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Full text of "Ronsard et l'humanisme, avec un portrait de Jean Dorat et un autographe de Ronsard"

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RONSARD  ET  L'HUMANISME 


OUVRAGES   DU   MÊME    AUTEUR 
SUR  l'antiquité  et  la  benaissance 


PKTRARQUK  ET  i.'iiuMANisME,  nouvcUe    édilioti   remaniée   et  augmentée, 

Paris,  1907,  2  vol.  in-8. 
LA  BiBLiOTMHQUK  DU  FULvio  ORsiNi,  Contributions  à  Vhisloire   des  collec- 
tions d' Italie  el  à  l'élude  de  la  /ienaissance.  Paris,  1887,  in-8. 
(74*  fascicule  de  la  Bihlioth'que  de  l'iicole  dex  llaiiles  Éludes.) 
LE  VIRGILE  DU   VATICAN   ET  SES  PEINTURES.    P.'lfis,     1897,   in-4. 
LE  CANZONIERE  AUTOGRAPHE  DE   PÉTRARQUE.    Pupis,    188tt,  in-8. 

LE  «  DE  viRis  iLLUSTRiBus  »  DE  PETRARQUE,  noticc  sur  Ics  manuscrits  ori- 
ginaux suivie  de  fragments  inédits.  Paris,  1890,  in-4. 

LBS  CORRESPONDANTS  d'alde  manuce,  matériaux  nouveaux  d'histoire  litté- 
raire (1483-1514).  Rome,  1888,  in-4. 

ÉRASME  EN  ITALIE,  étudc  sur  Un  épisodc  de  la  Renaissance,  avec  douze 
lettres  inédiles  d' Erasme,  '2' édition.  Paris,  1898,  in-8. 

LETTRES  DE  joAciiiM  DU  BELLAY,  pubUées  pour  la  première  fois  d'après 
les  originaux.  Paris,  1883,  in-8. 

LE  DERNIER  AMOUR  DE    RONSARD.   Pai'is,    1914,  in-8. 

UN   POÈTE  RHÉNAN   AMI  DE   LA    PLÉIADE. 

IL    VIAGGIO    IN    ITALIA    DI     ENRICO    III    RK    DI     FKANCIA,    C  le  festC  A     Venezïa, 

Ferrara,  Manlova  e  Torino  (avec  A.  Solbrti).  Turin,  1890.  iii-8. 
Paris,  1922,  in-8. 

Les  PEINTURES  DES  MANUSCRITS  DE  ViBGiLE.  RoiTie,  1884,  iii-8. 

Le  Vaticanus  90.de  Lucien.  Paris,  1884,  in-8. 

BoccACE  ET  Tacite.  Rome,  1892,  in-8. 

Fac-similés  de  l'écriture  de  Pétrarque.  Rome,  188",  in-8. 

Manuscrits  a  miniatures  de  la  bibliothèque  de  Pétrarque.  Paris,  1889,  in-4. 

Les  études  grecques  de  Pétrarque.  Paris,  1888,  in-8. 

Une  date  nouvelle  de  la  vie  de  Pétrarque.  Toulouse,  1890,  in-8. 

Le  rôle  de  Pétrarque  dans  la  Renaissance.  Paris,  1907,  in-S". 

Petites  notks  sur  l'art  italien.  Paris,  1887,  in-8. 

Recherche  sur  un  compagnon  de  Pomponiis  Laetus.  Rome,  1886,  in-8. 

Giovanni  Lorenzi,  bibliothécaire  d'Innocent  VIII.  Rome,  1888,  in-8. 

Inventaire  des  manuscrits  grecs  de  Jean  Lascaris.  Rome,  1886,  in-8. 

PiETRO  Bembo  et  Lazare  de  Baïf.  Bergame,  1894,  in-8. 

Le  grec  a  Paris  sous  Louis  XII.  Récit  d'un  témoin.   Paris,  1888,  in-8. 

Le  premier  travail  français  sur  Euripide  (Fr.  Tissard).  Paris,  1H98,  in-8. 

Lettres  inéd.  de  la  reine  de  Navarre  au  pape  Paul  III.  Versailles,  1887,  in- 16. 

Lettere  INEDITE  DEL  CARDINALE  DE  Gbanvelle.   Rome,  1884,  in-4. 

p.  Vettori  et  C.   Sigonio.   Correspondance    avec   F.   Orsini.  Rome,  1884, 

in-4. 
Les  collections  d'antiquités  de  Fulvio  Orsini.  Rome,  1884,  in-8. 
Notes  sur  Pirbo  Ligorio.  Paris,  1886,  in-8. 

Lettres  de  Paul  Manuce  recueillies  a  la  Vaticane.  Rome,  1883,  in-8. 
La  bibliothèque  d'un  humaniste  au  xvi'  siècle  [Muret).  Rome,  1883,  in-S. 
Nicolas  Audebert,  archéologue  Orléanais    Paris,  1887,  in-8. 
Jacques  Amyot  et  le  Déchet  de  Gratien.  Rome,  1885,  in-8. 
Un  éloge  latin  de  Mellin  de  Saint-Gelais.  Paris,  1921,  in-8. 
HÉLÈNE  DE  Surgères.  Paris,  1882,  in-8. 
Ronsard  et  ses  contemporains  italiens.  Paris,  1921,  in-8. 


PIERRE  DE  NOLHAG 


RONSARD 


ET 


L'HUMANISME 


AVEC  UN  PORTRAIT  DE  JEAN  DORAT  ET  UN  AUTOGRAPHE  DE  RONSARD 


PARIS 

LIBRAIRIE    ANCIENNE    HONORÉ    CHAMPION 

EDOUARD    CHAMPION 

5,    QUAI     M  AL  A  QUAIS 

1921 

Tous  droit?  réservés. 
Cet  ouvrage  forme  le  ^i7*  fHscicule  delà  Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes  Ktudes 


JDAr;»^^A/ 0  7/90/ 


BIBLIOTHEQUE 

DE  LÉCOLE 


DES  HAUTES  ETUDES 


PUBLIEE    SOUS     LES    AUSPICES 


DU    MINISTERE  DE  LINSTRUCTION  PUBLIQUE 


SCIENCES  HISTORIQUES  ET  PHILOLOGIQUES 


DEUX  CENT  VINGT-SEPTIEME  FASCICULE 


RONSARD     ET     L'HUMANISME 


PIERRE   DE   NOLHAG 


PARIS 
LIBRAIRIE  ANCIENNE    HONORÉ  CHAMPION 

EDOUARD     CHAMPION 

T)  ,       QUAI       M  A  r  ^  I  j  U  A  I  S 

1921 

Ton?  flpoits  résepvt'-?. 


PREFACE 


Qui  se  contente  aujourd'hui  pour  notre  Ronsard  de  la 
timide  réhabilitation  de  Sainte-Beuve  ?  Une  époque  de 
recherches  critiques  le  met  en  place  bien  plus  haute  que 
celle  où  les  romantiques  se  croyaient  hardis  de  l'élever. 
Nous  sourions  de  leurs  hésitations  et  de  leurs  réserves,  et 
notre  admiration  ne  se  réduit  plus  à  choisir  dans  cette 
œuvre  immense  quelques  odelettes  et  quelques  sonnets. 
Nous  voulons  mesurer  l'ensemble  du  monument  et  en  exa- 
miner les  détails  ;  les  parfaites  réussites  n'y  font  pas  dédai- 
gner 1  effort  moins  heureux  ;  la  Pléiade  entière  bénéficie  de 
la  curiosité  qui  s'attache  au  maître,  et  rien  ne  nous  laisse 
indifférents  de  cette  tentative  d'où  est  sortie  toute  la  poésie 
moderne  de  la  France. 

Le  gentilhomme  vendômois.  (jui  prit  ses  meilleurs  amis 
parmi  les  rimeurs  et  les  professeurs  de  grec,  est  ime  des 
figures  les  plus  originales  de  notre  littérature.  Elle  com- 
mence à  être  une  des  plus  étudiées.  D'excellents  érudits  s'y 
consacrent,  surtout  depuis  quelques  années;  tandis  que  la 
biographie  s'éclaire  les  éditions  partielles  ou  générales 
des  œuvres  se  multiplient  ;  cependant  que  nos  poètes, 
malgré  le  vieillissement  de  la  langue,  se  mettent  à  les  lire 
assidûment.  Quelques  étrangers  s'associent  à  ce  mouvement  ; 
ceux  d'entre  eux  qui  y  résistent  nous  font  penser  que  Ron- 
sard est  peut-être,  comme  Racine,  un  de  ces  dieux  domes- 
tiques dont  le  culte  n'est  célébré  pleinement  qu'au  foyer  de 
la  nation. 

Il  n'est  pas  aisé  de  bien  connaître  ce  siècle  de  grands  écri- 
vains. L'éloignemenl  des  temps  nous  sépare  plus  qu'on  ne 


vni  nONSABD    ET    L  HtMAMSME 

le  voudrait  des  pères  de  notre  lyrisme  et  de  notre  prose. 
Ceux  de  la  Pléiade  méritent  pourtant  qu'on  apprécie  exac- 
tement la  révolution  qu'ils  ont  osée  et  réussie,  les  raisons 
et  le?  circonstances  de  leur  imitation  des  Anciens  et  des  Ila^ 
liens,  les  principes  qui  ont  soutenu  leur  effort  sans  y  sur- 
vivre et  ceux  qu'ils  ont  incorporés  à  jamais  dans  notre  doc- 
trine des  lettres.  Les  opinions  les  mieux  établies  à  ce  sujet 
doivent  être  revisées  de  temps  en  temps  par  la  critique. 
N'esl-il  pas  insuffisant,  par  exemple,  de  croire  que  la  poésie 
de  Ronsard  et  de  ses  amis  trouve  sa  préparation  et  ses  ori- 
gines dans  l'école  lyonnaise  ?  On  a  établi  de  ce  côté  des 
filiations  spirituelles  qui  ne  sont  applicables  qu'à  quelques 
écrivains.  Celle  qui  les  intéresse  tous  n'est  pas  assez  en 
lumière,  car  c'est  ailleurs  qu'ils  ont  rencontré  le  milieu  lit- 
téraire favorable  et  de  véritables  précurseurs. 

Les  poèteshumanistes,  c'est-à-dire  ceux  qui  écrivaient  en 
latin  classique,  donnaient  déjà  l'exempled'une  culture  intel- 
lectuelle entièrement  empruntée  à  l'Antiquité.  Pétrarque,  de 
qui  découlent  tous  les  courants  de  la  Renaissance,  avait  été 
leur  premier  maître  et  cette  littérature  savante  florissait 
depuis  près  de  deux  siècles  en  Italie,  alors  qu'elle  s'implan- 
tait à  peine  chez  nous.  Dès  qu'elle  passa  les  monts,  sa  for- 
tune ne  cessa  de  grandir.  L'Allemagne,  par  exemple,  qui 
n'a  pas  eu  de  Ronsard  et  n'a  rejoint  qu'au  siècle  suivant 
les  tracesda  nôtre,  compte  presque  autant  de  poètes  huma- 
nistes que  la  France.  Dans  toute  l'Europe,  ces  formes  ont 
alors  suffi  à  l'expression  de  l'idée  et  du  sentiment  chez  les 
écrivains  les  plus  cultivés,  et  quelques  chefs-d'œuvre,  trop 
dédaignés  aujourd'hui,  en  ont  tiré  une  courte,  mais  écla-  • 
tante  carrière. 

La  Pléiade,  à  ses  débuts,  fut  entourée  d  un  monde  latini- 
sant, qui  vivait  sur  le  fonds  qu'elle  exploitera  elle-même  et 
puisait  sa  vigueur  aux  mêmes  sources.  Il  n'avait  rien  de 
commun  avec  l'école  de  Marot.  eii  faveur  auprès  des  gens 
de  cour  et  des  femmes,  contre  laquelle  les  jeunes  réforma- 
teurs batailleront,  et  il  s'opj)osait  plus  encore  à  ces  Rhélo- 


PREFACE  IX 

riqueurs  démodés  qui  prolongeaient,  dans  une  indigence 
croissante  de  la  pensée,  l'existence  de  nos  vieilles  formes 
poétiques.  L'usage  de  la  langue  de  Rome  et  quelquefois  du 
grec,  s'il  n'encourageait  point  l'originalité,  sauvait  d  ordi- 
naire les  humanistes  delà  platitude  eu  leur  imposant  la  fré- 
quentation des  grands  modèles.  Ceux  même  qui  se  conten- 
taient de  reproduire,  en  des  vers  jilus  ou  moins  heureux, 
la  grâce  horatienne  ou  la  facilité  d'Ovide,  frayaient  la  voie 
aux  plus  hardis  et  aux  plus  savants  qui  allaient  s'inspirer 
de  Pindare  et  de  VAnacréon  de  Henri  Estienne.  Mais  cette 
poésie,  où  les  médiocres  furent  innombrables,  eut  aussi  de 
véritables  maîtres,  que  Ronsard  et  les  siens  admirèrent  et 
ne  cessèrent  pas  de  pratiquer.  C'est  elle  qui  créa  par 
avance  un  public  pour  l'école  nouvelle,  lui  recruta  des  lec- 
teurs dans  toutes  les  parties  de  la  nation  et  facilita  sa  beso- 
gne d'enrichir  notre  langue  du  meilleur  héritage  de  la 
double  Antiquité.  La  prose  latine  du  même  temps,  si  riche 
en  tous  les  genres  et  dont  l'esprit  français  lit  alors  si  noble 
usage,  ne  le  préparait-elle  pas  de  la  même  façon  à  goûter 
les  Essais  et  à  en  assurer  la  diffusion? 

Les  principales  nouveautés  de  ce  livre  lui  viennent  de 
l'usage  qu'il  fait  de  textes,  imprimés  ou  inédits,  de  la  litté- 
rature de  l'Humanisme.  Sans  me  priver  de  recourir  à 
d'autres  sources,  ce  sont  celles  que  j'ai  particulièrement 
recherchées,  comme  les  plus  négligées  jusqu'à  présent.  Le 
lecteur  jugera  de  ce  qu'elles  fournissent  d'inattendu  pour 
reconstituer  la  biographie  de  nos  poètes  et  le  milieu  qui  les 
a  formés.  Les  érudits  ronsardisants,  auxquels  ces  pages  sont 
spécialement  destinées  et  que  j'ai  tant  de  fois  nommés  avec 
reconnaissance,  utiliseront,  je  l'espèi'e,  des  observations 
qui  éclaircissent  à  leur  suite  les  points  obscurs  de  la  vie  de 
Ronsard  et  de  ses  amis  et  peuvent  aussi  servir  à  préparer 
des  recherches  nouvelles.  Elles  semblent  abondantes  pour 
le  decennium  de  la  "  Brigade  »  qui  va  de  la  publication  de 
la  Deffence  (1549)  et  des  Odes  (1550)  à  la  mort  de  Joachim 


X  RONSARD    ET    L  irUMAMSME 

du  Bellay.  Celle  période,  qui  embrasse  lijLMivre  lousar- 
dienne  du  règne  de  Henri  II,  est  une  des  plus  actives  de 
nos  leltres  et  les  destinées  de  notre  poésie  lyrique  s'y  sont 
iixées. 

On  verra  Ronsard  rattaché  directement  à  lllunianisme, 
non  seulement  par  ses  éludes,  ses  imitations,  ses  proches 
amitiés  et  des  relations  lointaines  souvent  ignorées,  mais 
encore  par  quelques  fantaisies  de  sa  plume.  Les  papiers  de 
Jean  de  Morel  devaient  garder  trace  de  son  intimité  avec  le 
poète;  ceux  de  notre  Bibliothèque  nationale  m'avaient 
donné  déjà,  en  1S82,  les  premiers  autographes  connus  de 
Du  Bellay  ;  ceux  de  la  Bibliothèque  de  Munith.  que  j'ai 
dépouillés  en  1898  et  1910,  apportent  l'inveclive  conlre 
Pierre  de  Paschal,  qui  restitue  à  Ronsard  une  œuvre  assez 
curieuse,  jusqu'à  présent  vainement  cherchée.  Elle  est  un 
exemple  de  ce  «  bon  gros  latin  »,  qu'il  voulait  qu'on  écrivît 
sans  nulle  prétention  cicéronienne.  et  dont  il  usait  lui- 
même,  on  le  verra,  avec  une  verve  égale  à  celle  de  sa  meil- 
leure prose  française.  Ce  morceau  justifie  le  chapitre  qui 
évoque  quelques  visages  de  «  gens  de  lettres  »  autour  de 
la  victime  de  Ronsard. 

Les  premiers  documents  de  ce  travail  ont  été  réunis  par 
un  étudiant  de  l'Ecole  des  Hautes-Etudes,  il  y  a  près  de 
quarante  ans.  Je  méditais  alors,  avec  les  ambitions  de  la 
jeunesse,  une  large  11  Histoire  de  l'Humanisme  en  France», 
dont  un  volume  eût  été  consacré  à  la  Pléiade  et  aux  formes 
de  l'hellénisme  propagées  par  l'enseignement  de  Dorai.  Ce 
projet  s'est  Irouvé  interrompu  par  mon  séjour  à  Rome  et  des 
études  poursuivies  de  longues  années  sur  les  origines  ita- 
liennes de  la  Renaissance.  Versailles  ne  pouvait  m'y  rame- 
ner. J'ai  abordé,  il  est  vrai,  quelques  pointa  du  sujet  dans 
les  conférences  de  notre  École.  Plusieurs  élèves  d'alors,  deve- 
nus des  maîtres  aujourd'hui,  MM.  Dorez,  Jovy,  Delaruelle, 
l'historien  de  Budé,  en  ont  traité  avec  autorité  des  par- 
ties importantes  ;  d'autres  se  rappellent  quel  intérêt  nous 
inspirèrent  successivement    les   précurseurs   du    temps   de 


PRÉFACE  XI 

Charles  VI  et  les  contemporains  clKiatime.  Un  seul  savant 
se  préparait  à  remplir  le  dessein  d'ensemble,  dont  il  avait 
mesuré  à  la  fois  les  difficultés  et  le  mérite  ;  mais  René  Sturel, 
historien  d'Amyot,  après  avoir  honoré  la  patrie  par  ses  pre- 
miers travaux,  a  donné  sa  vie  pour  la  défendre.  Qui  repren- 
dra maintenant  la  tâche  abandonnée?  Quel  peintre  saura 
exécuter  en  son  entier  le  grand  tableau  d'histoire  littéraire, 
dont  celte  esquisse  bien  imparfaite  ne  présente  qu'un 
fragment? 

Paris,  juin  1921. 


Les  textes  de  Ronsard  sont  cités  d'après  l'édition  Paul  Laumonier 
(Paris,  1919),  à  partir  de  la  page  65.  On  a  maintenu  dans  l'ensemble 
du  livre  les  renvois  à  l'édition  Blanchemain,  dont  on  connaît  trop  les 
insuffisances  de  toute  sorte,  mais  qui  se  trouve  encore  la  plus  répan- 
due. (On  peut  croire  quelle  sera  remplacée  dans  l'usage  courant  par 
celle  que  prépare  M.  H.  Vaganay,  d'après  le  texte  des  Œuvres  de 
1578.)  La  grande  édition  Laumonier,  qui  reproduit  comme  celle  de 
Marty-Laveaux  le  texte  de  1584,  est  l'instrument  de  travail  par  excel- 
lence sur  Ronsard,  grâce  surtout  à  son  important  commentaire,  digne 
de  l'auteur  de  Ronsard  poète  lyrique.  Le  même  savant  a  été  chargé  par 
la  "  Société  des  textes  français  modernes  »  de  l'édition  critique  des 
œuvres  de  Ronsard  ;  je  cite  les  Odes  de  1550  d'après  les  deux  premiers 
volumes,  seuls  parus.  Les  autres  ouvrages  du  seizième  siècle  ont  été 
cités,  autant  que  possible,  d'après  les  éditions  originales. 


RONSARD 

ET      L'ÎHUMANISME 


l'RKMiEKE  PAirni-: 
HONSAHD  HIMAMSTE 

LÉDUCATION,  LE  MILIEU,  LES  LECTURES 

1mi  France,  jusqu'au  milieu  ilu  seizième  siècle,  la  littérature 
nesl  pas  moins  latine  que  française.  La  langue  de  THumanisnie, 
qu'on  trouve  dans  Erasme  douée  de  toutes  les  ressources  de  la 
vie.  a  longtemps  paru  suffire  aux  besoins  les  plus  divers  de  la 
pensée.  Elle  cède  lentement  la  place  à  la  langue  nationale,  dont 
les  droits  s'affirment  et  se  justifient  peu  à  peu  par  des  œuvres 
de  plus  en  plus  parfaites.  L'Italie,  qui  nous  devance  toujours 
dans  les  voies  de  la  Renaissance,  a  posé  et  résolu  bien  avant 
nous  la  <i  question  des  langues  )).  Le  «  vulgaire  »  v  a  conquis  sa 
place  dans  tous  les  domaines,  au  même  titre  que  le  latin,  sauf 
pour  la  théologie  et  l'érudition.  Des  théoriciens  comme  Pietro 
Bembo  et  Sperone  Speroni  ont  fait  triompher,  en  faveur  de  l'ita- 
lien, les  thèses  dont  ils  fournissent  la  matière  toute  préparée  à 
la  Deffence  el  illustration  de  la  langue  française.  Le  brillant  et 
presque  inutile  plaidoyer  de  Joachim  du  Bellay  a  été,  même  chez 
nous,  précédé  de  beaucoup  d'autres  ;  et  la  cause  qu'il  défend 
avec  ime  juvénile  véhémence,  en  1549,  n'est  déjà  pas  moins 
gagnée  en  France  qu'en  Italie.  Mais  la  culture  latine,  à  laquelle 
d'ailleurs  le  poète  rend  de  si  vifs  hommages,  est  tellement  com- 
plète et  répandue  que  de  nombreu.K  écrivains  usent  presque 
inditféremment  des  deux  langues. 

Il  est  remarquable  que  le  cardinal  Bembo  soit  à  la  fois  l'au- 
teur des  Prose,  un  bon  poète  pétrarquisant  et  l'un  des  «  cicéro- 
niens  »  le  plus  admirés  de  son  temps  ;  et  l'on  peut  faire  une 
observation  assez    semblable  à  propos  de  notre  Etienne  Dolet  : 

Noi.HAi:.   — Rons;irii  el  l  Uiiiii.-inismc.  I 


l  ItONSAItlJ     II-    I.  IIIMAMSMi; 

rhomine  (jui  a  comli^ilLu  poui-  la  (lucliiiic  du  (^icLToiiiaiiisiiie 
et  construit  on  riionncur  du  latin  le  ninnumcnt  des  doiiiincii- 
taires,  consacre  la  lin  de  sa  vie  à  c  mettre  notre  langue  en 
tel  dej^ré  qu'on  la  puisse  doresnavant  autant  estimer  que  plu- 
sieurs aultres  non  tant  riches  en  éloiiuence  »  '.  Pour  ne  citer 
([u'iui  autre  exemple,  mais  suffisant,  Guillaume  Budé  lui-même, 
'<  lumière  du  siècle  ><  cl  prince  des  hellénistes,  sans  renier 
la  supériorité  des  lan<^ues  anciennes,  a  cru  devoir  écrire  en 
irançais  V Insltliilinn  du  Prince,  (juil  voulait  faire  lii-e  à 
François  l'=''  et  à  sa  cour,  (le  mouvement  est  soutenu  par  le  sen- 
timent patriotique  qui  se  rencontre  chez  les  lettrés'-.  L'Kurope 
connaît  déjà  une  sorte  démulation  entre  plusieurs  littératures 
nationales  ;  on  vise  à  égaler,  a  surpasser  même  les  Italiens  •.  Mais 
cette  émulation  n'existe  pas  moins  dans  l'usage  de  la  langue 
internationale.  Au  cours  des  polémiques  sur  limitation  exclusive 
de  Gicéron,  qui  se  poursuivent  pendant  une  partie  du  siècle,  plu- 
sieurs des  nôtres  mettent  un  point  d'honneur  à  revendi([uer  cette 
artilicielle  pureté  de  langage,  peu  prisi-e  d'iù-asme,  dont  l'Italie 
,  prétend  détenir  le  privilège. 

La  poésie  n'échappe  pas  à  des  habitudes  (jui  dominent  alors 
tous  les  esprits.  On  se  fait  une  idée  bien  incoin])lète  du  mouve- 

I.  •<  Eslionne  Dolet  au  lecteur  Iraiiooys  •■,  en  lele  de  l'édition  lyoïuiaise 
de  La  pHifnicle  aini/p  d'Antoine  Iléroet,  1542  [lléroet.XJEuvres  i)o<''li<jues, 
éd.  F.  (ioliin,  Paris,  1909,  p.  9}.  Dolet  qui  n'en  continue  pas  moins  de  l'aire 
«  profession  totale  de  la  lan;^ue  latine  ",  expose  nettement  les  motifs  de 
conversion  à  la  langue  vulgaire  dans  un  ouvrag'e  plusieurs  fois  réim- 
primé. L.T  manière  île  hien  iraiiuire  d'une  langue  en  autre  i  iSl-O),  dont  un 
passage  essentiel  est  cité  \>w  Henri  Cliamard,  dans  son  édition  critique  de 
la  IJe/fenceel  illuxtralian,  Paris,  1904,  p.  IGI.  La  bibliograpliie  de  la  ques- 
tion serait  considérable.  Voir,  pour  d'autres  exemples,  K.  Brunot,  Ilixtoire 
de  lu  langue  franraise,  t.  II  ;  II.  Cliamard,  Joackint  du  Bellay,  Lille,  1900 
(spécialement  sur  .Jacques  Peletier  duMans  ,  et  l'étude  si  neuvede  P.  Villey, 
Les  sources  italiennes  de  la  Ueffence...  de  Joachini  du  Bellay,  Paris,  1908, 
(|ui  forme  le  t.  IX  do  notre  Bilitiothèque  littéraire  de  la  Benaissance. 

2.  Budé  a  déjà  combattu  vivement,  dans  son  De  A.tse.  l'opinion  ipii  attri- 
bue à  lllalle  une  prééminence  littéraire  sur  les  antres  nations.  V.  Louis 
Delaruelle,  Guillaume  Budé,  les  origines,  les  débuts,  les  idées  maîtresses, 
Paris,  1907,  p.  Ib0-I6(i. 

.'i.  "  Sommes-nous  donques  moindres  que  le^  tirccz  ou  Komains. . .  ".'  La 
France...  est  de  long  intervalle  à  préférer  à  l'Italie  »  'De/fence,  éd.  Clia- 
mard, [).  321-322).  De  ces  deux  idées  essentielles  de  la  Pléiade,  je  ne  vois 
point  la  seconde  soutenue  avant  Du  Dcllay.  d.ins  l'ordre  littéraire  :  elle 
devient  commune  après  lui. 


l.ES    UKUX    LANGIKS    LITTÉKAIKLS  •< 

menl  poétique  en  France  sous  Frain,uis  1'',  quand  on  en  borne 
l'étude  au  groupe  de  Clément  Marot  et  à  l'école  lyonnaise.  La 
grande  production  latine  ne  peut  être  négligée  et  parfois,  comme 
chez  Salmon  Macrin  ou  Tiiéodore  de  Bèze,  révèle  de  véritables 
talents.  Même  lorsqu'à  commencé  avec  Ronsard  la  magnifique 
rénovation  du  lyrisme  français,  on  voit  se  répandre  des  recueils 
en  latin  toujours  plus  habiles  et  plus  variés.  Aussi  les  contem- 
porains qualifiés  prennent-ils  tout  à  fait  au  sérieux  cette  poésie  et 
lui  conservent-ils  son  rang,  à  côté  desasreur  cadette.  Choisissons 
pour  le  prouver  deux  témoignages  seulement,  mais  dont  on  ne 
puisse  contester  l'autorité. 

Montaigne  accorde  aux  deux  poésies  alors  en  usage  le  mérite 
d'une  fécondité  égale,  sans  les  distinguer  autrement  qu'en  rappe- 
lant la  perfection  récemment  ojjtenue  par  la  française  :  «  ...  Il  me 
semble  aussi  de  la  poésie  qu'elle  a  eu  sa  vogue  en  notre  siècle  ; 
nous  avons  abondance  de  bons  artisans  de  ce  mestier-là,  Aurat, 
Bèze,  Buchanan,  l'ilospital,  Mont-Doré,  Turnebus:  quant  aux 
François,  je  pense  qu'ils  l'ont  montée  au  plus  haut  degré  oh  elle 
sera  jamais  ;  et  aux  parties  en  quoy  Ronsard  et  du  Bellay 
excellent,  je  ne  les  treuve  gueres  esloignez  de  la  perfection 
ancienne  »  '.  Un  petit  poème  catullien  de  Joachim  du  Bellay 
n'est  pas  moins  significatif.  Après  avoir  établi  dans  la  Deffense 
({ue  les  Français  sont  capables  d'égaler  les  Anciens  et  les  Italiens, 
en  les  imitant  avec  hardiesse,  il  énumère  ensemble  les  poètes 
erotiques  des  trois  langues,  ainsi  qu'il  les  mêle  évidemment 
dans  sa  mémoire  et  dans  son  admiration  : 

Ob  id  uuiic  cupiiiin  hic  adesse,  Gordi, 
Et  quicquid  ceciiiil  teiier  Calullus, 
Etquicquid  cecinit  tener  Tibullu;;. 
Quicquid  Naso  canit  Propertiusque, 
Gallus,  et  louianus  Actiusque -. 
Quicquid  ipse  Mârullus  et  Petrarca. 
Quicquid  Beza  canit,  canit  Macrinus, 
(Ut  noslros  quoque  iioniinem  Poetas), 
Ronsardus  grauis  et  grauis  Thyardus, 

i.  Essais,  livre  II,  ch.  xvii. 

2.  Du  Bellay  désigne  ici  les  deux  napolitains,  Giovanni-Gioviano  Ponlano 
et  Jacopo  Sannazaro,  nommé  dans  r.\.cadémie  Pontanienne  .\ctius  Synce- 
rus. 


■'(■  nuNSAUiJ  i;i    I.  m  .MAMSMi; 

Mollis  Baifius  mihique  (si  quis 
Probîitos  lociis  itiler-est  porUas 
(  Ipl.iriiii  uetcros  meos  oaiores...  ' 

Les  prétentions  de  nos  néo-latins  sont  allées  beaucoup  plus 
loin  ([ue  l'égalité  qu'on  leur  reconnaît.  Avant  l'éclatant  succès  de 
ItMilreprise  de  Ronsard,  ils  s  imaginent  assez  souvent  représen- 
ler  à  eux  seuls  toute  la  poésie  française  issue  de  la  «  Renaissance 
(les  lettres  ».  Ils  revendifpient,  du  même  ton  qu emploiera  la 
Pléiade,  le  mérite  d'avoir  doté  la  France  d'un  art  véritable  et  de  lui 
avoir  fait  perdre  sa  réputation  de  nation  barbare.  C'est  ce 
qu'exprime  clairement  le  plus  habile  d'entre  eux,  Salmon  Macrin, 
dans  un  poème  Ad  poetas  Gallicos,  adressé  à  ses  principaux 
contemporains,  les  seuls  qui  comptent  à  ses  yeux,  Germain  de 
Brie,  Jean  de  Dampierre,  Nicolas.  Bouibon,  Etienne  Dolet  et 
Jean  Visagier  (  I  «/^e/H.s)  ;  et  il  est  à  noter  que  ces  poe/,ip  (jallici 
n'ont  jamais  fait  que  des  vers  latins  : 

Brixi,  Dampetre,  Horbdiii,   Ddlete. 
\  ultei(|ue  operis  receiUis  aullior, 

Facundi  numéro  eleg'ante  vate.s 

Vestra  iiamque  opéra  et  labore  i'aclum 
Insigni  simul  erudilione, 
Haec  ut  natio  Gallicana,  nulle 
Aille  humaiiiter  instituta  cultu, 
El  quae   brbai-a   dicerelur  olini, 
lam  agreslem  exuat  expolila  inorein, 
Ip.sa  jam  .'Vtthida  Graecianique  totani, 
Doctos  prouocet  ac  Henii  nepotes, 
Nec  sese  Ilalia  pulel  minorem'^. 

C'était  l'époque  où,  dans  toute  l'Europe  lettrée,  les  néo-latins 
d'Italie  faisaient  des  disciples  enthousiastes,  où  les  églogues 
marines  de  Sannazar  se  lisaient  au  même  titre  que  les  églogues 
rustiques  de  Virgile,  où  le  poème  du  «  divin  Fracastor  »  intitulé 
6'7/)/h'//.s>  était,  sans  hésitation,  égalé  aux  Géorgiques^K  Aucun  de 

1.  Iiifirhimi  Bellaii  Andini  Poemalum  lihri  f/ualuor,Vai\^,  I. '158,  fol.  41  v". 

2.  Ilymnorum  libri  VI  ad  lo.  Bellaiiim.  Paris,  I")37,  p.  36  iRéiraprimé 
dans  le  recueil  mis  sous  le  nom  de  Ranutius  Glierus  :  Deliliae  C.  popluriiin 
Gatlorum,  Francfort,  -1609,  t.  H,  p.  478l 

3.  Ronsard  devait  avoir  lui-même  l'habitude  de  parler  du  ..  divin  l'ia- 
caslor  »,  car  on  relève  répilholc  chez  Binet,  écho  souvent  Adèle  de  ses 
coiivpi'sations. 


i,A    i'iii;sii:   m;(i-i.a  I  iM.  .1 

"  nos  latineurs  <<  de  Fraiici'  ii';ilUMi;nil  jamais  à  lun-  Iclle  rtMioni- 
niée  ;  mais  ils  avaient  une  assez  complète  conseii'nce  île  leur 
valeur  poui-  mesurer  quelle  distance  séparait  leur  culture,  sou- 
vent étendue  et  raffinée,  de  celle  des  rimeurs  en  langue  vul- 
g-aire.  tous  à  peu  près  étrangers  à  Tétude  de  l'Antiquité.  Leurs 
publications,  déjà  nombreuses,  et  qui  tendent  à  se  multiplier  au 
cours  du  siècle  ',  contribuent  à  préparer  un  auditoire  k  Ronsard 
et  à  son  école.  Elles  attestent,  en  tout  cas,  que  le  latin  peut  alors 
exprimer  toute  la  pensée  des  poètes  et  leur  assurer  une  l'éelle 
renommée. 

Que  tel  ait  été,  pendant  une  partie  de  sa  vie,  le  sentiment  de 
Pierre  de  Ronsard,  j'espère  en  fournir,  au  cours  de  ces  études, 
des  preuves  assez  nombreuses.  Mais  une  des  marques  les  plus 
certaines  de  son  génie  volontaire  est  précisément  qu'il  a  su  résis- 
ter il  la  tentation  d'écrire  lui-même  dans  la  langue  des  grands 
lettrés.  Il  ne  s'est  presque  jamais  écarté,  sur  ce  point,  d'une 
direction  délibérément  choisie,  lorsf[u'il  eut  achevé  de  concevoir 
sa  rénovation  poétique.  Rappelons  ici  la  date  de  ce  mouvement. 
On  sait  qu'il  coïncida  assez  exactement  avec  l'avènement  du  roi 
Henri  II,  et  Charles  Fontaine  fixe  en  ces  termes  l'époqvie  oîi  les 
poètes  les  mieux  doués  donnèrent  l'exemple  de  se  détacher  du 
latin  : 

Les  vers  Latins  i'  ay  délaissez 
Pour  escrire  en  nos  vers  François, 
Ou  la  Muse  vous  a  poussez, 
t^estoit  cestoit  aux  temps  passe/., 
Parauanl  ce  grand  Roy  François, 
(^)u'fin   broLiilliiit   tout   en    Latinois  -. 

1.  H.  Chamard  a  dressé  le  tableau  des  principaux  recueils  latins  parus  ou 
France  de  152ri  à  lîi49,  pour  donner  une  idée  de  l'iuiporlance  de  ce  mouve- 
ment [Joarhim  du  Bellatj,  p.  103V  II  va  s'accélérant  avec  le  temps.  Les 
Deliliae,  iiui  choisissent  dans  tout  le  xvi''  siècle,  insèrent  des  vers  de 
cent  neuf  poètes  latins,  nés  en  France  et  dont  le  tiers  au  moins  a  laissé  un 
nom.  L'Allemagne  n'est  guère  moins  féconde.  On  trouve  une  bonne  biblio- 
graphie et  un  choix  de  ses  poètes  dans  le  petit  livre  de  Georg  EUinger. 
Deutsche  Lijriker  des  nechzehnlen  Jahrunderls,  Berlin,  1893.  Mais  l'Alle- 
magne  de  la  Renaissance  n'a  pas  eu  de  Ronsard. 

2.  Le  sixain  est  adressé,  par  une  dédicace  collective,  à  Du  Bellay,  Ron- 
sard, Jodelle,  Ba'if  et  Magny,  dans  les  Odes,  énigmes  et  épigrammes,  Lyon, 
1557,  p.  66.  Cf.  Richmond  Laurin  Hawkins,  Maistre  Charles  Fontaine 
parisien.  Cambridge.  Harvard  Univ.  press.  1910,  p.  162. 


0  IlO.NSAItlJ    KT    I.  HLMAMSMI-: 

Ronsard  a  formulô  tant  de  l'ois  sfs  grands  desseins  en  vers  et 
même  en  prose,  ses  contemporains  en  ont  célébré  si  abondam- 
ment la  réalisation  et  la  victoire,  tant  de  critiques  les  ont  discu- 
tés depuis,  c[u'il  semlîlerait  inutile  de  les  exposer  une  fois  de 
plus,  si  nous  n'avions  à  présenter  une  paj^e  d'humaniste  excel- 
lente et  peu  connue,  ([ui  convient  à  merveille  à  notre  sujet.  L'éloge 
funèbre  du  poète,  prononcé  par  Georges  Gritton  au  collège  de 
B()ncourt,  rappelle  ainsi  les  services  rendus  par  Ronsard  à  la 
langue  et  à  la  poésie  de  notre  pays  : 

....Nec  eiiini  illi  palrii  et  popularis  quani  Laliiii  et  Graeci  sermonis 
noLior  usus  erat  aul  expeditior,  nec  ad  I.atina  quam  Gullica  carmina 
paii^eiifta  infeliciori  erat  vena  :  sed  patriae  nimia  chantas  eiTecil  ul 
GaHicani  -Musani  luhentius  arriperet,  quam  externis  ilHs  et  transma- 
rinis  Graccorum  ac  Latinorum  spoliis  satis  hahuit  locupletari,  verba 
ipsa  popuhs  a  quibiis  ea  profecta  sunt  censuit  relinquenda.  Sed  cum 
stratam  humi  submissius  repère  nec  adhuc  erij^ere  se  potuisse  domes- 
ticani  Musan»  animaduerleret,  nec  quid  plebeios  illos  qui  tum  Ieo:e- 
banlur  poëtas  ]3raelfr  inanem  ntlinnim  et  verborum  simibliuliiiL'iii 
aucupari,  primas  altiiis  inflare  superioribus  omiiibui;,  [irimus  cliceiidi 
\eneres  et  lepores  in  quibus  Graeci  polissimum  llorueruiit,  nostris 
\ersibus  iiitcxere,  priiiius  ad  eorundem  exempluni  modiiicare  vocabula 
quaedaiii  et  inuertere,  noua  quaedam  audacius  excudere,  eadem  inter 
se  coiicinnitatis  quodam  ordine  componere,  nec  minus  grauilatem  in 
seiitentiis  quam  iii  verbis  amplitudinem  coepit  consectari.  Quod  ergo 
lloreat  apud  nos  vernacula  poesis,  quod  cuin  qualiliel  alia  gente  ser- 
monis ubertate  possimus  contendere,  quod  nec  Homero  in  Deorum 
laudibus  concinnandis,  nec  Virgiho  in  beliicis  rébus  et  heroïcis  des- 
cribcndis,  nec  Pindaro  in  dehcatulis  odis,  nec  (Juidio  in  llebilibus  ele- 
giis  decantandis  quid  debeamus,  totum  illud  quantumcunique  sit 
'quod   certe  est  maximum)  Ronsardi  est  propriuiii.. .' 

Après  les  années  d'un  injuste  oubli,  la  postérité  lointaine, 
pour  laquelle  travaillait  le  poète,  lui  rapporte  son  hommage. 
En  relisant  les  louanges  des  vieux  biographes,  elle  s'assure,  avec 
ses  méthodes  propres  de  recherche,  qu'ils  sont  demeurés  dans  la 
vérité.  Ronsard  a  renouvelé  de  fond  en  comble  la  matière  et  la 
forme,  l'inspiration  et  le  vocabulaire   de   notre  poésie.  Afin    de 

1.  Georg.  Critlonii  latidatio  fiini'liris,  linhila  in  exi'quiix  Peiri  lionsanli 
n/iwl  H'coclinnos...  nd. . .  loannem  Gattmtdium  c/i/mnasiarcham  Bfcodianum. 

P;iris,    ITiSi;.  p.    C. 


I.KS    1.AIIMSIKS    l)i:    I.A    l'I.KIAIiK  / 

se  donner  tout  entier  à  cette  mission,  il  lui  fallait,  sans  dédaigner 
lœuvre  latine  de  son  temps,  refuser  nettement  de  s'y  associer, 
montrer  par  un  exemple  constant  que  le  grand  style  nouveau 
introduit  par  l'école  suffisait  à  toute  la  poésie.  C'est  pour  cette  rai- 
son ([ue,  dans  ses  divers  recueils,  Ronsard  n'a  fait  aucune  inli- 
délité  il  la  muse  française  '.  11  eut  à  celte  abstention  d'autant  plus 
de  mérite  (ju'il  était,  comme  le  dit  (^ritton  et  comme  on  en  verra 
d'autres  preuves,  un  fort  expert  latiniste,  capable  d'en  remon- 
trer aux  plus  habiles,  et  que  tout  sou  entourage  le  poussait  à 
s'en  faire  honneur.  L'exemple  était  à  peu  près  général;  des 
essais  de  cette  sorte  ne  pouvaient  en  rien  amoindrir  son  rôle  de 
chef,  ni  l'autorité  de  sa  propagande.  Plusieurs  témoignages  nous 
montrent  que  Joachim  du  Bellay,  qui  latinisa  toute  sa  vie,  en  vit 
plutôt  augmenter  son  prestige-.  Aujourd'hui  encore,  nous  feuil- 
letons les  vers  d'humaniste  du  poète  des  Ref/rr/s  dans  les  nobles 
impressions  de  Fédéric  Morel,  avec  le  plaisir  d'y  rencontrer  une 
poésie  naturelle,  sincère,  vivante,  qui  présente  avec  agrément 
d'autres  aspects  d'un  talent  qui  nous  est  cher.  Quelques  publica- 
tions de  Ronsard  en  ce  genre  ne  le  diminueraient  nullement  ; 
elles  lui  feraient  seulement  dans  son  temps  une  figure  moins 
singulière. 

On  oublie  d'oi-dinaii'e  que.  suivant  l'exemple  de  Du  Bellay, 
toute  l'école  de  Ronsard  a  poétisé  en  latin.  Sans  parler  de  Jean 
Dorât,  dont  les  vers  français  ne  comptent  guère,  ni  de  Marc- 
Antoine  de  Muret,  qui  commentait  en  français  les  sonnets  du 
maître  et  composait  ses  Juuenilia  à  la  façon  d'Horace  et  de  Catulle, 
il  y  a  des  poésies  latines  de  Jodelle  et  de  Pontus  de  Thiard; 
lîaïf   a    recueilli    tardivement    des    Carmina.   souvent    heureux 


1.  Le  mince  recueil  lalin  qu'on  peutréunir  n'atténue  on  rien  la  portée  de 
celte  observation. 

2.  "  Quel([ues-uns...  ont  rendu  cet  illuslre  témoignage  de  cet  auteur 
qui,  comme  dans  la  Poésie  Françovse,  à  peine  s'en  trouve-t-il  un  seul  qui 
l'égale,  on  en  voit  aussi  bien  peu  qui  soient  au-dessus  de  luy  dans  la 
Latine  »  (G.  Coltelet,  Eloges  des  lioinmes  illustres...  composez  en  lalin 
pnr  Scévole  de  Sainle-Marlhe,  Paris,  1644,  p.  137).  Le  texte  de  Sainte- 
Marthe  parle  des  admirateurs  du  poète,  quorum  iudicio  ut  inx  ulliim  in 
carminé  Gallico  parem,  sic  pauc.os  hahei  in  Lalino  superiores  (Elogia,  Poi- 
tiers, 1.Î08,  p.  40).  Cl'.  Cliamard,  ^c,  p.  3î)8-.t60.  V.  aussi  les  distiques  insé- 
rés par  Charles  Uytcnhove  aux  dernières  pages  des  Poemata  :  In  Bellaicae 
Musae  et  latinae  el  qalticae  rarmina. 


8  iiuNSAiiii  i;i    i.'iii  ma.msmf: 

et  en  a  tiré  quelque  vanité';  Rémi  Bellcau  a  fait  imprimer 
des  vers  macaroniques  assez  habiles  et  traduit  des  sonnets 
de  Ronsard  en  distiques  élégiaques  •' ;  Micliel  de  rilosj)ital, 
le  protecteur  de  toute  la  «  Brij^ade  »,  a  écrit  de  beaux  poèmes 
latins,  qu'on  lit  encore  avec  plaisir:  d'autres  familiers  de  la 
Pléiade,  Etienne  Pasquier,  le  grand  défenseur  du  français,  Scé- 
vole  de  Sainte-Marthe,  Jean  Passerat,  ont  donné  d'excellents 
recueils  d'humanistes;  on  a  perdu  les  vers  latins  de  .lacfjues 
Grévin,  mais  on  a  ceux  de  Louis  des  Ma/.ures  et  d'élégantes 
traductions  de  Y  Anthologie  par  Florent  Chrestien;  enfin  tout  un 
chœur  de  poclae  minores,  qui  a  chanté  autour  de  Ronsard,  l'a 
fait  constamment  dans  les  deux  langues.  11  n'est  point  témé- 
raire d'affirmer  que  leur  chef  a  couru  lui-même,  au  temps  de  ses 
débuts,  le  risque  d'être  un  ])()ète  bilingue  et  tju'il  a  été  tenté 
k  son  heure  par  les  lauriers  faciles  de  l'Humanisme. 


I 


La  première  jeunesse  de  Ronsard,  traversée  d'influences 
diverses  qu'on  arrive  peu  à  peu  k  démêler,  le  montre  dominé 
par  l'étude  la  plus  enthousiaste  de  la  poésie  latine.  Le  grec  lui 
ouvrira  des  routes  nouvelles  et  fournira  k  son  génie  les  conditions 
de  sa  liberté;  mais,  jusqu'au  moment  où  il  a  le  bonheur  de  ren- 
contrer pour  maître  Jean  Dorât,  quels  rêves  sont  les  siens  et  par 
quels  essais  marque-t-il  sa  vocation  d'écrivain?  Les  témoignages 
ne  manquent  pas  k  qui  veut  es.sayer  de  les  grouper. 

Faut-il  rappeler  que  son  père  était  imbu  de  cet  humanisme 
latent   que  rapportaient  d'Italie  les  gentilshommes  qui  y  guer- 

1.  Il  est  d'autant  plus  sionificatif  que  ce  ii-cuell  soit  si  tarclivenienl 
|)ul)lié  :  Carminiini  lani  Anlonii  Ii:ii/li  lihor  I.  Paris,  Mamert-Patisson, 
\'M;.  On  lit,  au  f.  29  v°  : 

Tu  ne  hune  illepiiluni  nieuni  lihcUiim... 

O  Mure  te,  tiui  manu  l'euoUios  ,' 

Tu  sndnlitii  niomor  ne  nosli'i 

Illius  \'ctei'is  I.ulc'tiîuii. 

Tuni  cuni  tloriditir  vijjebat  aelas, 

Nonie!!  c\cipies  tui  liaifi, 

Qui  posl  caimina  Gallicans  mille 

Nunc  sei'us  Latias  ciet  Canioenas? 

2.  A  la  suito  (lf>  i^a  Irarludion  il'.Vnncrodn,  ilonl  \p  parlerai  plus  loin. 


i.i:   i'hp:mii;k   imiiatkii!  H 

royèreni?  S'il  tenait  parfois  la  plume  du  ci  rhétoriqueur  »,  rimait 
en  sa  langue  maternelle,  discutait  des  questions  de  versification 
avec  maître  Jean  Bouchet,  c'est  en  latin  qu'il  inscrivait  sur  les 
murs  de  son  château  de  la  Possonniére  les  devises  qui  l'ornent 
encore  et  (jui  sollicitèrent,  dès  qu'il  sut  lire,  la  curiosité  de  son 
fils.  Le  précepteur  auquel  Louis  de  Ronsard  conlia  la  première 
éducation  de  l'enfant,  et  qui  l'instruisit  au  rudiment  latin,  lui 
fit-il  déjà  sentir  l'harmonie  des  vers  de  \'irgile  ?  Le  poète  dira  un 
jour  qu'il  savait  Virgile  par  cœur  "  dès  son  enfance  ».  Mais  il  y 
a  la  plus  grande  incertitutle  sur  sa  vie  écolière,  sur  le  nom  ei  la 
qualité  de  son  précepteur  ',  sur  ce  qu'il  a  appris  avant  et  après 
son  séjour  d'un  semestre  au  collège  de  Navarre,  dont  il  tira  sur- 
tout l'avantage  de  connaître  comme  condisciple  le  futur  cardinal 
de  Lorraine  -.  La  véritable  initiation  aux  lettres,  celle  qui  compte 
seule  pour  un  poète,  lui  vint  d'ailleurs  et  lorsqu'il  n'était  déjà 
plus  un  enfant. 

Son  premier  guide  autorisé  dans  le  domaine  des  Muses  fut 
ce  mystérieux  «  seigneur  Paul  »  des  anciens  biographes,  qui 
était  en  réalité  messer  Claudio  Duchi,  seigneur  de  Gressier,  d'une 
noble  famille  piémontaise  de  Moncalieri.  Il  avait  pour  sœur 
Filippina  Duchi.  favorite  du  Dauphin,  plus  tard  Henri  IL  et 
mère  de  la  future  duchesse  d".\ngoulème.  Le  jeune  Piémontais 
avait  été.  avec  Pierre  de  Ronsard,  de  l'écurie  du  duc  Charles 
d  Orléans  et  probablement    son  compagnon  en  Hcosse,  à  la  cour 


1.  Préface  posthume  de  la  Franciude  léd.  Blaiichemain,  t.  III.  p.  "2o  . 
(Ju'enlend  le  poète  par  le  mot  ■>  enfance  "'!  Son  souvenir  s'applique-t-il  à 
l'époque  qui  précède  ou  à  celle  qui  suit  le  semestre  au  collège  de  Navarre, 
où  il  fut  placé,  dit-il,  .<  si  tost  que  j"eu  neuf  ans  »,  et  qu'il  quitta  o  sans  rien 
proBter  »  Autobiographie  composée  pour  Pierre  de  Paschal  .  Quelque  pré- 
coce qu'on  le  suppose,  il  n'est  pas  vraisemblable  qu'il  ait  abordé  la  lecture 
de  Virgile  avant  ses  neuf  ans.  Le  précepteur  dont  parle  Binet,  d'ailleurs 
bien  suspect  pour  tous  ces  détails,  me  paraitètre,  plutôt  que  l'oncle  Jean, 
chanoine  du  Mans,  archidiacre  de  I.aval.  le  docte  prieur  de  Sougé-sur-Loir, 
Guy  Peccate  i  Pacatus  ,  à  qui  Ronsard  dédie  une  ode  horatienne  de  son 
premier  recueil.  Le  texte  de  La  Croix  du  Maine  permet  assez  bien  l'inter- 
prétation qu'eu  donne  Laumonier  en  faveur  de  ce  personnage. 

2.  y.  ensomlile  pour  contrôler  leurs  avis  divers,  les  plus  récents  bio- 
graphes :  Paul  Laumonier,  lionsanl  iiuètc  li/rii/iic.  Paris,  1909,  p.  4  sqq.,  et 
commentaire  du  même  auteur  à  La  vie  de  /'.  de  Rnnaard  par  Claude  Binel. 
édition  critique,  Paris.  1!I09:  Henri  Longnon  Pierre  de  Ronsard,  essai  de 
biographie,  Paris,  1912.  p.  lo:}  sqq.;  p.  t2;i  si|q  ;  .T.-,L  .lusseraud,  Ronsard. 
Paris,  l!t|:H,  p.  18  sqq. 


10  IlONSAHD    El     r.'lIlMAMSMi: 

de  J:icques  Stuarl;  il  (oiiUiuia  a  le  voir  :i  lécurie  du  Moi,  ■■  (jui 
estoit  lors  une  escole  de  tous  lionnesles  et  vertueux  exercices  », 
et  que  lionsard  fréquenta  quckiue  temps,  après  avoir  clé  «  mis 
hors  de  page  »  pav  le  duc  d'Orléans,  son  premier  seigneur  '. 
Plus  âge  que  le  lils  de  Louis  de  Ronsard,  Duclii,  devenu 
écuvcr  d'Henri  H.  ne  le  (juitta  donc  |)oinl  de  sa  douzième  à  sa 
dix-huitième  année.  Il  pul  le  taire  ijroliler  largement  de  ses 
lumières,  qui  étaient  celles  d'un  humaniste  italien  d'alors,  fami- 
lier des  bons  auteurs  et  r()m])u  à  lusage  des  vers  latins.  C"est 
du  récit  de  Claude  Hinel  et  de  l'éloge  de  Du  Perron  «jue  Ton 
déduit  ces  indications,  dont  la  plus  intéressante  est.  je  crois, 
l'origine  italienne  de  cet  initiateur,  par  qui  Ronsard  connut  à  la 
fois  les  anciens  et  ceux  des  modernes  ({ui  se  flattaient  de  les  con- 
tinuer. 

Claudio  Duchi  a-t-il  versifié  lui-même?  a-t-il  composé  un 
recueil  resté  ignoré  '-'?  Cet  exemple  aurait  eu,  en  tout  cas,  moins 
d'importance  que  la  longue  intimité  littéraire  qui  1  unit  à  Ronsard. 
Celui-ci  s'en  souvenait  plus  tard  avec  complaisance,  et  les  fami- 
liers de  ses  derniers  jours  n'ont  pas  manqué  de  parler  honora- 
blement du  c  seigneur  Duc  ».  «  Ce  gentilhomme,  écrit  Binet, 
avoit  fort  bien  estijdié  les  poètes  latins  et  mesine,  lorsqu'il 
estoit  page,  avoit  aussi  souvent  un  N  irgile  en  main  qu'une 
btiguelte,  interprc'tant  aucune  fois  à  Hunsard  <(uelques  beaux 
traits  de  ce  grand  poète  »  '■^.  Du  Perron  ajoute  le  nom  d'Horace 

1.  .le  dois  à  l'obliii'eance  de  M.  Mario  Ziicchi,  de  la  Bililiothèque  royale 
de  Turin,  les  reclieiclies  établissant  l'identilé  de  ce  personnage,  l'un  des 
doux  enfants  du  sénateiu-  de  Savoie,  Fili[)po  Duolii  et  de  Lucrezia  Panis- 
sora.  (Claudio  Duclii  épousa  une  fraix-aise.  Diane  d'Argeville.  Sa  sœur,  après 
avoir  mis  au  monde  sa  fille  Diane,  entra  au  couvent,  l^a  famille  Duchi  est 
éteinte  à  Moncalieri  depuis  I8j4  Révérend,  t.  II,  p.  S8V  l.e  prénom  de 
Claudio,  et  non  Paolo,  est  certain.  Le  P.  Anselme  en  donne  un  troisième, 
lorsqu'il  parle  de  «  Diane,  léi.'-itimée  de  France,  duchesse  d'.\ng-oulème,  née 
de  Pliili[)po  Duc,  demoiselle  piémontaise,  srpur  de  ,Iean- Antoine  Duc,  né  à 
Monlcalliei'  en  Piémont,  écuyer  de  la  grande  écurie  du  roi  Henri  II  »  (Ilis- 
loire  gr'tn'ator/irjue  de  tu  .\la.i!:on  ch-  Fr:inc<',  I,  I,  p.  I.'^O).  Mais  Filippiii.i 
Duchi  n'a  eu  (ju'un  seul  frère,  notre  Claudio. 

2.  Henri  Longnon,  I.  <■..  p.  1.13,  appliiiue  à  "  Paul  Duc  »  un  distique  de 
Du  Bellay  contre  un  certain  Pan  ha,  auteur  AeNii{/:w.  Ce  n'esl  qu'une  liypo- 
Ihèse  ingénieuse. 

;î.  <■  Et  Ronsard  au  contraire  ayant  toujours  en  mains  quelque  poëte 
françois  »  (Binet,  texte  de  1586,  éd.  I.aumonier,  p.  10).  Le  te.vte  de  I."Î87 
ajoute  un  détail  sur  Ronsard,  lecteur  de  Virgile,  «  où  il  prit  un  si  grand 
appétit  que  depuis  il  ne  fui  jamais  sans  un  Virgile,  jusques  h  l'apprendre 
cnliércment   par   cieiir  •  , 


l'oNCI.K    BlHI.IOl'HILK  11 

k  celui  de  Virgile,  et  il  ist  prubaliie,  en  elîet,  qu'une  bonne  part 
de  la  poésie  latine  passa,  avec  l'italienne,  dans  les  lectures  des 
deux  amis  '.  Le  jeune  Français  possi-dait,  de  son  côté,  un  fonds 
de  livres  légués  par  son  oncle,  .foan  de  Ronsard,  arcliitliacre  de 
Laval,  qui  s'était  intéressé  à  son  enfance  studieuse.  ïrouva-t-il 
dans  ce  ley:sde  famille,  premier  noyau  de  sa  propre  bibliothèque, 
le  Roman  de  la  Rose  et  les  œuvres  de  Lemaire  de  Belges  et  de 
Clément  Marot,  qu'il  faisait  connaître  à  Duchi '^?  Il  y  rencon- 
trait, (lu  moins,  de  bons  livres  anciens,  et  un  de  ses  biographes 
humanistes,  Jacques  Vieillard,  parfois  bien  informé,  n'hésite  pas 
à  citer  l'intluence  de  l'oncle  ecclésiastique  et  liibliophile  à  coté  de 
celle  du  gentilhomme  italien.  Ayant  parlé  de  la  présence  du 
poète  dans  la  docte  ambassade  de  Lazare  de  Haïf,  il  ajoute  : 

Quid  flixi  ?  Pelruni  Ronsardum,  ex  sermone  habito  in  ea  leg-atioue 
prinium  ad  slucliiim  poelices  animum  ;uliuiixisse?  I^rraui  :  imo  multo 
aille,  hune  enini  poesim  a  lacté  nulricis  imhibisse  animo,  nec  alienis, 
sed  domeslicis  praeceptis  edocCum  fuisse,  vos  iam  eritis  indices.  Habe- 
bat  ah  auuncido,  viro  omni  liberali  sacraque  doelrina  politissimo,  non 
solum  bililiotliecam  varia  et  multiplici  lilirorum  supellectile  instruc- 
tam,  sed  eliaiu  exempliim  luiiiis  reconditionis  disciplinac  quod  sibi 
proponerct  ad  imitandum.  Insuper,  dum  ailerat  Vxe^i  praetextatus 
assecla,  incundiis  erat  Paulo  praefeclo  Hippoconnae,  fralri  PhiHppae 
Castelleronensis  ',  qui,  cum  studio  humaiiitatis  coleret  et  haberet 
auras  trilas  notandis  g^eneribus  poetarum,  seorsim  Virj^ilii  et  Hnratii 
intelligentia  praestabat.  Ibi  duo  perspicaces  et  acuti  viri  cum  mira- 
rentur  bonitatem  naturae  Pétri  Ronsardi,  Iniic  et  ad  suscipiendam  et 
ingrediendam  rationem  studiorum  poeseos  principes  extitere  ''. 

On  doit  mettre  au  premier  rang,  parmi  les  hommes  qui  ont 
contribué  à  la  formation  de  cette  précieuse  intelligence,  celui  ((ui 

1.  Sur  les  imitations  italiennes  de  lionsard,  v.  J.  Vianey,  Le  Pélrarqiiixinr 
en  France,  p.  133  sqq. 

2.  Cf.  H.  Guy,  Les  sources  fr!in<;aises  de  Hunsard.  dans  la  Rente  d'hist. 
lut.  lie  la  L<'rance,  t.  .\I,  1902,  et  les  observations  de  (Ihamard,  I. aumônier 
et  Longnon. 

3.  Sic  pour  Caslelleraldensis.  La  duchesse  d'.\ngoulème,  légitimée  de 
France,  avait  reçu  d'abord  de  Charles  IX,  en  1S03,  le  duché  de  Chàtelle- 
rault  ;  mais  il  est  ici  question  de  sa  mère,  qui  ne  semble  pas  avoir  eu  de 
titre,  ni  porté  ce  nom  (Brantôme,  éd.  Lalanne,  t.  VI,  p.  496). 

+.   l'i'lri  Rrtnsardi  poelae  ijalliei  laudatiii  funeliii^...  P;iiis.  IoS4.  fnl .   12  v". 


12  UUNSAIU)     Il     l.'lMMAMSMIi 

était  alors  en  France  rincariiuliuii  iiiriiie  dt-  l'Iiuinanisnie  italien  '. 
Ami  (le  Heniho,  de  Sadolelel  de  Jérôme  Aléandre,  correspondant 
d'Erasme,  collectionneur  de  livres  et  de  manuscrits,  Lazare  de 
Baïf  avait  reçu,  pendant  son  séjour  en  Italie  et  son  ambassade 
à  Venise,  la  culture  nouvelle  sous  sa  forme  la  j)lus  complète. 
On  s'en  ajierçoit  dans  les  lettres  j^-recques  cl  latines  écliang-ées 
par  lui  avec  les  savants  de  son  temps- ;  on  le  voit  mieux  encore 
dans  ses  ouvratçes  d'érudition  antique,  De  lie  vestiariu,  l)e  Vas- 
ciilis,  De  lie  naiiali.  11  possédait  à  fond  les  deux  lanj^ues,  écri- 
vait en  grec  à  Guillaume  Budé  et  à  Jean  Lascaris,  et  Robert 
Estienne  lui  rend  hommage  pour  des  services>eçus  dans  la  revi- 
sion de  son  Thésaurus  linç/uae  lalinae.  Ses  dépêches  d'ambas- 
sade montreilt  en  lui,  sinon  un  diplomate  d'esprit  supérieur,  du 
moins  un  agent  assez  actif  de  François  F'  ;  mais  il  dut  regretter 
souvent  de  ne  plus  vivre  au  temps  où  de  tels  documents  ne 
s'écrivaient  qu'en  latin. 

Ronsard  connut  à  seize  ans  cet  érudit  considérable,  qui  conti- 
nua, dans  la  mesure  où  il  daigna  s'occuper  de  lui  à  celte  époque, 
la  direction  de  son  camarade  Duchi.  Ce  fut  au  moment  de 
l'ambassade  de  Ba'if  auprès  des  princes  allemands  réunis  h 
Hagueiiau.  Une  parenté  éloignée  engagea  l'ambassadeur  k 
prendre  avec  lui  pour  ce  vo^yage  un  adolescent  bien  doué,  que 
lui  recommandait  le  due  d'Orléans.  Etranger  aux  négociations 
fort  secrètes  de  1  ambassadeur  avec  les  chefs  protestants,  Pierre 
assista  du  moins  aux  entretiens  érudits  de  Ba'if  et  des  humanistes 
d'Alsace  et  d'Allemagne.  11  entendit  Jean  Sturm,  Bucer,  Sleidan; 
il  vit  l'helléniste  Nicolas  Gerbel,  éditeur  d  Arrien  et  de  Lyco- 
phron,  qui  habitait  Strasbourg,  et  se  lia  sans  nul  doute  avec  son 
(ils.  Celui-ci   doit  compter   le   jeune  Ronsard,  avec    le    médecin 

1.  .  Ces  deux  lumières  fiançoyses,  Guillaume  Budé  et  Lazare  de  Bayf  ", 
dit  .loachim  du  Bellay.  Cf.  Dolaruelle,  Giiillauine  Budé,  p.  l.'t. 

2.  .l'ai  eu  la  foitune  de  retrouver  dans  les  bibliothèques  romaines  les 
seules  épaves  connues  delà  correspondance  d'Iuimanistede  Lazare  de  Bail'  ; 
elles  sont  publiées  à  la  suite  de  Vlnrentnire  des  maiiiiscrils  de  Jean  Lai^caris, 
Rome,  1886,  et  dans  P(>/ro  Beinho  et  Lazare  de  Baïf,  Bert^ame,  189i-.  Lucien 
Pinvert  n'en  a  pas  recueilli  d'autres  dans  son  intéressante  bioffrapliie. 
Il  faudra  y  joindre  une  lettre  latine  de  Ba'if  au  savant  ambassadeur  de 
François  1'''',  Pierre  du  Chatel,  évêque  de  Tulle,  conservée  en  copie  dans 
lems.  Lai.  8d8j  de  la  Bibliothèque  nationale  fol.  140],  Emile  Legrand  a 
mentionné  de  nombreuses  relations  de  Lazare  de  Ba'if  avec  les  Grecs  dans 
sa  Bihliograpliie  IleUénir/iir.  Paris,  188."). 


LA.MliASSADi;    UE    LA/.A11E    l)i;    liAÏl'  13 

Charles  Estienne,  parmi  les  lettrés  de  la  maison  'fainilia)  à  qui 
il  envoie  son  souvenii-  ( praesertim  cos  qui  sunl  studiosi  bona- 
rurn  lilerarum  et  mecuni  nonnihil  cornntenta/i  sunl)  '.  Un  tel 
entourage,  de  telles  fréquentations,  lusag-e  nécessaire  de  la 
langue  latine  pour  les  conversations  avec  les  étrang-ers.  l'exemple 
surtout  d'un  chef  admiré,  tout  devait  engager  le  débutant  à  se 
ranger  parmi  les  humanistes  et  à  s'exprimer  comme  eux.  Assu- 
rément, il  n'y  manqua  point.        " 


II 


Le  goût  juvénile  de  Ronsard  pour  la  poésie  latine  antique  et 
moderne  correspond  k  son  mépris  alliché  pour  la  poésie  française 
de  son  temps.  Sauf  Clément  Marot  et  quelques  autres  qu'il  met 
à  part,  ainsi  que  fait  Du  Bellay,  et  qui  sont  k  peu  près  tout  ce  qui 
compte  dans  la  génération  précédente  -,  il  n'accorde  pas  le 
moindre  intérêt  k  ce  que  les  rimeurs  du  siècle  ont  écrit  avant  lui. 
Il  le  confond  plus  ou  moins  volontairement  avec  le  verbiage  insi- 
pide des  «  rhétoriqueurs  ».  Il  n'y  a  pas  à  lui  reprocher  de  l'igno- 
rance ou  de  1  injustice  ;  ces  beaux  excès  sont  communs  aux 
chefs  d'école,  dont  tous  n'ont  pas  l'excuse  du  génie.  Mais  ce  sujet 
nVst  point  le  nôtre  ;  qu'il  suftise  de  rappeler  le  souverain  dédain 
du  jeune  maître  poiu-  une  littérature  qu'il  se  sent  de  force  à  rem- 
placer. 

Entre  vingt  textes  qu'on  pourrait  citer,  le  plus  ancien  et  aussi 
le  plus  vif  est  la  préface  de  la  première  édition  des  Odes.  En 
looÛ,  ayant  formulé  les  exceptions  strictement  nécessaires,  le 
poète  s'en  prend  aux  confrères  qui  le  précèdent  ou  qui  l'en- 
tourent :  c<    L'imitation  des  nostres  m'est  tant  odieuse  (^d'autant 

1.  !..  Pinvert,  Lnzare  de  Baif,  Ii96  {?\-lo47,  Paris,  1900,  p.  69,  73,  119. 
Cf.  Longuon.p.  l.'J4.  J.  Jusserand,  /.  c,  p.  14,  observe  que  Calvin  résidait 
alors  à  Strasbourg  et  que  Ronsard  l'a  vu  certainement  dans  la  maison  de 
Baïf. 

"2.  »  ...Solicité  par  Joacliim  du  Bellai,  du((uel  le  jugement,  l'étude 
pareille,  la  longue  fréquentation  et  tardant  désir  de  l'eveiller  la  Poésie 
Françoise  avant  nous  foible  et  languissante  je  excepte  tousjours  Heroet, 
Sceve  et  Saint-Gelais  nous  a  rendu  presque  semblables  d'esprit,  d'inven- 
tions et  de  labeur  »  [Les  quatre  premiers  titres  des  Odes  de  Pierre  de  Ron- 
sard Vandomois,  Paris,  lobO.  Œuvres  complètes  de  Ronsard,  éd.  1, aumô- 
nier. Odes.  t.  I.  1914.  p.  4tV). 


I  i  KONSAItl)    Kl     l/lll  MA.MSMK 

i|ue  l;(  langue  esl  encoiL'  vn  sou  fiilauct-i  (^ue  pour  ceste  raison 
je  me  suis  esloigné  d'eus,  prenant  stile  à  part,  sens  à  part, 
œuvre  à  part,  ne  désirant  avoir  rien  de  commun  avec  une  si 
monstrueuse  erreur...  «  Ces  audaces  sont  de  réi)(K|ue  où,  s'en- 
yayuant  avec  fierté  dans  le  <<  sentier  incogiieu  "  et  voulant 
«  ressusciter...  les  vieu.x  lyriques  »,  Ronsard  déclare  qu'il  ne 
l'econnaît  comme  ses  maîti'es  que  Pindare  et  Horace,  et  reven- 
dique le  droit  de  dire  avec  ci'  dernier  : 

Libcru  pcr  taciiiiiii  pului  rcaliç/iu  pi'iiicc/jx. 
i\'on  ;ilien;t  meo  pressi  pede  '. 

S  il  s'esl  refusé  k  suivre  les  traces  des  poètes  de  sa  langue,  il 
s'est  montre  moins  exclusit  ;i  l'égard  des  néo-latins.  Il  n'a  nulle- 
ment prolesté  à  cette  époque  contre  l'cngouenKînl  |)our  une  poé- 
sie aijondante,  mais  souvent  médiocre,  qui  se  proclamait  elle- 
même  la  seule  digne  de  compter  en  France.  Ne  vo^'ant  point 
en  ces  écrivains  des  rivaux,  il  acceptait  de  les  goûter  et  d'en 
honorer  plusieurs.  Un  d'eux  surtout  bénéficiait  de  son  admira- 
tion et  de  celle  de  sa  Pléiade,  à  côté  de  Jean  Second  dont  les 
Basia  et  les  Epicframmala  firent  les  délices  du  siècle  ;  c'était 
Salmon  Macrin,  de  Loudun,  dont  la  primauté,  orgueilleusement 
réclamée  par  ses  propres  vers,  fut  longtemps  reconnue  par  ses 
émules  '-.  A  part  ce  Batave  et  ce  Poitevin,  c'est  au  delà  des  Alpes 
que  Ronsard  rencontrait  l'élite  des  poètes  qui  employaient  un 
réel  talent  k  reproduire,  dans  les  mêmes  formes,  le  piquant  de 
Catulle,  la  grâce  d'Horace,  l'esprit  ou  la  sensualité  d'Ovide.  Il 
les  a  lus  pendant  toule  sa  vie,  mais  il  les  a  imités  davantage 
dans  sa  jeunesse,  alors  surtout  que,  n'tHant  pas  initié  au  grec, 
il  appartenait  encore  tout  entier  à  la  culture  latine  ■'. 

A  ce  moment,  les  œuvres  dont  il  s'inspirera  le  plus  volontiers, 
celles   de   MaruUe,   de   Pontano,  de  Sannazar,    celles   d',\ndrea 

1 .  Episl.,  I,  xi.\. 

2.  V.  sur  Macriii,  II.  Cliamaid,  J.  du  Beltai/,  p.  HO.  On  lira  avec  iiiLéiét 
pour  l'histoire  de  notre  poésie  latine  à  cette  époque  une  lettre  inédite  de 
Salmon  Macrin  à  Tliéoilore  de  Bèze.  à  propos  de  son  recueil  tleaJiiuenilia, 
([ui  sera  prochainement  puliliée  d'après  Tautographe  de  la  Bibholhèqiie  de 
Munich. 

3.  Un  exemple  excellent  esl  Vllipnnc  Je  la  i\iiil  des  premières  Odra 
(1B50|  ;  ce  petit  poème  esl  un  décahpie  de  Vtli/mnus.  in  Xuctem  de  Pontano 
(Laumonier,  p.  759). 


I.  HXKMl'Lt:    DE    l-'llALlE  1 .') 

Naviig'ero.  qui  mourut  à  la  cour  do  François  I"''  ',  sout  entre 
les  mains  de  tous  les  lettrés  de  l'Europe.  Mais  on  ne  lit  pas 
seulement  les  poètes  humanistes  d'Italie  dans  les  éditions  de  leur 
pavs  :  il  y  a  déjà  des  réimpressions  françaises  dont  le  nombre 
indique  le  succès.  Des  recherches  bibliographiques  bien  faites 
révéleraient  l'intérêt  de  cette  pénétration  dans  notre  pays  de  la 
culture  d'nutre-monts  -.  Si  la  littérature  italienne,  considérée 
presque  par  nos  poètes  comme  une  troisième  littérature  clas- 
sique, jouit  à  leurs  yeux  d'un  réel  prestige,  la  littérature  latine 
d'Italie  semble  encore  mieux  honorée  d'eux,  puisqu'ils  y  voient 
le  prolongement  naturel  de  celle  de  l'Antiquité.  L'humanisme 
italien  règne  donc  en  France  par  ses  poètes  aussi  bien  que  par 
ses  grammairiens,  ses  rhéteurs  ou  ses  traducteurs  de  grec.  .Au 
temps  oii  Ronsard  prépare  son  recueil,  à  Paris,  en  loiS,  vient 
de  paraître  une  sorte  d'anthologie  où  figurent  précisément  quel- 
ques-uns des  poètes  qu'il  a  le  plus  imités  •'.   Elle    en   annonce 

1.  Uonsard  ne  devait  poiul  ignorer  (|ue  le  roi  avait  fait  euterier  avec 
honneur  le  charmant  poète,  mort  à  Blois,  étant  en  ambassade  auprès  de 
lui.  Paul  JoTB  le  raconte  dans  ses  Elogia  docloriini  virnrum.  B;de,  1577, 
p.  14S. 

2.  On  devrait  étudier  à  ce  point  de  vue,  avec  les  éditions  de  Josse  Bade, 
celles  de  Simon  de  Coliucs,  qui  fut  non  seulement  l'éditeur  de  Macrin. 
mais  aussi  un  actif  propag-aleur  des  productions  de  l'humanisme  italien. 
Les  grandes  bibliographies  savantes  de  M.  Philippe  Renouard  fournissent 
une  base  solide  à  ces  recherches.  Colines  a  publié  notamment  un  volume 
qui  semble  fort  singulier  dans  le  Paris  de  François  l"'  :  Triuin  poelarum 
elegantissimoruni.  Porcplii.  Basinii  et  Trehani  opuactila.  nimc  priniiim  ilili- 
gpntia  erinlilhsiini  viri  Chris! ophori  Preiidhornme  Barroihicani  in  liicm 
édita.  Parisiis.  npud  Siin.  Colinaeuni,  1530.  Ce  sont  les  recueils  élégiaques 
dédiés  à  Isotta  de  Rimiiii  et  h  Sigisniond  Malatesla  :  ils  r('|iréseutent  ce  que 
la  muse  païenne  de  l'Humanisme  a  conçu  de  plus  rallîné.  Relié  avec  re.\em- 
plairc  de  cet  ouvrage  à  la  Bibliothèque  Mazariue  '21223),  on  trouve  une 
édition  parisienne  non  citée  d'un  poète  connu  de  Ronsard  :  Hieronymi 
Anijcriani  Seapolitani  ic,ia-o-r.jiiyi'.o'/ .  Venundatur  Parisiis  a  Theobaldo  Char- 
ron in  clauso  BunelU  (s.  d.).  L'édition  est  donrtée  par  Ludovicus  Faber 
Parisiensia.  Richelet  a  rapproché  de  l'ode  ■■  Mignonne  allon  voir  ■>  ce  dis- 
tique d'.Vngeriano  : 

Ptihhra  hreui  iliiras  rusu  lempore.  fornui  brciiitiiH' 
Tcinpore.  sic  fiirmae  par  rosa  teinpiis  luihes. 

■i.  Doclissinwnim  nostra  aelale  Ilaloruni  epigranim.iln  :  M .  Aiilonii  Fta- 
niinii  lihri  duo.  Marii  Molsae  liber  uniis.  Andreae  Xauijerii  liber  unus.  lo . 
Cotlae.  Lampridii,  Sadoleti  el  aliorum  .Miscellaneoruni  liber  unus.  Luleliae, 
per  .\icul.  Viuileni,  -va  Sacerdolum...  sub  insigni  geminae  anchorae...  ad 
insii/ne  Aldi.  Ciim  priullegio  régis  (s.  d.  ;  78  p.l.  Launionier,  qui  a  étudié 
comme  moi  ce  volume  d'une  typograpliie  très  soignée  el  en  a  fixé  la  date 


16  HONSAHh  El     I,  III  MAMSMF, 

(l'aulics  plus  iiiiportaiiU's,  (|ui  suivront  au  cours  du  sièc-le.  et 
loul  d'abord  cette  Farrar/o  poeinafurn  de  Léger  du  Chesne 
i  Leodef/ariiis  a  Quercu),  qui  est  de  l.'ifiO  et  semble  avoir  été 
fort  appréciée. 

Le  llorilège  de  Léger  du  Cliesne  devra  marquer  une  date  inté- 
ressante dans  la  dilîusion  de  la  poésie  humaniste  '.  Pour  la 
première  fois,  en  eiïet,  on  joint  à  des  onivres  d'Italiens,  dont  la 
maitrise  est  reconnue,  un  choix  considérable  d'œuvres  compo- 
sées par  des  Français.  Ceux-ci  sont  pour  la  plupart  des  amis  de 
Ronsard:  on  y  trouve  Michel  de  l'ilospilal.  Du  Bellay,  Dorât, 
Turnèbe,  avec  d  autres  moins  fameux,  et  cette  intéressante  réu- 
nion s'expli(jue  assez  par  les  fréquentations  de  l'érudit  qui  l'a 
conçue.  Le  futur  professeur  au  Collège  Royal  a  été  le  précepteur 
de  Jean  Brinon,  protecteur  attitré  pendant  quelques  années  du 
groupe  ronsardien.  (>"est  autour  du  brillant  châtelain  de  Médan 
et  de  \'illennes,  enlevé  prématurément  aux  Muses,  que  s'est 
accomplie  de  la  façon  la  plus  cordiale  cette  fusion  des  huma- 
nistes et  des  poètes  qui  caractérise  la  société  de  l'époque.  La 
compagnie  choisie  par  lui  a  donné  en  France  la  meilleure  et  la 
plus  brillante  image  des  cercles  italiens  du  temps  de  LéonjX,  où 
toutes  les  formes  de  l'art  littéraire  étaient  représentées  et  rivali- 
saient de    raffinement  -.    Au   sortir  des   grandes  leçons   pinda- 

d'inipression,  établit  que  Ronsard  s'en  est  servi  pour  lire  Navagero,  et 
.(u'il  en  a  tiré  plus  d'une  fois  le  titre  de  ses  imitations  Ronsard  poélp 
h/riqiie,  p.  1"28).  On  peut  ajouter  à  ces  observations  que  le  libraire  Nicolas 
l.c  Riche  Indique,  comme  compilateurs  du  florilège,  ses  amis  Abel  Portius 
Kt  Jean  Goupyl,  inspirés  par  Jean  de  Ganay  [Gai/naeius  ,  chancelier  de 
IT'uiversité  de  Paris.  Le  texte  a  passé  tout  entier  dans  la  Farrar/o  de 
Léger  Bu  Cliesne. 

1.  Farrago  poemattim  ex  optimis  quibusque  el  anliquiorihus  et  aelalis 
noslrae  poelia  seh'cta  per  Leodegarium  a  Quercu.  Toinus  secundus  le  tome 
!"■  porte  le  titre  distinct  de  Flores  Epigrammatum...].  Parisiis.  apud  II.  de 
Marnef,  lodO  (ou  apud  G.  Cavellati .  Le  recueil  est  du  plus  petit  format  de 
poche.  Un  des  derniers  poèmes,  au  41.")''  feuillet,  est  adressé  Ad  lanum 
Brijnonem  de  eius  benignilale  in  Lodoicum  Querculum  olim  suum  praecep- 
lorem.  La  dédicace  des  Juuenilia  de  Muret  dit  expressément  :  Ludouicum 
Querculum...  inslitulorem  olim  suum  beniffaissime  et  fecisli  et  quolidie 
fucis . 

2.  ,lean  Brinon,  conseiller  au  Parlement  de  Paris,  seigneur  de  Villennes 
et  de  Médan,  mort  en  mars  1555  et  pleuré  des  poètes  dans  un  tombeau  en 
quatre  langues  que  je  ferai  connaître  plus  loin,  mériterait  l'honneur  d'une 
étude  particulière.  Ronsard,  qui  lui  dédie  en  1554  le  second  Bocage,  ne  le 
connaissait  pas  encore  au  moment  de  la  publication  des  premières  Odes. 
on  le  nom  du  futur  mécène  de  la  Brigade  ne  figure  pas  parmi  les  dédicaces. 


LE    CERCLE    UE    .lEAN    HRLNdN  17 

riques  de  Dorai,  dont  on  parlera  plus  loin,  les  poêles  se  réunis- 
saient aulour  de  l'élégant  humaniste,  plus  fier  de  ces  amitiés  que 
de  sa  grande  fortune  et  de  sa  charge  au  Parlement.  Il  faut 
essayer  de  ressaisir  les  sentiments  des  familiers  de  Jean  Bri- 
non.  pour  comprendre  à  quel  état  d'esprit  correspondirent  les 
premiers  succès  de  Ronsard,  et  comment  le  jeune  poète  des 
Odes,  du  Bocage  et  des  Amours,  s'est  trouvé  acclamé  dans  les 
deux  langues  et  choisi  pour  chef  par  des  représentants  d'une 
double  littérature. 

L'auteur  du  Commentaire  des  Amours,  Marc-Antoine  de  Muret, 
est  un  des  écrivains  qui  expriment  le  mieux  les  tendances  du 
temps  et  mérite  d'être  écouté  presque  au  même  titre  qu'un 
Du  Bellay.  Venu  de  son  pays  de  Limoges,  il  enseignait  momen- 
tanément le  droit  à  Paris  et  vivait  étroitement  uni  au  cercle  de 

s. 

Ronsard.  Il  réunissait  alors  un  recueil  exquis  de  vers  latins  et 
cherchait  à  prendre  dans  cette  langue,  aux  côtés  de  son  ami  Ron- 
sard devenu  brusquement  célèbre,  une  place  que  d'autres  lui 
eussent  disputée  pour  la  poésie  française.  La  préface  de  ses 
Juueniliu,  dédiée  à  Jean  Brinon  et  datée  de  la  fin  de  novembre 
1o.j2,  peut  être  mise  en  regard  des  manifestes  français  plus 
cités  et  de  la  préface  même  du  Commentaire  des  Amours  '. 
Elle  précise  assez  bien  les  idées  et  les  ambitions  de  cette  ardente 
et  docte  jeunesse  :  i 

...Qui  se  vernaculo  nostro  sermone  poêlas  perhiberi  volebant,  per- 
diu  ea  scripsere,  quae  delectare  modo  otiosas  mulierculas,  non  etiam 
enidilorum  hominum  studia  tenei'e  possent.  Primus,  ut  arbitror, 
Petrus  Ronsardus  cuni  se  eruditissimo  viro  in  disciplinam  dedisset, 
eoque  duce  veterum  utriusque  linguae  poetarum  scripta,  multa  et  dili- 
geiiti  leclione  triuisset,  transmarinis  illis  opibus  sua  scripta  exornare 
aggressus  est;  cuius  postea  exemplum  insecuti  I.  Antonius  Baifius, 
I.  Bellaius  aliique  pennulti,  breui  tempore  tantos  fecere  progressus, 
ut  res  vel  ad  summum  peruenisse  iam,  vel  certe  haud  ita  multo  post 
peruentura  esse  videatur.  Idem  in  lingua  latina,  multum  abest,  ut 
dicere  liceat;  in  qua  cum  ex  veteribus  ab  Ausonio,  ex  recenlioribus  a 
Salmonio  et  aiiis   duobus   forte,   aut  summum  tribus   discesseris  -': 


1.  On  lira  plus  loin  un  passage  de  cette  dernière  préface. 

2.  Muret  compte   probaljlement  Théodoi-e  de  Bèze  parmi   ces  deux  ou 
trois  émules  de  Salmon  Macrin. 

XoLHAC.  —  Ronnard  et  rHiimniuxma.  2 


l'S  KO.NSAIIU    Lt    I,  IILiiAMh.MK 

ul  Graeci  prouerbio  dicuiil.  esne  multos  quidem  qui  boues  stimuleiil, 
sed  raros  aratores  ;  ila  dicas,  licebil,  multos  quidem  esse  qui  versus 
faciant,  sed  raros  plancque  iJï:;0;A/,TOj;  poetas.  De  iis  loquor,  qui 
scripla  sua  in  publicum  edidere.  Scio  enim  et  alios  esse  sal  multos,  et 
inprimis  eum,  quem  supra  nominaui,  loaiinem  Auratum,  qui  vel 
srilu?.  vel  praecipue,  si  quando  sua  eniisei'it.  eirecturus  est  ne  ulterius 
sucs  louianos,  Aclios,  Molsas,  Flaminios  Italiae  inuideal  Gal- 
lia  '.  Cum  igitur...  iii  tanta  ingeniorum  bonitate.  in  tanto  doctissimo 
rum  virorum  proiieiilu,  in  tanta  adolcscentum  poetices  studiosorum 
aemnialionc  quasique  riualitate,  tanlam  pûelaiiiin  raritalem  animad- 
uerto,  nihil  fere  aliud  comminisci  possum,  nisi  esse  quandam.  ul 
ceterarum  reruni,  ita  studiorum  quoque  tempesliuitatem...  Quod  si 
est,  bona  spes  me  lenet  l'ore  ul,  sub  Henrico  Rej;e  C^hristisnissimo. 
tanquam  olim  sub  Auguste,  poetarum  ingénia  excilenlur  '■'. 

Ce  que  Muret  voit  d'essentiel  dans  la  rél'ornie  de  Ronsard  et 
ce  qu'il  considère  déjà  comnie  à  peu  près  acquis  à  l'heure  où 
paraît  la  première  édition  des  Amours,  deux  ans  après  la  publi- 
cation des  premières  Odes  [ad  summum  pcrurnlsse  iam),  c'est 
l'enrichissement  de  notre  poésie  par  l'imitation  des  anciens 
[transmarinis  opibus).  Le  latin  de  l'humaniste  fait  écho,  à  sa 
manière,  à  ce  célèbre  appel  de  la  Deffence:  ■•  La  donq',  Fran- 
çoys,  marchez  couraigeusement  vers  cete  superbe  cité  romaine, 
et  des  serves  dej^ouilles  d'elle...  ornez  vos  temples  et  autelz... 
Donnez  en  cete  Grèce  menteresse...,  pillez-moy  sans  conscience 
les  sacrez  thresors  de  ce  temple  delphique,  ainsi  que  vous  avez 
fait  autref'oys...  ■■  ■'.  Ce  n'est  point  l'originalité  de  la  pensée  que 
demandent  ses  contemporains  au  jeune  homme  inspiré  des  Muses, 
k  qui  les  Quatre  premiers  livres  des  Odes  ont  fait  attiibuer 
d'ernblée  la  première  place  ;  c'est  l'originalité  de  la  seule  forme, 
l'adaptation  supérieure  des  lieux  communs  consacrés. 

Dans  le  milieu  extrêmement  cultivé  que  représente  le  cercle 
de  Jean  Brinon.  furent  écoutées  et  applaudies  pour  la  première 
fois,   autant  pour  les   heureux   ■<  larcins    ^>    qu  ils   étalaient    que 


1.  l'oiilaiio,    Saiinazar,    Fraucesco-M;uia    Mol/.a    el    .Marco- .Vnlonio    Fla- 
minio. 

2.  jW.    .1/1/.    Murcli  opéra   oinnia.   éd.    l).    Rulinken,    Leyde.    1789.    1.  F, 
p.  fi60. 

3.  Ed.  c:ii:im.ii-a.  II.  :i3S.  3V0. 


l/i:.\l'll(P|  SlAS.Mli    lil'    Lli    l'KUCÉIiK  ly 

pour  la  perfection  de  leur  l'orme  IVaiivaiso,  le  recueil  des  secondes 
Odes,  qui  sont  les  plus  parfaites,  et  surtout,  à  mesure  qu'il  se 
composait,  le  Premier  livre  des  Amours.  C'est  dans  cette  atmos- 
phère d'érudition  et  d'enthousiasme  qu'a  pris  naissance  le  com- 
mentaire de  Muret,  noté  dans  des  conversations  quotidiennes, 
écrit  sous  les  yeux  de  l'auteur  lui-même,  et  qui  révèle  si  claire- 
ment ce  que  son  premier  public  attendait  de  lui. 

Son  œuvre  devait  donc  être  une  œuvre  d'humaniste  et,  pour 
répéter  le  mot  souvent  prononcé,  un  «  dépouillement  >'  systé- 
matique des  littératures  savantes  au  ])rolit  de  la  poésie.  Mais 
cette  jeunesse  studieuse  avait  fréquenté  de  trop  près  les  modèles 
antiques  et  professait  un  g-oût  trop  vif  de  la  belle  forme,  pour 
ne  pas  souhaiter  ardemment  le  plaisir  estliétique  tel  que  nous  le 
comprenons  aujourd'hui.  Sur  ce  point  aussi,  Ronsard  lui  donnait 
les  satisfactions  les  plus  complètes.  Ses  lectures  immenses, 
et  qu  il  allait  multiplier  encore,  n'encombraient  pas  sa  mémoire 
au  point  d'engourdir  son  inspiration  ou  de  ralentir  son  vol.  Il 
était  déjà  maître  souverain  du  procédé  qu'il  appliquera  jusqu'à 
la  fin  dans  ses  œuvres  lyriques.  Il  savait  prendre,  partout  où  il 
trouvait  son  bien,  le  sujet  ou  les  développements  d'odes,  de  sonnets 
et  de  chansons,  qui  se  transformaient  entre  ses  mains  et  dont  les 
matériaux  méconnaissables  se  fondaient  dans  l'œuvre  nouvelle. 

L'exercice  ingénieux  de  l'imitation,  auquel  il  s'est  livré  par 
principe  dès  sa  jeunesse,  restera,  disons-le  déjà,  l'amusement  de 
sa  maturité.  Parmi  tant  d'exemples  qui  viennent  à  la  mémoire, 
on  peut  rappeler  ici  la  ciianson  Pour  Hélène  des  Amours  diverses, 
où  passe  au  milieu  des  champs  Elysées  la  belle  évocation  des 
grandes  amoureuses  de  l'Antiquité.  Le  morceau,  qui  a  treize 
strophes,  commence  comme  une  simple  traduction  d'un  Baiser 
de  Jean  Second,  lui-même  inspiré  par  Tibulle  : 

Plus  estroit  que  la  vij^ne  à  l'ornieau  se  marie 

De  bras  souplement  forts. 
Du  lien  de  tes  mains,  Maistresse,  je  (e  prie, 

Eiilace-moy  le  corps... 
Viciihi  qiicinlum  vili's  hisciuit  in  ulnto 

El  lorliles  per  ilicetn 
Brachia  proceram  slringiiut  immeiisa  cun/inhi  : 

Ttintum,  Neera,  si  qnea.s 
In  mcH  nexilihus  proserpere  colla  la.cerlis  ! 


20  KliNSAlU)    i;r    LUI  MA.MS.MI. 

L  eniljurquement  pour  le  royaume  des  ombres  suit  le  mouve- 
ment de  l'ode  latine  : 

...Dans  les  cliam])s  l'-lisez  une  moine  navire 

Nous  passera  tous  deux. 
Là,  niorls  de  trop  aimer,  sous  les  branches  myiliiies 

.Nous  voirrons  tous  les  jours 
Les  anciens  Héros  avec  les  Héroïnes 

Ne  parler  tpie  d'amours... 

iJcfecItis  rati.s  niia  duos  porlurel  ;ti>uiiiles 

Al  palliilam  Dilix  ilanuini . 
Mn.i-  pvr  iidiiralos  ranijjns  el  j)erj)eluiini  rer 

l'rixlmereimir  m  loca, 
Seni/jcr  iihi  aniiqiiis  in  amnribus  herninae 

llcriias  m  1er  nubiles 
Aul  (Incanl  ckureas  alternaue  carinina  laelae 

In  ralle  canlanl  nii/rlea...   ' 

Le  latin  contient  la  plupart  des  détails  du  paysage,  les  danses, 
le  laurier  de  l'immortel  printemps,  et  les  fleurs  que  Ronsard  pré- 
cise en  orang'ers  et  en  citronniers  ;  mais  l'original  est  fort  bref 
sur  l'accueil  fait  aux  nouveaux  amants  par  les  amants  illustres, 
qui  les  font  asseoir  sur  l'herbe  au  milieu  d'eux  [inque  herlndis 
sedUihus...  prima  nos  sede  hcarent),  et  il  indique  à  peine  l'énu- 
mération  qui  donne  au  poème  son  mouvement  final  : 

...Ny  celles  qui  s'en  vont  toutes  tristes  enscn)l)le, 

.Artémise  el  Didon, 
Nj'  cesle  belle  Grecque  à  qui  ta  beauté  semble 

Comme  tu  lais  de  nom  -. 

De  telles  adaptations  sont  des  créations  véritables.  Elles 
abondent  dans  la  partie  lyrique  des  recueils  de  Ronsard,  qui 
natlachait  son  etî'ort  et  son  mérite  qu'à  la  forme  dont  il  les  revê- 
tait. Rien  n'est  plus  instructif  que  de  suivre  son  travail,  d'une 

1.  loannes  Nkolai  Secundus,  Basia,  éd.  G.  Ellinger,  Berlin,  iS99,  p.  2. 
Cf.  Ronsard,  éd.  M.-L.,  t.  I,  p.  363. 

2.  Le  nom  d'Hélène  de  Sparte,  qui  parait  au  dernier  vers  du  poème  latin, 
a  sûrement  inspiré  à  Ronsard  l'idée  de  dédier  le  sien  à  Hélène  de  Surgères  : 

A't'c  ulla  amntricum  louis 

Praerepto  retiens  iiiflicfnarelur  honore 

Xec  nala    Tiimlavis  loue. 


l.'lMllAlIllN     llKS    .NKd-l.AlINS  21 

habileté  extrême,  et  de  le  voir  harmoniser  dos  élémciils  dispa- 
rates, compléter  ou  alléger  les  motifs  qu'il  associe  sans  asservir 
jamais  une  inspiration  libre  et  vivante  '.  11  aimait  d'ailleurs, 
suivant  les  usaj^jes  du  temps,  à  révéler  lui-même  aux  lecteurs  les 
sources  variées  auxquelles  il  puisait,  qu'elles  fussent  grecques, 
latines  ou  italiennes;  il  se  faisait  gloire  d'appliquer  aux  modernes 
admirés,  comme  aux  anciens  eux-mêmes,  cette  méthode  de 
r  «  imitation  »  conforme  au  programme  de  son  école  et  aux  pré- 
ceptes de  (Juintilien  mis  en  français  par  Du  Bellay  •.  Mais  la 
pratique  des  néo-latins  lui  procurait  sans  doute  l'étude  la  plus 
utile,  car  elle  lui  apprenait  comment  les  plus  experts  d'entre  eux 
savaient  adapter  les  formes  antiques  îl  l'expression  d'objets  ou 
de  sentiments  de  leur  époque  et  ne  rendaient  point  simplement 
l'écho  du  passé.  ^ 

III 

11  l'ut  un  temps  de  sa  vie,  assez  court  assurément,  où  Ronsard 
songea  à  se  ranger  parmi  les  humanistes  et  à  poétiser  comme  eux. 


1.  De  nombreux  rapprochements  sont  établis  dans  l'ouvrage  de  Laumo- 
nier,  pour  Flaminio,  p.  116,  446.  iii.S,  pour  Jean  Second,  p.  519  sqq.,  pour 
Marulle,  p.  534  sqq.,  pour  Navagero,  p.  348,  pour  Pontano  Hi/mnr  h  ta 
Nuit),  p.  759,  pour  Macrin,  p.  760  sqq.,  etc.  L'imitation  de  Pétrarque  et 
des  Italiens  de  langue  vulgaire  a  fourni  au  même  auteur  la  matière  de 
recliorches  analogues.  V.  aussi  Piéri,  Pi'lrarqiie  et  Ronsar<l,  Marseille, 
1896,  et  surtout  l'ouvrage  classique  de  Vianey,  Le  Pélrarr/uifiiie  en  France 
au  seizième  siècle,  Paris,  1909. 

2.  La  doctrine  du  larcin  légitime  en  matière  de  poésie  s'appuyait  sur 
les  imitations  des  ancieus  par  les  anciens,  qu'un  lettré  reconnaissait  aisé- 
ment dans  ses  lectures.  C'est  ainsi  que  l'exposait  une  épiti'e  de  Dorât 
\Poematia,  part.  II,  p.  lo7i  : 

...Autoljci  furcs   sequitur  sua  quemqiie  iuuenlus, 

Orphaeus.  Musaeus.  fur  et  Honierus  erant  ; 
Fur  erat  Hesiodus,  clypoum  l'ratus  Achillis: 

Herculis  est.  olim  te^men  .\cliilUs  erat 
Ipsas  qninetiani  furatiir  iilerque  Sibyllas. 

Seque  Sibyllinis  ornai  uterque  modis, 
Xeue  putes,  menda.v  quia  semper  Graecia.  Graecos 

Furaces  Latiis  \'atibus  esse  magis. 
Ennius  ipso  pater  niagmun  furatur  Homertiin, 

Maeonides  alter  visus  et  inde  sibi  est. 
Ennium  est  ante  onincs.  alios  sic  dcnique  cunetos 

"N'ir^ilius  furtis  vendicat  ipsc  suis. 
\'irs;iliimi  reliqui  lonsro  pnst  tempure  nali... 


22  ROiNSAnD  i;t  l'humanisme 

11  n'hésite  pas  à  en  faire  l'aveu  répété,   et  le   premier  passage 
qu'on  va  lire  exprime  bien  un  formel  regret  : 

Je  fu  premièrement  curieux  du  Latin  : 
Mais  co^noissant.  licla?!  que  mon  cruel  ihsfin 
Ne  m'avoit  dextrement  pour  le  I.atin  fait  naistre. 
Je  me  fey  tout  François,  aimant  cerle  mieux  estre 
En  ma  langue  ou  second,  ou  le  tiers,  ou  premier 
Que  d'estre  sans  honneur  à  Rome  le  dernier  '. 

L'ode  -1  son  lue,  publiée  dans  le  Boca<jc  de  loMO  et  qui  a  peut- 
être  été  composée  dès  loiT,  atteste  l'existence  de  ces  essais  de 
jeunesse,  auxquels  le  poète  décide  de  renoncer  : 

Si  autrefois  sous  l'ombre  de  Gâtine 
Avons  joué  quelque  chanson  Latine 

D'Amarille  énamouré  -, 

Sus  maintenant,  Luc  doré. 
Sus  l'honneur  mien,  dont  la  vois  délectable 
Sçait  rejouir  les  Princes  à  leur  table. 

Change  ton  stile,  et  me  sois 

Sonnant  un  chant  en  François  ^. 

