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Full text of "Romania"

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J, 


ROMANIA 


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ROMANIA 

RECUEIL    TRliVIESrRIEL 

CONSACRÉ  A  l'Étude 
DES    LANGUES    ET    DES    LITTÉRATURES    ROMANES 

FONDÉ    EN     1872    PAR 

Paul  MEYER  ht  Gaston  PARIS 

PUBLIÉ    PAR 

MARIO    ROQUES 

Pur  remembrer  des  ancessurs 
Les  diz  e  les  faiz  e  les  murs 
Wace 


T  O  M  E  4  4   —   I  9  I  5  -  I  9  I  7 


PARIS    (VL) 

LIBRAIRIE  ANCIENNE  HONORÉ  CHAMPION,   ÉDITI-UR 
EDOUARD     CHAMPION 

5,    QUAI    MALAQ.UAIS,     > 
lOUS    DROITS    RÉSERVÉS 


PC 

1 

i.4H 


NOUVEAUX  FRAGMENTS 
DE  LA  CHANSON  DE  LA  REINE  SIBILLE 


I 


Un  de  mes  collègues  à  l'Université  de  Sheffield,  M.  Loveday, 
qui  a  hérité  d'une  belle  bibliothèque,  trouva,  il  y  a  quelque 
temps,  dans  une  liasse  de  vieux  papiers,  un  feuillet  double  de 
parchemin  contenant  des  fragments  d'un  ancien  poème  français 
en  vers  alexandrins.  Pensant,  avec  raison,  que  ce  feuillet  pouvait 
offrir  quelque  intérêt,  il  a  bien  voulu  me  le  communiquer. 

Ce  feuillet  a  servi  de  feuille  de  garde  (un  tout  petit  morceau 
de  fil  de  soie  y  est  encore  attaché)  et  il  a  dû  être  retiré  d'un 
volume  quelconque,  lorsque  le  bisaïeul  de  mon  collègue',  col- 
lectionneur assez  connu,  fit  réparer  les  reliures  d'un  certain 
nombre  de  vieux  livres  qu'il  avait  acquis  vers  la  fin  du  xv!!!*"'  s. 

Chaque  feuillet  simple  a  158  mm.  de  haut  sur  129  mm.  de 
large  ;  il  n'y  a  qu'une  colonne  par  page  ;  l'écriture  est  anglaise 
et  du  XIII''  siècle  ;  elle  est  assez  lisible,  mais  en  quelques  endroits, 
surtout  dans  la  partie  supérieure,  le  parchemin  est  troué,  et  il  a 
été  fortement  abîmé  au  milieu  de  chaque  page  par  un  pli  trans- 
versal. Le  haut  du  feuillet  a  été  rogné  de  sorte  que  le  premier 
vers  de  chaque  colonne  n'est  pas  déchiffrable,  ou  ne  l'est  qu'en 
partie  :  nous  avons  ainsi  pour  chacune  des  deux  premières  pages 
les  traces  d'un  vers  et  32  v^rs  lisibles,  pour  la  page  3  une  partie 
d'un  vers  et  3^  vers  entiers,  pour  la  quatrième  page,  36  vers  dont 
un  ajouté  en  marge.  Notre  feuillet  n'était  pas  le  feuillet  intérieur 


I.  John  Loveday  of  Caversham   (1711-1789)  :  voir  Diclionary  of  National 
Biography,  XXXIV,   161. 

Rom.mia,  XLI  V.  j 


2  A.    T.    BAKER 

d'un  cahier,  car  les  pages  2  et  3  ne  se  font  pas  suite  ;  nous 
avons  donc  à  faire  à  deux  fragments  de  66  et  71  vers  dont  nous 
donnons  ci-dessous  la  transcription  '.. 

Nous  avons  résolu  en  italiques  les  abréviations,  ajouté  entre 
crochets  quelques  lettres  que  les  trous  du  parchemin  ont  fait  dis- 
paraître et  les  initiales  des  laisses  qui  sont  restées  en  blanc  dans  le 
ms.,  enfin  ponctué  suivant  les  habitudes  modernes.  Nous  n'avons 
apporté  au  texte  aucune  autre  modification  et  nous  avons  exacte- 
ment reproduit  les  graphies  anglo-normandes  du  scribe  ;  quelques 
corrections  sont  indiquées  en  note. 

I 

F.  I  ri'clo  I      I      I      I      I      I 

E  q»ant  cil  entendirent  a  pou  su«t  erragez. 

«  Par  Dou,  sire  duc  Nemes,  vous  nous  contrariez  : 

En  la  cort  li  Roi  forment  nos  enpirez. 

Cest  chen  navra  Macer,  car  il  eust  esragez  :  _  5 

Espor  le  chen  le  het  ou  de  p/rs  ou  de  vez .  » 

[DJuc  Ncnies  de  Beiv(;/e  (\ue  tauHt  fista  proiser 

Par  le  col  ad  saili  maintenant  le  seuerer  ; 

A  Gaufroi  le  rojwmawda  (\ne  fu  parent  Oger  ; 

E  q»i7nt  Mact'/'  le  v[i]t  vif  quida  esracher.  10 

La  sunt  si  prt/ent,  Hâtes  deMondider, 

E  se  i  fu  Maling/t's  e  ove  lui  Bereng?/', 

Faukes  e  Aloriz,  Ysotard  e  Bricher. 

Gefron  de  Hautefoile  pr/st  un  cotel  d'ascer  ; 

La  vodrunt  maintenant  denit'n/brer  le  levcrer  15 

Quant  Nemc  de  Bei\v/e  comtînsa  a  hucher, 

Richard  de  Normandie  e  Gaufroi  e  Oger, 

Terri  TArdinois,  Berardz  de  Mondider 

Dreit  au  pié  Charles  s'en  vont  agenoiler  : 

«  Sire  dreit  empt'/i'/e,  mont  nous  peut  nitvvailer  20 

E  des  bontcz  qnt'  en  xous  solaien  repairer  : 


I,  I  La  partie  inférieure  des  caractères,  seule  visible,  ne  permet  pas  le  déchij- 
frement .  —  7  L'initiale  manque,  mais  un  d  est  inscrit  dans  la  marge.  —  8  sic, 
lis.  saisi  et  leverer. 

I.  Mon  ami  M.  le  professeur  Brandin  a  bien  voulu  vérifier  cette  transcrip- 
tion. 


FRAGMENTS    DE    LA    CHANSON    DE   LA  REINE  SIBILE  3 

Vous  me  soleiz  moût  amer  e  tenir  cher, 

Moy  e  Terri  l'Ardonois,  Berard  de  Mondider  ; 

Ore  ne  vous  volez  mes  amer  ne  priser. 

Sertes,  sire,  ceo  pois  nos,  çone  wons  qjier  noer  ;  25 

|a  ne  nous  tarrom  n'e»  averom  loer  : 

Gardés  nous  de  tn/ïtres,  vous  avez  béni  mester. 

—  Nemes,  dist  Charles,  jeo  ne  m'i  soi  garder 
Si  cil  sire  n'en  pense  qtie  tout  peut  j^^itiser. 

—  Amen,  ceo  dist  Charlé'5,  jo  l'em  pri  e  requer.  30 
Ore  escultez  un  pou,  Fraunçois  e  Beruër, 

Entewdez  ma  parole,  n'oiz  sai;/g  de  noier. 
Il  n'i  âd  ça  éinz  haut  home,  serjaunt  echivaler, 
l'erso         I      I      I      I      I       1      I      I      I     [ne  esquier] 

Que  cest  levc/er  adeiene  ne  voile  aprocher,  3S_ 

Fors  seulement  MactT,  le  noster  despenser. 

Joe  ne  vei  pos  Aubri  son  seignor  repeirer 

Que  en  mena  la   Royne  que  en  faites  chacer. 

Car  faites  un  chose  dount  jo  vous  pri  e  reqwt'r, 

Qjie  vous  mountez,  beau  sire,  sor  votre  bon  dest^rr  40 

E  nous  vous  suërom  après  desque  .x,  chivaler, 

S'irrom  ap^t's  le  chien  el  bois  gmnt  a  pl[e]ser. 

Si  m'aïsticil  sire  que  tout  ad  a  juger, 

Solonc  le  mien  pensé,  ceo  vous  disaunz  boiser, 

Macer  ad  occis  Aubri  de  Mondider,  45 

Voster  gentile  baro«  que  tantfist  a  preser 

Ne  de  vostre  service  ne  se  peut  anoier .  » 

[D]  ont  par  fu  li  traître  dolent  e  corucez  ; 

Qjiant  il  oï  duc  Nemes,  a  pou  qu'il  n'est  devez  : 

«  Sire,  ceo  dist  Mac^;-,  nient  dirriez  assez  ;  50 

Ne  fusses  si  haut  home  e  si  ennorez, 

Ja  en  serait  mes  gages  v^rs  le  vostrc  donez 


25  ms.  pois  nios.  —  27  Lis.  Gardés  vous  et  sans  doute  inversement  ne  nous 
au  V.  24.  —  50  [Lis.  ceo  dist  Nemes  ;  voirinfra,  p.  9,  ;;.  i].  —  34  Même  obser- 
vation que  pour  i.  [On  peut  cependant  deviner  la  fin  de  vers  ne  esquier,  cf.  pour 
cette grapJxiell,  41  ;  pour  la  confirmation  de  cette  lecture,  voir  infra,p.  9,  //.  2]  — 
35  Les  ^e  et  _^e  lettres  de  adeie  sont  incertaines  par  suite  d'une  légère  déchirure 
du  ms.  [M.  Baker  avait  lu  d'abord  adest,  mais  /'e  final  est  certain  et  la  4^  lettre 
ne  petit  guère  être  s;  pour  adeie,  cf.  Godefroy,  /,  v.  ad.mer.]  —  37  Lis.  vei 
pas.  —  44  le  est  ajouté  au-dessus  de  la  ligne  entre  mien  et  pensé. 


A.    T.    BAKER 

Que  onqm-s  en  si  fait  mendre  ne  me  viwt  en  pcHsez. 

—  Macer,  dist  duc  Nemes,  un  petit  m'entendez  : 

Hene  verrom  comc/zt  il  est  ei?îz  les  tre'is  jors  passez .  »  55 

Nemes  sest  le  levc/er,  vers  le  Roi  s'est  tornez. 

Le  levv/'er  veit  le  Roi,  vc/s  lui  s"est  aclinez, 

Devant  lui  s'ageuoille,  si  s'est  moût  demf;/tez  ; 

As  denz  pr/st  son  ermine  que  estoit  engouiez, 

Volu/uieris  l'en  t/aisist  le  lev^rer  affilez  60 

Q;/(rnt  li  Roi  l'ad  veïi,  si  plora  de  pitez  ;    ' 

Son  clieval  demanda,  il  lui  fu  amenez  ; 

L'empc/er  monta,  tei»t  l'espee  a  son  lez, 

E  des  autres  baro»s  tant  que  il  furewt  asez. 

Macer  li  tmtre  se  n'est  pas  alez,  65 

Einz  remist  a  Paris  dolenz  e  aïrez. 


II 


F.  2  recio  «   1      1      1      1     faite   de  g/ant  bastonz  q/zc/rrez 

Cum  plus  l'averai  batu,  plus  ert  adountez 

E  meuz  eu  ert  le  fes  desor  son  dos  portez. 

Tel  manere  a  li  asne,  ceo  dist  l'autoritez. 

Sire,  veez  ci  mon  chen,  c'est  meuws  amis  p/'/vez  ;  5 

Si  m'ait  icil  sire  qiicn  croiz  fu  peinez 

Cum  jeo  n'ai  nul  ami  dou»t  soi  meuz  amez. 

Quant  jeo  l'ai  tau//t  batu,  a  pou  ne  l'ai  tuez, 

E  jeo  l'apel  a  moi,  a  luidi  :  «  Ça  venez  !  », 

Lors  me  coneust  mes  chens,  s'est  vers  moi  aclinez.  10 

Seinors,  ceo  dist  duc  Nemes,  par  Deu  de  majestez, 

Issi  irra  Merlin  cum  vous  01  ore  avez.  » 

«  [SJeignors,  ceo  dist  duc  Nemes,  entendez  mon  pensé  : 

fugcme»t  vous  dorrcie,  si  V()//5  [vjendroita  gré. 

Pus  que  Aubri  n'ad  home  est/(/nge  ne  prevé  1 5 

Que  voille  vers  Macc/-  rawbatre  el  chau»/p  niellé, 

Fors  soulemc«t  cest  chen  que  voi  entalenté, 

Jeo  di  q//('  home  les  doit  mettre  ensemble  po/'  vivité 


53  Lis.  un  si  f.  meudre  (meurdre,  cf.  mordre,  II,  38).  —  56  Lis.  Nemes  lest 
—  60  [affilez  ue  paraît  pas  absolutneiil  sûr  ;  la  photographie  laisse  voir  Jans  V inter- 
ligne un  signe  qui  se  lit  mal]. 

II,  1  faite  est  de  lecture  très  i)U'ertaiue. 


FRAGMENTS    DE    LA    CHANSON    DE    LA  REINH  SIBILE  5 

Macer  soit  a  pé  devant  lui  en  el  pré, 

Si  ait  un  escu  rond  e  un  baston  quarré  20 

E  un  baston  d'espine  bien  fait  e  mesuré, 
Pié  e  demi  de  long  bien  fait  e  asscemé. 
Si  il  peut  occire,  moût  avra  bien  ovt';é  : 
Tût  quite  s'en  irra  e  tout  a  sauveté  ; 

E  si  le  chen  le  vente,  par  Deu  de  majesté,  25 

Donc  di  jeo  qu'il  ad  occis  Aubri  e  affolé, 
Jeo  ne  soi  autre  chose,  es  te  le  vous  prové. 
Face  en  li  Roy  justice  au  los  de  son  barné.  » 
E  qinmt  cil  l'entewdircHt,  si  suiix  en  piez  levé, 
Duc  Nemes  embracerent  e  si  l'ou«t  acolé  :  30 

«  Sire,  bien  avez  dist,  Deu  vous  tiegne  en  bonté  ; 
Tout  issi  serra  il  cum  l'avez  devisé .  « 
Devant  le  Roy  s'en  vont,  tout  Tou/n  reconté 
Trestout  le  jugement  qu'il  ouwt  enorté, 

E  le  rov  lour  ottroie  volunters  e  de  gré,  55 

■verso        Quant  ost  le  jugement  que  ert  de  loiauté. 
Qua»t  Macf/-  l'oï  gnrntjoi  en  ad  mené, 
Son  g7-i(nt  mordre  quida  bien  aver  aquité  ; 
Mes  Deu  qu'o//ques  ne  menti  bien  sout  la  vérité. 

[C]eo  fu  par  un  matin  que  le  solail  lust  gent  ;  40 

Macer  ou//t  amené  esquier  e  serjaunt, 

Devaunt  le  roi  s'en  vint.  Char/tw  lui  ad  dist  tau/;t  : 

«  Macer,  dist  le  Roy,  entendez  mon  semblau;/t. 

Certes  jeo  vous  aim  moût,  ne  seez  mie  mescreaunt, 

Por  l'amor  du  lignage  que  vous  avez  s[i]  grant  ;  45 

Mes  il  m'estuit  dreit  faire  a  ma  court  de  ma  ge«t. 

Jugé  ount,  ceo  me  semble,  mi  amis  meuz  vallau//t. 

Pur  que  Aubri  n'ad  home,  est/ïînge  ne  parent, 

Que  voille  vers  vous  a'/«batre  el  chaump  présent, 

Cest  chen  vers  vous  en  ad  moût  g/«nt  talent,  50 

Vous  estoit  ct'wbatrc  par  itele  covenauwt  : 

Wous  avérez  un  escu  rou«d  e  un  baston  pesau«t 

E  un  baston  d'espine  bien  fait  e  avenaunt 

Si  le  chen  poez  ventre  ne  faire  recréant. 


\i)-20  L'i  lecture  est  rendue  dij'ficile  par  le  pli  transversal  et  les  dèclnrures  ; 
au  V.  20  s  jit  ou,  moins  prohahlenient,  voit.  —  22  Le  second  s  est  ajouté  au-dessus  de 
la  ligne  entre  s  et  c,  peut-être  par  ej-reur  pour  nscusmé  —  5  5  La  fin  du  vers  est 
de  lecture  difficile  à  cause  du  pli. 


6  A.    T.    BAKKR 

Tout  quitu  serras  de  la  t;i(ïson  grau«t,  55 

Ceoque  vous  mettent  sus  mi  home  e  ma  gent 

De  Aubri  que  est  occis  dont  j'ai  le  qucr  dole;/t. 

E  si  le  chen  vonsvaiin,  jco  di  par  saint  Ameuau«t, 

Jeo  vous  ferai  justice  tel  cum  est  covenau«t 

D'escorcher  e  d'ardoir,  d'encroier  au  vent.  60 

—  Sire,  cco  dist  Maccr,  Deu  en  trais  a  guarau«t 
Que  Aubri  ne  fis  mal  plus  que  mon  cherenfauwt.  « 

«  [S]ire,  ceo  dist  Mac^r,  por  Deu  le  fiz  Marie, 

Ja  en  serrai  ceo  honte  e  molt  gram  vilanie 

Si  me  (•o;«b[at]  e  au  chen  en  bataille  formic.  65 

—  N[c]ni,  ceo  dist  liRoi,  car  issi  Tountjugie 
Mi  home  e  ma  gent  douHt  il  i  ad  partie. 
Alez  adober  e  si  ne  demorés  mie.  » 

Macer  s'en  torna,  si  apele  sa  lignie  ; 

Si  parent  l'adoberent  en  la  sale  voutie  :  70 

Un  court  baston  d'espine  lui  ou«t  mis  en  baillie. 

Il  est  tacile  de  reconnaître  dans  ces  fragments  les  débris 
d'une  version  française  de  l'histoire  de  Macaire  ou  de  la  Reine 
Sibile,  dont  nous  avons,  comme  on  sait^  une  forme  franco-ita- 
lienne, publiée  en  1866,  par  Guessard,  dans  la  collection  des 
Anciens  poètes  de  la  France.  En  appendice  à  son  édition  (pp.  307- 
12)  Guessard  avait  déjà  réimprimé,  d'après  Reiffenberg,  quelques 
frao;ments  d'une  version  française  en  alexandrins.  Les  nouveaux 
fragments  que  nous  publions  correspondent  d'une  façon  géné- 
rale aux  vers  912-920  et  1007-1046  du  Macaire  franco-italien. 

A.  T.  Baker. 


II 


Les  indications  données  par  M.  Baker  peuvent  être  précisées 
grâce  à  une  comparaison  des  nouveaux  fragments,  d'une  part 
avec  la  version  espagnole  de  la  enperatri{Sevilla  publiée  en  1864 
par  J.  Amador  de  los  Rios,  dans  \esIUisiraciones  de  son  Historia 
critica  de  la  Literatura  espanola,   t.  V.  pp.  344  et  suiv.,  d'après 


60  vers  ajouté  en  marge. 


FRAGMENTS    DE    LA    CHANSON    DE    LA  REINE  SIBILE  7 

un  ms.  de  l'Escurial  du  xiv^  siècle,  et  plus  récemment  par 
A.  Bonilla  y  San  Martin,  Libros  de  Cahallerias,  r'  parte  '  ; 
d'autre  part  avec  les  fragments  en  alexandrins  français  publiés 
par  Reitfenberg,  puis  par  Gucssard,  et,  plus  exactement,  plus 
complètement  et  dans  un  meilleur  ordre,  par  A.  Scheler,  dans 
les  Bulletins  de  r  Académie  royale  de  Belgique,  44^  année  (1875), 
pp.  404  et  suiv.  ;  enfin  avec  la  mise  en  prose  française  de  la  Reine 
SibiJe  conservée  dans  le  ms.  3351  de  l'Arsenal. 

Le  premier  fragment  (2  colonnes)  publié  ci-dessus  correspond 
à  la  plus  grande  partie  du  ch.  xviii  de  la  version  espagnole  (éd. 
Rios,  p.  356-7,  environ  50  lignes),  le  deuxième  (2  colonnes) 
correspond  à  la  fin  du  ch.  xxii  et  au  ch,  xxiii  (éd.  cit., 
p.  360-61,  environ  53  lignes).  La  portion  de  la  version  espa- 
gnole correspondant  à  la  lacune  entre  nos  deux  fragments  repré- 
sente un  peu  moins  de  100  lignes  de  Tédition  :  il  est  facile  de 
calculer  que  cela  équivaut  à  4  colonnes  de  notre  ms.  et  que, 
par  conséquent,  entre  les  deux  feuilles  du  feuillet  double  qui 
nous  est  parvenu  il  y  avait,  et  il  nous  manque  aujourd'hui,  seu- 
lement un  autre  feuillet  double,  soit  130-140  vers. 

Ce  calcul,  il  est  vrai,  suppose  que  la  version  espagnole  et  le 
poème  français  concordent  exactement  :  il  en  est  ainsi  en  effet, 
sauf  des  différences  minimes  dont  les  unes  sont  dues  à  de  brèves 
additions  de  l'espagnol,  les  autres  à  des  fautes  de  notre  ms.  Pour 
rendre  évident  ce  rapport  il  nous  suffira  de  reproduire  une 
partie  du  ch.  xviii  de  la  version  espagnole,  correspondant  aux 
vers  1-40  de  notre  fragment  I  : 

Quiindo  cUos  esto  ovcron  fueroii  muy  sanudos,  et  dixieron  :  —  Senor, 
dexadnos,  este  can  que  veedes  lUigô  d  Macaire  muy  mal  en  la  espalda.  — 
Amigos,  dixo  el  Duque,  non  lo  culpedes;  bien  sabe  el  can  donde  viene  este 
desamor,  ô  de  viejo  ô  de  nuevo^.  Et  el  conde  don  Aymes  de  Bayuera  que 

1.  Je  n'avais  pas  sous  les  yeux  l'édition  Bonilla  au  moment  où  je  rédi- 
geais cette  note  ;  je  corrige  les  épreuves  loin  de  toute  bibliothèque,  mais 
M.  Antoine  Thomas  a  bien  voulu  examiner  pour  moi  l'édition  Bonilla  ; 
elle  ne  diffère  en  somme  que  par  des  détails  de  graphie  de  l'édition  Rios  à 
laquelle  je  me  tiens.  Sur  l'édition  Bonilla  voir  R.  Menéndez  Pidal  dans  Cul- 
inra  Espaùola,  VIII,  1062. 

2.  La  brève  réponse  de  Naimes  introduite  ici  par  l'espagnol  peut  avoir  été 
indiquée  dans  l'original  ;  le  roman  en  prose  français  est  d'accord  à  la  fois  avec 
l'espagnol  et  avec  la    version  en  alexandrins  :  «  [joé   v°']  Adont  s'aproucha 


8  M.    ROQ.UES 

cra  niuy  preciado,  et  nuicho  cntciidido,  tomo  el  galgo  por  el  cuello,  et  diôlo 
d  Gaufredo  que  era  padrc  d'Ougcl,  que  lo  guardase,  et  el  can  estovo  con  él 
de  buena  mente'.  Qiiando  Macaire  esto  viô,  ovo  muy  grant  pesar,  et  y 
cstauan  con  él  entonce  sus  parientes  que  Dios  maldiga  :  Malingres  et  Erui, 
et  Bâton,  et  Berenguer,  et  Focaire,  et  Aloiis  et  Beari,  et  Brecher,  et  Grifez 
de  AltafoUa,  et  Alait  de  Monpanter,  que  quisieran  matar  al  can  de  grado. 
Quando  el  buen  Duque  don  Aymes  esto  viô,  començô  d  dar  baladros  et 
metiô  bozes  a  Rrechart  de  Normandia,  et  d  Jufre,  et  à  Ougel,  et  d  Terri 
l'Ardenois,  et  â  Beraje  de  Mondisder,  et  al  viejo  Simon  de  Pulla,  et  a  Galfer 
d'Espoliça-.  —  Barones,  dixo  el  Duque,  ruegovos  por  Dios  que  nos  ayu- 
dedes  d  guardar  este  galgo;  c^t  ellos  rcspondieron  que  de  todo  en  todo  lo 
farian.  Entonce  trauaron  del  can  et  leuaronlo  antc  el  enpcrador,  et  fincaron 
los  inojos  ante  él,  et  el  duque  don  Avnies  lo  ténia  por  el  cuello'  et  fiiblô 
primero,  et   dixo:  —   Senor  enperador,  mucho  me    maravillo  de  las  gran- 


ung  des  nepveux  Macaires  pour  respondre  :  «  Grant  tort  avez,  sire  Naymon, 
fait  il,  qui  ung  tel  mastin  sousteuez  contre  la  personne  d'un  conte  de  bon 
lieu  et  de  hault  parage  lequel  mastin  le  het  par  avanture  de  longue  main  ou 
de  nouvel  ;...  c'est  beste  enragiee  qui  [vous]  pouroit  aussi  bien  couroucier 
comme  lui.  —  Vos  paroUes  av  je  bien  entendues,  sire  vassal,  ce  res- 
pondy  Naymon,  et  samble  par  icelles  que  le  mot  qui  fut  dit  par  manière  de 
proverbe  soit  véritable  :  Oui  son  chien  vaut  hier,  la  rao-e  lui  iiiel  sus.  Sv  vou- 
lez vous  faire  de  cestui  [^oj]  qui  mie  n'est  tel,  connue  il  me  samble.  »  Il  est 
possible  que  notre  ms.  ait  omis  un  vers  qui  permettait  de  mettre  le  v.  6  dans 
la  bouche  de  Kaimes,  ce  qui  serait  d'ailleurs  plus  naturel.  L'on  notera  en  tout 
cas  la  présence  dans  les  trois  versions,  et  dans  les  mê-mes  termes,  de  l'idée  de 
haine  «  de  près  ou  de  vez,  de  longue  main  ou  de  nouvel,  de  viejo  6  de 
nuevo  » . 

1 .  Cette  dernière  idée  manque  à  la  version  en  alexandrins  ;  elle  se 
retrouve  dans  la  version  en  prose  :  «  Il  [Naymes]  prent  le  lévrier  par  le  col 
lors  et  le  festoie  et  aplanie  et  le  lévrier  meult  la  queue,  les  oreilles  et  la  teste 
et  s'efforce  de  lui  faire  chiere,  etc.  » 

2.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  beaucoup  aux  variantes  de  ces  listes  de 
noms.  Je  note  toutefois  que  «  Milon  de  Puille  »  apparaît  dans  le  roman  en 
prose. 

3.  L'espagnol  est  ici  un  peu  plus  développé  que  la  version  en  alexandrins  : 
il  peut  y  avoir  là  seulement  une  addition  amenée  par  le  «  comensa  a  hucher» 
du  modèle  et  parle  désir  d'expliquer  que  Nemes  amène  le  lévrier  à  Charle- 
magne,  ce  que  le  français  ne  dit  pas  expressément  avant  le  v.  56.  Le  roman 
en  prose  qui  modifie  la  scène  et  supprime  le  discours  de  Naimes  est  obligé 
de  faire  amener  le  chien  par  Geuffrov  le  Dannois. 


FRAGMENTS    DE    LA    CHANSON    DE    LA  REINE  SIBILE  9 

des  bondades  que  eu  vos  soliades  auer:  vos  me  soliades  amar  et  llaniar  â 
vuestros  graudes  cousejos  et  à  los  grandes  pleitos,  et  en  las  vuesiras  guerras, 
yo  solia  ser  el  primero  :  agora  vco  que  me  non  amades  nin  preciades  ;  yo  non 
vos  lo  quiero  mas  encobrir  ;  mas  guardat  vos  de  traydores  que  assaz  menes- 
ter  es.  —  Don  Aymes,  dixo  el  emperador,  yo  non  me  puedo  ende  guardar, 
si  me  Dios  non  guarda,  que  ha  ende  el  poder.  —  Yo  le  pido  por  mercet, 
dixo  don  Aymes,  que  vos  guarde  de  todo  mal  '  ;  mas,  Seiior,  agora  me 
entendet,  sy  vos  plaze  por  el  amor  de  Dios  :  aqui  non  ha  cavallero  nin 
escudero  nin  clérigo  nin  serviente  -,  d  quien  este  galgo  mal  quiera  fazer,  sy 
non  a  Macaire,  este  vuestro  priuado  >,  et  se  que  Aubery,  su  senor,  à  quien 
vos  mandastes  guiar  la  reyna,  quando  fue  echada  de  vuestra  tierra,  que  este 
can  fué  con  él,  que  tanto  mas  ha  de  un  ano  siempre  andava  con  él,  que  lo 
non  podiam  dél  quitar  ;  et  Senor,  por  vuestra  mercet  facet  agora  una  cosa  : 
que  cavalguedes  en  un  buen  cavallo... 

Nous  avons  signalé  et  expliqué  en  note  les  menues  différences 
entre  la  version  espagnole  et  le  fragment  en  alexandrins.  Pour 
le  reste  du  chapitre  il  y  a  correspondance  constante  et  souvent 
mot  à  mot  sauf  pour  les  v.  54-55  (réponse  de  Naimes)  qui 
manquent  à  l'espagnol. 

Il  en  est  de  même  et  d'une  façon  plus  constante  encore 
pour  le  deuxième  fragment,  à  l'exception  des  quatres  passages 
suivants  : 

1°  La    fin  de  !'«  exemple  «  de    Merlin  et  le  commentaire  de 


1.  L'espagnol  permet  de  comprendre  le  dialogue  et  de  rectifier  le  v.  30. 

2.  La  lecture  ne  esquicr  au  v.  34  est  confirmée  par  l'espagnol,  qui  permet 
en  même  temps  d'établir  que  la  rognure  du  feuillet  n'a  pas  enlevé  d'autre 
vers  entre  33  et  34. 

3.  L'espagnol  et  la  version  en  alexandrins  s'accordent  parfaitement,  mais 
l'auteur  du  roman  en  prose  n'a  pas  vu  que  c'était  Naimes  qui  parlait  :  peut- 
être  son  modèle  avait-il  au  v.  30  Charles  comme  notre  fragment  ;  de  plus  il  a 
sans  doute  lu  ou  compris  Qui  au  lieu  de  Que  au  v.  35.  ce  qui  l'a  amené  au 
non-sens  et  aux  explications  embrouillées  que  voici  :  «  Charlemaine  ne  se 
pot  taire  lors,  ains  commanda  et  fist  deftense  sur  toutes  paines  [^oj  v<^]  que 
nul  qui  qu'il  feust  ne  meffesist  au  blanc  lévrier  excepté  le  conte  Macaire  seu- 
lement. «  Et  pour  quoy,  sire,  ce  respondi  le  conte.  —  Pour  tant  certes,  ce 
respondi  l'empereur  que  j'ay  le  chien  mis  et  met  de  ceste  heure  en  ma 
seurtê  jusques  a  ce  que  son  maistre  Aulber\-  vove  devers  moy  retourné.  »  Ht 
qui  demanderoit  de  quel  esprit  pouoit  parler  Charlemaine,  dit  l'istoire  pour 
response  que  jaavoient  lui  et  ses  princes  esté  à  conseil  sur  ceste  matière.  » 


10  M.    ROQUES 

Naymes  sont  plus  développés  dans  l'espagnol.  Je  transcris  la 
partie  correspondant  aux  v.  8-13  du  français  (éd.  cit., 
p.  360). 

«  ...ca  ssi  lo  ficro  mucho,  aunquc  lo  dexe  por  mucrto,  tanto  que  lo  llamt- 
lucgo  se  viene  para  mi  muy  ledo,  et  afalàgamc  et  esle  ende  bien  :  tal  mancra 
es  la  de  can.  — Ora  se  verdadcramentc,  dixo  César,  que  sabedes  mucho,  et 
por  eude  quiero  seades  quito  de  la  presion,  et  que  vayades  ;i  buena  Ven- 
tura, cà  bien  lo  meresccdes  ;  et  Merlin  gelo  gradesciô  mucho  et  fué  su  \ia 
para  su  tierra.  — Seiîores,  dixô  el  duqucdon  Aymes,  por  esto  podedes  enten- 
der  que  graut  amor  hà  el  can  à  su  senor  verdaderament,  et  por  ende  deue  ser 
Macaire  rebtado  de  traycion,  et  enforcado,  si  le  prouado  fuer.  Asi  fablô  el 
duque  don  Aymes,  como  vos  conté.  —  Varones,  dixo  él,  ora  oyd  lo  que 
quiero  dezir...» 

Tout  cela  est  évidemment  beaucoup  plus  clair  que  les  vers 
11-12  du  français,  et  nous  permet  en  tout  cas  de  comprendre 
le  Issi  lira  Merlin  duv.  12  (erra  M.  ^^^  fué  su  via  para  su  iierra^. 
Il  n'est  pas  impossible  que  l'extrême  concision  du  poème  fran- 
çais soit  due  simplement    à   quelque    bourdon  du   copiste. 

Le  roman  en  prose  du  ms.  de  l'Arsenal  ne  permet  pas  de 
vérification  :  immédiatement  après  la  partie  de  l'exemple  rela- 
tive au  chien  on  a  laissé  en  blanc  la  valeur  d'une  page  pour 
reprendre  avec  la  proposition  de  duel  entre  Macaire  et  le 
chien.  Je  me  demande  si  le  metteur  en  prose  n'avait  pas  sim- 
plement sous  les  yeux  un  ms.  en  vers  analogue  au  nôtre  et  si, 
jugeant  les  vers  ii-i 2  insuffisamment  clairs,  il  ne  s'était  pas 
réservé  de  la  place  pour  introduire  la  fin  de  l'exemple  (qu'il 
connaissait  sans  doute  par  ailleurs),  quand  il  en  aurait  trouvé 
une  rédaction,  ainsi  que  la  conclusion  de  Naimes. 

L'historiette  que  Naimes  invoque  à  l'appui  de  ses  dires,  et 
dont  nous  n'avons  dans  notre  fragment  que  la  dernière  partie, 
est  bien  connue  et  elle  nous  a  été  conservée  dans  plusieurs  ver- 
sio:is  où  d'ailleurs  Merlin  n'en  est  pas  le  héros  '  ;  on  en  trou- 
vera, p.  ex.,  une  forme  très  claire  dans  le  Djlopathjs  (6555- 
6973);  toutes    ces  versions  mettent  en    scène    un  personnage 


I.  Cf.  A.  Mussafia,  Ucher  due  aUfraniôs.  Handschrift  der  1; .    Universitâts- 
hihl.  :^M  Pavia,  p.  52-72  (n°  XIX),  et  R.  Kôhler,  Kleinere  Schrifteu,  II,  290. 


FRAGMENTS    DE    LA    CHANSON    DE    LA  REINE  SIBILE  I  I 

qui,  pour  sauver  sa  vie  ou  sa  liberté,  doit  présenter  «  son  plus 
chier  ami,  Et  son  plus  félon  ennemi,  Et  de  ses  serjans  lo 
meillor,  Et  son  miax  vaillant  jugleor  »,  et  qui  résout  le  pro- 
blème en  amenant  son  chien,  sa  femme,  son  âne  et  son  petit 
enfant.  Il  est  fâcheux  que  la  version  en  alexandrins  ne  nous 
ait  pas  conservé  entièrement  cette  histoire;  j'imprime  ci-dessous 
la  version  en  prose  française;  la  comparaison  avec  la  version 
espagnole,  en  somme  peu  difterente,  permet  de  retrouver  les 
traits  principaux  de  l'original. 

«  [^11  ro]  ...mais  pour  vous  montrer  que  il  y  a  cause  de  soupchon  et  que 
ung  chien  est  beste  aucunnement  raisonnable  et  qui  a  juste  et  bonne  cause 
het  ceulx  qui  son  signeur  n'aiment  mie,  racompte  une  liistoire  que  j'ay  leue 
que  du  temps  Julles  César  fut  ungs  lions  que  aucuns  nomment  Merlin  et 
autres  dient  que  c'ellui  Merlins  le  conseilla  au  bon  homme  ' .  L'empereur 
César  tenoit  cellui  prisonnier  pour  son  sens  esprouver  ou  autrement  pour  ce 
qu'il  parloit  de  coses  mervilleuses.  Et  lui  dit  ung  jour  :  «  Pour  toy  délivrer  de 
prison,  beaux  preudons,  fait  il,  te  covient  devant  moy  amener  ton  amv,  ton 
ennemy,  ton  féal  ^  et  ton  serf.  »  Sy  s'en  parti  ly  preudons  et  vint  a  sou  hos- 
tel  et,  au  jour  que  promis  avoit,  comme  tout  conseillié  mena  son  asne,  son 
petit  filz  dessus,  sa  feme  et  son  chien.  Et  quant  l'empereur  le  vist,  il  lui 
demanda  s'il  [vo]  avoit  fait  ce  que  commandé  lui  avoit  pour  soy  acquiter  de 
prison.  «  Ouy  certes,  fait  il,  voirement  ay  amené  ce  que  demandé 
m'avez. 

«  Veez  cy  ma  femme  ;  que  on  pouroit  prendre  pour  mon  amy.  Non  est 
certes,  ains  est  tout  le  contraire  et  le  prens  pour  mon  ennemy  ;  car,  quelque 
amistié  qu'entre  elle  et  moy  doye  avoir,  se  je  l'avoie  par  maltalent  atouchiee 
ou  lui  fait  quelque  autre  mendre  desplaisir,  et  elle  savoit  que  j'eusse  img 
homme  ou  deux  occis  dont  je  deusse  mort  recepvoir,  elle  le  feroit  assavoir  a 
tous  les  voisins  haultement  avant  ce  que  justice  ne  me  presist. 

«  De  mon  asne  qui  cy  est,  c'est  mon  serf;  car  je  ne  le  sçay  tant  chargier 
qu'il  en  rechigne  et  si  ne  le  say  tant  batre  ne  devant  ne  derrière  qu'il  ne  soit 
aussy  cointe  ung  jour  que  l'autre  et  si  en  porte  mieulx  son  fardel  par  droite 
nature  ;  et  telle  est  la  condicion  d'un  asne. 


1 .  Pour  l'espagnol  il  s'agit  bien  de  Merlin  :  «  Ninguno  no  puede  falsar  lo 
que  ende  dixo  Merlin  :  ante  es  grant  verdat  lo  que  ende  prophetizô.  Onde 
aueno  asi  que  César  el  enperador  de  Rroma  lo  ténia  en  presion...  » 

2.  L'espagnol  a,  correctement  :  «  tu  joglar  »  ;  le  metteur  on  prose  a  altéré 
ce  trait. 

3.  L'ordre  est,  dans  l'espagnol  ; /<;/»///<',  fils,  âne,  chien,  comme  dans  la 
version  en  alexandrins  (au  moins  pour  les  deux  derniers). 


12  M.    ROaUES 

«  Je  vous  ay,  fait  il,  pareillement  amené  mon  feai,  c'est  mou  filz  que  cv 
veez  ;  c'est  ma  joie,  c'est  toute  ma  plaisance,  c'est  mon  esbatement,  et  devez 
savoir  que  quant  ung  enfens  est  jeunes,  c'est  tout  l'amour  du  père  et  de  la 
mère;  mais,  quant  il  est  hors  de  la  verge  et  il  ne  veult  plus  endurer  dissiplinc, 
lors  a  le  pcre  sa  joie  perdue,  car  le  filz  ne  feroit  pour  lui  nient  plus  que  le 
[_,'/2]  singe  fait  pour  les  mauvais  :  il  leur  fait  la  moue.  Et  ainsi  fait  le  mau- 
vais enfant  a  son  père,  et  lui  hoche  le  chief  en  derrière  par  sa  mau- 
vaise nature. 

«  En  après,  fait  il,  sire,  av  je  mon  chien  amené  Sachiés  que  je  n'av  nul  amv 
sinon  lui,  et,  se  la  raison  voulez  ouir,  je  vous  dy  que,  quant  je  vois  quelque 
part  et  mon  chien  me  voit  partir,  jamais  il  ne  me  laissera  :  se  je  m'endors, 
il  se  couchera  dalez  mov  et  gardera  qu'on  ne  me  niesface;  se  je  me  cour- 
rouce a  lui  par  aucunne  aventure,  je  ne  le  saverav  batre  tant  que,  se  je  le 
vueil  rapeller,  il  vendra  a  moy  et  me  fera  plus  grant  joie  que  par  avant  ;  et 
s'il  est  aucun  qui  s'efforce  de  mov  mal  faire  de  fait,  je  say  de  vray  que  jamais 
mon  chien  ne  l'aimera,  ains  lui  courra  seure  en  tous  lieux;  et  la  est 
approuvée  la  bonté  et  mauvaistié  d'un  chien.  [La  fin  de  la  page  est  restée  en 
Ni  nie.  ] 

2°  Au  V.  36  correspond  toute  une  phrase  de  l'espagnol  : 
«  Desque  este  pleito  fué  deuisado,  el  rey  fizo  tirar  de  presion  à 
Macaire,  et  traerlo  ante  ssî  et  deuisole  el  juizio  que  dieran  los 
ommes  buenos  de  su  corte  con  don  Aymes.  »  En  effet  Macaire 
a  été  emprisonné  après  la  découverte  du  corps  d'Aubri  (xxi:... 
et  el  rey  fizo  prender  à  Macaire  entre  tanto),  et  il  devait  en 
être  de  même  dans  le  poème  français  (cf.  v.  41).  Il  se  peut 
donc  encore  qu'il  y  ait  ici,  entre  les  deux  vers  commençant  par 
Oiiarit,  une  lacune  dans  notre  manuscrit. 

3°  Le  v.  60,  qui  dans  notre  fragment  est  une  addition  en 
marge,  n'a  pas  de  correspondant  dans  l'espagnol . 

4°  L'espagnol  insère  entre  les  phrases  correspondant  aux 
vers  68  et  69,  trois  lignes  sur  la  terreur  qui  saisit  Macaire,  et 
qui  est  le  juste  châtiment  des  impies  et  des  méchants. 

Ces  différences  ne  sont  pas  de  nature  à  empêcher  la  conclu- 
sion qui  s'impose  par  ailleurs:  la  version  espagnole  est  une  tra- 
duction de  cette  version  française  en  alexandrins  dont  nos  frag- 
ments représentent  une  copie  légèrement  fautive. 

Comme  Ton  aboutit  précisément  à  la  même  conclusion  quand 
l'on  compare  la  version  espagnole  et  les  fragments  publiés  en 


FRAGMENTS    DE    LA    CHANSON    DE    LA  REINE  SIBILE  I  3 

dernier  lieu  par  Scheler  ',  il  en  résulte  nécessairement  que  ces 
fragments  anciens  et  les  fragment  nouveaux  appartiennent  à 
une  seule  et  même  rédaction  de  la  chanson  de  la  Reine  Sibile, 
encore  qu'ils  proviennent  de  deux  manuscrits  différents. 

L'examen  des  rimes  ne  contredit  pas  cette  conclusion  {è  et  à 
confondus,  ie  et  e  distingués  en  général,  iee  passé  à  ie,  dans  les 
deux  groupes  de  fragments). 

Enfin  il  est  probable  ^  que  la  médiocre  mise  en  prose  du 
ms.  de  l'Arsenal  a  été  faite  directement  d'après  cette  même 
version  en  alexandrins. 

M.  Roques. 


1.  Scheler  n'a  pas  fiiit  lui-même  cette  comparaison,  mais  elle  avait  été 
esquissée  par  F.  Wo\{(Deiikscbn'fteii  de  l'Acad.  de  Vienne,  VIII,  1857)  à  l'aide 
d'une  édition  de  La  Historia  de  la  reyna  5e/'/7/i7  imprimée  au  xvr-  s.,  qui  n'est 
qu'un  remaniement  abrégé  et  altéré  de  la  version  manuscrite,  et  elle  a  été 
reprise  par  R.  Kôhler  (op.  cit.,  275)  qui  aboutit  nettement  à  ia  conclusion 
que  nous  indiquons. 

2.  Comme  le  pensaient  déjà  Guessard  (Introd.  à  Macaire,  cxxxiii)  et 
R.  Kôhler, /. /. 


SANS  ET    MATIERE 

DANS 

LES  ŒUVRES   DE  CHRÉTIEN    DE  TROYES 


Vers  II 50  le  vers  de  huit  syllabes  devient  décidément  la  mesure 
préférée  des  écrivains  «  courtois  ».  Thébes,  Éncas  ouvrent  la 
voie.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  un  versnouveau  qui  s'affirme 
dans  ces  œuvres,  c'est  aussi  une  forme  nouvelle  de  composition  : 
on  vise  plutôt  à  être  lu  '  qu'à  être  récité.  En  un  mot  on  écrit 
maintenant  des  romans.  Nous  voudrions  rechercher  ici  quelle  a 
été  la  part  de  Chrétien  de  Troyes  dans  le  développement  de  cette 
nouvelle  technique  de  la  composition  littéraire. 

I 

A  Fexception  d'Ivain  (je  laisse  de  côté  Fbiloiitciia),  tous 
les  ouvrages  de  Chrétien  de  Troyes  qui  nous  restent  com- 
mencent par  un  prologue.  Le  poète  y  annonce  son  récit  et  pré- 
tend nous  en  faire  connaître  la  source.  Erec,  affirme-t-il,  vient 
d'un  confe  d'aventure,  Cligès  d'un  livre  de  la  bibliothèque  de 
la  cathédrale  de  Beauvais,  Perceval  d'un  livre  qui  appartient  au 
comte  Philippe  de  Flandres,  Guillaume  d'Angleterre  d'une 
estoire  conservée  à  Saint  Edmund  en  Angleterre,  tandis  que  la 
matière  et  le  san  de  Lancelot  lui  ont  été  donnés  par  sa  dame,  la 
comtesse  Marie  de  Champagne.  Ainsi  pas  une  fois  Chrétien  ne 
déclare  qu'il  a  inventé  son  histoire,  et  même  en  un  cas  il  va 
jusqu'à  dégager  sa  responsabilité  à  l'égard  du  san  de  son 
roman  -. 

1.  Cf.  Ivain,  5364:  Et  lisoil  une  piicele  devant  tut  Au  un  romani,  "^  sai  de 
cui. 

2.  Cf.  G.  Paris,  Journal  des  Savants,  1902,  p.  504  ss.  Voici  le  passage  de 
Chrétien  :  Matière  et  san  Fan  doue  et  tivre  La  contesse,  et  il  s\vitrenict  De  pan- 
ser si  que  rien  n'i  met  Fors  sa  painne  et  s'antaucion  (26  ss.). 


SANS  ET    MATIÈRE  15 

On  peut  se  demander  ici  ce  que  veut  dire  au  juste  le  poète 
par  le  mot  sari[s].  Que  c'est  un  équivalent  du  latin  sensus  '  et  que 
cela  veut  dire  «  signification  »  ou  «  interprétation  »,  c'est  ce 
qui  se  voit  tout  de  suite.  Dans  son  édition  de  LancelotM..  Foerster 
a  traduit  le  mot  par  Gruudidec,  et  cela  consistait,  croit-il,  «  in 
der  sklavischen  Liebe,  die  den  Liebhaber  zum  willenlosen  und 
niedrigen  Werkzeuo;  seiner  ihn  absolut  beherrschenden  und 
nach  Belieben  hart  und  ungerecht  behandelnden  Geliebten 
erniedrigt  »  ^. 

Mais  Chrétien  emploie  aussi  i-rt;2[5]  dans  des  passages  analogues 
avec  une  signification  quelque  peu  diff^érente.  Il  dit  : 

Mes  tant  dirai  je  que  miauz  oevre 

Ses  comandemanz  an  ceste  oevre 

Que  5a»5  ne  painne  que  j'i  mete      (vv.  21-25), 

et  ces  vers  font  conclure  à  M.  Foerster  :  «  Er  selbst  hat  sich 
also  bloss  bemùht  zu  denken  und  hat  daran  seine  «  Mûhe  » 
und  seine  «  Anspannung  »  «  Sinnen  »,  «  Gedanken  »  —  ou 
comme  dit  M.  Golther^   «  sein  Verstehen  »  — gewandt.  » 

Ainsi,  en  dehors  du  sens  évident  de  «  signification  »  ou 
Griind gedanken,  Chrétien  emploie  encore  sans  quand  il  s'agit  de 
désigner  le  procédé  qui  consiste  à  interpréter  ou  à  mettre  en 
relief  l'idée  qui  est  au  fond  de  son  œuvre.  Que  Chrétien  en 
sente  tout  le  prix,  c'est  ce  qui  devient  très  clair  quand  on 
examine  le  prologue  à'Erec  *.  Commençant  par  un  proverbe 
dont  le  sens  est  que  nous  méprisons  volontiers  ce  que  nous 
devrions  révérer,  il  déclare  : 

Por  ce  fait  bien  qui  son  estuide 
Atome  a  saiis>,  quel  qu'il  l'et  ; 


1.  Voir  ci-dessous,  n.  5. 

2.  P.  XXII  ;  cf.  aussi  p.  lxxiv. 

3.  Deutsche  Literatur,  p.  167. 

4.  V.  1-22. 

).  Leçon  des  mss.  P  E  :  voir  Foerster,  ÉreC,  p.  194.  Cf.  aussi  Méraiigis, 
éd.  Friedwagner,  v.  15,  18,  passim,  Roland,  éd.  Stengel,  v.  1724  :  Car  vas- 
selages  par  sens  nen  est  folie.  Sens  <  sensus  et  seni  ou  sens  (?)  <*  sin  n  u  s 


l6  WM.    A.    NITZE 

Car  qui  son  estuide  antrelet. 

l'ost  i  puet  tel  chose  teisir 

Qui  moût  vandroit  puis  a  pleisir. 

«  Ainsi  donc  il  fait  bien,  celui  qui  met  ses  efforts  à  employer 
son  sans,  à  quelque  degré  ou  sous  quelque  forme  qu'il  en  ait, 
car  quiconque  renonce  à  cet  effort  risque  de  taire  ce  qui  plairait 
aux  autres.  »  En  conséquence,  il 

tiet  d'un  conte  d'aventure 
Une  moût  bêle  conjointure, 
Par  qu'an  puet  prover  et  savoir 
Que  cil  ne  fet  mie  savoir, 
Qui  sa  sciance  n'abandone 
Tant  que  Deus  la  grâce  l'an  donc. 

«  Il  extrait  d'un  conte  d'aventure  une  très  belle  combinaison  ' 

(ital.  senno)  se  trouvent  tous  deux,  semble-t-il,  dans  Chrétien,  bien  qu'on 
ne  puisse  guère  faire  la  distinction.  Cf.  Érec,  v.  4111  :  Vostre  merci,  rahi  vos 
ail  !  —  Gauvains  estait  de  mont  granl  saii  ;  et  v.  4699  :  Conforte^  vos  !  ce  sera 
sans,  et  6759  :  Si  rouie  eJe  nombre  par  sans  El  Teve  de  nier  gote  agote. 

I.  Le  mot  manque  dans  les  lexiques  latins,  qui  donnent  seulement  to///z/«r- 
lio.  Pourtant,  ■<  combinaison  »  est  visiblement  le  sens  original  ;  celui  de 
«  conclusion  »  {Schlussfolgerung)  donné  par  Foerster,  2^  éd.,  n'est  qu'un 
dérivé:  voir  la  note  de  M.  Foerster  à  sa  grande  édition.  Cf.  Philippe  Mous- 
kés,  V.  9703  ss.  :  Giamare  i  fii  paiiite  première  Oui  nos  enseonc  eu  quel 
manière  On  doit  escrire  les  figures,  Et  asambhr  les  congointures  ;  »  et  Evrat, 
Bible,  B.  N.  12457,  ^°  4oo-  II  faut  remarquer  aussi  que  le  mot  junclnra  est 
employé  dans  ce  sens  par  Horace  : 

Ex  noto  fictum  carmen  sequar,   ut  sibi  quivis 
Sperat  idem,  sudet  multum  frustraque  laboret 
Ausus  idem  :  tantum  séries  iiincturaquc  pollet, 
Tantum  de  medio  sumptis  accedit  honoris 
(Ars  poetica,  240  ss.).    Cf.  aussi  46   ss.  Horace  était  bien  connu  de  Jean  de 
Salisbury,  évêque  de  Chartres,  qui  cite   VArt  poétique  dans  son  Polycraticus  ; 
voir  l'édition    de    Webb,    II,    Oxford,    1909,   Index  ancloriim.    Sur  le    mot 
moderne  «  conjoncture  »  (événement,  occurrence),    voir    Livet,  Lexique,  I, 
457,    et  le  Dicl.  général.  Ainsi,  selon  nous,  conjoinliire    désigne  le  produit, 
soigné  dans  le  détail,  de  Chrétien  que  le  poète  oppose  au  depecier  des  autres. 
Voir  encore  Renaud   de   Beaujeu,  Bel  Inconnu,  v.  4-6  :   Par  li  vuel  un  ron- 
mant  estraire  D'un  mont  hiel  conte  d'aventure. 


SANS  ET    MATIÈRE  I7 

par  OÙ  on  peut  sûrement  apprendre  qu'il  n'est  pas  sage  celui 
qui  ne  répand  pas  sa  sciancc  tant  que  Dieu  lui  en  laisse  le  béné- 
fice. » 

Par  suite,  il  veut  commencer 

un  conte 
Que  devant  rois  et  devant  contes 
Depecier  et  corrompre  suelent 
Cil  qui  de  conter  vivre  vuelent, 

«  que  ceux  qui  désirent  vivre  de  leurs  récits  ont  coutume  de 
mettre  en  morceaux  et  de  gâter  devant  les  rois  et  les  comtes». 
Mais,  dans  sa  version  à  lui,  ce  conte 

toz  jors  mes  iert  an  mémoire 
Tant  con  durra  crestiantez, 

«  vivra  dans  la  mémoire  des  hommes  aussi  longtemps  que 
durera  le  Christianisme.   »> 

En  dehors  de  l'orgueil  un  peu  vain  de  ces  déclarations,  ce 
qui  nous  frappe  surtout  c'est  que  Chrétien  nous  dise  que,  grâce 
au  sans  ou  à  r«  intelligence  »  qu'il  y  iTiet,  sa  version  se  place 
par  là-même  au  dessus  de  toutes  les  autres  et  vivra  désormais 
dans  la  mémoire  des  hommes.  Ainsi  il  ne  peut  y  avoir  de 
doute  que,  quelles  que  soient  les  beautés  d'if/w,  le  fait  que  c'est 
wwQ  helc  cou  joint  lire  ou  «  combinaison  »,  développée  suivant  le 
sans  de  l'auteur,  ne  lui  ait  donné  de  la  valeur  aux  veux  du 
public  pour  qui  écrivait  Chrétien. 

Erec,  pourtant,  est  le  premier  des  grands  ouvrages  de  Chré- 
tien et  on  s'est  étonné  que  Chrétien  ait  montré  une  telle  vanité 
au  début  même  de  sa  carrière.  M.  Cohn  '  est  allé  jusqu'à  dire 
que  le  prologue  ne  pouvait  être  de  Chrétien  mais  devait  être 
l'œuvre  d'un  copiste  postérieur.  Mais  cette  objection  tombe,  si 
l'on  remarque  que  les  termes  employés  dans  ce  prologue  sont 
au  fond  ceux  dont  s'étaient  déjà  servis  les  auteurs  de  Thèbes  et 
de  Troie  et  dont  se  servira  Marie  de  France  dans  ses  Lais  ^ 


1.  Zts.f.fr.  Spr.  u.  Lit.,  XXVII  (1911),  26. 

2.  Cf.  les  prologues  de  ces  poèmes. 

Romania,  XLW. 


l8  WM.    A.    NITZE 

Les  citations  suivantes,  qu'il  serait  facile  de  multiplier,  jus- 
tifieront notre  affirmation.  Dans  Thèbes,  par  exemple,  on  lit  : 

Qui  sages  est  nel  deit  celer, 

Ainz  por  ço  doit  son  sens  monstrer. 

Que,  quant  serra  del  siècle  alez, 

En  seit  pues  toz  jorz  remembrez. 

Se  danz  Homers  et  danz  Platon 

Et  Vergiles  et  Ciceron 

Lor  sapience  celissant, 

Ja  ne  fust  d'eus  parlé  avant. 

Por  ço  ne  vueil  mon  scn  teisir, 

Ma  sapience  retenir  ; 

Ainz  me  delét  a  aconter 

Chose  digne  de  remembrer. 

Or  s'an  voisent  de  tôt  mestier, 

Se  ne  sont  clerc  ou  chevalier, 

Car  aussi  pueent  escouter 

Corne  li  asnes  al  harper     (vv.  7-16). 

Ou  prenons  Marie  qui  donne  comme  raison  de  ne  pas  écrire 
une  estoire  que  trop  d'autres  s'y  consacrent  déjà  ',  et  nous 
lirons  : 

Qui  Deus  a  dune  esc'iciice 

E  de  parler  bone  éloquence, 

Ne  s'en  deit  teisir  ne  celer, 

Ainz  se  deit  voluntiers  mustrer. 

Quant  uns  granz  biens  est  mult  oïz, 

Dune  a  primes  est  il  fluriz, 

E  quant  loez  est  de  plusurs. 

Dune  a  espandues  ses  flurs. 

Custumefu  as  anciens 

Ceo  testimoine  Precïens^, 

Es  livres  que  jadis  faiseient 

Asez  oscurement  diseient 

Pur  cels  ki  a  venir  esteient 


1.  V.  29-31   ...  D'alkitne  houe  estoire  faire  E  de  Laliii  eij  Koiiiaiii  traire  ; 
Mais  ne  tue  fust  guaires  de  pris  :  Itaiit  s'en  siiiit  altre  entremis. 

2.  Marie  n'a  pas  très  bien  compris  Priscien.  Voir  Warnke,  Lais  ',  p.  225. 


SANS  ET   MATIÈRE  I9 

E  ki  aprendre  les  deveient, 

Que  peùssent  gloser  la  ietre 

E  de  Uir  sen  le  surplus  raetrj     (v.'.  1-17). 

Ainsi  nous  notons,  chez  ceux  qui  veulent  traire  de  latin  en 
ronian:^,  la  même  insistance  à  mentionner  leur  sans,  le  même 
désir  d'apporter  à  leur  tâche  leur  sciance  ou  sapiance  (sagesse), 
la  même  conscience  de  leur  renommée  et  le  même  dédain  des 
ignorants  que  chez  Chrétien.  Et  nous  remarquons  aussi  que, 
pas  plus  que  lui,  ils  ne  distinguent  nettement  le  mot  sans  des 
mots  sciance  ou  sapiance,  puisque  Thêhes  parle  dans  le  même 
développement  de  ne  cacher  ni  son  sens  ni  sa  sapience  et  qu'à 
en  croire  Marie  celui  qui  a  esciënce  ne  devrait  pas  la  cacher, 
mais  devrait  ajouter  de  son  sen  à  la  lettre.  Ces  ressemblances  ne 
peuvent  être  dues  au  hasard  :  il  est  donc  probable  que  nous 
avons  affaire  ici  à  une  théorie  acceptée  de  la  composition,  dont 
Chrétien  est  redevable  aux  auteurs  de  la  matière  de  Rome. 

Mais  ceux-ci,  à  leur  tour,  où  ont-ils  pris  cette  idée  ?  Et  quel 
rapport  a-t-elle  avec  leurs  œuvres?  Un  examen  de  cette  seconde 
question  éclairera,  selon  toute  apparence,  l'attitude  de  Chrétien 
envers  ses  sources,  ou,  comme  il  dit  dans  Lancelot,  envers  sa 
matière. 

Ici,  Benoit  de  Sainte  More,  l'auteur  du  Roman  de  Troie  nous 
met  sur  la  voie.   TroîV  commence  par  l'aftirmation  que 

Salemon  nos  enseigne  et  dit 
Et  si[l]  list  cm  en  son  escrit  '  ; 


I.  Le  texte  continue  ainsi: 

Que  nus  ne  deit  son  sen  celer, 
Ainz  le  deit  om  si  demostrer 
Que  l'om  i  ait  pro  e  honor, 
Qu'ensi  firent  li  ancessor. 
Se  cil  qui  troverent  les  parz 
E  les  granz  livres  des  set  arz, 
•  Des  philosophes  les  traitiez, 
Dont  toz  li  monz  est  enseigniez. 
Se  fussent  teù,  veirement 
Vesquist  li  siegles  folement  : 
Corne  bestes  eùssons  vie  ; 


20  \VM.    A.    KITZK 

et  alors  suit  un  passage  analogue  à  ceux  que  nous  avons  déjà 
cités  pour  éclaircir  les  termes  saiis,sapîaiice,  etc.  Or,  quoique  le 
mot  de  Salomon  nous  fasse  penser  à  plusieurs  ouvrages  con- 
nus alors,  il  est  certain  qu'ici  Benoit  fait  allusion  au  Livre  de  la 
Sagesse  ou  Liber  Sapientiae,  qu'on  range  maintenant  dans  les 
apocryphes,  mais  qui  était  compris  au  moyen  âge  dans  la  Vul- 
gate  '.  En  effet  non  seulement  le  Livre  de  la  Sagesse  a  été  long- 
Que  fust  savùrs  ne  que  folie 

Ne  seûssons  sol  esguarder, 

Ne  l'un  de  l'autre  desevrer. 

Remembré  seront  a  toz  tens 

E  coneû  par  lor  granz  sens, 

Quar  scïance  que  est  teûe 

Est  tost  obliee  e  perdue. 

Qui  set  e  n'enseigne  o  ne  dit 

Ne  puet  muer  ne  s'entroblit  ; 

E  sciance  qu'est  bien  oïe 

Germe  e  florist  e  frutefie  ; 

Qui  vueut  saveir  e  qui  entent, 

Sacheiz  de  mieuz  l'en  est  sovent. 

De  bien  ne  puet  nus  trop  oïr 

Ne  trop  saveir  ne  retenir; 

Ne  mes  ne  se  deit  atargier 

De  bien  faire  ne  d'enseignier  ; 

H  qui  plus  set,  e  plus  deit  faire  : 

De  ço  ne  se  deit  nus  retraire. 

E  por  ço  me  vueil  travaillier 

En  une  estoire  comencier, 

Que  de  latin,  ou  jo  la  truis. 

Se  j'ai  le  sen  e  se  jo  puis, 

La  voudrai  si  en  romanz  mètre 

Que  cil  qui   n'entendent  la  letre 

Se  puissent  déduire  el  romanz  (vv.  3-39). 
I.  Isidore  de  Séville  dit,  VI,  9:  «  Eorum  librorum  qui  in  canone  Hebraico 
non  sunt.  Quorum  primus  Sapientiae  liber  est.  »  Et  :  c  Ecclesia  tamen 
Christi  inter  divinos  libros,  et  honorât  et  privdicat.  «  11  affirme  à  nouveau 
l'opinion  de  saint  Augustin,  De  Civitate  Dei,  xvii,  cip.  20  :  «  Quorum  in 
uno,  qui  appelatur  Sapientia  Salomonis  passio  Christi  apertissime  prophe- 
tatur.  »  Saint  Augustin  croit  le  livre  orthodoxe  maisil  ajoute:  «  Non  autem 
esse  ipsius  non  dubitant  doctiores.  »  Le  Concile  de  Trente  donna  lorce  d'au- 
torité aux  apocrvphes  du  Vieux  Testament.  Pour  le  texte,  voir  Biblia  Sacra 
iilcroiae  editiouis,  II,  éd.  Valentius  Loch,  Ratisbonae,  1899,  p.  270  ss. 


SANS   ET   MATIÈRE  21 

temps  attribué  à  Salomon,  mais  le  septième  et  le  huitième  cha- 
pitre nous  donne  un  exposé  méthodique  des  idées  mêmes  que 
nous  étudions.  Voici  ce  qu'on  Ut  au  chapitre  vu,  verset   i  s  : 

Ouain  sine  fictionc  didici,  cl  sine  invidia  coinniiinico,  et  honestateni  illins  non 
ahscondo . 

«  Je  l'ai  apprise  laborieusement  et  je  la  communique  généreusement  et  je 
ne  cèle  pas  ses  richesses.  « 

Il  s'agit  ici,  il  est  vrai,  de  sagesse  (sapiciilia^ei  non  de  sciisiis  ; 
mais  nous  avons  vu  que  Tljcb^^s  confondait  les  deux  mots,  et, 
ce  qui  est  mieux,  nous  découvrons  ici  même  la  cause  de  cette 
confusion .  Au  verset  7  du  même  chapitre,  fauteur  dit  : 

Propter  hoc  oplavi,  et  dalns  est  niilji  sensns  ',  el  invocavi,  el  venil  in  nie  spi- 
rilns  sapientiae. 

«  A  cause  de  quoi  j'ai  prié,  et  le  sens  m'a  été  donné;  j'ai  invoqué  Dieu  et 
l'esprit  de  la  sagesse  est  venu  en  moi.  » 

Si  nous  ajoutons  encore  les  passages  variés  dans  lesquels 
sapeiilia  et  scieiilia  sont  identifiés  %  nous  nous  rendons  compte 
que  sciisiis,  sapientia  et  scientia  sont  des  termes  qu'on  peut  au 
fond  prendre  l'un  pour  l'autre,  car  «  sens  »  n'est-il  pas  «  sagesse  », 
et  «  sagesse  »  n'est-elle  pas  «  science  »  ?  Néanmoins,  et  c'est 
peut-être  ici  Chrétien  et  Marie  qui  parlent  le  plus  clairement, 
c'est  une  sagesse  et  une  science  données  par  Dieu,  et  de  ces 
qualités  dépendent  le  sens  ou  faculté  d'interprétation  que  possède 
le  poète. 

Mais  revenons  au  Livre  de  la  Sagesse.  Ce  qui  montre  bien 
qu'il  y  faut  voir  la  source  de  Benoit  et  des  autres,  c'est  que 
l'auteur  se  met  en  devoir  d'y  indiquer  tout  au  long  quels  sont 
les  bénéfices  que  l'on  retire  de  la  recherche  de  la  sagesse.  Ce 
sont  les  suivants  :  1°  renommée  parmi  le  vulgaire;  2°  admiration 
de  la  part  des  grands;  3°  immortalité  auprès  des    générations 


I  .  M.  G.  Otto,  Der  Einjiuss  des  Roman  de  Thèbes,  Gôttingen,  1909,  p-  7^ 
voit  dans  l'injonction  de  ne  pas  cacher  son  san  une  allusion  à  Matthieu,  v, 
1 3  :  Et  n'allume  point  la  lampe  pour  la  mettre  sous  un  boisseau,  mais  sur  un 
chandelier  ..,  etc.  Mais  la  ressemblance  entre  Thèbes  et  le  passage  de  Matthieu 
est  trop  vague  pour  être  convaincante.  Le  passage  du  Caton  latin  qui  se  rap- 
proche le  plus  de  l'idée  en  question  est  le  suivant,  IV,  24  :  n  Propaganda 
etenim  rerum  doctrina  bonarum.  >> 

2.  BiHioruni  Sacroruvi  Concordantiae. 


22  WM.    A.    NITZE 

futures  —  en   un   mot  gloire  ici-bas,  comme  Chrétien,  Thèbes 
et  Marie  l'affirment.  Cf.  Lib.  Sapientiae,  viii  : 

10.  Hahebo proplcr  luac  chiritalciii  ad  tarins,  cl  boiiorcii  aptul  scniorcs  juvenis. 
«  Grâce  à  elle,  j'aurai  l'estime  des  multitudes  et  la  considération  des  vieil- 
lards, tout  jeune  que  je  sois.  » 

11.  Et  acutiis  inveniar  in  jiuUcio,  et  iii    coiispectu  InHeiitinin   adiiiinitùlis  cro. 
«  On  me  trouvera   pénétrant    dans    mes    jugements,    et   je  passerai  pour 

admirable  au  regard  des  puissants.  » 

15.  Praeterea  hahebopcr  Iniiic  iiiiinortalitatciii,  cl  iiicnioridiii  nctcrnam  bis,  qui 
post  rtic  futiiri  stiiit,  relinqtiam. 

«  De  plus,  grâce  à  elle,  j'obtiendrai  l'immortalité,  et  je  laisserai  un  souve- 
nir éternellement  durable  à  ceux  qui  viendront  après  moi.  » 

En  résumé,  nous  aboutissons  aux  conclusions  suivantes  : 

^/)  Chrétien  est  d'accord  avec  les  écrivains  que  nous  avons 
mentionnés  pour  identifier  son  sans  avec  la  sciance  ou  sapiance 
qui  vient  de  Dieu  ; 

/;)  La  valeur  de  son  œuvre  dépendra  de  la  façon  dont  il  se 
servira  de  cette  qualité  ; 

c)  Il  faut  chercher  la  source  première  de  cette  croyance  dans 
le  Livre  de  la  Sagesse . 


II 

Mais  d'autres  avant  les  auteurs  de  Thèbes,  Truie,  etc.,  avaient 
employé  ces  mots  pour  parler  de  leurs  compositions.  Philippe 
de  Thaon  ',  qui  écrivait  sous  Henri  L',  dit  dans  son  Cnmpi\  : 

Car  une  ne  fu  loee 
Escïence  celee  (v.  227-8). 

De  inéme  la  plus  ancienne  version  française  de  Marbode  ^ 
exalte  le  grand  sen  d'Evax,  fameux  pour  sa  science  de  la  valeur 


1.  Cl.  G.  1..  Ilaniilton,  Roiikiii/c  Rrviciv,   III  (1912),    ^14,  et  les  passages 
auxquels  il  renvoie.  Pour  d'autres  exemples,  voir  plus  bas. 

2.  Voir   Foerster  et  Koschwitz,   Jltfrani.  Uebuiigshuch,    175  ss.  ;  L.  Van- 
nier, Lapidaires  fiançais.  28  ss. 


SANS  ET    MATIÈRE  23 

Secrète   des   pierres    précieuses.   SembLiblement    V Alexandre  ' 
d'Albéric  moralise  sur  le  thème  suivant  : 

Poyst  l'omme  fraynt  enfirmitas 
Toyl  li  scu  otiositas  ; 
Solaz  nos  fav  antiquitas 
Que  tôt  non  sie  vanitas. 

Et  on  pourrait  sans  doute  trouver  d'autres  exemples  anciens  -. 


1.  P.  jMever,  Alexandre  le  G  ru  ml,  I,  i. 

2.  Le  Liber  deProprietatibus  reniiii  iiiorallsalh  qui  date  du  xui^  siècle  (voir 
Hist.  litL,  XXX,  535)  commence  ainsi  :  «  Quoniam  scribitur  Sapientiae  xxx 
III  [lisez  xiii]  vani  sunt  omnes  homines  in  qui  bus  non  est  scientia  Dei,  et 
de  hiis  quae  videntur  bona  non  poterunt  intelligere  eum  qui  est,  oportet 
volentem  uti  salubrittr  creaturis  intelligentiae  aciem  supermentaliter  figere 
in  earum  mvsteriis,  et  ipsa  mvsteria  applicare  in  omnibus  sacris.  »  Les 
exemples  suivants  montrent  la  prédominance  de  cette  tradition  savante  après 
Théhes  (et  Chrétien)  :  Wace,  Saint  Nicolas,  26  :  Chescuns  doit  moustrer  son 
saveir  ;  Gautier  d'Arras,  Ille  et  Galeron,  5  ss.,  où  service  et  sait  sont  tous 
deux  à  la  disposition  de  l'impératrice  ;  Hue  de  Rotelande,  Ipoincdon,  15  ss.  : 
Kar  sun  grant  sens  qe  lui  vaudra  Kaiit  de  cest  siècle  partira  ?  ;  47  ss.  :  Ne  voit 
tut  mon  sen  celer  mes  :  Or  m'escote^,  si  aie^  pes  !  Sur  les  rapports  de  Hue 
avec  Thèbes,  voir  C.  H.  Carter,  Haverford  Essays,  Haverford,  Pensylvanie, 
1909,  p.  265  ss.,  et  cf.  Ipomédoi!  1  ss.  avec  Érec,  1  ss.  ;  Hue  de  Rotelande, 
Prothesilaus ,  6  : 

Ses  overes  moustrer  et  ses  seus, 

Kar  par  repos  et  par  peresce 

Ne  vendra  ja  hom  a  hautesce  ; 
Raoul  de  Houdenc,  Méraugis,  18  : 

Qu'il  veut  de  son  sens  qui  est  petit 

Un  novel  conte  comencier 

Qui  sera  bons  a  anoncier 

Toz  jorz,  ne  ja  mes  ne  morra, 

Mes  tant  com  cist  siècles  durra, 

Durra  cist  contes  en  grant  pris  ; 
Robert  de  Ho,  Enseignements  (éd.  Young),  245  : 

Ker  jamès  ne  sera  prisiec 

Science  qui  toz  jorz  est  mucie[e]  ; 
et  voir    les    passages  auxquels  renvoie  l'éditeur  ;  Simund  de  Freine,  J'ie   de 
Saint  Georges,  1-4  : 

Sages  est  qui  sen  cscrit 


24  ^VM.    A.    NITZI-: 

D'autre  part,  sans,  voulant  dire  «  signification  »  ou  «  inter- 
prétation »,  comme  Chrétien  emploie  le  terme  dans  Lancelot, 
était  depuis  longtemps  courant  dans  les  écrits  ecclésiastiques. 
Débrouiller  le  sensiis  ou  «  signification  »  des  textes  tradition- 
nels, sacrés  ou  profanes,  c'était  à  vrai  dire  le  corollaire  néces- 
saire du  point  de  vue  médiéval.  Employée  pour  la  première 
fois  par  Philon  le  Juif  '    dans  ses  allégorisations  du  Vieux  Tes- 

II  fait  a  plusors  profit 

Mult  puct  profiter  a  genz 

Un  escrit  u  sens  est  enz  ; 
A  tins  et  Prophilias,  j  ss.  : 

Oëz  dou  savoir  Alixandre 

Qui  pour  ce  velt  son  seii  espandre 

duant  il  sera  dou  siècle  issus 

Qu'aus  autres  soit  rementëus  ; 
Ki ironie r,  6438  ss.  : 

Qui  bien  i  metroit  sa  cure 

En  escouter  et  en  entendre 

Moût  graut  <ans  i  poroit  aprendre  ; 
Dnrviart  li  Gallois,  5  ss.  : 

Je  ne  di  pas,  qu'a  totes  gens 

Doive  li  hom  mostrer  son  sens  ; 

Kar  mainte  gent  sevent  blasmer 

Et  reprendre  sens  amander  ; 
Heinrich  v.  d.  Tùrlin,  Crâne,  i  ss.  : 

Ein  wîse  man  gesprochen  liât, 

Daz  diu  rede  missetât, 

Diu  âne  witze  geschiht  ; 

Ouch  vrumet  der  sin  liitzel  iht. 

Den  ein  man  in  imetreit  : 
etc.  etc. 

I.  Cf.  Hauréau,  Histoire  de  la  philosophie  scohistii]iie;  Harnack,  Historv  of 
Dognia  (trad.  Buchanan),  1894,  I,  1 14  ss.  Origène  déjà  attribue  trois  ><  sens  » 
à  l'Ecriture  ;  d.  H.  O.  Taylor,  Cla<:sical  Héritage  of  the  Middle  Ages',  102 
ss.,et  Migne,  Patrol.  graec,  XI,  8  :  «  Tum  dcmuni  quod  per  Spiritum  Dei 
Scripturae  Conscriptae  sint  et  sensani  habeant,  non  euni  solum  qui  in  mani- 
festo  est,  sed  et  alium  quendam  latcntcm  quamplurimos.  »  Origène,  Palrol. 
graec,  XIII,  18,  définit  ainsi  la  «  sapientia  »  :  «  divinarum  humanarumque 
reruni  scientia  atque  comprehensio.  »  Sur  l'attitude  de  saint  Augustin  à 
l'égard  de  la  tradition,  voir  Confess.,  V,  14;  VI,  4;  dans  les  AcaJemicos,  \,  5, 
il  ék-TÎt  :  ;<  Sapientia  est  via  recta  quae  ad  veritatem  ducat.  » 


SANS  ET   MATIÈRE  25 

tameat,  la  méthode  passa  clans  l'Europe  occidentale  avec  Hilaire 
de  Poitiers  et  Ambroise,  évêque  de  Milan  ' .  On  en  vint  au  point 
que  non  seulement  la  Bible,  mais  Virgile  ^  aussi,  et  même  plus 
tard  Ovide  durent  fournir  à  la  jeunesse  médiévale  leur  quote- 
part  d'instruction  allégorique  et  morale  ou  sensiis. 

Ecoutez  Paul  Diacre  ',  le  biographe  de  Grégoire  le  Grand  : 
«  Tandem  librum  (les  Moralict)  +  quomodo  iuxta  litteram 
intelligendus,  qualiter  ecclesiaeque  sacramenta  referendus,  quo 
sensu  unicusque  sit  aptandus,  per  triginta  quinque  librorum 
seriem  miranda  ratione  perdocuit.  »  De  même  la  traduc- 
tion française  du  Livre  des  Rois  faite  au  xii'^  siècle  '  : 
«  Fedeil  Deu,  entend  l'estorie  :  assez  est  clère,  e  semble  nue, 
mes  pleine  est  de  sens  e    de   meule.  L'estorie  est  paille,  le  sen 


1.  Voir  A.  Ebert,  Allgemcine  Geschichte  der  Literatiir  des  Mittelalters  in/ 
Abendlande  bis  ^iiiii  Beginne  des  XI  Jahrintnderts,  1889,  I,  154-184. 

2.  Voir  surtout  Comparetti,  f'^'roil  in  the  Middle  Ages  (trad.  anglaise), 
LondoD,  1895,  p.  116  ss.;  V\x\oQnX\us,  De  Continent ia  Vergiliana,  fait  res- 
sortir clairement  «  ce  qui  est  caché  »  dans  Virgile.  Cf.  aussi  Pétrarque,  De 
quibusdani  Jictionibiis  Virgilii,  Opéra,  Basel,  1554,  p.  867. 

Sur  Ovide  voir  particulièrement,  \V.  Schrôtter,  Ovid  u.  die  Troubadours, 
Halle,  1908;  cf.  Vossler,  Literaturblatt,  1909,  p.  63,  et  Jeanroy,  Annales  du 
M/(f2,  XXI  (1909),  517.  En  outre,  Sevdlmayer,  Wiener  Studien,  VI  (1884), 
145,  et  les  indications  bibliographiques  données  par  M.  E.  Faral  dans 
i\Jo?Hti'//fl,  XL  (1911),  188,  note.  Wicksteed  et  Gardner,  Dante  and  Gio- 
vanni del  Virgilio,  1902,  appendix,  I,  sont  aussi  à  consulter  en  ce  qui 
concerne  l'interprétation  morale  d'Ovide. 

3.  Migne,  Patroî.  lafina,  75,  §  8. 

4.  En  voir  une  version  du  xiii^  siècle  dans  l'éd.  Foerster  de  Li  Dialoge 
Grégoire  la  Pape,  Halle-Paris,  1876.  En  provençal  du  x^  siècle,  Bocce,  cette 
figure  si  connue  de  la  philosophie,  est  devenue  le  symbole  de  «  la  sagesse 
chrétienne  »;  cf.  Suchier  et  Birch-Hirschfeld,   Fran:(ôs.  Literatur  '-,  I,    57-58. 

5.  Livres  des  Reis,  éd.  Le  Roux  de  Lincy,  p.  4.  Cf.  avec  le  passage  ci- 
dessus  Rabelais,  Prologue  de  Gargantua,  éd.  Lefranc,  p.  9  ss.  :  «  Et,  posé  le 
cas  qu'au  sens  literal  vous  trouvez  matières  assez  joveuses  et  bien  correspon- 
dentes  au  nom,  toutesfois  pas  demeurer  là  ne  fault  comme  au  chant  de 
Sirènes,  ains  en  plus  haiilt  sens  interpréter  ce  que  par  adventure  cuidiez  dit  en 
gayeté  de  cueur.  »  De  même,  p.  1 1  :  «  rompre  l'os  et  sugccr  la  sustantificque 
mouelle  —  c'est  à  dire  ce  que  j'entends  par  ces  svmboles  Pythagoricques  — 
avec  espoir  certain  d'estre  faictz  escors  et  preux  à  ladicte  lecture.  » 


2  6  WM.    A.    NITZE 

est  grains  ;  le  sen  est  fruit,  l'estorie  rauns.  Cist  livres  est 
cum  armarie  des  secreiz  Deu  :  plein  est  de  figure  e  de  signe- 
fiance.  »  Si  Bernard  de  Chartres  '  attribue  à  Virgile  l'intention 
de  décrire  «  quid  agat  vel  quid  patiatur  humanus  spiritus  in 
huniano  corpore  temporaliter  positus  »,  et  si  Jean  de  Salisbury  - 
croit  que  VEnéide  exprime  «  sub  imagine  fabularum  totius  phi- 
losophiae  veritatcm  »,  c'est  encore  cette  déclaration  placée  en 
tête  d'une  édition  des  Hewulcs  d'Ovide  >  qui  l'emporte  comme 

étran^eté  :  «  Materia  huius  libri  est  amor intentio  est  cas- 

tum  amorem  commendare,  illicitum  refrenare  et  incestum  con- 
demnare.  »  Enfin  on  sait  quel  commentaire  Dante  '  a  donné  à 
sa  Divine  Comédie  en  lui  assignant  quatre  significations  :  une 
littérale,  une  allégorique,  une  morale  ou  philosophique,  une 
dernière  anagogique  ou  mystique. 

Ainsi,  aux  yeux  du  xii"  siècle  français  il  ne  pouvait  y  avoir 
rien  d'étrange  dans  l'emploi  du  mot  sans  pour  désigner  :  i)  la 
science  ou  l'inspiration  d'un  auteur;  2)  l'exégèse  ou  l'élucida- 
tion  d'un  texte  conformément  aux  canons  traditionnels.  Gomme 
Marie  dit  : 


1.  Comparetti,  trad.  anglaise,  p.  116-117. 

2.  Pohcraliciis,  VI,  22. 

5.  Voir  IViencrStudien,  VI  (1884;,  145. 

4.  Epist.  XI,  7  ;  Convito  ii,  I,  1.9.  Cf.  Flamini,  /  significati  rcconditi  dclla 
Commed'ut  di  Dante  c  iJ  sito  fine  suprenio,  Livorno,  1903,  I,  35  ss.  Thomas 
d'Aquin,  que  cite  Flamini,  fait  mention  des  quatre  sensus,  Siwiiua,  I,  Q.  I. 
Le  troisième  est  ainsi  défini  :  «  Sccundum  vcro  quod  ea  quae  in  Christo 
sunt  facta,  vel  in  iis  qu.ie  Christum  siguificant,  sunt  signa  eorum 
quae  nos  agere  debemus  est  sensus  moraUs.  »  Voir  aussi  K.  Vossler, 
Gôltliche  Koniodie,  19SSS.,  surtout  p.  201:  «  Religiôse  Texte  sind  zu 
der  anagogischen,  hisicrische  zu  der  nioniVischen,  und  poetisclie  zu  der 
allegorischen  Bedeutung  berufen.  «  Mais  le  «  sens  littéral  »  les  comprend 
tous  :  voir  Convito,  trad.  Jackson,  Oxford,  1909,  ii,  I,  9-55.  Le  sens 
moral  se  retrouve  encore  dans  Bossuet,  Discours  sur  Vhistoire  universelle,  i  : 
«  Q.uand  l'Histoire  seroit  inutile  aux  autres  hommes,  il  faudroit  la  faire  lire 
aux  Princes.  Il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  leur  découvrir  ce  que 
peuvent  les  passions  et  les  interests,  les  temps  et  les  conjonctures,  les  bons 
et  les  mauvais  conseils.  )> 


SANS  ET  MATIÈRE  2J 

que  peûssent  gloser  la  letre 
e  de  lur  sen  le  surplus  mètre  '. 

Ce  qui  est  neuf,  c'est  l'application  du  principe,  tel  qu'il  est 
formulé  dans  le  Livre  de  la  Sat^esse,  à  la  littérature  séculière 
écrite  en  langue  vulgaire. 

Une  liste  de  livres  de  classes,  datant  du  xii''  siècle  et  attribuée 
à  Alexandre  Neckam  ^,  ne  mentionne  pas  seulement  l'Églogue 
de  Theodolus  >  comme  objet  d'étude,  —  et  nous  savons  quelle 
belle  occasion  fournissait  ce  genre  à  qui  voulait  révéler  la  vérité 
cachée,  si  chère  au  cœur  du  moyen  âge  — •  mais  elle  continue 
en  ces  termes  ^  :  «  A  Thebaida  iocunda  transeat  ad  divinam 
Eneida,  nec  negligat  vatem  quem  Corduba  genuit.  »  Et  plus 
loin  >  :  «  Utilis  etiam  erit  auditu  tam  liber  Sapientie  qui  Phi- 
lonis  dicitur  quam  Ecclesiasticus  quem  conditum  esse  a  lesu 
fîlio  Sirach  perhibent.  » 

Il  n'est  donc  pas  surprenant  que  le  premier  roman  antique  *^ 
qui  mérite  vraiment  ce  nom  soit  Thèbes  et  le  second  Enéas  "'  : 
et  de  ces  deux  romans  il  était  facile  de  passer  au  sujet  général 
du  C3xle  de  Troie.  D'autre  part  la  vie  de  certains  saints,  tels 
que  saint  Léger,  saint  Brendan,  la  vie  de  Grégoire  le  Grand,  les 
proverbes  de  Salomon  dans  la  version  de  Samson  de  Nanteuil 
circulaient  à  l'époque  sous  forme  de  vers  français  octosylla- 
biques  ^,  et  il  y  a  là  sans  le  moindre   doute   un  facteur  impor- 

1.  Marie  fait  bien  ressortir  l'effet  «  moral  »  qui  en  résulte  pour  Fauteur 
lui-même  : 

Ki  de  vice  se  vuelt  défendre 

estudïer  deit  et  entendre 

e  grevose  oevre  comencier  (vv.  23-25). 

2.  Cf.  Haskins,  [Harvard]  Stiulies  in  Class.  Philology,  XX,  75-94. 

5.  Manitius,  Mittheiliiiigeii  (1er  Gesellschaft  fiïr  detitschè  Er^iehiings-  u. 
Schulgeschichte,  XVI,  38-39;  G.  L.  Hamiltou,  Mod.  Philology,  VII  (1909),  165- 
185.^ 

4.  P.  91- 

5.  P.  94. 

6.  G.  Paris,  MauiieJ'.,  5  45  . 

7.  Voir  E.  Langlois,  Bihl.  deTÈc.  des  Chartes,  LXVI  (1905),  107  ss. 

8.  Voir  ce  que  dit  G.  Paris,  Mediaeval  French  Liteiature,  Dent,  p.  62  : 
«  L'auteur  de  Thèbes  avait-il  des  modèles  ?  Si  nous  laissons  de  côté  les 
ouvrages  didactiques,  nous  n'en  connaissons  aucun  qui  soit  antérieur  à  son 
poème,  si  ce  n'est  des  vies  de  saints.   » 


28  WM.    A.    NITZE 

tant  de  hi  situation.  Ajoutons  à  tout  cela  la  longue  description 
des  sept  arts  dans  Érec  ',  les  louanges  de  clergie  d^-ush  pre- 
mière partie  de  CJigi'S  \  la  description  du  perron  de  la  fon- 
taine dans  Irai  H  \  les  mentions  de  personnages  classiques 
qu'on  trouve  dans  Chrétien,  l'emploi  fréquent  qu'il  fait  des  pro- 
verbes, les  analogies  évidentes  que  présentent  avec  Ovide  les 
situations  amoureuses  de  ses  poèmes,  par-dessus  tout  sa  tra- 
duction de  VArs  Anmîoria  et  enfin  la  citation  que  fait  Marie  de 
Priscien,  et  l'origine  monastique  du  mouvenient  nouveau  que 
nous  cherchons  à  expliquer  apparaîtra  clairement. 


III 

Mais  par  où  la  méthode  décomposition  à  Taide  du  sans  peut- 
elle  s'appliquer  chez  Chrétien  au  traitement  de  la  matière}  Chré- 
tien ne  donne  pas  dans  l'allégorie  comme  les  auteurs  du  Roman 
de  la  Rose  et  il  est,  bien  entendu,  très  loin  du  mysticisme  des 
écrivains  ecclésiastiques.  Même  dans  le  Conte del  graal  s:\  préoc- 
cupation  est  c  morale  »,  croyons-nous,  et  non  pas  mystique. 
En  fait  M.  Baist,  à  tort  ou  à  raison  4^  pense  que  «  in  der  Vor- 
lage[du  Conte  ciel  graal]d\Q  Weisheitlehren  in  viel  engerer  Bezie- 
huni2;  zur  Handlum:  standen  als  bei  Chrestien  ».  LanceJot  et  Giiil- 
lanme d'Angleterre  s'accordent  en  ceci  du  moins  qu'ils  sont  l'un 
et  l'autre  une  étude  déformes  différentes  de  l'humilité  :  humi- 
lité courtoise  dans  un  cas,  monastique  dans  l'autre  ^ .  Le  véritable 
problème,  en  ce  qui  concerne  Chrétien,  consiste  à  savoir  jus- 
qu'à quel  point  il  élabore  les  données  premières  de  ses  ouvrages, 
en  particulier  par  l'emploi  de  maximes  et  d'exemples,  d'allusions 


1.  V.  6741.  Chrétien  cite  l'autorité  de  Macrobe  ;  cf.  Comiii.  in  Somn. 
Scipioiiis.  Voir  aussi  W'ilmotto,  Buttelin  de  PAcad.  rovalc  de  Belgique,  1903, 
p.   541   ss. 

2.  V.  34  SS.  Cf.  G.  Paris, /o/nvj.  des  Sav.,  1902,  p.  345, 

5.  Voir  ma  Founlain  Defeiided,  Mod.  Phitotogy,  VII  (1909),  i5o;Sclion- 
b.icii,  Hartitioiinv.  Ane,  213. 

|.  Cf.  mon  Sistcrs  son  ii iid  ibc  Coûte  det  graat  à:\\\s  Mod.  PI.>iIolog\,  IX 
(1912),  318. 

5.  Giiilliiiuue,  28  :  Moul  ol  an  lui  tmniititè.  Voir    l'éd.  Foerster,  p.   CLXVi. 


SANS  ET   MATIÈRE  29 

classiques,  de  descriptions,  en  général  '  par  l'importance  qu'il 
attribue  à  la  «  conduite  »,  qu'il  s'agisse  d'amour,  de  mariage, 
de  relations  detamilleou  des  problèmes  essentiellement  «  mon- 
dains »  que  lui  imposait  la  comtesse  de  Champagne.  En  un 
mot,  combien  de  scvis  met-il  dans  sa  matière}  Il  est  difficile  de 
répondre  à  cette  question,  et  on  ne  peut  guère  aller  plus  loin 
ici  que  d'indiquer  dans  quelle  direction  il  faut  chercher  la  solu- 
tion. 

Les  auteurs  de  la  matière  de  Rome  semblent  être  encore  dans 
une  dépendance  assez  étroite  à  l'égard  de  leurs  sources.  Du 
moins  nous  lisons  dans  Benoit  : 

Or  veuil  je  le  romanz  comencier. 

Le  latin  suivrai  a  la  lettre, 

Nule  autre  rieus  n'i  voudrai  mettre  (vv.  1 39  ss.). 


I.  Cf.  ci-dessus  la  phrase  de  M.  Vossler  au  sujet  du  sensus  «  moral  »  que 
l'on  voulait  retrouver  dans  tout  ce  qui  était  regardé  comme  historique,  V Enéide, 
par  exemple.  Voir  aussi  Flamini,  op.  cit.,  I,  44  :  «  Dali'  esempio  ch'  egli 
[Dante]  adduce  appare  poi...  che  c'  insegna  il  modo  corne  dobbiamo  conte- 
nerci  nella  practica  délia  vita.  »  Et  dans  une  note,  p.  45  :  «  Anche  nel 
cap.  XVII  del  trattato  IV  Dante  prende  a  moralmente  sporre  un  racconto  evan- 
gelico,  quelle  di  Marta  e  Maria,  e  ne  ricava  un  ammaestramento  perla  vita.  » 
Ainsi  dans  Lancetot  le  sans  se  rapportant  à  la  conduite,  indique,  comme 
M.  Foerster  l'avait  fait  remarquer  —  voir  plus  haut  —  la  soumission  de 
l'amant  à  sa  dame.  Si  on  en  doutait,  qu'on  veuille  bien  lire,  à  partir  du  v. 
3816,  tout  le  développement  qui  commence  ainsi  : 

Moût  est  qui  aimme  obeïssanz 

Et  moût  fet  tost  et  volontiers, 

La  ou  il  est  amis  antiers. 

Ce  que  s'amie  doie  pleire  : 

Donc  le  chd  Lanceloz  bien  feire. 

Qui  plus  ama  que  Piramus, 

S'onques  nus  honi  pot  amer  plus. 
Cf.  Brakelmann,  Les  pltis  anciens  chansonniers  français,  p.  47. 

Onques  del  bevrage  ne  bui 

Dont  Tristans  fu  enpoisonez, 

Mais  plus  me  fet  amer  que  lui 

Fins  cuers  et  bone  volentez. 


30 


\VM.    A.    NITZE 


Et  M.  Warren  remarque  '  :  «  L'impression  générale...  est  que 
TbHh'S  et  Énéas  sont  modelés  non  sur  les  épopées  de  Stace  et  de 
Virgile,  mais  sur  des  romans  latins  issus  de  ces  poèmes.  Ces 
romans  ont  dû  être  en  prose  comme  Darès,  Dict3-s  et  les  his- 
toires dont  Alexandre  le  Grand  est  le  héros.  Dans  un  cadre 
emprunté  à  la  Thébaïde  et  à  VÉnéide  on  faisait  entrer  des  épi- 
sodes d'amour  et  de  batailles  et  on  embellissait  le  tout  avec  des 
développements  d'érudition  classique.  Ces  narrations,  traduites 
à  leur  tour  en  français,  étaient  agrémentées  de  descriptions 
appropriées  au  goût  du  public  ».  C'est  là  une  fiiçon  d'expliquer 
les  divergences  que  nous  remarquons  entre  les  œuvres  clas- 
siques (ou  pseudo-classiques)  et  leurs  imitations  médiévales  en 
langue  vulgaire  ^  Une  autre  explication  a  été  indiquée  par 
M.  Faral  dans  un  article  récent  '  suvV Énéas,  et  c'est  aussi  celle 
que  suggèrent  les  faits  que  nous  avons  rassemblés  plus  haut. 
L'élaboration  première  est  due  au  poète  français  lui-même.  Il 
conservait  les  grandes  lignes  du  récit,  telles  que  Stace  ou  Vir- 
gile les  lui  fournissait,  mais  il  remplissait  ce  cadre,  suivant  le 
sans  qu'il  voulait  donner  à  l'histoire,  par  tous  les  moyens  qui 
étaient  à  sa  disposition,  scholia,  comparaisons,  descriptions 
empruntées  à  d'autres  sources,  etc.  Ainsi,  pour  citer  M.  Faral  : 
«  YEnéaîào'w.  être  considéré,  non  pas  comme  le  chef-d'œuvre 
.selon  lequel  ont  été  établies  les  règles  du  récit  parfait,  mais 
comme  un  produit  de  la  rhétorique  alors  en  vigueur  dans  les 
écoles.  »  Et  c'est  cette  rhétorique  qui  permettait  à  un  poète 
traitant  r/:'/7<W<' d'aller  faire  butin  d'idées  dans  Ovide,  dans  l'élé- 
gie   latine,  etc.,   ou   très  souvent  d'exprimer  à    nouveau    les 


1.  Publications  of  M.  L.  Assoc,  XVI,  384.  Mais  voyez  K.  Young,  Origin 
and  Dez'i'lopment  of  the  Slory  of  Troihts  and  Criseyde  (Chaucer  Society),  iyo8, 
pp.  3  ss.  Les  remarques  récentes  de  M.  Zcnker,  Zts.  f.  fran^.  Spr.  11.  Lit., 
XLI  (1915),  5,  p.  147  ss.,  ne  me  semblent  pas  emporter  la  conviction. 

2.  Cf.  maintenant  L.  Constans,  Roman  de  Troie,  vol.  VI,  1912  (Soc.  des 
anc.  textes  fr .),  p.  544  :  «  c'est  à  ces  récits,  composés  en  grande  partie  avec 
les  scholies  de  Virgile,  d'Ovide  et  de  Stace,  plutôt  qu'aux  œuvres  mêmes 
des  poètes,  qu'ont  eu  recours,  en  particulier  pour  les  histoires  Troyennes,  les 
versificateurs  français  du  xiF  siècle  et  leurs  imitateurs  du  xnu  et  du  xiv^  eu 
France  et  dans  les  pays  voisins.  >> 

V   Koniania.  XL  (191 1),  p.  185  ss. 


SANS  ET    MATIÈRE  3I 

mêmes  idées  ou  de  reprendre  les  mêmes  incidents  «  en  termes 
un  peu  différents  »  ' .  En  d'autres  mots,  le  terme  «  élaboration  » 
doit  être  pris  dans  un  sens  large  même  quand  on  pense  aux 
auteurs  qui  ont  paraphrasé  un  original  classique,  et  la  suppo- 
sition d'un  intermédiaire  en  prose  latine  ne  nous  semble  pas 
toujours  nécessaire. 

Mais  si  l'on  doit  admettre  qu'il  y  ait  ainsi  eu  une  grande 
part  d'invention  chez  les  auteurs  de  Thêbes,  d'Enéas,  Qic. ,  il 
faut  la  faire  plus  grande  encore  dans  le  cas  de  Chrétien.  Il  n'y 
a  sûrement  aucune  raison  a  priori  de  croire  avec  quelques 
savants  que  Chrétien  se  soit  borné  à  reproduire  à  la  lettre  ses 
originaux.  A  l'exception  de  Cligês,  de  Guillaiiiite  cf  Angleterre  et, 
peut-être,  de  PercevaJ,  la  matière  dt  ses  ouvrages  n'est  ni  latine 
ni  érudite  :  elle  est  populaire  dans  son  origine,  empruntée  au 
folklore  ou  même  aux  traditions  celtiques.  Quand  il  men- 
tionne un  livre,  nous  ne  pouvons  affirmer  qu'il  s'agit  d'un 
original  latin,  bien  qu'il  semble  en  être  ainsi  dans  le  cas  de 
Cligês;  dans  Lancelot,  par  exemple,  il  dit  de  son  propre  poème: 

Del   Chevalier  de  la  Charrete 

Comance  Crestiiens  son  livre  (vv.  25-26). 

Quant  au  mot  roman,  l'emploi  qu'il  en  fait  s'accorde  encore 
bien  moins  avec  le  sens,  pourtant  courant  avant  qu'il  commen- 
çât à  écrire,  de  «  paraphrase  d'un  texte  latin  ».  Le  vers  2383  de 
Cligês,  il  est  vrai,  nous  dit  que 

Nez  est  Cligcs  an  cui  mémoire 
Fu  mise  an  romanz  ceste  estoire, 

ce  qui  peut  se  rendre  ainsi  :  «  en  mémoire  duquel  cette  histoire 
fut  mise  en  langue  vulgaire.  »  Mais  au  début  du  même  poème 
nous  lisons  : 

An  un  des  livres  de  l'aumeire 
Mon  seignor  saint  Père  a  Biauvez. 
De  la  fu  li  contes  estrez, 
Don  cest  roman  fist  Crestiiens  ; 

I.  Faral,  /.  /.,  p.  187. 


32  WM.    A.    KITZE 

et  CCS  vers  nous  laissent  entendre  que  le  poème  de  Chrétien 
n'est  pas  seulement  une  élaboration  d'un  texte  latin,  mais  le 
développement  d'un  conte  lui-même  tiré  d'un //i'r^;  et  c'est  le 
résultat  de  ce  travail  que  l'auteur  appelle  un  roman  '.  Le  pas 
décisif  n'est  toutefois  franchi  que  dans  Ivain .  On  s'accorde  à 
penser,  croyons-nous,  que  la  source  d'/î'<7/';z  était  un  conte  popu- 
laire :  pas  de  place  pour  le  latin  ici .  Pourtant  le  poème  se  ter- 
mine par  ces  mots  : 

Del  Chevalier  au  Lion  fine 
Crestiiens  son  romanz  einsi 
Qu'onques  puis  conter  n'an  oï. 

Ainsi  Chrétien  en  vient  à  employer  le  terme  roman,  qu'il 
évite  encore  dans  Érec,âu  sens  de  «  développement  d'un  conte  », 
sans  se  préoccuper  de  savoir  si  la  source  est  latine  ou  non  ^ 

L'importance  de  ce  changement  saute  aux  yeux.  Si  Gaimar 
et  Wace  s'adressent,  avant  Chrétien,  à  la  matière  de  Bretagne, 
leurs  œuvres  ne  sont  pourtant  que  des  paraphrases  en  français 
de    YHistoria  latine  de   Geoffrev  de  Monmouth .    Wace  '  s'en 


1.  Cf.  G.  Paris,  Journal  des  Savants,  1902,  641.  «  Ce  qu'il  avait  lu  dans  le 
livre  Je  Beauvais  —  le  conte  dont  il  a  fait  sonroman- — ■  c'était  sans  doute  seu- 
lement riiistoire  de  la  feinte  morte.  » 

2.  Sur  le  mot  roman  les  articles  iniportanis  sont  :  G.  Paris,  Honi.,  I,  i 
ss.  ;  P.  Voelker,  Zeilschrift fiïr  roni.  Phil.,  X,  485  ss.  ;  Ed.  Schwan,  Prt'uss . 
Jahrlmcber,  77  (1892),  309  ss.  Comparez  avec  ces  vers  iXÉrcc  : 

Tret  d'un  conte  d'aventure 
Une  moût  bêle  conjointure 
cette  phrase  du  Bt-1  Inconnu,  4-6  : 

Por  li  vuel  un  roumant  estraire 
D'un  moût  biel  conte  d'aventure. 
De  niè'me,  Escoufle,  9074-9076  : 

Mais  c'est  drois  que  li  roumans  ait 
.Vutretel  non  comme  li  contes. 
.Sur  l'emploi  que  fait  Chrétien  du  mot  conjointure,  voir,  outre  ce  que  j'ai 
dit  plus  haut,  mon  article  de  Modem  Philoloi^y,  XI  (1914),  486  ss. 

3.  Sur  la  façon  dont  Wace  reprend  et  développe  des  indications  de  YHisto- 
ria, voir  maintenant  Annette  Brown  Hopkins,  Tbe  Influence  of  Wace  on  Cres- 
tien  de  Troies,  dissertation  de    l'Cniversité  de    Chicago,    191  3,  p.  6  ss.  Mais 


5^Ar5  ET    MATIÈRE  33 

tient  donc  à  la    lettre  de  la   tradition  cléricale  quand  il  dit  à  la 
fin  de  Bri(t  : 

Fist  maistre  Gasse  cest  romans. 

D'autre  part,  les  premiers  auteurs  '  qui  ont  traité  la  légende  de 
Tristan,  dont  la  source  écrite  (/^?  ou  Bcrox  le  vit  escn't)  est  pro- 
bablement antérieure  à  Chrétien,  n'emploient  nulle  part  le 
terme  roman  en  parlant  de  leurs  œuvres.  Chrétien  semble  donc 
bien  être  le  premier  qui  se  soit  servi  du  mot  pour  désigner  un 
genre  distinct  de  composition  en  langue  vulgaire . 

Comment  il  a  transformé  le  conte  en  roman,  c'est  une  ques- 
tion, nous  l'avons  dit,  qui  ne  peut  se  traiter  ici.  Sans  doute  il 
régla  sa  technique  sur  celle  des  clercs,  ses  prédécesseurs  ^,  les 
auteurs  de  Thèhes,  d'Enéas  et  autres  ouvrages  analogues,  y  com- 
pris Wace  et  peut-être  Thomas  '.  Mais  les  recherches  de 
M.  Foerster  et  de  Van  Hamel  sur  CUgès  *  ont  montré  qu'à  l'oc- 
casion il  a  fait  preuve  de  plus  d'initiative  que  la  plupart  de  ses 
devanciers.   Il  est  clair  en  effet  que  dans  CUgès  : 

1°  La  source  latine  n'est  utilisée  que  pour  une  partie  de  l'ou- 
vrage ; 

2°  Cette  partie  est  façonnée  de  manière  à  s'accommoder  d'un 
décor  «  arthurien  »  ; 

3°  L'ouvrage  entier  est  un  pendant  de  l'histoire  de  Tristan  : 
c'est,  suivante  Paris,  un  Tristan  renouvelé; 

4°  Les  2382  premiers  vers  n'ont  rien  à  voir  avec  la  source  en 
question  :  ils  sont  faits  à  l'aide  des  enfances  Tristan  et  de  l'his- 
toire d'Alexandre. 

il  est  encore  tout  près  des  chansons  de  geste  :  ce  qui  le  montre  bien,  c'est, 
entre  autres  choses,  qu'on  ne  trouve  pas  cliez  lui  les  «  portraits  >•>  qui  sont 
un  trait  si  important  de  Tlièhes  et  des  poèmes  de  Chrétien.  A  ce  sujet, 
voir  les  excellentes  remarques  de  M.  Wilmotte,  Bulletin  de  T Académie  de  Bel- 
gique, 1905,  p.  371  ss.  Je  n'ai  pu  encore  voir  l'ouvrage  récent  de  M.  Faral  : 
Recherches  sur  les  sonnes   latines  des  contes  et  des  romanis  courtois,  Paris,  191 3. 

1.  Béroul,  1789  ;  Thomas,  21 17  ;  Marie  de  France,  Chez'refoil,  5 . 

2.  Voir  les  études  de  G.  Paris  (Journal  des  Savants,  1902),  et  de  MM. 
'Wilmotte  (q/?.  cit.),  Faral  (op.  c/ï.),  Dr&ssler  {Einfiuss  des  al  tfr.Énéas.  Romans, 
etc.,  Leipzig,   1907),  Warren  {op.  cit.),  Otto  (pp.  cit.). 

3.  Cf.  G.    Paris,  mais  voir  Wilmotte,  p.  483,  note. 

4.  Cf.  Romania,  XXX,  465-489;  XXXIV,  472  ss. 

Romania,  XLIV.  5 


34  -WM.    A.    NITZE 

Néanmoins  le  procédé  du  poète  en  composant  Cligcs  ne  nous 
indique  pas  nécessairement  ce  qu'il  a  fait  ailleurs  '.  La  combi- 
naison d'un  conte  oriental  comme  Cligèsavecun  thème  «  arthu- 
rien  »  comme  Tristan  '■  est  évidemment  tout  autre  chose  qu'un 
roman  «  arthurien  »  comme  Ércc  ou  Lancelot,  où  le  thème  et 
les  matériaux  ont  très  certainement  une  seule  et  même  prove- 
nance, et  nous  n'avons  même  pas  besoin  pour  marquer  cette 
différence  de  faire  entrer  en  ligne  de  compte  l'interprétation 
particulière  que  Chrétien  donne  de  chacun  de  ses  sujets.  Ainsi 
chaque  roman  doit  être  examiné  à  part.  Mais  d'autre  part,  si 
Marie  prend  un  ciinte  breton  et  le  transforme  en  un  lai  : 

De  cest  cunte  qu'oï  avez 
fu  Guigemar  li  lais  trovez, 

Chrétien,  semblablement,  dans  ses  ouvrages  arthuriens,  trans- 
forme des  matériaux  du  même  genre  {contes,  deren  Inhalt  die 
aventures  waren  '>)  en  romans.  Quelle  était  la  longueur  de  ces 
contes,  il  est  jusqu'à  présent  impossible  de  le  déterminer.  Un 
seul  point  est  acquis,  c'est  que  Ercc,  Ivain,  Lancelot  et  Percerai 
mettent  en  scène  des  situations  qui  appartiennent  au  même 
corps  de  traditions  celtiques,  et  qu'en  fait  de  technique  ces 
poèmes   présentent  entre  eux  une  ressemblance  frappante  ». 


IV 

En  conclusion,  nous  dirons  que  Chrétien  applique  à  la 
matière  de  Bretagne  les  procédés  qui  avaient  été  employés  avant 
lui  dans  la  composition  des  romans  antiques.  C'était  en  réalité 
créer  un  nouveau  genre.   Le  nom  en  tout  cas  est  nouveau .  Ces 


1.  Quoi  qu'en  dise  M.  Foerster.  Voir  surtout  iz'i////,  p.  xxn  :  «  Wir  lernen 
daraus  [de  Cligés]  dass  Kristiaii  seine  Romane  deni  Plan  und  der  Grund- 
idee  nach  frci  erfindet,  etc.  » 

2.  Cf.  Tiiomas,  éd.  Bédier,   I,  577,  sur  la  diversité  de  la  uiatihe  de  Tris- 
tan. 

3.  Warnke,  Iaus,\).  xxxii. 

4.  Voir  Moihrn  PJnloloi^y,  IX  (1902),  244,  note. 


SANS  ET   MATIÈRE  35 

procédés,  nous  l'avons  indiqué  plus  haut,  viennent  des  clercs 
et  ils  sont  marqués  de  leur  empreinte.  Leur  point  de  départ  se 
trouve  en  effet  dans  l'exégèse  des  textes  bibliques  et  savants,  et 
d'autre  part  ils  mettent  en  valeur  l'aspect  moral  delà  littérature. 

Non  que  nous  refusions  de  voir  le  côté  mondain  dans  les 
ouvrages  «  arthuriens  »  de  Chrétien,  y  compris  Cligès.  Comme 
Gaston  Paris  l'a  dit  '  :  «  C'est  éminemment  un  poète  de  société, 
qui  écrit  beaucoup  moins  pour  exprimer  ses  idées,  ses  senti- 
ments ou  ses  rêves  que  pour  plaire  et  avoir  du  succès.  «  Mais 
il  n'en  reste  pas  moins  ceci  :  c'est  l'habileté  de  Chrétien  à  péné- 
trer les  motifs,  à  analyser  les  conflits  moraux  où  se  débattent 
ses  personnages,  et  son  sens  du  dramatique  dans  la  vie  morale 
qui  expliquent  la  popularité  dont  il  a  joui,  tout  autant  que 
l'action  de  ses  histoires  ou  la  grâce  de  son  style.  Ercc  et  Ivaiu 
traitent  différents  aspects  du  problème  du  mariage  ;  Cligès  cherche 
à  justifier  Tristan  d'un  point  de  vue  conventionnel  et  «  cour- 
tois ^  ».;  le  Conte,  dcl  Giaal  est  le  roman  des  devoirs  sociaux  de 
la  jeunesse,  etc. 

Ainsi,  nous  avons  le  droit  de  le  répéter  ">  :  «  Chrétien  applique 
à  la  vie  des  cours  de  son  temps  le  langage  de  la  scolastique  : 
la  scolastique  exposait  le  dogme  religieux,  lui  expose  le  dogme 
de  la  conduite  mondaine.  Le  sujet  est  différent,  mais  la  méthode 
est  la  même.  »  Quelle  que  soit  la  source  de  sa  matière,  son  sans, 


1.  Journal  des  Savants,  1902,  p.  92. 

2.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  Chrétien  dit  à  propos  d'Alexandre, 

Par  mariage  et  par  enor 

Vos  antraconpaigniez  ansanhle. 

Einsi  porra,  si  con  moi  sanble, 

Vostre  amors  longuement  durer  (2304  ss.). 

3.  Modem  Ptnlology,  VII  (1909),  146  ;  voir  aussi  la  préface  de  G.  Paris  à 
VHist.  de  ta  tangue  et  de  ta  littérature  fr.,l  :  «  On  pourrait  citer  tel 
morceau  de  Chrétien  de  Troves  qui  ne  le  cède  pas  en  vérité,  en  ingéniosité, 
parfois  en  subtilité,  aux  plus  célèbres  monologues  de  nos  tragédies,  aux  pages 
les  plus  fouillées  de  nos  romans  contemporains.  On  reconnaît  d'ailleurs,  dans 
ce  goût  pour  la  psychologie  abstraite,  l'influence  que  la  scolastique,  création 
proprement  française,  a  exercée  pendant  des  siècles  sur  notre  esprit  comme 
sur  notre  langue.  « 


36  •    WM.    A.    NITZE 

dans  les  deux  significations  du  mot,  est  essentiellement  le  pro- 
duit des  écoles  monastiques  du  xir  siècle,  modifié  toutefois 
pour  satisfaire  aux  nouveaux  et  pressants  besoins  de  la  vie  des 
cours  françaises. 

Wm.  A.  NiTzE. 


LE     TIAUDELET 
TRADUCTION  FRANÇAISE  EN  VERS  DU  THEODULVS 


Le  ms.  franc.  12478  de  la  Bibliothèque  Nationale  renferme, 
entre  autres  compositions,  une  traduction  anonyme,  en  vers  de 
huit  syllabes,  du  Theodulus  (90  1^-248  /).  Sous  ce  nom,  comme 
on  sait,  on  désigne  une  célèbre  églogue  latine,  qui  remonte 
probablement  au  ix*^  siècle  et  dont  la  lecture  était  très  répandue 
dans  les  écoles  médiévales  -. 

Ce  Tiaudckt,  tel  est  le  nom  français  de  l'œuvre,  n'est  pas 
une  simple  traduction  :  le  traducteur  l'a  fait  précéder  d'un  «  pro- 
loghe  »  de  son  cru  et  il  a  ajouté  à  chaque  strophe  une  «  Gloze  », 
dans  laquelle  il  raconte,  en  le  développant  avec  plus  ou  moins 
uampleur,  l'exemple  indiqué  dans  la  strophe. 

Le  ms.  date  du  commencement  du  xV'  siècle.  Il  est  écrit  avec 
soin  et  quelque  souci  d'élégance,  du  moins  pour  notre  texte  :  les 
divers  incipit  etexpJicil  sont  en  rouge,  ainsi  que  toutes  les  indi- 
cations des  strophes,  le  mot  «  Gloze»  qui  suit  chaque  strophe, 
et  la  première  lettre  de  chaque  strophe  et  de  chaque  «  gloze»  ; 
les  strophes  sont,  en  outre,  encadrées  de  lignes  rouges,  et  il  y  a 
toujours   entre  elles    un   espace  blanc.  Mais  quelques  lacunes 


1 .  Je  remercie  mes  amis  Edmond  Faral  et  Jean  de  Morawski  pour  le  con- 
cours qu'ils  ont  bien  voulu  m'apporter  dans  la  rédaction  de  cet  article. 

2 .  Cf.  Manitius,  Gescbichteder  lateinischen  Literatur  des  Mitlelalters,  Mûnchen, 
191 1,  I,  568  sq.  — M.  J.  Osternacher  en  a  donné  une  nouvelle  édition  très 
satisfaisante  :  Theoduli  eclogam  recensait  et  prolegoiiienis  instrtixit  prof.  Dr.  J. 
O.,  Ripariae  prope  Lentiam,  1902,  qu'il  a  reproduite  dans  sa  brochure 
Qiios  iinctores  Lutinos  et  sacroniin  Bihlioruni  locos  Theodulus  imitatus  esse 
■videatnr,  Urfahr  propc  Lentiam,  1907.  M.  Osternacher  nous  a  informé  que 
son  texte,  de  nouveau  retouché,  paraîtra  en  191 5  ou  1916  dans  le  t.  IV, 
p.    III  (Poetae  lalini  aevi  Caroliiii)  des  Mou.  Germ.  Hist 


38  AMOS    PARDUCCl 

(cf.  188  ;-,  217  ;■,  t'ic.)  et  plusieurs  bévues  de  lecture  frappantes 
montrent  de  toute  évidence  que  ce  nis.  n'est  qu'une  copie  faite 
par  un  scribe  d'intelligence  médiocre. 

Quelques  extraits  nous  permettront  de  faire  connaître  cette 
composition,  avant  d'en  rechercher  l'auteur. 

I.  Prologue  du  Iradncteiir.  —  Il  comprend  136  vers  et  peut 
se  diviser  en  plusieurs  parties  :  a)  il  est  bon  de  rappeler  par- 
fois «  aucuns  biens  »  :  cela  est  surtout  utile  pour  réconcilier 
les  grands  pécheurs  à  Dieu  (1-16);  b)  or  dans  le  TJjt'ocln- 
lus  «  sont  soubtieutez  de  grant  affaire  »  (18),  que  l'on  puisa 
dans  les  Métamorphoses  et  la  Sainte  Ecriture  (17-60)  ;  c)  il  est 
des  passages  où  ces  deux  livres  se  ressemblent  :  l'auteur  les  a 
mis  l'un  en  regard  de  l'autre,  chacun  en  quatre  vers.  Un  «  pas- 
touriel»  (81)  argumente  contre  la  Sainte  Écriture,  tandis  qu'une 
«  pastourelle  »  (87),  en  lui  répondant,  le  réfute  (61-102)  ;  d) 
dans  ces  vers  est  caché  un  «  sens  grans  et  parfond  »  (104)  que 
le  traducteur  s'est  essayé  à  «  exposer  »  :  ainsi  il  apprendra  en 
même  temps  à  haïr  le  péché  et  à  pratiquer  la  vertu.  Mais  comme 
le  latin  est  plus  concis  que  le  français,  il  fera  chaque  strophe  de 
douze  vers,  au  lieu  de  quatre.  Suivent  encore  (117  sq.)  quelques 
considérations  d'ordre  moral  (103-136). 


ClIV    APRES    S  ENSSIEUT   UNG     ACTEUR   Q.UI    COMMENCHE    EK     LATIN    : 

Etiliopum  terras,  etc. 
s'eNSSIEUT  LE  PROLOGUE  DC  Tittiuletel.     (/".  90  t-o) 

Prologhe     (9/  r.)         '  A  Dieu,  son  a  a  luy  discord. 

Ch'est    grand   pourfit  quant    on  Pour  ce  fait  bon  faire  record 

[recorde  Des  biens,  en  souvent  recordant. 

Aucuns  biens  et  on  s'i  acorde  8       En  son  cuer  a  eulx  acordant. 

De  cuer  parfait,  sans  discorder  ;  Et  pour  clie  les  bons   recordeurs 

4       Car  on  s'en  puclt  bien  racorder  Pueent  estrc  dis  racordeurs  ; 

Le  titre  «Cliy  après  s'enssicut  etc.  »  est  répété  au  bas  de  la  page,  c'est 
l'indication  qui  a  servi  pour  le  rubricateur. 

Vv.  1-16.  Il  est  à  remarquer  que  des  séries  de  rimes  de  ce  genre  se 
retrouvent  dans  d'autres  poèmes,  surtout  au  commencement  ou  à  la  fin.  sans 
doute  pour    frapper  l'attention  du  lecteur  ou  de  l'auditeur. 

V.  10.    Ms.  recordeurs.  Cf.  au  vers  12  racordeul,  qu'\  fait  pendant. 


LE   TIAUDELET 


39 


Car  ens  es  grans  biens  q u'ilz  recor- 

[dent 
12     Les  grans  pécheurs  a  Dieu  racor- 

[dent.    44 

Pour  ce  s'aucuns  biens  recordons, 

De  cuer  aeulx  nous  acordons; 

Car  qui  aux  biens  s'accordera, 
i6     De  Dieu  ne  se  discordera.  48 

Les  biens,  dont  je  voeil  record 

faire, 

Sont  soubtieutézde  grant  affaire, 

Qui  sont  de  divers  livrez  prisez      52 
20     Et  enung  volume  comprisez, 

Qui  a  a  nom   Theoâolus  : 

Gracieux  est  s'il  est  leùs. 

Et  pour  ce  que  chilz  ot  tel  nom        56 
24     Qui  le  fist,  ainssy  l'apelle  on. 

Chilz  Theodolus,  qui  soubtieux 

Estudia  en  divers  lieux, 

Tout  premiers  en  poeterie,  60 

28     Qui  fu  faitte  par  grant  maistrie 

De  grans  philosophez  payens. 

Qui  avoient  sobtieus  engiens, 

Ung  livre  entre  lesaultrez  prist 
32     Parle  quel  grans  biens  nous  aprist,    64 

Qui  est  dit  Ovide  le  grand. 

Chilz    Ovide  fu   moult  sachant, 

(9/   V.) 

De  nature  sceut  le  puissanche        68 
36     Et  d'amours  touttel'ordonnanche. 

Et  pour  ce  diversez  naturez 

Mist  et  diversez  aventurez 

En  exemplez  couvcrtement 
40     Par  très  soubtil  entendement,  72 


Par  les  samblanches  qu'il  ptendoit 
Des  exemplez  qu'il  amenoit 
Peuissent  advenir  au  sens 
Qui  estoit  couvers  par  dedens. 
Quant  il  eubt  tout  le  livre  lut 
Et  il  eubt  tout  le  sens  cognut, 
Il  se  mist  a  estudiier 
Livrez  c'on  doit  tropmieulx  prisier 
Che  fu  de  la  sainte  Escripture, 
Qui  est  toutte  sans  represure  ; 
Car  ce  qui  y  apert  au  plain 
Est  aucun  [fais]  tout  en  certain, 
Sans  falasse  et  sans  fiction 
Et  sans  nulle  déception. 
Et  combien  qu'elle  soit  certaine 
En  ses  fais,  s'est  elle  si  plaine 
De  grant  sens,  c'on  y  puelt  puisier 
Que  nulz  ne  le  puelt  espuisier  ; 
Car  nulz  dedens  tant  n'estudie 
Que  parluy  puist  estre  espuisie. 

Et  quant  Theodolus  ce  vit 
Que  ces  livrez  divers  escript 
En     pluisseurs     cas     samblance 

[avoient 
Et  en  partie  s'enssieuwoient. 
Les  exemplez  d'Ovide  mist 
D'une  part,  et  les  aultrez  prist 
Qui  estoient  es  livrez  sains, 
Dont  li  sens  est  vrais  et  certains, 

(92  r.) 
Et  les  mist  contre  cheux  d'avant, 
Cascun  encontre  son  samblant, 
S\'  que  clers  soelent   disputer 
Quant  ilz  voelent  contrearguer. 


"V.  33.  Ovide  le  grand.  On  sait  qu'au  moyen  âge  on  entendait  sous  cette 
désignation  les  Métamorphoses  :  cf.  G.  Paris,  Hist.  littér.  de  la  France,  XXIX, 
508,  n.  2. 

V.  52.  Pour  le  mot  | /inV]  ajouté  cf.  vv.  55-6.  J'entends  :  «  C'est  un  fait 
entièrement  certain.    « 

V.  72.    contrearguer,  réfuter. 


40 


AMOS    PARDUCCI 


Cascuii  sens  mist  en  .iiij.  vers. 
Combien  que  lésons  fuist  divers, 
Les  fist  mettre  si  qu'encontrer 

76     Les  premiers,  pour  eulx  rencontrer 
Les  vers  qu'il  a  d'Ovide  pris. 
Pour  [ce]  que  tout  leurs  sens  est 

[mis 
Ainssi  que  par  fablez  couvertez 

80     Qui  a  peu  de  gens  sont  ouvertez, 
Ung  pastouriel  a  contrefait 
Qiii  de  ses  vers  argumens  fait 
Encontre  l'Escripture  sainte, 

84     Qui  n'est  mie  t'aulse  ne  fainte. 
Et  les  vstoirez,  qu'il  a  prisez 
De  Bible  et  en  .iiij.  vers  misez, 
Pour  cheulx  a  une  pastourelle 

88     Contrefaite  plaisant  et  belle, 
Quiparchans  au  pastourrespont. 
Et  en  respondant  le  confont  ; 
Car  le  paistre  par  son  argu 

92     Voelt   moustrer    comment    ont 

[vaincu 
Pechiés,  tors  fais  et  faulsetéz 
Ce  qui  est  bien  et  veritéz. 
Et  la  pastourelle,  a  l'encontre, 

96     Par  Escripture  le  rencontre 
En  moustrant  que  vérité  vaint 
Quanqueestfaulx,  injuste  et  faint. 
Et  en  cecy  le  livre  entent 

100  Destruirc  faulx  appertement 
Et  péchiez,  et  voir  congoyr. 
Que  sainte  Eglise  doibt  tenir. 

(92  V.) 
Sans  murmure  et  sans  envie  ; 


Et  pour  ce  qu'en  ces  .iiij.  vers 

104  Est  sensgrans  et  parfond  couvers 
A  l'exposer  jeu  me  suy  mis 
Et  au    confort  de  Dieu  commis. 
En  priant  qu'il  me  voeille  apren- 

[dre 

108  Tel  sens  que  fois  puisse  repren- 

[dre 
Et  péchiez  aprendre  a  hayr, 
La  vérité  a  maintenir. 
Qui  est  et  macte  et  abatue 

112  Et  de  peu  de  gens  maintenue. 
Latin  parolleplus  briefment 
Que  romman.  Pour  che  aultre- 

[ment 
L'aymisen  romman  ;  car  l'ay  fait 

116  De  .iiij.  .xij.,  en  certain  fait. 
Pour  ce  l'ay  mis  en  langue  hu- 

[maine, 
Qu'a  tous  soit  vérité  certaine  ; 
Par  quoy    tous  cheulx  qui   sont 

[d'Adan 

120  Puissent  fuir  le  faulx  Sathan 
Et  les  pas  de  Jhesus  sieuwir 
Pour  Dieu  a  la  fin  consieuwir. 
Il  n'est  nul,  s'il  a  moult  a  faire, 

124  Qu'il  n'ait  en  ses  fais  a  desfaire. 
Et  pour  che  le  sage  je  prie 
Qui  les  dis  d'autruv  poise  et  trie, 
Que   de  cuer  me  voeille  ottriier 

128  Qu'en  mon  ditté,  sansdetrier, 
Voeille  amender,  en  luy  triant 
Et  sa  grâce  a  luy  ottriant. 
Qui  prie  c'on  luy  voeille  aidier 


Vv.  74-7.  Interprétez  :  «  Quoique  le  sens  fût  différent,  il  les  disposa  de 
façon  à  rencontrer  les  premiers,  afin  qu'ils  fissent  pendant  aux  vers  qu'il 
avait  tirés  d'Ovide.  » 


LE   TIAVDELET 


41 


132  Car  envie  empire  la  vie.  Des  péchiez  ou  on   a  pardon 

C'est  grant  bien    d'aultruy  adre-  (9i  >■) 

[chier     136  Et  grâce  parfaitte  pardon. 

II.  Prologue  du  texte  latin.  —  La  traduction  de  ce  prologue, 
qui  dans  l'original  ne  comprend  que  36  vers,  en  comporte  118. 
Les  vers  105-118,  ajoutés  à  la  fin,  ne  se  retrouvent  pas  dans 
le  texte  latin;  ils  donnent  la  raison  des  «  Glozes  ».  En  effet, 
le  traducteur,  après  avoir  rappelé  que  ce  débat  entre  Pseustis 
et  Alathie,  en  présence  de  Prudence,  est  un  débat  entre  Vérité 
et  Fausseté,  affirme  qu'il  croit  nécessaire  de  l'exposer  aussi  «  en 
figure  »  ;  car  il  faut  que  tout  cela  soit  bien  clai-r. 

CHI    ENDROIT   COMMENCHE     Theodulus    SON    LIVRE 

ET  COMMENCHE  EN  LATIN:  Ethiopmu  terras,  etc.         {()^    r .) 


Quant  le  chault  esté  et  boulans 
Avoit  brûlé  terrez  et  champs 
De  tous  les  Ethyopiiens,  20 

4       Adont  le  aisis  d'or  moiiens 
Ou  carre  que  le  Soleil  menoit 
Par  le  Creveche  se  tournoit. 
Pseustis,  qui  tstoit  sournommés    24 

8       Paistre  et  ert  d'Athenez  nés, 

Par  forche  eubt  meneez  et  traitez 
Desoubs  .j.  tilloeulseschiverettez. 
Chilz  Pseustis  estoit  tous  couvers    28 

12     Devant,  deriere  et  de  travers, 
D'une  pel  samblant  a  panthère  : 
Car  n'estoit  couleur  qui  n'y  père. 
Et  de  roide  bouche  souffloit 

16     En  .j.  chalemiel  qu'il  tenoit,  32 

Qui  estoit  en  milieu  forés 


Pour  ce  que  le  son  fuist  loés. 

D'encoste  avoit  une  fontaine. 
Qui  de  vivez  vauwez    ert  plaine, 
Ou  Alathie  ses  brebis 
Paissoit,  qui  avoit  le  cler  vis. 
Vierge  estoit  en  tous  biens  senee. 
Et  du  linage  David  née. 
Et  sa  harpe  en  sa  main  portoit. 
Sur  l'yauwe  sa  harpe  sonnoit. 
Et  le  fleuve,  quant  il  l'oy. 
De  la  doucheur  si  s'esjoy 
Qu'il  estuet,  ne  peult  plus  courir; 

(9;  ^'0 
Ains  le  convint  ainssi  tenir. 
Meismez  les  bestez  qui  paissoient 
Mengier  pour  le  son  oublioient. 
Pseustis  ne  peult  plus  endurer 


Vv.  153-6.  Interprétez:  «C'est  une  bonne  action  que  de  diriger  celui  qui 
demande  qu'on  veuille  l'aider  là  où  on  a  pardon  des  péchés  et,  comme  don, 
grâce  parfaite.  » 

V.  4.  aisis,  essieu  ;  lat.  axis. 

V.  6.  Creved)e,  l'Ecrevisse,  signe  du  Zodiaque. 

V.  II.  Pseustis,  nom  propre  ;  lat.  Pseustis,  «  mensonge  ». 

V.  21.  Alatlne,  nom  propre  ;  lat.  Alithia,  «  vérité  ». 


42 


AMOS    PARDUCCI 


Le  son,  ains  veult  son  fiel  mous- 

[trer,    64 

Doloureux  en  haulî  escriant 
36     —  Celuy  qui  s'aloit  esbatant 

De  loing,  d'aultre  part  du  rivage; 

Car  seùr  ert  en  son  corage  —  6H 

Et  dist  :  «  Pourquov,  vous,  Ala- 

[tliie, 
40     Avés  emprise  teil  folie 

Que  de  chanter  pour  chose  mue,    72 

Ou  doulcheur  n'est  point  enten- 

[due? 

S'il  vous  plaist  a  mov  disputer 
44     Et  que  vous  me  puissiés  macter,    76 

Se  vous  me  mactés,  mon  fretiau 

Sera  vostre  et  mon  chalemiau. 

Et  se  vous  estez  sourmontee, 
48     Vo  harpe  me  sera  donnée .  80 

En  equal  jugement  entrons 

Si   que    blasmer    ne   nous    puist 

homs.  » 

Celle  respond  :  «  Ce  que   tu  dis    84 
52     Ne  me  muet,  ne  che  qu'as  promis 

Ne  me  trait  que  ton  voloir  fâche. 

Mais  ce  me  mort  et  taint  ma  fâche  : 

Et  quant  l'un  de  nous  si  cherra, 
)6     II  n'est  qui  le  tesmoingnera.  8<S 

Et  pour  ce  quant  vaincus  seras 
•  Ja  tu  ne  le  cognoistcras. 

Mais  quant  ne  puelt  estre  muée 
60     Sentence,  en  vérité  moustree,        92 

Qu'elle  ne  soit  ferme  et  estable, 

Veez  chiFronesisraimable(9^  /■.) 


Qui  vient  ses  brebis  abuvre. 
Et  luv  de  son  chault  reposai  : 
Celle  dclés  nous  s'aserra 
Et  ceste  cause  jugera, 
Et  donra  celuv  la  victoire 
Qui  sera  digne  d'avoir  gloire.  « 
Quant  Pseustisl'i  vit  approchier  : 
«  Dieus  l'a  volu  chi    envoiier, 
Dist  il,  pour  oïr  no  plaidier 
Et  pour  la  cause  desrainier.  » 
Puis  lu\-  a  dit  Alathia  : 
«  Fronesis,  moult  de  jours  y  a 
Ad  venir,  qui  puelt  bien    souffir 
A  no  disputacion  oyr, 
S'entrelairés  j.  pau  vocure 
Jusqu'à  tant  qu'ares  dit  droiture  ». 
Fronesis  respond  lïement  : 
«  Combien  qu'aie  commandement 
De  retourner  de  par  mon   père, 
Aussi  av  jou  de  par  ma  mère. 
Quant  mes  brebis  seront  soleez 
De  l'yauwe  et  bien  abuvreez, 
Nonpourquant  s'un  peu    je  de- 

[meurc 
De  revenir  oultre  mon  heure, 
Je  ne  doubte  cop  ne  bature 
Que  j'aye  pour  ceste    aventure. 
Ains  lie  tout  je  porteray 
Pour  le  bien  que  j'attenderay.  » 
Adont  Fronesis  se  tourna 
Vers  Pseustis,  et  luv  ottroia 
Ad  ce  que  premiers  commenchast  ; 
Car  droit  est  que  premiers  parlast 


Vv.  35-8.  Il  semble  que  ces  vers  ne  paraphrasent  pas  seulement  le  vers 
Lilon's  ultcri us  proclamât  ab  ago^erc  ti{tus(]$).  Ils  doivent  reproduire  en  plus 
une  glose  métrique,  d'un  seul  vers,  qui  s'était  glissée  dans  le  texte  que  suivait 
le  traducteur. 

V.  41.  Ms.  par  chosc.  Cf.  le  texte  latin  :  Ciir,  Alilbia,  diiiis  rcbiis  stiillis- 
siiiiii  iniilis  (16)  ? 

V.  62.    Ms.  frcnesis.  — Nom  propre  ;  lat.  Fronesis,  «  prudence  ». 

V.  75.    Ms.  souffrir. 


LE  TIAUDELET 


43 


Pour  ce  qu'estoit  homs,  celle  famé. 

(94  V') 
96     Et  après  luy  parlroit  la  dame  ; 
Et  celle  meisme  ordre  tenroit 
Qiie  chil  en  son  parler  aroit. 
C'estoit  l'ordene  Pictagoré. 
100  Adont  n'y  ot  plus  demoré  ; 
Ains  commencha  Dieu  a  priier 
Qu'il  volsist  le  temps  alongier, 
Par  quoy  on  peuist  longement 
104  Demeurer  en  ce  parlement.    , 
Toutte  ceste  controversie 
Entre  Pseustis  et  Alathie 


Monstre  au  cler  comment  faulseté 

108  A  rencontre  de  vérité 

Disputent  de  commun  acord 
Pour  l'un  l'autre  donner  le  tort, 
En  la  présence  de  Prudence, 

112  Qui  doibt    rendre  vraie  sentence 
De  victoire,  qui  miculx  le  vault  ; 
Car  de  nuUuy  il  ne  li  caut. 
Et  pour  mieulx  ce  plait  demous- 

[trer, 

1 16  II  nous  convenra  exposer 

Quanqu'il  a  chi  dit  en  iïgure, 
Si  que  chose  n'y  soit  obscure. 


Ensuite  commencent  les  strophes  avec  les  «  glozes  »  corres- 
pondantes. Il  nous  suffira  de  reprodiyre  ici  les  trois  suivantes. 

III.  De  Saturne  et  de  Page  d'or  (=  Theodulus  37-40  :  str. 
!'■=).  La  «  gloze  »  parle  de  la  voracité  de  Saturne,  lequel  man- 
geait ses  fils  aussitôt  nés  pour  démentir  le  songe  qu'il  avait  fait, 
et  de  la  ruse  de  sa  femme  pour  sauver  Jupiter,  qui  après  coupa 
les  darraines  de  son  père  (d'où  Vénus  naquit),  puis  le  chassa 
«du  pays»  et  fut  enfin  roi  d'Italie,  où  il  apprit  à  ses  sujets  à 
cultiver  les  champs  et  les  vignes. 


PSEUSTIS  (5?J  r .  ) 
Texte 
Pseustis  dist    que 'tout  le  premier 
Qui  fuist  îu  Saturnus  le  fier, 
Qui  vint  de  Crethe,  ou  il  régna. 
Le  sieclez  d'or  tous  disposa 
Par  tous  lieus  et  par  tous  pays. 
Nul  père  n'eubt  dont  il  fuist  pris, 
Ne  oncquez  ne  fu  a  son  tamps 


8     Nulz  homs  qui  de  luy  fuist  plus 

[grans. 
Ceulx  qui  ont  divine  nature 
S'esjovssent  de  s'engenrure, 
Pour  che  que  par  luy  sont  de  nom, 
12  De  nobleche  et  de  grant  renon. 
Glo:ie 
Qui  voelt  ceste  fable  sçavoir 
Pour  mieulx  entendre  après  le  voir, 


Vv.  99-100.  La  lecture  Pictagoré  est  assurée  par  la  rime  voè  (IV,  24)  :  la 
prononciation  «  Pictagoré  »  fausse  le  vers .  Mais  le  scribe  prononçait  certai- 
nement «  Pictagoré  »  ;  ainsi  il  a  été  amené  à  corriger  demoré  du  vers  100  que 
l'original  portait  sans  doute  en  de  dcmorc.  Le  même  fitit  s'est  produit  IV,  2^-4. 

V.  100.    Ms.  plus  de  deiiiore. 

Vv.13-4.  En  général,  ces  «  Glozes  »,  commencent  par  une  tournure 
semblable  :  cf.  aussi  IV,  13-4  et  V,  15-4. 


44 


AMOS    PARDUCCI 


Saturne  de  Crethe  fu  rois, 

i6  Qui  gouverna  seloncq  les  lois. 
Il  avoit  une  gentil  famé, 
Qui  avoccquez  luy  estoit  dame. 
Une  nuit  .  j .  songe  songa, 

20  Qui  moult  de  cuer  l'espoenta  ; 
Car  il  vit  q'ung  enfiint  aroit, 
Qui  tout  son  règne  luy  torroit. 
Tantost  sa  femme  commanda 

24  Et  ad  ce  faire  l'inclina 

Quequanque  veroit  de  luv  naistre. 
Lues  celle  luy  donroit  a  paistre, 
Si  que  le  fruit  perdi  la  vie. 

28  Ainssi  requeroit  sans  envie. 

Celle  conchupt  .j.  fil  moult  bel, 
Le  quel  au  naistre,  de  revel,^ 
Sa  mère  arist.  Celle  eubt  pité 

52  De  son  fil,  pour  l'iniquité 

Qu'avoit    son    père  commandée. 

Tantost  fist  que  fu  aprestee 
Une  viande  moult  auvaa:e 


36  D'une  pierre,  qui  le  corage 

Mua  de  Saturne  le  viel. 

Et  ainssi  fu  nourv  sans  fiel 

L'enfant  :  se  eubt  Jupiter  a  nom. 
40  En  luy  avoit  biau  valeton. 

Jupiter  devint  puis  homs  grans  ; 

Et  puis,  après  .j.  poy  de  tamps, 

Encontre  son  père  estriva 
44  Et  les  darraines  luy  copa, 

Les  quellez  jecta  en  la  nier  ; 
^Des  quellez  volt  après  fourmer 

Nature  Venus,  qui  fu  belle . 
48  Et  après,  par  sa  forche  ysnelle, 

Son  père  jecta  du  pays. 

Le  quel  fut  après  de  grant  pris 

En  Ytalie  la  contrée  ; 
52  Car  par  luv  fu  puis  demoustree 

La  manière  de  cultiver 

Les  terrez  et  vingnez  sarter. 

Et  pour  ce  tenir  on  luv  fait 
56  Une  fauchille,  pour  ce  fait. 


IV.  De  Cecropsqiii  inventa  le  sacrifice  et  édifia  Athènes  {=  Theo- 
diiliis  5 3-6  :  str.  5).  La  «  Gloze  »  raconte  justement  comment 
Cecrops  ordonna  de  manger  de  la  chair  des  sacrifices  pour  mieux 
plaire  au  dieu,  ce  que  la  sentence  de  Pictagore  défendait  (13- 
38)  ;  et  comment,  avec  l'aide  de  Pallas,  il  fonda  Athènes.  Ce 
fut  Pallas  qui  donna  ce  nom  à  la  ville  nouvelle.  Car,  ayant  parié 
avec  Neptune,  à  «  qui  feroit  Plus  grant  chose  de  terre  yssir  », 
elle  fit  sortir  «  une  gracieuse  Olive  »  tandis  que  son  adversaire 
ne  put  avoir  qu'un  «  hideux  chevaulx...  (\m  s'aloit  grans 
sans  »  (39-58). 


PSEUSTIS  (/()/  V.) 

Texte 
Pseustis  parla  après  et  dist 
Que  chieulx  qui  sacrefice  fist 
Premiers  fu  Cycrops,  le  vaillant. 


4     Le  preu,  le  riche,  le  puissant. 
Et    premiers    le  boeuf  il    ouvr\ 

{102  r.) 
Par  fer,  quant  le  pis  luy  parti. 
Pour  faire  a  Jovem  sacrefice. 


V.  44.  darraines,  organes  génitaux. 

Vv.  3,  19,  15.  Ms.  cytrops.  Nom  propre    lat.  Cecrops. 


LE  TIAUDELET 


45 


8     Après  luv  firent  cest  office 
Tous  les  aultrez  communément. 
Chilz  Cycrops  fonda  noblement 
Athenez,  quant  l'edefia  ; 

12  Mais  Pallas  ad  ce  luy  aida. 
G}o:ie . 
Pour  mieulx  ceste  fable  exposer, 
Doibt  on  ce  qu'il  fault  déclarer. 
Chilz  Cycrops,  selon  ce  qu'on  list, 

i6  Fu  rois  d'Atheuez,  qui  se  mist 
A  sainte  et  a  bonne  vie. 
Toudis  avoit  grant  jalousie 
De  Dieu  loer  et  de  servir, 

20  Qu'il  peuist  s'amour  desservir. 
Pour  ce  pourpensa  la  manière 
Comment  il  metteroit  arrière 
La  sentence  (de)  Pictagoré, 

24  Qui  avoit  par  serment  voé 

Que  nulz  ne  mengast  char  de  beste 
Pour  sacrefice  ne  pour  feste. 
Et  disoit  que  si  grant  boisdie 

28  Ne  fu,  ne  si  grant  gloutenie 

Que  de  premiers  ce  controuver  : 
Comment  on  puist  ventre  soler 
De  corps  de  beste  morte  et  mue. 

32  Tel  deffaulte  ne  fut  veuwe. 
Cycrops  ce  dit  c\-  reprouva  ; 


Car  c'est  chil  qui  premiers  trouva 
Qu'a  Dieu  on  sacrefieroit 
36  Et  que  de  char  on  mengeroit 

Des  sacreficez,  pour  mieulx  plaire 

(I02V.) 

A  Dieu  et  pour  mieulx  son  voeil 

[faire 
Chilz  Cycrops, quant  il  deubt  fonder 

40  Athenez ,  les  dieus  de  la  mer 
Neptuuus  et  Pallas  le  sage, 
Ces  deulx  luv  firent  avantage 
Ad  ce  que  la  cité  fu  faitte. 

44  Et  quant  la  cité  fu  parfaitte, 

Escript  eubt  quel  non  elle  aroit. 
Se  fu  dit  que  chilz  qui  feroit 
Plus  grant  chose  de  terre  yssir, 

4^  Cilz  luy  poroit  a  son  plaisir 
Donner  non,  selon  son  voloir. 
Neptuuus  fry  de  grant  pooir 
La  terre,  et  [uns]  hideux  chevaulx 

52  En  yssi  qui  s'aloit  grans  saus. 
Pallas,  quiestoit  vertueuse, 
Fry,  et  lues  une  gracieuse 
Olive  en  vssi,  ce  dist  on. 

36  Pour  ce  luy  mist  Pallas  a  non 
Athenez,  et  pour  ce  aida 

58  Cvcrops,    quant    Athenez    fonda. 


V.  De  la  chasteté  de  Su:^anne  (=  Theodiiliis  265-8  :  str.    58). 
La  «  Gloze   »  développe   cette    histoire    d'après    Daniel,  xiii. 


ALATHIE    {22S  V.) 

'  Texte 
Les  flammez  aux  prestres  ardans 
Ne  rapressa  nient  le  grant  tamps 
Qu'ilz  avoient,  dist  Alathie  ; 
4     Ne  aussi  leur  grant  lecherie 

Venimeuse  ne  peult  oster  (225;  r.) 
Vertus,  qu'on  y  peuist  trouver. 


Mais  combien  que  fuist  distinctee 
8     De  mort  la  dure  destinée 
Que  Susanne  en  appert  veoit, 
La  loy  que  nature  donnoit 
En  vertu  elle  sourmonta  ; 
12  Et  ossi  elle  se  sauva. 
Glo:{e. 
Par  ces  vers  nous  est  recordee 


V.    25.  de  est  exponctué. 
V.    24.  Ms.  pour  sermon. 


46 


AMOS    PARDUCCI 


Une  histoire  moult  renommée  : 
C'est  de  Susanne,  qui  jadis 

i6  Les  mauvais  prestrcz  aveulis 
Par  luxure  suppedita, 
Car  son  honnesté  bien  garda. 
C'est  bon  c'en  racompte  comment 

20  Par  l'escripture  proprement . 

Ou  tamps  qu'en  Babilone  estoient 
Les  Juifs  et  que  la  manoient, 
Entre  eulxadont  .j.  homme  estoit, 

24  Qui  Joachim  a  nom  avoit. 
Richez  estoit  et  moult  puissans  ; 
Et  entre  eulx,  si  que  li  plus  grans 
Femme  avoit  de  moult  grant  lignage 

28  Belle  et  simple,  de  grant  corage  : 
Susanne  envers  Dieu  cremeteuse, 
Et  en  la  lov  religieuse. 
Ceulx  qui  l'avoient  engendrée 

52  Bien  l'avoient  endoctrinée. 

Deux    prestrez  viellars,    en   ce 

[tamps, 
Remplis  do  grant  malice  et  d'ans 
Maintenoient  le  jugement 

46  Qu'on  faisoit  dont  de  celle  gent. 
Ces  .ij.hantoientle  maison (2291'.) 
Joachim,  pour  son  bon  renon, 
Et  pour  ce  que  estoit  entre  yaulx 

40  Le  maire  et  le  plus  loyaux, 
.j.  bel  gardin  avoit  planté 
Delés  sa  maison,  loncet  lé, 
Ou  quel  Susanne  s'esbatoit 

44  Quant  le  peuple  se  retournoit 
Et  medi  estoit  pour  mengier. 
La  s'aloit  celle  esbanoiier. 
Et  les  viellars  qui  près  estoient 

48  Susanne  cascun  jour  veoient. 
Par  leur  coulpe  furent  dechupt  ; 
Car  cascun  en  son  coer  conchupt 
L'ardant  feu  de  mauvaise  amour 

52  Qui  fait  faire  maint  mauvais  tour 
.\inssi  que  cheulz  mal  embrasèrent 
Car  leur  grant   sens  tout  bestour- 

[nerent. 


N'eurent  cure  de  regarder 

56  Ne  vraiement  considérer 
Le  jugement  des  coers  lëaux, 
Qui  heent  coers  carneulx  et  faulx. 
Ces  .ij.  prestres  si  destournés 

60  Estoient,  et  au  coer  fort  navrés 
De  l'amour  de  la  sainte  dame, 
Qui  iicoit  mal,  peccietet  blasme. 
Et  nonpourquant  il  se  couvroient 

64  Li  ung  vers  l'autre,  et  s'apensoient 
Del  honte,  comment  a  chelee 
La  dame  seroit  violée. 
Ainssi  cascun  songneusement 

68  Gaitoh  pour  faire  son  talent. 

.j.  jour  advintque  .ij.ensamble 
Disrent  :   »  Il  est  tamps,  ce  nous 
samble,  {2^0  r.) 
De  mengier.  Alons  a  l'ostel.  » 

72  Et  cheulx  qui  pensoient  a  el 
A  aler  disner  s'accordèrent  ; 
Mais  puis  après  tost  retournèrent 
Au  lieu  dont  estoient  partis. 

76  Li  ungs  a  l'autre  tantost  dist  : 
((  Que  quiers  tu  ci? — Etty  ainssi, 
Dist  li  aultrez,  pour  quoy  ainssi 
Es  tu  si  tost  ci  retournés  ?  » 

80  Cil  qui  estoit  ja  sourmontés 
De  foie  amour,  dist  qu'il  estoit 
Venus  pour  l'amour  qu'il  avoit 
A  Susanne,  pour  acomplir 

84  En  elle,  s'il  pooit,  son  désir. 
Et  cil  a  l'autre  prist  a  dire 
Que  riens  el  son  coer  ne  désire 
Fors  qu'acomplir  tout  son  talent 

88   En  Susanne  au  corps  bel  et  gent. 
Quant  ainssi  furent  descouvert, 
Ils  establireut,  en  appert, 
Luv  et  tamps  quant  acompliroient 

92  Ce     que    leurs    coers    (Tonchupt 

avoient. 
Ainssi  tant  cascun  agarda 
Que  Susanne  ou  vergier  entra 
Son  mari  ;  pour  son  corps  garder. 


LE   TIAUDELET 


47 


96  Avoequez  lui  ne  volt  mener, 
Fors  .ij.  pucellez  seulement  ; 
Ainssi  faisoitelle  souvent. 
Li  tamps  adont  estoit  moult  eaux  ; 
100  Le   lieu    estoit   secrés   et    saufs, 
Car  ou  vergier  dont  n'estoit  nulz, 
Fors  les  .ij.  prestrez  la  repus, 
Qui  la  dame  gente  gaitoient  (2^0 

104  Etgrant  plaisancheau  vir  avoient. 
Susanne  appella  ses  pucellez  : 
c  Aportés  moi,  dist  elle,  bêliez, 
De  l'oille  et  du  bon  ongement, 

108  Et  le  huis  fermés  fermement 
Du  vergier.  Je  me  voeil  laver.  » 
Celiez  le  fisrent  sans  tarder, 
Si  que  Susanne  commanda. 

112  NuUez  d'ellez  ne  sçavoit  la 

Les viellars repus;  toutfremerent. 
Adont  les  prestrez  se  levèrent, 
A  Susanne  sont  acourus  : 

116  «  Les    huis   sont    clos  ;  tout  est 

[pourvus, 
Dirent  il  ;  pour  ce  dont  t'acorde 
A  nous  deulx,  sans  faire  discorde. 
Nuls  nenous  voit, et  nous  t'amons. 

120  Estre  avoec  toy  nous  volons. 
Se  tu  ne  fais  ce,  tesmoingnier 
Vorrons,  pour  to^•  faire  jugier, 
d'ung  jovenchiel  o  toy  estoit, 

124  Q.ui  de  toy  son  voloir  faisoit  ; 
Et  que  pour  ce  fait  s'en  alerent 
Tes  pucellez,  quant  Fuis  ferme- 

[rent .  » 
Susanne  prist  fort  a  gémir, 

128  Quant  les  oy  ainssi  mentir  : 
«  Angouissez  me  sont  tout  entour, 
Dist  Susanne  ;  car  par  nul  tour 
Je  ne  puis  la  mort  escaper, 

132  S'a  vous  je  me  voeil  adonner. 
Et  se  ne  m'\-  voeil  consentir. 
Aussi  bien  me  convient  morir 


Par  vos  mains.  Mais  miculx  vault 

[assés 

1 36  Que   par  vous    soit    mon  corps 

[tués(2_j/  r.) 
Sans  pechiet  que  guerpir  la  loy 
Que  doy  garder  en  bonne  fov-  » 
A  ces  paroUez  hault  cria 

140  Et  les  viellars  cascun  hucha. 

Et  .].  varkt  de  la  maisnie, 

Quant  ov  sa  dame  esmarie, 

Ouvry  Fuis  ;  aultres  acoururent, 

144  Quant    le  noise  ou  vergier  per- 

[chureni , 

Et  quant  les  viellars  eurent  dit 

Contre  Susanne  et  tout  mentit, 

Cascun  des  variés  se  rougi  ; 

148  Car  oncquez  nuls  n'avoit  oy 
De  Susanne  honte  ne  blasme. 
Car  elle  estoit  moult  sainte  dame. 
Et  quant  l'endemain  fu  venu 

152  Et  tout  le  peuple  acouru 
A  Joachim,  qui  doulousoit 
Susanne,  qu'en  teil  point  veoit  ; 
Les  .ij.  prestrez  de  mal  rempli    ■ 

156  Ne  se  mirent  mie  en  oubli, 
Ains  firent  Susanne  mander. 
Et  lues  on  le  fist  amener 
Aveuc  ses  parens  et  ses  fieulx, 

160  Ens    esquelz    estoit   plus    grans 

[dietilx. 
Les  siens  moult  de  coer  le  plo 

[roient. 
Et  tous  cheulx  qui  le  cognissoient. 
Susanne  estoit  moult  gracieuse. 

164  Couverte  estoit  dont   que   hon- 

[teuse 
Mais  les  prestrez  pour  eulx  soler 
Firent  le  couverture  oster, 
Car  ne  pooient  aultrement 

168  Acomplir  leur  mauvais  talent. 
Et  quant  en  pies  furent  drechiés 

(2;/  V.) 


48 


AMOS   PARDUCCl 


Kt  envers  Susannc  adrccliics, 
Leur  .i).  mains  niisrent  sur  son 

[chief. 

172  Le  coer  avoir   a  grant  meschief, 
Nonpourquant  en  Dieu  sa  lianche 
Avoit  mise  et  son  esperanche. 
Ceulx  commenciierent  a  parler  : 

176  «  Tous  .ij.  alamez  hier  jucr, 
Dirent  cheulx,  en  ce  gardin  la. 
Susanne  après  nous  .ij.  entra, 
Et  .ij.  feni niez  qui  s'en  râlèrent 

180  Et  l'uis  après  ellez  fermèrent. 
Et  tantost  fu  la  aprestés 
.j.  jovenchiel  qui  esconsés 
Y  estoit  moult  secrètement. 

184  De  Susanne  fist  son  talent, 
Si  que  cascun  de  nous  le  vit. 
Et  nous,  qui  en  eusmez  despit 
En  grant  haste  après  luy  salimez, 

188  Mais  a  luv  prendre  nous  falimez 
Car  par  sa  forche  nous  vainqui, 
Et  tost  hors  du  gardin  sali. 
Et  ceste,  quant  fu  de  nous  prise, 

192  Ne  nous  veult  dire  en  nulle  guise 
Nom  ne  sournom  du  jovenchiel, 
Qui  la  démena  son  reviel. 
Nous  sons  vrais  tesmoings  de  ce 

[fait, 

196  Dirent  cheulz,  et  de  ce   fourfait. 
Et  vous  croire  nous  en  devés, 
Car  aultrez  jugez  vous  n'avés.  » 
Et  quant  le  peuple  les  oy, 

200  A  leur  jugement  s'assenti  ; 

Et  tous  Susanne  condempnerent, 
Ainssi   que  cheulx    le  demande- 

[rent. 

204   Et     Dieu     tenrement   reclama  : 

(2S2  r.) 


«  Sire  Dieus,  qui  toutcognissiez; 

Dist  elle,  et  qui  tous  fais  jugiez, 

Vous  sçavés  qu'il  ont  tout  mentit 
208  De  ce  qu'ilz  ont  contre  moy  dit. 

Et  je  moer  sans  cause  et  a  tort, 

Car    encontre    mov     sont   plus 

[fort.  » 

Et  Dieu,  qui  ne  laisse  périr 
212  Cheulx    qu'il    voit    sans    raison 

[souffrir, 

Exaucha  sa  peticion. 

Entreux  qu'a  sa  punicion 

Le  peuple  Susanne  menoit, 
216  .j.  jovenchiel  avoec  estoit  : 

Danïel  estoit  cil  nommé. 

Du  saint  Espir  ert  inspiré. 

En  criant  commencha  a  dire  : 
220  «  Vous  menés,  dist  il,  a  martire, 

Sans  cause,  le  sanc  innocent. 

|e  m'en  purge  parfaitement.  » 

A  ces  mos  tous  se  retournèrent 
224  Et  sentence  luy  demandèrent. 

Cilz  ou  moilon  d'eux  en  estant, 

Dist  :  «  Ainssi  aies  vous  faillant, 

Filz  Israël,  par  vo  sotie, 
228  Car  le  voir  ne  cognissiés  mie 

De  ce  fait,  s'avés  condcmpné 

Celle  qui  a  fait  lëauté. 

Retournés.  Ce  fait  jugerai,    • 
232  Et  la  vérité  mousterai  ; 

Car  faulx  tesmoingnage  ont  porté 

Ceulx     qui    premier    l'ont   con- 
(dempné.  » 

Tantost  le  peuple  retourna 
236  Et  Daniel  on  appella. 

C'on  fist  entre  les  anchiens  seir 

(2S2  V.) 

Pour  la  vraie  sentence  oyr. 
«  Faittez,  dist  Daniel,  aler 


V.  203.    Il   manque    un  vers  rimant  en  -a.  L'oubli  est    dû  au  fait  qu'ici 
commence  une  nouvelle  page. 


LE   TIAUDELET 


49 


240  L'ung  loing  de  l'autre  et  arrester.  » 
Et  quant  ilz  furent  départit, 
Daniel  a  l'un  d'eux  a  dit  : 
«  Plainde  mauvais  jours  envieusis 

244  Ht  de  grant  malice  remplis, 
Dist  il,  ci  tes  maulx  apparront 
Et  cy  tes  jugemens  fauldront, 
Des  quelz  les  innocens  dampnoiez 

248  Et  les  coupablez  tu  laissoiez. 
Dy  desoubz  queii    arbre   tu  veis 
Susanue,  qui  a  le  cler  vis, 
QjLiantaujovenchielse  meffist  ?  » 

252  Cil  dist  :  «  Desoubs  .j.  cin  lefist  », 
Qui  est  .).  arbre  espineux. 
Mais  son    fruit   est  moult  doul- 

[chereux. 
Daniel  dist  :  «  Tu  as  mentit; 

256  Car  maintenant,  sans  contredit, 
Li  angle  de  Dieu  t'ochira 
Et  en  .ij.  te  divisera.  » 
Et  quant  il  fu  menés  en  sus, 

260  Li  aultrez  est  a  luy  venus, 

Se  luy  dist  :    «  Semenche  mau- 

[dite, 
Ne  mie  de  Judas  bénite, 
Biauté  de  femme  t'a  decheu 

264  Et  mais  désir  t'a  confondu. 
Ainssi  anchienement  faisoiez 
A  celiez  qu'a  toy  acordoiez. 
Mais  la  sainte  fille  Juda 


268  Ton  mais  désir  abhomina. 

Dy  soubz  quel  arbre  peus  [tu  virj 

Que  les  .ij.  leur  carnel  désir 

Folement     entre      eulx     achie- 
[voient  ?  <> 
272  Cil    respondi    qu'il    le    faisoient 

(2ii  r.) 

Desoubs  .j.  pin  qui  porte  glans. 

Cil  dist  :  u  Tu  es  du  tout  mentans, 

Et  li  angle  l'espee  traicte 
276  Tost  ara  ta  vie  deffaite. 

Que  toy  et  ton  faulx  compaignon 

Mettera  a  perdicion  ». 

Et    quant  le  peuple  ce   perchupt 
280  Qu'ainssi  estoient  convaincut, 

A  haulte  voix  tous  s'escrierent 

Et  dévotement  Dieu  loerent, 

Qui   sauve  cheulx   qui    bien  lui 

[prient 
284  Et  qui  de  coer  en  luy  se  fient. 

Tantost    les    .ij.    faulx   prestrez 

[prirent 

Et  a  honteuse  mort  les  misrent. 

A  tel  mort  que  faire  voloient 
288  L'innocent    qu'a  tort    condemp- 

[noient. 
Ainssi  fu  Susanne  saulvee 

Et  du  peuple  moult  honnouree. 

Et  son  mary  et  si  parent 
292  Dieu  en  loerent  haultemeut. 


*  * 


Jusqu'à  présent  on  ne  connaît  du  Thevdiiliis  qu'une  tra- 
duction en  ancien  français  due  à  Jehan  le  Fevre  de  Resson  '.  Mais 
nous  savons,  par  un  passage  des  Méditations  de  Gilles  le  Muisi, 
que  le  frère  mineur  Jaquemon  Bochet,  en  avait  composé  une 
autre.   Sur  ce   Jaquemon  Bochet  l'éditeur  de  Gilles  le   Muisi 


I.  Cf.  G.  L.  Hamilton,  TJjeocJiilus,  a  Mediaeval  Textbook,  in  Modem  Phi- 
lology,  VU,  2  [1909],  p.  14.  Cette  traduction  est  encore  inédite.  En  dehors 
des  mss.  déjà  signalés  (B.  N.,  f.  fr.,  nos  5^2,  19123,  2486.0,  je  n'en  saurais 
indiquer  d'autres. 

Romavia,  XLW-  4 


50  AMOS    PARDUCCI 

ne  put  trouver  aucun  renseignement,  en  dehors  des  quelques 
mots  que  Gilles  lui-même  nous  en  dit  '  ;  nos  recherches  per- 
sonnelles n'ont  pas  été  plus  heureuses.  Au  sujet  de  sa  traduc- 
tion voici  ce  que  le  poète  tournaisien  nous  rapporte: 

Il  fist  ciertes  un  biel  traitict  Jakes  Cent-Mars=  le  doit  avoir. 

Et  moutl  très  bien  il  l'ordcna,  Boches  le  fist  intituler, 

Et  quant  il  moru,  le  donna  Tiaiidelail  le  fist  apieller. 

Un  sien  aniy  par  karitet  ;  Je  sui  ciertains,  qui  le  vera, 

Et  par  se  grande  humilitet  Au  lire  grant  joye  avéra. 

Chiertes  il  fist  un   bie!   ouvrage  Ne  sai  que  nuls  en  ait  coppie  ; 

S'il  estoit  venus  en  usage.  Si  je  puis,  je  n'i  faurai  mie. 
Qui  l'a,  je  le  te  fais  savoir  :  (Poésies,  éd.  Kervvn  de    Let- 

tenhove,  I,  88.) 

Est-il  possible  d'identifier  le  Tiaudekl  que  nous  avons  fait 
connaître  ci-dessus  avec  la  traduction  de  Jaquemon  Bochet  ? 
Je  crois  pouvoir  répondre  affirmativement. 

Selon  Gilles  le  Muisi,  son  ami  jaquemon  Bochet,  grand  ser- 
monnaire,  grand  «  doctrineres  '),  «  au  bien  faire  grant  ache- 
veur  », 

Gens  instruisoit  com  fors  lions. 

Il  s'attachait  de  préférence  à  bien  reprendre  «  les  visces.  .  . 
Qui  veoit  cescun  jour  hauchier  »  et 

De  karitet  qui  refroidoit. 

Les  gens  moult  forment  reprendoit  '. 

Les  sentiments  qui  ont  animé  le  traducteur  de  notre 
texte  sont  bien  ceux  qui,  d'après  Gilles  le  Muisi,  inspiraient 
Jaquemon  Bochet  :  d.,  en  particulier,  1, 1-16;  47-60  ;    103-112; 

I  17-136  II,   I0)-I  18. 

1.  Cf.  Kervyn  de  Lettenhove,  Poésies  de  Gilles  li  Muisis,  Louvain,  1882,  I, 
p.  xn. 

2.  Sur  Jakes  Cent-Mars  voyez  une  conjecture  très  probable  de  M.  de  Letten- 
hove. Il  est  «  sans  doute  le  même  que  Jaquemon  Cent-Mars,  qui  paie  à 
l'abbaye  de  Saint-Martin  certaines  sommes  pour  hommage  et  pour  accise  » 
{Poésies,  ùd.  cit.,  I,  p.  xiii,  n.  i). 

3.  Poésies,  éd.  cit.,  I,  87-8. 


LE  TIAUDELET  •  5  I 

Remarquons  encore  que  la  langue  de  notre  texte  se  rapproche 
beaucoup  du  «  walesc  «  de  Gilles  le  Muisi'. 

En  outre,  dans  le  passage  de  Gilles  le  Muisi,  Jaquemon 
Bochet  est  cité  avec  le  poète  du  «  Roman  de  la  Rose  »  (proba- 
blement Guillaume  de  Lorris)  et  le  Reclus  de  MoUiens,  par  op- 
position à  d'autres  auteurs  vivants  ^.  Il  était  donc  déjà  mort.  Or 
lesMâ//7^///o«^datent  du  milieu  du  xiv^  siècle  ';  et  l'auteurcom- 
mença  à  les  composer,  âgé  de  plus  de  quatre-vingts  ans .  C'est-à- 
dire  que  l'activité  littéraire  de  Jaquemon  Bochet  doit  s'être 
développée  pour  une  faible  partie,  dans  les  dernières  années 
du  xiii^  siècle,  mais  surtout  dans  la  première  moitié  du  xiV^ 
siècle.  La  connaissance,  vraiment  pitoyable,  des  déclinaisons  que 
montre  l'auteur  de  notre  Tiaudeht  s'accorde  parfaitement  avec 
ces  données  chronologiques  :  cf.,  à  la  rime,  II,  7-8,  V,  260  et  274, 
vis-à-vis  de  I,  33,  V,  15 1-2  etc;;  V,  59-60  et  115,  vis-à-vis  de 
V,  49,  155,  280,  291,  etc. 

Gilles  le  Muisi  découvrait  aussi  en  Jaquemon  Bochet  un 

boins  trouvères 
De  hiaus  dis  et  de  bielles  choses  {Poésies,  éd.  cit.,  I,  88). 


1 .  La  mesure  dans  les  vers  suivants  : 

I,  18     Sont  50«/';/V;(/(''- de  grant  affaire 

II,  71    Dist  il,  pour  oïr  tio  plaidier 
II,   76   A  no  disputacion  ovr 

II,  48    Vo  harpe  me  sera  donnée 

II,  77    S'entrelairés  .j.  pau  t'o  cure 

V,  227  Filz  Israël,  par  vo  sotie 

II,  90     Pour  le  bien  que  fattenderay  ; 
et  la  rime  dans  ces  autres: 

I,  25-6  Chilz  Thecdolus,  qui  soiihlieiix 
Estudia  en  divers  lieux 

I,  59-60  Car  nulz  dedans  tant  nestiulie 
Que  par  luy  puist  estre  espiiisie 
nous  autorisent  à  l'affirmer.  Les  autres   faits  dialectaux  du  nord   qui   se  ren- 
contrent en  plusieurs  endroits  en  deliors  de  la  rime  peuvent  être  dus,  pour  la 
plupart  du  moins,  à  l'auteur. 

2.  Cf.  aussi,  Poésies,  éd.  cit.,  I,  p.  xij. 

3.  Poésies,  éd.  cit.,  I,  p.  xiv. 


52  AMOS    PARDUCCI 

Ce  JLigemont  convenait  peut-être  à  d'autres  ouvrages  de  Jaque- 
nion  Bojhet  ;  mais  il  taut  reconnaître  qu'il  ne  peut  guère  s'ap- 
pliquer au  Tiaudelet.  Je  ne  crois  pas  que,  pour  apprécier 
convenablement  le  mérite  littéraire  et  la  valeur  poétique  de 
l'auteur,  il  soit  nécessaire  d'avoir  devant  les  yeux  la  traduction 
tout  entière.  Ce  que  nous  avons  publié  suffit  pour  qu'on 
puisse  se  faire  une  idée  exacte  de  la  façon  dont  il  écrit,  de 
sa  prolixité,  de  ses  habitudes  de  versification'. 

Une  question  se  pose  au  sujet  des  sources  exploitées  dans 
les  «  Glozes  )>.  Mais  c'est  là  un  problème  qu'on  ne  peut 
résoudre  entièrement  qu'après  l'examen  de  toute  la  pièce.  Cette 
tâche  assez  intéressante  est  réservée  an  futur  éditeur  du  Jiau- 
delet  ;elle  contribuera,  sans  contredit,  à  laconnaissance  de  la  cul- 
ture latine  du  moyen  âge.  Il  est  néanmoins  utile  de  faire  ici 
une  remarque. 

D'après  les  recherches  de  M.  Osternacher,  il  est  évident  que 
l'auteur  du  texte  latin  s'inspire  le  plus  souvent  des  Métamor- 
phoses :   c'est   ce    que  dit  aussi    le  traducteur  {ci.  I,  25  sq.).  II 


I.  A  ce  dernier  point  de  vue,  il  faut  remarquer  que,  che^  lui,  la  rime,  en 
général,  n'est  pas  riche.  La  rime  riche  et  équivoque  en  même  temps nese  ren- 
contre qu'au.\  vers  I,  1-16.  Sont  à  relever,  quoiqu'on  les  retrouve  ail- 
leurs, les  rimes  :  tainps  :  graiis  III,  7-8  et  41-2,  ardaiis  :  tanips  V,  1-2,  tamps  : 
d'ans  V,  53-4  ;  chevaiilx  (s'ing.)  :  sans  (pi.)  IV,  51-2;  nom:  reiion  III,  11-2, 
nom:  valeton  III,  59-40;  entrons:  tioms  II,  49-50  —  premier  :  fier  III,  1-2, 
mer:fourmer  III,  45-6,  fonder  :  mer  IV,  39-40  —  partis  (part,  pass.)  :  dist 
(pass.  déf.)  V,  75-6  ;  ainssi  avec  lui-même  en  V,  77-8. 

La  troisième  personne  du  plur.  de  l'imp.  ind.  -oient  compte  quelquefois 
pour  une  syllabe,  tantôt  à  l'intérieur  du  vers  :  Estaient  V,  60,  tantôt  à  la 
fin  :  gaitoient  :  avaient  V,  iO}-4,  plaroienl:  cagnissaient  V,  161-2.  Il  en  est  de 
même  pour  la  seconde  personne  du  smg.  en  dampnoie:^  :  laissoiei  V,  247-8. 
A  remarquer  aussi  eusme^  V,  186  dissvUabe  et  seir  V,  237  monosyllabe  (cf. 
vir  V,  269). 

Pour  ce  qui  concerne  l'hiatus,  une  petite  barre  verticale  dans  le  ms.  aux 
vers  II,  8,  1\',  51,  54,  57  montrequele  copiste  dece  texte  l'avait  saisi  et  qu'il 
l'avait  trouvé  dans  son  original.  Donc  l'hiatus  est  dû  certainement  au  tra- 
ducteur. C'est  pour  cela  qu'on  ne  doit  pas  l'éviter,  je  pense,  même  quand 
un  .<  de  flexion  rendrait  la  chose  fort  aisée:  cf.  V,    152. 

On  peut,  enfin,  relever  une  prédilection  très  marquée  pour  l'enjambement. 


LE  TIJUDELET  5  3 

serait  donc  vnisemblable  que  celui-ci  eût  eu,  à  son  tour, 
recours  au  même  poète.  Il  n'en  est  rien  :  la  comparaison  à 
laquelle  nous  avons  soumis  plusieurs  récits  nous  permet  de 
l'affirmer.  L'histoire  de  Saturne, que  nous  publions  (n°III),ne 
se  retrouve  pas  dans  le  poète  latin  ;  Ovide  parle  de  Saturne 
d'une  façon  tout  à  f\iit  différente  :  cf.  I,  89  sq.  ;  XV,  96  sq. 
D'ailleurs,  il  existe  d'antres  récits  pour  lesquels  on  chercherait 
en  vain  dans  le  texte  du  poète  latin  qui  les  ignore  ' . 

Quelles  ont  donc  été  les  sources  de  Jacquemon  Bochet  ?  Je 
pense  qu'il  faudra  particulièrement  les  rechercher  dans  les  mytho- 
grapbes,  qui  formaient  une  bonne  partie  de  la  culture  médiévale. 
Sans  doute,  on  ne  doit  pas  s'y  arrêter  exclusivement.  Ainsi, 
pour  l'histoire  de  Saturne  (n°  III),  l'on  peut  trouver  la  plupart 
des  éléments  constitutifs  dans  les  Mythographes  du  Vatican  :  II, 
102  (p.  38)  et  10)  (p.  39);  III,  I  (p.  162)  -.  Mais  en  parlent 
aussi  :  Fulgence,  Mitologiaruni  II,  669  (éd.  Helm,  1898); 
Hygin,  p.  17  «  Curetés  »  et  p.  39  «  Thetis  »  (éd.  Schmidt, 
léna,  1872)  ;  saint  Augustin,  De  Civitate  Dei,  vi,  8,  vu,  9,  19, 
36  (éd.  Dombart,  1905)  et  Lactance  Placide  dans  son  Commen- 
taire à  la  Théhaidcàt  Stace,  pp.  253  et  499  (éd.  Jahnke,  1898). 
Il  est  assez  probable  que  saint  Augustin  est  encore  la  source 
de  la  seconde  partie  (vv.  39-58)  du  récit  de  Cécrops  (n° 
IV),  cf.  De  Civitate  Dei,  xviii,  9.  Pour  ce  passage,  je  ne  saurais 
citer  aucun  mythographe;  mais  nous  ne  les  connaissons  pas 
tous  K 

Pour  ce  qui  est  des  sources  bibliques,  on  peut  d'une  façon  géné- 
rale affirmer  que  l'auteur  les  exploite  avec  une  certaine  liberté. 
Il  ne  serre  pas  toujours  son  texte  de  bien  près:  il  laisse  volon- 
tiers de  côté  ce  qui  ne  fait  pas  son  affaire  +   ou  ajoute  ce  que 


1.  Cf.  Osteniacher,  Oiios  autores  etc.,  passiiii . 

2.  Mai,  Cldss.  aiict.  e  Vat.  cdd.  edit.,  t.  III. 

5 .  Je  ne  crois  pas  que  Jaquenun  Bocliet  ait  exploité  l'Ovide  nwraHic,  qui 
date  à  peu  près  de  la  même  époque  et  quie^t  souvent  amplifiéà  l'aided'autres 
sources  :  cf.  C.  de  Boer  daus  les  Aclei  du  septième  congrès  des  philotogues  néer- 
landais à  Groningue,  191 5,  pp.  85-4.  C'est  ce  que  les  quelques  recherches 
auxquelles  je  me  suis  livré  m'autorisent  à  affirmer.  La  publication  intégrale 
du  poème,  qui  ne  doit  pas  tarder  (cf.  Roinania,  XLII,  76),  permettra  de  con- 
trôler cette  affirmation. 

4.  Cf.,  par  ex.,  la  «  gloze  »  aux  vers  41-4  =  Gen.,  ch.  m. 


54  AMOS    PARDUCCI 

bon  lui  semble.  Quelquefois  le  récit  prête  à  des  considérations 
morales  ' . 

Dans  l'histoire  de  Suzanne  (n°V),  par  contre,  il  traduit  avec 
assez  de  fidélité,  quoique  sa  tendance  à  la  prolixité  ne  se 
démente  jamais.  Quelques  légères  transpositions,  par  rapport 
au  texte  (d.  §§  4-9  =^  vv.  33-58  ;  §§  31-3  =  vv.  iéi-8)  sont 
sans  importance.  Il  n'y  a  qu'une  faible  modification  de  sens 
qu'on  retrouverait  dans  la  traduction  du  §  i6=--vv.  141-4.  On 
pourrait  aussi  avoir  l'impression  qu'il  essaie  de  rendre 
dans  son  romman  (I,  114)  d'une  façon  moins  choquante  cer- 
tains passages  qui  sont,  à  vrai  dire,  un  peu  rudes  :  d.  §  20  =: 
vv.  117-120  ;  §  37  =  V.  iSz);  §54=  V.  251;  §56  =v.  264. 
Ainsi  la  phrase  du  §  38  «  et  vidimus  eos  pariter  commisceri  » 
a  été  habilement  évitée  dans  la  traduction  :  cf.  vv.  186-7. 
Cependant  cf.  §  22  =  v.  132;  §  58  =  v.  270.  A  un  autre 
point  de  vue,  l'addition  au  §  16  =  vv.  95-7  et  aux  §§  54  et 
58  .=  vv.  253-4  et  273  ^^^  vraiment  curieuse.  Bien  rarement 
il  omet  quelque  phrase:  cf.  §3  «^  vv.  3i-2;§  i8=vv.  iio- 
113  ^.  Quanta  la  forme,  il  est  utile  de  signaler  qu'il  a  remplacé 
par  la  narration  le  drame  des  §§  29  =  vv.  158-160,47  =  vv. 
223-4,  50  --=  vv.  237-8.  Une  fois  seulement  c'est  le  contraire 
qui  se  produit  :  §  14  =vv.   76-92. 

Amos  Parducci. 


1.  Cf.  la  «  glozc  »  aux  w.   114-7  =G^«.,  ch.  xiii  et  xix. 

2.  Les  §5    64-5,    qui    ne  se    rapportent    pas    directement  à  Thistoire  de 
Suzanne,  n'ont  pas  été  traduits. 


LA     CHANSON    DE    ROLAND 


ET 


LA      C  H  ANC  UN      DE      W  ILLAME 


Je  voudrais  faire  précéder  ce  petit  travail  de  quelques  explica- 
tions, que  je  juge  nécessaires.  J'avais  lu,  comme  tout  romaniste 
qui  se  respecte,  la  Chançun  de  lViUaine\  et  j'y  avais  pris  plai- 
sir. Sans  doute  je  ne  partageais  pas  l'enthousiasme  de  certains 
de  mes  confrères  pour  une  œuvre,  qui,  à  côté  de  beautés  réelles 
et  fortes,  montre  une  absence  complète  d'ordonnance  et  de  goût, 
abonde  en  lacunes,  en  répétitions  et  en  contradictions,  semble, 
enfin,  avoir  été  écrite  —  et  surtout  transcrite  —  à  la  diable. 
Mais  je  ne  pouvais  accepter  le  jugement  un  peu  sommaire  et 
tranchant  de  M.  Ph.  Aug.  Becker,  la  déclarant  «  l'œuvre  d'un 
chanteur  ambulant  de  la  dernière  catégorie,  qui  s'efforce  de 
raconter  d'après  d'autres  ce  qu'il  a  souvent  entendu  réciter..  »-. 
Un  simple  hasard,  au  cours  de  recherches  orientées  ailleurs, 
m'a  récemment  conduit  à  relire  la  Chauçun  aussitôt  après  notre 
chef-d'œuvre  épique,  Roland.  A  ma  propre  surprise,  je  crus 
retrouver  dans  le  premier  texte  des  échos  directs  et  fidèles  du 
second.  Vérification  faite,  ces  échos  allèrent  se  multipliant. 
Tantôt  c'était  un  vers  isolé,  qui,  resté  dans  ma  mémoire,  repa- 
raissait tel  quel,  ou  avec  l'insignifiante  variante  d'un  vocable 
imposé  par  l'assonance,  ou,   moins  encore,    d'un  monosyllabe 


1.  Ainsi  est  orthographié  le  titre  au  vers  ii,  et  je  ne  vois  nulle  raison  de 
le  modifier.  Au  surplus  qu'il  v  soit  question  de  Vivien  (et  niêtne  de  Gui, 
Girard,  Guischart,  etc  )  autant  que  de  leur  oncle,  et  que,  dans  la  2^  partie, 
Rainouart  joue,  grâce  à  son  tinel,  le  principal  rôle,  je  le  concède  volontiers. 
Le  titre  le  mieux  justifié  serait,  s'il  était  encore  à  donner,  Larchawp.  C'est 
celui  qu'a  adopté  M.  li.iist  dans  sou  édition  diplomatique  (L'AixImu:^, 
1909),  que  je  suis  ici. 

2.  Grniidiiss  d.  alt/r:^.  Litcralur,  I  Teil  (Heidelberg,  1907),  p.  55. 


56  M.    WILMOTTH 

de  liaison  ;  tantôt  c'étaient  plusieurs  vers  de  suite,  où  je  retrou- 
vais, sinon  la  littéralité  absolue  d'analogie,  du  moins  l'accent,  le 
rythme,  parfois  jusqu'au  développement  verbal  partiel  de  l'un 
ou  l'autre  passage  de  la  célèbre  chanson,  devenu  fomilier  en  sou- 
venir. Tantôt,  ce  n'était  qu'un  hémistiche  isole,  mais  qui,  par  sa 
fréquence  d'emploi  ou,  encore,  par  un  rapprochement  de  situa- 
tion suggéré  (par  exemple  dient  Franceis  ou  d.  païen  ou  la  genl 
païeiinr  ou  cbi'valÇi^ers  gentil^  ou  cent  inilie  furent,  etc.),  forçait 
la  comparaison  ;  tantôt  —  et  ceci  me  parut  particulièrement 
significatif  —  j'observai  que  là  où  le  rimeur  de  la  Chançitn  se 
tenait  à  l'écart  de  la  tradition  attestée  par  l'accord  des  autres  ver- 
sions du  même  récit,  et  particulièrement  d'^//5i:j;/i' et  de  la  Che- 
valerie Vivien,  il  se  rapprochait  de  façon  étrange,  et  parfois 
forcée,  de  tel  ou  tel  épisode  de  Roland,  dont  l'imitation  s'était 
comme  imposée  à  lui. 

De  proche  en  proche  je  fus  ainsi  amené  à  comparer,  aussi  minu- 
tieusement que  possible  ',  les  deux  ouvrages.  Je  livre  ici  le  résul- 
tat de  cette  enquête,  qui,  si  elle  a  été  fastidieuse  à  de  certains 
moments,  ir.'a,  je  l'espère,  récompensé  à  la  fin  de  ma  peine.  Le 
lecteur  en  jugera.  Pour  moi  (est-ce  une  illusion  ?)  elle  met  hors 
de  doute  la  dépendance  de  la  Chançnn  par   rapport  à  Roland^  ; 


1.  J'espère  qu'après  m'avoir  lu  on  ne  m'en  voudra  pas  d'avoir  négligé  de 
discuter  la  thèse  de  M.  Willv  Schulz,  que  M.  Tavernier  (Zs.  f.fr.  Spr., 
XXXV,  p.  69)  mentionne,  sans  d'ailleurs  s'y  ranger,  et  c'est  à  savoir  que 
l'auteur  de  Roland  aur an  connu  (et  utilisé)  la  Chançnn.  M.  T.  reconnaît  qu'il 
v  a  entre  les  deux  ouvrages  '<  unniittelbare  literarische  Beziehungcn  »  ;  il  se 
réserve  de  les  étudier.  Je  ne  crois  pas  qu'il  l'ait  fait.  Quant  à  l'opinion  de 
M.  Suchier  {Zs.  f.  r.  Ph.,  XXIX,  665)  que  l'auteur  de  l'épisode  de  Baligant 
(je  ne  sais  trop  ce  qu'il  entend  par  là)  aurait  voulu  «  parodier»  un  passage 
de  la  Cbançun  (655-63;  978-85),  on  me  permettrade  n'y  pas  insister,  malgré 
tout  le  respect  que  je  n'ai  cessé  de  professer  pour  ce  savant,  après  l'appareil 
démonstratif  que  j'ai  réuni. 

2.  Je  reconnais  volontiers  que  bien  des  analogies  entre  les  deux  textes 
ont  dû  m'échapper.  A  moins  d'être  doué  d'une  mémoire  médiévale,  com- 
ment avoir,  lorsqu'on  lit  un  texte,  présents  à  l'esprit  les  4000  vers  d'un  autre  ! 
Sans  doute  je  me  suis  aidé  de  certains  points  de  repère,  division  en  épisodes, 
étude  des  combats  (j'ai  pu  constater  l'absolue  insuffisance  de  la  dissertation 
de  M.  HugoZùchner  à  ce  sujet),  éléments  descriptifs  de  l'homme,  du   ces- 


LA    CHANSON  DE  ROLAND   ET    LA    CHANÇUN  DE  IVILLAME      57 

elle  confirme  l'antériorité,  et  aussi  leclatante  supériorité  de  ce 
dernier'. 


I 

Tout  d'abord,    il  m'a  paru    prudent    de   ne   pas    adopter   la 
méthode  de   mes  devanciers.    Leurs  contradictions    m'auraient 

tumc,  etc.  Mais  ce  qui  m'a  le  mieux  servi,  c'est  le  classement  de  certaines 
formules  également  familières  aux  deux  auteurs.  Se  douterait-on,  par  exemple, 
qu'il  y  a  dans  Roland  une  centaine  de  vers  débutant  par  le  motF/iï//r  (Fran- 
çais) précédé  ou  suivi  d'un  verbe,  d'un  qualificatif  apposé,  etc.;  que  l'on  y 
trouve  onze  fois  (si  j'ai  bien  compté)  Dicnt  Françeis  en  tête  du  vers  (analogie 
intéressante  pour  ma  comparaison,  de  même  queD/>;;//'iï/(?//,  moins  fréquent)  ? 
Une  telle  enquête  a  encore  ceci  de  précieux  qu'elle  met,  en  quelque  sorte,  à 
nu  le  mécanisme  littéraire  de  nos  vieilles  chansons. 

I.  Nous  voilà  loin  du  jugement  de  M.  Weeks  (/^o/Hir«/«,  XXXIV,  241): 
«  La  chanson  de  Guillaume  prend  place  à  côté  de  Roland  comme  oeuvre  d'art 
primitif,  et  la  dépasse  (!)  par  l'étonnante  variété  des  scènes  qu'elle  nous 
présente.  vSi  on  peut  parvenir  à  en  restaurer  le  texte,  elle  prendra  rang  comme 
la  plus  primitive,  la  plus  foncièrement  populaire  des  chansons  de  geste. 
Plus  onlirace  poème,  plus  on ensentira  la  beauté.  On  y  trouvera,  plus  qu'ail- 
leurs, le  puissant  souffle  épique  de  l'ancienne  France.  ))etc.  M.  Suchier  n'est 
guère  moins  enthousiaste  (Eiitl.,  p.  xxxv).  On  s'étonne,  toutefois,  qu'après 
avoir  résumé  la  scène,  qu'il  considère  comme  la  plus  belle,  et  dans  laquelle, 
dit-il,  «  steht  unser  Dichter  auf  der  Hôhe  der  Situation  »  il  croie  devoir  mettre 
une  sourdine  à  son  admiration  :  «  Wir  diirfen  freilich  nicht  vergessen  dass  sic 
(la  scène  dont  il  s'agit)  aus  eiiier  àlteren  Chanson  ùbergenommen  sein- 
kann.  »  (p.  xxxvi).  Nous  abondons  volontiers  dans  son  sens,  mais  ne  peut-on 
dire  du  reste  ce  qu'il  dit  de  l'épisode  suspect?  M.  Bédier,  infiniment  plus 
réservé,  parle  partout  de  «  l'unité  d'une  action  continue  «  dans  ce  texte  plein  de 
disparates  (Légendes  épiques,  I,  327)  et  M.  Rechnitz  renchérit  en  procla- 
mantla  Chançunvi  la  plus  logique  de  toutes  les  épopées  populaires  conservées  « 
(Prolegomena,  etc., p.  vi).  C'est,  à  notre  sens,  M.Paul  Meyer  qui,  du  premier 
jour,  a  donné  la  note  juste  (Romania,  XXXIl,  597  ss.).  Certes  il  ne  refuse 
pas  son  admiration  à  certaines  scènes  de  l'œuvre,  notamment  le  retour  à 
Orange  de  Guillaume  ayant  laissé  tous  les  siens  à  Larchamp;  mais  il  note 
que  la  chansjn  «  est  rédigée  gauchement  et  témoigne  d'un  art  encore 
grossier...  »  (p.  J97J  ;  que  ><  le  récit  est  abrupt;  on  passe  sans  transition  d'une 
idée  à  une  autre,  de  sorte  que  parfois  la  suite  des  idées  est  difficile...  »  ; 
que  s'il  y  a  de  beaux  passages  «  il  y  a  aussi  bien  des  négligences,  et  surtout  un 
bien  faible  souci  de  la  variété  »  (p.  )98);  que  le  poète  ne  se  préoccupe 
pas  de  la  géographie  de  sou  texte,  qu'il  n'a  pas  la  notion  du  temps,  etc. 


58  M.    WILMOTTE 

détourné  d'entreprendre  ce  travail.  Si  je  m'y  suis  déterminé, 
c'est  à  la  condition  de  me  désintéresser  de  toutes  ces  recherches 
laborieuses  et  riches  en  ingéniosité,  mais  souvent  stériles,  pour 
n'envisager  qu'un  problème  d'histoire  littéraire.  Problème  simple, 
en  somme,  puisqu'il  s'agit  d'établir,  non  pas  les  vagues  données 
historiques  sur  quoi  repose  une  œuvre  d'imagination,  non  pas 
le  degré  de  véracité  de  son  auteur,  non  pas  si  place  dans  la  tra- 
dition (si  fragmentaire),  ou  encore  sa  géographie,  mais  sa  valeur 
littéraire.  Celle-ci  est  tout  entière  incluse  dans  ces  355^  vers. 
Elle  dépend  de  l'originalité  de  celui  qui  les  rima,  et  cette  origi- 
nalité est  bien  moins  subordonnéeà  une  transmission  légendaire, 
infiniment  complexe  et  incertaine,  qu'à  un  fait  précis  et  pal- 
pable. Avons-nous,  en  effet,  la  preuve  que  l'auteur  dehChajiçnn 
a  mis  sa  personnalité  dans  ces  3553  vers?  Pouvons-nous  affir- 
mer, sans  témérité,  qu'en  dépit  de  contradictions,  de  répéti- 
tions ou  de  lacunes,  rendues  inévitables  par  une  récitation 
orale,  il  a  trouvé  l'ordonnance  la  meilleure,  les  transitions 
nécessaires,  les  expressions  justes  et,  pour  ainsi  dire,  définitives, 
bref,  ce  qu'il  fallait  pour  unir  entre  eux  et  rendre  saisissants  des 
événements  qui  avaient  déjà  été  narrés  ?Tout  estlà,etnon  point 
dans  l'invention  (est-ce  que  Shakespeare  ou  Molière  inventent  ?) 
ou  dans  la  sobriété  (elle  n'était  pas  de  stvle  alors)  ou  dans  la 
nouveauté  ou  la  rareté  du  mot  (les  trouvailles  d'art  eussent 
laissé  insensible  un  auditoire  du  wi"  siècle).  Je  dirai  plus.  Ce 
défaut  de  mémoire,  qu'on  s'est  exagéré,  dont  on  a  fait  un  défaut 
de  logique  ',  est  inhérent  au  système  des  récitations,  tantôt 
totales,  tantôt  partielles,  tantôt  alternées  avec  d'autres,  selon  le 
caprice  des  auditeurs.  Le  reprocher  à  un  poète  du  xii'^  siècle, 
c'est  n'épargner  personne.  Est-ce  que  M.  Tavernier  n'a  pas  suivi 
pas  à  pas  ce  Turoldus  que  nul,  sauf  peut-être  M.  Bédier,  n'a 
magnifié  aussi  abondamment  que  lui  ?  N'a-t-il  pas  montré  sa 
patiente  érudition  s'exerçant  (comme  plus  tard  celle  de  Rabelais) 
sur  de  nombreux  textes  latins,  et  peut-être  ne  dédaignant  pas 
d'aller  butiner  jusque  dans  les  épopées  romaines  ? 

» 

I .  Quel  éclair  i.ic  vérité  dans  ces  lignes  de  M.  Weeks,  que  je  prends  plaisir 
à  citer  :  «  Assurément  il  ne  faut  pas  vouloir  que  tout  soit  logique  et  raison- 
nable dans  les  anciennes  chansons...  »  (Romanui,  XXXVIII,  20  ;  comp. 
p.  41)! 


LA    CHANSOX  DE  ROLAND    ET    LA    CHANÇUK  DE  IVILLAME     5  9 

Mais  ce  qu'on  n'a  pu  découvrir  jusqu'ici  chez  Turoldus,  c'est 
le  sans-gêne  d'une  composition  foite  sans  choix,  ni  goût,  et  je 
voudrais  assurément  pouvoir  rendre  la  même  justice  à  notre 
inconnu. 

Je  le  voudrais,  mais  je  ne  le  puis  plus.  On  entendra  mes  rai- 
sons. Elle  sont  de  plusieurs  sortes.  Cet  inconnu  n'a  pas  hésité, 
sans  souci  de  la  vraisemblance,  ni  de  l'ordre  interne,  à  se  répéter 
sourdement  :  cela,  on  lésait  depuis  longtemps  '  ;  il  n'a  pas  hésité 
à  modifier  la  suite  nécessaire  des  faits  pour  modeler  son  récit 
sur  le  récit  d'autrui  ;  il  n'a  pas  hésité  à  emprunter  à  un  devan- 
cier les  termes  mêmes  dont  celui-ci  se  servait  pour  peindre  des 
héros,  qui  n'étaient  pas  ses  héros  à  lui. 

Il  est  vrai  que  tout  l'y  engageait.  Ce  n'est  pas  d'hier  qu'on  a 
noté  ^  les  analogies  impressionnantes  des  sujets  que  Turoldus 
et  lui  ont  traités.  Je  n'y  insisterai  pas  ici;  toutefois,  au  cours  de 
mon  exposé  — et  c'est  peut-être  la  meilleure  forme  de  démons- 
tration —  j'aurai  souvent  l'occasion  de  souligner  les  tentations 
auxquelles  devait  succomber  notre  inconnu,  dont  la  «matière», 
s'il  ne  l'a  pas  inventée,  lui  imposait,  à  chaque  pas,  de  se  souve- 
nir d'une  œuvre  admirable  et  récente.  On  m'excusera  donc  si  je 
renonce,  dans  la  comparaison  du  texte,  à  un  dédoublement, 
qui,  favorable  à  la  clarté,  aurait  le  grave  inconvénient,  par  là 
même  que  je  séparerais  fonds  et  forme  littéraire,  d'affaiblir  ma 
démonstration. 

Enfin  je  dois  faire   encore   une  observation  préalable.  Après 


1.  Voyez  notamment  l'opération  de  patience  qui  a  permis  à  M.  Suchier. 
(Elnl.,  p.  xxxi)de  supputer  le  nombre  exact  de  vers  repassant  une  seconde 
et  même  une  troisième,  une  quatrième  et  une  cinquième  fois  dans  la  Chui- 
çun.  Ce  qui  est  l'exception  rare  dans  Roland  est  ici  de  pratique  constante  et 
fastidieuse.  Cf.  P.  Meyer,  Romania,  XXXII,  598-99.  M.  Rechnitz  lui-même 
{pp.  cit.,  p.  vu)  est  contraint  à  cet  aveu,  que  «  dans  aucune  autre  épopée 
française  ne  s'observe  au  même  degré  la  tendance  (Neigung)  à  peindre  les 
mêmes  événements  à  l'aide  des  mêmes  mots  »  et  cela  sans  souci  d'une  répé- 
tition fastidieuse.  Voyez  notamment  les  quatre  endroits  (vv.  1 32-40,  1072-81, 
1496-1 503,  I  540-5 1)  où  quatre  personnages  d'âge  et  de  rang  différents  se  pré- 
parent  au  combat. 

2.  Voyez  notamment  Zeitschrift,  XXIX,  681,  et  Romania,  XXXIV,  261, 
note  I. 


éo  M-    WILMOTTE 

de  multiples  expériences  je  me  suis  convaincu  que  l'auteur  de 
la  Chançun  n'avait  pas  dû  avoir  sous  les  yeux  une  copie  de  Roland 
pour  Hiire  les  «  mosaïques»  qui  de  place  en  place  décèlent  en 
lui  un  imitateur  patient.  Les  versde  Roland,  qu'il  a  empruntés, 
ne  se  rangent  pas  nécessairement  en  série  ;  quand  ils  sont  trois, 
quatre,  cinq  même,  il  est  rare  qu'ils  se  suivent  dans  l'original, 
comme  ils  le  font  dans  la  copie.  S'il  s'agissait  d'un  travail  de 
cabinet,  ce  serait  une  objection  grave.  Mais  notre  jongleur  avait 
les  vers  de  son  modèle  dans  la  tète;  il  était  accoutumé  à  les 
réciter  ;  ils  lui  venaient  au  gré  de  ses  besoins.  Cela  se  déduit, 
sans  grand  peine,  des  descriptions  de  combat,  qu'il  a  utilisées 
avec  moins  de  scrupule  que  tout  le  reste.  De  toutes  les  parties 
de  sa  récitation  celles-là  étaient,  assurément,  le  plus  goûtées, 
trouvaient  le  public  le  plus  attentif  et  le  plus  indulgent  ;  c'était 
celles-là  qu'on  redemandait  sans  se  lasser,  dont  on  supportait 
la  redite  sans  impatience.  Le  fait  que  des  vers  appartenant  aune 
laisse,  puis  à  une  autre  laisse  de  Roland,  et  qui  relatent  un  corps 
à  corps  héroïque,  se  succèdent  immédiatement  ici,  n'oftre  rien  de 
troublant  pour  mes  conclusions.  L'auteur  de  la  C7;fl'«("/r//,  jongleur 
lui-même,  ne  devait  pas,  lorsqu'il  récitait  Roland,  dont  il  nous 
parle  à  un  endroit  (v.  1267)',  se  gêner  pour  substituer  une 
formule  à  une  autre;  mieux  que  cela,  il  devait  lui  arriver  d'em- 
brouiller ces  formules  qui  iront,  plus  tard,  se  stéréotypant, 
qui  déjà,  vers  1125,  tendaient  à  se  fixer,  à  se  sérier,  si  je  puis 
dire  %    mais    dont  la  variété  est   encore   si  grande,  du  moins 


.   I.   L'auteur    d'Alisariis  n'est  pas  moins  bien    informé.  \'.  l'éd.    Gnessard, 
vv.  138  et   559. 

2.  J'ai  eu  la  curiosité,  pour  certaines  d'entre  elles,  de  dresser  la  statistique 
de  leur  emploi  dans  Roland.  Elle  est  instructive.  Par  exemple,  après  avoir 
montré  un  chevalier,  qui  met  en  pièces  l'armure  et  l'écu  de  son  adversaire, 
'1  "uroldus  ne  manque  pas  d'ajouter  que  celui-ci  est  jeté  sans  vie  à  bas  de  son 
cheval  :  que  mort  rabal  (ou  tout  Qil)  Fcthal  mort),  dit-il,  et  la  constatation  est 
nécessaire  ;  mais  son  instinct  artistique  (et  aussi  les  exigences  de  l'assonance) 
le  poassj  à  varier  l'autre  moitié  du  vers;  dans  la  première  partie  (de  1273  à 
1394,  exactement)  il  v  a  onze  exemples  du  premier  hémistiche  déjà  cité, 
(1273,  1279,  1302,  1507,  1334,  1375,  1569,  1579,  15*^4,  1668,  1894);  il  n'y 
en  a  pas  deux  d'un  second  hémistiche  identique;  j'ai  noté  six  autres  exemples, 
du  vers  5557  au  vers  3619;  tous  sont  complétés  par  des  hémistiches  diffé- 


LA    CHANSON  DE  ROLAND    ET    LA    CHANÇUN  DE  IFILLAME     6l 

dans  Roland,  que  la  mémoire  la  plus  exercée  ne  pouvait  pas  tou- 
jours les  distinguer  et  les  mettre  en  leur  place. 

Et  maintenant  passons  à  l'examen  du  texte  de  la  Chançun.  Les 
obligations  de  son  auteur  commencent  avec  l'œuvre,  elle-même. 
Dès  les  tout  premiers  vers  il  semble  qu'il  se  soit  souvenu  de 
RoJand,\ors(\\i\\  évoque  la  mémoire  de  son  héros  : 

...  sovent  se  combati  a  la  gent  paienur  ' 
Si  perdi  de  ses  homes  les  meillurs,  etc. 

C'est  bien  le  ton  de  Turoldus  etses  expressions  (o-^'n/  paienur 
2427  et  passim)  '.  Mais  voici  des  précisions  meilleures.  On 
annonce  à  Tedbald  l'approche  d'une  flotte  sarrazine  : 

Franche  meisn[i]e,  dist  Telbald,  que  feruns  ?  (46) 

De  même  Roland  dit  à  Olivier,  à  l'approche  des  forces  sarra- 
sines,  numériquement  supérieures  : 

Oliver  frère,  cum  le  porrum  nus  faire  ?  (1698) 

Et  des  deux  parts,  la  même  préoccupation  se  manifeste,  celle 
de  ne  pas  encourir  un  «  blasme  u  (^Cha.  5  3  ;  comp.  R.  1063,  1082, 
1718).  Vivien  y  insiste;  mais  il  est,  comme  Olivier  de  l'antre 
part,  décidé  à  demander  le  secours  de  Guillaume. 

Cumbatun,  sire,  (sis)  veintrum,  jo  te  plei'is.(6'è) 

C'est  la  formule  qu'emploie  Roland  pour  réconforter  les  siens 
(1058,  1069,  1704),  soit  qu'il  leur  promette  l'extermination 
des  ennemis,  soit  qu'il  leur  fasse  espérer  la  marche    en  arrière 


rents(3357,  5364,  3428,3450,  3468,  3619);  enfin,  dans  sept  exemples(i204, 
1229,  1250,  1287,  1295,  1498,  1534),  un  premier  hémistiche  identique  : 
Pleine  sa  hanste,  a  décidé  le  poète  à  modifier  la  formule  précitée  pour  consti- 
tuer le  second.  L'auteur  de  la  Chançun  ne  se  donne  pas  tout  ce  mal. 

1.  Je  cite  l'édition  diplomatique  de  Baist   et,  pour  Roland,  l'édition  diplo- 
matique de  Stengel  (Heilbronn,  1878). 

2.  Autre  analogie  de  menu  détail.  Pour   désigner  les  Sarrasins,  les  deux 
testes  disent  h  crent  adverse.  Comp.  Ch.  103,  161,  etc.,  avec  7?.  2630,  3295. 


62  M.    WILMOTTE 

du  gros  de  l'armée  de  Charlemagne.  En  revanche,  alors  que 
Roland,  du  moins  au  début  de  l'action,  s'est  retusé  à  appeler 
l'empereur  à  l'aide,  Vivien  a,  tout  de  suite,  reconnu  la  nécessité 
du  concours  de  Guillaume,  comme  Olivier  dans  la  vieille 
chanson  : 

OiJ poi  coinpaigiiie  ne  veintrmii  pas  Arabiz  |  Nos  i  avum  m\.\\x  petite,  coiiipaigne 
Cha.  71  R.    1087 

Cependant  Tedbald  regarde  vers  la  haute  mer(t'5  altcs  ciguës); 
il  voit  les  mâts  de  vingt  mille  bateaux  '.  Sans  transition,  sans 
un  mot  d'éclaircissement,  cinq  cents  trcfs  sont  dressés  par  les 
ennemis;  Tedbald  demande,  alors,  à  Vivien  de  monter  sur  un 
tertre  et  de  les  «surveoir  ».  Vivien  refuse  et  c'est  Tedbald  qui 
va  s'assurer  de  la  force  numérique  et  des  intentions  des  envahis- 
seurs ^.  C'est  ce  qu'Olivier  fait  aussi  dans  Roland  : 

hc  c\\e\à\hxoc\\Q.,s(\)ddle  tertre  Diunte.  O(livier)  est  desur    .1.   pui    muntez  5 

Garde  Tedbald  vers  la  lasse  de  mer,  Guardet  suz  destre.  .  . 

Vit  la  couerte  de  barbes  e  de  nefs  Si  ueit  venir. .  .  * 

E  de  salandres  e  granz  escbie^  ferrez,  Ses  granz  drodmunz .  .  . 

Mire  le  ciel,  ne  pot  terre  esgarder;  Eschiez  7.  barges   7  galies  7  nefs.  .  .  ^ 


1.  Vint  mil  .liejs  (i^i),  exagération  ridicule.  L'épopée  nous  v  a  accou- 
tumés. Dans  Rohiiid  on  peut  dire  que  XX  mil  est  le  nombre  consacré  ;  il  y  a 
vingt  mille  Francs  à  l'arriére-garde  (vv.  789,  827,  11 15,  etc.);  Valmaçiir  de 
Moriane  commande  .XX.  niilie  ad  escu:^  et  a  lances  (913);  quand  on  découvre 
le  cadavre  de  Roland,  XX  miliers  de  Français  se  pâment  (2416),  etc.  D'autre 
part  dans  la  Chaucun  il  y  a  cent  milie  Sarrazins,  queTedbalt  découvre  du  tertre 
où  il  est  nîonté  (212,  220,  etc.),  exactement  comme,  dans  Roland,  il  y  en  a 
cent  milie  auxvv.  991,  1041,  1440  opposés  à  l'arriére-garde  française,  cent  milie 
(191 1)  qui  s'enfuient  ;  comme  ailleurs  il  y  a  aussi  cent  milie  Français  (842. 
2907,  2932).  Si  l'on  peut  se  lier  aux  indications  sommaires  de  M.  Rennert 
(Studien  ^ur  altfraniôsischen  Stilistik,  p.  30),  deux  seuls  exemples  du  pre- 
mier de  ces  deux  chiffres  ^^ 20.000)  se  retrouveraient  dans  la  geste  d'Orange 
{Char.  N).    269,  Prise  Or.    710). 

2.  Une  fois  pour  toutes  je  renvoie  à  la  p.  60  où  j'aijustitié  ce  procédé  de 
«mosaïque»,  que  j'estime  qui  est  bien  celui  suivi  par  notre  jongleur. 

3.  A'.  1017. 

4.  R.  1018-9. 

5.  A'.  2624-5.  Comp.  2729-30. 


LA    CHANSON  DE  ROLAND   ET    LA    CHANÇUN  DE  WILLAME      63 

De  la  pour   s'en  est  tut  oblie,  Cum  il  einz  pout,  del  pui  est  avalet  ' 

Anal     deiial(ad)  del  tertre    v(il)     ert     Vint  asFranceis,  tut  lur  ad  acuntet -. 

[munte 
Vint  as  Fravceis,   si  lur  ad  tut  cunte.    Contre  un   des  noz  en  truuerat  morz 
Franche  meisn[i]e,  que  purrum  (nus)  [xv  s 

[deuenir  ?     i  ueit  tant  morz  gésir  ^ 

Contre  im  des  iio{  ad  ben  des  lur  mil por  uoz  anmes  guarir  > 

Ki  (ore)  ne  s'enfuit    tost    (i)    purrad 

[mort  gisir. 
Aluni  nus  ent  [tost]  pur  noi  vies  garir  . 
Cha.  184-95. 

Mais  Vivien  repousse  ces  lâches  suggestions.  Il  réplique  à 
Tedbald  ce  que  Roland  dit  à  Olivier,  et  c'est  à  savoir  qu'il  y 
va  de  l'honneur  des  chrétiens  ^.  Cependant  les  Sarrazins  ont 
aperçu  et  reconnu  Tedbald  ;  ils  se  préparent  à  l'attaquer,  lui  et 
ses  hommes.  Le  jour  est  levé  : 
Clersfii  H  jur^  e  bels  [/'«]   H  matins.      Clers  tu  li   jurz  7  bels  fut  li   soleilz  ' 

Li  soleil  raed  s(i)  est  li  jur^  esclarii         

Chii.  232-3  Esclargiz  est  li  vespres  7  li  jurz* 

Et  le  combat  s'engage.  Mais  Tedbald  et  Estormi    ont  fui,  et 
Vivien  prévient  loyalement   leurs  hommes    du   péril  auquel  ils 


1.  R.  1037. 

2.  R.  1038. 

3.  R.  1930. 

4.  R.iSs2. 

5.  R.  1133. 

6.  Les  analogies  sont  moins  littérales;  pourtant,  de  même  que  tantôt  il 
était  question,  des  deux  parts,  du  hlasnie  qu'il  ne  fallait  pas  encourir,  ici  il 
s'agit  de  ne  pas  «  cheoir  en  viltet  «  : 

Se  tu  t'en  vas...  Ne  France  dulce  ja  cheet  en  viltet. 

Crestiente  en  ert  tut  dis  plus  vils 

Cha.  204-5  R-  1064 

Dans  R.  c'est  donc  la  France,  plutôt  que  lemonde  chrétien,  qui  esten  cause 
(cf.  France  en  est  hunie  969;  Franceis  mur  r  uni...  a  viltiet  904;  Tere  major... 
nietrat  a  honte  1489).  Crestientet  est  réservé  à  un  autre  emploi.  Voyez 
3598. 

7.  i?.ioo2.Conip.  3345  :  Clers  fu.  //jurs  7  //  soleil^  luisan:(. 

8.  R.  1807. 


64  M-    WILMOTTE 

s'exposent.   Libre  à  eux  de  s'éloigner  aussi;  aucun  service  ne  les 
lie  à  lui  : 


Vus  n'estes  meus  ne  io  [sui'\  noslre  sire  .     Tu  n'ies  mes   liom,  ne  jo   ne   sui  tis 
Chu.    303  [sire  ' 

Mais  ces  «  cheualers  gentilz  »  -  préfèrent  mourir  avec  lui  >,  et 
c'est  en  invoquant  Dieu  des  deux  parts  qu'ils  lui  affirment  leur 
dévouement  jusqu'à  la  mort  '.  Maintenant,  il  est  d'ailleurs  trop 
tard  pour  battre  en  retraite.  Comme  dans  Roland,  il  faut 
vaincre  ou  mourir  >.  Vivien  a  tait  depuis  longtemps  le  sacrifice 
de  sa  vie  ^. 

Le  premier  corps  à  corps  mérite  de  nous  arrêter  davantage. 
Ce  n'est  guère  qu'un  centon  de  vers  de  Roland: 


1.  Les  mots  sont  les  mêmes,  et,  bien  qu'ils  soient  dits  dans  d'autres  cir- 
constances par  Ganelon  à  Roland  (318),  le  rapprochement  est  légitime. 

2.  Ainsi  dit  le  neveu  de  Guillaume  à  ces  braves  gens  (288);  ainsi  parle 
le  neveu  de  Charlemagne  aux  siens  (1854-55). 

5.  Ci)mp.  Oui  'a  ne  ftiicrai  pur  pour  de  niorir  (Clhi.  293)  avec  Meil:^  voel 
ninrir  que  ja  ftiiet  Je  camp  {R.  2738). 

4.  De  même  Roland  invoque  la  divinité,  lorsqu'il  déclare  qu'il  wq  faillira 
pas  à  .son  frère  d'armes  (1865-6): 

En  celé  lei  qui  Deusen  terre  inist  Ait  vos  Deus  ki  unkes  ne  mentit  ; 

Ne  te  faudrum  tant  cum  tu  serras  vifs      Oliver  frère,  uos  ne  dei    jo   faillir 
Cha.  307-509. 

5.  Vivien  regrette,  comme  Roland,  le  sacrifice  inutile  de  tant  de  guerriers; 
rapprochez  288  ss.  delà  Cbançun.  Et  ces  vers  ne  sont  qu'un  rappel  des  vers 
2360  ss.  où  la  même  pensée  est  exprimée. 

6.  Il  a  fait  vœu,  on  le  sait,  de  ne  pas  tourner  le  dos  à  l'ennemi.  Mais  ce 
qu'on  oublie,  c'est  que  ce  vœu,  Roland  l'avait  fait  aussi  ;  Charlemagne  le 
lui  a  entendu  formuler  à  Aix  : 

D'une  raisun  oï  Rollant  parler 

Ja  ne  murreit  en  estrange  regnet 

Ne  trespassast  ses  humes  7  ses  pers. 
Vers  lur  pais  avreit  sun  chief  turvet 
Cunquerrantvienl  si  finereit  li  hers       (2863-7). 


LA    CHAS'SON  de  ROLAND  Et    1-A    CHANÇUN  DE  WtLLAME      65 

.  .ficrt  un  paen  sur  sa  doble  targe,  E  G.  fiert  un  païen.  .  .  ' 

Tute  li  fent  dd  un  ur  desqua  altre,         Le  cors  li  trenchet  très  l'un  costet  qu'a 

[l'altre^ 
(E)  tienchat  le  braz  qui  li  sist  en  l'enarme  [   Son  bon  espiet  li  me(n)t  en  la  curaille  ' 
Parmi  l'eschine  suii  graiii  espie  (ms.  \  Sun  grant  espiet  parmi  le  cors  li  mist  + 
[espee)  //  passe,  \  Parmi  le  piz  sun espiet  li  mist  fort  5 

[    parmi  le  cors  li  passet 

Tut  estendu  l'abat  luort  en  la  place,        . .  .  l'abat  mort  el  chemin  ' 
Crie  Munjoie,  ço  fu   renseigne  Charle.    Munjoie    escriet  :  c(o)  est   l'enseigne 
C/;rt.  321-27  [CarlunSû 

Et  un  peu  plus  loin,  mais,  cette  fois,  c'est  de  Girard  culbutant 
Estormi  qu'il  est  question  : 

Lescu  lifruilte?  (c)  le  halberc  lirunipi    L'escu  li  frent  z  l'osberc  li  derumpi'" 
Pleine  sa  hanste  del  cheval  Vaball  ;  Pleine    sa    hanste    del   cheual   l'abat 

Quant  Tout  a  terre  un  curteis  mot  li  [mort" 

[(ad)  dit curteisement    a    l'emperere  a 

Cha.  419-22  [dit'= 


1.  R.   1297.  Formule  usuelle,  alternant  avec  vatt  leferir. 

2.  R.   1667. 

3.  R.    1271.  Comp.  1278:  Trenchet   li  lecoer...;  1327  et  1372:   Trenchet 
le  cors...;  1333  :  Trenchet  Veschine... 

4.  R.    1248. 

5.  R.   1947. 

6.  R.   1272. 

7.  R.   1250;  comp.  f/j /a  place  1108,  surtout  Que  mort  Tabat   01  iiiw  noide 
place  1668. 

8.  R.  1234. 

9.  Corr.  freint  ou  fruisset  (Suchier  ;  froisse  Rechnitz). 

10.  On  pourrait  écrire  toute  une  petite  dissertation  sur  les  formules 
qu'emploie  l'auteur  de  Roland  pour  exprimer  cela.  11  y  met  autant  d'adresse, 
sinon  davantage,  que  dans  les  tours  qu'on  a  vu  plus  haut  (p.  60,  n.  2)  servir  à 
exprimer  le  geste  du  vainqueur  abattant  le  vaincu  de  son  cheval.  Freint  est 
le  plus  usuel  des  termes  employés  pour  l'écu  et  rompt  (-pit)  pour  le  haubert 
(1199,1263,  1276,  1283,  1292,  1314,  1354,  1552,  1576  et,  dans  l'épisode  de 
Baligant,  3361,  3425,  3448-9,  3465  (fruisset),  3466,  3570).  Mais  il  y  a  aussi 
desclot  (il ()Cf),  descomfisl  (1247),  desmaille  (1270),  desaffret  (3426),  pour 
désigner  la  fracture  du  haubert.   Cette  variété,  notre  jongleur  en  fait  fi. 

11.  /?.  1204.  Comp.  T229,  1250,  1295,  etc.  C'est  de  style  dans  R. 

12.  R.  3823.  Comp.  1164. 


Roman  ia,     XLIP . 


5 


66  M.    WILMOTTE 

Mais  voici  Girard,  qui,  après  être  rentré  dans  la  mêlée,  s'at- 
taque à  un  Sarraxin  : 

quant  parti  [a  esfor:(]  laisct  currc  a  csfbrz. 

Vint  a  (la)  bataille,  si  ciuii  il  plus  losl    Vait  le  ferir  H  quens  quanquc  il  pout  = 

[poJ'l,  

Fert  un  pacn  sur  la  broine  de  sun  dos  Tute   l'eschine    11   desevrct    del  dos. 

Parmi  Feschi ne  II  mhtV espee  (iut)  fors  '  Od  un  espiet  l'anme  li  getet  fors 

EnpeiiU  le  ben  si  Vad  trébuche  mort.  Empeint  le  ben 

Cha.  435-9.  •     .  .  del  cheval  l'abat  mort  ' 

Cependant  Vivien  voit  faucher  «  la  compaigne  bêle  del  mielz 
de  France  »  ;  il  s'en  désole 

tire  sun  chef  e  sa  barbe,    Tiret  sa  barbe 

Plure  de  ses  oilz Plurent  des  oilz  <... 

Cha.  477-8. 

Il  constate  le  «  grant  damage  »  >  ;  il  parvient  à  rallier  et  à  grou- 
per trois  cents  hommes  ^  ;  il  les  réconforte  et  les  anime  de  son 
mieux  :  «  Ah,  disent-ils,  s'il  erent  [bestesj —  D'ui  a  un  meis 
nés  auriuns  tuez.  »  Et  alors,  d'assez  gauche  façon,  Vivien 
réveille  en  eux  les  souvenirs  du  foyer,  si  naturellement  amenés 
dans  Roland  '. 

1.  Ce  vers  rappelle  le  v.  325  précité  (=: /?o/.  1947  à  peu  près  littérale- 
ment). Il  est  répété,  avec  une  variante,  786  ;  comp.  encore  1859.  C'est  un  tour 
très  usuel  dans /i!.  (1248,  1266,  1271,  1285,  1301,  1306,  etc.). 

2.  R.  I 197-8. 

3.  R.  1 201-4.  On  remarquera  qu'il  n'3^  a  pas  de  «  mosaïque  »  et  que 
sauf  deux  vers  omis  ici,  la  même  suite  s'observe  des  deux  côtés.  Le  v.  437 
de  la  Chançttn  semble  plus  directement  une  altération  du  v.  1201  de  Roland. 
A  csfori  (435)  est  une  correction  de  Suchier.  On  en  voit  la  source  ! 

4.  R.  2414-5.  Comp.  2943. 

5.  Comp.  R.  1340. 

6.  Comp.  le  vers  où  il  s'adresse  à  eux  (503)  à  celui  (1854)  où  Roland 
contemple  les  cadavres  de  ses  compagnons  :  Seigniirs  baruns,  pur  amur  Deu, 
merci  \  Seiguors  barons,  de  vos  ait  Detis  uiercit. 

7.  R.  820-21  :  Dituc  le  reinenibret  des  fins  z  des  honnrs  —  c  des  /'«/i(7<{.«]  c 
des  gentilioixnrs.  Mais  la  ressemblance  est  lointaine,  et,  à  part  la  mention 
des  «  moillers»  (582),  les  termes  différent.  M.  Suchier  (?5.,XXIX,  p.  676, 
note)  a  rapproché  de  ces  passages  des  vers  d'.-/vwf;/.  La  Chevalerie  Vivien  a 
à  peu  prés  littéralement  reproduit  ce  passage  de  la  Chançiin. 


LA    CHANSON  DE  ROLAND  ET   LA  CHANÇUN  DE  WILLAME       67 

Au  loin  les  plaines  se  couvrent  de  Sarrazins,  sans  cesse  plus 
nombreux  '.  Vivien  songea  demander  le  secours  de  son  oncle. 
Comme  Roland  il  a  trop  tardé,  et  sa  démesure  lui  sera  aussi 
funeste  qu'au  neveu  de  Charles.  Mais  si  l'on  peut  concevoir 
que  Roland  fonde  encore  un  espoir  sur  le  retour  de  l'empereur, 
qui  n'est  pas  trop  éloigné  de  Roncevaux  pour  entendre  son  cor, 
on  doit  sourire  de  cette  pensée  tardive  de  Vivien,  dont  l'oncle 
est  à  Barcelone  et  qui,  des  frontières  de  la  Bretagne  ^  lui 
envoie,  à  l'heure  suprême,  un  messager.  C'est  le  cas  de  répéter, 
avec  M.  P.  Meyer,  que  le  rimeur  n'a  nul  souci  de  la  géogra- 
phie, et  d'ajouter  qu'il  n'a  pas  davantage  le  respect  des  vrai- 
semblances littéraires. 

Mais  voici  qu'à  ce  messager  Vivien  (pourquoi?)  rappelle  ses 
exploits  tout  au  long;  il  lui  parle  de  Turleule  rei  et  de  la  mort 
de  Raher  (lis.  Rabeï),  un  mienfedeil.  Ce  Rabel  vient  tout  droit 
de  Roland  \  et  j'ai  à  peine  besoin  de  mentionner  l'hypothèse 
inverse  ^.  Le  rimeur  a  embrouillé  ce  qui  est  clair  chez  Turoldus, 
où  Rabel  tue  le  Sarrasin  Turleu;  il  estropie  le  premier  nom  et 
introduit  assez  bizarrement  le  second  ;  il  est  coutumier  de  ces 
confusions. 

Girard  s'éloigne  ;  il  n'a  pas  fait  un  bien  long  chemin  qu'il  est 
déjà  contraint  de  défendre  sa  vie  ;   la  chaleur,  aussi,  l'accable  : 

Grant  fu  H  chaud...  Granz  estli  calz5 

Cha.  708. 
Vivien,  resté  seul,  oppose  à  ses  adversaires  une  défense  glo- 
rieuse : 


1 .  Quelques  faibles  analogies  peuvent  encore  être  relevées  entre  les  vers 
606  ss.  de  la  Chançun  et  les  vers  1018  ss.  de  Roland  ;  voyez  notamment  le  hru- 
nor  (corr.  Th.  Muller,  Paris)  du  v.  102 1  de  celle-ci,  que  rappelle  le  huniient 
du  V.  609,  le  Cuvetx  en  siint  li  iial  de  R.  1084  et  le  A^^  seit  couerte  ...  de  Cha. 
608;  le  V.  1038  de  R.  et  le  v.  613  de  Cha. 

2.  J'adopte  ici  l'hypothèse  de  Suchier  dans  son  édition,  p.  ui.  Je  ferai 
pourtant  observer  qu'il  exagère  l'importance  des  mots  ei  aliiei  (676).  On  les 
retrouve,  par  ex.,  dans  Gormond  435  :  les  aloes  Saint  Valeri,  et  ailleurs. 

3.  V.  3352  ss. 

4.  Zs.,  p.  665.  M.  Willy  Schulz  se  proposait  de  généraliser  cette  thèse  et 
de  démontrer  la  dépendance  de  Roland  \  Voyez  Zs.f.  fr.  Sp.,  XXXV,  p.  6<^. 

5.  R.  3633. 


68  M.    WILMOTTE 

Dient  paien  :  Ja  nel  verrum  vencu  Paieii  dient .  .  .  . 

Cha.  762.  Ja  n'crt  vcncut. 


La  situation,  en  apparence,  est  la  même  des  deux  parts,  et 
pourtant,  quelle  différence!  Les  Sarrazins  savent,  dans  Roland, 
que  Charles  est  averti  ;  les  sonneries  de  ses  graisles  ont  répondu 
à  celles  de  l'olifant.  Ici,  rien  de  pareil,  et  le  découragement  des 
ennemis  n'est  nullement  justifié.  Pourtant  ils  fuient,  mais  après 
lui  avoir  lancé  les  derniers  traits  : 

Tant  H    lancèrent    guivres   e   tren-    Lançuns  a  lui 

[chanz  darz  Et  il  si  firent  darz  7  wigres  asez^. 
Cha.  769. 

C'est  ici  que  s'intercale  l'épisode  du  barbarin.  Il  a  dû  singu- 
lièrement plaire  au  rimeur  inconnu  (comme  Tépisode  de  l'at- 
taque de  Vivien,  dirigée  contre  un  des  siens,  à  l'auteur  de  la 
Chevalerie  Vivien  ')  puisqu'il  l'a  répété  deux  fois.  Mais  avec 
quelle  gaucherie  !  Diins  RoJ ami,  \\  est  parfaitement  justifié.  Il 
s'agit  de  ce  Sarrazin  qui,  feignant  la  mort,  épie  le  héros,  le 
voit  «  pâmé  sur  l'herbe  verte  »  et  essaie  de  lui  arracher  ses 
armes  en  l'insultant  (2274  ss.).  Ici  on  ne  sait,  la  première  fois, 
d'où  arrive  cet  ennemi  (772  ss.);  la  seconde  fois,  il  accourt 
comme  la  première  «  entre  ses  quisses[il]outungrant  destrer» 
(917;  comp.  773)  ;  la  troisième,  il  n'est  autre  que  Desramé,  et 
se  heurte  à  Guillaume  ;  mais  dans  l'un  et  l'autre  cas  l'emprunt 
est  manifeste,  et  tantôt  Vivien,  tantôt  Guillaume  l'abattent; 
dans  le  y  épisode,  on  lui  adresse  les  tnèmcs  objurgations  que 
dans  R. 

Ultre  lecchere,  maleeiz  ♦  Barbarin. 

A  glut  lecchere,  cum  fus  une  tant  ose    Culvert  paien,  cum  fus  unkes  si  os  >. 

Cha.  788,    1964. 

1.  R.  2146,  2153. 

2.  R.  2154-5. 

3.  Voir  itifra,  p.  82,  n»  i. 

4.  wahieis  (nis.). 

5.  R.  2292.  Ce  cultiert  paien   aurait-il  inspiré,  par  antiphrase,   le  culuers 
Franceis  du  Coromment  Looïs  (833,  1 101)? 


LA    CHANSON  DE  ROLAND  ET    LA    CHANÇUN  DE  WILLAME      69 

Mais  combien  peu  cette  dernière  exclamation,  dans  la  Chaiiçun, 
se  justifie  !  Desramé  est  «  couché  sur  l'herbe  »,  au  lieu  que  ce 
soit  Roland;  il  se  lamente,  et  ne  menace  pas.  Gui  le  voit  «  tra- 
vailler sur  l'erbe  »  et  c'est  lui  que  son  oncle  traite  de  lecchere, 
on  ne  sait  vraiment  pourquoi  (1964);  quitte  à  l'approuver  dix 
vers  plus  loin  (1975).  Tout  cela  manque  de  logique  et  de 
vérité. 

Les  mêmes  observations  pourraient  s'appliquer  aux  scènes 
suivantes.  La  prière  de  Vivien  mourant  contient  de  lointains 
ressouvenirs  de  celle  de  Roland  (et  aussi  de  Charles);  elle  fait, 
d'ailleurs,  suite  à  l'épisode  du  barbarin  des  deux  parts  '. 

Cependant  un  dernier  assaut  est  tenté  par  les  païens  ;  ils 
ne  peuvent  entamer  la  brogne  du  héros,  pas  plus  que  dans 
Roland  ;  ici  c'est  Veillantif,  le  coursier  fidèle  qui  est  «  en  xxx 
lius  nafret  »  ^  ;  là,  c'est  le  héros  lui-même  qui,  quoique 
blessé  en  «  vint  lues  »,  se  redresse  «  cum  hardi  sengler  »  >. 

A  la  fin  il  cesse  la  lutte,  et,  comme  Roland,  il  parcourt  une 
dernière  fois  le  champ  de  bataille.  Mais  alors  que  le  neveu  de 
Charlemagne  reste  «  maître  du  champ  »  (2064  ss.),  Vivien 
est  serré  de  près  par  les  ennemis.  Le  texte  nous  instruit 
mal  des  péripéties  qui  précèdent  sa  mort.  Nous  voyons  les 
Sarrazins,  qui  le  prennent  «  durement  à  haster  »  et  le  couvrent 
de  «  darz  »  et  de  «  guivres  ».  Mais,  déjcà  dans  la  laisse  précé- 
dente, il  n'avait  pu  garder  l'eau  de  la  mer  qu'il  était  allé  boire 
pour  étancher  sa  soif  : 

Sailli  li  est   (arere)  de  la  boche  e  del   

[nies il  oil  11  sunt  trublet 


1.  Comp.  futii  defejit,  perc  (807)  avec  Veire  paterne,  hoi  ccst  jor  me  défend 
(/?.  3100). 

2.  Efi  XXX  Uns  (2160)  détruit  le  vers  dans  Roland  ;  si  on  lit  XX,  le  vers  est 
juste.  Le  prototype  de  la  Ch.  avait-il  XX? 

3.  La  comparaison  préférée  de  Turoldus  est  celle  du  Hou  (et  du  léopard). 
Voyez  les  w.  1 1 1 1,  1888  ;  celle  du  sanglier  se  retrouve  dans  Aliscans  (voyez 
Rennert,  St.  -.  iiltfr.  Stilistik,  p.  49  ;  toutefois  17 19  leupart  comme  dans 
R).  Le  vers  un  àc  R.  a  eu  une  singulière  fortune.  11  a  passé  tout  entier  dans 
Aliscans  (344),  dans  Troie  (15558),  dans  la  Ch.  d'Antiocbe  (II,  912)  ;  comp. 
encore  les  vers  186-7  du  Cor.  Looïs  où  il  est  délayé. 


70  M.    WILMOTTE 

Grant  fut  languisse,    les  oilz  li  sunt   Ne  loinz   ne  près  ne  poet  uedeir   si 

[troblez.  [cler  ' 

Dune  ne  sout  veie  tenir  ne  esgarder. 
Cha.  865-7. 

La  laisse  suivante  éveille  d'autres  soupçons.  Elle  est  en  -an  ; 
or,  dans  le  récit  de  la  mort  de  Roland,  il  est  deux  laisses  qui 
ont  cette  même  terminaison  commune  %  et  plusieurs  vers  de 
suite  nous  offrent  ici  et  là  les  mêmes  mots-assonances  \  ce  qui 
peut  difficilement  être  dû  au  hasard.  D'autres  coïncidences  sont 
à  relever.  C'est  d'abord  Vivien  errant,  comme  Roland,  dans  la 
plaine . 

Vivien  eire  a  pe  par  mi  le  champ  Rollanz  s'en  turnet  par  le  camp  ■♦... 

Chet  lui  son  healme  sur  le  nasel  le  helme  li  embrunchet  s. 

■  [deuant. 
Cha.  883-4. 

Sa  mort  est  proche  : 

La  sue  mort  leuaitmult  destreignant.    La  sue  mort  li  va  mult  angoissant  '. 
Cha.  891 . 

Lorsqu'il  est  tombé,  pour  ne  plus»  se  relever,  le  poète  le 
plaint  : 

Ço  fu  damage  quant  si  prudomechet.    Or  est  grand  doel  quant  Farcevesque 
Çha.  922.  ^        [chiet  '. 

Cependant  Guillaume,  qui   a  appris  le  désastre,  est  hésitant. 

1.  R.  1991-2. 

2.  Laisses  167  et  176  (éd.  Th.  Mùller). 

3.  Les  vers  2228-32  sont  à  considérer.  Les  mots-assonances  sont  avant- 
sanc-camp-avatit-augoissiDil.  Dans  la  Chiutçuii,  champ  précède,  il  est  vrai,  un 
peu  (883)  ;  avant  et  sanc  se  suivent  (888-9)  '■>  '^  dernier  vers  de  la  laisse 
(891)  a  destreignant,  mais  tout  le  reste  du  vers  est  semblable  à  2232  de 
Roland  (voir  dans  le  texte). 

j.  R.  2184. 

5.  R.  2019;  comp.  5504-5. 

6.  R.  2232. 

7.  R.  208'- 


LA    CHANSON  DE  ROLAND   ET   LA    CHANÇUN  Dh  IVILLAME      Jl 

Sa  femme  essaie  de  le  réconforter.  Elle  lui  confie  son  neveu  ; 
s'il  ne  le  ramène  pas  d'une  expédition  devenue  nécessaire,  il  ne 
goûtera  plus  ses  caresses  '.  Dans  tout  cet  épisode,  l'auteur  sui- 
vait une  autre  source,  qu'on  retrouve  utilisée,  d'ailleurs,  dans 
Aliscans  ;  il  a  simplement  répété  deux  fois  ces  préparatifs  d'une 
nouvelle  campagne,  et  il  a  envoyé  trois  fois,  au  lieu  de  deux, 
Guillaume  contre  les  Sarrazins.  L'armée  réunie  par  Guillaume 
s'ébranle  ;  elle  est  bientôt  en  présence  des  ennemis  (car  les  dis- 
tances n'existent  pas  ici).  En  quelques  vers  le  poète  résume  la 
défaite.  Il  reste  en  tout  «  trois  écus  »  sur  le  champ  de  bataille. 
C'est  d'abord  Girart;  il  est,  comme  Vivien  %  blessé  en  trente 
lieux  : 

Crie  et  husche  quant  la  mort  l'apro-   Ço  sent  Roll.  que  la  mort  li  est  près  î. 

[cad. 
Cha.  1141. 

Les  païens,  encore  une  fois,  s'enfuient  sans  ombre  de  rai- 
son : 

les  vint  fuient  del  val  Paien  s'en  fuient,  puis  si!  laisent  es- 

[ter^. 

Respunt  Girarz  :  Sire,  laissez  (ce)  ester. 
Cha.  1145  et  1149. 

Il  ne  veut  pas  qu'on  l'emporte  à  cause  de  ses  «  granz 
plaies  »  %  mais  qu'on  le  hisse  sur  un  cheval,  lui  donne  une 
sorgée  de  vin  et  l'envoie,  une  dernière  fois,  à  l'ennemi.  Guil- 
laume  lui  rend  ce  service^.  Puis  vient  Tépisode  du  troisième 
harbarin,  dont  je  me  suis  déjà  occupé.  Ce  personnage  n'a  pas  eu 
meilleur  sort  que  les  deux  autres  : 

1.  Ne  girras  mes  entre  mes  bras  (1035).  C'est  ce  dont  Olivier  menace 
Roland,  fiancé  de  sa  sœur  :  tie  jerreiei  ja  mais  entre  sa  brace  (1721).  Comp. 
encore  1022  avec  R.  1362. 

2.  Ett  trente  lins...  Comp.  Roi.  2160  :  en  XXX  Uns  nafret,  et  voyez  la 
note  2  de  la  p.  69.  De  même  les  wigres  etespie:^  de  R.  (2155-6)  reparaissent 
ici  :  ...  par  mi  le  cors  d'espeie^  et  de  dur::;^  (1140). 

3.  R.  2259. 

4.  R.  2162. 

5.  Voy.  /?.  2173  :  £«  ses gran:( plaies...  ». 

6.  Comparez  le  v.  1169  de  la  Chançun  avec  le  v.  2391  de  R.  (le  chef  (\m 
pend  sur  senestre  là,  qui  est  enclin  ici)  ;  lointain  ressouvenir  peut-être. 


72  M.    WILMOTTE 

(E)  fier  le  paien  de  sur  le  tuenard,        Par  grant  vertu  si  l'est  alct  ferir  ', 

Enpeint  le  ben,  par  grant  vertu  l'abat    

Cha.  1222-3.  Enipeint  le  ben = 

Nouveau  retour  à  Barcelone.  Nous  nous  éloignons  forcément 
de  Turoldus  pour  revenir  à  la  vieille  légende  de  Guillaume  '. 
L'épisode  de  Guiot  est  également  traditionnel  dans  celle-ci. 
Desramé  est  vainqueur  (1679),  et  pourtant,  sans  rime  ni  rai- 
son, nous  voyons  les  Sarrazins  en  pleine  déroute.  Desramé 
blessé  et  abandonné  par  les  siens  (1854,  i8éi,  1877).  Où  cher- 
cher l'explication  de  cette  contradiction  dans  le  récit?  Dans 
Roland,  je  crois.  Car  Roland  est  vainqueur;  tous  ses  compai- 
gnons  sont  morts;  lui-même  va  succomber;  mais  il  reste 
maître  du  champ  ;  il  le  reste  parce  que  les  Sarrazins  savent  que 
la  vengeance  est  proche, 'et  peut-être  entendent-ils  déjà  les  son- 
neries de  clairon  de  la  grande  0^/  de  Charlemagne^, 

Guillaume  va  tenter  un  dernier  effort  ;  pendant  que  Guiot 
va  se   réconforter    dans    le    uiaisniJ,    lui,  tient  tête   à  l'orage  : 

Li  quons    Willame,  quant  il  les  ueit    Li  quens  RoUanz,  quant  il   les  ueit 

[uenir,  [uenir  J. 

Crie  Munjoie,  sis  vait  tuz  enuair  

Cha.  1799- 1800.  En    la    grant     presse     les     vait    tuz 

[enuair 

1.  K.  1246. 

2.  R.  1249  et  passim. 

5.  Toutefois  de-ci  de-là  on  perçoit  encore  un  écho  de  Roland.  Voyez  le 
V.  1395,  qui  semble  avoir  été  fait  des  vers  3398-99  de  R.  (dont  les  assonances 
ont  survécu);  comparez  encore  1651  ss.,  avec  R.  3537-9.  Lorsque  Guillaume 
rapporte,  en  travers  de  sa  selle,  le  cadavre  de  son  neveu  Guichard,  Guibourc, 
si  vaillante  qu'elle  soit,  a  un  moment  de  faiblesse  ;  elle  regarde  ce  pauvre  corps 
exsangue,  ce  visage  «  troble  »,  cette  langue  paralj-sée,  ces  yeux  «  turnez  ». 
Sur    le     mentun    li    enbrunchat   sun     Paien  i  ba[i]ssent  lur  chef  et  lur  men- 

[halme  [tun, 

Lor  helmes  clers  i  suzclinent  enbrunc 
Cha.   1300.  R.  3275-4. 

4.  Le  poète  a  bien  essayé  d'expliquer  cette  fuite  (voyez  les  w.  1786-7)  ; 
mais  l'allusion  à  la  venue  de  Guillaume  n'a  pas  de  sens.  Guillaume  ne  vien- 
dra pas  ;  il  est  venu  et  a  été  défait.  Il  ira  en  France  chercher  du  secours  ; 
mais  c'est  être  bien  circonspect  que  de  s'enfuir  en  prévision  de  cela  ! 

3.  R.  2124. 

6.  A'.  2129. 


LA    CHANSON  DE  ROLAND   ET    LA    CHANÇUN  DE   WILLAME     73 

Puis  c'est  la  débandade  des  païens'  (1854  et  1864  -).  Guil- 
laume chevalchet  par  le  camp  '  ;  son  neveu  Guiot  le  suit  à  pied, 
de  même  que  dans  R.  le  héros  aperçoit  l'archevêque  privé  de 
son  cheval  (2138).  Mais  de  nouvelles  analogies  nous  pressent; 
je  veux  parler  du  combat  avec  Desramé  : 

Willame  fiert  le  paien  en  le  healme,      Si  fiertN.  en  l'elme  principal, 
L'une  meite  l'en   abat  sur  [la]  destre,    L'une  meitiet  l'en  fruissed...  -t 
Del  roiste  colp  s'enclinat  vers  [la]  tere    Granz  fu  li  colps,  li  dux  en  estonat  s 
E  enbraçad  del  destrer  (le)  col  e  (les)    De  son  destrer  le  col  en  enbraçat  ' 

[rednes    

Al  trespassant  le  bon  cunte  Willame      Trenchet    la    coife     entresque    a    la 
Tute  la  quisse  li  trenchad  (de)  sur  la  [char  1 

[sele    Jus  a  la  tore  une  pièce  en  abat  s. 
(E)  de  l'altre  part  chiet    li  bues  a   la 

[terre . 
Cha.   1919-25. 

Desramé  est  abattu.  Alors  il  adresse  à  son  cheval  un  dis- 
cours, qui  rappelle  ceux  de  Guillaume  à  Baiichant  dans  AUscans  ** 
(504  ss.  ;  656  ss.,  etc.),  mais  surtout  celui  de  Roland  à  son 
épée.  Car  c'est  dans  R.  que,  semble-t-il,  l'auteur  de  la  Chançun 
a  pris  quelques-uns  des  détails  de  cette  longue  plainte  : 

Ha  Balçan,  bon  destrer,  tant  iiiar  fus-    E  Durendal,  bone,  si  mare  fustes  !'" 

[tes! 

Vostre  gent   cors  (e)  voz   riches  am-    

[bleures 

1.  1839  rappelle  étroitement  le  v.  5365  de  R. 

2.  Comp.  R.  2460-62. 

3.  1879;  comp.  R.  3465  :  /_/  amiral^  clh'valchet  par  h'  camp. 

4.  R.  3452-3- 

5.  R.  3438. 

6.  R.  3440. 

7.  R.  3436.  Est-ce  un  simple  hasard  qui  a  fait  substituer  a'/V.çf  (quisse)  à 
coife  ? 

8.  R.  3437.  Sauf  l'ordre  dérangé,  tous  ces  vers  se  suivent  à  peu  près  dans 
R.  comme  dans  la  Chaiicun. 

9.  C'est  Aerofle  qui,  dans  AUscans,  est  privé  de  son  coursier  par  Guillaume 
(éd.  Guessard,  v.  131 3  ss.). 

10.   R.  2304. 


74  M.    WILMOTTE 

La  me  portas  v  ma  cuisse  ai  perdue  ;     

Tantes  batailles  sur  vus  ai  venciies  ;        Tantes  batailles  en  camp   en  ai  ven- 
Meillur    cheual     n'ad    sur    (sic)   les  [eues  ' 

[nues 

Paene  gent   en  auront  grant  rancune par  doel  e  par  rancune  ^ 

Cha.  194 1-6. 

Cependant  (et  nous  voici  dans  la  seconde  partie  de  la  chan- 
son) Guillaume  erre  sur  le  champ  de  bataille.  Il  trouve,  enfin, 
Vivien  couché  près  d'une  fontaine.  C'est  ainsi  que  Roland  a 
trouvé  l'archevêque  (2246)  : 

Ses  Manches    mains    croisies    sur   le    Cruisiedes  ad  ses  blanches  [mains],  les 

[flanc.  [beles  > 

Cha.  1990. 

Il  se  prend  à  regretter  cette  chère  victime  : 

Puis  regrette  tant  doîerusement  4  :  Mult  dulcement  a  regreter  le  prist  : 

Vivien  sire,  niar  fu  tun  hardement,  Sire  cumpaign,    tant  mar  fustes  har- 

Tun  vasselage,  ta  pruesce,  tun  sen.  [diz  > 

Quant   tu  es  mort,  mes  n'ai  [je]   bon     

[parent;  Quant  tu  es  mor[z]  dulur  est   que  jo 

N'auerai  mes  tel    en  trestut  mun   vi-  [vif^. 

[liant. 
Cha.  1995-9. 

Mais,  cette  fois,  c'est  à  Charlemagne  que  pense  le  rimeur 
inconnu,  qui  nous  a  laissé  la  Cbançun.  La  désolation  du  vieil 
empereur  lui  a  dicté  la  pensée  et,  en  partie,  les  termes  de  celle 
qu'il  attribue  à  Guillaume  :  juveniebele,  dit  celui-ci,  et  Charles 
avait  dit  :  ...  pn^doem,  jiivente  hele''.  Mais  Vivien  se  ranime  et 

1.  R.  2306. 

2.  R.  2301. 

5.  R.  2250.  Le  vers  suivant  dans  Cha.  est  Ghit,  dit  Witlame,  de  ta  raisun 
nai  cure  ;  il  rappelle,  au  moins  par  des  consonances,  la  fin  du  v.  2^(1)  de  R. 
{de  nos  n'en  ai  mais  cure). 

4.  Comp.  le  V.  201 5  :  Dune  le  regrette  dulcement  e  suef. 

5.  R.  2026-7. 

6.  R.  2030. 

7.  Cha.  2000.  Comp.  R.  2916. 


LA  CHANSON  DE  ROLAND   ET    LA    CHANSON  DE  WILLAME      75 

fait  son  mea  culpa.  Il  nous  faut  rebrousser  chemin  et   ressusci- 
ter Roland  : 

Deus,  ;«^/[e]  colpe  des  Tore  que    fu     Deus  nieie  colpe ' 

[nez 
I)ol  mal  que  ai  fait  des  pecche^  e  de     De  mes  pecchez,  des  granz  7  des  me- 

[lassetez.  [uuz  - 

Cha.  2042-5.  , 

Vivien  meurt.  Guillaume  reste  en  foce  de  cette  chère 
dépouille,  et  se  met  à  pleurer.  Hélas  !  de  nouvelles  attaques  le 
forcent  à  faire  trêve  à  son  deuil  et  à  se  défendre.  Il  doit 
renoncer  à  emporter  le  corps  de  son  neveu.  Guiot  est  jeté  à 
bas  de  son  cheval  et  fait  prisonnier  sous  les  yeux  de  Guillaume 
impuissant.  Le  désastre  est  complet  \  Le  héros  va  avoir  un 
dernier  combat  à  soutenir.  C'est  avec  Alderufe.  Celui-ci  admo- 
neste son  adversaire  et  l'engage  à  se  convertir  à  Mahomet.  Le 
comte  s'en  indigne;  puis  ils  en  viennent  aux  mains  (ce  qui 
donne  lieu  à  des  répétitions  fastidieuses  4)  ;  encore  ici  les  rémi- 
niscences de  R.  ne  sont  pas  rares  : 

Tut  premereins  sur  ses  pez  sait  sus        Isnelement  le  ber  resailit  sus 

Li  quons  Willame,  si  est  sure  coruz     puis  si  li  est  corut  5. 

Cha.  2139-40. 

Guillaume  blesse  Alderufe  et  le  jette  à  bas  de  son  cheval, 
dont  il  s'empare  : 

Quand  saisi   ad  l'arcun,  (li  bers)    si 

[muntad  sus, 
Si  l'ad  broche  des  esperuns  aguz.  Brochet  le  bin  des  aguz  esperuns^. 

Cha.  2151-3. 

1.  K.  2569. 

2.  R.  2370. 

3.  Le  comte  est  resté  seul  sur  le  champ  de  bataille  :  Aior;^  sunt  Franceis... 
(2091);  comp.  R.   1726  :  Franceis  sunt  mor:^. 

4.  Le  vers  2145  est  la  répétition  partielle  du  v.  1924  ;  comp.  2147  avec 
1925. 

5.  A  propos  de  saillir,  v.  la  note  de  Zûchner,  op.  cit.,  p.  52,  qui  dit  n'avoir 
trouvé  (re)saillir,  dans  ce  sens,  que  dans  R  (2085-6). 

6.  R.  1530.  Comp.  R.  1225,  1245,  1506,  1944,  3353;  Coron.  Looïs,  1208, 
1229. 


yé  M.    WILMOTTE 

La  suite  n'est  guère  qu'une  répétition  assez  fade  de  l'épisode 
de  Desramé  vaincu,  désarçonné,  blessé  et  regrettant  la  perte  de 
son  coursier.  Puis  vient  le  retour,  si  accidenté,  de  Guillaume  à 
Orange.  Ici,  la  tradition  reprend  ses  droits.  Pourtant  les  rémi- 
niscences ne  sont  pas  rares.  C'est  ainsi  que  Guillaume  va  frap- 
per Corbaran  : 

Si  vait  ferir  Corberan  d'Oliferne  SiuaitTerir'    ... 

L'escu  li  freinst,  (e)  le  halberc  li  de-    L'escut     li    freint    z    l'osberc  li   de- 

[serre,  [rumpt  ^ 

Pleine  sa  hanste  l'abat  mort  a  tere         

Cha.  2299-501  Pleine   sa  hanste  l'abat  mort  des  ar- 

[çuns  5 . 

Et  lorsque,  rentré  enfin  dans  son  château,  Guillaume  se  voit 
interpellé  par  Guiborc  :  qu'as  tu  fait  de  ta  gent,  etc.,  on  ne  peut 
pas  ne  passe  ressouvenir  de  la  laisse  211  de  Roland  et  des 
remords  de  Charlemagne. 

Mais  nous  arrivons  à  l'épisode  de  la  visite  à  Louis  ;  les  ana- 
logies manquaient  ici  ;  elles  ne  se  manifesteront  plus  que  sur 
le  champ  de  bataille,  où  l'imagination  de  notre  rimeur  est  à 
court,  et  où  il  trouve  plus  aisé  de  puiser  dans  l'arsenal  descrip- 
tif de  son  devancier  1  : 

Dient  Franceis  :  pur  ralme(s)   a  noz  Dient  Franceis  > 

[pères  Fier  de  [taj  lance  et  jo  de  Durendal  '' 

Tant  i  t'crum  de  lances  e  d(es)  espees,  

Apres  noz  morz  en  ert  France  dotée.  L'enseigne  Garle  n'i  devum  oblier; 

A  icel  mot  fu  Munjoie  escriee,  A  icest  mot  s'unt  Franceis escriet... 

1 .  R.  1 5  3 1  ;  de  lyiême,  1575. 

2.  R.  1532. 

5.  /?.  1 5  34  ;  observez  que  les  vers  se  suivent  des  deux  parts. 

4.  Je  n'insiste  pas  sur  telle  ou  telle  coïncidence  de  détail.  Voyez,  par 
exemple,  les  vv.  2635-57  (préparatifs  de  l'empereur)  et  comparez  R.  2613, 
262  3.  Le  V.  266)  ne  place  nuques  Deus  fait  chanter  dans  la  mémoire  le  \'e  place 
Dell  ne  ses  sain^  ne  ses  angles  (1089,  3718)  de  R.  Comp.  encore  qnani 
Valbe  péri  (2717)  avec  quant  primes pert  li  albe  (R.  2845). 

5.  Dient  Franceis  iatroduh  onze  vers  dans /îoAjhJ  (278,  554,  1047,  1501, 
1536,  1609,  1669,  3275,  5299,  5343,  3558);  je  le  relève,  à  cet  endroit  de  la 
Clhinçun,  3  fois  en  150  vers  (2784,  2901,  2934). 

6.  R.  II 20. 


LA  CHANSON  DE  ROLAND   ET    LA    CHANSON  DE  IVILLAME       77 

L'enseigne  Charles  de  France  l'empe-    Ki  dune  oïst  Munjoie  demander  ■ 

[rere 

Beissent  les  lances,   as  païens  se  ius-    Francs  et  païens  as  les  uus  ajustez  2 

[terent . 
Cha.  2954-9. 


II 


Je  ne  sais  si  je  m'illusionne.  Mais  des  analogies  littérales 
portant  sur  plus  d'une  centaine  de  vers,  les  uns  isolés,  les  autres 
groupés  en  séries,  ne  paraîtront  à  aucun  de  mes  lecteurs  l'effet 
du  hasard.  Il  n'y  a  pas,  d'ailleurs,  que  ces  analogies  ;  il  y  a  les 
motifs  épisodiques  eux-mêmes.  Les  uns  sont  communs  à  toutes 
les  versions  de  la  tragique  aventure  de  Vivien  ;  je  n')^  insiste 
pas.  Les  autres  ne  se  retrouvent  que  dans  la  Chançun;  or,  parmi 
eux,  il  en  est  qui  n'ont  demandé  aucun  eff"ort  d'imagination  à 
l'auteur  de  celle-ci  ;  il  en  est  qu'il  eût  fait  sagement  de  ne  pas 
introduire.  La  demande  de  secours  de  Vivien,  l'inquiétude  et 
la  fuite  des  païens  vainqueurs  sont  de  ceux-là.  On  les  a  vus  jus- 
tifiés admirablement  dans  Roland  ;  ici  ils  ne  sont  nullement 
plausibles.  De  même  les  regrets  arrachés  successivement  à  deux 
rois  païens  par  la  perte  de  leur  coursier  n'ont  pas  l'opportunité 
et  ne  produisent  pas  l'effet  des  adieux  de  Roland  à  son  épée, 
d'où  ils  descendent  en  droite  ligne.  Ajoutez  la  triple  répétition 
de  l'épisode  du  barbarin,  chaque  fois  suivi  du  petit  discours 
indigné  de  celui  qui  remplace  ici  Roland  moribond.  Ajoutez  la 
mention  inutile  de  Rabel,  le  détail  répété  deux  fois  de  Tedbalt 
(et  des  Français)  montés  sur  le  tertre,  et,  comme  Olivier,  se 
rendant  compte  de  l'impossibilité  de  vaincre.  En  fait,  le  procédé 
réduplicatif  est  constant  ici.  S'il  se  limitait  à  l'insistance  sur 
l'idée  dans  trois  laisses  successives,  où  il  arrive  que  Turoldus 
lui-même  se  répète  à  peu  près  littéralement,  ne  modifiant  que 
le  mot-assonance,  les  vers  du  début  ou  de  la  fin,  je  n'y  pren- 
drais point  garde.  Mais  non;  le  simplisme  de  notre  anonyme 
est  plus  accommodant.  Il  n'hésite  pas  à  mettre,  vingt  vers  plus 


\.  R.  i  179-81, 
2.  R.  1187. 


78  M.    WILMOTTE 

loin,  dans  la  bouche  d'un  messager  ce  qu'il  a  déjà  dit  sous  une 
forme  subjective(voyez  vers  12-18  =  38-44);  il  raconte  impertur- 
bablement deux  fois  l'épisode  du  harbarin  qui  attaque  à  l'impro- 
viste  Vivien  et  le  blesse,  et  cela  à  125  vers  d'intervalle  (772  ss., 
916  ss.);  il  replace  dans  la  bouche  de  Girard,  sans  y  changer 
quoique  ce  soit  d'important,  les  25  vers  constituant  l'essentiel 
du  message  que  lui  a  confié  Vivien  (650-64  et  678-87;  977- 
looi)  ';  il  nous  montre  la  même  chaleur  accablante  assoiffant 
Viviente  Girard  (708  ss.  ;  836  ss.)  ;  il  fait  redire  deux  fois,  en 
partie,  la  même  oraison  à  Vivien  mourant  (799  ss.  ;  896  ss.);il 
se  sert  à  peu  près  des  mômes  mots,  ne  variant  que  l'assonance, 
et  cela  partiellement,  pour  décrire  le  secours  tardif  que  Guillaume 
porte  à  Girard,  puis  cà  Guischard  (1133  ss.  ;  1175  ss.)  ;  encore 
n'avait-il,  on  l'a  vu,  pas  pris  la  peine  d'inventer  ces  quelques 
vers  ;  il  les  avait  simplement  découpés  dans  la  chanson  de  Roland  ; 
c'est  à  celle-ci  qu'il  emprunte  deux  des  quatre  vers,  à  l'aide  des- 
quels il  décrit  les  dernières  palpitations  de  la  vie  animale  chez 
Girard  (r  167-70)  ;  mais  comme  il  est  extrêmement  économe 
de  sa  peine,  il  estime  que  ces  vers  seront  d'un  bon  placement, 
lorsqu'il  nous  montrera  Guischard  mort  déjà  depuis  quelque 
temps  et  qu'on  retire  de  la  selle  du  cheval  de  Guillaume,  pour 
le  déposer  sur  le  sol  (1297-1300)  ! 

En  somme  (et  sous  réserve  d'autres  imitations  qui  nous 
échappent)  on  doit  admettre  que  notre  anonyme  avait  dans  la 
tête  de  nombreux  vers  de  Roland,  que  ses  récitations  lui  avaient 
rendus  familiers  ;  il  les  enchâssait  au  hasard  du  souvenir  et  au 
petit   bonheur  de  l'occasion  dans   un   récit  remanié  par  lui  % 


1.  Le  vers  658  est  omis;  sans  doute  le  scribe  était  distrait. 

2.  Je  dis  :  remanié,  sans  prétendre  me  prononcer  sur  la  question  de  savoir 
s'il  y  a  eu  une  chanson  plus  ancienne,  offrant  à  peu  près  le  même  déroule- 
ment (pour  certains  épisodes  —  voir  infra  —  cela  semble  assuré).  M.  Suchier, 
qui  est  de  tous  nos  confrères  celui  qui  a  le  plus  minutieusement  scruté  ces 
3553  vers,  suppose  (mais  que  ne  suppose-t-il  pas!)  «  que  Raiuoart  (/est-à. 
dire  les  vers  1^84  et  ss.')  a  été  composé  pour  servir  de  suite  à  un  autre 
Vivien,  à  un  Vivien  plus  fortement  remanié,  donc  moins  ancien  »  {Zs.  f.  r. 
Ph.,  XXIX,  677);  il  essaie  d'expliquer  ainsi  certaines  contradictions  entre 
les  deux  parties  de  l'œuvre,  en  quoi  il  se  donne,  à  mon  sens,  une  peine 
inutile.  Il   est  vrai    qu'avant   conféré  à  l'auteur    des  talents    exceptionnels, 


LA    CHANSON  DE  ROLAND   ET    LA    CHAMÇUN  DE  IVILLAME     79 

allongé  ou  raccourci  arbitrairement,  selon  le  besoin  de  son 
commerce.  Ces  vers  provenant  de  plusieurs  sources  devaient 
aussi  provenir  de  plusieurs  lieux,  et  peut-être  de  plusieurs 
temps.  C'est  ce  qu'on  perd  de  vue  en  s'appuyant  sur  l'une  ou 
l'autre  rime  '  pour  tirer  des  conclusions  tranchantes.  Il  arrivait 
aussi  qu'à  cent  vers  d'intervalle,  le  jongleur  dît  blanc  et  noir. 
L'auditoire  auquel  il  s'adressait  ne  devait  pas  s'en  offenser  ;  lui- 
même  n'avait  aucun  scrupule,  par  exemple,  à  tuer,  puis  à  res- 
susciter un  héros,  comme  l'auteur  de  tant  de  romans-feuille- 
tons ^  !  Qui  donc  lui  aurait  reproché  d'avoir  appelé  Balzan 
{\'Ar.  Balcan  ;  comp.  1547  avec  1556)  le  cheval  confié  à  Guiot  par 


et  notamment  lui  a\'ant  reconnu  «  eine  bewusste  Kunst  und  eine  feine  psy- 
chologische  Walîrheit  »  (Einl.,  p.  xxxv),  il  devait  bien  le  disculper  d'étour- 
deries  aussi  criminelles  que  celles  qu'on  relève  dans  la  Chançun. 

1.  Par  exemple  à  :  è  n'assonerait  que  dans  la  2^  partie  ;  toutefois  (voyez 
Suchier,  Zs.  f.  r.  Ph.,  XXIX,  p.  642,  note  3)  on  est  contraint  à  des  correc- 
tions pour  établir  cette  démarcation  sans  intérêt.  De  même  qu'importe  si 
d'une  part  Vivien  assone  en  ie  et,  d'autre  part,  en  à\  C'est  à  débattre  avec 
le  jongleur  de  11 30,  qui,  s'il  pouvait  nous  entendre,  serait  sans  doute  bien 
surpris.  Dans  la  fc  partie,  Guillaume  est  à  Barcelone,  dans  la  2^  à  Orange. 
Je  n'en  disconviens  pas  et  je  ne  m'en  émeus  pas  non  plus.  Chez  Victor 
Hugo  (et  encore)  je  serais  choqué  de  noter  une  telle  négligence  ;  mais  chez 
le  rimeur  dont  nous  nous  occupons  !  En  revanche  on  néglige  des  analogies 
tout  aussi  significatives.  A  propos  des  vers  1720  et  ss.  (donc  de  la  première 
partie),  M.  Weeks  déclare  que  «  tout  le  monde  reconnaîtra  une  altération  pos- 
térieure et  le  raccommodage  le  plus  grossier.  En  effet  ce  passage  cadre  parfaile- 
))U)tt  avec  la  rédaction  D  et  ne  peut  venir  que  de  là(Romania,  XXXVIII,  2).  »  Il 
est,  en  effet,  bien  fâcheux  qu'ici  les  deux  versions  coïncident.  M.  Suchier  a 
éprouvé  ce  déplaisir.  Et  comment  s'est-il  tiré  d'affaire?  En  recourant  à  des 
amputations  qui  ont  varié  avec  ses  scrupules  :  «  Als  unecht  in  Abzug  zu  brin- 
gen  »,  écrit-il  bravement  (Z5. /.  r.  Ph.,  XXIX,  p.  645).  Il  a  d'abord  écarté 
les  vers  1711-28,  puis  1707-28,  ou  plus  exactement  1707-25  (car  il  conserve 
1726-8,  qu'il  numérote  1729-31  et  qu'il  corrige  arbitrairement).  Voulez-vous 
encore  un  fait?  M.  Weeks  retrouve  au  vers  23 11,  donc  dans  la  2^  partie,  la 
grande  bataille  livrée  sous  les  murs  d'Orange  déjà  mentionnée  aux  vers  665- 
75.  On  pourrait  en  tirer  argument  pour  rcconnaitre  l'identité  des  souvenirs 
de  celui  qui  écrit.  Mais,  cela  contrarierait  son  système,  il  n'y  prête  pas 
attention.  Remarquez  qu'il  s'agit  d'un  événement  important,  faisant  partie 
d'une  œuvre  perdue  ;  la  mention  répétée  n'en  a  que  plus  de  prix. 

2.  Voyez  Bédier,  Légendes  épiques,  I,  307  ss. 


8o  •       M.    WILMOtTE 

sa  tante  Guihorc  et  aussi  la  monture  du  roi  Deramed,  que 
ledit  Guiot  enfourche  après,  au  risque  de  créer  une  inutile  con- 
fusion ?  Qui  se  serait  souvenu,  lorsqu'il  met  Alderufe  en  face 
de  Guillaume  au  vers  2095,  que  ce  même  personnage  avait, 
jadis,  dans  une  énumération  aussi  fantaisiste  que  celle  des 
aïeux  de  Ruy  Gomez,  été  nommé  au  vers  376  parmi  les  Sarra- 
zins  tués  par  Vivien  ?  Est-ce  que  l'auteur  de  Roland,  homme 
autrement  doué  et  sûr  de  ses  effets,  ne  tue  pas  et  ne  ressuscite 
pas  un  personnage,  à  60  vers  d'intervalle  '  ?  Et  si  l'auteur 
d'Aliscaiis,  qui  n'est  pas  le  premier  venu,  a  eu  sous  les  yeux 
notre  texte,  comme  on  le  prétend,  pourquoi  ne  s'est-il  pas  sou- 
venu que  dans  l'énumération  dont  il  s'agit  figurait  Borel,  autre 
victime  de  la  rage  guerrière  de  Vivien,  et  n'a-t-il  pas  estimé 
sage  de  ne  pas  faire  figurer  dans  son  récit  ce  même  Borel,  à  plu- 
sieurs reprises  %  après  la  mort  de  ce  héros? 

On  n'a  déjà  que  trop  insisté  sur  la  disgrâce  esthétique  des 
deux  expéditions  successives  de  Guillaume,  qui  allongent  inu- 
tilement de  quelques  centaines  de  vers  la  première  partie.  Si 
l'auteur  de  la  Chançun  avait  eu  cet  «  art  conscient  »,  qu'on  lui 
a  prêté  si  gratuitement,  il  aurait  pensé  à  l'effet  d'autant  plus 
fâcheux  de  cette  répétition  qu'il  n'en  variait  même  pas  la  forme  ; 
si  on  admet,  de  plus,  comme  je  le  fais,  qu'il  a  écrit  les  1574 
derniers  vers  du  poème,  que  dire  d'un  écrivain  qui  raconte 
trois  fois  le  même  événement  dans  un  ouvrage  aussi  écourté  '? 

Son  troisième  récit  est  le  seul  qu'il  y  ait  intérêt  à  rapprocher 
à'Aliscans  ;  mais  ce  rapprochement  ne  va  pas  sans  en  entraîner 
un  autre.  Si  d'une  part  Aliscans  a  un  certain  nombre  de  vers 
communs  avec   notre  poème  ^.  et   si  d'autre  part,  il  offre  des 


1.  Turgis  meurt,  aux  vers  1282  ss.,  de  la  maiu  d'Anséis,  au  vers  1358 
de  la  main  d'Olivier.  Je  réserve  le  cas  de  Falsarun,  et  celui  d'Estorguz 
(Estorganz),  parce  qu'il  y  a  doute  sur  l'identité  du  personnage. 

2.  Voyez  les  vers  1778  et  5691  d' Aliscans. 

3.  Ainsi  s'explique  aussi  la  discrétion  plus  grande  des  plagiats  dans  la  der- 
nière partie.  Le  rapetasseur  ne  pouvait  plus  butiner  aussi  aisément. 

4.  AUscaiis  (je  cite  l'édition  de  Halle)  n'offre  que  de  lointaines  affinités 
avec  les  1979  premiers  vers  de  l'œuvre  ;  dans  la  suite  les  identités  vont  se 
multipliant  et  se  précisant.  Je  citerai  (sans  avoir  l'ambition  d'être  complet  et 
en  renvoyant  à  M.    Bédier,  op.   cit.,   I,    80   et  à  ses  sources)  les  vers  1982 


LA    CHANSON  DE  ROLAND  ET   LA    CHANÇUN  DE  WJLLAME     8l 

analogies  indéniables  avec  Roland^  y  on  peut  se  demander  si  ces 
dernières  lui  appartiennent  en  propre,  et  non  à  sa  source.  On 
peut  se  poser  la  même  question  pour   la  Chevalerie    Vivien^  où 

(parttm)=z  A.  670  ;  1987  =r  A .  695;  1988  =  A.  697;  1991-5  =  A.  724- 
'J26-'J2']  (paiiiiii)  ;  ii^()6  =:  A.  "^o(partiiii);  2000  =  .4.  752;  2002-4=  A. 
768-70;  2017  =:  A.  783  (partini);  2019  =  A.  793  (partiui)  ;  2020  =  ^. 
794;  2051  =  A.  865  (parlini):  2052  =  A.  868  ;  2053-54  =  var.  de  A. 
889-90  (voir  éd.  de  Halle,  p.  575);  2056^  A.  ^$0  (partim).  Les  var.  four- 
nissent des  analogies  plus  complètes  dans  les  noms  des  XV  rois  énumérés 
à.  —  2 141  =--  A.  1302  ;  2142  =:  A.  12^8  (partim)  ;  2145  =  A.  1305  ;  2146 
=:  A.  1307  (parlini);  dans  toute  cette  partie  l'imitation  de  Roland  est  plus 
visible  que  ccWe  d'Aliscans  ;  2213  :=  A.  1571  (partun):  2224^  A.  1604 
(partùn);  2231  =  A.  1605  (partim);  2259-60  =  A.  1665-7  {partini); 
2263-4  =  ^-^.  1669-71  (partini);  2267  =z  A.  1676  (partini);  2271  =  A. 
1681  (partini);  2275-6  =  A.  ijoi-4  (partini);  2305  =  A.  1715  (partini); 
2444-6  =A.  1649-51  (partim)  ;  2501-2  r-^A.  2356-7,  2362  (partim);  2647-8 
=  A.  3148  et  var.  de  3149;  2660:=  A.  3366  (partini);  2723  =  J.  3535 
(partim);  2726-7  =:  ^.  3538-39  (^«r^/w);  2814-5  ^  yi.  4103-4;  2882  = 
•J.  4383  (partim);  2890  ==  J.  4404  (partini):  2950  =  ^4.  47^4  (partim)  ; 
de  nouveau  /?o/a;/(f  prédomine  ici  ;  2961-2  ;=  .4.  4820,  4822;  2964  =  A. 
4836  (partini);  2971  =  ^.  4861  ;  3282  =  A.  CXXI  a,  106  (à  rapp.  plus, 
vers  de  la  suite,  107,  120-2,  etc.,  de  la  Cl.);  la  brouille  entre  Rainouard  et 
Guillaume  prête  à  quelques  rapprochements  aussi  ;  on  les  multiplierait  par 
l'étude  minutieuse  des  variantes. 

I.  Je  ne  puis  qu'amorcer  ici  l'étude  de  ces  analogies.  Je  n'insiste  pas  sur 
les  rôles  respectifs  assignés  dans  toutes  les  versions  à  Guillaume  (=  Charle- 
magne)  et  à  Vivien  (^  Roland).  Ils  ont  été  plus  d'une  fois  définis  (voyez  not. 
R.  Weeks  dans  Remania,  XXXIV,  261,  n.  i).  Je  signalerai  seulement  le  sou- 
venir de  ce  dernier,  évoqué  au  v.  138,  le  rappel  de  Roncevaux,  lors  de  la 
bataille  que  livre  Guillaume  et  où  il  manque  de  laisser  la  vie  (559)  ;  la  men- 
tion de  l'épée  Joyeuse,  passant  donc  des  mains  du  vieil  empereur  dans  celles 
de  l'homme  qui  tient  sa  place  (v.  469;  1276  et  1302,  où  le  don  que 
Charles  a  fait  de  Joyeuse  est  remémoré);  l'imitation  dont  témoigne  la  for- 
mation d'échelles  de  chrétiens  et  de  païens  avant  la  seconde  bataille  (Al. 
4903  ss.  ;  5053  ss.,  le  terme  familier  aux  deux  poètes  pour  désigner  le 
commandement  est  le  même  :  guier  ;  comp.  Al.  491 1 ,  493 1,  493  3  ;  Roi.  3034, 
5042,  3050,  3059,  3067,  5074,  3083)  ;  les  mêmes  formules  employées  à 
diverses  reprises  pour  introduire  des  épisodes  de  cette  bataille  (Al.  5147  mer- 
veilleuse, 5269  niolt  grant,  CXXI  a,  31,  5579  malt  grant  ;  comp.  Roi.  1320 
merveilliise,  1397  iâ.,  1412  id.,  1620  ?«.  ^/ o-niiw/,  etc.);  des  identités  dans 
les  noms  des  chefs  et  des  peuples  païens  (Estonnarin  Al.  1 4i2z^  Astramari:^ 

Roittania,  XLir.  5 


82  M.    WILMOTTE 

l'influence  du  chef-d'œuvre  épique  français  est  plus  palpable 
encore  ',  et  si  l'on  lient  compte  de  rapprochements  moins  sug- 

K.  1504  ;  les  Miceiiaiis  Al.  1853  :=  ceJs  de  Micenes  R.  3221,  etc.)  ;  des  ana- 
logies plus  littérales,  par  ex.  la  caractéristique  du  courage  de  Vivien,  direc- 
tement empruntée  à  une  métaphore  de  Roi.  {Al.  344:=  R.  nu,  1888); 
comparez  encore  le  détail  de  l'agonie  des  deux  héros  (Al.  862  ss.  =  Roi. 
1991  :  201 1  ;  2019  ;  2393  ;  2396)  et  maints  passages  que  je  me  réserve  d'étu- 
dier ailleurs. 

I.  Encore  une  fois  je  regrette  de  n'avoir  pas  la  place  pour  une  démonstra- 
tion de  détail.  Quelques  faits  seulement.  L'imitation  de  Roland  est  flagrante 
dès  le  début;  la  même  démesure  du  héros  provoque  les  mêmes  incidents.  De 
même  que  dans  R.  Olivier  admoneste  son  compagnon,  de  même  Gérard 
(396  ss.)  dans  la  Chev. 

Les  raisons  de  Gérard  diffèrent  peu  de  celles  d'Olivier  : 
Contre   .1.  des   nos    sont  bien  .c.  ce    Contre  .1.  des  noz  en  truuerat  mor/. 

[m'est  vis  [xv 

Li  nos  esforz  i  seroit  molt  petis  (ms.    Païen  ont  grant  esforz... 

[Boul.  447-8)  R.  193a 

Et  Vivien,  de  répliquer  : 
Malveis  seroie  recreans  z  faillis 
Se  a  G.  avoie  jai  treniis. 
401-2. 


Ja  reprocier  n'en  avront  ml  ami.  Ja  n'en  avrunt  reproece  mi  parent 

409.  R.  1076. 

Plus  loin,  la  même  émotion  étrcint  les  deux  héros  : 
Fait  11  le  cuer  por  desoz  la  mamele         Fait  li  le  coer  si  est  chaeit  avant  ■. 

612  (ms.  A  et  B).  R.  2231. 
Por  .1.  petit  qu'il  ne  chiet  de  la  sele 

613  (fJ.). 

Vers  1457  et  ss.  Vivien  frappe  Gautier  par  erreur,  comme  Roland  frappe 
Olivier. 

Li  oil   me  troblent,  ne  voi  mie  bien    Tant  ad  seinet  li  oil  li  sunt  trublet, 

[cler, 


Tant  ai  perdu  del  sanc  de  mes  costez    Sil  fiert  amunt  sur  l'elme  a  or  genict 

(var.  de  A.).  R-  199^  '■>  i995- 

Fiert  sor  son  elme  un  suen  ami  char- 

[neil 
(id.). 

I.  Comparez  encore  672  (var.  de   A  B,  les  manuscrits  les  plus  proches  de  Roland) 
avec  R.  2225. 


LA    CHANSON  DE  ROLAND   ET    LA    CHANÇUN  DE  IVÎLLAME    83 

gestifs,  mais  légitimes,  avec  d'autres  poèmes  de  la  geste  \  on  est 
conduit  à  se  demander  si  ces  marques  de  commune  dépendance 
ne  proviendraient  pas  d'un  texte  perdu,  dont  l'hypothèse  — 
hasard  heureux  et  presque  unique  —  ne  déplaît  pas  plus  à  M. 
Bédier  qu'à  M.  Suchier  ^,  texte  qui  serait  à  la  source  de  tous  ces 
poèmes.  Provisoirement,  j'ai  entendu  m'abstraire  de  cela, 
n'envisager  la  Chançiin  qu'en  elle-même  ;  mais  je  suis  tout  dis- 
posé à  déclarer  que  rien  ne  me  paraît  moins  chimérique  que 
des  emprunts  faits  d'une  manière  indépendante  par  la  Chaiiçun, 
la  Chevalerie  Vivien  et  Aliscans;  la  gloire  de  Turoldus  était  assez 
belle  pour  que  tous  les  yeux  fussent  tournés  vers  son  poème,  et 
qu'il  excitât  toutes  les  convoitises. 

Comparez  les  vers  1810  ss.,  où  c'est  Guillaume  que  Vivien,  aveuglé  par 
le  sang,  frappe  à  son  tour;  le  rimeur  à'AUscaiis  ne  se  met  pas  en  frais  et 
répète  à  peu  près  les  mêmes  mots  : 

A  il  Guillelme  devant  lui  ancontré  Son  compaignun  cum  [il  l'Jat  encun- 

L'enfes  nel  vit,  car  il  est  avugleis,  [iret, 

.  .  .    Grand  colp  li  ait  donei  Sil  lîert  aniunt  sur  l'elme  a  or  gemet. 

Amont    en  l'elme    el    maistre  coing     

[doré.  R.  1994-5. 

A.  1810-11-12-13. 

Une  comparaison  non  moins  instructive  est  celle  des  vers  1469  ss.  (var. 
de  A  B)  avec  R.  2004;  des  vers  1484  ss.  ;  1528  ss.,  où  Guillaume  entend 
l'appel  du  cor  de  Vivien,  comme  Charles  entend  celui  de  l'olifant  ;  aussitôt 
Guillaume  s'arrête  et  prend  les  mêmes  dispositions  que  l'empereur  (comp. 
1543  avec  R.  1798).  Trois  fois,  des  deux  parts,  la  sonnerie  a  retenti  (Ch.  V. 
1524-25  ;  R.  1798  ss.): 

Béas  fu  li  jors  z  li  solaz  luisanz  Clers  fu  li  jurs  z  li  soleilz  luisanz 

Es  chevas  montent...  Es  destrers  muntent... 

Sonent  [c]il  graille  z  daier  z  davant.      Sunent  cil  graisle  z  derere  z  devant. 

R.   1852  (comp.  3345). 

En  sonnant  de  toute  sa  force,  Vivien  s'est,  comme  Roland,  rompu  les 
veines  (non  dd  taiiiple,  mais  —  l'assonance  est  tyrannique  —  del  cors),  et 
comme  Charles,  Guillaume  formule  alors  le  vœu  de  trouver  encore  son 
neveu  vivant (C/;.  V.  1533-5  ^  R.  1804-5). 

Enfin,  des  deux  parts,  la  bataille  est  gagnée  : 

Dist  Viviens  :     Vancut    avons   lou    Cist  camp  est  uostre 

[champ    

Paien  nos  fuent. .  .  Paien  s'enfuient. 

CI).  V.  1594-5.  Roi.  2183,  2164. 

1.  Voyez  Rowania,  XXXII,  et  Bédier,  op.  cit.,  I,  80. 

2.  Voir  Légendes  épiques,  I,  325,  et  Zi.,  XXIX,  676. 


84  M.    WIL MOTTE 

Au  surplus,  il  est  un  fait  essentiel,  qui  confirme  cette  manière 
de  voir,  et  le  voici  :  les  emprunts  faits  par  les  trois  versions 
conservées  de  la  mort  héroïque  de  Vivien  (et  les  deux  de 
la  vengeance  qu'en  tire  Guillaume)  ne  coïncident  presque 
jamais.  Or  si  l'un  des  textes  était,  comme  on  l'a  soutenu,  à 
l'origine  des  autres,  comment  expliquer  cela,  comment  admettre 
aussi  qu'à  un  prototype  aussi  gravement  infecté  de  plagiat  que 
l'on  a  vu  qu'est  la  Chûiiçitn,  on  puisse  supposer  des  imitateurs 
infiniment  plus  indemnes  ?  Le  résultat  de  mes  recherches,  si 
elles  sont  solides,  infirme  donc  la  sorte  de  généalogie  que  MM. 
Weeks,  Suchier,  etc.,  ont  un  peu  arbitrairement  bâtie  ;  elle 
nous  contraint  à  revenir  à  la  thèse  de  versions  indépendantes, 
aussi  indépendantes,  que  les  emprunts  faits  cà  Roland,  et 
ceci  ne  laissera  pas  de  contrarier  peut-être  M.Bédicr  lui-même, 
si  j'interprète  bien  sa  pensée  '. 


