oisel  qui  s*aisit  {sic}  devant  lut. 
'  Et  comme  il  esgarda  cel  angles^  de  quoi  il  ne  saveit  pas  qu'il  fust  angele, 
ains  cuidûit  que  ce  fust  uns  oiseaus,  si  ficha  si  son  esgart  en  la  bieauté  (sic)  de 
lui  tant  durement  qu'il  oublia  quant  (sic)  il  a  voit  veO  cha  en  arrière^  *  et  si  leva 
sus  pour  prendre  ce!  oisel,  dont  il  esloit  moût  convoiteus.  Mès^  si  comme  i\ 
vint  près  de  lui,  si  s'en  vola  un  poi  arrière,  '  et  tant  que  li  oiseaus  traist  le 
bone  (sic)  home  après  lui,  si  qu'il  li  estoit  avis  qu'il  estoit  en  un  bois  hors  de 
rabeïc.  ^  Et  quant  il  li  fu  avis  qu*il  estoit  ou  bois  devant  {foL  \6c)  ToiseL  si  se 
traist  avant  por  lui  prendre,  et  lores  s'en  vola  li  oiseaus  en  une  branche.  "^  Si 
commencha  a  chanter  tant  doucement  que  nule  douchor  ne  monloit  a  celé.  «  Si 
estoit  li  bons  bons  devant  roisel,  et  esgardoit  le  beauté  de  lui,  cl  eschotoil  U 
douchor  du  chant,  et  si  très  ententieument  que  il  oublia  les  choses  lerrienes. 
^  Et  comme  li  oiseau  [sic)  out  chanté  tant  comme  Dieu  plout,  si  bâti  ses  cies^ 
si  s'en  vola;  et  li  bons  hons  commencha  a  reparier  a  soi  meïsmes  ce  jor  a  eurt 
de  miedi,  ^^  Et  corn  il  fu  repariés  a  soi  meïsmes,  si  dist  :  Diex!  je  ne  dis  hui 
mes  cures;  comment  recouverraige  mes?  ^*  El  corn  il  regarda  vers  Tabeie,  si  ne 


MSS.    DE  MAURICE   DE   SULtY  477 

se  reconost  point,  ains  lî  samMoit  de  pltiseur  choses  qu'eles  fussent  toutes 
^  bestornées.  ^^  Si  dtst  :  Ou  sui  je  donc  ?  ne  ves  ci  in^abete  dont  ge  sut  omus  hui 
matin  ?  *'  Dont  vint  a  le  porte,  si  apela  le  portier  par  son  nom  :  Oevre^  ^t  iL 
**  U  portier  vint  a  le  porte,  et  comme  il  vit  le  bon  home  si  ne  reconui  mie,  si 
ti  demanda  qui  il  estoit.  —  ^^  Je  stii,  £st  il,  moines  de  ceeos,  st  voil  entrer,  — 
I*  Vous  n'estes  mit  moines  de  ceens;  ne  vous  oe  vi  ge  onques  mes  ;  et  se  vous 
estes  moines  de  ceens,  quant  en  oissitc  (sk)  vos?  —  *"^  Hui  bien  matin,  fist  soi 
'li  moines,  et  si  voil  biens  entrer.  —  •*  De  ceens^  fist  soi  li  portiers,  n'  oissi  hui 
notne.  Vous  ne  recounois  je  mie  pour  moine  de  ceens.  ♦*  Li  bons  hons  fa  moul 
esl»his,  et  si  li  disi  :  Fcies  moi  parler  au  portier.  Si  nomma  un  autre  par  son 
nom.  *  Et  li  portiers  li  respondi  :  Ceens  n*a  portier  se  moi  non*  Vos  (d)  me 
sambiés  bons  qui  ne  soit  mie  en  son  sens  qut  vous  fêtes  moines  de  ceens,  car 
fcms  ne  ri  ge  onques  moine  {sic).  —  ^*  Si  sui^  dist  l\  bous  bons.  Don  n^est  oele 
I  abeié  ?  Si  la  noma.  —  ^  0],  fist  li  portiers.  —  El  je  sui  moines  de  ceens,  dist  H 
bons  hons.  Petes  moi  venir  l'abé  et  le  prieur,  si  parlerai  a  bans  {sic).  ^  Lors 
aia  li  portiers  querre  l'ibé  a  le  prieur,  et  cil  vinrent  a  le  porte,  et  cam  il  les  vit 
si  nés  reconut  mie,  ne  il  connurent  lui. 


Famille  A,  —  Poitiim  124. 
*  Ou  fu  jadis  uns  mot  bons  hom  de  religion  qui  sovent  priot  Dé  en  s«s  orr:- 
sons  qu'il  li  donast  veer  e  qu'il  li  demostrast  aucune  chose  de  la  l»eauté,  de  la 
doçor  e  de  la  joie  qn^it  estoe  a  ceaus  qull  aime.  ^  Et  nostre  sire  Damedés  Ten 
oi,  E  issi  cum  il  fut  une  fez  assis  avant  jor  en  rendoîstre  de  Tabbaye,  si  fi  enven 
Des  .1.  an^e  en  sembf[an€]e  d'oisel  qui  se  tint  davant  lui.  '  E  quant  ij  csgar- 
doit  cel  angre,  dont  il  ne  savert  pas  que  ce  fust  angres,  ainx  caidot  que  fost 
Oiseaus,  si  mist  son  esgart  en  la  beauté  de  loi,  qu'il  en  oblia  lot  quantque  il  avotl 
veu  ça  en  arrere.  *  Sî  levé  sus  por  prendre  roiseau  dont  il  estdt  mot  coveitos; 
mas  quant  il  fut  près  de  lui,  si  s'en  vola  j.  poi  arrere.  ^  Que  vos  ircie  alot- 
gnant?  Li  otseaus  traissit  tant  le  bon  homme  après  sci  qu'ol  esteit  a  vtaire  an 
rfcoB  home  qaû  esteit  en  j.  bois  fors  de  s'abbaye.  *  E  cum  li  bons  bon  s'apiroB» 
de  roiseau  por  lui  prendre,  sî  s'envda  li  oîseans  en  .1.  arbre  ^  ^  si  ccwwrmy 
a  chanter  tant  docement  qu  onques  riens  tant  doce  n'aveit  ok.  ^  Si  se  tût  lî  boos 
hom,  e  esgarda  la  beauté  de  l'oiseau,  e  escoU  b  doçor  de  soo  dtuÊi  va  este»- 
tivement  qu'il  en  oblia  totes  les  choses  terrienes*  '  Et  qoant  It  aseans  ot  tJBt 
chanté  cum  a  Dé  plot,  si  bam  ses  aies,  si  s'en  ala.  Lî  hom  hom  commmot  a  n^m- 
rer  a  sei  meîsme  a  hore  de  midi.  «^  Si  dtst  a  sei  mdsaie  :  Des  !  Kdossi  bn  aei 
hores.  Cum  i  covrerai  hnimais^  **  Ctm  â  esgarda  s'abbaye,  sî  ne  s^  leeoKgail 
pas,  aiiLz  ii  senblcrent  totes  les  choses  estre  trestomées.  *^  Ha  Diei  î  Ha  l.on 
sui  ge  >  N'est  ce  pas  m'abbaye  dont  ge  issi  bot  natn  ?  **  Vint  a  la  porte,  si 
apela  le  porter  :  Oesvre!  **  Li  porters  vint  a  la  porte,  ecsn  H  vît  le  boa  bo^e, 
fi  ne  le  conegnit  mie,  oe  il  ne  coneguit  pas  tû.  Si  li  demanda  qnî  3  esteit  ne 
qtti  ildenuadot.  —  *'  ûe  sui,  dist  il,  moines  de çaeat.  —  »<  Voaaevigennqnn 
BUIS.  E  si  vos  en  este,  qoant  en  issistes  vos.^  —  ^  Hii  aatis,  ébt  i.  Si  voi 
çaenz  entrer.  _  >^  De  cecnz,  fait  li  porters,  ne  intes  fOi  bu»  ne  voi  ne- 
cooois  ge  pas  por  aoioe  de  ct^^*  **  Li  boas  boa  fit  itt  esfaatofe,  si  G  respos- 


47^  P.  MEYËR 

dît  :  Faites  me  parler  ob  le  porter,  vos  n'estes  mie  porlers,  —  ^  Vos  me  scm* 
blez,  dit  II  porters,  homme  qui  n'est  pas  en  son  sen.  Ceanz  n'a  porter  si  mel  non. 
Vos  ne  vi  onques  mais.  ^  Dist  li  bons  hom  :  Faites  me  venir  Tabbé  e  lo  prious, 
si  parlerai  ob  eaus.  ^  Vint  fabbcs  e  îi  prios  a  la  porte,  et  cum  il  les  vil,  si  ne 
les  coneguit  pas,  ne  il  ne  conegiiirent  pas  lui. 

Famille  A,  —  Edition  de  CflAiCBèRY* 
Ml  fut  ung  moult  bon  homme  de  religion  qui  souvent  prioit  Nostreseigncur 
en  SCS  oraisons  qui  luy  demonslrast  aulcune  chose  de  la  beaultéct  deladoulceur 
et  de  la  joyc  qu'il  garde  a  ceulx  qu'il  ayme,  ^  Nostreseigncur  Touyt,  Advint 
une  fois  a  ung  bien  matin  qu*il  estoit  ou  cloistre  tout  seul,  que  Nostreseigncur 
luy  envoya  ung  ange  en  semblance  d'ung  oiseau  ;  et  s'asist  devant  luy  ;  ^  et 
aussi  ne  sçavoit  pas  que  ce  fust  ung  ange,  mais  cuidoit  que  ce  fust  (v^)  ung 
oiseau.  Si  mîst  si  fort  son  entente  en  la  beaullé  de  îuy,  qu*il  en  oublia  tout 
quanques  il  avoit  veu  le  temps  passé.  ^  Ce  bon  homme  se  leva  pour  cuider 
prendre  celluy  oiseau,  lequel  il  desiroit  forment.  Mais  quant  il  venoit  ung  peu 
près  de  lui,  si  sailtoit  ung  peu  plus  arrière.  ^  El  tant  recuUa  Foiseau  que  le  bon 
homme  en  allant  après  luy  fut  hors  de  son  abbaye  en  ung  bois,  **  Et  quant  tl 
estoit  advis  au  bon  homme  qu'il  debvoit  prendre  celluy  oiseau,  si  s'en  voila  sus 
uiig  arbre,  "^ et  commença  si  doulcement  a  chanter  que  le  preudommc  n'avoit 
oncques  ouy  chose  si  doulce.  ^  Si  fut  si  entenlif  a  regarder  la  beaulté  de  l'oiseau 
et  a  escoucter  {sic)  là  doulceur  de  son  chant  qu'il  en  oublia  toutes  les  choses  ter- 
rîennes,  ^Et  quant  Toiseau  eut  tant  chanté  come  il  pleut  a  Nost reseigneur,  si 
balit  ses  ailes  el  s*en  voila.  El  le  preudomme  commença  a  penser  en  luy  mesmes 
environ  heure  de  mydy^  *^*  et  dist  :  Dieu  i  je  ne  dis  huy  mes  heures,  comment 
recommenceray  je  huy  mais?  ^'  El  quant  il  regarda  son  abbaye  si  ne  se  recon- 
gneut  pas,  ains  luy  semblèrent  les  choses  toutes  changtes.  ^^  Hé  Dieu  !  dist  ÎJ, 
ou  suis  je  ?  N'est-ce  pas  mon  abbaye  dont  je  yssis  huy  au  matin  ?  ^^  Si  vint  a  la 
porte  el  appel  la  le  portier.  ^*  Le  portier  vint  a  la  porte,  et  quant  il  vit  le 
preudomme,  si  ne  le  cogneut  pas,  ne  le  preudomme  le  portier.  Et  le  portier  îuy 
demanda  quel  il  estoit,  —  *^  Je  suis  moyne  de  leans,  dist  le  bon,  si  y  veulx 
entrer.  —  *«  Vous  n'estes  pas  moyne  de  céans,  dist  le  portier;  je  ne  vous  vis 
oncques  mais,  et  se  vous  estes  de  céans,  quant  en  yssistes  vous  doncques?  — 
<?  Huy  au  matin ^  dist  le  preudomme,  —  '•^  De  céans  n  yssit  huy  moyne,  dîsl  le 
portier.  *^  Adoncquesfut  le  bonhomme  tout  esbahy^  et  dist  :  Faictes  moy  parler 
au  portier.  —  ^  Vous  me  semblés,  dist  le  portier^  homme  qui  estes  hors  du 
sens  :  céans  ne  a  portier  que  moy.  Je  ne  vous  vis  oncques  mais,  dist  le  portier. 
Je  sçay  bien  que  vous  n'estes  pas  moyne  de  céans,  —  ^4  $i  suis,  dist  il.  N*esl- 
ce  pas  l'abbaye  ?  et  nomma  le  non.  ^^Ouy,  dist  le  portier.  —  Doncques 
suis  je  moyne  de  céans,  dist  le  bon  homme.  Faictes  me  venir  l'abbé  et  le  prieur^ 
si  parlera  y  a  eulx.  ^^  A  doncques  viol  l'abbé  el  le  prieur  a  la  porte.  El  quant  il 
les  vit  si  ne  les  cogneut  pas  ne  aussi  ne  firent  îlz  Iuy. 

Famille  A.  —  Ms.  Bibl.  nat.  fr.  248^8. 
*  11  fu  uns  bons  hom  de  religion  qui  sovent  proia  N.  S.  en  ses  oroisons  qu€ 
il  H  donast  veoir  et  qu'il  h  demonstrast  aucunes  choses  de  sa  grant  doçor  et  de 


MSS.    DE  MAURICE  DE  SULLY  47c 

sa  garni  bîaoté  et  de  a  joie  qioe  â  estcie  a  ces  <pu  l'aÎBC!:!.  ^  El  N.  S. 
l'aa  oL  Ui  jor  bîea  par  natiB  cstoit  ii  boas  bom  asss  en  soo  cackstre:  se  li 
eoToia  Des  soa  aige  aa  b  sanblaoce  d'on  obéi  :  si  s'asist  dcras:  hl.  ^  (^naX 
U  esgarda  VoisA,  si  ae  aida  pas  que  ce  fost  angeses;  s:  mzs:  s:  sec  esgart ta.  la 
Tcôe  et  en  b  bunté  de  foîsel.  que  fl  oUb  quant  que  il  aTcH  Tec  ça  «2  arrjcrs, 
^  D  se  leva  por  prendre  l'oisd  dont  fl  cstoit  mont  coroitox.  Et  qsast  il  le  v^cst 
prendre,  si  s'an  Tob  li  oisians  ns  poi  knng  de  loi.  '  QneTos  diroàe  iie  ?  I:  côsass 
trest  le  bon  boue  enprès  loi  tant  qoe  il  m  ans  as  bca  hose  qs'îl  esicct 
d  bois  qni  estoit  entor  Tabaîe.  ^  D  se  trest  près  de  l'oiseiy  si  >  cûia  prendre, 
et  li  oîsiax  s'an  (foL  49.»  Tcb  sor  b  brandie  d'oncbesne.  '  Si  conaça  acàaster 
eosi  très  doooeaient  qne  onqnes  nos  cbans  ne  fa  oîz  si  dooz  es  cest  mcmàt.  *  Li 
bons  bom  se  ddita  tant  d  diant  et  en  b  bianté  de  Toisel  qoe  à  obiia  tûtes  îes 
tcrrienes  dboses.  '  Et  qnant  ii  oisbns  ot  dianté  Unt  a»  hii  plot,  à  s'an  Toa. 
et  fi  bons  bon  s'an  comamça  Ters  s'abte  a  repairier.  **  Et  cocik  îi  se  pr^ 
a  porpenser  et  retenir  en  soi  rnôsmes,  â  dist  :  Ha  *  Dex,  je  ne  dis  je  i3c.  coocr 
fanimes bores.  Je  ne  les  porraî  dire  a  tcns,  car  fl  est  bore  de  midi.  *■  Et  qun:  k 
aprocfca  de  s'abaie,  si  ne  b  connt  mie,  et  se  li  samh^reat  trestotes  àes  c^cses 
trestomces.  *^  Des  !  dis!  3,  on  sai  je?  Et  dont  n'est  ce  a'abale  doct  fc  issi  ha: 
matia.  **  Et  oomaK  fl  fiât  a  b  porte,  si  apeb  \o  portier  par  sca  aco  :  Frère, 
ouTrez  b  porte.  **  Li  portiers  orri  b  porte,  et  qust  ii  rit  lo  boa  &c«3e.  si  ne 
le  cooat.  D  Ii  dnnaarfa  qni  fl  estoit.  *^  Li  bons  bom  ii  dist  :  Je  sel  ocôes  de 
ceianz,  et  û  toîI  bianz  entrer.  —  *^  Vos,  dist  ii  portiers,  n'este  aie  Dcbes  de 
oeianz.  Vos  ne  conois  je  pas.  Et  se  tos  estes  œoîaes  de  ceiasz,  qcast  ea  issistes 
tos?  —  ^^  Hoi  bien  nutin,  dist  li  bons  bom.  —  *^  Vos  ne  restes  oaq::es  atobes 
de  ccianz,  car  je  conob  moct  bien  tcz  les  moines  de  ceianz.  <*  Lors  fa  Ii  boas 
bom  moût  esbaîz,  et  se  Ii  dist  :  Faites  moi  parier  au  portier;  et  si  noma  le 
portier  par  son  non.  *  Et  dl  Ii  dist  :  Il  n'a  ceiasz  portier  se  moi  nca,  et  tos 
me  sanbîez  home  qni  n*est  mie  biea  en  scn  sen  qiiant  tos  dites  q=e  tos  estes 
moines  de  ceiaaz.  —  ^  Si  sai  je,  dist  li  bons  bom.  Donc  n'est  ce  fabaSe  saint 
cestni }  Si  noma  lo  sainL  —  **  Oî;  dist  li  portiers.  —  Et  je  tos  di  p<îf  Toir  qne 
je  suis  moines  de  ceianz,  dist  îi  bons  bom;  mais  ore  me  faites  Tccir  l'abê  et  lo 
priens,  si  parlerai  a  ds.  '^  Et  ii  portiers  les  li  fist  Tenir.  Et  qaaat  li  bons  bom 
les  Tit,  si  ne  les  connt  mie,  ne  fl  ne  conarent  lai. 

Famille  A.  —  PorriEas  232. 
*  Il  fa  aas  boins  homs  de  religioa  qui  pna  scnreat  ea  ses  orisoas  qae  Diex 
li  donnast  aacnne  cose  sentir  de  b  grant  joie  du  cbid  ;  >  et  Diez  Tea  oî  ;  car  si 
comme  il  fa  uce  fob  assis  a  uae  ainsmoniée  {sUf  ea  doistre,  tous  sens,  si  li  enTob 
Dicz  .j.  angle  en  sambboche  de  .j.  oisid  qui  s'asist  deTaat  lui.  >  Et  cozme  fl 
esgarda  chiei  angle,  et  il  ne  saTcit  pas  que  die  fust  angie,  ains  cuidoit  qce  che 
fost  .j.  cisùus;  il  fxÂa  ujo  es^rdement  si  durment  que  fl  aTcit  o'jhîie  qcanques 
il  avoit  Ttû  cha  ea  irriert,  *  Se  lera  sns  poor  prendre  cbd  oisid  dont  fl  aToit 
mnlt  gram  uleat,  Maii  ti  comme  il  vint  près  de  lui  si  s'envola  li  cisiius  .j.  poi 
a?ant.  ^Qûe  vos;  diroîe?  Li  oitiaos  mena  le  boin  homme  hors  de  s'abele:  *et 
comme  il  vint  el  toii  deraol  V>i^,,  û  rettut  pour  prendre  Foisic  ;  adont  s'en 
foi  li  cisiaos  seur  uo  artre^  ^  et  umwtnch^  a  canter  si  doucbemeat  que  aale 


480  p.  MEYER 

riens  ne  fu  onques  lanl  douche  oïe.  *Si  esloit  lî  boins  hons  devant  Toisid  et 
regardoitle  biautè  de  Toistel,  et  escoula  h  douceur  du  cant  issi  ententîev&ment 
que  il  oublia  toutes  coses  terriiennes.  ^Et  comme  H  oisiaus  otcanté  tant  comme 
Dreti  pleut,  si  bâti  ses  eles,  si  s'en  vola.  El  comme  lî  boins  hons  comtnencha  a 
repainer  a  soi  meîsme  chelui  jour  endroit  miedi,  ^^si  dist  :  Sire  Dicjt,  je  ne 
dis  hui  mes  eures;  comment  i  recou verrai  je?  *^  Et  comme  il  se  regarda,  si  oc 
se  reconnut  pas;  si  U  sanloit  que  les  pluiseurs  coses  fuissent  bestornées.  <'E 
Diex  !  fisl  ii^  ou  sui  je  donc?  Dont  n'csche  chi  m'abeîe  dont  je  issi  hu»  matin? 
Adonc  vint  à  la  porte;  si  apela  le  portier,  ^^  LÏ  portiers  ne  le  connut  pas  quant 
il  le  vit.  II  11  demanda  qui  il  estoiî.  —  *' Je  sui,  dist  il,  moine  de  laiiens;  si 
voeil  entrer  laiiens,  —  *<»  Vous,  fait  li  portiers,  n'estes  mies  moines  de  cheens; 
je  ne  vous  vi  onques  mais  ;  et  se  vous  estes  moînes  de  cheens,  quant  tssistes  vous 
hors?  —  <^  Hui  matin,  disl-il.  —  ^^De  cheens^  dist  li  portiers,  n'estes  vous 
mie,  ne  de  cheens  ne  issi  hui  monne;  vous  ne  conûois  jou  mie  a  monnede  cheens. 
^^L'\  boins  hons  fu  tous  esbahis.  Faites  me,  dist  il,  parler  au  portier;  sjlj  nouina 
.j.  autre  portier  par  son  non.  **  Et  li  portiers  li  dist  :  II  n'a  cheens  portier  se 
moi  non.  Vous  me  samblés  ho  m  qui  ne  soit  pas  en  son  sens,  qui  vous  fiitei 
moines  de  cheens.  ^^  Li  boins  hons  fu  tous  esbahis.  N'escbe,  fait  il,  Tabcie  saint 
cheli?  Si  nomma  le  saint.  ^Oïl^^  fait  li  portiers. —  El  je  sui  roonnes  de  laiiens, 
fait  li  boins  hons.  Faites  moi  venir  l'abé  et  le  prieus,  si  parlerai  a  eus. 
2^  Adont  vint  li  portiers  qiierre  î'abé,  et  le  prieus,  cl  il  vinrent  a  la  parte»  et 
comme  il  les  vit,  si  ne  les  counut  pas  ne  eus  lui. 