Cette  ode  pleine  de  fraîcheur,  dont  la  forme  ne  sera  pas  reprise 
par  Ronsard,  étant  de  celles  qui  ne  sont  «  pas  mesurées  ni 
propres  à  chanter  »,  célèbre  l'éveil  d'une  inspiration  nouvelle; 
elle  est  aussi  l'adieu  à  cet  usage  poétique  du  latin  que  tant  de 
poètes  amoureux  employaient  encore  en  l'honneur  de  leur  dame. 
Le  nom  d'Amarille  est  remplacé  par  celui  de  Cassandre  dans 
les  éditions  postérieures,  et  on  peut  admettre  la  sincérité  d'une 
substitution  qui  accentue  le  témoignage  de  l'écrivain  sur  son 
œuvre.  Comme  il  n'a  connu  qu'en  loio  la  belle  Cassandre  Sal- 
viati  '-<  et  qu'il  la  d'abord   chantée    en   latin,    selon   son  propre 

1.  .1  Pierre Lescol.  Éd.  M.-L.,  t.  V,  p.   177. 

2.  Les  éditions  imprimées  de  lobi  à  lo73,  date  où  Ronsard  a  roi  ranché  la 
pièce,  portent  la  variante  :  "  De  Cassandre  énamouré.  » 

3.  Odes,  t.  Il,  p.  1.56.  Cf.  Chamard.  dans  la  Ftevue  d'hisi.  l'Ut,  de  U 
France,  t.  VI,  1899,  p.  34,  et  Laumonier,  éd.  critique  delà  Viede  Ronsard, 
p.  -234.  —  Remarquons  l'imitation  d'Horace,  Carm.  I,  xxxii  {Ad  lyram^  : 

Poscimnr.  si  quid  viinii  $iil>  iimhr» 
Lnsimiis  teciim.  qiioil  el  hune  in  nnnnm 
Vinal.  et  plures.  âge.  die  latinnm, 
Barinte,  carmen. . . 

\.   Henri  I.ongnon.  Pierre  de  ftonsard,  p.  320  sqq , 


I.KS    KI.Kr.lAnn-.S    HUMAINS  2'.\ 

aveu,  on  voit  à  quel  instant  de  sa  vie  il  faut  fixer  cette  pro- 
duction d'une  muse  latine  ig-norée,  dont  aucun  vestige  ne  nous 
reste. 

Les  poèmes  par  lesquels,  poui-  la  première  fois,  fut  célébrée  la 
jeune  tlorentine  s'inspiraient  très  probablement  di'  cette  poésie 
amoureuse  des  Romains  ([ue  représentent  à  nos  yeux  les  Elé- 
giaques.  Catulle,  Tibulle,  Properce,  Ovide  dans  une  partie  de 
son  œuvre,  ont  fourni  des  modèles  à  toute  la  littérature  erotique 
de  l'Humanisme.  Leurs  éditions  sont  fort  nombreuses  et  un 
libraire  parisien,  Simon  de  Colines,  A'enait  de  les  publier  trois 
fois  en  textes  portatifs  et  soignés  '.  Ils  étaient  des  maîtres  incon- 
testés pour  les  poètes  du  temps  de  Ronsard,  et,  pour  ne  citer 
qu'un  exemple  en  langue  française  de  la  place  qu'ils  leuraccordent, 
on  se  rappellera  l'agréable  morceau  où  Olivier  de  Magny  prête 
à  Cupidon  des  plaintes  sur  un  abandon  supposé  de  son  culte  par 
les  mortels  : 

Plus  ne  sont  ieuz  d'un  Ovide  les  vers. 
Plus  ne  sont  veuz  en  pris  par  l'univers 
Catulle,  (lalle  et  Properce  et  Tibulle, 
Plus  on  n'entend  les  chansons  de  Marulle, 
Tous  sont  esleintz  et  le  monde  au  iourd'huy 
D'eux  et  de  moy  ne  reçoit  qu'un  ennuy. 
Mesmes  encor  cet  harpeur  d'Italie. 
Qui  bastissoit  une  neuve  Idalye 
Dans  son  terroir,  ce  Pétrarque  fameux 
Passe  et  flestrit  ce  me  semble  comme  eux..,  ^ 

Ronsard  aussi  connaissait  à  merveille  les  Elégiaques  ;  ils  fai- 
saient partie  de  son  premier  bagage  de  latiniste  et  il  leur 
adjoignait  sans  hésiter,  comme  ses  contemporains,  l'aimable  et 
apocryphe  Cornélius    Gallus   du    moyen-àge  ^.    Il  les  énumère 


1 .  Ces  jolies  éditions  de  Colines,  l.">24, 1529,  1543,  avec  son  caractère  ita- 
lique, sont  celles  qui  ont  dit  servir  a  Ronsard  et  à  ses  amis.  Elles  repro- 
duisent le  texte  des  .Tldines  ;  la  seconde  ajoute  aux  trois  noms  du  titre  les 
mots  niultis  in  lacis  restiluli  i^Ph.  lienouavd,  Bibliograpliie  des  t'entions  de 
S.  de  Colines,  Paris,  1893,  p.  132,  226,  369). 

2.  Magny,  Odes,  éd.  Courbet,  P;iris,  1876,  I.  I.  p.  66.  C'est  une  ode  à 
Jean  Brinou,  sur  sa  Sidère. 

3.  L'Orfe  à  Macée  [l.  1,  p.  200)  est  imitée  à  la  l'ois  du  Carmen  ,id  Li/diani 
du  pseudo-Galhis,  qui  esl  une  œuvre  médiévale,  et  d'un  Carmen  ad  Gelo- 


2i  luiNSAui)  i:r   i,"iiijmani.smi-: 

toujours  avec  complaisance  et  leur  emprunte  assez  souvent  des 
détails  de  sentiment  ou  des  observations  morales  '.  Il  s'était  pro- 
posé de  las  imiter  de  plus  pros  pour  la  g-joite  de  sa  Cassandre. 
C'est,  du  moins,  ce  ([u'il  alTirino,  au  moment  où  il  abandonne  ce 
projet,  dit-il,  pour  se  consacror  ;i  la  l'runciadc  sur  1  ordre  de  son 
roi  : 

Mais  que  me  sert  d'avoir  l;inl  lu  Catulle, 

Ovide,  et  Galle,  et  Properce  et  Tibulle, 

Avoir  tant  veu  Pétrarque  et  tant  noté, 

Si  par  un  roy  le  pouvoir  m  est  oslé 

De  les  ensuyvre  et  s'il  faut  que  ma  lyre. 

Pendue  au  croc,  ne  m'ose  plus  rien  dire? 

...Javois  desjà  commencé  de  trasser 

Mainte  elegie  à  la  façon  antique. 

Mainte  belle  ode  et  mainte  bucolique  ...- 

Il  honorera  encore  les  Elégiaques  dans  la  Nouvelle  Continua- 
tion des  Amours  (1557).  Il  y  affirme  son  retour  vers  eux,  alors 
qu'il  est  guéri  depuis  longtemps  de  sa  crise  de  «  pindarisme  ». 
Si  Cassandre  jadis  a  été  chantée  de  «  son  stile  audacieux  », 
l'amour  plus  humain  de  Marie  l'a  ramené  aux  poètes  passionnés 

niili'ii)  de  Salmon  Macrin,  qui  s'en  était  déjà  inspiré.   (Les    trois  poèmes 
sont  réimprimés  ensemble  par  Laumonier,  p.  762  ;  cf.  p.  o25,  ) 

1.  Pour  les  imitations  de  ces  poètes,  comme  pour  les  autres,  on  devra 
utiliser  les  recherches  si  complètes  de  Laumonier.  Outre  les  imitations 
directes,  plus  d'un  morceau  célèbre  de  Ronsard  s'inspire  d'eux.  Ainsi  l'ode 
De  Veleclion  de  son  sepulchre  prend  son  point  de  départ  de  Properoe  (II, 
XIII,  V.  18-25,  34-3').  Cf.  Odes,  éd.  Laumonier,  t.  II,  p.  97,  et  l'étude  des 
autres  sources  par  G.  Lanson,  Revue  universitaire  du  lu  janv.  1906')  ;  mais 
l'adieu  à  Cynthie  qui  termine  le  troisième  livre  de  Properce  a  son  écho 
dans  mainte  pièce  de  Ronsard,  depuis  l'ode  de  sa  vingt-cinquième  année 
A  Janne  impitoyable,  jusqu'au  sonnet  de  la  cinquantaine  "  Quand  vous 
serez  bien  vieille  ».  De  même,  l'odelette  à  Cassandre  n  Mignonne  allons 
voir  »  est  inspirée  des  Roses  d'Ausone,  mais  avec  quelle  liberté  ! 

2.  C'est  le  texte  de  l.'i'ii.  Ent"')()7,le  second  vers  se  lit  :«  Marulle,  Ovide 
et  Properce  et  Tibulle  »  ;  en  1578  :  «  Properce,  Ovide  et  le  docte  Catulle  " 
(Les  Amours,  éd.  Hugues  Vaganay,  Paris,  1910,  p.  3.56).  La  chanson  très 
sensuelle  de  1553  (.<  Petite  Nymfe  folastre  >i  ;  éd.  Vaganay.  p.  4051  s'achève 
en  évoquant  les  champs  Elysées, 

Et  les  pleines  où  Catulle. 
Et  les  rives  où  Tibulle. 
Pas  à  pas  se  promenant. 
Vont  encore  maintenant 
De  leurs  bouchettes  lilèmies 
Hi-baisotaiis  leurs  amies. 


UVIDK 


•>.•; 


de  l'élég'ie  antique.  Il  s'en  explique  avec  une  l'ernie  précision  en 
s'adressant  A  son  livre  : 

Or'   si  quelqu'un  après  me  vient  blâmer  de  quoy 

Je  ne  suis  plus  si  grave  en  mes  vers  que  jestoy 

A  mon  eomniencemenl,  quand  rinimeur  Pindarique 

Eniloit  empoulement  ma  bouche  magnifique, 

Dy  luy  que  les  amours  ne  se  souspirent  pas 

D'un  vers  hautement  grave,  ains  d'un  beau  stille  bas 

Populaire  et  plaisant,  ainsi  qu'a  fait  Tibulle. 

L'ingénieux  Ovide  et  le  docte  Catulle  '. 

Le  lils  de  Venus  hait  ces  ostentations: 

Il  siiflit  qu'on  lui  chante  au  vrai  ses  passions 

Sans  entlure  ny  fard,  d'un  mignard  et  doux  stille.  .  .  - 

De  tout  le  groupe,  c'est  Ovide  qui  est  le  plus  admiré  du  poète  ; 
mais  c'est  surtout  à  l'auteur  des  Métamorphoses  qu'il  se  reconnait 
redevable.  Tout  le  moyen  âsre  l'a  connu  et  honoré  à  l'és-al 
de  Virgile,  sans  toujours  le  bien  comprendre  ;  la  Renaissance  en 
a  fait  un  de  ses  maîtres  et,  chez  nous,  Marot  a  commencé  à  le 
traduire.  Ronsard,  plus  épris  de  l'Antiquité  que  ses  prédéces- 
seurs, l'étudia  aussi  avec  plus  d'intelligence  -'.Il  doit  à  Ovide  sa 

1.  L'épilhète  de  «  docte  »  appliquée  plus  d'une  l'ois  à  Catulle  par  Ron- 
sard s'explique  par  ses  poèmes  mythologiques  ;  c'est  la  partie  de  son 
O'uvre  que  celui-ci  a  le  mieux  goûtée.  Il  s'est  intéressé  davantage  à  la  par- 
tie légère  au  moment  des  Folaslries . 

2.  Ces  vers  si  expressifs  sont  imprimés  à  la  fin  de  la  Xoiivelle  Continua- 
tion (édition  originale  décrite  par  Lauraonier,  p.  174i.  Properce  est  absent 
de  rénumération;  mais  Ronsard  s'est  souvenu,  pour  l'idée  de  sa  pièce,  do 
trois  distiques  de  lui  (1,  ix),  dont  il  s'est  précisément  servi  pour  une  de  ses 
éjjigraphes  ; 

QuirI  tihi  niinc  misero  prodesl  graiie  dicere  carmen 

Atit  Anipfiioniie  moeniu  ftere  lyrae? 
Plus  in  amore  valet  Mimnermi  versus  Homero; 

Cannina  mansuetus  lenia  quaeril  Ainor... 

:i.  On  ne  peut  en  dire  autant  de  Du  Bellay  et  aussi  de  Baïf.  Dans  un  petit 
livre  cher  à  la  jeunesse  de  Ronsard,  comme  on  le  montrera  plus  loin, 
qui  est  Vllectiha  de  Lazare  de  Baïf,  parmi  les  poésies  jointes  par  l'auteur  à 
sa  traduction  d'Kuripide,  on  trouve  un  long  poème  en  décasyllabes:  La 
fahle  de  Caiinus  et  Bihlis,  suyvant  Ovide  en  sa  Métamorphose  (p.  77-90  de 
l'édition  de  looO).  Properce  est  représenté  dans  le  recueil  par  une  Ballade 
sur  une  elegie  de  Properce  comnienceant  Quicunqup  ille  fuit,  etc.  (p;  99; 
Prop,,  II,  xii).  Ronsard  s'inspirera  lui-même  deux  fois  de  cette  élégie,  dans 
la  première  strophe  de  l'ode  .4  Remy  Belleau,  qui  contient  l'idée  principale 
de  la  pièce  [Conlin.  des  Amours,  133,'))  et  beaucoup  plus  tard  dans  le  sonnet 
«  Quiconque  a  peint  Amour  "  |137SI.  Henri  Estienne  l'a  traduite  en  grec. 


26  HONSAHD    Kl     r.'lUMAMSMI 

plus  ancienne  connaissance  des  fables  antiques,  des  noms  et  des 
allribuls  des  Dieux'  ',  de  toute  la  mythologie  helléno-latine,  dont 
il  va  se  nourrir,  et  même  se  gorger,  à  mesure  qu'il  ajoutera  à  ses 
■  informations  romaines  l'immense  trésor  de  la  poésie  grecque.  Il 
mélangera  sans  scrupule  les  récils  alexandrins  adaptés  par  Ovide 
avec  les  traditions  rapportées  par  les  vieux  poètes  religieux  de  la 
Grèce,  lorsqu'il  aura  appris  à  les  connaître  ;  les  allusions  appuyées 
ou  rapides  aux  Métamorphoses  rempliront  une  grande  partie 
de  son  œuvre;  leurs  récits  formeront  la  trame  sur  la([uelle  il 
brodera  les  siens  ;  et  il  lui  empruntera  des  scè'nes  et  des  tableaux 
entiers,  d'oii  l'on  tire  pourtant  l'impression  qu'il  se  représente  les 
personnages  de  la  fable  ou  de  l'histoire  exactement  accoutrés  à 
la  mode  de  la  cour  des  Valois-.  Il  est  donc  aisé  de  suivre  sur  son 
esprit    l'influence  de  c   l'ingénieux  »,   du   «  bien-disant  »  Ovide, 

1.  L'influence  d'Ovide  est  facile  à  suivre,  par  exemple, dansle  détail  des 
deux  odes  narratives  du  premier  recueil  :  La  défloration  de  Lede  et  Le 
ravissement  de  Cephale,  et  dans  la  Complainte  de  Glauce  à  Sctjlle  Nymphe, 
composée  comme  elles  avant  1547.  Un  bon  exemple  postérieur  est  le 
|ioème  intitulé  Orphée,  inséré  plus  tard  au  Bocage  royal,  où  Ronsard  a 
utilisé  successivement  la  fable  de  Chiron,  celle  d'Iphis  et  celle  d"Eurvdice 
(éd.  Bl.,  t.  III,  p.  425-435), 

2.  Ce  n"est  pas  un  simple  jeu  littéraire  que  de  décrire,  pur  exemple,  dans 
LeSatyrei^éd.  Bl.,  1.  VI,  p.  81),  auprès  d'Hercule  "  hérissé  dessous  la  peau 
velue  •',  la  jeune  lole  avec  "  mille  bouquets  au  sein  »  : 

De  baffues  d'or  ses  mains  pstoicnt-  chargées. 
Son  col  esloit  de  perles  arrangées 
Riche  et  gaillard  :  son  chef  estoit  couvert 
D'un  scophion  entrelacé  de  verd  ; 
Sa  robe  estoit  de  pourpre  Meonine. 
Perse  en  couleur,  chancrée  à  la  poitrine  : 
Ainsi  qu'on  voit  au  retour  des  beaux  mois 
Se  promener  ou  nos  dames  de  Blois, 
Ou  d'Orléans,  ou  de  Tours,  ou  d'Amboise, 
Dessus  la  grève  où  Loire  se  déguise 
Contre  la  rive  :  elles  sur  le  bord  vert 
Vont  deu\  à  deux  à  tetin  descouverl. 
\u  collet  lasche... 

Des  ouvrages  comme  ceux  de  Siraeoni  et  les  publications  de  l'archéolo- 
gie commençante  ont  aidé  ii  modiQer  peu  à  peu  les  visions  imaginalivcs 
de  nos  poètes.  Parmi  les  éditions  illustrées  de  gravures  sur  bois  ((ue  Ron- 
.sard  a  eues  sous  les  yeux,  on  peut  citer  Le  grand  Olympe  des  histjires 
poétiques  du  prince  de  poésie  Ovide  A'aso  en  sa  Métamorphose  \Paris,  1538  et 
1543),  et  plus  tard  le  recueil  de  compositions  d'inspiration  italienne  «(u'a 
imprimé  Jean  de  Tournes  :  La  vila  e  melaniorfoseo  i^sic;  d'Ovidio  /iguralu 
e  abbreviato  l'/i  forma  d'epigrammi  di  M.  Gahriello  Symeoni  (Lyon.  1559,. 
.r,ii  quel<|uc  peu  étudié  ce  curieux  polygraphe  florentin  vivant  en  France, 
sans  le  trouver  jamais  eu  relations  directes  avec   le  monde  de  la    Pléiade. 


VIRGILE  2l 

qu'il  nomme  toujours  avec  respect  et  dont  l'Olympe  sensuel  et 
coloré  est  devenu  tout  naturellement  le  sien. 

Parmi  ses  mailres  latins,  Virgile  tient  une  place  à  part,  la 
plus  haute,  celle  du  «  premier  capitaine  des  Muses  »,  comme  il 
se  plaira  k  l'appeler  '.  II  l'a  su  par  cœur  dès  son  enfance,  il  l'a 
pratiqué  toute  sa  vie  et,  au  moment  où  s'est  ébauché  le  plan 
de  la  Franciacle,  ce  sont  «  les  Aeneides  »  qu'il  a  choisies  pour 
ses  modèles.  Aisément,  par  l'abandon  aux  réminiscences,  autant 
que  par  scrupule  de  poétique,  tous  les  épisodes  de  l'œuvre  virgi- 
lienne  se  sont  adaptés  aux  avent,ures  du  héros  -.  ((  Relisant, 
écrivait  Ronsard,  telles  belles  conceptions,  tu  n'auras  che- 
veu en  teste  qui  ne  se  dresse  d'admiration  »  ^.  11  les  repassait 
lui-même  sans  cesse  dans  sa  mémoire,  et  savait  définir  avec 
finesse  des  dons  littéraires  fort  différents  des  siens  :  «  Il  ne  faut 
s'esmerveiller  si  j'estime  Virgile  plus  excellent  et  plus  rond  '*, 
plus  serré  et  plus  parfait  que  tous  les  autres,  soit  que  dès  ma 
jeunesse  mon  régent  me  le  lisoit  à  l'école,  soit  que  depuis 
qxie  je  me  suis  fait  une  idée  de  ses  conceptions  en  mon  esprit 
(portant  toujours  son  livre  en  la  main),  ou  soit  que  l'ayant 
appris  par  cœur  dès  mon  enfance,  je  ne  le  puisse  oublier  »  ^. 
Cependant  la  grande  influence  sur  l'œuvre  de  sa  jeunesse  ne  vint 
pas  de  Virgile,  mais  d'Horace. 

Ronsard  est  d'abord  et  avant  tout  un  lyrique,  et  la  vocation 
impérieuse  qu'il  sent  en  lui  le  mène,  dès  la  première  heure, 
au  poète  de  Tibur.  Il  a  admiré  les  Odes  autant  que  Y  Enéide,  et 
avec  un  sentiment  jdIus  ardent.  Même  pour  l'expression  de 
l'amour,  il  y  recourt  plus  souvent  qu'au  Canzoniere  de  Pétrarque. 
Le  mélange  de  figures  féminines  qu'on  remarque  en  ses  premiers 
recueils  est  une  imitation  d'Horace:  Macée,  Rose,  Marguerite, 
Madeleine  ou  Jeanne  jouent  assez  bien  les  Lydie  et  les  Leuconoé. 
Laure  ne  régnera  que  plus  tard  siu-  l'imagination  du  poète.  Long- 
temps il  n'a  eu  qu'Horace  pour  guide  et  pour  conseil,  et  c'est, 
n'en  doutons  point,  la  séduction  de  la  forme  qui  a  décidé  ses 
préférences.  La  riche  variété  des   rythmes   horatiens  enchantait 

1.  V.  le  passage  cité  plus  loin,  p.  42. 

2.  Je   rappellerai  plus  loin  les  rapports  de  la  Franciacle  avec  VEnéiclg, 

3.  Seconde  préface  de  la  Francia<le  (éd.  M.-I,.,  t.  111,  p.  52S). 

4.  Au  sens  latin  de  rotumlus. 

a.  Ce  passage  de  la  seconde  préface  do  la  Franriadp  termine  le  morceau 
cité  p.  42. 


-î^  unNSAitu  i;r  i.'nuMAMSMi-: 

son  oreille  musicale  t^t   il  songeait  k  la  reproduire  en    français  : 

Horace  cl  ses  iioiiil)ies  divers 
Amusent  seulement  ma  lire, 

écrivait-il  au  frère  René  Macé  '.  Un  certain  nombre  d'odes  de  son 
recueil  primitif,  qui  semblent  pouvoir  se  dater  par  cette  observa- 
tion même  -,  sont  remplies  de  réminiscences  d'Horace  et  n'en 
montrent  aucune  du  grec.  Oiles  de  Virgile  sont  beaucoup  moins 
fré([uenles  et  son  nom  même  n'y  paraît  pas.  Alors  que  .loachim 
du  Bellay  témoigne  aux  deux  Romains  une  égale  déférence,  Ron- 
sard send)Ie  alors  tout  à  Horace,  et  ce  premier  enthousiasme  pro- 
longera un  écho  dans  son  œuvre  entière  : 

Sus  debout,   iiui   lire' 

Un  chant  je  veil  dire 

Sus  les  cordes  d'or  : 

I^a  divine  grâce 

Des  beaux  vers   d'Horace 

Me  plaist  bien  encor...  ■> 
—  Je  façonne  un  vers  dont  la  grâce 
Maugré  les  tristes  Sœurs  vivra 

Et  suivra 
Le  lonp;  vol  des  ailes   d'Horace  '. 

1.  Oc/f.s,  t.  I,  p.  26.').  Ronsard  tirait  sa  connaissance  de  la  métrique 
dllorace  d'un  petit  traité,  célèbre  au  temps  de  la  Renaissance,  de  Niccolo 
F^erotli.  On  le  trouve  dans  toutes  les  é<litions  d'Horace  données  à  Paris 
par  Simon  de  (^olines,  de  1528  à  1343,  ainsi  indiqué  aux  titres  :  Xicohi 
Perotli  non  infriigifer  de  metris  Odaruni  Hor.ilianaruin.  Ronsard  a  dû  se 
servir  de  ces  édilions.  —  Il  a  écrit  des  vers  Contre  an  qui  lui  déroba  son 
Horace  {Odes,  t.  II,  p.  90).  Je  crois  fort  anciennes  ces  deux  strophes,  qui  se 
l'ermenl  comme  une  sapphique  par  une  sorte  de  vers  adonique. 

2.  On  étudiera  à  ce  point  de  vue  tout  un  groupe  d'assez  longues  odes  du 
livre  II  de  l'édition  de  t.'iriO,  que  Ronsard  n'a  pas  réunies  sans  raison  au 
même  point  du  recueil  :  A  Caliope,  A  la  raine  de  Navarre  sur  la  mort  de 
Charles  de  Valois,  duc  d'Orléans  [1o4d],  Contre  les  avaricieus,  Prophétie  du 
dieu  de  la  Charante  aus  inutins  de  Gu/enne  [1;'>48].  Cf.  Odes,  éd.  Laimio- 
nier,  p.  174-106.  Pour  les  odes  plus  brèves  la  même  observation  est  fré- 
quente. Tout  le  petit  Bocage  de  lii.'iO  est  horatien . 

.3.  Odes,  1. 1,  p.  178. Ces  vers  suivent  un  mouvement  emprunté;!  Carm.  III, 
IV,  42.  Sur  les  imitations  d'Horace  par  Ronsard  et  le  goût  permanent  qu'il 
a  montré  pour  ce  poète,  voir,  outre  les  soigneuses  annotations  des  textes 
édités  par  Laumonicr,  les  p.  ">3,  S:j,  69,  351  sqq.  de  son  grand  ouvrage. 
4.   Des  roses  plantées  dans  un  blé.  Odes,  t.  II.   p.   125.  Cf.   Car;».  II,  xx  : 
lYon  usilata,  non  tenui  ferar 
l'enna  Jiiforniis  per  liquidum  aether.i 
Vntes.  .  . 


HORAOK  2!J 

Nos  rimeurs  avant  Hoiisarcl  ont  imité  Horace,  mais  il  la  lail 
d'autre  façon  qu'ua  Marot  ou  un  Cliarles  Fontaine  '.  Ses  dons  de 
poète  se  marquent  par  la  liberté  avec  laquelle  il  interprète  le 
thème  horatien,  quand  il  y  prend  son  sujet,  par  l'ingéniosité 
de  ses  emprunts,  quand  il  se  contente  de  le  parer.  Il  en  use  avec 
le  Romain  comme  un  fils  authentique  de  cette  lignée  de  lyriques, 
dans  laquelle  il  a  réclamé  sa  place  dès  ses  premiers  vers. 

Horace  est  un  des  rares  latins  qu'il  osera  plus  tard  citer  à 
côté  de  ses  chers  Grecs  :  il  est  le  seul  dont  il  unira  le  nom  à  celui 
de  Pindare,  lorsqu'il  invoquera  le  grand  Théliain  comme  le  maître 
par  excellence  de  la  poésie  chantée  sur  la  Ivre.  Les  exemples,  de 
ce  double  rappel  ne  manquent  point  : 

C'est,  Prince,  un  livre  d'odes 
Qu'autrefois  je  sonnay  suivant  les  vieilles  mndcs 
D'Horace  Calabrois  et    Pindare  Thébain... 

—  Plus  les  beaux  vers  d'Horace 

Ne  me  seront  plaisans. 

Ne  la  Ihebaine  grâce. 

Nourrice  de  mes  ans... 
—  .le  volerai  tout  vif  par  l'univers... 
Pour  avoir  joint  les  deux  harpeurs  divers 
Au  doux  babil  de  ma  lire  d'yvoire. 
Que  j'ay  rendus  \'andomois  par  mes  vers  -. 

A  ces  passages  tirés  des  Odes,  joignons-en  un  du  «  poème  » 
dédié  à  Jean  de  la  Péruse,  lui-même  auteur  de  compositions  pin- 
dariques  ;  Ronsard  y  marque  nettement  que  ce  n'est  pas  seule- 
ment par  goût  de  lettré  qu'il  s'est  attaché  aux  deux  poètes,  mais 
parce  qu'il  a  appris  d'eux  un  secret  incomparablement  préoieux, 
celui  de  la  poésie  soutenue  par  la  musique.  C'est  Dieu,  dit-il, 
qui  inspire  aux  mortels  les  labeurs  de  l'intelligence  : 

De  sa  faveur  en  France  il  reveilla 
Mon  jeune  esprit,  qui  premier  travailla 
De  marier  les  odes  à  la  lire 
Et  de  sçavoir  sur  ses  cordes  eslire 

1.  R.  L.  llawkins,  Maisire  Charles  Fontaine  purisien,  p.  lyO  sqq. 

■2.  Texte  de  ioS7,  éd.  Bl.,  t.  II,  p.  .378;  cf.  éd.  Laumonier,  l.  Il,  p.  153. 
C'est  Horace  qui  a  recommandé  à  Ronsard  l'imitation  piiidarique,  dont  il 
parle  au  début  de  Carm.  IV,  ii  :  Pinilarum  ijtiisquis  aliidet  aemiilari... 


■H)  MO.NSAIII)    Kl     I.'HUIIAKIS.MI-: 

Quelle  chanson  y  peut  bien  accorder 
l£l  quel  fredoii  ne  s'y  peut  eii-cortier... 
Par  deux  chemins  suivant  la  vieille  trace 
Des  premiers  pas  de  Pindare  et  dllorace  '. 

Il  semble  qu'en  Italie,  au  temps  de  Bembo  et  de  la  Poetica  de 
Trissino '-,  la  musique  ait  cessé  d'être  essentielle  à  la  poésie. 
Elle-même  est  alors  devenue  trop  complitjuée  pour  vivre  dans 
l'intimité  quotidienne  de  la  parole;  surtout  elle  s'est  élevée  à  la 
polyphonie.  Au  début  du  xvi"  siècle  italien,  on  distingue  nette- 
ment le  canto  de  la  miisica,  c'est-à-dire  le  chant  populaire  (et 
nionodique)  de  la  musique  savante  (et  polyphonique)  '.  Il  en 
va  du  môme  en  France,  et  1  on  sait  que  c'est  toujours  à  plusieurs 
jjarties  que  se  présentent  ces  divers  ensembles  de  sonnets,  odes 
et  chansons  de  Pionsard  mis  en  musique  de  son  vivant  par  les 
maîtres  célèbres  de  l'époque  '.  Cependant,  de  nomi)reux  indices 
permettent  de  croire  que  certaines  de  ses  poésies  eurent  leur 
succès  sous  une  forme  plus  populaire  et  bien  des  chansons  de 
lui  furent  chantées  à  une  voix  «  en  forme  de  voix-de-ville  ». 
C  était  bien  ainsi  qu'il  chantait  lui-même,  en  s  accompagnant 
d'un  seul  instrument,  et  avant  que  ses  grands  succès  de  poète 
l'eussent  imposé  aux  musiciens  de  la  cour  :  «  Et  ferai  encore 
revenir  (si  je  puis!  l'usage  de  la  lire  aujourd'hui  resuscitée  en 
Italie,  laquelle  lire  seule  doit  et  peut  animer  les  vers  et  leur  don- 
ner le  juste  prix  de  leur  gravité  »  ■'.  Ne  pourrait-on  penser  que 
Ronsard  a  contribué  pour  sa  part  au  progrès  de  la  déclamation 
lyrique  et  aidé  au  retour  du  goût  public  vers  la  mélodie  niono- 
dique"? Il  y  a,  vers  le  même  temps,  un  mouvement  de  ce  genre 
en  Italie,  particulièrement  à  Florence  '',  auquel  on  pourrait  peut- 


1.  Les  Poënies.  dédiés  à  Marie  Stuart,  avec  une  épigmplie  d'Horace,  le 
mediocriijus  esse  poelis  (éd.  Bl.,  t.  VI,  p.  44). 

2.  Vicence,  1.Ï29. 

3.  Cf.  Fr.  Flamini,  La  Lirica  toscane  antcriore  ni  Murfnifico,   Pise,  1801. 

4.  ,\  la  bibliographie  donnée  par  Comte  et  Laumonier,  il  faut  ajouter  la 
réimpression  du  recueil  de  François  1-îegnard  (1579;,  faite  par  Henry 
Expert,  chez  Alph.  Leduc,  Paris,  1902.  V.  aussi  .1.  Tiersol,  lionsard  et  la 
musique  de  son  temps,  dans  la  revue  S.  /.  .U.,  vol.  IV,  Paris.  1902,  et 
Michel  Brenet,  Notes  sur  l'histoire  du  luth  en  France,  dans  liivista  music. 
ilal.,  vol.  V  et  VI,  Turin,  1899-99. 

0.  Préface  des  Odes  de  13150,  éd.  Laumonier,  t.I,  p.  48. 
G.  Cf.  Rom.  Rolland,  Histoire  de  l'opéra,  Paris.  1893,  p.  32. 


INION    DES    VERS    ET    DE    LA    MUSIQUE  31 

être  le  rattacher;  on  siy:nalerait  volontiers,  pour  appuyer  cette 
hypothèse,  ces  vers  de  lélég^ie  «  au  sieur  Barthelemi  Del-Bene, 
gentilhomme  florentin,  poète  italien  excellent  »  : 

Tu  commenças  d'ourdir  un  difficile  ouvrage, 
Iniitanl  les  Romains,  les  Grecs  et  les  François  ; 
Ce  fut  de  marier  les  cordes  à  la  vois, 
Colebrant  Tusquement,  par  tes  chansons  lyriques. 
Les  illustres  vertus  des  hommes  héroïques  '. 

La  suite  du  morceau,  où  paraît  encore  le  double  exemple  de 
Pindare  et  d'Horace,  montre  que  tout  ce  que  Ronsard  a  fait 
pour  la  musique  s'inspirait  de  ses  notions  d'humanisme. 

Les  allusions  de  ce  genre  qu'on  rencontre  chez  lui  sont  par- 
faitement précises.  Presque  toute  son  œuvre  lyrique,  en  elTet, 
fut  chantée  avec  un  accompagnement.  De  Claude  Goudimel  à 
Roland  de  Lassus,  les  principaux  musiciens  du  temps  travaillèrent 
sur  ses  vers,  et  leur  musique  est  souvent  conservée.  C  est  celle 
qu'on  entendait  aux  divertissements  de  la  Cour  et  qui  en  rythmait 
les  danses  '-.  Aussi  les  mots  de  <<  luth  »  et  de  «  lyre  »,  qui 
reviennent  si  souvent  dans  les  écrits  de  la  Pléiade,  n'ont 
pas,  comme  de  nos  jours,  une  valeur  de  pur  symbole,  mais  bien 
un  sens  tout  à  fait  littéral.  Le  poète  écrivait  ses  odes  pour  les 
musiciens  avec  une  rigoureuse  symétrie  des  strophes,  chacune 
pouvant  s'adapter  à  l'air  choisi,  et  la  plupart  du  temps  il  était 
assez  musicien  lui-même  pour  savoir  accompagner  sommai- 
rement «  de  son  pouce  »  çon  propre  texte.  Ainsi  faisait  Ronsard, 
qui  s'adresse  si  souvent  «  à  sa  lii'e  »,  en  des  images  d'une 
exacte  réalité  : 

Lire  dorée 

Que  la  danse  oit  et  toute  s'évertue 

De  l'obéir  et  mesurer  ses  pas 

Sous  tes  fredons  mignardés  par  compas, 

1.  Éd.  BL,  l.  IV,  p.  3r.7. 

"2.  Il  est  indispensable  de  se  nietiit  à  ce  point  de  \ue  pour  bien  juger 
d'une  grande  partie  de  la  rénovation  ronsardienne  et  pour  comprendre 
l'intérêt  de  la  fondation  de  la  fameuse  Académie  de  Baïf.  11  faut  lire,  sur  ce 
sujet  capital  et  trop  oublié,  le  travail  de  Charles  Comte  et  Paul  Laumonier, 
Homard  et  les  musiciens  du  XVI'^  siècle  (Heoue  d'hisl.  lilt.,  t.  VII,  1900), 
et  l'ouvrage  d'Augé-Chiquet,  La  vie,  les  idées  el  l'œuvre  de  Jean-Antoine  de 
n.iïf.  Piu-is  fl   Tnulouso,    lOO'.t.  p.   30V-:î:U. 


32  iiii.NSAiiD  i;i'  i/inMAMSMi'; 

I^(irsi|ii Vil  hriiiHiil  lu  merques  l;i  cailanse 

D'un  avuiiljeu,  le  f;ui(lc  de  la  ci:inse... 

....le  te  Iroiiviii,  tu  sounais  duiemeril, 

Tu  ii'avois  poinl  de  cordes  qui  valussciil 

Ne  qui   répondre  aux   lois  de  mon  doi  pus.senl. 

...Pour  le  nionlerde  cordes  et  d'un  l'ust, 

Voire  d'un  son  cpii  naliii-L'l  te  l'nsl. 

Je  pillai  'riiebo  et  saccadai  la  l'ouille, 

T'eui-icliissant  de  leur  belle  dépouille  '. 

I.a  sujélion  étroite  de  notre  poète  à  la  inusicjue.  qui  lit  une  pari 
de  son  succès  à  la  coin-  de  Henri  II  et  de  (Charles  IX,  s  explique 
surtout  par  l'autorité  qu'avaient  sur  lui  les  j^rands  souvenirs  du 
lyrisme  grec  et  latin.  11  aurait  pu  se  rattachera  des  maîtres  plus 
récents;  mais  il  ignorait  assurément  que  Dante  et  Pétrarque 
avaient  conçu,  eux  aussi,  leurs  poèmes  vulgaires  avec  l'indispen- 
sable accompagnement  de  la  musique  et  que  le  second  notam- 
ment accordait  un  rôle  à  certains  musiciens  dans  la  composition 
même  de  ses  vers  2. 

Les  traditions  des  Italiens,  altérées  et  combattues  chez  eux  jiar 
l'abus  croissant  de  la  littérature  écrite,  ne  peuvent  pas  avoir 
exercé  beaucoup  d  action  sur  la  tentative  de  Ronsard.  Ce  furent 
plutôt  les  odes  d'Horace,  avec  celles  de  Pindare,  qui  se  présen- 
tèrent à  ses  méditations.  Ces  deux  modèles  l'aidèrent  à  renouve- 
ler et  à  ennoblir  la  vieille  chanson  nationale.  Mais  plus  d"un  de 
ses  contemporains  goûta  comme  nous  les  odes  horatiennes  de 
préférence  aux  ambitieuses  pindariques.  Horace,  en  adaptant 
habilement  Pindare  au  génie  latin,  avait  compris  que  les  habi- 
tudes de  son  temps  exigeaient  des  modilications  importantes. 
11  ne  lui  vint  pas  à  l'idée  de  conserver  la  triade  (strophe,  anti- 
strophe,  épode),  que  justiliaient  chez  les  Grecs  la  nmsique  et  le 
mouvement  des  chœurs  ;  Ronsard  fut  plus  hardi,  et  imposa  ses 
volontés  aux  musiciens  qui  voulurent  bien  le  suivre. 


1.  0(/es,  l.  1,  p.  Iii3. 

'2.  Cette  question  est  encore  obscure  it  je  ue  la  vois  pas  traitée  en  Italie 
avec  les  développements  qu'elle  comporte.  Ou  consultera  Henry  Cocliin. 
Lh  Vitn  Wuova  Irad.  avec,  inlrod .  el  noies,  2'  éd.^  Paris,  1915,  p.  .33  et  20.'}, 
et  la  notice  du  même  auteur  Sur  le  u  Sacrale  •>  de  Pétrart/hc.  dans  les 
Mi^Unnes  de  l'Ecole  de  Home,  t.  XXXVII,  ann.  1918-1919. 


HU.NSAIIIJ    ET    IIOHACK  33 

Horace,  qui  prépara  Honsard  à  comprendre  le  lyrisme  grec, 
simposait  à  lui  par  des  affinités  plus  intimes  que  le  grand  Pin- 
dare.  qui  devait  l'éblouir  davantage  par  l'éclat  de  ses  images  et 
l'ampleur  de  ses  rvtlimes.  Aussi  garda-t-il  le  premier  comme 
son  écrivain  favori  et  lui  resta-t-il  fidèle  jusqu'à  la  fin.  Il  retrou-  , 
vail  en  lui  beaucoup  de  traits  de  sa  propre  nature.  Peut-on 
dire  qu  il  lui  dut  la  notion  du  plaisir  mesuré  par  la  sagesse 
et  celle  de  l'amour  réduit  à  la  seule  volupté,  qui  inspirent 
toute  la  partie  légère  de  son  œuvre"?  Bien  plutôt,  les  deux 
poètes  étaient  nés,  à  des  siècles  de  distance,  avec  de  semblables 
dispositions  à  envisager  la  vie  et  tendaient  à  résoudre  de  même 
façon  les  problèmes  philosophiques  et  moraux.  Ronsard  sensua- 
liste.  antiplatonicien  '.  inclinait  fortement  au  matérialisme  et  se 
défendra  fort  mal  sur  ,ce  chef  des  reproches  que  lui  adresseront 
bien  des  chrétiens  plus  attentifs  que  lui  à  la  logique  de  leurs 
croyances.  La  lecture  assidue  de  son  cher  Horace  lui  a  fourni 
des  motifs  de  s'attacher  à  la  doctrine  épicurienne  :  pour  un  artiste, 
l'argument  suprême  en  faveur  de  celle-ci  n'était-il  pas  la 
séduction  des  formes  qui  en  revêtaient  l'expression?  Les  Grecs, 
en  ce  domaine  de  l'art,  lui  enseigneront  peu  de  chose;  tout  ce 
qu  il  trouvera  à  glaner  dans  les  épigrammes  erotiques  ou  bachiques 
de  l'Anthologie,  tout  ce  qu'il  empruntera  à  l'Anacréon  d'Henri 
Estienne,  toute  la  gr.àce.  si  neuve  dans  notre  poésie,  de  ses  ode- 
lettes et  de  ses  chansons,  le  chantre  de  Lydie  le  lui  a  déjà  révélé. 
Mais,  s'il  imite  Horace  dans  le  détail  par  exercice  littéraire,  s'il 
cherche  à  l'égaler  par  virtuosité,  il  lui  fallait  une  sympathie 
instinctive  et  profonde  pour  s'assimiler  si  aisément  les  préceptes 
de  sa  morale  ;  il  partageait  assurément,  par  avance,  sa  conception 
du  bonheur  et  jusqu'aux  formes  de  sa  mélancolie. 

L'art  très  pur  du  lyrique  romain  a  exercé  sur  son  goût,  comme 
autrefois  sur  celui  de  Pétrarque,  une  influence  considérable  -'. 
C'est  ainsi  que  ses  premiers  vers  n'ont  été,  il  l'avoue  lui-même, 
qu'une  transposition  de  son  maître.  On' apprend  ce  détail  intéres- 
sant, avec  plusieurs  autres,  par  un  passage  souvent  cité  de  la 
préface  des  Odes,  sur  lequel  on  peut  faire  encore  plusd  une  obser- 
vation :  «    Xe  voiant  en  nos  poètes  frauçois  chose  qui  fust  suffî- 


1.  Cf.  Laumonier,  p.  Ii60  sqq. 

2.  Nolhac.  Pétrarque  et  l'Humanisme,  i'  éd.,  t.  I,  p.  180  sqq. 

Noi.iiAi:. —  Ronsard  el  l'Hiimniiixiiir. 


34 


iiu.N.sAiii)   i:r  1.  iiLMA.MS.Mi: 


saiiLe  d'imiter,  j'allai  voir  les  étrangers,  et  me  rendi  familier 
d'FIornce.  contrefaisant  sa  naïve  douceur,  des  k-  même  tens  (lue 
Clément  Marot  (scullc  lumière  en  ses  ans  de  la  vuljfaii-e  poésie i 
se  travailloit  à  la  |)iniisuite  de  son  Psautier,  et  osai  le  premier 
.  des  nostres  enrichir  ma  lanj^ue  de  ce  nom  Ode,  comme  Ion  i)eut 
voir  par  le  titre  d'une  imprimée  sous  mon  nom  dedans  le  livre 
de  Jaques  Peletier,  du  Mans,  l'un  des  plus  excelens  Poètes  de 
notre  âge...  »  '.  Ne  perdons  pas  de  vue  que  Ronsard  écrit  tout  ce 
morceau,  conmie  un  manifeste  littéraire,  pour  revendiquer  des 
titres  de  priorité el  jiour  établir  sa  grande  lliéoriedu  ti-ansfert  des 
beautésantiquesdans  notre  langue.  Remarquons  surtout  le  silence 
gardé  sur  ses  premières  compositions  en  langue  latine.  Sans  les 
indications  des  biographes  et  les  vers  où  il  en  fait  mention  lui- 
même,  nous  serions  exposés  à  ignorer  celles-ci  ;  et  sans  doute, 
dans  cette  période  de  di.scussion  et  de  combat,  lui  convenait-il 
de  n'en  point  parler. 

Les  dates  ont  ici  quelque  impt)rlance.  La  .■  poui'suili'  ■  . 
c'est-à-dire  la  «  continuation  ■>  des  Pseaumes  de  Marot  reporte- 
aux  environs  de  loi3  les  premières  odes  horatiennes  de  Mon- 
sard.  C'est  l'année  mémo  où  le  jeune  homme  est  conduit  par 
son  père  aux  obsè([ues  solennelles  de  Guillaume  du  Bellav,  célé- 
brées au  Mans.  L'épisode  marque  dans  sa  biographie  intellectuelle, 
I)uis(|u'il  rencontre  dans  cette  ville  .laccjues  Peletier,  secrétaire  de 
lévèque  René  du  Bellay,  et  (jue  ce  bon  poète  reçoit,  parmi  les 
confidences  du  jeune  homme,  l'aveu  de  son  admiration  pour 
les  Latins  et  de  son  ambition  de  les  égaler.  Par  ses  études  et  j)ar 
ses  propres  essais,  Peletier  se  trouve  tout  préparé  à  lui  n-pondro: 
il  met  le  débutant  vcndômois.  qui  cherche  encore  sa  voie,  au 
courant  des  théories  (ju'il  vient  d'élaborer  sur  l'adaptation  du 
français  aux  plus  nobles  usages  de  la  poésie.  On  sait  quelle  jiart  eut 
cette  intervention  opportune  sur  la  direction  de  l'esprit  de  Ronsard 
et.  par  suite,  sur  les  destinées  de  notre  po<'sU'  tout  entière. 

I.  Odes,  I.  I.  |].  11.  S'i;sl-oM  demandé  commeiil,  dans  ce  passage,  la 
citation  si  précise  d'une  édition  de  Maiol  s'est  |>i-ésenlée  à  su  pensée? 
I-'ixant  ses  souveniis  dans  celte  prolaco,  écrite  en  l'IoO,  el  se  rappelant  que 
ce  fut  au  mois  de  mars  11)43,  à  l'àf^e  de  dix-sept  ans  et  demi,  qu'il  connut 
l-'eleliei'  et  composa  sa  première  ode  française,  le  poète  a  remarqué  que  la 
seconde  dédicace  des  Pseaumes  de  Marot,  adressée  à  I-'rançois  ]",  est  datée 
de  Genève,  le  Ib  mars  lo4H.  Cette  co'incidence  lui  a  paru  digne  d'élre  mar- 
<[uée  et,  en  tout  cas,  con\mi>de  pour  renseigner  l.i  jiostérité. 


LliS    lliKliS    ht;    IMiLtllKtl  :K) 

La  plupart  des  idées  de  la  De/fcnce,  en  ellet,  sont  exprimées 
dcjii  ilans  l'avertissenienl  et  la  dédicace  de  la  traduction  de  14''^ 
poétique  d'Horace,  que  Peletier  publia  en  1545;  elles  laissent 
peu  de  chose  à  l'originalité  du  célèbre  manifeste,  si  l'on  compte 
les  emprunts  considérables  faits  aux  Italiens  et  particulièrement 
à  Speroni,  défenseurs  bien  armés  des  droits  de  leur  propre  langue 
contre  les  prétentions  des  ladneiji/ianfi.  On  trouve,  à  n'en  pas 
douter,  dans  les  pages  imprimées  par  l'écrivain  manceau,  toute 
la  doctrine  qu'il  inculqua  à  Ronsard  dès  leurs  premières  cause- 
ries, et  qu'il  devait  enseigner  de  même  façon  à  Joachim  du 
Bellay  '. 

Elle  était  trop  juste,  trop  logiquement  déduite  et  trop  bien 
d'accord  avec  les  confus  désirs  de  nos  poètes,  pour  ne  pas  pro- 
duire aussitôt  la  pleine  lumière  dans  leur  esprit.  Elle  ne  leur 
promettait  aucune  gloire  à  s'attarder  dans  l'usage  du  latin,  alors 
qu'un  si  vaste  champ  s'ouvrait  à  leur  langue  maternelle.  C'est 
celle-ci  qu'il  fallait  maintenant  «  illustrer  et  enrichir  »,  en  agis- 
sant, disait  Peletier,  comme  Pétrarque  et  Boccace,  «  deux 
hommes  jadis  de  grantle  érudition  et  savoir,  lesquelz  ont  voulu 
faire  témoignage  de  leur  doctrine  en  écrivant  en  leurThouscan  »  '-. 
Par  »me  curieuse  assimilation  de  deux  époques  décisives  pour 
la  littérature  de  nos  nations  latines,  les  destinées  de  la  nôtre 
étaient  remises 'aux  mains  de  poètes  nourris,  comme  les  deux 
grands  Italiens,  de  la  pure  substance  des  lettres  antiques. 


1.  Chamard,  /.  c,  p.  32-.Î7,  Laumonier,  /.  c.  p.  23-26,  Longuoii,  p.  150- 
1">3.  On  a  une  thèse  de  H.  Chamard,  De  Jacobi  Pelelarii  (^enonianensis 
Arle  poeliea  (/ j'j'o),  Lille,  1900,  et  une  autre  de  l'abbé  Cl.  Jugé,  Jacques 
Peletier  du  Mans,  Paris,  1907.  Quelques  indications  de  détail  seront  peut- 
être  ajoutées  plus  loin  à  ces  travaux. 

2.  La  phrase  de  Peletier  se  complète  ainsi  :  n  Autant  en  est  des  souve- 
rains poètes  Dante,  Sannazar,  aussi  Italiens  ».  11  est  jjl'U  probable  que 
Peletier  connût  les  œuvres  latinevs  de  Dante,  comme  colles  de  Sannazar. 
D'ailleurs,  gardons-nous  de  croire  que  ce  [jrécurseur  veuille  diminuer  en 
rien,  chez  son  écrivain  idéal,  la  culture  humaniste  :  "  ("est  chose  toule 
rcceue  et  certaine,  écrit-il,  qu'homme  ne  sauroit  rien  écrire  qui  lui  peut 
demeurer  a  honneur  et  venir  eu  comniendation  vers  la  postérité,  sans 
l'aide  et  appui  des  livres  Grecs  et  Latins.  »  C'est  exactement  le  point  de 
vue  de  Du  Bellay  (Peletier  a  repris  sa  thèse  avec  plus  de  vigueur  encore 
dans  son   Arl  poëliqin'  de  [Trj'ù.  Cf.  Chamard,  p.  33;. 


.'}<)  iiu.NsAr.ii  i:i    i.iHMAMs.Mi; 

IV 

Muni  de  sa  culUuc  latine,  qu  il  lui  restait  seuleincMl  à  lorlilier, 
Ronsard  rencontra  l'hellénisme  dans  la  maison  de  Lazare  de 
Baïf.  Ce  ^t  pour  lui  une  belle  aventure  d'être  appelé  par  l'an- 
cien ambassadeur  de  François  I"^''  à  profiter  des  le(,'oi)s  (|ue  don- 
nait à  son  lils  Jean-Antoine  un  nouveau  précepteur,  Jean  Doraf. 
Dans  l'enseignement  du  jeune  professeur  limousin,  le  grec  lenail 
sa  place  à  côté  du  latin,  et  cette  place  élait  la  première. 

Les  hellénistes  français,  dont  le  nombre  avait  grandi  depuis 
la  génération  de  Guillaume  Huilé,  se  trouvaient  unanimes  k  pro- 
clamer la  supériorité  d'une  langue,  où  Du  Bellay  reconnaissait 
d'après  eux  tant  d'affinités  avec  la  notre  ;  et  Henri  Estienne  ne 
tardera  pas  à  apporter  à  cette  théorie  l'appui  de  son  autorité, 
lorsque,  de  la  Conformitp  du  franrois  avec  le  grec,  il  conclura  à 
sa  Précellence  '.  De  telles  conceptions,  présentées  à  Ronsard  au 
moment  où  il  rêvait  "  l'illustration  »  de  sa  langue  maternelle, 
ont  dû  exciter  extrêmement  sa  curiosité  et  l'engager  à  surmon- 
ter les  premières  difficultés  de  la  grammaire.  Comment  lui 
furent-elles  exposées?  Estienne  parle,  dans  un  de  ses  dialogues 
pédagogiques  les  plus  oubliés,  de  la  méthode  qui  consiste  à 
apprendre  le  grec  par  les  poètes  ;  il  expose  les  avantages  et  les 
inconvénients  de  mettre  ainsi  les  commençants  à  l'étude  des 
dialectes,  et  notamment   du  dialecte  homérique  -.  Les  procédés 


1.  Eslienne  ira  jusqu'à  prétendre  que  ses  compaliiotes,  par  cela  seul 
qu'ils  sont  nés  Français,  sont  plus  capables  que  d'autres  de  pénétrer  le 
génie  de  la  langue  des  Grecs.  V.  Louis  Clément,  Henri  Estienne  et  son 
œuvre  française,  Paris,  1898,  p.  197  sqq. 

2.  Stephani  dialogiis  de  bene  instituendis  </raecae  linguae  studiis..  :  Excu- 
debatur  anno  1 S87  (Bibliothèque  nat.,  Rés.  X  739  .  Le  développement 
commencée  la  p.  73  : 

PhiLIPPUS.  Ad  eos  veniamus  qui  sumendum  a  poetarum  leclione  leclionis 
(iraecae  linguae  inilium  censent.  Qiio  illi  argumento  nituntur?  (loRNF.LIUS- 
Hoc  pcitinsimum  ijuod  apud  poptas  slatim  dialectoruni  exempta  occurrant. 
Pli.  Belle  sanè,  i/uasi  quaerendi  suni  initia  scrij)tores  qui  plus  nwlestiae 
quàw  alii  exhihere  possint...  (MR.  Quid  mirum?  illi  ex  iis  sunt  qui  sirnul 
et  seniel  omnia  disci  volunt,  quuni  ego...  nihil  magis  repreliensione  dignuiii 
iudicem... 

Un  autre  passage  du  dialogue  (p.  93)  mérite  d'être  cité  ici,  car  il 
introduit  sur  un  point  intéressant,  l'autorité  de  Ronsard  et  de  Du  Bellay  : 
/';/.  Jlialcrtos   quae  vel  apud  llouiernm    rel  apud  alins  sunl.  taies  iltis   rideri 


1.  KTiiiK   1)1    cm:!; 


didactiques  qu  il  discute  à  cette  occasion  sont  préciséuieat  ceux 
de  Dorât  ;  où  il  est  d'accord  avec  lui,  c'est  sur  la  nécessité  de  ne 
point  sacrifier  l'étude  du  grec  à  celle  du  latin. 

Excellent  latiniste,  bien  qu'il  ne  donnât  point  dans  les  excès 
de  l'imitation  cicéroi\ienne  à  la  mode  ',  Dorât  avait  pratiqué 
déjà  l'enseignement  de  collège  avant  de  se  trouver  en  face  des 
deux  écoliers  d'élite  qu'un  heureux  destin  lui  envoyait.  Il  avait  pu 
jusqu'alors  se  livrer  librement  augoùt  très  vif  qu'il  portait  au  grec  ; 
il  essaya  avec  eux  de  mener  en  même  temps  les  deux  études. 
Un  biographe  de  Ronsard  nous  dit  assez  vaguement  que  (c  Dorât, 
par  un  artifice  nouveau,  luy  apprenoit  la  langue  latine  par  la 
grecque  »,  ce  qui  signifie  tout  au  moins  qu'il  faisait  du  grec  la 
base  de  son  enseignement  -.  Une  anecdote  plus  sûre  et  qui  s'ajuste 
aux  dates  biographiques  nous  met  sur  la  voie  de  sa  méthode. 
Lazare  de  Baïf  a  publié  en  loii  une  traduction  en  vers  de 
YHécube   d'Euripide  •';   il   mentionne    fort   clairement,    dans    la 


potuisse  iinaginalus  siini  rjuales  hodie  Gallo  cuiinam,  ctiius  inalerna  lingua 
foret  Gatlica  lingua  conuiutnis,  esseni  cum  aliae  diuersarum  Galliae  prouin- 
cianiiii.  Iiini  ver»  Picardica  et  S'ormandica  :  si  itapoelis  nosiris  uii  licerct  illis, 
lit  llonieius  Graecis  uti  sihi  perniisit,  id  est  si  ita  nosfris  sermonem  sniim 
lariec/are,  non  solunj  enrunt  vocahulis,  seil  et  eariim  tprniinalionihus  aut 
in/1e.rii>nihiis,  in  l'ocihusr/ue  alioqiii  coniniunis  linguae  sunt,  concederetur. 
—  Cnit.  Aliquid  taie  factilalnm  fuit  olini  a  qiiihusdam  nostroruin  rh;/tli- 
nior/raplioruin,  sed  in  argunientis  iocosis  potius  quant  seriis  ;et  quideni  facti- 
taluni  in  Picardica  polius  quam  alia  dialecio  ;  ex  qua  et  Maroluni  sumere 
suuni  mie  er  signi/icatiune  qua  ilicilur  ie  nïraymie),  necnon  alia,  videnius. 
\ec  rero  Ronsardus  noster  et  liellaius  i  inter  pnetas  vel  praestantissimos 
ponendi  hi  guident,  ac  praesertiin  ille  nullnru)i  vocuni  sihi  usuni  per- 
iniserunt  quae  ex  quapiani  dialecto  Gallica  suniptae  d ici  passent. 

i.  Dorât  rejetait  l'étroite  doctrine  des  Cicéroniens,  que  quelques  esprits 
systématiques,  en  réactiou  contre  la  langue  médiévale,  voulaient  impo- 
ser aux  esprits.  Il  aimait  sans  doute  à  faire  lire  à  ses  élèves  lo  savant  et 
piquant  dialogue  d'Erasme  sur  le  sujet,  dont  on  retrouve  la  doctrine  sous 
la  plume  de  Honsard  lui-même  (y.  plus  loin  l'invective  inétlite  contre  Pas- 
chal'.  lise  servait,  en  tous  cas,  de  ses  ^dai/es,  précieuse  compilation 
de  la  morale  antique,  qui  prêtait  aux  exercices  les  plus  divers  pour  les 
écoliers.  Dès  son  premier  recueil,  Ronsard  se  montre  nourri  des  Adages. 
CI'.  0(/cs,  t.  1,  p.  I.tl.  1(30.  etc. 

"2.   Binel,  éd.  Laumonier,  p.  12  et  94. 

■i.  Il  est  étrange  que  Du  Bellay  n'en  parle  pas  dans  le  passage  de  la 
De/fence,  où  il  nomme  Lazare  de  Baïf  après  Budé  :  «  L'autre  n'a  pas  seule- 
ment Iraduicl  l'Electre  de  Sophocle,  quasi  vers  pour  vers,  chose  laborieuse, 
comme  entendent  ceux  (|ui  ont  essayé  le  semblable:  mais  davantaige  a 
donné  à  nostre  langue  le  nnn^  d'epigranimes  et  d'elegies...  i>  iv.  éd.  Cha- 
mard,  p.  ^^"t  et  la  nole\ 


38  RONSARD    ET    I    Hl  MAMSMR 

(léiJioilce  adressée  à  François  I''^  l'enseip^netnenl  installé  duns 
sa  demeure  et  la  sorte  de  collaboration  qui  lui  en  est  venue  : 
<i  Or  esl-il,  Syrc,  que  cjuelques  jours  passe/,  me  rclrouvanl  en 
ma  petite  maison,  mes  eut'ans,  tant  pour  me  faire  apparoir  du 
labeur  de  leur  estude  que  pour  nie  donner  plaisir  et  récréation, 
m  apporloyent  chascun  jour  la  lecture  (|ui  leur  esloit  l'aictc  par 
leur  précepteur  de  la  tragédie  d'Euripide  dénommée  Ilecuha, 
me  la  rendant  de  mot  à  mot  de  grec  en  latin  ».  Lexercice  de 
traduction  d'un  texte  attrayant,  dont  usait  Dorât,  pouvait  ser- 
yir  à  létude  des  deux  lang'ues.  surtout  avec  un  élève  comme 
Jean-Antoine,  <jui  savait  déjà  beaucoup  de  f^roc  appris  avec 
Jacques  Toussain.  Il  est  cerUiin  ipip  le  travail  imposé  ii  ses 
élèves  sur  Hrrnhc  avait  un  but  purement  fjrammatieal  ;  s  il  se 
lut  agi  de  leur  l'aire  goûter  la  beauté  de  la  pièce,  il  disposait 
de  l'élégante  traduction  d'Erasme,  qui  l'a  mise  en  Irimètres 
iambiques  avec  Iphn/énie  à  Aiilis  '.  Le  mot  à  mot  écrit  des 
écoliers,  excellent  exercice  pour  leur  apprendre  les  deux  langues, 
se  trouva  être  en  même  temps,  pour  Lazare  de  Ba'if,  d'un  véritable 
secours. 

L'ambassadeur  explique  à  son  roi  ce  qu'étaient  les  trngédies  des 
Anciens  et  l'intérêt  qu'il  a  pris  à  traduire  celle  d'Euripide,  pendant 
les  loisirs  de  son  service  :  «  Laquelle,  pour  la  sublimité  du 
style  et  gravité  des  sentences  que  je  y  trouvay,  il  me  prinst 
envie,  Sj're,  de  la  mettre  en  vostre  langue  l'rançoise  seulement 
pour  occuper  ce  peu  de  temps  de  repos  à  quelque  honneste  exer- 
cice »  ''.  On  a  négligé  à  tort  l'examen  de  cette  première  traduction 

1.  I^a  première  édition  de  ces  traductions  a  été  donnée  à  Paris,  en  loOG, 
chez  Josse  lîade,  au  moment  oii  Erasme  venant  d'Ang-leteri'C  se  rendait  en 
Italie.  Cf.  Noiliac,  Erasme  en  Ilatie,  p.  0,  29  et  101.  Elles  ont  été  réinipri- 
niées  par  Aide,  puis  plusieurs  fois  jusqu'à  l'édition  d'Henri  Estienne,  Tra- 
goedlae  seleclae  Aeschyli,  Hoplwclis,  Enrijjidis,  cinn  dupliri  inlerpi-Pialione 
lalina,  lo67.  La  traduction  ad  verhum  de  VHéciihe  est  tirée  partim  ex  l'hil. 
Mel[aiichlhoiiis]  praeleclionihus. 

2.  La  tragédie  d'Euripide  nommée  Ilecnlja,  tradiiicle  du  grec  en  rhijthme 
'franroise,  dediee  au  Roy,  Paris,  Holi.  Estienne,  l.'ili.  Je  n'ai  lu  que  l'édition 

de  IjjO,  reproduction  exacte  de  la  piemière  par  le  même  typographe  du 
Hoi.  Elles  n'ont  point  le  nom  de  l'auteur.  Cf.  E.  PicotJ,  Catalogue  de  la 
Bibliothèque  James  de  Rothschild,  l.  11,  p.  2.  I.a  traduction  de  l'Electre  de 
Sophocle,  parue  en  1337,  ne  porte  pas  non  plus  le  nom  de  Lazare  de  Ba'if. 
Les  fonctions  de  Dorât  chez  Ba'if  ont  commencé  en  lo44,  et  nous  savons 
que  Ronsard  en  profitait  aussitôt  après  la  mort  de  son  père  (du  6  juin  de 
la  même  année).  Le  11  précepteur  •>  du  morceau  cité  ne  peut  être  que  le 
savant  limousin. 


i.Ks    riiAVAi  X  i:iii:/.  i.azaiœ  dk  haïk  liO 

française  d'Euripide  ',  intéressante  à  plusieurs  égards  et  qui  le 
devient  plus  encore,  si  l'on  song'e  que  Dorât,  Ronsard  et  son  ami 
Baïf  vont  collaboré.  La  version  faite  en  latin  par  ses  "  enfans  », 
comme  disait  Lazare  de  Baïf.  ayant  été  le  point  de  départ  de  son 
travail,  il  le  leur  a  probablement  c'ommuni([ué  à  mesure  qu'il 
l'écrivait.  Je  crois  volontiers  que  Ronsard,  déjà  poète,  était  en 
état  d'y  apporter  une  certaine  contribution  littéraire;  mais  il  est 
vraisemblable  ({ue  le  précepteur  a  dû  aider  l'auteur  de  ses  conseils, 
particulièrement  pour  les  parties  dites  par  le  i>  chorus  »  et  autres 
morceaux  lyriques,  où  l'on  noie  une  variété  et  une  rechei'che 
remarqual)les  de  rythmes  •'.  Le  nol)le  travailleur,  habitué  à  pro- 
fiter dans  ses  œuvres  des  avis  de  tous,  ne  pouvait  se  priver  de 
ceux  d'un  homme  à  (|ui  il  venait  de  confier  la  formation  intellec- 
tuelle de  son  fils. 

Le  fils  de  Baïf,  quoique  plus  jeune  que  Ronsard  de  sept  ans 
et  demi,  était  alors  meilleur  humaniste  que  lui,  ses  études 
grammaticales  s'étant  trouvées  plus  régulières  et  plus  suivies  ; 
son  père  ne  lui  avait  point  laissé  négliger  le  latin,  mais,  pour  le 
grec  surtout,  il  avait  bénéficié  des  leçons  du  "  bon  Tusan  »  et 
du  calligraphe  Ange  Vergèce  '.  Celui-ci,   ramené  de  Venise  par 

1.  Cf.  N'olliac,  Le  premier  Irneail  fr.jiirais  sur  Euripide  :  la  Iraducfian  de 
franço/.s  Tissnrd,  dans  les  Mélanges  Henri  Weil,  Paris,  t8'.)H,  p.  SOi-SOT. 
TissarJ  a  traduil  en  lalin  trois  Irayédies  seulemenl,  Médée,  Hippolyte^ 
Alceste.  d'après  l'édition  de  Lascaiis;  son  travail  dédié  à  François  de  \alois, 
duc  d'Angoulêmc,  plus  tard  François  I",  est  resté  inédit,  sauf  pour  les 
fragments  que  j'ai  donnés. 

2.  Voici,  par  exemple,  p.  17.  l'entrée  en  scène  d'Hécube  ; 

O  moy  dolente.  Iielas,  ores  quels  plaincts. 

Quels  liullemens.  quels  cris  de  douleuj'  pleins 

\'um  je  getter,  eu  l'aisanl  mes  coniplaincts.' 

O  misérable. 

En  ta  misère  el  vieillesse  plorable 

Porter  ce  faii  si  dur  et  importable. 

De  servitude  a  loua  intnU'roble. 

He  dieux,  lie  dieux, 

Quelle  cité,  quelle  jfent  ou  quels  lieux 

Me  secourront?  mori  est  Priam  le  vieux, 

Mors  mes  enf'aus  au  devant  de  mes  yeux  ; 

On  donc  iray?., . 

(Jn  peut  comijarerau  texte  des  v.  iiO  sijq.  (éd.  Weil).  Avec  moins  de  préten- 
tions, Lazare  de  Baïf  applique  le  programme  de  l'homas  Sibilet,  si  fier  du 
choix  de  ses  vers  adaptés  aux  mètres  grecs  dans  sa  Iraduction  de  Vlphir/énie 
d'Euripide  (dédiée  à  Jean  Brinon),  qui  est  seulement  île  115 'tD. 

3.  Ana:e  Vergèce  recevait  de  François  l'^  dès  l'iSO,  une  pension  comme 


40  HONSAiU)  i:t  l'iilmamsmk 

l'ambassudeur  qui  avait  apprécié  ses  talents  dans  la  conlection 
des  manuscrits,  allait  être  employé  par  Henri  II  à  dresser  les 
catalogues  des  volumes  grecs  de  Fontainebleau.  11  n'était  pas 
dénué  de  connaissances  littéraires,  bien(]u"il  |)urlât  "  fort  mauvais 
françoys  »,  et,  comme  Grec  authenticjue,  il  se  trouvait  recher- 
ché dans  les  familles  distinguées  où  les  jeunes  gens  étudiaient 
sa  langue.  Ronsard  ne  fut  jias  le  moins  empressé  à  profiter  de  la 
fréquentation  dWnge  Vergèce.  11  se  lia  en  même  temps  avec  son 
neveu  Nicolas,  beaucoup  plus  latinisé  que  l'oncle,  etqueBaïfet 
lui  introduisirent  dans  la  première  Brigade  ^.  Mais  il  s'attachait 
ardemment  à  Jean  Dorai  et,  son  âge  lui  permettant  de  rega- 
gner le  temps  perdu,  il  devint  bien  vite  le  principal  disciple  de 
l'initiateur. 


11  escripvain  expert  en  lellies  grecques  "  et  figurait  encore  à  ce  titre,  en 
li)4S,  sur  la  liste  de  paiement  des  professeurs  et  lecteurs  du  Collèg'e  royal. 
Des  particuliers,  notamment  J.-,I.  de  Mesmes,  l'entretenaient  pour  leur 
copier  des  textes  grecs.  Il  a  traduit  en  latin  un  traité  du  Pseudo-Plu- 
tarque  (De  /luuioriini  et  montium  noininibus,  Paris,  Charles  Estienne, 
fo56)et  publié  une  édition  du  Pimander  mis  sous  le  nom  de  Mercure  ïris- 
mégiste  (Paris,  1554.  Dédicace  à  Lancelot  de  Carie  .  Emile  I^egrand  a 
écrit  la  biograpfiie  d'Ange  Vergèce  d'aprè.s  la  liste  des  manuscrits  calli- 
graphiés par  lui,  dans  sa  Bibliographie  hellénique,  Paris,  1885,  t.  I, 
p.cLXxv  sqq.  Les  vers  que  Baïf  adresse  à  Charles  l.\  sur  son  ancien  maître 
(dédicace  des  Euvres  en  rime,  Paris,  15731  peuvent  renseigner  pour  Ron- 
sard comme  pour  lui  : 

Ange  Vergèce,  Grec  à  la  gentille  main. 

Pour  l'écriture  greque  écrivain  ordinère 

De  vos  grandpére  et  père  et  le  vostre,  eut  salére 

Pour  à  l'accent  des  Grecs  ma  parole  dresser 

Et  ma  main  rsur  le  trac  de  sa  lettre  adresser. 

On  lit  dans  une  lettre  d'Henri  de  Mesmes  là  L'Hospital"?),  du  29  sept. 
1566:  (I  Monsieur,  ce  pauvre  vieil  Grec,  qui  nous  a  enseigné  touls  à  escrire, 
M.  Angelo  Vergecio,  m'est  venu  trouver  ce  matin...  {Revue  critique  de 
1872,  t.  I,  p.  160).  Ses  livres  ont  servi  après  sa  mort,  en  1569,  à  l'enseigne- 
ment de  Dorât  (v.  plus  loin\  De  très  beaux  autographes  personnels  de 
Vergèce  sont  à  signaler  dans  les  papiers  d'Henri  de  Mesmes  Fonds  Latin. 
10327,  ff.  106-109,  123)  et  permettront  de  compléter  les  notices  d'Henri 
Omont  et  d'E.  Legrand. 

1.  Nicolas  Vergèce,  à  qui  Baïf  dédie  la  Conlretri-ne  remplie  de  détails 
sur  ses  études,  a  pris  part  à  la  fête  du  bouc  de  Jodelle  et  publié  des  vers 
latins  en  divers  recueils,  notamment  une  ode  adressée  à  Ronsard  dans  le 
«  tombeau  ;<  deTurnèbe  îréimprimoe  par  Emile  Legrand,  t.  II,  p.  405  .  Sa 
mémoire  a  été  honorée  d'une  épitaphe  du  poète  :  Epitaphe  de  Nicolas 
Vergèce,  grec-crelois,  grand  aiin/  de  l'autheur  (éd.  Marty-Laveaux,  t.  \  , 
p.  311  . 


LllîHE    CRITIOLE    DES    l'OÈTES    LATINS  il 

Les  idées  nouvelles  que  jetèrent  en  lui  de  telles  études  n'ajou- 
taient pas  seulement  k  celles  qu'il  tenait  de  ses  premiers 
conseillers,  latinistes  et  italianisants  ;  elles  les  rcctilîaient  sur 
bien  des  points  essentiels.  Très  promptement,  la  littératui-e  des 
Romains,  qu'il  avait  étudiée  en  se  jouant  et  dont  il  possédait 
toute  la  fleur,  lui  apparut  comme  une  simple  littérature  d'imi- 
tation :  ce  Les  Poètes  Romains,  écrira-t-il  un  jour  avec  irrévé- 
rence, ont  foisonné  en  l'abondance  de  tant  de  livres  empoulez  et 
fardez  qu'ils  ont  apporté  aux  librairies  [bibliothèques]  plus  de 
charge  que  d'honneur,  excepté  cinq  ou  six,  desquels  la  doctrine 
accompaig-née  d'un  parfaict  artilîce  m'a  toujours  tiré  en  admira- 
tion »  ' .  On  voit  bien  quels  maîtres  il  met  k  part  ;  ce  sont'  ceux 
que  son  ami  Muret  feuillette  avec  lui  et  que  Dorât  ne  dédaigne  pas 
d'expliquer  en  ses  leçons.  Mais,  avec  Virgile.  Horace  et  Ovide, 
Catulle, Tibulle  et  Properce,  la  liste  est  close  des  poètes  romains 
admirés  par  Ronsard  ;  les  Elégiaques  eux-mêmes  ne  tiendront  pas 
dans  ses  réminiscences  autant  de  place  c[u  on  l'attendrait  d'un 
chantre  passionné  de  l'amour-. 

11  est  trop  poète  pour  ne  pas  sentir  vivement  la  beauté  de 
certains  vers  de  Lucrèce,  mais  il  ne  voit  en  lui  qu'un  philo- 
sophe, comme  en  Lucain  qu'un  historien.  Les  autres  poètes  de 
leur  langue  lui  semblent  pouvoir  être  négligés  ;  et  la  courte 
liste  de  ses  emprunts  suflirait  k  établir  qu'il  leur  a  toujours  pré- 
féré les  Grecs  '.  Au  reste,  nous  tenons  de  lui-même  l'exposé  de 
ses  idées  sur  les  Latins  et,  bien  qu'il  l'ait  écrit  vers  la  lin  de  sa 
carrière,  on  peut  croire  que  l'enseignement  de  Dorât  en  conte- 
nait déjà  la  .substance  : 

1.  Abrégé  de  l'Art  poétique  français,  texte  de  1567  éd.  M.-L.,  t.  VI. 
p.  449).  Texte  de  1363  dans  l'éd.  Bl.,  t.  VII,  p.  318. 

2.  Ils  sont  dans  l'énumération  des  Isles  fortunées    éd.  Bl.,  t.  VI,  p.  176  . 

3.  On  trouvera  au  t.  I,  p.  xxxv,  de  l'édition  Laiimonier,  la  bibliographie 
des  recherches  faites  sur  les  sources  de  Ronsard  depuis  la  thèse  de  Gan- 
dar;  Laumonier  lui-même  y  excelle  plus  que  personne  et  a  retrouvé  les 
sources  combinées  de  beaucoup  de  poèmes.  Citons,  comme  un  bon  exemple 
d'utilisations  latines,  la  seconde  partie  de  VOde  à  M.  le  Dauphin,  relative 
aux  futurs  exploits  du  prince  et  à  la  description  de  son  triomphe.  Honsard 
a  utilisé  d'Ovide  l'horoscope  de  Caïus  César,  l'un  des  fils  adoplifs  d'Au- 
guste Ars.  am.,  I  ,  et  le  triomphe  d'.Vuguste  [Trisf.,  IVi,  i\c  Tibulle  le 
triomphe  de  Messala,  d'Horace  l'éloge  d'Auguste  Carm.,  IV  ,  de  Claudien 
l'éloge  do  Stilicon,  de  Sidoine  .\pollinaire  le  panégyrique  de  Majorien, 
enfin  la  prédiction  des  Parques  imaginée  par  Navagero  pour  la  naissance 
d'un  prince  italien. 


'l2  RONfiABlJ    F.l     1,'lll.MAMSMP; 

N'en  cherche  plus  ci'iiutre,  lecteur,  en  la  langue  romaine,  si  ce 
n'esloit  de  fortune  Lucrèce;  mais  par  ce  qu'il  a  escrit  ses  frenai- 
sics,  lesquelles  il  pensoil  estre  vrayes  selon  sa  secte  el  qu'il  n'a  pas 
hasti  son  (l'uvre  sur  i;i  vray-semblance  et  sur  le  possible,  je  lui  obIc  du 
loul  le  nom  de  poi-Le,  encore  que  quelques  vers  soient  non  seulement 
excellens,  mais  divins.  Au  reste,  les  autres  poètes  latins  ne  sont  que 
naquets  '  de  ce  brave  X'irgile,  premier  capitaine  des  Muses,  non  pas 
Horace  mesme,  si  ce  n'est  en  quelques  unes  de  ses  Odes,  nv  Catulle. 
Tibulle  et  Properce  encore  ([u'ils  soient  tres-excellens  en  leui'  mes- 
tier  ■*  ;  si  ce  n'est  Catulle  en  son  .Vlys  •'  el  aux  nopces  de  Pelcu»,  le 
reste  ne  vaut  la  chandelle.  Stace  a  suivi  la  vrav-semblance  on  sa  The- 
baïde.  De  nostrc  temps,  Fracastor  s'est  montré  très-excellent  en  sa 
Syphillis,  bien  que  les  vers  soient  un  peu  rudes  ■•.  Les  aulres  vieil» 
poêles  romains,  comme  Lucain  et  Silius  Ilalicus,  ont  couvert  l'his- 
toire du  manteau  de  poésie;  ils  eussent  mieux  l'ait,  à  mon  advis,  en 
quelques  endroits,  d'escrire  en  prose.  Claudien  est  poëte  en  quelques 
endroits,  comme  au  Ravissement  de  Proserpine;  le  reste  de  ses 
(cuvres  ne  sont  qu'histoires  de  son  temps,  lequel  comme  les  autres 
s'est  plus  estudié  à  l'enflure  qu'à  la  gravité.  Car,  vovans  qu'ils  ne 
pouvoienl  égaler  la.  majesté  de  X'irgile,  se  sont  tournez  à  Tenflure  et 
à  je  ne  sçay  quelle  poincte  et  argutie  monstrueuse,  eslimans  les  vers 
estre  les  |)lus  beaux  ceux  qui  avoient  le  visage  plus  fardé  de  telle 
curiosilc  ■'. 

Honsnrd  ne  lait  jamais  de  ré.serves  de  ce  genre,  lorscju  il 
s'agit  fies  Grecs.  Il  ne  distingue  point  entre  eux  et  les  adopte  en 


1.  Ce  vieux  mol  signifie  "  laquais  ». 

2.  Sur  la  manière  dont  Ronsnicl  coneoit  réiégio.  v.  re  i|u'i]  ilil  en  tête 
(le  son  propre  recueil  (éd.  lil.,  I.  IV,  p.  210): 

.\moni'  ))iiiM'  V   l'Cfinci-  en  u  elinssé  In  niDj'l... 

',i.  Hoiisard  fait  ici  à  (iirolaino  Fracasloro  l'honneur  de  le  nommer  seul 
parmi  les  .\ncicns.  Le  poème  du  véronais  De  morho  Gallico,  dédié  à  Uemlio 
cl  dont  le  succès  fut  retentissant,  parut  pour  la  première  fois  à  Vérone,  en 
iVt'Ml.  — On  remarquera,  dans  rénumériition  de  Honsard,  l'oubli  dn  nom 
d'Ovide.  Cf.  plus  haut,  p.  i;\. 

1.  lionsard  dit  pourquoi  il  se  phiil  ;i  raconter  l,i  l'able  d'.\lys,  dans  son 
l")ème  Lp  l'iii    éd.  Kl..  I.  VI.  p,  lit    : 

— \lvs,  lu  U"  mérites  ; 
(«ilulle.  lionntMU' (les  Homaînes  (llr;nili*>. 
Te  fcit  Hnmaiii  on  iniilani    losCpcr'., 

ij.  Préface  posthume  de  la  Frunciade  (éd.  M.-l,.,  I.  111.  |i.  !i2iiV  La  suiledu 
morceau,  relative  ;i  Virgile,  est  cilée  p.  27. 


lîAÏF  icr  noNSAKn  a  coqleret  4U 

bloc,  comme  fait  Dorai.  Celui  ci  lui  a  appris  k  voir  en  eux  les 
vrais  Anciens,  ceux  à  qui  il  faut  demander  i<  le  savoir  et  la  doc- 
trine »,  l'onseig'ncmcnt  des  plus  ingénieuses  fables  et  les 
modèles  pour  de  grandes  créations  poétiques  ignorées  encore 
des  Français.  Après  les  tàtonnemenls  de  sa  jeunesse,  il  a  ren- 
contré enlin  la  main  ferme  ([ui  va  le  guider  et  les  sources  pro- 
fondes de  l'art  qu'il  rêve. 


Ces  idées  étaient  sans  doute  tout  à  fait  arrêtées,  quand  il 
décida,  avec  Baif  et  Du  Bellay,  qui  avait  rejoint  ses  amis,  de 
suivre  Dorât  à  Coqueret,  où  l'enseignement  allait  s'étendre  à 
un  plus  large  auditoire.  L'helléniste  limousin,  nommé  principal 
de  ce  modeste  collège  de  l'Université  de  Paris,  voulait  v  olfrir 
à  des  élèves  choisis  les  facilités  studieuses  d'un  internat  volon- 
taire. L'amour  du  grec,  ou  plutôt  l'avidité  des  richesses  idéales 
dont  l'étude  du  grec  pouvait  combler  sa  poésie,  décida  Ronsard 
à  quitter  la  Cour,  à  renoncer  à  ses  divertissements  ainsi  qu'aux 
avantages  qu'elle  promettait  à  ses  ambitions.  Il  s'astreignit  lui- 
même  k  la  retraite  austère  sur  la  montagne  Sainte-Geneviève, 
dans  ce  collège  qui  n'était  même  pas  des  plus  illustres  et  dont 
un  seul  enseignement  faisait  la  renommée  '.  Il  aimait  à  rappeler. 
plus  tard  les  nuits  qu'il  ajoutait  courageusement  au  travail  du 
jour.  Habitué  par  la  vie  du  Louvre  aux  tardives  veillées,  il  étu- 
diait aisément  jusqu'à  deux  heures  après  minuit  et  réveillait 
alors  Baif,  «  qui  se  levoit,  et  prenoit  la  chandelle  et  ne  laissoit 
refroidir  la  place  »  :  Ba'if  a  même  recueilli,  en  ses  vers  mesurés 
à  l'antique,  ce  joli  souvenir  de  leur  jeunesse  : 

Quiind  c'e^t  que  mangeant  sous  Dorât  tl'iiii  même  pain 
En  même  chambre  nous  veillions,  toi  tout  le  soir. 
Et  moi  davançant  l'aube  dès  le  grand  matin...  - 

1 .  .Vil  reste,  Ronsard  cherche  aussi  son  bien  au  dehors.  C'est  à  ce  moment 
qu'il  fait  la  connaissance  de  Denys  l.anihin,  à  peine  plus  âgé  que  lui  et 
avec  qui  il  travaille  pailiculiérement  les  matières  philosophicjues.  .l'étudié 
plus  loin  les  relations  ((ui  s'établirent  entre  eux  et  dont  il  existe  de  nom- 
breux témoignages. 

2.  Le  poème  Aus  poètes  françocs  ^Elrénfls,  a  été  imprimé  dans  l'orlho- 
graphe  spéciale  à  Baïf  lOEiivres,  éd.  Marty-Laveaux,  t.  V,  p.  323  . 


11  IlliNSAlU)     Kl     1.  III   MAMS.Mi: 

Il  fallait  être  assuré  de  bien  hauts  plaisirs  pour  soutenir  cet 
elFort  avec  tant  de  volonté.  C'est  que  Ronsard,  devenu  helléniste 
à  si  bonne  école,  était  alors  dans  toute  la  ferveur  de  son  enchan- 
tement et  marchait  de  découverte  en  découverte.  Une  anecdote, 
que  Hinet  insère  dans  sa  biographie,  montre  le  jeune  honimc  ini- 
tié au  L;Tand  lyrisme  par  la  volonté  réfléchie  du  maître  :  "  Il 
luy...  leut  de  plain  vol  le  l'romelhce  d.lischyle,  pour  le  mettre 
au  plus  haut  goust  d'une  Poésie  qui  m  avoit  encor  passé  la  mer  de 
deçà,  et  en  sa  faveur  traduisit  cette  tragédie  en  françois,  laquelle 
si  tosl  que  Ronsard  eut  goustée  :  Kt  (juoy,  dit-il  à  Dorât,  mon 
maistre,  m'avez-vous  caché  si  long  temps  ces  richesses?'  •> 
l)<iral  devait  être  un  admirable  interprète  d'E.schyle,  pour  lequel 
il  eut  toujours  un  goût  particulier-;  mais  combien  l'écolier 
était  fait  pour  le  comprendre  !  On  devine  son  émotion  en  écou- 
tant les  chœurs  des  Océanides,  les  lamentations  du  Titan  enchaîné, 
cette  succession  d'images  sobres  et  rapides,  de  pensées  mysté- 
rieuses sûr  l'homme  et  sur  les  dieux  '.  Auprès  de  cette  forte 
poésie,  pâlissaient  les  charmes  de  l'ode  horatienne.  Mais  n'y 
avait-il  pas  en  Grèce  d'autres  sources  du  lyrisme?  Précisément, 
Horace  faisait  connaître  le  nom  du  maître  qu'il  y  avait  choisi  : 
et  la  grande  révélation  qui  vint  à  nos  poètes  fut  Pindare. 

Elle  appartient,  sans  doute  possible,  à  la  période  de  l'ensei- 
gnement privé  de  Dorât  dans  la  maison  de  Ba'i'f.  L'érudit  limou- 


1.  Suit,  (Unis  Binot,  la  phraso  ijui  a  prèle  à  dos  interprétations  diverses 
et  qui  nous  apporte  au  moins  un  détail  sûr,  l'étude  d'une  œuvre  d'.Vrislo- 
phane  avec  Dorât:  "  Ce  fjt  ce  qui  l'incita  à  tourner  en  françois  le  Plulua 
d'Aristophane  et  le  faire  représenter  en  public  au  collège  de  Cocquerel, 
qui  fut  la  première  Comédie  françoise  jouée  en  France.  » 

"2.  V.  l'index  de  ce  livre  au  nom  d'Eschyle.  —  Que  penser  de  cette  iifdl- 
cation  alléchante  fournie  par  Hoffmann  iLexicon  bibliogra/ihicum...  scripl. 
i/ruec,  Leipzig,  1832,  t.  I,  p.  M)  :  •<  loi8.  8°  Aeschyli  Prometheus,  graece. 
ciim  praefatoriu  loannis  Aurnli  ppisfola.  Paris,  apud  Chri»lianum  W'echo- 
liiin  ■■  ?  Ce  serait  la  plus  ancienne  édition  d'une  pièce  isolée  d'Eschyle,  dont 
on  ne  possédait  alors  que  le  texte  d'Aide,  lîilH.  Malheureusement,  cette 
édition  si  précieuse  pour  nos  études,  et  que  j'ai  fait  rechercher  dans  beau- 
coup de  bibliothèques,  me  semble  purement  imaginaire. 

3.  lionsard  a  toujours  été  poursuivi  parles  images  du  drame  d  Eschyle  : 
dès  les  premières  Odes,  il  parle  du  mythe  de  Prométhée,  i|u'il  pouvait 
connaître,  il  est  vrai,  par  d'autres  sources  t.  I,  p.  i'iS,  t.  Il,  p.  111'.  Deux 
vers  colorés    éd.  BL.,  t.  VI,  p.  41;  M.-I..,  l.V.  p.  32)évoquent  pour  Brinon 

...le  vautour  beccu,  dont  la  ^rifïe  cniclle 
Pince  (le  Promet h('  la  poiti'ine  ininini-lolle. 


LA    llEVELAtlIi.N     U1-;    MMJAIii;  >.> 

sin.  qui  avait  connu  Budé  dans  sa  jeunesse  et  s'était  formé 
auprès  de  Germain  de  Brie  et  de  Jacques  Toussain  '.  faisait 
depuis  lono^temps  des  vers  latins  et  grecs.  Une  ode  à  Robert 
Estienne.  typographe  du  lîoi.  qu'il  écrivait  étant  encore  k 
Limoges  et  qui  célèbre  d'une  façon  charmante  cette  docte  mai- 
son et  l'art  qu'on  y  pratiquait,  marque  le  moment  où  sa  maîtrise 
d'écrivain  s'était  aflîrmée  -'.  Estienne  reçut  encore  de  lui  des 
vers  grecs  et  latins,  et  les  imprima  avec  ceux  d'autres  amis-"; 
mais  au  moment  où  il  connut  Ronsard,  moins  âgé  que  lui  de 
dix-sept  ans^.  Dorât  n'avait  encore  rien  publié  et  attendait  sans 
impatience  l'occasion  de  se  faire  un  nom  parmi  les  versificateurs 
latins.  Alors  qu'autour  de  lui.  chez  les  lettrés,  les  recherches 
de  forme  se  multipliaient,  il  eut  l'idée  de  se  distinguer  a  son 
tour  par  une  innovation  ;  il  se  mit  k  composer  en  latin  des  odes 
à  la  façon  de  Pindare.  tentative  dont  une  parole  fameuse  d'Ho- 
race semblait  décourager  à  jamais  ses  successeurs  ". 

L'Italie    venait   d'ouvrir  cette    voie    et  un  poète    humaniste, 
Benedetto  Lampridio,  de  Crémone,  y  avait  recueilli  la  célébrité. 


1.  Ces  détails  importants  paraissent  ignorés  des  biographes  de  Dorât.  Ils 
figurent  dans  les  mémoires  de  Jacques-Auguste  de  Thou,  au  moment  où 
l'illustre  historien  parle  de  ses  premières  relations  avec  Ronsard. 

2.  loannes  Auralus  ad  ftoherlum  Stephanum  (ypor/rai>hum  nobilissimum. 
GoldasI,  Philologicarum  epistolnrum  centuria  una  diuersorum  a  renalis 
literis  dr>clissimoriim  riroruni,  Francfort,  IBIO,  p.  235-243.  Cf.  Maittaire, 
Slephanoriim  hisloria,  Londres^  1709,  t.  1.  p.  94.  Comment  les  biographes 
ont-ils  pu  ignorer  ce  curieux  poème?  11  est  daté  ;  Lemouicibus  i  non.  maii 
anno  I53S. 

3.  Marty-Laveaiix  a  décrit  CEuvres  poptirjues  de  Jean  Dorât,  p.  Lxxxj  i 
deux  feuillets  in-folio  imprimés  sans  date,  contenant  des  éloges  de  lim- 
primerie  et  des  hommages  à  Estienne,  parmi  lesquels  sont  des  vers  français 
de  Gré\  in,  de  Fr.  de  Belleforest  et  de  C.  Clausse,  des  vers  grecs  de  Florent 
Chrestien,  et  une  traduction  du  grec  de  Dorât  en  latin  [In  Tt/porfra- 
pliiam  Musariim  matrem  par  Camille  de  Morel.  La  contribution  de  Doiat  à 
cette  sorte  de  plaquette  n'a  aucun  rapport  avec  son  ode  de  lo38.  11  est, 
d'ailleurs,  à  cette  époque  poeta  regius  et  signe  l'oiv/r,;  AupSto;  ,>a5!À£(oç  T.o\r,-t,i 

4.  En  acceptant,  contre  La  Croix  du  Maine,  lâge  indiqué  sur  son  cpi- 
taphe,  qui  le  faisait  naître  en  1508. 

5.  Orf.,  IV.  II 

Pindarum   quisquis  sludel  aemulari, 
Iule,  ceratis  ope  Daedalea 
XilUur  pennis  vitreo  daturus 
Xomina  ponlo. 


il)  HUNSAKU    ET    LriLMAMHMË 

Ce  précurseur  de  Dorât,  et  par  conséquent  de  Honsurd,  appar- 
tint il  la  cour  (irudite  de  Léon  X  et  fut  l'ami  do  Bembo,  de 
Gian-Malleo  Giberti,  de  Pielro  Mellini;  Tebaldeo  et  Haldassare 
Caslijjilione  lirenl  son  élo;^e.  Ayant  dirigé  à  Home,  après  Jean 
I^aacaris,  le  collège  des  Jeunes  Grecs,  il  vint  enseignera  Fadoue, 
puis  éleva  à  Mantoue  les  enfants  de  Krédéric  de  Gon/ague  '. 
Ce  lut  Lam[)ridio  fjui,  le  premier,  avec  un  talent  reconnu  par 
ses  contemporains,  composa  des  odes  latines  Cîilquées,  pour  la 
forme  stropliifjue  et  pour  le  mouvement  de  la  pensée,  sur  celles 
du  lyrique  tliébain  ".  Gomment  Dorât  eut-il  connaissance  de  ses 
ouvrages,  qui  ne  furent  réunis  pour  le  public  qu'en  io?îO,  par 
les  soins  de  Lodovico  Dolce''?  On  doit  penser  que  la  chose  fut 
facilitée  par  les  relations  littéraires  continuelles  établies  entre 
les  deux  pays,  grâce  aux  lettrés  italiens  qui  habitaient  Paris  et 
fré(juentaient  la  cour  où  régnait  une  Médicis.  Luigi  Alamanni, 
i|ui  lui  parmi  eux  le  plus  notoire,  n'avail-il  pas  lui-même  môle 

1.  Luzio  cl  lloiiier,  Coltura  e  relazinni  lelterarie  di  Isuhella  d'EsIe,  dans  \c 
Giorimlc  slorico  délia  tetler.  ilal.,  vol.  .\X.\\'I,  p.  .ML-  sqq.  Ciaii,  Un  Asti- 
r/iano  del  liinaxriiwnto,  Florence,  1901,  p.  40,  4'j  s(|q.  11  n'y  a  aucun  travail 
moderne  kui'  LanipricliO. 

2.  l.a  notice  de  !•'.  Arisi  sur  ce  personnage  ouljlié  en  l'iance  contient 
les  indications  suivantes  :  .i  lienodicliis  Lanijiridin^  niiiuiipaliis  al  vero 
co(/nomeii  Alj)lieiis,  seii  Alplieniis,  in  imitando  l^indaro  Uraecorum  lijrico- 
runi  cori/plieo  contra  Iloratii  sententiani  lih.  i.  ode  2,  Icnrium  nihil  habuil 
prueler  lolulux  subUniilaleni.  l'ri  m  m  eniin  Thehano  s  modos  in  Lalium 
induxil;  priinmt  l'indaricisniimerin  latinas  aures  a»suefecil ;  (iraeri  qiiippe 
sernwnis  perilissimus,  quo  et  varia  cecinit,  Odas  Melropindaricas  primiii 
latine  modulalus  est,  et  lanta  quidein  cunt  niaiestate  ut  a  nemine  sitprrandum 
i-redani.  qiiod  eo  libeulius  affirniamliun  fuil  qiiod  minuit  al)  ho';  abhorruit 
rirjidus  pueliiruni  censor  tli/ralilua  Lelio  Giraldi],  qui  durus  in  aliorum 
commendutione  de  Lainpridio  scribere  non  duhitauit  :  n  B.  Lampridius  Cre- 
'<  tnonennis  non  lipif/rainniatuni  modo,  sed  Lyricos  versus  facit,  quibus  in 
•  •   iirimis   l'indarum  cum  inue/ilione,  tum  phrasi  aemulari  nititur.  Idem  et 

(iraeca  aijr/ressus  est,  dii/nus  certe  ve l  tant o  ausu.  n  quo  nos  ileterrel 
M   Iloralius,  commenduri»  \Cremona  literala.  Parme.  1702-i7(lt(,  t.  II.  p.  9"i  . 

:t.  lienedicti  Lampridii  nec  non  hi,  liap.  Amaltheiearmina.  Venetiis,  apud 
(ialirielem  lolitum  de  Ferrariis,  M  D  L.  I.'éléi;aute  édition  est  précédée  de 
dédicaces  de  Lodovico  Uolce  au  comte  Oollatino  da  CoUnlto,  i|ui  avait  été 
au  service  de  notre  Henri  II.  II  lui  recommiuide  i'  le  ode  de  M.  l.ampridio 
da  lui  tessute  seconde  l'ordine  c  la  maniera  seibata  de  Piudaro  ».  II  y  a. 
contre  sept  odes  hoiaticnnes,  vingt-quatre  »  odae  mctropindaricae  ",  dont 
une  à  la  louange  de  Crémone,  d'autres  dédiées  à  Fraucesco  Sforza,  a 
Bembo,  à  Lascaris,  à  Matteo  Giberti,  à  Villoria  ("olonna,  à  Henri  VIII,  etc. 
La  plus  longue  est  In  Pétri  Mellini  villam,  ubi  ille poetas  de  more  familiae 
coena  e.reepcral . 


BENËDBnO    LAMHRIUIU  il 

à  ses  poèmes  italiens  imprimés  à  Lyon  quelques  hymnes  de 
forme  pindarique,  (|iii  no  purent  passer  inaperçues  chez  les 
poètes  '?  Certains  de  ses  compatriotes  avaient  tenté  des  essais 
analogues  à  ceux  de  Ronsard.  Dès  Ial3,  l'année  même  où 
Zaccaria  Calliergi  éditait  à  Rome  son  beau  texte  de  Pindare, 
Gian-Giorgio  Trissino  insérait  dans  les  premiers  chœurs  de  sa 
Sofonisba  la  triade  du  poète  grec  (strophe,  antistrophe,  épodei: 
la  tentative  n'avait  pas  de  suites;  niais,  en  lo35,  Ant.-Sehas- 
tiano  Minturno  publiait,  dans  la  même  forme,  deux  grandes 
canzones  dédiées  à  Charles-Quinl".  La  première  édition  des 
Ili/iunes  d'Alamanni  est  de  ['VM.  L'idée  flottait  donc  dans  l'air, 
quand  Ronsard  s'en  saisit.  Mais  les  Italiens  attestent  la  prio- 
rité en  latin  de  l'humaniste  de  la  cour  de  Léon  X,  dont 
l'œuvre  était,  d'autre  part,  fort  bien  connue  du  précepteur  de 
nos  poètes  '. 

Ou  trouve  Lampridio  particulièrement  célébré  par  un  grand 
ami  de  Dorât.  Gian-Malteo  Toscani.  dont  le  rôle  fut  précisé- 
ment de  faire  connaître  chez  nous  les  écrivains  de  sa  nation. 
Dans  son  Pepliis  Ilaliae,  que  recommandent  au  lecteur  franeois 
des  poèmes  liminaires  de  Dorât,  il  écrira  plus  tard  cette  notice  : 

Cremona  Lampriiliuni  nostri  saeculi  miraculitm  edidil.  qui  quod 
lloradus  stullae  lemerilatis  esse  exi'slimauil  len(are,  siht  procliue 
admodum   esse   declarauil,    Pindari  Imilaliunem.  queni  fellcissime 


1.  Henri  Hauvelte,  Un  exilé  floiviitin  à  la  Cour  de  France,  Liiigi  Ala- 
manni  f  /  i!>.'}- 1 336  .  sa  vie  et  son  (Piirre.  Paris,  1903,  p.  231  sqtj.,  i52  sqq 
I.a  pnrtic  île  la  tlièse  de  cet  iraportaiil  ouvra<;;e  relative  au  pitularisme  Iraii- 
vais  ne  parait  pas  acceptée  par  les  ronsardisants  ;  les  odes  de  Ronsard  ne 
déviaient  rien  h  celle  d'Alamanni,  ni  pour  le  style,  ni  pour  la  forme 
métrique.  L'exemple  a  pu  cependant  compter. 

2.  Les  désignations  slro|)lii((ues  importent  peu  ;  Mintin-no  dit  voila, 
rivolla  et  slan/.a,  .Mamauni,  hallata,  conlraballata  et  slanza.  Cf.  Carducci, 
La  poesia  harhara  nei  secoli  XV  e  XVf.  Hologne,  1881 ,  et  l'élude  Dello  svot- 
ijimenUt  deW  ode  in  Italia,  dans  le  vol.  XVI  des  Opère.  Bologne,  1905, 
p.  .■iT4-3';");  Gaspary,  Sluria  delta  lelter.  ilal.,  trad.  V.  Rossi,  Turin,  1S9I, 
vol.  Il,  2'  part.,  p.  l:'.'i.  290.  La  question  n'a  jamais  été  traitée  à  fond  en 
Italie. 