III 


Une  question  resterait  à  traiter,  c'est  celle  de  l'unité  de 
composition  de  la  Chançun.  On  m'en  voudrait  de  ne  pas  l'avoir 
posée  ;  on  ne  m'en  voudra  point  de  ne  pas  toute  la  résoudre. 
Des  critiques  admettent  que  l'œuvre  se  divise  en  deux  parties 
inégales,  l'une  ayant  Guillaume  pour  héros,  l'autre  pour  héros 
Rainouart-.  M.  Suchier  a  réservé,  et    publié   à  part,  les  1983 

I.  Voici,  en  eflet,  ce  qu'écrit  M.  Béd'ier  (Légendes  épiques,  I,  428)  :  «  A 
l'origine,  un  poème  unique  (représenté  pour  nous  par  la  Chanson  de  Guil- 
laume) et  qui  retraçait  toute  l'histoire  de  Vivien,  etc.  ».  Et  en  note  :  «  Ce 
poème  contenait  donc,  comme  la  Chanson  de  Guillaume,  toute  la  matière  de 
h  Chevalerie  Vivien  et  d'Aliscans.  «  M.  WeelvS  (^Roinania,  \XX\'IU,  11) 
et  M.  Suchier  admettent  une  dérivation  plus  directe  de  la  Chevalerie  et  d'A- 
liscans  par  rapport  à  la  Chançun. 

2.  C'est  le  cas  de  MM.  Suchier,  Rechnitz,  etc.  Dès  1903,  M.  Paul  Meyer 
prévoyait  toute  l'encre  qui  allait  être  répandue,  en  vain,  sur  ce  thème  liti- 
gieux :  «  A  partir  du  vers  1857,  écrit-il,  les  laisses,  sauf  de  rares  exceptions, 
se  présentent  dans  les  conditions  ordinaires.  Je  ne  sais  à  quoi  attribuer  cette 
.différence.  Il  ne  paraît  pas  qu'il  y  ait  lieu  d'attribuer  ces  deux  parties  à 
deux  auteurs...  »  {Romania,  XXXII,  598).  M.  Bédier  ne  voit,  non  plus, 
nulle  raison  décisive  d'admettre  deux  auteurs  (Légendes  épiques,  I,  527). 


LA    CHANSON  DE  ROLAND  ET    LA    CHANÇUN  DE  WlLLAME      85 

premiers  vers.  Ce  n'est  pas  le  lieu  de  critiquer  sa  méthode, 
dont  je  n'ai  pu  méconnaître  l'arbitraire.  Le  seul  point  qui  m'in- 
téresse est  celui-ci  :  s'il  y  a  deux  chansons,  et  par  conséquent 
deux  auteurs  (car  si  le  même  trouvère  les  avait  composées 
toutes  les  deux,  leur  séparation  n'aurait  pas  lieu  d'être),  ont-ils 
subi  tous  les  deux  la  même  influence  ?  A  première  vue,  on  ne 
pourrait  le  supposer.  Un  plagiaire,  c'est  déjà  beaucoup;  deux 
plagiaires,  c'est  trop.  Si  donc  les  deux  parties  du  texte  portent 
également  la  marque  d'emprunts  faits  au  même  texte  ;  il  devient 
embarrassant  d'en  compliquer  l'attribution.  Or  ma  démonstra- 
tion qui,  par  là,  va  à  l'encontre  de  celle  de  mes  devanciers,  a 
tendu  à  établir  que  le  même  homme  a  procédé  avec  le  même 
sans  gêne,  au  début  et  à  la  fin  du  poème  conservé  dans  le 
manuscrit  édité  d'abord  «  at  the  Chiswick  Press  ».  Toutefois 
les  emprunts  sont  plus  nombreux  dans  la  première  partie,  et  je 
n'ai  pas  pu  ne  pas  être  attentif  à  cette  particularité.  Mais,  tout 
considéré,  je  l'estime  de  fiuble  portée.  En  effet,  jusqu'au  vers 
150  environ,  le  rimeur  inconnu  ne  semble  avoir  eu  à  peu  près 
nul  recours  à  Roland  ;  or  nul  ne  songe  à  lui  retrancher  cette 
fraction  liminaire.  Est-ce  qu'il  y  avait  fait  œuvre  d'invention 
personnelle  ?  C'est  bien  possible,  quoiqu'en  bonne  logique, 
inventant  l'épisode  de  Tedbalt  et  d'Esturmi,  qui  est  le  premier, 
il  aurait  dû  n'y  prendre  inspiration  que  de  lui-même.  Or  cet 
épisode  s'étend  jusqu'au  vers  466  environ,  et  le  second  et  le 
troisième  tiers  portent  la  trace  certaine  de  fortes  réminiscences 
de  Roland.  Je  crois  plutôt  que  la  faculté  d'imitation  était 
moindre  dans  le  début,  de  même  que  dans  l'épisode,  déjà  tra- 
ditionnel, du  retour  de  Guillaume  après  sa  défaite  (la  première 
ici),  dans  celui  du  deuxième  retour  (le  premier  ailleurs),  dans 
sa  démarche  à  Laon,  etc.  La  vulgate,  si  j'ose  dire,  était  consti- 
tuée alors,  et  la  parenté  étroite  d'Aliscans  et  de  la  Chançitn,  à 
partir  du  vers  1980,  où  les  deux  versions  coïncident  à  peu 
près  ',    s'explique   de  la    façon    la   plus   simple   du  monde  ;  le 

I.  Cette  parenté  n'est  d'ailleurs  qu'intermittente,  et  on  a  depuis  longtemps 
insisté  sur  les  divergences  entre  la  Chançun  et  Aliscans.  Mais  elles  sont  parti- 
culièrement graves  dans  la  première  partie  de  celle-là,  consacrée  à  ridiculiser 
Tedbalt  et  Esturmi  et  à  raconter  deux  expéditions  malheureuses  de  Guil- 
laume, de  telle  sorte  que  les  derniers  moments  de  Vivien  n'y  occupent  qu'une 
place  en  somme  modeste.  Dès  les  premiers  vers  à' Aliscans  (58  ss.),  Vivien 
on  le  sait,  est  «  près  de  morir  ». 


86  M.    WILMOTTE 

rimeur  ne  faisait  plus  que  suivre  un  modèle  commun  à  toutes 
deux;  car,  du  fait  que  de  nombreux  vers  des  deux  poèmes  sont 
identiques,  je  me  garderai  bien  de  conclure  que  l'auteur  d'Alis- 
cans  ait  suivi  notre  Chançnn  ;  trop  d'arguments  militent  en  sens 
contraire. 

Mais  laissons  l'auteur  à' Aliscans  et  revenons  à  celui  de  la 
Chançnn.  Ce  que  sa  manière  d'opérer  rend  vraisemblable,  c'est 
qu'il  avait  sous  les  yeux  une  version  plus  sobre  de  la  mort  de 
Vivien,  et  des  événements  subséquents.  Il  cherche  visiblement 
à  allonger,  cà  iruffer  le  récit  qui  lui  servait  de  modèle,  et  il  le 
fait  avec  une  gaucherie  étonnante.  Il  emploie  le  procédé  rédu- 
plicatif,  et  j'attends  qu'on  me  cite  un  autre  auteur  du  même 
temps,  qui  ait  abusé  de  façon  aussi  outrageuse  de  ce  procédé;  il 
se  gausse  aux  dépens  de  deux  personnages,  l'oncle  et  le 
neveu,  dont  l'identification  historique  reste  incertaine,  mais 
que  tout  indique  qu'il  a  connus  et  dont  il  avait  eu  sans  doute 
à  se  plaindre.  Pour  le  reste,  il  a  recours,  sans  scrupule  et 
sans  ménagement,  à  cette  chanson  de  Roland  qui,  dans  la 
forme  la  plus  ancienne  parvenue  jusqu'à  nous,  devait  être 
récente  et  avoir  —  bien  d'autres  faits  l'attestent  —  forcé  l'at- 
tention, et  aussi  l'admiration  des  contemporains.  C'est  ce  der- 
nier point  qu'il  importait  d'établir  ici  ;  mais  j'ai  voulu  montrer 
la  chaîne  des  déductions  qu'autorisait  cette  première  constata- 
tion, dont  l'importance  pour  l'histoire  de  la  geste  de  Guillanme 
ne  m'a  pas  paru  négligeable. 

M.   WiLMOTTE. 


MÉLANGES 


LE  DIT  DES  QUATRE  ROIS 
NOTES   SUR    LE  MS.    FR.    25545  DE    LA    BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE. 

Le  manuscrit  français  25545  (anc.  Notre-Dame  274  bis)  a  été 
décrit  trois  fois  :  par  J.  Brakelmann  dans  le  Jahrbnch  fi'ir  roma- 
nische  und  engUsche  Litterahir,  IX,  339,  par  Van  Hamel,  Cavité 
et  Miserere  du  Rendus  de  Moiliens,  p.  xvii,  enfin  dans  le  Cata- 
logue des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale  (1902),  où  la 
description  de  Brakelmann  n'est  pas  mentionnée.  C'est  un  volume 
qui  semble  composé  d'éléments  d'origines  diverses  ;  du  moins 
une  ancienne  table,  au  fol.  3  bis,  indique,  pour  les  compositions 
contenues  dans  le  ms.,  un  ordre  différent  de  l'ordre  actuel;  les 
feuillets  portent  plusieurs  anciennes  numérotations  qui  ont 
été  biffées.  Selon  Brakelmann,  on  peut  distinguer  au  moins 
quatre  mains  différentes;  mais  elles  sont  sensiblement  contem- 
poraines, et  à  peu  près  du  début  du  xiv^  siècle.  Quelques  pages 
laissées  en  blanc  ont  été  utilisées  après  coup.  Nous  ne  voulons 
pas  donner  ici  une  nouvelle  description  complète  du  manuscrit; 
mais  voici  quelques  références  bibliographiques  et  quelques 
indications  supplémentaires  qui  ne  figurent  pas  dans  le  Catalogue 
des  manuscrits. 

Fol.  2  b.  Sur  Leuvaiigile  as  famés,  voir  Romania,  XXXVI,  i,  et  XLI, 
227. 

Fol.  4.  Des  famés,  des  de^  et  de  la  taverne.  Éd.  Barbazan  et  Méon,  Fabliaux, 
485.  Cf.  Naetebus,  Die  nicht-lyrisctien  Stroplienformen,  type  XIII,  11°  i. 

Fol.  9.  Prmerhes  niraui  et  viilgau^.  Éd.  J.  Ulrich,  Zeiischrift  fi'ir  fran::^ô- 
siscl)e  Sprache  und  Litteratur,  XXIV  (1902),  i . 

Fol.  14.  La  paiernostre.  Éd.  Eero  Ilvonen,  Parodies  de  thèmes  pieux  dans 
la  poésie  française  du  moyen  âge  (Helsingfors,  1914),  p.  146. 


88  MÉLANGES 

Fol.  14.  La  vie  don  wonJe,  par  Rustebeuf.  Vorr  Naetebus,  type  VIII, 
no  6. 

Fol.  15  vo.  La  descrissions  des  relegions,  par  Huonle  Roi  de  Cambrai.  Ed. 
Lâugfors,  dans  Classiques  français  du  moyen  âge,  no  13  (191 3). 

Fol.  l'j  \°.  Les  foires  de  Cl}ampainne  et  de  Brie.  Voir  Romania,  XLI,  264, 
note. 

Fol.  20.  Des  niesdiseus.  Voir  Konuinia,   XL,  559,  note. 

Fol.  25.  De  Karesme  et  de  Charnage.  Éd.  Barbazan  et  Méon,  Fabliaux,  IV, 
80. 

Fol.  29.  Ysopel  de  Marie  de  France.  Éd.  K.  Warnke,  Die  Fabeln  der  Marie 
de  France  (cf.  p.  ix). 

Fol.  73.  Margiiet  convertie.  Éd.  Jubinal,  Nouv.  rec,  I,  317.  Cf.  Naetebus, 
type  LXXIII,  no  n  . 

Fol.  84.  La  Chastelainne  de  Verei.  Éd.  G.  Raynaud  dans  Classiques  français 
du  moyen  âge,  n"  i  (Nouv.  éd.  par  L.  Foulet,  1912). 

Fol.  95.  La  vie  sainte  TJia'is  d'Egipte.  C'est  un  extrait  du  Poème  moral 
publié  par  Cloetta.  Cf.  Naetebus,  type  VIII,  n"  80,  et  ÏHist.  lift.,  XXXIII, 

375- 
Fol.  97.  Vie  de  saint  Patrice  (début  :  Un  miracle  trovons  escrist),   qui  sera 

publiée  par  M"e  M.  Môrner  (cf.  Remania,  XLII,  473). 

Fol.  106  vo.  Des  trois  vis  et  des  trois  mors,  par  Baudouin  de  Condé  (frag- 
ment). Éd.  S.  Glixelli,  Les  cinq  poèmes  des  trois  morts  et  des  trois  vifs  (Paris, 
1914),  p.  53. 

Au  bas  du  fol.  149  vo  on  lit  en  réclame  ce  premier  vers  d'une  strophe  de 
Cavité  (str.  207  de  l'éd.  Van  Hamel)  :  foh  fu  en  karité  ardans.  Il  y  a  une 
lacune  entre  ce  feuillet  et  le  f.  1 50  qui  commence  au  beau  milieu  du  Dit  des 
quatre  rois  publié  ci-dessous.  Suit  dans  le  manuscrit  le  Dit  de  Jehan  le  Rigolé, 
publié  par  G.  Raynaud  dans  la  Remania,  VII,  596. 

Fol.  151.  Le  laide  Voiselet.  L'édition  de  Gaston  Paris  a  été  reproduite  dans 
le  volume  posthume  intitulé  Légendes  du  moyen  âge. 

Le  verso  du  fol.  154  et  le  fol.  155  ont  été  laissés  en  blanc  à  la  confection 
du  manuscrit  et  ont  reçu  après  coup  un  fragment  de  74  vers  qui  est  une  des- 
cription fort  banale  d'une  jolie  femme.  L'encre  est  très  pâle  et  presque 
effacée  par  endroits,  ce  qui  rend  la  lecture  difficile.  Les  trois  derniers  vers 
sont  écrits  au  fol.  155  qui,  pour  le  reste,  est  en  blanc.  Voici  un  échantillon  de 
ce  poème,  que  le  Catalogue  des  manuscrits  ii'a  point  relevé  : 

Se  ne  vos  cuydast  enuyer.  Mais  par  se  lay  ne  laiseray 

Moût  avis  (?)  vos  vodrai  conter  8  Que  moût  avis  (?)  vos  en  diray  : 

Dune  dame  qui  et  tant  belle  Prumierement  el  chief(?)  parans 

4  QjLi'i  n'a  el  monde...  sage  Les  cheveus  qui  sont  bien  luisans 

Qui  seùt  conter  sont  devis.  Plus  que  ne  et  hors  de  Damas  (?) 

Ne  je  ne  nus  (?)honsqui  soit  vis  ;  12  Le  front  ne  doi  jeoblier  pas 


LE  DIT  DES  QUATRE  ROIS  89 

Qui  et  treitis  et  bien  sisans  :  Del  front  vo  lerray  je  ester. 

Il  n'a  el  mont  piutre  dedans  Del  hueil  vos  vodroi  paroler, 

Qui  le  seùt  pinter  ne  fayre  Les  queus  elle  n'a  pas  menus  (?), 

16  Nede  meliour  fasont  detrayre.  24  Mais  vairs  et  bien  fandus... 
Je  vos  dy  de  Rome,  de  Naples,  Rians  et  clers  et  bien  jolis, 

De  que  Florymons  estoit  sires (?),  Que  il  n'et  bons  que  s'il  la  vis 

Ne  tenoit  pas  si  bien  sisans  Et  fut  hor  en  grant  maladie 

20  Ne  si  bien  fait  par  avenans.  28  Qu'il  ne  deut  fere  chiere  lie,  etc. 

Fol.  156.  Le  poème  qui  n'a  pas  été  identifié  par  le  rédacteur  du  Catalogue 
est  Uart  d'amours  de  Jacques  d'Amiens,  publié,  d'après  un  manuscrit  de 
Dresde,  par  G.  Kôrting.  A  l'appendice  de  cette  édition  est  cité  un  fragment 
qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  d'Utrecht.  Le  poème  se  trouve  encore 
dans  les  manuscrits  de  Chambéry  27  et  delà  Bibliothèque  nationale  12478. 
C'est  peut-être  le  même  Art  d'amours  dont  il  existe  une  ancienne  impression 
à  la  Bibliothèque  de  Genève  (voir  Revue  critique,  II,  1867,  p.  19-20)'. 

I,  Le  ms.  Hamilton  577  (fol.  249'-"-25i^)  de  la  Bibliothèque  royale  de  Berlin 
(xive  siècle)  contient  un  traité  sur  les  Sept  ars  d'amours  qui,  à  en  juger 
d'après  les  extraits  que  M .  W.  Sôderhjelm  a  eu  l'obligeance  de  prendre 
pour  moi,  n'est  pas  autrement  connu.  Il  est  copié  à  la  suite  de  l'Image  du 
monde  et  peut  être  considéré  comme  une  sorte  de  prologue  à  un  recueil  de 
Demandes  et  respotises  d'amours  (fol.  25i'^-253J),  que  M.  A.  l\\tm{Die altfran- 
lôsischen  Minnefragcn,  19 10)  n'a  pas  utilisé.  Voici  le  début  du  traité  : 
Qui  pais  vaura  faire  e  entendre  20  Ne  doit  oïr  de  teil  science, 
D'amours  pourra  les  ars  apenre  Car  fine  amour  veut  pais  avoir. 

Se  il  y  veut  s'entente  mestre,  Pourtant  se  vous  voleis  savoir 

4  Car  en  Ovide  sont  en  lettre;  Les  sept  ars  d'amours  descendent 

Ovides  a  s'entente  mise,  24  Et  qui  gent  [a]  amer  aprent, 

La  lettre  en  roumans  nous  devise,  Metés  vos  cuers  en  retenir, 

Chascun  art  licouvient  d'amours:  Se  vous  voleis  d'amour  joïr, 

8  Toute  joie,  toute  dolours  Et  si  faites  pais,  si  m'oés 

Doivent  vrai  amant  eschiver  28  Et  les  contés,  se  vous  volés. 

En  amours,  se  vellent  jouer  Le  premier  art  qui  en  descent 

Et  si  welent  a  Dieu  plaisir  L'amant  certain  esrant  aprent 

12  Qui  veut  les  maus  d'amours  souf-  En  quel  manière  et  en  quel  guise 

[frir     32  Devant  la   femme  est  de  li  sou- 
Les  cuers  qui  s'entr'aiment  a  soi,  prise  (5/r). 

Soit  fil  a  conte  ou  a  rroy  Li  autres  aprent  de  l'usaige   (fol. 

Ou  clerc  ou  chevalier  ou  lay  [249*^) 

16  (D)ou  escuier,  je  leur  diray  Par  coi  on  connoist  au  visaige 

La  devision  d'amours  toute.  Se  perdu  a  son  pusclaige 

Mais    nus    cuers   qui    aime   sans     36   

[doute  Et  li  tiers  ar[s]   si  nous  ensaigne 
Quand  maladie  la  mehaigne,  etc. 


90 


MELANGES 


* 

*  * 


A  en  juger  d'après  le  court  fragment  qui  nous  en  reste  au 
f.  150  du  ms.  25545,  le  contenu  du  Dil  des  quatre  rois  était  à 
peu  près  celui-ci  :  sous  la  forme  d'une  parabole  dont  les  person- 
nages sont  des  coqs  et  des  poules,  un  «  fou  »  expose  à  un  roi  les 
différentes  manières  d'agir  des  rois  et  notamment  le  met  en 
garde  contre  l'exemple  d'un  coq  qui,  pour  s'être  trop  intéressé 
aux  poules,  a  mal  tourné.  Voici  le  texte  du  fragment  : 


Que  chascuns lors  pour  roi  le  tient. 

Mais  d'un  autre  coc    me  sovient 

Qui  pert  par  folie  son  non, 
4  Qu'il  ne  pense  s'aus  poulies  non 

Et  lor  donne  trop  grant  baudet, 

Se  ne  fait  mie  se  qu'il  doit  ; 

Car  par  les  poulies  qu'il  soustient 
8  Une  tel  perte  en  lui  retient, 

Se  il  tant  pencé  n'i  cùst 

N'en  perdist  ce  qu'avoir  deùst. 

[S]ire  rois,  or  ne  vos  anoie, 
12  Pour  vous  le  di  en  bonne  voie  : 

Entrez  et  tost  vous  y  metez. 

Que  ne  soiez  desbaretez 

Et  ne  créez  si  ses  poulletes, 
16  Qui  si  sont  cointes  et  nobletes. 

Que  n'empiriez  vostre  pais; 

Car  clammcz  seriez  fous  naïs 

Se  ne  faites  vostre  devoir, 


20  Et  s'en  pourrez  enfer  avoir 

Par  le  consentement  des  poulies  : 
Se  seroient  maises  empouUes.  » 
[L]ors  pensa  li  rois  longuement, 

24  Puis  li  a  dit  apertement  : 
«  J'ai  bien  entendu  ta  parole  : 
Tu  as  esté  a  bonne  escole  ; 
Ta  parole  point  ne  m'anoie. 

28  Or  est  drois  que  je  te  porvoie. 
Tu  ne  m'as  pas  servi  de  lobes  : 
Je   te   doing    mon    pain    et  mes 

[robes.  » 

[A]tant  li  rois  d'anqui    se  part. 
52  Je  pri  Deu  que  de  mal  le  gart 

Et,  comment  que  la  chose  prain- 

[gne, 

Que  des  quatre  rois  li  souvaingne 

Dont  li  fous  li  fist  mencion, 
36  Qui  si  fait  sa  conclusion. 


C'est  ainsi  que  le  poème  a  dû  finir.  Mais  le  copiste,  qui  avait 
la  maladie  de  la  versification  —  plusieurs  compositions  du 
même  manuscrit  portent  des  titres  et  des  explicits  en  vers  —  a 
continué  ainsi  (on  notera  la  mauvaise  versification)  : 

Ci  faut  li  dis  des  quatre  rois'  (/o/.  //ob) 
Que  je  vos  ai  dit  demanois  : 
Phelippe,  Looys  et  Jouhan 


I.  Ce  vers  a  bien  l'air  d'un  explicit  primitif. 


NOTES  A    REXART  LE  CONTREFAIT  •     9I 

Et  de  Phelippe  qui  en  cest  an 
Reçut  la  coronne  de  France, 
Dont  mont  de  gent  orent  pesance, 
En  l'an  mil  seze  et  trois  cens, 
Entre  Noël  et  saint  Vincent. 

Le  premier  «  Phelippe  »  est  Philippe  le  Bel.  «  Looys  »  est 
Louis  X  le  Hutin,  qui  mourut  le  5  juin  13 16,  laissant  sa 
seconde  femme,  Clémence  de  Hongrie,  enceinte  d'un  fils,  Jean, 
dit  Jean  I",  qui,  né  en  septembre,  ne  vécut  que  cinq  jours.  Le 
frère  de  Louis  X,  Philippe  le  Long,  se  fit  couronner  à  Reims, 
«  entre  Noël  et  saint  Vincent  »  (24  mai),  plus  exactement  le 
9  janvier  13 17  (n.  st.),  «  dont  mont  de  gent  orent  pesance  »  : 
le  couronnement  fut  en  effet  marqué  par  des  incidents. 

C'est  à  cette  date  qu'une  grande  partie  du  manuscrit  25545 
a  été  exécutée.  Ce  qui  n'a  pas  été  écrit  par  le  même  copiste  ne 
peut  guère  être  que  très  peu  antérieur  à  13 17. 

Arthur  LÀngfors 


NOTES   ET   CORRECTIONS    AU  ROMAN 

DE  RENART   LE    CONTREFAIT. 

La  Romania  a  signalé  (XLIII,  630)  cette  utile  édition  et  en  a 
expliqué  l'économie.  Voici  une  première  série  de  notes  et  cor- 
rections au  texte.  Les  sources  les  plus  importantes  ont  été  si- 
gnalées par  les  éditeurs.  On  pourrait  ajouter  qu'à  la  fin  de  la 
partie  en  prose,  dont  les  éditeurs  disent  (I,  p.  343)  que  «  le  récit 
de  notre  chronique  devient  plus  original  et  s'inspire  moins  des 
auteurs  contemporains  ou  ultérieurs  »,  le  passage  sur  les  Tem- 
pliers (I,  p.  292)  n'est  en  fait  que  la  paraphrase  de  quelques 
vers  du  Roman  de  Faiivel.  Voici  d'abord  le  passage  du  Roman 
de  Renart  le  Contrefait  : 

La  cause  est  pour  quoy  ilz  furrent  prins,  selon  ce  que  les  Grans  Mais- 
tres  recongnurent,  fust  car  quant  on  recevoit  aucun  frère,  tantost  que  on  lui 
avoit  mis  le  mantel,  il  faisoit  la  profession  et  juroit  qu'il  garderoit  les  secrés 
du  Temple,  et,  ce  fait,  on  le  menoit  a  part,  et,  la  croix  mise  devant  lui,  on 
lui  faisoit  renoier  Dieu,  Jhesucrist,  et  crachier  contre  la  croix,  et  puis  baisoit 
le  dessoubz  de  cellui  qui  le  rechevoit,  et,  ce  fait,  on  lui  donnoit  congié  qu'il 


92     •  MELANGES 

feisi  son  ordure  et  sa  laidure  avecqes  les  hommes  masles.  Ces  choses  et  plu- 
seurs  auhres  confcsserreut  les  ditz  Maistres  et  pluseurs  aultres  des  ditz  frère 
de  la  dite  ordre... 

Voici  maintenant  les  vers  correspondants  du  Roman  de  Fau- 
vel  : 

Las  !  or  sont  devenuz  hcreges 
961  Et  pecheeurs  contre  nature... 

Entr'  eus  avoient  fait  une  orde 

Si  horrible,  si  vil,  si  orde 
977  Q.Lie  c'est  grant  hideur  a  le  dire  : 

Tantost  corn  aucun  recevoient 

Renoier  Dieu  tost  li  fesoient, 
980  Jhesucrit  et  la  croiz  despire, 

A  crachier  dessus  commandoient. 

L'un  l'autre  derrière  baisoient. 

Moult  avoient  ors  estatuz... 

1005  Mais  cestui  neveu  saint  Loys  [Philippe  h  Bel] 


A  poursuï  ceste  besoingne 
Tant  que  li  Templier  recognurent 
Des  greigneurs  qui  en  l'ordre  furent 
ICI 6  Devant  le  pape  leur  vergoingne. 

On  trouve  une  autre  réminiscence  du  Roman  de  Fanvel  dans 
les  V.  31195-200  : 

Comme  mescreùs  te  nienras, 

Ou  le  torche  Fauvel  feras. 

Et  diras  :  «  Monseigneur  dit  voir  !  » 

Hellas  !  nul  ne  poeut  tant  savoir. 

Ne  flaterie,  ne  déduit, 

Se  riens  ne  porte,  qu'il  n'anuit. 

Roman  de  Fauve]  (y .  1041-52): 

Bien  peut  les  grans  seignors  hanter 
Qui  soit  de  Placebo  chanter  ; 

1045  Teile  canchon  trop  lour  agrée. 
Il  n'ont  mes  cure  de  mesnie 
Qui  prestement  ne  lour  otrie 

1046  Toute  lour  plaine  desirce. 
Comment  qu'il  n'i  ait  pasreson, 


NOTES    A   RENART  LE  CONTREFAIT  93 

Si  veulent  il  toute  seson 
1049  Qii'en  lour  die  :  «  Bien  dit,  misire.  » 
Liés  sont  quant  l'en  les  tient  a  sages. 
He,  Diex  !  qu'il  a  de  faus  visages 
Par  tout  le  rëaunie  et  l'empire  ! 

L'épisode  de  la  Tigresse  qui  est  si  extraordinairement  maigre 
parce  qu'elle  ne  se  nourrit  que  de  femmes  honnêtes  (v.  40028 
et  suiv.)  n'a  rien  de  commun  avec  les  Lamentations  de  Matheo- 
lus,  sinon  la  tendance  misogyne;  il  aurait  fallu  renvoyer  à 
divers  poèmes  qui  traitent  de  ce  sujet  spécial;  voir  en  dernier 
lieu  l'article  de  M.  F.  Novati,  intitulé  Bigorne  et  Chicheface, 
dans  les  Mélanges  Emile  Picot,  II,  67-87. 

Les  éditeurs  auraient  rendu  service  aux  études  parémiolo- 
giques  en  relevant  et  munissant  de  références  les  proverbes  qui 
se  trouvent  un  peu  perdus  dans  cette  énorme  composition  et 
dont  quelques-uns  sont  curieux.  Je  les  énumère  ici,  sans  affir- 
mer que  ma  liste  soit  complète  : 

...Qui  sent  son    cul  ortïer, 
2010  En  vis  se  tient  de  fremïer. 

2015   ...On  dit  que  trop  grater  cuit, 
Et  aussi  que  trop  parler  nuit'. 

2302  N'est  pas  tout  ung  croire  et  avoir.  —  3199  Qui  de  peu  ayme,  de 
peu  het.  —  5244  A  vain  pasteur  loup  chie  laine-^.  —  5448  Simple  pasteur 
fait  le  leu  pestre. 

Qui  {j)is.  Cui)  bien  fait  a,    si  s'en    souviengne, 

Cui  (ms.  Qui)  l'asne  est,  par  la  queue  letiengne'.  22160 

26968  Toudis  sentie  mortier  les  aulx4.  —  27555  Bon  dit  est  toudis  de  sai- 
son. —  30750  Bezoing  fait  vielle  trotter  5.  —  30836  De  tel  marchié,  tel 
vente*.  —  32392  Qui  le  sien  pert  a  l'autrui  tant". 

1.  Le  Roux  de  Lincy,  Prov.  fr.,  2*  éd.,  II,  429. 

2.  Le  Roux,  I,  179. 

3.  Le  Roux,  I,  141. 

4.  Le  Roux,  1, 57. 

5.  Le  Roux,  II,  247,  486  et  Làngfors,  Œuvres  de  Huon  le  Roi  de  Cambrai, 
I,  p.  XVI. 

6.  Le  Roux,  II,  230.  Cf.  ih.,  p.  150  :  Tel  prix,  telle  vente. 

7.  Cf.  Làngfors,  /.  c,  p.  xv. 


94  MELANGES 

T.  II,  p.  251,  col.  b,  V.  II  :  Qui  esvcille  le  chien  qui  dort. 

Non  couvient  pas  se  il  le  mort.  ' 

Ib.       p.  233,  V.  9  :  Plus  fox  est  que  berbiz  ne  lièvre, 

Q.ui  de  broustcr  viaut  tenir  chievre. 

L'établissement  du  texte  n'offrait  pas  de  grandes  difficultés. 
Il  y  a  cependant  beaucoup  de  vers  de  sept  et  de  neuf  syllabes  et 
quelquefois  la  correction  serait  facile:  p.  ex.  au  v.  362,  on 
pourrait  lire  : 

Maiscs  (;//5.  Mauvaises)  robes,  mais  souliers  ont. 

Mais  les  éditeurs  ont  sans  doute  bien  fait  de  s'abstenir  de  cor- 
riger en  plusieurs  endroits  :  il  n'est  pas  certain  que  l'auteur  ait 
versifié  correctement. 

Voici  maintenant  quelques  corrections  au  texte  et  au  glos- 
saire. 

T.  P"".  — V.  11024.  Oui  te  faiirà  mal,  soit  il  mors!  Trans- 
porter la  virgule  devant  mal.  —  V.  15  3 19.  Au  lieu  de  en  reçoit  y 
imprimer  en  reçoit  («  en  cachette  »),  de  même  au  glossaire.  — • 
V.  20430.  Il  faut  imprimer  Eiigenius  avec  un  tréma;  de  même, 
au  t.  I,  p.  358,  col.  b,  v.  17,  Eiïsebiiis.  Les  vers  montrent  que 
Eu  compte  pour  deux  syllabes,  de  même  que  dans  d'autres 
noms  du  même  type,  p.  ex.  Eiistache,  Eilsehe,  etc.  (cf.  Roma- 
nia,  XLI,  425).  —  V.  20935.  Faisait,  corr.  probablement /«/- 
soit.  — P.  273,  col.  b,  1.  24.  Tout,  corr.  sout.  —  P.  309,  col. 
b,  v.  12  de  la  fin.  Supprimer  le  point  et  virgule  après  pour- 
veance,  et  corr.,  au  v.  suivant,  veance  en  hcance  : 

Dont  a  san  et  a  pourveance 
Li  couvient  il  avoir  beance. 

—  P.  320,  col.  b,  V.  II.  Aulieu  de  la,  imprimer/'^.  — P.  344, 
V,  10  de  la  fin:  Antres  bons  vins  se  delitoit,  corr.  Au  Ireshons, 
etc.  —  P.  358,  col.  b,  V.  20  de  la  fin,  et  359,  v.  23  de  la  fin. 
Saiiuw  doit  être  lu  saume  «  psaume  »  ;  supprimer  au  glossaire, 
s.  V.  SENNE  «  synode  »,  la  variante  sanme.  —  P.  367,  col.  b,  v. 
6.  Supprimer  la  virgule  après  mangier. 

I.  Le  Roux,  I,  169. 


NOTES   A    RENART  LE  CONTREFAIT  95 

T.  II.  —  V.  22881.  La  leçon  du  ms.  Pcrcccnc'wns  et  pcrieiilx 
(«  périls  »)  est  bonne;  supprimer  au  glossaire  l'article  prieux. 
—  V.  25212.  La  leçon  du  manuscrit  : 

Tous  les  ars  ne  vallent  denier, 
Se  praticque  ne  va  premier, 

est  bonne;  c'est  à  tort  que  les  éditeurs  proposent  aux  Errata  de 
changer  Se  en  De.  —  La  date  de  1390  donnée  au  v.  27654  est- 
elle  due  à  une  faute  d'impression  ou  l'erreur  se  trouve-t-elle 
déjà  dans  le  manuscrit: 

Par  moy  refut  Acre  perdue. 
Ou  je  perdis  pluseurs  amis, 
L'an  mil  .iij.  .iiij.   ~^^  dix. 

— V.  30092.  Danses,  caroUes  et  desvois,  corr.  dosnois  etsuppr, 
l'article  desvois  au  glossaire.  —  V.  31805 .  Dirent  le  vaulrent, 
corr.  dire.  —  V.  33808.  Oui  envis  homme  abat  et  hume,  corr. 
tume  («  fait  tomber  »)  et  suppr.  l'art,  humer  au  glossaire.  — 
V.  33971.  Mettre  une  virgule,  et  non  un  point,  à  la  fin  du 
vers.  —  V.  35 121.  Imprimer  iiioiste,  et  non  moïste.  —  V. 
35440.  Imprimer  cor  qi  non  cor.  —  V.  36415.  Mendre,  lire 
ineudre  (mélior),de  même  3364;  meudrel,^.  262,  §80,  signi- 
fiée gaiement  «  meilleur»,  et  non  «  moindre  »,  comme  il  est  dit 
au  glossaire,  s.  v.  mendre.  —  V.  37370.  Transporter  la  virgule 
entre /«;// et  il.  —  V.  39618.  Ad  ce  sommes  nous  tousveïs,  corr. 
beïs  ou  haïs,  et  suppr.  l'article  veï  au  glossaire.  —  V.  40359. 
Lire  deprïer  et  supprimer  l'article  depuer  au  glossaire.  —  V. 
40994.  Et  partout  les  secre:(_  se  boutent;  corr.  les  en  es.  —  V. 
41045.  Au  lieu  de  Isisdés  il  faut  probablement  imprimer  Isis- 
des.  C'est  sans  doute  le  même  nom  que  Isidore  ;  cf.  l'esp.  Isi- 
dro  et  Isidoro.  —  P.  224,  col.  b,  v.  7,  Cest,  imprimer  cest.  — 
P.  227,  col.  b.  Ponctuer  ainsi  les  v.  5-7  : 

Mont  anma  un  til  qu'elle  avoit. 

Pour  que  li  royaumes  fust  siens  ceulx  {vers  Jaux) 

Fist  elle,  etc. 

—  P.  229,  v.  10.  Au  lieu  de  Nonques,  imprimer  N'onques; 
ib.,  col.  b,  v.  13,  mettre  un  point  à  la  fin.  —  P.  230.  Ponc- 


96  MÉLANGES 

tuer  ainsi  Iç  dernier  vers  de  la  première  colonne  et  les 
suivants  : 

Au  vivant  et  au  tcns  sa  famc 
Fist  il  de  ce  mainte  difanic. 
Albaude,  une  noble  pucelle, 
Fu  de  Pépin  ancinte,  celle 
Seur  fu  un  haut  baron,  etc. 

—  P.  23  I,  V.  7.  Au  lieu  de  /////,  imprimer  lini  ;  ib.,  col.  b,  v. 
14,  imprimer  cresveilUer  et  supprimer  l'article  desveillier  au 
glossaire.  —  P.  235.  Supprimer  le  point  après  le  premier  vers. 

—  P.  236.  Mettre  un  point  et  virgule  après  le  vers  32  (Certes, 
sire,  se  poise  nioï).  —  P.  239,  col,  b,  v.  5.  Oui  te  soufisse,  corr. 
qui[r\.  —  P.  240^  col.  b.  Fermer  les  guillemets  après  le  v.  19. 

—  P.  246.  Ponctuer  ainsi  les  v.  29-30: 

Lors  dist  :  !     Antre  bouche  et  cuillier 
Avient  ilsouvant  amcombrier". 

—  Ih.,  V.  35.  Mettre  une  virgule  après  Z-;V;t«.  —  J/»., suppri- 
mer la  virgule  après  le  dernier  vers  de  la  première  colonne  et 
mettre  un  point  après  le  vers  suivant.  —  P.  248,  v.  8.  Au  lieu 
de  ron^Mrt  rou:<^  (ru  p  tu  s). 

GLOSSAIRE.  — P.  256.  Lire  bagnier.  - — Ib.  Lire  compagnier, 

—  P.  271.  Lire  esmoeutin.  —  P.  273.  forlignier  (soi),  la 
référence  est  inexacte.  —  P.  276.  harlé  doit  être  entendu 
haslé  «  hâlé.  »  —  P.  280.  Ajouter  mesaler,  II,  227,  col.  b,  2. 

—  P.  282.  Le  contexte  montre  que  murer  la  bourse  a  anc.  si- 
gnifie «  graisser  la  patte  à  quelqu'un  ».  —  P.  285.  Aux  v. 
40395-é: 

Et  puis  nous  donnent  lez  l'oye 
Si  qu'en  avons  tous  les  yeux  pcrs 

il  ne  s'agit  pas  d'  «  yeux  perdus  »,  mais  d'yeux  pochés,  noirs 
par  suite  de  coups.  —  P.  289.  rendre  de  mon  eage  32710,  qui 
est  relevé  au  glossaire  avec  un  point  d'interrogation,  ne  signifie 


I.  Le  Roux,  I,  211. 


PRIERE    A    LA    VIERGE    EN    HUITAINS  97 

rien;  de  mon  eage  n'est  qu'une  cheville,  et  ce  qui  précède  est 
parfaitement  clair  : 

Lors  dist  elle  :  «  A  quel  parage 
M'a  Dieu  rendu  ?  » 

—  //'.    Corr.     RESVEILLIER.       —    P.     29O.     SALE   (fAIRE).     Au 

V.  28178: 

Ly  ung  y  vent,  l'autre  foit  sale, 

l'expression  mise  en  vedette  signifie  en  effet  «  acheter  »,  comme 
le  proposent,  avec  un  point  d'interrogation,  les  éditeurs.  Mais 
le  vrai  sens  est  «  vendre  »  :  il  s'agit  d'un  emprunt  à  l'anglais 
(sale)  ou  au  flamand  ;  voir  Falk  et  Torp,  Norwegisch-dàuisches 
etyiii.  l'Vôrterhuch,  s.  v.  salg  et  s.elge. 

Ih.  Le  contexte  montre  que  sanne  est  un  substantif  postver- 
bal tiré  de  saner  et  signifie  «  médicament  ».  —  P.  292.  Corr. 
suBjUGUiER.  —  P.  294.  TORCHE  FAUVEL  signifie  plutôt  «  flat- 
teur »  que  «  menteur  ».  —  P.  295,  unzaine  25699: 

Que  on  appelle  estre  usuriers, 
Prestans  sur  gaiges,  sur  unzaines. 

Il  s'agit  d'un  terme  d'usure.  Cf  le  Credo  au  rihaut,  v.  93, 
on^e  pour  doiiie prester,  que  le  dernier  éditeur,  M.  Ilvonen  ',  tra- 
duit, sans  doute  avec  raison,  par  «  prêter  onze  [sous  ou  deniers] 
pour  douze  ». 

Arthur  Lângfors. 


PRIERE  A  LA  VIERGE  EN  HUITAINS. 

Ce  petit  poème  se  lit  au  f.  88  a-h  du  manuscrit  D.  I.  25  de 
la  bibliothèque  de  Trinity  Collège  à  Dublin.  Ce  volume,  dont 
une  description  détaillée  a  paru  da.ns  h  Revue  des  Bibliothéijucs-, 
est  un   recueil  de  plusieurs  traités  médicaux  latins  et  français 


1.  Parodies  de  thèmes  pieux  dans  la  poésie  française  du  moyendge,  Hclsingfors, 
1914,  p.  133. 

2.  Voir  t.  XXIV  (1914),  pp.  185-98. 

Romaniti,  XLIV.  7 


98  MÉLANGES 

suivis  de  la  Visio  Monachi  de  Eynsham .  A  la  fin  delà  Visio  vient, 
sans  aucun  titre,  dans  la  même  écriture  anglaise  du  xiii^  siècle, 
la  pièce  que  nous  imprimons  ci-dessous.  Une  note  écrite  auxiv^ 
ou  XV'  siècle  dans  la  marge  supérieure  du  î.  i  a  nous  apprend 
qu'à  cette  époque  le  volume  appartenait  à  l'abbaye  de  Croy- 
land. 

Les  quarante  vers  sont  répartis  en  dix  quatrains.  En  fait  la 
pièce  est  écrite  en  huitains  du  type  12  aaa  6  b  12  ccc  6  b. 

I  Porte  de  paraïs,  espoir  de  peclK-or, 
pucele  de  grant  pris  et  pleine  de  douçur, 
ke  tut  avez  conquis  que  perdi  par  folur 

Eve  ke  nus  tralii .  4 

Kar  ço  que  lu  péri  par  sun  primer  peclié, 
cil  ke  de  vus  nasqi  trebien  l'ad  restoré  ; 
a  lui  rendons  merci  e  a  vus  savons  gré 

qe  li  mund  n'est  péri.  8 

II  Femme  nus  eut  destruit  et  femme  nus  ad  sauvé, 
kar  Eve  par  le  fruit  tretouz  avoit  daiiîpné, 
Marie  en  déduit  la  doleur  ad  changé 

e  en  poer  pour.  12 

Mut  la  devonc  amer  e  pur  la  sue  amur 
tûtes  femmes  priser  e  avoir  en  honur  : 
ne  deit  nul  reprover  ke  firent  al  primour 

mes  loerle  retour.  16 

III  Duce  dame,  merci,  eez  de  moi  pité 

ke  ne  soi  ailleurs  pur  mes  péchez  pené, 
pensez  de  qor  vus  pri  cum  plevn  suy  de  péché 

ke  puisse  aver  pardon.  20 

Tant  ay  le  qor  chargé  de  maint  péché  pulent, 
tant  ai  en  vain  parlé  et  meffait  sovent, 
ke  ci  gis  dur  liez  de  liens  plus  ke  cent 

al  fons  del  prison.  24 

IV  Mère  al  sauveoz,  pensez  de  vooz  cheitifs 
ke  ci  son  al  dolur  en  dure  prison  mis, 
démenez  sanz  pour  le  vooz  en  lur  pais 

dunt  furent  en  getez.  28 


UN    TÉMOIGNAJE   MECONU    SUR    GUI  DE   TOURNANT  99 

Seez  nostre  confort  encest  exil  hidous, 

e  facez  tel  acord  entre  toen  ûh  e  nus 

ke  kant  passomla  mort  le  pount  tant  pcrillous 

nus  mette'en  sauvetez.  32 

V  Ma  joie,  ma  doucur,  ma  vie,  ma  solaz, 

pensez  de  ma  dolur  mult  plus  ke  jo  ne  face, 
tollez  de  moi  l'amour  ke  me  tient  en  ses  laz 

del  mond  ke  meint  adés.  56 

Si  me  trehez  a  tai  ke  pus  od  vus  régner 
la  ou  toen  fiz  est  roy  de  cel  et  terre  et  mer, 
ou  dune  trover  purroy  ke  quer  ne  put  désirer 

sanz  repentir  après .  Amen.  40 

Marius  Esposito. 


UN     TÉMOIGNAJE    MÉCONU     SUR     GUI     DE     TOURNANT^ 

Dans  le  poème  consacré  par  Cuvelier  à  Duguesclin  se  trouve 
un  curieus  passaje  sur  leqel  mon  atancion  vient  d'être  atirée  par 
la  lecture  du  tome  XXIV  de  V Hisiùirc  Utlcraire  de  la  France,  où 
ce  passaje  et  reproduitavec  qelqes  inexactitudes'.  Voici  le  texte 
tel  q'il  figure  dans  l'édicion  de  Charrière,  vers  10711-19;  c'êt 
le  prince  de  Gales  qi  parle  '  : 

Qui  veult  avoir  le  non  des  bons  et  des  vaillans, 

Il  doit  aler  souvent  à  la  pluie  et  au  champs 

Et  estre  en  la  bataille,  ainsi  que  fist  Rolans 

Et  li  bers  Olivier,  et  Ogier  li  poissans, 

Les  .IIII.  fils  Aymon,  Charlemains  +  li  grans,  10715 


39  nis .  duc. 

1.  Cf.  mon  article  :  «  Gui  de  Tournant,  chançon  de  jeste  perdue  »,  dans 
Remania,  XLII,  439-442.  [Je  m'aperçois  au  dernier  momant  qe  G.  Grôber  a 
présanté  qelqes  remarqes  sur  ce  passage  de  Cuvelier  dans  $on  Grimdriss,  II, 
ire  partie,  p.  1088  ;  an  ce  qi  concerne  l'objet  de  la  présante  note,  il  se  borne  à 
cet  aveu  d'ignorance  :  «  unbekannt  ist  ein  Epos  von  Giiion  v.  Coiirnans  das 
er  V.  10716  nennt  «.] 

2.  Op.  ïaud.,  p.  444,  discours  de  Victor  Le  Clerc  sur  l'état  des  lètres  an 
France  au  xive  siècle. 

5.  Coll.  des  Doc.  inédits  sur  l'hist.  de  France  (Paris,  1839),  t.  I,  p.  376. 
4.  Pour  la  mesure,  il  faut  corijer  an  Charlemaine  ou  Charleviaincs. 


100  MELANGES 

Li  ducs  Lions  de  Bourges,  et  Guion  de  Cournans  ', 
Perceval  le  Galois,  Lancelot  et  Tristans, 
Alixandre  et  Artus,  Godefroi  li  sachans 
De  coi  cil  ménestrelz  font  ces  nobles  rommans. 

J'ai  collacioné  ce  morceau  sur  le  ms.  B.  N.  fr.  850,  fol.  67- 
68,  d'où  il  et  tiré,  et  j'ai  constaté  qe  le  manuscrit  était  fidèle- 
mant  reproduit,  sauf  au  v.  107 15,  où  il  faut  lire  fil^,  et  non 
fils,  ce  qi  inporte  peu.  Le  seul  mot  qi  nous  intéresse  se  trouve  à 
la  deusième  ligne  de  la  première  colone  du  fol.  68  r"  ;  il  et 
écrit  avec  un  c  initial,   non  avec  un  /  :  cournans. 

Voici  la  leçon  du  manuscrit  de  l'Arsenal  3 141,  fol.  166  v°, 
dont  l'édicion  Charrière  ne  done  pas  toutes  les  variantes  : 

Qui  vuelt  avoir  renom  des  bons  et  des  vaillans, 

Il  doit  aler  souvent  as  pluies  et  aux  vens 

Et  hanter  les  batailles,  ainsi  com  fist  Rolans 

Et  li  bers  Oliviers  et  Ogiers  li  puissans, 

Les  .iiij.  filz  Hemon  et  Krim  (sic)  li  grans, 

Li  dux  Lyons  de  Burgs  (sic)  et  Guioti  de  Coniaus, 

Perceval  le  Galois,  Lancelot  et  Tristans, 

Alixandre  et  Artus,  Godefroy  li  sachans 

De  quoy  cil  ménestrel  font  maint  noble  rommant. 

Il  me  paraît  certain  qu'au  v.  107 16  Cuvelier  a  an  vue  la  chan- 
çon  de  Gui  de  Tournant,  bien  q'il  ait  altéré  la  dernière  lètre  du 
nom  du  héros.  Les  scribes  ne  conaissaient  pas  ce  nom,  puisq'ils 
ont  pris  le/  inicial  pour  un  c;  l'erreur  qi  leur  et  comune  montre 
qe  la  notoriété  de  cète  chanson  de  jeste  était  assés  restreinte  dès 
la  fin  du  qatorzième  siècle. 

A.  Thomas. 


QI  VIVE  ? 

Je  n'ai  jamais  éprouvé  pour  l'explicacion  de  qi  vive  ?  par 
«  vive  qi  ?  »,  explicacion  reçue  depuis  longtanps  et  rafraîchie 
par  M.  Clédat,  la  répugnance  q'a  manifestée  ici  même  mon  col- 

I.  Une  faute  tipografiqea  transformé  Cournans  an  Connans  dans  la  citacion 
faite  par  Victor  Le  Clerc,  Hisl.  lilt.,  XXIV,  4.14. 


QI  VIVE  ?  10 1 

lègue  et  ami  Alfred  Jeanroy'.  Il  et  certain  qe  ^/ im  ?  procède  de 
l'exclamacion  :  Vive  un  tel  !  Jeanroy  ne  croit  pas  qe  la  for- 
mule exclamative  soit  antérieure  au  xv''  ou  au  xvi''  siècle  ;  il  a 
tort.  Il  sufit  de  lire  l'istoriqe  de  vivre  dans  Littré  pour  trou- 
ver un  exanple  du  xiii^  siècle,  Assises  de  Jérusalem,  i,  30  :  «  Vive 
le  roi  en  bone  prospérité  !  »  Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  qe 
Vivat  rex  !  revient  fréqamant  dans  la  Bible,  particulièremant 
dans  \e  Livre  des  Rois.  La  version  française  du  xii^  siècle,  publiée 
par  Le  Roux  de  Lincy,  traduit  tantôt  par  :  Salfs  seit  H  reis  !  (i, 
10,  24,  p.  31  ;  m,  I,  25,  p.  223),  tantôt  par  :  Vived  mes  sires 
li  reis!  (m,  i,  31,  p.  224).  Ailleurs  èle  conbine  les  deus  for- 
mules: Vive  e  salf  seit  li  reis  !  (m,  i,  36,  p.  225). 

Qi  vive  ?  et  plus  réçant.  M.  Clédat  l'a  signalé  dans  la  Farce 
nouvelle  de  Foie  Bohance,  conposée  à  Lion  vers  1500  -.  On  peut 
afirmer  que  la  locucion  était  déjà  courante  dans  le  premier  qart 
du  xV  siècle,  come  le  prouve  ce  passage  de  la  Croniqe  du 
Relijieus  de  Saint-Denis,  relatif  à  l'anée  1419,  qe  je  me  borne  à 
mètre  sous  les  ieus  du  lecteur  et  qi  se  passe  de  commantaire  : 

Intcrrogati  secundum  communem  modum  loquendi   :  Oui  (sic)  vivat,  qui 
vivat  ?  respondebant  :  Rex,  regina  et  dux  Bnijundie ,novatn  Dalphini  tacentes?. 

A.  Thomas. 


1.  Romania,  XXXVII,  294-6. 

2.  Voir  Picot,  Rec.  gén.  des  Sotties,  I,  257. 

3.  Edition  de  la  Collection  des  doc.   inéd.  sur  l'histoire  de  France,  t.  VI, 
p.  388. 


COMPTES  RENDUS 


Ferdinand  Daxxe,  Das  altfranzôsische  Ebrulfusleben,  eine 
Dichtung  aus  dem  12.  Jahrhundert,  nach  dcm  Manuskript 
I9(S67  der  Nationalbibliothek  zu  Paris  mit  Einleitung  und  Anmerkungen 
neu  lierausgegeben  {Roiuanische  Forschimgen,  XXXII,  191 5,  p.  748- 
893). 

Le  manuscrit  unique  de  cette  vie  de  saint  Evroul,  déjà  publiée  en  1887  par 
l'abbé  Blin  dans  le  Bulletin  de  la  Société  historique  et  archéologique  de  VOrnf, 
date  du  xive  siècle.  M.  D.  a  mis  en  tête  de  son  édition  une  étude  linguis- 
tique particulièrement  confuse  et  insuffisante  ;  il  a  toutefois  entrevu  que  l'au- 
teur et  le  copiste  étaient  Normands.  Si  son  explication  d'une  allusion  au  roi 
Henri  I^r  (v.  4255)  est  exacte,  le  poème  serait  peu  postérieur  au  milieu  du 
xiie  siècle.  La  source  du  poète  français  est  la  seconde  partie  de  YHistoria 
ecclesiastica  d'Orderic  Vital.  Le  récit  de  la  jeunesse  contient  pourtant  des 
additions.  Le  poème  se  divise  en  deux  parties  :  la  vie  proprement  dite  (v. 
1-2604)  ^t  le  liber  de  niiraculis  (v.  2605-4394). 

L'éditeur,  qui  promet  de  publier  son  texte  en  suivant  le  manuscrit  avec  la 
plus  grande  rigueur  possible,  a  en  fait  très  souvent  retouché  inutilement  le 
manuscrit.  D'abord  au  point  de  vue  de  la  graphie  :  le  copiste  écrit  constam- 
ment s  pour  c,  et  l'ice  versa,  de  même  s  pour  ss  ;  il  suffisait  de  le  dire  une 
fois  pour  toutes,  et  il  était  inutile  de  reléguer  aux  variantes  toutes  les  graphies 
comme  se(^  ce)  ^20,  consience  785,  sessereiit  1335,  d'ancesoiirie  1829,  n'aseni- 
hlast  2716,  euse  3601,  ase^  4180,  etc.  ;  le  copiste  écrit  souvent  e  pour  ai,  il 
fallait  laisser  é  (habeo)  400,  de  même  e  (=et)  401,435,  1189.  C'est  encore 
à  tort  que  l'éditeur  change  suirron  821  ensnivroii,  ceu^  858  en  ceul:;^  (\),feus 
i^<^-]  en  fels,  reffetour  144-^  en  refectour,  etn  porte  en  en  porte,  eni  pe^  en  en 
pe^  (toujours),  50/;  1490,  etc.,  bonne  forme  normande,  en  set,  villes  (adj.) 
1666  enviles,  melieti  1701  (également  du  très  bon  normand,  cf.  enmé  3590 
et  (fcwc' 3880)  en  milieu,  geuues  1950  en  jeunes,  ennioîent  2135  en  emoieiit  (de 
amare), /'a/^r  2222  et  2442  en  parler,  Jlebesce  22^0  en  fehlesce,  gardés  2428 
engarde:^,  Kalles  3214  en  Challes,  iglise  5698  en  église,  nioulla  et  soulla  4207-8 
en  vioiiilla  et  souilla,  etc.  Quelquefois  l'éditeur  change,  parce  qu'il  n'a  pas 
compris  la  leçon  correcte  du  manuscrit.  D'autres  fois,  quand  le  manuscrit 
est  corrompu,    il  propose    des  corrections  qu'il   faut    rejeter,    sans    que   je 


F.  DANNE,  Dûs  alfran^ôsische  Ebruljiislehen  103 

puisse  en  proposer  de  meilleures.  Voici  quelques  cas  de  ce  genre,  j'y  joins 
des  corrections  à  des  passages  laissés  intacts  par  l'éditeur.  V.  69,  au  lieu  de 
cieulx,  1.  tieulx.  —  V.  165,  au  lieu  de  Et  lire  A.  —  V.  314,  en  lisant  Si 
comme  [('»]  escript  leveïsmes  on  écarte  un  hiatus  choquant.  —  V.  450,  ou  peut 
garder  la  leçon  du  ms.  :  Et  pour  c'est  il  bien.  — •  V.  634,  au  lieu  de  guerre  don- 
ner l'ire guerredonier.  —  V.  649.  Supprimer  la  note.  —  V.  765,  puisque  rieiille 
ne  doit  compter  que  pour  deux  syllabes,  le  vers  établi  par  l'éditeur  est  faux. 

—  V.  1007,  il  faut  conserver  le  cas  régime  cil,  que  l'éditeur  change  cons- 
tamment en  cel  (v.  1247,  2069,  etc.  ;  au  v.  650  il  faut  aussi  lire  de  cil  qui, 
etc.  Cf.  Du  vouloir  a  cil  qui  ne  ment  696)  ;  supprimer  la  note  du  vers 
1007  et  renvoyer  à  Tobler,  Vennischte  Beilr.,  I-,  242.  —  V.  loio,  il  faut  fer- 
mer les  guillemets  après  ce  vers  ;  c'est  là  que  finit  la  citation  biblique.  — 
V.  ion,  lire  dont.  —  V.  1013,  remplacer  le  point  par  une  virgule.  —  Sup- 
primer les  deux  points  après  le  v.  1018  et  lire  au  vers  suivant  avec  le  ms. 
Au[s]  soens  donner  :  cf.  Tobler,  Fenn.  Beitriige,  IP,  102.  —V.  1164,  rem- 
placer le  point  par  une  virgule,  et  au  v.  suivant,  le  point  et  virgule  par  un 
point.  —  V.  1227,  il  faut  garder  le;V  dums.  et  lire  Que  f.a.  —  V.  1240,  le 
ms.  (que  je  n'ai  pas  vu)  porte  très  probablement /<;.  —  V.  1242,  supprimer 
la  virgule  après  si,  —  V.  1245,  au  lieu  de  benoi^,  il  faut  imprimer  hen[e'\oii. 

—  V.  1267,  lire  peut-être  i'o?/c.  —  V.  1537,  la  leçon  du  ms.  me  semble 
acceptable  :  Ces  ■vertu:^ci  desraem  ditei.  —  V.  1793,  on  pourrait  peut-être  lire 
avec  le  ms.  :  Et  tant  i  a  en  cous  rue:(.  —  Puisque  Fiel  (Vitalis)  compte  pour 
deux  syllabes,  le  vers  1922,  tel  qu'il  a  été  établi  par  l'éditeur,  est  faux  ;  lire 
peut-être  :  A  Fiel  qu'un  ancien  virent.  — V.  1989-90,  au  lieu  de  sovesQX  mairs 
lire  soues  et  moues.  —  Le  v.  2439  ^^t  trop  long;  lire  //  frère,  et  mettre  une 
virgule,  au  lieu  d'un  point,  après  le  v.  suivant.  — V.  2480,  je  pense  que  le  ms. 
porte  plutôt  c5/rt;«  que  elfans.  —  V.  2589,  l'ordre  des  mots,  tel  que  l'a  établi 
l'éditeur,  n'est  guère  possible  en  ancien  français  ;  on  pourrait  à  la  rigueur 
lire  :  Grâce  fait  Dieu,  etc.  —  V.  2617,1!  faut  lire:  Aaprendre  se'nsetdoucirine, 
ou  bien  :  Et  aprendreit  s.  et  d.  —  V.  2708,  au  lieu  de  jeune,  imprimer 
jenne  (:  ahenne).  —  V.  2789,  l'éditeur  a  détruit  la  bonne  leçon  du  ms.  :  Le 
roy  qu'il  s'est  ainolié.  —  V.  3175,  au  lieu  de  a  croistre,  \m^ùmtr  acroistre.  — 
V.  371 1,  le  ms.  est  correct  :  Guillehnes  airousenient.  —  V.  3727,  le  ms.  est 
correct  :  Après  avint,com  Fiel  conte.  —  V.  3837,  au  lieu  de  Maule,  imprimer 
Manie  (:  escanle)  ;  le  texte  latin  porte  :  Fulco  Manliae  preshyter.  —  V.  3897- 
8,  refuse^  se  trouve  deux  fois  à  la  rime  ;  la  seconde  fols  il  faut  peut-être 
lire  reiise:(. — ¥.'4165,  ça  en  arrière  forme  une  locution  toute  faite;  il  ne  faut 
pas  lire  ça  [ja]  en  arrière,  mais  plutôt:  Que  tant  [en]  fust  ça  en  arrière.  —  Les 
variantes  sont  disposées  de  telle  manière  que  l'on  ne  peut  savoir  ce  qui 
manque  et  ce  qui  se  trouve  dans  le  manuscrit.  —  Le  texte  contient  plusieurs 
expressions  intéressantes  ;  mais  l'éditeur  ne  nous  dit  pas  s'il  les  a  comprises  : 
il  n'a  pas  dressé  le  moindre  glossaire. 

Arthur  LÂngfors. 


104  COMPTES    RENDUS 

Henri     Hauvette,   Boccace.    Étude    biographique    et  litté 

raire  ;  Paris,  Colin,   1914;  in-80,  xii  +  507  pages. 

«  Non  ci  rincresca  che  il  più  bel  libro  d'insieme  fin  ora  uscito  alla  luce 
intorno  al  padre  délia  prosa  italiana  ci  venga  da  une  straniero.  »  Ainsi 
parle  Francesco  Flamini,daus  le  compte  rendu  da  Boccace  de  Henri  Hauvette 
qu'il  a  fait  paraître  dans  le  Gionuile  d'Iialia.  Et  il  donne  les  raisons  pour 
lesquelles  une  pareille  constatation  ne  lui  coûte  aucune  peine.  Il  rappelle 
l'heureux  travail  commun  des  grandes  écoles  philologiques  et  critiques  de 
France  et  d'Italie,  sur  le  terrain  où  se  sont  rencontrés  les  Gaston  Paris  et 
les  Pio  Rajna.  Et  avec  cette  bonne  grâce  sincère  et  charmante  qui  fait 
de  lui,  en  même  temps  qu'un  des  premiers  savants  de  l'Italie,  un  de  ses 
plus  aimables  esprits,  il  salue  les  érudits  français  italianisants,  «  quel  letterati 
francesi  che  ci   vogliono    bene   perché  ci   conoscono  a  fondo  ». 

Parmi  ceux-là  Henri  Hauvette  mérite  une  des  premières  places.  Il  est 
sans  doute  aujourd'hui  l'érudit  le  plus  complètement  préparé  à  connaître  et 
à  comprendre  un. sujet  comme  celui  qu'il  vient  de  traiter.  Point  n'est  besoin 
de  rappeler  ses  travaux  antérieurs,  connus  de  tous  les  savants,  et  qui  pou- 
vaient faire  prévoir  le  succès  de  son  dernier  ouvrage.  A  peine  né,  cet  ouvrage 
a  attiré  de  toutes  parts  l'attention.  En  Italie,  il  n'a  pas  seulement  reçu  des 
témoignages  d'admiration,  dont  j'ai  cité  le  plus  notable.  Il  a  eu  aussi  l'hon- 
neur d'une  petite  polémique.  Quelques  mots  de  sa  préface  sur  «  la  mode 
actuelle  de  la  critique  esthétique  en  Italie  »,  développés  et  approuvés  par 
Flamini,  ont  soulevé  des  susceptibilités  qui  sont  faciles  à  éveiller  en  ces 
matières  ;  elles  ont  même  fait  sortir  de  son  silence,  le  célèbre  philosophe 
napolitain  Benedetto  Croce,  qui  certes  n'avait  été  aucunement  visé.  Flamini 
a  répondu  avec  une  courtoisie  telle  et  une  telle  volonté  de  paix,  que  la  dis- 
cussion semble  éteinte,  et  tant  mieux,  car  elle  reposait  sur  un  malentendu  ! 
Mais  elle  fait  voir  l'importance  qui  s'attache  aux  moindres  idées  exprimées 
dans  le  livre  de  notre  compatriote. 

C'est  un  livre  de  premier  ordre,  le  seul  qui  existe  sur  Boccace,  suivant  les 
données  actuelles  de  la  science.  Comme  le  dit  encore  Flamini,  les  jubilés 
séculaires  des  grands  hommes,  qui  font  naître  tant  de  fades  discours  et  de 
banales  élucubrations,  voient  éclore  aussi  parfois  des  livres  de  valeur.  C'est 
le  cas  du  centenaire  de  191 3  pour  Boccace  '.  En  somme  cette  date  était  op- 
portune. Les  travaux  des  dernières  années  dans  toute  l'Europe  avaient  assez 
progressé,  pour  que  la  matière,  depuis  la  publication  des  dernières  histoires 
générales,  fût  toute  renouvelée. 

Cela,  nul  ne  le  sait  mieux  que  l'auteur  du  dernier  petit   livre  en  français 


I.  D'excellents  travaux  ont  paru  de  divers  côtés,  parmi  lesquels  il  faut 
signaler  ceux  qu'a  su  grouper  la  remarquable  société  historique  de  la  Val 
d'Eisa,  cf.  Rofiuniia,  XLIII. 


H.    HAUVETTE,    BoCCÛCC  IO5 

sur  ce  vaste  sujet,  livre  bien  modeste  et  qui  n'avait  eu  pour  but,  il  y  a  vingt 
ans,  que  de  résumer  l'état  des  connaissances  sur  Boccace,  en  y  ajoutant  le 
résultat  de  quelques  recherches  personnelles  sur  Pétrarque  '.  Je  puis  donc 
mesurer,  en  lisant  Hauvette,  le  chemin  parcouru.  Il  est  immense.  A  vrai  dire, 
au  moment  même  où  j'avais  publié  mon  livre,  un  départ  nouveau  était 
donné  aux  études  boccaccesques  par  le  livre  de  Vincenzo  Crescini  -,  livre 
vraiment  génial,  dont  toutes  les  recherches  postérieures  ont  pu  développer 
les  conséquences,  mais  non  ébranler  les  principes.  Crescini  n'avait  pas,  si  l'on 
veut,  inventé  l'interprétation  allégorique  des  romans,  puisqu'il  faut  en  attri- 
buer l'honneur  à  Baldelli  ;  mais  il  en  a,  le  premier,  su  tirer  parti.  Hauvette  l'a 
reprise,  où  Crescini  l'avait  laissée,  et  il  l'a  poussée  plus  loin  encore,  avec  une 
ingéniosité  rare.  Rien  de  plus  difficile  que  cette  forme  de  raisonnement,  qui 
cherche  dans  des  romans  des  faits  et  des  dates,  soit  par  «  la  psychologie  des 
personnages  dans  ses  rapports  avec  la  vie  sentimentale  de  l'auteur  »,  soit, 
d'autres  fois  sous  la  forme  de  «  rébus  déplaisants  et  hérissés  d'inconnus  '-  ». 
En  somme  les  circonstances  de  la  vie  du  héros  apparaissent  «  comme  dans 
une  brume  »,  et  tout  en  s'y  débrouillant  avec  une  merveilleuse  désinvolture, 
Hauvette  ne  peut  s'empêcher  de  constater  que  le  moindre  document  ferait 
bien  mieux  son  affaire . 

Il  ne  faut  pas  dire  d'ailleurs  que  de  véritables  documents  n'aient  pas  été 
ajoutés  à  ceux  qui  étaient  précédemment  connus  Le  travail  des  érudits  n'a  pas 
été  inutile.  Ils  ont  beaucoup  à  faire  encore  assurément, ne  fût-ce  que  pour  nous 
mettre  en  main  des  textes  corrects  et  assurés  ;  il  est  déplorable  par  exemple 
que  nous  en  soyons  toujours  réduits  pour  ïEpistolaîre,  si  maigre  mais  si  inté- 
ressant, à  la  pitoyable  édition  Corazzini.  Mais  pourtant  quelque  chose  a  été 
fait.  Aussi  bien  que  pour  la  critique  des  textes  que  pour  la  recherche  des 
documents,  on  peut  louer  hautement  le  Boccaccio-Fuuàe  de  Hecker.  Quelques 
textes  décisifs  ontapparu,  comme  celui  qui  concerne  la  léghimation,  dont  nous 
devons  la  connaissance  à  F.  Torraca.  La  critique  aussi  a  assuré  l'authenticité 
et  permis  l'usage  de  certains  documents  jadis  contestés  de  tous  :  je  sais  par 
moi-même  ce  qu'il  en  coûtait,  il  y  a  vingt  ans,  à  tenir  pour  bonne  la  lettre 
vulgaire  à  Nelli  sur  le  voyage  à  Naples  de  1 562,  aujourd'hui  hors  de  contes- 
tation. 

C'est  surtout  peut-être  l'étude  de  «  l'ambiance  »  aussi  bien  florentine  que 
napolitaine,  qui  a  éclairé  le  plus  le  sujet.  Sur  Naples  surtout  et  le  rôle  des 
florentins  à  Naples  au  xive  siècle,  il  y  a  eu  de  nombreux    travaux,    parmi 


1.  H.  Cochin,  Boccace,  Études  italiennes,  Pion,  1890. 

2.  Contrihuto  agU  studii  siil  SctTflrc/o,  Loescher,  1887. 

3.  C'est  ainsi  qu'Hauvette  a  su  fixer  la  date  de  Vinnauioriiiiiento  au  samedi 
saint  50  mars  1336.  Voir  ses  discussions  avec  Massera  et  Délia  Torre.  — 
Seul  des  œuvres  de  B.  le  fastidieux  Filocolo  a  des  données  chronologiques 
explicites. 


I06  COMPTES    RENDUS 

lesquels  je  mets  au  premier  plan  ceux  de  de  Blasiis.  Au  moment  même 
où  je  recevais  le  livre  de  Hauvette,  j'apprenais  la  mort  du  professeur  de 
Blasiis.  Je  ne  puis  résister  au  désir  de  rendre  hommage  en  passant  au  savant 
original  et  à  l'aimable  vieillard,  subtil  évocateur  de  l'âme  napolitaine  dont 
la  riche  et  inépuisable  conversation,  le  matin,  dans  la  salle  d'une  bibliothèque 
bien-aimée,  a  laissé  à  tous  ceux  qui  en  ont  joui  un  ineffaçable  souvenir.  Le 
seul  défaut  des  études  de  de  Blasiis  c'est  qu'elles  sont  interrompues  ;  mais,  en 
venant  à  F.  Torraca,  l'héritage  est  en  bonnes  mains. 

Hauvette  a  utilisé  et  développé  les  résultats  de  tous  les  récents  travaux  sur 
l'époque,  sur  les  personnages  que  Boccace  a  fréquentés,  les  lieux  où  il  a 
vécu.  La  liste  de  ces  travaux  est  très  complète  dans  l'excellente  Bibliogra- 
phie de  Traversari  ■ .  On  ne  peut  passer  sous  silence,  outre  les  travaux  de 
Traversari,  ceux  de  Délia  Torre,  d'Antona  Traversi,  à  l'étranger  de  Hutton, 
dans  l'Abbruzze  Faraglia,  Mandxlari,  Mascetta  Caracci  ^  J'ai  déjà  nommé, 
hors  de  pair  Torraca.  Une  mention  à  part  est  due  à  Mgr  Vattasso  ;  on  sait 
quelle  riche  récolte  le  distingué  scriltor  de  la  Vaticane  a  réalisée  dans  la 
célèbre  bibliothèque. 

Si  quelque  chose  reste  à  faire,  —  et  qui  en  doute  ?  —  c'est  encore  dans 
l'histoire  de  l'ambiance,  surtout  napolitaine.  Nous  commençons  à  peine  à 
entrevoir  les  figures  des  Anjou  de  Napleset  de  leur  entourage.  Hauvette  qui 
me  semble  avoir  tracé  de  leur  cour  un  croquis  rapide  mais  excellent,  — 
arrive  à  la  comparer  à  celle  de  leurs  arrière-neveux  du  xviiie  siècle,  aimables 
braves,  mais  follement  adonnés  au  plaisir.  Robert  lui-même  n'échappe  pas 
à  cette  folie,  Robert  si  mal  connu  encore,  si  curieux  à  observer,  et  dont 
l'histoire  reste  à  faire.  Le  Robert  de  Boccace  n'a  rien  à  voir  avec  celui  de 
Dante,  fastidieux  sermonnaire,  rien  avec  celui  de  Pétrarque,  sage  divin  et 
roi  de  contes  de  fées  :  le  sien  est  celui  qu'on  appelait  Roboam,  du  nom  mal  famé 
d'un  roi  de  Juda,  le  père  de  tant  de  bâtards,  le  mari  peu  fidèle  de  la  sainte  et 
malheureuse  Sancia.  Dans  le  vrai  Robert,  il  y  avait  sans  doute  un  peu  des 
trois  5. 


1.  On  peut  en  trouver  le  complément  dans  certains  fascicules  de  la 
Socielà  Storica  délia  Val  d'Eisa. 

2.  H. cite  les  travaux  de  Faraglia  parus  dans  F.'/ rr/;.  5/o/-. //.  (1889,  Ser.  V, 
t.  III,  313)  et  non  pas  I duc  amici  di  l'i-lrarca,  Giovanni  BarriU  c  Marco  Bar- 
bato,  dans  Arcb.  slor.  per  Je  Prov.  Nap.  (1884).  Les  deux  ont  été  republiés 
à  Lanciano  en  1893  (/  iniei  studj  storici  délie  cose  cd'l'ru:{::;^esi).  —  H.  n'a  pas 
perdu  grand  chose  à  ne  pas  faire  usage  du  livre  de  Mandalari  sur  Barlaam 
(Rome,  1888)  ;  il  ne  cite  que  Nolhac  et  Hortis.  —  Sur  les  études  et  spécia- 
lement les  études  grecques  à  Naples,  il  faut  citer  encore  les  travaux  de  Lo 
Parco,  mais  ils  n'ont  rien  à  voir  directement  avec  B. 

3.  Je  note  les  idées  fort  nouvelles  de  H.  au  sujet  de  l'influence  de  Pétrarque 
sur  le  roi  Robert.  Il  la  croit  plus  grande  encore  qu'elle  ne  m'était  apparue. 
Pétrarque  n'aurait  pas  seulement  «  étendu  »  l'horizon  littéraire  et  poétique 
du  roi  ;  il  l'aurait  ouvert.  C'est  une  question  à  revoir. 


H.    HAUVETTE,    BoCCacC  I07 

Hauvette  a  rassemblé  tous  les  éléments  d'étude  épars  çà  et  là,  et  y  ajou- 
tant le  résultat  d'études  personnelles  considérables,  il  en  a  fait  un  ensemble 
remarquable.  On  peut  dire  que  les  traits  de  Boccace  sont  désormais  nette- 
ment arrêtés.  Une  exposition  claire,  logique,  prudente  et  non  dénuée  d'au- 
dace, laisse  peu  de  chose  dans  l'ombre. 

On  remarquera  par  exemple,  dès  le  début,  les  ingénieuses  déductions  au 
sujet  de  la  naissance.  11  y  a  beau  jour  que  la  naissance  parisienne  n'est  plus 
douteuse.  Hauvette  y  ajoute  une  hypothèse  que  j'avais  jadis  risquée,  et  à 
laquelle  il  adapte  d'autres  détails  que  lui  fournissent  de  récentes  études  sur 
les  Lombards  de  Paris  dans  les  premières  années  du  xive  s.  Ces  données 
bien  établies,  Hauvette  en  tire  des  conclusions  ingénieuses  qui  vont  éclairer 
des  circonstances  très  postérieures  de  la  vie  du  personnage.  Il  se  demande 
d'où  Boccace  a  pu  apprendre  le  roman  de  sa  naissance,  puisque  aussi  bien 
l'enfant  fut  rapporté  de  Paris  en  Toscane  en  bas  âge.  A  cette  question  la 
réponse  est  heureuse  ;  plus  heureuse  encore  et  fort  instructive  la  réponse 
à  cette  autre  question  :  pourquoi  la  naissance  parisienne  est-elle  révélée  dans 
le  «  bavardage  allégorique  »  de  VJnieto  et  de  la  dernière  partie  du  Filocolo, 
lesquels  sont  de  1341  ?  Pourquoi  Boccace  en  parla-t-il  à  ce  moment-là,  et 
jamais  ni  avant  ni  après  ?  On  en  verra  les  raisons  :  c'était  le  moment,  entre 
tous,  où  il  devait  lui  plaire  de  célébrer  ses  amours  avec  Fiammetla,  et  de 
marquer  des  rancunes  contre  son  père.  On  aperçoit  aisément  quel  avantage, 
il  pouvait  trouver  à  laisser  entendre  que  le  mystère  de  sa  naissance  le 
rattachait  à  quelque  Française  de  haute  naissance.  Cette  date  de  1341  est 
celle  tout  justement  où  son  père  ruiné  et  récemment  remarié,  venait  de  le 
forcer  à  rentrer  en  Toscane  et  dans  la  vie  bourgeoise,  à  rompre  le  rêve  pour- 
suivi quelques  années.  Fils  d'un  gros  commis  de  banque,  devenu  poète  à  la 
mode,  bien  en  cour  et  aimé  d'une  vague  bâtarde  de  la  maison  d'Anjou  ', 
il  s'attachait  à  ce  beau  rêve  de  gloire,  de  fortune  et  d'amour,  et  s'en  voyait 
.brutalement  écarté.  Le  travail  de  critique  littéraire  donne  des  traits  de 
bonne  psychologie.  On  aperçoit  sans  peine  quel  fut  le  galant  lettré  toscan, 
faisant  florès  parmi  les  dames  lectrices  de  romans  français  et  ferventes 
des  vers  d'amour,  ou  bien  à  Naples,  ou  bien  sur  la  plage  élégante  de  Baia, 
s'énamourant,  suivant  la  coutume  courtoise,  pendant  la  Semaine  Sainte,  à 
la  porte  d'une  église.  Tout  cela  s'accommodait  si  bien  avec  le  petit  m}'stère 
de  la  naissance  ! 

Cette  naissance,  d'ailleurs,  après  bien  des  discussions,  est  fixée,  ne  varietur 
semble-t-il,  à  la  fin  de  131 3.  A  partir  de  cette  date  initiale,  la  chronologie  a 
été  déroulée  par  Hauvette,  de  façon  aussi  précise    que  puisse  se  faire,  étant 


I .  On  continue  à  être  peu  renseigné  sur  Fiammetta,  fille  d'une  française 
comtesse  d'Aquino,  et  (disait-on),  du  roi  Robert.  On  ne  l'a  pas  encore 
identifiée.  Massera  a  bien  trouvé  une  dame  qui  répondrait  à  la  définition  ; 
mais  elle  se  nomme  Gioiwina  et  non  Maria. 


I08  COMPTES    RENDUS 

donnée  la  nature  des  renseignements  dont  j"ai  parle  et  aussi  les  variations  de 
sens  des  expressions  chronologiques  à  cette  époque  (pueiitia,  adolesceiitia, pri- 
die,  etc.).  Ce  sont  les  années  de  l'apprentissage  commercial,  1325  à  15 30, 
coupées  en  1328  par  le  voyage  à  Naples.  Ce  voyage  est  préparé  par  l'éblouis- 
sant passage  à  Florence  du  duc  de  Calabre  (1326)  et  le  voyage  subséquent 
du  père  de  Boccace  à  Naples  en  1 527  '.  On  place  de  133 1  à  13 36 les  études  de 
Droit  Canon,  puis  vient  riimanioranieiilo,  suivi,  comme  il  convenait,  de  la 
carrière  littéraire.  Tout  cela  cadre  bien  avec  le  fameux  et  charmant  passage 
autobiographique  du  De  Generalioiie  deorum. 

Hauvette  a  en  particulier  précisé  les  types  des  personnages  singuliers  dont 
Boccace  subit  l'influence  pendant  sa  vie  napolitaine,  et  qui  contribuèrent  à 
former  et  à  diriger  son  esprit  :  Andalô  di  Negro  (d'après  Wilkins,  Calmeta  et 
Paget  Tovnbee),  Paolo  de  Pérouse  (d'après  Zenatti),  et  d'autres.  A  la  canto- 
nade passent  de  bizarres  figures  d'orientaux  tel  que  par  exemple  Marin  Bul- 
gare :  il  y  avait  un  mélange  continuel  de  races  et  de  métiers,  dans  ce  monde 
facile  et  mouvant  du  commerce  et  du  plaisir  qu'offre  à  nos  yeux  la  Naples 
médiévale.  On  y  voit  passer  aussi  de  nobles  et  rares  figures  :  Cino  de  Pistoja, 
qui  a  contribué  à  développer  dans  Boccace  l'amour  de  Dante  ;  —  Giotto, 
peintre  comme  lui,  réaliste  comme  lui,  quoique  d'une  autre  inspiration- 
Quant  à  Pétrarque,  je  pense  avec  Hauvette  que  Boccace  ne  put  pas  le  con- 
naître à  Naples,  lors  de  la  «  visite  triomphale  »  de  1 341  :  car  il  était  de  retour 
à  Florence  depuis  plusieurs  mois  -.  Hortis  fait  durer  ses  amours  de  1336  à 
38;  son  séjour  à  Naples  se  continue  en  1339,  dans  le  travail  et  la  tristesse, 
mais  dans  l'aisance  >.  Puis  vient  la  ruine  des  banques  florentines  en  1359. 
A  la  fin  de  1340  (décembre)  Boccace,  de  fort  mauvaise  humeur,  revient  par 
force  à  Florence  et  c'est  pour  y  assister  au  second  mariage  de  son  père. 

Les  dates  postérieures  sont  plus  aisées  à  fixer.  Il  s'agit  surtout  de  sérier  les 
divers  vovages.  Boccace  est  redevenu  toscan,  et  jusqu'à  la  fin,  il  partage  sa  vie 


1.  Le  duc  de  Calabre  était  accompagné  de  Barbato  et  de  Barrili,  que  B.  va 
retrouver  à  Naples,  et  dont  la  présence,  eu  ces  circonstances,  est  importante 
pour  l'histoire  des  relations  de  B.  avec  Pétrarque,  et  de  Pétrarque  avec 
Robert.  Sur  le  voyage  de  Boccaccino  à  Naples,  voir  Davidsohn,  Foischiingeu, 
III. 

2.  Il  faut  voir  aussi  les  conclusions  d'Hauvette  sur  les  relations  de  B.  avec 
Barlaam,  et  ses  études  grecques.  Sur  les  origines  calabraises  de  l'hellénisme, 
il  y  a  de  beaux  trivaux  de  Lo  Parco.  Il  n'a  pas  pu  prouver  les  relations  de 
B.  avec  Niccolo  de  Reggio  (le  médecin  du  roi  Robert),  qu'il  avait  un  instant 
songea  identifier  avec  l'énigmatique  Theodontius.  H.pense  que  Theodontius 
est  un  mvthographe  aujourd'hui  perdu  et  non  un  pseudonyme.  Je  ne  sais 
si  la  question  est  tranchée,  et  j'en  doute  encore. 

3.  Hauvette  montre  qu'en  1338  Boccaccino  avait  fait  quelque  chose  pour 
assurer  à  Naples  la  vie  de  son  fils.  Il  a  très  bien  établi  que  les  relations  du 
père  et  du  fils  n'ont  pas  toujours  été  mauvaises  sans  intermittences.  —  Hau- 
vette nous  apprend  beaucoup  sur  le  père  de  B.  et  son  jeune  frère. 


H.    HAUVETTE,    BoCCÙCe  IO9 

entre  Florence  et  Certaldo,  tout  en  l'entrecoupant  de  voyages  ;  quelques-uns 
de  ces  voyages  ont  pu  avoir  une  apparence  d'étude  ou  d'agrément  ;  la  plu- 
part sont  certainement  de  véritables  missions  diplomatiques  ;  c'est  le  cas 
d'ailleurs  pour  beaucoup  de  voyages  de  gens  de  lettres  au  moyen  âge  ;  on 
le  découvre  de  jour  en  jour  davantage.  Hauvette  établit  qu'il  y  eut  deux 
voyages  à  Naples,  1347  et  1370,  et  non  pas  trois  '.  Il  fait  bien  connaître  les 
relations  avec  Forli  et  Ravenne  -. 

La  chronologie  de  Boccacea  une  très  grande  importance  :  elle  a  un  rap- 
port direct  avec  l'histoire  morale  de  ce  rare  esprit,  mais  surtout  avec  son 
histoire  littéraire.  Car  Boccace  est  un  lyrique;  quoi  qu'il  semble  faire,  il  se 
raconte  toujours  un  peu  lui-même.  Alors  même  qu'il  ne  se  raconte  pas,  ou 
presque  pas,  comme  dans  le  Décaméron,  il  affecte  encore  de  se  raconter,  et 
nous  induit  à  le  croire  de  diverses  manières,  et  en  particulier  par  le  procédé 
qu'Hauvette  appelle  ses  «habiles  localisations  »  3.  Il  se  raconte. même,  par 
endroits,  dans  celles  de  ses  œuvres  qui  ne  sont  que  des  compilations;  car 
il  ne  peut  pas  résister  à  l'envie  qu'il  en  a.  Pour  faire  l'histoire  de  ses  oeuvres, 
il  faut  donc  être  aussi  psychologue  qu'historien.  Leur  histoire  se  déduit  le 
plus  souvent  de  l'observation  et  du  raisonnement.  Voici  le  Filostrato  4,  qui  a 
comme  source  Benoît  de  Sainte-More,  et  qui  mène  à  Chaucer  et  Shakes- 
peare :  ce  n'est  cependant,  malgré  l'apparence,  qu'une  peinture  de  la  société 
napolitaine.  La  Teseide  est  napolitaine  aussi,  comme  Crescini  a  fini  par  le 
reconnaître.  Ces  œuvres-là,  étant  napolitaines,  ont  une  grande  part  d'in- 
fluence française . 

L'aspect  est  tout  autre  quand  nous  sommes  à  Florence  :  même  dans  les 
poèmes  italiens,  l'influence  des  classiques  latins  reprend  le  dessus.  UAmeto 
est  une  bucolique  allégorique.  On  veut  faire  des  Églogues  comme  Virgile 
(alors  même  qu'on  ne  les  fait  pas  en  latin,  ce  qui  arrive).  Mais  avec  la 
conception  médiévale,  on  y  ajoute  par  force  un  sens  symbolique  '}.  On 
prépare,  en  somme,  le  roman  champêtre  du  xv^  siècle,  et  le  drame  pasto- 


1 .  Il  observe  avec  finesse  le  changement  de  sentiment  de  B.  par  rapport  à 
Naples  et  les  événements  napolitains. 

2.  A  propos  de  Ravenne,  je  relève  une  très  courtoise  discussion,  où  je  ne 
semble  pas  avoir  le  dessus,  et  où  le  fond  de  la  question  est  l'origine  du  sur- 
nom de  Simonde  donné  à  Nelli,  et  sa  date.  M'est-il  permis  d'avouer  que  je 
me  sens  ébranlé,  mais  non  tout  à  fait  convaincu  ?  —  J'ai  du  moins  la  satisfac- 
tion de  voir  qu'Hauvettemaintient  pour  le  voyage  à  Padoue  et  la  visite  à  la 
fille  de  Pétrarque  la  date  de  1367,  que  j'avais  jadis  assez  laborieusement  soute- 
nue. 

3.  Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  n'y  ait  aucune  source  personnelle,  locale  et 
populaire  au  Décaméron.  H.  en  compte  environ  une  cinquantaine. 

4.  Sur  lequel  la  Roniania  a  donné  une  belle  étude  de  Savj  Lopez. 

5.  On  ne  doutait  pas  d'ailleurs  que  Virgile  lui-même  eût  mis  dans  les 
siennes  un  sens  symbolique.  On  disait  hautement  qu'il  fallait  être  «  tous  » 
pour  ne  pas  attribuer  aux  vers  des  poètes  un  sens  secret. 


no  COMPTES    RENDUS 

rai  du  xvi«.  Mais  on  fait  œuvre  originale.  L'^wf/o  mérite  grande  attention. 
Chose  bien  curieuse,  l'influence  dantesque  y  a  une  forte  part.  Voilà  qui  est 
du  plus  haut  intérêt.  Et  ce  n'est  pas  seulement  l'influence  dantesque,  c'est 
même  l'iiilluencc  de  cette  école  de  poésie  amoureuse  symbolisée  mystique- 
ment, dont  Dante  a  été  le  complet  épanouissement.  Oui  vraiment,  les  pro- 
cédés du  dolce  slil  nuovo  se  mêlent  à  cette  poésie  sensuelle.  Ils  apparaissent 
quelque  peu  dans  les  premiers  poèmes  :  ils  sont  évidents  dans  VAuieto  et  la 
2e  partie  du  Filocolo,  qui  restent  cependant,  eu  même  temps,  des  antécédents 
visibles  du  Décaméron.  Certes  ces  œuvres-là  sont  puissamment  réalistes  ; 
bien  plus,  les  personnages  qu'elles  présentent  sont  souvent  réels  '.  Mais 
avec  tout  cela,  elles  ont  leur  symbolisme  et  leur  mysticisme.  UAmeto,  qui 
contient  des  passages  assez  libres,  finit  cependant  par  une  grande  allé- 
gorie religieuse,  tout  à  fait  dantesque,  qui  nous  rappelle  l'apparition  du  char 
de  Béatrice  dans  le  Purgatoire.  Et  ces  dames,  qui  tout  à  l'heure  ont  raconté 
tout  et  le  reste,  représentent  symboliquement  des  vertus  !  On  en  demeure 
stupide.  Le  plus  curieux,  dit  spirituellement  Flamini,  c'est  que  Boccace  n'ait 
pas  senti  que  la  «  disparité  entre  le  s\^mbole  et  la  chose  symbolisée  touchait 
augrotesque».  C'est  que,  fait  presque  inouï, le  sensualisme  de  Boccace  etl'idéa- 
lisme  de  Dante  se  confondant  dans  le  choix  des  symboles  paraissait,  au 
xive  siècle,  chose  très  naturelle.  Réfléchissons  un  peu  :  les  idéalistes  les  plus 
mystiques  avaient  pris  pour  symbole  de  la  béatitude  des  âmes,  les  bonheurs 
d'amour  chantés,  depuis  plusieurs  générations  déjà,  par  une  poésie  d'origine 
sensuelle  et  païenne  ;  et  comme  en  fait,  dans  l'amour,  il  y  a  deux  sortes  de 
bonheur,  celui  du  cœur  et  celai  des  sens,  ils  avaient  fait  leur  choix  et  mis 
tout  leur  but  dans  le  bonheur  spirituel.  Il  n'était  pas  très  extraordinaire  que, 
par  contre,  d'autres,  qui  mettaient  tout  leur  but  dans  le  bonheur  sensuel,  en 
fissent  néanmoins  leur  symbole,  comme  les  idéalistes  l'avaient  fait  du  bon- 
heur spirituel.  Ce  n'en  est  pas  moins  un  accident  fort  curieux. 

Tout  cela,  dit  Hauvette,  est  u  très  enfantin  »,  mais  aussi  très  «  sincère  »  ; 
ajoutons  :  assez  immoral.  Ce  mélange  de  formes  dantesques,  figures  et  pen- 
sées catholiques,  avec  la  matière  usuelle  si  libre  du  poète,  a  pour  nous  quelque 
chose  de  vaguement  blasphématoire.  Il  est  bien  clair  que  cela  ne  parut  pas 
tel  aux  contemporains.  On  sait  que  Boccace  ne  passa  jamais  pour  un  auteur 
irreligieux  :  tout  au  contraire. 

Ces  observations  s'appliquent  encore  à  la  suite  des  œuvres  de  Boccace. 

A  la  période  florentine  appartiennent  encore  plusieurs  œuvres  poétiques 
eu  langue  vulgaire  ÏAiiiorosa  Fisioiie  (i  341),  le  Kin/alc  ficsohiiio  (1^44- 
1545),  et  aussi  les  plus  importantes  des  œuvres  eu  prose,  le  Décaméron,  la 
FUimmetla,  le  Corbaccio.   Sur  le  Décaméron,  Hauvette  est  au    courant    de 


I.  Pour  que  nous  n'en  doutions  pas,  il  arrive  que  B.    les  désigne  par  un 


H.    HAUVETTE,    BoCCaCC  III 

l'énorme  bibliographie  des  sources  en  Italie  et  en  Allemagne,  mais  en  maintes 
circonstances  ses  conclusions  sont  personnelles  et  neuves.  Il  est  bien  entendu 
qu'il  n'a  pas  résolu,  ni  prétendu  résoudre,  complètement  ce  que  j'appellerai  le 
mystère  du  Décaméron,  le  pourquoi,  le  comment  de  sa  composition  :  il 
y  a  là  des  problèmes  qui  resteront  probablement  insolubles.  Pour  qui  Boccace 
fit-il  le  recueil  ?  Pourquoi  ?  Comment  le  publia-t-il  ?  Comment  vingt  ans 
plus  tard  Pétrarque  pouvait-il  n'en  avoir  jamais  entendu  parler  ?  Voilà 
quelques-unes  de  ces  énigmes. 

De  toutes  façons,  et  encore  que  la  matière  du  Décaméron  ait  pu  être  pré- 
parée, amassée,  façonnée  à  bien  des  époques  diverses  %  la  composition  et  la 
rédaction  en  reviennent  aux  alentours  de  1350.  Quelle  que  soit  donc  la 
figure  indubitablement  napolitaine  du  livre,  il  appartient  à  n'en  pas  douter 
à  l'époque  florentine,  ainsi  d'ailleurs  que  Boccace  l'a  dit. 

11  ne  faut  pas  s'étonner  de  ces  contradictions.  Nous  avons  aff^aire  avant 
tout  à  un  homme  de  lettres.  Ces  gens-là,  en  tout  temps,  se  sont  arrogé  le 
droit  d'induire  le  lecteur  en  erreur  sur  l'origine  et  les  circonstances  de  leurs 
écrits,  et  cela  dans  le  dessein,  tout  simplement,  de  donner  à  ces  écrits  telle 
couleur  qui  leur  plût,  et  qui  leur  parût  y  convenir.  S'il  y  a  un  mystère  du 
Décaméron,  il  y  a  plus  encore  un  mystère  de  la  Fianivietta.  Car,  si  l'on  veut 
à  toute  œuvre  d'art  une  explication,  Fiaiiimetta  est  du  tout  inexplicable.  Elle 
est  écrite  à  Florence  en  1343,  alors  que  rien  n'existait* plus  qu'un  souvenir 
de  l'aventure  amoureuse  napolitaine  qu'elle  raconte.  C'est  une  pure  œuvre 
d'art.  Pourquoi  alors  la  nourrir  de  tant  de  faits  réels  et  de  noms  véritables  ? 
Parce  que  tel  était  le  goût  du  poète.  Il  a  rarement  su  rien  écrire,  je  le  répète 
encore,  sans  v  insérer  des  réalités,  sur  lui,  sa  vie,  ses  amis,  son  temps,  ne 
fût-ce  que  pour  piquer  la  curiosité.  Mais  d'ailleurs  c'était  bien  le  goût  de 
son  temps.  Dante  a-t-il  fait  autrement?  Et  Pétrarque  donc!  -Pour  un  peu 
j'appellerais  cet  âge,  l'âge  lyrique. 

Plus  que  toutes  les  œuvres  en  vulgaire,  la  dernière  garde  ce  caractère  per- 
sonnel, le  Corhaccio,  qu'il  faut  dater  de  1354.  Boccace  n'a  jamais  poussé  plus 
loin  la  note  réaliste  ;  jamais  il  n'a  donné  plus  de  place  à  la  confidence  intime. 
C'est  le  moment  où  le  vieux  galant  se  range  par  force,  et  se  voit  renvoyé 
par  sa  dernière  amoureuse  à  ses  oignons  de  Certaldo  :  Torni  a  sarchiar  le 
cipolle,  elascistare  le  geiitildoiuie.  —  Hauvette  nous  montrera  pourtant  com- 
ment ce  roman  triste,  haineux,  répugnant  parfois,  est  bâti  sur  le  modèle  des 
grands  poèmes  mystiques,  et  qu'après  tout,  —  Dieu  nous  pardonne,  —  le 
Corhaccio  ressemble  â  la  Divine  Comédie. 

A  la  seconde  partie  de  la  vie  de  Boccace  appartiennent  presque  entièrement 
les  œuvres  latines  -.  Elles  succèdent  à  ce  grand  événement  que  fut  le  passage 


1.  On  a  dès  longtemps  remarqué  que  des  sujets  du  Décaméron,  apparaissent 
dans  les  premières  œuvres,  telles  surtout  que  le  Fihcolo. 

2.  Je  dis  «  presque  ».  En  effet  notamment,  il  est  probable  que  le  De  Geii. 


112  COMPTES    RENDUS 

de  Pétrarque  dans  sa  vie.  Son  premier  contact  avec  Pétrarque  est  de  1550. 
La  prise  de  possession  de  son  âme  par  son  grand  ami  est  rapidement  pro- 
gressive. Elle  devient  complète  après  la  visite  faite  à  Milan  en  1359.  Elle 
n'eut  jamais  cependant  pour  effet  de  faire  renoncer  Boccace  à  son  culte  pour 
Dante  ».  Mais  elle  le  pénétra  bien  du  préjugé  qui  possédait  l'humanisme 
naissant,  de  cette  conviction  que  nulle  gloire  n'existait  en  dehors  de  l'usage 
exclusif  de  la  langue  latine .  Hau  vette  nous  montre  quelle  place  tient  Pétrarque 
dans  les  compilations  latines,  le  De  claris  ninUerihus  (œuvre  parallèle  du  De 
viris  iUustrihus  du  maître),  et  le  De  casihns  viroruni  ilhtslriuni,  où  Pétrarque 
lui-même  prononce  un  magnifique  discours.  On  sait  quelle  influence  ces 
livres,  de  nous  si  oubliés,  ont  eu  sur  la  littérature  des  générations  suivantes, 
en  divers  pavs.  Bien  plus  oubliés,  quoique  plus  originaux,  sont  le  grand 
traité  de  mvtliologie,  et  le  petit  traité  de  géographie. 

Mais  surtout,  qui,  aujourd'hui,  lit  les  Eglogues  symboliques  latines  ?  Boc- 
cace avait  voulu  les  composer  à  l'imitation  de  Dante  et  surtout  de  Pétrarque. 
Car  les  Eglogues  de  Pétrarque  avaient  excité  l'intérêt  passionné  de  ses  amis. 
J'ai  raconté  -  comment,  entre  1355  et  60,  le  recueil  enfin  achevé  avait  été 
communiqué  à  quelques  heureux  privilégiés.  Boccace  fut  des  pretiiiers.  Les 
exemplaires  étaient  considérés  comme  des  trésors  et  entretenus  avec  soin  : 
chaque  fois  que  le  maître,  relisant  son  œuvre  y  aperçoit  quelque  macule  et  y 
décide  quelque  correction,  il  passe  une  sorte  de  circulaire  à  tous  les  posses- 
seurs, afin  que  chaque  exemplaire  soit  mis  au  courant.  Boccace  est  chargé 
de  transmettre  ces  communications  officielles  5. 

C'est  un  des  traits  singuliers  de  la  littérature  de  cette  époque  que  l'im- 
portance immense  attribuée  aux  Eglogues  de  forme  virgilienne  et  de  sens 
symbolique.  C'est  dans  ces  poèmes  si  conventionnels,  de  forme  si  factice  et 
si  périssable,  que  quelques  grands  esprits  ont  caché  le  plus  vrai  et  le  plus  pro- 
lond  de   leur  pensée  personnelle,  le  meilleur  de  leur  sincérité. 

Hauvette  analyse  avec  pénétration  les  Eglogues  latines  de  Boccace.  Il  nous 
montre  la  part  qui  s'y  trouve  de  ses  connaissances  historiques  et  l'évolution 
de  ses  opinions  sur  divers  points.  On  v  découvre  surtout  la  véritable  expres- 
sion de  ses  pensées  philosophiques,  de  sa  foi  religieuse.  A  côté  de  l'Églogue 
allégorique  laudative,  il  y  a  l'Eglogue  purement  religieuse.  Boccace  nous  y 
révèle  l'état  de  son  âme  dans  ces  dernières  années  de  sa  vie,  toutes  de  mélan- 


Deor.  fut  commencé  en  1344,  et  continué  de  longues  années,  sans  que  l'au- 
teur prît  toujours  garde  aux  anachronismes  que  cette  manière  de  faire  glis- 
sait nécessairement  dans  son  œuvre . 

1.  Je  signale,  comme  une  des  meilleures  du  livre,  la  discussion  de  la  ques- 
tion Dante,  Pétrarque,  Boccace. 

2.  MisceUanea   R.  Renier, Tp.  438.  Sur  un  ms.  du   Bucolicum  carmeii  de  P., 
à  la  Bibliothèque  royale  de  Belgique. 

3.  Voir  AVEN  A  Padova  a  Fraiiccsco,  P.,  1904,  t.  I. 


H.    HAUVETTE,    BoCCaCC  II3 

colie  et  de  méditation  ',  lorsqu'aux  amertumes  de  la  vieillesse  s'ajoutait  la 
déception  des  événements  politiques.  Ce  fut  le  temps  des  longues  retraites  à 
Certaldo,  du  travail  solitaire,  poursuivi  sans  cesse  malgré  la  maladie  et  le 
froid  des  nuits  d'hiver.  Ce  fut  le  temps  où  l'amitié  consolatrice  de  Pétrarque 
pénitent  agit  surtout  sur  Boccace,et  fut  surpassée  même  un  jour  par  l'influence 
un  peu  outrée  d'un  moine  chartreux  -. 

Dans  l'étude  de  cette  vie  si  variée,  de  cette  œuvre  si  difficile,  la  méthode 
critique  et  les  ressources  de  la  plus  complète  érudition  n'ont  jamais  fait 
défaut  à  l'historien  français.  Son  livre  en  fait  la  preuve  à  chaque  page.  11  lui 
fallait  aussi  un  sentiment  psychologique,  délicat  et  profond,  qui  ne  lui  a  pas 
manqué  davantage. 

Chercher  dans  Boccace  une  doctrine  serait  recherche  puérile  ;  car,  pour 
commencer,  il  n'a  certainement  pas  prétendu  en  établir  une.  Il  va  de  l'avant, 
et  il  dit  ce  qui  lui  vient,  en  vue  du  meilleur  eftet  à  produire  sur  le  lecteur. 
«  Il  est  impossible,  dit  Hauvette,  de  le  prendre  tout  à  fait  au  sérieux  »,  — 
mais  il  complète  la  maxime  par  celle-ci  :  «  Rien  ne  peut  faire  suspecter  sa 
bonne  foi.  »  — •  C'est  tout  à  fait  juste.  Il  y  va,  comme  on  dit,  bon  jeu,  bon 
argent.  Ses  personnages  tout  d'abord,  et  lui-même,  ont  une  espèce  de 
morale  à  part,  distincte  de  la  matière  de  ses  récits.  En  cela  il  nous  rappelle 
certains  auteurs  d'œuvres  d'imagination,  en  d'autres  siècles.  Encore  qu'il 
fournît  très  volontiers  à  son  public,  qui  s'y  plaisait,  des  récits  absolument 
libertins,  il  ne  se  contentait  pas  lui-même  du  pur  libertinage.  Il  le  blâmait 
au  contraire.  Dans  les  aventures  où  il  se  complaisait  les  sens  assurément 
tiennent  une  grande  place,  mais  l'amour  a  la  sienne.  La  morale  est  fort  libre, 
mais  c'est  encore  une  espèce  de  morale  sui  generis,  une  morale  de  la  passion, 
de  ce  que  l'on  a  appelé  dans  d'autres  temps  les  droits  de  la  passion,  mais  aussi 
l'on  peut  dire,  de  ses  devoirs.  Elle  conduit  ses  grands  amoureux  et  ses  grandes 
amoureuses  jusqu'à  des  dénouements  grandioses  et  tragiques  :  l'union  dans  la 
mort  leur  semble  préférable  à  la  séparation.  Leurs  amours  sont  illégaux, 
révoltés,  anarchiques,  mais  fidèles.  Boccace  les  vante  et  les  exalte,  par  oppo- 
sition aux  arrangements  malpropres  du  libertinage  et  aux  marchés  d'argent 
de  la  prostitution,  tels  qu'il  les  avait  vus  pratiquer  dans  le  monde  riche  de 
Naples  et  autour  de  la  cour  des  Anjou.  Cette  manière  de  concevoir  l'amour  a 
bien  quelque  rapport  avec  celle  que  nous  rencontrerons  dans  Rousseau  et  chez 
nos  romantiques.  Comme  Rousseau,  Boccace  arrive  à  faire  voisiner  singuliè- 
rement le  plaisir  et  la  vertu.  On  conçoit  comment  Flamini  a  pu  dire,  et  dire 
justement,  que,  chez  Boccace,  l'amour  a  toujours  quelque  chose  de  sacré. 
N'oublions  pas  d'ailleurs  que  c'est  chez  lui  que  l'on  trouve,  à  l'occasion,  les 
fables  les  plus  éthérées  d'amour  héroïque,  idéal  et  lointain. 

Ce  qui  le  rapproche  encore  des  romantiques  du  xix=  siècle,  c'est  son  goût 

1.  Surtout  après  1363. 

2.  Dont  le  nom  ne  nous  est  pas  bien  certainement  connu. 

Romania,  XLIV.  8 


1 1 4  COMPTES    RENDUS 

pour  l'excès,  en  bien  ou  en  mal,  chevaleries  sublimes  ou  brutalités  de 
débauches,  invraisemblances,  folies,  en  somme  une  sur-humanité.  Comme 
eux  encore,  il  va  d'une  extrémité  à  l'autre,  d'un  attrait  sensuel  outré  pour  la 
volupté,  à  une  fureur  sombre  contre  la  femme,  si  elle  a  trop  suivi  la  voie  où 
cet  attrait  l'a  engagée.  Ce  grand  sensuel  est  un  violent  misogvne.  Il  faut 
arriver  à  Vigny  pour  rencontrer  des  déclamations  contre  le  sexe  féminin, 
telles  que  déjà  le  nom  de  Samson  en  inspirait  à  Boccace. 

Quand  on  rainasse  ce  passage,  et  plusieurs  autres,  et  qu'on  lit  surtout  le 
Corhaccio,  on  arrive  à  ne  pas  s'étonner  trop  que  les  contemporains  aient  pu 
considérer  Boccacecomme  uncenseur  rigoureux  des  mœurs.  Nous  nous  éton- 
nerons pourtant  de  le  voir  figurer,  comme  on  l'a  dès  longtemps  noté,  dansun 
mystère  du  xv^  siècle,  presque  sous  les  traits  d'un  père  de  l'Église.  C'était 
aller  un  peu  loin.  Hauvette  a  très  délicatement  traité  la  question  du  christia- 
nisme de  Boccace  et  dosé  la  mesure  de  sa  religion,  de  son  paganisme.  Notre 
temps  a  peine  à  comprendre  ces  confusions  et  ces  mélanges,  parce  que  nous 
venons  après  des  siècles  de  luttes  religieuses  qui  ont  violemment  classé  les 
esprits  à  droite  ou  à  gauche.  Mais  le  xiv^  siècle  ne  songeait  pas  à 
s'étonner  qu'un  grand  railleur  des  moines  fût  l'ami  intime  de  nombre  de 
religieux  et  familier  de  couvents,  et  qu'après  avoir  caricaturé  les  naïfs  ache- 
teurs de  reliques,  le  même  homme  pût  tenir  ^jour  la  chose  la  plus  précieuse 
du  monde  les  reliques  qu'il  gardait  par  devers  lui. 

Ajoutons  qu'après  tous  ces  Boccace  divers  il  faut  toujours  faire  place  au 
Boccace  rieur,  bonhomme  et  bon  enfant  :  car  sans  cela  ce  ne  serait  pas  Boc- 
cace. 

Garderai-je  pour  la  fin  un  ou  deux  doutes  que  j'aimerais  soumettre  à  Hau- 
vette. Ils  sont  de  bien  mince  importance  !  —  Il  veut  absolument  que  Boccace 
ait  eu  la  gale.  J'en  prends  mon  parti  !  Et  quand  il  aurait  eu  en  réalité  une 
maladie  de  peau  d'autre  sorte,  cela  ne  changerait  pas  graud'chose  à  l'histoire. 
—  Voici  qui  y  changerait  un  tout  petit  peu  plus  :  quand  Boccace  parle  d'un 
roi  de  France  qui  méprise  la  philosophie  et  rougirait  même  de  savoir  Ifre, 
Hauvette  dit  :  «  ce  doit  être  Jean  le  Bon  et  non  Charles  V  ».  —  Je  me  per- 
mets de  répondre  :  Ni  l'un  ni  l'autre.  Si  cependant  Boccace  avait  cette  opi- 
nion de  Jean  le  Bon,  Pétrarque  était  d'un  avis  tout  opposé.  Car  bien  long- 
temps avant  l'époque  où  il  alla  visiter  le  roi  Jean  à  Paris  pour  causer  de 
Tite-Live  et  de  la  gloire,  et  alors  que  Jean  n'était  encore  que  dauphin, 
Pétrarque  le  considérait  comme  un  ami  des  lettres  '. 

Je  ne  saurais  vraiment  où  placer  dans  cet  excellent  livre  beaucoup  d'autres 
points  d'interrogation,  même  d'aussi  mince  importance. 

Henry  Cochin. 


I .  Cf.  surtout  la  curieuse  conversation  de  Pétrarque  avec  le  roi  Robert 
(/?(•/•»;;/  Mt'w/o/(/»(/(;r»/;/ Lib.  I  ;  édition  de  Bàle,  1554,  p.  456).  A  vrai  dire 
Pétrarque  avait  des  raisons  pour  être  mieux  informé  que  Boccace  sur  Paris. 


E.  MARCiALis,  Piccolo   Vocabolavio  sanJo-iltiliaiio        1 1 5 

E.  Marcialis,  Piccolo  Vocabolario  sardo-ltaliano   e  Réper- 
torie italiano-sardo.  Fauna  del  Golfo   di  Cagliari  ;  Ca- 

gliari,  SocietaTipogratica  sarJa,  191 3;  in-8°,  58  pages. 

M.  Marcialis,  naturaliste  bien  connu  en  Sardaigne,  a  recueilli  sur  place  les 
noms  vulgaires  des  mollusques  et  des  poissons  vivant  dans  le  golfe  de  Ca- 
gliari.  C'est  une  très  riche  moisson  destinée  à  compléter  d'une  fitçon  heureuse 
les  articles  souvent  défectueux  de  Porru  et  de  Spano.  Dans  la  préface,  l'au- 
teur expose  les  critères  qu'il  a  suivis  pour  sa  collection  et  on  ne  saurait 
qu'approuver  sa  méthode.  Il  est  évident  qu'un  nombre  considérable  des  noms 
réunis  dans  cette  brochure  reviennent  dans  la  terminologie  du  pêcheur  des 
côtes  de  l'Italie  méridionale  et  de  la  Sicile  (p.  ex.  broiini  c  polmone  marino  », 
sicW.hroiiiii,  etc.)  ou  du  littoral  catalan-espagnol.  Parmi  lesmotsqueM.  Marcia- 
lis a  admis  dans  son  vocabulaire,  je  relève  suhin  «  ofiura,  piè  d'oca,  specie 
di  Stella  di  mare,  a  forma  di  discoecon  piedi  o  raggi  lunghissimi  »,  qui  rappelle 
sans  doute  l'a.  log.siddii  «  sorte  de  monnaie  »  qu'on  a  rattaché  à  sigillum; 
en  effet,  la  description  de  l'échinée  que  M.  M.  nous  donne  correspond  bien  à 
la  forme  du  sceau  et  des  cordelettes  qui  y  sont  attachées.  On  retrouvera 
la  même  base  dans  sidilu  «  coppetta,  ventosa  del  polpo  commune  »,  qui 
a  la  forme  d'un  sceau  appliqué  au  bout  des  longs  tentacules  du 
polype.  —  Les  écailles  de  poisson  s'appellent  à  Cagliari  :  scatta  «  scaglia, 
squania  »,  scatta  de  conçu  «  forfora  »,  log.  iscatta,  mots  qui  doivent  être  rappro- 
chés duv.  prov.  escata,  prov.  mod.  escato  «  écaille,  pellicule  de  la  tête  ou 
d'une  dartre;  crasse  de  la  tête  ou  de  la  peau  des  animaux,  écorce  d'arbre  » 
que  M.  Ant.  Thomas,  Roniania,  XXXVIII,  392,  dérive  d'une  base  germa- 
nique skaip-  au  sens  de  «  séparer  »  '.  Mais  cette  étvmologie  se  heurte  à  plu- 
sieurs difficultés  à  mon  avis  insurmontables.  C'est  que  les  mots  germa- 
niques de  la  famille  skaip-  n'offrent  pas  du  tout  de  sens  qui  puisse  se 
rapprocher  de  ceux  du  prov.  mod.  escato  (^ci.  Falk-Torp,  Wortschat^  der  ger- 
manischen  Spracheinbeit,  p.  464).  La  répartition  géographique  de  notre  mot 
c-AX.và.  escata  «  écaille»,  escatam  écailler,  polir  »  ;  prov.  mod.  escato  ((  écaille  », 
escata  «  dériver  (t.  mar.),  faire  dévier  l'eau  d'une  source,  écailler  »,  escati- 
houn  «  brin  de  roseau  servant  de  mesure,  roidillon  »  ;  logud.  iscatta  «  scaglia, 
squama,  scheggia  »,  iscattare  «  diliscare,  scagliare  »  ferait  supposer  un  em- 
prunt au  gothique,  mais  jusqu'ici,  tout  le  monde  était  d'accord  pour  croire 
que  le  gothique  désignait  l'écaillé  du  poisson  par  skalja  qu'on  a  mis  à  la  base 
de  l'ital.  scai^'lia  et  du  français  écaille.  Enfin  il  faut  insister  sur  ce  que  le  sarde 
n'a  guère  de  mots  germaniques  qui  ne  soient  représentés  dans  les  dialectes  de 
l'Italie  ;  ce  serait,  à  ma  connaissance,  un  fait  unique  que  de  rencontrer  en 
Sardaigne  un  mot  gothique  inconnu  aux   dialectes  de    l'Italie  continentale. 


I.  En  effet,  un  longob.  skaida  continue  à  vivre  dans  le  mil.  scheja  «  raie 
des  cheveux  »,  Salvioni,  Kev.  de  dial.  roni.,  I,  107. 


Il6  COMPTES    RENDUS 

Je  crois  donc  qu'il  ûiut  s'engager  dans  une  autre  voie  '.  Il  faut  commencer  par 
établir  l'accord  de  sens  qui  existe  entre  le  prov.  mod.  escato  «  pellicule  de  la 
tête  ou  d'une  dartre  «  et  le  campid.  scata  «  forfora  délia  testa  »  qu'on  mettra 
en  rapport  avec  le  mot scat  us,  conservé  dans  le  Cor/). ^/o5i.  /rt/.,V,  6ii,  56: 
scatus  :  iiiipetii^o,    sicca  scabies,  et  qui  est  aussi  attesté  sous  une  forme  sans 
doute  altérée  dans  sanctns:  iiiipeligolV  589,  21.  De  plus,  W.  Heraeus,  Arcb. 
f.  lut.  Li'x.,  XIV,  121,  a  attiré  l'attention  des  latinistes  sur  l'existence  d'une 
forme  squatam,  dont  plusieurs  exemples  nous  sont  fournis  par  la  Mulotne- 
dicina  Chiroiiis(éd.  Oder,  p.  59,  26-28^):  de  iiialeos  elepanciotem . Si quod  hwien- 
tmn  elepanciotem  inorhum  habuerit,  bec  signa  demonstrat.  In  corpore  huius  toto 
ut ido  nasciiur,   niagis   in  tergus  cortices  s(\Mâ.Xo   similes.  M.   Herzog,  Z.  /. 
ro»i .  Phil.,  XXIX,   510,   en  relevant  le  mot   squato,  avait  déjà  proposé  d'y 
voir  le  point  de  départ  des  prov.  cat.  escata,  vfrç  esquatir;  toutefois  le  prov. 
mod.    esibato  donne  raison  à  M.  Thomas  qui  rejette  toute  étvmologie  d'un 
mot   commençant   par  qu.    Il  faut  donc   considérer  squatum  comme  une 
graphie  erronée    pour  scat  um  (sous  l'influenc;  desquama?),  qui,    sans 
doute,  est  le  type  primitif  non  seulement  des  formes  que  nous  avons  citées 
ci-dessus,   mais  encore  du  gén.  scatiggioin  («  scatiggiolino  »),  friul.  sçbaton 
«  penna  nascente  degli   animali  »,   bellun.  scal  «  bordoni  »   {scat  delà  biava 
«  stoppie  »)  >.  Il  serait  tentant  de  ramener  à  s  cat  u,  scatula  {scacln^escaille) 
le  frç.  écaille  et  le  v.  prov.  escalb  «  écaille,  éclat*  prov.  mod.  escaio  «  écaille, 
éclat  de  bois»,  mais,  malgré  l'affirmation  de  M.  Herzog,  loc.  cit.,V\xa\.  scaglia 
et  surtout  les  formes  des  dialectes  de  l'Italie  supérieure  s'opposent  décidé- 
m::nt  à  *scatula:    le    vénit.    scaja    «    écaille»,    lomb.    scajn,  bolon.  scaja 
etc.  ne  remontent    qu'à  un   prototype  skaljd.    Reste    à  savoir  l'origine  de 
scatuss  qui  ne  semble  guère  dériver  d'un  verbe  excaptare  (cf.  vfrç.  des- 
chater  «  dépouiller»,  prov.  mod.  dcscata  «  écailler,  découvrir  »,  piéni.  i^a/^ 
«  razzolare,  scoprire  »).  — M.  Marcialis  énumére  sous  le  mot  pisci  (p.  18)  les 
noms  des  différentes  parties  du  poisson  et  cite  comme  désignation  des  bran- 
chies le  ternie  .<f(u;o',(,  qui  ne  saurait  guère  être  détaché  du  vfrç.  gûnge  n  ouïes», 


1.  Il  ne  serait  peut-être  pas  superflu  de  dire  que  le  mot  sarde  escatla 
pourrait  être  un  emprunt  à  la  langue  des  pêcheurs  catalans  qui  semblent 
avoir  fourni  un  nombre  considérable  de  termes  au  lexique  professionnel  des 
pêcheurs  indigènes. 

2.  Éd.  Niedermanu,  p.  36,    ch.  195. 

3.  Le  mot  frioulan  est  d'accord  avec  le  prov.  escluito  pour  exiger  une  base 
commençant  par  sca-.  Pour  l'étymologie,  v.  pourtant  aussi  Vidossich,  Z.  /. 
rom.  Pbii.,XXX,  205. 

4.  M.  Levy  indique  encore  escalb  au  sens  de  Icpre  qui  s'accorderait  fort 
bien  avec  sca  lus  «  impétigo  »  et  scatiinio  «  lepra  ». 

5.  Le  grec  a  axiTo;  «  excrément,  boue  »,  dont  j'ignore  l'origine  et  la  vita- 
lité, mais  qui  ne  semble  pas  entrer  en  ligne  de  compte. 


A. -F.  MASSERA,  //  servenfese   roniagnôlo   del  nj-j       iij 

dont  M.  A  Thomas  a  récemment  discuté  l'origine  (Romania,  XLI,  73  ')• 
L'étymologie  par  le  v.  h.  ail.  tvanga  me  semble  incertaine,  parce  que  le 
log.  ganga  «  gavigne,  laringe,  gorgozza  »,  gtmgas  de  pische  «  branchie  »  se 
retrouve  dans  le  tore,  gàngola  «  gandula  »,  gonga  «  glandula  enfiata  e  sua 
cicatrice  »  (cf.  Pieri,  Anh .  glott.,XW,  215)  =  ;  or  on  sait  que  le  «'- germanique 
est  représenté  en  toscan  par  gu  (cf.  guancia),  de  sorte  qu'il  faut  renoncer  à 
rapprocher  Itvîrc. gange  du  mot  allemand. 

J.^JUD. 

A. -F.  Massèr.\,  Il  serventese  romagnolo  del  1277  in  Archivio 

storico  italiiiuo,  anno  LXXII,  vol.  I,  disp.  i«  (1914)  ;  PP-  17  ii'-8- 

Il  serventese  romagnolo  Veinitic  m'è  in  taleiito,  studiato  già  da  parecchi', 
ha  trovato  in  A.  F.  Massera  un  nuovo  illustratore.  L'illustrazione  storica  del 
M.  pare.per  quanto  vedo,  riuscita  in  un  punto  essenziale.  Giovandosi  di  dati 
desunti  da  cronache  e  compilazioni  storiche  locali,  egli  sostiene  con  série 
ragioni,  parmi,  che  il  serventese  (conservato,  corne  si  sa,  in  una  coperta  di 
un  registro  dell'  Archivio  storico  di  Ravenna  (Reg.  Classe  12)  e  scritto  di 
mano  del  notaio  Andréa  deiRodighieri  di  Forlimpopoli  fra  il  1276  et  il  1279) 
fu  composto  neir  a.  1277.  Vi  si  parla  di  un  «  piligrino  romeo  »  (v.  5),  e 
una  postilla  dello  stesso  Andréa  ci  dice  che  questo  pellegrino  fu  Guido  de 
Pole[n]ta.  Il  Massera  ha  scovato  le  testimonianze  sicure  di  un  viaggio  a 
Roma  di  Guido,  e  il  viaggio  si  lascia  porre,  seconde  il  nostro  studioso,  nell' 
a.  1277.  Disgraziatamente,  questa  data  non  é  attestata  danessun  documento, 
ma  si  puô  fissare,  ciô  non  di  meno,  con  più  d'un  argomento.  Se  poi  non  si 
traitasse  proprio  del  1277,  non  dovremmo,  in  ogni  caso,  allontanarci  di 
molto  da  questo  tempo. 

Nelle  linee  seguenti,  mi  propongo  di  esaminare  alcuni  passi  dell'  ormai 
célèbre  serventese  e  di  discutere  alcune  letlure  e  restituzioni  del  M. 

V.  2.  Il  M.  legge  :  façHHu  (che  interpréta  «  fanno  »),  anzi  che  raçiinu,  e 
dice  che  la  prima  lettera  è  «  indubbiameute  »  una/«come  dimostra  il  con- 
fronto  con  facto  délia  linea  4  ».  In  realtà,  1'  /"somiglia  assai,  nella  scrittura 
del  nostro  copista,  alla  r  lunga,  che  egli  adopera  volentieri  in  principio  di 


1 .  Le  sens  de  «  branchies  et  ouïes  de  poisson  »  se  rencontre  par  ex. 
dans  le  prov.  gaiigno  «  parotide,  partie  latérale  des  joues,  joue,  ouïe  de  pois- 
son, branchies  ». 

2.  Cette  famille  est  nombreuse  en  Italie:  cf  Teramo Jmnghg,  Messine, 
Naples  ganga,  Cahhre  gangiilarn  «  joue  »  Zauner,  Die  Nainen  der  Korperteile, 
p.  65),  log.  gdngulas  «  gavigne  »  gangi'ile,  angùle  «  giogaja  del  toro  ». 

3.  Dal  Casini,  dal  Torraca  e  da  me.  Il  M.  cita,  con  precisione,  i  suoi  pre- 
decessori  nella  nota  i  del  suo  studio,  alla  quale,  per  le  indicazioni  bibliogra- 
fiche,  si  rimanda. 


Il8  COMPTES    RENDUS 

parola.  Vf  ha  perô  un  taglio  nell'  asta,  corne  appunto  in  facto  (1.  4),  in 
frate  (v.  21),  in  inonlefeilro  (v.  40),  ecc.  Ora,  io  non  ricsco  a  vedere  questo 
taglio  nella  prima  lettera  del  vocabolo  in  questione,  siccliè  non  mi  stupirei 
punto  che  la  buona^lettura  fosse  raçiniii.  Ben  è  vero  clie  nel  componimento 
r  -0  pare  conservato  (credo,  v.  36)  accanto  al  mantenimento  di  -11  (Jraciu  6, 
niactu  7,  dsciUn  25,  carlii  19,  ecc);  ma,  data  la  brevità  del  testo,  nulla  si 
puô  dire  di  sicuro.  Noto  che  la  stessa  conscrvazionc  di  -11  è  in  più  punti  tur- 
bata  per  influsso  letterario  (novo  2,  facto  1.  4,  v.  5,  paragtmato  43  ecc).  In 
un  testo,  corne  il  nostro,  un  caso  di  -11  per  -0  non  avrebbc  nulla  di  singo- 
lare',  in  quanto  la  poesia  fu  composta  e  trascritta,  al  di  fuori  délia  zona,  in 
cui  (a  giudicare  dalle  condizioni  moderne,  che  solo  approssimativameiite, 
perô,  rispecchiano  le  antiche)  si  mantiene  costante  la  distinzione  fra  -0  e  -u. 
L'autore  e  il  copista  del  serventese  avrebbero  forse  scritto  sempre  -u,  in  ogni 
caso,  se  l'inliusso  toscano  non  avesse  imposte,  alnieno,  qualche  -0.  Il  M. 
legge,  dunquc,  il  2°  verso  cosi  : 

El  novo  asalimento  —  che  façunu  in  sta  prima 

e  interpréta  :  «  il  nuovo  assalto  che  fanno  quanto  prima  ».  Ho,  corne  ho 
detto,  qualche  dubbio  iiufaçintu,  tanto  più  che  la  prima  lettera  parc  proprio 
identica  alla  prima  di  reniore  29,  ma  non  posso  escluderlo,  per  il  cattivo  stato 
di  conservazione  délia  copertina  e  per  la  difficoltà  che  ne  provengono  al 
lettore  -.  Escludo  invecc  che  m  sta  prima  significhi  :  «  quanto  prima  ».  L'in- 
terpretazione  iiisla  prima  («  adesso,  primamente  »),  con  insta  (ista  hora) 
da  paragonarsi  ail'  issa  (ipsa)  dantesco  mi  par  molto  migliore.  Ricordo, 
forme  lomb.  ista  («  adesso,  ora  »)  e  porista  («  testé,  or  ora  »).  Arch. 
glott.,  XII,  410,  422.  Forse  insta  si  identifica  con  ista  in  cui  si  sia  sentito  un 
iti,  quasi  :  «  in  ista  hora  ». 

V.  6  Siiiil[e]mente  è  tractu  — se  tortii  va  1  paleo .  Il  M.  interpréta  :  «  ma 
non  va  dritio  il  paleo  ch'  è  lanciato  sottilmente  ».  Propongo  di  corregcre  : 
sutiliiicnte  in  futilnieiite,  futil[e]nien[e,  per  quanto  Vs  (minuscola)  sia  chiara 
nel  ms.  Benchè  il  testo  sia  corrotto  e  guasto,  il  notaio  Andréa,  a  quanto  è 
lecito  congetturare,  non  lo  scrisse  a  memoria.  Vi  sono  correzioni  délia  mano 
stessa  di  Andréa,  che  parlano  abbastanza  chiaro  (p.  es.  al  v.  2  insta  rica- 
vato,  parmi,  da  i'/:>7(/,  che  ha  l'aria  di  una  cattiva  lettura  presto  emendata)  ; 
onde  un  futihiieute  non  puô  parère  una  proposta  ardita.  Il  senso  sarebbe  : 
«  il  paleo  è  tratto  futilmente,  inutilmente,  se  va  torto  ». 


1.  Non  è,  infatti,  senza  importanza  il  trovare  -u  mfarhi,  poichè  //(  rap- 
presenta  qui  un  ///'  hoc.  Sicchè  si  avrebbe  un  -0  in  -u,  come  in  raçuiiu . 

2.  [11  Bernicoli,  da  me  interrogato  in  proposito,  mi  scrive  gentilmente  ch' 
egli  riesce  a  vedere  il  taglio,  di  cui  ho  parlato  qui  sopra.  Onde  'açiniu  par 
bene  essere  la  giusta  lettura.] 


A. -F.  MASSERA,  //  scrvenlcse  roîiiagnolo  del  iijj        119 

V.  10  secon'  vui  vesapetc.  Meglio  :  se  cou  vui  ve  sapete,  perché  con  è  «  quo- 
mo  ». 

V.  1 1  besogna  —  che  page  le  monede  «  vogliono  pagar  moneta  ».  Preferisco  ' 
x(  bisogna,  conviene  che  paghino  ».  Il  soggetto  è  «  Guelfi  de  Rologna  »  (v.  9) 
e  page  è  Y  P^s.  del  sogg.  près,  con  ufficio  di  6-\  come  accade  si  spesso  in 
antichi  testi  veneti  e  anche,  in  génère,  in  più  testi  alto-italiani.  Si  sa  che 
questa  particolarità  non  si  è  spenta  nelle  odierne  parlata  del  Veneto  c  si  s£' 
che  non  manca  anche  altrove.  Si  veda,  par  informazioni  più  précise,  Vidos 
sich,  Archeografo  trieslino,  XXIV,  22-24. 

V.  15.  Leggerei  :  hesogn'a  Cehelini .  Dal  momento  che  i  Guelfi  «  an  prisu 
caniinu  »  ai  Gibellini  occorre  con  grande  nécessita  (en  grau  mestere)  il  soc- 
corso  d'Alamagna. 

Vv.  17-20.  La  ricostruzione  di  questi  versi  è  oltremodo  ardita  : 

Se  venese  lu  vicallu  —  o  mandase  cavaleri  ! 
S'acata,  de  non  larlu  —  ch'  el  ditu  è  mençuneri, 
Se  nu'  ofenda  Carlu,  —  de  multe  [li]  penseri 

Venta  falati. 

Intanto,  non  posso  assolutamente  accettare  la  lettura  vicaUu.  Il  M.  inter- 
préta «  vicario  »  e  vuol  vedervi  «  Rodolfo,  cancelliere  impériale,  che  ai 
Romagnoli  aveva  proniesso  il  prossimo  arrivo  del  sovrano  nel  «  solenne  par- 
lamento  di  Faenza  del  3  nov.  1275  »  ;  ma  la  prima  lettera  délia  parola  è  un 
r  (non  un  v,  o  un  11).  Dal  poco  che  si  scorge  délia  seconda  lettera,  nascosta 
da  una  macchia,  si  puo  congetturare  con  tutta  verisimiglianza  che  si  tratti  di 
un  e.  Inoltre,  la  parola  è  divisa  in  due  parti  :  re  callu  (callu  ricavato  dallo 
stesso  copista  da  caliii).  Il  M.  dice  che  la  lettura  re  è  contraddetta  dai  casi, 
in  cui  la  sillaba  re  compare  nella  nostra  copia  ;  ma  qui  si  tratta  di  un  r  ini- 
ziale  e  inoltre  il  copista  usa  più  forme  di  r  (Vr  lunga  preferita  ail'  iniziale  : 
rima  i,  roiiieo  5,  nvnagna  13,  remore  29  e  forse  :  raçunu  2  ;  Vr  di  forma  gotica 
adoperata  soltanto  dopo  0,  e  Vr  più  comune,  che  è  varia  di  forma,  somi- 
gliando  talora  (senza,  naturalmente,  identificarsi  mai)  a  un  v  (p.  es.  arguti 
25),  o  a  un  /,  o  a  un  c.  Un  r  iniziale,  non  lungo,  è  dato  da  roi  110  57.  Or 
bene,  Vr  di  roino  ha  la  forma  dell'  /'  del  nostro  re.  L'asta  dell'  r  è  stata  inter- 
pretata  dal  M.  come  «  uno  sgorbio  in  forma  di  brève  asta  inclinata  »  ;  ma, 
francamente,  io  non  vedo  come  si  possa  altrimenti  leggere  che  re.  Ho  sott' 
occhio  una  eccellente  fotografia,  e  quivi  re  mi  par  chiaro.  Ho  inviata  al 
cortese  dr.  Bernicoli  una  copia  del  serventese  da  coUazionare  col  ms.  e 
il  Bernicoli  non  ha  trovato  su  re  nulla  da  osservare.  In  una  copia 
stessa  di  mano  del  Bernicoli  leggo  :  re.  Il  Casini  ha,  nella  sua  stampa,  re  e 
ricordo  che  in  un'  altra  fotografia,  posseduta  dal  Casini,  re  era  non  meno 
chiaro.  Credo,  adunque,  che  occorra  ritornare  alla  lettura  :  Se  venese  la  re 
Callu —  0  mandase  cavaleri!  Nel  v.  seguentc,  il  M.  ha  :  S'acata,  de  nonfarlu, 
e  interpréta  :  «  se,  del   non  far  ciù,    egli  accatta  (il  prctesto)  »  ecc.  ;  ma 


120  COMPTES    RENDUS 

s'acata  è  oltre  modo  problematico.  Il   Bernicoli  lesse,  nella  copia  che  ho  tra 

mano  (o  per  la  quale  lo  ringrazio  vivamente)  :  Jtirara.  Nella  mia  fotografia, 

riion  riesco  a  distinguere  nuUa   di  sicuro.  E  anche  dubbia  è  la  ricostruzione 

nel  V.  19  :  se  un'  ofeiula  Cailti.  11  Bernicoli  lesse  :   se  iiini   e  secuiidti  parla. 

Nella  mia  fotografia,  io   riesco  a  vedere  soltanto  se  nu  lu.  Mi  restano 

pure  dei  dubbi  sulla  lettura  venta  (y.  20).  Io  ritengo  che  si  abbia  un  r  (e  non 
un  /),  e  ciô  mi  par  confermato  da  più  confronti  (p.  es.  dalF  ;•  à\  perdera  34  e 
di  w»n(  31).  Inoltre,  venta  non  soddisfa  del  tutto,  sebbene  non  si  possa  esclu- 
derlo  perentoriamente.  Se  si  volesse  proprio  accottare  venta,  data  l'abbrevia- 
zione,  sarebbe  iecito  leggere  ventan  ;  ma  sono  quanto  mai  incerto. 

V.  21  En  fra  gVasalidore.  È  dubbia  oltremodo  la  lettura  fra  gl'.  Nel  v. 
seguente  si  potrebbe  forse  integrare  [E  c]ase  de  serore  ;  ma  anzi  che  ...  ase 
pare  a  me,  come  al  M.,  che  il  ms.  abbia  ...  use.  E  allora  ? 

V.  26  Fitgen  de  mescunti.  Certamcnte  ha  torto  il  Torraca  di  stampare 
meiscunti  e  di  interpretarlo  per  «  sconosciuti  »  e  ha  torto  di  allegare  il  franc. 
méconnus  e  il  prov.  mesconogitti.  Ma  credo  che  anche  il  M.  non  sia  nel  vero 
ritenendo  de  mescunti  una  locuzione  avverbiale,  alla  quale  non  si  vede  quale 
senso  egli  attribuisca.  Fugen  è  più  una  congettura  che  una  lettura.  Non  saprei 
veramente  che  cosa  proporre.  Sorride  l'ipotesi  che  in  mescunti  si  nasconda  un 
i  o  e  nescunli;  ma  anche  con  questa  ipotesi  si  rimane,  su  per  giù,  allô  stesso 
punto. 

V.  55  erra  è  oltremodo  dubbio.  Nel  ms.  rrâ.  Dovendosi  correggere, 
meglio  vale,  forse,  attenersi  a  guerra,  che  si  accorda  bene  con  l'emistichio 
seguente  :  hatagla  pur  sera. 

V.  37  Laquila  è  salita —  e  torno  e  roinb  lo  nido.  Mi  resta  qualche  dubbio 
sulla  lettura  e  tor«ô.  Evidentemente,  il  M.  ritiene  che  or  sia  dato  de  un  0  su 
cui  si  modeUi  quasi  di  fianco,  seguendone  la  forma,  un  /■  gotico.  Puô  darsi, 
sebbene  il  nostro  copista  adoperi  una  forma  più  angolosa  per  r,  dopo 
0  ;  ma  la  lettura  e  trono  ie\ji\  trono)  non  si  puô  escludere  senz'  altro.  Se  questa 
lettura  fosse  esatta,  l'ipotesi  del  M.,  che  l'aquila  sia  quella  dei  Polenta  e  non 
il  segno  del  partito  ghibellino  (p.  1 2)  riceverebbe  un  forte  colpo. 

Questo  prczioso  componimento  darà  ancora,  come  si  vede,  del  filo  da  tor- 

cere  agli  studiosi.  Il  M.  è  riuscito  a  documentare  il  viaggio  a  Roma  di  Guido 

da  Polenta  c,  per  questo  punto,   abbiam  fatto  un  passo  innanzi.  Per  Tinter- 

pretazione  esatta  del  testo,  oltre  che  per  la  sua  lettura,  resta,  invece,  ancora 

parecchio  da  fare. 

Giulio  Bertoni. 

M.  NiEDKRM A\\,  Sprachliche  Bemerkungen  zu  Marcellus 

Empiricus  de  medicamentis  (/-«/^'i/fe  Hugo  BUïmner,  Zurich,  1914, 
p.  328-339). 

M.  Niedermann,  dont  les  lecteurs  de  la  Romania  connaissent  déjà  les  tra- 
vaux sur  le  latin  vulgaire  (cf. /?o»/(/?;/(/,  XXXV,  160),  a  réuni  ici  une  série 


M.    NiEDERMANN,  Bemerhmgcn  :^«  Marcelin  s  Empiricus   i2i 

de  remarques  linguistiques  sur  certains  passages  de  l'œuvre  médicale  attri- 
buée à  Marcellus  Empiricus.  En  discutant  la  valeur  de  la  tradition  manuscrite 
de  ce  texte,  l'auteur  est  amené  à  aborder  plus  d'un  problème  qui  intéresse  l'étv- 
mologie  romane.  Ainsi  M.  N.  insiste  avec  raison  sur  la  fusion  complète  des 
éléments  originairement  séparés  dans  les  mots  bacalauri,  barbajovis,  où 
le  premier  élément  se  soustrait  à  la  flexion  déjà  chez  Marc.  Empiricus  (le 
génitif  de  bacalauri  n'est  plus  b a  c a e  1  a u r i,  mais  bacalauri)  ;  cette  sou- 
dure est  confirmée  d'une  part  par  le  v.  prov.  barbajol,  prov.  mod.  harhajou  et 
d'autre  part  par  le  vfrç.  joharhe  (GIoss.  de  Tours,  no  27),  par  l'it.  orbaca, 
v.portg.  Jorbaga  où  la  place  du  génitif  (jo  vis  barba,  lauri  bac  a)  plaide 
en  faveur  de  l'existence  d'un  composé  déjà  latin.  —  Une  autre  remarque 
concerne  les  sens  du  mot  médical  concoctio.  Tandis  que  le  Thésaurus 
enregistre  ce  mot  avec  la  seule  signification  de  «  digestion  »,  M.  N.,  s'ap- 
puyant  sur  plusieurs  passages,  attribue  au  même  mot  le  sens  d'«  inflam- 
mation »  ;  je  crois  que  la  famille  romane  de  (con)coctio  permet  de 
serrer  de  plus  près  le  sens  exact  du  mot  latin  ;  en  eftet,  non  seulement 
le  latin  coctione  continue  à  vivre  dans  le  v.  prov.  coison  «cuisson 
produite  par  le  froid,  gelée  des  vignes  »,  le  prov.  mod.  couissour 
«  douleur  cuisante»,  catal.  coissor  «  démangeaison»,  le  franc,  cuisson 
(de  l'estomac),  mais  on  a  le  droit  de  ramener,  me  semble-t-il,  au 
latin  concoctione  toute  une  famille  de  mots  récemment  examinés  par 
M.Thomas  (Roiiiania,  XXXVIII,  375  ;  XXXIX,  234).  Celui-ci,  il  est  vrai, 
incline  plutôt  à  expliquer  les  forez. ^o/-o'0i50»  «  aigreurs  d'estomac,  vapeurs», 
lyonn.  gorgosson  «  râle,  renvoi,  mauvais  goût  à  la  bouche,  aigreur  par  suite 
de  la  mauvaise  digestion  »,  prov.  mod.  courcouissou  «  mal  au  cœur,  aigreur 
à  l'estomac  »,  Meuse  gargueuilson  «  renvoi  amer,  cuisant  de  l'estomac  dans 
l'arrière-bouche  et  l'œsophage  »  par  un  composé  du  type  cor(dis)  -\-  coc- 
tione, mais  rien  n'empêche,  à  mon  avis,  de  voir  dans  tous  ces  vocables  les 
descendants  directs  de  concoctione,  dont  le  premier  élément  est  altéré  par 
l'étymologie  populaire  '  qui  a  rattaché  les  mots  aux  noms  de  la  partie  du 
corps  (cor  «  cœur»,  gargassoun  «  gosier  »)  où  l'on  ressent  surtout  ces  dou- 
leurs désagréables.  (Quoiqu'il  en  soit,  il  est  certain  que  les  sens  du  mot  roman, 
«  aigreur  à  l'estomac,  renvoi  amer,  cuisant  de  l'estomac  dans  l'arrière-bouche 
et  l'œsophage  »,  jettent  une  lumière  inattendue  sur  le  sens  de  concoctio  dans 
les  passages  cités  par  M.  N.  :  c'est  moins  le  sens  d'«  inflammation  »  qu'il 
faut  attribuer  au  latin  concoctio  que  l'un  des  sens  romans  que  nous  venons 


I.  Peut-être  faut-il  même  admettre  l'influence  perturbatrice  de  curculio- 
nem,  gurgulionem  «  charançon  »  ou  de  courcoitssouna  (<  cossus  -|- 
c  u  rculio)  vb.  «  ronger  »,  sur  la  famille  de  concoctione.  —  En  tout  cas, 
il  faut  rattacher  à  concoctione  z\yss\  carcoueissou  (.<.  sensation  d'étranglement 
produit  par  l'absorption  d'une  substance  astringente  »  (Michalias,  Gloss. 
d'Atfibert). 


122  COMPTES    RENDUS 

d'indiquer.  Voici  les  passages  :  ï)haec  potio  soiuniim  conciliât,  concoctiones  dolo- 
reiques  omncs  sedat  ;  2) pectoris  quoque  concoctioni  et  caiisis  interaneis  piodest  et 
liinibontni  doloribiis  ;  3)  et  appellattira  Graeci  consiiete  aptha,  quant  nosoriscoc- 
tiouctn  dicitiius  '.  —  En  relevant  l'existence  d'un  lat.  vulg.  pasmus  au  sens 
de  «crampe  »  dans  Marc.  Emp.,  M.  N.  en  indique  l'intérêt  pour  l'explication 
de  l'esp. /rt^wo,  portug.  pasmo,  fnmc.  pdmer,  insiste  sur  l'impossibilité  d'une 
explication  qui  ramène  pasmus  à  sp  as  m  us,  et  propose  de  voir  danspasmu  s 
le  résultat  d'un  croisement  entre  les  mots  d'origine  grecque  spasmus 
«  crampe  »  et  palmus  «  convulsion  »  :  1)  pasmus  serait  à  la  base  des  v. 
prov.pasniar,ùç.  panier  ;  2)sp al  mus  (attesté  dans  la M/(/owc(7.  Chironis  sous 
la  forme  spaumus  =)  continuerait  à  vivre  dans  le  v.  prov.  espaJmar  «  se 
pcâmer  »,  auxquels  on  pourra  ajouter  le  prov.  mod.  espauina,-ado  «  parah'sé  », 
catal.  cspalniar  «se  terrifier»;  5),  splasmus  se  refléterait  dans  le  v. 
prov.  esplasmar  «  se  pâmer  ».  Cette  explication  ingénieuse  rend  compte 
des  ibrmes  divergentes  du  vieux  provençal.  —  Enfin  M.  N.  admet 
l'existence  d'une  forme  veretrumà  côté  du  classique  veratru  m.  Malheu- 
reusement les  descendants  romans  de  ce  mot  ne  peuvent  pas  apporter  de 
confirmation  à  cette  hypothèse,  puisque  le  v.  prov.  varaire,  le  savov.  vemrc 
veraro,  l'it.  i'eladro,etc.,  reflètent  la  forme  classique  verat  ru  m. 

J.    JUD. 


J.STALZFR.DieReichenauerGlossender  HandschriftKarls- 

ruhe  115,  in  5//-;///<,o-/vr/r/.'/('  dcr  philos. -histor.  Kl.  der  h.  Al-ad.  dcr 
Wiss.,  vol.  152  (1906),  n°  VI  (pp.  1-172);  — K.  Hetzer,  Die  Rei- 
Chenauer  GlOSSen,  in  Beihefte  ^itr  Zeitschrift  f.  roman.  Philologie,  n° 
VII,  Halle  a.  S.,  1906;  —  W.  Foerster,  Die  Reichenauer  Glossen 
in  Zeitschrift  f.  roman.  Philologie,  XXW  (1907),  pp.  3i3-)68;  ci'r.  anche 
Zeitschr.  cit.,  XXX,  49  (Stalzer),  256  (Foerster); —  J.  STALZER,Zudeil 
Reichenauer  Glossen,  in  Zeitschrift/.  die  ôsterreichischen  Gymna- 
sieii,  LX  (1909),  pp.  97-i32;cfr.  Zeitschr.  cit.,  vol.  cit., p. 863  (Foerster); 
—  W.  Foerster,  Noeh  einmal  die  Reichenauer  Glossen, 
in  Zeitschrift  f.  roiiiati.  PIjilologie,  XXXVI  (1912),  pp.  47-71. 

Corne  appare  dalle  opère  qui  sopra  elencate,  le  r  Glosse  di  Reichenau  » 
sono  State  fatte  oggetto,  in  questi  ultimi  anni,  di  nuove  ricerche  e  di  nuovi 
studi.  Lo  Stalzer  le  ha  pubblicate  per  intero  nelle  loro  due  sezioni  (I  :  Glossario 


1.  L'espaga.  esco:(or  «douleur,  renvoi  cuisant  à  l'estomac  »  représente 
par  contre  le  substantif  dérivé  d'escocera  cuire  ». 

2.  Cependant  ne  serait- il  pas  possible  que  spaumus  remontât  directement 
à  s  pas  mu  comme  phantauma  {{rz.  fantôme,  v.  prov.  fantaiima)  remonte 
à  phantasma    (cf.    Mcyer-Lùbke,  F;v7»;^.  Gra//;.  %  §  64)? 


j.  STALZER,  Die  Reichcnauer  Glossen,  etc.  123 

délia  Bibbia  ;  II  :  Glossario  alfabetico),  lo  Hetzer  le  ha  esaminate,  sono  il 
rispetto  lingiiistico,  con  molta  diligenza  econ  molto  profitto.  Le  discussion! 
del  W.  Foerster,  hanno,  fra  l'altro,  dilucidato  più  dubbi  di  lettura,  e  il 
testo  ne  è  riuscito  fîssato  con  maggior  cura,  grazie  aile  correzioni  del 
Foerster  e  anche  aile  polemiche  del  Foerster  stesso  e  dello  Stalzer.  Ma  il 
primo  di  questi,  cicé  il  Foerster,  ha  sopratutto  gettato  molta  e  sicura  luce 
su  parecchi  ardui  probicmi  filologici,  che  le  glosse  sollevano. 

Comincerô  dallo  studio  paleografîco  del  testo,  contenuto  corne  si  sa,  nel 
celeberrimo  ms.  délia  Bibl.  granducale  di  Karlsruhe  n»  115  (cod.  Augensis 
CCXLVIII),  manoscritto  che  ho  sott'  occhio,  mentrescrivo  queste  linee,  per 
la  cortesia  del  dr.  A.  Holder,  direttore  délia  Biblioteca  di  Karlsruhe,  che  ne 
ha  permesso  Finvio  per  akun  tempo  alla  Biblioteca  cantonale  e  universitaria 
di  Friburgo  (Svizzera).  Certo,  controllata  la  récente  edizione  intégrale,  nonsi 
puô  affermare  che  essa  sia  perfetta.  Parecchie  sono  le  sviste,  se  anche  non 
moite  fra  esse  siano  gravi  ;  ma,  nel  complesso,  non  si  puô  negare,  parmi, 
qualche  encomio  allô  Stalzer,  il  quale,  date  le  deficienze  délia  sua  stampa, 
vi  é  ritornato  sopra,  ha  accettate  alcune  critiche  del  Foerster  (rigettandone 
purtroppo  parecchie  a  torto,  e  poche  altre,  come  si  vedrà,  giustamente),  ha 
riesaminato  il  testo  e  ne  ha  migliorata  Tedizione  (con  una  série  di  emenda- 
mentiediti  nellaZ./.  ôsi.  Gyiuii.,LX,  101-104).  Non  pochi  di  questi  emen- 
damenti  (anzi,  a  vero  dire,  quasi  tutti)  gli  erano  stati  suggeriti  d  alla  citata 
critica  del  Foerster,  la  quale,  alquanto  rigorosa  per  ciô  che  spetta  alla  stam- 
pa, appare  giustamente  severa,  quando  passa  ad  esaminarne  il  commento. 
Per  quanto  concerne  l'edizione  délie  glosse,  le  benemerenze  dello  Stalzer  non 
si  vogliono  disconoscere,  pure  ammettendo  che  sarebbero  potute  essere 
maggiori.  Dato  il  testo  qua  e  là  insidioso,  sebbene  in  complesso  di  non  ardua 
lettura,  qualche  errore  puô  essere  scusato  e  qualche  inesattezza  leggera  (per 
quanto  non  Inutilmeute  messa  in  evidenza,  insieme  aile  gravi,  dal  Foerster) 
richiede  una  facile  venia.  Più  délia  stampa,  è  manchevole  il  commento  dello 
Stalzer,  commento  condotto  con  poca  preparazione  e  penetrazione  critica.  Di 
ciô  parleremo  più  oltre. 

Gli  errori  veramente  gravi  nell'  edizione  dello  Stalzer  so^io  in  ispecial 
modo  i  seguenti  :  egliha  interpretata  stranamente  l'abbreviazione  elnts  (Gloss. 
alf.  12 19)  pei-  eprt'iis,  mentr'  essa  va  letta  certamente  episcopus.  Il  Foerster 
ha  qui  pienamente  ragione,  e  ilpallido  tentativo  dello  Stalzer  (Z. /.  est.  G., 
p.  98  n.  4)  per  difendere  la  sua  lettura  non  mérita  punto  d'essere  preso  in 
considerazione.  Natural mente,  il  Foerster  ha,  con  pieno  diritto,  ribattuto, 
insistendo  per  la  sua  sicura  interpretazione .  L'abbreviazione  epms  in  un  codice 
cosi  antico  è  preziosa.  poichè    in   quel   periodo  eps  '  è  certamente  molto  più 


I.  Ho  il  piacere  di  potere  dare  quattro  esempi  dell'  abbreviazione  epiis  in 
carte  del  sec.  XI  dell'  Archivio  capitolare  di  Modena  :  due  in  una  carta  del 
1020  (B.  10.  XXVII)  e  due  in  un'  altra  del  1024  (B.  2.  XXXI). 


124  COMPTES    RENDUS 

fréquente;  ma  cio  non  infirma  le  lettura  episcopus.  Ha  avuto  altresî  torto  lo 
Stalzer  di  leg^gerc  dansia  la  gl.  1176,  mentre  daiisi  è  sicuro,  corne  ben  dice  il 
Foerster.  Lo  St.  ha  preso  1'-/  per  il  segno  che  in  quia  rappresenta  ia;  ma  la- 
sciando  da  parte  questo  inescusabile  confronte  (perché  qiiia  sta  da  se 
e  non  è  lecito  estendere  ad  altre  parole  la  sua  abbreviazione  del  tutto  spéciale), 
resta  sempre  che  1'  -/  di  dansi  è  chiarissimo,  di  forma  un  poco  ondulata. 
Anche  la  lettura  Meruit  1362  dello  Stalzer  è  falsa.  Nel  codice  si  ha,  come 
ben  dice  il  F.,  Expeliuit,  e  non  vi  è  dubbio  in  proposito.  Lo  St.  ha  avuto 
anche  torto  nel  leggere  Lahescerc  3075  ciô  che  è  chiaramente  Tabescere,  di 
saltare  tre  glosse  del  gloss.  alfabctico  (1149  '>-'-')  e  di  incorrere  in  altri  errori 
e  erroruzzi,  che  il  Foerster  ha  indicati  e  che  lo  St.  medesimo  ha  in  parte 
accettati.  Una  grave  svista,  rimproveratagli  dal  Foerster,  lo  Stalzer  non  ha 
pero  commessa.  Nel  gloss.  alfab.  68411  F.  afferma  che  silegge:  iii  eis  noe 
tenipus  e  interpréta  naturalmente,  data  la  lettura,  noiiiiiie.  Ma  noe  non  sta 
assolutamente  nel  ms.,  si  bene  vi  abbianio,  come  lo  St.  ha  detto  e  sostenuto 
(Z.  /.  ôst .  G.,  p.  99,  n.  5)  :  noo.  cioè:  nohis.  La  gamba  del  b  è  poco  chiara  ; 
ma  aguzzando  gli  occhi,  la  si  vede  ancora;  onde  l'errore  del  F.  si  spiega 
facilmente.  Alcune  altre  critiche  del  Foerster  non  colgono  nel  segno  (mentre 
la  restante  parte  è  giusta),  e  cioè  :  346  (F.  181)  fartinu.  Prima  s'era  letto 
fastitni,  ma  il  gruppo  rt  è  chiarissimo  e  a  me  pare  molto  chiaro  anche  Vu, 
anzichè  fl  ;  onde  non  esito  a  leggere,  come  \oSt.,  furt mu.  Non  è  poi  vero 
che  nel  rhs.  si  abbia  contrax^  (76,  F.  40).  Il  cod.  ha  soltanto  contra,  e  cott- 
traia  resta  unicamente  una  bella  congettura  dello  Hetzer.  Lo  St.  ha  pure 
ragione  con  la  sua  lettura  iietula  (e  non  ticliihv)  al  no  96.  Credo  altresi  che 
sia  nel  vero  leggendo  temeo  (736)  e  iacuïa  {2'^^'j).  Certamente,  il  primo  /  di 
iacula  somiglia  a  un  /,  ma  si  tratta  di  un  i  lungo,  di  cui  il  ms.  ha  altri 
esempi  ail'  iniziale.  Leggo  poi  anch'  io  con  lo  Stalzer  j)  cipilaliis  (1693  e  non 
p  capitulas)  e  /  magis  (1708).  Lo  St.  ha  fatto  certamente  maie  a  non  risol- 
vere  in  corsivo  le  abbreviazioni  o  a  non  riprodurle  tali  e  quali.  Determina- 
tosi  per  la  risoluzione  di  esse,  non  ha  seguito  sempre  questo  sistema  e  talora 
ha  riprodotto  l'abbreviazione  senza  ragione  spéciale,  del  quale  ondeggiamento 
giustamente  le  rimprovera  il  Foerster.  Faccio  seguire  alcune  altre  osserva- 
zioni  sui  punti,  sui  quali  sono  cadute  la  critica  del  Foerster  e,  talora,  la 
risposta  dello  Stalzer.  610  inala  :  l'ultimo -a  a  me  pare  di  forma  aperta 
(cioè,  a  un  di  presso,  -ce),  ma  ricavato  dallo  stesso  copista  da  un  -;'.  631 
Leggo  anch'  io  reliquiini.  La  lettura  dello  Stalzer  (reliqoriun)  non  è  sosteni- 
bile.  121 1  Leggo,  parmi,  sicuramente  :  Rovia.  1264  II  ms.  \\Afenestre  e  ianue, 
come  dice  lo  Stalzer,  e  1'  a  è  sicuro.  1550  Archariif  c  lettura  certa.  Holder, 
citato  dal  F.,  propone  Archaiii  sunl,  il  che  è  correzione  probabile;  ma  suut 
è  abbreviato  sempre  nel  ms.  :  5,  mentre  in  questo  caso  non  c'  è  sbarretta 
suUa  s  (forse  per  dimenticanza  dell'   amanuense).  O   dobbiamo  invece  leg- 


j.  STALZER,  Die  Reichenauer  Glossen,  etc.  125 

gère  semplicemente  sivc,  che  si  trova,  in  ms.  del  tempo,  reso  da  5'  ?  1507 
Deiestos  è  chiarissimo.  1^0^  fxrina.  1997  Non  è  possibile  affermare  se  nel 
ms.  sia  c  ovvero  ac.  Finirô  queste  osservazioni  con  un  appunto  suUa  gl.  59 
letta  dallo  Stalzer  cosi  :  Pepigerant  j//inu//erant.  Il  Foerster  impugna  con 
ragione  questa  lettura  e  accetta  una  proposta  dello  Holder  :  Exlimaueraut, 
la  quale  ha  almeno  il  merito  di  mostrare  che  nel  ms.  si  ha  un  -ni-  chiaris- 
simo. A  me,  pero,  non  paionoaccettabilinè  l'una  nèl'altra  lettura.  Anzitutto, 
ci  si  aspetterebbe  «/2V«ii»('/fl«;  (cfr.  glosse  nn'  2166,  2261),  e  poi  non  v'è 
posto  per  Exti-.  Oltre  a  ciô,  la  vera  e  propria  glossa  è  per  regola  scritta 
conlainiziale  minuscola.  Propongoi/rwaHfraw^nellafiduciadi  aver  colto  nel 
segno  (cir.  finiiade  2212  e  adjiniiat  2^01). 

Quasi  tutte  le  correzioni  del  Foerster  sono  giuste.  Qiielle  che  non  ci 
sono  parse  tali  sono  state  indicate  uelle  linee  precedenti.  Ma,  sottoponendo 
a  una  nuova  revisione  la  stampa  dello  Stalzer,  mi  è  accaduto  di  trovare 
alcune  altre  inesattezze,  non  ancora  avvertite,  che,  data  l'importanza  del  do- 
cumente, mi  per  prezzo  dell'  opéra  rilevare  :  378^  cantntore.  388  p  paramur. 
445  Exodiis.  1195  Ecco,  a  questo  punto,  la  disposizionc  délie  voci  nel  ms. 
Negli  spazi  blanchi  non  vi  è  alcun  segno  di  rasura . 

Amhiens.  circumiens.  Erugo  ah 
erodendum  dichiDi.  Ridngo. 

Classcm.  iiauem 
l  tnultitudinem  nauium. 
Peltas. 
Talentum. 
fiihium  flauum  ruhiciindum,  (etc.) 

Lo  St.  non  lia  tenuto  conto,  in  altri  casi,  délia  disposizione  délie  glosse 
nel  codice,  ne  del  punto  che  ne  divide  i  membri.  In  una  nuova  edizione, 
occorrerebbe  essere  più  fedeli.  2 121  aliqis  nel  ms.  2229  ianux.  2234  curix. 
2800  Non  gloh\  ma  gloh  ;  (globiis).  2825  Inproperahit  ricavato  dallo  stesso 
amanuense  da  Iitprobratiit,  eppoi  il  cod.  ha  chiaramente,  non  già  expropera- 
hit,  ma.  exprobrabit .  2825  eEhan.  2827  1111°''.  2950  terranim  in  mari.  2975 
Aiixit.  7,0^%  amplexati  nt\  ms.  (non  amplexi) .  ^060  intcllegeiitiavi-. 

Dato  il  sistema  seguito  dallo  Stalzer,  il  lettore  non  puô  farsi  un'  idea  esat- 
ta,  paleograficamente  parlando,  del  mauoscritto.  Poichè  nessuno  ha  discorso 


1.  Per  es.,  nel  ms.  907  di  San  Gallo  (meta,  circa,  del  sec.  viii).  Lo 
Stalzer  ha  letto  cosi  la  glossa  Archarus  custodes  archarinit,  ma  -ils  è  certo. 
S'io  ho  ragione,  si  legga  Archarii  sive  custodes  archaruni.  La  proposta  Archa- 
rius  dello  St.  viene  a  cadere. 

2.  Faccio  seguire  qui  il  risultato  di  una  seconda  revisione:  656 ««///«;  833 
obpressus  (non  opprcssus);  1320  bestia  (non  bctia);  1601  abque  (non  absgui')  ; 
1741  diripiel  (non  dicipiet);  1775  qi  (non  qui). 


126  COMPTES    RENDUS 

sinora  dcllc  caratteristiche  délia  scrittura  c  délie  abbreviazioni,  mi  si  concéda 
di  dire  qui  alcune  parole,  che  mi  paiono  in  verità  tutt'  altro  che  superflue. 
Chi  abbia  qualche  dimestichezza  con  gli  antichi  mss.  di  S.  Gallo,  si  sente 
piuttosto  portato  ad  escludere  che  il  manoscritto  ora  a  Karlsruhe  sia  stato 
scritto  nel' orbita  di  S.  Gallo  e  Reichenau.  Parecchi  mss.  di  S.  Gallo  dei 
secc.  viii-x  ho  potutoesaminare  e  non  mi  sentirci  di  mettere  tranquillameute 
con  esso  il  codice  di  Karlsruhe,  il  quale,  tutto  sommato  (tenuto  conto  del^ 
aperto  costante  e  sopra  tutto  délia  forma  diquesto  g  che  è  assai  intéressante, 
in  quanto  esso  é  non  già  semiaperto,  ma  completamente  aperto,  considerato 
che  i  nessi  st,  ri  e  et  mostrano  un  notevole  distacco  dei  due  elementi  legati 
da  una  lunga  curva  —  il  che  puô  essere  segno  di  antichità  '  — ,  osservate 
alcune  lettere  corne p,  r-,  ne  m  e,  notata  —  il  che  è  meno  importante  —  la 
presenza,  accanto  al  comune  a  dei  mss.  carolini,  di  parecchi  a  aperti)  >  a 
me  par  da  collocarsi  nel  sec.  viii  ex.  senza  escludere,  naturalmente,  la  pos- 
sibilité che  si  possa  oltrepassarc  anche  il  principio  dei  secolo  seguente.  So  bene 
che  nessuno  di  questi'criteri,  preso  per  se  solo,  si  présenta  taie  da  confer- 
mare  irrefutabilmente  quest'  assegnazione  cronologica,  poichè  Va  aperto  (a 
forma  di  ce)  è  comunissimo  in  mss.  dei  sec.  ix,  uei  quali  altresi  non  manca 
il  ^^  aperto  e  sopra  tutto  semiaperto +  ;  ma  alla  concomitanza  di  questi  tratti 
si  aggiunge  lo  spéciale»  ductus  »  dei  manoscritto,  «  ductus  »  di  aspetto  indub- 
biamente  antico,  proprio  dei  più  antichi  codici  carolini  e,  aggiungero,  di 
codici  d'origine,  a  quanto  ho  potuto  vedere,  generalmente  francese.  Le  abbre- 
viazioni dei  prezioso  manoscritto  non  s'oppongono,  con  la  loro  forma,  alla 
nostra  determinazione  cronologica  e,  direi  quasi,  confermano  la  supposizione 
che  il  ms.  ora  a  Karlsruhe  sia  stato  scritto  sul  finire  dei  sec.viii  i.  Ecconeun 


1.  Sopra  tutto  i  nessi  st  e  cl  hanno  allontanati  i  loro  elementi  ;  quanto  a 
rt,  esso  è  fatto  indue  manière  :  l'una,  che  è  quella  più  comune,  ha  un  piccolo 
riccio  a  sinistra  ;  l'altra  risponde  esattamente  a  .s7  con  un  segno  verticale 
sulla  curva  dell'  s.  Questa  seconda  forma  non  compare  nelle  prime  pagine 
dei  manoscritto. 

2.  E /- di  forma  detta  impropriamente  gotica  dopo  o,  come  in  posteiiora 
(76),  tcc,  QCC. 

3.  Si  sa  che  Va  aperto  è  fréquente  nei  mss.  che  si  possono  ascrivere,  su  per 
giù,  air  età  dei  nostro.  È,  anzi,  intéressante  notare  che  quest  'a  appare  molto 
di  rado  nel  codice  di  Karlsruhe.  Il  copista  lo  aveva  cosi  poco  comune  che 
una  volta,  per  lo  meno,  lo  lesse  per  ce,  trovandolo  nel  modelio,  e  cioè  nella 
glossa  1571  :  lu'lectoriinii  (per  iicliitoriiiiii),  dove  IV  pare  quasi  ritoccato  su  /. 
Tuttavia  l'rt  aperto  non  cra  naturalmente  sconosciuto  ail'  amanuense,  che  se 
ne  servi  (forse  trascrivcndolo  senz'  altro  dal  suo  originale)  alcune  volte.p.  es. 
degaiiixn'  214,  iiialix  618,  conchudititr  1096,  IlMi'or  1330,  exonnti  2936,  lapidis 
3074. 

4.  V\-  g  aperto  si  trova,  a  ragion  d'esempio,  nel  ms.  bernese  363  (sec.  ix), 
che  Hagen  nel  suo  catalogo  ascrisse  al.  sec.  viii. 

5.  Ho  confrontate  le  abbreviazioni  con  quelle  dei  mss.  vcrouesi  e  di  S. 
Gallo  e  con  altri  francesi.  Spagnolo,  Zcnlralhlatt  Ji'ir  Bibliotht'ksuvsc'ii,  XXVII, 
531  ;  Steffens,  Zetilralblalt,  cit.,  XXX,  477.  Fra  i    mss.  scritti  in  Francia,  cito 


j.  STALZER,  Die  Reichenauer  Glosscn,  etc.  127 

quadro  abbastanza  completo  :  cou-  rappresentato  da  c  (p.  es.  confraclos  3144, 
confinnaiiit  2960,  conlocauit  3128)  Qctra(r=  contra  2835);  (/J(=  deus  1549, 
dl  (:=  dei  5083),^/;;  (^  deum  62),  dô(j=.  deo  17,  275)'  ;  est  rappresentato 
da  (',  e  talora  da  —  (p.  es.  440,  495);  /</ (=r  id  est,  p.  es.  12,  17,  2950, 
3009);  w/i  (=  miln  496);  //  (=:  non  430,  2266,  2844)  ;  not  (:=  nobis  171 
ecc);  ojnuib;  (3 114);  /  (=  post  517,  727)  ;  4>pt-  (=  propter  51,  2089); 
qua7n  rappresentato  daqud  e  da  ^  (51);  q''  (=  qui  182,  3008);  qi1  (=:  quod 
2950,  3072);  5  (=■  sunt  2023,  2950,  3027,  ^0)8);sic  (=  siciU)  ^^<^\  subt 
(=  subter)  ;  uel  rappresentato  generalmente  da  /  o  scritto  per  intero  (73); 
ma  nella  seconda  parte  del  ms.  si  ha  anche  ul  (c.  40^',  54^);  urâni  (^) 
uestram  506)  ;  ri  {=  reliqua)  549  ;  dr  (=  dicilur)  949  ;  simit'  (=  similiter 
2752  ;  Nomina  sacra:  isrl  (^i:  Israël  445,  3009);  scitas  {=^  sanctitas  2949); 
sps  (=  spiritus  525)  e  spni  (■=  spiritum)  ;  scuarii  (:=  sanccuarii)  643  ; 
Ihs  (^  Jhesus)  1531.  Di  ^^z« (:::=  episcopus)  ho  già  toccato. 

Tra  le  abbreviazioni  qui  sopra  citate,  ho  ricordato  una  formula  sillabica  c 
(cou),  che  ho  posta  accanto  a  ctra.  Altre  formule  sono  :  m  (=  Tue)i)  tiomen 
2805,  2807,  se)iien  !()%'], jerraiiiQnti  2822,  mémento  31 11  ecc.  ecc;  }  (=  ter) 
fréquenter  3104,  interfeclorum  2948,  magisler  2054;  ber  è  rappresentato  da  b 
tagliato  da  una  lineetta  in  tûVllûClllli  3 112.  Spesso  il  u  finale  sta  a  rappre- 
sentare  bis  (abbiamo  già  citato  iiobis  171,  gloss.  alf.  684  ;e  si  ha  reiiocabis 
2818,  Palpabis  3015,  ecc),  ma  talora,  sebbene  molto  più  di  rado,  lo  stesso 
b  tagliato  rappresenta  -bit  (p.  es.  proiiocabit  2823).  La  terminazione  -it 
è  anche  rappresentata  da  una  sbarretta,  come  in  Auxit  (Aux)  2973, 
despfc  2104,  ecc.  La  sbarretta  in  alto  rappresenta  anche  il  solo  e,  p.  es. 
recdi  (c.  17'').  Abbiamo  anche  un  d  tagliato  in  ceciâ  {ceci dit)  442.  L'ab- 
breviazione  di  -rum  è  quella  comune  (r  tagliato)  e  -rioit  è  dato  assai  di 
fréquente  per  intero,  ovvero  da  r,  p.  es.  exarser.  arser  3028  ;  ni  in 
seculum  è  dato  da  /  tagliato  (558).  La  sillaba  tar  è  rappresentata  da  un  t  con 
un  segno,  in  alto,  che  ha  la  forma  di  un  piccolo  2.  La  terminazione  -us  è  ge- 
neralmente rappresentata,  quando  non  précéda  b,  da  una  specie  di  apostrofo 
{siini'  3092  ;  fluet'  2938,  ge)i  3146,  Iiicoldl'  3087  ecc.  ecc.)  Abbia- 
mo poi  locuud  (iocnndus)  2991  e  anche  d  per-dos  12 19.  In  fine  :  pût 
(=:  palus)  902.  Eius  è  rappresentato  da  ei'  Quando  précéda  b,  -us  è 
dato  da  ;  (p.   es.  faucib;  5069)  ma  talora,  pare,  da  ;  (i  casi  non  sono   ben 


il  célèbre  ms.  lat.  4627  délia  Nazionale  di  Parigi  e  il  lat.  13729  délia  stessa 
biblioteca.  Duchesne,  Liber  Po)itificalis,  I,  pi.  IV,  ha  riprodotto  alcune  linee 
di  quest'  ultimocodice.  Il  Monaci,  Facsimili,  II,  78-83,  ha  dato  alcune  pagine 
del  primo. 

I.  Avverto  che  non  cito  tutti  i  casi,  ma  soltanto  uno  o  alcuniesempi,  cosi 
per  questa,  come  per  le  seguenti  abbreviazioni.  Tralascio  naturalmente  certe 
abbreviazioni  che  dicono  poco,  come  dhin  (dominum)  1022,  su  (sum)  1181, 
ecc.  ecc. 


128  COMPTES    RENDUS 

chiari).  Si  ha  anche,  perô,  gloh''  {^hhus).  Il  ditt.  ae\iA  gH  elementi  addossati; 
è  sciolto,  invccc,  il  ditt.  oe  (p.  es.  ohoediiintur  iio]).  Non  voglio  tînire  questi 
cenni,  senza  notare  anche  :  adent''  (adentes)  79  e  saliCi  (  sululetn)  ^006  '. 

Crede  lo  Stalzer  (pp.  127,  146)  che  il  ms.  dclle  glosse  non  sia  già  una 
copia,  ma  addirittura  l'originale.  Questa  opinione  è  son/.a  alcun  dubbio  crro- 
nea  e  non  si  capisce  come  il  nostro  studioso  abbia  potuto  arrivare  a  una  cosî 
fatta  conclusione.  Errori,  quali  uelectorium  (per  uelatorium)  1571  (con  a 
aperto  letto  per  ec),  uiuatis  (per  uinentis)  554  e  altri  parecchi  rilevati  dal 
Focrster  (Z.  f.  r.  PhiL,  XXXI,  529)  non  permettono  assolutamente  di  rite- 
ncre  il  nis.  di  Karlsruhe  un  originale.  Diro  di  più  :  gli  errori  sono  tali,  ne! 
loro  complesso,  da  rendere  legittima,  a  mio  avviso,  la  supposizione  che  fra 
l'originale  c  il  nostro  codice  abbia  esistito  più  d'un  intermediario  smarrito  o 
perduto.  Inoltre,  il  Foerster  ha  dimostrato  che  ncl  modello  v'  era  una  tra- 
sposizione  di  fogli,  la  quale  non  è  stata  avvcrtita  dal  copista  :  altra  ragione, 
questa,  che  inipedisce  di  ritenere  originale  il  mauoscritto  delle  glosse.  A  pro- 
posito  del  quale,  diremo  anche  che  non  vi  sono  assolutamente  buone  ragio- 
ni,  come  pensa  lo  Stalzer,  per  crederlo  scritto  verso  l'a.  820.  Già  abbiani 
osservato  che,  per  ragioni  paleografiche,  noi  siamo  disposti  a  risalire  (con 
Holtzmann,  Diez,  Foerster),  sino  al  secolo  précédente;  aggiungiamo  ora 
che  la  determinazione  cronologica  dello  Stalzer,  suggeritagli  dalla  constata- 
zione  che  nel  glossario  alfabetico  si  hanno  parecchie  glosse  provenienti  dalla 
Regola  di  S.  Benedetto,  non  riposa  su  saldebasi.  Tutt'  altro  !  La  famiglia  di 
codici  délia  Regola,  alla  quale  risalgono  le  glosse,  non  è  punto  quella  indi- 
cata  dallo  Stalzer  (cfr.  Foerster,  XXXI,  558  sgg.);  onde  le  sue  conclusioni 
vengono  a  cadere.  Il  problema  (che  concerne  in  ogni  modo  il  solo  glossario 
alfabetico)  è  oltremodo  complesso,  perché  si  conserta  con  la  ardua  storia 
délia  Régula  Saucti  Benedicti  e  delle  sue  redazioni  (storia,  a  cui  il  Traube  ha 
portato  un  insigne  contributo  di  studi)  -  e  mérita  d'essere  ripreso  e  studiato  a 
fondo,  anche  dopo  le  acute  osservazioni  del  Foerster.  Ciô  che  si  puo  dire, 
sin  d'ora,  è  che  la  dimostrazione  dello  Stalzer  è  tutt'  altro  che  convincente. 

Invece,  puô  essere  accettata  l'opinione  del  medesimo  Stalzer,  che  alcune 
glosse  délia  prima  c  più  importante  sezione  provengano  da  Isidoro.  Le  con- 
venienze  di  alcune  espressioni  e  esplicazioni  paiono  infatti  risolvere,  come  si 
diceva,  la  questione  in  favore  di  una  dipendenza   parziale  dalle  Etimologie 


1.  Abbreviazioni  notevoli  sono  le  seguenti  :  qd g  146  (che  il  Foerster  inter- 
préta per  qiioddaiii  geiius)  ;  coangiit'  (Foerster:  cociiigustuti)  5 1 S  ;  »/''  (-=  mcre- 
tricum)  7g9  ;  sig  rappresenta  signuiii  752  c  signifient  1786  ;  Hedt  (=  hedunt). 
Noto  poi  la  glossa  739  :  Prehebl  donahï  {-mit)  e,  infine  :  tiiitdii.  (=  uindi- 
candum)  849. 

2.  Aggiungo  qui  in  nota  che  il  cod.  estense  délia  Régula  Scti.  Benedicti 
posseduto  dallaBibl.  estense  (segn.  N.  5,  14)  nonègiàdel  sec.  xiv,  come  si 
leggenel  catalogo,  ma  del  sec.  x.  Proviene  dal  mouastero  di  S.  Pietro. 


j.  STALZER,  Die  Rcichenaiier  Giosscii,  etc.  il') 

del  cclebrc  vescovo  di  Siviglia.  Valgano  duc  esempi  :  121  AblaclaLiis  a  Licle 
ablatus,  Isid.  X,  1 1  :  Ablactatiis  quasi  a  lacté  ablatus;  725  Mestrua  supeniacuus 
saiigiiis  niulii'ruiu,  Is'id.  XI,  i,  140:  Meiistrua  sitpervaciius  mttlienmi  sanguis. 
Stalzer,  pp.  140-145.  Ne  viene  che  si  ha  un  termine  1/  quo  per  la  composi- 
ziouedeir  operetta,  la  quale,  passando  attraverso  a  varie  copie,  fu  finalmente 
trascritta,  corne  dicemmo,  sul  finire  del  sec.  vui  nel  ms.  ora  a  Karlsruhe. 

Lo  Stalzer  sostiene,  infine,  che  le   glosse  di  Reichenau  non  sono  latino- 
romanze,  ma  latino-latine.  A  dargli  completamente  torto,  si  leva  l'eccellente 
studio  dello  Hetzer  ricordato  in  testa  a  questa  rassegna  e  comparso  quasi  con- 
tenjporaneamente  ail'  edizione  intégrale  délie  glosse.  Non  insisterô  troppo 
su  questo  lato  del  problema  che  a  me  pare  ormai  risolto  nel  senso  già  pro- 
pugnato  dalDiez;  ma  dirô  che  le  glosse  paiono  ben  essere  non  soltanto  lati- 
no-romanze  ma  addirittura  latiuo-francesi,  intendendosi  perô  che   i   vocaboli 
romanzi  siano  stati  sempre    latinizzati   e  che  molti  tern:ini,  attinti    ad  altri 
glossari,  si  presentano  incolori  e  siano  quasi  un'  interpretazione  in  latino  di 
voci  latine.  Ma  le  parole  ronianze  sono  abbastanza  numerose  e  caratteristiche 
per  permetterci  di  arrivare  a  série  conclusioni.  È  merito  dello  Hetzer  di  aver 
messi  in  evidenza  i  caratterilinguistici  del  prezioso  documento,  caratteri,  che, 
se  teniam  l'occhiosopra  tuttoalle  soprawivenzelessicali,  parlano  per  la  Fran- 
cia  settentrionale '.  Non  è   improbabile  che  uno   scandaglio  più  minuto  dei 
dialetti  riesca  a  confermare  le  conclusioni  che  lo  Hetzer  présenta  con  molta 
prudenza  e  cautela.  A  questa  localizzazione  non  si  oppougono   neppure,  a 
ben  guardare,  gli  elementi  germanici  délie  glosse,  i  quali,per  ragione  sopra- 
utto  di  vos,  rosa(calatims,  arnndiiw)  con  il  suo  -s,  e  difidciis  (fiilcos  277),  col  suo 
j'i,  sono  stati  dichiarati  di  origine  gotica  o  burgonda.  Lo  Hetzer  ritiene  perô 
che  non  vi  siano  prove  sufficienti  per  determinare  il  dialetto,  donde  sarebbero 
provenute  le  voci  germaniche.  L'origine  gotica  di  ros  e  à\  fitJcus  si  potrebbe 
sostenere  ammettendo  che   alcune    glosse  fossero  provenute,  in  via  diretta 
o  indiretta,   da  un   ms.  contenente  qualche  glossa  di  origine  gotica;  ma,  a 
gettare  incertezze  e  dubbi  su  questa  supposizione,  si  fa  innanzi  il  franc.  /().'; 
rosels  roseau  che  ha  anche  s  ;  si  che  si  potrebbe  anche  pensare,  quanto  ail'  etimo, 
al  gotico  per  la   Francia  méridionale  (raus)  e  a  una  derivazione  antichissima 
(anteriore   al    rotacismo)  per    il  vocabolo  francese,    derivazione,   alla  quale 
pare  non  si  opponga  neppure  decisamente  1'»  di  fulcus.  Lo  Hetzer  conclude 
(pp.  144-5):  «  Es  muss  also  als  unmôglich  bezeichnet  werden,  diegerman. 
Elemente  unseres  Textes  dem  Ostgermanischen  zuzusprechen  ;  sie  kônnen 
vielmehr  ebensogut   westgermauisch  wie  ostgermanisch  sein.  Ein  Licht  auf 
die  Entstehung  unseres    Glossars  vermogeu   sie  infolgedessen  nicht  zu  wer- 
fen.  »    In  favore  dell'  opinione  dello    Hetzer,  il  Foerster  ha  poi  fatte  altre 


I .   Hetzer  penserebbe  veramente  al   N.-E.  délia  Francia,  ma  il  problema 
non  pari  si  lasci  restringere  entro  confini  troppo  definiti. 

Romania,    XLIV .  9 


130  COMPTES    RENDUS 

osservazioni  (XXXI,  558),  tra  le  quali,  qut'Sta:che  le  glosse  hanno  spamure 
con  un  //,  e  non  quel!'  m  che  compare  nel  Sud,  altra  ragione  per  ritenerle 
settentrionali.  Tuttavia,  bisogna  tener  présente  che  l'autore  délie  glosse  ebbe 
sott'occliio  niateriali  di  natura  diversa  e  corne  conobbe  le  Etimologicdi  Isidoro, 
cosi  pote  utilizzarc  altrc  opère  (pcrdute  fors'  anclie)  di  disparata  provenienza. 
Cio  ch'  egli  vi  mise  di  suo,  sia  nel  lessico  sia  nella  forma  dei  vocaboli,  ci  fa 
realnicntc  Jrizzare  lo  sguardo  alla  Francia  settentrionale,  senza  perô  svelarci, 
in  maniera  sicura,  una  determinata  regione  '. 

I  Giulio  Bertoni. 


C.  Salviom,  Per  la  fonetica  e  la  morfologia  délie  parlate 
meridionali   d'Italla;  Milano,  Cogliati,  1912;  in-80,  37  pages. 

M.  Salvioni  a  traité  dans  cette  brochure,  avec  une  richesse  de  matériaux  et 
une  sûreté  de  méthode  également  remarquables,  toute  une  série  de  problèmes 
morphologiques  et  phonétiques  que  posent  les  dialectes  de  l'Italie  méridionale. 
—  I .  L'auteur  recueille  tous  les  mots  dialectaux,  formés  à  l'aide  du  suffixe 
-oto -ota  et  défend  de  nouveau  l'origine  romane  de -0/0  contre  M.  Bartoli,  qui 
en  cherche  l'origine  dans  le  suffixe  grec  -wtï);.  —  2.  M.  S.  examine  l'his- 
toire du  présent  du  verbe  essere  à  Lecce  et  démontre  clairement  que  essii  «je 
suis  »  est  né  d'une  contamination  de  deux  constructions  :  ogghiu  essere  «  je 
veux  être  »  et  ogghiu  eu  stintii  «  je  veux  que  je  suis  »,  d'où  ogghiu  essii.  — 
3.  r;,  ce  «  si  »  de  la  Fouille  et  de  Lecce  sont  les  successeurs  de  qui,  que, 
employés  surtout  dans  la  construction  de  «  se  èche  ».  —  4.  Le  calabr.  dalLui 
«  battere»  est  une  curieuse  formation,  greffée  sur  un  impératif,  dalli  m  donne- 
lui  (des  coups)  »,  ce  serait  un  nouvel  exemple  pour  appuyer  l'hypothèse  de 
ceux  qui  choisissent  comme  point  de  départ  l'impératif  â  m  bu  la  pour  expli- 
quer l'infinitif  français  c(//(T.  —  3.  Le  mot  dinia  de  Potenza  serait  le  dernier 
survivant  d'un  état  phonétique  aujourd'hui  disparu  de  Calabre,  où,  autrefois, 
la  liquide  initiale,  après  une  consonne  précédente,  aurait  abouti  à  dd:  la  Iiice, 
mais  /('(/)  ddtice.  —  6.  On  est  habitué  à  répéter  que  les  dialectes  septentrio- 
naux de  l'Italie  oflfrent,  pour  les  explosives  intervocaliques  -p-,  -/-,  -/,-,  les 
sonores  correspondantes  -/'-,  -d-,  -<,'-,  tandis  que  les  parlers  centraux  et  méri- 
dionaux auraient  conservé  l'état  phonétique  du  latin.  M.  S.  a  rassemblé  une 
longue  série  de  mots  qui  démontreraient  que  cette  règle  est  beaucoup  trop 
absolue  :  un  grand  nombre  de  vocables  des  patois  méridionaux  avec  -k-  inter- 
vocalique  présentent  ou  bien  des  formes  avec  -j,'-  (fuoco  :  fiiogo)  ou  même  la 
cluite  de  -;'-  intervocalique  (napolit.  giiiove  «  giuoco  »).  Au  fond,  cette  mois- 
son abondante  d'exemples,  rencontrés  dans  les   parlers  méridionaux,  impose 


1.   1-oerster,  Z.  /.  ;.  Pbil.,  XXXI,  563. 


M.  ESPOsiTO,  Manuscrits  français  de  Dublin  131 

un  nouvel  examen  approfondi  du  sort  des  explosives  sonores  intervocaliques 
en  italien  et  nous  démontre  en  même  temps  que  seule  l'étude  de  l'histoire 
de  chaque  mot  apportera  un  jour  la  lumière  dans  ce  problème  compliqué.  — 
7.  Le  latin  litteras  «lettre»  continue  toujours  à  vivre  dans  des  parlers  méri- 
dionaux :  lettcrc.  —  8.  A  propos  de  ma:{:{u  «  maigre  »  des  dialectes  de  la 
Fouille,  l'auteur  passe  en  revue  une  riche  série  d'adjectifs  verbaux  qui  sont 
formés  comme  iua:[iu  en  regard  de  macère  (maceo).  —  9.  L'italien  offre 
deux  formations  pour  le  pluriel  des  substantifs  terminés  par  une  palatale  :  à 
côté  de  Greco-Grechi,  il  a  viedico-niedici.  M.  S.  montre  la  grande  vitalité 
du  deuxième  type  du  pluriel  :  porco-porci  dans  les  parlers  méridionaux.  — 
10.  M.  S.  reprend  la  question  du  sort  du  d  intervocalique  dans  les  dialectes 
du  midi  de  l'Italie  et  recueille  un  grand  nombre  d'exemples  qui  montrent  la 
chute  de  la  sonore  intervocalique  (coda  >  cort),  mais,  ici  encore,  seule 
l'étude  du  mot  éclaircira  cet  inextricable  imbroglio.  ■ — •  1 1.  En  examinant 
l'étymologie  du  napolit.  siscarc  qui  remonte  à  fistulare,  M.  S.  retrace  l'his- 
toire du  groupe  initial/-  dans  les  dialectes  méridionaux.  Il  aurait  pu  utiliser 
les  formes  sardes  qui  méritent  d'être  examinées  de  près.  Spano  nous  atteste 
pour  le  Logudoru  le  verbe  ischisciarc  «  soffiarsi  il  naso  »,  qui,  évidemment, 
représente  \c  fsliilare  du  midi  de  l'Italie  (cf.  v.  napolit.  scischiatorc  «  soffiatore 
de  toco  con  la  bocca  »).  Mais  il  est  clair  que  la  consonne  initiale  du  mot 
sarde  ne  peut  guère  continuer  le/-  (de  flislulare  <^  fistulare)  ;  on  est  donc 
amené  à  chercher  une  autre  voie  pour  expliquer  l'initiale  -/r-  à\i$)chisciare . 
Le  V.  provençal  offre  c/5dflr  «  crier  à  haute  voix,  siffler»,  le  catalan  xlsclar 
«  crier».  Est-il  permis  d'y  voirie  reflet  de  fistulare,  dont  l'initiale  aurait  été 
altérée  soit  pour  imiter  le  bruit  du  sifflement  soit  par  influence  de  sibilare 
(catal.  xiflar)  ?  En  tout  cas,  le  v.  prov.  cisdar  s'accorderait  phonétiquement  à 
merveille  avec  le  logud.  iscbiscioiiare.  —  12.  Le  dernier  article  est  consacré 
au  napolit.  sosca  «  son  (du  blé)»  qui  remonte  ainsi  que  V\ta\.  f ri  scella  à  flo- 
s  c  e  1 1  u  ' . 

J.    JLD. 

Marius  Esposito,  Inventaire  des  anciens  manuscrits  français 
des  bibliothèques   de  Dublin,   I    (Revue  des  hihliothèques,  XXIV, 
i9i4,p.    185-98). 
M.  Esposito  s'est  proposé  de  faire  connaître  les  anciens  manusci  its  français  qui 


I .  Comme  les  représentants  de  fl  o  s  c  e  1 1  u  réunissent  les  sens  de  «  son  (de  blé) 
balle  (de  blé),  fleur  de  farine,  éclat  de  bois  »,  on  serait  tenté  de  réunir  le  log. 
tipidiu  «  loppa,  pula  del  pano  »,  le  gall.  tipilia  «  borra,  cimatura  »,  tippi- 
tippi  «  farina  fina  »  à  l'ital.  leppa  «  fuscello  »,  ce  qui,  au  point  de  vue 
phonétique,  u'oft're,  à  mon  avis,  aucune  difficulté,  mais  l'histoire  sémantique 
exige  de  nouvelles  recherches. 


132  COMPTES    RENDUS 

se  trouvent  à  Dublin  et  qui,  par  cela  même,  sont  un  peu  à  l'écart  des  centres 
où  l'on  s'intéresse  à  des  études  médiévales.  «  La  philologie  romane,  dit-il, 
n'est  pas  étudiée  dans  les  universités  irlandaises.  A  la  vérité,  ces  «  universi- 
tés »  ne  sont  que  de  grandes  écoles  secondaires  ».  Dans  ce  premier  article 
sont  sommairement  décrits  20  manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Trinity  Col- 
lège. Je  ne  saurais  rien  ajouter  aux  notices  des  15  manuscrits  classés  sous 
les  numéros  1-2  (B.  2.  7  et  8),  3-4  (B.  3.  5  et  15),  5  (B.  5.  i),  6-8  (C.  2. 
2,  5  el  6),  10  (D.  1.  2)),  12  (D.  2.  27),  13  (D.  3.  34),  14  (D.  4.  9),  17 
(D.  4.  27),  18-19  (E.  I  39  et  40).  Les  5  autres  manuscrits,  par  contre,  con- 
tiennent des  compositions  connues  par  ailleurs,  bien  que  M.  K.  ne  les  ait  pas 
munies  de  références  bibliographiques. 

9  (C.  4.  2),  fol.  46  b-) 2.  Sans  titre,  poème  en  670  vers  : 

Sage  est  qi  sen  escript  ; 

Il  fet  a  plusors  grand  profist. 


Et  qe  ceo  peusast  povre  avereit 
Et  le  meutz  de  péché  se  gardereit. 

C'est  probablement  une  copie  incomplète  de  la  Fie  de  saint  Gcoro-^  de  Simund 
de  Freine  ;  au  moins  les  deux  premiers  vers  sont-ils  identiques.  L'éditeur, 
M.  J.  E.  Matzke(Soc.  des  anc.  textes,  1909,  p.  61  ;  cf.  p.  xviii)  n'en  a  connu 
qu'un  seul  manuscrit  qui  est  assez  incorrect  (Paris,  B.  N.  fr.  902,  f.  108  \'°- 
117  vu  b).  Il  serait  utile  de  voir  si  le  manuscrit  de  Dublin  permet  d'amélio- 
rer le  texte. 
Fol.    145-146.  Sans  titre,  poème  de  186  vers  : 

Preciose  dame  .seinte  Marie, 
Mère  Dieu  espouse  e  amve. 


Mes  sevn  et  sauf  de  encombrer 
Toun  noun  benoyt  puys  loer.  Amen. 


C'est  une  Orcisun  de  Xoiisirc  Dame  dont  M.  E.  Stengel  ■  a  publié  des  extraits 
d'après  le  manuscrit  Digby  86  (fol.  206-207  b  ;  mutilé).  Une  troisième  copie 
se  trouve  dans  le  ms.  Harléien  4657,  fol.  97>-',  du  Musée  britannique. 

I  j  (D.  I.  29),  fol.  30  b.  Poème  sans  titre  : 

Queor  ke  tut  volt  aver  si  ke  rens  ne  H  faille 
Si  aprenge  a  amer  chose  ke  durt  e  vaille. 


I .   CoJict'in  iiKiiiii  scripiiiin  Digby  86  in  Bibl.  Bodiciaua  assen'atttni  descripsil 
.  .  (Halle,   1871),  p.  104. 


xVi.  ESPOSiTO,  Manuscrits  français  de  Dublin  133 


Si  poing  ateinaument,  si  ke  jo  puisse  lire  (corr.   dire) 
Ke  tu  es  trestut  '  mens,  lors  ne  querr  autre  enpire. 

et  foi.  31  b-35.  «  Autre  poème,  sans  titre  »  : 

Quant  tu  m'averas  doné,  dunt  tu  me  vulz  defeire  ^ 

N'est  mie  amur  l<e  ne  se  desmesure 

Ne  qu'a  Deu  se  done  meins  ke  a  cumble  mesure. 

En  réalité,  ces  deux  poèmes  n'en  font  qu'un.  C'est  une  exhortation  à 
l'amour  de  Dieu  qui  se  retrouve  dans  les  manuscrits  Oid  Royal  20.  B.  XIV 
(fol.  65  vo)  du  Musée  britannique  et  423  (fol.  ioovo-io^)de  la  Bibliothèque 
nationale.  Les  deux  vers  cités  en  dernier  lieu  se  lisent  au  fol.  loi  v»  b  du 
manuscrit  de  Paris  et  sont  suivis  de  13  autres  qui  manquent  au  manuscrit  do 
Dublin.  Ce  poème  mériterait  peut-être  d'être  publié. 

15  (D.  4.  13),  p.  1-245.  «  Un  long  poème  biblique.  » 
Voici  comment  M.  E.  en  imprime  le  début  et  la  fin  >  : 

Ici  commenz  genesis  qant  Deu  créât  ciel  e  terre. 
Chomeusement  de  sapience  est  la  timur  de  Deu 
Ki  fist  ceil  et  tere,  e  ne  e  fu  en  tens  hébreu, 
Angeles  et  archangeles  mult  les  mist  en  beu  lu. 


Et  ço  nus  otreit  li  pardurable  Deu 

Q.i  lîst  hom  e  femme,  cel  e  terre  e  mer.  Amen. 

Mais  il  aurait  fallu  dire  que  la  première  ligne  citée  est  le  titre  du  premier 
chapitre  et  que  le  poème  débute  à  la  seconde  ligne,  qui  doit  en  effet  être  cor- 
rigée ainsi  : 

Conienz  4  de  sapience  c'est  la  paour  de  Dieu. 

C'est  le  célèbre  poème  de  la  Bible  de  Herman  de  Valenciennes,  dont  on 
connaît  une  douzaine  de  manuscrits  ;  plusieurs  ont  été  énumérés,  par  M. 
Paul  Meyer,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes,  XX  (1894),  p.  45, 
et  XXV  (1899),  p.  37,  et  dans  les  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  XXXIV, 
2e  part.,  p.  198. 


1.  M.  E.   imprime  escrestut. 

2.  M.  E.  imprime  cet  alexandrin  comme  s'il  s'agissait  de  deux  vers  de  six 
syllabes.  Au  lieu  de  defeire,  il  imprime,  sans  doute  à  tort,  de/rire. 

3.  Je  corrige,  sans  avertir,  la  ponctuation  et  d'autres  menues  erreurs. 

4.  Plusieurs  manuscrits  portent  erronément  :  Roiiuiu^.  .  . 


134  COMPTES    RENDUS 

i6  (D.  4.  18).  Pour  la  bibliographie  des  compositions  contenues  dans  ce 
volume,  je  renvoie  à  la  description  de  iM.  Holger  Petersen  '  que  M.  E.  n"a 
pas  pu  utiliser. 

Fol.  6-7.  Cette  chanson  pieuse  de  96  (non  de  48)  vers  a  été  publiée  par 
M.  Petersen,  /.  c,  p.  20  :  l'ancienne  notation  musicale  est  reproduite  //'.,  p. 

19.  lilllc  commence  ainsi  : 

Quaunt  le  russinol  se   cesse, 
Ke  de  chaunter  n'ad  délit. 

Fol.  II.  Autre  chanson  pieuse  de  45  (non  de  25)  vers^  publiée  //'.,  p.  24. 
Elle  commence  ainsi  : 

Quant  le  duz  tenz  renovele, 
K'oiseus  chantent  ducement. 

Fol.  1 1  v"-2i   \-°.  Pour  la  Vie  de  saint  Eustache,  commençant  ainsi  : 

Au  tens  ke  Testât  de  sainte  Eglise 
Par  tiraunt  fuluns  fu  mauniise, 

il  aurait  fallu  renvoyer  à  VHisloire  litti-nure,  XXXIII,  349. 
Fol.  21  vo  b.  La  petite  pièce  commençant  par  : 

JesuCcrist]  deboneire  et  fraunc 

a  été  imprimée  pas  M.  Petersen,  //'.,  p.  14. 
Fol.  22.  Du  poème  commençant  par  : 

Duz  sire  Jesucrit,  eez  merci  de  mei 

il  existe  cinq  manuscrits  et  deux  éditions,  signalées  par  M.  H.  Petersen,  //'  , 
p.  15. 

Fol.  22.  Delà  prière  commençant  par: 

Duz  sire  Jesucrist  ke  par  votre  seint  plesir 

cinq  manuscrits  et  différentes  éditions  complètes  ou  partielles,  ont  été  signa- 
lés par  MM.  Naetebus=  et  Petersen,  /.  c,  p.  16. 


1.  Holger  Petersen,  Deux  clhinsons  pieuses  iucoiinues  (Dublin,  Trinitv  Col- 
lège, ms.  D.  4.  18),  dans  Neuphiloiogische  Mitteihuigeu,  "SAU  (Helsingfors, 
191 1),  p.  12-25  (cf-  Romavia,  XLII,  301). 

2.  G.  Naetebus,  Die  uicht  lyrischen  Slrophenfoniieii  des  .4ltfi\iii~Ôsischen, 
p.  94  (type  XVII). 


M.  ESPOSiTO,  Manuscrits  français  de  Dublin  135 

20.  (E.  2-33),  fol.  7-99.  «  Sans  titre,  histoire  d'Angleterre  jusqu'à  1333.  » 
Le  commencement  est  en  vers  : 

Ci  puet  homme  saver  cornent, 
Kaunt  et  de  quele  gent 
Grauntz  geauntz  viiidrent 
Que  Engleterre  primes  tvndrent. 

Cette  chronique  en  vers  se  retrouve  sous  ce  titre  :  Des  graiin:^  jaiani  ki 
primes  comjiiistrent  Bretaignc,  dans  le  manuscrit  Cotton,Cleopatra  D  IX  (fol. 
6)  du  Musée  britannique,  et  a  été  imprimée  d'après  ce  dernier  manuscrit  par 
Jubinal,  Nouveau  recueil  de  contes,  II,  354. 

Arthur  Langfors. 


PÉRIODIQUES 


Archi\  lûR  DAs  Stldium  der  neueren  Sprachex  und  Litekaturen, 
t.  CXXXII  (1914).  —  p.  85.  G.  Cohn,  Ziim  Guillaume  cF Angleterre 
(premier  article).  M.  C.  croit  à  l'identité  de  Crestien,  auteur  de  Guillaume 
tV Angleterre,  et  de  Crestien  de  Troies,  et  s'efforce  de  déterminer  les  interpo- 
lations qu'a  subies  le  poème  dans  les  deux  manuscrits.  —  P.  105.  S.  Hofer, 
Rabelais.  Kritischc  Darslelluug  der  luoâernen  Rabelais- For schung  uud  ihrer 
Problème.  I.  Jugend-  und  Lehrjahre.  Résumé  des  travaux  récents  sur  Rabelais. 
P.  126  est  signalé  un  nouvel  exemplaire,  trouvé  en  1910  dans  la  biblio- 
thèque des  princes  Liechtenstein  à  Vienne,  des  Grandes  et  inestimables  chro- 
niques dn  granl  et  énorme  géant  Gargantua,  première  rédaction.  —  P.  13 1-8. 
S.  Lemm,  A  us  eûier  Chartier-Handschrift  des  Kgl.  Kupferstichkabinetts  ^u 
Berlin.  Edition,  d'après  le  ms.  78  C  7  du  Cabinet  des  estampes  de  Berlin 
fane.  Hamilton  144),  d'un  débat  inédit,  composé  par  Alain  Chartier  vers  1416- 
1420,  dont  les  personnages  sont  le  herault,  le  vassault  et  levillain.  Le  texte 
(début  :  Xai[iiires  q'ung  prudent  berault)QS\:  reipi-odunsâns  ponctuation  ni  signe 
diacritique.  —  Mélanges  :  p.  144,  W.  Benary,  Basin  und  Elegast.  Signale 
quelques  mentions  dans  Slemniat.  Lotharingiae  ac  Barri  diicnm  de  Fran- 
çois de  Rosières  ;  —  p.  1 49,  L.  Spitzer,  Nachirâge  ^u  ineinem  Artikel  «  Ucber  ila- 
lienisch  c o s  i  (Archiv,  CXXX,  3  3  5  ff.)  «  ;  —  p.  1 5 1 ,  S.  Lemm,  Das  Manuski  ipl 
des  Kardinals  de  Rohan.  M.  L.  a  reconnu  dans  le  ms.  78  B  17  du  Cabinet  des 
estampes  de  Berlin  (anc.  Hamilton  674)  un  important  chansonnier  du 
xve  siècle  qui  appartenait  au  XYiii^  siècle  au  cardinal  de  Rohan  (cf.  Romania, 
XXVII,  61),  Il  sera  publié  par  les  soins  de  MM.  Lemm  et  Piaget.  — Comptes 
rendus  :  p.  185,  Winifred  Smith,  The  commedia  deU'arleiB.  Fehr)  ;  —  p.  190, 
Th.  Schrôder,  Die  dramatischen  Bearbeitungen  der  Don-Juan-Sage  inSpanicn, 
Italien  und  Frankreich  bis  auf  Molière  einschliesslich,  Beihefte  ^ur  Zeitschrift 
fur  ron'i.  Philologie,  n"  36  (M.  J.  Wolff)  :  —  p.  I9I,^^'.  v.  Wurzbach, 
Geschichie  desfran:{ôsischen  Romans,  I.  Band  :  Von  den  Anfdngen  bis  ^um  Ende 
des  i-j.  jahrhunderts  (K.  Glaser)  ;  —  p.  204,  W.  Kautiuann,  Die  galloroma- 
nischen  Beieiclmungen  fur  den  Begri£  «  IVald»  (A.  Chr.  Thorn  ;  cf.  Romania, 
XLIII,  269);  —  p.  207,  J.  Oetken,  Der  Modus  des  Ohjektsalies  im  Franiôsi- 


FERIODiaUES  137 

schen  (F.  Strohmeyer)  ; —  p.  21 1,  G.  Jûnemann,  Historia  iL'  la  litercitura  espa- 
nola  V  antohgia  de  la  viisvia  (S.  Griifenberg  :  livre  écrit  avec  plus  d'élégance 
que  d'objectivité)  ;  —  p.  213,  M.  Mignon,  Études  de  littérature  italienne 
(G.  Hartmann);  —  p.  216,  W.  Dederich,  Die  lexikographischen  Eigentilmlich- 
heiten  des  Frankoproven^alischen  nach  dem  Atlas  linguistique  de  la  France 
(K.  Jaberg  :  travail  naïf  et  inexact,  qui  doit  être  considéré  comme  non  avenu . 
Le  compte  rendu  donne  des  indications  utiles  au  point  de  vue  méthodique)  ; 
— ■  p.  227,  F.  W.  Stipp,  Die  Benenmingen  des  Jabres  und  seiner  Teile  au/ dem 
Boden  des  heutigen  Frankreich  (K.  Jaberg  :  est  loin  de  valoir  le  travail  de 
M.  Merlo;  cf.  Romania,  XXXII,  289).  —  P.  2 30. Bibliographie  :  p.  256,  une 
notice  non  signée,  mais  sans  doute  de  M.  H.  Morf,  sur  E.  Kempel,  Das 
Handschriftenverhiiltnis  und  die  Sprache  des  altfran-Qsischeii  Heldengedichtes 
Maugis  d'Aigremoul.  M.  K.  a  placé  le  texte,  ainsi  qu'il  est  de  règle  dans  cette 
sorte  d'études,  dans  un  domaine  limitrophe  entre  le  picard  et  le  français, 
parce  que  l'aspect  linguistique  n'est  exclusivement  ni  picard  ni  français.  Le 
critique  s'inscrit  en  faux  contre  cette  manière  de  voir.  On  a,  dit-il,  beaucoup 
exagéré  la  valeur  des  témoignages  linguistiques.  Toute  langue  littéraire  — 
et  les  textes  anciens  soùt  pour  la  plupart  écrits  en  une  langue  littéraire  et 
non  dans  le  patois  local  du  poète  —  possède  des  formes  doubles  qui  ne  pro- 
viennent nullement  d'un  «  domaine  limitrophe  II  et  ne  prouvent  par  consé- 
quent rien  quant  à  la  patrie  de  l'auteur.  Il  promet  de  revenir  sur  cette  impor- 
tante question  dans  un  travail  ultérieur.  Il  ne  manquera  sans  douté  pas  d'y 
rappeler  l'explication  proposée  par  Gaston  Paris  delà  rime  mixte  France  (Fran- 
ci-d):france  (franca).  II  notera  aussi  les  efforts  considérables  des  éditeurs  du 
Reclus  de  Molliens  et  de  ConondeBéthune  pour  écarter,  malgré  les  meilleurs 
manuscrits,  laforme  «  française  » /i'//i  (locus),  les  poètes  picards  ne  pouvant, 
paraît-il,  écrire  que  lius.  Un  récânt  critique  dans  la  Zeitschrift fi'ir  franiosische 
Sprache  und  Litteratur  a  voulu  en  s'appuj'ant  sur  les  rimes,  retr.ancher  des 
passages  étendus  delà  Vie  de  Saint  Quentin  de  Huon  le  Roi  de  Cambrai, 
composéepeu  après  1270 et  conservée  dans  un  seul  manuscrit,  daté  de  1275. 
La  discussion  par  M.  A.  Thomas  d'une  rime  des  Vers  de  la  mort  d'Hélinant 
(Romania,  XXVI,  95)  offrira  également  un  bon  exemple  dans  cet  ordre 
d'idées. 

A.    L.^XGFORS. 


GlORNALE     STORICO     DELLA     LETTBRATURA    IT.\LL\NA,     t.      LXIII       (1914, 

ler  semestre),  nos  187-9.  — P.  79-88.  G.  Berton'i,  Le  lettere  franco-italiane  di 
Faranion  e  Meliadus.  Rectifiant  les  indications  du  premier  éditeur,  M. 
Camus,  M.  B.  démontre  que  nous  avons  affaire,  non  à  deux  lettres,  mais 
à  trois  :  la  première  de  Pharamond  à  Meliadus  ;  la  seconde,  dont  le  début 
manque,  de  Meliadus  à  un  inconnu  ;  la  troisième,  d'un  inconnu  à  Meliadus. 
Ces  trois  lettres  n'ayant  entre  elles  aucun  lien  et  ne  faisant  pas  allusion  aux 


138  PÉRIODICIUES 

I 

mêmes  événements,  ont  sans  doute  été  extraites  d'un  poème  tardif  du  cycle 
breton,  dont  elles  sont  le  seul  reste.  —  P.  240-90.  A.  Monteverdi,  Gli 
esempi  dello  «  Specchio  di  vera  peniteiiyd  »,  Pcirt.  II.  Suite  de  l'article  publié 
t.  LXI,  p.  266.  L'art  de  Passavant!  étudié  dans  la  façon  dont  il  traite  ses 
sources  latines  :  place  do  son  œuvre  dans  la  littérature  italienne,  sa  valeur 
représentative.  —  Comptes  rendus  :  p.  ^42,  Rassegua  dti ii U'soi  (C.  Cosmo; 
étudie  les  récents  travaux  sur  le  Paradis  de  Busnelli,  Parodi,  Filoniusi- 
Guelfî,  Barone,  Bertoldi);  —  p.  402,  J.  Bédier,  Les  légendes  épiques  (G.  B.)  ; 
—  p.  404,  Mélanges  offerts  à  M.  E.  Picot  (F.  P.);  —  p.  408,  A.  Fiammazzo, 
Note  dantesche  sparse;  Colle:(ione  dantesca,  nos  1-2  ;  Colle~ioiie  di  opuscoli 
danteschi  inediti  0  rari,  nos  121-8;  P.  Bellezza,  Ciiriosità  dantesche  (R.)  ;  — 
p.  413,  Dante  Alighieri,  Vita  Nuova,  éd.  Cesareo  (R.)  ;  —  p.  416,  L. 
Azzolina,  //  tnondo  cavalleresco  in  Boiardo,  Ariosto  e  Berni  (V.  O.). — 
Annunzi  analitici  :  p.  442,  J.  Zanders,  Die  altprovenialische  Prosanotr  Ile 
(G.  B.);  —  p.  443,  F.  Heuckenkamp,  Dieproven-alische  Prosa-Redahtion  des 
geistlichen  Romans  von  Barlaain  und  Josaphat  ;  —  p.  443.  G.  Bertacchi,  Ore 
dantesche;  —  p.  444,  E.  Bevilacqua,  Uepisodio  dantesco  délia  corda  ;  —  p. 
444,  E.  Vescovi,  Le  dottrine  pedagogiche  e  la  Divina  Comniedia  :  —  p.  445, 
G.  Giani,  5^;-  Convenevole  da  Prato,  maestro  de!  Petrarca.  —  Comunicazioni  ed 
appunti  :  p.  458,  G.  Bertoni,  Nota  intorno  alla  patria  e  alV  àntore  del  «  Flore 
de  parlare  ».  A  propos  de  l'article  de  Frati,au  t.  LXI  (voy.  Ronlania,Y^A\\, 
460);  les  allusions  locales  permettent  d'affirmer  que  ce  traité  de  rhéto- 
rique a  été  composé  à  Modéne  ;  signale  quelques  textes  relatifs  à  l'ensei- 
gnement de  la  grammaire,  de  la  rhétorique  et  du  droit  dans  cette  ville  au 
début  du  xiye  siècle  ;  —  p.  461,  L.  Borra,  Per  la  hiografia  di  Ciriaco 
d'Ancona.  La  date  du  voyage  de  Ciriaco  en  Dalmatie  est  1427,  non 
1417. 

— T.  LXIV  (1914,  2e  semestre),  nos  190-2.  —  P.  1-47.  G.  Zaccagnini, 
Personaggi  danteschi  in  Bologna.  Renseignements  nouveaux,  empruntés  aux 
documents  de  VArchkvio  di  stato  de  Bologne,  sur  une  dizaine  de  person- 
nages bolonais  nommés  par  Dante.  L'auteur  reconnaît  lui-même  que  toutes 
ses  identifications  ne  sont  pas  sûres.  —  Varietà  :  p.  145-62.  G.  Galli, 
Appunti  siii  laudarii  iacoponici.  Groupement  des  manuscrits;  détermination 
des  sources  où  ont  puisé  les  premiers  éditeurs;  —  p.  165-71,  G.  Rei- 
chenhâch,Lettere  inédite  di  Mattco  Maria  Boiardo.  Douze  lettres  inédites  (de 
1461-90)  :  quatre  djjà  publiées,  mais  plus    complètes  ou  plus  correctes  ici. 

—  Comptes  rendus  :  P.  108,  G.  Bottiglioni,  La  lirica  latina  di  Firen^e  nelîa 
seconla  nietà  del  se:olo  XV  (K.  SAbh^àmi);  —  p.  191,  M.  Iraci,  Loren^o 
Spirito  Gualtieri  (A.  Salza)  ;  —  p.  218,  E.  Aubcl,  Léon  Battista  Albert i  e  i 
lihri  dillifamiglla(?.  C.  P.);  —  p.  220,  G.  Zonta,  Traitati  d'amore  del  Cin- 
quecento(A..  Sa.)  —  Annunzi  analitici  :  p.  249,  G.  Zaccagnini,  Per  la  sloria 
letterarid  del  Duecenlo  (Deb.);  —  Chartulariuni  studii  Bononiensis,  Il  (V.  R.)  ; 

—  p.  250,  P.  Valacca,  Le  rime  k  estravaganti  »  dci  attribuire  a  G.  Boccaccio; 


PERIODIQ.UES  139 

—  p.  251,  G.  Pansa,  G.  OuatrariodiSiilmona(ij^6-i402)(R.S.); — p.  253, 
G.  de  Michèle,  La  vita  di  Niccolà  Franco.  —  Comuaicazioni  ed  appunti  : 
p.  258,  G.  Bertoni,  Intorno  a  una  «  tornadai^  indtri:(^iata  a  Otto  del  Canetto. 
Deux  excellentes  corrections  au  texte  d'une  chanson  de  Folquet  de  Romans 
(éd.  Zenker,  no  VI);  —  p.  262,  F.  ^tn,  Per  una  scheda  Ji  uietrica.  Polé- 
mique avec  L.  Biadene  à  propos  d'un  passage  obscur  de  Benvenuto  da 
Imola.  —  Varietà  :  p.  358—71,  Kenneth  Mac  Kenzie,  Pt;r  la  storia  de: 
Besliari  ilaliani.  Publie,  d'après  un  nis.  du  xiv:  siècle,  un  petit  Bestiaire 
en  prose  (12  articles)  emprunté,  comme  ceux  de  Sacchetti  et  de  L.  de  Vinci, 
au  Fiore  di  virtù,  lui-même  dérivé  de  Barthélémy  l'Anglais  ;  recherches  sur 
les  rapports  de  ces  diverses  versions.  —  Comptes  rendus:  p.  386,  K.  Burdach 
und  P.  Piur,  Briefwechsel  des  Cola  di  Rien:^o  (P.  Fedele)  ;  —  p.  405,  Pubblica- 
zioni  umanistiche  [de  B.  Ziiiotto,  F.  Lo  Parco,  B.  Boralevi,  P.  MaasJ  (R. 
Sahbadini)  ;  — p.  429,  L.  P.  Karsavin,  Saggi  di  vita  religiosa  in  Italia  net 
secoli  XH-XIII  (le  livre,  écrit  en  russe,  est  suivi  de  documents)  ;  — 
p.  432,  G.  Landini,  //  codice  aretino  180 ;  laiidi  antiche  diCortona  (G.  G.): — 
p.  435,  D.  Velluti,  La  cronica  domestica  scritta  fra  il  ij6y  e  il  i^jo  (R.)  ;  — 
p.  437,  P.  M.  Masson,  Chants  de  carnaval  florentins  de  l'époque  de  Laurent  le 
Magnifique  (F.V.);  — p.  438,  A.  A.  Pons,  Un  trattato  educativo  del  Quattrocento 
(En.  C).  —  Annunzi  analitici  :  p.  451,  E.  Lamma,  SulV  ordinanwnto  délie 
rime  di  Dante  ;  —  p.  452,  F.  A.  Lambert,  Dante' s  Matelda  und  Béatrice;  — 
p.  453,  L.  Chiappelli,  La  donna  pistoiese  del  tempo  antico  ;  —  p.  453,  L. 
Calvelli,  Un  Fiorentino  del  Trccento,  Guido  del  Palagio  e  la  sua  Can^one  a 
Firen:{e  ;  —  p.  454,  V.  Rossi,  La  fornia:;ione  storica  del  Rinascimento  italiano  ; 
—  p.  454,  E.  Lommazsch,  Fin  itaUenisches  Novellenbuch  des  Quattrocento  î 
Giovanni  Sabatino  degli  ArientVs  «  Porrettane  ».  —  Comunicazioni  ed 
appunti  :  p.  462,  G.  Bertoni,  PostiUe  alla  lauda  veronese  del  duecento.  Il  s'agit 
de  la  lauda  «  Beneta  sia  V  ora  »  ;  nouvelle  collation  du  ms.  ;  remarques  cri- 
tiques. 

A.  Jeanroy. 


Lares,  bullettixo  della  Società  di  etkografia  italiana  diretto  da 
Lamberto  Loria  ;  Roma,  Lœscher.  —  Cette  nouvelle  revue  est  destinée  à  recueil- 
lir des  témoignages  sur  les  mœurs  qui  tendent  à  disparaître,  à  sauver  de  l'oubli 
des  légendes,  des  chansons  et  des  récits  populaires,  à  retenir  le  souvenir  de 
toute  espèce  d'objets  qui  sortent  de  l'usage  ;  elle  est  l'organe  de  tous  ceux 
qui  se  proposent  de  collaborer  au  grand  musée  ethnographique  de  l'Italie, 
brillamment  inauguré  lors  de  la  grande  exposition  de  Rome  en  1911.  Il  est 
clair  que  nombre  des  articles  de  cette  revue  sortent  du  cadre  de  la  Romauia , 
miis  certains  intéressent  à  plus  d'un  titre  les  études  lexicologiques. 

T.  I  (1912).  —  P.  5-6.  Lares.  Explication  du  titre  de  la  Revue.  — P.  7- 
8.  Avverten:!^a,  M.  Loria  se  déclare  prêt  à    mettre   sa  revue  au  service  des 


140  PERIODIQUES 

divers  courants  scientifiques  qui  se  manirestent  dans  le  grand  domaine  de 
l'ethnographie  italienne.  — P.  9-24.  Due  parole  di  prograiinua.  Le  directeur 
de  la  revue  évoque  ici  le  souvenir  des  préparatifs  de  la  grande  «  mostra 
etnografica  »,  organisée  sur  la  «  Piazza  d'Arme  »  à  Rome.  Ce  sont  de  belles 
pages  vibrantes,  écrites  par  un  savant  dont  on  ne  saurait  assez  louer  l'esprit 
d'initiative  et  l'énergie.  —  P.  24-38.  A  Mochi,  Il  primo  congresso  d'etnogra- 
fia  italiiDia.  Compte  rendu  des  communications  :  M.  Schuchardt  expose  avec 
sa  clarté  habituelle  le  rapport  qui  existe  entre  la  chose  et  son  nom,  M.  Niceforo 
examine  l'origine  des  langues  secrètes  et  professionnelles ,  M.  Belluci  présente 
les  résultats  de  ses  recherches  sur  les  amulettes  surtout  en  vogue  dans  l'Italie 
méridionale.  —  P.  59-55.  Baldasseroni,  Il  museo  di  etnografia  ilaliana,  expose 
les  principes  d'après  lesquels  le  futur  musée  d'ethnographie  italienne  devrait 
être  organisé.  — P.  57-62.  Baragiola,  Uua  leggenda  rfîFo?7«rt~:frt.  Texte  d'une 
légende  populaire  rédigée  en  patois  valaisan  du  val  de  Formazza.  —  P.  64- 
72.  Pettazzoni,  Sopravviven~e  del  romho  in  Italia.  Etude  intéressante  sur  des 
vestiges  modernes  de  l'antique  rhombus  «  toupie  magique  »  dans  diverses 
régions  de  l'Italie  et  explication  de  noms  dialectaux  de  la  toupie  :  ital.  frullo, 
pisan .  cicala,  sicil.  lapuni.  —  P.  73-79.  Loria.  Vetnografia,  strumento  di poli- 
tica  interna  e  coloniale.  —  P.  82-130.  Recensioni  et  Rassegna  Inhliografica. 
Excellent  aperçu  des  travaux  de  folklore,  malheureusement  dispersés  dans 
des  revues  provinciales  ;  beaucoup  intéressent  l'histoire  des  mots,  p.  ex.  une 
étude  de  M.  F.  Baldasseroni  sur  l'origine  à\x  presopio  di  Natale  (p.  122)  ou 
un  travail  sur  les  instruments  de  musique  de  la  Sardaigne  (p.  113).  -^ 
P.  137-76.  G.  Nicasi.  Le  creden^e  religiose  délie  popold^ioni  ru  rai  i  deW  alta 
valle  del  Tevere.  Exposé  instructif  des  croyances  populaires  dans  nombre  de 
villages  de  la  vallée  supérieure  du  Tibre.  Il  v  a  là  des  observations  utiles 
pour  le  linguiste  :  ainsi  l'habitude  de  ne  pas  prononcer  le  nom  du  diable 
(p.  160),  remplacé  par  des  expressions  comme  «lui,  quell'uomo,  quell'omi- 
no  ».  On  évite  généralement  le  mot  «  fulmine  »  en  disant  :  è  scoppiato  un 
tono;  è  caduta  addosso  una  5/>o/r/;^/a  »  [nell'alta  valle  del  Nestorosi  crede  che 
il  tuono  non  sia  che  una  rumorosa  emissionedi  aria  intestinale  dal  corpo  del 
demonio  ;  e  quando  quell'aria  esce  commista  aile  lapidée  ed  infuocate  deie- 
zioni  diaboliche,  il  tono  scoppia  e  produce  il  fulmine,  ecco  perché,  presse 
quelle  popolazioni  il  fulmine  viene  chiamato  «  una  sporcizia  »].  L'exis- 
tence d'une  pareille  croyance  nous  permet  peut-être  de  mieux  entre- 
voir l'évolution  sémantique  du  comasque  hrôdega  «  fulmine  »  qui  se 
rattache  par  le  bergam.  hrodigar  «  sporcare,  lordare  »  à  brod(o)  «  bouillie, 
fange  »,  cf.  Gôhri,  Rev.  dédiai,  roni.,  IV,  160.  —  P.  205-612.  A.  Solmi, 
Sulla  inlerpretaiione  dei  riti  nu:^iali,  insiste  avec  raison  sur  l'explication  des 
rites  de  mariage  par  les  faits  du  droit  ancien  des  peuples.  M.  Solmi  aurait  pu 
citer  comme  exemple  le  {nou\.  vadia  <(  sposare,  maritare  »  (cf.  Salvicni,  Cavas- 
sico  399),  dont  le  sens,  analogue  à  celui  de  l'angl.  to  zuedd,  ne  s'explique  que- 
si  on  admet  l'existence  du  gage,  donné  par  le  fiancé  à  son  futur  beau-père.  — 


PERIODICIUËS  1  4  t 

P.  227-65.  Rtceiisioni  et  Kassegnabibliografica.  J'y  relève  (p.  231-30)  uncompte 
rendu  très  suggestif  par  G.  Ferri  d'un  travail  sur  l'origine  des  fêtes  de  mai, 
A.  Gaudenzi,  Calendimaggio, 

—  T.  II  (1915). —  P.  1-16.  Baldasseroni,  Lainberto  Loria.  Notice  nécrolo- 
gique du  fondateur  de  la  Revue,  Lamberto  Loria,  travailleur  infatigable  et 
désintéressé.  —  P.  17-  30.  F.  Novati,  La  raccolta  di  statnpe popolari  italiane 
délia  biblioteca  di  Franc.  Reina.  Article  fondamental  sur  les  vieux  livres  popu- 
laires de  l'Italie.  —  P.  81-7.  De  Gasperi,  Appiinti  siille  abitagîoni  tempoiaiiee 
délia  Majella  (Pouille).  A  l'aide  de  photographies  et  d'esquisses  très  bien 
venues,  M.  G.  nous  décrit  les  chalets  de  bergers  et  le  bercail,  habités  tour  à 
tour  par  des  pâtres  qui  se  transportent  d'une  partie  de  la  montagne  à  l'autre 
pour  y  séjourner  un  temps  plus  ou  moins  long  avec  leur  bétail.  Les  mêmes 
constructions  alpestres  existent  dans  les  Alpes  et  l'auteur  aurait  pu  notam- 
ment consulter  l'étude  que  M.  Muret  a  publiée  sur  les  mots  mayen  et  ye)ii- 
y.ienls?  (<^  remut(are)  +  inca,  cf.  prov.  mod.  mudando  <  mutanda) 
dans  le  Bulletin  du  glossaire  des  patois  de  la  Suisse  romande,  VII,  27  ss.  Voici 
les  noms  indigènes  relevés  par  M.  Gasperi  :  capanna  «  refuge  pour  les  ouvriers 
delà  campagne,  pagliaio  «  rifugio,  dove  ospitano  nella  notte  i  proprietari  dei 
campi  quando,  pei  lavori  agricoli,  devono  trattenersi  a  lungo  lontano  dal 
paese  »,  du  lat.  palearium  (<  palea),  quoiqu'aujourd'hui  les  bâtiments 
soient  construits  en  pierres.  Comme  noms  de  chalets  temporaires,  l'auteur 
relève  jano  (<  j  a  c  i  u  m)  et  posticchia,  dérivé  de  posto  «  sito,  luogo  » .  — P.  89- 

92.  G.  C.  Secchi,  i)  //  rombo  in  Sardegna.  Complément  au  travail  sur 
la  toupie  magique  de  M.  Pettazzoni.  C'est  en  même  temps  une  précieuse 
contribution  au  lexique  sarde  :  l'auteur  s'est  donné  la  peine  de  recueillir  les 
noms  pittoresques  de  la  toupie  dans  les  villages  de  son  île  natale.  2)  Modi  di 
^^gS'oS'-'-^'^  i  ^"oi  in  Sardegna.  Description  du  joug  sarde  avec  indication  des 
noms  des  parties,  cf.  aussi  L.    Wagner,  IVôrter  uiid  Sachen,  II,  205.  — P. 

93.  Maritavamio,  lieu-dit,  expliqué  par  un  usage  populaire  [nuirita  avanno 
<;  h  oc  an  no.  —  P.  93-127  Recens  ion  i  et  Rassegna  bibliografica .  —  P.  129- 
250.  M.  L.  Wagner,  Il  malocchio  e  creden^e  a/fini  in  Sardegna.  Article  bien 
documenté  sur  les  effets  du  «  mauvais  œil  »  et  les  remèdes  qui  servent  à 
en  combattre  les  conséquences  désastreuses  ;  les  noms  et  les  formes  des  amu- 
lettes principales  employées  en  Sardaigne  ;  l'étymologie  de  plusieurs  mots 
sardes  d'origine  obscure,  pinnadelln,  coccu,  sabegga,  punga,  foltina.  — P.131- 
221.  F.  Novati,  La  raccolta  di  stanipe  popolari  italiane  (suite  et  fin).  —  P.  225- 
244.  Recens ioni  et  Rassegna  bibliografica. 

J.  JUD. 


Le  Moyen  Age,  2e  série,  t.  V  (1901).  — Mémoires.  P.  51-35.  G.  Huct, 
Neptunus-Lutin.  —  P.  515-56.  M.  Boudet,  Charles  le  Bel  et  Thomas  de  la 
Marche.  L'auteur  combat  la  thèse  de  G.  Paris,  selon  laquelle  Ch.  le  Bel  serait 


142  PERIODIQUES 

le  père  de  Thomas. —  Comptes  rendus  :  p.  1 13,  Abbé  L.  Valcmin,5i(//;/  Pros- 
péra''Aquitaine  (L.  Levillain)  ;  —  p.  127,  J.  Loth,  La  Métrique  galloise  (J.  Ven- 
dryès);  —  p.  130-5,  Beaumanoir,  Coutumes  de  Beauvoisis,  éd.  Salmon  (P. 
Collinet);  —  p.  197-212,  R.  Berger,  Canchoiis  unâ  parlures  des  aîtfran:(ôsischen 
Trouvère  Adan  de  le  Haie  le  hochu  d'Aras,  i^r  Band.  (A.  Guesnon  :  Le  bochu 
étant  le  patronyme,  il  eût  été  préférable  de  rejeter  en  seconde  place  le  sur- 
nom (/('  la  Halle;  M.  B.  croit  encore  à  l'exil  d'Adam.  L'éditeur  s'est  rendu 
coupable  d'assez  nombreuses  inconséquences  dans  l'établissement  du  texte)  ; 
—  p.  212-15,  H.  Achelis,  Die  Martyrologieu  (A.  Molinier)  ;  —  p.  229,  G. 
Schlumberger,  L'Epopée  hy:(antine  à  la  fin  du  A'e  siècle,  2<=  p.  (M.  P.);  — 
p.  416,  R.  Markisch,  Die  alteuglische  Er:{ahlungen  von  Apollonius  von  Tyrus  ; 
O.  Brix,  Ucher  die  luittelenglische  Ueberset^ung  des  «  Spéculum  humanae  salva- 
tionis  »  ;  G.  Schleich,  Sir  Ysumhras,  eine  euglische  Ronianie  des  XIV  Jhrhdts 
(L.  Duvau)  ;  —  p.  424,  J.-H.  Smiih,  The  Troubadours  at  home  (L.  Brandin  : 
«  excellente  oeuvre  de  vulgarisation  »)  ; —  p.  511,  H.-O.  Taylor,  The  classi- 
cal  héritage  of  the  middle  âges  (G.  Huet).  —  Chroniques  bibliographiques  : 
p.  138,  G.  Paris,  Thomas  delà  Marche  (L.  L.);  —  p.  140,  L.  André  Pontier, 
Histoire  de  la  pharmacie  (A.  V.):  —  p.  239,  Proses  d'Adam  de  Saint-Victor, 
p.p.  l'abbé  E.  Misset  et  P.  Aubry  ;  Za/5  et descorts  français,  p.  p;  A.Jeanroy, 
L.  Brandin  et  P.  Aubry  ;  —  p.  356,  R.  Grand,  Les  plus  anciens  textes  romans 
de  la  Haute-Auvergne  (M.  P.);  —  p.  515,  L.  S^im^zn,  Influences  orientales  sur 
la  langue  et  la  civilisation  roumaine. 

2e  série,  t.  VI  (1902).  —  Mémoires.  P.  1-4.  P.  Meyer,  Lettre  de  Jean 
Chandos  et  de  Thomas  de  Felton  aux  consuls  et  habitants  de  Millau.  —  P.  I37- 
73.  A.  Guesnon,  Nouvelles  recherches  sur  les  trouvères  artésiens  :  entre  autres 
Jean  Bodel  et  Jean  Bretel.  —  Comptes  rendus  :  p.  32,  M.  de  Wulf,  His- 
toire de  la  philosophie  médiévale  (F.  Picavet);  —  p.  42,  Paget  Toynbee, 
Index  oj  authors  quoted  by  Benvenuto  da  Imola  in  his  connwntary  on  the  Divina 
Cominedia(L.  Auvray);  —  p.  44,  W.-H.  Schofield,  The  Laxsof  Gracient  and 
Lanval  and  the  stor\  of  IVavland  (G.  Huet  :  l'épisode  des  filies-cvgnes  était-il 
inconnu  en  Gaule  avant  les  invasions  Scandinaves  ?  L'origine  de  ce  conte 
nous  échappe  et  il  peut  très  bien  être  plus  antique  que  le  plus  ancien  texte 
qui  nous  l'a  transmis)  ;  —  p.  46,  C.  Voretzsch,  Einfi'thrung  in  dus  Studimn 
der  altfran:(ôsischen  Sprache  (L.  Brandin  :  «  Brevis  esse  voluit,  obscurus  factus 
est  »)  ;  —  p.  106,  J.  Bédier,  Le  roman  de  Tristan  et  Iseut  (F.  Lot)  :  —  p.  108- 
12,  W.-H.  Schofield,  The  La\  of  Guinamor  et  Chaucers  Franklin's  taie  (F- 
Lot  :  Chaucer  a  puisé  la  matière  de  son  conte  non  point  dans  la  littérature 
populaire  mais  chez  Gaufrei  de  Monmouth);  —  p.  115-8,  A.-C.-L.  Brown, 
The  Round  Table  beforc  JVace  et  Barintus  (F.  Lot  :  Barintus,  qui  conduisit  le 
roi  Arthur  à  l'île  de  l'éternelle  jeunesse,  en  irlandais  Barr-Find  (tèic  blanche), 
n'est  autre  que  le  dieu  de  la  mer)  :  — •  p.  118,  G.  Paris,  François  Villon  (F. 
Lot)  ;  —  p.  118,  V'e  Ch.  de  La  Lande  de  Calan,  Lés  personnages  de  l'épopée 
romane  (G.   Huet  :    faute  de    méthode,    fournit  très  peu  de  résultats  à    la 


PERIODiaUES  143 

science);  —  p.  122,  Ugo  Balzani,  Le  Crouache  italiaiic  nel  iiiedio  evo  {A. 
Molinier)  ;  —  p.  179,  J.  Loth,  La  métrique  galloise,  t.  II  (J.  Vendryès)  ;  — 
p.  184,  A.  Marignan,  La  Tapisserie  de  Bayeux  (M.  P.)  ; —  P-  187,  Ph.  de  Com- 
mynes,  Mémoires,  p.  p.  B.  de  Mandrot  (G.  R.)  ;  —  p.  272,  A.  Thomas, 
Mélanges  d'étyinologie  romane  (M.  Prou);  —  p.  365,  Les  Enseignements  de 
Robert  de  Ho,  p.  p.  M.  V.  Young  (A.  Salmon  :  il  eût  mieux  valu  prendre 
pour  base  de  l'éd.  le  ms.  de  Cheltenham)  ;  —  p.  568,  J.  Camus,  La  première 
version  française  de  F  Enfer  de  Dante  (A.  Salmon)  ;  —  p.  369,  Das  aUfran^ô- 
siscbes  Rolandslied,  hgg.  v.  E.  Stengel,  Bd.  I  (A.  Salmon  :  l'éditeur  en  pre- 
nant O  pour  base  a  montré  qu'il  voulait  donner  un  texte  représentant  l'état 
littéraire  de  la  chanson  à  la  fin  du  xi^  s.); —  P-  370,  F.  Novati,  Llnflitsso  de! 
pensiero  latino  sopra  la  civiltà  italiana  nel  inedio  evo  (L.  Auvray)  ;  —  p.  574, 
Le  Bestiaire  de  Philippe  de  Thaun,éd.  par  E.  Walberg(A.  Salmon).  — Chro- 
niques bibliographiques  :  p.  127,  H.  Omont,  Bibl.  nat.  Catalogue  des  mss. 
Ashhurnham-Barrois  acquis  en  ic/oi  (A.  V.). 

2^  série,  t.  VII  (1905).  —  Mémoires.  P.  249-82,  F.  Lot,  De  quelques  per- 
sonnages du  IX^  siècle  qui  ont  porté  le  nom  deHilduin.—  P.  283-302.  M.Boudet, 
Nouveaux  documents  sur  Thomas  de  La  Marche.  —  Comptes  rendus  :  p.  52-64, 
E.  Roy,  Études  sur  le  théâtre  français  duXIV^  et  du  XV^  siècle,  La  Comédie  sans 
titre  et  les  Miracles  de  Notre-Dame  par  personnages  (G.  Rousselle);  —  p.  132, 
Conferen:(e  dantesche  (G.  Yver)  ;  —  p.  1 36-43,  G.  Reynier,  La  vie  universitaire 
dans  V ancienne  Espagne  (G.  Rousselle)  ;  —  p.  144,  A.  Bartal,  Glossariuni 
mediae  et  infi))iae  latinitatis  regni  HungariacQA.  Prou);  —  p.  21 5,Kr.Nyrop, 
Grammaire  historique  de  la  langue  française  (G.  Rousselle);  —  p.  225, 
M.  Porena,  Délie  manifestaiioni  plastiche  del  sentimento  nei  personnaggi  délia 
Divina  Commedia  (L.  Auvray);  —  p.  377,  E.  h^nglois,  Recueil  d'arts  de 
seconde  rhétorique  (G.  Huet)  ;  —  p.  385-91,  R.  Schmidt,  Die  Lieder  des  Andrieu 
Contredit  d'Arras  (A.  Guesnon  :  observations  critiques  sur  le  texte)  ;  — 
p.  457,  J.  Mortensen,  Le  théâtre  français  au  moyen  âge,  trad.  par  E.  Philipot 
(G.  Rousselle).  —  Chroniques  bibliographiques  :  p.  74,  d'Arbois  de  Jubain- 
ville,  Eléments  de  la  grammaire  celtique:  — p.  152,  Ahbé  Reure,  Simple  con- 
jecture sur  les  origines  paternelles  de  Erançois  Villon  (A.  V.);  —  p.  235,  H.-J. 
Chaytor,  The  troubadours  of  Dante,  La  Divine  Comédie,  éd.  Scartazzini-Van- 
delli  (L.-A.)  ;  —  p.  321,  H  Omont,  Notice  du  ms.  nouv .  acq.  fr.  looso,  con- 
tenant un  nouveau  texte  français  de  la  Fleur  des  Histoires  de  la  terre  d'Orient,  de 
Hayton  (R.  P.);  —  p.  407,  H.  Omont,  Bibl.  nat.,  dép.  des  mss.,  Liste  des 
recueils  de  fac-similés  (A.  V.)  ;  Ohr,  La  leggendaria  eleiione  di  Carlomagno  a 
imperatore  (R.  R.);  —  p.  471,  Société  de  littérature  néerlandaise  de  Leide  :  I, 
Ronceval;  II,  Floris  ende  Blancefeur  ;  III,  Zxvaanridder  ;  IV,  Van  den  reus 
Gilias;  V,  Malegijs  ;  Yl,Sint  fan  van  Beverley  (G.  Huet). 

2<:  série,  t.  VIII  (1904).  —  Mémoires.  P.  147.  E.  Langlois,  Deux  et  deux 
font  trois.  —  P.  201-7.  J-  Calmette,  Contribution  à  la  critique  des  Mémoires 
de  Conimynes.  — P.  338-42.  F.  Lot,  5h/-   les   Hilduins,    noie  rectificative.  — 


144  PERiot)iauEs 

p.  585-400.    M.  Pctit-Delchct,  Les  Visions   de  saiiil  Jean    dans   trois  Apoca- 
lypses manuscrites  à  figures  du  XV^  siècle.  —  P.   465-77.    F.    Lot,    Mélanges 
carolingiens,  I.    Veteres  Donius.  —  Comptes  rendus  :  p.  65,  A.  C.  L.  Brown, 
liuain,  a  stitdy  in  the  origins  of  fhe  ArtJntrian  romances  (G.  Huet  :  montre  que 
la  théorie  d'une  origine  celtique  du  thème  à'Iwain  présente  une    probabilité 
extrême)  ;  —  P.    66.     G.    L.   Kittredge,    Arthur  and   Gorlagon  (G.  Huet  : 
le  rapprochement  entre  Bisclavret  et    un   conte    de   Somadeva    et   un    autre 
conte  des  Mille  et  tine  Nuits  est  très  douteux)  ;  —  p.  77,  G.  Grupp,  Kiiltur- 
geschichle  der  romischen  Kaiser^eit,  t.  I  (P.   M.)  ;  —  p.  148,  J.  Calmette,  De 
Bernardo  sancti  Guillehni  filio  (F.  Lot  :  la    distinction    établie  par   l'auteur 
entre  deux  sources  de  récits  poétiques  sur  Bernard,    l'une    catalane,    l'autre 
du  sud  de  la  France,  semble  chimérique.  D'autre  part,  l'amour  réciproque  de 
Bernard  et  de  l'impératrice  que  l'on  trouve  dans  Erl  of  Tolous,  n'est  pas  une 
addition  postérieure)  ;  —   p.    161,    E.  Rov,  Études  sur  le  théâtre  français  au 
XIV<^  siècle,  le  Jour  du  Jugement  el  les  mvstères  de  sainte  Geneviève  (G.   Rous- 
selle)  ;  —  p.   175,  P.  Savj-Lopez  et  M.  Bartoli,   Allitalienische  Chrestomalhie 
(L.   Auvray)  ;  —  p.  175,  C.    Wahlund,  Die  allfraniosische  ProsaûbersetT^ung 
von  Brendans  Meerfahrte  (G.  Huet)  ;  —  p.  234,  L.  Pineau,  Les  vieux  chants 
populaires  scandiiuives  (G.  Rousselic);  —  p.  251,  T.  A.  Jenkins,  The  Espurga- 
loire  saint  Palri^  of  Marie  de  France  (G.  Huet  :  édition  d'un  manuscrit  de  la 
légende  latine  appartenant  à  la  nîème  famille  que  celui  dont  Marie  se  servit 
pour  sa  traduction)  ;  —  p.  252,  W.   Steuer,   Die  altfraniôsische    Histoire  de 
Joseph  (G.  Huet)  ;  —  p.    543,   L.-E.  Chevaldin,    Les  Jargons  de  la  farce  de 
Pathelin  (M.  Wilmotte);  — p.  353,  P.  Thomas,  Morceaux  choisis  des  prosateurs 
latins  du  moyen  dgc  et  des  temps  modernes  (M.  Prou)  ;  —  p.  361,0.  Voretzsch, 
Die  Anfànge  der  romanischen  Philologie  an  den  deulschen  Universitâlen  und  ihre 
EntiL'icklung  rt»  der  Universitdt  Tiibingen  (E.    Langlois)  ;  —  p.  362,  Gower. 
Sélections  from  the  Confessio  amantis,  éd.  by  G.  C.  Macaulay  (G.  Huet  :  peut- 
être  l'éditeur  eût-il  pu  donner  quelques  récits  de  plus)  ;  —  p.  362,  E.  Buhle, 
Die    musikalischen    Instrumente    in    den  Miniaturen   des   friihen     Mittelalters 
(P.  A.)  ;  —  p.  420,  J.  Trénel,  L'Ancien  Testament  et  la  langue  française  du 
moyen  âge,  VIII^-XV^  siècle  (E.  Langlois  :  il  n'v  a  pas  lieu  de  distinguer  pour 
leur  passage  en  français  les  éléments  hébraïques  et  helléniques  de  la  Bible  ; 
les  allusions  à  la  Bible  n'avaient  point  leur  place  dans  ce  livre);  —  p.    426, 
L.    Pineau,  Les  vieux  chants  populaires  Scandinaves,    II    (G.    Rousselle).  — 
Chroniques  bibliographiques  :  p.  79,  E.  Langlois,  Table  des  noms  propres  de 
toute  nature   compris  dans  les  chansons  de  geste    imprimées  (M.  P.);  — p.    80, 
A.  A.  Jellinek,  Bibliographie  der  vergleichenden  Littcraturgeschichte    (G.  H.); 
Ch.  Môller,  Histoire  du  moyen  âge  depuis  la  chute  de  V Empire  romain  jusqu'à 
la  fin  de  l' époque franque  (M.  P.)  ;  —  p.  180,  E.  A.  Stuckelbcrg,  Die  sclnvei- 
^erischen  HeiJigen  des  Mittelalters  {M.  P.)  ;  —  p.  257,  Arthurian  Romances  un- 
represented  in  Malory^s  «  Morte  d'Arthur  »,  trad.  by  J.-L.  Weston  ;  Marie  de 
France,    seven  of  lier  lays  doue  into  english  b\-    E.    J^ickert  ;  La  Chastelaine  de 


PÉRIODIQUES  I  4  5 

Fergi  trad.  par  A.  Kemp-Welch,  précédé  d'une  introduction  par  L.  Bran- 
din  :  Aucassin  et  Nicolettc,  mis  en  français  moderne  par  G.  Micliaut  avec 
une  Préface  de  J.  Bédier(G.  Huet)  ;  —  p.  2)8,  M.  Prou,  Rectteiî  de  fac- 
similés  (Fécritures  du  V^  an  XVll^  siccle  (A.  V.)  ;  —  p.  567,  Schofield,  The 
Story of  Horn  and  RimenhiJd  (G.  Huet)  ;  —  p.  440,  Paget  Toynbee,  Dante 
Stndies  and  Researches  (L.  A.)  \  —  p.  505,  A.  H.  Leaiiy,  The  Courtship  oj 
Ferb  (G.  H.);  — -p.  506,  D.  E.  Moore,  Tutle  le  opère  di  Dante  Alighieri, 
3-'  éd.  con  indice  compilato  dal  D>"  P.  Toynbee. 

22  série,  t.  IX  (1905).  —  Mémoires.  P.  65-79.  ^'-  Petit-Delchet,  Les 
Visions  de  saint  Jean  dans  trois  Apocalypses  manuscrites  à  figures  du  XV'^  siècle, 
II.  —  P.  127-39.  ^-  Lot,  Mélanges  carolingiens  (suite).  IF.  Pons  Liadi. 
—  P.  258-62.  G.  Huet,  Défonnations  de  quelques  noms  propres  des  chansons  de 
geste  dans  les  iniitalions  en  nioven-ncerlandais.  Des  noms  de  lieu  ont  été  ger- 
manisés comme  Lauiven  =  Laon,  Oringheii  =1  Orange,  Montalhaen  =  Mo)i- 
tauhan  ;  d'autres  ont  été  traduits,  ainsi  Medehorch  et  Valkenstein.  Quelques 
altérations  viennent  manifestement  de  mauvaises  lectures  Dunay  <^  Duuax 
<C  //  dus  Naimes,  Manosyn  <  Mauoisin  <^  Malvoisin,  Benfluer  <^  Beaflur  <; 
Beljletir,  Buene  <i  Bueve  ;  des  confusions  analogues  expliquent  les  formes 
singulières  qu'a  revêtues  le  nom  de  Ganelon  :  Guelloen,  Gaveloen,  Gelloen, 
Gauïveloen,  Gaveloen,  Guiveloen,  Guweles,  Givelloen,  etc.  —  Comptes  rendus  : 
p.  49,  G.  Paris,  Légendes  du  moyen  âge  (G.  Rousselle)  ;  —  p.  51,  B.  de  Man- 
drot,  Mémoires  de  Ph.  de  Commynes  (G.  Rousselle)  ;  — ^  P.  H.  Van  Moer- 
kerken.  De  Satire  in  de  Nederlandske  kuuit  der  niiddeleeuvcu  (G.  Huet)  ;  — 
p.  104,  M.  Lambert  et  L.  Brandin,  Glossaire  hébreu-français  du  XIII^  siècle 
(G.  Huet)  ;  — p.  141,  G.  H.  Haskins,  The  Vniversity  of  Paris  in  the  sermon  of 
the  XIIP'^^  centurx  (P.  Lacombe)  ;  —  p.  142,  Ch.-V.  Langlois,  La  Société  fran- 
çaise au  XIII<^  s.  (G.  Rousselle)  ;  —  p.  144,  G.  Lebas,  Les  Palinods  et  les  poètes 
dieppois  (L.  EngerandJ  ;  —  p.  150,  J.  Bédier  et  M.  Roques,  Bibliographie  des 
travaux  de  Gaston  Paris  (G.  Huet);  —  p.  160,  F.  E.  Sandrach,  The 
Nibehingenlied  and  Gudrun  in  England  and  America  (G.  Huet);  — p.  203, 
Dai  Tempi  antichi  ai  tempi  moderni,  da  Dante  al  Leopardi  (L.  Auvray)  ;  — 
p.  278,  J.  Loth,  La  Métrique  galloise,  t.  III  (J.  Vendryès)  ;  --  p.  290, 
Kr.  NvroTp,  Grammaire  historique  de  la  langue  française,  t.  11;  Schwan-Beh- 
rens,  Gramnnttik  des  Altfran:iôsischen,  6^  éd.  ;  C.  Yorctzsch,  EinfFihrung 
in  das  Studium  der  altfraniôsischen  Sprache  (M.  Wilmotte).  —  Chroniques 
bibliographiques  :  p.  iio,  Manteyer,  Les  Mss.  de  la  reine  Christine  aux 
archives  du  Vatican  (A.  V.)  ;  —  p.  ni,  H.  Omont,  Bibl.  nat..  Catalogue  des 
mss.de  la  bibl.  de  sir  Th.  Phillipps  récemment  acquis  (A.  V.)  ;  —  p.  165, 
Cte  Baudi  di  Vesme,  Rolando  marchese  délia  marca  brettone  e-le  origini  délia 
leggenda  di  Aleraino  (R .  P.  :  beaucoup  des  identifications  proposées  paraissent 
plus  que  conjecturales)  ;  —  p.  215,  A.  Rey,  Un  légataire  de  Villon,  Nicolas  de 
Louviers  (A.  V.). 

2^  série,  t.  X  (1906).  —  Mémoires.  P.    199-204.   F.  Lot,  Aleran,  comte  de 

Romaniii,  XLIV.  10 


146  PÉKIODIQUËS 

Troycs.  —  Comptes  rendus  :  p.  35,  F.  Carreras  y  Candi,  Miscellaiiea  hislo- 
rica  catalana,  v<^  série  (M.  Robin)  ;  —  p.  45,  E.  Donadoni,  SiilV  autenlicilà 
di  aJcuiii  scritti  rcpatati danteschi  (L.  Auvray)  ;  —  p.  157-61,  A.  Metcke,  Die 
Lieder  des  allfran:^ôsischen  Lyrikers  Gille  le  Vinier  (A.  Guesnon  :  quelques  cor- 
rections de  détails)  ;  —  p.  181,  A.  Tobler,  Mélanges  de  gianiviaire française, 
trad.  de  M.  Kuttner  et  L.  Sudre(G.  Huet)  ;  —  p.  289,  C.  Voretzsch,  Ein- 
fïthning  in  das  Shidium  der  aUJran^ôsischen  Lilleratur  (G.  Huet  :  la  partie 
réservée  au  xiv^  et  au  xv^  siècles  est  très  maigre); —  p.  340,  F.  Macler,  Contes 
arméniens  (G.  Huet  :  presque  tous  ces  contes  sont  intéressants  pour  l'étude 
comparée  des  traditions  populaires);  —  p.  356,  R.  H.  Flechter,r/j('  Arthu- 
rian  nialcrial  in  the  cljronicles  (G.  Huet).  —  Chroniques  bibliographiques: 
p.  1 18,  G.  Dottin,  Manuel  pour  servir  à  Vétude  de  lanliquité  celtique  (R.    P.)  ; 

—  p.    120,  G.  Paris,  La  Littérature jrançaisc  au  moyen  a'ge,    3e  éd.  (A.  V.)  ; 

—  p.  184,  Lutz  et  Perdrizet,  Spéculum  hunianae  salvationis  (A.  V.);  — 
p.  240,  G.  Schlumbergcr,  V Epopée  bx~autiue  à  la  fn  du  A'e  siècle  (M.  P.);  — 
p.  559,  D.  U.  Berlière,  Un  ami  de  Pétrarque,  Louis  Sauctus  de  Beeringen 
(A.  V.). 

2^  série,  t.  XI  (1907).  —  Mémoires.  P.  135-44.  A.  Petel,  Alérau  II  fut-il 
comte  de  Troyes  ? —  P.  169-89.  F.  Lot,  Les  Origines  de  Thihaud  le  Tricheur. 

—  P.  190-2.  F.  Lot,  Réponse  à  A.  Petel. —  P.  323-4.  A.  Vidier,  Jean  Moreau, 
enlumineur  de  Charles  d'Orléans.  —  Comptes  rendus  :  p.  30,  F.  Picavet, 
Esquisse  d'une  histoire  générale  et  comparée  des  philosophies  médiévales  (H.  La- 
brosse);  —  p.  47,  L.  Delisle,  Notice  sur  les  mss.  du  Liber  Floridus  de  Lam- 
bert, chanoine  de  Saint -Omer  (A.  Vidier);  —  p.  88,  A.  C.  L.  Brown,  The 
Knight  of  the  Lion  (G.  Huet)  ;  —  p.  98,  J.-L.  Weston,  The  Legend  of  sir  Per- 
ceval,  vol.  I  (G.  Huet  :  Miss  W.  ne  tient  pas  assez  compte  des  coïncidences  natu- 
relles qui  peuvent  et  doivent  se  présenter  entre  des  textes  traitant  d'un  même 
ordre  de  faits  et  d'idées)  ;  —  p.  148-51,  M.  Loke,  Les  Versions  néerlandaises 
de  Renaud  de  Montauban  (G.  Huet); —  p.  164,  Ph.  de  Felice,  L'^/z/Z/r 
Monde,  mythes  et  légendes  :  le  Purgatoire  de  saint  Patrice  (G.  Huet)  ;  — 
p.  207-10,  J.-B.  Beck,  Die  modale  Interprétation  der  mittelalterlicheii  Melodi(n, 
bes.  der  Troubadours  und  Trouvères  (A.  Guesnon)  ;  —  p.  213,  V.  H.  Friedel 
et  Kuno  Meyer,  La  Vision  de  T ondule  (G.  Huet);  —  p.  285,  W.  Golther, 
Tristan  und  Isolde  in  der  Dichtungeu  des  Mittelalters  und  der  neuen  Zeit 
(G.  Huet);—  p.  335,  J.-J.  Salverda  de  Grave,  Quelques  observations  sur 
révolution  de  la  philologie  romane  depuis  iSS.}  (G.  Huet)  ;  —  p.  339, 
P.  Champion,  Le  Manuscrit  autographe  des  poésies  de  Charles  d'Orléans  (A.  Yi- 
dier);  —  p.  343,  d'Arbois  de  Jubainviile  et  Sniirnoff,  Tain  Bo  Cualuge 
(G.  Huet).  —  Chroniques  bibliographiques  :  p.  55,  A.  Koch,  Svensk  Ljudhis- 
toria;  Lang,  Ohl  Portuguese  song  {G.  H.);  —  p.  ^'],Studier  i  modem  sprak- 
vetenskap  (G.  H.);  —  p.  118,  Mélanges  H.  d'Arbois  de  Jubainviile;  — 
p.  166,  G.  Grupp,  Kulturgeschichte  des  Mittelalters;  — p.  223,  St.  Stronski, 
Le  Troubadour  Elias  de  Barjols  (G.  Huet). 

H.    LEMAÎTRli. 


pÉRiomauËS  i_)7 

Revista  Lusitana,  t.  XV  (1912),  no  1-4. —  P.  i.  F.  Adolfo  Coelho,  O 
estudo  das  tradiçôes  popidares  nos  puises  romanicos  (França,  Italia,  Hespanha, 
Portugal),  avec  un  appendice  sur  le  parallélisme  dans  la  poésie  populaire.  — 
P.  71.  Claudio  Basto,  Falas  e  tradiçôes  de  Viana  do  Castelo.  —  P.  103. 
A.  T.  Pries,  Vocahiilario  alentejaiio.  — -P.  112.  Pedro  d'Azevedo,  Costumes 
e  festas  dos  sec.  XV-XVI.  —  P.  145.  D.  Maria  Angelica  Furtado  de  Mendonça, 
CiUitigas  dos  a  setes  ».  —  P.  177.  J.  J.  Nunes,  Textos  antigos  portugueses.  — 
P.  236.  A.  T.  Pires,  Investigaçôes  ethnographicas.  — P.  268.  Lopes  de  Men- 
donça, D.  Carolina  Michaelis,  e  Oscar  de  Pratt,  Um  verso  de  Gil  Vicente.  — 
P.  325.  B.  Barbosa,  Contos  popidares  de  Evora.  —  P.  3^3.  Gomes  Pereira, 
VocahuJario  de  Villa-Real.  — Mélanges,  p.  175-359  :  littérature,  folklore,  phi- 
lologie, étyniologie  de  twr/i'fl»m/;a. —  Comptes  rendus,  p.  361  :  Leite  de 
Vasconcellos,  Textos  archaicos,  2^éà.  (O.  Nobiling).  —  Périodiques  :  Bulletin 
Hispanique,  Modem  lang.  notes,  Zs.  f.  roni.  Pliil.,  Bullet.  de  dialectologie 
romane.  Varia  quaedam.  —  Nécrologie  :  Oscar  Nobiling  par  Silvio  de  Almeido 
et  Leite  de  Vasconcellos . 

A.  B. 


Studj  romanzi  editi  a  cura  di  E.  Monaci,  V  (1907).  ^  P.  i ,  P.  G.  Goi- 
danich,  Note  ramené.  Dans  une  première  note,  M.  G.  étudie  «  les  formes  du 
tvpe  steà  stèatid  (s  t  e  1 1  a)  et  steaiia  (s  t  e  1 1  a  i  1 1  a)  ».  En  d'autres  termes,  il  examine 
les  finales  des  mots  en  -t'a,  -ve,  -ba,  -lia  (c'est  ce  qu'il  appelle  «  type  steà 
steahà  et  steaw.i  »)  avec  ou  sans  article,  en  roumain.  On  sait  que  ces  mots, 
dans  leur  forme  sans  article,  se  terminent  par  -a  dans  la  langue  littéraire 
(dans  les  dialectes,  par  -M.  -va,  -0)  et  dans  la  forme  avec  l'article,  par  ïui 
dans  tout  le  territoire  roumain.  M.  Tiktin  (grâce  à  la  constatation  que  V-iui 
dialectal  n^  se  trouve  régulièrement  que  dans  les  noms,  tandis  que  bibat 
donne  beà,  levât  la,  etc.  et  que  les  pluriels  tel  que  nicaJe,  taie,  sale  sup- 
posent dans  le  roumain  originaire  l'existence  de  steà,  stcale)  a  montré  que. 
parmi  les  formes  sans  article,  sont  primitives  celles  en  -a  de  la  langue  litté- 
raire (là,  :iabà,  steà,  greà),  tandis  que  les  autres  formes  dialectales  en  ûâ,  -0 
sont  analogiques  d'après  les  formes  en  -ûa  avec  l'article  ' .  Or,  comment 
expliquer  cet  h  ?  S'agit-il  d'une  épenthèse  ou  plutôt  d'un  développement  en 
ïi  de  V  (b)  et  //  ?  M.  G .  se  décide  pour  cette  dernière  hypothèse  :  il  admet  le 
passage  de  //  (et  naturellement  de  z',  /')  à  «  et  ensuite  la  disparition  de  cet 
à  entre  deux  vovelles.  Q.uant  à  cette  disparition,  elle  aurait  eu  lieu  à  deux 
périodes  distinctes  :  i"  après  la  postonique  (stella  illa>>  steiiaîm  >•  steïiaa 
>  steaiia)  ;  2°  disparition,  à  une  époque  plus  tardive,  du  second  h  (après 
la  tonique)  lorsque  l'a  était  vélaire  -â  (donc  sans  article),  tandis  que  lorsque 


I.  Tiktin,  Stiid.  ;^.   m  m.  Pbil.,  1,  26. 


I4B  PÉRIODIQUES 

r<(  était  long,  1'»  n'aurait  pas  disparu.  La  forme  sleaûâ,  devenue  stead,  aurait 
abouti  enfin  à  slcà.  La  forme  stenfui  (avec   l'article),  tirée  de  shTiaïia,  sieiiaa, 
serait  restée  telle  quelle.  Les  formes  dialectales  sleailà,  greaCui,  ::^anà  seraient 
refaites,     à     leur     tour,     sur     steaiia,    girana,    lana.     Cette     hypothèse 
me    paraît  par   trop  ingénieuse.  Le    point  faible   de   la    théorie   se  trouve 
dans  le  traitement  qu'aurait    eu  -//-  (z',  /')  et  ensuite  ii.  M.  G.  pense  trou- 
ver un  argument    en    faveur  de  sa   thèse   dans  l'histoire,    en  roumain,  des 
mots     latins   ros    {roafiâ,     roua),  die  s     (:;;/,     ^iii'ia),    pila    (piïta)    et    illa 
proclitique  (0).  A  ces  mots,    il  consacre  une  seconde  note.    Dans  une  troi- 
sième, il  étudie  le  roum.  doauâ  a  deux  »  (il  part  d'une  forme  doa)  et  dans  une 
quatrième  et  dernière  note,  il    présente  quelques   remarques  sur  le  pronom 
poss.  sg.  en  roumain.  L'examen  des   ditférentes  formes  pronominales  lui  a 
été  facilité  parla  recherche  du  M.  Neumann,  Die  Bihhnig  der  Peisoiiulproti. 
iiii  Riiinànischen  dans  le   Jahresberichi  de  Weigand,  \'I1   (1909).  —  P.  27. 
G.  Crocioni,  //  dialelto  di  Velldri  e   dei  paesi  fitiilhui.  Dans  ce  dialecte,  la 
métaphonése  de;'';'...  (/,  11)  est  très  évidente;  elle  est  moins  évidente  pour 
ê  ç.  Il  y  a  seulement  quelques  traces  de  cette  seconde  métaphonése  (p.  ex., 
si,  sei,  ursi,  tiirdo,  viuti,  kisti,  killi).    A  remarquer  aussi,  pour  les  voyelles,  i 
et  A  en  f  et  p  (conèglo,  piô).  La  (orme  fi'Iliolo   «  figlio-to  »   s'explique,  donc, 
grâce  à  cette  règle,  sans  la  nécessité  de  recourir  à  une  base   italique  avec  é 
(fe-,  filius).  Pour  les  consonnes  :  l  et  11  devant  7   et  11  se  palatisent  (gliiiia, 
gUinne  \  pegliéca,  etc.  Cp.  Merle,  Z.f.  roin.  Phil.,  XXX,  i  sqq.);  cl  aboutit  à 
c  (caae,  caiiid,  spiecco,  koruaca,viecco,  etc.)  ;  Id  et  nd  deviennent  //  (kallo,  sol- 
lato)  et  //'/  (gratine,  anitare).  Les  différents  développements  de  /  -|-  cons.  sont 
aussi  très  intéressants  dans  ce  dialecte  (en  /'  :  a?-ba,  marva,  finanuente;  dispa- 
raît :  Icake,  vota,  doce  ;  se  conserve  avec  une  épenthése  :  soleko;  se  vocalise  et 
provoque  une    épenthése  labiale  :   sàveco  p\.   sôvoc'i  (*s(!oco);  Is    passe  h  H  : 
kaîia,  po~^o),    M.  Cr.  a  étudié    aussi  brièvement   les  dialectes  avoisinants  : 
métaphonése  en  général  «  ciociaresca  «  (cp.  Terracini,  Jahresberichi  de  Voll- 
môUer,  XIII,  I,  144).  A  Sczze  t -\-  i  devient  ki  (tiikki,    taiiki,  slikki  stetti, 
ikki   «  itti  «   andai).  Suit  un  glossaire  abondant.  —    P.  89.   E.  G.   Parodi, 
Iiitonio  al  diaktio  d'  Orinea.  Critique  et  remarques  sur  la  thèse  de  M.  Schâdel, 
Die  Miindart  von  Ormea,   Halle,   1903.  Dans  ce  dialecte,  a  devient  «î  (sauf  à 
la  finale  :   stâ,    kâ  et   -atu  -à).  Ain.^i,  -ata    aboutit   (par  aa  à)  à    ('   et  -ali 
(par  di)  à  (>/.  La  forme  siildo  «  soldato  »  est  expliquée    par  M.  P.  par  une 
analogie  avec  quelques  autres  mots  (p.  ex.  iiiaino)  ou  par  un  *snlddii  («  intro- 
dottosi  dal  di  fuori  in  tempi  che  V-u   era    già  caduto  »)   devenu  *suldôu  et 
ensuite  snldo.  La  déclinaison  de  "  soldatu  »  devait  être,  à  mon  avis,  autrefois 
à  Ormea:   "suida,  plur.  siildoi.    La  forme  suldo  n'aurait-elle  pas  été  tirée  du 
pluriel  ■  ?M.  P.  pense  que  le  passage  de  d  à  ;'  est  postérieur  à  la  chute  de  la 

I.  [Ces  lignes  étaient  écrites,  lorsque  j'ai  vu  que  M.  Herzog,  dans  un 
court  compte  rendu  de  la  thèse  de  M.  Sch.,  avait  eu  la  même  idée  (Z.  /.  r. 
Phil.,  XXXII,  622):  «  siild{\  Soldat,  ist  wohl  aus  dem  Plural  rûckgebildet  «.] 


PERIODIQUES  149 

dentale  intervocalique  et  à  la  chute  de  -u  resté  en  contact  avec  une  voyelle 
précédente,  et  il  a  certainement  raison,  car  tout  porte  à  croire  que  cet  obscur- 
cissement de  â  est  relativement  moderne.  Tous  les  philologues  connaissent 
la  théorie  de  M.  Parodi  sur  l'existence  de  ie  (de  ('')  dans  la  Haute-Italie, 
même  dans  les  territoires  où,  dans  une  phase  postérieure,  on  a  eu  e  ou  /'. 
M.  Parodi  cite  des  séries  de  la  diphtongue  ie  conservée  dans  le  dialecte 
moderne  de  Antola:  yei  ieri,  ia  «erat  »  (*\ea),  etc.  Les  remarques  de  M.  P. 
aux  diflférents  paragraphes  de  Schàdel  sont  naturellement  précieuses.  Elles 
sont  un  complément  indispensable  au  travail  sur  le  dialecte  de  Ormea  — 
P.  125.  C.  Marchesi,  Di  alcitni  volgari\:{ci)m'nti  toscani  incodici  fiorentiui  :  I. 
«  La  Metauni  d'Aristotile  nel  volgare  toscano  del  trecento  e  le  traduzioni 
medievali  latine  dei  ///';/  Meteoroniiii  ».  II.  u  Valerio  Massimo  ».  III. 
«  L' Agi-icoltura  di  Palladio  ».  Remarquable  contribution  à  l'histoire  des 
«  volgarizzamenti»  en  Italie.  C'est  un  sujet  qui  mériterait  d'être  traité  à  fond. 
La  matière  est  très  abondante  et  il  reste  encore  presque  tout  à  faire.  Je  me 
bornerai  à  ajouter  que  la  rédaction  A  de  «  Valerio  Massimo  »  se  trouve 
aussi  dans  deux  manuscrits  de  la  Bibl.  d'Esté  :  G.  5,  16  et  G.  5,  19.  Voici 
le  commencement  du  prologue  de  celui-ci:  «  Li  fatti  et  li  detti  li  quali  sono 
«  degni  di  memoria  de  la  città  di  Roma  et  de  la  stranie  genti  i  quali  ùct'i  et 
«  decli  appo  altri  autori  più  largamente  sono  distesi.  jo  Valerio  ordenai  eleg- 
«  gère  i  quali  furo  scelti  dalli  excellenti  autori.  acciô  che  breueme»te  cono- 
«  sciare  si  possano  et  acciô  che  la  fatigha  del  lungho  ricerchare  si  cessi  da 
«  coloro  ke  uorra/mo  essc/e  amaestrati,  etc.  ».  Dans  les  deux  mss.,  il  y  a  un 
commentaire  qui  se  rattache  au  groupe  A  de  M.  M.  (cp.  Marchesi, 
p.  187  et  ms.  5,  16;  L.  II,  ch.  11  :  «  Non  credere  lectore  che  Uallerio  sistudi 
«  in  raccontare,  ma  insegna  guerregiare.  Il  primo  comandamento  è  che  i 
«  kaualieri  et  l'oste  sia  purgata  di  ghiottornie  »).  Un  autre  ms.  de  la  rédac- 
tion A  se  trouve  à  la  Bibl.  de  Parme,  palat.  27  (écrit  en  141 3  a  chonfini 
di  Bologna  par  Ghiaoccio  Allegretti  de  Sienne).  Com.  :  «  [D]i  fatti  e  d[e]lli 
«  detty  li  qualy  sono  degni  di  memoria  délia  ciptà  di  Roma  e  délie  strane 
«  genti  i  qualy  appo  altry  altorv  più  largharmente  sono  difesy  (sic),  etc.  »  — 
P.  237.  A.  Lindstrôm,  Il  vernacolo  di  Suhiaco.  Dans  ce  dialecte,  la  métapho- 
nèse  de  e  0...  (i,  u)  se  fait  en  e  0  celle  de  e  0  en  /  u.  Palatalisation  de  /  en/ 
et  de  //  eu  gli  devant  /  //  :  la  iiiiara  (*la  jiitiara),  agliiia,  gallina,  travagliu, 
piigliu,  etc.  Le  travail  se  termine  par  un  long  et  intéressant  glossaire.  — 
P.  301.  A  Boselli,  Uiia  mtova  reda^ione  del  «  Trespassenient  Nosire  Dame  ». 
Texte  tiré  du  célèbre  ms.  de  Parme,  Palat.  106  (dont  j'ai  donné  une  descrip- 
tion dans  VArch.f.  d.  St.  d.  n.  Spr.  u.  Lit.,  CXII,  360).  V.  21.  De  paradis 
ie  te  le  porte.  M.  B.  donne,  au  bas  de  ia  page,  la  leçon  du  ms.  le  ta.  C'est 
la  bonne  leçon.  Corr.  De  paradis  ie  le  t'aporte.  La  succession  te  Je  est  inad- 
missible (cp.  dans  le  même  texte,  \ .  iij  :  Et  ce  il  iii\i  fait  savoir).  V.  28 
Loue  soit  il  mon  dotilx  seigneur.  Virgule  après  //.  V.  177.  Or  dencloy  plus  ni 
vivras.  Çorr.,  à  mon  avis:  Orendroit  pi.   n.  vivras.  V.   220  Elle  [la].  Corr. 


1)0  PERIODIQUES 

Et  la.  V.  228  Ms.  vous  poy  a:!se-.  Corr.  vous  p[r]oy  asse~.  V.  297.  Corr.  [Elle] 
aporte.  —  P.  321,  A.  Magnanelli,  Di  k  1  »  pahiti:(iaia  nelV  antico  viterbese. 
Courte  note  sur  un  passage  qui  se  lit  dans  un  ms.  du  Si'niio  de  Nativi- 
latc  Mariât'  de  Remigio  Girolami  (sec.  xiii-xiv)  conservé  à  la  Bibl.  Natio- 
nale à  Florence.  Il  s'agit  d'une  adjonction  ou  plutôt  d'une  apostille  dans 
la  marge  du  ms  :  Viterhienses  diciint  jiina  et  inojno  pro  liiiia  et  inolino.  C'est 
le  phénomène  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus,  à  propos  des  travaux  de 
MM.  Crocioni  et  Lindstrôm  —  P.  323.  Noti:(ie. 

Giulio  Bertoxi. 


CHRONIQUE 


Le  6  novembre  19 14  est  décédé  l'un  des  maîtres  les  plus  éminents  de 
l'histoire  de  la  littérature  italienne,  Alexandre  D'ANCONA,quifut  longtemps  un 
ami  très  dévoué  des  fondateurs  de  la  Roiimiiia.  Né  en  1835,  il  se  fit  connaître, 
au  sortir  du  collège,  par  des  articles  d'histoire  et  de  littérature,  bientôt  appré- 
ciés, dans  des  journaux  de  Turin  et  de  Florence.  En  1860  il  fut  nommé  pro- 
fesseur de  littérature  italienne  à  l'Université  de  Pise,  d'abord  comme  suppléant, 
puis  comme  successeur  de  son  ancien  maître  Francesco  De  Sanctis.  Il  occupa 
cette  chaire  jusqu'en  1901,  époque  où  ses  élèves  lui  présentèrent  la  Raccoltadi 
sludij  critici  dedicata  ad  Aîessandro  D'Ancona,  dont  G.  Paris  a  rendu  compte  ici 
même  (Romania,  XXX,  390).  Peu  de  temps  après,  D'Ancona  fut  chargé  d'un 
cours  sur  Dante,  qu'il  conserva  jusqu'en  1908,  époque  où  il  quitta  Pise  et  alla 
vivre  à  Florence,  où  il  est  mort.  G.  Paris  et  moi  avons  été  en  rapports  avec  lui 
depuis  le  temps  où  il  fut  nommé  à  l'université  de  Pise.  Il  voulut  bien  nous 
donner  un  petit  nombre  de  comptes  rendus  en  1871  dans  la  Revue  critique.  Un 
peu  plus  tard,  pour  la  Ronuinia,  il  nous  donna  quelques  mémoires  plus  impor- 
tants, notamment  celui  qu'il  réimprima  en  Italie  sur  les  sources  du  Novelliiio 
(Romauia,U,iS)  :  XIII,  164),  sur  la  légende  du  Juif-errant  (X,2i2  ;  XII,  1 12). 
Sa  collaboration  serait  certainement  devenue  plus  fréquente  si,  à  l'époque 
où  nous  commencions  la  Remania,  n'avait  été  fondée  à  Florence  une 
nouvelle  revue,  la  Nuova  Anloloi^ia,  qui  maintenant  est  le  plus  important 
périodique  de  l'Italie  et  dont  D'Ancona  devint  bientôt  l'un  des  collabo- 
rateurs les  plus  autorisés.  Plusieurs  des  travaux  publiés  par  D'Ancona  dans 
la  Nuova  Antologia,  ont  été  signalés  par  nous  (Romania,  IV,  296  ;  IX,  488  ; 
X,  63  3).  Plusieurs  de  ces  mémoires  furent  développés  et  réimprimés  en 
volumes  :  Stiidj  di  critica  e  storia  letteraiia  (voir  Romania,^,  495)  ;  Studj  stdla 
h'tteratiira  italiana  de'  primi  secoli  (Romania,  XIII,  492).  II  est  impor- 
tant de  rappeler  que  D'Ancona,  surtout  dans  les  premiers  temps,  publia  des 
opuscules  soit  en  vers,  soit  en  prose,  principalement  dans  l'élégante  Scella  di 
ciiriositâ  letterarie  inédite  0  rare,  dont  beaucoup  de  volumes  sont  depuis  long- 
temps épuisés.  Un  petit  nombre  de  ces  publications  ont  été  améliorées  et 
réimprimées  par  D'Ancona  dans  ses  Poemetli  ùopolari  italiani  (1889)  ;  voir 


152  CHRONIQUE 

l'article  de  G.  Paris,  Roiiniiiia,  XVIII,  500.  Entre  les  œuvres  les  plus  consi- 
dérables de  D'Ancona,  il  est  juste  de  rappeler,  en  première  ligne,  ses  Origiui 
del  lealro  ilaliaiio  (deux  éditions,  1877  et  1891)  ;  voir  le  compte  rendu  de 
G.  H'cUis  (Journal  des  Savuiits.  nov.  1892). 

Dans  cette  notice  très  sommaire,  je  n'ai  mentionné  que  les  travaux  qui 
touchent  le  moven  âge,  mais  D'Ancona  s'est  occupé  avec  autant  de  soin  de 
la  littérature  moderne  de  l'Italie.  Quiconque  voudra  se  former  une  juste  idée 
de  l'activité  de  D'Ancona  fera  bien  de  lire  les  notices  qui  ont  été  publiées  à 
l'occasion  de  sa  mort,  par  exemple  celle  de  notre  ami  Rajna,  dans  le  Mariocco 
du  I  )  novembre  et  de  Francesco  Flamini,  20  novembre  de  la  Rassegna  bihlio- 
grafica  délia  leltevatiira  italiana,  revue  qui  avait  été  fondée  en  1S93  par  D'An- 
cona. C'était  pour  moi  un  ami  bien  cher.  —  P.  M. 


--  C'est  à  la  mémoire  d'Alessandro  D'Ancona  qu'auront  été  consacrées 
quelques-unes  des  dernières  lignes  tombées  de  la  plume  de  Rodolfo  Renier 
(Gioniale  storico,  janvier  191  >,  p.  191)  :  cet  autre  travailleur,  également 
infatigable,  vient  de  disparaître  à  son  tour  (8  janvier),  frappé  en  pleine 
activité.  Né  à  Trévise  le  11  août  1857,  '^  n'avait  que  vingt-six  ans  quand  il 
fut  nommé  «  libero  docente  »  pour  les  langues  et  littératures  néo-latines 
à  l'Université  de  Turin  (1883)  ;  c'est  la  même  année  qu'il  fonda,  avec 
A.  Graf  et  F.  Novati,  un  périodique  où  devait  être  repris,  sur  des  bases 
plus  larges,  le  programme  déjà  réalisé  en  partie,  en  Italie  même,  par  la  Propii- 
gtiatore,  et  la  Rii'istii  (puis  Gioniale)  di  Jilologia  roi)ian:^a  c'est-à-dire  le 
renouvellement  de  la  critique  littéraire  par  la  stricte  application  de  la 
méthode  historique.  Les  trois  directeurs  groupèrent  vite  autour  d'eux 
une  phalange  de  collaborateurs,  de  plus  en  plus  compacte  et  disciplinée, 
qui  n'a  pas  été  sérieusement  entamée  par  les  efforts,  faits  depuis 
quelque  temps,  pour  entraîner  la  critique  italienne  dans  des  voies  plus 
brillantes  et  moins  sûres.  Ses  deux  collègues  s'étant  peu  à  peu  adonnés 
à  des  travaux  différents,  Renier  resta,  en  fait,  à  peu  près  seul  cliargé  de  la 
direction  du  Giornale,  à  laquelle  il  se  consacra  tout  entier  avec  un  zèle  et 
une  probité  irréprochables.  La  «  Bibliographie  «notamment  v  fut  toujours 
extrêmement  riche  et  soignée  :  il  en  rédigeait  lui-même  une  bonne  partie, 
son  érudition  quasi  universelle  lui  permettant  de  traiter  les  sujets  les  plus  divers. 
Ses  travaux  personnels  en  souffrirent  naturellement.  Il  n'a  laissé  en  réalité 
que  deux  ouvrages  étendus  :  l'un,  écrit  en  collaboration  avec  A.  Luzio, 
intéresse  l'histoire  des  arts  et  des  mœurs  plus  que  celle  des  lettres  {Mantova 
e  Urbino,  Isabella  d'Esté  ed  Elisabetla  Goniaga  iielle  rela-ioiii  faiin'gliari  e  uelle 
vicendepolitiche,  1893);  l'autre  (1891)  est  une  copieuse  étude  sur  la  légende 
d'Ogier  le  Danois  en  France  et  en  Italie  (Roman ia,  XXI,  138).  On  lui  doit 
eu  outre  des  éditions  très  soignées  des  sonnets  de  Pistoia,  de  nouvelles 
inédites  de  Sercambi  (/^o;//a;;/a,  XVHI,  352)  et  du  Gelindo  (Roinania,XXY, 
352).  Cet    austère    représentant  de  l'érudition   était  aussi    un    homme  de 


CHRONIQUE  I  5  3 

goût,  passionné  pour  «  la  poésie  élevée  et  vigoureuse  »,  et  curieux  d'art 
moderne  ;  il  avait  dirigé  dans  sa  jeunesse  un  périodique  littéraire  (//  Pre- 
ludio,  de  Bologne),  et  c'est  pour  le  grand  public  qu'il  avait  écrit,  dans  ses 
dernières  années,  desétudes  fines  et  précises  sur  quelques  auteurs  modernes, 
(Heine,  Stendhal,  Zola,  Maupassant,  d'Annunzio,  Adalbert  von  Stifter), 
dont  quelques-unes  ont  été  réunies  en  volume  (Svdghi  critici,  1910).  Ses 
amis  et  anciens  élèves  lui  avaient  offert,  il  y  a  trois  ans,  à  l'occasion  de  sa 
trentième  année  d'enseignement,  un  splendide  volume  de  Miscellanées, 
annoncé  ici  (XLII,  146),  en  tête  duquel  a  été  insérée  une  liste  de  ses  tra- 
vaux, qui  ne  comprend  pas  moins  de  608  numéros  (se  référant  pour  la  plu- 
part à  des  comptes  rendus).  Il  nous  reste  à  souhaiter,  avec  M.  Parodi 
(Mdr~occo  du  17  janvier),  que  M.  Novati  trouve  un  codirecteur  qui  unisse, 
au  même  degré  que  Renier,  «  la  solidité  de  la  doctrine,  le  zèle  et  l'activité 
organisatrice,  l'abnégation  et  l'impartialité  ».  — A.  Jeanroy. 