Famille  A.  —  Ms.  Bibl.  nat.  fr.  187. 
i  II  fu  voir  qu'il  fu  un  bons  hons  de  religion  qui  sovant  pria  Dieu  en  ces  on- 
cions  qu'il  li  demostrat  aucune  chouse  de  sa  biaté  et  de  la  douçor  et  de  la  JQÎe 
qu'il  donra  a  ces  qui  Taimcnt.  2  El  Nostre  Sire  si  Toît  :  car  il  estoil  2  une  (or- 
née en  son  ctoslre,  si  li  anvoia  Diex  .).  angle  en  samblance  d'osel  ;  si  s'as>St 
davant  lui,  ^  et  quant  il  exgarda  cel  angle,  si  cuida  qe  ce  fust  ,\,  ossiaz  ;  si  6du 
sun  exgarl  {foi  xv)  en  la  biauté  de  lui  qu'il  en  oblia  quant  il  avoit  veu  sa  en 
arrere.  *  Si  leva  sus  por  panre  Foisel  dont  il  estott  covoiteus,  mais  corn  il  vint  près 
de  lui,  si  s'en  voula  li  osîaz  un  pou  plus  long.  ^  Que  vos  iroie  plus  disant?  Lt  ostai 
trait  tant  Tome  après  soi  qu'i  lt  fu  avis  qu'il  esloit  en  un  bois.  ^  Et  quant  i)  dut 
panre  cel  osiaux,  si  s'en  vola  sus  un  arbre,  ^  et  commansa  si  doucement  1  cbao- 
ler  que  unques  n*oïl  nulle  si  très  douce  rien,  ^  Si  s'esiuit  et  esgarda  la  biatttéde 
ces  osiaux,  et  excouta  la  douçor  de  son  chant.  ^  Et  quant  li  osiaux  out  ditntè 
tant  com  a  Dieu  ploit,  si  bali  ses  eles,  si  s'en  voula  ;  et  li  bons  hoQ$  conuDiQsa 
a  repaires  {stc}  a  soi  meemes  a  Toure  de  mtdi  ;  ^"  et  disi  :  Dieux  !  je  oe  di  01 1 
ores!  ^*  Et  quant  il  esgarda  s^abaîe,  si  ne  la  connuît  point,  ans  li  semblereflt 
toutes  les  chouses  besiornéez.  ^'^  Hé  Dieux  !  dist  il,  ou  sui  )e?  dont  n'est  ce 
m'abaie  dont  g'issi  hoi?  ^^  E  vint  a  la  porte,  <*  et  ne  connuil  pax  le  bon  home  le 
portierz  (Wr),  ne  li  portierz  lui,  si  li  demanda  qu'il  estoil,  elqu*il  demandoît.— > 
^^  Je  sui,  fisl  li  bons  hons,  moignez  de  saians.  —  ^^  Vous  ne  viges  (su)  unques, 
disllî  portier.  Et  quant  ensistez  vos  de  çaenz  ?  —  *^  Je  cnsi  hoi  malim.  —  *• 
Dcsaens,  dist  li  portier  ni  issislis  vous  hui.  —  ^*  Dont  fu  li  bons  hons  esbali; 
si  dist  :  Fait  moi  parler  au  porter,  —  ^iï  y^us  me  semblez,  dist  11  portier, 


MSS.    DE  MAURICE    DE   SULLY  48 1 

home  qui  ne  soit  pas  bien  en  son  sans.  Sa ians  n^a  p>orter  se  moi  non.  Vous  ne 
n  je  unques  mais.  (Dist  1i  bons  hons,  car  vous  n*est  pas  moignes  de  saans 
dist  li  porticrz  *.)  —  ^*  Si  sui,  disl  il,  donc  n'est  ce  Tabaie?  —  ^  Oîl  voir,  fait 
ti  portier.  —  Donc  sui  je  moignes  de  laians,  fait  moi  vcnire  Tabé  et  11  prior,  si 
parlerai  a  aux.  ^  =^  Li  abes  vint  et  li  prior  a  la  porte;  si  ne  connuit  pax  coi 
ne  li  lui. 

Famille  B.  —  Ms.  de  FLOnENCE. 
^  Il  se  f u  uns  bons  home  de  religîun  ki  sovent  pria  Deu  en  ses  oretsuns  qu'il 
!î  donast  veoîr  alcune  chose  de  la  grant  jote  qu'il  estue  et  pramet  a  cels  ke  li 
aimenl.  ^  Dcus  nostre  sire  (f.  30  v»)  l*eii  oï^  kar  si  cum  il  tu  assis  une  feiï  en 
une  enjornée  tuz  suis  en  un  angle  de  Tencloistre,  si  li  envea  Dampnedeus  un 
angle  en  semblant  d'oisel  kî  s'asit  devant  lui.  ^  Et  corn  il  esguarda  cel  angle,  et  il 
ne  savoit  pas  que)  angle  fust^  si  chaî  en  sun  reguart  et  en  la  beahé  de  lui^  kll 
oblia  quancqu'il  ^avoit  veij  ça  en  arieres.  ^  Si  se  lieve  sus  pur  prendre  cel  otsel 
dunt  il  esteit  mult  coveitus;  e  si  cum  il  vint  près  de  lui,  si  s'envoU  11  oiseals  um 
poi  arieres,  elfli]  bons  home  ala  après  pur  lui  prendre,  et  li  oiseals  Tatendi  jus- 
qu'il fu  près  de  lui,  si  s'envola  un  poi  plus  louing.  ^  Ke  vus  feroîe  ti]o  îung 
cunte  ?  Li  oiseals  traist  et  mena  le  bon  home  tant  après  sel  ke  avis  li  fu  qu'il 
fu  issuz  de  s*abeie  en  un  mult  beal  lieu,  en  un  bois  ;  '^  e  si  cum  II  estoit  avis  at 
bon  home  qu'il  estoit  en  un  bois  et  volei!  prendre  Toisel,  11  oiseals  s'envola  sur 
un  arbre;  '  si  comence  si  ducement  a  chanter  ke  unkes  riens  nule  ne  fu  oie  si 
dulcc.  *  Lores  s'estut  li  bons  home,  si  esguarda  la  bealté  de  cel  oisel,  et  esculta 
h  dulçur  de  son  chant  issi  cntenlivemcnt  qu'il  oblia  totes  choses  terrienes.  '  E 
cum  (1  oiseals  out  chanté  tant  cum  a  Deu  plot,  si  s'envola^  et  li  bons  hom 
comença  a  sel  meismes  a  repairer  a  hore  de  midi.  ^^  Deus  !  pensa  il,  jo  ne  dis 
hui  mes  ores.  Cornent  i  recoverei  jo  hui  mes?  **  E  cum  il  guarda  vers  s'abeîe, 
T»e  la  conul  mie,  ainz  li  scmbloii  les  pliiseurs  choses  tûtes  muées.  *^  E  Dcus  1 
fisl  se  il^  ou  sui  p  ?  Dun  ne  est  ço  m'abeie  dunt  jo  eissi  hui  malin  .^  *'  Vint  a  la 
porte,  si  apella  le  porter  par  son  nun  :  Uvre,  fist  se  iL  **  Li  poriers  vint  a  la 
porte,  et  cum  il  (/.  31}  vit  le  bon  home,  nel  conuist  pas,  alnz  li  demanda  qu'il 
estoit.  —  *5  Je  sui^  fist  se  il,  u[ns]  moines  de  lainz,  si  voil  entrer,  —  **  Si 
Deu[s3  nî*ait,  fist  se  11  poriers,  vous  n'estes  pas  moine  de  çainz.  Quant  eisistes 
vus  hors  ?  fisl  iL  —  '^  Hui  malin,  dist  li  bons  hom.  —  <®Si  Deus  m*ait,  disl  li 
porters,  vus  ne  conuîs  jo  mie  a  moine  de  çaînz,  —  *^  Li  bons  hom  oi  ço,  si  fud 
lut  esbaiz  et  luz  e^perduz. — Feites  mei,  [fisljseil,  venir  le  porter,  e  si  le  numa 
par  sun  nun,  kar  vus  n'estes  pas  li  porters  de  çainz.  20  l.)  porters  respundi  : 
Çainz  n'a  portier  si  mel  nun  ;  et  vus  me  semblez  home  ki  ne  soil  pas  très  bien 
scnez,  quant  vus  vus  faistes  moine  de  çainz.  —  2»  sj  jui  jo^  disl  il;  faites 
mei  venir  Tabé  et  le  prior  ;  -i  ^i  parlerai  a  els.  ^  Vint  li  abes  et  li  priors  a 
la  port(e],  et  il  les  vit,  ne  les  conuit  pas^  ne  els  lui. 

Famille  B,  —  Ms.  Hatton. 
t  Iço  fu  un  bons  hom  de  religîun  kt  suvent  pria  a  Deu  en  ses  ureîsuns  k'il  li 


t .  Le»  mots  enfermés  entre  (  )  semblent  une  addition  non  juitifiée  du  copiste. 


p.  MEYER 

J  alcune  chose  qu'il  a  estué  e  a  prumis  a  toz  ices  ki 


482 

dunast  [      J  alcune  chose  qu'il  a  estué  e  a  prumis  a  toz  ices  ki  Teimefit;  '  t 
Deu  tiostre  sire  Toïe  (sk)^  kar  si  cum  il  se  fu  asïs  en  un  jur  tuit  su!  en  un  angle 
de  l'encloislre,  si  ïi  anvea  Damnedeu  un  angle  en  la  semblance  d'un  oiscl  ki 
s'asist  devant  lu  ;  ^  e  cum  il  esguarda  icd  angle»  e  il  ne  savett  mie  k'il  fud  angfe, 
si  se  chaî  si  en  sun  esguard  e  en  la  beuté  de  lui  qu^il  oblia  quancque  il  aveit 
veû  eîncès.  *  Si  se  teva  sus  pur  prendre  cel  oisel  dunt  il  asteil  mult  coveitus;  e  n 
cume  il  vint  plus  près  de  lu,  si  se  vola  un  petit  arere,  e  li  bons  hom  ala  après 
pur  lui  prendre,  e  li  oisel  entende  (sic)  deske  il  fu  près  de  lu,  si  se  vob  un  poi 
plus  tuin,  ^  Ke  vus  frai  jo  lung  cunle?  Li  oisel  iresl  e  amena  le  prudom  tant 
après  |y  ke  avis  li  fu  qu'il  fu  hors  de  Tabeïe  en  un  mut  beau  Iru,  en  un  bots; 
*  e  si  cume  lu  fu  avis  qu'il  asteit  al  bois  et  voleit  prendre  fe  otsel»  li  oisel  se 
leva  sur  un  arbre  :  ^  si  cumença  a  chanter  si  duceraent  ke  unlces  nule  ren  si  duce 
ne  fut  oïe,  ^  Lores  eslul  li  produm,  si  aguarda  la  beuté  d'icel  oisel  e  ascuta  la 
duçur  de  sun  chant  issi  ententivemenl  qu'il  oblia  Iules  choses terrienes.^ Ecume 
ïi  oiscl  out  chanté  si  cume  Deu  plot^  si  s'envola,  e  li  bons  hom  cumença  a 
repeirer  a  ure  de  midi,  *o  Deus  !  pensa  il,  jo  ne  dis  hui  mes  ures,  aiment  rccu- 
vrcrai  jo  hui  mes?  *'  E  cum  il  esgarda  vers  sa  abbeia  (sic)  ne  la  cunust  mie, 
aenz  li  resemblcrent  plusurs  (v^t  choses  remuez.  *^  E  Deus,  fist  s'il,  u  suip? 
Dun  n'est  ceste  ma  abbeie  dunt  jo  issi  hui  matin  ?  *^  Vint  a  la  porte,  si  apeli 
ïe  porter  par  sun  num  :  Ovre,  fist  il.  '*  Le  porter  vint  a  la  porte,  e  cume  il  vit 
le  prudume,  nel  cunust  pas,  xinz  h  demanda  k'il  asteit?  —  *^  Jo  sui  monie  de 
lenz,  s*i  vei!  entrer,  —  ^^  Si  Deus  m'ait,  fist  le  porter,  vus  n'estes  pas  de  ceins. 
Quant  issisies  vus  hors  de  ceinz  ?  dist  il.  —  *"  Hui  matin,  dist  li  bons  hom,  — 
**•  Si  Deu  m'ait,  dist  li  porter,  vus  ne  cunus  jo  mie.  *'^  Li  bon  hom  oï,  si  M 
esbaî  e  mut  s'cspanta.  Fêtes  mci  le  porter  venir,  dist  il,  sil  numa,  kar  vus  n'estes 
pas  le  porter  de  ceinz,  ^  Li  porter  rcspundi  :  Çdcnz  n'i  a  porter  se  jo  nun, 
e  vus  tnej  me  semblez  hom  ki  seit  beensenez,  quant  vus  vus  fêtes  monic  de  ccim. 
—  2*  Si  su  jo,  dist  il,  fêtes  me  venir  l'abbé  e  le  priur.  Dun  n*esl  ço  l'abbeic  de 
sent  cestu?  sil  numa.  —  -^  Oïl,  dist  li  porter,  —  E  jo  suî  moine  de  ceinz.  Fêtes 
me  venir  l'abbé  e  le  priur,  si  parlerai  od  eus.  —  ^*  Vint  II  abes  c  li  prmr,  si  nej 
conust  il  mie,  ne  û  lui. 


Famille  B.  —  Ms,  Lauh. 
i  Uns  hom  fud  jadis  de  religiun  ki  sovent  depria  Deu  que  li  donasl  a  ver 
alcune  chose  de  la  grant  joie  qu'il  pramet  3  ceus  ke  lui  aiment  c  servent;  *c 
nostre  sire  Ten  01;  kar  si  cum  il  fud  asis  un  jor  tut  sul  en  une  angle  de  l'en* 
cloistre,  si  li  enveia  Deus  un  angle  en  semblance  de  oisel  ki  s'asist  devant  li. 
5  Si  cum  îl  esgarda  cel  oisel,  e  nesaveitpas  (foL  i^\c)  qu'il  fud  angele,  si  chaî  si 
od  le  regarder  en  la  beauté  de  li  qu'il  oblia  quanc  qu'il  aveit  fait  en  artères.  *  Si 
leva  sus  pur  prendre  cet  oisel ^  dunt  il  iert  muïi  coveitus,  c  cum  il  vmi  près  de 
lui,  si  fui  li  le  oisel  anerc  un  poi,  e  li  bons  hom  alad  après  pur  prendre,  le 
oiscl;  attend!  dès  que  il  fud  près  de  li,  pus  si  se  aloigna  de  lui.  *  Que  vusfrcige 
lung  cunte  ?  Li  oisel  traist  e  mena  le  bon  home  tant  après  sei  que  avis  U  fud  qu'il 
fud  eissuz  hors  de  s'abcîe  en  un  mult  bel  lieu,  en  un  bois.  ^  Si  cum  1)  esteit  avu 
al  bon  home  qu'il  esteit  al  bois  e  voleil  prendre  le  oisel,  li  oisel  vola  sur  un 
arbre  ;  ^  si  comença  a  chanter  si  ducement  que  unkes  nule  rien  (j/>  ne  fud  oîe  ti 


I 


4 

Pf  II 


MSS.    DE    MAURICE    DE   SULLY  48} 

dolce.  ^  Lores  si  esgarda  li  bons  hom  la  beauté  de  Toi  sel,  e  escuta  la  duçur  de 
Sun  chant  si  enientivement  qu'il  oblia  lotes  choses  terricnes;  •  e  cum  li  oisels 
ot  chanté  tout  cum  a  Deu  plot,  si  s'en  vola,  e  li  bons  hom  comença  a  porpenser 
$cr  a  bore  de  midi,  *û  Deus  !  pensa  se  il,  ge  ne  dis  mie  uncore  hui  mes  hores. 
Cornent  rccoverai  je  huimès?  **  Et  esgarda  vers  s*abeic,  si  ne  la  conut  mie,  ainz 
li  sembla  tul  le  plus  changié.  *2  Et  Oeus  î  dist  il,  u  sui  ge?  Dunt  n'est  ço  m'abele 
dunl  ge  issi  hui  matin?  ^^  Puis  vint  a  la  porte,  si  apela  le  portier  par  sun  nun. 
**  Cum  li  portiers  i  vint,  le  bon  home  nel  conut  pas,  einz  f/»  156)  li  demanda  ke 
il  esteit  :  ^^  Ge  sui,  fist  se  il^  moines  de  çaenz.  *^  Quant  eissites  vos  hors  de 
çaenz?  fist  li  portiers;  ge  n^  vos  conuîs  mie.  —  *''  Hui  matin  dit  li  bons  bom. 
—  **  Dist  li  portiers  :  Ge  ne  vos  conuis  mie  pur  moine  de  çaenz.  *9  Li  bons 
hom  oî  ceo,  si  fud  tut  esbaiz  e  esperduz.  Faites  mei,  fist  se  il,  venir  le  por- 
tier; sil  noma  par  sun  nun;  car  vos  ne  estes  mie  portier  de  çaenz.  ^^Li  portiers 
respondi  :  Si  sui,  mes  vos  ne  scmblez  mîe  home  bien  sencz,  ki  vus  faites  moine 
de  çaenz  e  ne  Testes.  —  24  sî  sui,  fist  se  il,  faites  mei  venir  le  abé  e  le  prior» 
Dunt  n'est  ceo  l'abeïe  de  celui?  Si  noma  le  seint  de  l'abeic,  —  ^^  Oil,  dit  {!>)  li 
portiers.  —  E  ge  sui  moine  de  çaenz.  Faites  mei  venir  l'abé  et  le  prior,  si  par- 
lerai a  eus.  ^  Vint  li  abes  e  li  priors  a  la  porte^  e  il  nés  conuit  mie^  ne  il  lui. 


Famille  B-  —  Ms*  Ashmole. 
*  Il  fud  un  prodummee  bons  hume  de  religiun  qui  su  vent  preout  Deti  en  ses 
oresuns  q'il  li  donast  veer  aucune  chose  de  la  grant  [joie]  qu'il  estue  a  cels  qui 
iui  aiment  ;  ^  ç  Qeu  nostre  sirefen  oî  ;  kesi  cume  il  fud  une  îeiz  en  une  ainz  jornée 
tout  sui  en  une  angle  de  Vifoi.  69t/)encloistre,  si  li  envea  Deus  um  {su}  angele  en 
semblance  de  un  oisel»  que  s*asist  devant  lui  ;*&  cum  il  esgarda  cel  angele,  &ne 
saveît  pas  que  cel  angele  fust,  si  chai  en  sun  esguart,  que  il  ublia  quant  que  il 
aveil  veû.  ^  En  après  si  leva  sus  pur  prendre  cel  oisel  dunt  il  esteSl  mull  cuvei- 
lus;  et  si  cum  il  vint  près  de  lui  e  il  îe  volt  prendre,  si  s'envola  un  poi  plus 
loinz.  ^  Que  vus  frei  long  cunle?  Li  oisel  s*en  treistemena  le  prodome  tant  après 
seî  qu'il  li  fu  avis  qu'il  esteit  issuz  hors  de  sa  abeîe  en  un  mult  beau  liu&  en  un 
bois  ;  *  &  si  cum  il  esteit  avis  al  prodome  que  il  esteit  al  bois  e  voleit  prendre 
le  oiseî,  li  oisel  s*envola  sur  un  arbre;  ^  si  cumensa  si  ducement  a  chanter  que 
unches  ren  nule  ne  lu  oïe  ijoi.  70)  si  duce.  ^  Lores  si  estuil  li  bons  hume;  si 
esguarda  la  beaulè  de  cel  oisel,  &  escuta  la  duçur  de  cel  chant  issi  entenlive- 
ment  que  il  obtîa  tûtes  les  choses  lerrienes,  ^  &  cum  \i  oisel  out  chanté  tant  cum 
Deus  plut,  si  s'envola  ;  e  li  bons  hutm  comjmença  a  sei  meismea  reperrir  a  hure 
de  midi.  '**  Deus  !  pensa  il,  jo  ne  di  hui  mes  hiires;  cument  recuverai  je  huimès. 
**  &  cum  il  reguarda  vers  sa  abeïe,  ne  la  cunut  mie,  ainz  li  sembla  les  plusurs 
choses  Iules  muées.  *^  fit  Deu!  dist  il,  u  sui  jo  dune?  Ne  est  ce  ma  abeîe 
dunt  jo  issi  hui  matin?  ^^  Vint  a  la  porte  :  Uverez,  fist  il  al  porter.  *^  Li  porter 
vint  a  ta  porte,  &  cum  il  vit  le  prodome,  nel  cunuit  pas,  aioz  li  demande  qui  ri 
esteit.  —  <5  Jo  sui,  fist  il,  muines  de  la  enz  ;  s'î  voil entrer.  —  ***'  Si  m'ait  Deus, 
fist  le  {h)  porter,  vus  n*estes  pas  de  chaenz.  Quant  issistes  vus  de  çaenz.  —  *^  Dist 
»1  :  Hui  matin.  —  *^  Si  Deu  m'ait,  dit  li  portiers,  vus  n*estes  pas  moines  de 
çaenz.  —  **  Li  bon  hume  oît  ceo,  si  fud  tut  csbaïz  &  tut  esperduz.  Faites 
mei  venir  le  porter,  dist  U  bons  hume;  sil  numa  par  sun  nun.  Vus  n'estes  mie 


484  P«  MEYER 

porter  de  laenz^^Lî  porter  respondj  :  Çaenz  n'a  porter  stmeinun,  e  me  semblés 
hume  qui  ne  seit  mie  ben  scnez  quant  vus  vus  feitcs  moines  de  çaens.  —  ^^  Si 
sui  jo^  dist  ît,  faites  mei  venir  le  abé  &  te  priar.  Dtinc  n'est  ceo  la  abete  de  saint 
cestui?  Si  numa  le  saint  de  l'abeie.  —  ^  Oïl,  dist  li  porlers*  — &  je  sui  moines 
dunkes  de  çaens.  Faites  mei  venir  l'abé  &  le  prior,  si  parlera[i]  od  eus.  —  ** 
Vint  li  abes  &  li  pnor  a  la  porte  ;  &  cum  il  les  vit,  si  nés  cunuil  niie^  oe 
euLs  luî» 