3.  La  connaissance  de  Renedello  Lampridio  par  Dorai  l'ourjiit  probaljlc- 
ment  la  clé  d'une  anecdote  de  lîrantùme  (éd.  Lalanne,  L  IX,  p.  Gl'i3  à  pro- 
pos de  la  matrone  d'Ephèse  :  ><  La  première  fois  ipie  j'ouys  cesle  livstoire. 
ce  fut  de  M.  d'Aurat,...  quidisoil  la  tenir  de  Lanipridius...  >  Lalanne  nalu- 
rellemenl  ne  voit  pas  ce  que  le  nom  d'Aelius  Lampridius,  biographe  de 
(ioniuiode    et   d  Héliogahale,    vient    faire    avec     ce    conte    du    Salyricun. 


'(S  lIONSAIlll     I   r     I, m   MAMSMI:; 

l.nlillis  est  rersihiis  ;ifiiiiil;itiis  :  iil  Aurutn  l'oet.truni  regi  et  ornnt- 
hux  (jrueciic  liiuftnie perilis  viilelur.  .\;ini  /ouiiis  i/u;ie  non  assei/nitnr, 
en  non  prohnl.  lùns  airminn  ah  miiiiniens  nicndis  vindicala  nos 
semel  reciidenila  niraiiimus,  i/iute  post  niaiorc  cura  cmendauimus 
el  de  lerlia  editione  rof/itamim  '. 

Célail  liii'ii  le  (^rénioiiais  que  les  contemporains  désignaient 
comme  l'iinilaleur  attitré  d(!  Pindare,  le  créateur  du  {jenre, 
pourrait-on  dire,  et.il  faut  voir  en  lui  le  modèle  suivi  par  Dorât. 
Au  reste,  celui-ci  paraît  reconnaître  sa  dette  par  des  vers  admi- 
ratifs.  non  recueillis  dans  ses  œuvres,  qui  attriljuent  sa  place 
légitime  au  prédécesseur  italien  : 

Lanipridius  rates  inler  non  alter  /Imncrns, 
Inter.sed  Latios  Pinilarn.i  aller  vrai. 

])iun  lan}en  el  Lalii.s  a/feclal  lluraliii.s  aller 
Esse,  n)in<ir  Gr^ija  est  el  Venusina  r/ieli/.s  : 

Quanliini  l'indarico  modnlans  assur(/il  liialu. 
Tantuni  deprimitnr  peclinB,  Flacce,  tuo  ; 

Sed  quo  desperural  Horalius  ipse  vcnire, 
Lanipridius  renil  Lampridioque  sal  est  '^. 

Nous  venons  de  découvrir,  une  fois  de  plus,  l'Italie  à  lonyine 
des  curiosités  et  des  tentatives  de  l'humanisme  français;  nous 
retrouvons,  à  son  tour,  celui-ci  à  la  source  d'une  innovation  dans 
notre  littérature.  Il  est  admis  que  le  conseil  de  composer  des 
«  odes  pindariques  »  a  été  donné  à  Ronsard  par  son  maître  :  il 

\.  Peplus  Ilaliae,  Paris,  Fed.  Morel,  1578,  p.  .16.  L'édition  a  laquelle  fait 
allusion  récrivain  toscan  est  la  réimpression  partielle  de  celle  de  Dolce, 
dans  ses  Carmimi  illustrlum  poetarum  ilalorunt,  Paris,  tii76,  t.  I,  p.  82- 
102.  Celle  qu'il  annonçait   n'a  pas  vu  le  jour.  Citons   encore  ces  vers  du 

Peplus:  • 

Litntj)ridi  Alcaïco  Irarlas  dtini  harliila  /jleclro. 
Sola  luuni  testudo  .l/ipii/.i  vincit  ehur. 

Al  ciim  l'indariciis  tilii  peclora  coiiculil  horror. 
Tum  le  suhmiltil  Fhicctis  el  i/ise  libi. 

Queiii  vicliim  paiici.  victorem  niillus  al  aeijiiat. 
Non  pilleras  vinci,  aul  vincere  nobilius. 

2.  De  Laiiipridii  carniinihus  In.  Aurati  Poelac  lle/jii  iudiciiiin.  Ces  vers 
publiés  par  Volpi  i  Vulpius],  lo  dernier  éditeur  de  I.ampridio,  sont  repro- 
duits à  la  suite  de  son  édition  des  Poemala  de  Sannazar  Bassano,  1782, 
p.  321),  à  laquelle  il  a  ajouté  une  ode  pindarique  de  Lampridio  en 
33  strophes,  dédiée  à  Nie.  Léon.  Tomeo.  (Des  vers  de  Lampridio  étaient 
impriniés  à  Paris  dès  1S48.  Cf.  p.  t;>,  n.  3.) 


ORIGINKS    DE    I.UDE     l'INbAKlOUE  i'J 

n'est  pas  douteux  non  plus  que  des  essais  en  latin,  de  Dorât,  en 
aient  l'ourni  l'exemple  à  son  élève  '.  Nous  savons  maintenant  où 
il  avait  pris  le  sien  et  l'on  jugera  moins  obscur  le  passage  de 
l'ode  latine,  qui  accompagne  le  premier  recueil  des  Odes  et  en 
célèbre  l'art  tout  nouveau.  Elle  débute  par  un  appel  à  la  muse 
de  Pindare,  que  le  jeune  «  prince  de  la  lyre  nationale  »  a  faite 
sienne  et  française,  ce  qui  permet  à  Dorât  d'opposer  celui-ci  aux 
<<  plectres  »  d'Italie,  qu'il  lui  a  fait  connaître  : 

STR.  lu  persunare  '  numeros- 

Lyrae  potentes  Camoenae  que  Gallicos  Latiis 
.{(/Ile,  qiiis  deùm  herosrc. 

IIuiiio  quis  fidibus  inseri  antistr. 

Poscit  ?  Salis  Pisa  '-  iam 

louisqiie  memoratus  Remunerari  haiid  inullits. 

Ulympus,  sacrum  et  Itaque  par  pari  reddens 

Ilerculis  patris  opiis  :  Noua  plectra  resequar  noiiis. 

Al  nunc palriae priiicipem  Claaumque  clauo  velui 

Cheiys,  apud  Celticos  Relundam  ergo  reperla 

Decus  grande  populos.  Meis   Ilalis^ 

Decel  nos  suo  Patria  Indiqenaque, 

Sihi  Pindari  can-  Ronsarde,  tua....  ■*. 

Les  débuts  pindariques  des  deux  poètes  devant  le  public  se 
firent  en  même  temps.  L'ode  du  maître,  dont  on  vient  de  lire 

t.  On  trouve  mal  appuyée  l'opinion  contraire  formulée  dans  une  note, 
d'ailleurs  intéressante,  de  Lucien  Fonlel  (Hevue  d'hisl.  litt.,  t.  XIII,  1906, 
p.  312). 

2.  Pisa  ArcaJiae  oppidum  est,  praelerflueiite  Alpheo  ainne .  Ab  hac  iijilur 
et  Elidae  ciaitatibus,  teste  Seruic,  veneruiit  qui  Pisas  in  Ilalia  condirjerunt 
(Robert  Estietine,  Dictionarium  propriorum  nominum  viroruni,  mulierum. 
populoruni....  Paris,  Iri.ïl,  p.  400).  Pisa  mihi  patria  est.  dit  la  nymphe  Aré- 
tliuse  dans  Ovide,  Metain.,  V,  494. 

3.  On  vient  de  nommer  quelques  Italiens  auxquels  pouvait  penser  l'au- 
teur. Pour  l'ode  horatienne  en  Italie,  on  doit  rapprocher  des  compositions 
de  Ronsard  celles  de  Bernardo  Tasso,  le  père  du  grand  poète,  dont  cer- 
taines lettres  datées  de  1533  sont  intéressantes  pour  le  sujet.  V.  Carducci, 
/.  c,  p.  379.  Il  faut  noter  aussi  Bartolommeo  del  Bene,  gentilhomme  floren- 
tin vivant  en  France,  que  Ronsard  a  fort  bien  connu.  V.  Odi  .\.\VIII  di  li. 
del  liene,  Bologne,  1900,  et  C.  Couderc,  Les  poésies  d'un  florentin  à  la  cour 
de  France,  dans  le  Giornale  storico  delta  letler.  ital.de  1891. 

4.  Ad  P.  [{onsa)-duni  rirum  nolnleni  lo.  Aurait  ode  (Odes,  t.  II,  p.  216). 
Suit  l'ode  alca'ique  du  mémo  Dorât  (  Quis  le  deoruni  caecus  agit  f'uror  —lion- 
sarde...)  que  Ronsard  a  réimprimée,  avec  la  pindarique,  aux  liminaires  de 
toutes  les  éditions  collectives  de  ses  imnvres. 

Xoi.HAf.  —  fînnsaril  et  riîumanisnie.  \. 


.'ill  iKJ.N.SAIIIi     M     I.  III  MA.MSMI. 

le  tlébut,  ligure  à  la  suite  du  premier  recueil  de  Ronsard,  /-es 
quatre  premiers  livres  des  Odes,  qui  est  de  looO.  La  seconde  ode 
de  Dorât  parut  l'année  suivante  dans  le  Tombeau  de  la  reine 
de  Navarre,  auquel  collabora  toute  1  élite  des  poètes  liumaiiisles 
à'  côté  du  groupe  batailleur  des  amis  de  Ronsard  '.  Lode  pin- 
darique  prenait  donc  droit  de  cité  en  l'rance.  ii  la  même  heure, 
sous  la  forme  latine  et  la  l'orme  française,  l'aile  allait  avoir,  comme 
on  le  sait,  une  brillante,  mais  courte  fortune:  et  l'on  sait  aussi 
que  notre  poésie  lyrique,  en  TabaiRlonnant  à  juste  raison,  a 
gardé  cependant  de  l'avoir  connue  le  goût  du  style  soutenu  et 
de  la  grande  envolée. 

Pindare  a  toujours  été  considéré  coininc  un  auteur  dillicilc.  et 
le  xvi"  siècle  y  trouvait  assurénienl  ])lus  de  dillicultés  que  nous. 
On  ne  l'étudiait  qu'en  des  textes  mal  lixés,  l'aldine  de  loKl, 
l'édition  romaine  de  Calliergi  •  et  léditioii  bàloise  de  Ceporinus. 
sur  lesquelles  on  avait  fait  à  Zurich  une  médiocre  traduction 
latine,  enlîn  l'édition  de  Wechel.  de  l53o,  qui  comprenait  seule- 
ment les  Oh/mpiques  et  les  Pijlhiques  '.  Ouelle  que  fût  l'expé- 

I.  Lf  Tuiiiljca.li  (II'  Maïujuerilf  de  \'alois,  reine  de  Xufarre,  fuit  preinivre- 
ineiit  en  dixtiqiies  latins p.ir  les  trois  sœurs  princesses  en  Antjlelerre  'Sey- 
nioili'J,  dejinis  traduicls  en  ijrec.  italien  et  franrois  par  plusieurs  des  excel- 
lens  poètes  'le  la  France,  acecjues  /ilusieurs  odes,  h-,/nines.  cantiijues.  épi- 
tiiplu's  sur  le  tnesme  suhject,  Paris,  lu51.  Le  traducteur  grec  est  Dorât.  Les 
traducteurs  français  sout  Nicolas  Denisot,  suruommé  le  comte  d'Alsinois, 
qui  a  pris  l'initiative  de  la  première  publication  et  a  réuni  les  éléments  de 
la  seconde  (v.  son  épitre  en  prose, du  2ii  mars  Di.'H,  à  Marg-uerite,  duchesse 
de  Herryi,  .lacques  Peletier  du  Mans,  qui  traduit  aussi  en  italien, 
■loacliim  du  Bellay,  J. -A.  de  Bail' et  Anloinelte  de  Loyues.  L'ode  latine  de 
Dorât  est  traduite  en  italien  par  ,)ac<iues  Pelelier,  en  fiançais  par  Du  Bellav 
ot  par  Baïf.  Suivent  les  vers  de  Konsard  illynine  triomphal  sur  le  trépas. ..K 
des  vers  grecs  de  Dorai,  du  médecin  .lacques  Goupil,  de  Baïf  et  Gérard 
Denisot,  des  vers  latins  de  Matliieii  Pacius,  jurisconsulte,  Salinon  Macrin. 
Nicolas  Bourbon,  Claude  d'Espence,  Nicolas  Denisot,  Dorât  encore,  .Vntoine 
.\rmand,de  Marseille,  Jean  Tagault, Pierre  des  Miieurset  Cliarlesde  Sainte- 
Marthe,  culin  des  vers  fiançais  de  Bonsard  encore.  d'.Vntoinelte  de 
Loynes,  de  Baïf,  de  Jean  de  Morel,  de  Pierre  des  Mireurs.  de  (i.  Bouguier. 
angevin,  de  Martin  Séguier.  — Sur  les  sieurs  Seymour  et  Nie.  Denisot,  \. 
WinitVed  Stephens,  ,l/a/'.(/«;t'i  o/"  F/-.-i;!C(?,  duchesse  of  Saroi/,  Lon^lres,  lUli, 
p.  32:t-338. 

2.  Dans  le  même  volume  que  Pindare,  l'Aldine  donnait  en  édition  prin- 
ceps  Callimaque,  Denys  Périégèle  et  Lycophron.  L'édition  de  Rome  (Iji.'i 
nst  piiiiceps  pour  les  scholies  de  Pindare  (.\.  Firmin-Didot,  Aide  Manuce  et 
t' Hellénisme  i>    Venise,  p.  :16.1  et  .'ib.'jL 

i.    La  traduction  latine  est  de  l.oniceruN    /iirioli.   Vo'ÎXi.  La  Iradm-hoii   île 


l.K    rl.NDAKlSJIIi    ut    KU.NSAHU  ."il 

rience  philologique  de  Dorât  (et  nous  allons  voir  qu'elle  était 
grande),  soyons  sûrs  qu'on  ne  lisait  pas  le  poète  thébain,  dans 
la  maison  de  Ha'if,  sans  des  contresens  assez  nombreux.  Les 
allusions  continuelles  aux  légendes  et  aux  usages  de  la  Grèce 
antique  contribuaient  à  compliquer  une  étude,  à  laquelle  le 
maître  revint  plus  d'une  fois  par  la  suite,  pour  en  augmenter  la 
précision.  Il  est  certain,  d'autre  part,  qu'il  ne  mit  jamais  en 
garde  les  poètes  qui  l'entouraient  contre  l'abus  de  la  métaphore, 
l'étrangelé  ou  l'exagération  des  comparaisons  et  des  images, 
contre  ce  «  pindarisme  »  '  et  cette  manie  de  «i  dithyrambiser  » 
qui  ne  tarderont  pas  à  être  condamnés  par  les  gens  de  sens  ras- 
sis et  ridiculiseront  longtemps  la  jeune  école  -'.  Dorât  est  en  par- 
tie responsable  des  excès  du  genre.  Mais  il  sut,  mieux  que  per- 
sonne, faire  sentir  la  force,  le  mouvement,  la  couleur  des  chants 
vénérables;  et  cela  importa, beaucoup  plus  que  quelques  fausses 
directions  du  goût,  à  l'avenir  de  notre  poésie. 

Dorât  lisait  et  commentait  à  Bonsard  ces  quatre  recueils 
d'odes  fameuses  chez  les  Anciens,  fort  peu  lues  par  les  modernes, 
dune  forme  imprévue  et  entraînante,  où  ruisselait  un  flot 
d'images  et  de  métaphores,  où  se  déroulaient  de  rapides  et  bril- 
lants tableaux  et  se  fixait  en  sentences  majestueuses  la  sagesse 
antique.  Le  rôle  du  vrai  poète,  éducateur  des  hommes,  qui  sait 
dire  la  vérité  aux  puissants,  flétrir  les  méchants  et  distribuer 
aux  héros  les  palmes  de  l'immortalité,  apparaissait  au  jeune 
homme  penché  sur  ses  livres  comme  le  plus  enviable  et  le  plus 
digne  d'une  âme  ambitieuse.  Qu'était,  auprès  du  nom  laissé  par 
Pindare,  la  misérable  réputation  viagère  des  rimeurs  coxu-tisans? 
Reproduire  dans  sa  langue  de  telles  beautés  devint  pour  lui 
l'étude  de  tous  ses  instants.  Les  années  qu'il  consacra  à  ce  tra- 
vail, où  l)ien  des  réussites  heureuses  font  oublier  les  adaptations 


Pli.  Melanchlhon  a  été  imprimée  à  Bàle  eu  I008,  1  année  même  où  G.  Morel 
donnait  à  Paris  une  nouvelle  édition  de  Pindai'c.  La  première  des  éditions 
d'Henri  Estienne  est  de  1560. 

1.  DelbouUe  a  relevé  le  mot  ■'  pindarisme  »  chez  Biaise  de  Vigeuère.  en 
l.'iTS;  le  mot  •<  pindariser   »  est  partout. 

2.  Le  mauvais  goût  dérivant  d'une  f.icheuse  compréhension  du  lyrisme 
grec  a  trouvé  chez  Estienne  son  premier  critique,  et  l'un  des  plus  sévères. 
Une  analyse  fort  complète  de  ces  idées  est  donnée  par  Louis  Clément  dans 
son  excellent  livre,  Henri  Estienne  et  son  œuvre  française,  Paris,  1898, 
p.   107  sqq. 


:;•> 


ltU>SAIlli     l.l      I.  m  MAMS.Mi: 


moins  adroites,  ne  furent  pas  fécondes  pour  lui  seul,  mais  pour 
toute  ^on  école  <ju"il  orienta  vers  la  grandeur  '.  Ou  lit  peu,  dans 
son  œuvre,  les  longs  poèmes  antistrophés  où  il  s'est  astreint  à 
décalquer  le  désordre  apparent  d'une  Oli/m/tlffiifl  ou  d'une 
Néinéenne.  En  célébrant  la  victoire  du  comte  d'Engliien  à  Céri- 
soles  ou  le  succès  de  Jarnac  dans  son  duel  avec  La  Chastaigne- 
rave,  en  louangeant,  pour  l'honneur  des  lettres  et  de  la  jjalrie,  le 
roi  Henri  11,  la  reine  Catherine,  Madame  Marguerite,  sœur  du  Roi, 
le  cardinal  de  Lorraine  et  le  chancelier  de  l'IIospital,  comme 
aussi  ses  amis  les  poètes,  Ronsard  abuse  d'une  érudition  mytho- 
logique, qui  intéressait  jadis,  aux  fêtes  de  la  Grèce,  les  audi- 
teurs de  son  modèle,  mais  qui  paraît  souvent  chez  lui  un  pur  éta- 
lage de.  pédantisme.  11  est  obscur  plus  qu'il  n'est  sublime,  et  la 
savante  combinaison  de  ses  rythmes  n'a  parfois  d'autre  mérite 
que  celui  de  la  difliculté  vaincue.  Mais  l'ouvrage  était  vraiment 
neuf  et  d'une  puissante  hardiesse;  le  chant  compliqué  du  poète, 
qu'appuyait  pour  l'oreille  l'art  de  ses  musiciens,  a  intéressé  les 
contemporains  à  la  fierté  de  sa  tentative;  il  a  enrichi  du  premier 
coup  la  langue  et  le  style  sans  leur  faire  violence  trop  rude  ; 
son  effort,  qu'il  n'a  pas  ménagé,  son  élan,  qui  vise  toujours  au 
plus  haut,  sa  constante  reclierche  de  la  pensée  la  plus  noble,  ont 
élargi  le  domaine  de  la  poésie  tout  entière. 

VI 

La  fortune  des  lettres  françaises  a  voulu  que  Ronsard  rencon- 
trât, pour  l'introduire  auprès  des  véritables  maîtres  de  son  génie, 
un  guide  incomparable,  à  la  fois  docte  et  enthousiaste.  Dorât 
possédait  avec  puissance  ce  double  don,  qui  a  tant  de  force  sur 
la  jeunesse.  Le  témoignage  éclatant  de  son  plus  illustre  dis- 
ciple, les  louanges  dont  le  siècle  entier  entoure  son  nom.  ne  per- 
mettent pas  de  douter  que  l'helléniste  de  Coqueret,  plus  tard 
professeur  au  Collège  royal,  n'ait  été  une  manière  de  grand 
homme.  Cinquante    mille   vers,    qu'il    aurait,    dit-on,    composés 

1.  "  Telles  invontioiis  eucores  te  ferai-je  veoir  dans  mes  autres  livres, 
où  tu  pourras  (si  les  Muses  me  favorisent,  comme  j'esperel  contempler  de 
plus  prés  les  saintes  conceptions  de  Pindare  et  ses  admirables  incons- 
tances, que  le  tens  nous  a  voit  si  longuement  celées  ■■  Préface  des  Of/cs  de 
I">iiO,  éd.  I. aumônier,  1.1.  p.  48'. 


.iKA.N   DOUAI'  ,";i 

dans  les  trois  l;mi;ues  ',  ont  contriliué  à  sa  jifloire,  plutôt  des- 
servie aujourd'hui  par  ceux  qu'il  a  faits  en  langue  française. 
Nous  avons  grand'peine  k  comprendre  qu'ils  lui  aient  valu  l'ad- 
miration générale  de  son  temps.  Mais,  s'il  fut  un  poète  sans 
flamme,  il  a  su  enflammer  pour  la  poésie  la  meilleure  jeunesse 
du  siècle;  son  rôle  n'est  pas  celui  d'un  simple  professeur  de 
grec,  d'ailleurs  fort  habile;  il  a  enseigné  aussi  le  métier  d'écri- 
vain, avec  une  toute  autre  expérience  qu'un  Thomas  Sébilet  ou 
qu'un  Peletier  du  Mans.  Ses  meilleurs  disciples  reconnaissent 
leur  dette  hautement;  Dorât  «  m'apprit  la  poésie  »,  dit  Ronsard 
expressément  '-.  Si  les  faiseurs  de  vers  latins  ou  français  jouent 
sans  se  lasser  sur  le  nom  de  cet  homme  v  d'or  »  [Auratiis, 
aureus)  ^,  c'est  qu'il  a  rendu  d'immenses  services  à  des  intelli- 
gences très  différentes.  Hors  de  la  Pléiade,  il  a  formé  une  foule 
d'excellents  esprits  et  révélé  les  richesses  littéraires  de  l'anti- 
quité grecque  à  tout  un  public,  qui  semblait  attendre  sa  venue 
pour  se  passionner  à  ces  études.   Il   a  ainsi  marqué  sa  place  au 

1.  (Vest  Du  Veidior  iiui  donne  ce  nombre  répété  [lar  Scaliger  :  "  Et  com- 
bien (lu'il  se  soit  entièrement  adonné  à  faire  des  odes,  épig-iamnies,  liynines 
et  autres  genres  de  poésies,  en  grec  et  en  latin,  en  grand  nombre,  iusques 
à  passer  plus  de  cinquante  mille  vers  ne  cédant  aucunement  à  ceux  des 
anciens,  il  n'a  laissé  de  poëtiseï-  en  nostre  langue...  ■>  Les  poésies  de  Dorât 
sont  dispersées  dans  un  grand  nombre  d'ouvrages  et  on  rencontre  encore 
dans  les  manuscrits  une  qeuvre  inédite  assez  considérable.  J'ai  recueilli 
moi-même  quelques  pièces  qui  pourront  servir  à  l'histoire  littéraii-e  du 
siècle. 

2.  La  variété  des  genres  où  excellait  Dorât  faisait  l'étonnemeut  de  son 
temps.  Aux  témoignages  innombrables  des  poètessurson  talent,  on  préfére- 
ra le  latin  non  moins  excessif  de  Denys  Lambin,  écrivant  à  Dorât  dans 
une  dédicace  de  son  Lucrèce  :  Cumeniimlitliyrumlios  scrihendossuscipis,  cum 
Pindaro  uncipili  Marie  certas  ;  cum  ihtsus  It/rico.t  scrihitt,  cunt  eodem  Pin- 
daro,  cum  Simoniile,  Slcsirlioro,  Alcaeo,Siipi)hone  non  .</ne  cincendi  specon- 
lendere  viderts.  Cum  /•lerjos  décantas,  Mininermum,  ('.allimachuni,  Phîletani 
si  non  sufieras,  al  cerle  asserjueris,  breiiissimo  quant  proxinius  inleruallo. 
'.'dm  hucolica  ludihundus  componis,  Thencrilo  niliil  concedis.  Quid  de  luis 
scriplis  Lalinis  diram?  Cum  le  ad  epirjrammala  srrihenda  confe'rs,  CaluUum 
spiras:rum  versus  lijricos  canis,  lyram  videris  traclaie  lloratianam  ;  cum 
elegos  amntorios  ludis,  Tibullum  el  Propertiumel  Ouidium  e-rprimis.  Denique 
veleres  illos  in  sini/ulis  poeseos  generihus  élaborasse  el  praeslilisse  videmus; 
le  unum  lanquam  el  epicum  et  melicum  el  hjricum  el  elegorum  el  bucolico- 
runi  et  epigrammalum  scriplorem  optimum  adiniramur.  On  ne  dirait  pas 
mieux  de  Ronsard  lui-même. 

■i.  Une  petite  collection  de  ces  pièces  jouant  sur  le  nom  de  Dorât,  ter- 
mine la  première  réunion  de  ses  poésies,  à  la  suite  du  recueil  de  Buchanan, 
Bàle,  î^loOSi  :  /().   Aurali  LemiHiiii>i  regii  i/raecornm  lilerarum  in  Academia 


•)■(  UONSAIID    ET    L  Ill'MA.MSMIC  . 

premier  rany  des  hommes  de  la  Renaissance.  Quand  on  a  mesuré 
cette  action  et  véritié  attentivement  les  litres  de  cette  renom- 
mée, on  n'est  nullement  tenté  de  sourire  de  la  grandiloquence  de 
Ronsard  : 

Puiss;ii-je  entonner  un  vers  Si  en  mes  vers  lu  ne  vois 

Qui  raconte  a  l'univers  Sinon  le  miel  de  ma  vois 

Ton  los  porté  sur  son  aile.  Versé  pour  Ion  los  repaistre, 

Kt  ('omlïien  je  fu  hcureus  Qui  m'en  oseroit  Ijjasnier? 

Sucer  le  laict  savourons  Le  disciple  doit  aimer 

De  ta  féconde  mammelle.  \'anter  et  louer  son  maistre... 

Sur  ma  lan<,'ue  doucement  Si   j'ai  du  bruil  il  n'est  mien. 

Tu  mis  au  commencemenl  Je  le  confesse  eslre  lien, 

Je  ne  sçai  quelles  merveilles.  Dont  la  science  hautaine 

Que  vulfjaires  je  randi,  Tout  altéré  me  trouva 

Kt  premier  les  épandi  l'il  bien  jeune  m'abreuva 

Dans  les  Françaises  oreilles.  De  l'une  et  l'autre  fontaine  '. 

Combien  de  fois  a-t-il  repris  ce  thème,  sur  tous  les  Ions  et 
dans  tous  les  r^-tlimes  !  Le  nom  de  Dorât  paraît  à  bien  des  pages 
des  Odes,  des  Gayetez,  des  Hi/innes,  des  Poèmes  •■,  il  est  tantôt 

Parisiens!  profcssoris  Pocnialin  (Marly-Lavcaux,  notice  sur  Dorai,  p.lxxiij). 
On  y  pourrait  joindre  l'épigramme  de  Claude  Roillet,  régent  de  Boncourt, 
de  date  ancienne  (Cl.  Roilleti  Bdnensis  varia  poemnta,  Paris,  i:)")6,  fol.  137)  : 

Aureus  est  nnimns  libi,  et  aiirea  paijina,  ivnn 

Aarea^  simplicités  ntiren  tota  tibi. 
Aureas  ergo  ut  sis  lotus,  quid  nnmine  fnisn 

Sic  deceplonim  linHs  in  .lure  viriim'.' 
Atit  ta  quae  tibi  siint  ciincta  mires  pone.  nitorem 

Vel  rehus  digno  nomine  redde  suis. 

On  n'a  pas  oïdjlié  la  pièce  de  Du  Bellay  : 

Aurais,  Aoiiiae  decus  caleruae, 
.iurale.  aureulis  luis  caiiwenis 
.\uliis  aurea  secla  qui  redncis. .. 

l^a  plus  fameuse  est  celle  de  Ronsard  lui-même  dans  VHi/mnr  rif  l'Or. 
dédié  «  k  Jean  Dorât,  son  précepteur  »  (éd.  RI.,  t.  V,  p.  213)  : 

Je  ferois  un  {j^rantl  tort  à  mes  vers  et  à  nioy, 
Si,  en  parlant  de  l'Or,  je  ne  parluis  de  toy 
Qui  us  le  nom  doré,  mon  Dorât 

1.  C'est  le  premier  texte  des  Odes  (t.  I,  p.  136-138). 

2.  V.  au  Ronsard  de  1023,  les  p.  96,  136,  37'.t,  40«,  482,  537,  735,  022, 
1113,  1239,1275.  1333,  et.  pour  l'ensemble  de  la  Pléiade,  l'index  général  de 
Martv-Laveaux. 


liuiiA  I     1  m  I.    l'AR     lioNSAHh  .1.1 

la  "  sirène  limousine  ".  tantôt,  par  une  belle  expression,  le 
«  réveil  de  la  science  morte  »  '.  Lorsqu'un  jour  notre  poète 
réclame  ses  droits  contre  Du  Bartas  qu'on  lui  oppose,  c'est  à  son 
vieux  maître  qu'il  adresse  sa  protestation  fameuse,  d'un  accent 
si  lier  : 

Ils  oui  iiieiity.  |)'Aurat.  ceux  qui  le  veulent  dire 
Que  Ronsard,  dont  la  Muse  a  contenté  les  Rois. 
Soit    moins  que   le   Bartas. ..- 

Non  moins  éloquent  est  le  sonnet  du  second  livre  des  .1  mniirx 
sur  les  métamorphoses  do  Dorât  : 

Ecoule,  mon  Aurai,  la  terre  n'est  pas  digne 

De  pourrir  en  la  tombe  un  tel  corps  que  le  lien  : 

Tu  fus  en  ton  vivant  des  Muses  le  soustien, 

Et  pourra  après  ta  mort  tu  deviendras  lui  cygne...  ^ 

A  l'admiration  reconnaissante  du  çrand  écolier  s'associent 
avec  Du  Bellay  et  Baïf  tous  les  poètes  français  et  latins,  leurs 
biographes  et  leurs  commentateurs,  llemi  Belleau  rappelle  que 
par  le  labeur  de  Dorât  «  se  sont  polis  mille  gentils  esprits  à  la 
cog'uoissance  des  lettres,  ayant  esté  un  des  jDremiers  qui  a  soi- 
gneusement recueilly  les  cendres  de  la  vénérable  antiquité  ■>"''. 
Pour  Binet.  Dorai  est  «   la    source  de  tous  nos  poètes  »  ■';  pour 

1.  Ed.  Bl.,  t.  I,  p.  50.  —  Odes,  t.  II,  p.  200. 

2.  Kd.  Bl.,  t.  V,  p.  ,348.  C'est  à  cette  occasion  ([ue  Ronsard  adresse  à 
Dorai  la  formule  de  jroùt  si  souvent  citée  : 

\y  trop  haiil,  ny  trop  bas.  c'est  le  souverain  style; 
Tel  fut  ceUiy  d'Homère  et  celuy  de  Virgile. 

3.  Roland  lîétolaud,  limousin,  a  traduit  le  sonnet  en  vers  latins  {DfUt .  C. 
poet.  !/!ilt.,  l.  III,  p.  o06  . 

i.  Commentaire  du  Secoml  Livre  des  Amours,  éd.  de  ttj23,  p.  136.  Le 
mèine  texte  se  retrouve  <lans  Les  E/iilIftes  de  M  aurice]  de  la  Porte  pari- 
sien, Paris,  1380,  t'ol .  39  v"  prem.  éd.  en  toTl,  étudiée  par  A.  Lefrano,  dans 
la  Fteiup  du  AT/''  siècle  de  191  o,  p.  l-'i  .  Voici  les  "  épithèles  ■  appliquées 
à  Dorât  par  ce  curieux  répertoire  alphabétique  :  ■■  Truchement  d'Homère, 
divin,  allégoriste,  interprète  des  Muses,  lils  d'.\pollon,  poêle  grec.  » 

y.  Kd.  Laumonier,  p.  9.  On  trouve  d'intéressants  vers  de  Binet  ii  Dorât, 
dans  son  recueil  :  C.  Peironii  Arbilri  i/emque  alioruin  ifuoriiiid.im  veterum 
EpigrammHla  haclenus  non  édita,  Poitiers,  1579,  p.  28  : 

lUa  sidéra  quae  libi  inaidebant. 
Beltaioqae  tuo,  meo  tuoque 
Ronsardo... 


.')()  iKPNSAiiu  i:t  i.'iiima.ms.mk 

Thevel,  le  «  père  de  toute  la  troupe  »  '.  Edouard  Du  Mouin 
l'appelle  «  rilomérique  Lucine  des  François  »  '-'.  Htieiine  Tabou- 
rot  dit  que  de  lui,  "  comme  d'un  cheval  Troyeii,  sont  sortis  des 
meilleurs  esprits  de  notre  France  »  '.  Le  mot  sera  repris  par 
(juillaume  Colletet,  héritier  des  traditions  de  la  Pléiade,  quand, 
après  avoir  nommé  Dorât  «  le  docte  fleuve...  qui  abreuva  les 
F^rançois  des  nouvelles  eaux  de  Gastalie  »,  il  énumère  «  une 
inlinité  d'exceilens  esprits  qui  sortirent  si  savans  de  son  école, 
comme  les  héros  sortoient  autrefois  de  cette  machine  si  fatale  à 
Troye  »  ''.  Du  Verdier  constate  ((iie  Dorât,  «  le  plus  rare  et  subtil 
esprit  de  notre  siècle  »,  "  a  mis  le  (îlet  et  l'aig'uille  en  main...  à 
nos  principaux  poètes  françois,...  si  bien  que  l'honneur  du  prin- 
cipal enrichissement  de  nostre  langue  luy  en  est  deu  »  ■'. 
Jacques-Auguste  de  Thou  fait  dans  son  noble  style  d'historien 
humaniste  l'éloge  d'un  grand  homme  qu'il  a  fréquenté  avec 
admiration  dans  sa  jeunesse  et  par  qui  il  a  connu  Ronsard  et  ce 
qui  restait  de  la  Pléiade  ''.  Enfin,  les  poètes  qui  se  servent  du  latin 
multiplient  à  leur  tour  les  hommages  adressés  au  plus  illustre 
de  leurs  confrères  : 

Auralum  a  quo  uno  valum,  ceu  funle  perenni. 
Gallorum  Aonia  lahra  riganliir  aqua'' . 

L'auteur  du  chapitre  plein  d'érudition  et  de  goût,  <i  De  la  grande 
flotte  de  Poètes  que  produisit  le  règne  du  Roy  Henry  deuxiesme 

1.  La  Cosmographie  universelle  d'André  Thevel,  Paris,  1575,  tome  II, 
fol.  64.3. 

2.  Vers  liminaires  de  l'édition  des  Poemalia. 

3.  Les  Bigarrures  du  seigneur  des  Accordz,  Paris,  1583,  fol.  96  v". 

4.  Vie   de    Dorât    inédite   (Biblioth.  nat.,  Xouv.  acq.  fr.,  3073,  fol.  162). 

5.  BiLtiolhéque  française,  t.  IV,  p.  404.  Les  surnoms  hyperboliques  ne 
coûtent  o-uère  aux  admirateurs;  après  «  Pindare  grec-latin  »,  on  trouve 
«  Homère  gaulois  »,  ce  qui  est  beaucoup.  Cf.  Antoine  du  Verdier,  Proso- 
pographie,  Lyon,  1604,  t.  III,  p.  2571,  257"!. 

6.  «  .  .  .  Poetica  facullate  imprimis  excelluit,  in  qua,  ut  alii  ipso  docente 
multum  proficerent,  sedula  foelicilate  efîecit;  siquidem  ex  eius  aula  prodie- 
ruut  cum  multa  praeclara  fere  huius  saeculi  lumina,  tum  rarum  illud  orna- 
nientum,  Petrus  Ronsardus,  qui  Aurato  quicquid  ia  ipso  ingenii,  quic- 
quid  poeticl  spiritus  ei'at  (fuit  autem  in  eo  tantum,  quantum  in  ullo  post  feli- 
cia  illa  Augusti  tempora)  tanquam  praeceploris  suo  gratusdiscipulus  acce])- 
tum  referebat  »  {Hisl.  sut  lemporis,  s.  a.  ITiSO.  Ed.  de  1620,  t.  IV, 
p,  266]. 

7.  Scaeuolae  Sammarthani  cons.  reg .  et  aerarii  apud  Pictones  antigra- 
phei...  Paris,  F.  Mnrel.  l?i7M.  fol.  fil   y"    Ad  Lenimiires  . 


LES     rK.MOI(;NA(iKS    SLK    DORAT  ol 

et  de  la  nouvelle  forme  de  Poi'sie  par  eux  introduite  »,  Etienne  Pas- 
quier,  a  exprimé  mieux  que  d'autres  le  sentiment  unanime,  dans 
une  épigramme  catullienne  qui  débute  par  un  intéressant  portrait 
physique  '  : 

Aur.itiis  meus  ille  quein  ridetis 

Macro  corpore,  languido,  pusillo. 

leinna  macie  el  cadauerosa, 

Sed  coelesti  animo  inlegraque  mente, 

Tanlu  prae  reliqtiis  Pvëta  maior. 

Quanio  corpnre  natus  est  minori. 

Tarn  scit  scribere  Graece,  ut  ipsae  Athenae 

Non  possint  magis  Atlicam  referre  ; 

Tarn  mirus  Latii  artifex  leporis. 

Ut  ipsum  sibi  vendicent  Latini. 

(Juin  el  prolulil  eius  officina 

Ronsardumque grauem  Bel u  mque  mollem  *, 

Qualeis  GaUia  vidit  anle  nullos. 

Quantus  ergo  sit  hinc  licet  videre: 

ScribunI  carmina  caeleri  poetae, 

Summos  al  facit  unus  hic  poêlas^. 

Ce  que  Pasquier  dit  pour  les  poètes.  Muret  Taflirme  pour  les 
érudits.  Ecrivant  de  Rome  à  Fédéric  Morel  le  fils,  il  apprécie 
dans  son  vieil  âge  les  hommes  de  sa  jeunesse  et  désigne  celui  qui 
les  domine  dans  ses  souvenirs:  «  Saluta  mihi  diligenter  illa  orna- 
menta  Galliae,  Auratum  meum,  omnium  eruditorum  magistrum, 
omnis  eruditionis  parentem.  Patiantur,  quaeso,  alii  opibus  et  hono- 
ribus  florentiores  eum  sibi  in  hac  recensione  anteponi,  cum  prae- 
sertim  plerique  ipsorum  ex  ipsius  schola  prodierint  »  *. 

t.  L'épigraphe  de  Pasquier  s'applique  à  merveille,  noa  seulement  à  la 
médaille  de  Primavera  et  aux  portraits  gravés  par  J.  Granthome  et  Léo- 
nard Gaultier,  mais  aussi  à  un  crayon  inédit,  beaucoup  plus  intéressant,  que 
j'ai  retrouvé  au  Cabinet  des  Estampes  ^N.  A.  21  a,  fol.  112:  et  qui  est  publié 
dans  cet  ouvrag-e. 

2.  Cette  forme  latine  du  nom  de  Du  Bellay  est  inattendue. 

3.  Les  Œuvres  d'Eslienne  Pasquier,  l  A,  col.  1131.  Il  est  remarquable  que 
Pasquier  ne  nomme  pas  Dorât  dans  le  chapitre  des  Recherches  de  la  France 
consacré  à  la  Pléiade.  Il  le  cite  seulement  parmi  les  professeurs  de  grec,  au 
chapitresur  le  Collège  royal.  Cf.  (£uvres,  1. 1,  col.  701,927  et  1149.  Dorât 
et  Pasquier  ont  collaboré  pour  un  ■<  tombeau  »  d'Elisabeth  de  France,  reine 
d'Espagne  (Paris,  R.  Estienne,  1569). 

i.  Nolhac,  Lettres  inédites  de  Muret,  Aans.  Mélanges  Charles  Graux,  Paris, 
IS84.  p.  308. 


38  HONSAiiu  irr  i.'ulmamsmk 

Ces  témoignages  remplissent  les  livres  du  temps  '.  Poètes  et 
humanistes  multiplient  envers  Dorât  1  expression  de  leur  gratitude. 
Si  la  méthode  de  cet  enseignement  reste  pour  nous  un  peu  incertaine, 
l'eflicacité  n'en  fut  pas  di)ul('usc.  l/auditoire  du  collège  de  Coque- 
ret,  qui  suivit  j)lus  tard  le  maître  au  (JoUége  ro^'al,  où  il  professa 
à  partir  de  dooS,  a  compté  tout  ce  qui  s'intéressait  aux  «  bonnes 
h^ttres  )i  dans  le  Paris  dllcnri  11  et  de  Charles  IX.  Les  étran- 
gers trouvaient  en  lui  l'égal  des  professeurs  italiens  qui  avaient 
formé  les  générations  précédentes  et  peuplé  l'Europe  de  leurs 
élèves,  comme  le  faisaient  encore  un  Carlo  Sigonio  à  Bologne,  un 
Pier  Vettori  à  Florence  -.  Les  Français,  qui  tiraient  orgueil  de 
voir  cotte  belle  tradition  transportée  chez  eux  par  la  fondation  du 
Collège  de  François  I",  savaient  apprécier  la  part  brillante  qu'y 
prenait  Dorât.  Celui-ci  exagérait  à  peine,  quand  il  montrait  son 
|iublic  recruté  dans  l'Europe  entière  : 

.  .  .ELper  discipulos  qunl  Gallia  noucrit  ipsn 
Kximie  dodos  (jraece  doclosque  latine, 
Perqiie  alius  aliis  dociii  qtios  semper  ah  oris 
(iermanis,  llalis,  Scolicis,  parilerque  lirifaniii'x, 
Alque  adeo  Graecis  qraeca  liinc  repelenlihus  tillro^. 

C'est  bien  l'auditoire  magnifique  qu'immortalise  Honsard, 
quand  il  chante  à  son  ami: 

Combien  ta  douce  merveille 
{•Immoneelie  par  milliers 


1.  Oq  éliuliera  plus  loin  l'enseignement  de  Dorât  et  .s.t  valeur  philolo- 
gique. Les  témoignages  utilisés  jusqu'à  présent  sont  groupés  par  Chamard, 
./.  Du  Hellai/,  p.  42-8i,  Augé-Chiquet,  La  vie  de  Baïf,  p.  30-42,  Laumonier. 
fiomtarti  fioéte  lyrique,  \>.  47-o;>,  et  édition  de  Biuet,  p.  93-10:>,  l.ongnon,  l'. 
(le  Ronsard,  p.  176-180.  Mark  Pâtisson  a  bien  entrevu  le  rôle  de  Dorai, 
dans  ses /-.'ssa/zs,  Oxford,  1S89,  t.  1,  p.   206-209. 

2.  J'ai  publié  des  lettres  de  ces  deux  célèbres  personnages  dans  les  Studi 
c  duriimi'nli  di  Slorin  e  Diritto  de  Rome,  année  1X89.  Le  second  seul  est  en 
relation  avec  notre  groupe  littéraire.  Marc-.Vntoine  de  Muret,  dès  qu'il  se 
lend  eu  Italie,  est  en  rapports  suivis  avec  Piero  Vettori.  llenii  Estienne,  qui 
passe  .'i  l'iorence  au  mois  de  mai  13o4,  communi((ue  à  ce  grand  ])liilologue 
une  ode  de  son  recueil  d".\niieréon  encore  inédit,  afin  qu'il  puisse  juger  de 
l'intérêt  de  son  édition,  attendue  avec  impatience  par  les  poètes  de  Paris; 
l'année  suivante,  il  lui  dédie  son  édition  de  Denys  d'Halicarnasse. 

3.  loannis  Aurali poemaiia,  pari.  1,  p.  205,  répété  p.  221  (à  Nicolas  Moreau, 
seigneur  d'Auleuil  . 


l'auditoire  de  dokat  59 

Un  faraud  peuple  d'écoliers 
Que  lu  tires  p.ir  l'oreille'. 

Au  pied  de  cette  chaire  illustre,  des  conseillers  au  Parlement, 
des  seigneurs  de  la  Cour  se  mêlent  aux  écoliers  de  l'Université. 
L'amour  des  lettres  les  réunit  autour  d'un  maître  qui  ne  vit  que 
pour  elles.  Ce  petit  homme,  maigre,  pâle,  aux  traits  durs  de 
paysan  limousin,  s'anime,  dès  qu'il  parle,  d'un  feu  extraordi- 
naire '-.  L'éloquence  lui  est  naturelle  ;  il  traduit  d'un  .seul  jet, 
illuminant  les  textes  par  des  rapprochements  que  lui  fournit  en 
foule  une  abondante  mémoire,  invoquant  tour  à  tour  les  modornes 
et  les  anciens  dans  une  improvisation  entraînante.  Il  a  le  regard 
ouvert  sur  beaucoup  d'horizons:  lié  comme  Ronsard  avec  des 
artistes,  il  versifie  sur  la  peinture  et  sait  goûter  un  objet  d'art  •'. 

i.  Odes,  t.  I.  p.  128. 

2.  V.  l'épigramnie  citée  de  Pasqiiier  et  l'élo<;e  de  Papire  Masson  :  «  Ilome- 
rum,  Pindarum,  Lycoplu-oncm,  et  caetera  Graeciae  iumina  interpretaba- 
tur,  magna  industria  et  facditate  dicendi,  tamotsi  vultu  suhrustico  et  iiisuaui 
erat  »  (Elor/ia,  éd.  lîalesdens,  Paris,   1638,  t.  II,  p.  -288). 

,"!.  Il  recommande  le  peintie  Jean  Rabelle  et  la  requête  à  Séguier  d'un 
artiste  ami,  qui  est  peut-être  le  même  peintre  i Poemalia,  p.  lOTi:  2'  pari., 
p.  31).  11  a  composé  un  petit  poème  sur  un  tableau  de  Lucas  de  Leyde  :  In 
tabulant  caeci  illuminati  a  Luca  Balauo  dppictam  (dans  Robiquet,  Dr  I. 
Aurait  vita,  p.  130).  —  La  part  tle  Dorât  dans  les  divertissements  de  la 
Cour,  les  solennités,  les  «  entrées  >i,  lorsqu'il  fut  devenu  .>  poète  royal  »,  le 
mit  en  relations  avec  beaucoup  d'artistes  employés  aux  décorations.  Il  s'est 
occupé  avec  eux  de  la  mise  en  scène  du  ballet  des  nymphes  de  France,  à 
l'entrée  du  roi  de  Pologne  par  la  porte  Saint-Antoine,  en  l."173,  dont  la  des- 
cription, avec  des  gravures  de  l'école  de  Jean  (Cousin,  accompagne  une  de 
ses  publications.  On  relèverait  dans  ses  œuvres,  comme  dans  celles  de 
Ronsard,  plus  d'une  allusion  intéressante  aux  choses  de  l'art.  Voir,  par 
exemple,  en  'liiSl,  son  Chant  nii/jUal  sur  le  mariage  de  .\nne,  dur  de 
Joi/euse,  et  Marie  de  Lorraine,  où  après  avoir  cité  la  contribution  aux  fêtes 
apportée  p.ir  »  Desporles  le  doux  ctliaif  le  nombreux  »  [numeris  aplus)  et 
les  ■•  cartels  "  de  Ronsard,  «  le  père  aisné  des  deux  »  \Loria  (jrandisonus 
Ronsardus  flumina  linquens),  il  évoque  l'ouvrage  des  artistes  : 

la  Montiosieu  desseignc  un  pourtrait  plus  qu'humain 
Qu'on  diroit  avoir  peint  d'.\rchiniede  isic^  la  main, 
lit  non  des  Poêles  seuls,  mais  toute  lexcellence 
Ucs  plus  industrieux  ai'tisans  de  la  France. 
Pilon,  quiue  craindroit  un  Scopas  en  sculpture, 
Et  Charou,  qui  det'lie  un  .\peUe  en  peinture. 
Commandant  l'un  et  l'autre  à  p-rand  nombre  d'ouvriers 
Qui  travaillant  soid)Z  eux... 

(Poemalia,  p.  2lJ3;  le  latin  qui  est  à  la  p.  252,  fournit  la  correction  Apelle). 
La  suite  du  poème  décrit  les  scènes  mythologiques  peintes  en  l'honneur 
il'Ilenri  III  sur  deux  arcs  de  triomphe.^ 


fil)  lllJNSAIlli     l.l     l.'lll  MAMSMl: 

Pronipl  à  animer  son  sujel,  il  peut  le  renouvciei-  sans  cesse, 
(juoique  le  {^rec  soit  sa  langue  préférée,  ijuil  aime  à  employer 
même  dans  la  conversation  '.  il  lui  arrive  d'interrompre  létude 
de  sa  littérature  favorite,  pour  s'attacher  aux  poètes  de  Rome  et 
varier  l'intérêt  de  ses  leçons  '-.  On  ne  verra  pas  de  lonj^temps, 
au  Collège  royal  ni  ailleurs,  un  pareil  éveilleur  d'esprits. 

Les  jeunes  poètes  à  qui  il  oIVre  des  modèles  se  sentent  en  con- 
liance  avec  lui.  Malgré  l'aspect  maladif  de  son  visage  et  la  ten- 
sion intellectuelle  que  lui  imposent  ses  travaux,  il  annonce  déjà 
le  joyeux  compère,  à  la  main  cordiale,  à  la  gauloise  gaité, 
qu'épanouira  sa  verte  vieillesse  ■';  alors,  plus  fortuné  qu'au  temps 
de  Goqueret,  il  pourra  tenir  table  ouverte  pour  ses  amis,  dans  sa 
maison  du  faubourg  Saint-Victor,  «  séjour  des  Muses  »  '•.  A 
l'époque  que  nous  étudions,  et  qui  est  celle  de  sa  plus  étroite 
intimité  avec  Ronsard,  Dorât  se  récrée  au  cabaret  avec  la  jeu- 
nesse écolière.  Il  est  aussi  des  parties  plus  fines  qui  s'organisent 
à  la  campagne,  à  Villennes  ou  à  Médan,  chez  l'aimable  conseil- 
ler Jean  Brinon,  quelquefois  en  la  présence  de    sa  maîtresse,  la 


1.  Un  des  meilleurs  élèves  étrangers  de  Dorât,  le  hollandais  Guillaume 
Ganter,  termine  ainsi  une  lettre  écrite  à  Muret  de  Francfort,  en  1);04  :  «  Bene 
vale,  vir  doctissime,  et  eum  te  a  nobis  haberi  crede,  ut  quod  alicjuando  de 
nobis  Auratus,  condiscipulorum  coniparatione,  ludens  dicere  solehat,  id 
merito  tibi  doclorum  omnium  respectu  tribuamus.  Quid  hoc  ?  inquies  :  -.'7. 
5'  «-/.pa  ■/.opjooj-a'.  XM  MouprlTw.  d  [Mureli  opéra,  éd.  Ruhnken,  t.  1.  p.  464.) 

2.  Outre  les  témoignages  mentionnés  ici  même,  voici  celui  d'un  étudiant, 
Clovis  Hesleaii,  secrétaire  de  la  Chaml)re  du  Roi,  qui  rappelle  «  aucuns 
jjoëtes  tant  grecs  et  latins  ou'is  sous  Monsieur  d'.\urat,  mon  précepteur  >. 
(Les  œuvres  poétiques  de  Clovis  Hesleau,  sieur  de  Nuysemenl.  Paris,  1578, 
fol.  2  v"). 

3.  n  Ab  accessu  quotidiano  neminem  arcebat,  urbanos  interdum  sales  et 
iocos  spargens,  lautisque  et  oppipariis  conuiuiis  nonnunquam  excipicns, 
viridemque  senectam  garrula  dicacitate  ostentans  et  nonnunquam  parcus; 
quod  existimaret  poetico  nomine  indignos  quicunquc  nimiuni  frugi  esse  vel- 
lent...  »  (Papire  Masson,  Etoi/iorum  pars  prima,  Paris,  16ftO,  p.  288  . 

4.  Plusieurs  de  ses  ouvrages  portent  l'indication  :  «  Chez  l'auteur,  hors 
la  porte  Saint-Victor,  à  l'enseigne  de  la  Fontaine  »  Marty-Laveaux, 
Notice  sur  Dorât,  p.  xxviiji.  La  maison,  qu'il  partagea  en  15(}7  avec  son 
gendre  Nicolas  Goulu,  avait  un  jardin  et  était  <lisposée  pour  recevoir  des 
écoliers.  Cf.  Poemalia,  l'''part.,  p.  220  : 

In  Marcellino,  qiio  monte  salubrior  urbis 
Pars  non  est.  donius  his  empta  duobus  enit. 

Musnriim  sedes.  Musis  et  amantibiis  ipsax 
Hospila  et  urbnnis  commoda  discipulis    . 


LES    1'0I;TI:S    a    r,A    i;AMl'A(iNE  hl 

belle  Sidère  '.  A  une  réunion  du  premier  janvier,  il  apporte  en 
étrennes  au  châtelain  un  charmant  poème,  contant  comment  la 
nymphe  Villanis  fut  nuHaphorsée  en  une  source  qu'il  veut  rendre 
aussi  fameuse  que  la  fontaine  Bandusie  ;  et  il  se  fait  acclamer  à 
table  en  le  recitant,  par  la  troupe  des  poètes  que  mène  chez  Bri- 
non  l'auteur  des  Amours,  en  attendant  qu'un  autre  jour  l'on 
applaudisse  Baïf  créant  à  son  tour  le  mythe  de  la  nymphe 
Médanis  '-.  Vers  la  fin  des  joyeux  repas,  à  l'heure  des  hymnes 
bachiques.  Dorât  n'est  point  le  dernier  à  chanter  «  le  père 
Lysean  » ,  d'une  voix  qu'il  a  fort  belle  et  qu'il  accompagne  lui-même 
sur  le  luth.  11  déclame  aussi  le  vers  tragique,  et  l'un  de  ses  audi- 
teurs le  montre  entouré  du  groupe  qui  l'applaudit,  par  un  beau 
jour  d'été,  au  bord  de  la  Seine: 

Spectafe  miillis  carminihus  iugo 

Pridern  hicorni :  seu  Lyricis  modos 

Aptare  neruis,  seu  cadenteis 

Marie  duces  Iragicis  cruenlo 
luuilcolhurnis  flere.  slelil  rapax 

Laie  sopitis  Sequana  /luclihus, 

Mollique  inhaerenleis  querelas 

Naïades  uhslupuere  ripae: .  .  . 
0  te  canenlem  diim  licuil,  Lqrae 

Aurale  Graiae  e  Homuleae  decus, 

Audire  '.  .  . 

Le  vrai  Dorât  des  poètes,  le  compagnon  de  leurs  amusements 

1.  Poemalia,  p.  173-184  : 

...Salurnalitio  lepore  inuniis  laniis  Brino  colil  colatque  vtllam 

Qiiod  Jani  iocularibus  Calendis  Aeternum  precor;  et  viros  disertos 

Inler  vina  poèlicasque  mensas  '  lUac  dacere  saeperu.ilicatum 

Non  trisli  recitetur  in  corona...  Sueuii... 

•2.  Sur  l'élégie  grecque  et  latine  de  Baïf,  Medanis,\.  Augé-Chiquet,  p.  50, 
210,  483.  V.  aussi,  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile  de  1849,  p.  12,1e  Voyage 
de  plusieurs  poètes  à  Médan  chez  Jean  Brinon,  conseiller  au  Parlement,  sei- 
t/neur  de  Villaines  et  de  Médan,  et  le  ■<  tombeau  »  que  je  signale  plus  loin 
aux  bibliographes. 

3.  /,.  hrancisci  Ducatii  Trecensis  praeludioruin  lih.  III.  Ad  viruin  ill.  lanum 
Brinonem,  Paris,  l.'io4  fol.  31,.  Le  Duchat  donne  les  mêmes  détails  dans 
ses  vers  à  la  nymphe  ViUanis  {Fonli  Brinonio),  à  laquelle  Doi-at  a  cou- 
sacré  tout  un  poème  : 

Aspicent  hinc  sacra  iiicunda  umbraciila  lauru 

Aaralus pulchris  inférât  ordinihas, 
Auraliis  Graiae  decus  Ausoniaeque  Canwenae. 

Seii  puisai  Ciflharam.sen  Traificn  ore  tonal. 


62  KU.NSAIID    HJT    l'humanisme 

comme  de  leur  labeur,  Ronsard  nous  le  fait  connaître,  en  ce  pit- 
toresque récit  de  l.'JS-!),  si  nouveau  dans  la  littérature  fran(,'aise. 
intitulé  :  Les  Biicchanales  uu  le  folaulris.ii/ne  uoi/wje  d'Hercueilpréa 
l-'iiri.s.  dédié  à  la  Joyeuse  Irouppe  de  ses  compai;/nons  '.  On  va  voir 
que  tout  n'a  pas  été  dit  sur  cette  page  fameuse  d'histoire  littéraire. 

Partis  de  l'Université  avant  l'aurore,  en  portant  sur  leurs 
épaules  les  provisions  et  le  vin,  les  jeunes  guna  et  leur  maître 
sont  venus  faire,  auprès  de  la  fontaine  d'Arcueil,  le  plus  gai  des 
repas  sur  l'Iierbe.  11  y  a  eu  mille  folies  innocentes,  ([ue  le  poète 
note  d'un  trait  sv\ren  y  mêlant  sans  lourdeur  une  mythologie  sco- 
laire assez  amusante.  Ces  joyeuses  parties  sont  de  tous  les  temps, 
les  futurs  grands  poètes  ayant  l'usage  d'aller  déclamer  leurs  vers 
dan.s  la  banlieue  et  d'y  annoncer  leur  gloire;  mais  la  note  du 
siècle  est  donnée  ici  par  la  présence  de  l'humaniste,  qui  ajoute  au 
plaisir  de  ses  écoliers  le  régal  d'une  ode  nouvelle  en  beau  latin. 

C'est  l'heure  où  l'on  songe  à  regagner  la  ville,  et  l'étoile  Vesper 
commence  à  briller.  Dorât  va  dire  les  vers  que  le  site  et  la  pro- 
menade lui  ont  inspirés.  Du  Bellay,  Ba'if,  Denisot,  le  médecin 
Des  Mireurs,  Ligneris,  Bergier  et  les  autres  l'entouriMil.  el  Ron- 
sard réclame  le.silence   pour  ce  moment  solennel  delà  journée  : 

lo  1  compains  n'oyez-vous  El  tous  les  Dieux  fie  ces  champs. 

Ue  Dorai  la  voix  sucrée-  Preslons  doncq  à  ses  merveilles 

Qui  recrée  Nos  aureilles: 

ïoul  le  ciel  d'un  chaut  si  doulx?    I/enlusiasme  limousin 

lo  !  lo  !  qu'on  s'avance;  Ne  lui  permet  de  rien  dire 

Il  commence  '  Sur  sa  lyre 

lùicore  à  former  ses  chants.  Qui   ue  soil  divin,  divin.  .  . 

Célébrant  en  voix  Romaine  Quand  je  l'entens,  il  me  semble 

La  fontaine  Que  l'on  m'emble 


i.  Sous  sa  l'orme  primitive,  ce  petit  poème  est  un  chef-d'œuvre  de  grâce, 
desprit  et  d'habileté  rythmique  ;  mais  il  a  été  mutilé  et  réduit  par  Ronsard 
lui-même,  à  pnrlir  de  l'édition  collective  de  1560,  où  il  prend  pour  titre  Le 
voi/affe  (Vllercuinl,  et  surtout  de  l'édition  de  1384.  Il  faut  savoirgré  ii  P. 
Blanchemain,  puis  à  Ad.  Van  Bevcr,  d'avoir  réimprimé  le  texte  original, 
ce  dernier  à  la  suite  de  son  édition  du  Livret  Je  folnslries,  Paris,  l'JOT,  p. 
137-103.  Il  est  .'i  la  p.  214  des  Amours  de  1552,  el  à  la  p.  126  du  Cinquiesme 
livre  des  Odes  de  13.')3,  et  ne  compte  pas  moins  de  107  strophes. 

2.  L.a  correction  sacrée  apportée  par  les  réimpressions  modernes  est  inu- 
tile; l'expression  i^oi'o;  .sucrée,  équivalente  hinellilH  rnr,  est  d'usage  courant 
dans  la  Pléiade. 


I,E    VnVA(iE    IJ  ARCUEII.  63 

Mou  esprit  il'uii  r;i|jl  soudain,  Tel.e  grâce 

Et  que  loiuj;  du  peuple  j'erre  Se  distile  de  son  miel 

Sous  la  terre  El  île  sa  voix  Limousine 
Avec  Tamedu  Thebaiu,  V'raymenl  diffue 

Avecques  l'anie  (l'Horace  ;  D'eslre  Serene  du  ciel'. 

NainieraiL-oii  point  posséder  le  poème  qui  a  mis  lionsard  et 
ses  compagnons  dans  une  telle  exaltation  lyrique  ?  Il  est  tout  au 
long  dans  les  recueils  de  Dorât,  où  l'on  a  oublié  de  le  chercher  -, 
L'humaniste  parait  avoir  composé  son  ode  dans  la  journée,  en 
face  d'un  pa^'sage  qu'il  y  a  nettement  décrit.  Il  égrène  tout  un 
chapelet  de  mythes  grecs  en  l'iionneur  de  la  fontaine  populaire, 
où  les  jeunes  gens,  en  ce  brûlant  jour  d'été,  n'ont  vu  qu'un 
endroit  commode  pour  rafraîchir  les  bouteilles.  Il  évoque  les  sou- 
venirs du  vieux  terroir  parisien  devant  les  deux  arches  à  demi 
ruinées  de  l'aqueduc  construit,  disait-on,  par  l'empereur  Julien  ■' ; 
si  ces  arches  ne  sont  pas  l'origine  du  nom  d  Arcueil,  il  veut  le 
rattacher  à  celui  d'Hercule,  venu  en  Gaule  après  avoir  accompli 
des  travaux  en  Ibérie  et  dont  la  mémoire  est  demeurée  dans  la 
fable  de  c(  l'Hercule  gaulois  »,  La  double  éminence,  que  cou- 
ronnent des  maisons  de  campagne  de  bourgeois  de  Paris,  rappelle 
au  poète  la  double  cime  du  mont  Parnasse,  et  la  source  est  pareille 
à  celle d'Hippocrènejaillie  sous  le  sabot  de  Pégase;  quant  au  val- 
lon où  se  réunissent  nos  poètes,  il  est  digne  d'être  comparé  à  ces 
lieux  illustres,  puisqu'on  y  célèbre  aussi  le  culte  des  Muses, 
d'Apollon  et  de  Bacchus.  Toutes  ces  allusions,  familières  aux 
auditeurs  de  Dorât,  s'insèrent  avec  aisance  dans  la  pure  forme 
hora tienne,  mêlées  à  des  observations  de  nature  : 


1.  SU-ophes  9G  à  101  du  texte  original  (éd.  Bl,,  t.  VI,  p.  3Tj.  Cf.  l'éd. 
Van  Bever,  p.  161-162|, 

2.  Il  est  imprimé  d'abord  aux  p.  374-376  de  la  Farrayo  pnematum  de 
l."i60,  i-ecueillie  |)ar  Léger  du  Chesne  et  citée  plus  haut,  p,  1  fi  ;  il  est 
léiuipriuié  |)ar  les  soins  d'Lyteuhove  dans  loannis  Auruli  Leinouicensis 
reijii  ijraecarum  Ullerfiruii)  in  Acathuiiui.  l'urisieimi  professoris  Poemuti». 
i"  partie  des  Vurioriim  ptn-iiuiluin  SiUm,  de  Bàle,  p.  15o-Li7  ;  eufiu  dans  la 
2'  partie  des  Poeniatia  publiés  par  Linocier  en  1386,  p.  194-197.  ,Ie  cite  le 
texte  le  plus  ancien. 

3.  Les  restes  de  l'aqueduc  d  Arcueil  étaient  encore  souvent  dessinés  pai' 
nos  peintres  du  xvni«  siècle. 


•  )i  BONSAIU)    i;i     l.lll  .MAMSMI. 

.1(7  foiilein  ArculiJ  siuc  Ilerculij  jjiKji  in  H;/ro  Parisino 
I.    Aurait   Carmen. 

O  fons  Arrtilij  si/Jerepurior, 

Ae.ll  II  m  niurmiireii  frii/orc  (/ni  (lomas, 

CJuAmuis  ;irii;i  fiircns   Kricjonc.i  caiiis 

Lenlis  exco(fual  ignihus:  ^ 

Scii  lu  noinen  h,il)cs  arculius  ;i  luis. 
Quorum  relli(/uiae  semirulae  paient 
Moles,  quae  geminis  nunc  quoquecornibns 

IncumhunI  geminae  lihi  ; 
Mugni  forsnn  opus  régis  nposUUae, 
Qui,  nnssus  Lalij  fmihus,  ailnena 
Secles  hic  posuil,  iugera  liallici 

Princeps  mulla  tenenssoli  : 
Seu  fors  g  rai  a  lihi  causa  reluslinr 
Iluius  nominis  esl,  algue  lihenlius 
Audis  Herculij  fons  el  ouans  lui 

Crescis  lauiiihus  Ilerculis  : 
Nain  fama  esl  el  in  haec  clauigerum  Inca  ' 

Aduenisse palrem,  siue   Iricorporis 
Cuni  inonsiri  domitor  c/enle  ah  Jherica 

Viclorem  relulit  pedem, 
Seu  tune  Hesperidunicum  decus  auferens 
Syluis  acpretiuni,  ditihus  aurei 
Mali  ponderihus  tardns,  Allanlicis 

Vix  undis  capul  exlulil. 
Hinc  Gratis  eliam  Gallicus  Hercules 
Nolus,  cuius  erat  forma  calenula 
Aures  quae  Iraherel pensilis  aurea 

Vulgi  orator'... 
Fons  tu  nohilium  gl'oria  fonlium, 
Quolquol   Naïadum  Sequanidunt  sacra 
Semper  voce  sonanl,  semper  amahili 

Nympharum    slrgpilanl  choro. 
Nec   le   vincal    honos  famaque   gurgitis 
Quem  pendenlis  equi  prolulil  ungula; 
Sic  le  celsus  el  hinc  claudil  el  hinc  duplex 

Vmho  slructilis  agqeris. 

\.  Ronsard  a  parlé  plusieurs  l'ois  de  la  fable  de  l'Hercule  gaulois.  J'allège 
ici  l'ode  de  quatre  strophes  où  Dorât  s'égare  à  parler  des  Colonnes  d'Her- 
cule, à  propos  dos  deux  éminencesdu  site  d'Arcueil. 


I,t:    l'Oli.ME     l>E    liUKAI     SLIl    AKCIEIL  tjij 

Instar  monlis,  aquus  qui  (femini  tegil 
\'m/)ra  certicis  el Peç/nsiduni  nemiis  ; 
Haec  Phaeho  sacer,  haec  non  ululatihvs 

Vnquam  Bacche  carens  (uis. 
Snnt  hic  et  saa  Baccho  et  sva  Apollini 
Çonsecrala  loca  ,"  est  nvminihus  suis 
Non    indigna   quies,  sea  genium  sali, 

Artem  siue  quis  exigat. 
Jlinc  Blandina   patent  lecta  '  salacihus 
(iralas   in   lateliras  Capripedum  iocis, 
Lasciuique    greqis    qui    sequilur  Deiiiu, 

Oui  colles  virides placent . 
Illinc  Aoniduni    lusihus    et  pat  ri 
Phaeho  cara  domus  stat  Segnieria, 
Non  aduersa  viris  numen  amantihus 

ElMusarum  et  Apollinis  -. 
Tu  duni  noslra  tuo  flumine   temperas 
Exsiccanda  piis  pocula  vatihus  ^, 
Nos  circum  vada,  circum  lalices  tuos 

Has  laudes  canimus  tihi. 

De  cette  description  des  lieux  et  de  cette  évocation  des  légendes 
Ronsard  garde,  bien  entendu,  les  Naïades  et  les  faunes  "  front- 
cornus  »,  mais  aussi  quelques  traits  précis: 

lô,  je  voy  la  vallée  C  est  tov,  Ilercueil,  qui    encores 
Avallée  Portes  ores 

Entre  deux  tertres  bossus,  D'Hercule  l'antique  nom, 

Et  le  double  arc,  qui  emmure  Qui  consacra  la  mémoire 
Le  murmure  De  ta  gloire 

De  deux  ruisselets  moussus.  Aux  labeurs  de  son  renom  '*. 


1.  Les  mots  Blandina  lecta  désignent  une  chapelle  dédiée  à  sainte  Blan- 
dine  plutôt  qu'une  ferme  ou  une  maison  de  campagne. 

2.  Il  s'agit  sans  doute  d'une  maison  du  lieutenant-civil  Pierre  Séguier,  à 
qui  Doiat  adressa  plus  dune  fois  des  requêtes  en  vers  latins. 

3.  Cf.  la  strophe  92  des  Bacchanales  : 

Que  Ion  charge  toute  pleine 

La  fontaine 
Ue  gi'os  flacons  surnoiians... 

4.  Strophes  78  à  80  (éd.  Laumonier,  t.  V.  p.  221-222  ;  éd.  Bl.,  t.  VI, 
p.  372.  Cf.  l'éd.  Van  Bever,  p.  157).  Henri  Longnon  a  bien  parlé  (p.  2H 
sqq.)des  promenades  de  la  Brigade  aux  environs  de  Paris. 

NoLinc. —  Honsanl  et  rilum:inisme.  5 


66  KONSARU    i;i     l.'lir.MAMSMK 

Le  sentiment  de  la  nature  qui  déborde  dans  la  poésie  de  iion- 
sard  n'était  point  étranger  à  l'ànie  de  son  maître.  Ils  ont.  l'un  et 
l'autre,  une  façon  horatienne  de  l'exprimer  qui  n'exclut  point 
l'émotion  directe.  Comme  pour  Ronsard  le  pays  du  Loir,  la 
campagne  parisienne  vaut  pour  Dorât  celle  de  Tibur.  Après  les 
joyeuses  parties  d'Arcuoil  viennent  les  excursions  paisibles,  au 
côté  d'un  ami,  la  poche  bourrée  de  livres,  de  ceux  qu'on  choi- 
sit pour  lire  aux  champs.  Baïf,  (jui  accompagne  souvent  Dorât, 
le  peint  sur  les  chemins  rustiques,  s'arrètant  pour  assister  à  la 
danse  des  pastourelles  et  s'amusant  à  voir  le  «  bestial  »  lever 
«  leurs  mufles  »  à  son  passage.  Ce  petit  tableau  de  «  cham- 
pestres  délices  "  se  colore  un  peu  comme  ceux  du  grand  \  en- 
dùmois  : 

Nous  allons  pourmener  tous  deux 

Alentour  de  ces  prés  herbeux 

Où  paissent  les  vaches  penchantes 

L'herbe  lentement  arrachantes, 

Tandis  que  les  gais  pastoureaux 

Font  releulir  leurs  chalumeaux. 


Et  pour  mieux  les  heures  séduire 

Nous  avons  couslume  de  lire 

Ou  les  vers  qu'Ovide  a  sonnez, 

Ou  ceux  qu'Horace  a  façonnez, 

Ou  les  raillardes  chansonnettes 

Que  le  Syracusain  a  failles. 

Ou  du  Berger  Latin  les  chants 

Quimonstrentle  labour  des  champs. 

Tanlost  mussez  dans  un  bocage, 

ïantosl  le  long  d'un  frais  rivage 

Sous  l'onibrepalle  aux  saules  vers. 

Nous  pourpensons  quelques  beaux  ver.<...  ' 

L'intimité  qui  résultait  de  ces  promenades,  comme  l'enthou- 
siasme littéraire  qui  régnait  dans  les  réunions  plus  nombreuses, 
créait  entre  le  maître  et  les  étudiants  une  familiarité  charmante. 
Vivant  parmi  les  jeunes  gens,  Dorât  conservait  leur  confiance. 

t .  Ce  petit  poème  des  Passeloms  pst  envoyé  à  Henri  Estienne,  à  qui  ag:rée 
«  le  bruit  de  Paris  ".  Il  commence  par  une  description  des  rues  de  la  capi- 
tale, aussi  réaliste  que  la  satire  d'Horace  sur  les  embarras  de  Rome,  que 
Ba'if  transpose  léd .  Mart\ -l.;iveaux,  I.  IV,  p,  4i7-Ui);. 


LE    SENTIMENT     DE    I.A    NATLBE  67 

S'il  conseillait  leurs  travaux,  il  ne  s'intéressait  pas  moins  aux 
incidents  de  leur  carrière.  Voici,  par  exemple,  que  Charles 
Uvtenhove,  protégé  de  Ronsard  ot  de  Du  Bellay,  qui  habite 
chez  Jean  de  Morel  et  dirige  l'éducation  de  ses  enfants,  est  tombé 
malade  à  l'automne  et  a  dû  man([uer  au  Collège  royal  de  belles 
leçons  sur  Sophocle.  Comme  il  ne  s'en  console  point,  Dorât  com- 
pose alïectueusement  pour  le  distraire  un  fort  joli  poème,  écrit 
au  courant  de  la  plume,  où  passent  les  images  de  l'aimable  foyer 
de  Morel,  des  vendanges  à  la  campagne,  faites  par  des  ccolières 
gracieuses  et  par  leur  mère,  et  aussi  le  souvenir  des  travaux 
littéraires  interrompus: 

Si  lihi  pauca  lei/i  penniltil  cirmiiui  marljns, 

Nunc  licef  Auiali  carniina pauai  leçjas, 
Carinina  missa  lui  inorbi  lenire  tlolureni, 

AcJHi  ntihi  de  niorbo  madiina  cura  liiu  csl. 
Non  quia  discipulo  meu  nunc  sil  rarior  uwi 

Turha  Sophocleis  erudienda  niodis  : 
IJnus  eras  mihi  lu  ç/rec/is  innumerabilis  instar. 

Te  schola  semper  erni  nosfra  fréquente  frequens. 
Uteuhouina  mihi  pro  multis  auribus  auris, 

Unicus  Utenhouus  densa  corona  fuit. 
\unc  quoque,  cuin  soitta  ci rcunder  plèbe  nieuruni, 

Solus  le  videor  deficienle  inihi... 
Quod  si  le  iiicolunieni  rursus  schola  nosira  videbit, 

Quae  sine  le  vasia  esl  pêne  ridenda  sibi, 
Bina  Deo  inscriham,  cui  nostra   Traf/oedia  seruil 

luncla  Sophocleis  carmina  carminibus. 
Bacchus  amal  Sophoclem  .  .  .  '. 

Les  jeunes  poètes  tenaient  la  première  place  dans  l'auditoire 
de  Dorât,  qui  semblait  parfois  parler  pour  eux  seuls.  Ils  béné- 
ficiaient, dès  leur  entrée  dans  la  vie  des  lettres,  d'une  pleine  ini- 
tiationà  l'Antiquité,  qui  avait  manqué  à  leurs  aînés.  Plus  d'un 
suivait  les  «  lectures  »  avec  l'ardeur  passionnée  qu'on  raconte  de 
Ronsard  : 

Ut    iam   tum  Graecarum    artium  desiderio  flagrabat  !  ut    pendebat 

1.  La  pièce,  datée  de  l.jaS,  non  reprodnile  dans  les  l'oematia.  est  à  la 
suite  du  recueil  de  Buchanan,  p.  100.  Uytenhove  paraît  avoii-  été  l'éditeur 
de  ce  recueil,  où  tout  ce  qui  regarde  ses  élèves  et  ses  propres  travaux  est 
mis  en  lumière. 


f)S  ftO.NSAlU)    i:r    l/lIl'.MAMSME 

ab  (irc  (locLoris,  ciiiii  hic  Uelius  Auralus  Aeschylum,  Pindarum, 
Miisaeum,  Hesioduiii,  liDsles  aiitea  el  barbares  ',  primum  Galliaedoiia- 
l)al,  quos  illc  tum  sic  auide  arripiiit,  quasi  diuturnam  sitim  explere 
cupieiisl  ...O  felicem  taiito  doclore  discipuluin  I  o  bealum  tali  discipulo 
(loctorem  !  Ah,  quid  dixi  lali  discipulo?  iiiio  talibus  discipulis... 

Le  biographe  latin  enfle  encore  son  style  el  applique  une 
légende  antique  du  temple  de  Jupiter  Capitolin  au  modeste  col- 
lège de  Coqueret,  orné  pour  enseigne,  comme  il  nous  l'apprend, 
dune  tête  de  saint  Jean  «  décollé  »  : 

Te  iam  appelle,  lohannes  Aurate,  dicere  solebas  Petrum  Ronsar- 
dum  Gallicum  fore  Hoiiieruni.  Doctoris  diclum  sapiens  disci])uli 
solertia  comi)robauit .  .  .  I']leniiii  si  caput  humanum,  quod  iuuentum 
est  cum  templi  Jouis  iaciebantur  l'undamenta,  designauit  fore  ut 
Renia  imperii  atque  adeo  totius  orbis  caput  eminentius  apparerel, 
Dlui  Johannis  ca])ut,  insigne  quod  appenderas  luis  aedibus,  quid  aliud 
(quaesoj  perlendebat,  nisi  te,  qui  hoc  insigne  susluleras,  el  eos,  qui 
sub  luo  vexillo  in  illis  castris  Palladis  mililabant,  fore  quondam  Gal- 
liae  capila,  Republicae  lilerariae  decus  et  ornamentum  -  ? 

C'était  l'honneur  de  Dorât  de  conserver  parmi  ses  élèves  celui 
qu'il  saluait  avec  toute  l'école  comme  le  chef  de  la  poésie  nouvelle  ; 
et  plus  d'un  étudiant,  qui  a  parlé  de  ces  leçons,  a  rappelé  avec 
fierté  la  présence  d'un  aussi  glorieux  condisciple.  Ceux  qui  vinrent 
plus  tard  s'enorgueillirent  de  s'asseoir  sur  des  bancs  qui  avaient 
vu  les  deux  plus  grands  poètes  français,  Ronsard  et  Du  Bellay, 
recevoir  le  même  enseignement.  Parmi  divers  témoignages, 
celui  de  1  angevin  Jean  Le  Masle,  dont  la  forme  est  assez  bien 
venue,  est  assurément  un  des  plus  oubliés  : 

Scavanl  Dorât  qui  fais  de  la  plume  dorée 

D'excellens  el  beaux  vers  tant  Latins  que  Grégeois 

Et  qui  as  d'ignorance  icy  l'ame  tirée 

De  plusieurs  auditeurs  par  la  diserte  voix  ; 
Je  croy  qu'il  n'y  a  point  de  poêle  François 

Escrivant  aujourd'huy  d'une  ancre  de  durée. 

Qui  ne  tienne  de  toy  et  qui  n'ait  autrefois 

Cueilli  les  mots  dorez  de  ta  bouche  sucrée. 

1.  Le  mol  harharus  est  pris  ici  au  sens  d'étranger. 

2.  Pelri  rton.iardi...  lauihlio  fiinrhris...  ad  I.  Gnllandiinii...  lacoLus  Vel- 
linrihis.  Paris,  1SS6,  f.  7-7  v». 


LA    MÉTIIOIIK    DE    DORAI'  (i9 

Honsard,  qui  le  premier  pindarisa  en  France, 
(Ouquel  l'esprit  ffentil  tous  les  autres  devance) 
Avecques  du-Hellav  tes  propos  doucereux 

duyrent  à  Paris  ;  aussi,  de  mes  oreilles, 

Au  lieu  mesme  ay  gousté  tes  douceurs  non  pareilles. 
Heur  duquel  entre  tous  je  me  repute  heureux  '. 

VII 

(  hi  peut  chercher  à  connaître  quelle  était  la  méthode  d'ensei- 
gnement de  Jean  Dorât  et  quelles  habitudes  d'espritla  dirigeaient. 
Voici,  un  certain  nombre  d'observations  groupées  sur  cet  obscur 
sujet,  et  qui  permettent  de  l'éclaircir;  on  y  verra,  au  moins  dans 
une  certaine  mesure,  quelles  différences  et  quelles  analogies  cet 
enseignement  a  pu  présenter  avec  celui  qui  fut  en  usage  à  d'autres 
époques. 

Professant  avant  tout  pour  des  poètes  ou  des  amis  de  la  poésie, 
c'est  Homère  que  Dorât  a  étudié  le  plus  souvent  et  les  cours  qu'il 
lui  a  consacrés  ont  laissé,  chez  ceux  qui  les  ont  entendus,  une 
impression  profonde  '-.  Il  revenait  sans  cesse  à  l'Iliade  et  à 
l'Odyssée,  qu'il  étudia  successivement  k  Coqueret,  au  Collège 
royal,  et  pour  les  élèves  privés  qu'il  eut  plus  tard  dans  sa  maison. 
A  propos  de  l'un  deux,  le  jeune  lils  de  Paul  de  Termes,  conseil- 
ler au  Parlement,  il  a  exposé  un  jour  ses  idées  sur  cette  poésie  et 
sur  le  point  de  vue,  à  la  fois  littéraire  et  moral,  où  il  se  plaçait 
pour  la  faire  comprendre  : 

1.  Li's  nouvelles  récréations  pœtiiiues  (sic)  de  Jean  Le  Masie  angevin..., 
Paris,  Jean  Poupy,  1580,  fol.  32  (Bibl.  de  l'Arsenal,  6607).  L'auteur  raconte 
sa  vie  .i  Monsieur  Dorai  poêle  du  Roy,  dans  une  loPigue  pièce  intitulée  :  Dq 
l'excellence  des  poêles  et  de  leur  honnesle  liberté  ifol.  50  v"-»*;.  Dorât  y 
répond  par  des  distiques  insérés  à  la  suite  :  Ad  loannem  Masculum  virum 
amicissimuni.  Le  Masle  a  traduit  les  vers  latins  do  Dorât  Sur  la  pai.v  faille 
l'an  l">~0  ^fol.  S7).  Parmi  les  dédicaces,  je  relève  celle  du  fol.  77  :  A  M.  de 
Ronsard  et  de  Baïf,  vrays  orneniens  de  noslre  poésie  framboise.  Quelques 
exemplaires  de  ce  recueil  très  rare  portent  un  nouveau  titre  Paris,  Guill. 
Bichon,  1586). 

2.  Quand  Gérard-Marie  Imbert,  retiré  à  Condom  dans  son  pays  de  Gas- 
cogne, revoit  en  songe  son  maître  Dorât,  il  en  ressent,  dit-il,  n  aussi  grand 
plaisir  et  confort  » 

Qu'il  semble  que  je  l'ov  expliquant  1  Iliade. 

(Première  partie  des  Sonnets  exolêriques,  éd.  Tamizey  de  Larroque,  Paris 
ol   Bordeaux,   IS7'2,  p.  ;V.I. 


70  KONSAniJ   ET   i/hl'mamsme 

A'/Y/o  non  mnltis,  sed  paucin,  quos  ego  lefji, 
\'e!  qui  me politis  légère  suis  velul  apium 
Arlilms  vl  sltidiis  ;td  me  venientibus  ullro. 
VlriKjuc  m;i(/niliiqiii  niysleria  rimiir  llomuri. 
Siue  per  Iliacns  lieginn  populique  furores, 
Vnde  quid  ira  decem  nociiit  funvsla  per  annos 
l)iscitiir.  cl  (/nad  clara  Ducum  cn])ila  eijeril  Orco  ; 
Sine  in   Vlt/ssaeis  ernirihiis  alque  periclis, 
Ni.n  modo  quanta  fuit  iliii  i  palicnlia  Nautae, 
QiiU'Uum  conxiln,  pietulin.  iuris  et  aeqni, 
Kl  qdaninm  modcrati  aninii  speculaninr  in  illo, 
Quem  ai/ti  rirtutis  perfeclum  exemplar  ad  anqaeni 
Proposuil  descrihendnm  dininiis  //omeriis. 
Séria  niiilta  loci.s  iniioluens  reraqne  fictis  ; 
Qualis  apud  Veleres  nondum  cnrrupla  Sophia 
Virginia  instar  eral sinuoso  in.signix  amictu, 
1  nde  suiim  pepluin  doctae  .sinnpsere  Mineruae 
Cecropidae,  ran'is  quodacu  pinxere  figuris. 
Sislere  Palladia  soliti  qund  in  arce  quolannis 
Donum  insigne  iJeae,  et  Sophiae  mirabile  textuni. 
Al  niniis  infoeli.v  rcniniquc  ignara  latentuni 
Aelas  posterior  ' 

La  sagesse  antique,  les  annules  leçons  morales  de  riiunianité 
présentées  sous  le  voile  allégorique,  voilà  donc  ce  qui  fut  d'abord 
montré  à  Ronsard  dans  les  poèmes  d'Homère.  Ainsi  Virgile  était- 
il  apparu,  pendant  des  siècles,  comme  un  moraliste  ésotérique 
enfermant  ses  préceptes  dans  les  épisodes  de  ses  poèmes,  met- 
tant sous  chaque  détail,  parfois  sous  chaque  mot,  un  sens  caché  '-. 
On  sait  ([ue  dans  cette  conception,  qui  datait  de  la  fin  des  temps 
romains,  les  aventures  d'Enée  nétaient  quun  immense  aperçu  de 
la  vie  humaine.  C'était  l'application  des  idées  d'un  livre  singu- 
lier, qui  a  pesé  sur  toute  la  lecture  de  ^'irgile  au  moyen  âge  et 
même  au  delà,  le  De  continentia  Virgilii  de  Fulgence  3.  Des 
trois  sortes  d'utilisation  qu'on  tirait  d'un  même  mythe,  au  sens 
naturel,  au  sens  moral,  au  sens  historique,   les  premiers   huma- 


1.  Poi'matiii,i'  pari.,  Epii/raininntiim  lih.  7,  p.  13. 

2.  «  In  singiilis  verbis  luiiioii  aliciiiod  sub  iiube  poelica  »  [Petrarcaeoiiera, 
Bàle,  1581,  p.  410.  Her.  mem.,  II,  2;. 

3.  V.  les  développements  dans  Pétrarque   et  VHiinianixme,  2<^   éd.,   t.  I, 
p.    I2S-137,  IW. 


UNE    LEÇON     Slli    IKlMÊRE  7i 

nistes  trouvaient  des  exemples  chez  les  auteurs  païens  ou  chré- 
tiens lie  l'Antiquité,  ce  qui  autorisait  la  liberté  d'interprétation 
dont  Dorât  usait  après  eux.  Pour  Homère,  il  avait,  sans  le  savoir, 
un  prédécesseur  illustre.  Lorsque  les  vieux  poèmes  furent  entre- 
vus par  Pélrarfjue  ignorant  du  grec,  dans  la  traduction  latine 
([u'il  en  fit  faire  pour  apaiser  un  peu  sa  curiosité  passionnée,  ce 
fut  encore  par  la  signification  morale  qu'il  tenta  d'en  expliquer 
les  mythes  '.  Son  goût  littéraire  très  fin  lui  avait  heureusement 
permis,  il  est  vrai,  de  comprendre  aussi  Virgile  en  pur  poète; 
mais  la  rêverie  médiévale,  qu'il  avait  renforcée  de  son  autorité 
d'humaniste,  s'était  imposée  sur  Homère  à  la  Renaissance  tout 
entière.  Malgré  ([uel([ues  railleries  de  Rabelais,  elle  était  implan- 
tée en  France  pour  longtemps  -.  et  nous  la  voyons  s  épanouir 
dans  une  leçon  de  Dorât,  la  seule  dont  l'analyse  nous  soit  par- 
venue. 

C'est  une  défense  d'Homère  contre  le  reproche  que  lui  adres- 
serait Aristote,  en  sa  Poétique  3,  d'avoir  fait  déposer  au  rivage 
d'Ithaque  Ulysse  plongé  dans  le  sommeil,  faute  qui  ne  serait  pas 
supportée  d'un  autre  poète.  Dorât  justifie  l'auteur  de  VOdyssée  en 
invoquant  le  mérite,  que  lui  reconnaît  Aristote  lui-même,  de  soi- 
gner parfaitement  sa  îj.oOot::-'»  et  de  coordonner  si  ])ien  ses  récits 
qu'ils  présentent  toujours  une  allégorie  d'ensemble.  Le  poème 
lui  parait  une  grande  allégorie.  Homère  peindrait  en  Ulysse 
l'homme  qui  désire  la  vraie  sagesse  et  le  bonheur  symbolisés  par 
Pénélope  et  par  Ithaque;  pour  les  chercher,  il  est  soumis  à  mille 
épreuves;  il  n'a  pas  de  compagnons  dans  ce  noble  désir  ;  victimes 
de  leur  intempérance,  les  siens  ont  péri  ;  il  arrive  tout  seul  dans 
1  ile  des  Phéaciens,  et  il  y  meurt,  pour  obtenir  après  sa  mort  le 
retour  à  Ithaque,  c'est-à-dire  la  félicité.  Les  détails  qui  se  suivent 
dans  VOdijssée  se  rapportent    évidemment    à    la  mort  d'Lîlysse, 


1.  Pétrarque  rt  Vllumitnisme,  t.  II,  p.   178-180. 

2.  Eli  pleine  période  classique,  ou  admet  eiicore  la  thèse  de  r.illéyorie 
perpétuellement  enclose  dans  l'épopée  antique  et  qu'il  appartient  à  l'ingé- 
niosité des  commentateurs  de  découvrir.  Les  écrivains  du  .siècle  de 
Louis  XIV  en  feront  une  des  lois  du  genre  ;  Chapelain  tirera  honneur  de 
l'avoir  suivie  dans  sa  Piicetle  d'Orléunn,  et  Louis  Racine  enseignera  encore 
qu'une  allégorie  secrète  est  présente  dans  toutes  les  parties  de  l'Iliade 
et  de  VOdysst'i'. 

3.  Cf.  Poe/.,  éd.  Butcher,  Londres,  1907,  ch.  xv.  et  0(/.v.«.,  XIII,  v.  H7- 
It^t.  Il  est  imposssihie  de  trouver  dans  Aristote  le  passage  visé  par  Dorât. 


72  itoNSAitii  II  i,'iii;manismk 

qu'Homère  exprime  |);ir  l'Iieureuse  liclioii  du  sommeil.  Il  est 
en(li)riiii  par  Minerve,  en  abordant  l'ile  des  Phéaciens,  à  cette 
(în  (lu  livre  V  où  se  trouve  la  belle  comparaison  :  w;  î'cte  Tt; 
SaXiv...  ;  il  dort  de  nouveau  sur  le  navire,  et  l'allégorie  reprend 
alors  son  développement.  Tout  ce  qui  est  raconté  entre  les  deux 
sommeils  a  rapport  aux  rites  funèbres,  de  façon  à  Ijien  faire  com- 
prendre que  le  sommeil  a  été  continu.  La  nef  qui  ramène  le  héros  à 
Ithaque  sijifnifie  si  évidemment  un  tombeau,  qu'elle  se  trouve 
ensuite  chang'ée  en  pierre  '.  Il  ne  peut  rég-ner  avant  d'avoir  vaincu 
les  prétendants  ;  c'est  la  purification  dernière,  la  victoire  sur  les 
troubles  de  l'esprit  et  sur  les  passions,  ({ui  s'opposent  au  bonheur 
suprême.  On  ne  doit  donc  pas  s'étonner  qu'Homère,  voulant 
conduire  Ulysse  au  seuil  de  la  «  céleste  patrie  »,  l'ait  endormi, 
c'est-à-dire  fait  mourir.  Le  docte  philologue,  qui  rapporte  respec- 
tueusement ces  subtilités,  ajoute  ce  témoignage  :  Haec  e  cuius 
ingenio  prodierint,  si  quis  requirat,  I.  Auralum  maxime  sane 
virum,unicum  et  optimum  Homeri  interpretem,  auctorem 
laudaho  ~. 

Le  jeune  Ronsard  n'a  pas  moins  admiré  les  éloquentes  démon.s- 
trations  du  maître,  appuyées  d'érudites  références.  11  y  a  fait 
allusion  une  fois,  dans  VHymne  de  l  Aiiloinne,  lorsqu'il  s'est 
déclaré 

Disciple  de  Dorât,  qui  long  temps  fut  mon  ninistre, 

M'apprist  la  Poésie  et  me  monstra  comment 

On  doit  feindre  et  cacher  les  fables  proprement, 

Et  à  bien  desguiser  la  vérité  des  choses 

D'un  fabuleux  manteau  dont  elles  sont  encloses  ^. 

Telle  est  la  doctrine  admise  ;  mais  notre  poète,  par  bonheur,  en 
tient  fort  peu  de  compte,  quand  il  compose.  LTne  intelligence 
française  est  réfractaire  à  ces  conceptions  compliquées.  Alors 
qu'un  contemporain,  le  grand  Torquato  Tasso,  s'évertue  à  donner, 


1.  Exemple  des  arguments  de  détail  :  sur  l'itinéraire  "  entre  Corcyre  et 
Ithaque,  doit  se  trouver  Samos  •>  ','1,  dont  le  nom  signifle  ïriaa  (tombeau); 
puis  vient  l'ilo  .\steris  (stellata),  qui  fait  penser  au  chemin  du  ciel.  Ces 
puérilités  paraissent  prises  au  sérieux. 

"2.  G.  Canleri  UtlraJ.  noiiariini  leclioniim  lihri  ncio,  3' éd.,  .Vnvers,  1^71, 
p.  333-337. 

3.   Hd.   L.,  t.  IV,  p.  313:  éd.BI..  I.  V.  p.  190. 


l'allégorie  chez  ronsakd  l'i 

au  moins  aprèscoup,  un  sens  didactique  et  moral  aux  épisodes  de 
ses  poèmes  ',  l'auteur  de  la  Franciade  n'en  prend  aucun  souci. 
Si  quelque  chose  peut  révéler  l'indépendance  de  son  esprit  à 
l'égard  de  l'enseignement  qu'il  a  reçu,  c'est  l'absence  de  préoc- 
cupations allégoriques  dans  son  poème,  et  aussi  le  silence  observé 
à  ce  sujet  dans  la  théorie  complète  qu'il  formule  de  l'épopée. 
Son  bon  sens  robuste,  son  goût  de  la  réalité  et  de  la  clarté  ne 
s'accommodent  point  de  ces  singulières  idées,  toutes  héritées  des 
mythographes  alexandrins  et  de  quelques  moralistes  du  moyen 
âge.  Il  aime  assurément,  ainsi  que  les  poètes  antiques  et  tant  de 
vieux  poètes  de  France,  à  personnifier  les  abstractions  ;  mais  chez 
lui  l'allégorie  est  directe,  les  figures  sont  nettes  et  souvent 
détaillées  pour  les  yeux.  La  Renommée,  la  Fureur,  la  Peur,  la 
Justice,  la  Discorde,  comme  Raison,  Volonté,  Fortune  et  vingt 
autres,  sont  décrites  avec  leur  physionomie,  leur  costume,  leur 
cortège.  D'autre  part,  les  mythes  qu'il  évoque  ont  une  valeur 
précise  et  rationnelle,  que  le  lecteur  peut  parfois  ignorer,  mais 
qui  ne  risquent  nullement  de  l'égarer  -.  Sauf  en  quelques  poèmes 
pédants  de  sa  jeunesse,  Ronsard  n'a  point  recherché  l'obscurité; 
il  n'a  pas  embrumé  sa  pensée  des  brouillards  de  l'allégorie  morale 
prônée  par  Dorât  ;  il  n'a  pas  préparé  des  symboles  enveloppés 
à  la  recherche  incertaine  des  scoliastes. 

Soutenu  par  la  curiosité  infatigable  de  ses  élèves,  porté  lui- 
même  par  le  grand  courant  d'enthousiasme  qu'il  déchaînait, 
Dorât,  qui  avait  commencé  par  leur  expliquer  Homère  et  Pin- 
dare,  faisait  peu  à  peu  le  tour  de  la  poésie  grecque  tout  entière. 
Cette  littérature,  que  le  v. vieil  Aide  Manuce  avait  imprimée  le 
premier  dans  .son  ensemble,  était  mise  entre  les  mains  du  public 
européen  par  les  éditions  de  Venise  et  de  Bàle,  auxquelles  s'ad- 
joignaient depuis  peu  quelques  impressions  parisiennes.  Elle 
n'était  cependant  niiUe ment  familière  au$  lettrés  français,  etl'en- 


1.  Opère  minori  in  versi  di  T.  Tasso,  éd.  A.  Solerti,  t.  I,  Bolog-ne,  1S91, 
p.  9-12.  Pour  la  Jérusalem  délivrée,  l'interprétation  allégorique  est  repro- 
duite en  France,  en  plein  xvii'  siècle,  dans  la  traduction  de  Baudoin. 

2.  V.  les  observations  de  Laumonier,  p.  409  sqq.,  sur  l'allégorie  chez 
Ronsard,  avec  lesquelles  celles-ci  ne  font  peut-être  pas  double  emploi. 
.\joutons  que  Ronsard  n'est  point  responsable  du  commentaire  de  Pierre 
de  M.nrcassus  sur  la  Franrinile. 


7'i  no.NSA.itn  f.t  i.'humanismk 

seignenieut  ili;  Dorut,  ([uoique  un  peu  cui-sil'  et  rapide,  consti- 
tuait pour  eux  une  révélation  précieu.se.  Pour  satisfaire  une  avi- 
dité qu'il  excitait  k  mesure,  il  cherchait  à  «  lire  »  le  plus  grand 
nomljre  de  textes  possibles;  et  l'on  peut  être  assuré  qu'une  telle 
propagande,  venant  d'une  chaire  réputée,  a  largement  contri- 
bué au  développement  extraordinaire  de  ce  goût  pour  Ips  poètes 
grecs,  dont  les  collections  générales  vont  dès  lors  se  multiplier  '. 
C'était,  en  effet,  des  poètes  (jue  les  poètes  demandaient  à  Dorât. 
Attentifs  à  applicjuer  la  théorie  de  l'imitation  et  du  '<  larcin  >« 
prôchée  par  Du  Bellay  et  par  Ronsard,  ils  attendaient  de  lui  sans 
cesse  l'étalage  de  nouveaux  trésors  '-.  Aussi,  bien  (ju'il  ait  étudié 
plus  <ruu  prosateur,  Hérodote,  Démosthène,  Xénophon  •'.  peut- 
être  des  dialogues  de  Platon'',  et  qu'on  ait  de  lui  des  corrections 
sur  Plularque  ■',  il  prenait  dans  la  poésie  la  plupart  de  ses  lec- 
tures. Il  guidait  avec  la  même  aisance  ses  auditeurs  vers  des 
(L'uvres  de  ton  très  ditl'érent,  abordant  un  jour  Sophocle  et  le 
lendemain  Théocrite'',  traduisant  |)our  eux  tantôt  une  tragédie 
entière,  tantôt  le   recueil   d'un   petit   poète  ",    les    initiant  à  des 


1.  En  11)60,  le  petit  volume  d'Henri  Estienne,  dédie  à  Ph.  Melanclilhon, 
contenant  Pindare  et  les  luiit  lyrifjues,  choix  trois  fois  réimprimé,  une 
fois  par  Plantin  (  v.  plus  haut,  p.  50).  En  1556,  Tin-folio  du  même  Estienne, 
Poclae  Graeci  principes  heroiri  cnrminis  et  alii  nonniilli.  En  1)168,  chez  Plan- 
lin,  l;i  collection  due  à  Fulvio  Orsini^  CnvmiiiH  nouem  illiistrium  fi'mimiriini , 
Eu  1569,  à  Genève,  les  poètes  géorgi<iues,  bucoliques  et  ;,nioniif|ues, 
édités  par  Crispinus.  En  157.3,  la  Poesia  philosophica  éditée  par  Estienne, 
etc.  Il  y  a   un  public  pour  dévorer  ces  recueils  et  d'auti-es  semblaliles. 

2.  Ou  a  lu  plus  haut,  p.  21,  une  curieuse  page  de  Dorât  sur  le  «  larcin  »  ; 
c'est  un  écho  de  son  enseignement. 

3.  Le  poème  ancien  de  Ronsard,  intitulé  La  Chasse,  dédié  à  Jean  Brinon, 
est  inspiré  en  partie  par  le  traité  de  Xénophon  (éd.  E.,  t.  V,  p.  37). 