—  M.  John  Orr  a  été  nommé  lecturer  de  français  (}'  compris  l'ancien 
français)  à  East  London  Collège  (Université  de  Londres). 

—  L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  a  décerné  les  récompenses 
suivantes  : 

Prix  Jean  Reynaud  à  MM.  J.  Gilliéron  et  J.  Edmont  pour  leur  bel  Atlas 
liiio-tiistiqtie  de  la  France  ; 

Prix  Volney,  pour  la  plus  grande  partie  à  M.  A.  Terracher  pour  son 
importante  thèse  dont  nous  rendrons  compte  prochainement  :  Les  aires 
morphologiques  dans  les  parlers  populaires  du  nord-ouest  de  VAngouniois  ; 

Prix  Bordin  à  M.  Hauvctte  pour  son  Boccace, élude  hiographiqtw  et  littéraire 
(cf.  ci-dessus, p.   104); 

Prix  Lagrange  à  M.  G.  Huet  pour  son  édition  des  Chansons  de  Gautier  de 
Dargies  (Société  des  anciens  textes)  et  l'ensemble  de  ses  publications  sur  le 
moyen  âge  ; 

Prix  Chavée  réparti  entre  MM.  A.  Dauzat  pour  son  Glossaire  étymologique 
des  patois  de  Vin~elles  (Puy-df.-DdnTe')  et  l'ensemble  de  ses  pubhcations  sur  les 
patois  de  la  Basse- Auvergne,  J.  Ronjat  pour  son  Essai  de  syntaxe  des  parlers 
provençaux  modernes,  C.  Juret  pour  son  Glossaire  des  patois  de  Pierrecourt 
(Haute-Saône). 

Collections  et  publications  en  cours. 

—  Le  fascicule  3  de  V Atlas  linguistique  de  la  Corse  de  MM.  Gilliéron  et 
Edmont  a  paru  :  il  va  jusqu'à  la  carte  599  (Étain  et  Étamer). 

—  Dans  la  collection  des  Classiques  français  du  moyen  dge  ont  paru  :  14. 
Gormont  et  /5e?«/wr/,  éd.  par  Alphonse  Bayot  (1914);  —  15.  Les  Chansons 
de  Jaujrè  Rudel,  éd.  par  Alfred  Jeanroy  (191 5). 


154  CHRONIQ.UE 

Comptes  rendus  sommaires. 

Su!  Vi'llroallcgorico  ai  Dante.  Studi  oritici,  filologici  e  letterari  per  G.  Fregni 
di  Modcna  ;  Modena,  191 3  ;  in-8,  30  pages.  —  M.  G.  Fregni,  dcModène, 
a  jugé  nécessaire  d'ajouter  une  dissertation  à  toutes  celles  qui  ont  déjà  été 
consacrées  au  trop  fameux  Veltro,  et  une  brochure  aux  91  publications, 
presque  toutes  de  la  même  envergure,  qu'il  avoue  avoir  fait  paraître  depuis 
1895.  Cela  est  déjà  peu  raisonnable  ;  la  façon  dont  la  question  est  traitée 
l'est  encore  beaucoup  moins.  Pour  M.  P.,  le  Veltro  est  Clément  V, 
autrement  dit  Bertrand  de  Got  ;  en  doutez-vous  ?  Veltro  =  Beltro  z= 
Beltrando.  —  Et  encore:  le  Veltro  chassera  la  Lonza  «  per  ogni  villa  », 
c'est-à-dire  «  aiidrà  di  villa  in  villa  »  ;  or  Bertrand  de  Got  était  né  à  Vil- 
hvidrau .  Est-ce  clair  ?  —  H.    Hauvette. 

C.  Iburg,  Ueher  Metrum  und  Sprache  der  Dichtiingen  Nicole  de  Margivdls,  nehst 
einer  kritiscben  Aiisgabe  des  Ordre  d'amour  vo)i  Nicole  und  einer  Untersu- 
chung  iïher  den  Verfasser  des  Gedichtes  (Roinanische  Forschunoen,  XXXI,  19 12, 
p.  595-485).  — La  première  partie  de  cette  dissertation  est  une  étude  lin- 
guistique peu  intéressante  sur  la  Panthère  d'amours  (éd.  Todd)  et  le  Dit  des 
trois  mors  et  trois  vis  (M.  I.  n'a  pas  pu  connaître  la  récente  édition  de 
M.  Glixelli).  P.  421,  chatel  (Panthère  1694)  en  rime  avec  /<;/ n'est  naturel- 
lement pas  castellum,  mais  capitale.  La  seconde  partie  contient  une 
édition  d'un  poème  resté  inconnu,  VOrdre  d'amour  d'un  certain  Nicole  (qui 
n'est  pas  Nicole  de  Margival).  Il  se  trouve  dans  un  manuscrit  du  xiv^  siècle, 
Bibl.  nat.  fr.  12786,  et  contient  378  vers.  C'est  une  très  curieuse  règle 
monastique  pour  une  sorte  d'abbaye  de  Thélème  : 

104     Et  après  ce  je  leur  commant, 

A  touz  les  seignors  dou  covant, 

Que  chascuns  aime  bien  s'amie 

Sanz  fauseté,  sanz  tricherie 
108     Et  de  si  très  loial  amor 

Com  Flores  ama  Blancheflor... 
192     Et  quant  il  seront  a  privé, 

Lors  si  soient  tuit  esveillié 

A  joie  faire  et  a  chanter  : 

Ce  ne  lor  doit  nus  destorner, 
196     Que  l'ordre  moult  bien  s'i  acordc 

Que  joien'i  soit  mie  morte  ; 

Qu'il  n'i  doit  pas  avoir  tristece. 

Mes  tout  adès  joie  et  liesce 
200     Doit  cil  par  droiture  mener 

Qui  a  renon  de  bien  amer. 


CHRONIQUE  I  5  5 

Et  si  commant  a  touz  ensemble 
Que  il  commancent  dès  enfance 
204     A  bone  vie  démener 

Et  a  bien  par  amors  amer... 

Au  V.  52,  il  faut  garder  la  leçon  du  ms.  l'en  (=  /'o«).  —  Au  v.  43,  je  lirais 
que  ne  doive.  —  Aprivè  192  ne  peut  être  identique  à  aprivoier,  comme  il  est 
dit  aux  notes  ;  il  faut  imprimer  a  prive.   —  Au  v.  347,  au   lieu  de  cierges, 

o 

je  lirais  serjans.  —  A.    Langfors. 

August  Krajewski,  Lautlehre  und  Orthographie  Pelrarcas,  auf  Grand  des 
Manuscriptes  Cod.  Vat.  Lat.  ^iç),  t^ls  Einleitung  t^u  eineni  vollstàndigen 
Wôrterbuch  des  Can^oniere  ;  Inaugural-Dissertation,  Breslau,  1912  ;  in-8, 
96  pages.  —  Cette  Introduction  à  un  vocabulaire  de  la  langue  du  Canzo- 
niere  fondé  sur  le  manuscrit  original  conservé  au  Vatican,  est  accompa- 
gnée, dans  les  neuf  dernières  pages  de  la  brochure,  d'un  spécimen  des 
premiers  articles  du  dictionnaire  (dea  kaddurre,  p.  87-95).  Ce  travail  utile, 
qui  complète  et  corrige  sur  plusieurs  points  celui  de  F.  Ewald  (Halle,  1907), 
aurait  pu  être  entrepris  avec  une  préparation  plus  solide  et  exécuté  avec 
une  plus  rigoureuse  exactitude,  qualités  indispensables  pour  donner  toute 
sa  valeur  et  son  autorité  à  une  publication  de  ce  genre .  Une  rapide  inspec- 
tion de  plusieurs  passages  m'a  permis  de  relever  quelques  négligences  assez 
sérieuses,  sans  parler  d'autres  points  discutables,  sur  lesquels  il  n'y  a  pas  à 
insister,  car  pour  toutes  les  explications,  l'auteur  s'est  borné  à  répéter  les 
théories  de  Mever-Lûbke,  B.  Wiese,  Kôrting,  etc.,  sans  visera  l'origina- 
lité. —  P.  4,  on  comprend  mal  pourquoi,  à  propos  du  suffixe  -arium 
(-aro,  -ero,  -iero)  est  abordée  la  question  de  la  diphtongue  ou  de  la  voyelle 
simple  dans  des  formes  d'une  toute  autre  origine,  comme  miei,  fero,  dole  ; 
—  p.  6,  parmi  les  cas  d'f  ouvert  non  diphtongue,  est  mentionnée  par  erreur 
la  forme  léga  (même  observation  p.  7,  'pourlegano,  leghi)  ;  ibid.,  que  nego 
ait  eu,  pour  Pétrarque,  un t',  je  n'en  disconviens  pas  absolument;  mais 
c'est  donner  une  preuve  illusoire  du  fait  que  de  remarquer  d'une  part  que 
l'italien  ancien  dit  niego  (inconnu  de  P.),  et  d'autre  part  que  le  mot  rime 
avec  prègo  ;  mais  il  rime  aussi  avec  5^0-0,  dont  le  passage  à  é  paraît  très 
ancien,  et  Dante  fait  rimer  pregv,  spiego,  niego,  avec  légo  disJego  (comme 
d'ailleurs  Pétrarque /jénfl,  âvec  piena,féde  avec  siede,  sale  avec  z'dle,  etc.); 
le  mélange  des  voyelles  ouvertes  et  fermées  à  la  rime,  en  italien,  est  si 
connu  qu'on  s'étonne  d'avoir  à  le  rappeler.  —  P.  7,  en  regard  de  despitto, 
il  ne  suffit  pas  de  rappeler  le  rispitto  de  Dante  :  on  s'attend  surtout  à  voir 
citer  son  dispitto(Inf.,  X,  36).  — P.  lo-ii,  on  peut  douter  que  les  formes 
pose,  posi,  poser,  fussent  prononcées  avec  un  0  ouvert  par  Pétrarque, 
chez  lequel  ne  se  rencontrent  pas  les  formes  diphtonguées  (comme  duole 
en  regard  de  dole).  —  P.   13,  nutrico  est  classé  parmi    les  mots  ayant  l'ac- 


156  CHRONIQUE 

cent  tonique  sur  ;/  !  — -P.  6,  la  pièce  désignée  à  deux  reprises  par  le  numéro 
356  porte  en  réalité  le  numéro  360.  —  En  dépit  de  ces  quelques  taches, 
le  dépouillement  considérable  que  M.  Krajewski  a  fait  de  toutes  les  formes 
contenues  dans  le  manuscrit  original  du  Canzoniere  est  extrêmement  utile, 
et  le  vocabulaire,  dont  il  publie  un  court  spécimen,  paraît  surtout  appelé  à 
rc;ndre  les  plus  grands  services.  —  H.   Hauvetth. 

August  LiEDLOi-i-,  Ueher  die  Fie  saint  Franchois  {Rovianische  Forschungen, 
XXIX,  191 1,  p.  72-130).  —  M.  Adolf  Schmidt  a  publiéen  1905,  dans  une 
dissertation  de  l'Université  de  Munster,  une  des  quatre  rédactions  en  vers 
français  que  Ton  connaît  de  la  Vie  de  saint  François  d'Assise  (Bibl.  nat.  fr. 
195 31).  M.  L.  offre  ici  un  complément  à  cette  édition  (il  est  inexact  de  par- 
ler, p.  72,  de  quatre  iiiantiscrits,  puisqu'il  s'agit  de  quatre  rédactions  indé- 
pendantes^. M.  L.  montre  d'abord  que  le  versificateur  français  a  suivi  la 
première  Vita  latine,  et  plus  exactement  le  manuscrit  de  Longpont  (ou  un 
manuscrit  pareil  à  celui-ci)  qui  a  été  reproduit  dans  les  Acta  sanctoruni  des 
Bollandistes.  La  comparaison  avec  le  texte  latin  montre  de  plus  que  le 
poète  français  (qui  était  sans  doute  un  Franciscain)  a  surtout  eu  pour  but 
d'écrire  un  livre  de  propagande  pour  son  ordre.  L'étude  linguistique  est 
plus  approfondie  et  plus  soignée  (et  aussi  moins  étendue,  ce  qui  n'est  pas 
un  défaut)que  dans  la  plupart  des  travaux  d'étudiants  de  cette  sorte.  Voici 
pourtant  quelques  observations.  M.  L.  suppose  un  assez  grand  nombre 
d'hiatus  voulus  (  p.  102)  ;  pourtant  plusieurs  vers  se  corrigeraient  facile- 
ment :  326  £"«5  [en~\  la  croûte  et  denioiirè;  3233  Et  ait  v[e\raie  entenlion; 
3763  Por  eslre  aivec  Dieu  en  [la]  gloire,  etc.  —  P.  107,  il  est  imprudent 
d'appeler  simples  :  dessiples  une  assonance  puisque  la  forme  dessimples  est 
attestée;  v.  Godefrov,  s.  v.  disciple,  et  Glixelli,  Les  trois  mors  et  les  trois 
î;//.*,  au  glossaire. —  P.  116,  Cleu  (c  la  vu  m)  pour  clou  est  une  forme 
picarde  qui  n'est  pas  très  rare  ;  voir  Behrens,  Unorganische  Lautvertretung, 
p.  49  :  cleu,  clener,  cleufichier  ;  dans  V  Ave  Maria  de  Gautier  L'Espicier  ', 
que  j'ai  publié  à  la  suite  de  celui  de  Huon  le  Roi  de  Cambrai  (Mém.  de  la 
Soc.  néo-phi  L  de  Helsingfors,  IV,  353)  cleus  rime  avec  osteus  ;  de  même  cleu  : 
lien  dans  le  Dit  des  moiistiers  (B.N.  fr.  12483, fol.  1273  ;  éd.  Jubinal,  Nouv. 
rec,  II,  105).  —  P.  117,  dans  la  rime  apostoilles  :  estoilles  il  n'y  a  pas  de/ 
mouillée.  —  Ib.,  M.  L.  semble  ignorer  que  la  (orme  pale r  pour  parler  est 
fréquente.  —  P.  119,  aux  notes  critiques,  il  faut  supprimer  les  hypothèses 
impossibles  ostelrie,  misricorde,  aploit.  —  A.  LaNGIORs. 

A.  Pellizzari,  Ddl  Duecento  air  Ottocento,  ricerche  e  studj  letterari  ;'iiâpo\\, 
1914  ;  in- 12,  588  pages  (aVmoi'i/  Bibliotecodi letteralnra,  storia  C(/ (;;7c,  diretta 
da  F.  Torraca,  VIII).  Des  huit  articles  qui  composent  ce  volume,  le  premier 


I.  Le  nom  de  l'auteur  se  lit  dans  le  ms.  B.  X.  fr.  12483,  fol.  24  v. 


CHRONiaUÈ  157 

seulement  rentre  dans  notre  cadre.  Intitulé  :  //  cos'i  delto  «  tratlato  délia 
maniera  di  servire  »  attrihuitoa  Guido  Cavalcanti,  il  consiste  en  une  minu- 
tieuse critique  d'un  article  de  G.  Lega  sur  les  soixante  et  un  sonnets  du  ms. 
du  Vatican  3793  (nos  935-65)  que  Casini  et  Salvadori  avaient  attribués  à  G. 
Cavalcanti.  M.  Lega  avait  radicalement  nié  cette  attribution  ;  M.  Pellizzari 
est  disposé  à  la  considérer  comme  l'ondée  en  ce  qui  concerne  les  trente  derniers 
sonnets  de  la  série,  qui  se  distinguent,  non  seulement  par  la  fermeté  de  la 
pensée  et  dustvle,  mais  par  des  particularités  de  forme.  Cet  article  avait  déjà 
paru,  comme  il  eût  été  bon  de  le  dire,  en  1907,  dans  la  Rassegna  hibliografica 
(XV,  205-22).  M.  P.  n'en  a  suppriméque  quelques  lignesderude  polémique. 
Le  dernierarticle  du  volume  est  un  lucide  résumé  (déjà  paru  dans  \esStiidjdi 
filologia  modenia,  t.  III,  1910,  fasc.  3-4)  du  livre  de  M.  K.  Vossler  intitulé 
Positivisiuits  und  Idealisuius  in  der  Sprachwissenschaft  (traduit  en  italien,  en 
1908,  parD.  Gnoli),que  nous  avons  à  dessein  omis  de  signaler  :  ce  sont  en 
effet  des  considérations  purement  abstraites  qui  peuvent  intéresser  un  logi- 
cien, mais  où  les  linguistes  chercheraient  en  vain  la  moindre  indication 
utile.  —  A.  Jeanroy. 

Alexandre  Rubin,  Les  Roumains  de  Macédoine  ;  Bucarest,  Ionesco,  191 3  ;  in- 
16,  320  pages,  gravures  et  carte.  —  Étude  politique,  mais  on  y  trouvera 
des  renseignements  statistiques  et  la  reproduction  d'une  carte  des  com- 
munes roumaines  de  Bulgarie,  Serbie,  Grèce  et  Albanie,  dressée,  il  y  a 
quelques  années,  par  V.  Diamandi,  et  qui  donne  des  indications  précises 
sur  la  répartition  des  Roimiains  de  Macédoine. 

La  Bataille  Loqiiifcr  I,  édition  critique  d'après  les  mss.  de  l'Arsenal  et  de 
Boulogne,  par  J.  Ruxeberg  ;  Helsingfors,  191 3  (Acta  societatis  scientia- 
rum  fennicae,  XXXVIII,  2)  ;  in-4,  iv-76  pages.  —  Dans  ses  Etudes  sur  la 
Geste  Rainouart  (thèse  d'Helsingfors,  1905),  M.  Runeberg  avait  annoncé 
une  édition  de  la  Bataille  Loquifer  [,  c'est-à-dire  de  la  rédaction  de  la  Bat. 
Loquifer  que  nous  présentent  les  mss.  de  l'Arsenal  6562  et  de  Boulogne. 
Il  nous  donne  ici  cette  édition  :  il  a  pris  pour  base  le  ms.  de  l'Arsenal, 
plus  complet,  et  donne  en  note  les  variantes  du  ms.  de  Boulogne  ;  dans 
quelques  cas  il  v  ajoute  des  leçons  empruntées  aux  mss.  représentant  la 
vulgate.  Parmi  ces  variantes  il  en  est  beaucoup  de  purement  graphiques 
qu'il  n'y  avait  guère  besoin  de  reproduire.  En  dehors  du  texte  et  des 
variantes  l'édition  ne  comprend  qu'un  index  des  noms  propres  et  un 
tableau  des  rimes  ;  l'introduction  doit  en  être  cherchée  dans  la  thèse  de 
M.  Runeberg  :  il  eût  été  commode  d'en  avoir,  en  tète  du  texte,  au  moins 
un  résumé.  —  M.  R. 

M.  L.  Wagner  Sïidsardischc  Trut^-  u)id  Liebes-,  IViegen- uiul  Kinderlieder 
(Beihefte  :iur  Zeitschrift  fur  roinanische  Philologie,  57)  ;  Halle;  Niemeyer, 
1914  ;  in-80,  60  pages.  — •  En  1906,  M.  L.  Wagner  a  consacré  une  étude 


158  CHRO\IQ.UE 

approfondie  aux  ditierents  genres  de  la  poésie  populaire  de  la  Sardaigne 
(Fcstschrijt  :^um  XII.  AUgenieinen  Deutschen  Neitphilologeniag  in  Mîtnchen 
1906).  Dans  le  présent  travail,  il  revient  aux  idées  qu'il  avait  alors  expri- 
mées tout  en  les  modifiant  sur  certains  points  après  examen  de  nouveaux 
matériaux.  Le  «  son  d'amour  »  de  la  Sardaigne  se  présente  sous  deux 
formes  :  le  miittu  (de  8  vers)  et  le  miitettu  (de  4)  dont  le  premier 
semble  être  surtout  particulier  au  centre  (Logudoru),  tandis  que  le 
second  est  plus  cultivé  au  sud  (Campidano).  M.  Wagner  admet 
maintenant  Vunitè  strophique  des  deux  genres  en  ce  sens  que  le  uiultii 
n'est  qu'un  mutettu  double,  élargi  par  la  répétition  de  certains  vers  comme 
refrain.  La  question  de  savoir  si  la  poésie  populaire  de  la  Sardaigne  est 
autochtone  ou  si  elle  a  subi  l'influence  de  l'Italie  ou  de  l'Espagne,  ne 
peut  être  abordée,  selon  M.  W.,  qu'après  une  étude  minutieuse  de  la 
musique,  élément  inséparable  du  texte  des  chansons.  Il  serait  très  souhai- 
table qu'un  musicien  sarde  recueillit  les  mélodies  sur  place,  ce  qui  compléte- 
rait d'une  façon  heureuse  la  publication  des  «  muttus  »  et  «  mutettus  ». 
M.  W.  nous  offre  non  seulement  un  texte  phonétiquement  exact,  mais  aussi 
une  traduction  très  utile  pour  celui  qui  n'aurait  pas  le  loisir  de  se  familiariser 
avec  les  variétés  dialectales  de  la  Sardaigne  méridionale. 

Un  petit  lexique  qu'on  aurait  voulu  çà  et  là  un  peu  plus  riche  contient  les 
mots  notables  dont  une  partie  manque  même  aux  grands  dictionnaires  de 
Porru  et  deSpano  ;  M.  W.  y  a  joint  des  renvois  auxétymologies  proposées, 
pour  les  mots  obscurs.  Relevons  quelques  étymologies  nouvelles  qui  sont 
toutes  acceptables  :  wccz/wKo/a/i/ «  retenir,  noter  qc.  »,  de  cognotare; 
fai  arreiiega  «  far  lima  lima  »  serait  le  mot  correspondant  au  mot  français 
renier  \  séssu  «  parties  naturelles  de  la  femme  »  continue  le  latin  sexus 
(même  mot  et  même  sens  dans  le  sicil.  sessit)  ;  'setti  <(  excepté  »  remonte 
non  pas  à  excepte,  mais  à  exceptis  ce  qui  permet  d'expliquer  l'c  fermé 
du  mot.  Qu'on  me  permette  d'ajouter  ici  deux  remarques  sur  deux  mots 
relevés  dans  le  glossaire.  Les  boutiques  îv/J/cW  qui  sont  groupées  autour  des 
églises  sardes  à  la  campagne  sont  appelées  CHw/'t'w/i(  dans  le  Logudoru,  mot 
que  M.  W.  (après  M.  Guarnerio,  Krit.Jahresb.,  VI,  192)  ramène  à  con  ve  r  s  u 
sans  toutefois  tenir  compte  de  l'étymologie,  bien  plus  satisfaisante  au  point 
de  vue  du  sens,  de  Nigra  qui  avait  proposé  convexus  ;  le  log.  conihessa 
«  appoggio  del  tetto  al  muro  »  et  «  bardella  »  (Bonorva)  ne  saurait 
se  rattacher  à  conversus,  qui,  d'après  le  Thésaurus  litigmu'  latinae, 
n'offre  aucune  signification  propre  à  expliquer  le  sens  du  mot  sarde.  L'as- 
pect d'une  bardella  sarde  (combessa)  et  de  la  voûte  des  boutiques  autour  de 
l'église  semblent  plutôt  parler  en  faveur  de  convexus. 

Enfin  le  campid.  spraiini  «  épouvante,  horreur  »,  logud.  ispraniviare- 
«  épouvanter  »  dont  on  n'a  pas  jusqu'ici  indiqué  l'étymologie,  mérite  d'être 
examiné  de  plus  près.  M.  Niedermanna  récemment  discuté  (Feslgahe Hugo 
Bliitiiner,    Zurich.     1914,   p.    335  ;  ci-dessus,  p.    122)   l'origine    du  prov. 


CHRONlaUË  159 

L'spalmar,  esphsmar  «  se  pâmer  »,  qui  se  retrouve  dans  le  catal.  espalviar 
«  s'épouvanter  »  :  il  a  expliqué,  avec  raison,  me  semble-t-il,  le  mot  pro- 
vençal comme  le  résultat  d'un  croisement  entre  s  p  a  s  m  u  s  (pr.%a'x6Ç)  et 
palmus  (j:ix\ii.6t),  qui  se  refléteraient  dans  la  forme  spaumus  (■< 
*spalmus)  que  la  Muloiiiedicina  Chironis  nous  a  conservée.  Un  dérivé 
verbal  de  *spalmus,  *spalmare  rendrait  parfaitement  compte  du  logud. 
ispraniiiiare,  campid.  sprnniiiiai,  dont  le  sens  s'accorde  bien  avec  celui  du 
catal.  espalmar.  —  J.  JuD. 

Die  Lieder  Raouls  von  Soissons,  herausgegeben  von  Eniil  Winkler  ;  Halle, 
Niemeyer,  19 14  ;  petit  in-8,  96  pages  (avec  deux  tableaux)  '.  —  Sur  la  date 
de  l'activité  poétique  de  Raoul  de  Soissons,  ses  exploits  en  Terre-Sainte, 
ses  ambitions  déçues,  son  âge  mûr  attristé  par  la  maladie,  P.  Paris  avait 
déjà  dit  tout  l'essentiel  dans  l'un  de  ses  meilleurs  articles  de  VHistoire 
Utléraire  (XXIII,  698  ss.).  M.  Winkler  précise  ces  résultats,  et  l'utilisation 
de  nouveaux  documents  lui  permet  d'y  ajouter  quelques  détails  :  il  nous 
apprend  par  exemple  que  Raoul  eut  avec  Thibaut  de  Champagne  des  rela- 
tions d'affaires  et  non  seulement  d'amitié,  qu'il  lui  emprunta,  à  la  suite  de 
sa  première  expédition,  des  sommes  importantes,  et  qu'il  dut,  pour  subvenir 
aux  frais  de  la  seconde,  aliéner  de  nombreuses  possessions.  P.Paris  avait 
vu  aussi  qu'il  fallait  raver  de  notre  histoire  littéraire  le  nom  de  Thierri  de 
Soissons,  qui  s'est  substitué,  dans  certains  mss.,  à  celui  de  Raoul.  M.  W. 
confirme  cette  petite  découverte  et  explique  sinon  l'origine,  au  moins  la 
propagation  de  l'erreur.  Cette  introduction,  sobre  et  précise,  se  lit  avec  le 
plus  grand  plaisir-.  Les  notes  sont  un  peu  sommaires,  parfois  un  peu  élé- 
mentaires, et  un  petit  Index  eût  été  le  bienvenu.  Sur  le  texte,  en  général 
satisfaisant,  j'ai  à  faire  les  quelques  observations  que  voici  :  I,  5,  ausim  est 
une  forme  bien  étrange;  on  lit  aussi  bien  dans  le  ms.  aiisinc.  —  2"^, fortune 
donne  une  césure  épique  (il  est  vrai  que  M.  W.,  en  admet  une  autre,  II, 
25),  mais  surtout  choque  le  sens  ;  corr.  raison  (?).  —  )5,foer,  coordonné 
à  chant,  est  inadmissible  :  dans  le  ms.  (unique  pour  le  passage)  \'r,  sans 
doute  écrite  par  erreur,  a  été  grattée,  mais  faiblement;  corr.  joie.  — II, 
43  car  est  une  leçon  fautive,  propre  à  A';  lire  avec  les  autres  mss.  qua.  — 
III  est  à  cohias  capcandadas.  —  IV,  22-4,  il  ne  s'agit  pas  de  couvrir  la  sur- 
face de  l'échiquier,  mais  d'en  doubler  les  points.  Sur  cette  façon,  classique 
au  moyen  âge,  d'exprimer  l'infini,  voy.  notamment  P.  Meyer,  Crois.,  II, 
397,  note.  L'expression  est  au  reste  ici  très  elliptique  et  le  v,  22  altéré; 
je  corrigerai  puet,  non  puis:  «  elle  peut,  en  fait  de  beauté,  doubler  les  points, 

1.  L'un   généalogique,   l'autre    présentant,    synoptiquement,  la   tradition 
manuscrite. 

2.  P.  4,  n.  5,   1.  4,  au  lieu  de  1785,  lire  1185. 


i6o  chroniqXje 

non  seulement  d'un,  mais  de 'deux  échiquiers  >•.  — 68,  1.  raie,  pour 
la  rime.  —  V.  14,  au  lieu  de  ç  ;  le  ms.  a  nettement  s  (se). —  10,  le  ms. 
a  bien  esponne:;^,  mais  le  mot  n'existe  pas  :  le  scribe  a  oublié  la  barre 
du  p  :  lire  esprouve'^.  —  21,  au  lieu  de  n'cbece,  corr.  ricor,  exigé  par 
la  rime.  —  59,  »/'/  n'a  pas  de  sens;  les  trois  jambages  du  ms.  peuvent 
très  bien  se  lire /'a/,  qui  va  bien.  —  42,  fier  fausse  la  rime;  j'avais  songé 
tout  de  suite  à  lacorrection^<;'(feodum),  mais  la  construction  était  peu  satis- 
faisante ;  M.  Spitzer  m'a  fait  observer  que  la  correction  de  et  en  en  fournit  un 
sens  excellent,  et  que  la  graphie/^/-  est  attestée.  —  VI,  artifice  métrique  à 
noter  :  la  rime  c  de  chaque  couplet  devient  la  rime  /'  du  suivant.  —  L'éditeur 
s'est  proposé  d'écarter  les  graphies  lorraines,  mais  il  en  a  laissé  beaucoup  : 
JmuIs,  ceu,  mercit,  etc.  —  24,  desevrê[s].  —  VIII,  54,  le  sens  exige  emiieus, 
non  envieus.  —  55-6,  la  lacune  n'est  que  de  quatre  syllabes,  probablement: 
[Chanson,  va  t'en].  —  X,  53,  corr.  mont.  —  55,  <?]  1.  en  (avec  AT).  — 
XllI  est  sur  le  même  modèle  et  en  partie  sur  les  mêmes  rimes  qu'une 
chanson  de  Thibaut  (1410);  il  y  a  là  sans  doute  une  intention  flatteuse  de 
Raoul  à  l'égard  de  son  partenaire.  — XI,  59,  n'offre  pas  de  sens  :  la  strophe 
n'est  au  reste  que  dans  un  seul  ms.  ;  corr.  aiwr  (^=onor),  «  haute  destinée  » 

—  XVI,  24,  aferist  est  bien  le  subj.  imp.  (au  sens  du  cond.  passé).  —  XVII 
a  été  publié,  sous  le  nom  de  Guill.  le  Vinier,  par  M.  E.  Ulrix  {Mèl.  JVil- 
motle,p.  811).  Les  vers  2  et  5  de  chaque  couplet  sont  de  7  syllabes:  donc 
supprimer  et  (avec  2  mss.)  au  v.  14  et  lire  ains  au  lieu  de  onqiies  au  v.  53. 

—  24,  1.  (jiù'l.  —  34,  1.  derverie.  —  57,  1-  enragie,  exigé  par  la  grammaire 
et  la  rime.  —  A.  Je.\nroy. 


Le  Proprictaire-Géranl,  É.   CHAMPION. 


MACOK,    PROTAT    FRLR1£S,    IMPRIMLURS. 


/a 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS 


Depuis  le  milieu  du  xiii^  siècle,  environ,  l'usage  s'introduisit 
chez  nous  de  rédie;er  en  langue  vulraire  des  traités  de  méde- 
cine,  les  uns  traduits  du  latin,  les  autres  —  comme  par  exemple 
le  Régime  du  corps,  par  Aldebrandin  de  Sienne  —  composés 
directement  en  français,  et  ayant  par  conséquent  une  certaine 
originalité.  On  ne  veut  pas  dire  que  ces  derniers  aient  beaucoup 
ajouté  aux  connaissances  médicales  du  temps  :  ce  sont,  géné- 
ralement, des  compilations  faites  d'après  des  ouvrages  latins  de 
l'antiquité  et  du  moyen  âge.  Toutefois  ces  écrits  en  langue 
vulgaire,  quel  qu'en  soit  le  mérite,  sont  intéressants  à  divers 
égards.  D'abord  ils  nous  montrent  que,  de  bonne  heure,  les 
praticiens  préféraient  le  français  au  latin.  J'imagine  que  les 
femmes  qui,  dès  le  xii^  siècle,  s'occupaient  volontiers  de  méde- 
cine et  de  chirurgie,  devaient  apprécier  les  traités  élémentaires 
en  langue  vulgaire  " .  Mais,  en  outre,  on  conçoit  que  c'est  sur- 
tout pour  l'étude  du  lexique  que  les  écrits  de  ce  genre  nous  sont 
précieux.  A  ce  propos,  il  faut  tenir  grand  compte  des  recettes 
médicales  en  langues  romanes  qui  abondent  dans  les  manu- 
scrits du  xiii^  au  xv^  siècle,  tantôt  isolées,  tantôt  groupées  en 
recueils.  Beaucoup,  assurément,  sont-  empruntées  aux  méde- 
cins latins,  notamment  à  Oribase,  mais  d'autres  appartiennent  à 
la  médecine  populaire,  aux  superstitions;  on  y  rencontre 
notamment  des  charmes  qui  méritent  des  recherches  spé- 
ciales ^ 


1.  Il  est  intéressant  de  noter  que  Charles  V  possédait  un  grand  nombre  de 
livres  de  médecine,  dont  beaucoup  sont  en  français  ;  voir  son  inventaire, 
n°s  799,  800,  802,  803,  804,  820,  821,  829,  845,  846,  852  (L.  Delisle, 
Recherches  sur  la  librairie  de  Charles  V,  partie  II). 

2.  Nous  avons  publié  dans  la  Romania  un  assez  grand  nombre  de  charmes  : 
voir  XIV,  154,  491;  XVIII,  576;  XXXII,  77,  273,  289,  292-3-4-5-9,  453; 
XXXV,  582  ;XXXV1I,  567-8,  516;  XL,  538. 

Romania,  XLIV.  I  I 


l62  PAUL    MEYER 

UHistoire  littéraire  de  la  France  n'a  pas  ignoré  la  littérature 
médicale.  Littré,  qui  était  médecin  et  s'était  illustré  de  bonne 
heure  par  son  édition  et  sa  traduction  d'Hippocrate,  a  publié, 
dans  les  tomes  XXI,  XXV  et  XXVIII  de  VHisI .  lit  t.,  des 
notices  sur  un  bon  nombre  de  médecins  français  du  xii^'  siècle 
et  des  premières  années  du  xiv^.  Mais  ces  recherches  sont,  à 
bien  des  égards,  insuffisantes.  Il  flmt  dire  que  jusque  là  peu  de 
personnes  s'étaient  intéressées  à  l'histoire  de  la  médecine  du 
moyen  âge,  et  d'ailleurs  les  collections  de  manuscrits  étaient 
bien  loin  d'avoir  été  décrites  avec  exactitude.  Il  n'est  que  juste, 
cependant,  de  relever  ici  le  nom  du  D'  Daremberg  qui,  depuis 
1850  environ,  jusqu'à  sa  mort  (1872),  s'occupa,  avec  une  très 
méritoire  activité,  de  rechercher  les  documents  inédits  de  la 
médecine  du  haut  moyen  âge.  J'ai  moi-même  travaillé  sous 
ses  ordres,  alors  que,  très  jeune  paléographe,  je  venais  de  quit- 
ter l'École  des  chartes.  J'ai  copié,  pour  lui,  beaucoup  de  manu- 
scrits de  médecine,  la  plupart  latins,  mais  certains  aussi  en 
français.  Malheureusement,  Daremberg,  qui  était  absorbé  par 
des  occupations  multiples,  mourut  sans  avoir  pu  mettre  à  pro- 
fit les  matériaux  qu'il  avait  réunis'. 

J'ai  l'intention  de  rédiger,  pour  l'Histoire  littéraire,  quelques 
notices  sommaires  sur  des  ouvrages  de  médecine,  la  plupart 
français,  qui  appartiennent  à  la  première  moitié  du  xiv*  siècle. 
Mais  comme  ces  écrits,  qui  sont  en  général  inédits,  n'ont 
guère  été  étudiés  jusqu'ici,  il  importe  tout  d'abord  d'en  décrire 
les  manuscrits.  Car  les  notices  de  l'Histoire  littéraire  occupe- 
raient trop  d'espace,  si  aux  analyses  on  était  oblige  de  joindre 
les  citations  étendues  que  le  sujet  comporte.  C'est  pourquoi  je 
me  propose  de  décrire  en  détail  certains  manuscrits  français  de 
médecine  jusqu'à  présent  mal  connus.  Ces  descriptions  forme- 


I.  Une  partie  dus  copies  recueillies  par  Daremberg  ont  été  données  par 
son  fils  à  l'Académie  de  médecine,  où  j'ai  trouvé  la  copie  d'un  ms.  français 
de  Turin  que  j'ai  faite  vers  186 1.  Ce  ms.  est  un  de  ceux  qui  ont  disparu  dans 
le  funeste  incendie  de  1904.  Plusieurs  des  copies  que  Daremberg  avait  fait 
faire,  particulièrement  celles  que  fit  mon  ancien  camarade  Krœber,  sont  dans 
le  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale,  par  ex.  sous  les  n^^  11214-11217, 
11220,  11280.  Mais  d'autres  semblent  s'être  égarées. 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  163 

ront  les  éléments  essentiels  des  notices  qu'on  publiera  plus  tard 
dans  V Histoire  littéraire. 

Je  dois  dire  que  ces  descriptions  ne  me  donnent  pas  toute 
satisfaction.  Je  sais  parfaitement  que  je  n'ai  pas  et  que,  pour 
diverses  causes,  je  ne  puis  pas  acquérir  une  information  suffi- 
sante des  sources  latines.  Les  écrits  français  que  je  me  propose 
de  faire  connaître  ont  été  rédigés  d'après  des  traités  latins  dont 
plusieurs,  à  la  vérité,  ont  été  imprimés  à  la  fin  du  xV  siècle  et 
au  xvi%  mais,  dans  ces  éditions,  les  textes  ont  été  souvent 
remaniés  et  ne  correspondent  pas  exactement  aux  anciens 
manuscrits".  D'autre  part,  les  manuscrits  eux-mêmes  présentent 
souvent  des  leçons  assez  diff^érentes.  On  comprend  que  je  ne 
puis  m'imposer  la  charge  de  comparer  et  de  classer  des  textes 
latins  qui  sont  nombreux,  dispersés  entre  maintes  bibliothèques, 
et  dont  la  bibliographie  n'est  pas  faite  \  Tout  ce  que  je  puis 
faire,  c'est  de  donner  quelques  spécimens  et  de  montrer  ce  qui 
reste  à  faire.  Les  notices  que  je  publie  actuellement  sont  donc 
provisoires.  J'espère  qu'elles  donneront  à  quelque  jeune  paléo- 
graphe l'idée  de  nouvelles  recherches. 

Je  commencerai  par  deux  manuscrits  du  Musée  britannique^ 
Sloane  1977  et  3525. 

MUSÉE  BRITANNIQUE,   SLOANE  I977 

I.  La  Cliirurgie  de  Roger  de  Salerne.  —  2.  Recettes  variées.  —  3.  Le 
Circa  instans .  —  4.  Recettes  attribuées  à  Galieii  et  à  Hippocrate. 

Beau  livre  en  parchemin  ;  bonne  écriture  française  de  la  fin 
du  xiii^  siècle  ou  du  début  du  xiv^;  miniatures  intéressantes . 
Hauteur  :  o  234  mm.  ;  largeur  :  o  161  mm.  Deux  colonnes  à  29 
lignes.  Premiers  mots  du  second  feuillet  (après  la  table  et  les 
miniatures  qui  occupent  huit  feuillets)  :  roigiicr  la  briseiirc  (fol. 
II). 


1.  C'est  ce  que  j'ai  montré  notamment  pour  le  traité  de  Trotula,  Romania, 
XXXII,  88,  270. 

2.  M.  le  D'"  Wickersheimer,  bibliothécaire   de  l'Académie  de  médecine, 
prépare  un  catalogue  des  manuscrits  médicaux  de  la  Bibliothèque  nationale. 


1^4  PAUL   MEYER 

Ce  manuscrit  a  été  acheté  par  Sloane  ',  certainement  en 
France,  et  probablement  au  commencement  du  xviir  siècle. 
Au  premier  feuillet  de  garde,  en  papier,  on  lit  cette  note,  du 
XVIII''  siècle  : 

N°  234  (chiffre  hiffc  et  remplacé  par  i^JJ,  qui  est  h  n°  actuel). 

Livre  de  chirurgie,  Post  mundi  fabricam.  Le  livre  Circa  instans  selon  le 
latin.  Livre  de  chirurgie  éprouvée,  certain  pour  guérir  de  toutes  maladies  cer- 
tainement. 

Au  haut  du  feuillet  suivant,  qui  est  un  feuillet  de  garde  en 
parchemin,  on  lit  :  Ms.  18)0,  plus  bas  :  Min  15e  (biffé),  234 
Bibliothecac  Sloanianae.  Au  haut  de  la  page  suivante,  qui  est 
le  première  du  livre,  on  lit  :  n°  7/7.  Le  commencement  de  ce 
feuillet  est  occupé  par  une  miniature  à  trois  compartiments, 
une  sorte  de  triptyque.  Au  milieu,  le  Christ  bénissant,  la  main 
gauche  appuyée  sur  le  globe  terrestre  ;  des  anges  sont  à  droite 
et  à  gauche.  Dans  les  deux  autres  compartiments  sont  repré- 
sentés deux  moines  en  prière;  chacun  d'eux  a  un  livre  sous  le 
bras.  Le  moine  de  gauche  est  vêtu  en  blanc,  celui  de  droite, 
en  bleu. 

Voici  maintenant  le  texte  qui  occupe  la  suite  du  feuillet,  et 
qui  est  l'annonce  de  tous  les  écrits  du  manuscrit,  et  même  de 
deux  opuscules  qui,  actuellement,  font  défaut.  Je  vais  transcrire 
ce  prologue  général,  qui  commence  par  le  titre  et  une  table  très 
sommaire  de  la  Chirurgie  de  Roger  de  Parme  ou  de  Salerne  ^. 

(Fol.  1)  Cist  livres  est  apele^  Post  mu  udi  fabricam,  en  français  sclonc  le  latin 
entierenieut  >. 

1.  Sir  Hans  Sloane  (1660-175  3)  était  médecin  et  très  versé  dans  les  sciences 
naturelles.  Ses  collections,  qui  passèrent,  aussitôt  après  sa  mort,  au  Musée 
britannique,  contiennent  près  de  2700  manuscrits,  dont  beaucoup  se  rat- 
tachent à  la  médecine  et  à  la  botanique.  Voir  Edward  Edw.irds,  Lives  of  the 
Foutnlers  of  Ihe  British  Muséum  (London,  1870),  l,  247  et  suiv. 

2.  Ce  célèbre  traité  a  été  publié  à  Venise,  en  1546,  à  la  suite  de  la 
Chirurgie  de  Gui  (ou  Guigue)  de  Chaulhac.  Le  même  texte  de  Roger  est 
reproduit,  non  sans  quelques  fautes,  dans  la  CoUectio  Salernitana  du  Dr  Salva- 
tore  de  Renzi,  t.  II  ;  cf.  Roiiiauia,  XXXII,  78,  note.  Mais  cette  rédaction  ne 
correspond  pas  toujours  à  notre  traduction  française.  Il  y  aurait  lieu  de  véri- 
fier les  anciens  manuscrits  du  texte  latin,  dont  nous  connaissons  plusieurs 
exemplaires. 

3.  En  rouge. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  165 

Au  '  conmencement  de  cest  livre,  prions  Dieu  qu'il  soit  tous  premerains 
voire  en  nous,  li  quiex  est  Pères  et  Fiex  et  Sainz  Esperiz,  et  voille  nos  cuers 
endoctriner  de  la  science  de  quoy  cis  livres  parole,  par  quoy  nous  puissous 
seûrement  aidier  a  curer  les  accidens,  et  que  nous  puissons  entendre  et  savoir 
as  =  pourfit  de  nos  âmes  les  .iiij.  parties  de  cyrrurgie  qui  sunt  ci  après  devi- 
sées  et  escriptes.  Li  première  partie  si  est  quant  li  chief  5  est  plaies  ;  li  seconde 
du  col;  li  tierce  des  espaules,  et  li  quarte  des  hanches  desous.  Cesie  cynirgie 
est  li  cynirgie  Mestre  Rogier  de  Saienie-^.  Puis  si  fenist  et  conmence  une  autre 
cyrurgies.  Li  premiers  (i'")  chapitres  est  contre  sauxe  flame.  —  Pour  mules. 

—  Pour  sanc  oster  des  yex .  —  A  fièvre  quartainne.  —  Du  syroines  {sic) .  — 
Contre  dertres. —  A  mauvaise  char  mengier.  —  Pour  estuves  seiches. — Du 
syrop. —  Pour  recuirier. —  Qui  a  le  visaige  farineux. —  Pour  roigne.  Explicit. 

Gui  a  tenres  les  yex,  c'est  li  remède  et  li  garisons  ^. 

Le  premier  chapitre  qui  a  tenres  les  yex.  —  Après  des  seirons  des  yex.  — 
De  vermine.  —  De  chacie.  —  De  la  maille  en  l'uoel.  —  De  goûte  chaïve  7. 

—  De  homme  eschaudé  ou    cuit.  —  A  mal  de  membres.  —  Contre  dent. 

—  Pour  glandes.  —  Pour  vers.  —  De  clos  et  d'apostumes.  —  De  morsure 
de  chien  qui  est  enragiez.  —  De  morsure  de  serpent.  —  De  ceus  qui  ne 
puent  pissier.  — De  boivre  a  plaie.  — Pour  oster  espine  de  plaie.  —  Et  cist 
chapitre  darrienenient  iiomé  sont  en  rime  bien  propre  ».  Explicit. 

Après  vient  uns  livres  li  qiiès  est  apele^  Circa  instans,  estrais  en  Jrançois  selonc 
le  latin  9. 

Après  vient  uns  autres  livres  de  cyrurgie  vrais  et  esprouvés  et  certains  pour 
garir  de  toutes  maladies  certainement,  et  est  li  livres  que  on  apelle  Galien  et 
Ypocras,  qui  furent  li  millor  clerc  du  monde  de»»  par  fisique". 

1 .  h' A  initial  représente  un  moine  écrivant  sur  un  pupitre  ;  il  y  a  devant 
lui  deux  moines  debout. 

2.  Corr.  al. 

3.  Corr.  chiés. 

4.  Les  mots  en  italique  sont  écrits  en  rouge  dans  le  ms. 

5.  Cette  «  autre  cyrurgie  »  commence  au  fol.  46;  voir  plus  loin  p.  172  ; 
mais,  à  vrai  dire,  c'est  un  recueil  de  recettes  qui  n'ont  rien  de  commun 
avec  la  chirurgie. 

6.  Les  rubriques  qui  suivent,  jusqu'au  mot  explicit,  se  rapportent  à  un  opus- 
cule qui  manque  dans  le  manuscrit,  soit  qu'il  ait  été  retiré,  soit  qu'il  n'ait  pas 
été  copié. 

7.  Le  mal  caduc,  la  giitta  cadiva  de  Du  Cange.  Ce  mot  manque  dans 
Godefroy. 

8.  L'abréviation  ne  peut  donner  que  porpre  ou  purpre. 

9.  Ci-après,  p.   176. 

10.  Suppr.  de. 

11.  Ci-après,  p.  180. 


l66  PAUL    MEYER 

Après  est  la  cyrtirgie  des  oysiaus  par  chapistre  ' . 

Ce  sont  li  livre  : 

Post  mundi  fabricani, 

Maistre  Rogier  de  Salerne  ; 

Circa  instans,  estrait  du  latin  ; 

Gaîien  et  Ypocras  ; 

Des  oisyaus  cyrurgie. 

Les  ff.  2  à  9  sont  occupés,  au  r°  et  au  v°,  par  une  suite  de 
peintures,  à  raison  de  neuf  sujets  par  page.  Il  y  a  donc,  pour 
les  seize  pages,  cent  quarante-quatre  tableaux.  Dans  chaque  page 
les  trois  sujets  du  haut  représentent  une  histoire  en  images,de 
la  vie  du  Christ,  commençant  à  l'Annonciation  et  finissant  par 
le  couronnement  de  la  Vierge.  Les  six  tableaux  qui  occupent  les 
deux  rangées  inférieures  de  chaque  page  représentent  soit  des 
opérations  chirurgicales,  soit  le  médecin  donnant  sa  consulta- 
tion. Le  malade  est,  le  plus  souvent,  assis,  même  dans  des  cas 
très  invraisemblables,  comme  au  fol.  7,  où  deux  blessés  ont  les 
intestins  entièrement  ouverts.  Deux  de  ces  pages  ont  été  repro- 
duites, l'une  (fol.  3)  en  noir,  dans  les  Ilhiminalcd  manuscripts, 
by  J.  A.  Herbert  (London,  191 1),  planche  XXVII,  l'autre 
(fol.  6)  dans  les  Reproductions  front  lUtiminated  manuscripts, 
séries  I  (London,  sold  at  the  British  Muséum,  1907),  sous  la 
direction  de  Sir  George  F.  Warner,  planche  XXI.  Je  reproduis, 
ici  contre,  une  de  ces  pages  (fol.  7),  qui  n'a  jamais  été  facsi- 
milée.  Elle  correspond  au  Livre  III  de  la  Chirurgie. 

1,  ■ —  La  Chirurgie  de  Roger  de  Parme  ou  de  Salerne. 
—  J'ai  fait  connaître  jadis  {Roinania,  XXXII,  78  et  91)  deux 
autres  traductions  de  ce  livre  qui  font  partie  d'un  même  manu- 
scrit de  la  bibliothèque  de  Trinity  Collège  à  Cambridge.  Ce 
manuscrit  a  été  fait  en  Angleterre  et,  selon  toute  probabilité,  la 
traduction  est  aussi  l'œuvre  d'un  Anglais.  On  connaît  aussi 
une  autre  traduction  du  même  ouvrage,  composée  en  France  et 
plus  récente  :  la  copie  que  l'on  en  possède  (Bibl.  nat.  fr.  1288) 
est  duxv^  siècle.  Quant  à  la  version  de  notre  manuscrit,  dont 
je  transcrirai  tout  à  l'heure  quelques  morceaux,  on  en  possède  un 


I .   Ne  se  trouve  pas  dans  notre  manuscrit. 


Musée  brit.,  Sloane  1977,  ^ol   17  v". 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  167 

autre  exemplaire  dans  le  ms.  Sloane  3525  qui  sera  décrit  ci- 
après,  p.  III.  L'auteur  a  traduit  le  prologue  de  Roger.  Ce  pro- 
logue est  une  composition  d'un  style  singulièrement  compliqué 
et  prétentieux  '.  Nous  comprenons  sans  peine  que  les  deux  tra- 
ducteurs du  manuscrit  de  Cambridge  l'aient  omis. 


(Fol.   10)  Ci  conmence  «  Post  imindi  fabricant  »  enjrançois. 

Après  ce  que  Diex  ot  le  monde  crié  et  il  l'ot  enbeli  de  sustance  terrienne  et 
il  ot  formé  homme  et  mis  en  lui  esperit  de  vie,  et  li  plut  que  homme  fust 
formés  de  vil  matere  et  de  froissable,  et  que  li  esperis  fust  de  glorieuse  subs- 
tance et  de  esperituel  et  pardurable,  et  mist  en  homme  et  l'enbeli  glorieu- 
sement de  forme  et  de  sapience,  et  li  donna  entendement  de  faire 
bien  et  mal,  et  enseignement  et  quemandement  de  faire  le  bien  et  laissier  le 
mal,  et  a  ceus  qui  trespassent  son  quemandement  il  [a]  apareillé  divers  tor- 
mens  selonc  les  divers  max  ;  et  pour  la  science  qu'il  lor  a  donnée  il  aron^ 
ignorance  et  iront  de  règne  a  essil  et  de  lumières  en  ténèbres  et  de  délices  en 
chetiveté  et  de  souveraine  joie  a  grant  tritece,  si  comme  il  ont  deservi.  Et  cil 
qui  ont  fait  le  bien  et  laissié  le  mal,  il  iront  en  joie  pardurable,  laquele  Diex 
nos  otroit  a  deservir.  Amen. 

(/')  Cil  souverains  mires  volt  a  soi  retenir  la  cure  de  la  partie  pardurable, 
c'est  de  l'ame,  et  nos  déguerpit  et  nos  laissa  la  cure  de  la  chetiveté  terrienne, 
c'est  du  cors  a  curer,  si  conme  sont  des  plaies  et  des  autres  enfermetés,  des 
queles  théorique  (qui) est  nostre  mestresse,et  paitrique(5/c)  en  est  ministresse  ; 
de  laquele  pait[r]ique  li  offices  est  a  curer  les  accidens  et  les  maladies  qui 
avienent  a  cors  humain  dedens  et  defors.  Et  pour  ce  que  en  cest  livre  sont  con- 
tenues les  cures  des  maladies  qui  avienent  en  divers  cors  par  defors,  si  conme 
plaies,  qui  sont  apelées  en  fisique  solucion  de  continuité,  por  ce  que  par  plaie 
est  départie  la  continuité  desmenbres,  c'est  la  jointure  de  l'une  char  a  l'autre. 


I.  Je  reproduis  les  premières  lignes  de  ce  prologue  (voir  les  éditions  du 
texte  latin  indiquées  dans  la  Kotiiania,  XXXII,  78,  note  3)  : 

Post  mundi  fabricam,  ejusque  decorem,  Deus  hominem  de  terrestri  subs- 
tantia  formare,  viteque  spiraculum  in  eo,  velut  de  celesti  voluit  inspirare,  de 
vili  quidem  fragilique  materia,  ut  perduceret  sibi  gravitatem  inesse.  De 
celesti  vero,  sicut  de  sublimi,  mira  gloriosaque  substantia,  ut  conditori  se 
similaret,  et  celestibus  in  gratia  coequalem  cognoscerct,  ut  de  uno  terrenis 
preciperet,  de  alio  vero  divinis  cultibus  rationabiliter  subderetur.  Hune  Deus 
summa  sapientia,  sine  defectu  ditavit,  liberique  arbitrii  prerogrativa  gloriosis- 
sime  decoravit,  et  quidquid  ei  faciendum  vel  non  faciendum  foret,  diligen- 
tissime  pyedicavit.  ...  (S.  de  Renzi,  Colkctio  Salentitaua,  II,  426). 


lé8  PAUL    MEYER 

cist  livres  reçoit  la  digneté  et  le  non  de  cirurgie,  lequel  livre  avons  translate 
et  mis  en  escrit  a  la  prière  et  a  la  requeste  de  noz  conpaignes  (sic)  nobles  e 
sages  en  tel  manere  et  en  tel  entente  que  il  le  puissent  retenir  et  entendre  et 
profiter,  et  que  Diex  nous  otroit  (c)  et  nous  en  doint  deservir  parfete  gloire  e 
loenge  pardurable.  Nos  avons  porvcû  ce  en  .iiij.  parties,  si  que  nos  puissons 
afiner  •  les  »  cures  des  diverses  parties  du  cors  et  que  nos  puissons  mètre  en 
cest  livre  finloable.  Et  por  ce  que  li  chiés  est  la  plus  digne  partie,  nos  com- 
mencerons au  chief,  et  puis  dirons  les  chapistres  l'un  après  l'autre  par  ordre  '  : 

De  la  briseûre  du  test. 

De  la  morte  char  oster  sus  la  dure  mère. 

D'apostolicum  cyrurgien. 

Du  test  brisiéa  petite  la  plaie. 

Delà  fendeùre  du  test. 

Du  chief  plaier  sanz  os  brisier 

(d)  Quant  li  chiés  est  plaie:^  vialement  en  phisors  liens  *. 

Cyrurgie  demostre  que  li  chiés  est  plaies  en  plusors  lieus  et  en  diverses 
manières.  Li  chiés  est  a  la  foizplaiez  et  li  os  brisiez,  a  la  foiz  sanz  l'os  brisier. 
Sachez  que  la  briscùre  du  test  est  pire  o  petite  plaie  que  o  grant,  car  la  petite 
plaie  convient  croistre,  quant  on  veut  (fol.  ii)  roigner  la  briseûre  du  test  s.  A 
la  foiz  la  plaie  est  grant  et  a  la  foiz  petite.  Mais,  comment  que  la  plaie  soit 
grant  ou  petite,  l'en  doit  garder  se  li  os  est  brisiez  ou  non,  et  doit  on  douter 
que  les  plaies  *  ne  soient  routes,  car  a  la  foiz  est  route  la  dure  mère,  a  la  foiz 
la  pie  mère.  Se  la  dure  [mère]  est  route,  on  le  quenoist  par  ces  signes  :  li 
malades  adolor  ou  chief  pour  le  cop  v  et  rougeur  en  la  face,  pour  les  esperis 
qui  corent  celé  part.  Pour  celé  meïsme  cause  lioel  li  sont  rouge  et  embrasé, 


1.  Mieux  dans  l'autre  exemplaire  (plus  bas,  p.  191)  -.assener.  Texte  latin  : 
«  Nota  igitur  quod  si  diligens  operator  quoslibet  morbos  in  quatuor  partes 
corporis  accidcre  previderit,  in  ea  particula  hujus  corporis  curas  et  signa  requi- 
ret.  » 

2.  Ms.  los. 

3.  Suit  la  table  du  premier  livre,  dont  je  donne  seulement  le  début. 

4.  Ou  peut  comparer  le  texte  qui  suit  avec  les  deux  versions  de  Cambridge, 
Romania,  XXXII,  80,  91.  J'ai  transcrit,  ihid.,  79,  l'original  latin. 

5.  Cette  phrase  est  très  obscure.  Elle  manque  dans  le  latin  comme  dans  les 
autres  traductions. 

6.  Corr.  toies. 

7.  «  Pour  le  coup  »,  c.-à-d.  «  pour  la  blessure  »  ;  ces  mots  manquent  dans 
l'autre  copie.  Le  traducteur  les  a  pris  dans  les  «  glosule  quatuor  magistrorum 
super  chirurgiam  Rogerii  et  Rolandi  >>  où  on  lit  :  «  patienti  dolor  adest 
in  c^'ç\x.t  ex  solutiom  continnitatis  <>  (Coll.  Salernit.,  Il,  506).  La  «  solutio 
coatiouitatis  >>  signifie  une  coupure  (ihid.,  503). 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  1^9 

et  a  la  foiz  ne  set  on  •  il  est  pour  la  turbacion  des  humors  et  des  esperis,  et 
doit  avoir  la  langue  noire  pour  la  fièvre.  Se  la  piue  mère  est  route,  tu  le 
congnoistras  par  ces  signes  :  tuit  li  menbre  li  fallent  et  a  la  foiz  pert  li 
malades  la  parole  ;  brues  -  li  lievent  en  la  lace,  sanc  et  porreture  li  corent  par  le 
nées  et  par  les  oreilles,  et  si  a  le  ventre  froit  et  sierré,  et  une  froidure  li  prent 
•ij.  foiz  ou  .iij.  le  jour,  et  ce  sont  certains  signes  de  mort.  Et  se  tu  voiz  ces 
signes  en  plusors,  (/')  soies  certains  qu'il  morradedenz  .v.  jours  au  plusloing. 
Et  pour  ce  que  grant  péril  est  de  la  briseûre  du  test,  nos  enseignerons  en 
quel  manere  on  li  puet  aider. 

[L.   I,   Ch.   2.] 

Se  la  briseûre  du  test  est  grant  et  aperte,  et  la  plaie  est  grant  et  large,  si 
conme  il  avient  quant  la  plaie  est  faite  d'espée  ou  de  tel  chose,  se  il  i  a  os  qui 
face  a  traire,  tu  le  doiz  fors  traire  de  la  plaie,  se  il  n'i  a  aucun  enpeeschement 
de  sanc.  Lors  doit  on  prendre  un  drapel  dclié  et  mètre  enz  tout  sagement  au 
tuel  d'une  penne  entre  la  dure  mère  et  le  test.  Après  l'on  doit  mètre  en  la 
bouche  de  la  briseûre  du  test  un  drapel  de  lin  ou  de  soie,  qui  miex  vaut  assez, 
si  que  li  chiés  du  drapel  soit  de  toutes  pars  par  desoz  les  eurs  >  du  test,  que  la 
porreture  de  la  plaie  ne  descende  sus  la  dure  mère  et  face  mal  au  cervel. 
De  ceste  chose  solions  nous  foire  espurge  +  marine  bien  lavée  et  bien  sechie. 
Après  ample  la  plaie  de  drapeals  de  lin  moilliez  en  aubuns  d'oes  et  un  petit 
esprain  ;  (c)  après  met  i  un  pastel  d'estoupes  par  desus  et  lie  sagement  le 
chief.  La  plaie  si  doit  estre  .ij.  foiz  le  jor  remuée  en  yver  et  .iij.  foiz  en 
esté;  et  garde  que  li  malades  gise  sus  la  plaie,  c'est  a  dire  en  la  partie  ou  la 
plaie  est,  et  fai  ensi  tant  que  li  test  soit  resoudés  fermement. 

De  la  morte  char  ester  sus  la  dure  mère.  [L.  I,  ch.   5.] 

A  la  morte  char  oster  qui  est  desus  la  [dure]  mère  de[vant|  la  soudeûre  du 
test,  metez  i  l'esponge  bien  lavée  et  bien  sechie  tant  que  la  morte  char  soit 
mengie.  Et  se  il  avient  de  rechief  que  morte  char  croisse  sus  le  nouvel  test, 
metez  i  la  poudre  de  hermodates,  et  cure  la  plaie  par  defors  tant  qu'ele  soit 
garie  s.  Après,  quant  ele  sera  close,  met  desus  la  plaie  apostolicon  cyrurgien' 
que  tu  feras  en  tele  manere  : 

1.  Corr.  ou. 

2.  Pustulae,  dans  le  texte  latin  (Coll.  Salem.,  II,  428).  Le  même  mot,  le 
latin  étant  toujours  pustulae,  se  rencontre  plus  loin,  au  chap.  XL  du  premier 
livre.  Au  lieu  de  brues,  le  ms.  B  ^torte  betues .  [Corr.  bubetes  ;  cf.  Godefroy, 
BUBETE.  —  Rèd.^ 

3.  «  Les  bords  »  ;  dans  B  desous  ce. 

4.  Corr.  :  d'esponge  (B). 

5.  Le  texte  B  est  plus  conforme  au  latin. 

6.  Voir  sur  cet  emplâtre  apostolicon  VAnlidotaire  Nicolas,  éd.  Dorveaux, 

S  34- 


lyO  PAUL    MEYER 

Apostolicon  cyrurgien. 

A  apostolicon  cyrurgien  pren  de  noire  poiz  et  de  poiz  grieche  '  une  livre, 
de  galbanon,  de  scrapin,  d'armoniac,  de  popanac  »,  de  mastic,  d'encens,  de 
chacun  demie  once  de  rue  eu  esté  (</)  .iij.  onces,  en  yver  .ij.  onces,  de  siu  de 
mouton  livre  et  demie.  Confis  le  en  tele  manere  :  Pren  aisil  tout  conme 
mestiers  sera  et  les  escumes  qu'eles  ne  doivent  pas  estre  triblées  si  conme 
galbanon,  serapin,  armonac  et  la  noire  poiz  et  mes  ces  choses  en  un  vaissel 
d'arain  ou  d'estain.  Après  le  met  sus  le  feu  tant  [que]  les  gonmes  soient 
remises. 

[L.  m,  ch.  29.] 

(Fol.  58)  De  la  plaie  dont  li  hoel  issent  fors  '.  —  Se  il  avient  que  aucu[n] 
boel  isse  fors  parmi  la  plaie  et  soit  trenchez  du  loue  en  travers  ou  la  graind[r]e 
partie  soit  sainne,  tu  le  garras  en  tel  manere.  Se  il  avient  que  li  boel  soient 
refroidie,  pren  une  beste  toute  vive,  si  la  fent  par  mi  et  puis  la  met  sus  les 
boiaux  toute  chaude,  et  si  l'i  laisse  tant  que  li  boel  soient  eschauffé.  Après 
pren  .j.  tuel  de  seùz  1  .ij.  pouces  plus  Ions  que  la  plaie  du  boel,  et  soit  li 
tuyaus  bien  soutils  ;  puis  le  met  ou  boel  en  la  plaie  si  que  li  tuyax  passe  la 
longour  de  la  plaie  de  l'une  et  de  l'autre  partie  plain  posce  s  ;  puis  la  queus 
a  une  soutil  aguille  o  .j.  fil  de  soie,  et  soit  li  (/')  tuvaux  mis  en  tel  manere 
que  les  superfluitez  du  boel  puissent  passer  par  mi  et  ne  puit  enpecchier  la 
couture  de  la  plaie  ;  et  quant  tu  avras  ce  fait,  tu  terdras  soés  la  merde  des 
boiaux  o  l'esponge  lavée  en  eve  chaude.  Et  quant  tu  avras  netoiez  les  boiaus, 
remet  les  ou  ventre  par  la  ou  il  issirent,  puis  fai  raetre  le  malade  sus  une 
table  et  le  fai  crosler  de  ça  et  de  la,  si  que  li  boel  reveignent  en  lor  lieu. 
Et  se  la  plaie  du  ventre  est  si  petite  que  li  boel  n'i  puissent  entrer,  eslargis 
la;  et  quant  tu  avras  ensi  fait,  laisses  (5/c)la  plaie  ouverte  du  ventre  tant  que 
la  plaie  du  boel  soit  garie  ;  et  si  met  adès  sus  la  couture  (sic)  rouge  poudre 
chacun  jor.  Et  quant  tu  verras  que  la  plaie  du  boel  sera  resoudée,  requeus 
la  plaie  par  defors  et  si  la  cure  ausi  comme  les  autres  plaies.  Et  note  que  se 
la  plaie  du  boel  est  moût  grant,  met  i  plus  graut  tuel  et  plus  lonc.  Après  re- 
queus la  plaie  sus  le  tuel  et  met  desus  la  rouge  poudre  et  met  .j.  drapel  en 
la  plaie  chacun  (c)  jour.  Et  quant  tu  verras  que  la  plaie  sera  soudée,  trai  aval 


1 .  Latin  pix  grxca,  colophane . 

2.  Corr.  opo/JiJHrtf ,  opopanax . 

5.  Coll.  Salem.,  II,  480.  Cf.  l'une  des  deux  traductions  du  ms.  de  Cam- 
bridge, Romania,  XXXII,  82. 

4.  «  Canellus  de  sambuco.  » 

5.  Pour  pouce,  «  unciam  unam  ». 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  I7I 

le  tuel  en  la  plus  basse  partie,  puis  le  cures  ensi  corn  nos  avons  dit  es  autres 
cures,  et  menjuce  li  malades  bien  soutives  viandes. 

De  flestre  et  d'apostume  en  tel  lieu . 

Se  il  avient  que  flestre  ou  apostume  naisse  en  tel  lieu,  tu  les  gariras  ensi 
corn  nos  avons  enseigné  devant  ;  et  saches  que  en  tel  lieu  puez  tu  faire  inci- 
sion ou  arsion  et  mètre  fors  oignement  violât... 

Voici  la  fin,  selon  le  latin,  1.  IV,  ch.   17  {Coll.  Sahrn.,  II, 

493): 

(Fol.  45  c)  De  spasmes.  Spames  vient  souvent  en  la  plaie.  Spames  est  quant 
li  ners  sont  acourcié.  Tu  le  guériras  de  cest  oignement  qui  est  fait  en  tel 
manere.  Pren  {d)  de  l'oille  muscelin  •  une  Ib.  :  de  petroleon  demie  once, 
d'oille  conmune  et  de  burre.v.  onces,  mastic,  oliban,de  chascun  demie  once  ; 
de  cire. iij. onces, d'escorace  s  de  rubee(5/V),decrotuce3  .ij.  onces,  de  gomme 
d'ierre  .iij.  onces  4.  Confis  le  en  tel  manere  :  Merle  ces  choses  ensamble  ; 
après  les  met  sus  le  feu  tant  qu'eles  soient  remises,  puis  i  met  les  poudres  et 
si  les  fai  cuire  tant  qu'il  soient  espès.  Quant  il  sera  cuit,  met  la  scorace  ca- 
lamité. De  cest  oignement  oingdras  tu  au  malade  le  col  et  le  liaterel  et  Tes- 
chine  et  tout  le  cors.  Cist  oingnement  vaut  a  tote  manere  de  spasme  qui 
vient  de  replicacion  5 . 

De  mort  uiaî^. 

Mort  mal  est  une  maladie  qui  vient  de  mélancolie  et  nait  en  jambes  et  en 
illiers  et  es  braz,  et  si  le  quenoistras  par  ces  signes  :  li    malades    doit  avoir 


1.  Huile  musquée.  Voir  Dorveaux,  Le  livre  des  simples  médecines,  au  glos- 
saire, muscelin  (Imile). 

2.  Lire  estorace,  dans  le  texte  latin  storax  ou  styrax. 

3.  Corr.  rtihee  trociscate;  cf.  ci-dessous,  p.  194.  La  recette  de  la  ruhea 
trochiscata  se  trouve  dans  VAntidotariiim  Nicolai. 

4.  «  Accipe et  butyri  une.  .iiij.,  cere  une.  .j.,  styracis  calamité  et  rubee 

ana  drag.  ij  et  s.,  mastiches,  olibani  ana  une.  .v.,  gummi  hedere  drag.  .iij.  et 
s.  »  Même  texte  dans  la  Chirurgia  de  Roger  et  dans  les  Glosulae  quatuor  magis- 
trorum  (Coll.  Salem.,  II,  495  et  706),  mais  l'éditeur  a  ponctué  de  deux 
façons  différentes. 

5.  Corr.  replecion. 

6.  Ce  chapitre  ne  se  trouve  pas,  à  ma  connaissance,  dans  le  texte  latin, 
mais  il  y  en  a  une  rédaction  française  assez  analogue  dans  l'une  des  deux 
traductions  du  manuscrit  de  Cambridge  (Romania,  XXXII,  94)  et  dans  celle 
dont  on  lira  un  extrait  plus  loin,  p.    194. 


172  PAUL    MEYER 

uns  malans  lez  et  durs,  et  ses  sanz  mcnjuc.  Ht  est  differancc  entre  saxeflame 
et  mort  mal  ;  car  saxeflame  grate  ii  malades;  mort  mal  non.  Donnes  (sic)  au 
malade  (fol.  46)  continuel  ■  squilitique  ou  scabieuse  et  rue,  quant  eles  seront 
cuites  ;  et  quant  11  malades  aura  usé  l'oximel  .xv.  jors,  purge  le  de  bendite' 
nieslée  avec  geralogodion  5  et  aguisie  de  eleboire  noir  et  d'ermodactiles  cuites 
en  bon  vin  ou  en  lexive.  Après  oing  li  (sic)  malades  (sic)  de  l'oignement  a 
saxeflame  merle  ensamble  aguisié  de  eleboire  blanc  et  noir.  De  cest  oigne- 
ment  oingdras  tu  le  malade  .ij.  foiz  le  jour  jusqu'à  .viij.  jors.  A  ce  meïmes 
pren  lymaz,  si  les  tribles  et  les  fai  cuire  en  fort  vin  ou  en  loixive,  et  cueil 
la  cresse  qui  venra  par  desus  et  si  en  oing  les  jambes  du  malade.  Explicii 
la  cyrurgie  mesire  Rogier  de  Salcrne. 

2.  Recettes  variées. 

L'étude  des  recettes  médicales  n'est  pas  assez  avancée  pour 
que  nous  puissions  savoir  si  celles  qui  occupent  les  feuillets  46 
et  47  de  notre  manuscrit  sont  isolées  ou  si  elles  forment  un 
recueil  dû  à  un  même  auteur.  Présentement,  ce  qu'il  y  a  de 
mieux  à  faire  est  de  les  publier  ;  on  pourra  dès  lors  les  rappro- 
cher de  celles  que  contiennent  d'autres  recueils. 

La  dernière  de  ces  recettes  porte  le  nom  de  «  R.  de  Fourni- 
val  ».  Est-ce  Roger  de  Fournival,  qui  fut  médecin  de  Philippe 
Auguste  4  ?  Est-ce  son  fils,  Richard  de  Fournival,  chancelier  de 
l'église  d'Amiens,  auteur  de  tant  d'écrits  en  latin  et  en  français 
et  lui-même  médecin  5  ? 


1 .  Corr.  oximel. 

2.  C'est  la  confection  benedicta  de  VAntidotarium  Nicolai. 

3.  C'est  Vyeralogodion  de  VAntidotarium  Nicolai;  cf.  l'édition  du  D""  Dor- 
veaux,  p.  35  et  97. 

4.  Voir  P.  Paris,  dans  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  XXIII,  709. 

5.  M.  E.  Langlois  a  publié  une  bulle  d'Innocent  III  par  laquelle  Richard 
de  Fournival,  devenu  diacre,  est  autorisé  à  pratiquer  la  chirurgie  (Mélanges  de 
VEcole  de  Rome,  X,  123).  Pour  les  derniers  travaux  publiés  sur  ce  personnage, 
cf.  un  autre  mémoire  de  M.  Langlois  dans  la  Bihliolh.  de  VEc.  des  chartes, 
LXV  (1904),  1 11-115. 

P.  Paris,  dans  son  article  sur  Richard  de  Fournival,  cité  ci-dessus,  dit  avec 
raison  que  Roger  de  Fournival  fut  en  grande  estime  parmi  ses  contempo- 
rains. Il  en  fut  probablement  de  même  pour  son  fils  Richard,  car  on  lui  a 
attribué  un  ouvrage  assez  célèbre,  le  Régime  du  corps,  par  Maître  Aldebran- 
din  de  Sienne  ;  mais  l'opinion  d'un  copiste  du  xive  siècle  ne  peut  avoir  aucune 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  I73 

1.  (Fol.  46/')-  Contre  saiixe  flavie.  A  sauxe  flamme  et  a  toute  roigne, 
prenez  aune  et  patelle  et  les  metez  cuire  en  vinaigre  longuement.  Et  quant  il 
seront  bien  cuit,  si  en  ostez  le  fust  et  espraing  toute  la  sève,  et  si  prenez  litar- 
gyon  et  .).  petit  de  souffre  et  vif  argent  et  grains  de  genevre  et  la  broiez 
toute  par  soi  (b)  et  jus  de  cresson  de  fontaine  et  le  confisiez  o  la  graine 
de  genevre,  et  prenez  la  penne  de  viez  oingt  de  porc  malle  et  la  metez  trem- 
per en  aissil  .).  jour  et  une  nuit,  puis  confisiés  tout  ensamble  sanz  cuire  et 
sanz  mètre  sur  le  feu. 

2.  Pour  mules.  —  Prenés  cras  lart  et  burre  de  mai  et  jus  de  celoigne  et  jus 
de  racines  de  parele  et  confisiez  toutes  ces  choses  ensamble  sanz  mètre  sus  le 
feu. 

3.  Pour  sanc  aster  des  iex.  —  Pour  oster  sanc  et  menjue  '  des  iex,  prenez 
cucie'  et  salemynej  et  ardez  ces  .ij.  choses  ensamble,  si  que  eles  soient  toutes 
rouges,  et  puis  les  estaingniez  en  blanc  vin  .ij.  foiz  ou  .iij.,  puis  en  faites 
poudre,  et  puis  prenez  sanc  de  dragon  et  broiez  ces  .iij.  choses  ensamble  ;  et 
puis  prenez  saym  de  porc  et  saïm  de  chapon  et  saym  d'oe  et  siu  de  cerf 
et  confisiés  toutes  ces  choses  ensamble  et  lavez  au  matin  les  iex  d'eve  rose 
faite  de  vin  rouge. 

4.  A  fièvre  qiiartaine.  —  Prenez  le  jus  de  rafîîe  et  autretant  de  miel  et  (c) 
boulez  en  vin  blans  et  puis  le  metez  en  une  boiste  et  donnez  au  malade  une 
cuillerée.  Item,  prenez  esarabaquera+ et  en  faites  poudre:  et  prenez  g3'ngembre 
et  poivre  et  prenez  autant  d'esarabaquera  conme  de  ces  .ij.  choses,  et  les  bou- 
lez en  vin  blanc,  et  donnés  au  malade  a  boire  quant  il  tremblera. 

5.  Du  syroisnes  5.  —  Svroynes  est  faiz  en  tel  manere  :  Prenez  armoniac, 
opopannac,  serapvm,  colofoine,  poiz  résine  et  poiz  noire,  cyre,  encens,  mas- 
tic et  terebentine  ;  confisiez  tout  ensamble  et  si  metez  conmyn  ou  poudre  et 
confisiés  tout  ensamble.  , 

6.  Contre  dertres.  —  Prenez  oille  d'olive  et  terebentine  et  sel  de  Poitou  et 
cendres,  et  merles  tout  ensamble  et  broiez  en  .j.  mortier  bien  longuement 
sanz  cuire. 

7.  A  mavese  char  mengier.  —  Pren  jus  d'ache  et  aubun  d'oef,  et  s'il  est 
yvers,  si  i  metez  touz  l'oef,  et  broiez  en  .j.  mortier;  et  quant  il  sera  bien 
broiez,  si  i  metez  flor  de  froment  ou  de  seigle. 


autorité  (voir  Le  Régime  du  corps,  édition  des  D"  Landouzv  et  Pépin, 
p.  xxxix).  Il  est  singulier  que,  jusqu'à  présent  du  moins,  on  ne  connaisse  aucun 
traité  médical  ni  de  Roger,  ni  de  Richard  de  Fournival . 

1.  Démangeaison;  cf.  Godefroy, maxgeue. 

2.  Corr.  tucie,  tutie. 

3.  Corr.  calemyne,  calamine. 

4.  Cf.  VAntidolaire  Nicolas,  éd.  Dorveaux,  p.  46,  .^sara  baccara. 

5.  Onguent  d'huile  et  de  cire;  cf.  Godefroy,  cyroisne  ;  Littré,  céroène. 


174  PAUL    MEYER 

8.  Oigneuient.  —  Oignement  roial  qui  vaut  .c.  mars  d'or,  pour  ouvrer  sur 
toutes  plaies,  et  en  apostumes  et  en  maladies  d'aventure  pour  mauvese  char 
mangier  et  la  bone  garder.  Prenez  plantain  et  mirfuel  et  lancelée  et  les  .iij. 
consolides  et  orpyn  et  joubarbe  et  halth[e]a.  De  toutes  ces  choses  traiez  le  jus 
et  soient  pestillé[e]s  ensamble,  et  puis  purer  i  le  jus  en  une  escuele,  et  puis 
prenez  une  once  de  farine  de  seigle  et  bâtez  avec.  Cist  oignemens  est  esprou 
vez. 

9.  Pour  estiives  sèches.  —  Pour  faire  estuves  sèches^  prenez  moitié  vin  et 
moitié  eve, et  puis  prenez  les:iiij.  poulieuls  et  mellilot,  camomyle,  sauge  da- 
mesche  et  sauvage  et  primevoirre,  lavende,  ysope,  betoinne,  ambroise, 
hiebles,  herbe  ^  terrestre,  plus  de  celé  que  de  toutes  les  autres,  aluyne, 
mente,  paupières >  de  rosel,calament,  hermoise  rouge  et  semence  de  fenoil  et 
d'anis,  et  metez  (fol.  4/)  toutes  ces  herbes  en  .j.  grant  pot  cuire,  si  qu'eles  i 
puissent  bien  cuire.  Puis  prenez  .j.  autre  pot  et  adentez  desus,  et  perciez  ou 
flanc  le  pot  desus  et  ou  cul.  Et  puis  prenez  paste  de  seigle  et  gluez  les  .ij. 
poz  ensamble,  et  le  tuel  ausi  au  pot,  et  séchiez  molt  bien  la  paste  entor  le 
pot  enchois  qu'en  meste  le  fu  desouz . 

10.  Du  syrop.  —  Syrop  pour  le  pierre  ou  pour  gravelle,  et  quanthhom  ne 
puet  pissier.  Prenez  sauxefrage  et  persil  masydoine,  gromil  et  couperos  et 
tormentine  et  jus  de  guimauve,  et  pesteilliez  ensamble  et  laissiez  gésir  en 
blanc  vin  .vj.  jours  ou  plus  ;  et  puis  le  coulez  par  mi  .j.  drap  et  le  bevez 
quant  vous  en  avroiz  mestiers. 

11.  Pour  recuirer.  — Pour  recuirer  et  pour  dertres,  prenez  racine  de  persil 
et  de  fenol  et  oignons  de  lis  et  racine  de  serpentine  et  les  metez  cuire  en 
blanc  vin  aigre  tant  qu'eles  soient  bien  cuites  ;  et  puis  en  ostez  le  fust  qui  est 
en  mi  et  les  broiez  en  .j.  mortier  comme  savour,  et  puis  {h')  metez  nytre  et 
camphre  et  syu  de  mouton  fondu  et  syu  de  cerf.  Et  s'il  est  trop  espès,  si  i 
metez  syu  de  porc  ou  oille  d'olive  ;  c'est  chose  esprovée. 

12.  Pour  mauvese  char  mengier,  pernez  coperose  et  la  metez  cuire  en 
.j.  test  et  faites  bon  feu,  si  que  li  fouz  du  test  soit  bien  rouges,  et  puis  quant 
il  sera  bien  cuit,  si  la  broiez  en  .j.  mortier  bien  délié,  puis  le  défaites  de  miel 
sanz  mètre  sus  le  fu. 

13.  A  homme  ou  a  famé  qui  a  le  visage  fareineus.  Prenez  penne  de  porc 
et  la  cuisiez  en  aisil,  et  puis  prenez  blanc  d'Esp[a]ine  et  coperose  et  syu  de 
moton  de  la  Saint  Jehan  .j.  petit,  et  confisiez  toutes  ces  choses  ensamble  sanz 
cuire. 

14.  Oingnemenz  pour  toute  roigne,  pour  sauxeflame,  pour  rancle,  pour 
goûte  rose  et  pour  toute  menjue  et  gratele  oster.  Prenez  .vij.  Ib.  de  syu  de 


1.  Corr.  puie:^. 

2.  Corr.  hierre. 

3.  Papyrus. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  17) 

cert  pissié  {sic)  et  autant  desayn  de  porc  malle  et  .j-  po'  *^^  camphre  et  .j. 
poi  de  persilium  et  autant  de  (c)  mirre  et  autant  de  gyngiembre  et  autant 
de  sanc  de  dragon  et  autant  de  souffre,  et  de  toutes  ces  choses  faites  poudre 
bien  déliée,  et  pesez  ces  choses  devant  dites  et  metez  autant  de  l'une  come  de 
l'autre,  fors  du  sanc  de  dragon,  de  quoi  on  ne  doit  mie  faire  poudre.  L'on  doit 
primes  broier  en  .j.  mortier  le  syu  de  cerf  et  puis  le  sain  de  porc  et  puis  le 
souffre  et  puis  les  autres  poudres,  et  au  derrenier  le  sanc  de  dragon  par 
coquites  (sic)  si  conme  l'en  l'achate,  et  bien  broier  tout  ensamble  tant  que 
l'oignement  soit  rouges.  Et  puis  le  met  en  boistes  tout  si  conme  on  l'oste 
du  mortier. 

15.  M.  R.  de  Fornival  :  ne  se  doit  mie  oingdre  au  fu,  et  quant  on  oint  .j. 
malade,  on  le  doit  tantost  enveloper  de  dras  linges  et  queutre  bien  estroit 
que,  s'il  menjue,  qu'en  ne  se  puit  grater.  Et  doit  on  ensi  laisser  celé  affaiteûre 
.ij.  jours  ou  .ij.  nuiz  ou  .iij.,  et  puis  desqueutre  et  laver  le  malade  en  eve 
chaude  le  plus  doucement  c'om  puet  (</)  tant  que  vous  voiez  que  bien  bon 
est.  C'est  prouvé  oignement  pour  clos,  pour  clapoire,  'pour  plaies,  pour  quas- 
seûres,  pour  apostumes,  pour  broches  :  prenez  une  Ib.  de  syu  de  porc  malle 
et  syu  de  mouton,  de  rue,  de  vaporte(5à'),  .j.  quartier  d'oille  d'oliete,  de  vin 
de  Aucheurre  une  pinte,  et  une  pinte  de  jus  de  cresson  de  fontainne,  et  de 
jus  de  griesches  orties,  les  .ij.  pars  du  jus  de  cresson  et  la  tierce  des  orties,  et 
de  mandagloire  .xij.  d.  Et  de  toutes  ces  choses  faites  boulir  ensamble  tant 
qu'il  perde  s'escume  sus  le  fu,  et  puis  laissiez  .j.  poi  refroidier:  et  puis  gietez 
en  .j.  pot  de  terre,  parmi  .j-  belutel  ou  .j.  drap  linge.  C'est  M.  Ib.  de  Furni- 
val  I. 

3.  Le  Circa  instans  de  Platearius.  —  Le  feuillet  47,  r°  et  v°,  est 
blanc.  Ce  qui  suit  est  une  traduction  du  dictionnaire  alpha- 
bétique des  plantes  pharmaceutiques,  connu  sous  le  nom  de 
Circa  insta?is,  plus  précisément  intitulé  Liber  de  simplici  medi- 
cina,  par  Platearius.  La  version  qui  figure  ici  se  retrouve,  avec 
quelques  modifications,  dans  le  ms.  Sloane  3525,  fol.  108; 
voir  ci-après,  p.  187.  Il  en  existe  une  autre  copie  dans  un 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  incomplète,  qui 
vient  de  paraître  dans  les  publications  de  la  Société  française 
d'histoire  de  la  médecine  ^  L'écriture  indique  la  fin  du 
xiii^  siècle.  D'autre  part,  j'en  ai  signalé  une  autre  version,  écrite 

1.  On  lirait  plutôt /ur//wa/.  Je  suppose  qu'il  faut  lire  c'est  li  livres  M.  R. 
DE  FuRNivAL,  ou  quelquc  chose  d'analogue. 

2.  Le  livre  des  simples  médecines,  par  leDrPaulDorveaux.  Paris,  191 3,  in-80, 
XXXIV,  255  pages. 


176  PAUL    MEYER 

en  Angleterre  au  xiv"'  siècle,  et  incomplète  (voy.  Romnnia, 
XXXVII,  520).  Quant  à  la  traduction  du  xv'^  siècle  que  M.  Jules 
Camus  a  publiée  d'après  un  manuscrit  de  Modène,  elle  est  très 
différente  des  textes  que  je  viens  de  rappeler.  Elle  est  même  loin 
de  reproduire  exactement  le  Circa  instans,  bien  qu'elle  en  garde 
le  titre.  Disons  que  les  recherches  qui  ont  été  publiées  à  ce 
sujet  ne  sont  pas  suffisantes. 

(Fol.  48)  Ci  se  conmencent  li  capitel  de  cest  livre  que  on  apele  Circa  instans. 
Et  est  translatés  dou  latin  en  romans.  Si  parole  de  toutes  herbes  qui  sont  par 
ordre  en  le  a  h  c,  ce  [est]  a  dire  a.  b.  c.  et  cetera,  comment  elles  ont  a  non  et  a 
qnoy  elles  valent  ;  conment  on  les  connoist,  ou  elles  sont  prinses  ne  quel  part  elles 
croissent,  a  qnoy  elles  pourfitent  et  de  qiie's  maladies  on  en  garist.  Toute  la  soume 
en  est  ci  après  escriptc  '. 

Premiers  nous  demonsterons  la  première  leittre  et  chascune  en  son  (/') 
droit  et  tout  en  sivant  =  l'une  après  l'autre. 

Vecs  ci  conment  la  première  se  enconmance  :  elle  est  dite  par  A.  Aloem.  — 
Aloes  lignum .  —  Auntni... 

A  la  fin  de  cette  table,  fol.  49,  on  lit  :  ExpUcit  Fantitelure^ 
Le  verso  du  feuillet  est  occupé  par  une  miniature  où  est  repré- 
senté un  apothicaire  donnant  une  consultation  dans  sa  bou- 
tique. Les  feuillets  50  et  51  contiennent  uniquement  des  pein- 
tures :  il  y  a  12  sujets  à  la  page.  Tous  représentent  un  méde- 
cin examinant  un  malade.  Parfois  il  est  possible  de  reconnaître 
à  peu  près  la  maladie;  ainsi  au  fol.  51  v°,  un  homme  qui 
vomit  ;  à  la  même  page,  une  femme  exhibe  son  sein  droit  très 
enflé. 

(Fol.  52)  Ci  conmcnce  le  livre  Circa  instans  estrait  en  françois  selon  le 
latin. 

Aloem  est  chaus  et  de  seiche  complession  el  secout  degré.  Et  pour  ce  que 
nous  parlasmes  de  degrés,  devés  savoir  que  .viij.  degrés  sont,  .iiij.  chaus  et 
.iiij.  frois.  Pour  faire  vous  entendre,  vous  en  dirons  essemple.  Prenés  eve 
froide,  et  metés  sur  le  feu  chaufer;  et  quant  sera  tiède,  ce  est  li  premiers 
degrés  ;  et  quant  elle  est  si  chaude  que  l'on  n'i  puct   sa  main    tenir,  ce   est 

1.  Ce  qui  est  en  romain  n'est  pas  en  rouge  dans  lems. 

2.  Ou    suiant. 

5.  C'est-à-dire  la  liste  des  intitulés,  «  intitulature  >..  Le  mot  manque  dans 
Godefrov. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  I77 

li  secont  ;  et  quant  elle  fremist  sans  boulir,  ce  est  li  tiers  ;  et  quant  elle  boult, 
ce  est  li  quars.  Et  par  ceste  raison  puet  l'en  entendre  les  trois.  Quant  l'eve 
est  bien  froide,  ce  est  li  premiers  degrés  ;  et  quant  elle  est  .j.  poi  gelée,  ce  est 
li  secont  ;  et  quant  elle  est  en  glace,  ce  est  li  tiers  :  et  quant  elle  est  bien  ge- 
lée dou  tout  en  glace,  ce  est  li  quars. 

Ici  après  se  contnence  d'aloem. 

Aloem  est  fais  de  jus  d'une  herbe  qui  est  appelée  (b)  par  cest  nom 
meïsmes  aloem.  Ceste  herbe  croit  en  maintes  régions.  Trois  manières  sont 
d'aloem  :  cycotri[n],  epatic,  caballi[n].  Aloem  fait  l'on  en  tel  manière  :  l'on 
trible  l'erbe  et  en  trait  l'en  le  jus,  et  met  l'en  boulir  .j.  petit  sur  le  feu  ;  et  puis 
l'oste  l'en  et  le  met  l'en  sechier  ou  soleill,  et  dient  tiex  i  a  que  celui  que  l'en 
quelt  pardesus,  ce  est  li  mieudres,  et  le  clainme  l'en  cycotrin.  Cil  qui  est  ou 
milieu  est  pires,  et  l'appelé  l'en  epatic.  Cil  qui  est  ou  fons  est  li  noaudres  de 
tous,  et  le  clainme  l'en  caballin.  Mes  cil  qui  cen  dient  mentent.  Nous  disons 
que  diverses  herbes  sont  en  bonté,  non  mie  en  nature,  desqueles  manières 
d'erbes  sont  faites  ces  .iij.  manières  en  bonté,  non  mie  en  nature,  et  que  l'en 
fait  des  uns  meillor  vin  que  des  autres  ;  autresi  fait  l'en  le  meillor  aloem 
des  meillors  herbes.  Li  mieudres  aloem  est  le  cycotri,  et  le  congnoitrois  en 
tel  manière  :  il  a  colour  cytrine  ou  rousse,  et  quant  l'en  le  brise,  si  en  saut 
une  poudre  (c)  de  saffren  et  clere  sustance,  et  pure,  et  prise  volentiers,  ne  ne 
pust  mie  moût  ne  n'est  moût  amerls,  a  la  fiée  gonneus  ^  .. 

(Fol.  56  (/).  Contre  fièvre  cotidienne  de  froide  matière.  —  Prenés  le  malade,  si 
conme  la  maladie  requiert,  et  prenés  agaric  et  faites  cuire  ou  jus  de  l'ache 
ou  une  pomme  de  coloquinte  ou  en  la  racine  de  C3'clamen  coulée  en  coule  ; 
donnés  au  malade  celle  couleùre,  Ache  n'est  preus  a  famés  grosses  por  ce  que 
il  est  dissolutive  trop,  ne  a  ceus  qui  [chieentjde  mal  d'epilensie,  parceque  elle 
meut  et  deslie  la  matire  a  ouvrer,  [ne]  a  jounes  enfans,  por  ce  que  leur  courage 
est  trop  moiste,  et  la  nature  est  floibe,  et  li  conduit  des  menbres  sont  trop 
estrois,  et  porroient  tost  chair  en  epylensie,  car  ache  est  trop  apparitive.  Autres 
manières  d'ache  sont  assés,  si  conme  apium  ranarum  et  apiuni  risiis  et  apiiivi 
eniorroidariini. 

Fol.  133  c)  Turbit  est  chaut  et  sec  ou  .iij.  degré;  c'est  racine  croese  ;  le 
fust  est  noient  porfitable.  Celui  dedens  est  a  oster  ;  il  est  queneij  a  froisser 
s'il  est  bon;  par  iij.  anz  est  gardez.  Il  atroit  fïeume. 

De  gingenber  {fol.  IJ4  d). 
Zinginber  est  chaut   en  tiers  degré,  h.  '  en  secont.  Li  uns  dient  que  c'est 


1.  Corr.  gomnieus. 

2.  Abréviation  de  hiunidiim. 

Roman  ta,  XLIV .  12 


lyS  PAUL    MEYER 

racine  d'arbre,  les  autres  rains,  mais  en  vérité  ces  racines  croissent  outremer 
et  esmons  d'Esclavonie. 

A  tous  sèche  et  as  membres  espiritiiels .  —  Prenés  le  vin  de  sa  décoction  et  de 
figues  sèches  (/b/.  i^/)  et  de  passules.  Elle  vaut  la  poudre  ausi  cusi  {sic)  en 
figues  sèches,  metés  et  les  mengiés  ;  valent   a  cen. 

A  dolor  de  ventre  des  boifre  (sic)  de  ventositc  '  et  faire  digestion  bonne.  — 
Prenez  le  vin  de  sa  décoction  et  conmin;  la  poudre  mise  o  coton  vaut  a 
asseller.  II  vaut  as  panraus^;  par  ,x.anz  est  gardé.  L'un  est  privés,  l'autre  sau- 
vage est  de  carope'  color,  de  grant  savor  agûe.Le  privé  est  sorblanc  et  a  agûe 
savor,  ores  non  pas  tant  ne  si  ferme;  quant  il  est  froissé,  les  parties  se  aerdent 
ensamhle  o  uns  rames.  En  sauvage  n'est  pas  issi  trouvée. 

De  Zedaire. —  Zedoarium  est  chaut  au  .iij.  degré,  sec  ou  premier.  Racine 
est  d'une  herbe.  Par  .x.  anz  est  gardée.  Le  vin  de  sa  décoction  vaut. 

A  faire  (sic)  toux  de  ventre  des  boiaux  defroit. —  Suppositoire  d'icelui  est  de 
grant  triefle(5/c).  Salse  faite  do  lui  et  de  ros  marin  et  de  pain  ars  •». 

Les  premiers  articles  que  je  viens  de  transcrire  manquent 
dans  le  ms.  de  Sainte-Geneviève,  dont  les  premières  pages 
ont  été  arrachées.  Pour  qu'il  soit  possible  de  comparer  les  deux 
versions,  je  vais  citer  ici  un  passage  de  l'un  et  de  l'autre  : 

Sloane  1977,  fol.   56  J.  Sainte-Geneviève,  édit.  du  1>  Dor- 

Contre  fièvre  cotidienne  de  froide  veaux,  p.  i  (§  i,  2). 

matière.  {ig   j^jynt  manque)    et   contra   coli- 

Prenés    le    malade,    si   conme     la  diaine    de    froide   matere,  et   prenez 

maladie  requiert,  et  prenés  agaric  et  agaric  et  le  faites  cuire  et  jus  de  l'ache 

faites  cuire  ou   jus  de  l'ache  ou  une  en  une  potne  de  coloquinte  ou  en  la 

pomme  de  coloquinte  ou  en  la  racine  racine  chavée  de  ciclam  et  colcz   et 

de  cyclamen  coulée  et  coulés  ;  donnés  celé  coleùre  donez  au  malade, 

au  malade  celle  couleùre.  Ache  n'est  2.  Ache  n'est  proz  a  famés  grosses, 

preus  a  famés  grosses,  por  ce  que  il  por  ce  qu'ele   est  trop  dissolutivc,  ne 

est  dissolutive  (/.  /j)  trop,  ne  a  ceus  a   cels  qui  chient  de  mal  d'epilensie, 

qui  de  mal  d'epilensie,  por  ce  que  elle  por  ce  qu'ele  muet  et  dellie  la  matere 

meut  et   deslie  la   matire  a  ouvrer  a  a  ovrer,  ne  aus  genvres  effanz,  por  ce 


1.  Platearius  dit  :  Ad  dolorcm  stomaci  et  intestinoruvi  exventositate. 

2.  Corr.  paorous. 

3.  Dans    Platearius,    on   trouve    karopôs,  transcription    de  /apo-ô:,  d'un 
bleu  gris,  d'une  teinte  azurée. 

4.  Une  meilleure   version  de  ce  passage  se  trouve  page    189,   sous   la 
rubrique  Citoal. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  I79 

jonnes  enfans,  por  ce   que  leur   cou-  que    lor   aages   est  trop  moites  et  la 

rage  est  trop  moiste,  et  la  nature  est  nature  est  feble    et    li    conduiz    des 

floibe,  et  li  conduit  des  mcnbres  sont  membres  sunt  trop  estroit  et  porroient 

trop  estrois  et  porroient  tost  chaïr  en  toust  chacir  en  empilensie,  quar  ache 

epylensie,    car    ache  est   trop  appari-  est  trop  aperitive. 
tive.   Autres    manières    d'ache    sunt        3.    Autres     manières    d'ache    sunt 

assés,    si   conme  apium  ranarum  et  assez,    si    come    apium    ranarum    et 

apium  risus  et  apium  emorroidarum.  apium  risus  et   apium  emoroidarum. 

Voici  la  fin  de  notre  traduction  du  Circa  instans\ 

Fet  iiiengier  de  ^ucre.  —  Succara  est  chaut  et  h.  atrenprement  ou  premier 
degré.  Il  (b)  refroide,  il  lasche,  il  norrist.  Se  l'en  met  en  syrop  .ij.  Ib.  ou  .iij. 
de  zucre  et  une  d'aeve,se  il  i  a  assés  aeve,  il  ne  mus  pas  par  très  grant  décoc- 
tion. Zucre  est  fait  de  canne  de  miel  outremer,  en  Sesile,  en  Espaigne.  Jouste 
la  feste  Saint  Jehan  Baptiste,  les  coitaieons^  pregnientla  canne  de  miel  qui  est 
près  samblable  a  l'autre  (canne  de  palu  est  creuse  et  vient  la  pourrouse)  >  en  +  la 
fendent  par  mi  par  menues  pièces  et  l'aprestent,  puis  la  metent  en  la  chaudière 
et  font  bolir  a  lent  feu  et  l'escuraent,  de  laquele  escume  est  fait  zucre.  Il  est 
sophiste  qui  est  plus  legier  de  l'autre  est  crues  par  cen  est  com  enTautre,  dont 
je  lo  qu'en  la  char  de  zucre  soit  froissé  de  torteil  et  pertruis  sont  dedens,  et 
en  mengier  n'est  pas  molt  douz  ains,  est  mal,  celui  qui  se  defist  en  la  bouche 
et  croist  au  mengier.  Sachiés  celui  est  voin  et  escumeus.  Bon  zucre  est  fait 
d'espesse  liquor  resant  qui  est  refroidie,  poi  est  mis  au  soleil  en  vaissel  rovent 
et  chaut  par  la  chalor  du  souleil  que  par  la  (c)  langue  décoction  il  est  fait  blans 
et  dur  et  est  gardé  par  .v.  ans  en  un  lieu  ne  trop  chaut  ne  trop  froit.  L'usage 
de  lui  est  molt  bon  en  plusors  choses,  ou  en  confections  de  médecines  a  don- 
ner en  agûés  ou  en  syrops,  cum  il  apert  en  Antydotaire.  //  vaut  a  toiissani 
coin  il  n'ont  pas  liquor  en  chaiule  région,  a  tisiques,  a  a[s\matiques  en  viandes  on 
en  boires.  Et  que  par  cen  ne  soit  prolixité  nous  finerons. 

Explicit  Circa  instans  estrait  de  latin  en  françois. 

Le  Circa  instans  a  été  imprimé  maintes  fois  à  la  fin  du 
xv^  siècle  et  au  xvI^  J'en  cite  quelques  lignes  d'après  l'édition 
de  Lyon,  1525,  à  la  suite  de  Serapion. 


1.  Comparer  ce  texte,  qui  est  très  corrompu  et  que  nous  ne  corrigeons  en 
note  que  par  exception,  avec  celui  qui  est  imprimé,  plus  loin,  p.  189,  d'après 
le   ms.  Sloane  3525. 

2.  Corr.  coltiveoiirs  ;  cf.  le  texte  latin  qui  donne  i n cote  (ms.  B.  N.  lat. 
6953,  fol.  155J). 

3.  Corr.  nient  sapoiirouse  (latin  :  insipida). 

4.  Corr.  et. 


l8o  PAUL    MEYER 

Incipit  liber  de  sinipllci  medicina  secundum  Plateariuni,  dictus  circa  ins- 
tans. 

Circa  instans  ncgotium  de  simplicibiis  medicinis  nostriim  vcrsatur  propo- 
situm 

De  aloe.  Aloes  ca.  et  sic.  complexionis  est  in  .ij.  gradu.  Aloes  ex  succo 
herbe  fit  que  hcrba  suo  nomiiie  alocn  appellatur.  Hec  autem  herba  non 
solum  in  ludia,  Persia  et  Grecia,  verumetiam  in  Apulia  reperitur.  Aloes  tria 
sunt  gc-uera  :  cicotrinum,  epaticum,  caballinum.  Fit  autem  aloes  hoc  modo: 
herba  teritur,  succus  exprimitur,  ad  ignem  ponitur,  quousque  buliat,  et 
postquam  bulierit,  ab  igné  removetur,  soli  exponitur  et  exsiccatur.  Et  ut  qui- 
dam dicunt  quod  superius  et  colligitur  quod  purius  est  et  cicotrim  dicitur, 
quod  in  medio  est  minus  purum  est  et  epaticum  appellatur,  quod  in  fundo 
est  fcculentum  est  et  caball[in)um  appellatur,  quorum  opinio  falsa  est... 

4°  Recettes  attribuées  àGalien  et  à  Hippocrate. —  Il  est  possible 
que  certaines  de  ces  recettes  viennent  de  Galien,  mais  il  est  peu 
probable  qu'aucune  d'elles  ait  été  empruntée  directement  d'Hip- 
pocrate.  Il  est  vraisemblable  que  telle  ou  telle  de  ces  recettes  ait 
été  traduite  du  latin,  mais  je  ne  crois  pas  que,  dans  son 
ensemble,  le  recueil  ait  été  emprunté  à  un  opuscule  latin. 
C'est  une  compilation,  en  partie  de  médecine  populaire,  qui  a 
été  mise  ensemble  par  un  praticien  du  xiii"-' siècle. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  on  veut  se  rendre  compte  du  caractère 
de  ce  recueil,  il  importe  d'en  comparer  les  copies,  qui  diffèrent 
notablement.  Jusqu'à  présent  je  n'en  connais  que  deux,  mais 
il  est  probable  qu'il  en  existe  d'autres  : 

1°  Paris,  Bibl.  nat.  nouv.  acq.  fr.  6539,  fol.  90-97,  écriture 
du  commencement  du  xiv^  .siècle.  J'ai  décrit  ce  manuscrit  dans 
le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes  français,  1904,  p.  37  et 
suiv. 

2°  Turin,  Bibliothèque  de  l'Université,  L.  v.  17  ',  fol. 
xliij-xlvi).  Papier,  ms.  du  xiv=  siècle.  Cette  copie  a  été  publiée 
par  M.  Camus,  en  1893,  ^^'""s  le  Biillelin  de  la  Société  syndicale 
des  pharmaciens  de  la  Côte-d'Or  ^ 

1.  Dans  le  catalogue  de  Pasini  (II,  481)  K.  I\',  57:  mais  le  n»  doit  être 
38  et  non  37  ;  la  rectification  est  faite,  à  la  main,  dans  l'exemplaire  du  dépar- 
tement des  manuscrits  à  Turin.  C'est  un  ancien  no  :  le  récent  n"  est,  ou  plu- 
tôt était,  LV,   17. 

2.  Le  tiré  à  part  (15  pages)  est  ainsi  intitulé  :  Rcceptaire  français  du 
XI V^  siècle,  d'après  un  viamiscrit  de  Turin.  G.  Paris  en  a  rendu  compte  dans 
la  Remania,  XXII,  628.  Ce   manuscrit  (je  l'ai  vérifié  en  1905)  a  été  entière- 


■      MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  l8l 

(Fol.  136)  Ce  sont  H  ordenemens  des  vraies  sciences  que  Galiens  et  Ypocras 
notèrent  de  fisiijiie,  certains  et  esproiivés,  lesquês  il  nous  recorderent  pour  miex 
savoir  et  Uquel  s'estoieut. 

Ensi  se  conmence  li  premiers  chapitres  ;  il  est  a  savoir  se  uns  malades 
vivra  ou  non,  et  les  signes  de  la  mort. 

Ci  conmencera  dou  chief  plaie,  et  puis  ensaignera  garison  des  autres 
choses 

A  la  suite  de  cette  table  le  texte  commence  ainsi  : 

(Fol.  157)  Cî  conmence  ./.  livre  de  cyrurgie  verais  et  esprouvés  et  certains 
pour  garir  de  toutes  maladies  certainement. 

Galiens  et  Ypocras,  qui  furent  li  meillor  clers  du  monde  de  par  fisique  et 
mistrent  tous  les  bons  enseignemens  a  une  part  pour  garir  de  toutes  maladies 
dont  l'en  puet  home  garir  et  saner  sans  doutance,  s'il  n'est  dou  tout  ater- 
minés  a  morir;  s'il  a  vraie  créance  il  ne  convient  pas  a  douter  qu'il  ne  garisse 
par  les  enseignemens  qui  sunt  escrit  en  cest  livre.  Et  devons  tuit  savoir 
vraiement  que  Diex  laissa  .iij.  vertus  en  terre  :  la  première  remaint  en 
paroles,  la  seconde  en  pierres,  la  tierce  en  herbes.  Vraiement  vous  di  que 
ces  .iij.  choses  pueent  garir  de  toutes. 

A  savoir  se  [li]  malades  vivra  ou  non  et  les  signes  de  mort. 

Li  enfers,  quant  il  doit  morir,  a  le  front  rouge  et  le  sill  '  (h)  li  acline  ;  li 
cil  destre  li  apetiche,  et  a  la  famé  le  senestre.  Le  nés  H  acource  et  a  le  chiei 
blanc  et  la  bouche  assidueement  li  bée,  et  le  menton  a  tout  ardant,  et  si  a  le 
pous  molt  isnel,  et  le  ventre  molt  tranchant,  et  les  pies  frois  tout  adès  sans 
doute. 

La  quinte  kalende  d'avril,  le  premier  jour  d'aoust,  la  tierce  kalende  de 
septembre  :  qui  blesce  home  en  ces  .iij.  jours,  et  se  aucuns  est  nés  en  ces 
.iij.  jours,  il  morra  de  maie  mort. 

Une  prouvanche  a  toutes  enfermetés,  savoir  mon  se  touz  les  enfers  mor- 
ront  ou  il  vivront  :  triblez  la  rue  et  si  en  faites  .j.  enplastre  o  huylle  rose 
et  puis  raies  a  l'enfers  le  chief  et  si  li  asseés  desus  ensement  come  une 
coronne,  et  s'il  n'esternue  après  les  .vj.  heures  du  jour,  il  morra. 


ment  détruit  par  l'incendie  de  1904.  Indépendamment  de  la  publication  de 
M.  Camus,  on  ne  sait  rien  sur  ce  livre  sinon  ce  qu'en  dit  Pasini  et  ce  qu'on 
en  peut  apprendre  par  le  livre  du  professeur  Giacosa,  Magistri  Saleruitani 
nondum  editi  (Turin,  Bocca,  1901),  p.  432-3.  Il  faut  dire,  malheureusement, 
que  les  extraits  français  cités  par  M.  Giacosa  sont  remplis  do  fautes. 
I.  Li  seurciL  li  sonrsil  dans  les  deux  autres  mss. 


l82  PAUL    MEYER 

Se  vous  volés  savoir  de  l'enfers  se  il  morra  ou  non,  prenés  l'ortie,  si  la 
metcs  en  s'orinc,  et  au  secont  jour,  se  vous  la  trovés  vert,  si  (c)  morra  ;  se 
non  il  vivra. 

En  autre  manière,  se  vous  volez  savoir  de  l'enfers  se  il  morra  ou  non, 
metés  sur  l'orinc  du  malade  lait  de  famé  qui  alaite  enfant  ;  s'il  afonce,  il 
morra,  se  non  et  il  Ilote  si  vivra. 

Ci  comence  dit  chief  plaie,  et  puis  enseignera  garison  des  autres  menhres. 

A  plaie  faite  de  bâton  ou  de  pierre,  s'il  i  a  grant  plaie,  lance  ton  doit  ens  ; 
c'est  la  chose  par  coi  tu  savras  niiex  se  li  test  est  quassés  ou  brisiez.  Se  il  est 
quassez,  si  Temple  bien  d'estoupes  ou  de  drapeals  moilliés  en  aubun  d'uef  et 
.).  emplâtre  moillé  en  aubun  d'uef  et  le  laisse  a  afaiter  tant  qu'ele  giete  boe. 
Au  tiers  jor  après  l'afaitcûre,  puis  l'afaites  de  popelion  et  soient  les  tentes 
moilliés  en  aubun  d'uef.  Tien  la  plaie  longuement  ouverte,  que  tu  n'en  soies 
deccùs  que  le  test  n'en  soit  quassez  qu'il  ne  puit  geter  hors  par  la  plaie.  Et 
se  il  vient  enz  trop  chaut,  si  i  met  estoupes  hachées  et  le  faites  souvent  ou  tu 
(i)  i  metes  couperose  meslée  avec  l'oignement  et  si  tien  nete  ta  plaie  tant 
qu'ele  soit  cuirie.  Et  se  la  plaie  est  si  petite  que  l'en  n'i  puit  bouter  son  doit, 
si  le  fent  sur  une  tente  de  fust,  si  sent  se  li  test  est  quassez  et  si  Temples 
ainsi  comme  j'ay  dit  devant 

Fin  (fol.  144)  : 

Oig>ievient  a  saussejïeume.  Prenez  un  quarteron  d'uille  de  chanevuis  et  un 
quarteron  de  cire  vert,  et  aussi  gros  conme  denrée  de  cire  de  poiz  résine,  et 
fondés  bien  ces  choses  ensemble  et  laissiés  un  poi  refredoier.  Et  prenés  demi 
quarteron  de  vif  argent  et  le  metés  en  .j.  mortier,  et  l'oignement  devant  dit 
metez  avec  petit  et  petit  tant  que  le  vif  argent  soit  estainz,  et  broies  tout 
ensamble  tant  qu'il  soit  bien  broies,  et  metez  en  poz  et  en  boites  et  laissiés 
reposer. 

Poison  contre  feslre.  R.  ambroise,  aigremoine,  milfuel,  chions  tendres  de 
rue,  vetoine,  poelle,  mentastre,  cardons  (c)  quemuns,  rays,  sauge,  germandre, 
waranche,  quintefuelle,  sanemonde,  brunete,  de  Tune  autant  conme  de 
l'autre  ;  et  de  ces  herbes  soit  fait  jus.  Donne  au  malade  quatre  cuillerées  ou 
.V.  ovec  .IX.  grains  de  poivre  mis  en  poudre. 

Emphstre  a  festre.  —  Fiente  de  kievre  et  miel  et  meslés  tout  ensamble  et 
eschaufe  au  feu  et  le  met  tieve  sur  le  lieu  sur  cuire  ou  sur  drap. 

II.  —  Musée  britannique,  Sloane  3525. 

I.  Le  Régime  du  Corps  d'Aldebrandin  de  Sienne. —  2.  L'Ordenancede  Méde- 
cine et  de  Diète.  —  3.  Le  Livre  des  fièvres.  —  4.  Petit  traité  sur  les  plantes 
médicinales.  —  5.  Traduction  du  OVca  instans  de  Platearius.  —  6.  Recettes 
diverses.  —  7.  La  Chirurgie  de    Roger  de  Salerne.   —    8.    Traité  sur  les 


MANUSCRITS    iMÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  183 

urines.  —  9.  Petit  traité  de  déontologie  médicale.  —  10.  Poids  et  mesures 
des  médicaments. —  11.  Les  A  ni  iboîononiins.  —  12.  L'Aiitidolaire  Nicolas. 
—  13.  Traité  de  la  mélancolie  de  Constantin  l'Africain.  —  14.  Traité  sur  les 
maladies  des  femmes  de  Trotula.  —  15.  Collyres  et  recettes  diverses. 

Parchemin,  259  feuillets,  hauteur  o,  235  mm.,  largeur 
o,  165.  Deux  colonnes  336  lignes.  Le  manuscrit,  abstraction 
faite  des  23  premiers  feuillets,  qui  sont  des  additions  dont  il 
sera  parlé  plus  loin,  commence  au  fol.  24.  L'écriture  est  claire- 
ment française  et  peut  être  attribuée  au  commencement  du  xiV^ 
siècle.  La  langue  est  bien  celle  de  Paris  ou  des  environs.  J'ignore 
où  Sloane  s'est  procuréce  précieux  livre.  Il  n'est  pas  sûr  qu'il  l'ait 
acheté  en  France,  parce  qu'aux  ff.  178  verso  et  179  recto,  on 
lit  trois  recettes  écrites  par  une  main  anglaise  ;  en  outre,  au  dernier 
feuillet  (fol.  259),  il  y  a  quelques  lignes  en  latin  d'une  écriture 
anglaise  du  xv^  siècle.  Sur  le  verso  d'un  feuillet  de  garde^  en 
papier,  on  Ut,  d'une  écriture  du  xviii^  siècle  :  Ms.  B  jj/;  ', 
renseignement  qui  ne  m'apprend  rien,  et  j'en  dirai  autant  de  la 
mention  MF  ^6,  écriture  du  même  temps,  un  peu  plus  ancienne 
peut-être,  au  bas  du  fol.  24,  qui  est,  à  proprement  parler,  le 
début  du  manuscrit.  Les  premiers  mots  du  second  feuillet 
(maintenant  fol.  25)  sont  :  «  dirons.  Si  vous  dirons...  »  ils  ne 
nous  donnent  aucune  autre  information. 

Je  vais  maintenant  faire  connaître  le  contenu  des  ff.  24-258, 
qui  sont  de  la  même  main  -.  Je  dois  dire  que  la  notice  de  ce 
livre  est  difficile  à  faire,  parce  que,  la  plupart  du  temps,  il  n'y 
a  pas  de  rubrique  initiale  devant  chaque  traité.  Il  pourra  donc 
se  faire  que  j'aie  mal  séparé  certains  de  ces  écrits. 

1.  —  Le  Rt'gi?ne  du  corps,  d'Aldebrandin  de  Sienne.  —  Bon 
exemplaire,  auquel  toutefois,  comme  à  un  grand  nombre 
d'autres,  manque  le  prologue.  Je  transcris  les  premières  et  der- 
nières lignes,  qu'on  pourra  comparer  avec  l'édition  des  docteurs 
Landouzy  et  Pépin,  et  avec  le  passage  cité,  d'après  un  autre 
exemplaire,  dans  la  Romania,  XL,  535. 

1.  Le  chiffre  i^/j"  a  été  rayé  et  remplacé  par  le  no  actuel  3525.  C'est  pro- 
bablement une  modification  faite  au  Musée. 

2.  Les  feuillets  antérieurs  contiennent  des  tables  dont  il  sera  question  ci- 
dessous/p.  212. 


184  PAUL    MEYER 

(Fol.  2.f)  Diex,  qui  par  sa  grant  puissance  le  monde  establi,  qui  première- 
ment fîst  le  ciel,  après  fist  les  .iiij.  elemens,  ce  est  l'air  et  la  terre  et  l'iaue 
et  le  feu  ;  si  li  plost  que  toutes  les  autres  choses  de  la  lune  en  aval  fussent  et 
soient  fêtes  par  la  vertu  de  ces  .iiij.  elemens  "...  avant  que  il  feïst  l'omme,  et 
l'omme  fist  il  a  dereens  a  la  semblance  por  la  plus  noble  criature  que  il 
pouoit  fere  en  terre,  et  li  donna  seignorie  en  terre  de  toutes  les  choses  que 
il  avoit  premières  fêtes  et  vout  que  tout  fussent  a  l'omme  obéissant,  por  ce 
que  il  est  ausi  connie  fins  de  toutes  choses,  si  conme  dist  Aristotes.  Car  on 
doit  bien  savoir  que  fins  est  la  meleur  chose  qui  soit  en  toutes  ouevres,  car 
par  la  fin  fet  on  quanque  l'en  fet. .. 

Fin  (fol.  80  cl)  ^  :  Les  cheveus. 

Cil  qui  a  les  cheveus  plaiez  î  doit  cstre  paoureus  et  va  tourjours't  corbes  et 
plaiez  et  estre  grelles  et  pesanz  par  tout  le  cors 

(Fol.  Si)  Les  ensaignemenz  conment  on  doit  connoistre  et  jugier  les 
complexions  et  les  natures  [sont]  cens  que  dit  vous  avons.  Orerecouvient,  qui 
jugier  veut,  qu'il  ne  regarde  mie  seulement  a  un  des  ensaignemenz  que  dit 
avons,  mais  a  .iij.  ou  a  .iiij.  ou  a  tant  conme  il  porra  plus  ensemble,  si  est 
plus  droit  ;  et  li  ensaignemenz  qui  plus  fout  a  droit  jugier,  ce  sunt  cil  des 
euz  et  du  visage.  Explicit. 

2.  — V Ordenance  de  médecine  et  de  diète.—  La  seconde  colonne 
du  fol.  81  et  le  verso  sont  blancs.  Le  traite  qui  commence  au 
fol.  82  n'a  pas  de  rubrique  initiale.  Mais  le  titre  est  donné  à 
la  table  (fol.  4  /'),  comme  on  le  verra  plus  loin.  C'est  un 
ouvrage  probablement  traduit  du  latin,  mais  je  n'ai  pas  réussi 
à  en  trouver  l'original. 

(Fol.  82)  Trestoutes  les  sciences  devons  aprendre  pour  5  la  bone  fin  et 
pour  le  grant  proufit  qui  i  gist,  et  meesmemcnt  la  science  de  fisique  pour  le 
grant  proufist  qui  i  gist  et  pour  la  bonne  fin  qui  i  est.  Le  proufist  si  est  que  l'en 
en  aquiert  amis  et  grantz  richeces  ;  la  bonne  fin  si  est  de  garder  la  santé  et  de 


1 .  Quelques  mots  passés . 

2.  Cf.  l'édition  pp.  199-200. 

3.  Corr.  plains. 

4.  Tourjours  est  une  forme  assez  fréquente  en  Normandie.  Yoir  Rotnania, 
XVIII,  572. 

5.  Pour  (ou  por  ?)  est  toujours  écrit  en  abrégé,  comme  le  mot  latin  pro. 
A  la  page  suivante  proufit  est  aussi  en  abrégé,  mais,  à  la  troisième  ligne, 
il  y  a  proufit  en  entier. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  185 

enquerre  les  enfernietez  ;  mais,  pour  ce  que  greigneur  chose  est  d'enquerre 
les  enfermetez  que  garder  la  santé,  pour  ce  (que)li  mestre  iisicien  establisscnt 
plus  volontiers  leurs  treticz  d'enquerre  les  maladies  que  de  garder  la  santé. 
L'en  cure  trestoutes  les  maladies  par  .ij.  manières  :  ou  par  médecine  ou  par 
diète.  Par  diète,  que  le  cors  en  est  soutenuz,  par  médecine,  que  l'en  en  purge 
la  matere  ou  en  la  tourne  a  son  contraire,  si  conme  de  chaut  en  froit  et  froit 
en  chaut,  mais,  pour  ce  que  mains  i  a  de  péril  en  diète  que  en  médecine, 
pour  ce  parlerons  nous  de  médecine,  car  greigneur  mestiers  en  est,  car  péril 
et  grant  fruit  i  gist.  Trestoutes  les  médecines  qui  sunt,  ou  elles  suut  altera- 
tives  ou  laxatives  ou  con[s]tritives '.  Et  pour  ce  que  les  médecines  laxatives 
sunt  plus  perileuses,  qui  ne  les  donne  si  conme  il  les  doit  donner,  et  plus 
aportent  grant  fruit  (b),  qui  les  donne  si  conme  il  doit,  nous  dirons  de  méde- 
cines laxatives.  Premièrement  dirons  que  nous  devons  faire  devant  l'espurge- 
ment  et  eu  meesme(jTient)  l'espurgement,  [et]  après  l'espurgement.  Et  après  les 
médecines  compostes  vous  dirons,  queles  elles  sunt  et  queles  simples  et  queles 
laxatives  et  quele  lâche  mont  et  quelc  lâche  petit  et  quele  médecine  lâche 
souef  et  laquelc  lâche  a  moleste  et  quiex  humeurs  purgent  etquiex  médecines 
purgent  eu  atraiant,  et  quex  médecines  purgent  en  apreignant,  et  quiex 
médecines  purgent  en  desliant,  et  (et)  quiex  en  mondefiant. 

Premièrement  devons  esgarder  le  cors  se  l'en  le  doit  purgier  ou  non,  car  en 
celui  ou  il  a  trop  petit  d'umeurs  ne  convient  que  on  les  en  ost  plus  em 
purjant,  ençois  convient  que  l'en  les  restore 

(Fol.  100)  Ci  dit  des  forces  des  médecines  laxatives.  Nous  avons  bien  dit 
par  desus  que  devons  faire  el  purgement  et  devant  le  purgement  et  après  le 
purgement  ;  or  convient  que  nous  dïons  des  médecines  laxatives  et  des 
simples  et  des  compostes  et  quel  force  elles  ont  et  quele  lasche  mont  et  quele 
(b)  petit  et  quele  a  moleste.  Mais,  pour  ce  que  il  [est]  dit  assez  in  Circa  itistans 
des  médecines  laxatives  simples,  nous  n'en  parlerons  ja  ici,  et  en  les  reple- 
tives  ensement,  et,  ja  soit  ce  que  li  antidotaire  die  assez  des  médecines  com- 
po[s]tes,  toute[s]  voies  en  parlerons  ici,  et  premièrement  de  trifera. 

Ci  dit  de  trife  sara-iue  '.  Trife  sarrasine  purge  cole  naturel  especiaument 
et  après  cole  noire  ;  de  sa  droite  recepte  n'est  mie  mont  laxative.  Nous  la  don- 
nons contre  tierçaine  et  contre  quartaine  bastarde.  Nous  la  donnons  a  cens 
qui  ont  douleur  de  chief  et  qui  ont  troublée  la  veue  de  cole  bruUée  et  a 
ceus  qui  ont  chaleur  es  plantes  des  piez  et  es  paumes  des  mains,  se  il  n'ont 
l'estomac  froit  ;  en  tele  manière  l'afete  l'en  :  prent  cassia  fidcs  5  et   tama- 


1.  En  latin  constrictivas. 

2.  Sur  la  trife  sarrazine,   voir    l' Antidotaire,    trad.  p.  p.  le  D"-  Dorveaux, 
et  aussi  le  Livre  des  simples  médecines  (Circa  itistans),  au  glossaire. 

3.  Faute  pour  cassia  fistrc,  selon  le  Di"  Dorveaux,  Le  livre  des  simples  méde- 
cines, au  glossaire. 


l86  PAUL    MEYER 

rindes  et  les  levé  l'en  en  eve  chaude  et  les  frote  Ten  moût  bien  si  que  trestout 
le  nouel  remaigne  dehors  et  puis  le  recoule  l'en  autre  foiz  par  mi  un  drap 
linge.  La  plus  clerc  partie  metez  desus  le  feu  ovec  viole,  et  en  celé  couleûre 
faites  vostre  sirop,  et  en  la  fin  de  vostre  sirop  metez  le  remenant  de  cassia  fides 
et  de  tamarindes,  et  quant  ce  sera  bien  cuit  si  que  toute  l'yaue  sera  degastée, 
et  dont  metez  vostre  triffe  et  metez  jus  de  desus  le  feu,  et  mouvez  tout  adès 
tant  que  il  soit  bien  tiède  ;  après  metez  vos  autres  poudres  ;  il  ne  nous 
c)  '  couvient  pas  dire  chascune  des  médecines  compostes,  car  assez  en  avons 
bien  dit  en  l'aditoine',  et  quant  l'en  avra  mestier  ilueques  porra  l'en  recou- 
vrer. 

3.  —  Le  Livre  de  fièvres  —  quelque  rapport  avec  les  Cure 
Johannis  Ajfiatii,  discipiili  Constantini  de  febribus  et  urinis  ;  — 
voir  Constantin  et  aussi  les  sources  de  ce  traité. 

Ci  connie)icc  le  livre  de  fièvres. 

Premièrement  dirons  des  fièvres  agùes.  Tele  i  a  qui  se  fet  de  cole  es  vaines 
delez  le  cuer  et  celé  clame  l'en  causam  '  ;  autre  en  i  a  qui  se  fait  loinz  du 
cuer,  et  celé  claime  l'en  tie[r]çaine  continuel  ;  autre  en  i  a  qui  se  fait  du  sanc, 
qui  pourrist,  et  celé  claime  l'en  sinoca*  porrie.  Gestes  fièvres  claime  l'en  pro- 
prement agiies,  et  entre  ceste[s]  i  a  encore  autres  que  l'en  claime  nutritesî. 
Nous  clamons  trestoutes  fievre[s]  qui  sunt  continues  agûes,  ja  soit  ce  que  la 
laie  gent  ne  lefacent.  Vouscounoijtrez  ceste  Hevre  qui  a  non  causam  *>  par  ces 
signes  :  le  malade  qui  a  ceste  fièvre  a  mont  grant  chaleur  dedenz  le  cors  et 
dehors  il  a  soif  et  âpre  la  langue  et  ne  puet  dormir;  il  a  talent  de  vonchier?  ; 
l'orine  est  rouge  el  commencement,  et  quant  la  maladie  est  montée,  l'orine 
est  espesse  et  plus  entence  ;  il  a  grant  pous  et  mel  le  ventre  et  costiviez  ".  La 
première  euvre  si  est  que  l'en  le  face  saignier  dedenz  le  quart  jour  et  d'iluec 
en  avant  non 


1 .  Ici  le  copiste  répète  il  ne  nous. 

2.  Corr.  anlidotaire . 

3.  Corr.  causott,  mot  du  latin    médical,  grec  xa-jacov,  fièvre  ardente. 

4.  Fièvre  synoque,  du  grec  aûvo/o;,  continu. 

5.  Corr.  eviitrites,  fièvres  hémitritées,  demi-tierces. 

6.  Cf.  note  3. 

7.  Vomir.  Godefroy  n'a  que  les  formes  altérées  voucMer,  vougier.  On  lit 
vocher,  voucher,  vouchier  dans  le  Livre  des  simples  médecines,  édit.  Dorveaux, 
gloss. 

8.  Ms.  costuve:^  ou  iostuviei. 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  187 

(Fol,  loi)  A  fièvre  qnarîaine.  La  fièvre  tieçainne  {sic)  bastarde  qui  vient 
de  cole  citrine  ou  viteline  a  mesmes  les  signes  de  cole  naturel,  mais  nés  a 
pas  si  forz  droitement  el  conmencement... 

(Fol.  loi  F)  Ci  commence  les  piles  mestre  Bernart  '.  Reçoivent  gun  et  gin- 
gimbre  et  garingal  et  nois  muscates,  de  chascun  .ij.  onces,  girofle  .j. 

Ci  dirons  de  fièvre  cotidienne  quant  est  voire  ou  non.  Fièvre  cotidienne  est 
voire  de  fleume  naturel  en  viel  homme  et  en  iver  en  froide  région  et  en 
fleumatique  complexion 

4.  —  Petit  traité  sur  les  plantes  médicinales . 

(Fol.  105)  Ici  commence  les  reprecives.  Nous  dirons  premièrement  d'aloen. 
Aloen  est  de  chaude  et  de  seiche  conplexion  el  secont  degré.  Ce  est  le  jus 
d'une  erbe  que  l'en  claime  par  cest  non  meesmes  aloen 

(Fol.  108  V)  Tini'ie.  Turbie  est  chauz  et  ses  el  tiers  degré  ;  il  purge 
fleume  principaument.  II  vaut  contre  toutes  les  maladies  qui  viennent  de 
froidure  et  de  fleume.  L'en  en  aguise  beneoite  et  toutes  les  gères  =  ;  en  tel 
manière  le  devons  user  :  prenez  une  drame  et  demie  de  poudre  de  turbie  et 
metez  en  huile  rosat  avec  .ij.  grains  de  gomme  arrabic  et  puis  pouez  donner 
seûrement.  La  poudre  de  turbie  menjue  mauvese  char  ;  et  seroit  encore  plus 
corrosive  qui  i  metroit  ermodaucles  et  ferruge. 

5.  —  Traduction  du  Circa  instans  de  Platearius.  —  Après 
cet  article  Turbie,  commence,  sans  rubrique  +,  un  nouveau 
traité  sur  les  plantes  médicinales,  classées  selon  l'ordre  alpha- 
bétique :  c'est  le  Circa  instans,  selon  la  traduction  que  nous 
venons  de  signaler  d'après  le  ms.  1977. 

{Fol.  10%  V)  Aloen  est  de  chaude  et  de  sèche  complexion  el  secont  degré. 
Et  pour  ce  que  nos  parlâmes  de  degré,  devez  savoir  que  .viij.  degrez  sunt  : 
.iiij.  chauz  et  .iiij.  froiz.  Et  pour  faire  le  vos  miuz  entendre,  vos  en  don- 
runs  essample  :  Prenez  eve  froide  et  metez  sorle  feu  chaufer  et  quant  elle  sera 
tiède,  c'est  li  primiers  degré,  et  quant  elle  est  si  chaude  que  l'en  si  puet  ban- 


1.  Bernart  de  Gourdon  ?  Cf.  Hist.  litt.,  XXV,  321. 

2.  Lat.  médical  hiera,  grec  îspa  [s.  e.  «vTtcloTo;],  propremeiit   «  antidote 
sacré  ». 

3.  C'est  à  peu  près    ce   qu'on  trouve  dans    le  Circa  instans;  voir  ci-après 
p.  88. 

4.  Il  n'y  a  ni  rubrique  ni  numéro,  mais  on  lit  dans  la  table  (fol.  14  vo)  : 
«  Ci  commenche  la  table  da  livre  apelé  circa  instans,  c'est  assavoir  des 
herbes,  fleurs,  arbres,  gommes,  racines,  etc.,  contenues  en  ycelui.  » 


l88  PAUL   MEYER 

g[n]icr,  c'est  li  secont.  Et  quant  cle  est  si  chaude  que  l'en  n'i  puet  la  main  tenir, 
(c)  c'est  li  tierz  ;  et  quant  elle  bout  bien,  c'est  li  quart.  Et  par  ceste  raison 
meïsme  poez  entendre  les  froit  (sic).  Quant  l'eau  est  bien  froide,  c'est  li  pre- 
mier degré,  et  quant  ele  est  un  pou  gelée,  c'est  li  secont  ;  et  quant  elle  est  un 
pou  englaciée,  c'est  li  tierz,  et  quant  elle  bien  gelée  est  et  englaciée  de  tôt, 
c'est  li  quart. 

(c)  Aloen  '  est  fait  del  jus  d'une  erbe  qui  est  apelée  par  cest  non  meïsmes, 
aloen  ;  ceste  herbe  creist  en  maintes  régions.  Trois  matières  sunt  d'aloen  :  ci- 
cotri[n],  epatic,  caballi[n].  Aloen  fait  l'en  en  tel  manière  :  l'en  trible  l'erbe  et  en 
trait  l'en  le  jus  et  met  l'en  bolir  un  petit  sor  le  feu  et  puis  l'oste  l'en  et  le  met 
l'en  sechier  ausolel,  et  dient  tex  i  a  que  celui  que  on  quelt  par  desus  [est]  li 
miedres,  et  le  clame  l'en  cicotri[n].  Celui  qui  est  en  milieu  est  pires,  et  l'apele  on 
epatic.  Celui  qui  est  alfonz  estli  noaudres,  et[le]clainmerencaballi[n].Maisce 
que  ce  dient  me[n]tent.  Nos  disons  que  diverses  erbes  sunt  en  bonté,  ne  mie  en 
nature,  des  queles  erbes  sunt  faites  cestes  trois  manières  d'aloen.  Cum  autres[i] 
que  il  est  roisins  de  diverses  manières,  en  bonté  ne  mie  en  nature,  et  que 
l'on  (d)  fait  des  uns  millor  vin  que  des  autres,  autresi  fait  l'en  le  bon  aloen 
des  millors  herbes.  Li  mieldres  des  trois  aloens  est  le  cicotri[n],  et  conoistrons  le 
en  tel  manière  :  il  a  color  citrine  ou  rosse,  et  quant  l'en  le  brise,  il  en  saut  une 
poudre  autretele  conme  poudre  de  safran,  et  a  clere  sustancé  et  puire(5/c)^  et 
bruise  volentiers,  et  ne  put  mie  moût,  et  n'est  moût  amers.  A  la  foie  est 
gomeus. .  . 

(FoL  112  d)  Contre  la  fevre  anifirmariiie  s  (sic)  et  contre  colidiane  de  froide 
matere.  Prennez  le  malade  si  cunme  sa  maladie  requiert,  et  prennez 
agaric,  et  le  faites  cuire  el  jus  de  l'ache  en  une  pome  de  coloquinte  ou  en  la 
racine  cheve  de  ciclam,  et  colés,  et  celé  coleùre  donez  au  malade.  Achc  n'est 
preuz  as  femes  grosses  por  ce  qu'ele  est  trop  dissolutive  ne  a  cens  qui  chient 
de  mal  d'epilensie,  por  ce  qu'ele  muet  et  deslie  la  matere  a  ouvrer,  ne  as  joenes 
enfanz,  por  ce  que  lor  eages  est  trop  moistes  et  la  nature  est  feble  et  li  con- 
duit des  membres  sunt  trop  estroit,  et  porroicnt  tôt  chaoir  en  epilensie,  car 
ache  est  trop  apperitive.  Autre  manière  d'ache  sunt  assés,  si  cum  apium 
ranarum  et  apium  risus,  et  apium  emoroidarum . 

Voici  la  fin,  qui,  on  le  verra,  est  assez  différente  de  la  leçon 
du  ms.  1977  (cf.  plus  haut,  p.  177)  : 

{Fol.  T]6)  Turbit  est  chaut  et  sec  el  tierz  degré;  la  racine  qui  est  epese 
pardedcnz  est  boue,  le   fust   qui    est    par   dedenz  n'est  proz  ;  quant   l'en    le 


1.  Il  n'y  a  ni  rubrique  ni  numéro. 

2.  [Corr.  et  pure.  —  Réd.\ 

3.  Corr.  amfvucrine,  éphémère. 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  189 

depiece,  l'em  puet  bien  (/')  conoistre  si  est  bons  ou  malvais;  .II.  anz  le  puet 
l'en  garder  ;  il  deslie  et  atrait  et  purge  fleume. 

(Fol.  777  b)  Ziniinibrcs.  —  Zinzimbres  est  chaut  el  quart  degré  et  moistes 
el  premier  ;  c'est  la  racine  d'une  erbe  qui  croist  outre  mer  en  la  montaine 
d'Escalone  '. 

Contre  froide  tos  et  por  eschanfer  les  membres  qui  sunt   entor    le    cuer.  — 

Donez  le  vin  a  boivre  0  ceste  racine  ;  soit  cuite  avec  fies  sèches  et  uves 
passes^.  A  ce  meïsmes  donez  fies  sèches  poudréesdela  poudre  de  zinzimbre. 
A  ce  meïsmes  vaut  li  vins  en  coi  est  cuite  la  racine  avec  comin,  et  fait  bone 
digestion  et  degaste  ventosité,  qui  use  la  poudre  en  viandes  ;  ele  vaut  contre 
pasmoisons. 

Contre  esprietisions.  — ■  Metez  la  poudre  par  desus  le  fondement  avec  coton  ; 
l'en  le  puet  garder  .ij.  anz,  mais  mielz  se  garde  avec  (/".  ly-/  c)  poivre.  .II. 
manières  en  sunt  :  domesche  et  salvage.  Li  salvages  a  noire  color  et  agùe 
savor,  mais  non  pas  tant  conme  l'autre,  ne  n'a  pas  si  massice  sustance  : 
quant  l'en  depiece  le  domesche,  il  en  naissent  unes  branchetes:  li  salvages 
n'est  pasautresi. 

Citoal.  —  Citoal  est  chauz  el  tierz  degré  et  ses  el  secont  ;  ce  sunt  li  raim 
d'un  arbre. 

Cojitre  froide  tos  et  contre  la  dolor  del  estomac  qui  vient  de  ventosité  por  mon' 
défier  la  ?narri:(  et  por  eschanfer. —  Donez  le  vin  en  coi  sera  cuit  citoal.  Faites  5 
suppositoire  de  trife  magne  et  de  citoal,  et  metez  par  desoz. 

Por  douer  talent  de  mangier.  —  Faites  sause  de  citoal  et  de  ros  marin  et  de 
pain  ars  et  d'aisil. 

Çucres.  —  Çucres  est  chauz  et  moistes  tempréement  el  premier  degré.  Il 
refroide  et  amoistit  et  alasche  et  norrist.  En  .ij.  livres  de  çucre  poez  mètre 
.iij.  livres  d'eve.  En  fait  çucre  de  calameles  eu  terre  d'outremer  et  en  Sezile  et 
en  Espaigne;  l'en  les  quelt  entor  feste  saint  Johan.  Eles  sunt  semblables  a 
autres  canes  fors  tant  que  eles  sunt  massices  ;  l'en  les  fent  par  mi  et  depiece 
par  menues  pièces  et  les  trible  l'en  durement,  puis  les  met  l'en  en  une  chau- 
dière ((/)  et  les  fet  l'en  bolir  a  lent  feu  tant  qu'il  est  bienespès  etrescumel'en 
et  de  l'escume  fait  l'en  le  mativès  çucre,  et  por  ce  doit  l'en  depicier  le  çucre 
quant  l'en  l'achate,  por  ce  qu'il  ne  soit  crues  dedenz  ne  afaitiez.  Celui  qui  est 
crues  n'est  proz  ;  celui  qui  est  massiz  et  a  douce  savor  est  U  mieldres.  Le  bon 
çucre  fait  l'en  de  celui  qui  vet  au  fonz  de  la  chaudere  et  de  celui  de  sus  fait 
l'en  les  malvès.  Et  quant  il  est  près  refroidiez,  l'en  le  met  en  vaiseax  rconz 
sechier  au  soleil,  tant  qu'il  soit  eudurciz.L'enle  puet  garder  .v.  anz  en  leu  ne 
trop  chaut  ne  trop  froit .  L'en  l'use  en  mainte[s]  manières  :  l'en  en  confist 


1.  Corr.  Esclavonie.CL  page  178,  ligne  2." 

2.  Pas  de  rubrique  ;  mais  en  marge  le  n°  Vll^^ 

3.  Ms.  Saites . 


190  PAUL   MEYER 

laituatres  et  en  fait  l'en  sirop.  Il  vaut   moût  contre  soif,   qui  le  tient  en  la 
boche  ;  il  vaut  molt  a  ccus  qui  sunt  maigre  et  a  ceus  qui  ont  malvais  piz. 

Fin  (fol.  178O  : 

Gestes  choses  nuisent  a  Vestomac.  —  Trestotcs  les  grosses  choses  qui  sunt 
indigcstives  qui  engcndre[nt]  vcntosité... 

Totes  choses  trop  salées  et  choses  agùes  ;  maingier  (</)  quant  l'en  n'en  a 
talent  et  geuner  quant  en  a  fain  ;  trop  user  sovent  lait  ;  et  pendre  médecines 
qui  escorchent. 

Azarum,  cassie  lignice,  espic,  garingal,  fenoil,  anis,  portulague,  berberis, 
laitues,  de  chacun  .ij.  onces,  roses  quatre  onces,  langue  de  cerf  .vj.  onces, 
ferruge  autant  come  de  totes  les  autres. 

6.  —  Recettes  diverses. — Ce  qui  suit  est  d'une  autre  écriture, 
qui  est  anglaise  et  non  postérieure  au  commencement  du  xiV 
siècle.  Çà  et  là  quelques  traces  de  formes  anglaises,  ainsi  saune, 
taunt. 

Contre  routure,  pernez  saune  de  dragon  .j.  once,  alouen  enpatic  .j.  once, 
poivre  noir  .ij.  onces;  pernez  .j.  once  de  gome  arable,  de  la  folle  ferine  de 
molin  de  forment  .ij.  onces.  Pernez  l'once  de  gome  arrabic  et  .j.  once  de 
noue  de  morue  et  fêtes  quire  en  eve  ;  metez  une  pinte  d'eve  et  leissiez  bolir 
geques  a  .j.  chopine  et  puis  pernez  la  noue  et  la  braiez  bien  en  .j.  morter, 
et  puis  pernez  toutes  les  autres  choses  et  les  braiez  fort  ensemble  ausint  come 
paste,  et  puis  pernez  cele  paste  et  metez  seur  estoupes  et  metez  seur  la  rou- 
ture. 

Pernez  saune  de  porc  malle,  et  la  pcl  d'un  Icvre  quant  il  est  freschement 
{fol.  i.jcf)  tué,  et  pernez  le  poil  et  le  sane,  se  le  niellez  ensemble  tant  qu'[i]l 
soit  cspcs  ;  pernez  ferine  de  forment  bien  dclic  et  niellez  ensemble  taunt 
qu'il  soit  espcs  et  en  fêtes  pilles  ;  et  puis  pernez  une  tiuclle  chaude  et  metez 
vos  piles  desus  taunt  que  elles  soient  sèches  et  les  gardez . 

C'est  li  sirop.  Pernez  osmonde,  coneire,  consoude  real  et  trefe  et  seel 
NostreDame  ■  et  la  vergne  d'oisel  et  consoude  petite  et  l'erbe  Seint  b'ioy,  de 
chaucune  une  poignée,  recliee  demi -  et  .j.  carteron  de  çucre  et  une  poi- 
gnée de  roses,  et  quisiez  en  eve  depuis  .iij.  pintes  jequesa  une  pinte,  et  de  ce 
sirop  donez  a  vostre  malade  au  matin  et  au  soir  demi  godet,  les  pilles  avant, 


1.  L'expression  «  sceau  Notre-Dame  »  (Ta  w»i  corn  muni  s)  tsXQncoxQ  usitée 
(voy.  Littré,  le  Did.  gén.,  etc.)  et  les  dictionnaires  de  botanique. 

2.  Ici  un  signe  abréviatif,  désignant  une  mesure. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  I9I 

le  boivrc  après  ;  la  cantité  des  piles  soiint  .v.  ;  le  gros,  d'une  petite  fève.  Pro- 
batus  ' . 

7.  —  La    Chirurgie  de  Roger   de  Salerne,    —   C'est  la  tra- 
duction que  nous  venons  de  rencontrer  dans  lems.Sloane  1977. 

(Fol.  180)  Après  ce  que  Deus  out  criez  le  munde  et  il  out  enbeli  de  sus- 
tance  terriene,  si  vout  former  home  et  mit  en  lui  espirit  de  vie,  et  li  pluit  que 
home  fut  formé  de  vil  matere  et  de  froisable,  que  l'espirit  fut  de  glorieuse  sus- 
tance  et  de  espiritucl  et  pardurable,  et  niist  en  home  et  l'enbeli  gloriosement 
de  forme  et  de  sapience,  et  li  dona  entendement  de  faire  bien  ou  mal  et 
enseignement  et  comandement  de  fere  le  bien  et  de  lessier  le  mal,  et  a  ceus 
qui  trépassent  son  comandement  il  a  apareillé  divers  tormenz  sclun  les  divers 
maus;  et  por  Tescience  que  il  lor  a  doné  il  avront  ignorance  et  iront  du 
règne  a  ensil  et  de  lumere  en  ténèbres,  de  délices  en  chativetez  et  de  sove- 
raine  joie  seront  il  envoie  en  grant  iristesce,  si  com  il  ont  deservi;  et  cil  qui 
ont  laissé  le  mal  et  ont  fait  le  bien  iront  en  joie  pardurable,  laquel  Dex  nos 
otroit  a  deservir. 

Ci[s]t  '  soverain[s]  mires  qui  fi[s]t  le  munde  vout  a  soi  retenir  la  cure  de  la 
partie  pardurable  et  nos  déguerpi  et  laissa  la  cure  de  la  chativeté  terriene  a 
curer,  si  cumme  ilsunt  des  plaies  et  des  autres  enfermetez,  de[s]queles  théorique 
(fr)est  nostre  mestresse,  et  practique  si  en  est  ministre,  de  laquele  practique  le 
office  est  a  curer  les  accidens  et  les  maladies  que  avenent  en  cors  humans 
dedenz  et  dehors;  et  por  ce  que  en  ce  livre  sont  contenues  '  les  cures  des 
maladies  que  avenent  en  divers  cors  par  dehors,  si  comme  par  plaies  qui  sont 
apelées  en  fisique  solucion  de  continuité,  por  ce  que  par  plaies  est  départie  la 
continuité  des  membres,  ce  est  la  joincture  de  l'une  char  a  l'autre,  cist  livre 
reçoit  la  digneté  et  le  non  de  cyrurgie,  lequel  livre  nos  avons  translaté 
et  mis  en  escrit  a  la  prière  et  a  la  requeste  de  nos  compaignons  nobles  et 
sages,  en  tel  manière  et  en  tel  entente  que  il  le  puissent  retinir  et  entendre  et 
en  puissent  profiiier,  et  que  Dex  otroit  et  nos  en  doint  deservir  perfete  gloire 
et  loenge  pardurable.  Nos  avons  porveù  a  deviser  ce  livre  en  quatre  parties, 
si  que  nos  puissons  assener  les  cures  de  diverses  parties  de  cors  et  que  nos 
puissons  mètre  en  ce  livre  fin  loable.  Et  por  ce  que  le  chief  est  la  plus  digne 
partie,  si  comencerons  al  chef,  et  puis  dirons  les  chapitres  l'un  après  l'autre 
par  ordre.  Primes  dirons  en  queles  manières  le  chief  est  plaié  et  les  signes  de 
la  bleceùre  de  taies,  et»après  de  la  bleceùre  del  test  aperte  a  grant  plaie  que 
est    (c)  fête  ou  d'espée  ou    de  autre  chose.   Après  de  la  mauvese  char  que 


1.  Le  reste  du  feuillet  179,  y  compris  le  verso,  est  blanc. 

2.  Dans  le  ms.  il  n'y  a  pas  ici  d'alinéa. 

3.  Ms.  continues. 


192  PAUL    MEYER 

cioist  sur  la  dure  merc  et  de  la  superliutc  de  la  char  que  nest  sur  la  jointe 
du  test,  et  des  autres  cures  par  ordre. 

Le  chief  est  plaie^  en  diverses  maneres. 

Le  chief  est  plaiez  en  diverses  manières  :  a  la  foiz  est  il  plaiez  o  la  bri- 
séûre  de  test,  a  la  foiz  sanz  la  briseùre  du  test.  La  briseûre  du  test  a  la  foiz 
est  grant  et  aperte,  a  la  foiz  est  petite;  mes,  soit  grant  ou  petite,  a  la  foiz 
la  plaie  est  grant  et  large,  a  la  foiz  est  estroite  et  petite.  Mes,  queus  que  la 
briseùre  soit  du  test,  l'en  doit  cremoirque  les  tcies  soient  rotes,  car  a  la  foiz 
est  route  la  dure  mère,  a  la  foiz  la  pie  inere.  Se  la  dure  mère  est  route,  en  la 
conoist  par  ces  signes  :  li  malade  seut  avoir  dolor  al  chiet  et  rogeur  en 
la  face;  li  ouel  sunt  enbrasez  ;  a  la  foiz  ne  set  li  malades  ou  il  est,  et  doit 
avoir  la  langue  noire.  Se  la  pie  mère  est  rote,  tu  le  conoistraspar  ces  signes  : 
tôt  li  membre  faillent  au  malade:  a  la  foiz  pert  il  la  parole;  betues  (-'l'c)  •  li 
s[u]elent  lever  en  la  face;  sanc  et  porretureli  cort  par  le  nés  et  par  les  oreilles, 
et  si  a  le  ventre  serré,  une  froidure  le  seu[t]  prendre  .ij.  foiz  ou  .iij.  le  jor, 
et  ce  est  certain  signe  de  mort.  Et  se  tu  vois  toz  ces  signes  ou  plusors,  sachiez 
que  li  malades  morra  dedenz(J)  .c.  jorz  au  plus  loing.  Et  por  ce  que  grant 
péril  est  de  la  briseûre  du  test,  nos  enseignerons  par  ordre  en  quel  manere 
en  li  puet  aider. 

Di'  ht  hriseilre  grant  et  aperte  et  de  la  plaie  large. 

Se  la  briseûre  est  grant  et  aperte  et  la  plaie  est  large,  si  coine  il  avient 
quant  la  plaie  est  fête  d'espée  ou  de  tele  chose,  se  il  i  a  os,  tu  le  dois  fors 
traire  de  la  plaie,  se  il  n'i  a  aucun  enpechemeut,  si  corne  de  sanc.  En  doit 
après  prendre  .j.  drapel  de  lin  bien  délié  et  mètre  sagement  au  tuel  de  une 
penne  entre  la  dure  merc  et  le  test  ;  après  ce  doit  en  mètre  en  la  boche  delà 
briseûre  du  test  un  drap  de  lin  ou  de  soie,  que  meuz  vaut  assez.  Si  a  lié  li 
chief  d'un  '  drapel  soit  de  totes  parz  desouz  ce  test,  que  la  porreture  de  la 
plaie  defors  ne  descende  en  la  dure  mère  et  face  mal  au  cervel.  Iceste  chose 
soliun  nos  faire  d'esponge  marine  bien  lavée  5  et  bien  sechée.  Iceste  chose 
boit  la  porreture  qui  descent  de  la  plaie  defors  *.  Après  emple  la  plaie  de 
drapeus  de  lin  moilliez  en  aubun  d'uef,  un  petit  espraint  et  met  .j.  pastel 
par  desus  e  lie  sagement  le  chief.  La  plaie  doit  estre  .ij.  foiz  le  jor  remué[e] 
en  yver  et  trois  foiz  en  esté,  et  li  malades  gise  sur  la  plaie,  ce  est  en  la  partie 
ou  la  plaie  est,  et  fai  isi  (Jol.  iSi)  tant  que  li  test  soit  revenu. 

A  la  morte  char  oiitier  que  (s\c)  croist  sur  la  dure  vicrc.  —  A  la  morte  char 
outierque  croist  sus  la  dure  mère  devant  le  parallementdutest,  met  i  l'csponge 


1.  Sur  ce  mot,  vov.  plus  haut,  p.  i6i^,  n.  2. 

2.  Sic,  corr.  si  que  li  chief  du. 
5.  Ms.  lauce . 

4.  «  \'elut  tinula  recipit  ».  Ce  passage  manque  dans  A. 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  I93 

marine  bien  lavée  et  bien  sechée  tant  que  la  morte  char  soit  manki  '.  Se  ill 
avient  de  rechief  que  aucune  morte  char  croisse  sur  le  noveu  test,  met  i  la 
poudre  des  ermodattes  et  cure  la  plaie  par  defors,  desi  en  la  fin  o  le  drapel 
de  lin  et  o  carpie  ;  après,  quant  la  plaie  sera  close,  met  sus  la  plaie  apostoli- 
con  cirurgron  (sic')  que  tu  feras  en  tel  manière  : 

Pren  demi  livre  de  noire  poiz,  et  de  poiz  grezoise  une  livre,  et  de  galbane, 
de  séraphin^,  d'armoniac,  de  popanac,  de  checun  demi  unce.  .  .,  de  cire  .iij. 
unces,  de  essil  une  livre,  et  s.  Après  fai  en  tel  manere  :  pren  le  essil,  les 
gotnmes  que  ne  doivent  pas  estre  triblées  si  come  la  galbane  et  l'armoniac 
le  séraphin  et  la  noire  poiz.  Metez  ices  choses  est  un  vaissel  estamé  ;  après 
le  met  sus  le  feu  tant  que  les  gommes  soient  remises 

(Fol.  201  d)  Se  aucuns  hoiaiis  isse  parmi  la  plaie. —  S'il  avient  que  aucuns 
boiaus  isse  parmi  la  plaie,  et  soit  tranchiez  de  lonc  et  en  travers,  par  quoi  la 
graind[r]e  partie  soit  saine,  saches  tu  la  guerras  en  tel  manière.  S'il  avient 
que  li  boiel  soient  refroidie,  pren  une  beste  tote  vive,  si  la  tranche  par  mi  et 
si  la  met  sor  les  boials  tote  chaude  et  laisse  tant  que  li  boiel  soient  chaufé. 
Après  pren  un  tuel  deseù,  .ij.  pous  plus  Ions  que  la  plaie  del  bouel,  si  que  li 
tuel  sormont  la  longor  >  de  la  plaie  délivre  +  et  de  l'autre  partie,  puis  le 
recous  {fol.  202)  a  une  soutil  aguille  et  a  un  fil  de  soie,  et  soit  li  tuiaus  mis 
en  tel  manière  que  la  superfluité  del  boel  puisse  passer  parmi  et  ne  puisse 
enpeeschier  la  cousture  de  la  plaie  ;  et  quant  tu  avras  ce  fait,  tu  terdras  sou- 
vent s  la  merde  de  la  plaie  ;  et  quant  tu  avras  refait  ^  o  esponge  lavée  eu  eve 
chaude.  Et  quant  tu  avras  ice  fait,  remet  les  boiaus  el  ventre  par  la  ou  il 
issirent  ;  puis  fai  mètre  le  malade  desor  une  table  et  croller  de  ça  et  de  la  que 
li  bouel  reviengnent  en  leur  liu  ;  et  se  la  plaie  est  estroite,  eslargis  la;  et 
quant  tu  avras  issi  fait,  laisse  la  plaie  del  ventre  overte,  tant  qu'ele  soit  del 
boel  garie,  et  met  après  la  roge  poldre  sor  la  costure  chascun  jor.  Et  quant  tu 
verras  que  la  plaie  del  boel  sera  soldée,  requeus  la  plaie  par  defors  ;  si  la  cure 
ausi  come  les  autres  plaies.  Et  note  que  se  la  plaie  est  mult  grant,met  i  plus 
grant  tuel  et  plus  lonc,  et  requeus  la  plaie  del  boel  sor  le  tuel,  et  met  sur  la 
roge  poldre,  et  met  .j.  drapel  en  la  plaie  chacun  jor.  Et  quant  tu  verras  que  la 
plaie  sera  soldée,  trai  aval  le  tuel  en  la  plus  basse  partie,  puis  la  recure  ensi 
cum  nos  avons  enseignié  ces  autres  plaies,  et  manjut  li  malades  déliées 
viandes. 


1 .  Pour  uiaugic,  forme  bien  exceptionnelle. 

2.  Séraphin,  serapin,  sagapénum.  On  trouve  serapin,  p.  170,1.2. 

3.  Ms;  langor. 

4.  Sic,  corr.  de  Puiie. 

5.  Mieux  soes  dans  A,  «  sordes  ex  intestinis  suaviter  detergantur  ». 

6.  Il  faudrait  supprimer  et  quant  tu  avras  rejait. 

Romania,  XLIV.  I  5 


194  PAUL    MEYER 

Si  faire  ou  craiique  ou  apostuiiie  tiaist  (p)en  cest  heu,  tu  le  guettas  si  cum 
nos  avons  enseimiè  devant  » . 

S'il  avient  que  festre  ou  cranque  ou  apostume  naist  en  cest  lieu,  tu  le 
guerras  si  cum  nos  avons  enseignié  devant,  et  saches  que  {cotr.  qu'en)  te 
lieu  pues  tu  faire  incision  et  arson  et  mètre  oingnement  fort  et  viola/. 

Voici  la  fin  de  la  Chirurgie. 

(Fol.  207  cl).  Contre  spa[s'\iiius  ^ .  —  Spa[s]mus  vient  sovent  en  la  plaie. 
Spa[s]mus  e[s]t  quant  li  ners  sunt  acornez  ',  tu  le  guerras  de  cest  oingnement 
qui  est  faiz  en  tel  manière  :  Pren  huile  musceline  ■»  .j.  Ih.  ;  de  petroleo  s  .j.  1/2  ; 
d'uile  quemune,  deburre  ana  .iij.  onces, de  cire  .j.  i  |  2,d'e[s]corace,  de  rube[e] 
trociscate[e]  .ij.  1/2  et  s.  {sic).  Confis  les  en  teie  manière  :  mesle  ices  choses 
ensemble  (/.  208),  après  les  met  sor  le  feu  tant  que  les  choses  soient  remises 
qui  doivent  remetre,  puis  i  met  les  poudres,  et  si  le  fai  cuire  tant  qu'il  soit 
espès.  Quant  il  sera  cuit,  met  i  la  [sjtorate  calamité.  De  cest  oingnement 
oindras  tu  au  malade  tôt  le  cors  et  toz  les  membres.  Cist  oingnement  vaut  a 
tote  manière  d'espasme  qui  vient  de  replecion. 

Mihnors.  Milmors  ^  est  une  maladie  qui  vient  de  mélancolie  et  nest  et 
jambes  et  es  cuisses  et  es  braz  ;  et  si  le  conoistras  par  ces  signes  :  li  malades 
doit  avoir  un  malans  lais  et  durs,  et  ses  et  sans  manjue,  et  c'est  la  diffe- 
rance  entre  sause  flamme  et  malmort  :  sause  flame  fait  grater  le  malade,  et 
malmort  non.  La  cure  est  telle  :  done  au  malade  oximel  squillitique  ou 
[sjcabiose  et  rue  [quant  elesjserunt  cuites.  Quant  li  malades  avra  usé  oximel 
.XV.  jors,  purgé  le  de  beueoitc  meslée  avec  geralogodion  aguisé  d'ellébore 
noir  et  d'armodactelles  7  ;  .iij.  jors  après  la  poison,  fai  estuver  le  malade  les 
jambes  chaudes  H'erbes  cuites  en  fort  vin  ou  loissive.  Après  oing  le  malade 
de  l'oingnement  fusse  **  et  de  l'oingnement  blanc  et  de  l'oingnement  a  sause 
flame  ensemble  aguisié  d'ellébore  blanc  et  noir.  De  cest  oingnement  oindras 
tu  le  malade  .ij.  foiz  le  jor  jusc'a  .vij.  jorz,  A  ce  meïsmes  pren  limaces,  et  si 
les  trible  et  cuis  en  fort  vin  ou  en  (b)  loissive.  Après  coil  la  cresse  qui  ven- 
dra par  desus  et  si  en  oing  les  jambes.  Ext^licit  Cyrugie. 


1.  III,  XXX  ;  Coll.  Salem.,  II,  48. 

2.  IV,  XVI  ;  Coll.  Salem.,  II,  493. 
5.  Sic,  corr.  acorcie:^. 

4.  Voir  Dorveaux,  glossaire  du  Livre  des  simples  inedecities,  au  mot  tnusce- 
lin  (huile),  huile  musquée. 

5.  Page  171,  dans  la  même  formule,  ou  lit  :  «  de  petroleon  demie  once.  » 

6.  Corr.  Maluiorl.  Page  171,  cette  maladie  est  appelée  tuort  mal  :  c'est  le 
maluin  mortuuni  des  chirurgiens,  espèce  de  lèpre  ou  de  gale  très  grave. 

7.  Armodactelles,  hermodactes. 

8.  Oigitement  fusse,  traduction  de  unguenttim  fuscum . 


MANUSCRITS    MEDICAUX    E\    FRANÇAIS  I95 

8.  —  Traité  sur  les  urines. —  Nous  connaissons  plusieurs  trai- 
tés sur  ce  sujet;  ceux  d'Isaac  et  de  Constantin  par  exemple  et 
ceux  de  la  CoUeclio  Salernitana,  II,  413  ;  III,  2  ;  IV,  409,  50e,  A 
certains  égards  on  peut  trouver  quelque  ressemblance  avec  tel 
de  ces  traités,  notamment  avec  celui  de  Maître  Maurus,  mais  il 
s'agit  de  traités  qui  ne  sont  probablement  pas  très  spéciaux. 
On  sait  qu'on  possède  sur  le  sujet  plusieurs  opuscules  en 
langues  romanes  ;  ainsi  le  Petit  traité  de  mcdecine  publié  par  Bou- 
cherie d'après  un  ms.de  Montpellier  {Rev.  des  Lrom.,\ll,  62), 
le  commencement  du  traité  attribué  à  Hippocrate  {Romania, 
XL,  536),  et  ci-après  fol.  215. 

(Fol.  208  h')  Ici  conmence  li  livres  des  orines. 

Orine  si  est  colorée  de  quatre  humors  qui  norrissent  le  corps  de  l'orne,  et 
par  celé  raison  que  ele  vient  de  la  meïsme  maiire  que  les  .iiij.  humors, 
demostre  dont  les  maladies  sunt  fêtes  et  en  quels  leus.  Ele  demonstre  pro- 
prement la  vigor  del  foie,  car  el  foie  est  fait  le  sanc  et  les  autres  humors  de 
la  chose  qui  vient  del  foie,  et  sachiez  qu'i  reçoit  le  mangier  et  le  boivre  et 
si  le  cuist.  Après  ce  que  la  viande  est  cuite,  si  en  ist  la  bontez  de  la  viande 
autre  tele  conme  tisane,  et  si  s'en  vet  el  foie  par  le  conduit  de  .ij.  vaines.  Li 
remanant  si  descent  es  boiaus.  Iceles  choses  qui  sont  entrées  el  foie  si  sont 
formées  des  quatre  humors  qui  sont  en  l'ome.  De  la  plus  clere  partie  et  de  la 
mains  cuite  si  en  naist  fleume.  De  la  secunde  partie  qui  est  atempreement 
cuite  si  en  naist  sans.  De  la  tierce  partie,  qui  est  trop  cuite,  si  est  fèz  li  amers 
que  l'en  apele  coles.  De  la  quarte  partie  si  vient  mélancolie  qui  est  liée  de 
totes  les  autres  humors.  .  . 

Voici  le  dernier  chapitre  : 

(Fol.  20^  (f)Color  d'orine  blanche  corne  est  eve  pure,  est  en  latin  latinie(?), 
come  let  cler  la[c]ine,iaunice  corne  cor(?)',  cler  perse  come  poil  dechamoeb, 
palecome  le  jus  de  char  demie  crue,  suppallidus  un  pou  plus  remise.  Citrinus  est 

1.  Corr.  or  (?);  cf.  p.    196,  1.  2. 

2.  Cf.  les  Régule  urinanim  Magist ri  Mauri,  dans  Coll.  Salernit.,  lll,  6; 
«Colores  urinarum  secundum Teofilum  sunt  xix,  scilicet... Albus  est  sicut 
aqua.  2.  Karoposest  sicut  colorpilorum  canielorum...  ;  pallidus  est  sicut  succus 
carnis  semi  cocte  ;  subpallidus  idem  remissus;  citrinus  est  sicut  color  citri  ; 
subcitrinus  idem  remissus  ;  rufus  est  sicut  color  optimi  auri  ;  subrufus  idem 
remissus  ;  rubeus  est  sicut  color  sanguinis  ;  subrubeus  item  :  rubicundus 
clara  ;  lacteus  est  sicut  sérum  lactis;glaucus  est  sicut  cornu  lucidum  album...  » 


196  ■  PAUL    MEYER 

de  tel  color  corne  pomc  grenate.  Succitrinus  est  un  pou  meins  colorée  ;  rufus 
de  tel  color  corne  ors  purs;  subrufus  de  tel  color  corne  ors  naient  purs; 
Rubeus  de  tele  color  corne  saffran  d'Orient  ;  subrubeus  de  tel  color  corne 
safran  de  cortil.  Rubicundus  de  tel  color  corne  pur  sanc  ;  subrubicondus  de 
tel  color  come  garance  ;  sinopos  de  tel  color  conie  noir  vin  ;  kianos  noir 
corne  porpré  ;  verz  come  la  foille  de  chol.  Lividus  si  come  pion.  Ce  sunt  les 
colors  des  oriues  et  par  icestes  colors  devez  vos  jugier  totes  les  orines  et 
queles  maladies  eles  sencfient.  Orine  verz,  se  elle  est  apparissanz  et  devant 
apparut  noire,  senefie  mort.  Orine  noire  senefie  mort  en  fièvre  agùe  avec 
mauves  signes,  en  quarteine  senefie  salu. 

Il  n'y  ^P^'^sd'explicit.  Il  n'y  ;i  non  plus  aucun  titre  ni  rubrique 
en  tête  de  l'opuscule  qui  suit  et  sur  lequel  nous  sommes  suffi- 
samment renseignés. 

9.  Comment  le  médecin  doit  se  comporter  auprès  du  malade. 
—  C'est  la  traduction  du  traité  De  adventii  medici  ad  a'grolum, 
qui  est  imprimé  dans  la  CoJlcctio  Salernitana  de  S.  de  Renzi,  II, 
74;  cf.  ibid.,  II,  34,  les  remarques  de  Herschel.  Je  rappelle  que 
j'ai  fait  connaître  une  autre  traduction  française  de  cet  opuscule, 
mais  faite  en  Angleterre  (voir  Romania,  XXXII,  86). 

On  peut  citer  un  opuscule  analogue  qui  a  été  composé  par 
Arnaud  de  Villeneuve;  voir  Histoire  littéraire  de  la  France, 
XXVIII,  69. 

(Fol.  20g  cl)  O  tu  mires,  quant  tu  vendras  al  malade,  tu  requerras  Nostre 
Segnor  bonement  et  doucement  que  il  te  soit  en  aide,  car  nule  paine  ne 
vaut  rien  senz  l'aide  de  Dieu  ;  et  por  ce  di  je  que  devant  ce  que  tu  i  viegnes, 
que  tu  enquieres  (Jol.  210)  del  messagier  combien  il  a  que  il  amaladi  et 
cornent  la  maladie  H  prist,  si  que,  quant  tu  i  vendras,  que  par  l'orine  et  par 
le  poux  puisses  demostrer  al  malade  s'enfermeté  ;  et  donques  avra  li  malades 
espérance  que  tu  le  garras  bien,  après  Deu.  Mes  saches  devant  ce  s'il  a  esté 
confès  ou  non.  Se  il  n'a  esté  confès,  fai  le  confesser,  car  Dex  envoie  souvent 
as  genz  grant  'maladies  por  lor  péchiez.  Car  se  tu  gardes  l'orine  et  son  pous 
et  sa  maladie,  et  puis  li  dites  que  il  se  face  confès,  donques  se  despereroit  li 
malades  de  santé,  ce  seroit  maus.  Puis  vendras  al  malade  ;  si  parleras  douce- 
ment et  bêlement  et  a  ceus  qui  seront  entour  lui,  car  granz  cortoisie  et  grant 
enseignement  est  de  biau  parler.  Einsi  conquerras  tu  l'amor  del  seignor  et 
des  autres  genz.  Eindemantiers  li  dois  tu  loer  ses  mcsons  et  ses  chambres  et 
ses  afferes,  et  de  ce  s'esleecera  li  malades.  Endementieres  le  prendras  par  le 


I.  Corr.  gi'iTi^. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  197 

braz  senestre  et  puis  si  li  garderas  son  pous.  Se  li  bras  est  charnuz,  si 
empresse  plus  tes  doiz  el  pous  ;  se  li  bras  n'est  charnuz,  legierement  le  pren- 
dras sanz  estraindre,  et  garde  que  il  negise  pas  sor  celui  costé.  De  la  senestre 
main  soztendras  le  braz,  et  se  il  bat  durement  si  senefie  chaude  maladie  et 
durable  qui  durera  longuement.  Garde  que  le  (b)  malades  ne  soit  trop 
foibles,  et  puis  si  voies  s'orine,  et  si  s'orine  est  vermeille,  si  senefie  chaude 
maladie.  Adonc  selonc  l'orine  et  selon  le  pous  poez  jugier  sa  maladie  et  li 
prometroiz  santé.  A  sa  mesniée  diroiz  qu'il  est  moût  malades,  car,  se  il  en 
eschape,  tant  seroiz  vos  plus  prisiez,  et,  se  il  moert,  il  vos  porteront  tesmoing 
que  vos  vos  desperates  de  sa  santé.  Entre  ces  choses  que  je  vos  amonest,  vos 
di  que  vos  ne  regardoiz  sa  fille  ne  sa  feme  ne  sa  pucele  ne  '  li  malades  ne 
s'en  corrost,  et  por  ce  soiez  simples.  Et  quant  tu  venras  a  mengier,  pren  en 
bon  gré  quant  qu'il  te  donront.  Quant  tu  avras  mangié  et  tes  mains  lavées, 
va  a  ton  malade,  se  li  dis  que  tu  as  estez  bien  conreez  et  bien  serviz ,  .  . 

{Fol.  210  li)  Selonc  les  diverses  maladies  covieut  les  diverses  cures  et 
choses  qui  départent  la  maladie  et  la  matire,  car,  se  la  maladie  (fol.  211)  est 
de  chaude  nature,  se  li  devez  doner  sirop  acceptos,  et,  se  la  maladie  est 
de  froide  manière,  se  li  devez  oximel.  .  . 

(Fol.  21))  Encontre  la  maladie  qui  vii;nt  de  mélancolie  (/')  naturel  et 
encontre  la  maladie  del  chief  qui  vient  de  ceste  liumor  ou  de  mélancolie 
noient  naturel  ou  de  fleume  aigre,  ja  soit  ce  qu'ele  ait  duré  cent  anz,  si  en 
puet  l'en  et  doit  fere  tele  cure  por  le  guérir,  qui  m'est  ^  aprise  et  en  romanz 
escrite,  ja  soit  ce  que  ce  soit  ennuiz  et  paine  de  fisique  traitier  en  romanz  a 
clers,  laquele  oevre  ne  fust  ja  fête  ne  escrite,  si  ne  fu  li  liens  d'amors  qui 
toz  segrez  deslie  et  totes  choses  par  ferm  lien  d'amor  ralie. 

La  color  de  l'orine  de  ceste  maladie  covient  primes  veoir,  car  ele  vient  de 
diverses  humors. 

Orine  pale,  sozpale,  bloie,  lactine,  blanche,  maienement  tenve,  ou  maiene- 
ment  espesse,  senefie  fleume  acceptos,  ce  est  aguë  senz  fièvre,  et  senefie  que 
la  nature  n'est  pas  appareilliée  a  purgier.  Se  ele  est  espesse,  si  est  appareil- 
liée  a  purgier. 

Orine  pale,  sozpale,  bloie,  de  color  de  lait,  tenve,  blanche,  senefie  mélan- 
colie naturel  senz  fièvre. 

Orine  sozcitrine,  voisine  a  palissor  et  tenve,  senefie  mélancolie  qui  n'est 
mie  naturel. 

Ces  humors  funt  maladie  el  chief  que  l'en  apele  céphalée  et  quant  les 
orines  sunt  (c)  de  tel  color  en  tel  maladie  seùes,  soiez  qu'ele  vient  de  tels 
humors;  l'en  sent  la  maladie  toz  jorz  a  la  foiée  plus,  a  la  foiée  mains,  l'en 
ne  puet  soffrir  soleil  ne  noise,  mielz  soffrent  chaut  que  froit,  et  sont  tardif  a 


1.  Sic.  Corr.  que. 

2.  Corr.  nest} 


198  PAUL    MEYER 

esmovoir,  se  de  lor  volenté  ne  vient;  ne  puent  hait  chanter  ne  puent  froit 
soffrir.  .  . 

Il  n'est  pas  aisé  de  déterminer  la  tin  Je  certains  de  ces  traités 
et  le  commencement  des  autres.  Voie'  cependant  trois  para- 
graphes, précédés  d'une  rubrique,  qui  peut  être  la  fin  de  l'opus- 
cule dont  je  viens  de  transcrire  quelques  morceaux. 

(Fol.  119  c)  Itele  lessive  fêtes  faire.  Prennez  castoreet  eruque,  petrc  Alexan- 
drin", rue,  ysope,  savine,  aigremoire,  comin,  silermontein,  anis,  primevoirre, 
centenique',  perresil,  fanoil,  mente  sarrazinoise  ',  ce  estcost,  et  bolez  en  vin 
et  colez  parmi  la  cendre  de  sarment  et  fêtes  de  tel  leissive  (d)  laver  vostre 
chef. 

Cist  oingnement  est  bon  a  gotede  froidure.  Prenez  ventoine(5/V),  centaure, 
comin,  aigremoine,  sanicle,  sane,  buglc,  rue,  perresil,  fanoil,  brusc,  mirfoil, 
germandrce,  ciperun,  ysope,  savine,  de  chascun  ,].  once,  castore,  anis,  la- 
danum,  terebentinè,  galbanum,  dellium^  de  chascun  .j.  once  et  une  drame, 
Boilliez  premièrement  les  erbes  en  huile  d'olive  ou  de  noiz  longuement  et 
puis  soient  colées  et  puis  i  metez  le  castore  molt  bien  batu  et  les  gomes  et 
demi  quarteron  de  cire  et  une  fiole  d'eve  rose,  et  puis  colez  et  metez  en  une 
boiste. 

Por  fièvre  tiercene  fait  l'en  tel  sirop  :  prenez  .j.  once  de  violes  et  cuisiez 
en  eve  et  colez  et  prenez  tamarindeset  cassiafitlcs,  de  chascun  .j.  once,  et  en 
celé  eve  bolez  les  tamarindes  et  les  cassiafitles  et  mêliez  ensemble  et  metez 
ij  deniers  pesant  de  reubarbe,  et  faites  poudre  et  metez  avec  et  niellez,  et  puis 
l'i  laissiez  jusqu'à  l'endemain  ;  au  matin  le  donez  a  celui  qui  avra  la  tierceine, 
puis  gardez  qu'il  ne  manjue  ne  boive  devant  none;  puis  si  li  fêtes  .j.  chaudel 
d'amandes  et  li  fêtes  humer. 

10.  —  Poids  et  mesures  des  médicaments. 

Des  mesures  et  des  pois  medicinax  m'estuet  premieremeent  parler  ;  après 
del  (/o/.  220)  pois  et  des  medicines  et  des  espèces  et  des  erbes  et  combien 
il  en  soffist  a  la  reçoite  de  l'Antidotaire  Nicolom  que  l'en  dit  le  petit  Autido- 
taire. 


1.  Petre  alexandrin,  persil  d'Alexandrie.    Cf.  Camus,  L'opéra  Salernitana 
«  Circa  inslans»,  N°290. 

2.  Santoniqiie,  God.  ;  Littré  :  santouine  (Arleinisia  s^mtonica). 

3.  La  menthe-coq;  voir  le  glossaire  de  l'édition  du   Livre  des  simples  du 
Dr  Dorveaux. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  I99 

Après  se  aucune  espèce  faut  ou  aucune  erbe,  quele  autre  l'en  porra  metrc 
en  son  lieu. 

Après  quantes  livres  il  en  ait  en  chascune  medicine  composte,  car  icist  est 
traiz  del  Grant  Antidotaire.  A  la  foiée  troveroiz  d'aucune  medicine  quinte  par 
ij.  livres  ;  tierce  parz  diz  livres,  la  moitié  .j.  livre. 

Après  dirai  en  ordre  les  posicious  de  noms  de  medicines  compostes  ;  après 
a  queles  maladies  eles  valent,  et  coment  eles  doivent  estre  donées  ;  au  desreau 
de  la  recepte  et  de  la  confection 

Vint  greins  d'orge  funt  .j.  escruple. 

Trois  escruples  poisent  .j.  dragme. 

Dragme  si  est  pois  d'un  victorial  denier  argent.  Dragme  si  est  poiz 

la  novisme  part  de  l'once. 
Noef  dragmes  font  une  once. 
Maaille  est  la  moitiez  d'une  escruple. 
Ciatus  est  pois  de  .x.  dragmes. 

Deniers  d'or  en  fisique  poise  quatre  escruples  et  demie. 
Doz  onces  funt  .j.  livre. 
Huit  onces  funt  un  sestier. 
Cuilliers  poise  .iij.  maailles. 
Noiz  avekigne  poise  .ij.  dragmçs. 
(/')      Noiz  grosse  poise  .xviij.  deniers. 

Sestiers  de  vin  ou  d'eve  poise  .ij.  livres. 
Sestiers  d'uile  poise  livre  et  demie  et  ij  onces. 
Sestiers  de  miel  poise  .ij.  livres  et  demie. 
Muis  est  pois  et  mesure  de  .xliiij.  livres. 

Ici  faut  II  liiTt's  de]  pois  et  des  mesures  de  fisique.  Après  comence  del  pois  des 
espèces  et  des  erhes  de  tôt  V Antidotaire. 

De  carpobalsame  .j.  once  et  .vj.  drames. 

De  girofle  .ij.  onces  et  .vj.  drames  et  une  escruple. 

De  ope  .iij.  onces  et  .iij.  drames. 

De  mirre  .vj.  onces. 

De  bosme  .vj.  drames  et  demie  et  une  escrupte  et  .v.  greins. 

Fin  de  cet  opuscule  (/t?/.  222~)  : 

De  trevesée  (?)  .j.  once, 

Derigal»  .iij.  onces, 

De  branche  ursine-  .ij.  onces, 

1.  Probablement  abréviation  de  rigdice,  réglisse. 

2.  C'est  un  nom  populaire  de  l'acante  sans  épines  ;  voir  V Antidotaire 
Nicolas,  éd.  Dorveaux,  au  glossaire,  p.    50. 


200  PAUL   MEYER 

De  palazinc  '  .j.  once, 
De  melisc  .ij.  onces. 
(Fol.  222)  Ici  faut  li  livres  de  medicines  simples,  conbicu  il  en  covient  au 
Petit  Antidotaire  confire. 

11.  —  Les  Antibolonomins.  — Le  sujet  de  cette  liste  de  sub- 
stances médicinales  est  clairement  indiqué  dès  le  début  :  il  s'agit 
des  drogues  simples  succédanées,  c'est  à  dire  qui  peuvent  être 
employées  pour  d'autres.  Je  n'ai  pas  trouvé  exactement  l'original 
de  cet  opuscule,  mais  il  existe  en  divers  manuscrits  latins  une 
composition  du  même  genre  et  ayant  le  même  titre  et  qui  est 
attribuées  Galien,  notamment  dans  le  ms.  de  la  Bib.  Nat.  lat. 
6882  A,  fol.  II  v°  :  Incipi[nnt]  Antebaliiininû  Galieni  ;  cf.  lat. 
112 19,  fol.  230  :  Incipit  prolo^iis  Antebaliimiiia    GaJioii  medici. 

On  trouve  dans  les  anciennes  éditions  de  Galien  le  texte 
grec  correspondant  à  cette  traduction  latine  ;  il  a  été  aussi 
publié  dans  Téd.  Kuhn,  XIX,  721-47.  Sur  le  titre  même  il  suf- 
fit de  citer  le  Thésaurus  de  Henri  Estienne  : 

'Avtt6âXXw.  Unum  proalio  jacio,  vel  injicio,  unde  dicuntur  àv-igxXXo'acva, 
qu:E  in  aliorum  locum  injiciuntur  in  medicamenta,  utpote  xqualia,  i.  e. 
aequales  vires  habentia,  qu:v  recentiores  medici  vocant  Qiiid  pro  que,  ut  ait 
Marccll.  Virg.  in  Diosc. 

Voici  maintenant  le  texte  français  du  ms.  Sloane,  dont  je 
ne  connais  pas  d'autre  exemplaire. 

{Fol.  222)  Après  conience  li  livres,  se  aucune  espèce  ou  aucune  erbe  vos 
faut,  laquele  vos  porroiz  mètre  en  son  lieu.  Antibolonomius  est  apelez. 
Por  agaric  poez  mètre  euforbe. 
Por  aristologe,  mente  arse  ou  sarment. 
Por  gresse  de  cerf,  gresse  d'oie. 
Por  gresse  de  cocodrille,  char  de  mer. 
Por  amomme,  casse  lignée  doble. 


(Fol.  222  (1)  Por  gui  de  chaisne,  jus  de  malves. 

Por  basme,  oleuni  laurin  ou  muscelin. 
Por  ysope,  moole  de  cerf. 


I.  Palaitne,  herbe  à  la  paralysie,  primevère.  Cf.  Y  Antidotaire  Nicolas, p.  82. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  201 

Por  ipericum,  semence  d'anis. 
Ici  faut  li  livres  Galien  des  Antibolonomi[n]s. 

12.  —  L'Aiitïdotûire  Nicolas.  Cette  version  d'une  des  phar- 
macopées les  plus  utilisées  pendant  le  moyen  âge  et  même  plus 
tard,  est  tout  à  fait  différente  de  celles  que  le  D'  Dorveaux  a 
pu'bliées  jadis  d'après  les  mss.  Bibl.  nat.   fr.  25327  et  14827  '. 

(Fol.  222  J)  Après  comence  li  livres  des  medicines  compostes,  quantes 
livres  l'en  en  puet  faire  selonc  Antidotaire  que  l'on  apele  Nicholun. 

Selonc  cest  antidotaire  poez  confire  et  selonc  sa  recepcion. 

De  aurea  alexandrine  a  une  confection  .ij.  livres. 

De  adrianum  magnum    .j.  livrer 

{Fol.  22J  h)  Ici  après  comence  li  livres  de  la  reçoite  de  l'Antidotaire 
Nicholun. 

Aurea  alexandrine  la  dis  et  huitisme  parz,  .ij.  livres  reçoit  azari,  carpobal- 
samum,  jusquiame,  de  chascun  drame  et  demie  ;  gariof.,  opii,  mirre,  ciperi,  de 
chascun  .ij.  drames;  basme,  canele,  folii,  citoal,  gingimbre,  coste,  coral  roge, 
cassie  lignée,  euforbe,  encens,  dragagant,  storaxcalamit,  chauchetrepe»,  meu, 
cardamomme,  silermontein,  napey,  saxefrage,  anet,  anis,  de  chascun  .j. 
drame 

Je  cite  la  recette  par  laquelle  se  termine  la  version  publiée  par 
leD""  Dorveaux  d'après  le  ms.  B.  N.  fr.  25327  (article  55).  Les 
deux  versions  sont  fort  différentes. 

(Fol.  242  d)  Gingimbre  conduit  valt  a  eschaufer  le  cors  et  est  einsint  fèz  : 
Reçoit  iringes  mondées  et  cuites  et  pestelées  .iij.  livres,  et  les  metez  en  .x. 
livres  de  miel  bien  escumé,  et  cuisiez  tant  que  il  rogisse,  et  i  metez  demie 
livre  de  gingimbre  detrenchié  par  mereles,  et  laissiez  tant  bolir  qu'il  aerge  au 
doi.  Après  le  metez  jus  del  feu  et  metez  la  poudre  de  ces  espèces  :  Reçoit 
gingimbre  .iij.  onces,  garingal,  girofle,  canele,  noix  muscate,  cardamome,  de 
chascun  demie  once,  {fol.  24])  pinoles  mondées  .iiij.  onces  et  pitaces  .iij. 
onces,  et  confisiez  avec  ces  choses  ;  il  conforte  le  ventre  et  la  digestion.  Oe^ 


1.  Paris,  Welter,  1896.  La  première  de  ces  versions  est  de  la  fin  du  xiiie 
siècle,  la  seconde  (qui  est  incomplète),  du  xv^. 

2.  Confection  indiquée  dans  l'Antidotaire  de  Nicolas,  éd.  Dorveaux,  p.  3» 

3.  Chauche-trepe,  chausse-trappe,  un  des  noms  vulgaires  du  Centaurea  Cal- 
citrapa  L. 


202  PAUL    MEYER 

la  vaillance  '.  Il  valt  al  mal  del  piz  de  froidure  et  conforte  les  reins  et  esmuet 
luxure  et  vaut  a  garir  de  la  froidure  de  l'air  quant  on  doit  chevalchier,  et 
valt  a  la  carteine  et  a  la  cotidienc  de  fleume  naturel  et  a  palazin  et  a  mélan- 
colie et  as  refroidiez  par  maladie  froide  et  dure  .j.  an;  par  .ij.  auz  n'est  pas 
de  si  grant  vertu. 

Suivent  d'autres  recettes  commençant  ainsi  (fol.  243)  : 

Piles  par  tôt  provées  a  la  dolor  del  chief,  se  la  dolor  et  li  max  avoit  tenu  a 
l'orne  par  .c.  anz.  Elcs  purgent  bien  totcs  humors  et  si  engendrent  leece  et 
si  tolent  tristece  et  si  aguiscnt  la  veùe  et  ostent  le  cornement  des  oreilles  et 
restorent  la  pensée  et  garde[nt]  le  mémoire  et  deffcndcnt  les  cheines  a  venir 
devant  ce  que  l'en  ait  aage  et  la  tenebror  des  ielz  qui  a  foiée  avient,  et  a  la 
foiée  trespasse  et  l'esvertin  et  la  gote  migraigne  sanent  et  garissent  ;  en  toz 
tens  purgent  les  denz  et  les  ielz  et  les  causes  des  mauveses  humors  et  tôt  le 
cors  et  le  sonement  des  oreilles  et  de  tote  humor  dellient  ;  eles  conferment 
(fol.  24]  h)  toz  aages,  as  enfanz,  as  meschiijs,  as  jovenceax,  as  homes,  as 
vielz  et  as  veillarz  qui  sunt  plus  vielz  les  porroiz  donner  seùremeut,  eles 
purgent  totes  humors  en  tôt  tens  et  en  toz  aages  ;  eles  valent  senz  moleste 
as  hotnes  et  as  femes. 

Voici  les  dernières  lignes  de  ce  recueil  de  recettes. 

(Fol.  244  b)  Medicine  crestiene  qui  vaut  a  restreindre  tote  raenoison,  de 
quele  manière  quelc  soit.  Reçoit  jus  de  cooinz  et  de  nèfles  et  de  pomes  et  de 
poires  et  de  cerises  et  de  prunes  et  de  cormes  et  de  (c)  cornoilles  et  de  sorbes 
et  d'alies  -  et  de  botons  d'aiglentier  et  de  botonier  et  de  toz  fruiz  qui  ne  soient 
pas  meùr,  et  autretant  de  l'un  come  de  l'autre.  Metez  toz  ces  jus  ensemble 
et  cuisiez  tant  que  il  boille  le  quart  d'une  liv[r]e,  et  puis  laissiez  raseoir,  et 
colez  le,  sisera  clers  come  vins,etde  cest  jus  prenez. vij.  livres  ou  .v.  et  metez 
.iij.  livres  de  çucreet  .j.  drame  de  sanc  de  dragon,  et  demie  drame  de  bolum 
armenicum,  et  .j.  once  de  dragagant  et  once  et  demie  de  gome  arable  et  .ij. 
drames  de  borrais,  et  cuisiez  une  onde  ou  .ij.  ou  .iij.  au  plus,  et  colez.  Puis 
cuisiez  et  faites  sirop  et  doncz  au  main  et  au  soir  simple  et  tede,  et  s'il 
ne  puent  recevoir  tede  et  simple,  mêliez  avec  tel  boivre  com  vos  voidroiz 
tant  del    boivre  come  del  sirop. 

13.  —  Constantin,  Traité  de  la  mélancolie.  —  Ce  traité  de 
Constantin  l'Africain,  moine  au   Mont  Cassin,   qui  a  composé 


1.  En  rouge. 

2.  Alies,  alises,  fruits  de  l'alisier. 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  203 

beaucoup  d'ouvrages  de  médecine  dans  la  seconde  moitié  du 
XI*  siècle,  est  fort  connu.  Il  a  été  imprimé  avec  ses  autres  écrits, 
plusieurs  fois,  notamment  dans  l'édition  de  1536.  On  en  con- 
naît aussi  plusieurs  manuscrits  '.  Mais,  ce  qui  est  pour  moi 
fort  étrange,  c'est,  d'abord,  que  la  rédaction  des  éditions  est  très 
notablement  différente  de  celle  des  manuscrits  ;  ensuite  que  la 
rédaction  française,  dont  je  transcris  un  échantillon  important, 
ne  correspond,  même  approximativement,  ni  aux  éditions 
ni  aux  manuscrits.  Je  citerai  cependant  en  note  quelques  lignes 
d'un  bon  ms.  latin,  le  ms.  Burney  216  du  Musée  britannique, 
qui  n'est  pas  proprement  le  commencement  du  texte,  mais 
qui  a  quelque  rapport  avec  celui  de  la  version  -. 

(Fol.  244  r)  Ci  comencc  li  livres  Costentin  des  mélancolies. 

Ici  comence  li  livres  Costentin  de  la  mélancolie.  Ce  qui  avient  as  melanco- 
lieus,  quelque  chose  que  ce  soit,  plus  longuement  lor  dure  que  as  autres  genz 
d'autre  complexion.  Quant  la  n:ielancolie  croist,  plus  et  plus  croist  ce  par  coi 
il  sont  tormenté,  si  come  tristece,  crieme  de  chose  qui  ne  fait  a  cremoir  et 

1.  Ce  n'est  pas  un  des  traités  les  plus  souvent  copiés  entre  les  écrits  de 
Constantin.  Je  citerai,  à  la  Bibl.  nat.,  le  ms.  latin  6988,  à  Laon  le  ms.  421, 
à  Londres  les  mss.  Burney  216,  Harley,  3098  (ms.  ayant  appartenu  à  J. 
Foucaut)  ;  à  Cambridge,  le  ms.  C.  M.  A.  (no4i  i  du  catalogue  de  M.  James). 

2.  (Fol.  95  (/)  One  siint  acciJentia  mclancoliœniin.  Accidentia  universalia 
melancolicis  qualiacumque  sint  sempiterna  sunt  eis,  sicut  tristicia,  timor  de 
re  non  timenda,  cogitatio  de  re  non  cogitanda,  certificatio  rei  terribilis  et 
timorose,  et  tamen  non  timeudc,  et  sensus  rei  que  non  est.  Vident  enim  ante 
oculos  formas  terribiles  et  timorosas,  nigras  et  similia,  sicut  vidit  quidam 
Diofus  in  passione  sua.  Videbat  nigros  homines  eum  interficere  volentes,  fistu- 
latores  quoque  et  cirabalatores  per  angulos  domus  sue  canentes.  Sunt  et  alii 
qui  putant  se  non  habere  caput,  talemque  Rufus  se  vidisse  testatur.  Fecit  ergo 
sibi  mitrani  plumbeam  ut  sentiens  gravitatem  hanc,  caput  se  putaret  habere. 
Alii  audiunt  quasi  aquas  currentes,  ventos  tempestuose  moventes,  voces 
timorosas  et  terribiles  in  auribus  suis  sonantes,  sonitus  neque  die  neque  noctc 
déficientes.  Que  tamen  omuia  sunt  falsa.  Alii  fetentia  odorant  omnia,  quia 
odoratum  habent  corruptum.  Alii  perdunt  saporem  ut  nuUum  cibum  saporent 
propter  saporis  corruptionem.  Alii  putant  se  esse  deceptos  sicut  putavit  figts  (?) 
\n  passione  ista.  Alii  corruptam  habent  imaginationem  et  rationem,  sicut  que- 
dam  passa  est,  in  ventre  se  habere  (/.  96)  autumans  serpentes.  Quam 
Galienus  se  vidisse  testatur.  Sunt  et  alii  qui  celum  fugere  se  putant,  timentes 
ne  super  se  cadat.  Q.ui  in  mente  cogitant  ut  Deus  quasi  celum  tenendo 
fatigetur  et  ita  super  munduni  cadcre  permittat.  .  . 


204  PAUL    MEYER 

sobtilleté  d'engin  (i/)  de  choses  qui  avenir  puent  et  qui  avenir  ne  puent.  Il 
voient  a  la  foiée  devant  lor  elz  formes  espoentablesetcremetouses  et  songent 
de  noires  choses,  et  a  la  foiée  voelent  aprendrc  a  déduire.  Aucun  i  a  qui 
cuide  qu'il  n'ait  point  del  chief  ou  d'autre  membre.  A  cels  doit  l'en  apeser 
le  chief  de  hiaume  de  plom  et  les  autres  membres  autres.  Li  autre  oent  toz 
jorz  autres!  corne  eve  encoste  lor  oreilles  ou  vent  ou  que  l'en  crie  ou  que 
l'en  urie,  et  li  sonemenz  ne  faut  ne  de  jor  ne  de  nuiz.  Li  autre  odorent  de 
puor  quan  qu'il  sentent.  Li  autre  perdent  la  savor,  que  riens  ne  lor  a  savor. 
Li  autre  cuident  estre  molt  plus  grant  et  plus  fort  et  plus  sage  que  il  ne  sunt. 
Li  autre  aiment  perece  et  pesance  et  estre  sol  en  leu  oscur.  Li  autre  aiment 
pranz  leus  et  granz  edifiz  et  leus  erbous  et  boschages.  Ycestes  mélancolies 
poez  conoistre  eu  tel  manière.  Quant  li  huem  a  esté  sages  et  il  a  esté  meurs 
et  discrèz  et  tenanz  et  avers,  et  il  devient  jolis  et  larges  et  revient  en  oevre 
d'enfant,  ce  [est]  signes  de  mélancolie.  Q.uant  il  a  esté  sains  entor  le  chief  et  il 
a  esté  hardiz,  et  puis  devient  malades  et  coarz,  c'est  signes  de  mélancolie.  Et 
totes  ces  espices  que  gc  (/.  24  j)  ai  desus  dites  sunt  de  mélancolie  qui  n'est 
pas  encorconfermée,  et  de  legier  puent  estre  gari,  plus  tost  qu'i  ne  puent  estre 
gari  li  melancolieu  qui  chient  en  plors  et  en  dolors  et  entristeces.  Carcil  ne 
puent  pas  puis  estre  gari  de  legier.  Ausi  com  il  avicnt  de  l'orne  ou  de  la  feme 
qui  petit  est  ivres,  qui  rit,  et,  quant  il  sunt  molt  yvres,  si  plorent.  Li  ivre  qui 
rient  sunt  plus  tost  desivré  que  cil  qui  plorent  ;  car  il  lor  covient  longuement 
dormir.  Autresi  avient  des  enfanz  de  iij  mois  ou  de  iiij,  si  rient  quant  il 
dorment,  car  lor  sanc  est  adonques  dolz  et  deboneres  et  norrist  doucement 
l'ame.  Après,  quant  li  sanc  devient  gros  ou  plus  chauz  ou  plus  froiz  qu'il  ne 
doiez  (i/c),  desiluec  en  avant  si  plorent.  Or  i  a  autres  melancolieus  qui  sunt 
plus  malade  a  la  foiée  au  comencemcnt  ou  au  definement  de  la  lune.  Icil 
chi[ecnt]  legier  en  epilcnsie  de  xv  anz  susé  a  xxv  ;  de  trente  anz  en  amont 
ne  puent  estre  tanz  avisonques.  Il  chient  de  legier  en  liepre  devant  la  fin. 
Icestes  maladies  desore  dites  avienent  sovent  quant  li  huem  est  conceûz. 
A  la  foiée  avienent  de  la  uorreture,  a  la  (b)  foiée  de  froidure  ;  a  la  foiée  de 
l'air  ;  a  la  foiée  de  la  diète,  si  come  de  char  de  buief,  de  fromage  sec,  de 
porées  d'aigruns,  et  de  sénevé  et  de  choses  qui  enflent  et  qui  donent  norris- 
sement  au  cors  et  del  boivre  trop,  et  de  ce  que  l'en  ne  cuist  pas  bien  sa 
viande  et  de  ce  que  les  humors  croissent  trop  qui  ne  sunt  pas  purgies.  Ice 
faut  li  premiers  livres  qui  devise  per  coi  l'en  prent  ces  maladies  et  que  s'en 
vient  est  assez  apertemcnt  esclariés. 

Le  premier  livre  de  cet  opuscule  occupe  un  peu  moins  de 
trois  colonnes.  Voici  le  début  du  second  livre,  qui  est  plus  long, 
parce  qu'il  contient  un  certain  nombre  de  recettes. 

(Fol.  34^  h)  Ici  comence  li  seconz  livres  de  la  medicine,  cornent  l'en  se 
doit   garder  de  ces  maladies,    et   qu'eles  ne  viegnent,  et  quant  eles  seront 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  205 

venues,  cornent  eles  doivent  estre  garies.  Se  li  cors  sunt  megre,  il  se  doit  tra- 
vaillier  de  l'engraissier  ;  se  il  veillent,  en  se  doit  travaillier  a  fere  dormir 
et  s'il  sunt  trop  gras,  et  il  ont  trop  humor,  en  la  doit  purgier.  S'il  sunt  en 
corroz  et  en  ire,  l'en  lor  doit  tolir  les  choses  qui  les  comoevent  et  enbatre  en 
leesce  et  en  déduit  ;  et  se  il  deviencnt  desvé  soudainement  par  les  cures  ou  par 
le  travail  ou  par  le  veillier,  raez  lorleschiés(r).  Après  prenez  lait  de  fenie(e)  et 
greine  de  pavot  et  roses  (et  roses)  et  violes  et  cuisiez  tôt  ensemble  avec  bon 
vin,  tant  de  l'un  corne  de  l'autre'  et  bâtez  en  un  mortier  quant  seront  cuites, 
et  estendez  sor  un  drap,  et  puis  li  metez  sor  le  chief  par  un  jor  ou  par  une 
nuit  ;  et  sin'est  gariz,  si  fêtes  autreet  li  metez, et  tantluimetez  qu'il  soit  gariz. 
Ordenez  li  sa  diète  de  saines  viandes  qui  tost  soient  cuites  :  de  polèz,  de  per- 
driz,  de  char  de  porc,  de  legier  pain,  de  cler  vin,  d'amandele,  de  ris,  de  gruel, 
de  poisson  frès  a  escherde  ;  dormir  doivent  a  ore  et  veillier  a  ore,  et  travail- 
lier d'aler  ou  de  chevauchier  devant  mangier,  et  après  estre  en  repos.  Totes 
les  choses  qui  as  cors  lor  covienent  soient  atemprées  et  atempreement  en  prei- 
gneut,  ne  trop  ne  pou.  As  devez  et  as  irous  profite  gésir  a  feme,  car  il  abaisse 
la  forsenerie,  si  com  vos  veez  des  bestes  qui  sunt  esmeûes  de  luxure  et  de 
desverie,  quant  il  ont  conceû  et  engendré,  si  sunt  apaié,  car  li  sans  qui  ert 
esboliz  et  eschaufez  et  -  purgiez.  As  autres  ne  valt  pas  gesirs  a  feme.  Nos 
avons  dit  cornent  ces  maladies  (d)  seront  destorbées,  que  eles  ne  viegnent  fors 
de  la  seinniée,  sor  tote  rien  devez  garder  que  la  seingniée  ne  soit  trespassée, 
mes  soit  gardée,  et  soient  sovent  sainnié  selonc  l'aage  et  selon  la  force  que 
il  ont.  Dès  ici  en  avant  vos  dirons  les  medicines  par  coi  tote  mélancolie  est 
purgiée,  et  li  melancolieus  purgié. 

La  première  medicine  qui  purge  noire  cole  et  qui  valt  as  melancolieus  et 
as  epilentiques  de  mélancolie.  Reçoit  epitim,  satïran,  ellebre  blanc  et  noir, 
dechascun  .j.  drame... 

Ces  recettes  sont  au    nombre   de  trois.    Voici   la    dernière 
recette  : 

{Fol.  246  c)  La  treizisme  medicine  :  reçoit  aniz,  anet,  reubârbe,  agaric, 
dechascun  .v.  drames  ;  faites  en  poudre  et  niellez  les  avec  .v.  onces  de 
gerapigre  '  et  faites  piles  de  la  groisse  d'un  gros  pois,  et  donez  en  .ij.  foiz  la 
semaine  au  soir  en  niules  .v.  ou  en  oès  mous,  avec  aucun  sirop  qui  a  esté 
diz  devant. 

Ici  faut  li  livres  de  la  mélancolie. 


1.  Ms.  cotiie  de  Tuii  corne  de  rautre. 

2.  Corr.  est. 

3.  Electuaire  relevé   dans  Godefroy.   Yera  pii^ra  de  VAiilidolaiir   Nicolas 


(p.  j6). 


206  PAUL    MEYER 

14.  —  Traité  sur  les  maladies  des  femmes  par  Trotula.  — 
Trolnla  est  le  nom  réel,  ou  imaginaire,  d'une  savante  dame  qui 
passe  pour  avoir  composé  deux  traités  à  l'usage  des  femmes  : 
l'un  sur  les  maladies  qui  leur  sont  propres  Qie  passionihiis  mulie- 
rum,  communément  Trotula  major'),  l'autre  sur  la  manière 
de  soigner  leur  peau,  leurs  cheveux,  leurs  dents  (De  ornatu 
miilieriim,  ou  Trotula  minor). 

Ces  opuscules  se  rattachent  certainement  à  l'École  deSalerne, 
et  ne  paraissent  pas  antérieurs  au  xi'  siècle'.  Ils  eurent  beau- 
coup de  succès  :  on  en  connaît  un  grand  nombre  de  copies,  du 
xii'^  siècle  au  xv^  Au  xvi'=  siècle,  le  principal  traité  de  Trotula  fut 
imprimé  trois  fois.  Dans  la  seconde  moitié  du  xiii=  siècle  et  au  xiv%' 
le  même  écrit  a  été  traduit  ou  abréo;é  en  français,  en  vers  et  en 
prose.  Il  y  a  toute  une  petite  littérature  médicale  dont  l'étude 
serait  intéressante,  mais  on  ne  pourra  pas  la  pousser  très  loin, 
tant  qu'on  n'aura  pas  fait  une  édition  critique  des  traités  latins 
de  Trotula.  Les  trois  éditions  du  xvi*  siècle  sont  sans  utilité  : 
elles  répètent  un  même  texte,  qui  a  été  fortement  remanié  en 
vue  de  l'impression.  J'ai  eu  l'occasion,  il  y  a  dquze  ans,  de 
dire  quelques  mots  sur  ces  écrits  latins,  à  l'occasion  de  deux 
traités  en  vers  français  sur  les  maladies  des  femmes  conservés  à 
Cambridge^.  Présentement  je  me  bornerai  à  citer  quelques 
passages  de  la  version  en  prose  que  renferme  le  manuscrit 
dont  il  est  question  en  ce  moment'. 


:.  Voir  S.  de  Renzi,  Collectio  Salcniitaiia,  I,  149,  1 11,  327. 

2.  Roniania,  XXXII,  87,  269-271. 

3.  A  la  fin  la  version  est  beaucoup  plus  ample  que  le  texte  latin.  Afin  de 
venir  en  aide  à  ceux  qui  auraient  la  pensée  d'étudier  et  d'éditer  le  texte  latin  de 
Trolnla,  je  vais  enregistrer  ici  les  manuscrits  que  j'en  connais. 

Cambridge,  Univ.,  DD.  11-45. 

—  Trinity  Coll.  R.   14.  30,  fol.  187.  Cf.  Romaiiia,  XXXII,  269. 

Glasgow,  Huntcrian  Muséum,  I.  8.  5  du  Catalogue  (Glasgow,  1908). 
Londres,  Musée  brit.,  Roy.   12.  B.  XII,  fol.    88  (xiiic  s.). 

—  —  —  12.  E.  VII,  fol.   199  (xyes.). 

—  —  Harl.    3407  (xve  s.). 

—  —  Sloane    783  (xv^  s.). 

—  —  —     1124  (xni'"  s.). 

_  _  —     161 5  fol.  88  (xme  s.). 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  207 

(Fol.  246  d)  Quant  Dex  nostre  Seignor  out  le  mund  estoré  sor  tote  créa- 
ture, si  fist  liome  raisnable,  puis  li  dona  seignorie  de  totes  terrienes  choses. 
Si  conmanda  a  creistreet  a  molteplier,  et  establi  que  des  deus  vendreit  letierz, 
et  del  cors  del  home,  qui  plus  est  de  chaude  nature  et  de  sèche,  istreit  li 
semenue,  et  la  feme,  ke  plus  est  de  freide  nature  et  de  mole,  la  recevreit,  et 
par  l'atemprement  del  chah  et  del  freit  et  del  sec  et  del  moiste  creistreit  li 
enfes.  Ices  quatre  choses  sunt  necessaire[s]  as  herbes  et  as  arbres  et  as  blez.  Mais, 
pour  ce  ke  les  femes  sunt  de  plus  fieble  qualité  ke  li  orne,  et  ount  greignor 
travail  d'enfant,  pour  ce  lor  avieneut  plusors  enfermetez  ke  as  homes,  et  mai- 
esmement  a  cels  membres  qui  a  l'engendreûre  apertienent.  Et  pour  ce  que 
femes  sunt  plus  huntoses  de  dire  lor  enfermetez  as  homes  ne  as  femes,  si  lor 
faz  icest  livre  en  language  ke  eles  l'entendent,  que  les  unes  sachent  les  autres 
aidier.  Bien  sachent  que  je  i  met  del  mielz  ke  lor  besoigne  a  lor  enfermetez, 
que  je  ai  trouvé  des  diz  Ypocras  et  Galien  et  Costentin  et  Cleopatras  ',  et 
ici  troveront  dont  li  mal  (Jol.  24^)  vicnent  et  comant  porront  guarir. 

Pour  ce  ke  feme  n'a  mie  tant  de  chalor  en  soun  cors  ke  puisse  desechier 
les  maies  humor  ki  al  cors  abondent,  ker  ne  pueent  grant  travail  endurer,  ke 
par  suor  les  en  gette  come  fait  li  home,  si  li  a  nature  establi  un  espurgement 
ke  l'on  apele  Hors,  pour  ce  k'ele  ne  puet  concevoir  sanz  ice  plus  que  li  arbres 
fruit  porter,  se  ciuz  ne  florist.  Icest  espurgement  avient  a  la  feme  altresi  coni 
al  home  avient  pollucion  pour  habundance  des  humors,  et  natu[r] élément 
quant  ele  a  quatorze  anz,  et  a  la  fiée  selonc  ce  ke  ele  est  plus  chaude,  a  treze 
anz  ou  a  doze.  Si  dure  a  feme  megre  desk'a  cinquante  anz,  et  a  la  fiée  desk'a 


Montpellier,  Faculté  de  Médecine,  3,  7,  fol.  i. 

Naples,   Bibl.    roy.,  manuscrit  cité    par  S.  de    Renzi,  Coll.  Salem.,  IV, 
585. 
Oxford,  Bodl.,  Ashmole  399,  fol.  Si. 

—  —  —  1427,  fol.  29. 

—  —       Digby,  29,  fol.  278. 

—  —       Rawlinson,  C,  206,  fol.  146. 

—  —       Merton,  230,  fol.  11. 

—  —  —  324,  fol.  94. 

—  — ■       New  Collège,   171,  fol.  74. 

—  —       Magdeleine,  164,  fol.  240. 
Paris,  Bibl.  nat.  latin,  708,  fol.  226. 

—  —  7056  (voir  Roinania,  XXXII,  88). 

—  — •  16191,  fol.  207. 

—  N.  acq.  lat.  603. 
Reims,   1002,  fol.  251. 

—  1004,  fol.   153. 

I.  Sur  cette  Cleopatra,  voir  Ro)!iati!a,  XXXII,  87,  note  5. 


208  PAUL    MEYER 

seisante,  a  la  meiene  desk'a  quarante,  a  la  molt  grosse  desk'a  trente  et  ciuc. 
S'eles  les  a  droiturelment,  ke  trop  ne  pou  n'i  ait,  si  en  issent  les  maies 
humors  dcl  cors.  Se  ce  noun,  si  en  issent  et  naissent  plusor  enfermetez,  ke.  a 
la  fiée  en  pert  la  feme  soun  talent  dcmangier  et  de  boivre,  et  si  a  voucheison 
c  a  la  fiée  dcsiure  mangier  de  creie  ou  do  charbon  ou  ce  ou  altre  desnaturel  chose. 
A  la  fiée  lor  avient  (b)  dolor  al  cuer  et  al  dos  et  al  chief  et  as  oiiz,  et  a  la  fiée 
fièvre  agùe.  Ices  enfermetez  avienent  quant  la  feme  pert  longuement  ses  flors 
za  la  fiée  ou  corps  oouydropisie  ou  dissivre  (sic)  la  les  pert  ele  del  tout  ou  la 
meneison  l'en  vient  a  la  fiée  pour  ce  que  la  marriz  est  desnaturée  z  refroidiée, 
et  a  la  fiée  de  ce  ke  les  veines  de  la  marriz  sunt  grailcs  come  orent  les  grailles 
femes  z  ke  les  humors  n'ont  veie  par  quoi  eles  puissent  passer,  et  a  la  fiée  de 
ce  que  les  humors  sunt  espesses  z  engluées  et  ne  pueent  cissir  ;  ou  pour  ce 
que  femme  manjue  poe,  et  mult  e  murt  ne  deit  mie  aveir  grant  planté  de 
flors.  Mais  celé  qui  mult  manjue  et  pou  travaille,  celle  en  a  moult  z  par 
droit,  s'ele  seine  deit  estre... 

(Fol.  24S  h)  Altre,  ke  Liuns  li  mires  fist  a  la  reine  de  France  '  :  gingivre  et 
fucille  de  lorier  et  de  savine  tribla  on  petit,  si  les  mit  en  .j.  pot  sor  le  char- 
bon vis,  z  ele  sist  sor  une  sele  perciée,  kc  li  funs  vint  a  la  naisance  (c),  si 
en  ot  asez  ;  mais  l'on  se  doit  bien  couvrir  de  dras,  et  les  cuisses  que  li  funs 
viengne  a  la  naisance.  Et  ki  sovent  fait  iceles  estuves,  si  li  besoigne  oindre  sa 
naisance  dedenz  d'uile  rosat,  k'ele  ne  s'eschaufe  trop.  Icest  cstuve  rest  bone  a 
faire  de  canele  et  de  anet  et  de  flambeie  et  de  nepite  et  de  calament  et  de 
mente  ou  ensemble  ou  de  quel  que  soit  par  soi.  Garses  valent  moult  et  allant 
d'ome  ^  et  la  seigniée  de  la  main  i  nuist.  Oignons  et  porez  et  eschaloignes 
et  senve  et  poivre  et  comin  [  et]  alz  et  cerfoil  et  poisson  de  eve  corante  od 
cscherdcs  et  od  blanche  char  sunt  bon  a  mangier.  Li  forz  vins  blans  est  bons 
a  boivre,  se  la  feme  n'a  fièvre  ne  dolor  del  chief,  ker  a  toute  fièvre  est  li  vins 
malvès. 

(Fol.  248  c)  Ce  ke  la  feme  a  trop  de  ces  flors  apele  l'on  fltixum  saiiguinis, 
selon  latin,  et  en  romanz  le  puet  l'on  apeler  sorondement  de  sanc.  Ice  avient 
a  la  fiée  de  ce  ke  les  veines  de  la  marriz  sunt  overtes.  A  la  fiée  crievent  les 
veines,  et  ce  est  quant  li  sanc  est  (</)  hastivement  roges  et  clers  et  a  la  fiée 
de  ce  ke  la  feme  a  coilli  trop  nou(?)  de  trop  mangier  et  de  boivre  et  de  trop 
grant  repos,  si  nel  puet  li  cors  retenir... 

(Fol.  2)2  d)  Si  coni  Ypocrcs  dit,  alquantes  femes  ne  pueent  enceiutier  por 


1.  Dans  d'autres    versions,  il  s'agit    d'un  médecin  «  de  Lions  »  et  d'une 
région  (et  non  d'une   reine)    de  France;    cf.   Roiiiania,   XXXII,  90,  n.  i. 

2.  Ahant  cVome,  qui  traduit  le  lat.  coitus,  manque  dans  Go<\ç.iroy  ;  garses 
traduit  scarificatio. 


MANUSCRITS    MÉDICAUX    EN    FRANÇAIS  209 

ce  que  trop  sunt  graisles  et  maigres  et  alquantes  por  ce  ke  trop  sunt  crasses 
et  ont  la  bouche  de  la  marriz  estraite,  ke  la  semence  n'i  puet  entrer.  Al- 
quantes ont  la  marriz  si  esluant  k'eles  ne  pueent  retenir  la  semence.  A  la  fiée 
avient  ice  ke  home  a  trop  retue  '  semence  et  por  ce  ne  la  puet  la  marriz  retenir. 
Et  alquanz  homes  ont  la  semence  et  les  coiz  (?)  de  froide  nature  et  de  sèche, 
si  ke  cil  n'engenderront  ja.  Ki  velt  esprover  ke  la  feme  est  barhaigne  ou  por 
l'enfermeté  del  home  ou  de  la  feme,  prenge  deus  poçons,  se  mete  bren  en  chas- 
cun,  si  mete  de  la  dace  al  niasle  en  l'un,  od  le  bren,  et  de  la  dace  a  la  famé 
en  l'autre,  se  les  faist  l'on  ester  une  semaine  ou  quinze  jourz,  et  se  la  barhaniece 
devient  de  la  feme,  donc  trovera  l'on  en  la  dace  et  el  bren  verinez,  et  si  la  tro- 
vera  l'on  pulant  et  altresi  del  masle  se  por  lui  est  ke  la  feme  ne  porra  conce- 
voir, et  se  nul  d'cls  n'a  signe  de  barhaignece,  donc  lor  porra  l'on  aidier  par 
mecines  (c)  ke  il  avront  enfanz . 

Voici  la  fin. 

* 

{Fol.  2)2  (T)  Selonc  ice  ke  Galien  dit  en  ses  livres,  altresi  s'est  li  enfes 
el  ventre  a  la  feme  com  li  fruiz  en  l'arbre  ;  ker  li  fruiz  est  primes  tendres  et 
feibles  et  legierement  chiet  ou  pour  vent  ou  pour  de[se]chement  ;  mais  quant 
il  i  a  alques  esté  et  alques  est  creûz  d'une  aferme  et  plus  en  chiet,  et  quant 
il  est  bien  meure,  dont  chiet  sanz  vent,  et  sanz  ce  ke  l'on  nel  toche.  Altresi 
est  de  l'enfant  :  quant  la  marriz  a  receu  la  semence,  donc  est  ses  aliemenz 
fiebles,  si  ke  il  en  chiet  legierement  ou  par  saillir  ou  par  escrillier  ou  par 
choier  ou  per  menoison  ou  per  seignie  ou  par  grant  travail  ou  par  ire  ou 
par  duel.  Par  totes  icez  choses  pert  feme  legierement  son  enfant  quant  il  est 
engendré  novelement  ;  mais  quant  ele  l'a  auques  porté  et  li  enfes  est  vis,  ele 
nel  pert  mie  si  legierement.  Ypocras  dist  que  se  feme  enceinte  a  besoigne  d'es- 
purgier  soi  ou  de  seignier,  qu'en  ne  li  doit  faire  [avant]  .iiij.  mois  ne  après  le 
setme  mois,  mais  entre  ces  si  li  fitce  l'on  (fol.  2/^)  mesurablenient  selon  ce 
k'ele  porra  souffrir,  ettotes  feies  odpoor.  Quant  la  feme  est  premièrement  en- 
ceinte, ce  ne  li  doit  l'on  amembrer  mangier  k'ele  ne  puisse  avoir  ne  trover,  ker 
meintes  en  perdent  lor  enfanz,  porce  k'eles  ne  pueent  avoir  ce  k'eles  desirrent. 
S'ele  desir[e]  a  mangier  creie  ou  argill,  si  li  doint  l'on  mangier  sucre,  od  -  fèves 
tostées,  s'ele  desirre  rien  k'ele  on  3  puisse  avoir,  si  li  doin  sel  vu.  Q.uant  ele 
aprisme  a  son  temps  d'enfante[r],  donc  se  doit  ele  sovent  baignier  ;  si  li  est 
bon  oindre  son  ventre  de  oil  d'olive,  si  li  doint  l'on  a  mengier  legieres  viandes 
et  solubles.  Se  li  pié  li  enflent,  si  oigne  d'eve  rose  ou  de  aiscil.  Après  son 
altre  mangier  li  doint  l'on  cooinz  et  parmainz  et  pomes  grenates.  S'el  enfle 

1.  Corr.  retenue. 

2.  Corr.  ou. 

3.  Corr  e>i. 

Romanla,  XLIV.  I4 


210  PAUL    MEYER 

et  vent  coilt  trop  dcdenz  li,  si  prenge  la  semence  d'ache  et  de  fanoil,  anieos, 
gengembre,  de  chascune  iiij  ;  et  de  mastic  et  de  girofle  et  de  cardamoimne  et 
de  garance,  la  racine  de  chascun  iij.  deniers  pesant,  et  de  canel,  de  noiz 
muscade,  de  castoire,  de  zedaur,  de  racine  de  glaise,  de  chascun  deus  deners 
pesant  ;  de  çucre  .V.  onces  etQ>)  face  l'on  delgiée  poldrée,  sil  mcte  l'on  ovec 
miel  cuit  tant  que  asez  en  i  ait;  si  l'en  doint  l'on  .j.  onces  en  vin  ;  iceste 
mecinc  toit  l'avortier  et  la  vcntosié  quant  feme  est  venue  a  tens  d'avoir  enfant. 

15.  —  Collyres  et  recettes  diverses  : 

.].  Colire  a  ostcr  tote  rogeur  d'euz. 

.i).  Colire  a  esclarcir  les  eulz  et  oster  lachacie. 

.iij.  Colire  a  oster  rogeur  des  elz  et  a  esclercir. 

.iiij.  Colire  a  oster  rogeur  z  humors  d'euz. 

.V.  Colire  a  ce  meïsmes. 

.vj.  Colire  a  oster  la  telle  la  maale  rogeur. 

.vij.  Colire  a  eulz. 

.viiij.  Herbe  pourladolor  del  chief  est  bon  as  euz. 

.ix.  Experiment  pour  le  félon  ou  por  le  bon. 

.X.  Experiment  contre  collique  passion. 

.xi.  Experiment  contre  le  mal  Saint  Leu 

.xij.  Experiment  a  ce  meïsmes. 

•xiij.  Experiment  a  ce  meïsmes. 

•xiiij.  Experiment  a  ce  meïsmes. 

.XV.  Autre. 

.xvj.  Experiment  a  garir  de  chancre. 

.xvij.  Por  eschaufeùre  de  boche. 

.xviij .  Por  chancre  qui  est  el  membre. 

.xix.  Experiment  a  fièvre  quarte. 

.XX. Experiment  a  fièvre  tierce. 

.xxj.  Experiment  a  ostcr  tote  leide  tache. 

.xxij.  Expérimenta  garir  de  poraix  messeanz. 

.xxiij.  Oignement  a  dertres  z  a  roigne. 

xxiiij.  Autre  por  dertres. 

.XXV.  Por  sirons  oster. 

.xxvj.  Oignement  a  totes  gottes . 

.xxvij.  Autre. 

.xxiij.  Oignement  contre  mort  mal. 

.xxix.  Autre  por  faire  venir  la  char. 

.XXX.  Oignement  a  gotte  rose. 

.xxxj.  Oignement  a  totes  plaies. 

.xxxij.  Poisons  por  plaie. 

.xxxiii.  Por  dolor  del  chief. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  211 

.xxxiiij.  Emplastre  por  apostume. 

.XXXV.  Autre. 

.xxxvj.  Autre. 

.xxxvij.  Por  estanchier  sanc  del  nés. 

.xxxviij.  Por  menoison. 

.xxxix.  Por  festre.     . 

.xl.  Autre. 

•xlj.  Autre. 

.xlij.  Por  pointure  sor  nerf. 

.xliij.  Por  estanchier  feme  de  ses  flors. 

.xliiij.  Por  faire  venir  maladie  a  feme. 

.xlv.  Por  le  fi  del  fondement. 

.xlvj.  Por  les  denz. 

Voici  les  deux  premières  de  ces  recettes  : 

j  :  C'est  H  colires  qui  vaut  a  garir  de  rogeur  qui  est  es  elz.  L'en  prent 
1/2  once  de  calamine  blanche  z  la  met  l'en  par  .ix.  foiz  el  feu,  tant  qu'ele  soit 

...  z  a  chascune  foiz  qu'ele  est  rogel'en  estaint  en  vin  blanc,  z  quant  ele  a 
esté  estainte  par  .ix.  foiz  l'en  en  fait  poudre  s  bat  l'en  .iij.  grains  de  baie  avec, 
z  quant  ces  .ij.  choses  sont  bien  batues  et  bien  ((/)  déliées,  les  coule  [en]  par 
cendé  ou  par  teile  fort,  z  de  celé  poudre  l'en  prent  le  pesant  de  iij  deners  z 
la  bout  l'en  en  une  chopine  de  très  bon  vin  blanc  z  la  lesse  l'on  bolir  une 
bone  onde  z  puis  si  le  lesscFen  reposer  un  jor  z  une  nuit  et  puis  le  coule 
l'en  z  le  garde  l'en  en  une  fiole  pour  les  elz  et  ce  soffist  a  oster  la 
rogeur. 

.ij.  C'est  uns  colires  a  esclarcir  les  eulz  et  a  oster  le  chacie.  L'en  met  des 
freses  porrir  en  .j.  bacin  d'arain  par  .iij.  jorz  et  par  .iiij.  nuiz,  tant  qu'eles 
soient  bien  porries,  et  puis  en  soit  trez  li  jus  parmi  .j.  fort  drapel,  et  praingne 
l'en  les  iiij.  parz  de  cel  jus,  et  la  quinte  part  de  miel  et  soient  meslez 
ensemble  et  puis  soient  bolis  tant  que  il  ne  demort  que  la  moitié  de  tout, 
et  soit  gardé  por  les  eulz,  car  il  oste  la  maalle  et  la  teile  des  eulz,  et  l'eve  des 
freses  meïsmes  fête  en  fornel  valt  as  eulz. 

Voici  les  quatre  dernières  : 

(Fol.  2sS  c)  xliij.  Por  estanchier  famé  de  ses  flors,  prenez  de  la  corne  del 
cerf  et  Lardez  et  en- faites  poudre,  et  la  boive  la  feme  en  vin  tiède,  si  estan- 
chera. 

xliij.  Por  faire  venir  la  maladie  a  la  feme  quant  ele  ne  la  puet  avoir,  prenez 
une  poigniée  de  garance  et  une  poigniée  d'ermoise  et  demie  (d)  poigniée  de 
savignier  et  faites  bolir  en  vin  blanc.  Puis  prenez  de  la  poudre  d'une  herbe 
que  Lon  apele  ditan,  plaine  cuillier  d'argent,  et  faites  destcmprer  du  vin 
ou  ces  herbes  seront  cuites,  etdonez  a  boivre  a  la  famé  a  geiin. 


212  PAUL    iMEYER 

xlv.  Por  estanchier  (ici  û  del  fondement,  prenez  farine  del  seigle  et  del 
jus  del   rainanes  (sic)  et  en    faites  .j.    gastel  et   le  metez  cuire  el   feu   et  le 


mangiez. 


m. 


xlvj.  Pour  les  denz,  raez  la  corne  del  cerf  et  la  turc  '  metez  cuire  en  v 
et  de  cel  vin  tenez  en  vostre  boche  a  plus  chaut  que  vous  porrez. 

16.  — Contenu  des  foi.  1-2 ). 

D'abord,  aux  ff.  3  à  5  une  table,  à  deux  colonnes,  à  trente- 
six  lignes  par  colonne,  qui  se  rapporte  aux  traités  que  nous 
venons  d'étudier.  Il  paraît  bien  que  cette  table  a  été  écrite  par  le 
copiste  du  manuscrit.  Elle  n'est  pas  parfaite  :  l'auteur  n'a  pas 
bien  distingué  les  traités.  Aux  feuillets  3  à  ^  \°,  nous 
trouvons  la  liste  du  Régime  du  Corps,  en  189  chapitres. 
Les  divisions,  qui  ne  correspondent  pas  très  bien  à  celles  du 
texte,  sont  en  outre  écrites  en  marge  dans  le  texte.  Vient 
ensuite  une  suite  des  chapitres  qui  s'étendent  du  n°  i  au  n°  139, 
Vordenance  de  médecine  et  de  diète,  et  le  dernier  Turhie  -.  Ce 
sont  les  articles  que  nous  avons  signalé  du  fol.  82  au  fol.  à 
108. 

Aux  feuillets  6  à  16  est  écrite  la  suite  de  la  table,  mais  d'une 
écriture  notablement  plus  récente  ;  elle  est  à  longues  lignes 
jusqu'au  fol.  14  r°.  L'auteur  de  cette  table  était  visiblement 
picard.    Voici    les    premières  lignes  : 

Geste  table  ensuit  après  le  capitre  de  Turbie,  commenchant  en  capitre 
d'Aloen  ...  et  des  maladies  et  cures  dont  il  se  trete  ci  fait  mention  es  autres 
d'au-devant,  comme  il  appert  par  le  nombre  des  celles. 

Cette  table  est  en  partie  méthodique,  ce  qui  n'est  pas  très 
habituel  dans  les  tables  du  moyen  âge.  Ainsi,  fol.  i  r  r°  : 
«  Contre  le  flarour  de  la  bouche,  461,  890,  947,  959  '  ».  Et 
en  effet,  on  trouve  un  chapitre  «  contre  la  flairorde  la  boche  », 
au  fol.  I2J  b;  un  chapitre  «  contre  la  puorla  boche  et  la  por- 


1 .  Corr.  la  [ra]liire  ? 

2.  A  la  suite  (au  bas  du  fol.  5  verso)  on  lit  les  titres  des  chap.  140  à  143, 
mais  cette  table  recommence  au  f.  6,  comme  on  va  voir. 

3.  Je  remplace  les  chiffres  romaiiis  par  des  chiffres  arabes. 


MANUSCRITS    MEDICAUX    EN    FRANÇAIS  21 3 

retiire  des  gencives  et  des  denz  »  au  fol.  151^;  un  chapitre 
«  Por  la  flairor  de  la  boche  »  au  fol.  155  c;  un  chap.  «  Contre 
la  flairor  de  la  boche  qui  vient  de  la  fumosité  del  ventreil  », 
fol.  157.  Évidemment  cette  table  n'est  pas  si  rigoureusement 
méthodique  que  celles  qu'on  fait  maintenant,  mais  elle  l'est 
toutefois  d'une  manière  intelligente.  Voici  quelques-uns  des 
titres  des  traités  : 

Fol.  13  vo  :  «  Ici  après  commenche  le  livre  de  la  recepte  de  l'Antidotaire 
Nicholum  {sic),  commenchant  Aurea  Alexandrine  ;  après  met  remèdes  contre 
moult  de  maladies.  1602  »  (Cf.  fol.  223  du  ms.). 

Fol.  14:  «  Ici  commenche  le  livre  Costentin  des  mélancolies  et  des  remèdes 
1741.  (cf.  fol.  244  c). 

Des  maladies  qui  aviennent  es  famez  pour  effanter  et  de  leurs  fleurs  et  les 
remèdes  commenchent  :  Q.uant  Dieu  nostre  seigneur,  etc.  1756  (Cf.  fol. 
246  d). 

Fol.  14  vo  :  «  Ci  commenche  la  table  du  livre  appelé  Circa  instans,  c'est 
assavoir  les  herbes,  fleurs,  arbres,  gommes,  racines,  etc.,  contenues  en  ycelui. 
Aloen  140  (cf.  fol.  108), 

J'ai,  moi  aussi,  qualifié  cet  ouvrage  Circa  instans,  mais  ce  titre 
n'est  pas  donné  dans  le  texte  et  les  plantes  ne  sont  pas  présentées, 
comme  dans  le  latin  ou  dans  les  traductions,  en  ordre  alpha- 
bétique ;  mais  ici  la  table  est  rétablie  conformément  à  la  dispo- 
sition originale,  c'est-à-dire  approximativement  en  ordre  alpha- 
bétique, sur  deux  colonnes. 

Ce  qu'il  faut  critiquer  dans  cette  table,  c'est  que  l'auteur  ne 
connaissait  pas  très  bien  le  sujet  de  certains  ouvrages.  Ainsi  il 
connaissait  mal  la  Chirurgie  de  Roijer  de  Salerne  :  il  classe 
médiocrement  les  matières  de  cet  ouvrage  d'après  les  rubriques, 
mais  il  n'en  indique  ni  l'auteur  ni  le  titre  général. 

Aux  ff.  18-22  il  y  a,  de  la  même  écriture,  une  table  alphabé- 
tique, en  latin,  des  simples,  avec  des  explications  qui  sont  sou- 
vent en  français.  Il  n'y  a  pas  de  renvois.  Cette  table  a  beaucoup 
de  rapport  avec  VAlphita  (dans  la  Coll.  Salernit.,  III,  272). 

Amidun,  ex  frumento  et  aqua. 

Antimonium  vena  terre  est,  métallo  assimilatur. 

Ambra  dicitur  esse  sperma  ceti . 

Arthemisa,  mater  herbarum. 

AfFodillus,  centum  capita.  Idem,  herba  est  similis  foliis  porrorum. 


214  P^UL    MEYER 

Atriplex,  arroches. 

Absintium,  aliène  '. 

Archa  anglica,  aquilea.  Idem,  herbe  appelée  les  .v.  dois  Nostre-Dame. 

Acacia,  aquaticum,  c'est  jus  de  purneles. 

Accetosa,  c'est  surele... 

Enfin,  aux  ff.  i,  2,  7  v°,  22  v°  et  23  r°  et  \°,  on  a  écrit, 
d'une  grosse  écriture  du  xvi^  siècle,  une  suite  de  recettes  fran- 
çaises. 

Paul  Meyer. 


I.  Sic,  pour  aJoeiie,  c.-à-d.  aluine. 


FRAGMENTS    DE    MANUSCRITS    FRANÇAIS 
TROUVÉS    EN   SUISSE 


FRAGMENTS    D  UNE    CHANSON    DE    GESTE   PERDUE 

Aux  archives  de  Genève,  l'avant-dernier  hiver,  un  habitué, 
maniant  un  des  gros  volumes  de  la  série  manuscrite  des  Titres 
et  Droits  de  la  Seigneurie,  remarqua  un  onglet  où  se  lisaient  des 
vers  français  en  caractères  gothiques.  Mis  en  éveil  par  cette 
trouvaille,  le  commis  des  archives,  M.  Roch,  explora  les  autres 
volumes  de  la  série  et  découvrit  un  second  onçlet  se  raccor- 
dant  exactement  au  premier.  Ces  deux  bandes  de  parchemin, 
qui  mesurent  ensemble  1 1  centimètres  de  hauteur  sur  29  de 
longueur,  ont  dû  être  découpées  par  un  relieur  du  xvi''  siècle 
dans  la  partie  supérieure  d'une  feuille  enlevée  à  un  manuscrit 
perdu.  Chacun  des  deux  feuillets  ayant  14  centimètres  1/2  de 
large,  on  peut  supputer  qu'il  manque*  environ  la  moitié  des 
quatre  pages,  écrites  sur  une  seule  colonne.  L'écriture  est  de 
la  fin  du  xiii^  ou  du  commencement  du  xiv^  siècle,  au  juge- 
ment de  MM.  Hippolyte  Aubert  et  Arthur  Piaget. 

Ce  sont  des  alexandrins,  rimes  en  laisses  monorimes.  Au 
recto  et  au  verso  du  premier  feuillet,  des  initiales  au  vermillon, 
rehaussées  d'azur,  marquent  le  début  de  deux  laisses.  De  cha- 
cune des  deux  premières  pages  il  subsiste  dix-sept  vers,  dont 
les  ciseaux  n'ont  que  légèrement  entamé  le  dix-septième.  Au 
travers  du  second  feuillet,  ils  ont  tranché  sur  chaque  flice  un 
dix-huitième  vers,  qui  néanmoins  se  lit  encore  aisément  au 
verso,  mais  dont,  au  recto,  l'on  ne  distingue  plus  que  des  som- 
mets de  lettres  illisibles  et  les  deux  derniers  mots.  Il  y  a  donc 
en  tout  soixante-dix  vers,  dont  trois  sont  incomplets.  La  copie. 


2l6  ERNEST    iMURET 

sans  trop  de  fautes,  offre  plusieurs  traits  du  dialecte  picard  ;  et 
la  forme  no,  attestée  par  la  mesure  au  vers  3  du  premier  frag- 
ment, donne  à  penser  que  l'auteur  était   de  la  région  picarde. 

Du  premier  coup  l'on  reconnaît  une  chanson  de  geste  ;  à  un 
examen  plus  approfondi,  une  version  inédite  de  la  Destruction 
de  Rome,  fort  différente  de  celle  du  manuscrit  de  Hanovre'.  Les 
noms  propres,  la  plupart  écrits  en  abrégé,  se  laissent  tous,  hor- 
mis celui  du  traître  Haguenon,  identifier  avec  des  personnes  et 
des  lieux  nommés  dans  la  Destruction  ou  dans  Fierabras-.  A  la 
rigueur,  ce  pourrait  être  la  chanson  résumée  par  Philippe 
Mousket;  mais  je  doute  fort  que  ce  soit  la  chanson  primitive, 
résumée  et  continuée  dans  Fierabras,  à  laquelle  G.  Paris  a 
donné  le  nom  de  l'amiral  Balau.  A  en  juger  par  la  langue  et 
la  versification,  nos, fragments  ne  sont  pas  plus  anciens  que 
Fierabras,  et  la  grande  vogue  de  ce  poème  ne  permet  guère  de 
supposer  qu'une  version  antérieure  et  divergente  s'en  soit  con- 
servée jusqu'à  l'époque  de  notre  copie.  Cette  chanson  inédite 
du  Siège  de  Rome  ou  de  l'Amiral  d'Espagne  (les  deux  titres  pou- 
vant convenir  aux  fragments  retrouvés  à  Genève)  me  paraît 
être,  comme  la  Destruction  elle-même,  un  remaniement  de  la 
chanson  primitive,  destiné  à  servir  de  prologue  à  Fierabras,  qui 
peut-être  y  faisait  suite  dans  le  manuscrit  perdu,  comme  à  la 
Destruction  de  Rome  dans  l'exemplaire  de  Hanovre. 

Il  est  superflu  d'analyser  le  contenu  des  quatre  fragments 
qu'on  lira  ci-dessous  ;  m;iis  quelques  particularités  y  sont  à  rele- 
ver. Pourquoi,  s'étant  emparé  du  Miroir  de  Rome,  l'amiral 
d'Espagne  s'enfuit-il  avec  tant  d'effroi  qu'il  néglige  d'occuper 
cette  forteresse  et  même  d'emmener  la  garnison  prisonnière  ? 
Le  légendaire  Château  Miroir  tirait  son  nom  d'un  miroir 
magique,  révélateur  des  guerres  et  des  séditions  qui  menaçaient 


1.  Romanid,  II,  p.  i.  Sur  toutes  les  questions  relatives  à  ce  poème  et  à 
celui  de  Fierabras,  voyez  les  articles  de  MM.  Bédier  et  Roques,  aux  tomes 
XVII  et  XXX  de  la  Roniania,  et  le  mémoire  de  M.  H.  Jarnik,  Studie  ûber  die 
Koniposilioii  der  Fierahiasdichtungen  (Halle,  1903). 

2.  Pour  tout  ce  qui  concerne  les  noms  propres,  je  renvoie  au  si  utile 
répertoire  de  M.  Ernest  Langlois,  Tahle  des  710ms  propres  de  toute  nature  com- 
pris dans  les  chansons  de  geste  imprimées  (Paris,  1904). 


FRAGMENTS    DE    MANUSCRITS    FRANÇAIS  217 

l'empire  romain.  Par  une  ingénieuse  amplification  de  cette 
donnée  traditionnelle,  notre  poète  semble  avoir  conçu  la  Salva- 
tio  Romae,  attribuée  à  Virgile,  comme  un  miroir  prophétique 
dans  lequel  l'amiral  trouvait  l'annonce  de  sa  défaite  et  de  l'inva- 
sion de  Charlemagne  en  Espagne.  La  prophétie  par  laquelle 
débute  notre  premier  fragment  conclut  heureusement  cet  épi- 
sode, qui,  s'il  nous  avait  été  conservé,  offrirait  un  pendant 
français  à  la  funeste  visite  du  roi  Rodrigue  dans  la  maison  fer- 
mée de  Tolède. 

Entre  le  deuxième  et  le  troisième  fragment  il  doit  y  avoir  au 
moins  une  feuille  perdue.  L'épisode  de  la  trahison  rappelle 
jusque  dans  les  détails  le  récit  correspondant  de  la  Destruction 
de  Rome.  Dans  ce  poème  le  rôle  du  traître  est  tenu  par  le  portier 
Tabour,  dont  la  tète  est  tranchée  par  Fierabras,  comme  dans  le 
nôtre  celle  de  Haguenon  l'était  par  l'amiral.  D'autres  traîtres, 
dans  l'épopée  française,  ont  porté  ce  nom  rare  de  Haguenon, 
dont  l'identité  avec  le  Hagen  des  Nibelmigen  ne  saurait  être 
fortuite,  mais  dont  la  forme  est  plus  archaïque  et  correspond 
au  Hagenonis  d'une  charte  de  1141,  au  Hagano  du  x^  siècle'. 
A  moins  que  l'emprunt  n'ait  eu  lieu  par  l'intermédiaire  d'un 
texte  latin,  il  ne  peut  guère,  si  je  ne  me  trompe,  être  postérieur 
à  l'an  iioo. 

En  publiant  un  morceau  inédit,  l'on  doit  se  garder  de 
paraître  en  surfaire  la  valeur  et  l'intérêt.  A  l'heure  où  nous 
sommes,  il  me  sera  permis,  cependant,  de  témoigner  la  joie 
que  j'éprouve  en  restituant  à  leur  patrie  quelques  débris  de  cette 
glorieuse  épopée  qui  a  tant  contribué  à  inspirer  aux  cœurs 
généreux  l'amour  de  la  «  douce  France  »  et  une  admiration 
croissante  en  nous  pour  les  gesta  Dei  per  Francos. 


I.  W.  Grimm,  Die  dent sclie  Hetdensage  (1^  éd.,  Berlin,  1867),  p.  155  (en 
note);  Ekkehardi  I  Walttmrius,  passim.  On  remarquera  que  dans  ce  poème 
Hagano  ne  joue  pas  le  rôle  de  traître  que  lui  prêtent  les  versions  allemandes  et 
Scandinaves  delà  mort  de  Sie2;fried, 


2l8  ERNEST   MURET 


I 

N'ara  rois  en  Espaingne  ne  soit  espeûris. 
Puis  eu  fu  rami[ral]  a  Aigremore  ocis 
z  ses  fix .  Fierabras  a  no  loi  fOHvertis, 
Quant  li  quens  Oliviers  l'ot  en  l'etor  conquis, 
S     Cors  a  cors,  en  bataille,  au  brant  d'achier  forbis. 

Du  Mireor  de  Ro«me  rami[ral]  dévala. 

Anchois  que  il  fust  jus,  .xxx.  fois  se  se«gna, 

Mahoiimet  a  juré  jamès  n'i  entrera. 

Venus  est  a  le  porte,  sor  son  cheval  monta. 
10     Ha  !  Dex,  si  grant  enpire  cnprà  lui  chevaucha! 

Onques  (il  Mireor  Sarras/w  ne  Icssa 

Ne  de  le  gariso«  .i.  sol  point  n'e»  mena. 

Ce  fu  muh  grant  folie,  quant  gardes  n'i  laisa; 

DusqiU'  a  petit  de  terme  a  mal  li  torncra. 
15     Maie  garde  pest  (le)  leu,  on  le  dit  bien  piech'a. 

Ja  mesavie?/t  a  Fournie  ou  mix  se  gard^'ra. 

Car  qMcns  Guis  deBorgonone  puis  che  d[i]  ' 

3  f  entre  deux  points  —  16  la  mes  a.  —  17  gau.  de  bor. 


II 


A  escès  z  as  tables  a  sa  seror  joa  -, 

En  une  canbre  a  or  qui  grant  clarté  jeta  ; 

z  l'amira/  d'Espaingne  dedens  so«  tref  entra, 

El  faudestuef  s'asist  z  on  li  viola. 

Li  encews  cnbrasé  doucemn;t  i  flaira; 

Plus  de  .1.  cierges  la  dedews  espris  a. 

L'un  cante  z  l'autre  [note]  z  l'auquant  fabloia. 

Tote  nuit  font  grant  joie  desi  qu'il  esclaira. 


1.  Allusion  à  la  reprise  de  Château  Miroir  par  Gui  de  Bourgogne  (Ph. 
Mousket,  V.  4692).  On  remarquera  que  le  poète,  comme  celui  de  la  Destruc- 
tion, situe  le  Miroir  hors  des  murs  de  Rome. 

2.  Ces  deux  joueurs  ne  sauraient  être  que  Fierabras  et  la  belle  Floripas, 
dont  l'amour  conçu  pour  Gui  de  Bourgogne  au  siège  de  Rome  est  l'un  des 
ressorts  principaux  de  l'action  de  la  seconde  partie,  la  partie  romanesque  de 
la  chanson  de  Fierabras. 


FRAGMENTS    DE   MANUSCRITS    FRANÇAIS  219 

Li  amiral  d'Espaingne  fu  le  nuit  a  son  tré. 
10     Dui  jougleor  li  ont  devant  lui  viëlé. 

Aval  par  tote  l'ost  ont  grant  joie  mené. 

Au  matinet,  a  l'aube,  quant  il  fu  ajorné, 

So«  mestre  engingneor'  a  l'amiral  mandé 

z  Fierabras,  so[n]  fix,  au  courage  aduré, 
15     Qui  n'i  deHgnoit  venir,  tant  par  avoit  fierté  2, 

Dcsiq^iie  cil  de  l'ost  s'i  fuse;n  esprové 

Se  il  u de  noiewt  agravé. 

16-17  La  ponctuation  est  incertaine,  à  cause  de  la  mutilation  du  vers  17  et  de 
l'interruption  du  texte.  Au  vers  16  on  peut  hésiter  entre  s'i  et  si.  —  16 
Dusque  cil. 

III 

z  dît  c\ue  la  cité  cuitemé'?rt  li  rendra. 

L'ami?'a/  li  afie  (\ue  il  li  franchira. 

Encontre  tresios  howmes  bo//s  gara«s  li  sera  ; 

Ja  n'en  doutera  nus,  quant  de  lui  partira. 
5     B/t'n  li  tint  couvenawt,  car  le  chief  li  coupa 

Trestot  premièrement  quant  en  la  vile  entra. 

Hagenons  li  traîtres  congié  li  demanda 

z  l'amirfl/  d'Espaingne  volentiers  li  donna. 

Li  traître  s'en  torne,  ariere  s'en  rêva. 
10     Onqncs  icelenuit  li  fel  ne  reposa?, 

Mes  a  le  traïson  mist  son  cuer  z  pensa. 

Qui  boise  ne  repose,  on  le  dit  bien  pièce 

Hons  qui  traïson  pense  ja  ne  reposera. 

Li  amirrt/  d'Espaingne  par  matin  se  leva, 
15     Tos  ses  rois  a  mandés,  le  traïson  lor  conta, 

Cho  (\ue  li  crestïens  en  couvenant  li  a, 

Siconme  la  cité  de  Ronme  li  rendra 

s  dedens  traira 

I  cuidement  (cf.  coitement,  D.  R.,  v.  1204). 

1.  Mentionné  dans  Fierabras  (v.  3755)  et  la  Destruction  (v.  908),  sous  le 
nom  de  Mabon,  sans  doute  emprunté  à  un  roman  du  cycle  breton. 

2.  Comparez  les  vers  362-4  de  Fierabras  : 

Quant  il  voit  Olivier  venir  tôt  abrievé, 
Ain[c]  riens  ne  le  prisa,  ains  l'ot  en  tel  vilté 
Qu'il  ne  se  vaut  lever,  tant  fu  plains  de  fierté. 

3.  Comparez  les  vers  1 199-1204,  1206-12  et  1235-6  de  la  Destruction  de 
Ronie. 


220  ERNEST    MURET 


IV 


Le  t raison  savoient,  car  on  lor  acointa  ; 

Por  cho  som  aseûr,  onqî^^s  .i.  n'e;;  douta. 

Endroit  orc  de  tierce  li  asav^s  conxnencha, 

Muh  i  ot  de  navrés  z  decha  z  delà. 
5     Li  amiral  d'Espaingne  mie  ne  s'oublia. 

O  sa  ficre  coHpaingne  a  le  porte  s'e»  va, 

0[vec]  lui  Estraigot,  qui  .i.  grant  mail  porta'. 

Sor[tinbrans]  de  ConÏHbres  cnsenble  o  eus  ala 

z  s'i  fu  Lucafer  z  Brûlant,  que  muh  ama. 
10     Fierabras  d'Alixandre  joste  lui  chevaucha  -. 

.1.  M.  Turs  li  amiral  mena. 

Mult  fu  grande  la  noise  z  li  cris  enforcha, 

z  li  jors  bel  z  clers  z  li  soulaus  raia. 

Roumein  ne  se  gardèrent  que  traï  fuse;/t  ja. 
15     Ha  !  Dex,  con  grant  dolor,  quant  nus  ncs  gard^/a  ! 

Hageno?/s  li  traîtres  la  porte  desferma 

z  l'amirfl/ méH'ent,  qui  primes  i  ewtra. 

Après  entrettt  paien,  chacun  s'en  avancha  '. 

9  Corr.  cui  ama  ou  (molt  l'ama)?  —  17  m^ent  (corr.  euz  ?) 

II 

FRAGMENT    d'uN    MANUSCRIT    DU    ROMAN    DE    TROIE 

Ce  morceau  de  parchemin,  irrégulièrement  découpé  ■»  et  tel- 
lement sali  à  l'extérieur  que  plus  d'un  l'aurait  jeté  dans  la  boîte 
du  chiffonnier,  a  été  trouvé  en  mai  19 15  aux  archives  de 
Vevey  >,  où  il  servait  de  couverture  à  un  sceau  de  la  république 


1.  Aux  vers  4901  et  4914  de  Fierabras,  le  géant  sarrasin  qui  défend  le  pont 
de  Mautrible  est  également  armé  d'un  mail  de  fer. 

2.  Cf.  les  vers  122 1-2  et  1225  de  la  Destruction  de  Rome. 
5.  Cf.  les  vers  1255-4  de  la  même  chanson. 

4.  Hauteur,  de  11  à  14  centimètres;  largeur,  de  10  à  12. 

5.  Par  M.  Eugène  Couvreu,  syndic  (ou  maire)  de  la    ville,  et   M.  Jules 
Ronjat. 


FRAGMENTS    DE    MANUSCRITS    FRANÇAIS  221 

de  Berne  pendant  à  un  acte  du  13  mai  1536.  L'écriture,  sur 
deux  colonnes,  est  attribuée  par  MM.  Tliéophile  Dufour  et 
Arthur  Piaget  au  xiv^  siècle  ' .  Le  texte  encrassé  du  recto  cor- 
respond aux  vers  17204-23  et  17247-72,  celui  du  verso  aux 
vers  17295-320  et  17348-69  de  l'édition  du  rotnan  de  Troie 
publiée  par  M.  Constans  (tome  III).  On  remarque  nombre  de 
variantes  isolées  et  médiocres,  mais  aussi  mainte  coïncidence 
avec  les  leçons  du  groupe  ;/  de  la  section  a-.  Voyez  notamment 
les  vers  17204,  17250-1,  17265,  17301,  173 14-8,  17320, 
^73S~'3)   17360-1  et  17365-6  (intervertis). 

D'une  colonne  à  l'autre,  la  correspondance  des  vers,  soit 
intacts  soit  mutilés  de  la  tête  ou  de  la  queue,  et  l'étendue  des 
lacunes,  calculées  d'après  l'édition  Constans,  ressort  des  chiffres 
suivants  : 

r",  a         lacune         7°,  h         lacune         v",  a         lacune         v°,  h 
6-25    (23)    1-26    (22)    1-26    (27)    4-25 

L'addition  deschiffres  25  et  (23),  26  et  (22)  donne  un  total 
de  48  vers  à  la  colonne.  Entre  la  troisième  et  la  quatrième,  il 
faut  tenir  compte,  pour  les  défalquer  du  chiffre  (27),  des  trois 
vers  perdus  qui  correspondaient  aux  trois  premiers  de  la  colonne 
d'en  face.  Par  l'addition  de  (24)  ci  26  on  obtient  50,  au  lieu  du 
48  attendu.  Mais,  comme  les  vers  i73_|3-4  de  l'édition  Cons- 
tans font  défaut  dans  tous  les  manuscrits  de  la  section  x,  cet 
excédent  de  deux  unités  confirme  à  la  fois  l'attribution  du  frag- 
ment deVevey  au  groupe  n  et  le  chiffre  de  48  vers  à  la  colonne. 

Pour  faciliter  la  lecture  de  ces  94  vers  et  la  comparaison 
avec  les  autres  manuscrits,  j'ai  comblé  les  lacunes,  autant  que 
faire  se  pouvait,  à  l'aide  du  texte  imprimé  et  des  variantes  du 
groupe  //,  en  les  transcrivant  dans  l'orthographe  du  fragment 
que  je  publie  ci-après. 


I.  A  la  fin  du  siècle  par  M.  Piaget. 


222  ERNEST  MURET 

Recto,  i'^'^  colonne.  Recto,  2*  colonne. 

cowbatuz 

[bjien  ifu  secorruz 

17200  Mult  ont  soffert.  z  endure 

e  en  maint  leus  lor  cors  naure  17250 

M;/lt  lont  fait  lo  ior  vassaumf;n 

[D'ire  z  de  maujtalant  esp/7's  bien  se  contindrent  la  lor  gent 

[Fièrent  de  lancejs  z  despees      17205  li  dus  dathenes  i  soruint 

[La  rot  granz  cous  c]  gra[n]z  hurtees  [z  ai]a[u]s  qui  les  grex  maiz/tint 

[An  sanc  taignent]    mai«t  coniânons  Nestor  li  uealz.  z  menelax         17255 

les  arçons  z  plus  de  .xx.  mile  vessax 

[Dont  li  seignor]  gise?7t  sa«glenz  Celx  trouèrent  mi/lt  loi»z  des  lor 

[Enz  el  milieu]  del  gnml  co)/tenz  Qui  ainz  orent  seu  Icstor 

[S'entrerencontrer]ent  li  dui  roi  Cil  furent  sempres  enuai 

[Neptholemus  par]  graut  desroi  Dambc  .11.  parz  miàt  an  chai     17260 

[Feri  Sarpedon]  en  lescu  bien  en  est  la  tc/re  ionchie 

[Que  par  le  milie]u  la  fendu  M/dt  endurèrent  grant  liaichie 

[L'aubers  fu]  forz  ne  fause  mie  1 72 1 5  li  troyen  ne  porent  mie 

\z  la  lance]  (\ue  pas  ne  plie  Auoir  si  tost  des  lor  aie 

[L'a  fait  de]s  arçons  aualer  Enclos  furent  entre  gr^zois         17265 

destr/ers  deliurer  Ocis  ilu  li  rois  p«sois 

[Sarped]on  chiet  a«  mi  la  place  z  maint  des  suens  iot  damage 
[Ncptho]lemus  de  près  le  trace  17220  M»lt  i  maintint  b/Vn  son  barnage 
[Sus]  li  est  mai/Menant  corru  Grant  leu  tenoit  a  cels  dedanz 
■  [O  le]  bon  branc  dacier  molu  M»ltpi7r  en  fuchascuns  dolanz  17270 
[De  cous  li  donc]  telx  .xxvii.  por  lui  dou  tôt  safebloierewt 
z  me?uoille  sen  esmaierent 


Verso,  Z""*  colonne.  '  Verso,  2=  colonne. 

Car  .III.  mil  che[valiers  esliz]  17295     i734S 

lor  fisc  guenchir  an  mi  le  piz  '. 

O  les  fers  tAînchanz  acerez  

lor  dcpercerent  .m.  costez  N[etruispasquanzjorzne  quanzmois] 

Tel  mil  lances  i  pecoierent  Li  me[ssagc  vindrent  en  l'ost] 

17209  Entre  Vn  et  le  z  de  sanglenz,  //  v  a  une  lettre  illisible,  peut-être  le  troi- 
sième janihac^e  d'une  m,  ou  plutôt  une  s. 

17248  Des  lettres  ^  et  b  on  ne  voit  plus  que  la  partie  inférieure.  —  17254  Ce 
vers,  très  endommagé  par  un  pli,  se  lit  à  grand'  peine  à  l'aide  du  texte  imprimé. 
—  17268  maintient  avec  e  exponcttié. 

17295    Au-dessus  de  Car  on  entrevoit  encore  quelques  vestiges  du  vers  17294. 

17349  Grande  initiale  au  vermillon. 


FRAGMENTS    DE    MANUSCRITS    FRANÇAIS 


223 


Que  an  wrmoil  sanc  se  baignèrent 

la  p;-(?sse  i  fu  granz.  z  li  tas 

Sor  les  heames  ont  fait  fer  glas 

des  espees  dacier  tranchanz 

Se  lors  ne  fust  li  rois  pr/anz 

Tel  perte  ireceust  sa  gent  17305 

Toz  iors  mais  en  fussent  dolent 

Saichiez  que  grant  esfort  ifirewt 

Cil  qui  deuawt  le  pas  gue«chirewt 

Tant  sofFrirent.  z  andurerent 

Que  tuit  li  lor  dedanz  entrèrent  173 10 

Mais  Tpar  ce  furent  trop  greue 

Qui  grez  sont  sor  aux  recoure 

Que  par  mi  le  pas  les  ont  mis 

Trop  en  eussent  morz  z  pris 

Mais  la  gent  se  f u  atiree  1 7  3 1 5 

De  lautre  part  deuers  lantree 

Quil  traient  saietes  agues 

z  granz  engannes  esmolues 

Si  en  fu  si  granz  la  plantez 

Que  toz  li  airs  en  est  troblez     17320 


Ce  quil  quistren[t  troverent  tost] 

latriue  ont  gre[u  aseuree] 

z  cil  dedanz  lont  [afiee] 

lors  furent  ense[veli  mort] 

li  trovens  ont  [desconfort] 

dou  roi  de  ptTse  qu[ont  perdu]  17355 

Sigrant  duel  norfent  onc  veu] 

Corne  firent  la  so[e  genz] 

he  !  quel  damage  [a  ceus  dedenz] 

Con  par  en  sont  or  [afebli] 

Cow  i  auoient  bon  a[mi]  17360 

c  miik  maÎHtenoit  bie«  l[estor] 

Mîih  iont  p^rdu  bon  re[tor] 

z  bon  ami.  z  bon  faeil 

M?(lt  iauoient  bon  fOHseil 

Grant  duel  en  font  petit,  [z  grant] 

po;-  cen  mostreroîît  bien  samb[lant] 

Dou  champ  fu  li  cors  aporte[z] 

Qvant  an  la  uiie  fu  entrez 

Onqiies  nus  bons  tel  [duel  ne  vit] 

17370 


17302  L'a  de  glas  est  récrit  au-dessus  d'un  u  cxponctuê. 

17354  On  distingue  encore  la  panse  du  à.  —  17360  On  distingue  encore  le 
premier  jambage  de  /'m.  —  17369  La  boucle  du  d  et  le  crochet  de  V\  sont  encore 
visibles. 

Ernest  Muret. 


SCENE  D'AMORE  E  DI  CAVALLERIA 
IN  ANTICHI  ARAZZI  ESTENSI 


Nelle  principali  corti  italiane  dclla  Rinascenza  tappeti  e  arazzi 
costituivano  un  lusso  pel  quale  si  mostravano  molto  prodighi 
i  principi  e  i  signori,  che  chiamavano  artisti  di  fama  o  acqui- 
stavano  volcntieri  opère  lavorate  in  Fiandra,  cioè  nel  paese  che 
aveva  ereditato  da  Parigi  il  grido  e  la  rinomanza  nelle  arti  e 
nelle  industrie  tessili.  I  Marchesi  e  i  Duchi  di  Ferrara  gareggia- 
rono  coi  Gonzaga  e  con  gli  altri  signori  délie  maggiori  corti 
neir  ornare  di  sontuosi  arazzi  le  sale  e  le  camere  dei  loro 
castelli  '.Sia  che  sipercorra  il  famoso  catalogo  délia  suppellettile 
estense  dell'a.  1436,  messo  da  poco  in  luce  %  sia  che  si  svolgano 
le  larghe  pagine  dei  «  registri  »  e  degli  «  inventari  ^>  di  tappez- 
zeria  conservati  nelR.  Archivio  estense  di  Stato,  l'impressione 
di  muniticenza  che  se  ne  ricava,  non  cessa  di  essere  sorpren- 
dente.  Gli  artisti  di  Fiandra,  quali  Jacobo  di  Angelo  e  Pietro  di 
Andréa,  sono  chiamati  in  corte  dal  marchese  Niccolô  III  ;  e 
Jean  Mille  e  Rinaldo  De  Grue  sono  onorevolmente  accolti  da 
Borso  e  debbono  lavorare  nel  1465  a  un  «  ornamento  de  razo  » 
per  il  Bucintoro  grande,  su  disegno  fornito  da  Marco  Galeotto, 
e  qucsto  «  ornamento  »  non  dovrà  essere  «  de  mancho  fineçça 
quanto  sono  certe  coltrine  de  raçço  facte  a  la  Isloria  de  Joxeph  », 
opéra  quest'  ultima  dei  célèbre  arazziere  Rinaldo  Boteram, 
anzi,  per  chiamarlo  corne  usavasi  in  corte,  «  Rainaldo  de  Bor- 


1.  Air  arte  dell'  arazzeria  a  Ferrara  ha  dcdicato  uno  studio  G.  Campori, 
L'ara:(ieria  estense,  in  Atli  e  Meiiiorie  d.  Dcpuia-ione  di  Storia  Patria  di 
Modena  e  Parnia,  S.  I,  vol.  VIII,  p.  421  sgg. 

2.  G.  Bertoni,  e.  p.  Vicini,  //  Caslcllo  di  Ferrara  ai  tcmpi  di  Niccolô  III, 
Bologna,  1907.  Cfr.  G.  Pardi,  La  suppellettile  dei  castelli  estetisi.  Ferrara, 
1908. 


SCENE    DAMORE    E    DI    CAVALLERIA  225 

sella  nuncupato  Boteram  tapezerio  ».  Anche  ai  tempi  di  Ercolel 
troviamo  iiomini  dell'arte  in  Ferrara.  Vi  troviamo  sopra  tutto 
Sabadino  di  Siria,  detto  «  Moro  »,  artista  di  taie  valore,  a 
leggere  un  documente  del  28  Luglio  1500,  che  «  ne  Appelés, 
ne  Phidia  quantunque  perfectissimi  ne  la  pictura  »  erano  degni 
di  essergli  comparati  !  Sabadino  era  «  veramente...  un  altro 
Hypia  ».  Péri  «  maistri  tapecieri  »  lavorava  il  famoso  pittore 
Cosimo  Tura,  che  vediamo  occupato,  tra  l'altro,  a  préparât 
cartoni  '  ;  il  che  non  deve  sorprenderci,  poichè  l'avere  un 
ottimo  artista  per  i  disegni  era  una  gloria  per  il  l'arazziere,  che 
poteva  a  buon  diritto  vantarsene,  corne  faceva_,  ad  esempio, 
Giovanni  di  Rosto  scrivendo  nel  15  51  da  Firenze  al  Duca  di 
Ferrara  :  «  Se  anchora  piacessi  a  Vostra  111"^  Excellentia  che  io 
facessi  fare  i  chartoni,  non  mancarô  di  servirlo  per  mano 
d'alcuno  delli  più  valenti  pittori  che  sieno  in  Italia.  »  Ond'è 
che  in  inventarî  estensi  dei  secc.  xvii-xviii  troviamo  ricordati 
arazzi  fatti  su  dise2;no  di  celebratissimi  artisti  :  una  Istoria  de 
Trionfi  del  Petrarca,  disegnata  da  Pietro  Perugino  e  parte  da 
Raffiiello  ;  una  storia  degli  Scipioii,  su  disegno  di  Giulio 
Romano  ;  arazzi  délie  Grotesche  e  délie  Città,  su  disegno  del 
Dossi  e  persino  una  Istoria  di  Akssandro  Magno,  disegnata  del 
Rubens  !  Resta  a  vedersi  se  tutte  questeattribuzioni  rispondano 
a  verità  ! 

Ritornando  agli  arazzi  del  sec.  xv  e  lasciando  da  banda  gli 
inventari  meno  antichi,  noi  vogliamo  qui  fissare  il  ricordo  di 
alcune  «  cortine  da  sala  de  raço  »  (corne  allora  dicevasi)  le  quali 
riccamente  figurate  abbellirono  le  pareti  dei  castelli  estensi  nell' 
età  délia  Rinascita,  con  scène  d'amore  o  di  cavalleria,con  istorie 
antiche  e  con  rappresentazioni  vivaci  di  campi  in  flore,  di 
cacce,  di  convegni  giocondi  d'uomini  e  di  donne.  Ci  sentiremo 
trasportati  nella  temperie  artistica  di  una  délie  corti  più  inte- 
ressanti  délia  rinascenza  italiana  e  ne  conosceremo  meglio  i 
gusti,  le  preferenze  e  i  godimenti  intimi  dello  spirito. 

Interesse  notevole  ha,  per  la  storia  délie  costumanze  signo- 
rili,  un  arazzo  (di  cui  non  resta  altro  ricordo  che  quello  datoci 


I.  Dipinsero  cartoni  anche   altri  pittori  estensi:  Gerardo  da  Vicenza  e 
Ugolino. 

Rornania,  XLIV.  15 


226  GIULIO    BERTONI 

dagli  inventarî)  detto  dei  «  buffoni  «,  nel  quale  un  giullare, 
in  mey//.o  a  una  gioiosa  compagnia,  c  rappresentato  con  un  ves- 
tito  rosso,  con  orecchie  di  asino  e  una  testiera  con  un  becco 
di  cicogna.  Le  descrizione,  che  ne  dànno  gli  inventarî,  è  la 
seguente  '  :  «  Una  coltrina  da  salla  de  razo  usada...  fatta  cum 
«  più  figure  de  homeni  c  de  donc  a  piedi  e  a  cavallo,  fra  le 
«  quale  gie  è  uno  homo  vestito  de  rosso  che  ha  una  testiera  in 
«  capo  cum  uno  becho  in  cima  fato  a  guisa  de  cigogna  e  ore- 
«  chie  de  asano  :  che  sona  uno  taniburo  c  uno  sivolotoe  altre 
«  figure  che  fano  zogi,  chiamata  da  li  buffoni.  »  Questo  pre- 
zioso  arazzo,  corne  avvenne  di  tutti  quelli  di  cui  terrcmo 
parola,  è  andato  perduto,  forse  consunto  dal  tempo.  Poneva 
esso  sotto  gli  occhi  dell'  osservatore  una  scena  di  giulleria  (cosi 
come  faceva  un  «  aparamento  »,  chiamato  dell'  «  oro  »,  nel 
quale  vedevasi  una  donna  vestita  di  broccato  d'oro  rosso  che 
toccava  la  mano  a  uno  «  bofono  »),  mentre  altre  cortine 
riflettevano  altri  aspetti  délia  vita  di  corte.  Primo  passatcmpo, 
si  puô  dire,  fra  tutti,  era  la  caccia.  E  un  arazzo,  appunto  chia- 
mato dei  «  cazaduri  »,  ritraeva  «  più  figure  de  homeni  e  de 
«  done  in  le  quale  è  uno  homo  vestido  de  rosso  cum  uno 
«  capuzo  morelo  jn  capo  che  ten  uno  bastone  in  la  man  drita 
«  e  cum  la  stanca  tien  dui  cani  a  lasso,  de  li  quali  cani  gie  ne 
«  è  uno  vestido  de  azuro  cum  6  fiube  suxo  la  schina  e  una  in 
«  cima  dei  capo  ».  Rappresentava  anche  una  scena  di  caccia 
una  splendida  «  cortina  da  salla  de  razo  »  detta  délia  «  fon- 
tana  »  con  «  più  figure  de  homeni  e  de  done  e  cum  una  fon- 
«  tana  jn  mezo  che  sparze  aqua  a  septe  canelle  cum  una  dona 
«  apresso  che  sona  una  arpa,  fra  le  quale  figure  gie  ne  son 
«  alcune  che  cazano  oxeli  per  aqua  e  uno  homo  vestido  de 
«  rosso  cum  uno  capelo  peloso  a  cavalo  cum  uno  bastone  jn 
«  mane  da  uno  capo  e  da  l'altro  capo  una  dona  vestita  de  zeta- 
«  nino  alexandrino  cum  uno  capuzo  de  zetanin  verde  in  capo, 
«  a  cavalo  de  uno  cavalo  bianco   ».   A  leggerc  questa   descri- 


I.' La  descrizione  di  questo  c  di  altri  arazzi,  clie  seguiranno.  è  toita  da 
un  invcmario  di  tappezzeria  dell'  a.  1437  "^'"  Archivio  estense  di  Stato  in 
Modena.  Anzichè  intervenire  con  parole  nostre,  preferiamo  lasciar  discor- 
rere,  nel  suo  linguaggio  ibrido  e  suggestive,  il  nostro  inventario. 


SCFNE    D  AMORE    E    Dl    CAVALLERIA 


227 


zione  e  a  pensare  a  questa  donna  che  arpeggia  presse  una  fon- 
tana,  ricorrono  alla  mente  certe  scène  gioconde  dell'  Orlando 
Innamoraîo  o  dell'  Orlando  Furioso,  con  fiori  e  verzura,  con 
cavalier!  e  dame  sotto  frondose  plante  o  sopra  prati  freschi  e 
lucenti,  con  fontane,  con  ruscelli  e  con  tutti  gli  incanti  délia 
primavera.  Ecco  la  reggia  di  Alcina,  dove 

Gioveni  e  donne  son  :  quai  presse  a  fonte 
Ganta  con  dolce  c  dilcttoso  stile  ; 
Quai  d'un  arbore  all'ombra  e  quai  d'un  monte, 
O  gioca  0  danza  o  fa  cosa  non  vile. 

(Furioso,  VI,  str.  74.) 

Il  Bojardo  e  l'Ariosto  pingono  o  tessono  anch'  essi  con  fili 
dorati  alcuni  magnifie!  arazzi  vivent!  ne!  loro  poemi,  in  eu!  le 
fontane  gorgogliano,  corne  un  dettaglio  necessario'alle  più  belle 
scène.  Si  sa  che  le  fontane  de!  due  maggiori  poet!  délia  corte 
estense  si  staccano  da  quelle  délia  poesia  brettone,  da  cui  pro- 
vengono  ',  per  la  loro  eleganza,  descritte  quai  sono  con  arte 
raffinata  e  squisita.  Ora^  è  notevole  osservare  che  codesta  raffi- 
natezza  si  avverte  negli  arazzi  e  si  sarà  certo  avvertita  ne!  qua- 
dr!  de!  pittor!  estensi.  Ecco  cosî  anche  per  questo  rispetto,  ! 
due  poemi  rientrare  sempre  più  nell'  atmosfera  artistica  del 
loro  tempo,  mentre  sfumano  quasi,  nella  nostra  memoria,  le 
fontane  di  Merlino  e  quelle  che  furonq  sosta  ai  cavalier!  avven- 
turosi  di  Brettagna. 

Si  riferiscono,  più  o  meno,  alla  caccia  'altri  arazzi,  che  tro- 
viamo  descritti  neoH  inventarî.  Ricorderè  l'arazzo  dell'  ali- 
corno  :  «  Una  coltrina  de  razo  cum  horo  da  salla...  jstoriada 
«  cum  più  figure  a  pied!  e  a  cavallo,  fra  le  quale  gie  è  una 
«  figura  de  homo  cum  una  vesta  fata  a  guisa  de  zetanino  ave- 
«  ludato  verde,  cum  uno  capelo  de  feltro  in  testa  azuro  che 
«  tien  una  mane  in  uno  carniero  :  de  uno  di  coi  de  la  quale 
«  coltrina  g!  è  uno  lionpardo  asetado  e  uno  alicornio  che  se 
«  guarda  jndriedo.  »  Eppoi  citero  l'arazzo  detto,  non  sappiamo 
perché,  délia  Zaneta  :  «  Una  coltrina  de  salla  de  razo...  tata 
«  cum  certo  casamento  da  uno  capo,  e  cum  figure  de  homeni 


I.  P.  Rajna,  Le  Fonti  ihW  Orlando  Furioso',  Firenze,  1900,  p.  386. 


228  GIULIO    BERTONI 

«  e  de  done  a  cavalo  e  a  piedi,  fra  le  quale  gie  è  uno  a  cavalo 
«  cum  iina  zornea  rossa  che  ha  uno  sparaviero  in  pugno  da 
«  uno  (corr.  una)  mane  e  da  l'altra  mane  una  bacheta...  e  uno 
«  puto  in  cima  de  uno  peraro  che  tien  doe  père  in  mano  :  in 
«  mezo  de  la  quale  è  uno  pavaione  cum  l'arma  de  lo  111.  N.  S. 
«  sopra  el  portale  e  una  gabia  cum  uno  papagalo  dentro  e  altre 
u  cosse  ».  Infine,  riprodurro  la  descrizione  di  una  coperta  da 
letto  «  cum  alcune  figure  de  homeni  e  de  done,  cum  una  vale 
«  in  la  quale  è  anadre  e  angironi  e  uno  homo  vestito  de  rosso 
«  che  va  batendo  in  l'aqua  cum  uno  corno  de  drieto  »  e  di  un 
«  coperturo  da  bancale  »  fatto  con  più  figure  «  de  homeni  a 
«  cavalo  che  amazano  bestie  salvadege  asai,  in  le  quale  figure  è 
«  una  dona  vestita  a  guisa  de  drapo  d'oro  che  tien  in  mane  una 
«  grilanda  de  rose  rosse  ». 

In  mezzo  a  queste  scène,  che  ricordano  le  magnifiche  e  son- 
tuose  costumanze  délie  corti,  due  arazzi  portano  una  dolce  ima- 
gine di  pace  campestre  :  uno,  dettodel  «  molino  »,  con  una 
donna  che  fila,  con  una  vacca  rossa,  e  con  «  una  casa  cum  uno 
volado  da  molino  »  ;  l'altro,  chiamato  dei  «  mededuri  »,  con 
(.(  più  figure  che  miedeno  formento  e  una  dona  cum  una  cota 
«  azura  e  una  vesta  rossa  de  sopra  che  ispiga  formento  e  un' 
«  altra  dona  che  filla  '  »; 

Altri  arazzi  rappresentavano  scène  délia  Bibbia,  leggende 
eroiche,  storie  lontane.  In  un  «  antiporto  de  razo  »  era  raffi- 
gurato  un  padiglione  di  color  morello,  sotto  il  quale  era  «  in 
«  uno  leto  Olifernes  nudo,  cum  una  dona  che  li  ha  talgiato  la 
«  testa,  che  ha  la  spada  da  una  mane  e  da  laltra  la  testa  del 
«  dito  Olifernes  per  li  capili,  cum  la  quale  porze  dita  testa  a 
«  un'  altra  dona  che  ha  uno  carniero  in  mane,  el  quale  epsa 
«  porze  per  metere  dentro  dita  testa  ».  Una  coltrina  «  de  razo  » 
recava  ritratta  la  storia  «  de  Joseph  o,  un'  altra  rappresentava 
«  una  bataia  de  uno  re  Astrages  »  ;  un'  altra  infine  (e  di 
questa  abbiamo  la  descrizione),  tutta  foderata  di  tela  azzurra  di 
San  Gallo,  era  «  figurada  cum  certa  jstoria  de  uno  re  che  kce 
«  metere  lo  fradelo  a  manzare  cum  una  spada  apicada  sopra  lo 


I.  Il  Campori  ricorda  un  prczioso  paramento  di  sei  pezzi,  detto  la  pastorella 
{op.  cit.,  p.  429). 


SCENE    DAMORE    E    DI    CAVALLERIA  229 

«  capo  e  dui  homeni  cum  spidi  da  colo  in  coste  e  poi  servi- 
«  dori,  damiseli,  sonadiiri  jntorno  jntorno  :  el  quale  cum  le 
«  mane  zunte  levaae  sta  dolorado  e  non  cura  de  manzare  ni 
((  de  altri  ».  La  descrizione  è  troppo  chiara  perché  occorrano 
comment!.  In  un'  altra  cortina  si  vedevano  centauri  («  e 
figure  mezo  homo  e  mezo  bestie  con  una  figura  de  femena  in 
gropa  »)  ;  in  un'  altra  si  scorgeva  «  la  figura  de  Ercules  in  nave 
che  planta  le  colone  »  e  in  un'  altra  ancora  Ercole  compariva 
«  con  una  raina  (regina)  a  brazo  in  uno  caxamento  ».  V'era 
poi  tutto  un  «  apparamento  da  leto  »  nominato  l'apparamento 
di  Ercole  :  nel  cielo  era  ritratta  una  «  cadriega,  suxo  la  quale 
«  siede  una  magna  raina  vestita  de  biancho  »  in  mezzo  a 
moite  figure  ;  il  capoletto  era  fatto  di  più  «  figure  de  homeni 
«  a  cavalo  che  combateno,  fra  li  quali  gie  è  Ercules  a  cavalo  de 
«  uno  cavalo  bianco  cuperto  de  una  cuperta  rossa  cum  leoni 
«  rampanti  suxo  »  ;  laparete  era  «  fata  cum  uno  turniamento  de 
«  homeni  e  de  done  a  cavalo  cum  bastoni  jn  mano  fra  li  quali 
«  gi  è  doe  raine,  in  mezo  de  le  quale  à  Ercules  a  cavalo  de 
«  uno  cavalo  »  ;  e  il  «  coperturo  »  rappresentava  «  più  figure 
«  de  homeni  e  de  done,  fra  le  quale  gie  è  Ercules  armado  a 
«  piedi  cum  una  sopravesta  rossa  frudata  de  armelini,  sotto 
«  uno  pavaione  ».  Penso  che  le  cortine  di  Ercole  fossero  fatte  per 
ornare  la  parete  délia  stanza,  in  cui  si  metteva  il  magnifico 
apparamento  ora  descritto . 