Famille  B.  —  Ms,  Renault. 
Ml  fu  jadis  .j^  bons  ho  m  de  religion  qui  s  0  vent  proîoit  Dieu  en  ses  orisons 
qu^it  li  otroiast  a  veoir  aucune  chose  de  la  grant  joie  que  il  pramet  a  cefs  qui  lui 
aiment.  -  Et  nostre  sire  Dieus  l'en  où  Car,  si  corn  il  fu  4.  fois  en  un  angle  de! 
mostier,  et  ce  fu  devant  le  jor»  si  li  envoia  nostre  sire  Dieus  un  angele  en  sam* 
blance  d'oisel  ;  si  s'assist  devant  lui  ;  ^  et  quant  il  regarda  cel  angele,  et  il  ne  savoit 
mie  que  c'estoit  angeles^  si  cheï  si  en  son  esgart  et  en  la  beauté  de  lui  que  il 
oblia  quanque  il  a  voit  veù  cba  en  aricre.  ^  Si  se  leva  sus  por  prendre  l*oisd, 
dont  il  estoit  moult  covoiliés;  et  si  com  il  vint  près  de  lui,  si  s'envoJa  .j.  poi 
plus  loin.  *  Que  vos  feroi  je  lonc  conte?  Li  oisiaus  traist  tant  le  bon  home  et 
mena  od  soi  tant  que  avis  li  fu  qu'il  fu  issus  de  s*abeîe  en  un  biau  lieu,  droit  en 
un  bois;  '•  et  si  estoit  avis  au  bon  home  que  il  estoit  en  .j.  bois  et  vol  oit  prendre 
Toisel;  cl  li  oisiaus  s'en  vola  sor  .j.  arbre;  ^  il  commencha  a  chanter  que  onqucs 
tiuie  riens  ne  fu  si  doce  a  oîr*  *  Dont  s'eslut  \i  bons  hom  et  regarda  la  beauté  de 
Foiscl,  et  escouta  la  dochor  de  son  chant,  et  si  ententivement  qu'il  en  oblia  lotes 
choses  terrienes.  ^  Et  quant  li  oisiaus  out  tant  chanté  comme  a  Dieu  plot,  si 
s'envota  ;  et  li  bons  hom  commencha  a  repairier  a  soi  meïsme  a  heure  de  midi. 
^^  Diex  !  pensa  il^  je  ne  di  hui  mes  heures  ;  cument  les  recommencerai  je  hui* 
mes?  <<  Et  quant  il  regarda  vers  s'abeie,  si  ne  le  {L  la  ou  sci*)  reconut  mie, 
ains  li  sambloieni  les  plusor  choses  remuées.  *2  Hé  Dieu  î  dit-il,  u  sut  je?  c 
n'est  ceci  m^abciedont  je  issi  hui  matin?  *'  11  vint  a  !a  porte,  si  apela  le  portier 
par  son  non  :  Oevre,  dist  il,  la  porte,  **  Le  portier  vint  a  b  porte,  et  quant 
il  vit  le  bon  home,  si  ne  le  conut  mie^  ains  li  demanda  qui  i)  estoit.  —  ^»  Je 
sui,  dist  il,  .j.  moines  de  leans;  si  voil  leans  entrer.  —  <*•  Si  m'aîst  Diex,  dist 
li  portier,  vous  n^estes  mie  moines  de  céans.  Quant  issistes  vos  de  céans?  ^^  H 
rcspondist  :  Je  hui  matin.  —  *^  Si  m*aîstDiex,  dist  li  portiers,  je  ne  vos  connois 
mie  a  moine  de  céans.  —  ^f*  Quant  li  prodom  oi  ce,  sifu  tosesbahis  cl  esper- 
dus.  —  Faites  moi,  tait  il,  venir  le  portier,  car  vos  n'estes  mie  porlrer  de 
céans.  ^  Li  portier  respondi  :  Céans  n'a  portier  se  moi  non,  et  vous  me  sam- 
blès  .j.  home  qut  n'estes  mte  bien  assenés,  quant  vous  vous  biles  moines 
de  céans.  —  ^'  Si  sui,  dist  it,  voir;  faites  moi  venir  labbé  et  le  prieur  :  ^* 
si  parlerai  a  els.  ^SL'abes  et  li  prieus  vinrent  a  la  porte,  mes  il  nés  connut  mie. 

L'histoire  n'est  pas  finie.  Je  ne  Pai  pas  rapportée  tout  entière  parce 
que  le  spécimen  eût  été  un  peu  long.  Mais,  pour  satisfaire  la  légitime 
curiosité  du  lecteur,  je  transcrirai  ici  la  tin  de  ce  joli  conte  d'après  le 
ras.  Douce,  qui  est  Tun  des  meilleurs,  et  se  recommande  par  d'inté- 
ressantes particularités  dialectales  : 


I 


MSS.    DE   MAURICE    DE   SULLY  485 

...  Ne  il  nt  coneurent  lui.  —  Qui  demandez  vus?  firent  se  il  al  bon  home? 
—  Jo  demant  l'abbié  et  lui  prior  a  qui  (sic)  jo  voiï  parlier.  —  Cco  sûmes  nus, 
firent  se  it.  —  Non  estes,  fist  lui  bons  hom,  car  vus  ne  vi  \o  onques  maes. 
Lores  fii  lut  esbaîz  II  bons  homs,  car  il  nés  conoit^  ne  iî  ne  le  conçurent.  — 

r'Quîel  abbié  demandez  vus,  ne  quiel  prior?  fîst  se  lui  abbes;  et  qui  conoissez 
os  çaenz?  —  Jo  demant  un  abbié  et  un  priur  que  issi*  esloîenl  appeliez;  et 
conoïs  celui  et  ceîui.  Et  cum  il  oïrent  iceo,  si  coneurent  les  nuns  bien.  —  Beau 
sire,  firent  se  il,  il  sunt  morz  jîj.  ceoz  anz  at  passiez.  Or  esgardiez  ou  vos  avez 
estié  et  dont  vos  venez  et  que  vos  demandez.  Lores  s^aperceut  Iî  bons  hoem  de 
la  merveille  que  ifoi,  57  v»)  Dex  a  voit  faite,  et  cum  par  sun  angle  hors  de 
l'abbaïe  l'avoit  mené.  Et  pur  la  biautié  de  l'angle  et  pur  ladoceurdeson  chaunl 

Hui  a  voit  demustré  tant  cum  It  plut  de  la  biauté  et  de  la  joie  que  ont  li  amî 
Damiedeu  en  cieL  Si  s*esmerveitla  estrangemeni  que  Jij.  cenz  anz  avoit  veû  et 
escolîê  l^oisal,  et  pur  le  grant  délit  que  il  avoit  eu  ne  lui  semblout  que  del  tens 
fust  trespassié,  mes  que  tant  cum  il  atdès  te  matin,  enjusqu'a  midi  ;  et  qu'il  dedenz 
Jij.  cenz  anz  n'est  (cûn.  ert)  mie  enveilliz  ne  sa  vesteiire  usée,  ne  lui  {corr,  si 
ou  sui)  souliier  perciés.  Selgnurs  esgardez  et  asmez  cum  es  grant  la  biauté  et  h 
douçur  que  [Deus]  dorra  a  ses  amis  en  ciel.... 

Comparons  maintenant  ces  divers  spécimens  phrase  par  phrase. 

1 .  et  demostrasî  se  trouve  seulement  dans  la  famille  A ,  Quoique  ces 
deux  mots,  ne  soient  pas  très-utiles  au  sens,  il  y  a  lieu  de  croire  qu'ils 
appartiennent  bien  réellement  à  roriginal.  —  Dans  B  il  n'est  question 
que  de  la  «  grande  joie  î»  réservée  par  Dieu  à  ses  fidèles  serviteurs  ; 
dans  A  nous  avons  a  la  grande  douceur,  la  beauté  et  la  joiej>  (Douce, 
I  HMï  248^8),  ou  u  la  beauté,  la  douceur  et  la  joien  (Poitiers  124, 
l'ancienne  édition,  187)  ou  au  moins  t*  la  grande  joie  et  la  douceur  » 
(  I  î  3 1 4) .  —  La  leçon  qa^il  esîelc  et  promet  est  certainement  la  bonne  : 
deux  mss.  de  la  fam.  B  (Florence  et  Hatton)  et  un  delafam.  A  (Douce) 
Font  conservée.  Les  autres  m&s.  ont  vu  dans  ces  deux  verbes  une  redon- 
dance et  opté  soit  pour  estoie  (Ashmole,  fam.  fî  ;  —  15514-5,  Poitiers 
124,  249^8,  fam.  B)y  soit  pour  promet  ILaud  et  Renault,  fam.  A),  Le 
ras,  187  et  l'imprimé  ont  des  variantes  de  leur  façon.  Rien  ici  qui  puisse 
servir  au  classement.  L'addition  c  servent  de  Laud  n'a  pas  de  portée. 

2.  En  m  angle  est  caractéristic|ue  de  la  fam.  B. 

3.  einz  quidout  queceo  fast  ons  otseis  I Douce),  se  trouve  dans  toute  la 
famille /î,  à  l'exception  de  24858,  lequel  est  ici,  comme  presque  partout, 
assez  libre.  Ce  membre  de  phrase,  qui  peut  bien  n'être  qu'une  addition  de 
copiste,  mais  qui  peut  tout  aussi  bien  avoir  été  supprimé  comme  sura- 
bondant, manque  absolument  à  la  famille  B.  —  Si  chai  si  en  son  esgarî, 
ou  en  son  regari,  est  une  locution  notable  qu'offre  seule  b  famille  B. 

I.  Ms.  tssunt. 


486  p.  MEYER 

Dans  A  nous  avons  soit  si  ficha  si  son  esgart  Douce,  i  ^ît4-5,  S.  Gencv.^^ 
124  Ars.  187,  soit  il  m/if  Poitiers  r24,  248^8  et  l'imprimé. 

4.  La  fam.  B  est  seule  à  contenir  une  petite  phrase,  peu  nécessaire' 
au  sens,  qui  dans  Flor.  est  ainsi  conçue  :  et  [li]  bons  home  ala  apris 
pur  lui  prendre^  et  U  oiseals  l^aundi  jusqu'il  fu  près  de  lui.  Si  s'en  vok  un 
poi  plus  loing, 

y.  Ke  vus  f croie  jo  lung  cunîe  (Flor,),  commun  à  toute  la  fara.  B,  et  à 
S.  Genev.  [fam.  A)  esi  dans  les  mss.  A  Que  vos  dirron  L  c.  (Douce), 
Que  vos  diroie  plus  L  c.  115514-5),  Que  vos  diroie  je  (24858),  Que  vos 
iroie  je  atoignant  1  Poitiers  124,  Que  vos  iroie  plus  disant  (187),  ouest 
supprimé,  comme  dans  le  ms.  de  l^Ars.  et  dans  Tancien  imprimé. — Qu'il 
fa  issuz  de  s'abeïe  en  un  mulî  beal  /lu,  en  un  bois  est,  sauf  de  minimes 
détails,  la  leçon  de  toute  la  fam.  B  ;  dans  A  :  qu^ii  estott  el  bois  (ou  en 
un  bel  bois,  etc.)  hors  de  i^abaie. 

6.  Et  si  corn  il  estoit  avis  al  bon  home  qu^il  cstoit  en  un  boU  et  polcit 
prendre  Nisel  est  la  leçon  à  peu  près  constante  des  mss.  B  ;  mais  dans  A  : 
Et  si  cum  il  li  cstcit  avis  qu'il  iert  al  bois  devant  roisel,  si  se  traist  vers 
l'oisel  pur  li  prendre  (Douce  15315-5;  d'où  les  leçons  diversement  modi- 
fiées de  Poitiers,  24858,  et  187). 

7.  On  remarquera  dans  B  la  construction  passive  ne  fu  oïe^  rempbcée 
dans  la  plupart  des  mss.  A  par  une  construction  active  [n^avoit  oie 
S,  Genev.,  1 5  5 14,  Poitiers  1 24 ;  n'oï  ï  H ^  5)* 

8.  C'est  seulement  dans  B  que  b  phrase  commence  par  Lors  ou  par 
Ùont,  —  Je  ne  puis  pas  m^empêcher  de  faire  remarquer  qu'il  y  a  dans 
Poitiers  124  une  bien  mauvaise  leçon  :  se  tint  pour  si*estut, 

9.  Tant  (ou  sï\  cum  Deu  plot  est  une  excellente  leçon,  qui  a  été  rempla- 
cée dans  quatre  mss.  de  la  fam.  A  |S.  Genev.,  1 55 14-5,  2485SJ  par  f.  c* 
lui  p,  îl  y  a  là  un  élément  pour  une  sous-division  de  la  fam.  A.  —  C'est 
dans  les  mss.  A  seulement  là  part  24858)  que  Poiseau  bat  ses  ailes 
avant  de  s'envoler. 

1 0.  Ce  petit  paragraphe  commence  tout  différemment  dans  A  et  dans 
B.  La  leçon  de  B  :  Deust  pensa  iL,.  est  plus  vive  et  partant  meilleure. — 
Le  ms.  Renault  et  l'ancienne  édition  ont  une  faute  en  commun  :  recom- 
mencerai  au  lieu  de  recovrerai;  mais  ces  deux  textes  sont  d'ailleurs  si 
différents  qu'on  ne  saurait  voir  dans  cette  coïncidence  qu'une  rencontre 
fortuite.  De  pan  et  d'autre  on  a  fait  la  même  faute  de  lecture. 

I  K  La  leçon  ne  la  conut  mie  est  constante  dans  B  et  ne  se  trouve  que 
dans  deux  dts  mss.  de  la  famille  A  (248  58  et  187),  les  autres  textesdu 
même  groupe  préfèrent  ne  se  (ou  ne  s'i\  reconut  mie  lou  point,  ou  pas) . 
—  Le  dernier  mot  est  dans  B  muées  ou  remuéts^  mais  bcstornées  ou  très- 
tornéesj  dans  A.  L'imprimé  (fam.  A)  et  Laud  {fam.  B)  se  sont  rencontrés 
dans  l'emploi  du  verbe  changer,  mais  cest  par  hasard,  car  du  reste  la 


MSS.    DE    MAURICE    DE   SULLY  487 

leçon  diffère  considérablement  (imprimé  :  luy  sembierent  les  choses  toutes 
changea;  Laud  :  //  sembla  tut  le  plus  changie), 

16,  5/  Deus  m^ait  est  propre  à  la  famille  B  :  dans  Laud  seulement  le 
commencement  de  la  phrase  a  été  omis.  Ces  mots  manquent  aux  mss.  A^ 
qui  en  revanche  ont  en  propre  (sauf  Douce)  cette  proposition  :  vous  m 
vile  onques  mais  y  ou  réqui  valent* 

ly.Sivoil  çacnz  entrer  manque  aux  mss.  B  et,  dans  A,  aux  mss. 
S,  Cenev.,  24858,  187,  Poitiers  2^2,  et  à  Timprimé;  ce  membre  de 
phrase,  qui  est  peu  utile,  peut  avoir  été  supprimé  par  des  copistes  indé- 
pendants les  uns  des  autres. 

r8  La  réplique  du  portier:  Dcçaenz...  n*eissi hui moines (Douc^'icarstc- 
térise  la  famille  -4.  Seul  dans  ce  groupe  24858  présente  une  leçon 
tout  individuelle  qui  ne  ressemble  pas  plus  à  A  qu*à  fî. 

19.  Dans  A,  le  moine  est  simplement  «  ébahi  n,  dans  B  il  est  de  plus 
w  éperdu  )>  lau  lieu  d*esperda^  il  y  a  dans  Hatton  e  mut  s*espantà\.  Dans  fi 
encore  le  moine  dit  crûment  au  portier  :  «  Vous  n*ètes  pas  le  portier  de 
céans  I»,  phrase  qui  ne  se  trouve  que  dans  un  seul  des  mss.  A  (Poitiers 
124). 

20.  Car  vus  ne  vi  ge  onques  mes  (Douce),  011  l'équivalent,  manque  aux 
mss.  fî  et  à  248518. 

21.  La  famille  B  place  ici,  à  tort  ou  à  raison  «  dans  la  bouche  du 
moine,  !a  demande  «  faites-moi  venir  Tabbé  et  le  prieur  »»  qui  repa- 
raîtra au  5  suivant.  Dans  deux  manuscrits  de  cette  famille  [Florence  et 
Renault)  la  répétition  des  mêmes  mots  à  un  court  intervalle  a  causé  un 
bourdon.  —  Dans  Poitiers  124  un  bourdon  a  fait  disparaître  tout  le 
§  2 1  et  une  partie  du  suivant. 

Je  ro*en  tiens  à  ces  remarques.  Fondées  sur  un  très-petit  nombre  de 
faits,  elles  ne  suffisent  point,  assurément,  à  fixer  les  bases  d'une  édition. 
Toutefois,  le  présent  travail  ne  sera  pas  inutile  au  futur  éditeur  des  Ser- 
mons. Il  lui  fournira  une  première  liste  de  mss.  dont  plusieurs  étaient 
jusqu'à  présent  inconnus.  Il  permet  en  outre  d'apprécier  dans  une 
certaine  mesure  la  valeur  relative  des  textes,  et  d'indiquer  ceux  qu'on 
peut  négliger  sans  inconvénient  :  ce  sont,  à  tout  le  moins,  les  deux  mss. 
de  Poitiers  et  les  numéros  187  et  24858  de  la  Bibliothèque  nationale. 
Même  après  cette  élimination  la  tâche  de  l'éditeur  des  Sermons  français 
de  Maurice  de  Sully  reste  ardue  et  compliquée. 

Paul  Meyer. 


MÉLANGES. 


I. 

R  POUR  S,  Z,  A  BEAUCAIRE. 

Des  études,  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  la  linguistique,  m'ayant 
conduit  récemment  à  faire  quelques  recherches  dans  les  archives  de 
Beaucaire,  j'y  ai  rencontré,  en  des  documents  datés,  quelques  exemples 
du  passage  d's,  z,  à  r  qu'il  m'a  semblé  utile  de  relever.  Le  fait  même  de 
cette  mutation  étant  actuellement  suffisamment  établi,  je  ne  songerais 
pas  à  en  donner  de  nouvelles  preuves,  si  celles  que  j'ai  à  produire 
n'aidaient  pas,  ainsi  qu'on  va  le  voir,  à  limiter  le  phénomène  en  ses 
circonstances  de  temps  et  de  lieu.  Je  disais  en  terminant  mon  premier 
article  sur  ce  sujet  :  «  De  tous  les  exemples  ici  réunis  il  résulte  que  la 
«  confusion  d'r  et  de  s,  z,  s'est  surtout  manifestée  au  xiv«  siècle  dans  la 
<(  partie  du  Languedoc  qui  correspond  aux  départements  du  Gard  et  de 
«  l'Hérault.  Je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  établir  qu'elle  ait  été  fréquente 
«  ailleurs  ni  en  aucun  autre  temps  »  {Romania,  IV,  194).  Depuis,  une 
communication  de  M.  Alart  a  montré  que  ce  phénomène  phonétique 
avait  fait  en  Roussillon  quelques  apparitions,  assez  rares  du  reste  '.  Voilà 
pour  la  limite  occidentale.  Voici  maintenant  pour  la  limite  orientale. 

Le  plus  ancien  des  registres  cadastraux,  ou,  plus  exactement^  des 
compoids,  de  Beaucaire  est  de  l'année  1390*.  Il  est  divisé  en  sept 
parties  qui  contiennent  Vallivrement  des  propriétés  sises  dans  autant  de 
quartiers,  de  gâches^  comme  on  disait  autrefois.  Ces  gâches  sont  celles 


1.  Romania  IV,  465-6.  Depuis  M.  Alart  a  trouvé  au  XIII<^s.,  en  Roussillon, 
Requcren  (nom  pr.)  pour  Requcsen  {Rcv,  des  langues  romanes ^  2*  série,  II,  58, 
note). 

2.  On  lit  sur  ce  registre  ces  mots  écrits  au  xvii«  siècle  :  t  Compois  de  1 390.  » 
J'accepte  de  confiance  celte  indication  que  je  n'ai  pas  pu  vérifier,  mais  qui 
a  priori  semble  vraisemblable.  Elle  peut  avoir  été  tirée  du  début  du  registre, 
lequel  est  actuellement  incomplet  du  commencement. 


R  POUR  5,  Z,  A  BEAUCAIRE  489 

de  la  Fustariit  an  Mercat,  du  Cementeri,  de  la  Corratam,  de  la  Muta,  de 
la  Bocarie,  de  VEspital,  de  la  Cro5.  Il  y  a  d'assez  nombreuses  additions, 
dont  récriture  accuse  le  xv*  siècle,  et  que  Ton  peut  avec  vraisem- 
blance supposer  antérieures  à  la  rédaction  d'un  nouveau  compoids, 
actuellement  existant  aux  archives  de  Beaucaire,  et  portant  la  date  de 
1460.  Dans  la  panie  écrite  en  i  jgo  on  trouve  à  tout  instant  paurat, 
paurada,  etc.  Ainsi,  au  foL  iij  V  de  la  gâche  de  la  Bocarie  :  «  Martin 
Miqueu,  doas  cartairadas  de  vinha  pauradas  als  clausels.  »  Mais  on 
trouve  fréquemment  aussi  pausut.  J'ai  de  même  rencontré  mard  (ma' 
cellum).  —  Dam  les  additions  ^ —  qui  sont  postérieures,  comme  je  viens 
de  le  dire,  à  1^90,  mais  antérieures  à  1460,  —  on  Tie  rencontre  plus 
d'exemples  du  passage  d*^  en  r.  Il  y  a  constamment  pausat,  mot  qui  par 
la  nature  même  du  registre  revient  à  chaque  article.  A  plus  forte  raison 
cette  mutation  est^elle  absente  du  registre  de  J460, 

Dans  les  mêmes  archives  il  y  a  un  registre,  également  en  langue 
vulgaire^  des  comptes  de  Tœuvre  de  Notre-Dame  de  Pommier.  Ces 
comptes  commencent  en  1Î91  et  comprennent  les  exercices  suivants 
jusqu'en  141 3,  si  j'ai  bonne  mémoire.  L'église  de  Nosîra  Dona  de  Pomies 
est  mentionnée  dans  le  titre  de  chaque  compte.  J*ai  relevé  les 
formes  suivantes  : 

guUya,  I  î9i  ;  gleirat  1 598  à  1401  ; 

gkyra,  1392;  gleisa,  1406. 

gleysd,  1395;  gleylhay  1409; 

gtieissa,  1597;         glUsa,  1412; 
gliessa,  1413. 