4.  On  trouve  chez  Ronsard  et  Du  Bellay  des  souvenirs  précis  du  Phèdre, 
du  Banquet,  de  l'Ion.  Ils  sont  notés  par  H.  Chamard,  p.  53.  Mais  il  est  peu 
probable  que  la  connaissance  en  soit  venue  aux  poètes  par  Dorât;  c'est 
plutôt  Turnèbe  qui  a  été  pour  cette  génération,  avec  Ramus  et  Louis  Le  Roy, 
le  révélateur  de  Platon.  Co^ime  on  le  verra  plus  loin,  c'est  avec  I-aml)in 
(|ue  Ronsard  l'a  étudié. 

.'i.  Elles  sont  présentées  dans  l'édition  des  œuvres  complètes  donnée  à 
Erancfort,  1599,2  vol.  in-fol.  Cf.  l'édition  de  Reiske.  Leipzig,  1774,  t.  I, 
p.  XXXVI,  et    l'édition  Sintenis  de  la  vie  de  Périclès,  Leipzig,    1835,  p.  274. 

6.  Sur  Sophocle,  v.  p.  67,  75,  n.  1  et  78;  sur  Théociite,  v.  p.  78  et  103. 

7.  Teissier  met  dans  la  liste  de  ses  œuvres  :  «  Hippolytus  Euripidis  et 
Phocylides  carminé  redditi  »  [Elorjes  des  hommes  sarans,  t.  III,  p.  462).  Ces 
travaux  sont  aujourd'hui  perdus;  mais  \iceron  n'a  pas  de  bonnes  raisons 
pour  mettre  en  doute  qu'ils  aient  existé    (t.  XXVI,  Paris,  1734,  p.   110''. 


AUTEIRS  ÉTUDIÉS  PAR  DOUAT  75 

auteurs  difliciles  comme  Eschvle  ou  Aristophane,  éclaireissanl 
devant  eux  maint  passage  qu  ils  n'eussent  jamais  compris  sans 
ses  lumières ',  eu  même  temps  qu  il  résolvait  pour  lui-même  de 
menus  problèmes  innombrables  contenus  dans  des  textes  encore 
mal  établis. 

On  constate  que  Dorât  recourt,  pour  constituer  ses  textes,  à  tous 
les  manuscrits  qu'il  peut  se  procurer.  11  a  libre  accès  à  la  biblio- 
thèque de  Catherine  de  MéJicis.  et  chacun  sait  qu'il  est  en 
mesure  de  faire  acheter  par  la  reine-mère  des  textes  particu- 
lièrement précieux,  dont  il  passe  pour  connaisseur  -.  A  la 
mort  d'Ansre  Ver2:èce,  le  duc  d'Alencon  sollicite  de  Charles  IX 
l'attribution  de  son  héritage  par  droit  d'aubaine  au  »  lecteur  » 
Dorât,  «  non  tant  pour  le  prouffict  qu'il  espère  tirer  oes  biens 
délaissez   par   ledit    Vergesiu,    mais  pour   les    livres  en  langue 

grecque desquelz   il   pourra  cognoistre   quelque  chose  pour 

l'instruction  de  ses  disciples  et  auditeurs  »  '.  La  bibliothèque 
d'Henri  de  Mesmes.  si  riche  en  manuscrits  grecs  et  latins,   est 


1.  On  pourra  se  faire  une  idée  de  la  méthode  denseignemenl  de  Dorât 
par  des  notes  prises  par  un  auditeur  de  son  cours  sur  Œdipe  Boi.  et  con- 
servées dans  un  manuscrit  de  Bong^rs,  à  la  Bibliothèque  de  Berne,  n"  639. 
C'est  un  cahier  de  papier  de  très  petit  format  de  "26  feuillets  intitulé:  Ex 
Aurati  recitadonibus  in  Sophoclis  uEdipum  lyrannuni.  En  tète  est  une  date  : 
prid.  non.  sexi.  157 S.  On  sait  que  Bongars  recueillait  avec  curiosité  les 
souvenirs  des  humanistes,  leurs  correspondances  et  les  livres  annotés  par 
eux.  11  y  a  à  Berne  des  volumes  annotés  par  Jacques  Toussain,  t^ujas. 
Ramus,  Henri  Estienne.  etc. 

2.  On  lit  dans  une  lettre  de  Pierre  Delbene  à  Claude  Dupuy.  écrite  de 
Padoue,  le  28  décembre  1571  :  «  ...Un  grec  m'avoit  monstre  quelques  livres 
pour  scauoir  si  la  Royne  i  voudroit  entendre.  J'en  ai  envoyé  le  catalogue 
au  s'  Corbinelli  auquel  j'avois  commis  de  levons  monstrer.  Vous  le  pouvez 
envoyer  quérir,  si  le  voules  voir.  J'ay  les  livres  entre  les  mains,  et  voulant 
conférer  le  Thucydide  je  treuve  qu'Henry  Estienne  a  eu  de  fort  bons  livres 
et  crois  qu'il  a  veucestuyci,  car  il  a  esté  autrefois  à  Franciscus  Porlus.  Si 
la  Royne  les  veut  acheter,  ce  seroit  pour  ampliûer  sa  librairie,  mais  j'en  ay 
escrit  au  Corbinelly  qui  eu  p.irlera  au  m»  de  sa  bibliothèque,  mais,  par  ce 
qu'il  est  un  peu  négligent,  y'p/i  escriray  un  iiiul à  Mons'^  Dorât .  >',Bibl.  nat., 
Dupuy  490,  fol.    159-160.) 

3.  Lettre  du  30  avril  1569  :  u  Depuis  quelques  jours  .\ngelo  Vergesio,  un 
de  vos  escrivins.  seroit  allé  de  vie  à  trépas  sans  avoir  laissé  aucuns  enfants 
ou  héritiers,  vous  estans  par  ce  moyen  tous  et  chascuns  ses  biens  acquis 
par  droicld'aubeyne...  »  La  pièce  porte,  d'une  autre  main  :  «  Il  a  plu  au  Roi 
de  le  accorder  pour  le  bien  du  service.  »  Elle  est  publiée  d'après  l'original 
du  portefeuille  de  la  Chambre  des  comptes  de  Lille,  dans  les  Annhcif.t  his- 
toriques: d'.\ndré  Le  Glay,  Paris,  1838,  p.  2+5-246. 


7(1  no.NSAiU)  f:i    [.'humanisme 

colle  à  l.Knicllc  1  liuinaiiislc  f:iil  les  plus  fréquents  f'ni|)iiinls, 
car  l'oblijieance  du  pjopriélaire  est  proverbiale  '.  \'oici  un 
billet  inédit  demandant  un  manuscrit  des  Hymnes  homériques, 
que  Dorât  désire  avoir  sous  les  yeux  pendant  ses  leçons.  Le  lec- 
teur y  trouvera  un  exemple  des  improvisations  badines  que 
multiplie  sa  facilité,  et  (pi'il  a  dii  échang'er  plus  d'une  fois  avec 
Ronsard  : 


t.  Conseiller  au  Parloincnl,  maitrcdes  lequr'tes  au  Conseil  d'Étal,  plus 
tard  chancelier  du  roi  de  Navarre,  Henri  de  Mesmes,  d'abord  connu  sous 
le  nom  de  M.  de  Roissy,  forma  avec  amour  la  célcbre  l)ibliolli('(]ue  dont  les 
mss.  lurent  achetés  sous  Louis  XV  pour  la  Bibliothèque  du  Roi  (L.  Delisle, 
Le  (Cabinet  drs  manuscrits,  t.  I,  p.  398).  En  ICOO,  Peiresc  y  admirait  <  tout  un 
quartier  garni  de  manuscrits  grecs,  dont  il  y  en  a  une  grande  partie  écrits 
delà  main  dWngelo  fVergèce]  ».  [Mémoires  de  H.  de  Mesmes,  éd.  Frémy, 
p.  109.)  Pour  s'en  tenir  au  témoignage  des  seuls  contemporains  de  Ronsard 
sur  la  libéralité  et  les  richesses  bibliographiques  d'Henri  de  Mesmes,  on 
pourra  lire  la  dédicace  du  premier  livre  de  Luc/v'-ce  du  Lambin  (Paris,  1503), 
la  préface  de  la  2'  partie  des  Aduersaria  de  Turnèbe  (Paris,  156.5),  les  vers 
grecs  de  Dorai  mis  en  tête  du  Cicéron  de  Lambin  (Paris,  1566),  etc.  Tur- 
nèbe écrit  :  "  Cum  tu  de  literis  ita  bene  meritus  sis,  ut  nemo  fere  huius 
aetatis  melius,  mihique  et  collegis  meis  re  lam  saepe  profueris,  et  impos- 
terum  prodesse  velis  bibliolhecamque  omni  librorum  egregiorum  copia 
referlissimam  instruxeris  et  tanquam  Musarum  et  Apollinis  aedem  cons- 
truxeris...»  Lambin  dit  que  trois  coilices  Memmiani  lui  ont  été  d'un  grand 
secours  pour  établir  le  texte  de  Cicéron  :  «  Cum  Gallis  luis  exterarumque 
iialionum  hominibus  ea  munera  largiris,  Errice  Memmi,  quae  non  ex  arcis  et 
loculis  tuis,  sed  e  reconditissimis  et  locupletissimis  bibliolhecae  scriniis 
deprompta,  ulilitales  eis  afferunt...  Neque  vero  veteres  solum  tuas  mem- 
branas  ad  communem  omnium  et  publicam  utilitatem  confers,  sed  etiam 
auctoritate  et  gralia  tua,  quibus  in  priniis  llores,  assequeris...  »  Rappelant 
ces  services  dans  le  Lucrèce,  Lambin  ajoute  :  »  Neque  vero  id  solum  fecisti, 
sed  etiam  (qua  in  re  industriam  ac  diligentiam  tuam  incredibili  litterarum 
amore  coniunctam  admirer)  scripturas  omneis  inter  se  dissimileis  atque  a 
vulgala  lectione  discrepanteis  ad  orara  unius  exempli  typis  excusi,  partim 
tua.  partim  tui  librarii  manu  adscriptas  niihi  commodasti,  ut  minore  meo 
laborc  ex  lalibusscriptu ris  quasi  subuno  aspectu  positis,  Adriano  Turnebo 
interea  et  lo.  Aurato  collegis  meis,  quorum  iudicium  est,  utscis,in  hisce 
lilteris  subtilissimum,  adhibilis  et  consullis,  eam  potissimum  sequcrer  ac 
probarem,  quae  et  M.  Tullio  esset  dignissima...  »  Dorât  avait  eu  de  tout 
temps  ses  enti'ées  chez  Henri  de  Mesmes.  Il  était  anciennement  lié  avec  le 
précepteur  de  celui-ci,  Jean  Maledent  (Maludanus),  limousin  comme  lui,  et 
d'autre  part  grand  ami  de  Lambin  [Clarorum  virorum  epistolae,  Lyon,  1561, 
p.  3G6-378).  II  avait  même  eu  de  bonne  heure,  avec  le  maître  et  l'écolier,  un 
commerce  épistolaire  et  poétique,  dont  les  documents  encore  inédits  sont 
conservés  en  grand  nombre  parmi  des  papiers  littéraires  collectionnés  par 
II.  de  Mesmes  et  fort  intéressants  pour  nos  études.  (Bibliothèque  nationale. 
Lai.  10327,  f.  72  sqq.l.  Ces  documents  aideront  un  jour  à  reconstituer  la 
jeunesse  si  |ieM  connue  de  Dorai. 


DURAT    A.MAIKI  I!     DK    MANISCKUS  77 

Meiumij  clarc  nepii.s  Liicreluiin , 
Quo  le  iiomen   nuo  prahal  creuluin  '. 
Sed  malin  in;iyis  illa  ritcns  aiiilit 
Tarn  propensa  viris  fauere  ilaclis  : 
Es  si  lu  inihi  qiKid  sua  poelae 
Antiqiio  fuil  illc.  fac  liomeri 
Ilymnoriim  mihicodicem  vetusium 
Pauluru  commodités  -,  sed  aille  primam 
Horam,  namqiie  hodie poenia  (jraecum 
Illud  puire  siluqueet  ulcerosum 
Mendis,  agcjrediar  meo  lahore, 
Oplatoque  lui  fauore  lihri. 
Tanquam  paeonia  leuare  cuia. 
Quem  spero  mihi  haud  irrilum  lahurem 
Susceplum  fore,  si  modo  ipse  Phoehus, 
Quem  primus  canil  Hymnus  3,  aulur  arlis 
El  praeses  medicae  fauel  modenli 
El  si  cullor  Apollinis  pins  lu 
Non  laudi  inuideas  Apollinari  '. 

Consciencieux  collecteur  de  variantes,  chercheur  de  manu- 
scrits, comme  on  verra  plus  loin  que  le  fut  Ronsard  lui-même. 
Dorât  est  aussi  un  excellent  connaisseur  de  la  langue.  Beau- 
coup de  témoignages  révèlent  en  lui  un  complet  philologue.  On 
l'a  jugé  sur  ce  point  trop  légèrement  ;  les  plus  sûres  autorités 
de  son  temps  auraient  dû  imposer  silence  à  l'irrévérence  du 
nôtre.  Qu'elles  viennent  de  France  ou  des  pays  étrangers, 
elles  se  prononcent  toutes  avec  déférence  pour  ce  «  grand  grec  », 
comme    1  appelle    Scaliger  ',   que    l'on    consulte  de    toutes    les 


1.  Le  poète  fait  allusion  au  Memmius  à  qui  Lucrèce  a  dédié  son  poème 
[Memmi  clara  propago  .  Lambin  n'a  pas  manqué  d'insister  sur  ce  rapproche- 
ment de  noms,  qui  justifie  la  dédicace  du  premier  livre  de  son  édition  à 
Henri  de  Mesmes. 

2.  Montfaucon,  qui  a  catalogué  la  bibliothèque  du  président  de  Mesmes 
(t.  II,  p.  1326-1330),  n'y  fait  figurer  aucun  manuscrit  des  Hymnes  homé- 
riques. 

3.  L'Hymne  à  Apollon  est  le  premier  du  recueil  mis  sous  le  nom 
d'Homère. 

4.  Biblioth.  nal.,  Lai.  8139,  fol.  103-104.  Ce  ms.  contient  un  yrand 
nombre  de  morceaux  inédits  de  Dorât,  mêlés  à  d'autres  parus  en  divers 
recueils. 

5.  Prima,  Scaligerana.  .Vmsterdam,  1740,  p.  20.  L'o|)inion  de  Bullart,  de 
Baillet  et  de  ([uelques  autres  ne  ferait  ici  (|u'uiic  vaine  bibliographie. 


78  RO^SARD   ET    I,  HUMANISME 

parties  ilii  inoiidc  érudit,  dès  qu'il  s'aj^it  d'établir  avec  cer- 
titude un  passa^'C  difficile.  11  csl,  en  cc-s  matières.  «  l'oracle  n, 
et  le  mol  vient  naturellement  .sous  la  plume  de  Muix't,  s'adres- 
sant  de  Home  à  (J.iikIi'  l)upuv  :  «  J'escris  au  seig''  [Benedettoi 
Manzuolo  dun  lieu  de  Platon,  de  quo  vellem  istic  meo  nomine 
consuli  Apollinem,  id  est  Auratum.  Si  le  seig''  Manzuolo  est  trop 
empesclié  pour  aller  lui  mesmcs  ii  l'oracle,  ie  vous  prie,  prenés 
ceste  peine  là  pour  moi  »  '.  Le  même  Muret  note  des  corrections 
de  Dorât  au  texte  de  Théocrite  et  de  Callimatjue  -.  Juste  I.ipse, 
qui  l'honore  grandement,  l'appelle  rnaynus  ille  Aura/us  '.  Les 
éditions  critiques  d'auteurs  grecs  préparées  par  le  louvaniste 
Guillaume  Ganter,  d'Lîtrecht.  diligent  reviseur  des  textes  grecs 
publiés  chez  Plantin,  contiennent  nombre  de  corrections  de 
Dorât  ■'  ;  ses  IVoiiaelecliones  le  c'ûenl  sans  cesse  pour  Théocrite  et 
Sophocle,  et  même  pour  Virgile  et  Properce  '"■.  Les  Verisiniilia 
du  jeune  Lucas  Fruytiers  (^Fruterius),  de  Bruges,  sont  remplies 
de  scolies  et  de  conjectures  obtenues  de  Dorât  pendant  un  long 
séjour  à  Paris,  et  qui  portent  j)our  la  plupart  sur  un  texte  latin, 
Festus,  Tibulle,  Properce,  le  prologue  de  V Amphitryon  de  Plaute  '■; 

1.  \olliac,  Lettres  inédites  de  Muret,  l.  c,  jj.  3'.K).  La  lellro  est  du 
27  décembre  lj7.'3.  Bencdolto  M;\nzuolo,  cvêque  de  Refjgio,  est  cité  plus 
loin. 

2.  Mureli  opéra,  l.  Il,  p.  :J4,  150.  Propos.uil  une  conjecture  dillërc-nte 
de  celle  de  Dorai  (zoviav  au  lieu  de  /.sv^iv,  Théocrite,  XV.  14)  il  ajoute  avec 
bonne  grâce  :  »  Cedamus  igilur  non  inuiti.  Aurato  enim  in  litteris  aducr- 
sari,  ou  Os[aiî.  » 

3.  (c  Fr.  Raphclengio  filio  suo,  Lutcliam,  KiSi  n^Opera  umnux,  l.  il,  107b, 
p.  101).  Cf.  une  lettre  de  la  même  année  à  Willius  i/u.s<i  Lipsi  epist.  cen- 
tur.  duae,  Paris,  veuve  G.  Cavellart,  1599,  p.  1.'Î2,  cent.  I,  ep.  98). 

4.  Dans  son  Sophocle  (Anvers,  Plantin,  1579),  Ganter  donne  son  assentior 
a  plusieurs  des  corrections  de  Dorât  sur  le  Philoctète;  dans  son  Eschyle 
1  Anvoi's,  I580i,  il  le  donne  à  des  corrections  sur  VAgamemnon.  Dorât  n'est 
pas  nommé  dans  son  Euripide  Anvers,  1571).  Pour  les  corrections  d'Eschyle, 
l'apprécialion  de  Gotlfried  Hermann  est  à  citer  :  m  Ule  omnium  qui 
Aeschyluni  attigerunt  princeps  Auratus...  ■>  iAeschijli  tragoediae,  Leipzig, 
1852,  t.  II,  p.  484.  Ayam.  1306).  Fahricius  dit  que  les  remarques  de  Dorât 
sur  Eschyle  sont  restées  mauuscrites  [liihlioth .  yr.,  2'"  part.,  p.  589)  ;  un 
lémoiguage  de  leur  existence  est  cité  par  nous,  p.  81.  Dorât  s'était  aussi 
occupé  de  Stacs  et  d'.\usone  (G.  Papinii  Slatii  qiiae  exslant  Oaspar  liar- 
Ihius  recensuit,  1664,  t.  1,  p.  94,  447;  t.  IV,  p.  1059:. 

5.  Gulielmi  Canteri  Ultraiectini  nounrunt  lectionuin  li/jri  octu  editio 
tertia),  Anvers,  1571,  p.  117,  256,  282,  330,  337,  .373,  424. 

6.  Lucae  Fruterii  Hrugensis  Verisiniilia  (Anvers,  1584),  réinipr.  dans 
Thésaurus  crilicus  a  lano  Grutero...  Francfort,  1604,  t.  II,  p  810,  K27.  829, 
855,  857,  867,  868,  869. 


AUTORITÉ    PHILOLOlilQbK    DE    DOIIAT  70 

lauteur  les  introduit  toujours  de  la  façon  la  plus  laudative  : 
«  A  nuUo  salis  neque  pro  merito  laudari  polest  ingeniuni  prae- 
ceptoris  mei  loannis  Aurati.  Hic  enim  vir  unicus,  si  quam  auare 
premit  scripta  sua,  tani  ea  liberaliter  in  lucem  atque  oculos 
studiosorum  permitteret,  esset  nimirum,  nec  fallor,  cur  neque 
Robortellos  sucs,  neque  Sig-onios  Italiae  inuideret  Gallia '.  »  El 
ce  bon  jug-e  insiste  sur  la  sûreté  que  possède  Dorât  pour  cons- 
tater la  faute  et  sa  promptitude  pour  y  remédier.  Cet  art  délicat, 
Dorât  lui-même  le  définissait  avec  bonheur,  en  écrivant  k  un 
chercheur  de  manuscrits  qui  ne  voulait,  comme  lui,  rien  laisser 
perdre  de  l'Antiquité  : 

...Ul  veleres  omnes  consunipaeris  unis  utraqtie 

Au(hores,  linc/iia  nec  periissc  sinas, 
Resiiluens  corrupla  luca  el  luxala  reponens 

Integra  et  haec  reddens  qnae  mulilata prius. 
In  qaemcungue  tua  Iraclaiiens  arle  hbeUum 

Qui  lacer  aut  carie  pêne  peresus  eral  -. 

Le  maître  de  Ronsard  était  donc,  en  ces  difficiles  exercices 
où  tant  de  bons  esprits  ont  excellé,  tout  autre  qu'un  simple 
amateur.  Pour  abréger  cette  démonstration,  je  ne  retiendrai 
plus  qu'une  attestation,  celle  de  l'auteur  du  Thésaurus  Unguae 
yraecae.  Henri  Estienne  mettait  Dorât,  pour  son  habileté  à 
corriger  les  fautes  des  textes,  sur  le  même  rang  qu'Adrien  Tur- 
nèbe.  Il  mentionne  à  plusieurs  reprises,  au  cours  de  ses  travaux, 
les  heureuses  conjectures  de  ce  confrère,  «  rpii...  in  restituendis 
multis...  poetarum  locis  sagacitatem  suam  ostendit  »,  et  il 
s'émerveille  de  voir  qu'une  des  corrections  de  Dorât,  sur  un  pas- 
sage corrompu  de  Callimaque,  est  vérifiée  par  le  témoignage 
d'un  ancien  manuscrite  Lorsqu'il   rend  horhmage  k  son  profes 

1.  Thés.  cr'U.,  p.  81!'.  Fi'uter  indique,  p.  85",  :'i  propos  de  Properce,  que 
sou  maître,  vir  princeps  in  his  disciplinis  (/uns  libérales  sppellanius,  est 
appelé  chaque  jour  [quotidie]  h  se  prononcer  sur  des  cas  qui  lui  sont  sou- 
mis. Sainte-Marthe  dit,  de  son  côté  :  <■  Summa  eruditiono  et  acerrima  con- 
iectura  praestans  oplimi  quoque  critici  laudem  quotidie  merebatur  ». 
[Galloriim  doctrine  illustrium  elogia,  Poitiers,  1598,  p.  87.) 

2.  Poemalia,  2'  part.,  p.  131  (à  B.  Manzuolo). 

3.  Poetae  graeci  heroïci  carminis  el  alii  nonnulU.  Excudehal  Henricus 
Stephanus,  Paris,  lîJGG,  2'  part.,  p.  xxxvii  (sur le  v.  31  de  VHtjmneà  Apollon 
de  t^allimaque'.  II  faut  lire  tout  le  morceau  qui  commence  ainsi  :  «  Quoties 
huius  versus  recordor,  loties  loannis  .\urati  recorder  necesse  est...  •>  ;  il  est 
cité  en  partie  par  Mailtaire,  Stephanonini  Ilistoria,  p.  281. 


80  RONSARD    ET    l.'lllîMANISME 

seur  Pierre  Danès,  doué  d'un  particulier  talent  «  ad  eluendas 
abstrusissimas  etiam  libroruiii  labiés  et  maculas  »,  il  nomme 
Dorât  parmi  ses  digues  l'uiules  :  «  Ab  eo...  ([uuui  discessi,  nullos 
([iii  niaiori  cuui  dexteritate  et  foelicitate  id  praestent  inuenio, 
quam  duos  mag-ni  apud  nos  nominis  viros,  Adrianum  Turnebuni 
et  loiinneui  Auratum...  ■>  '.  Ce  genre  de  mérite  était  tellement 
reconnu  au  précepteur  des  poètes  que  Denys  Lambin,  le  rappro- 
chant h  son  tour  de  Turnèbe  -  et  lui  dédiant  le  sixième  livre,  le 
plus  beau,  de  son  édition  de  Lucrèce,  assure  qu'il  semblait  avoir 
été  le  contemporain  des  écrivains  dont  il  reconstituait  avec  tant 
d'aisance  le  texte  véritable  ■*.  De  telles  qualités,  qui  assurent  une 
place  à  Dorât  parmi  les  philologues,  devaient  donner  aux  leçons 
écoutées  par  Ronsard  et  ses  amis  une  vie  et  un  mouvement 
extraordinaires. 

Dorât  n'a  laissé  que  dans  les  livres  dautrui  les  traces  de  son 


1.  Ex  Clesia,  Ag;itliurrhide,  Meinnone  excerplae  hisloriae.  Appiani  Ibf- 
rica...  Omnia  nunc  priinuni  édita  cum  Henrici  Stephani  casligalionibus, 
Paris,  1557.  Dédicace  à  Carlo  Sigonio,  f.  4. 

2.  Lambin  réunit  sans  cesse  le  nom  de  ses  deux  collègues  au  Collège 
royal.  11  déclare  à  plusieurs  reprises,  aux  préfaces  de  son  Lucrèce,  qu'il  les 
consulte  ensemble  pour  faire  approuver  d'eux  ses  conjectures  (c<  Galliae 
nostrae  atque  adeo  totius  Europae  principes,  collegas  mcos,.\drianum  Tur- 
nelnini  et  loannem  .\uratum...  »).  Dédiant  le  cinquième  livre  [à  Turnèbe 
lui-même,  il  les  unit  encore  dans  son  estime  :  «  .\c  de  lo.  .\urato  quidem, 
homine  ingenio  et  doctrina  tui  siraillimo  et  poene  gemino..  .  "  (  7".  Lucretii 
Cari  de  Natura  deorum,  troisième  édition  de  Lambin.  Paris,  1570,  p.  410, 
521,  etc.).  Dans  son  Cicéron  de  1566,  Lambin  fait  appel  deux  fois  à  l'auto- 
rité de  Dorât  1 1.  111,  p.  466  ;  t.  IV,  p.  337;.  Les  conjectures  portent  sur  des 
passages  grecs  des  lettresde  Cicéron. 

3.  Citons  le  passage  du  bon  latiniste  ami  de  Ronsard  à  la  louange  de 
Dorât",  lecteur  »  du  Collège  roj'al  :  «  N'eque  enim  niihi  fas  fuit  te  praeterire 
primum  collegam  meum,  deindc  in  ipsa  Collegii  necessitudine  easdem  litte- 
ras  docentem  ac  proûtentem,  doiade,  quod  caput  est,  amicum.  Et  vero  cum 
de  eximia  ac  poene  dicam  diuina  tui  ingenii  praestantia  singularique  doc- 
trina  cogito,  et  cum  tua  scripta  vel  relego,  vel  memoria  repeto,  videor  milii 
felicius  illis  et  fertilibus  nobilium  poetarum  temporibus  natus  esse 
...Ceteros  enim  homines  admiramur  elindoctis  viris  numeramus,  qui  vcte- 
rum  illorum  siue.  Graecorum,  siue  Latinorum  sententias  saepe  perobscuras 
et  aenigmatura  simillimas  explicare  atque  enodare  possunt.  Te  autem  quid 
dicam  eam  laudem  esse  consecutum,  qui  non  solum  antiquoriim  scripta  vel 
obscura  sic  illustras,  vel  corrupta  sic  corrigis  ac  lestituis,  ul  cura  illis 
vixisse  videaris,  verum  eliam  scribendi  similitudine  proxime  ad  illos  acce- 
dis  '?...  )i  (La  suite  du  morceau  est  citée  en  note  p.  76;.  La  première  édi- 
tion du  Lucrèce  de  Lambin,  oii  le  second  livre  est  dédié  à  Ronsard,  est  de 
15li3.  L'épîli'c  à  Dorât  est  du  mois  d'octobre  1563. 


X  '(mé 


Vjsje-' 


■W  .   w 


■  S"- 


iKiit.vr   l'iiK.iii.dcri'; 


81 


labeiu'  pliilolog-ique.  Il  n'a  jamais  pris  la  peine  de  préparer  une 
publicaliun  analogue  aux  Aduersaria  de  Turnèbe,  aux  Variae 
Lccliones  de  Vettori  ou  de  Muret.  C'est  aux  recueils  de  ce  genre 
publiés  par  d'autres  en  divers  pays  et  aux  éditions  savantes  du 
temps  qu'il  faut  recourir  pour  retrouver  le  témoignage  de  son 
activité.  La  recherche,  jusqu'à  présent,  n'a  tenté  personne  *. 
Quelque  manuscrit  de  Dorât  se  retrouvera  peut-être,  par  exemple 
ce  travail  de  jeunesse  sur  Eschyle,  dont  il  annonçait  l'envoi  à 
Muret  pour  un  prélat  italien  qui  désirait  le  voir  mettre  au  net  -. 
Il  apporta  apparemment  quelque  coquetterie  à  faire  désirer  ses 
travaux  d'érudit,  qu'il  ne  donna  jamais. 

Il  semble  s'être  satisfait  de  la  renommée  que  lui  faisaient  ses 
élèves  et  des  services  que  son  enseignement  rendait  aux  lettres. 
Assez  fier  d'être  compté  dans  la  Pléiade  de  Ronsard,  honoré 
du  titre  et  de  la  pension  de  Poeta  reçjiiis,  qui  l'obligeait  à  ver- 
sifier en  l'honneur  du  Roi  et  des  princes,  il  ne  lui  arriva  jamais 
d'imprimer  autre  chose  que  des  vers.  Il  ne  se  soucia  même  pas 
de  réunir  l'ensemble  de  sa  production  trilingue,  dispersée  en  ces 
nombreuses  plaquettes  de  «  Tombeaux  »  de  défunts  notoires, 
dont  la  mode  fut  de  cette  époque,  et  surtout  parmi  les  «  limi- 
naires »  d'ouvrages  de  toute  nature,  dont  les  auteurs  invoquaient 
devant  le  public  l'autorité  de  son  nom. 

Il  exerçait  ce  métier  honorifique  avec  une  complaisance  infa- 
tigable et  un  certain  scepticisme  ■'.  Il  présentait  indifféremment 
les  «  Premières  poésies  »   d'un  jeune  versificateur  de  province, 

1.  J'avais  réuni  les  éléments  d'une  élude  sur  Dorai  philologue,  à  l'époque 
où  j'élais  préparé  à  Irailer  ce  sujel.  Ne  l'envisag-eaut  plus  qu'au  point 
de  vue  historique,  je  rappelle  ([u'uu  philologue  qualifié,  Jacob  Reiske, 
écrivait  de  notre  humaniste  :  i'  Aurati  pallium,  h.  e.  praelectiones  in  opli- 
mos  quosque  auclores  graecos  publiée  Parisiis  lum  habitas,  dicuntur(meuni 
haud  est  quaerere  quo  iure  quaue  iniuria)  Scaliger,  Muretus,  Canterus, 
Stephanus,  alii  dilaniasse  ■•.  (Préface  du  Plutarque  de  Leipzig,  1774.) 

2.  Ce  travail  fait  penser  à  la  première  lecture  d'Eschyle  faite  à  Ronsard, 
dont  parle  Binet  (v.  plus  haut  p.  44,  et  aussi  p.  78,  n.  4).  Voici  le  passage 
de  l'épitre  adressée  à  Muret,  alors  à  Rome,  el  où  il  est  question  de  Pincé 
et  de  Benedetto  Manzuolo,  évêque  de  Reggio  (Poematia,  3'  part.,  p.  62)   : 

...Rhegius    Anlisles,  qui  nunc  mea  in  Aeschylon  instal 
Scrip(a  sibi  ul  mittam,  sed  nec  pes,  nec  caput  uUum 
[n  schedulis  noslris  itiuenilihus,  et  mihi  nec  mens^ 
Nec  visus  facit  officinm,  tamen  illa  reuisam 
Primo  tempore  quoque  et  Manzolo  omnia  mitlam. 

3.  Ne  le  déduit-on  pas  de  la  pièce  suivante?  Elle  figure,  avec   des  vers 
NoLHAC.  —  RonsHr<t  iH  riliinianixine.  li 


82  llO.NSAJtU    Lï    L  IH-MAKIS-ME 

enivré  d  imiter  la  Pléiade,  les  travaux  pliilologiques  de  ses 
collèg'ues  du  Collège  royal,  l'édition  d'un  ouvrage  de  Dante 
donnée  par  un  ami  italien  '  ou  Ai  recueil  de  niusi(jue  composé 
sur  les  œuvres  de  Ronsard  -'.  Comme  il  s'intéressa  toujours  aux 
ouvrages  traitant  de  l'Antiquité,  il  recommandait  avec  bonne 
grâce  les  textes  inédits  ou  les  éditions  nouvelles  d'auteurs 
anciens  que  multipliaient  les  érudits  K  Ses  admirateurs  auraient 
souhaité  qu'il  ne  laissât  point  ces  petits  poèmes,  parfois  ingé- 
nieux et  spirituels,  se  perdre  parmi  tant  de  volumes  où  nous  les 
retrouvons  peu  à  peu  aujourd'liui,  et  où  le  nom  de  Ronsard  n'est 
pas  sans  apparaître  avec  intérêt  ''.  On  aurait  voulu  qu'il  y  joi- 

français  de  Pierre  de  la  Ramée,  Jean  Vaiiquelin,  Haïf,  Sainte-Marthe,  etc., 
en  tête  de  La  Trafjfidie  (l'A(/amenmon,  arpc  ihus  livras  ih  chants  dn  Philo- 
sophie el  d'Amour  par  Charlps  Touiain,  Paris,  1557: 

In  Caroli  'J'utani  iiiueniles  conalus. 

Multa  rogant  mutti  me  carmina,  ilo  quoque  multis  : 

Officiiini  nam  ciii  carniinis  ifise  iiftiem  '! 
S/  tamen  usqiie  noiios  des  vatex  Galba,  non  sal 

Vatea  laudandis  latibus  unus  ero. 
Qiiod  polero  certt%  I uni  jjlaudam   valihiis   wniJ.s 

Omnibus  :  el,  (juà  /as,  cuiiine  salisfaciam . 
Sin.  alitiiiis  culpel,  (juod  cuncta  poemala  laudo  : 

Plaiido   nun  laudo  :  quid  minus  esse  polest   '.' 
Omnibus  ingeniis  si  laus  non  débita  par  est, 

Omnibus  al  pla  usas  débitas  ingeniis. . . 

1.  V.  l'éd.  du  De  fuhjari  eloquentia  procuvée  par  Corbinelli,  Paris,  1577. 
Cf.  Farinelli,  Dante  e  la  P'rancia,  Milan,  1908,  t.  I,  p.  465. 

2.  V.  le  recueil  de  Guill.  Boni,  Sonetz  de  P.  de  Ronsard  mis  en  musique 
à  IIII  parties .  Dorât  dit  que  Xémésis,  qui  avait  privé  Homère  de  ses  yeux, 
priva   Ronsard  de  ses  oreilles  : 

...Inuida  mox  iuueni.  Bnnsa  rde.  tibi  obludil  aures. 

Arle  sua  Bonius  r/u.is  tihi  restilail  : 
Nam  lua  dum  blando  moitulatur  carmina  ranlu, 

Mille  tibi  auditus,  mille  dat  auriculas. 

3.  Il  l'a  fait  pour  Joseph  Scaliger  comme  pour  ses  collègues  du  Collège 
royal.  Parmi  les  volumes  moins  aisés  à  retrouver,  je  relève,  pour  la  Bn  de 
sa  vie,  les  Animaduersiones  de  Simon  du  Rois  (Z?os(us\  accompagnant  une 
édition  des^  Lettres  à  Atlicus  (Limoges,  Barbou,  1580',  \c  Justin  de  Jacques 
Bongars  (Paris,  1581;,  le  commentaire  de  Hiéroclès  sur  les  Aurea  Pytha- 
fforeorum  carmina,  tiré  d'un  ms.  de  la  bibliothèque  de  Fr.  de  La  Roche- 
foucauld 1  Paris,  158.^  ',  le  poème  sur  la  Création,  du  diacre  Georges  Pisidès, 
mis  au  jour  par  Fédéric  Morcl  le  fils  (Paris,  15841. 

4.  Je  ne  veux  retenir  ici,  de  la  vaste  bibliographie  que  j"ai  réunie,  qu'un 
volunw  où  se  trouve  une  mention  curieuse  d'un  médecin  de  Ronsard.  Il  est 
publié  par  le  jeune  médecin  limousin  Valet,  :)  qui  Dorai  a  servi  de 
"  Mécène  »  et  confié  quelques  poèmes  pour  les  joindre  à  son  travail  {Ant. 
Valetii  oratio   in   srholis   medicnrum  anir  ticentiatum   habita...  Paris,  J.  de 


DOUAI     HOKIE  S'.i 

gnît  de  belles  odes  inédites  dont  il  régalHit  quelquefois  ses  fami- 
liers. Plusieurs  le  lui  disaient  joliment  en  latin  : 

...f  niim  est  (fiioJ  ;il)s  te,  si  /);ileri.s,  pe(n, 

Aiirate,  ne  (/uantuin  tuorum 

El  operumque  poemalumqiie 
Tiim  Innqo  in  arcis  lempiire  siip/inmas  ; 
Sed  tandem  in  anrae  lumma  puhbcae 

Prodire,  le  viuo  ac  videnle. 
.  .  .Al)  desiiw.  desine 
(Uinctaliitnuw.  non  duhiani  liit.-i 

Spondens  amicis  spem  pdemquc, 

Nenipe  breui  fore,  quo  frtiamur 
In  liiceaperta  felihus  inlcijris . 
Posl  fala  si  qui-i  forte  recenseal 

Voluniine  uno  coniprehen.sn.'i, 

.\e  lahorarte  vacel  liniendiini  esl  '. 

Baïf  appliquait  à  cette  exhortation  un  de  ses  sonnets  en  rimes 
féminines  : 

Que  nedescouvres-tu  ton  immortel  ouvrage, 
Que  des  neuf  doctes  seurs  la  bande  favorable 
T'a  doné  de  la  mort  pour  ne  craindre  l'outrage  '^  1 

Devenu  fort  épicurien  d'habitudes  à  la  fin  de  sa  vie,  Dorât 
reculait  toujours  devant  cette  fastidieuse  besogne.  Ce  fut  seu- 
lement deux  ans  avant  sa  mort,  en  1586,  alors  que  la  maladie 
l'empêchait  d'y  veiller  lui-même,  que  des  élèves  et  des  amis 
unirent  leurs  soins  pour  publier,  un  peu  du  hasard  et  avec  bien 
des  incorrections  typographiques,   un    ensemble  fort  incomplet 


Bordeaux,  1570).  Parmi  des  épigranimes  adressées  à  divers  médecins  de 
Paris  et  qu'on  ne  Irouve  pas  ailleurs,  celle-ci  est  dédiée  Sinioni  Piètre  d.  m. 
(cf.  Pnomatia.  II,  p.  50]  : 

Petruei  tihi  si  Pétri  doiniis  illa  Galandi 

Ao<a,  vêtus  nota  est  .ïi  domus  illa  mihi:  * 

Si"  mensa  iiiiienes  usi,  suie  si  sumus  uno: 

Si  tua  Rons a  rd  us.  si  niea  fama  meus  : 
Caius  ego  inç/enium.  lu  corporis  omnia  curas, 

El  i-ilia.el  morhos  quos  labor  ipsc  dédit  : 
Auratum   simulet   non.<t ardum  ainhire  pulato, 

Prn  palria  cuius  me  plus  urit  amor. 

1.  Les  Amours  de  lan  Antoine  de  Baïf,  Paris,  1372,  f.  52. 

2.  Ode  de  Paul  Melissus,  dans  ses  Schediasmala  de  1586,  p.  523-525. 


S'i  ii(j>s.\iiij  lir  l'iiimamsmi, 

de  ses  Poenialùi.  »  La  mort  récente  du  célèbre  Ronsard,  disaient- 
ils,  leur  a  fait  craindre  celle  de  leur  maître  et  la  perte  de  ses 
œuvres,  et  ils  se  sont  mis  à  ramasser  celles-ci  partout  où  ils 
ont  pu  les  trouver,  consultant  plulùt  leur  désir  que  le  sien  »  '. 
La  publication  plus  ample  et  plus  correcte  qu'annonçait  l'im- 
primeur Linocier,  le  recueil  que  préj)ara  ensuite  Scévole  de 
Sainte-Marthe  et  que  Jacques-Aufjuste  de  Tiiou  promettait  de 
divulguer,  sont  restés  de  simples  projets  et  la  mémoire  littéraire 
de  Dorât  en  a  souffert.  On  vient  de  voir  fjue  ses  titres  de  phi- 
lologue n'ont  pas  été  mieux  sauvegardés,  puisque  la  postérité 
en  est  venue  à  douter  du  témoignage,  jugé  trop  lyrique,  des 
poètes  ses  écoliers. 


VIII 


A  l'heure  de  la  Renaissance  où  étudiait  Ronsard,  la  littér;iture 
romaine  était  déjà  classée.  Depuis  près  de  deux  siècles  qu'on 
la  lisait  ;i  la  suite  de  Pétrarque,  qui  fut  le  premier  à  l'em- 
brasser dans  son  ensemble  et  à  en  révéler  l'esprit  véritable,  on 
ne  reconnaissait  qu'aux  grands  écrivains  l'autorité  didactique, 
et  les  minores  n'envahissaient  pas  le  rang  réservé  aux  maîtres. 
II  n'en  allait  pas  encore  de  même  pour  la  littérature  grecque,  dont 
les  œuvres,  jetées  pêle-mêle  dans  la  librairie  aux  premières  années 
du  seizième  siècle,  n'avaient  subi  ni  l'épreuve  du  temps,  ni 
celle  de  la  discussion  savante.  Toutes  les  pièces  d'un  ti'ésor  si 
neuf  paraissaient  également  précieuses.  C'est  par  là  qu'il  faut 
expliquer,  plus  encore  que  par  Tinsuflisance  de  son  goût,  l'atta- 
chement de  Dorât  à  des  auteurs  de  rang  inférieur,  et  la  part  qu'il 
leur  fit  dans  son  enseignement. 

On  ne  saurait  oublier  pourtant  que,  pour  ce  qui  regardait  la 
prose,  la  même  génération  eut  assurément  de  meilleurs  guides. 
Un  humaniste  plus  modeste  que  Dorât,  mais  dont  l'œuvre 
d'écrivain  et  de  professeur  est  considérable.  Louis  Le  Roy,  dit 
Regius,  s'était  imposé  la  tâche  de  révéler  aux  Français,  par  des 

1.  loannis  Aurati  Lemouicis poelae  el  interprelis  reyii  Poemalia. ..  Paris, 
G.  Linocier,  1586.  Cf.  OEnvres  poét.  de  Jean  Dorai,  éd.  Marty-Laveaux, 
Paris,  1875,  p.  70.  La  bibliograpliie  des  oeuvres  do  Dorât  est  établie  à  peu 
près  entièremenl  dans  les  notes  de  celle  édition. 


RONSARD    DFVANT    I.A    t.ITTÉR ATIRE    r.RniinlT  8." 

commeiitaires  et  des  traductions  en  leur  langue,  les  principaux 
représentants  de  la  pensée  grecque.  Les  préférences  de  son  labeur, 
bien  loin  de  s'égarer,  s'étaient  attachées  aux  œuvres  de  trois 
grands  prosateurs  de  la  Grèce;  il  traduisait  Platon,  Aristote  et 
Démosthène,  c'est-à-dire  «  les  lumières  des  lettres  et  les  précep- 
teurs appelez  par  Seneque  du  genre  humain,  qui  ont  demeuré 
longtemps  cachez  en  escholes  ou  ensevelis  aux  librairies  »  '  ;  et 
il  comptait  avec  eux  Isocrate  et  Xénophon.  Louis  Le  Roy,  de 
Coutances,  que  Du  Bellay  a  assez  malencontreusement  malmené 
dans  les  Reffrets,  avant  de  se  réconcilier  avec  lui  et  de  lui 
rendre  justice  "',  mérite  d'autant  mieux  d'être  rappelé  ici  que 
Ronsard  l'a  certainement  connu.  lia  lu,  et  même  avec  passion,  les 
travaux  du  traducteur  du  Phnlon  et  des  Politiques,  à  mesure 
qu'on  les  donnait  au  public  ;  il  leur  a  dû  de  compléter  ainsi  les 
connaissances  philosophiques  auxquelles  l'avait  initié  Denys 
Lambin  et  dont  il  y  a  mainte  trace  dans  son  œuvre  ■*.  La  sûreté 
des  choix  de  Ihumaniste  normand,  dirigé,  il  est  vrai,  par  les 
jugements  latins,  lui  fait  d'autant  plus  d'honneur  que  ceux  de 
Dorât,  pour  les  poètes,  se  sont  montrés  plus  incertains  et  moins 
éclairés. 

Le  maître  de  la  Pléiade  a  bien  étudié  d'abord,  et  assurément 
avec  une  déférence  marquée,  Homère  et  Pindare  :  mais,  à  toutes 
les  époques  de  sa  carrière,  il  donne  une  place  considérable  et 
surprenante  aux  Alexandrins,  même  à  ceux  d'entre  eux  qui  n'ont 
d'autres  litres  que  la  préciosité  de  leur  style  ou  la  bizarrerie  de 

1.  Préface  du  S;/m/)ose,  citée  par  A.  Henri  Beclver,  Luy»  Le  Roy  de  Cou- 
tances, Paris,  1896,  p.  85.  Dolet  l'avait  précédé  pour  Platon. 

2.  C'est  le  «  pédante  »  que  Du  Bellay  poursuit  de  ses  invectives,  pour  des 
raisons  personnelles  i^Becker,  p.  19-21).  On  sait  que  l'auteur  de  la  De/fense 
considère,  d'ailleurs,  le  travail  de  la  traduction  comme  ••  peu  profitable, 
inutile,  voir  pernicieuse  à  l'accroissement  de  la  langue  >■.  Ronsard,  admi- 
rateur d'.\inyot,  ne  parait  pas  avoir  partati^é  cette  opinion. 

.'3.  V.  l'imporlanle  lettre  de  Landjin  à  Ronsard  citée  plus  loin.  Voici  les 
principales  traductions  de  L.  Le  Roy,  dont  les  dates  des  premières  éditions 
sont  à  noter  :  Truh  oraisons  de  Démosthène  (Vascosan,  1331  ;  sept  chez 
F.  More!,  l.")73),  trois  livres  d'Isocrate  (1351),  Le  Tiniée  de  Platon  (1351), 
Le  Phédon  (1353),  Le  Sympose  (1359),  Les  Politiques  d'Aristote  (1368),  La 
Hépubliqiie  de  Platon  (1600,  posthume).  La  collal)oration  de  J.  du  Bellay 
pour  la  traduction  de  >•  plusieurs  passag'es  des  meilleurs  poètes  grecs  et 
latins  citez  au  Commentaire  ■>  est  attestée  au  titre  même  du  Sympose  ou  De 
l'Amour  et  de  la  Beauté.  Comment  Ronsard  n'aurail-il  pas  goûté  ce  liel  ou- 
vrage, dédié  à  Marie  Stuart  et  à  son  époux  ? 


86  RONSARD    ET    l'hUMAMSME 

leur  sujet.  L'abondante  production  de  la  décadence  hellénique 
est  traitée  par  lui  avec  une  piété  qui  nous  semble  manquer  de 
discernement.  11  est  même  ravi  d'avoir  à  lutter  contre  des  diffi- 
cultés plus  grandes  d'interprétation  ;  il  se  plaît  au  sens  obscur 
des  allégories  érudiles  usitées  autour  des  Ftolémées,  qu'il  s'ef- 
force de  remettre  à  la  mode  autour  de  lui  et  dans  lesquelles  ses 
élèves  croient  recueillir  un  héritnge  de  la  plus  pure  antiquité  '. 
Sous  sa  direction,  aucune  étude  ne  les  rebute,  dès  qu'il  s'agit 
d'un  poète  grec,  et  d'étranges  interversions  de  valeur  se  pro- 
duisent dans  leur  esprit,  .\ratos,  Nicandre,  .\pollonios  de  Rhodes 
prennent  rang  pour  eu.x  à  côté  des  plus  grands  anciens.  L'un 
d'eux,  Joachim  Blanchon,  compatriote  limousin  de  Dorât,  paraît 
avoir  dressé  une  liste  des  auteurs  préférés  par  celui-ci,  dans  un 
sonnet  qui  commence  ainsi  : 

Divin  Dorât,  qui  des  cendres  d'Homère, 
De  Theocrit,  Callimach,  Licofron, 
Pindare,   .Arat,  .\lcée,  .Xnacreon, 
As  le  premier  esclarcy  \:\  lumière. . .  ^ 

Parmi  de  singulières  énumérations  qui  abondent  dans  la  litté- 
rature du  temps,  on  peut  citer  encore  celle  que  fait  un  autre 
élève  de  Dorât  des  ouvrages  grecs  dont  il  demande  à  un  ami  de 
le  munir  à  la  campagne.  Avec  Homère,  dit-il, 

Qu'il  m'eiivoye  IWrat  et  de  Procle  la  Sphère  ; 
Theocrit,  Callimach  apporte  aveque  toi, 
Eschyl,  Anachreon,  Sophocle  porte  moi 
•     El  la  Chasse  adressée  à  l'enfant  de  Severe  ^. 


1.  Dorât  en  était  venu  à  avoir  la  réputation  rl'expliquoi- les  prophéties  et 
les  oracles.  Je  signale  l'étrange  dialogue  en  latin  où  il  est  introduit  comme 
interlocuteur  par  le  collecteur  des  Centuries  de  Nostradamus,  Jean  Aimes 
de  Chavigny,  beaunois  {La  première  face  du  lanus  franrois...  Lyon,  la9i, 
p.  30).  L'auteur,  qui  dit  l'avoir  entendu  expliquer  Pindare  in  Pylhiis  fp.  31 
et  291),  loue  l'étendue  de  sa  science  et  ajoute:  n  Eo  te  ingonioXatura  parens 
dotauit  ut  cl  per  te  inuenire  multa  et  abstrusissirna  quaeque  et  ab  oculis 
captu([ue  caeterorum  hominura  remotissima  in  lucem  euocare  tibi  facile  sit 
ac  prompinm.  » 

2.  Les  premières  œuvres  poétiques  de  Joachim  Blanchon...,  Paris,  1583, 
p.  279.  Cf.  sonnet  à  Muret,  «  orateur  du  pape  ».  p.  2'iO  ;  ode  à  Dorât,  p.  301. 
Des  vers  liminaires  de  Dorât  sont  reproduits  dans  les  Poematia,  part.  I, 
p.  12. 

3.  Première  partie  des  Sonnets  e.votériques  de  Gérard-Marie  Imbert.  réé- 
ditée par  Taniizey  de  Larroque,  Paris  et  Bordeaux.  1872,  p.  29.  Le  dernier 


RONSARD    ET    LES    POÈTES    ORECS  87 

Le  rayon  des  livres  grecs  dans  la  «  librairie  »  de  Ronsard  mon- 
trait des  confusions  pareilles.  Dans  la  plus  savante  de  ses  odes, 
celk'  ([u'il  adresse  -1(/  c/iancelier  de  l'Hoapifal,  où  il  conle  la 
naissance  des  Muses  et  le  voyage  des  belles  divinités  auprès  de  leur 
père  Jupiter,  il  a  essayé  de  se  reconnaître,  au  moins  une  fois, 
parmi  la  vaste  littérature  de  la  Grèce.  Au-dessus  de  tous  les 
autres,  il  met  les  poètes  de  l'époque  primitive,  celle  d'Eumolpe 
et  de  Musée,  de  Linos  et  d'Orphée,  qui  a  produit  Homère  et 
<c  l'Ascrean  »  Hésiode.  Ce  sont  là  «  les  poètes  divins  », 

Divins,  d'autant  que  la  nature 
Sans  art  librement  exprimoyent, 
Sans  art  leur  naïve  escrilure 
Par  la  fureur  ils  animoyent... 
Les  secrets  des  Dieux  racontoyent  ; 
Si  que  paissant  par  les  campagnes 
Les  troupeaux  dans  les  champs  herbeux, 
Les  Démons  et  les  Sœurs  compagnes 
La  nuict  s'apparoissoyent  à  eux  ; 
Et  loin  sus  les  eaux  solitaires, 
Carolant  en  rond  par  les  prez. 
Les  promouvoyent  Prestres  sacrez 
De  leurs  plus  orgieux  mvsteres. 

Ensuite  est  venue  la  a  jeune  bande  »  des  «  poètes  humains, 
degeaerans  des  premiers  »,  dont  les  vers  s'éloignent  "  bien  loin 
De  la  saincte  ardeur  antique  »,  et  Ronsard  désigne  pêle-mêle 
sans  les  nommer  Théocrite,  Apollonios,  Lycophron,  puis  en  bloc 
les  tragiques  et  les  comiques  d'Athènes  : 

L'un  sus  la  flûte  départie  . 

En  sept  tuyaux  Siciliens 

Chanta  les  bœufs,   l'autre  en  Scythie 

Fist  vorruer  les  Thessaliens; 


ouvrage  est  le  poème  cl'Oppien,  les  Cynégétiques,  dédié  à  l'empereur 
Caracalla  ;  le  premier  ilo  la  liste  est  désigné  par  son  titre  en  tête  de  l'ode 
de  Ronsard  A  son  laqii.ns  léd.  Laumonier,  t.  II,  p.  213)  ; 

*  «l'ay  l'esprit  tout  enmij'ê 

D'avoir  trop  estudic 
I,cs  PhenomeneedArate  : 
Il  est  temps  que  je  m'esbate 
Kl  (|ue  j'aille  aux  champs  jouer... 


88  ItONSARD    m     l.'lIi;.MAMSMI. 

L'un  list  Cassandre  furieuse  : 
J^  un  au  ciel  poussa  les  debas 
Des  roischelifs,  l'autre  plus  bas 
Traina  la  chose  plus  joyeuse  '. 

"  Après  ces  poètes  humains  »  et  <■  par  le  fil  dune  longue 
espace  »,les  Muses  ont  encore  inspiré  <■  les  prophètes  romains  ■>, 
sans  leur  accorder  les  dons  des  premiers,  ni  même  des  seconds 
parmi  les  Grecs.  Ces  velléités  de  classification  sont  à  noter,  mais 
elles  ne  persistent  pas  dans  la  pensée  de  l'écrivain;  lorsqu'il 
compose  V Hymne  de  la  Mort,  tout  est  brouillé  et  confondu  : 

Ou  ne  voil'aujourd'huy  sur  la  docte  poussière 
D'IIelicon  que  les  pas  d'Hésiode  et  d'Homère, 
D'Arate,  de  Nicandre  et  de  mille  autres  Grecs 
Des  vieux  siècles  passez,  qui  beurent  à  longs  traits 
Toute  l'eau  jusqu'au  fond  des  (îlles  de  Mémoire.  .  .  * 

On  ne  se  trompe  guère  en  faisant  remonter  aux  idées  de  Jean 
Dorât  les  illusions  de  cette  sorte,  qui  égarent  nos  poètes  d'au- 
tant plus  facilement  quils  ont  plus  d'information  et  de  lecture. 
Un  exemple  surtout  demeure  célèbre.  L'helléniste  qui  les  a  guidés 
ne  semble  pas  s'être  aperçu  qu'il  n'y  a  rien  de  commun  entre 
Homère  et  Lycophron  de  Chalcis,  qui  représentent  les  points 
extrêmes  de  sa  vaste  investigation  littéraire  ;  et  il  étudie  presque 
aux  mêmes  titres  V Iliade  et  la  Cassandra  ^,  dont  le  texte  vient 
de  paraître  à  Bàle  accompagné  du  commentaire  byzantin  de 
Tzetzès  ''.  Dorât  a  fait  aussitôt  de  ce  poème  son  butin  préféré,  et 
le  versificateur  de  la  Pléiade  ptolémaïque  va  jouir,  grâce  à  lui, 
aux  bords  de  la  Seine,  du  regain  éphémère  d'une  gloire  qui  a 
peu  duré  sur  les  bords  du  Nil. 

1.  Strophes  xvii-xvni.  Ed.  L.,  t.  II,  p.  139-140;  éd.  BI..  t.  II,  p.  87-89. 
L'ode,  délinitivement  classée  la  dixième  du  livre  I,  a  paru  d'abord  au  cin- 
quième livre   publié  en  l.j."i2. 

2.  Ed.  L.,  l.  IV,  p.  365;  éd.  Bl.,  t.  V,  p.  240.  L'hymne  a  paru  en  looo. 

3.  0  Homerum,  Pindarum,  Lycophronem  et  cetera  Graeciae  luinina  inter- 
pretabatur  «  (Papire  Masson,  Elogia.  éd.  cit.  Pai-is,  1638,  2"  p.,  p.  284). 

4.  L'édition  venait  d'êtie  donnée  à  Bâle,  chez  Oporin,  en  i:i46  par  Arnol- 
dus  Perexylus  .\rlenius  et  Nie.  Gerbelius,  après  l'édition  partielle  de  1513, 
dans  laquelle  .\lde  Manuce  avait  déjà  uni  ce  nom  à  ceux  de  Pindare  et  de 
Callimaque.  —  Pour  les  Plienom,.'na  d'.\ratos.  Dorât  faisait  usage  d'une  édi- 
tion de  Paris.  Pour  .\pollonios  et  Xicandre,  on  se  servait  des  Aldines,  en 
attendant  les  éditions  d'Estienue  et  de  Fédéric  Morel.  qui  ont  dû  se  trouver 
plus  tard  entre  les  mains  de  Ronsard. 


LVCOPHRON    Af    XVl"    SIÊCLf;  S9 

L'ouvrage  n'est,  comme  on  le  sait,  qu'un  long'  monologue  de 
la  prophétesse  Cassandre  sur  la  ruine  d'Ilion  et  la  destinée  future 
des  héros  Troyens  et  Achéens.  L'érudition  la  plus  indigeste,  l'abus 
des  allusions  historiques  et  fabuleuses  en  rendent  proverbiale 
l'obscurité,  et  Meursius  a  intitulé  son  édition  :  Lycophronis  Alexan- 
dre poema  ohscurum .  A  cette  confusion  s'ajoutaient  celle  des  com- 
mentateurs et  l'interpolation,  non  reconnue  alors,  des  passages 
sur  la  conquête  du  Latiuni  par  Enée  et  sur  celle  de  l'univers  par  les 
Romains.  Tout  cela  ne  faisait  que  rendre  plus  précieux  le  «  téné- 
breux ))  Lycophron  pour  les  curiosités  de  la  Renaissance.  Celles- 
ci  sont  attestées  par  les  traductions  latines  que  vont  tenter  suc- 
cessivement Guillaume  Ganter  et  Joseph  Scaliger  '.  Remarquons 
que  l'un  et  l'autre,  liés  avec  Dorât,  sont  plus  ou  moins  inspirés 
par  lui  pour  ce  travail  difficile,  désiré  par  les  poètes  de  l'en- 
tourage de  Ronsard  '-.  Ses  distiques  grecs,  qu'il  faut  chercher  en 
tête  de  la  publication  de  Ganter,  font  à  Lycophron  un  mérite  de 
tant  d'ombres  sibyllines  ■'.  L'engouement  de  ses  élèves  témoigne 
mieux  encore  de  cette  popularité  singulière.  Lîn  commentateur 
des  premières  Odes  a  loué  le  travail  fait  par  Dorât  '<  en  demel- 
lant  les  plus  désespérés  passages  de  l'obscur  Lycophron,  que 
nul  de  nostre  âge  n'avoit  encores  osé  dénouer  i>  ^.  G'est  une 
besogne  où  la  philologie  a  besoin  d'être  aidée  dune  sorte  de 
divination,  que  Ronsard  ne  manque  pas  de  célébrer  chez  un  homme 


1.  Cf.  Bernays,  J.  J.  Scaliger,  Berlin,  18aS,  p.  272.  L'édition  de,l.  Meur- 
sius est  de  Leyde,  Elzévir,  1697. 

2.  Van  Giffen  écrit  d'Orléans  à  Buclianan  :  «  Basileae  edittis  est  proxime 
Lycophron  a  Cantero  nostro  ciim  Scaligeri  fllii  versione  antiquitatis  plena, 
stylo  Pacuuiano...  Auratiis  hisco  diebus  Poetae  Regii  litulo  donatus,  et 
salis  amplo  honorario  et  annona  annua  ;  docendi  munus,  ni  fallor,  omittit... 
Aureliano,  17  cal.  feb.  1567  ».  (Buchanani  op.  omnia,  Leyde,  1725,  t.  IF, 
p.  726.) 

3.  Li/cophroni.i  Chalcidpnsis  Alexandra  siue  (^assandra,  cum  versione 
lalina  Giilielnii  Canteri.  Eiusdem  Canteri  in  eamdem  adnotationes.  Apud 
Uieronijmum  Commeliniim.  S.  1.  l')66.  Le  travail  de  Ganter,  sans  les  vers 
liminaires,  est  reproduit  avec  soin  dans  l'édition  de  II.  G.  Reicliard,  Leipzig, 
178S  ;  Dorât  y  est  cité   aux  p.  .')4,  83,  lo8. 

4.  Les  quatre  premiers  livres  des  Odes  de  Pierre  de  Ronsard  Van<loinois..., 
Paris,  G.  Cavellart,  1.^50,  fol.  150  (commentaire  des  fameuses  anagrammes 
grecque  et  française  de  Dorât  sur  le  nom  de  Pierre  de  Ronsard).  Onattribue 
ce  trop  court  commentaire  à  Jean  Martin,  l'architecte  écrivain  qui  a  tra- 
duit Vitruve,  Alherti,  Serlio  et  le  Sonije  de  Poliphile.  Cf.  Pierre  Marcel, 
Vnvulçiarisateiir,  Jean  Martin,  Paris,  190.3. 


!)0  110N8AMU    |;T    l.'ltUMAMSMK 

Renommé  parmi  la  France 
Ainsi  f[u"un  oracle  vieus, 
Pour  dénouer  aus  plus  sages 
Les  ])lus  ennoués  passages 
Di's  livres  lahiiricus  '. 

(Juillaume  Ganter,  fjui  fut  un  des  meilleurs  élèves  de  Dorât,  a 
mis  en  tête  de  sa  traduction  de  la  dassandra  les  distiques  grecs 
de  son  maître  qui  la  recommandent  -  ;  il  nous  informe  aussi  de 
la  part  que  prit  celui-ci  à  l'amélioration  du  texte,  et  nous  savons 
((u'i!  lui  avait  dédié  son  abrégé  en  vers  anacréontiques  composé 
poiu-  l'éclaircir '.  Mais  c'est  un  autre  écolier  (jui  nous  montre  Ron- 
sard dans  l'auditoire.  Le  médecin  Frédéric  .Famot,  de  Béthune, 
helléniste  habile  et  auteur  d'odes  pindariquos  on  grec  imprimées 
plus  tard  chez  Planlin,  rappelant  les  souvenirs  de  sa  jeunesse  et 
les  explications  précieuses  de  Dorât  sur  Pindare  (D/rcae/  carmina 
cycui),  mentionne  avec  plus  d'insistance  encore  les  mémorables 
leçons  sur  Lycophron.  Pour  éclaircir  son  auteur,  le  maître  recou- 
rait au  commentaire  de  Tzetzès  de  Chalois,  récemment  publié 
et  non  moins  obscur  que  le  poème  : 

Seu  soluis  nodos,   /'liri/fiiac  aenigriiala  vaiis, 

Chalcidica  qtionduni  (/raeca  nolata  manu, 

Undiqiie  coiiueiiiens  sliidiosas  applicat  aures 

1.  Même  édition,  fol.  22  V  (a  lan  d'Oral).  Ed.  Laumonior,  t.  I,  p.  127. 
Alix  témoigiiag-es  du  goût  de  la  Pléiade  pour  Lycophron  s'ajouterait  celui 
que  cite  G.  Colletetdans  sa  vie  inédite  de  l'angevin  Pascal  Robin,  sieur  du 
Taux  (fol.  42'i-),  Celui-ci  contait  ses  éludes  à  des  amis  : 

Or  Lycophron  et  la  prison  ohscure 
De  sa  devine  enferme  mes  soucis. 

2.  Voici  l'épigramme  de  Dorât  non  recueillie  dans  ses  œuvres  : 

EIS  AYKO'îïPnNA  IQANXOIC  AVPATOT  EIIirPAMMA 

'l>£5,  ti;  ivrjo  zot£   TajTa  atÇuXXiii.iv  à-c(!o£jT£v 

ïvir.^^Xot,   l'oç  Oeiï);  cijl^iXeo:  rjv  aoyi'ïjç  : 
r\  p' ÎTEryi  TO  [IXotT'ovoç  îr.oç  yê  |iâX' sivîxa  touto 

è'vSeov  o;  |_iaviif)v  elr.i  TÔt   |j.ojaonoXtiJV. 
où  yip  'AXHÏâvSpa  Ç'otôaâ  r.£ù  s'.ttîv  av  aXXto; 

rjia!vo;j.£vr|,  çpovswv  rj  çâxo  vuv  Auxôoptuv. 

3.  Il  dédie  une  de  ses  premières  publications  à  son  maître  d'Utrecht 
[Cornelio  Valerio  Vllr.),  comme  il  vient,  dit-il,  de  faire  pour  son  maître 
de  Paris  :  «  Sicut  ante  dies  aliquot  Lycophronis  oraculorum  compendium 
versibus  breuibus  utraquc  lingua  conscriptum  Aurato  misi.  "  Arislolclix 
f!la(firilap  pepll  fragnirnlti!»  siiiP  Iterniim  Uomcficonim  ppiln[ihi!i  mine  jiri- 
miim  aiiclori  siio  rpsliliila,  Bâle,  1.156). 


RONSARD    ET    LYCOPHRON  ÎM 

Turba,  Lycophronios  erudi'enda  modos . 
Addil  se  sociuni  et  socios  supereniinel  omnes 
RonK.irdus,  palriae  ma.rimiis  arle  lifrac...  ' 

Ronsard  lui-même  attestera  l'influence  des  leçons  de  Dorât, 
non  seulement  par  quelques  imitations  de  Lycophron  assez 
laborieuses,  mais  en  plaçant  la  prophétie  de  »  Cassandre  furieuse  » 
à  côté  des  Argonautiques  d'Apollonios,  parmi  les  plus  grands 
poèmes  que  les  Muses  ont  inspirés  aux  Grecs  -  ;  et  l'on  se  rappelle 
de  quel  accent  vigoureux  il  l'évoque  au  début  de  cette  chanson 
à  sa  dame,  où  il  confond,  par  un  jeu  pédantesque  qui  lui  est  fa- 
milier, la  belle  Cassandre  Salviati  et  la  fille  de  Priam  ; 

D'un  gosier  masche-laurier 

J'oy  crier 
Dans  Lycofron  ma  Cassandre, 
Qui  prophelize  aux  Troyens 

Les  moyens 
Qui  les  réduiront  en  cendre...  ^ 

C'était  encore  k  l'autorité  de  Lycophron,  ou  plutôt  de  Tzetzès 
rapportant  une  anecdote  de  la  cour  de  Ptolémée  Philadelphe,  que 
se  référaient  Doratet  d'après  lui  Du  Bellay,  pour  «  remettre  en  usage 
les  anagrammatismes  »,  dont  la  Pléiade  française  a  tant  abusé. 
Du  Bellay  garde  le  goût  assez  sûr  pour  ne  pas  trouver  dans  les 
défauts  de  la  Cassandra  des  gages  du  génie  de  l'auteur  et  ne  vou- 
drait pas  dire  «  que  Lycophron  feust  plus  excellent  qu'Homère, 
pour  estre  plus  obscur,  et  Lucrèce  que  Virgile  pour  ceste  mesme 
raison  «  '.  Ces  opinions  n'en  étaient  pas  moins  professées  par 
quelques  néophytes  enthousiastes. 

1.  Fed.  laniolii  medici  Beihuniemtis  Varii  poemala  graeat  et  lalina, 
Anvers,  Moietus,  1593,  p.  114.  Cet  ouvrage,  qu'a  signalé  Louis  Delaruelle, 
contient  des  odes  pindariques,  dont  l'une  est  dédiée  à  George  Buchanan, 
des  dislicpies  latins  adressés  à  ,1.  du  Bellay,  des  distiques  grecs  dédiés  » 
Henri  Estienne  a  propos  de  son  édition  d'Anacréon,  et  les  contributions 
de  l'auteur  aux  "  tombeaux  »  de  J.  Straceel,  P.  Galland  et  Turnèbe,  profes- 
seurs au  Collège  royal,  dont  il  a  suivi  les  levons  en  même  temps  que  celles 
de  Dorât.  Ces  indications,  je  crois,  permettent  de  date;'  son  séjour  à  Paris. 

2.  Ed.  L.,  t.  II,  p.  140  (ode  au  chancelier  de  l'IIospital). 

3.  Les  Amours,  éd.  Vaganay,  p.  368.  Cf.  le  commentaire  de  Muret  qui 
cite  les  vers  du  début  de  Lycophron,  où  Ronsard  a  trouvé  le  <■  gosier 
masche-laurier  »  f3ïçvr,3iY».)v  lO'Sarsv  ï/.  /.a;;iwv  tjr.a]  :  n  Les  prestres  et  pres- 
trcsses  anciennement.  lorsqu'ils  vouloient  pvn])hntispret  chanter  les  oracles, 
mangeoient  du  laurier.  •> 

4.  Df/fenre,  éd.Chamard.  p.  ^~''t  el  15!^. 


!I2  nONSAlUi    Kl     l.'lH  \IAMSME 

IX 

Cette  génération  a  visibleniont  attaché  d'autant  plus  de  prix  à 
certaines  études  qu'elles  lui  ont  coûté  plus  d'incertitudes  et  de 
labeur.  De  là  d'étranges  ardeurs,  dont  l'âge  suivant  éliminera  les 
excès.  Au  reste,  Dorât  n'est  pas  seul  responsable  des  erreurs 
([u'on  lui  roproclie  ;  Ronsard  et  Baïf  l'y  ont  poussé,  dans  leur 
fureur  de  tout  connaître,  dans  leur  crainte  de  laisser  échapper 
quelque  beauté  dont  pouvait  séparer  leur  jeune  muse.  L'auteur 
des  Mimes  et  des  Passetems  en  a  jusqu'à  la  fin  encombré  ses 
ouvrages  ;  mais  Ronsard  lui-même  se  montre,  pendant  plus  de  dix 
années,  comme  grisé  de  sa  science  d'helléniste,  lîien  qu'on  sache 
les  ressources  et  l'ennoblissement  qu'en  a  tirés  sa  poésie,  on  se 
prend  souvent  à  regretter  que  l'apprentissage  de  sa  pensée  ait 
duré  un  aussi  long  temps. 

Un  pédantismè  puéril  se  révèle  dans  la  recherche  systématique 
des  fables  les  moins  connues,  des  allusions  les  plus  difficiles  à 
saisir.  Le  commentaire  de  Muret  fut  nécessaire  aux  admirateurs 
de  Ronsard  pour  comprendre  le  Premier  livre  des  Amours  dans 
une  grande  partie  de  ses  détails.  Ils  devaient  rencontrer  avec 
soulagement  les  scolies  par  lesquelles  s'éclaircissaient  des 
vocables  obscurs,  brusquement  jetées  dans  le  texte,  comme  si 
le  poète,  dédaignant  le  suffrage  du  vulgaire,  n'eût  daigné  écrire 
([ue  pour  des  savants.  Il  y  avait  sans  doute,  de  son  temps,  peu 
de  lecteurs  capables  d'entendre,  sans  le  secours  d'un  Muret,  que 
«  le  dieu  médecin  »  en  qui  "  vit  encore  l'antique  feu  du  Thessale 
arbrisseau  »,  c'est  Apollon,  "  qui  premier  inventa  la  médecine  » 
et  aima  Daphné,  «  pucelle  Thessalienne  qui  fut  changée  en  lau- 
rier 1)  ;  que  «  la  serve  vertu  du  fort  Thebain  »,  c'est  la  vertu  d'Her- 
cule, serve  «  parce  que  tout  ce  que  fit  Hercule  fut  en  obéissant 
à  FAu-vsthée  »  ;  que  "  le  Dulyche  troupeau  »,  c'est  l'armée 
d'Ulysse,  Dulyche  étant  une  «  isle  de  laquelle  Ulysse  étoit  sei- 
gneur n  ;  que«  les  flambeaux  du  chef  Égyptien  »,  c'est  la  cheve- 
lure de  Bérénice  ;  que  les  mots  «  ton  dormeur  de  Latmie  »,  quand 
on  s'adresse  à  Diane,  désignent  Endymion,  et  que  "  le  sentier  qui 
rouUe  de  travers  »,  n'est  autre  que  «  le  cercle  appelé  Zodiaque  »  '. 

■1.    Exemples  cités  par  .1.  Vianey  dans  la  préface  de    l'édition   Vag-anay,' 
indiquée  ci-(lessons,  p.  xxvi. 


l'obscurité    SAVA-MK    UES    «    AMULRS     "  93 

Les  rares  lecteurs  de  Lycophroii  recoimaitiout  dans  ces  allusions 
accumulées  le  procédé  iiabituel  du  versificateur  alexandrin.  Il 
se  justifie  chez  lui  par  le  sujet,  qui  est  une  prophétie,  oîi  rien  ne 
doit  être  exprimé  d'une  façon  trop  claire  ;  chez  les  hommes  de  la 
Pléiade,  cette  imitation  vient  d'une  aberration  véritable. 

Des  difficultés,  qui  nous  arrêtent  fâcheusement  parmi  les  vers 
les  plus  beaux,  n'étaient  pas  plus  aisées  à  franchir  pour  les  con- 
temporains. On  s'étonne  qu'un  livre  destiné  à  plaire  aux  femmes 
en  ait  été  tellement  surchargée  :  <i  Croyez-vous,  écrira  un  cri- 
tique, que  votre  Cassandre,  pour  qui  vous  aviez  fait  ce  sonnet  ', 
en  eût  une  pensée  si  avantageuse  ?...  Pensez-vous  que  le  Dolope 
soudart,  le  Mi/rmidon,  le  Corcbe  insensé,  le  Grégeois  Pénelée,  lui 
fussent  des  noms  fort  intelligibles,  et  n'étoit-ce  rien  pour  une 
fille  que  d'avoir  à  déchiffrer  toutes  les  fables  du  siège  de  Troie  ?»  ~ 
Les  protestations  trop  justifiées  qui  s'élevèrent  décidèrent  sans 
doute  Muret,  dès  la  seconde  édition  des  Amours  (1533),  k  les 
«  commenter  d'^.  L'entreprise  eut  l'approbation  de  Dorât,  en  trois 
distiques  grecs,  qui  ne  reconnaissent  l'obscurité  de  Ronsard  que 
pour  lui  en  faire  un  titre  d'honneur  (o-sîpi  àXX'  idas-îj  )  ;  Baïf,  «  frère 
d'alliance  »  de  Muret,  après  avoir  composé  un  sonnet  liminaire 
pour  la  première  édition  du  recueil,  en  écrivit  un  second  pour  le 
commentaire  : 

Quand  deux  unis  suivent   une  entreprise, 

Moindre  est  lennui,  le  courage  plus  grand... 

Ceci  disoit,  celle  nuit  qu'épiant 

Le  camp  vainqueur  du  Troien  endormi 
Tydide  grec  s'accompagna  d'Ulysse. 

Ainsi,  Ronsard,  de  Muret  t'alliant, 
Fausse  le  camp  du  Vulgaire  ennemi, 
Quoy  qu'une  nuit  ton  chemin  obscurcisse  '. 


1.  Il  Je  ne  suis  point,  ma  guerrière  Cassandre  »  (éd.  L..  l.  I,  p.  i'. 

2.  Le  Parnasse  réformé,  cité  par  Bayle,  Dictionnaire,  2°  éd.,  Rotterdam, 
1702,  s.  i'.  Ronsard. 

3.  Les  Amours  de  P.  de  Ronsard,  VanJomois,  nouiiellemeni  atiginentees 
par  lui  &  commenlees  par  Marc  Antoine  de  Muret.  Plus  quelques  Odes  de 
l'auteur  non  encor  imprimées.  A  Paris,  cliez  la  veuve  Maurice  de  la  Porte, 
15S3. 

4.  IM.  Vaganay,  p.  xlix.  Les  vers  de  Dorât  ne  sont  pas  reproduits  avec 
les  autres  pièces  liminaires  des  éditions. 


9i  HD.NSAKU   ET    i.  HUMANISME 

Iiulibpfiisiible  pour  eoiupreiitlre  le  détail  du  texte,  le  coinineii- 
taiie  de  Muret  aide  à  replacer  dans  son  moment  l'activité  de  Ron- 
sard à  ses  débuts  et  en  donne  la  signilication  véritable  ;  mais  il 
vaut  d'être  étudié  pour  lui-même.  Ecrit  un  peu  vite,  l'auteur  ayant 
dû  <i  autant  composer  par  chacun  jour  comme  les  impiimeurs  en 
pouvoient  mettre  en  œuvre  »,  c'est  cependant  un  beau  texte  fran- 
çais, plein  de  suc,  qu'on  a  trop  néf^ligé  de  notre  temps  '.  Tous  les 
emprunts  du  poète  à  des  passages  d'auteurs  anciens,  sans  oublier 
les  néo-latins,  ni  les  Italiens  -,  toutes  les  réminiscences  mytholo- 
giques ou  historiques  sont  relevés  avec  soin  par  le  jeune  érudit 
et  expliqués  au  lecteur  dans  une  langue  claire  et  savoureuse^. 
Le  travail  dont  il  s'est  chargé  est  considérable  ;  il  y  attache  du  prix 
avec  raison,  «  ayant  usé  de  .^a  seule  diligence  ■<  pour  les  choses 
«  qui  pouvoient  se  tirer  des  autheurs  Grecs  ou  Latins  »,  et 
d'éclaircissements  personnels  de  Ronsard  sur  le  sens  et  l'intention 
de  certains  sonnets*.  Celui-ci  reconnait  l'importance  de  l'd'uvre, 

1 .  On  doit  remercier  M.  Hugues  Vaganay  d'avoir  recueilli  les  commen- 
taires de  Muret  et  de  Belleau  dans  sa  belle  et  savante  édition  :  Les  Amours 
'le  P.  de  Ronsard  commentée.t  par  Marc-Antoine  de  Muret...  d'après  le  texte 
lie  lo7S,  Paris,  Cliampion,  1910.  M.  Joseph  Vianey  y  a  mis  une  précieuse 
préface,  qui  est  la  première  élude  sur  l'œuvre  de  Muret,  considérée  surtout 
au  point  de  vue  philologique.  Le  commentaire  des  .\mours  a  été  traité 
bien  légèrement  par  le  dernier  biographe  de  Muret,  Chhclob t. Marc- Antoine 
Muret.  Un  professeur  français  en  Italie^  Paris,  1881.  p.  28  .  On  me  permet- 
tra de  rappeler  que  j'ai  noté  jadis  les  lacunes  de  cet  ouvrage  dans  un 
article  étendu  de  la  Revue  critique  de  1882,  t.  I,  p.  483. 

2.  Les  Italiens  sont  Pétrarque,  Arioste,  Bembo,  Lelio  Capilupi  et 
Renicri.  Le  commentateur  de  1604  et,  de  nos  jours.  M.  Jos.  Vi:iney  ont 
découvert  d'autres  emprunts  qui  avaient  échappé  a  Muret.  Cf.  la  préface  de 
Vianey,  p.  xviii-xxxii. 

3.  Il  est  puéril  de  dénigrer  Ronsard  sur  une  phrase  qui  s'applique 
notamment  à  toute  la  poésie  amoureuse  d'alors  et  de  bien  d'autres  temps  : 
<c  II  n'y  a  point  de  doute  qu'un  chacun  autheur  ne  mette  quelques  choses 
en  ses  escrits,  lesquelles  luy  seul  entend  parfaitement  :  comme  je  puis 
bien  dire  qu'il  y  avoit  quelques  Sonets  dans  ce  livre  qui  d'homme  n'eussent 
jamais  esté  bien  entendus,  si  lautheur  ne  les  eust,  ou  i»  moy  ou  à  quelque 
autre  familièrement  déclarez.  >■  Cette  observation  se  relie  à  la  phrase  pré- 
cédente :  «  Et  pleust  à  Dieu  que  du  temps  de  Homère,  de  Virçjlle,  et  autres 
anciens,  quelqu'un  de  leurs  plus  familiers  eust  employé  quelques  heures  à 
nous  esclaircir  leurs  conceptions,  nous  ne  serions  pas  aux  troubles  aux- 
quels nous  sommes  pour  les  entendre  »  (éd.  Vaganay,  p.  lit'. 

4.  Commentaire  du  sonnet  «  De  soins  mordaus  et  de  soucis  divers  »  : 
i<  Ce  Sonet  a  été  fait  contre  (juelques  petits  Secrétaires,  muguets  et  mignons 
de  Court,  lesquels  ayant  le  cerveau  trop  foible  pour  entendre  les  escrits  de 
l'Autheur,  et  voyans  bien  que  ce  n'estoit  pas  leur  gibier,  à  la  cousturae  des 
ignorans,  feignoient  repi'endre  et  mespriser  ce  qu'ils  n'entendoient  pas  » 
(éd.  Vaganay,  p.  261). 


.MURET    INTERPRÈTE  DE    RONSAKU  'Jî) 

en  laissant  mettre  aux  feuillets  préliminaires  le  portrait  de  son 
ami  en  même  temps  que  le  sien.  Muret  rend  service  en  elTet, 
non  seulement  à  l'auteur,  mais  à  l'école  entière,  en  imposant 
silence  aux  »  abbois  de  l'ignorance  populaire  »  et  en  vengeant 
d'attaques  injustes  le  chef  qu'elle  s'est  donnée, 

lequel,  pour  avoir  premier  enrichy  noslre  laiij,'ue  des  Grecques  et 
Latines  despouilles,  quel  autre  grand  loyer  en  a-l-il  encores  r'apporlé? 
N'avons-nous  pas  veu  11  ndocte  arrogance  de  quelques  acrestez  mignons 
s'esmouvoir  tellement  au  premier  son  de  ses  escrils,  qu'il  semljloit  que 
sa  gloire  encores  naissante  deust  estre  esteinte  par  leurs  elForls  ? 
L'un  le  reprenoit  de  se  trop  louer,  l'autre  d'escrire  trop  obscurément, 
l'autre  d'estre  trop  audacieux  à  faire  de  nouveaux  mots  ;  ne  sachans 
pas  que  ceste  coustume  de  se  louer  luy  est  commune  avecques  tous 
les  plus  excellens  Poêles  qui  jamais  furent  ;  que  l'obscurité 
qu'ils  prétendent  n'est  que  une  confession  de  leur  ignorance;  et  que, 
sans  l'invention  des  nouveaux  mots  les  autres  langues  sentissent 
encores  une  toute  telle  pauvreté,  que  nous  la  sentons  en  la  nostre  '. 
Mais  le  temps  est  venu  que  presque  tous  les  bons  esprits  cognoissent 
la  source  de  ces  complaintes,  et  d'un  commun  accord  se  rangent  à 
soustenir  le  party  de  ceux  qui  taschent  à  dessiller  les  yeux  du  peuple 
François,  ja  par  trop  long  temps  bandez  du  voile  d'ignorance  '-. 

C'est  un  pur  travail  d'humaniste  que  Muret  a  accompli,  en 
commentant  Ronsard  de  la  même  façon  qu'il  fera  plus  tard  pour 
tant  d'écrivains  de  l'Antiquité.  Il  répond  aux  gens  qui  pourraient 
trouver  étrange  qu'il  se  soit  «  mis  à  commenter  un  livre  François 

et  composé  par  un  homme  qui  est  encore  en  vie Mais  veu  qu'il 

y  a  beaucoup  de  choses  non  jamais  traitées,  mesme  des  Latins, 
qui  me  pourra  reprendre  de  les  avoir  communiquées  aux  François?» 
Muret,  qui  deviendra  bientôt  la  grande  lumière  professorale  du 
Collège  Romain,  saisit  avec  entrain  une  occasion  d'enseigner  ses 
compatriotes  et  de  les  fournir  des  connaissances  diverses  néces- 
saires pour  bien  goûter  l'œuvre  de  son  poète  comme  celles  des 
Anciens.  Il  n'a  pas  besoin  d'autres  raisons  pour  justifier  le  tra- 

1.  Ronsard  n'a  pas  conservé,  dans  ses  révisions,  tous  les  mots  nouveaux 
qu'il  introduisait  et  la  plupart  de  ces  suppressions  lui  ont  été  suggéiées  par 
Muret  lui-même.  (Juoiqu'on  ait  pu  dire,  il  n'était  nullement  entêté  de  néo- 
logismes.  V.  l'étude  de  Vianey,  p.  ii-x. 

2.  Cette  préface  de  Muret  est  dédiée  à  Adam  Fumée,  conseiller  au  Par- 
lement de  Paris,  que  lîonsard  ne  noninic  uiille  part. 


96  HO.NSAIIU    Ll     I.  Ml  .MAMSME 

vail  coiisidi-rahle  auquel  il  sest  liviv;  il  lui   importera   peu    (|ui' 
des  railleurs,  cjuelques-uiis  assez  (iiis,  sen  soient  mo(]ués '. 

Pour  la  inylhographie  notamment,  Muret  mérite  claulant  mieux 
(l'être  consulté  qu'il  s'étend  avec  abondance  sur  les  léj^endes 
antiques,  encore  peu  familières  aux  lecteui-s  français,  et  parmi 
lescjuclles  Ronsard  accueille  souvent  les  plus  abstruses,  l.e  jeune 
commentateur  prend  soin  d'indiquer  ses  sources  qui  sont,  la  plu- 
part du  temps,  celles  même  où  le  poète  a  puisé  '-.  C'est  ainsi  <ju  il 
narre  au  lecteur,  à  mesure  que  les  son  nets  di^s  Amours  lui  en 
fournissent  le  prétexte,  les  histoires  de  Prométhée,  d'après  Phé- 
récyde  (de  Leros),  «  le  commentateur  d'ApoUoine  ^\pollonios 
de  Rhodesj...  etValcre  Flacque,  au  quatrième  et  cinquième  des 
Argonautiques  »•';  de  Bellérophon,  <<  comme  raconte  Pindare  aux 
Olympies  »  *  ;  de  Phinée  etdesHarpyes,  selon  Apollonioset^'ale- 
rius  Flaccus-^:  d'Orphée,  d'après  Pindare,  Apollonios  et  Ovide''; 
de  Tantale  et  d'Ixion,  d'après  Homère,  Pindare  et  »  ses  inter- 
prètes »,  Euripide,  Virofile  et  le  commentaire  de  Didyme  «  sur  le 
ving-t-uniesme  de  l'Odyssée  »"  ;  de  Sisyphe,  d'ajtrès  les  scho- 
liastes  d'Homère  et  de  Pindare^;  de  Télèphe,  roi  de  Mysie,  blessé 
et  guéri  par  Achille,  d'après  Dictys  et  <<  le  commentaire  de  Lyco- 
fron  »,  avec  citations  d'Ovide,  de  Pline  et  de  Claudien'';   celles 

1.  On  en  verra  un  exemple,  à  signaler  pour  d'autres  raisons  aux  curieux, 
dans  le  ms.  843  du  fonds  Dupuy,  fol.  168.  C'est  un  conimenlaire,  dans  le 
genre  de  celui  de  Muret,  sur  le  fameux  sonnet  de  Klorent  Chreslien  contre 
Ronsard,  où  le  mot  Pléiade  est  prononcé.  Il  y  a  là  une  fine  critique  du 
genre,  que  j'attribuerais  volontiers  à  Chreslien  lui-même. 

2.  Ils  ont  l'un  et  l'autre  une  prédilection  pour  les  sources  alcxandrines. 
Laumonier,  qu'il  faut  consulter  sur  ce  point,  p.  378  sqq.,  indique  un  recueil 
de  mythologie  et  d'astronomie  mythologique  paru  à  Bàlo,  en  lt>33,  et  qui 
contient,  outre  Fulgence  et  d'autres  auteurs,  les  tex  tes  grecs  d' Ara  tosP/ierao- 
mena)  et  de  Proclos  [Desphera]  avec  une  traduction  latine.  Nos  poètes  ont 
pu  lire  aussi  le  De  genealoçjia  ileoruni  de  Boccace,  réiiuprimé  h  Bâle  en 
1532  et  souvent  «  allégué  »  par  Lemaire  de  Belges. 

3.  Ed.  Vaganay,  p.  12  et  13. 

4.  Ed.  Vaganay,  p.  33. 
o.  Ed.  Vaganay,  p.  34. 
fi.    Ed.  Vaganay,  p.  134. 

7.  Ed.  Vaganay,  p.  88-89. 

8.  Ed.  Vaganay,  p.  90. 

9.  Ed.  Vaganay,  p.  234-236.  Citons  ici  un  exemple  de  l'allusion  ronsar- 
dienne  : 

Ainsi  jadis  sur  la  poudre  Troyenne, 

Du  soudai't  Grec  la  hache  Pelienne 

Du  Mysien  mit  la  douleur  à  fin  : 
Ainsi  le  trait  que  ton  bel  œil  me  rue 

D'un  niesme  coup  me  guarisl  cl  me  tue... 


LE    COMMENTAIRE    DE    MURET    SIR    LES    «    AMOURS    .)  97 

d'Ulysse  et  de  Circé,  de  Promue  et  de  l'iiiloinek-,  el  beaucoup 
d'autres.  Il  »  récite  »  la  fable  de  Jupiter  se  transformant  en  pluie 
d'or  pour  séduire  Acrisie,cjut  est  «  en  la  métamorphose  d'Ovide  », 
mais  il  ne  fait  que  mentionner  celle  d'Europe,  «  parce  que  Baïf 
l'a  divinement  descrite  au  livret  appelle  Le  ravissement  d'Europe; 
on  la  pourra  prendre  de  là  »  '. 

Fidèle  à  ses  intentions  didactiques,  le  scoliaste  attentif  insiste 
de  préférence  sur  les  lét^endes  le  moins  connues,  contant  par 
exemple  à  loisir  celle  du  serpent  écrasé  par  Hélène  sur  le  rivage 
d'Egypte,  à  son  retour  de  Troie,  et  qui  est  «  prise  des  Thé- 
riaques  de  Nicandre  "  :  «  Hélène,  marrie  de  la  mort  de  son 
pilote  [Canope],  accourut  et  de  colère  écrasa  de  ses  pieds  l'es- 
chine  de  ce  serpent,  et  luy  en  fit  sortir  les  entrailles  et  les  nerfs 
qui  font  la  ligature  du  dos  —  Depuis  ceste  heure,  les  serpens  ont 
toujours  glissé  à  doz  rompus  »  -.  Notre  humaniste  narre  avec 
verve,  d'après  la  Théogonie  d'Hésiode,  la  naissance  de  la  déesse 
que  le  sonnet  de  Ronsard  nomme  «  l'escumière  fille  »,  en  lui 
comparant  sa  maîtresse  «  s'habillant  au  matin  »,  et  c'est  une 
occasion  de  citer  une  strophe  des  Amours  de  son  cher  Baïf,  un 
sonnet  italien  «  fait  par  Messer  Lelio  Capilupi  »  et  «  un  épi- 
gramme  de  Léonide  »,  sur  le  fameux  tableau  d'Apelle,  qui  lui  a 
semblé  «  merveilleusement  gentil  »  ■'.  C'est  d'ailleurs,  une  de  ses 
joies  d'imprimer  des  passages  grecs  plus  souvent  que  des  passages 
latins.  Il  glane  en  chemin  une  foule  de  menus  détails  sur  l'origine 
du  nom  des  divinités,  sur  l'emplacement  des  lieux  antiques  cités 
dans  les  sonnets,  etc.  Il  s'attache  également  à  éclaircir  les  allu- 
sions philosophiques  de  Ronsard,  la  théorie  des  atomes  («  Ces 
petits  corps  qui  tombent  de  travers...»)  '",  selon  «  Empédocle, 
Epicure,  et  leurs   sectateurs  »  ;  il  explique  le  sens  du  mot  enté- 


1 .  Sur  le  sonnet  xx.  Ed.  Vaganay,  p.  45. 

2.  Ed.  Vaganay,  p.  144.  Muret  cite  plusieurs  fois  ce  poète  que  Ronsard 
a  beaucoup  lu.  De  même,  à  propos  du  sonnet  «  Celuy  qui  boit,  comme  a 
chanté  Nicandre  »,  Belleau  parle  i<  De  l'Aconite  et  des  remèdes  alléguez 
dedans  les  Allexifarmacques  de  Nicandre  ».  Ronsard  lui-même,  dans  le 
petit  commentaire  de  quatre  odes  cité  plus  loin,  mentionne  «  la  fable  dans 
les  Theriaques  de  Nicandre,  de  Tànesse  qui  portoit  la  déesse  Jeunesse  sur 
son  dos...  i> 

3.  Ed.  Vaganay,  p.  82  (v.  p.  159  le  grand  éloge  de  Baïf). 

4.  «...Comme  on  peut  veoir  dans  Lucrèce  et  dans  Ciceron  en  plusieurs 
lieux  ».  Ed.  Vaganay,  p.  74. 

Nul, mai:.    —  /îons.in/  el  l'IIniiuinisme.  7 


i)8  itoNSAKi)  i;r  i,'iii  mamhmk 

/e'c/i/e  d'après  Aristole  («  Estes  vous  pas  ma  seule  Entelecliie?  "  '  , 
le  sens  platonicien  du  mot  «  idée  ».  que  le  poète  emploie  si  fré- 
quemment, l'allégorie  des  deux  chevaux  le  noir  représentant 
<<  un  appétit  sensuel  et  désordonné  guidant  lame  aux  volupté/, 
charnelles  ».  le  blanc,  "  un  appétit  honneste  et  modéré  tendant 
tousjours  au  souverain  bien  "),  qui  est  »  extraite  du  Dialogue  de 
Platon  nommé  Phaedre  ou  De  la  beauté  -  ».  Un  jugera  que  les 
connaissances  de  cette  nature  ne  sont  pas  nécessairement  fami- 
lières aux  lecteurs  d'un  recueil  amoureux. 

Ces  commentaires  d'un  coniiiient  de  la  pensée  du  poète  équi- 
valent souvent  à  ceux  qu'il  aurait  pu  donner  lui-même.  Mais  nous 
avons,  pour  le  petit  recueil  des  quatre  odes  ([ui  suit  les  Amours, 
des  annotations  qui  sont  précisénuml  de  Ronsard  et  deviennent, 
à  ce  titre,  fort  préeieuses  '■'■.  Leur  authenticité  ne  semble  pas 
douteuse  et  leur  composition  s'explique,  ainsi  que  celle  du  grand 
travail  de  Muret,  parles  critiques  que  certains  amis  de  l'auteur 
lui  avaient  faites  sur  l'obscurité  de  ses  trop  savants  passages, 
qui  déconcertaient  son  meilleur  public.  Michel  de  l'Hospital  venait 
d'en  écrire  à  Jean  de  Morel  :  .\oii  est  praetermiltenduni  ni  in  iis 
abslineat  nouis  et  insoli/is,  si  vuU  placere  ^.  Acceptant  cet  avis 
sincère,  Ronsard  comprenait  au  moins  la  nécessité  des  scolies 
pour  quelques  expressions  singulières  ■'  et  aussi  pour  quelques 
fables,  dont  il  indiquait  l'origine  de  cette  fa^on  : 


1.  Ed.  Vagaiiay,  p.  12S.  liemarquons  qu'à  cette  date  Murel  prend  parti 
contre  Ramus,  quand  it  s'étend  sur  «  ce  grand  Aristote,  duquel  l'érudition 
a  toujours  esté  célébrée  par  les  doctes,  et  de  nostie  temps  en  l'Université 
do  Paris,  comme  à  l'envy,  clabaudée  par  les  iguorans  ■). 

2.  Ed.  Vaganay,  p.  47. 

3.  Elles  n'ont  été  imprimées  qu'une  l'ois,  dans  l'édition  de  la.ï3,  tandis 
que  les  commentaires  de  Muret  sont  reproduits  dans  toutes  les  éditions 
du  xvi"  et  du  xvii*  siècle.  Aucun  éditeur  moderne  ne  les  a  connues.  On  les 
doit  à  Lauraonier,  ([ui  les  a  publiées  comme  attribuables  h  Ronsard  dans 
la  Revue  d'hist.  lill.  de  la  France  de  190o,  p.  232-25.'i.  On  ne  voit  pas, 
Murel  étant  exclu  [luisqu'il  y  est  cité,  de  qui  ces  notes  pourraient  être, 
sinon  du  poète  lui-même.  Il  n'y  a  guère  que  lui,  par  exemple,  qui  a  ))u 
uieltre  à  l'ode  IV  colle  note  cliarmante  :  «  Les  plis  de  sa  robe  pourprée.  Les 
l'euilles  vermeilles  repliées  l'une  près  de  l'autre,  comme  les  plis  d'un  beau 
vestement.  » 

4.  Lettre  du  1«'' décembre  I3.ï2.  reproduite  dans  ce  livre.  Cf.  ftevue  d'hist. 
lill.  de  la  France  de  1S99,  p.  3S5. 

3.  «  Les  presens  de  Ceri>s,  les  blés,  .loui^enee.  jeunesse,  vieil  mot  fran- 
çois  »,  etc. 


RO.NSAKU    SE    aiMMKMAM     l-l  l-.MÙMK  99 

Phèdre  I.  l'ut  la  seconde  femme  de  Thésée,  lequel  accusa  à  tori  sou 
iillatre  Ippolite  fuiant  l'ire  de  son  père  Thésée  ;  deschiré  par  ses  chevaus 
niesmes  mourut  sur  le  bord  de  la  nier.  \'oi  Oppian  au  livre  qu'il  a  l'ait 
des  poissons.  —  lîiblis),  lille  de  Menandre,  lut  tellemenl  amoureuse 
de  son  frère  Caunus,  que  laissant  toute  vergougne  requise  et  à  une 
scfur  et  à  une  pucelle,  osa  bien  solliciter  son  frère  Caunus  de  son 
deshonneur,  lequel  la  refusant,  de  dépit  elle  quitta  le  pais  et  s'enfuit 
en  Phrvgie,  où  elle  fut  muée  en  fontaine,  qui  porte  encore  aujourd'hui 
son  nom.  \'ol  le  neuvième  livre  de  la  métamorphose  d'Ovide.  • — 
Léandrei,  pour  jouir  de  s'aniie  Eron,  passoit  toutes  les  nuits  le  destroil 
d'Kllcs[)onle  nommé  aujourd'hui  le  bras  Saint-George.  Et  advint  que, 
comme  il  passoit  l'yver  par  là,    pressé  des  vens    et  de  la    tempesle  il 

fut  no'ïé.  Voi  ce  qu'en  a    escript  Musée —  L'ànesse),  voi  la  fable 

dans  les  Theriaques  de  Nicantlre  ',  de  l'ànesse  qui  porloit  la  déesse  Jeu- 
nesse sur  son  dos,  elpommeà  la  lin  elle  la  donna  à  un  serpent  nommé 
Si'iâ;,  pour  lui  enseigner  quelque  ruisseau  pour  boire  '-. 