Ancor  maggiore  interesse  svegliano  alcuni  arazzi,  sut  quali 
intendo  sostare  più  a  lungo,  per  l'importanza  che  mi  pare 
abbiano  fra  tutti  gli  altri.  Ci  pongono  sotto  gli  occhi  scène  o 
leggende  inspirate  ad  antichi  poemi  medievali  o  a  concezioni 
allegoriche  caratteristiche  dell'  età  di  mezzo.  E,  prima  di  tutto, 
ricorderô  dal  prezioso  inventario  del  1436  una  «  coltrina  de 
«  razo  morelo  a  figure  et  a  bataie  chiamada  del  re  Pépin  ». 
Questo  arazzo,  che  era  già  in  cattivo  stato  («  vechio  e  strazado  ») 
nel  1436,  présenta  per  noi  un'  importanza  singolare,  perché 
è  assai  ragionevole  pensare  che  ritraesse  una  battaglia,  in  cui 
figurasse  il  padre  di  Carlomagno,  Pipino,  del  quale  si  impa- 
droni  la  leggenda,  che  gli  attribuî,  com'  è  naturale,  fiitti  e  gesta 
contestatigli  dalla  storia  ' .  Ricostruire  in  tutta  la  sua  pienezza 

I.  G.  Paris,  La  légende  de  Pcpin  «  le  Bref  »  in  Mélanges  Julien  Havet, 
Paris,  1895,  p.  631. 


230  GIULIO    BERTONI 

il  ciclo  di  Pipino  è  cosa  impossibile,  perché  nei  poemi,  in  cui 
l'eroc  figura,  esso  non  ha  che  una  parte  accessoria  e  neppure 
onorevole  (p.  es.  nei  Lorrains,  in  Auheri  le  Boiu\^uigno}i,  ne! 
Bovo,  ecc),  e  perché  gran  parte  délia  materia  poetica,  che  lo 
concerneva,  andôperduta.  Altrettanto  impossibile,  data  laman- 
canza  di  particolari  nella  descrizione  dcll'  inventario,  é  deter- 
minare  o  identificare  l'episodio  ritratto  nell'  arazzo.  Vi  era  raf- 
figurata  una  battaglia,  ed  io  (piuttosto  che  pensare  alla  spedi- 
zione  di  Pipino  contro  i  Sassoni,  ricordata  appena  nei  poemi, 
o  a  una  guerra  leggendaria  verso  i  Pirenei,  di  cui  c  questione 
ncl  romanzo  del  Comte  de  Poitiers)  io  rivolgerei  la  mente  alla 
battaglia  in  cui  Pipino  uccise  Giustamontc,  battaglia  a  cui 
allude  la  canzone  di  Ogier  le  Danois  («  Pépin...  si  occist  Justa- 
mont  »)  senza  aggiungere  altro.  Ma  questa  guerra  con  Giusta- 
monte  fu  oggetto  in  Italia  di  un  poema,  il  cui  principio  sol- 
tanto,  in  una  redazione  toscana,  ci  é  stato  conservato  nei  cosi 
detto  Maineltû\  Se  la  mia  congettura  cogliesse  nei  segno,  l'in- 
dice délia  nostra  attenzione  oscillerebbe  dalla  città  di  Fcrrara 
alla  Toscana  e  potremmo  fors'  anche  pensare  a  una  perduta 
canzone  franco-italiana,  alla  quale  si  fosse  inspirato  l'arazziere. 
Il  trovâre,  perô,  già  nei  1436  l'arazzo  in  corte  e  il  trovarlo  in 
cattivo  stato  è  cosa  che  ci  rende  alquanto  dubbiosi,  poiché  sol- 
tanto  in  quel  torno  di  tempo  l'arte  délia  tappezzeria  si  svi- 
luppô  in  Ferrara,  mentre  negli  anni  precedenti  gli  arazzi  si 
facevan  venire  di  Fiandra.  In  ogni  modo,  se  non  proprio  ail' 
episodio  di  Giustamonte,  la  nostra  cortina,  fatta  a  Ferrara  o  in 
Fiandra,  doveva  riattaccarsi,  per  il  soggetto,  a  qualche  aned- 
doto  raccontato  in  qualche  poema,  o  addirittura  aile  miniature 
di  un  manoscritto  di  codesto  poema.  Ché  taie  era  l'uso  degli 
arazzieri  :  di  ispirarsi  volentieri  a  disegni  derivati  da  miniature. 
Ed  è  noto,  a  ragion  d'esempio,  che  per  preparare  certe  famose 
tappezzerie  dell'  Apocallisse  per  Luigi  d'Angiô,  fratello  di 
Carlo  V,  l'arazziere  parigino  Nicola  Bataille  si  giovô  di  un 
cartone  dipinto  da  Hennequin  (o  Jean  de  Bruges),  il  quale  si 
servi,  a  sua  volta,  di  un  codice  délia  biblioteca  privata  del-  re  -. 


1.  L.    G[ENTitEJ,    Mainetto.     Frammento    di     un    cantare    toscano    del 
sec.  XIV.  Firenze,  1891  (Nozze  Oddi-Bartoli). 

2.  J.  GuiFFREY,  Les  Golh'lins  et  Beauvais,  Paris,  s.  d.,  p.   2. 


SCENE    D  AMORE   E    DI    CAVALLERIA  23  I 

Ad  un  poema  francese  perdiito  (o  per  lo  meno  a  concezioni 
simboliche  francesi)  riattacherei  altresî  la  scena  di  un  altro  arazzo 
che  trovasi  cosi  descritto  col  titolo  di  Dio  de  Aiiiore  :  «  Una 
"  coltrina  de  razzo  da  salla  vechia,  lavorata  cum  horo,  cum 
«  figure  de  homeni  e  de  done,  in  le  quale  è  '1  die  d'amore  a 
«  guixa  de  anzolo  vestido  de  bianco  in  mezo  ;  sotto  uno  casa- 
«  mento  infra  altre  figure  ;  de  sotto,  via  ;  a  la  lunga  de  epsa, 
«  una  muraia  cum  toresino  a  i/uisa  de  una  cinta  de  citade.  » 
Questa  figurazione  del  Dio  d'Amore  —  il  célèbre  Dio  délie 
allégorie  amorose  medievali  —  è  oltremodo  intéressante.  Il 
«  caxamento  »  rappresenta  il  suo  palazzo  o  la  sua  dimora,  la 
quale  è  circondata  di  figure.  Più  sotto  una  strada,  fiancheg- 
giata  da  una  cinta,  che  ricorda  davvicino  la  prima  scena  del 
Roiiiaii  de  la  Rose,  sebbene  nessun  episodio  del  Romanzo,  se 
ben  vedo,  si  possa  identificare  con  la  figurazione  dell'  arazzo 
estense.  Era  poi  un'  usanza  difî^usa,  presso  i  poeti,  quella  di 
rappresentare  il  Dio  d'amore  sotto  le  forme  di  un  angelo  e  di 
dargli  un  castello,  in  mezzo  al  verde  e  ai  fiori,  per  dimora. 
Nelle  miniature  del  ms.  délia  Bibl.  Nazionale  f.  fr.  Nouv. 
Acq.  4531,  a  ragion  d'esempio,  manoscritto  contenente  il  D^^'Z'rt!^ 
de  la  demoiseUc  et  da  clerc,  il  Dio  compare  al  poeta  con  figura 
d'angelo  e,  librato  suU'  ali,  dà  insegnamenti  a  due  amanti.  D'al- 
tro  canto,  nel  favolello  del  Dieu  d'Amours,  il  Dio  appare  pergui- 
dare  il  protagonista  al  suo  palazzo,  popolato  di  giovanni  uomini 
e  donne,  e  chiamato  Champ  fleuri  '. 

Insomma,  tra  la  scène  dell'  arazzo  estense  e  le  allégorie  fran- 
cesi corrono  relazioni  notevoli,  sî  da  esser  lecito  istituire  un 
rapporto  di  dipendenza  di  quelle  da  queste,  anche  se  impossi- 
bile  sia  arrivare  a  conclusioni  più  determinate  e  particolareg- 
giate.  Lo  stesso  Roman  de  la  Rose,  la  grande  enciclopedia  amo- 
rosa  del  medio  evo,  inspira  gli  tapezzieri  %  ed  è  intéressante. 


1.  Per  tutto  cio,  si  veda  :  E.  Langlois,  Origines  et  sources  du  Roman  delà 
Rose,  Paris,  1891,  p.  6  sgg.  G.  Bertoni,  La  Poesia  dei  Goliardi,  in  N.  Anto- 
logia,  i6Agosto  1911,  estr.,  p.  18.  La  minintura  del  ms.  4531  è  stata  ripro- 
dotta  nçUa  Histoire  di  Petit  de  Julleville,  I,  560. 

2.  E.  Langlois,  in  Petit  de  Julleville,  Hist.  de  la  Utt.  française,  II, 
150. 


232  GIULIO   BERTONI 

a  questo  proposito,  notare  che  cinque  dei  più  magnifici  arazzi 
degli  Estensi  rappresentavano  scène  del  celeberrimo  Romanzo, 
È  veramente  peccato  che  in  nessun  inventario  se  ne  abbia  una 
descrizione  e  che  poche  siano  le  notizie  che  se  ne  hanno.  Il 
1°  ottobre  1476,  nell'  occasione  del  passaggio  perFerraradi  Béa- 
trice d'Aragona,  sorella  di  Eleonora  e  moglie  del  glorioso  re 
d'Ungheria  Mattia  Corvino,  fu  «  apparata  »  la  sala  grande  del 
Palazzo  di  Cortile.  Si  lesi^e  nel  «  Zornale  de  lo  officio  de  la 
tapeçaria  duchale  »  dell'  anno  1476  che  furono  esposte  allora 
«  coltrine  cinque  de  rechamo  fate  alla  instoria  de  romanzo  da 
«  la  roxa  '  »  e  che  sopra  a  questi  cinque  arazzi  furon  messe  délie 
«  spalire  nove  de  razo  nove  de  lane  fine  con  seda  fate  a  datari 
«  chuxite  insieme  ».  Ma  non  è  questa  la  sola  volta  in  cui  com- 
paiono  queste  tappezzerie  di  gran  lusso.  Il  12  Febbraio  1479, 
messer  Biagio  del  Bailo  «  ufficiale  sopra  el  governo  de  tute  le 
«  chamare  de  la  Corte  del  nostro  111™°  S.  Duca  de'  dare  le 
«  infrascripte  robe  a  lui  date  et  cunsignate  per  fare  aparare  la 
«  sala  grande  per  onorare  la  festa  de  el  prefato  N.  S.  D,  et  per 
«  honorare  el  magnifico  messer  Zohane  di  Bentivoi  de  Bolo- 
«  gnia  ^  ».  Fra  le  «  robe  »  troviamo  alcuni  arazzi,  che  cono- 
scianio  di  già,  insieme  ad  altri  nuovi.  La  série  incomincia  con 
quelli  del  Romanzo  délia  Rosa  : 

«  Coltrine  cinque  de  rechamo   fate  ala  instoria  de  ronmixp 
«  da  la  roxa. 

a  Coltrine  quatro   de  razo  figurate  et  fate  a  la  instoria  de 
«  Joxef. 

«  Doc  chultrine  de  razo  figurate  et  fate  alla  instoria  de  Oli- 
«  fernes. 

«  Doe  chultrine  de  razo  figurate  et  fate  alla  instoria  de  Astra- 
«  cries. 

o 

«  Coltrine  quatro  de  razo  figurate  et  fate  alla  instoria   de 
«  Achab  et  de  Helia. 

«  Una  cultrina  de  razo  figurata  et  giamada  da  le  Vertu. 

«  Una  cultrina  de  razo  figurata  et  giamada  da  li  Cumhalanti. 


1.  Zornale,   cit.,  B.,  c.   52.  Di  questo  documento  ha  avuto  conoscenza 
anche  A.  de  Berzfatczy,  Béatrice  d'Ara^oiia,  I,  Paris,  191 1,  p.  131. 

2.  Arch.  est.  di  Stato,  Zomale  delà  Ducale  Tapeçaria,  14JÇ-14S0,  C,  c.  58. 


SCENE    D  AMORE    E    DI    CAVALLEIRA  233 

«  Tre  cultrine  de  razo  figurate  et  fate  cumme  una  instoria 
«  del  Papa. 

«  Una  cultrina  de  razo  figurata  et  giamada  da  li  Brevi. 

«  Una  cultrina  de  razo  figurata  la  quale  à  la  parete  dello 
«  aparamento  de  Hercule. 

«  Una  cultrina  de  razo  de  sala  figurata  et  giamada  da  lo 
Animale  hereiino. 

(.'  Una  cultrina  de  razo  figurata  et  giamata  da  YAn:(olo.  » 

Magnifico  fra  tutti  dovè  essere  l'arazzo,  diviso  in  cinque 
parti,  chiamato  del  Ronianzo  de  la  Rosa.  Esso  non  veniva  esposto 
che  in  occasion!  solenni  ed  era  costato  novemila  ducati  d'oro  di 
Venezia.  In  un  Compendio  de  Tape^arie  del  sec.  xv,  si  legge  : 
«  Cultrine  de  veluto  alexandrino  peci  cinque  racamate  tute 
«  ad  oro  et  argento  filato  et  seda  con  una  historia  chiamata  la 
«  historia  de  Roiiianio  de  la  Ruosti  (corr.  Ruosa),  signate  n°  40. 
«  Le  quale  foron  comprate  da  M^  Troilo  Bozardo  per  duc. 
«  nouemilia  d'oro  corne  appare  per  instrumento  rogato  per 
«  ser  Dulcino  nodaro  adî  19  de  Febbraro  1463  ».  Pur- 
troppo,  lo  strumento  di  compera,  rogato  dal  notaio  délia 
Caméra  ducale,  Dolcino  Dolcini,  non  si  trova  più;  ma  in  altri 
registri  si  hanno  allusioni  a  questo  prezioso  acquisto  e  al  modo 
deir  acquisto.  Noi  congetturiamo  che  nello  «  strumento  »  si 
avesse  anche  la  descrizione  degli  arazzi,  e  questa  supposizione 
viene  a  farcene  rimpiangere  maggiormente  la  perdita.  Messer 
Troilo  Bozardo  era,  come  impariamo  da  altri  atti,  «  mercadante 
in  Vinegia  ».  Le  cortine  «  de  veluto  alexandrino  recamate  » 
erano  contenute  in  «  case  cinque  cuperte  de  curame  negro 
ferate  »  e  il  Bozardo  le  aveva  avute  in  pegno,  come  creditore , 
da  messer  «  Bonhora  del  Carrecto  dicto  Oliver  de  Finario  de 
la  Villa  de  Bruges  '  ».  Furono  pagate  in  tre  volte  dalla  caméra 
ducale.  Nel  Dicembre  del  1463  (anno  dell'  acquisto)  furono 
versati  a  Troilo  Bozardo  e  a  suo  fratello  Antonio  sei  mila 
ducati. 

Il  fatto  principale,  per  noi,  che  risulta  dai  citati  documenti, 
è  che  gli  arazzi  provenivano  di  Fiandra.  Ora,  in  Fiandra  il 
Romanzo  délia  Rosa  fu  fra  le  opère  che  più  e  meglio  offrirono 


I.  Arch.  estense  di  Stato  :  Memoriale,  146^,  c.  128. 


234  GIULIO    BF.RTONI 

materia  a  scène  di  tappezzeriaed  è  noto  che  arazzi  con  scène  di 
codesto  poema  venivano  lavorati  cola  ancor  nel  sec.  xvi.  Due 
sccoli  prima,  non  soltanto  in  Fiandra,  ma  anche  a  Parigi,  si 
dava  opéra  a  raffigurare  con  seta  e  oro  su  tessuti  il  célèbre 
«  romanzo  »,  poichè  sappiamo  che  Jacque  Dourdin  nel  1386, 
Pierre  Beaumetz  nel  1387  e,  in  particolare,  Nicola  Bataille 
vendettero  al  Duca  di  Borgogna,  Filippo  l'Ardito,  délie  tappez- 
zerie  con  rappresentazioni  del  Rouiû}i  de  la  i^oj."^  ' .  Nel  Débat  du 
cœur  et  de  rœuil  abbiamo  un'  allusione  intéressante  ai  «  tapis  » 

in  cui 

. .  .de  la  Rose  H  Romans, 

Pour  lire  aux  amans,  clers  et  lais, 

Estoit  escript '. 

Non  sapremmo  dire  quali  scène  fossero  ritratte  nelle  cinque 
cortine  estensi,  ma,  data  l'usanza  dei  ricamatori  di  ripetersi 
volentieri,  potremmo,  senza  troppo  presumere,  congetturare 
che  in  alcuna  di  esse  fosse  raffigurato  l'episodio  allegorico  dell' 
arazzo,  detto  del  Roman  de  la  Kosa,  di  Sir  Richard  Wallace.  In 
altre  non  doveva  mancare  il  castello  d'Amore,  che  si  prestava  a 
comporre  un  'magnifico  e  delicato  quadro.  Alla  corte  estense, 
corne  si  disse,  le  cinque  cortine  erano  apprezzatissime  e  servi- 
vano  per  i  giorni  di  grande  gala,  per  qualche  festa  dei  Duchi, 
o  per  qualche  visita  principesca.  Agli  uomini  dotti  délia  corte, 
le  scène  del  roman /o  non  dovevano  essere  sconosciute,  poiché 
là  biblioteca  ducale  conservava,  sin  dal  1436,  un  libro  «  chia- 
mado  roman  de  la  roxa  in  francexe  in  membrana  coverto  di 
chore  rosso  (n°  196)  »,  e  si  sa  ormai  che  i  libri  estensi  erano 
a  disposizione  dei  letterati  e  studiosi  délia  corte  >. 

Di  un  altro  prezioso  arazzo  estense,  descriito  fortunatamente 
negli  inventari,  occorre  ora  tencr  parola.  Esso  era  chiamato 
délie  verhidc  e  consisteva  in  «  una  coltrina  de  razzo  noua  da 


1 .  J.  GuiFFREY,  Histoire  de  la  Tapisserie  depuis  le  moyen  âge  jusqu'à  nos 
jours,  Tours,  1886,  pp.  56,  39,  42,  52,  157,  158. 

2.  Wright,  Reliquiae  antiquae,  p.  315  (cit.  dal  Langlois,  in  Petit  de  Jul- 
leville,  cit.,  II,  150). 

3.  G.    Bf.rtoni,  La  Bibliùteca  estense  e  ta  cotiura  ferrarese  aitetiipi  det  Duca 
Ercote  /,  Torino,  1905,  cap.  III. 


> 


SCENE   D  AMORE    E    DI    CAVALLERIA  235 

«  salla  afigurada  de  figure  che  combateno  una  citade  guardata 
«  de  done  e  defesa  cum  rose  che  sparzeno  (appelata  la  jstoria  de 
«  le  Vertudè)  ».  Abbiamo  qui  un'  allegoria,  che  si  riattacca  alla 
célèbre  contesa  dei  Vizi  e  délie  Virtù  e  rappresenta  un  raggen- 
tilimento  délia  versione  piu  comunemente  diffusa,  seconde  la 
quale  i  vizî  combattono  le  Virtù  fuori  o  dentro  la  loro  fortezza 
e  queste  si  difendono  gloriosamente.  Il  soggetto  trovasi  trat- 
tato,  nella  sua  linea  générale,  in  varî  testi,  corne  nella  Psycomacbia 
di  Prudenzio  (donde  proviene  un  episodio  importante  délia 
IntrodiiT^ione  aile  virtù  attribuita  a  Bono  Giamboni)  e  nella  Para- 
hola  II  di  S.  Bernardo  (De  conflictu  vitiormn  et  virtutuni).  La 
concezione  poi  délia  lotta  délia  virtù  e  del  vizio,  col  trionfo 
délia  prima,  costituisce,  corne  è  naturale,  l'argomento  di  moite 
opère  medievali  latine  e  volgari,  1'  Anticlandianns,  il  Songe  d'En- 
fer e  la  Voie  de  Paradis  di  Raoul  de  Houdan,  tcc.  '.  La  tortezza 
délie  virtù  è,  in  fondo,  la  Gerusalemme  céleste  dell'  Apocalisse. 
Parmi  che  le  «  done,  che  guardano  la  citade  »  siano,  a  un  di 
presso,  le  virtù  enumerate  nella  Giostra  délie  virtù  e  dei  vi^î 
(poemetto  italiano  délia  fine  del  sec.  xiii  o  del  principio  del 
sec.  XIV,  scrittOj  a  quanto  si  crede,  da  un  francescano  di  Mace- 
rata  nelle  Marche)  e  cioè,  insieme  alla  Pazienza  e  alla  Pace  : 

la  Fede  et  la  Sperança, 
et  vera  Caritade  ; 
Justitia  et  Prudentia, 
Forteçça  et  Tenperança 
et  lïna  Humilitate, 
Core  de  Mansuetudine, 
spirituale  Alegrança 
et  sincera  Castitate  '. 

Un  particolare  interessantissimo  dell'  arazzo  è  quello  dell' 
armi,  di  cui  si  servono  le  Virtù,  cioè  le  «  rose  ».  Evidente- 
mente,  la  cortina  estense  rispecchia  condizioni  speciali  délia 
leggenda   e  quasi  una  sua   elaborazione  aulica    o    cortese.    Si 


1.  Per  questi  testi,  si  cfr.  E.  Proto,   L'   «   inlroduiwne    aile  virtù  »,   in 
Stitdi  medievali,  III,  p.  15  sgg. 

2.  MoNACi,  Crest.  dei  primi  secoli,  II,  4S2. 


2^6  GIULIO    BERTONI 

direbhe  che  un  poeta  cavalleresco  l'abbia  raggentilita  ponendo 
in  mano  aile  Virtù  le  rose,  quelle  rose  che  nelle  simboliche 
medievali  lotte  intorno  a  castelli  d'amore  venivan  lanciate  da 
uomini  e  donne  per  ispasso  nobile  e  giocondo  e  per  raffinato 
godimento. 

L'inventario,  già  ricordato,  del  1436  registra  (n°  143 1)  una 
«  coltrina  de  razo  cum  una  figura  in  una  naue  ».  Che  si  tratti 
di  Tristano  ?  E  assai  improbabile,  se  non  addirittura  impossi- 
bilc.  Ben  è  vero  che  in  uno  dei  riparti  délia  coperta  di  Usplla, 
con  l'istoria  di  Tristano,  questi  compare  solo,  col  suo  cavallo, 
in  una  nave,  e  le  lettere  intorno  ricamate  dicono  :  Coniii  Ti\is- 
taiiiii]  vai  nella  isola  per  cnmbactiri  heu  '  ;  ma,lasciando  anche  da 
banda  il  particolare  importante  del  cavallo^  non  si  capirebbe 
come  un  arazziere  potesse  ritrarre  un  episodio  isolato  di  una 
grande  leggenda,  con  molta  probabilità  di  riprodurre  una 
scena  incomprensibile  ad  ogni  osservatore.  Bisognerebbe,  in 
caso,  supporre  che  nell'  inventario  non  fosse  stata  riportata  un' 
eventuale  scritta  dichiarativa,  o  imaginare  una  série  di  arazzi 
perduti  rappresentanti  la  storia  di  Tristano  e  Isotta.  Ciô 
sarebbe,  sebbene  la  «  coltrina  »  sia  detta  «  vechissima  »,  una 
congettura  gratuita,  che  non  riceverebbe,  tra  Taltro,  nessun 
conforto  da  ricerche  fatte  in  documenti  e  registri  concernenti 
le  tappezzerie  estensi.  Inutile,  dunque,  insistere  su  tutto  ciô, 
tanto  più  che  altri  arazzi  vi  sono  che  bisogna  ricordare,  i  quali 
sono  indicati  con  chiarezza,  se  pur  non  siano  descritti.  In  un 
inventario  del  sec.  xvi,  ne  troviamo  registrato  uno  con  la  storia 
di  Paris  e  in  un  altro  inventario  un  secondo  costituito  da  otto 
«  pezzi  »  nei  quali  è  rappresentata  la  Istoria  di  Troia.  Gli  arazzi 
dei  Troicmi  figurano  anche  in  cataloghi  del  sec.  xvii,  liei  quali 
anche  troviamo  ricordo  di  un  arazzo  chiamato  Istoria  cfOr- 
lando.  Con  questo  (forse  inspirato,  io  credo,  al  poema  dell' 
Ariosto)  ^  la  série  délie  tappezzerie  più  importanti  e  più  antiche 
(oltrechè  ancora  ignorate)  degli  Estensi  è  finita  '. 


1.  Rajna,  Intorno  a  due  antiche  coperie  con  figuration  i  tratte  dalla  storia  di 
Tristano,  in  Roinania,  XLII,  p.  525. 

2.  Un  altro  arazzo  (sec.  xvn-xvni)  era  detto  del  Pastor  Fido. 

5.  Potrei  ricordare,  per  maggior  compiutezza,  qualclie  altro  arazzo  posse- 
duto  de  Lucrezia  Borgia,  come  quelle  del  «  Re  Davide  »,  di  Saul  e  Gionata, 


SCENE    D  AMORE    E    DI    CAVALLERIA  237 

Gli  «  apparamenti  »,  le  «  coltrine  da  sala  »  e  i  «  coverturi  ;> 
de  ra:(o  costituivano  un  lusso  di  corte,  al  quale  gli  Estensi  sacri- 
ficavano  volentieri  una  parte  non  insignificante  dei  loro  non 
abbondantissimi  redditi.  Sopra  tutto  ai  tempi  di  Borso(il  prin- 
cipe più  amante,  fra  tutti,  délia  magnificenza  esteriore)  le  pareti 
dei  castelli  estensi  poterono  ornarsi  di  mirabili  e  varî  arazzi  ; 
ma  l'amore  per  le  stoffe  rare  e  preziose  non  si  perdette  in 
sèguito,  ed  Ercole  I  si  mostrô  anch'  esso  soUecito  di  acquisti 
di  pregio  e  d'importanza  non  comune.  Il  merito,  perô,  di  avère 
introdotta  l'arte  dell'  arazzeria  in  Ferrara  spetta,  a  voler  essere 
giusti,  a  Niccolô  III. 

Fra  le  figurazioni  descritte  nelle  pagine  precedenti,  alcune 
spiccano  per  il  loro  suggestivo  interesse,  altre  per  la  loro  gran- 
diosità.  A.  noi  è  piaciuto  mettere  sopra  tutto  in  evidenza  quelle 
che,  riattaccandosi  a  concezioni  simboliche  medievali, 
mostrano  maggiori  punti  di  contatto  con  la  poesia  egiovano  a 
intender  meglio  la  ditfusione  di  certe  allégorie  amorose,  che 
oggidi  non  parlano  quasi  più  al  nostro  intelletto.  Mentre  la 
rinascenza  fioriva,  moite  leggende  delT  età  di  mezzo  e  sopra- 
tutto  leggende  di  origine  francese,  spiccavano  ancora  il  volo 
dai  vecchi  manoscritti  o  sorridevano  sui  tessuti  appesi  aile 
pareti  délie  corti,  e  giù  nelle  piazze,  sulla  bocca  dei  cante- 
rini,  raccoglievano  il  plauso  dei  popolo  attento  e  curioso.  Un 
altro  periodo  leiterario  nasceva  e  nuovi  liori  d'arte  si  aprivano 
lussureggianti  accanto  e  quelli  variopinti  dell'  età  précédente. 
Cosi,  in  una  galleria  di  arazzi  si  possono  ammirare  avvicinate  e 
alternate  alcune  varie  e  molteplici,  ma  tuttavia  nel  loro  insieme 
armoniose,  storie  d'amore,  favole  di  cavallerie  e  leggende 
bibliche  ed  eroiche. 

Giulio  Bertoni. 


di  Abraam  e  Faraon,  Jella  concezione  di  Nostra  Donna,  qcc.  Ma  l'inventario 
di  Liicrezia  è  a  stampa,  edito  da  Poluilo  [Luca  Beltranii],  Milano,  1903. 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET  PROVENÇALES 


ANADOLH,  ANIVEI,    ORVET 

Le  Dictionnaire  général  de  la  langue  française  ne  formule  aucune 
hypothèse  sur  l'origine  d'orvel  :  il  déclare  seulement  que  ce  mot 
est  de  la  même  famille  que  le  provençal  aneduelh  (avec  les 
variantes  argiiei,  anivei)  et  le  berrichon  aneuil. 

Quel  peut  être  le  prototype  commun  ?  M.  Meyer-Lùbke, 
envisageant  spécialement  la  forme  envoyÇ^e'),  propre  à  l'est  de  la 
France,  propose  un  masculin  *anguillus,  auquel  il  rattache 
non  seulement  la  variante  provençale  arguei,  mais  encore  le 
«  garonnais  »  nadyiiil'.  Cette  étymologie  me  paraît  bien  dif- 
ficile à  accepter.  Avec  la  meilleure  volonté,  il  est  impossible  de 
voir  dans  *anguillus  l'ancêtre  (X aneduelh,  anadolh,  dont  na- 
dyiiil est  le  représentant  évident,  connue  l'a  montré  M.  Antoine 
Thomas  \  M.  Meyer-Lûbke  ne  cite  pas  non  plus  la  variante 
anivei,  qui  rentrerait  avec  peine  dans  son  cadre.  Faudrait-il 
alors  supposer  deux  mots  différents  avec  des  croisements  pos- 
sibles ?  Même  dans  ce  cas,  et  en  se  limitant  aux  formes  orientales, 
l'hypothèse  de  M.  Meyer-Lûbke  ne  semble  pas  satisfaisante  au 
point  de  vue  sémantique  et  moins  encore  au  point  de  vue  pho- 
nétique. Je  ne  connais  pas  de  langue  ou  de  patois  qui  ait  donné 
à  l'orvet  le  nom  de  l'anguille  '.  Mais  surtout  il  n'est  pas 
d'exemple  pour  appuyer  le  passage  phonétique  du  groupe  latin 
ang-  à  arg-  en  provençal  et  à  anv-  en  français;  le  féminin  lui- 
même  anguilla,  anguila  est  là  pour  donner  la  réplique.  Et 
s'il  s'agit  d'un  accident,  il  est  très  extraordinaire  qu'il  ne  reste 
aucun  résidu  de  la  forme  normale. 


1.  Zàlschrifl  fur  romanischc  Philologie,  XXIV,  400,  et  Roiiuviiscbcs  ctymolo- 
gisches  H'  ôrteihuch,  n"  461 . 

2.  Romania,  1912,  p.  107. 

3.  Cf.  Rolland,  Faune  populaire,  t.  III,  pp.  50-35. 


ETYMOLOGIES   FRANÇAISES   ET   PROVENÇALES  239 

Reprenons  l'examen  des  faits.  V Atlas  lingitistiiinc  de  la  France 
(carte  952)  nous  oftVe  deux  grands  groupes  de  formes.  Le 
centre  et  l'ouest  du  provençal  présentent  des  variantes  qui 
remontent  toutes  à  un  type  ancien  anadblh.  Cette  aire  s'étend 
à  l'est  jusque  vers  le  milieu  du  Puy-de-ûôme  et  déborde  un 
peu  à  l'ouest  sur  le  domaine  français.  C'est  ici  qu'il  faut  ranger 
le  berrichon  anenil  cité  par  le  Dictionnaire  général,  et  le  nyeil 
(.(.  serpent  venimeux  »  (xvi^s.,  J.  de  Rus)  exhumé  par  A,  Del- 
bouUe  '  et  identifié  à  juste  titre  à  l'orvet,  tout  au  moins  pour 
la  forme  ^.  L'ancêtre  commun  de  toutes  ces  variantes,  égale- 
ment phonétiques',  est  un  latin  vulgaire  *anatôly-  Çy  =1 
mouillé);  M.  Thomas  postule  *anatôlium+:  je  crois  que, 
pour  l'instant,  il  est  prudent  de  réserver  la  voyelle  finale  et  de 
songer  que  1'/  mouillé  dont  nous  avons  besoin  peut  avoir  une 
autre  origine  que  1  -|-  i  en  hiatus.  Enfin  il  fout  faire  état  de  la 
forme  très  ancienne  anediielh  (dans  Peire  Cardinal,  d'où  Ray- 
nouard  l'a  tirée),  qui  semble  avoir  été  éliminée  par  les  patois 
actuels.  Doit-on  supposer  une  variante  *anetoly-  ?  Mais  alors 
pourquoi  la  contre-finale  e  ne  serait-elle  pas  tombée,  confor- 
mément à  la  loi  de  Darmesteter  ? 

Passons  à  l'autre  groupe.  La  variété  de  formes  qu'il  présente 
peut  être  expliquée  et  ne  peut  l'être  que  par  un  type  du  latin 
vulgaire,  parallèle  au  précédent,  *anevô  ly-,  *anavôly-,  dans 
lequel  le  v  peut  provenir  d'un  ancien  b,  et  Ve  d'un  c  ou  d'un  /. 
Mais  à  l'inverse  du  cas  précédent,  la  variante  a  ne-  est  la  règle, 
an  a-  l'exception  :  cette  dernière  ne  paraît  attestée  qu'à  l'ouest 
du  Limousin  ÇAtl.  ling.,  606  avamuô,  607  vauwé,  —  avec 
permutation  des  éléments  ;/-i'),  où  elle  forme  —  fait  remar- 
quable —  un  îlot  dans  l'aire  *anatôly-. 


1.  Romauia,  1904,  p.  582.  L'Atlas  tiiti^niii tique  a  sporadiquement  auivl 
dans  cette  région  (529,  etc.). 

2.  Zeitsclirift  fur  fyan:{osisctie  Sprache  und  Littcratur,  XXVIII,  II,  308. 

3.  Le  mot  a  perdu  généralement  l'a  initial,  comme  beaucoup  de  ses  con- 
génères; au  nord-est,  il  a  été  ensuite  amputé  delà  syllabe ;h/,  confondue  avec 
l'article  féminin  {ii)na  ;  enfin  le  résidu  dœ  a  pu  prendre  un  /■  par  analogie 
avec  dœr  :=  il  dort  (sic  Vinzelles  [Bansat]). 

4.  Romania,  19 12,  p.  108. 


240  ALBERT    DAUZAT 

Le  type  *a  ne  vol  y-,  qui  occupe  tout  le  nord,  l'est  et  le  sud- 
est  de  la  Gaule  romane,  a  subi  divers  traitements  suivant  les 
régions.  Inutile  d'insister  pour  l'élément  -ôly-,  qui  n'est  guère 
demeuré  phonétique  que  dans  le  sud-est,  et  a  été  transformé 
presque  partout  par  l'analogie.  —  Dans  une  petite  région 
(Lyonnais  et  n.-e.  du  Puy-de-Dôme),  le  radical  du  mot  n'a  pas 
éprouvé  la  chute  de  la  contre-finale,  tout  comme  celui  d'aiieduelh 
(type  régional  anèviuè  :  l'élément  d>  est  susceptible  de  devenir  y, 
et  de  mouiller  1';/  après  métathèse).  Ailleurs  la  syncope  se  pro- 
duit. La  forme  qui  en  résulte,  *auvàlh,  qui  commande  toutes  les 
autres,  donilt  lieu  à  deux  sortes  de  phénomènes  également 
phonétiques  :  après  diphtongaison  de  Vo,  il  peut  se  dégager  un 
g  du  groupe  viio,  vue  (le  passage  de  -vuolh  à  -guolh  était  normal 
à  l'époque  où  leiv  germanique  devenait^?/); —  1'//,  au  contact 
d'une  consonne  sonore,  peut  se  transformer  en  ;•  :  fait  plus  fré- 
quent devant  g  que  devant  v,  et  plus  spécial  au  provençal. 
D'où  quatre  groupes  phonétiques:  anv-'^  àv-,  qui  s'étend  sur 
tout  Test,  du  h'anco-provençal  à  la  Champagne,  en  se  dénasa- 
lisant vers  l'ouest  '  ;  ang-,  spécial  à  une  petite  région  à  l'ouest 
de  la  précédente  (Orléanais,  Berry  :  103,  202,  204,  303,  306, 
307,  400  de  V At.  liiig.^  ;  urg-,  qui  occupe  tout  le  sud-est  Çci. 
suif,  anïcu  >>  -argue,  monachu  >»  morgue,  etc.);  et  enfin 
arv-,  où  le  v  s'est  généralement  résorbé  devant  le  groupe //o//;  >* 
ïuœÇli),  phénomène  normal  dans  la  région  (n.-o.  du  Puy-de- 
Dôme:  Ail.  ling .  :  703  aryu,  805  arœ;  Les  Martres  de  Veyre,  ;■//). 

Avons-nous  eu  un  autre  domaine  arv-  ?  Pour  répondre  à 
cette  question,  il  jfaudrait  faire  une  étude  dialectologique  ap- 
profondie (et  qui  ne  serait  pas  à  sa  place  ici)  du  nord-ouest  de 
la  France.  Quel  que  soit  le  prototype  originaire  de  son  radical 
(anv-  ou  arv-\  tout  le  monde  est  d'accord  pour  reconnaître  que 
la  forme  orvet  (plus  anciennement  orvet,  J.  le  Petit,  1391,  cf. 
Godefroy,  Supplément')  a  subi  dès  le  mo3'en  âge  l'influence  de 
orh,  aveugle:  c'est  Vo\>\mon  àviDiciionuaire  général  et  à\i  Roina- 
nisches  etymologîsches  IVœrterbuch.  Faut-il,  pour  l'appuyer  encore, 
rapprocher  les  formes  de  l'Italie  du  Nord  (orbola,  orbiga,  orhe- 


I.  La  déiiasalisation est  ancienne  en  Champagne:  cf.  in'cv^dans  Cl.  Cotte- 
reau,  Columelle,  1552. 


ETYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  24 1 

sino...^   citées  par  Rolland  ?  V Atlas    linguistique  nous  donne 
orhèt  dans  l'Orne. 

Dans  le  sud-est,  à  l'exception  des  patois  archaïsants  et  con- 
servateurs de  la  montagne  (cf.  815  ar(;ei,  etc.),  le  radical  arg- 
est  devenu  org-  en  vertu  d'une  étymologie  populaire  transpa- 
rente'. 

Revenons  maintenant  au  prototype  du  latin  vulgaire,  que 
l'analogie  des  parlers  actuels  nous  a  amené  à  reconstituer.  I!  n'a 
rien  d'hypothétique.  N'a-t-on  pas  reconnu  déjà  l'anabulio  de 
Polemius  Silvius,  classé  précisément  parmi  les  serpents  ^  ?  1'// 
peut  fort  bien  représenter  la  diphtongue  no  qui  existait  déjà  au 
v^  siècle.  Reste  le  second  a,  qui  nous  atteste  —  fait  à  remar- 
quer —  la  même  variante  que  pour  anedolh,  anadolh.  Rappelons 
enfin  que  le  Laterciilus  de  Polemius  Silvius  est  dédié  à  un 
'évêque  de  Lyon  :  or  toute  la  région  lyonnaise  rentre  dans  le 
groupe  *a  ne  vol  y-. 

D'où  viennent  ces  deux  formes  bizarres,  et  qui  semblent 
bien  apparentées,  *anetoly,  *a  ne  vol  y,  avec  la  variante  e^-a  ? 
Est-ce  un  type  prélatin  que  nous  ignorons  ?  Mais  alors  on  ne 
voit  pas  la  raison  de  la  répartition  des  deux  types,  et  surtout 
on  s'étonne  que  le  latin  n'ait  introduit  aucun  mot,  même  dans 
des  régions  aussi  anciennement  et  profondément  romanisées  que 
le  bas  Rhône  et  la  Narbonnaise.  Ne  serions-nous  pas  en  pré- 
sence, au  contraire,  d'une  création  du  latin  vulgaire  ? 

Dans  toutes  les  langues  européennes,  lorsqu'on  a  voulu 
donner  un  nom  à  l'orvet  (cf.  Rolland,  loc.  cit.),  on  l'a  appelé 
Vaveugh',  suivant  une  croyance  populaire  universellement 
répandue  et  due  à  l'extrême  petitesse  des  yeux  chez  ce  reptile. 
Le  latin  lui-même  le  dénomme  caecilia.  Je  ne  veux  pas 
chercher  ici  pourquoi  ce  mot  ne  s'est  pas  implanté  en  Gaule  >  ; 
je  crois  pouvoir  simplement  montrer  qu'on  lui  a  substitué  un 

1.  Restent  encore  à  expliquer  les  formes  avec  deux/;  (ailèUŒ,  etc.,  Ail. 
ling. ,8oj,  705)  sur  la  frontière  des  deux  grandes  aires,  et  les  formes  tierbil 
isolées  dans  l'Aude  (785,  793). 

2.  Romania,  XXXV,  167. 

3.  L'homonymie  du  nom  propre  Cae  cilia,  et  surtout  de  la  sainte,  a  dû 
lui  être  fatale. 

Romania,  XLIV .  i6 


242  ALBERT    DAUZAT 

succédané  plus  évocateur,  et  que  le  groupe  final  de*anev-olv-, 
*anet-oly  représente  tout  simplement  oc(u)lu  ',  probable- 
ment au  pluriel.  Le  mot  constituerait  une  formation  de  tout 
point  analogue  à  ab-oculis,  mais  appartenant  aune  couche 
plus  ancienne,  dans  laquelle  la  seconde  partie  du  terme  s'est 
comportée  phonétiquement  comme  le  substantif  isolé  -.  Dans 
tout  le  midi,  la  finale  du  nom  désignant  l'orvet  est  parallèle  > 
à  «  œil  »,  et  dans  le  nord  la  chute  précoce,  en  mainte  région, 
de  l'élément  /  dans  un  mot  qui  n'avait  pas  de  tradition 
littéraire  et  dont  la  finale  était  exposée  à  toutes  les  analogies, 
n'est  'pas  plus  surprenante  que  celle  d'avril  (avril)  >  avri 
ou  de  tant  d'autres  du  même  genre. 

Mais  que  signifie  le  premier  élément  ?  Il  faut  procéder  par 
analogie.  Si  nous  sommes  en  présence  d'une  formation  sem- 
blable à  *ab-oculis,  le  point  de  départ  doit  être  le  même. 
On  sait  que  cette  dernière  expression  a  été  créée  par  le  lan- 
gage médical  sur  le  modèle  du  grec  àrS  z]j.\j.y.-i,y/  ^  :  ce  langage 
était  fortement  imprégné  de  grec,  et  nous  voyons  de  tout  temps 
la  terminologie  technique  des  maladies  ou  des  infirmités  péné- 
trer dans  la  langue  courante. 

Or  le  grec,  pour  désigner  l'être  privé  de  ses  yeux,  avait 
une  autre  expression,  plus  fréquente  même  que  la  précédente  : 
àvi!p6aX|j,o;  OU  àvo;j.[j.a-sç,dans  laquelle  àv  représente  a  privatif, 
et  non  àvîu  ou  àvi.  Mais  il  y  avait  là  matière  à  amphibologie, 
surtout  pour  des  médecins  romains,  et  on  conçoit  fort  bien 
qu'on  ait  refait  la  locution  —  d'ailleurs  parfiiitement  correcte 
—  aveu  Ô90aA[;.wv  (ou  i;/;/âTa)v)  et  même,  pour  éviter  l'hiatus  ^, 
avs'jO'  i^OaXixûv.  Si  l'on  ajoute  que  la  confusion  avec  ivà  devait 


1.  Objcctera-t-on  que  le  grovipc  cl  ne  serait  pas  encore  représenté  par  // 
(=/ mouillé)  à  l'époque  de  Polemius  Silvius  (449)  ?  Qu'en  savons-nous? 
La  Lcx  Sitlica,  un  peu  plus  tard,  a  bien  hot  ilia  =  butticu  la.   . 

2.  En  réservant  les  évolutions  dues  au  contact  du  v  avec  la  diphtongue  uo^ 
ne  (vtto,  vue^  guo,  guc). 

3.  Je  dis  parallèle  et  non  identique,  le  singulier  et  le  pluriel  de  «  œil  » 
ayant  pu  donner  lieu  à  des  évolutions  différentes  généri'lisées  dans  un  sens  ou 
dans  l'autre. 

4.  Cf.  Meyer-Lûbke,  Roman,  etyiii .   IFoertcrbitch,  n»  33. 

5.  Bien  qu'il  fût  correct,  Platon  écrit,  par  exemple,   avs-j  ïqo^. 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  243 

être  fatale,  surtout  chez  des  demi-savants,  nous  avons  là  toutes 
les  variantes  nécessaires  et  suffisantes  pour  justifier  les  forma- 
tions et  les  flottements  du  latin  vulgaire  ;  la  diphtongue  eu 
devient  naturellement  ev  devant  voyelle,  et,  comme  elle  n'exis- 
tait pas  dans  la  langue  populaire,  elle  a  été  remplacée  par  e 
devant  consonne;  1'^  serait  dû, dès  l'origine,  à  l'analogie  de  àvà 
(sans  qu'il  soit  nécessaire  de  faire  appel  à  -/.a-rà,  qui  avait  péné- 
tré en  latin)  ;  le  G  s'est  réduit  régulièrement  à  t.  Voici  donc 
nos  quatre  variantes  *anetoc(u  )lis ,  *anatoc(u)lis  ; 
*anev-oculis,   *anavoculis. 

La  géographie  linguistique  nous  indique  que  les  deux  pre- 
mières ont  prévalu  dans  la  Narbonnaise,  d'où  elles  se  sont 
implantées  dans  le  bassin  de  la  Garonne  et  le  Massif  Central  ; 
les  deux  dernières,  au  contraire,  dans  la  région  rhodanienne 
d'où  elles  ont  gagné,  d'une  part  les  Alpes  jusqu'en  Suisse  et 
en  Piémont,  de  l'autre  le  nord  de  la  France,  en  s'étalant  vers 
l'ouest  au  nord  du  Massif  Central  '.  Je  donnerai  plus  loin 
d'autres  exemples  de  créations  particulières  à  la  région  rhoda- 
nienne en  latin  vulgaire,  et  d'une  extension  géographique  ana- 
logue de  ces  formes  ^. 

Il  n'est  pas  jusqu'à  la  conservation  sporadique  de  la  contre- 
finale  que  nous  ne  puissions  expliquer  avec  cette  hypothèse  : 
il  est  fort  admissible  que  la  parenté  avec  «  œil  »  ait  été  sentie 
assez  longtemps  dans  diverses  régions  pour  faire  obstacle  à  la 
syncope  dans  un  mot  perçu  comme  composé. 

Il  résulte  enfin  de  l'analyse  des  faits  que  la  répartition  géné- 
rale des  types  s'est  fixée  dès  le  début  du  moyen  âge  '.  Les 
formes  ont  évolué  spontanément  sur  les  divers  points  du  ter- 
ritoire (sauf  l'extension   récente   du    français    classique  orvet) 

1.  Le  type  anev-,  qui  se  trouve  dans  la  Limagne,  est  arrivé  par  Thiers  et 
a  débordé  sur  l'Allier,  comme  tous  les  mots  venus  de  Lyon  à  une  époque 
quelconque  (cf.  l'aire  cavaîa  dans  la  carte  »  jument  »  de  V Allas  linguistique). 

2.  Cf.  ci-dessous  l'article  lacri  musa  et  le  renvoi  relatif  à  fêta  . 

3.  Faut-il  en  excepter  la  région  limousine  ?  L'îlot  606-607  (anavuolh  > 
avanVJÔ)  paraît  représenter  une  aire  plus  vaste  (soudée  peut-être  à  celle  du 
nord),  et  débordée  très  anciennement  par  le  courant  anadolh  venu  du  Midi. 
Il  semble  prouver  que,  pour  ce  mot,  Limoges  a  constitué  un  petit  foyer  local 
en  dehors  des  deux  grands  centres  d'expansion,  cités  plus  haut. 


244  ALBERT    DAUZAT 

«  Orvet  »  n'est  pas  un  mot  qui  voyage  :  désignant  un  ani- 
mal qui  n'est  ni  utile,  ni  nuisible,  ni  dangereux,  et  qui  ne 
pullule  pas,  il  revient  assez  rarement  dans  la  conversation. 
C'est  pour  la  même  raison  qu'il  est  rare  dans  les  anciens  textes. 


GODE,  GODON 
Godefroy  a  un  article  gode  i  ainsi  conçu  : 

I.  Gode,  s.  f.,   brebis   qui  ne  peut  plus  porter  et  qui  n'est  bonne 
qu'à  engraisser  pour  tuer. 

Aagé  comme  une  vielle  gode 

CoQUiLL.,  Eiiqucstr,  II,  123,  Bibl.  elz. 

J'ai  trois  vaches,  une  chèvre  et  une  noire  gode,  lesquelles   en    tout 
temps  me  font  des  caillotins. 

Merlin  CoccAiE,  t.  I,  p.   170,  éd.  1606'. 

Le  mot,  souvent  pourvu  d'un  suffixe,  se  retrouve  dans  les 
patois  actuels  avec  une  variété  de  sens  qui  ne  laisse  pas  de 
surprendre.  —  godo  =^  brebis,  existe  dans  le  pays  de  Combraille 
ÇAtl.  ling.^  800,  801  ;  j'y  joins  Buxières-sous-Montaigut)  ; 
Mistral  donne  godo,  jodo  (Dauphiné)  =  «  vieille  brebis  qui 
n'est  plus  bonne  qu'à  engraisser  ».  Dans  le  nord-est,  le  mot 
désigne  le  taureau  :  gode  (28,  121,  122,  130,  133  de  V Atlas, 
Haute-Marne  et  Marne),  signifie  «  taureau  »  ou  «  jeune 
taureau  »  ;  Rolland  ^  signale  la  même  forme  (==  taureau)  à 
Frizon  (arrondissement  d'Epinal)  ;  le  simple  god(o)  s'applique 
à  la  vache  en  Suisse  romande  '.  La  carte  jars  nous  réserve 
d'autres  surprises  :  le  mâle  de  l'oie,  d'après  V Atlas,  s'appelle 
goda  en  Saône-et-Loire  (909),  et  j'ai  relevé  moi-même  god 
«  jars  )),  avec  gôdè  «  ver  »  à  Montier-en-Der  (Haute-Marne). 
Enfin     il    semble    bien   que    les   gadl,  gad'e  «   porc  »,    de  la 


1.  Le  contexte  ne  prouve  pas  que  i^ocle  désigne  à  lui  seul  le   mot  «  vieille 
brebis  »  (sens  que  Godefroy  a  dû  prendre  dans  les  patois  actuels). 

2.  Faune  populaire,  t.  V,  p.   5. 

5.   Communication  de  M.   Winkler. 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  245 

vallée  d'Aoste  (Atlas  975,  986)  appartiennent  à  la  même 
racine  :  toujours  est-il  que  godî  =  porc  est  attesté  en  wallon 
d'après  Grandgagnage  (cité  par  Rolland,  Faune  pop.,  V,  216), 
gîida,  truie,  dans  la  Suisse  romande  (Atlas,  939,  968,  969)  et 
gode,  porc,  dans   la  Suisse  allemande  occidentale  (Idiotikon,  II, 

123)- 

Aucune  relation  de  sens  ne  peut  exister  entre  la  vieille  bre- 
bis, le  jeune  taureau,  le  jars  et  le  verrat.  Une  seule  hypothèse 
est  admissible  :  le  mot  a  dû  être  à  l'origine  un  surnom,  qui  a  pu 
s'appliquer  ainsi  à  diverses  catégories  d'animaux  avec  une 
valeur    parfois   péjorative  '. 

Le  sens  péjoratif  est  confirmé  par  ailleurs  :  à  Vinzelles,  c"^ 
Bansat  (Puy-de-Dôme),  goda  signifie  «  mauvaise  viande  »  (sur- 
tout dure,  c'est-à-dire  viande  d'une  vieille  bête).  Il  peut  même 
être  complètement  indépendant  d'un  nom  d'animal,  et  cela 
très  anciennement,  puisque  Godefroy  donne  gode  =  efféminé  ^ 
(du  xvi^  siècle),  qu'il  a  eu  tort  de  séparer,  dans  un  article  3, 
de  gode  I  ;  Mistral  connaît  également  le  sens  propre  «  vieille 
brebis  »  et  le  sens  dérivé  «  fainéant,  vaurien  ». 

Que  représente  ce  mot  ?  Je  crois  d'abord  qu'il  fout  éliminer  la 
forme  jodo  du  Dauphiné,'qui  n'est  pas  phonétique  :  les  exemples 
de  Champagne,  de  Bourgogne,  de  Combraille  comme  ceux  de 
Godefroy  nous  prouvent  surabondamment  que  le  mot  a  eu  un 
g  dans  toute  la  France  ;  le  /  dauphinois  est  un  exemple  de  fausse 
équivalence  qui  s'observe  dans  certains  emprunts  :  le  terme 
sera  venu  de  Provence,  où  le  g  correspond  dans  un  grand 
nombre  de  mots  à  ;  (d:()  dauphinois. 

La  date  des  exemples  de  Godefroy  va  nous  éclairer  sur  l'éty- 
mologie.  Ce  n'est  sans  doute  pas  un  hasard  si  le  terme  apparaît 
pour  la  première  fois  dans  la  seconde  moitié  du  xv*^  siècle  (Guil- 
laume Coquillart).  Nous  croyons  que  o-oJ^estune  dédiminutivi- 
sation  (suivant  l'excellente  expression  de  M.  Gilliéron)  de 
godon,  sobriquet  fréquemment  donné  aux  Anglais  au  cours  du 


1.  Ainsi  Robin,  qui  s'est  accolé  au  nom  du  mouton  dès  le  moyen  âge, 
désigne  le  taureau  dans  certaines  régions  (^//(75,  117,  128,  230,  239,  313, 
etc.). 

2.  Les  textes  cités  montrent  qu'il  s'agit  d'un  substantif  masculin  (un 
lasche  (^ode  j/oie],  etc.)  et  non  d'un  adjectif  comme  le  dit  Godefroy. 


24-6  ALBERT   DAUZAT 

XV'  siècle,  d'après  leur  juron  favori  goJdam  '.  Nous  nous  con- 
tentons de  renvoyer  à  l'article  godon  de  Godefroy,  en  faisant 
observer  que  dans  deux  exemples  le  mot  est  accolé,  avec  valeur 
péjorative,  à  des  noms  d'animaux  (appartenant  précisément  à 
des  espèces  citées  plus  haut)  :  «  godons  gros  veaux  »et  «  godons 
pourceaux  ».  Remarquons  que  le  terme  ne  paraît  pas  avoir  vécu 
dans  les  patois  de  l'ouest,  région  où  la  domination  anglaise, 
traditionnelle  depuis  les  Plantagenêtsetles  ducs  de  Normandie, 
ne  donna  pas  lieu  aux  mêmes  exactions  et  à  la  même  antipa- 
thie. 

Nous  rattacherions  volontiers  à  la  même  racine  le  français  o-o^//- 
r/jé'(xviii"=s.),  car  il  nous  paraît  difficile  devoir  dans  son  prototype 
godon  une  forme  hypocoristique  de  Claude,  comme  le  propose 
le  Dictionnaire  général  ;  godant,  tromperie  (xvii^  s.)  ;  peut-être 
aussi  godinette,  fille  d'humeur  galante  (qui  apparaît  chez  Coquil- 
lart  en  même  temps  que  gode^.  C'est  sans  doute  à  cette  famille 
qu'est  due  l'altération  de  gogailler  en  godailler,  qui  est  attestée 
au  xviii'  siècle  (Dict.  de  Trévoux),  mais  qui  doit  être  plus 
ancienne. 

L'ancien  argot  français  des  malfaiteurs  a-t-il  des  traces  de  ce 
mot  ?Le  lexique  des  Coquillards  bourguignons  nous  àonne godii^ 
«  riche  »,  que  M.  Sainéan^  tire  de  godi~o  (même  sens),  terme 
appartenant  à  la  germania  (argot  espagnol  des  malfaiteurs).  Mais 
godi~o  —  sauf  erreur  —  n'apparaît  qu'en  1609  dans  le  recueil 
de  Juan  Hidalgo,  soit  un  siècle  et  demi  plus  tard  :  s'il  y  a  eu 
un  emprunt,  il  s'est  opéré  en  sens  inverse'.  Da.nsV Argot 
ancien  +,  M.  Sainéan  cite  concurremment  une  variante  coquil- 
larde  godin,  que  je  n'ai  pu  malheureusement  identifier  :  car,  si 
elle  était  établie,  elle  fortifierait  d'autant  plus  l'hypothèse,  que 
nous  avons  rencontré  godin  «  taureau  »  dans  une  région  voi- 
sine de  la  Bourgogne. 

1.  Cf.  L.  Schoene,  Le  Jargon  de  Villon,  p.  17  et  n.  3,  pour  cette  expression 
et  pour  d'autres  mots  anglais  qui  apparaissent  à  la  même  époque. 

2.  U Argot  ancien,  p.  i4y,  Les  Sources  de  VA rgol  ancien,  11,362. 

3.  Il  est  fort  possible  également  que  godi^o  ait  été  tiré,  sur  place,  de  godo 
(Goth).  La  question  demanderait  à  être  étudiée  de  près. 

4.  P.  145.  La  variante  o^ot^m  ne  figure  pas  dans  le  texte  du  Procès  de  Coqiiil- 
liards  donné  dans  les  Sources  de  V Argot  ancien,  ni  dans  le  Glossaire  du  même 
ouvrage . 


ETYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  247 


LACRIMUSA 

Pour  expliquer  les  formes  que  revêt  dans  le  sud-est  de  la 
France  le  nom  du  lézard  gris  ',  M.  Philipon,  le  premier,  resti- 
tuait «  un  type  barbare  lacrimusia  )),dans  lequel  il  voyait  «  le 
latin  lacryma-f-usia  ))^  M.  A.Thomas  a  retrouvé  lacri- 
musa  dans  le  précieux  Latcrcuhis  de  Polemius  Silvius,  et  il  a 
conclu  justement  :  i°  que  ce  mot,  dès  le  v*  siècle,  désignait  le 
lézard  gris  dans  le  sud-est  de  la  Gaule,  et  qu'une  forme  allon- 
gée en  ia  avait  été  en  usage  par  la  suite  dans  la  région  lyon- 
naise; 2°  que  le  terme  primitif  ne  devait  rien,  avoir  de  commun 
avec  l'idée  de  «  larme  »,  mais  que  l'étymologie  populaire  avait 
vu  de  bonne  heure  dans  ce  thème  celui  de  lacrymal  De  son 
côté,  M.  Meyer-Liibke  enregistre  sans  commentaires  lacrimusa 
dans  son  Roiuanisches  etyniologisches  Wœrterhuch. 

Ne  peut-on  aller  plus  loin  ?  Je  crois,  pour  ma  part,  que  nous 
sommes  en  présence  d'une  création  du  latin  vulgaire.  L'étymo- 
logie devient  transparente  si  on  coupe  le  mot  comme  il  suit  : 
1-acrï-mûs-a.  Le  latin  vulgaire,  dans  la  région  qui  nous  inté- 
resse, a  surnommé  le  lézard  gris  «  le  museau  pointu  »,  forma- 
tion parallèle  à  celle  du  houx  (acrifolium)  et  à  bien  d'autres. 
Est-il  rien  de  plus  naturel?  La  finale  féminine  a  n'est  point  pour 
nous  surprendre  :  le  terme,  comme  on  le  verra  bientôt,  se  subs- 
tituait précisément  à  un  féminin.  L'agglutination  de  /  initiale 
peut  sembler  plus  difficile  à  admettre  en  latin  vulgaire  :  mais 
outre  que  l'usage  de  l'article  était  fortement  enraciné  dans  le 
peuple  à  l'époque  impériale,  il  faut  voir  là  précisément  le  résul- 
tat de  l'étymologie  populaire  (lacrima)  dénoncée  par 
M.  Thomas.  On  peut  objecter  que  mû  su,  museau,  n'est  pas 
latin  et  n'est  pas  attesté  avant  le  viii^  siècle.  Mais  rien  ne 
prouve  que  ce  mot  ne  fût  pas  plus  anciennement  acclimaté 
dans  la  Romiuiia.  L'extension  très  vaste   du  terme  (Gaule  du 


1.  Et  non  du  «lézard  vert  »,    comme  le  dit  par  erreur  M.  Mever-Lûbke 
(/?ow.  etym.  Wœrterhich,  4826). 

2.  Roiiiaina,  XX,  310-315. 
5.  Romania,  XXXV,  181. 


248  ALBERT    DAUZAT 

nord  et  du  sud,  Espagne,  Italie  du  nord)  tend  à  le  faire  croire 
et  peut  encore  suggérer  l'hypothèse  d'un  type  prélatin. 

La  répartition  géographique  de  ce  mot  appelle  quelques  con- 
sidérations. M.  Thomas  Qoc.  cit.^  a  montré  l'extension  actuelle 
de  l'aire  :  elle  déborde  sur  les  Alpes  et  au  delà,  s'arrête  à  l'ouest 
aux  Cévennes,  au  sud-ouest  au  voisinage  du  Gard,  et  au  nord 
ne  dépasse  pas  les  limites  du  département  de  l'Ain.  Je  crois  que 
dans  cette  dernière  direction  elle  a  dû  aller  autrefois  beaucoup 
plus  loin,  et  que  le  mot  ernOyaâ  ÇAll.  ling.  27,  Haute-Marne) 
est  un  résidu  déformé  de  laniiuse,  *larmose  -\-  suffixe. 

Au  contraire,  à  l'ouest,  les  frontières  doivent  être  anciennes. 
Lacrimusà  est  un  exemple  frappant  des  créations  originales 
qui  se  sont  formées  autour  de  Lyon,  second  foyer  de  romani- 
sation  de  la  Gaule  après  Narbonne  ',  et  qui  se  sont  superposées, 
par  la  formation  d'aires  nouvelles  (rayonnant  vers  le  Nord  par 
le  couloir  de  la  Saône),  aux  termes  propagés  primitivement  par 
la  Narbonnaise,  ces  derniers  étant  souvent  communs  (c'est  ici  le 
cas)^  avec  ceux  du  bassin  du  Pô. 

Une  fois  conquis  au  français,  Lyon  a  créé  un  français  régio- 
nal larmnse  ,  qui  s'est  étendu  à  l'ouest  plus  loin  que  l'aire  indi- 
gène lacrimusà  :  ainsi  le  Pùy-de-Dôme,  qui  a  emprunté 
jadis,  par  Clermont  et  la  voie  de  Thiers,  beaucoup  de  désigna- 
tions françaises  à  Lyon,  appelle  toujours  en  français  le  lézard 
gris  larnuise,  alors  qu'aucun  des  termes  patois  de  la  région  ne 
se  rattache  à  cette  racine. 

PROV,  MOD.  LENGROLO,  IT.  DU  NORD  LIGURJ,  LINGURA 

Le  Midi  de  la  France  (à  l'exception  de  la  région  orientale) 
et  le  nord  de  l'Italie  offrent  pour  le  nom  du  lézard  —  ici  lézard 


1.  Cf.  ci-dessus  pour  l'orvet,  p.  243.  La  colonie  de  Narbonne  fut  fondée 
en  1 18  avant  J.-C,  et  Lyon,  qui  devint  aussitôt  capitale  des  Gaules,  fut,  avec 
Augst,  la  seule  colonie  romaine  créée  par  Auguste.  M.  Camille  Jullian  a  fait 
ressortir  l'importance  de  ces  deux  créations  (///i/anv  de  la  Gaule,  II,  128-130, 
et  IV,  42-47).  Dès  la  fin  du  ler  siècle  après  J.-C,  Lyon  rivalise  d'importance 
avec  Narbonne,  pour  acquérir  bientôt  la  prépondérance.  La  région  de  Mar- 
seille, restée  longtemps  grecque,  n'a  guère  agi  dans  laromanisation  delà  Gaule. 

2.  Voir  l'article  suivant. 


ETYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  249 

vert,  là  lézard  gris,  —  une  série  de  formes  apparentées  que 
M.  Meyer-Lûbke,  dans  son  Rùin.  etym.  Wœrterbiich,  enregistre 
sousl'article  lacerta  (4821,  n°  3  et  4),  et  dont  M.  Bertoni  a 
donné  récemment  de  nouvelles  variantes  pour  la  région  padane  ' . 
Je  veux  parler  des  types  provençaux  lengrolo,  ingrolo,  rengloro, 
etc.,  et  les  types  italiens  languro,  ligura,  ingrolo,  etc. 

Il  me  semble  impossible  de  rattacher  ces  formes  à  lacerta 
ou  lacertus,  et  le  doute  qu'exprime  M.Meyer-Lïibke,  spéciale- 
ment par  rapport  à  la  série  qu'il  a  classée  sous  le  n°  3  -,  me 
paraît  amplement  justifié.  Non  seulement  il  est  dangereux  depos- 
tuler,  sans  aucun  fil  conducteur,  des  équations  aussi  hasardeuses 
que  lacerta  >  ren^lora,  rigola  ou  ligiira,  qui  touchent  presque 
au  domaine  de  la  fiuitaisie  ;  mais  surtout  le  parallélisme  remar- 
quable des  formes  occitaniennes  et  padanes,  que  je  njettrai  en 
relief  plus  loin,  ne  peut  être  l'eftet  du  hasard.  Il  faut  trouver 
une  racine  commune  et  des  causes  identiques  de  déformation 
qui,  ici  comme  là,  devaient  nécessairement  agir. 

Je  crois  qu'il  faut  revenir  à  l'hypothèse  dé  Caix  '  et  recourir 
à  langurus  ou  1  augura,  mais  en  admettant,  sur  la  majeure 
partie  du  territoire,  par  étymologie  populaire,  une  influence  de 
lingua,  spécialement  dans  les  deux  variantes  de  son  dérivé 
lingula,  ligula  :  action  d'autant  plus  vraisemblable  que  le 
sens  y  prêtait  comme  la  forme,  et  que  le  point  de  contact  phoné- 
tique était  fourni  par  un  autre  dérivé,  lingurire.  Dans  les 
patois  actuels,  là  où  le  radical  n'a  pas  conservé  son  a  primitif, 
le  vocalisme  du  mot  sur  ce  point  suit  exactement  celui  de  lin- 
gua :  nous  avons,  dans  le  bassin  du  Pô,  bigiolo,  ligura,  rigola... 
dans*  la  région  de  linga  ;  dans  le  sud  de  la  France,  lengrolo,  ren- 
gloro... en  face  de  lengo,  et,  plus  au  nord  et  à  l'est  (Auvergne, 
etc.),  lingrolo...  [yègrolo...  parallèlement  à  lingo,  lyego. 

Tâchons  maintenant  d'expliquer  l'ensemble  des  formes  ita- 
liennes et  occitaniennes.  Les  premières  —  ceci  confirme  notre 
hypothèse  —  offrent    une   plus  grande  variété    originaire.  Ici 


1.  Romania,  XLII,  p,  161  et   suivantes. 

2.  Loc.  cit.  Le  classement  demanderait  à  être  refait  :  la  plupart  des  formes 
italiennes  du  §  5  (languro,  liguro,  ingrolo)  devant  être  réunies  aux  formes 
provençales  parallèles  du  §  4  (lingrolo,  etc.). 

3.  Stiitlj  di  etimologia  italiana   e  romança,  380. 


250  ALBERT    DAUZAT 

langura  ou  langurus  s'est  généralement  appliqué  au  lézard 
vert  '.  Levénétien  ^  langnro  représente  exactement  langurus  ; 
le  type  lingitro,  langurus-j-  lingula,  etle  type  plusfréquent 
Uguro  (région  de  Vicence,  Bologne,  Ferrare...)  langurus  -f- 
ligula.  La  présence  de  deux  liquides  appelle  fatalement  la 
métathèse  (rigola  en  Emilie  [Bertoni],  etc.);  l'addition 
ancienne  du  suffixe  -ola  (souvent  pour  désigner  le  lézard  gris, 
plus  petit  que  le  lézard  vert),  produit  la  syncope  (Jingrolo,  etc.). 
Inutile  de  mentionner  l'aphérèse  de  /  initial. 

Dans  la  France  du  Midi  ',  d'après  les  formes  actuelles  et 
leur  répartition  géographique,  il  paraît  certain  que  le  mot  a  été 
introduit  parla  Narbonnaise  sous  la  forme  *langurola  et  avec 
le  sens  de  «  lézard  gris  »  ^,  l'acception  de  «  lézard  vert  » 
ayant  peut-être  été  prise  à  l'origine  par  langa,  ou  plus  probable- 
ment déjà  parlacertus.  Va  primitif  ne  s'est  conservé  que  sur 
quelques  points  au  sud-est,  près  de  la  Méditerranée  et  de  jl'aire 
lacrimusa  ^  :  àngrolo  (777-778)  avec  aphérèse  de  /,  âni;Jora 
(768)  avec  métathèse.  Il  y  a  eu  peut-être  au  début  quelques 
variantes  concurrentes  importées  en  Gaule  :  les  patois  862-3 
Qàngolo^  rangolo  avec  dissimilation)  semblent  représenter  une 
variante  originaire  *langôla,  qui  aurait  été  réduite  à  la  por- 
tion congrue  par  l'expansion  ultérieure  de  *langurola  ^  : 
mais  il  n'est  pas  impossible  qu'une  des  trois  liquides  du  groupe 
*JangroIa  ait  été  éliminée  par  dissimilation,  avant  ou  après 
métathèse. 

La  présence  de  trois  liquides,  dont  la  médiane  combinée, 
devait  amener  fatalement  des  dissimilationsetmétathèses  encore 
plus  nombreuses  qu'en  Italie.  Citons  notamment  les  typeàrm- 


1.  En  rivalité  avec  ramarra  (cf.  le  travail  précité  de  M.  Bertoni). 

2.  Les  mots  italiens  cités  appartiennent  aux  listes  de  MM.  Meyer-Lùbke  et 
Bertoni. 

5.  Cf.  V Allas  linguistique. 

4.  Pour  le  diminutif,  cf.  encore  l'italien  htcertoh  =  lézard  gris,  et  l'espa- 
gnol higailijo,  même  sens. 

5.  Les  à  de  la  Charente  (où  lingua  >  hlg)  remontent  à  en. 

6.  Cf.  aussi  les  formes  ri^o/o,  regolo  citées  par  Rolland  (Bouches-du-Rhône) 
et  que  n'a  pas  l'Atlas:  elles  auraient  la  même  explication  que  lerigola  bolo- 
nais. 


ETYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  25  I 

^/t>;-o(842,  852,  709,  811...),  réttgolo  (759,  840...)  (et  ryêgolo 
<C  *ringola  à  Saint-Maurice,  Puy-de-Dôme).  Sporadiquement 
s'observe  l'aphérèse  de  /  (JngroJo,  Mistral),  combinée  souvent 
avec  la  substitution  de  suffixe  :  âgrotÇ^i^,  535),  et  làgrot  (527, 
528,  533,  539)  ;  àgru'ai,-e;i  (511,^513,  515  et  toute  la  Cha- 
rente) et  legn^è  (822).  Voici  enfin  l'étymologie  populaire  :  type 
mingrola  dans  la  région  de  Bansat  (Puy-de-Dôme),  etc.  Dans  le 
sud  de  l'Auvergne  et  la  Corrèze  s'observe,  avec  une  aphérèse 
qui  peut  atteindre  01  après  /,  une  réduplication  de  suffixe  :  cer- 
taines formes  complexes  et  difficiles  posent  des  problèmes  assez 
délicats  '. 

Enfin  des  croisements  entre  lacerta,  lacertus  et  les  dérivés 
delangura  étaient  inévitables:  les  formes  bergamasques  et 
trentines  ligurt,  ligurd...  descendent  visiblement  de  liguro  influ- 
encé par  lacertus;  en  revanche  le  type  lâyèr,  qui  s'applique 
en  général  —  fait  remarquable  —  au  lézard  gris  comme  au 
lézard  vert  dans  le  sud-est  du  Puy-de-Dôme,  suppose  une 
variante  ancienne  *lagertus  dont  le  «"sembledû  au  dérivé  de 
langa.  Le  piémontais  lay'ôl  m'apparaît  comme  un  des  exemples 
les  plus  caractéristiques  de  ces  croisements. 

MOTS  PROVENÇAUX   D'ORIGINE   GERMANIQUE 

Le  nord  du  domaine  provençal,  et  spécialement  la  Basse- 
Auvergne  avec  ses  confins,  offre  certains  mots  d'origine  ger- 
manique qu'on  ne  retrouve  plus  au  sud.  Un  certain 
nombre  d'entre  eux  sont  même  spéciaux  à  cette  région  et  sont 
inconnus  aussi  bien  au  français  qu'aux  parlers  du  Midi.  La  pré- 
sence de  ces  derniers  en  particulier  est  due,  sans  aucun  doute, 
à  l'importante  colonie  de  Wisigoths  (renforcée  plus  tard  par 
une  colonisation  franque),  sur  laquelle  malheureusement  nous 
n'avons  pas  de  documents,  en  dehors  d'un  passage  assez  vague 
de  Sidoine  Apollinaire.  Mais  la  géographie  linguistique  nous 
permet,  pour  plusieurs  de  ces  termes,  d'affirmer  que  leur  foyer 
d'expansion  fut  la  Basse  Limagne. 


I.  Pour  plus  de  détails  sur  les  formes  auvergnates,  cf.   mon  étude  «  lézard 
gris  »,  dans  la  Revue  de  philologie  française,  191 5. 


252  ALBERT    DAUZAT 

Je  vais  en  passer  quelques-uns  en  revue.  J'y  joins  des  mots 
bien  connus,  mais  dont  il  peut  être  intéressant  de  préciser  la 
répartition  on  de  compléter  l'histoire  sémantique  en  apportant 
des  sens  nouveaux. 

AMAITJA. 

Je  renvoie  à  l'étude  que  j'ai  publiée  naguère  ici  môme'.  Je 
supposais  un  type  *amaiza  (radical  gothique  présumé  : 
AMAIT-);  dans  une  note  jointe,  Gaston  Paris  exprima  des  doutes 
sur  la  possibilité  d'admettte  l'introduction,  en  Auvergne,  d'une 
forme  germanique  ayant  éprouvé  la  Lautverschiehnng .  La  diffi- 
culté était  réelle.  La  variante  amaitj-  proposée  par  M.  Meyer- 
Lûbke^  —  du  moment  qu'elle  est  licite  en  germanique  — 
satisfait  à  la  fois  les  exigences  de  la  chronologie  et  de  la  phoné- 
tique romane. 

L'article  précité  avait  paru  avant  la  publication  des  cartes 
«  fourmi  »  et  «  fourmilière  »  de  V Atlas  liiiguisliqiic.  Je  puis 
donc  le  compléter  aujourd'hui  à  l'aide  de  ces  nouveaux  docu- 
ments, ainsi  que  des  matériaux  supplémentaires  que  j'ai 
recueillis  dans  l'intervalle. 

D'abord  pour  la  répartition.  Le  mot  s'étend  plus  loin  au  nord 
et  à  l'est  que  je  ne  l'avais  indiqué.  Il  recouvre  tout  le  Bour- 
bonnais et  le  Lyonnais,  et  déborde  sur  la  Saône-et-Loire.  Dans 
le  Puy-de-Dôme  le  mot  s'arrête  à  l'ouest  au  versant  oriental  de 
la  chaîne  des  puys  et  du  Mont-Dore  (aire  fonnic)  et  au  sud-est  à 
la  région  montagneuse  des  cantons  d'Ariane  et  de  Viverols;  par 
contre,  il  remonte  dans  la  Haute-Loire  et  le  Cantal  parles  vallées 
de  l'Allier,  de  l'Alagnon  et  delaRue.  Le  foyer  d'expansion  a  été 
certainement  la  basse  Limagne,  tout  au  moins  pour  l'Auvergne. 

Quant  à  la  forme,  je  persiste  à  croire,  comme  je  l'ai  dit  dans 
l'article  précité,  que  le  mot  germanique  a  dû  pénétrer  en  roman 
tout  armé  de  son  suffixe.  Les  formes  /;w.^,de  l'Allier,  que  j'igno- 
rais alors,  se  rattachent  au  suffixe  germanique  que  j'avais 
indiqué,    d'après     l'autorité    de     L.    Duvau  '    :     *AMAiTj-m, 


1.  Remania,  XXX,  11 5-1 19. 

2.  Rotiianisches clvinoîocriscbes  Wœrterhuch,  594. 

3.  Je  rappelle  qu'il  s'agit  du  suffixe  -idi,  -iti,  dont  la  première  voyelle  est 
brève  ou  longue,  et  qui  sert  à  former  soit  des  diminutifs  (Juiii^idi,   petit  d'un 


ÉTYMOLOGIES   FRANÇAISES   ET    PROVENÇALES  253 

explique  d'une  part  le  bourbonnais  ?;w~  (=  a}uq{i)txde  >• 
ai)ia:iee,  par  chute  normale,  comme  en  français,  de  d  issu  de 
/  intervocalique),  et  d'autre  part  les  deux  types  auvergnats 
(séparés  approximativement  par  l'Allier  :  *amaizètë>-  *ma^edc 
>•  ma::^éde  à  l'ouest  (Cantal  inclus),  *inqx_ede  >>  ina:{de  >> 
*maydc  ">  miuide  à  l'est').  Je  crois  aujourd'hui  que  la  forme 
iiiwito  de  Grandrif  est  une  altération  récente  due  au  mot  voi- 
sin beleto  =^  fourmi.  L'e  final  a  souvent  été  changé  en  a  ; 
beaucoup  de  formes,  surtout  dans  la  seconde  série,  ont  un  / 
terminal  :  il  est  peu  probable  que  ce  soit  le  représentant  de  1'/ 
final  germanique. 

BERTWALD. 

M.  Meyer-Lûbke  a  un  article bertwald  (io53)où,  à  côté  du 
français  hcrtaiid,  roi  bertaud,  il  englobe  le  «  provençal 
moderne  »  bcrtan,  hanneton'.  Le  mot  existe  dans  l'ancienne 
langue  :  le  Tctit  dictionnaire  provençal  de  M.  Emile  Levy  nous 
donne  «  bertaii,  s.  ni.,  pauvre  hère;  hanneton;  adj .  pitoyable, 
misérable  )),et  Raynouard  avait  déjà  traduit /v;Yrt/ par  «  hanne- 
ton »  dans  un  passage  de  Marcabru.  M.  A.  Thomas  avait  cri- 
tiqué naguère  la  traduction  et  la  lecture^  :  il  proposait  de  lire 
bercail,  et  d'identifier  ce  mot  au  bergau,  bergaudo,  qui  signifie 


animal),  soit  des  collectifs  (oinuidi,  troupeau  de  moutons)  ;  ma-  pourrait 
aussi  représenter  phonétiquement  amaitja,  mais  sa  position  géographique 
entre  les  ma\de  de  la  Creuse  et  les  *iini:^dc,  mayedc  du  Puy-de-Dôme,  nous 
force  à  admettre  l'autre  explication  :  le  latin  vulgaire  n'ayant  pas  de  suffixe 
ïtc,  cte,  le  suffixe  germanique  n'a  pu  s'agréger  indépendamment  dans  deux 
régions. 

1 .  La  forme  originaire  niaide,  avec  des  variantes  de  finale,  a  été  relevée 
par  l'Atlas  linguistique  au  point  812  au  sud-est  des  formes  auvergnates 
maiedo,  ainsi  qu'au  nord-ouest  de  l'aire; dans  la  Creuse  (601-602).  M.  Meyer- 
Lùbke  postule  à  tort  un  prototype  m(u)a:;;^[ey!c'  pour  l'Auvergne  :  les  formes 
lui  proviennent  de  «:^  >  ay  >  oi;  le  berrichon  a  le  suffixe  el  et  non  et  :  Bou- 
nin(cité  par  Godefroy)a  maseau  ;  Y  Allas  a  relevé  maiyé  SiU  point  800. 

2.  Avec  renvoi  à  la  Zeitschrift  fiïr  romanischc.  Philologie,   XVIII,  136  et 
189. 

3.  Notes  de  lexicographie  provençale,  v"    bergdu  (dans  les  Annales  du  Midi, 
1893). 


254  ALBERT    DAUZAT 

<'  frelon  »  dans  le  Limousin  et  la  Creuse.  Depuis  lors,  l'identi- 
fication debertûii,  hanneton,  a  été  confirmée  par  l'existence  du 
mot  dans  les  patois  modernes  (j'ai  relevé,  pour  ma  part,  hârtœii, 
représentant  phonétique  de  bertau,  à  Authezat,  Puy-de-Dôme)'. 
Mais  le  rapprochement  de  M.  Thomas  n'était  pas  moins  inté- 
ressant. Si  l'on  admet  l'étymologie  que  cautionne  M.  Meyer- 
Lûbke%  je  verrais  volontiers  dans  beri^uvi  une  autre  forme  de 
BERTWALD,  daus  laquelle  le/  aurait  disparu  devant  le  lu;  celui- 
ci,  par  la  suite,  aurait  normalement  engendré  un  g.  Cette 
variante,  acceptable  au  point  de  vue  phonétique,  ne  soulève 
aucune  difficulté  de  sens,  puisqu'il  s'agit  d'une  désignation  par 
surnom,  qui  a  pu  être  appliquée  à  différents  insectes.  Mais  il  y  a 
mieux  :  bergau  —  qui  se  trouve  au  nord-ouest  de  l'aire  bertau, 
sans  qu'il  y  ait  jamais  juxtaposition  —  signifie  lui-même 
«  hanneton  »  par  endroits  :  dans  ce  sens  V Atlas  a  recueilli, 
bœrg,  J.  (508-514)  ba'rcjô  (416),  et  moi-même  biirgô  à  Châ- 
teaugay^  (près  de  Riom)  sur  la  limite  de  l'aire  bertau. 


BROD- 

Ce  mot  est  représenté  normalement  en  ancien  provençal  par 
brd  (var.  brdii^,  qui  parait  avoir  disparu  des  patois  actuels. 
Dans  la  Limagne,  au  nord-est  de  Clcrmont  (Gerzat,  Malintrat), 
on  a  un  mot  bri  «  bouillon  (soupe)  »,  qui  semble  bien  appar- 
tenir à  la  même  famille.  Mais  il  est  à  peu  près  impossible  de 
le  rattacher  au  type  brod-,  même  er\  supposant  une  diphton- 
gaison qui  serait  tout  à  fait  anormale.  Il  semble  plus  naturel 
de  songera  un  substantif  verbal  du  verbe  brôjan,  analogue  au 
normand  Ztw  =  écume,  cité  par  M.  Meyer-Lûbke  (n°  1325). 
Encore  le  vocalisme  n'est-il  pas  satisfaisant:  ne  pourrait-on 
admettre  une  variante  germanique  avec  ô  ou  a  ?  Dans  tous  les 
cas,  il  est  intéressant   de   savoir    que    ce    verbe   a    préexisté, 


1.  Mistral  le  donne,  sans  le  localiser,  comme  vieux  mot.  V Allas  ne  l'a 
pas  relevé,  mais  il  enregistre  (cartes  «  bourdon  »  et  «  frelon  »,  Siippl.) 
bergau  sur  une  zone  allant  de  l'Allier  à  la  Dordogue  et  aux  Deux- 
Sèvres. 

2.  La  seule  objection  est  celle  du  /  final. 

5.   Pour  Vu,  Mistral  donne  huigitu  (et  hrigaii),  frelon,  en  Limousin. 


ETYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  255 

avec   le  sens    «    bouillir  »,  dans  le  nord  du  domaine  proven- 
çal. 

*PAKKA 

Voici  une  nouvelle  racine,  qui  n'a  pas  été  enregistrée  par 
M.  Meyer-Lùbke.  Il  s'agit  cette  fois  du  nom  de  la  joue.  Pour 
divers  motifs,  dans  le  détail  desquels  nous  n'avons  pas  à  entrer 
ici,  gauta  a  cédé  la  place  à  des  succédanés  sur  plusieurs  points 
de  la  France  méridionale,  et  spécialement  dans  le  Massif  Cen- 
tral. L'un  de  ces  mots  est  actuellement /îà^^^j  pàtsâ,  dont  V Allas 
linguistique  nous  donne  l'aire  approximative  :  extrême  est  de  la 
Creuse  et  de  la  Corrèze  (702,  70e),  centre,  ouest  et  sud  du 
Puy-de-Dôme  (703,  705,  805,  807),  nord  du  Cantal  (708-709). 
J'ai  étudié  le  mot  dans  le  Puy-de-Dôme:  il  vient  encore  de  la 
Limagne,  et  il  s'est  élevé  sur  les  débris  non  pas  de  gauta,  mais 
d'un  premier  substitut  garra,  dont  il  subsiste  des  îlots  au  sens 
«  joue  »  '.  C'est  visiblement  l'allemand  Bâche,  «  joue,  mâchoires, 
fesses  »,  dont  l'ancêtre  était  l'ancien  haut-allemand  pacho.  Le 
mot  actuel  est  féminin  en  allemand  (avec  la  variante  masculine 
Backeii).  L'ancien  haut-allemand  nous  permet  de  conjecturer 
un  gothique  *pakka,  qui  répond  à  tous  nos  désirs. 

Il  peut  paraître  surprenant  que  ce  mot  n'ait  pas  été  rencon- 
tré dans  les  anciens  textes  occitaniens.  Il  y  a,  je  crois,  deux  rai- 
sons. D'abord  l'aire  de  ce  terme  devait  être  moins  vaste  qu'au- 
jourd'hui ;  j'ai  remarqué  que  c'est  un  mot  visiblement  en  progrès, 
et  qui  refoule  ses  concurrents.  Mais  surtout  il  devait  être  trivial; 
peut-être  même  a-t-il  désigné  la  fesse  avant  la  joue,  ce  qui  expli- 
querait comment  il  a  surgi  sur  le  territoire  antérieurement 
occupé  par  o-^ïrra,  joue.  Aujourd'hui  encore, pàtsâ  signifie  «  fesse  » 
à  Saint-Etienne-sur-Usson  (où  gàrâ  1=.  joue)  et  à  Ambert  (où 
diaîitd  =:  joue)  ^. 


1.  Garra  est  sans  doute  une  forme  méridionale  de  l'ancien  garra  =z  jar- 
ret. A  Saiut-Yrieix-La-Montagne,  djarra  signifie  fesses  (communication  de 
M.  A.  Thomas). 

2.  Cf.  aussi  la  note  précédente 


256  ALBERT    DAUZAT 


RAUS 


Dans  la  carte  «  dos  »,  l'Atlas  lingtiisligiie  a  une  forme /v  (Puy-de- 
Dôme,  807)  qui  peut  sembler  énigmatique.  C'est  l'ancien  pro- 
vençal raiis,  qui  a  passé  au  sens  «  dos  »  dans  une  petite  région 
aux  environs  de  Saint-Germain-Lembron  (Chalus,  Madriat, 
Moriat,  et,  sur  la  rive  droite  de  l'Allier,  Nonette,  Vinzelles  et 
environs,  Saint-Jean-cn-Val).  Le  sens  primitif  «  roseau  »  est 
conservé  sporadiquement  plus  au  nord  (Les  Martres-de-Veyre). 
L'acception  intermédiaire  a  été  évidemment  «  colonne  verté- 
brale »  :  la  métaphore  (idée  de  flexibilité)  est  intéressante. 


SPRINGAN 


Je  ne  sache  pas  que  la  présence  de  springan  (vx.  fr. 
espriugnier')  ait  été  relevée  en  ancien  provençal'.  Le  mot 
ne  figure  pas  plus  au  nord  qu'au  midi  dans  la  carte  «  sauter  » 
de  V Atlas.  Mais  Mistral  a  un  article  très  copieux,  cspringa  «  ruer, 
regimber,  sauter  »  ;  il  signale  le  terme  en  Dauphiné,  Langue- 
doc, Limousin  et  Gascogne.  On  le  retrouve  aussi  en  Auvergne, 
notamment  à  Vinzelles  et  aux  environs,  sous  la  forme  très 
phonétique  ipyegà  {cspringa  >  *eip{rycnga)  :  il  s'applique  plus 
spécialement  aux  animaux,  ou  encore  aux  entants  qui  font  des 
cabrioles,  stità  gardant  l'acception  générale  de  «  sauter  »>.  (Cette 
spécialisation  de  sens,  manifeste  aussi  dans  les  exemples  de 
Mistral,  explique  pourquoi  V Allas  n'a  pas  enregistré  ce  vocable 
pour  «  jauter  ».) 

La  continuité  avec  les  anciennes  formes  françaises  «/>r/;7^i'///cr, 
espringier,  est  assurée.  Au  moyen  âge,  le  mot  semble  avoir 
recouvert  presque  toute  la  France  du  nord,  à  l'exception  de 
l'ouest'. 


1.  Le  Pclil  Dictionnaire  provençat  de  M.  Iimil  Lev\-  donne  «  espin^ar, 
épier?»  Je  soupçonne  que  ce  doit  être  «  sauter  «  ;  1'/'  avait  déjà  disparu  dans 
certains  exemples  de  l'ancien  français  (cf.  Godefroy),  et  il  manque,  phoné- 
tiquement ou  non,  dans  certains  patois  du  Midi.  Mais  j'ignore  à  quel  texte  est 
emprunté  ce  mot,  qui  ne  figure  ni  dans  Raynouard,  ni  dans  le  Piovenialiscljes 
Siipplt' ment  IVœrterhuch . 

2.  Voir  les  exemples  de  Godefroy. 


ÉTYMOLOGIES    FRANÇAISES    ET    PROVENÇALES  257 

WAMMA 

M.  A.  Thomas  a  signalé  le  premier  '  l'existence  de  cette 
racine  en  provençal,  avec  le  sens  de  «  goitre  »,  d'après  Du 
Gange  (ex.  de  1398,  du  Velay)  et  Mistral  (types  vamo,  vamoun; 
gamo,  gàiiioim).  On  peut  étudier  aujourd'hui  l'aire  de  ce  mot 
dans  V Atlas  linguistique.  Bien  qu''elle  ne  soit  plus  homogène,  il 
est  facile  de  la  reconstituer  d'après  ses  nombreux  débris.  Elle 
s'étendait  sur  presque  tout  le  Midi,  du  Lot-et-Garonne  et  du 
Gers  au  Var  et  aux  Basses-Alpes,  en  remontant  dans  le  Massif 
Gentral  jusqu'au  nord  de  la  Haute-Loire  (et  au  sud  du  Puy- 
de-Dôme  :  Vinzelles,  vâuni) .  Gette  fois,  nous  sommes  en  pré- 
sence d'un  type  méridional  dont  l'importation,  comme  nous 
le  montre  la  répartition  géographique,  est  due  visiblement  aux 
Wisigoths  colonisateurs  de  la  Narbonnaise  et  de  la  région  tou- 
lousaine. 

A  remarquer  que  le  mot  (pourvu,  par  la  suite,  de  divers  suf- 
fixes :  ôQi),  ât,  at...^  s'est  scindé  très  anciennement  en  deux 
groupes  en  raison  du  traitement  dutv  initial.  L'Auvergne,  avec 
la  plus  grande  partie  du  Rouergue  et  du  Quercy  a  ramené  le  w 
à  V  (qui,  plus  tard,  a  pu  passer  à  b)  (Atlas  619,  718,  727,  812  ; 
Vinzelles  et  environs).  Dans  cette  région,  le  mot  existe  aussi 
dans  un  nom  d'oiseau  (la  fauvette,  dont  le  jabot  est  assez 
apparent  :  Atlas,  carte  «  fauvette  »,  vanin,  m.,  815  ;  Vin- 
zelles, âvânià,  m.). 

Partout  ailleurs  le  lu  a  subi  le  traitement  normal  du  w  ger- 
manique >  gic  >  g,  et  cela  à  partir  du  sud  de  la  Haute-Loire 
(813  gouië,  j 2S  (^ontat...).  Dans  le  voisinage  des  Pyrénées, ^a;;w 
s'est  altéré  en  galauiu  (Lot-et-Garonne,  Gers,  Aude  :  657-67-76- 
78,  786-7). 

Albert  Dauzat. 


I.  Essais  de  philologie  française,  T^.    320. 


Romania,   XLIV-  17 


MÉLANGES 


L'AUTEUR  DES  BRANCHES  II  ET  Va  DU  RENARD 
ET  CHRÉTIEN  DE  TROYES 

En  lisant,  l'autre  jour,  le  beau  livre  de  M.  Lucien  Poulet  sur 
le  roman  de  Renaît,  et  plus  particulièrement  l'étude  si  péné- 
trante consacrée  à  «  la  branche  II  et  ses  modèles  »,  je  m'éton- 
nais que  l'érudit  critique  n'eût  pas  tiré  un  meilleur  parti  de 
l'œuvre  du  plus  grand  poète  de  notre  moyen  âge,  Chrétien  de 
Troyes. 

L'auteur  de  la  branche  II,  nous  dit-on,  «  est  un  homme 
très  au  courant  de  la  production  littéraire  de  son  époque...  Il 
mentionne...  Troie  et  Tristan  ».  C'est  exact;  mais  il  se  garde 
de  mentionner  l'écrivain  à  qui  il  a  les  plus  fortes  obligations  ', 


I.  Mais  ne  le  meutionne-til  pas?  Un  scrupule  m'est  venu  en  lisant  l'ingé- 
nieuse discussion  de  la  page  141.  M.  Poulet  essaie  d'y  interpréter  ce  vers 
énigmatiquc  de  la  branche  (8)  :  Roniaii:;^  de  lui  et  île  la  hcste  (éd .  Martin  :  et 
de  sa  geste).  En  me  reportant  aux  Observations,  etc.  de  E.  Martin  (p.  54,  n.  i), 
je  constate  qu'un  manuscrit  (O  =  12583  f.  fr.)  porte  diilait  e.  d.  1.  h.,  ce  qui 
semble  ne  signifier  rien.  J'ai  voulu  examiner  moi-même  le  passage  dans  ce 
manuscrit,  dont  M.  Martin  nous  dit  qu'il  est  le  curieux  résultat  d'un  tri- 
patouillage, mais  reproduit  parfois  des  leçons  ancmunes  (Recherches,  etc.,  p.  10); 
je  suis  enclin  à  croire  à  une  lecture  fautive  dtilait  pour  d'itiatn  dont  il  est  à 
peine  utile  d'expliquer  comment  elle  s'est  produite  ;  et  alors  tout  devient 
clair;  c'est  d'/î'iï/«  et  de  sou  lion  qu'il  s'agit  ;  notre  anonyme  a  pensé  au  cheva- 
lier breton  et  à  son  lion  fidèle.  La  célébrité  de  cette  fable,  renouvelée  de  celle 
d'Androclés,  a  inspiré  plus  d'un  auteur.  Gilles  de  Chin,  ce  roman  écrit  dans 
notre  Hainaut  surdes  données  traditionnelles,  renferme  un  épisode  du  lion,  tiré 
directement    de  Chrétien,  et  M.  Foerster  (/:/»/. ,  p.  xxxiv  et  suiv.)  a  montré 


LES    BRANCHES   II    ET   Va    DU    RENART  259 

et  c'est  celui  qui  nous  a  donné  Yvain,  le  plus  pur  joyau  du 
roman  au  xii^  siècle.  Yvain  était,  si  j'ose  ainsi  m'exprimer,  sur 
sa  table  alors  qu'il  narrait  l'aventure  de  Renard  et  de  Chante- 
cler,  et  non  pas  seulement  Yvain,  mais,  semble-t-il,  d'autres 
ouvrages  de  Chrétien. 

Il  est,  par  exemple,  un  tour  familier  à  Chrétien,  qui  reparaît 
dans  quatre  au  moins  de  ses  ouvrages.  Il  consiste  en  une  sorte 
d'imprécation  exclamative  où  se  marque  son  éloignement  pour 
les  «  mauvaises  langues  ».  Nul  n'a  plus  durement  taxé  les 
méchants  propos  qui  circulent  dans  le  monde  et  n'épargnent 
personne  : 

Honie  soit  ma  langue  tote  ! 

(Er.  En.  3 116.) 
Honie  soit  tote  ma  gorge. 

{G.  Eiigl.  1437.) 
Langue  de  vilain  soit  honie, 

Honiz  soit  ses  cuers  et  sa  boche  ! 

(Ihid.  1492-3.) 
La  vostre  langue  soit  honie 

Que  tant  i  a  d'escamonie  ! 


Langue,  qui  onques  ne  recroit 
De  mal  dire,  soit  maleoite  ! 

(Yv.  6rs-6  ;  620-1.) 
Honie  soit  la  gorge  torte  ! 

(Perc.  2363.) 

L'auteur  des  branches  II  et  Va  de  Renart  s'est  souvenu  de 
cela,  et  il  adopte,  dans  le  fond  et  la  forme,  la  réprobation  de 
son  modèle  : 

La  boce,  fait-il,  soit  honie 

Qui  s'entremet  de  noise  fere 

A  l'ore  qu'ele  doit  se  tere  ! 

(II,  446-8.) 

Ailleurs  il  s'est  souvenu,  avec  beaucoup  d'à-propos,  d'une 
sorte  de  maxime  qui  figure  dans  Clivés  : 


que  ce  n'était  pas  la  seule  trace  d'une  influence  qui  persiste.  Le  mot  de  heste 
appliqué  au  lion,  est  familier  à  Chrétien  (^Yvain,  3375  :  a  la  heste  et  jantil  et 
franche;  3427  sanvage  heste,    etc.). 


26o 


MÉLANGES 


Tel  cuidc  sa  honte  vengier  

Qui  pourchace  son  cncombricr.  Qui  cuidc  bien  vangier  sa  honte  ; 

(II,  1 105-4.)  Mes  teus  cuidc,  se  il  li  loist, 

Vangier  sa  honte  qui  l'acroist. 

(CI.  2930-2.) 

Ailleurs  encore,  c'est  au  célèbre  dialogue  entre  Laudine  et 
Lunete  '  qu'il  fait  un  emprunt  indéniable  : 


Dit  en  avez  vostre  plaisir, 
S'avez  perdu  un  bon  taisir. 

(Va,  853-4). 


Que  dit  avez  vostre  pleisir, 
Si  ai  perdu  un  bon  teisir. 

(Yv.  1725-6.) 


De  nouvelles  et  plus  minutieuses  recherches  feraient,  j'en  ai  la 
conviction,  découvrir  d'autres  analogies  non  moins  dignes  de 
mention. 

M.   WlLMOTTE. 


NOTES  ET   CORRECTIONS  AUX    CHANSONS    DE    RaOUL    SISDE    SoONS 

(Voir  Roinaiiiû,  XLIY,   159) 


I 


I,  4.  D'après  les  manuscrits  je  lirais  :  Oui  ilcv[e]roie  adès 
plaindre  et  plorcr.  —  III.  Corriger  au  v.  13  iifacorer  (au  lieu  de 
d'acorer')  et  adopter  au  vers  suivant  la  leçon  de  NF  : 

Sent  son  glaive  m'acorer 
Quant  ne  me  veut  regarder. 


I.  Ce  dialogue  n'était  pas  inconnu  de  Marie  de  France  et  — est-ce  un 
simple  hasard? — elle  l'a  misa  contribution  au  début  de  la  fable  dont  M.  Pou- 
let penche...  «  à  voir  une  réminiscence  lointaine  »  (p.  145  de  son  livre)  dans 
le  récit  de  la  branche  II  : 


Fui,  fet  ele,  laisse  m'ester  ! 
Se  jeo  t'en  oi  ja  mes  parler. 
Tenir  te  purras  pur  bricun. 


Fui,  fet-ele,  leisse  m'en  pas  ! 
Se  je  t'en  oi  parler  ja  mes 
Ja  mar  feres  mes  que  t'an  fuies. 
(rcM645-7.) 


CORRECTIONS    AUX    CHANSONS    DE    RAOUL   DE   SOISSONS      2él 

—  49.  Pour  rendre  le  vers  intelligible,  il  faut  supprimer  le 
point  3.pYès  faits  ;  il  s'agit  de  la  contrefaçon  du  rubis  en  verre 
de  couleur.  —  IV,  33.  Il  est  préférable  de  lire,  avec  V,  engraigne 
(«  augmente  »).  —  VI.  Puisque  l'éditeur  tient  à  uniformiser 
la  graphie  de.  cette  pièce,  il  fallait  remplacer,  au  v.  r6,la  forme 
lorraine  guéridon  par  gucredon.  —  VIII,  46.  Chançon,  d'Arra^  les 
morteles  di.  L'éditeur  n'a  pas  compris.  Il  propose  de  voir  dans 
moretele  un  double  diminutif  de  maure  («  also  brunett  »).  Il 
s'agit  du  nom  d'une  famille  dont  plusieurs  membres  figurent  sur 
le  registre  de  la  confrérie  des  jongleurs  et  bourgeois  d'Arras  '. 
Dans  les  références  données  ci-dessus,  le  premier  chiffre  qui  suit 
la  date  indique  le  terme  (Pentecôte  —  Saint -Rémi  —  Purifi- 
cation). Le  second  petit  chiffre  est  le  numéro  d'ordre  de  l'ins- 
cription: 

Morele  Richels —  ii99-  2^ 
Morel  Alealme —  1206.  2? 
Moreta  feme  Jehan  —  1246.  2^ 
Mortel  Jehans  —  1257.  24° 
Mortella  et  Sainte  —  1247.  3" 
Des  Morteles  Grars  —  1279.  '^" 

D'après  un  chirographe  des  Archives  de  Douai,  Jehan  Mor- 
tel d'Arras  (le  même  qui  figure  ci-dessus  à  la  date  de  1257)  et 
Richier  Stràbo  (Le  Borgne)  furent  excommuniés  en  12 19.  La 
Mortelle  figure  aussi  dans  une  chanson  artésienne  de  1258, 
publiée  par  MM.  A.  Jeanroy  et  H.  Guy-  : 

Si  com  fist  la  Mortelle 
Et  comtesse  Paelc'. 


1.  Voir  Roviania,  XXIX,  145. 

2.  Chansons  et  dits   artésiens  du  XIII^  siècle,  p.  42,   no  IV,   v.  64,   aux 
variantes.  Cf.  Le  Moyen  Age,  1899,  p.  256. 

3.  Ce  nom  figure  également'au  Nécrologe  d'Arras  (ms.  8541,  fol.  39  vo, 
col.  b),  mais  beaucoup  plus  tard  : 

Paiiele  Contesse.  1327.  2'° 
Celle-ci  ne  peut  être  qu'une   descendante  de    l'autre.  D'autre  part,  Jean 
Paielle,  bourgeois  d'Arras,  figure,  avec   sa  femme  Jeanain  de  Courcelles,  à 
la  date  de  1298,  dans  un  document  des  Archives  du  Pas-dQ-Câhis (^Inventaire 
sommaire  des  Archives  départementales,  série  A,  p.  6). 


202  MÉLANGES 

—  XII,  29.  ^fîV:{  est  inadmissible.  Au  lieu  de  veà,  presque  tous 
les  manuscrits  ont  deveée  ou  refusée.  Il  f;mt  donc  lire  :  Se  vous 
înave^  deveée  ou  refusée.  —  46.  Au  lieu  de  autre  riens  née, 
répétition  du  v.  43,  C  (F  a  une  leçon  analogue)  permet  de 
substituer  Ke  aillors  n'ai  via  pensée.  —  XIII,  14-5  : 

En  prendre  ce  dont  il  morir 
Couvient  ami  par  estouvoir 

est  inintelligible.  D'après  la  syntaxe  de  l'auteur  au  v.  ^^ÇSel'un 
en  couvient  a  laissier),  on  pourrait  lire  : 

En  prendre  ce  dont  a  morir 
Couvient  ami... 

A.  GUESNOX. 


II 

VI,  II.  Dans  cette  pièce,  dont  l'éditeur  a  essayé  d'unifier  la 
graphie,  chameliers  est  sans  doute  une  faute  d'impression  pour 
chevaliers.  —  VII,  50.  Il  faut  probablement  imprimer  couvient. 
—  IX,  21.  La  folo'r  que  je  camper  est  mal  traduit  dans  la  note 
(p.  89)  :  coniperer  ne  signifie  pas  ici  «  mériter  »  (verdienen')  ;  il 
faut  traduire:  «  la  folie  que  je  paie  cher.  »  —  P,  90.  Il  n'était 
pas  nécessaire  de  reproduire  aussi  fidèlement  le  mauvais  texte 
que  Tarbé  a  donné  de  la  chanson  de  Thibaut  de  Champagne  à 
laquelle  répond  la  chanson  X  de  Raoul.  Ainsi  il  est  évident 
qu'il  y  a,  non  pas  un  envoi  de  quatre  vers,  mais  deux  de  deux 
vers.  —  P-  93-  Pour  la  chanson  pieuse  de  Jacques  de  Cambrai 
imitée  de  la  chanson  XII  de  Raoul  (jOuant  voi  la  glaie  juciire),  il 
aurait  fallu  renvoyer  à  l'édition  critique  de  M.  Edw.  Jârnstrom 
{Recueil  de  chansons  pieuses,  I,  n°  xxxiv).  —  P.  24,  n°  10.  Le  nom 
de  Gace  Brûlé  est  bizarrement  altéré.  —  Il  n'y  a  aucune  consé- 
quence dans  l'emploi  des  signes  diacritiques  :  l'éditeur  imprime 
assëurer  I,  19,  mais  seiïr  I,  27  ;  traison  et  beneiçon  (II,  57  et 
59),  mais  oïe,   ades  (zzz  adès),  I,  4,  X,  32,  etc. 

A.    LÂXGFORS. 


OSSERVAZIONI    AL   TESTO   DEL   DOCTRINAL  263 

OSSERVAZIONI  AL  TESTO  DEL  DOCTRINAL 
DI  RALMON  DE  CASTELNOU 

Chiamo  L  il  ms.  di  Londra,  Br.  Mus.,  Harl.  7403,  seconde 
il  quale  il  Doctrinal  è  stato  edito  da  H.  Suchier,  Denkni.  prov. 
Lit.,  p.  242  sgg.,  e  indico  con  A  il  ms.  Libri  105  (ora  alla 
Mediceo-Laurenziana  a  Firenze)descritto  daP.  Meyer,  Romania, 
XIV,  486  sgg. 

Vv  5-6  : 

E  prec  Dieu  que  m'esclaire  e  que-m  get  d'escurdat, 

E  que  sapcha  retraire  tais  ditz,  qiie-î  sion  en  grat. 

E  certo  che  sio7i  monosillabo  non  puô  dirsi  inaccettabile  (taie 
fenomeno  abbiamo,  a  ragion  d'esempio,  nella  seconda  reda- 
zione  del  Tc^ciur  di  Peire  de  Corbian),  ma  nel  nOstro  testo 
appare  come  una  forma  unica,  oltrechè  singolare  '.  Colla  lez.  di 
A  tais  dit^  qti'el  ciilha  en  grat  abbiamo  un  senso  eccellente  ed 
evitiamo  lo  scoglio. 

V.  15  son  avîit^  gulo^es.  Questo  nominativo  singolare  in  -es, 
dopo  sibilante,  si  dovrà  veramente  all'autore  ?  Il  ms.  A  legge 
soy  avols  gloires.  E  cosi  al  v.  17,  laddove  L  ha  iro:{cs,  A  ha  yros 
(alla  fine  del  primo  emistichio). 

V.  25  cros  morsels.  Suchier  propone  in  nota  cras  ;  ma  si 
tratterà  di  gros.  Il  ms.  A  ha  grans  niorcels. 

Vv.  31-32  : 

Per  o  aissom  conorta  car  dieus  es  tan  liais, 

Cap  lei  trobam  merce,  tant  non  em  vilh  ni  fais 

em  vilh  è  una  ricostruzione  del  Suchier  da  ergnilh  di  L.  Biso- 
gnerebbe,  perô,  per  accogliere  questa  congettura,  dare  a  tant 
non  em  il  senso  oltremodo  inusitato  e  strano  di  «  qualora  non 
siamo  »,  mentre  il  senso  naturale  di  questa  locuzione  dovrebbe 
essere  «  non  siamo  tantovili  ofalsi  »  [da  nontrovarla,  lanierce^]. 


1.  Cf.  V.  171  tant  que  sion  creient  ;  v.  35    :  via  de  sàlvetat,  ecc. 

2.  Vadano  qui  alcuni  esempi.  Flam.  3560  Aprenre  poc,  non  sut  tan   veil!:^ 


204  MÉLANGES 

il  che  il  poeta  non  ha  certo  voluto  dire,  sollecito  com'  è  nel 
deprimere  la  natura  uinana.  Inoltre,  lei  non  accontenta,  poichè 
non  puô  riferirsi  che  a  Dieiis  ;  c  se  si  hanno  esempi  di  lui  per 
lei  non  se  ne  hanno,  ch'io  sappia,  di  lei  per  ////'.  Il  ms.  A  ha  : 
Qjiatn  lui  trobÇay  boni  inerce  tant  non  es  crlot^^'j  ni  fais.  La  lezione 
è  migliore.  Potrebbe  anche  essere  che  nell'originale  il  verso  sonasse 
a  un  di  presso,  cosi  :  Qji'ab  lui  troF  boni  merce,ca}il  nùner(oes^ 
glot-^  ni  fais. 

V.  132.  Dopo  questo  verso  A  aggiunge  il  seguente  :  E  qiie'l 
saut  Esperrit  del  sieu  don  nos  estre.  Al  v.  134,  A,  anzichè  revCy 
ha  soslen. 

V.  191.  SHeu  tôt  no  sai  legir.  Il  ms.  A  ha  £"  ssÇef  ieu  tôt  no  say 
letras,  lezione  da  accogliersi,  a  parer  mio,  poichè  saber  leiras  è 
una  locuzione  ben  nota  che  significa  «  sapere  il  latino  »,  men- 
tre  no  sai  legir  darebbe  un'idea  troppo  meschina  del  nostro 
autore,  capace  di  lassar  mos  ab  son  (v.  193)  cioè  di  comporre 
versi.  Si  sa  che  alcune  poche  sue  liriche  ci  sono  state  conservate 
nel  ms.  C. 

Vv.  199-211  : 

E  prec  la  sancta  vergena        quens  garda  cns  defent, 
C'aissi  cant  ela  es  dona         


Quens  acapte  sa  gratia        ab  sos  precs  humilment, 
Si  cant  entrel  sieu  cors         precios,  resplandent 

205  Los  angelb  els  apostols         stratotz  cominalmont 
E  tota  la  compania         c'ap  Jhesu  Crist  s'atent, 
Laissus  on  si  repausa         desobrel  fermament, 
Seynhers  e  governaires        de  tota  re  vivent, 
Neus  e  soUelh  e  luna        cl  catre  clément 

210  El  cel  e  las  estelas        li  son  ohcdient 

E  totas  las  figuras,         si  com  lo  mon  perprent 
Daus  lo  solelh  levan        entro  en  occident. 


[sott.  da  non  potcre  imparare]  ;  Daurel  ^41  El  totnbara,  non  er  fini  vigoros 
[sott.  che  non  cada].  Su  costruzioni  siffatte,  si  rimanda  a  Ebeling,  Ti.uit  soit 
peu,  in  Festschrift  A.  Tohkr,  1905,  pp.    459-477. 

I .  Rimando  a  W.  Bohnhardt,  Dus  Persoiial-Pron.  im  Altprovenialischen,  Mar- 
burg,  1888  (Ausg.  u.  Abh.,  n"  74),  pp.  29-30. 


ANC.    FRANÇAIS    ESCHEPIR,  ESCHAPIR  2^5 

Al  V.  200  A  ha  :  Aissi  quemlla  es  doua.  Correggi,  a  parer 
mio  :  Aissi  quon  elVes  dona.  V.  204,  il  ms.  A  reca  :  Si  con  jeu 
cre  son  cors.  Inoltre,  al  v.  209,  A  ha  :  Nays  lo  solhcl  e  la  luna. 
Credo  che  occorra  accettare  la  lez.  di  A  per  il  v.  20/[(^si  corn  jeu 
cre  son  cors,  ovvero  cre'l  sien  cors^  e  mettere  punto  alla  fine  del 
V.  206.  Gesù  Cristo  diviene  soggetto  di  si  repausa  (e  apposi- 
zione  ne  è  il  v.  208  tutto  intero)  e  invece  di  Nens  o  di  Nays  al 
V.  209,  si  legga  Naysson  solelh  e  luna  ecc.  Nascono,  cioè  laissus, 
dove  sta  Cristo  «  signore  e  governaires  di  tutte  le  cose  viventi  ». 

V.  217  :  el  rie  sohresotil  noi  penran  onranient.  Va  accolta  poi 
la  lez.  di  A  :  desobre  (corr.  sobre^  los  fols.  Al  v.  242,  A  ha  la 
buona  lezione  :  Sert  es  que  pert  son  plag,  ecc. 

V.  272.  Forse  confermars  sarebbe  una  correzione  migliore.Il 
ms.  A  ha  appunto  confermars, 

V.  301  :  hs  niarriti  els  varrati-  Ms.  L  :  es  uarratx^;  ms.  A  : 
\los  marritx\  dissarigati.  Non  intendo  la  lezione  di  A.  In  ogni 
modo,  correggerei  :  los  marrit^  esvarrat^.  Cfr.  Sordello,  Aitan, 
V.  21  :  Tan  esvarati,  destreit^  e  esbait:;^  (De  LoUis  :  esvait:^).  Si 
vedano  ora  i  miei  Trovatori  d'Italia,  pp.  291,  535. 

V.  303.  A  :  nialàutes  colgats.  V.  306  queane  aparelhat'^.  Locu- 
zione  che  lascia  infinité  dubbiezze.  Il  ms.  A  ha  :  can  nés  apparel- 
hats,  che  si  puô  accettare. 

V.  308.  Corr.  Cahiwrnas,  qui  los  fa,  es  bes  e  caritatx^.  Il  ms. 
A  ha  :  Que  ahiwrnas  que  boni  fa  es  ben  ecaritat:{. 

V.  309.  Questo  verso,  quale  è  dato  dal  S.  secondoL,  è  incom- 
prensibile  : 

Aquestas  obras  quar  son  visis  e  peccatz . 

Invece,  A  ha  cas'ion  (non  quar  son)  e  iiml~  baratx_  (non  pec- 
cat:0,  cioè  :  queste  opère  buone  (elemosine,  qcc.)  annullano 
vizi,  ecc. 

V.  317.  Soppr.  la  virgola  alla  fine  del  verso,  perché  a;;?  sta  qui 
per  am,  amb,  ab. 

Giulio  Bertoni. 


ANC.  FRANÇAIS  ESCHEPIR,  ESCHAPIR 

Ce  mot,  usuel  en  vieux  français  pour  dire  «  faire  éclore 
et  «  éclore  »,  manque  à    Diez,  Kôrting    et  Meyer-Lûbke. 


26é  MÉLANGES 

Les  premiers  exemples,  d'après  Tarticle  de  Godefroy,  sont 
de  la  seconde  moitié  du  xii'  siècle,  et  l'une  et  l'autre  acception 
de  sens  y  apparaissent  en  même  temps. 

Garnier  de  Pont-Sainte-Maxence  a  : 

Quant  Tegle  ad  ses  pucins  fez  cl  ni  escbepir, 
Encuntre  le  soleil  lur  fet  les  oelz  ovrir. 

Et  Marie  de  France  dit  en  son  Isopet  : 

Li  ostors  les  oes  au  huan 
Avoit  couvez  et  eschapi^ 
O  les  siens  oiselez  petiz. 

L'origine  de  eschepir  est  germanique.  Le  néerlandais  a  hipsel, 
couvée,  qui  dérive  (à  l'aide  du  suff.  -seT)  du  moyen  néerlandais 
kippcn  «  couver,  faire  éclore  »,  qui  est  d'origine  inconnue 
(Franck,  Etym.  Woordenhœk,  2"  éd.),  mais  permet  de  conjectu- 
rer un  francique  *kippon.  Le  roman  y  a  préposé  le  préfixe  ^x-, 
indiquant  sortie,  extraction  :  pour  des  compositions  de  mots 
germaniques  avec  ex-,  comp.  ex-frid(a)-are,ex-magan.  Le 
mot  eschepir  remonit  aux  premiers  temps  de  la  langue,  au  nioins 
au  VIII''  siècle,  puisqu'il  a  palatalisé  son  h  (comme  eschernir, 
eschine,  etc.).  Il  faut  sans  doute  attribuer  l'existence  d'une 
forme  connexe  eschapir  à  l'attraction  de  eschaper,  de  sens 
quelque  peu  voisin. 

Paul  Marchot. 


ANC.  FRANÇAIS  TALEMELIER 

TalemeJier  est  traduit  dans  Godefroy  par  «  boulanger  de  gros 
pain,  pâtissier  »,  ce  qui  n'est  contradictoire  qu'en  apparence,  car 
le  boulanger,  même  de  gros  pain,  peut  très  bien  débiter  aussi, 
accessoirement,  de  la  brioche,  du  gâteau,  par  exemple  aux  jours 
de  fête  ou  de  réjouissance.  C'est  encore  assez  la  coutume  de 
nos  jours.  Un  seul  exemple,  parmi  de  nombreux  autres,  a 
motivé  cette  traduction  de  Godefroy  ;  c'est 

Si  com  li  taJenieliers  fait 

La  paste,  quant  les  gastiaux  fait. 

{Renard  le  Contrefait.) 


ANC.    FRANC.    TALEMELIER  26 J 

Croirait-on  que  talemelier,  terme  usuel  au  moyen  âge  et  qui 
a  vécu  jusqu'en  plein  xvii^  siècle  (voy.  Godefroy),  n'a  pas 
encore  trouvé  son  explication  ?  Littré,  au  mot  talmouse,  conjec- 
ture que  talemelier  est  formé  de  talery  battre  (cf.  taloche^,  et  de 
viêkr.  Scheler  (au  même  mot)  se  contente  d'enregistrer  cette 
opinion.  Diez  et  Kôrting  ont  oublié  allègrement  talemelier .Dn 
dictionnaire  de  Meyer-Lûbke  la  lettre  T  n'a  pas  encore  paru. 

Je  pense  que  l'explication  de  talemelier  est  pourtant  d'une 
grande  simplicité.  Si  l'on  se  reporte  aux  Inscriptions,  on  voit 
que  le  latin  de  Gaule  connaissait,  à  côté  du  terme  générique 
pistor,  un  pistor  camiidarius,  expression  qui  signifiait  boulanger 
de  pain  blanc  \  ce  que  l'ail,  moderne  exprime  encore  par  Weiss- 
hàcker,  le  néerl.  par  luittebroodbakker .  C'était  donc  le  boulanger 
qui  employait  la  farine  de  froment  (celle  de  seigle  donnant  du 
pain  bis,  celle  d'orge  du  pain  grisâtre). 

Et  je  crois  que  c'est  talemelier  qui  a  continué  pistor  candiâa- 
riiis  après  l'établissement  des  Francs  dans  la  Gaule  du  Nord, 
candidaritis  n'ayant  rien  produit  en  français,  s'étant  effacé,  et 
exprimant  pourtant  une  notion  qui  a  dû  se  continuer  dans  la 
langue. 

Farine  de  froment  se  dit,  en  effet,  en  néerlandais  tariuemeel 
et,  comme  les  formes  attestées  en  moyen  néerl.  (Franck, 
Etym.  Woordenb.^  sont  tar(è)rve,  tarve,  tecrv  et  mêle,  le  francique 
pour  «  farine  de  froment  »  devait  avoir  quelque  chose  comme 
*tareiuamèlo.  Or,  entre  un  (pistor^  *tar(e)zvamelarius  t\.  talemelier 
le  rapport  est  des  plus  tentant,  aussi  bien  pour  la  forme  que 
pour  le  sens.  Talemelier  serait  pour  *taremelier ,  par  assimila- 
tion. 

Godefroy  montre  qu'il  y  a  eu  une  forme  secondaire  en  a.-fr., 
talemetier,  dont  il  enregistre  trois  exemples.  Mais  elle  ne  saurait 
faire  difficulté,  le  t  mis  pour  un  /  dans  talemetier  pouvant  aisé- 
ment s'expliquer  par  une  assimilation  à  t  initial  ^. 

C'est  précisément  cette  forme  secondaire  que  l'on  trouve  dans 


1.  Voir  Pirson,  Langue  des  inscr.  de  la  Gante,  et   les  dictionnaires,  p.    ex. 
Forcellini. 

2.  [II  nous  paraît  s'expliquer  beaucoup  mieux  par  une  substitution  de  suf- 
fixe. —  Réd.] 


268  MÉLANGES 

le  plus  ancien  exemple  historique  de  notre  mot,  un  exemple 
bas-latin  de  1176,  que  je  puise  dans  Ducange  :  «  Eadem  notione, 
in  Charta  anno  1176,  e  Tabulario  B.  M.  de  Charitate,  ubi 
Stephanus  Sacri-Caesaris  Comes  eidem  Monasterio  donat 
molendina  ea  conditionc  ut  Thakmetarii  de  Castro  Sacri-Caesa- 
ris molant  in  iis  molendinis.  » 

Paul  iMarchot. 


NOTA  SUL  DIALETTO  DI  BONIFACIO  (CORSICA) 

Bonifacio,  nella  punta  estrema  méridionale  délia  Corsica,  ha 
un  dialetto  che  si  différencia,  nella  fonetica  e  nella  lessicologia, 
dalle  restanti  parlate  dell'  isola  e  dal  sassarese  e  gallurese. 
Questa  constata;^ione  si  impone  ad  ogni  studioso  che  voglia 
esaminare  le  carte  sinora  comparse  dell'  Allas  linguistique  de  la 
France  consacrate  alla  Corsica.  I  tratti  più  salienti  del  dialetto 
di  Bonifacio  o,  se  si  vuole,  le  caratteristiche  più  important!  di 
questo  dialetto  sono  le  seguenti  '  : 

1.  Vu  lat.  diviene  «  :  ratupindiUi,  pipistrello,  hri'uue  bruma, 

Ç.CC. 

2.  La  voce  aqua  vi  diventa  égiva  129,  548,  mentre  nella  res- 
tante parte  délia  Corsica  abbiamo  ahiua  (sass.  eva,  sardo  ahn^. 

3.  Il  suff.  -ariu  volge  ad  -à,  p.  es.  dinà  90,  bankarà  fale- 
gname  157  (corso  :  bankalâru'). 

4.  La  vocale  Ô  lib.  e  in  pos.  palatile  volge  a  )'c5,  p.  es.  pyô 
puô,  syâra  suola  délie  scarpe,  dyôri  duole,  kyôggi  (da  kyàgge) 
cogliere,  tcc.  Anche  e  in  identiche  condizioni  deve  essersi  dit- 
tongato,  perché  abbiamo  ///    128  (heri),    iusiuii  insieme  46, 


I.  Mi  valgo,  sopra  tutto,  dei  tre  fascicoli  sulla  Corsica  dell'  Atlas,  i  soli 
sinora  apparsi,  mentre  scrivo  queste  linec  [12.  vi.  15],  e  del  Vocabolario 
dei  diahtti,  geografia  e  costumi  délia  Corsica  di  F.  D.  Falcucci,  opéra  postuma 
édita  da  P.  E.  Guarnerio,  Cagliari,  1915.  Con  un  numéro  arabico,  accanto 
al  termine  da  me  citato,  indico  la  carta  dell'  Atlas.  Ho  pure  sott'  occhio  lo 
studio  prezioso  del  Guarnerio,  /  diahtti  odienii  di  Sassari  délia  Gallura  e 
délia  Corsica,  in  Arch.  glott.  ital.,  XIII,  125  ;  XIV,  151,  385.  Quasi  tutti  i 
miei  materiali  provengono  dall'  Atlas,  in  cui  Bonifacio  è  rapprescntato  dal 
no  89. 


DIALETTO    DI    BONIFACIO  269 

niicgn  meglio.  Inoltre  :  pia  (pede),  daria  (corso   daretu),  cioè 
de  retru  96.  Il  ditt.  non  appare  in  corso,  gall.,  sassarese. 

5.  -atii,  -ati  dânno  rispettivamente  :  -an  e  -ai,  mentre  nel 
corso  comune  si  ha  -atu,  -adu  e  -ati,  -adi,  p.  es.  pasàii  68, 
piggaii  145,  akatàu  15,  stàii  7. 

6.  L'incontro  di  a  -}-  i?  dà  luogo,  con  ritrazione  d'accento,  a 
au,  p.  es.  hacàii  cacciatore. 

7'.  Cadono  -0,  -e  dopo  n  e  /(r),  p.  es.  wrt//  528  (corso  com. 
mane-i),grân  580  (corso  com.  graiin^,kân  {corso  com.  kaiic-i); 
ecc. 

8.  Caduta  fréquente,  se  non  proprio  regolare,  di  -t-  intervo- 
calico,  p.  es.  lâmù  letame  (^Ijamn)  ■,  niitàsi  mutarsi,  ma  perô 
kadéîia. 

9.  L'-/-  intervocalico  si  fa  r  :  auiurà  (ad-  molare)  32,  vuré 
voleté,  icra  tela  12,  gnudnra  gondola  169,  cardarina  (dov'  è  da 
notare  17  tradizionale  semplice)  -  cardellino  306,  kandéra  29e 
gaturiiia  (corso  yatulina^  piccolo  gatto  321,  dyori  duole  230, 
méru  melo  362  (/  nicri  370),  skàra  589,  syôra  suola  di  scarpa 
544,  Qcc.  Nel  corso  comune  1''/''  resta  e  soltanto  nel  «  verna- 
colo  rustico  o  dei  zappatori  di  Sassari  scade  a  r  »  (Guarnerio, 
Ai-ch.,  XIV,  151). 

10.  L7  dinanzi  a  lab.  diviene  r,  p.  es.  pàrinu^zXmo  12,  far- 
ca  falce  42  (nel  corso  comune /c7 /m),  sarvàga  selvaggia  535, 
ecc.  Dinanzi  a  dent.,  si  ha  :  kàdii  caldo,  askadà  scaldare.  Cito 
anche  ^t'/.fg/^  calzetta  29.  baidakinu  154. 

1 1 .  -Ij-,  passando  naturalmente  per  *y  (/y),  diventa  g  (gg)  : 
aggu  aglio,  33,  251  ;  yô^^/<  voglio  108  ■,pâ^\ia  paglia  102;  figgn 
figlio  ;  miggii  meglio;  pigàn  pigliato  145.  Nel  corso  centrale 
e  settentrionale  si  ha  /  palatile  :  àhi,  méJji,  qcc;  nel  corso 
méridionale  e  nel  gallurese  si  ha  dd  :  gall.  padda  paglia,  corso 
mer.  lueddn  meglio,  tcc.  Nel  sassarese  /,  come  in  ahi,  iiielu, 
ecc.  Onde  Bonifacio,  con  il  suo  g  {gg\  si  isola  dalle  parlate 
tutte  circostanti. 

12.  /-  dà  d:(,  p.  es.  d;^ogi  giuochi  67,  mentre  nel  corso  e  gal- 
lurese si  ha  g^'j-  e  nel  saggarese  g-.  Guarnerio,  Arch.,  XIV, 
143-4. 

1.  Sarà  esatta  nell'  Atlas  la  scrizione  per  -«  ?  O  avremo  piuttosto  -n  ? 

2.  Vedi,  su  questo  /,  Salvioni,   Rev.  d.  dial.  rom.,  V,   175. 


270  MÉLANGES 

13.  pi-  viene  attra verso  a/)/  (e,  con  assordimento  di /,  attra- 
verso  a  pr')  a  c,  p.  es.  :  ai  più  213,  248  ;  cuvighiiiighia  cioè  : 
«  pioviginiggia  »  247,  ciiiiia  (duvet)  pluma  532,  hicastrâii 
«  impiastrato  »  (barbouillé)  164.  Ncl  corso,  gallurese  e  sassa- 
rese  pi  si  riflerte  in  pj.  Anche  per  questo  fenomeno,  corne  per 
gli  altri,  il  dialetto  di  Bonifacio  appare  isolato.  E  altrettanto 
avviene  per  W-,  che  dà  g^'j,  p.  es,  ghjànku  (blancu)  gesso 
(craie). 

14.  I  casi  di  fonetica  sintattica,  sia  quantitativi,  sia  qualita- 
tivi,  proprî  del  corso,  pajono  per  regola  sconosciuti,  o  quasi 
sconosciuti,  al  dial.  di  Bonifacio. 

Questi  quattordici  tratti  caratter  i  stici,  ai  quali 
alcun  altro  meno  iniportan  te  sipotrebbe  aggiungere, 
corrispondono  sostanzialmente  ad  altrettantifeno- 
meni  proprî  del  dialetto  diGeno\'a  :  i.  û  h  lom- 
bardo-piemontese-ligure.  —  2.  cgwa  è  il  riflesso  di  aqua  in 
genovese  (e  si  noti  che  qualora  un  fenomeno,  tra  quelli  che 
ricordiamo,  oltrepassi  Genova  o  anche  la  Liguria,  a  Genova 
siamo  richiamati  imperiosamente  da  altri  diversi  caratteri), 
per  la  via  ben  conosciuta  di    *auqua,  aigua  (Ascoli,  Arch.  gl., 

I,  300;  II,  114).  — 3.  In  gen.  -ariii  diviene  -a  (Parodi,  Arch., 
XVI,  108)  da  -âr,  p.  es.  banhara  falegname  e  poscia  :  hanha, 
lejtà  lassajo,  ecc.  —  4.  In  gen.  0  viene  a  0,  il  quai  suono  risale 
a  luô,  lia.  E  notevole  che  Bonifacio  abbia  yâ  (da  */ki)  corne  accade 
nel  veneto  settentrionale,  a  ragion  d'esempio  :  liôgo,côl  (toglie, 
cioè  *tioî,  liioJe)  a  San  Stino,  tcc  '.  —  5.  Il  genov.  ha-ôtf  e  -x, 
com'  è  noto,  du  -atii  e  -ali,  ma  questi  -ôiu  e  -x  risalgono  a  -au  e 
ai  (altrove,  nell'  Italia  settentrionale,  -0  e  -f)  \  —  6.  Mi  basterà 
rimandare  al  genov.  /wr(r')d//.  cacciatore,  che  risale  a  un  *kac{c^aQ 
-aii  e  ricorderô,  lasciando  Genova,  peccau  peccatore  nell'  Alione 
(Asti),  ainholau    imbottatojo    (Salvioni,  Rend.  ht.    Lonib.,    S. 

II,  vol.  XXXVII,  532),  a  Sommariva-Bosco  :  â  11  r  adesso  (cioè 
hac  -|-  hora),  ecc.  —  7.  Per  questo  fenomeno  in  genovese,  cfr. 
Parodi,  Arch.,  XV'I,  130.  —  8.  Il  -/-  intervocalico  cade  sempre 

1.  Gartner,    Z.  /.  r.    Pbil.,   XVI,    174  ;    Vidossicli,   Archeogiafo  iricst., 
XXXIII,  270.  Di  iô  si  hanno  esempi  anche  uel  chianajuolo. 

2.  Balùsù,  Deutali  fsplosive  ititervocalichi'  nei  dial.    italiani,    Halle,    1912, 
p.  84  (ncl  \'o\.  in  onorc  del  Mever-Lûbke). 


DIALETTO    DI    BONIFACIO  27 1 

in  genovese,  dove  abbiamo,  a  ragion  d'esempio,  liame  letame, 
ecc.  Se  ne  veda  Parodi,  Jrch.  cit.,  360.  —  9.  Il  passaggio  di 
-/-  intervocalico  ad  r  (/)  e  quindi  la  sua  caduta  avvenuta, 
insieme  ail'  r  semplice  pure  intervocalico,  non  prima  del  sec. 
XVII  (Parodi,  Poésie  In  dial.  tahbiese,  p.  41)  è  uno  dei  feno- 
meni  più  conosciuti  di  Genova.  A  Taggia  1'/'  si  conserva  ancora 
e  non  è  caduto  se  non  dopo  un  dittongo  uscente  in  /.  A  Boni- 
facio,  IV  è  restato,  senza  scadere  a  r,  salvo  dopo  /  (da  ié,  ie^ 
a  giudicare  da  avantiri,  tri  (heri)  128.  —  10.  Anche  questo 
fenomeno  è  proprio  del  lig.-piemontese.  Ricorderô,  special- 
mente,  il  genov.  kadu  caldo.  —  11.  Fenomeno  gen.  e  ven.  ; 
ma  è  naturale  che  gli  occhi  nostri  si  volgano  a  Genova.  — 
12.  Basterà  ch'io  ricordi  il.  gen.  (ogii  giuoco,  e  si  veda,  per 
maggiori  informazioni,  Parodi,  Arch.  cit.  334.  —  13 (-14). 
Inutile  insistere  su  questi  fenomeni  ',  pei  quali  il  genovese 
assume  un  carattere  spiccato  di  fronte  al  piem.,  emil.  e  anche 
lombarde  (sebbene  il  lomb.   alpino  conosca  pi   in  pc  e  bl-  in 

I  criterî  lessicali  confermano  quelli  desunti  dallo  studio  dei 
suoni.  Neldial,diBonifaciosihanno  basi,  le  quali 
contrasta  no  col  corso  comun  e,  col  gallurese  e  col 
sassarese,  mentr e  combinano  con  la  parlata  di  Geno- 
va. Metterô  in  evidenza  i  casi  che  più  mi  sembrano  intéres- 
sante A  Bonifacio  è  caratteristica  la  denominazione  del  «  dito 
mignolo  »  detto  maniiilï.  Siamo  a  un  derivato  di  niiniinns  (cfr. 
in  ant.  franc,  manie,  cioè  *iueni}ie,  nel  Lancelot  di  Chrétien,  v. 
4658,  Foerster,  p.  401)  e  più  propriamente  a  minimellinus 
genov.  marmelln,  piac.  luarinUin,  e  se  ne  veda  :  Flechia,  Arch. 
gl.,  II,  366,  n.  I.  Caratteristica  è  pure  a  Bonifacio  la  voce 
brusiya  «  spazzola  »,  di  fronte  aile  altre  denominazioni  corse, 
corne  brosa  (franc,  brosse),  spilela,  spatsuleta.  La  voce    è  molto 


1.  Negli  antichi  testi  genovesi  il  c  è  rappresentato  da  i,  ^h  e  //;.  Notevole, 
sopra  tutto  quest'  ultima  scrizione,  la  quale  ricorda  quella  del  célèbre  iholt 
dello  «  Jonas  »  francese.  Grazie  a  questo  avvicinamento,  il  lettore  comprende 
quale  ipotesi  mi  sorrida  al  pensiero  circa  la  pronuncia  del  vessato  iholt.  Cfr. 
Koschwitz,  Commentar,  no  III. 

2.  Cf.  Salvioni,  Rcmi.  ht.  Lovih.,  XXV,  917. 


272  MELANGES 

diffusa  nei  dial.  italiani  :  \omh.  bn"itsja,brftsca,  tmW.  bntsca,  niarch. 
bruschja,  sicil.-cal.  abr.  brnska  '  ;  ma  per  noi  sovviene  il  genov. 
brûstja  (Casaccia,  p.  152)  :  «  spazzola  a  iiso  di  pulire  i  cavalli 
dopo  la  stregghiatura.  »  L'  «  allodola  »  a  Boniflicio  è  chiamata 
caturiïn,  mentre  altrove  nell'  isola  si  ha  :  lôdina,  lodola,  âodiila, 
agella  (uccella)  conka,  iaraùûla  (jerragnolç  anche  nell'  Italia 
méridionale),  parnicôla,  branaghjûla .  La  voce  caturiui  io  ritengo 
essere  nient'  altro  che  il  genov.  cattarôn  (Casaccia,  p.  222), 
«  strillozzo,  eiiiberi^a  niiJiaria.  »  Soltanto  a  Bonifacio  usasi  il 
vocabolo /)»;/»'///  per  dire  «  bottone  ».  In  genov.  abbiamo  : 
pomelii  bottone,  poiiielâ  bottonaio,  ecc.  (Casaccia,  p.  605). 
Altra  voce  caratteristica  è  avura  ora,  adesso.  Genov.  ôna,  ant. 
genov.  aura  e  con  estirpazione  di  jato  avôra,  avô.  Bonifacio 
usa  il  termine  locà,  traballare,  mentre  nell'  isola  dicesi  trinigâ, 
inauighjà,  riiininà,  ecc.  Ora,  Genova  ha  locà  «  tentennare,  tra- 
ballare »  (Casaccia,  p.  476).  Il  «  focile  »,  è  chiamato  a  Boni- 
ù\c\o  Jn^i,  mentre  nell'  isola  la  designazione  comune  è  acari- 
iiii.  Il  Casaccia  (p.  396)  hz  ftixin  «  focile».  Sono  voci  caratte- 
ristiche  di  Bonifacio  :  amiirâ  arrotare  (genov.  aiiioà),  broku, 
innesto  (genov.  brôkii),  kavanii  panière  (genov.  e  Italia  sett. 
kavânii,  kavàîi),  pertnin  detto  délia  cruna  dell'  ago  (genov. 
[piem.]  pertiî^u  foro),  corn  civetta  gufo  (nclT  isola,  altrove  : 
malaghjella,  niahghjedda  «  mala  uccella  »,  'ag])jeUacca),  genov. 
(e  la  voce  è  molto  diffusa)  cià,  ciû.  Per  «  gomito  »  dicesi  a 
Bonitacio  guuiyu  (altrove,  nell'  isola  :  gôvitii,  goito,  uvlitu, 
yôvitii,  ôilo,  tcddii),  genov.  goDiio.  E  cosi  spasasi  divertirsi,  il 
diminutivo  vezz.  gasêta  asola,  agùgga  ago,  inki'idî^ina  incu- 
dinc  col  suo  dx^,  krâva  capra,  colla  sua  metatesi,  gôtu  bicchiere, 
sono  tutte  voci  che  ci  portano  appunto  a  Genova  o  ad  un  ter- 
ritorio  più  esteso,  di  cui  Genova  è  parte.  Se  abbiamo  poi  a 
Bonifacio  grôta  cantina  (mentre  l'isola  conosce  solo  kanîhm  e 
cavd)  e  se  questa  voce  oggi  al  genovese  manca,  dobbiam 
ritenere  che  forse  per  il  passato  a  Genova  essa  abbia  vissuto,  la 
quai  cosa,  data  l'estensione  di  «  krj'pta  »,  è  ammissibilissima. 
Altrettanto  si   potrebbe  dire    per   qualche   altro   termine  ;  ma 


I.  Si  veda,  per  qucsto  vocabolo,  Meyor-Lùbkc,  Rom.  Et.  JTb.,  n"  1341,  e 
Salvioni,  Rei'.  d.  dial.  roui.,  IV,  219. 


DIALETTO    DI    BONIFACIO  273 

nuovi  materiali  aggiungeranno  i  successivi  fascicoli  deW  Atlas 
che  si  aspettano  con  vivo  desiderio.  Essi,  perô,  non  potranno 
scuotere  la  conciusione  a  cui  siamo  pervenuti  in  queste  nostre 
poche  linee  :  che,  cioè,  Bonifacio  sia  una  colonia  genovese '. 

Con  le  induzioni  hnguistiche  concordano  i  dati  storici, 
poichè  Bonifacio  dal  1195  divenne  fedele  a  Genova  par  molti 
secoh  e  non  prese  parte  a  nessuna  insurrezione  dell'  isola.  A 
giudicare  dai  fenomeni  fonetici,  e  sopra  tutto  da  quelli  indicati 
ai  §§  4,  5,  9,  pare  che  l'influsso  appartenga  a  tempo  antico, 
forse  già  al  sec.  xiii. 

Giulio  Bertoni. 


I.  É,  del  reste,  naturale  che  Bonifacio,  che  ha  tradizioni  e   costumanze 
genovesi,  ci  conservi  nel  suc  dialetto  tratti  arcaici  genovesi. 


komania,   XLIV.  l8 


COMPTES    RENDUS 


E.  Gamillscheg  et  L.  Spitzkr,  Die  Bezeichnungen  der  «  Klette  » 
im  Galloromanischen.  Halle,  191 5.  In- 12,  80  pajes,  avec  une 
carte  ;  fasc.  I  d'une  nouvelle  collection  intitulée  :  Sprachgeogiaphische 
Arbeiten. 

Ce  mémoire  et  dédié  à  M.  Gilliéron,  à  l'ocasion  de  son  60e  aniversaire, 
par  deus  anciens  élèves  de  notre  École    des  hautes  études,   de   nacioualité 
autrichiène.  On  sait  qe  Klette  et  le  nom  alemand  de  la  bardane,  plante  dési- 
gnée an  botaniqe  par  le   terme  arctiuiit  ;  le   latin  classique  dit  Jappa.   Les 
matériaus   élaborés    se    trouvent    presqe    tous    réunis    dans    le   tome    VII, 
p.  125-38,  de  \â  Flore  populaire  d'Eugène  Rolland,   et  dans  la  carte  112  de 
V Atlas  linguistique  de  Gilliéron  et  Edmont  ;  mais  les  auteurs  ont  le  mérite 
de  ne  pas  s'an  être  tenus  à  ces  deus  sources  capitales  et  d'avoir  cherché  à  élar- 
jir  leur  informacion  par  le  dépouillemant  de  la  plupart  des  recueils  lexico- 
grafiqes  et  botaniqes.   Les   désignacions  vulgaires  de  la  bardane  sont  extrê- 
memant  nonbreuses  sur  le  téritoire  de  l'anciéne  Gaule  ;  èles  ont  les  ori- 
jines  les  plus    diverses.  La  statistiqe  peut   être  considérée  come  close  ;   la 
tâche  de  la    jéografie  linguistiqe,    tèle  qe  la  conprèuent  les   auteurs,  con- 
siste essancièlemant  à  reconstituer  l'unité  primitive  en  face  de  la  diversité 
actuèle,  et  à  trouver*les  raisons  psicolojiqes  qi  ont  créé  cète  diversité.  Cet 
le  principe  qi  les  guide  ;  mais  ils  se  hâtent  d'ajouter  qe  la  qestion  de  savoir 
si  ce  principe  et  bien  ou  mal  fondé  reste  an  dehors  de  leur  étude.  Cet  de  la 
modestie  ;  c'êt  aussi  de  la  sajèce.  Il  nous  et  inpossible  de  savoir  si  réèlement 
le  lat.  lappa  a  couvert  autrefois  toute  la  surface  de  la  Gaule,  où  il  u'ocupe 
plus  aujourdui,  par  lui  même  ou  par  ses  dérivés,  q'un  domaine  restreint  et 
morselè  (surtout  dans  le  çantre  et  le  sud-ouest).  L'imité  primitive  n'ét  an 
some  q'un  postulat. 

Le  mémoire  et  divisé  an  qatre  seccions  :  I,  fr.  hardane;  II,  lat.  lappa  ;  III, 
r.  dial.  ârotte  et  glèteron  ;  IV,  tipes  divers.  Pourqoi  n'avoir  pas  comancé  par 
étudier  le  mot  latin  lappa  et  sa  famille  ?  Bardane  et  un  terme  savant,  calqé 
sur  le  lat.  médiéval  hardana,  leqel  n'aparaît  q'au  xiic  siècle  et  sans  qe  nous 
sachions  rien  de  positif  sur  son    orijine.  Pourqoi   réunir    dans    une    même 


GAMILL9CHEG  ET  spiTzER,   «  Kktte  »  iin  GalJoroni.       275 

seccion  deus  mots  aussi  diférants  qe  droite  et  glèteron  ?  Sans  doute  parceqe 
l'un  et  l'autre  sont  d'orijine  jermaniqe  et  remontent  à  des  tipes  primitifs 
drauocaet  kletto  ;  mais  la  qatrième  seccion  ne  ranferme-t-èle  pas  qelqes 
termes  jermaniqes,  notamant  doqiie}  Une  autre  critiqe  de  métode  doit  être 
formulée  :  les  auteurs  ne  distinguent  pas  avec  assés  de  soin  les  noms  qi 
s'apliqent  à  la  plante  de  cens  qi  désignent  propremant  ses  capitules  et  qi,  par 
extansion,  peuvent  servir  à  désigner  la  plante  èle  même.  Anfin,  ils  abusent 
des  digressions,  et  par  là  conpliqent  un  sujet  qi  an  lui  même  et  déjà  fort 
anbroussaillé. 

Dans  le  détail,  il  faut  reconaître  q'ils  ont  le  plus  souvant  déployé  autant 
de  perspicacité  qe  d'érudicion.  S'ils  n'ont  pas  résolu,  de  façon  à  satisfaire  plei- 
nemant  le  lecteur,  toutes  les  qestions  q'ils  ont  discutées,  cela  tient  plutôt  à 
la  dificulté  de  la  tâche  q'à  l'insufisance  des  ouvriers.  Ce  n'êt  qe  sur  des  minu- 
cies  que  je  puis  leur  chercher  qerèle,  come  on  va  voir. 

P.  6,  n.  I.  La  iorme  du rdaiie,  relevée  dans  l'art,  lappa  du  Dict.  des  arts  de 
Thomas  Corneille,  et  une  faute  tipografiqe  à  laqèle  il  ne  faut  atacher  aucune 
inportance. 

P.  35.  Le  terme  de  guipon,  qi  désigne  la  bardane  dans  l'Anjou  et  le  Maine, 
me  paraît  indépandant  du  verbe  griper.  Les  auteurs  i  voient  une  «  Umdeu- 
tung  »  de  gripon  sous  l'influance  du  terme  tQcnïqe  guipon  (même  radical  qe 
celui  de  giiipillon  «  goupillon  »  ;  cf.  mes  Essais,  p.  311);  j'i  vois  un  sinple 
anploi  figuré,  qe  la  forme  des  capitules  justifie  clairemant. 

P.  56,  note.  Les  auteurs  atribuent  à  Ménage  la  forme  Augoissement  (con- 
curramant  avec  Angoisse),  come  nom  du  vilaje  limousin  qi  a  doné  son  nom 
à  la  «  poire  d'angoisse  »  ;  Ménage  ne  done  q' Angoisse,  seule  forme  réelle. 

P.  57.  L'idée  qe  le  verbe  méridional  coutir  «  anbrouiller  »  (d'où  le  subst. 
coutissou,  apliqé  aus  capitules  de  la  bardane)  viendrait  du  lat.  culcita  et 
insoutenable  ;  l'étimolojie  reste  à  trouver. 

P.  59-60.  Les  auteurs  considèrent  le  te^mt  gaïuardes ,  fém.  plur.,  qi,  d'après 
le  témoignaje  de  V Atlas  linguistique  (point  698),  désigne  les  capitules  de  la 
bardane  à  Tramesaygues  (Htes-Pirénées),  come  un  dérivé  du  radical  gaj-,  et 
le  classent  avec  gcifets,  gafarots.  Cet  une  erreur,  provenant  d'une  fausse  con- 
cepcion  fonétiqe  qi  leur  fait  aussi  interpréter  gaiis  come  un  monosillabe  pou- 
vant représanter  un  pr'imiùi  *gajs,   pluriel  de  *gaf  :  en  réalité,  le  prétandu 
gaus  se  prononce  ga(h)ous,  c'êt  à  dire  q'il  et  disillabiqe  ;  il  se  ratache  éfecti- 
vemant  au  radical  gaf-  pourvu  d'un  suffixe.   Mais  il   an  va  autremant   de 
gauardes,  pluriel  de  gawardo.  Ce  mot  désigne  propremant  le  grate-cul,  fruit 
de  l'églantier,  confondu  avec  les  capitules  de  la  bardane  (voir  la  carte  églan- 
tier, no  452,  de  V Atlas  linguistique  et  la  Flore  populaire  de  Rolland,  V,  236). 
On  le  trouve  aussi  de  l'autre  côté  des  Pirénées  ;  cf.  aragon.  gabarda  «  églan- 
tier ».  Je  crois  q'il  faut  i  voir  le  même  radical  qe   dans  le  nom  gascon  de 
l'ajonc,  gawarro,  gaharro  ;  il  i  a  probablement  de  l'ibériqe  là  dessous. 

P.  67,  n.  I.  Les  éforts  faits  pour  expliquer  par  ur/rs-on  le  terme  ar/Ztez»,  qi 


276  COMPTES    RENDUS 

d'après  Rolland,  désigne  la  bardanc  à  Eymoutiers  (Haute-Vicne),  le  sont 
an  pure  perte.  Je  crois  qe  nous  somes  en  présancc  d'une  mauvaise  notacion 
du  mot  artichaut,  le  ts  d'Eymoutiers  corespondant  au  cJi  français. 

P.  69.  Les  auteurs  citent,  d'après  Moisy,  un  exanple  tiré  delaAWi  .fabrique 
des  traits  de  vérité,  et  déplorent  de  n'an  pas  conaitre  la  date  ;  on  sait  qe  ce 
recueil, dû  à  Philippe  le  Picard  (sous  le  pscudonime  de  Ph.  d'Alcrippe),  a  paru 
an  1579. 

P.  71,  n.  2.  L'idée  qe  raclh',  an  tant  q'apliqé  à  la  bardanc,  serait  idantiqe 
à  race,  pour  arace  «  aroche  »,  et  franchemant  absurde.  Le  texte,  publié  par 
moi,  dans  leqel  on  lit  race  pour  arace  «  aroche  »,  n'ct  pas  franco-provançal  ; 
il  émane  d'un  Italien,  leqel  a  apocope  arace  an  race  par  suite  d'une  fausse 
percepciou  de  la  forme  conbinée  avec  l'article  féminin,  larace. 

Les  fautes  tipografiqes  sont  relativemant  rares,  et  c'ét  méritoire  an 
pareille  matière.  Il  i  an  a  tout  de  même  qelqes  unes,  et  des  plus  fâcheuses  : 
p.  10,  n.  I,  1.  3,  au  lieu  de  :  houe,  lire  :  boue-,  p.  69,  1.  26,  au  lieu  de  :  Notu., 
lire  :  Nouv.  (=:  Nouvelle);  p.  78,  I.  3,  au  lieu  de:  mais,  lire  :  niais. 

Je  regrète  vivemant  qe  les  auteurs  n'aient  pas  fait  suivre  leur  mémoire 
d'un  index  alfabétiqe  des  mots  et  expressions  q'ils  ont  étudiés. 

Antoine  Thomas. 

Stefan  GLixELLi,Les  cinq  poèmes  des  trois  morts  et  des  trois 
vifs,  publiés  avec  introduction,  notes  et  glossaire  (thèse  pour  le  doctorat 
d'Univershè)  ;  Paris,  1914  ;  in-8,  viii-142  pages  et  4  planches  hors  texte. 

I 

Devant  trois  jeunes  gentilshommes  du  plus  haut  rang  se  dressent  soudain 
trois  cadavres.  Les  morts  parlent  :  «  Vous  serez  comme  nous  sommes...  » 
Tel  est,  en  deux  mots,  le  thème  des  cinq  poèmes  que  M.  G.  a  réunis  dans 
ce  petit  volume .  Il  v  a  ajouté  un  fragment  de  1 1  vers  d'un  sixième  poème 
où  les  hommes  sont  remplacés  par  des  femmes  et  que  M.  Grôber  a  sans 
aucune  raison  traité  de  «  parodie  ».  Les  poèmes  avaient  déjà  été  publiés 
complètement, en  1856,  par  A.  de  Montaiglon,  et  quelques-uns  l'avaient  été 
isolément,  notamment  ceux  qui  ont  pour  auteurs  Baudouin  de  Condé  et 
Nicole  de  Margival.  Mais  une  nouvelle  édition,  basée  sur  tous  les  manuscrits 
connus,  s'imposait,  d'autant  que  l'élégante  plaquette  de  de  Montaiglon  est 
devenue  aujourd'hui  [introuvable.  Dans  une  introduction  un  peu  timide  et 
superficielle,  mais  matériellement  exacte,  M.  G.  étudie  tour  à  tour  le  classe- 
ment des  manuscrits,  la  langue,  l'histoire  du  thème,  les  poèmes  en  d'autres 
langues,  les  représentations  figurées.  Parmi  les  miniatures  reproduites  dans 
le  volume,  signalons  une  enluminure  des  Petites  Heures  du  duc  de  Berry  et 
une  autre,  fort  intéressante,    du    manuscrit   845    d'.\rras.   La  miniature  du 


s,  GLiXELLi,  Les  trois  morts  et  les  trois  vifs  277 

manuscrit  3142,  qui  est  l'original  de  plusieurs  autres,  a  été  reproduite  par 
M.  Mâle  (Lart  religieux  de  la  fin  du  moyen  âge,  p.  385).  —  I,  m.  Le  vers  est 
mal  expliqué  dans  la  note  (p.  113);  il  faut  traduire  :  «  La  mort  a  sucé  notre 
substance,  «  —  I,  117.  Imprimez  alïens.  —  II,  39.  Devers  doit  être  entendu 
divers,  «  horrible  »  ;  de  même  II,  78.  —  II,  174.  La  bonne  leçon  de  ce 
proverbe  se  trouve  aux  variantes  :  Fans  devant  qu'il  prent  ne  doute  (prendre  a 
ici  le  sens  de  «  il  arrive  «,  c'est-à-dire  «  malheur  »)  '.  —  III,  62.  Ouis  vient 
probablement  de  quérir,  et  quira  au  vers  suivant  est  pour  cuira.  —  III,  158. 
Supprimer  la  correction  proposée  au  bas  de  la  page. 

Il  me  reste  à  signaler  un  nouveau  manuscrit  que  je  viens  de  découvrir.  Le 
ms.  1942  du  musée  Condé  à  Chantilly  se  compose  de  quatre  doubles  feuil- 
lets provenant  d'un  recueil  de  traités  et  de  pièces  de  morale  et  de  dévotion. 
L'écriture  est  de  la  fin  du  xiii^  siècle.  On  y  trouve  (fol.  6)  la  dernière  page 
d'un  Dit  des  trois  morts  et  des  trois' vifs.  Les  premiers  vers  du  fragment  qui 
subsistent  ont  été  imprimés  dans  le  Catalogue  in-40  (t.  II,  1900,  art.  684, 
p.  405)  et  permettent  de  constater  que  ce  sont  les  v.  i6o  et  suivants  du 
poème  de  Nicole  de  Margival  (éd.  Glixelli,  p.  71).  Ou  ne  connaissait  que 
deux  manuscrits  de  ce  poème  (Paris,  B.N.  fr.  1109  et  25566).  Le  nouveau 
fragment  fournirait  peut-être  quelques  variantes  intéressantes.  Mais  je  n'ai  pas 
fait  la  vérification. 

A,  LÂNGFORS. 

II 

Texte.  —  I,  63,  de  veoir  n'est  que  dans  A  ;  lire,  avec  les  cinq  autres  mss., 
del  (ou  du)  veoir.  —  70,  au  lieu  de  aviens  (dans  A  seul),  lire  eïivies  ;  de  même 
eïunes  (84)  au  lieu  de  avienies  ;  les  désinences  en  -iens  sont  dans  ce  texte 
disyllabiques  (cf.  1 17). 

II,  59,  virgule  après  net  :  «  Je  me  garderai  pur  en  pratiquant  le  bien  «  ; 
cf.  55  et  69.  —  118-9,  sens?  Une  note  eût  été  nécessaire.  —  152,  sens? 
—  1 74,  la  bonne  leçon  de  ce  proverbe  (fous  devant  qu'il  prent  ne  doute) 
a  été  rétablie,  par  M.  G.,  sur  mon  indication,  aux  Additions  et  Corrections 
(qui  n'ont  pas  été  jointes  à  tous  les  exemplaires)  ;  sur  le  sens  de  prendre 
je  ne  suis  pas  d'accord  avec  M.  Lângfors  :  je  crois  que  le  mot  signifie 
«  recevoir  (des  coups),  être  maltraité  »  ;  ce  sens  est  suggéré  par  la  forme 
qu'a  prise  le  proverbe  au  xvie  siècle  :  Fols  ne  croit  s'il  ne  reçoit  (G.  Meu- 
rier  dans  Leroux  de  Lincy,  Le  livre  des  Proverbes,  2^  éd.  II,  237).  Il 
se  lit  déjà  dans  Marie  de  France  (Fables,  éd.  Warnke,  n"  XCI,  v.  53-4)  : 
En  reprueche  dist  hum    suvent  — •  Que  fol^  ne    crient  desi  qu'il    prent  ;  il  se 


I.    Notons  cette  variante:  Le  Jol  ne  double  jusques  il  peut  (Liber  For  tiinae, 
xive  siècle,  B.N.  fr.  12460,  fol.  11). 


278  COMPTES    RENDUS 

trouve  à  la  fin  du  xiii*  (voy.  les  Proverbes  vulgaux,  p.  p.  J.  Ulrich  dans 
Zeitschr.f.  fraii^.  Sprache  und  Lit.,  XXIII,  p.  i  ss.,  n"  125)  ;  on  le  rencontre 
fréquemment  surtout  au  xiv^,  comme  le  prouvent  les  exemples  qui  en  ont 
été  réunis  par  E.  Fehse  (Rom.Forschungen,  XIX,  563).  En  voici  deux  exemples 
des  xiie-xiiie  siècles  en  provençal,  dont  le  second  précise  bien  le  sens  :  Que 
fols  no  tem  tro  que preu  (B.  de  Ventadour,  Lo  teins  t'a/,  dans  Mahn,  Ged.,  709, 
str.  3);  Mas  homjols  Jeu  no- s  chastia  —  Tro  qu'a  près  dan  angoissos  (A.  Cata- 
lan, Lanquan  vinc,  ihid.,  986,  str.  3). 

III,  128,  au  lieu  àt  forgiet,  non  expliqué  au  glossaire,  lire /or/  giet  (?)  : 
«  ils  sont  enserrés  en  de  telles  entraves...  ». 

IV,  1 15,  lire  le  porricors  (avec  AT). 

Gloss.'MRE.  —  Envier  son  gin  est  traduit  (à  \giu)  par  «  mettre  un  enjeu  »  ; 
c'est  plutôt  «  renforcer,  augmenter  son  enjeu  »  ;  —  limer  (III,  186),  qui 
manque,  paraît  signifier  «  souffrir,  peiner  »  ;  le  sens  de  «  s'irriter»  est  attesté 
(Godefroy,  IV,  787-«)  ;  — mairer,'corr.  mairier  ;  — les  mots  fui,  pape  (III,  58) 
ne  me  paraissent  avoir  rien  à  faire  avec  fuir  et  paper  (Gloss.,  s.  v.)  ;  je  vois 
là  deux  interjections  (gcrm.  pfui,  ht.  papae),  dont  il  serait  intéressant  d'avoir 
d'autres  exemples. 

Introduction.  —  L'épitaphe  rapportée  p.  23  n'est  pas  auvergnate,  mais 
qucrcinoise  :  elle  provient  en  effet  de  Catus  (Lot),  comme  on  peut  le  voir 
dans  le  fac-similé  publié  par  Doniol  (Les patois  de  la  Basse-Auvergne,  p.  59) 
ou  dans  la  transcription  procurée  par  Roque-Ferrier  (Kevue  des  langues  ro»i., 
XI,  146).  Il  eût  été  naturel  d'en  rapprocher  une  inscription  funéraire  ana- 
logue (bilingue),  d'une  région  voisine,  et  plus  ancienne  d'une  quarantaine 
d'années,  sur  laquelle  M.  A.  Thomas  a  attiré  l'attention  (Annales  du  Midi,  X, 

3>6). 

A.  Jean  ROY. 

L.  F.  P-tTow,  The  Battle  of  the  seven  Arts,  afrench  poemly 
Henri  d'Andeli,  trouvère  of  the  tbirteenth  cenlury,  ediled  and  translated  with 
introduction  and  notes,  University  of  California  Press,  Berkeley,  1914,  in- 
4°  de  60  pages  et  10  planches  en  photogravure  (Mcnioirs  of  the  University 
of  California,  vol.  4,  n°  i.  History,  vol.  I,  no  i). 

La  partie  la  plus  importante  de  cette  nouvelle  édition  du  petit  poème 
d'Henri  d'Andeli  consiste  dans  les  notes,  qui  apportent  sur  l'état  des  études 
au  xiiie  siècle  des  renseignements  abondants  et  précis  :  M.  Pa;to\v,  complé- 
tant les  indications  déjà  nombreuses  de  Héron  (qui  aurait  dû  être  [cité  plus 
souvent)  y  a  fait  preuve  d'une  érudition  très  étendue  dans  un  domaine  très 
spécial  et  la  lecture  ne  saurait  en  être  trop  recommandée  à  ceux  qu'intéresse 
l'histoire  intellectuelle  de  l'Europe  au  milieu  du  moyen  âge.  L'introduction 
rassemble  ce  qu'elles  contiennent  d'essentiel  et  nous  donne  du  sujet  un 
tableau  d'ensemble,  d'où  l'on  pourrait  au  reste  écarter  quelques  hors-d'œuvrc, 


L.  F.  p.ETOW,   The  Batth  oj  the  seven  Arts  279 

comme  le  long  et  paradoxal  chapitre  (p.  5-12)  où  la  rivalité  entre  les  huma- 
nités et  la  dialectique  est  considérée  comme  une  phase  de  la  querelle  entre 
les  Anciens  et  les  Modernes.  Quant  à  l'édition  elle-même,  je  regrette  de  cons- 
tater qu'elle  ne  marque  aucun  progrès  sur  la  précédente,  celle  de  Héron  (dont 
G.  Paris  a  rendu  compte  ici,  XI,  137  ss.)'.  On  n'y  trouve  ni  Glossaire  ni 
notes  explicatives  ;  dans  la  traduction  les  passages  les  plus  obscurs  sont  tra- 
duits mot  à  mot  (avec  quelques  contre-sens),  généralement  sans  commen- 
taire, et  cette  traduction  même  est  souvent  fondée  sur  un  texte  peu  sûr. 
L'éditeur,  quoiqu'il  reproduise  d'ordinaire  le  ms.  A  (le  plus  complet  et  le 
meilleur),  fait  au  ms.  B,  sans  nous  en  prévenir,  des  emprunts  assez  nom- 
breux (par  ex.  aux  v.  38,  53,  70,  86,  87,  etc.),  parfois  fâcheux,  nous  obli- 
geant ainsi  à  recourir  sans  cesse  aux  photogravures  (au  reste  excellentes) 
données  en  appendice.  Mieux  eût  valu  certainement  transcrire  le  texte  de  A 
et  donner  en  note  les  variantes  de  B,  avec  une  liste  de  conjectures,  anciennes 
ou  nouvelles;  une  page  y  eût  suffi  et  l'on  eût  ainsi  épargné  au  lecteur  de 
pénibles  recherches. 

Voici  quelques  remarques  où  seront  justifiées  ces  critiques. 
V.  55,  lèvent,  conjecture  (A  trousseretit,  qui  donne  un  très  bon  sens;  B 
seveiif).  —  60,  veil,  faute  t3-pographique  pour  viel  {A  B).  —  120,  del  viains, 
«  inférieure  »,  n'est  pas  traduit.  —  170,  entre  irais,  leçon  inintelligible  de 
B,  traduite  par  «  between  the  com bâtants  »  (?).  —  189,  berseret,  combinai, 
son  de  A  (horserei)  et  de  B  (herserez)  ;  il  fallait  conserver  le  :(  final,  le  mot 
remontant  au  suff".  -jcius.  —  256,  enjoignent  est  une  conjecture,  pour 
ajoignent  (A)  qui  devait  rester.  —  277,  constructions,  leçon  refaite  s\irB(con- 
strucions).  — 279,  pas  ne  s'entendaient;  l.  pas  nés  e.  (avec  Héron,  qui  avait 
bien  compris).  —  512,  513,  314,  352,  353,  els  (pronom  féminin);  les  deux 
mss.  ont  il  —  334,  Estace^  AchiUcidas,  non  «  the  Achilleis  of  Statius  », 
mais  «  Stace,  l'auteur  de  l'Achilléide  »  ;  on  sait  que  le  moyen  âge  a  cru  à 
l'existence  de  deux  Staces.  —  450-1,  seignar,  li  siècles  voit  par  vaines  ;  — 
emprès  farinent  vendront  avaines .  L'auteur  dit  très  clairement  que  tout  dans 
le  monde  se  succède  suivant  des  alternatives  régulières  ;  «  après  le  blé  viendra 
l'avoine  »,  etc.  Ce  sont  ces  séries  que  l'auteur  d'un  Dit  satirique  de  la  fin  du 
xiiie  siècle  appelle  des  anites  (probablement  de  aminitas)  k  Le  premier  vers, 
qui  nous  montre  en  Henri  d'Andeli  un  partisan  des  humanités,  auxquelles  il 
prédit  un  retour  de  vogue,  avait  été  saisi  par  Héron  (p.  xci);  M.  P.  a  évi- 
demment vu,  dans  vaines,  vanas,  et  il  n'a  rien  vu  du  toutau  second  vers;  il 
traduit  :  «  the  time  is  given  to  emptiness  ;  soon  they  will  go  entirely  to 
naught.  » 

A. Jeanroy. 


1.  Cette  édition  est  bien  de  1 881,  comme  l'a  dit  Grœber,  et  non  de  1880, 
comme  ledit  G.  Paris,  croyant  rectifier  Grœber. 

2.  Chansons  et  dits  artésiens,  publ.  par  Jeanroy  et  Guy,  X,  10  et  passit 


ttn. 


28o  COMPTES    RENDUS 

Eero  Ilvonen,  Parodies  de  thèmes  pieux  dans  la  poésie 
française  du  moyen  âge  (Pater  —  Credo  —  Ave  Maria  —  Laeta- 
^MHifi^).  Textes  critiques  précédés  d'une  introduction  ;  Paris,  H.  Cham- 
pion, 1914  ;  in-8,  IV-181  pages.  . 

Les  poèmes  contenus  dans  ce  recueil  (qui  est  une  dissertation  de  l'Univer- 
sité d'Helsingfors)  sont  au  nombre  de  dix  :  (I)  La  Patrenostre  et  (II)  le  Credo 
a  Vuserier,  (III)  le  Laelabundus,  (IV)  la  Patrenostre  du  vin,  (V)  le  Credo  au 
rihaut,  (VI)  la  Patrenostre  d'amours,  (VII)  une  Patrenostre  farcie  (dont  nous 
parlerons  plus  longuement  tout  à  l'heure),  (VIII)  un  Pater  en  quatrains, 
(IX)  la  Patrenostre  de  Lotnbardie,  et  enfin  (X)  un  Ave  Maria  paraphrasé. 
Tous  ces  poèmes  sont  publiés  d'après  tous  les  manuscrits  dont  l'éditeur  a  pu 
avoir  connaissance.  Qiiand  une  copie  est  divergente  au  point  de  pouvoir  être 
considérée  comme  un  remaniemeut,  elle  est  publiée  à  part  in  extenso  :  le  cas 
se  présente  pour  trois  poèmes  (I,  IV  et  IX).  M.  I.  a  bien  vu  que  le  titre  de 
«  parodie  »  qu'il  donne  à  ces  poèmes  n'est  qu'un  pis  aller  :  il  n'y  a  parmi 
tous  ces  poèmes  qu'une  seule  véritable  parodie,  la  chanson  à  boire  calquée 
sur  le  Laelabundus.  Les  autres  sont  des  échantillons  profanes  d'un  genre  abon- 
damment représenté  dans  la  littérature  pieuse,  textes /«/r/5,  où  un  passage 
latin  est  commenté  en  langue  vulgaire.  Ici  le  contraste  entre  le  cadre  pieux  et 
le  commentaire  éminemment  profane  produit  quelquefois  un  effet  comique. 
Dans  d'autres,  par  contre,  par  exemple  dans  la  Patrenostre  a  Vuserier,  la  ten- 
dance morale  est  assez  marquée.  Enfin,  les  textes  du  xiv^  siècle  sont  quel- 
quefois des  satires  politiques.  Dans  son  introduction,  M.  I.  examine  longue- 
ment les  différentes  sortes  de  poésies  auxquelles  se  rattachent  les  textes 
publiés  par  lui  :  poèmes  latins  analogues,  poèmes  goliardesques,  poèmes 
mêlant  latin  et  français,  etc. 

Je  n'examinerai  pas  en  détail  les  textes  établis  par  le  nouvel  éditeur. 
D'autres  critiques  '  ont  déjà  apporté  d'utiles  contributions  à  l'amélioration 
des  textes.  Je  ne  présenterai  que  deux  remarques  sur  les  nos  i  et  V,  pour 
m'arrêter  ensuite  plus  longuement  au  n»  VII  dont  je  viens  de  découvrir 
un  nouveau  manuscrit.  Les  vers  216-8  de  la  Patrenostre  a  Vuserier  se  lisent 
ainsi  dans  l'édition  de  M.  I.  (c'est  l'usurier  qui  parle)  : 

216       Vers  moi  ne  se  prist  onques  nus, 
Tant  fust  ne  si  riches  ne  cointes. 
Qui  s'en  partist  coroies /on/to... 

ce  que  l'éditeur   explique   ainsi  (p.  77)  :  «    Nous    lisons,  avec   le   ms.  T, 
coroies  jointes,  qui  signifie  «  les  courroies  serrées  »,  c'est-à-dire  «  la  bourse 


I.  A.  Jeanroy,  dans  la  Revue  critique  du  9  mai  l9i4(no  19),  et  W.  Sôder- 
hjelm  dans  les  Neuphihlogische  Mitteilungen,\Y  {Hth'm^iov^,  191 5),  p-  35-8. 


E.  ILVONEN,  Parodies  de  thèmes  pieux  281 

fermée  ».  Mais  les  deux  autres  manuscrits  lisent  coroies  ointes,  et  c'est  bien  la 
bonne  leçon .  w  Avoir  corroies  ointes  de  quelqu'un  »  semble  signifier  «  obtenir 
un  avantage  de  quelqu'un  »,  cf.  oindre  la  main,  «  graisser  la  patte  ».  La 
même  expression  se  trouve  d'ailleurs  dans  le  Roman  de  Renart  (éd.  Méon)  : 

De  Renart  ne  va  nus  a  destre, 
Renart  fet  tôt  le  monde  pestre  ; 
Renart  atret,  Renart  acole, 
6480       Renart  est  de  moût  maie  escole  ; 
De  lui  n'a  nul  corroies  ointes, 
Ja  ne  sera  si  ses  acointes. 

Onie  pour  douie prester  (V ,  93),  terme  d'usurier  que  j'ai  rapproché  (Romania, 
XLIV,  97)  du  mot  uniaine  àznslt  Renart  le  Contrefait  (y.  25699),  se  retrouve 
dans  un  poème  sur  les  sept  péchés  mortels,  conservé  dans  quatre  manuscrits. 
Je  cite  le  manuscrit  2800  (fol.  168  vo)  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève. 
C'est  Avarice  qui  parle  : 

Deniers  ai  pour  vous  et  pour  mi. 
Mais  vous  ne  m'en  sariés  ja  grei 
Se  faisoie  tant  de  bonté 
Ke  pour  noient  le  vous  prestasse, 
Car  de  chu  ne  vient  nule  crasse  : 
Mais  ensi  cum  jou  usei  l'ai, 
Onze  pour  douze  presterai. 
Ensi  ai  jou  cachiet  maint  honme 
A  povretei,  chu  est  la  somme. 

J'arrive  au  n°  VII.  Cette  Patrenostre  farcie  est  un  petit  poème  en  onze 
sixains  qui  a  déjà  été  publié  par  MM.  A.  de  Montaiglonet  G.  Raynaud  dans 
leur  Recueil  général  des  fabliaux  '  (bien  qu'il  ne  soit  nullement  un  fabliau) 
d'après  un  seul  manuscrit  {A  =^  B.  N.  fr.  837,  fol.  274).  Le  nouvel  éditeur 
a  utilisé  encore  un  autre  manuscrit  (5  =  B.  N.  fr.  25545,  fol.  14).  Mais 
ces  deux  manuscrits,  étroitement  apparentés,  ont  notamment  cela  de  com- 
mun que  la  str.  IX  y  est  incomplète  de  la  moitié.  Le  nouveau  manuscrit 
(B.  N.  fr.  12483,  fol.  8  b)-  permet  de  combler  cette  lacune  et  de  rectifier  plu- 


1.  T.  II,  145. 

2.  Le  même  manuscrit  12485  contient  (fol.  155  v^  b)  un  fabliau  D'un 
usurier  qui  aprist  sa  patenostre  par  prester  aus  povres.  Nous  publierons  ce  nou- 
veau texte,  qui  est  une  patenôtre  farcie  et  que  M.  I.  n'a  pas  connu,  dans  le 
t.  XXXIX,  2^  partie  (sous  presse),  des  Notices  et  extraits  des  manuscrits.  —  Il  a 
existé  d'autres  compositions  de  ce  genre.  A  la  fin  de  la  table  des  matières  qui 


282  '      COMPTES    RENDUS 

sieurs  autres  endroits.    Voici    les    variantes  les   plus    importantes  de  cette 
copie  : 

8  II  n'est  nul,  soit  ou  famé  ou  hom, 

9  Se  il  a  toy  adveniat...  {fol.  S  v") 

17  Ja  nus  ou  saint  ciel  n'enterra 

18  Qui  a  le  cucr  aver  etchychc... 

20  Nostriim  ne  les  let  donnir  somme, 

21  Quar  toujours... 

23  Trop  se... 

24  Qu'a  la  fin  rien  porter  ne  seulent. 

Si  cette  dernière  leçon  est  la  bonne,  la  remarque  de  l'éditeur  sur  la  rime 
veulent  :  peulcnt  tombe. 

2 s  Da  ne  vient  mais... 

26  Quar... 

27  Qu'il  a  tout  perdu /;()(//c... 
29  Qui  nobis  a  le  cuer  lascié...  ' 

C'est  évidemment  la  bonne  leçon  ;  B  a  également  laschiè  ;  il  faut  supprimer 
au  glossaire  l'art,  lechier. 


D' 


32  C'est  pour  les  vins  et  les  viandes 

33  Que  voulons  chascun  jour  avoir, 

34  Quar  il  n'est  nus,  sagez  ne  fous, 

35  Se  despendoit... 

Les  V.  38-9  manquent  dans  12483. 

40  Lors  manderons  dehitorihns  {vers  faux) 

41  Que  ja  mais  creditorihus 

42  Ne  paie  ne  maille  ne  denier. . . 
45  Elevatis  capitihus. 


se  trouve  en  tête  du  manuscrit  français  854  (fol.  4  v"),  plusieurs  articles  ont 
été  grattés.  On  peut  encore  lire  le  dernier  :  La patrenostre  du  vilain.  C'est 
sans  doute  le  titre  d'un  poème  perdu. 

I.  Après  le  v.    30,    le  nouveau  manuscrit  ajoute  ces  vers  manifestement 
adventices  : 

A  fort  mcstier 
Celui  me  vieut  aprendre 
Qui  vieut  que  je  li  doigne 
Et  j'ai  apris  a  prendre. 


s.  STRONSKi,  La  légende  de  Bertran  de  Born         283 
C'est  la  bonne  leçon,  ainsi  que  prouve  le  vers  précédent. 
48       Pacent  exigentihiis  {vers faux'). 

Lesv.  51-61  (dont  les  v.  52-4  manquent  dans  l'édition)  doivent  être 
reproduits  in  extenso,  la  str.  X  étant  entièrement  différente  : 

51   Tiiam  demonisartihtis,  {fol.  S  1'°  b)  Lors  seroit  l'ame  libéra 

Quar    jour    et    nuit   nous    vient  Et  voleroh  per  aéra 

[tempter  60  O  les  angres  em  paradis. 
Li  dyables,  c'est  pour  oster 

54  Bonos  de  tuis  manibus.  XI  61  Nos  qui  serons  en  son  osté... 

64  Et  Diex. .. 

X  Sed  nous  qui  sommes  entechiez  65  Et  pour  ce  qu'il  lassusnous  maint 

Devons  regehir  nos  péchiez  66  Si  en  diron  trestuit  :  avien. 
57  Dedens  le  mois  cinc  fois  on  six; 

Sed  55  (qui  se  trouve  également  dans  B)  et  Nos  61  sont  certainement  la 
bonne  leçon  :  le  texte  latin  l'exige  {sed  libéra  nos). 

Arthur  LÂngfors. 
S.  Stronski,  La  légende  amoureuse  de  Bertran  de  Born, 

critique  historique  de  V  ancienne  biographie  provençale,  appuyée  de  recherches 
sur  les  comtes  de  Périgord,  les  vicomtes  de  Turcnnc,  de  Ventadour,  de  Com- 
born,  de  Limoges  et  quelques  autres  familles.  Paris,  Champion,  1916,  in-80 
de  VIII-201  p. 

Les  «  razos  »  qui  précèdent  les  poésies  amoureuses,  ou  soi-disant  telles,  de 
Bertran  de  Born,  mentionnent  six  dames,  dont  les  noms  sont  accompagnés 
de  renseignements  précis  sur  leur  état  civil  ;  ce  sont  ces  renseignements  que 
M.  Stronski  a  entrepris  de  contrôler  à  l'aide  d'un  matériel  très  riche  et  en 
partie  nouveau.  On  connaît  la  prudence  de  M.  Str.  et  la  grande  pratique  qu'il 
a  de  ce  genre  de  travaux  :  les  résultats  auxquels  il  aboutit  sont  donc  aussi 
assurés  qu'il  est  possible  en  matière  généalogique.  Ils  peuvent  se  résumer  en 
quelques  lignes  :  le  biographe  a  été  exactement  renseigné  sur  Marie  de  Ven- 
tadour, l'une  des  trois  sœurs  que  le  poète  appelle  las  très  de  Torena,  sans 
doute  parce  que  la  vie  de  cette  dame  se  prolongea  assez  avant  dans  le  xiii^ 
siècle;  de  la  seconde,  Hélis,  il  connaît  le  nom,  mais  il  se  trompe  sur  son 
mariage  ;  de  la  troisième,  il  ignore  tout  :  il  l'appelle  arbitrairement  Maeut  et 
la  marie  à  un  Talairau  de  Périgord  inventé  de  toutes  pièces  ;  il  a  tort  de  faire 
de  Guicharde  de  Beaujeu  la  sœur  d'un  Guichart,  dont  elle  était  cousine  ;  en 
affirmant  que  Tibors  de  Montausier  était  femme  d'un  seigneur  de  Barbezieux 
et  Chalais,  il  confond  l'histoire  de  deux  dames  de  la  même  famille  qui 
vécurent  à  quelque  trente  ans  d'intervalle;  enfin  en  appelant  Elenala  célèbre 


284  COMPTES    RENDUS 

Maeut,  fille  de  Henri  II,  il  prend  un  pseudonyme  pour  un  nom  et  se  trompe 
grossièrement  sur  un  personnage  des  plus  connus.  Ses  récits  sont  donc  bien 
«  l'œuvre  d'un  auteur  attardé  qui,  écrivant  plusieurs  dizaines  d'années  après 
les  événements,  a  mille  peines  à  apprendre  quelque  chose  sur  ce  temps  éloi- 
gné »  (p.  89).  Quant  au  choix  qu'il  a  fait  de  ces  diverses  dames  (dont  deux 
seulement,  Hélis  et  Guiscarda,  sont  nommées  par  le  poète,  sans  autre  indi- 
cation) et  au  rôle  qu'il  leur  prête,  tout  cela  est  pure  fantaisie  et  uniquement 
fondé  sur  les  textes  qu'il  interprète  très  librement  et  où  il  s'obstine  à  voir 
l'écho  d'événements  réels.  Les  raisons  de  ce  choix  et  la  genèse  de  ces  inven- 
tions ont  été  finement  analysées  par  M.  Str.  dans  quelques  pages  convaincantes. 
Ce  travail  de  menue  érudition  a  une  portée  générale;  il  est  bien  probable  en 
effet  que  la  plupart  des  «  biographies  »  et  des  «  razos  «  ont  été  composées  à 
la  même  époque  et  suivant  les  mêmes  procédés  :  on  pourra  l'affirmer  sans 
hésiter  si  quelques  études  aussi  bien  conduites  que  celles-ci  aboutissent  aux 
mêmes  conclusions,  qui  étaient  déjà,  on  le  sait,  celles  de  divers  travaux  anté-. 
rieurs.  Nul  n'est  plus  désigné  que  M.  Str.  pour  les  poursuivre. 

La  discussion  des  textes  et  l'exposé  des  résultats  n'occupent  que  la  moitié 
du  volume  (p.  1-98);  le  reste  est  consacré  à  des  recherches  généalogiques 
sur  les  familles  énumérées  dans  le  sous-titre,  recherches  commodément  résu- 
mées en  tableaux.  Çà  et  là  on  lit  quelques  documents  en  langue  vulgaire 
jusqu'ici  imprimés  incomplètement  ou  fautivement  ;  on  ne  saurait  dire  que 
la  présente  édition  soit  irréprochable  :  il  y  subsiste  encore  bien  des  incerti- 
tudes ou  qui  ne  sont  pas  signalées  ou  sur  lesquelles  on  ne  trouve  pas  d'éclair- 
cissements sui'fisants  (par  ex.  p.  53,  nianens  ors;  p.  144,  oi  eitgret;  p.  188 
ape  (ipour  apel)  ;  p.  iH^,  egatiia,  tamer  (^our  egansa,  tanher});  sequeiitre  (ibid.) 
doit  être  lu  segiwntre). 

A.  Je.\nroy. 

Alfred  Je.\nroy,  Les  Joies  du  Gai  Savoir,  recueil  di' poésies  couron- 
nâ's  par  le  Consistoire  de  la  Gùie  Science  (i  324-1484J,  publié  avec  la  traduction 
deJ.-B.  Noulel,  revue  et  corrigée,  une  introduction,  des  notes  et  un  glossaire; 
Toulouse,  Privât,  1914  ;  petit  in-80,  xxix-521  pages  (Bibliothèque  méri- 
dionale, i""*  série,  t.  XVI)  '. 

Sous  le  nom  de  Joyas  de!  gai  sal'er  (qui  ne  se  trouve  pas  dans  les  manu- 
scrits), Noulet  avait  désigné  les  poésies  couronnées  aux  xive  et  xv*  siècles 
par  le  célèbre  consistoire  toulousain.  Ces  poésies,  au  nombre  de  soixante- 
deux,  sont  conservées,  à  trois  exceptions  près,  dans  un  recueil  formé,  à  par- 
tir de  1458,  par  Guillaume  Galhac,  capitoul  et  mainteneur.  Ce  recueil,  qui, 
après  avoir  été  la  propriété  de  la  ville,  est  maintenant  celle  de  l'Académie  des 


I.  Le  volume  n'a  paru,  en  réalité,  qu'eu  juillet  191 5. 


A.  JEANROY,  Les  Joît's  dii  Gûi  Savoir  285 

Jeux  Floraux, avait  été  reproduit,  avec  quelques  lacunes, en  1849,  par  Noulet; 
mais  le  volume  était  devenu  rarissime,  et  l'édition  est,  au  total,  médiocre.  Cet 
autodidacte  fort  intelligent  n'était  pas  un  paléographe  exercé  et  c'est  à  Taide 
de  sa  parfaite  connaissance  des  patois  modernes  qu'il  interprétait,  souvent 
avec  une  grande  finesse,  les  textes  anciens.  Une  réédition  s'imposait  donc. 
Une  attentive  collation  du  manuscrit  a  restitué  bien  des  vers  faux,  rendu  un 
sens  à  maint  passage  inintelligible  ;  la  traduction,  bien  que  conservée  en  son 
fond,  a  été,  elle  aussi,  revue  de  très  près;  bien  des  contre-sens  en  ont  disparu 
et  les  passages  embarrassants  restent  assez  rares.  La  partie  la  plus  nouvelle 
de  la  récente  édition  consiste  dans  les  notes  (p.  293-510)  où  M.  J.  a  discuté 
le  sens  des  passages  douteux  et  essayé  de  retrouver  les  attaches,  parfois  fort 
étroites,  des  textes  avec  les  circonstances  historiques.  Dans  l'introduction, 
l'éditeur  décrit  le  manuscrit  '  publié  ici  intégralement  (à  l'exception  d'une 
pièce  très  altérée,  publiée  ailleurs,  et  de  modèles  de  strophes,  qui  se 
retrouvent  sans  variantes  dans  les  Levs  d'Amors)  ;  il  montre  en  quel  sens 
avaient  évolué  les  anciens  genres  poétiques  subsistants,  il  étudie  soigneu- 
sement la  versification  et  la  langue  du  recueil  ;  il  apprécie  enfin  la  valeur  poé- 
tique des  textes  et  recherche  les  causes  de  leur  médiocrité.  Cette  dernière 
partie  pourra  sembler  un  peu  sommaire;  mais  elle  a  été  développée  par  l'au- 
teur dans  un  article  plus  accessible  au  grand  public  {La  poésie  acadcinique  à 
Toulouse  au  XIV^  et  au  XV'^  siècle  d'après  le  registre  de  Galhac,  dans  la  Revue  des 
Pyrénées,  3  e  trimestre  1914). 

A  part  un  certain  nombre  de  pièces  qui  traitent  d'événements  d'intérêt 
local,  ces  Joyas  sont  surtout  des  poésies  pieuses.  La  plupart  des  pièces  cou- 
ronnées au  concours  du  souci  (la  plus  modeste  des  récompenses,  les  deux 
autres  étant  la  violette  et  l'églantine)  sont  des  dansas  de  Nostra  Doua. 
L'amour  profane  en  est  presque  systématiquement  exclu  :  dans  tout  le 
recueil,  il  n'y  a  que  quatre  pièces  qui  semblent  lui  être  consacrées,  et  même 
là  les  expressions  sont  si  vagues  qu'on  peut  se  demander  si  la  dame  chantée 
n'est  pas  la  Reine  du  ciel.  Dans  ces  conditions,  il  n'est  pas  étonnant  que 
l'on  cherche  en  vain  des  réminiscences  des  bons  troubadours  des  siècles 
antérieurs.  Si  ces  derniers  n'ont  rien  appris  à  leurs  successeurs  du  xiv^  et  du 
xve  siècles,  cela  tient  surtout  aux  sujets  que  préféraient  ces  petits  bourgeois 
et  étudiants  de  Toulouse.  Car  si  les  lieux  communs  où  ils  se  complaisent  et 
leur  terminologie  amoureuse  pouvaient,  à  !a  rigueur,  s'employer  à  la  louang 
de  la  sainte  Vierge,  ce  que  fournissaient  les  anciens  troubadours  n'était  pas 
d'une  grande  utilité  pour  un  poète  qui  s'appliquait  à  exposer,  sous  la  forme 
d'une  chanson,  les  questions  ardues  de  la  théologie.  Ce  genre  poétique  est 
bien  peu  représenté  au  xiiic  siècle  et  n'existe  point  antérieurement.  Il  est 


I.  L'éditeur  me  prie  de  dire  que  ce  manuscrit  est  en  parchemin,  et  non  en 
papier,  comme  il  est  dit  par  erreur  à  la  page  11. 


286  COMPTF.S    RENDUS 

d'autant  plus  curieux  de  constater  un  accord  incontestable  entre  une  chanson 
pieuse,  attribuée  dans  l'unique  manuscrit  (C)  à  Guilhem  de  Saint-Lcidier, 
mais  qui  n'est  sûrement  pas  de  lui  ',  et  une  des  pièces  du  recueil  de 
Galhac. 

Les  deux  poèmes  traitent  des  mystères  de  la  consécration  et  de  la  pré- 
sence réelle.  Il  n'est  pas  plus  difficile  de  croire,  est-il  dit  dans  le  plus  ancien, 
que  Dieu  ait  pu  faire  naître  son  fils  d'une  mère  vierge  que  de  croire  qu'il 
ait  pu  faire  «  sans  parents  »  le  premier  homme  du  limon  de  la  terre.  De 
même  on  peut  prouver  par  de  solides  arguments  que,  par  la  consécration 
du  prêtre,  le  pain  devient  réellement  la  chair  de  Dieu  : 

Aissi  cum  a  sas  faissos  30     Sa  carns  que  près  mort  en  cros. 

Dieus,  del  tôt  creaire,  Doncs    per    qu'es    nulhs    hom 

Fetz  lo  premier  paire,  [duptos 

Fon  pueyslo  reys  glorios  Que*l  verays  salvaire 

5       Hom  carnals,  de  pcccatz  blos,  Non  pogucs  filh  traire 

Natz  de  verge  maire  ;  D'un  verge  cors  precios 

Fo  natz  autressi  quo  nos...  35     Ses  assag  que  fagz  no'y  fos 

D'ome  ?  Be-s  poc  faire 

verayas  razos  Pus  tost  que  quant  us  limos 

25             Pot  hom  bcn  retraire  De  terra  venc  en  mudansa 

Qu'ab  devinas  orazos  D'ome  per  forsa  d'obransa 

En  la  preveyral  sagransa  40     Del  senhor  piatados. 
Torna  lo  pas  ses  duptansa 

C'est  à  peu  près  le  même  raisonnement  que  nous  rencontrons  dans  le  Vers 
moral  am  doas  questios  e  metaforadas  sohttios  composé  par  messire  Antoine 
de  Jaunhac,  «  recteur  »  de  Saint-Sernin  de  Toulouse,  et  couronné  de  l'églan- 
tine  en  1447  ou  1448  (11°  XXX)  : 

Esbayr  fort  ausi  maynta  de  gen 

Per  quai  partit,  en  la  Tnessa,  pot  estre 
3     Q.ue'1  pas  he  vis,  en  aquest  mont  terrestre, 

Sian  convertit,  entre  las  mas  del  pestre, 

En  carn  he  sang  de  Diu  mot  exellen, 
6     Ni  co's  pot  far  que  sia  dit  puramcn 

Que'l  Redemptors,  que-ns  amec  bravamen, 

Sya-n  tant  de  partz  quonsegratz  prestamen 
9     Per  tôt  lo  mon,  en  diversses  pays. 

Declarar  be  se  pot  a  mon  avis, 

I.  Bartsch,  Gnindriss,  n^  254,  2.  Ed.  Malin,  Gedichte,  n°  196,  et  fVerke  , 
1,52. 


A.  jEANROY,  Les  Joîes  du  Gai  Savoir  2Sj 

Car  Jhesu  Crist,  segon  ditz  teulogia, 
12     Causas  pot  far  las  quais  mays  no  poyria 

Luns  homs  del  mon,  que  jamays  fos  ny  sia, 

Dir  ny  parlar,  nyls  faytz  de  paradis, 
1 5     Per  que  degus  d'aquo  n'aya  desfis. 

Si  non  cognoys  ny  sap  com  procedis... 

Car  ja  ligem  que  humanal  creatura 
20     Dieus  convertie 

Enquaras  plus,  convertit  en  figura, 

Del  lym,  qu'es  gra3'S  de  terra,  poyridura, 
27     D'orne  vivent,  don  eni  tug  dessemdut. 

Doncas,  plus  fort,  pot  esser  entendut 

Qu'en  l'ostia  Dieus  convertio  pot  far 
30     He  prestament  estre  sobre  l'autar. 

En  so  degus  no  deveni  pas  dobtar. 

Car  so  que  ditz  le  capelas  virtut 
33     Ha  tresque  gran,  car  fciy  estre  vengut 

Lo  Creator  c'a  lo  mon  resemut... 

La  ressemblance  est  frappante.  Antoine  de  Jaunhac  aurait-il  connu  la  chan- 
son conservée  dans  le  manuscrit  C,  manuscrit  exécuté  non  loin  de  son  pays 
même  ?  S'il  n'y  a  pas  d'imitation  directe,  les  deux  poètes  ont  dû  paraphra- 
ser une  même  hymne  latine,  que  je  ne  saurais  indiquer. 

C'est  une  idée  plus  banale  qui  est  exprimée  dans  ces  vers  d'une  chanson 
par  laquelle  Arnaut  Donat,  licencié  en  lois,  gagna  la  violette,  vers  1450 
(no  VII): 

Us  sols  dous  frug  d'una  Verges  ses  par, 
En  l'arbre  sus,  scquec  per  gran  amor 
E  vole  fenir,  per  comensar  menor, 
44     Home  carnal  can  se  degra  dampnar. 

«  Un  seul  doux  fruit  d'une  Vierge  sans  pareille,  sur  l'arbre  en  haut,  sécha 
par  grand  amour,  et  il  voulut  finir,  pour  commencer  moindre,  homme 
charnel,  quand  il  se  devrait  condamner  (?)  »  «  La  même  comparaison, 
écrit  M.  J.  dans  une  note  (p.  295),  entre  Jésus-Christ  cloué  à  la  croix  et 
une  pomme  attachée  à  un  arbre,  se  retrouve,  à  quelques  détails  près,  dans  le 
Pclerinacre  de  Vdmede  Guillaume  de  Digulleville  (cf.  Roiinvu'a,  XXXVI,  362). 
Il  doit  y  avoir  une  source  commune.  Les  deux  vers  suivants  ne  me  sont 
pas  clairs.  »  L'idée  que  les  méfaits  de  la  pomme  de  l'arbre  du  paradis  ne 
pouvaient  être  rachetés  que  par  le  «  doux  fruit  »  porté  par  la  sainte  Vierge 
et  attaché  à  l'arbre  de  la  croix  est   courante  dans   la  littérature  pieuse  du 


288  COMPTES   RENDUS 

moyen  âge.  Les  deux  derniers  vers  sont  en  effet  embarrassants,  et  il  n'est 
pas  certain  qu'ils  aient  été  conservés  correctement.  Mais  l'idée  exprimée  doit 
être  à  peu  près  celle-ci  :  Jésus-Christ,  en  devenant  homme,  commença  par 
devenir  moindre  [qu'il  n'était,  puisqu'il  était  Dieu]  et  voulut  mourir  (fenir) 
en  forme  d'homme,  qui  [c'est-à-dire  l'homme],  sans  cela,  aurait  dû  être 
condamné  éternellement. 

L'édition  de  M.  J.  a  été  aussi  au  point  de  vue  matériel,  exécutée  avec  beau- 
coup de  soin.  Je  n'ai  remarqué  dans  le  texte  qu'une  seule  faute  d'impression  : 
au  V.  27  de  la  pièce  XXXVI  il  f;tut  lire  deii  au  lieu  de  den  '.  Il  est  d'autant 
plus  regrettable  que  la  dernière  feuille  contenant  les  notes  et  les  tables  et 
tirée  en  automne  1914,  dans  des  circonstances  que  l'on  sait,  ait  subi  des  acci- 
dents qui  semblent  plus  imputables  à  l'imprimerie  qu'à  l'éditeur.  L'erreur  la 
plus  fâcheuse  est  que  les  pages  318  et  320  ont  été  interverties  :  les  deux 
listes  de  lauréats,  par  ordre  alphabétique  et  par  ordre  chronologique, -sont 
ainsi  inintelligibles  au  premier  abord.  P.  294,  la  première  note  de  la  pièce  V 
se  rapporte  au  v.  4,  et  non  au  v.  44.  P.  505-6,  l'ordre  des  notes  des  pièces 
XLIII,  XLIV  et  XLVI  a  été  bouleversé.  P.  308,  au  lieu  de  LXl,  lire 
LXVI. 

Arthur  L.\ngfors. 


I.  [J'ai  trouvé,  de  mon  côté,  quelques  autres  fautes:  III,  25  (p.  11),  la 
traduction  suppose  la  correction  de  que-n  en  que-ns,  qui  devrait  être  indiquée 
en  note.  — X,  41,  trad.  :  non  «  Pieté  »  (5;V)  mais  «  Pitié  ».  —XV,  10  :  dire 
est  au  futur  :  corr.  «  que  dire  ?  »  en  «  que  dirai-je  }  »  —  XVII,  12,  trad.  : 
non  «  qui  es  »,  mais  «  ce  qui  est  ».  —  XX.  Comme  l'a  remarqué  Lowinsky 
(Zeitschr.  f.  fr.  Spr.,  XX,  2^  p.,  p.  246,  note)  le  copiste  n'a  pas  compris  la 
construction  métrique  de  cette  pièce,  qui  est  à  cohlas  retrogradadas  et  non 
uiiissoiians;  il  faut  donc  réunir  deux  à  deux  les  couplets,  qui  sont  au  nombre 
de  cinq,  ce  qui  est  régulier  dans  la  chanson.  —  Au  glossaire,  lot  devait  être 
traduit  par  «  lent,  négligent  »,  sens  attesté  et  qui  convient  bien  au  passage. 
Autre  exemple  du  mot,  non  relevé  dans  les  lexiques,  Leys  d'Ainors,  I,  122, 
1.  3.  —  A.  Jeanroy.J 


PÉRIODIQUES 


BuTLLETi  DE  DiALECTOLOGiA  CATALANA  publicat  per  les  ofïcines  del  diccio- 
nari  gênerai  de  la  llengua  catalana.  Barcelona,  Institut  d'Estudis  catalans.  Palau 
de  la  diputaciô,  19 14.  —  Cette  nouvelle  revue  est  l'organe  d'un  groupe  de 
jeunes  linguistes  catalans  qui  projettent  de  réunir  les  matériaux  d'une  grande 
œuvre  nationale,  le  dictionnaire  général  de  la  langue  catalane.  M.  Alcover, 
de  Mallorca,  qui  avait  pris  l'initiative  de  ce  »  Trésor  catalan  »,  a  dû  trouver 
des  aides  pour  cette  besogne  qui  dépasse  les  forces  d'un  seul  homme  ;  il  a 
obtenu  des  autorités  de  la  province  de  Catalogne  la  création  d'un  institut 
spécial  chargé  d'élaborer  cette  œuvre  nationale.  La  direction  en  est  confiée  à 
M.  Fabra,  linguiste  bien  connu,  assisté  de  quelques  collaborateurs  zélés  et 
bien  préparés  à  leur  tâche  :  MM.  Barnils,  Criera  i  Gaja  et  de  Montoliu.  Le 
Butlleti  est  destiné  à  publier  des  études  dialectologiques,  à  éveiller  les  initia- 
tives privées  pour  la  collection  des  mots  dialectaux,  à  renseigner  sur  la  marche 
de  la  grande  entreprise,  organisée  sur  le  modèle  du  Glossaire  de  la  Suisse 
roiiiandc. 

T.  I,  p.  3-6.  Exposé  du  but  de  la  Revue  et  du  système  de  transcription 
phonétique.  — P.  7-17.  P.  Fabra,  Eh  mots  àtonseii  el parlar  de  Barcelona.  Etude 
intéressante  des  différentes  formes  atones  des  pronoms  personnels  et  de  leur 
emploi  dans  les  diverses  combinaisons  syntaxiques.  A  relever  le  remplace- 
ment du  pronom  réfléchi  de  la  i^e  ou  2^  pers.  plur.  par  le  pronom  de  la 
3e  personne,  se,  phénomène  particulier  au  parler  du  bas  peuple  de  Barcelone, 
mais  attesté  dans  d'autres  dialectes  romans  (cf.  par  ex.  Ascoli,  Arch.  Ghtt., 
VII,  453).  —  P.  18-25.  P.  Barnils,  El  parlar  apitxat.  L'auteur  détermine 
l'aire  valencienne  du  phénomène  qui  consiste  à  «  désonoriser  «  les  sonores  : 
-di-,  -i-,  -dï;  -/-,  en  -ts-,  -s-,  -c-,  -j-  (sourd)  ;  il  cherche  à  établir  l'ancienneté 
du  phénomène  qui  doit  être  examiné  en  rapport  avec  d'autres,  p.  ex.  avec 
celui  delà  coïncidence  phonétique  de  -h-  et  de  -v-  intervocaliques  ou  du  pas- 
sage de  l'-rt  final  à  -e  ou  -0  selon  la  nature  de  la  voyelle  accentuée.  — 
P.  26- 36.  A.  Criera,  Notes  sobre'  l  parlar  d'Eiviça  i  Fornientera.  Esquisse  pho- 
nétique et  morphologique  des  parlersdes  deux  petites  îles  Baléares  :  le  patois 
offre  plusieurs  traits  caractéristiques  qui  le  séparent  de  celui  de  l'ile  princi- 
pale, Mallorca  ;  l'absence  de  toute  influence  des  nasales  sur  le  timbre  de  la 
voyelle  est  particulièrement  significative;  p.  29 /fW^«  tabac  »  avec  l'accent  sur 
Roiminia  XLIV  19 


290  PÉRIODIQ.UES 

la  seconde  syllabe  est  fort  répandu  dans  les  langues  européennes  (cf.  Atlas 
ling.  delà  France,  carte  tabac)  ;  le  changement  de-;'-  en  -/-  dans  celyôk (.<. vtnx. 
sud-ouest  »  est  loin  d'être  particulier  aux  parlers  des  deux  îles  (cf.  Littré, 
Suppl.,  art.  siROC);  la  forme  de  haljphu  «  matafaluga  «n'offre  pas  le  passage 
de  Z)  >  11,  mais  représente  plutôt  la  forme  primitive,  cf.  esp.  hatafaliiga. 
L'auteur  promet  de  revenir  avec  plus  de  détails  sur  la  phonétique  et  la 
morphologie  du  dialecte  insulaire.  — P.  37-47.  M.  de  MonloYm,  El imologies 
catalanes.  1.  i.  colla  «  groupe,  foule  »,  du  lat.  copula  ;  cf.  pour  le  sens  de 
copula  equorum  l'esp.  cobra.  Parmi  les  exemples  cités  pour  attester  le  pas- 
sage de  -pi-  \>  ly,  il  faut  écarter  probablement  dolla  «  peça  de  ferro  en  forma 
d'argolla»,  qui  semble  plutôt  dériver  de  dolium,  point  de  départ  du  prov. 
mod.  diii'to,  fr.  douille  ;  je  préférerais  aussi  exclure  de  la  série  le  catal.  rastoll 
«  éteule  »,  pour  lequel  il  vaut  mieux  supposer  un  changement  de  suffixe, 
qui,  vu  l'aire  très  étendue  du  mot  (cf.  le  logud.  restnju,  napolit.  rcstoc- 
chia),  doit  remonter  à  l'époque  latine.  —  2.  colla,  fr.  cale,  castill.  cola 
«  coup  de  vent  »  doit  être  séparé  du  cat.  mod.  colla  dans  l'expression  de 
«  vêles  plegades  a  la  colla  ».  Le  dernier  est  copula,  le  premier,  à  mon 
avis,  ne  saurait  être  autre  chose  qu'un  substantif  verbal  de  colare  (cf. 
fr.  coulis. )  La  patrie  du  mot  cola,  cole  doit  être  cherchée  en  Italie.  — 
IL  g}-esca  «  bruit,  tapage  »,  de  graecisca.  Mais  comment  expliquer 
l'anc.  esp.  griesco  «  combat  »?  Est-ce  que  graecisca  peut  être  considéré 
comme  un  mot  du  vieux  fonds  catalan  en  présence  du  v.  fr.  grejois, 
v.  prov.  gre\esc,  anc.  lomb.  greesc  où  le  traitement  de  -c-  offre  bien  des  irré- 
gularités?—  m.  Malver  «  dissiper  )),de  malefacere.  L'auteur  explique  l'évo- 
lution phonétique  et  sémantique  du  mot  ;  mais  cf.  Spitzer,  Literaturhhilt  f. 
(Tenu.  u.  rom.  Phil.,  1914,  205,  dont  l'idée  de  ramener  malver  à  nefarium 
(-{-  maie-)  me  semble  préférable. — IV.  Pdôu  baiser  »  du  lat.  putu(s),  mais 
le  problème  est  bien  plus  compliqué  que  l'auteur  ne  le  suppose;  cf.  Bull,  de 
dial.  roin.,  III,  I2  n. —  V.  Xai  vient  d'ai^mi  avec  l'article  agglutiné. —  P.  48- 
56.P.  Barni!s,No/«  sobre  /'a/v/^w.  L'auteur  précise  plusieurs  traits  phonétiques 
et  morphologiques  du  parler  gascon  dont  M.  Schadel  a  entretenu  les  lec- 
teurs delà  Romania,  XXXVII,  140-156.  A  noter  ses  remarques  sur  les  formes 
variables  de  l'article  défini  selon  l'initiale  du  mot  suivant.  Qiiant  à  vçu,  il 
convient  de  rappeler  l'existence  de  itçii  en  vieux  provençal  ;  de  même 
i)7(stre  est  déjà  représenté  en  v.  prov.  par  la  forme  m(stre.  Le  mot  ereii 
n'est-il  pas  un  mot  d'emprunt  catalan?  padeua  continue  plutôt  un  lat. 
patëna  que  patella.  —  P.  57-64.  Bibliografia.  Comptes  rendus  de  F.  Krue- 
ger,  Sprachgcographischc  Untersiichtingen  in  Languedoc  und  Roussillon  (P.  Bar- 
nils)  ;  Pujol,  Documents  en  vnlgar  dels  segles  XI,  XII  et  XIII,  procedenls  del 
hisbat  de  la  Seud'Urgell  (P.  Barnils)  ;  Manuel  de  Montoliu,  Estudis  etimolôgics 
catalans  (P.  Barnils);  P.  Barnils, DzV  Mundart  von  Alacante(?.  Fabra,  qui,  à 
l'aide  des  matériaux  du  travail  de  M.  B.  précise  d'une  façon  heureuse  la 
place  du  dialecte  d'Alacante  au  milieu  des  parlers  catalans);  L.  Spitzer,  Zur 


PÉRIODIdUES  291 

Syntax.  Span.  «  conio  que  »  (P.  Barnils)  ;  P.  Barnils,  Ehides  de  prononciations 
catalanes  (P.  B.);  L.  Spitzer,  Etyviolo^isches  ans  âeni  Katalanischen  (P.  B.). 
T.  II.  P.  1-6.  P.  Fabra,  Elsmots  àtons  en  elparlar  de  Barcelona.  Faits  inté- 
ressants de  phonétique  syntaxique  relatifs  à  l'article  défini,  au  pronom  posses- 
sif, à  certaines  formes  du  présent  hahere  et  de  différentes  prépositions.  Les 
formes  raccourcies  de  habere,  lié  au  participe  passé,  sont  de  nature  à  nous 
éclaircir  sur  l'origine  des  formes  abrégées  ajo,  as,  at,  qu'on  met  à  la  base 
desformes  romanes. —  P.  7-12.  P.  Barnils^, Fo55/75  ie /a  llengua.  Série  de 
remarques  intéressantes  et  suggestives  concernant  des  survivances  isolées  de 
mots  ou  de  formes  dans  des  expressions  «  figées  >•>  et,  par  conséquent,  sou- 
vent incompréhensibles,  i.  ase  [de  sant  Marti]  «  arc-en-ciel  »  est  un  nomina- 
tif arc  us  (>■  *drcs,  *ars,  *as),  déformé  par  étymologie  populaire  en  a^e  «  âne  ». 

—  2.  L'auteur  croit  découvrir  l'ancien  -ats,  -ets  (2  p.  plur.)  dans  diverses 
expressions  populaires,  mais  cf.  les  remarques  judicieuses  de  M.  Spitzer,  Lite- 
rattirblatt  f.  genh.  u.  rom.PML,  XXXVI,  23. —  3.  Vitalité  decanis  dans  cer- 
taines expressions,  tandis  que  le  mot  latin  est  ailleurs  remplacé  par  gos.  —  4. 
Colrat  [delsol]  (^  hâlé  »  [par  le  soleil]  semble  être  colorât  u  dans  une  accep- 
tion particulière,  cf.  déjà  Subak,  Z.  f.  rom.  Phil.,  XXXIII,  480.  Colrar  un 
refred a t  serait  par  contre  un  coJre  <  colère,  passé  àco/rar  (par  quelle  voie?). 

—  5.  s irgar  serait  le  doublet  de /ar^rtr  (fabricare),  mais  c'est  plutôt  un 
dérivé  de  sirga;  cf  Spitzer,  loc.  cit. —  b.Lyus  «  benêt,  sot  «  peut-être  luscus 
ou  lucius.  —  7.  Noc  «  baquet  »  est  évidemment  navica;  cf.  Spitzer,  hc. 
cit.  —  8.  Piè  «  abondance  »  représente  l'anc,  cat.  plaher  «  goût  ».  —  9. 
Représentants  différents  de  timere  dans  le  vieux  catalan  et  les  parlers 
modernes.  — ■  P.  13-23.  M.  de  Montoliu,  Miscellania  sintactica.  Série  de 
remarques  d'ordre  syntaxiqtie  qu'il  serait  difficile  de  résumer  ici  ;  cf.  Spitzer, 
loc.  cit.  —  P.  24-33.  P-  Barnils,  Conienfaris  a  la  flexiô  aJacantina.  Contribu- 
tion à  la  morphologie  du  parler  d'Alacante.  La  généralisation  du  passé  défini 
en  -it  à  toutes  les  conjugaisons  mérite  d'être  signalée  comme  un  phénomène 
particulier  précédant  la  disparition  complète  du  perfeclum  historicum  latin  :  des 
faits  analogues  se  retrouvent  dans  les  parlers  de  l'ouest  de  la  France.  Quant 
à  la  chute  du -t'-  intervocalique  dans  les  formes  de  cantaew,  Crt«to'('w(imparf.), 
l'auteur  devra  tenir  compte  des  remarques  de  M.  Hubschmied,  Znr  Bildung 
des  Imperfehs  im  Frankoprovcn::^alischen  (Beiheft  de  la  Z.  f.  rom.  Phil.,  LVIII, 
110,  n.).  —  P.  33.  Aclariment.  Additions  aux  matériaux  sur  le  cat.  petô  et 
colla. —  P.  34-39.  Bihliografia.  Comptes-rendus  de  L.  Spitzer,  Syntaktische 
Beitrâge  ;  A.  Ferrer,  Rondaies  de  Menorca  ;  Tallgren,  Glanures  catalanes  et  his- 
pano-romanes (additions  importantes  par  M.  de  Montoliu.  Pour  le  catal. 
augunia,  cf.  le  wall.  langoney  «  agonie  w.Il  est  curieux  que  le  castill.  faramillo 
est  phonétiquement  très  rapproché  du  mot  caramillo  «  intrigue  »  ;  dalirse 
«  languir  »,  ne  pourrait-il  pas  être  le  lat.  delere  (cf.  l'ail,  sich  ver^ehren, 
ital.  struggersi  (di  desiderio),  esp.  deshacerse)  ?  L'idée  de  rapprocher  dater 
«  envie  folle  «dedeliru  n'est  pt*ut-êtrc  pas  invraisemblable,  puisque  le  verbe 


292  PERIODIQUES 

aJelerarse  «  se  hâter  »  semble  bien  représenter  dekrare,  cf.  coctare  >  a.  prov, 
cochar.  En  tout  cas,  il  n'est  pas  superflu  de  remarquer  que  le  v.  prov.  delichos 
signifie  aussi  «  sain,  trais  »,  ce  qui  rapproche  le  catal.  délit   «   force,  éner- 
gie »  du  lat.  delectus.  Pour  endegar,  on  doit  écarter  delicare,  delcgare 
et  le  ncerl.  (///7r  (Spitzer),  car  il  est  évident  qu'il  faut  rapprocher  le  verbe  cata- 
lan du   prov.  mod.  etidegà  «  ajuster  »  qui,  à  son  tour,  ne  peut  être  séparé  du 
prov.  mod.  asegd  «  ajuster  »,  anc.  prov.  eisci^ar  «  ajuster,  arranger  »;  resterait 
encore  à  déterminer  la  raison  du  changement  du  préfixe,  à  moins  qu'il  n'y  ait 
un  croisement  entre  exaequare  et  indicare.  Quant    à    /'//»far  «  plier  », 
cf.   ferrar.    vincar  «  plier». —  Fasc.  II,  p.   45-49.  P.  Barnils,    De   fonctiùi 
halear.    Examen    du  résultat   de  Va   final  et  des  voyelles  d'appui   dans  les 
parlers  de  différents   garçons  originaires   de  plusieurs  villages  des  Baléares. 
Considérations  générales  sur  la  valeur  des  matériaux  recueillis  de  la  bouche  de 
jeunes  gens  :   il   serait   intéressant  de  rechercher   s'il  ne  s'agit  pas    ici  de 
«  mélanges  de  patois  »,  produits  par  des  intermariages  entre  le  père  et  la  mère 
des  enfants  ;  voir  sur  ce  phénomène  les  observations  suggestives  du  travail 
récent  de  M.  Terracher.  —  P.  50-57.  R.  Volart,  Vcus  dd  ùiliild  de  Cerdaitya. 
Recueil  de  mots  rares  usités  dans  les  parlers  de  laCerJagne.  Ony  remarquera 
,sans  peine  un  certain  nombre  de  mots  français,  entrés  dans  ces   parlers  par 
l'intermédiaire  des  émigrés  ou  ouvriers  ambulants  :  canard  «  canard  »,cas- 
qitcta  «  casquette  »,  dica  «  clique  »,  cocota  «  cocotte  »,  craio)t  «  cravon  », 
ficela  «  ficelle  »,  qiiin  tiipet  !  «  quel  toupet  !  ».  Le  glossaire  offre  une  série  de 
mots  intéressants  :  le  gothique  gasalja  dans  agasalla,  gasalla  «compagnie  » 
(cf.  V.  prov.  ga:(alha);  aixalcjar  «  destarotar,  esverar  »  qui    cori-espond    à 
l'espagn.  jalear;  carfit  «  pie  a  vessar  »  qu'il  faut  rapprocher  du  prov.  mod. 
cafi,  clafi  «  remplir,  bonder  »,  esclafi  «  lâcher  la  bonde,  désemplir  »  ;   colistre 
«  béton  »  qui  rappelle  l'astur.  cidiestru  et  continue  peut-être  un  *colestrum 
au  lieu  de  colostrum  (cf.  Mej'er-Lûbke,  IFiener  Stiidieii,XX'V,  104);  oimi- 
wrtr  «  flairer  »,    ca.l.  ensiiiiiar,   qui  continuent  peut-être  un    in(o)sumare 
(ô(jar|,)  napolit.  uosemo,  abbruzz.  useme;esi'iiiçarse  «  trencarse  », correspon- 
dant étvmologiquement  à  l'espagn.  desvencijarse;  /'/t'/a  «  bercail  «qui,  s'il 
faut    ramener  ce  mot  à  placit.um,    aurait  une    histoire    sémantique    bien 
curieuse;  pupnîiiia   «  pollanc   »  doit    être  rattachée  à  pu pp a  (cf.  Roniania, 
XLIII,  457);  sedeiiy  »  tenace,  résistant  »  rappelle   sedegont  «   filiforme  »  de 
Bormio,  ramené  dernièrement  par  .\I.  Salvioni  à  saetabundu,  tandis  que  le 
mot  catalan  représentera  plutôt  :  saetineu  ;  trebillô  «  cada  una  de  las  pro- 
tuberancias  dels  ôssos  de  la  cama  »  semble  être  le  résultat  d'un  croisement 
entre  le cat./H////f// et  l'espagn. /o?'///o.  Enfin  /ri(////(Zr,  qui  a  le  sens  du  fr.  troler, 
permet  d'affirmer  que  l'étvmologie,  donnée  par  le  Dict.  gén.  pour  le  mot 
français  ne  peut  résister  à  un  examen  approfondi.  —    P.  58-62.  P.   Barnils, 
Fossilsde  hllcngua,  II.  i.  La  famille  du  lat.  mollis  en  catalan.  2.  Cm.  patiy 
[de  la  paret,  de  la  camisa]  représente  le  latin  pannu;   cf.  pour  le  sens  et  la 
forme  le  v.   prov.  pan,  franc,  pan.  3.  Col  1  oc  are  au  sens  de  «  se  coucher  » 


PERIODIdUES  293 

en  catalan.  4.  Le  mot  lias  dans  la  locution  :  lias  que  îorri  serait  le  pluriel  de 
îaiiip  «éclair  »;  le  problème  ne  me  semble  pas  encore  résolu.  5.  Cat.  esllomar 
«  se  fatiguer  »,  verbe  dérivé  de  hdiibu;  cf.  aussi  espagn.  deslomarse.  6.  Dem- 
narse  «  s'inquiéter  fortement»  serait  (con)demnare  ;  pour  le  sens,  cf.  aussi 
prov.  mod.  da)ià  réfl.  «  s'impatienter  ».  7.  Survivance  du  cas  sujet  de  niiilier.  8. 
Miinyir  «  punir  »  de  punire  ,  qui  se  serait  croisé  avec  un  mot  inconnu  (?). — 
P.  63-70,  A.  Griera,5c)^/-f7//;o/  «  artiga  ».  Excellente  description  de  la  manière 
dont  on  procède  à  Vartiga  «  terre  nouvellement  défrichée  » .  L'auteur  déter- 
mine l'aire  d'(rr//o-a  qu'il  ramène  au  gaulois  are tegias  (qui  deviendrait  cat. 
artia  avec  intercalationde-o'-  intervocalique  comme  dans  satione  :  saô,  sago). 
D'abord  il  convient  d'écarter  la  formé  vaud.  thilo,  ieilo  «   rucher  »  qui  a  été 
l'objet  d'un  article  de  M.  Meyer-Lûbke,  Z.f.  roui.  PhiL,  XXIX,  412  :  l'éty- 
mologie  donnée  par  M.  M.-L.  demande,  il  est  vrai,  à  être  examinée  à  nou- 
veau, parce  que  le  mot  vaudois  se  retrouve  dans  les  parlers  lorrains  et  champe- 
nois. S'il  est    certain   qu'.ï///o-a  peut  être  expliqué  à  l'aide  des  lois    phoné- 
tiques du  catalan,  il  n'est  pas  moins  sûr  que  artiga,  -ar  du  vieux  provençal 
et  le   basque  a///rHrt  s'accordent  mal  avec  la  base  postulée  par  M.  G.  C'est 
M.  Thomas  qui  a  le  premier  insisté  sur  l'origine  celtique  du  mot  artiga  (cf. 
Bulletin  delà  Société  des  parlers  de  France,  I,  133,  et  Nouveaux  Essais,  166)  : 
il  paraît  évident  que  le  mot  artica  «  jachère  »  doit  avoir  le  même  suffixe 
que  bodica  (cf.  le  catal.  haie,  ho'iga,  que  M.  G.  cite  à  la  p.  63)  ;  mais  à  cela 
se  bornent  nos  connaissances,  à   moins  que  nous   n'admettions   l'idée   de 
M.  Schuchardt,qui  avait  proposé  de  xzm&ntr  artiga  à  artos  «  buissons  ».  Peut- 
être  n'est-il  pas  superflu  de  remarquer  que  le  v.  fr.  bouge  «'terrain  en  friche  » 
(cf.  aussi  Atlas  linguisf.,  carie  jachère)  reflète  un  bôdica,  forme  concurrente 
de  bodica.  —  P.  71-75.  M.  de  Montoliu,  Wotes  toponimiques.   L'auteur  dis- 
cute l'origine  de  Bellver  (de  bellumvidere)  dans  la  toponymie  catalane.  — 
P.  74-96.  A.  Griera,  Eh  noms  dels  vents  en  català.  L'auteur  off"re  ici  une  mois- 
son très  riche  de  mots  dialectaux  que  l'entreprise  du  «  dictionnairegénéral  » 
a  obtenue  de  correspondants  répandus  dans  toutes  les  régions  du  pays.  M.  G. 
identifie  lui-même  un  certain  nombre  de  ces  noms  de  vents  avec  les  noms 
correspondants  du  latin  :  à  l'aide  de  ces  matériaux,  il  n'est  pas  difficile  de 
rétablir  la  terminologie  des  vents  familière  aux  marins  romains  de  la  Médi- 
terranée :  africus,  africa  <f  vent  du  midi  »  ;  aquilo,  aguil  «  vent  de  nord- 
est  »;  auster,   austral  ^<.  vtnx.    de   sud-ouest   »;cercius,   cerç   «  vent    de 
nord-ouest»;  iav onius,  fogony  «ventchaud  qui  fond  laneige»;  graecus, 
grec,  gregal  h  vent  de  nord-est  »  ;lybicus,   Ucheig  «  vent  de  sud-ouest  »; 
magistralis,      mestial     «    vent     de     nord-ouest    »;    aura    transmon- 
tana  :  travwntana,  «  vent  du  midi  »;  vulturnus,  hutoru,   holtorn,  «  vent 
d'ouest  ».  A  ces  noms  d'origine  latine  s'ajoutent  deux  mots  d'origine  arabe  : 
charq  «  orient  »,  xaloc  «  siroc  »  ;  gh  arbi  «  occidental  »,  garhi  «  garbin  ». 
Parmi  ces  noms,  seul  le  vulturnus  est  particulier  aux  parlers  ibériques,  tandis 
que  tous  les  autres  sont  aussi  attestés  soit   en  Provence,  soit  en  Provence  et 


294  PERIODIQUES 

en  Italie.  Quant  aux  autres  mots  qui  désignent  les  vents,  voici  quelques 
remarques  que  la  lecture  de  l'article  m'a  suggérées.  Le  nom  du  vent  d'est 
en  basque  mendebaJ  (Schuchardt,  Romaiw-Baskisches ,  54)  ne  doit  pas  être 
séparé  du  cat.  vendeval  «  vent  molt  fort  de  qualsevol  direcciô  que  sigui  « 
(p.  90)  ;  mais  est-il  permis  d'y  voir  le  z'eut  d'aval  ?  Une  série  de  noms  se 
retrouvent  aussi  ailleurs  :  arhonès  se  rencontre  dans  le  prov.  mod.  narbunès 
«  vent  d'ouest  »  ;  iriscanya  a  vent  froid  »,  brisquet  «  vent  froid  »  semble  bien 
être  le  produit  d'un  croisement  entre  brisa  et  bisca  (cf.  aragon.  bisca  «  viento 
no  muy  fuerte  »).  Le  mot  broixina  «  vent  frais  »  ne  saurait  être  séparé  de  la 
famille  italienne  trent.  hresc.  calabrosa  ;  cf.  Nigra,  Jrcb.  Glott.,  XV,  275.  La 
gisca  «  air  très  froid  »  semble  être  le  substantif  simple  dont  le  prov.  mod.  gis- 
clet  ((  veut  coulis  »  représente  un  dérivé  vivant  dans  les  parlers  méridionaux. 
Pela-canyes  '.<  vent  du  nord  »  est  attesté  aussi  par  Borao  pour  l'aragonais  :pela- 
cai'ias  ;  le  runcas  «  vent  que  ve  d'entre  tramontana  i  gregal  »,  le  terrai  «  vent 
de  la  terre  »,  \e  follet  «  coup  de  vent  »  sont  aussi  vivants  dans  le  midi  de  la 
France  :  roiincado  «  mistral  »,  vent  terraii  «  mistral  »,  Jottlet  «  tourbillon  de 
vent».  Mais  il  reste  encore  de  nombreux  problèmes  à  résoudre.  —  P.  97-98. 
Aclariments.  Contributions  fournies  aux  articles  précédents  par  des  collabora- 
teurs du  Glossaire. 

J.  JUD. 

Le  Moyen  Age,  bulletin  mensuel  d'histoire  et  de  philologie.  XXI=  année 
(1908)  '.  —  Mémoires  :  p.  57-86,  A.  Guesnon,  Publications  nouvelles  sur  les 
trouvères  artésiens.  Notices  biographiques,  textes  et  commentaires.  1.  Courtois 
d'Arras.  —  IL  Li  Jus  de  Saint  Nicholai.  —  Comptes  rendus  :  p.  40,  Abbé 
H.  Villetard,  Office  de  Pierre  deCorbeil.  Office  de  la  Circoncision,  improprement 
appelé  «  Office  des  Fous  » .  Texte  et  chant  publiés  d'après  le  manuscrit  de  Sens 
(M.  Prou)  ;  —  p.  168,  L.  Sainéan,  Vargot  ancien  (G.  Huet)  ;  —  p.  221, 
le  R.  P.  Hilarin  de  Lucerne,  Histoire  des  études  dans  l'ordre  de  saint  Fra7içois, 
traduit  par  le  P.  Eusèbe  de  Bar-îe-Duc  (P.  Ubald  d'Alençon)  ;  —  p.  227, 
R.  L.  Graeme  Ritchie,  Recherches  sur  la  syntaxe  de  la  conjonction  «  que  »  dans 
l'ancien  français  (G.  Huet  ;  comp.  une  lettre  de  l'auteur  au  sujet  de  ce 
compte  rendu,  même  année,  p.  351)  ;  —  p-  228,  A.  Langfors,  Li  Regrès 
Nostre  Dame,  par  Huon  le  Roi  de  Cambrai,  publié  d'après  tous  les  manuscrits 
connus  (G.  Huet)  ;  — -  p.  230,  H.  Suchier,  Der  Minuesiinger  Chardon, 
(G.  Huet)  ;  — p.  251,  A.  Fierens,  Les  origines  du  Spéculum  Perfectionis 
(P.  Ubald  d'Alençon);  — p.  286,  H.  Châtelain,  Recherches  sur  le  vers  fran- 
çais au  XV'^  siècle  (G.  Huet)  ;  —  p.  323,  J.-B.  Beck,  Die  Melodien  der  Trou- 
badours (A.  Guesnon)  ;  —  p.  336,  L.  Zoepf,  Das  Heiligen-Leben  im  10. 
Jahrhundert  (R.  Poupardin)  ;  —  p.   339,  J.    Bédier,  Les  légendes  épiques,    t.  I 


I.  Pour  les  années  précédentes  (1901-7)  voy.  plus  haut,  p.   141. 


PERIODiaUES  295 

et  II  (G.  Huet)  ;  —  p.  346,  P.  Aubry,  Esquisse  d'une  bibliographie  de  la  chan- 
son populaire  en  Europe  ;  le  même,  Recherches  sur  les  «  ténors  »  français  dans 
les  violets  du  XIII^  siècle;  le  même  (avec  A.  Gastoué),  i?^c7;c/r/;t;5  sur  les 
«  ténors  »  latins  dans  les  motets  du  XIII^  siècle  ;  le  même,  La  chanson  popu- 
laire dans  les  textes  musicaux  du  moyen  d^e  ;  le  même,  La  musique  et  les  musi- 
ciens d'église  en  Normandie  d'après  le  Journal  des  visites  pastorales  d'Odon  Rigault; 
le  même,  Un  coin  pittoresque  de  la  vie  artistique  au  XIII<^  siècle  (G.  Huct)  ; 
—  p.  349,  G.  Paris,  Esquisse  historique  de  la  littérature  française  aumoyen  âge 
(G.  Huet). —  Chronique  bibliographique:  p.  49,  G.  Doutrepont,  Inventaire  de 
la  librairie  de  Philippe  le  Bon,  1420  (A.  V.)  ;  —  p.  54,  D.  Bonsoms  y  Sicart, 
Discursos  leidos  en  la  real  Academia  de  huenas  letras  de  Barcelona  (sur  la 
ire  édition  de  Tirant  lo  blanch,  1490);  — p.  117,  Dicuil,  Liber  de  astronomia 
publié  par  M.  Esposito  (H.  d'A.  de  J.)  ;  —  p.  293,  J.  Williams,  Dante  as  a 
furist  (R.  P.);  — p.  295,  C.  Pascal,  Poesia  latina  médiévale,  saggi  e  note 
critiche  (A.  V.);  — p.  355,  Studier  i  modem  Sprâkvetenskap,  publié  par  la 
Société  néophilologique  de  Stockholm  (G.  Huet);  — p.  555,  P.  Horluc  et 
G.  Marinet,  Bibliographie  delà  syntaxe  du  français  (G.  Huet). 

XXIIs  année  (1909).  —  Mémoires:  p.  1-6,  H.-F.Delaborde,  Une  prétendue 
supercherie  de  fuvenal  des  Ursins;  —  p.  23-8,  G.  Huet,  Le  Roman  d'Apulée 
était-il  connu  au  moyen  âge?  —  p.  65-93,  A.  Guesnon,  Publications  nouvelles 
sur  les  trouvères  artésiens  (suite):  I.  fean  de  Neuville  ;  II.  Perrin  d'Angicourt  ; 
III.  fean  de  Renti  ;  IV.  Oedede  laCouroierie;N .  Cardon  de  Croisilles  ;  —  p.  145 
78,  A.  Landry,  Notes  critiques  sur  le  «  Nicole  Oresnie  »  de  M.  Bridney  ;  —  p. 
370-77,  P.  Champion,  Notes  sur  feanne  d'Arc  :  III.  Ballade  du  sacre  de  Reims, 
17  juillet  1429.  —  Comptes  rendus  :  p.  57,  K.  Bartsch,  Chrestoinathie  de 
l'ancien  français,  ^^  édition  revue  et  corrigée  par  L.  Wiese  (G.  Huet);  — 
p.  139,  Miss  H.  Traver,  The  Four  Daughters  of  God  (G.  H.);  —  p.  214,  L. 
Van  der  Essen,  Etude  critique  et  littéraire  sur  les  Vitae  des  saints  viéroi'ingiens 
de  l'ancienne  Belgique  (R.  P.)  ;  —  p.  216,  E.  Langlois,  Nouvelles  françaises 
inédites  du  XV^  siècle  (G.  Huet);  —  p.  218,  P.  Champion,  Le  Prisonnier  des- 
conforté du  château  de  Loches,  poème  inédit  du  XV^  siècle  (G.  Huet);  —  p.  307, 
L.  Delisle,  Rouleau  mortuaire  du  B.  Vital,  abbé  de  Savigni  (A.  V.)  ;  —  p.  347, 
E.  Lorenz,  Die  Kastellanin  von  Vergi  in  der  Literatur  (G.  H.);  — p.  348, 
Dante,  Vita  Nova,  traduite  par  W.  Cochin  (L.  Auvray)  : —  p.  359,  Myrrha 
Borodine  (Mn^e  F.  Lot),  La  femme  et  l'amour  au  Xlh  siècle,  d'après  les 
poèmes  de  Chrétien  de  Troyes  (G.  H.);  — p.  362,  H.  Omont,  Bibliothèque 
Nationale.  Nouvelles  acquisitions  du  département  des  manuscrits  pendant  les 
années  i()oy-i()oS.  —  Le  même,  Bibliothèque  nationale.  Catalogue  des  manu- 
scrits latins  et  français  de  la  collection  Phillipps  acquise  en  ipoS(A.  V.);  — 
p.  399,  P.  Aubry,  Trouvères  et  troubadours  (G.  H);  —  p.  404,  La  Fie  de 
saint  Quentin,  par  Huon  le  Roi  de  Cambrai,  publiée  par  A.  Langfors  et 
Sôderhjelm  (G.  H.).  —  Chronique:  p.  61,  Mélanges  de  linguistique  offerts  â 
M.  Ferdinand  de  Saussure  (étudias  de  M.  E.  Muret  et  M.  Niedermann  intéres- 


296  PÉRIODIQUES 

sant  les  romanistes);  —  p.  143,  Vieillard,  Gilles  de  Corbeil,  nicilecin  de  Phi- 
lippe Auguste  (R.  P.);  — p.  144,  P.  Champion,  Charles  d'Orléans  joueur 
d'échecs  (g.  H.). 

XX!!!»^  année  (1910). —  Mémoires:  p.  175,  P.  Champion,  Notes  sur  Jeanne 
d'Arc,  IV.  Frère  Thomas  Couette  (personnage  contemporain  de  J.  d'A., 
nommé  dans  le  Champion  des  dames  de  Martin  Le  Franc).  —  Comptes 
rendus:  p.  51,  A.  Luchaire,  La  société  française  an  temps  de  Philippe-Auguste 
(G.  Lardé)  ;  — p.  65,  A.  Rubiô  y  Lluch,  Calahinya  a  Grecia,  estudis  historiés 
i  literaris;  le  même,  La  llengua  catalana  a  Grecia;  —  p.  m,  E.  Faral,  Les 
jongleurs  en  France  au  moyen  dge\  le  même.  Mimes  français  du  Xlll'^  siècle 
(A.  Gucsnon)  ;  —  p.  1 16,  J.  Beck,  La  musique  des  troubadours  (A.  Guesnon)  ; 

—  p.  272,  P.  Fabre  et  L.  Duchesne,  Le  Liber  censuum  de  l'église  romaine 
(M.  Prou  ;  l'Introduction  contient  des  recherches  sur  le  Mirabilia  Romx)  ;  — 
p.  277,  M.  Prou,  Manuel  de  paléographie  latine  et  française,  y  édition;  — 
p.  279,  J.  Lot,  Les  noms  des  saints  bretons  (R.  Latouche);  — p.  282,  Mary 
Rh.  Williams,  Essai  sur  la  composition  du  roman  gallois  de  Peredur  (G.  H.)  ; 

—  p.  322,  P.  Meyer,  Documents  linguistiques  du  Midi  de  la  France,  recueillis 
et  publiés,  avec  glossaires  et  cartes.  [Tome  I]  :  Ain  (par  M.  E.  Philipon), 
Basses-Alpes,  Hautes-Alpes,  Alpes-Maritimes  (G.  H.)  ; —  p.  326,  E.  Wal- 
berg,  Deux  anciens  poèmes  inédits  sur  saint  Simon  de  Crépy  (G.  H.)  ;  — 
p.  327,  L'Estoire  de  Griseldis,  mistère  restauré  par  Ch.  Gailly  de  Taurines 
et  L.  de  la  Tourrasse  (G.  H.);  —  p.  343,  P.  Rousselot, Pt)«r  l'histoire  du  pro- 
blème de  l'amour  au  nuiyen  âge  (H.  Labrosse:  étude  sur  la  définition  de  l'amour 
chez  les  scolastiques  et  les  mystiques);  —  p.  345,  Edw.  K.  Rand,  Johanties 
Scottus  (H.  Labrosse  :  étude  sur  le  plus  ancien  commentaire  des  Opuscula 
sacra  de  Boèce);  —  p.  347,  K.  Kûnstle,  Vita  sanctae  Genovejae  (R.  Pou- 
pardin)  ;  —  p.  406,  K.  Kûnstle,  Die  Légende  der  drei  Lebenden  und  der  drei 
Toten  und  der  Totentani  (M.  Aubert)  ;  —  p.  410,  P.  Jacobsen,  Essai  sur  les 
origines  de  la  Comédie  en  France  au  moyen  âge  (G.  Huet)  ;  —  p.  411, 
C.-A.  Westerblad,  «  Baron  et  ses  dérivés  dans  les  langues  romanes  (G.  H.). — 
Chronique  bibliographique  :  p.  70,  J.  Tissier,  Table  analytique  du  Journal  des 
Savants;  —  p.  131,  Mélanges  de  philologie  romane,  dédiés  à  M.  VVilmotte  ;  — 
p.  416,  Fr.  José  Maria  de  Elizondo,  La  leyenda  de  san  Francisco  segun  la  ver- 
sion catalana  del  «  Flos  Sanctorum  »  (P.  Uhald  d'Alençon). 

XXIVe  année  (191 1).  —  Mémoires  :  p.  161,  G.  Huet.  La  légende  de  Charle- 
magne  bâtard  et  le  témoignage  de  Jean  Boendale; —  p.  307  et  546,  M.  Krepinsky, 
Quelques  remarques  relatives  éi  l'histoire  des  «  Gesta  Romanorum  »  (Les  Gesta 
seraient  d'origine  continentale  ;  le  recueil  archétype  aurait  été  composé  dans 
un  des  pays  situés  autour  du  lac  de  Constance,  peut-être  dans  un  monastère 
bénédictin  ;  il  serait  antérieur  à  1326  [p.  365]).  —  Comptes  rendus  :  p.  83, 
Bartsch,  Chrestomathie  de  l'ancien  français,  rtxue  par  L.  Wiese,  loe  édition 
(G.  H.);  —  Chrétien  de  Troyes,  Philomena,  édition  critique  par  C.  de  Boer 
(Myrrha  Borodine)  ;  — p.    150,  W.    Socdcrhjelm,   La   nouvelle  française  au 


PERIODiaUES  297 

XFe  siècle  (G.  H.)  ;  —p.  191,  L.  Beszard,  Elude  sur  Vorigine  des  noms  de 
lieux  habités  du  Maine  (R.  Latouche);  —  p.  218,  M.  Vidal,  Esclarmonde  de 
Foixdans  Vhistoire  et  le  roman  (G.  H.)  ;  —  p.  219,  Le  Troubadour  Folquet  de 
Marseille,  édition  critique  par  S.  Stronski(G.  H.);  —p.  259,  Aldebrandin  de 
Sienne,  le  Régime  du  corps,  publié  par  L.  Landouzy  et  R.  Pépin  (E.  Wickers- 
heimer)  ;  —  p.  266,  Studies  in  English  and  comparative  littérature  by  students 
at  Ratcliffe  Collège  (G.  H.;  contient  des  études  sur  les  romans  de  la  Table 
Ronde  et  sur  Tristan)  ;  —  P.  Mandonnet,  Des  écrits  authentiques  de  saint  Thomas 
d'Aquin,  2^  édition  (P.  Ubald  d'Alençon)  ;  —p.  319,  Ch.-V.  Langlois,  La 
connaissance  de  la  nature  et  du  inonde  au  moyen  âge,  d'après  quelques  écrits  Jran- 
çais  (G.  Huet)  ;  —  p.  329,  C.-W.  Wahlund,  Bibliographie  der  franiœsischen 
Strassburger  Eide  von  842  (G.  H.);  — P-  384,  Commentaire  anonyme  sur 
Prudence  (0uhlié)pâr  John  M.  Burnam  (H.  Labrosse;  l'éditeur  attribue  ce  com- 
mentaire à  Remy  d'Auxerre).—  Chronique  bibliographique:  p.  84,  Mémoires 
delà  Société  néo-philologique  de  Helsingfors,  t.  V(G.  H.  :  contient  des  travaux 
qui  intéressent  les  romanistes  et  les  germanistes);  —  p.  154,  E.  Diehl,  Vul- 
gàrlateinischeLnschriften  (M.P.);— P-  IS4,  L.  Beszard,  La  langue  des  formules 
de  Sens  (M.  P.);  —  p.  222,  E.  G.  Hurtebise,  Jojre  de  Foxa  (P.  Ubald  d'Alen- 
çon); —  p.  223,  J.  A.  Endres,  Die  Zeit  der  Hochscholastik,  Thomas  von  Aquino 
(P.  Ubald  d'Alençon);  —  le  P.  Ulrich  Schmidt,  Stephan  Fridolin 
(P.  Ubald  d'Alençon);  —  le  P.  Calhey,  Les  idées  mystico-poUtiques  d'un 
Franciscain  spirituel.  Etude  sur  FArbor  Vitae  d'Uberlin  de  Casale;  —  p.  224, 
le  même.  Elude  sur  Ubertin  de  Casale  (P.  Ubald  d'Alençon)  ;  —  p.  274, 
F.  Flamini,  article  dans  la  Rassegna  bibliografica  sur  la  source  des  trois 
«  esprits  »  dans  la  Vita  Nuova  de  Dante  (L.  A.)  ;  — p.  275,  A.  vanGennep, 
Religions,  mœurs  et  légendes,  t.  III  (G.  H.)  ;  —  p.  390,  Les  Vies  de  sainte 
Colette  Boy let  de  Corbie,  publ.  par  le  P.  Ubald  d'Alençon  (M.   Prou). 

XXVe  année  (191 2).  Mémoires:  p.  65,  H.  Lemaitre.  5/«/Hf  miraculeuse  de 
la  Sainte  Chapelle  (miracle  rattaché  à  une  époque  assez  récente  au  nom  de 
Duns  Scot).  -^  Comptes  rendus  :  p.  89,  V.  Chichmarev,  Lirika  i  liriki po^- 
dniago  srednevekovia  ;  Guillaume  de  Machaut,  Poésies  lyriques  publiées  par 
V.  Chichmarev  (A.  Guesnon);  —p.  116,  L.  J.  Paetow,  The  Arts  course  at 
médiéval  Universities  (H.  Labrosse  :  examine  pourquoi  la  Renaissance  tentée 
au  xiie  siècle  échoue  au  xiif);  —  p.  118,  K.  von  Ettmayer,  Vortraege  :(jur 
Charakteristik  des  Altfranioesischen  (G.  H.);  — p.  119,  G.  Brockstedt,  Von 
mittelhochdeutschen  Volksepen  fran\ôsischen  Ursprungs(G.  H.); —  p.  120,  les  Clas- 
siques français  du  moyen  âge  :  la  Chaslelaine  de  Vergi,  publ.  par  G.  Raynaud  ; 
François  F///o«,  [publ.  par  A.  'Longnon];Courloisd'Arras,\>\i\À.  par  E.  Parai; 
Vie  de  saint  Alexis,  texte  critique  par  G.  Paris  (G.  Huet):  —  p.  120, 
A.  LiJtjens,  Der  Z-iverg  in  der  deutschen  Heldendichtung  (G.  H.);  —  p.  184, 
J.  Reinhold,  Ueber  die  verschiedenen  Fassungen  der  Bertasage  {G .  H.);  — 
p.  1S5,  V.  Vedel,  Miltelaterliche  Kultuiideale,  L,  Heldenleben  (G.  Huisman)  ; 
—  p.  188,  Ch.    Oulmont,    les  Débats  du    clerc  et  du  chevalier  (G.  H.);  — 


298  PÉRIODiaUES 

p.  411,  J.  Loth,  Contributions  à  l'étude  des  romans  de  la  Table  Ronde  (G.  H.  : 
la  partie  la  plus  importante  du  livre  est  celle  qui  traite  de  Tristan)  ;  —  p.  414, 
G.  Doutrepont,  La  Littérature  française  à  la  cour  des  ducs  de  Bourgogne 
(H.  Stein).  — Chronique  bibliographique:  p.  ii"^,  MïDichener  Muséum jûr 
Philologie  des  Miitehtllers  und  der  Renaissance,  1=  livraison  ;  —  p.  127, 
G.  Armelin,  Gérard  de  Vienne,  chanson  de  geste  (adaptation  moderne  en  vers) 
(G.  Huisman)  ;  —  p.  196,  La  grande  inondation  de  TArno  en  ij^^,  anciens 
poèmes  populaires  italiens,  par  Ant.  Pucci  et  Adr.  dei  Rossi,  publiés  par 
S.  Morpurgo  et  J.  Luchaire  (L.  A.)  ; —  p.  345,  E.  M.onad,Facsimili  di  docu- 
menti per  la storia  délie  letterature  romande  Ç}A.  P.);  — p.  550,  H.  Omont, 
Nouvelles  acquisitions  du  département  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale; 
—  p.  431,  Ph.  Funk,  Jakob  von  Vitry,  Leben  und  Werke  (H.  Labrosse  :  n'est 
pas  assez  complet  en  ce  qui  concerne  les  sermons).  — 

G.    HUET. 

LiTERATDRBLATT    FUR    GERMANISCHE     UND   ROMANISCHE    PHILOLOGIE.  — 

XXXIVe  année  (191 3). —  Col.  1-5.  P.  Levy,  Geschichte  des  Begriffes  Volkslied 
(A.  Gôtze  :  travail  de  débutant  ;  l'auteur  cherche  à  concilier  des  théories  qui 
ne  peuvent  pas  s'accorder.  A  relever  dans  le  compte  rendu  cette  phrase 
pleine  de  bon  sens  :  «  Les  recherches  historiques  ont,  chaque  fois  qu'elles 
ont  donné  un  résultat,  amené  à  la  constatation  que  c'est  un  seul  homme  qui 
est  l'auteur  d'une  chanson  dite  populaire  ;  que  c'ait  été  un  homme  instruit 
ou  un  homme  du  peuple,  cela  n'a  aucune  importance  pour  la  popularité 
future  de  sa  chanson.  »)  —  Col.  19.  R.  Zenker,  Zur  Mabinogionfrage 
(Ph.  Aug.  Becker  ;  cf.  Romania,  XLII,  479).  —  Col.  267.  F.  E.  Mann,  Das 
Rolandslied  als  Geschichtsquelle  nnd  die  Entstehung  der  Rolandssâulen  (Ph .  Aug. 
Becker  ;  Charlemagne  n'est  pas  allé  en  Espagne,  mais  à  Plôn  en  Holstein 
(qui  est  nommé  Pampelune  dans  la  Chanson  de  Roland),  à  Stettin,  etc.  ;  cela 
se  passe  de  commentaires).  —  Col.  28.  E.  Gierach,  Synkope  und  Lautabstu- 
fu7ig  (E.  Herzog;  cf.  Romania,  XLIII,  146).  —  Col.  52-4.  E.  Kohler, 
Sieben  altspanische  dramatische  Eklogen  (A.  Hiimel  :  la  valeur  principale  du 
ravail  consiste  dans  l'importante  introduction,  qui  traite  des  débuts  du 
drame  espagnol).  —  Col.  70.  A.  Hilka  et  \V.  Sôderhjelm,  Pétri  Alfonsi 
Disciplina  clericalis  (L.  Jordan  :  édition  digne  de  confiance  d'un  texte  de 
toute  première  importance  ;  cf.  Remania,  XLII,  106).  —  Col.  72-5. 
F.  Boillot,  Le  patois  de  la  commune  de  la  Grand' Combe  (H.  Urtel  :  glos- 
saire précieux  et  nourri).  —  Col.  81.  L.  Perroni-Grande,  La  scuola 
di  greco  a  Messina  prima  di  Costantino  Lascari  (B.  'Wiese  :  intéressante  con- 
tribution à  l'histoire  de  l'érudition  en  Sicile  au  xv^  siècle).  — Col.  81-2. 
J.  Mariscal  de  Gante,  Los  Autos  Sacramentales  desde  sus  origenes  hasta  mcdiados 
del  sigloXVin  (A.  Hiimel  :  travail  de  compilation  qui  témoigne  de  connais- 
sances insuffisantes  et  de  manque  de  jugement).  —  Col.  115.  Fr.  Reuter,  Die 
Bataille    d'Arleschant    des    altfraniôsischen  Prosaromans   Guillaume   d'Orange 


PERIODIQUES  299 

(L.  Jordan  :  l'examen  des  sources  est  peu  soigné,  et  l'exécution  matérielle 
laisse  beaucoup  à  désirer).  —  Col.  118.  O.  Schultz-Gora,  Zwei  aîtfraniœ- 
sische  Dichtungen  (L.  Jordan  :  les  remarques  grammaticales  de  l'éditeur,  des- 
tinées à  l'usage  des  débutants,  ont  besoin  de  retouches).  — Col.  121-4. 
Œuvres  de  Rabelais,  p.p.  A.  Lefranc,  etc.  (F.  Ed.  Schneegans  :  on  attend  avec 
confiance  l'achèvement  de  cette  excellente  entreprise).  —  Col.  125.  P.  Wtx- 
ntr,  UisochronisDW  dans  le  vers  français  (Vh  .  Aug.  Becker).  —  Col.  126-8. 
K.  Heyl,  Die  Théorie  der  Minne  in  den  àltesten  Minneromancn  Frankreichs 
(K.  Vossler  :  l'auteur  accepte  la  théorie  de  son  maître,  M.  Wechssler,  sans  se 
soucier  des  réserves  formulées  par  différents  critiques  ;  les  textes  qu'il  a  com- 
pulsés ne  l'intéressent  qu'en  tant  qu'ils  semblent  confirmer  cette  théorie  ; 
les  problèmes  délicats  de  la  psN'chologie  de  l'amour  courtois  sont  plutôt 
embrouillés  qu'expliqués  par  cette  main  grossière  d'écolier).  —  Col.  150. 
R.  de  Souza,  Du  rythme  en  français  (Ph.  Aug.  Becker).  — Col.  150-1. 
Erwin  Kohler,  Eiihvicklimg  des  hiblischen  Dramas  des  XVI.  fahrhunderts  in 
Frankreich  tinter  dem  Einflnss  der  litterarischen  Renaissancehewegung  (Ph.  Aug. 
Becker  :  aperçu  intelligent  et  soigné).  —  Col.  202-3.  F.  Oeding,  Das 
altfraniôsische  Kreu:{Jied  (P.  Oczipka  :  en  se  basant  sur  l'édition  de  M.  Bédier, 
l'auteur  rapproche  les  chansons  françaises  des  chansons  similaires  composées 
en  latin,  en  provençal  et  en  moyen  haut  allemand).  —  Col.  231.  H.  Suchier, 
La  Chançun  de  Giiillelme  (L.  Jordan).  —  Col.  235.  W.  Suchier,  L'Efifant 
sage(\V.  Friedmann:  témoigne  d'une  très  bonne  préparation  qui  devrait  s'ap- 
pliquer à  un  sujet  plus  intéressant).  —  Col.  236.  E.  Atzeni,  Vocabolario 
domestico  sardo-itaJiano  (M.  L.  Wagner  :  travail  utile  et  soigné).  —  Col. 
236-9.  M.  A.  Colton,  La  phonétique  castillane  (A.  Zauner  :  contribution 
appréciable,  toutefois  des  distinctions  trop  subtiles  et  une  certaine 
confusion  dans  la  terminologie  ;  cf.  Romauia,  XLII,  154).  —  Col. 
281.  Kr.  Nyrop,  Grammaire  historique  de  la  langue  française,  IV  (K.  Glaser; 
cf.  Roinania,  XL,  158).  —  Col.  286-8.  E.  Winkler,  La  doctrine  gramniati- 
cale  française  d'après  Maupas  et  Oudin  (M.  J.  Minckwitz).  —  Col.  294-7. 
R .  di  Tucci,  //  Condaghe  di  S.  Michèle  di  Salvenor  ;  P.  E.  Guarnerio,  Intorno 
ad  un  antico  Condaghe  sardo  tradotto  in  spagnuolo  nel  sec.  XVI  (M.  L. 
Wagner).  —  Col.  327-9.  A.  C.  Ott,  Das  altfran^ôsische  Eustachiusleben 
(L.  Jordan;  cf.  Remania ,  yslA,  426,  et  XLII,  127).  —  Col.  334.  G.  Ber- 
toni,  IlCantare  del  Cid  (A.  Hàniel  ;  cf.  Roinania,  XLII,  150).  —  Col.  370- 
5.  J.  Bédier,  Les  légendes  épiques,  III-IV  (Ph.  Aug.  Becker  :  on  ose  aujour- 
d'hui, sans  risquer  d'être  lapidé,  adhérer  à  la  doctrine  exposée  dans  cet 
ouvrage  monumental;  cf.  Roinania,  XLII,  595).  — Col.  379-80.  H.  A.  Ren- 
nert,  The  Spanish  Pastoral  Romances  (A.  Hamel).  —  Col.  401-4.  W.  Meyer- 
Lûhke,  Romanisches  etymologisches  Wôrterhuch  (E .  Herzog;  cf.  Roinania,  XL, 
102).  —  Col.  405-8.  J.  Reinhold,  Die  franko-italienische  Version  des  Bovo 
d'Antona  (J.  Subak  :  texte  bien  établi).  —  Col.  409-11.  R.  Weeks,  etc., 
The  N.E.  A.  Phonetik  Alphabet  (M.  J.  Minckwitz). 


300  PERIODIQUES 

XXXVe  année  (1914).  —  Col.  16.  A.  T.  Baker,  An  Anglo-French 
Life  of  St  Osith  (J.  Vising  :  édition  de  tout  point  insuffisante  ;  la  ponc- 
tuation, par  exemple,  est  erronée  à  plus  de  cent  endroits).  —  Col.  20. 
G.  Rosenthal,  Die  fran:^ôsische  Version  vo)i  Alain  Chartiers  Dialogus  Javii- 
îiaris  (O.  Glôde).  —  Col.  21.  A.  Pravicl  etJ.-R.de  Brousse,  L'Antho- 
logie du  félibrige  (O.  Hennicke).  —  Col.  22-3.  F.  Mistral,  La  Genèsi 
traducho  en  prouvênçau  (O.  Hennicke).  —  Col.  '27-30.  E.  Gamillscheg,  Die 
romanischen  Elemente  in  der  deutschen  Mundart  von  Lusern  (L.  Spitzer).  — 
Col.  60.  C.  Zipperling,  Das  altfran:{osische  Fahlel  du  vilain  mire  (L.  Jordan; 
cf.  Roniauia,  XLII,  159).  — Col.  61.  A.  Segarizzi,  Bihliografia  délie  stavipe 
popolari  italiane  délia  R.  Biblioteca  Na:(ionale  di  Vene::^ia  (B.  Wiese).  —  Col. 
63.  R.  Ramirez  de  .-^rellano,  Niiei'os  datos  para  la  historia  del  teatro  espaiiol 
(A.  Hâmel).  —  Col.  65.  A.  Morel-Fatio,  Cinq  recueils  de  pièces  espagnoles  de 
la  Bibliothèque  deVUniversitè  de  Paris  et  de  la  Bibliothèque  nationale  (A.  Hàmel). 
—  Col.  65.  J.  Moreira,  Estudos  da  lingua  portuguesa,  Il  (L.  Spitzer).  —  Col. 
I14-7.  J.  Loth,  Contributions  à  V  étude  des  Romans  de  la  Table  ronde  (W.  Gol- 
ther;  d.  Roniania,  XLIII,  119).  —  Col.  154.  J.  Campion  et  F.  Holthausen, 
Sir  Perceval  of  Gales  (W.  Golther).  —  Col.  156.  E.  Herzog,  Uistorische 
Sprachlehre  des  Neufraniôsischen  (M.  J.  Minckwitz).  —  Col.  157.  J.  Haas, 
Grtindlagen  der  franicvsischen  Syntax  (E.  Lerch;  cf.  Roniania,  XLII,  155).  — 
Col.  161-3.  E.  Lommatzsch,  Gautier  de  Coincy  als  Satiriker  (L.  Jordan  ;  cf. 
Romania,  XLII,  598).  —  Col.  204.  BulUcii  de  dialectologia  catalana,  I 
(L.  Spitzer).  —  Col.  206.  F.  Haiissen,  Gramâtica  historica  de  la  lengua  cas- 
tellana(L.  Spitzer;  cf.  Roniania,  XLIII,  134). —  Col.  244-5.  H.  Briill,  Unter- 
gegangene  und  veraltete  Worte des  Fran~œsischen  iniheutigenEnglisch  (O.  Glôde; 
cf.  Romania,  XLIII,  473). —  Col.  251-5.  W.  v.  Wurzbach,  Geschichte  des 
franiœsischen  Romans,  I  (Ph.  Krâmer). 

Arthur  Lângfors. 

LiTERATURBLATT       FUR     GERM.\NISCHE     UND     ROM.\NISCHE     PHILOLOGIE, 

XXXVe  année  (1914)  (suite).  —  Col.  286.  W.  von  Wartburg,  Die 
Ausdrïicke  fur  die  Fehler  des  Gesichtsorgans  in  den  romanischen  Sprachen 
und  Dialekten  (JJnd;  d.  Roni.,\lA'[,  466). —  Col.  336.  Bertoni,  L'clemento 
gennanico  nella  lingua  italiana  (Bruckner  :  l'auteur  n'est  pas  aussi  familier 
avec  les  langues  germaniques  qu'avec  les  langues  romanes  et  n'a  pas  égale- 
ment approfondi  toutes  les  parties  du  sujet). — Col.  342.  F.  Kern,  Vier  Vor- 
tràge  lur  Einfïihntng  in  die  Gôttliche  Koniôdie  (W.  von  Wurzbach  :  ouvrage 
destiné  au  grand  public).  —  Col.  343.  Lerch,  Das  invariable  Participiuni 
praesentis  des  Fian-{ôsischen  (Jordan  :  opinions  contestables,  fondées  sur  trop 
peu  d'exemples).—  Col.  345.  J.  Schoch,  Perfectuin  historiciun  und  Perfec- 
tuiii  praesens  ini  Franicesischen  von  seinen  Aiifiingen  bis  i-joo  (Lerch  ;  cf.  Rom., 
XLII,  p.  149).  —  Col.  347.  W'erner,  Zum  Wesen  des  altfran:^œsischen  Epos 
(Glôde  :  protirainme  de  1907-8;  jugé  d"un  point  de  \ue  bien  arriéré).  —  Col. 


PERIODiaUES  301 

349.  F.  Luft,  Ueher  die  Verleiiharkcit  der  Ehrc  in  der  altfraiixœsischen  Chanson 
de  geste  (Glôde). —  Col.  5)2.  W.  Schulz,  Der  Coveimnt  Vivifii  uinl  der  gegen- 
mirtige  Stand  der  Forschung  (Glôde;cf.  Rom.,  XLI,  444).  — Col.  353. 
H.  Fredenhagen,  Ueher  den  Gehraiich  der  Zeitstufen  nnd  Aussageformen  in  der 
franiœsiscben  Sprachgebranche  (Glods  ;  cf.  Rom.,  XLI,  158).  —  Col.  390. 
Bertoni,  //  «  pianto  «  in  morte  di  re  Manfredi  (Crescini  :  compte  rendu 
«  alquanto  severo  »  de  l'article  publié  daus  la  Rom.,  XLIII,  167  ss.).  —  Col. 
393 .  Bertoni,  Laprosa  délia  «  Vita  Niiova  »  di  Dante  (Wiese).  —  Col.  395. 
Tallgren,  Glanures  catalanes  et  hispano-romanes  (Spitzer  :  nombreuses 
remarques  et  additions  du  critique).  —  Col.  399.  Densusianu,  Histoire  de  la 
langue  roumaine  (Meyer-Lùbke). 

XXXVIe  année  (191 5). —  Col.  i.  Creizenach,  Geschichte  des  neueren  Dramas 
(Stiefel  :  nouvelle  édition  revue  et  augmentée  du  premier  volume  de  cet 
excellent  ouvrage).  —  Col.  16.  Philippe  de  Novare,  Mémoires,  éd.  Kohler  ; 
Béroul,  Le  roman  de  Tristan,  éd.  Muret  ;  Hiion  le  Roi,  Œuvres,  éd.  Lângfors 
(Jordan  :  conteste  que  la  première  partie  des  Mémoires  soit  de  Philippe  de 
Novare).  — Col.  20.  Streng,  Himmel  uiul  IVetter  in  Volksglanhe  nnd 
Sprache  in  Frankreich  (Spitzer  :  comme  dans  ses  travaux  antérieurs,  l'auteur 
se  contente  de  recueillir  les  faits,  sans  chercher  à  en  pénétrer  la  raison).  — 
Col.  22.  Levi  (Enrico),  J^ocaholario  etiniologico  délia  lingua  italiana  (Spitzer  : 
mauvais).  —  Col.  23  et  366.  Butlleti  de  dialectologia  catalana  (Spitzer  : 
remarques  étymologiques  et  syntaxiques  du  critique).  —  Col.  84.  Schinz, 
Les  accents  dans  récriture  française  (Minckwitz).  ^  Col.  86.  P.  B.  Fay, 
Elliptical  partitive  usage  in  affrniativ  clauses  in  French prose  of  the  fourteenth, 
fifteenth  and  sixteenth  centuries  (Lerch  :  statistique  sans  portée;  cf.  Rom., 
XLII,  i>4).  —  Col.  87.  Belz,  Die  Milnibeieichnungen  in  der  altfran^œsischen 
Literatur  (Spitzer  :  éloges).  —  Col.  92.  Hubschmied,  Zur  Bildung  des 
Imperfehts  ini  Franlioprovenialischen  (Meyer-Lùbke  :  mémoire  riche  de  faits 
et  d'idées).  —  Col.  94.  Jehan  de  Nostredame,  Les  Vies  des  plus  célèbres  et 
anciens  poètes  provençaux  (Minckwitz;  cf.  Rom.,  XLIII,  314).  —  Col.  97. 
Crescini,  Emilio  Te::a  (Wiese).  —  Col.  loi .  Ronjat,  Le  développement  du 
langage  observé  che:^  un  enfant  bilingue  (Spitzer).  —  Col.  122.  Bally,  Le  lan- 
gage et  la  vie  (Lerch  :  objections).  — Col.  132.  Busse,  Ulrich  von  Tilrheim 
(Helm).  —  Col.  142.  Richert  (Gertrud),  Die  Anfànge  der  romanischen  Phi- 
lologie nnd  die  deutsche  Roma>itik  (G.Kœrner). —  Col.  155.  K.  Bauer,  Gebiick- 
hei^eichnungen  im  Gallo-Romanischen  (Spitzer  :  il  n'y  a  guère  à  louer  que  le 
choix  du  sujet  et  les  illustrations).  —  Col.  154.  Nitze,  The  romance  of  Erec, 
son  of  Lac  ;  J .  Douglas  Bruce,  The  development  of  the  Mort  Arthur  thème  in 
mediaeval  romance  ;  H.  O.  Sommer,  r/;t' 5/rH(:/»r£;  ci/ le  Livre  d'Artus  .;/;(/ //5 
function  in  the  évolution  of  the  Arlhurian  prose- romances,  a  critical  study  in 
mediaeval  literature  (Golther).  —  Col.  208.  Lorck,  Passé  défini.  Imparfait, 
Passé  indéfini.  Eine granimatisch-  psychologische  Sludie  (Lerch  :  éloges  chaleu- 
reux). —  Col.  211.  Staaff,    Le  développement  phonétique  des  suffixes  -abilis  et 


302  PÉRIODiaUES 

-ibilis  en  /ra«ç\;/i  (Spitzer).  —  Gauchat,  Die  franiœsische  Sdnueiials  Hàterin 
lateinischen  Sprachgutes  et  An  den  Sprachquellen  (Spitzer).  —  Col.  2I2. 
Olschki,  Dcr  idéale  Millelpunkt  Frcinkrekhs  itn  MilteUilter  in  WirMichkeit  nnd 
Dichtung  et  Paris  nach  den  altfran~œsischen  nationaJen  Epen,  Topographie, 
Stadtgeschichte  nnd  lokale  Sagen  (F.  Ed .  Schneegans  :  contributions  impor- 
tantes à  l'intelligence  des  chansons  de  geste  et  à  la  connaissance  de  l'ancien 
Paris).  —  C.  218.  Farnsworth,  Uucle  and  nepheiv  in  the  Old  French  Chansons 
de  geste  (Jordan;  cf.  c.  316,  et  Rom.,  XLIII,  470)'.  —  Col.  220.  Annette 
Brown  Hopkins,  The  influence  of  IVace  on  the  Arthurian  romances  cf  Crestien 
de  Troies  (Jordan).  —  Andresen,  Ans  cincni  altfraniœsischen  Tractât  iïber  das 
Schachspiel  (Jordan). —  Col.  222.  A.  Franz,  Ueber  den  Troubadour  Marcabru 
(Lewent  :  observations  fines  et  suggestives,  mais  contestables).  —Col.  225. 
Bertoni,  Danle  (W.  von  Wurzbach  :  courte  monographie,  dans  la  collection 
génoise  des  Projili).  —  Col.  275.  Carstens,  Die  Ten^onen  ans  dem  Kreise  der 
7  robadors  Gui,  Eble,  Elias  und  Peire  d'Uisel  (Lewent  :  nombreuses  correc- 
tions). —  Col.  283.  Falcucci,  Vocabolario  dei  dialetti,  geografia  e  costumi  délia 
Corsica.  Opéra  postuma...  a  cura  di  P.  E.  Guarnerio  (M.  L.  Wagner  : 
remarques  importantes  du  critique  sur  les  caractères  du  lexique  corse  et  du 
lexique  sarde).  —  Col.  208.  J.  Adam,  Ueberset:(ung  und  Glossar  des  altspa- 
nischen  Poevia  del  Cid  ;  Menéndez  Pidal,  Cantar  de  Mio  Cid  (Pfandl  ;  cf.  Rom., 
XLII,  56) ^  —  Col.  292.  Berceo,  El  Sacrificio  de  la  Misa,  éd.  Solalinde 
(H.ïmel  ;  cf.  Rom.,  XLIII,  623).  —  Col.  339.  Sondheimer,  Di>  Herodes- 
Partien  im  lateinischen  liturgischcn  Drama  und  in  den  ahfran:^œsischen  Mysterien 


1.  Me  sera-t-il  permis  de  rappeler  que  dès  1889  {Mélusine,  IV,  c.  364) 
j'avais  attiré  l'attention  sur  la  relation  d'oncle  maternel  à  neveu  dans  les 
romans  du  cycle  breton  et  dans  la  Chanson  de  Roland? 

2.  Le  principal  intérêt  de  cet  article  est  dans  ce  qu'il  nous  apprend  sur 
l'état  des  études  hispaniques  en  Allemagne,  en  même  temps  qu'il  offre  un 
spécimen  de  la...  «  mentalité  »  d'outre-Rhin.  M.  Pfandl  se  lamente  de  ce 
que  la  monumentale  édition  du  Cantar  soit  <i  presque  inaccessible  »  à  qui- 
conque n'est  pas  disposé  à  payer  de  sa  poche  la  forte  somme  de  quarante 
pesetas.  Eh  !  quoi,  les  auteurs  et  les  éditeurs  espagnols  ne  comprendront-ils 
pas  enfin  quelle  lourde  dette  de  reconnaissance  ils  ont  contractée  envers 
l'Allemagne,  qui  a  contribué  plus  que  tout  autre  pays  étranger  à  faire  con- 
naître et  apprécier  leur  littérature?  Serait-ce  trop  demander  qu'un  exemplaire 
gratuit  des  publications  comme  le  Cantar  et  la  grande  édition  de  Lope  de 
Vega  fût  envoyé  k  chacune  des  grandes  bibliotlièques  allemandes,  Berlin, 
Munich,  Stuttgart,  Dresde,  Darmstadt,  etc.  ?  Songez  que  même  la  riche 
bibliothèque  de  Munich  ne  possède  pas  la  Leyemla  de  los  Infantes  de  Lara  et 
qu'il  faut  être  bien  habile  pour  dénicher  dans  une  bibliothèque  d'Allemagne 
le  Catâhwo  de  las  Crônicas  Générales  !  Je  transmets  ces  doléances  à  nos  con- 
frères d'Espagne;  mais  j'espère  qu'ils  songeront  tout  d'abord,  avec  nous,  à 
reconstituer  ce  qui  pourra  être  reconstitué  de  la  bibliothèque  de  Louvain, 
quand  les  soldats  de  la  Kullur,  les  disciples  des  Marnack,  des  Morf  et  des 
Vossler  auront  été  mis  hors  d'état  de  nuire. 


PERIODiaUES  303 

(Glôde).  —  Col.  340.  M.  Laigle,  Le  Livre  des  Trois  Vertus  de  Christine  de 
Pisan  et  son  milieu  historique  et  littéraire  (F.  Ed.  Schneegans).  —  Col. 
342.  Pierre  de  Provence  et  la  belle  Maguelonne,  éd.  Biedermann  (Jordan  : 
«  c'est  un  modèle  de  la  façon  dont  il  ne  faut  pas  éditer  un  texte  »  ;  cf. 
Rom.,  XLII,  626).  — Col.  348.  Bertoni,  /  Irovatori  d'Italia  (Lewent  : 
nombreuses  remarques  et  corrections).  — Col.  372.  Copias  que  fi^o  Jorge 
Manrrique  por  la  mue  rie  de  supadre,  éd.  Foulché-Delbosc  (Pfandl). 

XXX Vile  année  (191 6). —  Col.  16.  E.  P'ieske,  De  titulorum  Africae  lati?io- 
riim  sermoiie  quaestiones  niorphologicae  (Meyer-Lûbke  :  «  consciencieux  et  cir- 
conspect»).—  Col.  18.  Le  Satire  di  Jacopone  da  Todi,  per  cura  di  B.  Brugnoli 
(Wiese  :  le  texte  est  désormais  mieux  assuré  ;  mais  la  langue  et  la  versifica- 
tion ont  été  trop  négligées,  et  les  fautes  d'impression  abondent).  —  Col.  26. 
Hilka,  Die  Wanderung  einer  TienioveUe  (Abt  :  il  s'agit  du  conte  de  l'homme 
ingrat  et  des  animaux  reconnaissants,  dont  l'auteur  démontre  «  à  n'en  pas 
douter  »  la  provenance  hindoue).  —  Col.  60.  Pschmadt,  Die  Sage  von  der 
verfolgten  Hiiide  (Hilka  :  systématique  et  aventureux).  —  Col.  66.  M.  L. 
Wagner,  Sûdsardische  Tani-  uiid  Liehes-,  Wiegen-  uiid  Kinderlieder  (Meyer- 
Lûbke).  —  Col.  67.  F.  Krûger,  Studieii  ^ur  Lautgeschichte  luestspanischen 
Mundarten  auf  Grand  von  Untersucliungen  an  Ort  und  Stelle  (Mever-Lùhke  : 
ouvrage  indispensable  à  quiconque  s'occupe  de  phonétique  espagnole).  — 
Col.  107.  Diederic  van  Assenede,  Floris  ende  Blaiurjioer,  uitgegeven  von  Dr. 
P.  Leendertz  (J.  Reinhold  :  critique  très  sévère  de  l'introduction;  cf.  Rom., 
XLII,  155).  —  Col.  120.  Gamillscheg  et  Spitzer,  Die  Beieichnungen  der 
«  Klette  »  im  Ronia)iischen  (W.  von  Wartburg  :  cette  étude,  qui  est  la  pre- 
mière d'une  série  de  Sprachgeographische  Arheiten,  marque  un  affinement 
dans  les  méthodes  d'enquête  linguistique  ;  cf.  plus  haut,  p.  276).  — 
Col.  124.  Mayer,  Eiujluss  der  vorchristlichen  Kulie  auf  die  Toponomastik 
Frankreichs  (Grohler).  — -Col.  126.  Stimming  (Erwïn),  Der  Akkusativ  cum 
Infinitivo  im  Franiœsischen  (This  :  mémoire  très  remarquable  d'un  débutant. 
—  Col.  130.  Velleman,  Grammatica  teoretica,  pratica  e  istorica  délia  lingua 
ladina,  prùma  part  (Jud  :  la  partie  historique  n'est  pas  à  la  hauteur  du 
reste).  —  Col.  177.  Appel  (Elsbeth),  Beitriige  ^ur  Geschichte  der  Teilungs 
forni  im  Fran:{œsischen  (Meyer-Lûbke  :  bonne  étude  sur  le  développe- 
ment de  l'article  partitif  en  français). —  Col.  183.  Grôber,  Ueber  die  Ouellen 
von  Boccaccios  Dekanieron  (W.  von  Wurzbach  :  «  rien  de  nouveau  »  :  ajoutez 
que  la  réimpression,  sous  ce  titre  ambitieux,  de  l'introduction  mise  par  feu 
Grôber  au  Decameron  de  la  Bihliotheca  Roinanica  est  une  véritable  tromperie 
de  l'éditeur).  —  C.  184.  Fouché-Delbosc,    Romancero  de  Barcelona  (Pfandl). 

Ernest  Murkt. 