Parcourant  rapidement  ce  registre,  j'y  ai  trouvé  à  plusieurs  reprises^ 
dans  les  premières  années,  borgtres  (bourgeois)  ;  et  c'est  seulement  en 
1409  que  j*ai  rencontré  pour  la  première  fois  borgezes*  J'ai  copié  l'article 
suivant,  qui  appartient  au  compte  de  1395,  à  cause  du  grand  nombre 
d'exemples  d'r  pour  i,  2,  quil  renferme  : 

item,  que  Pons  Pelât  e  Johan  Charaut  aneron  a  Tarascon  dire  als  preruados 
de  Tarascon  que  en  le  prmc  fcrcsion  mensbti  de  la  proies  ion  '  que  ferem  le 
dimergue  a  Jjj.  de  desembre  per  rûron  de  las  ayguas  ;  pagurm  per  le  port 
viij  d. 

l'ai  voulu  savoir  si  le  même  fait  s^était  produit  de  l'autre  côté  du 
Rhône,  et  à  cet  effet  |e  suis  allé  consulter  les  plus  anciens  compoids  de 


t,  Profesioa  me  fait  f effet  d'être  employé  ici  comme  en  divers  eodroils  du 
poème  de  b  Croisade  albigeoise  pouf  proctùon.  Il  s'agit  probablement  d'une 
procession  faite  à  la  suite  d'une  inondation  du  KhÔne.  Je  n^aj  plus  sous  la  main 
les  registres  des  délibérations  du  conseil  de  Tarascon,  â  Taide  desquels  on  pour- 
rail  vérifier  si  réellement  cette  année-là  le  Rhône  est  sorti  de  son  lit.  Lesregistref 
du  conseil  de  Beaucaire  ne  commencent  que  beaucoup  plus  tard. 


490  MÉLANGES 

Tarascon  '  qui  n*cst,  comme  on  sait,  qu-à  500  mètres  de  Beaucaîrei  mais 
avec  le  fleuve  entre  les  deux  villes.  Us  ne  m*ont  offert  aucun  cas  d'r  pour  i 
ni  d'i  pour  r  Je  m'attendais  du  reste  à  ce  résultat  négatif,  car  un  phéno- 
mène aussi  notable  ne  m'aurait  pas  échappé  lorsque  en  r862  j'invento- 
riais les  archives  de  Tarascon.  A  Arles  mes  recherches  dans  les  compoids 
les  plus  anciens  ont  abouti  au  même  résultat,  ce  qui  peut  être  attribué  à 
la  date  de  ces  registres  1 1 424^ ,  tous  postérieurs  au  temps  où  nous  venons  ' 
d'observer  à  Beaucaire  la  substitution  dV  à  s.  Nous  avons  vu  précédem- 
ment (Rom.  IV^  468)  que  ce  phénomène  s'était  manifesté  à  Arles  dans 
la  seconde  moitié  du  xiv*  siècle. 

Tout  considéré,  on  peut,  ce  me  semble,  tenir  pour  certain  que  le  chan* 
gement  d'i,  z  en  r,  et  réciproquement,  ne  s'est  point  étendu,  sauf  en  des 
cas  isolés,  au-delà  du  Rh&ne,  et  qu'en  général  il  a  cessé  de  se  manifester 
vers  le  commencement  du  xiv«  siècle.  Ce  sont^  avec  un  peu  plus  de  préci- 
sion, les  conclusions  auxquelles  j'étais  déjà  parvenu  dans  mon  premier 
travail  sur  ce  sujet, 

P.  M. 


IL 


DE  QUELQUES  MODIFICATIONS  PHONÉTIQUES 

PARTICULIÈRES   AU    DIALECTE    BAS-NORMAND. 

Parmi  les  causes  qui  peuvent  influer  sur  la  transformation  des  sons 
primitifs^  une  des  plus  générales  est  ïa  tendance  de  ceux-ci  à  devenir  de 
plus  en  plus  extérieurs  ;  c'est  là  un  fait  qu'il  est  facile  de  constater 
particulier  dans  l'histoire  des  langues  romanes.  Ainsi  la  gutturale  latine 
c  {k]  a  donné  naissance  à  des  chuintantes  ou  linguales  et  à  des  spirantes 
dentales,  qui  toutes  s'articufent  bien  en  av^ant  du  point  où  se  forme  dans 
la  cavité  buccale  le  son  primitif  Jt.  Cependant»  malgré  sa  généralité^  cette 
loi  est  loin  d*être  sans  exception;  et,  après  y  avoir  obéi,  les  idiomes 
romans  s*y  sont  parfois  soustraits  et  en  ont  suivi  une  tout  opposée.  La 
transformation,  au  xvi''  siècle,  de  la  chuintante  ^  en  spirante  gutturale  y, 
que  j'ai  signalée  autrefois  dans  l'espagnol  >,  en  est  un  exemple  curieux  ; 


r.  Les  six  plus  anciens  sont  en  kinçuc  vulgaire.  Le  premier,  non  daté» 
appartient  à  h  seconde  moitié  du  xiv^  siècle;  le  second  a  été  exécuté  très-peu 
après  IÎ9Î,  ïe  troisième,  en  1442,  le  quatrième,  en  14^9,  le  cinquième,  en 
1487,  le  sixième,  en  ^498. 

2,  Du  c  iiûns  Us  langues  romams,  p.  21  j.  —  Ceci  n'a  pas  lieu  seulement  pour 
la  sourde  1,  mais  encore  pour  h  sonore  i  (;\  qui,  comme  elle,  s*est  transformée 
en  la  spirante  gutturale  sourde  x»  Celte  transformation  de  deux  sons  originaire- 
ment différents  en  un  seul  tient  à  la  disparilion  au  XVl*?  siècle  des  spirantes 
sonores  en  espagnol  C'est  par  la  même  rajson  que  i  qui»  au  moyen-âge,  devait 


QUELQUES  MODIFICATIONS  PHONÉTIQUES  EN  BAS-NORMAND         49I 

X^  en  effet,  s'articule  plus  en  arrière  que  s.  Cependant,  c'est  là  un  fait  isolé, 
je  crois,  dans  la  phonétique  ancienne  des  langues  romanes  ' ,  les  patois 
modernesi  au  contraire,  en  présentent  des  exemples  nombreux,  et  il  en 
est  un  en  pariiculier,  le  normand,  où  la  tendance  dont  je  parle  semble 
avoir  déterminé  les  transformations  les  plus  curieuses  de  consonnes  qu'iJ 
ait  subies  récemment. 

Ces  transformations  toutefois  ne  sont  pas  dues  uniquement  au  recul 
vers  la  partie  postérieure  de  la  cavité  buccale  du  point  où  se  fait  le  con- 
tact ou  le  rapprochement  entre  la  bngue  et  le  palais  :  pour  qu'elles 
puissent  se  produire,  il  faut  que  les  explosibles,  liquides  ou  nasales,  soient 
accompagnées  de  i,  c'est-à-dire  d*iine  voyelîe  palatale,  suivie  elle-même 
d'une  autre  voyelle,  et  que  par  conséquent  il  y  ait  un  concours  de  voyelles 
à  éviter.  C'est  le  cas  pour  les  groupes 

I  îioudi  -f  voyelîe, 

^^H  ni         +  voyelle, 

^^P  H         +  voyelle, 

F    dont  la  consonne  n'est  pas  gutturale.  Voyons  comment  on  peut  rendre 
compte  des  modifications  subies  par  chacun  d'eux. 

Pour  le  premier  îi  +  voy.  le  point  de  contact  est  reporté  de  la  région 
antérieure  du  palais  dur  vers  le  palais  mou,  là  même  oi^i  se  forme  la  pala- 
tale, et  la  dentale  t  est  remplacée  par  la  gutturale  palatale  /;;  îi  H-  voy. 
devient  ainsi  fc  -\-  voy.  Ainsi  : 

aminé,  cimetière^  pitié,  tuUy  etc. 
ont  donné  :  amiUié^  chim'kière,  piflié,  kien,  etc. 

Cette  transformation,  on  le  sait^  se  rencontre  encore  dans  d'autres 
idiomes  populaires  au  nord  de  la  Loire,  mais  nulle  part  aussi  générale- 
ment qu'en  normand.  Par  la  même  raison,  le  groupe  di  4-  voy,  se  trans- 
forme en  ^(«)i  +  voy.  Ainsi  : 

diabk^  Dieu,  étudier^  etc. 
sont  devenus  :  £\a\iabU^  g{u)ieu,  étugiu^ié^  etc. 

La  transformation  du  groupe  ni  +  voy.  ne  s'explique  pas  moins  faci- 
lement. Le  point  de  contact  étant  reponé  de  la  région  dentale  vers  le 

y  être  sonore,  comme  dans  les  autres  langues  romanes,  entre  deux  voyelles,  est 
devenue  sourde  dans  tous  les  cas  et  que  c  et  i  qui  représentaient  primitivement 
les  sons  ts  et  dz  en  se  transformant  vers  la  même  époque  que  J  et  r  y  ont  aussi, 
comme  ces  chuintantes,  donné  naissance  à  une  seule  spirante  sourde,  analogue 
au  th  dur  anglais.  Il  n*est  ainsi  resté  vcritablemenl  en  espagnol  d'autre  spirante 
sonore  que  le  yot.  (^uant  au  v,  comme  il  ne  pouvait  se  changer  en  /,  son  qui 
n'existe  pas  à  vrai  dire  dans  cette  langue,  il  s'esl  transformé  en  explosible  b.  W 
me  semble  du  moins  qu'on  peut  expliquer  ainsi  la  substitution  du  son  b  an  v 
primitif. 

I  Ceci  est  vrai,  s'il  s'agit  d'une  consonne  isolée;  des  transformations  de  con* 
sonnes  accompagnées  de  voyelles,  au  contraire,  dont  îl  va  être  question,  celle  de 
si  -h  voy.  £0  ff  +  voy.,  se  rencontre  déjà  dans  les  anciens  idiomes  romans. 


492  MÉLANGES 

palais  moUt  l'articulation  se  fait  au  lieu  même  où  se  produit  Vn  palatal  : 
/î,  lequel  est  égal  à  n  ^  i^  i  disparaît  alors  et  le  groupe  ni  +  voy,  devient 
ainsi  n  -f  voy.  Par  exemple  : 

nier,  manière^ 
ont  donné  :  né^  manère. 

Les  choses  se  passent  moins  simplement  pour  le  troisième  groupe,  ii 
-f  voy.  Le  report  du  point  de  contact  vers  la  partie  postérieure  du  palais 
a  pour  résultat  d'empêcher  la  production  dy  son  /  qui  est  dental,  cette 
liquide  est  alors  remplacée  par  la  spirante  palatale  y,  laquelle  se  confond 
avec  i  et  le  groupe  //  -h  voy.  fait  place  au  groupe  y  +  voy.  Ainsi  : 

//  ïi  a  anc«  norm.  (Il  lui  a] 
est  devenu  :  ^  y  t^* 

C'est  par  une  raison  analogue  que  Fi  mouillée  disparaît  au  milieu  des 

mots  et  y  est  remplacée  par  y,  modification  qoi,  on  le  sait,  se  rencontre 

aussi  dans  ta  prononciation  populaire  de  Paris.  Ainsi  : 

batailler^  cffoudrailier  (effrayer),  etc., 

sont  devenus  :      batâyéy  éffoudrâyé. 

Toutefois  dans  le  patois  normand,  —  dans  celui  du  Bessin  du  moinSj' 
—  /  mouillé,  au  lieu  de  se  changer  en  y,  se  réduit  seulement  devant 
c  à  /  ordinaire,  par  exemple  : 

bouteiliey  écaille ,  JUk^  merveille^  etc. 
donnent  :  boutéle^    écalt^    file,  meiyéU^    etc. 

n. 

Bien  qu'elles  s'y  rencontrent  plus  souvent  et  plus  régulièrement  qu 
dans  les  autres  idiomes  populaires  et  qu'elles  y  soient  devenues  telleme 
naturelles  qu'un  Normand  ait  peine  à  prononcer  un  des  groupes  primitifs 
fi,  ni  et  //  +  voy.  et  n'y  parvienne  souvent  qu'après  de  longs  efforts,  les 
trois  modifications  de  consonnes  dont  je  viens  de  parler  n'appartiennent 
pas,  comme  je  l'ai  fait  remarquer,  exclusivement  au  patois  normand  ;  en 
voici  une,  au  contraire,  que  je  lui  crois  particulière,  c'est  celle  de  la 
diphlhongue  ui  {îii]  en  ieu  (io). 

La  diphthongue  ui  est  composée  d'une  labiale  et  d'une  palatale,  dont 
l'articulation  a  dû  paraître  difficile  au  patois  moderne;  pour  l'éviter,  on  a 
remplacé  le  plus  extérieur  des  deux  sons  par  celui  de  même  nature  que  le 
plus  intérieur  offert  par  la  langue,  c*est-à-dire  par  une  palatale,  et  le 
plus  ressemblant  au  premier,  c*est-à-dire  à,  et  iii  est  devenu  ainsi  ot  et, 
par  transposition,  io.  C'est  ce  que  montrent  les  mots 

aujourd'hui,  nutij  suif^  suivre^  sais^  etc. 
transformés  dans  le  patois  moderne  en 

ôjourgu[t\iu,  neu  ',  sieu^  sieUrej  sieâ,  etc. 

i .  ff,  de  ntu  représente  ni,  comme  gu{i)  de  diourgu{i)iu  représente  gui.  De  même 


UNE  PARTICULARITÉ  DU  PATOÎS  DE  QUEICE  49J 

Dans  quelques  mots,  la  dîphthongue  liij  au  lieu  de  se  transformer  en 
10,  s'est  atténuée  en  i;  ainsi  : 

huîtrej  suie,  suint^  suis, 
ont  donné  :  lire^     sk^    si,      si  à  cAté  de  sieU. 

C*esl  celte  dernière  forme  que  l'on  rencontre  surtout  à  Guemesey. 
Quant  à  la  diphthongue  ai,  elle  n'a  persisté  que  dans  huit  et  dans  le  mot 
du  reste  peu  populaire  fruit  K 

Charles  iOREX. 
Aix,  avril  1876. 


ni. 


UNE  PARTICULARITÉ  DU  PATOIS  DE  QUEIGE  (SAVOIE). 

Parmi  les  transformations  romanes  du  C[A]  latin  initial,  il  en  est  une 
que  M.  Joret  n'a  pas  rencontrée  :  c'est  la  métathèse  de  ts  en  $î.  En  voici 
quelques  exemples  empruntés  au  patois  de  Queige  (c.  de  Beaufort,  arr. 
d'Albertville,  Savoie).  Je  les  tiens  d^une  domestique  du  pays  qui  n'a  pu 
me  renseigner  sur  la  topographie  de  ce  phénomène.  Les  patois  savoisîens 
paraissent  différer  sensiblement  entre  eux,  mais  leur  littérature  est  très- 
pauvre,  et  les  savants  du  crû  ne  semblent  pas  leur  avoir  accordé  une 
grande  attention.  Je  me  borne  donc  à  la  simple  constatation  du  fait  en 
un  point  provisoirement  isolé. 

c[a]  initial  devaient  st  :  caballas-STEvày  câtceare-^jàçÈ,  c^Wutti-stô, 
calindâS'STMÈî*DE^  'camba-srxMBiL,  cdm/Vîum-STEMÉN,  cam^r^-STAMBRÉ, 
camisia-^TEMUEf  cdmm'STtn  ,  cannabim-sjE.îitvE  ^  cantaioretn-STA^TV^ 
*capdlum'STAPt^  capiikn-ST afla,  car/jfm-STÉR,  cata  (xaTà)-A  sta  p6', 
Ciî/fum-STÉ.  — Exceptions  :  caW/a-CAVÉLA,  cavea-CkiE,  catèh  [h.  catin, 
Catherine). 

Je  possède  un  trop  petit  nombre  de  mots  pour  rien  dire  des  autres 
traitements  du  c. 

J.  BAUqUIER. 


dans  uheu  (coclum)  pour  cuit^  tchcusse  (coxam)  pour  cuisse,  icktu  est  pour  kùt, 
kûi^  kë.  Dans  h  iransformatton  de  (a  gutturale  en  palatale  proprement  dite,  le 
son  (  qui  suivait  la  première  s'atténue  après  ta  seconde,  il  ne  subsiste  )dnidis 
après  uh  et  n  dans  ie  patois  du  Bessin. 

I .  On  entend  encore  souvent  anai  à  côté  de  agmu  (ad  noctcra)  :  aujourd'hui, 
nuiU  ^nebula)  et  mtU  à  cÔté  de  gueaU  et  gueulé  ;  iaik  (tcgula)  est  même  encore 
plus  usité  que  ichtak, 

i,  P.  Meyer,  Romûnia^  '87?,  80-5;  Cornu,  i875jp.  4^j'4» 


COMPTES-RENDUS. 


Randschriftliche  Studlen  auf  dem  Gebîete  romanischer  Literalur  des 
MiUela3lers,  von  Alfred  Wlbe».  L  Untersuchungen  ùber  die  Vu  dn  Anciens 
Ptns,  Fratjenfeld,  Huber,  1876,  in-S",  80  p. 

Encore  un  début  qui  promet.  L'auteur  a  choisi  pour  objet  de  ses  premières 
ètadti  le  recueil  de  contes  dévots  connu  sous  le  nom  de  Vu  des  Pbcs,  Il 
commence  par  décrire  les  maniiscrîls  de  sa  connaissance  qui  contiennent  ce 
recueil,  puis  il  essaie  d*en  classer  un  certain  nombre;  il  cherche  ensuite  à  déter- 
miner la  langue  dans  laquelle  le  recueil  a  été  composé  ;  enfin,  comme  spécimen, 
il  publie  un  conte  inédit  d'après  neuf  manuscrits  comparés  par  lui.  Chacun  de 
ces  petits  travaux  est  bien  mené  et  exécuté  avec  une  précision  et  une  sobriété 
des  plus  satisfaisantes.  Le  premier  chapitre  aidera  beaucoup  ceux  qui  essaieront 
de  se  reconnaître  dans  les  manuscrits  souvent  si  incohérents  qui  contiennent  avec 
la  Vu  des  Paes^  plus  ou  moins  complète  et  suivie,  des  légendes  de  toute  prove- 
nance, LVssai  de  classification  paraît  bien  conçu  ;  cependant  il  ne  m'a  pas 
semblé  que  la  comparaison  des  variantes  du  conte  publié  le  confirmât  dans  tous 
ses  détails.  Ce  qui  est  dit  sur  la  langue  est  fort  intéressant,  en  tant  que  collec- 
tion de  faits;  quant  à  dire  avec  M.  Weber  que  ces  laits  caractérisent  un  dia- 
lecte bourguignon  influencé  par  le  tourangeau,  je  ne  m'y  risquerai  sûrement  pas. 
Le  bourguignon  me  paraît  fort  peu  sensible  dans  ce  dialecte,  et  si  je  voulais  lui 
assigner  une  patrie,  ce  serait  sans  doute  du  côté  de  la  Touraine  et  de  TAnjou 
que  je  la  chercherais.  Je  ne  puis  souscrire  à  ce  que  dit  M.  W.  à  propos  des 
rimes  comme  faé  (futur)  voUmi,  se,  pmsè:  W  en  conclut  qu'il  faut  *  revendiquer 
pour  le  dialecte  bourguignon  i  celte  particularité  d'avoir  changé  en  ï  IV  prove- 
nant de  d  latin,  car  si  =:  sai^  ftré  =  ferai  ont  sûrement  un  *  ouvert,  comme  le 
montrent  les  rimes  telles  que  ph  (pacem),  tonfts^  ksi  (tacet),  tst^  etc.;  enfin  il 
attribue  à  t'influence  du  dialecte  bourguignon  le  changement  de  /  en  r  en  fran- 
çais dans  mtr,  haut,  etc.  Doucement  !  M.  W,  aurait  renversé  tout  son  échafau- 
dage s'il  avait  remarqué  que  la  rime  d>  (=:  ai)  avec  i  ne  se  présente  que  dans 
des  cas  oh  i  est  final  ;  or  dans  ce  cas  le  français  a  toujours  eu  une  aversion  pour 
le  son  h  ;  dans  la  langue  actuelle  sats^  ferai j  etc.,  se  prononcent  sé^  feri,  et  il 
faut  remarquer  qu'en  Touraine  aujourd'hui  les  mois  terminés  en  -tf,  comme  fro- 
chetj  pûitUt,  se  prononcent  avec  é^  et  non  avec  e  comme  à  Paris.  Laissons  donc 
provisoirement  dormir  les  prétentions  du  dialecte  bourguignon,  qui  n'a  d'ailleurs 
rien  à  faire,  suivant  les  probabilités,  avec  notre  texte»  La  conlusion  accidentelle 
de  é  avec  ié  indique  aussi  T ouest  plutôt  que  l'orient  de  ta  France.  A  propos  des 
remarques  empruntées  par  M.  W.  à  Burguy^  je  dirai  qu^il  est  temps  de  cesser 


vie  de  saint  Benezet^  p.  p.  j.-h.  albanès  49) 

d'ioYoqaer  les  idées  tout  à  fait  arbitraires  de  ce  grammairien.  Servons-nous  de 
son  livre  comme  d'un  utile  recueil  de  matériaux,  mais  n'accordons  pas  la 
moindre  importance  à  ses  théories. 

Le  texte  est  très-bien  publié,  sauf  quelques  légères  inadvertances.  Il  est  sin- 
gulier que  M.  W.,  contre  la  plupart  des  mss.,  ait  altéré  le  premier  vers,  qui  est 
en  même  temps  le  dernier  {Qui  de  loing  garde  de  pris  jot)^  d'autant  plus  que 
M.  Tobler  l'avait  jadis  correctement  imprimé.  La  ponctuation  laisse  à  désirer, 
et  prouve  que  l'éditeur  n'a  pas  toujours  bien  compris  ;  ainsi  v.  76  lisez  Et  a 
Dea  tolir  et  embler  Vos  âmes  ^  C'est  trop  grant  folie  ;  v.  215-16,  Cesir  qu^une 
nuit  par  mon  vers  y  Devant  que  ceste  chose  aviegne;  v.  283,  Et  coment  qu'il  aut^ 
bien  vos  di;  v.  ^05-6,  Ou  seroit  la  fontaine  prise  Ne  trovee .'  Ce  ne  puet  estre,  etc. 
Il  y  a  aussi  quelques  fautes  d'impression  ;  faut-il  ranger  dans  cette  classe  le 
V.  132  ?  En  tout  cas  je  ne  le  comprends  pas. 