Une  partie  du  travail  de  Muret  a  porté  sur  l'éclaircissement 
des  ternies  obscurs  employés  par  le  poète  et  qui  font  de  lui,  à 
ses  heures,  un  auteur  difficile.  Mais  les  Amours  sont,  sous  ce 
rapport,  assez  différents  des  Odes  ;  c'est  dans  celles-ci  que 
Ronsard  a  usé  sans  modération  de  son  vocabulaire  dépithètes  à 
forme  grecque  et  latine,  qui  pouvait  déconcerter  bien  des  lec- 
teurs. Ce  sont,  la  plupart  du  temps,  des  qualilicatifs  tirés  du  grec, 
(«  père  Bromien  »,  «  bords  Piseans  »,  «  ondes  Aganippides  », 
«  ruisseaux  Pimpleans,  »  etc.),  incompréhensibles  au  lecteur 
profane  qui  n  aurait  pas  sans  cesse  sous  les  yeux  le  Magnus 
Elucidarius  ou  ce  Dictionarium  proprium  nominum  de  Robert 
Estienne,  dont  Ronsard  lui-même  a  dû  se  servir  -^  N'évitant  pas 
d'étonner  les    «    ignorants  »    et   y  prenant    sans   doute   quelque 

1.  Cl.  Xicaiidre,  éd.  Le'ars,  Paris,  iS46.  Theriaca,  v.  333-338. 

2.  Les  premières  notes  portent  sur  Les  Isles  fortunées  ;  la  dernière,  sur 
l'ode  a  Am))roise  de  la  Porte.  Ronsard  cite  encore  dans  ces  scholies  Homère, 
«  Pindare  en  ses  Pythies  »,  «  le  premier  de  la  Métamorphose  »,  et  deux 
livres  de  la  Théhaïde  de  Stace.  l.aunionier  relève  des  notes  marginales 
plus  courtes,  également  de  Ronsard,  expliquant  l'élégie  à  Jean  de  Morel, 
qui  sert  de  dédicace  à  la  Souvelte  Continuation  des  Amours  (renvois  à  la 
4'  Pyllùque  et  au  liv.  IV  d'.\pollonios). 

3.  Ce  répertoire  des  noms  propres  des  auteurs  anciens  a  été  imprimé  en 
iS41.  Le  typograplius  rri/ius  en  fait  valoir  la  nouveauté  dans  sa  courte 
préface,  ainsi  que  l'utilité  pour  1  intelligence  des  poètes.  Il  ne  cite  avani 
lui  qu'un  petit  livre  fort  incomplet  iliJjellus  qui  Elucidarius  carminuni  vulgo 
inscribitur ,,  qui  est  le  Maijnus  Elucidarius  édité  par  J.  Petit,  Paris,  1516. 


100  IKlNSAIlli     1.1      1,'m  MA.MSMh 

plaisir,  il  use  assez  noblement  de  ces  ressources  verbales, quand 
il  mêle  les  divinités  aux  jeux  familiers  de  son  imagination; 
telle  do  ses  prièros  païennes  sonne  à  la  façon  des  Hymnes 
orphiques  : 

0  Pore,  0  Pliebus  Cjnthieii, 

0  Saint  Apollon  Pylhien, 

Seif;iieur  de  Dde  la  dixine 

Le  plus  souvent,  il  abuse  du  procédé  et,  lorstju'il  aborde  Bac- 
chus  par  exemple,  cbacun  desmots  qui!  emploie  appelle  la  glose. 
Dès  le  «  folastrissime  voyage  d'IIercueil  ))(1.j49j,  il  s'est  amusé 
à  nommer  le  dieu  du  vin  de  maint  nom  singulier  que  lui  sug- 
gèrent ses  lectures  («  Nysean,  Père  Evien,  Lynean»)  ;  puis  sa 
mémoire  s'est  enrichie  de  toutes  les  légendes  dyonisiaques  collec- 
tionnées par  les  Anciens  et  dont  chacune  comporte  une  déno- 
mination nouvelle.  Dans  V Hymne  de  Bacchiis  (loo4),  il  en 
déchaîne  la  litanie  retentissante  : 

O  Cuisse-né  Bacchus,  Mysli(|,  llymciiean, 

Carpime,  Evasle,  Agnieii,  Maiiiqiie,  Leiieaii, 

Evie,  Evoulien,  Baladin,  Solilere, 

Vangeur,  Satyre,   Boy,  germe  des  Dieux,  et  père 

Martial,  Nomian,  Cornu,  Vieillard,  Eni'ant, 

Pean,  Nyctelian  ;  (jauge   vil  Irioufaiil 

Ton  char  enorgueilli  de  la  dexlre  Canieuse, 

Qui  avoil  tout  conquis  jusqu'à  la  mer  gemmeuse  '. 

Par  ces  invocations  sonores-,  le  poète  et  ses  amis  (car  il  n'étiùt 
pas  le  seul  à  s'en  servir)  s'imaginaient  évidemment  reproduire  le 

{ .  La  deuxième  partie  du  poème,  qui  contient  ce  morceau,  est  imitée  de 
Vlhjmnus  liaccko  de  Marulle,  où  figure  une  litanie  semblable;  mais  celle 
de  Ronsard  est  mieux  fournie.  Celle  des  Dilhijramhes  me  semble  calquée 
sur  la  sienne.  V.  les  observations  qui  seront  présentées  plus  loin  à  propos 
de  Marulle. 

2.  11  y  en  a  une  suite  notoire  dans  les  Uilhijrambes  récités  ;i  la  pomjie 
ilti  bouc  (h  Jorlel le  \i^^2),  insérés  au  Livret  de  Folastries  (loy3).  Certains 
érudits,  en  étudiant  cette  pièce  trop  fameuse,  se  refusent  à  y  reconnaître 
une  œuvre  de  Ronsard.  Ni  le  style,  presque  toujours  plat,  disent-ils,  ni 
le  rythme,  souvent  boiteux,  ne  sont  de  lui.  On  peut  admettre,  je  crois, 
la  collaboration  de  Bertrand  Bergier  pour  les  parties  les  moins  heureuse- 
ment venues  de  ces  vers  libres.  Au  reste,  le  groupe  entier  des  compagnons 
de  Jodelle  a  pu  y  participer,  par  manière  de  jeu.  .\insi  s'expliquerait  que 
ce  morceau  de  Ronsard  fût  resté  si  amusant  pour  la  Brigade  et  les  amis 
du  poète. 


LE  voc.Aiu  LAiiii:  c.UEr,  cm;/,  miNsAiin  101 

délire  sacré  des  Corybantes  et  des  Méuades  el  retrouver  certaines 
formes  des  cultes  de  Bacchus  et  de  la  phrygienne  G^'bèle,  dont 
on  n'ignorait  point  les  contacts  antiques  '.  Mais,  en  bon  poète 
lyrique  qu'il  était.  Ronsard,  s'enchantait  surtout  de  la  beauté 
des  vocables.  La  musique  des  mots  qu'il  créait  plaisait  à  son 
oreille,  au  même  titre  que  le  fameux  refrain /acA,  iach,évohcI 
formé  des  appellations  mystiques  du  jeune  dieu.  Ces  jeux  inof- 
fensifs, ces  essais  dont  la  langue  ne  profitait  guère,  mais  où  le 
vers  français  n'était  pas  sans  s'assouplir,  ont  fait  beaucoup  de  tort 
à  la  réputation  de  Ronsard  et  lui  ont  été  reprochés  autant  que 
ces  fameux  mots  composés,  si  rares  en  somme  dans  son  œuvre  et 
qui  ne  caractérisent  nullement  son  vocabulaire.  Bien  des  critiques 
ont  dénoncé  sans  autre  preuve  son  «  faste  pédantesque  »,  et  ces 
fantaisies  de  sa  muse,  auxquelles  il  cessa  lui-même  assez  vite 
d'attacher  du  prix,  ont  contribué  injustement  à  le  discréditer 
auprès  de  sa  postérité  littéraire. 

X 

Le  commentaire  sur  les  Amourx  forme  une  sorte  de  répertoire 
des  connaissances  de  nos  poètes  à  la  date  où  il  est  publié. 
Presque  tous  les  auteurs  anciens  qu'ils  ont  lus  s'y  trouvent 
u  allégués  '),  et  l'on  distingue  aisément  ceux  qui  devaient  être 
le  plus  familiers  à  Ronsard.  Muret  nous  dit,  par  exemple,  qu'il 
avait  pris  de  Théocrite  sa  devise  amoureuse,  <,>-  '.î:v,  wç  èjxiv^v, 
«  c'est  à  dire  que  la  première  fois  qu'il  vit  Cassandre,  il  devint 
insensé  de  son  amour  »  -.  Les  écoliers  de  Dorât  pratiquaient,  en 
effet,  avec  une  ardeur  singulière  les  œuvres  de  Théocrite  ■^,  et  leur 
professeur  avait  consacré  à  son  texte  des  recherches  particulières 


1 .  Cf.  Launionier,  p.  380-.382,  pour  l'indication  des  sources  utilisées. 

2.  Je  ne  vois,  sauf  erreur,  celte  devise  de  Ronsard  citée  nulle  part  ail- 
leurs. Ed.  Vaganay,  p.  9  ;  Muret  vise  les  vers  du  sonnet  II  : 

Quand  je  la  vy.'quand  mon  ame  esperdue 
Perdit  raison... 

3.  Dans  son  commentaire  sur  L\  cophron  (paru  en  15d6i,  Guillaume 
Ganter  donne  l'indication  suivante,  ii  propos  de  Troilus,  frère  de  Cassandre  : 
«  Epitaphium  eius  elegantissimum  extat  apud  Theocritum,  ,3to;j.o3  nomine, 
quod  cum  a  nemine  ante  intellectum  fuisset,  priraum  I.  Auratus  regius  in 
Gallia  linguae  graecae  professor,  diuino  vir  ingenio  atque  eruditione  sin- 
gulari,  dexterrinip.  ut  roliqua  Theocriti  omnia.et  eniendauit  et    expo- 


102  RONSAnO    ET    I.IIUMAMSMÈ 

et  de  nombreuses  leçons.  Quelle  élude  passionnante  que  celle 
qu'ils  iîrent  avec  lui  du  dialogue  des  Syracu saines  '  ! 

Les  découvertes  sur  le  poète  ([ui  les  charmait  étaient  loin  d'être 
complètes  et  ils  se  tenaient  au  couraut  des  recherches  faites  à 
son  sujet'.  Ils  lisaient  sous  le  nom  deThéocrite  les  fragments  de 
Bion  et  de  Moschos  (jue  leur  piéseiitaient  les  deux  éditions  pari- 
siennes, celles  de  Wechel  (i5i3j  et  de  (iuiliaume  Morel  (  luiiO). 
Mais  Ronsard  avait  distingué  tout  au  moins  l'ctuvre  de  Bion, 
lorsqu'il  composa,  en  son  temps  d'enthousiasme  pour  Anacréon, 
des  odelettes  de  caractère  anacréontique  tirées  »  de  Bion,  poète 
grec  »  ^.  Il  devait  sans  doute  cette  information  à  Henri  Estienne, 
le  meilleur  investigateur  de  manuscrits  qu'il  y  eOt  alors  en 
France,  qui  avait  rapporté  de  Florence  des  renseignements 
précieux.  Une  petite  publication  d'Estienne  chez  Aide  révélait 
les  noms  de  Bion  et  de  Moschos,  avant  que  les  éditeurs  se  déci- 
dassent à  isoler  les  morceaux  rpii  restent  d'eux  ''. 

suit.  Vide  Nouas  Lectiones  nostras  »  /,//io/,/i/-o/)/s  Alexanrlra.  1500,  sub 
V.  308.  ('f.  p.  o4  de  l'édilion  Reichard  .  (!orl)i]ielli  écrit  à  Plnelli,  en  1560  : 
K  Mandovi  il  luogo  diTeocrilo,  quelle  m'édetlo  che  é  bello,  et  èdellWurato  ; 
se  cosi  parrà  a  voi,  potrei  foi'se  vedere  se  ce  n'è  piii  ■•  (Rita  et  .\ristide  Cal- 
dei'ini,  Aiitori  greci  netle  epislole  di  J.  Corbinelli.  Milan,  1915,  p.  73  .  .leau 
Le  Masle,  dans  Les  \niireUes  lii'ci-i'alions  poëliques,  Paris,  1580,  fol.  'M  y". 
raiipolant  qu'il  a  suivi  <■  dedans  Paris  >.  les  leçons  de  Turnèbe  et  de  Dorât, 
dit  it  ce  dernier  : 

La  je  l'ouy  du  grand  Lyriq'  de  Thebe 

Interpréter  les  univres  dnctement 

Et  Theocrit  :  alors  soudainement 

D'un  cliaud  désir  mon  anie  fut  saisie 

De  suivre  icy  la  douce  poésie. 

1.  Sur  l'idylle  XV,  v.  p.  78,  n.  2. 

2.  LTne  communication  de  Claude  Dupuy  S\  Pierre  Pelbene  peut  être 
relevée,  car  elle  est  en  fait  adressée  à  Dorât,  dans  une  lettre  écrite  de 
Padone  en  juillet  1570  :  «  .Mitto  libi  versus  Tbeocriti  nunc  primum  a 
M.  Antonio  Galialdino  Venelo  iuueno  supra  aetatem,  ut  audio,  erudito.  qui 
Romae  apud  Cardinalem  Sirletum  viuit,  ex  codice  perantiquc  in  lucem 
reuoeatos  ;  quos  tibi  gratiores  fore  confido  quam  suspiciones,  vel  potins 
nugas  meas.  Eos  velim  cum  Auralo,  Lambino  et  Passeratio  communices  ; 
eorumque  de  iUis  iudiciura,  tuumque  ilem  ad  me  prescribas  Bibl.  nat., 
fonds  Duijuy,  16,  fol.  14;. 

3.  <c  La  belle  Venus  un  jour  >,  aux  Meslanges  de  1554  ;  «  Chère  Vespcr, 
lumière  dorée  »,  dans  la  Cnntiniiation  des  Amourit  de  1555  ;  «  Un  enfant 
dedans  un  bocage  »,  dans  la  Xuiivelle  ('.onliniiaiion  de  1556  (sans  indication 
de  l'auteur  imité).  Muret  mentionne  de  Bion  m  cguelques  fragmens  qui  nous 
sont  reste?,  de  ses  Bucoliques  ■•  (éd.  Vaganay,  p.   193). 

4.  Rion  et  Moschos  ne  sont  édités  séparément  qu'il   partir  de  I  .'105  ;  .Uo«- 


TU  liOCRlTE  1  {)[] 

I.es  itMinprossions  fréquentes  des  bucoliasles  grecs  montrent 
l'intérêt  qu'on  portait  en  France  à  des  poètes  qui  ont  si  souvent 
inspiré  les  nôtres.  Même  alors,  cette  imitation,  recommandée 
(l'ailleui-s  par  l'exemple  de  Mrgile  et  de  Sanna/.ar,  n'était  nulle- 
ment une  nouveauté.  Saint-Gelais,  Forcadel  et  d'autres  la  pra- 
li([uaient  avant  ceux  de  la  Pléiade  ;  l'églogue  allégorique  com- 
mençait à  pulluler  eu  France  comme  en  Italie,  et  tentait  les  ver- 
sificateurs les  plus  médiocres.  Le  succès  de  Sannazar  avait  été 
prodigieux  '  ;  Du  Bellay  l'honorait  en  bonne  place  :  «  Chante 
moy  d'une  musette  bien  resonnante  et  d'une  fluste  bien  jointe 
ces  plaisantes  eclogues  rusti([ues  à  l'exemple  de  Theocrit  et  de 
Virgile,  marines  k  l'exemple  de  Sennazar,  gentilhomme  néapoli- 
tain  »  '-.  Tout  le  monde  croyait  facile  de  suivre  ces  modèles, 
parce  qu'il  était  aisé  de  les  goûter.  . 

Dans  la  Brigade,  l'exemple  fut  donné  par  Dorât  lui-même, 
salué  comme  l'importateur  du  genre  en  latin'  ;  ses  Pocma/ia 
sont  suivis  de  deux  livres  d'églogues,  où  dialoguent  des  person- 
nages notoires  à  peine  déguisés  ^.  Belleau  en  a  rempli  sa  Berge- 
rie, et  la  pièce  qu'il  composa  sur  la  mort  de  Du  Bellay,  à  l'imi- 
tation de  celle  de  Bion  sur  la  mort  de  Théocrite,  a  connu  la  célé- 

chi...  el  Dioiiis...  Idi/llia  t/une  quidcni  exxlant  Dinnia,  hncleiiux  nnri  edifn... 
(trad.  lat.  d'A.  Mekercliusi,  Bruges,  chez  H.  Goltzius,  liîG.'J.  I.a  publication 
toute  latine  d'Eslienne  a  pour  titre  :  Mosihi,  B/oni's,  Theocriti  eleyanlissimo- 
riiin  poetarum  idijUia  nliquol  ab  Henrico  SIepliano  latina  fada.  Eiuadem 
carmina.  non  diuersi  ab  illif:  argiimenlL  Aldus,  Veneliis,  MDLV .  Il  y  aquatre 
traductions  de  Mosclios  et  quatre  de  Bion.  Une  intéressante  dédicace  est 
adressée  à  Giovanni  délia  Casa,  le  célèbre  archevêque  de  Bénévent. 

1.  Cf.  F.  Torraca,  GV iinilalnri  xtranieri  dijacopo  Sannazarn.  Rome,  1882, 
et  mon  art.  de  la  Rin'iir  critique,  1S8S,  t.  1,  p.  10. 

2.  De/fonce,  éd.  Chaniard,  p.  22">.  «  Vergile,  au  champ  duquel  Théocrite 
reconnoistroit  beaucoiq;  de  ses  biens...  )i,  écrit  à  ce  momeut  même  Guil- 
laume des  .\uteh.  Le  dernier  travail  sur  les  Pexcatoriae  de  Saunazar  est  dû 
h  un  érudit  américain,  NV.  P.  Muslard,  The  Piscalory  Eglogues  of  Jacopo 
Sannazaro,  Balliniore,  1914    ^avec  une  édition  du  texte). 

.1.  V.  le  résume  de  l'histoire  de  l'églog-ne  que  fait  13aïf,  en  racontant  celle 
de  la  II  challemie  »,  Tinslrumenl  que  se  sont  transmis  d'âge  en  âge  les 
berg-ers  clianteurs. 

.Tanct  premicrement l'apporta  d'Italie,  ^ 

dit  le  poète  parlant  de  .lean  Dorât  (éd.  Mart\-Laveaux,  t.  III,  p.  16). 

i.  C'est  la  .3'  partie  des  exemplaires  complets  des  Poemalia,  avec  pagi- 
nation distincte.  Notons-y,  p.  26,  Tégloguè  à  Marguerite  de  France,  sœur  de 
Henri  II, où  le  poète  s'endort  sur  la  montagne  de  Montmartre  et  rêve  qu'il 
voit  en  songe  un  berger  d'Italie, avec  qui  il  converse  et  qui  n'est  .Tutreque 
Pélrarque(Pi'/rr'()?(;.v,  Anrpolux). 


loi  IKINSAIII)    i:i'    I.  III  M  WISMIO 

l)rit(''  '.  Biiïf  se  livra  avec  l'uii-ur  a  la  lmciili((ue,  bien  que,  sur  les 
dix-neuC  éf^log^ues  qu'il  a  laissées,  onze  soient  de  simples  traduc- 
tions, dont  cinq  de  Théocrite  '■.  Les  éjiflogues  de  Ronsard  ont 
une  tout  autre  valeur,  t^elles  qui  sont  dialoguées  mettent  en 
scène,  sous  des  noms  de  bergers  antiques  ou  français,  des  per- 
sonnages contemporains,  princes,  poètes  ou  secrétaires  d'Etat,  et 
ce  sont  les  évéïienieiils  du  jour  qu'elles  allégorisent  ■*.  Cepen- 
dant les  jolies  réminiscences  n'y  manquent  point,  et  les  poètes 
travestis,  qui  sont  réunis  un  jour  autour  de  Jean  Dorât,  savent 
célébrer  le  cardinal  de  Lorraine  en  «  contrefaisant  la  Muse 

Qui  chanta  les  Bergers  es  bois  de  Syracuse  »  ''. 

L'églogue  antique  leur  fournit  les  moyens  d'exprimer  leur  cham- 
pêtre allégresse  sur  les  coteaux  de  Meudon  et  de  remercier  la 
puissance  bienfaisante  qui  leur  fait  ces  loisirs  : 


1.  Chant  paxtnrnl  sur  la  mort  de  Joachim  du  Bellaij  Anrjpvin,  Paris,  R. 
Estiennc,  15C0.  Les  noms  des  inteiloculeiirs  Toinot,  Bellin  cl  l'eriot,  sont 
transparents. 

2.  Cf.  Aiigé-Chiquet,  p.  251-25.3.  Il  n'est  pas  donleux  que  la  traduction 
reproduite  par  l'auteur  (v.  p.  59  et  589i,  d'après  une  publication  de  1549,  ne 
soit  une  poésie  de  la  première  jeunesse  de  Ba'if.  Le  titre  est  le  suivant  :  La 
2i.  Edilion  [Edilion  par  erreur)  du  Théocrite,  auteur  grec  fait  latin  par  Heob. 
Essus  et  depuis  mis  en  Françoijs  par  Lazare  de  Baïf  le  jeune  ^sic". 

3.  La  troisième  égloguedu  recueil  de  Ronsard  eslla  plus  caiacléristique 
de  sa  manière.  Elle  a  pour  interlocuteurs  Du  Bellay  sous  le  nom  de  Rellot, 
Ronsard  sous  celui  de  Perrot,  et  Michel  de  L'Hospital  sous  celui  de  Michaut, 
réunis  tous  les  trois  dans  la  grotte  de  Meudon,  très  exactement  décrite, 
chez  le  cardinal  de  Lorraine  appelé  Chariot   dans   l'églogue  : 

Un  pasteur  Angevin  et  l'autre  Vandoniois, 
Bien  connus  des  rochers,  des  fleuves  et  des  bois. 
Tous  deux  d'âge  pareils,  d'habit  et  de  houlette, 
L'un  bon  joueur  de  flûte  et  l'antre  de  musette. . . 
S'escarterent  un  jour  bien  loin  des  iiasloiueaux... 
Et  montant  sur  le  dos  d'une  colline  droite 
Un  peu  dessous  Meudon,  au  rivage  de  Seine... 
\a  travers  d'une  vigne,  en  une  sente  eslroite, 
Gaignerent  pas  à  pas  la  Grotte  de  Meudon, 
La  Grotte  que  Chariot   Chariot  de  qui  le  nom 
'  Est  saint  par  les  forests)  a  fait  creuser  si  belle 

Pour  estre  des  neuf  Sœurs  la  demeure  éternelle. 

Le  poème  avait  paru  à  part,  chez  NVechel,  en  1359,  sous  le  titre  :  Chant 
pastoral  sur  les  noces  de  Monseiijneur  Charles,  duc  de  Lorraine,  et  de 
Madame   Claude,  deuj-ifinie  fille  du  roy  \Henri  IL 

4.  Ed.  Laumonier,  t.  111,  p.  430.  Eglogue  sur  Du  rhier,  avec  le  chant 
alterné  de  Du  Bellay  et  de  Ronsard. 


l'ÉGLOGUE    de    RONSARD  105 

Nous  luy  bastirims  d'iierlie  un  autel  comme  |;i]  Pan  ; 

Nous  chommerons  sa  feste  el,  au  relour  de  laii, 

Tout  ainsi  qu'à  Paies  ou  à  Gerès  la  grande, 

Trois  pleins  vaisseaux  de  laict  luy  versant  pour  offrande 

Invoquerons  son  nom,  et  boivanl  à  l'entour 

De  l'autel  nous  ferons  un  banquet  tout  le  jour, 

Où  Janot,  Limosin,  prendra  sa  chalemie 

A  tous  Bergers  venans  pour  lamour  de  s'amie  ; 

Car  c'est  un  demi-Dieu  à  qui  plaisent  nos  sons, 

Qui  fait  cas  des  Pasteurs,  qui  aime  leurs  chansons. 

Qui  garde  leurs  brebis  de  chaud  et  de  froidure 

Et  en  toutes  saisons  les  fournist  de  pasture  '. 

Si  Virgile  a  plus  de  part  que  Théocrite  dans  un  tel  genre 
d'églogue  -,  le  poète  syracusain,  que  Ronsard  a  beaucoup  lu  avec 
la  plume  k  la  main,  a  pu  l'inviter  à  cultiver  son  goût  de  l'observa- 
tion familière  et  de  la  peinture  réaliste  de  la  vie,  que  ses  premières 
œuvres  ne  connaissaient  guère  ;  il  a  aidé  à  nettoyer  son  style  de 
l'enflure  et  de  l'artifice,  à  lui  montrer,  par  son  exemple,  que  les 
plus  humbles  détails  de  la  nature  sont  aussi  matière  poétique. 
C'est  ainsi^que,  malgré  tant  de  différence  de  temps  et  de  lieux, 
le  paysan  vendômois,  dans  ses  travaux  et  dans  ses  divertisse- 
ments, fait  songer  aux  pécheurs  de  Sicile  et  aux  traits  brefs  et 
précis  par  lesquels  leur  poète  les  caractérise.  Au  reste,  Ronsard 
a  utilisé  à  bien  des  usages  le  recueil  théocritéen.  Si  les  commen- 
tateurs des  Amours  n'y  renvoient  que  six  ou  sept  fois  •',  on  cons- 
tate ailleurs  des  emprunts  considérables.  La  grande  ode  De  la 
Défloration  de  Lède  est  imitée  de  YEnlèvemenf  d'Europe  de 
Moschos,  autant  que  des  u  enlèvements  n  d'Ovide  et  de  Claudien  ; 
VEpithalame  d'Antoine  de  Bourhonet  de  Jeanne  de  Xavarre  iond 
ensemble  un  Epithalame  d'Hélène  par  Théocrite,  et  celui  de  Julie 
et  de  Manlius  par  Catulle  ;  l'Eurotas  y  devient  le  Loir  qui  baigne 
le  château  des  ducs  de  Bourbon-Vendôme,  et  ce  sont  des  prin- 
cesses de  France  qui  remplacent  sur  ses  rives  les  vierges  de 
Lacédémone  '*. 

1.  Ed.  L.,  t.  III,  p.  406;  cf.  éd.  B).,  t.  IV,  p.  57. 

2.  On  n'a  besoin  d'indiquer  à  personne,  pour  le  passage  ci-dessus,  l'imi- 
lation  A' Ed.,  I,  6  sqq. 

3.  Une  fois  pour  une  idylle  de  Moschos  (II,  o\  à  propos  des  song-es  pro- 
phétiques, «  ceux  qui  se  font  au  point  du  jour,  desquelz  parle  Théocrite  eu 
son  Europe  ».  I^e  passage  est  de  Belleau  (éd.  Vaganay,  p.  419). 

4.  Cf.  Lanmoiiier,  p.  HSS  sqq. 


106  HONSAnn  ir  ^'llu^rANlSMF 

Les  poètes  instruits  par  Dorât  étaient  préparés  à  goûter  les 
Alexandrins  par  l'estime  qu'ils  avaient  déjà  d'Ovide,  leur  meil- 
leur disciple  latin.  Apollonios  de  Hhodes  fournissait  Ronsard  de 
fables  diverses  et  dune  matic're  pootifjuc  toute  préparée  '. 
Xicandre,  [)()pulai'isé  par  une  récente  éditinn  du  médecin  Jean 
de  (îorrisjComptaitassurénu'nt  parmi  ses  auteurs  favoris  ■'.  Calii- 
macpie  surtout,  le  chef  de  l'école,  de  qui  l'œuvre  nous  est  par- 
venue si  réduite,  lui  plaisait  par  les  brillants  morceaux  de  ses 
Iljjinnfs,  où  les  détails  familiers  se  mêlent  aux  grandes  pein- 
tures, où  i  ait  le  plus  savant  sait  quelquefois  se  revêtir  de 
grâce  : 

Les  Hymnes  sont  des  (irecs  invention  première  : 

Callimaque  beaucoup  leur  donna  do  lumière. 

De  s|)lendeur,  d'ornement.  Bons  13ieux  !  quelle  douceur, 

Quel  intime  plaisir  senl-on  autour  du  cieur, 

Quand  on  lit  sa  Delos,  ou  quand  sa  lyre  sonne 

.Apollon  et  sa  Sceur,  les  jumeaux  de  I.atonne, 

Ou  les  fiains  de  i'allas,  Cercs  ou  Jupiter  ■''  ! 

Ronsard  lisait  certainement  Callimaque  dans  l'édition  donnée 
à  Paris  en  loilt  et  qui  servit  aux  levons  de  Dorât  ''.  Il  fut  de  ceux 
qui  encouragèrent  Charles  Uytenhove,  déjà  au  travail  sur  le 
texte  inédit  de  Nonnes,  à  entreprendre  en  latin  une  traduction 
des  Hf/mnes,  que  l'helléniste  Goulu,  gendre  de  Dorât,  réalisa  un 
peu  plus  tard  ■'.  Catulle  avait  d'abord,  par  sa  célèbre  traduction, 

1.  Le  deuxième  des  Hymnes  (De  Calaïa  et  Zelhf'i)  est  tiré  du  livre  H  des 
Afi/(iii:iiiliqu('s  ;  le  Iroisièmo  {De  t'nlliix  cl  (hislor-,  d'Apollonios,  de  Théo- 
crite  et  de  Valerîiis  l'iacciis. 

2.  Ij'index  de  noire  livre  renvoie  plusieurs  fois  ;ui  nom  de  ce  poète.  Gorris 
(6'o;vaeu.s)a  publié,  en  154'J,  Xicamlri  Tlieriaca  et  Alexijihnrinacii  tjrstece  et 
l.ilàne  (nouvelle  éd.  en  1  .j.'iT),  louée  [wr  Turnèbe  dans  ses  PoeinatH,  p.  99). 

H.  Vers  placés  on  tète  des  Ilijninrx,  dédiés  à  Marpnerite  de  France  éd. 
I,.,  t.  VI,  p. -29;  éd.  BL,  l.  V,  p.  tli. 

4.  Callimaque  avait  été  édité  pour  la  première  fois  à  Florence,  par  Jean 
Lascaris,  puis  par  Aide  et  par  Froben.  La  Pléiade  se  servit  du  texte  de 
Vascosan  (Paris,  1549),  qui  donne  les  scholies  et  la  traduction  de  l'ifymne  à 
Diane  par  Franc.  Floridus.  Il  y  eut  plus  tard  la  réimpression  de  J.  Benena- 
tus,  Paris,  lî)74,  avec  une  traduction  de  Nie.  Goulu,  une  importante  édi- 
tion d'Henri  F.slienne,  Paris,  1!i77,  el  une  autre  de  Christ. Plantin,  .\nvers, 
15  8  4. 

5.  V.  la  pièce  de  Dorât  intitulée  :  E'!;  KïXXiiiï/ov  O-o  KaooÀou  toO  O-JOiv-o- 
p'.ou  V.:  tVi"  wiuaïti)';  Ç'.)'/^./  asTsvîyOîvTa  i  Varionnn  pnemaliim  filiia.  éd.  Gcoro^o 
Buelianau.  l.ïfiS,  p.  170).  Uytenhove  s'occupail  de  tniduirc  un  ;iHlre  alexan- 


rAi.i.iM  vniF;  107 

• 
fuit  connaître  à  la  Brig'ade  IVlégie   consacrée  par   Callimaque  à 

la  métamorphose  en  constellation  de  la  «  perruque  de  Bérénice  »  '. 
Honsard  y  avait  appris  que  le  poète  des  Ptolémées  offrait  en 
abondance  les  matériaux  mythologiques  dont  il  était  avide.  Les 
emprunts  tjuil  lui  iît  dès  lors  furent  continuels.  A  plusieurs 
reprises,  Muret  eut  occasion  de  les  citer  dans  le  commentaire  des 
Amours.  Ronsard  s"inspira  bientôt  plus  directement  du  docte 
alexandrin  dans  le  recueil  de  ses  propres  Hymnes-,  qui  sont, 
non  pas  des  pièces  lyriques,  mais  des  poèmes  héroïques  et  des- 
criptifs comme  ceux  de  Callimaque  ^  L'étude  qu'il  en  fit  lui-même 
eut  un  caractère  très  personnel,  en  dehors  des  directions  de  son 
maître,  ainsi  qu'il  a  tenu  à  l'attester  : 

Et  comme  imprimant  ma  trace 
Au  champ  .\ttiqu'  et  Romain, 
Callimaq',  Pindare,  Horace, 
Je  déterrai  de  ma  main  *. 

L'apparition  de  l'Anacréon  d'Henri  Estienne,  au  mois  de  mars 
lao4,  fut  un  grand  événement  littéraire  et  vint  ajouter  au  fonds 
commun  où  puisaient  nos  écrivains.  On  se  rappelle  l'odelette  où 
Ronsard,  s'adressant  à  son  page,  célèbre  la  révélation  due  Ji 
l'imprimeur  parisien  : 

Fay  moi  venir  d'Aurat  icv, 
Paschal  et  mon  Pangeas  aussi. 
Charbonnier  et  toute  la  troupe  ''  : 

flrin,  \onnos  ;  G.  Falkenburg,  qui  donna  l'édition  princeps  des  Dyonisiaqiies 
chez  Planlin  en  lo09.  annonce  l'importance  de  son  travail,  auquel  nous 
voyons  s'intéresser  Dorât  par  une  lettre  d'Uytenhove  datée  de  Londres, 
t.ï63  iMénage,  Iivm,irque.i  sur  la  rie  rJ'Ayrautt,  p.  148).  Sur  Dorât  correc- 
teur du  texte  de  Callimaque,  v.plus  haut,  p.  78.  n    2,  p.   70,  n.  3. 

1.  V.  Muret,  dans  son  commentaire  sur  les  Amours,  éd.  Vayanay,  p.  301. 

2.  Kd.  Vag-anay,  p.  30s,  31S7.  Muret  a  consulté  deu.\  (ois  l'Hymne  ii  Zeus, 
sur  les  Cory  hautes  et  les  Curetés  cités  par  Ronsard  i«  .\rat  aussi  le  raconte  )>) 
et  pour  annoter  gravement,  par  un  souvenir  du  nombril  de  Jupiter  et  de  la 
plaine  d'Orapludion  en  Crèlc  où  il  tomba,  le  sonnet  léger  c,  Petit  nombril 
que  mon  penser  adore  ». 

3.  Il  s'inspire  aussi  des  Hymnes  de  Marulle. 

4.  0(/e.<i,  t.  1,  p.  78  [a  Madame  Marguerite,  sœur  du  Roi  l.  On  relève  dans 
ce  premier  recueil  des  Odes  plusieurs  imitations  de  Callimaque,  notamment 
de  l'Hymne  h  PhoiLos,  et  un  passage  de  l'Hymne  à  Zeus,  transposé  daUg 
VAvant-entrée  du  Hoc  Ireschrexiien  (l.  I,  p.  21,  66,  "G,  121). 

.ï.  Ces  trois  noms  appartiennent  ;i  la  i.  troupe  •>  d'Olivier  de  M:igMy.  v 
compris  celui  de  .lean  de  Pard.iillan.  protonolaire  de  Pangeas. 


108  llu.NSAI'.li    i;i     l.'lUMAMSMF, 

Depuis  le  soir  )USf|u  MU  niiitiii 
.le  veux  leur  driuner  un  leslin 
I']t  c-enl  fois  leur  jjendre  la  coupe. 

\'erse  (lou((  et  reverse  encor 
Dedans  celle  f;rand  coupe  d"or, 
Je  vois  boire  à  Henry  lîstienne, 
Qui  des  enfers  nous  a  rendu 
Du  vieil  Anacréon  perdu 
La  douce  Lyre  Teïen ne  '. 

Le  recueil  d'Eslienne  était  aussi  impatiemment  attendu  pnr  les 
poètes  que  par  les  érudits.  Ronsard  en  connaissait  à  lavance 
quelques  parties,  soit  par  Dorât,  qui  était  lié  avec  les  Estienne, 
soit  par  Muret  qui  commentait  déjà  en  ces  termes  un  sonnet  des 
Amours  de  1552  :  «  La  fiction  de  ce  sonnet,  comme  l'autheur 
mesme  m'a  dit,  est  prinse  d'une  ode  d'Anacréon  eneores  non 
imprimée  »  '-.  Dès  que  le  volume  lut  entre  ses  mains,  Rousaril 
se  mit  à  l'étudier  avec  cette  fièvre  joyeuse,  dont  témoigne  le 
recueil  de  vers  qu'il  publia  au  mois  de  novembre  suivant.  Il  y 
insérait  vingt-trois  imitations  et  paraphrases  d'Anacréon,  aux- 
quelles un  choix  habile  de  rythmes  courts  et  légers  conservait 
l'aspect  et  le  mouvement  des  textes  grecs  •'.  Il  donnait  ainsi  le 
signal  de  toute  une  littérature  qui  allait  suivre,  et  dont  la  verve 
fut  souvent  moins  généreuse. 

Le  nom  du  poète  de  Téos,  l'ionien  voluptueux  et  subtil,  courtisan 
de  Polycrate  et  d'Hipparque,  arrivait  aux  lecteurs  de  la  Renais- 
sance recommandé  par  plusieurs  écrivains  de  l'Antiquité  et  se 
retrouvait  à  plus  d'une  page  de  V Anthologie  de  Planude.  C'est 
là  que  Ronsard  avait  pris  le  texte  qu'il  traduisit  dans  la  plus 
charmante   des    «    épigrammes  »   du  Livret  de   Folastries  '«  Du 


i.  Tel  esl  le  premier  texte,  celui  des  Meslanges  de  l.")o4.  Le  nom  de 
.lodelle  a  remplacé  plus  tard  ceux  des  amis  de  Magny    éd.  Bl..  t.  H, p.  352  . 

i.  C'est  le  sonnet  <■  Ces  liens  (/'or,  ceste  bouche  i-ermeille  >j  dont  les  ter- 
cets sont  empruntés  à  l'ode  SJ  uèv  oc'àti  /cXiSoW.  Muret  ajoute  que  Ronsaid 
a  depuis  long-temps  traduit  la  pièce  d'Anacréon  ;  "  Voy.  la  xxii  Ode  de 
son  cinquième  livre  des  Odes  ». 

3.  Dans  le  Bocage  et  les  Meslanges  parus  en  novembre  l")">i.  Deux  mois 
après,  dans  la  S'  édition  des  Odes,  Ronsard  insère  «  Ma  douce  jouvence  est 
passée  »  et  «  Le  petit  enfant  Amour  »,  et  au  mois  d'août  155o  six  nouvelles 
imitations  dans  la  (Jonliniialion  des  Amours.  Ces  précisions  et  quelques 
autres  sont  dues  à  Laumnnierip.  160i. 


l'aNACHKUN    d'iIIvMU    liSTlEiNNE  lO'J 

g;rand  Turc  je  n  ay  souci  »)  '.  Jean  Second  et  Salmon  Macrin 
avaient  utilisé  déjà  ce  douljle  tiiènie  essentiellement  anacréon- 
tique,  l'incertitude  du  lendemain  et  la  coupe  pleine  qui  aide  à 
n'y  point  penser  ;  Ronsard  se  complaisait  à  le  mettre  en  jolies 
strophes  françaises,  et  l'on  peut  deviner  avec  quelle  impatience 
il  attendait  la  révélation  de  tout  un  recueil  du  poète,  promis  par 
Henri  Estienne  à  la  curiosité  des  humanistes.  Dès  les  premiers 
coups  d d'il  jetés  sur  le  travail  du  philologue  et  sur  les  épreuves  de 
l'imprimeur,  il  salua  avec  ses  amis  l'œuvre  qu  on  crut  authen- 
tique d'Anacréon  et  qui,  pour  n'être  qu'un  recueil  d'imitations 
alexandrines,  n'en  gardait  pas  moins  le  reflet  de  l'art  original 
qui  les  inspira. 

Tout  concourait  à  leur  plaire.  Le  volume,  intitulé  'Ava-/.pïov:oç 
Tr,'.oj  iJ-i'/.Ti,  présentait  son  grec  dans  l'élégante  typographie  des 
grands  caractères  d'Estienae,  avec  les  plus  belles  marges  et  le 
plus  beau  papier  -.  Le  format  même  était  celui  des  plaquettes 
habituelles  de  Du  Bellay  et  de  Ronsard.  La  préface  en  grec  était 
suivie  de  vers  latins  et  grecs  du  seul  éditeur,  qui  n'associait 
aucun  collaborateur  à  son  travail  et  y  joignait  vingt  pages 
d'annotations  savantes,  rapprochant  son  Anacréon  de  tous  les 
poètes  anciens,  d'Homère  à  Horace  et  de  Théocrite  à  Properce. 
Ce  recueil  était  d'autant  mieux  l'ouvrage  d'Estienne  qu'il  était  le 
seul  à  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  l'auteur  qu'il  enrichissait  si 
hardiment,  et  qu'il  ne  mettait  sous  un  nom  connu  sa  découverte 
que  pour  y  donner  plus  de  retentissement.  11  s  était  amusé  lui- 
même  à  cette  demi-mystification,  que  Robortello  fut  le  premier  à 
lui  reprocher,  mais  qui  ne  pouvait  éveiller  aucun  soupçon  de  son 


1.  Oa  relrouve  la  pièce  d'.\nacréon  scindée  eu  deux  dans  le  recueil  d'iis- 
tienne,  où  elle  forme  les  odes  xv  et  xvii.  C'est,  comme  on  le  sait,  de 
l'Anacréon  authentique.  La  pièce  de  Ronsard  reparaît  dans  une  version 
difîérenle  et  plus  longue  aux  Meslanges  de  1535.  Cf.  l'éd.  des  fo/asïnVs  d'Ad. 
van  Bever,  Paris,  1907,  p.   107,  et  Laumonier,  p.  122. 

2.  La  suite  du  titre  est  en  latin  :  Anacreonlis  Teij  Odae  ulj  Hniriro  S(c- 
phann  tiice  et  latinitate  nunc  primùni  ilniiatae.  Liiletiae,  apud  Ilenricum  Sle- 
phanum.  M.  D.  LIIII.  Ex  priiiileiiio  Régis.  In-ijuarto  de  110  p.  Estienne  a 
joint  au  pseudo-Anacréou,  deux  odes  d'Alcée,  une  ode  et  un  fragment  de 
Sapplio.  H  l'atteste  formellement  dans  la  note  qui  suit  le  texte  (//.  L.  lec- 
lori  S.)  :  ...ea.s  Anacreuiilis  odas,quas  iain  anlè  Gallicas  feceram,  in  aliquDl 
ainicorumgraliam  Lalinf'  quoquearjgressus  suin  vertere...  Ul  fjuae  meis  intiinis 
dicaueram,  cuin  exieniiseliaincominunicanda  furent  n.  Parmi  les  "  intimes», 
on  peut,  je  crois,  compter  Housaid. 


110  KO.NSAHI)    i;i     LUI  MAMS.MI; 

premier  puljlic.  L'ae  liaduclicjii  latine  parlielle  en  vers  latins 
permettait  à  des  lecteurs  plus  nombreux  de  goûter  les  beautés 
du  texte  nouveau.  Estienne,  qui  en  avait  fait  aussi  une  traduc- 
tion française,  ajouta  par  la  suite  la  traduction  plus  complète 
qu'Elie  André  dédia,  en  loaî),  à  Pierre  de  Montdoré,  bibliothé- 
caire de  P'ontainebleau  '.  Aucune  édition  princeps  d'auteur  grec 
ne  fut  traitée  avec  plus  de  soin  et  n'obtint  un  si  vif  succès  ;  on 
en  juge  par  la  popularité  du  nom  d'Anacréon  parmi  les  poètes, 
par  leurs  imitations  françaises  et  latines,  par  la  traduction  en 
vers  qu'entreprit  aussitôt  le  dernier  venu  de  la  Pléiade,  Rémi 
Belleau  •.  Ronsard  n'avait  laissé  à  personne  le  mérite  de  le 
devancer  et  l'on  sait  par  quelles  exquises  paraphrases  il  venait 
de  précéder  son  disciple  ■*  ;  il  n'en  célébra  pas  moins  ce  travail 
avec  enchantement  : 

1.  La  première  éditicn  est  datée  (le  looo,  chez  T.  Richard  ;  la  suivante  se 
joint  à  la  seconde  édition  du  texte  grec  :  AiiHcrponlis  Teij  sntiquisxinti  /loi'tue 
Lyrici  Udae  ab  Hetia  Andréa  latine  faclae.  Ad  Pelniin  Montnureum  Con- 
siliarium  et  Bihliothncarium  lietjiiim.  Luleliae  apud  Hob.  Stephanum  et  fi. 
MoreHiim,  I006.  La  douxième  édition  du  travail  d'IIcini  Kslieniie.  païue 
chez  les  mêmes  libraires  au  début  de  15a6,  est  de  petit  format  et  ne  porte 
ni  la  préface  en  grec,  ni  les  vers  liminaires.  LUe  ajoute  en  revanche  une 
deuxième  ode  de  Sappho,  la  plus  célèbre,  <t'a;/ïTi:  ^j;  r.iîvo;,  que  Belleau 
traduit  aussitôt  à  la  suite  de  son  Anacréon  (éd.  de  lo.">6,  |).  01). 

2.  Les  Odes  d'Anacréon  Teien  traduites  de  grec  en  Franrois  par  Henii  Bel- 
leau de  Sogenl  au  Perche.  Ensemble  queli/ues  jietites  hymnes  de  son  incen- 
tion.  Paris,  Wechel,  liioO.  En  liiTS,  dans  l'édition  de  Mamert  Pâtisson, 
la  dédicace  de  la  traduction  et  celle  de  la  pièce  de  Ronsard  ciléc  ici 
ont  passé  a  Jules  Gassot,  secrétaire  du  Roi.  Belleau  écrit  à  celni-ci  : 
"  11  y  a  dix-huit  ans  qu'apporté  d'Italie  il  .Anacréon)  commença  à  prendre 
l'airde  la  France.  Moy,  en  ce  mesme  temps,  essayant  à  rendre  en  uostre 
langue  la  naiueté  et  mignardise  des  Grecs,  pour  coup  d'essay  ie  fis  chqjs  de 
cest  autheur...  »  iCCurres  de  R.  Belleau,  éd.  Marty-Laveaux,  t.  I,  p.  4'. 
L'édition  originaleporte,  aux  pages  finales  101-103,  un  petit  travail  d  huma- 
niste de  Belleau  qui  doit  être  signalé  ici  :  Traduction  de  quelques  Sonetz  de 
P.  de  Ronsard,  par  le  mesnie  Belleau.  —  Amour,  quicoii(|ue  ait  dit  que  le  ciel 
fut  ton  père  («  Quisquis  te  genitum  parente  coelo  »  —  Que  lâchement  vous 
me  trompés  mes  yeux  (<>  Quam  me  decipitis  maligne  ocelli  >,i  ^  Voiant  les 
vous  de  toy,  Maistresse  eliie  ("  Mellilos  domiuae  videns  ocellos. . .  Lt  fac- 
tus  tenero  cornes  Tibullo  |  Errem  myrteola  vagus  sub  umbra  »;. 

3.  La  priorité  de  Ronsard  est  aujourd'hui  bien  établie  par  Laumonier, 
p.  I60-1G3:.  Sainte-Beuve  croyait  à  celle  de  Belleau,  et  pensait  l'avoir  démon- 
trée dans  une  étude  célèbre  [Anacréon  au  XVl'  siècle,  a  la  suite  de  son 
Tableau),  où  plus  d'une  inexactitude  s'est  glissée.  C'est  ainsi  qu'il  faut 
expliquer,  non  par  une  critique  de  lettré,  mais  par  un  gai  reproche  bachique 
à  un  ami  qui  ne  boit  pas  assez,  les  versiculets  de  Ronsard  : 

Tu  es  un  trop  sec  biberon, 
Pour  un  tourneur  d'Anacréon. 


LANACRÉON    Uli    IIKMI    BELI.EAI  III 

.  .  .Tu  as  daig:iié  tanter  d'exprimer  la  faconde 

Des  Grec/,  en  noslre  langue,  el  as  pour  Ion  patron 

Choisy  le  doux  archet  du  vieil  Anacréon, 

Qui  montre  comme  il  faut  d'une  paroUe  douce 

Plaindre  nos  passions,  lors  que  Vénus  nous  pousse 

Sa  flèche  dans  le  cueur  ;  comme  il  faut  souspirer, 

Comme  il  faut  espérer  et  se  désespérer. 

Comme  il  faut  adiousier  *  la  lyre  chanleresse, 

Et  le  père  Bacus  à  Cypris  la  Déesse  ; 

Comme  il  faut  s'égayer,  ce  pendant  qu'Atropos 

Nous  jiermet  les  plaisirs  d'un  amoureux  repos  ; 

Comme  il  faut  ([ue  l'on  daiice,el  comme  il  faut  qu'on  saule, 

Non  pas  d'un  vers  enllé  plain  d'arrogance  haute. 

Obscur,  masqué,  brouillé  d'un  tas  d'inventions 

Qui  font  peur  aux  lisans  -,  mais  par  descriptions 

Douces,  et  doucement  coulantes  d'un  doux  stille. 

Propres  au  naturel  de  \'énus  la  gentille, 

Et  de  son  filz  Amour.  .  .   ' 

La  découverte  du  philologue  arrivait  à  l'heure  des  poètes.  Elle 
révélait  une  poésie  en  parfait  accord  avec  certaines  tendances  de 
l'école  ronsardienne  et  que  les  odes  légères  d'Horace  la  prépa- 
raient à  goûter.  Il  importa  peu  que  le  recueil  fût  presque  entiè- 
rement apocryphe  et  que,  dans  ces  pastiches  alexandrins  mis  sous 
le  nom  d'Anacréon  de  Téos,  la  vigueur  du  modèle  fût  fort  affa- 
die ;  telles  qu'on  les  lut  alors,  avec  leur  élégance  mignarde  et  leur 
fine  sensualité,  ces  odelettes  devaient  séduire  infiniment  le  public 
de  la  Rénaissance*.  Elles  ont  imposé  même  aux  arts  plastiques, 
pendant  trois  siècles,  le  type  de  l'enfant  ailé  et  capricieux  qui 
voltige,  l'arc  en  main,  avec  ses  petits  compagnons,  entouré  des 
colombes  de  Vénus  et  cherchant  les  cœurs  que  blesseront  ses 
flèches  : 

1.  Les  recueils  de  Ronsard  corrigent  adjusler. 

i.  Il  est  impossible  de  mieux  caractériser,  et  de  mieux  renier,  les  excès 
de  l'ode  pindarique. 

.3.  A  Chrislopitte  rie  (^hoiseut  nljhi}  de  Mureavx,  en  la  louange  de  Delleau. 
V.  8.  de  l'édition  originale  de  Belliau.  Ce  texte  offre  de  légères  dilTérenccs 
oitliograpliinues  avec  celui  que  donne  Ronsard  dans  ses  recueils.  II  l'a 
réiuipiimé  pour  la  première  l'ois  après  août  1330,  dans  le  Deuociesme  livre 
des  llinnes,  édité  par  Wechel.  La  publication  de  Rémi  Belleau  est  de  ce 
même  mois  d'août . 

4.  Cf.  Sev.  Ferrari,  Di  alcune  imitazioni  délie  «  Anacreonlee  »  in  llalia 
nel  sec.  XVI,  dans  Oiorn.  slur.,  vol.  .\X,  p.  393-424. 


112  IKJ.NSAIIb    ET    1,'llUMAMSME 

Peliles  mains,  petits  pieds,  petits  yeux, 
Oiseau  lej^er  qui   voles  d'heure  eu  heure, 
S.ins  foy,  sîins  loy,  sans  arrest  ny  demeure.  .  . 
Sorcier,  charmeur,  affelé,   mesdisanl. 
Confit  en  miel  et  en  (iel  tout  ensemble. 
Ton  coup  de  lleche  au  coup  d'aiguille  semble. 
Petite  playe  el  le  mal  bien-cuisant  '. 

Toute  kl  Pléiiide  s'amuse  à  dételles  images.  Baïf  écrit  r.l/;(<^wr 
ccliauclé  et  ÏAntour  se  soleilla/it,  el  ce  sont  là  des  traductions 
«  du  grec  de  Dorât  »,  (jui  a  pastiché  lui-même  le  pseudo-.\na- 
créon  -.  Les  poèmes  où  Ronsard  peint  YAnimir  pir/iir.  VArnoiir 
mouille,  V Amour  logé,  sont  des  emprunts  directs  à  cet  Anacréon 
alexandrin,  enrichis  de  sa  vision  pittoresque  et  de  toute  la 
vivacité  française-'.  Il  lui  doit  tant  de  plaisir,  qu'il  a  renié  délibé- 
rément son  cher  Pindare,  avec  la  sincérité  d'un  poète  voué  à  des 
enthousiasmes  successifs  et  contradictoires.  C'est  pourtant  le 
grand  lyricjue  qu'honore  en  lui  avant  tout  Jules-César  Scaliger, 
quand  il  lui  dédie  ses  Anucreon/ica,  nés  également  à  la  suite  de 
l'édition  d'Eslienne    : 

Quo  te  airmine,  (/lia  prece. 

Quu  pingui  Geniiim  l/iure  aJeani  tuuni 

Immensi  soholem  aelheris, 

Qui  Musis  animi  prodiqus  iniperas? 

0  cantus  deciis  aurei 

Qui  solus  stupidis  aurlbus  inimine.f. 

O  flexus  veleres  noua, 

Quos  foelix  superas.  nectare  condiens 

Suhlimis  fidicen  Lyrae, 

Graiis  pictanolis  Cellica  lemperans  : 

Qui  solus  scatebris  fuis 

Lalè  Pegaseos  imhuis  alueos  : 

Te  solo  magis  ac  magis 

Implens  Caslalii  consilium  cfiori...  '' 

1.  E.I.L.,  t.  III,  |i.    320. 

2.  Haïf, éd.  Marty-Lavoaux,  t.  IV, p.  2o7,  277.  Cf.  .\ugé-Chiquet,  p.  388  sqq. 

3.  Les  imitations  de  Ronsard  font  l'objet  d'une  pénétrante  étude  de 
Launionier,  p.  391  sqq.  l.'Amour  logé,  à  qui  Ronsard  fait  choisir  son 
logis  à  Blois,  <•  à  l'embrunir  du  jour  »,  parmi  les  hôtels  de  la  Cour,  montre 
l'utilisation  la  plus  libre  et  la  plus  piquante  du  motif  ancien  {Bocage  royal. 
Ed.  L.,t.  III,  p.  319-3221. 

4.  Lea  Anacreontica  ont  paru  seulement  en  1574,  dans  les  Poemata  lulii 
C.aesarin  Scnligpii,  ]>ubliés  a  (îenève  par  les  soins  de  son  fils  .loseph. 


I.'iMIlAllo.N    ANACKKO.NlinrK  113 

A  ces  courtes  notes  sur  Anacréon  au  temps  de  la  Pléiade,  on  en 
peut  joindre  une  dun  caractère  plus  inattendu.  Le  poète  des  amours, 
dont  la  grécité  était  fort  appréciée,  ne  pouvant  servir  à  l'instruc- 
tion de  la  jeunesse,  un  humaniste,  appelé  plus  tard  à  une  chaire 
de  grec  du  Collègue  royal,  Daniel  d'Auge,  s'avisa  d'en  composer 
une  traduction  latine  expurgée.  C'est,  du  moins,  ce  qu'on 
apprend  d'une  petite  pièce  inédite  de  Dorât,  (jui  fait  allusion  à 
ses  propres  essais  de  traduction  versifiée  mètre  par  mètre,  que  la 
difficulté  du  travail  lui  aurait  fait  abandonner.  Ronsard  a  dû 
rester  fort  indifférent  aux  bonnes  intentions  pédagogiques, 
auxquelles  son  maître  rendait  justice  en  ces  termes  : 

Ad  Danielem  Augenliuin  lo.  Aiini/iis. 

Qiiis  non.  quix  prohcl  illiii.s  lnhorvin, 
Quisquis  prunus  Anacreonlis  hymnos 
Inipuros,  malè  sohrios,  profanas, 
Piiros  reddere  sohrios,  piosque 
Tentauil  ?  neque  passas  et  iuuenlae 
Mores  colloquiis  prohos  proleruis 
Corrumpi.  Tuus  est  sed  el  prohandiis 
Augenti  lahor,  exprimenlis  illa 
Nobis  cantica  caniicis  Lalinis. 
'  El  pro  parle  mea  iuuem  libenler  : 
Tentalum  mihi  saepe  nec  neqaho 
Versus  reddere  rersijjus  sed  iisdem, 
Alque  eodein  numéro,  lahoriosum. 
Et  quod  non  kaheat  parem  leporem 
Graects,  Musa  quihas  rotundiore 
Quam  nohis  dedil  ore  personare. 
At  tu,  quâ  potes  et  licet.  labora  : 
Forsan  quod  mihi  durior  neqauit, 
Indulgens  libi  Musa  non  neqahil. 
Pro  quo  suscipis  hune  pium   lahoreni. 
Ut  de  virgine  fada  iam  meretrix 
Rursus  de  merelrice  virgo  fiai  '. 

Comme  il  s'était  enthousiasmé  pour  Pindare,  Ronsard  s'en- 
chantait maintenant  d' Anacréon  et,  pendant  quelque  temps, 
avec  la  même  ferveur  exclusive  et   passionnée.    Il  semble  qu'il 

t.  Bibfiotlièque  de  Munich,  Coll.  Camerarinna,  vol.  14,  fol.  380. 
Ncii.HAi:.  — Honsanl et  l'Hiiinanisine.  8 


Ili  RONSARD    KT    r.'lllMAMSME 

ait  fallu  la  publication  d'Eslienne  pour  lui  faire  goûter  com- 
plètement cette  poésie  légère  des  Grecs,  que  Y  Anthologie  ne  lui 
avait  révélée  quà-demi.  Dorât  lisait  pourtant  celle-ci  et  la  faisait 
lire,  et  aucun  texte  grec  n'était  miuux  connu  des  lettrés  que  le 
recueil  de  Planude,  publié  k  Florence  par  Jean  Lascaris  dès 
1494  et  sept  fois  réimprimé  (le|)uis.  "L'Anthologie  retrouvée  par 
Lascaris,  et  éditée  depuis  .Vide  Manuce  sous  le  litre  de  Florile- 
jiiim  diuersorum  epi;/ ranimât iitn  in  sepfeni  lihros,  avait  eu  à 
Paris  une  édition  de  Josse  liade  (1531,  siib  praelo  Ascensiano)  ; 
mais  les  éditions  familières  à  nos  poètes  durent  être  celle  de 
Hâle,  qu'illustre  un  commentaire  de  Brodeau  (1049),  et  la  troi- 
sième aldine  (1530-15ol)-,  la  plus  ample  et  la  meilleure  avant 
celle  d'Henri  Rstienne(  1566) '.Cette  abondance  d'éditions  indique 
la  curiosité  qu'inspirait  une  collection  si  variée,  où  le  nom  de 
tant  d'écrivains  et  le  souvenir  de  tant  d'écoles  poétiques  étaient 
conservés.  Comme  jadis  Catulle,  Properce,  Ausone,  la  littéra- 
ture néo-latine  antérieure  à  Ronsard  était  revenue  puiser  à  cette 
source  vive,  avec  Marulle  et  Jean  Second. 

Notre  poète,  longtemps  absorbé  par  le  grand  lyrisme,  prêta 
moins  d'attention  que  Baïf  à  ces  petits  confières  de  l'Anticiuilé 
sauvés  par  miracle  de  l'oui^li.  11  les  lut  cependant,  puisqu  il  Usait 
tout,  et  Muret  les  cite  quchfuei'ois  dans  le  commentaire  des 
Amours  ~.  Au  reste.  Muret  lui-même  s  attachait  à  eux  moins 
qu'on  ne  le  croirait  ;  son  recueil  des  Juuenilia,  paru  en  janvier 
1553,  renferme  une  série  d'épigrammes,  dont  l'inspiration  reste 
presque  exclusivement  latine  '.  Le  fait  s'explique  par  la  préfé- 
rence (ju'il   porta  toujours  aux  lettres  romaines  et   par   le  cours 


1.  Depuis  liJ30,  on  pouvait  lire  d'aulres  poètes  liaiis  le  Florilège  de  Sto- 
bée,  donlil  y  aune  édition  parisienne  de  11)52. 

2.  A  propos  du  sonnet  des  Amours  «  Quand  au  matin  ma  Déesse  s'ha- 
bille >■■,  Muret  rapporte  le  mythe  de  Vénus  Anadyomène  et  le  tableau 
d'.\pelle  (jui  -représenta  ■<  l'escumière  Qlle  »  :  >■  Sur  ceste  peinture  ont  été 
faits  beaucoup  d'Epigrammes  grecs,  desquels  j'en  ay  mis  ici  un  de  l^eonide 
[Anlli.  Pal.,  XVI,  182],  qui  ma  semblé  merveilleusement  gentil...  Liairaussi 
à  la  fin  de  ses  Amours  a  touché  ceste  fable  ».  Sur  le  sonnet  des  Ainouia 
«  Je  voudrois  être  Ixion  et  Tantale  »  :  «  Ceste  fin  est  prinse  d'un  Epigramme 
grec  de  Rufln  \Anth.  Pal.,  V,  94],  tourné  par  Ba'if  au  premier  livre  de  ses 
Amours  ».  (Éd.  Vaganay,  p.  82,  91). 

3.  M.  Ant.  Mureli  opéra,  éd.  Ruhnken,  t.  I,  p.  693-72.Ï.  Les  épigrammes 
sont  dédiées  Diuo  lulio  Caesari  Scaligero  patri  nieo.  Nicolas  Denisot  [Cornes 
Alsiiioii.i),  à   qui  Muret  adressait  une  ode,   ainsi  qu'à    Dorât  et  î»  Ronsard, 


l'anthologie  grecque  ilo 

([u'il  venait  de  professer  à  Paris  sur  Catulle.  Très  peu  après  les 
Juiienilia  de  son  ami,  au  mois  d'avril,  Ronsard  donne  au  public 
le  Livret  des  Folastries,  avec  un  petit  recueil  d'épigrammes  : 
mais,  sans  y  négliger  Catulle  ',  c'est  plutôt  l'inspiration  de 
V Anthologie  grecque  qu'il  veut  y  étaler.  La  Traduction  de 
quelques  épifframmes  grecz,  à  Marc-Antoine  de  Muret,  comporte 
dix-sept  courts  poèmes  précédés  du  nom  de  l'auteur  imité  et 
des  premiers  mots  de  son  texte  :  «  Du  grec  de  Posidippe,  Du 
grec  d'Anacreon,  Du  grec  d'Automedon,  Du  grec  de  Lucil, 
De  Palladas,  De  Ammian,De  Nicarque...»  Toutes  ces  pièces  ont 
leur  original  dans  V Anthologie  de  Planude  -.  Il  en  est  de  même 
des  treize  quatrains,  qui  paraîtront  un  peu  plus  tard  et  qui  tra- 
duisent autant  d'épigrammes  fameuses  dans  l'Antiquité,  «  sur  la 
jcnisse  d'aerain  de  Myron,  excellentenient  bien  gravée  »  ■'.  Ce 
sont,  dans  les  Folastries,  de  courts  exercices  sans  prétention, 
improA-isés  peut-être  après  boire  sur  le  livre  grec  feuilleté  avec 
des  amis.  La  transcription  des  vers  initiaux  indique  qu'on  a  voulu 
rendre  exactement  un  original.  Ronsard  se  réclamait  ainsi  de 
nombreux  poètes,  tout  en  suivant  ailleurs  l'inspiration  catul- 
lienne,  qu'il  partageait  avec  Muret.  C'était,  il  est  vrai,  pour  le 
seul  cercle  de  la  Brigade,  car  on  sait  que  le  «  livret  »,  où  se 
mêlent  des  vers  franchement  lascifs,  était  imprimé  sans  le  nom  de 
l'auteur;  mais,  sur  ce  domaine  encore,  il  tenait  à  montrer  qu'il 
ne  le  cédait  à  personne  et  que  rien  de  la  poésie  des  Grecs  ne  lui 
demeurait  étranger. 

Ronsard  subissait  alors  d'autres  influences,  celles  des  huma- 
nistes italiens,   portés   presque    tous  à  chanter  sur  les   modes 

mettait  en  tête  du  recueil  un  témoignage  excluant  tout  à  fait  l'inspiration 
grecque  : 

Vis,  lector,  Iragici  sonum  cothurni, 

Vis,  lector,  numéros  Catullianos, 

Vis,  lector,  numéros  Tibullianos, 

Vis,  lector,  numéros  Horatiaiios  ? 

En,  libro  tibi  dat  Muretus  uno. 

1.  m'imite  jusqu'en  ses  rythmes,  analogues  aux  liendécasyllabes  catulliens, 
et,  bien  entendu,  dans  sa  dédicace  qui  repioduit  celle  du  recueil  latin  avec 
un  souvenir  de  celle  de  l'imitateur  liumaniste  Flaminio. 

2.  Cf.  Laumonier,  p.  95. 

3.  Dans  la  Continuation  des  Amours,  qui  est  de  \Ty.tVi.  Ces  épigrammes  y 
sont  dédiées  à  François  de  Revergat.  Laumonier  a  lemarqué  qu'une  a  dis- 
paru en  1560,  pour  faire  le  compte  de  douze,  et  qu'elles  peuvent  venir  du 
latin  aussi  bien  que  du  grec,  Ausone  etCalcagnini  les  ayant  traduites. 


I   1  t)  HO.NSAIiri     l.l      I.  m   M  A.MSMIC 

classiques,  l'.iniour  cl  le  ]>l.iisir.  11  revenait  tivec  un  intérêt 
renouvelé  à  ces  bons  liériliors  de  l'Antiquité.  Il  imitait  surtout 
un  grec  du  (juadrocenlo,  italianisé  à  Florence,  cet  agréable 
Marulle  aimé  des  Médicis,  que  la  désinence  de  son  nom  enga- 
geait à  nommera  côté  des  Elégiaques  latins  et  ({ui  en  était  digne 
par  1  exquise  facilité  de  sa  poésie  '.  Dans  VHijmne  de  Baccfius, 
Hn'nsard  lui  emprunte,  conitno  il  sait  emprunter,  la  plus  grande 
pallie  de  cet  Hymniis  Bficc  ho,  dont  il  s'est  i'nspiré  déjà,  beaucoup 
moins  adroitement,  pour  les  Ditln/rHinhes  chitntés  au  houe 
de  Jodelle'.Plus.  de  vingt  pièces  de  la  Xonvelle  Continuation  des 
Amours  sont  «  prises  »  de  Marulle  ;  une  ode  familière  au  car- 
dinal de  Châtillon  l'est  également,  avec  des  transpositions  ingé- 
nieuses qui  adaptent  au  Paris  d'Henri  II  un  petit  tableau  du 
f/uattrocento  florentin  '.  Sannazar,  Navagero,  Flaniinio,  four- 
nissent notre  poète  d'idées  et  d'images,  qui  demeurent  en  sa 
mémoire  et  viennent  dans  ses  vers  au  premier  appel.  Ces  ins- 
pirations néo- latines  s'accordent  fort  bien  avec  celles  qu'il  tire 
de  ses  nouveaux  maîtres  grecs  et  qui  tempèrent  définitivement 
l'excès  de  son  lyrisme.  L'ode  qu'il  écrit  à  présent,  amoureuse  ou 
bachique,  morale  ou  descriptive,  vivra  autant  que  ses  modèles 
antiques  et  fera  oublier  tous  ceux  des  modernes  qui  les  ont 
imités  avant  lui . 

Les  savants  dont  il  continue  à  rechercher  la  compagnie  sont 
précisément  occupés  à  mettre  en  lumière  les  poètes  secondaires 
de  la  Grèce.  A  côté  de  l'éditeur  d'Anacréon.  voici  Turnèbe,  qui 
recueille  méthodiquement  des  poèmes  et  des  fragments  gno- 
miques  épars  dans  les  manuscrits.  Gomme  il  est  typographe  du  Roi, 
il  peut  imprimer  sur  ses  presses  en    i  553  une  collection  formée 

i.  Les  Hymni  et  Epigrammala  âe  lsliche\  Marullos  Tarchaniotès  oui  été 
d'abord  publiés  à  Florence  en  1+97.  V.  sur  le  poète  les  notices  de  Const. 
Sathas,  NsoEXXrjvtzri  tfiXoXoyiit ,  p.  77,  et  Docum.  inéd.  relatifs  à  l'hisl.  de  /a 
Grèce  au  moyen  âge,  t.  Vil  et  VIll,  Paris,  18(S8;  Nolhac,  La  biljliolhèf/iie 
(le  Fiilvio  Orsini,  p.  IC)'),  "21:)  ;  Gaspary,  Storia  delta  leller.  ilal..  trad.  V. 
^^ossi,  Turin,  1891,  t.  II,  p.  354. 

2.  Laumonier  a  institué,  p.  7.30-742,  des  comparaisons  instructives  entre 
les  trois  textes  et  s'en  est  servi  pour  établir  (jue  les  Dithyrambes  appar- 
tiennent à  Ronsard.  J'ai  dit  plus  haul,  p.  100,  quelles  raisons  en  ont  fait 
douter.  l/Hynine  de  Bacclius,  imprimé  dès  l'année  qui  a  suivi  la  fête  de  Jo- 
delle,  est  digne  de  l'œuvre  de   Marulle  et  garde  la  même  majesté. 

.■).  C'est  l'ode  de  lliSfi,  •.  Mais  d'où  vient  cela,  mon  Odet  ■■.  Laumonier, 
p.  i2'3-i2G. 


LE    FLORILÈGE    DE    TLRNÈHE  iI7 

par  lui,  qui  provient  de  vingt-sept  poètes  dillérents  el  dont  le- 
titre  se  décore  des  noms  de  Théognis,  Phocylide,  Solon,  Tyrtée, 
Callimaque,  Mimnerme,  Panyasis  et  Simonide  '.  On  traduit 
aussitôt  ce  petit  florilège  de  Turnèbe,  que  Ronsard  dévore  avi- 
dement. La  trace  de  ces  lectures  diverses  se  retrouve  dans  les 
poésies  qu'il  donne  à  cette  époque.  Les  Folastries  contiennent 
des  traductions  deV  Anthologie  ;  l'ode  Swr  les  misères  des  hommes, 
dans  la  seconde  édition  des  Amours  (l')o3),  sinspire  des  frag- 
ments gnomiques  de  Mimnerme  et  surtout  de  Simonide  -,  édi- 
tés par  Turnèbe.  Le  Bocage  de  1554  et  les  Meslanges  de  la  même 
année,  qui  l'ont  apparaître  partout  Anacréon,  utilisent  également 
des  passages  de  Théognis,  de  Tyrtée,  de  Mimnerme.  de  Simo- 
nide, un  fragment  de  Sophocle  cité  par  Stobée,  un  fragment  de 
Callimaque  du  florilège  de  Turnèbe.  Le  grave  recueil  des 
Hymnes  ^1555]  met  en  français  plusieurs  passages  du  "  comique 
Ménandre  »,  de  Simonide,  de  Théognis,  en  citant  avec  respect  le 
nom  de  ces  maîtres  de  sagesse  : 

.\h  I  quiconques  sois-tu,  escoute  Simonide, 
Escoute  Théognis,  qui  se  plaint  en  ses   vers, 
Qu'on  ne  peut  trouver  mal  dedans  tout  l'Univers 
Si  grand  que  Pauvreté. .  .' 

Un  groupe  exquis  de  poèmes,  les  «  vœux  i>  du  Bocage  [D'un 
chemineur  à  une  fontaine.  D'un  vaneur  de  blé  au  vent  Ze/ire. 
D'un  pasteur  au  dieu  Pan,  etc.)  appartiennent  au  genre  des 
'\'/x<iT,-ti.x-x  groupés  par  le  vieux  Planude  ;  ce  n'est  pas  au  grec,  il 
est  vrai,  c'est  aux  adaptations  latines  d'Andréa  Navagero  que 
Ronsard  paraît  les  avoir  pris  ^  Ils  n'en  attestent  pas  moins  quelle 

1.  rvwaoXovia;  -aÀiioTïTwv  no'.riTàiv.  Paris,  impi'.  par  Turnèbe, 
1.Ï53.  Cf.  Louis  Clément,  De  Adriani  TurneLi  praefationibus  el  poematis, 
Paris,  1899,  p.  136.  La  traduction  latine  imprimée  par  G.  Moral  dut  paraître 
on  même  temps.  Elle  a  pour  titre  :  Sententiosa  poetanim  veliisfiinimoriim 
r/iiae  supersiint  opéra,  et  n'est  pas  l'œuvre  de  Turnèbe. 

2.  On  ne  distingue  pas  alors  les  deux  Simonide.  Turnèbe  a  donné 
à  imiter  à  Ronsard,  dans  l'ode  Sur  les  misères,  deux  pièces  sous  le  nom  de 
Simonide  d'Araorgos  IBerç^k,  Lyr.gr.,  11,236;  III,  1 146).  La  première,  qui 
développe  un  vers  d'Homère,  est  de  Simonide  de  Céos  (Alfred  et  Maur. 
Croiset,  Littérature  grecque,  t.  II,  p.  19t,  251  i. 

3.  Hymne  de  l'Or,  éd.  Lauraonier,  I.  IV,  p.  338,  339,  348,  3ol.  Les  mor- 
ceaux sont  au  recueil  de  Turnèbe. 

4.  Ces  rapprocliemenls  et  d'autres  encore  sont  dus  il  Laumonier.  Cf. 
notamment  p.  112,  114,  124,  129,  137.  La  2''  édition  des  Meslanges,  par  une 


118  KONSAIll)    ET    l'humanisme 

veine  imprégnée  d'idées  antiques  exploite  à  ce  moment  le  poète. 
L'odelette  Mignonne  allnn  voir  est  exactement  de  cette  époque; 
elle  vient,  si  l'on  veut,  des  Roses  d'.Ausone  :  mais  elle  est  née  en 
un  jour  heureux,  d  ins  un  esprit  tout  vibrant  de  chants  hellé- 
nicjues. 

Un  il  un  témoignaf^e  décisif  de  l'ardeur  ressentie  par  Ronsard 
pour  les  poètes  dont  il  lait  alors  son  élude,  par  une  pièce  mise 
en-tête  de  VAnacrdon  de  lîelleau.  Il  va  jusqu'à  leurimmoler  Pin- 
daro,  décidément  trop  étranger  aux  réalités  de  la  vie  ;  il 
exprime  avec  bonheur  la  nature  du  plaisir  qu'ils  lui  donnent  et 
les  leçons  d'art  et  de  morale  ([uil  veut  tirer  d'eux   : 

Me  lotie  qui  voudrn  les  replis  recourbez 

Des  lorrens  de  Pindare  en  ppoTond  embourbez. 

Obscurs,  rudes,  fâcheux,  et  ses  chansons  couennes 

Que  je  ne  sçay  comment  par  sonji^es  et  par  luiës. 

Aiiacreon  me  phiisi,  le  doux  Anacreon  I 

Qu'encores  voulusl  Dieu  (|ue  hi  douce  Sapphon. 

Qui  si  bien  reveilloit  la  lyre  Lesbienne, 

Kn  France  acconipaijiijnnsl  la  Muse  Teïenne  ! 

Mon  Belleau,   si  cela  par  souhait  avoit  lieu, 

.le  ne  voudrois  pas  eslre  au  ciel  un  demi-Dieu 

Pour  ne  lire  en  la  terre  un  si  mignard  ouvrage. 

Qui  comme  nous  souspire  un  amoureux  domage, 

Une  plaisante  peine,  une  belle  langueur 

Qu'Amour  pour  son  plaisir  nous  grave  dans  le  cueur. 

Encore  je  voudroy  que  le  doux  Simonide 

(Pourveu  qu'il  ne  pleurasfi,  .\lcmam  et  Hacchylide. 

Alcee  et  Slesichore,  et  ces  neufchantres  Grecs 

Fussent  ressussitez  ;  nous  les  lirions  exprés 

Pour  choisir  leurs  beaux  vers  pleins  de  douces  paroUes: 

El  les  graves  seroient  pour  les  maistres  d'escolles, 

Aflîn  despouhanter  les  simples  escoliers 

Au  bruit  de  ces  gros  vers  furieux  et  guerriers... 

fantaisie  de  Ronsard,  indique  la  source  de  dix-neuf  de  ses  morceaux,  dont 
seize  sont  «  pris  d'Anacréon  »,  les  autres  k  de  PHuyasis  poète  grec  »,  <i  de 
Bion  poète  grec  »,  «  de  Sophocle  »  et  «  du  latin  de  D'Aurat  ». 

1.  Dans  le  petit  recueil  d'odes  qui  suit  la  deuxième  édition  des  Amours, 
celle  de  lao3.  L'achevé  d'imprimer  est  du  mois  de  mai.  L'odelette  est,  avec 
les  htes  fortunées  dédiées  à  Muret,  une  des  quatre  odes  «  non  encore 
imprimées  »  qu'annonce  le  litre  :  on  voit  assez  (pie  le  poète,  malgré  la 
nrièvelé  de  la  pièce,  y  attaclie  quelque  prix. 


i.K  l'Ldiiii.Kiii;  ii'iii:mu  estienne  119 

Mais  Dieu  ne  le  veut  pas,  qui  couvre  sous  la  terre 
Tant  de  livres  perclus,  misères  de  la  guerre  *, 
Tant  d'ars  laborieux  et  tant  de  j^estes  beaux 
Qui  sont  ores  sans  nom,  les  hostes  des  tombeaux...   ^; 

Il  se  trouve  que  ce  brillant  pa.ssage,  où  Ronsard  se  montre  un 
helléniste  assez  informé,  apporte  une  preuve  nouvelle  de  ses  rela- 
tions avec  les  philologues.  Son  ami  Henri  Estienne  lui  avait  cer- 
tainement fait  confidence  du  nouveau  recueil  qu'il  préparait,  et 
([ui  ne  parut  qu'en  I5G0,  à  la  suite  de  son  texte  de  Pindare.  Il 
devait  l'intituler  :  Carminurn  poelarum  noiiem,  lyricae  poeseuts 
principum,  fragmenta  ■''.  Ronsard  faisait  allusion  à  ce  titre  pro- 
jeté, quand  il  indiquait  à  Belleau  «  ces  neuf  chantres  grecs  »  et 
nommait  précisément  les  principaux  poètes  qu'Estienne  allait 
réunir,  en  regrettant  que  de  tels  maîtres  il  n'existât  que  des 
fragments.  Il  a  donc  annoncé  à  l'avance  un  florilège  important, 
qui  eut  au  seizième  siècle  un  vif  succès  et  marqua  un  nouveau 
progrès  des  études  grecques. 

Plus  on  avance  dans  l'étude  des  sources  de  Ronsard,  plus  on 
en  découvre  la  richesse.  L'extrême  étendue  de  son  information 
permet  d'assurer  que  toute  la  littérature  grecque  connue  de  son 
temps  a  passé  sous  ses  yeux.  Bien  des  auteurs  dénués  d'attrait 
littéraire,  et  qui  ne  font  appel  qu'à  notre  curiosité,  lui  ont  apporté 

1.  La  variante  postérieure  «  naufrages  de  la  guerre  »  améliore  l'image. 
Ed.  L.,  t.  V,  p.  187. 

2.  Je  liens  adonner  le  promier  texte,  celui  de  l'édition  originale  de  Belleau, 
Les  Odes  d'Anacréon,  lo.'jti,  p.  9.  La  variante  la  plus  importante  est  au 
onzième  vers  du  morceau,  que  Ronsard  a  imprimé  ensuite  ;  <•  Pour  lire 
dessous  l'ombre...  »  (Au  v.  17,  Belleau  a  laissé  passer  une  faute  évidente: 
ses  pour  ces .  ) 

3.  Estienne  dit  dans  sa  préface  :  Haec  in  praesenlia  habui  fragmenta  ex 
darminibus  principum  lyricae  poeseMS  nouem,  quae  cum  antiquae  lyrae  slu- 
diosis  communicarem .  Ces  amateurs  furent  nombreux,  car,  après  qu'il  eût 
donné  deux  fois  son  recueil  (IStJO  et  1567),  Plantin  le  reproduisit  une  troi- 
sième fois,  en  1567,  toujours  joint  au  tome  contenant  Pindare  (la  dédicace 
de  l'ensemble  à  Ph.  Melanchthon  est  ainsi  modifiée  chez  l'éditeur  catholique  : 
Henrirus  Siephanns  P .  M.].  Les  fragments  révuiis  par  Estienne  à  Pindai-e 
appartiennent  à  Alcée,  Sapplio,  Stésichore,  Ihycos,  Anacréon,  Bacchylide, 
Simonide,  .Mcman,  à  quelques  poètes  non  annoncés  sur  le  titre,  Archi- 
loque,  Mélanippide,  Telestos,  Erinua,  à  plusieurs  auteurs  de  l'Anthologie. 
Des  traductions  latines  de  divers  humanistes,  quelques-unes  en  vers, 
accompagnent  toutes  les  pièces.  Estienne  donne  pour  Anacréon  la  traduc- 
tion en  vers  d'Elie  .\ndré,  h  côté  de  la  sienne. 


120  KONSAIID    RT    l' HUMANISME 

leur  tribut.  On  en  trouvera  surtout  des  exemples  dans  les  moins 
lus  de  ses  recueils,  qui  ne  sont  pas  toujours  les  moins  intéres- 
sants. Mn  récit  écrit  en  beaxix  alexandrins,  et  fort  supérieur  dans 
l'ordre  épique  à  ceux  de  la  Franciadc,  est  intitulé  Discours  de 
l'équité  des  vieux  Gaulois  \  C'est  l'histoire  d'un  Gaulois  qui  sacri- 
fie sa  femme  sur  l'autel  des  dieux  pour  faire  honneur  ii  un  Milé- 
sien,  hôte  de  sa  maison.  Cette  femme  fut  jadis  celle  du  Milésien 
et  l'abandonna  pour  suivre  le  Gaulois  ;  l'ancien  mari  est  venu 
chez  le  nouveau  avec  l'intention  de  se  la  faire  rendre;  l'épouse, 
qui  aime  celui-ci  et  désire  rester  avec  lui,  veut  l'exciter  à  tuer 
son  hôte;  mais  les  lois  de  l'hospitalité  sont  sacrées  entre  toutes 
et  r  <(  écpiité  >■  g-auloise  condamne  la  femme  k  mourir.  Cette 
anecdote  étrange  et  violente,  remplie  dans  le  texte  français  de 
dialogues  vivants  et  de  traits  colorés,  a  été  racontée  seulement 
par  Parthénios  de  Nicée  ;  il  la  place  à  Massilia  et  en  nomme 
l'héroïne  Hérippé  ~.  Notre  poète  n'a  pu  la  connaître  que  par  lui. 
L'édition  princeps  du  Ihp't  îpwtixwv  TraOy; ij.xt(i)v  avait  été  donnée 
en  1331,  chez  Froben,  par  Janus  Cornarius,  avec  une  traduction 
latine  réimprimée  vers  1555  dans  un  recueil  moral  à'Exempla 
virtutum  et  vitiorum^.  Qu'il  ait  lu  le  texte  ou  la  traduction,  on 
s'explique  que  Ronsard  se  soit  jeté  avec  empressement  sur  un 
ouvrage  annoncé  comme  traitant  «  des  passions  de  l'amour  ». 

Le  recueil  des  Hymnes,  qui  parait  en  deux  livres  en  1553  et 
1556,  est  peut-être  celui  où  l'immense  érudition  du  poète  se 
laisse  le  mieux  entrevoir.  De  là  vient  pour  cet  ouvrage  la  pré- 
dilection de  Dorât,  qui  l'exprime  nettement  dans  ses  distiques 
liminaires  : 

PosI  querulas  m  aniore  niotlns,  pusl  dulcia  mentis 
Tormentaet  tenerae  Indicra  nequiliae  ; 

1.  Ed.  Ij.,  t.  III,  p.  21o-224.  Je  signale  un  ms.  de  ce  poème,  sans  tilre  et 
sans  le  nom  de  l'auteur,  dans  un  recueil  du  fonds  Dupuy,  843,  fol.  H6. 
Léon  Dorez  lui-même,  dans  son  impeccable  inventaire,  ne  semble  pas 
l'avoir  identifié. 

2.  I  Mijlhotjraphi  ijraeci,  vol.  II.  Parllienii  liljclhis,  éd.  Paul  Sakolowski, 
Leipzig,  1896,  p.  16-18.  CL  Erotici  scriplores  t/r.,  éd.  Hercher,  t.  1,  p.  10. 
V.  Revue  d'hisl.  lilt.  de  la  France,  t.  II,  1894,  p.  185.  Faguet,  Etudes  lHI. 
sur  le  XVI'  s.,  Paris,  1894,  p.  247,  croyait  ce  sujet  emprunté  à  «  une  vieille 
chronique  du  moyen  âge  ». 

3.  La  réimpression  s.  1.  nid.  signalée  par  Sakolowski,  p.  vide  sa  préface, 
est  accompagnée  d'Achille  ïatios.  .le  crois  que  Ronsard  a  eu  en  mains  l'édi- 
tion de  Bàle  ;  n'a-t-il  pas  utilisé  ailleurs  des  récits  de  Parthénios? 


LE     RECIEIL    DES    .'     HYMNES    »  121 

PosI  iam  consumphun  p;tlno  tihi  l'indumn  ore, 
Dum  canis  et  Re(/es  Regibiis,  et  genilos  : 

Aequid  inexpertum  joelix  ;iii(l;ici;i  tiin/ual, 
.\aliirae  reruni  canlica  dada  sonas  '. 

kl  nanc  hoc  libi,  nunc  alto  de  flore  corollani 
Texis  inexausto  fernidus  iiirfeni'o...  - 

Les  H)/nines  fourniront  au  répertoire  des  auteurs  consultés  par 
Ronsard  les  indications  les  plus  inattendues.  Ainsi,  parmi  les 
sources  de  son  Hymne  de Bacchus,  qui  utilise  toutes  les  légendes 
sur  le  culte  du  dieu  dans  les  Indes  et  sur  les  mœurs  des  Ménades, 
on  voit  fîg-urer  le  poème  de  Denys  le  Périégète,  la  Description 
du  monde,  que  Robert  Estienne  avait  réimprimée  en  1547  ■*  ;  cet 
ouvrage,  déjà  plusieurs  fois  édité,  existait  dans  la  -plupart  des 
bibliothèques  dhumanistes,  et  l'on  ne  saurait  être  étonné  de  le 
trouver  aux  mains  de  Ronsard.  On  l'est  davantage,  lorsqu  il  s'agit 
d'un  compilateur  de  basse  époque,  Michel  Psellos,à  qui  il  aurait 
emprunté,  suivant  Richelet,  le  thème  de  l'hymne  intitulé  Les  Dai- 
mons.  Il  y  évoque  tour  à  tour,  d  après  les  traditions  des  dilTérents 
pays,  les  êtres  fantastiques  qui  hantent  l'imagination  des  hommes, 
elfes  et  gnomes,  «larves,  lares,  lemurs  »  '*.  On  aurait  à  rechercher 
dans  lequel  des  nombreux  ouvrages  du  c;:;o>TaT5;  byzantin  il  a  pu 
puiser  quelques  détails  '  ;  mais  n'est-on  pas  surpris  de  le  voir 
profiter  de  tant  d'écrivains  divers,  aujourd'hui  presque  oubliés? 


XI- 


En  peu  d'années,  Ronsard  venait  d'être  acclamé  comme  le 
Pindare  de  la  France,  puis  comme  son  Anacréon  ;  les  sonnets  des 
Amours  l'égalaient  à  Pétrarque  ;    on    attendait    à  présent  qu'il 

t.  L'allusion  au  litre  de  Lucrèce  indique  les  luiutos  amliilions  de  notre 
poète. 

2.  Les  Ilinnes  de  P.  de  Ronsard,  vandoinois.  A  Ires  illuslre  el  reverendis- 
sime  Odel,  cardinal  de  ChastHlon,  Paris,  Wecliel,  li>a5.  Les  liminaires  ne 
comportent  que  les  sept  distiques  signés  Auralus  :  In  P.  Runsardi  Hi/mnos. 

.■}.  Cf.  Laumonier,  p.  382,  40t). 

i.  Ed.  Bl.,  t.  V,  p.  122;  éd.  L,  t.  IV,  p.  223. 

D.  Beaucoup  de  compilations  de  Psellos  ont  été  publiées  au  seizième 
siècle.  Cf.  Em.  Lesiand,  Bililiorjr.iphip  hidlénir/iie,  t.  I,  p.  209,  212.  214  et 
passim. 


122  RONSAItl)    ICI     l/nUMANlSME 

prît  place  à  côté  d'Homère.  L'ôpopi^e,  non  moins  que  l'ode,  man- 
quait;! la  littérature  renouvelée  de  notre  pays,  ce  «  long  poënie 
Iran^ois  .),  dont  Du  Bellay  espérait  «  l'honneur  de  la  France  et 
g:rande  illustration  de  nostre  lanpi'ue  »  '.  .Iacf|ues  Peletier  avait 
appris  à  Ronsard,  dès  leurs  piomii'res  conversations  littéraires, 
(pie  tel  était  le  hut  le  plus  élevé  à  atteindre,  i'  l'iiuvre  li(''i-(>ï(|ue 
(|ui  doinie  le  piix  et  le  vrai  titre  de  poëte  »  ;  et  Du  iieliay  lui 
montrait  encore,  ])ar  une  phrase  fort  belle,  la  récompense  due  à 
ce  grand  lai)eur  :  <i  C'est  la  gloire,  seule  échelle  par  les  degrez  de 
la  quele  les  mortelz  d'un  pié  léger  montent  au  ciel  et  se  l'ont  com- 
paignons  des  dieux.  » 

Ronsard  n'oubliait  ni  ces  exhortations,  ni  la  promesse  qu'il 
avait  faite  de  les  exaucer.  Peu  après  la  publication  des  Odes,  il 
annoiiva  qu'il  préparait  l'œuvre  nationale  désirée  par  tous  et  pour 
laquelle  il  estimait  mériter  dès  lors  les  plus  ampies  pensions  du 
Roi.  On  sait  l'attente  ardente,  l'admiration  à  l'avance  prodiguée 
par  ses  amis,  et  aussi  le  long  retard  qui  se  produisit  dans  la  com- 
position delà  Francia.de  et  qui  laissa  inachevé,  avec  quatre  chants 
seulement,  le  poème  où  devaient  être  évoquées  les  plus  antiques 
légendes  de  la  dynastie  et  les  origines  fabuleuses  de  la  race.  Il 
est  fâcheux  qu'il  soit  interrompu  au  milieu  des  prédictions  qui 
forment  un  résumé  assez  brillant  de  1  histoire  de  France,  et  que 
l'énumération  de  nos  rois  ne  dépasse  point  Pépin  le  Bref;  les 
règnes  postérieurs  au  père  de  Charlemagne  auraient  fourni  k 
Ronsard  des  sujets  dont  son  patriotisme  eût  tiré  quelque  élo- 
quence '-.  C'était  même  la  seule  partie  de  l'œuvre  qui  put  en  jus- 
tifier la  conception.  Artilicielie  et  tronquée  comme  elle  est 
demeurée,  l'épopée  de  Francus  n'a  que  trop  mérité  l'oubli  où 
elle  reste  ensevelie. 

1.  Di'ffenrc,  W"  |i.,  eh.  v  ;  éd.   Chamard,  p.  ■2.'?.i-246. 

2.  "  Et  si  jo  parle  de  nos  monarques  plus  lon^ucuicul  que  l'arl  ViPijilien 
ne  le  permet,  tu  dois  sçavoir,  lecteur,  que  Virgile  (comineen  toutes  autres 
choses)  en  cette-cy  est  plus  heureux  que  moy,  qui  vivoil  sous  .\ufruste. 
second  Empereur,  tellement  que.  n'estant  chargé  que  de  peu  do  Hois  et 
de  Césars,  ne  devoit  beaucoup  allongerlo  papier,  où  j'ay  le  faix  de  soixante 
et  trois  Rois  sur  les  bras  »  (Première  préface  de  la /•'/•a/ic/c-ir/e.pd.  Bl.,  t.  III, 
p.  91  ;  éd.  L.,  t.  Vil.  p.  07).  —  Un  jeune  humaniste  bordelais,  qui  publiait 
en  1563  un  essai  d'épopée  latine  intitulé  Gallia  ç/emens,  où  Francus  est 
aussi  célébré,  a  eu  la  fortune  de  pousser  jusqu'aux  Valois  l'évocation  royale 
que  Honsard  n'a  pu  qu'aborder.  V.  Paul  Courteault,  Gcofjroy  de  Malvyn 
(/.■)i.5?-/6'/7),   Paris,  1907,  p. -41-60. 


LES    .MODÈLES    UK    I.A    «    FRANCIADE    »  123 

Une  erreur  fondamentale  de  l'auteur  annulait  déjà  l'intérêt  de 
sa  tentative,  ainsi  que  les  contemporains  le  sentirent  sans  se 
l'expliquer  ;  c'était  ce  caractère  de  pastiche  étroit  de  Y  Iliade,  de 
l'Odyssée  et  de  l'Enéide,  qu'il  croyait  nécessaire  d'imprimer  à  son 
ouvrage.  Nulle  aspiration  originale  ne  l'anime,  tandis  que,  par 
un  travail  de  mosaïque  singulier,  tous  les  épisodes  classiques 
familiers  à  la  mémoire  des  lettrés  se  trouvent  prendre  place  parmi 
les  aventures  du  héros.  Ce  héros  est  Francusou  Francion,  nommé 
jadis  Astyanax,  (ils  d'Hector  et  d'Andromaque,  qui  navigue  vers 
les  pavs  d'Occident,  où  de  magnifiques  destinées  attendent  sa 
postérité  lointaine  '.  Comme  Ulvsse,  il  rencontre  un  fâcheux 
Cyclope  et  évoque  les  ombres  sur  le  bord  de  la  fosse  ensanglan- 
glantée  ;  comme  Enée,  il  rejette  l'amour  d'une  princesse  que  les 
oracles  lui  commandent  d'abandonner,  et  célèbre  ensuite  pour  un 
de  ses  compagnons  des  funérailles  solennelles,  avec  des  courses 
et  des  jeux.  Le  début  de  l'inévitable  tempête  rappelle  celle  de 
l'Enéide,  la  fin,  celle  de  l'Odyssée.  Bien  que  le  plan  général 
soit  tout  A'irgilien  et  fasse  songer  d'assez  près  à  «  cette  divine 
yEneide  qu'aveq  toute  révérence  nous  tenons  encores  aiijourd'huy 
entre  les  mains  u,  bien  que  Ronsard  adore  également  ses  deux 
maîtres  antiques. 

Ces  deux  g^rands  Demy-dieux  dignes  chacun  d'un  temple  -, 

il  est  certain  que,  dans  le  détail,  c'est  le  «  demi-dieu  »  grec  qu'il 
a  choisi  pour  modèle.  Dès  la  première  préface  de  son  poème, 
celle  de  1572,  il  tient  à  faire  connaître  aux  lecteurs  qu'il  l'a 
«  patronné...  plustost  sur  la  naïve  facilité  d'Homère  que  sur  la 
curieuse  diligence  de  Virgile  ».  L'imitation  de  Virgile  n'est  pas 
une  nouveauté  ;  elle  a  donné  notamment  l'Africa  de  Pétrarque, 
ouvrage  au  reste  beaucoup  plus  personnel  que  celui  de  Ronsard  ; 
mais  celle  d'Homère  n'a  pas  encore  pénétré  en  France,  et  c'est 
pour  la  première  fois  qu'un  de  nos  écrivains  se  montre  ainsi  nourri 
de  la  substance  de  ses  deux  poèmes. 


1.  Dès  1560,  dans  ses  Recherrhfs  dr  In  France,  Pasquicr  commence  à 
ruiner  la  légende  de  Fi'ancus.  Cf.  Gnsl.  AlUiis,  De  Francindis  epica  fabula, 
Paris,  1891,  p.  19. 

2.  Préface  en  vers  de  la  Franciade  (éd.  Bl.,  t.  III,  p.  .37  ;  éd.  L.,  t.  VI, 
p.  14). 


12i 


ItONSAHI)    KT    L  lU:\rAMSMK 


Aparlii-  du  iiimneiil  où  il  s'est  mis  à  la  composition  de  son 
ouvraj^e,  commencé  d'abord  on  vers  alexandrins,  réalisé  défini- 
tivement en  décasyllabes  ',  et  (|ui  occupe  son  esprit  pendant 
de  longues  années,  on  peut  croire  (jue  Uonsard  garde  sans  cesse 
Homère  sur  sa  table  de  travail.  11  se  sert  sans  doute  des  édi- 
tions de  Strasbourg  re|)r(iduisant  lu  texte  de  Jean  Lonicer  i  de  loi") 
à  looO;  ou  des  éditions  de  Bâle  (l'j'il  et  l.'iol),  auxquelles 
s'attachent  les  noms  de  Jacques  Molsheym  (Micyllus  i  et  de  Joa- 
chim  Camorarius,  la  dernière  avec  le  commentaire  d'Euslalhe.  Il 
a  rencontré  Homère  dès  le  seuil  de  l'enseignement  de  Dorât,  et 
la  singularité  du  dialecte  n'a  pas  empêché  que  l'explication  des 
deux  épopées  ait  servi  de  point  de  départ  à  son  étude  du  grec  -. 
Dorai  l'a  initié  à  l'interprétation  allégorique  de  VUiadn  et  de 
VOdyssée,  sans  l'y  intéresser  beaucoup,  à  ce  qu'il  semble  ■'.  Un 
|)eu  plus  tard,  il  devient  l'ami  d'Adrien  Turnèlie,  l'helléniste  qui 
donne  la  première  édition  parisienne  d'Homère  '*,  avec  le  désir  de 
fournir  à  des  lecteurs  toujours  plus  nombreux  un  texte  commode 
et  correct.  Ronsard  honore  d'un  beau  poème  l'œuvre  d'Hugues 
Salel,  la  première  traduction  française  de  Y  Iliade, ç^m  est  en  vers 
et  dont  Olivier  de  Magny  publie  deux  chants  inédits  avec  le 
«  tombeau  »  du  traducteur  •'  ;  il  pousse  ensuite  son  cher  Amadis 


1.  n.inssa  ])remière  |iréface.  Ronsard,  discutant  les  raisons  de  son  choix, 
<lil  des  alexandrins  qu'ils  sont',  pour  le  jourd'Iuiy  plus  favorablement  receuz 
de  nos  seiy^neurs  et  dames  de  la  court  et  de  toute  la  jeunesse  françoyse,  les- 
quels vers  j'ay  remis  premier  en  honeur  »  :  il  les  eut  préférés,  dit-il,  «  sans 
la  honteuse  conscience  <|ue  j'ay  qu'ils  sentent  trop  leur  prose  ». 

2.  Je  crois  avoir  expliqué  comment,  p.  SO. 

3.  V.  plus  haut,  p.  70. 

4.  Homeri  Iliax,  id  est  de  rébus  ad  Troiam  (/eslia.  F.xcudebal  A.  Turne- 
bus.  1354.  Les  élèves  de  Dorât  suivirent  ses  leçons  désormais  sur  le  texte 
de  Turnèbe. 

'j.  La  partie  de  l'Iliade  de  Salel  publiée  par  Magny  en  loo.3  comorend  les 
chants  X  et  XI.  La  pièce  de  Bonsard  insérée  dans  le  Tombeau  de  Salel 
a  été  reprise  dans  le  recueil  des  Epilaphes  (éd.  L.,  t.  VI,  p.  211  ;  éd.  BL, 
t.  VII,  p.  2(>7) .  Elle  rappelle  la  dédicace  du  début  de  l'ouvrage  à  François  I"'  : 

b'i'anoctis  le  premier  Roy  des  vertus  et  du  nom. 
Prenant  à  gré  d'ouïr  l'Atride  .^yamemnon 
Parler  en  son  lanpa^e,  et  par  tnj'  les  (tensdarmes 
De  Priam  son  ayeul  faire  bruire  leurs  armes 
D'un  nuu-murc  Krançois,  Prince  sur  tous  humain. 
Te  tu  sentir  les  biens  de  sa  royale  main  ; 
Kl  le  fit  i'i  bon  droit,  comme  k  l'un  de  sa  France 
Qui  des  prt'miers  tira  m)stre  lanijue  trenfanre... 


LiiruDi-;  DHOMÈRK  125 

Jamvn  à  continuer  sous  ses  yeux  cette  grande  tâche  ',  de  même 
qu'un  autre  de  ses  disciples,  Louis  des  Mazures,  a  composé  la 
traduction  de  YEnéide  -.  Jamvn  a,  d'ailleurs,  pris  dans  la  mai- 
son du  poète  le  g-oût  de  lire  Homère,  puisque  c'est  lui  qui  l'aide 
à  relever  les  comparaisons,  épithètes,  apophtegmes,  descriptions 
et  autres  «  matières  »  propres  à  être  transportées  dans  la  Fran- 
ciade  ''.  Tous  ceux  qui  aiment  Homère  deviennent  chers  k  notre 
poète,  et  il  assure  que  1  hérétique  Théodore  de  Bèze  lui-même, 
pour  en  avoir  fait  bonne  étude  et  savoir  en  parler  dignement,  ne 
peut  pas  être  tout  à  fait  un  méchant  homme  '. 