Revue  DES  L.^ngues  romanes,  t.  LVl  (VI^  série,  tome  VI),  191 3.  — 
P.  5,  G.  Bertoni,  Nolerelle  proveniali  :  I  :  Sopra  un  passa  di  Perdigon  (éd. 
Chaytor,  no  11,  str.  2).  II.  Dm^  congetliire  su  due  poeti.  Il  s'agit  de  Tremoleta, 


304  PERIODIQUES 

cité  par  le  moine  de  Moiitaudon,  et  de  Osmondo  de  Vérone.  III.  Co?re-wni 
lî/  testa  di  un  pimilo  di  Cervcri  de  Giroiia.  IV.  Un  nis.  provençale  posseduto  da 
Jacopo  Grandi.  C'est  le  ms.  AG.  XIX.  49  de  la  Braidense  de  Milan.  Y .  Ant. 
prov.  «  dcmetre  ».  N'a  pas  le  sens  de  «  imputer  »,  comme  on  l'a  cru  à  tort 
sur  la  foi  d'un  passage  corrompu  d'une  strophe  de  Buvalelli.  VI.  Un  nuovo 
franimento  d'tma  liricii provençale.  Dix  vers,  conservés  sur  une  feuille  de  garde 
du  ms.  G,  qui  appartiennent  au  genre  du  «  souhait  ».  VII.  Due  nuovi  vcrsi 
di  Peire  d'Auvergne.  Dans  la  pièce  VII  de  Zenker  ;  fournis  par  le  tus.  a.  VIII. 
Due  novi  versi  di  P.  Brenion  Ricas  Novas.  Fournis  par  a.  IX.  Gies  d'aaii.  Ce 
serait  le  commencement  d'une  pièce  perdue  sur  l'air  de  laquelle  on  devait 
chanter  la  pièce  Lo  vers  mou  merctian  vas  vos  de  Guilhem  de  Balaun.  X. 
Intorno  a  una  ten-^one  di  Guilhem  de  Saint  Didier.  —  P.  20-23,  P.  Mandon- 
net,  Laurent  d'Orléans,  auteur  de  la  Somme  le  Roi.  D'une  épitaphe  latine, 
publiée  par  M.  G.  Salvador!  dans  les  Scritti  vari  di  filologia  publiés  en 
hommage  à  M.  Monaci,p.45  5  ss.,  mais  interprétée  pour  la  première  fois  par 
M.  Mandonnet,  il  résulte  que  Laurent,  auteur  de  la  Somme  le  Roi,  était  natif 
d'Orléans,  qu'il  fut  prieur  du  couvent  de  Saint-Jacques  de  Paris,  confesseur 
des  enfants  du  roi  aussi  bien  que  de  Philippe  le  Hardi,  inquisiteur  à  Tours 
et  qu'il  mourut  dans  les  dernières  années  du  xiii^  s.  —  Comptes  rendus  : 
p.  64,  Mélanges  de  philologie  romane  ofjerts  à  M.  M.  IVihnotte  (J.  Anglade  ; 
cf.  Romania,  XXXIX,  588);  —  p.  69,  E.  Lôseth,  Notes  de  syntaxe  fran- 
çaise {].  Anglade);  —  p.  70,  H.  Rabe,  Die  Inversion  des  Subjekts  iin  Fran:^. 
des  XIX.  ]h.  (J.  Anglade)  ;  —  F.  Schramm,  Sprachliches  ^ur  Lex  Salica  (J. 
Anglade)  ;  —  p.  71,  S.  Stronski,  Le  troubadour  Folquet  de  Marseille  (J.  An- 
glade ;  cf.  Romania,  XLII,  259)  ;  —  p.  75,  K.  Bartsch,  Chrestomathie, 
loe  éd.,  revue  par  L.  Wiese  (J.  Anglade)  ;  —  p.  76-8,  J.  Haas,  Neu/rani. 
Syntax  (J.  Anglade)  :  —  p.  no,  A.  Counsou,  La  pensée  romane,  essai  sur 
Vesprit  des  littératures  dans  les  nations  latines  (J.  Ronjat  ;  cf.  Romania,  XLI, 
461);  —  p.  112,  J.  Berriat-Saint-Prix,  Les  Vendegnas  de  Laborieux  Vain è 
(J.  R.)  ;  —  F.  Dclzangles,  Chants  populaires  d'Auvergne  (J.  R.)  ;  —  p.  113, 
L.  Gauchat  et  J.  Jeanjaquet,  Bibliografie  linguistique  de  la  Suisse  romande  (J. 
R.)  ; —  p.  114,  H.  Schneegans,  Studium  iiiul  Unterricht  der  ronianischen 
Philologie  (J.  R.)  ;  —  R.  de  la  Grasserie,  Des  parlers  des  différentes  classes 
sociales  (J.  R.)  ;  —  W.  von  Wartburg,  Die  Ausdrûcke  fi'ir  die  Fehler  des 
Gesichtsorgans  in  den  ronianischen  Sprachcn  und Dialelcten(] .Ronjat)  ; —  p.  116. 
M.  Grammont,    Foin'tique  historique  et  fonétiqu^  expérimentale  (J.  Ronjat)  ; 

—  p.  117,  Ch.  Bally,  Stylistique  et  linguistique  générale  (J.  R.)  ;  —  Ch.-V. 
Langlois,  La  connaissance  de  la  nature  et  du  monde  au  moyen  dge  (J.  Acher)  ; 

—  p.  iiS,  C.  Voretzsch,  Einfûhrung  in  das  Studium  der  aUfran^.  Sprache, 
4e  Auflage  (J.  Acher)  ;  —  p.  123,  O.  Schultz-Gora,  Zivei  altfran:^.  Dichtun- 
gen.  La  Chastclaine  de  Saint-Gille.  Du  Chevalier  au  barisel,  2^  édit.  (J. 
Acher);  —  p.  123,  Correspondance.  Sous  ce  titre  M.  Acher  publie  ou 
résume  une  correspondance  qu'il  a  échangée,  au  sujet  du  livre  de  Chiswick, 


PERIODIQ.UES  3^5 

avec  M.  J.  A.  Herbert,  conservateur  des  manuscrits  au  Musée  britannique. 
«  L'état  civil  »  du  fameux  ms.  est  désormais  «  régularisé.  »  —  P.  129, 
E.  Faral,  Chronologie  des  Romans  d'Énéas  et  de  Troie.  M.  F.  rassemble  tous 
les  arguments  —  une  trentaine  —  par  lesquels  on  a  tenté  de  prouver  l'anté- 
riorité d'Énéas  par  rapport  à  Troie  ou  de  Troie  par  rapport  à  Êneas.  Il  montre 
que  la  plupart  ne  conduisent  à  aucune  conclusion  nette.  Il  n'en  retient  qu'une 
demi-douzaine,  dont  il  met  en  pleine  lumière  la  valeur  démonstrative  :  ce 
sont  ceux  qui  cherchent  dans  la  source  de  l'un  ou  l'autre  de  ces  romans  l'ori- 
gine des  passages  parallèles  qu'ils  renferment.  Dans  chaque  cas  cette  enquête 
nous  mène  de  Troie  à  Eneas.  Nous  pensons  que  M.  F.  a  donné  la  solution 
définitive  d'un  problème  dont  l'importance,  comme  on  sait,  dépasse  celle 
d'une  simple  question  de  dates.  Cet  article  est  devenu  un  des  chapitres  du 
livre  récent  de  M.  F.,  Recherches  sur  les  sources  latines  des  Contes  et  Romans 
courtois  du  moyen  âge  ;  cf.  Remania,  XLIII,  107.  —  P.  148,  J.  Acher,  Sur 
r.x  finale  des  manuscrits.  Lettre  ouverte  à  M.  le  Directeur  de  la  «  Romania  ». 
[Je  me  contente  de  signaler  cet  article  comme  celui  que  M.  Acher  a  consa- 
cré plus  loin  (p.  458)  à  l'emploi  du  tréma.  Il  sera  nécessaire  de  revenir  dans 
quelque  temps  sur  ces  questions  de  graphie  qui  intéressent  les  éditeurs  et 
les  lecteurs  de  nos  anciens  textes.  —  M.  R.] —  P.  159,  L.  Câillet,  Acte 
passé  à  Faïence  au  sujet  des  retenus  perçus  sur  diverses  terres  situées  dans  le 
mandement  de  Livron  (Janvier  1318).  —  P.  172-247,  P.  Barbier  fils,  iVomi 
de  poissons,  notes  étymologiques  et  Icxicographiques  (suite).  —  Comptes  ren- 
dus :  p.  249,  A.  Kolsen,  Das  sirventes  «  Honrat:^  es  honi  per  despendre  ■», 
Bartsch,  Gr.,  242,  38  (G.  Bertoni)  ;  —  p.  250-1,  A.  Hilka  u.  W.  Sôderh- 
jelm.  Pétri  Alfonsi  Disciplina  clericalis  .1.  Latcinischer  Text.  IL  Franiôsischer 
Prosatext  (J.  Acher  ;  cf.  Romania,  XLII,  106)  ;  —  p.  260-70,  Lellerc  di  Gas- 
ton Paris  scelle  dal  carteggio  cou  lui  e  puhblicate  da  A.  d'Ancona,  Dal  mio 
Carteggio  (C.  Pitollet)  ;  —  p.  274,  A.  Tobler,  Verniischte  Beitrxge  ^ur 
jran^.  Granimatik,  5e  série  (J.  Ronjat)  ;  —  p.  277-82,  S.  Puscariu,  Problème 
noua  in  cercetarlle  linguistice  {].  Ronjat).  —  P.  285-412,  A.  Dauzat,  Glos- 
saire étymologique  du  patois  de  Vin^elles  (Basse-Auvergne).  La  Romania  rendra 
prochainement  compte  de  cet  intéressant  glossaire.  — P.  413,0.  Bertoni, 
NotereUe proven^ali  :  i  :  Terramagnino  da  Pisa.  «  Terramagnino  »  n'est  que 
le  qualificatif  appliqué  par  les  Sardes  aux  gens  du  continent  :  il  en  faudrait 
conclure  que  Terramagnino  de  Pise  a  été  quelque  temps  en  Sardaigne,  et 
c'est^peut-être  là  qu'il  a  composé  sa.  Doctrlnade  cort. —  IL  Giraut  de  Bornelh  : 
L'estrenher  de  las  dens  (éd.  Kolsen,  I,  no  LXI,  v.  55).  C'est  une  allusion  à 
Matthieu,  xiii,  49-50  :  «  Ibi  erit  fletus  et  stridor  dentium.»  — III.  Lo  roman^ 
dels  Au:{els  Cassadors(\v.  2797-8). —  IV.  Sopra  un  componimento  attribuito  a 
Saill  d' Escola  (Grundr.  de  Bartsch,  no  202,  5).  L'attribution  est  douteuse.  — 
V.  Amant.  Nom  propre  qui  peut  signifier  en  ancien  provençal  «  sot  », 
«  fou  »  ;  emplois  analogues  en  ancien  français. —  Yl.Giovanna  d'Estee  i  trova- 
Romania  XLVI  20 


306  PÉRIODIQUES 

tori. —  Vll.Detli  difilosofi  e  savi.  Le  poème  Qut  son  potier  vol  essausar  publié  par 
M.B.  dans  la  Rev.des  Lang.  rom.,  t.  LV,  p.  99,  est  une  traduction  d'un  poème 
français,  les  Dits  des  Sages,  donné  par  plusieurs  mss.,  entre  autres  par 
B.  N.  Nouv.  acq.  fr.  10237,  f"  202.  —  VIII.  Umi  iiitova  strofa  delT  Epislola  di 
Santo  Stefano.  Empruntée  au  ms.  B.  N.  Nouv.  acq.  lat.  754.  —  P.  425, 
L.  Karl,  La  légende  de  Saint  Jehan  Paiilus  {La  légende  en  vers,  en  prose  et  le 
miracle).  Pour  écrire  la  vie  de  ce  saint  apocryphe,  l'auteur,  s'il  n'a  pas  eu 
sous  les  yeux  un  modèle  latin  aujourd'hui  perdu,  a  dû  emprunter  à  diverses 
légendes  les  éléments  de  son  récit  :  c'est  là  une  originalité  qu'on  ne  retrouve 
pas  souvent  dans  les  poèmes  hagiographiques  français.  —  P.  446,  J.  Cal- 
mettc  et  E.-G.  Hurtebise,  Correspondance  de  la  Ville  de  Perpignan  (suite).  — 
P.  458-65,  J.  Acher,  De  V emploi  du  tréma.  —  Comptes  rendus  :  p.  468, 
G.  Panconcelli-Calzia,  Italiano  (M.  Grammont)  ;  —p.  470,  A.  Dauzat,  Géo- 
graphie phonétique  d'une  région  de  la  Basse-AtivergneQA.  Gïummoni)  ;  —  p.  472, 
A.  Dauzat,  Essai  de  méthodologie  linguistique  dans  le  domaine  des  langues  et 
des  patois  romans  (M.  Grammont)  ;  —  p.  474,  W.  Meyer-Lùbke,  Romanisches 
elymologisches  Worterhnch  (M.  G.); —  p.  447,  A.  Meillet,  La  crise  de  la  langue 
française  (M.  G.)  ;  —  G.  Lote,  L'alexandrin  français  d'après  la  phonétique 
expérimentale  (M.  Grammont)  ;  —  p.  479, G.  Lote,  La  rime  et  l'enjambement 
étudiés  dans  l'alexandrin  français  (M.  Grammont)  ;  —  P.  Verrier,  L'isochro- 
nisvie  dans  le  vers  français  (M..  Grammont);  — p.  481,  G.  Millardet,  Petit 
atlas  linguistique  d'une  région  des  Landes.  —  Recueil  de  textes  des  anciens  dia- 
lectes landais.  —  Études  de  dialectologie  landaise  :  Le  développement  des  pho- 
nèmes additionnels  (M.  Grammont)  ;  —  p.  487-91,  F.  Faral,  Recherches  sur  les 
sources  latines  des  contes  et  romans  courtois  du  moyen  âge  (L.  Constans  ; 
M.  Constans  continue  à  croire  le  roman  de  Troie  antérieur  à  Enéas);  —  p. 
496.  K.  Lewent,  Beitrxge  ^um  Verstxnd>iis  der  Lieder  Marcahrus  (G.  Ber- 
toni)  :  —  p.  449-504,  H.  Morf,  Vo)n  Urspru7ig  der  provenialischen  Schrift- 
sprache  (G.  Bertoni)  ;  — p.  513,  Acquisition  des  manuscrits  de  Mr  Dunn  parle 
Musée  britannique  (J.  Acher)  :  il  s'agit  de  la  Chanson  de  Guillaume,  Gui  de 
V^arwiclc,  du  ms.  d'Adgar  ;  —  p.  514,  W.  Cloetta,  Altfran:^.  Texte 
(J.  Acher)  ;  —  A.  Hilka,  Neue  Beitrxge  ~ur  Er^xhlungsUteratur  des  Mit- 
telalters.  Die  Compilatio  singularis  Exemplorum  der  Hs.  Tours  46S,  ergxnt^ 
durch  eine  Schwesterhamlschrift  Berne  675;  (J.  Acher)  ;  —  p.  515,  M.  Bloch, 
Les  formes  de  la  rupture  de  l'hommage  dans  l'ancien  droit  féodal  (J.  Acher)  ;  — 
p.  516,  A.  Toblcr,  Li  dis  don  vrai  aniel,  3e  éd.  (J.  Acher)  ;  —  p.  518,  Samm- 
lung  mittellateinischer  Texte  hgg.  von  A.  Hilka  :  i.  Disciplina  clericalis, 
2.  Exempla,  3.  Lateiiiische  Sprichiuôrter,  4.  Historia  septem  sapientum 
(J.  Acher)  ;  —  p.  520,  E.  Herzog,  Historische  Sprachlehre  des  Neufran:{œsi- 
schen.  i.  Teil  :  Einleitung,  Lautlehre  (J.  Acher)  ;  —  p.  526,  J.  Leite  de  Vas- 
concellos,  CaroUna  Michaelis  (J.  Auglade)  ;  —  p.  527,  P.  B.  Fay,  Elliptic 
partitiv  usage  in  affirmativ  clauses  in  French  prose  of  the  fourteenth,  fifteenth 
and  sixteenth  centuries  {].  R.)  ;  — p.  528,  L.  Karl,    Un  moraliste  bourbonnais 


PÉRlODIdUES  307 

du  XIV^  s.  et  son  œuvre,  le  Roman  de  Mandevie  et  les  Mélancolies  de  Jean 
Dupin  (J.  R.)  ;  —  p.  529,  F.  Mistral,  Lis  Oitlivado  (J.  Ronjat)  ;  —  p.  532, 
H.  Morf,  Vom  Urspriing  der  proven^alischen  Schriftsprache  (J.  Ronjat). 

L.    FOULET. 

Studj  romanzi  editi  a  cura  di  E.  Monaci,  vol.  VI,  Roma,  1909.  — 
C.  Salvioni,  Appmiti  divers!  stii  dialetti  meridionali.  Cent  notes  étymolo- 
giques et  lexicologiques.  J'examine  uniquement  ici  celles  qui  m'ont  suggéré 
quelques  remarques.  No  i,  tar.  bar.  cer.  molf.  ;bas.  acchiare  trouver.  De 
afflare  spécialement  répandu  dans  l'Italie  méridionale.  A  remarquer  le  traite- 
ment de  -ffl-.  M.  S.  serait  disposé  à  voir,  dans  acchiare,  un  croisement  de 
afflare  avec  la  base  oculu  et  il  rappelle,  à  ce  propos,  que  acchiare  à  Maglie 
signifie  proprement,  d'après  Panareo  §  98  :  «  rinvenire  dopo  aver  cercato 
cogli  occhi  ».  En  effet,  il  est  probable  que  Panareo,  au  moment  de  donner 
l'explication  du  verbe, a  été  suggestionné  par  cette  base  oculu  qui  se  présente 
immédiatement  à  l'esprit  '  et  paraît  nécessaire.  Cf.  Salvioni,  Rend.  Isi.  Lomb., 
S.  II,  vol.  XL,  1160;  Meyer-Lùbke, /?.  £.  Jf .,  n°  261  et  Merlo,  Zeitschr., 
XXXVIII,  479.  Le  plus  ancien  exemple  de  ce  verbe  se  trouve  dans  le  «  S.  Ales- 
sio  »  édité  par  M.  Monaci  (Rend.  Accad.  d.  Lincei,  juillet,  1903),  str.  24  :  loco 
afflao  (Jhi  invenit).  Cf.  Meyer-Lubke,  Z.  /.  r.  PhiL,  XXXII,  607.  —  No  2, 
canistr.  aistro  «  arista  ».  M.  S.  propose  de  partir  de  *alistro  (épenthése  de 
r  après  le  groupe  st,  cf.  ital.  ginestra,  abr.  que'stre  questua  ecc,  tcc.  et  dis- 
similation  de  r-r  en  l-r),  d'où  *ajistro  et  puis  aistro.  Ne  vaut-il  pas  mieux  par- 
tir tout  simplement  de  *aristro,  d'où,  avec  dissimilatiou,  d'une  part  subi. 
walistru,  agn.  listra  et  de  l'autre  canistr.  aistro  ?  —  N°.,  3,  nap.  ajeia 
«  bietola  ».  Toutes  les  formes  méridionales  (molf.  ghièjte  etc.)  confirment 
la  connexion  avec  le  vocable  correspondant  italien.  —  N"  4,  abr.  argendêgnc 
«  fanciuUo  vivace  irrequieto  ».  M.  S.  voit  justement,  dans  cette  dénomina- 
tion, r  «  argento  vivo,  il  mercurio  ».  Il  se  demande,  en  note,  si  la  même 
base  se  rencontre  dans  le  parm.  et  regg.  arsintçla  «  lézard  ».  A  Pavullo  (Fri- 
gnano)  on  m'a  donné  rasentéla  et  à  Camatta  arsente'la,  à  Fanano  argentélla 
(àRiolunato  :  ordsel(l)a  et  ordesella,  à  Fiumalbo  ortésilla,  àPievepelago  o-/;/or- 
tella,  jortella,  gortella),  ce  qui  me  fait  croire,  en  effet,  que  plusieurs  bases 
(luce,  argentu,  «  rasente  »)  ont  pu,  ça  et  là,  se  croiser.  L'écureuil,  dans  la 
Gruyère,  est  appelé  vierdià  (verrica  ou  viverrica  -\-  attiis,  cf.  Gauchat,  dans 
Mélanges  Wilmotte,  I,  188).  Or,  dans  le  district  de  la  Sarine,  la  dénomi- 
nation de  l'écureuil,  qui  a  échappé,  paraît-il,  à  M.  Gauchat,  est  bien  vierdid. 
Mais  vierdiù  n'est  autre  chose  que  le  «  mercure  »,  le  «  vif  argent  » 
(argent  ^  «;'(/:(«)  2 .  Grâce  à  une  affinité  phonétique  appuyée  par  une  affinité 

1.  En   efiet,   Panareo  propose   ociilare. 

2.  M.  Gauchat  cite  toutefois,  d'après  le  Helvetischer  Ahnanach  de  18 10  et 
Bridel,  viard^in,  qui  s'applique  à  une  jeune  personne  très  alerte  ou  à  l'écu- 
reuil (p.  192).  Ici  aussi,  nous  avons  le  «  vif  argent  ». 


308  PÉRIODIQUES 

sémasiologique,  l'originaire  vierdiâ  est  donc  devenu  vierdià  et  l'écureuil  et  le 
mercure  ont  maintenant,  dans  le  district  de  la  Sarine,  le  même  nom.  — 
No  7,  a.  otr.  cânmilo  «  cero  ».  Cf.  tar.  câuoîo  «  grossa  candcla  di  cera  », 
cerign.  càiwle  cero,  Codex  Cajct.  caniili.  (Arch.  i;hU.,  XVI,  20).  Il  me  paraît 
impossible,  bien  que  //  pour  nu  fasse  difficulté,  de  détacher  ce  mot  de  la  base 
«  canna  ».  Je  lis  dans  le  travail  de  Ribezzo,  DiaJ.  di  Francavilla  Fontaua, 
p.  18,  n.   2  :  «  é  da  osservare  che  canolo,  canele  significa  anche  canuuolo  da 
canna  in  tutto  l'apulo-barese,  del  pari  che   canmih  in  tutto  l'apulo-salen- 
tino.  A  Taranto  finisce  la  forma  con  n,  a  Francavilla  comincia  quella  con 
nn  ».   Ne  faut-il  pas  se  résigner  à    admettre  ici  un  cas  de  nn  en  ?/ ?  Dans 
r  «  inventario  in  volgare  campano»  publié  par  Festa,  on  lit  :  faola  decannac- 
cio  «  fiaccola  fatta  di  canne  »  (n"  100)  et  «  con  cera  croce  canna  «(n"  27).  — 
N°  43.  M.  S.  croit  que  l'interjection  méridionale  vmr  (p.  ex.  nap.   wwr  essa  ! 
sic.  mar  a  ti  !  etc.)  et  cal .  aniaru  (ainani  iddu  «  guai  a  lui  »)  pourraient  se  rat- 
tacher à  l'a.  fr.  viar  (p.  29:  «Ma  l'origine  comune  e  di  iiiar'  e  di  atiiani  andrà 
«  cercata  nell'a  fr.  mar,  si  tratti  d'un  accatto,  o  di  patrimonio  originaria- 
X  mente  comune  »).  Seulement,  la  fonction  syntactique  de  l'a.  tr.  wflrest  bien 
différente  de  celle  de  l'interjection    italienne.    En  a.  français  mar  (et  huer') 
ne  se   présente  pas  dans  des  locutions  comparables  à  mar  a  ti  ou  viaressa. 
Cf.  Bertoni,  Rie.  liiig.,  p.  1 1 .  —  N^  45,  molf.  viecèrne  «  arcolajo  ».  M.  S.  tire 
cette  forme  de  macémtla  (je  peux  citer,  en  effet,  à  Matera  :  viacénola  et  M.  S. 
cite  bar.  macemie,  tar.  macènila,  lecc.  macimda  [cette  forme  se  trouve  aussi 
telle  quelle  à  Casarano  et  à  Tuglie])  par  *macelniia*macelue  (cf.  porce ,  piike) . 
A  cette  occasion,  M.    S.  nous  offre  une  abondante  moisson  de  mots  avec 
métathèse  réciproque  dans  les  dialectes  de  l'Italie  du  Sud.  On  sait  que  la  base 
la  plus  répandue  dans  l'Italie  méridionale  pour  désigner  le  «  dévidoir  »  est 
celle  d'où  vient  aussi  l'ital.  guiiidolo,  piém.  lomb.  vindu(J)  (origine  germa- 
nique; cf.   Bertoni,  Elem.  germ .,  p.  145).  Je  crois  que  nous  avons  le  même 
mot,  dans  animmidu  de  Cefalù  et    iiimiilu  de  Castrovillari.  Il   faut  partir  de 
vinniiJu  (BsnQvento  :  vtnuolo,  Foggia.,  uiuiiiilu,  etc.),  d'où  w/'h;/;//»  et  puis 
nimmulu,  animmulu,  nimuhi.  C'est  un  autre  cas  de  métathèse  réciproque. — 
N"  47  agn.  miglicuremn  «  bellico  ».  Il  se  peut  que  m-  représente  une  simpli- 
fication de  mm  (mh),  mais  il  se  pourrait  aussi,  à  mon  avis,  qu'il  vînt  de  i'- 
(b-)  cf.  Vallo  Lucane  Avellino  Capua  vcllicolo,  Bisignano  viUicii,  Paràbita 
vaddriku,y^axcrA  ■z'/(W/f!/,Campagna  vellicu  (Rie.  litig.,  p.  8).  Vm-  aurait  pu 
être  amené  par  une  sorte  d'assimilation  dans  la  locution  fréquente  «  il  mio 
bellico,   il  bellico    mio   ».  Cf.  Sansevero  (Foggia)  meUîcolo,    Spoleto  mil- 
licolo,  Castrovillari  Diiiddieii,  Fermo  murieii .  Dans  la  forme  de    Benevento 
Micnnicolo  nous  pouvons  avoir,  en  outre,  assimilation  de  w-//en  m -nu.  Le 
-//-  ne  pourrait-il  pas  venir  d'une  influence  (ancienne,   naturellement),  de 
belliis  (cf.  Serravalle-Scrivia  :  helhi  bellico)?  El  Vu  (et  0,  reat.  mollicolo,  a. 
aquil.  iinmolicolo)  ne  pourrait-il  pas  être  un  obscurcissement  de  «^  par  influence 
de   la   labiale?   Je  soumets  ces  hypothèses   au  public  savant,  sans  y  atta- 


PERIODIdUES  309 

cher  trop  d'importance.  —  N°  65,  irp.  pnimu  susino -a.  M.  S.  explique 
-m-  grâce  à  une  influence  de  potnti  sur  priinii.  On  sait  que  la  Suisse  fran- 
çaise a  aussi  prôiiniia  (Gruyère),  promiia  (Meyer-Lûbke,  Z.  f.  r.  Phil., 
XX,  554;  cf.  le  nom  de  Vieu  Preml  *pnunaiiii)  et  l'a.  h.  ail.  pfrûma,  a. 
ail.  pflaume .  Je  crois  que  la  solution  de  M.  S.  est  la  bonne  et  j'en  vois 
une  preuve  dans  une  glose  latine  (Niedermann,  n"  5)  />«/»t'//rt[c'e.-à-d. 
pomella]  :  pninellas  (de  uiscd). —  N"  68  n.  M.  S.  tire  le  sic.pûddira  «  papillon  » 
àe.  *puUida  (dérivé  de  pullus).  Il  a  certainement  raison  et  Meyer-Lûbke, 
R.  E.  IV.,  n°  6828,  a  bien  fait  d'accepter  cette  étymologie,  que  M.  S.,  lui- 
même,  a  fortement  appuyée  (i?c//(/.  Isl.  Loiiib.,  S.  II,  vol.  XLIV,  p.  803)  par 
le  cal.  pùddiila  -Uiila,  irp. pôildula.  Seulement,  M.  Meyer-Lûbke  enregistre,  je 
ne  sais  pourquoi,  notre  mot  sous  la  hins pullus  (d'où.*pullula  dans  le  sens  de 
«  poulain  »),  tandis  que  c'est  de  pullus,  ou  plutôt  pulla  dans  le  sens  de 
«  poule  »  (on  sait  que  pullus  est  arrivé  au  sens  de  c  poulain  »  et  de  «  poule, 
poulet  »)  qu'il  faut  tirer  *pullula.  La  base  simple  se  trouve  à  Brione  (district 
de  Locarno)  pi'ila  et,  dans  le  rhétique,  à  Scharans  ■.pûlla  «  papillon  ».  A  Andèr 
et  Priiz  (Coire)  on  a  biilla  (c'est  un  croisement  de  piiUa  avec  bihella,  hclla 
«  papillon  »,  qu'on  entend  à  Enis,  bible  à  Bonaduz).  Dans  les  environs  de  Son- 
drio,  j'ai  trouvé  aussi  pôla.  Dans  la  haute  Valteline,  à  Premadio,  Bormio,  Livi- 
gno,  on  a  pola.  Or,  ce  moi poia,  et  aussi  poli)ia,  n  est  peut-être  que  *pullea(àe 
pulla)  et  signifie  exactement  «  poule  '>.  Longa,  dans  son  vocabulaire  du  diar 
lecte  de  Bormio,  n'enregistre  pas,  sous  polina,  le  sens  de  «  petit  oiseau  qui 
annonce  la  neige  ».  L'abr.  celle t te  signifie  «  uccelletto  »  et  «  farfalla  del  baco 
da  seta  »  et  à  Finero  et  Re  (Val  Vigezzo)  j'ai  entendu  moi-même  ttcèla. 
«  uccella  »  pour  «  papillon  ».  Il  est  aussi  intéressant  de  remarquer  que  à 
Dignano  (Istrie)  le  nom  de  la  chauve-souris  sert  à  désigner  le  papillon, 
c'e-à-d.  barbastil.  En  somme,  les  dénominations  de  «  petite  poule  »  et  d'oi- 
seau 1)  ont  pu  passer  au  papillon.  Peut-être,  faut-il  expliquer  1'/  palatale  de 
pofa  potina  par  une  influence  du  plur.  pulU,  plutôt  que  partir  de  *pullea  (cf. 
émil.  un  poj  un  poulet,  milan,  puj  et  pûj  Salvioni,  Arch.  glott.,  IX, 
446)  ;  mais  il  est  certain  que  le  sens  est  bien  celui  de  «  poule,  petite  poule  » . 
On  comprend  mieux  maintenant  une  (orme pojanéla,  «papillon»,  qui  m'a  été 
envoyée  de  Bardolino  et  une  dènomxmûon puiseléta  de  Oneglia  (*pullicelletta). 
J'ajouterai  aux  formes  méridionales  citées  par  Salvioni  (Rend.,  803)  les  sui- 
vantes :  Campagna  (Salerno)  pôUula,  Vallo  Lucano  pôddola,  Castrovillari 
poddura.  A  Gallipoli  pounula  (*polline)  '.  —  N»  71,  cer.  restocce  «  stop- 
pia,  seccia  ».  Croisement  de  restocchia  avec  seccia.  Quant  au  développement 
de  9  //  dans  les  dialectes  méridionaux,  cf.  maintenant  :  Merlo,  dans  \esMevi. 
d.  R.  Accad.  d.  Science  di  Torhw,  S.  II,  t.  LVIII,  p.  162.  —  75,  tar.  reviette, 
bar.  rivetto  «  orlo  ».  M.  S.  écrit  :  «  rivetlo  avrà  ri-  da  or-  o  si  connetterà 


I.  Cp.  à  Bari/rt^f'«î/e  papillon  («  farinola  »).  Salvioni,  Rend.,  cit.,  p.  805. 


310  PERIODIQUES 

cioè  con  qiiell'  orvivo  orlovivo  (cfr.  ancora  l'ancon.  orvio),  di  cui  il  Picri  e 
il  Nigra  in  Anh.,  XV,  220,  504  ».  Le  sic.  a  rivitteddi  «  orli  di  maglie  nel 
<'  calcagno  délie  calze  »  (Traina,  p.  360),  rivitticari  et  riverticari  «  rimboc- 
care  »,  rivéttica  et  rivèrtica  «  rimboccatura  ».  Mortillaro  donne  seulement 
rivitticari  et  rivéttica.  Il  paraît  difficile  de  détacher  ces  formes  de  rei'iette 
rivettû.  Ceux-ci  pourraient  être  déverbaux,  ainsi  que  le  dit  M.  de  Gregorio, 
Sttidi  glott.  ital.,  V,  71,  n.  I,  qui  cite  le  nap.  tar.  rcvettare  et  pense,  pour  tout 
l'ensemble  de  ces  mots,  au  verbe  lat.  revert{ere)  *reverticare .  L'assimilation 
de  rt  en  //  ne  ferait  pas  difficulté  pour  le  sicilien  (Meyer-Lûbke,  Ital.  Gram., 
p.  136)  et  n'en  fait  peut-être  pas,  pour  Tarante.  D'ailleurs,  je  peux  citer 
aussi  l'andr.  revettèie  «  ricucire  con  forte  impuntare  ;  orlare  »  ;  cf.  Cotu- 
gno,  Less.  dial.  andriese,  p.  93.  —  N«i75.  Qu'il  me  soit  permis  de  citer  ici 
plusieurs  formes  de  papilio  (ven,  pavégo)  passé  au  féminin  :  pavéja  à  Valdagno 
(Vicenza),  et  S.  Vito(Tagliamento)  \pavéoa  à  Mestre,  Spresiano,  Longarone, 
Monselice  ;  pavéje  à  Tarcento  (Udine)  et  pavée  à  Gemona,  Codroipo,  Tol- 
mezzo  (Udine),  pavéa  à  Maniago,  Ampezzo  (Udine)  ;  à  Legnago  (Vérone)  : 
poéia.  Dans  le  Tessin,  on  rencontre  pavéja  à  Cimalmotto,  Mosogno,  pavéa  à 
Loco,  etc.  Les  (ormes  parparvéja  à  Avegno  (Valmaggia),  parvavàja  à  Vaglio 
Tesserete  et  pravéja  à  Cavergno  viennent  d'un  croisement  de  pavéja  avecpar- 
pàja  (très  répandu  dans  le  Nord  d'Italie,  dans  le  Tessin  :  parpâja  à  Brusino, 
Lottigna,  Gurro,  parpajôra  à  Ambri,  etc.).  QjLiantà  moi,  je  fais  remonter  aussi 
à  papilio  le  lomb.  harbéî  (cp.  Fermo  :  papelle  «  farfalla  del  baco  da  seta  »)  que 
Schuchardt,  Z.f.  v.Phil.,  XXVI,  395  explique  tout  autrement.  Voir  mon 
Elem.  genii.,  p.  82.  —  N°  76.  bas.  scerpola,  scirpitedda  «  corredo  di  cose 
mobili  ed  ornamenti  alla  sposa  ».  M.  S.  insiste,  avec  raison,  sur  l'origine 
germanique  de  ce  mot,  sur  lequel  v.  Nigra,  Jrch.,  XIV,  377;  Salvioni, 
Arch.,  XV,  363,  507  ;  Krit.  Jahresh.,  VII,  I,  132  ;  Rend.  ht.  Lomb.,  XXXIX, 
619;  Bertoni,  Elem.  germanico,  pp.  60,  185.  M.  Tamassia,  Atti  R.  ht. 
vencto,  XLVI,  II,  725  voudrait  rattacher  ces  formes  à  sirpea  scirpca  «  sporta 
di  giungo  o  di  vimini  (cf.  cal.  scirpu  «  giunco  »).  Certes,  il  me  paraît  impos- 
sible de  les  détacher  du  terme  septentrional  skerpa,  nov.  skirpa,  skirpja, 
pav.  skerpa,  etc.  Je  me  permets  de  renvoyer  à  l'étude  que  je  viens  de 
publier  (Studj  roman-^i,  XIII)  sur  cette  famille  de  mots.  —  N^  92,  tar. 
trimcntere  «  guardare  ».  Nous  sommes  en  présence  d'une  des  dériva- 
tions du  type  tene{reynenteYre],  dont  a  parlé  Mussafia,  Zur  Kath.  dans  les 
«  Sitzungsberichte  »  de  Vienne,  vol.  CX,  s.  mente.  M.  Salvioni  est  disposé 
à  rattacher  aussi  à  ce  type  la  forme  chjamende  acchjamende  de  Bari,  où  Nitti, 
p.  4  n.,  voit  un  *oculamentare.  M.  S.  partirait  de  «  tiemente  »  (cf.  agn.  lié 
«  tieni  »),  avec  //  en  chj,  ce  qui  est  parfaitement  admissible,  chj  représen- 
tant une  phase  de  la  palatalisation  de  //.  L'idée  de  M.  S.  me  paraît  heureuse. 
Le  type  *oculameiitare  de  Nitti  est  bien  étrange,  tandis  que  nous  avons  :  tene- 
menfe  (Buccio  di  Ranallo  et  dialecte  de  Naples)  ;  irp.   taremènle  «  regarder  », 


PEKIODIQ.UES  3  ï  I 

tenutamenté  «  œillade  »  ;  abr.  tammendd,  vast.  attimindè  «  regarder  fixement  »; 
campob.  //  taniende  «  io  guardo  fisso  »  (d'Ovidio,  Arch.,  IV,  150).  Salv.  cite 
aussi  lomb.  teùaiiieiit  «  rabbuftb  x.  J'ajouterai  que  lenere  mente  est  très  usité 
dans  l'ancienne  poésie  de  l'école  sicilienne,  p.  ex.  Rin.  d'Aquino  (ms.  Pal. 
418,  no  27  str.  4):  qtiando  uoi  tegno  mente.  —  N"  83,  a.  abr.  sogiurno.  Le  sens 
paraît  bien  être  celui  d'  «amusement,  divertissement  ».  M.  S.  rappelle  l'ital. 
s&T^X.  so:(orn,  soi^erno  «amusement  »  (Seifert,  Gloss.  ^u  Bonv.,  69;  Salvioni, 
Giorn.  stor.  lett.  ital.,  VIII,  416).  L'anc.  prov.  sojorn  avait  aussi  le  sens  de 
«  divertissement,  plaisir,  joie  ».  —  N°  95,  arp.  vépa  •<■  vespa  ».  Croisement 
de  vespa  ti  ape.  Dans  le  Sud,  je  peux  ajouter  :  Avellino,  Capua,  Castrovil- 
lari  :  vespa  «  abeille  »  ;  dans  le  Nord,  Guastalla,  Bologna  :  vrespa  ;  Ceneda, 
Oneglia  :  vespa  «  abeille  ».  —  P.  69.  Cl.  Merlo,  Gîi  italiani  «  ainano,  dicono  » 
e  gli  odierni  dialetti  unihro-romaneschi.  Dans  cet  article,  M.  M.  se  propose  de 
montrer  que  les  formes  aniano  dicono  viennent  de  anianQ)  diciinQ)  avec  épi- 
thèse  d'un  -0'.  C'est  la  théorie  de  Diez  et  d'Ovidio  (Z.  /.  r.  Phil.,  XXIII, 
373)  appuyée  par  l'examen  détaillé  de  ce  qui  se  passe  dans  plusieurs  dialectes 
centraux  d'Italie,  où  la  6^  pers.  de  l'ind.  prés,  a  la  métaphonèse  des  voyelles 
toniques  è  é,  0  ô  pour  les  verbes  de  la  5e  et  4^  conj.  et  la  voyelle  intacte 
pour  les  verbes  de  la  première  (p.  ex.  péttenene  pectinant,  mais  viéstene 
vestunt).  Il  est  évident  que  cette  métaphonèse  est  produite  par  -11  (diciint). 
Les  formes  aniano,  dicono  ne  sont  donc  que  des  aman-o,  dicon-o,  car  il  est 
improbable  que  les  choses  se  soient  passées  autrement  en  Toscane.  Cette 
méthode  de  rapprocher  un  certain  nombre  de  dialectes  et  d'expliquer  par  un 
principe  unique  (et  évident  dans  quelques-uns  d'entre  eux)  le  développement 
de  quelques  phénomènes  en  d'autres  parlers  est  certainement  bonne.  Pourtant, 
cette  théorie  des  paralléHsmes,  dont  personne  ne  peut  songer  à  contester 
l'utilité,  peut  nous  conduire  quelquefois  à  des  présomptions  plutôt  qu'à  des 
preuves.  Ce  n'est  pas  le  cas  pour  l'article  de  M.  M.,  car  sa  démonstration  me 
parait  sûre.  —  P.  85.  C.  Marchesi,  Le  allégorie  ovidiane  di  Giovanni  del  Vir- 
gilio.  Dans  cet  article,  M.  M.  parle  aussi  des  «  allégorie  »  de  Giovanni  dei 
Bonsignori.  Cf.  Sabbadini,  Un  testo  volgare  di  Giov.  del  Virgilio,  dans  le 
Bullettino  d.  Soc.  dantesca  ital.,  XXI,  i.  —  P.  137.  G.  Ciccone,  Reda:(ioni  e 
fonli  délia  «  Farsaglia  >>  in  ottava  rima.  Je  me  bornerai  à  dire,  à  propos  de 
ce  travail  méritoire,  qu'il  faudrait  que  quelqu'un  se  décidât  un  jour  à  examiner 
le  ms.  1044  de  la  Bibl.  de  Munich  (xiV-xve  s.)  qui  porte  cet  «  incipit  »  : 


I.  Monaci,  SuUe  formule  volgari  delV  «  Ars  Notaria  »  di  Rainerio  di.Peru- 
gia,  dans  les  Rend.  d.  R.  Ace.  dei  Lincei,  XIV  (1905),  p.  275  cite  des  plur. 
tels  que  prenno,  prendo.  Ce  dernier  se  trouverait  dans  le  Tristano  riccardiano 
(Crest.  II)  ;  280,  398)  ;  mais  le  dernier  renvoi  est  erroné.  Dans  l'autre  pas- 
sage (Cresi.  115,  280),  l'éd.  Parodi  a  prendano. 


312  PERIODIQUES 

Oui  sono  le  haitaglie  e  vitlorie  che  Cesare  ehhe  conlro  a  Ponpeo,  etc.  et  com- 
mence : 

Da  parte  délia  Vergine  Maria 

Il  cui  amor,  bignor,  nonn  c  fallacie. 

L'examen  de  la  langue  du  ms.Casan.  1 548(pp.  142-3)  me  semble  indécis  et 
insuffisant.  Le  mot  cortelo  ne  peut  pas  être  mis  avec  arqnaiita,  sepurchi,  etc.  On 
sait,  grâce  à  ladiffusionde  la  forme,  quel'rde  co;7^/o  est  beaucoup  plus  ancien. 
Comment  M.  C.  peut-il  traiter  du  phénomène  de  l'identité  de  la  3^  pcrs.  et 
delà  ô^du  verbe  dans  une  note  (p.  143,  n.  2)  oùilest  question  de  traits  non 
vénitiens?  Cf.  Vidossich,  Aich.  trust.  XXIV,  25.  —  P.  177.  V.  Ussani,  // 
cod.  torinese  lai.  A.  216.  Contiibuto  allacrilica  di  Gregorio  da  Tours  e  di  Veuaiiiio 
For  t  un  a  1 0.  Anah'se  du  manuscrit,  suivie  d'une  collation. —  G.  B.  Festa,  Inven- 
tarioe  nota  d'iniroiti  e  spese  in  voigare  campano  del  sec.  XV.  Texte  intéressant, 
commentaire  insuffisant.  Dans  la  graphie  ///  de  niarrotiellio  71,  cavallio  95, 
quillio  102,  etc.,  ne  devons-nous  pas  voir  la  mouillure  de // devant -?/?  Au 
n°  30/'ï//«nï(plur.  en  -ora  de  vo  tu)  doit  avoir  le  sens  de  «  ex-voto  pour  grâce 
reçue  ».  N»  146,  à  remarquer  «  coppie  de  pane  sei  per  benedecioiii  ».  Cf. 
émil.  hensôn,  sorte  de  gâteau.  —  P.  207.  G.  B.  Festa,  //  cod.  barberiniano 
XLV  77  {Vat.  Barb.  Laf.  3^2}).  Très  courte  notice  d'un  nouveau  ms.  ren- 
fermant la  F/o///ad'Arniannino. —  P.  211.  Alt.  Levi,  Eliinologie italiane.PeùtQ 
série  d'étymologies  qui  ne  méritent  pas  une  longue  discussion  (andare  tiré 
de  antire  croisé  avec  un  roman  *vandare,  dérivé,  a  son  tour,  de  vadere  influencé 
par  un  germ.  ivantarôn  \  fanfonia  serait  devenu  fandonia  grâce  à  ptg.  esp.  cat. 
candonga  «  flatterie  »  mot  d'origine  africaine,  etc.).  —  P.  219.  G.  Bertoni, 
SuUa  lingua  del  «  Roman  des  Sept  Sages  »  in  versi.  Je  crois  que  l'auteur  et  le 
■  copiste  étaient  tous  deux  picards.  J'ai  profité,  pour  ma  petite  note,  d'une 
collation  du  ms.  qui  me  permettrait  de  corriger  plusieurs  passages  du  texte 
édité  par  Keller.  Une  édition  critique  a\'ant  été  annoncée  par  M .  A.  Hilka 
{Remania,  XLI,  627),  je  me  bornerai  ici  à  quelques  autres  menues 
remarques.  V.  8  lonc  ;  v.  17  Uers]  Neis;  45  II]  Cil  ;  55  ianiais  on  neferoit. 
Corr.  ia  maison  n.  f.  ;  v.  66  glaive  ;  v.  112  doloursie]  dolours  le  ;  v.  265  Qui 
croit]  ms.  Cni  caut  ;  v.  451  Tant  (et  non  Quant);  v.  540  En  remanrois  ; 
v.  545/>oo/g;v.  'y^ique;  v.  562  nus;  v.  585  porpense.  Le  v.  586  manque 
dans  l'édition  Keller.  Le  ms.  a  :  Et  en  tw  cuers  bien  propose.  —  P.  223. 
G.  Bertoni,  Una  tradu^ione  francese  délia  t'ita  di  S.  Giovanni.  Voyez  mainte- 
nant: A.  Huher,  Die  Johannes-Legende  von  Thierry  de  Vaucouleurs  (d'iss.  Fri- 
bourg,  Suisse),  Halle,  191 3.  —  P.  225.  G.  B.  Cervellini,  Per  la  sioria 
esterna  delV  antico  frammento  epico  bellunese.  Notices  d'archives  sur  Dionisio 
Saleis,  dont  le  nom  est  mêlé  à  l'histoire  du  célèbre  fragment. 

Giulio  Berton'I. 


PERIODIQUES  313 

Zeitschrift  fur  franzôsische  sprache  und  litteratur.  Tome  XL 
(1912-3). 

I  (articles  de  fond).  P.  103-10,  E.  Gierach,  Das  àlteste  franzôsische  Laut- 
geseii-  Il  s'agit  du  passage  de  lat.  h  au  son  »,  que  l'auteur  persiste  à  attribuer 
à  une  tendance  articulatoire  celtique  ;  article  qui  ne  fait  pas  beaucoup  avan- 
cer la  question.  —  P.  124-50,  notes  de  MM.  A.  Hilka  sur  les  v.  7543-95 
du  RoiiiiVi  de  Thébes,  F.  Lubinskisur  quelques  passages  de  la  Vengeance  Ragiii- 
del,  L.  Spitzer  sur  vfr.  haut  tondu  «  arrogant  »,  C.  Salvioni  sur  franco-prov. 
ru fj y 0,  nom  d'un  vent.  — P.  186-212,  R.  Zenker,  Nochmals  Erec-Geraint. 
Critique  des  objections  de  M.  Smirnov  aux  vues  de  M.  Edens,  objections 
dont  M.  Z.  ne  considère  que  deux  comme  fondées.  —  P.  215-21,  E.  Herzog, 
Noch  einmal  «  soif  >•>.  Critique  de  l'article  de  M.  Jaberg  au  t.  XXXVIII,  p. 
231-173.  —  P.  222-65,  A.  Franz,  5/«(//t'«  :^ur  ■ivallonischen  Dialektsvntax, 
L'auteur  considère  l'état  actuel  des  parlers  en  utilisant  çà  et  là  les  textes 
anciens  pour  l'explication  des  phénomènes  ;  louable  effort  de  généralisation 
dialectologique  et  de  systématisation  des  tendances. 

II  (comptes  rendus).  P.  1-2,  Elise  Richter,  ÏVie  tuir  sprechen(A.  Franz). 
—  P.  2-4,  L.  H.  Alexander,  Participial  Suhstaiitives  ofthe -ata.  type  in  Romance 
languages,  ivith  spécial  référence  to  French  (W.  Meyer-Lùbke).  — P.  5-1 1, 
F.  Brunot,  Histoire  de  la  langue  française,  t.  II  et  III  (E.  Herzog)  :  diverses 
observations  de  détail.  —  P.  11-4,  Karl  v.  Etlmayer,  Vortrâge  ^ur  Charuk- 
teristik  des  altfran:;[ôsiscben  (Walter  Suchiér).  —  P.  14-34,  G.  Bielefeldt, 
Methodische  IVortkunde  der  franiœsischen  Sprache  (Kalepky).  —  P.  37-57,  G. 
Briiuner,  Der  altfr.  Prosaroinan  von  Lancelot  del  Lac,  I.  Branche,  La  reine  as 
grani  dolors  (E.  Brugger)  :  compte  rendu  justement  sévère  de  ce  début  d'une 
édition  complète  préparée  par  M.  Wechssler  avec  le  concours  de  plusieurs 
de  ses  élèves.  —  P.  58-60,  A.  Lângfors,  Li  abecés  par  ehivoche  (E.  Sten- 
gel).  —  P.  61-70,  Das  altfr .  Adamsspicl...  iïbersetit  von  Elisabeth  Grahl- 
Schulze(K.  Grass)  :  propose  de  nombreuses  rectifications.  — P.  106-14  et 
240-7,  notes  de  M.  Stimming  et  réponses  de  M.  Brugger  au  sujet  du  compte 
rendu  de  l'éd.  de  Bueve  de  Hantone,  première  version,  paru  au  t.  XXXIX, 
II,  p.  155-84.  — P.  139-49,  J.  Gilliéron,  Uaire  clavellus  d\iprès  l'Atlas 
ling.  de  la  France  (L.  Spitzer)  :  réserves  sur  les  conclusions  de  la  géographie 
linguistique  et  observations  intéressantes.  —  P.  153-4,  Martin  Rùhlemann, 
Etymologie  des  Wortes  harlequin  und  verwandter  Wôrter  (O.  Briesen).  —  P. 
165-72,  A.  Bernhardt,  Die  altfr.  HeUnandstrophe  (E.  Stengel).  —  P.  172-4, 
Cari  Pschmadt,  Die  Sage  von  der  verjolgten  Kinde  (W.  Golther).—  P.  174-7, 
Hans  Wendt,  Die  Oliviersage  im  altfr.  Epos  (W.  Tavernier).  —  P.  177-9, 
F.  E.  Mann,  Das  Rolandslied  als  Geschichtsquelle  und  die  Entstehung  der  Roland- 
sàulen  (W.  Tavernier).  —  P.  179-85,  P.  Linncnkohl,  Branche  I  und  II  des 
Couronnement  de  Louis  (Ph.  A.  Becker).  —  P.  183-5,  Fr.  Schmeck,  Zur 
Haïuischrijt  yS^  des  Alexanderromans  von  Lambert  li   Tors  und  Alexandre  de 


I 


314  PERIODIQUES 

Bernais  (A.  Hilka).  —  P.  185-91,  Johanna  WcynaaJ,  Der  Roman  de  toute 
chevalerie  des  Thomas  von  Kent  in  seiiieiii  Verhdltnis  ^u  seinen  Quellen  et  Th. 
Hildenrand,  Die  allfr.  Alexanderdichtung  Le  roman  de  toute  chevalerie  des 
Thomas  von  Kent  iind  die  mittelenglische  rotnan^e  Kyng  Alisaunder  in  ibrem 
Verhiiltnii  ^u  eiiiander  (A.  Hilka).  —  P.  191-202,  Ziir  Gescbichtedesfr.  Dra- 
tnas  :  O.  Dierks,  Die  dramalische  Bearheituiig  nalionaler  Stoffe  in  Frankreich  ;  I. 
Sondhiime):,  Die  Herodes-paiiien  iiu  lut.  liturgischen  Drama  und  in  den  fr. 
Mysterien  ;  E.  Kohler,  Entwicklung  des  bihlischen  Dramas  des  XVI.  Jahrhiin- 
derls  in  Fiankn'ich  ;  A.  Beneke,  Dus  Repettoire  und  die  Quellen  der  fr.  farce 
(W.  von  Wurzbach). 

II  (miscellanées).  P.  102-3,  "Otes  étymologiques  de  M.  J.  Brùch  sur  vfr. 
disner,  rom.  *afannare,  blatum.  —  P.  230-6,  L.  Spitzer,  tournures  ital.  et 
portug.  parallèles  à  divers  emplois  du  fr.  là. 

T.  XLI(i9i3). 

I.  P.  1-7,  W.  Meyer-Lùbke,  Zur  u-  ù-frage  :  les  spéculations  de  M.  Gie- 
rach  au  t.  XL,  I,  p.  103-110,  ne  résistent  pas  à  un  examen  approfondi  des 
faits,  et  il  ne  reste  comme  décisif  pour  une  date  approximative  du  passage 
de  M  à  M  que  le  traitement  de  cûlu,  mfilu,  pûlice,  sur  lequel  M.  M.-L.  cherche 
à  fournir  des  précisions  nouvelles.  —  P.  8-40,  K.  Morgenroth,  Zum  Bedeu- 
tungswandcl  im  fran~dsischen  (suite).  — P.  49-101,  V^ .Ta.\Qrnitr,  Beit rage 
^ur  Rolandsforschung  (suite)  :  les  noces  de  Chartres  et  la  geste  de  Roland  ; 
notes  sur  divers  personnages  et  sur  diverses  localités. —  P.  102-8,  Fr.  Pfister, 
Zur  Entstebung  und  Geschichte  des  «  Fuerre  de  Cadres  »  inséré  dans  le  grand 
roman  d'Alexandre  par  Lambert  li  Tors  et  Alexandre  de  Bernai  et  le  Roman 
de  toute  chevalerie  de  Thomas  de  Kent. —  P.  131-65,  R.  Zenker,  IVeiteres 
lur  Mabinogionfrage  :  réplique  à  l'article  de  M.  Ph.  A.  Becker  dans  Literatur- 
bl.f.germ,  u.  rom.  phil.  191 3,  19-26;  comparaison  entre  la  Laudine  d'Ivain 
et  la  Jocaste  du  Roman  de  Tèbes.  —  P.  166-9,  ^i"-  Ltibinski,  Bine  sotte  chan- 
son der  Oxforder  Liederhandschrift  :  texte  de  Ravuaud,  185 1,  avec  notes. —  P. 
1 70-85 ,  L.  Jordan,  Les  Saiiitts-Maries-de-la-Mer  uiul  der  Codex  monacensis  Gall. 
S4.  —  P.  233-56,  P.  Marchot,  Les  prijicipaux  traits  morphologiques  du  ival- 
lon  prélittéraire  ou  préhistorique  (500-800),  suite  à  l'exposé  des  traits  phoné- 
tiques donné  au  t.  XXXIX,  11,  p.  144  et  suiv.  :  précieux  notamment  pour 
situer  Eulalie  (v.  p.  2  50)  ;  travail  soigné,  auquel  on  reprochera  peut-être 
trop  d'assurance  à  déterminer  la  date  des  innovations  linguistiques. 

II.  P.  i-io,  J.  Brùch,  Der  Einfluss  der  germ.  Sprachen  auf  das  Vuïgàrlatein 
(W.  Bruckner)  :  intéressants  compléments  et  rectifications.  —  P.  10-17,  Uc 
de  Saint-Cire  p.  p.  A.  Jeanroy  et  J.-J.  Salvcrda  de  Grave  (L.  Spitzer)  :  assez 
nombreuses  observations  de  détail.  —  P.  17-22,  Kr.  Nyrop,  Grammaire  his- 
torique de  la  langue  française,  t.  IV,  sémantique  (K.  Morgenroth).  —  P.  40-4, 
W.  von  Wurzbach,  Geschichte  des  fr .  Romans ,  L  bd..  Von  den  Anfângen  bis  ^um 
Fndedes  XVII.  fahrhts.  (W.  Kùchler).  —  P.  45-6,  O.  Flake,  Der  fr.  Roman 
und  die  Novelle,ihre  Geschichte  von  den  Anfxngen   bis  :^ur  Gegenvart(E.  Sten- 


PERIODIQ.UES  3^5 

gel). —  P.  46-7,  L.  Karl,  Un  moraliste  bourbonnais  du  XIV^  siècle  et  son  œuvre 
(E.  Stengel). —  P.  137-66,  Dire  ?»î^  chanter,  Singen  und  Sagen,  ah  Einieln- 
begriffe  und  als  Fonneln,  par  M .  J.-B.  Beck  :  ce  n'est  pas  à  proprement  parler 
un  compte  rendu  ;  ce  sont  des  observations  philologiques  et  psychologiques  sur 
le  langage,  la  poésie  et  la  musique,  suggérées  par  la  lecture  de  l'ouvrage  de 
M.  A.  Thurau,  Singen  und  Sagot  ;  intéressantes  observations  sur  le  rythme 
poétique  et  le  rythme  musical.  —  P.  166-73,  comptes  rendus  de  publications 
de  textes  bas-latins,  Phihlogischer  Kommentar  ^ur  Peregrinatio  Aetheriae  p.  p. 
E.  Lôfstedt,  Gedichte  des  Archipocta  p.  p.  Fr.  Wilhelm,  Lai.  Sprichwôrter  und 
Sinnspri'iche  p.  p.  J.  Werner,  Historia  septeni  sapientuni  p.  p.  A.  Hiika  (Fr. 
Pfister). — P.  173-4,  H.  Suchier  et  Ad.  Birch-Hirschfeld,  Geschichte  der  fr. 
Lileratiir  (W.  Kûchler).  —  P.  174-5,  G.  L.  Strachey,  Landniarks  in  French 
Literaiure  (W .  von  Wurzbach).  — P.  175-83,  H.  Schneider,  Die  Gedichte 
und  die  Sage  von  Wolfdietrich,  Untersuchungen  iïber  ihre  Entstehungsgeschichte, 
W.  Benary,  Die  gerni.  Ernmnarichsage  und  diefr.  Heldendiciitung  et  Ivain  p. 
p.  W.  Foerster  (W.  Golther).  —  P.  184-6,  E.  Lommatzsch,  Gautier  deCoincy 
als  Satiriker  (L.  Spitzer).  —  P.  186,  Mathilde  Laigle,  Le  livre  des  trois  vertus 
de  Christine  de  Pisan  et  son  milieu  historique  et  littéraire  (K.  Vossier). 

T.  XLII  (1914). 

I.  P.  1-40,  Karl  vcn  Ettmayer,  Singtakt  und  Sprechtaht  im  fran^ôsischen  und 
proven:(alischen  Verse.  Beaucoup  d'application  et  d'ingéniosité.  L'auteur  vou- 
drait préciser  la  nature  du  lien  entre  le  rythme  poétique  et  le  rythme  musical, 
et  il  étudie  à  cet  effet  les  chansons  des  troubadours  et  les  chansons  populaires 
modernes.  Mais  — et  cela  semble  lui  avoir  un  peu  échappé  —  dans  les  unes 
et  les  autres  la  musique  va  généralement  sur  la  première  strophe  et  s'accom- 
mode tant  bien  que  mal  des  autres,  où  les  syllabes  portant  les  temps  forts 
sont  autrement  réparties  ;  quant  aux  chansons  populaires  spécialement,  elles 
nous  sont  le  plus  souvent  parvenues  dans  le  plus  fâcheux  état  d'altération 
poétique  et  musicale  ;  plusieurs  chansons  se  chantent  sur  le  même  air,  et 
beaucoup  de  recueils  usuels,  cités  partout,  offrent  des  notations  rythmiques 
incorrectes  et  parfois  tout  à  fait  barbares.  —  P.  41-81,  W.  Tavernier,  Bei- 
tràge  ^ur  Rolandsforschung  (suite).  Examen  des  sources  du  Carmen  de  prodi- 
cione  Guenonis  tendant  à  prouver  qu'il  repose  sur  le  Waltharius  d'Ekkehard; 
examen  comparatif  de  la  Chajison  de  Roland  et  du  Waltharius  ;  conclusion  :  le 
Carmen  dépend  essentiellement  du  Waltharius  ;  Roland  dépend  du  Waltharius 
par  l'intermédiaire  du  Carmen,  et  directement  par  des  emprunts  de  nature 
diverse.  —  P.  82-6,  H.  Andresen,  Zu  den  spàteren  Bearbeitungen  der  Akxitis- 
legenien  :  corrections  diverses.  —  P.  208-50,  W.  Suchier,  Das  Problem  des 
franiœsischen  Verses  :  l'auteur  méconnaît  complètement  les  conditions  de  l'ac- 
centuation française  ;  son  travail  ne  vaut  que  pour  un  psychologue,  comme 
spécimen  d'illusion  scientifique,  de  suggestion  au  sens  médical  du  mot.  — 
—  P.  251-61,  H.  Heiss,  Die  Form  der  cantefable  ;  l'auteur  voit  dans  le 
mélange  de  prose  et  de  vers  qui  caractérise   Aucassin  et  Nicolette  une  inveu- 


I 


3l6  PÉRIODIQUES 

tion  personnelle  d'un  poète  fuyant  les  chemins  battus. —  P.  263-9,  E.  Mahn, 
Chiastische  Reimpaare  im  altfraniôsischen. —  P.  270-3,  Cl.  Merlo,  Etymologies 
de  divers  mots  signifiant  «  étincelle  »  dans  des  parlers  franco-provençaux  et 
italiens  de  Piémont. 

II.  P.  i-^,  Ch.  Bally,  Le  langage  et  la  vie  (K.  Morgenroth).  —  P.  5-6, 
M.  Grammont,  Fonètique  istoriqiie  et  fonètiqiie  expérimentale  (J.  Acher).  — 
P.  6-9,  A.  Hehl,  Die  Formen  iler  hit.  I.  Deklination  in  den  Inschriften  et  E. 
Pieske,  De  titulonim  Africae  Latinorum  sennoiie  qiiaestiones  viorphologicae 
(Karl  Mcister).  —  P.  9-12,  Johannes  Monachus,  Liber  de  Miractdis,  p.  p.  M. 
Huber  (Fr.  Pfister).  — P.  12-13,  Vita  sancti  Honorât i  p.  p.  B.  MunkefJ. 
Acher).  —  P.  i3-23,;W.  Kalbow,  Die  germ.  Personennamen  des  altfr.  Helden- 
epos  iind  ihre  lautliche  Entu/icklting  (W.  Meyer-Lùbke)  :  précieuses  rectifica- 
tions à  une  étude  qui  est  loin  d'être  sans  défaut.  —  P.  25,  J.  Gilliéron  et 
M.  Roques,  Etudes  de  géographie  linguistique  (L.  Spitzer). —  P.  27-30,  R. 
Brod,  Die  Mundart  der  Kantone  Château-Salins  utui  Fie  in  Lothringen(¥.  Dos- 
dat).  —  P.  39-'12,  Bertran  de  Born,  éd.  Stimming  (H.  Andresen)  :  correc- 
tions proposées.  —  P.  42-9,  Foulque  de  Candie  p.  p.  O.  Schultz-Gora  (W. 
Schulz)  :  plusieurs  corrections.  —  P.  125-31,  E.  Mûller-Marquardt,  Die 
Sprache  der  alten  Vita  Wandregiseli  (W.  Meyer-Lùbke)  :  triage  de  formes  du 
lat.  vulg.  et  de  formes  romanes  latinisées.  —  P.  13 1-6,  H.  Grôhlcr,  Ueher 
Ursprung  tind  Bedeutung  der  fr.  Ortsnanien  (E.  Gierach)  :  critique  beaucoup 
trop  douce  d'un  travail  manqué  ;  p.  136,  intéressant  parallèle  du  \.c\\i:c\.  José  foi' 
et  de  l'ail.  Josefstadt  à  la  coexistence  de  formations  d'origine  celtique  en  -â 
n/,  latine  en  -ânu.  — P.  139-50,  K.  N ossXtx,  Franhreichs  Kultur  im  Spiegel 
seiner  Sprachentivicklung  (L.  Spitzer).  —  P.  150-7,  H.  Kjellman,  La  construc- 
tion de  Vinfinitif  dépendant  d'une  locution  impersonnelle  en  fr.  des  origines  au 
XFe  s.  (E.  Gamillscheg)  :  vues  intéressantes  sur  le  lat.  vulg.  à  la  lumière  des 
faits  sardes  et  roumains. 

P.  99-1 01,  note  de  M.  H.  Andresen  sut  de  nombreuses  haplographies  de  mss., 
des  tipes  sissent  eslriers  pouvs.  es  estriers  et  bel  en  fait  t'/t- pour  bel  e)ifant,fait 
ele,  parallèles  aux  haplologies  comme  idolâtre  pour  idololdtre,etc.  —  P.  loi- 
2,  notes  étymologiques  de  M.  J.  Brûch  sur  fr.  blason  et  parelle.  —  P.  241-2, 
M.  K.  Weiss  annonce  un  travail  qui  doit  renverser  toutes  les  idées  reçues 
sur  l'évolution  du  lat.  vulg.  e  à  fr.  oi,  etc.  Veguen  veni,  comme  on  dit  en 
Provence. 

J.  R. 


CHRONiaUE 


La  date  tardive  à  laquelle  paraît  ce  numéro  nous  permet  de  donner  ici 
quelques  nouvelles  universitaires  concernant  l'année  scolaire  191 5-6. 

M.  P.  Mes'er  a  été  admis,  en  janvier  dernier,  à  faire  valoir  ses  droits  à  la 
retraite  comme  directeur  de  l'Ecole  des  Chartes  et  professeur  à  cette  école. 
Comme  directeur,  il  a  été  remplacé  par  M.  M.  Prou  ;  comme  professeur,  il 
ne  le  sera  que  l'an  prochain.  Cette  année,  M.  A.Thomas  a  fait  à  cette  École, 
en  l'appropriant  aux  besoins  des  élèves,  son  cours  de  grammaire  historique 
du  français  et  du  provençal  ;  M.  Roques  a  été  éloigné  de  l'enseignemet  par 
l'accomplissement  de  ses  devoirs  militaires  ;  les  autres  enseignements  de 
philologie  romane  ont  été  donnés  normalement  à  la  Faculté  des  Lettres,  à 
l'Ecole  des  Hautes  Études  et  au  Collège  de  France.  La  Sorbonne  a  bénéficié, 
cet  hiver,  de  la  présence  de  M.  C.  H.  Grandgent,  de  l'Université  Harvard, 
qui  a  fait,  de  novembre  à  mars,  un  cours  sur  Dante  et  son  œuvre.  Elle  s'est 
en  outre  agrégé,  à  titre  provisoire,  M.  M.  Wilmotte,  qui  a  étudié  les  origines 
du  roman  français  et  quelques  épisodes  des  œuvres  de  Chrétien  de  Troyes. 
L'École  des  Hautes  Études  a  accueilli,  de  son  côté,  un  autre  professeur 
belge  momentanément  écarté  de  sa  chaire, M.  G.  Doutrepont,  qui  a  e.xpliqué 
des  textes  du  xv^  siècle. 

—  Le  19  juin  191 5,  Miss  G.  Perrie  Williams  a  soutenu  en  Sorbonne  (doc- 
torat d'Université)  une  thèse  intitulée  :I./"5Ù7»5  Desconeiis  de  Reiiaut  de  Beaujeu, 
texte  publié  avec  Introduction  et  Glossaire  (Oxford,  191 5,  in-80  de  XL-220 
pages).  Le  texte  de  ce  poème,  publié  jadis  par  Hippeau,  d'après  un  ms. 
unique,  aujourd'hui  à  Ciiantilly,  avait  grand  besoin  d'améliorations.  L'édi- 
tion de  Miss  Williams  marque  un  grand  progrès,  mais  elle  est  encore  loin 
d'être  parfaite  ;  nous  ne  l'examinerons  pas,  car  elle  prendra  bientôt  place, 
dûment  remaniée,  dans  la  collection  des  «  Classiques  français  du  moyen 
âge  ». 

—  L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- Lettres  a  décerné  à  M.  A. 
Jeanroy  le  prix  Lagrange  pour  ses  éditions  des  Chansons  de  Jaufrè  Rudel,  des 
Joies  du  Gai  Savoir  et  l'ensemble  de  ses  publications  d'anciens  textes  pro- 
vençaux. 

—  Aidée  par  une  subvention  de  la  même  Académie,  l'administration  de 
la  Bibliothèque  nationale  a  entrepris  la  reproduction  photograplîique  de 
quelques  manuscrits  particulièrement  précieux,  notamment  du  principal 
recueil  de   fabliaux  et  contes  (fr.  837)    et    du  chansonnier    Lavallière  (fr. 


3l8  CHRONIQUE 

ra545).    La  première  de  ces  reproductions,  complètement  terminée,  ne  tar- 
dera pas  à  être  mise  en  vente  à  la  librairie  Leroux. 

Comptes   rekdus  sommaires. 

Henry  Ra3aiiond  Brush,  La  Bataille  de  Trente,  a  middle-frcnch  poem  of 
the  fourteeiTth  century  (a  dissertation...,  reprinted  froni  Modem  Philology  ; 
vol.  IX,  np  4,  and  vol.  X,  no  i);  Chicago,  1912  ;  in-8,  iv-90  pages. — 
Imitation  tardive  des  chansons  de  geste,  le  poème  de  la  Bataille  de  trente 
Englois  et  de  trente  Bretons  relate  un  événement  qui  eut  lieu  le  27  mars 
1351.  A  cause  de  son  intérêt  historique,  il  avait  déjà  été  imprimé  cinq  fois 
(sans  compter  les  éditions  partielles)  :  par  de  Frèminville  en  18 19,  par 
Buchon  en  1826,  par  Crapelet  en  1827  et  1837,  enfin  par  Pitre-Chevalier 
en  1844.  Mais  les  anciens  éditeurs  n'en  connaissaient  qu'un  seul  manu- 
scrit, le  n"  15)5  du  fonds  français  de  la  Bibliothèque  nationale,  qui  a  jadis 
appartenu  au  bibliophile  Bigot.  L'autre  manuscrit  a  appartenu  au  libraire 
Firmin  Didot  et  n'est  entré  à  la  Bibliothèque  nationale  qu'en  1878 
(nouv.  acq.  fr.  4165).  Les  deux  copies  paraissent  avoir  fortement,  et 
diversement,  remanié  l'original  ;  environ  un  tiers  des  vers  sont  entiè- 
rement différents.  De  plus,  les  noms  des  soixante  combattants  ne 
sont  pas  toujours  les  mêmes.  Dans  ces  conditions,  la  meilleure  manière 
de  publier  le  poème  était  celle  qu'a  adoptée  le  nouvel  éditeur  :  il  imprime 
deux  textes  parallèles  et  indique  dans  les  notes  ce  qu'il  croit  être  la  leçon 
primitive.  Une  introduction  soignée  donne,  outre  une  étude  linguistique 
(le  poème  a  été  composé  dans  la  Bretagne  française),  tous  les  renseigne- 
ments historiques  nécessaires.  Je  n'ai  que  peu  d'observations  à  faire  sur  ce 
petit  travail  qui  mérite  des  éloges.  —  P.  21,  ligne  22,  lire  original. — 
P.  38,  supprimer  le  point  après  le  v.  41. — V.  62,  je  lirais  aHre:^  au  lieu  de 
auriei.  —  P.  41,  supprimer  la  virgule  au  milieu  du  v.  g6.  —  P.  43 .  Quoi 
qu'en  dise  l'éditeur  dans  la  note  (p.  72),  je  ne  crois  pas  que  le  v.  113  soit 
corrompu  :  Sy  pry  au  roy  de  gloire,  qui  voit  et  bas  et  mont;  mont  est  pour 
amont  «  en  haut  ».  —  P.  48,  v.  172,  imprimer  auprès. — J'aurais  conservé 
la  graphie  Meslin  que  le  ms.  Bigot  donne  deux  fois  (v.  209  et  569).  — 
P.  54,  V.  272,  Otintin  est  sans  doute  une  faute  d'impression  pour  Quentin 

—  A.  Langfors. 

Hélène  Meyer,  Die  Predigten  in  den  Miracles  Nostre  Dame  par  personnages 
(Romanische  Forschnngen,  XXXIII,  1912,  p.  706-98).  —  Ml'e  M.  étudie  les 
sermons  intercalés  dans  les  Miracles  Nostre  Dame  publiés  par  G.  Paris  et 
U.Robert  pour  la  Société  des  anciens  textes  (cette  publication  a  déjà  fourni 
des  sujets  à  de  nombreuses  dissertations,  que  M'ic  M.  énumére  dans  son 
introduction,  p.  709).  Dans  des  notes,  p.  766-95,  sont  relevées  un  grand 
nombre  d'analogies  entre  ces  sermons  et  les  œuvres  des  Pères  de  l'Eglise. 

—  A.  LaN(;fors. 


CHRONIQUE  319 

L.  F  AH,  Die  Sprache  der  altfran^ôsischen  Boètius-Ueberset-{ung,  enthalten  in  dtm 
Ms.  ^6j  dey  Stadthihliothek  Bern;  diss.  Fribourg  (Suisse),  191 5  ;  in-8,  x- 
53  p.  —  La  bibliographie  des  anciennes  traductions  françaises  de  la  Coti- 
solatioii  de  Boèce  a  été  dressée  par  L.  Delisle  dans  la  Bibliothèque  de  V École 
des  Chartes,  XXXIV (1873),  p.  i  (article  réimprimé  dans  YInventaire  géné- 
ral et  méthodique  des  manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  nationale,  II, 
1878,  p.  317).  De  la  version  de  Berne  il  existe  un  autre  manuscrit,  le  n° 
1096  de  la  Bibliothèque  nationale,  plus  jeune  que  l'autre  d'environ  trois 
quarts  de  siècle.  Le  manuscrit  de  Berne,  dont  M.  F.  étudie  la  graphie,  est 
écrit  dans  un  dialecte  lorrain  tort  banal,  qui  ne  nous  apprend  rien  de  nou- 
veau. —  Dans/zKt't'  (jocat),  le  iv  ne  «  vient  »  pas  du  c  (p.  19);  il  repré- 
sente un  son  transitoire  entre  les  deux  voyelles  (comme  souvent  p.  ex. 
dans  aiuive).  Dans  sovei:{,  par  contre,  il  n'y  a  pas  de  consonne  intcrvoca- 
lique;  il  faut  entendre  soueii.  — A.  Lângfors. 

O.  HoBY,  Die  Lieder  des  Trobadors  Guiraut  d'Espanha  ;  Freiburg  (Schweiz), 
1915  ;  in-80,  VI1-128  p.  (thèse  de  Fribourg).  —  Travail  excellent,  qui 
témoigne  d'une  très  solide  préparation  et  nous  fait  espérer  en  M.  Hoby 
une  bonne  recrue  pour  les  études  provençales.  Le  texte,  par  endroits  fort 
difficile,  est  amélioré  par  d'ingénieuses  conjectures  (dont  quelques-unes 
sont  dues  à  M.  Bertoni),  les  traductions  sont  exactes,  les  notes  grammati- 
cales très  riches  et  parfois  très  fines,  les  recherches  sur  la  métrique  enfin 
conduisent  à  quelques  résultats  nouveaux  (sur  la  balada  et  la  dansa).  Les 
deux  chapitres  sur  les  questions  d'attribution  (p.  11 5-120)  et  la  biographie 
(p.  12 1-6)  sont  malheureusement  assez  mal  composés  et  l'on  trouve  par- 
fois dans  le  premier  ce  qu'il  eût  été  plus  naturel  de  mettre  dans  le  second  ; 
celui-ci  eût  pu  être  précisé  sur  quelques  points  :  la  chanson  II  est  anté- 
rieure au  mariage  de  Charles  d'Anjou  (v.  43-4)  et  la  ballade  XIII  posté- 
rieure au  moment  où  ce  prince  prit  le  titre  de  roi  (v.  44).  —  Voici 
quelques  remarques  de  détail.  —  II,  3,  verjan  ne  signifie  pas  «  bosquet  », 
«  verger  »  (Gexst),  mais  «  rameau  »,  ici  «  verge  )>  ;  que'ls,  déjà  proposé 
par  Appel,  donnerait  un  meilleur  sens  que  que.  —  III,  40,  seis  (dans 
la  formule  ni  une  genser  no's  seis)  est  certainement  cinxit  et  non  un 
*sexit  dont  il  n'y  a  aucune  trace;  les  formules  analogues  (la  plus 
hela  que-s  inir,  que- s  senh)  sont  fréquentes;  cf.  dans  F.  de  Lunel 
(éd.  Eichelkraut,  V,  6)  :  quar  aug  dire  quanc  no's  seys  —  plus  francx 
coins.  —  III,  59  est  trop  court;  corr.  [tan]  grans  esfreis.  —  XI,  les  vers 
16,  24  sont  trop  courts,  les  vers  25-6  trop  longs.  La  correction  du 
V.  1 5  n'éclaircit  rien  :  le  sens  de  toute  la  strophe  reste  obscur.  — 
XIII,  5-10,  le  sens  est  médiocre  :  il  serait  meilleur  en  supposant  que 
le  poète  s'adresse  à  l'Amour  ;  au  v.  7,  effacer  la  virgule  et  faire  de 
doinna  le  régime  direct  de  chausir  ;  34,  il  n'y  a  aucune  raison  de  changer 
le  près  du    ms.  (voy.  éd.  Suchier)  en  pes,    fort   difficile   à  interpréter 


320  CHRONIQUE 

—  39,  maldii  existe  encore  en   prov.    moderne  ;    voy.  Mistral,  malan  et 
MALANDRO. —  XVII,  3  5,  il  faut  un  coniplcment  à  acaptati  ;  suppl.  /'  ou  n\ 

—  P.  51,  1.  7,  Montah>iagoJ ,  lire  Monlanhagol  \  p.  55,  1.  11,  IVechsler, 
lire  If^echssler;  p.  92,  I.  4  (du  bas),  au  lieu  de  XII,  lire  XXII;  p.  113,  u.  3, 
au  lieu  de  Toddi,  lire  Todd .  —  Un  index  des  noms'  et  un  petit  glossaire 
avec  renvois  aux  notes  eussent  été  fort  utiles.  —  A.  Jhanroy. 

A.  Jeanroy,  Une  imitation  italienne  de  Ramhaut  de  Vaqueiras.  Extrait  du  Bul- 
letin italien,  XV,  101-108).  —  M.  J.  s'est  attaché  à  élucider  plusieurs  pas- 
sages obscurs  de  la  célèbre  pièce  attribuée  à  Rugieri  Apuigliese  Utnile  sono 
(Vat.  3793,  f.  18»).  Voici  quelques  remarques  à  adjoindre  à  celles  de  M. 
J.  II  est  certain  que  l'auteur  de  la  poésie  a  connu  le  sirventés  provençal 
Savis  efols,  ce  queM.  J.  n'a  pas  manqué  naturellement  de  faire  ressortir  '; 
mais  il  n'est  pas  exact  que  la  pièce  de  Rugieri  «  n'ait  pas  d'analogue  »  dans 
la  poésie  italienne  du  xiii^  s.,  car  il  ne  faut  pas  oublier  le  no  71  du  ms. 
du  Vatican  (éd.  de  Rome,  p.  68)  :  Gjamai  milV  oino.  La  correction  la  plus 
heureuse  et  la  plus  sûre  de  M.  J.  est  celle-ci  :  v.  40  Ed  anto  en  E 
danino  (da>tno).  En  revanche,  je  ne  peux  pas  accepter  le  change- 
ment depoisasc^ione  (v.  20)  enpenosa  stai^uone.  La  correction  traditionnelle  : 
(^in)  pensasgione  (en  souci)  est  excellente  et  le  vers  n'est  pas  trop  court, 
comme  le  dit  M.  J.,  car  istd  in  compte  pour  trois  syllabes  (la  non-élision 
dee  et  /,  0  et  /,  etc.,  est  assez  fréquente  au  xiii^  s.).  Pour  le  v.  27,  M.  J. 
a  bien  voulu  reproduire  une  courte  note  que  je  lui  ai  envoyée  à  propos  de 
scoteo.  Aux  exemples  du  Pamphihis  (scoleçare)  et  de  Patecchio,  on  pourra 
ajouter  :  sicil.  cuttiatu  «  sfacciato  »  (cf.  Bertoni,  Discussioni  eliniologiche, 
extr.  des  S ludj  rotnanii,  XIII,  p.  27),  daim,  cotei-are  (Bartoli,  Dus  Dal- 
matische,  I,  290),  etc.).  Cf.  aussi  :  Puscariu,  Et.  Wb.  d.  mm.  Spr., 
p.  41.  A  l'époque  où  j'ai  envoyé  ma  note  à  M.  J.,  je  ne  connaissais  pas 
une  remarque  de  Mussafia  (i?fl5.f.  ////'/.  d.  lett.  ital.,  VII,  95)  sur  le  même 
vers  de  Rugieri.  Pour  le  v.  49,  je  propose  la  correction  suivante  :  Agione 
pro[de]  per  lei  che  [ni'è]  dia  (déesse).  Au  v.  45,  dispaldire  doit  se  corriger, 
à  mon  avis,  en  spaldir(e)  («  sbaldire  »),  car  le  di  est  probablement  une 
adjonction  matérielle  du  copiste  suggestionné  par  le  dia  précédent.  L'in- 
terprétation de  la  dernière  strophe  me  parait  plus  ingénieuse  que  sûre.  — 
G.  Bertoni. 

1.  Montaigo  (X,  6;  cf.  p.  117,  n.  i)  désigne  en  effet  une  place  de  Tou- 
louse souvent  nommée  dans  les  documents  anciens  (voy.  Chanson  de  la 
Croisade,  éd.  Meyer,  à  l'Index);  c'est  aujourd'hui   la  place  Saint-Georges. 

2.  [J'aurais  pu  citer  aussi  comme  parallèle,  quoique  Rugieri  ne  l'ait  cer- 
tainement pas  connue,  une  pièce  anglo-normande  à  contrastes,  jadis  publiée 
ici  (IV,  376),  par  M.  P.  Meyer.  —  A.  J.] 

Le  Propriétaire-Gérant,  É.  CHAMPION. 


MAÇON,  PROTAT  FRÈRES,  IMPRIMEURS 


K'X^\ 


NOUVÈLES  VARIÉTÉS  ÉTIMOLOJIQES 


ANC.  FR.  AMEUR' 

Pourqoi  le  lat.  amôrem  et  il  représanté  an  français  par 
amour,  tandis  qe  les  mots  populaires  de  même  formacion, 
ausqelsse  sont  raliés  les  mots  savants,  randent  -ôrem  par  -eiir} 
Gaston  Paris  voyait  la  cause  de  cète  anomalie  dans  Tinfluance 
exercée  sur  le  mot  français  par  le  groupe  de  ses  dérivés  où  1  ô 
latin,  étant  atone,  aboutit  régulièremant  à  ou  ^.  Meyer-Lûbke 
accepte  cète  explicacion  %  qe  Nyrop  considère  come  douteuse^. 

Gaston  Paris  conptait  revenir  un  jour  sur  la  qestion  et  cher- 
cher «  si  amor  n'a  pas  été,  pendant  un  certain  temps,  semblable 
dans  sa  terminaison  aux  représentants  de  sudore,  calore, 
honore,  etc.,  devenus  sueur,  chaleur,  honneur,  etc.  ».  Il  n'a  pas 
tenu  sa  promesse,  mais  ses  lectures  lui  ont  fourni  l'ocasion  de 
signaler  deus  écrivains  du  xv=  siècle  qi  ont  anployé  la  forme 
ameur,  Martin  Le  Franc  et  l'auteur  anonime  du  Mistère  de 
saint  Bernard  de  MenJjon  k  Qe    valent  ces  deus  témoignajes  ? 

Voici  les  exanples  qe  nous  ofre  le  Mistère  an  question  : 

Or  adieu,  ma  leal  ametirs  (6ii). 

Pour  V ameur  de  vostre  amoureuse  (675). 

Mon  seignieur,  Dieu  vous  dont  s'ameurs  (1655). 

Pour  ameur  s  de  son  amoureuse  (1924). 


1.  Notice  lue  à  l'Académie  des  Inscriptions  le  27  novembre  1914. 

2.  Remania,   X,   44-45  ;  article  réinprimé  dans  ses  Mél.  litig.,  p.  242. 

3.  Gram.  desl.  rom.,  t.  I,  p.  134,  §   121. 

4.  Gram.  hist.  de  la  lang.fr.,  t.I,  2=  éd.,  p.  195,  §  182. 

5.  Mél.  ling.,  p.  242,  note  3.  Gaston  Paris  a  anprunté  l'indicacion  du  Mis- 
tère à  H.  Andersson,  Etude  sur  une  version  de  la  légende  de  Théophile  (lèse 
d'Upsal,  1889),  p.  55,  n.  2. 

Remania  XLIV  il 


322  ANTOINE    THOMAS 

Et  celle  ronibe  de  verny  ' 

Pourterés  pour  Vaweiir  de  niy  (2174). 

Dans  deus  de  ces  vers,  611  et  1655,  aineiirs  et  à  la  rime: 
dans  le  premier  cas,  il  rime  avec  retour;  dans  le  segond,  avec 
honneur.  L'auteur  acouple  de  même,  sans  scrupule,  jours  et 
o;7«<'//;'5  (2003-4),  /^"''  et  honneur  (21 5 1-2,  3538-9),  jours  et 
douleur  s  (^l"]!  1-2),  etc.  C'est  un  Savo3'ard,  qi  sait  mal  le  français,  et 
son  témoignage  n'a  aucune  valeur  pour  établir  qe  le  français 
propre  a  réèlemant  possédé  la  forme  ameur. 

Il  an  va  tout  autremant  an  ce  qi  concerne  Martin  Le  Franc, 
né  à  Aumale,  dans  la  partie  oriantale  de  la  Normandie,  au 
comancemant  du  qinzième  siècle.  Martin  Le  Franc  anploie  tou- 
jours amour  (ou  amours)  qand  il  prant  le  mot  au  sans  jénéral. 
Dans  le  passaje  du  Champion  des  dames  où  Gaston  Paris  a 
remarqé  à  la  rime  la  forme  ammr,  nous  somes  an  présance 
d'un  sans  particulier  qe  la  citacion  intégrale  fera  sufisamant 
conaître.  J'anprunte  le  texte  au  ms.  B.  N.  fr.  12476,  utilisé  par 
Gaston  Paris,  fol.  2']^'^: 

Le  Puy  d'Amours,  le  puy  du  diable, 
Le  puy  qui  au  puis  d'enfer  tire. 
Et  de  quoy  est  il  proufitable 
En  cité,  puisqu'il  le  fault  dire  ? 
Rien  n'y  vault,  qu'a  rostir  et  frire 
Les  creurs  et  sesciiier  (sic)  leur  humeur, 
Les  faire  courre,  saulter,  bruire 
Comme  cerfs  qui  sont  en  auteur. 

Martin  Le  Franc  anployant  ailleurs  Jiour,  au  lieu  de  fleur, 
pour  le  faire  rimer  avec  amour  (ms.  cité,  fol.  23''),  on  pourait 
proposer  de  lire  :  humour  et  amour. On  aurait  tort.  Voici  le  témoi- 


I.  Soit  dit  an  passant,  cète  rotiibe  (=  robe)  de  verny,  qi  a  anbarassé  l'édi- 
teur, doit  être  une  robe  de  drap  de  Vervins  :  cf.  Livres  Je  comptes  des  frère 
Bonis,  p.  p.  Éd.  Forestié,  t.  Il,  p.  559,  note  i,  et  Hisl.  de  Languedoc,  éd. 
Privât,  t.  X,  col.  1741,  n"  701,  où  on  lit  :  «  duas  cannas  panni  vocati  de 
vernino  »,  et  où  la  correccion  de  Xh'rnino  an  Vervino  me  paraît  aler  de  soi. 
Alart  a  noté  la  présance  dans  un  texte  roussillonais  (1424)  de  c  draps  a  la 
vervina  »  (Rev.  des  l.  roui.,  IV,  585). 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉT1MOLOJ1Q.ES  323 

gnaje  d'un  prosateur  de  la  même  époqe,  orijinaire  d'Abevile, 
qi  nous  permet  d'afirmer  qe  la  forme  normale  amear  était  usuèle 
qand  on  apliqait  le  mot  à  l'ardeur  amoureuse  des  animaus. 
Dans  son  Dictloiiariiis,  terminé  le  30  avril  1440,  Firmin  Le 
Ver',  traduisant  la  fin  de  l'article  luo  du  célèbre  Catholkon  de 
Balbi,  où  on  lit  :  «  Verveces  luunt  quando  coeunt  vel  amore 
coeundi  fervent,  unde  vulgo  solet  dici  :  arietes  modo  sunt  in 
luitu  »,  done  les  trois  expressions  sinonimes  suivantes  :  «  sont 
en  saut,  en  ruit,  en  ameiir  \  »  Donc  Vûfnoiir  pour  les  ornes, 
ïameur  pour  les  bêtes,  tel  se  présente  alors  l'état  de  choses  dans 
la  langue  française.  Cète  distinccion,  fort  propre  à  rehaucer  la 
dignité  de  l'espèce  umaine,  a  disparu  depuis,  et  la  bête  n'a  plus 
rien  à  anvier  à  l'ome  :  toute  la  nature  animale  s'insurje  aujour- 
dui  contre  les  lois  fonétiqes. 

Pourtant,  malgré  les  témoignajes  concordants  de  Martin  Le 
Franc  et  de  Firmin  Le  Ver,  on  aurait  tort  de  croire  qe  la  forme 
normale  ameur  était  devenue  dans  toute  l'étandue  de  la  lan2;ue 
d'oïl,  dès  la  première  moitié  du  qinzième  siècle,  l'apanaje  exclusif 
des  animaus.  Aiiieiir  subsistait,  au  moins  dans  la  Chanpagne 
méridionale,  avec  son  accepcion  jénérale.  On  rancontre  an  éfet 
cète  forme  dans  une  chançon  de  noces  conposée  dans  la  pre- 
mière moitié  du  dis-neuvième  siècle  par  un  amateur  de  patois 
du  canton  des  Riceys  (Aube),  feu  Gérard-Milet,  né  vers  1780, 
mort  avant  1868.  Cète  chançon  a  été  publiée  par  Eugène  Ray 
dans  V Annuaire  de  f  Aube  pour  186S,  p.  49.  Le  deusième  cou- 
plet débute  ainsi  : 

Ma  non,  lou  chiel  ya  piquié  de  Mairie, 
Yost  lou  tuteu  de  ceux  qui  ch'aimont  bé  ; 
Colin  dav'  moi  tout  d'amen  se  mairie... 

La  locucion  tout  d'amen  a  disparu  de  nos  jours.  Alphonse 
Baudouin,  dans  son  Glossaire  du  patois  de  la  forêt  de  Ciairvaux, 
ne  conaît  plus  qe  la  forme  aimonr  ;  sachons  lui  gré,  du  moins. 


1.  Sur  l'auteur  etl'euvre,  voir  A.  F.  Didot,  Observ.  sur  Vorlhogr.,  pp.  100 
et  ss.  Cf.  Léop.  Delisle,  Mél.  âe paléogr.et  de  hihliogr.,  pp.   161  et  ss. 

2.  B.  N.  nouv.  aq.  franc.   1120,  art.  i.uo. 


324  ANTOINE   THOMAS 

d'avoir  signalé^dans  la  chançon  de  noces  de  Gérard-Milet,  cet 
arcaïqe  amen,  dont  il  n'a  pas  soupçoné  l'intérêt. 

Et  maintenant,  q'il  me  soit  permis  dexprimer  mon  opinion 
sur  la  manière  de  voir  de  Gaston  Paris  au  sujet  de  la  disparicion 
iïanicur.  L'influance  des  dérivés  et  peu  vraisanblable.  Les 
adjectifs  come  amoros  ont  une  tandance  marqée  à  afaiblir  ïo 
protoniqe  en  e  par  dissimilacion  :  les  formes  auieios,  doleros, 
langueros,  saveros,  vigucros,  etc.,  sont  très  fréqantes  ',  et  la 
langue  actuèle  a  gardé  doucereus.  La  réaccion  analogiqe  se  pro- 
duit ordinairemant  au  profit  de  l'm  acçantué  ;  cf.  les  formes 
modernes  chaleuieus,  peureus,  valeureus.  Il  an  va  de  même  pour 
les  diminutifs  et  les  formes  verbales  :  cf.  les  formes  modernes 
fleurète,  fleurir,  demeurer,  pleurer,  etc. 

L'opinion  la  plus  probable  paraît  être  cèle  qi  voit  dans  amour, 
come  dans  jalons,  une  forme  litéraire  due  à  l'influance  de  la 
poésie  amoureuse  des  troubadours. 


PICARD  ANDRISSE,  ANTRICHE 

Parmi  les  noms  très  variés  qe  porte  le  gui  dans  les  parlers 
de  langue  d'oïl,  celui  (ïadrïs,  recueilli  'par  Edmont  à  Bussi 
près  de  Noyon  (Oise),  se  trouve  tout  à  fait  isolé  dans  la  carte 
675  (^gui),  point  253,  de  V Atlas  linguistique.  Eujène  Rolland  n'a 
conu  le  mot  qe  par  Edmont  ;  il  l'a  inscrit,  sous  la  grafie 
andriss,  antre  taouarnè  (tavernier),  qi  vient  de  Luchon  (Haute- 
Garone)  et  bonyblàn  (bois  blanc),  qi  vient  du  Lot  ^.  Il  i  a  une 
lacune  dans  l'informacion  livresqe  de  Rolland.  On  lit,  en  éfet, 
dans  un  ouvraje  bien  conu,  le  Glossaire  du  patois  picard  de  l'abé 
Corblet,  p.  270,  l'intéressante  mancion  suivante  :  «  antriche 
(Noyon).  Gui.  »  Autriche  et  àdrtss  marchent  évidamant 
ansanble  ;  mais  d'où  sont  ils  partis  ? 


1.  La  disparicion  de  Ve  n'êt  pas  très  rare;  voir  les  exanples  de  l'igros 
(vigrus,  vigreus)  donés  par  Godefroy  (art.  vigoros  et  vigorosement  du 
Conplémanl)  cl  â']outer  vigreus,  vigreiisement,  qi  traduisent  le  lat.  virUis,viri- 

iter,  dans  un  glossaire  lat. -franc.  (B.  N.  lat.  7692,101.  99"). 

2.  Flore  pop.,  VI,  235. 


NOUVÈLES   VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQES  ^2$ 

J'atire  l'atancion  sur  les  gloses  suivantes  du  Corpus  glossarum 
latinarmn,  lesqèles  proviènent  de  manuscrits  du  x^  siècle 
(Vatican  lat.  4417  et  Vatican  Regina  1260)  : 

amostro,  pomula  de  visco  (III,  552,  47). 
uiscus,  anstrus  in  arbore  (III,  596,  22). 
uiscus,  id  est  austnis  in  arbore  (III,  630,  29). 

Le  raprochemant  de  anstrus  et  du  grec  (X'CAinzpo^),  indiqé  dubi- 
tativemant  par  G.  Goetz  ',  et  évidamant  sans  valeur.  D'autre 
part,  dans  un  glossaire  latin-alemand  qe  nous  a  conservé  le 
ms.  Vatican  Regina  1701  (xi'^  siècle),  on  trouve  le  mot  soi  disant 
latin  aw/ra,  glosé  par  le  nom  alemand  du  gui,  mistel^.]t  n'ai 
aucune  explicacion  ferme  à  proposer  pour  ces  tipes  misté- 
rieus  :  amostro'^,  anstrus,  antra.  Le  premier  fait  panser  (moins 
l'aspiracion)  au  walon  hâniustai,  hâniustaine,  etc.,  qi  désigne 
éfectivemant  une  variété  de  gui'^  ;  les  deus  autres  paraissent  bien 
être  la  base  de  notre  mot  picard  aniriche.  La  variante  patoise 
andrisse  peut  se  réclamer  du  latin  médiéval  andra,  inscrit  dans 
une  liste  de  plantes  du  Liber  Jîoridus  de  Lanbert,  chanoine  de 
Saint- Omer,  conposé  an  1 120  ^ 

ANC.  FR.  ARAMINE 

Godefroy  a  un  long  article  arramme  (var,  erranime),  qi  con- 
tient seulemant  trois  exanples,  mais  précédés  d'une  dissertacion 
anpruntée  au  Glossaire  du  droit  français  de  Ragueau,  réédité  et 
conplété  par  Eusèbe  de  Laurière  (1704).  An  guise  de  défini- 
cion,  il  fait  cète  déclaration  :  «  terme  de  droit  sur  lequel  les  juris- 


1.  Thesaurtis  gloss.  emend.,  II,  422,  art.  VISCUM. 

2.  L.  Duvau,  dans  Méiii.  de  la  Soc.  de  linguistique,  VI  (1889),  p.  365, 
ire  col.,  nos  11-12.  Cf.  Steinmeycr  et  Sievers,  AHhochd.  Glossen,  III,  579,  5  ; 
Rolland,  F/o/v  pop.,  VI,  228  (lire  s^S  au  lieu  de  ]6). 

3.  Cf.  amstro  dans  B.N.lat.  6882  A,  fol.  11^,  ms.  du  ixe  siècle  :  «  Vqui- 
mella,  id  est  prunella  uisco  siue  amstro.  » 

4.  Voir  Rolland,  op.  cit.,  VI,  254  et  surtout  Grandgagnage,  Vocab.  de 
noms  wallons  d'animaux,  de  plantes...,  2»  éd.,  Lièje,  1857,  pp.  23-24. 

j.  L.  Delisle.  dans  Not.  et  extraits,  xxxviii,  2e  partie,  784,  Y  "^"l- 


^26  ANTOINE   THOMAS 

consultes  ont  varié.  »  Je  n'ai  }  as  la  conpétance  nécessaire  pour 
«  dire  le  droit  ».  Je  veus  sinplemant  noter  qe  arramme  et 
une  fausse  lecture  pour  arramine.  Godefroy  an  a  u  si  peu  cons- 
ciance  qe  dans  son  premier  exanple,  qi  et  de  l'an  13 19,  il  a 
cru  devoir  corijer  an  arraninie  la  leçon  arramine  donée  par  le 
manuscrit  (Arch.  Nac,  JJ  59,  pièce  48,  fol.  19  r°).  Il  et  clair  qe 
aramine  (peu  inporte  qe  la  lètre  r  soit  sinpie  ou  double)  ùt 
un  dérivé  du  verbe  aramir,  (orme  à  l'aide  du  suûxe-ine,  qi  s'atache 
avec  prédileccion  au  tème  des  verbes  d'orijine  jermaniqe  pour 
an  tirer  des  noms  abstraits,  témoin  aaline,  ataïne,  gehine,  guer- 
pinCy  haïne,  saisine  \  Ce  n'èt  donc  q'une  variante  morfolojiqe  de 
arainie,  substantif  tiré  du  participe  passé.  Cète  variante  et 
apuyée  par  certains  textes  latins  qi  anploient  arramina,  arrami- 
nalio,  tandis  qe  d'autres  anploient  airainila,  arraniitio  \  Voici 
d'ailleurs  deus  exanples  de  la  forme  française  plus  anciens  qc 
ceus  q'a  cités  Godefroy  : 

Se  aucuns  doit  fcre  serement  a  aucun,  et  devant  Varaunnine  dou  serement 
die  qu'il  doie  aler  pour  sa  housoigne,  il  ne  remaindra  pas  de  sun  erre,  ne 
pour  ce  n'en  cherra,  mais  puis  qu'il  sera  venuz  et  amosnestez  avenanment,  il 
fera  le  serement  (Ckirte  de  Sanlis,  art.   3)  '. 

Quiconques  doit  arramine,  il  la  puet  rachater  pour  l'amende  qui  i  affiert 
(Charte  de  Dreus,  oùt  1269)1. 

1.  Cf.  Mej'er-Lûbke,  Gramm.  des  l.  roin.,  II,  §  453. 

2.  Voir  Du  Gange,  adramire.  Il  faut  noter  qeDu  Canges'êt  mépris  an  ce 
q'ila  rataché  à  cète  famille  de  mots  :  1°  le  fr.  erreinent,  terme  juridiqe  ancore 
usité  aujourdui,  leqel  vient  an  réalitéde<'JTe;r  >*iterare  ;  2° le  béarnais  a/r^t- 
nia,  qitient  à  ramus  :  3°  lesubst.  fém.  desranime  ou  derramnie,  anpruntc  à  un 
manuscrit  des  Usajes  de  la  viconté  de  l'eau  à  Rouen,  q'il  ne  faut  pas  corijer 
an  desramine,  mais  en  desrainne,  car  il  dépant  de  ratio  (cf.  l'art,  deraisne 
de  Godefroy). 

3.  J.  Flammermont,  Hisf.  deSeiilis,  Paris,  1880,  pièces  justif.,  no  II  bis,  p. 
161  ;  réinpr.  pur  G.  Bourgin,  La  coiiniitinc  de  Soissous,  Paris,  1908,  p.  428. 
Le  texte  français,  non  daté,  et  la  traduccion  d'un  texte  latin  remontant  au 
moins  au  règne  de  Louis  VII,  où  on  lit  :  «  ante  arratuitionetn  sacramenti  » 
(Bourgin,  op.  cit.,  p. 425).  A  Dijon,  au  xii^  siècle,  on  francise  servilemant  le 
terme  latin  :  «  Se  aucuns  des  juriez,  de  quelque  soingnerie  qu'il  soit,  (aiiara- 
inicion  de  juïse...  »  (Bourgin,  op.  cit.,  p.  434,  art.  25).  Aramicion  manqe 
dans  Godetrov. 

4.  Publiée  d'après  l'orijinal  (Arch.  nac,  J  218,  n»  20).  sans  numérotacion 
des  articles,  par  Élie  Berger.  Layettes  du  Trésor  des  chartes,  t.  IV,  p.  380''. 


NOUVELES   VARIETES   ÉTIMOLOJIQ.ES  327 


L'ARTICLE  ARBUA  DE  CARPENTIER 

Cet  article,  inséré  par  Carpentier  dans  le  GJossarium  de    Du 
Cange,  et  ainsi  conçu  : 

ARBUA,  Idem,  utvidetur,  quod  Arhoreta.  Charta  Guill.  dom.  Salionis  ann. 
1281.  in  Chartul.  eccl.  Lingon.  ex  Cod.  reg.  5188,  fol.  18  ro  :  Sex  jornalia 
Arhiiœ  in  finagio  de  Dianelo  iihi  dicitur  ad  septevi  fontes. 

Le  raprochemant  indiqé  me  paraît  dénué  de  toute  vraisan- 
blance.  Je  vois  dans  arhna  la  latinisacion  d'un  mot  français 
*arhuc,  issu  de  *albne,  représantant  le  lat.  vulg.  *albûca,  dont 
je  me  suis  ocupé  ici  même  '.  Le  passaje  de  /  à  r  ne  fait  pas  difi- 
culté  (cf.  serve,  de  silva,  dans  Godefroy  ;  Serval,  à  la  date  de 
1223,  pour  5frzw/i-, comune  de  l'Aîne,  dite  an  latin  Silvacum, 
dans  Matton,  Dict.  topogr.  de  F  Aisne,  etc.).  Je  rapèle  qe  le  mot 
auhue  (pour  prandre  la  forme  française  normale)  s'apliqe  à  une 
tère  forte,  arjileuse,  d'aspect  blanchâtre. 

PROV.  ARGUEL 

Ce  mot  a  été  signalé  pour  la  première  fois  ici  même,  corne 
figurant  deus  fois  dans  la  Recepta  deJ  vi  d'Aurillac,  art.  2  et  3, 
avec  cète  prudante  explicacion  :  «  Drogue  indéterminée^.  »  Il 
me  paraît  certain  aujourdui  qe  ce  mot  arguel,  corne  barloc  et 
mue  5,  et  d'orijine  normande  et  signifie  «  tartre  »,  car  tel  et  le 
sans  de  Tangl.  argol,  dont  l'étimolojie  première  et  inconue,  mais 
qi  doit  provenir  de  l'ancien  français.  Godefroy  n'a  pas  d'article 
corespondant,  mais  voici  des  textes  anglo-normands  où  figure 
ce  mot  : 

Des  avoirs  que  veignent  d'outre  meer  :  ciere,  argoil,  quivere,  estein  (Liber 
Albtis,  I,  231,  texte  d'anviron  1260,  relatif  à  la  Cité  de  Londres,  cité  à  l'art. 
ARGOL  du  New  Enclish  Dict.). 


1.  Rotnania,  XXXIX,  194. 

2.  Rcnumia,  XL,  367. 

5.  Loc.cit.,p.  365,  note  2. 


328  "  ANTOINE   THOMAS 

De  chescun  tonel  ou  pipe  de  argiiel,  coperose,  e  de  autre  teu  manere  de 
marchaundise,  iij  d.  ;  e  si  ceo  seyt  arguel,  coperose  ou  autre  teu  manere  de 
marchaiindise  que  seyt  vendue  par  centeynes,  adunkes  sevt  pris  de  chescune 
ccnteyne  iiij  d.  {Domesdayof  [psioich,  texte  de  1290,  dans  The  Black  Book  of 
the  Aâmiralty,  p.  p.  Sir  Travers  Twiss,  t.  II,  p.  186,  dans  la  CoUcccion  du 
Master  of  the  Rolls). 

Bel  cent  d\irgoyl  et  de  arnement,  ob[ole]  (The  Oak  Book  ofSouthampton,  p. 
p.  P.  Studer  (Southampton,  191 1),  t.  II,  p.  12). 


PROV.  AUSSAPREM;  ANC.  FR.  HAUCEPRIME 

Anssaprem  tnanqe  au  Lex.  roman  de  Raynouard,  au  Prov. 
Suppl.-lV.  et  au  Petit  dict.  prov. -franc,  de  Levy.  Dans  un  acte 
rédijé  à  Toulouse,  le  29  avril  1345,  publié  par  les  Bénédictins, 
Hist.  de  Languedoc,  édicion  Privât,  t.  X,  col.  967  (Preuves, 
388-cv),  on  lit:  «  pro  xiii  baudreriis  unius  pedis,  II  ansapre- 
nis...y>  J'ai  vu  l'orijinal,  B.  N.  franc.  26588,  dossier  2153 
{Arquier),  acte  n°  5  :  il  porte  ausaprems  ou  ausaprenis  (les  /  ne 
sont  pas  ponctués).  Dans  un  règlement  pour  la  défanse  de  la  vile 
de  Montauban,  an  1346,  on  trouve  mancionés  des  «  anssa- 
prens^tev  tendre  las  balestas  '  ».  La  traduccion  par  «  capulus  », 
que  Carpentier  a  proposée  dubitativemant  %  et  donc  erronée. 
Il  s'ajit  de  l'espèce  d'étrier  sur  leqel  l'arbalétrier  posait  le  pied 
pour  tandre  son  arbalète  '  ;  c'êt  ce  qe  les  textes  français  du 
tanps  apèlent />fl//r^/)îV  ■♦,  mot  dont  la  conposicion  se  conprant 
à  première  vue.  Le  terme  provençal  n'êt  pas  aussi  clair.  Mistral 
done  ausso-pren  «  cale  qui  soutient  l'effort  d  un  levier  »,  et  il 
voit  dans  ce  mot  les  verbes  aussa  (haucer)  et  prene  (prandre). 
An  réalité,  le  segond  verbe  et  pre))ie  «  presser  »,  ce  qi  ressort 


1.  Études  sur  le  passé  et  ravenir  de  Vartillerie,  par  Napoléon-Louis  Bona- 
parte (=  Napoléon  III),  t.  IV  (publié  an  1865  par  Favé),  p.  vin  des  Pièces 
justificatives. 

2.  Dans  le  Glossatium  de  Du  Cange,  art.  ansaprenus. 

3.  Voir  l'art,  arbalète  du  Dict.  archèol.  de  Victor  Gay. 

4.  Voir  l'art,  haussepié  de  Godefroy.  Dans  un  acte  du  7  sept.  1373, 
publié  par  Lacabane  dans  la  Bibl.  de  r École  des  chartes,  VI,  55,  on  lit: 
«  deux  arbilestes  à  chaucepie^  ».  La  leçon  doit  être  défectueuse. 


NOUVÈLES   VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQ,ES  329 

ducatal.  aîsaprem  «  levier  ».  L'espagnol  dit  ^/^^/r/ma  dans  le 
même  sans  ;  il  faut  voir  là  une  adaptacioii  tèle  qèle  du  cata- 
lan. Il  et  curieus  de  trouver  une  forme  similaire  dans  «  Le  conte 
Jehan  Arrode  et  Michiel  Gascoing...  pour  le  navire  de  Flandres, 
fêta  Bruges  en  l'an  ce  iiij""  et  quinze  »,  dont  l'orijinal  et  con- 
servé à  la  Bibl.  nacionale  de  Paris,  coHeccion  Clairambault  469, 
p.  185  :  «  Item  pour  xij'"'iiii  haiiceprimes,  pour  xiij  tomes  et 
pour  cxi)  apuiex  a  arbalestes.  ;;  Jal,  qi  a  publié  ce  documant,  a 
inprimé  :  hance  primes  \  L'exanple  a  échapé  à  Godefroy.  On 
sait  qe  le  vocabulaire  méditéranéen  a  fait  brèche  dès  la  fin  du 
XIII'  siècle  dans  notre  marine  du  Ponant  ^ 


ANC.  FR.  BANDOIRE  . 

Godefroy  a  un  article  baudoire  «  instrument  cà  cordes  »,  qi 
ne  contient  qe  l'exanple  suivant  : 

Mainte  baudoire  et  maint  tabour  ; 
Harpes,  gigues  et  cyfonies 
Sonrient. 

(A.  DU  Pont,  Rom.  de  Mahomet,  773,  Michel.) 

Francisque-Michel    supose  qe  cète  forme   baudoire  et    pour 
handoise,  et  il   an  raproche   le   bas-lat.  baudosa,   anployé  par 
Aimeric  du  Peyrat  dans  son  poème  sur  Charlemagne,  et  l'ital. 
baldosa  '. 

Je  crois  au  contraire  q'il  fout  corijer  baudoire  an  bandoire  et 
voir  dans  notre  mot  un  anprunt  à  l'esp.  bandurria,  catal.  ban- 
durria  et  bandola,  ital.  pandura,  pandora,  mandola,  etc.  +.  Ban- 
doire forme  doublet  avec  mandoire,  qi  se  lit  dans  le  Ckomadès 
d'Adenet  Le  Roi,  v.  17280. 


1.  Archéologie  navale,  II,  521  . 

2.  Cf.  Ch.  de  La  Roncière,  Hist.  de  la  marine  française,  t.  I,  2*  éd.,  p.  537, 
et  II,  p.  479  et  s. 

3.  Même  doctrine  dans  V.  Gay,  Gloss.  archéol.,  vo  baudoire. 

4.  Voir  Meyer-Liibke,  Rom.  etyin.  IV.,  n°  6192. 


330  AMTOmE  THOMAS 


ANC.  FR.  BET,  BETER 

An  1874,  S.  Bugge  a  émis  dubitativcmant,  ici  même  ', 
l'idée  qe  le  franc,  béton,  nom  vulgaire  du  colostrum  (lait  trouble 
et  épais  contenu  dans  les  mamèles  au  momant  de  l'acouche- 
mant),  sort  d'un  ancien  *beston  et  vient  de  l'alem.  biest,  qi  a  le 
même  sans,  et  dont  la  plus  anciène  forme  conue  et  biost.  Il 
pansait  donc  q'il  convenait  de  séparer  béton  de  l'ancien  verbe 
français  beter-  »  se  coaguler  )),qe  Diez,  par  de  vrais  prodijes  de 
sémantiqe,  ratachait  à  la  forme  primitive  de  l'alem.  bei:^en  (anc» 
haut  alem.  bii:(^àn,  anc.   nord,  beila,  etc.),  «  mordre  ». 

Il  était  loisible  de  suposer  qe  béton  provenait  de  *beston,  come 
bétail  de  bestaiJ,  tant  q'on  ne  conaissait  pas  les  antécédants  du 
mot.  Mais  Paul  Meyer  ayant  signalé  an  1879,  dans  le  Bon 
Berger  de  Jehan  de  Brie  (donc  sous  Charles  V,  1364-1380),  le 
subst.  bet  avec  le  sans  de  «  béton  »  ',  il  sanblait  q'il  n'i  ùt  q'à  reje- 
ter l'idée  de  S.  Bugge.  Pourtant  cète  idée  a  f.iit  une  fortune 
incroyable.  An  1887,  réunissant  de  nouveau  ce  qe  S.  Bugge 
avait  antandu  .séparer  (béton  et  l'anc.  fr.  beter\  E.  Mackel  a 
suposé  qe  beter  était  pour  *bcster  et  dérivait,  lui  aussi,  du  jerma- 
niqe  biost,  sans  expliqer  cornant  il  se  fait  qe  le  s  n'ait  laissé 
aucune  trace  dans  les  textes  français  du  xii^  siècle  ■" . 

Kôrtinga  anboîté  le  pas  à  E.  Mackel,  naturèlemant  '.  Come 
apoint  personel,  il  afirme  qe  béton  «  mortier  »  et  une  sinple 
diverjance  .sémantiqe  de  béton  «  colostrum  ». 

Meyer-Lûbke^  tire  bclon  c  mortier  »  du  lat.  bitumen, 
mais  ilêttèlemant  sous  l'influancede  la  doctrine  de  Mackel  q'il 


1.  Roviania,  III,  145. 

2.  Plus  laremant  betir,  notamant  clans  le  Sciiut  Graal  de  Crétien  de 
Troies;  voir  le  WorterhucJ)  publié  an  1914  par  W.  Hoerster  (Roman.  Bil'l., 
t.  XXI,  p.  67). 

5.  Roniiuiid,  VIII,  452.  et.  une  glose  recueillie  par  Carpentier  dans  un  ms. 
de  la  Bibl.  nacionale  (alors  rovale),  leqel  a  maleureusemant  disparu  :  «  Co- 
lu5trum,novum  hcjfthée  (s\c).  >y(Glossariii)ii  de  Du  Cange,art.*coLUSTRUM). 

4.  Die  germait.  Elemente  in  der  fraii~.  iiud  prov.Spuwtje,  p.  89. 

5.  Lat.-rom.  IV.,  2*  éd.,  n»  1324. 

6.  Roman,  etwiol.  Il  .,  n°  1307. 


NOUVÈLES   VARIÉTÉS   ÉTIMOLOJIQES  33  I 

intronise,  corne  formes  réèles  et  exclusives  de  l'ancien  français, 
un  subst.  hest  et  un  verbe  bestcr  sortis,  pour  les  besoins  de  la 
cause,  de  son  imajinacion  conplaisante. 

Il  i  a  là  un  spectacle  atristant,  et  qi  ferait  douter  qe  l'étimo- 
lojie  romane  soit  an  progrès  depuis  Diez.  Aussi  ne  puis  je 
m'anpêcher  de  protester,  an  afirmant  les  proposicions  suivantes  : 

1°  Bfter  ('  se  coaguler  »  supose  nécessairemant  un  tipe*bet- 
tare,  dont  l'orijine  reste  à  déterminer. 

2°  Bet  (d'où  le  moderne  béton)  et  un  subst.  verbal  masculin 
tiré  de  beter. 

Pour  aporter  ma  modeste  pière  à  l'édiBce  qe  d'autres  achè- 
veront sans-doute  un  jour,  je  citerai  un  texte  qi  manqe  dans 
Godefroy  et  qi  établit  l'existance  d'un  substantif  verbal  féminin 
de  beter,  au  sans  de  «  conjélacion  »  : 

Pour  le  gelée  et  pour  le  bete  qui  couroit  par  le  rivière  d'Oyse  (1309,  dans 
Léop.    Delisle,    Mélanges    de  paléographie    et    de  bibliographie,    Paris,   1S80, 

p.  415)'- 

Le  radical  du  tipe  *bettare  avait  il  un  e  ouvert  ou  un  e 
fermé  ?  Cet  une  qestion  dificile  à  résoudre,  car  les  textes 
anciens  et  les  patois  actuels  (de  langue  d'oc,  aussi  bien  que  de 
langue  d'oïl)  nous  ofrentdes  témoignajes  contradictoires. 

An  faveur  de  Ve  ouvert  on  peut  citer  : 

1°  la  forme  bietee  de  l'ancien  français,  dont  la  diftongue  peut 
venir  par  analojie  d'une  forme  acçantuée  sur  le  radical  =  ; 


I .  Il  et  remarqable  qe  L.  Delisle,  peu  soucieus  d'ordinaire  des  qestions  de 
filolojie,  ait  prccisémant  atiré  l'atancion  sur  ce  subst.  hete,  an  rapelant  qe  le 
verbe  débéter  «  déjeler  »  était  ancore  usité  dans  «  certains  patois  ».  L.  Delisle 
sonjait  aus  patois  normands  (voir  Moisy,  bételer  et  débeter  ;  cf.  Meyer- 
Lùbke,  loc.  laud.);  niais  la  famille  de  heter  et  ancore  vivante  dans  les  réjions 
les  plus  diverses  de  la  langue  d'oïl.  Pour  ne  parler  qe  du  subst.  fém.  bete, 
V Atlas  ling.  de  Gilliéron  et  Edmont  l'a  rancontré  dans  l'Ile-et-Vilaine  (point 
450),  dans  le  Loir-et-Cher  (point  316)  et  dans  la  Marne  (point  128),  au  sans 
de  «  onglée  »  :  voir  la  carte  E  1646.  Au  sans  de  «glaçon  flotant  sur  un  cours 
d'eau  »,  kmot  et  usuel  dans  un  petit  groupe  de  vilajes  des  Ardènes,  sur  la 
Semoi,  près  de  son  confluant  avec  la  Meuse  (Comunic.  de  Ch.  Bruneau, 
25  février  19 14). 

5.  Saint  Brandaine,  p.  152  (cité  par  Diez,  Etyvi.  W.  der  rom.  Spr.,  W, 
beter)  :  «  ausi  com  ele  fust  bietee.   » 


332  ANTOINE   THOMAS 

2°  le  subst.  masc.  bè  «  colostrum  »,  identiqe  fonétiqemant 
à  bé  «  bec  »,  du  hit.  vulg.  béccuni,  qi  et  usuel  dans  un  cer- 
tain nombre  de  comunes  de  la  Creuse,  notamant  Bourganeut, 
Chavanat,  Lépinas,  Peyrabout'. 

An  faveur  de  Ye  fermé  témoignent  :  le  prov.  bét,  béch  (écrit  sans 
acçant  par  Mistral,  ce  qi  indiqe  un  e  fermé)  ;  le  forézien  kbët 
(Gras)  ;  le  bas  auvergnat  bê,  kbè  (noté  lœbœ  par  Michalias,  à 
Ambert)  et,  par  métatèse,  bèlè,  à  Vinzelles  (Dauzat)  ;  le  patois 
de  Châtenois  bot  (Vautherin,  p.  60;  bot  =  bb  ;  cf.  50,  desïc- 
cum),  etc. 


PROV.  BLAR;  ANC.    FR.   BLER 

L'adjectif  ^/^r,  qi  manqe  à  Raynouard,  a  été  relevé  par  Emil 
Levy  dans  le  tableau  des  rimes  du  Donaî  proensal,  où  on  lit 
(43*,  13):  «  Blars,  glaucus.  »  Levy  traduit  par  «  funkelnd, 
schillernd  ^  »,  sans  comantaire.  Dans  son  Petit  Dict.  prov. -franc., 
il  dit  plus  sinplemant  :  «  glauque.  »  L'éditeur  du  Donat, 
E.  Stengel,  voit  àznsbJar  une  variante  fonétique  de  blau  «  bleu  », 
ce  qi  ne  peut  raisonablemant  se  soutenir  >,  Maison  peutadmètre 
qe  l'adj.  rouergat  blar,  qi  ne  s'anploie  qe  dans  les  locucions 
uèls  blars  «  ieus  d'un  bleu  pâle»*,  et  idantiqe  à  celui  qe  l'au- 
teur du  Donat  a  traduit  parle  lat.  glaucus. 

Un  autre  raprochemant  s'inpose,  celui  du  prov.  blar  et  de 
l'anc.  fr.  bler.  Aus  ranseignemants  qi  ont  été  fournis  ici  même 
sur  ce  dernier  mot  et  sa  famille  5,  je  puis  ajouter  des  exanples, 
dont  je  dois  l'indicacion  à  feu  le  professeur  W.  Foerster  : 


1.  Comunicacions  de  MM.  l'abé  Parinet,  curé  de  Bourganeuf,  Perchaud 
(de  Lépinas),  inspecteur  primaire  à  Limojes,  le  Dr  L.  Queyrat  (de  Chava- 
nat), médecin  des  opitaus  de  Paris. 

2.  Prov.  Suppl.-lV.,  I,  148. 

3.  Die  beiden  àltesten  prov.  Gramrnatiheu,  Marbourg,  1878,  p.  113.  L'ital. 
hiadelto  «  azur  »,  mis  an  cause  par  Stengel,  corespont  à  la  variante  biado, 
pour  biavo  «  bleu  ». 

4.  YAyss'iQr,  Dict.  patois-fratiç.  de  rAveyron,  p.   31. 

5.  Romania,  XXXVI,  257,  art.  bl.\ire,  et  265,  art,  esblaré. 


NOUVELES    VARIETES    ETIMOLOJIQES  333 

Sor  .  I .  ceval  Mer  et  bauçant  ■ . 

{Ri^omer,  12284.) 
Maint  bon  ceval  anblant  et  hier .    . 

(Ibid.,  13240.) 

Le  français  et  le  provançal  sont  donc  d'acord  pour  postuler 
un  tipe  étimoîogiqe  *blarus,  qalifiant  une  couleur  pâle,  dégra- 
dacion  de  bleu,  de  vert,  de  noir,  etc.,  tipe  dont  l'orijine  jerma- 
niqe  paraît  aujourdui  aqise^. 

Revenant  au  latin  glanais,  je  crois  intéressant,  au  point  de 
vue  sémantiqe,  de  publier  l'article  qi  lui  et  consacré  dans  le 
glossaire  Bibl.  nac.  lat.  13032,  où  on  lit  ce  qi  suit  (fol.  59'')  : 

GLAUCUS,  CA,  CUM,  Z'/of;^,  vair,  cler  comme  les  yeuli  5. 

L'adj.  bloe:(,  qi  figure  dans  cète  définicion,  doit  être  consi- 
déré come  le  cas  sujet  sing.  àt*hlûet,  diminutif  de  bleu,  qe  Go- 
defroy  ne  done  qe  sous  les  formes  bloiiet  et  bleuet. 

AUNISIEN  BOUZIL 

L.-E.  Meyer,  dans  son  Glossaire  de  l'Aunis,  anrejistre  boti:(;ll 
«  nombril  »,  terme  qi  a  échapé  à  Zauner,  Die  roman.  Nainen 
der  Kôrperteile.  Le  raprochemant  indiqé  par  l'auteur  avec  le  poi- 
tevin bou:(ail  «  gros  ventre  »  et  sans  valeur '^.  Il  taut  certaine- 
mant  reconaître  dans  bou:(^il  une  forme  antérieure  *boiiril  (par  le 
chanjemant  de  r  an  :{  ^^,   forme  èle  même  tirée  par  aférèse  de 


1.  Cet  exanple  et  particulièremant  précieus  pour  apuyer  rétimolojie  du  fr. 
blaireau  (et.  Remania,  XXXVI,  257),  puisqe  baucent  a  été  substantivé  et  an- 
ployé  pour  désigner  le  blaireau  (cf.  Romania,  XXXV,  456). 

2.  Cf.  Meyer-Lûbke,  Roman,  etym.  W.,zn.  1144.  Remarqons  qe  le  celtiqe 
possède  aussi  un  adj.  *blaro-s,  de  significacion  analogue,  aparanté  au  lat. 
fia  vus  ;  voir  J.  Loth,  dans  Rev.  celt.,  XX,  346. 

3.  Cf.  Labbe,  Les  Etyniologies  de  plusieurs  mots  français,  Paris,  1661, 
p.  505:  «  Glaucus,  bloe:(.    » 

4.  Selon  Beauchel-Filleau,  Essai  sur  le  pat.  poitevin,  p.  40,  boucan  vien- 
drait «  ou  de  l'italien  bu:(io,  gros  ventre,  ou  de  l'anglais  bushel,  boisseau,  ou 
plutôt  du  grec  hoiis,  bœuf  ».  An  réalité,  boiiiail  apartient  à  la  famille  du  prov. 
mod.  boùso  «  panse,  gros  vantre  »,  dont  l'étimolojie  reste  à  trouver. 

5.  Le  même  fénomène  a  transformé  l'anc.  fr.  boteril  an  bot^i  dans  l'Ione 
(voir  Romania,  XXXIX,  206)  ;  très  rare  an  Aunis,  il  se  trouve  ancore  dans 
bi^tuily  variante  àtbircuil  «  louche  ». 


334  ANTOINE    THOMAS 

enbouril,  lat.  vulg.  *im  biliculum,  pour  *umbilîculum, 
diminutif  du  lat.  class.  umbilïcum,  auqel  remonte  aussi  le  fran- 
çais courant  noiibril.  Dans  les  Deus-Sèvres,  enbouril  et  ancore 
la  {orme  usuèle  ',  et  Meyer  signale  lui  même  cette  forme  an 
A  unis.  Zauner  indiqe  des  aférèses  analogues  dans  diféranfes 
réjions  de  la  Gaule  :  bouril  (Alpes),  bounil  (l'Albarède,  Tarn), 
beniUon  (Lion),  etc.  -. 


ANC.    SAINTONJ.   BRUTIER 

Exanple  uniqe  dans   Godefroy,  sans  définicion  : 

Uuaus  fu  molt  irez  e  dolenz  de  son  fil  e  de  sa  gent  que  aveit  fait  ocire  e 
ala  s'en  clamer  aus  brutiers  e  que  il  le  tuessant  e  il  si  firent  (Chron.  de  Turp., 
Richel.  5714,  fo  51'',  Auracher  '). 

Come  il  s'ajit  d'un  texte  saintonjais,  on  ne  saurait  douter  qe 
nous  ayons  dans  bnttier  un  mot  corespondant  à  l'ancien  gascon 
breuter,breuteir, T^\usïé^^m.2.nl  breiitey,  leqel  signifie  «boucher  »  ■*. 

L'étmiolojie  reste  à  trouver.  La  forme  gascone  exclut  tout 
raport  avec  le  lat.  brutus  ;  èle  paraît  indiqer  un  tipe  *hrevi- 
tarius,  dont  la  raison  d'être  m'échape. 


1.  Voir  les  Glossaires  de  Beauchet-Filleau  et  de  Lalanne. 

2.  Op.  laud.,  p.  162. 

5.  Dans  Z. /,  rom.  PhlL,  I,  280. 

4.  Raynouard,  Lex.  rom.,  II,  250,  cite  pêle-mêle  bochier  çt  breuter,  ce  der- 
nier d'après  Oïd.  des  rois  de  France,  XV,  415  (le  texte  produit  et  extrait  d'une 
ordonauce  de  Louis  XI  confirmant  les  statuts  des  bouchers  de  Bordeaus 
rédijés  eu  1448J.  On  a  maint  exanple  antérieur:  brailcrlas  «  boucheries  » 
dans  le  testamant  de  J.  Colomb,  9  juillet  1294  {Arch.  hist.  de  la  Gironde,  IV, 
60);  hreuley,  à  plusieurs  reprises,  an  1253  et  1261,  dans  les  Coutumes  de  La 
Réole  (jbid.,  II,  254,  265);  breoler,  an  1457,  ^  Saint-Sever  (G.  Millardet, 
Rec.  de  textes  des  aiic.  dial.  landais,  y>.  m),  etc.  Mistral  a  cru  devoir  anre- 
jistrer  brùutèi  «  boucher,  en  vieux  gascon  »  et  bréuterio  «  boucherie 
(vieux),  enGuienue  x. 


NOUVÈLES  VARIÉTÉS   ÉTIMOLOJIClES  335 

L'ARTICLE    BUSTATIQUE  DE   GODEFROY 

Cet  article  et  ainsi  conçu  : 

BUSTATiauE,  S.  f.,  fève  de  marais.: 
\àxoi3ihii,hustatique{Gloss.  lat.-fr.,  Richel.  1.  7679). 

J'ai  vu  le  manuscrit.  Il  et  incontestable  qe  le  scribe  a  écrit  ce 
q'a  lu  Godefroy,  au  fol.  202"^.  La  traduccion  «  fève  de  marais  » 
supose  l'existance  an  latin  d'un  mot  composé  avec  le  grec  uowp 
et  le  ht.  fabû,  mot  qi  n'existe  pas.  Les  glossaires  latins-français 
ne  peuvent  être  utilisés  par  la  lexicografie  q'autant  qe  la  con- 
paraison  des  diférants  manuscrits  permet  d'établir  un  texte  cor- 
rect. Voici  la  leçon  de  deus  manuscrits  aparantés  au  ms.  lat. 

7679  : 

Idrofaba,  be  :  Uiuphatiques  (B.  N.  lat.   17881,  fol.  38"). 
Idrofaba,  be:  limphatique,  enragé  (B.  N.  lat.  13032,  fol.  67b). 

Il  et  manifeste  qe  biistatiqiie  n'a  aucune  réalité:  le  modèle 
suivi  par  le  scribe  de  B.  N.  iat.  7679  devait  porter  :  linfatiqiie. 
La  traduccion  se  fonde  sur  le  Catholicoii,  qi  remonte  indirec- 
temant  à  Isidore  de  Séville,  Etym.  IV,  ri,  13:  «  Yopoi)o8ta. .. 
Latini  hune  morbiimah  aquae  metu  lyniphaticum  vocant.  » 

PROY.  CABESCOL 

Ce  mot  manqe  dans  Raynouard.  Emil  Levy  n'a  q'un 
exanple  tardif,  sous  la  forme  cabiscol  ;il  traduit  par  «  Chordirek- 
tor,  Domdechant  ^  ».  Cète  traduccion  et  l'éco  d'une  opinion 
erronée,  qi  voyait  le  lat.  chorus  dans  la  dernière  partie  du 
mot  provançal,  opinion  dont  on  a  fait  justice  depuis  longtanps  -. 
Il  et   certain    qe    le    dignitaire    éclésiastiqe  dont  il  s'ajit  doit 


1.  Piûv.  Siippl.-W.,  I,    181.    Cf.    son    PtHit   Dict.  prov.-fr.,  où    on  lit  : 
«  Calnscol  s.  m.  chef  du  chœur,  grand  chantre.  » 

2.  Voir  Tart.  caput  scHOL.t  de  Du  Gange  et  les  addicions  q'i  ont  faites  les 
Bénédictins  ;  il  et  juste  de  rapeler  qe  Scaliger  a  le  premier  atiré  l'atancionsur 

ce  point  et  a  fort  bien  parlé  ;  voir  l'art,  capiscol  de  Ménage. 


33^  ANTOINE    THOMAS 

son  nom  au  fait  q'il  était  primitivemant  le  «  chef  de  l'école  », 
ce  q'on  apelait  dans  le  nord  de  la  France  le  scho  lasticus, 
d'où  le  parler  vulgaire  a  tiré  le  mot  écolàtre.  Dans  le  haut 
moyen  âge,  on  disait  couramant  caput  scholae  an  latin, 
d'où  et  sorti  le  provançal  primitif  cabescol,  q'il  faut  certaine- 
mant  retenir  corne  présantant  un  exanple  de  la  conservation 
fonétiqe  du  jénitif  fém.  sing.  scolae  '.Plus  tard,sous  l'influance 
de  la  forme  vulgaire,  le  latin  éclésiastiqe  fabriqa  les  mots 
capiscolus  %  pour  désigner  le  dignitaire,  etcapiscolia  ' 
pour  désigner  la  fonccion  ;  on  trouve  aussi  cabiscolus, 
cabescholia,  plus  raproches  de  la  forme  vulgaire.  Cèle-ci,  à 
son  tour,  a  peu  à  peu  épousé  le  latin  :  cabiscol,  capiscol  ■*  ont 
linalemant  suplanté  la  forme  primitive,  et  l'on  sait  qe  la  hié- 
rarchie du  télibrije  a  doné  un  regain  de  vie  à  ce  vieus  mot,  sous 
la  forme  cabiscôu. 

Le  seul  exanple  de  la  forme  primitive  qe  je  conaisse  dans  le 
domaine  de  la  langue  d'oc  se  trouve  dans  une  charte  latine 
relative  à  la  catédrale  d'Auch  et  rédijée  vers  1080:  un  des 
témoins  et  apelé  «  Arremundo  cabescol  5    »  • 

De  cabescol  on  a  dérivé  cabescolia,  transparant  sous  la  forme 
cabescholia,  relevée  par  du  Cange  dans  les  archives  de  Caors. 

Corne  le  terme  a  été  an  usaje  dans  une  partie  de  la  réjion 
provançale  où  le  c  passe  à  ch  devant  a  (Dautiné,  Jévaudan, 
Vêlai,  Auvergne),  on  trouvera  sans  doute  des  exanples  de 
formes  come  *cbabescol,    *chabiscol.    Un    témoignaje  assuré  de 


1.  Ce  dont  je  ne  m'étais  pas  avisé  quand  j'ai  parlé  des  cas  analogues, 
Roman ia,  XL,  100. 

2.  Atesté  en  103 1  dans  Du  Cange,  loc.laud. 

3.  Atesté  dès  1029,  ibid. 

4.  Admis  sous  cète  forme  dans  le  Dictionnaire  de  V Académie  française  an 
1762,  avec  cète  définiciou  :  «  doyen  d'un  chapitre  dans  quelques  provinces  »  ; 
supnmé  an  1878. 

5.  C.  Lacave  hzVli^nt'QArns,  Cartulaires  de  Sainte-Marie-d'Auch,  p.  26, 
charte  XXXI.  Dans  les  Tables  onomastiqes,  cète  mancion  a  été  indûment 
transformée  en  :  «  Raimond  de  Cabescol  »,  qoiqe  l'auteur  ait  bien  cxpliqé 
le  mot  dans  une  note  de  la  p.  29.  Cf.  dans  la  charte  LU  (p.  49),  qi  et  de  la 
même  époqe,  la  frase  suivante  :  «  duos  primicerios  quos  capiscolos  vulgo  dici- 
nius.  )) 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQES  337 

l'existance  de  cète  dernière  forme  nous  et  parvenu  dans  un  texte 
français  relatif  à  l'église  de  Mande,  dont  Carpentier  a  doné 
l'extrait  suivant,  avec  la  date  de  148 1  :  «  Ung  nommé  Jehan, 
bastard  de  maistre  Jehan  de  Clermont  chanoine  et  chasbiqiiel  de 
l'église  de  Mende  '.  »  Carpentier  s'êt  mépris  an  afirmant  qe 
chasbiqiiel  veut  dire  «  chevecier  »,  et  an  le  classant  sous  capiceria- 
Tus  ^.  Il  faut  i  voir  une  déformacion  de  *chalnscol. 


CHANPENOIS   COLERON 

Dans  un  conpte  de  1307,  relatif  à  la  comanderie  de  Pains 
{2'  canton  de  Troies,  Aube),  je  lis  ce  qi  suit  : 

Despens  de  colonnerie  et  pour  corderie  nécessaires  es  biens  de  ladite 
meson.  Premièrement,  pour  le  coleroii  de  Saint-Lié  5  et  son  fil,  qui  affaitie- 
rent  le  harnois  aus  chevaux  et  aus  bues  4. 

Il  me  paraît  évident  qe  colonnerie  et  pour  *coleronnerie,  dérivé 
de  coleron,  qi  se  lit  peu  après.  Ce  mot  coleron  désigne  claire- 
mant  l'artisan  qi  fait  des  «  coliers  »  pour  animaus  de  trait,  et 
q'on  apèle  aujourdui  couramant  «  bourelier  ».  L'anpioi  du  suf- 
fixe-o/z  et  tout  naturel  ;  cf.  chareton,  charon ,  féron .  Godefroy  ne 
conait  coleron  qe  come  nom  propre,  et  il  n'en  done  pas  la  signi- 
ficacion  ;  pourtant  le  mot  et  ancore  vivant  dans  laréjion  même 
où  a  été  écrit  le  conpte  de  1307  cité  ci  dessus.  Le  Gloss.  du 
patois  de  la  forêt  de  Clairvaux  de  Baudouin  (Troies,  i88é, 
p.  it8)  a  la  mancion  suivante  :  «   collekon,  n.,  bourrelier.  » 

ITAL.  GOPERTOIUOLA 

Parmi  les  noms  vulgaires  français  de  la  plante  apelée  comu- 
némant  nonbril  de  Vénus  (^Uinbiliciis  pendidinus  de  Candolle), 


1.  Dans  Du  Cange,  *capiceriatus,    d'après  la   pièce  87  du  reg.  209  du 
Trésor  des  chartes. 

2.  Naturèlemant,  Godefroy  a  pillé  Carpentier,  sans  le  dire,  et  a  andossé  sa 
déhnicion   erronée,  vo  CH.\SBiauEL. 

3.  Comune  du  2*  canton  de  Troies,  dont  l'ortografe  administrative  orne  le 
nom  d'un  r:  Saint-Lvé. 

4.  Bibl.  nac,  coll.  Clairambault,  469,  p.  209. 

Rwtuinia  XLIV  ,1 


338  ANTOINE   THOMAS 

Duchesne  fait  figurer  le  mot  étranjc  de  copertoivok  ',  et  ce  mot 
.1  été  anrejistré  à  son  ordre  alfabétiqe  dans  le  Dict.  de  botanique 
de  Bâillon.  On  ne  le  trouve  pas  dans  la  Flore  populaire  de  Rol- 
land, ce  dont  on  ne  doit  pas  faire  un  grief  à  l'auteur.  Ce  mot 
n'êt  pas  français;  il  apartient  au  dialecte  de  Siena.  Le  Dicl.  des  se. 
naturelles  (1818,  X,  313)  an  indiqe  l'orijine  :  «  copertoivole, 
nom  toscan  de  la  plante  dite  nombril  de  Vénus,  tiré  de  la  res- 
semblance de  ses  feuilles  avec  des  couvertes  de  pots  de  terre,  sui- 
vant Daléchamps  ».  L'édicion  latine  de  Daléchamps  (Lion,  1 586) 
inprime  avec  raison  :  copcrtoiuole  (li.  XV,  cap.  29),  et  la  même 
forme  et  reproduite  dans  la  trâduccion  de  Jean  des  Moulins 
(Lion,  161 5,  li.  XV,  cap.  30).  La  source  et  le  commantaire  de 
Mattioli  sur  Dioscoride.  On  lit  an  cfet  dans  l'édicion  de  Venise, 
155 1,  p.  637  :  «  Etchiamansi  voîgarmente  le  sue  {xon^i  cuper- 
toiuole,  per  essere  simili  aile  cupertoie  di  terra,  che  si  fanno  per 
coprire  le  pignatte.  »  Copertoivole  et  donc  une  grafie  mal  con- 
prise,  résultant  de  la  double. valeur  de  1'//. 

Copertoiuola,  mot  italien,  et  un  diminutif  de  coperioia.  Il  et 
singulier  qe  \q  Dii-botanico  ital.  de  Targioni-Tozzetti  (Florance, 
1809)  n'ait  recueilli  qe  cupertoie,  q'il  atribue  à  Mattioli,  le  qel,  an 
réalité,  donc  cupertoiuole,  corne  on  l'a  vu  ci-dessus.  Dans  VHis- 
ioria  plantaruiu  d'Antoine  Du  Pinet  ou  Pina;us  (Lion,  1 561, 
p.  535)  et  dans  la  traduccion  q'a  donée  Linocier  de  cet  ouvraje 
(Paris,   1584,  p.  543),  on  a  inprimé  :  cope,  triiu^le. 

ANC.   POITEVIN  CORGALERAN 

Ce  mot,  inconu  de  Godefroy,  a  été  signalé  an  Poitou,,  au  xiV 
siècle,  par  le  célèbre  Pière  Berçuire,  dans  son  Reductoriuin  morale, 
livre  XIV,  ch.  4^,DePictavia  (éd.  d'Anvers,  1609, 1. 1,  p.  617)  : 

In  Pictavia  omni  anno  veniunt  quœdam  aves  nigra;,  cum  rostris  longis  et 
acutis,  qua;  ab  incolis  corgalerans  in  lingua  gallica  nominantur,  in  turribus 
de  Mallesiaco,  de  Cosdrcio  et  de  Claravalle  =. 

Deus  siècles  plus  tard,  le  médecin  normand  Robert  Constan- 

1.  Répertoire  des  plantes  utiles.  ..  (Paris,  1856),  p.  231. 

2.  Mailleiais,  ar.  de  Fontenai-le-Comte  (Vandée);  Le  Coudrai-Sitthart, 
com.  d'Échirc,  ar.  de  Niort  (Deus-Sèvres);  CtairviUis,  com.  de  Scorbé- 
Clairvaiis,  ar.  de  Châtèleraut  (Viéne). 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJiaES  3^9 

tin  insère  l'article  suivant  dans  son  précieus  Snpplementiim  Ungux 
latinx  (Lugduni,  1573),  qe  peu  de  filologues  conaissent  : 

Ihis,  to;;,  Gallicè  CorgaUcnm,  vel  Corbeau  Galeraii  :  Auis  est  tota  nigra, 
magnitudine  Helorii  (qui  Gallis  Corlieu,  siue  Corlis)  cui  caput  Phalacrocora- 
cis  (id  est  côrui  aquatici,  nostrisque  Corwo?'fl;z/)  rostrum  rubicundum,  incur- 
uum  :  crura  subrubra,  longa  vt  ardeœ  stellaris.  Habet  et  collum  ardeol^e, 
quœ  -/ïu/.o;  (///v  :  àejxoç)  ab  Aristoteli  (sic),  à  nostrisque   Aigrette  appellatur. 

N'étant  pas  ornitolojiste,  je  ne  me  hasarderai  pas  à  idantifier 
le  corgakran  de  Berçuire  et  de  Constantin  '.  Mais  je  n'ésite  pas 
à  suivre  ce  dernier  et  à  déconposer  le  mot  nn'corp  +  galeran; 
c'êt  une  formacion  analogue  à  cèle  de  cormoran.  Godefroy  n'a 
pas  d'article  galeran,  mais  Rolland  note-,  d'après  Salerne ', 
qe  le  butor  s'apèle  gakrand  an  Bretagne.  Mieus  informé,  il  aurait 
pu  ranvoyer  à  Cotgrave,  à  Nicot  et,  finalemant,  à  la  source  de 
tous  les  lexicografes,  qi  et  l'Histoire  de  la  nature  des  oyseaitx 
de  P.  Belon  (Paris,  1555),  p.  193. 

A  ce  galeran  ou  galerand  corespont  le  terme  valeran, 
recueilli  par  Godefroy  et  flanqé  de  cète  traduccion  inprécise: 
«  oiseau  ».  Il  faut  mancioner  aussi  l'oiseau  de  proie,  voisin 
du  vautour,  qe  l'anpereur  Frédéric  II  apèle  galera)ius\ 

FR.  DIALECTAL  DEBURER,  DÉBURER  ;  PROV.  DEBURAR 

Le  verbe  debnrer,  non  signalé  dans  les  anciens  textes  fran- 
çais, et  actuèlemant  vivant  an  Béri,  an  Poitou,  an  Aunis  et  an 
Saintonje.  Voici  ce  q'an  disent  les  lexicografes  : 

DÉBURER,  V.  a.  Egoutter  :  déhurer  des  châtaignes,  c'est  jeter  l'eau  rousse, 

1.  i\Iou  confrère  H.  Martin,  conservateur  delà  Bibl.  de  l'Arsenal,  et  porté 
à  croire  q'il  s'ajit  du  Corvus  eremila  (lètre  du  30  mai  1914). 

2.  Faune  pop.,  II,  576. 

5.  Hist.  uat..  Ornithologie  (Paris,  1767). 

5.  De  arte  venandi  ctim  avibus,  1.  I,  c.  23.  Ce  mot,  omis  par  Du  Cange, 
n'a  pas  échapé  aus  Bénédictins,  mais  ils  se  bornent  à  cète  vague  définicion  : 
«  avis  species  ».  Adelung  idantitie  à  tort  le  galeramis  avec  la  calandre,  variété 
d'alouète.  Le  dernier  éditeur  du  livre  de  Frédéric  II,  Schneider,  fait  un  aveu 
d'ignorance  :  «  Nomen  ipsum  alibi  non  reperi,  nec,  cui  linguae  peculiare  sit, 
reperire  potui  «(Leipzig,  1788-9, t.  II,  p.  14).  L'ancien  traducteur  françaisde 
Frédéric  II  rant  galeranus  par  ga1eraHf(B.'i<l.  fr,  12400,  fol.  50a  b,63  c,  etc.). 


340  ANTOINE    THOMAS 

l'eau  bure  (voy.  ce  mot)  dans  laquelle  on  les  fait  cuire  (voir  De'boiradour  et 
Buron)  (Jaubert,  Gloss.  du  centre  de  la  France)' . 

DÈBURER,  V.  n.  Avoir  si  chaud  que  l'eau  coule  sur  la  figure.  «  I  débure  » 
C.  P.  (Favre,  Gloss.  du  Poitou,  de  la  Saintonge  et  de  VAunis)  '. 

DEBUREA,  V.  n.,  avoir  très-grand  chaud,  respirer  fréquemment.  Ven[dée] 
(C.  et  P.  D  )  5.  —  DÉBURAi,  v.  a.,égoutter.  V.  Ahurai  +.  —  Vider:  «  dèhure 
don  tes  poches  »  D[eux-]  S[èvresj .  —  A.  R[ousseau]  (Lalanne,  Gloss.  du  pat. 
poitevin). 

d'burer.  Jeter  l'eau  de  cuisson  des  châtaignes.  Dépurer  (Jôuain,  Gloss.  du 
pat.   sainton^eais). 

DÉBURER,  V.  act.  Vider.'  Déburer  une  marmite  (Puichaud,  Dict.  du  pat. 
has-gdtinais,  âizns  Rev.  dephil.fr.  et  prov.,  VII,  38). 

Les  patois  qe  nous  venons  de  passer  an  revue  sont  limi- 
trofes  du  domaine  provançal.  Or  l'ancien  provançal  possède  un 
verbe  deburar,  sur  leqel  la  critiqe  s'ét  exercée  sans  succès  '.  Le 
verbe  n'èt  conu  qe  par  un  passaje  de  Bertran  de  Born  : 

Mas  grieu  er  qu'en  mar  nol  di-hur 
L'aura,  quar  tan  es  pauc  arditz  *. 

Raynouard  traduit  par  «  verser,  déverser  »  ;  Diez  par  «  ab- 
schrecken  =  rebuter  »  ;  Stimming,  par  «  cinschiïchtern  =  inti- 
mider »  ;  Chabaneau  par  «  purger,  vider  ».  Etant  doné  qe  c'êt 
le  vant  {aura)  qi  produit  l'accion  de  dcbiirar,  le  témoignaje 
des  patois  cités  nous  angaje  à  adopter  le  sans  de  «  dessécher  », 


1.  Le  déboiradour,  morceau  de  bois  qi  sert  à  dcboirer,  c'êt-à-dire  à  bracer 
les  châtaignes,  n'a  rien  à  voir  avec  débuter.  Dans  son  «  Supplément  », 
Jaubert    sanble   confondre  déburer  avec  l'anc.  fr.  debuer  «laver  ». 

2.  Les  initiales  C.  P.  indiqeut  qe  Favre  doit  le  mot  et  la  définicionà  Clé- 
mantinc  Poey-Davant,  de  Fontenai-le-Comte  (Vandée). 

3.  L'initiale  C.  désigne  Cardin,  de  Fontenai,  auteur  d'un  vocabulaire  du 
patois  vandéen  ;  les  iniciales  P.  D.  désignent  la  demoisèle  Poey-Davant. 

4.  L'art.  ABUR.\i  et  ainsi  conçu:  «aburai,  v.  a.  et  n.  (lat.  abuti,  abulor), 
pencher,  verser,  égoutter,  même  avaler  ;  sécher  le  linge  ;  par  extension  : 
«  abure  ton  verre  »,  égoutte  ton  verre.  \'[ienne].  —  D[eux]-S[évres]  ». 
Cf.  Favre:  «  aburer,  v.  a.  Faire  sécher,  rendre  sec.  C.  P.  «  Quiau  linge 
est  moillé,  o  faut  le  mettre  au  soulail  pro  Vaburay.  » 

5.  Cf.  Fart.  DEBURAR  du  Proi'.  Suppl.-ÎV.  de  Levy. 

6.  Éd.  Stimming,  XII,  16;  éd.  Thomas,  Poès. polit.,  XI,  16. 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQ.ES  34 1 

c'êt-à-dire,  au  figuré,  «  déconcerter  ».  Je  me  ralie  à  l'étimolo- 
jieantrevue  par  Jônain  et  proposée  dubitativemant  par  Chaba- 
neau,  lat.  de  p  urarej  propremant  «  débarasser  du  pus'  ». 
L'afaiblissemant  du  p  latin  an  b  et  normal  pour  le  provançal 
et  pour  les  dialectes  français  du  sud-ouest  :  cf.  rebondre,  de 
reponere,  qi  apartient  à  la  fois  au  provançal  et  au  poitevin  ^. 
Le  poitevin  moderne  aburer  doit  être  un  mot  réçant  formé  sur 
deburer  par  substitucion  de  préfixe. 

L'explicacion  proposée  par  Jaubert  (qi  tire  déburer  de  l'adj. 
bure)  n'êt  qe  spécieuse  :  cet  adjectif  ne  s'apliqe  pas  à  l'eau  dans 
le  patois  bérichon,  et  je  crois  qe  le  subst.  buron  «  eau  dans 
laqèle  on  a  fait  cuire  des  châtaignes  »  a  été  tiré  du  verbe  débu- 
rer par  étimolojie  populaire. 

ANC.  FR.  DESLOISSIER 

Ce  verbe,  qi  manqe  à  Godefroy,  figure  dans  un  texte  publié 
dès  1872,  le  Bestiaire  de  Gervaise  K  L'éditeur  l'a  relevé  dans  son 
«  Index  de  quelques  mots  »,  sous  la  forme  desJoisier,  avec  un 
point  d'intérogacion.  Voyons  le  passaje'  : 

Va  querre  une  grant  pierre  dure  : 
Del  bec  i  fiert  tant  que  il  froisse, 
Trestot  le  peçoie  et  desJoist'. 

La  rime  avec  froisse  prouve  qe  desloise  et  pour  desJoisse  ^.  Or 
\QVQrhQ  esloissier  «briser,  disloqer»  et  bien  conu  ^  :  desloissierèt 


1.  Depurare  et  un  terme  de  vétérinaire  (voir  l'art,  depuratus  du  Thés, 
linguae  latinae)  ;  il  manqe  dans  le  Rom.  etym .  W.  de  Meyer-Lûbke. 

2.  Dans  depurare  et  dans  re  ponere,  on  n'a  plus  santi  les  verbes  sinples 
purare  et  ponere.  Là  où  ce  santimant  a  persisté,  on  a  gardé  \q  p  :  le  irar.- 
çais  dit  ordinairemant  repondre,  mais  l'auteur  de  la  Chron.  des  ducs  de  Nor- 
mandie, Beneit,  dont  la  patrie  doit  être  cherchée  dans  le  sud-ouest  du  domaine 
français,  dit  toujours  rebondre. 

3.  Remania,  I,  437;  vers  844-6. 

4.  Cf.  esloissent  -.froissent  (Perceval,  43955-6). 

5.  Godefroy  le  confont  âvcc  eslodiier,  qui  n'a  pas  le  même  sans,  et  dont 
l'o  et  ouvert,  tandis  qe  celui  de  esloîssier  et  fermé.  L'étimolojie  a  été  indiqée 
dès  1884  par  W.  Focrster,  note  sur  le  v.4958  de  Cligès  :  c'ét  le  lat.  vulg, 
*cxlûxare,  absant   du    Rom.  etym.  W,  de  Meyer-Lubke, 


34-  AVTOTXF  THOMAS 

une  variante  où  ic  préîixe  au  a  pns  3a  pbof  eu  préhxc  iSy  voilà 
tout  '.  Cètc  sorte  de  reformacjon  n>i  pas  ur.c  fantai&îe  isolée, 
oonne  on  pourait  croire,  car  le  moi  au^eî  è!le  a  doaé  nai^^sance 
et  ancorc  viv^ant  dans  !es  patois.  Dans  le  Gkx<i,dini  paJ,  <iSfChàiii^ 
nuis  (près  de  BelforT>.  par  Au*;-  Vautherin,  on  ta>uve  fartide 
suivant  :  «  Di.  .  ..',  déchiiré  }>ar  hnîISeaux,  pa:lam  du  Kitis, 
de  Fécorce,  des  tissus,  »  Le  même  patois  aaîpllcie  concurra- 
mant  khiiA-h'^t  «  déchîirer  ou  fendre  en  tirant,  mettre  en  îara- 
beaux  bois  ei  autres  tissus  ».  Le  Gk'iss,  Ja  Ba.f'XlMW^<àc  Dottixi, 
done  JéJ-osif.r  et  Mlur-hrr,  à  côté  de  ^k^^r  et  /.''«.rivr. 

FRov    DFrrxrijiH 

Raxiiouard  s'ét  tronpé  an  tradujjdiiu  ce  mot  par  «  taWier  »  ; 

le  FhfTiius^ché  par  Levy  *,  -.■    .^  \  :'  '  .  "-.t'îI 

Tafironte  aus  terniies  îatins  /■/...'^,,/.(:/;,,  -7. 

Cet  un  évantaiî,  ou,  sifonveut,  unér.-..  ..v... ...  N..,-: .v.vvè 

Jfzir.nJ^-u  au  même  sans  dans  Claude  Rrueys,  poète  aàxoîs  nnon 
an  ié$)é,  et  il  a  inséré  cète  ttïorme  dans  son  artàde  lîimUm^  par- 
ticularité <^1  aurait  cenaineiuasit  signalée Lcv\% s^il  lav^aii  remar- 
<:|ée.    Dans  son  voîumineus  ouvrage  intituk'  .-» 

in  Pwiie-liilâi  %  M.  E.  L,  Adams  et  tonbé  an  atéi  uevaiii  j.  % 

mot  dans  le»^el,  corne  Mistral,  il  voit  un  rejeton  de  k  :j.-.v.  V 
du  lat.   ventus,  soit  un  tipe  *deventaculum,  et  il  s\:  ■ 
<:3*il  n'existe  pas  de  verl>e  corespondant  et  ^e  le  }  apuyé  i 
passer  à  i.  Je  crois  <^'il  taut  i  voir  une  variante  tîonéijtje  de  . 
dalh  «  ouvTaiye  de  dérense  »,  5>oit  un  tîpe  *«ï  e  f endac u  1  u m.  On 
n'a  pas  d'exanple  de  *irîvwir^  pour  .%  nuais  on  sait  qe 

àivtm^  ânts^  dnvsa^  panicipes  ei  substantus  panidpiaus,  sont 
très  fréquents  ;  9a  sonorisadon  de  /médial  an  î  et  toute  natu- 
rtle  dès  le  momant  où  le  sujet  pariant  a  perdu  de  Mie  qe 


I,  Mon   confère  Gc-d;ivTn  Hi>eî  me  si^i!o  au  icrr.iir  n-ïrn^.^Lr.î  irlKXitf 
«  luxer  »  <d&irïs  wn  des  «Seuts  seuB*  nuniasciiîs  «jî  oor.r.tTîfT!*  k  t^  courkî 

p.   p>  «.-     ;-—;..    1\  '  . .  ^..:c/..c   "wvjUXire   À 

oôri  de  •dislaxâTc. 
î-  Kcir  York,  î^î^ 


NOUVÈLES   VARlèTÈS    èTIMOLOJIQ.FS  34  3 

defendere  était  un  verbe  conposé,  directemant  contraire  à 
offendere,  défaillance  d'autant  plus  naturèle  qe  le  primitif 
*fendere  n'était  pas  an  usaje.  Je  ne  serais  pas  étoné  q'on  trou- 
vât un  jour  ou  l'autre  *devendre  dans  qelqe  ancien  texte,  car  Mis- 
tral done  devendiido  à  côté  de  defendtido.  D'autre  part,  les  Béné- 
dictins ont  relevé  fiiedalh  «  pro  defendendo  muscis  »  et  fuedailh 
«  siveflabellum  »  dans  des  titres  de  Saint-Victor  de  Marseille  '  ; 
il  et  tantant  de  voir  là  une  altéracion  de  defendalh. 

POITEVIN   ÉMOISELER 

L'abé  Lalanne  a  cru  pouvoir  tirer  du  lat.  emollireun 
verbe  d'anploi  très  restreint,  usité  dans  les  Deus-Sèvres  et  dans 
la  Vandée,  auqel  il  consacre  l'article  suivant  dans  son  Gloss.  du 
pat.  poitevin  : 

EMolsELLAi  (//  mouillés),  V.  a.,  ne  se  dit  que  des  enfants  quand  les  dents 
les  fatiguent,  qu'ils  sont  moins  frais  qu'à  l'ordinaire  :  «  o  sant  ces  mécelés 
qui  l'émois'llant  »,  ce  sont  ses  grosses  dents  qui  le  fatiguent. 

L.  Favre,  dans  son  Gloss.  du  Poitou,  de  la  Saintonge  et  de 
l'Aunis,  anprunte  ans  notes  de  Clémântine  Poey-Davanr,  de 
Fôntenai-le-Conte  (Vandée),  une  définicion  mal  venue,  mais 
dont  le  fond  concorde  avec  cèle  de  l'abé  Lalanne  : 

EMO:sELLÉ,  adj.  des  deux  genres.  Pâleur,  air  souffrant  que  la  douleur  donne 
à  un  enfant. 

Aniin,  à  L'Ile-d'Elle  (Vandée),  l'abé  Simonneau  anrejistre 
laconiqemant  :  «  émwazelai.  V.  a.  Amaigrir-.» 

Si  la  forme  avec  /  non  mouillé  et  primitive,  ce  qi  et  très  pro- 
bable, on  va  les  ieus  fermés  à  un  tipe  lat.  vulg.  *exmacella  re. 
Mais  à  partir  de  là,  on  se  trouve  anbarassé.  La  définicion  de 
l'abé  Simonneau  peut  faire  croire  qe  la  base  et  l'adj.  lat.  macel- 
lus,  diminutif  de  macer  «  maigre  »,  de  sorte  qe  notre  tipe 
*exmâcellare  corespondrait  corne  formacion  au  lat.  class. 
emacerare,  sinonime  de  emaciare.  Mais  il  ne  faut  pas  perdre 


1.  Dans  Du  Cange,  sub  verho. 

2.  Rev .  dephil.fr.  et  prot'.,  II,  133. 


344 


ANTOINE   THOMAS 


de  vue  qe  macellusêt  une  base  peu  sûre,  puisqe  ce  diminutif 
n'a  pas  ancore  été  rancontré  ailleurs  dans  le  domaine  des  langues 
romanes.  Surtout,  il  faut  se  souvenir  qe  l'ancien  français  conaît 
un  verbe  viaiseler  «  massacrer,  défigurer  »,  dont  la  base  et  sûre- 
mant  le  lat.  macellum  «  boucherie  '  ».  Cète  dernière  étimo- 
lojie  me  paraît  la  plus  probable. 

ANC.   FR.  EMIGAUT 

J'ai  groupé  naguère  trois  variantes,  atestées  an  ancien  fran- 
çais, d'un  motqi  désigne  l'ouverture  pratiqée  dans  un  vêtemant 
soit  pour  ateindre  une  poche,  soit  pour  d'autres  raisons  :  emi}i- 
gant,  amis^ault,  emicaut  *.  Je  ne  suis  pas  an  mesure  d'an  doner 
l'étimolojie,  mais  il  me  paraît  utile  de  signaler  dans  les  patois 
actuels  des  formes  manifestemant  aparantées  à  cète  anciène  dési- 
gnacion.  Eles  s'étandent  sur  une  partie  de  la  Normandie 
(Cotantin),  sur  l'Anjou,  sur  le  Poitou  et  sur  l'Aunis. 

EMUGUÉ,  fente  du  jupon  pour  poche  (Le  Joly-Senoville,  Certains  mots  du 
patois  de  Saint-Sauveur-le- Vicomte,  dansMfw.  de  la  Soc.  archéol.  de  Valo^nes, 
t.  II,  p.  17O. 

MiGAiLLÈRE,  S.  f.,  poche  sans  fond,  placée  sur  le  côté  droit  ou  en  avant  de 
la  robe,  et  qui  sert  aux  femmes  pour  certains  soins  intimes  (Patois  de  Mont- 
jean,  dans  Verrier  et  Onillon,  Glossaire  des  patois...    de  V Anjou,  t.  I,  p.  51). 

MAINGAILLÈRE  OU  MIGAILLÈRE,  S.  f.,  fente  quj  cxiste  dans  les  jupes  des 
femmes  de  la  campagne  et  par  laquelle  elles  prennent  les  objets  placés  dans 
leurs  poches  de  dessous  (Patois  de  Chef-Boutonne,  dans  H.Beauchet-Filleau, 
Essai  sur  le  patois  poitevin,  p.  162)  '. 

MAINGAILLÈRE,  Ouverture  d'une  poche,  fente  faite  dans  un  jupon  pour 
introduirela  main  dans  la  poche  (L.-E.  Meyer,  G/055,  de  l'Aunis,  p.  73). 


1.  Mej'er-Lùbke,  Rom.  etym.  W.,  n°  5199,  oublie  l'ancien  français. 

2.  Roviania,  XLIII,  255.  Ajouter  un  nouvel  exanple,  dans  les  conptes 
relatifs  à  la  toilète  d'Isabeau  de  Bavière  an  1389  :  <•  pourfilz  de  dessoubz 
manches,  tours  de  bras  et  aviigaux  »  (Marcel  Thibault,  Isabeau   de  Bavière, 

P-  439)- 

5.  Article  reproduit  à  peu  près  par  Lalanne,  avec  indicacion  qe  le  mot  et 

usité  dans  les  trois  départemants poitevins  ;  cf.,  pour  la  com.  de  l'Ilc-d'EUe 

(Vandée),  Simonneau,  dans  Rev.  de  phil.  fr.  et  prov.,  III,  100  :  «  Migalère, 

ouverture  au  jupon  pour  atteindre  la  poche.  » 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJiaES  345 

MiGAiLLE,  n.  c.  f.,  le  fait  d'introduire  sa  main  par  la  migaillére.  La  migaillc 
indique  qu'on  a  des  mœurs  dissolues  (Puichaud,  Dict.  du  patois  bas-gdtinais, 
dans  Rev.  dephil.fr.  et  prov.,  VII,  112  et  184).  — migaillére,  maingail- 
LÈRE,  n.  c.  f.,  fente  dans  les  vêtements.    Boutonner  une  migaillière. 

An  some,  la  présance  d'emingatit  dans  le  roman  de  VEscoiifle 
ne  préjuje  pas  la  qestion  de  savoir  si  l'auteur  était  Normand  ou 
Picard. 

ANC.    FR.  ENFANTILLONGE 

Carpentier  a  relevé  le  mot  enfantillonge,  q'il  a  pris  pour  un 
substantif,  dans  un  recueil  de  Vies  de  saints  conservé  alors  à 
l'abayie  de  Saint-Victor,  aujourdui  B.  N.  fr.  20330,  et  il  Ta 
inséré  dans  le  Glossarium  de  Du  Cange  '.  Godetroy  a  utilisé  la 
citacion  de  Carpentier,  mais  il  a  transformé,  sans  doute  par 
étourderie,  enfani  il  longe  an  enfantiUonage,  et  a  traduit,  naturèle- 
mant,  par  «  enfantillage  ».  V^oici  le  passaje,  d'après  le  manu- 
scrit, et  un  peu  plus  au  long  :  «  On  ne  doit  mie  entendre  que 
tuit  puissent  estre  encloz  dedenz  celé  valee,  car  ce  seroit  enfan- 
tillonge, aussi  comdit  Ysidoires.  »  Le  texte  latin  corespondant 
porte,  pour  la  fin  de  la  frase  :  «  quia  hoc  est  puérile,  ut  dicit 
Jeronimus  ^  »  D'après  ce  texte,  il  et  vraisanblable  qe  le  traduc- 
teur anploie  enfantillonge  corne  adjectif  et  non  come  substantif. 
Le  scribe  du  ms.  20330  et  certainemant  Bourguignon  ;  je  ne 
sais  si  le  traducteur  l'était  aussi.  Toujours  et  il  qe  ce  n'êt  q'à 
l'autre  bout  de  la  France  qe  je  trouve  qelqe  chose  d'analogue 
à  son  ad]ecùî  enfantillonge.  Dans  le  Gloss.  du  pat.  de  Tlle-d'Elle 
(Vandée),  de  l'abé  Simonneau,  figure  l'article  suivant  :  «  Onfon- 
tilonge.  Adj.  Idiot  '.  »  La  désinancé  -onge  de  l'Ile-d'Elle  repré- 
sante  -enge  ou  -ange  du  français  propre  ;  an  dialecte  bourguignon, 
enfantillonge  pourait  à  la  rigueur  être  pour  *enfantillenge, 
puisqe  Philipon  signale  des  grafies  come  Demonge  et  venonge 
dans  la  Bourgogne  occidantale  -•.  Le  prov.  eufantilhorga  «  anfan- 


1.  Art.  infanti^. 

2.  On  voit  qe   le    traducteur  a  pris  Jeronimus    pour  Isidorus.  J'anprunte 
le  texte  latin  (Je  Jacobus  de  Voragine)  au  ms.  B.N.  lat.  5389,  foi.  5^. 

3.  Rev.  dephil.fr.  et  prov.,  III,  104. 

4.  Roniauia,  XLI,  582. 


34^  ANTOINE   THOMAS 

tillage  »,  formé  sur  le  modèle  de  inessorga  «  mançonje  »,  con- 
porte  la  variante  enjaniilhergai  q'on  trouve  au  sans  propre  de 
«  enfance  »  '  :  il  sanble  donc  qe  l'on  ait  u  an  latin  vulgaire 
une  désinance -ênica  ou  -înica  à  côté  de  -ônica. 


POITEVIN  ETURE 

Kôrting  anrejistre  le  lat.  statura,  mais  il  n'an  cite,  dans  les 
langues  romanes,  qe  des  représantants  de  formacion  savante  ; 
Meyer-Lûbke  n'a  pas  d'article  corespondant  \  Il  sufit  d'ouvrir 
Gôdefroy  pour  constater  qe  statura  a  un  représantant  popu- 
laire an  ancien  français,  à  savoir  csteure  ou  estaiïre,  au  sans  de 
«  stature,  taille  »  ',  Cet  ancien  mot  me  paraît  avoir  survécu 
dans  le  patois  poitevin,  sur  les  confins  de  l'Aunis,  avec  une 
curieuse  déviacion  de  sans.  L'abé  Lalanne,  dans  son  Gloss.  du 
pat.  poitevin^  a  l'article  suivant  : 

ETUREs,  S,  m.  pi.,  démonstrations  excentriques.  Vendjce]. 

L'abé  Simon neau,  dans  son  Gloss.  du  pat.  de  l'Ile-d'Elle 
(Vandée),  confirme  l'existance  du  mot  et  an  assure  le  janre 
féminin  : 

ÉTURES,  s.  t".  pi.  Grimaces,  fa(;ons  ridicules.  Angl.  esture  4. 

L.  Favre,  dans  son  Gloss.  du  Poitou,  de  la  Saiutonge  et  de 
l'Aunis,  nous  done  de  plus  longues  explications  : 

ETURES,  s.  f.  plur.  Faire  des  étiires,  c'est  faire  des  grimaces,  des  contorsions, 
des  gestes,  des  embarras:  «  qiiielle  jene  lumelle  ne  peut  pouet  cstre  (sir)  dans 
une  assemblée  sons  faire  des  étures.  » 


1.  Texte  publié  par  Paul  Meyer  dans  Roniaiiia,  XXVII,  115. 

2.  llanètde  même  pour  le  lat.  status,  malgré  l'existance  an  ancien  français 
d'esté  (voir  Godefrov)  et  an  ancien  provançal  d'estat  (voir  Sainta  Eidcs,  76, 
dans  Roiihiiiia,  XXXI,  182)  au  sans  de  «  taille  ».  ^ 

3.  Art.  ESTEURE.  L'auteur  a  tort  de  mètre  dans  le  même  article  lalocucion 
lotit  a  esture  (ou  eitnire),  dans  laqèle  Gaston  Paris  voit  le  lat.  studium 
(Romania,  VI,  130). 

4.  Rei'.  (le  plnl.  fr.  et  proi'..  II,  I2|..  Le  prctandu  mot  :mg\a\s  es  lu  re 
n'existe  pas. 


NOUVÈLES   VARIÉTÉS   ÉTIMOLOJIQES  347 

L'ARTICLE    FJISNIEUR   DE    GODEFROY 

Cet  article  et  ainsi  conçu  : 

FAISNIEUR,  S.  m.,  celui  qui  ensevelit,  qui  met  le  cadavre  dans  un  linceuL 
Pour  garder  icelui  corps  mort  ont  esté  commis  certains  faisnieurs  et  gardiens 
(1415,  Arch.  JJ  168,  pièce  544). 

Il  dérive  de  l'article  faisnator  introduit  par  Carpentier  dans 
le  Glossariiini  de  Du  Cange.  Après  avoir  reproduit  sans  comman- 
taire  qelqes  lignes  d'un  acte  latin  tiré  du  grand  cartulaire  de 
Saint-Victor  de  Marseille,  où  figure  un  personaje  nomé  Durannus 
Faisnator',  Carpentier  ajoute  :  «  An  idem  significat  quod  Fais- 
nieur  (suit  le  texte  français  reproduit  par  Godefroy),  quo  desi- 
gnari  videntur  presbyteri  servandis  humandisque  defunctorum 
corporibus  prœpositi  ?  » 

J'ai  vu  le  rejistre  JJ  i68,  au  passaje  allégué.  Carpentier  a 
comis  une  grave  faute  de  lecture  sur  laqèle  son  imajinacion  a 
batu  la  canpagne.  Le  manuscrit  ne  porte  pas  faisnieur,  mais 
saisineiir.  Cet  un  mot  conu,  qi  n'a  rien  de  mistérieus.  Godefroy 
n'an  donc  qe  deus  exanples  :  un  troisième  sera  donc  le  bien- 
venu -. 

ANC.   FR.  H  EL 

Ce  terme  de  marine,  qi  désigne  la  bare  du  gouvernail,  a  été 
relevé  depuis  longtanps  dans  un  passaje  du  Brut  de  Wacé,  cité 
par  Godefroy  5.  Je  crois  q'il  faut  le  reconaître  dans  un  morceau 
de  la  Vie  de  saint  Gilles,  de  Guillaume    de   Berneville,  qe  les 


t.  Ce  nom  propre  permet  d'atirmer  l'existance  an  très  ancien  provançal 
d'un  verhe  *faisndr,  nonatésté  direcîtemânt,  qi  représante  le  lat.  fascinare, 
leqel  a  doné  an  ancien  français  faisnier,  feinter,  verbe  conservé  dans  les 
patois  de  l'Ouest  ;  cf.  l'art,  fesnier  de  Godefroy.  Noter  qe  Godefroy  a 
oublié  de  ratacher  à  cet  article  le  participe  féminin  faillie,  qi  figure  au  v.  14 
de  la  Povreté  Ruteheuf,  éd.  Jubinal  (l'éd.  Kressner,  p.  16,  porte  ■.feitie). 

2.  Dans  la  pièce  visée,  il  s'ajit  du  corps  d'un  suicidé  qe  la  justice  â  mis 
au  saisine. 

?.  Cf.  le  commantairc  tccniqe  de  Jal  dans  son  Archéologie  mviUe,  L  î8i. 


34^  ANTOINE    THOMAS 

éditeurs,  G.    Paris  et    A.  Bos,  ont  ainsi  inprimé    (vv.   890-3), 
an  1881  : 

Tute  fud  queie  la  marine  : 

Ne  lur  cstut  pas  estricher, 

Ne  tendre  treinchelen^er. 

Le  verbe  helenger  n  et  p3.satesté  ailleurs.  Les  éditeurs  proposent 
dubitativemant  de  le  traduire  par  «  haler,  tirer  »,  et  Godefroy 
accepte  sans  réserve  cète  traduccion.  Voici,  à  ce  q'il  me  sanble, 
cornant  il  faut  lire  : 

Ne  lur  estut  pas  estricher 
Ne  tendre  tref,  ne  bel  enger. 

Le  verbe  enqer,eugier,  ongier  signifie  couramant  «  hanter  »  '. 
Dans  ce  cas  particulier,  on  conçoit  facilemant  qe  «  enger  le  hel  » 
puisse  signifier-  «  tenir  sans  relâche  la  bare  du  gouvernail  », 
corne  il  et  nécessaire  de  le  faire  qand  la  mer  et  mauvaise.  On 
sait  que/j^/  et  d'orijine  Scandinave,  et  seprésante  plus  réçamant 
sous  la  forme  heaume,  qe  Rabelais  et  le  premier  à  anployer  ^. 
Il  et  intéressant  de  signaler  an  moyen  français  des  traces  de 
la  forme  primitive.  An  voici  qelqes-unes  qe  j'ai  relevées  au 
cours  de  mes  lectures  : 

.]'.  gouvernail  garny  de  sa  ferreure  avecques  ij.  hiaux  pour  icellui  (Bréard, 
Compte  du  clos  des  galées  de  Rouen,  dans  Soc.  deVlnst.  de  Normandie,  Mélanges, 
2*  série,  Rouen,   1893,  p.   124,  ance  1583). 

Item  le  gouvernail...  Item  ij.  hiaux  (il>id.,  p.  126). 
Item  ij  tambres.  Item  ij.  hiaux  (Jhid.). 
Item  ij.  gouvernail...  Item  ij.  hiaux  (ibid.,  p.  128). 
Item  de  /j/a»/.v  pour  yceulx  bateau.K  {ihid.,  p.  132). 
Item  un  gouvernail  et  un  Imi)!  (lire  beau)  (ibid.,  p.  141). 

Aplustre,  stris,  id  est  gubernaculum  navis,  gouvernai  de  nef,  et  dicitur  ab 
appelle,  is,  scilicet  hyot  gailice  (Vocabularius  familiaris  et  cotnpendiosus...,  édi- 
cion  incunable  non  datée,  publiée  probablemant  à  Rouen  par  G.  Le  Talleur 
avant  1494:  Bibl.  nac.  Réserve  X  158). 


1.  Cf.  Jeanrov  dans  Roniania,  XXXIII,  604. 

2.  Voir  Jal,  Gloss.  nautique  ;  cf.  Meyer-Lûbke,  Rom.  etym.  IV.,  n°  4101. 
De  heaume  vient  probablemant  jauniière  «  trou  pratiqé  pour  laissçr  passer  la 
tçte  du  gouvernail  »  (D.  Behrens,  Beitràge,  p.   141). 


NOUVÉLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQES  349 


FR.  MECHANCETE 

Ce  substantif,  très  usuel  en  français  dès  la  première  moitié 
du  XVI'  siècle  ',  et  dont  le  plus  ancien  exanple  paraît  être  celui 
q'on  a  relevé  dans  le  Dngucsclin  de  Cuvelier,  composé  peu  après 
1380  ^,  ofre  une  irrégularité  morfologiqe  sur  laqèle  il  et  bon 
de  s'arêter,  ce  qe  je  ne  vois  pas  q'on  ait  fait  jusq'ici.  Le  Dict. 
général  a  le  mérite  de  signaler  le  fait,  puisq'il  déclare  qe  méchan- 
ceté et  «  dérivé  de  méchant,  sous  l'infiuance  de  l'anc.  fr.  mes- 
chance  '  ».  On  sait  qe  les  adjectifs  an  -ant  (étimolojiqemant, 
-ant  ou  -ent^  ont  à  côté  d'eus  des  subst.  an  -ance  (étimolojiqe- 
mant, -ance  ou  -ence),  corespondant  ans  tipes  latins  -antia  ou 
-entia.  Donc  an  ancien  français,  le  couple  nieschcant  -mescheance 
et  normal;  il  répont  à  confiant-confiance,  prudent-prudence,  etc. 
L'addicion  du  sutf.  -té  à  un  substantif  come  mescheance  et  une 
monstruosité  morfologiqe  •*  qi  se  retrouve  dans  l'anc.  fr.  eiirté, 
boneûrté  (plus  réçamant,  boneilreîé^  et  maJeûrté  (plus  réçamant 
maleiireté^,  à  côté  de  eilr,  honeiïr  et  maleiïr  :  ici,  vraisanblable- 
mant    les  adj.    honciirc  qi  nialeiiré  ont   servi  d'intermédiaires  5. 


1.  On  remarqera  l'usaje  fréqant  q'an  fait  Robert  Estienne  dans  son  Dict. 
francoislatiii  de  1539.  ^^  ^5)^>  dans  son  Tliesanrus,  il  écrit  meschansté  (je 
supléel'acçant),  à  l'art,  architectus,  mais  ailleurs  niesctiaiitete  (an.  improbi- 

TAS,  INDIGNITAS,    NEQ.UITIA). 

2.  Exanple  cité  par  Littré  et  par  d'autres  après  lui.  Plus  réçant  et  celui  qe 
Godefroy  anprunte  au  ms.  165  de  Jenève  dont  le  contenu  et  indiqé  d'une 
manière  peu  claire:  Traict.  de  Salem.  Il  s'ajit  des  Dialogues  de  Pierre  Le 
Fruitier,  dit  Salmon,  secrétaire  de  Charles  VI,  conposés  an  1409  ;  cf.  A.  Moli- 
nier.  Sources  de  Plnst.  de  France,  n»  3577.  Le  ms.  B.  N.  fr.  23379,  exécuté 
sous  les  ieus  de  l'auteur,  an  1409,  porte  iiiescliance  (fol.  29  vo)  et  non  ims- 
chancetc  :  mais  les  ms.  5032  et  9610,  exécutés  à  la  fin  du  xve  siècle,  come 
celui  de  Jenève,  ont  come  lui,  meschancetê. 

3.  Littré  admet,  come  si  c'était  chose  toute  naturèle,  qe  «l'ancien  franc. 
tneschance  adonné  nieschunceté  »  ;  DarmestQier  (Création  des  mots,  p.  1 14)  place 
le  mot,  sans  remarqe,  autre  tacheté  et  naiveté;  Diez,  Meyer-Lûbke  et  Nyrop 
le  passent  sous  silence. 

4.  Cf.  lat.  vulg.  nausietas  etodietas  (PInlol.  et  liug.,  Mél.  offerts  à 
Louis  Havet,  p.  519). 

5.  Peut-être  convient  il  aussi  d'atribuer  une  acciou  analojiqe  à.  seûrté  <^ 
secu  ri  ta  te  ni. 


330  ANTOINE   THOMAS 

La  Ibrmacion  de  uieschanceté  a  dû  aussi  être  favorisée  par  l'exis- 
tance  de  escharseié  (avarice),  fausseté,  mauvaiseté  (primitivemant, 
maJvaistie).  On  rancontre  an  moyen  français  qelqes  autres 
exanples  isolés  où  le  suffixe  -té  se  superpose  à  un  substantif 
abstrait  :  voir  dans  Godefroy  les  articles  amertumeté,  chaur- 
RETÈ,  consorcieté,  esperté,  menuisetè  et  triompheté  '. 

Le  succès  extraordinaire  et  définitif  de  iiieschaucelé  paraît  dû 
au  besoin  de  distinguer  le  substantif  abstrait  tiré  de  nieschant 
c(  maleureus,  misérable  »,  qi  était  normalemant  iiteschance,  de 
celui  dont  la  nécessité  se  faisait  santir  pour  répondre  au  sans  de 
meschnnt  «  malfaisant  ». 

Il  et  bon  de  rapeler  qe  méchanceté  a  tait  créer  par  analojie,  à 
la  fin  du  xix'^  siècle,  cocboncelé,  corne  variante  de  cochonerie, 
terme  familier  très  anployé  par  les  coléjiens  de  ma  jéncracion  et 
qe  les  frères  Concourt  ont  recueilli  de  la  bouche  d'Emile  Zola, 
le  15  juillet  189 1  ^ 


ANC.  FR.  MEISSIAU 

11  ne  sanble  pas  q'on  ait  signalé  la  survivance  du  lat.  miscel- 
lus  dans  aucune  langue  romane  :  du  moins  ni  Kôrting  ni 
Meyer-Lûbke  n'an  font  mancion.  Il  m'êt  arivè  réçamant  de  par- 
courir les  conptes  de  la  comanderie  de  Pains  (Aube)  pour 
l'anée  1307-8(6.  N.  coll.  Clairambault469,  pp.  209  et  53  ')  ;  j'i 
ai  lu  dans  un  invantaire  transcrit  à  la  suite  des  conptes  propre- 
mant  dits,  p.  231  : 

.]'.  petit  moncel  de  vieîssau  en  une  postée. 
Qe  par  iiieissaii  il  faille  antandre  ce  qe  nous  apelons  aujour- 


1.  An  anc.  prov.,  o;;o;v/ii/,  anrejistré  par  E.  Levy,  Prov.  Sttppl.-lV.,  net 
pas  solidcniant  établi,  mais  bon  dure  lat  ne  fait  pas  qestion. 

2.  Voir  .Max  Fuchs,  Li'xiqiw  du  /ourn,il  des  Goncourt,  tése  soutenue  à  la 
faculté  des  létres  de  l'Université  de  Paris  le  7  février  1912,  p.  30.  E.  Rolland 
n'a  pas  manqé  de  recueillir  ce  néolojisme,  q'il  considère  corne  un  eufé- 
misme,  dans  sa  Faune  populaire,  t.  V  (1882),  p.  229. 

3.  Cf.  ci-dessus  l'art,  coleron. 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQ^S  351 

dui   du  «  méteil  »,   cela  résulte   de  la  mancion    suivante,    qi 
figure  p.  225  : 

Recepte  de  mesteil  en  la  grandie  par  lesd.  bateurs,  d'un  petit  moncel  qui 
estoit  en  une  postée,  dont  mencion  est  faite  en  l'inventoire. 

Meissau  est  pour  *nieisseaii  ou  ineissiau.  Cette  dernière  forme 
a  été  relevée  par  Carpentier  dans  un  acte  de  1368  transcrit  dans 
le  rejistre  99  du  Trésor  des  chartes,  n°  255  : 

.xviij,  sextiers  de  meissiau  et  .xviij.  sextiers  de  tremois...  i 

Carpentier  a  bien  vu  q'il  s'ajissait  du  méteil,  q'il  apèle,  an 
son  latin  «  miscellum  frumentum  »,  mais  il  n'a  pas  conpris  qe 
meissiau  était  le  lat.  miscellum  lui-même,  sans  qoi  il  n'aurait 
pas  acroché  son  précieus  exanple  à  l'art,  medianus  ^. 

CHANPENOIS  MOINJOTE 

Dans  son  Gloss.  du  patois  de  la  forêt  de  Clairvaux  (sud-est  de 
l'Aube),  A.  Baudouin  consacre  un  long  article  au  subst.  fém. 
moinjote,  q'il  écrit  moinjotte.  An  voici  l'essanciel  : 

MOINJOTTE,  n.,  petite  réserve  amassée,  économisée  avec  soin  et  cachée,  ou 
du  moins  mise  à  part  ;  petite  cacliette.  —  S'applique  plus  spécialement  à 
certaines  provisions  de  bouche  d'une  conservation  facile,  fruits  secs  et  séchés, 
friandises,  etc.  V.  nieùrotte.  —  Désigne  aussi  un  petit  sac,  une  espèce  de 
bourse  en  toile,  plutôt  longue  que  large,  propre  à  contenir  au  besoin  les 
choses  à  conserver  ainsi.  —  Maingeotte,  de  mander  ?  Des  vieux  mots  muchote, 
cachette  ?  ou  montjoie  ? 

Les  raprochemants  indiqés  par  l'auteur  sont  sans  valeur  pour 
l'étimolojie  de  ce  curieus  mot.  Dans  moinjote,  sous  les  alluvions 


1.  Du  Cange,  art.  i.  medianus  ;  cf.  Godefroy,  art.  iMeissiau.  Vérificacion 
faite  dans  le  rejistre,  cet  acte  émane  des  anvirons  de  Troies,  come  celui  où 
j'ai  relevé  la  forme  inessiau. 

2.  Il  n'i  apis  d'exanple,  dans  les  textes  antiqes,  de  miscellu  s  apliqé  à 
un  mélanje  de  céréales.  Il  et  étonant  qe  Du  Cange  et  ses  continuateurs 
n'aient  pas  rancontré  le  mot,  au  mo\'en  âge,  apliqé  au  méttil. 


352 


ANTOINE    THOMAS 


d'un  long  usaje,  je  propose  de  reconaître  le  substantif  qi  figure 
dans  le  plus  ancien  manuscrit  du  Saint  Alexis  avec  la  fornu 
musgode  (str.  Li,  4)  et  auqel  se  ratache  notre  verbe  actuel 
mijoter  '.  Le  sans  convient  admirablemant.  L'altéracion  de  la 
première  sillabe  se  montre  déjà  dans  des  manuscrits  cités  par 
G.  Paris,  et  où  on  lit  mer.goie  et  monjoie  ;  la  substitucion  du 
suffixe  diminutif -o/e  à  l'anciène  désinance  oe  se  retrouve  dans  le 
verbe  mijoter  et  ne  fait  pas  difficulté  -. 

CHANPENOIS   M'ZOLE 

Je  relève  m\o!e  dans  VÉtude  sur  le  patois  de  Gaye  (Marne)  de 
C.  Heuillard,  parmi  «  les  mots  ne  présentant  que  peu  ou  point 
de  ressemblance  avec  le  français  »,  p.  88  :  «  m'zole  :  plante  de 
la  famille  des  crucifères  (iberis  amara  L.)  «.  Rolland  traite  de 
cète  plante  dans  le  t.  II,  p.  104,  de  sa  Flore  populaire,  volume 
paru  an  1899.  Il  ignore.  m\ole,  ce  qi  n'êt  pas  étonant,  l'Etude 
citée  ayant  vu  le  jour  an  1903  ;  mais  il  done  amarun  come 
nom  provançal  (Avignon)  de  cète  plante,  et  il  signale  ameron 
dans  l'Aube  et  la  Haute-Marne.  Il  et  clair  qe  m\ole  et  pour 
*am\ole,  *ame:;ple,  *amerole.  Le  passaje  de  r  intervocaliqe  à  :<;  et 
atesté  par  d'autres  exanples  dans  le  patois  deGdye''  :  Heuillard  a 
signalé  lui-même  (p.  46)  la  désinance  -eiise  {-eu^e),  pour  -ure, 
dans  châtreuse,  chieiise,  coureuse,  peleuse  (cf.  Imsote  pour  burète, 
p.  72,  b:{uter  «  bluter  »,  p.  G^,  d'une  anc.  forme  *beruter),  lon- 
gueielle{p.  86),  pour  longuerelle,  meuson  (p.  87),  pour  miîron, 
noiok,  lieu  dit  (p.  89),  d'un  anc.  *noerole,  pasène  (p.  90),  pour 
partie  «  paciance  »,  plante,  etc.  Come  ce  patois  distingue  bien 


1.  Voir  la  note  substancièle  qe  lui  a  consacrée  G.  Paris.  Le  maître  déclarait, 
an  1872,  q'il  ignorait  l'étimolojie  de  musgode;  nous  an  somes  toujours  au 
même  point,  malgré  les  éforts  de  filologues  éminants  come  J.  Storm  et 
W.  Foerster  ;  cf.  Meyer-Lùbke,  Kow .  etyiii.  IV.,  art.  5776,  où  et  institué  un 
tipe  provisoire  *musgauda,  suposé  gaulois. 

2.  L'anciène  forme  «  franciène  »  nitijoe,  mijoe  s'êt  mieus  conservée  dans  la 
Chanpagne  du  nord,  car  le  patois  de  Gaye,  canton  de  Sézane  (Marne),  a  le 
subst.  mijoiie  «  cachette  de  fruits  »  et  le  verbe  niijoucru  achever  de  mûrir,  an 
parlant  des  fruits  cueillis  »  (Heuillard,  pp.  87  et  113). 

3.  luversemant,  on  a  iimia>ige  (jt.  87),  pour  le  fr.  mcsanje.  __ 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQES  353 

les  désinances -^/e  (lat.  -èlla)  et  -oie  (lat.  -ola),  il  ne  faut  pas 
voir  dans  m\ole  un  représantant  de  l'anc.  fr.  amerek,  nom  de  la 
camomille  puante  ',  mais  admètre  une  formacion  directe  par 
soudure  à  l'adj.  amer  du  suffixe  -oie  anprunté  aus  mots  corres- 
pondant au  lat.  vulg.  -iola  et  à  ceus  qi  avaient  été  faits  à  leur 
imitacion  ^.  Il  n'i  a  aucune  vraisanblance  à  suposer  un  tipe  lat. 
vulg.  *amariola. 

ANC.    FR.    OSMEUR 

Godefroy  done  qatre  exanples  de  l'ancien  verbe  osmer,  orner 
«  flairer  »  ',  mais  il  ne  conaît  pas  le  substantif  abstrait  cores- 
pondant.  Voici  deus  exanples  de  omeiir  «  odeur  »,  relevés  dans 
la  traduccion  du  Livre  du  commencement  de  Sapience  d'Aben- 
Ezra,  faite  par  lejuif  Hagin  avant  1273  *  : 

Ses  dens  et  s'omeur  puant  (B.  N.  fr.  24276,  fol.  36'') 
Tout  fruit  qui  a  bonne  omeur  (ib.,  fol.  40^). 

En  outre,  il  et  probable  q'il  faut  reconaître  le  même  mot, 
contaminé  par  le  lat.  humor,  dans  le  passaje  suivant  de  la 
Chace  de  Gaston  Fébus  : 

L'eaue  qui  vient  aval  leur  aporte  [aus  chiens]  la  humour  du  cerf  qui  fuit 
amont  (Edit.  Lavallée,  p.  192). 


1.  Dans  le  Glossaire  de  Tours  ;  voir  Foerster  etKoschwitz,  Uebungsbuch,  4* 
éd.,  col.  213,  n"  185.  Amerek  a  échapé  à  Godefroy,  mais  non  à  Rolland, 
Flor.  pop.,  Vil,  33. 

2.  Cf.  l'anc.  fr.  chaierole,  diminutif  de  chaiere,  etc. 

3.  Du  grec  oaaaoïjLat,  qi  a  le  même  sans  et  qi  a  dû  être  latinisé  de  bone 
eure  an  *osmare,  non  atesté  ;  cf.  Meyer-Lûbke,  i?ow.  ^//;«.  ÎV.,  no6ii2, 
où  l'on  s'étone  de  ne  pas  voir  citer  l'anc.  fr .  osmer.  On  peut  anrichir  Godefroy 
de  l'exanple  suivant  : 

Lors  taste  a  sa  main  et  si  osme 
Et  sent  que  c'est  merde  qui  put. 

{Renart,  XVI,  974,  Martin.) 

4.  Sur  cet  auteur,  voir  Hist.  litt.,  XXI,  499  et  XXVII,  507  ;  cf.  Romania, 
V,  136. 

Remania,  XLIV,  2} 


i 


354  ANTOINE   THOMAS 

ANC.  FR.    REANCE,  RAINCE 

Godefroy  a  anrejistré  un  exanple  de  reance  «  rançon  »  dan 
la  traduccion  de  Primat  par  Jehan  de  Vignai,  mais  il  a  oublié 
raiîjce,  qi  figure  avec  le  même  sans  dans  la  version  poitevine 
des  Sermons   de  Maurice  de  Suli  : 

Cil  seront  saolé  e  reent  qui  ont  faim  et  sei  de  raince  ' . 

Cornant  faut  il  expliqer  ce  mot  ?  On  sait  qe  qelqes  substan- 
tifs français  ont  été  calqés  sur  le  tipe  latin  du  nominatif  an 
-tio  et  ont  passé  dans  Tusaje  avec  la  désinance  féminine  -ce  : 
decoloce  {yz.ï.dcgolace),  dédicace(^war.  dicace,  ducasse), préface.  Faut 
il  voir  redemp tio  dans  reance,  raince}  Cet  l'opinion  de  Bou- 
cherie, qe  j'ai  naguère  reproduite  ^  ;  mais  je  ne  la  crois  pas  fon- 
dée. J'estime  aujourdui  qe  reance,  raince  som  des  grafies  erro- 
nées pour  *reense,  *raense,  substantif  tiré  du  participe  passé  reens, 
raens,  dont  les  exanples  abondent  ^.  Une  grafie  analogue,  pour 
la  forme  féminine  du  participe,  et  anrejistrée  par  Godefroy 
d'après   un  manuscrit  de  la  Conceplion  de  Wace  : 

Qiie  hai  rancc  tote  la  gcnt   (Brit.  Mus.,  Addition.  15606,  fol.  74^). 

Les  substantifs  participiaus  féminins  tirés  de  participes  passés 
an  -s  sont  nonbreus  :  assise,  course,  défense,  dépense,  entorse,  mise, 
prise,  réponse,  secousse,  toise,  etc.  Et  Ton  peut  constater  qe 
l'ortografe  oficièle  de  nos  jours  a  consacré  la  faute  grossière  qi 
consiste  à  écrire -fc  pour  -se  dans  qelqes-uns  d'antre  eus,  nota- 
mant  dans  amorce,  sauce,  semonce  et  source. 

L'ARTICLE   ROUSCELLE  DE    GODEFROY 
■   Cet  article  et  ainsi  conçu  : 

RouscELLE,  s.  f.  sauterelle. 

Hz  sont  multiplies  comme  rouscelles  (Bible,  Hieremie,  XLVi,  23,  éd.  1543). 
Lat.,  locustae. 

1.  A.  Boucherie,  Le  diaïtcte poitevin  an  X H I^  siècle  (Paris,  1873),  p.  64. 

2.  Op.  cit.,  p.  236  ;  cf.  Romania,  XLIL  385,  n.  6. 

3.  Voir  Godefroy,  art.  raembre.  Mcyer-Lùbke,  Giain.  des  1.  rotn.,  II, 
§  338,  néglije  l'anc.  franc,  raens,  mais  cite  l'anc.  prov.  /v~c;u,  du  lat.  vulg. 
*  rc  d  e  m  s  u  s,  pour  r  c  d  c  ni  p  t  u  s. 


NOUVÈLES    VARIÉTÉS    ÉTIMOLOJIQES  355 

Et  je  vous  osteray  les  ans  que  la  rouscelle  mangea,  le  haneton  et  la  chate- 
pleuse  et  le  roil  {Ib.,  Joël,  11,  25),  Impr.,  roustelh.  Lat.,  locusta. 

A  priori,  il  sanble  q'il  faille  lire  roustelh  dans  les  deus  pas- 
sa] es  cités  et  voir  dans  cète  forme  une  curieuse  dissimilacion  de 
*loustelle,  qi  serait  un  diminutif  de  l'anc.  fr,  laouste  ■<  locusta. 
Mais  qel  fonds  faut  il  faire  sur  le  texte  invoqé  par  Godefroy  ? 
La  date  de  1543  et  fautive;  il  faut  lire  1545,  date  d'une  des 
réinpressions  de  la  Bible  enfrançoi:(  publiée  pour  la  première 
fois,  vers  1496,  par  le  célèbre  libraire  parisien  Antoine  Verard. 
Dans  l'édicion  orijinale  ',  on  lit  à  peu  près  la  même  chose  : 

Hz  sont  multipliez  comme  rouscelles  (Hier,  xlvi,  23,  fol.  62^  du  2^  vol.). 
Je  vous  osteray  les  ans  que    la  rotistelle  mangea,  le  haneton  et  la  chatape- 
leuse  et  le  roil  (Joël,  11,  25,  fol.  105b  du  2=  vol.). 

De  ces  deus  passa]  es,  extraits  au  hasard  par  Godefroy,  il  con- 
vient de  raprocher  les  deus  suivants  : 

L'amendier  florira  et  la  rouselle  sera  engressee  (Eccl.  xii,  5,  fol.  14»  du 
2«  vol.). 
Comme  la  rouselle  qui  se  plonge  (Eccli.  XLiii,  19,  fol.  35»  du  2=  vol.). 

Or  le  texte  inprimé  par  Verard  et  celui  de  la  célèbre  Bible 
historial  de  Guiart  des  Moulins,  plus  ou  moins  remanié  et 
altéré.  J'ai  pris  la  peine  de  collacioner  les  qatre  passa]es  cités 
sur  deus  manuscrits,  B.  N.  fr.  159  et  160,  et  ]e  puis  garantir 
les  leçons  suivantes  : 

Eccl.  XII,  5  :\'aouslerelle  sera  engressie  (B.  N.  fr.  159,  fol.  303b);  Wwus- 
tereille  (B.  N.  fr.  160,  fol.  259a). 

Eccli.  XLiii,  19  :  Vaousterelle  qui  se  plonge  (B.  N.  fr.  159,  fol.  325'')  ; 
Vaoustereule  (B.  N.  fr.  160,  fol.  28 1^"). 

Hier,  xlvi,  23  :  ilz  sont  mouteploiés  comme  aousterelles  (B.  N.  fr.  159, 
fol.  361b);  ils  sont  mouteploié  comme  aousierele^iB.  N.  fr.  160,  fol.  324'). 

Joël,  II,  25  :  que  ïaousterelle  menja,  le  haneton  et  la  chatepeluse  (i/c)  et  le 
roil  (B.  N.  fr.  159,  fol.  393^)  :  que  Vaousterek  menja,  le  haneton  et  la  cate- 
peleuse  et  le  roil  (B.  N.  fr.  160,  fol.  360''). 

Dans  ces  condicions,  j'estime  qe  les  formes  ronselle,  rouselle, 


I.  B.  N,  dép.  des  luprimés,  Réserve  A  273. 


356  ANTOINE   THOMAS 

rouscellc,  ronstelle  de  Vérard  et  des  édicions  subséqantes  sont 
absolumaiît  dénuées  de  valeur  linguistique  '  :  les  seules  formes 
réèles  sont  aousterele  (variante  grafiqe  :  aousterellé)  et  aoustereult 
(transformé  an  aoitstereille  par  une  faute  de  lecture).  J'ai  u  l'oca- 
sion  de  signaler  réçamaiit  aiilereule,  variante  intéressante  de 
aousterole  ^ ;  dans  B.  N.  fr.  léo,  on  lit  ousteroles  au  fol.  233*^ 
(Psalm.  Lxxvii,  46),  aoustereiilk  au  fol.  255''  (Prov.  xxx, 
2j),  aoustereuks  aus  fol.  397''  (Math,  m,  4)  et  501^  (Apoc.  ix, 
3  et  7).  Antérieuremant,  j'avais  émis  l'idée  qe  aousterele 
remontait  primitivemant  à  laouste  <  locusta,  et  qe  le  mois 
d'oût(primitivemant  aosi,aoust)  n'était  intervenu  qe  par  étimo- 
lojie  populaire  '.  Je  crois  maintenant,  après  avoir  étudié  dans 
l'édicion  Verard  et  dans  les  deus  manuscrits  précités  tous  les 
cas  où  le  latin  bibliqe  ofre  locusta,  q'il  ni  a  pas  lieu  de  iaire 
intervenir  l'anc.  fr.  laouste  dans  la  formation  de  aousterele,  et  je 
tiens  à  le  déclarer  pour  foire  amande  onorable  à  Meyer- 
Lûbke  et  à  un  filologue  moins  conu,  frère  Denis  Foullechat, 
leqel,  dans  sa  traduccion  du  Policratiqe  de  Jan  de  Salisburi, 
exécutée  en  1372  ■^,  a  consigné  cète  remarqe,  qe  Godefroy  a  u 
soin  de  recueillir  :  «  La  locuste,  c'est  à  dire  la  aousterellé  qui 
saut  en  ûfo/f5M.  »  Frère  Denis  était  plus  savant  qe  l'anonime  à 
qi  nous  devons  la  Bible  du  xiii'^  siècle,  leqel  ayant  à  faire  parler 
Dieu,  par  la  bouche  de  Moïse,  au  roi  Faraon,  lui  a  prêté  ce 
discours  candide  :  «  Ge  amenrai  demain  par  toute  ta  contrée  mes 
bestes  qui  sont  apelees  locu5te[s]  en  latin,  et  ge  ne  sai  pas  le 
françois  ^  ».  Mais,  par  la  suite,  l'anonime  a  fini  par  faire  conais- 
sance  avec  langouste  7  et  avec  aousterele  ^. 

Antoine  Thomas. 


1.  Une  lame  plus  extraordinaire  a  transformé  at>«i/t/f/t'i  un  orfèvres  (Isaie, 
XL,  22)  non  seulcmant  dans  Verard,  mais  dans  le  ms.  B.  N.  fr.  159,  fol.  JjS'i. 

2.  Romatiia,  XLIII,  81,  note  4. 

3.  Romania,  XL,  109-110. 

4.  Voir  L.  Delisle,  Recti.  sur  la  librairie  de  Charles  V,  partie  I,  pp.   85-8. 

5.  Godefroy,  art.  aousterele. 

6.  B.  N.  fr.  899,  fol.  jsd  (Exode,  x,  4). 

7.  Num.,  XIII,  î4,etc. 

8.  Job,  XXXIX,  29,  etc. 


THE  OFFICIUM  STELLA  FROM  BILSEN 


Among  the  extant  versions  of  the  Offichim  Stellœ  \  the 
text  from  the  monastery  of  Bilsen  occupies  an  important  place. 
In  his  comprehiensive  study  of  the  liturgical  plays  of  Epiphany, 
Anz  has  amply  shown  that  this  version  represents  a  high 
stage  of  development  both  in  gênerai  dramatic  content  and  in 
détail  of  literary  workmanship  *.  It  is  therefore  unfortunate 
that  so  important  a  play  should  not  be  accessible  through  an 
accurate  text.  The  text  has,  to  be  sure,  been  edited  twice  :  by 
Cahier  and  Martin  ',  and  by  Clément'^.  Upon  the  accuracy  of 
thèse  éditions,  however,-doubt  has  been  cast  repeatedly,  and  a 
demand  fora  new   text  has  been  emphatically  expressed  5.  To 


1.  The  most  extensive  bibliography  of  the  extant  versions  in  that  in 
Modem  Language  Notes,  vol.  XXVII  (Baltimore,  1912),  pp.  68-70,  which 
may  be  supplemented  by  Publications  of  the  Modem  Language  Association  of 
America,  vol.  XXX(i9i5),  pp.  25-41. 

2.  H.  Anz,  Die  lateinischen  Magierspiele,  Leipzig,  1905,  pp.  95-90,  103- 
106.  Anz's  monograph  on  the  Ojficium  Slellx  is  the  most  thorough  treat- 
ment  of  the  subject.  Since  several  texts  of  this  play  hâve,  however,  been 
publlshed  since  1905,  Anz's  bibliography  of  the  extant  versions  is  less 
extensive  than  that  referred  to  in  the  preceding  note.  It  should,  of  course, 
be  understood  that  in  the  présent  brief  article  we  do  not  attempt  to  discuss 
the  possible  textual  relations  between  the  Bilsen  version  of  the  Officium 
Stellx  and  ail  other  versions. 

5.  C.  Cahier  and  A.  Martin,  Mélanges  d'archéologie,  d'histoire  et  de  littéra- 
ture, vol.  I,  Paris,  1847,  PP-  258-260.  This  text  was  copied  fromthe  manu- 
script  for  Cahier  and  Martin  (see  p.  258)byVanhecke  . 

4.  F.  Clément,  Histoire  générale  de  la  musique  religieuse,  Paris,  1878, 
pp.  II 5-1 18.  Clément  (see  p.  115)  copied  his  own  text  directly  from» the 
manuscript. 

5.  W.  Meyer,  Fragmenta  Bnratta,  BerHn,  1901,  p.  41  ;  Anz,  p.  103. 
For  the  strictures  of  Meyer  and  Anz  upon  the  two  previous  éditions  ample 
support  will  be  found  in  the  foot-notes  to  the  new  édition  ofl'ered  below. 


3  5^  G.    COHEN    A\D    K.    YOUNG 

this  demand  the   présent  article  undertakes   modestly  to  res- 
pond. 

The  text  is  found  in  an  Evangeliariiiin  of  the  eleventh  cen- 
tury  '  from  Bilsen  %  now  preserved,  without  press-mark,  in 
the  library  of  the  BolLindists.in  Brussels  ' .  Toward  the  end  of 
the  manuscript  (fol.  179  v°)  the  close  of  the  Gospel  of  John 
is  indicated  by  the  foUowing  words  written  in  capitals  :  Expl/- 
cit  Evangeliiim  secnnànm  lohatnieiii.  Under  this  explicit  is  writ- 
ten this  colophon  :  Ego  Samuhel  indign//.?  iX\:iconus  scripsi 
istud  ^  Evangdmw  5.  Below  the  colophon  begins  the  text  of 
the  Officium  Slellx  (Ordo  Stellœ),  with  which  the  manuscript 
ends  (fol.  180  v°).  In  content  tlie  Ojficium  Stella'  bas  no  con- 
nection with  the  rest  of  the  volume.  It  is  written,  moreover, 
in  a  difterent  hand  from  that  seen  in  the  text  of  the  Gospel  of 
Johnimmediately  preceding.  The  hand  that  wrote  the  dramatic 
text  may  be  assigned  to  the  end  of  the  eleventh  century.  The 
text  is  furnished  with  musical  notation  in  the  form  of  neums. 


1.  In  regard  to  this  date  see  Cahier  and  Martin,  p.  258.  Clément  (p. 113) 
erroneously  assigns  the  manuscript  to  the  tenth  century. 

2.  Munster-Bilsen  (Belisia,  or  Beîissa),  between  modem  Tongres  and 
Maastricht,  near  Liège,  Belgium.  See  U.  Chevalier,  Répertoire  des  sources 
historiques  du  moyen  dge  :  Topo-Bibliographie,  Montbéliard,  1 894-1 90 3,  col. 
2044;  Gallia  Christiaiia,  vol.  III,  Paris,  1876,  col.  995-996.  The  only  évi- 
dence that  this  version  of  the  Ojficium  Stella:  was  written  for  performance 
at  this  particular  monastery  is  its  préservation  in  a  manuscript  that  cornes 
from  Bilsen.  Clément  observes  (p.  114),  «  Il  est  probable  qu'il  a  été  repré- 
senté dans  l'église  du  monastère  de  Bilsen.  » 

3.  Such,  in  any  case,  were  the  circumstances  of  custody  before  August, 
1914. 

4.  The  last  letter  of  istud  is  erased.'  Clément  (p.  1 13)  prints  isttnu. 

5.  It  is  improbable  that  the  expansion  should  be  Euangeliarium.  Clément 
evidently  interprets  this  colophon  as  a  heading  for  the  play  that  follows  it 
in  the  manuscript.  He  introduces  his  text  of  the  play  with  the  words, 
«  Drame  des  Mages,  par  le  diacre  Samuel  »  (p.  115),  and  in  the  course  of 
his  commentary  writes  as  follows  :  «  On  voit  par  cette  signature  que  la 
pensée  de  l'auteur  a  été  de  mettre  en  action  l'évangile  qui  se  rapporte  au 
voyage  des  rois  Mages  »  (p.  113).  The  présent  writers  hold  that  the  ins- 
cription of  the  Deacon  Samuel  attaches  itself  to  what  précèdes  in  the  manu- 
script, not  to  what  follows. 


THE   OFFICIUM  STELL.E   FROM   BILSEN  359 

The  play  stands  as  follows  '  : 

Ordo  <  Stelle  >  ' 
Post  Benedicamus  puerorum  splendida  3  cetus 
Ad  regem  pariter  debent  t  protendere  gressu, 
Preclara  uoce  necnon  istud  5  resonare  ^  : 

Eia  dicanius  !  regias  hic  fert  dies  annua  laudes  ; 

Hoc  lux  ista  dédit  quod  mens  sperare  nequiuit  7  : 

Atulit  et  uere  uotorum  gaudia  mille, 

El  regnum  régi,  pacem  quoque  reddidit  orbi, 

Nobis  diuicias,  decus,  odas,  fcesta,  choreas. 

Eia  dicamus  ! 

Hune  regnare  decet  &  regni  sceptra  tenere  ; 

Régis  nomen  amat,  nomen  quia  *  moribus  ornât. 
Chorus,  ascendente  rege  : 

Super  solium  David  9. 

1.  Brussels,  Bollandist  Ms.,  Evangeliarium  Belisiense  saec.  xi,  fol.  179  vo- 
180  vo.  In  the  foot-notes  are  indicated  ail  variations  in  the  éditions  of 
Cahier  and  Martin  (M)  and  Clément  (C),  except  in  matters  of  spelling  and 
punctuation.  The  manuscript  form  iiobis,  for  example,  is  retained  without 
note  of  the  variant  vobis  in  M.  and  C.  Illegible  passages,  and  passages  lost 
through  tearing,  are  indicated  by  one  of  two  devices  :  (i)  Pointed  brac- 
kets,  —  i.  e.  O,  —  enclose  passages  that  may  be  restored  with  reaso- 
nable  probability  ;  (2)  Dots  represent  passages  for  which  restorations  are 
not  offered . 

2.  After  the  word  Ordo  occurs  an  erasure,  probably  of  one  word.  Of 
this  erasure  M.  and  C.  take  no  accoutu.  The  vi'ord  lost  may  hâve  been 
stelle,  of  which  the  first  two  letters  may  possibly  be  legible.  Cf.  the  term 
Officium  Stellie  of  the  Rouen  Epiphany  play  (see  A.  Gasté,  Les  Drames 
liturgiques  de  la  Cathédrale  de  Roue)!,  Evreux,  1893,  p.  49). 

3.  splendida]  splendida  (sic)  M.  ;   splendido  C. 

4.  debent]  oiiiitted  C. 

5.  istud]  istut  Ms.  ;  istic  M. 

6.  Upon  the  basis  of  M.,  without  référence  to  the  manuscript,  Anz 
(pp.  93)  emends  this  rubric  as  follows  : 

Post  Benedicamus  puerorum  splendidus  coetus 
Ad  regem  pariter  debeat  protendere  gressum 
Voce  praeclara  nec  non  istaec  resonare. 

7.  nequiuit]  nequi[vi]t  M.  ;  nequil  C. 

8.  quia]  qui  C. 

9.  See  the  following  antiphon,  attached  to  the  Benedictiis  of  Lauds  or  to 
the  Magnificat  of  Vespers  on  the  second  Simday  of  Advent   :  Super  solium 


3^0  G.    COHEN    AND    K.    YOUNG 

Angélus,  ab  altis,  Pastoribus  ista  predicit  : 
Pastores,  anuntio  uobis  '. 
Multitude  angelorum  : 

Gloria  in  excelsis  ». 
Bethléem  '  Pastores  tune  pergunt  ♦  hec  résonantes: 

Transeamus  Bethléem  et  5. 
Magus  *  primus,  qui  stat  tune  in  medio,  cantet  : 

Stella  fulgore  nimio  rutilât. 
Secundus,  qui  stat  ad  dexteram  : 

Que  regem  7  regum  natum  monstrat. 
Tercius,  qui  stat  ad  sinistram  : 

Quem  *  uenturum  olim  prophetia  signauerat. 
Insimul  hi  pergent  ac  oscula  dulcia  figent. 
Tune  pergunt  pariter  hoe  '  uerbum  uociferantes  : 
Hac  ducente  pergamus 
Ubi  eius  sit  natiuitatis  loeus. 
Conpellat  taliter  uox  internuneii  Magos  '<>  : 

Regia  uos  mandata  uocant  ;  non  "  segniter  ite. 


Magi 


Quis  ■'  rex  sic  per  te  uult  nos  reuoeando  uenire  ? 


David,  et  super  regnum  ejus  sedebit  in  xtenium,   alléluia   (Migne,  Patrologia 
Latitm,  vol.   LXXVIII,  eol.  728.  Cf.  Mich.  iv.  7  ;  Luc.  i.  32). 

1.  See  the  following,  used  as  the  fourth  antiphon  of  Christmas  Lauds  : 
Angélus  ad  Pastores  ait  :  Anuuiitio  vobis  gaudtuvi  magnum,  quia  natus  est 
nohis  hodie  Salvator  ttiundi,  alléluia  (Migne,  Pat.  Lat.,  vol.  LXXVIII,  col. 
735.  Cf.  Luc.  ii,  lO-ii). 

2.  excelsis]  hecelsis  Ms.  See  the  following,  used  as  antiphon  of  the  S^-w^- 
dictiis  of  Christmas  Lauds  :  Gloria  in  excelsis  Deo,  et  in  terra  pax  homini- 
bus  houx  voluntatis,  alléluia,  alléluia  (Migne,  Pat.  Lat.,  LXXVIII,  735.  Cf. 
Luc.  ii,  14). 

3  .   Bethléem]  Behtleem  Ms. 

4.  pergunt]  pergant  C. 

5.  et]  omitted  M.  and  C.  Ste  Luc.u,  15  :  Transeavms  usque  Bethleheni,  et 
videamus  hoc  verbum,  quod  factuui  est,  quod  Dominus  ostevdit  nabis. 

6.  Magus]  Rex  M.  and  C.  In  the  manuscript  Magus  has  been  ineffec- 
tually  erased.  Above  the  erasure  a  later  hand  has  written  Rex. 

7.  regem]  cegem  Ms. 

8.  Quem]  Quên  Ms. 

9.  hoc]  hune  Ms.  ;  hune  (sic)  M. 

10.  uox  internuneii  Magos]  et...   nuntius  illos  M.;  internuneius  C. 

11.  non]  née  M.  and  C. 

12.  Quis]  Qui  Ms.  and  C.  ;  Quifs  ?]  M. 


THÈ   OFFICWM  STELLM  FROM   BILSEN  361 

Magos  tune  ense  iugulari  preco  rainatur  '. 
Internuncius  »  : 

Rex  est  qui  totum  regnando  possidet  orbem. 
M<agi>  i  : 

Et  nos  cernemus  quis  regum  sic  sit  herilis. 
Illos  dimitit  rege. . .  sit  ♦.  . .  : 

[fol.  180  ro]  Viuas  eternus  5  Rex,  semper  uiuere  dignus  ! 
Rex  econtra  *  : 

Quid  maioris  opus  ?  mea  sit  tibi  gracia  muuus  7. 

Quid  rumoris  affers  ? 
Non  moram  faciens,  respondet  Nuncius  *  ista  : 

Nuncia  »  dura  satis  refero,  presagia  uatis  '«. 
Rex  : 

Que  sunt  presagia  uatis  •'  ? 
Internuncius  : 

Adsunt  nobis,  Domine,  très  uiri  ignoti  ab  oriente  '» 

Nouiter  natum  quendam  regem  queritantes. 

1 .  Magos  tune  ense  iugulari  preco  minatur]  Reges  Jugulari  pce  (ense?)  mina- 
t[ur  ?J  M.  ;  Reges  tune  ense  jugulari  praeco  minatur  C.  The  word  Magoe 
bas  been  partly  erased,  and  above  the  erasure  a  later  hand  has  written 
Reges.  The  word  ense  is  written  over  an  erasure. 

2.  Internuncius]  int[ernuntius]  M.  ;  omitted  C. 

3.  M<;agi>]  omitted  M.  and  C.  Hence  both  editors  represent  the  utte- 
rance  of  Internuntius  and  that  of  the  Magi  as  forming  one  speech  of  Inter- 
nuntius.  Perceiving  the  defective  sensé  involved,  M.  suggests  for  nos  cerne- 
mus the  reading  vos  cernelk.  But  the  restoration  of  the  rubric  restores  the 
sensé  without  emendation.  Without  knowledge  of  the  manuscript  Anz 
(p.  104)  proposed  a  similar  division  of  the  dialogue. 

4.  Illos  dimitit  rege...  sit...]  Illos  dimittit...  [et  ad  regem  redit?] 
M.  ;  Illos  demittit  (et  ad  regem  redit)  C. 

5 .  eternus]  asternum  M. 

6.  econtra]  contra  C. 

7.  tibi  gracia  munus]  [tibi]  gratia  munus  M.  ;  gratia  et  munus  C.  In  the 
Ms.  tibi  is  written  above  the  line,  by  a  contemporary  hand.  For  the  line 
Anz  (p.  104)  conjectures  the  reading  Quid  maioris  opus  iiiee  sit  tibi  gratis 
munus. 

8.  Nuncius]  noncius  Ms. 

9.  Nuncia]  Nuncio  C. 

10.  satis  refero  presagia  uatis]  facis  referre  prsesagia  natis  M.  ;  facis  refero 
presagia  natis  C. 

11.  uatis]  natis  M.  and  C. 

12.  oriente]  oriente  [venientes]  M. 


362  G.    COHEN    AND    K.    YOUNG 

Occurrens  aliter  ',  cui  tune  hec  sunt  patefacta  : 

Rex,  Rex,  Rex  ! 

Rex,  regem  natiim  constat  per  carmina  uatum. 

Constat  per  lumen  =  natum  de  uirgine  natum. 
Tcrcius  accédât,  hos  3  qui  monstrat  ucnicntes  : 
En  magi  ueniunt  +, 

Et  regem  regum  natum  $,  Stella  duce,  requirunt  ; 

Portant  infiinti  sua  munera  ^  cuncta  regenti. 
Talibus  auditis,  Rex  illi  talia  profert  : 

Ante  uenire  iube,  que  possim  singula  scire. 

Qui  sint,  cur  ueniant,  quo  nos  rumore  requirant. 
Armiger  ad  <  Magos  >  sic  inplet  iussa  ^  potentis  : 

Regia  ". 
Ad  Regem  ueniunt  ;  pariter  sic  ore  salutant  : 

Salue,  princeps  ludcorum. 
Rex  : 

Que  sit  causa  uie,  qui  uos,  uel  unde  uenitis  »  ? 

Dicite  nobis. 
Magi  : 

Rex  est  causa  uie  ;  reges  sumus  ex  Arabitis, 

Hue  uenientes  •«■, 


1.  aliter]  alter  (?)  M.  ;  alius  C. 

2.  per  lumen]  plum  {sic)  M.  ;  predarum  C.  For  the  Une  Anz  (p.  105) 
conjectures  the  reading  Constat eum  vatum  (Jibiis)  de  virgine  natum. 

3.  hos]  his  M.  and  C. 

4.  ueniunt]  uenient  Ms.  ;  veulent  (veniunt  ?)  M. 

5.  natum]  omitted  M. 

6.  munera]  numera  M. 

7.  Armiger  ad  ■<  magos  >  sic  inplet  iussa]  Amiger  ad...  sic  implct 
velle  M.;  Armiger  ad...  sic  implet  velle  C.  The  word  viagos  is  compktely 
erased,   and  above   the    erasure   a  latcr  hand  has  written  reges. 

8.  Rcgia]  Reges  C.  Clément  regards  Reges  as  part  of  the  succeeding 
rubric . 

9.  See  Aeneid,  IX,  376-7  : 

«  State,  viri  ;  quae  causa  viae  ?  quive  estis  in  armis  ? 
Quove  tenetis  iter  ?  » 
See  also  Aeneid,  VIII,   112-114  : 

«  luvenes,  quae  causa  subegit 
Ignotas  temptare  vias  ?  quo  tenditis  ?  «  inquit. 
«  Qui  genus  ?  unde  domo  ? 

10.  uenientes]  uenientc  Ms. 


THE    OFFICIUM    STeLLJE   FROM    BILSEN  363 

Regem  regum  querentes. 
Rex  : 

Regem  queni  queritis, 

Natum  esse  quo  signo  didicistis  ? 
Gantant  Magi   : 

Illum  natum  esse  didicimus  '  in  oriente, 
Monstrant  ^  steliam  fuste  leuato  : 

Stella  monstrante. 
Ira  tumens  gladios  sternens  <C  Rex  >>  ista  <<  red  ^  undat  ?  : 

Si  illum  regnare  creditis, 

Dicite  nobis. 
De  Xristo  régi  noli  mendacia  loqui  +  : 

Hune  regnare  fatentes,  cum  misticis  muneribus 

De  terra  longinqua  adorare  uenimus. 
Tune  monstrant  >  dona  que  portant  Omnipotenti  : 
Primus  : 

Auro  regem. 
Secundus  : 

Ture  sacerdotem. 
Tercius  : 

Mirra  mortalem. 
Rex,  his  auditis,  iubet  hos  in  carcere  trudi. 
Aduocat  D<;isci>puIos  ^  ac  illis  talia  pandit  : 


1.  didicimus]  di[di]cimus  M.;  discimus  C.  'In  the  manuscript  the  third 
and  Iburth  letters  are  supplied  by  a  marginal  entry  in  the  same  hand . 

2.  Monstrant]  Monstrat  Ms. 

5 .  gladios  sternens  <C  rex  >  ista  •<  red  >undat]  gladios  sternens 
(stringens)  rex  ista  redundat  M.  ;  gladio  stringens  rex  ista  redundat  C.  In 
the  Ms.  rex  is  iilegible,  and  istci  is  written  in  a  later  hand  ahove  an  era- 
sure. 

4.  De  Xristo  régi  noli  mendacia  loqui]  Vœ  Christo  régi  nobis  mendacia 
pqui  M  ;  Vae  Christo  régi  nobis  mendacia  loqui.  Magi  C.  Cahier  and  Mar- 
tin correctlv  observe  that  in  the  manuscript  this  line  is  clearly  rebricated, 
and  make  the  plausible  suggestion  that  it  represents  an  «  aside  »  of  the 
Magi,  who  certainlv  utter  the  succeeding  speech.  Clément  regards  this  line 
as  part  of  the  preceding  speech  of  Herod  ;  hence  he  invents  the  rubric 
Ma^i  to  introduce  properly  the  succeeding  speech. 

5.  monstrant]  monstrat  Ms. 

6.  D<;is;i>pulos]  dis:ipulos  M.  and  C.  The  word  is  partly  erased. 
Above  the  erasure  a  later  hand  has  written  nlumnos. 


3^4  G-    COHEN   AND   K.    YOUNG 

Hue,  simiste  '  mei,  disertos  »  pagina  scribas  prophetica  ad  me 
uocate. 
Discipuli  ad  scribas  : 
Vos  legis  '  periti, 
A  rege  uocati, 

Cum  prophetarum  lineis  ■♦  properando  uenite. 
Scribe  ad  regem  : 

Salue. 
Talia  cantando  scribas  baculo  5  quoque  cedri  : 

O  uos  scribe,    interrogati    dicite  si  quid  de  hoc  puero  scrip- 
tum  uideretis  '  in  libris. 
Scribe  : 

Vidimus,    Domine,  in  proph-<etarum>  lineis  nasci  Xpistum 
in  Betleem  ciuitate  David,  propheta  sic  uaticinando. 
<  Chorus  >  : 

Bet<leem>. 
Inspiciat  libros  ac  illos  reddat  amare. 
Precones  mittit  ;  Reges  iubet  ante  uen<ire>. 
. . .  régi  carnet  Rex  fuste  minando  7  : 


1.  simiste]  simiste  (svmmistce  ?)  M.  ;  si  miserti  C. 

2.  disertos]  desertos  Ms. 

3.  legis]  legi[s]  M. 

4.  lineis]  lineis  (libris  ?)  M. 

5.  Talia  cantando  scribas  baculo]  Talia  cantando  [rex  cum?]  baculo  M.  ; 
(Rex)  Talia  cantet...  baculo  C.  In  thc  Ms.  scribas  is  written  above  an 
erasure. 

6.  scriptum  uideretis]  scritum  uideretis  Ms.  ;  scriptum  vos  (vestris  ?. 
videritis  M.  ;  scriptum  vos  videritis  C. 

7.  uaticinando  <^  Chorus  >  Bet<leem>  Inspiciat  libros  ac  illos  reddat 
amare  Precones  mittit  Reges  iubet  ante  uen<;ire>> .  . .  régi  cantet  Rex  fuste 
minando]  vaticinando  «  Tu  (?)  Bethléem  Judae.  »  Inspiciat  [Rex]  libros  ac 
illos  reddat. . .  Tune  cantet  rex  fuste  minaci  M.;  vaticinando.  Incipiat  (rex) 
libros  :  Bethléem,  ac  illos  reddat.  Tune  cantet  rex  fuste  minaci  C.  The 
Word  Chorus  is  completely  erasod.  In  support  of  the  restoration  see,  for 
example,  the  Fleury  version  of  thc  OJficiuni  SteJLx  (E.  de  Coussemaker, 
Drames  liturgiques  du  moyen  âge.  Rennes,  1860,  p.  162),  the  Strassburg 
version  {Zeitschrift  fïtr  deutsches  Alterlhum,  vol.  XXXll,  p.  414),  the 
Nevers  version  (Anz,  p.  146),  and  the  Montpellier  (Norman)  version 
(Modem  Pbilology,  vol.  VI,  p.  209).  See  also  the  following  antiphon,  atta- 
ched  to  the  Benedictus  of  Lauds  or  to  the  Magnificat  of  Vespers  on  the 
Tuesday  after  the  fourth  SunJay  of  Advent  :  Tu  Bethlehem  terra   Juda,  non 


THE    OFFICIUM  STELLA   FROM    BILSEN  365 

Tu  michi  respondes  '  stans  primus  in  or<dine,  fare>  '  : 

Tu,  ergo,  unde  es  ? 
Magus  : 

Tarsensis  regio  me  rege  nitet  Zoroastro. 
Sec<undo  Rex>  '  : 

Tu  alter,  unde  es  ? 
Magus  : 

Me  metuunt  Arabes,  mihi  parent  usque  fidèles. 
.  .  .  magus  4  : 

Impero  Caldeis  dominans  rex  omnibus  illis. 
Aduocat  Armiger<;um> ...  5  : 

Vestris  consiliis  ^,  uestris  uolo  uiribus  uti  ; 

Consolium  nobis  date  quod  sit  et  iti .  .  .  7 
Armiger  *  : 

Audi  que  facias,  rex,  audi  pauca  sed  '  apta. 
Eois  des  do<na  Magis>'<';  [fol.  180  v]  nec  mitte  morari, 
Ut  nouiter  nato,  queni  >'  que-runt  regeni  ^\  reperto, 
Rex,  perte  redeant,  ut  et  ipse  scias  quod  adorent''. 
Tune  trib<us>  dona  remitt<it>   : 

Ite  et  de  puero  diligenter  inuestigate, 
Etinuento,  redeuntes  mihi  renuntiate. 
Magi  descendentes  de  sede  "*  : 

eris  minima  inter  principes  Juda  ;  ex  te  eiiim  exiel  qui  regat  popiilum    meiim 
Israël  (Migne,  Pat.  Lut.,  LXXVIII,  732.  Cf.  Mich.  V,  2  ;  Matth.  il,  6). 

1.  respondes]  responde  M. 

2.  or<dine  fare>]  Oriente  (sic)  M.;  Oriente  C.  For  support  of  the  res- 
toration  see  the  Officiuin  Stcllx  (rom.  Freising,  Anz,  p.   157, 

3.  Sec<Cundo>  Rex]  Rex  C. 

4.  ...  Magus]  Tertius  magus  M.  and  C. 

5.  Aduocat  Armiger<Cum>-.  .  .]  Advocat  [rex]  scribas  M.  and  C. 

6.  consiliis]  consilii  Ms. 

7.  quod  sit  et  iti. .  .]  quod  [rectum]  sit  et  it[e]  M.  ;  quod  sit  et  ite  C. 

8.  Armiger]  Scribse  M.  and  C.  The  single  word  Armiger  may  net  repre- 
sent  the  entire  rubric,  for  part  ôf  it  may  be  lost  with  a  pièce  of  the  page 
torn  away. 

9.  sed]  set  Ms. 

10.  Eois  des  do<<na  Magis>-]  Eois  des  donum  (dona  Magis)  M.  ;  eis  des 
donum  C. 

11.  quem]  quoni  Ms. 

12.  regem]  rege  M.  and  C. 

15.  adorent]  adorent  (adorant  ?)  M.  ;  adorant  C. 
14.  de  SQàé]omitted  M.  and  C. 


^66  G.    COHEN    AND    K.    YOUNG 

Eamus  ergo  et  inquiramus  eum  '  ;  offeramus  ei  ' 

munera  :  aurum,  thus  et  mirra<m>-. 
V<iden>tes  stellam  cantant  celcsti.  .. 
•<Prim>us  5  : 

Ecce  ♦  Stella  ! 
Secuudus  : 

Ecce  -i  Stella! 
Tercius  : 

Ecce  4  Stella! 
Insimul  : 

In  oriente  preuisa  : 

Quam  s  Balaan  ex  ludaic* 

Orituram  predixerat  prosapia 

Itcrum  precedet  nos  lucida. 

Non  relinquamus  ultra, 

Donec  nos  perducat  ad  cunabula. 
M<;agi>  ad  Pastores  : 

Pastores,  dicite  <>. 
Pastores  : 

Infantem  7. 
...  :  ^ 

Ecce  patere  domiis  nobis  pia  claustra  rogamus 

Hoc  9  quibus  est  uotis  regem  donis  uenerari, 

Quem  prefert  regnis  astrum  quod  prenitet  astris  ">. 


1.  eum]  et  M.  and  C. 

2.  ei]  omitted  M.  and  C. 

3.  cantant  celesti...  <Pri>mus]  cantant. ..  Primus  M.  ;  cantant  Primus 
C.  Celesti  stands  in  the  manuscript  as  celetsH.  The  two  letters  following  it 
may  be  uo 

4.  Ecce]  Esse  C. 

5.  Quam]  Qj-iem  Ms. 

6.  Pastores,  dicite  quidnam  vidistis,  et  anuuiitiate  Christî  nativitateni.  See 
Transactions  of  the  Wisconsin  Academy  of  Sciences,  Arts,  and  Letters,  vol. 
XVII,  Part  I  (1912),  pp.  551-562. 

7.  Infantem  vidimus  pannis  invoUtlum  et  choros  am^eloruin  laudantes  Salva- 
toretn.  See  Transactions  of  the  IVisconsin  Academy,  loc.cit. 

8.  This  totally  illegible  rubric  is  restored  by  previous  editors  as  follows  : 
Magi[ducti  ante  stabulum  ?]  M.  ;  Magi  ducti  antc  stabulum  C. 

9.  Hoc]  bis  C. 

10.  Upon  the  basis  of  M.,  without  référence  to  the  manuscript,  Anz 
(p.   105)  emends  thèse  three  Unes  as  follows  : 


THE    OFFICIUM  STELLJE   FROM    BILSEN  $6j 

<Obstetrices>  '  : 

Quisunt  hi,  quos  Stella  ducit,  nos  adeuntes, 

Inaudita  ferentes  ? 
Magi  : 

Nos  sumus,  quos  cernitis,  reges  Tharsis  et  Arabum  >  et  Saba,  dona 
ferentes  Xpisto  régi  nato  Domino,  quem,  Stella  deducente,  ado- 
rare  uenimus. 
Obstet<rices>  '  : 

Ecce  puer  adest  quem  +  queritis  ;  iam  properate,  adorate  quia  ipse 
est  redemptio  mundi. 
Magi  : 

Salue,  princeps  seculorum. 
<Primus>  : 

Suscipe,  rex,  aurum. 
Secundus : 

Toile  thus,  tu  uere  Deus. 
•<Tercius>  : 

Mirram,  signuni  sépulture. 
Angélus  : 

Inpleta  sunt  omnia  que  prophetice  dicta  sunt  ;  ite  5,  uiam 

remeautes  aliam  ',  ne  delatores  tanti  régis  7  puniendi  eritis. 
:  ^ 

Dec  gracias. 


Ecce  !  patere  domus  nobis  pia  claustra  rogamus. 
Nos,  quibus  est  voti     regem  donis  venerari, 
Quem  praefert  regiis     astrum  quod  praenitet  astris. 

1.  <Obstetrices>]  Obstetrix  M.  and  C.  In  support  of  the  form  Obsietrice 
see,  for  example,  Publications  of  the  Modem  Language  Association  of  America, 
vol.  XXIV  (1909),  p.  328  ;  Modem  Pbilology,  vol.  VI,  p.  210;  U.  Chevalier, 
Ordinaires  de  l'église  cathédrale  de  Laon,  Paris,  1897,  p.  ^1^2  ;  Zeitschri/t  fur 
deutsches  Alterthiim,  vol.  XXXII,  p.  414. 

2.  Arabum]  ArabuntMs. 

j.  Obstet<rices>]  Obstetrix  M.  and  C. 

4.  quem]  que  Ms. 

5.  ite]  Corrected  from  ita.  Ms. 

6.  ne]  nec  M.  and  C. 

7.  régis]  régi  Ms. 

8.  This  totaily  illegible  rubric  is  ignored  by  M.  and  C.  Possibly  it  niay 
be  restored  as  Magi.  See  E.  de  Coussemaker,  Drames  liturgiques  du  moyen 
âge,  Rennes,  1860,  p.  165. 


368  G.    COHEN    AND    K.    YOUNG 

Magi  reuertentes.  . .  :  ' 

O  regem  celi  ». 
.  . .   :  ' 

Hostis  Herodes^. 
Armiger.  .  .  : 

Delusus  est,  Domine  ;  magi  uiam  redierunt  5 

aliam*. 

The  action  of  the  play  may  now  be  outlined  : 

I.  —   Processio  Herodis. 

The  text  begins  with  a  passage  in  Léonines  sung  by  a  Cho- 
rus puerorum  in  praise  either  of  the  feast  and  the  new-born 
King,  or  of  King  Herod  7.  As  Herod  mounts  his  throne,  the 
same  Chorus  puerorum  or  the  regular  liturgical  choir  sings  the 
antiphon  Super  solium  David.  The  opening  passage  sung  by  the 


1.  reuertentes..,]  revertentes  cantantM.  and  C. 

2.  The  following  is  found  among  the  responsories  of  the  Third  Nocturn 
of  Christmas  Matins  :  O  regem  cœli  cui  talia  jamulantur  obseqida  !  Stabulo 
poiiitur  qui  conjinet  niunditm  ;  jacet  in  prxsepio  et  in  cœlis  régnât.  Versus  : 
Domine,  audivi  aiuiitum  tuum,  et  timui.Consideraii  opéra  tua,  et  expavi ;  in 
média  duorum  animalium .  Jacenlem  (Migne,  Pat.  Lut.,  LXXVIII.  735). 

3.  The  illegible  word  is  probably  Chorus.  See  the  Ordo  Rachelis  from 
Freising,  E.  Du  Méril,  Les  origines  latines  du  théâtre  moderne,  Leipzig  and 
Paris,   1897,  p.  174. 

4.  Hostis  Herodes  are  tlie  opening  words  of  at  least  four  separate  hymns. 
The  hymn  intended  is  probably  that  beginning  Hostis  Heiodes  impie.  Chris- 
tuin  venire  quid  Unies  (Chevalier,  Repertorium  Hymnologicum,  No.  8073), 
printed  by  H.  A.  Daniel,  Thésaurus  Hymnologicus,  vol.  I,  Leipzig,  1855, 
pp.  147-148.  The  other  three  hymns  in  question  are  registered  as  follows  : 
Chevalier,  op.  cit.,  N^  8072  ;  Chevalier,  Repert.  Hymn.  :  Supplément um.  Nos. 
27,775  and  27,776. 

5.  redierunt]  redeef  Ms. 

6.  In  the  manuscript  the  text  continues  with  a  line  or  two  no  longer 
legible.  Beginning  immediately  after  the  last  word  (eritis)  of  the  speech  of 
Angélus,  the  previous  editors  conclude  their  texts  as  follows  :  Magi  rever- 
tentes cantant  :  O  regem  coeli...  (Angeli?)...  Hostis,  Herodes.  ArchelausQ): 
Delusus  es,  Domine,  magi  via  redierunt  alla.  M  ;  Deo  gratias.  Magi  rever- 
tentes cantant  :  O  Regem  coeli,  «  Hostis  Herodes  ».  Archelans.  Delusus  es, 
Domine  ;  Magi  via  redierunt  alla  C. 

7.  Anz  (p.  93)  is  certain  that  thèse  verses  refer  to  Herod. 


THE    OFFICIUM  STELLA   FROM    BILSEN  369 

Pueri{Eia  dicaniiis !  regias  hic  fert  ...^  may  possibly  be  regarded 
as  a  trope  of  the  Benedicamiis  found  at  the  close  of  al!  the  cano- 
nical  horae  except  Matins  '.  The  words  Post  Benedicamus  in  the 
first  rubric  seem  fairly  to  indicate  that  the  play  was  performed 
at  the  end  of  one  of  thèse  parts  of  the  Canonical  Office. 

II.  —  Angeliet  Pastores. 

The  action  proper  begins  with  a  scène  between  the  angels 
and  the  shepherds,  in  which  the  shepherds  receive  the  announ- 
cement  of  the  Nativity  {Pastores,  aniintio),  listen  to  the  Gloria 
in  excelsis  of  the  angelic  throng,  and  set  out  for  Bethlehem, 
singing  the  Gospel  passage  Transeamus  Bethlehem. 

III.  —  Magi  ad  Stellam. 

After  the  deparcure  of  the  Pastores  the  Magi  appear,  each 
delivering  his  utterance  regarding  the  slella  {Stella  fulgore. . . 
signauerat).  With  an  exchange  of  kisses,  the  proceed  on  their 
journey  singing  Hac  ducente. 

IV.  — Magiapiid  Herodeni. 

A  substantial  part  of  the  action  now  centers  in  the  court  ot 
Herod,  falling  into  three  sub-divisions  : 

I.  Niintii,  Magi,  et  Herodes. 

A  Messenger  abruptly  informs  the  Magi  that  the  king 
summons  them  {Regia  nos).  Because  of  their  inquiry  as  to  who 
the  king  may  be  {Oiiis  rex),  the  Magi  are  at  hrst  threatened 
by  a  herald  with  violence  ;  but  subsequentiy  their  inquiry  is 
answered  {Rex  est),  and  they  express  a  désire  to  see  the  monarch 
himself  {Et  nos).  The  messenger  now  appears  ceremoniously 
before  Herod  {Viaas  eternus),  and  in  replying  to  the  king's 
demand  for  new^s,  refers  to  certain  ominous  prophecies  {Nun- 
cia  dura).  When  Herod  asks  for  an  explanation  {Qiie  siint),  the 
messenger    answers,  somewhat   evasively,  that  three  strangers 


I.  See  L.Gautier,  Les  Tropes,  Paris,  1886,  pp.  171-173  ;  S.  Bàumer,  His- 
toire du  Bréviaire,  vol.  II,  Paris,  1905,  p.  81.  According  to  the  Roman  tra- 
dition the  Benedicamus  occurs  at  the  end  of  Matins  only  very  rarely  (See  V. 
Thalhofer,  HanJbuch  der  kalhotischen  Lituri^ik,  vol.  II,  Freiburg,  1912, 
pp.  571,  587).  The  formula  Benedicamus  Domino  which  closes  the  Mass  on 
days  of  sorrow  and  penance  can  scarcely  enter  our  présent  considération 
(See  N.  Gihr,  TJie  Holy  Sacrifice  oj  the  Mass,  St.  Louis,  1908,  pp.  758-760). 
Romania,  XLIV .  24 


370  G.    COHEN    AKD    K.    YOUNG 

have  arrived  from  the  East,  seeking  a  new-horn  king  {Aiistint 
nobis).  A  second  messenger  now  rushes  into  Herod's  présence 
{Occtirrens  aliler),  excitedly  reporting  that  both  the  utterances 
of  sages  and  the  hght  of  the  skies  indicate  the  birth  of  a  king 
from  a  virgin  (^Rex,  Rex,  Rex).  A  third  messenger  now  announ- 
ces  the  actual  arrivai  of  the  Ma^i  at  court  {Eti  ma^i),  and  with 
appropriate  ceremony  they  are  conducted  into  Herod's  pré- 
sence and  utter  their  respectful  greeting(5^7///t',  princeps).  When 
he  has  eHcited  from  the  Magi  the  information  that  they  come, 
under  the  guidance  ot  a  star,  to  seek  the  King  of  Kings,  Herod 
angrily  demands  an  exphcit  statement  of  their  behef  in  the 
new  king  (5/  ////////  regnare).  Having  contessed  their  beUef 
{Hiaïc  regjiare),  cind  having  displayed  thegifts  that  they  bear  to 
the  Child  (^Aiiro...  Diortakiii),  the  Magi,  at  Herod's  command, 
are  promptly  haled  to  prison. 

2.  Herodes  et  Scribœ. 

During  the  sojourn  of  the  Magi  in  prison  Herod  sends  for 
the  scribes,  and  from  them  learns  the  fiimiUar  prophecy  of 
Christ's  birth  in  Bethlehem  (^Vidimiis,  Domine),  a  prophecy 
that  prompts  him  to  examine  the  prophétie  books  and  to  repu- 
diate  them  bitterly. 

3 .  Magi,  Herodes  et  Armiger. 

Summoning  the  Magi  from  prison,  Herod  threateningly 
interrogates  each  in  turn  as  to  the  land  from  which  he  comes. 
Having  received  expHcit  answers,  Herod  takes  counsel  with 
Armiger,  and  speeds  the  Magi  on  their  way  to  Bethlehem. 
They  départ  singing  Eamiis  ergo. 

V.  —  Magi  et  Pasiorcs. 

As  the  Magi,  guided  by  the  Stella,  proceed  on  their  journey, 
they  encounter  and  interrogate  the  Pasiorcs  {Pasiorcs,  dicile), 
who  report  that  they  have  already  seen  the  child  (Jnfantcm). 

VI.  —  Magi  ad  Pnesepe. 

From  their  dialogue  with  the  Pasiorcs  the  Ma^i  proceed 
promptly  to  ihe  prœsepe,  smgxng  Ecce  patere  domns.  After  a  brief 
dialogue  with  the  Obstelrices,  the  visitors  make  their  obeisance 
to  the  Child,  and  présent  their  triple  otfering.  An  angel  now 
bids  them  départ  by  another  route,  to  avoid  further  entangle- 
ment  with  Herod  {Iiiipleta  siini),  and  the  Magi  withdraw 
singing  a  responsor  y  {0  rcgcin  ccli). 


THE    OFFICIUM  STELLA  FROM    BILSEN  37I 

VII.  —  Armiger  et  He rodes. 

With  the  singing  of  the  hymn  Hostis  Herodes  by  the  choir 
the  action  reverts  to  the  court  of  Herod,  where  Armiger  reports 
to  the  king  the  escape  of  the  Magi.  The  ensuing  dialogue  is 
illegible. 

Viewed  broadly,  the  structure  of  the  phiy  before  us  is  com- 
mendable.  Both  the  gênerai  arrangement  of  materials  and  the 
location  of  emphasis  tend  to  organize  the  setting  of  the 
action  about  Herod  and  his  court.  The  ccremonious  entry  of 
Herod  at  the  beginning  forecasts  the  length  and  ceremony  of 
the  central  scènes  in  his  présence  (Part  IV);  and  the  reversion 
to  Herod's  court  in  the  final  scène  gives  a  certain  unity  to  the 
play  as  a  whole.  The  prominence  given  to  the  royal  setting, 
however,  should  not  be  allowed  to  obscure  the  fact  that  the 
central  action  is  the  journey  of  the  Magi.  Into  this  action  is 
skillfully  woven  the  rôle  of  the  Pastores.  Their  appearance  early 
in  the  play  and  their  departure  for  Bethlehem  (Part  II)  motiv- 
ate  their  later  meeting  with  the  Magi  in  the  vicinity  of  the 
prxsepe  (Part  V).  One  might  suggest  also  that  the  interview  of 
Herod  and  the  Scribœ  (Part  IV,  2)  receives  a  certain  motivation 
in  the  second  messenger's  previous  déclaration,  Regeni  tiatiitn 
constat  per  caniiina  uaîuiii.  Infelicitous  séquence  is,  to  be  sure, 
not  entirely  absent.  The  dialogue  between  Herod  and  the  Magi 
(IV,  3)  immediately  after  the  disclosures  of  the  Scribœ  seems 
to  occupy  an  inappropriate  position.  Herod's  questions  as  to 
the  lands  from  which  the  Magi  corne  seem  neither  to  follow 
naturally  upon  the  preceding  interview  nor  to  lead  inevitably 
to  the  speeding  of  the  visitors  on  toward  Bethlehem'.  In 
gênerai,  however,  the  dramatic  séquence  of  the  play  is  praise- 
worthv. 

In  détails  of  literary  composition  it  cannot  be  urged  that  the 
author  is  invariablv  happy.  Although  his  tendency  toward  Léo- 
nine hexameters  in  the  text  proper  lends  an  agreeable  effect  or 
cultivation,  the  waste  of  rhetorical  effort  involved  in  the  versi- 
fying  of  the  rubrics  is  not'pleasant  to  contempiate -.  Since  the 
rubrics  are  no   part   of  the   dialogue,   the  versifying  of  them 

1.  See  Anz,  pp.  95-96. 

2.  See  Anz,  pp.  105-IC4.  , 


372  G.    COHEN    AND    K.     YOUNG 

inevitably  betrays  a  certain  unfortunate  pretentiousness.  It 
would  appear  thatthe  writer  has  exteiided  bis  ambition  beyond 
the  edifying  of  an  audience,  and  bas  occupied  bimself  in  a 
rhetorical  exercise  designed  for  a  ciiltivated  reader. 

Thèse  élégant  rubrics,  however,  are  to  be  cberislied  ter  their 
information  in  regard  to  dramatic  performance.  Although  they 
are  silent  as  to  costume,  they  provide  ample  évidences  of 
impersonation.  Herod's  action  is  specified  with  considérable 
détail  in  such  rubrics  as  the  following  :  Ira  tiiiiiens  gladios  ster- 
nens...  ;  Inspiciat  libres  ac  illos  reddat  amare  ;  ...  cantel  r  ex  fus  te 
minando.  A  min.etic  impulse  in  the  king's  herald  is  expressed 
in  the  ru  bric  Magos  lune  ense  iugiilari  preco  luinatur.  Further 
indications  of  impersonation  may  be  observed  in  connection 
with  the  provision  for  mise  en  scène.  Herod  occupied  some  kind 
of  throne  (...  ascendenle  rege ;  Magi  descendentes  de  sede).  The 
Magi  point  to  a  Stella  suspended  over  their  heads  (^Monstrant 
stcUani  Juste  leuato).  The  rubric  recounting  the  haling  of  the 
Magi  to  prison  {Rex,  his  auditis,  iuhel  hos  in  carcere  trudi^  seems 
to'implythat  the  action  is  supported  by  some  sort  of  structural 
carcerwhh'm  sight  of  the  congrégation".  Although  the  prœsepe 
is  not  mentioned  in  the  rubrics,  such  a  structure  was  undoubt- 
edly  présent,  and  a  shelter  over  it,  or  about  it,  is  hinted  at  in 
one  passage  of  the  iQ\x(^Ecce  patere  donuis  nohis  pia  claustra...). 

Particularly  promising  for  the  development  of  medic-eval 
drama  are  the  notable  éléments  of  vivacity  in  the  action.  As 
one  might  anticipate,  this  vivacity  appears  most  readily  in 
connection  with  Herod.  His  gestures  of  anger,  his  committing 
of  the  Magi  to  prison,  his  prevailing  bewilderment,  the  preci- 
pitancy  of  his  second  messenger  {Rex,  Rex,  Rex,  Rex),  —  thèse 
phenomena  advance  this  character  a  long  way  toward  the  comic 
type  that  persistently  lends  varietv  to  the  huer  plays  ot  the 
Nativitv. 

Gustave  Cohen  and  Karl  Young. 


I.  Tlie  rcinoval  and  incarccration  of  the  Magi  during  Herod's  interview 
with  the  Scribx  (IV,  2)  is  unique  in  the  présent  play,  and  highly  successful 
as  an  example  of  stage-craft. 


LE    RODLIEB 
NOTRE  PREMIER  ROMAN  COURTOIS 


Un  chevalier,  que  décourage  l'ingratitude  de  ceux  à  qui  il  a 
offert  ses  bons  et  loyaux  services,  se  décide  à  quitter  sa  patrie. 
Il  n'a  pas  à  le  regretter  ;  car,  bien  accueilli  par  un  souverain 
étranger,  il  trouve  l'occasion  de  montrer  sa  vaillance  et  de 
mériter  une  récompense,  dont  la  valeur  est  encore  accrue  par 
la  forme  délicate,  dans  laquelle  elle  lui  est  décernée.  Rappelé 
par  sa  mère,  qu'il  a  délaissée  à  regret,  il  reçoit  deux  vases  scel- 
lés, dont  l'un  est  plein  de  besants  et  dont  l'autre  est  divisé  en 
deux  compartiments.  D'un  côté  est  renfermé  de  l'or,  de  l'autre 
des  objets  précieux,  anneaux,  bracelets,  boucles  d'oreille, 
enfin  une  sorte  de  pendentif  rehaussé  de  pierres  multicolores 
d'un  grand  prix.  Le  tout  est  dissimulé  sous  les  apparences  les 
plus  vulgaires,  et  ce  n'est  qu'arrivé  chez  lui,  devant  sa  mère 
émerveillée,  que  le  chevalier  se  rend  compte  de  la  libéralité  de 
celui  qu'il  a  servi.  Avant  de  faire  cette  découverte,  il  a  dû,  au 
cours  de  son  voyage,  s'instruire  à  ses  dépens  du  péril  qu'il  y  a 
à  ne  pas  suivre  les  sages  avis.  Ces  avis  sentencieusement  for- 
mulés, et  qui  avaient  l'air  d'être  le  seul  prix  de  ses  services, 
lorsqu'il  prit  congé  du  souverain  étranger,  lui  recommandaient, 
notamment,  d'éviter  certains  compagnonnages,  de  suivre  le 
chemin  direct,  fût-il  fangeux,  et  de  ne  pas  accepter  l'hospitalité 
d'un  vieillard  marié  à  une  jeune  femme.  Comme  dans  tous 
les  contes  inventés  à  plaisir,  notre  héros  néglige  successive- 
ment ces  trois  conseils,  et  il  n'a  pas  à  s'en  féliciter. 

Mais,  après  d'autres  rencontres  sur  lesquelles  nous  manquons 
d'éclaircissements  (car  le  récit  qu'on  nous  en  fait  nous  a  été 
transmis  de  façon  malheureusement  incomplète),  voilà  le 
chevalier  rendu  aux  siens  ;  il  se  trouve  en  possession  d'un  bien 
inespéré  et   il  aspire  aux  joies  conjugales.  Hélas,  son  inexpé- 


374  M-    WILMOTTE 

rience  lui  ménage  une  autre  surprise  ;  il  ne  peut  douter  long- 
temps de  la  trahison  de  celle  qu'il  compte  épouser.  Il  se  venge 
en  homme  d'esprit,  tout  en  reprenant  sa  parole  et,  non  sans 
que  des  lacunes  nous  privent  de  la  suite  de  ses  aventures,  aux- 
quelles se  mêle  un  élément  fantastique  assez  imprévu,  l'auteur 
du  conte  nous  laisse  entrevoir^  pour  le  chevalier,  une  union 
plus  brillante,  qu'un  rêve  avait  permis  à  sa  mère  de  pressentir. 
Tel  est,  brièvement  résumé,  le  contenu  du  roman  de  Rod- 
Jieb  \  que  nous  ont  conservé  dix-huit  fragments  d'inégale  lon- 
gueur, publiés  en  très  grande  partie  par  J.Grimm  et  A.  Schmel- 
1er  en  i(S38^  et  dont  nous  devons  l'édition  complète  et 
critique  à  M.  Seiler  '.  Ce  roman  est  écrit  en  un  latin  très 
simple,  contrastant  d'indéniable  façon  avec  celui  d'autres 
oeuvres,  où  la  tradition  antique  a  laissé  sa  marque,  avec  les 
drames  de  Hroswitha,  par  exemple,  ou  encore  avec  le  poème 
de  WaJtharius  ^,  que  ses  premiers  éditeurs  réunirent  sous  la 
même  couverture  que  notre  conte,  en  lui  assignant  également 
une  origine  teutonne,  à  plus  forte  raison  avec  plusieurs  échan- 
tillons de  la  fable  animale,  tels  que  V  Ysengriinus  et  VEcbasis  cap- 
tivi.  A  lire  les  fragments  de  Rodïieh,  on  est  invinciblement  tenté 
de  le  considérer  comme  le  simple  décalque  d'un  texte  en  langue 
vulgaire  ;  ni  les  inversions  d'usage,  ni  la  syntaxe  savante  n'y 
trahissent  un  lettré  familier  avec  les  classiques  de  Rome,  qu'il 
n'utilise  guère  '  et  ne  cite  jamais.  On  verra  plus  loin  que  de 


1.  La  forme  Rodlieh  est  celle  du  manuscrit  dans  le  plus  grand  nombre  de 
passages,  elle  alterne  avec  Rotlieh  ;  on  verra  plus  loin  ce  qu'il  faut  penser 
de  l'attribution  de  ce  nom  au  héros. 

2.  Lateviische  Gedichte  des  X.  und  XI.  Jabrhuiiderts,  Gœttmgut,  1858. 

3.  Ruodlieb,  der  xlteste  Roman  des  MitleJaJters,  hsgb.  von  F.  Seiler, 
Halle,  1882. 

4.  La  meilleure  et  la  plus  récente  édition  est  celle  de  M.  J.  W.  Beck, 
Groningue  1908;  la  plus  abondamment  commentée,  celle  de  M.  W.  Althof, 
2  vol.  in-S",  Leipzig,  1899. 

5.  L'éditeur,  M.  Seiler,  a  pourtant  exagéré  l'ignorance  de  l'auteur  ou 
son  éloignement  pour  les  réminis:cnces  classiques.  Voyez  ce  que  dit  i\L  Laist- 
ner,  An^eiger  delà  Zeitschrift  fïir  deutschcs  Altertuin,  t.  XXIX,  p.  95.  Dans  le 
seul  fragment  IV,  à  quelques  vers  d'intervalle  (208,  ss.)  je  note  l'imitation 
de  deux  passages  de  Virgile  (.£«.,  XII,  i83,et£V/.,  III,  5 1)  et  d'un  passage 
^VOvhàtt  (Fastes,  IV,  487). 


LE   RODLIEB  375 

nombreux  tours^  des  emplois  grammaticaux  et  des  acceptions 
nouvelles  de  mots  usuels  ne  s'expliquent  que  par  ime  influence 
profonde  et  soutenue  des  idiomes  parlés  à  l'époque  où  le  texte 
jfut  composé,  époque  qui  n'a  pas  été  déterminée  avec  préci- 
sion ' .  Cette  difficulté  n'a  pas  échappé  à  ses  éditeurs  allemands. 
Je  n'étonnerai  personne  en  disant  qu'ils  l'ont  résolue  en  faveur 
d'une  origine  germanique  de  ce  texte.  Tout  les  y  conviait,  les 
lieux  où  on  l'a  retrouvé,  et  avec  lesquels  on  s'est  acharné  à 
le  mettre  dans  un  rapport  qui  exclurait  le  doute,  certains 
termes  que  l'auteur  n'a  même  pas  pris  la  peine,  semble-t-il,  de 
traduire  en  latin,  sa  grammaire  où  leur  ingéniosité  non 
exempte  de  parti  pris  a  cru  observer  des  traces  non  équi- 
voques d'un  dialecte  teutonique.  A  la  différence  du  Waliharins, 
que  déjà  Fauriel  revendiquait  pour  la  France,  en  s'appuyant 
sur  d'assez  bons  arguments  ^,  je  ne  sache  pas  qu'on  ait  eu 
jusqu'ici  la  pensée  de  contester  la  provenance  germanique  de 
RodliebK 

Je  m'en  serais  abstenu  moi-même   —  et  n'aurais  peut-être 
jamais  jeté  sur  ce  vieux  poème  qu'un  regard   distrait  —  si  je 


1.  Voyez  infra,  p.  400. 

2.  Histoire  de  la  poésie  provençale,  t.  I,   p.  269,  ss. 

3.  A  ma  connaissance,  M.  Reynâud  (Histoire  générale  de  Viiifluetice fran- 
çaise en  Allemagne,  p.  92)  est  le  seul  critique  qui  ait  entrevu  une  partie  de 
la  vérité.  Encore  faut-il  noter  qu'il  n'affirme  point  que  notre  texte  soit  fran- 
çais. Voici,  d'ailleurs,  comment  il  s'exprime  :  «  Dès  la  première  moitié  du 
xi*"  siècle  on  rencontre  en  Allemagne  un  poème  latin,  le  Riiodlieh,  qui  est 
déjà  teinté  de  courtoisie  et  dont  les  origines,  nous  le  montrerons  ailleurs, 
sont  nettement  françaises.  Composé  par  un  vagnnt  ou  un  clerc  qui  avait 
fréquenté  les  vagants,  peut-être  par  un  ancien  élève  de  nos  écoles  —  on 
rencontre  des  étudiants  allemands  en  France  au  xe  siècle  et  ils  3'  abondent 
au  .xie  —  ce  bizarre  récit  où,  à  côté  d'une  foule  de  motifs  qui  revien- 
dront dans  nos  ronlans  du  cycle  breton,  se  montrent,  en  langue  latine 
du  reste,  les  plus  anciens  spécimens  du  lyrisme  individuel  allemand,  nous 
renseigne  avec  une  suffisante  clarté  sur  la  façon  dont  la  poésie  courtoise, 
épique  et  lyrique,  cette  dernière  surtout,  a  pénétré  de  chez  nous  au  delà  du 
Rliin.  Ce  sont  les  «  scholars  »  allemands  qui  s'en  sont  faits  les  propaga- 
teurs. »  (Comp.  p.  97).  M.  Reynaud  croit  donc  à  un  auteur  allemand  et 
accepte  la  date  des  éditeurs  ;  quant  au  «  Ivrisme  individuel  allemand  »,  je 
n'en  ai  trouvé  nulle  trace  dans  le  Rodlieh. 


37^  M.    WILMOTTE 

n'avais  été  frappé  des  analogies  nombreuses  et  significatives 
qu'il  offrait  avec  le  Waltharius.  Ces  analogies,  relevées  dans  les 
notes  de  M.  Althof,  portent  sur  des  détails  du  texte,  mais  sur- 
tout sur  le  vocabulaire.  Elles  ont  d'autant  plus  d'importance 
que  l'on  ne  peut  songer  à  attribuer  les  deux  œuvres  à  la  même 
inspiration,  a  fortiori  au  même  auteur.  Le  Rodlieb  est  un  roman 
d'aventure,  gracieux,  familier  de  ton,  non  exempt  de  verbiage, 
où  le  pédantisme  ne  se  trahit  que  par  des  dissertations  et  des 
descriptions,  qui  constituent  de  véritables  hors-d'œuvre  ; 
le  Waltharius  est  un  poème  chevaleresque,  une  «  geste  »  écrite 
dans  une  langue  sèche  et  nerveuse,  mais  dont  la  vigueur  de 
ton  et  la  force  tragique  permettent  de  comparer  l'œuvre  aux 
meilleures  productions  de  notre  premier  âge  épique. 

En  dépit  de  ces  dissemblances,  les  analogies  verbales  se 
pressent,  lorsqu'on  pense  à  confronter  les  deux  poèmes  latins. 
Le  dernier  éditeur  du  Waltharius,  M.  Althof,  en  a  relevé  une 
centaine,  dont  beaucoup  ont  ce  caractère  qu'elles  ne  s'observent 
pas  ailleurs.  Dans  un  seul  des  dix-huit  fragments  qui  sont  tout 
ce  qui  nous  reste  du  Rodlieb  (le  V%  qui,  il  est  vrai,  comporte 
621  vers),  je  note  d'après  Althof  (et  il  est  loin  d'être  complet) 
vingt  passages  offrant  des  ressemblances  troublantes,  et  parmi 
ces  passages,  quatre  où  des  développements  ou  bien  des  détails 
de  mœurs  identiques  attirent  l'attention  '.  M.  Althof  se 
borne  cà  déclarer  que  l'auteur  du  Rodlieb  a  connu  et  imité  le 
Waltharius,  il  ne  s'est  même  pas  demandé  si  de  telles  analogies, 
que  les  différences  de  thème  et  de  style  ne  pouvaient  faire  pré- 
voir, ne  sont  pas  imputables  à  une  tout  autre  cause,  et  si, 
par  exemple,  on  n'a  pas  composé  les  deux  écrits,  à  court  inter- 
valle, dans  des  lieux  voisins. 

Il  est  vrai  que,  pour   formuler   cette  hypothèse,  sinon  pour 


I.  Je  renonce  à  aligner  ici  tous  les  passages  ;  je  citerai  seulement  ceux  du 
V*  fragment  où  s'observent  des  détails  de  mœurs  identiques,  rendus  dans 
les  mêmes  termes  :  18  (les  baisers  =  IValth.,  222)  ;  409  (la  nostalgie  du 
guerrier  éloigné  de  sa  patrie  ;  comp.  I,  64  a  patria  tliilci  =  W.  60  patriaiii... 
dulcem)  ;  76  et  565  (les  usages  de  la  table  =  W.  304  iiiensa  siihlata  et  318 
produxit  noctem)  ;  le  lieu  commun  sur  la  haine  de  l'or  (426  =  W.  875)  ; 
le  V.  544  est  à  peu  près  littéralement  reproduit  (de  tnore  susurrât  in  atirem) 
des  vers  de  W,   260  et  268). 


LE   RODUEB  377 

l'admettre,  M.  Althof  aurait  dû  ébranler  le  laborieux  édifice  de 
preuves,  sur  quoi,  reprenant  en-  sous-ordre  la  tâche  de  Jacob 
Grimm,  qui  s'était  contenté  de  quelques  indications,  le  second 
éditeur  du  Rodlieb,  M.  R.  Seiler,  entend  étayer  la  localisation 
de  son  texte  à  Tegernsee.  Il  est  trop  clair  que  si  cette  localisa- 
tion était  assurée,  les  ressemblances  qui  frappent  même  un  lec- 
teur indifférent  ne  pourraient  plus  s'expliquer  de  la  même 
façon,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'elles  seraient,  pour  cela,  toutes 
le  fruit  d'une  imitation  servile. 

J'ai  donc  voulu  me  rendre  compte  de  la  portée  des  argu- 
ments de  M.  Seiler,  et  je  les  ai,  à  l'examen,  reconnus  bien  fra- 
giles. On  en  jugera. 

M.  Seiler  consacre  à  «  l'auteur  et  son  temps  »  un  cha- 
pitre de  sa  copieuse  préface  \  Le  chapitre  débute  ainsi  :  «  La 
facture  du  manuscrit  et  le  lieu  où  on  l'a  trouvé  démontrent 
que  le  poème  a  été  composé  par  un  moine  de  l'abbaye  de  Tegern- 
see, qui  vivait  dans  la  première  moitié  du  xi'^  siècle.  »  Il 
est  à  peine  nécessaire  de  souligner  l'étrangeté  de  ce  langage. 
Lorsqu'un  manuscrit  n'est  pas  dûment  autographe,  lorsqu'il 
n'est  ni  daté,  ni  signé,  ni  localisé  par  des  témoignages  directs 
et  précis  (et  c'est  le  cas  des  lambeaux  de  parchemin  qui  nous 
ont,  dans  des  tormes  assez  piteuses,  conservé  le  Rodlieb),  il 
ne  prouve  rien  pour  la  date  %  ni  pour  le  lieu  de  provenance 
du  texte  qu'il  renferme. 

Très  certainement,  les  feuillets  écrits  à  Tegernsee  ne  consti- 
tuent qu'un  témoignage  intéressant  de  la  diffusion  du  poème 
latin.  Affirmer  qu'ils  sont  un  débris  de  l'original  est  aisé  ;  le 
prouver,  ne  l'est  guère.  M.  Seiler  donne  tout  juste  '  trois  rai- 


1 .  Chap.  VII,  p.    160  ss. 

2.  M.  S.  (p.  7)  affirme  que  l'écriture  du  ms.  «  appartient  à  la  première 
moitié  du  XF  siècle  »  ;  on  devine  les  raisons  qui  actuellement  ne  me  per- 
mettent pas  de  contrôler  son  dire.  J'estime  —  on  verra  pourquoi  —  que 
notre  texte  est  postérieur  à  la  première  croisade.  Une  erreur  d'un  demi- 
siècle  dans  une  détermination  de  l'espèce  n'étonnera  aucun  paléographe.  Il 
faut  d'ailleurs  observer  que  M.  S.  se  borne  à  reproduire  l'opinion  de 
J.  Grimm  (Lat.  Ged.,  201),  et  que  celui-ci  dit  simplement  «  im  11  jahrh... 
beschriebenen...  ». 

3 .  Préface,  p.  9-10. 


37^  M.    WILMOTTE 

sons  à  l'appui  de  son  dire.  Les  voici  :  i"  il  n'y  a  pas  de  fautes 
de  copiste  graves,  donc  attestant  qu'on  n'a  pas  su  lire  un 
modèle  ;  2"  l'aspect  des  fragments  conservés,  qui  n'offrent  pas 
une  continuité  de  transcription  régulière,  font  supposer  (M.  S. 
affirme)  que  c'est  à  l'auteur  lui-même  que  nous  avons  à  faire, 
à  l'auteur  souvent  interrompu  et  disposant  d'un  matériel 
variable,  ce  qui  influe  sur  la  grandeur  et  l'épaisseur  des  carac- 
tères tracés  par  lui  ;  ainsi  s'explique  la  parcimonie  avec  laquelle 
il  use  du  parchemin;  3°  il  y  a  de  nombreuses  ratures  et  cor- 
rections, dont  certaines  remontent  au  moment  de  la  transcrip- 
tion ;  parmi  les  corrections,  il  en  est  qu'on  ne  peut  attribuer 
qu'à  l'auteur,  et  même  certaines  additions  sont,  en  quelque 
sorte^  faites  sous  nos  yeux  ;  d'autres  semblent  faites  après  coup. 
Il  est  vrai  qu'il  y  a  quelques  fautes  de  transcription  ;  mais  ce  sont 
des  «  Koptschreibfehler  »j  des  négligences  d'auteur.  Toutefois 
quelques  cas  sont  réellement  embarrassants;  c'est  tel  vers  omis 
ou  écrit  en  surcharge;  ou  bien,  à  deux  vers  d'intervalle,  capti- 
vantes écrit  deux  fois,  alors  que  la  première  fois,  le  sens  réclame 
impérieusement  captivatos  ;  ou  bien  encore,  un  mot  raturé 
après  coup,  et  comme  par  un  instinct  de  correction  d'un  texte 
servant  de  modèle,  etc.  M.  Seiler  convient  de  ces  difficultés;  il 
se  tire  d'aflaire  en  supposant  que  l'auteur  a  exécuté  plusieurs 
copies  et  que  nous  n'avions  pas  la  première.  Il  reconnaît  volon- 
tiers qu'un  premier  jet  est  incompatible  avec  une  transcription 
aussi  correcte  et  aussi  régulière.  Des  pages  entières  ne  com- 
portent pas  une  seule  rature  ;  elles  supposent  une  mise  au  net. 
Est-il  nécessaire  de  inontrer  le  peu  de  solidité  du  premier 
et  du  deuxième  argument?  Si  le  troisième  possède  une  cer- 
taine force  démonstrative,  l'éditeur  a  lui-même  affaibli  singuliè- 
rement son  raisonnement  par  des  hypothèses  successives. 
D'une  part  il  est  très  affirmatif  sur  le  caractère  original  du  ms. 
de  Munich  ;  de  l'autre,  il  consent  à  n'y  voir  qu'une  transcription 
(jiiderschrift~),  et  même  il  parle  de  mise  au  net  {reinscbrift), 
insistant,  avec  preuves  à  l'appui,  sur  cette  évidence  que  «  dans 
les  fragments  de  Munich  nous  ne  possédons  pas  la  première 
transcription,  mais  bien  la  copie  du  poète  ».  ce  qu'il  essaie 
de  justilier  par  des  constatations  plutôt  contradictoires.  D'une 
part,  en  effet,  il  croit  voir  la  main  de  l'auteur  dans  des  retouches 
manifestes  ;  de  l'autre  il  cnumère  toute   une   série  de   fautes 


LE    RODLIF.B  379 

(l'ersehen)  qui  ne  sont  imputables  qu'à  un  copiste,  ou  du  moins 
qui  n'ont  pu  être  commises  qu'en  copiant  '.  Il  oublie  de  nous 
expliquer  comment  un  auteur,  en  copiant  son  propre  ouvrage, 
a  pu  se  tromper  aussi  fréquemment.  Ce  qui  serait  tout  naturel 
chez  autrui  devient,  de  sa  part,  incompréhensible.  Au  contraire, 
les  retouches  s'expliquent  aisément  si  l'on  admet  que  l'auteur, 
médiocrement  familier  avec  l'écriture  latine,  avait  laissé  dans 
son  texte  une  quantité  considérable  de  fautes  de  métrique  et 
de  grammaire  (il  en  subsiste  un  certain  nombre)  qu'un  trans- 
cripteur  plus  lettré,  et  tout  à  fait  indépendant,  s'est  efforcé  de 
corriger  au  cours  de  son  travail.  Il  est  trop  certain  qu'en  dépit 
de  retouches  on  note,  dans  le  choix  des  mots  et  leur  combinai- 
son rythmique,  des  libertés  qui  ne  sont  pas  toutes  calculées. 
Un  copiste  instruit  —  et  nous  avons  toutes  les  raisons  de 
qualifier  ainsi  l'inconnu  à  qui  nous  devons  les  feuillets  de 
Munich  —  avait  beau  jeu  pour  mettre  de  l'ordre  et  de  l'exac- 
titude grammaticale,  là  ou  règne  parfois  une  indécision  dont 
il  serait  cruel  de  faire  un  grief  à  l'auteur.  Le  subjonctif  substi- 
tué à  l'impératif  VIII,  9;  le  barbarisme  ad  fodri{m,éca.né  grâce 
à  l'ingénieux  emploi  de  annonae,  aller  pour  alins,  condamné  par 
la  grammaire,  etc.,  etc.,  voilà  qui  dénote  une  deuxième  per- 
sonne plus  versée  dans  la  connaissance  du  bon  latin.  Il  est  donc 
abusif  de  tirer  argument  de  ces  retouches,  comme  le  fait  l'édi- 
teur, en  faveur  de.  l'autographie  du  codex  ;  elles  plaident, 
semble-t-il,  en  faveur  de  l'hypothèse  contraire. 

Au  surplus,  après  la  critique  de  M.  Laistner  -,  il  devient  dif- 
ficile de  parler  d'unité  d'inspiration  ;  M.  Laistner  ne  s'est  pas 
borné  aux  menues  observations  d'usage  -  et  la  plupart  de  ses 
corrections  et  restitutions  prouvent  qu'il  était  au  moins  aussi 
familier  avec  notre  texte  que  l'éditeur  lui-même  ;  —  il  a  con- 
testé l'ordre  dans  lequel  les  fragments  se  suivent  chez  M.  Seiler 
et  rendu  vraisemblable  une  autre  disposition.  Il  a  été  frappé 
aussi  (et  on  se  demande  comment  l'éditeur  ne  l'avait  pas  été) 
de  ce  fait  étrange  que  dans  les  neuf  premiers  fragments,  ainsi  que 

1.  Il  emploie  tantôt  le  mot  niderschrift  ;  tantôt  il  précise  :  original-nider- 
schrift  von  der  hand  des  dichters  selhst  (p.  9)  ;  p.  15,  il  écrit  reinschrijt,  ce  que 
repousse  énergiquement  M.  Laistner,  comme  on  verra  dans  la  suite. 

2.  Jti{fio;er,  XXIX,  70-106. 


380  M.    WILMOTTE 

dans  le  XIP  et  le  XII1%  qui  en  forment  la  suite  logique,  le 
héros  s'appelle  simplement  miles,  tandis  que  dans  les  X^,  XP, 
XI V^-XVIII%  il  reçoit  le  nom  sous  lequel  il  a  passé  dans  la  tra- 
dition littéraire.  Il  est  vrai  que  V,  223  on  trouve  \e  nom  de  Rodlieb 
(forme  usuelle  du  nom)  ;  mais,  dit  M.  Laistner,  reportez-vous 
au  manuscrit,  vous  constaterez  qu'il  n'offre  à  cet  endroit  que  l'ini- 
tiale majuscule,  qu'elle  est  écrite,  à  l'encre  rouge,  par  une  main 
moderne,  probablement  celle  de  Docen,  qui,  le  premier,  exa- 
mina ces  précieux  débris  '.  Si  l'on  admet  l'ordre  des  fragments 
proposé  par  M.  Laistner,  on  est  donc  en  droit  de  tirer  cette 
première  conclusion  que  sur  un  total  de  2228  vers,  le  héros  est 
anonyme  dans  les  1658  premiers.  Supposons  que  les  lacunes 
entre  les  neuf  premiers  fragments  soient,  ce  qui  est  vraisem- 
blable, d'une  certaine  étendue,  c'est  au  moins  3000  vers  de 
l'œuvre  où  le  héros  est  anonyme,  c'est-à-dire  la  plus  large  por- 
tion de  celle-ci,  puisque  les  autres  fragments,  où  le  héros  est 
nommé,  ne  comportent  que  576  vers  et  présentent  un  aspect 
de  continuité  à  peine  interrompue  par  le  dernier,  dont  la 
teneur,  vraiment  étrange,  et  l'allure  postiche  justifient  les 
doutes  de  M.  Laistner. 

Ces  doutes,  j'ai  hésité  d'abord  à  les  partager;  car  ils  s'ins- 
pirent moins  encore  de  l'examen  scrupuleux  du  texte  que  de 
cette  méthode  hasardeuse  à  laquelle  l'Allemagne  nous  a  habi- 
tués, et  dont  il  faut  confesser  que  nous  avons  été  trop  long- 
temps dupes  en  histoire  et  en  philologie.  M.  Laistner  conjec- 
ture, en  effet,  qu'il  y  a  lieu  de  distinguer  entre  une  épopée 
{Heldensagé)  de  Rodlieb,  reposant  bien  entendu  «  sur  des  sources 
germaniques,  à  la  façon  du  IValthariiis»  ;  qu'indépendamment 
de  ce  poème,  il  a  dû  exister  un  roman  de  Rodlieb  également 
écrit  en  latin  et  dont  le  thème  était  emprunté  à  un  récit  popu- 
laire ;  l'auteur  du  roman  aurait  eu  la  fantaisie,  à  un  moment 
donné,  de  corser  son  récit  par  des  emprunts  aux  traditions 
épiques,  qui  lui  fournirent  en  même  temps  le  nom  de  son  héros  ^. 

1.  Ânieiger,  etc.,  p.   72. 

2.  Remarquez  que  M.  Laistner  admet  que  nous  n'avons  pas  devant  les 
yeux  l'original  de  ce  poème  remanié  de  la  façon  qui  a  été  dite,  mais  une 
copie  retravaillée  ;  c'est  ce  qui  ressort,  selon  lui,  de  l'examen  du  fragment 
XVIII  (  (  abcr  auch  XVIII  zeigt  durch  seine  rasuren  dass  wir  eine  bearbei- 


LE   RODLIEB  381 

Je  passe  sous  silence  toute  une  série  d'autres  hypothèses, 
beaucoup  plus  audacieuses  encore  et  où  se  joue  l'imagi- 
nation de  M.  Laistner  '  ;  mais  je  retiens,  parce  que  l'étude 
attentive  du  texte  les  confirme,  les  remarques  ingénieuses  de 
ce  critique  sur  l'omission  du  nom  de  Rodlieb  dans  les  trois 
premiers  quarts  de  l'œuvre  conservée,  sur  l'étrangeté  de  l'épi- 
sode final,  qui  atteste  une  pensée  étrangère,  sur  les  menues 
dissemblances  de  style,  de  métrique  et  de  grammaire  entre  les 
derniers  fragments  et  les  premiers.  Pour  expliquer  ces  ano- 
malies, il  sutfit  d'admettre  que  le  manuscrit  de  Tegernsee  est 
l'œuvre  d'un  remanieur,  travaillant  sur  un  texte  écrit  avec  des 
préoccupations  différentes  des  siennes.  Ce  n'est  pas  un  simple 
hasard  qui  lui  a  fait  insérer  dans  ce  texte  (la  place  qu'ils  y 
occupent  les  localise  et  les  date  nettement)  les  noms  propres 
teutons  {Rodlieb  ;  Imniiinch  ;  Hastiiiich  ;  Heriburg)  et  les 
quelques  mots  d'allemand  qui,  dans  un  passage  où  rien  n'en 
justifiait  leur  introduction,  sont  mis  assez  plaisamment  dans  la 
bouche  d'une  femme  de  mœurs  légères  ^ .  Tout  cela  jure  avec 
le  reste  du  récit,  dont  on  verra  que  la  langue  est  toute  romane, 
au  point  qu'en  vingt  endroits,  nul  efibrt  n'est  nécessaire  pour 
retrouver  le  mot  à  mot  français  sous  la  légère  enveloppe  latine, 
pour  ne  rien  dire  du  vocabulaire,  dont  la  plupart  des  singula- 
rités s'expliquent  aisément  par  l'ancien  français  \  Le  plus  expé- 
dient semble  donc,  en   présence  de   contradictions' insolubles, 

tung  vor  uns  haben,  sei  es  dass  die  vorlage  gekûrzt  oder  erweitert  »)  ;  l'au- 
teur de  la  copie  conservée  se   proposait   une   mise  au    net,   dans  laquelle  il 
aurait  donné  à  la  suite   du  récit  le  développement  voulu  (p.   73).    Que  de 
complications  inutiles! 

1.  Anieiger,  etc.,  p.  72-75. 

2.  Il  reste  à  justifier  la  présence  de  quelques  noms  de  poissons  d'allure 
germanique  dans  le  XlIIe  fragment.  Retournant  contre  M.  Seiler  le  pitoyable 
argument  qu'il  brandit  pour  se  défendre  contre  les  traces  trop  évidentes  de 
romanisme  qu'il  a  bien  dû  relever  dans  le  texte,  je  dirai  que  si  nous  avions 
des  raisons  trop  certaines  de  naturaliser  en  deçà  du  Rhin  l'auteur  du  Rodllch, 
ou,  comme  dit  M.  S.  de  le  faire  venir  «  in  den  Ruf  franzœsischen  Ur- 
sprungs  »  (p.  136),  ces  germanismes  pourraient  nous  inquiéter.  En  fait,  on 
verra  plus  loin  à  quoi  ils  se  réduisent,  et  l'explication  plausible  qu'on  peut 
en  donner. 

3.  Je  citerai,  sans  avoir  l'ambition  d'être  complet  : 


382  M.    WILMOTTE 

de  ne  pas  se  déterminer  d'après  l'aspect  paléographique  d'un 
texte,  qui  a  été  si  diversement  apprécié  —  et  reconstruit  '  — 
par  les  deux  seuls  érudits  de  la  dernière  génération  qui  y  ont 
porté  leur  attention.  La  teneur  même  de  ces  fragments  nous 
fournira-t-elle  des  données  meilleures  ?  Je  crois  ne  pas  m'avan- 
cer  trop  en  l'affirmant. 

M.  Seiler  n'a  pas  dû  être  d'un  avis  opposé.  Car  il  a  —  à  la 
différence  de  M.  Laistner  —  consacré  presque  autant  de  pages 
à  l'analyse  grammaticale  du  texte  qu'à  sa  conservation  manu- 
scrite. A  deux  reprises,  il  a  essayé  d'établir  que  c'était  bien  un 
Allemand  qui  Tavait  composé.  Il  l'a  fait,  de  façon  occasion- 
nelle, dans  le  dépouillement  grammatical  des  pp.  112  et  sui- 
vantes. Puis  il  a  groupé  ce  qu'il    appelle  les  «  germanismes  », 


Quisquis  habet  dare  quit,  qui  non  habet  hic  dare,  die,  quid  ? 

(I,  9S). 

Appositum  quidquid  melioris  erit  sibi,  mittît 

Id  fliciens  nobis  plus  quam  mercedis  honoris. 
(I,  106-7). 

[Dicens]  omne  bonum,  plus  modicum  ncque  multum. 
(III,  42). 