Aux  quelques  notes  explicatives  de  M.  W.  il  en  a  joint  que  lui  a  fournies 
M.  Tobler.  Fers  au  v.  33  paraît  pris  dans  le  sens  d'  «  hameçon  »;  le  sens 
propre  de  doine  n'est  pas  «  avare  i  ;  nie  au  v.  74  veut  dire  «  noyé  »  et  ne  vient 
pas  de  nidus;  sor  son  pois  ne  signifie  pas  c  au-dessus  de  la  mesure  de  ses  forces  », 
mais  toujours  «  malgré  lui  »;  on  ne  peut  guère  expliquer  le  v.  338  autrement 
qu'en  lisant  d'essor ^  et  il  faut  admettre  une  rime  fautive  ;  à  l'époque  de  notre 
texte  ces  fautes  ne  sont  pas  sans  exemples,  mais  celles  que  cite  M.  Tobler  sont 
d'un  autre  genre. 

Nous  ne  pouvons  qu'exprimer  le  désir  que  la  suite  des  Handschriftliche  Studien 
paraisse  bientôt  et  soit  aussi  intéressante  que  la  première  partie. 

G.  P. 


La  vie  de  saint  Benezet,  fondateur  dn  pont  d*Avl|^on.  Texte  pro- 
vençal du  XIII'  siècle,  accompagné  des  actes  en  latin,  d'une  traduction  fran- 
çaise, d'une  introduction  et  de  notes  historiques,  critiques  et  bibliographiques, 
par  l'abbé  J.-H.  Albanès.  Marseille,  Camoin,  1876.  In-8%  xxi-49  p. 

Le  fond  de  cette  publication  se  compose  essentiellement  du  texte  des  actes 
du  saint  et  de  l'enquête  sur  les  miracles  qu'on  lui  attribuait.  Ce  double  texte 
avait  déjà  été  mis  au  jour  par  les  Bollandistes  (avril,  II,  257-9),  et  est  ici  réimprimé 
d'après  le  ms.  même  qu'ils  ont  publié  et  qui  appartient  aux  archives  d'Avignon. 
A  ces  deux  documents  et  en  regard  M.  l'abbé  Albanès  a  joint  une  traduction 
provençale  qu'il  fait  remonter  <p,  Tn)  au  commencement  du  xin'  siècle,  une 
traduction  française^  qui  parait  assez  peu  utile,  des  notes  nombreuses,  et  une 
assez  longue  introduction  dont  une  partie  est  consacrée  à  démontrer  qu'il  faudrait 
être  dépourvu  de  raison  pour  nier  les  prodiges  qui  ont  accompagné  la  construc* 
tion  du  fameux  pont  d'Avignon. 

Pour  nous,  négligeant  tout  ce  qui  n*est  pas  do  domaine  de  la  Kience,  noos 
nous  bornerons  à  quelques  remarques  sur  Téditton  elle-même.  Nous  croyons  que 
M.  Tabbé  A.,  qui  se  montre  parfois  fort  dur  pour  ceux  qui  avant  lui  ont  tou* 
cbé  à  qoe^se  partie  de  son  sujet,  n'est  pas  i  l'abri  de  tcut  reproche.  Les 
c  diférences  assez  notables  •  qui,  selon  le  nouvel  éditeur,  existeraient  entre  son 
texte  et  celsi  des  Bcllandbtes,  se  réduisent  i  fort  peu  de  cho^.  Il  en  est  une 
ceffeacaat  qui  a  son  importance,  et  qui  parait  avoir  échappé  â  M,  Tabbé  Alio- 


496  COMPTES-RENDUS 

nés:  p.  4,  I.  7,  au  lieu  de  AudUnSf  les  Bollandistes  ont  Adkns,  Il  en  résulte  tin 
sens  absolument  différent.  Avec  audkns  le  texte  est  tnîfitclligibie  k  ce  point  que 
M.  A.  est  amené  hoir  p.  27)  à  supposer  une  lacune.  Avec  adkns  le  sens  ic 
suit  parfaitement*.  Il  est  probable  qu'il  y  a  audims  dans  le  ms.^  puisque  te  Ira- 
ducieur  provençal  a  traduit  aazmi;  mais,  si  la  leçon  aduns  est  une  correction 
des  Bollandistes,  c'est  une  excellente  correction^  et  il  est  assez  surprenm!  que 
M.  A.  n'en  ait  tenu  aucun  compte. 

L'ancienne   traduction  provençale   des  actes  et   de   l'enquête^   tirée    d'une 
copie  de  l*an  \  500  (voy*  p.  31).  paraît  avoir  été  aux  yeux  de  l'éditeur  !e  morceau 
principal  de  la  publication.  Du  motns  elle  est  annoncée  en  vedette  dans  le  titre, 
et  M.  A.  insiste  à  plusieurs  reprises  sur  son  importance.  Il  y  a  fâ  un  peu  d'exa- 
gération* D*abord  il  ne  me  semble  pas  que  M.  A.   ait  établi  autant  qu'il  le  dit 
(p.  j  1)  qu*elle  remonte  au  commencement  du  \\u^  siècle.  Je  la  crois  plutôt  de 
la  fin  de  ce  même  siècle,   Certains  détails,  par  exemple  l'emploi  fréquent  ded 
l'auxiliaire  va  avec  un  infinitif  {va  incotitrar,  va  dire,  etc.)  me  paraissent  indi^^ 
quer  cette  époque.  D'autre  part  les  raisons  que   donne  l'éditeur   (p,  vn)  ea 
faveur  d'une  plus  grande  ancienneté  (par  exemple  l'emploi  de  mots  tout  latins 
tels  que  Dcus^  diaboîusi)^  sont  très-faibles.  Enfin,  les  considérations  présentées 
au  début  de  la  préface  sur  îa  nature  des  textes  provençaux  du  moyen  âge,  qulj 
presque  tous  appartiendraient  *  à  un  langage  artificiel  inventé  par  les  Trouba- 
dours, et  qui  en  réalité  n'était  parlé  aucune  part  >,  sont  d'une  justesse  fort 
contestable,  —  Sur  le  texte  même  édité  par  M.  A.  j'ai  quelques  observations  àj 
présenter.  P.  1,  I.  j^  apparîamtnl  doit  être  lu  appert-,  et  au  contraire  pcnonw 
serait  mieux  écrit  pars^,  P.   5,   I.   14,  ne  pourrait  on  lire  Pfir<;  au  lieu  de' 
Pttrts?  P.   I  j,   I.  8,  quitron  h  penre  n'a  pas  de  sens;  le  latin  tredidtrunt  €um 
acctptrc  indique  qu'il  faut  lire  caieron,  — Je  ne  sais  pourquoi  M.  A.    imprime 
jcu^  ticvas,  sievas:   l'usage  ordinaire,  autorisé  par  la  prononciation  actudJe, 
est  d'écrire  ieu^  tUuûS,  situas, 

P.  M. 

I  parlari  Itallanl  in  Gertaido,  alla  festa  del  V.  centenirio  di  Messerl 
Giovanni  Boccacio,  Omaggio  di  Giovanni  Papawti.  Livorno,  1875,  gr.  in-8%f 
xiv-7]6  p. 

M.  Papanti,  bien  connu  par  ses  recherches  sur  les  novelluri  italiens,  a  réuni 
dans  ce  volume  environ  700  traductions  en  dialectes  italiens  ou  des  pays  voisins, 
d'un  des  contes  les  plus  brefs  de  Boccace,  le  neuvième  de  la  première  journée* 
illui  a  paru  que  h  réunion  de  tous  ces  spécimens  linguistiques,  *  non  pas  seu- 
I  lemcnt  de  l'Italie  aujourd'hui  constituée  en  nation  sous  le  sceptre  du  roi 
*  Victor-Emmanuel  II,  mais  réellement  de  l'Italie  prise  en  ses  confins  naturels  • 
était  Thommage  le  plus  digne  qu'on  pi^t  rendre  au  père  de  la  prose  italienne  i 


I.  Voici  la  scène,  Le  petit  Bcneici  vienltrou  ver  l'évéque  d'Avignon  et  lui  dit:  a  Jésus- 
Christ  m'a  ctiar^é  de  faire  un  pont  sur  te  Rhône-  n  L'èvéquc  se  met  i  rire  et  l'envoie  au 
prévfit  de  la  vilte  pensant  que  celui<i,  qui  était  trés-cruel,  ne  manquerait  pts  de  faire 
souffrir  au  petit  homme  quelque  cruel  supplice.  «  Adieiu  tamen  illum  Benedictus  pad- 
6ce  loquiiur,..  *>  Puis,  la  conversation  finie»  Benezct  revient  auprès  de  Tèvéque 

a   M,  A.  cite  aussi  justus  qui  n*j  rien  de  partictilièremfnt   archaïque. 


FAPANTi,  /  par  tari  iîaliani  in  Certaldo  497 

roccasion  de  son  cinquième  centenaire.  M.  P.  a  eu  de  plus  en  vue  Tutililé  que 
les  études  grammaticales  pourraient  tirer  d'une  aussi  riche  collection  de  spèci- 
mens,  entre  lesquels  plusieurs  se  rapportent  à  des  dialectes  qui,  peu  à  ptu,  dis- 
paraissent avant  qu'on  ait  songé  à  en  noter  les  caractères. 

Le  choix  de  la  nouvelle  IX  de  la  première  journée  était  tout  indiqué.  Elle  a 
déjà  été  traduite  en  douze  dialectes  italiens  par  les  soins  de  Salviati  (Venise, 
i  ^84)*  Ces  douze  versions  (BergamCj  Bologne,  Florence,  Frioul^  Gênes,  Istrie, 
Mantoue,  Milan,  Naptes,  Padoîie,  Pérouse,  Venise)  formaient  une  introduction 
naturelle  au  recueil  de  M,  P.  qui  ne  &*est  pas  borné  à  les  réimprimer  pure- 
ment et  simplement,  mais  y  a  joint  des  commentaires  linguistiques  fournis  par 
des  érudits  locaux. 

L'ensemble  du  recueil  est  ordonné  ainsi  qu'il  suit  :  Prcmim  parût,  textes  de 
Salviati  avec  commentaires  (p.  10-47)  î  —  Dtaximc  partit^  textes  modernes; 
1°  dialectes  italiens  du  royaume  d'Italie,  classés  par  province,  et,  dans  chaque  pro- 
vince, par  ordre  alphabétique  des  lieux  (p.  48-568)  ;  2*  dialectes  italiens  des 
populations  ne  faisant  pas  partie  du  royaume  d'Italie  (p.  569-655).  —  Troiitbnc 
partie^  langues  étrangères  parlées  en  Italie  (p.  647-700);  — A ppcndia^  venions 
diverses*  (p.  701-726).  *-  Tabk  alphabétique. 

Cette  classification,  qui  est  bonne  en  soi,  n'est  pas  toujours  parfaitement 
suivie.  Ainsi  l'arabe  de  Malte,  qui  avait  sa  place  naturelle  dans  l'appendice  (si 
tant  est  qu'il  eût  droit  à  une  place  quelconque  dans  ce  recueil)  ^  est  classé,  je  ne 
sais  pourquoi,  dans  la  troisième  partie  [Linguaggi  stranim  parlaîi  in  hûiiù),  — 
Ce  qui  me  paraît  plus  grave,  c'est  d'avoir  placé  les  versions  en  patois  de  l'an- 
cien comté  de  Nice  dans  la  seconde  partie  (parlm  italiant  di  popolazioni  non 
facunù  parte  dtl  rcgno),  à  côté  des  spécimens  incoitestablement  italiens  de  la 
Corse,  de  la  Dalmatie,  de  IMstrie,  Ceux  mêmes  qui  se  montrent  le  moins  rigou- 
reux quant  à  la  classification  des  dialectes  ne  sauraient  admettre  qu'on  hésitât 
sur  la  place  du  niçois.  C'est  ëvidemmcMit  et  sans  contestation  possible  un  dia- 
lecte de  la  langue  d'oc.  Le  caractère  provençal  est  frappant  dans  la  version 
niçoise  des  pages  624-5  "Malgré  l'orthographe  tout  ilahenne  (et  mauvaise  en 
plus  d'un  point)  adoptée  par  le  traducteur  3. 

Un  tel  recueil  est  quelque  chose  de  plus  qu'une  simple  curiosité.  Pour  beau- 
coup de  localités,  les  spécimens  qu'il  fournit  sont  les  seuls  qu'on  ait  jamais 
écrits,  et  les  notes  linguistiques  jointes  par  certains  traducteurs  à  leur  version 
ont  une  très*réelle  valeur.  Je  mentionnerai,  par  exemple,  les  remarques  de 
M.  Falcucci  sur  le  dialecte  corsej  et  celles  de  M.  Camarda  sur  le  grec  de  la 
Terre  d'Otrante.  Mais,  tl  ne  faut  pas  se  dissimuler  qu'en  somme  àt$  traductions 
modernes  d'un  texte  du  xiv*  siècle  ne  sauraient  fournir  d'irréprochables  spéci- 


I,  Entre  autres,  une  version  en  provençal  moderne,  par  Fr.  Mistral.  Elle  a  été  repro- 
duite dans  \'Armina  provençâu  de  cette  année. 

ï.  Par  exemple  ce  traducteur  écrit  premier*^  annûr\  sopùHdf,  et  nous  avertit  en  note 
que  IV  final  ne  se  prononce  pas  dans  ces  mots,  ce  cru'il  indique  par  l'addition  d'une  apos- 
trophe. Mais  û  Vr  final  ne  se  prononce  pas,  en  a*autres  termes  si  elle  n 'existe  pas.  Il 
est  simplement  absurde  de  l'écrire.  L-a  perte  de  IV  en  tel  cas  est  actuellement  h  peu  près 
générale  en  Provence,  et  les  Provençaux  ont  la  sagesse  d'écrire  prmi/,  Jflii,  etc.— Le  même 
traduaeur  écrit  cu-si-^ht^  ce  qui  doit  être  écrit  cu-sight  (quiconque),  sight  étant  la 
troisième  personne  du  sing.  du  subi   prés*  ù'tstrc* 


Romania,  V 


|3 


498  COMPTES^RENDUS 

mens  des  dialectes.  Et  cela  pour  deux  raisons.  La  première  c'est  que  ce  texte 
contiendra  sûrement  des  idées  pour  lesquelles  bien  des  patois  n'auront  pas 
d*expfession.  En  ce  cas  le  traducteur  se  verra  réduit  à  Tune  de  ces  deux  alter- 
natives: ou  modifier  le  texte,  de  façon  à  le  rendre  iraduisible  en  patois  (et  ceseri 
pour  le  but  qu'on  se  propose  le  parti  le  plus  sage\),  ou  emprunter  à  Tidiome 
littéraire  les  expressions  qui  font  défaut.  Dans  le  premier  cas,  celui  d'une  tra- 
duction libre,  chaque  spécimen  peut  être  excellent ,  mais  ils  diffèrent  trop 
les  uns  des  autres  pour  pouvoir  être  utilement  comparés,  et  l'avantage  résullant 
d' un  texte  unique  est  X  peu  près  perdu  ;  dans  le  second  cas,  tes  spécimens  ne 
méritent  qu'une  confiance  très»! imitée, 

La  seconde  cause  d'imperfection  vient  de  cequ'iî  est  impossible  d'obtenir  que 
les  auteurs  de  700  spécimens,  fussent*ils  tous  très- versés  dans  les  délica- 
tesses de  la  phonétique,  donnent  la  même  valeur  aux  mêmes  lettres.  Les  uns 
voudront  concilier  la  notation  du  son  avec  rétymologie,  comme  le  traducteur 
niçois  mentionné  ci-dessus^  qui  augmente  les  terminaisons  d'un  r  final  de  l'in* 
lînitif  niçois,  sans  doute  parce  que  cette  r  existe  réellement  en  talin  et  en  italien. 
D'autres  auront  la  sagesse  de  s*en  tenir  à  la  notation  des  sons^  mais  les  note^ 
ront  selon  des  systèmes  plus  ou  moins  différents,  de  telle  sorte  qu'il  sera  souvent 
impossible  de  se  rendre  un  compte  exact  de  la  valeur  de  telle  lettre  ou  de  tel 
groupe  de  lettres. 

Ces  remarques  ne  s'appliquent  pas  plus  directement  à  la  collection  formée  par 
M.  Papanti  qu'aux  traductions  de  saint  Matthieu  ou  de  la  paraboïe  de  l'enfant 
prodigue  qui  sont  les  seuls  textes  que  nous  possédions  de  bien  des  idiomes  :  elles 
ne  doivent  diminuer  en  rien  la  reconnaissance  due  au  zèle  avec  lequel  M.  F.  a 
mené  à  fin  une  entreprise  assez  compliquée.  Car  il  n'était  pas  aisé,  on  le  conçoit 
sans  peine,  d'obtenir  dans  des  limites  de  temps  assez  étroites  la  collaboration  de 
plusieurs  centaines  de  personnes,  d'imprimer  correctement  et  dans  un  délai  fixe 
environ  700  morceaux  écrits  par  des  mains  ditîérentes  et  en  des  idiomes  le  plus 
souvent  très- peu  familiers  aux  compositeurs.  Les  personnes  accoutumées  aux 
choses  de  l'imprimerie  peuvent  s'imaginer  ce  que  M.  P.  a  dû  consacrer  de 
temps  et  de  patience  à  son  recueih. 

G.  Paris  et  moi  avons  apporté  à  ce  recueil  notre  petite  contribution,  sous  la 
(orme  de  deux  versions.  Tune  en  français  du  xtv*»  siècle,  l'autre  en  ancien  pro- 
vençal^ M.  Papanti  les  a  classées  dans  l'appendice  en  compagnie  des  versions 
catalanes^  portugaises  (ancien  et  moderne)  de  MM,  Milâ  et  Coelho.  Voici,  i 


î .  C'est  ce  qu*ont  fait  quelques-uns  des  traducteurs  du  conte  de  Boccace  *  Vtat  entre 
autres,  M.  Aunèrc,  Tauieur  de  la  version  en  patois  de  Charabéry,  qai  justîne  le  parti, 
selon  moi  excellent,  qu*lt  a  adopté,  en  disant  :  «  Il  eût  été  impossible  de  traduire  titrera* 
«  lement  la  nouvelle  de  Boccace,  qui,  ainsi  traduite,  eût  été  Incompréhensible  pouroeiu 
m.  qui  parlent  et  comprennent  te  patois  des  environs  de  Chambéry.  Il  a  donc  fallu  sersp- 
«  procher  des  tournures  usitées.  1 

I.  M.  Papanti  nous  apprend,  dans  sa  préface,  que  chaque  verstoti  fut  relue  en  épreuve 
par  son  auteur,  et  étant  impossible  de  conserver  la  composition  pendant  le  temps  nèce»- 
taire  pour  ces  révisions,  le  recueil  a  dÛ  en  réalité  être  composé  deux  fois  :  une  première, 
pour  fournir  des  épreuves  qui  étaient  conservées  et  classées  avec  soin  aussitôt  qu'diei 
avaient  été  revues  par  les  auteurs,  la  composition  étant  distribuée  au  fur  et  I  inefitfe  ; 
pais  une  seconde  fois,  pour  le  tirage,  après  le  retour  de  toutes  les  épreuves. 


PAPANTi,  /  parlari  italiam  in  Certddo  499 

titre  de  curiosité,  le  thème  de  G.  Paris  et  le  mien.  Nous  les  soumettons  hum- 
blement à  la  correction  de  ceux  qui  y  trouveront  à  reprendre. 

Français. 

Ou  tens  dou  premier  roi  de  Cîpre,  après  çou  que  Godefrotz  de  Bouillon  ot  conquis 
Terre  Sainte,  advint  que  une  geniicus  famé  de  Cascoigne  fu  en  pèlerinage  au  tombel 
Nostre  Seigneur,  et  corne  elle  repaîra  ei  vint  en  Cîpre,  d'aucuns  maufetours  fu  vila^ 
nement  vcrgondée.  Si  en  fu  tant  dolente  que  merveilles,  et  pour  rîeni  ne  se  voult  apai&îer; 
si  se  pensa  qu'elle  s'en  îroit  damer  au  roi  dou  pats  ;  mais  dit  li  fu  que  toute  sa  peine 
i  gasteroit,  que  il  estoit  de  trop  lasche  vie  et  trop  pou  valoit,  et  que  folie  seroit  de 
s*atendrc  a  lui  pour  vengier  les  vcrgoignes  a  autrui  faites,  qui  en  souffroit  a  lui  meisme 
faire  sans  nule  mesure,  et  ja  pour  blasme  qu'il  en  euat  teste  sienne  vîlté  ne  laissoit;  par 
quoi,  si  uns  bons  avoit  courrons  d'un  autre,  il  esclairoii  s'îre  par  faire  a  celui  roi  aucune 
honte  oudespitî.  Et  quant  la  dame  eut  cestc  parole  oîe,  et  n'eut  mais  espérance  d'estrc 
vengîée,  elle  se  pourpensa  que  elle  vouiott,  a  quelque  soulas  de  son  annui,  poindre  aucu- 
nement et  mordre  le  mol  courage  de  celui  ;  si  vint  devant  lui  plorant^,  si  lui  dit  :  «  Sire, 
ff  en  ta  présence  ne  vieng  je  mie  pour  venjance  que  j'atende  de  la  vergoigne  qui  faite 
ti  m*a  esté,  mais  bien  me  tiendrai  a  paiée  si  tu  me  moustres  comment  tu  sueÏÏres  celles 
^^  que  j 'entent  qui  te  sont  faites,  a  çou  que  je,  de  toi  aprenani»  puisse  patienment  ta 
«  mienne  porter  ;  et  si  faire  le  peiîsse,  bien  le  set  Dieus  que  volontiers  je  La  te  donnasse, 
u  come  a  celui  qui  si  bons  porierres  en  esL  n 

Et  U  rois,  qui  tous  tens  ot  esté  pereceus  et  laniers,  parut  que  se  resveillast  de  trop 
long  dormir  ;  si  comença  au  tort  fait  a  celle  dame,  et  cgrement  le  venja  ;  si  devint,  de 
cest  jour  en  avant,  moût  aspres  persecutours  de  tous  daus  qui  aloieot  en  quelque 
manière  encontre  Tonour  de  sa  courone. 