L'ensemble  de  l'œuvre  homérique  est  connue  de  Ronsard  dans 
ses  moindres  détails;  il  recourt  aux  sortes  homericae.  c'est-à- 
dire  à  la  consultation  de  l'avenir  par  les  feuillets  du  livre  ouvert 
au  hasard  ■';  il  prêche  Homère  aux  poètes  de  sa  troupe  et  loue  la 
<i  majesté  grave  »  de  Muret,  lorsque  celui-ci  déclame  devant  eux 
les  plus  beaux  épisodes  du  siège  de  Troie  '^  ;  il  s'enferme  en  sa 
maison  pendant  trois  jours,  pour  relire  tout  à  son  aise  l  Iliade 
dans  la  solitude  ;  il  la  fait,  à  la  vérité,  tant  de  fois  au  cours  de  se 
vie  que,  si  la  doctrine  platonicienne  sur  la  réminiscence  était 
vraie,  il   serait,  dit-il,  devenu  Homère  lui-même, 

1.  La  traduction  de  Jamvn  des  cliantsXII  à  XVI,  imprimée  à  Paris,  chez 
Lucas  Breyer,  en  I:>74,  porte  parmi  les  pièces  liminaires  une  ode  que  Ron- 
sard omit  de  recueillir  lui-même  dans  ses  œuvres.  V.  éd.  L.,  t.  VL  p.  435 
{Pour  AmadisJamyn,  sur  sa  traduction  d'Homère]  : 

Homère,  il  suffisoit  assez 

D'avoir  en  Grèce,  aux  tems  passez, 

Fait  combattre  pour  toy  sept  villes... 

2.  L'Enéide...  translatée  en  françois  avec  lés  carmes  latins  correspondant 
verset  pour  verset,  Paris,  1560  (et  1572i. 

3.  Laumonier,  p.  247. 

4.  Continuation  du  discours  des  mi.-tères  de  ce  temps  ,  1364).  Ed.  L.,  t.  V, 
p.  340;  éd.  Bl.,  t.  VII,  p.  22  : 

Certes,  il  vauciroit  mieux  à  Lozanne  relire 

Du  grand  lils  de  Thelis  les  prouesses  et  l'ire... 

a.  Les  Amours,  éd.  Vaganay,  p.  319  : 

Les  vers  d'Homère  entrc-leus  d'avenlure. 
Soit  par  destin,  par  rencontre  ou  par  sort. 
En  ma  faveur  chantent  tous  d'iui  accord 
La  guarison  du  tourment  que  j'endure... 

Muret  :  «  C'estoit  une  chose  usitée  au.\  anciens  d'ouvrir  un  Ilomere,  ou 
un  Virgile,  ou  un  tel  autre  poète  k  l'aventure,  et  de  vers  qu'ils  rencontroient 
à  ceslc  fortuite  ouverture,  colliger  les  choses  qui  leur  dévoient  advenir. 
Les  exemples  en  sont  assez  frecpiens  aux  histoires.  ■> 

6.  On  le  déduit  aisément  d'un  passage  des  Islrs  fortunées. 


12f)  IlUNSABI)    ET    t.'lIL'MANISME 

Car  véritablement  depuis 

Ciue  sUidieus  du  Grec  je  suis, 

Homère  devenu  je  lusse, 

Si  souvenir  ici  me  pusse 

Duvoir  ses  beuux  vers  entendu...  ' 

Ce  n'est  pa.s  seulement  dans  la  Fra/ic/arfe que  Ronsard  procède 
par  imitation  directe  d'IIonièro.  Illui  plaît  de  distinj^-uer  les  épi- 
sodes des  deux  épojjées  et  de  prendre  tel  ou  tel  dentre  eux  pour 
sujet  d'un  de  ses  poèmes  : 

1)  lltiniere  1  Iliade  et  sa  sœur  l'Odyssée 
ICsl  une  l'ocsieen  sujets  ramassée, 
Diverse  d  arguments  :  le  Cyclope  cborgné, 
U'Achille  le  boucler,  Girce  au  chef  bien  peigné, 
Prothée,  Caljpson  par  Mercure  advertie, 
Est  un  petit  Pocnie  oi-té  de  sa  p;irlie...  - 

Les  personnages  d'Homère  ont  pour  notre  poète  des  lig-ures 
vivantes  et  familières.  Il  les  a  présents  à  l'esprit  avec  leurs  ver- 
tus et  leurs  défauts.  Malgré  les  faiblesses  amoureuses  d'Achille, 
qu'il  relève  avec  la  verve  la  mieux  informée  -^  il  juge  le  (ils  de 
Thétis  le  plus  parfait  et  le  plus  grand  des  héros  de  V Iliade,  et  il 
ne  se  croit  pas  obligé,  ainsi  que  font  les  trouvères,  de  le  sacrifier 
à  Hector,  père  de  Francus  ^  ;  il  l'offre  en  modèle  au  jeune 
Charles  IX  *  ;  c'est  à  lui  qu'il  compare  le  duc  de  Guise,  comme 
Montmorency  au  sage  Nestor,  comme  Laiicelot  de  Carie  ou 
Avanson  au  prudent  Ulysse.  Mais  Ulysse  le  fait  surtout  penser 
au  cardinal  de  Lorraine,  et  le  grand  hymne  qu'il  lui  dédie  fait 
défiler,  pour  la  gloire  du  sage  prélat,  tous  les  exploits  de  ÏOdys- 


1.  Odes,  t.  II,  p.  16  (III,  7.  A  maître  Denyn  Lambin). 

2.  Préambule  des  Poèmes,  dédiés  à  Marie  Sluart  [éd.  L.,  t.  VI,  p.  42:  éd. 
Bl.,  t.  VI,  p.  7). 

3.  C'est  au  passag-e  d'une  élégie  (éd.  L.,  l.  H.  p.   74;  cf.  var.,  éd.  Bl., 
t.  IV,  p.  283),  qui  finit  par  ces  vers  : 

Va!  tes  gestes  sont  beaù.\,  mais  Ion  amour  légère 
Deshonore  les  faits  et  les  chansons  d'Homère. 

4.  Df.  Gandar,  Ronsard...  imilalcur  d'Homère  e(  de  Pindarc,  Metz,  1854, 
p.  10-18. 

5.  Institution  pour   l'adolescence  du  lioy    tres-chrestien.    FA.   L.,    I.    V, 
p.  349:  éd.  Bl.,   t.    Vil,   |..  3:>. 


LKS    PERSONNAGKS    HOMÉRIOUES  127 

sée  '.  S'il  veut  lionorer  son  roi  Henri  II  d'un  hommage  digne  de 
lui,  c'est  à  l'Iliade  qu'il  s'adresse  ;  le  ciel  t'a  comblé  de  dons, 
lui  dit-il  : 

11  t'a  premièrement,  quant  à  la  forte  taille, 

Fait  comme  un  de  ces  Dieu.v  qui  vont  à  la  bataille, 

Ou  de  ces  chevaliers  qu'Homère  nous  a  peins 

Si  vaillans  devant  Troye,  Ajaxetles  germains 

Roys  pasteurs  de  l'armée,  et  le  dispos  Achille, 

Qui  rembarrant  de  coups  les  Troyens  à  leur  ville, 

Comme  un  loup  les  aigneaux,  par  morceaux  les  hachoit 

Et  des  fleuves  le  cours  d'hommes  morts  empeschoit...  '- 

Les  héroïnes  du  vieux  conteur  subissent  quelques  déformations 
capricieuses,  dues  k  des  sources  moins  pures.  C'est  ainsi  que  la 
fière  Pénélope  devient  une  rusée  créature,  qui  envoie  son  fils  à 
Sparte  pour  mener  plus  librement  une  vie  dissolue  ^.  Hélène 
cependant,  que  Ronsard  a  si  souvent  nommée,  reste  en  sa  pen- 
sée l'idéale  beauté  que  les  vieillards  de  l'Iliade  voient  passer 
«  dessus  le  mur  troyen  ».  Au  reste,  il  ne  se  prive  point  de  com- 
pléter les  renseignements  qu'il  emprunte  à  Homère  par  d'autres 
qui  viennent  de  Darès,  le  compilateur  par  qui  le  moyen-àge  a 
connu  le  siège  de  Troie,  et  aussi  par  les  racontars  alexandrins 
que  fournissent  Lycophron  et  Apollonios  aux  bons  élèves  de  Do- 
rat.  Il  y  a  là  un  mélange  qui  nous  déconcerte,  mais  qui  laisse 
intacte  la  ferveur  de  son  culte  pour  le  grand  aède. 

Les  secrets  de  l'art  homérique,  pénétrés  par  une  longue  lec-r 
ture,  n'ont  pour  lui  aucun  mystère  ;  la  précision  des  descriptions, 
l'épithète  colorée  et  pittoresque,  les  brèves  images  empruntées  à 
la  nature,  ce  qui  donne  en  somme  à  sa  propre  poésie,  hors  des  excès 
piadariques,  ses  caractères  de  réalité  et  de  simplicité,  Ronsard  le 
doit  en   grande  partie    à    cette    fréquentation  magnifique.  Com- 

1.  De  1res  illustre  prince  Charles  cardinal  de  Lorraine  (éd.  L.,  t.  IN", 
p.  233-233;  éd.  Bl.,  t.  V,  p.  88-90).  On  voit  avec  curiosité  les  négociations 
diplomatiques  du  cardinal  rapprochées  de  celles  d'Ulysse  dans  l'Iliade. 

2.  Hymne  de  Henri  II  (éd.  L.,  t.  IV,  p.  187  ;  éd.  Bl.,  t.  V,  p.  Oo  .  Ce  qui 
suit  continue  la  comparaison  avec  les  qualilés  physiques  dWchillc,  v  pied- 
vile  »,  0  coureur  »,  «  sauteur  ". 

3.  Lycopliron  est  pour  quel([ue  chose  dans  la  fantaisie,  d'ailleurs  pleine 
de  verve,  des  «  Paroles  que  dist  Calypson,  ou  qu'elle  devoit  dire,  voyant 
partir  Ulysse  de  son  isle  »  {Poèmes,  livre  I.  Ed.  L.,  t.  V,  p.  62  ;  éd.  Bl.,  t.  V, 
p.  7).  Cf.  Hymne  de  l'Or  (éd.  L.,  t.  IV.  p.  3.5.S).  V.  le  commentaire  de  Muret 
sur  Catulle  léd.  Huhukeu,  t.  Il,  p.  8031. 


I^S  KONSAIIO    Kl     l.'lIlMAMSMi: 

ment  ne  pas  être  assuré  qu'il  en  est  conscient,  lors(|u'on  Tenlend 
livrer  à  son  lecteur  certaines  recettes  de  sa  poétique  :  «  Quant 
aux  comparaisons,...  tu  les  chercheras  des  artisans  de  fer  et  des 
veneurs,  comme  Homère,  pescheurs,  architectes,  massons,  et 
brief  de  tous  mestiers  dont  la  nature  honore  les  hommes...  Tu 
n'oublieras  les  noms  propres  des  outils  de  tous  mestiers  et  pren- 
dras plaisir  à  t'en  enfpierre  le  plus  <[uc  tu  jjourras,  et  principale- 
ineiU  (le  lâchasse.  Homère  a  tiré  ses  plusbelles  comparaisons  de 
là  '.  »  On  reconnaît  la  théorie,  chère  à  la  Pléiade,  de  l'adaptation 
des  termes  techni([ues  au  style  poétique  ;  Du  Bellay  l'a  exposée 
lui-même  assez  vivement  "  ;  mais  c'est  Ronsard  qui,  par  ce  pas- 
sag-e.  en  désig^ne  dans  Homère  la  source  et  l'autorité.  Il  a  même 
relevé  chez  lui  assez  de  traits  familiers,  pour  se  permettre  de  le 
considérer  parfois,  comme  a  fait  Rabelais,  sous  l'aspect  inattendu 
d'un  poète  badin  et  bachique.  Il  s'amuse  à  le  célébrer  à  ce  litre 
dans  la  «'  gayeté  »  qui  commence  ainsi  : 

Assez  vraynient  on  ne  rêvera 
Les  divines  bourdes  d'Homère, 
Qui  dit  qu'on  ne  sçauroit  avoir 
Si  grand  plaisir  que  de  se  voir 
Entre  ses  amis  à  la  table. 
Quand  un  nienestrier  délectable 
Paist  1  oreille  d  une  chanson. 
Et  quand  l'oste-soif  eschanson 
Fait  aller  en  rond  par  la  troupe 
De  main  en  main  la  pleine  coupe. 

Je  te  salue,  heureux  boiveur. 
Des  meilleurs  le  meilleur  resveur; 
Je  te  salue,  esprit  d'Homere...  ' 

On  comprend  que  Ronsard  n'ait  jamais  pu  se  lasser  d'un  poète 

1.  Dernière  préface  de  la  Franciade  éd.  L.,  t.  VII,  p.  S7  et  92:  éd.  Bl., 
t.  III,  p.  26  et  31). 

2.  Dans  le  morceau  fameux  de  la  Deffence,  II,  xi  :  n  Encores  te  veux-je 
adverlir  de  hanter  quelquosfois,  non  seidoment  les  scavans,  mais  aussi 
toutes  sortes  d'ouvriers  et  <jens  mécaniques,  comme  mariniers,  fondeurs, 
engraveuis  et  autres...  »  (éd.  Chamard,  p.  303l.  Ronsard  donne  une  énu- 
mération  analogue  dans  son  Art  poclir/iieéA.  L.,  t.  VII,  p.  48  ;  éd.  Bl.,  t.  VII. 
p.  320). Cf.  Marty-Laveaux,  LaHjue  (/e  la  Pléiade,  l.ï,  p.  300-420,  sur  l'usage 
fréquent  des  mots  techniques  par  nos  poètes. 

3.  Gayeté,  II  (éd.  L.,  t.  II,  p.  36;  cf.  var.  «  o  bon  Homère  »,  éd.  El., 
t.  VI,  p,  343).  On  reconnaît  le  passage.  II.  VI,  261,  auquel  a  pensé  Ronsard. 


(V  LES    FRAMiiils    ijl  1    MES    VKRS    LIItONT  ))  129 

choz  qui  il  trouvait  toutes  ces  richesses  diverses,  le  mythe  et  la 
nature,  le  symbole  et  la  réalité.  Pour  lui,  qui  a  tenté  ii  sou  tour  de 
les  réunir  dans  son  leuvre,  c'était  l'inspirateiir  par  excellence, 

l>o  (]ui,  coiiime  lui  ruisseau,  d'à^'^e  en  àj^fe  vivaiil 
La  Muse  va  tousjours  ses  chaulres  abreuvant  '. 


XII 


Chargé  de  tant  de  dépouilles  de  l'Antiquité,  usant  de  tant 
de  réminiscences  des  littératures  grecque  et  latine,  Ronsard 
attachait  un  prix  considérable  à  ce  qu'on  le  sût,  pour  qu'on 
appréciât  mieux  ce  qu'il  en  tirait  pour  enrichir  la  nôtre.  Plus  il 
s'inspirait  des  Anciens  et  leur  rendait  hommage,  plus  devait  être 
jugée  méritoire  l'offrande  faite  k  son  pays.  En  tête  d'une  édition 
revisée  de  ses  œuvres,  celle  de  1378,  il  a  placé  ce  quatrain  destiné 
à  écarter  d'elles  le  «  vulgaire  »  grossier  et  ignorant  : 

Les  François  qui  mes  vers  liront, 
S'ils  ne  sont  et  Grecs  et  Romains, 
Au  lieu  de  ce  livre  ils  n'auront 
Qu'un  pesant  faix  entre  les  mains. 

Une  affirmation  aussi  tranchante  ne  visait,  en  fait,  que  la  Fran- 
ciade  "-;  mais  il  faut  comprendre  que  Ronsard  tenait  k  être  reconnu 
pour  un  docte  parmi  les  doctes,  et  qu'un  lecteur,  selon  lui, 
ne  pénétrait  tout  k  fait  sa  pensée,  ne  goûtait  ses  allusions  dans 
leur  plein  sens  et  ses  images  dans  leur  exacte  beauté,  qu'autant 
qu'il  en  connaissait  lui-même  les  sources.  11  s'est  exprimé  ailleurs 
de  façon  moins  absolue  et  en  définissant  mieux  les  principes  de 
son  art  : 

Mon  Passerat,  je  resemble  à  l'abeille 

Qui  va  cueillant  tantost  la  fleur  vermeille, 

Tantosl  la  jaune,   errant  de  pré  en  pré 

1.  Hymne  de  l'Or  (éd.  L.,  t.  IV,  p,  338;  cf.  var.  "  les  poètes  »,  éd.  Bl., 
t.  V,  p.  214). 

2.  Jusserand  remarque  que  le  quatrain,  parfois  cité  comme  se  rapportant 
à  l'ensemljlc  de  l'œuvre  ronsardienue,  «  ne  vise  et  ne  pouvait  viser  que  la 
Franciade  •>.  [Ronsard,  p.  141.)  Il  faut,  je  crois,  en  étendre  l'application  un 
peu  davantage. 

NoLH.vc. —  rtonsard  cl  t'Huiiiiiuisnie.  9 


130  RONSARD    ET    LIILMAMSME 

Où  plus  les  (leurs  lleurissenl  à  son  gré, 
Contre  l'Hyver  amassant   force  vivres. 
Ainsi  lisant  et  fueilletanl  mes  livres. 
J'amasse,  trie  el  choisis  le  plusbeau, 
Qu'en  cent  couleurs  je  peints  en  un  tableau, 
Tantost  en  l'autre,  et  prompt  en  ma  peinture 
Sans  me  forcer  j'imite  la  nature'. 

Ces  vers  pourraient  être  écrits  par  Jean  de  La  Fonlaiiie,  cet 
autre  «  pilleur  »  de  génie,  à  qui  nul  ne  s'avise  de  contester  son 
oris^inalité,  comme  on  l'a  fait  jadis  et  si  injustement  pour  notre 
Ronsard.  Au  temps  de  celui-ci,  nul  ne  se  trompait  aux  appa- 
rences, et  l'on  savait  qu'en  abordant,  comme  il  l'avait  voulu  faire, 
tous  les  genres  des  Anciens,  il  les  francisait  à  jamais  : 

Et  cum  sil  Ma.ro  loi  us  el  Calullus, 
Totus  Pinclarus  el  Pclrarcha  lultis, 
Ronsariliis  lanien  esl  sibi perennis  -. 

Parmi  les  témoig-nages  rendus  par  Ronsard  à  rilippocrène 
hellénique  qui  l'a  abreuvé  et  avec  lui  toute  notre  poésie,  je  n'en 
citerai  plus  qu'un  seul.  C'est  un  récit  perdu  dans  la  longue  épître 
»  A  lehan  du  Thier,  seigneur  de  Beau-Regard,  secrétaire  d'Estat  », 
qui  fut  un  des  protecteurs  importants  de  notre  poète  à  la  cour 
de  Henri  II  ;  il  loue  ce  personnage  de  pratiquer  lui-même  la  poésie, 
au  milieu  de  ses  absorbantes  occupations,  et  cite  en  exemple  de 
son  respect  pour  les  lettres  cette  intéressante  anecdote  : 

...Si  ne  veux  soull'rir  qu'un  acte  ^rantl  et  beau 
Que  tu  lis  à  deux  Grecs,  aille  sous  le  tombeau. 
Deux  pauvres  eslrangers  qui,  bannis  de  la  Grèce, 
Avoyent  prins  à  la  Cour  de  l-'rance  leur  adresse, 
Incognus,  sans  appuy,  pleins  de  soin  et  d'esmoy, 
Pensans  avoir  support  ou  d'un  Prince  ou  d'un  Roy. 
Mais  ce  fut  au  contraire,  ô  Princes  !  quelle  honte 
D'un  peuple  si  sacré  (helas  !)  ne  faire  conte! 
Ils  estoyent  délaissez  presqu'à  mourir  de  fain, 
Honteux  de  mendier  le  misérable  pain. 
Quand  à  l'extrémité  portant  un  thresor  rare 


1.  Fin  du  poème  d'/Av/,is,  dans  les  Po/'ines:  (éd.  L.,  t.  V,  p.   132). 

2.  OEin-res  iFEslienne  l'usi/iiicr,  t.  II,  col.  Il.i2. 


LES   UELX   CRETOIS  131 

S'udressereul  àtoy;  c'esloit  du   vieil  Findare 

Un  livret  incofjnu,  el  un  liure  nouveau 

Du  gentil  Simonide,  esueiUé  du  tombeau. 

Toy  lors,  comme  courtois,  bénin  el  débonnaire, 

Ne  fis  tant  seulement  depescher  leur  alTaire, 

Mais  tu  recompensas  avec  beaucoup  d'escus 

Ces  livres  qui  avoyent  tant  de  siècles  veincus. 

Et  qui  portoyent  au  front  de  la  marge  pour  guide 

Ce  grand  nom  de  Pinciare  et  du  grand  Simonide', 

Desquels  tu  as  orné  le  sumptueux  chasteau 

De  Beau-regard,  ton  louvre,  et  l'en  as  fait  plus  beau 

Que  si  des  Aâiens  les  terres  despouillées 

En  don  t'eussent  baillé  leurs  medalles  rouillées  ^. 

Cette  noble  page,  toute  vibrante  du  souffle  de  la  Renaissance, 
raconte  un  épisode  qui  s'est  répété  bien  des  fois  en  Italie,  moins 
souvent  en  France,  l'arrivée  de  ces  Grecs  misérables,  chassés  des 
terres  ravagées  par  les  Turcs  ou  simplement  attirés  par  le  goût 
de  chercher  fortune,  et  qui  apportaient,  pour  tout  bagage,  un  de 
ces  manuscrits  antiques  tant  désirés  en  Occident.  Les  volumes 
ne  contenaient,  la  plupart  du  temps,  que  le  fatras  théologique  de 
Byzance  ;  mais  on  en  espérait  toujours  une  trouvaille  précieuse. 
Les  émigrés  comptaient,  dans  tous  les  cas,  sur  la  soif  de  science 
de  leurs  hôtes  pour  obtenir  accueil  et  protection,  au  nom  des 
exilés  illustres  qu'ils  prétendaient  ramener  avec  eux.  Beaucoup 
trouvèrent,  en  elFet,  chez  les  princes  lettrés  ou  chez  des  person- 
nages importants,  enthousiastes  de  l'Antiquité,  le  gîte  et  le  cou- 
vert, que  leurs  leçons  souvent  maladroites,  leurs  manuscrits,  sou- 
vent insignifiants,  semblaient  payer  avec  une  royale  magnili- 
cence. 

Quels  sont  les  Grecs  protégés  par  Jean  du  Thier,  il  n  est  pas 
aisé  de  le  savoir;  mais  il  y  a  à  Paris,  depuis  le  règne  de  Henri  II, 
un  Cretois  auquel  il  est  impossible  de  ne  pas  penser  et  qui  est 
précisément  un  introducteur  et  un  transcripteur  de  manuscrits. 
On  ignore  en  quelles  circonslances  ce  Constantin  Paheocappa  est 
venu  d'Orient,  où  il  était  encore  moine  du  Mont  Athos  en  l.')41  ; 


i.  Ce  vers  décrit  fort  exactement  un  ancien  manuscrit  grec  muni  d'un 
titre  courant. 

2.  Ed.  L.,  t.  V,  p.  143-t44.  La  pièce  à  J.  du  Thier  est  dans  Le  seroml 
livre  des  Poèmes. 


l:{2  ItO.NSARD    El     i/hL'.MANISME 

il  p.'issi'  plus  tai'd  au  service  du  cardinal  de  Lorraine,  à  qui  il 
dédie  plusieurs  manuscrits,  ainsi  {ju'au  Roi  lui-même'.  On  le 
trouve  employé  à  rédig-er  le  catalogue  des  manuscrits  grecs  de  la 
bibliothé([ue  royale  de  Fontainebleau,  sous  la  direction  d  Ange 
Vergèce,  et  l'on  sait  qu'il  a  un  frère  qui  lui  apporte  des  manu- 
scrits de  leur  ile  maternelle'-.  L'anecdote  rapportée  par  Ronsard 
n'est  pas  datée;  rien  ne  s'oppose  ù  ce  que  ces  frères  PalH!ocap])a 
soient  les  deux  Grecs  dont  il  raconte  la  venue  en  France,  Jean  du 
Thier  ayant  pu  procurer  ensuite  à  Conslaiilin  la  protection  du 
cardinal  de  Lorraine. 

La  valeur  des  textes  signalés  par  Ronsard  peut  paraître  assez 
douteuse.  On  est  porté  à  se  demander  si  les  œuvres  «  inconnues  » 
de  Pindare  et  de  Simonide  étaient  un  trésor  aussi  rare  qu'il  le 
pensait.  Il  y  eut  alors,  dans  ces  découvertes,  beaucoup  d'illusion. 
Celle-ci  n'a  point  laissé  de  traces,  bien  que  les  fragments  de 
Simonide  fassent  penser  à  ceux  que  Turnèbe  a  édités  en  15.o3  dans 
son  recueil  gnomique.  Il  ne  faut  pas  croire  pourtant  que  les  indi- 
cations du  poète  soient  dénuées  d'autorité  ;  il  avait  vu  le  manu- 
scrit qu'il  décrit,  et  surtout  il  pouvait  juger  en  quelque  mesure 
de  la  valeur  des  textes  nouveaux  et  des  morceaux  inédits  qui 
venaient  au  jour  de  son  temps. 

Guillaume  CoUetet  assure  que  Ronsard  avait  porté  loin,  sur 
ce  point,  la  précision  de  ses  études  :  «  Il  pénétra  si  avant,  dit-il, 
dans  les  bibliothèques  publiques  et  particulières  qu'il  fist  un 
recueil  des  vers  de  plusieurs  poètes  grecs,  dont  nous  ne  connais- 
sons presque  que  les  noms,  dans  le  dessein  de  les  communiquer 
au  public,  et  qu'à  cet  effet  en  mourant  il  laissa  ce  recueil  dans  les 
mains  de  son  intime  amy  Jean  Galandius,  qui  eust  peu  et  deu 
mesme   nous  faire   part  de  ces  antiques  et  nbbles  productions 

1.  Henri  Omont,  Catalogue  des  mss,  grecs  copiés  à  Paris  au  XVh'  siècle 
par  Constantin  Palœocappa,  dans  l'Annuaire  de  l'Association...  des  éludes 
grecques  de  ISS6,  p.  241-279,  et  Le  premier  catalogue  de  la  bibliolh.  de 
Fontainebleau  {Bibliolh.  de  l'Ecole  des  Chartes,  l.  XLVII,  1886).  Les  Pala-o- 
cappa  de  l'Université  de  Padoue  appartiennent  à  la  même  famille,  origi- 
naire de  La  Canée  [Cydonia). 

2.  V.  une  des  préfaces  publiées  par  Omont,  que  le  Cretois  a  mises  aux 
recueils  théologiques  copiés  pour  le  cardinal  de  Lorraine  :  »  Cum  frater 
meuse  patria  ad  me  venisset...  librum  hune  secum  attulit,  quem  ego  iam 
pridem  Apterae,  quae  urbs  est  Cretensium.  ex  quodam  exemplari  vetustis- 
simo  descripseram,  usque  adeo  vetuslate  carioso  pnlrique  ut  vix  lof^i  pos- 
scl ..... 


RONSAUD    PIllLOLOOlT.  133 

d'esprit  »  '.  Le  témoin  contemporain  (ju'invoque  le  biographe  est 
l'auteur  connu  de  l'oraison  funèbre  du  collège  de  Boncourt, 
Georges  Cricbton,  et  le  passage  original  mérite  d'être  reproduit; 
il  met  en  scène  Galland,  principal  de  Boncourt,  le  meilleur  ami 
de  Ronsard,  qui  l'appelait  ;j.ovo3r,X3J|j.îv5;,  «  le  seul  aimé  »,  et  lui 
confia  l'ensemble  de  ses  papiers  : 

I-uslrata  itaque  cum  L.  Baïfio  Germaniae  quadam  parte,  Lute- 
tiam  tandem  rediit,  ubi  doctore  usus  in  Graecis  et  in  Latinis  literis 
Aurato,  ex  aurais  diuini  illius  hominis  foiitibus  lanlum  haiisit,  quan- 
tum si  non  ad  satietatem  sallem  ad  saturitatem  sitientissimo  cuiuis 
liomini  poterat  satisfacere.  \ec  enim  in  antiquis  Graecorum  aut  Lali- 
norum  monumentis  quid  tam  abditum  et  recondilum  latet,  quod  ille 
non  perqiiisierit,  nullus  solertioris  alicuius  interpretis  Graeci  locus, 
nulla  paulo  venustior  extat  fabella,  quani  ille  non  annotarit  et  expres- 
seril. 

lam  in  colligendis  ipsis  veterum  Graecorum  au  t  o<,'ra  ph  is 
et  exemplis,  in  iis  quae  retrusa  in  priuatis  adhuc  bibliothecis  lacent 
recensendisquantopere  diligensfuerit,  testantur  obsoleta  multaetexesa 
penè  vetustafe  Graecorum  poetarum  carmina,nondum  togatorum  natio- 
nicognita,  quae  per  Gallandium  propediem,,ul  spero,  lucem  accipient 
et  omnium  vestrûm  manibus  terenlur  '-. 

Ce  témoignage,  qui  n'est  pas  contesté',  mène  assez  loin.  Il  révé- 
lerait en  Ronsard,  non  seulement  l'humaniste  savant,  le  liseur  infa- 

1.  La  vie  de  Ronsard  par  Colletet  a  été  écrite  en  1648.  V.  OEuvres  iné- 
dites de  Ronsnrfl,puh .  par  Blanclieniain,  Paris,  1835,  p.  3!j. 

2.  G.  Crillonii  laudatio  fimebris...  apud  Becodianos,  p.  5  (v.  plus  loin, 
p.  4,  fin  de  la  2'  p.).  La  suite  du  morceau  rappelle  les  services  rendus  à 
l'œuvre  de  Ronsard,  après  sa  mort,  par  l'homme  qui  avait  été  le  «  Pylade  » 
de  la  fin  de  sa  vie  et  lui  offrait  à  Paris  l'hospitalité  du  collège  de  Boncourt 
(Becodiana  <lomus). 

3.  Les  observations  de  Laumonier  [Binel,  p.  99)  tendent  plutôt  à  en  ren- 
forcer l'autoi'ité.  Malgré  l'unanimité  des  avis  et  l'exactitude  grammaticale 
du  mot  ille  se  rapportant  à  Ronsard,  malgré  la  répétition  du  même  pronom 
dans  la  phrase  qui  continue  après  ce  morceau  l'oraison  funèbre,  je  dois  dire 
que  j'ai  parfois  appliqué  ce  texte  dans  ma  pensée,  non  pas  à  l'élève,  mais  au 
maitre,  non  à  Ronsard,  mais  à  Dorât.  Le  vieux  Dorât  assistait  sans  doute  à 
la  cérémonie  de  Boncourt  et  écoutait  lediscours  de  Crichton  ;il  était  naturel 
qu'on  y  parlât  de  lui  et  de  ses  travaux.  Sa  propre  liaison  avec  Galland  expli- 
querait qu'il  lui  eût  confié,  comme  Ronsard,  ses  derniers  papiers.  Enfin, 
l'auteur  delà  Laudatio  a  pu  ajouter  le  passage  sur  son  imprimé, -en  faisant 
un  mauvais  raccord.  Quoi  qu'il  en  soit,  à  quelques  nuances  près,  subsiste- 
rail  l'opinion  qu'on  peut  g:arder  du  travail  philologique  de  Ronsard. 


134  RONSARD    KT    I.'jlL'.MANISME 

tigal)le  des  poètes  auciens  qu'il  se  propose  d'imiter,  mais  encore 
un  pliilolofi'ue  vérital)le.  Les  travaux  auxf|uels  il  se  serait  livré, 
sous  l'iuspiration  de  Dorât  et  un  peu  de  Turnèbe,  ressemblent 
singulièrement  aux  travaux  professionnels  de  ces  deux  maîtres.  A 
l'étude  attentive  des  auteurs  imprimés  il  aurait  joint  1  examen  et  la 
comparaison  des  manuscrits  dans  les  bibliothèques  et  la  recherche 
des  textes  ignorés.  Quelque  insulTisante  qu'ait  pu  être  la  méthode 
employée,  c'est  là  une  besogne  proprement  philologique;  et  voilà 
un  trait  notable  qui  s'ajoute  aux  divers  aspects  de  cette  figure  si 
complexe  de  grand  lettré.  Qu'il  ait  fait  œuvre  de  paléograplie 
pour  lire  les  manuscrits  grecs,  ce  n'est  point  pour  nous  sur- 
prendre, puisqu'il  a  acquis  sur  ce  point  une  sullisante  expérience 
avec  son  ami  Baïf,  dans  la  compagnie  d'Ange  Vergèce'.  Quant 
aux  <'  librairies  »  fournies  de  livres  grecs,  où  il  a  «  pénétré  si 
avant  »,  ce  sont  celle  du  Roi  à  Fontainebleau,  dont  cette  partie 
était  précisément  confiée  aux  soins  du  scriplor  \'ergèce,  et  qu'on 
transporta  au  Louvre  sous  Charles  IX  ^,  et  celle  de  Catherine 
de  Médicis,  cpii  fut  d'abord  aux  Tuileries,  puis  au  château  de 
Saint-Maur-lez-Fossés.  Le  fonds  grec  de  la  bibliothèque  appar- 
tenant à  la  Reine-mère  provenait  de  Florence  et  était  particulière-, 
ment  précieux^.  Le  poète  a  parlé  de  ces  trésors  avec  un  accent 
qui  ne  saurait  tromper  sur  l'intérêt  qu'il  y  a  pris  : 

1.  Cf.  plus  haut,  p.  40.  —  Observons,  à  propos  des  manuscrits  grecs  et 
des  ligatures  cpii  en  rendent  aujourd'hui  pour  nous  la  lecture  moins  aisée, 
que  la  typographie  de  l'époque  en  i-epioduisail  les  formes  de  beaucoup  plus 
près  que  la  notre.  Ronsard  devait  lire  un  manuscrit  aussi  couramment 
qu'un  imprimé. 

2.  V.  l'ouvrage  d'Henri  Omont,  Catalogue  des  inxs.  grecs  de  Fontaine- 
bleau sous  François  l"  et  Henri  II,  Paris,  1889.  Le  fonds  grec  se  retrouve 
intégralement  aujourd'hui,  moins  un  seul  volume,  à  la  Biltliolhèque  Natio- 
nale. Léopold  Delisle  a  réimprimé  le  poème  de  Dorai,  De  Bibliotheca  regia, 
adressé  à  Charles  IX  \Le  Cabinet  des  mss.  de  la  liihUoth.  nal.,  t.  I,  Paris, 
1868,  p.  1911.  Pierre  de  Montdoré,  qui  fut  maitre  delà  librairie  de  1352  à 
1567,  fut  remplacé  dans  celte  charge  par  Jacques  .\niyot.  V.  sur  Montdoré 
{Montaureus)  la  notice  de  Léon  Dorez,  dans  les  Mi'langen  de  l'École  française 
de  Rome,  t.  XII,  Rome  189^. 

3.  Ce  fonds  était  formé  surtout  des  manuscrits  du  cardinal  N.  Ridolfi, 
mort  en  1330,  qu'avait  achetés  un  grand  capitaine  "  bien  amateur  de  lettres  », 
Pierre  Strozzi,  maréchal  de  France,  que  Ronsard  a  connu.  Ils  passèrentaprès 
lui  aux  mains  de  la  Reine  en  des  circonstances  que  Brantôme  a  racontées 
(éd.  Lalanne,  t.  Il,  p.  242).  V.sDelisle,  t.  I,  p.  209,  et  H.  Omont,  Le  premier 
catalogue  des  mss.  grecs  du  card.  Hidolfi,  dans  la  Biblioth.  deYEcole  des 
Chartes,  année  1888.  p.  309-314. 


lîIBLIOTHÈQUES   VISITÉES    PAR   HONSARD  135 

Celle  royne  d'honneur  de  telle  race  issue... 
Poui'  ne  dégénérer  de  ses  premiers  ayeux 
Soigneuse  a  fait  chercher  ses  livres  les   plus  vieux, 
Hébreux,  grecs  el  latins,  traduits  et  à  traduire. 
Et  par  noble  dépense  elle  en  a  fait  reluire 
Son  chasteau  de  Saint-Maur,  à  lin  que  sans  danger 
Le  Françoys  fust  vainqueur  du  sçavoir  estranger '. 

Paris  comptait  plusieurs  bibliothèques  privées  assez  bien 
pourvues  et  appartenant  à  des  personnanes  considérables,  chez 
qui  s'étaient  développés  les  goûts  du  bibliophile  de  cette  époque, 
aussi  curieux  de  manuscrits  que  de  beaux  livres  imprimés.  Ainsi 
était  composée  la  librairie  de  Henri  de  Mesmes,  riche  en  ouvrages 
grecs,  qui  fut  toujours  ouverte  à  Ronsard,  puisque  son  niaitre 
Dorât  y  eut  ses  entrées  de  tout  temps  et  que  son  ami  Lambin  y 
récolta  de  précieuses  moissons  pour  ses  éditions  savantes"^.  Les 
collections  du  premier  président  de  Thou,  dévoué  protecteur  des 
lettres,  celles  de  Jean  Hurault,  seigneur  de  Boistaillé,  ancien 
ambassadeur  à  Venise  et  à  Gonstantinople,  contenaient  aussi  des 
manuscrits  grecs  ^.  Tous  les  Hurault,  amis  des  livres  et  des  huma- 
nistes '',  et  surtout  le  grand  chancelier  de  France,  Philippe,  sei- 
gneur de  Cheverny,  que  Ronsard  a  célébré  de  haute  façon  dans 
le  Bocage  royal  ■',  ont  diî  tenir  à  honneur  de  satisfaire  ses  curio- 
sités. 

11  faudra  nous  imaginer  Ronsard  penché  sur  les  volumes  véné- 
rables, tournant  avec  respect  les  feuillets  de  papier  ou  de  par- 
chemin, retrouvant  sous  cette  forme  nouvelle  les  ouvrages  que  les 

t.  Le  morceau  est  au  Bocage  royal,  éd.  L.,  t.  IILp.  296;  éd.BL,  t.  III, 
p.  379;  (un  premier  texte  porte  pour  variante  au  v.  pénultième  :  "  Le  liaut 
palais  du  Louvre.  ») 

2.  V.  plus  haut,  p.  70-77. 

3.  Jean  Hurault  (i. //(;)-a//us  Boestallerius)  est  mort  en  1572.  Son  neveu 
Michel  Hurault,  seigneur  de  Bel-Esbat,  chancelier  de  Navarre,  avait  hérité 
de  la  bibliothèque  de  Michel  de  l'Hospital,  son  aïeul  maternel.  Celle  de 
Philippe  Hurault,  comte  de  Cheverny,  garde  des  sceaux  de  Henri  111 'et 
de  Henri  IV,  excitait  l'admiration  de  Scaliyer.  Cf.  Delisle,  Lp  Cabinet  des 
mss.,  t.  I,  p.  213. 

4.  Lambin  en  cite  trois  dans  la  préface  de  son  Cicâron,  parmi  les  grands 
personnages  lettrés  du  temps. 

n.  Ed.  L.,  t.  IH,  p.  313-349;  éd.  Bl.,  t.  III,  p.  419-424.  Dorât  le  loue 
comme  ■<  unions  doctorum  patronus  »,  et  parfois  sollicite  ses  bons  offices 
Poemalia,  p.  103,  205,  297,  32a  ;  2'  part.,  p.  19,  25,  26,  103,  228  ;  et  en  tête 
de  la  partie  non  paginée  du  recueil).  Rappelons  aussi  le  trésorier  Nico- 
las Moreau. 


136  HONSAHD    ET    1,'lir.MAMS.ME 

('■(litions  lie  Lyon  ou  di'  W'iiise.  de  Hàle  ou  de  Strasboui'g-,  lui  ont 
rendus  familiers,  se  lififurant  parfois,  avec  la  petile  fièvre  qu'excitait 
un  texte  inconnu,  qu'il  était  le  premier  à  le  déchillVer.  D'autres 
poètes  ont  connu  ces  émotions,  et  Pétrarque  est  de  tous  le 
plus  illustre.  Mais  Pétrari[ue  appartenait  h  l'âge  des  grandes 
découvertes,  puisqu'il  comnieiii^'ait  à  reconstituer  par  son  propre 
t'ilort  l'cnsendile  dispersé  de  la  littératuie  romaine  '.  Aucune 
des  joies  prodigieuses  qui  niarcpiérenl  la  vie  du  poète  italien  ne 
pouvait  être  réservée  k  Honsanl,  même  dans  le  domaine  des 
lettres  grecques  qui  fut  le  sien.  lùi  ce  lot  de  papiers  que  posséda 
Galland,  son  exécuteur  testamentaire,  et  dont  ses  contemporains 
paraissaient  attendre  des  révélations  bibliographiques,  on  n'a  dû 
faire  aucune  trouvaille  qui  méritât  d'être  communiquée  au  public. 
Ce  n'était  peut-être  qu'un  recueil  de  transcriptions  de  sa  main, 
analogue  à  celui  cjue  posséda  Du  Gange  et  qui  contenait  les 
extiaits  «  que  le  jeune  Baïf  avoit  faits  de  vingt-trois  anciens 
poètes  grecs  pour  son  usage  particulier  »  -.  Le  florilège  per- 
sonnel de  Ronsard  ne  serait  pour  nous,  si  nous  le  retrouvions 
jamais,  qu'une  précieuse  relique  littéraire  et  une  preuve  superflue 
de  son  érudition  d'helléniste. 

Ces  observations  donnent,  du  moins,  un  sens  plus  précis  à  la 
charmante  évocation  de  Rémi  Belleau,  dirigeant  vers  son  ami  le 
vol  d'un  papillon  et  disant  à  la  bestiole  de  l'aller  chercher  en  son 
cabinet  d'étude  : 

\'a-l-en  mignon  à  mon  Ronsard... 
Tu  le  troùuras  dessus  Nicandre, 
Sur  Callimach,  ou  sur  la  cendre 
D'.Anacreon,  qui  reste  encor 
Plus  précieuse  que  n'est  l'or. 
Tout  recourbé,  moulant  la  grâce 
De  ses  trais  à  l'antique  trace 
Sur  le  patron  des  plus  segrés 


1.  On  me  permettra  de  renvoyer  à  Pétrarijiir  l't  l'IIiiinanisme,  particuliè- 
rement au  t.  I,  p.   14  sqq.,  et  au  t.  II,  p.  239  sqq. 

2.  Augé-Chiquet,  t.  f.,p.  32,  cite  la  description  que  donne  Baillet  de  ce 
manuscrit  très  soig-né,  écrit  par  Baïf  dans  sa  quatorzième  année  et  où  «  les 
ponctuations  surtout  et  les  accents  peuvent  cautionner  l'intelligence  qu'il 
avoit  de  la  langue  ».  Les  florilèges  de  Ronsard  ne  devaient  être  guère  moins 
délicatement  calligraphiés. 


LES    LIVRES    DE   RONSARD  137 

Pooltes  lioniains  et  poelles  grées, 
Pour  nous  reclarcir  leur  vieil  âge  '. 

Que  ce  fût  à  l'aide  d'un  manuscrit  emprunté  ou  d'une  édition 
d'Estienne,  c'était  bien  le  travail  d'un  philologue  que  les  compa- 
gnons du  poète  le  voyaient  accomplir  sous  leurs  yeux,  pour  l'uti- 
liser, il  est  vrai,  à  des  fins  purement  littéraires.  Il  était  alors  à 
l'époque  la  plus  «  livresque  »  de  sa  vie,  celle  qui  prolongea  quelque 
temps  l'enseignement  du  collège  de  Coqueret  et  lui  procura, 
dans  la  solitude  de  la  recherche,  ces  belles  heures  d'ivresse  intel- 
lectuelle dont  bénéficia  si  largement  sa  poésie. 

La  restitution  idéale  de  sa  bibliothèque  serait  facile  aujour- 
d'hui, s'il  s'agissait  d'y  compter  les  auteurs  de  toute  langue 
auxquels  il  a  eu  recours  '-.  On  pourrait  même  essayer  d'indiquer, 
comme  nous  l'avons  fait  quelquefois,  de  quelles  éditions  il  a  dû 
se  servir  pour  la  lecture  des  textes  anciens.  Mais  nous  aimerions 
retrouver  ceux  de  ses  livres  où  il  a  jeté  sur  les  marges,  comme 
firent  d'autres  humanistes,  des  témoignages  de  son  admiration 
ou  des  observations  de  sa  critique.  L'ex  libris  même  de  Ron- 
sard ne  figure  sur  aucun  volume  aujourd'hui  connu^.  Son  ex  dono 
seul  apparaît  sur  un  exemplaire  des  Elégies,  Mascarades  et  Ber- 
geries (Buon,  1565)  offert  à  un  trésorier  de  l'Epargne  ^  et  sur  la 
Franciade  envoyée  à  Muret  \ 

1.  Les  Odes  d'Anacréon  Teïen,  Paris,  Wecliel,  1556,  p.  70,  dans  le  recueil 
des  Petites  inrenlions.  Cf.  OEuvres  de  Belleau,  éd.  M.-L.,  t.  I,  p.  52,  avec 
l'orthographe  secrets  elpoetes.)  Le  passage  est  déjà  cité  dans  la  Rhétorique 
française  d'Antoine  Foclin,  Paris,   15"à5,  p.  6. 

2.  V.  l'introduction  de  Laumonierà  son  édition  des  Odes,  t.  I,  p.  xxxiv. 

3.  A  cette  heure,  l'indication  de  propriété  de  Ronsard  n'existe  sur  aucun 
volume  classé.  Il  est  probable  que  sa  main  sera  reconnue  un  jour  sur 
quelque  marge  annotée  d'un  livre  de  l'époque,  ce  qui  permettra  d'autres 
identifications.  Le  seul  écrivain  de  son  groupe  dont  on  possède  un  ensemble 
de  livres  annotés  est  Muret.  La  description  de  cette  collection  a  été  ma 
contribution  de  début  aux  Mélanges  de  l'Ecole  française  de  Rome,  année  1883 
[La  bibliothèque  d'un  humaniste  au  A'VV*  siècle).  La  Bililiothèque  Vittorio- 
Euianuele,  qui  l'a  héritée  de  l'ancien  Collège  Romain,  a  retrouvé,  depuis 
mon  travail,  un  exemplaire  de  l'édition  originale  des  premières  Oiles  qui  a 
appartenu  au  grand  humaniste  (coté  71. 2,  A. 43).  Je  ne  vois  de  traces  de 
lecture  qu'au  f.  125;  ce  sont  des  corrections  légères  sur  l'ode  latine  de 
Dorât. 

i.  On  lit  sur  la  page  de  titre,  de  la  main  du  poète  :  Pour  Monsieur  de 
Fictes,  et  la  signature  :  Ronsard.  V.  le  fac-similé  dans  la  précieuse  antho- 
logie ronsardienne  de  M.  Hugues  Vaganay,  Œuvres  meslées  de  P.  de  Ron- 
sard, Lyon,  Lardanchet,  1914,  p.  201. 

5.  J'ai  identifié  récemment  cet  exemplaire,  dont  il  est  question  p.  151. 


138  noNSABD  KT  l'uumamsme 

Guillaume  Colletet  possédait  encore  au  xvir  siècle  un  1<»1 
douvraj^-es  italiens,  par  lescpiels  une  habitude  du  poète  nous  est 
bien  attestée  :  «  Uonsard,  qui  s(,avoit  ellectivement  tout  ce  que 
l'ancienne  Athènes  et  Rome  avoient  de  rare  et  de  beau,  n'ignoroit 
rien  encore  de  tout  ce  qui  faisoil  csclalter  Florence  et  la  nouvelle 
Rome  '  :  ce  que  je  recognois  par  les  exemplaires  de  quelques 
livres  italiens  que  Ronsard  avoit  lus  exactement  et  f/ui  sont  en 
mille  endroits  marqués  et  annolc's  de  sa  /nain  propre  »  -.  Ces 
souvenirs    précieux   paraissent  perdus. 

Il  possédait  cependant  beaucoup  de  livres,  et  assurément  plus 
que  Dorât,  qui  se  contentait  d'un  petit  nombre,  toujours  relus  •*. 
II  aimait,  nous  le  savons,  que  1'  «  estude  »  fut  bien  parée,  et 
quelques  portraits  chers  à  son  cœur  figuraient  sur  les  murs  '•, 
auprès  des  rayons  où  s'alignaient  des  trésors  maintes  fois  rappelés 
avec  complaisance.  Un  premier  fonds  lui  venait  du  legs  de  son 
oncle  Jean,  vicaire  général  de  l'évêque  du  Mans  f  «  Habebat  ab 
auunculo,  viro  omni  liberali  sacraque  doctrina  politissima...  bi- 
bliothecam  varia  et  multiplici  librorum  supellectileinstructam  »  ^. 
11  en  parle  pour  la  première  fois  «  k  son  retour  de  Gascogne  », 
après  la  courte  infidélité  que  ce  voyage  lui  a  fait  faire  à  son 
travail  : 

1.  «  La  nouvelle  Rome  ■  désigne  avec  précision,  dans  le  langag'e  du  bio- 
graphe, la  littérature  latine  de  l'Hunsanisme. 

2.  <i  Je  mets  en  ce  rang,  ajoute  Colletet,  les  diverses  rymes  italiennes  du 
cardinal  Hembo  et  [lacune  dans  lems.  ,qui  sont  tombées  entre  mes  mains.  » 
(Notice  sur  Ronsard  publiée  par  Blancheniain,  /.  c,  p.  59). 

3.  Cf.  Poemalia,  l''"  partie,  p.  61  (à  son  médecin  Ph.  Valeranus)  : 

Ast  ego  oui  hreuis  est  et  inambiliosa  supellex, 
Scrinia  pariia  lihris  (jraecis  pariterque  l.atinis 
Mon  muUis  lectisque  lumen... 

4.  Ceux  de  Marie  Stuart  et  de  François  II  sont  décrits  dans  la  charmante 
Fnttlaisiie  des  Pop/ne.s-,  adressée  à  la  reine  d'Ecosse  (éd.  L.,  t.  V,  p.  9, 10;  éd. 
Hl.,l.  VI,  p.  14,  IGl: 

Bien  que  le  trait  de  vostre  belle  face 
Peint  en  mon  cœur  par  le  temps  ne  s'elTace, 
...J'ay  toutefois,  pour  la  chose  plus  rare 
iDontmon  estude  et  mes  livres  je  pare) 
Vostre  semblant  qui  fait  lioiuieur  au  lieu 
Comme  un  por(rail  fait  honneur  à  son  Dieu. 
. .  .Droit  au  davant  de  vostre  portraiture 
J'ay  mis  d'un  lîoy  l'excellente  peinture. 
Bien  jeune  d'ans... 

■■..  J.  Velliard,  Laudalio  fiinebris  P.  Ronsardi,  p.  12.  Cf.  plus  haut,  p.  H. 


ÏKMdlGNAGES    SIR    LA    "    LIItllAIRIE  »  139 

...Ma   librerie,  héhis  ! 
Grecque,  latine,  es|)aif;iiole,  italique, 
Eu  me  lançant  d'un  Iront  mélancolique 
Me  dit  que  plus  je  n'adore  l'allas  ' . 

C'est  à  Paris  ([u'il  teuiiit  celte  <i  liijrairie  »  ;  il  y  pense  penilant 
le  séjour  qu'il  fait  près  de  Meaux,  aux  bords  de  «  Marne  l'Is- 
leuse  »,  où  il  jouit  ardemment  de  tous  les  plaisirs  de  la  cam- 
pagne ;  dès  l'automne,  écrit-il  à  un  ami,  je  reviendrai  à  «  ce  grand 
Paris  »  et 

...d'un  pié  jirompl  je  courray  pour  revoir 
Mes  conipag-nons  et  mes  livres,  que  j'aime 
l^lus  mille  l'ois  que  toy  ni  que  moy-mesme'-. 

Le  sentiment  reste  semblable,  si  l'expression  change,  lorsqu  il 
célèbre,  du  même  accent  que  le  vieux  Pétrart[ue  et  presque  avec 
les  mêmes  mots-'',  l'incompiarable  compagnie  des  livres  aimés: 

...Seul  maislre  de  nioy,  j'allois  plein  de  loisir 
On  le  pied  me  portoit,  conduil  de  mon  désir, 
-Ayant  tousjours  es  mains  pour  me  servir  de  yuide 
.Aristote  ou   Platon,  ou  le  docte  Euripide, 
Mes  bons  hosles  muets  qui  ne  l'ascheut  jamais...  ' 

Ces  vers  se  lisent  dans  la  noble  élégie  dédiée  à  Hélène  de  Sur- 
gères, où  le  poète  livrait  à  son  amie,  et  par  elle  à  la  postérité, 
plus  d'un  secret  de  son  àme.  Il  y  rappelait  ses  études  les 
plus  chères,  qui  avaient  transporté  sa  vie  idéale  loin  de  celle  des 
autres  hommes  et  lui  avaient  donné  la  primauté   dans  son  art. 

1.  0(/ps,  t.  II,  p.  iOO. 

2.  Le  Bocage  de  P.  de  Ronsard,  Pdv\s,  \^"ii,  fol.  8.  Epistre  ;i  Ambroise  de 
la  Porte,  parisien,  pièce  classée  dans  les  Gaijeiez.  Ed.  L.,  t.  II,  p.  39;  éd. 
Bl.,  t.  VI,  p.  3't7. 

3.  Pétrarque,  Episl.,  I,  7  : 

. . . Coin iiesq ne  lu ten  les, 
...Illustres  nec  difficiles,  quihiis  anguliis  iiniis 
Aedibus  in  modicis  s,itis  est,  qni  nnlla  récusant 
Imperia,  assidueciue  adsinlet  taedia  nunquani 
Ulla  f'erant,  aheant  iussi  redeantqiie  i'ocati. 

4.  Elri/ie  <(  Six  ans  estoient  coulez  ».  Ed.  L.,  t.  I,  p.  337.  La  mention 
d'Aristote,  assez  inattendu  parmi  les  lectures  familières  de  Ronsard,  s'ex- 
plique par  les  éditions  et  commentaires  dus  à  Turnèbe,  qni  a  aussi  édité  le 
Phédon  en  la;i3. 


o 


140  nONSAKD   Kl     L  IIIMAMSME 

l'allés  ne  l'avaient  point  détourné,  comme  beaucoup  de  ses  con- 
temporains, d'user  de  sa  langue  maternelle  et  de  lui  consacrer  tout 
son  génie;  elles  avaient,  au  contraire,  décuplé  ses  forces  pour  la 
mieux  servir.  S'il  eut  pour  Uoral  une  reconnaissance  d'écolier 
(idèle,  il  n'en  garda  pas  une  moins  vive  pour  d'autres  maîtres, 
les  livres  de  l'Antiquité  pieusement  écoutés  dans  le  silence  de 
son  «  estude  ».  Il  devait  à  ce  double  enseignement  la  forma- 
tion singulière  qui,  sans  amoindrir  sa  grandeur  lyrique,  (u'd  «le 
lui  parmi  nos  poètes  le  plus  complet  des  humanistes. 


DEUXIÈME     PARTIE 

RONSARD   ET   LES   HUMANISTES  DE  SON  TEMPS 


Sil  est  une  règle  littéraire  du  temps  de  la  Pléiade  qui  ressorte 
de  ces  études,  c'est  que  le  bon  poète  français  doit  être  dabord  un 
bon  humaniste.  Ronsard,  qui  a  mainte  fois  promulgué  le  pré- 
cepte, a  donné  le  plus  bel  exemple  d'y  obéir.  Mais  il  ne  s'est  pas 
contenté  de  lire  les  Anciens  et  de  chercher  dans  leurs  livres  ses 
inspirations.  Leurs  interprètes  de  son  temps  l'ont  eu  pour  dis- 
ciple et  pour  ami  ;  sa  carrière  a  tellement  côtoyé,  pendant  toute 
la  première  partie  de  sa  vie,  celle  de  son  maître  Jean  Dorât,  qu'on 
ne  peut  guère  s'occuper  de  l'une  sans  étudier  l'autre  ;  enfin, 
beaucoup  d'autres  érudits  se  sont  trouvés  plus  ou  moins  directe- 
ment mêlés  à  ses  travaux.  Sa  biographie  intellectuelle  ne  saurait 
être  complètement  élucidée,  si  ces  relations,  parfois  inatten- 
dues, ne  sont  point  mises  en  pleine  lumière. 

Ce  poète  a  passé  bien  des  jours  parmi  les  latinistes  et  les  gré- 
clsants  ;  il  a  suivi  les  leçons  de  ceux  qui  ont  professé,  lu  les 
ouvrages  de  ceux  qui  n'ont  fait  qu'écrire,  et  partagé  parfois  l'in- 
timité de  leur  existence  laborieuse.  La  plupart  d'entre  eux,  de 
leur  côté,  ont  su  le  comprendre  et  l'admirer.  Ils  n'étaient  pas 
éloignés  de  le  considérer  comme  un  des  leurs.  On  lui  reconnais- 
sait notamment,  en  matière  de  grec,  une  véritable  autorité, 
que  ses  longues  études,  ses  vastes  lectures,  ses  imitations  heu- 
reuses contribuaient  à  lui  assurer.  Quand  Nicolas  Goulu  postule 
la  chaire  de  langue  grecque,  qu  abandonne  son  beau-père  Dorât 
au  Collège  royal,  Ronsard  est  invité  à  signer,  le  13  septembre 
1567,  le  certificat  collectif  qui  garantit  les  capacités  du  candidat. 
Il  les  atteste  en  même  temps  que  quatre  professeurs  royaux  et 
deux  confrères  de  sa  Pléiade,  et  son  avis  sonne  avec  une  gravité 
particulière  :  Ego  Petrus  Ronsardiis  af/irnw  me  audisse  piihlicè 
legcntein  ijrecc  .\icolaum  Guloniuin  cl  liKjnissirnuni  regia  legendi 


142  KONSAHD   ET    LIIUMANIS.ME 

faciil/u/c  existimarc.  Jio.wsAi:ij'.  Demandons-nous,  à  ce  propos, 
([uel  poète  de  nos  jours  pourrait  être  appelé  à  apprécier  en  toute 
compétence  les  titres  d'un  professeur  de  grec  au  Collt'<{-e  de 
France. 

La  nature  des  travaux  dont  il  nourrissait  sa  poésie  obligeait 
Ronsard  à  consulter  sans  cesse  les  hommes  ijui  s'étaient  voués  à 
lu  merveilleuse  antiquité  et  avaient  pour  mission  d'en  commenter 
les  chefs-d'œuvre.  Sut-il  voir  la  diversité  des  directions  de  ces 
études,  qui  commençaient  à  se  transformer  profondément  sous 
ses  yeux  ?  Il  était  plus  près  assurément  dos  purs  «  humanistes  », 
qui  ne  cherchaient  dans  les  anciennes  littératures  que  des  modèles 
d'écrire  et  de  penser  et  qui  songeaient  avant  tout  à  en  reproduire 
dans  leurs  propres  (cuvres  la  forme  ou  l'esprit  ;  il  s'instruisait 
cependant  auprès  des  premiers  «  philologues  »,  qui,  sans  cesser 
de  se  rattacher  à  l'Humanisme,  dirigeaient  leurs  elîorts  vers 
l'établissement  de  textes  sûrs  et  la  connaissance  critique  du 
monde  ancien.  Alors  qu'un  Dorât,  par  exemple,  réunissait  en  lui 
les  deux  tendances,  un  ïurnèbe  ou  un  Henri  Estienne  faisaient 
dans  leurs  travaux  prédominer  la  seconde.  Comment  Ronsard 
eût-il  reconnu  des  différences,  pourtant  essentielles,  tjui  échap- 
paient à  la  plupart  des  contemporains?  Parmi  les  amis  de  son 
intelligence,  il  appréciait  successivement  tous  ceux  qui  détenaient 
une  partie  des  innombrables  trésors  dont  il  était  avide 

I 

Il  en  rencontra  quelques-uns  à  la  Cour,  qu'il  dut  approcher 
avec  respect.  Sous  Henri  H,  1'  «  aumosnier  et  précepteur  du 
Roy  Dauphin  »  était  l'évèque  de  Lavaur,  et  celui  des  princes  ses 
frères,  M.  de  Bellozane.  On  reconnaît  malaisément  sous  ces  dési- 
gnations deux  hellénistes  du  plus  haut  renom,  Pierre  Danès, 
qui  inaugura  avec  Toussain  l'enseignement  du  grec  au  Collège 
royal  de  François  P',  et  l'illustre  traducteur  de  Plutarque, 
Jacques  Amyot.  Ronsard  a  eu  avec  ce  dernier  des  relations  per- 
sonnelles assez   particulières,   au    moment  où   Amyot   se  démit 

1.  (If.  Abel  I>efianc,  La  Pléiade  au  Collt(/e  de  France  en  I5(>7,  Paris, 
1903,  p.  2  (réimprimé  dans  Grands  Ecrivains  français  de  la  Renaissance, 
Paris,  iyi4).  Les  poètes  sont  Belleau  el  Baïf  ;  les  professeurs  Duret,  Ctiar- 

penlier,  Léger  du  Ghesue,  Lambin  et  bien  entendu   Dorât. 


LE   GREC   A    LA  COUR  143 

vulonlairenienl  en  sa  faveur  de  l'abbaye  de  Bellozane  '.  L'amour 
commun  de  leur  chère  lan^fuc  grecque  unissait  le  poète  à  celui 
qu'il  appelle  le  «  grand  minisire  des  Muses  »  et  dont  il  paraît 
avoir  utilisé  la  précieuse  bienveillance-.  Il  le  célèbre  d'un  bel 
accent,  en  même  temps  que  Danès,  lorsqu'il  énumère,  pour 
répondre  au  mépris  des  protestants,  les  hommes  d'un  savoir  pro- 
fond qui  restent  fidèles  à  la  foi  catholique  : 

Amyol  et  Danez,  lunnères  de  nostre  a^^e, 

Aux  lettres  consumez,  en  donnent  tesmoignajje... 

Hommes  dignes  d'honneur,  chères  testes  et  rares...' 

Enlin,  la  qualité  delà  langue  d'Amyot  n'a  pas  échappé  à  notre 
poète,  puisqu'il  glisse  ce  vers  remarquable  dans  sa  réponse  à 
ceux  qu'il  a  reçus  du  roi  Charles  IX  : 

Ronsard  te  cède  en  vers,  et  Amyot  en  prose  '. 

Le  Louvre  lui  ménagea  d'autres  rencontres  littéraires.  Il  y  vit 
le  grec  fait  homme  en  la  personne  du  maréchal  Strozzi,  tué  au 
siège  de  Thionville  en  I008.  Le  biographe  des  Grands  Capitaines, 
voulant  montrer  combien  l'illustre  Florentin  fut  «  bien  nourry  et 
instruict  aux  lettres  par  le  seigneur  Philippe  Strozze  son  père  », 
en  porte  ce  singulier  témoignage  :  «  Pour  la  plus  grande  preuve 
que  j'aye  jamais  veu...  de  son  sçavoir,  c'a  esté  les  Comma/i/a/res 
de  Qesar  qu'il  avoit  tournées  de  latin  en  Grec,  et  luy-mesmes 
escrites  de  sa  main,  avec  des  commantz  latins,  aditions  et  ins- 
tructions pour  gens  de  guerre,  les  plus  belles  que  je  vis  jamais  et 
(pii  furent  jamais  escrites.  Le  langage  grec  estoit  très  beau  et  très 

1.  Eu  1!)G4.  Cf.  Reaé  Sturel,  Jacques  Anii/ol  traducteur  des  Vies  paral- 
lèles de  Plutarque,  Paris,  1909,  p.  84.  On  trouvera  les  références  sur  la 
question  dans  cet  excellent  livre  du  jeune  savant,  mort  à  l'ennemi,  en  qui 
nos  études  ont  tant  perdu. 

2.  Ed.  L.,t.  111,  p.  438;  cf.  t.  Vil,  p.  360;  éd.  Bl.,f.  IV,  p.  92  ;  cf.  t.  111, 
p.  322. 

3.  Renionstranre  au  peuple  de  France,  publiée  en  déc.  1^)62  ou  janv.  1033. 
Après  1578,  les  huit  vers  sur  Amyot  et  Danès  disparaissent  des  éditions 
de  Ronsard  (éd.  L.,  t.  Vil,  p.  542  ;  éd.  Bl.,  t.  VII,  p.  61).  A  partir  de 
1578,  les  noms  d'Amyot  et  de  Sel ve  sont  effacés  aussi  dans  le  i?ocar/e 
royal. 

4.  Ed.  L.,  t.  III,  p.  180.  Il  s'agit  des  douze  vers  authentiques  du  roi,  et 
non  de  ceux  qu'une  fausse  tradition  a  popularisés. 


14i  KONSAItlJ    lil     l.'lll  MA.MSMI, 

élofjuant,  à  ce  que  j'ay  ouy  dire  à  gens  très  sçavans  ijui  lavoient 
vcu  et  leu,  coinine  M.  de  Ronsard  et  M.  Daurat,  s'estonnans  de 
la  curiosité  de  cet  hoinine  à  sVstre  amusé  de  l'aire  cette  traduc- 
tion, puisfjue  l'original  estoit  si  cloquant  latin,  et  disoient  le  grec 
valoir  le  latin.  »  Brantôme  ajoute  :  «  Voylà  ce  que  je  leur  en  av 
ouy  dire,  car  j'entendz  autant  le  grec  comme  le  liault  allemand'.  » 
Ce  n'était  pas  à  la  Courque  Ronsard  pouvait  trouver  les  guides 
de  sa  pensée.  Bien  avant  d'y  retourner  et  d'y  prendre  sa  bril- 
lante place  auprès  du  jeune  roi  (|ui  la  aimi-,  il  vécut  longtemps 
et  presque  entièrement  dans  le  monde  des  humanistes  parisiens. 
C'étaient  des  érudits,  des  professeurs  modestes,  dont  plus  d'un 
sans  doute  fut  surpris  de  la  déférence  passionnée  que  leur  témoi- 
gnait en  toute  occasion  ce  jeune  gentilhomme.  Plusieurs  de  ces 
savants  hommes  sentaient  le  pédant  et  eussent  mérité  plutôt 
d'exciter  sa  verve  railleuse  ;  mais,  chez  d'autres,  des  manières 
simples  et  aisées  s'unissaient  à  la  science  la  plus  souriante.  On 
aime  en  tenir  l'assurance  de  Ronsard  lui-même.  Jacques-Auguste 
de  Thou,  bon  témoin  pour  les  mœurs  littéraires  de  son  temps, 
rapporte  une  de  ses  conversations,  recueillie  sans  doute  vers 
l'année  1370,  alors  que  le  futur  historien  était  mis  en  relation  par 
Dorât  avec  ce  qui  restait  de  la  Pléiade'-.  II  y  joint  une  observation 
bien  significative  sur  le  caractère  du  poète  :  «  Sane  memini 
Petrum  Ronsardum  virum  acerrinii  iudicii,  qui  licet  in  dis- 
pari  fortuna  constilutus  tota  vita  scholastico  otio 
oblectatus  fuera t ,  cum  de  Buchanauo,  HadrianoTurnebo,  An- 
tonio Goueano,  M.  Antonio  Mureto,  quibus  cum  arcta  ami- 
citia  coniunctus  fuerat,  verba  faoeret,  dicere  solitum  illos 
homlnes  nihil  paedagogicae  praeter  togam  et  pileimi  luibuisse, 
et  tamen  de  vulgo  paedagogorum  sic  censere,  nunquam  incorri- 
gibilis  ineptiae  ex  paedagogica  contractae  characterem  vel  lon- 
gissimi  aeui  curriculo  deleri  posse  'K  »  Tout  montre  que  Ronsard 

i.  Brantôme,  éd.  Lalanne,  t.  II,  p.  241  [Le  maréchal  Eslrozze).  Le  fils 
de  Pierre  Strozzi  montrait  chez  lui  ce  livre,  sans  permettre  "  de  le  trans- 
porter ailleurs  jamais  ». 

2.  On  rencontrera  plus  loin  ce  passag^e  des  Mémoires  de  J.-A.  do  Thou 
[Ilisloriarum  sui  temporis  libri  CXXXVIII,  [Genève],  1620,  t.  I,  p.  3). 
Il  reparle  de  Dorât  et  de  Ronsard  (n  raris  huius  aeui  luminibus  »),  à  pro- 
pos des  fêtes  données  au  Louvre  pour  les  envoyés  Polonais  (t.  II,  p.  966), 
et  il  fait  d'eux  de  beaux  éloges  à  la  date  de  leur  mort  (t.  IV,  p.  62  et  2661. 

3.  Ilisloriaruin  xiii  leinpiirin  lihri,  l.    III,  p.  ")82  .<.  a.  I."i82\ 


miCIIAiNAN    KT    GOIJVKA  145 

a  su  faire  ces  distinctions  faciles  et  n'accorder  iju'à  bon  escient 
son  admiration  '. 

George  Buchanan,  qui  fut  un  excellent  poète  humaniste  avant 
de  devenir  iiomine  d'Etal  et  l'historien  de  son  Ecosse,  n'a  fait 
que  traverser  la  vie  de  Ronsard';  on  sait  qu'il  a  tenu  plus  de 
place  dans  celle  de  Montaigne,  qui  nomme  «  ce  grand  poëte  escos- 
sois  »,  ainsi  que  Muret,  parmi  ses  "  précepteurs  domestiques  »  *. 
Nos  poètes  l'ont  rencontré  souvent  à  l'époque  où  Du  Bellay  tra- 
duisait son  élégie  de  l'ambition  déçue  :  Quam  misera  sil.  condi- 
liodoccnliiim  litlcras  humaniores  Luletiae''.  Mais  Ronsard  a  dû 
surtout  fréquenter  Buchanan  au  moment  où  ils  célébraient  l'un 
et  l'autre,  à  la  cour  de  Henri  II,  le  mariage  de  Marie  Stuart  •''. 

Le  fameux  juriste  portugais  Antonio  de  Gouvea,  un  des  défen- 
seurs d'Aristote  contre  Ramus,  frère  du  principal  du  collège  de 
Guyenne  au  temps  de  Montaigne,  n'est  pas  resté  en  relations  avec 
notre  poète  ".  Il  a,  du  moins,  profité  de  son  œuvre  pour  sa  propre 
formation  littéraire,  et  il  la  possédait  si  bien  qu'il  lui  arriva 
d'imiter  en  vers  latins  l'églogue  descriptive  de  la  grotte  de  Meu- 
don  et  de  mériter  à  ce  sujet  les  éloges  de  l'auteur  auprès  du  car- 
dinal de  Lorraine.  Voici  l'anecdote  inédite  qui  se  trouve  dans  ses 
papiers  :    «    Carolus   Cardinalis    Lotharingus    Medonii    antrum 

1.  Le  cas  spécial  de  Pierre  de  Pasclial,  étudié  à  part  dans  ce  livre,  s'ex- 
pli(|ue,  comino  ou  le  verra,  par  des  circouslanccs  très  particulières. 

2.  G.  Buchnnani  Scoti  Elegiaruin  l.  /,  !>yluariiin  l.  (,...  Paris,  M.  Pâtis- 
son, lo7y,  p.  23. 

3.  Essais,  livre  1,  chap.  xxvi. 

i.  Du  Bellay  a  imprimé  en  1552,  à  la  suite  de  sa  traduction  de  deux  livres 
de  VEiiéide,  «  L'Adieu  aux  Muses  pris  du  latin  de  Buccanan  »  et  la  <r  Tra- 
duction d'une  ode  latine  du  mesme  Buccanan  »  (éd.  Marty-Laveaux,  t.  I, 
p.  437-441).  La  première  pièce  n'est  ((u'une  imitation  fort  libre  de  l'élégie 
parisienne  du  poète  écossais. 

,T.  Cf.  F.  Hume  Brown,  George  Buchanan  hnmnnist  and  refornipr,  Edim- 
bourg, 1890,  p.  182.  Buchanan,  né  en  loOO,  mort  à  Edimbourg  en  1582,  a 
beaucoup  voyagé  en  France  et  a  enseigné  quelque  temps  à  Bordeaux,  sur 
l'invilation  d".\ndré  de  Gouvea.  Il  est  venu  souvent  à  Paris,  où  il  a  été  un 
des  familiers  de  la  maison  de  Jean  de  Morel,  et  fut,  en  France  et  en  Pié- 
mont, précepteur  de  Timoléon  de  Cossé,  flls  de  Charles  de  Cossé-Brissac, 
jusqu'en  1500.  Sa  liaison  avec  Ronsard  peut  dater  de  son  séjour  à  Paris  de 
1353.  11  est  à  noter  que  son  importante  correspondance  ne  garde  aucun 
indice  de  ses  relalionsavec  nos  poètes,  sauf  dans  une  lettre  de  Van  Gilîen, 
écrite  d'Orléans,  qui  lui  donne  en  1307  des  nouvelles  de  Dorât  iliuclianani 
opéra  omnia,  Leyde,  1723,  t.  11,  p.  720). 

0.  La  seule  mention  de  Gouvea  faite  par  Uonsard  est  dans  une  lettre  à 
Passeratcitée  plus  loin. 

NoLHAc.   —  RonsiirJ  el  /  //iim.iiiisiiie.  10 


146  RONSAitD  ET  l'iilmams.mi; 

mirae  pulchritudiniset  artis  laudandae  aedificandumcurauil.  Hoc 
opus  eximium  Gallici  l'ei-(>  omnes  poelae  carminibus  cclebraue- 
runt,  praecipue  Roiisardus  liaud  ignobilis  poeta.f[ui  in  aniri  lau- 
dem  eglogam  elegantem  scripsit.  Hanc  loannes  Truchius  iJeKina- 
tus  praeses  prior,  vir  moruin  candore  el  scientiae  celebritale 
conspicuus,  Gnueaiu)  dédit  edixitque  Cardinali  periucundum  fore 
si  et  ipse  aliquid  in  laudem  anlri  caneret.  Qua  de  causa  (îouoanus 
hanc  eclogam  cecinit,  argumentum  Ronsard!  seculus.  in  qua  vel 
Ronsardo  iudice  Tiallicas  elegantias  salesque  non  aequauil  modo, 
sed  superauit  '.  »  Ces  détails,  orgueilleusement  gardés  par  l'écri- 
vain portugais,  s'ajoutent  à  ceux  que  donne  un  de  ses  poèmes 
imprimés,  pour  établir  sa  parfaite  familiarité  avec  les  œuvres  de 
la  Pléiade  ;  on  le  voit  traduisant  au  pied  levé,  et  d'ailleurs  très 
librement,  la  pièce  de  Du  Bellay  sur  Adonis,  dans  un  cercle  let- 
tré où  l'on  vient  de  réciter  et  d'applaudir  les  vers  du  poète  fran- 
çais -.  Si  l'on  voulait  cependant  rechercher,  ainsi  (|u'il  serait  inté- 
ressant de  le  faire,  les  traces  de  Gouvea.  comme  celles  de  Hucha- 
nan,  sur  les  divers  points  de  la  France  où  ils  ont  séjourné,  il 
n'y  aurait  rien  à  prendre  chez  Ronsard.  Ces  grandes  figures  étran- 
gères se  sontpromptemenl  effacées  de  son  horizon.  Au  contraire, 
Marc-Antoine  de  Muret  •',  pendant  les  années  de  son  séjour  à 
Paris,  lui  a  été  aussi  cher  que  Baïf  et  Du  Bellay  eux-mêmes  et  a 
partagé  toute  l'activité  de  sa  jeunesse. 

1.  Bibliolliùquc  nationale,  Diipuy  S 10,  fol.  76.  La  tradiiclion  âf:  Gouvea 
fait  partie  d'un  recueil  manuscrit  de  ses  poèmes,  accompagnés  de  commen- 
taires. La  traduction  curieuse  de  l'églogue  de  Ronsard  est  plutôt  une  libre 
iinilalion,  où  l'auteur  a  introduit  notamment  un  éloge  du  premier  président 
Trucliy  et  du  bililiothécaire  du  Hoi  Montdoré.  Le  ms.  contient,  au  fol.  SO  v", 
uneépigramme  sur  la  mort  de  Jean  lirinon,  qui  sert  à  dater  le  séjour  de 
Gouvea  à  Paris,  et,  aux  fol.  tjri.s(i([.,  le  poème  sur  Adonis  qu'il  a  imité  de  L)u 
Bellay. 

2.  Les  poèmes  imprimés  à  la  fin  des  œuvres  éruditesde  Gouvea  portent 
des  préambules  analogues  à  ceux  que  présentent  les  inédits  du  fonds 
Dupuy.  Voici  celui  (|ui  concerne  l'imitation  de  Du  Bellay  :  «  Adonidis  uolam 
fabulam  loachimus  Bellaius  Gallicis  versibus  eleganter  descripsit.  lli  cum 
forte  Goueano  praesenti  recitati  essent  a  iuuene  quodara  et  ab  omnibus 
qui  tum  aderaiit  laudati,  idem  arguraentum  Goueanus  latinis  versibus 
breuius  clegnntius(|ue  e.xpressurum  se  pollicitus  est  ;  quod  ut  faceret  ur- 
gentibus  amicis,  hos  tandem  versus  cecinit  ».  [A/il.  Goueani  opéra 
iuridica,  phitologica,  pliilosophica...  éd.  Ihc.  van  V'aassen,  Rotterdam,  1700, 
p.  707). 

3.  Toutes  les  lettres  originales  que  j'ai  retrouvées  du  savant  limousin 
portent  la  signature  Marc-Anloint'  rie  Murel.  La  même  forme  du  nom  se 
lelrouve  au  titre  du  Coinine>il:tire,  dans  l'acte  de  lo").'i  rap[)elé  ci-ilossou.s, 
etc.  C'est  donc  celle  qu'il  convient  d'adopter. 


MURET  147 

Bien  que  Muret  rimât  en  français  à  ses  heures,  c'est  comme 
poète  latin  qu'il  chercha  d'ahord  sa  notoriété,  c'est-à-dire  en  un 
domaine  que  la  plupart  des  amis  de  Ronsard  lui  abandonnaient. 
Ce  fut  entre  le  jeune  limousin  et  le  groupe  de  la  Brigade  un 
échange  de  compliments  et  de  services,  où  le  maître  prit  grande 
pari.  Muret  et  Ronsard  ont  parlé  l'un  de  l'autre  fort  dignement, 
et  leur  intimité  est  attestée  parde  nombreux  et  réciproques  témoi- 
gnages '.  Le  plus  ancien  est  dans  les  Juuenilia  de  Muret,  qui 
contiennent  aussi  des  odes  à  Dorât  et  à  Denisot,  et  des  épîtres 
assez  banalesà  Baïf  et  à  Jodelle.  Une  odelette  horatienne  indique 
le  thème  que  développera  une  charmante  élégie  de  Du  Bellay  -, 
l'absence  du  poète  retenu  loin  de  ses  amis,  dans  son  Vendômois 
trop  chéri  : 

Ronsarde,  Aonii pecllnis  nrhiler, 
Qui pn'nceps  resonum  sollicitas  ebur, 
Venfonimque  minas  et  celerea  potens 

Lapsus  sistere  fluniinum, 
Quando  le  reducem  Vindocino  ex  agro 
Cernemus,  velevum  liirha  sodalium  '.' 
Quis  le,  quis  niueo  vellere  condilus 

Nohis  restituet  dies  ? 
Qui  desiderio  perpefe  nunc  lui, 
Heu  quae  non  facimus  vola  ?  quihus  sacros 
Postes  muneribus  cinçfcre  parcinius? 

Quas  non  concipimus  preces  ? 


1.  J'ai  analysé  plus  liant,  p.  02-100,  le  Commentaire  de  M  Lire  l.  Un  acipiil  du 
0  mai  lli:iH,  délivre  par  Ronsard  et  son  collaborateur  à  la  veuve  du  libraire 
De  la  Porte,  concerne  la  vente  de  la  seconde  édition  des  Amours  enrichie  du 
Commenlaire,  qui  a  été  évalué  à  trente  écus  d'or  soleil.  Sur  cette  somme, 
Ronsard  reconnaît  avoir  reçu  23  livres  tournois  et  Muret  46  livres  (E. 
Coyecque,  dans  la  Revue  des  livres  anciens  de  1916,  fasc.  III).  Cette  pièce 
est  le  plus  ancien  document  actuellement  connu  en  France,  qui  fasse  men- 
tion de  di'oits  d'auteur. 

2.  V.  les  vers  qui  l'ont  un  écho  latin  à  ceux  de  Ronsard  [Poemalia,  f.  11)  : 

À'uncle  cuUa  leneni  celsi  vineta  Sabuli, 

\iinc  virides  Brai.'ic,  GastineiinKiiie  nemtis: 
Et  tua  Laedinae  rcspomlcnl  carniina  Xyniphae, 

El  salit  ad  nnnieros  Helleris  iinda  tiios  ;  , 

Fi)elices  i\ymiifiae  queis  lalem  audire poelam 

Et  licuil  sacros  dncere  nocte  chnros. 
Ille  colil  l'estras.  lulissima  numina,  syluas, 

nie  antra  et  /luui'os,  saxaque  vesira  colil... 


I  i(S  RONSARD    ET    l.'lll  MAMSME 

O  siiUciu  irtlcrc;!.  i/iiiiJiivid  tKjis,  niemiir 
No.stri  viue  ;  lia  la  ciirrihiis  uiireis 
Humor  per  liquidum  geninieus  aëra, 
Speclaniliiiu  fxipulis  ieh:il  '. 

Autant  que  le  lui  permettaient  les  labeurs  du  professorat,  Muret 
aimait  ;i  se  joindre;!  la  >■  docte  troupe  »  de  Ronsard.  Celui-ci  n'a 
point  omis  de  le  l'aii-e  figurer  parmi  les  assistants  à  la  n  [tompe  du 
bouc  »,  le  jour  où  ion  fêta  le  succès  de  Jodelle.  11  révèle  même 
sa  place  ('■niinente  dans  la  Brigade,  lorsqu'il  lui  dédie,  au  recueil 
de  i.'io'i,  le  [)oéme  des  hlcs  forlunccs.  Il  y  convie  gaiement  ses 
compagnons  à  quitter  un  monde  agité  et  méchant,  pour  se  réfu- 
gier dans  l'île  heureuse,  où  régneront  pour  eux  les  plaisirs  des 
champs  et  les  travaux  de  la  poésie.  Le  chef  du  chœur,  le  guide 
parmi  les  belles  (euvres  antiques,  sera  Marc-Antoine  de  Muret  ;  et 
il  n'est  pas  difficile  de  reconnaître  dans  ce  rôle  imaginaire  une 
transposition  delà  réalité,  cest-k-dire  des  lectures  à  haute  voix 
faites  par  l'humaniste  parmi  les  poètes  et  des  commentaires  dont 
il  les  accompagnait  : 

Là,  vénérable  en  une  robe  blanche 
El  couronné  la  teste  d'une  branche. 
Ou  de  Laurier  ou  d'Olivier  retors. 
Guidant  nos  pas  maintenant  sur  les  hors 
Du  Ilot  salé,  maintenant  aux  valées, 
El  maintenant  près  des  eaux  reculées. 
Ou  sous  le  frais  d'un  vieux  chesne  branchu. 
Ou  sous  l'abry  de  quelque  antre  fourchu, 
Divin  Muret,  tu  nous  liras  Catulle, 
Liras  Ovide,  et  Properce  et  Tibulle, 
Ou  tu  joindras  au  cystre  Teïen 
Avec  Bacchus  l'enfant  Cyterien'^; 
Ou,  feuilletant  un  Homère  plus  brave. 
Tu  nous  liras  d'une   majesté  grave 
Comme  Venus  couvrit  d'une  espesseur 
Ja  deniy-mort  le  Troyen  ravisseur...  ^ 

1.  Ad  l'elrum  Ronnarduni  GalUcorum  poelRrum  facile  principern  (éd. 
Ruhiilteii,  l.  I,  p.7:t0). 

2.  Le  le.\te  de  ln!>3  marque  nettement  Alcée  à  coté  d'.Vnacréoii  : 

Divin  Muret,  tu  nous  liras  Calulle, 
Ovide,  Galle,  et  Propeice  et  Tibulle, 
Ou  tu  joindras  au  Sistre  Tcien 
I.e  vers  nii^nard  du  harpeur  Lcsbien. 

.'!.   l>o<-ii»-^.  liv.  II.  Kd.  L.I.'V',  p.  ICI  ;  éil.  IM..  I.  VI,  p    i7ti. 


MURET  1 49 

Lors(jue  Marc-Antoine  de  Muret,  malgré  lenchantement  de 
cette  jeune  poésie,  se  décida  pour  la  carrière  savante  et  alla  cher- 
cher fortune  en  Italie  ',  Ronsard  n'oublia  point  le  collaborateur 
dévoué  qui  avait  servi  très  utilement  sa  gloire  naissante  par  le 
Cnmmentiiire  des  Amours.  Leurs  compagnons  communs  feuille- 
taient sans  cesse  im  ouvrage  indispensable  pour  comprendre 
entièrement  son  œuvre.  On  lut  aussi  avec  enthousiasme,  dans  le 
cercle  de  Jean  Brinon,  le  commentaire  sur  Catulle,  de  ton  tout 
semblable,  que  Muret,  momentanément  campé  à  Venise,  avait 
publié  k  la  librairie  de  Paul  Manuce  -.  Un  peu  plus  tard,  étant 
à  Rome,  Denys  Lambin,  qui  ne  le  connaissait  pas  encore,  lui 
écrivait  k  Venise  pour  solliciter  son  amitié  sous  les  auspices  de 
leur  cher  Ronsard  :  «  Nam  neque  tu  me  unquam  videras,  neque 
ego  te  ;  tantum  in  sermone  ut  fit)  cum  essem  Lufetiae  anno  supe- 
riore[loo6],  Rousardus,  Auratus,  Brino  :  \j.T/.7.p'.-r,;,  qui  mihi 
commentarios  tuos  in  Catullum,  paucis  diebus  antequam  e  vita 
excederet,  dono  dederat,  de  te  amauteret  honorifice  mecum  erant 
loculi  ;  ita  ut  illorum  quasi  testimonio  in  eam  de  te  opinionem 
adductus  essem,  quae  de  viro  omni  humanitate  perpolito  et  erudi- 
tissimo  haberi  et  débet  et  potest  ■*.  »  Muret  prolongea  son  séjour 


1.  Il  est  inutile  de  recourir  à  l'explication  connue  d'une  fuite  de  Muret, 
qui  aurait  été  poursuivi  à  Toulouse  pour  crime  de  pédérastie.  J'avoue  ne 
rien  trouver  de  décisif  dans  les  racontars  qui  le  visent  et  dont  les  polé- 
niiiiues  dj  temps  font  quehpie  abus.  Leur  nomlire,  sinon  leur  autorité, 
parait  avoir  convaincu  son  dernier  biographe,  l'oxcellent  Charles  Dejob, 
dont  l'argumentation  surc<'  point  est  d'une  faiblesse  déconcertante;  ne  va- 
t-il  pas  jusqu'à  faire  étal  contre  Muret  de  ce  qu'il  n'existe  pas  de  corres- 
pondance échangée  entre  Ronsard  et  lui? 

2.  La  première  édition  Venise,  1554)  est  dédiée  à  Bernardino  Loredan, 
le  15  octobre  1554.  L'exemplaire  de  la  Bibliothèque  nationale  est  chargé 
des  noies  de  Corbinelli.  Une  autre  publication  manutienne  du  même  temps 
intéresse  un  personnage  important  en  relations  avec  la  Pléiade,  l'ambassa- 
deur Jean  d'Avanson  ;  Muret  lui  dédie  très  curieusement  son  petit  commen- 
taire sur  Horace,  le  !"■  octobre  1555.  Son  commentaire  sur  Catulle  ren- 
ferme un  souvenir  de  son  enseignement  parisien  :  Cum  mihi  odas  Horatii 
Luleciae piiblice  interprelanli,  Pelrus  Gatlandius,  Lalinariim  lilerarum  pro- 
fessor  rpgiiis,  homo  optimus  et  eriiditissimus,  Horatium  perueterem  uten- 
diim  dedissel,  euinque  una  ego  et  flos  Galliae  Adrianus  Turnebiis  euoluere- 
mus...  (éd.  Ruhûken,  t.  Il,  p.  779;. 

3.  Lazeri,  Mi/cellanea  ex  mss.  libris  hihl.  Cottegii  Romani,  Rome,  1757, 
t.  II,  p.  405.  Cf.  Dejob,  M. -A.  Muret,  p.  110.  La  même  lettre  de  Lambin 
donne  un  détail  qui  intéresse  le  séjour  de  Joacbim  Du  Bellav  à  Rome.  Mu- 
ret ayant  demandé  par  lettre  à  un  secrétaire  de  l'ambassadeur  quels  étaient 


ir)0  IIONSAUD    ET    l'hLMAMSME 

à  Venise  et  à  Padoue,  puis  ii  Fei-rare,  manquanl  ainsi  l'occasion 
de  rencontrer  Joachim  du  Bellay  à  Rome,  où  il  n'arriva  lui-même 
qu'en  1559  avec  le  cardinal  llippolyte  d'Esté. 

Bien  souvent,  comme  Ronsard,  dans  cette  Italie  où  ilcommen- 
(^•ait  une  triomphale  carrière,  Muret  reporta  sa  pensée  vers  cette 
grande  amitié  de  sa  jeunesse.  Il  ne  reparut  en  France  qu'une 
fois.  Quand  le  cardinal  d'Esté  y  vint  en  qualité  de  légat,  en  1561, 
il  lui  servit  de  secrétaire  et  l'accompagna  dans  ses  diverses  rési- 
dences '.  Bien  qu'il  lût  dès  lors  mêlé  aux  grandes  alfaires, 
comme  orateur  officiel  de  la  France  à  Rome,  et  déjà  plus  (ju'k 
moitié  italianisé,  il  n'en  montra  pas  moins  de  plaisir  à  fréquen- 
ter ses  anciens  amis.  11  retrouvait  son  commentaire  et  son  por- 
trait en  tête  de  l'édition  d'ensemhle  des  œuvres  de  Ronsard,  la 
première,  publiée  par  Gabriel  Buon  peu  de  mois  auparavant.  Il 
est  vi-aisemblable  qu'il  présenta  le  poète  au  cardinal  d'Esté  ; 
il  revit  Uorat,  ïurnèbe.  Lambin,  fit  des  achats  cliez  les  libraires '-, 
laissa  un  volume  à  imprimer  entre  les  mains  de  Buon  et  resserra 
des  liens,  qui  allaient  se  distendre  avec  le  temps  sans  toutefois 
se  rompre  ^. 

les  Français  qu'il  voyait  à  Fiome,  celui-ci  a  répondu  :  «  Gallos  liic  esse  cle- 
gantiores  lîellayuni,  Cai-dinalis  Bellayi  propinquum  et  familiarem,  Dolu- 
sium,  et  Lambinum  e  comitatu  Cardinalis  Turnonii,  alios  praeterea  mul- 
los.  11  Lambin  n'est  pas  nommédans  les  Regrets. 

i.  Notamment  h  l'abbaye  de  Cliiialis,  que  possédait  le  cardinal.  C'est  le 
Carolilocurn,  d'où  Muret  date  quatre  de  ses  lettres  et  ([ue  lesbiogra plies  de 
Muret  n'ont  pas  su  reconnaître  (cf.  Frotscher,  Mureli  episl.,  praef.,  oral., 
t.  II,  p.  62;  Dejob,  .1/.-.4.  Muret,  p.  Uioi. 

2.  J'en  ai  autrefois  relevé  la  mention  sur  les  livres  de  Muret  provenant 
du  Collège  Romain  et  aujourd'hui  conservés  à  la  Bibliothèque  Vittorio- 
Emanuole.  V.  La  blhlioth.  d'un  humaniste  au  XVl"  sii'cle,  dans  les  Mélanges 
de  l'Ecole  française  de  Rome,  1883.  D'après  Lazeri  (/.  c,  t.  11,  p.  328),  Ga- 
briel Buon  Qt  don  à  Muret,  en  i;)(')2,  d'un  livre  français  assez  précieux, /.e.? 
très  élégantes,  1res  veridiques  et  copieuses  Annales,  de  Nicole  Gilles,  consul- 
tées par  Ronsard  pour  la  documentation  de  la  Franciade. 

3.  Muret  a  séjourné  eu  France  du  mois  d'aoïàl  1561  au  printemps  de  15G3. 
Une  lettre  postérieure,  à  Jean  Nicot,  fait  allusion  à  une  explication  assez  vive 
qu'il  aurait  eue  avec  Lambin  devant  Turnèbe  et  Dorât  (cf.  La  Croix  du  Maine, 
t.  II,  p.  76;.  Lucas  Fruytiers  mentionne  le  séjour  de  Muret  à  Paris  dans  le 
chapilresur  Properce,  qu'il  lui  a  dédié,  <■  cum  te  in  bas  Musarum  sedesoppor- 
tunissima  (-ardinalis  tui  Estoiisis  legalis  adduxisset  >•  [Fruterii  Verisimilia, 
.\nvers,  1384,  p.  85).  Muret  a  adressé  à  Turnèbe  la  préface  de  son  édition 
ûos  Philippiques,  écrite  à  Paris  le  14  mars  1302;  il  y  explique  l'importance 
de  la  découverte  du  manuscrit  du  Vatican,  et  le  désir  qu'il  a  eu  d'ap|)orler 
quelque  chose  d'intéressant  à   ses  amis  de   Franco,  après   huit  ans  de  Ira- 


MURET  1 51 

Li:  futur  professeur  du  Collège  Romain  vécut  dès  lors  loin 
de  son  pays,  où  ses  succès  trouvèrent  long'lenips  de  l'écho  et  où 
les  humanistes  de  sa  province  ne  cessèrent  de  se  montrer  fiers  de 
lui  '.  Il  continua  à  recevoir  les  livres  de  Ronsard,  à  suivre  avec 
sympathie  le  développement  de  son  œuvre,  à  interroger  à  son 
sujet  les  voyageurs  qui  venaient  à  Rome,  et  il  lui  arriva  souvent 
décrire,  comme  il  faisait  à  Claude  Dupuy  ;  «  Si  vous  voies  Alons'' 
de  Ronsard,  recommandés  moi  à  ses  bonnes  grâces,  et  fait  tes  lui 
en  part  -.  »  En  lo73,  il  désirait  posséder  la  Franciade,  dont  l'ap- 
parition était  annoncée  par  la  renommée,  et  Ronsard  ne  manquait 
point  de  lui  adresser  un  exemplaire  avec  la  dédicace  de  sa  main  : 
Pour  Monsieur  Muret  '^.  Un  jour  même  (c'était  après  la  publica- 
tion du  poème),  Muret  a  envoyé  tout  son  cœur,  dans  un  élan 
alfoctueux.  vers  le  groupe  de  poètes  et  de  savants  du  pays  qu'il 
ne  devait  plus  revoir  :  «  lUum  Musarum  chorum,  quem  litteris 
tuis  complexus  es,  tiv  ix5U7ï;y£tv;v  Auratum  ;  Ronsardum  pridem 
Pindarum,  nuper  etiam  Homerum  Gallicum  ;  suauissimum  mihi 

vaux  en  Italie  '.V.  Tullii  Ciceronix  Philippicae  a  M.  1.  Murelo  rul  opiimum 
et  velmtismimiim  exemphir  lam  miillix  locis  einendatac  ni  niinc  primuni  edi- 
lae  cideri  queanl...  Paris,  Gabriel  Buon,  1541.  La  préface  adressée  à  Tur- 
nèbe  est  datée  Lutetiae,  id.  Mari.,  anno  MDLXII.  Il  n'y  a  en  tète  de  l'édi- 
tion que  sept  distiques  grecs;  ils  sont  dédiés  au  cardinal  d'Esté,  protec- 
teur de  Muret,  et  signés  de  Dorât. 

1.  Une  épître  dédicatoire  du  limousin  Beaubrueil  adressée  à  Dorât,  en 
1582,  rappelle  en  ces  termes  son  séjour  à  Rome  :  «  Je  receus  un  grand  con- 
tentement de  voir  nostre  Muret  en  cbaire,  faisant  sortir  de  sa  bouche  un 
tonnerre  si  aggréable,  que  je  fuz  lors  contrainct  d'eschaper  ce  vers  : 

S'il  escripl  bien,  il  dict  encore  mieux. 

Et  pouvez  croire  que  ce  ne  fust  poinct  sanz  admirer  la  fortune  de 
l'homme,  le  voyant  passer  par  les  rues  de  Romnie  dans  un  coche  magni- 
fique :  mais  obliroy-je  les  propos  affables  qui  me  recueillirent  en  sa  mai- 
son ?  «  Je  suis  bien  fort  aise  idisoit  il)  de  voir  aujourd'luiy  le  filz  de  ce 
Beaubrueil  qui  m'encouragea  des  premiers  à  l'amourdes  bonnes  lettres, 
et  me  plaict  aussi  grandement  de  scavoirdes  nouvelles  de  Dorât, que  tous 
deux  avons  heu  pour  maisire,  et  lequel  j'estime  avoir  heu  seul  les  délices 
delà  Langue  grecque...  »  fteguhis,  tra(jedie...  par  Jean  de  Beaubrueil, udvo- 
cal  au  siège  l'residial  de  Li/rno(jes,  Limoges,  H.  Barbou,  1582. 

2.  Xolhac,  Leltres  iiu-d.  de  Muret,  dans  Mélanges  Graux,  Paris,  1884, 
p.    388. 

3.  J'ai  récemment  reironvé  à  Rome  ce  précieux  exemplaire.  Il  ne  poite 
aucune  annotation  de  Muret  et  se  trouve  coté  6.  34.  K.  1,  h  la  Bibliothèque 
nationale  Vittorio-Emanuele.  En  le  signalant  à  l'administration  de  cette 
bibliothèque,  je  n'ai  pas  manqué  d'attirer  l'attention  sur  l'extrême  rareté 
des  autographes  de  Ronsard. 


\'')2  RONSARD  i;t  i.'ih  mamsmi-: 

îimicissimuiii  lr;i(ri-iii  miiuii,  cl  i;iiii  iUi  Homcifi  suppai-ém  Ilcsio- 
<liiiii,  Ikiilium  :  cL  cuni,  tui  ego  quani  nomine,  utinain  cl  coiuli- 
lioiie  tam  propiiKjuus  cssem  Dui'ctuni,  et  elegantissinii  ln)minem 
ingenii  Passeratium,  meos  veteres  amicos,  quorum  eg-o  ipse 
recordatione  recreor  et  afiicior  intimisscnsil)us  :  eosigituronines 
milii  vicissim  saluta  '.  »  Ainsi  le  Français  devenu  romain  avait 
tenu  à  réunir  le  nom  de  ses  meilleurs  amis  parisiens  dans  sa  bril- 
lante correspondance  d'humaniste  destinée,  selon  lusage,  aux 
presses  des  libraires. 


II 


Ronsard  professe  un  respect  particulier  pour  le  lecteur  royal 
en  langue  grecque,  chargé  pendant  quelque  temps  de  l'imprime- 
rie du  Roi,  que  la  Pléiade  entière  honore  sous  le  nom  de  «  M. 
Tournebœuf  ».  Il  lui  sait  gré  d'avoir  ouvert  pour  lui  des  sources 
nouvelles  d'information  et  complété  sur  plus  d'un  point  l'ensei- 
gnement reçu  à  Goqueret.  Il  doit  à  Turnèbe  autant  qu'à  Henri 
Estienne,  l'éditeur  célèbre  d'Anacréon  -,  et  paraît  l'avoir  fré- 
quenté davantage.  Il  s'est  assis  parmi  son  auditoire,  au  (>ollège 
royal,  avec  d'autres  poètes  ;  il  a  mesuré  l'importance  et  l'auto- 
rité de  ses  leçons,  et  ce  n'est  pas  sans  intention  qu'il  le  range 
auprès  des  maîtres  les  plus  vénérés  de  la  génération  précédente, 
qui  furent  en  leur  temps  la  gloire  de  la  France  : 

Un  Turnèbe,  un  Budé,  un  Valable,  un  Tusan  '. 