Misit  precones  satrapes  comitesque  nocendos, 

Ad  curtem  ueniant  quo  régis,  quam  beue  possint 

Et  secum  ferrent,  sibi  que  vel  equis  opus  essent 

Ad  très  ebdomadas  secum  seu  plus  remanendas. 
(IV,  247-50). 

Tune  ambo  reges  redeunt  ad  papiliones 

Cumque  suis  prandent  ;  ibi  granJia  gaudia  fiunt. 

Gaudet  quisque  suus  saluus  rediit  quod  amicus. 

(V,  73-5); 

Hec  faciendo  domuni  totam  tibi  pronipti  fi[cabis. 

Inspiciens]  cuncta  presens  sta,  nitcre  turca.  ; 

(VI,  92-3). 

Est  mihi  quod  venit  de  te,  deus  ut  niihi  niittat. 

(VII,  7)- 

Die  mihi  si  valeat,  si  tranquille  sua  res  stet. 
(X,  2). 
I.  Voir  Aii^.,  p. 71,  ss.  où  M.  Laistner  modifie  Tordre  des   fragments  et, 
par  conséquent,  conçoit  différemment  la  marche  du  récit. 


LE   RODLIEB  383 

en  les  opposant  aux  «  romanismes  »  dont  il  ne  pouvait  nier  la 
présence  '  dans  ces  2500  vers  (pp.   136  sq.). 

On  m'excusera  d'adopter  l'ordre  inverse  et  de  m'occuper 
d'abord  des  mots  et  tours  soi-disant  germaniques  du  texte.  Voici 
en  quoi  ils  consistent  : 

1°  Un  certain  nombre  de  constructions  seraient  calquées  sur 
l'allemand  :  le  génitif  après  oiwrt';  après  les  verbes  exprimant  la 
plénitude  ou  la  vacuité,  la  privation;  après  les  adjectifs  p/o/yz/jZ/o', 
longus  ;  le  datif  après  înclinare  et  peut-être  annonare  ;  l'accusatif 
dans  libct  me  ;  l'expression  est  iiiiniin  me  ;  nubere  avec  ad  ;  enfin 
deux  emplois,  avec  une  valeur  d'auxiliaire,  des  verbes  facerc 
et  esse. 

Il  est  facile  de  démontrer  le  peu  de  solidité  de  cette  argu- 
mentation. L'ancien  français  dit  se  conjoïr,  s'emplir,  se  vuider  de, 
tout  aussi  bien  que  le  moyen  haut-allemand  ;  à  promptus  cor- 
respond hastif,  à  longus,  long,  tous  deux  suivis  de  de,  et  l'on  ne 
s'exprime  pas  autrement  en  français  qu'en  latin.  Inclinare  est 
tantôt  employé  d'une  manière  absolue  (IV,  67;  V,  jor,  509), 
tantôt  suivi  du  datif (Vl,  63;  XVII,  9),  de  même  que  rencliner 
a.  fr.  qui  lui  ressemble  et  comme  forme  et  comme  usage  ;  marier 
eût  traduit  excellemment  le  nubere  ad  (VI,  24)  ;  //  nfest  bel,  il 
niatalente,  etc.  correspondent  rigoureusement  à  libet  me  ;  il 
niesmerveille,  à  mirnni  est  me,  et  tous  ceux  qui  ont  étudié  l'an- 
cienne langue  savent  que/rt/rg  y  est  déjà  une  sorte  d'auxiliaire, 
dont  nous  tendons  à  perdre  l'utilisation  depuis  un  siècle  à  peine. 

2°  L'auteur,  ayant  à  traduire  en  latin  un  mot  allemand  fami- 
lier à  sa  pensée,  ne  manque  pas,  entre  plusieurs  expressions 
existantes,  d'adopter  précisément  celle  que  défend  le  bon  usage. 
C'est  le  cas  de  qiiain  pour  ut  ou  quomodo,  ou  encore  dans  un 
emploi  plus  extraordinaire  : 

Nec  procul  hinc  abeiuit  aiiibo  qiiam  huniiia  perdunt. 

C'est  aussi  le  cas  de  nelut  pour  ///  (interrogation  directe)  ; 
de  ut  pour  qiiaJis  ou  ijnarn;  de  usque  pour  duni  ;  de  magis  plus 


I.  Il  y  en  a  «  eiiie  gi.vi:^e  Keibe  »  et  M.  S.  confesse  (p.  136),  que  si  l'ori- 
gine germanique  du  texte  n'était  pas  hors  de  doute,  et  la  prédominance  des 
germanismes  établis,  il  v  aurait  de  quoi  penser  à  une  origine  romane. 


384  M.    WILMOTTE 

pour  juin  ou  ainplius;  à.c  scii  pour  an,  ou  réciproquement;  de 
aut  ou  vc  pour  an  ;  de  omnis  pour  ulliis;  de  i/)^^  pour  idem  ;  de 
^i//;//r  avec  une  valeur  de  passé  ;  de  sedeo  et  ses  composés  pour 
sido,  de  slare  pour  sistere,  de  n'  avec  la  valeur  contraire  de  celle 
du  simple  dans  reconsiliari;  de  Unqiiere  {lel-)  pour  prœtermittere 
et  aussi  pour  diiiiittere  ;  de  laudare  pour  vovere  ;  de  deservire 
dans  les  deux  acceptions  de  l'allemand  gedicnen  ;  de  ^///J 
riiifioris  avec  l'emploi  de  l'allemand  w^;;;  uia'rcs,  du  tour  de 
phrase  :  faciani,  siciil  ahire  iieliiii  {Vil,  87). 

L'éditeur  se  borne  à  mettre  entre  parenthèses  le  mot  alle- 
mand, qu'il  juge  correspondre  à  celui  dont  l'auteur  a  fliit  un 
usage  peu  judicieux.  Il  ne  m'en  coûterait  pas  davantage  d'y 
substituer  un  mot  français,  dont  la  fonction  est  identique;  gtiajn 
est,  pour  ainsi  dire  calqué  sur  qiic(d),  non  seulement  dans  les 
passages  allégués  (IV,  106  ;  XVII,  88;  dans  ce  dernier  passage, 
la  seule  traduction  est  notre  que  ;  dans  le  premier  que  =  corn}, 
mais  aussi  I,  62  ;  IV,  206  ;  IX,  27  ;  XVII,  88,  de  même  qu'il 
rend  très  bien  quid  IV,  204;  quod  V,  501  :  VI,  94;  VIII,  32; 
XI,  76  ;  XV,  61  ;  quo  XI,  48  ;  XVII,  70;  quia  IX,  57  ;  XVII, 
117;  ce  sont  là  autant  de  passages,  où  la  vieille  langue  française 
transparaît  sous  le  léger  tissu  latin  ;  de  même  que  répond  très 
exactement  à  ut  ou  uelut  ;  usque  est  plus  éloigné  du  germ.  un^e 
que  de  jusque  fr.  qui  traduit  du?n  ;  uiagis  plus  est  notre  tuais  ou 
notre  plus  :  seu  IV,  89  est  le  se  atr.  additionné  d'une  copule 
{se-ve)  ;  an  pour  seu  est  une  faute  et  rien  de  plus  ;  aut  et  -ve 
pour  an  n'ont  nulle  signification,  et  les  innombrables  emplois 
abusifs  de  -ve  n'en  ont  pas  davantage  ;  onuie  VII,  81  est  notre 
du  tout;  encor  a  exactement  la  même  valeur  double  (passé,  futur) 
que  adJjuc  a  ici  ;  l'emploi  de  le-  en  composition,  avec  la  valeur 
du  rétro  latin  n'a  rien  d'exceptionnel  (j-ecroire,  relaissier,  reinan- 
der,  remener,  etc.)  ;  relinquere  a  donné  relenquir,  qui  traduirait 
bien  le  simple  linquere,  IV,  167;  loer  a.  fr.  a  précisément 
l'acception  de  laudare  VII,  85  ;  le  sens  de  «  nouvelle  »  dans 
quid  rumoris  est  déjà  dans  Horace  (Sat.  II,  6,  50  ;  comp.  U>ii- 
hos,  vers  6  ;  Ysengrimiis,  II,  391;  V  455  ;  VII,  479);  enfin  le 
dernier  passage  allégué  est  du  français,  à  peine  orné  de  dési- 
nences latines  :  «  je  ferai  (le  texte  a  facio,  non  faciam)  comme 
si  je  voulais  m'en  aller.  » 

J'en  ai  fini  avec  cette  série  de  soi-disant  analogies,  qu'une 


LE   RODLIFB  385 

connaissance  insuffisante  du  latin  avait  inconsciemment  laissé 
surnager  dans  le  poème,  mais  il  me  paraît  que  c'est  l'endroit 
propice  pour  en  étudier  quelques  autres,  négligées  ici  par 
M.  Seiler',  soit  parce  qu'il  était  peu  familier  avec  notre  langue, 
soit  parce  qu'elles  gênaient  ses  conclusions,  soit  simplement 
parce  qu'il  n'y  a  point  songé.  Les  plus  impressionnantes 
sont  précisément  fournies  par  les  particules  usuelles  du  texte; 
M.  Seiler  ne  s'est  préoccupé  de  ces  dernières  que  pour  essayer 
de  les  rapprocher  des  termes  correspondants  du  m.  h.  ail.  On 
va  voir  à  quel  point  elles  sont  françaises,  dans  Rodlieb,  sous 
leur  enveloppe  latine. 

De  avec  rogitare  est  notre  de  {/etiquérir,  rover,  demande}'  de)  -, 
Pour  ad,  les  analogies  se  pressent  en  plus  grand    nombre  :  ad 
mensas  (à  table)  ;  adiaîiiiii  (al  lei)ad  seram  {au  soir  ;  a  la  vespree); 
induciare  ad  dieiii  {ajonier  à)  ;  dure  equos  ad  alendum  {puis  H  a 
donné  a  niaiigier  à-^ns Perceval  24107);  ad  hviorem  {a  bonor)  ;  solis 
ad  exortnm  {al  levant);  ad   ternanim  septimananini  spacium    {à 
treis  semaines).  Ex  est  employé  au  lieu  de  l'ablatif,  pour  indi- 
quer la  matière  dont  un  objet  est  fait,  le  contenu,  etc.  ;  dans 
terna  coclearia  ex  linipha  les  deux  derniers  mots  correspondent 
au   fr.  d'eau.    De  même  pro  a  la  valeur  du  fr.  pour  (afr.  por) 
I,  88;  II,  65  ;  IV,  123,  X,   19;  XVI,  7.  Le  rapprochement  de 
in  avec  ::^u  allemand  dans  quelques  autres  passages   est  assez 
malencontreux,  puisque  le  fr.  en  suffit  à  la  tâche.  In  mercedeui 
=  en  récompense  (afr.  en  mérite,  en  guerredon)  ;   in  dotem  a  tou- 
jours été  traduit  par  en  dot  ;  encore  aux  xvii^-xviir  s.  on  tradui- 
sait/^rwré  in  amoreni  alicujus  par  :  brûler  d'amour  pour  {Cinna, 
1575;  Iphigénie,  774;  Misanthrope,    1007).  Il  n'est  pas  besoin 
de  chercher   les  équivalents  de  reperire in,ponere in,  etc.,  et  l'on 
s'étonne  que  M.  Seiler  n'ait  pas  pensé  au  français  pour  ///  niaio 
mense;  in  bac  nocte  est  à  peu  près  notre  enquenuit,  super  ^^  de  (au 
sujet  de)  familier  à  notre  vieille  langue  (comp.  Cligès,  2136-7  : 

1.  Je  renvoie  aux  pp.  114  et  ss.  où  il  a  parlé  de  ad,  de,  per,  pro,  in,  super 
de  façon  suffisamment  explicite. 

2.  On  peut  hésiter  sur  l'emploi  partitif,  donc  bien  français,  de  de  dans  le 
vers  2  du  fragment  VII,  car  la  construction  avec  de  dépendant  de  accidit  est 
plausible.  En  revanche,  VII,  20  Ferliir  et  vimim  de  quo  bibit...  ne  laisse 
guère  de  doute  sur  un  usage  grammatical  étranger  aux  idiomes  germaniques, 

Romania,  XLIV.  25 


386  M.    WILMOTTE 

La  plore  li  fix  sor  le  père,  Et  ço  li  pesé  sor  le  fil).  Mais  ce  qui  est 
plus  caractéristique  d'elle,  c'est  assurément /?(«/,  qui  n'est  pas 
seulement  préposition  et  adverbe  avec  les  valeurs  classiques, 
mais  s'emploie  après /Jt'/'^i^tT^,  mittere,  dirigere,  tnovere,  etc.,  donc 
est  associé  aux  verbes  de  mouvement,  comme  dans  notre  langue 
(I,  130;  IV,  128,  192  ;  VIII,  20,  37)  et  qui  même  se  combine 
avec  les  verbes  exprimant  le  désir,  le  regret,  la  douleur  (I,  52  ; 
X,  9  ;  XVI,  7),  ce  qui  n'est  pas  fait  pour  nous  embarrasser  et, 
en  tout  cas,  n'est  pas  si  éloigné  du  sens  du  mot  dans  Roland, 
2980.  N'oublions  p3.sco)!tra^=  tout  près  de  (IV,  195),  et  aussi  = 
au-devant  de  (XVI,  44)  et  passons  maintenant  à  si  et  sic,  qui  con- 
firmeront, une  fois  de  plus,  nos  déductions.  5/=  iilriim,  an, 
nonne  a  naturellement  attiré  l'attention  de  M.  Seller;  il  se  tire 
d'affaire  en  le  rapprochant  de  o/'germ.  Mais  ignore- t-il  quedès  les 
origines  de  la  langue  (Passion,  179  ;  Alexis,  26  (jc/)),  j/ français 
remplit  cette  fonction?  C'est  par  le  si  français  que  l'on  peut 
rendre  la  meilleure  raison  de  111,48  (mal  ponctué)  ;  IV,  19,  117; 
IX,  29;  XVI,  55;  XVII,  37,  où  ^/  introduit  la  subordonnée 
après  dicere,  reqiiirerc,  etc.  Et  quant  à  sic  exprimant  la  simple 
copule,  comme  notre  afr.  si,  je  crois  bien  l'avoir  découvert  V, 
335  et  XV,  21;  la  première  fois  il  est  supplétif;  la  seconde,  il 
introduit  le  second  membre  de  la  proposition  ;  je  n'insiste  pas 
sur  sic...  qiiod  (fr.  si...  que)  IX,  11.  Car  il  est  temps  de  passer 
à  la  suite  de  la  démonstration  de  M.  S.  '. 

3"  Voici  le  point  culminant  de  cette  démonstration,  M.  S. 
ayant  cru  relever  un  certain  nombre  de  tournures  germaniques, 
qui  ont  été  simplement  traduites  en  latin,  alors  que  l'usage  clas- 
sique appellerait  des  tournures  différentes.  Des  renvois  aux  dic- 
tionnaires du  m.  h.  allemand,  voire  à  des  textes  du  moyen  âge, 
fortifient  l'opinion  de  l'éditeur.  Il  est  vrai  que  ce  dernier  est 
contraint  d'avouer,  en  plus  d'un  cas,  qu'il  y  a  identité  d'emploi 
entre  le  latin  et  le  germanique  :  ocnlos  pascere,  par  ex.,  existe  à 
Rome  (et chez  nous:  repaître  ses  yeux,  son  regard;  mais   on  Ta, 

I.  Pourtant  il  faut  signaler  ici,  à  la  suite  des  particules  énumcrécs,  /v«« 
velox  qui  est  notre  bien  (I,  44)  ;  inale  hcibere  qui  a  survécu  dans  le  fr.  malade 
(I,  59)  ce...  que  rendu  par  hoc...  qiiid,  introduisant  la  subordonnée  (III,  53-4; 
sinihùc  IV,  8);  iiiulliiiii  intensif  =  a.  fr.  moult  (V,  205);  sat(îs)  qui  a  IV, 
126  ;  V,  5  ;  V'I,  15,  etc.,  la  valeur  du  fr.  asse-  et  de  l'italien  aiîa/. 


LE   RODLIEB  387 

au  VI' siècle,  chez  Fortunat,  VIII,  iv,  11  (éd.  Didot)  et  il  n'y  a 
pasde  raison  de  supposerquele  tour  avait  disparu  dans  la  suite; 
Littré  a  un  ex.  de  Rabelais;  de  même  que  populi,  plèbes  =  les 
gens,  en  français,  à  côté  de  la  gcnl  (comp.  genii  I,  124  ^^  aux 
gens,  sans  qu'il  y  ait  lieu  d'évoquer  Unie  germ.).  De  même  je 
me  demande  pourquoi  il  faudrait  penser  kich  tuaen  pour  rendre 
compte  de  arbitror,  recr,  ut  reor,  intercalés  en  formée  de  paren- 
thèse subjective,  puisque  les  langues  romanes  ont  le  même 
usage.  De  même  je  ne  vois  pas  pourquoi  «  Sine  fraude  serait  dif- 
ficilement aussi  fréquent  si  âne  valsch  n'avait  pas  été  usuel  », 
car  sans  fini  se  r  est  dans  Renart  (Méon,2263i)  ;  sans  faussée  d^ns 
founiain  deBlaives  (éd.  Hoffmann,  v.  933).  J'ai  déjà  allégué  inul- 
///;;/,  qu'il  est  imprudent  d'appeler  en  témoignage  contre  le  tran- 
çais  et  ses  congénères.  Restent  les  verbes  groupés  par  M.  S.  et  qui 
lui  fournissent  quelques  rapprochements  :  stare  avec  une  valeur 
d'auxiliaire  (et  les  parties  de  estre  empruntées  à  ce  verbe?)  '; 
gradi  circum  est  notre  circuir  (Gréban,  201^0);  consiliuni  trans- 
gredi  ;  subire  avec  le  sens  de  descendre  (voyez  l'italien  ;  l'espa- 
gnol a  adopté  la  signification  inverse)  n'ont  rien  d'exception- 
nel; crus  employé  comme  substantif  fait  pensera  niane,  deuiane 
qui  a  évolué  de  même;  jeju nia frangere  est  le  desjeûner  ou  le  bri- 
sicr  Je  je  Une  a.  fr.  (v.  Godefroy);  sine  grato  est  le  malgré  fr.  et 
les  autres  emplois  de  gralum,  grales  confirment  le  rapproche- 
ment. La  mention  du  Roland  de  Coni-ad  (2226)  à  propos  de 
uestro  quo  fiet  ainoreesz  particulièrement  maladroite;  car  le  bon 
curé  s'est  borné  là  à  traduire  le  vers  521  de  son  modèle  fran- 
çais; absque  vale  modo  uade  ne  prête  à  aucune  analogie  décisive; 
c'est  notre  sans  adieu  ;  incendere  et  cremare  pour  «  mettre  le  feu 
à  »  ont  passé  dans  nos  dialectes"  du  Midi,  aussi  bien  qu  ardre  ou 
ardoir  a  survécu  en  (x^lwc^xs;  inaurare,  avec  un  sens  purement 
moral,  est  plus  rare,  mais  n'est  pas  indécouvrable  chez  nous  ; 
les  emplois  signalés  de  unum  {convenire  in  — ),  font  penser  à 
notre  ailn,  aiiner;  ancillani  propriam  est  du  bon  français  avec  des 
désinences  latines  ;  sois  assuré  y  équivaut  à  sis  certior;  induere  se 
rend  notre   se   vestir,  ou  encore  in  Mo  mundo  =  en  toi  le  mont  ; 

I.  L'éditeur  est  mal  inspiré  en  distinguant  deux  acceptions  de  slave  :  i  se 
tenir  debout,  être  là  ;  2.  aller  à  (Ireten).  Car  les  deux  exemples  allégués  lui 
donnent  tort  ;  pour  le  2"  ad portaiii,  ad  fenestelhw  starc,  c'est  l'a.fr.ffr  esUnl. 


388  M.    WILMOTTE 

via  vadit  pervUlam  est  aussi  aisé  à  traduire  littéralement,  et  j'en 
dirai  autant  des  quelques  autres  rapprochements,  sur  lesquels 
M.  S.  a  le  tort  de  s'appesantir  lorsqu'il  se  hasarde  dans  la  phi- 
lologie médiévale  '. 

4°  C'est  le  coin  lexicologique,  le  plus  modeste,  il  est  vrai; 
car,  si  l'on  fait  abstraction  de  quelques  gloses  du  manuscrit, 
dont  l'intérêt  est  aussi  faible  que  l'attribution  reste  incertaine; 
si  l'on  néglige  les  quelques  mots  tudesques,  que  M.  Laistner  a 
si  ingénieusement  expliqués  dans  le  fragment  XVIP  et  dernier, 
il  reste,  en  tout,  une  dizaine  de  vocables,  qui  méritent  consi- 
dération-. Cevtes  fodruni,  werra,  f nord r ite,  f aida,  crisns  sont  ger- 
maniques d'origine  ;  mais  dès  les  origines  de  notre  langue  ils 
étaient  nationalisés  chez  nous,  et,  au  xii°  siècle,  on  les  trouve 
usuellement  employés  :  fne{d)re,  guerre  {pi\  luerre  dans  le  Nord) 
mordrit,  faide  (déjà  dans  les  Loher  a  in  s)  :,gris\ 

Seuls  les  quelques  noms  de  poisson  du  XIIP  fragment  font 
difficulté.  Ils  le  feraient,  du  moins,  si  nous  avions  l'ambition 
de  localiser  Rodlieb  au  cœur  de  la  France,  dans  une  contrée  où 
les  Germains  sont  venus  en  conquérants,  certes,  mais  où  ils  ont 
fusionné  de  bonne  heure   avec  une   population  indigène  plus 


1.  C'est  ainsi  que  je  ne  vois  pas  du  tout  la  nécessité  de  penser  à  sit:(en  et 
à  ses  composés,  à  propos  de  intersidere  (VII,  109;  comp.  p.  140),  alors  que 
nous  avons  toute  une  série  de  formations  analogues  en  a.  fr.,  telles  que  eiitre- 
bouter,  entregeter,  entreiiietre,  etc.  Citer  urloiib  (qui  peut  être  une  glose,  mais 
rien  de  plus)  à  côté  de  licencia,  c'est  oublier  de  consulter  Du  Cange,  qui 
a  des  exemples  caractéristiques  avec  cette  valeur.  A  propos  de  niihi  praeci- 
piiole,  pourquoi  invoquer  gehictet  tnir  ?  Et  notre  al  voslre  cornant,  usuel  en 
a.  fr.  (déjà  al  comand  Deu  dans  Alexis  11  b)  ?  C'est  une  formule  adoptée 
pour  prendre  congé,  comme  le  moderne  à  vos  ordres.  Onine  honum  dicere 
rappelle  le  honum  dicere  que  cite  Du  Cange  (s.  v.  honum)  et  qui  est  français 
et  date  de  1268.  En  fait,  pas  un  exemple  allégué,  dont  nous  ne  puissions 
fournir  l'équivalent  roman. 

2.  Le  mot  wrt;7;»/(;;/»/' a  embarrassé  M.  S.  et  M.  Laistner,  puisqu'ils  se  sont 
tus  à  son  sujet.  M.  Schmellcr  {Zs.f.  d.  AU.,  I,  406)  avait  pensé  aux Ma/To- 
manni  ;  il  faudrait  établir  ce  qui  reste  de  ce  sens  historique  dans  la  déforma- 
tion de  notre  texte. 

3.  Le  mot  )ua-{dre  serait  dans  le  même  cas,  sous  sa  forme  latine 
maceria,  si  l'on  en  croyait  Kôrting  (Dictionnaire  roman)  ;  mais  c'est  maser 
allégué  par  lui  qui  est  le  latin  maceria,  et  noul'inverse. 


LE   RODLIEB  389 

dense  et  laissé  peu  oiï  point  de  souvenirs  particuliers  dans  le 
vocabulaire.  Mais  on  verra  que  telle  n'est  point  notre  conclu- 
sion, que  des  raisons  philologiques,  que  nous  estimons  valables, 
nous  déterminent  à  chercher  le  berceau  de  l'histoire  du  miles  si 
brave  et  si  «  discret  »,  dont  deux  rois  utilisent  le  bras,  vers  le 
nord-est  de  notre  Gaule  romane,  sur  la  rive  de  la  Meuse,  non 
loin  de  la  frontière  des  langues,  là  où  fut  composé  VEcbasis  et 
où  l'auteur  du  Waltharius  semble  avoir  chanté  ce  héros  aqui- 
tain, à  quelques  lieues,  au  nord-est,  de  l'heureuse  terre  où  l'au- 
teur de  la  Chanson  de  Guillauiiie,  un  Flamand  de  lisière,  et 
d'autres  trouvères  devaient,  un  siècle  plus  tard,  populariser  la 
gloire  d'un  autre  méridional,  Guillaume  d'Orange. 

Ainsi  l'étude  philologique  de  notre  texte  se  retourne  aisément 
contre  ceux  qui  l'ont  entreprise  avec  des  préoccupations,  il  est 
vrai,  trop  manifestes  pour  garder  la  lucidité  qu'elle  réclame. 
L'essai  de  démonstration  qu'on  leur  doit  est,  d'ailleurs,  triple; 
la  paléographie  du  texte  et  sa  langue  n'en  constituent  qu'une 
partie  (on  a  vu  ce  qu'il  faut  en  penser)  ;  le  sujet  traité  et  le  ton 
adopté  par  l'auteur  ne  pouvaient  les  laisser  indifférents.  Ils  ont 
donc  tenté,  à  grand  renfort  de  citations  plutôt  tendancieuses 
et  de  rapprochements  hasardeux,  de  tirer  de  là  aussi  des  argu- 
ments plus  ou  moins  solides.  M.  Seiler  a  cherché  dans  la 
novellistique  les  éléments  constitutifs  de  la  fable  de  Rodlieb  '  ; 
il  n'y  a  guère  réussi  ;  M.  Laistner,  parti  en  chasse  d'un  tout 
autre  côté,  dans  l'espoir  d'être  sans  doute  plus  heureux,  ne  l'a 
pas  été  davantage-.  Au  fond,  ce  qui  les  embarrasse  tous  deux, 
c'est  qu'en  dépit  de  certaines  apparences,  rien  dans  ce  texte  ne 
s'apparie  aux  créations  authentiques  du  génie  de  leur  race.  Ils 
ne  voient  pas,  ils  ne  veulent  pas  voir  qu'il  y  a  là  un  simple 
roman  d'aventures,  conçu  à  la  française,  j'entends  avec  l'agréable 
frivolité,  le  scepticisme  spirituel,  la  finesse  de  ton,  le  goût  et 
l'art  des  sous-entendus  qui,  dans  Chrétien  de  Troyes,  ont 
doimé  les  formules  immortelles  dont  le  monde  cultivé  du 
temps  s'éprit  au  Nord  connue  au  Midi,  et  qu'il  chercha  à  s'ap- 
proprier tout  de  suite.  Mais  je  l'ai  montré  ailleurs  3,  Chrétien  n'a 

1.  Préface,  p.  45,  sv. 

2.  An::;eiger,  etc.,  p.  79,  sv. 

3.  Moyen  dge,  19 14,  p.  102,  ss. 


390  M.    WILMOTTE 

pas  été  le  novateur  audacieux  qu'on  a  cru  trop  longtemps. 
DéjàWaceet  surtout  Benoît  de  Sainte-More  possèdent  les  dons 
d'observation  psychologique  qui  sont  l'apanage  dun  véritable 
romancier;  si  leur  écriture  est  inférieure,  leur  finesse  intuitive, 
aiguisée  par  la  vie  des  cours,  leur  vaut  des  trouvailles  déjà  pré- 
cieuses, et  ce  n'est  pas  un  simple  hasard  qui  fait  que  nous 
notons  dans  Roillieb  comme  un  écho  des  mêmes  préoccupa- 
tions, qui  nous  rendent  encore  supportables  les  œuvres  inter- 
minables des  deux  trouvères  normands. 

Il  y  a  une  convention  particulière  à  ces  romans,  plus  artifi- 
ficiels  sans  doute  que  ceux  de  maintenant,  et  où  règne  une 
discipline  littéraire  plus  rigoureuse.  Il  y  a  un  ton  et  des 
usages,  dont  il  semble  qu'il  ait  été  interdit  de  s'écarter.  Ce  ton, 
ces  usages,  ce  convenu  existent  déjà,  chez  nous,  dans  le  roman 
de  Thèbes  et  ce  n'est  pas  la  moindre  surprise  qu'éprouve  le  cri- 
tique, lorsqu'il  est  bien  obligé  de  reconnaître  que  le  genre  est 
constitué  dès  la  première  composition  qu'il  nous  a  léguée. 

L'étude  de  Rodlieb  contribuera,  j'en  suis  sûr,  à  nous  faire 
revenir  de  cette  surprise.  On  verra  qu'avant  115Q,  la  peinture 
de  la  vie  de  société  était  déjà  un  goût  répandu.  Qu'elle  ait  été 
l'œuvre  de  clercs  écrivant  en  latin,  il  importe  peu.  La  tradition 
est  fixée,  et  cette  tradition  comporte  une  large  part  d'éléments 
descriptifs,  étrangère  à  l'épopée  '. 

I.  Mais  non  étrangère  à  l'imagination  et  au  goût  de  l'époque  antérieure. 
Le  tort  de  nos  critiques,  c'a  été  peut-être  de  négliger,  avec  un  certain  esprit 
de  système,  les  à-côté  de  leur  matière.  Par  exemple,  comment  expliquer  cer- 
taines prédilections  d'un  Chrétien  pour  des  subtilités  psychologiques  telles 
que  celles  qui  fournissent  le  thème  iS'Erec  et  de  la  seconde  partie  de  Cligès, 
ou  encore  celui  de  l'épisode  central  d'Yvain  (le  remariage  de  Laudine),  si 
on  ignore  la  conception  de  l'honneur  ou  celle  du  lien  conjugal  aux  xie- 
xii«  siècles  ?  A  cet  égard  je  ne  connais  pas  de  lecture  plus  instructive  que  le 
De  Vita  sua  de  Guibert  de  Nogent.  Sa  mère  passe  par  quelques-unes  des 
phases  sentimentales  de  l'épouse  (restée  vierge)  de  l'oncle  de  Cligîs  ;  on 
trouve  aussi  là-bas  le  remariage  d'une  femme,  justifié  par  des  considérations 
de  caste,  etc.  (voy.  la  trad.  Guizot,  aux  pp.  386  et  397).  Et  que  d'autres  élé- 
ments utiles  à  extraire  decette  lecture,  ne  fût-ce  que  la  certitude  que  Guibert, 
dans  sa  folle  jeunesse,  avait  écrit  en  latin  des  romans  d'amour  (/7'ài.,  424,  sv.) 
et  qu'il  était  tout  pénétré  des  Anciens!  (ibid.,  411,  424;  voyez  les  citations 
classiques  et  les  comparaisons  inspirées  par  la  familiarité  de  l'antiquité  :  t.I, 


LE  RODLÏEB  ^91 

De  celle-ci  nous  retrouvons,  comme  il  fallait  s'y  attendre, 
un  certain  nombre  de  traits  caractéristiques.  Le  clerc  qui  a  écrit 
l'histoire  du  miles  ne  s'intéresse  guère  aux  combats.  Il  n'en 
narre  pas  un  seul  ;  mais  il  raconte  comment  se  fait  l'équipe- 
ment du  chevalier,  sa  vaillance,  son  retour  triomphal,  les  pri- 
sonniers délivrés  par  lui,  les  ennemis  dont  on  lui  doit  la  cap- 
ture. Il  nous  montre  le  roi,  au  service  duquel  il  s'est  mis,  le 
recevant  avec  bienveillance,  l'ambassade  envoyée  au  roi  ennemi, 
le  langage  de  celui-ci,  les  conditions  de  la  paix.  Sur  le  com- 
pagnonnage il  a  les  notions  de  son  temps,  et  son  oeuvre  aurait 
fourni  un  témoignage  instructif  à  l'étude  de  M.  Jacques  Flach 
sur  cette  institution  féodale  '.  Nous  n'en  avons  pas  de  plus 
précieux  avant  Roland.  Comme,  dans  Roland  %  il  est  question 
des  «  granz  pels  de  martre  »  qui  ornent  la  poitrine  de  Ganelon 
et  de  ceux  dont  l'offre,  faite  par  Marsile  à  celui-ci,  amorce  la 
trahison  fameuse,  on  retrouve  ce  détail  de  toilette  ici  ;  car  le 
roi  que  sert  le  héros  n'est  pas  moins  généreux  : 

Vestivit  comitem  velut  exsummatibus  Bel  sire  Guenes,  ço  li  ad  dit  Marsilie, 

[unum    

Binis  pelliciis   preciosis  totque  chru-  Guaz  vos  en  dreit  per  cez  pelz  sabel- 

[sinnis.  [ines. 

Melz  en  valt    l'or  que   ne    funt  cinq 

Munerat [cenz  livres; 

Presidibus    pulchris     madris  crisisne  Einz  demain    noit  (en)  iert  bêle  l'a- 

[poledris  [mendise  5. 
Militibus  summis    seu   pelliciis  chru- 

[sinnis  4. 

Et  voici  que  nous  observons  les  mêmes  rites  chevaleresques, 
le  rôle  de  protection  des  veuves  et  des  orphelins  assigné  au 
véritable  paladin  et  qui  est  déjà  le  plus  noble  attribut  de  la 
fonction  suprême   dans    notre   vieille  épopée  ;  voici  que  nous 

554,  370,  448;  t.  II,  65,66,  96,  etc.).  Et  tout  cela  nous  reporte  aux  pre- 
mières années  du  xii«  siècle. 

1.  Études  romanes,  offertes  à  Gaston  Paris,  p.  141  ss. 

2.  Vers  302. 

3.  R.  IV,  235-6;  V,  140-2.  Roland,  5i2,sv. 

4.  Vovez,  p.  ex.,  Coronevient  Looïs,  v.  69,  83-4  :  comp.  V,  240:  XVII,  86. 


392  M.    WIL MOTTE 

allons  retrouver  les  «  bachelers  legiers  »  qui,  de  Roland  (113) 
passèrent  à  Thèhes  (4586)  et  à  maints  romans.  Ce  sont  les 
«  a2;iles  tvrones  »  du  XI"-'  fra^^ment  ',  comme  les  dames  aux 
fenêtres,  que  nos  vieux  romans  ont  transmises  à  l'imagerie 
romantique,  épient  déjii  ici  le  départ  et  le  retour  des  chevaliers  ^. 
Les  personnages  sont  les  mêmes,  naturels  et  même  surnaturels. 
Car  le  fietim  de  Chrétien  de  Troyes  (et  aussi  son  bot)  >  ne  sont 
pas  inconnus  à  notre  auteur,  si  l'on  admet  que  le  remanieur 
allemand  n'a  pas  inventé  l'épisode  final,  et  il  résulte  de  là  que 
toute  la  dépense  d'mgéniosité  de  MM.  Seiler  et  Laistner  est 
fort  superflue.  Il  fallait  s'attendre  à  des  rapprochements,  d'ail- 
leurs faciles,  entre  le  nantis  de  notre  poème  et  toute  la  tribu 
de  Kobolds,  qui  peuplent  les  légendes  d'Outre-Rhin.  Le  texte 
de  VEckenlied,  sur  lequel  on  a  essayé  de  fonder  une  analogie 
plus  directe,  a  paru  aventureux  à  M.  Seiler  lui-même  *  ;  mais 
il  faut  regretter  qu'il  n'ait  pas  usé  d'autant  de  circonspection 
pour  les  présents  d'animaux,  que  l'épopée  française  nous  a  fait 
connaître  (ils  étaient  d'ailleurs  universellement  de  mode)  et 
dont  une  curieuse  attestation  nous  est  fournie  par  la  Chanson 
de  Roland,  avec  quoi  on  est  tenté  de  comparer  le  passage  du 
Rodlieb  où  figurent  ces  animaux  ^. 

Tout  cela  nous  est  rendu  familier  par  la  lecture  des  chansons 

1.  Comparez  juventa  qui  est  notre  joiivente  (XIV ,  24). 

2.  XIII,  132,  «  ad  dominas...  Quae  ad  canccllos  invenerunt  spéculantes.  »' 

3.  Yfain,  5273  15515  (netuit  ;  var.  nuiton). 

4.  P.  79. 

5.  Comparez  : 

Roi.  182,  ss.  :  R.  V,  81,  ss.  : 

De   Sun  aueir   me  uolt  doner  grant  Insuper  argentum  multum... 

[masse,  

Urs  e  leuns,  mil  ueltres  caeignables,  Inter  equos  muli    decapenta  bis  fale- 
Set  cenz  cameilz  7  mil  hosturs  mua-  [rati, 

[blés,  Et   bis   quindeni   onagri,  tandemque 
Quatre   cenz  muls  cargez  de  l'or  ara-  [cameli 

[be.  Atque  leopardi  gemini  biniqueleones 

Et  pariter  ursi 

Voyez  encore  les  analogies  du  songe  (XVII,  88,  sv.)  où  deux  sangliers 
menacent  le  héros,  comme  des  ours  ou  des  léopards  se  jettent  {Roland  2541) 
sur  Içs  soldats  de  Cliarlemagne, 


LE   RODLIEB  393 

de  geste  ;  mais  ce  qui  ne  l'est  pas  moins^  c'est  la  conception 
plutôt  simpliste  des  sentiments  dans  l'œuvre.  Les  larmes  y 
coulent  aussi  facilement  que  chez  nos  épiques  '.  Les  caractères 
féminins  y  sont  tracés  assez  sommairement.  Pourtant  il  con- 
vient d'y  louer  une  certaine  variété-,  attestant  une  préoccupa- 
tion d'art.  La  femme  de  l'espèce  de  fabliau,  conté  dans  les  frag- 
ments VII  et  VIII,  et  la  fiancée  du  héros  (pour  ne  rien  dire 
de  la  courtisane  mentionnée  XV,  29)  sont  d'assez  tristes  créa- 
tures, qui  ressemblent  fort  à  celles  dont  nos  vieux  conteurs 
s'amusent  et  amusent  leurs  lecteurs.  En  revanche,  la  fiancée  du 
jeune  parent  de  Rodlieb  est  une  aimable  personne,  dont  les 
sentiments,  pour  vifs  et  spontanés  qu'ils  soient,  n'excluent  ni 
la  finesse  enjouée  ni  la  pudeur.  Et  quant  à  la  mère  de  Rodlieb, 
c'est  une  vraie  femme  par  le  sens  et  le  tact,  qui  fait  penser  à  la 
mère  de  Guibert,  dont  l'abbé  de  Nogent  nous  a  tracé  un  si  admi- 
rable portrait  ^ . 

Mais  ce  n'est  ni  l'épopée,  ni  le  fabliau,  c'est  le  roman  d'aven- 
tures qui  fournit  des  éléments  de  comparaison  particulièrement 
significatifs  avec  notre  ouvrage,  tant  par  son  cadre  que  par  ses 
développements  ordinaires,  son  ton  et  son  style,  à  partir  de 
1150  environ. 

Il  semble,  en  effet,  que  tout  s'accorde  pour  conférer  à  nos 
fragments  une  physionomie  de  parenté  avec  les  œuvres  qui,  dès 
II 30,  sinon  plus  tôt,  devaient  se  créer  des  cercles  d'auditeurs 
et  même  de  lecteurs  dans  le  nord  de  la  France,  puis,  de  là  impo- 
ser leur  vogue  à  tout  l'Occident.  Le  sujet  traité  par  le  clerc  qui 
nous  a  légué  une  œuvre  si  maltraitée  par  le  temps  ne  diff^ère 
lui-même,  par  rien  d'essentiel,  de  ceux  qui  amusèrent  ce  temps- 
là.  L'histoire  du  chevalier  abandonnant  son  coin  de" terre  pour 
chercher  à  vaincre  l'ingrate  fortune,  n'est-elle  pas,  avec  des 
mobiles  plus    vagues,   l'aventure    de    Perceval,   dont    la    mère 

1.  Le  finies  pleure  en  s'éloignant  de  sa  mère;  ses  amis  pleurent  aussi  (I, 
55)  et  il  en  est  de  même,  plus  tard,  de  ceux  qu'il  s'est  faits  dans  son  pays 
d'adoption  ;  quand  il  repart,  tout  le  peuple  l'accompagne  en  larmes,  y  com- 
pris le  souverain  :  son  écuyer  le  quitte  avec  autant  d'émotion.  Quand  il 
manifeste  sa  joie,  ce  sont  encore  des  larmes,  IV,  556,  sv.  ;  568,  ss.  ;  comp. 
XI,  61  («  gemitus  edens  »  lorsqu'il  découvre  le  trésor  que  le  roi  lui  a  donné). 

2.  De  Vita  sua,  livre  I,  chap.  11  et  m. 


394  ^-    WIL.MOTTE 

pleure  au  départ,  comme  celle  de  notre  miles,  mais  io;nore  la 
joie  du  retour  ;  celle  aussi  des  héros  de  Gautier  d'Arras  et  de 
tant  d'autres  romanciers,  dont  la  tradition  survivra  jusqu'au 
xvi=  et  même  jusqu'au  xvii=  siècle  en  France  '  ?  La  peinture 
des  cours,  celle  des  amusements  de  société,  depuis  la  carole  ^ 
jusqu'au  jeu  d'échecs  ',  sans  omettre  le  son  de  la  harpe,  sur 
laquelle  s'exercent  les  doigts  agiles  du  héros  '^,  les  détails  de  la 
table  ',  la  préciosité  mondaine  s'attachant  à  la  qualité  des  orfè- 
vreries, aux  émaux,  au  feu  des  pierres,  qui  ornent  des  doigts 
aristocratiques  ^,  plus  encore,  les  délibérations  relatives  au  pro- 
jet de  mariage  de  Rodlieb  t,  la  participation  active  de  tous  à 
ces  délibérations  comme  aux  joies  et  aux  deuils  du  héros  **, 
tout  est  ici  calqué  sur  un  code  de  société,  dont  nos  romans 
nous  ont  gardé  le  meilleur  texte.  Et  si  l'on  peut  établir  que 
c'est  dans  un  vocabulaire  tout  roman,  avec  des  tours  à  peine 
contraints  par  les  exigences  syntaxiques  d'une  autre  langue, 
avec  des  mots  parfois  restés  ce  qu'ils  étaient  dans  la  bouche  des 
simples  (;;;yï«/<;/,  par  exemple),  que  ces  histoires  sont  racontées, 

1.  Voyez  l'épisode  du  début  de  CUgès,  où  un  fils  d'empereur  d'Orient 
prend  du  service  en  Bretagne.  L'inverse  est  le  tiième  essentiel  à.'IUe  et  Gcile- 
ron. 

2.  Voyez  V,  92  :  plehs...  fecit  girando  choream  ;  XIV,  45  :  ceniil  girare  cho- 
reas. 

3.  La  partie  d'échec  du  fragment  IV  est  à  rapprocher  de  maints  passages 
de  nos  vieux  textes. 

4.  Voyez  le  fragment  IX,  vers  25  et  sv. 

5.  Mensa  siihlala  (y ,  76);  Finita  cena  postquaniqne  daUir  sibi  lympha  {Vil, 
19)  ;  Sic  pedet  ad  mensam  (XI,  10)  ;  Tune  hera  poscii  aquam  (XIII,  59);  avwtis 
meiisis  (XV,  10). 

6.  Voyez  IX,  69,  sv.  où  l'auteur  entre  dans  de  curieux  détails  sur  la  façon 
d'une  bague. 

7.  C'est  le  sujet  du  fragment  XVI,  dont  il  est  impossible  de  ne  pas  rappro- 
cher l'épisode  à'Yvain,  où  Laudinc  consulte  ses  gens. 

8.  De  façon  plus  générale,  dans  Chrétien,  le  «  chœur  «  des  amis,  vassaux, 
gens  de  cour,  etc.,  est  associé  à  l'action,  et  il  semblait  que  ce  fût  là  une  nou- 
veauté appréciable  de  son  art  (vovez,  p.  ex.,  Erec,  759,  1821,  4827,  5509, 
6370),  Or,  dans  R.,  cette  participation  de  l'entourage  est  non  moins  cons- 
tante. On  pleure  (comparez  Erec,  2744,  CUgès,  5789,  sv,  etc.)  et  on  se 
réjouit  collectivement.  C'est  une  très  vieille  tradition  littéraire.  Déjà  les  Vies 
de  saints  la  connaissent. 


LE   RODLIEB  395 

la  démonstration  revêtira  une  précision,  qui,  j'ose  l'espérer, 
s'imposera  à  l'attention  des  esprits  non  prévenus. 

Et  tout  d'abord,  on  note  ici  ce  qui  constitue,  aux  yeux  de  la 
critique,  la  plus  incontestable  nouveauté  de  nos  romans,  je 
veux  dire  le  goût  et  le  sens  du  détail  descriptif.  L'épopée  avant 
II 50  (à  en  juger  par  les  quelques  échantillons  de  première 
qualité  qui  nous  en  restent)  se  désintéresse  de  ces  minuties, 
lorsqu'elles  ne  se  rapportent  pas  au  métier  des  armes  et  à  l'art 
des  combats.  Ni  la  beauté  des  femmes,  ni  leur  toilette,  ni  leurs 
mœurs,  ni  les  caprices  de  leur  sensibilité  n'ont  sollicité  l'atten- 
tion des  poètes  de  Roland,  du  Pèlerinage,  de  la  Chanson  de  Guil- 
laume, etc.  Le  pittoresque  de  la  vie  quotidienne,  la  peinture  du 
décor  où  elle  se  déroule,  l'anecdote  vulgaire  coupant  la  mono- 
tonie des  éternels  combats,  tout  cela  les  laisse  indifférents, 
tandis  que  c'est  tout  cela  qui  a  fait  la  vogue  de  nos  premiers 
romans  et  les  a  dressés,  en  concurrents  victorieux,  devant  les 
narrations  décasyllabiques,  modulées  sur  les  places  et  dans  les 
châteaux  par  des  professionnels  de  moins  en  moins  sobres  et 
inspirés. 

Chrétien  est  évidemment  le  poète  qui  synthétise  cette  révo- 
lution du  goût  littéraire.  Il  n'en  est  que  plus  intéressant  de  cons- 
tater que  l'auteur  du  Rodlieb  semble  l'avoir,  à  plus  d'un  égard, 
deviné.  Comme  lui,  on  voit  cet  auteur  décrire  minutieusement 
l'équipement,  et  ailleurs  la  toilette  de  son  héros  '  ;  on  le  voit 
prendre  la  même  peine  pour  le  paysan  dont  l'aventure  tragique 
occupe  l'essentiel  des  fragments  VII-VIII  ^  A  un  autre  endroit, 
notre  anonyme  fait  de  la  femme,  devenue  vieille,  une  peinture 
si  saisissante,  qu'il  semble  que  Villon  l'ait  lue  avant  d'écrire  les 
vers  célèbres  sur  la  fragilité  de  la  beauté  féminine  K  Même 
conçue  plus  sobrement,  la  description  d'autres  personnages 
atteste  un  peintre  habile  à  la  nuance,  et  qui  a  le  trait  net  •*.  Ce 
goût  analytique  ne  s'arrête  pas  là.  On  l'observe,  par  exemple, 
dans  l'énumération  des   bijoux  qui    s'entassent  dans  les   deux 

1.  I,  18  et  sv.;  XIV,  114  sv. 

2.  VII,  98,  sv. 

3.  XIV,  3,sv. 

4.  Je  reviendrai  sur  cette  curieuse  comparaison  de  XIII,  5  5  :  ceu  Jiicida 
luva  reluxit  ;  comp.  XIV,  3  :  Feniina  qtte  lune  par  est  in  flore  jm\enle]. 


39^  M.    WILMOTTE 

récipients  donnés  par  le  roi  à  son  chevalier  ',  dans  la  précision 
minutieuse  avec  laquelle  on  nous  cite  tous  les  poissons  que 
contient   un  fleuve    dont  on    ne    nous   dit  pas   le    nom  %  ou 

1.  V,   351,  sv.  Comparez  IX,  71.  la  description  d'une  bague. 

2.  XIII,  38,  sv.  La  passion  delà  pêche  dépasse  évidemment  ici  les  limites 
ordinaires.  Tout  le  développement  du  XIII*  fragment,  qui  a  fait  l'objet  de 
plus  d'une  dissertation  (voyez  not.  Laistner,  loc.  cit.,  p.  102,  sv.)  suppose  un 
amateur  de  pèche,  comme  maints  passages  de  Chrétien  de  Troyes,  un  ama- 

"teur  de  chasse  (voyez  dans  le  seul  Yz'ain  les  vers  882-4,  913,  ss.,  1266- 
7,2468-9,  3195,  3438,  ss.,  5045;  dans  CJigès,  les  vers  2443,  2791,  3849, 
4546,  4932,  6522,6438;  dans  Guillaume  iV Angleterre,  l'épisode  des  vers 
2632,  ss.  qui  a  une  importance  décisive,  puisqu'il  amène  le  dénouement). 
Dans  tout  cela  rien  qui  puisse  surprendre,  pour  peu  que  l'auteur  ait  vécu  dans 
un  pays  de  rivières  poissonneuses,  comme  le  sont  la  Meuse  et  ses  affluents 
(on  verra  ailleurs  pourquoi  je  risque  cette  suggestion).  Ce  qui  est  plus  sur- 
prenant, c'est  qu'à  côté  de  noms  purement  latins  de  poissons  (Indus,  ru/us, 
tinco,  harbatuliis,  etc.),  l'auteur  ait  cru  devoir  introduire  un  certain  nombre 
de  formes  germaniques,  ou  de  formes  germaniques  à  peine  latinisées  (prah- 
sitia,  lahs,  charpho  ;  aJnt,  lualra,  asco,  rinancli).  De  là  à  déduire  qu'il  est  alle- 
mand, il  n'y  avait  pas  loin,  et  comme  le  manuscrit  principal,  tout  fragmen- 
taire qu'il  soit,  a  été  trouvé  à  Tegernsee,  de  là  aussi  la  tentation  de  chercher, 
pour  quelques-uns  de  ses  poissons,  une  particularité  de  provenance  aidant  à 
une  localisation  conforme  au  désir  des  critiques.  C'est  surtout  M.  Laistner 
qui  s'est  évertué  dans  cette  voie,  et  avec  assez  peu  de  succès.  Le  fait  qu'il 
existe  à  Tegernsee  un  livre  (édité  par  Birlinger;  voyez  Zs.f.  d.  Alt.,XlV,  175) 
consacré  en  partie  à  l'art  du  pécheur,  livre  beaucoup  plus  récent  que  notre 
texte,  ce  fait,  pour  intéressant  qu'il  puisse  être,  ne  me  semble  avoir  nulle 
valeur  démonstrative.  M.  Laistner  n'est-il  pas  obligé  de  reconnaître,  par 
exemple,  que  plusieurs  des  poissons  mentionnés  dans  ce  livre  proviennent  du 
Rhin, et  ne  se  trouvent  pas  dans  les  eaux  du  lac?  Il  s'agit  donc  d'une  de  ces 
compilations  érudites  que  le  moyen  âge  a  multipliées  presque  à  l'infini. 

Et  d'autre  part,  si  le  rinanch  de  notre  texte  appelle  l'analogie  de  ces  retia 
lacunaria  rinanchera  d'un  inventaire  de  Tegernsee,  remontant  à  1023,  il  me 
paraît  utile  de  rapprocher  la  forme  ancraive  liégeoise  (Grandgagnage)  et  le 
rhénan  aiike,  comme  aussi  de  noter  que  la  description  de  la  truite,  si  abon- 
dante dans  nos  rivières  d'Ardeime,  correspond  étonnamment  'à  celle  qu'en 
donne  notre  plus  éminent  zoologiste,  M.  Lameere,  dans  sa  Faune  de  Belgique  : 
«  varie  beaucoup  de  coloration  suivant  la  limpidité  plus  ou  moins  grande  de 
«  l'eau;  souvent  ornée  de  taches  rouges»;  ainsi  s'exprime  (II,  5  7)  M.  Lameere; 
et  notre  poète  :  truta  digena,  rufa  vel  alha.  Enfin,  dans  le  dialecte  wal- 
lon, il  n'y  a  pas  que  Vaucrazve  dont  le  nom  est  resté  aux  trois  quarts  germa- 


LE   RODLIEB  397 

encore  dans  l'attention  portée  à  la  table  où  se  succèdent  les 
mets.  L'auteur  aime  à  faire  étalage  de  son  érudition  ;  sa  disser- 
tation sur  la  Imglossa  '  ou  encore  sur  la  pierre  de  lynx  ^  nous 
agace;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  maint  romancier  des 
xii^-xiii=  siècles  est  tout  aussi  prolixe.  L'auteur  du  Rodlieh  n'est 
pas  moins  curieux  des  bêtes  savantes  de  toute  taille,  depuis  les 
ours  si  bien  dressés  (V^  fragment)  jusqu'à  la  iiioiiecinla  (X^fr.),  à 
laquelle  il  prête  généreusement  des  sentiments  humains  \ 

Mais  ce  n'est  peut-être  pas  à  ces  analogies,  qui  pourtant  par 
leur  caractère  et  leur  nombre  laissent  peu  de  place  au  doute, 
que  l'on  doit  attacher  le  plus  d'importance  dans  une  comparai- 
son comme  celle-ci.  Notre  romancier  n'a  pas  seulement  les  con- 
ceptions d'art,  les  préoccupations  réglées  par  la  mode,  les  curio- 
sités et  les  ingéniosités  de  ses  confrères  du  xii^  siècle,  il  en  a  le 
style;  il  emploie  les  mêmes  mots,  les  mêmes  tours,  les  mêmes 
images  pour  exprimer  sa  pensée,  à  la  fois  naïve  et  raffinée. 

On  a  vu  plus  haut  à  quoi  se  réduisaient  les  apparentes  ana- 
logies entre  sa  langue  et  celle  de  ses  éditeurs.  Si  l'on  prend  dans 
le  français  (et  surtout  dans  celui  du  xii'  siècle)  des  termes  de 
comparaison,  tout  change,  et  mainte  difficulté  du  texte  se 
trouve,  en  même  temps,  résolue. 

C'est,  pour  choisir  quelques  mots  usuels,  causa,  qui  signifie 
«  chose  »,  acception  qu'on  retrouve  dans  le  Waltbarius  et 
quelques  autres  ouvrages;  au  plurielle  mot  acquiert  une  signi- 
fication plus  rare  {causas  tuas  reparare,  I,  90;  comp.  116;  VI, 
72,  sens  usuel)  et  fait  pensera  notre  anc.  fr.  aj'aire  dans  le  même 

nique  d'aspect  ;  car  dans  Grandgagnage  je  relève  encore  Vaspiiingue  (hareng 
fumé)  ;  le  spitrai  (saumon  de  deux  ans),  le  hôtich  (hollandais  holding)  et 
peut-être  la  maMote,  qui  accusent,  par  leur  forme,  la  conservation  tardive  de 
dénominations  nullement  romanes.  J'insiste,  d'autre  part,  sur  une  tradition 
littéraire  qui  veut  que  dès  le  iv^  siècle,  la  Moselle  soit  célèbre  pour  l'abon- 
dance et  la  qualité  gastronomique  de  ses  poissons.  On  la  trouve  constituée 
chez  Ausone  (Carm.,  X,  82  sv.)  ;  Fortunat  la  connaît  (III,  xni,  9);  Sedulius 
Scottus  n'ignore  pas  que  la  même  réputation  est  acquise  à  la  Meuse  {Canii., 
éd.  Grosse,  XI,  1 1,  sv.).  On  me  permettra  de  citer  encore  la  Vie  de  Jean  de 
Gorze(M.  G.  H.,  iv,cap.  61)  où  reparaît  un  écho  des  mêmes  préoccupations. 

1.  II,  I  ;  comp.  XIII,  18. 

2.  V,  104,  sv. 

3.  V,  84,  sv.  ;X,  71  sv. 


398  M.    WILMOTTE 

emploi  ;  son  synonyme  est  procuranda  (=  tout  ce  qu'on  pos- 
sède). C'est  destricte  et  tractas  employé  comme  termes  du  jeu 
d'échec  '.  Jouer  «  serré  »  et  fliire  un  «  coup  »,  voilà  le  sens. 
Or  l'a.  fr.  nous  facilite  immédiatement  l'intelligence  des  deux 
vocables.  On  dit  encore  «  jouer  serré  »  ;  c'est  l'extension  au 
jeu  du  terme  d'escrime  et  de  bataille,  qui  s'applique  à  un  coup 
bien  asséné  (voy.  Benoît,  Chr.Nonn.,  2831-1).  Quant  à  traclus, 
il  n'est  autre  que  l'a.  fr.  trait,  avec  cette  même  valeur  : 

Hernauz,  ses  frère,  lor  a  un  tret  mostré, 
Por  quoi  li  autre  furent  del  jeu  maté  ^. 

C'est  honor  qui  a  plusieurs  acceptions  dans  le  texte.  La  plus 
usuelle  est  celle  qu'on  note  V,  403;  XVII,  14;  elle  apparaît 
dès  les  origines  de  notre  littérature,  et  Léon  Gautier  (éd.  clas- 
sique de  la  Chanson  de  Roland,  s.  v.  honor')  croyait  l'avoir 
retrouvée  dans  le  code  Théodosien .  Elle  est,  en  tout  cas,  chez 
Ermold  le  Noir,  qui  emploie  déjà  hvios  avec  le  sens  féodal 
de  possession,  domaine  (I,  160,  IV,  132)  '.  A  partir  du 
xi^  siècle,  les  exemples  français  ne  se  comptent  plus.  Un  sens 
plus  particulier  me  paraît  établi  au  vers  lé  du  VL  fragment. 
En  supposant  même  que  le  comte  eût  besoin  de  cent  écus,  dit 
un  pâtre  au  rustre  qui  le  questionne,  je  crois  que  beaucoup 
d'habitants  du  village  seraient  chacun  en  mesure  de  le  satisfaire 

1.  Le  roi  force  un  envoyé  à  jouer  avec  lui  aux  échecs  et  à  ne  pas  le  ména- 
ger au  jeu  : 

Sed  quam  districle  noscas  luJas  volo  cum  me  : 
Nam  quos  ignotos  faciès  volo  discere  tractus. 

2.  Aymeri  de  Narhoiine,  2205. 

3.  Je  ne  connais  pas  de  plus  curieux  exemple  de  cette  acception  que  dans 
Troie,  4964,  à  cause  de  l'équivoque  plaisante  qu'il  crée.  Agamemnon  donne 
à  son  frère,  pour  le  consoler  du  rapt  d'Hélène,  le  conseil  suivant  : 

Cil  a  cui  boni  tout  Ijouor  (:=  enlève  son  bien) 
Qui  les  grans  cous  a  a  sofrir, 
Et  les  maisnies  a  tenir 
Qu'il  seit  povres  e  sofreitos 


Que  ses  pris  creisse  e  mont  e  puit, 
Ne  de  bien  faire  ne  s'cnuit. 


LE   RODLIEB  399 

en  (tout  bien  et)  tout  honneur,  c'est-à-dire  complètement 
(«  multi  sunt  hic,  quos  non  stupefiri  — •  sat  scio...  Quin 
his  servire  possint  oiimi  snb  honore  »).  Honor  a  aussi  la  valeur 
d'argent,  sens  rare  qui  est  relevé  par  l'éditeur  dans  deux  pas- 
sages, d'une  interprétation  plus  aisée,  V,  loo  et  130  '.  —  Et 
l'or?  Tantôt  l'auteur  l'appelle  obn\uiii  iiiuiuluin  (l,  30),  tantôt 
auriim  ineriiin  (V,  336),  tantôt  àurum  piinim  (V,  382).  C'est 
notre  a.  fr.  or  mier  qui  est  d'un  emploi  si  courant  -  et  dont  l'au- 
teur a  essayé  d'éviter  par  des  formules  variées  l'obsédante  répé- 
tition. 

Mais  si  l'honneur  et  la  soif  de  l'or  sont,  comme  on  l'imagine, 
deux  grands  ressorts  dramatiques  dans  une  œuvre  d'imagina- 
tion, l'amour  n'est-il  pas  le  plus  puissant  de  tous  ?  Ce  n'est  pas 
la  signification  traditionnelle  du  vocable  qui,  pourtant,  nous 
arrêtera.  Il  en  a  une  autre,  qui  ne  doit  rien  à  Rome  et,  non 
plus,  à  des  équivalents  germains.  Ainor  II,  53,  58;  W ,  167,  a 
exactement  la  valeur  du  français  anior,  qui  a  pris  le  sens  de  : 
(f  accord  politique  ou  diplomatique  »  de  «  paix  »  (voyez  II,  59, 
où  pax  est  synonyme  '  ;  aiiiica  Jicentia,lV ,  169).  Cette  valeur  fré- 
quemment attestée  s'est  conservée  assez  tard;  V,  131,  aiiior  a 
un  sens  peu  différent,  mais  symbolique,  comme  le  geste  qu'il 
caractérise  (Jmsiat  oriines...  amor  ipsiis).  Le  vers  167  du  fr.  IV 
peut  se  traduire  littéralement  (^grandi  nos  Jîqiiit  amorè)  : 

A  grant  amor  nos  relenqni, 

et  se  retrouverait  probablement  dans  nos  vieux  poèmes. 

Binantes  mériterait  une  étude  particulière.  Les  plus  anciens 
exemples  que  nous^ ayons  en  a.  fr.  du  mot  bcsant  sont  dans 
Roland^  donc  postérieurs  à  iioo.    Du  Cange  en  cite  de  latins, 

1.  Ad  honoreiii  (vestire)  est  notre  a  honor.  Comp.  W.  Foerster,  Kr.  vcn 
Troyes  Wôrterbuch,  s.  v.  enor. 

2.  Déjà  dans  Roland,  il  sert  à  désigner  la  matière  dont  sont  faits  des 
éperons  (1586,  173S),  une  boucle  d'écu  (13 14,  2538),  la  poignée  d'une  épée 
(5866;  3887),  le  bâton  symbolique  que  porte  un  ambassadeur  (2679),  enfin 
le  fauteuil  de  Charlemagne  (115). 

3.  La  même  association  dans  Roland,  3596,  où  il  s'agit  d'un  accord  hypo- 
thétique entre  deux  rois  : 

Pais  ne  autur  ne  dei  a  paicn  rendre. 


400  M.    WILMOTTE 

remontant  à  la  première  croisade  (s.  v.);  de  toute  façon,  c'est 
dans  les  dernières  années  du  xi"  siècle  que  cette  monnaie  d'or 
(car  les  besanls  sont  toujours  d'or  et  même  d'or  esmeré,  voyez 
Roland,  132)  semble  avoir  été  connue  en  France.  Mais  notre 
texte  permet  des  précisions  plus  grandes.  Les  vers  321,  ss.  du 
V*  fragment  sont  ainsi  libellés  : 

321  Ex  una  parte  lancis  nummos  posuere 

322  Ex  auro  factos  et  in  igné  sat  examinatos, 

323  A  pôle  Bizanto  quibus  agnomen  iribuere, 

324  Est  quibus  insculpta  gi'fce  circum  titulata 

325  Isiac  majestas  illac  regisque  potestas, 

526  Imponendo  manum  stans  quem  signât  beued[ictum]. 

Tout  ce  que  MM.  Seiler  et  Laistner  ont  écrit  à  propos  de  ces 
vers  est  inopérant.  M.  Seiler  a  tenté  un  rapprochement  chro- 
nologique, qui  aurait  du  prix  si  la  monnaie  d'un  empereur 
contemporain  d'Othon  II  (Komanusl,  1028-34)  et  qui,  effecti- 
vement, nous  montre,  non  Dieu  le  Père,  mais  la  vierge  couron- 
nant ce  personnage,  était  d'un  type  nouveai.  et,  à  plus  forte  rai- 
son d'un  type  unique.  Or  il  n'y  a  qu'à  parcourir  les  deux  in-^" 
de  Wroth  '  pour  en  retrouver  des  exemplaires  de  plusieurs 
dates,  alors  que  l'on  n'y  trouve  qu'un  exemplaire,  remontant  à 
Jean  II,  donc  à  1118-1143,  d'un  besant  d'or,  sur  lequel  ce  n'est 
pas  la  Vierge,  mais  Dieu  le  père  qui  porte  la  main  sur  l'empe- 
reur en  guise  de  couronnement  {jnanus  Dei  in  jewelled  slave 
crowning  John,  dit  Wroth,  et  les  mots  soulignés  sont  précisé- 
ment ceux  du  texte).  Sans  qu'il  y  ait  lieu  de  conclure  de  là,  d'une 
façon  absolue,  à  une  datation  de  notre  texte,  il  est  permis  de 
ne  pas  négliger  cette  curieuse  coïncidence,  qui  a  échappé  à  la 
critique  allemande.  J'ajouterai  que  Majestas  Dei  correspond 
très  exactement  à  notre  Deu  de  majesté,  désignant  la  première 
personne  de  la  Trinité  ;  mieux  que  cela,  maesîé  la  désigne  seule. 
Par  ex.,  dans  Gui  de  Bourgogne  (1355),  on  lit  : 

Vit  entrovrir  le  ciel  jusc'a  la  maïsté  *. 

1.  Catalogue  ûj  tbc  impérial  Byzantine  Coins,  London,  1908,  2  vol. 

2.  Godefroy  (5.  v.)  a  d'autres  exemples  de  cet  emploi.  Dans  la  Vision  de 
Wettin  (Dùmiiiler,  Poelae  Car.  aevi,  II,  272)  je  note  majestas  domini  dans 
une  acception  peu  différente. 


LE    RODLIEB  4OI 

Il  s'agit,  dans  R.,  d'un  présent  royal,  et  cette  particularité 
n'est  pas  négligeable.  Un  souverain  oriental  peut  seul  donner 
avec  vraisemblance  des  besants.  Or,  bien  que  nous  ayons  des 
données  très  vagues  sur  le  pays  où  règne  le  bienfaiteur  de 
notre  miles  (M.  Laistner  soupçonne  avec  raison  le  remanieur 
du  texte  de  l'avoir  situé  en  Afrique,  ce  que  rien  ne  confirme 
dans  la  première  partie),  il  est  à  supposer  que  ce  pays  était 
plutôt  au  sud  qu'au  nord  de  la  patrie  du  personnage.  J'ai  déjà 
allégué  d'autres  exemples  d'un  chevalier  prenant  du  service 
chez  un  prince  étranger;  il  est  difficile  d'en  tirer  une  conclu- 
sion géographique,  applicable  à  notre  texte.  Mais  si  l'on  fait 
attention  à  certains  détails,  choisis  à  dessein,  semble-t-il, 
notamment  du  curieux  travail  des  objets  précieux  enfermés 
dans  les  boîtes,  en  forme  de  pain,  que  le  roi  offre  à  Rodlieb,  on 
est  tout  naturellement  conduit  à  des  rapprochements  avec  ce  que 
nous  apprennent  les  récits  de  nos  chroniques  du  goût  et  de 
l'art  des  Orientaux,  mais  plus  particulièrement  de  certains  raf- 
finements, propres  à  Byzance  ' .  Ces  raffinements  trouvent  déjà 
un  témoin  complaisant  dans  l'auteur  du  Pèkrinacre.  Ils  ont 
fourni  à  Benoit  de  Sainte-More  le  curieux  hors-d'œuvre  de  la 
«  Chambre  de  Beauté  «.  Chrétien  n'a  eu  garde  de  les  négliger 
à  son  tour  et  dans  le  logis  machiné  où  Cligès  cache  ses  amours 
on  retrouve  l'habileté  d'un  ouvrier  de  Byzance  ^  Il  est  un  der- 
nier fait,  qui  semble  attester  les  prédilections  de  notre  auteur 
pour  l'Empire  d'Orient,  sinon  prouver  qu'il  le  connaît  de  vue. 
Ce  sont  les  mots  grecs,  relativement  nombreux  et  rares,  qu'il 
a  insérés  dans  son  texte  :  piramis,  sur  lequel  M.  Laistner  a  ex- 
primé ses  vues,  polis,  cidaris,  entheca,  etc.;  plusieurs  d'entre  eux 
offrent  des  acceptions  usuelles,  qui  méritent  d'être  signalées  ', 

1.  Voyez  Faral,  Recherches  sur  les  sources  latines  des  contes  et  romans  cour- 
tois du  moyen  âge,  p.  319,  ss. 

2.  Cligès,  5383,  ss. 

3.  Il  convient  toutefois  de  ne  pas  attribuer  une  importance  exagérée  à 
l'insertion  de  mots  grecs  dans  notre  texte.  Elles  sont  relativement  fréquentes 
dans  la  littérature  latine  du  moyen  âge  ;  il  )'  a  là  comme  une  mode  à 
laquelle,  dès  l'époque  carolingienne,  sinon  plus  tôt,  on  a  cédé  volontiers.  Je 
citerai,  au  hasard  de  mes  souvenirs,  Walahfrid  Sirabon,  les  Gesta  Apollonii 
(dont  je  me  réserve  d'étudier  la  provenance,  que  je  crois  lotharingienne),  les 

Remania,  XUV.  20 


402  M.    WILMOTTE 

Bien  d'autres  vocables  mériteraient  une  étude  particulière. 
Parmi  ceux  qui  désignent  l'équipement  du  héros,  je  signalerai 
retalatus  et  gulatum  (et  aussi  crisus).  Le  premier  se  dit  du  bou- 
clier (V,  133?)  dont  il  est  fait  don  à  des  «  ducs  ».  L'éditeur  est 
resté  court.  11  n'avait  qu'à  ouvrir  le  Glossaire  de  Froissart  par 
Scheler  ;  il  y  aurait  trouvé  le  mot  retaillé  appliqué  à  une 
lance,  et  métaphoriquement,  à  une  épée  {glaive  ret.).  On  ne 
retaille  pas  plus  une  épée  qu'un  bouclier.  Le  sens  est  :  de 
moindre  taille.  Quant  à  i^nlaliim  (XV,  90),  dans  l'expression 
pelicium  benevalde  (comp.  pellicium  uaricosnin...iiel  cimunquaqiie 
giilatiiin,  XIII,  123-4),  c'est  l'a.  fr.  peliçon  engole,  qui  qualifie 
tant  de  robes  portées  par  des  personnages  de  distinction.  Cri- 
sus  est  notre  gris,  associé  le  plus  souvent  à  vair. 

Dans  les  mets  qu'on  sert  à  table,  nous  voyons,  comme  en 
ancien  français,  figurer  les  viandes  bouillies  et  rôties  ',  le  vin 
pevré  (inni...  piperati,  VII,  13)  et  probablement  (conjecture  de 
Laismer)  les  pi  II  inenls  (picnieiitu  ras,  VI,  8^  ;  Seiler  lit.  pi  rai  ma  s^ 
dont  on  était  si  friand  chez  nous.  Il  n'est  pas  jusqu'au  détail 
un  peu  scatologique  du  fragment  VII  qui  n'ait  sa  valeur.  Le 
vieux  mari  de  la  paysanne  que  le  roux  essaie,  assez  faci- 
lement, de  séduire,  feint  d'aller  ad  sécréta  pour  épier  le  manège 
de  la  coquette.  Le  mot  n'a  pas  été  éclairci  par  MM.  Seiler  et 
Laistner.  Du  Gange  ne  l'ignore  pas  totalement  ^  Mais  c'est 
chez  Godefroy  qu'ils  eussent  trouvé  trois  exemples  liégeois  des 
xV'-xvi^  siècles.  Encore  maintenant,  on  dit,  sur  les  bords  de  la 
Meuse,  les  secrètes  pour  le  latin  latrina,  et  le  f^iit  que  la  France 
proprement  dite  n'a  pas  fourni  un  seul  exemple  au  Diction- 
naire de  rancienne  langue  française    n'est    peut-être  pas  négli- 


poémes  de  Hrosvvitha,  ceux  de  Hucbald  de  S;iint-.-\nuuid,  celui  d'Abbon 
sur  le  siège  de  Paris,  le  poème  en  quatrains  sur  Thomas  Becket,  édité  par 
Du  Méril  (P.  P.  latines  du  XII^  siècle,  p.  70),  tous  de  temps  et  de  lieux  diffé- 
rents, et  où  des  mots  grecs  trahissent  la  même  préoccupation. 

1.  I^ost  hec  sat  cocti  domino,  sat  ponitur  assi,  VII,  11. 

2.  Du  C.  donne  le  sens  de  Litritia  à  secrelum  nalunie.  Il  renvoie  aux 
Leges  Palat.  Jacobi  II,  Reg.  Major  dans  les  AASS.  Un  glossaire  latin  cité  (s. 
V.  secessus)  traduit  ce  mot  par  lieux  secrc:^.  Le  mot  usuel  est  secessus.  Nous 
l'avons  précisément  en  Lotharingie,  dans  la  chronique  de  Réginon  (s.  anno 
901). 


LE    RODLlEB  4O3 

geable,  surtout  si  l'on  rapproche  de  cet  emploi  isolé,  et  pour 
ainsi  dire  unique,  quelques  autres  particularités  bien  septentrio- 
nales '. 


I.  On  remarquera  que  je  ne  me  prononce  pas  formellement  sur  la  pro- 
venance géographique  du  texte.  Pourtant  ce  que  j'ai  dit  à  propos  de  ad 
sécréta  est  une  première  indication.  Une  autre  est  fournie  par  le  deux  com- 
paraisons des  fragm.  XIII  (55)  et  XIV  (3).  La  lune  s'appelle,  en  effet,  //  hèU 
(healté)  en  wallon,  et  cela  rend  l'image  de  l'auteur  toute  naturelle.  La  des- 
cription des  pâtisseries  que  le  jeune  villageois  offre  de  préparer  (VI,  85-6) 
vaut  aussi  qu'on  s'y  arrête.  «  Si  tu  veux  me  fournir,  dit-il  à  son  vieux 
maître,  la  farine  nécessaire,  je  te  préparerai... 

Et  picmenturas  aliquas,  lardo  superunctas 
atque  coronellas  alias  aliis,  uti  mençlas.  » 

Telle  est  la  leçon  de  Laistner,  qui  traduit  le  mot  restitué  par  lui  au  pre- 
mier vers  par  witrigebâck.  En  réalité  la  hoiikef  d  lard  liégeoise  est  encore 
maintenant  une  pâtisserie  bourgeoise,  très  appréciée  et  dont  la  confection 
correspond  à  la  description  du  texte  ;  on  peut  aussi  penser  à  ces  pains  dont 
on  frotte  de  lard  la  croûte  supérieure  pour  leur  donner  une  belle  couleur  ; 
les  pains  en  forme  de  tresse  nous  sont  restés,  sous  le  nom  de  mirou  («  sorte 
de  gâteau  en  forme  de  S  »  dit  Grandgagnage),  et  on  les  attribue  précisé- 
ment à  Verviers,  c'est-à-dire  à  la  frontière  des  langues,  au  N.-E.,  de  la  Bel- 
gique. Sur  cette  même  frontière  et  au  delà,  à  l'intérieur,  jusqu'à  la  Meuse, 
on  ne  compte  pas  les  mots  thiois,  qui,  à  toutes  les  époques,  pénétrèrent 
dans  le  wallon  ;  j'ai  cité,  p.  396,  n.  2,  les  termes  de  zpologie,  dont  le  rap- 
prochement était  suggéré  par  la  liste  des  poissons  du  fr.  XIII  ;  mais  les  noms 
des  monnaies  (blamûse,  bouhe,  deuie,  etc.)  de  l'ancienne  principauté  de 
Liège,  ceux  d'un  certain  nombre  de  termes  alimentaires  (bouqiieile,  cadje, 
cahute,  doubin,  fiiakeie,  niestcle,  tnidèle,  seri)iou:{e,  etc.)  viennent,  par  leur 
origine  et  leur  aspect  germanique,  corroborer  ce  qu'a  déjà  de  vraisemblable 
l'hypothèse  formulée  ici  sur  la  localisation  du  pseudo-Rodlieb  dans  la 
région  limitrophe  que  constitue  le  cours  'moyen  de  la  Meuse,  entre  Liège 
et  Namur.  Cette  région  fait  partie  d'un  ensemble  de  territoires,  qui  aux  xi^- 
xiie  siècles  sont  particulièrement  riches  en  oeuvres  littéraires,  après  avoir, 
dans  les  temps  qui  précédèrent,  connu  un  même  état  politique  et  social  et, 
sous  des  noms  divers,  et  à  travers  d'étranges  vicissitudes,  vécu  sous  les 
mêmes  princes.  Déjà  G.  Paris  avait  observé  que  c'est  dans  l'ancienne  Lotha- 
ringie que  semble  s'être  constituée  l'épopée  animale,  que  des  travaux  alle- 
mands et  français  ont  prouvé  n'être  point  du  tout  un  patrimoine  des  races 
germaniques.  Il  semble  —  et  j'en  tenterai  la  démonstration  ailleurs  —  que 
c'est  là  aussi  qu'a  été  composé  l'admirable  poème  de  Wallharius,  dont  Fau- 


404  M.    WILMOTTE 

Est-ce  tout  ?  Non  pas.  Car,  dans  la  peinture  des  sentiments, 
il  y  a  aussi  plus  d'une  observation  à  glaner.  Par  exemple  la 
lividité  que  produit  l'émotion  éprouvée  par  un  personnage  est 
marquée  d'un  trait  identique  dans  le  Rodlieh  et  dans  nos 
romans  : 

[Contremit]  et  pallit  per  totum  corpus  et  alget, 

dit  le  poète,  en  parlant  de  la  fiancée  du  héros,  dont  la  trahison 
est  révélée.  Ainsi  s'expriment  nos  romanciers  '  et  quant  au  mot 
tingens  (XI,  GC)  employé  pour  décrire  les  ravages  causés  par  les 
larmes  sur  la  face  humaine,  quel  meilleur  commentaire  en  don- 
ner que  le  «  teint  et  nerci  »  de  nos  poèmes  ^  ? 

Un  dernier  mot  sur  des  comparaisons  qu'affectionne  l'au- 
teur. Il  en  est  de  trop  banales  pour  permettre  n'importe  quelle 
déduction  valable.  D'autres  ont  une  grâce  plus  personnelle  ;  elles 
correspondent  évidemment  à  un  sentiment  éprouvé  par  l'au- 
teur, à  une  suggestion  qui  est  bien  à  lui;  c'est  le  cas  pour  celle 
du  faucon  ^  et  celle  de  l'hirondelle,  qu'un  jeune  homme  ou 
une  jeune  fille  légers  à  la  danse  font  naître  dans  l'esprit  de  cet 
inconnu  •*.  On  la  retrouve  dans  Fierabias  (994)  ;  elle  sert  aussi 


riel  avait  déjà  conjecturé  qu'il  avait  été  écrit  en  deçà   du   Rhin,    hypothèse 
reprise  récemment  par  M.  Jacques  Flach. 

1.  Vovez  par  ex.  Eneas,  7926  (iiiiicr  color  et  espalir;  comp.  7966)  ;  Troie, 
17605,  ss.  (savent  mue  cvlor  sa  face  — soveiit  Fa  pale,  etc.)  ;  CHgès,  462, 
$s.,  (palist  et  tressant)  4354,  ss. 

2.  Déjà  dans  Roland,  v.  1999  :  Teint  fut  e  pers,  desculuret  et  pales.  Dans 
T'ro/e,  on  trouve  cette  expression  :  la  color  teinte  16.  }^8o,  29.766;  etc.  Et 
puisque  j'ai  mentionné  les  larmes,  je  note  que  celles-ci  fournissent  un 
curieux  rapprochement  avec  des  textes  latins  de  France.  On  a  déjà  relevé 
(Revue. des  questions  historiques,  XXIV,  590)  l'emploi  abusif  que  Grégoire  de 
Tours  fait  du  tour  virgilien  fuiulere  lacrymas  ou  /.  preces.  Or  notre  auteur 
s'enhardit,  de  son  côté,  jusqu'à  des  extensions  de  forme  et  de  sens  comme 
celles-ci  :  perfiisis  oculis  (XI,  62)  et  fundendo  querelas  (XVIII,  35).  Il  prépare 
ainsi  les  voies  au  -<  répandre  des   larmes  avec  des  prières  »  du  xvn<^  siècle. 

3.  Voyez  C/;rort.  Norm.,  g'^^S;  Chanson  des  Saxons,  II,  .15  ;  Jourdain  de 
Blaives,  414,  etc.    pour  le  faucon,  Gral,  1773,  pour  l'épervier. 

4.  Voyez,   pour   l'hirondelle,    Garin    le  Loherain,  66,    Foucon  de  Candie, 
63  ;  Elie,  659  ;  Auhri  le  Bourg.,  146,  16,  etc. 


LE   RODLIEB  405 

à  exprimer  ici  la  rapidité  du  coursier.  Le  cheval  est  comparé 
au  corbeau  (I,  34)  : 

Stat  uiger  ut  corvus  equus  et  ceu  smigmate  lotus 

alors  que  nous  sommes  plus  habitués  à  la  comparaison  de  la 
«  mure  de  mûrier»  ou  encore  à  celle  de  «  l'ours  enchaiené  »  \ 
Mais  où  l'identité  de  vision  est  plus  facilement  observable,  c'est 
I,  31  où  le  terme  de  comparaison  est  fourni  par  la  «  blanche 
neige  »  ou  la  «  translucida  gemma  »  ^,  par  les  roses  qui  rap- 
pellent les  joues  fraîches  de  la  femme.  Ce  sont  là  des  rappro- 
chements si  familiers  à  l'imagination  de  nos  poètes,  que  ce  n'est 
vraiment  pas  la  peine  d'aligner  des  exemples  tirés  de  l'ancien 
français. 


*  * 


On  remarquera  que,  dans  cet  exposé  déjà  bien  long,  je  me 
suis  interdit  les  remarques  générales  sur  l'auteur  et  sur  l'œuvre, 
sur  le  plan  de  celle-ci  et  les  analogies  qu'il  pouvait  éveiller. 

C'est  que  j'estime  que  ces  2.000  vers  ne  nous  donnent, 
quoiqu'on  ait  conjecturé,  qu'une  assez  faible  idée  de  ce  que 
devait  être  le  récit  complet  de  l'auteur  inconnu.  A  bien  les  scru- 
ter, leur  ensemble  ne  permet  guère  de  se  représenter  exactement 
ce  que  fut  l'œuvre  à  laquelle  ils  appartiennent.  Chaque  vers, 
pris  isolément,  chaque  développement  offre  de  l'intérêt  et  révèle 
une  imagination  riche  et  personnelle.  Mais  que  nous  conservent- 
ils  de  la  fable  elle-même  ?  En  somme,  peu  de  chose,  si  la  con- 
texture  de  cette  fable  est  la  même  que  celle  de  nos  romans, 
composés  d'aventures  successives,  rattachées  par  un  fil  plutôt 
mince.  Nous  ignorons  si  l'auteur  a  consacré  une  part  d'atten- 
tion aux  exploits  de  son  héros,  ou  s'il  s'est  borné  à  un  résumé 
sec  de  la  campagne  dont  le  début  est  sommairement  raconté 
(II,  59  ss.),  pour  justifier  l'éclatante  faveur  dont  jouit  le 
jniles.  De  même  l'épisode  auquel  se  rattachent  les  fragments  XII 
et  XIII  est  si  incomplètement  conservé  qu'il  prête  à  des  inter- 


I.  Voyez  Aliscans,  6259,  Otinel,  926,  etc. 
2.J,  31. 


40é  M.    AVILMOTTE 

prétations  divergentes  '.  D'autre  part,  ce  qui  ressort  du  carac- 
tère sentencieux  du  V*^  fragment  et  du  début  du  XIV^  (et  enfin 
du  ton  adopté  par  la  mère  du  miles),  c'est  que  l'auteur  était  au 
moins  aussi  vivement  préoccupé  d'édification  que  de  plaisir  in- 
tellectuel, et  cela  n'a  rien  qui  puisse  nous  gêner,  car  Chrétien 
lui-même  n'a  pas  négligé  cet  élément  moral  au  moins  dans 
deux  de  ses  romans,  Pcrceval  et  Guillaume  cVEngleterre.  J'ajou- 
terai qu'il  ne  nous  reste  quasi  rien  des  aventures  du  miles  a.près 
son  retour  au  logis.  Or,  si  l'on  tient  compte  de  l'énormité  de 
ces  lacunes  et  de  la  façon  libérale,  pour  ne  pas  dire  prolixe, 
dont  il  est  parlé  des  présents  faits  au  héros,  des  conseils  qui 
lui  sont  donnés,  etc.,  on  peut  supposer  que  nous  avons  perdu 
la  plus  grande  partie  de  l'œuvre;  on  peut  enfin  —  et  c'est  une 
objection  qui  tombe  —  ramener  à  des  proportions  infimes 
l'épisode  du  roux  que  nous  avons  conservé  presque  en  entier. 
Cet  épisode  nous  choque  et  introduit  une  sorte  de  fabliau 
dans  notre  «  conte  «.Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  des  déve- 
loppements de  cette  sorte  ont  survécu  à  une  régularisation  du 
genre.  Il  y  a  des  idées  et  surtout  des  personnages  grotesques 
dans  nos  plus  beaux  romans.  Chrétien  lui-même  semble  avoir 
deviné  quelque  chose  de  la  doctrine  romantique,  recommandant 
le  singulier  mélange  du  tragique  et  du  boutfon  sur  la  scène  ou 
dans  les  narrations. 

La  difficulté  que  soulèvent  nos  fragments  dans  leur  teneur 
actuelle  est  donc  plus  apparente  que  réelle.  S'ils  remontent  réel- 
lement au  début  du  xii^  siècle  — je  n'ose  dire,i\  la  fin  du  xi^  — 
il  est,  du  reste,  assez  naturel  qu'ils  se  ressentent  encore  de  con- 
ceptions plus  trustes  et  ignorent  le  ton  policé  et  la  mesure  de 
l'art  des  Plantagenêts. 

M.    WlLMOTTE. 


I.  Voy.  Laistner,  p.  73,  qui  me  semble  avoir  tout  à  fait  raison  de  placer 
XII  et  XIII  avant  le  retour  du  miles. 


DATE    ET    SOURCE    DE   LA 
VIE  DE  SAINT   THOMAS   DE  CANTORBÉRY 

PAR  BENET,  MOINE  DE  SAINT-ALBAN 


Le  meurtre  de  Thomas  Becket,  archevêque  de  Cantorbéry, 
tué  dans  sa  propre  cathédrale,  le  29  décembre  1170,  par 
quatre  chevaliers  de  la  maison  du  roi  d'Angleterre,  produisit 
dans  toute  l'Europe  une  impression  immense.  Même  ceux  que 
la  lutte  soutenue  pendant  sept  ans  par  le  primat  d'Angleterre 
contre  les  prétentions  du  pouvoir  séculier,  avait  laissés  plus 
ou  moins  indifférents,  furent  saisis  d'indignation  et  d'horreur; 
la  cause  pour  laquelle  Thomas  avait  versé  son  sang  apparut 
aux  yeux  de  tous  comme  sacrée,  et  lui-même,  comme  un  saint 
martyr.  Le  pape  Alexandre  III,  qui,  du  vivant  de  Becket,  s'était 
plus  d'une  fois  montré  hésitant  devant  l'obstination  et  la  vio- 
lence du  prélat  ',  se  résolut  à  sévir  contre  celui  qui  était  uni- 
versellement considéré  comme  l'instigateur  du  meurtre,  le  roi 
d'Angleterre.  Sous  les  menaces  d'excommunication  et  d'inter- 
dit, Henri  II,  pour  obtenir  le  pardon  de  l'Église  offensée,  dut 
accepter  des  conditions  qui,  du  moins  en  apparence,  lui  enle- 
vaient les  fruits  de  ses  longs  efforts  pour  briser  la  puissance  du 
clergé  dans  ses  états.  Le  21  février  1173,  Thomas  Becket  fut 
solennellement  inscrit  au  catalogue  des  saints  ^.  Mais  bien  plus 

1.  Il  faut  se  rappeler  que  la  situation  d'Alexandre,  surtout  au  début  de  la 
période  en  question,  était  très  précaire.  Par  suite  de  circonstances  que  nous 
n'avons  pas  à  exposer  ici,  un  schisme  s'était  produit  dans  l'Eglise  à  la  mort 
d'Adrien  IV  (i  I  )9).  Tandis  que  l'empereur  Frédéric  Barberousse  soutenait 
l'antipape  Victor  IV,  Alexandre  était  reconnu  en  France  et  eu  Angleterre. 
Il  est  bien  naturel  que  celui-ci  ait  été  tenu  à  des  ménagements  envers  les 
monarques  qui  avaient  embrassé  sa  cause. 

2.  Voir  la  lettre  pontificale  annonçant  sa  canonisation,  dans  Raoul  de 
Dicet,  Opéra  historica,  I,  37c. 


408  E.    WALBERG 

tôt,  presque  au  lendemain  de  sa  mort,  son  tombeau  était 
devenu  un  sanctuaire  où  affluait  une  foule  sans  cesse  grandis- 
sante de  pèlerins  indigènes  et  étrangers,  et  où  le  nombre  des 
miracles  de  toute  espèce  augmentait  rapidement. 

Aussi  ne  tarda-t-on  pas  à  vouloir  perpétuer  par  des  écrits 
la  mémoire  du  saint.  Des  hommes  qui  l'avaient  connu  per- 
sonnellement et  dont  quelques-uns  avaient  même  assisté  à  sa 
fin  sanglante,  s'empressèrent  de  composer  des  relations,  sou- 
vent assez  détaillées,  de  sa  vie  et  de  son  martyre.  Peu  d'années 
après  la  mort  de  Becket  il  existait  déjà  sur  son  compte  toute 
une  littérature  en  latin  et  en  langue  vulgaire. 

Dans  une  étude  publiée  il  y  a  deux  ans  ',  j'ai  cherché  à 
préciser  les  différentes  dates  de  composition  des  plus  anciennes 
biographies  de  Becket  et  à  déterminer  les  rapports  qui  les 
unissent  entre  elles.  Je  n'y  reviendrai  pas  ici.  Pour  la  commo- 
dité du  lecteur  je  crois  pourtant  utile  de  donner  la  liste  des 
principaux  historiens,  latins  et  français,  du  saint. 

Voici  d'abord  les  latins  :  Edouard  Grim,  clerc  d'origine 
anglaise,  qui,  sans  appartenir  à  la  maison  de  l'archevêque,  était 
présent  à  son  meurtre  et  fut  blessé  en  essayant  de  le  défendre 
contre  les  coups  d'épée  des  malfaiteurs  ;  a  l'Anonyme  de  Lam- 
beth  »,  qui  affirme  également  avoir  assisté  à  la  mort  de  Bec- 
ket ;  Guillaume  de  Cantorbéry,  moine  à  Christ  Church  et 
témoin  de  la  mort  du  primat  ;  Guillaume  Fitz-Stephen,  clerc 
de  Becket  et,  lui  aussi,  témoin  du  drame  sanglant  ;  Jean  de 
Salisbury,  illustre  écrivain  et  érudit,  fidèle  partisan  et  compa- 
gnon de  Thomas  pendant  une  grande  partie  de  sa  vie,  jusqu'à 
son  dernier  jour  ;  Alain  de  Tewkesbury,  continuateur  de  l'ou- 
vrage de  Jean  de  Salisbury  ;  Roger  de  Pontigny,  moine  cister- 
cien attaché  à  la  personne  de  l'archevêque  lors  du  séjour  que 
celui-ci  fit  (1164-6)  dans  l'abbaye  de  Pontigny  pendant  son 
exil  ;  Herbert  de  Bosham,  autre  compagnon  et  ami  intime  de 
Becket  \  Ajoutons-y  Benoît,  moine  et   prieur  de  Cantorbéry, 

1.  Affattningsliderna  for  och  Jôrhâllandet  emellan  de  àldsta  leftiadsieckiiiiigar- 
na  ôfver  Thonnu  Bedet.  En  kâH-krilisk  undenôkning.  Dans  Lutids  Uiiiversitets 
Arsskrift,  N.  F.,  Afd.  i,  Bd.  70(1915). 

2.  L'œuvre  de  Herbert  est  sensiblemeot  plus  récente  que  celles  des  autres 
auteurs  cités  ici.  Elle  a  été  composée  de  1184  à  1186  ou  1187. 


LA   VIE   DE   SAINT   THOMAS   DE   CANTORBÉRY  409 

plus  tard  abbé  de  Peterborough,  auteur  d'une  Passio  sancli 
Thoiihv  dont  il  n'existe  plus  que  des  fragments.  Cette  «  Pas- 
sion »,  ou  relation  du  meurtre  du  saint,  était  destinée  à  servir 
d'introduction  au  recueil  de  miracles  composé  par  le  même 
auteur.  Les  fragments  qui  en  sont  conservés  se  trouvent  insé- 
rés dans  le  Oiiadrilogiis,  œuvre  composée,  en  1198  ou  1199, 
par  la  juxtaposition  d'extraits  tirés  de  quelques-unes  des  prin- 
cipales biographies  de  Becket  '. 

Les  vies  françaises  de  Becket  parvenues  jusqu'à  nous  sont 
au  nombre  de  trois.  Elles  sont  toutes  trois  en  vers.  Ce  sont  : 
1°  un  poème  de  plus  de  6000  alexandrins  réunis  en  strophes 
monorimes  de  cinq  vers,  composé  par  Guernes,  clerc  de  Pont- 
Sainte-Maxence,  et  terminé  dans  les  derniers  mois  de  l'année 
II 74  ^  ;  2°  une  Vie  anonyme,  dont  il  ne  reste  plus  que  quelques 
fragments,  en  vers  octosyllabiques  rimant  deux  à  deux  ;  ce 
texte,  écrit  en  dialecte  anglo-normand,  n'étant  en  somme 
qu'une  traduction  du  Qiiadrilogns  déjà  nommé,  il  ne  saurait 
remonter  au  delà  du  commencement  du  xiii^  siècle  ^  ;  3°  le 
poème,  également  anglo-normand,  dont  le  titre  et  l'auteur 
figurent  en  tête  de  la  présente  étude. 

Dans  le  mémoire  précité  je  ne  parlais  qu'incidemment  *  de 


1.  Pour  tous  détails  je  renvoie  au  mémoire  cité  ci-dessus,  dans  lequel 
sont  indiqués  les  travaux  antérieurs  relatifs  au  même  sujet,  —  Toutes  les 
biographies  énumérées  dans  le  texte  se  lisent  dans  Materials  for  the  history 
of  Thomas  Becket,  archhishop  of  Canterhury,  eâ.  by  J.  C.  Robertson 
(Londres,  1875- 188 5),  sept  vols,  parus  dans  la  collection  intitulée  Chro- 
nicJes  amis  iiieiHorials  of  Great  Britain  and  Ireland  ditrins^  the  niiddle  âges 
(no  67).  C'est  également  dans  cette  collection  (dite  du  «  Maître  des  Rôles  ») 
que  sont  publiées  toutes  les  chroniques  latines  qu'on  trouvera  citées  dans 
le  présent  article. 

2.  En  attendant  l'édition  que,  depuis  plusieurs  années,  je  prépare  de  ce 
texte,  et  qui  paraîtra  bientôt,  je  le  citerai  d'après  l'édition  de  C.  Hippeau, 
La  vie  de  saint  Thomas  le  martyr,  par  Garnier  de  Pont-Sainte-Maxence,  Paris, 
1859.  Potir  le  nom  du  poète,  voir  le  mémoire  cité  plus  haut  (p.  i,  n.  3), 
p.  10,  n.  I. 

3.  Fragments  d'une  vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbérv,  publ.  par  Paul 
Meyer,  Paris,  1885  (Soc.  des  anciens  textes  français). 

4.  P,  lO-II . 


410  E.    WALBERG 

ce  dernier  poème,  qui  sortait  du  cadre  que  je  m'étais  tracé 
alors.  Ayant  été  amené  à  m'en  occuper  plus  sérieusement 
depuis,  je  suis  maintenant  à  même  de  compléter,  et  de  corri- 
ger en  partie,  ce  que  j'en  ai  dit  il  y  a  deux  ans. 


* 
*  * 


L'œuvre  de  Benêt  est  connue  depuis  longtemps.  Elle  a  été 
publiée,  d'après  un  manuscrit  malheureusement  très  défec- 
tueux, par  Fr.  Michel,  dans  l'appendice  II  de  son  édition  de 
la  Chronique  des  ducs  de  Normandie,  t.  III,  p.  461  sqq.'.  Le 
poème,  qui  est  divisé  en  sixains  de  huit  et  de  quatre  syllabes 
(approximativement)  ^,  compte  environ  2.200  vers.  La  copie 
publiée  par  Michel  présente,  après  le  v.  672,  une  lacune  de 
près  de  700  vers.  Cette  lacune,  l'éditeur  l'a  comblée  tant  bien 
que  mal,  en  communiquant  dans  un  nouvel  appendice  (n°  V) 
la  partie  omise,  d'après  un  manuscrit  de  Londres,  dont  il 
donne  les  variantes  pour  le  reste  du  texte  également  '.  C'est 
ce  qui  explique  la  numérotation  incohérente  qu'on  remarquera 
dans  les  citations  faites  ci-dessous. 

Frère  Benêt  ^,  qui  se  nomme  lui-même  à  la  fin  de  son 
poème  (v.  1427),  était  bénédictin  >,  sans  aucun  doute  moine 
de  la  célèbre  abbaye  de  Saint-Alban.  Cela  ressort  de  la  façon 
dont  il  parle,  aux  vv.  775  sqq.,  de  ce  monastère*  et  de  la 
connaissance  intime  qu'il  possède  de  la  vie  et  du  caractère  de 
l'abbé  du  lieu,  dom  Simon  7.  Seul  entre  tous  les  biographes 
de    Becket    il  parle    d'une    entrevue  qui  eut  lieu  (à  Harrow, 

1.  Paris,  1844,  dans  les  Documents  inédili  sur  l'histoire  de  France. 

2.  On  en  trouvera  des  spécimens  plus  loin. 

3.  On  connaît  maintenant  six  manuscrits  du  poème.  Cf.  P.  Meyer,  dans 
l'Histoire  littéraire  de  la  France,  XXXIII,  377. 

4.  Ou  Bcneit,  formes  anglo-normandes  du  nom  Benoît. 

5.  Od  les  neir  dras,  v.  1428. 

6.  De  saint  Alban,  nostre  patron,  etc.  —  Déjà  Gaston  Paris,  La  littérature 
française  au  moyen  d^e  (5e  éd.),  p.  237,  appelle  notre  poète  Benoît  de 
Saint-Alban. 

7.  Cf.  plus  loin,  p.  414. 


LA    VIE   DE    SAINT   THOMAS    DE   CANTORBÉRY  4II 

selon  les  chroniques)  entre  l'abbé  Simon  et  l'archevêque,  deux 
ou  trois  semaines  avant  la  mort  de  celui-ci,  et  de  la  part  que 
Simon  prit,  avec  le  prieur  Richard  de  Douvres,  à  une  ambas- 
sade dont  le  but  était  de  ramener  «  le  jeune  roi  '  »  à  des  sen- 
timents plus  bienveillants  envers  Becket  \ 

La  valeur  historique  et  littéraire  du  poème  de  Benêt  est 
médiocre.  La  relation  qu'il  donne  de  la  vie  de  son  héros  est 
fort  incomplète  et  manque  souvent  de  précision.  Jamais  l'au- 
teur ne  se  laisse  entraîner  par  son  sujet,  il  reste  impassible  ; 
jamais  un  souffle  d'émotion  ne  l'anime.  Son  style,  sans  nerf, 
abonde  en  chevilles  ;  la  versification,  comme  dans  la  plupart 
des  textes  anglo-normands,  est  souvent  incorrecte.  Malgré  tout 
on  verra  que  le  poème  n'est  pas  dénué  d'intérêt. 

Quand  la  fie  de  Benêt  a-t-elle  été  écrite  ?  G.  Paris  en  faisait 
remonter  la  composition  aux  environs  de  1172  '.  Cette  date  a 
été  acceptée  par  M.  J.  Vising+.  Bien  que  G.  Paris  ne  dise  pas 
sur  quoi  il  fondait  son  opinion,  je  suppose  que  c'était  sur  le 
fait  qu'au  v.  1249  sqq.  Benêt  raconte  que 

Einz  que  dcus  anz  fussent  passez 
Après  qu'il  fu  martirizez 
Eu  Deu  servise, 
Out  Deus  cinc  morz  resuscitez, 
.xiiy.  ieprus  del  corz  mondez 
Dedcnz  l'église  5. 

1.  Henri,  fils  de  Henri  II  et  couronné  du  vivant  de  son  père,  le  14  juin 
1170.  Il  fut  sacré,  au  mépris  des  droits  de  l'église  primatiale  de  Cantorbéry 
et  malgré  la  défense  expresse  du  pape,  par  l'archevêque  Roger  d'York,  assisté 
des  évèques  de  Londres  et  de  Salisbury  (cf.  plus  loin,  p.  415). 

2.  Cf.  les  récits  analogues  qu'on  lit  aussi  bien  dans  la  chronique  de  Ma- 
thieu de  Paris,  moine  de  Saint-Alban  {Chvonica  majora,  II,  278-9),  que  dans 
les  Gesta  ahhatum  monasterii  Sancti  Albctni,  I,  184-8.  — Fitz-Stephen  (p.  124) 
et  Guillaume  de  Cantorbéry  (p.  114  sqq.),  sans  parler  de  la  visite  faite  par 
l'abbé  Simon  à  l'archevêque,  racontent  pourtant  que  celui-ci  envoya  l'abbé 
de  Saint-Alban  et  le  prieur  de  Douvres  pour  porter  plainte  au  jeune  roi 
d'outrages  commis  envers  le  primat  par  Randoul  du  Broc. 

3.  Vie  de  saint  Gilles,  p.  xxii.  Dans  La  littérature  française  au  moyen  âge, 
p.  274,  il  le  fait  descendre  un  peu  plus  bas,  vers  11 75. 

4.  La  versification  anglo-nonnande,  p.  79;  Franska  sprâket  i  En^land,  I,  28. 

5.  J'introduis  par^ci  par-là  quelques  menues  corrections  empruntées  aux 
variantes  du  manuscrit  de  Londres. 


412  E.    WALBERG 

Or,  comme  l'auteur  avoue  lui-même  avoir  «  translaté  ceste 
vie  de  latin  en  romanz  »,  il  a  pu  trouver  le  renseignement  en 
question  dans  sa  source  latine,  sur  laquelle  nous  aurons  à  reve- 
nir plus  loin.  Aussi  M.  Paul  Meyer  date-t-il  le  poème,  sans 
d'ailleurs  donner  ses  raisons,  du  premier  quart  du  xiii^  siècle  '. 
Dans  mon  étude  sur  les  plus  anciennes  biographies  de  Thomas 
Becket  je  me  suis  rangé,  un  peu  à  la  légère,  à  l'avis  de 
M.  Meyer  ^  ;  j'ai  eu  tort.  Ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  G.  Paris 
ait  eu  raison. 

En  effet,  le  poème  de  Benêt  est  antérieur  à  la  mort  de 
Henri  II  d'Angleterre  (1189)  ;  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  là- 
dessus.  En  rapportant  une  discussion  qui  eut  lieu  entre  l'arche- 
vêque et  Henri  au  sujet  des  clercs  criminels  que  ce  dernier 
voulait  livrer  à  la  justice  séculière,  et  au  cours  de  laquelle  le  roi 
se  laissa  emporter  par  son  humeur  violente,  l'auteur  retient 
prudemment  son  indignation  : 

Asez  dist  par  coruz  et  irre 
Que  ne  fait  a  retraire  ne  dire, 

Ne  est  pas  raison  ; 
Car  del  régné  est  chef  et  sire, 
Ne  devom  de  li  chanter  ne  hre 
Si   bcn  non. 

(Vv.  495-8.) 

Ailleurs  le  poète  dit,  à  propos  du  couronnement  du  «  jeune 
roi  »  : 

Li  reis  ne  feit  pas  a  blâmer, 
Ainz  le  deivent  touz  loer 

La  bone  gent  ; 
Kar  por  le  règne  en  pais  garder 
Fist  soun  fiz  au  rei  lever 
Moût  sagement. 

(P.  624,  col.  b,  1.  4-9.) 

1.  Fragments  d'une  vie  de  S .  Thomas  de  Cantorbéry,  p.  11.  Cf.  Hist .  litt.  de 
la  France,  XXXIII,  377. 

2.  C'est  ce  qu'avaient  déjà  fait  Grôber  dans  le  Gnindriss  der  roman.  Phi- 
lologie, II,  2,  p.  646,  et  M.  C.  Voretzsch  dans  son  Einfiïhning  in  das  Studium 
der  altfraniôsischcn  Literatur  (2e  éd.,  Halle,  191 3),  p-  128,  tandis  que  H.  Su- 
chier  (Suaferier  &  Birch-Hirschfeld,  Geschichte  der  fran^.  Liiteratur,  p.  127) 
était  d'avis  que  le  poème  de  Beuet  «  pourrait  encore  appartenir  au  xii«  s.  »• 


LA    VIE    DE    SAINT    THOMAS    DE    CANTORBÉRY  413 

Encore  plus  probant  est  le  passage  suivant,  qu'on  lit  vers  la 
fin  du  poème  et  où  Benêt,  après  avoir  exalté  les  mérites  du  mar- 
tyr et  blâmé,  assez  mollement,  à  vrai  dire,  ses  meurtriers, 
engage  les  lecteurs  à  prier  pour  tous  les  hommes  de  bonne 
volonté  et  notamment  pour  la  famille  royale  : 

A  Cantorbiri  trestuz  alez,  Ben  maintenir  et  conseiller, 

Et  le  seint  martir  requere;.  Sur  lotes  choses  Deii  amer 

Qu'il  ait  merci  Et  son  servise  ; 

De  Engleterre,  dont  estes  neez, 

De  vostre  rei,  que  vus  amez,  Et  sa  femme  et  ces  enfanz, 

Si  cum  jo  qui  ;  Qui  tant  sunt  bels  et  avenanz, 

Doint  bones  murz, 

Que  le  règne  poisse  si  governer  E  a  trestuz  ses  ben  voillanz, 

Cum  il  et  nus  avom  mester,  U  qu'il  seient,  petiz  u  granz, 

Et  seinte  Eolise  Face  socurz .  .  .  . 


-^D 


(Vv.  1 387-1404.) 


Même  sans  prendre  en  considération  les  deux  premiers  pas- 
sages, on  comprend  tout  de  suite  que  le  roi  dont  il  est  question 
ici  ne  saurait  être  que  Henri  II.  Richard  Cœur  de  Lion  n'eut 
pas  d'enfants  légitimes  ;  qu'un  religieux  anglais  ait  exhorté  les 
fidèles  à  aimer  Jean  sans  Terre  et  à  prier  pour  lui,  personne 
ne  le  croira  ;  Henri  III  ne  se  maria  qu'en  1236,  ce  qui  ferait 
descendre  le  poème  à  une  époque  décidément  trop  récente,  eu 
é2;ard  à  sa  langue  et  à  sa  versification.  D'ailleurs  l'allusion  aux 
«  mœurs  »  de  la  reine  et  des  princes  est  peremptoire.  On  sait 
que  Henri  II  eut  des  ennuis  constants  au  sujet  de  ses  fils  ;  au 
printemps  de  1173  ils  se  révoltèrent  ouvertement  contre  leur 
père,  —  ce  ne  fut  du  reste  pas  la  dernière  fois,  —  et  la  reine 
Aliénor,  arrêtée  comme  complice  de  cette  rébellion,  resta  en 
fait,  malgré  la  réconciliation  intervenue  entre  Henri  et  ses  fils 
dans  l'automne  1174,  prisonnière  d'état,  —  sous  des  formes 
de  plus  en   plus  douces,  —  jusqu'à  la  mort  de  son  mari  '. 

Le  poème  de  Benêt  remonte  donc  à  une  époque  antérieure  à 
1189.  Il  est  vrai  qu'on  y  lit  quelques  lignes  qui  semblent 
parler  pour  une  date  plus  récente  \  Après  avoir  fait  connaître 

_ y      ■  -  ■  ■ '         ■  -        ■       ■  ■  —  ■       -  — . 

1.  et.  Raoul  de  Dicet,  II,  67  ;  R.  de  Wendover,  I,  161. 

2.  Ce  sont  ces  lignes-là  qui  m'ont  d'abord  fait  admettre  la  date  pro- 
posée par  M.  Paul  Meyer. 


414  F-    WALBERG 

Tannée  et  le  jour  où  Thomas  Becket  souffrit  le  martyre,  le  poète 
ajoute  '  que,  «  en  icel  tenz  »,  le  pape  s'appelait  Alexandre  [III], 
que  l'empereur  d'Allemagne  était  un  schismatique  du  nom 
de  Frédéric  [BarberousseJ,  qu'en  France  régnait  le  pieux 
Louis  [\TI,  le  Jeune],  tandis  qu'en  Angleterre  il  y  avait  deux 
rois,  «  chascon  Henri  ».  Au  premier  abord  on  croirait  qu'aucun 
des  personnages  énumérés  n'existait  plus,  lorsque  ce  passage 
fut  écrit.  iMais  il  sutrtt  que  la  plupart  d'entre  eux  aient  disparu. 
Barberousse  survécut  à  Henri  II  ;  on  sait  qu'il  périt  en  1190. 
Par  contre  les  autres  étaient  morts  plusieurs  années  aupara- 
vant :  Louis  MI,  en  1180,  le  pape  Alexandre  III,  en  1181  ;  et 
l'Angleterre  avait  perdu  l'un  de  ses  «  deux  rois  »  par  la  mort 
du  jeune  Henri  II,  décédé,  —  en  pleine  révolte  contre  son 
père,  — le  I T  juin  1183  -.  La  situation  politique  et  religieuse 
de  l'Europe,  entre  1183  et  1189,  était  par  conséquent  tout 
autre  qu'en  1170.  Il  est  évident  que  les  preuves  alléguées  tout 
à  l'heure  crardent  leur  valeur. 

Déjà  le  passage  auquel  je  viens  de  faire  allusion  en  dernier 
lieu  semble  en  quelque  mesure  indiquer  que  le  poème  de 
Benêt  est  postérieur  à  1 183.  Voici  des  arguments  qui  con- 
firment cette  supposition.  D'abord  il  est  indubitable  que 
Louis  VII  de  France  n'était  plus  de  ce  monde  lorsque  furent 
écrits  les  vers  suivants  : 

Li  reis  estcit  de  bon  los  ; 
Fiz  feu  al  rei  Lowis  le  Gros, 

Le  fer  hardi  ; 
Cil  ke  tôt  ad  en  soun  poin  clos 
La  soue  aime  mette  en  repos 

Par  sa  merci. 

(P.  620,  col.  b,  1.  22-7.) 

Il  y  a  mieux.  J'ai  dit  plus  haut  que  Benêt  mentionne  l'abbé 
Simon  de  Saint-Alban .  Or  les  termes  dont  il  se  sert  en  par- 
lant de  ce  prélat,  montrent  clairement  que  celui-ci  n'était  plus 
vivant  : 

1.  V.  1 147  sqq. 

2.  \'Q\r  Gesta  rf^is  Httirici  seciiuJi.  I,  501;  Rob.  de  Torigni,  Chroniùi, 
p.  305. 


LA    VIE    DE    SAINT    THOMAS    DE    CANTORBÉRY  415 

Estudie  mist  tute  sa  vie 

Kar  il  out  en  sei  grant  franchise,  De  Deu  servir  et  seinte  Marie 

Il  ama  Deu  et  son  servise  Dévoilement  ; 

Sur  tote  ren.  Ja  n'ust  eu  sa  compainnie 

Home  qui  amat  tricherie 
A  escient. 

(Vv.  790-8.) 

D'après  ce  que  nous  apprennent  les  Annales  de  ÏVaverkia,  p. 
243,  Gesta  al'luitiini  nionasterii  Sancti  Albani,  I,  194,  R.  de  Wen- 
dover,  I,  129,  et  Mathieu  de  Paris,  Chronica  majora,  II,  318  ', 
l'abbé  Simon  mourut  en  1183,  probablement  au  printemps. 
Son  successeur,  Garin,  fut  consacré  le  8  septembre  de  la  même 
année. 

La  Vie  de  saint  Thomas  de  Benêt  a  par  conséquent  été  com- 
posée entre  1183  et  1189.  Cette  date  cadre  très  bien  avec  cer- 
taines autres  données  fournies  par  le  texte.  Le  poète  y  men- 
tionne plus  d'une  lois  l'archevêque  Roger  d'York  et  les  actes 
répréhensibles  qu'il  commit  au  détriment  de  Thomas  Becket. 
Celui-ci  ayant  fulminé  des  censures  ecclésiastiques  contre 
Roger,  l'évêque  Gilbert  Foliot  de  Londres  et  l'évêque  Joscelin 
de  Salisbury,  le  i"  décembre  1170,  les  trois  prélats  se  ren- 
dirent auprès  du  roi,  qui  résidait  alors  en  Nornjandie,  pour 
lui  exposer  leurs  griefs.  Ce  fut  pendant  cette  entrevue  que 
Henri,  saisi  d'une  colère  violente,  laissa  échapper  les  paroles 
qui  provoquèrent  le  meurtre  de  Becket.  Or,  en  racontant  cet 
événement.  Benêt,  tout  en  nommant  l'archevêque  d'York, 
déclare  vouloir  taire  les  noms  des  deux  autres  évèques,  «  pour 
éviter  le  blâme  »  (vv.  844-6).  L'archevêque  Roger  mourut  en 
1181  ^  Les  deux  autres  prélats  étaient-ils  encore  en  vie, 
lorsque  Benêt  écrivit  les  vers  en  question  ?  On  dirait  que  oui. 
Gilbert  Foliot  mourut  le  18  février  1187  \  Joscelin  de  Salis- 
bury, le  18  novembre  11 84  ^. 

1.  Cf.  aussi  R.  de  Dicet,  II,   15,  n.   i  (ms.  C). 

2.  Gervais    de  Cantorbéry,  Opéra   histoiica,   I,    297  ;  Gesta  régis  Henrici 
seciindi,  I,  285. 

3.  Gesta  Henrici  sec nndi.  Il,   5. 

4.  Raoul  de  Dicet,  II,    32.  —  J'ignore   si   le    poète  avait  quelque  motif 
spécial  pour  ménager  l'évèq^ue  do  Salisbury.    En  ce  qui  concerne  l'évoque  de 


41 6  E.    WALBERG 

Je  relèverai  encore  un  fait  qui  pourrait  indiquer  que  Benêt  a, 
en  effet,  composé  son  poème  en  1184.  Dans  les  Gesta  abbatum 
Dwnastcrii  Sancii  Albani  (I,  197),  on  lit  le  récit  d'une  visite 
faite  à  cette  abbaye  par  le  roi  Henri  II  au  temps  de  l'abbé 
Garin  ',  mais  à  une  date  qui  n'est  pas  autrement  déterminée. 
Il  n'est  cependant  pas  impossible  de  la  fixer  approximati- 
vement. Le  chroniqueur  raconte  que  dans  la  suite  du  roi  se 
trouvait  entre  autres  «  Lincolniensis  episcopus  Walterus  de 
Constantiis,  cito  post  ha.'C  creatus  in  archiepiscopum  Rotho- 
magensem  ».  Lorsqu'on  sait,  d'un  côté,  que  Gautier  de  Cou- 
tances,  intronisé  à  Lincoln  le  11  décembre  1183  ^,  fut  avant 
la  fin  de  l'année  '  élu  archevêque  de  Rouen,  mais  n'obtint  la 
confirmation  papale  que  le  17  novembre  1184'»;  lorsque, 
d'un  autre  côté,  on  sait  que  le  roi  Henri  passa  de  Normandie 
en  Angleterre  le  10  juin  1184,  après  deux  années  d'absence, 
et  y  resta  jusqu'au  16  avril  de  l'année  suivante  '>,  il  est  facile 
d'en  conclure  que  la  visite  en  question  eut  lieu  dans  l'été  ou 
l'automne  de  1184.  Le  récit  de  la  chronique  est  fort  curieux, 
sous  bien  des  rapports.  Qu'il  suffise  de  dire  ici  que  le  roi,  qui 
en  plusieurs  occasions  s'était  montré  fiivorablc  à  l'abbaye,  y 
fut  reçu  «  cum  omni  gaudio  et  reverentia  »,  qu'il  entra  au 
chapitre  pour  saluer  ses  «  frères  »,  —  affirmant  être  lui-même 
((  confratrem  conventus  et  monachum  Sancti  Albani  »,  —  et 
qu'il  pria  instamment  les  révérends  pères  «  ut  pro  ipso  et 
regina  et  liberis  suis,  necnon  pro  statu  regni,  Deum  indefessis 


Londres,  la  chose  est  claire.  Saint-Alhan  est  situé  à  peu  de  distance  de 
Londres.  C'est  Gilbert  Foliot  qui,  le  18  mai  1167,  avait  consacré  l'abbé  Si- 
mon (voir  R.  de  Dicet,  I,  530,  n.  2;  Mathieu  de  Paris,  Chronica  majora,  II, 
239  ;  Gesta  ahhaliivi  nioiiasterii  Sancti  Albani,  I,  184).  Probablement  ce  fut 
encore  lui  qui  consacra,  en  1183,  le  nouvel  abbé  de  Saint-Alban,  Garin, 
bien  que  les  chroniques  ne  le  disent  pas  expressément.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  que  le  successeur  de  Gilbert  Foliot,  Richard  Fils-Néel,  donna,  douze  ans 
plus  tard,  la  bénédiction  à  l'abbé  Jean  de  Saint-Alban  (voir  R.  de  Dicet, 
II,  124,  n.  4  ;  Mathieu  de  Paris,  Chronica  majora,  II,  411). 

1.  Du  8  septembre  1183  au  29  avril  1195. 

2.  Gesta  Henrici  secundi,  I,  307;  Raoul  de  Dicet,  II,  21. 

3.  Gesta  Henrici  secundi,  I,  310. 

4.  Jaffé,  Regesta  pontifictim  Roinauorum  (2*  éd.),  t.  II,  p.  470,  no  15. 117. 
y  Gesta  Henrici  St'cnndi,  I,  512,  337. 


LA    VIE    DE    SAINT    THOMAS    DE    CANTORBERY  417 

precibus  postularent  ».  Les  religieux  s'empressèrent  d'accéder 
au  pieux  désir  du  roi.  —  Que  l'on  compare  les  paroles  du 
chroniqueur  aux  vers  de  Benêt  cités  plus  haut,  p.  41 3  :  on  recon- 
naîtra sans  doute  que  la  ressemblance  est  frappante.  Évidem- 
ment frère  Benêt  était  un  homme  consciencieux  qui  n'oubliait 
pas  ses  promesses.  Il  est  permis  de  croire,  me  semble-t-il,  que 
le  temps  écoulé  entre  la  visite  du  roi  à  Saint-Alban  et  l'achè- 
vement du  poème  de  Benêt  ne  fut  pas  long, 

* 

Reste  à  parler  de  la  source  où  Benêt  a  puisé.  Que  sa  Vie  de 
saint  Thomas  se  rapproche  souvent  d'une  ou  de  plusieurs  des 
biographies  latines  connues,  rien  de  plus  certain  ni  de  plus 
naturel.  D'autre  part  elle  en  diffère  à  un  tel  point  qu'il  est 
manifeste  qu'aucune  de  ces  œuvres  n'a  pu  être  le  mobile  du 
moine  de  Saint-Alban.  C'est  ce  qu'a  sans  doute  vu  M.  Paul 
Meyer,  qui  se  borne  à  dire  '  que  le  poème  de  Benêt  a  été  com- 
posé «  d'après  une  source  latine  »  \  N'y  a-t-il  donc  aucune  trace 
de  cette  Vila  que  l'auteur  déclare  lui-même  avoir  «translatée»  ? 
Si,  seulement  il  faut  faire  un  long  détour  pour  la  retrouver. 

Au  commencement  de  cette  étude  nous  parlions  du  reten- 
tissement que  le  meurtre  du  primat  d'Angleterre  eut  dans  le 
monde  chrétien  tout  entier.  Le  bruit  de  son  martyre  parvint 
bientôt  jusque  dans  VUltiiiia  Thiilé.  Chose  étrange,  Thomas 
Becket  devint  même,  après  saint  Olav,  le  saint  le  plus  popu- 
laire de  l'Islande.  On  connaît  au  moins  une  douzaine  d'églises 
islandaises  placées  sous  le  patronage  du  martyr  de  Cantorbéry 
pendant  les  xiii^  et  xiv=  siècles,  et  près  d'une  vingtaine  d'autres 
possédant  des  images  du  saint  ;  il  est  probable  que  des  biogra- 
phies latines  de  Thomas  avaient  pénétré  en  Islande  dès  avant 
1200  \  Rien  d'étonnant  à  ce  que  ces   relations  aient   été  tra- 

1.  Hist.  lut.  delà  France,  XXXIII,  377.' 

2.  Cf.  G.  Paris,  Littérature  française  au  moyen  âge,  p.  258  :  «  fait  sur  un 
texte  latin  »  ;  Grôber,  Grumhiss,ll,2,  p.  646  :«  nach  einernochnicht  ermit- 
telten  lat.  Vita,  oder  eine  bekannte  selir  kùrzend.  ...» 

3.  Voir  dans  la  préface  de  E.  Magnûsson  à  son  édition  de  la  Thomas  Saga 

Ronunia,  XLIV.  2'] 


4l8  E.    WALBERG 

duites  en  islandais.  A  en  juger  par  ce  qui  en  subsiste  encore 
Je  nos  jours,  il  y  a  eu  au  moins  trois  Vies  de  Thomas  islan- 
daises. 

L'une  est  une  traduction  fidèle,  sinon  littérale,  de  la  compi- 
lation connue  sous  le  nom  de  Quadrilogiis,  et  que  j'ai  men- 
tionnée plus  haut  '.  Le  seul  manuscrit  qu'on  en  possède  (abs- 
traction faite  de  quelques  fragments  peu  importants)  est  con- 
servé à  la  Bibliothèque  royale  de  Stockholm  et  paraît  dater  de 
la  fin  du  XIII''  siècle.  Il  présente  des  lacunes  regrettables,  un 
certain  nombre  de  feuillets  ayant  été  arrachés.  D'après  l'édi- 
teur, C.  R.  Unger,  aussi  bien  le  texte  que  la  copie  seraient 
d'origine  norvégienne  ^  ;  à  l'avis  de  Magniisson,  le  traducteur 
était  un  Norvégien  établi  en  Islande,  d'où,  selon  lui,  provient 
assurément  le  manuscrit  ',  Comme  cette  version  n'offre  pas 
d'intérêt  pour  les  présentes  recherches,  nous  la  laissons  com- 
plètement de  côté. 

La  seconde  version  nous  intéresse  davantage.  Elle  a  été 
publiée  deux  fois,  d'abord  par  Unger  +,  ensuite,  avec  une  tra- 
duction anglaise,  par  E.  Magniisson  K  De  l'avis  des  éditeurs 
cette  version  date  de  la  première  moitié  du  xiv^  siècle.  Le 
manuscrit  qui  nous  Ta  transmise  (^  Thômasskinna  »)  se  trouve 
à  la  Bibliothèque  royale  de  Copenhague.  Il  paraît  remonter  à  la 
fin  du  xiV  siècle.  Cette  5flf^a  ne  contient  pas  seulement  un  récit 


Erkihvskups.  A  life  oj  arcbbishop  'l'boinas  Beckcl  in  Icehiudic  (Londres,  1875- 
1883  ;  collection  dite  du  «  Maître  des  Rôles  »,  no  65),  t.  II,  p.  xxix  sqq.,  de 
nombreux  renseignements  sur  la  popularité  de  Thomas  en  Islande,  sur  des 
voyages  en  Angleterre  entrepris  à  la  fin  du  xiie  siècle  par  des  Islandais  et 
sur  les  plus  anciens  indices  relatifs  à  l'existence  en  Islande  de  biographies 
latines  du  saint,  etc. 

1.  Ci-dessus,  p.  409. 

2.  Thomas  Saga  Erkibyskitps.  Fortirllinger  oui  Thomas  Bi'cket,  eikehiskop  af 
Canlerhury.  To  bcarheideher  samt  fragmenter  af  eu  /rci/yV  (Kristiania,  1869), 
pp.  III,  VIII.  Cette  opinion  est  admise  aussi  bien  par  F.  Jônsson,  Dcii  oJd- 
norske  og  ohlishiiiilske  Utleraturs  historié,  II,  884,  que  par  Mogk,  Geschichte 
der  noruegisch-islàndischen  Literalur,  (2^  Aufl.),  p.  894. 

3.  O.  r.,  t.  Il,  p.  LX. 

4.  Voir  ci-dessus,  n.  2. 

5.  Voir  p.  préc,  n.  5. 


LA    VIE    DE    SAINT    THOMAS    DE    CANTORBERY  /]  1 9 

détaillé  de  la  vie  de  Becket  mais  aussi  un  recueil  de  miracles  opé- 
rés par  le  saint.  Dans  son  prologue  le  compilateur  expose  le  but 
qu'il  s'était  proposé  :  plusieurs  écrivains  ont  raconté  la  vie  et  les 
bonnes  actions  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry^  mais,  les  au- 
teurs plus  récents  ayant  omis  beaucoup  de  choses  qui  avaient 
été  dites  par  leurs  devanciers,  il  n'en  n'existait  pas  encore  de 
relation  complète  ;  c'est  pourquoi  l'idée  lui  est  venue  de  réunir 
dans  un  seul  livre,  à  la  louange  du  martyr,  ce  qu'il  avait 
trouvé  de  meilleur  et  de  plus  profitable  aux  fidèles  dans  les 
écrits  antérieurs. 

^  En  effet,  il  est  à  peu  près  certain  que  l'auteur  de  cette  ver- 
sion a  eu  devant  lui  plusieurs  originaux,  tels  que  le  Ouadri- 
Jogiis  déjà  cité,  le  Spéculum  Hisioriale  de  Vincent  de  Beauvais 
et  les  miracles  de  saint  Thomas  recueillis  par  Benoît  de  Can- 
torbéry  '.  Mais  sa  source  principale  semble  avoir  été  un  auteur 
latin  qu'il  désigne  lui-même  par  le  nom  de  prieur  Robert  de 
«  Cretel  ».  Il  le  cite  plusieurs  fois,  tant  au  commencement  du 
récit  de  la  vie  de  Becket  ^  que  dans  la  seconde  partie,  peut- 
être  originairement  indépendante,  de  la  Saga^  laquelle  traite 
des  miracles  survenus  après  la  mort  du  saint  '.  C'est  à  Magniîs- 
son  que  revient  l'honneur  d'avoir  identifié  ce  Robert  de  «  Cre- 
tel «  avec  Robert  de  Cricklade  (écrit  anciennement  Crecelade), 
prieur  du  monastère  de  Sainte-Frideswide  +,  à  Oxford,  et 
auteur  d'une  lettre  qui  figure  sous  son  nom  parmi  les  récits 
de  miracles  réunis  par  Benoît  de  Cantorbéry  >,  et,  traduite  en 
islandais,  dans  la  Thomas  Saga  (II,  94  sqq.)  ^. 


1.  Cf.  Unger,  p.  iv,  Magnùsson,  II,  p.  lxx  sqq.  —  A  propos  du  Spécu- 
lum Historiale,  que  le  traducteur  cite  expressément  au  chap.  xliv,  je  ferai 
remarquer  en  passant  que  les  chapp .  xiv  et  xv  du  livre  XXX  de  cet 
ouvrage  sont  empruntés  mot  à  mot  à  Roger  de  Pontigny  (Materials,  IV), 
p.   62  sqq. 

2.  Éd.  Magnùsson,  I,  ^2  («  ...  er  at  tala  eftir  ordum  ok  sôgn  priôrs 
Roberths  af  Cretel,  er  skrifadi  med  latinu  lif  heilags  Thôme.  .  .  »),  36,  }8, 
50,  52. 

3.  Tkô:nas  Saga,  II,  92,  94,  102,   106,   108,  iio,  114. 

4.  Actuellement  Christ  Church. 
).  Materials,  II,  97  sqq. 

6.  Cf.  Magnùsson,  II,  p.  lxxv,  xcii. 


420  E.    WALBERG 

On  sait  très  peu  sur  la  vie  de  Robert  de  Cricklade.  Il  est 
probable  qu'il  devint  prieur  de  Sainte-Frideswide  en  1141,  à 
la  mort  du  prieur  Guimond  '  ;  en  tout  cas  «  Robertus  prior 
Oxenfordie  »  est  témoin  à  une  charte  par  laquelle  le  roi 
htienne  confirme  certaines  donations,  dans  la  dixième  année 
de  son  règne  (i  145-6)  \  Il  doit  être  mort  en  (ou  avant)  ri8o, 
date  à  laquelle  un  certain  Philippe  figure  comme  prieur  de 
Sainte-Frideswide  \  On  savait  depuis  longtemps  que  Robert 
de  Cricklade  était  l'auteur  de  quelques  ouvrages  théologiques 
et  d'un  abrégé  de  la  NatiiraUs  historia  de  Pline,  dédié  à 
Henri  II  ^  Il  a  raconté  lui-même,  dans  la  lettre  précitée, 
comment  il  avait  été  guéri  d'une  cruelle  maladie  grâce  à  un- 
miracle  opéré  par  le  martyr  de  Cantorbéry.  Mais  qu'il  eût 
écrit  une  Vila  sancti  Thoitice  5,  personne  ne  le  soupçonnait 
avant  la  publication  de  la  Saga  islandaise  et  l'identification, 
absolument  assurée,  de  Magnùsson.  Aucun  autre  biographe 
de  Becket  ne  fait  allusion  à  l'œuvre  du  prieur  Robert.  Si  elle 
a  été  appréciée  en  Islande,  elle  paraît  être  tombée  en  un  oubli 
complet  dans  la  patrie  de  son  auteur.  Cependant  elle  a  laissé 
des  traces  en  Angleterre  aussi,  quoique,  jusqu'à  présent,  on  ne 
les  ait  pas  reconnues.  Au  fait,  la  Vita  de  Robert  de  Cricklade 
a  été  la  source,  non  seulement  de  la  Saga  islandaise,  mais  de 
la  rie  de  Benêt  de  Saint- Alban.  En  voici  des  preuves. 

La  Thomas  Saga  raconte  (I,  54-6)  que  Thomas,  au  temps 
où  il  était  chancelier  d'Angleterre,  faisait  de  grandes  libéralités 
aussi  bien  aux  pauvres  qu'aux  riches,  à  ceux-là  en  secret,  à 
ceux-ci,  ouvertement.  Cette  distinction,  qui  selon  Magnùsson  ^ 
ne  serait  mentionnée  nulle  part  ailleurs,  se  retrouve  dans  le 
poème  de  Benêt,  vv.  i8i-6  : 


1 .  Voir  Monasticon  Anglicantim ,  II,  155. 

2.  Cf.  J.  H.  Rovmd,  Siudies  in  peerage  and  family   /j/j/o/-^  (Westminster, 
1901),  p.  202,  n.  I . 

3.  Monast.  Angl.,  II,  136. 

4.  Voir  K.  Rùck  dans  les  Sit:^Hiigsbericble  {Philos. -pbilol .  Cl.)  de  l'Acadé- 
mie de  Munich,  1902,  p.    195  sqq. 

5 .  Suivie,  à  ce  qu'il  paraît,  d'une  collection  de  miracles  dus  à  l'interven- 
tion du  martyr.  Cf.  ci-dessus,  p.  10,  et  Magnùsson,  II,  p.  Lv  s. 

6.  O.  c,  II,  p;  cil. 


LA    VIE   DE   SAINT   THOMAS    DE   CANTORBERY  42 1 

Il  donot  les  riches  donz 
A  povrez  clers  et  a  prisons 

Priveement, 
Et  a  contes  et  a  baronz 
Bels  chivals,  osturz,  falconz 
Veant  la  gent. 

—  Le  récit  que  la  Saga  donne  de  l'élection  de  Becket  au 
siège  archiépiscopal  de  Cantorbéry,  et  notamment  de  l'assem- 
blée de  Londres  (chap.  xv),  est  bien  plus  détaillé  que  ceux 
des  biographes  latins  connus  et  de  Guernes  de  Pont-Sainte- 
Maxence.  Ici  encore  Benêt  (vv.247  sqq.)  offre  des  analogies 
frappantes  avec  la  version  islandaise  :  non  seulement  il  donne 
à  l'opposition  de  Gilbert  Foliot  la  même  forme  que  la  Saga  — 
demande  d'ajournement  —  mais,  d'accord  avec  ce  texte  et  en 
des  termes  à  peu  près  identiques,  il  fait  intervenir  dans  les 
débats,  contre  Becket  l'abbé  de  Westminster  (^Thomas  Saga,  I, 
74  :  un  abbé),  pour  Becket  levêque  Hilaire  de  Chichester. 
Aucune  autre  version,  à  ma  connaissance,  ne  contient  rien  de 
pareil.  —  De  même  la  Saga  (chap.  xvii)  et  le  poème  anglo- 
normand  (vv.  367-378)  sont  seuls  à  prétendre  que,  immédia- 
tement après  l'élection,  Becket  se  rendit  au  monastère  de  Mer- 
ton  et  y  prit  l'habit  de  chanoine  régulier  '.  Au  commencement 
du  chap.  Liv  de  la  Saga  (I,  346),  le  bannissement  de  la 
famille  et  des  intimes  de  Becket  par  le  roi  est  représenté  comme 
un  acte  de  vengeance  pour  une  lettre  adressée  par  l'archevêque 
à  Henri,  et  qui  aurait  suscité  la  fureur  de  celui-ci.  Dans  aucune 
des  biographies  latines  conservées,  ni  dans  Guernes  de  Pont- 
Sainte-Maxence,  nous  ne  trouvons  ce  rapprochement.  La  colère 
du  roi  y  est  motivée  ou  bien,  tout  simplement,    par   la   fuite 


I.  L'origine  de  cette  tradition  est  facile  à  imaginer.  D'après  ce  que 
raconte  Guillaume  Fitz-Stephen  (Materials,  III,  14),  Thomas,  encore  enfant, 
avait  été  confié  aux  soinb  des  chanoines  de  Merton  (probablement  pour  y 
faire  ses  premières  études)  ;  chancelier,  il  leur  obtint  la  faveur  de  Henri  II 
{ibid.,p.  23);  devenu  archevêque,  il  revêtit  un  costume  ressemblant  en 
même  temps  à  celui  des  chanoines  réguliers  et  à  celui  des  moines  (Fitz-Ste- 
phen, p.  37  ;  Guernes,  vv.  624  sqq.)  ;  pendant  son  exil  il  eut  pour  chape- 
lain et  confesseur  Robert,  clxanoine  de  Merton  (Fitz-Stephen,  p.  147  ; 
Grim  [Materials,  II],  p. 418  ;  Guernes,  v.  3861). 


422  E.    WALBERG 

de  l'archevêque  et  l'accueil  bienveillant  qui  lui  est  fait  en 
France,  ou  bien  (dans  Guillaume  de  Cantorbéry,  Jean  de  Sa- 
lisbury  et  Fitz-Stephen)  '  par  l'insuccès  des  négociations  enta- 
mées entre  Henri  et  le  pape  au  sujet  du  prélat  récalcitrant.  En 
revanche  la  version  de  Benêt  (p.  623,  col.  b,  1.  1  sqq.)  se 
rapproche  de  celle  de  la  Saga  :  les  évêques  partisans  du  roi 
montrent  à  celui-ci  une  lettre  que  Becket  venait  d'envoyer  au 
clergé  d'Angleterre  et  qui  provoque  de  la  part  de  l'irascible 
monarque  les  représailles  mentionnées  : 

Icest(e)  escrit,  cum  repeirerent,  Qant  li  reis  out  escouté(z) 

Li  messagers  od  eus  portèrent  Par  grant  ire  ad  jure(z) 

En  lour  pais,  Deu  e  ses  nouns 

E  as  evesques  le  livercrent,  Kc  homme  ne  femme  eu  régné 

Ki  toust  au  rei  le  moustrerent  Ne  remeindra  del  parenté, 

En  lour  avis.  Ne  mie  uns.  . .  . 

—  Edouard  Grim  ^  et,  à  sa  suite,  Guernes  de  Pont-Sainte- 
Maxence  ^  rapportent  une  vision  que  Thomas  eut  pendant  son 
séjour  à  Tabbaye  de  Sainte-Colombe  (1166-1170)  et  au  cours 
de  laquelle  une  voix  céleste  lui  prédit  son  martyre.  Cette 
vision  figure  également  dans  la  Thomas  Saga  (chap.  xlvii) 
et  dans  la  Vie  de  Benêt  (p.  622).  Or  la  version  commune 
à  ces  deux  derniers  textes  se  distingue  nettement  de  celle 
des  autres  en  ce  qu'elle  place  le  miracle  à  Pontigny  et 
qu'elle  représente  l'abbé  de  ce  monastère  comme  ayant, 
caché  derrière  une  colonne,  entendu  de  ses  propres  oreilles 
les  paroles  échangées  entre  l'archevêque  et  son  interlocu- 
teur divin.  La  conversation  qui  suit,  entre  l'archevêque  et 
l'abbé,  est  identique  dans  les  deux  textes  en  question  :  l'abbé 
félicite  Thomas  du  bonheur  qu'il  a  eu  de  parler  bouche  à 
bouche  avec  le  Seigneur  ;  le  prélat  lui  demande  comment  il 
pouvait  savoir  ce  qui  s'était  passé,  et,  l'abbé  ayant  répondu 
qu'il  avait  tout  entendu,  Thomas  lui  fait  promettre  de  ne  révé- 
ler à  personne,  du  vivant  de  Thomas,  la  scène  dont  il  vient 
d'être  témoin.  Et,  ajoutent  les  deux  textes,  l'abbé  tint  parole  ^. 

1.  Materials,  I,  46  fil,  313  ;  III,  75.  . 

2.  Materials,  II,  418  s.  , 

3.  Vv.  3771-3780. 

4.  Une  version  en  partie  analogue,  mais  plus  ^courte,    se  lit  dans  certains 


LA   VIE   DE   SAINT   THOMAS   DE   CANTORBÈRY  423 


* 
*  * 


Je  disais  plus  haut  '  qu'il  a  existé  au  moins  trois  Thomas 
Saga  islandaises.  Jusqu'ici  nous  n'en  avons  mentionné  que 
deux .  Quant  à  la  troisième,  la  plus  ancienne,  remontant  d'a- 
près Unger  ^  à  la  première  moitié  du  xiii^  siècle,  tout  ce  qui 
en  reste  ce  sont  des  fragments  de  quatre  feuillets  isolés,  conser- 
vés aux  Archives  du  royaume  de  Norvège,  à  Kristiania,  et  trois 
feuillets  entiers  qui  se  trouvent  dans  la  Bibliothèque  royale  de 
Copenhague  K  Un  de  ces  fragments  contient  la  vision  dont 
nous  venons  de  parler  en  dernier  lieu.  Les  variantes  qu'on  y 
relève,  sans  être  bien  importantes,  montrent  pourtant  qu'il 
s'agit  de  deux  différentes  traductions  d'un  même  original. 

Si  ce  fragment  n'appelle  pas  d'autre  remarque,  il  vaut  la 
peine  d'examiner  de  plus  près  un  autre  des  fragments  en  ques- 
tion. Sur  l'un  de  ces  morceaux  de  parchemin  ^  se  lit  la  fin 
d'un  discours  qu'on  n'a  pas  eu  trop  de  peine  à  identifier  avec 
celui  prononcé  devant  le  pape  par  le  comte  d'Arundel,  l'un 
des  messagers  chargés  par  Henri  II  de  plaider  sa  cause  à  la  cour 
pontificale  après  la  fuite  du  primat,  en  1164  K  Ce  discours  qui 
est  mentionné,  plus  ou  moins  longuement,  par  la  plupart  des 
biographes  de  Becket,  figure  aussi  dans  la  Thomas  Saga  com- 
plète. Pourtant  les  deux  rédactions  islandaises  se  séparent  ici 
tout  à  fait  l'une  de  l'autre.  Dans  la  Saga  complète  "  le  comte 
d'Arundel  se  borne  à  faire  l'éloge  aussi  bien  de  Thomas  que 
du  roi,  dont  il  loue  l'attachement  au  Saint-Père,  et,  à  prier 
celui-ci  d'intervenir  pour  rétablir  la  paix  entre  les  deux  nobles 
adversaires.  Dans  le  fragment,  au  contraire,  son  discours  a  un 
caractère  très  différent  ;  l'ambassadeur  s'y  montre  diplomate  à 


manuscrits  de  la  Vita  de  Fitz-Stephen  (p.  85),  où,  selon  l'éditeur,  elle  pro- 
vient d'une  interpolation  ultérieure. 

1 .  Cf.  p.  418. 

2.  O.  i. ,  p.  IV. 

3.  Éd.  Unger,  p.  530;  éd.  Magnùsson,  II,  264. 

4.  Éd.  Unger,  p.    529  ;  éd.  Magnùsson,  II,  263. 

5.  Cf.    Unger,  p.   529;  Magnùsson,  II,  p.  li. 

6.  Éd.  Unger,  p.  569  ;  éd.  Magnùsson,  I,  282-4. 


424  E.    WALBERG 

la  fois  habile  et  conscient  de  la  puissance  de  son  maître.  «  Nous 
ne  sommes  pas  ici  »,  dit-il  en  substance,  «  pour  plaider  une 
cause  injuste,  mais  pour  défendre  notre  monarque  contre  des 
accusations  mensongères.  Et  vous.  Seigneur,  vous  devez  con- 
sidérer la  situation  politique.  Vous  avez  besoin  d'appui,  pour 
vous-même  et  pour  la  sainte  Eglise.  Les  princes  les  plus  puis- 
sants, dans  la  moitié  septentrionale  du  monde,  ce  sont  les  deux 
empereurs,  le  roi  de  France  et  notre  roi.  Or,  aucun  des  deux 
empereurs  ne  veut  vous  aider,  tandis  que  les  deux  autres  mo- 
narques sont  animés  des  meilleurs  sentiments  à  votre  égard. 
Dans  le  cas  où  vous  perdriez  la  bienveillance  de  l'un  ou  de 
l'autre  roi,  pensez  au  préjudice  qui  en  résulterait  pour  vous  et 
pour  la  sainte  Eglise  '.  » 

La  version  résumée  en  premier  lieu  concorde  de  tout  point 
avec  le  texte  latin  fourni  par  Alain  de  Tewkesbury  et  que  repro- 
duit le  Quadrilogus  ^.  Mais  d'où  provient  l'autre  ?  Comme  le 
remarque  Magniisson  ',  aucune  des  sources  latines  qui  nous 
sont  parvenues  n'offre  d'équivalent.  Mais  s'il  avait  e.xaminé  le 
poème  de  Benêt,  il  y  aurait  trouvé  un  passage  qui  correspond 
à  peu  près  exactement  au  fragment  islandais.  Ce  sont  lés  vers 
qui  se  lisent  à  la  page  621,  col.  a,  1.  19-col.  b,  1.  2  de  l'édition 
de  Fr,  Michel  : 

De  rige  gent  : 

«  Ne  mie  pur  dun  dreiner  {sic)  «  Ces  sunt  li  duy  enperour 

Mais    por  soun  règne  e  li  escuser  Elerei  de  Fraunce  emounseignur 

De  boisdie.  Le  rei  Henri. 

4  Tout  seient  il  de  graunt  valeur, 

«  Si  devez  tresben  purpenser  Nus  avum  des  quatre  le  meillur 
Que  il  vus  put  aver  meister  La  Deu  merci. 

Ben  sovent.  Des  enperours  ben  le  sachez 

Eque  en  crestienténe  poum  trover  Que  a  vostre  s  pru  nul  ne  avez, 
Fors  quatre  que  facent  a  nomer  Ce  peise  mei  ; 

1 .  Cf.  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  p .  407 ,  n .   i . 

2.  Materials,  II,  339-340;  IV,   338-9.  On  le  retrouve  également   dans  la 
chronique  de  Gervais  de  Cantorbéry,  I,  193. 

3.  Thomas  Saga,  II,  pp.  li  et  cxvni. 

4.  J'omets  ici  deux  strophes,  qui   n'ont   pas    de    pendant   dans    le  texte 
islandais. 

5 .  Èd .  nostre . 


LA    VIE    DE    SAINT   THOMAS   DE    CANTORBERY  425 

E  si  vus  '  de  ceus  nul  perdez,  Si  cum  jo  crei.  » 

Grant  damage  i  receverez, 

On  voit  que  l'accord  est  presque  littéral.  Il  est  manifeste  que 
les  deux  textes  remontent  à  une  source  commune,  et  il  n'y  a 
pas  de  raison  pour  douter  qu'ici  encore  cette  source  ne  soit 
Robert  de  Cricklade.  Le  compilateur  de  la  Saga  complète,  qui 
avait  évidemment  sous  les  yeux  aussi  bien  Robert  que  le  Qiia- 
drilogus,  a  préféré  ici  la  version  de  ce  dernier,  probablement 
parce  que  l'autre  ne  lui  semblait  pas  assez  respectueuse  envers 
le  Saint-Père,  tandis  que  l'auteur  du  récit  fragmentaire  s'en  est 
tenu  au  texte  de  Robert  de  Cricklade.  Il  est  assez  curieux  que 
la  version  du  discours  qui  apparaît  clairement  comme  la  plus 
proche  de  la  réalité  historique,  ne  nous  ait  été  transmise  que 
par  un  morceau  de  parchemin  islandais  et  un  poème  anglo-nor- 
mand d'ailleurs  sans  portée  historique.  L'authenticité  de  cette 
version  est  en  quelque  mesure  confirmée,  —  chose  qui  a  échap- 
pé à  Magnùsson,  —  par  les  mots  suivants  de  Guillaume  Fitz- 
Stephen  ^  :  w  Aliquis  eorum  [nnnciormn  régis  Angliœ],  inter 
caetera,  régis  Anglorum  potentatus  et  divitias  diligenter  com- 
memorabat.   » 


* 


Voici,  en  résumé,  les  conclusions  auxquelles  aboutissent  les 
recherches  qu'on  vient  de  lire.  La  Vie  de  saint  Thomas  de  Can- 
torbéry  par  frère  Benêt,  moine  de  l'abbaye  bénédictine  de  Saint- 
Alban,  a  été  composée  entre  1183  et  1189,  selon  toute  proba- 
bilité en  1184.  Le  modèle  latin  suivi  par  l'auteur  était  une 
Fita  sancti  Thomx  due  à  Robert  de  Cricklade,  prieur  du  monas- 
tère de  Sainte-Frideswide,  à  Oxford.  Cette  dernière  œuvre, 
qui  n'existe  plus,  avait  été  écrite  avant  iiSo  ';  si  le  rensei- 
gnement donné  par  frère  Benêt  aux  vv.  1249  sqq.,  repro- 
duits plus   haut  +,   se   trouvait  déjà   dans   la   Vita  de  Robert, 


1 .  Éd.   uns . 

2.  Materials,  III,   73  . 

3.  Cf.  ci-dessus,  p.  420. 

4.  P.  4". 


42  6  E.    WALBERG 

comme  je  l'ai  supposé,  il  faut  peut-être  en  placer  la  composi- 
tion peu  de  temps  après  1172.  On  savait  déjà  que  l'œuvre  de 
Robert  de  Cricklade  a  été  également  la  source  principale  de 
la  Thomas  Saga  du  xiv^  siècle.  On  vient  de  voir  '  qu'elle 
avait  déjà  été  mise  à  contribution  par  l'auteur  de  la  plus 
ancienne  version  islandaise,  dont  il  ne  subsiste  aujourd'hui  que 
des  fragments. 

E.  Walberg. 


I .   Ci-dessus,  pp.  425 , 


LA  LÉGENDE  DE  LA  MONTAGNE  D'AIMANT 
DANS  LE  ROMAN  DE  BERINUS 


Le  roman  en  prose  de  Berinns  est  une  œuvre  singulière  du 
xiv^  siècle.  Histoire  d'un  véritable  chevalier  d'aventures  et  de 
son  fils,  ce  roman  est,  au  fond,  médiocrement  original  :  c'est 
un  chapelet  d'épisodes  qui  se  retrouvent  presque  tous  ailleurs; 
mais  la  recherche  des  sources  de  ces  récits,  empruntés  à  la  tradi- 
tion littéraire  antérieure  et,  ce  qui  est  encore  plus  intéressant,  à 
la  tradition  orale,  donne  lieu  à  des  problèmes  curieux,  auxquels 
vient  s'ajouter  celui  de  l'origine  et  de  la  date  du  roman,  qui 
peut  difficilement  être  antérieur  à   1350  et  postérieur  à  1370'. 

je  me  propose  d'examiner  dans  les  pages  qui  suivent  un  des 
épisodes  importants  du  livre  :  celui  de  la  Montagne  d'aimant. 
Ce  récit  mérite  d'autant  plus  d'être  considéré  de  près  qu'Arturo 
Graf,  auteur  de  la  seule  étude  d'ensemble  qui  existe,  à  ma  con- 
naissance, sur  cette  légende  -,  ne  l'a  connu,  semble-t-il,  que 
de  seconde  main.  Un  examen  détaillé  montrera  que  l'épisode  de 
Beriniis,  malgré  sa  date  relativement  récente,  est  important 
pour  la  question  de  l'introduction  de  ce  thème  légendaire  en 
Occident  et  en  France. 

Voici  d'abord  un  aperçu  du  récit  dans  le  roman  '. 

1.  On  peut  consulter  sur  Berinns  :  Mélanges  tirés  cV une  grande  bihliothèqne. 
Paris,  1780,  VIII,  225-277  ;  Clouston,  Populur  Taies  and  Fictions,  Edinburgh 
and  London,  1887,  II,  99  et  suiv.  ;  G.  Paris  dans  la  Rez'ue  de  l'histoire  des 
religions,  t.  LV  (1907,  I),  p.  165  et  suiv. 

2.  Miti,  leggende  e  sitpersti:;;^ioni  del  medio  evo,  Torino,  1893,  II,  363  et 
suiv.  :  Un  mito  geografco  (il  Monte  délia  calamita). 

•3.  Le  meilleur  manuscrit  est  B.  N.  fr.  777  (xve  siècle),  c'est  celui  que 
nous  citons.  Pour  en  contrôler  le  texte,  on  peut  se  servir  du  manuscrit  de 
l'Arsenal,  n.  3343,  et  du  manuscrit  de  Vienne  (Hofbihliothek,  n"  3436,  daté 
de  1482;  j'ai  pu  en  utiliser,  grâce  à  l'obligeance  de  M.  P.  Meyer,  une  copie 


428  G.    HUET 

Le  chevalier  Berinus,  originaire  de  Rome,  avait  réussi,  après 
des  aventures  singulières,  à  devenir  roi  de  Blandie.  Mais,  après 
vingt-cinq  ans  d'un  règne  heureux,  il  fut  détrôné  par  des  traîtres, 
qui  avaient  appelé  un  ancien  prétendant  évincé,  Logres  ; 
celui-ci  lui  fit  cependant  grâce  de  la  vie,  mais  il  l'obligea  à 
«  forjurer  »  le  royaume.  Avec  sa  femme,  Cleopatras,  son  fils. 
Aigres,  sa  fille.  Romaine,  et  quelques  partisans  de  sa  cause, 
Berinus  s'embarqua  sur  un  vaisseau  qui  devait  le  ramener  à 
Rome.  Il  échappa  à  une  tempête,  puis  au  danger  des  «  bevées 
de  mer  »,  deux  grandes  vagues  qui  engloutissent  tous  les  vais- 
seaux. Après  avoir  failli  y  périr,  Berinus  et  ses  compagnons  se 
crurent  sauvés,  lorsque  «  leur  nef  commença  si  fort  à  courre 
que  li  estrumans  ot  grant  merveille  que  ce  pouoit  estre  »  ;  d'au- 
tant plus  qu'il  «  faisoit  beau  temps  et  sery  »  .  On  jeta  l'ancre, 
pour  arrêter  le  navire;  «  mais  onques  pour  ce  la  nef  ne  mua 
son  erre  ;  ains  courut  toujours  de  plus  en  plus  »,  continuant  à 
s'avancer  ainsi  pendant  toute  la  nuit  ;  «  ne  nulz  quarreaulx 
d'arbalestre  ne  peust  plus  tost  voler  ». 

Quand  le  soleil  se  leva,  Aigres  (le  fils  de  Berinus)  fut  «  au 
chiefde  la  nef  »,  pour  voir  s'il  pourrait  découvrir  une  terre. 
«  Tant  regarda  qu'il  lui  sembla  qu'il  vit  devant  lui  un  boys, 
ou  il  avoit  grant  planté  d'a[r]bres,  sy  se  rassura  un  peu,  car 
il  espéra  venir  a  terre.  »  Mais  quand  «  li  estrumans  »  eut 
entendu  son  récit,  il  jeta  un  cri  et  tomba  «  pasmez  »  ;  puis, 
revenu  à  lui,  il  dit  à  Aigres  :  «  Bien  voy  que  c'est  li  Aimans 
dont  nulz  ne  se  puet  départir.  »  Il  tomba  de  nouveau  sans  con- 
naissance. 

«  Et  ainçois  qu'il  fust  revenuz  a  lui,  la  nef  print  en  telle 
manière  son  cours,  qu'elle  s'en  vint  à  l'Aymant  et  s'arresta  en- 
coste  les  autres  nefs,   dont  il   y  avoit  grant  habondance,  qui 

qui  appartenait  à  la  Société  des  anciens  textes  français).  Un  autre  manus- 
crit de  Paris,  B.  N.  fr.  15097,  est  d'importance  secondaire.  L'ancienne 
édition  imprimée  (Paris,  Jehan  Janot,  1521,  \n-4",  voir  Brunel,  Manuel  du 
libraire,  Paris,  1862,  I,  col.  788)  a  de  la  valeur,  bien  que  la  langue  soit 
parfois  modernisée  :  elle  doit  avoir  été  faite  sur  un  très  bon  manuscrit. 
Aucun  de  ces  textes  n'oflfre  de  variante  qui  modifie  la  marche  du  récit.  — 
Pour  ne  pas  encombrer  ce  travail  de  notes,  on  a  fait  tacitement  quelques 
corrections  de  minime  importance  dans  le  texte  du  ms.  777. 


LA    LEGENDE    DE    LA    MONTAGNE    D  AIMANT  4  29 

estoient  la  venues  par  autelle  aventure  qu'il  y  estoient  venuz, 
c'est  a  savoir  l'Aymant  qui  les  traioit  a  lui.  Li  lieux  ou  cilz 
Aymanz  est,  est  parfont  en  l'Océan,  ne  il  n'y  a  nulle  terre 
prouchaine  ou  l'en  puest  venir  en  mains  de. xv.  jours  et  a  tel  lez 
la  ou  en  (;;w.  nen)  n'y  venroit  mie  en  un  an  ;  et  est  encoste  la 
Mer  Betée.  Cilz  aymansa  v^  toises  de  lonc  et  autant  de  grosse. 
Et  est  de  tel  nature  que  de  trois  journées  ou  de  plus  nefs  ne 
le  peut  aprouchier  qu'il  n  atraie  par  force  a  lui,  pour  tant  que 
fer  ait  en  la  nef,  car  il, aime  tant  et  désire  le  fer  qu'il  le  sent 
bien  de  .ii.'^  lieues  loings.  »  Quand  leur  nef  fut  arrivée  près  de 
l'aimant,  «  elle  s'arresta  toute  coye  ». 

L'équipage  fut  consterné.  Pendant  qu'ils  se  lamentaient,  ils 
virent  venir  un  homme  maigre  et  décharné,  mais  magnifique- 
ment vêtu,  qui  essaya  de  leur  voler  leurs  provisions.  Puis,  il 
leur  raconta  son  histoire  '  :  il  avait  été  retenu  près  du  rocher 
depuis  vingt-trois  ans  ;  après  avoir  épuisé  les  vivres  de  son 
navire,  il  avait  vécu  en  pillant  les  vivres  des  autres  vaisseaux 
survenus,  a3'ant  toujours  soin  de  se  montrer  habillé  de  vête- 
ments riches  qui  le  faisaient  prendre  pour  «  une  chose  esperi- 
tuelle  ».  Il  dit  en  outre  à  Aigres  qu'il  a  vu  sur  la  roche  «  un 
escript  »,  mais  que,  ne  sachant  rien  «  de  clergie  »,  il  n'avait  pu 
le  lire;  qu'il  serait  à  désirer  qu'  «  aucuns  clers  »  vînt,  «  par 
quoy  je  peusse  savoir  ce  que  ceste  lettre  devise  ».  —  Aigres, 
qui  savait  lire,  accompagna  l'étranger,  allant  de  nef  en  nef,  jus- 
qu'à ce  qu'ils  furent  près  de  l'inscription,  dont  le  sens  était  : 
Celui  que  la  Fortune  a  amené  ici  et  qui  voudrait  partir,  doit 
d'abord  enlever  de  son  navire  les  richesses  qui  s'y  trouvent,  ne 
retenant  que  ce  dont  il  aura  besoin  pour  rentrer  dans  son  pays. 
Puis  ceux  du  navire  tireront  au  sort  et  celui  que  le  sort  dési- 
gnera montera  par-dessus  l'inscription  («  par  dessus  moy  »); 
il  y  trouvera  un  anneau  qu'il  saisira  et  jettera  à  la  mer.  Au 
même  moment  («  Et  tantost  que  li  aigneaux  sera  départis  de 
moy  )))  la  nef  pourra  s'en  aller,  saine  et  sauve,  avec  l'équipage, 
hormis  celui  qui  aura  jeté  l'anneau  :  celui-ci  devra  demeurer 
sur  le  rocher.  Le  tirage  au  sort  est  une  condition  indispen- 
sable. («  Et  convient  par  force  que    cil   qui  ce  fera  soit  par 

I.  Nous  ne  dounons  du  récit  de  ce  personnage  que  ce  qui  intéresse  direc- 
tement notre  sujet . 


430  G.    HUET 

aucun  sort  esleu,  car  aultrement  nul/  n'y  '  pourroit  valoir  ne 
aidier  a  ceste  besogne.  ») 

Aigres  raconta  à  ses  compagnons  ce  qu'il  avait  appris.  Après 
de  longues  hésitations,  ils  tirèrent  au  sort  :  c'est  Aigres  qui  fut 
désigné.  Malgré  les  lamentations  de  sa  mère  et  de  sa  sœur,  il  se 
dévoua.  Après  avoir  été  fait  chevalier  par  son  père,  il  grimpa 
sur  le  rocher,  pendant  que  les  marins,  de  leur  côté,  apprêtaient 
le  navire;  il  trouva  l'anneau,  le  saisit.  Aussitôt  le  rocher 
«  fremy  et  tressailly  et  crolla  merveilleusement  »  ;  la  mer 
s'agita  avec  fureur.  Après  avoir  jeté  l'anneau  dans  la  mer, 
Aigors  regarda  pour  voir  s'il  pouvait  distinguer  encore  la  nef; 
mais  elle  était  déjà  trop  éloignée  de  l'aimant  pour  être  visible. 

La  tempête  se  prolongea,  tellement  que  Aigres  se  «  pasma  » 
plusieurs  fois  de  terreur.  Le  lendemain,  le  temps  redevint  calme 
et  beau:  Aigres  vit  que  l'anneau  qu'il  avait  jeté  à  la  mer  se 
retrouvait  à  la  place  qu'il  occupait  primitivement.  Seul  sur  le 
rocher,  il  tut  assailli  de  visions  magiques  et  diaboliques^;  de 
temps  en  temps,  il  visita  les  navires  attachés  à  l'aimant  :  dans 
l'un  ,il  trouva  un  merveilleux  cheval  ;  dans  un  autre  navire,  il 
découvrit  vingt  chevaliers  et  quarante  écuyers  gisant  sans  vie  ; 
Aigres  trouva  en  outre,  dans  la  même  nef,  un  chevalier,  riche- 
ment armé,  avec  son  épée;  à  côté  de  lui,  une  dame  «  moult 
noblement  vestue  »  ;  le  chevalier  était  le  hls  «  du  roi  d'Ar- 
chade  »,  la  jeune  dame  son  épouse,  lille  du  roi  d'Orionde;  tous 
avaient  péri,  victimes  de  l'Aimant.  —  A  mesure  que  les  vivres 
d'Aigres  s'épuisaient,  il  fut  de  nouveau  assailli  d'apparitions 
démoniaques;  à  la  fin,  un  diable,  qui  l'avait  vainement  effrayé 
et  tenté,  lui  prédit  l'arrivée  d'un  navire,  attiré  par  l'aimant,  et 
la  fin  de  ses  maux. 

En  effet.  Aigres  vit  bientôt  venir  une  nef,  qui  aborda,  pen- 
dant que  l'équipage  éclatait  en  lamentations.  Aigres  se  présenta, 
leur  conta  son  histoire  et  leur  révéla  les  propriétés  de  l'anneau. 


1 .  Lire  ne . 

2.  Nous  supprimons  dans  Cette  analvsc  tout  ce  qui  concerne  ces  visions, 
étrangères  à  notre  sujet,  et  qui  semblent  imitées  en  partie  du  Grand  SiUtit 
Graal  (visions  et  tentations  de  Mordrain)  ;  à  ces  emprunts,  l'auteur  a  mêlé 
des  légendes  prises  ailleurs  :  les  diables  dans  une  bouteille,  le  combat  avec 
Je  diable. 


LA  LÉGENDE  DE  LA  MONTAGNE  d' AIMANT        43  I 

L'équipage  se  résigna  à  tirer  au  sort;  de  son  côté,  Aigres 
obtint  la  permission  de  partir  avec  le  navire  ;  il  déposa  dans  la 
nef  l'armure  et  Tépée  du  fils  du  roi  d'Archade  ;  il  y  embarqua 
aussi  le  bon  destrier  Moreau.  Celui  sur  qui  le  sort  était  tombé 
grimpa  sur  l'aimant  et  jeta  l'anneau  :  tempête  terrible.  Mais  le 
navire  où  Aigres  avait  pris  place  se  détacha  du  rocher  et  partit 
heureusement  (Bibl.  Nat.  ms.  fr.  777,  fol.  50  rt-63  a;  com- 
parer l'édit.  imprimée,  fol.  62-78). 

Avant  de  comparer  ce  récit  à  d'autres  versions  de  la  légende, 
nous  rappellerons  d'abord  quelques  fiiits,  relatifs  à  l'histoire 
antérieure  delà  fiction.  Cette  fiction  d'une  Montagne  d'aimant, 
retenant  tout  ce  qui  est  en  fer,  remonte,  comme  on  sait,  assez 
haut  et  se  trouve  déjà,  pour  les  traits  essentiels,  dans  l'anti- 
quité classique  :  la  plus  ancienne  mention  est  celle  de  Pline 
l'Ancien  {Hist.  nat.,  II,  98);  déjà  chez  Ptolémée  (Geof^r.^  VII, 
2,  31)  le  mythe  prend  un  aspect  nettement  maritime.  Il  ne 
paraît  pas  que  la  Montagne  d'aimant  ait  donné  lieu,  chez  les 
Grecs,  à  des  récits  développés  et  romanesques;  autrement, 
Lucien  en  eût  sans  doute  parlé  dans  ses  Récits  véridiques, 
cette  spirituelle  parodie  des  «  Voyages  merveilleux  >'>  des  anciens 
Grecs. 

Il  en  fut  différemment  chez  les  Arabes.  A  côté  de  simples  men- 
tions géographiques',  nous  trouvons  chez  eux  des  contes  déve- 
loppés; en  premier  lieu  un  récit  du  xiir'  siècle  dont  les  traits 
essentiels  peuvent  remonter  au  xii^,  et  que  nous  connaissons 
tous  depuis  notre  enfimce  :  c'est  l'Histoire  du  Troisième  Calender 
dans  les  Mille  et  Une  Nuits.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur 
certains  détails  de  ce  conte  ;  pour  le  moment,  nous  passons  en 
Occident. 

Dans  le  moyen  âge  occidental,  nous  sommes  également  en 
présence  de  deux    classes  de  récits  :  de  simples  notices  dans  les 


I.  Nous  signalons  ici  un  texte  qui  a  échappé  à  Graf  et  qui  est  remarquable 
à  cause  de  son  ancienneté  (il  aurait  été  écrit  vers  960  de  notre  ère)  :  c'est  le 
récit  des  Merveitles  de  rinde,trâà.  de  L.  Marcel  Devic  (Paris,  1878,  in*i2), 
p.  79  :  la  montagne  est  ici  placée  dans  un  fleuve.  —  Le  passage  de  Kazwini 
(cité  par  De  Goeje,  p.  304  de  son  article  sur  les  Voyages  de  Sindbdd  dans  la 
revue  hollandaise  De  Gids,  année  1890,  t.  III)  a  une  grande  analogie  avec 
celui  de  Ptolémée  et  en  semble  un  dérivé. 


432  G.    HUET 

ouvrages  géographiques  ou  prétendus  tels  '  et  des  développe- 
ments romanesques. 

En  ce  qui  concerne  les  récits  développés,  nous  trouvons 
d'abord  l'épisode  de  la  Montagne  d'aimant  dans  des  renou- 
vellements d'un  poème  allemand,  Her:^og  Ernst,  dont  les  ger- 
manistes placent  la  rédaction  primitive  vers  1175  et  qui  doit 
en  tout  cas  être  antérieur  à  ii86\  De  ce  poème  primitif, 
il  ne  reste  que  des  fragments  dont  aucun  ne  se  rapporte  à 
l'épisode  qui  nous  intéresse,  mais  d'après  les  rédactions  renou- 
velées '  on  peut  s'en  £iire  une  idée  avec  une  certitude  suffisante. 
Le  voici,  d'après  la  reconstitution  de  Bartsch  4  (nous  donnons 
plus  loin  d'après  les  textes  la  justification  de  quelques  détails, 
qui  nous  intéressent  spécialement)  : 

Le  duc  Ernst  et  ses  compagnons  d'exil  avaient  eu  déjà  bien 
des  aventures  quand  ils  virent  au  douzième  jour  d'une  nouvelle 
navigation,  une  haute  montagne,  vers  laquelle  le  navire  se  diri- 
gea irrésistiblement.  Auprès  de  la  montagne,  ilsaperçurent  beau- 
coup de  mâts,  comme  une  forêt  ;  ils  crurent  que  c'était  une  ville, 
où  ils  pourraient  se  reposer.  Ils  s'avancèrent  joyeusement;  mais 
un  des  pilotes  grimpa  sur  le  mât  et,  voyant  la  montagne,  il  s'écria 
épouvanté  :    «  Préparez-vous  à   la  mort.    Cette  montagne  se 

1.  Voir  dans  la  note  supplémentaire  A  les  deux  passages  du  Voyage  de 
Mandeville,  en  français,  que  Graf  (p.  366)  cite  d'après  une  traduction  ita- 
lienne. On  verra  que  le  second  passage  a  subi  l'influence  des  récits  roma- 
nesques. 

2.  Voir  Paul,   Gruudriss  der  gennanischen  Philologie,  II,  i,  257. 

5.  Ce  sont  :  un  poème  m03'en  haut  allemand  publié  par  Bartsch,  HeiT^og 
Ernst  (Wien,  1869),  p.  i  etsuiv.  ;  un  poème  plus  récent,  dans  le  style  artifi- 
ciel de  l'école  de  Wolfram  d'Eschenbach,  publié  par  Von  der  Hagen,  Deutsche 
Gedichte  des  Mittelallers  (Berlin,  1808),  t.  I  ;  un  poème  latin  en  hexamètres, 
publié  par  Martène  et  Durand,  Thésaurus  tiovus  atiecdotorum  (Lut.  Paris., 
1717),  III,  col.  5^2-354;  un  récit  en  prose  latine,  publié  par  Haupt,  dans  la 
Zeitschrift  fiir  deiitsches  Alterthuvi,  VII  (1849),  avec  une  étude  importante. 
—  Nous  avons  négligé  le  livre  populaire  en  prose  allemande  (Bartsch,  ouvr. 
cité,  p.  264)  qui  est  une  traduction  de  la  prose  latine  et  par  conséquent  sans 
valeur  indépendante.  Dans  le  poème  allemand  à  allures  populaires,  en 
couplets  (Bartsch,  oî/i'r.  cité,  p.  220,  coupl.  53),  résumé  très  infidèle,  notre 
épisode  est  défiguré  et  méconnaissable. 

4.  Ouvr.  cité,  p.  x.vii. 


LA    LÉGENDE    DE    LA    MONTAGNE    d'aIMANT  433 

trouve  dans  le  lebermeer  ';  c'est  l'aimant  qui  attire  tous  les  vais- 
seaux par  le  fer  qu'ils  contiennent.  Nous  sommes  sûrs  d'y 
périr.  »  —  En  effet,  l'aimant  attirait  le  navire  avec  force,  si 
puissamment  que  d'autres  vaisseaux  sur  lesquels  la  nef  vint 
tomber  se  brisèrent.  Ernst  et  ses  compagnons  sortirent  de  leur 
navire  et  examinèrent  les  vaisseaux  antérieurement  échoués.  Ils 
vécurent  dans  le  désespoir  jusqu'au  moment  où,  les  vivres  étant 
épuisés,  les  marins  périrent  les  uns  après  les  autres.  Il  ne  resta 
que  sept  survivants,  parmi  lesquels  Ernst  et  son  confident  Wet- 
zel.  Ils  virent  les  cadavres  de  leurs  compagnons  enlevés  par  des 
griffons,  qui  les  emportèrent  pour  la  nourriture  de  leurs  petits. 
Ce  spectacle  donna  à  Wetzel  l'idée  d'une  ruse  :  les  survivants 
se  feront  coudre  dans  des  peaux  de  phoques,  espérant  que  les 
griffons  les  enlèveront  ainsi  déguisés.  C'est  ce  qui  se  fit  et  leur 
stratagème  fut  couronné  de  succès  :  les  griffons  les  transpor- 
tèrent et  les  sauvèrent  ainsi  de  l'état  désespéré  où  ils  se  trou- 
vaient. 

En  France,  l'épisode  de  l'Aimant  se  trouve  dans  trois  chan- 
sons de  geste  :  la  plus  ancienne  et  la  seule  qui  nous  intéresse 
réellement  ^  est  la  suite  d'Huonde  Bordeaux  conservée  dans  un 
manuscrit  de  Turin  et  à  laquelle  on  donne  le  nom  d'EscIar- 
monde  ^  Le  récit  revient  essentiellement  à  ceci  (v.  1048  et 
suiv.)  :  Huon,  chassé  de  Bordeaux  par  une  guerre  malheu- 
reuse, s'embarque  pour  aller  chercher  du  secours.  Son  voyage 
est  aventureux  :  il  rencontre  sur  les  flots  Judas,  qui  lui  annonce 
sa  perte  prochaine  :  «  l'Aymant  »  est  tout  près.  Après  avoir 
perdu  de  vue  Judas,  Huon  et  ses  compagnons  «   siglent  »  pen- 


1 .  C'est  le  mare  pigrum  ou  concretum  des  textes  latins,  la  mer  betée  des 
textes  français  (voir  plus  loin).       • 

2.  Les  deux  autres  sont  VOgier  le  Danois  du  xiv^  siècle  et  le  Charles  le 
Chauve,  également  du  xiv^  siècle.  Pour  ces  deux  épisodes,  voir  à  la  suite  de 
cet  article,  la  remarque  complémentaire  B. 

5  Esclarinonde,  Clarisse  et  Florent,  Yde  et  Olive...  verôffentlicht  von  Max 
Schweigel,  Marburg,  1889,  [n-S°  (Ausgaben  tind  Ahhandlungen,  fascic.  83).  Le 
passage  se  trouve  également  reproJuit  par  Graf,  otivr.  cité,  p.  388  et  suiv.  — 
Dans  la  version  en  alexandrins  (Chanson  d' E sel ar monde,  herausgegehen  von  H. 
Schàfer,  Worras,  1895,  in-80)  l'épisode  se  retrouve,  p.  29-30,  mais  sous  une 
torme  abrégée  et  à  peine  intelligible. 

Romania.  XLIV .  28 


434  G.    HUET 

dant  trois  jours  :  «  H  maronniers  »  monte  sur  le  mât  et  croit 
voir  un  bois.  Il  annonce  d'abord 'joyeusement  la  nouvelle  à 
Huon,mais,  venu  à  une  distance  de  trois  lieues  {sic),  il  distingue 
des  mâts,  des  «  callans,  nés  et  dromons  »  et  s'écrie  «  Or  nous 
covient  morir  »  :  c'est  l'Aimant.  Huon  s'étonne  de  la  quantité 
de  vaisseaux  qu'il  voit  amoncelés  autour  du  rocher.  Quand  la 
nef  est  venue  s'échouer  près  de  l'Aimant,  l'équipage  cède  à 
Huon,  en  sa  qualité  de  seigneur,  la  moitié  des  vivres.  Après  un 
mois,  les  vivres  de  l'équipage  sont  épuisés;  Huon  donne  à  ses 
compagnons  la  plus  grande  partie  de  ses  vivres  à  lui,  mais  les 
voit  tous  succomber  les  uns  après  les  autres.  Ne  pouvant 
compter  sur  aucun  secours  humain,  il  adresse  une  prière  à  la 
Vierge.  Il  entend  du  bruit  :  c'est  un  grifibn  qui  a  flairé 
l'odeur  des  cadavres  et  qui  vient  pour  les  apportera  ses  «  faons  »  : 
il  enlève  un  mort  et  l'emporte.  Huon  comprend  que  c'est  un 
moyen  de  salut  :  il  endosse  un  haubert,  se  couche  parmi  les 
morts  et  se  fait  enlever,  lui  aussi,  par  le  grift'on. 

Il  est  évident  que  ce  récit  présente  les  plus  grandes  analogies 
et  avec  celui  du  Her^og  Ernst  et  avec  l'épisode  de  Berimis. 
Notons  d'abord  un  détail  important,  commun  aux  trois  ver- 
sions :  les  navires  sont  attirés  en  entier  par  l'aimant  et  s'amon- 
cellent autour  de  lui,  de  sorte  que  leurs  mâts,  vus  de  loin,  pré- 
sentent l'aspect  d'un  bois.  On  se  rappelle  la  description  de  Boi- 
nwi  ;  les  versions  conservées  du  Her~og  Eiiist  présentent  la  même 
particularité.  Dans  la  version  en  prose  (éd.  de  Haupt,  p.  221, 
l.  17  et  suiv.)  on  lit  «  nnus  epibataruni . . .  quasi  ingcnlissimain 
molem  montis  prospiciebat,  in  quo,  quasi  silva  pinimni  densissima, 
maloriiin  midtitudo  se  in  altiim  porrigebat  >>. 

Dans  le  poème  latin  (col.  352)  : 

Igitur  de  gurgite  Phoebo 
Mane  recens  orto,  Magnetem  nomine  montem 
Multaque  ceu  silvae  praecisac  fragnilna  circuni 
Prospiciunt,  renturquc  altas  cum  turribus  urbes. 

Dans  le  poème  allemand  publié  parBartsch  (p.  86,  v.  3899), 
les  marins  contemplent  la  fatale  montagne  et  les  navires  qui 
l'entourent  : 

Dô  sâhen  si  vil  mastboumc 

In  dcn  schiffcn  stcn  als  ein  walt. 


LA    LÉGENDE    DE    LA    MONTAGNE    D  AIMANT  435 

Dans  le  poème  publié  par  Von  der  Hagen  (p.  33,  v.  3208)  : 

Dort  stehin  die  mastboum  als  der  walt 
Die  er  (der  stein]  an  sich  getzogen  hat. 

De  même  dans  Esclarniondc  (éd.  Schweigel,  v.  1053)  il  est 
dit  :  \ 

Li  marommiers  {sic')  remonte  sur  le  mast, 
Devant  lui  garde,  tant  que  bos  veû  a. 

Dans  la  version  en  alexandrins  (éd.  Schâfer,  p.  29),  les  ma- 
rins disent  à  Huon  : 

Sire,  veù  avons  si  c'un  bos  apparant. 

Tous  les  textes  sont  donc  d'accord  pour  ce  détail,  dont  nous 
verrons  l'importance  plus  loin. 

Un  autre  détail  intéressant,  qui  est  dans  Bcrinns  et  dans  les 
versions  du  Hei\og  Ernst,  mais  qui,  chose  à  noter,  manque  dans 
Huon,  c'est  que  le  pilote  avertit  que  la  montagne  se  trouve  près 
de  la  «  Mer  betée  ».  Nous  n'avons  pas  à  rechercher  ici  les 
origines  de  ce  mythe  géographique  ;  nous  faisons  seulement 
observer  que  l'expression  la  «  mer  betée  »  est  rendue  en  latin 
par  mare  concrctiim  ou  coagiiJûtmii.  Ces  termes  sont  paraphrasés 
ainsi  dans  la  langue  pompeuse  du  poème  latin,  où  le  pilote  dit 
(col.  352): 

Hoc  mare  nil  vivum  patitur,  non  sole  movetur 
Nec  vento,  memini  si  vera,  bituminis  intus 
Foutes  emittit,  totamque  coagulât  undam. 

Dans  la  vision  en  prose,  le  pilote  dit  (p.  221,  1.  32  et  suiv.)  : 
ecce  in  illo  nionte  onines  moriemur,  quia  syriico  iam  mari  velimus 
nolimus  illabimur.  Je  ne  sais  s'il  y  a  d'autres  exemples  de  syrti- 
cum  mare  pour  mare  concretum  (Forcellini  n'en  cite  pas),  mais 
c'est  évidemment  ce  que  l'auteur  a  en  vue  :  on  sait  assez  que 
les  Syrtes  étaient  dangereuses  pour  la  navigation,  à  cause  sur- 
tout des  bancs  de  sable  ;  l'assimilation  se  comprend  donc  jus- 
qii'à  un  certain  point.  Du  reste,  dans  le  poème  publié  par 
Bartsch,  le  pilote  dit  (v.  3934)  : 

Den  berc  den  wir  gesehen  hâa 
Daz  ist  ùf  dem  Lebermer. 


436  G.    HUET 

Dans  le  poème  publié  par  Von  der  Hagen,  le  pilote  dit  de 
même  (v.  3210)  : 

Der  stein  liget  in  dem  Lebermer. 

Malgré  l'absence  de  ce  détail  dans  Esclannoiide,  nous  pouvons 
donc  tenir  pour  certain  qu'il  est  caractéristique  de  cette  famille 
de  récits. 

Il  en  est  de  même  d'une  autre  donnée  qui  manque  égale- 
ment dans  Esclarnwnde,  mais  qui  tient  une  grande  place  dans 
le  récit  de  Beiiniis  :  le  héros  et  ses  compagnons  visitent  les 
navires  échoués  autour  de  l'Aimant  et  y  découvrent  toutes 
sortes  de  richesses.  Ce  trait  ne  figure  pas  dans  la  version  en 
prose  latine  du  Her^og  Ernst,  mais  comme  il  se  trouve  dans 
les  trois  autres  versions  principales,  nous  devons  admettre, 
comme  l'a  déjà  f;iit  Bartsch  (voir  plus  haut)  qu'il  se  rencontrait 
dans  le  poème  primitif.  En  effet,  le  poème  latin  dit  (col.  354, 
en  haut)  : 

circum  astantes  in  ordine  naves 

Introeunt,  decoresque  niniis  mirantur  in  illis 

Merces  et  gemmas,  magno  quas  inquies  auro 

Mango  sub  primo  sibi  commutarat  Eoo. 

Hic  pigmeutorum  species  Arabumque  labores,  etc. 

De  même  dans  le  poème  publié  par  Bartsch  (v.  4054  et  suiv.)  : 

Es  gesach  sît  noch  ê 
Nieman  sô  grôze  rîcheit 
Sô  die  helde  vil  gemeit 
An  den  schiffen  funden, 
Daz  ez  ze  langen  stunden 
Erahten  nimmer  kunde  ir  muot. 
Sie  sahen  daz  aller  meiste  guot 
Daz  ieman  zer  werlde  mohte  hân. 
Ez  wart  nie  sô  wîser  man 
Der  ez  immer  kunde  erahten 
Oder  voUeclîch  crtrahten. 
Silber,  golt  und  edel  gesteine, 
Purpur,  samît,  phelle  und  sîden  reine 
Lac  dâ  so  maniger  slahte 
Deiz  nieman  ahten  mahte. 


LA    LÉGENDE    DE    LA    MONTAGNE    d' AIMANT  437 

Et  encore,  dans  le  poème  publié  par  Von  der  Hagen  (v. 
3320  é"/  stiiv.)  : 

Doch  gingen  die  under  stunden 

Uss  in  die  alden  kil, 

Da  funden  si  unmassen  vil 

Hordes  der  darynne  lag, 

Und  das  des  nymant  en  pflag, 

Si  funden  silber,  gesteyne,  golt  etc. 

Il  est  évident  que  tous  ces  récits  sont  étroitement  apparen- 
tés et  il  est  également  évident,  par  suite  des  dates,  que  ce  sont 
les  récits  français  qui  sont  les  imitateurs.  Ce  fait  singulier  et, 
semble-t-il,  unique  de  l'imitation  d'un  poème  allemand  par  des 
Français,  s'explique,  ainsi  que  l'a  déjà  vu  Moritz  Haupt  ',  par 
l'existence  du  poème  latin  ;  comme  Haupt  l'a  remarqué  égale- 
ment, il  est  d'autant  plus  permis  de  supposer  que  ce  poème 
était  connu  en  France  au  moyen  âge,  que  c'est  justement  en 
France  qu'on  en  a  trouvé  le  seul  manuscrit  connu  ^  Il  y  a  du 
reste  entre  le  récit  du  Heriog  Ernsi  et  la  suite  d'Hiion  de  Bor- 
deaux d'autres  points  de  contact  :  l'enlèvement  des  héros  (du 
héros)  par  plusieurs  oiseaux  gigantesques  (ou  un  seul  oiseau) 
se  rtirouve  dans  Esclaruicvide  et  l'épisode  qui,  dans  Hei\og  Enist 
suit  immédiatement  celui  de  l'Aimant  —  le  fleuve  souterrain 
que  les  héros  descendent  sur  un  radeau  —  se  retrouve  égale- 
ment dans  Esdarmonde  (v.  I4i8etsuiv.).  Mais  l'analogie  entre 
les  deux  œuvres  ne  se  borne  pas  à  ces  traits  épisodiques  :  il  y 
a,  en  ce  qui  concerne  la  structure  générale  du  récit,  des  ressem- 
blances qui  ne  laissent  aucun  doute  sur  l'étroite  parenté  entre 
la  chanson  de  geste  et  le  roman  allemand  5. 

Le  récit  de  Berinus  étant  manifestement  apparenté  à  celui 
d' E sel ar monde,  la  première  idée  qui  se  présente  à  l'esprit,  c'est 
que  l'auteur  du  roman  en  prose  a  emprunté  l'épisode  à  la  chan- 
son de  geste.  Mais  cela  n'est  pas  possible  :  nous  avons  vu  que 

1.  Voir  son  étude  citée,  p.  298.  C'était  également  l'opinion  de  G.  Paris, 
ainsi  qu'il  le  dit  un  jour  dans  son  cours  de  l'Ecole  des  Hautes  Etudes. 

2.  Il  se  trouvait,  au  début  du  xviiie  siècle,  dans  la  possession  du  médecin 
J.  Du  Poirier,  à  Tours. 

3.  Voir  plus  loin,  la  remarque  supplémentaire  C. 


43^  G.    HUET 

Berhiùs  contient  deux  détails  qui  ne  sont  pns  dans  Esclannonde: 
le  romancier  n'a  pu  prendre  dans  cette  chanson  des  choses 
qui  ne  s'y  trouvent  pas.  Nous  sommes  donc  obliges  d'admettre 
qu'il  a  connu  une  version  plus  complète,  qui  ne  peut  être  natu- 
rellement qu'une  version  du  Heriog  Ernst  ;  et  l'hypothèse  la 
plus  simple,  c'est  que  l'auteur  de  Berinns  a  connu,  lui  aussi, 
le  poème  latin,  ou  un  récit  qui  en  dérivait  et  qui  jusqu'ici  n'a 
pas  été  retrouvé,  mais  qui,  en  tout  cas,  était  plus  fidèle  à 
l'original  quEscîannonde. 

Ce  récit,  il  ne  l'a  pas  suivi  jusqu'au  bout  :  il  n'a  pas  admis 
le  sauvetage  de  ses  héros  par  des  griffons.  Il  est  assez  facile  de 
deviner  pourquoi  il  s'est  ici  écarté  de  son  original.  D'abord,  il 
admettait  parmi  les  victimes  de  l'Aimant  deux  femmes, 
l'épouse  et  la  fille  de  Berinus,  qui  devaient  jouer  un  rôle  dans 
la  suite  de  son  roman  :  il  était  difficile  de  les  faire  figurer  dans 
l'épisode  sauvage  de  la  famine  et  de  l'enlèvement  par  des  oiseaux 
gigantesques.  En  outre  et  surtout,  notre  romancier  avait  son 
plan  :  il  voulait  séparer  le  fils  du  père,  faire  accomplir  par  le 
fils  une  série  d'exploits,  puis  lui  faire  retrouver  son  père  à  Rome, 
où  les  deux  devaient  figurer  dans  une  autre  aventure  tradition- 
nelle célèbre  :  le  Trésor  pillé  (=  le  Trésor  de  Rhainpsinite).  Il 
devait  donc,  pour  éloigner  de  l'Aimant,  d'abord  le  père,  puis, 
après  un  assez  long  intervalle,  le  fils,  avoir  recours  à  un  moyen 
moins  élémentaire  que  les  griffons. 

Notre  romancier  a-t-il  tiré  de  sa  propre  imagination  cette  his- 
toire singulière  de  l'anneau  magique,  dont  l'existence  est  révé- 
lée par  une  inscription  et  qui  présente  cette  particularité  qu'après 
avoir  été  jeté  à  l'eau,  il  revient  de  lui-même  en  place  ?  On 
pourrait  le  croire, si  un  recueil  bien  connu  de  contes  orientaux, 
les  Mille  et  un  Jours,  ne  contenait  un  récit  qui  présente  avec 
celui  de  Berinus  des  analogies  indéniables. 

Ce  récit  se  trouve  dans  les  Voya^^es  iTAboulfaouaris,  sorte  de 
pendant  du  Sindhâd  des  Mille  et  une  Nuits.  Au  cours  du  pre- 
mier voyage,  le  vaisseau  où  se  trouve  Aboultaouaris  est  jeté 
hors  de  sa  route  par  une  tempête  ;  puis  le  navire  dérive  «  comme 
s'il  eût  été  emporté  par  des  courants  »  ;  un  vieux  matelot  se 
lamente  et  dit  que  tous  les  navires  qui  arrivent  dans  cette  région 
sont  perdus  :  une  fois  arrivés  près  d'une  certaine  montagne,  ils 
y  sont  retenus  «  comme  par  un  charme  :  ils  ne  peuvent  plus 


LA    LEGENDE    DE    LA    MONTAGNE    D  AIMANT  439 

s'éloigner  ».  —  Tout  le  monde  est  désespéré;  Aboulfaouaris 
conseille  de  gagner  le  sommet  de  la  montagne,  dès  que  levais- 
seau  aura  abordé  ;  «  nous  y  trouverons  peut-être,  dit-il,  un 
remède  à  nos  maux  ». 

Le  vaisseau  arrive  au  pied  de  la  montagne  ;  le  capitaine  et 
Aboulfaouaris  se  jettent  dans  un  esquif,  gagnent  la  terre  et 
grimpent  sur  le  mont.  Parvenus  au  sommet,  ils  aperçoivent  un 
dôme  fort  élevé  ;  au-dessous  de  ce  dôme  est  une  colonne 
d'acier,  au  bas  de  laquelle  sont  attachés,  avec  des  chaînes  d'acier, 
un  petit  tambour,  fait  de  bois  d'aloès,  et  une  crosse  de  bois  de 
santal.  Au-dessus  du  tambour  est  suspendue  une  table  d'ébène, 
qui  porte  une  inscription  disant  que  le  vaisseau  qui  a  le  malheur 
d'être  attiré  par  la  montagne  ne  pourra  plus  partir,  à  moins 
qu'un  homme  de  l'équipage  ne  donne  trois  coups  de  crosse  sur 
le  tambour;  au  premier  coup,  le  vaisseau  s'éloignera  d'une  por- 
tée de  flèche  ;  au  second,  il  perdra  de  vue  la  montagne  ;  au 
troisième,  il  se  trouvera  dans  la  route  qu'il  voudra  tenir.  Mais 
l'homme  qui  frappera  le  tambour  doit  demeurer  volontairement 
et  laisser  partir  les  autres. 

Quand  l'équipage  du  navire  est  mis  au  courant,  tout  le  monde 
est  ravi,  mais  personne  ne  veut  se  dévouer.  Aboulfaouaris  se 
déclare  prêt  à  se  sacrifier.  Il  remonte  seul  au  sommet  de  la 
montagne,  et  frappe  sur  le  tambour  :  dès  le  second  coup,  il  perd 
de  vue  le  navire. 

Resté  seul,  Aboulfaouaris  s'avance  dans  la  montagne.  Il  ren- 
contre successivement  trois  vieillards  qui  sont  frères.  Le  dernier, 
qui  est  l'aîné,  lui  dit  que  le  talisman  sur  la  montagne  a  été 
composé  par  un  grand  cabaliste  indien,  «  c'est  tout  ce  que  je 
sais  '  ». 

La  suite  des  aventures  d'Aboulfaouaris  ne  nous  intéresse  pas. 

La  ressemblance  entre  ce  récit  et   la   façon  dont  Berinus  et 
les  siens  d'abord,  puis  Aigres  réussissent  à  s'éloigner  de  l'Aimant 
est  évidente  et  a  été  remarquée  dès  1838  par  Loiseleur-Deslong- 
champs,  éditeur  d'une   réimpression  des  Mille   et  un  Jours  '. 
Comme  rien  de  pareil  ne  se  trouve  dans   le  Heripg  Ernsi   et 

1.  Les  Mille  et  un  jours,  nouvelle  édit.  par  A.  Loiseleur-Deslongchamps, 
Paris,  1858  (edit.  du  Panthéon  littéraire),  p.  216-218. 

2.  Oiivr.  cité,  p.   217,  note. 


440  G.    HUET 

comme  il  n'y  a  pas  moyen  de  supposer  qu'un  auteur  oriental 
ait  eu  connaissance  du  Roman  de  Berinus,  on  est  amené  à  la  con- 
clusion que  l'auteur  du  roman  a  utilisé,  pour  cette  partie  de 
Tépisode,  un  second  récit,  également  oriental  d'origine,  qu'il  a 
par  conséquent  puisé  à  deux  sources  différentes. 

Malheureusement,  une  complication  se  présente.  On  sait  que 
l'authenticité  des  contes,  publiés  sous  le  titre  des  Mille  et  un 
Jours  et  soi-disant  traduits  du  persan,  a  donné  lieu  à  des  doutes, 
qu'on  a  soupçonné  le  traducteur,  Pétis  de  Lacroix,  et  Le  Sage,  le 
littérateur  qui  l'assista  dans  la  rédaction,  d'avoir,  sinon  inventé 
des  contes  entiers,  du  moins  considérablement  modifié  ceux 
qu'ils  donnaient  au  public  comme  tirés  d'un  manuscrit  persan. 
On  a  bien  indiqué  deux  recueils,  l'un  turc  et  l'autre  persan, 
où  se  trouveraient  les  originaux  réels  de  la  publication  de  Pétis 
de  Lacroix  ',  mais  une  comparaison  détaillée  n'a  pas  encore  été 
faite.  Dans  ces  conditions,  il  faut  être  prudent  dans  ses  affirma- 
tions. 

Pour  nous  borner  au  cas  qui  nous  intéresse,  il  n'y  a  pas 
d'impossibilité  matérielle  à  ce  que  Pétis  de  Lacroix  et  Le  Sage 
aient  eu  connaissance  du  roman  de  Berinus  et  l'aient  utilisé  ; 
mais  cela  n'est  guère  probable.  D'autre  part,  il  est  évident  que 
le  récit  des  Mille  et  un  Jours,  où  le  héros  découvre  lui-même 
l'inscription  qui  lui  indique  le  salut,  est  plus  simple  que  celui 
de  Berinus,  dans  lequel  la  découverte  de  l'inscription  est  le  fait 
d'un  tiers  et  que  le  tambour  magique  qu'il  faut  frapper  est  une 
invention  meilleure  que  l'anneau  magique  qu'on  jette  à  la  mer 
et  qui  revient  de  lui-même  en  place.  En  outre,  si  nous  n'avons 
pas,  pour  le  Premier  Voyage  cfAboulfaouris,  comme  pour  le 
second,  un  garant  dans  un  récit  oriental  parallèle  %  on  peut 
cependant  remarquer  qu'un  épisode  du  premier  voyage  pré- 
sente la  plus  grande  analogie  avec  le  récit  initial  des  Aventures 
de  Ma^in,  conte  qui  ne  se  trouve  que  dans  certains  manuscrits 


1.  Voir  Loiseleur-Deslongchamps,  dans  la  préface  de  son  édition  citée,  et 
H.  Zotenberg,  Histoire  d'Ala  al-Din  ou  Li  Lampe  merveilleuse,  Paris  1888,  p. 
27,  note. 

2.  Voir, sur  cette  question  des  Voyages  d'Aboulfaouaris,  la  remarque  supplé- 
mentaire D, 


I .   .      , , _> 


LA    LEGENDE   DE    LA    MONTAGNE   D  AIMANT  4^  I 

des  Mille  et  une  Nuits  '  et  qui,  à  l'époque  de  la  publication  des 
Mille  et  un  Jours, étàk  probablement  inconnu  en  France  :  cette 
origine  arabe  d'une  partie  du  récit  est  au  moins  une  présomp- 
tion en  faveur  de  l'authenticité  du  reste. 

Si  le  récit  des  Mille  et  un  Jours  est  authentique,  c'est-à-dire 
réellement  emprunté  à  une  œuvre  orientale,  nous  devons  en 
conclure,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  l'auteur  de 
Berinus  a  eu  à  sa  disposition,  pour  l'épisode  de  l'Aimant,  un 
second  récit  ;  la  grave  altération  que  présente  la  version  de  Beri- 
nus (substitution  de  l'anneau  au  tambour)  nous  porte  à  croire 
que  ce  récit  lui  est  parvenu  par  voie  orale. 

Cette  question  incidente  vidée,  au  moins  autant  que  cela  est 
possible  actuellement,  nous  pouvons  revenir  à  la  source  princi- 
pale de  Berinus. 

Quand  on  compare  l'épisode  de  la  Montagne  d'aimant  tel 
qu'il  se  trouve  dans  le  Her~og  Ernst,  dans  Esclarmonde  et  dans 
Berinus  lui-même,  à  l'histoire  du  Troisième  Calender  des  Mille 
et  une  'Nuits  que  nous  avons  citée  plus  haut,  on  est  frappé  d'une 
différence  remarquable.  Dans  le  groupe  de  versions  considéré 
jusqu'ici,  le  navire  est  attiré  dans  son  ensemble  par  l'Aimant,  il 
reste  en  entier  au  pied  de  la  montagne,  ainsi  que  ceux  qui  y 
étaient  venus  avant  lui  ;  le  trait  que  le  héros  d-u  récit  va  visiter 
les  navires  échoués  et  y  trouve  des  richesses,  est  commun,  ainsi 
que  nous  l'avons  vu,  au  Her^og  Ernst  et  à  Berinus.  C'est  ce 
détail  qui  explique  l'aspect  particulier  du  mont,  cette  «  forêt  de 
mâts  »  autour  de  la  montagne,  qu'on  trouve  mentionnée  à  la 
fois  dans  Her:^og  Ernst,  dans  Esclarmonde  et  dans  Berinus.  Dans 
le  récit  du  Troisième  Calender,  au  contraire,  les  navires  sont 
anéantis  ;  quand  ils  sont  arrivés  à  une  certaine  distance  du 
mont,  tous  les  clous,  tous  les  morceaux  de  fer  qui  se  trouvent 
dans  les  vaisseaux  s'en  détachent,  attirés  par  la  montagne  ;  les 
navires  se  disloquent,  disparaissent  dans  les  flots  ^.11  est  évident 

1.  Voir  sur  ce  conte,  V.  Chauvin,  Bibliographie  des  ouvrages  arabes,  YU,  35. 
Le  même  épisode  se  retrouve  dans  le  roman  de  SeyJ  Zu-1-Yeien,  cité  par 
Lane  dans  sa  traduction  des  looi  Xuits  (The  looi  Nights,  London,  1841, 
III,  520)  et  dans  une  légende  religieuse  des  Jainas  qui.au  début  du  xviii=  s., 
était  certainement  ignorée  en  Europe  ;  voir  A.  Weber,  Ueber  dus  Catrunjaya 
Mdhdtmyam  (dans  Ahhandlungen  fur  die  Kunde  des   Morgenlandes,  I),  p.    32. 

2.  Traduction  anglaise  de  Burton,  I,  141  (édit.  1885), 


442  G.    HUET 

qu'au  point  de  vue  de  cette  logique  spéciale  de  l'absurde  qu'on 
s'attend  à  trouver  dans  un  conte  merveilleux,  cette  version  est 
bien  supérieure  à  celle  du  Hey:(og  Ernst  et  des  récits  apparentés. 
C'est  que,  dans  ce  dernier  groupe  de  récits,  le  thème  propre- 
ment dit  de  la  Montagne  d'aimant  se  trouve  mêlé  à  des  traits 
qui  semblent  empruntés  à  une  autre    fiction. 

Depuis  longtemps,  Bartsch,  De  Goeje,  A.  Graf  ont  remarqué 
l'analogie  qui  existe  entre  le  récit  du  Her^og  Ernst,  etc.,  et  ce 
qui  est  raconté  dans  les  Voyages  de  Sîndhâd  le  Marin,  qui  font 
également  partie,  comme  on  sait,  des  Mille  et  une  Nuits. 

Au  cours  de  son  sixième  vovaçe,  Sindbâd  est  sur  un  navire 
que  des  courants  irrésistibles  poussent  vers  une  île  où  il  se  brise, 
mais  l'équipage  trouve  cependant  le  moyen  de  se  sauver  et  de 
débarquer  les  vivres  et  les  plus  précieuses  marchandises.  Sur  le 
rivage,  Sindbâd  et  ses  compagnons  ne  voient  que  morceaux  de 
navires  échoués  et  ballots  de  marchandises,  débris  de  naufrages 
antérieurs.  Les  vivres  étant  épuisés,  les  compagnons  de  Sindbâd 
meurent  les  uns  après  les  autres  ;  resté  seul,  il  réussit  à  se  sau- 
ver en  tirant  parti  d'un  fleuve  qui  prend  sa  source  au  bord  de 
la  mer  et  qui  disparaît  dans  une  montagne.  Avec  des  débris  de 
navires,  il  construit  un  radeau,  le  charge  de  marchandises  nau- 
fragées et  de  pierres  précieuses  qu'il  a  recueillies  sur  la  montagne 
dans  laquelle  s'engouffre  le  fleuve  mystérieux.  Après  une  pénible 
navigation  souterraine,  il  arrive  dans  un  pays  habité,  où  il  est 
recueilli  par  les  indigènes  '. 

On  aura  remarque  l'analogie  de  ce  récit  avec  les  versions  du 
Her^og  Ernst:  les  navires  naufragés,  les  richesses  qu'on  découvre, 
la  mort  par  la  faim  des  compagnons,  quand  les  vivres  sont 
épuisés.  Le  récit  du  Her^og  Ernst  est  manifestement  exagéré, 
surtout  en  ce  qui  concerne  les  navires  naufragés  qui  restent  en 
entier;  mais  il  s'explique  quand  on  lecompare  au  voyage  de  Sind- 
bâd ;  il  ne  s'explique  pas  par  le  récit  du  Calender.  Il  faut  ajou- 
ter que  l'épisode  qui,  dans  le  poème  allemand,  suit  immédiate- 
ment celui  du  sauvetage  du  héros  et  de  ses  compagnons  par  les 
griffons,  contient  également  le  récit  de  la  navigation  sur  un 
fleuve  souterrain,  où  le  héros  recueille  une  pierre  précieuse  -. 

1.  Traduction  de  Burton,  II,  59  et  suiv. 

2.  Voir  Heriog  Ernst,  Enleitung,  p.  xix.  L'épisode  du  fleuve  se  retrouve 


LA  LEGENDE  DE  LA  MONTAGNE  D  AIMANT        443 

Ces  ressemblances  ont  été  remarquées  il  y  a  longtemps  par 
K.  Bartsch,  De  Goeje,  A.  Graf;  ce  dernier  suppose,  selon  nousà 
tort  (p.  375  de  sa  dissertation),  que  l'épisode  de  Sindbâd  men- 
tionnait, lui  aussi,  primitivement  la  montagne  d'aimant.  De  Goeje 
a  montré  '  que  l'idée  d'une  îled'oû  nul  ne  revient  est  très  ancienne 
et  indépendante  du  mythe  de  l'Aimant;  il  est  probable  que, 
dans  le  Her~og  Ernst,  il  y  a  eu  combinaison,  contamination  de 
deux  données  primitivement  distinctes. 

Cette  contamination  s'est-elle  faite  en  Occident,  en  Alle- 
magne, ou  en  Orient  ?  La  première  hypothèse  n'est  pas  impos- 
sible :  le  voyageur  juif  Benjamin  de  Tudèle  qui  écrivait  vers 
1175,  donne  l'épisode  des  griffons  sous  une  forme  qui  trahit  des 
influences  occidentales  ^.  Mais  l'autre  supposition  est  plus 
vraisemblable  et  c'est  aussi  l'hypothèse  de  De  Goeje  (p.  311  de 
son  article),  auquel  sa  qualité  d'arabisant  donne  une  autorité 
spéciale.  Mais  je  ne  puis  le  suivre  dans  sa  conjecture  que  le 
récit  arabe  qu'a  connu  l'auteur  du  He):{og  Ernst  était  une  rédac- 
tion du  Sixième  Voyage  de  Sindbâd  différente  de  celle  qui  nous 
est  parvenue.  D'abord,  cette  rédaction  est  purement  hypothé- 
tique ;  en  outre,  il  faut  se  rappeler  que  le  sauvetage  du  héros 
par  un  oiseau  gigantesque,  qui  est  dans  le  Duc  Ernst,  se  trouve 
déjà  mentionné  dans  le  deuxième  voyage  de  Sindbâd  ;  le  récit 
se  répéterait  ;  le  romancier  fort  avisé  auquel  nous  devons 
les  Voyages  de  Sindbâd  eût-il  commis  une  pareille  faute  de 
composition  ?  Ce  n'est  guère  vraisemblable.  —  Et  il  y  a 
autre  chose.  Les  rencontres  merveilleuses  du  Duc  Ernst,  en 
dehors  de  notre  épisode  (Pygmées,  etc.),  font  partie,  comme  l'a 
remarqué  M.  Haupt,  de. la  «  tératologie  »  habituelle  du  moyen 
âge  occidental  ;  mais  il  en  est  autrement  d'une  aventure  qui 
précède,  dans  le  poème,  celle  de  l'Aimant  :  Ernst  et  ses  com- 
pagnons arrivent  dans  un  pavs   habité  par  des  hommes   à  tête 


dans  le  poème  latin,  col.  357,  et  dans  Esdarmonde,  édit.  Schweigel,  v.  1378- 
1454. 

1.  Voir  son  article  cité,  p.  304. 

2.  Il  place  l'aventure  dans  la  «  mer  nitcptia  »  qui  est  la  traduction  du  mare 
concretum  des  compilateurs  du  moyen  âge  occidental,  et  le  nom  qu'il  donne 
aux  oiseaux  gigantesques  est  tout  simplement  le  mot  gripns  transcrit  en 
hébreu  :  voir  De  Goeje,  article  cite,  p.  289  ;  Haupt,  art.  cite,  p.  296. 


444  G.    HUET 

d'oiseau  et  sont  obligés  de  leur .  faire  la  guerre.  Ce  récit 
ne  se  trouve  dans  aucune  source  occidentale  ;  il  n'est  pas  non 
plus  dans  Sindbâd  '  ;  cependant  il  semble  bien  d'origine  orien- 
tale ;  depuis  longtemps  on  a  rapproché  du  récit  allemand  un 
peuple  à  têtes  d'oiseau  mentionné  dans  un  récit  du  roman 
turc  des  Quarante  Visirs,  l'histoire  du  Prince  de  Cari^me,  qui 
contient  d'autres  détails  fantastiques  ^  On  peut  admettre  l'exis- 
tence, au  XII*  siècle,  d'un  voyage  merveilleux,  rédigé  en  arabe, 
dans  le  goût  de  Sindbâd,  mais  différent  de  Sindbâd,  que  l'au- 
teur du  Her~oo  Ernst  aura  connu,  peut-être  par  tradition 
orale  ;  ceci  expliquerait  certaines  modifications  et  exagérations 
qu'on  rencontre  dans  son  œuvre  '. 

On  peut  résumer  ainsi  le  résultat  de  ces  recherches,  nécessai- 
rement un  peu  compliquées,  dont  le  récit  de  Berinus  a  été  le 
point  de  départ  :  le  thème  de  la  «  Montagne  d'aimant  »,  primi- 
tivement une  simple  anecdote  géographique,  fut  développé  d'une 
façon  romanesque  par  les  conteurs  arabes  et  passa  en  Occident 
au  XII''  siècle,  dans  un  récit  où  le  thème  proprement  dit  était 
mêlé  à  des  détails  qu'on  retrouve  dans  \t  Sixième  Voyage  de  Sind- 
bâd Je  Marin.  Ce  récit  fut  utilisé,  antérieurement  à  ii8é,  en 
Allemagne,  par  l'auteur  du  Her^og  Ernst  primitif.  Ce  roman  fut 
connu  en  France,  probablement  par  l'intermédiaire  d'un  poème 


1.  De  Goeje  affirme,  au  contraire,  que  les  c  hommes-oiseaux  »  sont  dans 
Siudhdd  (p.  507  de  son  article)',  mais  ici  le  savant,  habituellement  si  exact,  a 
fait  une  confusion.  Dans  la  rédaction  du  Septième  voxage  Je  Sindbâd  qu'il  cite 
et  qui  ne  se  rencontre  que  dans  quelques  manuscrits  (on  la  trouve  traduite 
chez  Lane,  The  looi  Nigbls,  London,  1841,  III,  116),  il  est  question 
d'hommes  changés  une  fois  par  mois  en  oiseaux  ;  du  moins,  il  leur  pousse 
alors  des  ailes  qui  leur  permettent  de  voler  :  on  voit  que  c'est  tout  autre  chose 
que  les  hommes  à  léte  d\vseau  dans  le  Her~og  Ernst. 

2.  Réimprimé  (traduction  de  Pétis  de  Lacroix)  à  la  suite  des  looi  Jour ^ 
(édit.  citée,  p.   361). 

3.  E.  Rohde,  dans  une  note  d'ailleurs  intéressante  sur  les  Voyages  de  Sind- 
bâd (dans  son  livre  Der  griechische  Roman,  p.  194,  note,  2*  édit.),  suppose 
d'une  façon  fort  arbitraire  que  le  roman  arabe  Seyf-Zu-l-Yeien,  qu'on  con- 
naît surtout  par  des  citations  de  Lane  (dans  sa  traduction  des  looi  Nuits,  I, 
246,  III,  109,  521),  avait  été  la  source  de  l'épisode  du  Her:^og  Ernst.  L'ara- 
bisant V.  Chauvin,  Bibliographie,  VII,  78,  s'élève  avec  raison  contre  cette 
hypothèse . 


LA    LEGENDE    DE    LA    MONTAGNE    d'aIMANT  445 

latin  en  hexamètres;  c'est  ce  poème  qui  serait  la  source  com- 
mune de  la  suite  â'Huon  de  Bordeaux  '  et  de  l'épisode  de  Beri- 
niis.  Mais  il  est  probable  que  l'auteur  de  Berimis  a  utilisé,  pour 
la  fin  de  l'aventure,  une  autre  version  de  l'histoire  de  la  Mon- 
tagne, également  d'origine  arabe,  que  nous  retrouvons  dans  un 
conte  des  Mille  et  un  Jours. 


REMARQUES    COMPLEMENTAIRES 

A.  La  Montagne  d'Aimant  dans  h  Voyage  de  Jean  de  Mande- 
ville.  —  Dans  ce  livre  singulier,  il  est  question  deux  fois  de 
l'Aimant.  Le  premier  passage  se  trouve  dans  la  description  de 
la  mer  de  l'Inde  et  d'  «  Ormes»  (Ormus). 

(Ms.  Bibl.Nat.  5637,  fol.  51  a)  Et  si  ont  toutes  leurs  nefs  faites  de  boys 
et  de  fut,  sans  fer  ne  clou,  pour  les  roches  des  aymans,  dont  il  a  en  la  mer  la 
entour  tant  que  c'est  merveille,  car  se  une  nef  passoit  parmi  ces  marches 
ou  il  eust  clos  ou  bendes  de  fer,  tantost  seroit  perie  ;  car  l'aymant  de  sa 
nature  trait  le  fer  a  luy,  si  trairoit  la  nef  a  lui  pour  la  cause  du  fer,  si  que 
jamès  ne  pourroit  départir. 

Ce  qui  montre  bien  le  peu  de  sérieux  de  ce  compilateur, 
uniquement  soucieux  d'accumuler  des  merveilles,  c'est  qu'il 
parle  de  nouveau  de  l'Aimant,  plus  loin,  à  propos  d'un  autre 
pays,  «  la  terre  Prestre  Jehan  »,  comme  s'il  n'en  avait  rien 
dit,  et  en  donnant  beaucoup  plus  de  détails  : 

(Fol.  85  a)  Et  combien  qu'il  =  eussent  meilleur  marchié  en  la  terre  Prestre 
Jehan  5,  si  redoublent  il  la  longue  voie  et  les  grans  perilz  qui  sont  sur  la  mer 
en  telles  parties  y  a,  car  il  a  en  moult  de  lieux  grans  roches  de  pierres  d'ay- 
mant,  qui  traient  a  eulz  le  fer  de  leur  propre  nature.  Et  pour  ce,  se  il  y  passe 
nulle  nef  ou  il  ait  clos  ne  bendes  de  fer,  tantost  ces  roches  la  traient  a  elles 
ne  n'en  pourroit  jamès  partir.  Je  meismes  vi  en  la  mer  de  loing  ainsi  comme 
une  grant  ylle,  ou  il  avoit  arbrissiaux,  esfflnes,  ronses  4  et  herbes  a  grant  foi- 

1.  Voir  cependant  sur  ce  point  une  réserve,  plus  loin,  dans  les  remarques 
supplémentaires,  p.  450. 

2.  Les  marchands. 

3.  Qu'en  celle  du  «  Grant  Cham  »,  dont  l'auteur  vient  de  parler, 

4.  Ms.  rouses. 


440  G.    HUET 

son  et  nous  dirent  ics  maronniers  que  c'estoient  toutes  nés,  qui  estoient  la 
ainsi  arrestées  pour  les  roches  d'aymant;  et  de  la  pourreture  qui  estoit  dedans 
les  nés  estoient  creus  et  naissus  ces  arbrissiaux,  ces  ronses  et  celle  herbe,  a  si 
grant  foison  comme  on  le  pouoit  veoir  adonc  ;  et  de  celles  roches  il  y  a  en 
moult  de  lieux  la  entour.  Et  pour  ce  n'y  osent  les  marchans  aller,  se  il  ne 
scevent  moult  bien  le  chemin  ou  il  aient  bon  couduiseur. 

Bien  que  certaines  expressions  (notamment  «  bandes  deter«) 
se  retrouvent  dans  les  deux  passages,  ils  correspondent,  comme 
le  lecteur  l'aura  remarqué,  à  deux  états  de  la  légende.  Le  pre- 
mier est  la  simple  notice  géographique,  qui  se  trouve  chez  Pto- 
lémée  et  Kazwini  ;  le  second  donne  la  version  romanesque  et 
dérive  manifestement  du  récit  du  Hef^og  Ernsi.  Comme  dans 
cette  version,  les  navires  attirés  par  l'Aimant  restent  en  entier; 
seulement,  Mandeville  fait  naître  de  la  pourriture  de  ces  navires 
des  arbrisseaux  et  des  ronces.  On  dirait  que  l'auteur  a  pris  trop 
à  la  lettre  le  «  bois  «,  la  «  forêt  »  de  mâts  dont  parlent  les  ver- 
sions de  cette  famille  et  a  voulu  renchérir  là-dessus. 

B.  La  Montagne  d' Aimant  dans  les  chansons  de  ^este  et  les 
romans  en  prose.  —  Je  réunis  ici  quelques  indications  qui 
manquent  dans  le  travail  de  Graf,  ou  sont  insuffisantes. 

Une  chanson  de  geste  qui  contie-nt  une  mention  de  l'Aimant 
qui  a  échappé  à  l'auteur  italien,  est  Charles  k  Chauve,  compo- 
sition étendue,  mais  peu  originale  '.  Le  jeune  Dieudonné,  héros 
de  cette  partie  du  poème,  est  protégé  par  la  fée  Gloriande, 
comme  Huon  de  Bordeaux  par  Obéron  (P.  Paris  a  déjà  remar- 
que que  Fauteur  de  la  chanson  imite  fréquemment  ce  poème) 
et,  comme  Huon,  il  perd  cette  protection  par  suite  d'une  déso- 
béissance. Les  objets  magiques  que  Gloriande  lui  a  confiés 
perdent  leur  vertu  et  par  surcroît  de  malheur,  la  nef  où  il  se 
trouve  est  jetée  par  la  tempête  du  côté  de  l'Aitnant  (ms.  Bibl. 
Nat.  franc.  24372,  fol.  42  n)  : 

Et  li  teapeste  gr»ns  si  avant  les  mena 

Que  l'aïmant  senti  le  fer  que  leur  nef  a, 

A  ssoi  le  trait  et  tire,  tellement  le  sacha, 

Que  droit  a  l'aïmant  leur  vaiseil  (sic')  s'aresta. 

I.  Voir  l'article  de  P.  Paris  dans  Histoire  lilléruire  île  la  France,  XXVI, 
94  et  suiv.  En  ce  qui  concerne  notre  épisode,  l'analyse  (p.  108-109)  '^^^  ^^^^^ 
peu  e.xacte. 


LA  LEGENDE  DE  LA  MONTAGNE  D  ALMANT       447 

Dieudonné  sonne  l'olifant,  que  la  fée  lui  a  donné;  on  entend 
xC  son  dans  la  demeure  féerique;  mais  Gloriande,  toujours 
furieuse,  défend  aux  siens  d'aller  secourir  Dieudonné.  A  la  fin 
le  bon  nain  Maufuné  '  réussit  pourtant  à  fléchir  la  fée.  Celle-ci, 
qui  voit  se  réaliser  immédiatement  tous  ses  souhaits,  consent  à 
ce  que  Maufuné  parte  de  suite  ;  elle  lui  souhaitera  un  grand 
«  batel  »,  construit  sans  fer  ;  dans  ce  bateau,  il  se  rendra  à  la 
montagne  ;  Dieudonné  et  les  siens  pourront  ainsi  quitter  l'Ai- 
mant (ms.  cité,  fol.  42  b  en  bas). 

«  Je  le  vueil  »,  dit  la  dame,  «  or  i  vas  vistement  ; 

Je  te  souhaiterai,  sans  nul  arestement, 

.1.  batel  noble  et  grant,  par  tel  devisement 

Que  point  de  fer  n'i  ait  avironn[e]ement  ; 

Se  iras  a  l'aimant  autouure  (sic,  1.  atourné)  proprement. 

S'en  porra  li  batiaus  partir  a  ton  talant, 

Puis  qu'il  n'i  avra  fer,  je  te  di  vraiement, 

Tu  em  porras  partir  a  ton  commandement.  » 

Et  Maufunés  respont  :  «  Faite[s]  delivrement, 

Par  quoy  g'i  puisse  aler  tost  et  apertement.  » 

Et  la  fée  respont  :  «  Amis,  aies  vous  ent, 

Je  vous  souhaite  en  mer  en  vo  commandement, 

Par  dedens  le  batel  dont  j'ai  fait  parlement.  » 

Et  si  tost  qu'elle  ot  dit  son  vouloir  pleinnement 

Se  trouva  en  la  mer  ou  lieu  deûement, 

En  che  bastel  sans  fer,  ouvré  moult  noblement. 

Maufuné  se  présente,    assis   dans  son  bateau,  devant  Dieu- 
donné  et  lui  dit  qu'il  vient  à  son  aide  (ms.  cité,  fol.  42  d)  : 

«  Mautunés  »,  dit  li  enfes,  «  Diex  te  vueille  sauver  ; 
Et  comment  porrons  nous  de  la  mort  esquever  ?  » 
Et  li  nains  respondi  :  «  Tous  vous  faut  desarmer. 
Si  c'on  ne  puist  sus  vous  goûte  de  fer  trouver, 
Et  puis  vous  convanra  eu  mon  batel  entrer, 
A  garant  vous  métrai  au  dehors  de  la  mer.  » 
Et  Dieudonné  respont  :  «  Bienm'i  vueil  acorder.  » 
Adonc  sans  plus  attendre  vont  leur  armes  oster, 
U  batel  sont  entrés,  qu'il  ont  fait  ajouster,  etc. 

I.  C'est   la  leçon  du  manuscrit,  et  non  «    Maufumé  »,  comme  écrit  P. 
Paris. 


448  G.    HUET 

Il  est  évident  que  l'auteur  de  ce  récit  avait  surtout  présente  à 
l'esprit  l'anecdote  géographique  (Ptoléniée,  Kazwini,  premier 
récit  de  Mandeville).  Il  connaissait,  comme  nous  l'avons  dit, 
Hnon  de  Bordeaux,  à  savoir  l'ancien  poème,  mais  rien  ne  pro  j  v  e 
pertinemment  qu'il  ait  connu  et  utilisé  la  suite  (^Esdanuotuie) 
où  il  est  question  de  l'Aimant. 

Charles  le  Chauve  est  du  xiv*  siècle  ;  c'est  au  xiv^  siècle  éga- 
lement qu'appartient  le  renouvellement  en  alexandrins  d'Ogier 
le  Danois.  Pendant  son  voyage  merveilleux,  Ogier  est  lui  aussi 
arrêté  par  l'Aimant,  qui  est  le  point  de  départ  de  nouvelles  aven- 
tures; mais  l'épisode  même  du  Mont  est  traité  sommairement'. 
Quand  les  vivres  sont  épuisés  et  que  tous  ses  compagnons  de 
voyage  ont  succombé,  un  ange  inspire  du  courage  au  chevalier; 
il  se  dirige  vers  un  château  magique,  situé  dans  une  île  voisine 
de  la  Montagne  d'aimant;  ce  château,  invisible  pendant  le  jour, 
devient  lumineux  la  nuit.  Pour  y  arriver,  Ogier  passe  de  net 
en  nef  :  les  navires,  attirés  par  l'aimant,  sont  donc  restés 
entiers,  preuve  que  le  récit  se  rattache  au  type  de  Her:(og  Ernst, 
très  probablement  par  l'intermédiaire  de  la  suite  d'Hiwn  de 
Bordeaux:  Huon,  lui  aussi,  survit  seul  à  tous  ses  compagnons. 
La  suite  des  aventures  d'Ogier  dans  le  château  féerique  ne  se 
rapporte  plus  à  l'Aimant. 

On  les  retrouve  en  partie  dans  YHiton  de  Bordeaux  en  prose 
du  xV  siècle.  L'auteur  de  cette  rédaction  a  mis  en  prose,  à  la 
suite  de  VHiion  proprement  dit,  Esdarmonde  ;  mais  il  a  eu  l'idée 
singulière  d'intercaler  dans  l'histoire  de  l'Aimant  tout  un  épi- 
sode de  son  invention,  ou  plutôt  de  sa  combinaison;  cette 
interpolation  est  d'autant  plus  absurde  qu'à  la  fin  le  narrateur 
revient  servilement  â  son  original  et  se  résigne,  lui  aussi,  à  faire 
enlever  son  héros,  après  toutes  sortes  de  rencontres,  par  un  grif- 
fon. Dans  ces  inventions  sans  intérêt  ni  logique,  qui  ne  valent 
pas  la  peine  d'être  résumées,  il  y  a  pourtant  quelques  traits  qui 
méritent  une  mention,  parce  qu'ils  indiquent  les  sources  dont 


I.  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  TArscnal,  n"  2985,  p.  632  et  suiv. 
L'épisode  est  fidèlement  résumé  dans  le  livre  en  prose  (fin  du  xv=  ou  début 
du  xvic  siècle),  voir  l'édition  de  Paris,  Alain  Lotrian  et  Denis  Janot,  sans 
date,  in-40,  fol.  91  et  suiv. 


LA  LEGENDE  DE  LA  MONTAGNE  D  AIMANT        449 

s'est  servi  le  compilateur.  Huon  et  ses  compagnons  voient  les 
nefs  retenues  autour  de  l'Aimant;  le  narrateur  ajoute  :  «  dont 
(des  nefs)  tant  en  y  a  que  du  boys  desnefz  qui  grant  tempsont 
la  esté  sont  saillis  beaulx  arbres  et  bois  teuilluz,  que  advis  est 
que  ce  soit  une  grande  forest  »  (édit.  de  Paris,  J.  Bonfons,  s. 
d.,  in-4°,  fol.  130  a).  On  reconnaît  ici  un  détail  du  second 
récit  de  Jean  de  Mandeville.  Bien  des  traits  sont  certainement 
empruntés  à  VOgier  du  xiV  siècle  :  on  retrouve  dans  le  Huon 
en  prose  le  palais  féerique  ;  comme  dans  Ogier,  Huon  y  ren- 
contre un  grand  serpent,  qu'il  tue  (fol.  130);  comme  dans 
Ogier  encore,  il  mange  des  fruits  dans  un  jardin  (loi.  135);  il 
est  vrai  que  ces  fruits  ne  lui  font  aucun  mal,  tandis  qu'Ogier, 
après  en  avoir  mangé,  devient  lépreux. 

Mais  au  milieu  de  tous  ces  emprunts,  le  récit  de  VHiion  en 
prose  présente  une  particularité  remarquable.  Le  palais  féerique 
n'est  pas  situé,  comme  dans  Ogicr,  sur  une  île  dans  le  voisinage 
de  l'Aimant  ;  il  se  trouve  au  sommet  de  la  Montagne  d'aimant 
elle-même  et  «  par  nulz  des  costez  du  monde  [sic,  1.  mont] 
l'on  n'y  pouoit  monter  ne  approcher  que  premièrement  il  ne 
convenist  monter  par  une  voye  estroite  ou  il  y  avoit  trois  cens 
soixante  et  douze  degrez,  lesquelz  estoient  si  estroictz  qu'il  n'y 
pouoit  monter  que  un  homme  de  front  »  (fol.   13  i  a). 

Tous  les  lecteurs  des  Mille  et  une  Nuits  se  rappelleront  ici  le 
récit  du  Troisième  Calender  :  là,  la  Montagne  d'aimant  est 
couronnée  d'un  dôme  ;  pour  accéder  à  ce  dôme  il  faut,  par  une 
ascension  pénible,  monter  des  degrés  taillés  dans  le  roc  et  allant 
jusqu'au  sommet  (traduction  de  Burton,  éd.  1885,  I,  141, 
142  ;  celle  de  Galland  donne  le  même  sens).  —  L'analogie 
entre  les  deux  récits  est  indéniable  ;  elle  est  tellement  frappante 
qu'il  semble  difficile  de  penser  à  un  hasard.  Nous  avons  vu 
plus  haut  que  l'auteur  de  Berinus  doit  avoir  connu  des  détails 
de  l'épisode  de  la  Montagne  dans  le  Voyage  d' Aboulfaouaris  ;  il 
semble  que  des  bribes  du  récit  du  Troisième  Calender  aient  été 
également  portées  de  bonne  heure  en  Occident,  probablement 
par  voie  orale'. 


1.  Une  transmission  par  voie  orale  dans  le  passé  est  d'autant  plus  vrai- 
semblable que  la  légende  de  la  Montagne  d'Aimant  s'est  retrouvée  de  nos 

Romania,  XLIF.  2^ 


450  G,    HUET 

C.  La  suite  de  «  Hmn  de  Bordeaux  (^Esclarmonde)  »  et  le 
«  Her~og  Ernst  ».  —M.  Octo  Engelhardt  a  traité  ce  sujet  dans  sa 
thèse  Huoji  de  Bordeaux  und  Her;^og  Ernst,  Witten,  1903,  in-8° 
(dissertation  de  Tubingue).  J'avais,  avant  de  connaître  ce  tra- 
vail, réuni  les  éléments  d'une  démonstration,  que  je  laisse  de 
côté,  comme  faisant  double  emploi  avec  celle  de  M.  Engel- 
hardt. Je  donne  seulement  l'indication  des  passages  essentiels 
du  poème  latin  que  j'avais  pris  comme  terme  de  comparaison  : 
inimitié  entre  Heinric,  comte  palatin  du  Rhin,  et  le  duc  Ernst 
(édition  Martène,  col.  318  b).  Ce  comte  est  le  neveu  de  l'em- 
pereur Otton  (col.  319^).  —  Ernst  tue  Heinric  (col.  329  ii), 
comp.  Esclarnionde,  éd.  Schv^'eigel,  v.  361  et  suiv.,  le  meurtre 
du  neveu  de  l'empereur  par  Huon,  —  De  même  que  dans 
Esclarnionde,  il  résulte  de  ce  meurtre  une  guerre,  et  l'exil  du 
héros.  —  Après  le  retour  de  l'exil,  réconciliation  avec  l'empe- 
reur; le  héros  présente  à  l'empereur,  entre  autres  cadeaux,  une 
pierre  précieuse,  qu'il  a  rapportée  de  son  voyage  (col.  374^; 
comp.  Esclarnionde,  v.  2426  et  suiv.). 

J'indique  ces  passages  du  poème  latin,  M.  Engelhardt  s'étant 
servi,  pour  son  travail  de  comparaison,  du  poème  moyen-alle- 
mand publié  par  Bartsch.  Il  croit,  en  effet,  que  l'auteur  d'Es- 
clarmonde  a  connu  un  texte  en  langue  germanique  ;  d'après  lui, 
Esclarnionde  a.  été  composée,  comme  V Huon  de  Bordeaux,  pro- 
prement dit,  à  Saint-Omer,  sur  la  limite  linguistique  du 
domaine  roman  et  du  domaine  germanique;  l'auteur  a  donc  pu 
savoir  le  néerlandais  et  lire  sans  peine  l'ancien  poème  bas-rhénan, 
dont  la  langue  se  rapproche  du  néerlandais  ou  bien  il  a  connu  le 
récit  par  voie  orale  (Engelhardt,  p.  47,  48  de  sa  dissertation). 

Le  lecteur  choisira  entre  cette  hypothèse  et  celle  qui  est  expo- 
sée plus  haut.  En  tout  cas,  je  maintiens  formellement  cette 
hypothèse  en  ce  qui  concerne  Berinus.  C'eût  été  un  bien  grand 
hasard  que  l'auteur  de  ce  roman  eût  su,  lui  aussi,  assez  d'aile- 

jours  dans  le  folklore  des  populations  maritimes;  voir  particulièrement 
P.  Sébillot,  Légendes,  croyances... de  la  tuer  (Paris,  1886),  I,  256-257.  Le  conte 
reproduit  par  M.  Sébillot  ressemble  beaucoup  à  la  forme  de  la  légende  qu'on 
trouve  dans  le  Her-Oir  Ernst  et  ses  dérivés  :  il  y  est  question  d'un  grand  ras- 
semblement de  navires  devant  le  fatal  rocher.  —  Voir  aussi,  du  même 
auteur,  Le  Folk-hre  de  France,  II,  74  et  99. 


LA    LEGENDE    DE    LA    MONTAGNE    D  AIMANT  45  I 

mand.pour  lire  dans  l'original  une  des  rédactions  du  Hcr:(og 
Ernst.  —  Quant  à  Esclannomle,  nous  avons  vu  plus  haut  que 
ce  poème  ne  peut  avoir  été  la  source  de  Berinus. 

Comme  dernière  remarque,  j'ajouterai  qu'il  est  à  noter  que 
les  trois  suites  à'Hiion  de  Bordeaux,  que  nous  a  conservées 
le  manuscrit  de  Turin,  sont  chacune  le  développement  d'un 
thème  préexistant  :  la  première,  Esclannonde,  du  Her:(og  Ernst, 
la  seconde,  Clarisse,  d'Jucassin  et  Nicolele  (voir  l'introduction 
de  l'éditeur,  p.  73,  note),  le  troisième,  Yde  et  Olive,  de  la 
légende  bizarre  qui  a  été  utilisée  également  par  l'auteur  de 
Tristan  de  Nantenil  (voir  G.  Paris  dans  son  édition  de  la  Vie  de 
saint  Gilles  par  Guillaume  de  Berneville,  p.  xax)  et  qui  fait  le 
fond  d'un  miracle  dramatisé  de  la  Vierge  (^Miracles  de  JSlostre 
Dame,  éd.  G.  Paris  et  U.  Robert,  t.  VII,  p.  i  et  suiv.).  Ceci 
peut  venir  à  l'appui  de  l'opinion  de  l'éditeur,  M.  Schweigel, 
qui  (p.  13  de  son  introduction),  pour  des  raisons  tirées  de  la 
langue  et  de  la  versification,  attribue  ces  trois  suites  à  un  seul 
et  même  auteur. 

D.  Les  Voyages  d'Aboulfaouaris.  —  Des  deux  Voyages  de  ce 
personnage  que  contient  le  recueil  des  Mille  et  un  Jours,  le 
second  est  garanti,  en  ce  qui  concerne  son  origine  orientale, 
par  un  texte  arabe,  l'Histoire  de  Tamini  aldâri,  sur  laquelle  on 
peut  consulter  V.  Chauvin,  Bibliographie  des  ouvrages  arabes, 
VII,  50.  —  Ce  récit  ne  contient  malheureusement  rien  qui  se 
rapporte  au   premier    voyage    d'Aboulfaouaris. 

Il  est  possible  qu'un  dérivé  du  texte  oriental,  persan  ou  turc, 
suivi  par  Pétis  de  Lacroix,  se  trouve  dans  l'ouvrage  suivan;:  : 
The  S  tory  of  Jeivad,  a  Romance,  by  'Ali  'A^i^  Efendi  tl?e  Cretan. 
Translated    froni    îhe    Turkish    by  E.  J.  W.    Gibb.    Glasgovs^, 
1884.  —  Je  n'ai  pas  eu  entre  les  mains  l'ouvrage  même;  je  ne 
le  connais  que  par  ce  qu'en  dit  W.  F.  Kirby,  dans  l'appendice 
à  la  traduction  des  Mille  et  une  Nuits  par  Burton,  édition  1885, 
X,  502.  Parmi  les  contes  que  signale  l'auteur  anglais,  se  trouve  : 
«  5  •  Qara  Khan.  —  The  principal  part  of  this  story   is  borro- 
wed  from    the  Eirst    Voyage  of  Aboulfawaris  in  the    Thousand 
and  One  Days;  it  has   sonie   ressemblance  to  the  story  of  the 
Mountain  of  Loadstone   in  No.  3.  r  »  (c'est-à-dire  le  récit  du 
Troisième  Calender  dans  les  Mille  et  une  Nuits).  Malheureuse- 
ment, Kirby  ajoute  que  cet  ouvrage  turc  est  très  moderne  :  il 


452  G.    HUET 

a  été  écrit  en  Tan  de  riiégirc  121 1,  correspondant  à  l'an  1796- 
1797,  bien  des  années  après  la  publication  des  Mille  et  un  Jours. 
Ce  recueil  turc  n'est  donc  pas  une  garantie  absolue  d'authen- 
ticité du  conte,  l'auteur^  le  «  Cretois  »  Ali  Aziz  (un  renégat?) 
ayant  pu  connaître  le  travail  de  Pétis  de  Lacroix . 

En  tout  cas,  ce  que  dit  l'auteur  anglais  sur  la  ressemblance 
entre  le  conte  de  la  Story  ofjewad  et  le  récit  du  Troisième  Calen- 
dcr  vient  à  l'appui  de  son  rapprochement  entre  le  récit 
turc  et  le  premier  voyage  d'Aboulfaouaris.  Dans  le  récit  des  Mille 
et  une  hlnits,  le  héros  du  conte,  Agib,  après  que  son  navire 
s'est  disloqué  sous  l'influence  de  l'Aimant,  est  jeté  par  les  vagues 
au  pied  de  la  montagne  fatale.  Il  y  a  des  degrés  pour  monter 
au  sommet  de  la  montagne  (voir  ci-dessus,  p.  449).  Arrivé  en 
haut,  il  voit  un  dôme,  sous  lequel  il  y  a  la  statue  d'un  cavalier. 
Agib  s'endort  sous  le  dôme  et  entend  en  rêve  une  voix  mysté- 
rieuse '  qui  lui  donne  des  instructions  :  il  trouvera  en  creusant 
le  sol,  un  arc  et  trois  flèches  ;  il  doit  tirer  ces  flèches  contre  la  sta- 
tue; celle-ci  tombera  dans  la  mer,  qui  montera  jusqu'au  pied  du 
dôme  ;  puis  il  verra  paraître  une  chaloupe,  avec  un  seul  rameur, 
qui  le  recueillera  et  le  transportera  en  lieu  sûr.  —  Le  jeune 
homme  agit  selon  ses  instructions  et  peut  quitter  ainsi  la  mon- 
tagne fatale. 

Les  analogies  entre  cette  aventure  et  celle  d'Aboulfaouaris 
sont  évidentes;  et  il  y  ade bonnes  raisons  pour  croire  que  c'est 
le  récit  des  Mille  et  une  Nuits  qui  est  l'original.  Dans  ce  récit, 
le  héros  est  seul,  ce  qui  rend  sa  situation  plus  dramatique  que 
celle  d'Aboulfaouaris  ;  et  puis  il  y  a  une  autre  considération. 
Déjà  A.  Graf  a  remarqué  (p.  364  de  sa  dissertation)  que,  dans 
le  récit  des  Mille  et  niic  Nuits,  il  y  a  un  double  élément  :  au 
thème  primitif  de  l'Aimant  est  venu  s'ajouter  un  autre  thème  : 
celui  de  la  statue  talismanique  \  Dans  le  conte  des  Mille  et  un 


1.  Le  «  vénérable  vieillard  »  qui  apparaît  au  héros  dans  la  version  de  Gal- 
land  semble  une  invention  du  traducteur  français.  Nous  suivons  la  version 
de  Burton,  cdit.  1885,  I,  142. 

2.  Selon  Burton  (ouvr.  cité,  I,  141,  note),  cette  idée  se  rattacherait  à 
une  statue,  réelle  ou  imaginaire,  qui  s'élevait  sur  une  des  îles  Canaries,  et 
dont  parlent  les  géographes  arabes.  —  Ces  statues  talismaniques,  qu'on 
trouve  chez  les  conteurs  arabes  aussi  bien  que  dans  les  romans  français  du 


LA    LEGENDE    DE    LA    MONTAGNE    D  AIMANT  453 

Jours,  le  thème  de  l'Aimant  s'est  obscurci;  seul  celui  de  l'in- 
fluence talismanique  est  resté  vivant.  On  retrouve,  dans  les 
Mille  et  un  Jours,  le  dôme  des  Mille  et  une  Nuits  ;  la  statue  a  été 
remplacée  par  une  colonne  et  la  «  voix  mystérieuse  »,  qui  ren- 
seigne le  naufragé,  par  une  inscription.  Tout  ceci  porte  le  cachet 
d'une  invention  postérieure. 

Il  est  vrai  que  les  rédacteurs  français  des  Mille  et  un  Jours  pou- 
vaient connaître  le  récit  des  Mille  et  une  Nuits  sous  la  forme 
française,  puisque  le  second  volume  delà  traduction  deGalland, 
qui  contient  le  Troisième  Calender, zva\tpa.rudès  1705,  tandis  que 
les  Mille  et  un  Jours  n'ont  paru  qu'en  17 1 1 .  Mais  un  tel  emprunt 
eût  été  un  véritable  plagiat  à  l'égard  de  Galland  ;  or,  Pétis  de 
Lacroix  et  Le  Sage,  nous  avons  toute  raison  de  le  croire,  étaient 
des  honnêtes  gens  et  non  des  plagiaires. 

Nous  avons  remarqué  plus  haut  qu'un  épisode,  dans  la  suite 
du  premier  Voyage  cfAboulfaouaris,  doit  avoir  été  emprunté  à 
V Histoire  de  Ma^in,  récit  qui,  dans  les  premières  années  du 
xviii^  siècle,  était  très  probablement  inconnu  en  France.  Le 
tambour  magique,  dans  le  récit  des  Mille  et  un  Jours,  semble  un 
autre  emprunt  à  Mazjn,  dans  les  aventures  duquel  figure  éga- 
lement un  tambour  magique.  Ce  détail  est  donc  une  nouvelle 
raison  de  croire  que  Pétis  de  Lacroix  et  Le  Sage  ont  vraiment 
travaillé  d'après  un  conte  oriental,  que  leur  récit  est,  en  somme, 
authentique. 

G.  HUET. 

P.  S.  —  Cet  article  était  déjà  à  l'imprimerie  quand  je  me 
suis  aperçu  qu'un  épisode  du  Roman  d'Alexandre  en  vers  de 
douze  syllabes  (édit.  H.  Michelant,  p.  321  et  suiv.)  contenait 
les  traits  essentiels  communs  au  récit  de  Berinus  et  au  Premier 
Voyage  d'AboulJaouaris.  Je  me  propose  de  revenir  dans  une 
notice  spéciale  sur  cet  épisode,  intéressant  à  plus  d'un  titre. 


moyen  âge  et  qui  paraissent  se  rattacher  à  des  superstitions  de  la  basse 
antiquité  gréco-latine  (peut-être  elles-mêmes  d'origine  égyptienne)  mérite- 
raient une  étude  d'ensemble. 


CHANSONS    INÉDITES 
TIRÉES    DU    MANUSCRIT    FRANÇAIS     1591 

DE    LA    BIBLIOTHÈQUE    NATIONALE 


Le  manuscrit  français  1591  de  la  Bibliothèque  nationale 
ÇPb^  de  Raynaud,  R  de  Schwan)  contient  (à  partir  du  fol.  62 
jusqu'à  la  fin  du  volume)  une  longue  série  de  chansons  qui 
sont  sans  nom  d'auteur,  mais  que  les  indications  d'autres 
manuscrits  permettent  d'attribuer  à  un  certain  nombre  de 
trouvères,  pour  la  plupart  fort  connus  :  Jehan  le  Petit,  le  roi 
de  Navarre,  Eustache  le  Peintre,  Perrin  d'Angicourt,  Gautier 
d'Epinal,  Raoul  de  Soissons,  Jehan  de  Neuville,  Guiot  de 
Dijon,  Gace  Brûlé,  Robert  du  Chastel,  Guillebert  de  Berne- 
ville,  Moniot,  Phelipot  ou  Jehannot  Paon,  Martin  le  Béguin, 
Jehan  le  Charpentier  ou  Cuvelier,  Philippe  de  Rémi,  Adam  de 
la  Halle,  Guillaume  le  Vinier,  Richard  de  Fournival,  Aubin 
de  Sezanne  ou  Gontier  de  Soignies,  Robert  de  la  Pierre,  Huon 
de  Bregi,  le  Châtelain  de  Couci,  Blondel  de  Nesles,  Gautier  de 
Dargies,  Pierre  de  Molaines,  Jacques  de  Cysoing  ou  Alart  de 
Chans,  Raoul  de  Beauvais  '. 

Certaines  chansons  que  G-  Raynaud  a  enregistrées  comme 
des  pièces  anonymes  se  trouvant  uniquement  dans  notre 
manuscrit  s'identifient  en  fait  avec  des  chansons  bien  con- 
nues. Le  n°  2074  (fol.  103)  est  identique  à  2038,  qui 
appartient  à  Adam  de  la  Halle  ^  Le  n°  1741  (fol.  iio)  est  le 
même  que  le  n°  433,  attribué  à  Aubin  de  Sezanne  et  à  Gon- 
tier de  Soignies.  Les  n°'  2119  et  2027  (fol.  117  et    171)  sont 


1.  Nous  dirons  dans  un  prochain  article  par  quoi  nioven  on  peut  savoir 
que  le  n"  iioo  de  Raynaud,  conservé  sans  nom  d'auteur  dans  deux  manu- 
scrits, est  de  Jehan  Bretel. 

2.  Éd.   Berger,  p.   304. 


CHANSONS   INÉDITES  455 

identiques  à  1779  et  857,  qui  sont  de  Gace  Brûlé'.  Le 
n°  1409  (fol.  155)  doit  se  fondre  avec  le  n°  I39i,qui  a  pour 
auteur  Perrin  d'Angicourt*.  Enfin,  G.  Raynaud  enregistre 
sous  le  n°  2106  deux  pièces  différentes  qui  n'ont  que  le  pre- 
mier vers  de  commun.  L'une  est  attribuée  à  «  Tierri  »  de  Sois- 
sons,  l'autre,  qui  ne  se  trouve  que  dans  notre  manuscrit  R 
(fol.  134),  est  anonyme.  Les  deux  chansons  ont  été  éditées 
par  M.  Winkler  \ 

Nous  réservons  pour  une  publication  ultérieure  les  pièces  de 
R  qui  se  trouvent  aussi  dans  V  (P/''^).  La  série  de  trente-huit 
chansons  que  nous  offrons  ici  comprend,  sauf  erreur,  tous  les 
ujiicû  du  manuscrit  R  restés  inédits. 

Ces  chansons  sont  toutes  anonymes  ■^.  Elles  appartiennent, 
au  moins  quelques-unes  d'entre  elles,  à  l'école  d'Arras  de  la 
seconde  moitié  du  xiii'^  siècle.  Le  piii  d'Arras  est  mentionné 
dans  deux  envois  (n°'  XXVIII  et  XXXIII)  ;  le  put  d'Amours 
qui  figure  à  la  fin  de  deux  autres  chansons  (n°'  XIV  et 
XXX)  et  au  commencement  d'une  troisième  (XXI,  7)  doit 
sans  doute  aussi  s'entendre  de  celui  d'Arras. 

On  chercherait  en  vain  dans  ces  chansons  des  traces  d'un 
talent  poétique.  Ce  ne  sont  que  des  collections  de  clichés. 
L'anonyme  qui  composa  le  n"  X.II  avoue  candidement  à  sa 
dame  qu'il  n'est  qu'un  débutant  : 

Pour  Dieu,  rechevez  le  don 
De  ma  première  chanson 
Et  moy  ne  refusés  mie. 

Les  autres  ne  décèlent  pas  non  plus  la  main  du  maître .  Il 
n'y  a  que  le  n°  XXXVIII  qui  mérite  une  mention,  non  par  sa 
valeur  littéraire,  mais  par  les  tours   de  force   de  versification 


1 .  Éd .  G.  Huet,  p.  54  et  11. 

2.  Éd.   Steftens,  p.  207. 

3.  Die  Lieder  Raoïils  von  Soissoiis,  p.  62  et  92. 

4.  Sur  une  pièce  qui,  d'après  une  note  moderne,  serait  de  Guillebert  de 
Berneville,  voir  les  remarques  du  n°  VII.  —  Les  copies  ont  été  exécutées 
jadis  soit  par  l'un  de  nous,  soit  paf  M.  H.  Teulié  ;  toutes  ont  été    sôigneu- 

*;nt  coUationnées  sur  le- manuscrit. 


45 6  A.    JEANROY    ET   A.   LANGFORS 

accomplis  par  l'auteur  :  il  est  entièrement  composé  de  vers  cap- 
finit-,  ce  qui  malheureusement  ne  contribue  en  rien  à  la 
clarté  du  texte. 

La  musique  de   toutes   les  chansons  est   notée.    Nous  les 
publions  suivant  l'ordre  qu'elles  occupent  dans  le  manuscrit. 


I 

(Raynaud  68) 

I       Se  j'ai  chanté,  encore  chanterai,  (fol.  66  1'°) 

Car  li  chanters  m'a  plaissance  et  mestier  ; 

Le  corps  me  tient  joli  et  le  cuer  gai, 

C'Amours  a  mis  eu  moy  un  desirrier 
5       D'amer  mon  chant  ;  si  en  ai  ledengier, 

Mais  je  ne  dout  que  par  grevance  traire 
Ne  puisse  merci  estraire, 

Si  me  couvient  a  la  fois  pourchanter  (fol.  67) 

9  De  mes  douls  maus  conforter. 

II       C'est  li  confors  li  plus  biaus  que  je  i  sai 

Et  qui  plus  fait  a  ceus  de  destourbier 

Qui  joians  sont  du  travail  que  je  trai 

Quant  il  m'oient  chanter  et  renvoissier; 
14       Plus  plaissanment  ne  leur  puis  anuier, 

Si  vient  trop  miex  a  grever  son  contraire 
Pour  un  pou  de  joie  faire 

Que  eslescier  et  lui  trop  doulouser  ; 
18  Ce  me  fait  joie  moustrer. 

III       Souvent  m'avient  que  je  sui  en  esmai 

Quant  desespoir  me  fait  contralier. 

Ce  fait  Amours,  pour  moi  prendre  a  l'essai, 

Mais  ce  ne  puet  mon  bon  vouloir  changier  : 
23       Au  souvenir  fait  mon  cuer  repairicr 

Des  ieux  rians,  assis  ou  doulz  viaire, 
Qui  au  cuer  me  vinrent  traire. 

Tant  me  déduis  en  son  dous  remembrer 
27  Que  maus  ne  me  puet  grever. 

I,  2  et  mestrie  —  6  Mais  je  me  dout  que  par  grevance  faire  traire  {sic). 
III,  2j  virent —  27  grever  mantjue. 


CHANSONS  INEDITES  457 

IV       Bien  doi  souffrir  les  doulz  travaus,  que  j'ai 

Si  biaus  confors  pour  mes  maus  aligier  : 

Grans  biens  me  crut  quant  ma  dame  esgardai, 

Car  li  reo;ars  fist  mon  cuer  adrecier 
32       A  lui  servir  et  amer  sanz  trichier  ; 

Et  se  li  corps  ne  puet  ma  dame  plaire, 
Si  ne  m'en  vueil  je  retraire, 

Ainz  l'ameray  pour  m'onneur  amonter 
36  Et  servirai  sanz  fausser. 

V       Dame  gentilz,  faitisse,  de  cuer  vrai,  {fol.  6y  v°) 

Belle,  sachans  pour  touz  ceulz  esloingnier 
Qui  les  cuers  ont  soiiliez  en  vilain  tai 
Des  bons  traïr  et  des  maus  essaucier, 
41       Nulz  ne  vous  puet  oïr  ne  acointier 

Que  par  vo  sens  en  lui  bontés  ne  paire  ; 
Dont,  s'amours  raison  ne  maire, 
Je  n'os  cuidier  par  nul  droit  ne  penser 
45  Que  me  vaussist  escouter. 


II 
(Raynaud  424) 

I       Pluseurs  amans  ont  souvent  desirré  (fol.  6y  v°) 

Qu'il  seûssent  de  leur  dame  de  fi 
Se  il  estoient  ou  haï  ou  amé, 
Mes  il  ne  m'est,  n'onques  ne  fu  ainsi, 
5  Car  trop  couroucié  seroie 

Se  de  ma  dame  savoie 

Que  fusse  haïs. 
Et  moult  grieve  uns  escondis  ; 
S'aing  assez  mieus  vivre  liez  en  espoir 
10       Qu'estre  dolens  pour  vérité  savoir.  {fol.  68) 


II       Tel  a  le  cuer  lié  et  énamouré 

Et  sert  Amours  de  fin  cuer  et  joli 


IV,  29  confort  —  31  fist  m'amer  adrecier. 

V,  39  tau  —  42  bonté. 

I,  4  m'est  onques  —  10  Que  estrç. 

II,  12  jolis. 


458  A.   JEANROY   ET   A.    LANGFORS 

Q.ue  s'il  savoir  qu'on  l'eûst  refusé, 
Qui  tost  avroit  son  service  guerpi, 
15  Si  istroit  de  bonne  voie 

Et  lairoit  la  plcsant  joie 

Ou  estoit  nourris  ; 
Et  pour  ce  doit  fins  amis 
Servir  de  cuer  et  mètre  en  nonchaloir 
20      Ce^qui  le  puet  et  grever  et  doloir. 

III  Mes  cuers  m'a  moult  hautement  honnoré 
Quant  par  le  gré  d'Amours  il  se  rendi 
A  cors  vaillant  de  dame  d'onnesté, 

Qui  set  et  puet  et  tant  vaut  envers  mi 
25  Que  se  s'amour  li  proie, 

Ce  cui  je  bien  que  ]e  i  fauroie, 

Si  seroit  traïs 
Mes  cuers.  qui  la  c'est  assis 
Dont  ne  se  veult  pour  nul  travail  mouvoir, 
30       Et  je  l'en  vueil  servir  a  mon  pouoir. 

IV  En  ceste  amour  ai  maint  bien  conquesté 
Tant  que  mi  pris  m'en  sont  tuit  enrichi: 
Cuers  et  désirs,  pensers,  car  voulenté 
Ai  que  cil  troi  soient  de  bien  garni  : 

35  Chascuns  au  cuer  se  raloie. 

Et  drois  est  qu'il  les  pourvoie  ; 

Il  leur  a  apris 
Par  hanter  dame  de  pris 
Comment  chascuns  doit  en  annour  manoir 
40       Et  par  le  corps  doit  touz  cilz  biens  paroir. 

V       Dame  gentilz,  ou  tout  bien  sont  doublé, 
Saige,  vaillant,  je  ne  vueil  ne  ne  pri 
Qu'aie  confort  fors  du  tout  a  vo  gré, 
Car  quant  me  sout  li  penser  abeli 

45  Qu'avis  m'est,  ce  les  laissoie 

Un  jour,  je  ne  cuideroie 


II,  15  que  on  —  16  la  pesant  j. —  20  p.  errer  et  doloir. 

III,  22  de  amours  ^  26  Je  cui  je. 

IV,  34  de    bien  manque  —  35    Chascun —  ^9  Le  copiste  a  d'abord  écrit 
amour,  qu'il  a  corrigé  en  annour. 

V,  41   touz  biens  sont  doublés  —  43  Que  aie. 


CHANSONS   INEDITES  459 

Ja  eschaper  vis  :  (/o/.  68  v) 

C'est  ma  joie,  c'est  mes  deliz 
Et  li  confors  qui  me  fait  esmouvoir 
50       A  faire  tant  pour  moi  ramentevoir. 


III 

(Raynaad  1792) 

I       Li  bons  qui  veut  honneur  et  joie  avoir  (Jol.  68  ^>°) 

Il  doit  amer  et  bonne  Amour  servir, 
Car  sans  amer  ne  puet  on  riens  valoir 
Ne  sans  honnour  a  haute  amour  venir  : 
5  D'amer  est  on  net  et  saige 

Et  laist  on  tout  fol  usaîge. 
Et  bonne  Amour  l'amant  service  rent  ; 
Pour  ce  aingje  et  serf  soigneussement, 
Que  bel  sont  li  avûntàlge 

10  Et  courtois  li  paiement. 

11  J'aing  de  lié  cuer  et  d'amoureus  vouloir. 
Onques  d'Amours  je  n'oi  riens  a  souffrir  : 

Elle  ne  fait  nul  vrai  ami  douloir,  {fol.  69) 

De  touz  meschiez  font  si  dous  mal  garir  ; 
1 5  Dont  est  il  faus  qui  langage. 

Q.uant  a  l'amant  fait  mesaige 
D'un  doulz  regart  de  dame  simplémem, 
Que  li  faut  il  pour  vivre  lïemerit  ? 
Ne  doit  douter  nul  servaige  : 
20  Afranchis  est  richement. 

III       Je  désir  moult  tel  mesaige  a  veoir 

Et  mes  cuers  est  engrant  du  conjoïr, 

Et  s'a  le  lieu  propre  pour  recevoir, 

Car  il  n'i  a  pensée  ne  désir 
25  De  folie  ne  d'outraige, 

Ainz  gardent  le  doulz  manaige 

Foi  et  honneur  et  amours  ensement, 


I,  4  amour  manque. 

II,  17  regars. 

III,  22  est  manque. 


4^0  A.    JEANROY    ET   A.    LANGFORS 

• 
Car  on  doit  bien  recevoir  en  lieu  gent 

Tel  jouel  qui  asouage 

50  De  touz  maus  ou  il  se  prent. 

IV       Nulz  ne  le  doit  querre  par  cstouvoir 
Ne  demander,  peu  plairoit  a  sentir, 
Mais  par  Amours,  et  ce  doit  concevoir 
Bones  vertus  pour  l'amant  enrichir, 
35  Dont  celle  ou  j'ai  fet  ouvrage 

A  ses  eux  en  seignouraige. 
Que  d'un  regart  en  enrichiroit  cent . 
Qui  par  son  gré  averoit  tel  présent 
Bien  devroit  tout  son  aaige 
40  Vivre  en  joie  et  en  jouvent. 

V  Dame  sachant  pour  touz  cuers  esmouvoir 
A  faire  honnour  que  on  voit  enrichir, 
Se  je  en  vous  ne  veoie  apparoir 
Samblant  d'amours,  ne  vorroie  haïr 

45  Vo  gent  cors  qui  seignouraige 

A,  qui  me  tient  en  courage 
Ferme  et  loial,  c'est  Amours  qui  consent 
Qu'a  vouz  m'otroy,  si  pouez  franchement 
De  moi,  vostre  héritage, 
50  Faire  tout  vostre  talent. 

VI  Chanchon,  va  t'ent  celle  ramentevoir 
A  qui  je  vous  coument  il  m'est  gehir; 

Son  bon  ami  ne  mette  en  nonchaloir,  {fol.  éy  v°) 

54       Qu'en  la  servant vueil  et  vivre  et  mourir. 


IV 

(Raynaud  1434) 

I       Bien  doi  du  tout  a  Amours  obeïr,  {fol.  6^v°) 

Croire  et  amer,  par  lui  sui  je  en  joie. 


IV,  31   Nulz  nel  —  37  en  manque  —  38  auroit  —  39  tout  manque  —  40 
Vivre  et  jouvent  (sic). 

V,  44  vorroie  je  haïr  —  46  Ai  qui. 

VI,  54  Qu'au  servent. 


CHANSONS    INÉDITES  46 1 

Moult  m'onnoura  quant  en  moi  volt  venir, 
4         Dont  par  mes  ieus  en  fu  prisse  la  voie. 
De  moi  hosteler 
Ne  vint  pas  seulle  a  l'antrer 
Amours,  ainz  ot  de  mesnie 
8  Loiauté  et  Courtoissie, 

Dont  elle  a  parré 
Mon  cuer,  qui  moult  desirré 
1 1  Avoit  ceste  compaignie. 

II       Or  est  venus  mes  cuers  a  haut  désir  (/oZ.  jo) 

Ht  li  corps  tant  a  ce  que  je  voudroie 
Faire  le  gré  par  loiaument  servir 
15       Ma  dame,  en  qui  toute  honnor  monteploie. 
Moult  la  doi  amer, 
Car  par  son  doulz  regarder 
Ai  la  voulenté  nourrie 
19  Qui  me  fait  usser  ma  vie 

En  joliveté 
Et  en  si  grant  loiauté 
22  Qu'onques  n'i  pensai  folie. 

III  Qui  a  bien  tent  a  honneur  doit  venir. 
Et  sagez  est  qui  d'autrui  se  chastoie  : 
Car  il  ne  puet  le  fol  fors  mescheïr, 

26       Et  s'il  pourquiert  que  dame  li  octroie 
Confort  par  guiller, 
Il  ne  puet  riens  savourer  : 
La  n'a  nul  goût  tricherie  : 
30  Mes  cil  qui  loiaument  prie 

A  tant  bonté 
Qu'il  prent  l'escondit  en  gré 
35  Et  touz  jours  espoire  aïe. 

IV  J'aing  et  atant  et  joi  dou  souvenir, 
Et  je  pour  quoi  plus  i  demanderoie  ? 
Je  lais  Amours  bonnement  couvenir  : 

37       Elle  set  tout  et  les  deus  cuers  aloie 
Et  fait  espérer 

I,  10  Son  cuer. 

II,  22  Que  onques. 

III,  24  chasiie  —  29  goût  de. 


462  A.    JEANROY    ET    A.    LÂNGFORS 

Ce  qu'on  ne  puet  achever 
Fors  par  lui  ;  elle  est  partie 

41  De  chascun  qu'a  lui  s'otrie  ; 

Tost  a  conforté 
L'amant,  pour  ce  moult  de  gré 

44  Mes  cuers  a  lui  s'umelie. 

V  Dame  vaillant,  cuers  pour  cuers  asouvir 
De  toute  honneur,  nul  travas  ne  m'anoie 
Qu'aie  pour  vous,  ainz  m'en  seus  enrichir 

48     De  sanz,  d'onneur,  si  que  miens  ne  pourroie 
Mon  jouvent  user 
Pour  haute  honneur  recouvrer 
Qu'estre  eu  vo  douce  baillie  ; 
52  J'a  n'en  ferai  départie, 

Ainsi  l'ay  voué, 
Car  vos  regars  m'a  fievé 
55  De  voulenté  envoissie. 

VI  Dame  de  tous  bien  joie, 
A  vous  sera  envoie 

Ma  chançon,  chanté 
Ai  pour  vous  tout  mon  aé, 
60  N 'encore  ne  m'en  fain  ge  mie. 


(fol.  70  vo) 


V 


(Raynaud  i >  5  6) 

Du  plaissant  mal  savoureus  et  joli, 

Qui  me  maistroie  et  assaut  doucement, 

M'a  par  rnon  gré  bonne  Amour  enrichi, 

En  regardent  le  bel  contenement. 

Le  net  atour  del  doulz  vis,  le  corps  gent 

De  dame  en  cui  touz  biens  s'est  herbergiez  ; 

Pour  ce  sui  je  jolis  et  envoissiez. 


(fol.  72) 


IV,  39  que  on  —  41  chascun  qui  —  43  moult  de  gré  iiiiinque. 

V,  5 1  Que  estre  —  55  euvoissiee. 

VI,-  56  b  comjoie  —  58  chantai  —  60  m'en  manque. 
I,  I  savoureus  jolis  (et  manque)  —  6  herbergié. 


CHANSONS    INÉDITES  463 

IT  Car  li  tresdoulz  pensers  que  j'ai  en  li 
Et  li  gentilz  desirriers  qui  m'esprent 
Me  font  mètre  tout  anui  en  oubli  {fol.  72  t'°) 

I I  Et  d'amoureus  cuer  chanter  lïement, 
Mon  corps  tourjours  tenir  jolïement  ; 
Ensi  sui  je  sanz  estre  travilliez 

14       En  desirrant  :  «  Belle  et  bonne,  avanciez.  » 

III  Je  ne  di  pas  que  je  n'aie  santi 
Aucune  fois  le  mal  bien  asprement, 
Que  bonne  Amour  a  envoie  en  mi, 

18       Et  que  doloir  ne  me  fasce  souvent  ; 

Mes  je  le  sent  si  sauveureusement 

Et  de  si  noble  lieu  m'est  envoiez 
21       Que,  quant  plus  fort  m'asaut,  plus  en  sui  liez  ; 

IV  Si  qu'au  souffrir  n'ai  travail  ne  soussi, 
Ainz  m'i  déduis  sanz  penser  folement. 
Puis  qu'Amours  veut  que  il  me  soit  ainsi, 

25       Je  l'en  lo  et  graci  bien  hautement 

Et  si  la  vueil  servir  entièrement 

Et  faire  adès  ses  bons  commans  proisiez  ; 
28       Ja  ne  me  soit  si  doulz  vouloirs  changiez. 

V  Dame  d'onnour,  ou  tous  bier^  monteplie, 
Saige  et  vaillant  plus  que  je  ne  devis, 
Puis  que  mes  cuers  a  vous  du  tout  s'otrie, 

32       Vueilliez  qu'en  gré  soit  de  vous  recueillis  ; 

Et  se  je  sui  en  noblesce  petis 

Et  en  valour,  et  vous  estez  grant  tant, 
55       Si  serai  je  de  servir  plus  engrant, 

VI  De  cest  mien  chant,  dame,  vous  fais  presant  : 
Pour  vous  le  fis,  retenir  le  vueilliez. 

S'en  vivrai  miex,  ets'ert  bien  emploiez. 


II,  12  tourjour. 

III,  19  sauveureument  —  21  Quar  quant. 

IV,  24  quil  me  —  27  bon. 

V,  3 1  s'otroie  —  33  en  uo  noblesce  — •  35  Si  luaiiquc. 


464  A.  JEANROY  ET  A.  LANGFORS 

VI 

(Raynaud  1898) 

I       Quant  esté  faut  encontre  la  saison  (/b/.  90  1°) 

D'iver  qui  vient,  lors  ai  droite  acoison, 
Si  chanterai  sans  nule  mesprison 
4       D'icele  amour  ou  j'ai  mis  ma  pensée. 
Bien  ait  Amours, 
Ou  pitié  et  douçours 
7  Ai  trouvée. 

II       Amer  m'estuet,  que  ne  m'en  puis  tenir, 
Celle  qui  ja  ne  fera  mon  pleisir. 
Souvent  m'i  fait  sa  biauté  désirer. 

I I  Las  !  que  pensai  ?  Mar  la  vi  onques  née. 

Bien  ait  Amours, 
Ou  pitié  et  douçours 
14  Ai  trouvée. 

III  Par  un  matin  si  me  manda  l'autrier 
Que  je  alaisse  a  li  pour  dosnoier. 

Et  quant  fui  la,  tout  fu  a  commencier. 
18       Moi  fu  avis  s'amours  me  fust  donnée. 

Bien  ait  Amours, 
__  •        Ou  pitié  et  douçours 

21  Ai  trouvée. 

IV  Et  quant  moi  vit  si  forment  couroucier 

Et  de  plourer  durement  eslessiér,  Qoî.-^i') 

Saut  moi  au  col,  tost  fui  releecié; 
25       Pour  l'or  du  mont  ne  me  fust  eschapee. 
Bien  ait  Amours, 
Ou  pitié  et  douçours 
28  Ai  trouvée. 

V  Chançon,  va  t'cnt  a  celle  que  j'aim  tant 
Et  si  li  di  que  je  salu  li  niant  : 

I,   4  D'icclc  amour  ou  j'ai  sans  nul  retour    ma  pensée  —  6  douçour.  Le 
rejrain  nés*-  pas  répété  après  les  autres  couplets. 
III,  iSmefu. 


CHANSONS   INEDITES 


465 


Or  ait  merci  dou  plus  loial  amant 
32       Qui  onques  mais  eust  bone  Amour  trouvée. 
Bien  ait  Amours, 
Ou  pitié  et  doiiçours 
35  Ai  trouvée. 


VII 


(Raynaud  2019) 


I  Pensis,  désirant  d'amours 

{Jol.  ()l  v°) 
L'autrier  mon  chemin  erroie, 
Pour  conforter  mes  dolours 
En  chantant  me  deduisoie. 

5  Si  cuit  bien  que  nulle  joie 
Ne  se  prendroit  a  la  moie  ; 

Nepourquant 
Au  dertner  de  mon  chant 

9  De  cuer  parfont  soupiroie. 

II  Moult  sont  dous  a  remembrer 

Li  souvenir  que  j'avoie. 

Sanz  froit  mi  couvient  trembler 

Et  suer  sanz  chaut  que  j'aie. 
14  Q.u'en  puis  je  se  je  m'esmaie, 

Quant  je  part  de  ma  grant  joie  ? 
Si  dolens 

Sui,  a  poi  ne  per  le  sens  ; 
18  Ne  sai  que  devenir  doie. 


III  Maugré  la  vilainne  gent, 

Que  Diex  dez  membres  contraie, 

Ameroie  loiaument 

Celle  a  qui  mon  cuer  s'otroie. 
23   Sienz  sui  je,  ou  que  je  soie, 

Neja  pour  torment  que  j'aie 
Ne  lairai 

Ne  l'aim  de  fin  cuer  verai  ; 
27  Pechié  fait  se  mi  guerroie. 

IV  Ja  d'Amours  ne  partirai 
Nul  jour  de  ma  vie. 

Ne  vers  li  ne  penserai 

Riens  qui  tourt  a  vilainnie. 
52  Or  pri  a  ma  douce  amie, 

Ou  il  a  tant  courtoisie, 
Qu'ele  m'aint, 

Quar  fine  Amours  mi  destraint, 
36  Qui  mon  cuer  a  em  baillie. 


VIII 
(Raynaud  1895) 

I     Quant  voi  la  douce  saison  Qui  vient  repairant, 

(/o/.  10"]  t/o)  Que  cil  oisel  font  lor  son 


V,    31  \\^txz\  manque . 

III,  23  Sienz  sui  ou  —  26  Ne  l'aimme  du  cuer  verai 

IV,  29  Nul  jour  que  je  soie. 
I,  3  oisel  ont. 

Romania,  XLIV. 


27  se  elle  mi. 


^0 


4^6 


A.    JEANROY    ET   A.    LANGFORS 


Et  vont  haut  chantant 
5   [on] 

[ant] 

Pour  la  belle  qui  mon  cuer  a  ; 

Elle  mi  tient  en  sa  prison  ; 

9  Quant  li  plaira,  si  m'occhirra. 

II  Celle  qui  en  sa  prison 

A  mon  cuer  reclus, 
De  li  nulle  mesprison 
Ne  puet  dire  nulz  : 
14     En  li  a  senz  et  raison, 
Solas  et  déduis, 
S'a  tresgrant  hiauté,  souspris  m'a 
Trop  li  malz  d'amours. .. 
18  Dont  ja  mon  cuer  ne  partira. 

III  Jamais  ne  m'en  partirai 

Tant  con  soie  vis. 
Mais  tous  jors  la  servirai 
Con  loiaus  amis. 
23     Quant  primes  li  resgardai 
La  bouce  et  le  vis. 


Son  doulz  resgart  mon  cuer  embla. 
En  bien  amer  ai  mon  cuer  mis  : 
27  Son  plaisir  la  belle  en  fera. 

IV     Dame  de  tresgrant  biauté, 
Joinctes  mains  vous  pri, 
Pour  Dieu,  quar  aies  pité 
De  vo  fin  ami. 
32     Je  vous  ains  sans  falseté. 
Pour  voir  le  vous  di, 
Ne  ja  ne  m'en  partirai  jour. 
Dame,  con  fins  amans  vous  pri  : 
36  Aligicz  moy  ma  grief  dolour. 

'  V     Dame,  se  prochainnement 

N'ai  de  vous  confort  (Jol.  108) 
Ne  puis  vivre  longuement, 
Ains  sui  a  la  mort. 
41     Belle,  s'ainsi  m'occhïés, 
Ce  sera  a  tort, 
Quar  loyalmcnt  vous  ai  servi. 
En  vous  ai  je  tout  mon  confort  : 
45  Quant  vous  plaira,  j'avrai  merci. 


IX 


II 


(Raynaud  181 5) 

Puis  qu'Amours  m'a  donné  le  beau  savoir 
De  chant  trouver  et  la  douce  ochoison, 
Je  chanterai  d'un  amoureus  voloir 
Joliement,  quar  bien  y  a  raison, 
Et  j'aim  de  cuer,  sanz  nulle  mesproison, 
Dame  loyal,  sage  et  de  bon  renom. 
Pour  qui  je  voeil  chanter  toute  ma  vie 

[i<^]- 

Quar  loyalment   cuer  et  corps  et  voloir 

En  li  servir  ai  mis  en  abandon. 

Ne  ja  n'en  quier  mon  pensé  remouvoir, 


(fol  loS) 


IV,  36  grief  luanqiie. 


CHANSONS    INÉDITES  467 

12       Ainz  servirai  en  bonne  entencion 

Celle  en  qui  a  de  beauté  tel  foison, 

Q.uar  plus  mi  pu  et  donner  de  garison 

Un  douls  resgart  de  li  sanz  vilonnie 
16       Que  d'une  autre  solas  et  compagnie. 

III  Dame  avenans,  deliteuse  a  veoir, 
Se  ja  de  vous  n'a  voie  garredon, 

Si  voeil  je  bien  en  vo  dangier  manoir, 
20       Et  si  m'est  vis,  blasmer  ne  m'en  doit  on,  (Jol.  loS) 

Quar  j'ai  un  bien  si  plaisant  et  si  bon  : 

Le  souvenir  de  vo  douce  fachon  ; 

Quar  se  ja  plus  ne  m'i  faites  d'aïe, 
24       Si  tien  je  bien  ma  painne  a  emploie. 

IV  Nulz  hom  ne  puet  les  biens  d'Amours  avoir 
S'il  a  falz  cuer  et  vilain  et  félon  ; 

Et  fins  amis  doit  en  gré  rechevoir 
28       Painne  et  travail,  quar  douce  nourrechon 

I  resoit  cil 

Et  doit  avoir  en  son  cuer  tel  lechon 

Que  loyautez  n'en  soit  ja  départie  ; 
32       Ainsi  porra  venir  a  signourie. 

V       Se  ma  dame  m'a  mis  en  nonchaloir 

Par  foie  gent,  qui  ja  n'aient  pardon 

Qui  li  ont  dit  autre  chose  que  voir 
36       De  moy,  qui  sui  du  tout  en  sa  prison. 

Mal  m'ont  il  fait,  n'an  ferai  se  miex  non, 

Quar  li  biens  vaint,  n'en  sui  en  soupechon, 

Si  attendrai  con  cilz  qui  s'umelie 
40       Tant  que  pitez  ait,  merci  et  envie. 

X 

(Raynaud  280) 

I  Au  commenchement  du  tamps  Que  li  frois  y  vers  repaire, 

(fol.  126  l'o)  Qu'oisillon  perdent  lor  chans, 

II,  16  que  du. 

III,  18  garredon  a  été  refait  sur  garison  (?) 

IV,  25  le  biens  —  29  Le  vers  est  incoviplet  —  50  Et  dont. 

V,  36  du  uuinque. 


4^8 


A.    JEANROY    ET    A.    LANGFORS 


Adont  ne  mi  voeil  plus  taire 
5  De  bonne  Amour  qui  s'aaire 
Dedens  moy,  s'en  sui  joians  : 
Piech'a  qu'ai  eu  contraire, 
S'ai  esté  mus  et  taisans  ; 
9  Or  mi  couvient  chanson  faire. 

II  Belle  et  bonne  et  avenans, 
En  qui  je  preng  examplaire, 
Je  sui  vostres  bienvoeillans, 
Or  faitez  tant  qu'il  y  paire. 

14  De  legier  porrez  atraire 

Moy  a  vous  par  biax  samblans  : 
Ce  né  vous  coustera  gaire  ; 
Ma  joie  en  sera  plus  grans, 

18  Malgré  félons  de  maie  aire. 

III  Dame,  quant  on  est  poissans 
Bon  fait  courtoisie  faire  : 
Quar  y  soies  entendans, 
Et  ne  vous  doie  desplaire. 

23  J'ai  souvent  oï  retraire 

Que  d'amer  est  honneurs  grans. 

ifol  I2J) 


S'Amours  vostre  cuer  ne  maire, 
Dont  la  perdrés  vostre  tamps  : 
27  Miex  vous  vendroit  porter  haire. 

IV  Aussi  puisse  je  joïr 
D'amours,  dame  :  ce  voldroie 
Que  sceûssiés  mon  désir, 
Mez  dire  ne  l'oseroie. 

32  Se  toute  France  cstoit  moie 
Et  Flandres  a  départir. 
Tant  de  joie  n'averoie, 
Ce  vous  di  je  sanz  mentir, 

36  Con  se  vostre  amour  avoie. 

V  Je  ne  sai  que  devenir. 
Amours  m'apaise  et  guerroie. 
Parler  mi  fait  et  taisir, 
Estre  en  doleur  et  en  joie  : 

41  C'est  jus  de  boute  en  coroie. 
Or  sui  pris,  n'en  puis  issjr 
Se  mercis  ne  m'en  ravoie  ; 
Ce  ne  porroie  souffrir. 

45  


XI 


(Raynaud  481) 

Quant  a  son  vol  a  failli  li  oisiaus. 
Il  monte  en  l'air,  si  s'en  va  essorer, 
Et  en  la  fin  revient  il  bien  a  chiaus 
Qui  le  seulent  au  loirre  rappeller. 
Se  ma  dame  m'a  fait  désespérer, 
Je  m'en  sui  teut,  si  ai  souffert  mez  malz  ; 
Mez  ore  est  bien  saison  de  recouvrer, 
Quar  li  tamps  vient  que  la  rose  est  florie . 


{fol.  12-]) 


{Jol.     12"]  VO) 


I,  2  repaire  manque.  La  lacune  n'est  pas  indiquée  dans  le  ms. 
III,  20  faire  manque. 
V,  42  sui  hors  n'en  p. 


CHANSONS   INÉDITES  469 

II       Amours  loyals  m'a  son  loirre  moustré, 

Et  c'est  la  riens  u  mond  que  plus  désir, 

Et  je  revieng  volentiers  et  de  gré, 
12       Se  madame  mi  daingnoit  retenir; 

Et  je  li  proi  que  li  doinst  souvenir 
'    Con  longuement  j'ai  en  doleur  esté, 

Pour  desservir,  s'il  li  vient  a  plaisir, 
16      Joie,  solas,  amours  et  compagnie, 

III  Douce  dame,  recevez  cest  ver  ci, 
Ou  autrement  trop  ferés  a  blasmer. 

A  joinctes  mains  je  vous  requier  et  pri, 
20       Qu'a  vostre  amour  me  voeil  abandonner  ; 

Q.uar  fins  amans,  qui  de  cuer  veult  amer, 

Ne  doit  penser  a  riens  fors  a  celi 

Qui  de  bon  cuer  s'amour  li  veult  donner, 
24      Pour  le  désir  d'avoir  joie  esbaudie. 

IV  Dame,  merci,  quant  je  sent  lez  doulz  malz 
Que  vo  gent  corps  mi  fait  souvent  sentir, 
Et  si  ne  m'est  ne  painne  ne  travals, 

28       Que  ja  nul  jour  ne  m'en  quier  départir 

De  vous  amer,  honourer  et  servir 

De  tout  mon  cuer,  comme  fins  et  loyals  ; 

Quar  j'aim  trop  miex  en  tristresce  morir 
52       Que  ja  par  moy  soit  bonne  Amour  trahie. 

V       Dame,  jugiez  :  est  il  gentilz  oiseaus 

Qui  de  son  gré  viengne  sanz  rappeller? 

Voir,  il  n'est  nulz,  s'il  n'est  trop  desloyaus, 
36       Qui  ne  l'en  doie  a  tous  jors  miex  amer. 

Douce  dame,  s'il  ne  vous  doit  grever. 

Pour  Dieu,  pensés  se  servicez  est  sais. 

Ou  autrement  il  laira  le  chanter. 
40      Ne  jamez  jour  n'iertsa  chanson  oye. 

XII 
(Raynaud  2102) 

I  Au  tamps  que  muert  la  froidure,  Cil  oisillon  par~nature 

(Jol.  12'j  v°)         Sont  esbaudi  et  joiant, 

Que  cil  pré  sont  verdoiant,  S  Onquez  mes  en  mon  vivant 

{fol.  128)         Ne  me  prist  de  chanter  cure. 


470 


A.   JEANROY   ET   A.    LANGFORS 


Or  m'en  ont  fait  souvenant 
Li  oisillon  par  lor  chant  32 

9  Et  Amours  par  sa  droiture. 

II  Puisqu'Amours  par  sa  droiture 

Mi  semont  de  faire  un  chant,  36 

Bien  est  raisons  et  mesure 

Que  face  dont  son  commant.  V 

14  Ce  sachent  tuit  fin  amant 
Que  folement  l'asseûre 
Qui  fait  contre  le  commant 
Son  signeur  a  esciant  :  41 

18  Bien  dessert  maie  aventure. 

III  De  servir  ne  la  tendroie 
Pour  nulle  riens  en  cest  mond. 