Provinçat. 

£1  tems  del  premier  rei  de  Cîpre ,  après  so  que  en  Gaufres  de  Bolho  ac  lo  règne  de 
Suria  conquistat,  esdevenc  se  que  una  gentil  dona  de  Gascuenba  anet  en  pelerinatge  al 
Sépulcre.  E  tornan  areirc,  aribet  en  Cipre,  on  per  alcus  malvatz  glotos  vilanamens  fo 
forsada.  E  coma  dolenta  e  desconsolada,  se  pesset  que  al  rei  faria  son  clam.  Empero  dit 
lifo  que  en  p>erdo  se  fadlaria^  que  aquest  era  reis  de  tan  avol  vida  e  de  tan  pauc  de  be^ 
que  greu  las  autrui  antas,  si  com  dreitz  0  requier,  venjaria,  can  tantas  el  mezeis  ne 
prenia,  don  blasmcs  Ih'era  grans:  en  tan  que  totz  hom  a  cuî  nul  croîs  fag  avengues  a 
sofrir,  ab  far  li  anta  0  vergonha  sa  ira  espassava.  E  can  so  auzic  la  dona,  ela  se  dcses- 
pcret  si  ja  mais  venjada  séria,  e  per  so  que  de  son  enueg  agues  calque  atempramen,  ela 
s'albirei  en  son  cor  que  ab  moix  cozens  repcnria  Pavoleza  del  dig  rei  ;  c  venc  vas  el 
rancuran  c  diien  :  «  Senher,  ieu  non  soi  ges  venguda  denan  vos  per  nulh  venjamen 
«  qu'ieu  espère  de  la  dezonor  que  a  mi  fo  fâcha  ;  mas  ieu  vos  prec  que,  en  esmendamen 
V  d'aquesta,  a  vos  plassa  m'ensenhar  en  cal  guia  sostenetz  las  dezonors  que  vos  aven  a 
«  penre,  segon  qu*ieu  aug  dire,  per  tal  que  engal  de  vos  posca  la  mieua  portar  ;  ta  cal, 
a  si  Dieus  mi  sal^  trop  volontielra  vos  donaria,  que  tan  bon  sufren  non  sai  on  quieira.  lo 

El  reis  que  entro  a  cel  jom  avla  estât  Hacs  e  perezos,  quais  que  de  dormir  se  ressides, 
al  comensar  près  dura  venjansa  del  ion  de  la  dona,  e  fo  pois  greus  justiciaire  a  tôt  home 
qui  d'aici  enana  re  fezes  que  fos  contra  l'onor  de  la  sieua  senhoria^ 

P.  M. 


i .  U  y  a  dans  le  texte  :  «  Intanto  che  chiunque  avea  crucdo  alcuno,  quello  col  fargit 
a  alcuna  onia  0  vergogna  sfogava.  »  Le  sens  est  évidemment  —  el  c'est  ainsi  que  C.  Paria 
et  moi  avons  traduit,  —  oue  quiconque  avait  éprouvé  un  affront,  de  n'importe  qui,  passait 
ta  colère  sur  le  roi,  en  lui  faisant  q^uclquc  avanie,  tl  est  singulier  qu'un  très-grand 
nombre  de  traducteurs  italiens  aient  fait  ici  un  contre-sens,  en  imaginant  que  l'affroni,  le 
crucdo  aicunOy  devait  avoir  été  reçu  du  roi.  C'est  enlever  à  l'idée  de  Boccace  toute  sa 
finesse ,  car  quelle  merveille  que  l'on  eût  cherché  à  rendre  au  roi  une  insulte  qu'on 
aurait  reçue  de  lui  ^  Ainsi,  voici  comment  traduit  Tauteur  de  la  version  latine,  version 
assez  faible  il  faut  le  dire  -.  «  Qu^propier,  quisquis  ira  in  eum  Ûtgraret,  hanc  probro 
et  aliquo  aut  contumelia  tpsum  distringens,  e^undebai.  9 


PÉRIODIQUES. 


L  Revus  des  langues  homanfs^  2"  série,  t,  I,  n'  6  (1 5  juin  1876).  P.  jry- 
44,  Montel  et  Lambert,  Chants  populmrcs  du  Languedoc^  prcmurc  section  :  ChanU 
du  premier  âge.  Qualrieme  sirie  :  chants  cnamératifs.  Observations  intéressantes  sur 
ce  genre  de  chants.  —  P.  552*65.  Deuxième  compte-rendu,  par  M.  Chabaneau, 
de  mon  édition  du  poème  de  la  croisade  albigeoise.  Je  n'oserais  pas  dire  que  j'aie 
lu  cette  nouvelle  série  d*obscrvationsi  qui  s'élend  à  tout  le  poème,  avec  autant  de 
profit  que  la  première.  Il  y  a  même  des  remarques  qui  de  la  part  de  M,  Ch.  m'ont 
étonné.  Ainsi  lorsqu'il  dit  que  la  lacune  du  v,  804  doit  être  remplie  par  le  mot 
Turcs.  Correction  facile  assurément,  puisqu'elle  est  fournie  par  la  rédaciion  ca 
prose.  Mais  elle  n'est  pas  sans  donner  lieu  à  une  difËcyké  qui,  je  ravoue,  m'a 
arrêté  :  c'est  qu'elle  met  Simon  de  Monlfort  aux  prises  avec  l^  Turcs,  â  Zara 
(Dalmatie)j  deux  cent  cinquante  ans  avant  leur  arrivée  en  Europe.  Et  précisé- 
ment  il  se  trouve  que  c'est  parce  qu'il  n'y  avait  pas  de  musulmans  â  combattra 
à  Zara,  que  Simon  de  Montfort  quitta  les  croisés,  au  grand  mécontentemeni < 
principaux  chefs  de  l'armée.  De  même  encore  je  suis  surpris  de  voir  M.  Ch. 
considérer  mot  comme  répondant  à  modas  dans  la  locution  non  sabcr  mot.  11/3 
à  cette  étymologie  plusieurs  objections;  entre  autres  celle-ci  qui  est  décisive: 
ta  même  locution  existe  en  français,  et  y  est  même  assez  fréquente  '  ;  or,  en 
français  Vu  de  modus  donnerait  ue.,  soit  mucs^^  tandis  que  la  forme  constante  est 
mot;  il  faut  donc  admettre  que  Tétymologie  est  muttum.  Néanmoins^  bien  que  je 
ne  sois  pas  toujours  d'accord  avec  M,  Ch»,  je  lui  sais  ungrélnfîni  de  l'attention 
qu'il  a  apportée  à  l'étude  de  mon  édition,  et  je  souhaiterais  qu'il  eût  quelques 
imitateurs,  principalement  parmi  les  critiques  d*outre-Rhin. 

—  N*  7(1^  juillet).  —  P.  ^-14,  Mazel,  Poésies  inédites  de  Vabbi  Favrci  imltatsoii 
de  deux  satires  d'Horace  et  de  quelques  épigrainmes  de  Martial.  —  P.  i^-ai, 
Canstans,  VÊ pitre  du  Languedac  ;  série  de  dictons  relatifs  à  certains  lieux  du  dépar» 
tement  de  l'Hérault. —  P.  22*8^  Milà  y  Fontanals,  Enigmes  populaires  catatatxs^ 
recueillies  i  Barcelone  en  1 S74  ;  peuvent  servir  de  supplément  i  la  publicitic 
de  M.  Roquc-Ferrier  (voy.  ci-dessus  IV,  497,  et  V,  252).  —  P,  28-57,  ^-««ïw*  > 
Grégoire  sur  Us  patois  de  Frj/)£f  (Suite). —  Bibliographie.  Compte- rendu,  empntol 
à  la  Bibhoihlqiu  de  CEcoU  des  chartes,  du  Catalogue  des  mss.  de  Tours  par  M.  ] 


1.  ÀtiscampSt  éd.  Guessard,  v.  7919;  Bema  de  CommarchiSj  éd.  Schel^^  v>  a6t|;  U 
Chronique  d'trnouî,  éd    de  Mai  Latrie,  p.  109,  etc.,  ctc 

1.  Voy.  pour  des  exempte»  de  muei\  mu^t  les  Extraits  de  grammairiens  UtJai  du  moy^a 
Ige»  publiés  par  M,  Tburot,  p.  184 


PÉRIODIQUES  501 

range.  Cet  artide^  vraiseuiblablement  réimprimé  à  la  prière  de  M,  Dorange, 
laisse  dans  l'ombre  les  défauts^  malheureusement  aussi  graves  que  nombreux»  de  ce 
catalogue  :  voy.  Rofue  cnû(}ut,  20  novembre  187^.  —  Périodiqyes,  M.  Boucherie 
propose  au  sujet  de  la  composition  du  poëroe  de  la  croisade  imité  de  Baudri 
(ci-dessus  p,  ï  et  suivr.)  une  hypothèse  compliquée  et  inutile;  l'hypothèse  de 
beaucoup  la  plus  probable  est  celle  que  j'ai  indiquée  en  troisième  lieu,  p.  6,  U 
propose  au  texte  des  corrections  doRl  plusieurs  sont  acceptables,  mais  je  dois 
faire  remarquer  que  j*ai  voulu  donner  du  poème  en  question  une  notice  histo- 
rique (j'y  étais  amené  par  mon  travail  d'auxiliaire  attaché  à  la  Commission  des 
historiens  des  croisades),  et  non  pas  un  texte  critique.  —  Chronique.  P.  J2,  je 
remarque  la  question  suivante,  posée  avec  beaucoup  d'autres  par  le  Congrès 
archéologique  de  France,  en  sa  session  de  septembre,  â  Arles  :  i  Pourrait-on 
«  citer  quelques  documents  qui  corroborent  la  tradition  relative  â  Pcxistence 
«  des  cours  d'amour  co  Provence,  et  particutiérement  à  celle  de  Romani!?  i 
De  documents  qui  corroborent  cette  tradition  on  n'en  saurait  citer  aucun,  mais 
il  y  a  plusieurs  années  que  j'en  ai  cité  un  qui  la  détruit  (Dcrnurs  troubadours  de 
Pronnu^  §  IX). 

—  N"  8  {5  août).  —  P.  57-69,  Alart,  Documents  sur  h  langue  catalane {suïte), 
—  P.  70-88,  A,  Espagne,  Des  formes  provençaUs  dans  MoUïn;  contient  une 
restitution  fort  réussie  du  rôle  de  Lucette  dans  Monsieur  de  Pourceaugnac .  Du 
reste,  M.  E.  est  trop  cncliii  (voir  p.  75-82)  à  expliquer  par  une  influence  méri- 
dionale des  expressions  qui  sont  du  pur  français  du  xvu'  siècle. 

—  N*  9  (15  septembre).  P.  f  n*45,  Noulet^  Histoire  littéraire  des  putois  du 
midi  ûu  xvrîi'  siècle  (suite),  appendice  bibliographique  comprenant  le  catalogue 
des  ouvrages  écrits  dans  les  patois  du  midi  de  la  France  au  xvtii'  siècle.  Cette 
liste,  qui  est  disposée  par  ordre  alphabétique  des  noms  d'auteurs,  compense 
dans  une  certaine  mesure  l'absence  des  indications  de  source  que  nous  avons 
signalée  comme  un  défaut  du  travail  de  M.  Noulet  (ci-dessus,  p.  406)»  —  P. 
146-7,  Mîli  y  FontanaJs,  Phoniiï^ut  catalane,  a\  sur  quatre  sons  différents  repré- 
sentés par  t,  —  P,  148-51,  Chabaneau,  Changement  de  z  (s)  en  r  et  de  r  en  z 
entre  deux  voyelles  dans  ta  langue  d*ûc.  Les  exemples  sont  en  grande  partie  em- 
pruntés â  des  textes  que  faidéjâ  mis  à  contribution  pour  ïe  même  objet,  et  con- 
séquemmenl  ne  nous  apprennent  rien  de  bien  nouveau.  Actuellement  ceux-là 
seulement  méritent  d'être  cités  qui  sont  fournis  par  des  documents  non  encore 
consultés,  principalement  si  ces  documents  sont  d'un  lieu  et  d'un  temps  bien 
déterminés,  comme  les  registres  de  Beaucaire  que  j'ai  récemment  consultés 
(ci-dessus  p.  488)*.  L'exemple  de  Beralu  (pour  Besalu)  emprunté  par  M.  Ch. 
à  M,  Bartsch  (Grundriss^  p.  66  note)  est  à  retrancher.  Ce  doit  être  une 
faute  d'impression.  M.  Bartsch  a  visiblement  suivi  en  ce  passage  le  travail  de 
Cambouliu  sur  la  renaissance  de  la  poésie  provençale  à  Toulouse  (Jahrhuch^  IIJ, 
132);  il  lui  a  même  emprunté  Terreur  qui  consiste  Â  attribuer  au  marquis  de 
Santillana  une  assertion  qui  appartient  à  Enrique  de  Villena^.  Or  il  y  a  dans  le 

I,  Voici  encore  deux  exemples:  Montants,  ferme  de  !a  commune  d'Alignan  (arr.  de 
Béliers),  s'eu  dit  au  xiv*  et  au  xv*  siècle,  Monteiels  (Carou,  Soc.  archéologique  de  Bi- 
zierst  z*  série,  HI,  344)-  —  Dans  le  Rituel  cathare  on  lit  arordenament  pour  aiord-t 
Reuss  et  Kuniti,  BeiUi^gt  lu  d.  Theot.  Wissenuk^  IV,  11. 

3.  Erreur  qui  a  déjà  été  relevée,  Romania,  l,  3S4. 


i^dfl 


502  PERIODIQUES 

texte  de  Cambouliu  Bcsalu^  qui  est  en  effet  [a  teçori  de  Vtllenai,  —  Bibliogra- 
phie—Périodiques. —  AuJCténiûignagesrcunisparM.Chabaneausur  les  repré- 
sentations des  mystères  du  midi  de  la  France  (p,  1 58-9)  on  en  pourrait  ajouter 
bien  d*aulres.  J'en  ai  formé  une  longue  liste  dans  un  rapport  non  encore  publié 
que  j*ai  lu  au  Comité  des  travaux  historiques  le  7  février  dernier.  —  Sous  ce 
tJtre  la  Phihlogu  romane  tt  Us  grands  centres  universitaires ,  la  /îo'uc  consacre  trois 
pages  à  discuter  le  peu  que  nous  avons  dit  ci-dessus  p.  407-8.  Je  n'ai  nulle 
envie  d'entrer  dans  une  discussion  qui  tend  singulièrement  à  dévier  de  son  point 
de  départ.  Je  me  borne  à  maintenir  qu'il  est  injuste  d^opposer,  comme  on  le  fait 
trop  souvent,  faute  d'informations  suffisantes,  l'Allemagne  et  l'Italie  qui  ont  des 
chaires  de  langues  et  littératures  romanes,  à  la  France  qui  n'en  a  pas;  la  réa- 
lité étant  que  la  France  a  Téqui valent  sous  les  titres  différents  de  chaires  de 
littérature  française  cl  de  chaires  de  littérature  étrangère.  Je  concède  bien 
volontiers  que  la  «  littérature  étrangère  »  est  un  sujet  un  peu  vaste»  et  pour 
lequel^  en  fait,  on  ne  trouve  guère  de  professeurs  suffisamment  préparés;  quM  y 
aurait  tout  avantage  â  séparer  chacune  de  ces  chaires  en  deux  :  langues  et  litté- 
ratures germaniques,  langues  et  littératures  romanes  (comme  on  a  fait  pour  les 
chaires  de  littérature  ancienne).  Mais,  de  cette  division  même,  et  des  nouvelles 
fondations  de  chaires  qui  en  résulteraient,  je  n'attends  pas  dans  Tétat  actuel  de 
notre  enseignement  supérieur  un  bien  grand  résultat.  Les  causes  qui  empêchent 
en  général  les  professeurs  de  littérature  française  et  ceux  de  littérature  étrao- 
gère  de  traiter  de  la  philologie,  soit  française  en  particulier,  soit  romane,  ne 
disparaîtront  pas  par  cela  seul  qu'on  aura  créé  de  nouvelles  chaires  (voy.  ci- 
dessus  p.  2j6).  P.  M. 

IL  Société  poob  l'étude  des  lanoues  bomakes.  Publications  spj 
— Pohu  Catalans.  Les  Noves  rimades,  —  La  codolada  par  Manuel  Mila  v  Fon- 
TANAL8.  Montpellier,  1876,  72  p,  8'. —  M.  Milà,  qui  a  consacré  un  assez  long 
mémoire  â  la  poésie  catalane  des  xiy*  et  xV  siècles  (dans  le  tome  V  du  JaMuck 
fftr  romaniscke  unâ  englischi  Literatur,  reproduit  sous  une  forme  abrégée  dans  ta 
collection  des  Jocks  florals  de  Barceione  de  1865),  traite  dans  cet  opuscule,  pu- 
blié sous  les  auspices  de  la  Sociélè  pour  rètadc  des  langues  romanes,  de  deux 
formes  de  versification,  les  noves  nmades*  (couples  de  vers  octosy  lia  biques  munies 
de  la  même  rimej  et  la  codolada  (composée  de  vers  inégaux  de  8  et  4,  7  et  } 
syllabes^  rimant  deux  par  deux),  qui  dès  la  seconde  moitié  du  3ctv«s.  n'ont  cessé 
d*étre  cultivées  par  les  poètes  artistiques  cl  les  chantres  populaires  des  pays 
catalans  de  l'Espagne.  L'intérêt  de  la  nouvelle  publication  du  savant  professeur 
de  Barcelone  réside  surtout  dans  les  fragments  inédits  de  trois  poèmes  en  noms 
rimades^  tirées  d'un  chansonnier  catalan  qui,  après  avoir  passé  par  les  mains  de 
divers  propriétaires,  a  ^ni  tout  récemment  par  entrer  dans  la  bibliothèque  de 
D.  Mariano  Aguilô  y  Furster,  le  savant  éditeur  de  la  BMiotua  catahnA. 
M.  Milîi,  qui  avait  copié  naguère  quelques  passages  de  ce  manuscrit,  a  eu  Theu- 
reuse  idée  de  nous  en  faire   profiter.   Le  premier  fragment  appartient  A  un 


I.  Voy.  Mayans  y  Siscars,  Origents.  \,  jai;  cf.  Wolf,  Staàien,  p.  îjS. 
1.  C'est  une  dénomination  empruntée  au  provençal. 


1^ 


^^^ 


lA^L 


PêRlODlQUES  JOJ 

ïte  jusqu'ici  inconnu,  nommé  Guillem  Torrclha  ou  Torrella,  le 
littérateur  assez  important  de  la  fin  du  xiv«  siècle,  Bernât 
i  conservé  plusieurs  ouvrages  en  prose  ;  le  troisième  enfin 
^icens  Comes  dont  on  ne  sait  rien.  A  en  juger  par  les 
j[onnés,  la  publication  complète  de  ces  trois  poèmes 
alane  de  beautés  de  premier  ordre;  il  est  â  dési- 
ait  lieu,  ces  textes  ne  manquant  pas  d'intérêt 
Ve  la  langue  et  des  courants  littéraires.  Les  notes 
|ui  accompagnent  tes  extraits  de  M.  Milâ  méritent 
i  érudîts  ;  malheureusement  la  traduction  de  ce  mémoire 
nt  satisfaisante. 