Il  le  nomme  aussi  avec  les  nouveaux,  mêlés  à  toutes  les  études 
de  sa  jeunesse,  lorsqu'il  proteste  avec  une  belle  éloquence  contre 
l'ingratitude  d'un  siècle  corrompu  envers  les  hommes  qui  lui 
font  tant  d'honneur  : 

Et  nous,  sacré  troupeau  des  Muses,  qui   ne  sommes 
Usuriers,  ny  trompeurs,  ny  assassineurs  d'hommes. 
Qui  portons   lesus  Christ  dans  le  cunir  arresté. 


i.    Thomae  Marlino  suo  (éd.  Rulinken,  1. 1,  p.  393). 

2.  Pour  les  relations  île  Ronsard  avec  H.  Estienne,  v.  p.  107  si|q.,  et 
p.  119. 

.3.  Eglogue  I.  Vers  insérés  dans  l'édition  de  1384  léd.  L.,  I.  111,  p.  H8Û; 
(Vl.  RI.',  t.  IV,  p.  M). 


TlHNÈIiK  \")'.i 

Ne  sommes  avance/  sinon  de  pauxreté. 

Lambin,  Daural,  'l'urneh,  lumières  de  nostre  âge, 

Docles  et  bien  vivans,  en  donnent  tesmoignage  '. 

Quand  il  dit  ({ue  Turnèbe  n'avait  «  rien  du  pédant  que  la  robe 
et  le  chapeau  »  -,  il  se  trouve  employer  le  mot  même  de  Mon- 
taigne parlant  de  ce  savant  :  «  II  n'avoit...  rien  de  pédantesque 
que  le  port  de  sa  robe  et  quelque  façon  externe  qui  sont  choses 
de  néant,...  car  au  dedans  c'étoit  lame  la  plus  polie  du  monde  •^.  » 
Ce  «  jugement  si  .sain  »,  cette  «  appréhension  si  prompte  »  (ce 
sont  encore  des  expressions  de  Montaigne),  Ronsard  les  avait 
appréciés  particulièrement,  le  jour  où,  Turnèbe  avait  combattu 
de  sa  plume,  à  côté  de  Du  Bellay,  cette  rat^e  frivole  et  encom- 
brante des  rimeurs  et  écrivains  courtisans,  qu'il  avait  lui-même 
en  horreur  '*  ;  il  s'était  indigné  (ju'on  eût  pensionné  un  Paschal 
comme  historiographe  du  Roi,  pour  sa  latinité  prétendue  par- 
faite, alors  que  ses  amis,  les  grands  humanistes,  ne  recevaient 
point  d'avantages  de  ce  genre  :  Eritne  historiogruphus  regius, 
Turneho  Auratoque  spretis  ■'?  Il  se  créait  entre  Ronsard  et  Tur- 
nèbe des  liens  toujours  plus  étroits,  et  l'affection  du  poète  fut 
grande  pour  cet  honnête  homme  sévère  et  bon.  Il  alla  le  visiter 
à  son  lit  de  mort.  Jean  Passerat  le  raconte,  en  immortalisant 
leur  commune  douleur  dans  V Elégie  sur  le  (respas  d'Adrian  Tur- 
nèbe, où  sont  ces  ver.s  vraiment  émus  : 

Meslons  doncques,  Ronsard,  meslons  nos  pleurs  ensemble. 

Combien  que  soit  trop  bas  de  mes  chordes  le  son, 

Pour  monter  à  l'accord  delà  docte  chanson... 

Tu  vois  nostre  Delbene  ''  et  le  gentil  Belleau 

De  leurs  pleurs,  comme  nous,  arrouser  son  tombeau. 

1.  Complainte  à  ta  royne,  mère  du  Hoij,  dans  la  2'  partie  du  Bocui/e  royal 
(éd.  L.,  t.  III,  p.  293  ;  éd.  BL,  t.  III,  p.  273).  Ronsard  avait  d'abord  imprimé: 
«  Tournebœuf  et  Daurat...  ».  Cf.  ce  qu'il  dit  des  deux  lioinmes  dans  son 
invective  inédite  contre  Paschal. 

2.  Teissier,  Les  Eloges  des  hommes  savans  tirez  de  l'Histoire  de  M.  de 
Thou,i.  III,  p.  249.  Le  passage  original  vient  d'être  cité. 

3.  Essais,  livre  I,  chap.  xxiv. 

4.  V.  plus  loin  l'étude  de  leur  publication  commune,  à  l'occasion  des 
attaques  contre  Pierre  de  Paschal. 

0.  Invective  inédite  contre  Paschal. 

6.  C'est  Alfonso  Delbene,  qui  collal)ore  au  «  Tombeau  »  par  une  imitalion 
française  de  la  prosopopée  de  Cornelia  dans  Properce. 


ISi  iio.NSAitij  KT  l'iilmamsme 

Du  milliard  de  Baïf  la  douleur  n'est  pareille  ; 
Il  ne  boit  ce  malheur  sinon  que  par  l'aureille  ; 
Nous  l'avons  beu  des  yeux  qui  l'avons  veu  mouranl  '. 

Ronsard  collabora  lui-mênie  au  <c  Tombeau  >>  du  grand  phi- 
lologue, où  tant  de  i)eaux  éloges  furent  réunis,  par  le  sonnet 
mémorable  (jui  s'achève  ainsi  : 

Comme  la  mer  su  loûanye  est  sans  rive, 
Sans  bord  son  los,  qui  luisl  comme  un  llambeau. 
D'un  si  grand  homme  il  ne  l'aul  qu'on  escrive; 

Sans  nos  escrits  son  nom  est  assez  beau  : 
I^es  bouts  du  monde  oîi  le  Soleil  arrive, 
Grans  comme  luy,  kiy  servent  de  tombeau  ^. 

C'était  une  réponse  posthume  aux  vers  où  Turnébe,  aban- 
donnant en  i'avi'ur  de  Ronsard  sa  thèse  de  latiniste  intransigeant 
et  hostile  à  1  emploi  de  la  langue  vulgaire  pour  les  hautes  spé- 
culations de  l'esprit  ',  avait  mêlé  sa  voix  respectée  au  concert 
unanime  des  lettrés  de  France  : 

lionsurclus  cirmeii  Mu.si.i  et  Apolline  diijnum 
Qui  pançjil,  (fin  (jrniuijeiine  Laliaequc  Cumuenue 
()rii;iiiienl;i  suis  fisperijil  pliirima  chaiiis. 
A/que  iiulicla  /)riux  (lies  in  luiiunis  auras 
Mulla  vins  prisas  auclor  doctissimus  efferl  '... 

L  all'ection  de  Ronsard  pour  Lambin  fut  plus  familière.  Ils 
s'étaient  connus  chez  Dorât,  au  collège  de  Coqueret,  et  le  poète 
avait  eu  pour    compagnon  {socius),    et  peut-être  pour   répétiteur 


i.  Ailriani  Tiirnehi  raj'ù  philtisiiphiac  prop'ssoris  clarissimi  Tiimiiliis  al 
tloctis  (juihusdam  viris...,  Paris,  V.  Morel,  I.ïOj.  V.  aussi  p.  117. 

2.  Ed.  L.,  t.  V,  p.  308  ;  éd.  Bl.,  t.  VII,  p.  240. 

■i.  \' .  la  lettre  que  lui  adresse  Pasquier  sur  le  sujet  et  qui  reproduit,  non 
sans  éloquence,  la  Ihose  [(riucipale  de  la  De/fence  :  «  Et  bien,  vous  estes 
doncques  d'opinion  que  c'est  perte  de  temps  et  de  papier  de  rédiger  nos 
conceptions  en  nostre  vulp:aire,  pour  en  faire  part  au  public,  estant  H'advis 
que  nostre  lani;age  est  trop  lias  pour  recevoir  de  nobles  inventions,  ains 
seulement  destiné  pour  le  commerce  de  nos  alVaires  domestiques;  mais  que 
si  nous  couvons  rien  de  beau  dedans  nos  poictrines,  il  le  faut  exprimer  en 
latin»  (Œuvres,  t.  II,  col.  3).  Depuis  151)2,  aiuiée  de  cette  lettre,  Turnèbe 
a  pu  trouver  les  meilleures  raisons  pour  changer  d'opinion. 

4.  Adr.  Turnebi  philosophiae  et  Graecarum  lilerarum  professoris  rter/ii 
poemata,  Paris,  1.580,  p.  97.  Toute  la  pièce  est  à  lire. 


LAMBIN  155 

[iulinuni/or),  l'immaniste  de  Montreuil-sur-Mcr,  à  pcino  plus  &^é 
quelui  '.  Celui-ci  l'initia  surtout  aux  divers  swstèmes  de  la  phi- 
losophie antique,  comme  la  pièce  îles  premières  Odes,  qui  lui  est 
dédiée,  eu  témoig-ne  assez  clairement.  Ronsard  y  discute  en  peu 
de  mpts  la  doctrine  de  Platon  sur  la  «  réminiscence  »,pour  y  pré- 
férer la  théorie  sensualiste  de  la  «  table  rase  ~  ».  Ce  petit  poème 
paraît  être  un  écho  des  conversations  philosophiques  des  deux 
jeunes  hommes,  en  même  temps  que  l'expression  delà  gratitude 
du  poète.  L'érudit,  à  son  tour,  sut  comprendre  l'honneur  impé- 
rissable que  ces  vers  attachaient  à  son  nom  : 

Lambin,  qui  sur  Seine  d'Eurote 
Par  lo  doux  miel  de  tes  douceurs 
A  ramené  les  saintes  Seurs. 

Après  tant  de  voyag-es  au  delà  des  Alpes,  qui  tirent  assuré- 
ment de  lui  le  plus  »  italianisé  »  de  nos  philologues  ■',  il  se  tixa  à 
Paris,  lorsqu'il  eût  obtenu  une  chaire  de  grec  au  Collège  royal, 
à  côté  de  celle  de  Dorât.  Ronsard,  revenu  à  la  Cour  et  poète 
favori  de  Charles  IX,  vivait  alors  dans  un  milieu  qui  l'éloignait 
un  [)eu  de  ses  anciens  amis.  Mais  ceux-ci  restaient  liais  de  lui,  et 
Lambin  fut  des  plus  éloquents  à  le  déclarer  dans  son  Lucrèce  de 
1363  ^  Touché  de  l'hommage,  Ronsard  répliquait  par  un  court 
poème  destiné  à  paraître,  en  13G6,  en  tête  delà  monumentale 
édition  de  Cicéron  ■'  ;  il  se  montrait,  cette  fois,  un  pur  iiumaniste, 
car  ses  vers  étaient  des  vers  latins  '',  Les  échanges  affectueux  ne 
s'arrêtaient  point,  et  Lambin  en  inventait  un  d'une  forme  inat- 

1.  V.  plus  bas  la  dédicace  du  Lucrèce.  Lambin,  né  en  LilVI,  quiUa  Parison 
VJiH  pour  enseigner  à  Toulouse. 

2.  Udes,  t.  II,  p.  15  : 

Que  les  formes  de  (oulcs  choses 
Soient,  comme  dit  Plalon,  encloses 
En  nosli-e  âme,  et  que  le  sçavoir 
Est  seulement  ramcnlevoir  ; 
.Te  ne  le  eroi... 

3.  Après  Muret,  bien  entendu.  Cf.  Episinlae  clar.  virorum...  a  /.  Mich. 
lirulo  comprehennae,  Lyon,  1561,  p.  416  et  passiin  ;  Epist.  clar.  virorum 
selerlae,  Venise,  1303,  p.  112  et  1G3  ;  et  ma  noie  de  la  /férue  d'iiixl.  el  lill. 
religieuses,  t.  III,. p.  1. 

4.  V.  ci-dessous,  p.  159. 

5.  Ronsard  eut  pour  voisins  Dorât  (en  grec  et  en  latin),  Baïf,  Nicolas  Ver- 
ffèce  et  l'Ecossais  Adanson. 

6.  On  les  trouvera  plus  loin  parmi  les  poésies  latines  de  Honsard. 


l'JO  RONKAIlb   Kl     l.'lll'MAMSMK. 

li'iiduc,  cil  iiisiMMiit  (iiiMsuiiL-  iHun  elle  édition  (le  son  Ilontte  deux 
grands  morceaux  de  la  Frnririndr.  (|ue  Dorât  traduisait  en  latin 
à  linlention  des  lecteui-s  étraiij^ers  et  qui  devaient  servir  à  fjiire 
apprécier  deux  la  noblesse  des  lettres  françaises.  Le  commenta- 
teur d'Horace  ledit  clairement  :  «  Libet  mihi  hoc  loco  occ;isio- 
nem  et  ansam  nacto  ex  P.  Ronsardi  viri  clariss.  poetae  Ke<<^ii 
Franciade,  poemate  Gallico,  plane  cum  Iliade  Homerica  et 
Aeneide  Virgiliana  comparando,  versus  aliquot  Gallicos  dccer- 
pere,  eosque  ab  lo.  Aurato  viro  singulari  doctrina  ornato,  poeta 
Regio,  Latinos  factos,  conmientarioruni  meorum  lectoribuslegen- 
dos  exponere,  ut  intelligant  exterae  nationes  quae  et 
qualia  ingénia  efferat  nostra  Gallia,  et  qii.i  m  lo]jcre 
apud  nos  floreant  boiiae  litterae  liberalesque  doc- 
tri  n  a  e  ' .   » 

Ronsard  fut,  avec  Amyot  et  Henri  de  Mesmes,  un  des  répon- 
dants de  Lambin  auprès  de  Charles  IX,  au  moment  où  l'huma- 
niste sollicita  les  fonctions  de  traducteur  du  Roi  (inlerpres  rei/iiis) 
pour  la  langue  grecque;  grâces  lui  en  furent  rendues  pul)li(jue- 
MiiMit.  ainsi  qu'aux  autres  protecteurs,  dans  la  première  leçon  du 
cours  sur  le  troisième  livre  de  la  République  d'Aristote.  professé 
au  Collège  royal  au  mois  de  novembre  1570  -.  Lambin  ne  jouit  pas 
longtemps  des  six  cents  livres  tournois  attachées  annuellement 
à  sa    fonction  nouvelle,    puisqu'il  mourut  en  loTi,  peu  après  la 

1.  C'est  à  partir  de  son  édition  de  lo67  que  Lambin  a  inséré  dans  le 
commentaire  de  VAri  poétiqur  d'Horace  les  deux  passagjcs  de  la  Pranciade 
(H.  Vaganay,  dans  les -Inna/es  /W/io/.vps,  t.  XII,  1011,  p.  133,  et  l.  XIII, 
19121.  Son  Horace,  paru  pour  la  première  fois,  en  doGI,  est  présenté  au 
lecteur  par  une  courte  pièce  de  Dorât,  qui  est  une  de  ses  meilleures. 

2.  Dionij-iii  Lamhini  Monslrolipnsis  lillrrurum  Graecaruin  iam/triflem  doc- 
loris  fteijii,  niiperrime  earundein  litleraruin  etiain  interprclia  a  Rctjia  Maies- 
lale  facti,  oralio  ad  Vil  Id.  Xoupmbr.  hahita  pridie  (jiiani  ULruin  II!  Aris- 
tol.  de  liep.  optiine  adminislranda  explicarpl,  Pdv't^,  l.">70.  P.  13,  Lambin 
remercie  [larticulièrement  Amyot  qui,  juge  sévère  des  traductions  latines  de 
son  (emps,  l'avait  désigné  comme  le  plus  capable  d'en  faire  de  bonnes. 
P.  20,  on  relève  un  éloge  de  Charles  IX,  où  figure  encore  le  nom  de  Hon- 
sard  :  «  Neque  vero  illos  erudilos  solum  diligit  qui  Musas  colunl  seueriores, 
quique  ad  res  graueis  et  sérias  ei  sunt  utiles  atque  opportuni,  Moruille- 
rios,  .\lbospinaeos,  Amiolos,  Boetallerios,  Memmios,  Koxios,  Ferrerios, 
Hurgenseis,  Bertrandos  et  complureis  simileis,  verum  etiam  hos  remissio- 
rum  et  mansuctiorum  Musarum  cultorcs,  Ronsardum,  Baiffium,  Auratum, 
Passeratium  et  ceteros  laleis  doctrinae  fama  illustreis  et  insigneis  viros, 
eorumque  versibus  saepe  vacuas  aureis  praeliet  atque  attentas,  maxime 
cum  curis  grauioribus  defessus  aliquid  aninio  laxamenti  quaerit.  » 


VAII.LAiM'   DE    i;i  KI.I.S  îo7 

Saiul-BaïUiéleiny.  Mais  jusqu  à  la  (in  ramilié  de  lionsard,  com- 
mencée sous  les  auspices  de  Dorât,  lui  était  demeurée  serviable 
et  fidèle.  Un  peu  oubliée  par  la  suite,  leur  liaison  était  notoire 
aux  yeux  des  contemporains  ;  et  l'on  voit  un  avocat  au  Parlement 
de  Paris,  Guillaume  de  Chaumont,  habitué,  à  ce  qu'il  semble, 
de  la  maison  de  Jean  de  Morel,  réunir  tout  naturellement  les 
trois  noms  de  Ronsard,  de  Dorât  et  de  Lambin,  dans  une  épi- 
gramme  ([ui  mérite  d'être  si'j'nalée  : 

In  Pclruin  Ronsard u m,  lanuni  Atiraluni  cl 
Dionysium  Lamhinuni. 

O  vos  felices  et  lerno  niiiiune  claros, 
Quorum  vel  radiis  Gallica  tola  mical. 

Pindarica  illa  rasa  est  ;  Pactolo  clarior  aller  ; 
Hic  aulem  ingénia  cerlal  utrique  sua  '. 

Ce  fut  Lambin  qui  eut  l'honneur  de  témoigner  k  Ronsard,  de 
la  façon  la  plus  solennelle,  les  sentiments  des  savants,  ses  con- 
frères, dans  la  page  capitale  pour  notre  sujet,  qui  fait  une  des 
dédicaces  des  livres  de  son  Lucrèce  ^.  Cette  édition  et  le  com- 
mentaire qui  l'accompagnait  formaient  un  travail  beaucoup  plus 
important  que  Y  Horace,  paru  deux  ans  plus  tôt,  où  Ronsard  avait 
dû  relire  avec  agrément  un  des  textes  antiques  qui  lui  étaient  tout 
k  fait  familiers.  L'hommage  que  lui  rendait  son  ami  était  accordé 
en  même  temps  au  conseiller  Henri  de  Mesmes,  à  un  commenta- 
teur de  Virgile,  Germain  Vaillant  de  Guéhs,  abbé  de  Pimpont, 
poète  humaniste  que  la  Pléiade  a  célébré  et  que  son  chef  a  tenu 
en    estime     particulière-^,    à    deux    philologues   de    profession, 


1.  Gui.  Cciluimon.la.ni  in  suprenio  Parisiensi  senatupatroni  Syluarum  liher 
primus,  Paris,  1571,  p.  18.  Plusieurs  petites  pièces  sont  adressées  à  Camille 
de  Morel. 

2.  J'ai  cité  plusieurs  fois  l'ouvrage,  plus  intéressant  pour  l'histoire  do 
l'humanisme  que  pour  la  préparation  philologique  du  texte  de  Lucrèce.  V. 
plus  haut,  p.  76. 

3.  Voici  encore  un  humaniste  ami  de  Ronsard  qui  devrait  obtenir  l'hon- 
neur d'une  biograpliie.  Son  nom  même  est  défiguré  partout.  Germain  Vail- 
lant de  Guélis,  conseiller  au  Parlement  (qu'on  appelle  à  tort  «  delà  Guesle  », 
en  le  rattachant  sans  raison  à  la  famille  parlementaire  de  ce  nom),  fut 
évêque  d'Orléans  à  la  fin  de  sa  vie  (Ij8o-1587).  Lamljin  lui  a  réservé  la 
dédicace  de  son  édition  de  Plante,  Paris,  l.")77.  11  fut  aussi  lié  avec  Scali- 
ger,  et  il  y  a  deux  lettres  de  lui  dans  les  Ej)i^tres  fninroisi's  ii  J.  ./.  de  la 
Hcah,  llarderwyck,  1024.    Scév.  de   Sainte-.Marlhe  lui  consacre  un  do   ses 


158  RONSARD    ET    LIILMAMS-Mt: 

Murelel'ruriiùbe,cnlin,  pour  le  sixième  etdernier livre,  au  maître 
des  poètes,  Jean  Dorât.  Lambin  exposait,  dans  la  dédicace  adres- 
sée à  celui-ci,  la  raison  de  ses  divers  choix  :  «  In  eo  quod  Krrico 
Memmio  priiiuim  librum  dicaui,  praeter  hominis  dig-nilalem 
atque  anii)litu(linein  summa  ei-uditione  coniunclam,  primum  spec- 
tata  est  a  me  duorum  Memmiorum  'o\j.c-n)\i.ix,  seu  gentilitatis  et 
iiommis  communitas  '  ;  deinde  refereiidae  f:;raliao  obli<^alio, 
utpole  (juin  in  hoc  neyotio  conficiendo  plurimum  a  libro  illo 
manuscripto,  quem  is  mihicommodato  dedisset,  adiutus  essem... 
Secundum  ilcni  liljrum  ut  l'utro  Ronsardo  donarem,  multae  et 
magnae  me  causai'  iinpulerunt,  quarum  tu  in  primis  conscius 
es...  »  Ces  molils,   il  l'aul  les  lire  dans  cette  langue  élégante  et 


FAoïjiii.  Il  y  a  trois  pièces  de  sa  façon  parmi  les  liminaires  Je  la  FranciaJe, 
(loril  un  sonnet  signé  P.  P.  Sa  signature  latine  est  généralement  G.  Valons 
GuL'lliiis P.  P.  Binel  cite  un  poème  latin  de  «  Monsieur  de  Pimpont  »,  adressé 
à  Konsard,  qui  le  place,  de  son  côté,  au  nombre  des  <>  divines  têtes  sacrées 
aux  Muses  »,  qu'il  regrette,  dans  la  préface  posthume  de  la  Franciade,  de 
voir  écrire  on  latin  plutôt  qu'en  français.  Deux  épi^rrammcs  de  Dorai  lui 
sont  dédiées  [Poem.,  2"  part.,  p.  14  et  18).  11  a  fait  des  vers  pour  l'Iliade  de 
Jamyn,  qui  a  imprimé  dans  ses  Œuvres  un  «  Discours  de  M.  de  Pimpont 
conseiller  du  Roy  »,  d'autres  pour  J.a  lienjeric  de  Rémi  Belleau,  Paris, 
1572,  et  pour  Les  Amours  el  nouveaux  esctianrfes  des  pierres  jtreeieuses, 
Paris,  1.S76,  du  même  poète.  Belleau  lui  paye  sa  dette  en  dédicaces  et  <« 
Bnif  lui  dédie  une  ode  (éd.  M.-L.,  t.  Il,  p.  .361).  Quand  Desportes  imprime 
pour  la  première  fois  le  recueil  de  ses  Amours,  en  lo7i),  il  place  le  poème 
<le  Guélis,  Ad  Henricum  Poloniae  reijem.  en  tête  de  ceux  qu'il  a  demandés  it 
ses  amis  pour  recommander  ses  débuts,  par  conséquent  avant  les  vers  latins 
do  Doiat  et  de  Baïf.  Guélis  s'y  montre,  en  effet,  brillamment  inspiré.  Il  a 
participé  il  la  joute  littéraire  des  poètes  humanistes,  à  propos  de  la  médaille 
d'Alexandre  rappelant  l'image  de  Michel  de  l'Hospital.  Knûn,  on  le  voit 
collaborer  à  divers  «  tombeaux  »,  notamment  à  ceux  deTurnèbe,  du  prési- 
dent de  Tliou  et  de  Ronsard. 

On  trouverait  sa  trace  en  d'autres  travaux  philologiques  que  ceux  de 
Lambin  et  de  Scaliger.  Les  Verisimilia  de  L.  Fruyliers,  (|u'il  a  honorés  de 
distiques  liminaires  {Germ.  Valenlis  GueUii  ad  lanuin  Dousamj,  contiennent 
un  morceau  à  lui  dédié  (.\nvers,  1584,  p.  142".  Il  y  a  seize  letties  de  sa 
main  à  Pierre  Daniel,  dans  les  mss.  lil  et  450 de  la  Bibliothèque  do  Berne, 
Une  lettre  de  Th.  Ganter  à  Daniel,  écrite  d'Utrecht  en  l.'iTO,  le  men- 
tionne ainsi  :  "  Magnopere  scire  desidero  quid,  ubi  etquomodo  agas,  simi- 
litcr  et  quid  agat  communis  noster  amicus  ac  patronus  D.  Pimpontius, 
cuius  iam  Elucubraliones  in  Virgilium  Planlinus  noster  sub  prolo  liabel  ; 
nec  minus  rpiid  agat  .\uratus  noster»  {liernensis  141,  n"  2in.  Il  s'agit  ici  de 
la  principale  publication  do  Vaillant  de  Guélis,  le  commentaire  sur  Virgile 
(]u'il  fit  paraître  a  Anvers  en  1370,  dédié  à  la  reine  Elisabeth  d'Autriche. 

1.  Cf.   Lucrèce,  1. 1,  v..  43  (...  Memmi  clara  propago). 


LA    DIÎUICACE  DC    LUCRÈCE  15!) 

pure,  qui  faisait  de  l'éiliteui-  de  Lucrèce,  et  ijientôt  de  Cicéron,  le 
rival  des  meilleurs  prosateurs  latins  d'Italie  : 

DIONVS    LAMBIMS    P.     RONSARIX),     PDETARfM    GAt.l.ICOniM    PRINCIl'I  . 

Cuiii  primum  T.  LucretiiCari  libriim  de  luttuiii  icrum  Errico  Mcni- 
mio  propler  grauissimas,  cl  iustissimas  causas  dicauissem,  Ronsarde, 
liiiiic  secundùm  me  tibi  douane  debere  non  leuioribus  causis  adductiis 
iudicaui.  Primum  onim  poclarum  Gallicorum  sine  controuersia  prin- 
ceps  et  es  et  haberis.  Deinde,  qnemadmodum  lAierelius  noslcr  Lali- 
norum  primus  naturam  et  philosopbiam  (mitto  dieere  quam  :  do 
etiam  delirani  et  in  multis  impiam)  Lalinis  versibus,  iisque  ornalissi- 
mis  ac  politissimis  illustrauit,  ila  lu  per  amoenissima  omnium  poëla- 
rnm  (iraecoruiii  ac  Latinorum  nemora  diu  peruagatus,  atque  ex  eorum 
liquidissimis  et  purissimis  lonlibus  inlinita  rerum  nostris  honiinibus 
inaudilarum  ubertale  hausta,  ea  poëmata  sermone  Gallico  in  vulgus 
edidisti,  quae  Homeri,  Hesiodi,  Pindari,  Anacreontis,  Apollonii,  Theo- 
criti.  Callimachi,  V'irgilii,  Horatii,  TibuUi,  Propertii,  Ouidii  et  cetero- 
rum  XtixOOo'jç  et  ajpoO/ixix  redolerenl.  Hue  accedit,  quod  |ego,  paullo 
te  natu  grandior,  te  adolescentem  lut  probe  meniinisse  potes)  ad  Grae- 
caruni  lilterarum  studia,  quamuis  currentem,  iucitaui  :  tibi  etiam  (ut 
ipse  praedicare  soles)  in  scriptoribus  Graecis  ac  Latinis  versanli,  quasi 
lumen  saepe  praetuli.  Deinde  tu  me  elegantissimo  quodam  et  prope 
diuiiio  carminé,  quod  immortale  cum  ceteris  tuis  scriptis  futuruin  esse 
confido,  amplissime  ornasli,  memoriaeque  sempiternae  commen- 
dasti  '.  Postremo  amiciliam  noslram  ex  optimis  iniliis  orlamet  profec- 
lamcum  absente  me  assidua  mei  recordatione  aluisti,  tum,  post  lon- 
ginquas  et  diuturnas  peregrinationes  meas  patriae  reddito,  plurimis  et 
illuslribus  anioris  signissummisque  erga  me  studiis  amplificasti  alque 
auxisli.  Mis  igitur  causis  impulsas  hune  secundùm  librum,  in  quo  de 
primorum  corporum  molu,  de  figui'is  eurum  variis  et  tamen  tînilis, 
numéro  infinito,  natura  simplicissima,  omniumque  colorum  atque 
adeo  omnium  primarum  qualilatum  experte,  de  mundis  innumerabi- 
libus,  qui  fortuito  illorum  corpusculorum  coiicursu  (ridéamus  licet  Epi- 
curi  deliria)  et  oriunluret  inlereunt,  dispulalur  ;  hune  (inquam)  librum 
amieitiae  nostrae  testem  l'uturum  sempiternum  libi  libens  atque  ex 
animo  dono.  Vale. 

L  amitié  de  Ronsard  et  de  Lam!)in,  révélatrice  des  goûts  pro- 
fonds du  poète,  a  laissé  ses  traces  dans  quelques  correspondances 
manuscrites  du  temps,  documents  que  nos  études  ont  trop  rare- 

1.  V.  l'ode  citée  p.  1!)5. 


Hid  RONSARD    P;T    1,'lH  MAMSMi: 

ment  loccasioii  d'utiliser.  Elles  nous  introduisent  dans  1  intimité 
de  ces  hommes,  moins  différents  de  nous  qu'il  ne  le  semble  au 
premier  abord,  et  dont  le  limpide  latin  suffit  à  rendre  les  senti- 
ments et  les  passions.  Dans  les  lettres  (jue  Lambin  adresse  k  ses 
amis,  en  l')")M,  en  revenant  d'Italie  où  il  a  accompagné  le  cardinal 
de  Tounion,  Ronsard  est  quelquefois  nommé,  parmi  d'autres  hu- 
manistes qui  paraissent  faire  alors  sa  société  favorite  '.  Quand 
il  écrit  à  Prévost,  réjj'enl  de  ce  collège  de  Honcourt  où  l'on  joue 
les  pièces  de  .lodelle.  Lambin  ne  manrjue  pas  de  le  charger  de 
ses  amitiés  pour  Honsard  :  GaUmulio.  Turneho.  Hnssnnln  salu- 
tern  ^  Mais  deux  lettres  intéressantes  à  tous  les  titres  ont  été 
écrites,  cette  année-là,  au  poète  lui-même  par  son  ami  voyageur. 
La  première  lui  apprend  que  Lambin  a  rencontré  à  Rossillon.  chez 
le  cardinaL  un  de  ses  grands  amis.  René  d'Oradour,  venu  avec 
Charles  de  Pisseleu,  évêque  de  Condom  •'.  Ce.  même  Oradour  se 
charge  de  faire  parvenir  la  lettre  au  poète,  que  Lambin  est  impa- 
tient de  revoir  à  Paris  pour  reprendre  avec  lui  leurs  études  com- 
munes : 

Rossardo  S.  Cuni  mihi  nihii  lonfjius  videretur  quani  dum  le  vide- 
rem  et  lamen  quotidie  sperarem  me  Lutetiam  profecturuni,  faclum  est 
ut  totiim  hoc  tempus  quod  Lugduiii  a  Rossilione  consunipsi.  postea- 
quam  ex  Italia  redii,  niulum  a  literis  abire  passas  sum  ;  sed  cum  Epis- 
copus  Condumensis  Rossilionem  ad  decimum  Cal.  Maias  {sic)  venissel 
et  una  cum  eo  .\uradurus  quidam  tuus  familiaris  mifiique  notissimus 
visus  acsalutatus  esset.  nalo  (ut  fit)  plurimo  de  te  ac  luis  studiis  ser- 
mone.  hortalus  est  lue  ut  ad  te  scriberem  simulque  recepit  se  curatu- 
runi  ut  libi  litterae  redderentur.  Hoc  ei  nefiare  non  potui.  lum  quod 
sludiose  petebat,    lum  quod  ego  niea  sponte   scribere  volebani.  l  nuni 

1.  J'ai  étudié,  dès  1882,  le  ms.  8647  du  fonds  latin  de  Paris  contenant  la 
minute  de  la  correspondance  de  Lamliin  de  l'automne  l.">52  à  la  fin  de  1554. 
M.  Henri  Potez  a  tiré  depuis  de  ce  manuscrit  une  élégante  et  substantielle 
étude,  intitulée  Deux  années  de  la  Renaissance  d'après  une  corresp.  inéd., 
dans  la  Revue  d'hist.  Utt.  de  190t),  p.  458  et  t).T8.  11  y  a  donné  place,  en  les 
traduisant,  aux  lettres  de  Ronsard,  et  sa  lecture  d'un  texte  assez  difficile 
diffère  quelque  peu  de  la  mienne,  que  j'ai  vérifiée  récemment  sur  le  ms. 
M.  Potez  ne  semble  pas  avoir  relevé  les  mentions  de  Ronsard  dans  les 
lettres  à  Prévost. 

2.  Biblioth.  nal.,  Lat.  864T,  fol.  34  V  et  49.  Lambin  emploie  toujours  à 
cette  époque  la  forme  Rossardus. 

3.  Ronsard  dédie  "  à  René  d'Oradour,  abbé  de  Beus  »,  une  de  ses 
premières  odes,  et  le  nomme  dans  l'ode  .1  son  retour  de  (iascogne  [Odes, 
t.  1.  p.  20S  ;  I.  M,  p.  200). 


LAMIllN  161 

nie  a  scribendo  auocabal  quod  (ul  supra  scripsi)  sperarem  nie  lecum 
coram  propedieni  faniiliariter  de  more  nostro  locuturum.  Qui  mihi  dies 
prolVcto  pulclierrinius  et  optalissimug  illucescel.  Quid  enim  mihi 
dulcius  accidere  potest  quam  eum  longo  interualio  videra  cum  quo 
honestissimorum  studiorum  socielate  coniunctus  sum  ?  Cum  igitur  me 
socioot  adiulore  '  in  pulclierrimo  islo  et  gloriosissimo  philosophiae  et 
literaruni  et  poetices  cursu,  in  quo  versari  usus  sis,  dubitare  non 
debes  qum  -  congressuni  nostrum  magnopere  expetam.  Quem  cum 
breui  futurum  confidam  finem  scribendi  faciam  atque  ad  illam  diem 
ea  quae  hic  eram  scripturus  reseruabo.  Hoc  unum  abs  te  interea  pelam 
ut  tibi  persuadeas  Lambinum  omnia  tua  causa  velle,  tuaeque  laudi  et 
gloriae,  qum  ex  scriptis  tuis  politissimis  et  elegantissimis  comparasti, 
mirilice  fauere.  Rossilione,  8"calendas  Aprileis. 

Aurato,  Turnebo,  Praeuotio  s.  '  Audio  quaedam  esse  noua  poemala 
abs  te  édita,  quae  mihi  turpe  esse  existimo  nondum  ad  meas  maiius 
peruenisse'' ;  ea  igitur,  ubi  primum  Lugdunum  venero,  diligenter  per- 
quiram  ac  studiose,  ut  tua  omnia  soleo,  legam  et  deuorabo  ". 

Quelques  mois  plus  tard,  en  août  1553,  Lambin  est  avec  la 
maison  du  cardinal  de  Tournon  à  la  suite  de  la  Cour.  Il  fait  une 
nouvelle  rencontre,  celle  de  Pierre  de  Paschal,  le  cicéronien  que 
Ronsard  honore  alors  d'une  vive  amitié  attestée  par  maint  poème. 
Leur  conversation  roule  sur  les  mérites  magnifiques  du  »  prince 
des  poètes  français  »,  à  qui  Paschal  doit  remettre  la  lettre  que 
voici  : 

Paschalius  nosler  cum  mihi  forte  insperanti  occurrisset.  primum  illa, 
quae  ab  amicis  usur})ari  soient  longo  interualio  inter  se  congredienti- 

1.  Ou  Ul  nettement  ce  mol  et  non  adinonitore. 

2.  Lambina  hésité  sur  le  mot,  mais  il  l'a  mainlonu  dans  son  brouillon. 

3.  Ce  Prévost,  lié  avec  Ronsard,  est  régent  du  Collège  de  Boncourl,  où 
vient  d'avoir  lieu  la  fameuse  représentation  devant  le  Roi  de  la  Cléopâtre 
et  de  l'Eugène  de  Jodelle  ;  ce  régenl  l'a  contée  à  Lambin,  qui  lui  répond 
le  10  mars  1553  :  «  Delectauit  me  in  primis  epistotae  tuae  locus  de  Comoe- 
diis  el  Tragoediis  Gallicis.  Libenler  enim  ,'uidio  linguam  nostram  quam  cete- 
raenationes  barbaram  el  inopem  esse  dicuut,  antiquorum  poelarum  vénères 
el  ornamenta  capere,  interprelari  el  exprimere  posse.  Qua  in  re  glorieban- 
liu-  Ilali  se  nobis  esse  superiores.  Sed  propediem,  ul  video,  intelligent  sibi 
rem  esse  cum  aduersariis  pugnacibus  el  lacerlosis  »  (Fol.  34.  Potez, 
p.  495).  Ce  rappel  de  l'Italie  est  à  noter.  On  devra,  pour  l'apprécier  exac- 
tement, consulter  Ferd.  Neri,  La  prima  trarjeJia  di  Et.  Jodelle, dansGiorn. 
stor.  délia  letler  ital.,  t.  LXXIX,  1019,  p.  50-03. 

4.  Les  Amours,  avec  le  cinquième  livre  des  Odes,  avaient  paru  le  i" 
octobre  1552;  Lambin  voyageant  en  Italie  n'avait  pu  les  voir  encore. 

5.  Lai.  8647,  fol.  4i. 

NoLHAC.  —  Ronsard  el  l'Humanhine .  11 


162  IKIN.SAHb    Ijr   r/lllM  AMSMIi 

l)iis,  (lili^eiiler  el  cupide  ah  iitioquo  se  ru  :i  la  s  mit,  ut  et  ego  il  lu  m  cl  ille 
me  familiarissime  coinplectereniur.  Dcinde  cum  mihi,  ul  fil,  de  meo 
ex  Ilalia  reditu  gralulaluH  essel,  nulla  nobis  de  re  nulloue  de  homine 
pi'iusquam  de  te  sermo  ortus  est.  Casune  an  diuinitus,  aiipropler  ani- 
niDriim  cl  sludiorum  siinililudinon.  qiiaecumque  huius  «ernionis  iinbis 
causa  cxlitcral,  sine  casus,  siue  deus,  siue,  quod  est  credibilius,  ani- 
mnrum  cnnuiuctio  ex  qua  aniicitia  nascilur,  lu  quideru  cerle  nobis 
totius  iioslrae  oralionis  argumeiilum  fuisli.  Sed  tjuaenani  l'uerit  illa 
nosira  de  te  oratio  quaercs.  Desine,  obsecro  le,  mi  Hossarde,  desine 
quaerere.  Quid  cnini  nos  aliud  pulas  de  te  esse  loculos,  aul  quid 
oniiiiuo  quisque  de  te  loqui  potesl,  nisi  quod  tu  mereris  quod(|ue 
(lallia  de  te  cuncla  paucis  exceplis  iisque  vel  indoclis.  vel  imiidis, 
|)racilical.  Quid  illud  est?  dices.  Numquid  hodie  efficies  ut  te  vel  in 
os  laudom,  vel  quod  non  mullum  dissiniile  est  mea  opislola  tuas  laudes 
persequatur.  Quamuis  enirn  epislolam  dicunt  non  erubcscere,  tanien 
quod  cuiquam  coram  dicere  verear  ne  per  literas  quidem  sij^niiicare 
ausim.  Itaque  noli  a  me  exspectare  utdicam  te  a  nobis  in  eo  sermone 
Linguae  Gallicae  aniplif  ica  torem  ,  nouorum  verborum  opi- 
ficem,  non  usitalorum  carmin um  ac  rythmoruni  archilec- 
tum,  Poctarum  Gallicorum  principem  nominatum  '.  Tu  per 
me  quid  de  te  fuerimus  loculi  ignorabis.  Espistola  quidem  mea  tibi 
nunquam  renunciabil.  Sed,  si  scire  vis,  Paschalium  habes  hune 
ipsum,  qui  banc  a  me  epislolam  quam  tibi  redderet  expressit.  Uri,'e 
ut  sermonem  illum  noslrum  tibi  exponat.  Nunquam  faciet,  si  homi- 
neiii  bene  noui.  Inesl  enim  in  eius  fronleet  oculis  pudor  ille  ins^enuus, 
doclrina  et  lileris  et  Musis  dignus.  Quare  noli  neque  a  me  neque 
a  Paschalio  ul  tibi  sermonem,  quem  de  le  halniimiis,  flagitare.  Tua 
potius  virtule  deleclare,  tua  te  conscientia  aeslima  quae  profecto 
tibi  ciarius  quam  fania  popularis  tuas  laudes  canit  el  praedical. 
\'ale.  Denique  veruni  cl  incorruptum  tuaruni  laudum  praeconem  pos- 
teritati  reserues,  quae  cerle  quo  longius  abs  te  abcrit,  hoc  de  te  ac  luis 
scriplis  sapientius  iudicabit.  Ilaius  -  tibi  salulem  dicit.  Vale.  ")  i<lus 
sextiles  ^. 

Cette  vive  page  est  précieuse  pour  l'histoire  de  la  poésie.  Elle 
fait  constater,  presque  aussitôt  après  les  premières  publications 

1 .  Sur  le  titre  de  «  prince  des  poètes  »  donné  à  Ronsard  dès  cette  époque, 
V.  Laumonier  annotant  Binet,  p.  .Ï6. 

2.  Est-ce  Maclou  de  la  Haye,  poète  français,  ou  Robert  de  la  Haye,  poète 
latin?  Tous  les  deux  sont  liés  avec  la  Pléiade.  Le  second  a  composé  les  vers 
intitulés  :  Roi).  H,t;/us  rir  I.  Bellaio  el  P.  Ronsardo  (Chamard,  p.  255,  354, 
o89). 

3.  liiljl.  nat.,  Lai    S0p7,  Cul.  59  v"-60. 


PASSIJUAI  IG3 

de  Ronsard,  quelle  admiration  g-énéi-ale  il  a  provoquée.  Il  est 
piquant  de  l'entendre  céléhrer  en  latin  comme  l'écrivain  qui  a 
enrichi  la  langue  nationale  de  mots  nouveaux  et  comme  «  l'ar- 
chitecte »  de  formes  poétiques  et  de  rythmes  qui  n'ont  pas  encore 
servi.  C'est  le  sentiment  de  toute  la  France  lettrée  qui  s^exprime 
dans  le  juste  enthousiasme  de  deux  jeunes  humanistes. 

L'intimité  de  Ronsard  et  de  Lambin  se  trouve  attestée  d'une 
façon  non  moins  précise  dans  une  autre  correspondance  conservée 
par  Jean  Passerat.  Le  futur  éditeur  de  Piaule,  venu  enseigner  à 
Bourges  en  1565  et  lo6<J,  restait  en  rapports  ayec  ses  amis  pari- 
siens, et  nous  voyons  que  Patoiiillet  lui  faisait  tenir  des  lettres 
de  Ronsard,  de  Baïf  et  de  Lambin  '.  Dans  l'été  de  1S6(>,  il  inter- 
rogea anxieusement  ce  dernier  sur  le  bruit  qu'on  répandait  de  la 
mort  de  Ronsard,  alors  absent  de  Paris  :  «  Tristiores  de  Ronsardo 
nostro  rumores  illorum  capnisim  qui  disseminarant,  ita  me 
nuper  horrore  perfuderunt  ut  exanimatus  acerbissimo  communis 
amici  casu  pêne  lugubria  sumpserim  ;  sed  dolor  qui  iam  incan- 
descebat  refrigerato  in  partem  nefario  sermone  paulatim  retine- 
tur,  et  dii  faxint  ut  hocmendacium,  si  qua  nobis  omnibus  impen- 
dere  pericula  defuncti  simus.  Tu  si  me  valere  vis  valetudini  tuae 
diligenter  seruias,  nec  metuas  ne  non  qui  cauere  aliis  discunt 
sibi  confutant.  Auratum  meo  nomine  iubeto  saluere,  imprimis 
Memmium...  -  "  Passerat  fut  rassuré  par  une  lettre  de  Lambin  et 
une  autre  que  Bartolomeo  Delbene  adressait  à  son  iils,  étudiant 
à  Bourges  ;  mais  il  sentit  le  besoin  d'en  témoigner  sa  joie  à  Ron- 
sard lui-même  : 

Les  tristes  nouvelles  semées  naj^uères  par  delà,  et  confirmées  par 
]ilusieurs  assés  certains  auteurs,  m'avoient  forcé  de  mettre  alors  la 
main  à  la  plume,  atin  de  lesmoigner  par  escrit  une  partie  de  l'extrême 
douleur  que  mon  ame  avoit  conceue  pour  une  si  grande  perte.  Mais 
les  lettres  du  seig"'  d'Elbene,  père  de  Monsieur  de  Hauttecombe ', 
m'apportèrent  depuis  un  incroyable  plaisir,  m'asseurant  que  ce  bruit 
estoil  faux  et  que  commenciez  a  recouvrer  vostre  bonne  santé,  et  mesme 

1.  PalulaeiiscumlUterisRonsurdietBai/fii  tuas  ad  nus  perferendas  cura- 
bil.  3°  calendas  apr.  1566  (Bilsl.  nat.,  Lat.  10327,  fol.  ttO.  Lettre  à  Lam- 
bin). 

2.  Bibl.nat.,La<.  8585,  foL  lot. 

3.  Alfonso  Delbene,  abbé  de  tlautecombe,  poète  français,  fils  de  Barto- 
lomeo, poète  italien,  tous  deux  amis  de  Ronsard.  En  t;)7"2,  Passerai  lui 
dédie  un  Ihjinne  de  la  paix  (fol.  tOO  de  son  Bccued). 


164  HO.NSAllh   Kr  1,'lllMA.MS.Mi; 

ev;inj,'ile  nnus  ;i  esté  envoyé  par  Monsieur  Lambin,  qui  afferinoil 
d'avantage  vous  avoir  veu  et  salué  sain  et  gaillard  à  Paris.  Voilà 
comme  les  deux  contraires  et  principales  passions,  selon  la  sentence  de 
Platon,  n'ont  esté  gueres  esloif,'nées  rune  de  l'autre,  et  avons  senty  la 
dernière  plus  forte  d'autant  que  la  première  esloit  véhémente...  Je  ne 
poursuivray  ce  point  plus  avant,  ...seulement  jay  à  vous  supplier  par 
cette  tant  douce  et  désirée  santé  quedoresnavant  vous  la  conlrcf^ardie/ 
pour  vous,  vos  amys  et  l'honneur  de  toute  la  France...  De  Bourges,  le 
20  août  1566  ' . 

A  ce  moment  de  nos  guerres  civiles,  la  mort  de  Ronsard  eût 
ravi  d'aise,  comme  un  juste  châtiment  du  ciel,  quelques  hugue- 
nots échaulFés  qu'irritaient  contre  lui  les  Discours  des  miscres  Je 
ce  temps  et  la  liernonstrance  au  peuple  de  France.  Avec  les 
pamphlets,  couraient  les  bruits  diiramatoires,  dont  la  fameuse 
inculpation  d'athéisme.  C'était  l'ordinaire  attaque  du  siècle,  et 
peu  de  gens  de  lettres  échappaient  à  ce  genre  de  calomnie.  Si 
l'accusation  d'hérésie  était  courante  -,  celle  d'athéisme  disquali- 
fiait plus  siirement  auprès  des  deux  partis.  Le  bon  Passerai  se 
désolait  donc  de  ce  qu'on  disait  à  Bourges  et  d'entendre  le  nom 
de  Lambin  mêlé  à  -ces  propos;  il  en  écrivait  à  celui-ci,  l'in- 
formant qu'on  l'accusait  aussi  de  répandre  la  nouvelle  d'une  con- 
damnation infamante  de  Muret  à  Rome,  dont  la  fable  ridicule 
paraît  s'être  établie  à  cette  époque  : 

Ronsardum  saluum  et  incolumem  Luletiam  rediisse  meis  quoque 
litteris  ipsi  gratulor.  Tibi  vcro,  mi  Lambine,  gratias  ago  quod  me 
rerum  nouarum  thesaurn  locupletaris.  . .  Hic  nuper  nescio  unde  pro- 
fecti  rumores  M  .  Anton.  Muretum  Romae,  quibusdam  de  causis,  incen- 
diariorum  afTectum  esse  supplicio.  Rides?  ingemui,  mehercule,  neque 
tu  non  ingemisces,  cum  audies  caetera  :  laudalur  huius  rei  autor  Dio. 
Lambinus,  qui  in  frequentissimo  celeberrimoque  Scholae  Parisiensis 
auditorio  praedicauit  tribus  Theodoris  liberatum  esse  orbem  terrarum 
M.  R.  G.  alii  T.  [Une  note  marginale  rétablit  les  noms  :  »  Mureto, 
Ronsardo,  Goueano,et  alii  Turnebo.  »1  LLiec  quam  acerbe  nobis  auditu 

1.  Bibl.  nat.,  Lai.  8585,  fol.  ir.l.  Ed.  L.,  t.  VIL  P-  123- 

2.  Lambin  lui-même  n'a  point  échappé  à  celle-ci,  et  ses  anciens  amis 
d'Italie  ont  cru  qu'il  s'était  fait  huguenot.  Paul  Manuce  a  rayé  son  nom 
d'une  édition  de  ses  Epislolae  avec  ceux  de  François  Hotman,  Jean  Sturm, 
Gilbert  Cousin,  André  Dudith.  Sur  cet  incident  et  la  protestation  énergique 
faite  par  Lambin  en  loGl,  v.  Nolhac,  Une  conséquence  bihlioqraphiqiie  du 
Concile  de  Trente,  dans  la  Revue  dhist.  et  de  litl.  relir/ieiises,  t.  IIL  IS'.IS, 
p.  1-9. 


PASSEKAT  1 63 

fuerinl  ex  luo  sensu  iudicato.  Conquisiuiinus  s;uie  el  Lonquirinius 
liorum  sermonum  aulores  nefarios,  quibus  nescio  quid  verbis  alrocius 
minainur.  \'os  autem,  qui  lam  alte  asceiulitis,  aequiore  debelis  esse 
animo  ac  memiuisse  nihil  vobis  iioui  accidere,  si  eiusmodi  veluti  pro- 
cellis  ac  tempestalibus  inuidia  g^ratiamini.  Nos  qui  huini  serpimus  el 
matais  procuranda  nobis  monstra  quam  linienda  arbilramur,  riihil 
am[)iius  possum  addere  cum  praesertini  scribam  inuitus,  nisi  ut  sce- 
leratam  hanc  epislolam  quae  tibi  tantuni  niali  uuuliauil  conscindas, 
meque  muluo  dilij,'as.  \  aie  '. 

Nous  devons  à  cette  histoire  une  jolie  lettre  de  Ronsard,  non 
moins  précieuse  par  la  rareté  que  par  l'intérêt  de  certaines  indi- 
cations de  caractère.  Quoiqu'elle  soit  connue,  on  la  goûtera  mieux 
parmi  les  documents  qui  l'expliquent.  Du  ton  de  l'homme  qui  a 
subi  bien  d'autres  ennuis,  le  poète  raille  doucement  un  ami  ti- 
moré : 

A  Monsieur  el  bon  amy  Monsieur  Passerai,  à   Bourges  '^. 

Monsieur  Passerai,  Depuis  ma  lettre  escritte,  monsieur  Lambin  est 
venu  souper  avec  moy,  qui  m'a  monstre  vostre  lettre  latine  en  laquelle 
j'ay  veu  comme  les  bons  huguenots  de  Bourg-es  (car  autres  ne  peuvent 
estre  qu'eux)  ont  semé  par  la  ville  que  ledit  sieur  Lambin  avoit  dit 
en  chaire  publicquement  que  le  monde  estoit  délivré  de  trois  athées, 
sçavoir  Muret,  Ronsard  et  Gouvean.  Je  n'ay  recueilly  autre  fruict  de 
telle  nouvelle,  sinon  l'honeur  qu'on  me  faict  de  m'accoupler  avec  de 
si  grands  personages,  desquels  je  ne  mérite  deslier  la  courraye  dusoul- 
lier,  et  voudrois  que  l'on  me  fist  tousjours  de  tels  outrages  à  si  bon 
marché  et  à  si  bon  prix,  et  me  sentirois  bien  heureux  de  pouvoir  esgal- 
ler  les  vertus,  sçavoir  et  doctrine  et  bonne  vie  des  deux,  et  mesme  de 
Muret  que  j'ay  cognu  homme  de  bien.  Si  monsieur  Lambin  l'a  dit,  je 
n'en  sçay  rien,  cela  ne  m'importe  en  rien,  et  là  dessus  je  m'en  iray 
deVnain  aux  Trois  Poissons  boire  à  vos  bones  grâces,  me  recomman- 
dant de  tout  mon  cœur  à  vos  divines  Muses. 

\'ostre  humble  amy  et  serviteur, 
Ronsard. 

Le  bon  Passerai,  si  sensible  aux  attaques  contre  les  hommes  qu'il 
admirait,  était  plus  jeune  que    Ronsard    et    Lambin    et   ne  fut 

1.  Lat.  858"),  fol.  152. 

2.  Lat.  8585,  fol.  152.  Ed.  L.,  t.  VII,  p.  125.  Blanchomain  n'a  pas  lu  le 
nom  de  «  Gouveaii  »,  Antonio  de  Gouvea  iGoueanus).  .\u  reste,  l'ortho- 
graphe du  document  n'est  que  celle  d'un  copiste. 


|()(l  nONSAiii)    \:r  i,  m mamsme 

appeli'  f[u'on  l.')72  îi  enseigner  au  Collège  royal.  Son  premier 
hommage  au  poète  remontait,  je  crois,  au  «  Tombeau  »  de  Tur- 
nèbo.  Outre  l'élégie  française  qu'il  lui  a  dédiée  ',  Passerai  avait 
composé  pour  celte  publication  une  élégie  latine,  où  il  convie 
HuiiSMid  parmi  les  amis  qui  pleurent  le  grand  helléniste  et  qu'il 
désigne  par  de  poétiques  allusions  : 

Clarus  ah  hospilio,  Memmii  ç/enerosa  propago  -, 

Piinpunlii  sludiis  nohililala  doinus  ', 
Te  fiel  Lainbinus,  cuiqueexl  cognomenab  auro  ', 

El  Gruiae  et  Luliae  fama  secunJa  li/rae  : 
Te  nosler  vales,  cuius  numerisc/ue  nioclisque 

Thehanus  Gallis  cedere  visus  olor  ''. 

Un  peu  plus  tard,  l'humanisle  Iroyun  fut  des  dix  poètes  qui 
accompagnèrent  de  vers  laudatifs,  en  1572,  l'édition  delà  Fran- 
ciade  '^,  et  il  écrivit  même  un  «  Sonnet  à  Mademoiselle  de  Sui-- 
gères  »,  qui  se  plaisait,  comme  on  le  sait,  à  être  comparée  à 
l'Hélène  d'Homère  '.  Ronsard,  de  son  côté,  s'adresse  à  Passerai 
à  la  fin  du  beau  poème  d'Hylas,  qu'il  lui  dédie  à  partir  de  1373  *. 
Il  goûtait  sa  facilité  de  versilicateur  dans  les  deux  langues;  il 
appréciait  sans  doute  à  sa  valeur  exacte  ce  savant  aimable,  bien- 
veillant, digne  protégé  de  la  maison  de  Mesmes,  bon  commen- 
tateur des  Elégiaques  lutins,  qui  n'a  pas  laissé  dans  la  science  de 


1.  Citée  plus  haut,  p.  153. 

2.  Micliel  de  l'Hospital,  Henri  de  Mesmes. 

3.  G.  Vaillant  de  Guélis  [non  de  la  GuesleJ,abbé  de  Pimpont. 

4.  Dorai  a  donné  au  «  Tombeau  »  une  intéressante  élégie  de  ving-t-six 
distiques  latins  mis  en  grec  par  lui-même  (Aduersus  docliss.  et  piiss.  riri 
Adriani  Turnebl  necromasliy as) . 

0.  V.  le  Tumu/us  de  1j6o  et  la  réimpression  dans  V.  Adriani  Turnebi... 
opéra  niinc  prinuim...  in  unum  collecta,   Strasbourg-,  1600,  t.  III,  p.  107. 

6.  Blanchemain  n'en  reproduit  que  trois,  dont  Passerai, t.  111,  p.  C.  Il  a, 
l)ien  entendu,  largement  participé  au  Tombeau  de  Ronsard,  dont  ÏEpice- 
dium  est  reproduit  dans  le  recueil  :  /o.  Passcnitii...  Kalendae  lanuariae, 
Paris,  K)03,  p.  70.  Cf.  p.73, /^  obilumlo.  Auraii. 

7.  Recueil  des  œuvres  poétiques  de  lan  Passerai,  lecteur  et  interprète  du 
Roy,  Paris,  1606,  fol.  237  : 

^"ous  n'avez  rien  de  ceste  antique  Hélène 
Fors  que  le  nom  et  la  rare  beauté... 

5.  Hijlas,  k  Jean  Passerai,  lecteur  du  Roy,  excellent  poêle  latin  et  françois 
rd.  I..,  t.  V,  p.  132).  V.  plus  haut,  p.  130. 


LE    CULLÈGK    ROYAL  I CT 

r  Antiquité  des  traces  liien  profondes  ',  mais  que  son  amour  des 
lettres  et  de  la  poésie  recommande  pourtant  à  la  postérité-: 

0  Passerait,  censor  exactissime 

Priscorum,  ilem  receiilium, 
Quotrpiol  Poêlas  Rnn>a  flarens  avreo 

Produxil  olim  saeculo, 
Et  quoi  per  Europaea  passim  compila 

IVunc  (jignii  aeui  ferrei 
Propac/o...  ^ 

Les  relations  de  Ronsard  avec  le  Collège  roj^al  paraissent  avoir 
duré  toute  sa  vie  ;  mais  c'est  pendant  sa  jeunesse  qu'il  compta  ses 
plus  étroites  amitiés  avec  les  «  lecteurs  du  Roi  »  et  même  long- 
temps avant  que  Dorât  fîit  appelé  à  prendre  place  parmi  eux. 
Outre  les  savants  que  nous  avons  rencontrés  tant  de  fois,  comme 
Turnèbe  et  Lambin,  il  connaissait  Jean  Mercier,  l'hébraïsant 
célèbre,  successeur  de  Vatable,  qui  était  le  beau-fîls  de  Jean  de 
Morel  et  dut  quitter  la  France  en  lo67  comme  réformé.  Il  voyait 
aussi  Ramus  d'une  manière  assez  intime,  puisqu'il  y  eut  entre 
eux  une  véritable  collaboration. 

Quand  Pierre  de  la  Ramée  publia,  en  15oS,  sa  Dialectique,  où 
il  empruntait  beaucoup  d'exemples  aux  poètes  latins,  il  pria 
quelques-uns  de  nos  poètes  de  les  traduire  en  vers  français  pour 
insérer  leur  traduction  dans  son  texte  ■*.  Ronsard  assuma  de  ce 
travail  la  part  principale,  les  citations  de  la  préface  dédicatoire 
à  leur   protecteur  commun,  le  cardinal  de  Lorraine,  et  trente  et 

1.  Voici  ce  qu'écrit  Scaliger,  à  la  vérité  homme  irascible,  en  1578  : 
«  Passerai  el  quelques  autres  Pédantes  comme  lui,  quin'ont  aulcune  science 
que  de  petits  fatras  de  corrections...  ><  (Bibl.  nat.,  Dupuy  496,  fol.  13  ;  cf. 
fol.  180).  Melissus,  liaturellemenl  bienveillant,  a  été  cliarmé  par  le  goût  de 
Passerai  pour  la  poésie  des  Romains. 

2.  Ce  joli  poème  est  de  Paul  Melissus,  Schediasmaia,  p.  52lj. 

3.  La  Dialectique  île  Pierre  de  la  Ramée.  A  Charles  de  Lorraine  cardinal, 
son  Mécène,  Paris,  A.  Wechel,  loo.ï.  Uinet,  dans  son  texte  do  1397  (éd. 
Laumonier,  p.  4.3,  21:)),  mentionne  cet  ouvrage  en  le  confondant  avec  la 
niiétorique  franroisp  de  Foclin.  Les  collaborateurs  de  Hanius  sont,  avec 
Ronsard,  Bclleau.  Pasquier,  Pelletier,  Des  Masures,  le  Conte  d'Alsinois 
(N.  Denisot)  ;  le  seul  qui  .soit  ignoré  est  De  Rrués,  que  Ramus  a  visible- 
ment introduit  par  complaisance  (p.  20  et  33i  et  sur  qui  l'index  de  notre 
livre  renseignera.  Quelques  emprunts  sont  f.Tils  aux  œuvres  de  Marot.  Du 
Bellay  n'a  pas  travaillé  comme  Ronsard  spécialement  pour  l'ouvrage;  les 
quatre  passages  de  Virgile  cités  avec  son  nom  (p.  9,  2fî,  39,  101)  sont  tirés 
de  sa  traduction  du  livre  IV  de  l'Enéide,  parue  en  l;i;>2. 


168  RONSAHD    KT    I.HL.MAMSML 

une  autres,  dont  les  traductions,  signées  de  son  nom,  se  pré- 
sentent avec  des  mètres  variés  au  milieu  de  la  prose  didaclii[ue 
de  l'auteur  '.  Ce  jeu  d'humaniste,  destiné  à  enrichir  un  précieux 
livre  d'enseignement,  témoigne  que  le  poète  et  le  <■  lecteur  en 
philosophie  greccpie  et  latine  »  étaient  en  rapjiorts  tout  à  l'ait 
cordiaux  au  temps  du  Jiocn;/r  rt  des  Ifi/rnnes  -.  Le  restèrent-ils 
par  la  suite?  On  ne  sait  si  llonsaril  fut  défavorable  à  la  campagne 
violente  de  Charpentier,  soutenu  par  Dorât,  contre  leur  célèbre 
collègue,  qui  devait  avoir  un  tragicpie  dénouement  au  temps 
de  la  Saint-Barthélémy  ■'.  Il  n'a  point  cité  le  nom  de  Hamus  dans 
ses  œuvres  imprimées,  et  on  ne  le  trouve  qu'en  une  page  latine 
inédite,  parmi  ceux  de  ses  familiers  qui  »  subodorèrent  »  les 
premiers  l'ignorance  si  bien  cachée  de  Pierre  de  Paschal  *. 

A  l'époque  où  Ramus  était  lié  ainsi  avec  les  meilleurs  poètes 
de  Paris,  il  les  invitait  à  sa  table,  ainsi  que  le  raconte  son  élève 
Nicolas  de  Xancel  ;  possédant,  comme  l'assure  Rabelais,  »  des 
escuz  au  soleil  »,  il  pouvait  offrir  de  belles  agapes  aux  collabora- 
teurs de  sa  Dialectique,  auxquels  se  joignaient  Baïf  et  Jodelle  ■', 
qui  furent  aussi  de  ses  amis  :  "  Cum  poetis  raro  versatus  est, 
quasi  disparstudium  sequentibus.  (Tmnes  tanien  Lutetiae  celeber- 
rimos  habitosaliquando  ad  prandium  inuitauit,  coryphaeo  Ron- 
sardo,velut  Apolline  praeeunte,  sedpostea  nunquam  ;  e  quibus 
eliam  unus  perdoctus  Bellaius  Ramuni  scommate  diro  perstrinxit, 
Rabelaesum  pari  sarcasmo  insultantem  imitatus  ''.  »  En  écri- 
vant, en  effet,  sa  Pétromachie,  satire  marotique  assez  inoffensive, 
Du  Bellay  reprenait  le  thème  qu'on    trouve  dans    la  préface  du 

1.  Elles  ont  été  ajoutées  par  Laumonier  à  l'œuvre  poétique  de  Ronsard, 
dans  la  Revue  du  seizième  siècle  de  1916,  p.  128-130.  et  dans  son  éd.,  t.  VI. 
p.  396-404.  Les  te.ttes  traduits  sont  pris  dans  Virg-ile,  Iloiace,  Ovide,  Ca- 
tulle, Pro|)erce,  Juvénal,  Martial  et  Cicéron  Pro  MurenaK  Le  seul  texte 
grec  traduit  par   Honsard  est  d'Empédocle  cité  par  Aristote. 

2.  Dans  les  Allusiones  de  Du  Bellay,  publiées  chez  F.  Morel  en  1569,  on 
trouve,  p.  13,1"  "  allusion  •>  du  nom  de  Ramus,  avec  celles  do  Tunièbe,  de 
Galland  l'ancien  ol  de  Louis  Le  Roy. 

3.  V.  un  article  de  Joseph  Bertrand,  J.  Charpentier  esl-il  l'assassin  île 
Ramus  ?  [lievue  tles  Deux  Momies,  du  15  mars  ISSl). 

4.  Ronsard  :  Iloininis  insciliam  et  fucum...  nasati  subolfecerunt. 

5.  Sur  les  relations  de  Jodelle  avec  Ramus,  v.  ses  œuvres,  éd.  Marty- 
Laveaux,  t.  H,  p.  192,  364,  376.  Ses  vers  sur  la  grammaire  de  l'érudit  sont 
mis  en  latin  par  Melissus,  Schediasmala,  3«  part.,  p.  66. 

6.  Pelri  Rami  V  e  romand  ui...  vita  a  Nie.  Xancelij  Trachijeno  Xouindu- 
nensi...  descripta,  Paris,  1599,  p.  65. 


iiAMi  s  !(!!• 

QiiurI  livre  dp  Pantagruel  '.  La  j^^imikIc  brouille  mise  par  Pierre 
de  la  Uamée  et  Pierre  Gallaïui  dans  l'Universilé  de  Paris,  à  pro- 
pos des  attaques  (lu  premier  contre  Aristote,  semble  avoir  beau- 
coup moins  intéressé  Ronsard,  au  reste  bon  platonicien.  On  peut 
penser  que  plus  tard  il  ne  se  soucia  guère  de  participer  à  une 
querelle  contre  le  sagace  grammairien  de  la  langue  française  et 
l'ancien  ami  chez  qui  il  avait,  n  comme  Apollon  »,  présidé  la 
table  des  Muses. 

Serait-il  téméraire  de  rechercher  dans  un  ouvrage  oublié,  les 
Dialogues  de  Guy  de  Bruès,  k  gentilhomme  au  pais  de  Langue- 
doc »,  quelques-uns  des  sujets  traités  par  Ronsard  dans  les  con- 
troverses amicales  de  l'entourage  de  Rainus  '.'  Le  livre  date  exac- 
tement de  cette  époque  de  la  vie  du  poète,  et  lui  prête  des  pro- 
pos abondants  sur  les  questions  philosophiques  du  moment  '-.  Ce 
Bruès,  qui  a  une  dédicace  au  Bocage  de  IHoi  '^  et  son  nom  dans 
un  sonnet  de  135.'),  a  été  compté  un  instant  dans  la  Brigade  ;  il 
se  réclame  de  Jean  de  Morel  ^,  et  c'est  un  des  libraires  de  Ron- 
sard qui  publie  son  livre.  Ces  titres  permettent  d'évoquer  son 
témoignage,  d'autant  plus  que  sa  citation  de  «  la  Dialectique  de 
Pierre  de  la  Ramée  et  ses  animadversions  contre  Aristote  »  donne 
à  penser  qu'il  connaissait  l'auteur.  Il  a  choisi,  avec  Ronsard, 
comme  «  entreparleurs  »  de  ses  dialogues,  Jean  Nicot,  Guillaume 
Aubert  et  Baït'.  Celui-ci  expose  des  vues  hardies  sur  la  nécessité  de 
vivre  »  suivant  la  nature  »  et  non  <(  suivant  l'opinion  et  les  lois  »  ; 


1.  V.  la  Satyre  de  maistre  Pierre  du  Cuigiiel  sur  la  Pélromachie  de  l'Uni- 
versilé de  Paris,  dans  l'éd.  Marty-Laveaux,  t.  II,  p.  408-417  et  365.  Pour 
tons  ces  points  d'histoire  littéraire,  le  travail  de  Ch.  Waddington  sur 
Hamus  est  rempli  d'inexactitudes. 

2.  Les  dialoijues  contre  les  nouveaux  académiciens,  que  tout  ne  consiste 
point  en  opinion,  Paris,  Guil.  Cavellart,  1557.  (^el  ouvrage,  dont  le  privi- 
lège est  du  30  août  lo56,  a  été  dédié  an  cardinal  de  Lorraine.  Publié  par 
l'éditeur  des  Odes,  «  à  l'enseigne  de  la  poule  grasse  ■>,  il  senilile  avoir  man- 
qué de  succès,  puisque  les  exemplaires  invendus  ont  été  remis  en  vente 
après  la  mort  de  Ronsard,  avec  un  titre  réimprimé  et  la  date  de  1587. 

3.  L'auteur  dit  dans  sa  préface  qu'il  a  été  encouragé  à  la  publication  par 
M.  de  Morel,  «  gentilhomme  Ambrunois,  que  j'ayme  et  admire  grandement, 
tant  pour  son  intégrité  que  pour  sa  rare  (le  texte  porte  race)  et  singulière 
érudition  ». 

4.  Fol.  54.  C'est  l'éplgramme  »  Quel  train  de  vie  est-il  bon  que  je  suive  », 
(pii  était  dédiée  à  Muret  dans  le  Livret  de  Folastries .  Le  sonnet,  de  l.'>55, 
commence  ainsi  :  <i  Veux-tu  sçavoir,  Bruez,  en  quel  estât  je  suis  ?  »  (éd. 
L.,  1.  1,  p.  I7'.t  .  Plus  tard,  le  nom  est  remplacé  par  celui  de  Binel. 


170  RONSARD    ET    l'ulMANISME 

il  est  courtoisement  réfuté  par  ses  compagnons,  et  tout  d'abord 
par  Ronsard  lui-même.  Il  est  certain  que  les  opinions  attribuées 
il  l'un  et  à  l'autre  par  un  aussi  respectueux  disciple  ne  pouvaient 
être  entièrement  imaj^inaires  et  en  opposition  avec  leur  pensée 
véritable.  Une  allusion  à  leur  réconciliation  récente,  après  une 
brouille  légère,  est  d'accord  avec  ce  qu'on  connaît  de  celle-ci. 
Les  propos  platoniciens  de  Ronsard  sont  également  conformes  à 
la  vraisemblance  et  à  ce  qu'on  sait  de  son  respect  pour  les  doc- 
trines de  l'Académie.  (Juant  à  la  mise  en  scène  des  dialogues, 
elle  n'est  pas  dénuée  de  grâce,  puiscjue  c'est  au  bord  d'une  eau 
courante,  à  l'ombre  d'une  saulaie  du  Parisis,  que  se  réunissent 
les  personnages  : 

Baïf.   Il  y  a   tout  près  de   ces  saules,  que  tu  vois  là  bas  en  jrrand 

nombre,  un  petit  ruisseau  à  la  rive  duquel   nous  nous  assoirons,  sans 

que  le  chaut   nous   puisse  offenser...  Ronsard.  .Allons  donc,  car  aussy 

bien 

l'ay  l'esprit  tout  ennuyé 

D'avoir  trop  estudié 

Les  Phœnonienes  d'Arale  L 

l'^L  ie  me  réiouïray  voyant  la  verdure  al  les  petits  poissons  qui  sau- 
tellent  dessus  l'eau.  Baïf.  Puis  les  propos  que  nous  tiendrons  nous 
feront  oublier  nos  ennuis  ;  mesmement  quand  nous  parlerons  de  la 
philosophie,  en  laquelle  tu  prends  un  merveilleux  plaisir  ;  et  pource 
en  tes  Hymnes  tu  l'as  diuinement  louée,  combien  que  peut  estre  lu 
trouveras  assez  estrange  ce  que  ie  l'en  diray... 

C'est  par  de   tels  badinages   que  commencent  d'autres  entre- 
tiens plus  illustres  sous  les  oliviers  de  l'Attique. 


III 


Parmi  les  maisons  de  Paris  où  se  réunissaient  des  humanistes, 
la  plus  connue  se  rattachait  à  la  Cour,  tout  en  gardant  l'agré- 
ment   et  la  simplicité  de   la  bourgeoisie    d'alors  '.   C'était  celle 

1.  Ce  sont  des  vers  tout  récents  de  Ronsard.  Cf.  plus  liaut,  p.  87,  n. 

2.  L'iiistoire  de  la  maison  de  Morel  mériterait  d'être  écrite.  Aux  sources 
imprimées,  on  joindra  des  correspondances  et  des  papiers  provenant  de  lui 
ou  de  ses  filles,  qui  sont  à  la  Bibliothèque  nationale  [Lai.  8589),  à  la  Biblio- 
thèque de  l'Institut  (ms.  -i'JO,  anc.  292,  fol.  42-48,  50,  210  v»l,  et  surtoutà  la 
Bibliothèque  de  Munich  (Coll.  Camerariana,  vol.  14  et  33).  Dans  les  lettres 


JEAN    DE    MOREL  171 

de  Jean  de  Morel,  seigneur  de  Grigny,  qui  fut  gouverneur 
du  bâtard  de  Henri  II,  Henri  d'Angoulènie,  plus  tard  grand 
prieur  et  amiral  de  France,  à  qui  Dorât  donna  des  leçons 
de  grec  '  ;  Morel  fut  aussi  maréchal  des  logis  de  Catherine  de 
Médicis  et  maître  dhôtel  du  Roi.  Ronsard  trouva  chez  lui  un 
des  premiers  cercles  qui  lencouragèrent  etle  défendirent.  Sainte- 
Marthe  l'indique  bien  nettement  : 

...Dodos  omîtes  docli.'isimus  ipse  fouebas. 

Teslis  erit  patrii  princeps  el  gloria  plectri 

lionsarilus... 

Tu primus  laudnre  nouoque  applaudere  vali 

Coepisti...  - 

Le  logis  de  Morel,  rue  Pavée,  proche  Saint-André-des-Arcs,  a 
été  célébré,  non  seulement  par  nos  écrivains,  mais  par  les  étran- 
gers qu'il  aimait  à  y  accueillir  pendant  leur  séjour  à  Paris.  Lui- 
même  avait  passé  hors  de  France  la  première  partie  de  sa  vie, 
et  il  rappelait  volontiers  qu'il  avait  vécu  à  Bàle,  auprès  d'Erasme, 
et  s  y  était  trouvé  au  moment  de  la  mort  de  son  maître  illustre. 
Il  avait  reçu  de  lui,  avec  l'initiation  du  lettré,  celle  non  moins 
précieuse  du  philosophe,  et  la  plus  haute  pensée  antique  lui  était 
devenue  familière.  Pour  un  homme  de  la  Renaissance,  la  demeure 
d'Erasme  était,  à  coup  sûr,  la  plus  belle  école  qu'on  pût  rêver, 
et  Morel,  conseiller  littéraire  du  chancelier  Olivier  avant  et  après 
sa  disgrâce,  avait  ajouté  aux  profits  intellectuels  de  ce  noble  stage 
ceux  d'un  voyage  aux  Universités  d'Italie.  Revenu  dans  son 
pays,  «  il  y  acquit  incontinent  une  si  grande  réputation  parmi  les 
sçavans,  à  cause  de  la  facilité  qu'il  avoit  d'exprimer  ses  pensées 


de  Charles  Uytenhove  à  Morel  ou  à  sa  femme  que  renferme  la  collection  de 
Camérarius,  les  mentions  familières  de  Ronsard  et  de  Du  Bellay  sont  assez 
nombreuses  Jvol.  33,  fol.  179-182,  260-2f)3).  Les  copies  que  je  possédais  de 
ces  documents  ont  été  remises  entre  les  mains  d'un  jeune  érudit  qui  pré- 
parait un  travail  sur  le  savant  Gantois  el  ne  paraît  pas  l'avoir  achevé. 

1.  V.  des  vers  de  Dorât  à  Henri  d'Angoulême,  dans  ses  Poeinalia,  p.  302 
et  305,  et  une  note  de  Marty-Laveaux,  La  Pléiade  fr.,  Appendice,  t.  Il,  p. 
384.     . 

2.  V.  C.  loann.  MoreUi  Ebredun.  CotisHiarii  Œconomiq.  Regii...  Tuinu- 
lus,  Paris,  Fed.  Morel,  1383,  p.  34.  Dans  ce  recueil,  réuni  par  Camille  de 
Morel,  le  poème  de  Dorât,  qui  l'inaugure,  a  un  particuliar  intérêt  biogra- 
phique. Ba'if  esl  h  la  p.  42;  Ronsard  manque. 


172  liD.NSAHIi    Kl     l.'lll  MAMS.ME 

et  (le  sa  profonde  doctrine,  que  toute  la  cour  ilu  Hov  comnienvu 
de  l'avoir  en  faraude  vénération  »  '.  I^rotég-é  particulier  de  Callie- 
rine,  il  eut  les  poètes  d  tous  pour  amis  intimes  »  et  sut  les  aider 
de  tout  son  crédit.  La  poésie  latine  régna  chez  lui  de  tout  temps, 
d'al)ord  avec  Salmon  Macrin,  puis  avec  Dorât  et  George  Buclia- 
naii  -,  et  la  poésie  française  vint  un  joury  tenir  ses  assises  autour 
(le  Du  licllay  et  de  Ronsard. 

La  place  que  Jean  de  Moral  occupe  dans  Id'uvre  du  poète  des 
Kegrels  est  considérable,  et  Joachim,  qui  le  nf)mniait  son  »  Py- 
lade  »,  fut  assurément  plus  près  de  son  cœur  que  Ronsard  lui- 
même'*  ;  mais  il  est  souvent  présent  dans  l'œuvre  de  celui-ci,  qui 
lui  a  dédié  son  recueil  de  1556,  la  Nouvelle  Continuation  des 
Amours,  où  il  réunit  pour  la  première  fois  «  petits  sonnets  bien 
faits,  belles  chansons  petites  "  ''.  Cet  hommage  était  un  témoi- 
gnage de  reconnaissance  pour  des  services  rendus,  l'auteur  vou- 
lait aussi  appuyer  de  l'autorité  d'un  homme  considérable,  reconnu 
comme  bon  juge  des  choses  de  l'esprit,  cette  tentative  il'un  style 
nouveau,  moins  «  fardé  de  mots  sourcilleux  »  et  imitant  de  plus 
près  «  Nature  ingénieuse  ».  Il  appelait  Morel  «  la  fleur  de  mes 
amis  »,  et  lui  adressait  l'Hymne  du  Ciel,  un  des  meilleurs  de  ce 
recueil  philosophique  qui  devait  particulièrement  agréer  au  dis- 
(  iple  d'Erasme.   11  a  même  célébré  un  jour  les  beaux  veux  de  sa 


1.  Eloges  des  hommes  illustres...  par  Scév.  de  Sainle-Marlhe.  mis  en 
français  par  G.  Collelet,  Paris,  1644,  p.  292-294. 

2.  V.  notamment  dans  un  recueil  publié  par  les  soins  d'Uyteuhove,  Geor- 
gii  Buchanani  Scoti  poelae  exiniii  Franciscaniis  [et  Odae]...  Bàle,  Th.  Guari- 
nus  Xervius  [1508?], p.  132  du  livredesodes,  l'alcaïque  intitulée  :  Art  omni- 
bus et  Musis  et  Graliis  dexiris  notam  viri/unculam  13  ann.  Camillam,  lo. 
Morelli  et  Antoniae  Deloinae  f.  wSipiov. 

3.  V.  les  Lettres  de  Joachim  du  Bellay,  éd.  Nolhac,  Paris,  1883,  p.  24- 
3ii;  Revue  d'hist.  litt.  de  la  France,  de  1889,  p.  300.  Tout  le  monde  se  rap- 
pelle l'élégie  remplie  de  confidences  douloureuses,  Ad.  Janum  Morellum 
Ebred.  Pyladem  suum  (à  la  suite  des  Xenia  imprimés  par  Fédéric  Morel  en 
1569). 

4.  C'est  le  recueil  rempli  jiar  les  n  Amours  de  Marie  »  (Laumonier,  p. 
165,  a  décrit  l'édition  originale).  La  dédicace  de  l'auteur  (éd.  L.,  t.  VIII, 
p.  351  ;  éd.  BI.,  t.  VI,  p.  229)  est  un  véritable  manifeste  littéraire  sur  les 
nouvelles  tendances  de  sa  poésie,  qu'une  pièce  de  Dorât,  dédiée  également 
h  Morel,  recommande  presque  à    l'indulgence  de  celui-ci  : 

Tu  quoque  missa  tibi  dum  perlegis  ista,  Morelle, 

Non  inconcessi  carmina  plena  inci. 
Pane  supercilium  paulisper... 


JEAN    DE    MOREL  173 

femme,  la  docte  Antoinette  de  Loynes  ',  qu'un  goût  \'\{  pour  l.i 
poésie  et  une  forte  connaissance  du  latin  rendait  dig^ne  compagne 
de  son  mari  -.  Enfin  Ronsard  qui  prépara  (juelque  temps  pour 
Morel  un  Hymne  des  Muses,  a  placé  dans  ï  Hymne  du  Ciel  lat- 
testalion  d'une  efficace  protection  reçue  de  lui.  C'est  toi,  dit-il, 

Qui  seul  de  nos   François  de  mes  vers  pris  la  charge, 
Couverts  de  la  faveur,  comme  Ajax  sous  sa  large 
Couvroil  l'archer  Teucer...  3 

C'est  à  la  Cour  que  cette  protection  s'était  exercée.  L'opposi- 
tion à  Ronsard,  attisée  par  les  jalousies  de  poètes  courtisans,  s'y 
était  manifestée  avec  violence,  et  Morel  avait  eu  un  mérite  à  la 
combattre  que  ne   cessa  de  proclamer  son  obligé  : 

Ce  seul  .Morel,  qui  d'un  gentil  esprit 
Premier  de  tous  de  ma  muse  s'espril, 
El  mon  renom  sema  par  ces  bocages 
Maugré  l'envie  et  les  ardentes  rages 
Des  mesdisans.  qui  m'ont  plusadvancé, 
Tant  plus  ils  ont  mon  renom  eflacé  *. 

La  façon  délicate  dont  le  maitre  d'hôtel  du  Roi  servait  ses  amis 
dans  un  monde  ovi  sa  parole  était  écoutée,  les  procédés  ingénieux 
qu'il  employait  en  leur  faveur  se  dévoilent  dans  une  lettre  que 
l'on  voudrait  trouver  adressée  à  Ronsard,  mais  qui  est  assuré- 
ment semblalile  à  d'autres  que  celui-ci  a  dû  recevoir.  Morel 
écrit  k  l'auteur  d'un  Avant-mariage  imprimé  pour  les  noces  de 
Charles  IX  :  «  La  chose  vint  bien  a  propos  que  le  Roy  estoit  icy, 
à  la  Majesté  duquel  j'en  presentay  un  de  vostre  part,  d'une  dou- 
zaine que  j'avoye  faict  relier  le  plus  honne.stement  qu'il  me  fut 
possible  pour  présenter    à   tous  ces    Seigneurs  et  Dames,  là   oîi 

1.  V.,  pour  ce  délail,  l'antislrophe  xxi  de  l'ode  à  M.  de  l'Hospilal  ^éd. 
L.,  t.  II,  p.  144  ;  éd.  Bl.,  t.  II,  p.  9.3). 

2.  Les  papiers  de  Munich  renferment  des  lettres  latines  d'Antoinette  de 
Loynes;  j'en  ai  transcrit  une  au  bâtard  d'Angoulême,  alors  abbé  de  la 
Chaise-Dieu,  adressée  à  <c  Monseigneur  de  la  Chaise-Dieu  )>.  et  une  autre 
écrite  fort  joliment  au  poète  Nicolas  Bourbon,  oii  Morel  a  noté  :  «  De  la 
main  propre  et  composition  faicte  sur  le  champ,  de  ma  femme.  »  Il  les  a 
recueillies,  ainsi  qu'un  fragment  relatif  aux  études  d'Antoinette,  avec  cette 
touchante  indication  ;  In  eius  scrinii  reliquiis  post  ohilum  repertae,  l'J69. 

3.  Ed.  L.,  t.  IV,  p.  248  ;  éd.  BL,  t.  V,  p.  IGS^avecles  variantes). 

4.  Ed.  L.,  t.  VII,  p.  .302. 


174  RONSARD    ET    l'iILMANISME 

nous  avons  pensé  qu'ilz  pourroicnt  les  mieux  estre  receus,  c;ir 
tous  ne  font  pas  cas  de  telles  si  exquises  coin])ositions.  J'eus  par 
là  occasion  de  ramentevoir  à  Sa  Majesté  les  douze  sonnet/,  parcy 
devant  à  Elle  présentez  de  vostre  part  et  despuis  inserez  dans 
vostre  œuvre  des  Imitations...  J'en  presentay  un  aultre  à  la 
Royne,  qui  l'a  eu  fort  aggreable,  un  aultre  à  Madame  de  Mont- 
morency et  à  Monsei{jneur  le  Chancelier  absent  ;  les  aultres  se 
présenteront  icy  ou  là  ou  il  fauldra,  ou  s'envoyeront  à  lu  (^ourl  au 
plustost  qu'on  pourra  avant  la  nopce...  '  »  On  ne  saurait  voir 
homme  en  place  rendre  plus  délicats  services  à  des  -j^ens  de 
lettres.  Plus  d'un  lui  avait  dû  des  conseils  décisifs  et  l'élan  de 
son  esprit,  et  pouvait  dire  comme  Sainte-Marthe  :  «  Ce  fut  luy 
qui  le  premier  me  donna  courage  doser  quelque  chose  »  -. 
Mais  il  se  plaisait  aussi  à  assurer  leur  avancement  dans  le  monde 
et  à  les  mettre  en  relations  avec  des  personnages  importants. 
C'est  ainsi  que  Ronsard  eut  de  bonne  heure  la  facilité  de  fré- 
quenter chez  lui  le  futur  chancelier  de  France,  Michel  de 
L'Hospital,  qui  avait  pris  l'habitude  de  venir  s'y  reposer  du  souci 
des  grandes  affaires  et  qu  on  verra  plus  loin  continuer,  sur  la 
carrière  du  poète,  l'action  bienfaisante  de  son  ami  Morel  ■'. 

Les  trois  filles  de  la  maison,  Camille,  Lucrèce  et  Diane,  éle- 
vées par  des  parents  lettrés,  faisaient  honneur  à  leur  maître, 
le  jeune  savant  gantois  Charles  Uytenhove,  que  Morel  gardait 
chez  lui  en  ami  autant  qu'en  précepteur,  et  qui  possédait  neuf 
langues  dont  l'hébraïque  et  la  chaldaïque,  à  l'émerveillement  des 
Parisiens.  L'hébreu  avait,  par  ailleurs,  ses  entrées  chez  Morel, 
puisque  Je  docte  Jean  Mercier  avait  épousé  une  fille  née  d'un  pre- 


1.  Bibliotli.  de  l'Institut,  ms.  290,  fol.  42.  Cette  lettre,  qui  est  un  fort  bel 
autographe  de  Jean  de  Morel,  est  écrite  h  Scévole  de  Sainte-Marthe,  le  M 
novembre  1570.  L'opuscule  qu'il  a  distribué  était  imprimé  par  Fédéric  Morel 
(Hymne  sur  V Avant-Mariage  du  Roy...  16  fT.  in-8.  Décrit  par  Jos.  Dumou- 
lin, Vie  et  œuvres  de  F.  Morel,   Paris,  1901,  p.  198). 

2.  Les  OEuvres  de  Scévole  de  Sainle-Marllie,  Paris,  M.  Pâtisson,  1579, 
fol.  92  (Même  texte  au  f.  Aiiij  de  l'édition  orij^inale  de  1569,  où  se  trouve 
le  Discours  sur  les  iiuilations  adressé  à  Moiel).  Cf.  plus  loin,  p.   195.  n.  2. 

3.  Sa  femme  était  la  marraine  d'une  des  filles  de  Morel.  Cf.  Dupré-Lasale; 
Michel  de  L'Hospital  avant  son  élévation  au  poste  de  chancelier  de  France, 
Paris,  1875,  p.  97-100.  Un  témoifcnag;e  d'intimité  est  la  façon  dont  Morel 
se  faisait  adresser  ses  propres  correspondances  ■'  au  logis  de  Monseigneur 
le  Chancelier  de  rHospital,à  Fonlaine-Belleau,  à  la  Cour  ».  [Coll.  Camer., 
vol.  337,  fol.  260.) 


LA    MAISON    DE    MOREL  175 

mier  mariag'e  d'Antoinelte  de  Loynes  '.  Les  jeunes  filles,  vivant 
parmi  les  savants  et  les  gens  de  lettres,  partageaient  leur  esprit 
entre  l'érudition  et  la  poésie.  L  ainée  des  trois  écolièresd  Lyten- 
hove,  Camille,  devint  bientôt  l'émule  des  femmes  humanistes  que 
l'Italie  produisait  depuis  longtemps  en  grand  nombre,  et  qui 
étaient  encore  assez  rares  en  France.  Elle  excitait  l'admiralion 
géaérale  par  sa  science  et  ses  précoces  talents.  A  di.x  ans,  elle 
parlait  le  grec  comme  une  fille  de  Robert  Estienne,  calligraphiait 
l'hébreu  comme  un  élève  de  Vatable,  chantait  sur  le  luth  les  vers 
de  la  Brigade  et  versifiait  elle-même  en  trois  langues  -.  Quelques 
œuvres  éparses,  imprimées  ou  manuscrites'',  ne  justifient  point 
ce  surnom  de  «  dixième  Muse  »,  dont  on  allait  abuser  pour  nos 
dames  lettrées  et  que  Du  Bellay  semblait  rapporter  d'Italie  pour 
lui  en  faire  hommage  ^.  Camille  de  Morel  intéressait  aussi  par 
l'union  en  sa  personne  des  grâces  virginales  et  d'une  intelligence 
virile  ;  Dorât  tirait  de  ce  contraste  le  sujet  d'une  de  ses  grandes 
odes  alcaïques,  où  il  peignait  autour  d'elle  l'admiration  desfami- 

1.  Jean  Mercierdut  quitter  la  Fi-ance  en  1.^67,  comme  réformé.  Il  va  dans 
les  mss.  de  la  collection  Cameiarius  des  papiers  provenant  de  son  fils  .losias 
Mercier,  le  philologue,  dont  quelques-uns  ne  sont  pas  sans  intérêt  pour 
l'histoire  littéraire. 

2.  Du  Bellay  s'amuse,  dans  les  vers  qu'il  fait  pour  les  dix  ans  de  Camille 
(Poemaia,  f.  32),  à  énumérer  les  talents  de  la  fille  de  son  ami  et  même  ses 
essais  de  poésie  française  : 

Sic  versus  palrios  facif  Camilla, 
Bonsardus  queat  inuidere  ut  ipse... 

Mais  il  faut  lire  surtout  les  odes  alca'iques  que  Buchanan  et  Dorât  lui  ont 
dédiées,  et  qui  figurent  dans  le  recueil  de  ces  poètes,  auquel  Uytenhove  a 
donné  ses  soins  en  1362  en  y  ajoutant  ses  propres  vers  et  ceux  de  sa  jeune 
élève.  On  y  trouve  d'elle  une  traduction  de  l'hébreu  d'après  son  maître, des 
vers  Ad  sereniss.  Anfjliae  reginam,  etc.  Uytenhove  était  alors  en  Angleterre. 
Il  avait  déjà  associé  Camille  à  sa  publication  d'un  Epilnphium  du  roi 
Henri  II  en  douze  langues,  dont  sa  langue  flamande  (Rob.  Estienne,  loOO), 
que  suivent  des  vers  de  Dorât  et  de  Camille,  alors  âgée  de  onze  ans,  et  une 
attestation  signée  /.  Bellaius  : 

Çuid  mirum  hos  versus  noslram  cecinisse  Camillam  ? 
Carolns  Utenhouius  nempe  magister  eral. 

3.  Sans  vouloir  esquisser  ici  une  bibliographie  de  celte  femme  savante, 
qui  a  collaboré  au  Tombeau  de  Du  Bellay  et  à  d'autres  recueils,  je  signale 
une  feuille  imprimée  par  Robert  Estienne  (Bibl.  nat.,  Y  2910),  qui  contient, 
avec  des  vers  grecs  de  Florent  Chrestien  et  une  ode  de  Grévin.  dédiée  au 
grand  imprimeur,  douze  distiques  intitulés  :  In  Typographiani  Musan:iii 
maircin  Camilla  Moretta  I.  Morelli  Ehredunaei  filia  ex  Graeco  I.  Aurali. 

4.  L'expression  Musarum  décima  se  trouve  dans  un  dialogue  de  Du  Bel- 
lay, inséré  à  la  p.  81  du  recueil  publié  par  Uytenhove. 


t7fj  IKiNSAllU    Kr    1,  IILMAMS.MI-; 

liers  (le  son  père;  il  nîvendifjuait  nj^rt'ablcinenl  Ihoiineur  d'être 
un  peu  son  maître,  puisqu'Uytenliove  suivait  ses  leçons  et  en 
transmettait  les  notes  à  la  jeune  fille  : 

O  lier  p.ili'riii  thuiciuT  iin/eiii, 
I.'l  mnirc  (liicl;i  /ili.i  ilncliDr, 
Si  tu  Morclli  rera  prules 
\  er;i(/iie  filin  helninne... 
Monstnim  iiucUul'  lu  i/eiiil/i  es  intiiiini, 
\ec  vcr:i  virgu,  iicc  /)iier  eilila, 
Cui  f(irm:i  meinhris  cn.slila.sque 
Virginea,  inç/eniumque  mas  est. 
Miraculum  lu  iinla  es  el  iillerum, 
Quae,  virginali.i  ciim  piidor  haiid  xinul 
Inler  mares  nostros  adesse 
Disciputos,  ahes  esque  praesens ; 
Nani  Carolus  le  qui  docel,  is  mihi 
Praesens  docelur;  imslra  per  hune  luas 
Traiecla  vox  appellil  ad  aures... 
Caria  mei  alloqvii  séquestra...  ' 

L'adolescente  faisait  des  vers  grecs  pour  Dorai,  des  vers  fran- 
çais pour  Ronsard  ;  ceux-ci,  en  retour,  la  comparaient  à  Sappho 
et  à  Corinna.  Quelques  années  plus  tard,  Paul  Melissus,  en  madri- 
gaux assez  ardents  et  d'un  joli  tour  latin,  lui  attribuera  la  beauté 
d  flébé  et  la  grâce  décente  des  Heures'-.  Du  Bellay,  l'ami  le  plus 
intime  de  ses  parents,  l'appelait  tendrement  «  nostre  Camille  » '. 
Il  voulut  lui  faire  réciter  avec  Diane,  Lucrèce  et  leur  jeune  frère, 
un  grand  épithalame  dialogué  au  festin  du  mariage  du  duc  de 
Savoie  et  de  la  bonne  Marguerite  de  France  ;  ce  festin  n'eut  pas 
lieu  et  on  dut  se  contenter  d'une  représentation  en  famille  ;  luais 
les  strophes  légères  du  poète  évoquent  à  merveille  la  mise  en 
scène  à  l'antique  qu  il  avait  réglée,  le  chant  et  la  danse  des  jeunes 


1.  Bibl.  nal.,  Lai.  8138,  fol.  80.  La  pièce  est  imprimée  avec  quelques 
variantes,  da[is  un  recueil  de  Dorai  [Variorum  poem.  situa,  Bàle,  1508, 
p.  170);  Robiquet  la  donne  sans  connaître  celte  impression  (l.  c,  p.  133). 
V.  le  nom  d'Uytenliove  à  l'index  de  notre  livre. 

2.  Cf.  plusieurs  poèmes  des  .Sc/ic</(as/>ia?a,  Paris,  KiSO,  1'°  part.,  p.  19  j, 
rJ7,  l'.lO,  202;  3'  part.,  p.  90,  243.  Il  y  a  entre  eux  échange  de  poésies  en 
lalin. 

3.  Leilri's  (le  .1.  <ln   lirll.ti/,  p.  24. 


LA    MAISON     DE  MOREL  I  77 

récitantes  et  le  vol  de  «  leurs  tresses  blondoyantes  »  '.  La  pré- 
sence de  ces  enfants  chez  le  maître  d'hôtel  du  Roi  et  celle  de 
«  la  Nymphe  Deloine  »,  c'est-à-dire  «  Mademoiselle  de  Morel  », 
leur  mère,  donnait  un  caractère  particulier  à  ce  milieu  de  science 
et  de  poésie,  où  l'on  pourrait  voir  comme  une  esquisse,  en  plein 
seizième  siècle,  de  l'hôtel  de  Rambouillet.  Ce  fut,  en  tout  cas, 
le  premier  en  date  des  «  salons  littéraires  »  de  Paris. 

Cette  maison  de  Jean  de  Morel,  que  Ronsard  fréquenta  surtout 
après  que  Du  Bellay  fut  revenu  de  Rome,  ne  remplaça  pas,  pour 
tous  les  poètes  de  son  groupe,  le  centre  de  réunion  qu'ils  avaient 
auparavant  chez  le  conseiller  Jean  Brinon.  Ils  n'y  pouvaient 
user  de  certaines  libertés  laissées  volontiers  à  ses  jeunes  compa- 
gnons par  le  mécène  célibataire  de  Médan.  On  admit  fort  peu 
d'entre  eux  chez  Morel  :  les  humanistes,  gens  plus  paisibles,  s'y 
montrèrent  davantage,  les  études  grecques  y  étant  honorées  au 
même  titre  que  la  poésie  française.  Tout  contribuait  à  y  retenir 
Ronsard  et  à  en  faire  un  des  lieux  où  il  devait  se  plaire.  C'est  là 
sans  doute  que  le  virent  pour  la  première  fois  beaucoup  de  ces 
provinciaux  et  de  ces  étrangers,  auxquels  Morel  et  sa  femme 
accordaient  l'hospitalité  de  leur  foyer.  L'excellent  Scévole  de 
Sainte-Marthe  a  parlé  de  cet  accueil  avec  l'accent  le  plus  vif  de 
la  reconnaissance  :  «  Me  adolescente,  solebat  huius  viri  honesta 
cum  primis  et  pudica  domus,  tanquam  sacra  Musarum  aedes, 
Lutetiae,  magna  eruditorum  frequentia  celebrari,  cum  et  eius 
uxor  Deloina  et  tiliae  très,  bonis  omnes  disciplinis  et  moribus 
ornatissimae,  perelegantes  utraque  lingua  versus  inusitata  felici- 
tate  concinerent,  ipse  autem,  chori  dux  et  prineeps,  Apollinis 
interea  vicem  bellissime  redderet  ac  repraesentaret  '-.  »  Dans  une 
telle  demeure.  Ronsard  reçut  assurément  beaucoup  d'hommages. 
Il  était  tenu  à  les  rendre  à  son  tour  aux  muses  du  logis  ;  mais  il 

1.  Du  Bellay,  éd.  Marty-Laveaux,  t.  I,  p.  421-439.  J'ai  déjà  signalé,  dans 
unms.  de  la  Bibl.  nat..  Fr.  4600,  fol.  302,  F  «  ordonnance  »  conçue  par  le 
poète  :  Camille  devait  être  habillée  «  en  .\mazone  ou  en  habit  de  Pallas, 
l'armet  en  teste,  la  Gorgonne  en  son  bras  gauche  »  ;  Lucrèce  "  en  genlil- 
done  romaine  »,  et  Diane  «  en  Nymphe  el  Déesse,  son  arc  et  flesche  au 
poing  ».  Le  «  poëte  »  était  représenté  par  Isaac  de  Morel,  "  habillé  en 
Orphée  à  l'antique,  couronné  de  laurier,  une  harpe  à  la  main  ».  Ronsard 
fut  peul-èlre  consulté  par  Du  Bellay  et  par  Morel,  sur  celte  récitation  en 
l'honneur  d'une  princesse  qui  était  leur  bienfaitrice  commune  ;  en  tout  cas, 
il  ne  put  manquer  d'y  assister. 