Ne  faire  ne  l'oseroie,  45 

Quar  mez  fins  cuers  m'en  semont, 

23  A  la  plus  belle  du  mond,  VI 

De  qui  mez  cuers  attent  joie; 
Mez  se  le  mal  ne  deffent 
Pour  quoi  ma  coulour  descent, 

27  J'ai  failli  a  ceste  voie.  50 

IV  Las  !  se  failli  y  avoie, 

Ja  ne  vous  en  quier  mentir  : 

Je  ne  sai  se  j'en  morroie,  54 


Mays  seûrs  sui  de  languir  ; 
Quar  nuls  homs  n'est  en  désir, 
Qui  au  cuer  puist  avoir  joie, 
Jusqu'à  tant  qu'il  puist  venir 
A  son  voloir  acomplir 
De  ce  qui  son  cuer  mestroie. 

Merci  vous  pri,  douce  amie,. 

Que  ne  m'i  laissiez  morir. 
Vostre  oeil  m'i  toldront  la  vie 
Qui  me  sont  venu  ferir 
Et  je  ne  me  sai  couvrir  : 
Il  scevent  trop  d'escremie  ; 
Devant  eulz  ne  puis  fuïr, 

(fol.  12S  v°) 
Ains  m'i  couvendra  périr 
Se  merci  ne  vous  em  prie. 

Belle,  de  bonté  garnie, 
Quar  rechevés  ma  chanson, 
De  li  et  de  moy,  amie, 
Vous  fas  et  présent  et  don. 
Si  me  face  Diex  pardon. 
Je  ne  vous  trahirai  mie. 
Pour  Dieu,  rechevez  le  don 
De  ma  première  chanson. 
Et  mov  ne  refusés  mie. 


XIII 

(Raynaud  1 5 1 1  ) 


I  Nulz  ne  doit  estre  alentis 

{fol.  I]2) 
De  servir  Amour, 
Ne  ja,  tant  com  iere  vis, 
Ne  lerai  nul  jour, 
5   Quar  Amours  le  me  deflfent. 
Qui  m'endoctrine  et  aprent 
D'estre  fins  loyauz  amis 
De  cuer  toudis, 
9  Entièrement. 


II  Miex  ains  c'onques  mais  ne  fis 
Et  de  cuer  grignour 
Sage  dame  de  grant  pris 
Et  de  noble  atour, 
14  A  tresbel  contenement. 

Et  puisqu'Amours  le  consent, 
Je  n'en  doi  estre  repris 
Se  je  sui  pris 
18  Parfaitement. 


I,  2  amours. 


CHANSONS   INÉDITES 


471 


III  Com  plus  aim,  plussui  espris 

D'amer  sans  folour 
Celi  en  qui  j'ai  tout  mis 
Mon  cuer  sans  retour, 
2?  D'amoureus  aspre  talent, 

S'ai  droit,  quar  plus  noblement 
Ne  puet  niez  cuers  estre  assiz, 
A  mon  avis, 
27  Qu'a  son  corps  gent. 

IV  Et  se  ja  ne  m'est  meris 

En  nulle  douchour 
Li  doulz  guerredons  jolis 

De  plaisant  savour 
52  Dont  Amours  fait  paiement, 
Ne  requerrai  je  noient 


D'Amour,  quar  je  sui  tous  fis 
Qu'il  est  honnis 
55  Qui  s'en  repent. 

V  Tresbonne  dame  a  devis, 
Plainne  devalour, 
Frans  cuers  courtois,  bien  apris, 
Acesmez  d'onnour, 
40  Si  con  vous  aim  loyaument 
De  cuer  souverainnement, 
Soie  je  de  vous  oïs 
Et  con  j  oïs 
44  Neis  autrement. 

VI  Dame,  par  vous  est  furnis 
Cilz  chans  et  dis  : 
Vous  le  présent. 


II 


14 


18 


XIV 

(Raynaud  282) 

Aucun  dient  que  poins  et  lieus  et  tamps 

Soit  une  heure  envers  jone  autri(?)  d'amer. 

Je  n'en  sai  nient,  quar  adès  est  si  grans 

Li  malz  plaisans  a  moi  a  endurer 

Que  n'ai  loisir  d'el  faire  fors  penser 

A  la  belle  qui  biautés  paire .  .  . 

D'une  coulour  com  rose  enluminée 

Et  d'unsvairs  iolz  en  amour  menachans 

Dont  elle  est  a  la  foiee  esgardee. 

Au  sourveoir  est  sa  biautez  plaisans 
Et  au  veoir  ne  le  puet  nulz  esmer. 
Bien  doi  par  droit  estre  liés  et  joians 
Etdesseur  tout  bonne  Amour  honnourer 
Quant  ains  daigna  le  mien  cuer  assener 
En  itel  lieu  que,  s'amour  fust  quassee 
Et  ne  peùst  nul  lieu  estre  trouvée, 
S'i  fust  elle  par  lez  tresdoulz  samblans 
De  ma  dame  par  tout  droit  restoree. 


{fol.  1^2  v°) 
{fol.   IJJ) 


VI,  46  et  cilz  dis. 

I,  6  Vers  trop  court  ;  il  faudrait  nue  ri)iu'  en  ee 


7  enlumine  —  9  a  la  fois. 


472  A.   JEANROY    ET   A.    LANGFORS 

III  Tout  autressi  con  solaus  cler  luisans 
Fait  par  ses  rais  le  tamps  et  bel  et  cler, 
Fait  ma  dame  par  ses  rais  pourfitans 
Qui  en  li  font  mon  cuer  enluminer 

23       De  toutes  meurs  pour  cuer  bien  doctriner. 

Li  uns  dez  rais  dont  ma  dame  est  doee, 

C'est  simplesce,  qui  moult  forment  m'agrée,      (Jol.  i }j  v°) 

Humilités  est  avoec  repairans, 
27      Sens  est  avoec,  s'est  de  valour  doublée. 

IV  Encor  y  est  uns  rais  des  plus  poissans, 
Mez  sa  clarté  ne  puet  seur  moy  jeter, 
Quar  souvent  est  une  nue  apparans 
Qui  ne  li  laist  de  sa  vertu  ouvrer  : 

32       Li  tresdoulz  rais  que  je  ne  puis  trouver 

Ce  est  mercis,  que  moult  ai  desirree, 

Et  li  esters  de  celé  orbe  nuée 

Ce  sont  li  dit  dez  félons  mesdisans, 
36       Par  qui  Amours  est  souvent  destourbee. 

V  Ne  ja  pour  ce,  dame,  n'iere  changans 
De  vo  voloir  acomplir  et  gréer. 

En  ce  m'affi  c'uns  espoirs  delitans 

Me  fait  cuidier  que  tost  porra  quasser 
41       La  nuée,  s'Amours  s'en  veult  nieller; 

Pitiez  en  lieu  d'une  douce  rousee. 

Hé  !  bonne  Amour,  s'ainc  ne  me  fu  vehee. 

Mes  cuers  qui  est  a  verdure  faillans 
45       Fust  arrousez  d'une  joie  esmeree. 

VI  S'au  pui  d'Amours  fust  retenus  mez  chans 
Conquis  avroie  eûreuse  soldée. 

XV 

(Raynaud  338) 

Aucune  gent  vont  disant  Et  de  ma  dame  ensemant  ; 

{fol.  ij]  v°)  Dont  je  chant  de  sentemant, 

Que  je  ne  chant  fors  par  us,  (Jol-  iS4) 

Mez  ne  pert  mie  a  mon  chant  Ne  uulz  ne  porroit 

4  Qu'il  ne  soit  d'amours  venus  8  Lié  chant  faire  s'il  n'amoit. 


CHANSONS    INEDITES 


473 


II  Un  mal  sent  doulz  et  plaisant 
Et  s'est  plus  ardans  que  fus, 
Et  tant  le  truis  souffissant 

12  Qu'il  m'est  contre  griés  escus, 
Et  plus  continuelment 
Me  demainne  en  tel  jouvent 
Que  nulz  ne  croiroit 

i6  Que  c'est,  s'il  ne  le  sentoit. 

III  Tel  mal  sont  si  délitant 

Que  plaindre  ne  s'en  doit  nus, 

Et  en  cuer  sipourfitant 
20  Qu'il  muet  vicez  en  vertus. 

Bien  y  pert  a  moult  de  gent  : 

N'est  si  nicez,  s'il  lez  prent 
Que  jolis  ne  soit  ; 
24  Trop  est  folz  qui  ce  ne  croit. 

IV  Puis  que  malz  d'amours  valt  tant, 
J'ai  droit  que  m'i  sui  rendus 


De  fin  cuer  obéissant 
28  Pour  miex  venir  au  sorplus, 

Que  je  désir  loyalment  ; 

Ne  je  ne  sai  nullement 
Comment  on  déchoit 
32  Celi  que  on  aimme  a  droit. 

V  Ma  dame  a  fait  un  commant 
Seur  moy  qui  ja  n'iert  tenus  : 
C'est  que  voise  entrelaissant 

56  Ce  pour  quoi  sui  retenus 
De  son  doulz  viaire  gent, 
Et  li  biens  que  niez  cuers  prent 
De  li  pourveoir, 

40  Je  ne  sai  qui  ce  lairoit. 

VI  De  ma  chanson  fai  présent 
A  ma  dame  qui  s'entent 

Et  bien  scet  et  voit 
44  Qu'a  li  n'ai  nul  fol  couvoit. 


XVI 


II 


14 


(Raynaud  1542) 

Ce  que  je  sui  de  bonne  amour  espris 
M'est  achoisons  de  chanter  lïement, 
Et  li  resgars  du  doulz  amoureus  vis 
Ma  dame,  a  qui  je  sui  tout  ligement, 
Le  fiiit  aussi,  quar  en  son  tenement 

A  du  cuer  qui  miens  fu  ja 

Le  piour  ;  si  l'em  porta 
Li  doulz  resgars  qui  de  sez  iolz  fu  fais  ; 
Si  l'en  merci,  quar  moult  fu  doulz  li  trais. 

Pour  ce  chant  je  amoureus  et  jolis 
Et  preng  en  gré  tout  debonnairement 
Ce  qu'Amours  plest,  qui  mon  cuer  a  assis 
En  si  haut  lieu  que  tel  contenement 
De  li  veoir  sont  tout  fol  errement 


{fol  134  v°) 
(fol.  /;;) 


IV,  27  obeissans. 


474  A.    JEANROY    ET    A.    LANGFORS 

Laissié  :  si  grant  biautc  a 
Que  lues  c'on  choisie  l'a 
A  il  guerpi  trestous  lez  vices  lais 
i8       Qui  en  amour  pueentestre  malvais. 

III  Servir  la  voeil  se  j'estoie  tous  fis 
Que  ja  de  li  n'eusse  aligement, 

Quar  loyautés,  dont  je  me  sent  garnis, 
Et  bons  espoirs  me  dient  vraiement 
25       Que  li  cuers  est  pour  mon  avancement 
Alez  la  ou  l'envoia 
Amours,  qui  le  commanda 
Au  doulz  resgart  dont  li  amoureus  rais 
27       Fu  messagiers  quant  li  cuers  en  fu  trais. 

IV  En  moult  doulz  lieu  fu  cilz  resgars  cueillis  {Jol.  i^j  vo) 
Qui  descendi  en  moy  si  doucement 

Prendre  le  cuer,  si  c'onques  malz  sentis 
N'en  fu  du  corps,  mez  amours  proprement 
32       Le  conduisoit  et  par  l'ensengnement 
D'amours  li  resgars  ouvra 
Et  li  cuers  s'i  adonna. 
Moult  volentiers,  doucement  et  em  pais 
36       A  son  pooir,  sanz  revenir  jamais. 

V  Dame  gentilz,  corps  sage,  bien  apris, 
Puisqu'ainsi  est  que  bonne  Amour  consent 
Que  li  corps  soit  du  pooir  dessaisis 

Du  cuer  qui  est  a  son  commandement, 
41       Voeilliés  le  corps  retenir,  par  couvent 
Qu'en  vo  merci  attendra 
Confort  et  adès  sera 
Plus  volentiex  de  bien  servir  entais, 
45       Ce  sace  Amours,  que  ne  fu  onques  mais. 

VI  Chanson  faite  d'amoureus  escient, 

De  par  mov  te  couvendra 
Râler  la  dont  on  trait  t'a  : 
A  ma  dame  :  c'est  li  examplez  vrais 
50       Pour  qui  je  chant  fins  amoureus  et  gais. 


CHANSONS    INEDITES  475 

XVII        ' 
(Raynaud  896) 

I       Moult  me  merveil  comment  on  puet  trouver    {fol.  i^j  v°) 
En  amour  ma! âge. 
En  amour  n'a  fors  douchour  sans  amer. 
Par  vrai  tesmoingnage, 
5  Sont  appert  mentant 

Cil  qui  dient  en  chantant 
Qu'il  en  ont  contraire. 
Se  bonne  Amour  ne  fust  si  debonaire,  (fol.  i}6) 

9      De  tous  sez  biens  lez  feroitdesnuer. 

II       Aucun  dient  qu'Amours  lor  fait  embler 
Lor  cuers,  par  hausage, 
Par  iolz,  par  vis,  par  biauté  remirer. 
Il  dient  folage, 
14  Quar  ne  sai  vivant 

Corps  sanz  cuer,  mez  cuer  joiant 
Sont  qui  amers  maire, 
Et  Amours  fait  lez  doulz  pensers  hors  traire 
18       De  cuer  d'amant  et  a  dame  hosteler. 

III  Amours  me  fait  si  hautement  amer 

Par  son  signourage 
Que  bien  le  doi  servir  et  honnourer. 
Tresbel  avantage 
23  M'a  fait  et  si  grant 

Que  j'aim  dame  si  vaillant 
Et  de  tel  affaire 
C'on  ne  porroit  mal  sentir  ne  mal  traire 
27       Tant  c'on  le  peust  oïr  ne  esgarder. 

IV  Quant  premiers  vi  ma  dame,  qui  locr 

Doivent  tuit  bon  sage 
Pour  sa  biauté,  c'on  ne  porroit  nombrer, 
J'en  muai  corage 
32  Et  fui  lues  errant 

I,  4  Au  lieu  de  vrai,  le  lus.  a  Vahrèvialion  de  vostre. 
III,  23  et  est  répété. 


47^  A.    JEANROY    ET      A.    LANGFORS 

Pris  par  un  resgart  lanchant 
Q.u'Amours  me  fîst  traire, 
Si  mut  des  iolz  ma  dame  au  cler  viaire  ; 
36       Aine  puis  ne  peus  ailleurs  qu'a  li  penser. 

V  Gentilz  dame,  pour  cuer  d'amant  douter 

En  tout  bon  usage 
N'oseroie  plus  grant  don  demander 
En  tout  mon  eage 
.41  Que  seulement  tant 

Que  eussiés  cuer  congnoissant 
Comment  sans  retraire 
Vouz  aim,  dame  en  qui  tous  biens  repaire. 
45       Merci,  Amours,  faites  l'ent  apenser. 

VI  Présenter  mon  chant 
Voeil  a  ma  dame  avenant 

Qui  le  m'a  fait  faire. 
En  li  ai  pris  le  sens  et  l'examplaire  ; 
50      Or  doint  Amours  que  le  voeille  chanter. 

XVIII 
(Raynaud  721) 

I       Moult  scet  Amours  très  savoureusement  {/ol.  1^6  r») 

Faire  sentir  vrai  ami  sa  poissanche  : 
Qui  plus  le  sent,  et  mains  a  degrevance. 
Ensi  avance  bonne  Amours  doucement 

5  Tous  les  siens  de  sa  venue, 

S'est  folz  qui  ne  s'esvertue 
De  li  servir,  quar  elle  puet  donner 
Plus  de  tous  biens  que  cuers  ne  puet  penser, 

9  Et  d'onnourance. 

II       Pour  ce  le  serf  de  cuer  si  finement 

Que  niez  cuers  n'a  onques  nulle  beanche 

Fors  de  bonté  faire,  quar  espérance 

De  joie  avoir  si  amoureusement 
14  A  en  mon  cuer  soustenue 

Et  tout  adès  est  creûe 

En  moy,  s'ai  tant  de  bien  en  l'espérer 

II,  16  si  ai. 


CHANSONS    INEDITES 


477 


Que  moy  samble  joïr  du  desirrer 
i8  Et  alejance. 

III  Pour  ce  chant  je  de  cuer  plus  lïement 
Qu'aine  mais  ne  fis,  et  sui  en  la  souffrance 
Dame  en  qui  sens,  courtoisie  et  vaillance 
Sont  et  biautez  misez  parfaitement, 

23  Et  s'ai  la  douchour  congneue 

D'Amours  qui  lez  siens  ayue, 
Si  com  moy  fist,  quant  premiers  enamer 
Me  fist  dame  qui  n'a  el  monde  per 

27  De  sa  vaillance. 

IV  A  mon  avis,  Amours,  si  vraiement 
Que  jedi  voir  ne  c'onques  n'oi  beance 
Fors  de  son  bon  faire  sans  dechevance, 
Si  vouUiez  vouz  consentir  seulement 

32  Que  ne  me  soit  retollue 

La  joie  que  j'ai  eue 
De  son  gent  corps  servir  et  foy  porter, 
Et  servirai  tant  com  porrai  durer 

36  Sanz  oubliance. 

V       Gent  corps  vaillans,  loés  de  toute  gent, 

Corps  amoureus,  en  qui  toute  habundance 
Maint  et  valours,  sans  faire  desplaisance, 
Vo  grans  biautés,  qui  seur  toutes  resplent, 

41  Doucement  mon  cuer  argue 

Que  soit  a  vous  despondue 
Ma  grevance,  et  se  vous  escouter 
Volez  mon  chaut,  riens  ne  mi  puet  grever, 

45  C'est  ma  créance. 


{Jol.  131) 


XIX 

(Raynaud  655) 

Amours  m'assaut  doucement, 
Dont  bon  gré  l'en  sai, 

Quar  si  amoureusement 
Sent  lez  malz  que  j'ai 


(M  i;7) 


V,  44  ne  manque. 


478  A.    JEANROY    ET    A.    LANGFORS 

5  Que  je  ne  vaurroie  mie, 

Qui  que  le  tiengne  a  folie, 
Estre  senuec  qu'a  son  tresdoulz  voloir 

Ne  fusse  adès,  quar  nulz  ne  puet  valoir  {fol.  i^j  ■v°') 

Sans  dame  et  Amours  servir; 

10  Pour  ce  m'i  voeil  obeïr. 

11  Je  le  sai  tout  vraiement, 

Bien  esprouvé  l'ai, 
Quar  quant  je  premièrement 
Ma  dame  esgardai 
15  N'avoie  en  toute  ma  vie 

Fait  chant  ne  chanson  furnie  ; 
Mèz  lors  me  fist  bonne  Amours  esmouvoir, 
Qui  m'en  donna  le  sens  et  le  savoir 
Et  fist  mon  cuer  enrichir 
20  De  biens  et  de  tous  malz  haïr. 

III  Pour  si  doulz  ensengnement 

Ja  ne  requerrai 
D'amer  de  cuer  loyaument, 
Tant  con  je  vivrai, 
25  Ma  gentilz  dame  jolie. 

Il  n'a  el  mond  miex  norrie 
De  sens,  de  bien,  d'onnesté,  de  savoir  ; 
Pour  ce  le  serf  de  cuer  sans  dechcvoir. 
Que  miex  aim  le  souvenir 
50  De  li  que  d'autre  joir. 

IV  Quar  quant  je  plus  asprement 

Sent  les  mais  dont  ai 
D'endurer  cuer  et  talent. 


35  Quar  un  doulz  espoir  m'affie 

Qui  que  bien  sert  sans  boidie 
Loyal  amour  sans  faindre  et  sans  mouvoir 
Et  le  travail  ne  met  en  nonchaloir, 
Qu'a  cent  doubles  puet  merir 
40  Plus  c'on  ne  puist  desservir. 

V  Dame  en  qui  biautez  resplent 

Plus  que  rose  en  mai, 
Retenés  moy  ligement 


CHANSONS    INEDITES 

Pour  mettre  a  Tassai, 
45  Avoec  mon  cuer  qui  s'ottrie 

A  vous,  voeilliez  de  mesnie 
Moy  et  mon  cuer,  s'il  vous  plaist,  rechevoir 
Pour  vouz  servir,  et  se  je  ne  di  voir 
Si  me  voeilie  Amours  nuisir 
50  Qu'a  sez  biens  puisse  faillir. 


479 


VI       Chanson,  je  ne  sai  ou  miex  avoïe 
Fusses  qu'en  la  compagnie 
Ma  dame  pour  esjoïr 
54  Moy,  se  te  veult  retenir. 


{fol.  is8) 


XX 


(Raynaud  1348) 


II 


14 


18 


Dedens  mon  cuer  s'est,  n'a  gaires,  tichiés  (fol.  1^8) 

Uns  plaisans  mais  que  pas  avoir  ne  sueil. 

Aine  mais  n'oi  mal  dont  ne  fusse  empiriés 

Forques  cestui,  que  touz  jours  avoir  voeil. 

Bien  croi  qu'Amours  l'ait  en  mov  fait  venir. 

Qu'aine  puis  que  l'eus  ne  poi  chose  veïr 

Qui  me  grevast  :  nulle  riens  ne  m'anoie, 

Quar  pour  riens  nulle  empirier  ne  porroie 

Tant  comme  Amours  le  face  en  moy  venir. 

Treshaulte  Amours,  qui  tous  malz  aligiés. 

De  nulle  riens  en  mon  cuer  ne  me  dueil 

Forques  de  ce  que  piecha  entechiés  {fol.  i^S  v°) 

Xe  sui  du  mal,  qu'aine  ne  virent  mi  oeil 

Chose  dont  tant  me  deùsse  esjoïr, 

Quar  il  me  fait  toute  chose  haïr 

Que  gentilz  cuers  humbles  het  et  renoie. 

Bons  est  li  malz  qui  médecine  envoie  : 

Moult  le  doit  on  en  bon  gré  recueillir. 


III       Quar  pour  ce  mal  est  tous  orguiex  plaissiés 
Et  toute  humilité  mise  en  escueil. 


V,  50  puisse  je 

VI,  52  fusse. 


480  .  A.    JEANROY    ET    A.    LANGFOKS 

Ne  nulz  ne  puet  estre  tant  avanchiés 
Qu'est  cilz  qui  sent  le  mal  qui  het  orgueil. 
23       Bien  ait  Amours  qui  le  me  fait  sentir, 

Quar  moult  me  fait  de  grant  joie  enrichir. 
Or  doinst  Amours,  qui  m'a  mis  en  la  voie 
De  li  servir,  que  l'eûreus  jour  voie 
27         Que  ma  dame  me  preude  en  li  servir. 

IV         De  bonne  heure  vi  le  jour  qu'envoies 
Me  fu  cilz  malz  que  si  en  gré  recueil, 
Quar  clers,  tant  soit  bien  d'escrire  ensegniés 
Ne  de  parler,  ne  savroit  mettre  en  fueil 

32       Le  bien  qu'a  cilz  qui  Amours  fait  souffrir 
Son  plaisant  mal  ;  dame  que  je  désir 
Et  aimme  et  criem,  se  par  servir  pooie 
Tant  desservir  que  vostre  amours  fust  moie, 

36       Nulz  ne  porroit  a  ma  joie  avenir. 

V  Dame,  en  qui  touz  biens  s'est  herbergiez, 
Amours,  vaillans,  sage  et  de  bel  acueil, 
Il  m'est  avis  que  nuls  honi  n'est  si  liés 
Que  je  sui  quant  par  dedens  moy  concueil 

41       Vo  grant  biauté  qu'Amours  par  son  plaisir 
Espandue  a  en  mon  cuer  par  désir, 
Fleurs  de  bonté,  et  puis  qu'Amours  m'ottroie 
A  vous  servir,  vocilliez  souffrir  que  soie 

45       Vos  sers,  se  plus  ne  me  volés  morir. 

V  Dame,  pour  vous  m'a  fait  Amours  furnir 
Geste  chanson,  que  faire  ne  savoie 

Ne  chant  ne  dit  quant  je  ne  vous  amoie.  {fol.  ij^) 

49       A  vous  l'envoi,  dame,  voeilliez  le  oïr. 


XXI 
(Raynaud  1948) 

1  Je  sent  le  doulz  mal  d'amours  Or  prol  ma  dame  d'onnour 

(fol.  i^p)  Qu'ele  m'aide  a  furnir 

Qui  m'est  venus  assaillir.  5  Un  chant  que  commenchié  ai, 

IV,  32  que  cilz. 

I,  4  m'aident. 


I 


CHANSONS    INEDITES 


481 


Quar  onqufs  mais  ne  chantai 
Au  pui  d'amours,  ce  m'est  vis  : 
Se  ses  doulz  amoureus  vis 
Rians  m'en  voloit  aidier, 
10  Miex  vaurroie  au  commenchier. 

II  Dame  plainne  de  valour, 
Voeille  vous  ent  souvenir 
De  moy  qu'adès  nuit  et  jour 
Faites  de  désir  frémir, 

15  Ne  nulle  pensée  n'ai 

Fors  a  vouz,  ne  ja  n'avrai  : 
Tant  com  porrai  estre  vis 
Serai  je  vostre  sougis 
De  loyal  cuer  et  entier  ; 

20  Miex  ne  me  sai  acointier. 

III  Quar  quant  remir  vo  coulour 
Par  dessus  le  blanc  rougir, 
Lors  ne  sent  nulle  dolour 
Quant  le  resgart  a  loisir  ; 

25  Mez    quant    m'en  part   je    di    : 
[«  Ai  !  »  (Jol.  I J9  v°) 
Du  mal  savoureus  que  trai. 
Dont  sui  doucement  espris, 
Si  n'en  doi  estre  repris, 
Se  je  vous  aim  sans  changier  ; 


30  Amours  m'a  mis  ou  sentier. 


IV  Li  sentiers  est  de  douchour  ; 
Nulz  n'i  puet  voie  tenir 
S'il  ne  se  met  sans  retour 
En  amour  pour  tout  souflfrir, 

35  Bien  et  mal,  sanz  nul  essai; 
Quar  de  vérité  bien  sai. 
Qui  en  veult  estre  saisis 
De  sa  dame,  il  en  valt  pis  : 
Loyalment,  au  droit  jugier, 

40  Amours  l'en  doit  eslongier. 

V  Dame,  cuer  vain  sent  vigour 
Puis  que  vouz  voet  obeïr, 
A  vous  requier  tel  atour 
Qu'a  vouz  ne  doie  faillir. 
45  Cilz  qui  aimme  de  cuer  vrai 
N'oseroit  faire  l'atrai 
De  li  rouver  sez  pourfis, 
Et  s'il  lez  a,  je  sui  fis, 
Cure  n'avra  d'essauchier 

SO  Amours  ne  nul  desirrier. 

VI  Dame,  a  vous  sera  tramis 
Cilz  chanz  sans  targier; 
Nel  sai  ailleurs  envoler. 


8 


XXII 

(Raynaud  1049) 

Liés  et  loiaus,  amoureus  et  jolis 
Et  chantans  sui  :  tout  ce  me  vient  d'Amours, 
Quar  elle  maint  en  moy  par  estre  amis 
A  dame  en  qui  mainnent  toutez  honnours  ; 

Ce  m'est  avis. 
Par  bonne  Amour  et  mes  lus  j'en  sui  fis  ; 
A  moy  en  ont  aporté  tesmoingnage, 
Bien  les  en  croi,  de  tant  me  tieng  a  sage. 


(/b/.  i}^  yo) 


V,  42  voeille. 

VI,  52  Vers  trop  court. 

Romania,  XLIV, 


4^2  A.    JEANROy    ET   A.    LANGFORS 

II       De  croire  Amours  et  mes  iolz  ai  apris 
Sens,  dont  serai  fins  amis  a  tous  jours 
A  ma  dame,  soie  amés  ou  haïs  : 
12       S'amez  ne  sui,  espoir  est  mez  retours, 
N'il  n'est  delis 
Forqu'amis  qu'en  espoir  n'aie  pris 
Et  par  celui  espérer,  sans  folage, 
i6       Ai  dez  autrez  delis  tout  l'avantage. 

III  S'espoir  n'estoit,  je  seroie  mendis 

De  trestous  biens  et  touz  plains  de  dolours, 

Quar  j'aim  dame  qu'aine  meffaiz  ne  mesdis 
20       N'abellissent,  ains  dist  que  sont  folours. 
Et  je,  chetis, 

De  ce  que  l'aim  n'en  sui  mes  enrichis  ; 

Et  s'ainsi  sui  j'ai  pris  a  héritage 
24       Chetiveté,  pour  manoir  mon  aagc. 

IV  Dame  qui  j'aim,  corps  en  tous  biens  nourris, 
Noble  et  gentilz,  la  millour  des  millours. 

Ce  poise  moy  que  d'amours  va  li  cris 
28       Conques  a  moy  feïstez  fors  douceurs  ; 
Mes  si  souspris 
•  Sui  quant  me  voi  de  vo  bouce  escondis 

Qu'aucun  dient  que  j'ai  d'amours  la  rage. 
32       Dame,  merci,  tollez  moy  cest  usage. 

V       Je  sui  d'Amours  doucement  assailliz, 
Mez  moult  espoir,  dame,  vostre  secours, 
Pour  quoi  je  sui  amoureus  et  hardis 
56       Pour  endurer  lïement  lez  estours 
Tant  qu'ère  vis  ; 
Et  s' Amours  veult  qu'ainsi  soie  toudis,  (Jol.  140  v°) 

Je  paierai  le  plus  joli  musage 
40      Conques  mays  fust  paiez,  et  sanz  dommage. 

VI       On  doit  paier  ben  quant  on  l'a  promis  : 
A  mon  pooir  primez  m'aquiterai 
De: cest  chant  ci,  vous  en  avés  mon  gage. 

II,  14  Le  lus.  a  forquamis  (qua  en  abrégé),  ce  qui  fait  le  vers  trop  court  d'une 
syllabe. 

IV,  28  fors  du  corps. 
\'l,  41  En. 


CHANSONS    INÉDITES  483 

XXIII 
(Rajmaud  638) 

I  Pris  fui  amoureusement  {fol.  140  v°) 

Quant  premiers  ma  dame  vi 
D'un  resgart  qui  doucement 
De  ses  vairs  iols  descendi 
5  Seur  moy  et  je  les  soufFri 

Debonnairement  ; 
A  li  me  rendi 
Lues  que  l'eus  choisie. 
La  commencha  mez  cuers  la  douce  vie 

10  De  bien  amer,  ains  puis  ne  s'em  parti. 

11  De  ce  merci  hautement 
Amours,  qui  le  consenti 
Que  d'un  resgart  seulement 
Sa  douce  vertu  senti 

15  Si  par  sa  poissance  en  mi 

Qu'aine  puis  n'eus  talent 
Forques  d'estre  a  li. 
Ne  m'en  repens  mie 
Que  ja  mes  cuers  puist  une  tel  folie  {fol.  141) 

.  20       Penser  :  miex  voeil  morir  en  foy  d'ami. 

III  Se  voloie  falsement 
Servir  Amours  et  celi 

Que  j'aim  de  cuer  loyalment, 
As  biens  avroie  failli 
25  Dont  tout  cil  sont  enrichi 

Qui  sont  vraiement 
A  Amours  sougi  : 
N'ai  tel  départie, 
■     Qu'en  loyauté  mcz  cuers_se  glorifie 
30       Et  niez  déduis  en  espérant  merci. 

IV  Tresdont  que  premièrement 
Ma  douce  dame  choisi, 

II,  18  Ne  je  ne  m'en  r.  m.  —  19  puist  telle  folie  —  20  d'amie. 

III,  21  Je  V.  —  28  Se  n'ai  tel  départir. 


484  A.    JEANROY    ET    A.    LANGFORS 

Si  très  savoureusement 
Sa  grans  biautés  me  saisi 
3  5  Qu'aine  puis  ne  mis  en  oubli 

Son  viaire  gent, 
Ou  l'amour  cueilli 
Qu'en  moy  est  florie' 
Por  desirrier  que  j'ai  sans  vilonnie 
40       De  li  servir,  et  tous  jours  m'iert  ensi. 

V  Ne  ja  ne  m'iert  autrement, 

Quar  tant  me  sont  abelli. 
Dame,  vo  contcnement 
Plaisant,  amoureus,  joli, 
45  Que  de  cuer  vous  aim  et  pri. 

De  vrai  sentement 
En  requier  merci, 
Dame  :  a  ceste  fie 
Soit  en  pité  ceste  chanson  oïe, 
50       Dame,  de  vouz,  si  m'avrés  resjoï. 

XXIV 
(Raynaud    1997) 

I       Onques  n'amai  plus  loyalmcnt  nul  jour  (Jol.  141) 

Com  ore  fas,  si  me  doinst  Amours  joie, 

Et  c'est  raisons,  que  j'en  sai  miex  le  tour 
4      Que  quant  Amours  me  mist  premiers  en  voie,  (Jol.  141  t'o) 
Si  me  doinst  paroir, 

Et  si  fait  il  qu'Amours  m'a  fait  valoir, 

S'en  chanterai  adès  plus  lïement 
8       Pour  ma  dame  qui  moult  a  le  corps  gent. 

11  Li  homs  n'aimnie  mie  qui  n'a  paour 
De  courouchicr  celi  qu'il  aimme  et  prie, 
Quar  puis  qu'il  aimme  elle  est  de  tel  valour 

12  Qu'elle  vault  miex  que  nulle  que  il  voie, 

Selonc  son  espoir, 
Et  celle  fait  a  servir  esmouvoir 


V  Au  lieu  du  v.  ^S,  le  ms.  en  a  deux  :  S'ainc  dame  senti.  Bonne  amour  a 
ceste  fie. 

I,  2  fas  fai  si  —  8  Z,e  ms.  a  V abréviation  de  Paf. 


CHANSONS   INÉDITES         ,  485 

Pour  conquester  le  noble  paiement 
16      Dont  Amours  donne  le  guerredonnement. 

III  Pour  recouvrer  la  hautesce  et  l'onnour 
Du  guerredon  que  bonne  Amours  ottroie 
A  son  servant  qui  le  sert  sanz  folour 

20      Aim  je  eufoy  ma  dame,  ou  que  je  soie, 
De  tout  mon  pooir, 

Si  voeille  Amours  mon  servir  recevoir 

En  gré  con  j'aim  ma  dame  loyalment 
24       Pour  faire  tout  le  sien  avancement. 

IV  De  ce  sui  liez  et  s'en  aim  miex  Amour 
Conques  ne  fui  ne  estre  ne  vaurroie 
En  lieu  ou  dame  eûst  ja  déshonneur, 

28       Q.uar  del  honnour  ma  dame  vient  la  moie, 
Ce  sai  je  de  voir 

Que  nulz  ne  puet  sans  deshonnour  savoir 

Ne  nulz  ne^  set  valoir  parfaitement 
32       S'Amours  et  dame  a  valoir  ne  l'aprent. 

V       Amours,  de  ce  vous  grassi  par  douchour  {fol.  142) 

Que  par  vous  aim  sanz  valoir  que  recroie 

Dame  plaisant,  gente  de  noble  atour, 
56      Sage  em  parlant,  en  maint  lieu  simple  et  coie, 
Tresbelle  a  veoir, 

Gracieuse  pour  faire  remanoir 

De  cuer  d'ami  tout  vilain  errement, 
40      Scïenteuse  de  bon  ensengnement. 

VI       Chanson  prise  en  savoureus  mireoir 
Pour  qui  je  chant  si  envoisïement, 
Di  ma  dame  que  siens  sui  ligement. 

XXV 
(Raynaud  2080) 

I  Moult  a  cilz  plaisant  déduit  Qui  sert  Amours  loyalment 

{fol.  14^)         Et  qui  en  son  dpuls  conduit 

III,  20  ou  manque  —  22  service  —  23  j'aime. 

IV,  31  ne  fait  v.  —  32  S'  manque. 

V,  40  Seinteuse  (?  mot  refait). 


48é 


A.    yEANROY    ET   A.    LANGFORS 


Se  met  trestous  ligement. 
5  Moult  en  amende  sa  vie, 

Quar  elle  ensengne  et  maistrie 

(Jol.  14)  l'o) 

Ceulz  qu'elle  a  a  doctriner. 

Pour  ce  me  voeil  tous  donner 
9  A  li  servir  sans  boidie. 

II  Ensi  doivent  faire  tuit  : 
Cil  qui  ont  entendement 
Se  doivent  et  jour  et  nuit 
Servir  debonnairement, 

14  Sanz  penser  nulle  folie. 
Je  di  que  cilz  ne  doit  mie 
En  nul  haut  pris  amonter 
Qui  veult  traïson  mener 

18  Envers  Amours  ne  amie. 

III  Ainz  m'est  avis  que  l'acuit 
D'Amours  paie  falsement  ; 
Puis  qu'il  a  le  cuer  si  vuit 
Qu'il  veult  par  fol  errement 

23  D'Amours  avoir  signourie, 
Ne  soûlas  ne  druerie 
Par  haussage  demander, 
Amours  le  doit  diffamer 


27  De  sa  douce  compagnie. 

IV  Moult  m'a  Amours  tresbien  duit, 
Si  l'en  grassi  bonnement 
Quant  si  plaisamment  souduit 
M'a  que  j'aim  songneusement 

32  Dame  de  tous  biens  garnie  : 
Senz,  vaillance  et  courtoisie 
Sont  si  venu  amasser 
En  li  que  neisuns  râler 

36  N'en  puet,  ains  y  monteplie. 

V  Dame,  et  quar  ne  vous  anuit 
Ce  que  j'aim  si  hautement  : 
Mez  cuers  de  moy  se  defuit 
Et  a  vous  servir  se  rent 

41  Du  tout  et  donne  et  ottrie     ' 
Et  bien  me  jure  et  affie 
Que  tant  que  porra  durer 
Ne  se  vaurra  dessevrer 

45  Ne  d'autre  n'avra  envie. 

VI  Bien  sai,  ma  chanson  jolie 
Ne  puis  nient  miex  assener 
Qu'a  celi  pour  qui  furnie 

49  L'ai,  si  li  voeil  présenter. 


XXVI 

(Raynnud  1537) 

I  Onquez  mais  mainz  esbahis  De  tout  le  niond  la  millour, 

{fol.  144)  Dont  bonnement  l'en  aour 

De  chanter  8  Que  tant  me  veult  honnourer. 

Ne  fui  jour,  ce  m'est  avis, 
4  Quar  amer  II  Puisqu'elle  m'a  en  cuer  mis 

Me  fait  Amours  sans  falser  Qu'a  l'enter 


II,  10  Ens  doivent. 
IV,  31  Mez  que. 
VI,  48  Quar  celi. 


CHANSONS   INEDITES 


487 


Gist  mes  eùrs  et  pourfis, 
12  Refuser 

Ne  le  voeil,  niez  achever 

Voeil    son  commant  pour  m'on- 

[nour 

Acroistre,  qu'en  tel  signour 
16  Qu'Amours  se  doit  on  fier. 

III  Moult  fui  doucement  espris 

Sanz  grever 

Quant  a  premiers  son  cler  vis 
20  Rem  ire  r 

Me  fist  Amours,  ou  doubler 

Voit  on  biauté  et  valour, 

Et  ce  me  mist  en  cremour 
24  D'en  li  escondit  trouver. 

IV  Mez  ce  que  mes  cuers  s'est  pris 

Sanz  sevrer 
A  Amours  servir  toudis 


28  Desperer 

Ne  me  laist,  mez  espérer 
Me  fait  guerredon  grignour 
Que  desservir  par  nul  tour 

32  Ne  puiston  par  endurer. 

V  Dame  ou  tous  biens  s'est  norris, 
Conforter 
Me  voeilliez  :  de  vous  sui  pris, 
36  Dont  blasmer 

Ne  me  doi,  quar  amonter 
Ne  me  pooie  en  amour, 
Quant  Amours  par  sa  douchour 
40  Me  fist,  dame,  a  vous  penser. 

VI  Onques  chanson  présenter 
Ne  sceut  aillours  qu'a  la  flour  : 

{fol  144  vo) 
Conquis  m'a  en  doulz  estour, 

44  Or  li  plaise  a  escouter. 


XXVII 


(Raynaud  1594) 


I  Plus  amoureusement  pris 

(fol.  144  vo) 
Ne  fu  onques  cuers  d'amant 
Qu'est  mez  cuers,  ne  plus  espris, 

4  Ne  qui  d'amours  sentist  tant, 
Si  pert  bien  a  mon  viaire, 
Mez  li  savoureus  contraire 
Me  plaisent  tant  a  sentir 

8  Quant  es  cuers  n'a  que  souffrir. 

II  Lues  que  a  amer  empris, 
Perchus  mon  cuer  plus  sachant 


Qu'ainchois     qu'a    Amours   fust 

[mis; 

12  S'en  servirai  mon  vivant 

Amours  de  cuer  sanz  mefîaire, 
Quar  amans  ne  puet  miex  faire 
Qu'Amours  et  dame  servir 

16  En  foy  sans  cez  deus  traïr. 

III  Qui  loyalment  sert  toudis 
Amours,  loier  a  si  grant 
Que  quant  ses  mais  li  fait  pis 

20  Va  il  goïr  du  samlant. 


II,  1 1  G.  mon  eurs  et  mez  pourfis  —  16  Comme  amours. 

III,  17  sui  —  24  lescondit. 

I,  5  a  son  V.  —  6  Mez  le  —  7  a  sentir  manque. 

II,  9  amour. 


488 


A.    JEANROY    ET    A,    LAXGFORS 


Tel  déduit  fait  Amours  traire 
Amant,  quant  voit  que  retraire 
Ne  veult  de  li  ne  partir, 
24  Dont  pense  Amours  du  merir. 

IV  Perchus  ai  bien  les  pourfts 
De  quoi  Amours  va  aidant 
Les  siens,  par  moy  l'ai  apris, 

28  Que  quant  plus  m'alai  cremant 
De  l'ardeur  qui  amant  maire 
En  cel  point  me  fist  tant  plaire 

i/o/.  I4J) 
Amours  mon  plaisant  désir 

32  Qu'aine  puis  n'eus  cuer  de  guerpir. 


V  Di'me,  niez  cuers  s'est  norris 
En  vostre  amour  desirrant, 
N'ainc  puis  ne  fus  mais  hardis 

36  Qu'en  parlasse  tant  ne  quant  ; 
Mes  or  ne  me  puis  plus  taire  : 
J'aroie  riche  salaire 
Se  mon  chant  volez  oïr 

40  Et  en  pitié  retenir. 

VI  Dame  gentilz  pour  attraire 
Cuer  d'amant,  tant  débonnaire 
Me  samblés  quant  vous  remir, 

44  Qu'a  vous  doi  bien  obeïr. 


II 


II 


14 


XXVIII 

(Raynaud  121 3) 

Hé,  bonne  Amour,  si  con  vouz  ai  servie  (fol.  14s) 

En  desirrier  de  ma  dame  honnourer, 

A  ma  chanson  me  voeilliés  faire  aye  : 

Autre  conseil  je  ne  voeil  au  trouver  ; 

Quar  présenter   le  voeil  sans  vilonnie 

A  ma  dame,  de  tous  biens  raemplie, 

Pour  qui  je  voeil  trestous  malz  eschiever. 

Et  pour  ce  l'aim  que  miex  en  valt  ma  vie, 

Quar  nulz  travalz  ne  grieve  en  li  amer, 

Quar  en  moy  est  toute  painne  alegie  (fol.  14J  i») 

Quant  je  le  puis  une  fois  esgarder, 

Si  voeil  penser   a  li  sans  vilonnie, 

Conques  ne  peus  de  tele  signouriè 

Dame  choisir,  ce  m'est  a  remirer. 


III      S'a  moult  bon  droit  mez  cuers  quant  l'en  mercie, 
Qu'elle  m'a  fait  en  tel  usage  entrer 
Que  nuit  et  jor  mez  tamps  en  monteplie. 

18      Je  ne  me  sai  plus  tresbel  déporter 


IV,  26  amous, 

V,  35  ne  fus  mains. 


CHANSONS   INÉDITES  489 

Ne  demoustrer  la  plaisant  maladie 
Qui  lez  amans  si  doucement  gracie, 
21       Quar  plus  destroit  le  couvient  il  chanter. 

IV       Je  pens  a  vous,  douce  dame  envoisie  ; 

Ne  sui  en  lieu  que  g'i  puisse  parler, 

Mez  pour  ce  n'iert  ma  volenté  changie 
25       De  vous  servir  tant  que  puisse  durer, 

Ne  pour  doubler  le  mal  qui  me  maistrie, 

Ne  ja  pour  riens  que  nulz  du  monde  die 
28       Ne  voeil  mon  cuer  de  vo  service  oster. 

V  Or  soit  ensi  qu'avoir  ne  puisse  mie 
Merci,  ne  doi  ne  ne  voeil  refuser 

De  vous  servir,  dame,  qu'ai  enchierie, 
32       Quar  ne  me  voeil  nullement  consirrer 

De  l'espérer  eùr  ou  je  m'affie, 

Et  se  par  vous  est  ma  santés  fenie, 
3  5       Mar  remirai  vo  doulz  viaire  cler. 

VI  Chanson,  lues  qu'es  au  pui  d'Arras  oïe 
Si  t'en  va  droit  ma  dame  saluer. 


XXIX 

(Raynaud  241) 

I  Ce  qu'Amours  a  si  tresgrande  puissance  (Jol.  14s  v°) 
Que  toute  joie  est  en  li  adonner. 

Me  fait  chanter  en  espoir  d'alijance 
4       Dez  malz  que  j'ai  pour  loyalment  amer. 

Ay  mi  1  comment  m'i  puis  asseùrer 

Quant  ma  dame,  que  j'aim  sanz  abstinance  (Jol.   146) 

7       Dist  que  pour  nient  mi  fait  Amours  muser  ? 

II  Mes  s' Amour  plest,  elle  a  foie  cuidance, 
Quar  contre  li  ne  puet  nuls  cuers  durer. 
Bien  pert  a  moy  que  l'aim  sans  attemprance, 

II       Et  se  ne  puis  en  li  riens  conquester, 

Et  s'ai  si  faim  de  merci  recouvrer. 

Ce  m'est  avis  que  la  mors  plus  s'avance 
14       De  moy  prendre  qu'Amours  du  respasser. 


490 


A.    JEANROY    ET    A.    I.ANGFORS 


III 


i8 


21 


Moult  me  doi  je  bien  loer  d'espérance 

Qui  d'Amours  vient  pour  moy  resconforter, 

Qu'elle  me  fait  adouchier  ma  souffrance. 

Or  soit  ensi,  comment  il  puet  aler, 

Ja  ne  me  quier  de  servir  eschiever, 

Quar  ce  seroit  trop  par  faire  viltance  : 

S'Amours  failloie,  on  me  devroit  huer. 


IV  Dame  qui  j'aim  et  serf  sans  repentance. 
Merci  vouz  proi  :  ne  voeilliés  refuser 
Moy  vostre  ami,  qui  sui  en  grant  doubtance 

2)       Que  je  ne  puisse  en  vous  merci  trouver  ; 

Quar  je  voi  tant  et  venir  et  aler 

Plus  souffissant  de  moy  pour  vo  vaillance 
28       Que  jalous  sui,-  ne  m'en  voeilliez  blasmer. 

V  Hé  !  bonne  Amours,  en  vous  ai  grant  fîanche. 

Voeilliés  ma  dame  un  tel  voloir  donner  (fol.  146  1'°) 

Qu'elle  ait  de  moy  donner  confort  voeillance. 
32       Aulrez  que  vous  ne  l'i  puet  atourner, 

Quar  elle  a  cuer  si  dur  a  entamer 

Qu'entrer  ne  puis  se  d'amoureuse  lance 
35       N'alez  pour  moy  a  li  grant  cop  jouster. 

M       Ma  chanson  voeil  ma  dame  présenter. 
Que  s'elle  avoit  par  oïr  retenance, 
J'avroie  bien  emploie  mon  chanter. 


XXX 


(Raynaud  774) 


I  Loyal  amour  point  celer 

(fol.  146  v°) 
Ne  se  veult  en  mi 
Que  ne  me  face  chanter. 
4         Lïemcnt  ensi 
Me  convient  il  conjoïr 
Le  mal  qu'elle  m'a  donné, 
Quar  si  doulz  en  vérité 
8  Est  que  ne  m'en  puis  tenir. 


II  Bien  doi  savoir  honnourer 
Amours,  quant  par  li 

\i  un  mal  a  endurer 
12         Par  quoi  j'ai  saisi 

Déduit,  qu'il  a  fait  venir 

En  moy  a  grande  plenté  ; 

Dont  est  malz  plains  de  santé 
16  Qu'Amours  fait  mon  cuer  sentir. 


II,  19  j'espoire. 


CHANSONS    INEDITES 


491 


III  Et  tout  ce  me  vient  d'amer 

Dame  au  corps  joli, 
En  qui  j'espoir  a  trouver 

20         Le  don  de  merci. 

Près  me  doit  autant  souflrir 
Que  se  j'eusse  apresté 
Pour  ce  qu'eu  corps  assazé 

24  Puet  bien  tost  joie  amenrir. 

IV  Grans  biens  a  en  l'espérer 

Amours,  pour  ce  di 
C"on  puet  bien  trop  goulouser 
28         C'on  ait  acompli  : 
,  Tesmoings  ceuh  qui  par  servir 

(foJ.  141) 
Ont  loyal  ami  esté 


C'om  a  plus  liberauté 
32  Devant  qu'après  le  joïr. 

V  Dame,  pour  ce  escuser 

Ne  me  voeil,  ains  pri 

Amours  que  me  face  ouvrer 
36         Vers  vouz  si  qu'a  mi 

Par  desseur  tout  obeïr 

A  vo  douce  volenté, 

Qiiar  ensi  en  loyalté 
40  Li  fas  et  voeil  maintenir. 

VI  Au  pui  d'amours  pour  oïr 
Ai  le  mien  chant  aporté. 
Jugeur,  se  j'ai  mesparlé, 

44  Ne  m'en  voeilliés  escharnir. 


II 


II 


15 


XXXI 

(Raynaud  1064) 

Douce  Amours,  je  pri  merci 
De  la  tresgrant  signourie 
Que  mi  desirrier  joli 
Ont  aquis  en  vo  baillie 

En  tant  que  d'amer 
Tele  dame  qu'esgarder 

S'aussi  bien  osoie 
A  l'autrui  pais  qu'a  la  moie 
Jamais  ne  me  vaurroie  remuer, 
Quar  certes  g'i  cuideroie 
Et  corps  et  a  me  salver. 

Onquez  puis  que  je  choisi 
Ma  douce  dame  jolie 
Es  vairs  iols  qu'elle  entr'ouvri. 
Dont  ma  joie  estoit  norrie 
Ne  n'en  peus  oster 


{fol.  /#) 


III,  23  corps  assazé,  m(^ls  refaits,  iVune  lecture  douteuse. 


V,  34  prie. 

I,  I  je  vous  pri  m. 

II,  16  peus  onques  o. 


492  A.    JEANROY    ET   A.    LANGFORS 

Riens,  tant  peûsse  penser, 
Qu'adès  ne  la  voie 
19  Ne  ne  sieue  :  se  j'avoie 

Tout  le  mont,  fors  ma  dame,  a  governer, 
Par  m'ame,  trestout  lairoie 
22  Pour  li  un  resgart  embler. 

III  Q.uar  mi  oeil  l'ont  desservi, 
Qui  par  lor  doulce  envaïe 
M'ont  de  mon  cuer  dessaisi, 

26  Qui  me  soloit  compaignie 

Doucement  porter, 
N'ainc  puis  ne  l'en  peus  jeter 
Dont  pas  ne  m'avoie, 
30  Mez  volentiers  le  sieurroie 

S'il  afferist  que  g'i  deûsse  aler 
Avoec  li,  ne  si  grant  joie 
33  Deùst  amis  recouvrer. 

IV  Mes  ce  m'a  moult  abaubi  (Jol.  148  i'») 
Conques  puis  que  l'eus  choisie 

Je  n'eus  le  cuer  si  hardi 
37  C'une  toute  seule  fie 

L'osasse  aparler, 
Neis  samblant  d'amours  moustrer  ; 
Tant  fort  mechastoie 
41  La  doubtance  c'on  ne  voie 

Comment  ma  contenance  fait  muer 
Et  plus  qu'escondis  ne  soie, 
44  Que  ne  porroie  escouter. 

V  Amours,  puis  que  vous  ensi 

Plaist  que  soie  en  tele  vie, 
S'il  a  rienz  remés  en  mi 
4.8  Qui  ne  soit  de  vo  partie, 

Qu'aine  ne  peus  trouver 
A  vo  doulz  mal  endurer 
Bonnement  lor  voie, 

II,  18  Que  tout  a.  —  20  monde. 
III, _24  douls  envair. 
IV,  38  A  li  osasse  parler. 
V,_49  Qu'aincje  ne, 


CHANSONS    INÉDITES  493 


52  Comment  que  mercis  fourvoie 

S'elle  a  moy  ja  ne  devoit  assener, 
Sai  je  plus  que  je  ne  doie 
55  De  si  haut  lieu  adonner. 

VI  Pour  moy  conforter,  je  di. 

J'ai  fet  cest  chant  présenter 
Ma  bonne  dame,  or  le  voeille  escouter. 


XXXII 
(Raynaud  1733) 

I  Li  doulz  malz  qui  met  en  joie  {fol.  148  v°) 

Cuer  de  fin  ami 
Me  semont  que  jolis  soie, 
Quar  je  l'ai  en  mi, 
5  S'en  sui  plus  joians, 

Quar  tant  est  doulz  et  pkisans 
Qu'estre  senoec  n'en  vaurroie 
Pour  riens,  quar  je  cuideroie 
Avoir  a  tous  biens  failli  ; 

10  Se  j'ai  le  mal  en  attendant  merci. 

11  Et  pour  quoi  ne  le  garroie  ? 

Il  m'a  ensagi 
De  ce  dont  rienz  ne  savoie 
Et  en  bien  norri  : 
1 5  C'est  malz  pourfitans, 

Si  en  sui  gracez  rendans 
A  Amours,  qui  le  m'envoie, 
Quar  mis  m'en  a  en  la  voie 
Par  doulz  viaire  poli, 
20       Cler  et  riant,  et  de  biauté  flori. 

III  Biautez  qui  soit  (qu'en  diroie  ?) 

N'est  riens  a  celi 
Qui  mon  cuer  destraint  et  loie 
Et  a  assailli 


I,  7  sans  oec. 

II,  18  Quar  nulz  ne  m'en  a  la  voie. 


49-]  A  .     JEANROY    ET    A.    LANGFORS 

25  D'uns  vairs  iolz  rians; 

Dont  c'est  bien  chose  apparans, 

Quar  il  me  laist  et  renoie 

Pour  celi  qui  me  guerroie  ; 

Mez  il  fait  trop  miex  ensi 
30       Qu'a  demeurer  en  moy,  pour  voir  le  di. 

IV  A  tort  mon  cuer  blasmeroie 

Se  il  m'a  guerpi. 

Bien  est  drois  que  je  le  croie  : 
Il  m'a  enrichi, 
35  Quar  je  sui  tenans 

Du  penser  qui  en  tous  tamps 

A  li  bien  servir  m'avoie, 

Dont  se  jamaiz  plus  n'avoie 

Dez  biens  d'Amours  que  ceci, 
40      ,S'ai  je  assez  plus  que  n'aie  desservi. 

V  Dame  ou  tous  biens  monteploie. 

Belle,  je  vous  pri 
Que  vous  souffres  que  je  soie 
Vostre  homme,  par  si 
45  Que  c'iert  de  mes  chans 

Et  du  seurplus  cuers  vaillans 
Soit  a  vo  gré,  je  l'ottroie  : 
Plus  volentiers  prenderoie 
Aucun  bien  dont  mant  merci, 
50       Salve  l'onnour  de  vous,  ensi  le  di. 

XXXIII 
(Raynaud  820) 

I       Amours  me  fait  jolïement  chanter.  (fol.  14^) 

Faire  le  doi  pour  s'onnour  essauchier  :  (fol.  i4(}  vo) 

Pour  ma  dame  est,  qui  j'aimme  sans  falser 
4       De  loyal  cuer,  ja  ne  l'en  quier  boisier, 
Quar  en  son  dangier 
Je  voeil  demourer 
7  Pour  li  honnourer. 

IV,  36  Du  doulz  penser —  37  bien  manque. 

V,  49  dont  je  mande  m. 


CHANSONS    INÉDITES  495 

II       Amours  me  donte  :  apris  m'a  a  parler 
Puis,  qu'elle  vint  dedenz  moy  herbergier, 
Et  si  me  fait  vilonnie  eschiever  : 
II       Se  bien  la  serf,  bien  me  puet  avancier . 
De  vrai  cuer  entier 
Vers  li  voeil  ouvrer, 
14  S'en  croi  esmieudrer. 

ni       Je  me  merveil  comment  hom  puet  durer 
Q.ui  veult  avoir  amour  pour  sohaidier  : 
Ja  ne  Tara,  ainz  li  convient  pener 
18       De  bien  servir,  sanz  sa  dame  empirier  ; 
Dont  se  doit  guetier 
Cilz  de  meserrer 
21  Qui  bien  veult  amer. 

IV       Q.uant  je  remir  son  doulz  viaire  cler, 
De  ma  dame,  qui  moult  fait  a  prisier, 
Lors  me  couvient  tous  niez  mais  oublier  : 
25       En  li  veoir  sont  a  porter  ligier, 
Ne  partir  n'en  quier 
De  li,  c'est  tout  cler, 
28  Por  mal  endurer. 

V  Ma  dame  puet  bien  et  honuour  donner 
Moy  qui  la  serf,  et  de  mort  detrier  ; 
Dont  ne  me  puis  en  li  servir  grever, 

32       Ains  me  doi  bien  pour  s'onnour  travillier. 

Ne  autre  loier 

Ne  quier  demander 
35  Que  merci  crïer. 

VI  Au  pui  d'Arras  voeil  mon  chant  envoler,  (/<?/.  i)d) 
Ou  je  rirai  meismez  présenter 

Pour  ceulz  du  pui  et  Amours  saluer. 

XXXIV 

(Raynaud  657) 

I  Onques  mais  si  doucement  {fol.  ijo) 

III,  17  ainz  le  couvient  —  18  sa  manque. 
V,  53  N 'autre. 


496  A.    JEANROY    ET   A.    LANGFORS 

Lez  malz  d'amours  ne  senti 

Qu'orendroit  ks,  quar  souvent 
4  M'avient,  quant  plus  enaspri 

J'en  sens  mon  cuer,  plus  ai  joie, 

Et  plus  en  moy  monteploic 

Li  voloirs  de  l'endurer, 
8       Si  proi  Amours  qu'adès  me  puist  durer. 

11  Quar  il  me  fait  lïement 
Chanter  de  fin  cuer  joli, 
Qu'adez  m'est  vis  vraiement 

12  Que  se  jamais  dessaisi 

Un  tout  seul  jour  m'en  veoie 
Qu'a  tous  biens  failli  avroie, 
S'en  ai  tant  chier  le  pener 
16       Que  ce  me  samble  joïrs  du  desirrer. 

III  Moult  œvre  cilz  folement 

Et  lui  meïsme  a  tray 

Qui  desirre  aligement 
20  Du  mal  de  quoi  enrichi 

Je  me  sent,  quar  j'en  renoie 

Folour  et  désir  que  doie 

En  tel  déduit  demeurer, 
24       Se  miex  ne  me  voloit  Amours  donner. 

IV  Quar  ou  detri  mez  cuers  prent 

Confort  et  atent  merci 

Adès  debonnairemenr, 
28  Et  tant  ni'i  sont  abeli  (fol.  ijovo) 

Li  mal  que  jg'ne  querroie 

Pour  riens  que  j'oublïés  soie 

D'amours,  que  guerredonner 
32       Puet  plus  de  biens  que  cuers  ne  puist  penser. 

V  Dame  en  qui  biautés  resplent. 

Quant  vous  voi,  si  abaubi 

Me  truis  que  n'ai  hardement 
36  De  requerre  a  vous  merci, 


I,  5  plus  esjoir. 

II,  10  fin  manque  —   16  Fers  trop  long,  à  moins  d'admettre  la  césure  épique, 
lu,  22  que  soie. 


CHANSONS    INEDITES  497 

Ains  me  déduis  et  cointoie 
De  ce  que  mes  cuers  s'ottroie 
A  vouz,  quar  ou  doulz  penser 
40       Prins  de  mes  malz  saveur  du  respasser. 

XXXV 

(Raynaud  1046) 

I  Si  me  tient  Amours  joli  (/o/.  ijovo) 

Que  tout  me  plaist  et  agrée 
Quanques  sens  et  ai  senti, 
4  Et  plus  adez  est  doublée 

Bonne  volentés  en  mi 
D'atendre  merci 
7       Tant  que  plaira  a  ma  dame  honnouree. 

II  Si  tost  com  ma  dame  vi, 

Q.ui  de  tout  moy  est  amee, 

M'eut  si  bonne  Amour  saisi 
1 1  Conques  puis  cuer  ne  pensée 

Ne  voloir  u'oi  fors  de  li, 
Et  se  voir  ne  di, 
14       Joie  d'amours  ne  me  soit  ja  donnée! 

III  De  ceulz  qui  sont  vrai  ami 
Est  loyal  Amours  gardée 
En  h  onnour  et  dame  aussi, 

'  18  Mez  qui  aimme  a  le  volée 

Tost  met  sa  dame  en  oubli 
Quant  il  a  failli 
21       Au  gent  déduit  la  ou  sez  faus  cuers  bee.  (/o/.  7//) 

IV  Ja  d'omme  qui  aint  ensi 
N'ert  dame  fors  arriérée, 
Q.uar  s'on  li  a  acompli 

25  Sa  volenté  et  quievee, 

Ne  chaut  lui  s'elle  en  a  cri, 
Mez  qu'il  ait  joï  ; 
28       S'est  moult  granz  duels  quant  esta  ce  menée. 

III,  21  faus  manque. 

IV,  28  moult  granz  manque,  duel. 

RoiHimia,    XLIF.  i»j 


498 


A.    JEANROY    ET   A.    LANGFORS 


V  Amours,  de  ce  vous  graci 
Que  de  plain  cuer  a  durée 
Aim  et  serf  et  ai  servi 

32  Dame  de  bien  doctrinee  : 

A  cuer  d'ounesté  flori 
Et  de  sens  garni, 
35       S'est  de  noblesce  et  d'onnour  acesmee. 

VI  Ha  !  bonne  Amour,  je  vous  pri 

Geste  chanson  ci 
Soit  de  par  moi  ma  dame  présentée. 


XXXVI 


(Raynaud  785) 


I  Plus  ne  me  voeilabaubir 
De  chanter  ne  trere  en  sus, 

(Jol.  IJl) 
Qu'Amours  qui  tout  puet  merir 
4  Me  donne  cuer  et  vertus 
D'oniiourer 
Et  de  bien  amer 
Celi  et  servir 
8  Ou  je  me  voeil  obeïr. 

11  N'est  dame  pour  qui  souffrir 
Me  meterai  en  refus. 

Bonne  Amour  m'a  fait  clioisir 

12  Li  dont  me  sui  percheus 

Qu'espérer 
N'a  droit  desirrer 
N'en  puis  ne  joïr 
16  Sans  bonne  Amour  maintenir. 

III  Je  ne  m'i  puis  asscntir 
Que  je  puisse  estre  déchus 


Quant  son  doulz  samblant  rcmir, 
(,/o/.  ///  l'o) 
20  Ou  bontés  plaist  qu'aillours  plus 
Demourer  ; 
Ce  me  fait  penser, 
Quar  ce  sanz  faillir 
24  Doit  bien  ses  cuers  ensievir. 

IV  Corps  pour  cuer  mettre  en  désir 
Cuers  a  bien  faire  esmeûs, 
Cel  que  vous  vaurrez  veïr 
28  Ne  seroit  ja  esperdus, 
Qu'cschiever, 
Par  vo  bel  parler, 
Faites  et  haïr 
32  Malvais  "vicez  et  guerpir. 

V  Mon  espoir  voil  soustenir, 
Nul  jour  n'en  ère  vaincus, 
C'on  ne  doit  point  enlaidir 
36  Painne  dont  biens  est  rendus  : 


V,  30  Et  de. 

I,  2  ne  moi  trere  —  3  mirer 

IV,  27  Ceulz  —  30  Pour  vo 

V,  33  Mon  e.  voir. 


4  Mon    donne. 
3 1  Faites  enhau'. 


CHANSONS    INÉDITES  499 

Endurer  VI         Chanson,  va  ourer 
Me  plaist  et  fier  Ma  dame  et  quérir 

Engrant  de  sentir  Que  te  voille  retenir. 

40  Ce  qu'Amours  vient  a  plaisir. 


XXXVII 
(Raynaud  250) 

I  Moult  douce  souffrance  {fol.  J S^  ''■'°) 

A  en  un  dangier  souffrir 
D'Amours,  qui  est  france 
4  Et  qui  puet  merir 

Plus  que  desservir 
Ne  puist  on  pour  li  pener  ; 
7       Si  doit  chascuns  son  doulz  fais  desirrer. 

II  Qiiar  toute  honnourance 

Puet  de  bonne  Amour  venir, 
Quar  \q7.  siens  avance 

I I  Tant  qu'au  souvenir 
Lez  fait  esjoïr 

Et  tous  vicez  oublier 
14       Et  lor  soufTrir  fait  joie  ressambler. 

III  S'a  douce  samblance  {fol.   //s) 
Celi  qui  servir 

Adès  en  cremance 
18  Vaurrai  sanz  guerpir 

Tant  qu'a  son  plaisir 
Puisse  vers  li  si  ouvrer 
2 1       due  me  daignast  une  foys  resgarder. 

IV  Se  celle  pitance 
Me  pooit  ja  rescheïr,    ■ 

J'aroie  fiance 
25  En  ce  d'avenir 

A  mon  doulz  désir. 
Et  se  vient  au  refuser. 


VI,  42-5  Ma  dame  a  quoi  te  volsist  et  retenir. 
III,    16  Vers  trop  court. 


500  A.    JEANROY    ET    A.    LANGFORS 

28      Je  ne  sai  ou  puisse  merci  trouver. 

V  Ma  bonne  espérance 

Ne  me  iaist  onques  cheïr 
En  .'esconfortance, 
32  Quar  au  soustenir 

Me  viennent  fcrir 
*  D'un  resgart  et  assener 

35       Vo  doulz  vair  oeil,  douce  dame  au  vis  cler. 

VI  Dame,  retenir 

Voeiiliez  mon  cliaut  au  trouver, 
En  couvientqu'a  vous  devoit  râler, 

XXXVIII 

(Raynaud  1441) 

I       Puis  qu'il  m'estuet  de  ma  dame  partir,  {fol.  1S2) 

Partir  fera  mon  cuer  ceste  partie. 

Partie  ai  je  dez  maus  dont  me  martyr  : 
4       Martir  mourrai  s'Amours  ne  m'i  aïe. 

Aïe  quier  dez  maus  dont  je  me  plains  : 

Plains  de  doulour  sui  et  en  dolours  mains  ; 
7       Mains  jointes  cri  :  «  Merci,  ma  dame  chiere.  » 

II  Ciere  dame,  que  porrai  devenir? 
Devenir  mais  me  feront  par  en\ie 
Envie  et  mauz,  pour  mon  cuer  retenir. 

I I  Retenir  puis  dolour  en  ma  partie  : 
Partie  en  est  joie  pour  cris  et  plainz. 

Plains  en  serai,  tant  serai  sois  et  fains.  {fol.  182  1'°) 

14       Fainz  ne  me  sui  pourcops  qu'Amours  me  fiere. 

III  Fiere  est  Amours,  et  fièrement  m'a  pris. 
Pris  a,  par  coi  on  l'aimme  tant  et  prise  : 
Prise  est  en  lui  joie,  dont  je  le  pris. 

18       Pris  sui  au  las  d'.\mours,  qui  me  justise  : 


IV,  28  ou  je  puisse. 

I,  2  mes  cuers  —  3  je  manque  —  5  plalng  —  6  et  manque. 

II,  9  Devenir  manque . 

m,  18  justice  —  19  Justice. 


CHANSONS  INÉDITES  5©! 

Justise  tient  tant  que  on  peut  savoir. 
Savoir  a  poi  ciex  qui  en  cuide  a  voir 
21       Avoir  lez  biens,  s'il  n'en  veult  lez  maus  traire. 

IV  Traire  n'en  poi  mon  cuer  puis  que  la  vis  : 
Vis  a  plaisant,  bien  fait,  tout  a  devise; 
Devise  elle  a  et  en  fais  et  en  dis  : 

25       Dis  tans  plaisanz  est  qu'autre,  sanz  mesprise. 

Mesprisié  m'ont  félon  en  mon  voloir  ; 

Voloir  me  font  servir  en  bon  espoir  : 
28       Espoir,  encor  vaura  le  mien  repaire. 

V  Repaire  en  li  a  biens  et  sens  sanz  fin  : 
Fin  cuer  loial  a,  franc  et  deboinaire. 
De  bon  aire  est  estraite,  a  li  enclin, 

32       Enclin  le  cief  :  men  cuer  n'en  puis  retraire. 

Retraire  puis  petit  de  mon  confort, 

Con  fort  me  tieng  a  dolours  que  je  por 
3  5      Port  de  joie  est  sans  doutance  se  face 

REMARQUES 
I 

Versification  :         ababbccdd 
10   10  10  10  10   10     7   10    7 

Coblas  unissonans. 
l,  S  Le  dentier  ne  donnerait  pas  de   sens  :   nous  voyons  donc  en  ce  mot  le 

subst.  ledengier,  non  attesté  jusqu'ici.  —  8-9  La  phrase  se  construit  mal. 
III,  17  Corr.  Qu'eslecier  lui  et  soi  trop  d.  ?    Eslecier  semble  être  ici  de  trois 

syllabes,  tandis  que  releecier  VI,  24,  compte  pour  quatre  syllabes. 

Il 

Versification  :  ababct^ddee 

10  10   10  10  7  7   5   7   10  10 

Coblas  unissonans. 

III 

Versification  :         ababccddcd 
10  10  10   10  7  7   10   10  7  7 

V,  31  De  bonnaire. 


502 


A.    JEANROY    ET   A.    LANGFORS 


Coblas  unissonans. 

II,  15  C'est  le  verbe  langagier  «  bavarder  ». 

III,  26  Manaioe,  désignant  ici  le  cœur,  a  le  sens  de  «  séjour  »,  «  demeure  » 
(voy.  Godefroy,  V,  292  a).  —  29  Ce  jouel  (Godefroy,  joiel  2)  est  le 
regard  qui  adoucit  tous  les  maux  auxquels  il  «  s'attaque  »  (sens  non 
attesté  de  soi  prendre). 

VI,  52  Vouf  ne  dorine  pas  le  sens;  corr.  vueil  ? 

IV 

"Versification  :  a     J     a     h  c   c  d  d  t  o.  d 

10  10  10  10  5   7   7  7   5   7  7 

Coblas  unissonans.  Le  septième  vers  du  couplet  III  et  le  huitième  du 
couplet  IV,  ainsi  que  le  premier  de  l'envoi,  ont  huit  syllabes  dans  le  manu- 
scrit ;  nous  les  avons  ramenés  à  la  mesure  normale. 

IV,  34/0/,  gaudeo.  —   40-1  elle  est  partie  De  chascun  nest  pas  clair. 
VI,  56  Joï,  «  jouissant,  pourvu  de  »  (sens  non  attesté). 


V 

"Versification  :  10  a  b  a  b  b  c  c.  Les  rimes  sont  les  mêmes  dans  tous  les 
couplets,  sauf  dans  le  cinquième,  où,  de  plus,  la  rime  a  est  féminine.  Comme 
l'envoi  reproduit  les  rimes  des  quatre  premiers  couplets,  il  est  plus  que  pro- 
bable que  le  couplet  V  a  été  introduit  par  un  remanieur  pour  combler  une 
lacune. 

VI 

Versification  :  loa  a  a  h  ~\-  refrain. 

Coblas  singulars,  où  la  rime  /'  est  identique. 

Il  y  a  un  hiatus  dans  le  récit  entre  les  couplets  III  et  IV  ;  il  doit  y  avoir  lA 
une  lacune. 
II,  10  Passage  corrompu  ;  il  faut  une  rime  en  ir. 

IV,  24  Simple  assonance;  corr.  pour  tiioi  rehecier} 

V,  52  A  moins  d'admettre   que  eust  compte  pour   une  seule   syllabe,  il  faut 
supprimer  boue. 

VII 

Versification  :  a.   h  a   b   b   bec   b 

7  7  7777377 
Coblas  singulars. 

En  marge  du    manuscrit,  d'une  main  moderne  :  Gitillebert  de  Berneville, 
Faiichet,p.   1^6.   .'\  la  page  indiquée   du   Recueil  de  Forigine    d^  lo  langue  et 


CHANSONS   INEDITES  503 

poi'sie  fnincoise,  il  est  bien  question  de  Guillebert  de  Berneville,  mais  notre 
chanson  n'y  est  pas  mentionnée,  ni  aucune  autre  d'un  rythme  identique. 
Mais  la  pièce  qui  précèdedans  le  manuscrit,  et  qui  porte  une  note  identique, 
est  bien  de  Guillebert  de  Berneville  (Raynaud  1560),  de  même  que  deux 
autres  qui  dans  le  manuscrit  R  (fol.  88  \'°  et  89)  voisinent  avec  la  nôtre 
(nos  1^54  et  1619).  Dans  ces  conditions,  on  peut  se  demander  si  notre  chan- 
son n'était  pas,  dans  le  chansonnier  qu'a  connu  Fauchet  et  qui  est  actuelle- 
ment perdu,  attribuée  à  ce  poète,  ou  si  plutôt  l'annotateur  anonyme  ne  s'est 
pas  laissé  influencer  parle  voisinage  de  trois  pièces  authentiques  de  Guillebert 
de  Berneville. 

VIII 

Versification  :  abababcbc 

7  5  7  3  7)888 
Coblas  singulars. 

I,  8  II  faudrait  ici  une  rime  en  ant. 

II,  17  Le  verbe  manque  et  il  n'y  a  pas  de  rime  :  çorr.  Trop  sont  H  mal,  avec 
une  épith^te  en  us  ou  iiis, 

V,  41  II  faudrait  ici  une  rime  en  ^ent. 

IX 

Versification  :ioababbbfr.  Coblas  unissonans. 
Le  dernier  vers  paraît  corrompu. 

X 

Versification  :  j  ab  a.b  b  a  b  a.b.  —  Les  strophes  sont  accouplées  3+2. 
V,  41  Sur  le  jeu  du  boufe  en  courroie,  voir  G.  Paris,  Romania,  XXI,  4Q7. 

XI 

Versification  ;  loababbabc. 

Ce  sont  des  coblas  singulars  ;  mais  c  est  rim  estramp  et  identique  dans  tous 
les  couplets.  De  plus,  I  et  V  ont  les  mêmes  rimes  ;  la  rime  a  de  ces  couplets 
se  trouve  aussi  dans  IV  ;  la  rime  b  du  couplet  III  est  la  même  que  dans  I 
et  V,  et  d'autre  part,  la  rime  b  des  couplets  II  et  IV  est  la  même. 

XII 

Versification  :  7  «  b  a  b  b  .(  b  b  <?. 

Coblas  singulars,  sauf  que  les  deux  premiers  sont  sur  les  mêmes  rimes;  de 
plus,  a  est  identique  dans  III  et  IV,  d'une  part,  dans  V  et  VI  d'autre  part. 
II.  10  Le  mût  droiture  se  trouve  déjà  à  la  rime  du  vers  précédent  ;  eonmuuit 


504  A.    JEANROY    ET    A.    LANGFORS 

(subst.)  se  trouve  aussi  deux  fois  à  la  rime,  et  dans  le  même  couplet  (v.  13 
et  16").  Ces  libertés  peuvent  être  dues  au  fait  que  cette  chanson  a  été  com- 
posée par  un  débutant  (v.  53). 

XIII 

Versification  :         ababccaac 
7  5  7  5  7  7  7  4   4 
Coblas  unissonans. 

V,  44  Neïs  ne  compte  que  pour  une  syllabe.  Ce  vers  est  peu  clair. 

VI,  45  Corr.  pour} 

XIV 

Versification  rioababbccac. 

Coblas  unissonans.  La  pièce  est  sur  le  même  compas  que  1277  (Robert  du 
Chastel),  mais  sur  d'autres  rimes.  La  rencontre  doit  être  fortuite. 

I,  2  Ce  vers  est  corrompu.  Que  signifie  jone  (joue)  ?  Est-ce  une  corruption  de 
joie  ?  Le  mot  suivant,  écrit  aut  suivi  d'un  signe  d'abréviation,  est  plutôt 
autri  que  anter .  Le  sens  général  paraît  être  :  «  Certains  disent  que  l'amour 
fait  plus  ou  moins  sentir  sa  rigueur  suivant  les  circonstances  ;  pour  moi, 
ma  souff"rancc  est  toujours  la  même.  » 

IV,  34  Esters,  certainement  différent  de  estor  (storm),  paraît  être  le  subst. 
verbal  (non  attesté)  de  estorber  et  signifier  «  trouble  ». 

V,  45  Corr.  fu  en  fust  ? 

XV 

Versification  :         ababaacc 
111111^    7 
Coblas  unissonans. 

II,  12  Griés   est   ici  substantif  (plur.)  ;  «  ce  mal  m'est  un  bouclier  contre  la 
douleur  «. 

V,  39  Rime  fausse. 

XVI 

Versification  :         ababbccdd 
10   10  10  10  10  7  7   10  10 

Coblas  unissonans. 

I,  7  Le piour  est  bien  inattendu  ;  corr.  le  meiîlour  ? 

II,  13  Entendez  :  «  par  le  fait  de  voir  son  contenement,  sa  façon  d'être,  » 


CHANSONS    INEDITES  505 

XVII 

Versification  :  ababccdd     a 

10  5   10  5    5   7   5   10  10 

Coblas  unissonans. 

III,  27  Peiïst,   monosyllabique,  atteste  pour  la  pièce  une  date  assez  récente. 

XVIII 

Versification  :         a.     b    b     a.  c  c     d     d  b 
10  10  10  10  7  7   10  10  4 

Coblas  unissonans. 

XIX 

Versification  :  ababrc     d     dee 

7  S   7   5   7  7   10  10  7  7 

Coblas  unissonans.  L'envoi,  dont  la  structure  et  les  rimes  ne  correspondent 
pas  à  celles  des  couplets,  est  peut-être  apocryphe. 

XX 

Versification  :  10  ah  ah  c  c  d  d  c.  Coblas  unissonans.  Même  compas  dans 
le  no  loi  (jeu  parti  entre  sire  Jehan  et  Grieviler,  publié  par  Schultz-Gora 
dans  Mélanges  Chabaneau,  p.  505),  sauf  que  dans  cette  pièce  toutes  les  rimes 
sont  masculines. 

V,  38  Amour  paraît  fautif. 

XXI 

Versification  :7ababccddee. 

Coblas  unissonans.  Même  compas  dans  945  (jeu  parti  entre  Robert  et 
Mahieu  de  Gand)  mais  avec  rimes  différentes  (sauf^-);  rencontre  fortuite. 

V,  45-50.  Nous  comprenons  :  «  L'amant  loyal  n'oserait  s'aventurer  à 
demander  à  sa  dame  une  récompense  ;  car  s'il  l'obtenait,  il  ne  songerait 
plus  à  honorer  l'amour  ». 

XXII 

Versification  :         ababaacc 
10  10  10  10  4   10  10  10 

Coblas  unissonans. 


5û6  A.    JEANROY    ET    A.    LAXGFORS 

II,  14  Le  vers  est  trop  court  et  ne  présente  pas  de  sens.  Corr.  Fers  que  iVavii 
qiCen  espoir  soit  espris  ? 

IV,  27-8  sont  obscurs  ;  d\vi!ours  au  moins  paraît  erroné. 

XXIII 

Versification  :         a  b   a  b  b  a  b    c      c     b 
7  7  7  7  7  5   5   5   10  10 

Coblas  unissonans.  Il  est  incertain  si  le  huitième  vers  doit  être  de  5  ou  de 
7  syllabes.  11  est  de  5  syllabes  dans  les  couplets  I  et  IV  ;  il  est  de  6  syllabes 
dans  le  couplet  III  et  la  rime  est  fausse  ;  il  est  de  7  syllabes  dans  le  cou- 
plet II,  tandis  que  dans  V,  il  est  à  la  fois  de  5  ou  de  7  syllabes,  ce  couplet 
ayant  un  vers  de  trop,  dont  ni  l'un  ni  l'autre  ne  va  avec  le  contexte.  Nous 
avons  rétabli  tant  bien  que  mal  les  vers  de  5  syllabes. 

XXIV 

Versification  :  a     /'     a     /'   c     c     d     d 

10   10  10   10   )    10  10  10 
Coblas  unissonans. 

I,  5  Sens  ? 

II,  16  Vers  trop  long,  la  césure  épique  étant  improbable. 

IV,  30  Vers  évidemment  altéré.  Corr.  :  Que  uiil^  ne  piiet  en  d.  valoir  ? 

XXV 

Versification  :  7  a  b  a  b  r  f  d  d  r.  Coblas  unissonans. 

III,  19  AciiH,  subst.verb.  de  aquiter  :  «  impôt,  redevance». 
26  Diffamer,  «  bannir  ». 

IV,  35  Râler,  «  décroître  »  ou  <>  disparaître  »,  sens  non  attesté. 

XXVI 

Versification  :  a  b   a  b   b   c   c  b 

7  3  7  3   7  7  7  7. 
Coblas  unissonans. 

VI,  42  Scetit  (probablement  pour  sceiic),  rc  pers.  du  prétérit. 

XXVIl 

Versification  :  j  a  b  a  b  l  c  d  d.  Coblas  unissonans  : 
I,  8  Sens  ? 


CHANSONS  INEDITES  507 

XXVIII 

Versification  :  10  a  b  ah  a  a  h.  Cohlas  unissonans.  Ce  ccmpas  se  retrouve 
dansR.  210  «t  249,  imitées  de  620  (de  Blondel  de  Nesles),  mais  les  rimes  ont 
différentes.  Nous  retrouvons  au  contraire  les  rimes  de  notre  pièce  dans  le 
premier  couplet  de  1606  (anonyme)  qui  pourrait  lui  avoir  servi  de  modèle. 
Il  y  a  une  rime  intérieure  au  v.  5  de  chaque  couplet.  Le  compas  poui'rait  donc 
être  présenté  comme  suit  :     a     h     a    -b  b  a     a     h 

10   10  10   10  4  6   10   10 

XXIX 

Versification  :  ic  a  h  a  b  h  a  h.  Coblas  unissonans.  Ce  compas  est  un  des 
plus  fréquemment  employés  :  il  n'y  a  pas  moins  de  vingt-cinq  ou  vingt-six 
pièces  de  même  type  que  la  nôtre.  Il  est  donc  inutile  de  rechercher  le 
modèle  de  celle-ci. 

XXX 

Versification  :ababcddc 

7  5  7  5  7  7  7  7 
Coblas  unissonans. 

III,  21-4  Sens  douteux. 

V,  ^0  II  faut  sans  doute  corriger  gii'a  w/ (écrit  en  abrégé)  en  çH'ii;u';' (verbe)  ; 

il  n'y  a  pas  de  verbe  dans  la  phrase  qui  commence  par  5/  qu'a  mi. 

39-40  La  phrase  ne  se  construit  pas. 

XXXI 

■     Versification  :  â    h  à    b  c   c   d  d    c    d  c 

77775757   10  77 
Coblas  unissonans.  L'envoi  de  trois  vers  est  ainsi  rimé  17  ay  c  10  c. 

I,  1-8  Sens? 

II,  16  Faut-il  corriger  Ne  ni  en  pcus  ostcr?  Le  contexte  n'est  pas  clair. 

V,  51  A  quoi  renvoie  /or?  Faut-il  corriger  la  voie}  ou  ma  vote}  —  54  Faut -il 
imprimer  5(7/  ou  5'a/? 

XXXII 

Versification  :         a  h   a  h   c   c  a  a  h     b 
75755777710 
Coblas  unissonans. 
V,  45-8  Sens? 


508  A.    JEANROY    ET    A.    LANGFORS 

XXXIII 

Versification  :         a     b     a     b  b   a   a 
10  lo  10  lo  5   5   5 

Coblas  unissonans.  L'envoi,  contrairement  à  la  règle  bien  connue,  repro- 
duit à  peu  près  les  rimes  des  trois  premiers  vers  du  couplet  (a  a  a,  au  lieu  de 
a  b  a).  Serait-ce  un  couplet  incomplet  ? 

XXXIV 

Versification  :         ababccd     d 
7  7  7  7  7  7  7  lo 
Coblas  unissonans. 

IV,  29-32  Sens  :  «    que    je  ne  croirais  ((guerroie  pour  crerroie)  pour  rien  au 
monde  que  je  pusse  être  oublié  d'Amour  »,  etc. 

V,  40  Prias  (prehensit)  est  peu  satisfaisant;  corr.  Pren  ou  Tnits} 

XXXV 

Versification  :         a   t  a  /»  a  a     /' 
7  7  7  7   7  5    10 
Coblas  unissonans. 

IV,  25  Ouievee.  Voir  Godefroy,  chever,  «  finir  ». 

XXXVI 

Versification  :  ababccau 

7  7  7  7  3   5   5  7 
Coblas  unissonans. 

I,  1-2  «  Je  ne  veux  plus  être  embarrassé  de  chanter,  ni  m'en  éloigner  (c.-à- 
d.  m'en  abstenir).  » 

II,  13-4  Ces  deux  vers  sont  peu  c|^irs  et  la  phrase  se  construit  mal. 

III,  20  Corr.  boulé  ?  Sens  :  «  où  il  plaît  à  la  bonté  de  demeurer  plus  que  par- 
tout ailleurs.  » 

V,  35  Enlaidir  paraît  signifier  ici  «  prendre  en  haine  ». 

XXXVII 

Versification  :         a  b  a  b  b   c     c 

5  7   5   5    5    7   10 
Coblas  unissonans. 
I,  6  Li  ne  se  construit  pas;  corr.  Ne  ptiit  on  par  Jonc  (ou  arief)pener} 
III,  16  Levers  est  trop  court  ;  suppléer  :  En  ceîi  qui  je...  ? 


CHANSONS    INEDITES  5O9 

VI,  38  Le  vers  est  trop  court  d'une  syllabe  et  d'un  sens  obscur.  Faut-il  cor- 
riger :  Si  couvenoit  ? 

XXXVIII 

Versification  :  lo  a  h  z  h  c  c  d. 

Coblas  doblas  à  liiiis  capcaudati.  Le  dernier  vers  de  chaque  couplet  impair 
rime  avec  le  dernier  du  couplet  suivant  ;  il  devait  donc  y  avoir  un  sixième 
couplet. 

II,  9  Devenir  manque  au  manuscrit,  mais  est  assuré  par  la  fin  du  vers  précé- 
dent. Ce  vers  signifie-t-il  :  «  L'envie  et  le  mal  me  feront  devenir  mauvais  »? 

13-14  Sois  et  f ai  H  s  doit  être  «  soif  et  faim  ».  Le  passage  n'est  pas  clair,  mais 
on  pourrait  entendre  :  «  je  serai  tout  soif  et  tout  taim  ».  Le  second  Fain^ 
est  le  verbe  soi  faiudre,  «  être  paress;;ux  »  :  «  Je  ne  manquerai  pas  de  servir 
Amour,  malgré  les  coups  qu'il  m'assène.  » —  19  Ce  vers  signifie  peut-être  : 
«  La  justice  tient  [le  coupable]  jusqu'à  ce  qu'on  puisse  savoir  la  vérité.  » 

III,  20  A  voir  «  vraiment  ». 

IV-28  vaiira  est  probablement  le  futur  de  valoir  (plutôt  que  celui  de  vouloir)  : 

«  J'espère  que  ce  bon  espoir  me  vaudra  encore  mon  retour.  » 
V,  31-2  «  Je  m'incline  devant  elle,  la  tête  baissée.   » 


TABLE  DES  CHANSONS 
PAR  ORDRE  DE  LA  Bibliographie  de  g.   raynaud 


N"  de  Raynaud.  N"  de  l'cdition. 

68  Se  j'ai  chanté,  encore  chanterai I 

241  Ce  qu'Amours  a  si  tresgrande  poissancc XXIX 

250  Moult  douce  souff'rance XXXVII 

280  Au  commenchement  du  tamps X 

282  Aucun  dient  que  poins  et  lieus  et  tamps XIV 

338  Aucune  gent  vont  disant XV 

424  Pluseurs  amans  ont  souvent  desirré II 

481  Quant  a  son  vol  a  failli  li  oisiaus XI 

638  Pris  fui  amoureusement XXIII 

655  Amours  m'assaut  doucement XIX 

657  Onques  mais  si  doucement XXXIV 

721  Moult  scet  Amours  très   savoureusement XVIII 

774  Loyal  amour  point  celer XXX 


510  A.    JEAKROY    ET    A.    LANGFORS 

785  Plus  ne  me  voeil  abaubir XXXVI 

820  Amours  me  fait  iolïemeut  chanter XXXIII 

896  Moult  me  merveil  comment  on  puct  trouver XVII 

1046  Si  me  tient  Amours  joli XXXV 

1049  Liés  et  loiaus,  amoureus  et  jolis XXII 

1064  Douce  Amours,  je  pri  merci XXXI 

121 3  Hé,  bonne  Amour,  si  con  vouz  ai  servie XXVIII 

1 348  Dedcns  mon  cuer  s'est,  n'a  gaires,  fichiés XX 

1434  Bien  doi  du  tout  a  Amours  obeïr IV 

1441  Puis  qu'il  m'estuet  de  ma  dame  partir XXXVIII 

1 5 1 1  Nulz  ne  doit  esire  alentis XIII 

1537  Onquez  mais  mainz  esbahis XXVI 

1 542  Ce  que  je  sui  de  bonne  amour  cspris XVI 

1556  Du  plaissaut  mal  savoureus  et  joli V 

1 594  Plus  amoureusement  pris XXVII 

1733  Li  doulz  malz  qui  met  en  joie XXXII 

1792  Li  lions  qui  veut  honneur  et  joie  avoir III 

181 5  Puis  qu'Amours  m'a  donné  le  beau  savoir IX 

1895  Quant  voi  la  douce  saison VIII 

1898  Quant  esté  faut  encontre  la  saison VI 

1948  Je  sent  le  doulz  mal  d'amours XXI 

1997  Onques  n'amai  plus  loyalment  nul  jour XXIV 

2019  Pensis,  désirant  d'amours VII 

2080  Moult  a  cilz  plaisant  déduit XXV 

2102  Au  tamps  que  muert  la  froidure XII 

A.  Jeanroy  et  A.  Lângfors. 


LE     TOURNOIEMENT     UENFER 

POÈME    ALLÉGORIQUE    ET    SATIRIQUE 

TIRÉ    DU    MANUSCRIT    FRANÇAIS    1 807    DE     LA   BIBLIOTHÈQUE    NATIONALE 


I.  —  Analyse  du  poème 

Celui  qui  sait  le  bien  et   ne    l'apprend  pas   aux    autres  fait 
comme  le  grenetier  qui  garde  son  blé  si  longtemps  qu'il  pour- 
rit, au  lieu  d'en   donner   ou    vendre   à  ceux   qui  en  auraient 
besoin  (i8).  Je  ne  sais  que  peu  de  chose,  dit  l'auteur  (33),  mais 
celui-là  fait  un  beau  don  à  Dieu  qui  donne  ce  qu'il  a.  Le  pauvre 
qui  partage  son  pain   avec  un  plus  pauvre  que  lui,  sert  Dieu 
mieux  que  le  riche  qui  donne  une  faible  partie  de  son  superflu 
(63).    C'est  à  peine  si  les  riches  font  charité  des  restes  de  leur 
repas  (80).  Ce  n'est  jamais  le  bon  morceau  ni  le  bon  manteau 
que  l'on  donne  pour  Dieu  (84).  Les   chevaliers  préfèrent  les 
donner  à  des  «  lecheors  »  et  des  «  garçons   »   pour   qu'ils    ne 
disent  pas  de  mal  d'eux  (113).  Ceux  qui  les  ont  payés  par  leur 
travail,  y  auraient  pourtant  plus  de  droit  (136).  Les  clercs  ne 
valent  pas  mieux  que  les  chevaliers  :    ils  veulent  avoir  quatre 
ou  cinq  mets  à  leur  repas,  et  entre  temps  les  pauvres  meurent 
de  faim  (201).  Les  chapelains  veulent  avoir  les  plus  belles  de 
leurs  paroissiennes  (217).  Tandis  que  le  pauvre  paysan  est  glacé 
de  froid  derrière  sa  charrue,    sa  femme  s'amuse  avec   le  prêtre 

(223). 

Ces  réflexions  servent  d'introduction  à  la  description  d'un  tour- 
noi auquel  le  poète  assista.  Un  matin  qu'il  chevauchait  tout  seul, 
il  rencontre  un  écuyer  conduisant  un  cheval  sellé  (249).  L'écuyer 
lui  apprend  qu'il  se  rend  à  un  tournoi  auquel  son  maître 
doit  prendre  part  et  invite  le  poète  à  l'accompagner.  Le  maître 
s'appelle  Charité  et  son  bouclier  représente  un  homme  qui  dis- 
tribue du  pain  et  de  l'argent  pour  l'amour  de  Dieu.  Ceux  qui 
prendront  part  au  tournoi  viendront  de  deux  cotés,  du  Paradis 


512 


A.    LANGFORS 


et  de  TEnfer.  Arrivé  à  l'endroit  convenu,  le  poète  voit  d'a- 
bord sortir  ceux  qui  viennent  du  Paradis.  Le  premier  chevalier 
est  Humilité.  Son  escorte  est  peu  nombreuse,  car  les  rois  et 
les  princes  de  la  terre  ne  le  suivent  pas  (309).  Puis  vient 
Amour,  qui  n'est  guère  plus  accompagné,  car  fausseté  et  tri- 
cherie régnent  au  monde  ;  on  y  use  du  nom  d'amour  pour 
commettre  des  actions  qui  font  perdre  l'âme  et  le  corps  (407). 
Puis  vient  Pitié,  avec  peu  de  monde,  car  «  il  »  est  aujour- 
d'hui oublié  :  le  riche  prend  au  pauvre  tout  son  avoir  par 
usure  et  par  péché  (455).  Puis  viennent  Largesse  (465),  Paix 
(495),  Abstinence  (515)  et  Loyauté  (537).  Suit  une  diatribe 
contre  les  marchands  (54?)?  ^^^  pelletiers  (561),  les  cordon- 
niers (571),  les  bouchers  (586),  les  boulangers  (591),  les 
meuniers  (595),  les  usuriers  (603). 

Puis  viennent  ensemble  Virginité  et  Chasteté  (624),  puis 
Charité  (685).  C'est  avec  raison  que  les  prêtres  disent  que  Cha- 
rité est  refroidie  :  elle  l'est  en  effet  à  un  tel  point  que  la  Loire 
quand  elle  était  gelée,  ne  l'était  pas  eutant  (694)  :  car  le  temps 
doux  la  dégela,  mais  il  n'en  sera  jamais  de  même  de  Charité 
(699).  Discours  sur  la  bonne  manière  de  faire  l'aumône  (764). 

Tous  les  chevaliers  du  Paradis  étant  sortis,  voici  venir  ceux 
de  l'Enfer  :  Orgueil  (773),  Haine,  qui  amène  plus  de  monde 
qu'il  n'y  en  eut  à  Roncevaux,  le  jour  douloureux  (798), 
Cruauté  (819),  avec  tant  de  monde  que  les  deux  rois  n'en 
avaient  pas  autant  devant  Châteauroux.  Puis  Avarice  (835),  Ire 
(857),  avec  Guerre  et  Mêlée  :  au  siège  d'Antioche  il  n'y  avait 
pas  autant  de  guerriers.  Puis  viennent  Gloutonnerie  (S83), 
Tricherie  (905),  Luxure  (925),  Convoitise  (955). 

Quand  tous  les  chevaliers  des  deux  camps  sont  sortis,  le 
tournoi  commence. 

Orgueil  combat  Humilité  (1020),  Haine  se  lance  contre 
Amour  (1033).  Les  boucliers  de  tous  les  combattants  sont 
décrits.  Cruauté  se  bat  contre  Pitié  (1067)  ;  Avarice,  qui  porte 
sur  son  bouclier  un  homme  qui  ne  ressemble  en  rien  à  Jehan  de 
Dreux  (i  146),  combat  Largesse.  Ire  se  lance  contre  Paix,  qu'«  il  » 
frappe  au  côté;  mais  Paix  vainc  en  mourant  :  c'est  Dieu  qui  souf- 
frit mort  le  jour  de  vendredi,  et  ressuscita  (1324).  Vient  ensuite 
Gloutonnerie,  qui  se  lance  contre  Abstinence,  Tricherie  (1463) 
contre  Loyauté,  Luxure  (1565)  contre  Virginité  et  Chasteté. 


LE  TOLRNOIEMENT  D'ENFER  5  I  3 

Le  bouclier  de  Luxure,  qui  est  divisé  en  sept  étages,  est  décrit 
en  détail.  Luxare  est  assise  sur  un  chameau  ([800).  Le  con- 
nétable de  Virginité  est  saint  Jean  (1841).  Convoitise  fait  l'ar- 
rière-garde  de  l'Enrer  (1S5  3).  L'heare  de  prime  était  passée 
quand  Charité  vint  en  la  place  (191 5).  Charité  est  supérieure 
à  toutes  les  vertus.  Convoitise  est  montée  sur  un  cheval  qu'un 
usurier  lui  donna  (i960).  Charité  a  dans  sa  compagnie  les 
apôtres  et  les  saints.  En  dernier  lieu  vient  Confession.  Main- 
tenant je  vous  dirai  pourquoi  Confession  vient  le  dernier  au 
tournoi...  Ce  reste  manque). 


IL  —  Description  du  manuscrit 

Le  manuscrit  français  1807  (anc.  7852  ',  jadis  Baluze  755) 
est  un  petit  in-quarto  du  xiv^  siècle,  composé  actuellement  de 
207  feuillets  de  parchemin.  Voici  un  relevé  sommaire  de  son 
contenu. 

1.  L'Image  du  monde  (fol.  i). 

2.  Un  choix  de  quatorze  contes  pieux,  précédé  du  prologue 
des  Miracles  de  Gautier  de  Coinci  (fol.  51  v°  b),  dont  quel- 
ques-uns appartiennent  à  cet  auteur,  tandis  que  d'autres  pro- 
viennent du  recueil  connu  sous  le  titre  de  Vies  des  Pères. 

3.  Les  Vers  de  la  Mort,  par  Hélinand  (fol.  109)  '. 

4.  Le  poème  imprimé  ci-après  (fol.    113  v°  b). 

5 .  Un  petit  poème  en  quatrains  (début  :  Rois  des  rois,  Dieus 
des  dieus,  qui  de  ta  dette)  qui  a  été  dans  certains  manuscrits 
incorporé  au  Testament  de  Jehan  de  Meun  ^. 

6.  Le  Romens  don  baril,  par  Jehan  de  la  Chapele  (fol.  131 
V  b)5. 

7.  Le  Conte  don  jugleur  (fol.  142  b),  intitulé  ailleurs  Del 
tumbeor  N astre  Dame^. 


1.  Voir  l'éd.  de  la  Société  des  anciens  textes  (1905),  p.  uv. 

2.  Éd.  Méon,  V.  2077  et  suiv.  Cf.  Langfors,  Komania,  XLI,  251. 

3.  Voir  P.  Meyer,  Not.  ei  extraits,  XXXIV,   ire  part.,  p.  160. 

4.  Éd.   W.  Foerster,  Romania,  II,    317,  et  H.    VVàchter,  Rom.  Forschun- 
gen,  XI,  1899,  p.  223. 

Romania,  XLIV.  jj 


514  A.    LÂNGFORS 

8.  La  Patrenostre  en  français,  par  maistre  Silvestre  (fol.  146), 
dont  on  connaît  trois  autres  manuscrits. 

9.  La  Vie  sainte  Katerine  (début,  fol.  153  :  Nos  trovomes 
en  nos  escris^  ' . 

10.  Ld.  Fie  sainte  Juliane  (^déhut,  fol.  164  v°  :  Diex  de  loux^ 
bien:(  veille  entrednire)^. 

11.  Le  Trespassmienl  Nostre  Dame  (début,  fol.  174  :  Grant 
tans  après  la  passion^  K 

12.  Le  Lucidaire  (Jo\.  178),  dont  il  existe  de  nombreuses 
copies  4, 

Le  texte  du  manuscrit  est  peu  correct,  et  le  volume  est 
matériellement  en  assez  mauvais  état.  La  fin  du  Tournoiement 
d'Enfer  fait  défaut;  il  est  malaisé  de  se  rendre  un  compte  exact 
de  l'étendue  de  la  lacune,  mais  à  en  juger  d'après  le  contenu, 
elle  n'est  pas  très  importante.  Ce  qui  n'est  pas  moins  fâcheux, 
c'est  que,  à  force  d'être  feuilleté  par  des  lecteurs  assidus  —  ce 
ne  sont  pas  nos  contemporains  —  le  manuscrit  est  devenu  illi- 
sible. C'est  surtout  aux  coins  des  feuillets  que  l'écriture  est  effa- 
cée. Les  nombreux  pointillés  de  mon  édition  en  portent  témoi- 


gnage. 


IIL   —  La  langue  de  l'auteur 

Avant  d'essayer  de  déterminer,  par  l'examen  des  rimes  et 
de  la  mesure  des  vers,  le  dialecte  original  du  poète,  il  est 
important  de  constater  que  sa  versification  n'était  pas  très 
rigoureuse.  Ecartons  donc  tout  d'abord,  comme  étant  sans  uti- 
lité, un  certain  nombre  de  rimes  frappantes  à  première  vue, 
mais  qui  ne  sont  en  réalité  que  des  assonances,  des  rimes 
incomplètes  ou  quelquefois,  peut-être,  de  simples  fautes  de 
copie  dont   l'auteur  n'est  pas  responsable.    Telles    sont,   par 


1.  Hist.  litt.,  XXXIIJ,  345. 

2.  Hist.  tut.,  XXXIII,   360,  n.  2. 

3.  Voir  P.  Meyer,    Rottiania,  XV,  470.  Cette  composition  a  été  intro- 
duite dans  le  poème   sur  Fanuel  qu'a  publié   Chabaneau.    Cf.  Hist.  titt. 
XXXIII,  349. 

4.  Voir  p.  ex.  Romania,  VIII,  527,  u.   i,  et  XV,   352. 


LE  TOURNOIEMENT  lï ENFER  5  1  5 

exemple  :  robe  :  poi're  97,  rive  :  ivre  897,  ors  :  trous  iiii, 
fautes  :  autres  1521,  clers  :  niés  193,  mère  :  Jede  1691,  aperte  : 
diverse  1289,  evengiJe  :  iglisse  1395,  ^'^//^^''t.'  :  i"rt/wc  1137,  ^rf^;n  : 
JîaHc  1783,  f/75/  :  refus  133,  rt^fe  :  /)/c.<'/  453,  aï  nient  :  aï»  1891, 
s'entr'ement  :  amaiuent  625,  ^o;;/  :  home  1295  (^feiiir  :  orphelin 
1613  est  probablement  une  faute). 

Le  résultat  auquel  l'étude  linguistique  nous  conduira, 
semble  confirmé  par  certains  passages  du  poème  qui  indiquent 
que  l'auteur  portait  un  intérêt  particulier  à  la  ville  de  Blois,  qui 
est  mentionnée  au  v.  1505.  Immédiatement  après  (v.  15 10) 
vient  une  allusion  à  Saint-Homer  qui  ne  devient  compréhensible 
que  si  l'on  corrige  Saint-Homer  en  Saint-Lomer  ou  Saint- 
Laumer,  nom  d'une  célèbre  abbave  bénédictine  à  Blois.  Si  l'on 
songe  que  le  poète  mentionne  deux  fois  la  Loire  (v.  694  et 
1647),  i^  £s^  ^'"^  ^^^^  pl^s  que  probable  que  c'est  dans  ces 
régions-là  qu'il  faut  chercher  sa  patrie.  Les  travaux  les  plus 
importants  pour  l'étude  des  dialectes  qui  entrent  en  considéra- 
tion sont  ceux  de  E.  Gôrlich,  Die  nordzvest lichen  Dialekte  der 
langue  d'oïl  {Bretagne,  Anjou,  Maine,  Jouraine^  ',  de  F.M  .  Au- 
1er,  Der  Dialect  der  Provin:^en  Orléanais  iind  Perche  im  i ).  Jahr- 
hundert^  (qui  est  principalement  une  étude  des  rimes  du  Roman 
de  la  Rose),  et  de  Torsten  Sôderhjelm,  Die  Sprache  in  dein  alt- 
fran:(ôsischen  Martinsleben  des  Péan  Gatineau  ans    Tours  K 

Les  rimes  ^^M<7/  :  ostal  1595  et  chastian  (cas.  rég.  sing.  de 
capitalem)  :  mau  1615  montrent  la  conservation  de  l'a  dans 
le  suffixe  a/t';n.  Voir  Gôrlich,  p.    17,  et  T.  Sôderhjelm,  p.  98. 

e  provenant  d'un  a  latin  rime  avec  1'^'  ouvert  provenant  d'une 
diphtongue  :  fès  (=  fais)  :  virés  191. 

e  rime  avec  ie  :  perciee  :  donee  Sj,pechie7i  :  ame:(^  513,  mahainé: 


1.  Franiosische  Stuilien,  herausgegeben  von  G.  Kôrting  uud  E.  Kosch- 
witz,  V,  3  (Heilbronn,  1886). 

2.  Diss.  de  l'Université  de  Strasbourg  (Bonn,  1888). 

3.  Dans  les  Mémoires  de  la  Société  néo-philologique  d' Helsingfor s,  IV  (1906), 
p.  51-233.  —  Les  dissertations  de  Mme  Mary  N.  Colviu,  Lautliche  Uiitersu- 
chung  der  Werhe  Robert' s  von  Blois,  nach  der  Hamischrift  24.^01  der  Pariser 
Nationalbihliothek  (Zurich,  1888),  et  M.  Otto  Berlit,  Die  Sprache  des  alt- 
franiosischen  Dichters  Robert  von  Blois  (Halle,  1900),  ne  sont  d'aucune  utilité. 
Robert  de  Blois  n'a  presque  pas  de  rimes  dialectales.  Il  écrivait  probable- 
ment dans  la  langue  de  l'Ile-de-France. 


5l6  A.    LÂNGFORS 

crevé  1247,  prete:{^  :  mesessie^  1337)  guardé  :  evesquié  1663,  a/^r  : 
brisier  999,  denier  :  ^^^^r  looi,  tranchié  :  cousté  2002,  /n- 
chierres  :  lierres  (=  lerres)  915.  Même  un  ^  ouvert  provenant 
d'un  flîï  semble  rimer  avec  ie  :  plet  (==^  plait)  :  sachiez  1329. 
M.  Auler  (p.  29)  a  constaté  que  dans  le  Roman  de  la  Rose, 
lessier  rime  avec  cesser  et  confesser. 

La  diphtongaison  de  Ve  entravé  est  assez  fréquente.  Les 
rimes  desiert  :  soufiert  167,  quierre  :  guierre  209,  terme  :  lier  me 
1967  ne  permettent  pas  d'affirmer  qu'elle  était  propre  au  dia- 
lecte de  l'auteur.  Elle  est  fréquente  sous  la  plume  du  copiste  : 
guieres  (adverbe)  364  etc.,  viers  484  etc.,  diviers  620  etc., 
compiert  (subj.)  1491.  M.  Auler  (p.  /^i)  cite  des  rimes  comme 
aliege  :  priviliege,  guieres  :  derrières.  MM.  Gôrlich  (p.  29)  et 
E.  Metzke  ÇDer  Dialekt  von  Ile-de-France  im  ij.  luid  14.  Jahr- 
hundert,  p.  73)  ',  signalent  des  formes  analogues.  Que  ce  phé- 
nomène ne  soit  pas  tout  à  fait  identique  à  la  diphtongaison 
bien  connue  en  wallon  et  en  certaines  régions  du  domaine 
picard,  semble  indiqué  par  la  forme  lierres  {=  lerres^  916  (en 
rime  avec  trichierres),  où  la  diphtongue  provient  d'un  a  non 
précédé  d'une  palatale  (la tro). 

Dans  la  langue  de  l'auteur,  de  même  que  dans  celle  du 
copiste,  les  diphtongues  françaises  ai  et  ai  se  confondent  (Gôr- 
lich, p.  38;  Auler^  p.  66)  :  point  (=1  paint)  :  point  1193,  parl- 
leroi  103,  avroi  328,  sordais  174,  tornaienient  261,  vaie  (=^voié) 
16^2,  oit  (^^ ail)  6/\2,  mais  (=  mois)  ^^j,  desrai  1022,  aisel 
(==  oisel)  1876,  deslaial  1385.  Le  nom  de  la  Loire  (cette 
forme  se  trouve  au  v.  1647)  est  aussi  Lerre  690,  qui  est  à  rap- 
procher de  la  forme  Leire  dans  les  Miracles  de  Notre-Dame  de 
Chartres  *.  A  en  juger  de  la  rime  s'enlremest  :  envoit,  ai  et  oi 
désignaient  le  son  e. 

La  triphtongue  iei  se  réduit  à  /.  De  même  dans  le  Roman  de 
la  Rose  (Auler,  p.  66  :  merci  :  nerci),  t;indis  que  la  Vie  de 
saint  Martin  de  Péan  Gatineau  se  comporte  autrement. 


1.  Dans  V Archivât  Herrig,  LXV. 

2.  L.  Napp,  Uiitersuchung  der  sprachlichen  Eigcnthùinlichheiten  des  Livres 
des  Miracles  de  Noire  Dame  de  Chartres  (diss.  Bonn),  Wùrzburg,  1887, 
p.  28. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER  517 

La  fluctuation  bien  connue  entre  ar  et  er  est  attestée  par 
aperne  '  («  épargne  »)  :  terme  23,  terme  :  lieri)ie  1967.  Dans  le 
Roman  de  la  Rose,  esparne  rime  avec  taverne  et  lanterne.  M.  Au- 
1er  suppose  (p-5o)  que  l'auteur  prononçait  iavarne,  lantarne. 

La  forme  correspondante  à  Deum  est  Dé,  attestée  une 
dizaine  de  fois  à  la  rime  (v.  43,  etc.).  Même  forme  dans  Gôr- 
lich  (p.  25)  et  T.  Sôderhjelm  (p.   113). 

Isolément  se  rencontre  la  graphie  esvoille  171 5  (  :  merveille). 
C'est,  comme  on  sait,  un  trait  fréquent  dans  le  Champenois 
et  les  dialectes  de  l'Est,  mais  qui  se  rencontre  aussi  ailleurs,  p. 
ex.  dans  les  Miracles  de  Notre  Dame  de  Chartres  (Napp,  p.  26). 

eure  (h  or  a)  :  ore  (adv.)  637  prouve  que  Vo  fermé  rime 
avec  Vo  ouvert  et  que  la  forme  de  l'auteur  était  ore,  sans  diph- 
tongue. 

Rousignox  :  os  987  est  une  rime  qui  appartient  peut-être  ori- 
ginairement aux  dialectes  de  l'Ouest,  mais  se  rencontre  dans 
de  nombreux  textes  -. 

Poitol  :  fol  1679  doit  sans  doute  être  lu  Poitou  :  fou. 

Dans  cbamol  :  col  1805,  1821,  Pol  :  pol  565,  0/ rime  avec 
oil. 

Les  rimes  lous  :  vo^  231,  Ion  :  saoïi  829  indiquent  que  la 
forme  familière  à  l'auteur  était  Ion  et  non  leu. 

D'eus  :  cols  561,  eus  :  fox  863  assurent  la  forme  du  pronom 
ous  (Gôrlich,  p.  71  ;  T.  Sôderhjelm,  p.  193). 

Pour  faire  rimer  don  sien  :  hom  855  et  hom  :  le  som  («  le 
sien  »)  165,  on  pourrait  penser  à  huen  :  suen  ;  mais  il  est  plus 
prohable  que  l'auteur  (de  même  que  le  copiste  au  v.  166) 
écrivait  som,  forme  attestée  du  pronom  possessif  tonique 
(T.  Sôderhjelm,  p.  196).  La  rime  te7ii  (tempus)  :  bons  13  11 
doit  être  transcrite  tens  :  boens.  Même  la  forme  bens  est  attestée 
(Gôrlich,  p.  47). 

Dame  :  famé  1745  n'a  rien  que  de  normal.  Dans  famés  : 
panes  1581  ei  famés  -.glanes  léoi  on  pourrait  voir  cette  même 
liberté  que  nous  avons  déjà  constatée  (p.  515  )  chez  l'auteur 
de  faire  rimer  m  et  n.  Mais  la  rime  fa)nes  :  bones  171 1  est  plus 

1.  Écrit  en  abrégé  (p  barré). 

2.  Voir  p.  ex.  La  Maie  Honte  (^dans  Les  classiques  français  du  moyen  âge, 
no  8,  p.  xni). 


5r8  A.  lÂngfors 

intéressante.  Gorlich  (p.  43)  et  Torsten  Soderhjelm  (p.  131) 
attestent  chez  Péan  Gatineau  de  Tours  plusieurs  fois  fenne  à 
la  rime.  C'est  sans  doute  cette  forme  qu'il  faut  admettre  ici 
aussi,  accouplée  à  boenne  (ou  peut-être  *be)me). 

Les  voyelles  nasales  en  et  an  semblent  se  confondre.  La  seule 
rime  probante  est  enfence  :  comniaince  1543  (et  peut-être  Tris- 
lam  :  l'an  =  0;;  1105).  Même  confusion  dans  le  Roman  de  la 
Rose  (Auler,  p.  54),  tandis  que,  d'après  Torsten  Soderhjelm, 
dans  Péan  Gatineau  les  deux  sons  sont  distincts.  Dans  le  habi- 
tudes graphiques  de  notre  copiste  règne  à  ce  sujet  une  anar- 
chie absolue. 

Proximum  donne  prisme  191 3  (au  lieu  de  proistnc)  et 
rime  avec  prime  (prima).  Même  développement  dans  \e  Roman 
de  la  Rosé  (Auler,  p.  81).  où  ad- proxi  m  at  donne  apri[s]me, 
qui  rime  avec  silogi[s]me.  Egalement  dans  le  Roman  des  sept 
Sages  (éd.  Keller,  v,  580  et  6j^)  aprimiés  et  s'aprime,  que 
M.  L.  Napp  '  a  contestés  à  tort. 

m'rime  avec  i  :  lui  :  ci  1261,  hermiîe  :  lite  141 3  (si  c'est  bien 
le  même  mot  que  luile  ;  lite  se  trouve  également  à  la  rime  avec 
/  dans  le  Roman  de  Fanvel  1800). 

La  rime  agnille  :  despoille  1401  se  retrouve  dans  le  Roman 
delà  Rose  :  despuilk  :  agnille  (Auler,  p.  77). 

La  mesure  des  vers.  —  \Je  en  hiatus  est  souvent  tombé,  à 
moins  que  les  formes  contractées  ne  soient  imputables  au 
copxsiQ  :  ruse^  183 1  (pour  reïise::;^,  malloite  1950,  roigne  995 
(mais  reoigner  10 12). 

Confession  ne  compte  que  pour  trois  syllabes  au  v.  1624  (qui 
est  peut-être  corrompu). 

Morphologie.  —  L'auteur  n'observe  que  très  vaguement  la 
déclinaison. 

Sur  la  forme  tonique  du  pronom  possessif  jow,  voir  ci-des- 
sus,  517. 

M.  Gorlich  (p.  72)  a  signalé  de  nombreux  cas  où  le  pro- 
nom démonstratif  substantif  est  employé  comme  adjectif;  de 
même  dans  notre  poème  :  celui  roi  484. 

I.  L.  Napp,  UiiliTsiichiiiio-  der  sprachlichen  EigenthïiiiiUchkeiten  des  Livre 
des  Miracles  de  Notre  Dame  de  Chartres  (Diss.  Bonn),  Wùrzburg,  1887, 
p.  5^. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER  519 

Verbe.  —  Le  subjonctif  de /)/â/><?  est  place  1056.  Le  subjonc- 
tif de  doner,  donge,  est  également  assuré  par  la  rime  esponge  : 
donge  741.  Signalons  en  même  temps,  bien  qu'il  ne  soit  pas  à 
la  rime,  le  subj.  augent  1441.  Je  vois  dans  paroje  1695  (pour 
parolge)  un  autre  subjonctif  du  même  type,  fréquent  dans  le 
dialecte  que  nous  étudions;  voir  Gôrlich,  p.  80. 

Il  y  a  plusieurs  exemples  de  prétérits  en  ié  :  enfondU  :  pechie 
(subst.)  1709,  descendié  :  pechié  (subst.)  341,  etc.  (mais  des- 
cendi,  au  milieu  du  v.  349).  Voir  Gôrlich,  p.  82. 

En  nous  basant  sur  les  allusions  contenues  dans  le  poème, 
nous  avons  émis  l'hypothèse  qu'il  avait  été  composé  au  bord 
de  la  Loire,  et  plus  exactement  dans  le  voisinage  de  Blois. 
L'étude  linguistique  confirme  cette  hypothèse  :  le  Tournoieynent 
d'Enfer  a  dû  être  versifié  dans  une  province  située  au  sud- 
ouest  de  Paris  ;  sa  langue  offre  de  nombreuses  ressemblances, 
d'une  part  avec  celle  de  Jehan  de  Meun,  qui  écrivait  le  dia- 
lecte de  l'Orléanais,  et  d'autre  part  avec  celle  de  Péan  Gati- 
neau,  qui  était  originaire  de  Tours.  Comme  il  s'agit  d'un 
poème  fragmentaire  et  peu  étendu,  et  conservé  dans  un  seul 
manuscrit  d'une  correction  médiocre,  il  serait  oiseux  de  vou- 
loir préciser  davantage. 

IV.  —  La  langue  du  copiste. 

Le  copiste  du  manuscrit  1807,  bien  qu'il  n'écrivît  pas  exac- 
tement la  même  langue  que  l'auteur,  était  certainement  origi- 
naire d'une  province  très  voisine.  Aux  graphies  que  nous  avons 
eu  l'occasion  de  signaler  précédemment,  nous  ajoutons  ici 
quelques  autres  qui  sont  caractéristiques  pour  le  scribe. 

Menesce  19 16  (:  place^  et  escarkte  :  late  107  doivent  sans 
doute  être  jugés  comme  p.  ex.  heritege  chez  Gôrlich,  p.  20.  Ils 
représenteraient  alors  de  plus  anciens  nienaice,  escarlaite,  avec 
un  i  adventice,  comme  dans  glais  (j=  glas)  :  pas  867. 

Trase  :  destrace  18 17  (=  tresse  :  destresse),  larjasse  465 
(:  proesse)  sont  analogues  aux  iornits  frasche^  trasche,  signalées 
par  Auler  (p.  34).  Ici  appartient  aussi  le  pronom  féminin  aie 
1625,  1775  (Gôrlich,  p.  70). 


6 


520  A.    LANGFORS 

"Pour  poiches  597  on  peut  signaler  les  formes  analogues  Roiche 
etc.  relevées  par  Gôrlich  (p.  49). 

Les  formes  comme  cboier  (pour  chcoir)  1459  sont  courantes 
chez  Péan  Gatineau  (T.  Sôderhjelm,  p.  13e)  et  dans  les  Miracles 
de  Chartres  (Napp,  Mir.  de  N.  D.  de  Chartres,  p.  29).  Elles 
se  rencontrent  d'ailleurs  dans  tout  l'Ouest. 

A  un  a  devant  le  ton  dans  le  français  du  centre  correspond 
un  e  :  meniere  1628,  Jessus  (=  lassiis)  1840,  es  (=  as,  prépo- 
sition avec  article)  1000.  Par  contre,  e  est  souvent  représenté 
par  fl  :  a  voi  (pour  es  vos)  26  et  fréquemment,  aguarderoit 
(j=  esg.)  49,  s'alesse  (=  s'eslaisse),  1829,  acopi:{  (=  escopi~)  332, 
dareson  (=  desresoiï)  180.  Semadi  549  est  régulier  chez  Péan 
Gatineau  (T.  Sôderhjelm,  p.  112)  et  dans  les  Miracles  de 
Notre-Dame  de  Chartres  ÇN:ipp,  p.  12). 

Le  cas  oblique  de  l'article  est  Ion  11  etc.  ;  sou  15  =  sel,  non 
16  =  nel. 

Le  pronom  possessif  est  sis  :  sis  sires  219,  cis  o[s]te[i]s  1 1 68 . 

Pour  le  copiste,  et  peut-être  aussi  pour  l'auteur,  la  i"^'  pers. 
du  pluriel  de /mV^  est  fo? unies  10,  fontes  1523. 


V.    —   RÉMINISCENCES   LITTERAIRES.   —  ALLUSIONS    HISTORIQUES 


Ainsi  qu'il  ressort  de  l'analyse  mise  en  tête  de  cette  étude, 
le  Tounioieiiient  d^Etifcr  est  une  bataille  des  vices  et  des  vertus. 
Par  son  titre  et  par  les  personnages  allégoriques  qu'il  met  en 
scène,  il  appelle  en  premier  lieu  un  rapprochement  avec  le 
Tournoiement  d'Antéchrist  de  Huon  de  Méri.  Mais  je  ne  pense 
pas  qu'il  y  ait  un  rapport  direct  entre  les  deux  poèmes.  L'ana- 
logie signalée  provient  pkuôt  du  fait  qu'ils  remontent  tous  les 
deux,  plus  ou  moins  directement,  comme  de  nombreux  autres 
«  Songes  d'Enfer  »  et  «  Voies  de  Paradis  »,  au  plus  ancien 
représentant  du  genre,  qui  est  la  Psycboniachie  de  Prudence. 
C'est  un  genre  peu  intéressant.  Heureusement,  les  conceptions 
allégoriques,  d'un  style  monotone  et  conventionnel,  ne  consti- 
tuent pas  le  principal  intérêt  du  poème  imprimé  ici  pour  la 
première  fois  :  ce  n'est  que  le  cadre  d'une  critique  des  états, 
où  l'on  relève  quelques   scènes   populaires    assez  amusantes, 


LE  TOURNOIEMENl  D'ENFER  52 1 

p.  ex.  aux  V.  547  et  suivants,  à  propos  des  marchands,  des  pel- 
letiers, etc. 

Chemin  faisant,  l'auteur  a  l'occasion  de  prouver  qu'il  con- 
naît la  littérature  en  vogue  de  son  temps.  L'arrivée  au  tournoi 
du  chevalier  qui  représente  la  Haine,  lui  rappelle  «  le  jour 
douloureux  »  de  la  mort  de  Roland  : 

Mais  il  avoit  gent  amenée 
796  Felonesse  et  desmesuree 

Plus  que  n'en  out  en  Roincevaus, 
Ou  fut  li  doUereuz  jornaus... 

Un  épisode  du  Roman  de  Tristan  est  évoqué  au  moment 
de  l'apparition  de  l'Avarice  sur  le  champ  de  bataille  : 

1104  Ne  sembloit  mie  le  Mor(t)heut, 
Qui  se  combati  a  Tristam, 
Qui  moût  iert  larges,  ce  dit  l'an... 

Il  peut  sembler  étonnant  que  notre  auteur  ait  pensé  à  cet 
homme  «  impitoyable  et  rude  »  '  pour  représenter  la  largesse. 
On  sait  que  l'épisode  du  Morholt  ne  se  trouve  pas  dans  les 
poèmes  français  sur  Tristan,  qui  sont  tous  fragmentaires.  On 
regrette  que  l'allusion  des  vers  ii04etsuiv.  ne  soit  pas  plus 
explicite.  Dans  le  poème  de  Gottfried  de  Strasbourg,  il  est  dit 
que  «  le  Morholt  était  un  duc  d'Irlande,  qui  eût  voulu  devenir 
souverain  de  quelque  pa\s,  car  il  était  hardi,  avait  des  terres  et  des 
richesses,  un  corps  robuste,  un  fier  courage  \  »  Un  peu  plus 
haut  5,  Gormont,  qui  devait  épouser  plus  tard  la  sœur  du 
Morholt,  est  présenté  dans  une  situation  analogue.  Il  est  dit 
que,  ne  voulant  pas  partager  avec  son  frère  la  terre  que  leur 
père  leur  avait  laissée  en  héritage,  «  il  se  mit  à  choisir  les 
hommes  les  plus  forts,  les  plus  preux,  les  meilleurs  aux  jours 
de  péril,  chevaliers  et  serjan:^,  tous  ceux  qu'il  put  attirer  à  lui 
par  sa  richesse  ou  par  sa  courtoisie,  et  il  abandonna  aussitôt 
toute  la  terre  à  son  frère.   Puis  il  quitta  l'Afrique  et  obtint  des 


1.  Voir  J.  Bédier,  Le  roman  de  Tristan,  I,  75. 

2.  Ib.,  p.  74. 
5.  /t.,  p.  73. 


522  A.    LANGFORS 

illustres  et  puissants  Romains  permission  et  pouvoir  de  possé- 
der en  propre  tout  ce  qu'il  conqucryait  par  la  force.,.  ».  Les  trois 
vers  précités  sont,  semble-t-il,  une  réminiscence  de  quelque 
passage  analogue    d'un  poème  français  perdu. 

Rappelons  enfin  que  la  représentante  de  la  débauche  dans 
le  Tournoiement  d'Enfer  s  àp^çWt  Richost  (v.  1810;  cf.  v.  397). 
Ce  n'est  pas  nécessairement  un  souvenir  direct  du  fameux 
fabliau,  car  c'est  le  nom  courant  de  l'entremetteuse,  qui  se 
trouve  entre  autres  dans  le  Roman  de  Tristan  de  Thomas 
(v.  1322). 

Pas  plus  que  ces  vagues  réminiscences  littéraires,  les  allu- 
sions historiques  ne  permettent  de  préciser  la  date  de  notre 
poème.  Quand,  à  propos  de  la  nombreuse  suite  qui  accompa- 
gne Ire,  Guerre  et  Mêlée,  l'auteur  dit  : 

861  Mais  onc  au  siège  d'Entioche 
N'ût  tent  de  gent  en  une  troche 
Coni  il  amainent  après  eus, 

il  fiiit  probablement  allusion  à  la  conquête  d'Antioche  par  les 
croisés  en  1098,  plutôt  qu  a  la  reprise  de  cette  ville  parles  Musul- 
mans, en  1268.  Cette  autre  allusion  est  plus  précise,  mais 
aussi  peu  utile  : 

Après  s'en  issi  Cruautez, 
820     Uns  chevaliers  moût  esfreez. 
Mes  il  amena  gent  o  soi 
Plus  que  n'en  orent  li  dui  roi 
Devant  Chatel  Raoul  l'autr'an... 


Il  s'agit  des  événements  des  mois  de  mai  et  de  juin  1187. 
Les  deux  fils  de  Henri  II  d'Angleterre,  Richard  et  Jean,  se 
trouvent  dans  Chàteauroux,  investi  par  Philippe-Auguste. 
Henri  II  arrive  avec  ses  troupes  devant  la  ville,  mais  inopiné- 
ment les  deux  rois  s'accordent  sans  engager  une  action  déci- 
sive. Cette  date  de  1187  forme  donc  le  terminus  a  quo\  mais 
on  n'en  avait  guère  besoin,  car  il  suffit  de  lire  le  poème  pour 
savoir  qu'il  est  du  xiii'  siècle. 

Avec    le     passage    suivant,   nous    sommes    décidément    au 


LE  TOURNOIEMEXl  D'ENFER  523 

xiii'=  siècle.  Il  se  trouve  à  la  suite  de  celui  que  nous  avons 
déjà  cité  à  propos  de  Tristan .  Le  chevalier  représentant  l'Ava- 
rice 

Ne  sembloit  pas  Jouhan  de  Dreues, 
Qui  en  beûst  et  en  nienjast 
1148  A  grant  planté,  et  en  donast, 
Et  dou  meillor  et  dou  plus  bel, 
Et  ne  feïst  ja  mes  husel 
Jusque  qu'il  eûst  tout  doné... 

Deux  contes  de  Dreux  ont  porté  ce  prénom  :  Jehan  I"", 
comte  en  1234,  mort  à  Nicosie  à  la  fin  de  1248;  et  Jehan  II, 
dit  le  Bon,  comte  en  1282,  mort  en  1307.  Le  premier 
est  mentionné  par  Joinville  '.  En  1241,  le  prince  Alfonse 
de  France  ayant  atteint  ses  vingt  et  un  ans,  des  fêtes  splen- 
dides  furent  données  dans  les  halles  de  Saumur  :  «  A  la  table 
le  roy  manjoit,  emprès  li,  li  cuens  de  Poitiers,  que  il  avoit 
fait  chevalier  nouvel  a  une  saint  Jehan  ;  et  après  le  conte  de 
Poitiers,  mangoit  li  cuens  Jehan  de  Dreues,  que  il  avoit 
fait  chevalier  nouvel  aussi  ;  après  le  conte  de  Dreues,  man- 
goit messires  li  roys  de  Navarre,  en  cote  et  en  mantel  de 
samit,  bien  parez  de  courroie,  de  fermail  et  de  chapel  d'or...  » 
On  ne  sait  si  ce  jeune  et  brillant  chevalier,  compagnon 
du  roi  Louis,  jouissait  d'une  réputation  de  faste  et  de  généro- 
sité. Le  surnom  donné  à  l'autre  Jehan  de  Dreux  permet- 
trait de  supposer  la  présence  chez  lui  de  ces  qualités.  Si  notre 
anonyme  a  pensé  au  premier,  son  poème  pourrait  être  du 
milieu  du  xiir'  siècle.  Si,  au  contraire,  il  s'agit  de  Jehan  II,  il 
est  plutôt  de  la  fin  du  même  siècle.  Certaines  particularités 
linguistiques,  comme  la  non-observation  de  la  déclinaison  et 
la  chute,  au  moins  occasionnelle,  des  vovelles  en  hiatus,  —  à 
moins  qu'elles  ne  soient  dues  uniquement  au  copiste  —  parle- 
raient en  faveur  de  la  date  plus  tardive.  Mais  il  ne  semble 
pas  possible  de  rien  affirmer. 


I.  Histoire  ik  saint   Louis,  éd.   N.    de  Wailly,  p.  34.   Cf.   Ch.-V.  Lan- 
glois,  dans  Lavisse,  Histoire  de  France,  III,  2,  p.  53. 


)24 


A.    LANGFORS 
(Paris,  B.  N.  fr.  i8oj,  fol.  iij  v  h) 

Ici  commaince  le  Tornaiment  d'Enfer 


Q_ui  or  vodroit  vers  moi  entendre    32 
Il  i  porroit  tel  chose  aprendre 
Dont  il  li  porroit  bien  venir  ; 

4       Pur  ce  fet  bien  a  retenir. 
Qui  set  le  bien  et  ne  le  dit 
Il  n'en  fet  mie  grant  profit;  36 

Mes  cil  qui  set  et  dit  et  fet 

8       Cil  peut  aler  seûr  au  plait 

Qui  iert  au  jour  dou  jugement. 
Mes  moût  le  fommes  autrement  :    40 

{fol.  114) 
Tex  set  lou  bien    qui  nel  vieust 

[dire, 

12     Ainz  le  tient  tent  que  il  empire* 
Je  tienz  a  fol  le  grenetier,  44 

Qui  a  le  blé  en  son  grenier, 
Sou  lest  porrir  et  eschaufer 

16     Ne  nou  vieust  vendre  ne  doner. 
Et  voit  ceuz  qui  en  ont  mestier,    48 
Ou  il  le  peut  bien  emploier. 
Autel  est  cil  qui  set  le  bien 

20     Et  il  n'en  vieust  ensaignier  rien  : 

Porrir  le  lest  si  con  le  blé  52 

Dont  ge  vos  ai  devant  conté.  . 
Quant  la  mort  vient,  qui  rienz 

[n'aperne, 

24     Adonc  chascuns  ne  set  le  terme  :    56 
Puis  que  la  mort  l'a  aprochié, 
A  voz  son  san  moût  empirié  : 
Quant    elle    le   prent,     si    prant 

[tout.    60 

28     Moût  est  dont  cil  mauves  et  glot 
Qui  set  le  bien  et  ne  le  dit 
Tent  com  il  peut  avoir  respit. 
Por  endroit  moi  nel  di  ge  mie,       64 


Que  je  feroie  grant  follie, 
Quar  je  n'en  se  se  petit  non  ; 
Mes  cil  fet   a    Dieu  moût  biau 

[don 
Qui  li  done  ce  que  il  a . 
Cil  qui  poi  set  et  poi  dira  : 
Icils'aquite  loiaument, 
Selonc  le  bon  entendement. 
Se  uns  povres  avoit  un  pain. 
Et  il  eust    au    cuer    grant  fain, 
(>/.  ii4h) 
Et  fust  ainsinc  que  il  fust  voirs 
Qu'il  n'eùst  plus  de  touz  avoirs, 
Si  le  donast  por  amor  Dé, 
Et  uns  riches  eùst  de  blé 
Cent  muis  ou  plus  en  un  grenier, 
Si  donast  tout  fors  un  setier. 
Qui  avroit  plus  servi  a  Dé, 
Ou  cil  dou  pain  ou  cil  dou  blé  ? 
Qui  a  resson  aguarderoit. 
Cil  qui  done  quenqu'il  avroit, 
Ou  c'il  guaigne  .iiii.  deniers 
Ou  .V.  ou  .VI.,  et  blez  est  chiers. 
Si  est  soi  quint  ou  est  soi  quart, 
Moût  en  peut  fere  malle  part  ; 
Quant  est  asis  a  son  digner 
Li  povres  li  vet  demender 
Dou  pain  por  le  saint  Esperit, 
Mes  devant  soi  en  voit  petit. 
Et  neporquant  pitié  l'en  prent  : 
De  son  pain  taille,  si  li  tant, 
Sou  mengast  il  moût  voleutiers  ; 
Certes,  il  est  droiz  aumôniers 
Qui  de  sa  boche  le  retret. 
Li  riches  autrement  le  fet. 


2  II  li  —  8  a  plait  —  23  aperne  est  écrit  avec  un  p  barré  —  24  terme  est 
écrit  avec  V abréviation  de  tx  —  33  Quar  est  écrit  en  abrégé  Qz  —  43  Dieu  — 
47  Dieu  —  51  II  faut  peut-être  corriger  le  vers  ainsi  :  Qui  gaaigne  .lili.  deniers 
—  55    Au  lieu  de  quart,  le  copiste  a  d'abord  écrit  quars. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


525 


Que,  quant  il  a  mengié  assez 
Tant  qu'il  a  toz  plainz  les  cotez, 
Que  il  n'en  peut  plus  sostenir 

68     Ne  plus  gouster  ue  plus  soufrir 

Ne  plus  guasterne  plusdestruire. 

Et  tent   a  mis  de  la   char   cuire 

(fol.  114  v°) 

Qu'il  en  remest  une  grant  pièce, 

72     Sa  famé  apele:  «  Dame  Tiece, 
Estuiez  ce  a  le  matin, 
Qui  noz  fera  boivre  dou  vin, 
G  un  petit  de  sel  menu.  » 

76  Et  cil  qui  sont  de  fain  velu 
Crient  et  braient  au  degré, 
Qui  décrier  sonttuit  lassé; 
S'ont  le  relief  et  le  chaudiau, 

80     Enquore  leur  sera  il  biau. 

Qu'en  feroit  il  s'il  nou  donoit, 
Quant  il  mengier  ne  le  porroit  ? 
Mes  Diex  n'a  pas  le  bon  morsel 

84     Ne  Diex  n'a  pas  le  bon  mentel, 
Le  bon  sercot,  la  bone  cote, 
Le  bon  heusel,  la  bone  bote, 
Ne  quant  la  cote  est  perciee 

88     N'est  elle  pas  por  Dieu  donee. 
Telle  eure  est,  si  levieust  l'en, 
Ice  ne  tienz  je  pas  a  san, 
Ou  en  fet  cote  a  son  enfant 

92     Ou  il  la  done  a  son  serjant 
En  guerredon  d'autre  loier, 
Si  le  porroit  miex  emploier. 
Je  ne  di  pas,  s'a  son  serjent 

96     A  tout  paie  son  couvenent, 
Se  il  li  done  de  sa  robe 
Aucune  foiz,  c'il  le  voit  povre, 
Que    il    en    face   ce  bien    non, 
(fol.  114  v°  h) 

100  Por  qu'il  ne  soit  en  guerredon 


De  sa  déserte  retenir  ; 
^       Issinc  li  porroit  bienz  venir. 
Or  parlleroi  des  chevaliers 

104  Dont  il  i  a  poi  d'aumôniers. 
Cui  douent  il  les  bonz  mentiaus. 
Les  bonz  sercoz,  les  biaus  joiaus, 
Les  bones  robes  d'escarlete, 

108  Dont   maint  chevron    et   mainte 

[late 
Sunt  vendues  por  l'acheter  ? 
Ja  n'en  verrez  Dieu  afubler. 
Qui  ?  Uns  lichierres  et  uns  guars. 

112  Savez  por  quoi  ?  Quar  li  couars 
Crient  trestorjors  qu'il  en  mesdie. 
Mais  se  uns  fet  chevalerie 
Ou  proesse  ou  hardement, 

116  Seù  est  bien  par  maintes  genz. 
Por    ce,     s'uns   guars  loue    un 

[mauves 
Cuide  il  honor  avoir  adès 
Por  la  louenge  a  un  guarson, 

120  S'il  li  done  un  sien  auqueton 
Ou  son  sercot  ou  son  cheval, 
Que  il  ne  die  de  lui  mal  ? 
La  robe  neuve  qu'il  a  fête, 

124  Que   ne   guarde   il    dont  il    l'a 

[traite  ? 
Qu'il  l'a  a  son  home  tollue 
Et  pris  les  beus  a  sa  charrue 
Et  le  destruit  por  un  guerson, 

128  Si    li     fet     vendre     sa     messon 

(fol.  Ily) 

Et  de  sa  terre  tout  le  miex. 
Plorer  le  fet  sovent  aus  eilx, 
Et  sa  mesnie  environ  lui  ; 
1 32  Vivre  le  fet  a  grant  annui. 

Moût  venist  mielx  que  cil  eùst 
La  meilleur  robe  sans  refus 


66  plaiz  —  68  Ne  plus  guaster  —  79  Sil  ont  (vers  faux)  —  87  Corr.  Nés 
(?)  ;  peciee  —  89  Le  vers  parait  corrompu.  Est  est  écrit  en  abrégé  ê  (peut-être 
=^  en,  ensi  ?)  —  96  côvenent  —  104  il  li  a  —  113  qui  len. 


526 


A.    LANGFORS 


Qui  li  a  la  neuve  achatee, 

136  Que  fust  a  un  guarson  donee. 
Il    i  eûst  plus  grant  honor 
Que  de  doner  au  lecheour. 
Mes  or  les  voi  si  atorné 

140  Que  a  leurs  homes  ne  a  Dé 
Ne  veuUent  il  point  repartir  ; 
Les  lecheours  en  voi  joïr, 
C'est  li  usages  qui  or  court. 

144  Cornent  le  font  cil  de  la   court, 
Li  roi,  li  conte,  li  baron. 
Qui  por  doner  a  un  guarson 
Destruira  un  de  ces  borjois? 

148  Ce  ne  commende  pas  la  lois 
Que  l'en  toille  a  home  rien 
S'il  ne  forfet,  ce  sachiez  bien. 
Ja  me  jujeroit  l'en  a  pendre 

152  Se  j'aloie  de  l'autrui  ptendre, 
Ou  a  force  ou  en  larrecin, 
Ou  en  voie  ou  en  chemin  ; 
Et  cil  por  quoi  me  tost  le  mien 

156  Quionc  n'i  travailla  de  rien, 


172  Se  autres  bienz  ne  la  leur  donc. 
Je  ne  di  pas  tout  por  les  rois, 
Que  onquore  le  font  sordais 
Et  duc  et  conte  et  chastelain. 

176  Mes  ma  parole  guasten  vain, 
Quar  ja  ne  leront  rienz  por  ino 
Li  duc,  li  conte  ne  li  roi, 
Si  proveroie  par  resson 

180  Que  dou  tolir  font  dareson 
A  ceus  qui  la  raison  entendent 
Et  de  droiture  que  il  vendent. 
Comment  vendent  il  la  droiture, 

184  Droite  justice  ne  droiture  ? 
Tout  aie  je  resson  et  droit 
Et  aille  a  la  cort  orendroit. 
Si  n'i  avrai  je  pas  reson 

188  Se  ge  n'i  fès  promese    ou  dom 

{fol.  II j  v°) 
Et  quant   j'avrai  dou  mien  pro- 

[mis. 
Se  cil  qui  a  viers  moi  mespris 
Leur  done  plus  que  je  ne  fès. 


Que  j'ai  conquis  a  grant  ahan  ?    192  Si  est  li  espérons  virés. 


Dont  ne  fu  il   d'Eve  et  d'Adem 
{fol.   II j  /') 
Si  con  je  fui  ?  Oïl,  par  foi. 

160  Por  ce,  ce  l'en  l'apelle  roi. 
Si  me  toudra  le  mien  a  tort. 
Il  ne  se  peut  guarder  de  mort 
Mes  que  je  puis,  ce  m'est  aviz. 

164  Sera  il  rois   en  paradis 
Mes  que  sera  li  povres  hom 
Qui  il  avra  toloit  le  som  ? 
Ouil,  certes,  c'il  le  desiert, 

168  Mes  autrement  n'iert  ja  soufiert, 
Que  por  tolir  ne  por  taillier 
Ne  por  les  povres  essillier 
N'avront  il  pas  ou  chief  corone 


Or  palleron  des  riches  clers, 
Qui  chascun  jor  veulent  .111.  mes. 
Ou  .1111.  ou  .V.  par  aventure: 

196  Tent  traient  aspre  vie  et  dure 
Que  sont  et  si  gras  et  si  gros 
Que  l'en  n'i  peut  sentir  les  os, 
Et  ont  les  robes  traïnens, 

200  Les  aumonieres  et  les  guans. 
Et  li  povres  meurent  de  fain  ; 
Ainz  en  avroit  une  putain 
Trait    .xiii.    sous   que   Diex  un 

[euf, 

204  Ou  un  bon  pelison  tout  neuf. 
Ou  une  cote  ou  un  sercot  ; 
Dou  plus  saje  font  le  plus  sot 


157  II  li  —  139  le  voi  —  140  Qz  —  165  Me  que  —  166  Que  il  —  177  Qz 
184  La  répétition  du  même  mot  ci  la  rime  est  sans  doute  une  faute  —  193  Er 
{fauise  initiale)  —   197  Que  est  peu  clair    (Qui  ?)  —  206  fet. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


527 


Les  doulereuses,  les  honies.  Toz  seus  chevauchaie  un  chemin 

208  Que  dirai  je  desabaïes,  244  Et  fui  levez  moût  bien  matin. 
Qui  sont  si  mises  a  pain  quierre  Si  con  l'aube  fut  aparue 

Qu'entre  la  chierté  et  la  guierre  Trovai  au  destroit  d'une  rue 

Ne  les  ont  pas  si  désertées  Un  escuier  tout  atourné 

212  Les  abaïes  ne  grevées  (fol.  116) 

Con   les   putains    ont    par  leur  248  Et  un  cheval  tout  enselé, 

[mainz  ?  Que  il  menoit  par  mi  le  frain. 

Que  dirai  je  des  chapelainz,  Une  lance  tint  en  sa  main 

Qui  sont  es  villes,  es  chapelles,  Et  un  escu  ot  a  son  col  ; 

216  Qui  veuUent  avoir  les  plus  belles  252  De  ce  nel  tins  je  pas  a  fol; 
De  toutes   leurs   parroisiennes  ?  Et  il  me  salua  premiers 

(fol.  11^  v°b)  Et  si  medist:  «  Biaus  sirechiers, 

Biaus  sire  Diex  !  quex  crestien-  Nostre  Sires  voz  dont  bons  jours.  » 

[nés  !  2)6  Et  je  li  dis  par  grant  amour  : 


Quant  sis  sires  est  en  l'aree, 

220  Qui  a  menjé  une  toutee 

Et  muert  de  froit  a  la  charrue. 

Elle  se  grate  toute  nue 

Ou  le  provoire  en  sa  messon  : 

224  Ou  a  plus  mortel t raison? 

Bien  s'est  cil  mis  ou  leu  Judas 
Qui  menjue  le  chapon  gras 
Et  les  gelines  au  preudome. 

228  Ont  il  ce  aporté  de  Rome  ? 
Je  tienz  a  mauves  le  pastor 
Qui  prent  les  bestes  son  seignor 
Et  si  les  vet  livrer  aus  lous. 

232  Li  provoires,  ce  fêtez  voz  : 

Celle  que  voz  avez  en  guarde, 
Qui  est  folle  chose  et  couarde 
A  bien  fere  et  a  mal  hardie, 

236  Menez  par  vostre  tricherie 

Aus  louz  d'enfer  por  dévorer, 
Si  le  porroiz  bien  comparer 


«  Biaus  douz  amis,  cil  noz  conduie 
Qui  fist  les  foudres  et  la  pluie. 
Mes  dites  moi,  ce  vos  volez, 
260  Amis,  quel  part  voz  en  alez. 

—  Je  vois  a  un  tornaiement. 
Ou  asemblera  mainte  gent. 

—  Tornaiement  ?  —    Voire,  par 

[foi, 
264  Et  c'il  voz  plest,  venez  o  moi  ; 
Je  vos  menroi   moût  volentiers  : 
Venir  porrez  les  chevaliers 
Et  le  tornaiement  ferir, 
268  Se  vos  volez  o  moi  venir. 

—  Biaus  douz  amis,  est  il  moût 

[loin  ? 

—  Nenil,  venez,  car  j'ai  besoin, 
Que  mis  sires  tornoiera 

272  Et  cestes  armes  portera 
Et  montera  sor  se  cheval  ; 
C'est  cil  qui  onques  nefistmal.  » 


.  .    Quant  je  l'oï  ainsint  parler, 

240  Por  cest  pechié  que  je  vos  nome  276  L'escu  ai  pris  a  reguarder, 

Vi  un  tornoiement  ferir,  Si  vi  que  il iot  portrait  {fol.  116  h) 

Insint  con  vos  porroiz  oïr.  Un  home  simple,  moût  bien  fet. 


222  Et  elle  {vers  trop  long)  —  249  Que  i  menoit  —  260  Amis  manque 
268  a  moi  —  277  Si  vi  ql  i  ot  portait  {sic). 


528 


A.    LANGFORS 


Et  qui  donoit  a  grant  planté 
280  Pain  et  deniers,  por  amor  Dé. 
Lors  demendai  a  Tescuier 
Qu'il  me  nomast  cest  chevalier  : 
«  Qui  tel  escu  et  lence  porte 
284  Arrivez  est  a  bone  porte 
Ce  il  fet  ce  que  senefie.  « 
Et  il  me  dist  :  «  Ne  doutez  mie  : 
Encor  en  fet  il  plus  asez. 
288  Li  sires  a  non  Charitez. 

—  Charitez  ?    —    Voire,    sire, 

[voir. 
Et  si  est  de  moût  grant  pouoir. 

—  Biauz   douz   amis,   et   dont 

[vendront 
292  Icil  qui  le  tornoi  feront  ? 

—  Sire,  viendront  de  .11.  citez. 

—  De  .11.  ?  —  Voire.  —  Or  les 

[nomez. 

—  Sire,  l'une  a  nom  Paradis, 
296  Et  l'autre  Enfer,  ce  m'est  avis, 

Mes  elles  ne  sont  pas  igual  : 
L'une  est  amont  et  l'autre  aval, 
Et  cil  d'aval  sont  assez  plus, 

300  Et  si  ne  seront  ja  desus.  » 
Tant  chevauchâmes  embedui 
Que  nos  venimes  a  un  pui 
De  Paradis  premièrement, 

304  Et  vi  issir  icelle  gent. 

Premiers  s'en  ist  Humilitez, 
Uns  chevaliers  moût  alosez. 
Mais  poi   de  gent  out    ovec  soi, 
{fol.  116  ro) 

508  Qu'o  lui  ne  vindrent  pas  li  roi 
Ne  li  prince  qui  terre  tiennent 
Ne  de  rien  ne  li  apartiennent. 
Humilitez,  qui  vint  o  voz  ? 

312  N'i  vindrent  pas  li  orgueillos, 
Ne  li  cruel  ne  li  félon  ; 


Ne  sont  pas  vostre  compaignon. 

Diex  !  ou  est  cil  qui  s'umelie 
516  Et  qui  nostre  Seignor  mercie 

De  sa  povreté,  se  il  l'a  ? 

Certes,  ne  sai,  poi  en  i  a, 

Ainz  s'en  corroce  et  s'en  iraist, 
320  Et  li  ennuie  et  li  desplaist. 

Et  dit  a  Dieu  :  «  Que  vos  doi  je 

Qui  ne  m'avez  nul  bien  baillié? 

Cil  riches  hon  voz  doit  assez. 

324   » 

Li  quex  sont  mais  humilieux 
Ne  des  provoires  ne  piteux  ? 
c  Qui  me  ferra,  je  le  ferrai  ; 

328  Ja  humilité  n'i  avroi.  » 

Diex  ne  le  mostra  pas  par  soi  : 
«  Au  referir  qui  ferra  moi.  » 
Car  vos  savez  qu'il  fut  feruz, 

332  Lediz,  ?copiz  et  batuz 
Par  les  félons   Juïs  tirens. 
Iceste  humilitez  fut  grans 
Quant  li  sires  de  tout  le  monde, 

356  Qui  tout  peut  tuer  et  confondre, 
Soufrit  qu'il  fust  en  la  croiz  mis 
Por     délivrer     toz     ces     amis. 

(Jol.  116  T'O  b) 

Humilitez,  vos  fûtes  la, 
340  Que  cil  Sires  vos  amena 
Qui  en  la  Vierge  descendié 
Por  noz  délivrer  de  pechié, 
Par  quoi  nos  estions  dempné. 
344  La  fustes  vos,  Humilité, 
Ou  ventre  la  Vierge  pucele  : 
Iceste  humilitez  fut  bêle 
Quant  cil  qui  tout  a  en  sa  main, 
348  Et  ciel  et  terre,  bois  et  plain, 
Descendi  en  terre  por  nos. 
Humilitez,  il  mut  par  vos  : 
Vos  fûtes  li  huis  et  la  porte. 


280  dieu  —  283  Qui  ce  lescu  et  sa  lence  porte 
vers  —  329  le  manque  —  345  de  la. 


324  //  manque  ici  un 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


529 


352  Moût    est  dont  (aus  qui  ne  vos 

[porte, 
Car  voz  fustes  la  commainsaille  ; 
Par  vos  vint  il  en  la  bataille 
Qui  fut  au  jor  dou  vendredi, 
356  Et  par  ceste  resson  vos  di 
Que  Humilités  premiers  issi 
A  l'asemblee  que  je  di. 
Après  s'en  es.  issue  Amours, 
360  Uns  chevaliers  de  graiit  dousor, 
Frans  et  cortais  et  amoureux. 
Mes  de  s'amor  n'est   mie  jeux  : 
Il  n'eme  rien  se  a  droit  non. 
364  Ne  furent  guierescompaingnon. 
Diex   1   et  por    quoi   ne    l'ot  il 

[mie  ? 
Car  ou    monde    a,    n'en    dotez 

[mie, 
Et  fauccté  et  tricherie. 
368  ChascuhS    faus  dit  qu'il  a   amie 

ifol.  117) 
Et  que  il  est  verais  amis. 
Certes,  non  est,  que  a  envis 
Apelledame  ami  celui 
372  Q.ui  sa  grant  hon  e  et  son  annui 
Quiert  et  porchase  a  son  pouoir. 
Por  lui  trahir  et  décevoir 
L'acoUe  et  besse  con  lechierre 
376  Et     li     dit    :     «    Douce    amie 

[chiere, 
Ja  voz  ainz  je  de  bone  amour.  » 
Ha,    Diex    I    con     la     traïst    le 

[jour 
Li  desloiauz,  li  doulereux, 
380  Que    il    ne    het  tant    com    aus 

[deus. 
Il  devroit  dire  en  sa  parolle  : 
Cil  lichierres  qui  voz  acoUe 


Voz  en  vieust  en  enfer  mener. 
384  Or  douloreuse  de  l'aler  ! 

A,  Diex  !  si  maie  compaignie  ! 
Ne  celé  n'est  or  pas  s'amie 
Q.ii  en  enfer  s'en  vet  ou  lui  ; 
388  Mauvessemcnt      meurent      en- 

[dui. 
C'ele  en  voloit  le  voir  eslire 
Elle  dcvroit  au  musan  dire  : 
«  Ceste  mauvesse  lichierrcse 
392  Ne  refuse  pas  la  promesse 

Que  vos  li  fêtez,  ainz   la   prent 
Alons,  diables  noz  atent, 
Nos  n'i  avons  que  demourer. 
596  Qi-ii  porrons   noz  o  noz  mener  ? 
Richost,  voire,  qu'en   sa   meson 
Le  matinet  asembleron, 
Si  n'irons    pas    en    enfer    seus  : 
ifol.  117  b) 
400  Miex   nos  vient    estre  .iii.   que 

[.h.  » 
Ainsint  devroicnt   il  parler, 
Mais  il  s'en  sevent  bien  guarder, 
Ainz      dit    qu'il   est     ces    bons 

[amis, 
404  Mais  ledement   i  a  mespris  : 
11  n'est  amis  ne  elle  amie. 
Iccle  amours  soit  la  honie 
Par  quoi   l'en    pert  l'ame    et  le 

[cors; 

408  A  maie  amours  se  sont  amors. 

D'une  autre  amor    vos  veil  par- 

[1er, 
Ja  ne  lerai  por  demorcr, 
Que  cil  de  court  ont  aportee. 
412  Amours  est  d'une  escolee 

Si  simplement  com  uns  aignîaus- 
Et  li  sen  en  est  si  très  biaus, 


552  dons  —  368  vrais  —  370  qui  anemis  —  375  comme  .1.  lechierre  — 
380  ql  ne  hec  tantcô  aus  .11.  {t^ers  peu  clair;  faut-il  entenJi'e  ansdcus  ?)  — 
403  qui  ê  —  408  mal  —  414  très  manque. 

Romania,  XLIV,  34 


530 


A.    LANGFORS 


Mes  vos  n'en  porterés  ja  plus. 

416  Por  quoi  ?  Qu'il  ne  l'ont  pas  en 

[us. 
Iceste  amours  si  est  de  braz, 
Ja  n'en  avrez  autre  solaz, 
Et  de  cort  vint  premièrement, 

420  Mes     or    s'i     prannent     autres 

[gent  : 
N'est  mes  amors  que  d'acoler 
Et  de  promestre  sanz  doner. 

Après  s'en  est  issuz  Piliez, 
424  Uns  chevaliers  bien  enseigniez. 
Mes  poi  de  gent  ot  avec  lui, 
Si  me  torna  a  grant  annui. 
Pitiez,  vos  estes  oubliez, 
428  Pitiez,  vos  estes  mal  menez  : 
Dou  povre  n'a  pitié  li  riches, 
Ainzest  viers  lui  avers  et  chiches, 
{fol.  7/7  fo) 
Poi  li  done  s'il  le  voit  quierre  ; 
432  Mes  se  il  a  lés  lui  sa  terre, 
Il  li  preste  de  son  avoir, 
Pour  ce  que  bien  cuide  avoir 
Sa  terre,  qui  est  joustelui. 
436  De   son    froment    li   preste   un 

[mui 
Au  terme  de  la  saint  Romi  : 
Li  plus  des  grainz   en  sont  porri, 
Si  le  vent  plus  que  le  bon  blé, 
440  Que  besoigneux  ne  guarde  gué. 
Tent  li  preste  que  il  ne  peut 
Rendre,  a  vendre  li  estent. 
Or    est    li    richez   lionz     moût 

[liez, 

444  Or  est  cis  chanz  moût  aleissiez . 

«  Par  foit,   fet    il,    or   est    moût 

[bien  : 
Geste  terre  ai  por  poi  dou  mien, 


Por  un  seul   mui  de   mon    fro- 

[ment, 
448  Qui  ne  valloit  mie  grantment. 
Biauz    fiz,     ainsint     devez    vos 

[fere, 
Ainsint  devez  vos  avent  traire, 
Biauz     (ïx,     ainsint    vos    devez 

[vivre.  « 
452  Oucz  ore  corne  il  l'enivre  : 
Aus  annemis  le  livre  adès 
Quant    li   enseigne  que  il  prest 
Et  a  usure  et  a  pechié. 
4)6  Cil  qui  la  terre  li  vendié 
N'avra  ja  mes  par  lui  aïe. 
Pitiez,  illeuc  n'estes  vos  mie, 
Pitiez,    cil    ne    vos    vieust    nul 

[bien, 
460  Pitiez,     cil    vos    hct     plus     que 

[chien, 
Cil  n'est  mie  en  vostre    conroi, 
{fol.  11/  v°  h) 
Pitiez,  cil  n'a  pitié  de  soi, 
Et  quant  il  n'a  pitié  de  lui 
464  Comment  avra  pitié  d'autrui  ? 

Après  s'est  issue  Larjasse, 
Uns  chevaliers  de  grant  proesse. 
Mes    cis    conroiz    ne    fut     pas 

[granz. 
468  Saignors,      Larjesse     est    moût 

[vaillenz, 
Mes,  ce  sachiez  tuit,  parLargese 
Viennent  maint  home  en  grant 

[hautese 

Et  vient  en  plus  graignor  amour, 

472  Qui  vaust  assez  plus  que  honor. 

L'en  feî  hui  honor  a  tel  home 

Que  l'en     vodroit  qu'il    ftjst    a 

[Rome, 


471  //  faut  peut-être  corriger  ainsi  :.  Et  viennent  en  graignor  amour. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


531 


Mes  en  amor  n'a  se  bien  non. 
476  Eme  l'en  l'orne  por  son  don  ? 

Oïl,  ja  n'en  sera  tornez 

Que  por  son  don  ne  soit  amez 

Et  honorez  et  chier  tenuz . 
480  Largese  a   moût    hautes  vertuz, 

Mais   ne  set  pas   chascuns  pro- 

[ver 

Li  quel  sont  large  ne  aver. 

Cil  est   larges,  et  bien  le  croi, 
484  Qui  est  larges  viers  celui  roi 

Qui  si  fut  larges  que  nus  plus, 

Ne  ja  si  larges  n'iert  mes  nus. 

Honc  ne  fut  rois  de  sa  largece 
488  Quant  il  son  cuer  mist  en  des- 

[tresce 

Por  nos  et  le  livra  a  mort. 

Dont  cuit  je  que  cil  a  tort 

Qui  ne  est  larges  viers  celui 
492  Qui  tant  soufrit  por  noz    annui 

(fol.  1 18) 

Que  il  en  fut  en  la  croiz  mis  ; 

Moût  noz  fut  larges  et  amis. 

Après  celui  s'en  issi  Pais. 
496  Cil    n'ama  onc  noise    ne    plais. 

Guerre  ne  noise  ne  tenson. 

Saignor,  en    Paiz    a    moût   bon 

[non, 

Que  Diex   meïsmes  si  est  Pez  ; 
500  Ne  doit  pas  estre  cis  non  lez. 

Mais  il  a  moût  seur  Pez   a  dire. 

Car  lion  qui  a  en  sou  cuer  ire 

Ne  covoitise  de  l'autrui 
504  Icil  n"a  mie  Pez  o  lui. 

Mais  celui  tienz  je  a  apaié 

Qui  a  son  cuer  asouagié 


Que  il  ne  bee  plus  avoir, 
508  Vigne  ne  terre  ne  avoir, 
Ainz  li  soufist  ce  que  il  a, 
Ne  viers  nuUui  rencune  n'a, 
Ainz  les  aime  de  bone  amor  ; 
512  Mais  moût  en  i  vint  poi  le  jor. 
Ce  fut  domages  et  péchiez  ; 
Moût  i  a  poi  des  bien  amez. 

Après  s'en  issi  Astinence. 

516  Cil  en  ot  plus  après  sa  lence, 
Maiz   ne    fait    pas    chascuns    a 

[droit 
Astinence  si  com  il  soit, 
Et   sachiez    bien,    se    Diex   me 

[saust, 

520  Que  tiex  jeûne  poi  li  vaust, 

Que  tiex  se  guarde   de  mengier 

Qui  son  voisin  vieust  enginier' 

(fol.iiS  /») 

Ou  vieust  trahir  son  compaignon, 

524  Ou  vieust  ardoir    autrui   meson. 
Ou  vieust  gésir  ou  sa  comere 
Ou  a  la  famé  son  compère. 
Miex  li  vendroit  assez  mengier 

528  Que  il  feïst  icel  mestier. 

Mes  qui  adroit  vieust  jeûner, 
Fere  astinence  et  concirrer, 
Doit  jeûner  en  une  guise. 

532  Voilez  que  je  le  vos  dévisse  ? 
Jeûne  doit  avoir  .11.  eles. 
Si  vos  sai  bien  a  dire  queles  : 
C'est  aumonsne  et  oroison  ; 

536  Icil  jeûsne  parresson. 

Après  s'en  eissi  Loiautez. 
Icil  n'ot  mie  genz  assez, 
N'i  ot  de  gent  ce  petit  non  ; 


490  Pour  rélablii  le  vers,  il  suffit  de  lue  icil  —  491  est  est  écrit  en  abrégé. 
Pour  écarter  Vhiatus  choquant,  on  pourrait  lire  Qui  n'est  larges  enviers  celui  — 
497  noise,  qui  se  trouve  déjà  au  vers  précédent,  est  sans  doute  une  Jaute  — 
527  megier  (megiez  ?).  Après  ce  vers,  une  autre  main  a  ajouté  en  interligne  : 
Char  en  karesme,  de  voir  sachiez  —   550  Ferere. 


532 


A.    LANGFORS 


540  N'i  vindrent  mie  li  larron  ; 
Li  parjuré,  li  foi  menlie 
Ne  sont  pas  en  sa  compaignie  ; 
N'i  vindrent  mie  clievalier, 

544  Ne  cil  qui  plaident  por  loier, 
Por  eschever  droit  et  mesure  ; 
Icil  n'ont  de  loiauté  cure  ; 
N'i  vindrent  mie  marcheant, 

548  Dont  moût  i  a  de  mescheant, 
Qui  les  orroit  au  semadi, 
Ou  tent  a  juré  et  menti  : 
«   Veez  quel  vert  et  quel    bru- 
[nete, 

552  Veez  comme  est  dougee  et  nete. 

{fol.  118    l'o) 

Ele  ne  fut  pas  fête  a  Gant. 

Sire,  mes  car  ostez  voz  guant, 

Si  la  bailliez  a  la  main  nue  ; 
556  Elle  n'est  pas  grosse  ne  vellue. 

Et  qui  vodra  terme  de  .1.  mais 

Les  .XX.  sodées  .xxiii.. 

Ou  .XXV.  por  .xxvn.  » 
560  Icil  n'a  mie  bon  atret. 

N'i  vindrent  mie  peletier, 
Qui  font  les  druz  motons  pignier 
Tent    que    il'  sont     dougiez   et 

[biauz, 
564  Puis     les     vendent     por     bons 

[aigniaus 
Et  jurent  saint  Père  et  saint  Pol  ; 
«    Veez    quel    cuir,    veez    quel 

[pol, 
Qu'il  n'a  meillor  en   ceste  foire, 
568  Ice  voz  fès  ge  bien  acroire,  « 
Et  il   meïsmes  a  meillor. 
Assint  esploitent  li  plusor. 

N'i  vindrent  pas  cordoannier  : 


572  Por  cordouan  de  Monpellier 

Nos  vendent  dou  mouton  paré 

Illeuc  n'a  point  de  loiauté. 

N'i  vindrent  mie  li  bouchier  : 
576  Mieux  se  leroicnt  escorchier 

Qu'il  venissent  ou  Leiauté. 

Maint  pié  de  truie  seursemé 

Vendent  sovent  por  bone  char  ; 
580  Elle  ne  cuiroit  pas  d'un  char 

Se  l'en  l'avoit  tout  mis  en  feu  ; 

Et   par   ceste    resson    vos    preu 
(fol  iiSvoh) 

Qu'il  n'ont  cure  de  loiauté. 
584  Seg'i  avoie  bien  pencé. 

Assez  i  a  autres  raisons  : 

Il    vendent   chievres    por   mou- 

[tons 

Le  jor  de  feste  saint  Jouham, 
588  Et  un  mauves  turriau  d'un  an 

Vendent  por  bone  char  de  beuf. 
Et  elle  ne  vaut  pas  un  euf. 

Talemelier  n'i  vindrent  pas, 
592  Qui  par  herbaust    sont   gros  et 

[gras 

Et   par    bon    tenz    meurent    de 

[fain  ; 

Toz  jorz  aiment  chierté  de  pain  . 

N'i  vindrent  mie  li    munier, 
596  Qui  sevent  bien  les  sas  vuidier 

Et  les  poiches  et  les  sachons, 

Et  doivent  pendre  les  larrons, 

Mes  ce  il  les  pendoient  toz 
600  Sempres  seroit  li  gibet  roz. 

Qu'il    n'i    remaindroit    ja     uns 

[d'eus 

Qu'il  ne  pendissent   par  les  cols. 

N'i  vindrent  pas  li  userier, 
604  Qui  l'ame  ont  viz  et  le  cors  chier. 


550  II  faut  peut-être  corriger  0\\X —  552  V.  comme  elle  est  —  556  Vers  trop 
long;  il  faut  peut-être  supprimer  pas  —  573  dou  manque —  580  Et  elle 
—  ) 99  pedoieot  —  60 j  mie. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


533 


Mes  li  cors  n'est  que   porreture, 
Viende,  amorse  et  norreture, 
Se  savez  vos  chascuns  par  soi  : 
608  Les  belles  maiiiz  et  li  bel  doi, 
Ou  l'en  mest  ore  les  anniaus, 
Seront  mengié  toz  de  vermiaus, 
Qui    istront  hors   de  la  charoi- 


Li    viaus  le  tient   tant    com  il 

[peut, 
640  Et  quant  a  guerpir  li  estuet, 
Se  paise  lui,  lors  se  confesse, 
Maugrez    en  oit   il  s'il  le    lesse 

(fol  119  b) 
Quant  il  nel  peut  plus   mainte- 

[nir, 


612  Qui  purra  plus  que  escbaloigne  :    644  Et  quant   au  cors  l'esteut  guer- 


616 


620 


(fol.  119) 
Naistront  li  ver,  qui  mengeront 
La  char  que  il  i  troveront. 
Le  cuer,  le  faie  et  le  pomun, 
La  belle  bouche  et  le  menton  ; 
La  belle  face  couloree, 
Qui  or  est  tent  sovent  lavée, 
Sera  mengee  de  ces  vers. 
Moût  est  li  changierres  diviers 
Qui  done  l'ame  por  le  cors; 
A  mauves  jeu  se  sont  amors. 


[P'"-, 


624 


Enprès  s'en  ist  Virginitez, 
Et  si  fut  o  lui  Chasteez, 


628 


63: 


6^^6 


Par  foi,    li    cuers     nel   guerpist 

[mie, 
Ainz  ce  deliste  en  sa  follie 
Et  li  est  bel,  dont  il  le  fet  : 
648  Se  paise  lui,  certez  ce  fet, 

Qu'il  ne   l'ait   dou    cuer  et  dou 

[cors  ; 
Je  ne  di  pas  qu'il  en    soit   hors* 
Enquore  i  a  un'  autre  rien 
652  Que  je  vos  sai  a  dire  bien  : 
Quant  li  ons  a  son  pechié  fet 
Ne  li  siet  pas  s'il  nel  retrait 
Et  le  conte  a  son  compaignon. 
Dui  chevalier  qui  moût  s'entr'e-    656  Or  oez  or  si  grant  sermon, 

[ment,  Comme  il  le  chastie  et  ensaigne. 

Mais  si  petit  de  gent  amainent  Que  de  la  follie  l'empraigne. 

Que  je  m'en  sui  toz  esbahiz,  Cil  se  porpence  maintenent  : 

Tent  poi  en  vi  au  poignaïz  660  Or  ne  vaus  je  ne  tant  ne  quant 

Se  je  ne  mainz  autretel  vie  ; 
Hons  ne  vaust  rien  s'il  n'a  amie. 
Amie  ?  Je  n'ai  pas  bien  dit  : 
664  N'est  pas  amie  qui  ocit 

L'ame   et    le   cors    et    mest  en 

[paine. 
Iceste  amie  est  trop  villaine  : 
Miex  deûst  non  avoir  Haine  ; 
668  Si  vient  la  vielle  a  sa  voisine, 
Qugnt  elle  siet  de  jouste  lui  : 


Et  tent  en  out  poi  amené. 
Et  qui  tient  mes  virginité 
Ne  chasteé  ne  tant  ne  quant  ? 
Il  ne  la  tient  que  cil  enfent, 
Et  ainz  qu'il  oit  .x .  anz  passez 
Est  H  bordiaus  de  lui  amez. 
Mais  le  moustier  ne  set  il  mie, 
Ainz  tandroit  moût  a  villenie 
S'il  i  creoit  ne  jor  ne  eure. 
A  cest  mestier  se   tiennent  ore. 


606  amors  —  614  La  char  qz  it  (sic)  troueront  —  615  eue  —  632  //  faut 
peut-être  corriger  ainsi  ;  Ne  la  tienent  que  cil  enfent  —  650  q  è  soit  hors  — 
ô^Sqilde. 


534 


A.    LANGFORS 


«  J'amai,  fet  elle,  ja  celui  ; 
Ainsint  i  vinz,  ainsint  alai, 

672  Ainsint  le  fis,  ainsint  l'amai. 

(fol.  Iipi'o) 
Diex  !  quel  déduit  et  quel  soulaz 
Quant  jel  tenaie  entre  mes  braz  ! 
Je  li  disaie  «  douz  amis  »  ; 

676  Moût  me  repenz  que  plus  n'en  fis. 
Mais  moût  poi  i  ai  or  de  dens.  » 
A  voz  la  gienvre  en  autre  pens 
Qu'aie  n'estoit  une  le  matin. 

680  Enivrée  est  d'un  mauves  vin 
Dont  la  vielle  estoit  enivrée. 
Icelle  vielle  mal  fut  née, 
Qui  de  mal  fere  ne  recroit, 

684  Et  la  gienvre,  s'elle  la  croit. 

Après  s'en  issi  Charitez. 
Cil  ne  doit  pas  estre  oubliez, 
Ainceus  doit  bien  venir  avent, 

688  Maiz  poi  de   gent  le  vont  sivant. 
Cil  provoire  solaient  dire, 
Qui  seventbien  chanter  et  lire, 
Que  charitez  est  refredie. 

692  Certes,  il  ne  mentirent  mie  ; 
Mais  elle  est  ore  si  gelée 
Que  Lerre  que  je  vi  betee 
N'estoit  pas  si  quant  el  sera 

696  Quant  Diex  li  tens  asouaga 
Et  desgela  de  maintenant  ; 
Mais  Charitez  ne  tent  ne  quant 
Ne  peut  elle  mie  desgeler, 

700  Et  le  temps  voit  l'en  eschaufer, 
Et  qui  hui  sont,  ce  m'est  avis, 
Tous  voi  torné  de  mal  en  pis  ; 
Et  por  ce  vint    ou    poi  de  gent 
(fol.   ijçvoh) 


704  Charitez  au  tornoiement. 

Tuit  cil  qui  donent  ne  sont  pas 
Ou  Charité,  par  saint  Thomas  : 
Se  l'on  donoit  a  guastinau 

708  Ou  son  sercot  ou    son  mantiau, 
Com  il  en  a  maint  afublé, 
A  il  por   ice  charité  ? 
Nenil,  por  ce  n'i  guart  il  mie. 

712  Hon  done  assez  par  sa  foUie 
Qui  ne  li  vaut  se  petit  non. 
Onquore  i  a  artre  resson  : 
S'unshons  avoit  un  autre  mort 

716  A  son  pechié  et  a  son  tort, 
Seroit  il  quites  l'endemain 
Por  une  aumonsne  de  son  pain  ? 
Certes,  nenil,  ce  vos  di  gé, 

720  S'estaint  l'aumosne  le  pechié 
Ausint  con  l'eve  fet  le  feu, 
Et  par  ceste  resson  vos  preu 
Qu'il  n'est  pas  quites  por  itent  : 

724  Qui  avroit  fet  un  feu  ardent 

Si  haust  com  un  mulon  de  fain 
Et  i  meist  plaine  sa  main  • 
D'eve  ou    miieu,  estaindroit  il? 

728  Vos  pouez  dire  que  nenil; 

Mes  se    li  feuz  est  haus  et  grans. 
Si  i  oit  de  l'eve  .iii.  tans  : 
A  grant  pechié  grant  charité, 

752  Et  fet  ou  bone  volenté, 
Et  qu'ele  en  giete  l'ardure. 

(fol.  120) 
Ainsint  la  liermc  clere  et  pure 
Levé  son  cuer  de  son  pechié 

736  Par  ou  elle  treuve(?)  conchié  ; 
Et  quant   la  lierme  est  seurmon- 

[tee 
Et  par  la  face  dévalée, 


672  //  faut  peut-être  corriger  Ainsint  li  fis  —  677  or  mauque  —  678  la  guierre 
—  679  unt  matin  —  693  or  —  694  Lerre  est  d'une  lecture  douteuse  —  695 
s'ra  —  696  Sens  ?  —  699  Vers  trop  long  ;  il  faut  peut-être  lire  el  —  702  Tous 
est  incertain  — y ^2  II  vaudrait  peut-être  mieux  corriger  fête  — 736treuve, 
efface,  est  d'une  lecture  douteuse. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


535 


Q.ul  est  dou  cuer  puiee  es  ieux, 
740  S'an  vaust  la  peneance  miex. 

Q,uant  li  eil  courent  com  esponge, 

Dont  est   bien  droiz   que  l'en  li 

[donge 

Sa  pénitence  et  il  la  face; 
744  Quant  l'en  li  voit  mollier  sa  face 

Et  que  il  pleure  son  pechié, 

Bien  en  doit  l'en  avoir  pitié. 

Lors  i  doit  venir  Astinence 
748  Dès  que  il  a  sa  pénitence  : 

Tenir  se  doit  dès  ore  mes 

Que  il  ne  face  si  grant  fès 

Com  il  a  porté  de  seur  col, 
752  Que,    par  mon  chief,  je  tienz  a 

[fol 

Celui  qui  chiet  en  la  palu 

Ou    qui  que  soit  (?)  l'a  embatu. 

Et  quant  en  est  sus  redreciez 
756  Cil  est  iteus(?)  et  essuiez. 

Cil  est  recouché  de  son  gré, 

Celui  tienz  je  a  forcené. 

Autel  est  cil  qui  confès  est, 
760  Qui  a  le  cuer  lavé  et  nest, 

Et  il  retorne  a  son  pechié  ; 

Celui  tienz  je  a  concilié 

Plus  que  celui  qui  chiet  ou  tai. 
764  Por  ce  e lai  (fol.  120b) 

luit  sont  issu 

Plus  furent  blanc 

Moût  furent  bel  a  esguarder, 
768  Tent  estoient  luisant  et  cler 

Que  tout  li  cuers  me 

Mais  en  poi  d'eure  me  changa. 

Que  cil  vindrent  deviers  Enfer 
772  Qui  estoient  plus  noir  que  fer. 

Premièrement  s'en  ist  Orguiaus, 


Uns    chevaliers    qui    moût    est 

[viaus, 

Quar    il   fut   ainz  que  bons  fust 

[faiz, 
776  Et  de  moût    biauz  devint  moût 

[laiz. 

Et  si  t  seur  un  cheval  morois. 

One  Alixandres  qui  fut  rois] 

N'asenibla  gent  de ié, 

780  Et  si  ne  vindrent  mie  a  pié, 

Que  a  cheval  estoient  tuit, 

Et  si  menoient  si  grant  bruit 

Con  s'il  deùssenttout  confondre  ; 
784  Et  de  peour  m'alai  repondre 

Soz  une  pierre  que  je  vi. 

Illeuc  m'e.stui,  si  me  tapi, 

Et  bien  le  pouoie  veoir 
788  Et  esguarder  et  parcevoir 

Et  autressi 

Icil 

Que  cil 

792   ....  b 

Après  s'en  vint  avant  Haine, 
Uns  chevaliers  de  pute  orine, 

(foî.   120  Z'°') 
Mais  il  avoit  gent  amenée 

796  Felom  sse  et  desmesuree 

Plus  que  n'en  out  en  Roincevaus, 
Ou  fut  li  dollereuz  jornaus. 
Seignors,  haine  est    moût  granz 

[péchiez, 

800  Ce  noz  ensaigne  li  clergiez, 
Que  moût  i  a  doulereus  fès, 
Que  nus  n'en  peut  estre  confès 
S'il  ne  le  lesse  tout  avent, 

804  Toute  haine  et  maltalent. 


740  peneance  est  douteux  —  742  droiz  est  douteux  ;  qui  len  —  754  ^'  756  et 
sont  d'une  lecture  incertaine —  Les  v.  789-93  sont  complètement  effacés;  793 
est  conjecture  ■ —  799  Ce  vers  trop  long  ;  on  pourrait  supprimer  niout. 


536 


A .    LANGFORS 


Saint  Estiennes  le  noz  mostra, 
Qiii  por  ces  anemis  proia, 
Que  il  lapidoient  a  tort, 

808  Et  il  leur  pardona  sa  mort, 
Et  nostre  Sires  a  Longis, 
Qui  seur  toz  estoit  poteïs 
De  lui  vengier,  c'il  li  pleûst 

812  Et  se  il  fere  le  deùst; 

Mes  Diex  ne  vieust  merci  veer 
A  nul  qui  la  veuille  crier, 
Mais  qu'il  le  face  de  bon  cuer  ; 

816  Se  il  avoit  geù  a  sa  seur 

Ou  fet  assez  greignor  pechié, 
Si  en  doit  Diex  avoir  pitié. 

Après  s'en  issi  Cruautez, 
820  Uns  chevaliers  moût  esfreez, 

Mes  il  amena  gent  o  soi 

Plus  que  n'en  orent  li  dui  roi 

Devant  Chatel  Raoul  Tautr'an. 
824  Dou    champ   s'essirent  un  grant 

[pan, 

Qu'ester  s'an    vont  devant  Or- 
[guiel.  {fol.  i20v°h) 

Plus  ci  peour  que  je  ne  seil  ; 

Par  poi  que  n'entrai  en  la  fièvre, 
828  Que    je    traniblai    comme    une 

[chievre 

Quant  elle  voit  venir  lelou; 

Cel  jor  tremblai  tôt  mon  saou. 

En  cruautez  a  mauves  bain  : 
832  Mauves  baignier  fet  en  tel  bain; 

Ja  li  cruel  ne  verra  Dé 

Se  il  ne  lest  sa  cruauté. 

Après  s'en  issi  Avarice. 
836  Ne  vint  pas  seus  jusqu'à  la  lice, 
Moût  en  i  vint  oveques  soi 
De  genz  avers  o  grant  conroi . 


Maie  chose  a  en  home  aver  : 

840  One  ne  le  vi  a  bien  torner 

Qu'il  ne  cheïst  ou  près  ou  loin. 
Avarice  faust  au  besoin. 
Comment  ?   Ce  vos  doi  je  bien 

[dire  : 

844  Quant  li  avers  a  plus  martire 
Et  l'en  le  voit  tôt  enserré. 
Tant  fet  l'en  mainz  sa  volenté. 
Que   chascuns   dit    :   «    Ne  me 
[chaust,  voir. 

848  Quant  il  me  vit  avent  ersoir 
One  ne  me  digna  herbergier 
Ne  ne  m'ofrit  onc  a  mengier  ; 
Car  eûst  il  enquore  pis  !  » 

852  En  un  seul  jor  pert  li  chetis 
Quenque  il  a  toz  jors  atrait  : 
C'il  est  en  guiere  ou  en  plet, 
Chascuns  voudra  avoir  dou  sien  ; 

856  Einsint  despent  li  avers  hom . 

{fol.  121) 

Après  celui  s'en  issi  Ire, 

Uns  chevaliers  de  grant  marlire, 

Si  fut  o  lui  Guierre  et  Mellee. 

860  Tuit  furent  nez  d'une  contrée. 
Mais  onc  au  siège  d'Entioche 
N'ot  tent  de  gent  en  une  troche 
Com  il  amainent  après  eus. 

864  Lors  me  pouai  tenir  por  fox, 
Qu'il  menoient  un  tel  ttmouste, 
C'il  fust  le  jor  de  Pentecouste 
Que  luit  li  saint  sonent  a  glais, 

868  Ce  cuit,  ne  les  oïst  l'en  pas, 
C'il  sonassent  tuit  en  la  place. 
L'un  cort  seur  l'autre  et  menace. 
Moût  a  mauvesse  chose  en  Ire  ; 

872  Assez  vos  en  porroie  dire 
Se  ne  vos  cremoie  ennuier. 


812-15  Les  premières  lettres  sonteffacies  —  812  Et  est  conjecture 
est  conjecture  —  828  tramblaie  —  836  seule  —  864  pouaie. 


815  Mais 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


537 


Ire  fet  home  desvoier 

Et  de  son  san  et  de  sa  joie. 

876  Ire  gete  home  de  sa  voie, 
Ire  U  fet  tuer  un  home, 
Ire  U  fet  charjer  tel  some 
Dont  il  ne  se  peut  délivrer  ; 

880  Ire  fet  home  parjurer. 
Ire  li  fet  ferir  son  père, 
Ire  litost  Dieu  et  sa  mère. 

Après  s'en  issi  Glotonie, 
884  Mais  il  avoit  tel  compaignie 

Que  je  ne  la  sai  onc  prisier. 

(Jol.  I2lb) 

Ne   cuidênt  pas   grantment   pe- 

[chier 

Cil  qui  trop  boivent  et  menjuent. 
888  Certes,  si  font  :  les  âmes  tuent 

Se  il  n'ensontverais  confès. 

Mal  embracier  fet  itel  fès  : 

Par  ivrece  chiet  en  luxure, 
892  Par  ivrece  chiet  en  parjure. 

Et  par  ivrece  Dié(?)  renaie. 

Et  par  ivrece  se  renoie. 

Et  quant  il  est  en  vin  noiez 
896  Si  est  en  Teve  renoiez, 

Que  h  cors  vient  jusqu'à  la  rive. 

Mauvesse  chose  a  en  home  ivre 

Qui  par  ivresce  un  home  tue. 
900  Cil  qui  trop  boit  et  trop  menjue 

Moût  en  devient  il  entechiez. 

Que  il  en  chiet  en  mainz  péchiez- 

Maint  mal    en   viennent  et    nul 

[bien  ; 
904  Guardez  vos  en,  tuit  crestien  ! 

Après  s'en  issi  Tricherie, 
Mes  se  tuit  cil ie 


Peùssent   la  plaigne 

908  N'i  eûst  pas  si  grant. .  .  .  aigne. 

Tricherie  a  mal  avent    .  . 

Toz  jorz  il  est  ou  pi . . .  ou  g . . . 

En  Tricherie  a  mauves  non. 
912  Et  est  trichierres  par  raison 

Qui  rendroit  bien  se  il  voloit 

Et  il  ne  viaust,  ainz  prent  et  doit. 
{fol.  121  v°) 

Uns  autres  est  assez  trichierres, 
916  Qui  n'est  pas   mieudres  que    li 

[lierres, 

Qui  voUentiers  l'autrui  acroit 

Etja,son  veil.rienz  n'en  rendroit. 

Mes  ne  tienz  pas  a  tricheor 
920  Celui  qui  a  honte  et  doulor 

De  sa  deste  et  moût  vollentiers 

Rendroit,  s'il  avoit,  les  deniers 

Ou  le  vaillent  ou  le  par  quoi  ; 
924  N'est  pas  trichierre,  bien  le  croi. 

r 

Après  s'en  est  issuz  Luxure, 
Mais  cil  ot  genz  a  desmesure. 
Que  je  n'en  sai  a  dire  conte. 

928  O  lui  viennent  et  roi  et  conte 
Et  duc  et  prince  et  chastelain, 
Chevalier,  serjant  et  villain, 
Et  s'i  vindrent  li  arcevesque, 

952  Li  cardonal  et  U  evesque, 

Qui  ont  mauvessement  ouvré, 
Et  si  i  vindrent  li  abé. 
Et  s'i  vindrent  arcediacre 

936  Et  li  provoire  et  li  diacre. 
Et  sii  vindrent  li  chanoine, 
Et  n'i  remaindrent  pas  li  moine, 
Ainz  en  i  vint  a  grant  foison  ; 

940  La  veïssez  maint  chaperon. 

De  Luxure  viennent  mainz  maus. 


889  vrais  -  895  Dié  est  peu  distinct  —  901  Moût  en  de  devient  entechiez 
—  912  Et  est  est  douteux  —  914  Le  ms.  ayantété  ropiê  de  trop  près,  les  initiales, 
de  la  première  colonne  ont  disparu.   —  922  se  il  — 931   Et  si  i. 


) 


38 


A.    LANGFORS 


Luxure  est  péchiez  criminaus, 
Et  si  en  sourt  mainte  douleurs, 
944  Si  prent  li  frères  sa  sourors 

{fol.   121  v°   F) 

Et  li  cousins  prent  sa  cousine. 

Luxure    est  moût  de  maie  orine. 

Luxure  fet  les  genz  veillicr 
948  Et  les  rues  eschauguieter. 

Luxure  fet  mainte  anvaïe 

Et  apovrist  mainte  abaïe. 

Ne  cuit  desoz  le  firmament 
952  Trovast  l'en  autretent  de  gent 

Comme  Luxure  maine  ou  soi  ; 

Moût  i  ot  ci  estout  conroi. 

Après  s'en  issi  Covoitise. 
956  Le  sien  conroi  en  nulle  guise 

Ne  voz  savroie  je  nomer. 

Moût  ot  dur  conroi  et  amer, 

Qu'il  n'i  remest  ne  clerc  ne  lai. 
960  Lors  fui  ge  moût  a  grant  esmai 

Quant  je  vi  tout  le  mont  foïr  ; 

Mes  je- ne  sai  quel  part  foïr, 

Soufrir  m'estut  et  esguarder. 
964  Qui  dont  vosist  Enfer  rober 

Si  le  poïst  trover  tout  vui, 

Car  il  n'i  ot  remès  nuUui  : 

Tuit  sont  venu  ou  Covoitise. 
968  C'est  cil  qui  toz  les  maux  atise, 

Et  tuit  li  mal  viennent  de  lui 

Etli  pechié  et  li  aiinui. 

Covoitise  fet  les  larrons, 
972  Les  murtres  ct  les  trahisons. 

Covoitise  fet  les  batailles 

Et  fet  les  toutes  et  les  tailles. 

{fol.  122) 

Covoitisse  vant  les  chevaus 


976  Porbien  mengans  et  por  isniaus 
Qui  sont  mauves  et  mahainié, 
Dont  i  avi  ont  moût  grant  pechié. 
Covoitise  vent  les  poisons 

980  Don  les  fièvres  et  les  frisons 

Prannent  aceuzquilcs  menjuent, 
Por  ce   qu'il   sont  trop    viez  et 

[puent. 
Covoitise  fet  petit  pain, 

984  Forment   s'en    plaignent    cil    le- 

[vain(?) 
Couvoitise  mestret  les  vinz  : 
Ce  fet  Renaust  et  Guauquelins 
Et  Portamoi   et  Rousignox. 

988  Deables  leur  croistront  les  os 
Ou  puis  d'Enfer,  si  con  je  cuit 

Covoitise  fet  pledoier 

992  Et  de  .11.  pars  prendre  loier. 
Covoitize  fet  les  bcdiaus, 
Et  si  estrece  les  drapiaus 
Et  roigne  menches  et  girons 

996  Et  fet  mitaines  et  chansons. 
Covoitise  fet  fauce  paise. 
Et  sachiez  bien  que  il  m'en  poise. 
Touz  les  mauves  Icssent  aler 

1000  Et  es  bons  font  les  cous  brisier. 
Ainsint  esploitent  dou  denier  : 
Chier  vendre  et  faucement  peser, 
Et  autresint  vet  de  la  gent, 

1004  Si  n'aiment  mie  Dieu  ne  gent, 

{fol.  122  h) 
Que  as  preudomes  naturaus, 
A   ceus   fet     l'en    sovent  granz 

[maus, 
Et  li  guarsons  sont  a  honor. 

1008  Li  desloial,  li  traïtour 


945  maintes  doulorus  {sic)  —  961  II  fuit  prohahlemait  corriger  foir  en  venir 

—  981  qui  la  —  984  leuain  est  d'une  kcluie  douteuse  (beuain  ?)  —  985  le  vinz 

—  987   Et  por  camoi  —  992    manque  — 993   Corr.  btndiaus  (?)  —   1002  et 
mauvesement  p. 


LE  TOURNOIEMENT  D  ENFER 


539 


Sunt  honoré  et  chier  tenu, 

Et  li  prodome  confondu  : 

i'^usint  con  sont  li  bon  denier,  1044 
1012  Sovcnt  les  voit  l'en  reoigner 

Cil  qui  les  veullent  gouverner. 

Covoitise  lerai  ester. 

N'en  dirai  plus  a  ceste  foiz,  1048 

1016  Ainz  vos  veil  dire  des  conroiz. 

De  .11.  pars  furent  tuit  issu. 
Orguiaus     chevauche    a    grant    1052 

[vertu, 
Qui  moût  leur  vodra  fereannui. 
1020  Humilitez  vint  contre  lui, 

Le  chief  enclin,  sanz  grant  bo-     1056 

[bai> 
Et  Orguiel  vint  a  tel  desrai 
Que  de  meïsmes  s'an  (?)  rechiet, 
1024  Ne  n'a  pouoir  qu'il  s'en  reliet. 

Humilitez  l'a  reguardé.  1060 

Ne  l'a  touché  ne  adesé, 
Car  foffez  fust  et  villenie. 

1028  Ne  ces ne  le  ...  mie. 

Ainsint    fut     Orguiaus    tresbu- 

[chiez.    1064 
Onques  ne  fut  d'autre  touchiez. 

A  vos  Haine  venir  après, 
1032  Uns  chevaliers  fel  et  angrès,  loéS 

Mais  Amor  nos  en  vengera. 

(fol.  122  v°) 

S' Amours  le  fiert,  comment  ira  ? 

A  il  por  ce  son  non  perdu  ?  1072 

1036  Nenil,  maint  home  a  l'en  féru 

Que  l'en  amoit  de  bone  amour. 

Pour  chasiïer  de  sa  foulor  ; 

Ne  por  ce  ne  vos  di  je  mie  1076 

1040  Conques  Amour  jor  de  sa  vie 

Amast  Haine  a  nesun  jor, 


Ne  feroit  pas  loial  amour. 
Haine  avoit  un  escu  bis 
Et  ou  milieu,  ce  vos  devis, 
Avoit  un  grant  villain  portrait 
Qui  tient  une  arbelaste  et  trait. 
A  toz  ceuz  que  il  voit  venir 
Bienfet  grant  semblent  de  haïr; 
Et  en  l'Amor  en  avoit  .11. 
Deboneres  et  amoreus. 
Qui  s'entrebaisent  et  acollent, 
Ne  nulle  rien  ne  s'entretollent. 
Haine  point  et  fiert  Amor 
Et  Amor  lui  par  tel  vigor 
Que  il  l'abat  en  mi  la  place. 
«Oustre!,  fet    il,   ja    Diex    ne 

[place 
Que  vos  en  puissez  mes  lever.» 
E  vos  un  chevalier  amer 
Que  l'en  apelle  Cruauté  ; 
Moût  fut  fel  et  desmesuré. 
En  son  escu  ot  un  villain 
Qui  un  cotiau  tient  en  sa  main 
Et  escorchoit  un  inocent, 

(fol.  122  v°b) 
Et  en  tour  lui  en  ot  bien  cent. 
Que  il  avoit  toz  afolez. 
Bien  mostre  cil  sa  cruautez. 
Mes  Pitiez  vient  de  l'autre  part, 
Et  quant  l'escu  Pitiez  reguart. 
Si  i  avoit  un  home  paint 
Qui  a  merveille  sambloit  saint, 
Qui  grant  semblent  fet  de  plorer 
Et  vet  les  povres  visiter 
Et  les  malades  en  leur  liz, 
Que  ce  estoit  toz  ces  deliz  ; 
Li  escuz  fut  de  belle  taille. 
Es  vos  Pitiez  en  la  bataille, 
Et  Cruauté  le  vet  ferir 
Et  Pitié  lui  par  tel  air. 


lOio  sont  confondu  —  1023  et  1031-32  sout  iPutte  lecture  douteuse —  1051 
et  apellent  —  1060  félon  et.  • 


540 


A.    LANGFORS 


Et  Pitié  lui  ?  Et  que  di  gié  ? 
1080  Dont  n"a  il  pas  o  lui  Pitié  ? 

Si  a  certez,  voire.  —  Comment  ? 

—  Jel  te  dirai  mon  essient. 

Mais  toute  jor  mes  sens  debatre 
1084  Pitiez  doitCruautez  abatrc  : 

Ne  doit  morir  se  par  lui  non. 

Ja  li  cruel  au  cuer  félon 

Ne  gietera  Cruautez  hors 
1088  Jusque  Pitiez  entre  en  son  cors, 

Dou  cors  ou  ceur,  et  lors  s'en 

[fuit. 

N'i  a  plus  chambre  ne  réduit 

Ou  Cruauté  puisse  arrêter  ; 
1092  Dont  doit  il  bien  o  lui  jouster. 

Pitié  le  fiert  de  grant  vertu, 

[(fol.  123) 

Que  moût  vost  derompre  l'escu 

Ou  li  villainz  estoit  escriz 
1096  Qui  les  anfanz  avoit  murtriz. 

Si  bien  le    fiert  que  il   le  perce 

Et  par  desus  le  ranc  leherce, 

Si  qu'il  l'abat  en  mi  le  pré. 
iioo  Ainsint  avint  de  Cruauté. 

Et  Avarice  après  desrenge. 

En  s'espee  n'ot  point  de  renge. 

Au  braz  li  penl  par  mi  le  heut  ;" 
1104  Ne  sembloit  mie  le  Morheut, 

Qui  se  combati  a  Tristam, 

Qui    moût  iert  larges,    ce   dit 

[l'an  ; 

Et  son  cheval  n'ot  point  de  frain, 
1 108  II  n'ot  ne  selle  ne  lorain. 

For  quoi  ?  Por  ce  que  il  n'en- 

[dure, 

Tant  est  avère  créature. 

Et  ses  escuz  si  fut  moût  ors, 
II 12  Et  sa  lence  si  fut  d'un  trous. 


N'enduroit  autre  a  acheter. 
Mais  de  l'escu  voz  veil  parler, 
Ou  il  avoit  un  home  escrit 

1116  Moût  doulereus  et  moût  despit, 
Si  avoit  assez  pain  et  vin, 
Et  li  chapon  et  li  posin 
Gratent  par  toute  sa  maison. 

1120  Avair  avoit  a  grant  foison  : 
Qui  li  veïst  borces  lacier, 
Bien  traverser  et  estoier 
Et    vendre  a  terme   et   plages 
prendre,  (Jol.  123  b) 

II 24  Assez  i  poïst  mal  aprendre. 
S'il  le  vosist  retorner  (?) 
Qu'il  se  laissast  as  aus  (?)  fer- 

[mer  (?) 
Par  mi  les  cuises  d'un...  tel 

1 1 28  Qui  en  menjast  d'un  bon  mor- 

[sel. 
S'en  li  donoit  enguille  ou  luz 
Point    n'en   menjoit,   ainz  iert 

[venduz 
Et  en  prenoit  l'argent  tout  cler. 

1 1 32  Les  gelines  fessoit  porter 
Et  les  chapons  au  marchié 
Et  ja  par  lui  n'en  fust  mengié. 
Mes  les  fèves  ou  les  cosons, 

1 1 36  Ausint  noires  comme  charbons, 
O  le  comin  ou  o  la  sauge. 
Un  poi  de  char  avoit  en  sause 
D'unmegre  cochonet  dolent, 

1 140  Dont  il  menjot  eschassement 
Au  diemenche  ou  a  la  feste, 
Et  li  bacons  pendoit  au  feste. 
Quant  ces  bons  vins  avoit  ven- 

[duz 

1144  Et  bas  estoient  et  chanuz, 

A  painnes  en  bevoit  les  queues. 


1079  et  quai  je  dit  —  1083  jor  me  —  1096  le  anfanz  —  iioi  E  —  1103 
pent  est  répété  —  1 104  le  mort  heut  —  1 120  Quil  li  —  11 5  3  Vos  trop  court 
—  II 39  cochon  let  et  d.  —  1141  dimenche. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


541 


Ne    sembloit     pas    Jouhan  de    11 80 

[Dreues, 
Qiii  en  beûst  et  en  menjast 
1148  A  grant   planté,  et  en  douast, 
Et  dou  meillor  et  dou  plus  bel, 
Et  ne  feïst  ja  mes  husel  1184 

Jusque  qu'il  eùst  tout  doné. 


1188 


1 192 


1 1 52  Es  vos  Larjesse  en  mi  le  pré, 
Desus  un  bel  destrier  ferrant. 

(fol.    12}  t'o) 

Bel  hiaume  et  large  et  grant, 
Selle  ot  d'ivoire  et  frain  a  or 

II 56  Et  le  poiirel  luisant  et  sor, 
Escu  ot  frais  d'or  et  d'azur  ; 
Icil  n'otonques  le  cuer  dur 
Por  bien  doner  et  por  despendre 

II 60  Qui  le  devoit  a  son  col  pendre;    1196 
Et  ou   milieu  ot  un  preudome. 
De  lui  vos  di  a  une  somme 
Qu'onc   ne  veistes  en  pointure 

1164  Nulle  plus  large  créature,  1200 

Car  il  donnoit  les   biauz  men- 

[giers, 
Les  palefroiz  et  les  deniers 
Et  les  robes  et  les  oisiaus, 

II 68  Et  cis  otés  estoit  moût  gent. 
Et  si  donoit  a  povre  gent 
A  grant  planté  de   son  argent, 
A  l'un  soliers,  a  l'autre  cote, 

1172  Ne  nus  en  son  otel  n'acote, 
Ja  n'i  eûst  paie  escot, 
Ne  n'i  vient  Guallois  ne  Escot, 
S'il  vieust  l'ostel,  que  il  ne  l'ait,    12 12 

I176  Que  nus  ne  doit  tenir  alet: 
Dui  roi  i  peùssent  descendre. 
Ne  il  n'i  a  poudre  ne  sendre, 
Cil  veïst  a  la  cheminée. 


1204 


1208 


Deniers  avoit  une  minée 
Que  a  la  povre  gent  départ. 
Qui  venoient  de  mainte  part  : 
A  l'un   .vu.   s'.,    a  l'autre  .x. 

(Jol.    12}  Z'O  b) 

Ne  fessoit  pas,  sachiez  de  fi. 
Les  deniers  envoler  au  vin. 
Ne  me  tenez  pas  por  devin  : 
Ce  que  je  vi  puis  je  bien  dire. 
De  l'ostel  n'i  ot  rienz  a  dire 
Que  il  eûst  en  bel  ostel. 
Je  ne  vi  onques  oste  tel. 
Ne  je  ne  vi  onques  si  noble 

je  ne  vi  onques  nul  si  point. 
L'en  n'i  boute  ne  l'en  n'i  point 
Home  qui  herberjer  s'i  veille 

Receùz  sont  a  belle  chiere. 
Ja  la  viende  n'iert  si  chiere 
Que  il  n'en  aient  a  planté 
Et  en  iver  et  en  esté. 
Ne  nus  n'i  vet  qui  soit  refus. 
A  !  Mauvestiez  !  onq aes  ne  fus 
Chics  celui  qui   tel  escu  porte, 
Que  toute  est  commune  sa  porte 
Fors  seullement  viers  Avarice, 
Mais  vers  celui  moût  ce  regrice  : 
Nou  lest  entrer  en  sa  meson. 
A  toz  les  autres  done  don, 
Et  si  le  fet  a  belle  chiere, 
Sanz  dcmender  et  sanz  proiere. 
Et  si  vos  di  sanz  nul  refus 
Que  ne  l'ont  ore  pas  en  us 
Li  roi,  li  conte,  li  baron 
Que  il  ja  facent  un  biau  don 
Que    il    ne    cuite     demender. 
(fol.  124) 


1 1 54  C«i'«ri  semble  trop  court  —  1163  q  onques  —  I168  Ce  vers  devrait 
rimer  en  iaus  —  ii69povres  —  1172  na  cote  —  1189  q  il  ieust  êb.  o.  — 
1 195  qui  «/  répété. 


542 


A.    LÂNGFORS 


1216  Assez  le  font  chier  achater, 
Car  trop  acliaste  qui  requiert 

■  1 

Laide  chose  a  en  demender, 

1220  Mais  plus  est  laiz  li  deveer, 

Qiiar  maint  requièrent  par  be- 

[soin 
Et  qui  i  sont  venuz  de  loin, 
Qui  en  avroient  grant  mestier. 

1224  Largece  sist  seur  un  destrier, 
Et  Avarice  viers  lui  vient, 
Son  cheval  hurte  et  il  se  lient, 
Car  il  n'avoit  nul  esperon 

1228  Ne  n'avoit  verge  ne  baston. 
Et  li  cheval  iert  niegre  et  las, 
due  il  ne  pot  jeter  dou  pas; 
Il  l'en  pesoit  moût  malement. 

1232  Et  Largece  moût  larjement 
Le  fiert  devent  en  son  escu, 
Si  qu'il  li  a  tout  porfendu. 

De  ce  ne  vos  veil  je  plus  dire. 

1256  Deviers  Enfer  este  vos  Ire, 

Un  chevalier  de  grant  annui  : 
Guierre  et  Merllee  sourt  o  lui, 
Qui  estoient  sis  escuier, 

1240  Qui  nel  volloient  pas  lessier. 
Mes  Ire  avoit  un  escu  noir, 
Et  de  l'escu  vos  dirai  voir 
Que  .11.  viliainz  i  ot  portraiz, 

1244  Qui  les  chevox  se  sont  detrez 
Et  s'entrefierent  ou  les  poins, 
Et  se  sont  moût  batuz  et  poins, 
{jol.  124  b) 
Que  meut  se  furent   mahainé  : 

1248  Li  uns  ot  l'autre  l'eul  crevé, 
Et  cil  li  ot  le  nés  tranchié  ; 


Bien  semble  escu   a  home  irié. 
Mais    Pez    de    l'autre    part    se 

[dresce, 

1252  Uns  chevaliers  de  grant  proesse. 
Cis  escuz  fut  d'autre  fason  : 
La  vérité  vos  en  diron. 
Que  un  prodome  ot  ou  mileu 

1256  Qui  avoit  fet  promesse  et  veu 
A  amer  Pez  toute  sa  vie. 
Ce  n'estoit  mie  villenie  ; 
Si  vet  es  guierres  et  es  plaiz  : 

1260  Moût  voientiers  i  meïst  Pez, 
Et  si  ne  peut,  ce  poise  lui. 
Et  Diex!  que  ne  vient  il  par  ci. 
Si  meïst  pez  en  ceste  terre  ! 

1 264  A  l'an  donques  et  pez  et  guierre  ? 
Ouil,  foi  que  je  doi  saint  Père. 
Li   fix    tient  guierre   vers    son 

[père 
Et  li  père  vers  son  enfent, 

1268  Iceste  guerre  est  laide  et  grant. 
Et  li  cosins  vers  la  cousine. 
Et  H  voisins  vers  sa  voisine, 
Et  li  frères  vers  sa  seror, 

1272  Et  la  famé  vers  son  saignor, 
Qu'ele  voudroit  avoir  tué 
S'el  ne  cremoit  home  que  Dé. 
Moût  en  feraient  grant  souhani  : 

1276  Ainceus  que  fust  le  chief  d'un 
[an  (fol.  124  vo) 
Ne  manroit  de    .L.  un. 
Il  i  pert  bien  a  Chastiaudun 
Ou  il  les  tuent  .11.  au.  .  . 

1280  Par  tenz  seroit  cist  pais  seuz 
Se  ne  cremaient  que  pechié, 
Et  des  haïneus  vos  di  gé 
Qu'asez  en  a  en  cest  pais  ; 


121 7  Le  h  de  iidvAste  est  écrit  en  interligne  —  12 18  //  manque  un  vers,  ou 
bien  le  v.  1217  est  nue  glose  —  1 1 38  merlle  —  1240  Qui  ne  leuelloient  p.  1. 
—  1274  II  li  —  1279  Ce  vers  est  incomplet  dans  le  manuscrit  :  Ou  illestuent 
.11.  au. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


543 


1284  Cil  ue  cremoient  estre  pris 
Tost  s'en   seroient  délivré, 
Car  il  sont  tel  et  anivré. 
Moût  a  ci  malle  assemblée. 
1288  Geste  guierre  est  un  poi  celée» 
Mais  celle  des  plais  est   aperte» 
Qui    est    moût    maie   et   moût 

[diverse. 
Que  l'en  destruit  cil  qui  adroit. 
1292  Biau  sire  Diex!  et  ce  que  doit  ? 
Comment  pouez  ice  soufrir  ? 
Bien  deûsez  celui  honir 
Qui  por  .X.  s',  que  l'en  H  done 
1296  Son  escient  destruit  un   home, 
Et  en  i  a  de  ci  musars 
Que  loier  prenent  de    11 .  pars  ; 
Moût  a  ici  grant  traïson. 
1300  Revenir  veil  a  ma  raison. 

Ire  esperone  et  Paiz  ce  tient. 
A  celle  foiz  ainsint  avient 
Qu'Ire  le  fiert  par  le  coûté 
1304  Si  qu'il  en  a  le  sanc  outé. 

Mes  elle  vaint  tout  en  morent, 
Si  vos  en  veilmostrer  semblant: 
{fol.  124  z'o  b) 
Diex  sL  est  Pez  qui  mort  soufri 
1308  A  icest  jour  dou  vendredi, 
Et  nostre  Sires  par  sa  mort 
Vainqui  le  diable,   qui  trop  for 
Menoit  sa  gent  a  icel  tenz, 
13  12  Que  ja  li  lions  ne  fust  ci  bons 
Que  en  enfer  n'alast  tout  droit, 
Quant  cil  qui  santi  le  fer  froit 
Qui  le  costé  li  entama, 
13  16  Soue  merci,  noz  en  guarda, 

Toz  ceuz  qui   le  vodrent  servir 
Et  son  commendement  tenir. 
Ainsint  cuita  Ire  cheoir, 
1320  Si  qu'il  perdi  tout  le  veoir 


Et  la  grant  joie  et  la  clerté, 
El  Paiz  guéri  de  son  coûté 
Et  surrecxi,  si  con  Diex  plot, 
1324  Que  bien  et  biau  fere  le  sot. 

Devers  Enfer  vintGlotounie, 
Uns  chevaliers  de  maie  vie. 
Ensonescu  avoit  .11.  ivres, 

1 328  Qui  ja  mes  n'en  seront  délivres, 
Se  sachiez  vos,  sanz  villain  plet. 
Tetit  boivent,  de  voir  le  sachiez, 
Que  il  le  rendent  par  les  geuUes, 

1332  Qu'emplir   en    peùst  l'en   .111. 

[oies, 
Tent  ont  beù,  tent  ont  mengié. 
Biauz  sire  Diex  !  et  quel  pechié 
Fet  cil  qui  trop  menjue  et  boit, 

1336  Que    c'il   en  departoit  a    droit 

(fol.  I2J) 

Des  bienz  que  Diex  li  a  prêtez, 
Es  povres  qui  sont  mesessiez  ! 
Mais  tent  en  entre  en  un  vessel, 

1340  Et  dou  mcillor  et  dou  plus  bel. 
Qu'au  darrenier  leur  vet  desus 
Et  que  la  bouche  devient  eus  : 
Ja  nel  dirai  cortaisement 

1344  Puis  qu'il  le  font   villenement; 
Autretel  fis  en  mon  ctlier  : 
.iiii.  toniaus  fis  relier. 
Si  mis  en  l'un  tent  de  mon  vin 

1348  Que  li  autre  en  furent  orphelin, 
Et  cil   fut  plains  jusqu'au   bon- 

[don 
Et  s'en  ala  par  ma  messon  . 
Li  povre  sont  li  toniau  vui, 

1352  Qui  ont  tent  mal  et  tent  annui. 
Tel  vet  au  bois  pour  un  fessiau 
Qui  n'a  ne  chance  ne  houssiau. 
Au  soir  menjue  dou  brouet, 


1307  soufi —  1329  II  y  a  peut-être  une  lacune  après  ce  vers 
trop  long  —  1355  dou  burd. 


1348   Vers 


544 


A.    LANGFOKS 


1356  Et  en  a  poi,  tel  eure  sest, 

Et  gist  seur  un  petit  d'estrain, 
Que  maint  porcel  sont   a  vilain 
Qui  gisent  micx  que  il  ne  fet, 

1360  Et  l'endemain  ou  bois  revêt. 
Li  autres  sont  par  mi  les  rues, 
Qui  ont  les   pances  toutes  nues 
Et  point  ne  peuent  guaaignier, 

1364  Ainz  sont  contrait  eteschacier, 
Ou    avuglé   ou   asourdi, 

{Joî.   12s  h) 
Ou  mahainnié  ou  malbailli. 
Se  cil  eùsent  le  seurson 

1368  Que  ks  glotes  et  li  gloton 

Engoufent  en   leurs   ventrilliers 

Mes  il  en  sont  moût  bien  guar- 

[dé: 

I  372  De  fain  meurent  et  de  lasté. 
A  !  Diex  !  ci  maie  chose  a  ci  ! 
S'en  l'autre  ciecle  sont  ainsi, 
Dont  sont  il  moût  mal  enginié 

1376  Se  ci  et  la  sont  travaillié. 
Si  seront  certez,  tel  i  a. 
Mais  cil  qui  bien  povres  sera 
El  soufrera  sa  povreté 

1380  Et  se  tendra  en  leiauté 
Ht  fera  bien  a  son  pouer, 
Cil  porra  bien  merci  avoir. 
Certes,  bien  doit  avoir  merci. 

1 384  Mais  des  autres  pas  ne  vos  di. 
Qui  sont  et  povre  et  deslaial 
Et  a  leur  essïent  font  mal, 
Et  en  feroient  assez  plus 

1388  Ce  il  en  estoient s. 

De  ceuz  vos  di  gc  bien  por  voir 
Qu'il  porront  bien  sordois  avoir 
En  l'autre  ciecle  qu'en  cestui 


1392  Et  plus  mesesse  et  annui. 
Et  des  riches  comment  ira  ? 
Avront  il  bien  et  sa  et  la  ? 
Damediex    dist    en    l'evengile, 
{fol.  7  2/  v°) 
1 596     Ce  nos  dist  un  clerc  en  Tiglisse, 
Qui  estoit  sagez  et  letrez, 
Que  plus  grantchobe  estoit  as- 

[sez 
D'entrer  riche  home  en  para- 

[diz 
1400  Que  d'un   chamoust  c'il  estoit 

[mis 
Par  le  chaas  d'une  aguille. 
Fox  est  cil  qui  ne  ce  despoille 
De  sa  richace  a  son  vivent, 
1404  Quant  nostre  Sires  en  dit  tant. 
Certes,  il  en  fet  bien  a  croire 

Li  escuz  fut  lez  et  villainz, 

1408  Et  cil  vosi  estre  toz  jorz  plains 
Qui  le  portoit  devant  son  piz. 
De  l'autre  part  estoit  issiz 
Uns  chevaliers    de   grant  pois- 

[sence . 

1412  Comment  ail  non  ?  Astinence. 
En  son  escu  ot  un  hermite 
Qui  n'aloit  pas  queraut  la  lite 
Des   tons  mengiers  ne  de  bon 

[vin. 

14 16   Herbes  avoit  en  un  jardin, 

Porriaus,  serfeul,  porpié  et  chos, 
De  ce  menjoit  ou  le  pain  gros, 
D'eve  pestri  et  de  besu, 

1420  Et  si  avoit  buriau  vestu 

Et  dcsoz  la  haire  poignant. 
Avoir  avoit  il  moût  grant 
Que  sis  pères  li  out  lessié. 


1365  guaignier  —  1388  Le  dernier  mol  est  effacé  ;  c^ était  peut-être  au  dessus 
—  1390  Qui  porront  —  1400  Le  o  de  chamoust  est  écrit  eu  interligue  — 
1402  cil  manque  —  1410  issuz  —  1422   Vers  trop  court , 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


545" 


1424  Des  povres  genz  ot  grant  pitié, 
Si  leur  doua  por  amour  Dé. 
Ou    bais  ot   un   moustier  levé, 
(fol.  I2S  l'O  b) 
Si  i  traoit   mesese  grant, 

1428  Mes  insint  estoit  son  talent, 

Sa  ciiar  chastie  et  la  destraint. 
De  Diex  proier  pas  ne  se  faint  : 
Le  plus  dou  jor  iert  a  genoz 

1432  Et   prioit  Diex,    qui    moût    iert 

[douz, 
Q.u'il  le  consaust  et  le  reguart. 
Puis  vet  fouir  en  son  essart, 
Plante  des  chos  et  dou  cerfeul. 

1436  En  lui  n'avoit  pointât  d'orgueil, 
Ainz  iert   piteus  et   charitables. 
Icist  doit  bien  estre  metables 
A  Dieu  servir,  ce  m'est  aviz. 

1440  Mais  poi  en  a  en  cest  pais 
Qui  itel  vie  augent  querant. 
A  autre  chose  vont  pensant  : 
A  bien  mendier  et  bien  dormir 

1444  Et  longuement  et  a  loisir 

En  leu  dont  desfendu  leur  est. 
Mais  de  foUie  m'entremest  : 
Plus  sevent  il  que  je  ne  sai. 

1448  A  autre  chose  penserai, 

Si  vos  dirai  ceste  assemblée 
Dont  il  sera  pence  percée. 
Que  Glotonie  poinî  et  broche, 

1452  Qui  si  est  plains  que  pas  ne  lo- 

[che, 
Par  poi  le  ventre  ne  partoit  ; 
Et  Astinence  le  feroit, 
Qui  n'avoit  mie  trop  niengié, 

1456  Si  que  l'escu  H  a  percié, 

{fol.  126) 
Et  Glotonie  chict  a  taz. 
Si  que  il  s'est  brissié  les  braz, 


Et  au  choier  le  ventre  crieve; 
1460  N'est  pas  mervoille  c'il  ligrieve, 
Car  or  se  vuide  a  trop  grant  fès 
Cil  qui  moût  iert  viz  et  pugnais. 

Deviers  Enfer  vient  Tricherie, 

1464  Fere  leur  vieust  une  envaïe, 

Mais  ne  vaust  guieres  sa  vertu. 
Un  home  avoit  en  son  escu 
Qui  acroit  robes  et  chevaus, 

1468  Chauses,  soUiers  et  estivaus. 
Et  la  char  devant  le  boichier. 
Et  les  poisons  au  poisonier. 
Et  si  acroit  et  pain  et  vin, 

1472  Et  ueis  l'avoine  a  son  runsin. 
Et  fet  fience  et  serement, 
Mes  il  la  tient  mauvesement. 
Qu'il  vosist  miex  estre  penduz 

1476  Que  ja  denier  en  fu>.t  renduz  : 
Se  li  pièges  ne  l'amendast 
Ou  joustice  ne  l'esforsast, 
Ja  n'en  rendist  denier,  son  veil  ; 

1480  Quant  il  les  rant  moût  a  grant 

[dueil, 
Si  est  il  riches  et  manans . 
La  maie  goûte  ait  il  es  denz, 
Car  il  euvre  par  tricherie, 

1484  Si  torra  trestot  a  la  lie 

Sis  granz  avoirs  et  sa  richesce, 
Et  il  cherra  en  grant  povrece, 

(Jol.  126  b) 
Et  si  le  herront  mainte  gent. 

1488  Por  ce  esploite  follement 

Cil  qui  l'autrui  vieust  retenir. 
Certes,  il  ne  s'en  peut  joïr 
Qu'il  nel  compiert   ou   loin  ou 

[près. 

1492  Or  vos  doi  je  bien  dire  après 
Comment  Loiauté  le  fera 


1440  en  i  a  —  1445  dont«^  répété  —  1487  h'ront  —  1457  a  caz —  1491  ne. 
Romania  XLIV  55 


546 


A.    LANGFORS 


Et  queles  armes  il  avra  : 

En  son  escii  un  home  avoît 
1496  Qui   rent  moût  bien   quenqu'il 

[acroit      1532 

Que  ja  ne  fust  merci  de  jour, 

Et  vit  de  son  laial  labour, 

De  son  travail  et  de  sa  paiue 
1500  Et  de  ce  que  Diex  li  amaine  1556 

En  ces  vignes  et  en  ces  blez, 

En  ces  terres  et  en  ces  prez. 

Et  si  les  disme  laiaument, 
1504  Si    qu'il  n'en    triche    ne    n'en    1540 

[ment. 

Mais  il  ne  fut  pas  nez  a  Biais,    , 

Car  ja  n'i  troverez  borjais 

Qui  ja  de  ce  s'ose  venter,  1544 

1508  Se  il  a  guieres  a  dismer, 

Quetoz  jorz  l'ait  rendue  a  droit. 

A  Saint  Homer  mieux  en  seroit 

Se  loialment  estoit  rendue  : 
1512  Tant  con  li  vins  est  en  la  eue       1548 

N'avraient  joi  large  celier 

Ne  joi  toniaus  a  l'estuier. 

Mais  en  sont  moût  bien  guardé; 
15 16  Plus  ont  par  force  que  par  Dé  : 

{fol.  126  l'o)    1552 

Moût  en  i  a,  c'il  n'en  cuidoient 

Estre  aparlé,  ja  n'en  rendroient, 

Certez,  ne  some  ne  barril . 
1520  Et  por  ce  sont  li  grant  essil,  1556 

Les  granz  guierres  et  les  granz 

[fautes, 

Por  cest  pechié  et   por  les  au- 

[tres,    1560 

Que  moût  le  fomes  mallement. 
1524  Jel  di  por  moi  premièrement, 

Que  ncl  fès  pas  ci  con  je  doi. 

Et  si  sai  bien  que  je  follai.  1 564 

Diex  a  le  marc,  Diex  a  la  lie, 
1528  Diex  a  la  venenge  porrie, 


Mais  il  n'a  mie  le  bon  vin. 
De  ce  resanblons  noz  Caïn, 
Qui  se  dismoit  mauvesement, 
Que  le  paour  de  son  froment 
Donoit  a  Dieu,  nostre  Seignor, 
Et  de  ces  bestes  le  paour. 
Noz  deùsson  sambler  Abel, 
Qui  le  meillor  et  le  plus  bel 
Donoit  toz  jorz  a  Damedé, 
Et  il  li  profitoit  son  blé 
Et  toz  les  blenz  que  il  avoit. 
Mes  a  Chaïn  moût  en  pesoit. 
Tant  qu'il  eu  ot  si  grant  envie 
Qu'il  le  tua  par  félonie  ; 
Moût  ot  ici  mauvesse  enfence. 
Piesa  que  Traïson  commaince 
Et  Cruauté  et  Félonie. 
Moût  a  que  disme  est  establie 

{fol.  126  vob) 
Et  que  Diex  vostque  fust  donee. 
Au  ciel  en  aloit  la  fumée 
Quant  elle  ardoit  en  la  montain- 

[ne  : 
Ice  estoit  veraie  ensaigne 
Que  Diex  voloit  jadiz  avoir  ; 
Or  vos  en  ai  je  dit  le  voir  ; 
Mais  la  Chaïn  desscndoit  jus. 
Je  que  voz  en  diraie  plus  ? 
Diex  nos  consaust  par  sa  vertu. 
Loiautez  ot  moût  bel  escu, 
Issi  con  je  vos  ai  retrait, 
Mais  Tricherie  Tôt  plus  Ict, 
Qui  vient  encontre  Loiauté. 
Ne  l'avoit  mie  desfié  : 
Sanz  defience  l'a  féru, 
Et  Loiauté  li  tant  l'escu 
Et  le  feri  si  de  sa  lence 
Que  a  la  terre  le  balence . 

Devers  Enfer  es  vos  Luxure, 


1515  Vers  trop  court  ;  on  pourrait  lire  Mais  il  en  sont 
^550  vraie  . 


I  )2i  et  le  granz  — 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


547 


.1.  chevalier  de  grant  ordure. 
Cis  escuz  fut  a  .vu.  estages; 
1568  Cil  qui  le  point  estoit  niout  sa- 

[ges.    1600 
Ou    haust  estaje,   ou  chief  d'a- 

[mont, 
Si  vos  dirai  quésgenz  i  sont  : 
Ce  sont  meschines  sanz  mariz        1604 
1572  Et  bacheliers  fox  et  hardiz, 
Qui  s'entreviennent  .11.  et  .11. 
Et  ne  le  tenez  pas  a  gieus  : 
Celle  est  enverse  et  cil  a  dens  ; 
1576  Bien  lipoïst  traire  les  danz.  1608 

(fol.  I2j) 
En  l'autre  estaje  souz  celui 
Ot  assez  plus  mal  et  annui, 
Qu'il  i  ot  famés  mariées,  16 12 

580  Qui  en  avront  maies  soudées, 
Et  bacheliers  qui    n'ont  pas  fa- 

[mes. 
En  leurs  mentiaus  n'avoit    pas    1616 

[panes, 
Moût  estoient  gresles  et  cointez  ; 
1584  Chascuns  avoit  la  soue  acointe. 
A  une  part  en  ces  estages, 
Ou  il  n'estaient  pas  tuit  sage,      1620 
Si  ravoit  homes  mariez, 
1588  Que  deable  i  ot  amenez. 

Qui  sont  venu  ou  les  meschines 

Or  peuent  bien  mirer  les  nues,  1624 
1592  Si  en  i  ot  He  toutes  nues 

Et  des  vestues  en  i  ot  : 

L'une  ot  mentel,  l'autre  sercot. 

Icest  pechié  tienz  ge  a  egual,  1628 
1396  Et  por  ce  sont  en  un  ostal. 


Ou  tiers  estage  ot  autre  gent, 
Qui  moût  esploitent  follement  : 
Famés  i  ot  de  malle  afere, 
Ainsint  con  vos  m'orrez  retraire, 
Quiontseignor  et  cil  ont  famés, 
Et  sont  venuz  batre  leur  glanes. 
Or  commaincent  les  avoutires, 
Et  li  pechié  et  li  martires. 
Mariages  n'est  plus  tenuz. 
Bien  est  cil  fox  et  esperduz 

(fol.  127  b) 
Qui  a  sa  famé  et  prent  l'autrui. 
Malement  servent  embedui, 
Et  cil  et  celles  sont  perdu  : 
Por  .iiii.  jours  qu'il  ont  vescu 
En  leur  pechié  et  demoré 
Perdent  la  joie  et  la  clerté 
Qui  est  sanz  terme  et  sanz  fenir. 
Bien  sont  cil  povre  et  orphelin 
Qui  ont  perdu  si  biau  chastiau. 
En  cel  estage  ot  assez  mau, 
Mais    ou    quart    n'en    ot    mie 

[mainz. 
Ou  il  avoit  faus  chapelainz 
Et  famés  qui  ont  leurs  saignors. 
Diex!    or  commaincent  les  do- 

[  leurs. 
Moût  a  ici  malle  assemblée  1 
Au  preudome  a  sa  famé  emblée 
Li  desloiaus,  par  traïson, 
Quant  elle  vient  a  confession 
Et  il  la  prie  qu'aie  l'aint. 
Se  Diex  a  son  ostel  m'amaint, 
Je  l'oï  dire  dès  piesa 
Qu'en  tel  meniere  la  pria 
.1.  chapelain  et  qu'il  avint. 


1567  a  .11.  estages  —  1572  h'diz  —  1576  Après  ce  vers,  un  glossateiir  a 
ajouté  :  Cil  eust  unes  tenailles  —  1584  acoite  —  1598  espoitent  —  1610  Au 
lieu  de  qu'il,  le  iiis.  a  l'abréviation  de  qui  —  161 3  Pour  que  la  rime  soit  cor- 
recte, il  faudrait  lire  fin  au  lieu  de  fenir,  mais  la  correction  rendrait  le  vers  trop 
court.   —  1620  commaince —  1625  qua  le  —  1626  a  mon  o. 


548 


A.    LANGFORS 


Mauvessement  son  ordre  tint 

Et    mal  exsample    i    peut    l'en 

[prendre.    1664 
1632  Comment  m'osera  cil  reprendre 

De  mon  pechié  qui  sourdais  fet? 

Je  li  avrai  moût  tost  rctret  : 

«  Et  vos  por  quoi  le  me  veez  ?      1668 
1636  Ja  fêtez  vos  sordois  assez. 

{fol.  I2J  v°) 

Mal  dahet  ait  qui  se  croira 

Que  vos  ice  feïssiez  ja, 

Se  li  péchiez  fust  isi  grans  1672 

1640  Con  vos  dites  aus  païsans 

Et  fêtes  croire  a  la  gent  laie. 

Vos  me  volez  guérir  ma  plaie, 

Et  delà  vostre  ne  vos  chaust.  »    1676 
1644  Je  ne  croi  pas,  se  Diex  me  saust. 

Mes  cil  sont  fol  qu'isint  le  font. 

Se  li  prestres  estoit  au  pont 

Et  il  sausist  en  Loire  a  fès, 
1648  Je  n'i  saudraie  mie  après,  1680 

Ainz  l'en  tendroie  por  musart. 

Se  li  prestres  sa  messon  art, 

Por  ce  n'ardre  je  pas  la  maie. 
1652  Dont  sont   cil  fol,   se  Diex  tne 

[vaie,    1684 

Qui  se  prenent  a  leur  follie. 

Diex  !  ja  n'en  porterai  je  mie 

Le  sien  pechié  ne  il  le  mien. 
1656  Se  il  fet  mal  et  je  fès  bien. 

Je  ne  sui  pas  por  ce  dempnez.        1688 

Es  bones  euvres  vos  prenez, 

Aus    bons    hermites,   aus  bons 

[moines, 
1660  Aus   bons   abez,  aus  bons  cha-    1692 

[noines, 

Qui  ne  sont  pas  point  en  l'escu 


Que  Luxure  ot  au  col  pendu  ; 
Mes  vos  en  estes  bien  guardé. 
Qui  a  peor  de  l'evesquié 
Cil  a  ce  fet,  cil  euvre  ainsi, 
Ci  estes  fol  et  esbahi 
Qui  metez  force  a  tel  i  a 
Chose  que  il  ne  fera  ja, 

{fol.  i2y  v>  h) 
Si  encraisiez  vostre  pechié. 
Et  de  ce  sont  diable  lié. 
Ou  quint  estage  plus  aval 
Sont  arcevesque  et  chardonal 
Et  li  evesque  et  les  nonains, 
Et  cil  estages  fut  vilains. 
Si  i  avoit  moût  haute  gent, 
Mais  il  ne  furent  pas  grantment, 
Mes  ge  ne  sai  dont  il  estaient, 
Car  de  plusors  pais  estoient  : 
L'un  de  Guascoigne  et  de  Poi- 

[toi, 
Maiz  il  avoient  estez  moût  fol. 
De  Tours,  de  Chartres  et  d'Or- 

[liens, 
Ou  de  Arraz  ou  de  Amiens, 
Ou  de  Boorges  ou  de  Rains, 
Mes  trop  leur  ont  cousté  leur 

[rains 
Quant  .1.  et  .1.  en  sont  mené. 
Or  vos  en  ai  assez  parlé. 
Dou  siste  estaje  vos  dirai 
La  vérité,  se  je  le  sai, 
Ou  il  avoit  assez  dolour  : 
Li  frères  gist  a  sa  seror 
Et  li  valiez  gist  a  sa  mère. 
Ceste  assemblée  fut  moût  lede  , 
N'ot  estage  si  doloreus. 
Mais  ne  sui  mie  covoiteus 


1633  sourdaus  —  1634  retet  —  165 1  ne  ardre  je  —  1657  ne  est  répété  — 
1664  au  peor  {presque  effacé)  ~  1665  aiusint —  iGG"]  Peut-être  Et  metez 
{effacé) — 1673  evesques  —    1675    hautes —  1680  Vers   trop  long  —   1683 


Ou  de  bornes  ou  de  raains 


1693  Ni  ot. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


549 


Que  j'en  pnroje  longuement. 
1696  Dou  sttiesme  dirai  comment, 

Qués  genz  i  a  et  que  il  font. 

Ce  est  le  plus  villainsdou  mont.    1728 

Que  font  il    dont  ?    Contre  na- 

[ture. 
1 700  Ce  est  li  venins,  c'est  l'ordure 

(JoJ.  12S) 

De  toz  les  péchiez  que  je  sache.    1732 

[sache] 

Le  cuer  dou  ventre  a  un  havel, 
1 704  Se  je  l'estrive  por  cochet, 

La  vérité  vos  an  ai  dite. 

lUeuc  furent  li  sodomite.  1736 

C'est  uns  péchiez  que  Diex  het 

[tant 
1 708  Que  Diex  en  monstra  mal  sem- 

[blant 

Par  les  citez  qu'il  enfondié 

Por  la  haine  dou  pechié  ; 

Et  d'autre  part  furent  les  famés, 
1712  Mais  il  n'estoient  pas  si  bones 

Con  je  vosisse,  Diex  le  set,  • 

Et  bien  sachiez  que  Diex  les  het. 

Assez    i    pens,  quant    je   m'es- 

[voille, 
17 16  Dont  leur  avient  si  grant  mer- 

[veille,    1748 

Ne  qu'il   leur  siet  ne  qu'il  leur 

[vaust 

Que  l'une  famé  l'autre  saust. 

Et  des  homes  me  merveil  je  1752 

1720  Dont  leur  avient  tel  mauvestié. 

De  grant  merveille  s'entremet, 

Malle  aventure  Diex  li  envoit 

Puis  que  il  vient  a  itel  jeu.  1756 

1724  Je  nevoudraie  por  Biaujeu, 


1740 


1744 


Se  Diex  m'amaint  en  sa  meson, 
Estre  couchiez  a  un  guarson, 
En  la  manière  que  je  di. 
Or  vos  ai  tout  l'escu  forni. 
Issint  con  je  voz  ai  assis 
En  cest  escu  que  je  devis, 

(fol.  128  b) 
Sont  il  ou  puis  d'Enfer  aval  ; 
Il  ne  sont  mie  parigual. 
Itiex  fut  li  escuz  Luxure, 
Qui  a  maint  home  a  fet  ledure . 

Virginitez  li  vient  encontre. 
Qui  a  son  compaignon  demon- 

[tre, 
A  Chasteé,  qui  après  vient, 
Que  a  son  bon  ami  le  tient. 
Virginitez  out  un  escu, 
N'i  ot  hui  mes  si  bel  veù, 
Car  il  fut  blanc  comme  la  nois 
Quant  elle  chiet  sus  le  marais, 
Et  i  ot  un  anfant  portrait, 
Onques  nus    hon  ne   vit  miex 

[fait. 
Il  fut  de  la  plus  haute  dame 
Conques  issist  de  nulle  famé  : 
Ce  fut  la  bêle  mère  Dé, 
Qui  tant  ama  Virginité 
Et  tent  tut  neste  de  pechié 
Que  nostre  Sires  en  nasquié. 
Li  escuz  fut  cortais  et  biaus. 
Si  i  fut  painz  saint  Gabriaus 
Qui  la  novele  H  aporte. 
Par  Eve  fut  close  la  porte 
De  Paradiz,  mes  desfermee 
Fut  par  ceste  beneùree, 
Dont  je  vos  ai  tenu  parole. 


1695  Q'ie  paroie  1.  —  1700  ce  ê  lordure  —  1704  lestruie  —  1706  lilleuc  — 
1708  mal  manque  —  171 3  ne  q  leu  vaust  —  1720  Le  copiste  a  d'abord  écrit 
mavestié,  h  v  est  écrit  en  interligne  —  1722  Vers  trop  long  —  1725  en  ma 
meson  —  1735  encotre —  1738  Qui  —  1745  Et  i  a  voit, 


550 


A.    LANGFORS 


Toz  jorz  maintint  la  bone  escole, 

Moût  mena  haute  vie  et  sainte, 
{fol  128  l'o) 
1760  De  Dieu  amer    n'est  elle  fainte,    1796 

Et  moût  honora  sainte  Iglisse  ; 

Moutfut  cortaiseet  bien  aprisse, 

Et  Diex  si  vit  de  tout  le  monde 
1764  Qu'il  ne  trovoit  nulle  si  monde    1800 

De  tout   pechié  comme  elle  es- 

[toit. 

Mais  longue  chose  vos  seroit 

A  raconter  toute  sa  vie,  1804 

1768  Car  maintes  foiz  l'avez  oïe  ; 

Por  ce  n'en  veil  or  plus  parler. 

Moût  la  devons  croire  et  amer, 

Iceste  dame  que  je  di,  1808 

1772  Que  hautement  nos  iert  meri, 

Car  elle  est  meut  de  haust  me- 

[rite  : 

Elle  n'iert  de  rienz  escondite         1S12 

Qu'aie  requière  au  Sauveor. 
1776  Bien  li  devons  porter  honor 

Quant  Diex  meïsmes  li  porta 

Et  nostre  Sires  tant  l'ama 

Que  il  doignade.  .  .  descendre.    1816 
1780  Tuit  en  aloient  en  la  cendre 

D'Enfer  et  en  la  porreture, 

En  la  meson  lede  et  oscure, 

Por  le  premier  pechié  d'Adem,    1820 
1784  Jusques  li  fers  persa  le  flanc, 

Que  sanc  et  eve  en  issi  hors. 

Moût  est  beneùrez  H  cors 

Ou  cil  torna  qui  par  sa  mort  1824 

(fol  128  vob) 
1788  Nos  délivra  sanz  feretort  : 

Ce  fut  li  ventres  a  la  Vierge. 

Lors  fumes  noz  hors  de  la  fierge 

Et  dou  lïen  a  l'ennemi.  1828 

1792  Certes,  jusqu'à  demain  midi 


Ne  vos  porraie  pas  retrere, 
Por  rien  que  je  peûsse  fere, 
L'une  moitié  de  sa  bonté. 
Li  escuz  fut  de  grant  biauté. 
Que  moût  fut  riche  sa  pointure. 
Seur  un  chamaut  seoit  Luxure. 
C'est  une  beste  moût   poignant 
Et  si  est  moût  mal  fête  et  grant 
Et  haust  et  bocerez  et  Ions. 
Por  ce  est  bien  droiz  et  ressons 
Que  Luxure  siée  desus, 
Que  nulle  beste  ne  put  plus. 
Luxure  sist  seur  un  chamol, 
Qui  une  cuisse  ot  a  son  col 
D'une  putain  grant  et  membrue, 
Qui  avoit  plus  vendu  char  crue 
Que  ragonain  n'a  en  sa  vie. 
Richost  ot  non,  Diex  la  maudie. 
Mes  Luxure  n'ot  point  de  lence. 
Qui  vers  Virginitez  s'alence. 
En  la  grant  cuisse  de  putain 
Cuide  ferir,  mes  c'est  en  vain, 
Car    il    s'en    passe    par    delez. 

{fol.  I2C)) 

Mais  ne  faut  pas  Virginitez, 
Qui  d'une  vierge  tient  la  trase 
Qui  l'ot  copee  par  destrace, 
En  despit  de  toute  luxure. 
Virginitez  fiert  a  droiture, 
Si  la  li  lace  entor  le  col  : 
Par  sus  la  croupe  dou  chamol 
Le  tire  a  terre  ou  les  .11.  mainz. 
Maiz  .111.   guarsons  et  .111.  pu" 

[tains. 
Qui  ont  mainte  borce  secueusce, 
I  sont  venuz  a  la  requeuce; 
Luxure  esqueut  et  il  monte, 
Mais  sachiez  bien,  rienz  ne  leur 

[monte. 


1760  n'est  elle  pas  f.  —  1774  Elle  n'iert  ja  de  —  1775  reqre  —  1779  Un 
mot  est  effacé,  peut-être  dedenz  —  1827  //  vatidrait  peut-être  mieux  corricrer 
resqucv.t. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


551 


Que  Chasteez  avant  s'alesse  1 864 

Et  hurte  et   boute    et    ront  la 

[presse, 
Rusez  les  a  plus  d'un  arpent. 
1832  Mais  bordelier  et  autre  gent  1868 

I  sont  venuz  au  poigneïz; 
Ja  i  ara  grant  poigneïz. 
Virginitez  out  conestable 

1856  Bel  et  cor  tais  et  bien  estable  : 

Ce  fut  cil  beneûrez  1872 

Qui  tant  estoit  de  Dieu  amez, 
Qui  s'endormi  desus  son  piz 

1840  Et  fut  lessus  es  cieuz  raviz. 
Ce  fut  misires  saint  Johans, 
Ce  fut  li  courtais  et  li  franz, 
Que  nostre  Sires  tent  ama 

1844  Que  sa  mère  li  commenda. 

Cil    porta    bien    le    confanun. 
{fol.  I2p  h) 
Fuit  s'en  Luxure  a  esperon, 
Et  cil  la  vont  après  siguant, 

1848  Maiz  la  puor  estoit  si  grant 
Que  il  ne  porent  endurer, 
Ses  en  estut  a  retornér. 
Mais  cil  qui  fet  l'arriére  guarde 

1852  Deviers  enfer  pas  ne  se  tarde  : 
Covoitise,  li  engoiseus, 
Cil  conduit  toz  les  covoiteus. 
Li  siens  conroiz  fut   trop   dou- 

[tables. 

18)6  En  son  escu  ot  .111.  rouables, 
Et  au  desus  ot  un  villain 
Qui  est  en  un  muUon  de  fain 
Et  si  l'en  cuide  tout  porter.  1892 

1860  Qui  le  veïst  bouteculer 
Et  embracier  et  il... 

II  n'a  pouer  que  tôt  sozliet, 

Et  il  n'en  vieust  lessier  pelet.         1896 


1876 


1880 


1884 


1888 


Ainsint  en  grant  péril  se  mest, 
Mes  ja  tout  ne  l'en  lèvera. 
En  ceste  angoisse  se  morra 
Ainz  qu'il  le  puisse  tout  avoir. 
Ainsint  fet  l'en  de  l'autre  avoir 
Conli  villains  fessoit  dou  fain. 
Covoiteuz    meurt  toz    jorz    de 

[fain. 
Ja  tent  n'avra  avoir  ne  terre 
Qu'il  ne  bee  a  plus  conquierre. 
Li  covoiteus  resamble  luz  ; 
Covoiteuz  semble  escofle  et  gluz  : 
Lagluz  si  est  belle   et  luisans  ; 

(Jol.  12()  Z'O) 

Quant  li  aisel  descent  vollans 
Tentost  est  pris  a  l'essooir. 
Ce  pouezvossovent  veair 
Qu'autresint  fet  li  covoiteus  : 
Engluer  vieust  It  doloreus 
Ceus  qui  s'asïent  jouste  lui. 
Assez  leur  fet  mal  et  annui. 
Covoiteuz  sanble  l'aubepin, 
Qui  n'avra  ja  si  chier  voisin, 
Se  il  le  baille  ne  empoigne, 
Ce  il  le  prent,  que  il  nou  poigne. 
Covoiteus  semble  le  noier, 
Qui  rienz  ne  lest  souz  lui  fro- 

[gier. 
Quant  vieust  villir  tout    vieust 
[estaindre. 
Tout  quenqu'il  peut  soz  lui  es- 
[traindre. 
Covoiteus  semble  l'aiment. 
Il  seroitainz  le  chiefd'un  an 
Que  j'an  poisse  joi  parler. 
Por  ce  si  le  lerai  ester 
Q'au  reconter  avroit  trop  paine. 
Ausint  comme  de  la  fontaine 


1833-34  Le  même  mot  à  la  rime  est  probablement  une  faute  —  1837  Fers  trop 
court  —  1859  Corr.  si  en  ?  —  1860  bôteculer  —  1861  Le  dernier  mot  est 
effacé  —  1862  Le  dernier  mot  fst  d'une  lecture  douteuse  —  1890  estaindre. 


552 


A.    LANGFORS 


Nest  li  roisiaus  qui  cort  aval 

Nessentli  pcchicet  li  mal 

De  Covoitisse,  se  sai  je,  1932 

1900  Que  de  lui  craisent  li  pechié. 

Covoitise  vint  au  tornoi, 

Qui  moût  amené  gent  o  soi. 

De  l'autre  part  vint  Cliaritez, 
1904  ...escu  (?)...  t  toz....  issiez  1936 

Dès  le  premier  commaincement. 

(fol.  I2ÇV°  U) 
Portrait  i  ot  moût  doucement 
Un  home  sinple  qui  donoit  1940 

1908  Por  amor  Dieu  ce  qu'il  avoit 
Et  aime  Dieu  de  tout  son  cuer. 
Père  et  mère,  frère  et  sereur 
N'amoit  il  pas  tent  comme  Dé. 

19 12  Cil  vivoit  bien  en  charité 

Et  comme  soi amoit  sou  prisme.     1944 
Passée  estoit  eure  de  prime 
Quant  Charité  vint  en  la  place. 

19 16  Covoitise  moût  le  menesce, 

Qui  vint  o  grant  esfort  de  gent,     1948 
.    Et  Charitez  ou  pré  l'atent, 
Qui  n'avoit  pas  si  grant  conroi; 

1920  Mais  il  ce  fioit  en  cel  roi 

Qui  sauva  Jonas  ou  poison  1952 

Et  seur  le  peuple  Pharaon 
Reclost  la  mer  et  les  noia. 

1924  De  Charitez  vos  dirai  ja 

Ce  que  je  croi  et  a  briés  moz.      1956 
Ainsint  con  li  egles  seur  toz 
Des  oisiaus  voile  plus  haust 

1928  Croi     je     que    Charitez     plus 

[vaust    1 960 
Que  nulle  des  autres  vertuz. 
Qui  do  Charitez  est  vostn/ 


Moût  par  en    doit  grant    joie 

[avoir, 
Dont  eme  il  Diex  a  son  pouoir 
Et  son  prisme  comme  son  cors  ; 
Et  qui  de  Charité  est  hors. 
Il  n'aime  Dieu  ne  ne  le  croit. 
{fol.  130) 
Qui  toutes  les  vertuz  avroit 
En  soi,  et  Charitez  n'i  fust, 
Qu'il  n'amast  Dieu  ne  ne  creùst, 
Ne  li  porroit  javalloir  rien, 
Que    de    lui    viennent    tuit    li 

[bien, 
Charitez  sist  seur  un  cheval  : 
One  ne  veïstcs  en  coustàl 
Noif  ainsint  blanche  comme   il 

[fu. 
Quant  Covoitise  l'a  veû 
Si  le  covoite  et  vieust  avoir. 
Il  esperone  un  cheval  noir. 
Qui  fut  aquis  mauvessement  : 
Un  u^eriers  l'en  fist  presant, 
Qui  guaaignié  Tôt  a  usure. 
Mailloite  soit  tel  norreture, 
Car  ne  plaist  pas  a  Damedé 
Uns  useriers  a  un  abé 
Avoit  preste  de  son  avoir, 
Si  li  dona  le  cheval  noir 
Por  seulement  .11.  mais  atendre. 
Cil  n'avoit  pas  le  ceur  si  tendre 
Vers  Charité,  que  le  cheval 
Prist  de  l'abé  sanz  nul  cheval 
Qu'il  l'en  donast  ne  ne  soussist  ; 
Et  Couvoitise  seur  lui  sist, 
Si  l'esperone,  et  cil  i  court 
Si  durement  qu'il  n'i  ot  sourt 


1904  Vers  effacé  —  1908  qui  avoit  —  1922  Et  tout  le  —  1927  Vers  trop 
court;  il  faut  peut-être  corriger  le  plus  haust  —  1929  nulles  —  1932  eme  il 
est  d'une  lecture  douteuse  —  1934  de  est  répète  —  1939  Ne  li  porroit  jarien  val- 
loir —  I949guaigne  —  1957-8  cheval  répète  à  la  rime  est  probablement  une 
faute  ^^  19(10  seur  luit  —  iq6i  cil  (\  exponcluè)  li  court. 


LE  TOVRNOIE\fENT  D'ENFER 


55^ 


Qui  n'en  poïst  la  noise  oïr, 

1964  Et  cuide  Charité  fcrir 

Par  mi  le  cuer  sanz  nul  arrest. 
(fol.  ISO  b) 
Mais  cil  qui  tout  le  monde  pest,    199° 
Qui  toz  jorz  sera  sanz  terme 

1965  Et  de  ces  ieus  plora  la  lierme 
Qui  est   en    l'empoule  a    Ven- 

[dosme    2000 

Et  si  avugle  le  fentosme, 

Covoitise  Ta  desfié, 
1972  Qu'il  ne  vit  point  de  Charité  ; 

Veoir  ne  le  devoit  il  pas.  2004 

Charitez  le  ferit  bas 

Par  desoz  la  bocle  de  Tescu, 
1976  Si  qu'il  l'abat  tout  estcndu; 

Par  poi  li  ceurs  ne  li  parti. 

E  !  Diex  !  con  noz  fuisson  gucri    2008 

Se  Covoitise  fust  tuez  : 
1980  Ja  mes  avoir  ne  fust  emblez 

Ne  belle  famé  covoitee. 

Mais  trop  i  et  de  sa  mesniee, 

Parjurs,  foi  mentie  et  larrons 
1984  Et  roteriaus  et  champions, 

Qui  font  batailles  por  deniers, 

Et  deslaiaus  et  useriers. 

Qui  l'ont  monté  scur  son   che- 

[val. 
1988  Ja  i  avra  grant  bastetal, 

Que  Charitez  ne  tarde  mie,  2020 

Qui  avoit  belle  compaignie, 

Ainsint  con  vos  m'orrez  conter: 
1992  Saint  Père  i  peûsiez  trover, 


2012 


2016 


Qui  fut  por  Dieu  crusefiez, 
La  teste  aval,  amont  les  piez, 
Ce    soufrit  il  por  son  saignor  ; 
(fol.  130  v") 
Et  saint  Andrieu,qui  a  doulor 
En  fut  en  croiz  mis  de  travers 
Par  les  félons  Juis  diviers  ; 
Si  i  fut  saint  Jouhan  Batiste, 
Qui  les  rusa  jusqu'à  la  lice, 
Qui  ot  por  Dieu  le  col  tranchié, 
Et  saint  Lorenz,  qui  le  cousté 
En  ot  rosti  seur  les  charbons, 
Et  assez  autres  compaignons  ; 
Si  i  furent  tuit  li  martir, 
Qui  por  Dieu  vodrent  mort  sou- 

[frir, 
Et  tuit  li  saint  i  sont  venu, 
Qui  ont  en  Charité  vescu  ; 
Si  sont  martir  et  confesser, 
Qui  lessierent  argent  et  or 
Et  les  riçheses  terriennes. 
Et  menèrent  les  vies  bones 
lis  hcrmitages,  es  reclus. 
Je  que  vos  en  diraie  plus? 
Ilonc  ne  fut  mes  veûs  tes  hons, 
Que  le  livre  (?)  ne  si  selons  (?), 

Ne con  cil  estaient 

Qui  deviers  Paradiz  venaient. 
Moût  i  ot  riche  compaignie. 
Confession  ne  tarda  mie, 
Ains  vient  poignent  a  esporon. 
Des    soues    armes     voz   diron 
(fol.  1)0  yo  h) 


1967  Fers  trop  court;  corr.  Et  qui,  ou  a  toz  jorz  —  1968  prora  —  1974 
Vers  trop  court  ;  corr.  en  bas  —  1975  Vers  trop  long  ;  siippr.  Par  —  1978  Et 
(abréviation)  Diex  —  1985  denier  —  1996  adrieux  (x  est  écrit  au-dessus  de  u) 
—  Après  le  irrs  2001  se  lisent  ces  deux  vers,  sans  doute  interpolés  : 

Cil  n'ama  onques  Covoitisse, 

Ainceuz  se  tint  ou  Charité. 

2009  Si  i  sont  — 2013  êtes  reclus  ^  20i)-2i  sont  presque  effacés  et  d'une 
lecture  douteuse  (surtout  le  v.  2016), 


35^ 


A.    LANGFORS 


La  vérité,  sel  devez  craire  : 
2024  En  son  escu  ot  un  provoire, 
Qui  une  estolle  outason  col, 
Et  si  ne  sambla  mie  fol. 
Et  devant  lui  un  pecheour, 
2028  Qui  li  reconte  sa  deulour 
Et  les  péchiez  ou  il  estoil  ; 


Si  desconfit  quenqu'elle  estaint 
Quedeventlui  rienzne  remaint. 
Or  vos  doi  dire  la  raîsson 
2040  Savoir  porquoi  Confession 
Vint  derreniers  a  cest  tornal . 
Ce  vos  dirai,  escoutez  mai. 
Qui  son  vergier  avroit  plenté 


Dou  ceur  dou  ventre  souspiroit  2044  Et  n'i  eùst  mur  ne  fossé. 

Et  des  ieuz  pleure  tendrement,  Et  le  closist  ouboiis  paiiz, 

2032  A  grant  mervoille  se  repent  Bien  aguisiez  et  bien  esliz. 

Des  grans  péchiez  que  il  a  fez  ;  S'uns  en  failloit  au  darrenier, 

Icil  escuz  ne  fut  pas  lez.  2048  Entrer  porroit  l'en  ou  vergier... 

Confession  l'ot  devant  soi,  (Le  teste  manque.) 

2036  Si  s'est  feruz  par  le  tornai, 

GLOSSAIRE 


acoter   1 172,  arriver. 

acroire       1467,       1496,      eiuprmiter, 

prendre  à  crédit. 
aleissier  444,  dialectal  pour  eslaisier, 

élargir,  étendre. 
alencier    (soi)      1812,    dialectal  pour 

soi  eslancier,  s'élancer. 
aler  (s'en)  1350,  éclater. 
amordre  (soi)  408,  622,  s  attacher. 
aparler  15 18,  citer  en  justice  Q). 
aperner  23,  èpaigner. 
ardure  733.   Le  sens  est  que  la  charité 

délivre  Vâme  du  feu  de  ï enfer  ;  mais 

le  texte  est  corrompu. 
aree  219,  labourage. 
asouagier  506,  apaiser,  calmer . 
asseoir  ij2^,expcser. 
atret"56o,  caractère,  nature. 
aubepin    1883.    Godefroy    n'a  pas   ce 

mot  ^  qui  est  synonyme  de  aubespine. 
auqueton  120,  hoqueton. 
a  voz  26,   678,  dialectal  pour  es  vos, 

voilà. 

baillier  555,  prendre,  saisir. 


bastetal  1988,  clameur,  tapage  ;  cf. 
Godefroy,  batestal. 

bediaus  993.  Probablement  faute  pour 
bendiaus  («  Convoitise  coupe  des  ban- 
deaux dans  V étoffe  d' autrui  »), 

besu  14 19.  Sens} 

beté  694,  gelé. 

beuain  ou  leuain  984,  mol  d'une  lec- 
ture douteuse.  Sens  ? 

bobai   1021,  orgueil. 

bocerez  1801,  bossu. 

bouteculer  1860,  pousser  en  retournant 
ce  qui  est  devant  soi, 

brouet  1355,  aliment  liquide. 

brunete  551,  étoffe  fine,  d'une  couleur 
presque  noire,  dont  les  gens  de  qua- 
lité s'habillaient. 

buriau   1420,  bureQ). 

chaas  I40i,f/w5  d'une  aiguille. 
chanuz     1144,    couvert   de  fleurs,  ici 

appelées  chanes  (canes),  en  parlant 

du  vin . 
char.  s.  m.,  580.  Sens  ? 
chastiau  161 5.  capital. 


2045  l^on. 


LE  TOURNOIEMENT  D'ENFER 


555 


chaudiau    79,    l'eau    dans    laquelle  la    estivaus  1468,  chausses,  hottes. 


viande  a  bouilli. 

Cochet  (Se  je  l'estrive  por  c.)  1704. 
Sens  ? 

cochonet  11 59  (conjecture),  cochon  de 
lait. 

cordouan  572,  cuir  de  prix. 

coson   1 1  3  5,  charançon. 

croissir  988,  broyer  avec  bruit. 

eue  15 12,  probablement  synonyme  de 
queue.  Foir'à  ce  mot . 

cuite  121),  cuita  15 19.  Est-ce  le 
même  verbe  que  cuidier  ? 

eus  (la  bouche  devient)  1 3-42,  ils  vo- 
missent. 

dareson  180,  dialectal  pour  desreson, 
chose  contraire  à  la  raison;  injustice. 
debatre  (sens)  10%-^,  contester. 
despit  1 1 16,  dhm  aspect  misérable. 
desrengier  iioi,  sortir  des  rangs. 

empraindre  6^)%,  féconder  (aufig.). 

encraisier  1669,  grossir,  augmenter . 

engoufer  1369,  engouffrer,  dévorer. 

entrevenir  (soi),  1573,  avoir  un  com- 
merce charnel. 

eschaufer  i),  fermenter. 

eschauguieter,  v.  act.,  948,  faire  le 
guet. 

escolee  412.  Ce  dérivé  de  escole 
manque     à    Godefroy.    Cf.    Varticle 

la 


escuelh    de  M.  A.  Jeanroy  dans 

Romania,  XLI,  41^. 
esqueut  1827,   de    escueilHr  ;  t'o^.    la 

note. 
essart  1434,  lieu  défriché. 
essooir  1877,  dialectal  pour  asseoir, 
estaindre     1889,     étouffer,    estaindre 

1890  doit  probablement  être  corrigé 
'estraindre,  étreindre. 
estaint    2037,    de   estaindre,  dialectal 

pour  ataindre,  atteindre. 


estrecier  994,  rétrécir;  Et  si  estrece 
les  drapiaus,  «  fait  les  habits  trop 
petits  »  (pour  pouvoir  voler  de 
l'étoffe). 

faie  61 'i,  foie. 

faint  1760,  négligent. 

fautes  1521,  pénurie,  disette  (7), 

fentosrue  1970,  diable. 

fès  (a)  1647,  comme  une  masse. 

fierge  1790,  chaîne. 

frogier  1888,  fructifier,  prospérer, 

gienvre  678,  684,  plus  jeune.  Il 
est  incertain  s'il  faut  imprimer 
gienvre  ou  gieuvre;  cf.  juevre  : 
descuevre,  dans  Chgès  2861,  cité 
par  Napp,  Mir.  de  N.-D.  de  Char- 
tres,^. 34. 

glanes  (batre  leur)  1602,  mener  une 
vie      dissolue  (?).      Cf.     Godefroy, 


Compl.,  IX,  ■jo2^. 
guastinau  707,    vagaboiulQ)  ;  manque 

à  Godefroy. 
gué   (besoigneux    ne    guarde)    440, 

proverbe. 

havet  1703,  crochet. 

herbaust  $^2,  famine,  disette.  C'est  de 
ce  mot  que  vient  l'adj.  herbant,/!?/». 
herbaude,  «  pauvre  »,  dans  Vio- 
lette 1440. 

hercier  1098,  frapper. 

heut  1 103,  poignée  de  l'épée. 

humilieux  325, /j«wW«. 

husel  (faire)  11 50.  Sens} 

joi  1513,  1514,  1893,  probablement 
dialectal  pour  ja. 

lite  1414.  Est-ce  le  même  mot  quehùx.&} 
Ou  serait-ce  l'alite,  dialectal  pour 
l'eslite  ? 


55é 


A.    LAKGFORS 


lochier  1452,  bouger. 

luz  1129,  i8-]},  sorte  de  broche I. 

malbailli  1566,  en  mauvais  état. 

matinet(le)  398,  de  bon  matin. 

meïsmes  (de)  1023,  d'elle-même  (sans 
recevoir  de  coup). 

metables  1438,  qui  possède  les  qualités 
requises. 

minée  1 180,  héminée,  mesure  de  capa- 
cité. 

mulon  725,  mullon  de  fain  1858, 
meule  de  foin. 

oie  1332,  marmite. 

otés  II 68.  Cis  otés  est  pour  sis  os- 
teus  :  «  5a  maison  était  hospita- 
lière »  ;  cf.  le  V.  1 172. 

oustre  1056,  exclamation. 

paise,  s.f,  ^^j,  poids. 

pan  824,  distance. 

panes  1582,  fourrure  garnissant  un 
vêlement . 

paour  1552,  1S14,  pire. 

paré  (mouton)  573,  apprétéÇ?). 

parjurs  ^^8^, parjure. 

pelet  1863,  dim.  de  poil,  désignant 
tine  très  petite  quantité. 

pens  678,  pensée. 

pointet  ï4'^6,  ditninutif  de  point,  ren- 
forçant la  négation. 

poitrel  II 56,  poitrail. 

pol  566,  poil. 

porpié  14 17,  pourpier. 

prisme  1915,  ï()i'^,  prochain. 

profiter  l'y  18,  faire  prospérer. 


ragonain  1809,  boucher  ?  Ou  est-ce 
un  nom  propre? 

regricier  (soi)  1206,  se  rebiffer  Q); 
manque  à  Godefroy;  cj.,  ib.,  Vadj. 
regrissé. 

renge  1102,  franges  du  ceinturon. 

renoicr,  renaie  893,  renoiez  896, 
renier. 

renoier  (soi)  894,  se  noyer  de  nouveau. 

roteriaus  1^84,  joueur  de  rottÇf);  man- 
que à  Godefroy. 

rouable  1856,  croc. 

ruser,  rusa  2000,  rusez  ]  8^1,  faire 
reculer. 

saust    17 18,  de  sauter,  chevaucher  (ï) . 

secorre,  part,  passé  fém.  secueusce 
1825,  secouer. 

serfeul  14 17,  cerfeul  1435,  cerfeuil. 

seurmonter  737,  monter. 

seurson  1367.  Ce  substantij,  qui 
manque  à  Godejroy,  est  sans  doute  un 
synonyme  de  soursomme,  superflu. 

sodée  558,  valeur  d'tin  sou  (Je  sens 
du  passage  est  probablement  :  le  7nar- 
chatid  z'ous  fait  crédit  pour  un  mois, 
mais  alors  on  payera  2^  sous  au  lieu 
de  20,  et  27  au  lieu  de  2f);  maies 
soudées  1580,  mauvaise  récompense. 

some  15:9.  Sens'> 

sordais  i74,sordois  1390,  1636,  sour- 
dais  1633,  Z""- 

souham  1275.  Sens  ?  Godejroy  a  un 
exemple  de  sovaing  (lise^  souaing  ?), 
quil  traduit  dubitativement,  etproba- 
blement  à  tort,  par  «  indolence  (?)  ». 
Il  enregistre  aussi  un  exemple  de 
souhaingnier,  «  souhaiter  (?)  ».  On 
pourrait  penser  à  saoner,  proi>.  soa- 
nar,  dédaigner. 


queue  114'), futaille  qui  contient  envi- 
ron un  niuid  et  demi.  Le  passage 
n'est  pas  clair.  On  pourrait  lire  (au 
lieu  de  bevoit)  levoit  les  queues  ;  on 

soulève  le  tonneau  quand  il  commence    talemelier  ^^1,  boulanger  de  gros  pain; 
à  je  vider.  C/.  eue  15 12.  voy.  Remania,  Xl/r,  266. 


LE   TOURNOIEMENT  D'ENFER  557 

taz  (chiet  a)   1457,  tombe  comme  une  troche,  touffe  ;  en  une  i.  S62,  ensemble. 

masse.  Irous  11 12,  tronçon,  bout. 

temouste,  s.  m.,  865,  tumulte.  turriau  588,  taureau. 
torra  1484,  fut.  detorner. 

toute  974,  imposition.  ^^j^   jg^,^   ^„/,y_   ^^  ^oi^r,   co»tf/»r«, 

toutee  220,  tranche  de  pain  rôtie,  trem-  auider 

pée  dans  du  vin.  Voir  Godefroy,  tos-  ^gf^  ^jg  f^jj^^  ^^^  ,,ja,„g'_ 

^^^-  venenge  1528,  vendante. 

trase  1817,  tresse.  Le  passage  fait  allu-  ventrilliers   i^G^,  entrailles;  manque  à 

sion    aux   cheveux    coupées  des  reli-  Godefroy. 

gieuses.  villir    1888,   vieillir.    «  Le  noyer,    en 

traverser  11 22,   synonyme  de  estoier,  vieillissant,  fait  sécher   toute  herbe 

cacher  (?).  Godefroy  n'a  pas  cette  accep-  ^^^^  i^i^  „ 

'^"M.  viz  604,  vile. 

LISTE  DES  NOMS  DE  PERSONNES    ET  DE   LIEUX 

Abeli5  35.  Guallois  1174,  Gallois. 

Adem  158,  1783.  Gunuc^uelins  986,  nom  d'un  tavernier} 

Alixandres  (rois)  778.  Guascoigne  1679. 

Amiens  1682.  ^j          /c  •    n              r?  /•    x  a    t.  l? 

.     ,  .       ,    .    ,         ,  Homer  (Saint)  15 10.  Il  faut  probable - 

Andrieu  (saint)  1996.  ,           .         ^  •      r               7/  • 

.     .        ,,       „    .     ,  ment    corriger    Saint-Lomer.    voir 


Antioche.  Voir  Entioche 
Arraz  1682 


p.  s^S- 


Bevain  (?)  984.  Lecture  incertaine  Johans  (saint)  184 1,  Jouham  (la  feste 
(leuaino«beuain?).5.ra//-<;.»««om:  5^^"^)  ^S?»  Jouhan  Batiste  (saint) 
habitant  de...}  ^999- 

Biaujeu  1724,  Beaujeu.  J°"'^^"  ^^  ^reues  1 146.  Voir  p.  ;2s. 

Biais  1505,  5/0/5.  J°"^s  '921- 

Boorges  1685,  Bourges.  ^^'^^^  ^^>- 

Caïn  i5  30>  Chaïn  1540,   1553.  Lerre  694,  Loire  1647.  Voir  p.  si;  et 
Chartres  168 1.  S^^- 

Chastiaudun  1278.  Longis  809. 

Chatel  Raoul  823,  Chdteauroux.  Voir  Lorenz  (saint)  2002. 

p.  S22.  Monpellier  (cordouan  de)  372. 


Dreues  (Jouhan  de)  1 146.  Voir  p.  j2j. 


Morheut(le)  1 104.   Voir  p.  ^21. 
Orliens  1681. 


Entioche  (siège  d')  861 .  Voir  p.  ^22. 

Escot  1 174,  Ecossais.  ^^'^  (''^"'^    >^>'  ^99^.  saint  Pierre. 

Estiennes  (saint)  805.  Pluraon  1922. 

Eve  158,  1754.  p°w    •^?-. 

Fol  (saint)  565. 

Gabriaus  (saint)  1752.  Portamoi  987,  nom  d'une  lecture  dou- 

Gant  553.  teuse,  peut-être  celui  d'un  tavernier. 


558 


A.    LANGFORS 


Ragonain  1809.  Ce  mol  incoiimi  serait- 
il  un  nom  :  habitant  de. .  .  ? 

Rains  1683. 

Raoul  (Chatel)  823.  Chdteaurorix.Voir 
p.  S22. 

Renaust  986,  nom  i.\'u)i  lavernier  ? 

Richost  397,  1810,  nom  traditionnel 
de  Ventreniettetise,  représentant  la 
Luxure.  Voir  p.  ^22  . 

Roincevaus  797.  Voir  p.  ^21. 

Rome  228,  474. 

Romi  (le  ternie  de  la  saint)  437,  la 
saint  Rcmi  (le  i"  octobre'). . 

Rousignox  987,  nom  d'un  tavernier  ? 


Saint  Homer  15 10.  C est  peut-être  une 
erreur  pour  Saint  Lomer,  c'est-à- 
dire  Saint-Laumer,  abbaye  bénédic- 
tine à  Blois.  Voir  p.   J/J. 

Thomas  (saint)  706. 

Tiece  (dame)  'jijemme  d'un  bourgeois. 

Tours  1681 . 

Tristam  1 105 .   Voir  p.  ^21. 

Vendosme  (la  lieimc  qui  est  eu  l'em- 
pouile  a)  1969,  la  sainte  Lanne  de 
Vendôme . 


A.    LANGFORS. 


LE    FABLIAU    DU    MOINE 
LE    DIT   DE   LA  TREMONTAINE 


DEUX     POÈMES     INÉDITS,     TIRÉS     DU     MANUSCRIT      280O      DE       LA 
BIBLIOTHÈQUE    DU    BARON     JAMES  DE   ROTHSCHILD 

Le  manuscrit  2800  de  la  bibliothèque  James  de  Rothschild, 
d'où  j'ai  pu,  grâce  à  l'extrême  obligeance  de  mon  maître 
M.  Emile  Picot,  extraire  les  deux  poèmes  que  l'on  va  lire, 
a  été  deux  fois  décrit  magistralement,  d'abord  en  1910,  par 
M.  Ernest  Langlois,  dans  son  livre  sur  Les  manuscrits  du 
Roman  de  la  Rose  (p.  87-90),  puis,  en  1912,  par  M.  Picot  dans 
soç  Catalogue  des  livres  composant  la  bibliothèque  de  feu  M.  le 
baron  James  de  Rothschild  (t.  IV,  p.  114-17).  Il  appartenait  en 
183e  au  libraire  Techener,  fut  acquis  par  lord  Ashburnham, 
mis  aux  enchères  en  1901,  et  entra  enfin  en  1909  à  la  Biblio- 
thèque J.  de  Rothschild.  Outre,  une  copie  très  précieuse  du 
Roman  de  la  Rose  (fol.  1-138),  il  contient  le  Bestiaire  de  Guil- 
laume le  Clerc  (fol.  140-163  b),  qui  sépare  les  deux  poèmes 
imprimés  ici  pour  la  première  fois  ;  la  fin  du  volume  est  occu- 
pée par  le  Lai  du  conseil  ou  des  trois  Chevaliers,  dont  il  a  été 
récemment  question  dans  la  Romania  (XLI,  289)'. 

Le  copiste  qui  a  exécuté  le  volume  a  pris  soin  de  nous 
faire  savoir,  à  la  fin  du  Roman  de  la  Rose^  au  fol.  138  b,  et 
immédiatement  avant  le  fabliau  du  Moine,  la  date  où  il  écri- 
vait, ainsi  que  son  nom  et  son  «  surnom  »  : 

On  m'apele  Robechounet, 

De  Goumecourt  par  men  surnon . . .  - 

Chis  livres  fu  escris  l'an  .M. CGC. XX.  et  nuef,  ou  mois  de  octembre, 
le  venredi  après  le  saint  Denis  de  France... 

1.  Le  manuscrit  de  Turin  L.  V.  32,  qui  contenait  le  Lai  du  Conseil,  a 
été  détruit  par  le  feu.  Mais  il  en  existe  une  copie  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale (collection  Moreau  1727,  fol.  372-5),  ce  qui  a  échappé  au  dernier  édi- 
teur, M.  Barth,  et  à  son  critique,  M.  de  Wartburg. 

2.  Cf.  de  Loisne,  Dicl .  topographique  du  déparlemenl  du  Pas-de-Calais 
(Paris,   1907),  p.  170. 


560 


A.    LANGFORS 


«  Il  était  Picard,  écrit  M.  Picot  (p.  115),  et  sa  patrie,  par 
conséquent,  ne  peut  être  le  Gommecourc  du  département  de 
Seine-et-Oise,  mais  bien  le  Gommecoart  du  Pas-de-Calais 
(arrondissement  d'Arras),  ou  le  Gomiecourt,  du  même  dépar- 
tement. »  Sa  copie  présente  en  effet  un  aspect  picard  bien 
marqué;  je  ne  citerai  que  la  forme  dourai (^pom  donrai),  au  v. 
167  du   fabliau  du  Moine. 

I 

•  En  tête  de  ce  fabliau  se  trouve  une  mauvaise  miniature 
représentant  un  moine  noir  à  cheval.  Il  n'y  a  pas  de  titre  ; 
mais  à  la  fin  on  lit  :  ExpJicit  du  Dioigiie.  Ce  fabliau,  ainsi  que 
l'a  fait  remarquer  M.  Langlois  (p.  90),  n'a  rien  de  commun 
avec  les  fabliaux  connus  sous  un  titre  analogue.  Nous  n'insis- 
terons pas  sur  son  contenu. 


Puis  que  je  bien  dire  le  sai,  (fol. 

Une  aventure  que  je  sai 
Vous  dirai  si  coume  il  avint, 
4  N'a  pas   encor  trente  ans,    non 

[vint, 
C'uns  noirs   moignes  par  grant 

[esfroi 
Chevauchoit  sur  son  palefroi 
Par  mi  le  cauchie  de  Neele 
8  El  vit  mainte  bêle  pucele 
Seoir  as  huis  et  as  fenestres, 
Dont    plus     biaus    li     sambla  11 

[estres  ; 
Et  ses  damoisiaus  reveleus, 
12  Qui  plus  désire  le  peleus 

Que   chiens  ne   fait  char  ne    os 

[tendre, 
Li  coumenche  si  fort  a  tendre 
C'a  pau  qu'i  ne  li  saut  du  cors. 
16  «    Las  !  dist   li  moignes,  je    sai 

[mors. 


Et  que  ferai  je,  las  pechieres  ? 
Que  me  demande  cis  lechieres  ? 
Si  ne  le  tieng  mie  a  merveille 

20  Se  il  a  levée  l'oreille 

Encontre  si  haut  saintuaire.  » 
Après  che  ne  demoura  gaire 
Que  il  repense  a  la  folie, 

24  Si  qu'il  meïsmes  s'entroublie 
Et  que  ses  chevaus  a  marchié 
D'un  pié  est  keùs  ou  marchié 
A  tout  son  signour,  en  un  flos, 

28  Si  qu"il  fu  tous  de  braf  enclos. 
Il  s'amast  miex  vcoir  a  Acre, 
Car     tout    li    bouchier  du    ma- 
[chacre  (fol.  i  ^S  vo  b) 
Hurtent  ensamble  leur  maillés. 

32  A  paines    s'est    levés     Baillés, 
Et  li  moignes  est  remontés. 
Qui  n'estoit  pas  bien  essués, 
Ains  estoit  laidement  moilliés. 

36  II  amast  miex  cstre  escoillés 
C'avenue  li  fust  tel  honte. 


5  9m. 

25-6  La  répétition  iie  matcïùé  paraît  être  due  à  une  erreur. 


LE    FABLIAU     DU    MOINE 


S6i 


Que  vous  feroie  plus  lonc  conte  ? 
Cui  avient  une  n'avient  seule. 

40    A  l'ostelun  bourgois  niout  veule 
Ot  celé  nuit  che  que  lui  plot, 
Et  che  mie  ne  li  desplot 
C'on  li  a  ses  dras  desvestus 

44  Et  puis  essués,  revestus, 
Si  ot  bêle  chiere  et  bon  fu 
Et  viande  qui  bone  fu. 
Et  quant  vint  au  couchier  ou  lit, 

48  Rés  a  rés  d'un  haut  caalit 
Ot  drechié  d'espines  un  fais  : 
La    fu  li  lis  biaus    et  gens  fais. 
Sur  blans  dras  et  sur  bone  cou- 

[che, 

52  Ou  li  dans  de  moignes  se  couche. 
Mais    anchois   qu'il  fust    endor- 

[mis 
Li  est  irestout  en  pensé  mis 
Qui  le  jour  li  fu  avenu. 

56  «  Pour  fol,  fait  il,  me  sui  tenu, 
Mais    n'est     nus   lions,  tant    ait 

[savoir. 
Que  femme  ne  puist  dechevoir, 
Que  s'ele  n'a  le  traïson 

60  Ou  cuer,  je  mousterai  raison 
Qu'ele  l'a  es  iex  et  el  vis, 
Car  d'un  regart  ou  d'un  seul  ris 
Ou  d'un  petit  de  biau  samblant 

64  Vait  ele  si  un  cuer  emblant 
Que    chix   qui    le    samblant  re- 

[choit 
De  maintenant  s'en  aperchoit 
Qu'il  est  sans  cuer  et  sans  amie  ; 

68  Et  pour   ce    ne    l'aime    ele   mie 

(fol.  IJ9) 
[S'e[le]  11  a  sen  cuer  emblé. 
Et  che  m'a  hui  moût  bien  sam- 

[blé, 
Quant  regardai  vers  les  puceles. 


72  Qui  tant  erent  plaisans   et  bêles 
Que  tous  li  cuers  m'en  souleva. 
Nés  chil  meismes  s'en  leva 
Qui  entre  les  jambes  nie  pent. 

76  De  la  folie  me  repent 

Qui  m'est  hui  cest  jour  avenue. 
Nepourcant  la  descouneùe 
Prenderole  je  bien  tn  grasse 

80  Se  je  tenoie  le  plus  crasse 

Et   la  plus  mole  entre  mes  bras, 
En  ce  lit  et  en  ces  blans  dras. 
Qui  souef  flairent  la  buée.   » 

84  Li  moignes  en    celé  pensée 
Qu'il  ot  et  en  ce!  desirier 
S'endort,   si   couraenche   a   son- 

[gier 
Un  songe  dont  je  sai  la  voire. 

88  A  vis  li  ert  c'a  une  foire 
Estoit  venus,  ou  il  n'avoit 
Estai,  ne  on  ne  li  savoit, 
U  on  vendist  ne  lin  ne  laine, 

92  Aiiis  ert  toute  li  feste  plaine 
Et  tous    li   marchiés  pourtendus 
De  haions  et  de  cons  fendus, 
Nil  n'en  reme^t  en  la  contrée 

96  Nesun,  tant  eùst  largue  entrée  ; 
N'i  a  femme  ne  retondus 
Ne  soit  a  la  feste  venus. 
La  peûssiés  veoir  grant  presse, 
100  Car  cascuns  d'acater  s'empresse  : 
De  moignes  et  de  capelains 
Estoit  trestous  li  marchiés  plains. 
Qui  les  plus  biaus  cons  acatoient 
104  Et  de  l'acater  se  hastoient 

Anchois  qu'il  fussent  vendu  tout. 

Li  moignes  vint  a  une  bout  {fol. 

U9  *) 

108  Chil  qui  sires  ert  de  la  boute 


105   C'est  à  tort  que  ce  vers  commence  par  une  majuscule  dans  le  manuscrit  : 
c'est  au  V.  106  que  commence  la  nouvelle  phrase.  —  107  manque  dans  le  manuscrit. 
Romaina  XLIV  56 


5^2 


A.    LANGFORS 


Li  resanla  moût  bien  preudome. 

De  par    tous   les    cors   sains  de 

[Rome 

Le  marcheant  tantost  conjure 
112  Q.Lie    il   li  vende    un   con    sans 

[hure  ; 

Et  li  marcheans  un  l'en  moustre  : 

Ains  ne  veïstes  si  lait  moustre, 

Si  piaucelu  ne  si  hidcus  ; 
ii6  II  avoit  les  lèvres  ansdcus 

Maigres  et  plus  noires    que  fer  ; 

Che  samble  bien  li  traus  d'infer. 