A.  M.-K 


KriscHE  Studœn  (If),  7*  —  P.  ^  Henri  Lahm,  Le  patois  de  ta  ÔJ- 
d'Orbey^  Ce  mémoire,  écrit  en  bon  français,  est  rédigé  sur  le  modèle 
ïssm  d'Oberlin  sur  le  patois  des  environs  du  Ban  de  la  Roche  (Haut- Rhin), 
rcomprend  un  court  exposé  des  formes  grammaticales,  des  textes  (dialogues, 
'^ fables,  proverbes)  qui  sont  ceux  d'Oberlin,  mais  récrits  en  patois  de  La  Baro- 
che,  et  un  vocabulaire  On  pourrait  maintenant  adopter  une  dispositron 
meilleure,  mais  celle  à  laquelle  s'est  arrêté  M.  Lahm  offre  l'incontestable  avan- 
tage de  rendre  aisée  la  comparaison  entre  le  patois  de  La  Baroche  et  celui  de 
Waldersbach  qu*a  eu  en  vue  Oberlin.  Les  textes  sont  écrits  selon  la  notation 
phonétique  de  M.  Bœhmer.  —  P.  99.  C,  Decurtius,  Prautas  sursehanaSj 
contes  populaires  en  roumanche^  recueillis  dans  la  Surselva,  L'auteur  annonce 
un  recueil  plus  considérable  avec  traduction  allemande.  —  P.  i  ^7.  Bœhmer, 
Proverbes  Toumamhts^  recueil  formé  à  Taide  de  communications  manuscrites  et 
d*une  quantité  de  publications  qu*il  doit  être  fort  malaisé  de  réunir,  même  dans 
le  canton  des  Grisons.  —  P.  210.  Le  même^  L'attribut  en  roumanche.  —  Le 
Beiblâtt  qui  termine  le  cahier  contient  sous  ce  litre  «  Monsieur  (lie)  Gaston 
Paris  »  plusieurs  pages  dont  il  m'est  pénible  d'avoir  à  m'occuper.  G.  Paris,  en 
ce  moment  à  Tétranger,  répondra*  s'il  le  juge  à  propos,  aux  attaques  dont  il 
est  l'objet.  Je  me  bornerai,  en  spectateur  fort  désintéressé^  à  en  donner  une  idée. 
L'origine  de  la  querelle  est  une  courte  note,  imprimée  sur  la  couverture  de  la 
Revae  critique  du  28  août  1869,  où  G.  Paris,  rendant  compte  d'un  numéro  du 
Iakrbuck  f,  romanische  Literalur  qui  contenait  un  article  de  M,  Bœhmcr,  a 
repoussé,  comme  tout  i  fait  invraisemblables,  diverses  étymologies  proposées  par 
ce  savant.  Ces  quelques  lignes  ne  se  sont  point  effacées  de  la  mémoire  de  M.  B.  ; 
au  contraire,  elles  y  ont  grandi,  elles  y  ont  atteint  des  proportions  énormes. 
Elles  y  ont  créé  une  idée  fixe.  M.  B.  ne  peut  plus  dire  son  mot  sur  une  publi- 
cation de  G.  Paris  sans  voir  se  dresser  devant  lui  cette  page  fatale.  Et  comme 
il  arrive  en  pareil  cas,  plus  il  la  considère,  plus  il  y  découvre  de  motifs  d'irri- 
tation. Celui  qu'il  a  trouvé  en  dernier  lieu  est  que  ta  note  qui  l'obsède  n*cst 
pas  signée.  Tout  entier  à  son  idée,  il  ne  s'aperçoit  pas  que  toutes  les  notices 
imprimées  sur  la  couverture  de  la  Revue  critique  sont  dépourvues  de  signatures:  il 
démêle  l'intention  perverse  qui  a  poussé  G.  Paris  à  ne  pas  signer,  et  la  dévoile 
en  ces  termes:  t  G,  Paris  n'a  pas  eu  honte  de  laisser  anonyme  sa  négation  de 


J04  PÉRIODIQUES 

t  rocs  recherches  élymologiqaes  afin  qu'elle  eût  l'air  d^être  approuvée  par  le 
t  triumvirat  de  la  rédaction  1  *  Quant  à  justifier  les  étymologies  contestées, 
M.  B,  n^y  songe  pasj  son  idée  est  qu'on  îe  persécute,  et  on  ne  Ten  fera  pas 
sortir.  Vainement  Paris,  pour  se  défendre  du  reproche  de  malveillance  systéma- 
tique, invoque  le  compte-rendu  très-élogieux  qu'il  a  publié  {Rev.  crit,  1869, 
art.  2J3)  d'une  dissertation  de  M.  B.  sur  Dante  :  M.  B.,  habile  atout  ramener 
à  son  point  de  vue,  trouve  là  même  une  nouvelle  preuve  de  persécution.  Car 
l'article  en  question  est  signé  d'un  *y  et  il  est  précédé  d'un  compte-rendu,  signé 
G.  P.j  d'un  livre  de  M.  Comparelti.  «  Ainsi,  s'écrie  M.B,,  M.  G.  Pans  tantôt 
«  signe  G.  P.,  tantôt  signe  +,  tantôt  ne  signe  pas  du  tout...;  après  avoir  signé 
€  l'éloge  de  M.  Comparetti,  il  s*empresse  de  prendre  le  masque  d'une  lettre 
4  grecque  pour  me  louer  !  Qu'est-ce  que  ces  détours?...  1  Suit  une  demi-page 
d'indignation»  Que  dira,  ou  plutôt  que  ne  dira  pas  M.  B.,  lorsqu'il  apprendra 
que  G.  Paris  se  couvrait  parfois  d'un  autre  masque  encore,  et  que  dans  îe 
même  numéro  où  il  a  signé  C.  P.  un  premier  compte-rendu,  et  ^  un  second,  il 
a  placé  au  bas  d'un  troisième  article  un  S  !  La  vérité  est  qu'à  la  Revue  miiqut 
nous  avions  chacun  un  ou  deux  signes  dont  nous  usions  fréquemment  pour  oe 
pas  faire  paraître  trop  souvent  nos  initiales.  Mais  je  n'espère  point  du  tout  fâîre 
accepter  cette  explication  à  M.  B.  :  il  est  des  esprits,  d'ailleurs  lucides,  qui  ont 
un  côté  fermé  à  l'évidence  même,  et  |e  craindrais,  par  une  discussion  intem- 
pestive, de  surexciter  un  étal  déjà  suffisamment  aigu.  —  Quant  à  M.  Fcerstcr, 
qui  occupe  de  lui  et  de  nous  les  trois  dernières  pages  de  ce  cahier,  nous  n'avons 
rien  à  lui  dire.  Tl  a  estimé  que  ses  observations  sur  la  publication  d*Atol|  dé}i 
imprimées  en  tète  de  son  Eîic  de  Saint-CtUc  et  dans  la  Romania^  méritaient  une 
troisième  édition,  et  nous  ne  sommes  pas  surpris  qu'il  en  ait  jugé  ainsi,  comme 
aussi  nous  trouvons  tout  simple  que  M.  Bœhmer  n'ait  pas  dédaigné  ces  trois 
pages  de  copie.  M.  Fœrster  nous  accuse,  dans  une  lettre  à  M*  Btrhmer,  d'avoir 
refusé  d'insérer  sa  réclamation,  lorsqu'il  sait  parfaitement  qu'il  n'en  est  rien,  et 
nous  ne  nous  en  étonnons  point.  Enfin  il  est  bien  aise^  dît-il^  de  faire  savoir  a 
ses  amis  allemands  quelle  est  la  façon  d'agir  de  certains  français  ;  et  comme 
M.  Fœrster  n*a  jamais  reçu  de  nous  que  de  bons  offices,  nous  trouvons  tout 
naturel  qu'il  s'exprime  ainsi.  Le  contraire  nous  eût  surpris,  Peire  Vidal  avait 
prévu  ce  cas;  et  comme  on  dit  en  Béarn  :  Estrilhat  i'asoUj  qmb  pagaaa  dak 
peu! 

P.  M, 

fV.  ABcarvto  olottologîgo  italuno,  diretto  da  A,  G.  I.  Ascoli.  T.  Il,  $• 
liv.  1876.  —  Les  livraisons  de  ce  recueil  se  succèdent  dans  un  ordre  absolument 
indépendant  de  leur  tomaison.  Celle-ci  complète  le  t.  Il*,  et  il  y  a  longtemps 
qu'une  livraison  du  t.  111  et  une  autre  du  t.  IV  ont  paru.  Ce  mode  de  publica- 
tion, dont  il  nous  est  impossible  de  concevoir  les  avantages,  peut  produire  des 
effets  bizarres.  Ainsi  nous  allons  rencontrer  dans  cette  livraison  du  t.  II  une 
réponse  â  la  critique  faite  Tan  dernier  d'un  mémoire  contenu  dans  le  t,  III.  Si 
l'on  ne  prend  soin  de  conserver  les  couvertures  où  se  trouve  indiquée^  sinon  le 

I.  Doni  les  deux  premières  livraisons  oni  été  annoncées  td  en  1874,  HT,  fot^a. 


^lÊM 


PÉRIODIQUES  50  J 

date  exacte^  du  moins  rannée  de  la  publication,  il  sera  impossible  de  rien  com- 
prendre à  cet  ordre  en  apparence  preposUrous.  —  P,  ji  j,  Flechia,  PostitU  di- 
moiogkhc^  continuation  des  savantes  études  qui,  prenant  pour  base  le  glossaire 
modenais  du  comte  Galvani  (ouvrage  très-faible  comme  tous  ceux  du  même 
auteur),  font  de  nombreuses  et  fructueuses  excursions  sur  !e  domaine  général  des 
langues  romanes;  voy.  p.  ex.  p,  p2,  pour  Tétymologie  de  ehûtomlkr;  p.  326, 
pour  le  prov.  boudmjîû  et  le  fr.  bounoujltr,  —  P.  38^,  Ascoli,  P.  Mner  t  il 
framo^pronnçûU,  Dans  cet  article  M.  Ascoli  me  fait  ]*honneur  de  discuter 
très- longuement  les  objections  de  principe  que  j'ai  opposées  à  sa  création 
d'un  nouveau  type  roman  Je  franco*provençal  {Romania^  ÎV,  294-6),  L^  lecture 
attentive  que  i\iî  faite  de  la  défense  de  M.  Ascoli  n*a  fait  qu'affermir  davantage 
ma  confiance  dans  les  idées  que  j'ai  exprimées.  Je  persiste  à  croire  que  te  par* 
1er  roman ,  pris  dans  sa  forme  populaire,  abstraction  faite  de  toute  manifesta- 
tion littéraire^  est  un  ensemble  que  l'on  n*est  arrivé  â  diviser  en  idiomes  que 
par  des  opérations  arbitraires.  Je  reconnais  que  M.  A.  fait  un  effort  pour  fonder, 
dans  le  cas  qu'il  a  étudié,  la  division  sur  des  caractères  linguistiques,  tandis 
qu'ordinairement  on  s'est  plus  ou  moins  laissé  guider  en  celte  matière  par  des 
considérations  politiques  ou  géographiques,  et  en  ceîa  sa  tentative  est  estimable; 
mais  néanmoins  je  crois  qu'elle  ne  peut  aboutir  à  la  découverte  d'une  espèce 
nouvelle  duement  caractérisée,  parce  que  de  telles  espèces  oVKistent  point 
dans  le  parler  roman.  Si  les  choses  sont  ainsi  —  et  c'est  ainsi  que  je  les  vois, 
—  il  est  inutile  de  chercher  à  modifier  la  division  courante;  division  qui  ne 
répond  pas  à  la  réalité,  mais  qui  ne  peut  être  sensiblement  améliorée;  car  une 
division  suppose  des  limites,  et  le  parler  roman  n'offre  que  des  limites  exté- 
rieureS)  là  où  il  confine  à  la  mer  ou  Â  des  idiomes  non  latins.  De  limites  inté- 
rieures,  il  n'en  a  pasV  —  M.  A.  me  dit  (p.  386)  que  mon  objection  pourrait 
s'appliquer  à  toute  tentative  ayant  pour  objet  de  grouper  des  individus  afin  d'en 
constituer  un  type.  Point  du  tout  :  lorsque  nous  groupons  des  animaux  ou  des 
plantes  pour  en  former  un  genre  reconnaissable  à  des  caractères  communs, 
nous  faisons  une  opération  arbitraire  en  ce  sens  que  le  choix  des  caractères  peut 
être  opéré  de  diverses  façons  —  et  Tentomologie,  pour  ne  parler  que  de  ce  que 
je  connais  un  peu,  offre  de  bien  déplorables  exemples  de  la  mante  des  subdi- 
visions; —  mais  encore  est  il  que  nous  avons  l'avantage  d'opérer  sur  des  indivi» 
dus  parfaitement  limités  dans  l'espace;  tandis  que  lorsque  nous  groupons  les 
variétés  locales  du  parler  roman  (les  dmlcdcs  pour  parler  comme  tout  le  monde), 
nous  nous  permettons  tout  d*abord  de  créer  (dans  notre  imagination)  des  indi- 
vidus que  la  nature  ne  nous  fournil  point  du  tout,  puisque  ces  variétés  locales, 
CCS  dialectes,  se  fondent  les  uns  dans  les  autres  sans  qu'on  piwsse  voir  nettement 
oh  l'un  commence  et  où  Tautrc  finit.  Il  y  a  donc  à  faire,  dans  le  groupement  des 
dblectes,  une  opération  préliminaire  que  ta  nature  nous  présente  toute  faite  lors- 
qu'on groupe  des  êtres.  C'est  !â  ce  qui  fait  de  la  classification  des  dialectes  une 


I*  Sauf  bien  entendu,  comme  je  Tai  indiqué  (ÎV,  294  note)^  le  cas  peu  fréquent  où  un 
fait  physique  éublit  une  limite.  Ainsi  ouand  on  quitte  la  province  de  Valence  pour 
entrer  dans  la  Manche,  on  voit  peu  après  Xaiiva,  le  castillan  succéder  d'une  façon  asseï 
tranchée  au  valencien  (lequel  ne  dîfTère  pas  rrès-sensibiement  du  caulan)>Maîsla  Manche 
est  un  désert  ? 


J06  PÉRÏODÏQUBS 

œuvre  d^une  nature  particulière.  —  Je  ne  pousserai  pis  plus  toio  cette  discussion: 
d'abord  parce  qu'actuellement  le  temps  me  manquerait  absolument  pour  écrire  na 
traité  sur  cette  matière;  ensuite  et  surtout,  parce  qu'en  des  questions  qui  touchcat 
la  conception  générale  des  faits  plutôt  que  les  faits  eux-mêmes,  on  arrive  rarement 
à  convaincre  son  adversaire.  Je  veux  seulement  rectifier  sur  un  point  ce  que  j*ai 
dit  dans  mon  précédent  article.  M.  A.  me  fait  justement  remarquer  que  je  me 
suis  mépris  sur  le  sens  de  ses  paroles  en  ce  qui  concerne  la  délimitation  du 
t  franco-provençal  i^  auquel  j^ai  attribué  un  territoire  trop  étendu  en  hauteur, 
M.  A.  ne  comprend  dans  son  nouveau  groupe  qu'une  partie,  et  non  la  totalité, 
du  Daiiphiné,  et  n'y  admet  pas  ïa  Franche-Comté.  Quant  à  ce  que  j'ai  dit  de 
rinsuffisance  des  matériaux  employés  par  M.  A.^  je  le  maintiens  absolument. — 
P.  395-458,  Ricordi  bibliografici.  Cette  bibliographie^  tout  entière  rédigée  par 
M.  Ascoli»  se  compose  d^une  suite  d'articles,  dont  la  portée  dépasse  beaucoup 
celle  de  comptes-rendus  ordinaires,  sur  les  principales  publications  de  philologie 
italienne  parues  dans  ces  dernières  années.  Nous  signalerons  notamment  les 
articles  relatifs  aux  travaux  de  MM.  Flechia,  Mussafîa^  Caix^  d'Ovidio. 

P.  M. 

V.  Il  Propuonatohe,  Anno  Vit,  (874^  t,  I,— P.  52,  A.d'Ancona, Ofi^rvâ- 
zioni  criîkhe  ai  venu  sonetti  deî  secoh  XUL  pubbficâti  nd  Propugnatorc,  —  P*  94» 
Giamini,  Sûggio  d^antica  cronaca  (fragment  d'une  chronique  très-sommaire  de  la 
fin  du  XIV®  et  du  commencement  du  XV*  siècle).  —  P.  129.  Neri,  Iniamo 
alla  NoYctia  di  Jacopo  di  Poggio  (on  sait  que  cette  nouvelle  se  rapporte  au  cycle 
étudié  par  M.  Wesselofsky  dans  son  introduction  à  la  Novellâ  ddla  figlk  àd  n 
di  Dada  ;  M,  N.  montre  qu'elle  est  traduite  du  latin  de  BarloL  Fazio).  —  P.  1  jS, 
Imbriani,  CLXXXVUÎ  catdi  popotan  di  Avdîino  e  drcostanzc.  —  P,  1 86.  Coro-» 
nedi-Berli,  Novdlc  popotan  bùlogmd  (suite)»  —  P.  229.  Giuliari,  ta  LetUratura 
nronsse  al  cadac  dd  hcqÎo  XV  c  U  suc  optrt  a  stampa  (suite)*. 

—  1874,  t.  Il,  —  P,  l'i^ù.BAuàïdWGsmt^  Li  îingiia  itaiiana  £  U  votgarc  toscaiw 
(travail  qui  se  réfère  surtout  aux  CarU  d'Arbcreé^  dont  rautcur  maintient  l'au- 
thenticité; il  imprime  du  Descori  de  Rambaul  de  Vaqueiras  un  texte  qui  ne  vaut 
pas  celui  de  Meyer  dans  son  Recadl^  et  où  il  prend  pour  catalane  ta  strophe 
écrite  en  gascon.  —  P.  105,  Gaiter,  Conczioni  al  libro  Vî  dd  Tesoro  di  Brunetto 
volgarizzato  da  Giamboni,  —  P.  [  54.  D'Ancona,  Un  soneiîo  incdito  di  P<trarcâ 
ed  una  canzonc  al  nudtsimo  aîtnbuiia.  —  Suite  des  articles  de  V.  Imbriani^ 
C,  Coronedi,  Berti,  Giuliari.  —  P.  Î09»  Cappellctti^  Commenta  sopra  U 
nonlla  /,  3  dd  Decameronc  (purement  littéraire).  —  ?.  5^4.  Gaiter,  SutC  âutin- 
tidtà  dd  libro  VU  dd  volganzzamtnîo  dd  Tcwro  di  Brumtto  (intéressant  rappro- 
chement avec  le  texte  français,  malheureusement  fort  estropié  par  l'auteur).  ^ 
P.  394.  D'Ancona,  Lcîîera  a  F.  Zambrini  (révoque  en  doute  la  haute  antiquité 
du  Ritmo  Cassinese);  ScarabelU,  LtUtra  allô  sUssq  [c^nmii  exemples  de  siormlll 
du  XVll«  siècle), 

—  Anno  VU!,  1875,  t,  L  —  P.  i  ^  B.  di  Vesme,  La  lingua  italiana^  etc.  (snhe; 
l'auteur  s'applique  ^  prouver  que  les  poètes  siciliens  ont  écrit  en  mlgatn  ÏUustn^ 

T.  Comme  nou$  Favons  é%ï  dit  (p.  1^4),  la  livraison  qui  complété  ce  volume  ne  nous 
est  pas  parvenue. 


PÉRIODIQUES  507 

et  non,  comme  on  l'admet  aujourd'hui,  en  dialecte  sîcîîieTi).  —  P,  5 1.  Scarabeltî, 
Trionfi  det  Pdrarca  (collations).  —  P.  72.  Imbriami,  Sul  Usto  âd  Candtiaio  di 
G.  Bruno  (relève  les  fautes  sans  nombre  du  dernier  éditeur  allemand).  —Suite  des 
articles  de  C.  Coron edi-Berti  et  Giuliari  *. 

—  1875,  t.  II.  —  P.  17.  Gailer,  Saggio  d'InUrpntûimi  t  di  commento  dtl 
Riimo  Casstnesc.  —  P.  1^5,  Bozzo,  Petrarca  c  il  Duameronc.  —  P.  169, 
Zambini  et  Bacchiîega,  U  cdhioni  dclU  optrc  di  Boccaiao.  ^  P.  202.  Scarabelli, 
Di  un  codice  petrarchacû.  —  P,  212.  Scarabelli,  La  tiiUratura  yaontst  (suite). 

—  P.  309.  Cappeïletli,  Commenta  alh  novelia  K,  8,  del  Dicamcrone.  —  P.  j^^. 
Moi  se,  C(rcûr  Maria  ptr  Rayemia.  —  Suite  des  articles  de  Zambrini  et  Bacchi- 
lega,  Giuliari,  Imbnami,  Coronedi-Berti. 

—  Anno  IX,  1876,  I.  —  P.  16.  Lizio  Bruno,  Pnrarca  c  Tommaso  dû  Messma. 

—  P.  ?2,  Borgognone,  Gît  antkhi  rimaton  aaliant  (quelques  remarques  intéres- 
santes), —  P.  Sa.  Di  Mauro,  Suîliopire  minore  diD,  ÇavûUa  (continué  p.  424)» 

—  P.  107.  Razzolini,  Varianti  dcHû  divina  Commedia  (continué  p.  430).  — 
P.  138.  Neri,  Potmtlio  incdiio  di  C.  Dati,  —  P.  21 5.  Salomone-Marino,  Storic 
popoîari  in  pocsia  siciliana  (recueil  intéressant  à  plusieurs  titres).  —  Berti, 
NoyclU  botognesi  (suite).  —  P,  328.  Imbriami,  Saî  talo  dcl  Canddaio  (suite),  — 
P.  Î73-  Corazzinij  Dd  contrasto  di  Ciulh  d'Akamo  (essai  de  restitution  de  la 
forme  primitive  qui,  d'après  M.  C,  était  littéraire,  mais  essentiellement  sici- 
lienne). —  P.  409.  Salomone  Marino,  Sioric  popoîari  sidliani  {suite;  édition  du 
Tuppi-tuppi^  petit  poème  très-répandu,  remontant  au  moins  au  XVI«  s.  et  ayant 
les  ressemblances  les  plus  frappantes  avec  le  Contrasto  de  Ciullo  d'Alcamo). 

VI.  Mémoires  de  la  SocrÉTÈ  de  LiNauisTiQUE  de  Paris.  T.  III,  fasc.  2.  — 
P.  to6-i^,  V.  Thomsen,  Rtmarqua  sur  la  phonétî^ui  romane.  I  parasite  et  les  con- 
sonnes mouUlàs  en  français.  Se  rattache  au  sujet  traité  par  le  même  savant  dans 
la  Romamaj  ci-dessus  p.  64-75.  ^  ^*  ï  S4"^2,  Ch.  Jorel,  Changement  de  r  en 
s  (z)  tt  en  dh  dans  les  dialectes  français ,  travail  analogue  pour  le  français  à  celui 
que  nous  avons  poursuivi  en  plusieurs  articles  sur  le  r  :=  j  du  provençal.  Les 
exemples,  principalement  fournis  par  des  noms  de  lieux,  sont  nombreux,  mais 
fort  dispersés,  et  on  n'arrive  pas  à  déterminer  les  limites  géographiques  et  chro- 
nologiques de  ce  phénomène.  —  P.  16^-7,  M.  Devic,  Variations  phonliiqucs  de 
la  sijfïanîi  s  dans  le  dialecte  languedoden  parlé  en  Qmrcy,  Signale  en  certains 
cas  un  fait  qui  est  celui  même  qu'a  reconnu  M.  Roque-Ferrier  en  Languedoc  (ci- 
dessus  p.  406)  :  mous  trokais  (mes  travaux),  mouîs  efans  (mes  enfants),  et  ruoai 
fraire'i,  —  P.  ^67*8,  le  même,  Etymohgie  (tirée  de  Tarabe)  des  mots  alizari, 
moise,  gâche  et  mortaise.  L'une  au  moins  de  ces  étymologies,  celle  de  moisc^ 
nous  laisse  bien  des  doutes.  P.  M. 


i .  La  livraison  ^^  oui  complète  ce  volamei  ne  noui  est  pds  parvenue. 

2,  C'est  ce  me  semble  le  fait  qui  s'observe  cti  italien  (non  pas  dans  tous  les  dialectes), 
dans  CRAi  de  cras,  NOi-wor,  voi-vtu,  poi-poj(f),  dans  les  secondes  personnes  du  sing. 
de  certains  temps,  HAi-habcs^  eic.  Ce  fait  me  paraît  mal  expliqué  dani  Dlti,  Gram.^ 
trad.,  t,  185. 


CHRONIQUE. 


-~  Nous  avons  appris  avec  regret  que  deux  des  revues  les  plus  méritantes 
entre  celles  qui  se  consacrent  à  la  philologie  romane,  le  Jarbuch  fur  romanische 
und  englische  Sprache  und  Liuratury  et  la  Rivista  di  filologia  romanza,  vont  pro- 
chainement cesser  leur  publication.  Le  Jahrbuch  est  le  plus  ancien  et  a  été  long- 
temps le  seul  recueil  consacré  spécialement  à  nos  études.  Il  a  contribué  poor 
une  large  part  à  leur  progrès.  II  les  a  trouvées,  en  1859,  pour  ainsi  dire  nais- 
santes, représentées  par  un  petit  nombre  de  savants,  n'ayant  en  Allemagne  qu'une 
ou  deux  chaires  :  il  les  quitte  florissantes.  Pour  nous  qui  avons  collaboré  au 
Jahrbuch  dès  ses  premières  années,  nous  ne  voyons  pas  sans  tristesse  disparaître 
la  revue  où  bien  jeunes  encore,  nous  avons  trouvé  un  bienveillant  accueil.  — 
La  Rivista  a  fourni  une  carrière  beaucoup  moins  longue,  mais  qui  n'aura  pas  été 
sans  éclat.  C'était  un  journal  bien  fait,  dont  toutes  les  parties,  articles  de  fonds, 
mélanges,  bibliographie,  étaient  traitées  avec  un  soin  égal.  Nous  sommes  sur- 
pris de  le  voir  interrompre  sa  publication  au  moment  où  la  création  de  chaires 
de  philologie  romane  fait  espérer,  pour  cette  branche  de  la  science,  un  bril- 
lant avenir  en  Itah'e.  —  Nous  avons  appris  la  fin  du  Jahrbuch  et  de  la  Rivista 
par  le  prospectus  d'un  recueil  nouveau  qui  s'annonce  comme  devant  prendre 
leur  place  :  la  Zcitschrift  fur  Romanische  Philologie,  dont  le  premier  numéro  doit 
paraître  le  31  mars  prochain.  Le  rédacteur  en  chef  de  ce  périodique  est 
M.  Grœber,  professeur  à  Breslau  et  connu  par  divers  travaux  relatif  à  la  litté- 
rature française  du  moyen  âge.  Nous  ne  pouvons  que  lui  souhaiter  de  bons  col- 
laborateurs. 

-^  M.  G.  Azais  reprend  la  publication  de  son  Dictionnaire  des  idiomes  romans 
du  midi  de  la  France,  sous  les  auspices  de  la  Société  pour  l'étude  des  langues 
romanes.  Les  souscriptions  sont  reçues  chez  M.  Lambert,  trésorier  de  la  Société, 
chez  M.  Azais,  à  Béziers,  et  chez  les  libraires  Roumanille,  à  Avignon,  et  Bom- 
pard,  à  Toulouse.  L'ouvrage  se  publiera  par  livraisons  de  15  â  16  feuilles  in- 
8*,  au  prix  de  35  cent,  la  feuille.  Il  ne  dépassera  pas  trois  volumes.  C'est  en 
1863  que  parut  la  première  livraison  (Béziers,  J.  Delpech).  Elle  comprend  un 
titre  sans  date  {Dict.  des  idiomes  languedociens),  une  introduction  de  xxviii  pag. 
et  52  pages  du  Dictionnaire,  jusqu'au  mot  aubéto.  Cette  livraison  fiit  entière- 
ment réimprimée  en  1864,  sous  le  même  titre  (la  couverture  portant  en 
plus   le   nom    de   la    librairie  A.    Franck).    Pour    cette    réimpression,   qui 


CHROKiqyE  ^09 

est  réellement  une  nouvelle  édition  très-amendée,  l'auteur  a  mis  à  pro&t  les 
observations  qm  lui  ont  été  commuT^iquées  par  Ttin  des  directeurs  de  la 
Romania,  Deux  autres  livraisons  suivirent  à  peu  d^întervalle,  conduisant 
l'ouvrage  jusqy^au  mot  cahpa*.  Actuellement  le  dictionnaire  va  être  de  nou- 
veau recommencé^  les  parties  déjà  publiées  subissent  une  nouvelle  révision. 
Le  plan  reste  le  même:  il  sera  même  peut-être  un  peu  développé  puisque  le 
titre  n*est  plus  Dictionnaire  des  idiomes  languedociens  y  mais  Diciionnaire  des  idiomes 
romans  du  midi  de  la  France,  Nous  avons  indiqué  précédemment  (Romjnia,  IV, 
158),  i  l'occasion  du  dicUonoaire  de  M.  Boucoiran,  les  objections  que  nous 
paraissent  soulever  des  répertoires  conçus  selon  un  plan  aussi  vaste.  Il  nous 
semble  difficile  qu'un  même  auteur  puisse  représenter  avec  une  compétence 
égale  la  lexicographie  de  toutes  les  parties  d'un  pays  aussi  vaste  que  le  midi  de 
la  France»  Quoi  qu'il  fasse,  quelle  que  soit  la  préparation  qu*il  apporte  â  sa 
tâche,  il  y  aura  nécessairement  des  parties  qui  ne  seront  traitées  que  de  seconde 
main.  Néanmoins,  nous  devons  nous  empresser  d'ajouter  que  nous  ne  voulons 
établir  aucune  comparaison  entre  le  dictionnaire  que  nous  annonçons  et  celui  de 
M.  Boucoiran^  la  compétence  la  plus  grande  se  trouvant  évidemment  du  côté 
de  M.  Azals. 

—  Un  autre  dictionnaire,  celui-là  plus  spécialement  consacré  à  ta  Provence, 
sera  bientôt  mis  sous  presse.  C'est  celui  auquel  Fr.  Mistral  travaille  depuis  plus 
de  vingt  ans.  Nous  en  appelons  la  publication  de  tous  nos  vœux. 

—  Nous  traduisons  la  note  suivante  de  VAcademy  du  26  août  : 

Une  «Chronique  de  U  Pucelle  Dorleans  Jefaanne  Darc.  Escript  en  !a  Ville  Dorkans  en 
nostre  Conveni  lan  ifri  ^>t  3  été  achetée  par  le  Musée  britannique  à  la  vente  de 
M.  Bragge^  en  îuîn.  Elle  est  écrite  sur  ttn  parchemin  trés-épais  dont  les  feuillets  sont 
ornés  de  bordures  contenant  des  ornements  d'architecture,  des  feuilles,  des  fleurs,  des 
inseaes,  des  animaux,  des  figures  humaines,  etc.»  exécutés  en  couleurs  brillantes  rehaus- 
sées d'or.  Sur  la  première  page  un  portrait  équestre  de  Jeanne  d'Arc,  elle  est  représen- 
tée sortant  d'une  ville,  montée  sur  un  cheval  blanc,  l'épée  d'une  main,  un  étendard  de 
Tautre,  Au-dessous  du  portrait  on  lit  :  v  De  par  Dieu  pour  la  France  et  mon  Roy.  »  La 
reliure  du  ms.,  particulièrement  la  façon  dont  les  feuillets  sont  tenus  ensemble,  est  un 
spécimen  très-rare  de  la  naïveté  des  nonnes  de  ce  temps.  i> 

Il  eût  été  bon  d'ajouter  que  ce  ms.  —  que  du  reste  le  Musée  n'a  pas  payé  bien 
cher  (500  fr.,  si  nous  sommes  bien  informés!  est  une  pure  fabrication.  Nous  ne 
Tavons  pas  assez  longuement  examiné  pour  être  en  état  d'en  déterminer  la  date 
même  approximative,  mais  il  n'est  pas  besoin  d'être  un  paléographe  consommé 
pour  reconnaître  que  récriture  et  rornementalion  également  bizarres  de  ce  livre 
ne  sont  d  aucun  temps,  et  ne  peuvent  être  attribuées  qu'à  un  faussaire  très- 
maladroit.  Le  contenu  de  Touvrage  donnerait  sans  doute  des  lumières  sur 
l'époque  de  la  fabrication  qui  en  tous  cas  ne  saurait  être  antérieure  au  xyiu* 
siècle. 

—  Nous  avons  reçu  de  M,  Caix,  au  sujet  du  Contrasto  de  Ciullo  d'Alcamo, 
utte  lettre  que  nous  ne  pouvons,  faute  de  place,  insérer  dans  le  présent  numéro. 


I.  Voy.  Re¥Ui  tnrrçue,  Iftô*,  l,  j^ï,  402-^. 


ÇIO  CHRONIQUE 

^^  La  Société  des  Anciens  textes  français  vient  de  mettre  en  distribution  dcui 
ouvrages  :  le  Roman  de  Biun  de  îa  Montaigne,  puhWé  par  P.  Meyer,  et  le  t.  \  des 
Miracles  dt  îù  Vierge  par  personnages,  publiés  par  G.  Paris  et  U,  Robert.  — 
La  première  de  ces  deux  publications  appartient  à  l'exercice  de  1^7;^  ^^ 
seconde  à  celui  de  1876. 

—  La  seconde  partie  du  Recueil  d'anciens  textes  bas-latins,  provençaux  et  franr 
çais  de  P,  Meyer  paraîtra  en  novembre»  Elle  se  compose  de  1 2  feuilles  comme 
la  précédente.  L'auteur  avait  espéré  faire  tenir  dans  cet  espace  un  nombre 
suffisant  de  textes  français  et  les  deux  glossaires,  l'un  pour  la  partie  provençale, 
l'autre  pour  la  française.  Il  a  fallu  renoncer  à  cet  espoir.  La  littérature  de  la 
France  du  Nord  étant  beaucoup  plus  riche  que  sa  sœur  du  Midi,  il  a  été 
nécessaire,  pour  maintenir  une  certaine  proportion  entre  les  deux  parties  du 
recueil^  d'attribuer  un  plus  grand  espace  au  français.  La  livraison  qui  s'achève 
en  ce  moment  est  eniièrement  consacrée  à  la  poésie  :  les  pièces  de  même  genre 
étaiït  autant  que  possible  groupées,  chaque  groupe  est  rangé  à  la  place  chrono- 
logique que  tuj  assignent  ses  plus  anciens  spécimens.  Un  ordre  chronologique 
absolu  ne  peut  être  déterminé  avec  certitude,  et,  le  pourrait-iî,  qu'il  aurait  le 
grave  inconvénient  d'empêcher  le  rapprochement  des  pièces  de  même  nature*  — 
Comme  dans  la  première  livraison,  les  textes  ont  été  établis  directement  d*aprés 
les  mss.  et  sans  aucun  égard  pour  les  éditions.  En  voici  la  liste:  1,  S.  Eulalie; 
2,  S.  Uger ;  3,  Fragment  de  S.  Alexis;  4^  Le  poème  religieux  imité  du  Cantiqut 
des  Cantiques;  5-9,  Fragments  du  Rùknt  en  cinq  textes  publiés  in  txtensa 
(Oxford j  Cambridge,  Paris,  Lyon,  Châteauroux);  10,  Début  du  Charroi  dt 
Nîmes^  d'après  tous  les  manuscrits  pour  la  première  fois  classés;  ti,  Fragment 
de  Raoul  de  Cambrai;  12,  Les  tirades  assonantes  de  la  Chanson  de  Jérusalem; 
ij,  Fragment  d'Aiol;  14,  Alberic  de  Besançon;  15,  Alexandre^  version  en 
décasyllabes,  d'après  les  mss.  de  TArsenal  et  de  Venise;  16,  Début  du  Bestiain 
de  Philippe  de  Thaon,  d'après  les  mss.  de  Londres,  d'Oxford  et  de  Copen- 
hague; J7,  Le  début  du  Roa,  d*après  les  quatre  mss.  connus  au  moment  oh 
cette  partie  du  recueil  a  été  imprimée  ;  1 8,  Début  du  Percevais  d'après  huit 
mss.;  19,  Saint  Thomas  te  martyr^  long  morceau  d'après  les  quatre  mss.  connus; 
20,  Fragm.  de  Sainte  Thaïs ^  d'après  six  mss,;  21»  Fragm.  de  Sainte  Eaphrosjm; 
22,  Evrat;  trad.  de  la  Genèse,  fragm.;  23,  Anger,  traduction  des  dialogues  de 
S.  Grégoire;  24,  Adgar,  dit  Wilfiame,  Miracles  de  la  Vierge;  25,  Autres 
miracles;  26,  la  fin  du  sermon  en  vers  publié  en  1834  par Jubinal  (ici  avccPaîde 
d'un  ms.  de  Cambridge);  27-1 1,  Dits,  fables  et  fableaux;  32  et  suiv.,  Pièc^ 
lyriques.  —  La  troisième  et  dernière  livraison  contiendra  trois  ou  quatre  feuilles 
de  texte  en  prose  et  les  deux  glossaires. 


ERRATA. 


TOMK  IV. 


P.  j  5 1 , 1.  j ,  masso,  lisez  nasso,  —  P.  3  5 1 ,  l.  3 ,  rofa,  lisez  roja.  —  P.  3  S  »  > 
I.  2\yfatue,  Visez  falue,  —  P.  352,  l.  24,  palatium,  lisez  palatum,  —  P.  353, 
l.  4-j,  coUigialis,  lisez  colliquialis.  —  P.  353,  I.  7  fr.,  lisez  anc.  fr.  —  P.  354, 
I.  15,  *escoUubricare  lisez  "excoUubricare.  —  P.  356, 1.  i^yfigcrc,  lisez fingcre. — 
P.  357,  I.  II,  A,  lisez  g.  —  P.  3^7,  1.  3  du  bas  zarnàfahj  lisez  zarràfah,  — 
P.  3  58,  1.  4,  zada,  lisez  laba.  —  P.  3  59,  1.  9,  gulbba,  lisez  gulbha,  —  P.  360, 
1.  20,  fin,  lisez  first,  —  P.  361,  1.  9  du  bas,  Abbani^  listz  Albani,  —  P.  362, 
1.  19,  hattr,  Visez  hôttr.  —  P.  362,  I.  29,  gaw,  lisez  garw,  —  P.  363,  1.  9, 
balwiss,  lisez  bôlwiss.  —  P.  363,  I.  26,  mevcu,  lisez  mereu,  —  P.  363,  L  31, 
wantigcn^  lisez  wantogen.  —  P.  367,  I.  9,  skerjva,  lisez  skjcrva,  —  P.  367, 
1.  1 1  du  bas,  Nipila^  lisez  lUpila,  —  P.  367, 1.  i  du  bas^  Fechia,  lisez  Flechia. 
—  P.  368, 1.  4,  Fechia,  Usez  Flechia.  —  P.  368, 1.  7,  roeudo,  lisez  roendo.— 
P.  368,  I.  )ydu  bas,  Franche,  Usez  Tranche. 

TOME  V. 

P.  196,  col.  1,1.  I,  au  lieu  de  âjème  lis.  âfème.  —  P.  201,  col.  i, 
I.  10,  au  lieu  de  cezasië  lis.  cëzàsi'é.  —  P.  202,  col.  2, 1.  22,  au  lieu  de 
copid  lis.  copia.  —  P.  203,  col.  i,  1.  10  du  bas,  au  lieu  de  crâtij^à  lis. 
crâti  [fa).  —  P.  206,  col.  2, 1.  9,  au  lieu  de  ïhieîu  lis.  èhiéiû.  —  P.  2 1 2, 
col.  2, 1.  5  du  bas,  au  lieu  de  mahnl  lis.  màhûl.  —  P.  215,  col.  2,  1.  2, 
au  lieu  de  pàhh  e  yâhh  lis.  pàhh  è  iàhh.  —  P.  216,  col.  2, 1.  3 1,  au  lieu 
de  posé  /.  lis.  pose^  m.  —  P.  226,  1.  26,  au  lieu  de  senë  lis.  sné.  — 
Même  page,  dernière  ligne,  au  lieu  de  Pàdy'  lis.  Pàdiy\  —  P.  2  5 1 , 1.  10, 
supprimez  raconté. 


TABLE    DES    MATIÈRES. 


Pages 
P.  Mbykr,  Un  récit  en  vers  de  la  première  croisade  fondé  sur  Baudri  de  Bour- 

gudl I 

V.  Thouskn,  £  4-  <  en  français 64 

R.  Kœhlbr,  La  nouvelle  italienne  du  Prêtre  Jean  et  de  Pempereur  Frédéric*  et 

un  récit  islandais 76 

E.  CosQuiN,  Contes  populaires  lorrains 83i  IH 

Ad.  Neubaubr.  Les  traductions  hébraïques  de  V Image  du  Monde 129 

A.  Darubstbtbr,  Phonétique  française.  La  protonique  non  initiale,  non  en  posi- 
tion    140 

J.  Storm,  Mélanges  étymologiques 165 

E.  Rolland,  Vocabulaire  du  patois  messin,  complément 189 

p.  Mbyer,  De  Pinfluence  des  troubadours  sur  la  poésie  des  peuples  romans.  .    .  2 $7 
Dialogus  Anime  conquerentis  et  Rationis  consolantis,  traduction  en  dialecte  lorrain 

du  xu*  siècle,  p.  p.  F.  Bonnardot 269 

C.  NiGRA.  La  poesia  popolare  italiana 417 

Fragment  d'un  conte  catalan,  traduit  du  français,  p.  p.  A.  Morbl-Fatio  ...  4$) 

p.  Meybr,  Les  manuscrits  des  sermons  français  de  Maurice  de  Sully 466 

MÉLANGES. 

La  Sicile  dans  la  littérature  française  (G.  p.)  . 108 

Diadauïs  Girart  de  RossiUonjTtcôAcaiûon  hDïez  {?.  M.) 113 

Joca  clericorum  (G.  P.) 230 

Sur  quelques  pronoms  provençaux,  notes  supplémentaires  (C.  C.) 232 

Maufi  (G.  P.) 367 

Plainte  du  vicomte  de  Soûle  contre  Simon,  comte  de  Leicester,  texte  vulgaire  du 

pays  de  Soule(i2$2),  p.  p.  Ch.  Bémont  et  P.  M 367 

Sur  //  employé  pour  hr  en  provençal  (C.  Chabanean) 372 

Romania^  V  J  5 


514  TABLE    DES   MATIÈRES 

Chanson  normande  (C.  Jorct) j7j 

Note  sur  les  chansons  de  la  Gruyère,  p.  p.  J.  Cornu J76 

R  pour  j,  z,  à  Beaucaire  (P.  M.) 488 

De  quelques  modifications  phonétiques  particulières  an  bas-normand  (C  Joret).  .  490 

Une  particularité  du  patois  de  Queige,  Savoie  (J.  Banquier) 49) 

COMPTES-RENDUS. 

ADBNfts,  Les  enfances  Ogier^ip.  p.  Schblbr  (G.  P.) 11$ 

—  Li  romans  de  Berte  aus  grans  piis,  p.  p.  Schilir 

—  Bueves  de  Commarchis,  p.  p.  Schilbr 

Albanès,  voy.  Benezet  {La  vie  de  saint), 

Atkinson,  voy.  Auban  {Vie  de  saint). 

Auban  (Vie  de  saint)^  edited  by  Atkinson  (G.  P.) 384 

[Bancel],  voy.  cent  quarante-dnq  rondeaux  d'amoor. 

Benezet  {La  vie  de  saint)y  p.  p.  albanès  (P.  M.] 

Cent  quarante-cinq  rondeaux  d'amour,  [p.  p.  Bancbl]  (E.  Picot) $90 

DiBZ,  Romanische  Wortschœpfung  (G.  P.) 2)6 

Edblspachbr,  Rumun  elemek  a  magyar  nyelvnen  (E.  Sayous) 1 20 

FÉRAUT,  La  vida  de  sant  Honorât,  p.  p.  Sardou  (P.  M.) 2)7 

Gautibr,  voy.  Roland  (Chanson  de), 

Gormond  {La  mort  du  roi)j  p.  p.  Schblbr  (G.  P.) J77 

Matthbs,  De  nederlandsche  Ogicr  (G.  P,) j8j 

MoisY,  Noms  de  famille  normands  (A.  Darmesteter) 252 

Papanti,  Parlari  Italiani  in  Certaldo  (P.  M.) 496 

Picot,  les  Roumains  de  la  Macédoine 120 

Roland  {Chanson  de)y  p.  p.  Gautier  (G.  P.) 114 

roques-Ferribr,  Enigmes  populaires  en  langue  d'oc 2$) 

Sardou,  voy.  Féraut. 

Schblbr,  voy.  Adbnès  et  Gormond, 

Settbgast,  Benoit  de  Sainte-More  (6.  P.) )8i 

Talbbrt,  De  la  prononciation  de  la  lettre  a  au  xvi*  siècle  (A.  Darmesteter).   .     .  394 

Weber,  Handschriftliche  Studien  (G.  P.) 494 

PÉRIODIQUES. 

Archivio  glottologico  italiano,  II,  3 (04 

Athenxum  (the),  24  juin 411 

Bericht,  voy.  Gesellschaft. 

Bibliothèque  de  TEcolc  des  chartes,  XXXVI,  J 124 

—  XXXVII,   I,  2 409 

Bulletin,  voy.  Société. 

Gesellschaft  (Berichte  d,  Sxchsischen)  der  Wissenschaften,  27  nov.  187$     .    .     .  2n 

Jahrbuch  f.  romanische  u.  englische  Literatur,  XIV,  4 124 

-  XV,  I 2J$ 

Jenaer  Literaturzeitung,  n*  40 126 

—  n-  39,  12) 27$ 

Journal  des  Savants,  janv.  et  févr.  1876 255 

—  mars         410 

Nuova  Antologia,  nov.  187  j 125 

Propugnatore  (11),  1874-6 $06 


TABLE   DES   MATIÈRES  5  1  5 

Revue  critique,  187Î,  oct.-déc 126 

—  1876,  janvier -mars 25$ 

—  1876,  avril-juin 411 

Revue  des  langues  romanes,  VIII 122 

—  2*  série,  1876,  janvier-mai 40$ 

—  —       1876,  juin-sept joo 

Rivista  Europea,  1876,  juin 411 

Romanische  Studien,  n*  VU ;o) 

Société  de  linguistique  de  Paris  (Mémoires  de  la),  III,  2 $07 

Société  des  anciens  textes  français  (Bulletin  de  la),  187$,  ) -4 126 

Société  pour  l'étude  des  langues  romanes;  publications  spéciales $02 

Zeitschrift  f.  deutsches  Alterthum,  N.  F.  VII,  2 124 

—                  N.  F.  VII,  î 410 


Le  propriétaire-gérant  :  F.  VIEWEG. 


Imprimerie  Gouverneur,  G.  Daupeley  i  Nogent-le>Rotrou. 


j 


CMTEDUE                        1 

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