Lors  fu   li   moignes  moût  plains 

[d'ire. 

I20  Au  marcheant  a  pris  a  dire  : 
«  Amis,  se  li  autre  sont  tel, 
Vous  n'en  ares  ja  vo  catel. 
Mais  se  de  vendre  avés  talent, 

124  Si  me  moustrés  sans  mautalent 
Tout  le  meilleur  que  vous  avés, 
Par  le  foi  que  vous  m'i  devés, 
Se    vous    de    riens   amés    m'a- 

[mour.  » 

128  Et  cil  l'en  a  sans  nul  séjour 
Un  autre  fors  de  la  bout  trait, 
Qui  tout  le  cuir  avoit  retrait. 
Les  os  agus  et  le  pel  sèche, 

132  Et  s'iert  tous  kenus  de  vielleche. 

Dont  fu  li  moignes  moût  gramis^ 
Au  marcheant  a  dit  :   «  Amis, 
Vous  faites  vilenie  au  mains, 

1 36  Quant  vous  memjtés  chi  es  mains 
Tel  chose  qui  ne  m'a  mcstier. 
Il  a  esté  en  un  mestier. 
Mien  ensiant,  cent  ans  gardés  ; 

140  Ne  daigna  estra  regardés. 

De  ces  cons  qui  sont  si  secliié 
A  il  tant  venu  ou  marchié 
Con  en  a  pour  un   seul  denier, 


144  Qui  en  vient  prendre,    plain  pa- 

[nier. 

Mais  je  n'ai  que  faire  de  chiaus  : 

(fol.  139  vo) 

Je   voeil   un    con    qui   soit   pu- 

[chiaus. 
Se  je  le  truis  souef  et  net, 

I4<S  Ausi  blanc  com  un  herminet, 
A  dous  pous,  a  souef  alaine, 
Et  le  poil  souef  comme  laine, 
A  gros  bauchet,  a  haut  debout.» 

152  Et  li  preudons  garde  en  sa  bout. 
Si  a  chcrquié  tous  les  angles 
Tant  qu'il  trouva  un  con  englès. 
Qui  ert  d'une  jone  Englcsquele. 

156  Ains  Diex  ne  fist  nulc  si  bêle, 
Ains  Diex  ne  fist  nesune  miex  : 
L'entrée  ert  douce  comme  miex. 
Et  s'estoit  primes  de  ce  point 

160  Que  li  paus  volages  li  point, 
S'ot  gros  bauchet  et  sist  sur  bo- 

[che. 
Li  moignes  li  done  une  coche 
Si  garde  entour  et  environ. 

164  L'une  main  mist  sur  son  giron. 
L'autre  li  mist  sur  le  bauchet  : 
«  Sire,  dist  il,  vendes  moi  cest. 
•Dites  combien    jou  en  dourai. 

168  —  Sire  moignes,  jou  en  arai. 
Par  mon  cief,  cent  sous  et  demi. 
Ou  ja  ne  partira  de  mi.  » 
Fait    li    moignes    :    «  Par   saint 

[Richier  ! 

172  Trop  volés  vendre  vo  con  chier 
A  le  monoie  qui  or  court. 
Volés  vous  faire  marchié  court  ?» 
Fait    li    moignes.    Cil   respont  : 

[«  Oie. 

176  —  Or  cha   le    con  !    Diex    m'en 

[doinst  joie  I 
Et  vous  ne  soies  pas  lanicrs 


LE    FABLIAU    DU    MOINE  563 

De  prendre  cent  sous  de  deniers.  Et  li  cos  cante,  si  fu  jours  ; 

Au  marchié  qui  en  sera  fais  Braire  l'oïst  qui  ne  fust  sours. 

180  Vous    acompaing    a    mes   biens  Et   chil    de    la    maison  s'esveil- 

fais,  [lent, 

A  mes  proieres,  a  mes  saumes.»    192  De  l'aventure  s'esmerveillent 

Pour  ferir  ensamble  les  paumes  Qui  au  moigne  estoit  avenue. 

Estendi   li    moignes   sa    brache.  De  l'angoisse  qu'il  ot  tressue. 

(Jol.  i^p  v°  h)  Ses  gardions  son  cheval  trousa, 
184  En  dormant  saut  et  si  embrache    196  Et  li  moignes  tantost  monta, 

Le  grant  fais  d'espines  trenchans  En  s'abeïe  en  est  aies. 

Par  tel  air  que  li  clers  sans  Ichi  est  mes  contes  fines. 

Em  plus  de  trente  lius  en  saut.  Explicit  du  moigne. 

188  Li  moignes  crie,  si  tresaut, 

II 

Li  dis  de  la  tremontaiiie  commence  dans  le  manuscrit  Roth- 
schild (que  nous  appellerons  R),  sans  titre,  au  fol.  163  b  et 
finit,  sans  explicit,  au  fol.  165.  Il  se  retrouve  dans  le  manuscrit 
français  378  (iol.  6  \'°c-j  v°)  de  la  Bibliothèque  nationale,  qui 
contient,  lui  aussi,  une  copie  du  Roman  de  la  Rose.  Nous  dési- 
gnerons ce  manuscrit  par  le  sigle  N.  M.  Langlois,  qui  l'a 
décrit  dans  son  livre  précité  (p.  3-5)", l'attribue  avec  hésitation  à 
la  fin  du  XIII*  siècle  ;  il  paraît  en  effet  à  peine  antérieur  au 
manuscrit  R.  Le  poème  même  a  dû  être  composé  dans  la 
seconde  moitié  du  xiii'  siècle;  la  rime  hele  :  ele  157  et  la  forme 
chele  (au  lieu  de  choile)  à  la  rime  des  vers  168  et  221  empêchent 
de  lui  attribuer  une  plus  haute  antiquité. 

Le  Dit  de  la  Ireniontaine  est  un  poème  de  vingt-trois  dou- 
zains  composés  selon  un  schéma  dont  on  attribue  l'invention 


189  cols. 

I.  A  la  description  de  M.  Langlois  on  peut  ajouter  qu'il  a  été  utilisé  dans 
le  récent  livre  de  M.  St.  Glixelli,  Les  cinq  poèiius  des  trois  morts  et  des  trois  vifs 
(Paris,  19 14;  voir  p.  4),  et  que  j'ai  dressé,  il  y  a  quelques  années,  une  liste 
des  manuscrits  de  la  Comparaison  du  Pré  (Romania,  XL,  558,  note).  — Il  n'est 
pas  tout  à  fait  exact  de  dire,  comme  le  fait  M.  Langlois  (p.  3),  que  le  Dit  des 
quatre  sercurs  (début  :  Par  un  sien  saintisme  poète  ;  cf.  Rotnania,  XXXVII, 
485)  est  dans  le  présent  manuscrit  attribué  à  Richard  de  Fournival.  On  n'a 
pas  démontré,  que  je  sache,  que  le  Richars  qui  figure  au  v.  18  du  poème  soit 
identique  à  Richard  de  Fournival  ;  mais  c'est  une  hypothèse  intéressante, 


564  A.    LÂNGFORS 

à  Hélinand'.  Les  str-ophes  sont  cap/îtiidas  :  les  derniers  mots 
de  chaque  couplet  se  retrouvent  au  commencement  du  couplet 
suivant.  La  liaison  manque  cependant  entre  les  str.  XX  et  XXI 
et  entre  les  str.  XXII  et  XXIII;  mais  il  n"est  pas  nécessaire  de 
supposer  des  lacunes  à  ces  endroits.  Quant  au  contenu,  ce 
poème  assez  agréablement  écrit  est  une  sorte  de  lettre  d'amour, 
ainsi  qu'il  ressort  du  dernier  couplet  : 


Gente  de  corset  de  faiiurc, 
Pour  ce  qu'a  vous  pas  ne  pooie 
Parler  si  comme  je  soloie, 
270     Vous  envoi  jou  cestc  escriture. 


Il  se  rapproche  donc  de  ces  «  saluts  d'amour  »  qui  ont  fourni 
la  matière  d'un  travail  de  jeunesse  à  M.  Paul  Meyer-.  On  y 
trouve  tous  les  lieux  communs  de  cette  sorte  de  poésie  :  une 
description,  en  termes  vagues  et  conventionnels,  de  l'excellence 
physique  et  morale  de  la  dame,  une  dissertation  sur  la  part  des 
oreilles,  des  yeux  et  du  cœur  dans  la  naissance  de  l'amour',  des 
plaintes  contre  les  «  médisants  »  dont  la  «  favele  »  est  une 
épreuve  pour  la  sincérité  de  l'amour  comme  le  feu  pour  la 
pureté  de  l'or,  etc.  Les  grands  amoureux  delà  littérature,  dont 
l'évocation,  comme  terme  de  comparaison,  est  également  tra- 
ditionnelle, sont  représentés  par  Paris  et  Hélène.  D'autre  part, 
la  dame  est  comparée  à  l'étoile  polaire,  Fesloilc  tremontaine,  guide 
de  ceux  qui  naviguent  dans  la  nuit,  et  ce  trait  n'a  rien  en  soi 
de  bien  original,  puisqu'une  comparaison  analogue  reparaît 
souvent  dans  les  hymnes  en  l'honneur  de  la  Vierge  (^Ave, 
maris  Stella)'^;  ce  qui  est  plus  curieux,  c'est  la  description  de 
la  boussole    que  ce  symbole  amène.  On    y  reconnaît  sinon  la 


1 .  Voir  Naetebus,  Die  nicht-lyrischen  Strophenfoniieii    des  Altfraniôsischen, 
no  XXXVI,  s- 

2.  Paul  Mever,  Le  salut  d'amour  dans  les  Uttcraiures  provençale  et  française, 
dans  la  Bibliothèque  de  V École  des  Chartes,  XX VIII  (1867),  p.  124. 

3.  C'est  un  motif  fréquent  dans  la  poésie  courtoise.  Voir  p.  ex.  A.  Jean- 
roy  et  J.-J.  Salverda  de  Grave,  Les  poésies  de  Uc  de  Saint-Cire,  p.  167. 

4.  La  belle  Hélène  et  le   symbole  de   l'étoile  polaire  voisinent,  comme 
dans  notre  poème,  dans  un  fragment  de  chanson  pieuse  à  refrain,  par  Bri- 


LE    DIT    DE    LA    TREMONTAINE  565 

mention  la  plus  ancienne",  du  moins  la  description  la  plus 
claire  et  la  plus  détaillée  de  la  boussole  qui  existe  dans  la  litté- 
rature française  du  moyen  âge.  Il  y  a  d'ailleurs  bien  longtemps 
que  ce  passage  a  attiré  l'attention  des  érudits.  S'il  n'a  pas  été 
bien  compris,  cela  tient,  au  moins  en  partie,  à  ce  qu'on  n'avait 
pas  utilisé  simultanément  les  deux  manuscrits  ^.  Paulin  Paris 
qui,  dès  1836,  l'avait  cité  d'après  le  manuscrit  R,  qui  apparte- 
nait alors  à  Techener'  et  devenait  un  peu  plus  tard  la  propriété 
de  Barrois,  s'est  demandé  si,  étant  donné  que  notre  poème  y 
fait  suite  au  Bestiaire  de  Guillaume  le  Clerc,  le  Dit  de  la  fre- 


sebarre  le  Court,  de  Dotiai,  publiée,  d'après  le  manuscrit  100  (fol.  121)  de 
Charleville,  par  A.  Salmon  dans  les  Mélanges   WahJund,  1896,  p.  222  : 

Onques  tant  n'ama  Elainne,  Ciaulz  qui  par  mer  sont  marris, 

Vierge  royaus,  com  vos  fils  Ainsi  par  vous  radrecie 

Ama  no  nature  humainne,  Est  ame  cui  anemis 

Qiiant  il  se  fu  assentis  A  de  vo  fil  eslongie . 

A  paier  la  prophezie  Por  ce,  etc. 

Ainsi  qu'il  l'avoit  promis 

Par  le  prophète  Ysaïe.  j^^j^  ^.^^  courtoisie  humainne  : 

Por  ce  vous  et  vo  lignie  q^^^^  pechieires  est  bannis 

De  qui  nasqui  tel^  amis  -q^  l^  gloire  souverainne 

Weil  servir  toute  ma  vie.  q^j  ^^^^^  ^gt  paradis. 

Se,  repentens,  merci  prie, 

Ainsi  com  la  tresmontainne  Par  vo  confort  est  rescris 

Qui  estoile  est  de  haut  pris,  De  Dieu  ou  livre  de  vie. 

A  droit  port    conduit  et  mainne  Por  ce,  etc. 

1.  Pour  un  passage  bien  connu,  et  d'ailleurs  assez  embarrassant,  de  la  Bible 
de  Guiot  de  Provins,  qui  semble  remonter  au  De  nalura  reriirn  d'Alexandre 
Neckam  (I.  II,  ch.  xciii,  p.  181  de  l'édition  de  Th.  Wright,  dans  RoU  séries, 
1863),  je  renvoie  à  la  nouvelle  édition  de  M.  John  Orr  (Les  œuvres  de  Guiot 
de  Provins,  Manchester,  1915),  p.  123  et  suiv.,  note  desv.  632-54. 

2.  La  mauvaise  leçon  hors,  propre  à.  R,  a.  rendu  le  v.  141  complètement 
inintelligible.  Le  manuscrit  iV  a  la  bonne  leçon  bars,  «  bord  ». 

3.  Dans  le  Bulletin  du  Bibliophile,  2=  série,  n"  7  (1836),  p.  241  et  suiv. 
Les  autres  éditions  partielles  remontent  toutes  au  texte  de  P.  Paris  :  celle  de 
Francisque  Michel  dans  les  Lais  inédits  des  XII^  et  XHh  siècles  (Paris,  1836), 
et  celle  de  Ferdinand  Wolf  dans  les  Jahrbikher  fur  wissenschaftliche  Kritik, 
II  (1837),  col.  142,  article  réimprimé  dans  ses  Kleinere  Schriflen  (Ausgaben 
und  Abhandlungen,    p.    p.    E.    Stengel,    no  LXXXVII,    p.    124).    F.  Wolf 


5éé  A.    lÂNGFORS 

montainc  n'était  pas  aussi  l'œuvre  du  clerc  normand.  En  1840', 
en  imprimant  les  str.  I,  X-XII et XXIII  d'après  le  manuscrit  N, 
il  crut  y  reconnaître  la  manière  de  Richard  de  Fournival.  ÎVIais  il 
va  de  soi  que  cène  sont  là  que  de  simples  hypothèses. 

Par  suite  d'une  lacune  imputable  au  copiste,  les  str.  IV  et  V 
sont  incomplètes  dans  le  manuscrit  N.  Je  prends  pour  base  de 
mon  édition  le  manuscrit  R.  Pour  donner  au  lecteur  une  idée 
aussi  nette  que  possible  des  deux  rédactions,  j'imprime  aux 
variantes,  en  conservant  la  graphie  exacte  de  N,  tous  les  pas- 
sages où  les  différences  entre  les  deux  textes  portent  sur  plu- 
sieurs vers  consécutifs. 

c'est   li  dis   de  la  tremontaine. 

I  Bêle   plus  douche  que  seraine,  Que  ja  n'i  métrai  autre  gage  ; 

[(Jûï.   î6s  h)  Car  plus  vous  ain  de  fin  corage 

Estoile  clere  tresmontaine,  12     Conques  Paris  ne    fist  Helaine. 

3       A  cui  j'adreche  mon  volage,  II  Helaine  Paris  n'ania  mie 

Tant  estes  de  grant  biauté  plaine  Autant  côn  je  fas  vous,  amie. 

Que  vous  estes  dois  et  fontaine  15     Che  ferai  je  par  tout  êstable. 

6       Et  garisons  de  mon  malage.  Se  Paris  par  chevalerie 

Au  cuer  me    tient  d'amours    la  La  mist  par  fôrche  en  sa  baillie, 

[rage;  18     Che  fu  chose  descouvenable. 

Mais  Se  Chis  maus  ne  m'asouage  Maint  duc,  maint  roi,  maint  cou- 

9      J'en  morrâi,  soies  entchertaine,  [nestable 

s'est  inscrit  en  faux  contre  l'attribution,  sans  raison  suffisante,  de  notre  Dit 
à  Guillaume  le  Clerc.  Jal,  dans  son  Archéologie  navale  (I,  p.  210_),alui  aussi 
utilisé  l'extrait  publié  par  P.  Paris.  Mais  il  l'a  compris  de  la  manière  la  plus 
étrange.  Voici  son  commentaire  des  v.  130-2: 

Si   que  par  forche  et  par  droiture 
Et  par  riuUe  qui  tdUs  jours  dure 
Sevent  le  lia  de  son  repaire. 

«  L'autéur,  dit-il,  ajoute,  comme  détail,  que  les  mariniers  savent  toujours 
h  cachette  {îe  repaire)  de  l'étoile  polaire,  que  l'aiguille  soit  rôuillée,  qu'elle 
soit  droite  ou  pliée  en  fourche.  » 

I.  Manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  III,  2^1. 

La  rubrique  est  dans  N  sêuh 

I.  ^-  i  N  Dame  ^  4  AT  de  gràns  vertus  (prohiblénieiit  la  bonne  leçon), 
—  9  N  Je  m.  —  il  N  de  bon  c.  —  ï2  N  Conques  ne  fist  Paris  Elaine. 

II.  —  13  A^  Paris  Elaitie  —  15  /?  Çhe  feroie  je  —  17  .VL'ot  et  par   force 

en  sab.  —  19  .V  Maint  roi  maint  duc 


LE   DIT   DE   LA   TREMONTAINE 


5^7 


En  furent  mort,  c'est  véritable, 
21     Et  toute  Troie  en  fu  perie. 

Dont  n'est  il  pas  voirs,  ains  est 

[fable, 

Que  leur  amours  fust  plus  loiable 
24     Pour  chou  s'EIaine  fu  ravie. 

IIÎ  Ravie  fu,  autel  feroie 

De  vous,  amie,  se  j'osoie, 
27     Mais  trop  seroit  gransli  outrages. 

Quel  que  mesaise  que  j'en  oie. 

Pour   vostre   honour  et  pour  la 

[moie 
30    M'en  soufferai,  se  je  sui  sages. 

Folie  n'est  pas  vaselages. 

Mais  se  chis  dis  ert  tés  mesages 
33     Qu'il  feïst  tant  que  fussiés  moîe, 

[(fol.  16]  v°) 

Mes  cuers,  mes  cors  et  mes  co- 

[rages 

Seroit  garis  de  toutes  rages, 
56     Car  plus  au  monde  ne  querroie. 

IV  Querroie  ?  Dix  !   et  je    en  quel 

[guise, 
Puis  que  j'aroie  a  ma  devise 
39     Quanquesj'atencquimesecuere  : 
Celé  qui  j'ain  du  tout  et  prise. 
Qui  si  m'embrase  et  si  m'atise 


42     Que  j'en  morrai,  je  negart  l'eure, 
Se  li  secours  trop  mi  demeure. 
Li  maus  d'amours,  qui  me  queurt 

[seure, 

45     Tost  en  ara  venganche  prise. 

Car  li  pensers  tous  mi  demeure. 

Dont  maintefoissouspir  et  pleure, 

48     Qui  mon  cuer  sèche  et   moi  de- 

[brise. 

V  Moi  debrise  moût  et  traveille 

Li     maus    d'amours    dont    me^ 

[cuers  veille, 

51     Et   jours    et   nuis   sans  prendre 

[somme 
Je  trai  dôleuf  le  nonpareille 
Qui    onques    fust  ;    c'est    grans 

[merveille 
54    Coument  je  samble  moi  n'autre 

[home. 
Cis  maus   m'a    nlOtt,   cis   maus 
[m'asOme  : 
Pour  tout  l'avoir  qui  est  a  Rome 
57     Ne  de  Paris  dusqu'a  Marceille, 
Issi  me  face  Diex  preudome, 
Ne  dormiroie,  c'est  la  some. 
60     Adès  ai  la  puche  en  l'oreille. 

VI  En  l'Oreille  premièrement 


21   A^  honnie. 

III.  —  27  N  hontâges  ^  32  AT  Se  cis  dis  estoit  tex  m.  —  55  //  de  tous 
malages  —  36  manque  dans  R, 

IV.  —  37  je  manque  dans  N —  40  .V  C.  cui  j'aim  et  dout  et  pr.  —  42 
R  je  m.  ;  R  Que  j'en  m.  ne  gardrai  l'eure  —  43  N  Se  ses  s.  —  44  R  q  ; 
N  Dou  mal  d'amer  qUi  ^  Les  v.  45-$o  mauquent  dans  N.  —  46  demeure 
se  trouvant  déjà  à  la  rime  du  v.  45,  il  vaudrait  peut-être  mieux  lire  ici  deveiité. 
—  47  i?  souspirs. 

V.  —  49  i?  travaille  —  Le  début  de  la  strophe  manquant  dans  }^,  le  v.  5 1  com- 
mence ainsi  :  Que  nuit  et  jour  —  5  5  A^  Cis  maus  m'ocit  —  60  A'  Tous  jours. 


568 


A.    LÂNGFORS 


Par  vostre  dous  renommement 

63  Me  vint  ferir  li  maus  d'amer, 
Et  puis  par  l'oeil  si  doucement 
Ala  le  cuer  parfondement 

66     D'un  dous  dart  d'amours  entamer, 
d'or  ne  me  sai  du  quel  clamer 
Des  trois,  qui  me  font  enflamer 

6^     D'un  si  crueus  embrasement 

Qu'il  n'estaindroit  pas  de  la  mer 
Se  vous,  très  douce  sans  amer, 

72     Ne  m'en  dounés  aiegemcnt.  (/o/. 

[ié_;  v°  h) 

VII  Alegement  me  poés  faire, 
Très  douce  amie  deboinaire, 

75  Puis  que  vous  estes  la  fontaine 
De  cui  je  puis  le  puison  traire 
Q.ui  puet  ester  tout  le  contraire 

78     De  la  dolour  qui  si  me  paine. 
Mais  vous  ressanlés  le  seraine 
Qui  chante  si  a  douce  alaine 

81     Que  près  de  li  fait  les  nés  traire 
Pour    la   douçour    dont    ele   est 

[plaine. 


Si  k'a  premiers  a  boune  estraine, 
84     Mais  en  la  fin  fait  la  gent  braire. 

VIII  Braire  me  faites  vous  sans  faille. 
Se  je  nebrai,  coument  qu'il  aille, 

87     S'ai     je    grant  ire  et  grant    pe- 

[sanche, 
Qu'en  mon  cuer  a  une  bataille 
De  la  paour  qu'a  vous  ne  faille, 

90     Qui  se  combat  a  esperanche. 
Or  sui  ensi  en  tel  balanche 
Pour  raison  de  vostre  acointanche 

93     Qui  ot  si  douce  coumenchaille  ; 
Or  a  si  dure  definanche 
Que     vous    moustrés     bien   par 
[sanblanche 

96     Que  de  moi  gaires  ne  vous  caille. 

IX  Qu'il  ne  vous  caille   de  la  paine 
Ne  de  la  doleurque  je  paine, 

99  Sanible  il,  qui  bien  i  va  visant, 
C'adès  estes  d'essoine  plaine 
Plus  que  de    poissons  mers   ne 

[Saine, 


VI.  —  64  /?  en  l'oeil  ;  N  durement    —  65   AT  mon  cuer  —  67  AT  Or  — 
69  A/  cruel  —  70  A''  Qui  ;  R  n'estraindoit  —  72  N  Ne  me  d. 

VII.  —  74  A^  Ma  douce  dame  d.  —  Dans  R,  les  v.  77-84  se  lisent  ainsi 
(à  noter  la  rime  fausse  aux  v.  So  et  8)    et  la  repétition  de  estraine  à  la  rime)  : 

Mais  trop  me  faites  de  contraire,  81     Tout  a  premiers  a  boune  estraine, 

78     Si  que  vous  sanlés  le  seraine  Car  elealevous(^/c)clereetsaine, 

Qui  chante  si  a  douce  alaine  Maisseschansamauvaiseestraine, 

Que  les  nés  fait  a  li  atraire  :  84     Car  en  la  fin  fait  la  gent  braire . 


VIII.  —  85  A^  Aussi  faites  vous  moi  s.  f.  —  88   AT  En  mon  c,  ai  —  92 
R  Par. 

IX.  —  97  V  de  ma  p.  —  98  N  Ne  de  l'angoisse  —  99  N  omet   il  —  100 
N  D'essongnes  estes  touz  jours  pi.  —  loi  N  poisson  mer. 


LE    DIT    DE    LA    TREMONTAINE 


569 


102  Et  dites  che  font  mesdisant  : 
Les  fins  amans  vont  despisant. 
Diex  en  estant  et  en  gisant 

105  Leur  envoit    honte    et  pute  es- 

[traine. 
Mais  que  vous  caut,  dame  plaisant, 
De  chose  qu'il  aillent  disant  ? 

108  L'estoile   samblés  tresmontaine. 

X  La  tresmontaine  esc  de  tel  guise 
Qu'ele   est  el   firmament    asisse 

ifol.  164) 
III   Ou  ele  luist  et  reflamboie. 
Li  maronier,  qui  vont  en  Frise, 
En  Gresse,  en  Acre  ou  en    Ve- 

[nisse, 
114  Sevent  par  li  tenir  lor  voie. 

Pour  nule  riens    ne  se   desvoie, 
Tous  jours  se  tient  en  une  moie  ; 
117  Tant  est  de  li  grans  li  servisse  : 
Se  la  mers  est  enflée  ou  koie, 
Ja  ne  sera  c'on  ne  la  voie, 
120  Ne  pour  galerne  ne  pour  bise. 

XI  Pour  bise  ne  pour  autre  afaire 
Ne  laist  sen  doue  servise  a  faire 


125  La  tresmontaigne  clere  et   pure. 
Les  maroniers  par  son  esclaire 
Jeté  souvent  hors  de  contraire 

126  Et  de  chemin  les  asseure. 

Et  quant  la  nuis  est  trop  oscure, 
S'est  ele  encor  de  tel  nature 

129  C'a  l'aïmant  fait  le  fer  traire, 
Si  que  par  forche  et  par  droiture 
Et  par  riulle  qui  tous  jours  dure 

132  Sevent  le  liu  de  son  repaire. 

XII  Son  repaire  sevent  a  route. 

Quant  li  tans  n'a  de  clarté  goûte, 

1 3  5   Tout  chil  qui  font  ceste  maistrise  : 
Qui  une  aguille  de  fer  boute, 
Si  qu'ele  père  presque  toute, 

138  En  un  poi  de  liège,  et  l'atise 
A  la  pierre  d'aimant  bise  ; 
S'en  un  vaissel  plain    d'yaue  est 

[mise, 

141  Si  que  nus  bors  ne  la  déboute, 
Si  tost  con  l'iaue  s'aserise, 
Gardons  quel  part  la  pointe  vise  : 

144  La  tresmontaigne    est   la     sans 

[doute. 


103  N  Qui  fins  —  Les  v.  106-8  se  Usent  ainsi  dans  R 


Mais  que  vous  caut  du  païsant  ? 
Pour  nule  riens  qu'il  voit  disant 
108  Samblés  l'estoile  tresmontaigne. 


X.  —  111  R  reflambie 
lisent  ainsi  dans  N  : 


114  R  S.  p.  li  toute  la  v.  —    Les  v.  11 5-7  se 


Tous  jours  se  tient  en  une  moie  :  (/b/.  7  b) 
Pour  nule  riens  ne  se  desvoie 
117  Qu'ele  ne  face  son  servise. 

XL  ^  127  N  Mais  quant  —  132  N  S.  son  lieu  et  son  r. 

XII. —  133  A^  s.  de  route  —  136  .V  C'une  aguille  de  fer  i  boute  — 
140  .V  Quant  en  plain  v.  d'aiguë  est  m.  —  141  R  nus  hors  —  142  .V  com 
ele  s'asserise  —  143  N  K'adès  quel  part. 


570 


A.    LAN'GFORS 


XIII  Sans  doute,  dame  savereuse, 

Douche,  plaisans  et  gracieuse, 
147  Qiii  toute  biauté  enlumine, 

Tresmontaigne  estes  deliteuse  : 
(Jol.  164  b) 

Amours  est  pierre  précieuse 
150  Qui  vers  vous   mon  cuer  ache- 

[mine. 

Les  mesdisans  de  pute  orine, 

Qui  oscurchissent    amours    fine, 
1 5  5  Resamble  la  nuit  ténébreuse  ; 

Bise  et  galerne,  sa  cousine, 

C'est  leur  mesdis  et  leur  haine,  ,.  .       ,.,       ..  , 

.    _    .  Mais  qu  il  peussent  losen^ier 

156  Qui    as   amans    est     trop    are-  ^-i  •  •   »  •     " 

'^174  Chiaus  qui  Amours  tient  et  en- 


Puis  que  la  parole  est  coulée 
16)   Hors  de    leur    vil    bouche    me- 

[sele. 
Ne  puet  puis  estre  rapelee. 
Tant  fait  leur  langue  envenimée, 
168  Qui  tout   contreuve  et  nient  ne 

[chele. 


XV  Ne  choillent  riens  li  losengier  : 
Dès  qu'il  se  puent  arengier 

171   Ou  dcus  ou  trois  en  une  plache, 
Jamais  ne  qucrroient  mcngier 


[veuse. 

XIV  Greveuse,  douche  amie  bêle, 
Grevcuse,  las  !   greveuse   est  ele 


[lâche . 
C'est  une  gent  de  maie  estrache 
Qui  tout  ennui  et  mal  pourcache, 
159  Plus  que  riens  nule  qui  soit  née.    177  Si  est  grans   sens  d'iaus  estran- 


Pis   fait  leur   langue  et  leur  fa- 

[vele 
Que  nule  trenchnns  alemele, 
162  Car  c'est  saiete  barbelée  : 
N'en  puet  la  plaie  estre  sanee. 


[gier. 
Ja  Diex  ne  doinst  ne  lui  ne  pla- 

[che 
Que  du  pcchié  pardon  leur  fâche 
180  S'il  ne  veulent  leur  us  cangier. 


XIII.  —  145  i?.  5.  d.  douche  s.  —  146  -Y  Plaisant  et  sage  et  gr. 
Gui  t.  bonté  e.  —  Les  v.  1 5 1-6  u  lisent  ainsi  dans  N: 


147  N 


Li  mesdisant  de  pute  orine, 
Qui  oscurissent  amour  fine, 

1 5  3     Ressamblent  la  nuit  ténébreuse. 
Bise  et  galerne,  leur  cousine, 
C'est  leur  mesdis  et  leur  hayne, 

1)6     Qui  as  fins  amans  est  greveuse. 


XIV.  —  1)8  i?  est  bêle  —  162  .Venbarbelee  —  163  R  Ne  puet  —  164  R 
est  coule  —  165  /?  Par  leur  orde  langue  m.  —  167  N  Ce  f.  —  168  N  Qui 
trop  c.  et  riens  ne  c. 

XV, —  170  iV  Puis  qu'il — lyt  .V  Ou  quatre  ou  cinc  —  175  A^laidengier 
—  174  iV  tien  —  175-6  N  Ce  est  gens  d'une  pute  estrace  Qui  tous  biens 
uit  et  tous  maus  chace. 


LE    DIT    DE   LA    TREMONTAINE  57 1 

XVI  Leur  us  ne  cangeront  il  mie  Ne  vous  caille  s'uns  chiens  abaie, 
Pour  nule  chose  c'on  leur  die,  Puis  qu'il  ne  vous  fait  sanc  ne 

185  Pour  chou  que  longue  acoustu-  [plaie; 

[manche,  201  N'aiiésgarde  qu'il  vous  mehaigne. 
Soit  bone  ou  maie,  rent  maistrie,  Qui  as  amans  grever  essaie 

Si  mesdiront  toute  leur  vie,  Plus  tost  que  nus  en  a  sa  paie, 

186  C'acoustumé  l'ont  dès  enfanche.  204  Qu'il  estuet  que   prumiers    s'en 
Endroit  vous,  dame   de  vaillan-  [plaigne. 

[Che,    {fol.    164     l'O)     VTTTTT    r>  •  .  1     • 

„         ,    ,,  ,        .         ,  AVllI  Premiers  s  en  plamt  par  couve- 

Retenes  1  us  et  la  poisianche 

I  89  De  la  tresmontaigne  jolie,  ^i  envieus  qui  va  menant 

Si  ne  lairés  ja  pour  blasmanche  3^7  Mesdis,  traïsons  et  haine, 
Des  mcsdisans  ne  pour  grevanche  g^  ^,^^^  ^^-^^^^  ^^  ^^,^^^^^ 

192  De  faire  chou  qu'Amours   vous  q_^^  ^^-^^  ^^  pi^^i^^^  maintenant 

[prie.  210  Qui  d'autre  gent  grever  ne  fine. 
Sa  dolours  tous  jours  l'ataïne. 

XVII  Amours  vous  prie  et    vous  en-  g^jj  „^  ^^^  ,^  ^hose,  il  devine  : 

(saigne  ^^^  Trufes  et  bufes  va  querant 
Que   tous  jours,   coument  qu'il  g^  ^-^^  ^^^-^  ^^  ^^it  1^  rachine, 

[avaigne,  gj  j-^'j  ^  voisin  ne  voisine 

195  Soies  de  cuer  jolie  et  gaie  ^jg  ^^  ..j-,  il  nel  voist  aprendant. 
Et,  coument  que  la  chose  praigne. 

Qu'en    vostre    cuer  tous    jours  XIX  Aprendant  vont  tost  la  novele 

[remaigne  Par  leur  langue  et  par  leur  favele 

198  Bone  amour  entérine  et  vraie.  2Î9  Meâdisant,  celé  gent  mavaise, 


XVI.  — '  Lesv.  182-5  se  lisent  ainsi  dans  N  : 

Pour  chose  nule  k'en  lor  die, 
183     Car  il  l'ont  par  acoustumance. 
Soit  bone  ou  maie  lor  maistrie. 
II  mesdiront  toute  lor  vie. 

—  188  i?  Rechevés  —  189  .V  polie  —  190  /?  pour  lor  caûche  (tanche  ?)  — 
191  A^  De  mesdisant  —  192  A^  A  faire. 

XVII.  —  içj6  R  prengne  —  197  .V  Que  vostre  cuers  tous  jours  maintaignC' 

—  199  .V  Ne  vous  chaut  se  chiens    vous  abaie  —  202   .Y  s'essaie  —  204  .V 
Car  drois  est  que  ;  R  prumiers  en  pi. 

XVIII.  —  206  A''  va  disant  —  207  A^  Mesdit  trayson  —  209  N  grande- 
mant  —  210  N  Qui  de  grever  autrui  ne  f.  — ■213  A'^  Tr.  et  bourdes  —  216 
N  A  cuiil  ne  le  voist  janglant. 

XIX.  —  217-8  N  Par  tout  espandent  la  nouvele  Par  lor  jangle  et  par  lor 


572  A.    LANGFORS 

Puisqu'ele  n'est  bone  ne  bêle  ;  Qu'il  font  a  leur  destruiement 

Le  bone,  cascuus   d'iaus  la  ccle.  Tel  fournaise  de  jcnglement 

222  Honnis  soit  lor  langue  punaise  :  240  Qui  les  amans  netoie  et  cure. 

Quant  il  voient  deus  amans  aise 

Il  n'est  riens  qui  tant' leur  des-  ^xi  Et  pour  chou  vous  proi,   douce 

tP'^^'S*-''  [amie, 

225  Ou  au  desus  de  leur  querele.  p^^^  mesdisans  ne  laissics  mie 

En  laus  n'a  chose  qu.  me   plaise  ^45  Moi  qui  vous  aim  de  fin  corage, 
[(fol.  164  vo  b)  £^  ^^,j  ^^^^  ç^  ^^^,^g  j,^il,ig 

Fors  qu'il  rcsamblent  la  fournaise  p^^^^  ^^^^  .^^^^j^  ^^^^^  ^^^^  ,.i^^ 

228  Ou  on  cu.st  l'or  et  renouvelé.  ^^^  g^  ^^^^^  ^^  ^^^^j  Ug^  j^^,^^^g^ 

XX  Quant  on  recuist  l'or  et  espure.  Se  mesdisant  m'ont    fait  damage 

S'en  l'or  avoit  goûte  d'ordure,  P'^''  ^^lenie  et  par  outrage, 

231  Li  fus  l'en  jeté  outreement  :  249  Toute  en  soit  lor  la  vilenie. 

S'il  y  a  riens  qui  soit  oscure,  Miex  en  vaurai  tout  mon  aage, 

Li  fus  le  gaste  et  l'or  dépure  ;  Se  me  garissiés  du  malage 

234  Che  voit  on  bien  apertement.  252  De  m'amoureuse  maladie. 
Ausi  vous  di  ge  plainement 

Que  mesdisant  communément  XXII  La  maladie  qui  m'encorde 

237  Ont  en  lor  langues  tel  nature  Mon  cuer  enlache  d'une  corde 

flavele  —  220  N  Quan  (sic)   ele  —  222  N  Dahais  ait   —  Les  v.    223-5  se 
lisent  ainsi  dans  N  : 

Il  n'est  riens  qui  lor  cuers  apaise 

Quant  il  sevent  deus  amans  aise 
225     Ou  au  desus  de  lor  querele. 

XX.  —  230  N  S'il  a  en  l'or  gaires  d'o.  —  23 1  /?  le  jeté.  —  A  Li place  des 

V.  232-3,  R  lit  : 

Li  fus  le  gaste  et  l'or  espure, 

Si  qu'il  n'i  remaint  point  d'ordure. 

Les  V.  235-8  se  lisent  ainsi  dans  R: 

Ausi  vous  di  ge  vraiement  : 
Mesdisant  par  leur  nuisement 
237     Esniuevent  souvent  tele  ordure 
Qu'il  font  en  leur  destruiement... 

—  240  R  pure. 

XXI.  —  241  R  Or  vous  pri  je  dont  d.  a.  —  Les  v.  244-6   se  lisent  ainsi 

dans  R  : 

Qui  sui  tous  en  vostre  baillie 

Sans  fauseté  et  sans  envie 

246     Et  fait  vous  ai  lige  homage. 

—  249  /?  Toute  soit  lor  leur  v.  —  251-2  .V  S'eschaper  puis  de  mon  malage 
Qui  mon  cors  si  griement  guerrie. 


LE    DIT    DE    LA    TREMONTAINE  573 

255   Dont  sui  coreilment  encordés,  Pour  ce   qu'a  vous  pas  ne  pooie 

Se  par  vostre  miséricorde  Parler  si  comme  je  soloie, 

Vostres  frans  cuers  ne  s'i  acorde,  270  Vous  envoi  jou  ceste   escriture. 

258  Dont  ja  ne  serai  descordés,  Moût    est    l'angoisse    pesme    et 

Bêle,  se  vous  i  acordés.  [dure 

Vostre  pramesse  recordés  Que  mes    fins    cuers    pour  vous 

261  Et  racordés  ceste  descorde:  [endure; 

Ceste  fors  corde  descordés,  273   Dès  or  plus  souffrir  nel    porroie. 

Ets'envers  vous  me  racordés,  Bêle,  pour  Dieu,  metés  i  cure 

264  Moût  sera  douche  la  concorde.  Qiie  Diex  vous  doinst  bone  aven- 

[ture 

XXIII  Bêle,  plaisaus  et  simple  et  coie,  ^^^  g^  ^^^^  ^^.^^^  ^^^^^   ^^^^  ,^^^^^^ 

K>'-    ^^-f)  [en  joie. 
A  cui  je  sui,  ou  que  je  soie, 

267  Gente  de  cors  et  de  faiture,  Explicit  li  dis  de  h  tremonlaine . 


GLOSSAIRE 
(M  désigne  le  fabliau  du  Moine,  T  le  Dit  de  la  tremontaine). 

alaine  T  79,  voix.  brai  M  28,  houe,  fange. 

alemele  T  161,  lame.  bufe  T  213,  tromperie. 
aserisier  (soi)  T  142,  se  calmer. 

ataïner  T  211,  harceler,  exciter.  caalit  Vl  4%,  châlit,  bois  de  lit. 

cauchie  M  7,  chaussée. 

bauchetM  161,  165.  coche  M  162,  tape  (?). 

boche  M  161, /'Oi5f;.  controuver  T    168,    imaginer,   inven- 

bout  M   106,  129,  152,  et  boute  108,        ter. 

outre,  grosse  bouteille.  coreilment  T  2^$,  du  fond  du  cœur. 
brache  M  185,  les  deux  bras. 


XXII.  —  Les  V.  255-64  se  lisent  ainsi  dans  N  : 

255  Dont  cordiument  sui    encordés,  Ceste  fort  corde  descordés, 

Quar    par  vostre  miséricorde  261   Si  acordés  ceste  descorde: 
Vostre  nous  qui  au  mien  s'acorde  Vostre  promesse  recordés  ; 

258  Ne  veut  k'en   soie  descordés.  Et  s'envers  vous  me  racordés, 

Dame,  se  vous  i  acordés,  264  Moût  sera  douce  la  concorde. 

XXIII.  —  265  A/  Dame  plaisans  —  269  AT  P.  aussi  com  je  s.  —  271    N 
Trop  est  —  272  N  Et  li  miens  c.  —  273  N  ne  p.  —  274  N  Dame. 

Vexplicit  est  dans  N  seul. 


574  A-    L^NGFORS 

dépurer  T  233, />«r/^er.  niachacre  M   ^o,  boucherie . 

descouneûe  M  78,  viècompte.  mestier,  M  138,  cabinet  de  débarrasQ). 

dois  T  $,  conduit,  courant.  niiex  M  158,  miel. 

moie  (meta)  T  116,  direction. 
Englesquele  M  i^'),  petite  Auglai:e. 

esclaire  T  124,  éclair.  piaucelu  M  1 15,  qui  a  la  peau  flasque. 

essoine  T  100,  empêchement,   obstacle,    pourttndre  M c)-^,  tapisser  (cf.  Godefroy, 

POURTENDUE,  exposition). 
favele  T  160,  218,  mensonge.  pous  M  149,  synonyme  de  alaine,  souf- 

flos  M  27,  terre  inculte  et  abandonnée       fie,  parfum  {cf.  Godefroy,  VI,  350b). 
(Godefroy,  IV,  34»,  s.  v.  flcc  2,  et 

IV,  I5  5«,  s.  V.  FRo).  retondu  M  97,  moine. 

retrait  M  150,  contracté. 
galerneT  120, 154,  vent  de  nord-ouest. 

garder  reure(ne)  T  42,  exprime  la  cer-  seraine  T  i,  78,  sirène, 
titude  qu'on  a  d'un  malheur  prochain  ; 

voir  Jcanroy,  Romania,  XL! F,  611.   tresaut  M   188,  de  tresalir,  tressailli 
gramis  M  i'^'^,  fâché.  (ou  faut- tl  entendre  irès  haut?). 

trouser  M  195,  mettre  la  selle. 
haions  M  94,  testicules. 

hertninet  M  148,  petite  hermine.  veuleM  40,  volage,  léger  Q);  cf.    ean- 

roy  et  Guy,  Chansons  et  Dits  arté- 
lanier  M  177,  hésitant.  siens,  VII,  7;  et  jy. 

Arthur  LÂngfors. 


POEME  EN  QUATRAINS 

CONSERVÉ  DANS  UN  MANUSCRIT 

DE    LA    BIBLIOTHÈQUE    d'aMSTERDAM 


Le  poème  qui  fait  l'objet  de  la  présente  étude,  et  que  je  crois 
inédit,  se  trouve  à  la  fin  du  célèbre  manuscrit  A  des  Commen- 
taires de  César,  conservé  à  la  Bibliothèque  d'Amsterdam  (n°  8i). 
Ce  manuscrit^  qui  est  du  x^  siècle,  provient  de  l'ancienne 
abbaye  bénédictine  de  Fleury-sur-Loire.  Après  la  destruction 
de  Fleury  par  les  huguenots,  il  appartint  d'abord  à  Pierre 
Daniel,  dont  le  nom  est  inscrit,-  accompagné  de  la  date  1566, 
sur  la  première  feuille,  et,  accompagné  de  la  date  1568  sur  la 
dernière  ;  puis  à  Jacques  Bongars.  Celui-ci  le  prêta  (ou  le 
donna)  à  Jean  Gruter,  à  Heidelberg  ;  après  le  sac  de  cette  ville, 
Suftridus  Sixtinus  l'emporta  à  Amsterdam  (1622),  où  il  entra 
dans  la  bibliothèque  de  J.  Six,  puis  dans  celle  de  l'Université  '. 

Les  quatrains  sont  écrits  sur  une  feuille  qui  a  servi  de  garde 
au  manuscrit;  l'écriture  est  du  milieu  du  xiV^  siècle*. 

La  mention  qui  est  faite  de  Provins,  de  Sézanne  (v.  103)  et 
de  la  Seine  (v.  79)  porte  à  croire  qu'ils  ont  été  composés  dans 
le  voisinage  de  Paris  ;  ainsi  s'expliquerait  le  fait  qu'ils  nous 
ont  été  conservés  dans  un  manuscrit  de  Fleury-sur-Loire,  qui 
n'est  pas  loin  de  Provins.  D'ailleurs,  les  particularités  de  la 
langue  du  poème  ne  semblent  pas  contredire  cette  localisation, 
bien  que  la  brièveté  du  texte  nous  défende  d'être  très  affirmatif 
sur  ce  point. 

Voici  un  relevé  de  ces  particularités  : 


1.  Voir  de  Navorscher,  1899,  p.   30961587. 

2.  Le  copiste  écrit  souvent  c  pour  s  et  vice  versa. 


57^  J.    J.    SALVERDA    DE    GRAVE 

I.  ie  rime  avec  e  {cuipnee  :  acesmee,  v.  65)  ';  2.  ch  avec  c 
{louche  :  courrouce,  v.  49);  3.  w  mouillé  avec  w  {saigne:  Saisie, 
V.  78);  4.  ^«g  avec  fl«g  {couenne:  basane,  Sesanne,\\  102);  5. 
2V5  ne  devient  pas  ie  ;  6.  s  est  séparé  de  :^^.  De  ces  traits,  les 
numéros  4,  5  et  6  excluent  la  possibilité  que  nos  quatrains 
soient  originaires  du  nord  de  la  France  ;  par  contre,  aucun 
d'eux  n'est  inconnu  dans  le  dialecte  de  l'Ile-de-France  et  de  la 
partie  ouest  de  la  Champagne. 

M.  iMetzke,  dans  son  étude  sur  le  Dialecte  de  l'Ile-de-France 
au  Xlfl^  et  au  XIT'  siècle  \  base  sa  description  du  dialecte  sur 
les  Ordonnances  des  roys  de  France  et  sur  les  œuvres  de  Guiot 
dé  Provins  et  de  Gautier  de  Coincy.  Voici  les  traits  signalés 
par  lui  qu'on  peut  rapprocher  de  ceux  énumérés  plus  haut. 

1.  M.  Metzke  cite,  dans  les  Ordonnances,  des  graphies  comme 
changées,  obligées,  percée,  etc.;  en  outre  il  relève  dans  Rutebeui 
la  rime  frères  :  manières^,  et  d'autres  semblables  dans  Getiroy 
de  Paris. 

2.  Rutebéuf  fait  rimer  desperance  avec  franche  ^  ;  j'ajoute,  de 
la  Bible  Guiot,  paroiches  :  cloches  (v.  1229).  Ces  rimes  y  sont 
exceptionnelles;  la  prononciation  de  ch  pour  j^  appartient  sur- 
tout aux  dialectes  du  Nord  et  se  rencontre  sporadiquement  dans 
des  textes  du  Nord- Ouest  et  du  Sud-Ouest  7. 

1.  Les  autres  rimes  de  cette  strophe  ne  sont  pas  probantes  ;  en  effet,  irit 
et  empiriè  riment  souvent  en  é.  Voir  Suchier,  Les  voyelles  Ioniques  du  vieux 
français,  traduction  de  l'allemand  par  Ch.  Guerlin  de  Guer,  p.  86. 

2.  tignus  (v.  98)  n'est  pas  *tineosus  mais  *tineutus.  On  pourrait  le 
corriger  en  chanus  (cf.  le  v.  ici).  Les  graphies  volés  (v.  27),  pars  (v.  30), 
etc.,  peuvent  être  attribuées  au  copiste  du  xiv=  siècle,  qui  aura  suivi  l'usage 
des  scribes  picards,  à  moins  que  le  /  dans  ^  ne  se  fût  déjà  amuï  à  son  époque. 

Dans  -aige  le  i  ne  sert  sans  doute  qu'à  marquer  la  nature  palatale  de  g 
{Archiv,  LXV,  59). 

}.  Archiv  de  Herrig,  LXIV,  385  et  LXV,  57. 

4.  Cf.  Suchier,  0.  /.,  p.  5. 

5.  Éd.  Jubinal  (1874),  II,  17.  La  forme  P^re  pour  Pierre  dans  nos  qua- 
trains (v.  72),  en  rime  avec  père,  est  fréquente  dans  Rutebéuf  et  ailleurs; 
c'est  sans  doute  un  mot  savant.  Goerlich,  Die  nordivest lichen  Dialekte  der 
langue  d'oïl,  p.  27,  cite  Père  parmi  d'autres  mots  (populaires)  qui  attestent  le 
changement  de  ie  en  e. 

6.  Archiv,  LXV,  82.  Cf.  reprouche  :  louche  (Rutebéuf,  0.  /.,  p.  64). 

7.  G.  Paris,  Mêlâmes  linguistiques,  p.  123  ;  Goerlich,  0.  /.,  p.  64. 


POEME    EN    Q.UATRAINS  577 

3.  La  combinaison  à  la  rime  de  h  mouillé  avec  n  est  attestée 
dans  llutebeuf',  dans  Guiot  de  Provins  ÇLooregne  :  règne, 
V.  558),  dans  Gautier  de  Coincy,  dans  le  Roman  de  la  Rose, 
etc.  Ce  phénomène  se  constate  ailleurs  encore  que  dans  les 
dialectes  du  Centre  ^. 

Quant  à  la  rime  de  ene  avec  atie,  il  est  probable  qu'il  faut 
admettre  que  c'est  eue  qui  s'est  prononcé  avec  a  nasal. 
M.  Metzke,  dans  le  résumé  qu'il  donne  à  la  fin  de  son  étude, 
mentionne  comme  une  des  particularités  du  dialecte  de  l'Ile- 
de-France  le  changement  de  a  en  ^  devant  :(,  ni,  n  ;  on  pourrait 
rapprocher  ce  phénomène  de  celui  que  présentent  nos  rimes, 
pourvu  qu'on  l'interprète  autrement  (voy.  ci-dessus  n"  4)  que 
nous  ne  le  faisons  '. 

Si  notre  localisation  du  texte  est  exacte,  laforme/^row  (v.35) 
a  dû  appartenir  au  texte  primitif  ;  on  sait  que  c'est  surtout 
dans  le  centre  et  en  Champagne  que  la  seconde  personne  plu- 
riel du  futur  en  -oi^^  a  longtemps  survécu  "*. 

La  date  de  notre  texte  est  difficile  à  fixer.  La  régularité  avec 
laquelle  e  protonique  a  été  maintenu  devant  une  voyelle, 
prouve  au  moins  qu'il  n'est  pas  de  beaucoup  postérieur  à 
1300,  ou  même  qu'il  est  antérieur  à  cette  date  K 

1 .  Arcbiv,  LXV,  87 . 

2.  Goerlich,  0.  /.,  p.  61 . 

3.  Remarquons  d'abord  que,  dans  le  corps  de  son  travail,  M.  Metzke  ne 
parle  que  de  a  devant  m  et  n  et  n'y  donne,  pour  a  devant  m,  qu'un  seul 
exemple,  où  a  est  protonique  (/i/r/nV,  LXV,  95  ;  LXIV,  395).  Dan^  tous  les 
cas,  d'après  lui,  ce  serait  donc  plutôt  a  qui  se  serait  changé.  Cela,  en 
somme,  ne  parait  pas  impossible  ;  par  là  s'expliquerait  la  graphie  par  e  d'un 
a  primitif  (comme,  dans  nos  quatrains,  ^(jj^«h^).  Et  si  l'on  voulait  admettre 
que,  dans  nos  quatrains,  basane  se  soit  prononcé  basene  (au  lieu  de  croire  que 
couenne  est  devenu  couané),  on  pourrait  s'appuyer  sur  ce  que  dit  Nisard,  dans 
son  Etude  sur  le  langage  populaire  ou  patois  de  Paris,  p.  132,  que  «  a  suivi  de 
tn,  n  devient  /  »,  c'est-à-dire  que  a  nasal  devient  è  nasal,  par  exemple  binde 
(pron.  bède)  pour  bande.  Rappelons  qu'au  moyen  âge  a  placé  devant  nasale 
non  suivie  de  consonne  était  pourtant  nasalisé. 

4.  Voir  Foerster,  Cligés,  p.  lxiv  ;  Behrens,  Die  Endung  der  iweiten  Persan 
Pluralis  des  afr^.    Verbums,  p.  34. 

5 .  Schwan-Behrens,  Grammaire  de  l'ancien  français,  2«  éd.  française, 
p.  146. 

Romania  XLIV  J7 


578  J.    J.    SALVERDA    DE    GRAVE 

La  versitication  confirme-t-elle  cette  conclusion?  Le  quatrain 
monorime  fut  surtout  en  vogue  à  partir  de  la  fin  du  xiii' 
siècle,  mais  on  en  trouve  des  exemples  à  partir  de  la  fin  du 
xii^  '.  Ni  les  rimes  riches,  si  nombreuses  dans  notre  poème  ^, 
ni  la  fréquence  de  la  césure  épique  ne  permettent  de  tirer  une 
conclusion  chronologique,  pas  plus  que  la  répétition  des  mêmes 
mots  \  qu'on  rencontre  aussi  ailleurs,  par  exemple  dans  la  Bible 
Guiot. 

Notre  poème  développe  la  plainte  d'une  femme  qui  craint 
que  son  amant  ne  l'abandonne.  Faut-il  y  voir  une  lettre,  peut- 
être  une  transposition  au  mode  bourgeois  du  genre  des 
Héroïdes,  dont  le  moyen  âge  possédait  des  traductions  4,  et  qui 
a  inspiré  à  Boccace  sa  Fiammetta  ?  Ou  bien,  serait-ce  un  frag- 
ment d'une  œuvre  plus  étendue  ?  Ce  n'est  pas  impossible,  car 
certains  vers  semblent  répondre  à  des  reproches  antérieurs,  e. 
a.  sur  la  mauvaise  conduite  de  la  femme  (vv.  2,  4  et  5,  str.  IV 
et  V);  et  au  vers  127  elle  dit  qu'il  lui  a  lueii  tel  chose,  sans  que 
nous  sachions  de  quoi  il  s'agit;  comparez  le  v.  100.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  que  nous  sommes  dans  un  milieu  bourgeois  ; 
l'emploi  de  proverbes,  d'expressions  comme  coueime  pour 
«  peau  »  (v.  104),  cheville  et  chevillier  (v.  75)   avec   un   sens 


1.  Jeanroy,  Romania,  XLIII,  4;  P.  Meyer,  ibid.,  XXIV,  198.  Depuis  le 
tableau  chronologique  de  M.  Naetebus,  Die  nicht-ïyrischen  Strophetijoniien, 
p.  193-196,  il  a  été  signalé  ou  publié  plusieurs  autres  poèmes  en  quatrains 
monorimes  de  vers  de  douze  syllabes  :  Rom.,  XXIV,  210  ;  XXX,  298,  500  ; 
XXXI,  380;  XXXIII,  167  ;  XXXIX,  44,  269;  XLI,  221,  231  ;  XLIII,  6; 
Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes,  III,  93  ;  IV,  54;  XX,  52.  Voir  aussi 
Châtelain,  Recherches  sur  le  vers  français  au  XV'  siècle  (cf.  Rom.,  XXXVII, 
332). 

M.  Paul  Meyer,  /.  /.,  relève  ce  fait  que  les  quatrains  à  rime  féminine  sont 
plus  nombreux  que  les  quatrains  misculins.  Cette  observation  se  vérifie  pour 
notre  texte,  qui  contient  vingt-quatre  strophes  féminines  contre  douze  mas- 
culines. , 

2.  Voyez  les  strophes  VII,  VIII,  IX,  XV,  XX,  XXIV.  La  strophe  XXV 
présente  aussi  la  rime  riche  si  on  lit  ti7tus  (ou  channs)  au  lieu  de  tignus  (et. 
plus  haut,  p.  576). 

3.  Cf.  vv.  18-19  avec  29-30  ;  26  avec  29  ;  44  avec  47  ;  5  5  avec  57  et  59  ; 
58  avec  60;  85  avec  89  (amusee-vuisaige),  109  avec  no,  117  avec  118. 

4.  Remania,  XLIII,  177. 


POÈME   EN    QUATRAINS  579 

obscène,  crier  les  onhJees  (v.  105),  une  vies  cuigniee  (v.  68) 
prouvent  que  la  femme  dont  il  s'agit  n'appartient  pas  aux 
classes  élevées  de  la  société  (en  dépit  de  ses  affirmations  inté- 
ressées, V.  13);  elle  parle  d'ailleurs  de  ses  doneeurs  (v.  37). 
Sa  langue  y  gagne  en  pittoresque,  et  sous  ce  rapport  notre 
texte  présente  de  l'intérêt;  ainsi  le  vocabulaire  contient  un 
certain  nombre  de  substantifs  post-verbaux  dont  l'emploi 
semble  lui  être  particulier  (faire  presse,  avoir  servie,  donner 
empire^  et  que  je  relèverai  dans  les  notes. 

I  Vous  me  rendes  or  bien  les  grés  et  les  mentes,         (?<'  a) 

Qui  tantes  vilonnies  et  honte  m'avés  dites. 

Tesmoing  de  mes  voisines,  de  grans  et  de  petites, 
4  Je  ne  sui  mie  telle,  Dieu  merci,  com  vous  dites, 

11  Si  m'avés  dit  a  tort  si  graut  descouvenue  ; 
Tout  jors  me  sui  a  vous  molt  lëaument  tenue, 
Sans  mesprenre  vers  vous,  si  m'en  est  avenue 

8  Telle  honeur  que  j'en  sui  povre,  chetive  et  nue. 

III  J'estoie  molt  souvent  et  priée  et  requise. 

Mes  vostre  amor  m'avoit  si  lassiee  et  seurprise 
Que  por  riens  nulle  el  monde  ne  poi  estre  conquise, 

12  Car  je  ne  sui  pas  famé  de  tel  mestier  aprise  ; 

IV  Car  trop  sui  de  grant  bruit  et  de  trop  grant  afeire 
A  ce  que  je  deûsse  si  grant  folie  feire, 

El  vos,  que  je  tenoie  a  dous,  a  débonnaire, 
16  M'avés  tel  chose  dite  dont  mius  vous  venisr  teire. 

V  Foi  que  doi  saint  Fremin,  le  beneoit  martyr, 
Si  puisse  je  a  joie  dou  siècle  (de)  defenir. 
Qu'il  ne  m'estuet  le  ventre  ou  crever  ou  partir, 

20  Que  ne  soffri  nul  homme  fors  vous  a  moi  gésir. 

VI  Si  trou%'asse  j'assés  de  molt  biaus  parchoniers, 
Cointes,  gens  et  mignos,  grans  et  fors  et  pleniers. 
Qui  assés  me  donnassent  et  robes  et  deniers, 

24  Mes  mes  corps  ne  fu  onques  ne  ja  n'iert  garchoniers. 

VII  Certes  je  ne  deignasse  qu'autres  y  eûst  part  ; 
Ja  Dius  ne  me  consent  s'autres  de  vous  y  part. 
Et  lessier  me  volés  ?  mes  s'einsi  m'en  départ, 
28  Onque  mes  ne  veïstes  si  doulereux  départ. 

II,  6  leidement. 


580  J.    J.    SALVERDA    DE    GRAVE 

Vlll  Ja  Dius  ne  me  consente  que  du  siècle  départe 

Que  mes  cuers  devant  vous  en  deus  pars  ne  se  parte, 
S'il  me  couvient  einsi  que  de  vous  me  départe  ; 
32  Se  je  voi  quintement,  non  ferai  je  voir  quarte. 

IX  Se  ainsi  me  départ,  savés  que  g'i  gaaing  i 

Je  ne  m'en  puis  partir  sans  mort  et  sans  mehaing, 
Mes  a  vostre  oés  ferois  trop  dolereus  gaaing, 

36  Se  je  por  vostre  amor  rechoii'  mort  ou  mehaing. 

X  Et  li  grant  donneëur  qui  voleuticrs  donnoient,  (ro  b) 

Qui  largesse  et  honeur  en  droit  point  maintenoient, 
Se  retraient  arrière  et  de  donner  recroient, 
40  Si  m'aimment  poi  et  prisent  qui  amer  me  souloient. 

XI  Se  largesse  remaint  et  cortoisie  cesse, 

Et  mes  corps  se  debrise  que  viellesse  compresse, 
Dahé  ait  qui  bel  est  quant  onques  vous  fis  presse, 
44     Car  qui  sert  mauves  homme  trop  s'aville  et  abesse. 

XII  De  Dieu  et  de  saint  Jaque  et  du  baron  saint  Gille 
Soit  homs  mauves  honnis  et  a  bore  et  a  ville  ; 
Qui  mauves  homme  sert,  trop  s'abesse  et  avilie, 
48  Car  quant  l'en  plus  l'onneure  et  il  plus  la  gent  guile  ; 

XIII  Quant  l'en  plus  li  fet  joie  et  il  plus  se  courouce 
Et  rampone  la  gent,  atayne  et  agouce  : 
Nulle  famé,  c'cl  n'est  torte,  bochue  ou  louche, 

52  Ne  doit  servir  nul  homme  qui  si  rechine  et  grouce. 

XIV  Dahé  qui  sans  chavestre  sayens  vous  amena  : 
One  puis  de  moi  médire  sa  langue  ne  fina, 
Onques  nus  hom  empire  fors  vous  ne  me  donna, 

56  II  m'est  de  vous  venu,  se  sus  moi  point  en  a. 

XV  Si  n'est  mie  merveillie  se  mes  cuers  en  empire, 
Se  je,  qui  bonne  estoie,  de  vous  amer  sui  pire  ; 
De  ce  ne  dout  ge  mie,  aius  ai  qui  si  m'empire 
60  Le  pire  des  mauves  du  règne  et  de  l'empire. 

XVI  Quant  je  vous  acointai,  g'iere  molt  honorée 
Et  amee  de  gent,  par  la  crois  aouree  ; 
Or  me  moustrent  au  doi,  s'en  sui  molt  escornee, 
64  Et  voudroient  souvent  que  je  fusse  acouree. 


VIII,  32  quatre. 
XVI,  61  gie  iere. 


POÈME    EN    Q.UATRAINS  58 1 

XVII  J'estoie  assés  mignote  et  cointe  et  acesmee. 

Quant  je  vous  connui  primes,  s'en  sui  forment  iriee 
Que  m'aies  reprochant  que  j'en  sui  empiriee 
68  Et  aussi  avillant  coni  une  vies  cuigniee. 

XVIII  De  coi  sui  empiriee,  par  l'ame  vostre  père  P 

Ou  est  l'empirement  qui  sus  mon  corps  apere  ? 
N'ai  ge  biau  corps  et  gent,  face  vermeille  et  clere? 
72  Onques  en  mellieur  point  ne  fui  mes,  par  saint  Père. 

XIX  II  ne  faut  riens  en  moi,  se  j'estoie  outilliee;      (v  a) 
Je  vousisse  mius  certes  que  je  fusse  essilliee 

Que  de  vostre  cheville  fust  ma  char  chevilliee  ; 
76  Trop  en  sui  malement  honnie  et  avillee. 

XX  Je  sui,  la  merci  Dieu,  de  corps  hetiee  et  sainne, 

Mes  le  cuer  de  mon  ventre  de  doleur  pleure  et  sainne, 
Car  je  vousisse  mius  estre  noiee  en  Sainne 
80  Conques  de  vous  amer  eusse  esté  en  painne. 

XXI  Trop  sui  je,  par  deable,  a  vostre  hués  bêle  et  gente  ; 
Mius  m'en  venist  avoir  acointié  vint  ou  trente  ; 
Je  sui  toutes  les  heures  que  je  vous  voi  dolente, 
84  Car  trop  ai  entor  vous  usée  ma  jouvente. 

XXII  Bien  m'avés  par  barat  longuement  amusée, 
Car  j'ai  si  ma  jouvente  en  uiseuse  usée  ; 
Je  n'i  dorroie  mie  le  fil  d'une  fusée, 
88  Mes  qu'a  eschar  me  tome  que  m'avés  refusée. 

XXIII  Voirs  est  que  j'ai  servi  longement  de  musaige. 
Quant  j'ai  si  ma  jouvente  usée  en  vostre  usage  ; 
Ne  sui  pas  si  brisiee  de  corps  ne  de  couraige 

92  Qu'encor  ne  truisse  ami  vailliant  et  preu  et  saige. 

XXIV  Je  l'avrai,  se  je  voclg,  et  plus  saige  et  plus  preu 

Et  plus  bel  que  vous  n'estes  et  plus  prés  de  mon  lieu  ; 
Vous  m'avés  ramponee  et  joué  de  tel  jeu, 
96  Se  je  puis  et  je  vis,  jel  vous  métrai  en  lieu. 

XXV  Encor  sera  mes  corps  amés  et  chier  tenus, 

Qu'il  est  gens  et  mignos,  mes  chiés  n'est  pas  tignus, 
Mon  cordoen  n'est  pas  bocereus  devenus, 
100  Einsi  corn  vous  le  dites,  mal  soies  vous  tenus. 


XVII,  67  Qui. 
XXV,  98  nés  pas. 


582 


J.    J.    SALVERDA    DE   GRAVE 


XXVI  .Encor  n'a  vl  sus  moi  fronce  n'en  mon  chief  chenne, 
N'encor  n'est  devenus  mon  cordouen  basenne  ; 
I  n'a,  si  com  je  croi,  de  Provins  a  Sezenne 
104  Dame  ne  damoiselle  plus  ait  belle  couenne. 

XXVII  Vous  m'aies  comme  feux  mes  oublees  criant, 
Mes  cil  vous  prise  poi  qui  molt  me  va  priant  ; 
J'ai  gent  corps  et  biau  vis  et  oilg  vert  et  ryant, 

108  S'avrai,  quant  je  voudrai,  ami  bel  et  friant. 

XXVIII  Car  je  n'avoie  pas,  Dius  le  scet,  decervie,  (v  h) 
Einchois  m'estoie  a  vous  servir  toute  acervie  ; 

Je  suila  plus  chetive  famé  qui  soit  en  vie, 
112  Quant  il  de  vous  amer  me  prist  onques  envie. 

XXIX  One  ne  me  vint  de  vous  largesse  ne  bontés, 
Qu'estes  de  moi  médire  prés  et  entalentés; 
Vous  dites  qu'autre  gent  si  font  leur  volentés 

116  De  moi  quant  il  leur  piet,  mes  certes  vous  mentes. 

XXX  Quant  por  moi  anguoissiés  vous  poés  desmentir, 
Souvent  au  cuer  me  fêtes  grant  anguoisse  sentir. 
Mes  Dieu,  eu  qui  je  croi,  ne  voellie  consentir 

120  Que  vous  n'ayés  courage  encor  du  repentir. 

XXXI  Ja  Dius,  qui  sires  est,  ne  voelle  ne  consente 
Que  ja  homme  qui  mette  en  mesdire  s'entente 
Que  te!  doieur  au  cuer  et  telle  anguoisse  sente 

124  Que  tous  li  mondes  sache  apertement  qu'il  mente. 

XXXII  Se  dis  ribaus  de  four  m'eussent  porjeùc, 
Et  vous  le  seùssiés  de  voir  com  de  veùe, 

Ne  deûssiés  vers  moi  tel  chose  avoir  meûe, 
128  Tant  ai  por  vous  de  painne  et  sofTerte  et  eue. 

XXXIII  Molt  ai  eu  por  vous  painne,  honte  et  poverte, 
Conques  par  moi  ne  fu  dite  ne  descouverte, 
Et  vous  por  moi  médire  avés  la  bouche  ouverte, 

132  Mes  tous  li  mondes  scet  que  c'est  iolic  aperte. 

XXXIV  Plus  por  vous  que  por  moi  ne  que  por  mes  amis 

Ai  su  garder  mon  corps,  mon  coust  et  travail  mis  ; 
A  poi  ne  m'en  repent  c'onquesm'en  entremis, 
136  Quant  de  moi  lesdeugier  estes  si  entremis. 


XXXI,  123  Ms.  Qui? 

XXXIII,  132  Du  dernier  mot  ou  ne  peut  lire  que  les  trois  dernières  lettres. 

XXXIV,  133  amis  est  illisible, de  vténte  travail  au  v.  suivant  —  136  atremis. 


POÈME   EN   QUATKAINS  383 

XXXV  Ce  vous  me  lesdengiés,  se  n'est  pas  por  mon  fet; 
One  vers  vous  ne  mespris,  ne  riens  n'i  ai  forfet; 
Mes  vous  avés  vers  moi  et  mespris  et  mesfet, 
140  Si  me  volés  a  tort  rendre  vostre  mesfet. 

XXXVl  Mes  de  vostre  mefet,  biau  sire,  a  moi  que  monte  ? 
Vous  m'avés  lesdengiee,  ne  sai  de  quel  aconte, 
Qu'il  n'a  homme  en  cest  siècle,  ne  roi  ne  duc  ne  conte, 
144  Fors  a  vous  trestout  seul,  qui  je  feïsse  honte, 

REMARQUES 

V.  3.  Tesmoing  de  mes  voisines,  <<  au  témoignage  de  ».  Cette  expression 
semble  une  contamination  de  par  le  tesmoin  et  de  la  construction  absolue, 
conforme  à  l'usage  moderne,  dont  Godefroy  cite  l'exemple  tesmttn  l'escrit. 

V.  19.  Voyez  sur  cet  emploi  de  que  Tobler,  Verniischte  Beitraege,  i'*  édi- 
tion, I,  51.  La  phrase  qui  commence  par  cette  conjonction  dépend  de  la  for- 
mule affirmative  des  vers  17  et  18. 

V.  32.  Le  vers  m'est  inintelligible.  Est-ce  que  quitite  s'oppose  à  quarte} 
Voir,  dans  le  second  hémistiche,  n'est  pas  le  verbe,  qui  serait  veoir,  mais 
l'adverbe  affirmatif. 

V.  36.  Entre  ce  vers  et  le  suivant  la  transition  laisse  à  désirer.  Il  y  a  là 
peut-être  une  lacune  ;  notez  qu'une  nouvelle  colonne  commence  à  cet 
endroit.  Cf.  v.  109. 

V.  43.  Faire  presse,  «  être  empressé  ».  GodefrojMie  donne  aucun  exemple 
de  cette  signification,  qui  semble  d'ailleurs  naturelle,  quand  on  rapproche  le 
verbe  s'empresser.  L'exemple  de  Ronsard,  donné  par  Godefroy,  de  pressé  âu 
sens  de  «  empressé  »,  peut  s'entendre  aussi  au  sens  physique  «  un  baiser 
fortement  appuyé  ». 

V.  50.  agouce,  «  agace,  tourmente  ».  Godefroy  cite  ce  verbe  sous  angois- 
sier,  qui  est  sans  doute  un  autre  mot  et  qui  dans  notre  texte  (v.  117)  s'écrit 
angoissiet  ;  mais,  ainsi  que  le  prouve  la  forme  angouce,  il  y  a  eu  certainement 
confusion  entre  ces  deux  verbes,  dont  le  sens  était  voisin. 

V.  53.  Sans  chavestre  continue  sans  doute  l'image  du  chien  évoquée  par 
les  mots  rechignier  et  groucier  du  vers  précédent. 

V.  54.  Au  lieu  de  sa  langue  on  s'attendrait  à  vostre  langue. 

V.  55.  empire,  au  sens  de  enipiremeiit,  «  détérioration  »,  ne  se  trouve 
jamais,  dans  les  exemples  donnés  par  Godefroy,  combiné  avec  donner. 


XXXV,  138  a  forfet. 

XXXVI,  143  ne  soi  ne. 


584 


J.    J.    SALVERDA    DE   GRAVE 


V.  73.  outilliee  signifie  «  équiper  »  (Godefroy,  osiiller),  non  «  parer  »; 
corr.  atilliee}  Ou  faut-il  voir  dans  oulilliee  une  expression  populaire  ? 

V.  75.  Le  sens  obscène  àe  cheville  se  rencontre  aussi  dans  les  Lamentations 
de  Matheolus,  éd.  Van  Hamel,  II,  5294,  où  il  s'agit  d'un  vieillard  qui  épouse 
une  jeune  femme  : 

Se  tu  n'as  (pas)  iJe  guoy  satisfaire, 

Les  deux yeiil.x  te  voidroit  hors  traire. 

Et  se  tu  du  faire  t'esforces, 

Tu  perdras  temps  et  sens  et  forces 

Et  trouveras  finance  vile. 

Puis  que  te  faudra  la  cheville. 

V.  87-88.  «  Cela  me  serait  égal,  si  on  ne  se  moquait  de  moi  parce  que 
vous  m'abandonnez.  » 

V.  96.  Mètre  en  lieu  aqq.,  «  faire  payer  à  qq.,  se  venger  deqq.  »  ;  cette 
signification  n'est  pas  mentionnée  dans  Godefroy;  deux  exemples  dans  le 
Roman  de  Troie  (vv.  8473  et  15085). 

V.  100.' Mal  soies  vous  tenus.  Est-ce  que  tenir  a  ici  le  sens  de  «  estimer, 
considérer  »  ? 

V.  102.  Cf.  Coquillart,  II,  97  : 

car  son  cordouan 
Estait  ja  devenu  hasanne. 


V.  103.  Sur  Provins  au  moyen  âge,  voyez  Jubinal,  RutelmiJ  (1874),  III, 
25.  Cette  ville  est  mentionnée  dans  d'autres  poèmes  en  quatrains  (Rom., 
XIV,  278  ;  XV,  607). 

V.  104.  Deux  autres  exemples  de  co»?»h«  appliqué  à  la  peau  humaine  sont 
cités  par  Littré. 

V.  105.  Le  sens  doit  être  :  «  Vous  me  vantez  à  rebours,  vous  médisez  de 
moi.  »  Un  autre  exemple  de  l'emploi  métaphorique  de  cette  expression,  pris 
dans  Gilles  le  Muisi,  se  trouve  dans  Godefroy.  Cf.  Romania,  VII,  98,  n. 

V.   107.   Vert  est  ici  le  même  mot  que  vair. 

V.  109.  Ici  encore,  comme  au  vers  36,  avec  la  nouvelle  colonne  la  tran- 
sition laisse  à  désirer.  Pourtant  on  ne  peut  pas  admettre  qu'une  partie  du  bas 
de  la  feuille  a  été  coupée,  parce  que  le  recto  passe  au  verso  très  naturelle- 
ment. —  deaervie  (ms.  decervie),  «  récompense,  salaire  »  ?  Ce  substantif  m'est 
inconnu,  mais  comparez  déserte,  «  récompense  ». 

V.  117.  Les  strophes  XXX  et  XXXI  ne  sont  pas  claires.  «  Quand  je  songe 
que,  ému  par  ma  douleur,  vous  pouvez  encore  rétracter  ce  que  vous  avez  dit 
de  moi,  cette  pensée  me  rend  malheureuse,  car  je  ne  veux  pas  que  vous  vous 


POÈME    EN    dUATRAINS  585 

en  repentiez  ;  Dieu  ne  permette  pas  qu'un  homme  qui  ne  fait  que  médire, 
soit  forcé  par  sa  conscience  à  reconnaître  ouvertement  qu'il  ment  [car  par  là 
il  échapperait  au  châtiment  qui  l'attend  après  la  mortj.  »  Il  serait  plus  natu- 
rel que  la  femme  eût  dit  :  «  Veuille  Dieu  que  le  calomniateur  finisse  par 
avouer  sa  calomnie,  de  sorte  que  tout  le  monde  sache  qu'il  ment.  » 

V.  120.  Sur  la  négation  dans  cette  phrase,  voyez  Tobler,  0.  /.,  IV,  26  et 
suiv. 

V.  123.  Sur  la  répétition  de  que,  voyez  D'iez, Grammatik,  p.  1013,  n. 

V.  124.  Le  suh\oncû{ mente  s'explique  par  l'attraction  du  subj.  sache. 

J.  J.  Salverda  de  Grave. 


MELANGES 


«  NE     GARDER    L'EURE  » 
Histoire  d'une  locution^. 

Dans  la  Vie  de  saint  Alexis,  quand  le  saint  est  près  de  rendre 
à  Dieu  son  âme,  purifiée  par  une  dure  pénitence,  une  voix 
céleste  se  fait  entendre  aux  quatre  coins  de  Rome.  Frappés  de 
stupeur,  les  habitants  se  précipitent  aux  pieds  du  pape  Inno- 
cent : 

A  lui  en  vindrent  e  li  riche  e  li  povre, 
Si  li  requièrent  conseil  d'icele  chose 
Qu'il  ont  odide,  qui  molt  les  desconfortet  : 
Ne  guardent  l'oure  que  terre  les  enclodet. 

(Ed.  G.  Paris  [1905],  v.  302-5.) 

Dans  le  poème  d'Adenet  le  Roi,  la  reine  Berte,  abandonnée 


I .  Ces  quelques  pages  étaient  entièrement  rédigées  quand  j'ai  eu  connais- 
sance d'un  article  tout  récent  où  M.  E.  Walberg,  traitant  le  même  sujet 
{Quelques  remarques  sur  V  ancien  jrançais  «  ne  garder  l'eure  que  «;  Lund  et 
Leipzig,  191 5,  extrait  du  Frân  filologiska  Foreuingen  i  Lutui,  Sprâkliga 
uppsatser,  IF),  produit  de  nombreux  exemples  de  la  locution  et  s'efforce  d'en 
déterminer  l'évolution  sémantique.  C'est  au.ssi  ce  que  j'ai  essayé  de  faire, 
mais  avec  un  peu  plus  de  rigueur,  ce  me  semble,  et  en  tenant  plus  décompte 
de  la  chronologie  des  phénomènes.  Je  publie  donc  mon  travail  tel  quel,  en 
me  bornant  à  exposer  ou  à  discuter  en  note  les  explications  de  mon  savant 
collègue  et  à  renvoyer  à  quelques  exemples  caractéristiques  qu'il  a  eu  le 
mérite  de  signaler  le  premier.  —  M.  Kr.  Nyrop  a  dit  aussi  quelques  mots  de 
la  locution  qui  nous  occupe  (Observations  sur  quelques  vers  de  la  farce  de 
Maître  Tierre  Pathelin  dans  Bulletin  de  F  Académie  royale  des  Sciences  et  des 
Lettres  de  Danemark,  1900,  p.  544  ss.),    mais   sans  se  prononcer  sur  son  ori- 


NE  GARDER  L'EURE  587 

dans  une  forêt  à  la  fureur  des  bêtes  sauvages,  se  lamente  sur 
le  sort  qui  la  menace  : 

Ne  gart  l'cure  que  bestes  m'i  aient  accueilloite. 

(Berte  aus grans pies ,  éd.  Scheler,  v.  775.) 
Car  je  ne  garde  l'eure  que  a  dens  ou  a  poe 
Me  tiegne  ours  ou  lyons  qui  toute  me  desfroe. 

•     (//'.,  861-2.) 

Le  sens  de  la  sins;ulière  locution  Ne  garder  reure  ressort  très 
clairement  de  ces  trois  exemples  et  de  beaucoup  d'autres,  dili- 
gemment rassemblés  par  MM.  Friedrich  Perle  et  Fritz  Bischoff'. 

1.  F.  Perle,  Die  Négation  im  Altfran^ôsischen  dans  Zeitschrift  Jiïr  romanische 
Philologie,  II,  9;  F.  BischofF,  Der  Conjiinctiv  bel  Chrestien  de  Troies,  Halle, 
1881,  p.  87-8.  Les  trois  premiers  exemples  suivants  sont  cités  par  M.  Perle, 
les  six  autres  par  M.  Bischoff;  je  complète  quelques-uns  de  ces  textes  pour 
plus  de  clarté. 

I     Moult  est  ireus  et  pleins  de  cruauté, 
Je  ne  gart  l'ore  qu'il  m'ait  escervelé. 

(Jlisciins,  éd.  Jonckbloet,  3521  ;  éd.  Guessard  et 
de  Montaiglon,  V.    3280.) 

[Paroles  du  roi  Louis  exprimant  la  crainte  que  lui  inspire  le  géant  Rai- 
nouart.] 

2.  Berte  aus  gratis  pies,  éd.  Scheler,  v.  plus  haut,  dans  le  texte.) 
5.  En  une  croûte  del  mostier  Saint  Martin 

En  a  l'enfant  ensemble  o  lui  foui  ; 
Ne  gardent  Teure  que  il  soient  mortri. 

(Coronement  Looïs,  éd.  Jonckbloet,  v.  1437  ^s.  ; 
éd.  Langlois,  v.  1467  ss.) 

4.  Saint  Alexis  (voy.  plus  haut  dans  le  texte). 

5 .  Or  vieng  proier 

A  vous,  dame,  et  merci  crier 
Que  ne  gart  l'eure  qu'asproier 

Me  veingne  cil 
Qui  m'a  mis  a  si  grant  escil. 

(Rutebeuf,  Miracle  de  Théophile,  dans  Bartsch-Wiese, 
Chreit.,  LXXV,  c,  v.  6-10.) 

6.  N'a  homme  en  sa  compagne  qui  mult  n'en  soit  iriés; 
Quar  il  ne  gardent  l'eure  que  il  soit  depeciés. 

(Roman  d'Alexandre,  éd.   Michelant,  p.    11,  v.  32.) 

[Il  s'agit  d'Alexandre  s'obstinant  à  dompter  Bucéphale.] 


588 


MELANGES 


Elle  signifie  non  pas  tout  à  fait,  comme  le  dit  Scheler  ',  «  s'at- 
tendre, prévoir  avec  certitude  »,  mais  plus  exactement,  comme 
l'ont  noté  MM.  Schultz-Gora  et  L.  Wiese%  fc  s'attendre  à  tout 
instant  à  ce  qu'une  chose  arrive,  la  considérer  comme  immi- 
nente ». 

Mais  ce  qui  est  plus  difficile,  c'est  d'en  expliquer  la  forma- 
tion :  le  sens  en  effet  est  positif,  et  la  forme  négative.  C'est  ce 
qu'a  bien  vu  M.  Perle,  qui  a  compris  en  outre  que  le  verbe 
garder  avait  ici,  conformément  à  son  étymologie,  le  sens  de 
«  regarder,  considérer  ».  Mais  la  façon  dont  il  résout  la  contra- 
diction est  très  artificielle  :  «  La  locution,  dit-il,  exprime  une 
certaine  résignation  ;  la  traduction  littérale  :  je  ne  vois  pas,  je 
ne  considère  pas  l'heure,  peut  donc  être  remplacée  sans  scru- 
pules par  la  traduction  plus  libre  :  Je  n'essaie  pas  de  me  déro- 
bera l'heure, je  voisvenir  l'heure.» D'abord  l'idée  de  résignation 
est  absente  dans  la  plupart  des  exemples,  et,  y  fût-elle  impli- 
quée, cela  ne  suffirait  pas  à  expliquer  le  passage  du  sens  de 
«  ne  pas  considérer  »  au  sens  contraire  de  «  constater  ». 
M.  Bischoff  pense  avec  raison  que  l'hiatus  subsiste  entre  les 
deux  propositions,  et  juge  nécessaire  une  explication  nouvelle. 


7 .  Nus  qui  tanz  jors  avon  jeu 
En  pecchié  e  vilainement, 
E  veom  bien  apertement, 

Que  le  pié  de  nostre  arbre  faut, 
Ne  gardon  l'ore  qu'il  s'en  aut 
En  la  fosse,  sor  le  dragon  ! 

(G.  Le  Clerc,  Les  Treis  Mo^,  v.  385-91,  dans  Zeitschrift  Jiir  romanische  Philo- 
logie, III,  229). 

8.  Berte  ans  gratis  pies,  v.  773  (voy.  plus  haut). 

9.  Je  sui  Ogiers,  par  Dieu  de  majesté, 
Dont  Charles  doit  faire  sa  volenté, 
Qui  pour  mon  père  m'a  si  cuilli  en  hé 
Que  ne  gart  l'eure  que  il  m'ait  encroé. 

(Enfances Ogier,  éd.  Scheler.  v.  iijôss.) 

1.  Enfances  Ogier,  note  au  v.  1158. 

2.  Schultz-Gora,  Zwei  altfraniœsiscbe  Dichtungen,  if<=  éd.,  p.  154  (note  au 
V.  286  du  Chevalier  au  barisel)  ;  Bartsch-Wiese,  Chrestomathie,  ne  éd..  Glos- 
saire, à  garder. 


NE  GARDER  L'EURE  589 

Il  présente  la  sienne  sous  forme  d'exemple  :  «  Nous  partons, 
dit-il,  du  sens  de  veiller,  surveiller,  faire  attention  à  quelque 
chose.  Mais  celui  qui  surveille  une  chose  en  assume  la  respon- 
sabilité :  si  un  geôlier  dit  d'un  de  ses  prisonniers  :  Je  ne  gart 
l'eure  quil  s'enfuie,  on  n'aura  aucune  hésitation  à  traduire  cette 
façon  de  parler  par  : 

a)  Je  ne  surveille  pas  l'heure  où  il  pourrait  s'enfuir; 

h)  Je  n'assume  aucune  responsabilité  au  sujet  du  moment  où 
il  pourrait  s'enfuir,  c'est-à-dire  son  évasion  peut  se  produire  à 
tout  instant.  » 

C'est  un  joli  tour  de  passe-passe  et  rien  de  plus  :  cette  expli- 
cation en  effet  ne  vaut  que  pour  le  cas,  infiniment  rare,  où  la 
personne  qui  parle  aurait  les  moyens  d'empêcher  l'événement 
dont  il  s'agit.  Je  crois  donc  pouvoir  répéter  les  paroles  de 
M.  Bischofî  lui-même,  que  l'origine  de  la  locution,  après  la  ten- 
tative de  Perle,  et  après  la  sienne  propre,  «  n'est  pas  encore 
suffisamment  élucidée  »  '.  Je  vais  m'y  essayer  à  mon  tour  en 
classant  les  sens  dans  l'ordre  qui  me  paraît  logique. 

A.  Si  l'on  rassemble  les  plus  anciens  exemples  de  cette  locu- 
tion on  verra  qu'il  s'}  agit  toujours  d'un  danger  imminent  et 
contre  lequel  nous  ne  pouvons  rien  :  c'est,  dans  les  trois 
exemples  que  j'ai  cités,  la  terre  qui  menace  de  s'entr'ouvrir,  les 
bêtes  féroces  qui  vont  surgir  d'un  fourré  ;  c'est,  ailleurs,  l'attaque 
soudaine  du  démon  (note  2,  n°  5)  ;  c'est  la  chute  dans  le 
gouffre  infernal  de  l'arbre  symbolique  où  s'abrite  l'homme,  arbre 
autour  duquel  rôde  une  bête  féroce  et  dont  les  racines  sont  cons- 
tamment rongées  par  deux  autres  animaux  (n°  7).  Il  est  tout 
naturel,  quand  on  est  menacé  d'un  péril  de  ce  genre,  de  se  bou- 


I.  Elle  ne  me  paraît  pas  l'avoir  été  non  plus  par  M.  Walberg,  qui  se 
borne  à  écrire  (p.  3)  :  «  Comme  il  ressort  de  l'éiymologie  de  garder,  cette 
locution  veut  dire  d'abord  «  ne  pas  faire  attention,  ou  ne  pas  se  soucier  du 
moment  où  tel  événement  se  produira  »,  d'où  «  s'attendre  à  ce  qu'il  se  pro- 
duise d'un  moment  à  l'autre,  prévoir  qu'il  se  produira  sous  peu  ».  Il  semble 
admettre  comme  tout  naturel  le  passage  du  premier  sens  au  second  ;  or  c'est 
là  précisément  que  gît  la  difficulté  ;  il  y  a  entre  les  deux  sens  une  véritable 
contradiction  :  si  l'on  prévoit  qu'un  événement  «  se  produira  sous  peu  », 
c'est  une  raison  pour  s'en  soucier,  surtout  si  l'événement  dont  il  s'agit  (et 
c'est  ce  qui  a  lieu  dans  les  plus  anciens  exemples)  est  un  événement  fâcheux. 


590 


MELANGES 


cher  les  yeux,  comme  on  se  bouche  les  oreilles  quand  on  prévoit 
une  formidable  explosion,  de  se  refuser  à  considérer  en  face  le 
moment  oîi  il  nous  atteindra.  Je  ne  gart  Feure  est  donc  syno- 
nyme de  «  je  ne  veux  pas  regarder  ce  moment,  parce  que  je 
n'en  ai  pas  le  courage  ».  Cette  svnonvmie  s'explique  par  une 
ellipse  toute  naturelle'. 

B.  Puis,  le  sentiment  de  cette  ellipse  s'obscurcissant,  la  locu- 
tion vient  à  être  employée  en  parlant  d'un  danger  quelconque, 
qui  n'a  plus  rien  de  fatal,  dont  nos  efforts  peuvent,  le  cas 
échéant,  nous  garantir.  Énide  voulant  avertir  son  mari  qu'il  est 
guetté  par  cinq  ennemis,  lui  dit  : 

Arrière  sont  remés  li  quatre, 
Et  li  cinquismes  a  vos  muet 
Tant  con  chevaus  porter  le  puet  ; 
Je  ne  gart  l'ore  qu'il  vos  fiere. 

{Erec,éd.  Foerster,  v.  2990-3.) 

Dans  le  Chevalier  au  barisel,  le  saint  ermite  redoute  la  colère 
du  chevalier  pervers,  qu'il  veut  confesser  malgré  lui,  et  à 
laquelle  il  pourrait  aisément  se  dérober   en  renonçant  à  son 

projet  : 

ot  paor  moût  fiere  : 

Ne  garde  l'eure  cil  le  fiere. 
(Schultz-Gora,  Zivei  altfi-aniôsische  Dichtungen,  ire  éd.,  p.  90,  v.  285-6.) 


I.  Cette  explication  a  déjà  été  proposée,  dès  1889,  par  M.  R.  Aust,  mais 
sous  une  forme  si  concise  et  si  enveloppée  que  G.  Paris  ÇRoiiiania,  XIX, 
157)  n'a  pas  cru  devoir  la  prendre  au  sérieux  :  «  Die  altfr.  Redensart  ne 
garder  Feiire,  écrit  M.  Aust,  heisst  «  zur  Stunde  nicht  ansehen  (aus  Furcht  et- 
was  schreckliches  zu  erblicken)  und  kam  so  zu  der  Bedeutung  ffircbtcn  » 
{Beitrœge  :^ur  fran:![œsischen  Laut-  und  Formenlehre,  etc.,  diss.  de  Breslau,  s.  d., 
in-80  ;  Thesen,  p.  42).  —  C'est  dans  cette  catégorie  qu'il  faut  ranger  les 
exemples  d'Oif/f /■  (note  2,  n"  9)  et  du  Roman  d'Alexandre  (Michelant,  58,  22, 
dans  Walberg,  p.  12),  Ogier  et  les  messagers,  sa  question  ne  pouvant  se 
soustraire  au  supplice,  —  de  même  que  celui  de  Rutebeuf  (note  2,  no  5), 
du  Coronement  Looïs  (^ibid.,  n"  3)  et  les  nombreux  passages  où  nous  sommes 
avertis  que  l'homme  est  à  tout  instant  menacé  de  la  mort,  malheur  irrépa- 
rable s'il  ue  s'est  pas  converti  auparavant  :  Thibaut  de  Marly  (inédit)  ;  Gui- 
chart  de  Beaulieu,  v.  515-7  ;  Marques  de  Rome,  p.  13;  Guillaume  Alexis,  I, 
p.  45  (dans  Walberg,  p.  6  et  11);  de  même  encore  au  xv<:  siècle,  dans  un 
proverbe  recueilli  par  Jean  Miélot  :  «  La  mort  vient,  que  ou  ne  garde  l'eure  » 
(dans  Zeitschrift  fur  jran;^.  Spracheund  LU.,  1902,  p.  195,  n"  177). 


NE  GARDER  L'EURE  59 1 

Dans  Garin  le  Lorrain,  le  roi  de  France,  considérant  avec 
terreur  les  grandes  forces  rassemblées  par  son  ennemi,  s'écrie  : 

Sainte  Marie,  u  a  il  tant  gent  pris? 
Je  ne  gart  l'ore  que  je  perde  Paris. 
(Bartscli-Wiese,  Chrcstouiathic,  ne  éd.,  XVII,  3-4.) 

Il  est  évident  que  lui  aussi  pourrait  se  mettre  à  l'abri  du 
danger  en  renonçant  à  une  lutte  inégale  '. 

C.  Enfin  la  locution,  arrivée  au  dernier  terme  de  son  évolu- 
tion, s'emploie  en  parlant  d'un  événement  quelconque,  soit 
indifférent,  soit  même  heureux;  et,  dans  ce  dernier  cas,  nous 
aboutissons,  —  la  sémantique  a  de  ces  bizarreries  —  à  un  sens 
diamétralement  opposé  au  primitif. 

Je  ne  gart  Teure  que  ci  viegne, 
Mi  sires, 

dit,  dans  le  Tournoiement  Antéchrist  (éd.  Wimmer,  v.  64),  le 
«sénéchal  »  d'Antéchrist  attendant  la  venue  imminente  de  son 
maître,  qu'il  ne  redoute  aucunement.  Dans  les  Chansons  et  Dits 
artésiens,  un  ivrogne  zigzaguant  le  long  des  rues,  trop  étroites 
pour  lui, 

Ne  warde  l'eure  qu'il  kiet  outre-. 

Dans  le  Miracle  de  saint  Jean  Chrysostome,  la  fille  du  roi,  qui 
s'est  fait  engrosser  par  le  futur  saint,  annonce  cette  nouvelle  à 
sa  mère  avec  une  parfaite  indifférence  : 

Mère,  le  celer  n'y  est  preu  : 
Je  ne  gar  l'eure  que  gésir 
Doie  d'enfant. 

(Éd.  Paris  et  Robert,  I,  272,  v.  529  ss.) 

Le  15  janvier  15 16,  Louise  de  Savoie,  annonçant  à  M.  de  la 
Fayette  la  prochaine  arrivée  (indifférente  pour  elle)  de  Fran- 
çois I"  en  Provence,  écrit  :  «  Au  surplus,  je  ne  gar  l'eure  que 
le  roi  n'arrive  ' . ..  » 


1.  A  classer  ici  les  passages  de  Troie,  v.  20654,  de  Robert  le  Diable,  p.  24, 
du  Ménestrel  de  Reine,  §  382  (Walberg,  p.  8,  9,  10). 

2.  Éd.  Jeanroy  et  Guy,  V,  46. 

3.  Annales  du  Midi,   XVI,  40.  Les  dépouillements  de  M.  Walberg  (p.  4, 


592  MELANGES 

Voici  au  moins  un  exemple  où  il  s'agit  d'un  événement 
heureux  et  impatiemment  attendu  : 

Pathelin,  dans  la  farce  du  même  nom,  persuadé  que  le  dra- 
pier donnera  dans  le  panneau  et  viendra  «  manger  de  l'oie  », 
affirme  avec  satisfaction  : 

Il  viendra,  nous  ne  gardons  l'eure. 

(Éd.  Jacob,  p.  49-) 

Il  faut  avouer  que  ces  emplois  contradictoires  n'étaient  pas 
favorables  à  la  clarté;  aussi  le  dernier  est-il  fort  rare  :  la  langue 
dans  ce  cas  recourt  à  un  synonyme  de  garder,  ou,  plus  souvent 
encore,  à  une  périphrase  :  on  dit  ne  veoir  l'eure,  ou  plus  ordinai- 
rement îie  ciiidier  veoir  l'eure. 

Je  n'ai  recueilli  de  la  première  locution  qu'un  exemple  :  un 
chevalier  à  qui  Perceval  a  rendu  un  grand  service  se  désole  de 
ne  pouvoir  lui  témoigner  sa  reconnaissance  : 

Autre  chose  ne  me  dehaite 
Que  ce  que  ja  ne  voie  l'eure 
Que  tant  de  vous  soie  al  deseure 
C'un  poi  vos  face,  se  bien  non, 
De  service  por  guerredon. 

{Perceval,  V.  33340  ss.) 

Quant  à  l'autre  locution,  plus  claire  encore,  elle  se  trouve  à 
foison  ;  je  n'en  ciierai  que  deux  exemples,  me    bornant  à  en 


7  et 9)  permettent  d'enrichir  ce  compartiment  de  plusieurs  exemples  :  Atibeii 
le  Bours;oinor,  28,  3-7  (il  importe  peu  aux  soudoyers  français  d'être  «  mellés  » 
ou  non  avec  les  Flamands);  Rutebeuf,  Du  Pharisien,  17;  Mousket,  26249  ss. 
—  La  série  proposée  par  M.  Walberg  est  la  suivante:  A,  s'attendre  à  ce  qu'un 
événement  arrive  d'un  moment  à  l'autre  ;  B,  désirer  ardemment  qu'il  arrive  ; 
C,  être  surpris  par  un  événement  inopiné.  Le  passage  de  ^  à  5  est  admissible, 
s'il  s'agit  d'un  événement  heureux,  mais  celui  de  5  à  C  ne  s'explique  nulle- 
ment, et  M.  "Walberg  le  laisse  en  effet  sans  explication.  Au  surplus,  dans  les 
passages  qu'il  allègue  (Escoufle,  7670;  Blancandin,  4908),  l'idée  de  surprise 
est  tout  à  fait  secondaire  :  l'auteur  insiste  uniquement  sur  l'imminence  de 
l'événement  ;  la  locution,  dans  ces  deux  passages  (où  le  verbe  est  au  futur) 
pourrait  être  remplacée  par  :  «  il  ne  tardera  guère  »  ;  et  nous  voyons  en 
effet  que  dans  un  curieux  passage  du  Ménestrel  de  Reims  (§  427),  certains 
manuscrits,  au  lieu  de  ne  garda  on  Veiire  lisent  ne  tarda  (ou  ne  deuioura  gaires 
(Walberg,  p.  11,  n.  i). 


NE  GARDER  L'EURE  593 

indiquer  en  note  quelques  autres  '.  Renart  qui  vient  de  courir 
un  grand  danger,  rentre  à  Maupertuis  : 

Si  feme  trove  asovinee 
Qui  atenjoit  sa  destinée  : 
Molt  li  pesoit  de  la  denioure, 
Que  ja  ne  cuidoit  veoir  Toure. 

{Renard,  éd.  Martin,  I^,  v.  2991  ss.) 

Un  vilain,  à  qui  Renart  a  promis  la  peau  de  l'ours,  à  condi- 
tion qu'il  se  charge  de  l'abattre  : 

Une  trencant  coingnie  a  prise, 
Qu'il  mist  sos  sa  cape  a  celé  ; 
Un  garçonet  a  apelé. 
Avis  li  est  que  trop  demore  : 
Il  ne  cuide  ja  veoir  l'ore 
Qu'il  ait  a  son  trencant  cote! 
A  Brun  l'ors  reversé  la  pel. 

illid.,  IX,  746  ss.) 

Il  semble  que  les  autres  langues  romanes  aient  complètt^ment 
ignoré  la  locution  ne  garder  leiire  :  le  provençal  seul  en  pré- 
sente un  exemple,  au  reste  tardif  (xV  siècle),  et  probablement 
emprunté  au  français  ^  Ne  voir  hure  au  contraire,  y  a  eu,  au 
sens  indiqué  plus  haut,  une  vie  assez  intense.  iVl.  Guesnon  me 
signale  qu'elle  est  encore  vivante  en  Normandie,  avec  ladjonc- 
tion  de  l'adjectif  beau  :  «  Il  ne  voyait  pas  la  belle  heure  de  s'en 
aller  »,  pir  CKemple  '.  Ebe  l'est  aussi,  sans  cette  adji)nction, 
dans  maints  dialectes  du  midi  de  la  France,  où  il  est  singulier 
que  Mistral  ne  l'ait  pas  relevée.  No  ver  la  hora  est  enregistré 
par  la  plupart  des  dictionnaires  espagnols,  non  veder  lora  par  la 
Crusca,    Tommaseo-Bellini    et  d'autres  lexicographes  ^.    Non 

1.  Erec,  5314  ;  Charrette,  6934  (leçon  de  CP,  aux  variantes),  Perceval, 
42564.  M.  Walberg  (p.  i4)en  cite  jusqu'à  six  exemples,  tous  du  xin*  siècle. 

2.  Voy.  Levy,  Suppl.  IVoert.,  kora,  n°  11. 

3.  M.   Walberg  (p.  13)  signale  en  rhéto-roman  «on  t-fl/r /';;ra. 

4.  Mauuzzi  ne  cite  qu'un  seul  exemple  (du  P.  Segneri)  ;  M.  Walberg 
(p.  1 3)  en  cite  un  de  Giacosa.  J'en  ai  relevé  deux  autres,  l'un  dans  Gozzi  (Osser- 
vatore,  éd.  Sonzogno,  I,  37),  l'autre  dans  Manzoni  {Proinessi  Sposi,  ch.  xiv  ; 
éd.  Petrocchi,  p.  332). 

Romania,  XLIV.  38 


\ 


594  MELANGES 

veder  fora  est  victorieusement  concurrencé,  au  midi  de  la 
péninsule,  par  non  saper  l'ora.  C'est  cette  forme  que  Boccace, 
en  dépit  de  ses  origines  toscanes,  a  emploN'ée  dans  un  passage 
qui  depuis  longtemps  n'est  plus  compris  de  ses  traducteurs 
français,  comme  je  l'ai  récemment  montré  ailleurs  '. 

A.  Jeanroy. 


I.  Di'CJineron,  X,  7,  dans  la  ballalci  attribuée  à  Mico  da  Sii-na,  au  v.  10. 
Voy.  le  texte  de  cet.e  pièce  ét..bli  sur  plusieurs  manuscrits  dans  Carducci, 
Cantilene  e  Ballate,  p.  16.  La  note  à  laquelle  je  renvoie  ici  a  paru  dans  le 
Bulletin  italien,  XV  (191 5),  p.  109. 

NOTE   ADDITIONNELLE 

Je  dois  à  l'obligeante  érudition  de  MM.  Guesnon  et  Lângfors  l'indication 
de  quelques  exemples  nouveaux  de  ne  garder  Feiire,  non  relevés  par 
M.  Walberg.  Je  me  borne  à  renvoyer  à  ceux  qui  sont  déjà  publiés  et  cite 
in-extenso  les  autres,  en  rcpartissant  chacun  d'eux  dans  les  catégories  indi- 
quées plus  haut. 

1.  Chevalerie  Ogier,  éd.  Barrois,  v.  8695  (E). 

2.  GuillauDie  au  Faucon,  v.  430  (Méon,  Fabliaux,  IV,  420)  (C). 

3.  Des  deux  changeurs,  v.  154  (ibid.,  III,  259)  (C). 

4.  Perceforest,  dans  Bartsch-Wiese,  Chrestom.,  98,  30  (C)  ; 

5 .  Et  avons  règle  gênerai 

Que  plus  sommes  enclin  a  mal 

Que  a  bien  faire  nous  ne  sommes. 

Pire  que  dyable  sont  faus  hommes  : 

Mes  ce  croire  famé  ne  vient 

Dusqu'a  tant  que  ventre  H  dieut, 

Et  puis  si  fait  la  chantepleure, 

Quar  d'enfanter  ne  garde  l'eure. 

(B.  N.  12483,  fol.  182  b;  compilation  pieuse  écrite  vers 
1330-40  par  un  frère  prêcheur,  originaire  du  Sois- 
sonnais  ;  voy.  Notices  et  Extraits  des  manuscrits, 
XXXIX,  2e  partie,  p.  507.) 

6.  ....Lasse,  trop  demeure, 

Je  ne  warderay  hui  mais  Teure 
Que  du  moustier  viegne  me  mère  ; 
Si  me  doubt  que  je  ne[l]  compère 
S'el  ne  me  trou  voit  en  maison. 

(Pamphile  et  Galalée,  éd.  Morawski,  sous  presse,  v.  821 
ss.)  B;  Galatéc  craint  d'être  surprise  avec  Pamphile.) 


VERSIONE    DEL   ROMA^  DE  TROIE  595 

7 .  Terch  tes  ieus,  esgart  celle  sote, 

L'eure  ne  gart  que  ne  ratrote 
Houde  et  die  que  fait  aron 
Tant  que  je  soie  ten  baron. 
(Ibid.,  V.   2320  ss.)  (C;   Pamphile  souhaite    le  prompt 
retour  de  Dame  Houde,  la  vieille  complaisante.) 

UN   NUOVO  FRAMMENTO    DELL  A    VERSIONE    PERDU  TA 
DEL  ROMAN  DE  TROIE  DI  BENOIT  DE  SAINTE-MORE 

Or  sono  alcuni  anni,  ebbi  la  ventura  di  trovare  e  identificare, 
frai  resti  di  vecchie  coperture  custodite  nelR.  Archivio  estense 
di  Stato  in  Modena,  un  frammento  di  una  versione  del  Roman 
de  Troie,  che  pubblicai  e  illustrai  nella  Roiiiania,  XXXIX 
(1910),  pp.  570-579.  Insistenti  e  accurate  ricerche  mi  per- 
mettono  oggi  di  far  conoscere  un  altro  frammento  délia  stessa 
versione  conservato  in  due  nuove  carte  del  manoscritto  mede- 
simo,  il  cui  primo  lacerto  mi  aveva  reso  lecito  di  confermare 
di  una  prova  sicura  la  congetturata  esistenza  in  Italia  nel  sec. 
XIV  di  un  «  Romanzo  di  Troia  »  fedelmente  ricalcato  suU'  ori- 
ginale francese. 

Il  caso  ha  voluto  che  le  due  nuove  carte  da  me  rinvenute  si 
seguissero  immediatamente  nel  manoscritto,  sicchè  abbiamo 
ora  un  passo  omogeneoe  ampio  délia  versione,  il  quale  ci  darà 
modo  di  controllare  e  modificare,  ove  occorra,  le  conclusioni  a 
cui  eravamo  stati  condotti  nel  nostro  primo  articolo'.  Mentre 
il  frammento  già  pubblicato  corrisponde  ai  vv.  8427-8508  dell' 
ediz.  Constans  del  Roman  (II,  1906),  questo  seconde  abbraccia 
i  vv.  6894-7106,  di  cui  offre  una  versione  quasi  letterale^  con 

1.  RimaaJiamo  ad  csso  anche  per  le  indicazioni  bibliografiche  sul  sog- 
getto.  Aggiungiamo  che  suU'  influsso  esercitato  dal  Roman  di  Benoît  è  da 
consultarsi  anche  G.  Rossi,  Varietà  letterarie,  Bologna,s.d.  [ma  1912],  p.  54. 

2.  Ecco  un  esempio  : 

(/?owa«,  vv.  6901-6)  (Versione,  vv.  8-13) 

Dont  en  l'ost  fu  grant  reparlance  Donde    enloste  nefo  grande  parlanza 

E  dont  Greu  orent  grant  dotance  :  Questo  fe  agi  grezi  molto  gram  dubi- 
Mout  i  orent  pesme  enemi,  [tanza 

Tant  dementres  come  il  vesqui  :  Molto  ne  aueno  pesimo  enimicho 

Mais  ne  durra  pas  longement,  E  démente  che  elo  fo  uiuo 

Assez  orreiz  avant  cornent.  Ma  miga  longa  mente  no  duro 

Asai  audirite  anamzo  como. 


59^  MÉLANGES 

questo  perô  di  particolare  :  che  ivv.  7013-7064  non  compaiono 
tradotti,  sia  perché  non  esistessero  nel  manoscritto  francese 
usato  dal  traduttore  italiano,  sia  perché  il  nostro  traduttore  li 
abbia  giudicati  inutiH,  sia  infine  perche  un  amanuense  délia 
versione  li  abbia,  sbadatamente  o  no,  saltati  '. 

Riproduco  ora  il  nuovo  frammento  diploniaticamente,  come 
ho  fatto  per  il  primo,  e  noto  che  siamo  a  quel  punto  del 
romanzo  in  cui  é  questione  délia  rassegna  degli  alleati  di 
Priamo.  Il  «  Cantare  di  Achille  »  dice  a  questo  punto  (ms. 
Càmpori  O.J,  44,  c.  22'')  : 

De  regno  d'Asia  alli  Troiani 

Vi  venne  Epistropo  un  Re  vechissimo 

Coii  tucte  secte  l'arti  liberali 

Seppe  et  fune  mastro  soctilissimo 

Il  nostro  frammento,  invece,  rispecchia  senz'  altro  il  testo 
francese  : 

Ar]     Chie  uerso  tera  de  femenia 

Que  le  chare  prezioxe  ge  sono 

Que  lomo  porta  per  tuto  lomondo 

Vene  Piscoplo  uno  Re  uechiarde 
5     Chi  fo  molto  sauio  dcle  .vij.  arte 

Moite  merauie  sauea  fare 

Qyesto  amena  uno  sagitare 

Donde  enloste  nefo  grande  pnrlanza 

Questo  fe  agi  grezi  molto  gram  dubitanza 
10     Molto  ne  aueuo  pesimo  enimicho 

E  démente  che  elo  fo  uiuo 

Ma  miga  longa  mente  no  duro 

Asai  audirite  anamzo  como 

Tuti  quili  che  eo  sio  nomato 
15     Veneno  a  Troia  la  citate 

De  dentro  si  niixino  li  migore 

Per  loldo  per  prexio  per  honore 

Et  alquanti  per  signorazo 

Eli  autri  per  parentado 
20    Dache  deo  uose  lomo  formare 

No  audi  omqua  nesuno  honio  contare 


I.  Anche  non  compaiono  tradotti  i  vv.  7001-2  e  7073-4. 


VERSIONE    DEL   ROMAN  DE    TROIE  597 

Que  de  si  fata  chaualaria 

Fose  nesuna  Cita  fornia 

Cento  e  tri  fono  numerati 
25     Quilj  che  eo  ue  o  nomati 

Donde  lo  plu  pouro  era  comte  e  duxe 

De  mille  clîaualerj  ede  plue 

De  tuti  quilj  che  a  Troia  ueneno 

No  chi  contra  grezi  la  teneno 
30     Fo  Hector  signore  aso  plazere 

A  luy  quilj  coueniano  obedire 

De  tuti  loro  aue  la  signoria 

La  posamza  ela  balia 

Paris  so  fratelo  Troilo 
35     E  so  compagno  deyfebo 

Athenore  e  Polidamas 

E  enseme  duca  Eneas 

Çaschuno  de  quisti  talezente  auea 

Donde  zaschuno  guarda  si  prendea 
A\]  40     Çaschuno  auea  ensoa  bailia 

De  quilj  defora  gram  partia 

Si  era  fato  e  deuixato 

Cusie  laueano  ordinato 

Que  za  chaualero  nose  mouese 
45     Se  soi  prinzipi  no  comandase 

Za  fora  dale  mura  nesuno  no  esiseno 

Fina  alora  che  ige  uoleseno 

Bene  quilj  couiniano  auere  ordinato 

Che  orgoio  aueano  duro  efero 
50     Tropo  forte  mente  se  continia 

Quilj  ad  alchuno  no  se  ténia 

Cusie  feno  quilj  retrare 

Que  onqua  mego  no  poseno  fare 

De  taie  aueano  speranza 
55     Paura  no  tema  no  dubitanza 

Che  le  mure  foseno  asaltato 

Pperzo  no  fo  miga  stabilito 

Quale  desfensi(  n  lo  re  aura 

No  enquale  se  dcfendera 
60     No  ne  aueno  miga  gram  besogno 

Tuti  zorni  ne  erano  alquanto  lomgo. 

I  grezi  cusie  como  nuy  lezom 

Erano  anchora  a  Tnencdom 


L' 


598  MÉLANGES 

Ananzo  fo  Polamidexe  uenuto 

65     Que  nesuno  fose  deli  partito 
Trenta  naue  amena  caregate 
De  chaualerj  ede  maxenate 
Entuto  loste  si  como  eo  crezo 
Non  era  miga  trj  migore  de  elcf 

70     Plu  sauio  no  plu  enzignoxo 
Plu  ardito  no  plu  coraioxo 
Blaxemato  era  perque  no  era  uenuto 
Ma  elo  sene  bene  defenduto 
Dise  che  elo  auea  grande  niale  abuto 

75     Onde  elo  ne  lomgamente  zazuto 
No  pose  ad  Athene  andare 
Me  sitosto  como  elo  apusuto  uenire 
Cusie  teste  uene  aso  podere 

Rf]     No  gène  deno  maie  merito  sauere 

80     Molto  ano  granide  zoia  emolto  liplaque 
Quando  guarito  fo  euenire  pose 
Tuti  fono  alegri  de  soa  uenuta 
Grato  merze  li  ano  renduta 
Dichono  che  sia  delo  comsiero 

8)     E  plu  auto  de  tuti  li  migore. 
say  aueano  enzignato 
Per  moite  fiate  e  perchazato 
De  andare  denamze  a  Troia  asaltare 
Onqua  erdine  no  modo  de  andare 

90     No  pono  auere  abuto 
Molto  temeno  la  uenuta 
Ma  no  pono  schiuare 
Que  enle  naue  coueneno  entrare 
Per  la  cita  plu  aprosimare 

95     Questo  aloro  no  era  miga  lezere 
Quelo  porto  nola  cita  prendere 
Sopra  quilj  che  la  uoleano  defendere 
De  esire  de  naue  era  ladubitanza 
Molto  dubitauano  mcschlanza 

100     Longe  tenpo  ne  aueano  dubita 
E  molti  consie  prexe  e  dona 
Uno  zorno  libaroni  asunono 
Per  questo  afare  ili  parlono 
No  peso  tuto  dire  eretrare 
105     Que  zaschuno  aue  aparlare 
Ma  zo  que  dise  polamidexe 
Porite  audire  quie  apreso. 


A 


VERSIONE  DEL  ROMAS'  DE  TROIE  599 


S' 


1  ignore  dise  lo  gramde  dexenore 
Posemo  auere  enquisti  zorne 

1 10     Bene  auite  zo  uezo  uno  pensero 
Chequie  site  aparechlato 
Anchora  non  auite  Troia  u[ed]uto' 
No  la  zente  dedentro  conusu[to]  » 
Che  contra  nuy  la  defenderano 

1 1  )     Tanto  como  ili  onqua  plu  porano 
Bare  e  roste  e  fose 
Pono  auere  posa  fato  asae 

B^']     Li  castegi  ano  ele  naue  drizate 
Forniti  delamze  ede  spate 

120     Onqua  zente  nose  adoba 
Nosibene  nose  aparechia 
Dele  naue  ano  fato  lo  stabilimento 
Equili  coredi  equelo  partimento 
Prouizuto  ano  et  ordenato 

125     E  stabilito  edeuixato 

Ala  fronte  de  namzo  ne  meteno  sento 
Quele  uelle  drizate  denanzo 
Ede  pâlie  aueano  penone 
Moite  ensegne  ano  drizate 

1 50     Che  alo  uento  fono  despigate 

Quele  corne  de  naue  ano  bene  fornite 
De  dardi  enpenati  ede  schude  bene  forte 
De  zenochialj  de  schenere  de  spate 
E  de  uixere  tute  azarate 

135     E  chi  sifata  oura  auese  guardato 
Amerauia  liseraue  resumiato 
Apreso  sej  C°.  ne  uano  dreto 
,  Leuele  drizate  ananizo 

Lora  nauigono  le  grande  conpagne 

140     Onde  tante  aueano  maze  et  ensegne 
No  parea  delo  mare  tanto  no  quanto 
Grande  .xv.  lige  ano  tenuto 
Verso  la  Cita  uano  tuto  drito 
Le  uele  leuate  en  alto 

145     Si  trouono  cheloro  guardauano  loporto 
Za  no  aurano  si  grande  forza 


1.  A  questo  punto  lacarta  è  guasta. 

2.  Vedasi  la  nota  précédente. 


600  MÉLANGES 

Quilj  delà  Cita  notale  podere 

Ananzo  que  uegna  doman  sira 

Ensera  .M<:.  ariuate 
1 50     Me  molto  seraue  ananzo  comparate 

Chi  7.0  rechonta  le  tride 

Da  che  lo  mondo  fo  establido 

No  fo  prexo  porto  a  taie  mcschiero 

Lo  zorno  ge  p^rde  molti  lo  chauo 
1 5  5     Quando  quilj  de  Troia  li  uideno 

Comunamente  contra  loro  esino. 

Questa  traduzione,  che  risponde  verso  per  verso  ail'  origi- 
nale, è  —  corne  i^ià  si  disse  a  proposito  del  primo  frammento 
—  una  ben  misera  cosa.  Vi  sono  fraintendimenti  che  paiono 
risalire  ail'  autore  e  non  già  a  un  copista.  Si  resta  già  alquanto 
dubitosi  dinanzi  a  un  chieres  espèces  (6895)  reso  da  un  incom- 
prensibile  chare  pre:{ioxe  (v.  2)  e  la  maraviglia  cresce  quando  si 
vede  corrispondere  (v.  iio)  alla  locuzione  un  an  passé  h  ver- 
sione  «  uno  pensero  »,  quando  si  vede  (v.  61)  il  verso  To^ 
jor:(  en  fu  ro:(  anqiies  loin^  interpretaro  senza  nessun  discerni- 
mento  e  un  emperiaus  tradotto  per  «  penone  »  (v.  128).  Altre 
traduzioni  singolari  si  hanno  ai  vv.  36  {diica)  e  83  {grato).  In 
questi  casi  non  sarebbe  sempre  impossibile  pensare,  senza  fare 
violenza  alla  ragione,  a  guasti  del  testo  originale  nel  manoscritto 
utilizzato  dal  traduttore  ',  ne  sarebbe  del  tutto  improbabile 
altresi  che  taluni  errori  e  abbagli  fossero  dovuti  a  uno  o  più 
copisti  délia  versione.  Ma  altri  sbagli  vi  sono  che  ci  richiamano 
air  auto  e  del  nostro  misero  documente  pervenutoci  frammen- 
tario.  Cosi,  un  nieschief  reso  da  un  curioso  meschiero  153  e  un 
Escri:^,  che  è  dato  da  tutti  i  manoscritti  di  Benoît  e  che  è 
richieso  dal  senso  logico  del  passo,  tradotto  non  meno  curiosa- 
mente  e  stortamente  per  le  cride  151.  Ond'  io  suppongo  che 
gran  parte  degli  errori,  malgrado  la  loro  grossolanità,  siano 
stati  commessi  addirittura  dall'  anonimo  traduttore,  le  cui 
conoscenze  in  flitto  di  francese  dovettero  essere  assai  limitate  e 


I.  Con  questo  nis.  non  si    puô  identiticare  nessuno  di    quelli  pervenuti 
fino  a  uoi.  Tuttavia  si  puô  dire  che  questo  codice  perduto,  a    giudicare  alla 
versione,  aveva  tratti  suoi  proprî,  pur  potenJosi    classificare  nella  2»  sezione 
délia  I»  fami^lia  del  Constans. 


VERSIONF.    DEL    ROMAX   DE    TROIE  ^ol 

il  cui  gusto  per  la  forma  e  per  lo  stile  fu  certamente  ancor  più 
limitato.  Un  meschaance  o  mescheance,  dzto  da  tutti  i  manoscritti 
francesi,  è  stato  tradotto  con  nieschlania  (v.  99).  Ora,  dovremo 
noi  ammettere  nel  modello  francese  una  voce  mesclance,  che 
contrasterebbe  colla  tradizione  manoscritta  ?  Tutto  è  possibile 
quaggiù,  ma  confesso  che  —  dato  il  carattere  degli  abbagli,  i 
quali  talora  si  risolvono  in  cattive  interpretazioni  e  talora  pro- 
vengono  o  possono  provenire  da  infelici  letture  (penso,  ad  es., 
che  al  V.  128  il  modello  avesse  êperians  e  che  il  traduttore  abbia 
letto  epenons)  e  data  la  fisonomia  complessiva  délia  versione,  — 
confesso  che. più  mi  appaga  un'  altra  opinione  :  che,  cioè, 
anche  meschlan^a  altro  non  sia  che  un  fraintendimento  del  tra- 
duttore. 

Commentando  il  primo  frammento,  supposi  che  la  versione 
non  fosse  opéra  individuale  di  un  autore,  ma  ci  rappresentasse 
un  anello  di  una  non  lunga  catena  di  testi  perduti  franco-ita- 
liani  fattisi  a  poco  a  poco  italiani,  cioè  veneti,  poichè  veneta, 
come  ho  dimostrato  altrove  (i^ow^M/rt  cit.,  p.  577)  è,  in  fondo, 
la  Hngua  dei  nostri  laceri^  Oggi,  dopo  il  rinvenimento  del 
lungo  brano,  che  ha  costituito  l'oggetto  di  questelinee  e  che  ci 


I.  Non  vo'  fare  qui  una  disamina  niinuziosa  linguistica  del  nostro  testo, 
poichè  ritengo  sia  un  vano  esercizio  quelle  di  ripetere,  ogni  volta  che  si 
stampano  vecchi  testi,  osservazioni  fatte  per  altri  documenti.  Basta  mettere 
in  evidenza  ciô  che  è  proDriamente  caratteristico.  Al  veneto  ci  porta  sopra- 
tutto  il  fenomjno  di  -//'-  in  g  attraverso  a/  :  viigove  16,  69,  mcgo  $3. 
Notisi  in  ispecial  moJo  :  la  y  sing.  del  perf.  di  I  in  -à  66  ;  5»  plur.  dello 
stesso  perf.  in  -ono  139;  me  per  mai  (ma gis)  più  d'una  volt.i,  il  verbo 
aniiidie  102,  démente  k  dno  a  che,  mentre  che  »ii.  Sopratutto  notevole  il 
fréquente  «9  col  senso  di  ne,  p.  es.  29,  55,  71,  113.  Qualche  forma  di 
perf.  forte  (come  mixino  16)  è  intéressante,  ma  non  nuova  né  peculiare. 
Sarà  dovuta  a  dissimilazione  e  ad  infl.  deljl^iniz.  la  forma  Polamidexe  64, 
106;  rifletterà  una  figura  d'oltre  le  Alpi  un  comsiero  84;  dubita  100  ris- 
pecchia  il  franc,  doute,  come  dubitati-a  98  e  dubitavano  99  hanno  il  senso 
che  dubitare  assunse  in  Francia.  Di  meschief  (meschiero)  ho  già  discorso 
e  altri  tratti  linguistici  ho  messi  in  luce,  parlando  nella  Rom.  cit.  577  del 
primo  frammento.  Qui  mi  limito  a  richiamare  per  ultimo  l'attenzione  degli 
studiosi  suUa  i^  plur.  indic.  près.  le:;om  62  (Ascoli,  Airb.  glott..  I,  422). 
Tutto  sommato,  gli  occhl  si  volgono  insisientemente  verso  Padova. 


602 


MELANGES 


permette  raffronti  più  copiosi,  mi  ricredo,  e  accolgo  fiduciosa- 
mente  Topinione  in  cui  si  sono  incontrati  il  Constans  et  il 
Gorra  ',  a  proposito  de!  primo  frammento  da  me  pubblicato  : 
che  si  tratti  di  una  versione,  opéra  individuale,  de!  Roman  di 
Benoît,  versione  presso  clie  letterale  e  infelice  tinchè  si  vuole, 
ma  certamente  non  priva  di  interesse  per  gli  studiosi  degli 
antichi  contatti  letterarî  italo-francesi. 

Giulio  Bertoni. 


I.  Il  Constans  nella  introduzione  alla  sua  edizione  del  Roman  de  Troie  e  il 
Gorra  nel  Giorn.  slor.d.  Jett.  ihiL,  LXV,  94. 


COMPTES    RENDUS 


Giulio  Bertoni,  I  Trovatori  d'Italia  (Biografie,  testi,  traduzioni 
note).  Con  14  illustrazioni  e  2  tavole  fuori  testo.  Modena,  Orlandini, 
191 5  ;  608  p.,  gr.  in-8. 

Cet  imposant  volume,  qui  peut  être  dit,  sans  exagération,  la  contribution 
la  plus  importante  qu'on  ait  apportée,  depuis  Ravnouard  et  Diez,  à  la  con- 
naissance de  l'ancienne  poésie  en  langue  d'oc,  est  une  histoire  de  cette  poé- 
sie en  Italie.  Pour  cette  étude  à  peu  près  définitive,  où  l'auteur  prouve  une 
fois  de  plus  que  son  érudition  d'historien  égale  sa  compétence  de  philologue, 
M.  B.  a  pu  tirer  profit  des  résultats  obtenus  par  plusieurs  générations  de 
savants,  italiens,  français  et  autres  ;  il  y  a  notamment  utilisé  la  substance 
d'innombrables  articles  qu'il  publie  lui-même,  depuis  plusieurs  années,  dans 
diverses  revues  et  recueils  académiques.  La  première  partie  du  livre  se  divise 
en  quatre  chapitres.  Le  premier  donne  un  aperçu  général  du  milieu  de  petites 
cours  d'Italie  où  la  lyrique  provençale  a  été  particulièrement  cultivée.  Dans 
le  second  sont  réunies  des  notices  biographiques  —  quelques-unes  sont  forcé- 
ment bien  sommaires—  sur  vingt-sept  troubadours  italiens  (Manfred  Lancia, 
Peire  de  la  Cavarana,  Albert  Malaspina,  Lambertin  Buvalel,  Peire  de  la 
Mula,  Nicolet  de  Turin,  le  comte  de  Blandrate,  Alberic  de  Roman,  Obs  de 
Biguli,  Peire  Guilhem  de  Luserna,  Sordel,  Paves,  Girart  Cavalaz  ',  Thomas  II 
de  Savoie,  Perceval  Doria,  Lanfranc  Cigala,  Simon  Doria,  Luc  Grimant, 
Jacme  Grill,  Scot,  Bonifaci  Calvo,  Luquet  Gatelus,  Calega  Panzan,  Berto- 
lome  Zorzi,  Paul  Lanfranc  de  Pistoie,  Terramagnin  de  Pise,  Ferrarin  de 
Ferrare),  dont  quatre  (Obs  de  Biguli,  Thomas  de  Savoie,  Luc  Grimaut,  Ter- 
ramagnin) n'ont  rien  laissé  à  la  postérité.  Le  troisième  chapitre  est  une 
étude  sur  leur  talent  littéraire  et  leurs  moyens  d'expression,  et  le  quatrième, 
illustré  de  nombreuses  reproductions,  est  consacré  aux  manuscrits  proven- 
çaux contenant  des  poésies  de  troubadours  italiens.  La  seconde  partie  est 
formée  du  texte  critique  de  70  compositions  dues  aux  vingt-trois  auteurs 
énumérés   ci-dessus,  et  d'un  appendice  contenant  six  poèmes,  soit  d'attribu- 


I.  Cette  notice  a  d'abord  paru  dans  la  Roiiiaiii'a,  XLIII,  5S7. 


é04  COMPTES    RENDUS 

tiou  douteuse,  soit  anonymes  mais  relatifs  à  l'histoire  d'Italie'.  Les  différents 
éléments  de  ce  beau  travail  seront  sans  doute  étudiés,  avec  toute  l'attention 
qu'ils  méritent,  par  des  critiques  compétents'.  Q.uclques-unes  des  notes  que 
l'on  va  lire  rectifient  de  menues  erreurs  matérielles,  d'autres  ont  pour  but  de 
contribuer  à  une  meilleure  intelligence  d'un  petit  nombre  de  passages  obscurs. 
Elles  ne  seront  peut-être  pas  inutiles  pour  la  nouvelle  édition  qui  paraîtra 
incessamment.  Nous  apprenons  en  effet  que,  malgré  les  circonstances 
aeiueiles,  peu  favorables  aux  occupations  paisibles,  la  première  édition  est  à 
peu  près  épuisée. 

P.  i8,  1.  2.  C'est  sans  doute  par  distraction  que  M.  B.  attribue  la  chanson 
de  Guilhem  de  Saint-Gregori,  Dre^  e  ra^os  (Grundr.,  233,  4)  à  Guilhem  de 
Saint-Leidier  (même  distraction  dans  Stndj  yo))iany.,\,  18,  n.  i;  mais  dans 
Rambertino  BuvaleUi,  p.  3,  note,  le  nom  de  l'auteur  est  correctement  indi- 
qué). —  P.  50.  Le  numéro  de  la  chanson  Dima,  a  vos  nie  conian  est  dans  le 
Grundriss  de  Bartsch  16,  10  (et  non  10,  16).  —  P.  70,  n.  2.  Lire  Revue  des 
langues  romanes,  1897  (non  1887),  p.  392.  —  P.  126,  1.  i.  lÀxQ  Grundriss, 
402  (non  302),  I.  — P.  128,  n.  i,  1.  3.  Ades  est  certainement  une  faute 
d'impression  pour  adeo  (=  a  Deo). 

P.  136.  Tenson  entre  Falconet  et  Taurel  (Grundr.,  148,  2)  : 
Ronciners  joglars,  plaides, 
Pron  sabetz  de  la  falveta 
Se  ja  de  Guillem  Rentis 
Trahetz  chavals  ni  roncis... 

«  Guillare  da  ronzino,  attaca-briga,  voi  sapete  bene  turlupinare,  se  sapete 
estorcere  a  Guglielmo  Rentis  cavalli  c  ronzini.  »  Vonr  saber  de  la  falveta,  qu'il 
traduit,  comme  on  a  vu,  par  «  sapere  turlupinare  »,  M.  B.  renvoie  à  Ray- 
nouard,  Lexique,  III,  246.  Mais  Raynouard  a  commis  l'erreur  de  rattacher  le 
mot  à  fabula,  et  c'est  certainement  Tobler  (Vermischle  Beitràge,  II,  211) 
qui  a  raison  en  mettant  cette  locution  en  rapport  avec  Fauvain,  Fauvel,  etc., 
et  les  doutes  de  M.  Levy  (Supplément- Worterbuch,  III,  408)  ne  sont  pas  suf- 
fisamment fondés  :  en  provençal  on  s'attendrait,  paraît-il,  plutôt  à  *falbeta 
qu'à  falveta.  Mais  plus  décisive  que  cette  anomalie  phonétique  (qui  pourrait 
être  due  à  l'influence  française)  est  l'analogie  des  locutions  saber  de  la  Jalvetat 
et  saioir  de  la  fauve  asnesse.  La  locution  française  signifie  «  obtenir  du  profit 
en  flattant  »  :  c'est  exactement  le  sens  du  passage  cité  plus  haut.  Mais  il  faut 


1 .  Entre  autres  (p.  480)  le  planh  sur  la  mort  de  Manfred  que  M.  B.  a  publié 
et  commenté  dans  la  Romauia,  XLIII,   167. 

2.  Nous  pouvons  d'ores  et  déjà  renvoyer  à  un  article  de  M.  A.  Jeanroy 
dans  \q  Journal  des  Savants,  1916,  p.  108,  et  à  une  série  de  notes  critiques,  du 
même  auteur,  daos  les  Annales  in  Midi,  XKVII,  204. 


G.    BERTONi,  /  Trovatori  d'ItaUa  605 

dire  que  ce  sens  ne  convient  pas  au  second  exemple  cité  par  M.  Levy,  qui 
reste  énigmatique.  —  P.  194,  second  alinéa,  et  ailleurs.  Lire  Pbillipps  (non 
Phillips).  —  P.  195.  M.  B.  signale  comme  une  particularité  du  ms.  R  h 
forme  pus  pour  plus  ;  il  aurait  été  utile  d'ajouter  que  pus  est  courant  aussi 
dans  C.  —  P.  227,  v.  16.  Que  tant  no-i  poiria  derdre.  Ainsi  transcrit,  le  vers 
est  trop  court  ;  il  faut  peut-être  lire  no[n]  i  en  deux  mots.  —  P.  228,  v.  41. 
Au  lieu  de  va-t-en,  nnprimer  va  te-n.  —  P.  245.  Mahn,  Gedichte,  544,  repro- 
duit le  ms.  R,  et  non  F  (faute  d'impression).  —  P.  249.  Cette  pièce  de 
Peire  de  la  Mula  est  une  diatribe  contre  l'avarice  des  riches.  La  seconde 
strophe  me  semble  devoir  être  interprétée  tout  autrement  que  n'a  fait 
M.  B.  : 

11  Rie  joven  croi,  pois  vezetz  que  val  mais 
Dars  que  teners,  moût  i  faitz  q'enoios 
Car  etz  aissi  avar  ni  cobeitos; 

12  d'u  non  i  a  q'a  la  fin  tôt  non  lais 

Ni  que  ja*n'port  mas  una  sarpcillieira; 
Mas  d'una  ren  vos  remembre  sivals, 
d'aqui  non  val  ni  thesaurs  ni  captais, 
16     Tors  ni  chastels,  palaitz  ni  argentieira. 

«  Ricchi  giovani  malvagi,  poichè  vedete  che  vale  più  dare  che  tenere,  vi 
rendete  veramente  fastidiosi  essendo  cosi  avari  e  cupidi;  chè  non  vi  è  uno 
[che  si  rechi  da  voi]  che  non  finisca  per  lasciar  tutto  e  che  non  pana  con  più 
di  una  tela,  la  tela  dell'  involto  [con  cui  era  venuto].  Ma  ricordatevi  almeno 
d'una  cosa,  che  [di  fronte  ail'  eternità]  non  vale  quaggiù  né  tesoro,  né  capi- 
tale, né  torre,  né  castello,  né  palazzo,  né  gioielli.  »  Ainsi  qu'on  le  voit  par  cette 
traduction,  M.  B.  croit  que  les  v.  12-15  s'appliquent  aux  jongleurs  qui  sont 
renvoyés  piteusement  par  les  seigneurs  avares  :  «  La  serpeiUieira  (écrit-il  aux 
notes,  p.  510)  deve  essere,  in  questo  caso,  la  tela  che  avvolgevagli  effetti  dei 
girovaghi  poeti  e  giuUari.  »  xMais  il  s'agit  au  contraire  des  riches  eux-mêmes 
(]ui  à.  la.  mon  {a  la  Ji II,  v.  12)  n'emportent  que  leur  linceul  (que  le  poète 
appelle  brutalement  sarpcillieira,  «  toile  d'emballage  »).  Ainsi  la  suite  devient 
aussi  plus  claire  :  «  [en  ce  moment-là]  il  ne  sert  à  rien  d'avoir  ici  {aqiii, 
v.  15)  des  trésors  et  des  capitaux  »,  etc.'. —  P.  260  et  515.  Tond  e  pela.  Cette 
locution  a  dû  se  rapporter  premièrement  à  ceux  qui,  par  avarice,  ne  se  con- 
tentent pas  de  tondre  leurs  brebis,  mais  les  rasent  encore;  elle  a  été  sou- 
vent appliquée  aux  prélats  : 

Pastours  sont,  mes  c'est  pour  els  pestre  : 
Huy  est  le  louf  dez  brebis  mestre. 

I.  Même  interprétation  proposée  par  M.  Jeanroy,  Annales  du  Midi,  XXVII, 
206. 


éoé  COMPTES    RENDUS 

Bien  lour  seivent  ostcir  la  laine 
612     Si  prcs  de  la  pel  qu'el  en  saine. 

(Le  Roman  de  Fauvel.') 

Scevent  bien  tondre  les  berbis, 

Voir  escorchier,  sy  ont  abis 

De  pasteurs,  et  sont  loups  cervicrs... 

(Christine  de  Pisan,  La  Mulacion  de  Foiiuiw,  B.  N.  fr.  603,  fol.  109  vo.) 

Voy.  plusieurs  exemples  de  tondre  e  mire  dans  Annales  du  Midi,  XVI,  475 
(note  au  V.  21).  Cette  idée  est  aussi  dans  le  fameux  sirventés  de  Cuilhem 
Figueira  (D'un  sirventés  far  ;  n»  II  de  l'éd.  Levy)  : 

Roma  trichairitz,  cobeitatz  vos  engana, 
16     C'a  vostras  berbitz  tondez  trop  de  la  lana. 

—  P.  269  et  520.  Maus  {Sirophenhau,  p.  121,  no  610)  n'a  pas  commisTer- 
reur  que  lui  reproche  M.  B.  ;  mais  il  indique  à  tort  le  v.  6  commg  étant  de 
5  syllabes  ;  il  est  en  réalité  de  6  syllabes. 

—  P.  283.  Peire  Guilhem  de  Luserna  : 

Car  caritaz  es  via  e  sendiers 
C'adui  home  a  Dieu,  qu'es  fruz  pleniers, 
27     E  nos  conqer,  menz  de  ferma  creçenza. 

«  Poicliè  la  carità  è  via  e  sentiero  che  conduce  Tuonio  a  Dio,  il  quale  è 
frutto  perfetto  e  riesce  a  conquistarci,  quando  la  nostra  fede  non  é  ferma.  » 
Cette  traduction  me  semble  dire  le  contraire  de  ce  que  dit  le  texte.  Il  faut  lire 
au  T.  27  E  no's  conqer  et  traduire  :  «  Dieu  qui  est  un  fruit  plein  et  ne  peut 
être  acquis  sans  foi  ferme,  c.-à-d .  ne  s'acquiert  qu'avec  uue  foi  ferme.  » 

—  P.  291 .  Sordel  dit  de  sa  dame  : 

quar  enaissi  es  guitz 
Per  dreg  guidar,  sos  gens  cors  ben  aibitz, 
Las  pros  en  pretz,  cum  las  naus  en  mar  guida 
16     La  tramontana  cl  fers  e'ih  caramida. 

Les  deux  derniers  vers  ont  embarrassé  les  critiques.  Il  est  inutile  de  s'arrê- 
ter à  l'interprétation,  évidemment  erronée,  de  M.  De  Lollis.  M,  B.  écrit 
(p.  354)  :  «  Mi  chieggo,  perô,  in  via  di  congettura,  se  tramontana  non  sia  qui 
esclusivamente  il  «  vento  »  (anzichè  Vestela  tramontana),  e  se  caramida  non 
indichi  propriamente  la  «  Stella  polare  ».  Mais  de  tout  temps  l'étoile  polaire  a 
été  considérée  comme  le  guide  des  marins  ;  ici  aussi  le  mot  a  sou  sens  propre. 
Qjjant  à  la  seconde  partie  de  son  hypothèse,  M.  B.  la  corrige  heureusement, 
bien  qu'avec  hésitation,  un  peu  plus  loin,  envoyant,  dans  iofers  e- Ib caramidu 


G.  BERTOKI,  /  Trovatori  d'Italia  607 

la  désignation  de  la  boussole.  Il  taut  donc  traduire  :  «  comme  l'étoile  polaire 
et  1  aiguille  et  l'aimant  (ou  l'aiguille  aimantée)  de  la  boussole  conduisent  le 
navire  en  mer.  »  Quiconque  douterait  de  l'exactitude  de  cette  interprétation, 
n'a  qu'à  comparer  les  autres  allusions  à  la  boussole  qu'on  rencontre  au 
moyen  âge.  On  sait  que  la  plus  ancienne  description  de  la  boussole  dans 
la  littérature  française  se  trouve  dans  la  Bible  de  Guiot  Je  Provins.  Une 
autre,  un  peu  moins  ancienne,  se  lit  dans  un  curieux  salut  d'amour  que 
je  publie  ici  même,  le  Dit  de  la  tremontaine^,  où  un  poète  compare  sa  dame  à 
l'étoile  polaire.  Le  même  symbole  est  d'ailleurs  un  lieu  commun  de  la  poé- 
sie mariale  {Ave  maris  Stella).  —  P.  307  et  541,  v.  25.  Recre:(en,  que  M.  B. 
traduit  par  «  rinnegatore  »,  est  simplement  synonyme  de  recréant,  anc.  fr. 
recreii,  cqui  s'avoue  vaincu  »,  par  extension,  «  lâche  »,  comme  le  montrent 
les  exemples  réunis  par  Levy,  VII,  123  (no  5).  —  P.  342  (chanson  pieuse 
de  Lanfranc  Cigala)  : 

III  Pensan  que"us  ai  per  leujaria 
Mesfaig,  ben  es  dregz  que"m  desplaia 

27     E  qu'eu  de  bon  cor  me'n  repenta  ; 
.  E  si  merces  no  m'es  amia, 

Tôt  mon  afar  tem  que  dechaia, 
30     Que  razos  fort  me  n'espaventa, 

Q.i  no  m'es  parens  ni  vezina, 

Ans  m'es  a  dan  per  ma  faillensa, 
33     E  vei  que  m'aduz  desfiansa, 

Si  vostra  merces  no- us  déclina 

Vas  me  e  no*m  fai  mantenensa  ; 
36     Et  eu  en  aiso  ai  fiansa. 

IV  Sol  que  vostra  merces  me  sia 
Aiudaritz,  dretz  no  m'esmaia, 

39     Ni  blan  razon  ni  sa  parenta. 
Pero  mergut  ai  dretz  m'aucia  ! 

Au  passage  cité  en  dernier  lieu  se  rattache  cette  remarque  de  M.  B. 
(p.  555)  :  «  La  prima  parte  di  questa  strofa  è  oltremodo  oscura.  Sarô  io  rius- 
cito  ad  interpretarla  ?  »  Il  faut  commencer  par  imprimer  avec  majuscules 
Merces  28,  Raios  30  et  39,  Dret^  38  et  40  (de  même,  à  la  fin  de  la  pièce  pré- 
cédente, p.  339,  Drechura  108  et  Merces  iio,  et  remplacer  à  la  traduction, 
p.  340,  la  [voslra'\  misericordia  par  Misericordia  tout  court).  C'est  que  l'édi- 
teur ne  s'est  pas  rendu,  compte  qu'il  s'agit,  dans  ces  deux  pièces,  du  débat 
allégorique  des  quatre  filles  de  Dieu,  Justice,  Miséricorde,  Vérité  et  Paix, 
rendu  célèbre  surtout  par  la  version  de  saint  Bernard  -.  Les  deux  principaux 
adversaires  sont  Justice  (appelée   dans  les    textes  provençaux    Drechura  ou 

1.  P.   )65. 

2.  Voir  Romania,  XXXVII,  485. 


éo8  COMPTES    RENDUS 

Dret-^)  e  Miséricorde  (Merces).  A  ces  quatre  vertus  se  joint,  dans  certaines 
versions,  une  nouvelle  figure  allégorique.  Raison  (RoyOïi  ni  sa  pw  enta,  «Rai- 
son et  sa  compagne  »,  v.  39,  qui  est  probablement  Vérité).  Li  42  renvoie  à 
Dreti  40.  —  P.  348,  V.  24.  Au  lieu  de  iiiorl:^  imprimer  Mort^  (personnifica- 
tion). —  V.  44,  au  lieu  de  àiit,  imprimer  aût.  —  P.  375 .  Le  ms.  T  manque 
en  eflfel  au  n»  282,  24  du  Grundriss  de  Bartsch;  mais  il  fallait  ajouter  qu'il 
figure  aux  anonymes,  461,  229.  —  P.  385,  v.  54.  Au  lieu  àefantisa,  qui  est 
incompréhensible,  pourrait-on  supposer  fenhlisa  {ci.  anc.  h.  faiiitise')}  — 
P.  409  et  577  (Guilhem  et  Lanfranc  Cigala).  Le  schéma  métrique  n'est  pas 

8a  8b  8b  8a  8c  7^  7^  8c  8e  8e  8f  8f 
mais      Sa  8b  8b  8a  8c  7 d  -j d   8c  8e  8e  8c  8c 

—  P.  422  et  580  (Bonifaci  Calvo).  Même  schéma  métrique  que  Maus, 
p.  100,  no  112,  2. —  P.  459(Luquet  Gatelus).  Le  v.  25  Donc dereiian  mostr' 
al  mon  alitera  est  trop  court  dans  le  texte  de  M.  B.  Le  ms  rt'  lit  inun  sa  aute-a. 
Comment  faut-il  corriger?  —  P.  528,  note  au  vers  5.  Au  lieu  de  G.  de  Saint 
Leidier,  lire  Gauceran  de  S.  L.  —  P.  535,  note  au  v.  25.  Au  lieu  de  Ben  tu  es- 
tera, lire  Ben  chantera  (Grundr.,  234,  4). 

Arthur  LÂngfors. 

Gédéon  HuET,  Chansons  et  descorts  de  Gautier  de  Dargies. 

Paris,   191 2  (Société  des  anciens  textes  Irançais)  ;  xxxi-97  p.,  in-8. 

Dans  le  premier  chapitre  de  l'introduction  et  dans  un  appendice  (p.  xxv), 
M.  Huet  montre  que  le  chansonnier  wcw/'/e;  Gautier  de  Dargics  —  de  Dargies 
a  très  anciennement  été  altéré  en  d'Argies,  —  contemporain  de  Gace  Brûlé, 
qui  est  nommé  dans  trois  de  ses  chansons,  est  très  probablement  identique 
au  Gautier  de  Dargies,  d'une  famille  seigneuriale  du  Beauvaisis,  mentionné 
dans  une  charte  du  mois  de  juillet  i2or,  et  très  probablement  identique 
aussi  à  un  Galtenis  de  Dari^ies  miles  figurant  dans  une  autre  charte  du  mois 
d'août  1232  et  relative  à  l'abbaye  de  Beaupré.  Le  reste  de  l'introduction  est 
occupé  surtout  par  une  discussion  sur  l'authenticité  des  pièces  attribuées  à  ce 
poète  et  qui  aboutit  à  l'admission  de  vingt-six  poésies  :  onze  chansons 
authentiques  ',  onze  autres,  d'attribution  douteuse,  une  tençon  et  trois  des- 
corts, ces  trois  derniers  déjà  imprimés  d'une  manière  irréprochable  dans  le 
recueil  bien  connu  de  MM.  Jeanroy,  Brandin  et  Aubry,  et  que  M.  Huet  a  eu 


I .  La  chanson  V  porte  dans  la  Bibliographie  de  Raynaud  le  n"  684  (et  non 
634,  comme  il  est  dit,  par  erreur  typographique,  p.  91).  — Aux  éditions 
antérieures  signalées  par  M.  Huet,  on  peut  ajouter  celle-ci,  où  la  chanson 
XIX  Quant  il  ne  perl  ftieille  ne  fleurs  (Raynaud,  2036;  Huet,  p.  40)  figure 
comme  n°  V  :  Les  Chansons  de  Messire  Raoul  de  Ferrieres  très  ancien  Poète 
Normant  nonuellemcnt  imprimées  a  Caen  [à  120  exemplaires]... /a;'  les  soins  et 
aux  despens  de  G.  S.  Trehulien,  Caen,  1847,  in-8   (Bibl.  nat.,  Rés.  Y*  3999). 


G.    HUET,   Chansons  de  Gautier  de  Dargies  609 

néanmoins  raison  d'admettre  dans  son  volume.  Ainsi  «  on  trouve  ici  tout 
ce  qui  nous  est  transmis  avec  quelque  vraisemblance  sous  le  nom  de  Gautier 
de  Dargies  ».  Bien  que  cette  bonne  édition  date  déjà  de  quelques  années,  il 
n'est  peut-être  pas  inutile  d'en  étudier  ici  quelques  passages. 

II     Autres  que  je  ne  sueill  '  fas 
Mon  chant  des  autres  mouvoir, 
Car  aine  ne  fui  un  jour  las 
D'amer  celi  mon  pooir 
5     Qui  si  me  tient  en  ses  las... 

M.  Huet  commente  ainsi  (p.  65)  les  deux  premiers  vers  :  «  Ces  deux  vers 
n'ont  pas  grand  sens  en  eux-mêmes  et  ne  se  rattachent  pas  à  ce  qui  suit  ; 
cependant  les  manuscrits  sont  à  peu  près  d'accord  et  ne  fournissent  aucune 
variante  utile.  11  est  probable  qu'il  y  a  une  faute  très  ancienne,  commune 
aux  deux  familles  a  et  j3,  mais  pour  le  moment,  je  ne  trouve  pas  de  correc- 
tion vraisemblable  et  satisfaisante.  »  Il  faut  noter  tout  d'abord  que  sohir  a 
ici  un  sens  fréquent,  surtout  dans  la  poésie  provençale,  mais  aussi  chez  les 
poètes  du  Nord  (et  que  M .  Huet  a  oublié  de  signaler  dans  le  glossaire)  :  il 
indique  le  passé.  Autres  que  je  ue  5m«7/ signifie  donc  :  «  autrement  que  je  n'ai 
fait  auparavant  ».  et  le  sens  du  passage  est  sans  aucun  doute  :  «  Pas  plus  que 
je  n'ai  lait  auparavant,  je  ne  chante  maintenant  d'autres  femmes,  car  jamais 
un  jour  je  n'ai  cessé  d'ainur  ctlk  qui,  etc.  »  Mais  le  premier  vers  est  en  effet 
assez  embarrassant  ;  je  pense  qu'il  faut  le  corriger  ainsi  :  Autres  que  ne  sueill 
ne  fas .  —  III,  38.  La  u  sueill,  que  quoi  qu'en  doie  avoir  «  Le  vers  est  trop 
long  d'un  pied  ;  on  peut  difficilement  sacrifier  que,  qui  est  dans  les  deux 
manuscrits.  On  pourrait  admettre  que,  par  suite  o'une  contraction,  les  mots 
La  u  ne  forment  qu'une  syllabe  »  (p.  66).  La  correction  est  bonne  ;  il  fallait 
ajouter  seulement  que  la  forme  contractée  est  assez  abondamment  attestée. 
Godefroy  (5  v.  lau  et  leur)  en  donne  de  nombreux  exemples  et  on  pour- 
rait facilement  en  allonger  la  liste  -.lause  trouve  dans  un  poème  que  j'ai  édité 
ici  même%  et  leur  (pour  la  ou)  a  été  rétabli  par  les  éditeurs  de  la  Vie  i" 
Prince  Noir  (v.  682),  excellente  correction  qu'un  critique,  en  Angleterre, 
M.  Studers,  a  contestée  à  la  légère. 

L'envoi  de  la  chanson  VI  commence  ainsi  : 

Demoisele,  vous  orrez 
Ma  chançon,  dont  la  reprise 
48     Est  vostre  :  bien  l'ai  aprise... 


1.  La  table,  p.  91,  porte,  évidemment  à  tort,  vueill. 

2.  Du  mesdisant,  par  Perrin  La  Tour,  v.  105  (Romania,  XL,  563). 

3.  The  Modem  Language  Review,  VII  (19 12),  p.  404. 

Romania  XLVI  59 


6 10  COMPTES    RENDUS 

M.  Huet  traduit  dubitativemeut  par  «  mélodie  ».  N'est-ce  pas  plutôt 
«  envoi  »,  l'envoi  étant  la  reprise  (des  rimes  et  de  la  mélodie)  des  derniers 
vers  du  couplet  précédent?  Lé  sens  serait  alors  :  «  La  chanson  dont  l'envoi 
vous  est  dédié...  »  —  IX,  2.  Ma,  faute  d'impression  pour  M\i.  —  XI,  9. 
Grand  est  sans  doute  une  faute  d'impression  pour  grant. 

XIX     Quar  fust  or  mes  guerredons 
53     Teus  que  voirs  fust  l'avisons. 

Ces  vers  devraient  être  octosyllabiques  ;  si  l'on  tient  à  corriger,  la  correc- 
tion se  fait  toute  seule  : 

Quar  fust  ore  mes  guerredons 
Teus  que  voire  fust  l'avisons  '. 

XXI     Douce  dame  debonaire, 
Au  dcfin  de  ma  chançon 
Me  membre  de  vo  viaire 
40     Et  de  vo  clere  façon. 

C'est  peut-être  par  hasard  que  ces  vers  forment  l'acrostiche  Dame  ;  malheu- 
reusement, le  nom  de  la  dame  n'y  est  pas. 

XXII,  37.  De  voi est  sans  doute  une  faute  d'impression  pour  de  voir  ' .  — 

XXIII,  8.  La  leçon  de  l'unique  manuscrit  (il  y  a  une  lacune  dans  les  deux 
autres)  est  excellente  :  Dont  maint  se  sont  entremis,  et  il  était  inutile  de  rem- 
placer maint  par  moût.  —  Au  vers  suivant,  conseiller  est  probablement  une 
faute  d'impression  pour  conseiUier.  —  V.  22.  Je  crois  que  la  leçon  de  Vat.  ^ 
est  la  bonne  :  S'il  n'i  triieve  tout  son  gre'.  Au  vers  suivant,  la  graphie  picarde 
du  manuscrit-base,  /a/5/>r,  était  à  conserver.  Même  observation  pour  le  v.  57, 
où  l'article  féminin  picard  le  a  été  remplacé  inutilement  par  la.  —  Le  v.  81 
est  trop  court,  excepté  dans  Vat.',  qui  donne  la  bonne  leçon:  Ne  me  puis 
je  miex  emploier. 

XXIV,  4.  Qu'en  peàs se  avoir  son  guerredounement  est  trop  long;  à  l'aide  de 
f/on  obtient  un  vers  correct  :  Qu'en  eusse  son  guerredounement . 

XXV,  34.  Or  voi  quele  w/c //w/^o/c.  Au  glossaire  :  «  linipoler,SQ  jouer  de(?). 
Le  mot  n'est  pas  dans  GoJcfroy.  »  Il  fallait  ajouter  que  le  substantif  nimpole 
y  est  représenté  par  deux  exemples  dont  l'un  est  dans  Aucassin  et  Nicolette 
(éd.  Suchier,  33,  9);  l'autre  prouve  que  c'était  le  nom  d'un  jeu  de  tables.  En 
voici  un  troisième,  qui  n'a  pas  encore  été  signalé  et  qui  se  lit  dans  une 
fatrasie  pubUée  par  Jubinal  =  :  Uns giex  de  Xipole.  —  V.  58.  Niert,  faute  d'im- 
pression pour  N'iert. 


1.  Voire  est  dans  les  mss.  de  la  famille  [i. 

2.  Nouveau  recueil  de  contes,  II,  209. 


j.  CROHKS,  Die ■  Beweiiung  der  Frau  éit 

L'éditeur  a  biei.  fiiit  de  relever  dans  le  glossaire  les  proverbes.  Il  aurait 
seulement  fallu  ajouter  ces  deux  autres  : 

IX     Qui  s'uraelie  franchement 
28         Plus  essauce  et  monteplie. 

XXIII     Faus  ne  doute  destourbier 
70     Devant  la  qu'il  est  hounis. 

C'est  une  variante  du  proverbe  bien  connu  Fols  ne  doute  devant  qii  il  prent  ' . 
Il  était  inutile  de  remplacer  par  la  forme  du  centre /oui  la  forme  picarde/az« 
qui  se  trouve  dans  deux  manuscrits  (Vat.  -  a.  fol). 

Arthur  LÂngfors. 

Hjalmar  Crohns,  Die  Bewertung  der  Frau  unter  dem  Einfluss  der 
Côlibatsidee  im  Ms.  lut.  iS910  der  Bibliothèque  Nationale  (Stephanus  de 
Borhone,  De  diversis  tnateriis  predicabilibus),  Helsingfors,  191 3;  in-4, 
29  pages  {Acta  Societatis  scient ianini  Fennicae,  XLV,  i). 

Legenden  och  medeltidens  latinska  predikan  och    exempîa  / 

deras    l'ârdesàttiiing    av    icvinnan.     Helsingfors,    1915,    in-8,    244    pages 

(Ofversii^t  af  Finska  Vetenshaps-Societetens  Fôrhandlingar ,  LVII  B,   i). 

—     —  Nagra  Scripta  supposititia  /  deras  betvdelse Jôr  viirdesàttningen   av 

kvinnan.  Helsingfors,    191)  ;  in-8,  38  pa.gQs\Ofversigt,  etc.,  LVII  B,  2). 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  signaler  aux  lecteurs  de  la  Roman ia 
(XLII,  317)  le  livre  de  M.  C.  sur  «  la  femme  infidèle  dans  deux  recueils 
de  contes  du  moyen  âge  ».  Les  trois  nouveaux  ouvrages  du  même  auteur 
appartiennent  au  même  domaine  d'études. 

Dans  les  Anecdotes  historiques,  légendes  et  apologues,  tirés  du  recueil  inédit 
dctienne  de  Bourbon  ',  A .  Lecoy  de  la  Marche  n'avait  donné  qu'un  florilège 
des  éléments  anecdotiques  que  contient  le  traité  De  diversis  niateriis  pre- 
dicabilibus du  célèbre  dominicain.  M.  C.  a  de  nouveau  compulsé  le 
manuscrit  pour  y  recueillir  tout  ce  qui  traite  de  fallacia  et  mala  arte  niuUe- 
ris.  Il  imprime  des  passages  de  la  partie  mX\'i\AéQ.Defortitudine,  où  il  est 
question  des  péchés  mortels,  et  il  énumère  et  analyse  sommairement  les 
autres  contes  misogynes  dispersés  dans  d'autres  parties  de  l'ouvrage.  Des 
morceaux  étendus  du  traité  d'Etienne  de  Bourbon  sont  entrés  dans  le  Spé- 
culum morale  que  l'on  a  ajouté  aux  trois  livres  du  Spéculum  bistoriale  de 
Vincent  de  Beauvais.  M.  C.  signale  dans  ces  notes  les  altérations  que  le 
texte  a  subies  dans  différentes  anciennes  éditions  du    Spéculum  (il  y  a  dans 


1.  Voir  Romania,  XLIV,  277. 

2.  Paris,  1877. 


6l2  COMPTES    RENDUS 

ces  notes  beaucoup  de  variantes  qui  sont  inutiles,  étant  purement  gra- 
phiques). Le  texte  du  manuscrit  est  reproduit  avec  une  rigueur  qui  devient 
excessive  quand  le  manuscrit  est  fautif.  Ainsi,  il  est  évident  qu'il  faut  lire, 
p.  19,  1.  15,  invitavit  ut  coinederet,  et  p.  20,  1.  8,  propter  adiiUeriiivi  pcrpe- 
Irandum.  —  P.  25,  no  22.  C'est  peut-être  par  erreur  que  Jacques  de  Vitry 
est  mentionné  comme  source  de  ce  conte.  M.  C.  ne  l'a  trouvé  ni  dans 
l'édition  de  Crâne,  ni  dans  le  manuscrit.  C'est  un  conte  des  Vies  des  Pères 
(De  l'ermite  que  li  diables  couchia  du  coc  et  de  la  ^eline') .  Le  texte  français  a 
été  imprimé  par  Méon  '.  —  P.  21.  La  plaisanterie  reddiuit  cultellos  (ren- 
dent les  quaniveO  se  rapportant  à  la  générosité  des  amoureuses  sur  le 
retour  envers  leurs  galants,  a  été  empruntée  par  Etienne  à  Jacques  de 
Vitry  '.  Mais  M.  C.  a  oublié  de  signaler  que  la  même  historiette  a  été  mieux 
racontée  par  un  contemporain  des  deux  prédicateurs,  Philippe  de  Novare, 
dans  Les  quatre  tens  d'aage  d'onie  '. 

Dans  son  volume  intitulé  «  L'appréciation  de  la  femme  d'après  les  lé- 
gendes, les  sermons  et  les  exemples  du  moyen  âge  »,  M.  C.  a  voulu  donner 
un  aperçu  général  du  bien  et  du  mal  que  les  moralistes  médiévaux  ont  dit 
de  la  femme.  C'est  un  sujet  maintes  fois  traité,  et  beaucoup  de  ce  que 
contient  le  livre  de  M.  C.  est  bien  connu  ;  mais  je  ne  sache  pas  qu'on  ait 
tenté  cette  étude  avec  des  matériaux  aussi  riches  que  ceux  de  l'érudit  fin- 
landais. Pour  son  premier  chapitre,  consacré  aux  sermonnaires,  il  a  exa- 
miné les  œuvres  de  vingt-cinq  auteurs  (sans  compter  les  anonymes),  dont 
l'activité  s'étend  du  xin^  siècle  jusqu'à  la  fin  du  xv^.  De  ces  auteurs, 
sept  sont  français  —  depuis  Robert  de  Sorbon  et  Guillaume  Perraud  jus- 
qu'à Jean  Gerson  et  Olivier  Maillard  — ,  six  Italiens,  quatre  Anglais,  etc. 
Que   dans    son   livre  les  éloges  se  réduisent  à  bien  peu   de  chose  en   com- 


1.  Nouveau  recueil,  II,  362.  —  11  n'était  pas  à  propos  de  citer,  comme 
le  fait  M.  Crohns  (lecr^H^ew,  etc.,  p.  196,  n.  i),  d'après  Crâne,  l'insipide 
remaniement  de  Legrand  d'Aussy,  puisque  nous  avons  l'ancien  poème  qui 
lui  a  servi. 

2.  Elle  n'est  pas  dans  l'édition  de  Crâne  ;  mais  M.  Crohns  l'a  trouvée 
dans  le  manuscrit  utilisé  par  M.  Crâne,  au  fol.  141  vo.  M.  Crâne  (p.  xlix, 
note)  la  mentionne  d'après  une  conmiunication  de  M.  H.  L.  D.  Ward  con- 
cernant le  manuscrit  Harléien  463  (fol.  20  b).  M.  W.  la  désigne  de  cette 
manière  peu  précise  :  «  The  woman  who  storeJ  up  the  knives  of  lier 
lovers,  as  reminders  when  they  should  be  grown  old.  » 

3.  Éd.  M.  deTréville  (Soc.  des  anc.  textes),  p.  89-91.  Cette  anecdote  se 
rencontre  encore  dans  un  texte  italien  anonyme  du  xv=  siècle,  et  dans  les 
Facétieuses  nuits  de  Straparole  ;  dans  ce  dernier  recueil,  les  couteaux  sont 
remplacés  par  des  souliers.  Voir  P.  Meyer,  Romania,  XIII,  595,  et  Ch.-V, 
Langlois,  La  vie  en  France  au  moyen  âge,  p.  215. 


J.  CROHNS,  Legenden  och  medeltidens  predikan  ^13 

paraison  des  sarcasmes,  il  n'y  a  là  rien  d'étonnant  :  «  il  faut  tenir  compte 
à  la  femme  de  ce  que  Marie  a  été  femme  »  —  voilà  à  peu  près  tout  le 
bien  qu'on  puisse  dire  d'elle.  La  femme  décrite  par  les  moralistes  du 
moyen  âge  est  la  fleur  étiolée  des  gynécées,  vue  à  travers  les  idées  ascé- 
tiques du  christianisme.  La  thèse  que  la  femme  est  un  être  moralement 
et  physiquement  inférieur  est  <i  scientifiquement  »  prouvée  par  des  cita- 
tions plus  ou  moins  arbitrairement  interprétées  d'Aristote  et  d'autres  au- 
teurs anciens.  Millier,  c'est-à-dire  mollier,  est  ainsi  appelée  parce  qu'elle 
est  mollis,  dit  Berçuire,  citant  Lactance,  qui,  de  son  côté,  renvoie  à 
Varron.  Elle  est  nuisible  au  salut  de  l'homme  par  ses  défauts.  Rien  que 
son  nom  indique  quel  est  son  vice  le  plus  redoutable  :  «  femina  secun- 
dum  Isidorum  est  sic  dicta  a  phos,  quod  est  ignis,  eo  quod  habet  vim 
igneam  vehementer  concupiscendo.  »  Et  les  graves  docteurs  flétrissent, 
en  s'appuyant  sur  l'autorité  des  anciens,  les  défauts  considérés  comme 
éminemment  féminins  :  la  loquacité,  l'hypocrisie  ■,  le  goût  immodéré  des 
plaisirs  -,  la  coquetterie.  Le  luxe  de  la  toilette  est  un  sujet  préféré.  Les 
prédicateurs  de  la  fin  du  moyen  âge  aiment  à  donner  des  conseils  pra- 
tiques à    leur   auditoire  féminin.  L'Italien  Busti,  dans  son  Rosarium  serriio- 


1.  M.  C.  dit  (p.  180,  n.  2),  qu'il  ne  connaît  pas  la  provenance  de  ce  vers 
cité  par  Jacques  de  Vitry  :  Simulât  tristitiam,  simulât  se  esse  castam.  Mais  ce 
n'est  pas  un  vers,  c'est  le  commentaire,  en  prose,  du  vers  d'Ovide  (Remédia 
amoris,  690)  cité  précédemment  : 

Ut  fièrent  oculos  erudiere  suos. 

2.  M.  C.  cite  (p.  45)  un  passage  de  Menot  où  la  danse  est  appelée  le 
cercle  du  diable.  II  aurait  été  utile  d'ajouter  que  c'est  un  lieu  commun  qui 
se  trouve  beaucoup  plus  tôt,  p.  ex.  chez  Jacques  de  Vitry  (cité  par  Lecov  de 
la  Marche,  Et.  de  Bourbon,  p.  162,  note).  A  en  croire  un  frère  prêcheur 
soissonnais  des  environs  de  1 3  50,  il  remonterait  à  saint  Augustin  (ce  qui 
n'est  pourtant  pas  probable)  : 

nos  jouvenceles.  Cil  qui  karolent  se  meftbnt, 

Qui  volentiers  oient  nouveles  Quar  mainte  gent  desvoier  font  : 

De  Robin  et  de  Marion,  A  senestre  tournent  partie. 

Ou  quant  sera  l'Ascension,  Quar  il  vont  en  la  conpaignie 

Ce  jolif  tans  pour  karoler.  Des  anemis  d'enfer  en  bas  ; 

En  quoy  se  seulent  afoler.  La  karoleront  sans  soûlas, 

Oi  de  Augustin  la   parole  :  Tourjors  criront  :  Hé  las  !  hé  las  ! 

Ce  n'est  mes  q'un  cercle  karole  Tu  donques  ne  karole  pas. 

Du  quel  diable  est  en  mi  lieu;  (Paris,  B.  N.  fr.    12483,    fol.     108.) 

La  ne  trouveras  pas  tu  Dieu. 


él4  COMPTES    REKDUS 

ntifH,  du  xve  siècle,  tout  en  condamnant  le  luxe  dans  les  vêtements,  fait 
pourtant  des  distinctions.  Il  dit,  en  indiquatlt  saint  Thomas  d'Aquin, 
qu'une  jeune  fille  a  le  droit  de  se  parer  si  elle  le  fait  dans  le  dessein  légi- 
time de  trouver  un  mari.  De  même,  dit  Michel  Mendt  (mort  en  1518), 
une  femme  mariée  peut-elle  le  faire  dans  le  but  non  moins  légitime  de 
mieux  retenir  auprès  d'elle  un  mari  quelque  peu  volage...  Chez  ce 
dernier  on  trouve  aussi  un  traité  de  parfumerie  des  plus  étranges  : 
«  Domine  burgenses  habent  vestimenta  et  odores  a  faire  sentir  bon  leurs 
vestemens.  Ecce  veniet  le  moys  de  may  :  oportet  ire  renouvcller  les 
amourestes  :  et  aufont  le  Sein  fai-Cy  de  violetes  de  broust  :  et  caprcoli 
venient  brouster.  Dicitur  quod  si  sint  puHestes,  pOssunt  capere  odores.  In 
vico  fetenti  portuntur  odores.  Etiam  cum  mulief  est  ita  fetida  et  horde 
quod  Opus  ponere  un  tas  de  senteurs  de  pouldfes  et  violettes,  hec  onmia 
sunt  signa  vanitatis  in  ipsis...  '  ».  Ces  sortes  de  diatribes,  d'une  rude 
ironie,  n'ont  pas  pour  unique  but  d'édifier  l'auditoire  :  elles  sont  sllftout 
destinées  à  l'amuser.  Il  v  a  nombre  de  ces  traits  de  mœurs  dans  le  livre 
de  M.  C.  Il  est  seulement  regrettable  que  l'absence  de  tout  index  et 
même  de  rubriques  en  rende  l'usage  peu  commode. 

La  brochure  mentionnée  en  troisième  lieu  est  un  complément  à  l'ouvrage 
précédent.  Les  douze  dernières  pages  sont  occupées  par  des  extraits  du  Maiii- 
pttlus  florion  de  Thomas  d'Irlande.  Il  est  fâcheux  que  l'important  article  que 
B.  Hauréau  a  consacré  à  ce  socius  in  Sorhona  dans  V Histoire  litténiire,  XXX, 
398-408,  ait  échappé  à  M.  C.  Cela  ressort  d'abord  du  fait  que  la  liste  des 
anciennes  impressions  du  Manipuliis,  dressée  par  lui,  est  beaucoup  moins 
complète  que  celle  de  Hauréau.  Puis,  se  contentant  des  indications  insuffi- 
santes du  Dictionary  of  National  Bio^^raphy,  Il  n'en  connaît  d'autre  manuscrit 
que  le  no  16533  ^^  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale,  qui  donne  ainsi 
le  nom  et  la  date  (fol.  104)  :  Magister  Tliouias  Ybeniiciis,  socius  île  Sorboiui, 
complevit  hoc  aniio  domiiii  niillesitiio  CCCVI  circa.  Mais  divers  manuscrits  plus 
anciens^,  utilisés  par  Hauréau,  de  même  qu'un  manuscrit  que  j'ai  récem- 
ment vu  à  Chambéry  î  et  qui  n'a  pas  encore  été  étudié,  donnent  la  date  d'une 
manière  plus  explicite.  Je  cite  le  manuscrit  de  Chambéry  n"  25,  fol.  196  b  : 
Hoc  opus  est  coiiipilaluni  a  iiiagistro  Thonta  de  Ybcniia,  quoudam  socio  de  Soiboua, 
Explicit  Manipulas  Jlonwi.  Suit  la  table  des  chapitres,  puis,  fol.  197  b  :  Finit, 
anno  Dohiini  M°CCCVI^  die  veneris  post passionéin  apùslolonim  Pétri  (t  Pauli. 


1.  Michaël  Menot,  Sèi-ntones  quadrcigesimales,  Paris,  1525,  loi.  clxxix. 

2.  L'ancienne  bibliothèque  des  ducs  de  Bourgogne  en  possédait  un  qui  est 
ainsi  in.liqué  dans  l'inveiUaire  dressé  en  1373  par  Gilles  Malet  (no  259)  î 
«  Manipulas  floruni,  couvert  de  cuir  vert,  a  deux  fcrmoers  et  a  bouillous  » 
(Bat rois,  Bibliothèque  protypographique,  p.  62). 

3.  Catal.  gen.,  XXI,  207. 


TALLGRËN,  CELLER,  Ltrica  italiana  *  615 

Le  fait,  signalé  par  M.  C,  que  le  ms.  16533  1^^  contient  pas  tous  les  pas- 
sages qui  figurent  dans  les  imprimés,  ne  prouve  pas  nécessairement  qu'il 
soit  incomplet,  Il  est  connu  que  certains  éditeurs  ont  fait  de  larges  additions 
au  texte  primitif  du  Manipnliis  (Hisi.  lilt.,  p.  402),  que  l'on  ne  saurait  fixer 
qu'après  un  examen  minutieux  des  plus  anciens  manuscrits. 

Arthur    LÂngfors. 

O.  J.  Tallgren,  R.  Œller,  Studî  su  la  lirica  italiana  del  Due- 
cento  :  «  De  la  mia  disianza.  »  Estr.  dalle.  Neuphil.  Mitteilwigen 
(Helsingfors),  XVII  (191 5),  pp.  30-54  '. 

Una  molto  ardua  e  delicata  impresa  si  è  assunto  il  Tallgren  :  quella  di 
indirizzare  alcuni  suoi  ailievi  allo  studio  criiico  dei  componimenti  délia  cosi 
detta  «SGUola  poetica  siciliana  ».  È  impresa  da  fartrcmare  i  polsi  di  qualsiasi 
filologo  provetto,  nonchè  di  giovani  volenterosi,  quali  si  sono  sicuramente 
dimostrati  gli  autori  délie  monografie  uscite  sinora,  L'ultima  di  queste 
monografie  è  dovuta  al  sign.  R.  Œller  e  riguarda  la  canzone  De  la  mia 
disianza  Gonservata  nel  solo  ms.  Vatic.  3793,  n»  51.  Noi  l'esamineremo  'm 
queste  linee  con  alquanta  attenzione. 

Cominceremo  con  alcune  osservazioni  sull'  una  o  l'altra  forma  del  prezioso 
testo.  A  parer  nostro,  non  è  stata  bene  intesa  la  forma  la  perwne  (=  «  la 
persona  »),  attestata  dalla  rima,  nel  v.  8.  Œller  dice  (p.  43)  che  si  tratta  di 
un  «  gallicismo  »  ;  ma  un  esame  più  particolareggiato  del  problema  lo  disin- 
gannerà  certamente.  Abbiamo  personi  (plur.  -is)  in  ant.  campidanese  e  per- 
sane oggidi  si  trova,  sempre  al  singolare,nel  logudorese.  I  testi,  in  cui  sono 
stati  trovati  esempi  di  questo  metaplasmo  (poichè  persona  sara  passato  alla 
Y  decl.  fra  i  nomi    in   -one~),   sono  oltremodo  disparati  e  non  hanno  tuttî 


I.  Costituisce  questa  memoria  la  puntata  terza  àn^i  Studi  su  la  lirica  ita- 
liana del  Duecento.  Le  altre  due  puntate,  precedute  da  una  introduzione  del 
Tallgren,  trovâtisi  nei  nn'.  3-4  del  vol.  XVII  délie  Neitphilologische  Mitleilun- 
gen  di  Helsingfors  e  risultano  :  di  uno  studio  di  E.  Blâfield  sulla  canzone  In 
gioi  mi  tengno  (Vatic.  3793,  no  33)  e  di  uno  studio  di  Vainô  Eskelinen  sul 
testo  Amor,  che  m'a  'n  contando  (Vat.  cit.  n"  31).  Queste  comunica?,ioni  cru- 
dité sono  redatte  in  littgua  italiana  o  in  lingud  francese  e  ce  ne  diclliâriamo 
grati  agli  autori .  Ai  quali  ci  permetteremo  soltanto  di  Consigliare  unâ  mag- 
giore  correttezza  nella  forma.  Che  cosa  intende  di  dire,  p.  es.,  il  Tallgren 
scrivendo  :  Una  «  convinzione  oramai  resa  molto  cospicua  »  (p.  2)?  Non  si 
dIce  in  italianô  :  «  quel  che  vi  va  formolato  »  (p.  15)  ed  è  più  francese  che 
italiana  una  frase  Corne  questa  (p.  16)  :  «  non  ho  riascitd  a  ritrovare.  » 


éré  •  COMPTES    RENDUS 

carattere  aulico.  Sono  délia  Toscana  ',  dell'  Umbria',  di  Napoli  ',  délia 
SiciHa+,  délie  Puglie5.  Anche  ai  dialetti  vivent!  centro-meridionali  non  si 
puô  dire  del  tutto  ignota  questa  forma,  sicchè  l'ipotesi  d'un  gallicismo  dovrà 
essere  scartata.  Anzi,  i  dialetti  viventi  possono  servire,  corne  ha  veduto  il 
Salvioni  in  un  brève  articolelto  sfuggito  allô  Œller  (Appunti  merid., 
in  Studj  rom.,  VI,  no  58),  a  darci  una  spiegazione  assai  plausibile  del  pro- 
blema  :  che  si  tratti  di  un  singolare  rifatto  dal  plur.  Jersoni  divenuto 
maschile,  corne  qua  e  là  «  genti  »,  per  infl.  di  «  uomini  ».  Di  qui  sarebbe 
provenuta  la  forma  (con  aspetto  di  metaplasma)  del  singolare,  per  dichiarare 
la  quale  perô  basterebbe,  a  mio  vedere,  il  solo  infl.  di  «  gente  ». 

Al  V.  4,  abbiamo  un  che  (che  tnà  data  fermani^a),  il  quale  pare  bene 
avère,  corne  pensa  Œller,  il  senso  di  chi  (colei  che,  colui  che)  e  poichè  si 
riferisce  alla  donna  amata  cosi  nel  nostro  passo  corne  in  un  altro  già 
appuntato  dal  Gaspary  94  (Palat.  51,  str.  I  :  malamente  fallio  :  ke  mi  fece 
partit  e  :  la  gnni  gioia  c'avea),  l'autore  si  chiede  se  nell'  Italia  méridionale 
siano  rimaste  délie  vestigia  del  lat.  quae.  Ora,  ciô  è  oltremodo  improbabile, 
anzi  impossibile,  se  si  pensa  che  il  nostro  che  vale  anche  per  il  ma-^chile, 
come  è  mostrato  dagli  esempi  che  se  ne  conoscono  in  ant.  francese  e  pro- 
venzale,  come  :  a.  fr. /«  Diu  ne  voie  —  Que  son  signor  lige  ne  sert  (Màtzner, 
Altfr.  Lieder,  p.  116),  a.  pr.  El.  de  Barjols,  IX,  23  : 

ans  puesc  ben  dire  :  que  sieus  es 
qu'el  plus  rie  senhoriu  s'es  mes 

versi,  che  lo  Stronski  ha  giustamente  tradotti  cosi  (p.  87)  :  «  celui  qui  est 
son  homme  s'est  mis  dans  la  plus  haute  dignité  »  (il  seconde  que  è  pleonas- 
tico  affermativo).  L'elisione  che  abbiamo  in  Cercamon  (Dejeanne,  V,  20- 
21)  :  Qu'a  gla^i  fer  a  glaii  es —  Feriti  si  spiega  assai  bene  seammcttiamo  che 
Qu'a  stia  per  que  a,  mentre  qui  non  sarebbe,  secondo  la  regola,  suscettivo  di 
elisione.  Insomma,  questo  che  (=  colui  che,  colei  che)  meriterebbe  d'essere 
studiato  davvicino,  esteso  com'è  ail'  Italia  e  alla  Francia. 


1.  Monaci,  Crest.  594. 

2.  Monaci,  Crest.  594. 

3.  Nei  «  Bagni  di  Pozzuoli  »  (v.  ni):  la  tua  persone. 

4.  Dial.  di  S.  Gregorio. 

5.  Ant.  oirAul.  persuni  (plur.   di  un  *  la  persone,  Salvioni,  Krit.  Jahresb., 
VII,  I,  p.  119). 

6.  Ma  non  necessariamente,  poichè  un'  altra  spiegazione  è  possibile,  scri- 
vendo  che  (poichè).  Soggetto  sottinteso  sarebbe  allora  l'aiaiata. 


TALLGKEN,  ŒLLER,  Lirîca  itûUana  617 

Intéressante  è  l'impf.  (p.  p.)  sogg.  con  senso  di  condizionale  che  abbiamo 
nei  vv.  28-50  : 

Tanto  è  ssagia  e  cortese, 
no  credo  che  pensasse 
ne  distornasse  —  ciô  che  m'a  'mpromiso. 

ŒUer  traduce  :  «  je  ne  crois  point  qu'elle  ait  songé  [à  manquer]  ni  qu'elle 
ait  manqué  à  ce  qu'elle  m'a  promis  »  ;  ma  è  évidente  che  occorrono  :  «  son- 
gerait »  e  «  manquerait  »  e  inoltre  pensasse  non  regge  già  un  :  [à  manquer'], 
ma  regge  un  infin.  sottinteso  distornare  consigliato  dal  distornasse  che  stgue, 
poichè  secondo  una  usanza  sintattica,  di  cui  si  hanno  altro  esempi,  la  locu- 
ziont  pensasse  ne  distornasse  significa  in  fondo  «  pensasse  a  distornare  ». 

V.  35  :  cio  m'è  aviso.  Bisogna  leggere  m'è  a  viso.  Cfr.  a.  prov.  nies  a  vis 
«  mi  sembra  »  e  cosi  a.  fr.  ni  est  a  vis  e  si  noti  che  esistono  anche  m'es  vis, 
m'est  vis,  che  valgono  ad  eliminare  i  possibili  dubbi. 

Al  V.  39  si  ha  una  voce  lia  che  bisogna  conservare,  mentre  nella  rico- 
struzione  dello  ŒU.essa  scompare.  A  questo  Ha  si  possono  dare  due  sensi  :  o 
quello  di  «  legame  »,  come  in  ant.  provenzale  (Levy,  S.-Wh.,  IV,  393)  o, 
fors'  anche,  quello  di  «  fiscino,  dominio  »  (cfr.  sicil.  mod.  liju  fâscino, 
deverbale  di  liari,  che  esîste  accanto  aligari). 

Veniamo  ora  alla  ricostruzione  e  interpretazione  del  testo.  Vv.  7-9  : 

A  la  stagione  —  ch'io  l'avrô  'n  possanza, 
senza  fallanza  —  volgHa  la  persone 
per  chui  cagione  —  facc[i]amo  membranza. 

ŒUer  traduce  :  «  Au  moment  où  elle  sera  tombée  dans  mon  pouvoir, 
«  puisse-t-elle  ne  pas  y  manquer,  mais  avoir  la  bonne  volonté,  la  personne  », 
ecc.  Inianto,  sen^a  fallanza  non  deve  avère  qui  che  il  senso  di  «  senza  fallo  », 
poichè  si  capisce  che  se  l'amata  cade,  non  puô  y  manquer,  eppoi  volglia  non 
puô  restare  campato  in  aria  nel  senso  di  «  avoir  la  bonne  volonté  ».  Bisogna 
prendere  A  (v.  7)  corne  interjezione,  ievare  la  virgola  dopo  possanza  e  inten- 
dere  stagione  come  complemento  oggetto  di  volglia  cioè  :  «  la  persona  (la 
donna  amata)  voglia  [che  venga  presto]  il  momento  in  cui  io  l'avrô  in  mio 
«  potere  »  : 

A!  la  stagione  —  ch'io  l'avrô  'n  possenza 
senza  fallanza  —  volglia  la  persone 
per  chui  cagione  —  facc[i]amo  membranza. 

E  si  noti  poi  che  membranza  è  bizzarramente  interpretato  a  p.  43  per 
«  exercice  d'esprit  »  ! 

La  locuzione  sen^a  ongne  casgione  (v.  6,  p.  41)  mi  fornisce  argomento  ad 
un'  osservazione  che  vale  anche  per  l'antico  francese  e  per  Tant,  provenzale. 


él8  COMPTES   RENDUS 

Seconde  me,  io  taluni  casi,  il  lat.  oceasio  (e  le  forme  che  ûe  derlvano)  ebbe  un 
senso  venutogli  dal  diritto  e  cioè  :  «  senza  cavillo  »  e  poscia  «  senza  esita- 
zione,  senza  sofisticheria  ».  I  formalismi,  le  sottigliezze  délia  procedura  eran 
chiamati  captiones,  cavillationes,  occaslones  e  si  sa  che  in  ant.  franc,  achesonner 
ebbe  anche  il  senso  di  «  chicaner  ».  Il  senso  di  «  cavillo,  arzigogolo,  ecc.  » 
ha,  a  mio  vedere,  ocaiion  nel  seguente  passe  di  Folquet  de  Mars.  (ediz. 
Stronski,  XIV,   17-18)  : 

Dona,  ben  veique  no"m  val  ocai'ios 
qu'Amors  ne  vol  qu'ieu  ja-n  sia  ginhos. 

Lô  Stronski  ha  tradotto  ocai-os  per  «  faux  semblant,  fausse  apparence  » 
(pp.  130,  257);  ma  il  significato  di  «  cavillo,  sottigliezza  »  parmi  niolto 
migliore  e  taie  da  accordarsi  egregiamente  co\  ghihos  (ingegnoso)  che  segue'. 

Il  senso  dei  vv.  13-14  :  Vaîo  tanto  tardamîo  —  che  paiira  mi  melto  non  è 
stato  inteso  appieno.  «  Vado  tardando  »  ha  il  significato  di  «  mi  va  tar- 
dando  »,  cioè  :  «  il  diletto  che  mi  ha  promesso  ritardà  ».  La  costruzione 
persOîlale  è  intéressante.  La  Contessa  di  Dia  scrive  :  no- us  cugeti  quieu  m'an 
/(//■;^rt«  (F/5  joù,  V.  17;  Schultz-Gora,  Pivv.  Dicht.,p.  19).  For  se  manca 
nella  nostra  lôeUziOiie  un  mi,  per  la  ragione  che  l'antica  lingua  sopprimeva 
volentieri  il  pron.  personale,  p.  es.  eo  tormento  (z-  io  mi  tormento),  ecc. 

Il  V.  39  :  elienemî  jilnlia.  forlte  jncatenato  non  va  già  ricostruito,  a  parer 
mio,  cosi  :  e  in  iiiiiilia  —  e  fietimi  iticalenato,  ove  umilia  è  oltremodo  pro- 
blematico  e  la  elisione  con  e  nel  secondo  emistichio  è  molto  dubbia,  ma 
cosi  :  e  tienmi  in  lia  —  fortte  inaitenato. 

I  vv.  31-33  sono  senza  fallo  corrotti  e  l'interpretazione  che  ne  dà  ŒU.  è 
inaccettabile.  Non  v'è  nécessita  di  sostituire  a  tduto  un  tando  âl  v.  22.  É  note- 
vole  iniiadoie  (v.  43)  col  senso  di  «  malparliero  »,  del  prov.  lauseugér.  È  pro- 
babilc  poi  che  Jû  cor  iti'adit'isf  significhi  :  u  ha  diviso  il  euore  da  me,  mi  ha 
portato  via  il  cuore  ».  Avremmo  la  solita  imagine  del  cuore  diviso  dall' 
amante  e  unito  a  quella  dclla  donna  amata,  avremmo  insomma  un  altro 
caso   di  «  prigionia    del  CUOfe   ».  «. 

Non  darô  termine  a  questo  resoconto  senza  dire  che  Io  Œiler  deve  aver 
lavorato  con  molta  diligenza  intorno  al  nostro  testo  ;  ma  ch'  egli  sia  davvero 
penetrato  nello  spirito  dell'  antica  lingua  poctica  del  sec.  xiii  non  potrei  affer* 
mare.  E  cio  non  affermerei  neppure  dei  benemeriti  autori  degli  altri  saggi 
presentati  dal  Tallgren.  La  Sign"»  Blâfield  non  ha  bene  compreso  il  senso  di 
mente  nel  v.  19  del  suo  testo  ÇXon  nioile  [sogg.  Amorc]  a  quel li  che  so'  suoi). 
Essa  traduce  :  «  il  ne  ment  point  »  ecc.  ;  ina^il  significato  di  meiitire  è  qui  di 


I.  Ml  àvvedo  ora  che  A.  Jeanroy  ha  già  fatto  questa  correzibnè  al  testo 
di  Folquet  (Rotn.,  XLII,  262). 


E.  LANGLEY,  Giûcomo  dci  Leniino  619 

«  venire  a  maftcafe  »  corne  àccâde  fâlOra  dell'  ant.  prov.  mentir.  La  frâse  riti- 
Irare  in  ^ioco  non  vuol  dire  «  reprendre  le  jeu  [avec  vous]  ».  Nell'  anticâ  lin- 
gua  âulicà  g iocô  ha  sovente  il  senso  di  «  gioia  ».  Cfr.  il  ben  notoc'  piove gioco 
d'atiiore  in  nui,  OvVcfû  :  In  padânn'nto  é'n  gioco  e  'n  allegran^a  (Vat.  3793, 
no  64,  stf.  4).  I  vv.  31-32  :  «  Da  poi  che  gravemente  m'agie  piinto  —  Tula 
îa  peita  ben  mi  pare  chi  agio  »  non  sono  stâfi  bène  intesi,  poichè  il  poetâ  rlOrl 
vuol  già  dire  che,  una  volta  punto  d'atiiore,  tutta  la  penâ  gli  si  è  trasforniata 
in  bene,  in  gioia  ;  ma  che  ha  serltiu  tutta  la  pena  [che  esiste  al  mondojdopo 
essere  stato  colpito  dalla  freccia  d'amofe,  e  heu  è  avverbio  intensivo.  Questa 
pena  poi  è  (dice  il  poeta)  a  sua  volta  una  gioia,  poichè  câgionano  gioia  le 
soffefenze  d'amore.  Gran  parte  del  componimento  s'aggira  su  questo  soltile 
concetto.  Al  v.  35,  non  uccorre  mutare  cangia  in  caiigio.  Il  soggetto  è  la 
(I  gioia  ».  Al  V.  23  v'  è  uri  patia  che  pare  infatti  un  impf.  (5'  io  vi  cohlo  le 
peiie  cliio  paiia),  nia  sicciome  il  seiîso  vofrebbe  un  présente,  cosi  si  pôtrebbe 
ammettefe  in  palire  un  allungamento  in  -iare,  come  accade  rtegli  ant.  verbi 
italiani  :  stiuiiare  per  stimarc,  estreiiiiare  «  far  dimagrare  »  ecc.  Ciô  è  tutt' 
altro  che  impossibile,  bcnchè  a  prima  vista  appaia  singolare.  Giudichi  chi  ne 
sa  più  di  me.  La  locuzione  iin'er  sua  donna  (v.  9)  non  significa  :  «  auprès  de 
la  dame  »  ma  :  «  in  riguardo  alla  dama,  rispetto  alla  dama  ». 

Il  testo  più  difficile  è  quello  studiato  da  V.  Eskelinen  (Amor  che  ni'à  '« 
connvido).  L'esame  di  esso  (rimasto  in  molli  punti  oscuro  anche  dopo  gli 
sforzi  del  nostro  autofe)  mi  porterebbe  ora  troppô  lùntano.  Preferisco  ser- 
bàrlo  per  un'  altrâ  occasione,  la  quale  non  tafderA  fôrse  a  venife  ',  poichè 
la  série  dei  lavori  suH'  antica  poesia  italiana  diretti  dal  Tallgfen  non  si  chlude 
con  le  ricerche  preséntate  sino  ad  ora. 

Giulio  Bertoni. 

Ernest  F.  L.^nglev,  The  poetry  of  Giacomo  da  Lentino,  Cam- 
bridge, Harvard  University  Press,  191 5  ;  in-8,  XLi-149  p.). 

Se  si  pensa  che  il  volutne  che  si  sta  sotto  gli  occhi  è  una  tesi  di  laurea 
non  si  esiterà,  a  malgrado  délie  sue  manchevolezze,  a  decretargli  una  certa 
Iode.  Lode  mérita  l'autore  per  la  diligenza  con  la  quale  ha  studiato  l'attra- 
ente    argomento,  per  la  sua  coscieriza,  per  il  buon  volere;  tutte  doti    che 


I.  AftVonteremo  allora  il  problema  délia  lingua,  per  il  quale,  oltre  i  noti 
libri  del  Gaspary  c  del  Cesareo,  si  possono  consultare  :  Tallgrcn,  Silr  la  rime 
iicilienne  et  les  Siciliens  du  Xflf^  s.,  Helsingfors,  1909  (cfr.  G.  B[ertoni],  in 
Giorn.  stor.  d.  lett .  ital.,  LV,  419)  ;  Parodi,  Rima  sicil.  e  rima  aretina  e  bolo- 
gnese,  in  Bull.  d.  Soc.  dantesca  ital.,  XX  (191 3),  123  ;  Bertoni,  in  Fanf.  délia 
Domenica,  XXXVI  (1914),  25  Gennaio.  La  questione  mérita,  spccialmente 
dopo  lo  studio  del  Parodi,  d'e^sere  ripresa  e  riesaminata. 


620  COMPTES    RENDUS 

condurrano  certamente  il  Langley  a  darci  frulti  migliori  di  gran  lunga  di 
questo. 

L'interpretazione  dei  testi  lascia  assai  a  desiderare.  Altri  (e  precisamente 
A.  Jeanroy)  '  ha  avuto  occasione  di  notare  qua  e  là  alcune  gravi  deficenze  ; 
ma  gli  appunti,  che  si  potrebbcro  muovcre  a  questa  parte  del  libro,  sareb- 
bero  oltremodo  numerosi.  lo  restringerô  il  mio  esame  aile  sole  otto  prime 
canzoni  e  non  istudierô  gli  altri  componimenti.  Già  in  questi  primi  otto 
testi,  molto  v'è  da  osservare,  da  migliorare,  da  emendarc.  Alcuni  passi 
presse  che  incomprensibili  sono  dati  senza  una  nota,  un  avvertimento,  corne 
se  fossero  la  cosa  più  facile  di  questo  mondo.  Nessuna  ricerca  linguistica, 
nessun  raffronto  intéressante.  E  pur  tuttavia,  molto  buon  volere,  molta 
cura,  molto  amore. 

I,  1-8.  Dato  anche,  ma  non  concesso,  che  veramente  lo  nie  core  (v.  5) 
non  dipenda  da  ni'aita  ',  dato  che  il  v.  5  non  sia  retto  da  priso  e  che  Ve'  del 
verso  4  non  sia  un  e  (congiunzione),  bisogna,  a  parer  mio,  interpungere 
cosi  i  vv.  5-8  : 

Oi,  lasso  lo  me'  core 

ch'è  'n  tante  pêne  miso  ! 

Chè  vede  che  si  more 

per  bene  amare,  e  tenelosi  a  vita. 

11  soggetto  degli  ultimi  due  versi  è  amore  (v.  2),  amore,  che  non  aita  il 
poeta  e  tiene  in  vita  il  cuore,  mentre  questo  è  sul  punto  di  morire.  V.  9 
martre'  eo,  Leggcre  piuttosto  :  morire  co,  poichè  morire  è  un  imperfetto 
(*morirem)  con  senso  di  condizionale.  Si  cfr.  RinalJo  d'Aquino  :  la  gente 
che  v'andare  (^=  che  vi  andrebbè),  de  LoUis,  Baust.  Mjissafia,  p.  4  ;  Dist.  lat. 
(Monaci,  51,  13)  :  vanlaras  a  ciii  tu  lo  dar  (=  dares,  a  chi  tu  lo  daresti)  ; 
G.  Pateg,  V,  79  :  e  ilghlastema  qui'l  fir  (heret),ecc.  V.  16.  Leggere  :  Amor, 
vostr  amiitate  vid'  e'  maie,  cioè  :  io  vidi  in  mal  punto  (prov.  mala  vi  ieii), 
fui  disgraziato  quando  m'incolse  la  vostra  «  amistate  »,  o  Amore!  Vv.  35- 
36.  Richieggono  un  chiarimento  :  «  non  so  esprimere  bene  i  propri  senti- 
menti  che  amore  m'inspira  ».  V.  57.  L'intcrpretazione  del  Parodi  a  me 
pare  sicura.  Quanto  a  prodito  «  prurito  »,  si  pensi  al  nap.  prodere,  prudere, 
con  un  0  che  è  stato  spiegato  per  influsso  di  rodere.  Si  metta  poi  virgola,  non 
punto,  dopo  il  v.  44,  poichè  il  poeta  vuol  dire  che  «  il  pittore  si  ripronde 
pel  fatto  che  la  sua  pittura  non  è  riuscita  bene,  secondo  natura  ».  Io  non 
credo  poi  che  sturba  al  v.  42  significiii  «  cancella  ».  In  sicil.  moderno  stur- 
bari  ha  anche  il  senso  di  «  sospendere  »  e  questo  significato  conviene  per- 
fettamente  al  nostro  passo.  Il  pittore  pinge  eppoi  «  sospcndo  »,  perché  la  sua 

1.  Revue  critique,  1916,  I,  389. 

2.  In  m'aita,  l'/w'  dovrebbe  essere  preso  come  dativo  etico.  Ma  si  puô 
benissimo  accettare  per  i  primi  quattro  versi  l'interpunzione  del  L. 


E.  LANGLEY,  Giacomo  da  Lentino  621 

opéra  gli  spiace,  quindi  si  riprende.  (Cfr.  Mortillaro,  Dt\ion.  siciL,  s.  sliir- 
bari,  distiirbari  :  interrompere.)  Il  nostro  sturba  va  inteso  in  senso  riflessivo, 
benchè  manchi  si,  corne  accade  spesso  in  ant.  italiano  (p.  es.  tormenta,  si 
tormenta),  dunqiie  :  «  si  interrompe,  sospende.  »  V.  49  Fostro  amor .  Si 
intenda  :  «  l'amore  che  ho  per  voi.  » 

II,  10  cV  r  vi  porte.  Si  puô  anche  leggere  semplicemente  chi  (=  che), 
forma  sicil.  largamente  attestata,  p.  es.  nel  cod.  Cruyllis-Spatafora  (De 
Gregorio,  Zeitschr.,  XXIX,  566  sqq.).  V.  25-27.  Domandano  una  dilucida- 
zione  :  «  simile  a  colui  a  cui  basta  la  fede  per  ritenersi  salvo  in  una  vita 
migliore,  benchè  non  sappia  nuUa  di  ciô  che  l'attende,  a  me  basta  il  vostro 
ritratto,  benchè  io  non  veda  l'originale.  »  E  qui  sia  notata  la  frequenza  di 
imagini  tratte  dalla  pittura  in  Giacomo  da  Lentini  (I,  43,  68  ;  II,  5-7,  12). 
V.  45  Bisognerà  risolversi,  per  ragione  del  senso,  ad  accogliere  la  lezione 
di  B  :  tanto  forte  mi  pare.  Cf.  v.  13  :  co'  vii  par  forte  !  V.  50  per  arti.  Va 
spiegato  :  «  slealmente  ».  V.  52  Sacciatelo  per  singa.  I  singa  (signa)  che 
cosa  saranno  ?  L.  traduce  (p.  147)  «  segno  »,  il  che  non  significa  nulla. 
Occorre  interpretare  :  «  carattere,  scrittura  »  cioè  :  «  sappiate  ora  per  mezzo 
di  questo  foglio  scritto  ciô  che  vi  dirô  poi  a  bocca  {a  Uuga).  »  V.  57.  Il 
poeta  difficihiiente  avra  detto  alla  sua  canzone  :  lévati  da  maitino,  ma  si 
bene  :  Moveti  da  maitino  Davanti  a  la  più  bella  (lez.  combinata  di  A  e  B). 
Dopo  nova  cosa  (v.  56)  un  segno  d'interpunzione. 

III,  6  nomo.  Non  significa  qui  «  nome  »,  corne  il  L.  traduce,  ma  quasi 
«  valore  <■,  senso  derivato  da  quello  di  «  rinomanza  ».  Da  notarsi  poi  che 
sape  ciascuno  (v.  8),  va  inteso  sape  [/fl«]  ciascnuo.  V.  12  antra  geiite.  Il  L.  ha 
troppo  trascurato  la  ricerca  linguistica.  Benchè  autro  trovisi  nel  veneto,  in 
Toscana  e,  si  puô  dire,  in  testi  di  quasi  tutta  Italia,  la  sua  presenza  nei  com- 
ponimenti  di  Giacomo  da  Lent,  non  è  senza  importanza.  Cfr.  Mej^er-Lûbke, 
Ital.  Gramm.,^  234;  Schneegans,  128;  Salvioni,  Rend:  ht.  Lomb.,  S.  II, 
vol.  XLI,  892.  V.  19-20)  : 

ch'  este  'scita  di  savori 
20  merze[de]  per  troppa  usanza. 

Il  L.,  appoggiandosi  naturalmente  alla  ediz.  romana  del  ms.  A,  dice  che 
il  ms.  ha  scita,  ma  il  dr.  Angelo  Mercati,  da  me  pregato  di  rivedere  il  passo 
sul  ms.,  mi  comunica  che  il  codice  ha  «  chiaramente  »  sella  cioè  :  scinta. 
Io  intendo  :  «  mercede,  per  troppa  usanza,  è  ormai  discinta  di  sapore,  di 
piacere,  come  cosa  troppo  in  uso.  »  Pensare  a  un  '5cm/a  (*exuta)  sarebbe 
lecito,  ma  il  senso  «  uscita  di  sapore  »  non  puô  dirsi  cccellente.  V.  3 1 .  Non 
intendo  come  si  possa  accettare  per  scolosmini  il  senso  di  «  pietra  preziosa  » 
sia  pure  con  tutte  le  riserve.  Tuttavia,  non  so  proporre  nulla.  Il  senso  pare 
essere  di  «  soggiorno,  intrattenimento  ».  V.  40.  «  Gli  amanti  richieggano 
la  dama  di  pietà  dopo  nove  anni  di  fedele  servitù.  »  Vengono   al  pensiero  i 


61  i  COMPTES   RENDUS 

«  nove  »anni  di  Dante,  e  ciô  mérita  d'essere  notato.  Vv.  45-50.  Vanno  spîe- 
gati  :  «  [io,  dice  il  poeta  (vv.  16-17,  28-29),  non  sono  di  coloro  che  chieg- 
gono  subito  i  favori  délia  loro  donna.  Questo  sa  fare  ciascuno.  Io  vogiio  un 
lungo  servire.]  Ora,  se  a  voi  paresse  che  per  avère  il  vostro  amore  si 
dovesse  fare  altrimenti  da  ciô  ch'  io  faccio  [ed  io  dovessi  mettermi  nella 
comune  schiera  degli  amanti],  se  questo  voleté,  voglia  il  cielo  che  continuiatc 
a  stare  allegra  ;  ma  sentite  ciô  che  vi  dico  :  piuttosto  di  offrirvi  un  taie 
amore  volgare,  preferirei  morire.  » 

IV,  15-161'.  Credo  che  mia  spregian^a  vada  corretto  in  mispregiania  ç. 
che  si  debba  leggere  : 

ma  vergognare 

perch'  io  coninzi,  non  è  mispregianza  ? 

V.  22  in  voi  mirare.  Anche  qui  ritirare  è  inipf.  sogg.  col  senso  di  poten- 
ziale  «  quando  viguardo».  Cfr.  Gamillscheg,  Stiidieii  ^iir  Vorgeschichte  einer 
roman.  Tempuslehre,  in  «  Sitzungsberichte  »  di  Vienna,  172,  p.  226. 
V.  31  0  i  nuiî parlare.  Si  legga  ai  (o,  aut),  usato  in  ant.  siciliano  (il  che 
non  significa,  si  hadi,  che  il  componimento  fosse  scritto  in  siciliano). 
Vv.  35-37-  Versi  vessati  quaiito  mai.  Deve  leggersi  che  (non  ch'è)  al  v. 
36  :  «  la  lontananza  di  un  passo  dalla  donna  amata  è  più  grave,  è  più 
temuta  che  il  viaggio  cosi  lungo  da  Gerusalemme  in  Siciiia  ed  è  più 
grave  che  una  battaglia  ».  Il  termine  «  comparationis  »  la  prima  volta 
è  rctto  da  un  cbe,  la  seconda  un  di.  Il  v.  39  io  interpreterei  cosi  :  «  e 
non  sarci  mai  io  a  pcnsare,  e  non  penscrei  mai  »,  ecc.  V.  44.  Basta  leg- 
gere chi  (cfr.  II,   10). 

V.  23,  sorchietan-^a  m'è  sospctto.  Vi  abbiamo,  senza  failo,  il  franc,  sor- 
cuidance  ;  onde  leggerei  senz'  altro,  corne  vuole  la  tradizione  manoscritta 
(B,  C),  sorcoitania. 

VI,  11-12  :  intendate  non  pu6  essere  che  soggiuntivo  e  la  lezione  dcl 
Tallgren,  proposta  in  nota  (a  p.  105),  va  accolta  ne!  testo,  il  quale  è  stato 
frainteso,  come  mostra  il  punto  dopo  il  v.  3  anzichè  dopo  il  v.  2.  Il 
senso  è  :  «  fu  insiiusto  Amore  a  decidere  ch'io  vi  adori  e  voi  non  mi 
corrispondiate  »,  concetto  dei  più  comuni  nella  lirica  cavalleresca.  V.  23 
belkyie.  Fer  la  continuazione  di  -itiem,  anzichè  -itiam,  é  da  rimandarsi 
al  Savj-Lopez,  m  Zeilschr.,  XXIV,  502.  Ma  questo  carattere  non  è  prctta- 
mente  siciliano,  corne  par  giudicarlo  il  Tallgren,  sibbene  méridionale.  Lo 
abbiamo  in  testi  napoletani  c  abruzzcsi.   Il  suff.   -itietn  sopravvive  poi  nella 


I.  Vedi  ora  l'eccellente  edizione  di  questa  canzone  procurata  da  FI.  Pel- 
legrini  nella  Rassegna  bihl,  délia  lett.  ital .,  XXIII,  202.  Va  d'accordo  con  me 
il  P.  pei  versi  13-6. 


E.   LangleY,  Giacomo  da  Lentino  61  j 

penisola  iberica    e  non    è  improbabile   che  in  Italia  la  sua  diffusione    sia 
stata  maggiore  per  il  passa to. 

VII.  Per  cio  che  riguardi  il  dialogo,  le  cose  non  sono,  secondo  me, 
al  loro  posto.  lo  ritengo  che  dal  v.  6  al  v.  lo,  il  poeta  non  si  rivolga 
alla  sua  donna  e  parli  in  terza  persona  (v.  7  corr.  che  lev  i  la  [i)i  la~\  niai- 
tina).  La  donna  risponde  coi  vv.  11-12.  Il  poeta  riprende  col  v.  13  (corr. 
stessd)  e  giunge  sino  alla  fine  délia  strofa  (corr.  vv.  15-16  :  namorato,  lan- 
ciato).  I  pronomi  paionmi  richiedcre  questa  interpretazione,  ma  altre  se  ne 
potrebbero  dare  e  riconosco  che  la  mia  non  è  che  congetturale. 

VIII,  5.  Intendi  :  senia  [coJei'\  iii  cni  mise.  V.  32.  IlL.  interpréta  <;  z<;^ia- 
mento  per  «  e  veglia  »  (p.  148),  del  che  io  dubito  forte.  Laddove  veggia- 
mento  compare  (ms.  A,  no  167,  str.  IV  :  No  la  posso  ucire  ne  vegiatnento 
pre\ji]derc^,  significa  «  vendetta  »  e  va  con  vegiati^a  vengian:ia.  Inoltre,  ci 
si  aspetterebbe  *veghiaiuento  (il  ms.  A  ha  veghiare  «  vegliare  »).  Io  penso 
che  si  dcbba  leggere  evegianiento  (*in  vidiamentu  m  ,  cioè  una  forma 
parallela  al  prov.  envejansa),  cioè  :  «  grande  desiderjo,  ardore  di  passione, 
ecc.  )) 

Noto  poi,  in  questa  poesia,  un  grave  errore  (e  mi  dispiace  doverlo 
segnalare)  ai  vv.  17-18  :  Poi,  niadonna,  mi  sfesi,  Mio  è  7  dannagio  cd  ogne 
languire.  Il  L.  non  ha  stampato  misfesi  perché,  die'  egli,  la  forma  fesi  per 
feci  non  è  propria  del  manoscritto  e  ha  preferito  prendere  sfesi  per  il  pass. 
rimoto  di  sfendere  =  fendere.  È  un'  idea  da  rigettarsi  assolutamente.  La 
voce  misfesi  ricaica  il  prov.  franc,  mesfis  e  lo  ricalca  cosi  bene  da  mante- 
nere  persino  V-s-.  Non  è  quindi  il  caso  di  parlare  délie  abitudini  lingui- 
stiche  o  grafiche  del  poeta  o  del  copista,  corne  non  se  ne  potrebbe  parlare 
dinanzi  ai  c/i'a/// cavalli,  civaliere  (255,  b)  del  medesimo  ms.  A.  Il  senso  di 
misfesi  è  naturalmente  «  agii  maie  »  (cfr.  prov.  franc,  mesfaire),  «  mi 
condussi  maie,  falii  » . 

Non  esamino  gli  altri  componimenti  perché  ciô  mi  porterebbe  molto  lon- 
tano.  Dirô  di  nuovo  che  talora  mancano  dilucidamenti  indispensabili  alla 
certa  intelligenza  di  parecchi  passi  e  invano  si  cercano  note  e  osserva- 
zioni  su  voci  e  locuzioni  interessanti .  In  générale,  il  commento  é  oltremodo 
insufficente  e  il  glossario  è  assai  infelice.  Vi  si  hanno  interpretazioni  erronée 
di  vocaboli  tutt'  altro  che  oscuri  o  ardui.  Alcune  di  queste  false  interpre- 
tazioni ha  già  notate  lo  Jeanroy.  Mi  limiterô,  per  finire,  a  dare  una  mia 
interpretazione  (lo  studioso  giudicherà  se  felice  o  no)  dei  vv.  7-8  del  son. 
XII  {efatt^  avefe  de  la  peiina  caro  —  corne  nochier  c\\  falsa  caiioscenia).  Biso- 
gna  intendere,  a  parer  mio  :  «  avete  fatto  qualc  guida  del  cammino,  quale 
direttivo,  la  pena,  il  dolore  »  ;  cioè  :  «  voi  dirigete  verso  la  pena  il  vostro 
fedele,  come  farebbe  un  cattivo  nocchiero  » .  Il  caro  non  deve  essere  che  il 
«  carro  »,  cioè  l'orsa,  chiamata  «  carro  »  in  rumeno,  in  dialetti  italiani, 
côme"  lombardi,  emiliani,    ccc,  e  anche  nella  Spagna.  La    forma  caro    per 


624  COMPTES    REN])US 

crtrro,  sebbene  alla  rima,  non  costituisce  una  vera  e  propria  difficoltà,  corne 
non  la  costituirebbe  un  -erra  :  -era.  Questo  scempiamento  conoscono,  de 
resto,  alcuni  dialctti,  corne  il   lucchese. 

Giulio  Bertoni. 

Ludovico  Frati,   Rimatori  bolognesi   del  Trecento;    Bologna, 
Romagnoli-Dair  Acqua,  191 5  ;  in-80,  XLl-262  pages. 

Il  dr.  L.  Fraii,  cosi  benemerito  della  storia  letteraria  di  Bologna,  rende  con 
questo  nuovo  volume  un  altro  grande  servigio  agli  studiosi.  Dopo  una 
sobria  e  ben  documentata  introduzione,  si  hanno  le  edizioni  dei  testi,  a  cui 
tien  dietro  un  glossario.  Sono  da  segnalare  la  ristampa,  secondo  un  nuovo 
ms.,  del  Trattato  délie  volgari  sentenlie  sopra  Je  virtii  morali  di  Graziolo  de' 
Bambagiuoli,  le  rime  di  Pellegrino  Zanibeccari,  di  Matteo  Grifoni  e  sopra 
tutto  il  Thésaurus  rusIicoruDi  di  Pa  anino  Bonafè.  È  altresi  utile  la  coilezion- 
cina  di  antiche  poesiole  italiane  rinvenute  nci  Memoriali  del  R.  Archivio  di 
Stato  di  Bologna  e  qui  novamente  pubblicate  '. 

Moite  osservazioni,  moite  correzioni,  moite  critiche  si  possono  fare  aile 
edizioni  dei  testi,  i  quali  non  saranno  per  questo  meno  utili  o  preziosi. 
Anche  le  interpretazioni  délie  voci  più  interessanti  lasciano  talora  alcuni 
desideri  insoddisfatti.  Cosi,  non  si  capisce  corne  il  Fr.  abbia  potuto  interpre- 
tare  il  roiuenadi  di  questo  passo  : 

metesse  mano  ai  dinari 


ello  li  avea  tocadi 

e  pochi  di  era  i  avea  rovienadi 


per  ((  rimescolati  »  (p.  246).  Evidentemente  abbiamo  qui  il  verbo  nuvierare 
divenuto  in  ant.  emil.  romenar,  emil.  mod^mo  a rmndr,  numerare. 

Non  sono  punto  d'accordo  circa  l'interpretazione  di  dirinado,  clie  il  Frati 
traduce  (p.  235)  per  «  dritto  ».  Ma  l'etimo  della  voce?  Il  termine  figura  in 
un  passo  in  cui  si  parla  di  un  ramo  di  ulivo  da  piantarsi,  ed  io  ritengo  chela 
locuziowQ  plantai  po'  bem  dirinado  signi(\ch\  che  la  parte  che  va  sotterra  debba 
essere  prima  battuta  e  pesta  perché  faccia  maggiore  presa.  Vi  si  tratta  dei 
verbo  ven.  emil.  derendr,adernâr  ecc,  ant.  bologn.  (Vocabolista  1660)  adri- 
nare  «  sfiancare,  battere  »  ecc,  verbo  che  vive  oggidi  sopra  tutto  neila  forma 
del  part,  passato  col  senso  di  «  sfiancato,  sgallonato  »  e  dicesi  in  ispecial 
modo  délie  persone.  Siamo  a  un  *derenare,  quasi  «  fiaccar  le  reni  ». 

Il  Frati  registra  (ma  non  traduce)  nel  glossario  (p.  230)  la  voce  caça  ca^a, 


I.  Mi  pernietto  di  rimandare  il  Frati  a  una  mia  recensione  nella  Romania^ 
XLIII,  276,  recensione  che  gli  è  sfuggita. 


L.  FRATi,  Rîmatori  boJognesi  625 

che  figura  sempre  nel  Thésaurus  di  Paganino  (p.  151)  :  «  nietillo  poy  al  fogo 
in  una  ca^ia  (ms.  bologn.  caça).  »  Si  tratta  evidentemente  di  quel  recipiente 
di  rame  a  foggia  di  mestolo  o  grosso  cuccliiajo  detto,  ad  esempio,-  nel  vero- 
nese  casa. 

Anche  non  intendo  corne  il  Fr.  abbia  potuto  tradurre  fatia  per  «  volta, 
fiata  ».  Ecco  il  passo,  in  cui  si  discorre  del  frumento  :  «  Che'  1  tropo  grasso 
non  la  (corr.  lo  o  nol)  farà  voltare  (yoltrare  del  ms.  bolognese  è  un  errore  di 
copia  e  non  doveva  essere  registrato  nel  gloss.,  p.  252)  —  Ma  se  voltare  lo 
fesse  qualcheyi(//(r.  »  Sta  bene  che  in  margine  del  ms.  vi  sia  stato  alcuno  che 
abbia  interpretato  que^to  jatia  per  fiade  ;  ma  l'editore  non  avrebbe  dovuto 
tener  conto  di  questa  stravagante  dichiarazione.  La  voce  /(//w  significa 
«  disavventura,  disgrazia  »  (o  qualcosa  di  simile,  come,  nel  caso  nostro  :  ura- 
gano,  grandine,  ecc.)  ed  è  Tant,  bologn.  jatia  (Vocabolista  :  fat  lia,  «  fatui- 
tas  »  ') . 

Puô  essere  che  stabiadi  non  significhi  «  concimati  »  nel  seguente  passo 
(p.  161): 

Taglia  bem  da  l'un  di  ladi 
Como  li  ligni  che  em  stabiadi. 

È  vero  che  nei  dial.  settentrionali  (e  non  settentrionali)  si  hanno  termini 
come  milan,  stdbbi  porcile  (Cherubiui,  IV,  294)  metayr.  stabbi  letame 
(abruzz.  stdbglg)  parm.  stabiàr  «  tener  la  notte  le  greggi  nei  canipi  per 
ingrassarle  »  mod.  cont.  stabiàr  «  concimare  laja  per  battervi  il  grano  »  ;  ma 
è  altresi  vero  che  in  emiliano  esiste  il  vocabolo  stdbia  «  stiappa  di  legna  da 
ardere  »  (Malaspina,  Foc.  parm.-ital.,  IV,  195)  e  tdbia,  stdbia  a  Concordia 
(dioc.  di  Carpi)  «  stiappa  di  legna  ».  L'Ungarelli,  Voc.  d.  dial.  bologn., 
p.  258,  registra  stabiàr  «  piallare,  digrossare  il  legname  ».  Insomma,  la  voce 
stabiadi  puô  alludere  a  un  taglio,  a  un'  incisione  o  a  più  tagli  nel  legno. 

La  parola  strepi  (Thésaurus,  v.  470)  mi  ricorda  il  diritto  o  l'uso  pro  strepa- 
ticho  (per  il  quale  si  pagava  una  piccola  imposta  alla  chiesa)  di  antichi  docu- 
ment! emiliani  ;  il  termine  sedacino,  -tiiio  deve  andare  con  sedu,  enseda, 
«  inne?to  »  ;  la  forma  grosiera  (fem.)  del  Tlxsaurus  è  rifatta  su  priniero  -a 
(suff.  arias);  guaiume,  guaime,  présenta  il  suffisso  emil.  àcW  guaiôni,-ùin  ; 
moglio  è  l'emil.  môj,  molle,  ecc,  tcc. 

A  p.  118,  V.  309  «  Dilunçi  ça  li  fa  tri  piedi  »  corr.  Di  lunçiça  (ms.  corsi- 
niano  :  Di  lo!ige:(a).  A  p.  191,  v.  50  :  «  ch'  el  so  no  vale  a  dui  dinari  —  e  mo 
vale  migliara  »  corr.  valea.  A  p.  195,  vv.  148,  174  bisognava  conservarc  la 


1.  S'intende  chefatuitas  è  stato  suggerito  del  desiderlo  di  dare  un  etimo 
alla  voce,  etimo  ad  orecchio  come  tutti  quelli  che  si  leggono  nel  «  Vocabo- 
lista  »,  il  quale  é  tuttavia  prezioso  per  contenere  alcuni  vocaboli  scomparsi. 
Remania  X^.IV  40 


626  COMPTES    RENDUS 

lezione  del  principale  ms.  (lezione  non  registrata  a  piè  di  pagina)  so  no, 
invece  di  se-  no.  Esempi  di  siffatta  assimilazione  si  hanno  in  ant.  alto  italiano, 
sopra  tutto  in  testi  veroncsi. 

Osservazioni  siffattc  potrebbero  moltiplicarsi  ;  ma,  corne  ho  detto,  il  volume 
del  Frati  restera  sempre  un  utilissimo  contributo  alla  storia  letteraria  italiana 
dci  sec.  XIV  ed  è  doveroso  salutarlo  con  rispetto  e  riconoscenza. 

Giulio  Bertoxi. 

Dante  Alighieri,  Vita  Nova,  suivant  h  texte  critique  préparé  pour  la 
«  Società  Duntesca  Ituliaiia  »  par  M.  Barbi,  traduite  avec  une  introduction  et 
des  notes  par  Henry  Cochin.  Deuxième  édition,  revue  et  corrigée.  Paris, 
Champion,  1914  (livrée  au  public  seulement  en  1916). 

C'est  une  charmante  surprise  que  cette  mise  au  jour,  en  pleine  guerre,  de 
'a  deuxième  édition  de  la  Vita  Nova  traduite  par  M.  H.  Cochin.  Non  pas  que 
le  succès  de  ce  travail,  accompli  avec  un  soin  et  un  goût  exemplaires,  soit 
inattendu  ;  mais  peu  de  gens  peut-être  se  doutaient  que,  à  l'heure  actuelle, 
le  <(  livret  »  juvénile  et  amoureux  de  D.mte  fut  assez  demandé  pour  décider 
l'éditeur  à  achever,  sans  plus  tarder,  le  tirage  et  le  brochage  d'une  réimpres- 
sion interrompue  il  y  a  deux  ans.  Dante  obtient  là  un  joli  succès,  dont  il  est 
d'ailleurs  redevable  à  son  traducteur  pour  la  plus  large  part. 

La  première  édition  porte  la  date  de  1908  ;  quatre  ans  plus  tard,  elle  était 
épuisée.  La  seconde  n'est  pas  simplement  un  nouveau  tirage,  plus  ou  moing 
retouché;  M.  C.  a  tenu  à  y  apporter  quelques  corrections  et  des  additions; 
toute  l'Introduction,  une  importante  partie  au  moins  du  texte,  de  la  traduc- 
tion et  des  notes  ont  été  composées  de  neuf.  Cependant  les  modifications  ne 
portent  que  sur  des  détails  et  ne  changent  en  rien  la  phvsiononiie  générale 
du  livre  ;  ainsi  les  idées  du  traducteur  sur  l'interprétation  allégorique  de  la 
Fita  Nova  n'ont  pas  bougé  d'une  ligne,  et  on  ne  peut  que  l'en  féliciter,  car 
elles  sont  fort  raisonnables,  mesurées  et  en  somme  probables  ;  en  ces  ques- 
tions délicates,  il  n'est  guère  permis  d'aspirer  à  mieux. 

La  traduction  est  une  des  applications  les  plus  ingénieuses  et  les  plus  rigou- 
reuses peut-être  qui  aient  été  tentées  en  français  de  la  méthode  littérale.  Les 
avantages  en  sont  manifestes  :    présentée  face  à  face  avec  le  texte,  cette  tra. 
duciion  permet  à  un  lecteur,  peu    familier   avec  la  langue    du  poète,  de  se 
rendre  un  compte  très   suffisant    de   ce  que  Dante  a  écrit,  sans  qu'entre  le 
texte  et  lui  s'interposent,  à  son  insu,  les  libertés  de  style,  les  interprétation 
personnelles,  voire  même  les  fantaisies  d'un  traditore;  il  v  a  d'ailleurs  un  pro_ 
fit  très    appréciable  à   ce  que  la  traduction  ainsi  comprise  invite  le  lecteur  à 
déchitTrer  le  texte  de  Dante,  au  lieu  de  s'y  substituer  sans  appel.  Mais,  d'autre 
part,  les  écueils  sont  nombreux  :  la  langue  française,  même   maniée  par  un 
homme  qui  en  connaît  à  fond  toutes  les   ressources,  se  prête  difficilement  à 
un  calque  fidèle  de  la  phrase  italienne,   et  le  traducteur   ri.sque   de    fmir  par 


DANTE    A.LIGMIERI,    Vila    Nova  627 

faire  dire  aux  mots  français,  non  ce  qu'ils  signifient,  mais  ce  que  signifient 
les  mots  italiens  correspondants.  J'ai  eu  l'occasion,  il  y  a  plusieurs  années, 
d'examiner  une  traduction  restée  inédite  de  la  Divine  Comédie,  œuvre  d'un 
hornme  fort  distingué,  dont  la  longue  vieillesse  avait  été  consacrée  à  ce  dur 
labeur  avec  une  inlassable  patience  :  il  n'avait  cessé  de  la  réviser  et  de  la 
recopier  jusqu'à  sa  mort,  et  chaque  révision  avait  abouti  à  une  exactitude 
plus  littérale  ;  cela  finissait  par  n'être  plus  une  traduction,  mais  une  transcrip- 
tion de  l'italien  en  phonétique  française.  Ainsi  veltro  avait  d'abord  été  rendu 
par  «  lévrier  »  ;  mais  ensuite  le  traducteur  avait  découvert  le  mot  «  vautre  », 
de  même  origine  et  de  même  sens,  qu'il  avait  aussitôt  préféré,  et  ainsi  du 
reste.  Il  est  à  croire  qu'un  lecteur  français  non  initié  n'y  aurait  pas  compris 
grand'  chose. 

J'ai  hâte  de  dire  que  M.  C.  ne  tombe  pas  dans  cet  excès;  il  sait  bien  que 
parfois  il  faut  un  peu  interpréter,  et  qu'un  léger  coup  de  pouce  à  la  phrase 
est  souvent  nécessaire  pour  mettre  le  lecteur  dans  la  bonne  voie.  Néanmoins 
je  ne  puis  cacher  qu'en  parcourant  sa  traduction  mon  regard  se  porte  irrésis- 
tiblement sur  le  texte  italien,  qui  me  paraît  vraiment  plus  clair,  et  cela  m'in- 
quiète un  peu  pour  le  lecteur  qui  n'a  pas  la  même  ressource.  Ainsi  la  traduc- 
tion du  sonnet  à  Lisette,  que  M.  C.  fait  précéder  d'un  si  joli  commentaire 
(p.  LIi-Liii),  me  paraît  exiger  du  lecteur  un  effort  plus  grand  qu'il  ne  croit, 
et  pour  un  résultat  douteux  :  au  v.  i,  serait-il  très  inexact  d'employer  «  par- 
cotirt  »  ou  même  «  suit  »  pour  rendre  corre}  —  v.  2  (en  Vdnie  va),  l'o- 
mission du  pronom  sujet,  contraire  à  l'usage  français,  ne  facilite  pas  l'intelli- 
gence d'une  phrase  déjà  contournée  —  et  «  âme  »  n'est  pas  l'équivalent  le 
plus  juste  de  mente;  —  au  v.  12  {Aniour  lui  a  donnée),  l'omission  du  pro- 
nom h  (Ja  lui  a  donnée^  contenu  dans  le  texte  (p.  245,  et  non  244)  est  uûe 
légère  inexactitude,  qui  n'ajoute  rien  à  la  correction  ni  à  la  clarté.  Ces  minu- 
ties ne  méritent  d'être  signalées  que  parce  qu'il  est  infiniment  rare  qu'on  en 
puisse  relever  de  pareilles.  Je  pense  que  M.  Cochin  m'excusera  si  je  men- 
tionne ici  quelques  doutes,  que  j'avais  notés  sur  mon  exemplaire  de  la  pre- 
mière édition,  et  que  j'espérais  un  peu  voir  éclaircis  dans  la  seconde. 

P.  1 1,  1.  6  :  «  enveloppée  en  un  drap  d'un  rouge  pâle  »  ;  c'est  une  inter- 
prétation qui  ne  me  paraît  pas  certaine,  car  il  serait  plus  naturel  de  rapporter 
leggenvnente  à  «  enveloppée  »  qu'à  «  rouge  »  ;  en  tout  cas  la  traduction  litté- 
rale donnerait  :  «  enveloppée  me  semblait  dans  une  étoffe  rouge  légèrement  », 
ce  que  je  n'hésiterais  pas  à  redresser  :  «  elle  me  semblait  enveloppée  légère- 
ment dans  une  étoffe  rouge  »,  et  pourquoi  pas  :  «  elle  me  paraissait  drapée 
dans  une  légère  étoffe  rouge  »  ?  «  Drapée  »  me  paraît  appelé  par  drappo.  — 
P.  17,  1.  3  d'en  bas;  je  ne  puis  approuver  la  «  gentille  dame,  rempart  pour  la 
vérité  »,  car  un  rempart  de  la  vérité  est  ce  qui  la  défend  contre  toute  offense, 
tandis  qu'il  s'agit  ici  de  la  masquer  1 —  P-  5  5,  le  début  du  ch.  xv  présente  plu- 
sieurs mots  qui  n'ont  pas  en  français  le  même  sens  qu'en  italien:  «ma  nouvelle 
transfiguration  »  ne  fait  pas  comprendre  qu'il  s'agit  d'un  changement  «  inso- 


628  COMPTES   RENDUS 

lite  »  ;  «  un  penser  très  fort,  qui  peu  me  quittait,  mais  continuellement  me 
reprenait  »  peut  suggérer  à  bien  des  lecteurs  que  ce  penser  quitte  et  reprend 
Dante  alternativement,  tandis  que  le  sens  est  «  me  gourmandait  »,  et  M. 
Cochin  traduit  en  effet  plus  bas  riprensione  par  «  reproche  »;    p.  57,   le  mot 
vertiide  est  rendu  par  «  vertu  »  quand  il  signifie  <(  faculté  »  (1.  5,  8),  puis  par 
«  force  '>  (1.  Il)  quand  il  pourrait  bien  se  traduire  par  «  vertu  ».  —  P.  61, 
V.  5  du  sonnet  ;  pourquoi  ne  pas  rendre  subitauamenle  par  «  soudainement  », 
qui  est  le  mot  de  même  forme,  et  plus  juste  ici  que  «  subitement  »?  —  Dans  la 
célèbre  canzone  I,  p.  69,  pourquoi  préférer  «  mérite  »  à  «valeur  »  pour  rendre 
valore}  p.  71,  au  v.   4,  je  supprimerais   la  virgule  et,  au  v.  5,  la  parenthèse; 
c'est  un  passage  où  je  regrette,  à  cause  des  inversions,  le  parti  pris  de  traduire 
vers  par  vers,  car  l'unité  rythmique  n'est  pas  le  vers,  mais  bien  la  strophe  ; 
v.  8  :  «  L'Ange  »,  pourquoi  l'article  défini  ?    —  P.   81,  v.   6   du   sonnet, 
«  ogni  suo  difetto  »  a  beau  être  un  singulier,    il  ne  peut  être  rendu  en  fran- 
çais que  par  un  pluriel  :  «  tous  ses  défauts  »  (l'orgueil  et  la  colère  cités  au  vers 
suivant  ne  sont  pas  des  «  fautes  »).  —  P.  92-94,  alqumito  signifie  «  quelque 
temps  »,  et  peut-être  pas  si  peu.   —    P.  175,  au  début  du  dernier  sonnet, 
pourquoi  rendre  gira  par    «  roule  »  au  lieu  de    «  tourne  »,  qui    .serait  plus 
exact?  d'autant  plus  que  la  spera  che  più  larga  gira  serait  très  exactement  tra- 
duit par  :  «  la  sphère  qui  fait  les  plus  larges  tours  ».    —  Dans  les  notes,  je 
relève,  p.  183  (fin  de  la  note  à  la  p.  5,1.  7),  que  Dante  n'avait  pas  tout  à  fait 
neuf  ans  accomplis  {quasi);   il  était  presque  au  terme  de  sa  neuvième  année, 
et  Bérénice  presque  au  début,  ainsi  tous  deux  étaient  à  la  fois  dans  cette  année 
fatidique.  —  P.  185,    je  ne  m'arrête  pas  à  la  manifestation  que  M.  Cochin 
ait  ici  en  faveur  de  la  simplification  de  l'orthographe,  en    ce  qui  concerne 
l'invariabilité  du   participe    passé,  même  conjugué  avec  être  (1.  24  et  26), 
mais  à  propos  de  sa  très   judicieuse  discussion   sur  le   fameux  passage  non 
sapeano  che  si  chiamare,    on  pourrait  citer  l'interprétation  hardie   de  G.  Ber- 
toni,  qui  voit  dans  chiaiiuire    une  forme  ancienne  d'imparfait  du  subjonctif 
(clamarent,  clamaren)  et  qui  nous   engagerait  à  traduire  :  «  ils    ne  savaient 
pas    pourquoi    ils    l'appelaient    ainsi    »    {La  prosa  délia   V.    N.   di   Dante, 
1914,    p.  18    et  suiv.);   s'il  s'agissait   d'un  verbe  au   singulier,  je  n'hési- 
terais pas;  mais  la   chute  de  Vu  (malgré  l'exemple  furo)  me   laisse  indécis. 
—  P.  191-192,  dans  le  sonnet  de  Cavalcauti  je  préférerais  une  autre  inter- 
prétation   des    tercets  :  pour   moi,  le  temendo,  du  v.  11,   se  rapporte,  non  à 
l'Amour,  mais  à    Béatrice  (par  une  construction  identique  à  celle  du  même 
vers  dans  le  sonnet  de  Dante,  Madonna...  dormendo)  ;   elle  a  peur  de  cet  ali- 
ment (di  ciô)  que  lui  donne  l'Amour  ;  la  prose  de  Dante  (la  quale  ella  inan- 
giava  duhilosanu'ute)  ne  laisse  aucun  doute   à  cet  égard.  Au  v.  13,  j'oserais 
soutenir  que  sonno  n'est  pas   mis  pour  sogiio  :  c'est  le  sommeil  du  poète  qui 
s'achève  (le   rêve  ne  s'accomplit  pas)  car  son  contraire  (c.-à-d.  le  réveil)  le 
dissipe  peu  à  peu  (venia  vincendo  ne  sont  pas  deux  verbes  distincts,  mais  un 
imparfait  de  continuité). 


V.  BRÔNDAL,  Notes  d'étynwlogle  romane  ^29 

Il  est  bien  entendu 'que,  sur  aucun  de  ces  points,  M.  Cocliin  ne  s'est 
décidé  à  la  légère,  et  je  n'ai  pas  la  présomption  impertinente  de  le  prendre  en 
faute  ;  il  a  beaucoup  plus  longuement  que  moi  réfléchi  à  tous  ces  menus 
détails,  comme  aux  problèmes  fondamentaux  que  posait  devant  lui  une 
entreprise  extrêmement  délicate.  Je  me  borne  à  lui  soumettre  respectueuse- 
ment des  doutes,  comme  en  éprouve  quiconque  veut  serrer  de  très  près  la 
pensée  de  Dante;  et  j'ai  plaisir  à  constater  qu'aucun  Français  nç  l'a  serrée 
d'aussi  près  que  lui, 

Henri  Hauvette. 

ViGGo  Brôndal,  Notes  d  étymologie  romane.  Tirage  à  part  de  la 
Nordisk  Tidskrift  for fihlogî ,  1914,  p.  7-28. 

Dans  un  article  célèbre  {Romanta,  I,  96-101),  Gaston  Paris  avait  cherché 
à  démontrer  que  le  v.  français /r«/e  aussi  bien  que  le  (rançâh  faîle  devaient 
être  ramenés  non  au  lat.  fastigium,  mais  au  v.  haut  ail.  first.  M.  Brôn- 
dal dans  une  étude  où  il  faut  reconnaître  une  bonne  documentation  et  un 
sens  critique  aiguisé,  remet  tout  en  question.  Il  soulève  contre  l'étymologie 
germanique  deux  objections  principales  : 

i)  Le  V.  {rânç.  fest(r)e  présente  à  la  voyelle  tonique  e  ouvert  au  lieu  de  Ye 
fermé,  qu'on  s'attendrait  à  voir  en  partant  du  vh.  ail.  f  ir  s  t. 

2)  Le  fait  de  la  coexistence  du  v.  ira.nç.  feste  et  du  v.  espagn.  enhiestar 
nous  oblige  à  supposer  un  emprunt  très  ancien  du  mot  germanique.  Cepen- 
dant l'hypothèse  récente  de  M.  Brûch,  qui  avait  fait  remonter  l'entrée  d'une 
forme  germanique  primitive  *fersti  à  l'époque  impériale,  doit  être  rejetée, 
parce  que  la  terminologie  de  la  maison  germanique  ne  s'est  infiltrée  dans 
celle  des  langues  romanes  qu'après  l'établissement  des  colons  germaniques 
dans  les  terres  de  l'Empire, 

L'étymologie  germanique  écartée,  M.  Brôndal  en  propose  une  autre  qui, 
au  premier  abord,  est  très  séduisante.  Le  radical  du  lat.  fastigiu  m  remonte 
à  une  base  *f  a  s  t  i ,  *  f  a  r  s  t  i ,  qui  se  reflète  dans  l'ail.  Biïrste,  le  sanscrit  bhri(i-h 
«  cime,  pointe  »  ;  farsti,  qui  vivait  peut-être  dans  le  vocabulaire  osque  et 
ombrien,  aurait  abouti  à  *fairst  par  infection  de  la  voyelle  tonique,  d'où  l'on 
arriverait  à  *ferst"dans  le  dialecte  ombrien  où  la  réduction  de  la  diphtongue 
est  un  phénomène  attesté  dans  mestru  <^  maislra  '.  Le  mot  ombrien,  sous 
la  forme  *fçrstu,  aurait  passé  dans  le  vocabulaire  des  langues  romanes, 
parmi  lesquelles  seuls  le  français  et  l'espagnol  auraient  donné  l'hospitalité 
durable  à  un  vocable  qui,  par  hasard,  ne  nous  est  pas  attesté  dans  le 
lexique  latin.  Cette  base  italique  f  e(r)st  pourrait  même  avoir  influencé,  selon 
M.  B.  un  prégermanique  *burst  «  faîte  »  (conservé  dans  l'islandais)  :  l'ail. 


I.  Planta,  Grammatik  der  oskisch-iimhrischen  Dialekte,  I,  273, 


^30  COMPTES    RENDUS 

fini  serait  le  résultat  d'un  croisement  entre  burst  et  l'italique  fe(r)st.  La 
solution  proposée  par  M.  Brôndal  aurait  l'avantage  d'expliquer  à  la  fois  les 
formes  romanes  et  les  formes  germaniques  en  les  ramenant  à  un  mot 
ombrien,  entré  dans  la  terminologie  du  charpentier  romain.  Qu'on  nous  per- 
mette d'examiner  les  arguments  qui,  selon  M.  B.,  militent  contre  l'étymolo- 
gie  de  G.  Paris. 

M.  B.  rappelle,  avec  raison,  la  difficulté  qu'il  v  a  à  concilier  l'f  ouvert  du 
vfrç. /;■«/£  avec  le  vh.  all.//-5/  et  il  invoque  l'opinion  de  M.  Horning  qui, 
dans  un  article  publié  dans  la  Z.  f.  rotn.  Pbil.,  XXI,  454,  avait  relevé  les 
formes  des  dialectes  orientaux  de  la  France,  d'accord  avec  le  v.  français 
pour  postuler  une  base  schématique  avec  ç  ouvert.  Mais  une  forme  origi- 
naire *festre  (avec  ç  fermé)  ne  pouvait  guère  se  continuer  dans  les  parlers  de 
la  France  sans  tomber  sous  le  coup  de  l'analogie  des  substantifs  assez  nom- 
breux qui  offraient  tous  la  désinence  -estre  (avec  ^  ouvert)  :  gène  s  ta  : 
ge)i(stre,  wallon  o^^mw  ;  arista  :  arçsle,  wallon  a  ries  ;  testa:  teste,  wallon 
fies  ;  f  e  s  t  a"  :  fi'Ste,  wall .  fies  ;  p  r e  s  b  i  t  c  r  :  prestre  :  wallon  pries  ;  f e  n  e  s t  r a  : 
feiifsire  :  wallon/fH/Vi  ;  best(i)a  ,  hj;sle  :  wallon  hies  ;  (arcu)  ballista  : 
halçste  sans  parler  de  dçstre,  senestre,  terrestre.  Pour  le  maintien  de  Vï  dans  le 
groupe  -istr(u),  je  ne  connais  que  le  seul  capistru  :  chevestre,  chevoistre. 
Il  faut  donc  reconnaître  qu'un  vh.  aW.  first  latinisé  enjristn  (cf.  fromage  ■< 
formaticu,  IroiihJer  ■<  turbulare)ou  fistru,  avait  peu  de  chance  de 
maintenir  la  voyelle  tonique  à  l'abri  de  toute  influence  perturbatrice  de  l'ana- 
logie. 

Ce  qui  étonnerait  davantage,  ce  serait  la  répartition  géographique  du  vh. 
ail.  frst,  qui  se  continuerait  en  France  et  sur  la  péninsule  ibérique  (esp. 
euhiesto),  où  la  survivance  d'un  mot  allemand  (et  non  gothique)  est  à  priori 
peu  vraisemblable.  Mais  y  a-t-il  nécessité  de  revendiquer  pour  l'esp.  evhieUo 
la  même  origine  que  pour  le  (rç.  faite}  Voici  les  sens  des  mots  ibériques  : 
esp.  euhiesto,  adj.  verbal,  «  dressé,  arboré  »,  enhestar  «  dresser,  arborer  » 
qu'on  a  rapprochés  de  bonne  heure  du  v.portug.  festov.  cime  »,portug.  enfesta 
«cime»,  eiifesto  «  raide,  perpendiculaire  »  et  du  galic.  fn/«/rtr  «  endagar, 
Icvantar,  rebelarse,  atreverse  »  '.  Ce  qui  est  encore  plus  curieux,  c'est  que  le 
frç.  faîte  (de  montagne)  —  c'est  une  c  crête  »  et  non  pas  une  «  cime  »  — 
est  tout  récent,  tandis  que  l'espagnol-portugais  n'offrent  aucune  trace  du 
sens  de  «  faîte  de  la  maison  ».  Il  me  paraît  donc  que,  vu  les  sens  assez  dis- 
tants de  faîte  et  à'enhiesto,  il  est  prudent  de  les  séparer  aussi  étymologique- 
ment  :  euhiesto,  portug.  eufesto  ne  sont  autre  chose  que  le  terme  militaire  : 
infestus  dans  les  locutions  très  fréquentes  :  Jiasta,  hincea  infesta,  infestis 
pilis,  infesta  speculo,  telo,  qui  expliquent  très  bien  le  sens  du  verbe  inhestar, 


I.  Le  même    infestare,  terme  de  médecine,  se  conserve  dans  le  ah/c^- 
turiçe  «  inacerbirsi  (di  piaga,  di  fignolo)  »  de  Castellinaldo  (Piémont). 


V.  BKô}iD AL,  .Notes  d'étymoîogie  romane  631 

portug.  enfesto  «  raide,  perpendiculaire  ».  Si  donc  le  vfrç.  faite  et  l'esp.  enhiesto 
n'ont  rien  à  faire  l'un  avec  l'autre,  la  nécessité  de  postuler  un  emprunt  très 
ancien  d'un  prégermanique  "fersta  disparaîtra  ai,  par  là,  l'un  des  arguments 
décisifs  de  M.  B.  contre  la  provenance  du  \(x.frest<^  first. 

Il  resterait  à  appeler  au  secours  la  géographie  linguistique  qui  a  été  à  tort 
négligée  dans  la  question  de  l'origine  du  fr.  faite.  S'il  est  vrai  que  l'aire  de 
faite  est  confinée  au  nord  de  la  France  —  le  vieux -provençal  ne  semble  pas 
connaître  le  mot  —  l'emprunt  du  mot  au  francique  devient  hautement  vraisem- 
blable ;  on  s'expliquerait  mal  comment  un  terme  technique  de  l'architecture 
romaine  n'aurait  pu  se  maintenir  que  dans  la  Gaule  septentrionale.  En  outre; 
le  nom  vraiment  latin  et  roman  de  la  partie  la  plus  élevée  du  toit  est  le  lat. 
culmen  qui  jouit  d'une  vitalité  extraordinaire  en  Roumanie,  Rétie,  Italie 
et  dans  la  péninsule  ibérique  :  roum.  culine,  «  cime,  faîte,  faîtage  ;  traverse  au 
plafond  des  maisons  de  paysans,  sur  laquelle  on  pose  des  étoffes,  des  tissus  » 
(Densusianu-Candrea),  albanais  htl'm  «  faîte,  faîtage  »,  comasque  :  ciilman 
«  culmine,  sommità  di  monte,  spina  del  tetto  »,  bologn.  cotihivi  (di  cop), 
«  comignolo,  parte  più  alta  del  tetto  che  piove  da  più  lati  »,  marchig.  cohiièr 
«  comignolo  »,  Grôden  :  colin  «  faite  »,  Val  di  Non  :  connel  «  pilier  du  toit», 
Val.  vestino  :  col  uni  «  trave  del  comignolo  «,  surselvan.  culniar,  bas  engad. 
cloméra  «  faite,  pignon  »,  Bormio  coJiii  «  travi  inclinate  del  tetto  che  pog- 
giano  sulla  orizzontale  »  piérnont.  corm  «  spina  del  tetto'  »;  prrtug.  cmne 
«  faîte  de  la  maison  »,  gallic  cmne  «  caballete  de  tejado,  lo  màs  alto  • .  Mais 
mcme  en  Gaule,  on  peut  retrouver  les  survivances  du  mot  latin  antérieur  au 
mot  faîte  :  M.  Gauchat  '  ramène  le  valais  acconnd  «  bien  arranger  les  ban- 
deaux du  faîte  du  toit  »  à  culmen  «  faîte  »  et,  quoique  le  mot  semble  faire 
défaut  dans  le  vieux-provençal,  personne  n'hésitera  à  retrouver  le  mot  latin 
dans  le  prov.  mod.  coume  «  comble,  faîte  ».  Dans  les  parlers  français',  il 
est  vrai,  culmen  ne  semble  pas  survivre;  cependant  on  sera  toujours  en 
droit  d'appeler  comme  témoin  le  fr.  comble  «  charpente  qui  supporte  un 
toit  »,  qui,  quoiqu'en  dise  le  Dict.  gén.,  continue  par  voie  indirecte,  un  lat. 
culmen  qui  s'est  rencontré  avec  cumulu  dans  les  acceptions  figurées  du 
mot  (culmen,  lundis,  gloriae  et  cumulus  glon'ae,  laudis).  En  face  du   culmen 


1 .  La  «  trabs  culminea  »  est  très  vivante  dans  les  dialectes  septentrionaux 
et  centraux  de  l'Italie  :  Versilia  colmiglio,  Lucca  colmigno,  ital.  comignolo, 
piac.  colmigna  i<  trave  che  regge  il  comignolo  del  tetto  »,  lomb.  colmena 
«  trave  del  comignolo  »,  il  reparaît  dans  le  haut-engad.  culmaina  «  faîte  »  et 
danslelogud.  columin:{u  «  fastigio,  sommità  délia  capanna  ». 

2.  D'après  une  communication  orale.  Cf.  aussi  :  Val  d'Illiez  :  kormà 
«  arranger  les  bandeaux  sur  le  faîte  du  toit  » . 

3.  Dans  le  Thésaurus,  M.  Meyer-Lùbke  cite  un  vfranç.  coume  que  je  n'ai 
pas  réussi  à  découvrir  dans  les  textes. 


6^2  COMPTES   RENDUS 

atin,  très  vivant  et  populaire   dans  toute  la  Romania,  faite  a  bien  l'air  d'un 
intrus. 

En  examinant  la  partie  positive  de  M.  B.,  l'étymologie  ombrienne  semble 
se  heurter  à  deux  graves  objections  :  i)  parmi  les  mots  latins  que  M.  Ernout 
déclare  empruntés  aux  dialectes  italiques,  je  ne  vois  aucun  terme  qui  semble 
plaider  en  faveur  de  l'influence  de  la  construction  de  la  maison  de  la  cam- 
pagne sur  celle  de  Rome,  2)  dans  la  série  assez  nombreuse  d'éléments  dia- 
lectaux dans  le  latin  de  Rome,  je  ne  réussis  qu'à  en  découvrir  un  seul  qui,  à 
l'instar  de  *farsti,  aurait  survécu  uniquement  en  Gaule  après  avoir  disparu 
dans  le  reste  de  la  Romania,  deleru  qui,  selon  M.  Thomas,  continue  à  vivre 
dans  le  vfr.  deloir  «  mois  de  décembre  »  ;  mais  peut-être  n'est-il  pas  inutile 
d'ajouter  que  *farsti  fait  défaut  au  vieux-provençal,  tandis  que  deloir  trouve 
son  correspondant  dans  le  v.  prov.  daler.  Comment  donc  interpréter  cette 
survivance  mystérieuse  d'un  mot  italique  *farsti  «  faîte  »  aux  confins  de 
Viniperium  romamim,  tandis  que,  partout  ailleurs,  le  lat.  cul  m  en  s'était 
chargé  sans  peine  du  sens  de  faîte.  Voilà  à  quoi  M.  B.  devrait  nous  donner 
une  réponse  qui  écarterait  toutes  les  difficultés  auxquelles  nous  venons  de 
faire  allusion. 

Le  second  article  est  consacré  à  l'histoire  sémantique  du  franc.  Jou  qu'on 
ramenait  généralement  à  folle  m  au  sens  de  «  soufHet,  ballon  »,  appliqué 
par  métaphore  à  une  personne  ayant  perdu  le  sens.  M.  Br.  a,  je  crois,  par- 
faitement raison  de  rattacher  le  sens  «  fou  »  à  follem  »  bourse  de  testicules» 
et,  avec  une  documentation  sûre  et  abondante,  il  nous  oflfre  un  résumé 
instructif  de  l'histoire  des  différents  sens  du  mot  dans  le  vieux  et  moyen  fran- 
çais. Il  serait  facile  d'augmenter  considérablement  le  nombre  des  mots  signi- 
fiant «  fou,  sot  »,  se  rattachant  au  nom  de  scrotum  :  qu'il  suffise  de  citer 
l'exemple  de  l'allem.  (suisse)  Tscholi  «  sot  »  qui  n'est  autre  chose  que  le 
cosmaque  ciola  «  pudendum  viri,  minchione  »,  répandu  dans  bien  des  dia 
lectes  au  nord  Je  l'Italie,  cf.  G.  Meyer,  Albanes.  IVortcrbuch,  449. 

J.  JUD. 


CHRONiaUE 


—  Tous  ceux  qui  ont  eu  le  privilège  de  connaître  un  peu  intimement 
Francesco  Novati  ont  été  frappés  du  contraste  que  présentait  avec  sa  vie  de 
labeur  et  de  recherches,  souvent  fort  arides  et  ingrates,  sa  physionomie  sou- 
riante d'homme  du  monde,  élégant,  raffiné,  artiste.  Le  cabinet  où  il  a  passé 
tant  de  veilles  à  reconstituer  un  texte  obscur  ou  altéré,  ou  à  dégager  les 
conclusions  de  minutieuses  enquêtes  et  de  longs  dépouillements,  ne  renfer- 
mait pas  seulement  une  très  riche  bibliothèque,  entretenue  avec  amour  :  il  se 
prolongeait  par  une  galerie  fle  tableaux,  par  tout  un  petit  musée.  Ce  déchif- 
freur  passionné  de  manuscrits  et  de  vieux  livres  était  un  collectionneur,  un 
amateur  d'art,  doué  d'un  goût  délicat  et  sévère,  et  ce  fut  aussi  un  grand 
voyageur.  A  bien  des  égards,  on  peut  dire  qu'il  fut  un  enfant  gâté  de  la 
fortune. 

Né  à  Crémone  le  lo  juillet  18)9,  il  reçut  de  son  père,  avec  ses  goûts 
artistiques,  une  aisance  qui  lui  assurait  l'indépendance.  Étudiant  à  l'Uni- 
versité de  Pise,  il  y  trouva  un  maître  éminent,  Alessandro  d'Ancona;  à 
vingt-quatre  ans,  au  moment  où  ses  premiers  travaux  auraient  pu  aussi  bien 
l'orienter  vers  les  études  grecques,  il  fut  désigné  pour  assurer  l'enseignement 
des  littératures  néo-latines  à  l'Académie  scientifique  et  littéraire  de  Milan,  où 
il  revint,  comme  professeur  ordinaire,  après  un  court  stage  à  Palerme  et  à 
Gênes.  A  vingt-quatre  ans  encore,  il  fonda,  en  collaboration  avec  A.  Graf  et 
R.  Renier,  le  Giomale  storico  délia  letteratura  italiaiia,  dont  la  brillante  for- 
tune est  certainement  due  au  programme  et  à  l'activité  de  ses  promoteurs. 
Cette  précocité  et  les  facilités  que  lui  oflTrait  la  vie  n'empêchèrent  pas  Novati, 
bien  au  contraire,  de  se  vouer  à  l'étude  avec  passion  ;  on  a  peine  à  imaginer 
ce  que  représente  d'efforts  la  carrière  prématurément  brisée  de  ce  professeur, 
de  ce  philologue,  de  ce  conférencier,  de  ce  publiciste  (car  depuis  plusieurs 
années  il  s'adressait  volontiers  à  des  auditoires  ou  à  des  lecteurs  moins  spé- 
cialisés que  ceux  qui  fréquentaient  ses  cours),  enfin  à  ce  directeur  de  mul- 
tiples publications  :  j'ai  déjà  cité  le  Giomale  storico  ;  il  faut  mentionner 
encore,  entre  beaucoup  d'autres,  les  Studi  viedievali,  la  collection  de  textes 
anciens  connue  sous  le  nom  de  «  CoUezione  Novati  »,  VArchivio  storico  lom- 


^34  CHRONIQUE 

bardo,  etc.  La  bibliographie  de  ses  écrits,  dressée  par  ses  élèves  en  1908,  ne 
renferme  pas  moins  de  420  numéros  ;  elle  s'est  allongée  depuis  lors,  ei  elle 
ne  résume  pas  tout  son  labeur  intellectuel. 

Au  milieu  de  cette  production  très  riche,  mais  disparate  et  dispersée, 
quelques  œuvres  émergent,  qui  assurent  au  nom  de  Novati  une  réputation 
durable.  Ce  sont  d'abord  ses  études  sur  Coluccio  Salutati,  ce  représentant 
typique  de  l'humanisme  naissant,  à  Florence,  dans  la  seconde  moitié  du  xiv* 
siècle  :  à  propos  de  sa  jeunesse  d'abord  (1888),  puis  dans  l'édition  et  le  com- 
mentaire de  sa  volumineuse  correspondance  (4  volumes,  1891-1905).  Novati 
a  composé  un  répertoire  presque  inépuisable  de  renseignements  sur  l'histoire 
et  sur  la  vie  intellectuelle  de  cette  époque.  D'autre  part,  les  origines  de  la  lit- 
térature en  Italie  au  moyen  âge,  même  avant  l'apparition  d'œuvres  en 
langue  vulgaire,  l'ont  occupe  longuement  :  beaucoup  de  textes  inédits  ont 
été  publiés  par  lui  dans  ce  domaine,  avec  nombre  d'études  sur  des  points 
particuliers  ;  puis  il  avait  embrassé  dans  un  vaste  coup  d'œil  synthétique 
toute  l'histoire  littéraire  du'  moyen  âge  italien  en  une  leçon  académique  : 
L'iiijîusso  de!  peiisicro  latino  sopra  la  civiltà  ilaîiana  del  uiedio  evo.  Ce  brillant 
discours,  enrichi  de  notes  et  d'excursus  (2=  éd.  1899),  est  un  précieux  ins- 
trument de  travail,  par  lequel  Novati  préludait  à  la  composition  du  volume 
sur  «  les  origines  »,  dont  il  s'était  dxxrgé  dans  la  Storia  letteraria  d'Italia  de 
l'éditeur  milanais  Vallardi.  Mais  sa  curiosité  n'était  pas  moins  attirée  par  les 
questions  de  littérature  moderne  :  un  de  ses  travaux  de  débutant  avait  pour 
sujet  :  «  Alheri  poète  comique  »,  et  au  moment  où  nous  apprenions  sa  mort, 
nous  recevions  de  lui  un  attrayant  volume  intitulé  Stendhal  e  Tanma  ita- 
liana,  qui  aurait  dû  avoir  une  suite.  Lui-même  avait  pris  soin  de  réunir  en 
volumes  quelques-unes  de  ses  études  publiées  çà  et  là  :  Stndi  crilici  e  lelte- 
rari,  1889;  Attraverso  il  inedio  evo,  1905  ;  A  ricolta,  1907;  Freschi  e  mini  del 
Diif^i'uto,  1908.  Il  reste  beaucoup  à  glaner  dans  les  nombreuses  revues  aux- 
quelles il  a  collaboré,  et  sans  doute  ses  élèves  auront  à  cœur  d'ajouter 
quelques  nouveaux  volumes  à  ces  recueils,  dont  la  solidité  et  parfois  la  gra- 
vité se  paraient  d'élégance  aristocratique,  c'est-à-dire  portaient  la  marque 
distinctive  de  sa  personnalité. 

Au  mois  d'août  191 5,  il  fut  atteint  d'un  anthrax  au  cou,  dont  la  gravité 
parut  exceptionnelle  :  il  ne  fallut  pas  moins  de  trois  interventions  chirurgi- 
cales pour  combattre  le  danger  d'une  infection  générale.  Le  mal  paraissait 
vaincu  et  le  patient  était  allé  reprendre  des  forces  à  San  Remo,  lorsque,  le 
27  décembre,  il  fut  emporté  brusquement.  Il  succombait  dans  sa  cinquante- 
septième  année,  moins  d'un  ah  après  son  ami  R.  Renier,  de  deux  ans  plus 
âgé  à  peine.  Les  deux  athlètes  qui  avaient  été  l'âme  du  Giornale  sloiico,  et 
que  notre  souvenir  ne  peut  séparer,  disparaissaient  ainsi  en  pleine  vigueur 
d'esprit;  peut-être  avaient-ils  trop  présumé  l'un  et  l'autre  des  forces  phy- 
siques, remarquables  pourtant,  qu'ils  pouvaient  mettre  au  service  d'une  ten- 
sion intellectuelle   aussi    continue.  Novati   avait    collaboré   habituellement  à 


CHRONIQUE  635 

plusieurs  revues  françaises  et  d'une  façon  toute  spéciale  à  la  Remania  ;  il 
comptait  de  nombreux  et  excellents  amis  à  Paris,  où  il  séjournait  volontiers. 
Sa  mémoire  vivra  longuement  parmi  nous.  —  H.  Hauvette. 

—  A  Ambert  est  mort  dernièrement,  à  l'âge  de  72  ans,  Régis  Michalias, 
un  des  rares  félibres  qu'ait  possédés  l'Auvergne  après  Vermenouze.  Ses  Ers 
de  Ions  suis  (Ambert,  1904)  et  ses  Ers  deiruen  païsan  (ib.  1908)  attestent  un 
sens  de  la  langue  et  un  sentiment  poétique  fort  rares  chez  les  patoisants  de 
la  région.  Il  avait  publié  un  consciencieux  Essai  de  grammaire  ativergnate, 
dialecte  des  environs  d\4mbert  (Ambert,  1907)  qui  contient  de  nombreux 
paradigmes  et  exemples  utiles,  en  dépit  d'une  graphie  défectueuse,  et  un 
Glossaire  de  mots  particuliers  du  dialecte  d'oc  de  la  commune  d' Ambert  (Pans, 
Champion,  1912,  100  p.  '),  avec  la  notation  félibréenne  et,  pour 
beaucoup  de  termes,  phonétique,  qui  renferme  un  ensemble  très  intéres- 
sant de  mots  indigènes  «  n'avant  pas  leur  correspondant  direct  en  français». 
Il  réunissait  les  éléments  d'un  glossaire  complet  de  son  patois  quand  la 
maladie  a  interrompu  les  recherches  qu'il  poursuivait  avec  une  ardeur 
toute  juvénile.  —  A.  D. 

Publications  annoncées. 

—  M.  J.  Anglade  a  mis  sous  presse  une  édition  de  la  rédaction  inédite  des 
Leys  d'Amors,  que  Chabaneau  s'est  longtemps  proposé  de  publier  et  dont  il  a 
donné  des  extraits  dans  son  article  sur  L'origine  et  établissement  de  F  Académie 
des  Jeux  Floraux.  Cette  édition,  qui  formera  deux  volumes  in-80  de  450  pages 
environ,  sera  pourvue  d'une  introduction  étendue,  de  notes  et  d'un  glossaire. 
Le  prix  de  souscription  est  de  1 5  francs,  mais  ce  prix  sera  majoré  à  la 
parution  (Ed.  Privât,  éditeur,  Toulouse). 

—  M.  Albert  Dauzat,  qui  étudie  les  argots  romans  depuis  19 10,  dans  une 
de  ses  deux  conférences  à  l'École  .pratique  des  Hautes  Études,  réunit  des 
documents  sur  l'argot  militaire  français  (et,  accessoirement,  italien)  parlé 
pendant  la  guerre.  Il  serait  reconnaissant  à  tous  ceux  qui  voudraient  bien  lui 
envoyer  (17,  rue  Carnot,  Montreuil-sous-Bois,  Seine)  des  listes  de  mots 
authentiques,  entendus  par  les  correspondants  eux-mêmes,  avec  des  préci- 
sions sur  le  lieu,  la  date,  le  pavs  originaire  des  troupes  qui  les  emploient  et 
la  nature  des  corps  de  troupes  (infanterie,  infirmiers,  train,  coloniaux,  etc.). 

Collections  et  publications  en  cours. 

Dans  la  collection  des  Classiques  français  du  moyen  dge  a  paru  (19 17):  Berlran 
de  Marseille.  La  Vie  de  sainte  Enimie,  poème  provençal  du  XI 11^  siècle,  éd.  par 
Clovis  Brunel,  xv-78  pages  (11°  17).  —  A  cette  collection  viendra  désormais 
s'adjoindre   une  série  de  Manuels,  brefs  et  pratiques  :  le    premier,  qui  vient 

i.  Publié  d'abord  dans  la  Revue  de  philologie  française  {1^12). 


6^6  CHRONIQUE 

de  paraître  (mai    191 7),  est  une  Bibliographie  sommaire  des  chansonniers  pro- 
vençaux (manuscrits  et  éditions),  par  A.  Jeanroy,  viii'89  pages  (0°   16),  qui 
sera  bientôt  suivie  d'une  Bibliographie  sommaire  des  chansonniers  français  du 
même  auteur,  et  d'une  petite  Syntaxe  de  l'ancien  français,  par  M.  L,  Foulet. 

Compte  rendu  sommaire. 

Blanche  Sutorius,  Le  débat  provençal  de  Y  âme  et  du  corps  (texte  critique'). 
Thèse  présentée  à  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Fribourg 
(Suisse),  1916,  in-80,  184  p.  —  L'édition  de  ce  texte  donnée  en  1905  par 
M.  L.  E.  Kastner  avait  été  examinée  avec  soin  et  corrigée  en  maint 
endroit  par  MM.  Coulet  (Revue  des  langues  row.,XLVIII,  141)  et  Bertoni 
(Annales  du  Midi,  XXIV,  204).  M^'e  Sutorius  a  profité  de  leurs  observa- 
tions et  réussi  à  donner  une  édition  sensiblement  meilleure,  où  il  reste, 
néanmoins,  encore  quelques  taches.  On  lui  saura  gré  surtout  de  la  collation 
très  attentive  du  manuscrit,  dont  elle  a  communiqué  les  résultats  au  bas  du 
texte.  Mais  les  notes  proprement  dites  (à  la  fin  du  volume)  sont  peu  ins- 
tructives et  ne  font  souvent  que  répéter  ou  commenter  celles  qui  accom- 
pagnent le  texte.  Le  «  lexique  »  aussi  (3  pages  et  demie)  est  insuffisant  ;  il 
y  manque  quelques  mots  ou  acceptions  intéressantes.  —  202,  la  ponctua- 
tion fausse  le  sens  ;  il  faut  simplement  un  point  à  la  fin  du  vers  ;  la  phrase 
est  positive.  —  380,  pecar  ne  donne  pas  le  sens  ;  corr.  (en  supprimant  tu)  : 
encolpas  7nal,  c.-à-d.  «  tu  inculpes  à  tort  ».  —  392-3,  le  sens  n'est  pas 
saisi  :  il  faut  conserver  deysem(c.-ii-é.  dissem,  i^e  p.  pi.  prêt,  de  dire)  :  0  Tu 
sais  bien  si  nous  avons  jamais  dit  :  Il  ne  nous  plaît  pas  d'y  aller.  »  —  440, 
mans]  corr.  mas.  —  474,  e  s'yeu]  1.  es  yen.  —  531,  l'addition  de  tôt  est  inu- 
tile. —  580,  pas  d'autre  ponctuation  qu'un  point  à  la  fin  du  vers.  —  641, 
la  correction  de  a  en  ai  fausse  le  sens.  —  677,  layssï]  corr.  lays.  —  714, 
veti  (vitium)  n'existe  pas;  lire  veci.  — 889,  supprimer  le  ques  de  la  fin 
du  vers,  dû  à  une  anticipation  et  corr.  s'en  restes,  —  lo^i^,  endurât]  corr. 
adunat.  —  11 32,  el  tron]  corr.  els  tros  (pour  la  rime).  —  Glossaire.  Ajou- 
ter :  acedar  (198),  seul  ex.  attesté  de  cet  infinitif;  maynada  (252),  «  équi- 
page »;  parar  (541),  «  tendre,  présenter  »  (la  main)  (sur  ce  sens,  voy. 
Mistral, /5ara)  ;  les  locutions  de  ton  just  (1062),  «  selon  ton  droit  »  ctfalsa 
merce(6^,  sens?)  méritaient  d'être  expliquées  ou  du  moins  signalées.  — 
A.  Jeanrot, 


TABLE    DES     MATIERES 


Pages 
Baker  (A.  T.)  et  Roq.ues  (M.),   Nouveaux  fragments   de  la  chanson 

de  la  Reine  Sibile i 

Bertoni  (G.),  Sccne  d'amore  e  di  cavalleria  in  antichi  arazzi  eïtensi. .  224 

Cohen  (G.)  et  Young  (K.),  The  Officium  slellae  from  Bilsen 357 

Dauzat  (A.),  Etymologies  françaises  et  provençales 238 

HuET  (G.),  La   légende  de  la  Montagne   d'aimant  dans  le  roman    de 

Beriniis 427 

Jeanroy  (A.)  et  LÂngfors  (A.),   Chansons  inédites  tirées  du  manu- 
scrit 1591  de  la  Bibliothèque  nationale 454 

LÂNGFORS  (A .),  Le  Tounioietneiit   d'Enfer .  511 

—  —     Le  fahliaii  du  Moine,  Le  Dit  de  la  Tremontaine 559 

—  Voir  Jeanroy. 

Meyer  (P.),  Manuscrits  médicaux  en  français 161 

Muret  (E.),  Fragments  de  manuscrits  français  trouvés  en  Suisse 215 

Nitze  (Wm.  A..), Sans  et  matière  dans  les  oeuvres  de  Chrétien  de  Troyes.  14 
Parducci  (A.),  Le   Tiaiidelet,   traduction  française   en  vers  du    Tlieo- 

diilus 37 

Salverda  de  Grave  (J.  J.),    Poème  en  quatrains    conservé   dans  un 

manuscrit  d'Amsterdam 575 

Thomas  (A.),  Nouvèles  variétés  ètimolojiqes 321 

Walberg  (E.),  Date  et  source  de  la  Vie  de  saint  Thomas  de   Cantor- 

be'ry,    par    Benêt 407 

W1LMOTTE  (M.),  La  Clianson  de  Roland  et  la  Cliançun  de  W illame 55 

—                     Le  Rodlieb,  notre  premier  roman  courtois 373 

Young  (K.).  Voir  Cohen. 

Mélanges 

Bertoni  (G.),   Osservazioni  al  testo  del  Doctrinal  di  Raimon  de  Cas- 
telnou 263 

—  —       Nota  sul  dialetto  di  Bonifacio  (Corsica) 268 

—  —       Un    nuovo    frammento    délia   versione     perduta    del 
Roman  de  Troie S95 

Esposrro  (M.),  Prière  à  la  Vierge  en  huiiains ". 97 

GuESNON  (A.)  et  L.iNGiORS  (A.),  Notes  et  corrections  aux   chansons 

de  Raoul  de  Soissons 260 

Jeanroy  (A.),  Ne  garder  l'eure,  histoire  d"une  locution 586 

LÂNGFORS  (A.),  Ledit  des  Quatre  Rois  ;  notes  sur   le  ms.    fr.    2) $45 

de  la  Bibliothèque  nationale • 87 

—  —       Notes  et  corrections  au  roman  de  Renarl  le  Contre/ait.       ^l 
— .      —      Voir  GuESNOX. 


638  TABLE    DES    MATIÈRES 

Marchot  (P.),  Ane.  fr.  eschepir,  eschapir 265 

—           —     Ane.  fr,   Uilemelier 266 

Thomas  (A.),  Un  témoignaje  méconu  sur  Gui  de  Tournant 99 

—           —  Qi  vive? 1 00 

Wilmotte(M.),  L'auteur  des  branches  II  et   V»  du  Renard  et  Chrétien 

de  Troyes 258 

COxMPTES  RENDUS 

Bertoxi  (G.),  I  Trovatori  d'Italia  (A.  Lângfors) 603 

CocHiN   (H.),    Dante  Alighieri,  Vita  Nova  (H.  Hauvette) 626 

Crohns  (Hj.),  Die  Bewertung  der  Frau  ;  Legenden  och  medeltidens 
latinska  Predikan  och  Exempla  ;  Nagra  scripta  supposititia  (A.  Lâng- 
fors)    611 

Danne  (F.),  Das  altfranzdsische  Ehruljusleben  (A.  LângforsJ 102 

Dante.  Voir  Cochin. 

EsPOSiTO  (M.),  Inventaire  des   anciens  manuscrits  français   des  biblio- 
thèques de  Dublin  (A.  Lângfors) 131 

FcERSTER  (W.),  Die  Reichenauer  Glossen 122 

G.a.miLlscheg(E.)  et  Spitzer(L.),  Die  Bezeichuuiigen  der  «  Kiette  »  ini 

Galloromanischen  (A.    Thomas) 274 

Glixelli  (S.),   Les  cinq   poèmes  des  Trois  luurts  et   des  Trois  vifs 

(A.  Lângfors  et  A.  Je.tnrov) 276 

Hauvette  (H.),  Boccace  (H.  Cochin) 104 

Hetzer  (K.),  Die  Reichenauer  Glossen . 122 

HuET  (G.),  Chansons  et  descorts  de  Gautier  de  Dargies  (A.  Lângfor.s).     608 
Ilvonen  (E.),  Parodies  de  thèmes  pieux  dans    la  poésie  française  du 

moyen  âge  (A.  Lângfors) 280 

Je.\nroy  (A.),  Les  Joies  du  Gai  Savoir  (A.  Lângfors) 284 

Langley  (E.  F.),  The  poetry  of  Giacomo  da  Lentino  (G.  Bertoni)..     619 

Marcialis  (E.),  Piccolo  vocabolario  sardo-italiano  (J.  Jud). 115 

Massera  (A.  F.),  Il  sirventese  romagnolo  del  1277  (G.  Bertoni; 117 

Niedermann  (M.),  Sprachliche  Bemerkungen  zu  Marcellus  Empiricus 

De  medicanientis  (J.  Jud) 1 20 

Œller  (R.).  Voir  Tallgren. 

P^Tow  (L.  F.),  The  Battle  of  thc  Seven  Arts  (A.  Jeanroy) 278 

Salvioni  (C),    Fer   la  fonetica  e  la   morfologia  delle  parlate  meridio- 

nali  d'Italia  (J.  Jud) 1 50 

Stalzer  (J.),  Die  Reichenauer    Glossen   der  Hs.    Karisruhe    115  (^G. 

Bertoni) 122 

Stro>iski  (S.;,  La  légende  amoureuse  de  Bertran  de    Born   (A.   Jean- 
roy).     -. 285 

Tallgren  (O.  J.j  et  Œller  (R.),  Studi  su  la  lirica  italiana  del  Due- 
cento  :  Délia  niia  disian::^a  (G .  Bertoni) 615 


Table  des  matières  639 

.  .    .  PÉRIODiaUES 

Archiv    fur   das   Studiuni   der   ueueren    Sprachen    und    Literaturen, 

CXXXII  (1914) 136 

ButUeti  de  dialectologia  catalana  I-JI  (1914-15) 289 

Giomale  storico  délia  letteratura  italiana,  LXIII-LXIV  (1914) 137 

Lares,  bullettino  délia  Società  di  etnografia  italiana  l-II  (1912-13).  .  .  .  139 
Literaturblatt   fur    germanische  und    romanische  Pliilologie,  XXXIV- 

XXXVI  (191 3-1 5) 298 

Le  Moyen  Age,  XIV-XX  (1901-7; 141 

—            XXI-XXV  (1908-12) 294 

Revista  Lusitana,  XV  (191 2) 147 

Revue  des  langues  romanes,  LVI  (1915) 303 

Studj  romanzi,  V  (1907) 147 

—            VI  (1909) 307 

Zeitschrift  fur  franzôsische  Sprache  und  L.itteratur,  XL-XLII  (1912-14).  313 

ANNONCES  ET  COMPTES  RENDUS  SOMMAIRES 

Bataille  de  Trente  (La),  éd.  p.  H.  R.  Brush  (A.  Laugfors) 318 

"Bataille  Loquifer  I  (La),  éd.  p.  J.    Runeberg  (M.  R.) 157 

Bayot  (A.).  Voir  Gorwout. 

Bertrand  de  Marseille,  La  Vie  de  sainte  Enimie,  éd.  p.  C.  Brunel.     635 
Biaiis  Discoiineus  {Li).  Voir  Renaut. 
Brunel  (C).  Voir  Bertrand  de  Marseille. 
Brush  (H.  R.).  Voir  Bataille  de  Trente. 
Edmont  (E.).  Voir  Gilliéron. 
XFah   (L.),  Die   Sprache    der   aittranzôsîschen  Boëtius-Uebersetzung, 

enthalten  in  dem  Ms.  365  der  Stadtbibliothek  Bern  (A.  Lângfors)...      319 

Fregni  (G.),  Sul  Veltro   allegorico  di    Dante  (H.  Hauvette) 154 

Gilliéron  (J.)  et  EdmonT  (E.),  Atlas  linguistique  de  la  Corse 153 

GoRMONT  et  Isembart,  éd.  p.  A .  B.ayot. 153 

GuiRAUT  d'Espanha  (Die   Lie  der  des  Trobadors),  éd.    p.  O.   Hoby 

(A.  Jeanroy).  .  .  .  .' 319 

Hoby  (O.),  Voir  Guiraut  d'Espanha. 
J   Iburg  (C),  Ueber  Metrum  und    Sprache  der  Dichtungen   Nicole  de 

Margivals,  nebst   einer   kritischen    Ausgabc  des  Ordre  d'amour  von 

Nicole  (A.  Lângfors) 154  -^ 

Jaufré  Rudel  (Les  Chansons  de),  éd.  p.  A.  Jeanroy 155 

Jeanroy  (A.),  Bibliographie  sommaire  des  chansonniers  provençaux..     636 

—  Une     imitation   italienne    de  Rambaut    de    Vaqueiras 

(G .  Bertoni) 3  20 

—  Voir  Jauerk  Rudel. 

Krajewski  (A.),  Lautlchre  und  Orthographie  Pctraicas  (M.  Ilauvctte)     155 


640  TABLE    DES    MATIERES 

LiEDLOFF  (A.),  Ueber  die  Vie  saint  Franchois  (A.  Langfors) 156 

Meyer  (Heleiie),  Die  Predigten  in  den  Miracles  'Nostre  Davie par  per- 
sonnages (A.  Langfors) 318 

Pellizzari  (A.),  Del  Duecento  ail'  Ottocento  (A.  Jeanroy) 156 

Raoul  de   Soissons  (Die  Lieder  des),  éd.  p.  E.  Winkler  (A.   Jean- 

roy) 159 

Renaut  de  Beaujeu,  Li\Swi«  descouneus,  éd.   p.  G.  P.  Williams.     317 

RuBiN   (A.),   Les  Roumains  de  Macédoine 157 

RuNEBERG  (J.).  Voir  Bataille  Loquijer. 

SuTORius   (B.).  Le    débat   provençal  de  Tâme   et  du   corps  (A.  Jean- 

roy) 636 

Wagner  (M.  L.),  Sùdsardische  Trutz-und  Liebes-,  Wiegen-und  Kiu- 

derlieder  (J.  Jud) 157 

Williams  (G.  P.).  Voir  Renaut  de  Beaujeu. 
Winkler  (E.).  Voir  Raoul  de  Soissons. 

CHRONIQUE 

Nécrologie  :   A.    D'Ancona  151;    R.    Michalias   655  ;    Fr.    Novati    633; 

R.  Renier   152. 
Retraite  de  P.  Meyer,  317. 

Nominations  :  J.  Orr  à  Londres  153  ;  M.    Prou  à  l'Ecole  des  Chartes,  317. 
Cours  universitaires  :  A.  Thomas  à  l'Ecole  des  Chartes  317  ;   C.  H.  Grant- 

gent   et  M.   Wilmotte   à   la   Sorbonne,   317;   G.    Doutrepont  à  l'École 

des  Hautes  Études,  317. 
M.  Roques,  mobilisé,  317. 
Prix    académiques  :  à  J.  Gilliéron    et    E.  Edmont  ;    à   A.  L.   Terracher  ;  à 

H.  Hauvette  ;  à  G.   Huet  ;  à  A.   Dauzat,  J.   Ronjat   et   C.  Juret,  153  ;  à 

A.  Jeanroy,  317. 
Collections  :  Classiques  français  du  moyen  âge  153,635. 
Projets  de  publications  :  éditions  du  Bel  Descouneû  de  Renaut  de  Beaujeu  par 

miss   G.    Perrie  Williams,  317;   des  Leys  d'Amors  pur  J.  Anglade,  635  ; 

Bibliographie  sommaire  des  chansonniers  Jrançais  ps^r   A.   Jeanroy;   Syntaxe 

de  l'ancien  français  par  L.  Poulet,  656  ;  études  sur  l'argot  militaire  français 

par    A.  Dauzat,  635  ;    reproduction  des    manuscrits  837  et  22543  (ms. 

Lavallière),  317. 

Le  Propriétaire-Gérant,  Champion. 


.MACOK,    PROTAT    FRERES,    IMPRIMLURS 


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t. 2^ 


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