2.  Elorjia,  Poitiers,  1606,  p.  120. 

NoLHAC.   —  Ronsard  el  l'Huinnnixme.  12 


t78 


iiiiNSAiti)  i;i    r.  iii>rA\isMi, 


me  parait  (jiie  les  lilles  luilurcnl.  avec  le  temps,  moins  agréaljles 
que  les  parents,  et  qu'il  brùla-peu  d'encens  pour  la  belle  Camille  '. 
S'il  goûtait  fort  l'éducation  littéraire  chez  les  femmes,  peut-être 
n'admirait-il  pas  autant  qu'il  eût  fallu  celles-là  qui  mettent  leur 
gloire  aux  vers  grecs  et  latins.  Camille  semble  avoir  fini  dans  le 
pédantisme  en  même  temps  que  dans  l'hérésie,  vers  l'époque  où 
Ronsard,  déplus  en  plus  libéré  de  l'Antiquité,  n'écrivait  guère 
qu'en  l'honneur  de  Mademoiselle  de  Surgères. 


IV 

Le  poète  contracta  chez  Morcl,  au  début  de  sa  carrière,  des 
amitiés,  dont  plusieurs  devaient  lui  servir.  La  plus  illustre,  et  en 
même  temps  la  plus  utile,  fut  celle  de  Michel  de  L'IIospitid.  Le 
futur  chancelier  de  France  tenait  parmi  les  humanistes  une  place 
éminente,  qu'il  ne  devait  pas  seulement  à  ses  fonctions.  Sa  gloire 
d'homme  d'Etat  a  depuis  lors  rejeté  dans  l'ombre  ses  titres  litté- 
raires, mais  tous  les  contemporains  les  ont  reconnus,  et  plus  d'une 
fois  il  apparut  comme  le  porte-parole  autorisé  des  lettres  fran- 
çaises '.  Ronsard,  qu'il  applaudit  un  des  premiers,  trouva  en  lui, 

1.  Si  Ronsard  n"a  pas  collaboré  au  Tombeau  de  Morol,  ce  u  est  point  sans 
une  i-aisoa  sérieuse,  car,  s'il  ne  se  prodiguait  point  dans  ce  genre  littéraire, 
il  ne  se  fût  pas  dérobé  au  devoir  de  rendre  hommage  à  un  tel  ami.  Mais  il 
n'a  sans  doute  pas  eu  de  Camille  une  lettre  du  ^enre  de  celle  qu'a  reçue 
Sainte-Marthe,  à  Poitiers,  et  dont  voici  le  début  :  «  Monsieur,  je  vous  sup- 
plie avoir  pitié  du  tombeau  de  feu  Monsieur  de  Morel  mon  père,  qui  n'attent 
plus  que  vostre  main  pour  estre  paraclievé.  Je  crains  que  l'on  trouve  aul- 
cunemenl  absurd  qu'il  tarde  tant  aprez  la  mort  de  raondil  s'",  qui  fut  le 
xix"  du  mois  de  nouembre  1581.  Et  oultre  ce,  je  suis  tellement  importunée 
de  la  vefve  et  héritiers  du  pauvre  M^  Federic  Morel  que  je  n'ay  plus  seu- 
lement moyen  de  les  faire  tarder...  »  Cette  demande  est  du  22  août  lb83  et 
le  remerciement,  qui  est  daté  du  18  septembre,  accompagnait  le  premier 
exemplaire"  sorty  de  chez  l'imprimeur  n  (Bibl.  de  l'Institut,  ms.  290,  fol.  44 
et  36). 

2.  L'Hospilal  a  reçu  des  liumanistes  un  hommage  collectif  ipic  je  peux 
rappeler  en  ce  livre,  puisqu'il  réunit  des  noms  qui  y  reviennent  fré(iuem- 
mcnt.  Je  cite  le  texte  du  manusciil  de  la  Bibl.  nat..  Lai.  8139,  qui  paraît 
avoir  appartenu- au  chancelier.  Fol.  90  :  Diuersorum  poelarum  lusus  in 
uri/enleam  Arislnlelis  unaginem  anti(/uo  nuinixmale  ejcpressam,  qu.ie  cadem 
videlur  effiç/ins  esae  Michaelis  Hosjùtalis  Galliae  Caiireltarii,  cui  donula  csl 
a  Mrnunio  fJ.  J.  de  Mesmes]  Lui/iluni  an.  l) .  IHlii.  liadriani  Turnebi,  Pétri 
ilDutaiirei,  Vulriilix  Piinponlii,  Dionijftii  l.ambini,  Leoil.  a  Quercu,  .\iculai 
Perolli,  Francise/  Perroli,    Claudii  Faucheli,  Jacolii  Fabri,   Thomae  Sibil- 


MICHEL    iJK    i.'iiusrii'Ai,  179 

au  moment  oii  on  le  discutait  encore,  le  mécène  avisé,  influent, 
capable  de  donner  cet  appui  décisif  qui  oriente  un  jeune  écrivain 
vers  le  succès.  Le  jurisconsulte  auvergnat  fut  son  introducteur 
auprès  d'Henri  II,  de  Catherine  et  du  cardinal  de  Lorraine,  et 
l'artisan  principal.de  sa  fortune.  Un  en  jug'era  par  l'épisode  qui  va 
être  raconté  dans  son  détail  et  qui  nous  ramène  aux  débuts  du  poète. 

La  sœur  du  Roi,  Marg^uerite  de  France,  duchesse  de  Berr\', 
qui  fut  plus  tard  duchesse  de  Savoie,  avait  pris  L'Hospital  pour 
chancelier  en  1550,  et  la  charmante  princesse  soutenait  de  sa 
confiance  et  de  marques  d'estime  répétées  une  autorité  morale, 
que  la  culture  supérieure  de  l'homme  et  la  fermeté  de  son  carac- 
tère imposaient  depuis  longtemps  au  Parlement  de  Paris.  Les 
princes,  le  cardinal  et  l'entourage  des  souverains  recouraient 
volontiers  à  ses  lumières,  même  en  matière  de  poésie,  et  les 
rimeurs  du  Louvre  louaient  ses  propres  compositions  avec  d'au- 
tant plus  d'empressement  qu'il  ne  les  produisait  qu'en  latin.  Leur 
chef  de  chœur,  Mellin  de  Saint-Gelais,  était  obligé  de  compter 
avec  lui,  dans  les  controverses  littéraires  où  se  complaisait  une 
cour  cultivée  et  souvent  occupée  des  choses  de  l'esprit.  II  ne  fal- 
lut rien  moins  qu'un  défenseur  de  cette  importance,  en  des  cir- 
constances décisives  de  la  carrière  de  Ronsard,  pour  tenir  tète  à 
un  poète  de  cour,  vieilli  dans  la  faveur  royale  et,  d'ailleurs,  l)ien 
venu  de  tous  pour  ses  façons  honnêtes  et  la  sj'mpathie  qu'il  ins- 
pirait '. 

D'esprit  vif  et  porté  à  la  critique  -,  mais  sans  malveillance 
naturelle  et  prompt  à  louer  le  talent  d'autrui  ■',  Saint-Gelais  n'au- 

leti,  Nicolai  Vergecii,  Theodori  liezai',  Anionii  Goueaiii.  La  conliiimlion  de 
Dorât,  aux  fol.  96  el  97,  est  connue  par  ses  Poematia.  Voici  hi  pUiï  coiulc 
de  SCS  trois  pièces,  qui  donne  l'esprit  du  recueil  entier  : 

Vulfus  Arislolelis,  vultus  Michaelis  et  idem 
Alteruirum  quisquis  spécial  utrumque  l'idel. 

Vultus  el  ainburtim  siiniiis  sic  vila,  setl  artein 
Ille  docel,  factis  coiiijjrohat  islesuis. 

1.  V.  sur  le  personnage  un  chapitre  d'Ed.  Boiircia,  Les  inwurs  iiolins  el  la 
littérature  de  cour  sous  Henri  H,  Paris,  1S86,  p.  307-321  (et  p.  208). 

2.  Un  éloge  inédit  de  Saint-Gelais  par  Paschal,  écrit  dans  renlourafje  de 
Ronsard,  insiste  sur  ce  trait  :  «  Liusctiam  crat  acumcn  in  ropreliendis  alio- 
rum  scriptis  (qua  ex  re  aliquam  habuil  aliquando  inuidiam)  plane 
solers  »  (Bibl.  uat.,  Duputj  3iS,  fol.  Sv"). 

3.  Les  cinq  épitaphes  louangeuses  de  Du  Bellay  suffiraient,  parmi  d'autres 
témoignages  de  poètes,  à  faire  rendre  justice  au  caractère  de  Saint-Gelais. 
Il  y   a  aussi  des  vers  de   Dorât   dans  l'églngne    inédite  intitulée    Thrcnus 


180  IIONSAIIIJ    1-1     1,'lllMAMSMli 

rait  sans  douli-  jias  en^çagé  de  lutte  contre  l'auteur  des  Odes,  bien 
que  celui-ci  lui  refusât  la  moindre  marque  de  déférence  et  panit, 
par  son  silence,  le  comprendre  dans  la  tourbe  des  écrivains  (ju'il 
proscrivait  ;  mais  les  gens  furent  nombreux  à  l'exciter,  en  lui 
montrant  le  danger  de  laisser  grandir  et  approcher  du  trône  un  tel 
rival.  Toute  une  campagne  fut  menée  par  ses  amis,  et  lui- 
même  «  Saint-Gelais  »,  écrit  un  partisan  de  Ronsard,  "  abusant 
du  crédit  qu'il  avoit  a  la  Cour,  prenoit  plaisir  à  censurer  les  har- 
diesses de  sa  Muse  naissante  et  à  lire  ses  vers  devant  les  Princes 
et  les  Dames  de  la  Cour,  avec  un  son  de  voix  qui  les  faisoit  trouver 
désagréables  '  ».  On  pouvait  ainsi  tourner  aisément  en  ridicule 
les  nouveautés  de  langage  du  jeune  écrivain,  ses  audaces  poé- 
tiques, l'abus  qu'il  faisait  des  Anciens  et  cette  érudition  indi- 
geste dont  il  nourrissait  ses  lecteurs.  11  semblait  facile  d'abattre, 
dès  leur  essor,  les  ambitions  d'un  débutant  ardemment  prôné 
par  le  public,  mais  dont  il  suffisait,  sans  doute,  d'éloigner  les 
vers  des  oreilles  royales.  Il  y  eut,  chez  le  Hoi,  en  présence  de 
Madame  Marguerite  et  de  son  chancelier,  une  scène  assez  vive  de 
médisance,  où  le  poète,  violemment  «  melUnisé  »,  fut  aussi  fort 
bien  défendu.  Un  poème  imaginé  par  L'Hospital  met  dans  la 
bouche  de  Ronsard  le  récit  de  cette  attaque  : 

Diceris  iil  nostris  excerpere  carmina  lihris 

Verhaque  iudicio  pessima  quaeque  tuo 
Trunca  palam  Régi  recilare  et  Régis  ainicis; 

Qao  nihil  imprchitis  gignere  terra  potesl. 
Monstrares  intégra  suis  cum  parlihus,  et  quo 

Dicta  modo,  quo  sint  ordiue,  quoque  loco... 
0  caecum  inuidiae  crimeii!  non  cernis  utintus 

Non  mea  sed  mores  rideal  ille  luos  -  ? 

Mellini  Sangelasii  {Bih\.  nat.,  Lat.  10327,  fol.  57),  où  l'on  apprend  qu'il  a 
recommandé  les  vers  de  l'humaniste  au  Roi,  à  sa  sœur,  aux  cardinaux  de 
Lorraine  et  de  Chàtillon,  et  qu'il  les  faisait  valoir  par  la  même  habileté  de 
diction  qui  nuisait  à  ceux  de  Ronsard  : 

Me  certe  ille  meo  Régi  et  tihi,  Mari/ari,  primum 
Tntdidit.  et  vohis,  mea  Carnle  lux  el  Odete, 
Carmina  prima  ferens  :  Lemonii.ait.  isle  Poêla 
Surgit  honor  Gallis,  si  (jallia  carmina  rural... 

1.  Scévole  de  Sainte-Marthe,  Eloges,  Irad.  GoUetet,  p.  88. 

2.  Mich.  Hospitalii  Galliaruin  canceltarii  carmina,  .\nisterdam,  1732, 
p.  457  [Elegia  nomine  P.  Ronsardi  aduersus  eius  ohirectalorea  et  inuidos\ 
Le  poème  est  reproduit  par  Blancliemain,  t.  IV,  p.  .■?61-.S62.  L^n  texte  ms. 
est  dans  un  volume  du  fonds  Uupuy,  8.(7,  fol.  50. 


l'affaire    SAINT-C.KLAIS  181 

Cette  scène  se  place  vers  les  premiers  jours  de  juin  1350  '. 
Ronsard  n'attendit  pas  longtemps  l'occasion  de  riposter,  que  lui 
offrit  son  ami  Nicolas  Denisot,  lorsqu'il  réimprima  un  recueil 
destiné  à  être  beaucoup  lu  à  la  Cour,  le  Tombeau  de  la  Reine  de 
Navarre  ;  une  des  odes  nouvelles  qu'y  inséra  le  jeune  auteur, 
invoquant  pour  ses  vers  la  protection  posthume  de  la  grande 
princesse,  lançait  à  la  lin  ce  trait  direct  : 

Preserve-moy  d'infamie,  Et  fais  que  devant  mon  Prince 

De  toute  langue  ennemie  Désormais  plus  ne  me  pince 

Ht  de  tout  acte  malin,  La  tenaille  de  Melin  -. 

En  même  temps  intervenait  L'Hospital.  qui  taillait  pour  ce 
combat  sa  meilleure  plume  d'humaniste.  Le  poème  dont  on  vient 
de  lire  quelques  vers,  et  qui  fait  parler  Ronsard,  grandit  sa  défense 
aux  proportions  d'un  manifeste  littéraire.  On  y  trouve  à  la  fois 
exposés  les  principes  de  la  nouvelle  école,  louées  les  intentions 
patriotiques  de  son  chef,  réfutés  les  reproches  faits  à  son  style  et 
à  son  culte  de  l'Antiquité  ;  et  ij  est  même  piquant  de  voir  la 
langue  latine  présenter  aussi  brillamment  les  hardiesses  de  la 
muse  française  : 

Magnificis aulae  cullorihus  atque  poelis 

Haec  Loria  scrihil  valle  poêla  nouus  : 
Excusare  volens  vesiras  quod  laeseril  aures, 

Obsessos  aditu.s  iam  nisi  liiior  hahet  : 
Excusare  volens,  quod  fit  nouitaiis  amalor 

Verborum,  cum  nos  omnia  prisca  iuuerCt... 
Nulla  noui  cernentur  in  his  '  resdgia  verbi, 

Nec  l'ocis  noiiilas  nos  odiosa  preinel... 
Vos  antiqua  dari  nullo  discrimine  nobis 

1.   Cf.  Laumonier,  p.  81. 

"2.  Cf.  l'excellente  étude  de  Vaganay,  Pour  mieux  connaître  Ronsarfl, 
Tombeau  de  Marguerite  de  Valois,  Lyon,  1914  (extr.  des -l/ifiaZefi  Fléchoises), 
p.  24.  Dès  la  première  réimpression  de  la  pièce  en  1552,  au  Cinquiesme 
livre  des  Odes  qui  suit  les  Amours,  deux  vers  sont  remaniés  pour  faire 
disparaître  le  nom  propre.  Cependant  une  allusion  à  l'attaque  est  mainte- 
nue dans  ce  recueil  par  une  strophe  de  l'ode  A  Madame  Marguerite  (éd. 
L.,  t.  VII,  p.  289  ;  éd.  Bl.,  t.  VIII,  p.  136),  où  Ronsard  la  remercie  de  lui  avoir 
été  favorable, 

(.}uand  par  l'envieux  misérable 
Mon  œuvre  l'ut  Mellinisé. 

3.  C'est-à-dire  dans  1p  présent  poème  écrit  on  lalin. 


!82  nONSAiio  f:t  i/m  mamsme 

Poscilis  in  iniulio  natai/iie  uerha  foro , 
Nos  referre  pulamus  an  haec  scribanlur  an  illa, 

Aucloris  locuples  limjuaue  pauper  eril... 
Nec...  cessaucre  nuut  noua  condere  vales 

Nontina  vcrhorum,  parents  illa  (amen. 
Proplerea  Graeci  scripinres  alque  Lulini 

El  parce  et  timide  verha  nouare  iuheni, 
Prisci  r/aod  sernumis  opes  ihiffiiaer/ne  videhani 

Conçjestas  longo  tenipore  diiiilias. 
Nostra  modo  exoriens  similis  nascenlibus  illis, 

\e  qtiod  verhorum  paiipcr  inopsi/ue  magis, 
Qui pvteril  rarios  tennis  componere  versus, 

Diversis  eadem  fada  re ferre  modis, 
]\i  vel  multa  nouai,   vel  mntua plurima  sumil, 

Ai  racat  augcndis  incjcntosa  suis'.'  ' 

Ronsard  avait  dans  les  ressources  de  son  génie  de  quoi  payer 
roj^alement  de  tels  services.  L'ode  niagniiique  des  Muses  au 
recueil  du  Cinquiesme  livre  est  dédiée  à  Michel  de  L'Hospital, 
qu'elle  conduit  pindariquenient'en  plein  Olympe,  au  milieu  de 
la  plus  riche  mythologie'-.  Immortalisé  par  cet  hommage,  dont 
il  appréciait  tout  le  prix,  l'excellent  homme  redoubla  ses  bons 
offices.  Non  seulement  il  continua  à  lire  lui-même  les  vers  de 
Ronsard  dans  le  cercle  de  sa  maîtresse  et  chez  le  cardinal  de  Lor- 
raine ■^,  en  y  joignant  les  commentaires  qui  permettaient  de  les 
mieux  goûter;  mais  il  désarma  peu  à  peu,  par  des  démarches  per- 
sonnelles, les  animosilés  excitées  par  les  ripo.stes  de  Ronsard. 
Enfin,  comme  il  craignait  que  son  protégé  ne  compromit,  par  l'ar- 
deur d'une  rancune  trop  vive,  les  résultats  déjà  acquis,  il  le  mit 


1.  Midi,  llospitalii  cannina,  p.  400. 

2.  C'est  la  pièce  VIII  du  cinquième  livre  d'odes  ajouté  aux  .\mour-t  p.irus 
en  oclobie  1552.  Ed.  L.,  t.  II,  p.  119;  éd.  BI.,  t.  II,  p.  08. 

3.  Bonsard  le  rappelle  dans  le  Chant  pastoral,  qui  a  fait  la  troisième  de 
ses  Eglngucs  ;  le  chancelier  y  est  introduit  sous  le  nom  de  '•  Micli.nu  »,  qui 
est  en  France  «  le  premier  des  pasteurs  en  sçavoir  »{éd.  L.,  t.  III,  p. 411  ; 
éd.  Bl.,  t.  IV,  p.  62): 

Je  le  cognois,  Bellol,  je  l'ay  ouy  chanter. . . 
Car  il  a  bien  soiuent  daigné  prendre  la  peine 
De  louer  mes  chansons  à  Chariot  de  Lorraine. 

U  y  a  dans  les  œuvres  de  L'Hospital  une  épître  au  cardinal.  In  Eonsardi 
commendationem,  qui  mérite  d'être  lue  (Carmina,  éd.  de  1732,  p.  128). 


l'iUISPITAL    LIÉKKNSICLU    UL    HONSARLl  1 8."i 

en  g'arde  contre  les  écueils  où  son  inexpérience  et  son  impétuo- 
sité auraient  pu  le  briser.  Le  document  qui  nous  a  révélé  cette 
intervention  est  une  lettre  latine  de  sa  main  à  Jean  de  Morel, 
écrite  le  1'=''  décembre  1552.  Elle  ne  devait  pas  être  montrée  au 
poète,  dont  la  fierté  était  ombrageuse  et  qui  n'aimait  guère  être 
endoctriné;  cependant  les  conseils  qu'elle  contenait  lui  furent 
exactement  transmis. 

L'Hospital  fait  connaître  à  Morel  que  les  puissants  de  la  Cour, 
ceux  qui  y  déchaînaient  la  foudre  contre  Ronsard,  commencent 
maintenant  à  le  fort  redouter  et  sont  piêts  à  chanter  désormais 
ses  louanges.  Il  importe  donc  qu'il  veille  lui-même  à  ne  plus  les 
attaquer.  L'intérêt  de  sa  gloire  naissante  '  exige  qu'il  accueille 
des  gens  qui  lui  font  des  avances  et  vont  jusqu'à  rechercher  ses 
bonnes  grâces.  «  Je  demande  plus  encore  »,  ajoute  L'Hospital, 
nommant  ici  les  personnages  ;  d  je  souhaiterais  que,  dans  les 
Etrennes  que  Ronsard  se  prépare  a  publier,  il  insérât  quelques 
vers  dédiés  à  Carie,  évêque  de  Riez,  et  à  Saint-Gelais,  où  il  leur 
montrât  ses  bons  sentiments,  puisqu'ils  semblent  chanter  la  pali- 
nodie. Je  ne  t'aurais  jamais  écrit  cela,  si  je  n'y  vo^-ais  l'avantage 
de  Ronsard,  que  j'ai  tant  de  raisons  d'aimer  tendrement.  J'allais 
oublier,  ce  qui  est  important,  de  lui  recommander  de  s'abstenir, 
s'il  veut  plaire,  de  ces  formes  nouvelles  et  insolites,  dont  il  prou- 
vera ainsi  qu'il  peut  se  passer,  quand  il  le  veut...  »  Le  chance- 
lier de  Marguerite  de  France  voudrait  aussi  recevoir  de  Morel  une 
lettre  dont  il  pût  faire  état  et  dont  il  suggère  les  développements  ; 
elle  éloignerait  de  l'esprit  de  Lancelot  de  Carie  toute  inquié- 
tude sur  l'opinion  que  pourrait  conserver  Ronsard  de  ses  sen- 
timents à  son  égard  ;  elle  l'assurerait  que  celui-ci  ne  veut  d'autres 
protecteurs  au  Louvre  que  les  deux  hommes  qui  y  représentent 
les  lettres,  Saint-Gelais  et  lui.  Ainsi  se  nouent  de  légères  ruses 
qu'ignorera,  il  est  vrai,  le  poète,  car  son  caractère  s'en  accom- 
moderait mal;  mais  ne  s'explique-t-on  pas  mieux  certains  de  ses 
succès,  quand  on  le  voit  servi  par  des  gens  aussi  dévoués  et 
aussi  experts  dans  le  maniement  dos  hommes  ? 

Voici  la  lettre  confidentielle  de  Michel  de  L'Hospital,  petit 
chef-d'œuvre  de  diplomatie  littéraire  et  d'ingénieuse  amitié  : 

1.   L'expression  nascens  r/Ioria  est  dans  la  lettre. 


184  RONSARD    ET    l,"llLMAMS.>IE 


A  Monsieur  Monsieur  Morel,  maréchal  des  logis  de  la  Heine.   — 

.\  Paris. 

S.  P.  lli  nostii  qui  l'ulgura  cl  tonitrua  ciuiil,  unde  liemor  uniuer- 
sae  lerrae  habitaloribus,  poetae  nostri  versus  mirum  in  modum  veren- 
tur.  Atque  ul  video,  non  tam  ainore  qiiam  molu  permoli,  linem  ali- 
quaiido  malediccndi  aul  libère  loqueiuii  i'acieiit,  et  niilii  |)nllicetitur  in 
omne  lempus  fore  se  istius  laudiim  praecones.  Quare  omni  diligentia 
prouidebis  ne  quis  extct  Roiisardi  versus  contra  horum  existimatio- 
uem,  el  admoiiebis  illum,  si  quis  resciuit,  «  ut  dissimulel  scire  ;  non 
enim  conducil  eius  nascenti  (,'Ioriae  lot  et  taies  obtrectatores  atque 
aemulos  habere,  praesertim  cum  se  ipsi  ofFeraiit  et  amicitiam  eius 
ultro  expectant  ■>. 

Plus  etiam  rogo  :  ut  in  iis  strenis,  quas  pridem  nieditalur,  sint  ad 
Carlum  Rhegiensem  episcopum  et  Sangelasium  aliquol  versus,  istius 
amoris  in  utrumque  testes,  qui  mihi  xndentur  palinodiam  cancre. 

Id  nisi  viderem  expedire  Ronsardo,  cuius  nierito  sum  amantissimus, 
nunquam  ad  te  scriberem.  Pêne  oblitus  sum,  quod  non  est  praeter- 
mitlendum  ut  in  iis  abstineat  nouis  et  insolilis,  si  vull  placere,  simul 
ul  ostendat  posse  cum  velil  et  sine  iis,  qiium  aliter  faeit,  iudicio 
facere  ',  non  penuria  veteruni  aul  inscitia.  Hune  meuin  sensum  lu 
melius  intelligis  quam  ego  possum  explicare. 

Rescribes  autem  mihi  non  ad  singula,  sed  ex  hoc  prescriplo  et  for- 
mula :  —  te  cum  Ronsardo  locutum  ex  eius  sermone  cognouisse,  neque 
Rhegiensem  neque  alium  quenquam  ei  in  suspitionem  venisse  ;  —  putare 
se  eis  amicum  esse,  quos  nunquam  olFenderit  ;  —  si  quos  habeal  inuidos 
aul  malignes  ad  principem,  non  aliis  patronis  et  defensoribus  usu- 
rum  quam  duobus  illis.quibus  si  minus  usu  el  faniiliarilale,  studiorum 
cerle  simililudine   sit  coniunctus. 

Ilaec  el  alia  istius  modi  pones  in  literis  luis,  quas  monstrare  volo 
Rheg-iensi,  quo  nialis  inchoatam  principiis  amicitiam  meliore  fine  con- 
cludam. 

Et  mihi  videor  posse  facere,  quia  sunl  ingenio  non  tam  maligno 
quam  ambitioso  el  gloriae  cupido.  Quid  autem  magis  est  gloriosum 
quam  nobilis  poetae  versibus  celebrari  ? 

Kxpeclo  lileras  tuas.  Scito  me  recte  valere,  si  tu  rectequoque  vales, 
nxor  el  liberi.  l']x  Fonte  belhie  aquae.  Calend.  decembr.  -. 


i.  On  peut  remarquer  çà  et  là  quelques  négligences  dans  la  prose  fami- 
lière de  L'Hospital.  La  copie  est  plus  correcte;  on  y  lit,  par  exemple,  pour 
cette  phrase  :  »  L't  ostendat  se  posse...  iudicio  id  facere.  " 

2.   La  copie  s'arrête  ici. 


I-HTIHK    L)K    1,'lKlSPlïAI.    A     MdltKI,  1  Sîî 

Hanc  epistolam  nihil  est  cur  seruari  vclini  aut  cuiquani  alii,  ne 
Ronsardo  quidem,  comiminicari. 

De  genero  vestro  '  niihi  curae  erit,  rum  primum  opporlunilalem 
nactus  ero  conueniendi  Cardinalis  -. 

Ronsard  suivit  les  conseils  de  ses  amis  et  mit  fin  à  la  querelle, 
ce  qui  tît  parmi  les  poètes  un  événement  ■*.  Il  ne  publia  pas,  il  est 
vrai,  le  recueil  à'Etrennes,  où  auraient  pris  place  les  dédicaces 
désirées  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  témoigner  à  Lancelot  de  Carie 
assez  de  gratitude  pour  que  celui-ci  se  crût  obligé,  peu  de  temps 
après,  de  lire  au  Roi  le  premier  projet  de  la  Franciade  et  d'y 
intéresser  sa  bienveillance  *.  Carie,  prélat  lettré  et  quelque  peu 
italianisé  par  des  missions  à  Rome  ',  était  digne  d'intéresser  Ron- 
sard comme  écrivain  et  même  comme  helléniste,  puisqu'il  s'amu- 
sait à  traduire  Théagèneet  Chariclée  ''.  Pour  Saint-Gelais,  l'arran- 
gement était  moins  facile.  Il  dut  se  contenter  d'abord  de  voir 
supprimer  la  préface  des  premières  Odes,  où  l'école  de  Marot 
était  si  durement  traitée,  et  les  vers  du  Tombeau  de  la  Reine  de 
Navarre,  qui  le  prenaient  à  parti  ;  il  eut  bien  la  dédicace  d'une  ode 

1.  Jean  Mercier,  riiébraisaiil,  beau-fils  de  Morel,  qu'il  s'agit  sans  doute 
de  recommander  au  cardinal  de  Lonaine. 

2.  Bibliothèque  de  Munich,  Coll.  Camer.,  33,  fol.  119.  Autographe.  Au 
fol.  177  du  même  volume  est  une  copie  de  la  pièce  portant  cette  indication, 
de  la  main  de  Morel  :  Midi.  Hospilalis  ad  me  Morelum  epistola  aduersus 
nonullos  P.  Ronsardi  cahirnniatoi  es  aulicos. 

3.  V.  l'ode  de  Magny  .4  Lancelot  de  Carie,  dans  lesGayetez,  éd.  Courbet, 
p.  81. 

4.  On  lit  dans  VAinoureux  repos  de  Guillaume  des  Autelz  genlilliuiitine 
Charollois,  l.yon,  lKr).3,  une  (c  façon  Ij'rique  "  De  l'accord  de  Sainlffelais  et 
de  Ronsart,  commençant  ainsi  : 

Pas  ne  convient  à  notre  foy 

L'envie  qui  tant  se  débride 

De  Pindare  et  deBaccliylide. . . 

5.  Une  vie  de  Carie  parColletet  a  été  éditée  par  Tamizey  de  Larroque, 
Vies  des  poètes  bordelais  et  périgourdins,  Bordeaux,  1S73.  Cf.  P.  Bonnefon, 
Montaigne  et  sesaniis,  Paris,  1898,  t.  I,  p.  118.  Carie  a  rempli  en  lîibS  une 
mission  à  Rome,  d'où  il  partait  à  l'automne  de  1")j4  {Lettres  inéd.  ducard. 
d'Armagnac,  p.  57)  et  y  a  recherclié  des  marbres  pour  le  connétable  de 
Montmorency.  V.  surtout  Emile  Picot,  Les  Français  italianisants  au  A  VI"  s., 
t.  I,  p.  233-249.  A  divers  points  de  vue,  une  biographie  complète  du  per- 
sonnage serait  intéressante. 

0.  Le  premier  livre  de  cette  traduction  du  livre  d'Iléliodore  a  été  pul)lié 
par  Paul  Bonnefon,  dans  l'Annuaire  de  l'Association  des  études  c/recques, 
Paris,  1883. 


186  KONSAKD    KT    LIILMA.MSME 

insérée  dans  la  seconde  édition  des  Amours,  et  que  Ronsard  avait 
préalablement  communiquée  à  son  ami  Morel  '  ;  mais  il  mit  delà 
bonne  volonté  à  s'en  satisfaire,  car  c'était  presque  un  pardon 
acctjrdé,  (jui  constatait  des  excuses  : 

Pource  qu'à  lorl  on  me  fisl  croire 
Qu'en  fraudant  le  prix  de  ma  {gloire 
Tu  avois  mal-p.irlé  de  moy, 
Kt  que  d'une  lon^'ue  risée 
Mon  (t'uvre  par  loy  mesprisée 
Ne  servit  que  de  farce  au  Roy. 
Mais  ore,  Malin,  que  lu  nies 
l']n  taiU  d'honnesles  compaignies 
N'avoir  mesdil  de  mon  labeur, 
Et  que  ta  bouche  le  confesse 
Devant  moy-même,  je  délaisse 
Ce  despit  qui  m'ardoil  le  cœur  '. 

Cette  façon  d'accepter  la  réconciliation  garde  assez  fière  figure 
à  l'auteur  devant  la  postérité.  On  peut  croire  qu'elle  est  devenue 
tout  à  fait  sincère  et  que  deux  écrivains,  faits  en  somme  pour 
s'estimer,  ont  fini  par  s'entendre  et  se  rendre  justice  l'un  à 
l'autre.  Le  curieux  sonnet  que  Saint-Gelais  adresse  à  Ronsard 
vers  janvier  155S,  en  apporte  l'assurance,  et  aussi  les  deux  be'tux 
textes  de  celui-ci,  dont  l'un  est  postérieur  a  la  mort  du  vieil 
adversaire  3.  On  voit  que  Dorât  ne  prenait  pas  ses  désirs  pour 
une  ré:ilité,  quand  il  écrivait,  dans  une  égloge  inédite  sur  la  mort 
de  Saint-Gelais,  en  faisant  appel  au  témoignage  de  Carie,  ami 
comme  lui  des  anciens  rivaux  : 


i.  On  lit  dans  une-  des  rares  lettres  conservées  de  Ronsard  :  «  L'ode  de 
Saint-Gelais  est  faite  et  ne  veux  la  lui  faire  tenir  sans  vous  l'avoir  premiè- 
rement communiquée.  .Te  me  recommande  humblement  aux  plus  que  divines 
Lfiaces  et  charités  de  Mademoiselle  de  Morel  et  aux  vostres  pareillement  » 
(éd.  L.,  t.  Vil,  p.  123). 

2.  Ed.  L.,  t.  II,  p.  S-IS.  Cette  deuxième  édition  des  ^Imours  porte  un 
sonnet  liminaire  de  Saint-Gelais,  qui  marque  de  son  côté,  mais  sans  allu- 
sion directe,  la  réconciliation  des  deux  poètes  (cf.  1. aumônier,  p.  108,  n.  4^. 

3.  Ci.  Laumonier,  p.  109,  140.  Ronsard  dédie  très  noblement  à  Saint- 
Gelais  r//î/Hin<"  fies  Astres,  en  même  temps  C|u'à  Lancelotde  Carie  V Hymne 
des  Daiinons  (1555).  Il  rend  un  éclatant  hommage  à  son  prédécesseur  dans 
une  épitre  au  cardinal  de  Lorraine  (éd.  L.,  t.  III,  p.  274  ;  éd.  Bl.,  t.  III, 
p.  355). 


RÉCONCILIATION    AVEC    SAINT-GELAIS  187 

DORYLAS    (Doial). 
Hic  quoque  vos  ainhus  oliin  deceperat  error, 
Melline  nique  Rosille,  pares  ut  canlibus  anihos. 
Sic  et  aiuore  pares,  si  mm  perslrinqerel  ambos 
Apis  acerha,  cilo  sed plaqa  refecla  coiuil. 

CAnVLUS  (Cai-le). 
Testis  ego  huic  pilei,  leslis  lu  cerlus  et  illi, 
Aller  in  allerius  qua  puriter  usns  honorem  est  ; 
Aller  et  allerius  Ueqique  aulaeque  vicissiin 
Carinina  laudauit,  fuit  et  laudatus  ah  illo  '. 

Si  Mellin  de  Saint-Gel.iis,  comme  on  le  sait  d'une  autre  source  -, 
consentit  à  céder  la  place  à  la  jeune  école  triomphante  pour  reve- 
nir, en  ses  dernières  années,  k  la  poésie  latine  qu'il  avait  autre- 
fois pratiquée,  on  s'explique  mieux  encore  que  Ronsard  ait  pu 
changer  complètement  d'attitude  à  son  ég-ard .  En  ces  heureux  revi- 
rements qui  préparèrent  à  celui-ci  de  nouvelles  facilités  de  succès, 
on  vient  de- voir  que  personne  n'eut  plus  de  part  que  Michel  de 
L'Hospital,  et  il  paraît  juste  qu'une  reconnaissance  fidèle  ait  tant 
de  fois  mêlé  à  l'œuvre  du  poète  le  nom  du  mieux  avisé  de  ses 
protecteurs. 


V 


Hors  de  Paris  et  de  la  Cour,  Ronsard  comptait  des  fidèles  assez 
nombreux  parmi  les  humanistes,  poètes  ou  non,  épars  dans  le 
royaume.  Férus  assurément  de  leur  latin,  beaucoup  étaient  cepen- 
dant capables  de  goiiter  avec  enthousiasme  sa  poésie.  Un  débris 
de  correspondance,  une  dédicace  dans  un  recueil  oublié,  révèlent 
parfois  une  liaison  directe  du  maitre  avec  l'un  d'eux  ou  la  ferveur 
d  une  admiration  lointaine.  Le  plus  connu  de  ces  provinciaux  est, 
à  Poitiers,    Scévole  de  Sainte-Marthe;  mais  comi)ien  d'anciens 

1.  Bil)l.  nat.,  Lai.  10327,  fol.  62. 

2.  «  Il  fut  coniraiiit  après  de  céder  ^la  palme]  à  Ronsard.  La  naissance  de 
ce  nouveau  soleil  Tesblouit  et  Testonna  tellement  d'abord  que  s'estant  résolu 
de  changer  dedessein,  il  abandonna  la  Poésie  Françoise,  qui  depuis  plusieurs 
années  l'avoil  tant  fait  esclateià  la  Cour  et  tant  estimer  des  Princes  et  dos 
Roys,  et  embrassa  d'une  ardeur  nonpareille  et  d'un  courage  invincible  la 
Poésie  Latine,  qu'il  avoit  depuis  si  longtemps  délaissée  •>  (Scév.  de  Sainte- 
Marthe,  Eloges,  trad.  Colletet,  p.  88). 


188  UONSARI)    ET    l.'lirMANIS.MI' 

élèves  de  Dor;il,eii  retournant  dans  leuixillc  natale,  y  ajjpor- 
tèrent,  comme  le  savant  poitevin,  le  culte  de  Honsard  et  le  pro- 
pagèrent dans  leur  entourage  !  Tel  fut  Pierre  des  Mireurs,  méde- 
cin de  Dieppe,  cpii,  pour  avoir  appartenu  un  instant  à  la  Hrigade, 
obtint  l'honneur  d'une  strophe  dans  les  Bacchanales  et  l'immor- 
talité du  voyage  d'Arcueil  '.  Son  nom.  qu'on  latinisait  en  Mira- 
rliis,  apparaît  mêlé  à  l'histoire  des  Folaslricx. 

Ce  petit  recueil  était  une  de  ces  débauches  d'esprit  sensuel,  que 
se  permet  quelquefois  la  jeunesse  des  hommes  de  talent  et  qu'il 
leur  arrive  souvent  de  regretter.  Les  adversaires  huguenots  de 
Ronsard  lui  reprochèrent  plus  tard  cette  erreur  d'une  façon  san- 
glante. Théodore  de  Bèze,  qui  avait  pourtant  sur  la  conscience 
quelques  peccadilles  poétiques  du  même  genre,  Florent  Chres- 
tien  -,  Jacques  Grévin  tirèrent  pani  des  Folas/ries  contre  le  poète 
revenu  à  une  vie  plus  grave  et  dont  le  caractère  ecclésiastique 
eut  particulièrement  à  souffrir  de  ce  rappel.  C'est  peut-être  à  ces 

\.  C'est  le  médecin,  qui  regarde  les  convives  o  d'un  œil  expérimenté  »  et 
veille  à  arrêter  leurs  excès  (éd.  L.,  t.  VII,  p.  503).  Il  a  collaboré  par  des  vers 
latins  au  Tombeau  de  la  Reine  de  Navarre,  des  trois  sœurs  Seymour,  dont 
l'édition  latine  le  fait  figurer  au  litre  :  Annae,  Margaritae,  lanae  sororum 
virginum...  in  morlein  Diane  Marg .  Val.  Nau.  reginae  Hecatodistichnn. 
Accessit  Pelri  Mirarii  ad  casdeni  virgines  Epislola,  una  cuin  docionim  ali- 
ijiiot   virorurn  carminibus   (Paris,  I5S0). 

2.  J'accroche  ici  au  nom  de  l'excellent  humaniste  huguenot  un  petit 
poème  inéditcomposé  par  lui  contre  Ronsard  ou  plutôt  contre  ses  amis,  à 
propos  d'une  querelle  littéraire  qui  n'est  pas  rapportée  ailleurs  (Biblioth. 
nat.,  Dupuy  S37,  fol.  90  y")  : 

De  Didone  lodeli  tragoedia  a  lionsardi  canihus  discerpla. 
Saeuiit  in  viilnus  funnsque  iacentis  Elisae 

lodeli  Iragicis  Gallica  Musa  modis. 
A'ec  poluil  digno  componere  memlira  pheretro 

Vaegrandis  magni  simia  Minciailae. 
Sed  cutpa  ingenii  splendorem  noliilia  nnihrae 

Deleril  et  lacerans  inipiusossa  legil. 
Non  tulil  haec  A'emesis,  lacerantia  carmina  morsi: 

Ronsardi  iiUores  diripuere  canes. 
Scilicet  allafrant  médiocres  iiire  Poëtae 

Conferri  Domino  qui  voluere  suo. 
Aul  haec  turha  canum  cognalo  dente  petiuil 

Quem  cognouerunt  (empara  nostra  canem. 

Florent  Chreslien  obtiendra  un  jour  un  biographe  attentif.  .>e  lui  signale 
par  avance,  dans  le  même  fonds  Dupuy,  843,  f.  H,  une  très  belle  épitre  de 
Chreslien  (signature  identifiée  par  Léon  Dorez)  intitulée  !■  Elégie  au  seigneur 
Salomon  Certon,  sur  la  vision  de  Palingène  ».  Ce  document  est  intéressant 
sur  l'idée  des  traductions  au  seizième  siècle.  Il  contient  aussi  une  énumé- 
ration  d'écrivains  italiens,  parmi  lesquels  figure  Dante. 


LES    «     FOl.A.STUIES    "  1 8'J 

ennemis  qu'on  doit  attribuer  la  réimpression  intén^ralc  faite  sans 
son  aveu  en  1584,  presque  à  la  veille  de  sa  mort,  et  qui  put  lui 
causer  alors  une  certaine  humiliation. 

Dès  la  publication  du  lAvret  de  Folastrics  paru  sans  nom  d'au- 
teur au  j)rintemps  de  Ioo3  ',  il  y  eut  une  protestation  très  vive 
de  la  part  des  esprits  sérieux,  et  dans  le  milieu  même  du  poète. 
Nicolas  Denisot,  Robert  de  la  Haye  et  sans  doute  Michel  de  l'Hos- 
pital,  lui  adressèrent  quelques  reproches  '-.  Il  avait  compris  lui- 
même  le  besoin  d'excuser  les  licences  de  sa  muse  par  une  épi- 
graphe prise  à  Catulle  : 

Nam  castum  esse  decel  pium  poêlant 
Ipsum,  versiculos  nihil  necesse  est. 

Ses  meilleures  excuses  ont  été  son  talent  et  la  verve  originale 
dépensée  pour  rajeunir  les  thèmes  usés  de  l'érotisme  classique. 
Mais  Pierre  des  Mireurs,  qui  prend  hardiment  sa  défense  dans 
une  lettre  à  Jean  de  Morel,  ne  se  borne  pas  à  ce  point.  Aux  cen- 
seurs du  «  rhapsode  gaillard  »  il  rappelle  que  les  plus  grands 
poètes  du  latin  récent,  Politien,  Jean  Second,  Bembo,  lui  ont 
ouvert  cette  voie  ;  il  énumère  avec  eux  les  modèles  antiques  très 
connus,  qui  ont  servi  tant  de  fois  en  Italie,  depuis  la  composition 
de  V HermaphroJilus  de  Panormita,  à  justifier  les  imitations 
modernes,  condamnées  quelquefois  par  l'Eglise,  mais  dont  les 
auteurs  prétendent  n'avoir  cherché  que  d'inoffensifs  jeux  littéraires. 
L'avocat  bénévole  de  Ronsard  n'a  garde  d'oublier  les  précédents 
que  fournit  la  France  elle-même.  Il  relève  avec  une  certaine 
crudité  de  langage  les  obscénités  qu'on  trouve  chez  Marot,  Saint- 
Gelais  et  quelques  autres.  Il  insiste  aussi  sur  l'indulgence  dont  la 
Cour  et  le  public  ont  fait  preuve  à  l'égard  de  Buchanan,  «  le  plus 
savant  des  poètes  de  notre  siècle  »,  lorsqu'il  écrivit  son  élégante 
Lenae  defensio.  Toutefois,  le  plaidoyer  terminé,  il  ne  dissimule 
pas  que  l'auteur  ferait  bien  de  ne  pas  s'attarder  à  ces  «  gayetés  », 

1.  Le  Livret  de  Folastries  à  Janot  parisien  [Baïf]  porte  son  achevé  d'im- 
primer du  20  avril  (Marty-Laveaux,  Xolice  sur  Jodelle,  p.  xxi.  Laiimonier, 
p.  9lt,  sqq.).  L'assertion  du  Temple  de  Ronsard  que  le  livret  aurait  été 
brûle,  pour  cause  d'obscénité,  par  un  arrêt  du  Parlement,  n'offre  pas  de 
vraisemblance,  le  privilège  royal  ayant  été  enregistré. 

2.  Cf.  Laumonier,  p.  107.  11  faut  noter  que  Ronsard  a  laissé  réimprimer 
dans  les  éditions  collectives  de  ses  oeuvres  la  plus  grande  partie  du  recueil 
i[ui  l'avaitamusé  ii  composer  et  dont  il  ne  rougissait  nullement . 


190  RONSAKIJ    ET    l'iILMANISME 

qui  outrepassent  les  bornes  de  la  pudeur.  Il  conip(e  le  voir  appli- 
quer son  rare  talent  à  d'autres  sujets,  à  des  pages  chastes  qui 
seront  mieux  d'accord  avec  sa  vie;  il  exprime  même  le  vœu 
d'entendre  ce  «  Terpandre  »  chanter  les  actions  de  1'  «  Hercule 
chrétien  n,  désignation  qui  s  ap]ilique,  suivant  les  formules  usi- 
tées par  l'humanisme  du  temps,  à  Jésus-Christ  lui-même.  Ce  der- 
nier souhait  s'inspire  évidemment  d'une  information  certaine  sur 
les  projets  du  poète,  qui  va  pi'écisénient  envoyer  l'année  sui- 
vante aux  i<  capitouls  »  de  Toulouse,  en  remerciement  de  l'églan- 
tine  des  Jeux  l''loraux,  son  hymne  de  V Hercule  clire.slien  '.  Le 
pieux  poème  peut  sembler,  par  le  rapprochement  des  dates,  des- 
tiné à  faire  équilibre  aux  Folasiries.  Quant  à  la  lettre  de  Pierre 
des  Mireurs,  assez  curieuse  comme  renseignement  sur  la  renom- 
mée de  Ron.sard,  elle  ne  l'est  pas  moins  peut-être  comme  témoi- 
gnage de  mœurs  littéraires  : 

Accepi  litteras  tuas,  vir  oriialissiTiie  ideiiiquc  aniicissiiiie,  una  cuin 
libello  Ineplinruin  -,  cuius  gemina  phrasis  a  prima  slatiin  pag-iiia  auto- 
reni  suuin  (vel  te  tacente)  satis  prodit  ^.  Ego  peculiarem  illum  honii- 
nis  ingenii  sensum  et  styluin  vere  ubique  sui  similem  niihi  videor 
agnoscere.  Descendat  quantum  volet  e  sublimi  sacrae  poesis  fastigio, 
seuiper  Terpander  erit.  Neque  maaum  a  tabula  idcirco  deposuisse 
velim,  etiamsi  subobscoeaa  nonnulla  scriptis  suis  inseruerit.  Quis  pul- 
chcrrimani  alioqui  mulierls  facieni  deformeni  esse  dixerit,  quam  exi- 
guus  adinodum  iiaeuus  macularit  ? 

Sed  fortasse  mihi  aliquis  dicat,  uihil  illic  celebrari  praeter  Lyaei  et 
Cypridis  epinicia  ^.  Este.  N'um  igitur  ignari  verum  et  iiiipcrilihomines 
totum  libellum  Veneris  niarito  dicaiidum  esse  censenl  ?Quid  si  viuam 
veramque  impudici  amoris  imagineni  seu  inonstrum  horrendum  ex 
monstrorum  colluuione  composituin  oculi  subjiciat  ?  Quis  unquam 
modis  omuibus  deteslandam  ebrietatem  vel  aculius  vel  felicius  illo 
descripsit  ?  Sed  instant  caperatae  frontis  stoici,  qui  caslitatis  imagi- 
neni (si  diis  placet)  aut  alterius  nempe  unius  ex  Gharitibus  hune  aiunl 
describere  oporluisse.  0  rebgionem  !  ncmo  sani  pectoris  Angelum 
Poliliaiuim,  loanneiii  Secuiidum,  Petruiii  lîembuiii  et  reliques  primae 

t.  Sur  cet  épisode  de  la  vie  de  Ronsard,  v.  plus  loin,  un  récit  de  se  i  rela- 
tions avec  Pascbal. 

2.  En  marge  More!  a  écrit  \Les  Folaslries. 

3.  Ces  i<  expressions  géminées  >;,  qui  décèlent  l'auteur  dès  la  première 
page,  senties  mots  composés  dont  on  trouve  déjà  deux  exemples  dans  la 
dédicace  du  recueil  (Apollon  giiide-dance,  Muse  grecque-latinc).  Launio- 
nier,  p.  103. 

i.  Epiniciix,  ir-WAici.. 


PIERRE    DES    MIKEURS  191 

nobililatis  poêlas  e  luedio  toUendos  proiiunciahit,  quod  X'enerem  mas- 
culain,  basia  et  aiiiores  latine  et  sennone  suae  patriae  vernaculo  deli- 
nearint.  Aniatoria  Nasonis  etiaiu  pueris  auditoribus  perniulli  viri 
i^raues  publice  prolitenlur.  Circumrerunlur  passini  libelli  imprcssi 
quauis  aura  pestilenli  détériores,  nec  lamen  iis  publico  interdicitur, 
■quibus  nihil  insuitius,  nihil  denique  quod  inuenlione.  iudicio  et  arle 
majjis  careal. 

El  huic  nostro,  peccati  causa  parui,  comuiuni  luce  frui  eril  nega- 
tum  ?  Siccine  tam  diuini  ingenii  eyregios  conatus  remorari  conspicie- 
mus  ?  Siccine  is  qui  poetarum  velerum  graecoruni  ac  latinorum  prae- 
clara  mouimenta  inexhaustis  vigiliis  ac  non  aeslimandis  laboribus  erue- 
rit,  ceruicosoruni  hominum  minis  repente  obmutescet  ? 

Sed  haec  hactenus.  Fabulae  rerum  noslrarum  prolixiores  sunl  quam 
quae  litteris  committi  possint.  Tabellarius  hic  eruditione,  iiitegrilale, 
fide,  uiodeslia,  huuianitate  mihi  uiagis  quam  comuiuni  utriusque  patiiae 
amicissimus  et  egregius  insliluendae  pubis  artifex  Luletiam  repetit.  Si 
quid  forte  inciderit  in  que  possis  illi  gratum  facere,  rectissime  collo- 
caris  ofBcium  tuum.  Ex  eo  uno  quaecumque  te  scire  volo  audies.  V'ale, 
amicorum  integerrime  et  charissime.  Dieppae,  pridie  calendas  lullias. 

Aut  tuus  aut  suus  non  est  Mirarius  MEincrs  '. 

A  l'autre  bout  de  la  France,  dans  la  docte  Toulouse,  s'allumait 
un  autre  foyer  d'admiration  pour  Ronsard,  toujours  par  l'initia- 
tive d'un  humaniste.  Etienne  Forcadel,  de  Béziers,  que  Brantôme 
appelle  «  un  grand  poète  latin  »  ^  et  qui  est  connu  comme  juriste 
et  professeur  de  droit,  possède  des  titres  littéraires  qui  mérite- 
raient d'être  tirés  de  l'oubli  ^.    Bien  que    ses  œuvres   franco-aises 

1.  Bibliothèque  de  Munich,  Coll.  Camer.,  33,  fol.  198-199.  J'ai  publié  le 
texte  complet  dans  la  Revue  d'hist.  litt.,  t.  VI,  p.  358. 

2.  Brantôme,  éd.  Lalanne,  t.  III,  p.  273.  A  propos  de  la  mort  de  Henri  II  : 
<'  ...Ce  que  dit  un  grand  poêle  latin  pour  lors,  <)ui  fit  son  Tombeau,  qui 
s'appeloit  Forcalel.  Pour  le  dernier  vers  il  dict  : 

Quem  Mars  non  rapiiil,  Martis  imago  rapit.  •> 

3.  Il  n"y  a  qu'une  courte  élude  moderne  consacrée  au  jurisconsulte  tou- 
lousain, qu'il  faut  éviter  de  confondre  avec  son  homonyme,  mathématicien 
du  Roi  au  Collège  royal  (A.  de  Faniez,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  hiato- 
ri'itie  de  liéziers,  l.  XIV,  1889}.  La  date  de  ce  travail  explique  qu'on  n'y  ait 
pas  considéré  son  rôle  à  la  lumière  des  recherches  nouvelles  et  en  vue  des 
questions  littéraires  qui  sont  posées  aujourd'hui.  Dans  son  édition  de  G. -M. 
Inibert,  Tamizey  de  Larroque  signalait,  p.  92.  à  propos  d'une  dédicace  de  ce 
poète,  l'intérêt  de  la  notice  du  ms.  de  G.  Colletet  sur  Forcadel.  Laumonier 
(p.  XLMi,  664;  n'a  connu  que  le  petit  volume  de  1548  intitulé  :  Le  chant  des 
Sereines  avec  pluxieurs  comjtositions  nouvelles  (traductions  de  Pétrarque,  de 
Virgile,  d'Ovide,  de  Théocritel,  paru  à  Paris,  chez  Gilles  Corrozet,  qui  édi- 
tait la  même  année  VArl  poëtiijue  de  Sibilet. 


i!(2  iioNSAiU)  i;r  i.'iilmams.me 

soient  à  peu  prés  uussi  ig-norées  que  les  latines,  on  pressent  du 
moins  qu'il  a  joué  un  rôle  dans  ce  petit  groupe  de  précurseurs 
delà  Pléiade,  détachés  de  l'école  de  Marot,  passionnément  avides 
de  formes  nouvelles  et  fortement  instruits  dans  les  lettres 
anciennes,  à  qui  le  génie  seul  a  manqué  pour  provoquer,  quekjues 
années  plus  tôt,  le  mouvement  auquel  ils  n'ont  pu  que  s'associer. 
L'ci'uvre  de  iléluit  de  Foicadel,  le  CJianl  des  Sereines,  et  les 
poèmes  lyriques  d'un  recueil  de  l.'iiX,  notables  par  l'originalité 
de  l'inspiration  et  les  innovations  métriques,  n'ont  pas  échappé  à 
l'influence  de  Jacques  Peletier  ;  et  l'on  établira  peut-être  (jue  notre 
languedocien,  qui  s'est  rattaché  un  moment  au  groupe  de  la  reine 
de  Navarre  ',  suivit  bientôt  dans  sa  province  les  directions  du 
poète  manceau,  au  même  titre  que  Ronsard  diins  Paris.  Leurs 
relations  directes  nous  sont  assurées,  au  reste,  p;ir  un  poème  du 
toulousain  ("  Au  seigneur  Ja(jues  Peletier  poëte  venu  en  Langue- 
doc »  ")  en  tête  de  ses  poésies  latines,  et  par  deux  distiques  com- 
posés pour  lui  par  l'auteur  de  V Art  poclirjiic.  C'est  grâce  à  celui- 
ci,  sans  nul  doute,  que  Ronsard  connut  l'd'uvre  de  Forcadel,  qu'il 
apprécia.  Nous  tirons  ce  dernier  détail  d'une  épître  adressée  au 
jeune  Henri  de  Mesmes,  que  Forcadel  avait  eu  comme  élève  en 
droit  à  Toulouse  3,  et  à  qui  il  écrivait  en  L^.'iO  ou  1551  : 

\'ray  que  tu  ni'escris  que  Ronsard 
Est  riche  tesmoiny  de  ta  pari, 
El  qu'il  a  mes  vers  estimez 
Que  puis  peu  de  temps  j'ay  limez. 
Celuy  donques  m'ha  daigné  lire, 
Qui  seul  peult  à  prouver  suffire 
Que  baslv  fut  le  Ciel  hautain 


1.  Dédicace  de  Le  Pleur  d'Heraclite  et  le  lUs  de  Democn7e  ;  épitaphe  de  la 
Reine  (Epigr.,  p.  152);  dédicace  à  Antoine  du  Moulinet  épitaplic  {Popsie, 
p.  131,  187). 

2.  Poésie  d^Estienne  Forcadel,  Lyon,  par  .lean  de  Tournes,  laSl,  p.  DiO 
(Bibl.  nat.,  Rés.  Ye  1824).  La  préface  est  d'un  extrême  intérêt.  Elle  se  clôt 
sur  la  devise  du  poète  {Espoir  sans  espoir),  qui  chante  sa  maîtresse  sous  le 
nom  de  Clytie.  Une  nouvelle  édition  augmentée  a  été  préparée  à  la  fin  de  sa 
vie  :  (JEuvres  poétiques  d'Estienne  Forcadel  Jurisconsulte.  Dernière  édition 
reveuë,  corrigée  et  augmentée  par  lAutheur,  Paris,  157y  (.\rsenal,  G464  B). 
Le  privilège,  de  1572,  désigne  l'auteur  comme  "  docteur,  régent  en  la 
faculté  (le  Droictcivil  en  l'Université  de  ïholoze  ». 

3.  Cf.  p.  42  des  Ejiigrammata,  une  dédicace  à  Jean  Maledent,  "  a  <pio 
Graeca  llomeri  opéra  donc  acceperat  ». 


ETIENNE    FORÇA  DEL  193 

De  Dyamaiit,  car  est  certain 

Que  si  d'autre  matière  fusse, 

A  sa  gloire  résisté  n'eusse, 

Qui  l'a  frappé  dru  et  souvent. 

N'est-ce  pas  luy  qui  escrivant 

Ha  les  Poêles  surpassez 

Qui  sont  veuz  des  Soleils  passez  *  ? 

Réunissant,  peu  de  temps  après  et  toujours  à  Lvon,  chez.  Jean 
de  Tournes,  ses  épigrammes  latines,  Forcadel  s'y  montre  informé 
à  merveille  des  poètes  qui  travaillent  dans  la  capitale.  Parmi  les 
dédicaces  qu'il  prodigue  à  ses  confrères  juristes,  au  Parlement 
de  Toulouse,  au  clergé  lettré  et  aux  grands  personnages  qu'il 
est  alors  d'usage  de  louer  pour  s'acquérir  leur  bienveillance,  il 
n'oublie  ni  Joachim  du  Bellay,  ni  Baïf,  ni  Magny,  ni  L'Hospital, 
ni  Ronsard,  ni  bien  entendu  Saint-Gelais  -.  Ces  efforts  pour 
se  faire  écouter  de  Paris  rappellent,  quoique  avec  moins  d'in- 
discrétion, ceux  d'un  autre  provincial,  Charles  Fontaine,  qui  y 
parvient  plus  aisément,  Lyon  étant  moins  éloigné  que  Toulouse  ^. 
Les  vers  de  Forcadel  intitulés  Ad  P.  Ronsardum  poeta.ni  nohi- 
liss..  dans  son  recueil  de  loo4,  apportent  un  témoignage  nou- 
veau de  l'intérêt  qu'excitait  déjà,  à  cette  date,  l'attente  de  la 
Franciade  : 

Cum  saxa  el  syluas  Iraherel  Rhodopeins  lieras  '•. 

Credo  lui  similes  elicuisse  sonos. 
Ardua  non  frustra  commitlenl  praelia  Franci, 

1.  Pof-sie.  p.  198.  OEurres  portiques,  p.  227  (cf.  p.  143,  171,  179,  des 
poèmes  dédiés  à  Baïf,  à  Jodelle,  à  .\myot  . 

2.  Stephani  Forcaduli  iureconsulli  Epigrammata.  Ad  Carolum  Lotharin- 
gum  cardinalem.  Lyon,  l.j-")4.  V.  aux  p.  171,  108,  lo2,  36,  86  (l'œuvre  est 
reproduile  dans  les  Delitiae  C.  pnelarum  Galtorum,  1609,  l.  III,  p.  899-922V 
Il  y  a  des  dédicaces  aux  cardinaux  deTournon,  d'Esté,  d'Armagnac,  à  Mar- 
guerite de  France,  à  Diane  de  Poitiers  I  Dianae  de  Sanvalier  Valentinae  dtici). 
J'en  relèverai  d'autres  dans  l'étude  sur  Paschal.  On  trouve  une  élégie /n 
Carmen  I.  Aiirali  el  tihellum  St.  Forcaluli  I.  C.  de  pace  inila  mense  aug . 
1371,  dans  les  œuvres  latines  de  Martial  Monier,  de  Limoges  [Delitiae  C. 
poet.  Gall.,  t.  II,  p.  S.'iOi.  11  y  a  une  lettre  de  Forcadel  à  Jean  de  Morel,  sur 
les  troubles  de  Toulouse,  écrite  de  cette  ville  en  1567  (Bibl.  nat.,  Lat.  8389, 
fol.  61). 

.3.  Voir  lesdédicaces  généreusement  distribuées  du  recueil  de  Fontaine, 
en  1534  et  1535,  dans  le  livre  de  R.-L.  Ilawkins,  p.  254  à  239.  Il  n'oublie 
même  pas  Forcadel  (p.  258V 

4.  Orphée. 
N'oLii.vc:. —  Ronsaril  et  I  lliinuinisme.  "  l.î 


I9i  ito.NSAiu)  ICI 


MAMS.Mi; 


.S';,  /ioiimirdi',  lune  sil  luh.i  iiiiichi  h/rne. 
Acli'iniiin  faciès  viclurn  carminé  fiei/cm, 

lliinipere  nec  Lachesin  licin  r/ra/;i  sines. 
Ducta  llippocrenea  hausisti  /lumina  vules  : 

Miqrasse  in  Gullos  aut  Ilelicona  putem  ' . 

Ces  brèves  indications  sur  Elienne  Korcadel  ramèneront  peut- 
être  l'attention  vers  cette  vig'oureuse  figure  diiuinaniste  et  de 
poète,  qui  vit  s'asseoir  au  pied  de  sa  chaire  de  Toulouse  bien  des 
étudiants  moins  occupés  de  droit  que  de  poésie  et  sachant  honf)- 
rer  en  lui  une  double  maîtrise.  Un  méridional  entre  plusieurs 
autres,  Gérard-Marie  Imbert,  de  Condom,  l'a  honoré  d'une  vive 
louange  : 

Forcalel,  que  la  Muse  el  l.i   .lurisprudouce 

l'ont  llcurir  tout  ainsi  cpiiiu  arbre  phmluroux...  -' 

Mais  les  écrivains  parisiens  se  sont  montrés  sourds  à  ses 
avances-^;  nul  poète  de  la  Pléiade  n'a  répondu  à  ses  dédicaces 
louangeuses,  et  c'est  grand  dommage  pour  sa  mémoire  que  Hon- 
sard  ne  l'ait  point  nommé. 


VI 


Plus  délié  poète  que  Forcadel,  Scévole  de  Sainte-Marthe  a 
cultivé  comuie  lui  le  double  jardin.  Mais  il  a  eu  l'avantage  de 
passer  plusieurs  années  de  sa  jeunesse  auprès  des  maîtres.  Lié 
avec  Baïf,  pendant  que  celui-ci  étudiait  à  Poitiers,  bientôt  fami- 
lier de  la  maison  de  Jean    de   Morel,   qui  lui  mit  la  plume  à  la 

i.  Epiijranimala,  p.  3.3.  On  trouve  à  la   p.  lOH  ces  (lisli(|ues: 

Ad  Oliuarium  Maignyum  de  I.   Anl.  Bayfo. 
Me  miseret  Flacci,  Bat/fiix  /[iioil  xcripxeril  oil.is  : 

Scrihere  si  pergas.  Pindare,  qiiirl  faciès  '/ 
Exercent  Miisae  per  Phocidos  ariia  Choreas 

Diim  Bai/fus  digilis  oreque  iliilce  canil. 
.liKie  duos,    Mair/ny.  superel.  doclissinie,  f/u.ieras, 

Quid  scio  '.'  le  alteratro  plus  potuisse  scio. 

2.  Première  pnrlietifs  Sonels  exolériques  <li'  G.  M.  I).  I.,  Bordeaux,  Ib78, 
sonnet  70.  Le  sonnet  30  est  adressé  à  Scalijfer. 

3.  Peut-êlredoit-on  l'attriljuer  à  l'autorité  de  Pasclial  sur  le  groupe  pari- 
sien. Je  crois  pouvoir  assurer,  plus  loin,  que  Forcadel  appréciait  celui-ci 
avec  une  juste  sévérilé. 


SAINTE-MAHTIIE  lUo 

iniiiii,  protégé  du  chancelier  de  IHospital  qui  ne  prodij^uait  pas 
son  estime,  son  talent  se  forma  parmi  ses  aînés  de  la  Pléiade.  Sa 
muse  a  chanté  avec  la  leur  et,  si  elle  ;i  été  oubliée  dans  les  réim- 
pressions faites  de  nos  jours,  cela  tient  peut-être  à  ce  quelle 
apparaît  comme  la  plus  chaste  et  la  plus  sensée  de  ce  temps.  Ron- 
sard la  goûtait  fort,  et  l'on  sait  qu'il  dédia  un  long  poème  «  à 
Scevole  de  Saincte-Marthe,  Poeclevin,  excellent  Poète  »  ',  en 
1569,  l'année  même  où  paraissaient  les  Premières  œuvres  ~.  Sce- 
vole l'v  célébrait,  avec  les  timidités  flatteuses  du  disciple  : 

Ronsard  dont  les  escrils  sont  un  nionl  du  Parnasse,... 
Combien  peu  imitable  est  ta  divinité  ^  ! 

11  le  traduisait  quelquefois  en  latin,  et  avec  la  même  révérence  : 

In  versus  aliquol  ex  P.  lionsardi  Franciade  laiinos   a  se  faclos. 

Aemiila  dum  Latiis  Ronsardi  Gallica  nostri 

Conor  eçfo  in  Latios  verfere  scripla  modo.s, 
Me  vismaior  agil  solilo,  ignoluscfue  per  auras 

Abripit  hinc  tanti  spirilus  ille  viri. 
Quique  prius proprio  cum  plecira  fiirore  moverem 

Vix  hene  sum  noiae  .serpere  vt'siis  humi, 
Summa  feror  super  aslra  ;  iuual  quoicunque  poêlas 

Despicere  et  sacri  peclinis  esse  palrem. 
Sic  olim  aêlheriis  Aquilae  dum  Regulus  alis 

Suscipilur,  reliquas  despicit  allus  aues  '. 


t.  C'est  le  Discours  d'un  amoureux  desespéré,  qui  figure  au  livre  I  des 
Poèmes  (éd.  L.,  t.  V,  p.  81-95)  : 

Scevole,  amy  des  Muses  que  je  sers, 
Icy  je  l'offre  au  lieu  de  tes  beaux  vers 
Un  froid  discours  larron  de  ta  loiianpre... 

2.  Les  OEiivres  de  Scevole  de  S.iinle-Marthe,  ryeiitilhomine  lodunois.  Dédié 
à  Monseigneur  le  chevalier  d'Anr/oiilesme,  Paris,  Fod.  Morel,  1569.  Ledédi- 
cataire  de  cette  édition  rarissime  est  l'élève  de  Jean  de  Morel.  A  celui-ci  se 
trouve  dédié  «  Le  premier  livre  des  Imitations  »,  composé  de  fragments 
traduits  ou  imités  o  du  Zodiaque  de  la  vie  de  Marcel  Palingène  »  [Stellati]. 

3.  Publié  sur  une  page  à  part  au  f.  88  de  l'édition  citée  ci-dessus  ;  puis 
dans  Les  Œuvres  de  Se.  de  Saincte-Marllie,  Paris,  M.  Pâtisson,  1579, 
fol.  158  v°  (classé  dans  le  Recueil  des  Divers  Sonnets  à  M.  de  Pimpant,  con- 
seiller en  la  cour  de  Parlement). 

4.  Scaeuolae  Sammarthani  consiliurii  lieijis...  Poetica  ijaru/ihrasis...  Si/lua- 
rum  lib.  II...,  Paris,  F.  Morel,  1575,  fol.  37  V.  Cf.  fol.  44,  sept  distiques 
liminaires  pour  Jodelle  :  Ad  lodeliuni  ex  lionsardo. 


196  UOXSAni»    ET    triLMANISME 

CoinniL"  son  compatriote  Nicolas  Rapin  ',  Sainte-Marthe  est  un 
fidèle  de  la  poésie  latine,  dont  il  sait  désigner  les  maîtres  modernes 
avec  plus  de  sûreté  de  goût  que  Ronsard  lui-même  '.  Elle  appa- 
raît souvent  dans  ses  Elo(jes,  lorsqu'il  loue,  par  exemple,  Jean 
Dampierre,  (jui  '•  fut  le  premier  des  Françoys  qui  eut  raison  de 
ne  plus  onvier  la  gloire  des  vers  Latins  aux  Poètes  d'Italie  »,  et 
Salnion  Macrin,  le  seul  à  son  heure  «  qui  s'adonnât  sérieusement 
au  noble  et  divin  exercice  de  la  Poésie...,  puisque  chacun  demeura 
d'accord  qu'après  Horace,  il  l'emporteroit  de  bien  loin  sur  tous 
les  Poètes  Lyriques  qui  l'avoient  précédé  »  '.  Scévole  marqua  sa 
place  à  leur  suite,  et  les  vieux  amis  parisiens  du  trésorier  royal 
de  Poitiers  surent  ménager  un  succès  considérable  k  sa  PaeJo- 
Irophia.  poème  didactique  imprimé  en  1584.  11  nous  reste,  pour 
l'attester,  la  lettre- délicieuse  de  Ronsard  à  Baïf,  qu'il  est  impos- 
sible d'omettre  ici  : 

Bons  Dieux  I  quel  livre  m'avez  vous  donné  de  la  part  de  Mons"^  de 
S'''  MHrthe  !  Ce  n'est  pas  un  livre,  ce  sont  les  Muses  mesmes,  j'en  jure 
tout  nostre  mystérieux  Helicon,  et  s'il  m'estoit  permis  d'y  assoir  mon 
jugement,  je  le  veux  préférera  tous  ceulx  de  mon  siècle,  voire  quand 
Bembe  et  N"auj;er  et  le  divin  Fracastor  en  devroient  estre  courroussez, 
car  ajoignanl  la  splandeur  du  vers  nombreux  et  sonoreux  à  la  belle 
et  pure  diction,  la  fable  à  l'histoire  et  la  philosophie  à  la  médecine,  je 
di,  deus,  deus  ille  Menaica,  et  le  siècle  heureux  qui  nous  a  produit  un 
tel  home.  C'est  assez  dit.  le  m'en  vais  dormir  et  vous  donne  le  bon 
soir.  RoNs.^RD  •*. 

Les  relations  de  Poitiers  avec  le  groupe  de  Ronsard  furent- 
maintenues  de  tout  temps.  Bien  avant  le  retour  de  Sainte-Marthe, 
le  séjour  d'Etienne  Pasquier  et  le  cercle  fameux  des  dames  Des 
Roches,  où  le  latin  était  entendu  comme  le  français,  il  y  avait  eu 

1.  Les  œuvres  latines  et  françoises  de  Xicnlas  Rapin  Poiietin,  grand 
prevost  de  la  Connestahlie  de  France...,  Paris,  1610,  honorent  en  trois  pas- 
sages le  nom  de  Ronsard,  p.  3,  4;),  "244. 

2.  Dans  une  pièce  à  Germain  Aiidebei't,  au  f.  00  du  recueil  de  1575,  il 
place  hors  de  pair  Macrin,  Bèze,  Dorai  et  Muret.  Les  noms  mis  à  part  dans 
la  dernière  préface  de  la  Franciade  semhleal  surtout  suggérés  par  l'amitié. 

3.  Je  cite  la  traduction  de  CoUetet  (p.  58  et  6"),  qui  admirait  encore  «les 
beaux  hendécasyllabes  »  de  Dampierre. 

4.  Ed.  L.,  t.  Vu,  p.  132  ;  éd.  Bl.,  t.  V' III,  p.  174.  CoUetet  a  conservé  ce 
texte.  Le  fac-similé  assez  inquiétant  d'un  texte  original  est  donné  par  A.  de 
Rocliambeau.  La  famille  de  Ronsard,  p.  s. 


i.'l.mvicusité  i)K  l'oniEHs  |!I7 

une  véritable  prise  de  possession  de  la  ville  par  la  Brigade.  On  y 
avait  vu  ensemble  Tahureau,  Vauquelin  de  la  Fresnaye,  Jean  de 
la  Peruse  et  Baïf,  qui  y  vécut  neuf  mois  de  l'année  lo'ii-  et  3' 
découvrit  sa  Francine.  L'Université  était  accueillante  et  les  édi- 
teurs imprimaient  volontiers  les  poètes.  L'enthousiasme  professé 
pour  Ronsard  a  laissé  des  traces  dans  des  ouvrages  fort  divers. 
■L'année  même  où  paraissait  à  Poitiers  La  Medée,  tragédie  de 
La  Peruse,  par  les  soins  de  Sainte-Marthe  alors  à  ses  débuts  ', 
François  de  Nesmond  prononçait  dans  cette  ville  un  discours, 
qu'il  faisait  imprimer  avec  des  vers  de  Baïf.  Ce  jeune  avocat  ten- 
tait pour  la  première  fois  d'instituer  un  cours  en  langue  française 
sur  le  Digeste,  s'associent  ainsi  à  cette  belle  entreprise  desjuristes 
novateurs  qui  voulaient  donner  à  la  France  un  droit  français, 
comme  la  Pléiade  lui  donnait  une  poésie  nationale  ;  il  reconnaît 
nettement  l'analogie  des  deux  tentatives,  en  citant  dans  sa 
harangue  le  chef  des  poètes  :  «  Quand  nous  ne  ferions  que  des- 
sauvagerle  langage,  encore  ferions-nous  beaucoup.  Et  à  quoy  se 
peut-on  plus  utilemen  t  adonner  ?...  Vraiment,  Ronsard,  tuas  juste 
cause  de  dire  : 

Ah  France,  ingrate  France  !  et  faut-il  recevoir 
Tant  de  dérisions  pour  faire  son  devoir  ^?  » 

Des  traces  du  même  genre  se  retrouveraient  dans  cette  Bourges 
savante,  où  enseigna  Passerat  et  où  existait  avant  lui,  parmi  les 
élèves  de  Gujas,  un  si  vif  amour  des  lettres  anciennes  etrécentes  •*, 
et  à  Limoges,  qui  nourrissait  des  poètes  humanistes,  fournissait 

1.  C'est  dans  celle  édition,  faite  l'année  après  la  mort  du  poète  (ci  A  Poi- 
liers,  par  les  de  Marnefz  el  Bouchetz,  frères  »  ,  1555),  que  fui  publiée  pour  la 
première  fois  (dans  son  «  Tombeau  »,  p.  44),  la  belle  Epilnphe  par  P.  de 
Rnnsarrl  vandomois  : 

Tu  dois  bien  à  ce  coup,  chetive  Trajcedie 

Laisser  tes  graves  jeux, 
Laisser  ta  scène  vuide,  et  contre  toy  hardie 

Te  tordre  les  cheveux. . . 

2.  Celte  Oraison  est  citée  par  Dupré-Lasale,  M.  de  L'IIospital  avant  son 
élévation...,  p.  214-216.  Nesmond,  ([ui  était  angoumois  comme  I.a  Peruse, 
fut  plus  tard  président  au  parlement  de  Bordeaux. 

3.  Un  des  plus  brillants  de  ces  étudiants,  le  jeune  Pierre  Du  FaurdeSaint- 
Jory  envoie  de  Bourges  à  L'Hospital  une  grande  ode  anacréontique  en  grec 
très  élégant,  dont  le  ms.  est  au  vol.  490  de  la  collection  Dupuy  (traduction 
chez  Dupré-Lasale,  l.  c;  p.  346).  La  date  de  1557  suit  de  peu  la  publication 
d'Eslienne. 


1!>S  HONSARf)    liT    I,' HUMANISME 

de  hitiii  les  presses  de  Barbou  et  s'enorgueillissait  d'avoir  donné 
aux  Muses  un  Dorât  et  un  Muret  '.  Quant  à  Orléans,  ville  d'uni- 
versité cëlèljre,  comment  n'aurail-elle  pus  propaf^'é  chez  ses  éi-u- 
dits  le  culte  de  Ronsard,  par  Florent  Clircstien,  au  temps  où  il 
était  fidèle,  par  \'aillant  de  Guélis,  qui  le  demeura  toujours,  par 
Pierre  Daniel,  leur  ami.  l'éditeur  du  Qnrrolim  et  le  commentateur 
de  N'irjjfile,  qui  vécut  à  Paris,  avocat  au  Pailemenl,  dans  le  milieu 
le  plus  voisin  du  maître  -  ?La  Champagne  a  envoyé  auprès  de  lui, 
vers  les  débuts  de  sa  notoriété,  un  petit  poète,  Luc-Fr.  Le  Duchat 
(Ducatius).  dont  les  Praeliidiu  contiennent  de  précieuses  indica- 
tions sur  l'entourage  de  Jean  Brinon,  à  qui  ce  recueil  d'humaniste 
est  dédié  •'.  Après  avoir  chanté  en  latin,  avec  Dorât,  la  campagne 
de  Médan  et  les  fontaines  poétiques,  (jue  Ronsard  célèbre  en  fran- 
çais et  Baïf  en  grec,  il  disparait  de  la  scène  et  send)le  aller  Unir 
ses  jours  à  Troyes,  sa  ville  natale  *.  Amiens  se  trouve,  vers  la 
fin  de  la  vie  de  Ilonsard,  un  foyer  d'admiration  pour  son  œuvre, 
grâce  à  Jean  des  tJaurres  (Gaurraeusj,  principal  du  collège.  C'est 
un  ami  particulier  de  Dorât,  qui  vient  le  voir,  loge  chez  lui  et 
multiplie  les  poèmes  latins  à  son  éloge  et  en  l'honneur  de  sa 
ville  •'.  Ils  se  trouvent  en  tête  et  à  la  fin  d'une  énorme  et  indi- 
geste compilation  d  éru<litlon  et  de  morale,  où  l'on  est  vraiment 
surpris  de  rencontrer,  parmi  des  vers  liminaires  insignifiants,  un 


i.  V.  dans  le  recueil  de  Sainlc-Martlie  de  tS'iJ,  les  vers  adressés  aux 
savants  limousins,  et  les  dédicaces  dans  Los  pronthros  œurrex  pnclirjnc^  tle 
loachini  litanchon,  Paris,  1!)83,  où  les  poèmes  à  Dorât  sont  aux  \i.  27'J  et 
301. 

2.  Daniel  était  lié  avec  Vaillant  de  Guéiis,  Amadis  Jamyn,  Alphonse  Del- 
l)ene,  Pierre  de  Montdoré,  Scidiger,  etc.  Il  voyait  Dorai,  et  logeait  ii  l-'aris, 
où  ses  fonctions  l'appelèrent  à  partir  en  1574,  cliez  «  Mademoiselle  do  Lam- 
bin 11,  veuve  du  savant,  «  près  la  porte  Saint-\'ictor,  au  coq  dinde  ».  Sa 
correspondance  conservée  à  la  Bibliothèifue  de  Berne,  dont  j'ai  jadis  feuil- 
leté/-ap/fH!  quelques  volumes  et  qui  a  fourni  matière  à  deux  opuscules  de 
Hermanit*Ilagen  (Berne,  1873)  et  de  Louis  Jarry  (Orléans,  1876),  mériterait 
d'être  publiée.  Peut-être  y  trouverait-on  mention  de  Ronsard. 

3.  Le  recueil  de  1554  est  cité  p.  61 .  A  l'ode  à  Dorât  devraient  se  joindre 
les  pièces  dédiées  à  Muret  (fol.  30  v"),  à  Baïf  (fol.  37  v"),  et  l'élégie  Villa- 
nidl  Nj/mphixe  et  Fonti  Brinonio  (fol.  7  v").  On  n'y  relève  pas  le  nom  de 
Ronsard. 

4.  Le  nom  de  Ducbat  (non  plus  Le  Duclialj  s'y   trouve  encore  porté. 

.'i.  V.  notamment  la  pièce,  non  recueillie  dans  le  volume  de  Dorât  :  In 
urbis  Amhiani  et  gi/mnasii  Ainhianensis  laiideiii  loannis  Aiirati  p.  r.  hos/iitis 
Xrn  in . 


JEAN    DES    CALRKES  199 

beau  sonnet  de  Ronsard  lui-même  '.  Le  poète,  qui  lisait  beau- 
coup, semble  avoir  pris  intérêt  à  feuilleter  ce  recueil,  où  l'auteur  a 
amassé  une  prodigieuse  quantité  d'anecdotes  historiques  et  dolj- 
servations  de  toute  qualité,  et  où  il  a  vidé  visiblement,  sans 
choix  et  sans  méthode,  des  cahiers  entiers  de  son  enseignement. 
Il  V  mêh'  des  vers  de  sa  façon,  où  Ronsard  n'est  pas  oul)lié  -,  et 
une  interminable  apologie  des  collèges  dont  le  thème  est  celui- 
ci  :  «  [Le  collège]  est  le  fondement  et  pépinière  des  Républiques, 
commune  boutique  de  tout  sçavoir,...  la  maison  des  Muses,  leur 
Ilélicon  et  Parnasse,  et  la  forteresse  de  Pallas...  Un  collège  est 
de  plus  grand  profit  et  singulière  recommandation  que  ne  sont 
sans  comparaison  aucune  tous  les  hospitaux  du  monde,  pour  rai- 
son qu'icy  les  esprits  y  sont  nourris,  qui  sont  les  divins  célestes 
et  immortels  pourtraicts  de  la  divinité  de  Dieu,  où  là,  je  veux 
dire  es  hospitaux,  seulement  les  corps  corruptibles  et  mortels  y 
sont  substantez  ■'.  »  Fort  attaché  aux  collèges  parisiens,  dont  il 
avait  éprouvé  les  bienfaits,  Ronsard  souscrivait  sans  doute  aux 
considérations  louangeuses  où  se  complaît  le  principal  d'Amiens. 

On  allongerait  aisément  la  liste  des  régions  françaises  ici  esquis- 
sée, si  l'on  énumérait  celles  où  des  poètes  de  notre  langue  se 
sont  réclamés  de  Ronsard  et  de  son  école.  Le  Charolais  y  serait 
avec  Des  Autels,  le  Quercy  avec  Magny,  l'Auvergne  avec  Jean 
de  Boyssières,  la  Savoie  avec  Buttet,  et  combien  d'autres  pro- 
vinces, souvent,  il  est  vrai,    pour  des  noms  bien  médiocres  de 

\,  Œuvres  morales  e(  diversifiées  en  histoirfs  pleines  de  beaux  exemples..., 
le  tnul  tiré  des  plus  signalez  et  remarqiialtles  Atitheurs  r/recs,  latins  et  fran- 
çais qui  ont  escril  de  tout  Icinps  pour  l  enseignement  de  toutes  personnes  qui 
aspirent  à  vertu  et  Philosophie  chrestienne.  Par  lean  des  Caurres,  de  Morœul, 
principal  du  Collège  et  chanoine  de  S.  \icolas  d'Amiens.  Reveues,  corrigées 
et  augmentées  de  plus  des  iteux  tiers...,  Paris,  G.  Chaudière,  1384.  Ce  volume 
ne  compte  pas  moins  de  6^1  i  (T.,  plus  les  (T.  liminaires  et  les  tables.  Le  son- 
net de  Ronsard  est  dansl'éd.  L.,  t.  VI,  p.  439. 

2.  Non  plus  que  Desportes,  ni  Dorât,  ni  La  Croix  du  Maine,  etc.  (IT.  o44, 
54'ï) .  Un  de  ses  élèves  qui  le  loue  en  latin  comme  en  français  est  cet  inévi- 
table Edouard  du  Monin,  qui  nomme  Ronsard  dans  son  ode  : 

Au  nombril  de  la  Picanlie  Les  saincls  magasins  de  la  Gaule. 

Je  veux  à  voix  non  eiifrourdie  Et  sonner  d'un  cleron  non  las 

Trompeter  que  tu  es  l'Atlas  (Ployant  magraive  au  seul  Ronsard; 

Soutenant  sur  la  forte  épaule  Qu'en  loy  Socrale  est  faict  Picard. 

3.  Fol.  648.  Jean  des  Caurros  rappelle  la  fondation  des  collèges  deTour- 
non,  de  Reims,  de  (^lermont  et  du  vieux  cnlli'tjo  de  Guyenne. 


20(1  RONSAKU    Kl'    l.'llCMANISMh; 

vains  rimailleurs.  Notre  recherche  les  écarte,  ne  s'appliquant 
qu'aux  humanistes,  érudits  ou  versificateurs  latins  '.  Mais  com- 
nieal  ne  pas  évoquer  une  jurande  lif^-ure  provinciale,  en  qui  se 
joignent  Inilement  les  deux  cultures,  celle  de  l'cjutus  de  Tyard, 
connaisseur  expert  des  systèmes  de  la  pensée  antique,  en  même 
lenqjs  (|ue  poêle  digne  d'être  conq)té  j)ar  Hoiisard  pour  une  des 
étoiles  de  sa  Pléiade.  A  Màcon,  où  il  fut  chanoine,  à  Chàlon, 
dont  il  fut  évêque,  Pontus  de  Tyard  édifiait  paisiblement  son 
œuvre  de  philosophe  et  de  lettré  -.  Parmi  les  productions  latines 
de  l'écrivain  platonicien  des  Erreurs  amoureuses  et  des  Discours 
j)/iilosoplii(/ues,  figure  un  poème  ainsi  désigné  au  titre  de  l'édi- 
tion :  Pon/i  Thi/ardi  Bissiani  ad  Petruin  HonsHrduin,  de  coeles- 
tibus  Axtcrismis  Poema/iurn  '.  Ce  poème,  qu'inspire  assurément 
le  souvenir  de  \  Hymne  des  /is/oi/e.s,  invente  une  fa<,on  ingénieuse 
d'honorer  le  prince  des  lettres,  en  marquant  dans  la  configura- 
tion du  ciel  la  place  où  l'humanité  cherchera  des  yeux  désor- 
mais l'étoile  qui  portera  son  nom.  Voici  le  passage  essentiel  de 
l'ouvrage,  emprunté  non  au  texte  latin,  mais  à  la  traduction  assez 
heureuse  d'un  disciple  de  l'auteur.  Le  poète  suppose  que  la  muse 
Uranie,  après  avoir  guidé  ses  regards  dans  le  firmament,  vient  k 
lui  parler  de  Ronsard  : 


1.  Em.  Picot  décrit  l'ouvrage  d'un  lorrain,  qui  semble  curieux:  L'Hymne 
iIp  l:t  Philosophie  de  P.  de  Hoiisard  commenté  par  Panlaleon  Thevenin  de 
Commercy  en  Lorraine,  auquel,  outre  Varlifice  rhétorique  ei  dialectique  fran- 
çoys,  est  sommairement  traité  de  toutes  les  parties  de  la  Philosophie...,  y 
rapportez...  les  lieux  plus  insignes  de  ta  divine  Semaine  du  sieur  du  Bartas..., 
Paris,  1582.  Chaque  strophe  de  l'hymne  de  1555  est  entourée  d'un  commen- 
taire copieux  [Catal .  de  la  bibliothèque  James  de  llothschild,  t.  IV,  Paris, 
1912,  p.  227). 

2.  Je  signale  deux  lettres  latines  de  Ponlus  de  Tyard,  au  ms.  8585  de 
notre  fonds  latin  (fl.  23-36).  La  seconde  est  intitulée  :  Epistola' episcojii 
C.aliil.  ad  virum  quemdam  amplissimum  fraymenlum.  Elle  est  imiiortante 
pour  la  biographie  morale  de  l'écrivain. 

3.  La  première  édition  a  quatre  fî.  seulement,  imprimés  à  Paris,  en 
1573.  Cf.  Marty-Laveaux,  Notice  sur  Pontus  de  Tyard,  p.  xxij,  et  Picot, 
Catal.  de  la  bihl.  J.  de  Rothschild,  t.  1,  p.  4H7.  Mais  une  réim|)ression  de 
1580,  i(ui  est  à  la  Nationale,  y  ajoute  diverses  pièces  intéressantes:  la 
traduction  frai\çaise  d'Antoine  de  la  Bletonnière,  une  épître  latine  où  celui- 
ci  demande  à  son  mécène chàlonnais  la  permission  de  traduire  son  œuvre; 
enfin  la  »  Prière  à  Dieu  faictepar  Monsieur  de  Ronsard  estant  malade  ",  et 
qui  est  le  poème  de  trente  vers  qu'on  trouve  dans  l'édition  l.aumonier, 
t.  VI,  p.  506.  Les  fî.  de  cette  seconde  partie  sont  numérotés  B-Biiij.  Cette 
réimpression  paraît  inconnue  des  bibliographes. 


l'ONTUS    DE     lYAKr>  2(1 1 

...Ronsanl,  mon  cher  amour,  à  qui  la  destinée 

A  juslenieiil  au  ciel  cette  place  assignée  ; 

Car  alors  qu'il  aura  veseu  par  plusieurs  ans, 

Kt  que  les  tristes  Sn'urs  auront  île  leurs  doits  iens 

Cessé  déplus  tramer  le  filet  de  sa  vie, 

Et  que  la  renommée  aura  de  vois  hardie 

Publié  son  beau  nom,  et  qu'il  aura  encor, 

Chantant  à  ses  nepveus  les  faits  du  lils  d'Hector, 

Surpassé  en  honneur,  avec  sa  Franciade, 

L". Enéide  Romaine  et  la  Greque  Iliade, 

Il  ira  sur  les  Cieux  par  ce  chemin  icy  ; 

Lors  le  triste  Apollon  et  les  Muses  aussi 

Attacheront  soudain  sa  luisante  courronne 

Dans  ce  circuit  de  feu  que  tu  vois  qui  rayonne... 

Le  poème  de  Pontus  de  Tyard  a  été  composé  peu  après  la 
mort  de  François  II,  qu'il  déplore  ainsi  que  les  troubles  du 
royaume  ;  mais  il  a  été  imprimé  beaucoup  plus  tard,  une  première 
fois  en  1373,  une  seconde  fois  au  moment  de  la  mort  de  Ronsard, 
à  laquelle  une  page  entière  est  consacrée  '.  Négligé  par  tous  les 
biographes,  cet  opuscule  nous  apporte  une  intéressante  lettre 
latine,  mise  en  guise  de  préface  : 

PoNTCs    Tyardeus    Bissi.wus    Petro   Rons.\rdo  s. 

\'erebar  si  hos  de  eoelestibus  .Asterismis  lusus  ederem.  ne  operani 
ludos  facerem,  cum  quidam  utrique  nostrum  amicissimus  :  Tu  ne, 
inquit,  tuo  Ronsardo  laudem,  quam  scripsisti  inuides  ?  tu  ne  verô 
finquam  eg^oi  suades  me  quas  ante  decennium  fabulas  ludens  cojlegi, 
etiam  nunc  tanquani  séria  quaedam  edere  ?  Quasi  (respondit)  non 
noris  omnes  fabulas,  fabulas  non  esse.  .-Vn  non  illud  memoria  tenes, 
Rideutem  dicere  verum,  quid  vetat  ?  Ergo  ludens  corollam  Ronsardi 
aeternam,  quam  aeternis  caeli  .Aslerismis  atlixisti,  Ronsardo  dedica  et 
posteritati  consecra  ;  id  efïlagito.  \'inci  igitur  me  passus  sum  (Petre 
Ronsarde)   et    hoc   Poëmatium    tibi    dico,    doctis   et    aequis    omnibus 

i.  On  y  lit  le  distique,  qui  fait  la  contribulion  de  Pontus  de  Tyaixi  au 
Tombeau  du  poète,  et  ceux  que  voici  : 

Ronsardus  ad  sucs  encomiastas. 
Lustmli  tepidos  cinere.i  uspergile  lympha. 

Et  precibus  niunes  rite  piate  meos: 
}iostraqiie  nec  vobis  tantae  sit  gloria  curae. 

Xam  peperi laiidix  salqne  siiperque  mihi. 


202  RONSARD    I;T    I.'lIUMAMS.ME 

olFeri),  ljiHiiiei|ue  posleritati  sacro  :  quod  lilji  ffialuni  si  iiel,  noslri 
seculi  Poëtae  doclissimo  et  foelicissimo  salis  me  fecisse  exislimabo. 
Vale  '. 

Ainsi  l'évêque  humaniste,  après  avoir  diverses  fois  nommé 
Ronsard  dans  ses  écrits,  le  remerciait  une  fois  de  plus,  et  jiar  un 
lionunag'e  inatlendu,  de  l'avoir  désigné  lui-même  k  la  gloire. 

Ronsard  a  été  lié  avec  le  plus  illustre  philologue  de  la  Renais- 
sance, ce  Joseph  Scaliger,  né  à  Agen  en  1340,  d'une  mère 
française,  que  l'origine  italienne  de  son  père  n'empêche  point 
notre  Gascogne  de  revendiquer  avec  orgueil  '■.  La  mémoire 
de  Jules-César  Scaliger,  qui  tenait  à  rattacher  son  sang  k  celui 
des  Délia  Scala  de  Vérone  et  qui  avait  célébré  Ronsard  en  beaux 
asclépiades  peu  d'aniu'es  auparavant  ',  introduisit  son  fils  auprès 
du  poète,  lorsqu  il  vint  faire  des  études  k  Paris  en  loGl  ' .  Joseph 
Scaliger  connut  en  même  temps  plusieurs  des  écrivains  de  la 
Pléiade,  Baïf,  Belleau,  surtout  Dorât,  avec  qui  il  conserva  des 
rapports  d'amitié  '.  Dorât  devait  même  écrire  des  vers  liminaires 
pour  son  édition  des  EUgiarjues  ''  et  pour  son  grand  travail  sur 

1.  Celte  leltre  esl  précédée  de  quelques  disliques  dédiés  à  l'auteur  dès 
l'édition  de  1573,  par  François  d'Araboise,  parisien  : 

Dehehai  Phoebus  flons.irdo  praemia  vati 

Qualia  Maeonio,  (itialia  Virgilio... 
Illi  vui  Reges  Tuba,  cui  Lyra  panxil  Amores, 
Son  est  murlalis  laarea  visa  salis... 

2.  Cf.  Tamizey  de  Larroque,  Lettres  françaises  inédiles  de  Jos.  Scaliger, 
Agen  el  Paris,  1881.  Conimenl  un  si  beau  sujet  n"a-t-il  pas  suscité  un  livre 
fiançais"?  Une  documentation  considérable,  imprimée  et  inédite,  permet- 
trait de  remplacer  aujourd'hui  l'ouvrayc  célibre  de  Bernays,  plus  intéres- 
sant au  point  de  vue  philologique  que  biographique.  Mark  Paltison  pré- 
parait ce  travail,  dont  les  fragments  sont  dans  ses  Essays,  Oxford,  1889, 
t.  1,  p.  132-243. 

3.  V.  ci-dessus,  p.  112. 

4.  J.  Bernays,  Jos.  Justus  Scaliger,  Berlin,  1855,  p.  37,  119,  303. 

5.  Je  no  trouve  qu'une  mention  de  Dorât  dans  sa  correspondance,  où  il 
y  a  si  peu  sur  Ronsard;  c'est  dans  une  lettre  écrite  de  Valence  à  P.  Pilhou, 
en  li572  :  «  Kratrem,  Auratum,  Lambinum  nostros,  et  Uauielem  saluta  " 
[Jos.  Scaligpri  epist.  oiunes  qnae  <'eperiri  poluerunt,  Leyde,  1627,  p.  140). 

6.  Calulli,  Tihtilli,  Prnperlj  noua  edilio  /os.  Scaliger  lui.  Caesaris  f.  re- 
censnit...  Ad  Cl.  Puleanum..  ,  Paris,  1577:  La  pièce  de  Dorai,  qui  en  pré- 
cède une  de  Florent  Chrestien,  a  pour  titre  :  In  Cal.  T.  et  P.  a  lo.Scaligero 
iuuene  nobiti,  Verona  oriunilo,  nuper  emendatos  : 

Graecia  iactabat  sibi  très  in  Amore  poetas... 


JOSEPH     SCALICER 


203 


Manilius  '.  Le  jeune  homme,  dont  l'intelligence  fut  précoce  et  la 
science  promptement  appréciée,  se  montra  quelque  temps  dans  le 
sillnge  de  Ronsard  ;  il  entrevit  même,  pendant  son  court  retour  en 
France,  le  commentateur  des  Amours,  qu'il  devait  retrouver  peu 
de  temps  après  en  Italie  *. 

Ces  relations  de  bon  lettré,  qui  furent  assez  éphémères,  mais 
dont  il  ne  lui  déplaisait  pas  de  s'honorer,  lui  valurent  un  jour  une 
singulière  critique,  lorsque  le  dénigrement  et  l'envie  s'attaquèrent 
à  sa  glorieuse  carrière.  Son  adversaire  Kaspar  Schoppe,  le  Sciop- 
pius  fameux  par  la  grossièreté  de  ses  polémiques,  l'accusa  d'avoir 
pris  part  à  une  païenne  et  sacrilège  cérémonie,  ce  prétendu  sacri- 
fice fait  à  Bacchus  du  bouc  de  Jodelle,  que  les  protestants  ne 
cessaient  de  reprocher  à  Ronsard.  Scaliger  se  défend  dans  une 
page  bien  oubliée,  où  il  tient  la  plume  de  son  disciple  Janus  Rut- 
gers;  sa  verve  s'y  déploie  contre  le  calomniateur  allemand,  qui 
s'est  joué  des  dates  et  des  vraisemblances;  et  c'est  pour  lui  une 
occasion  de  raconter  exactement  l'innocente  fête  littéraire  de  1352, 
qui  n'a  pu  scandaliser  que  les  pédants  et  les  sots  : 

«  Parisienses  illos  amicos  tuos  imiLaris,  quos  Dionvsia  agitasse,  et 
hircum  immolasse,  fama  est  '.  »  —  Dionysia  agitare,  dicil  esse  hir- 
cum  immolare.  Huius  enini  insiniulali  siint  illi,  de  quibus  nunc  agi- 
tur.  \'cspillonis  filius,  qui  nunquam  Lutetiae  fuil,  in  média  Suburra 
habitans  Romae,  unde  hoc  mendacium  expiscari  potuit,  nisi  a  quibus 
reliqua  portenta  diclicit  ?  Quos  putat  Dionysia  agitasse,  vel  hircum 
immolasse,  ut  illi  persuaserunt  qui  verumdicere,  etiaiii  si  velint.  non 
possiut,  ii  sunt  :  Petrus  Ronsardus.  M.  Anton.  Muretus,  lanus  Baiflus. 
Remigius  Bellaqiieus,  Stephanus  lodellus,  Nicol.  Denisotlus,  loan. 
.Auralus,  alii,  onines  poetae,  praeler  Paloletum  4,  qui  in  histoi-iis 
conscribendis  omue  sludium  suum  coUocaral  :  quos  tam  falsum  est  adeo 

1.  M.  Manilii  Asironomiri'im  libri  V.  /os.  Scaliger...  rec.  ac  prisfino 
ordini  min  reslituil,  Paris,  1379  La  pièce ;iianque,  comme  la  précédente,  au 
recueil  de  Dornt  : 

Herculeo  coeli  quod  sedit  machina  cnllo... 

2.  En  1505.  V.  Tédilion  citée  ci-dessous  de  la  Confulalio  Bttrdonuni, 
p.  341,  -iôl,  388,  où  de  curieux  détails  seraient  à  utiliser.  Scaliger  dédie  à 
Muret  en  1562,  ses  traductions  grecques  de  Catulle  ;  en  1565,  à  Rome,  ses 
traductions  d'Horace. 

3.  Ces  mois  sont  tirés  du  pamphlet  de  achoppe,  Scaliijer  [hjpoboUmaPiix, 
Mayence,  1607. 

4.  L'historien  Jean  Patouillet  ne  parait  pas  avoir  pris  part  ;i  la  fête  en 
l'honneur  de  Jodelle. 


^Oi  KONSAiiii  Kl    r.  m  MAMSMi: 

execniiuluiii,  iifriiiulum,  impiuni  facinus  l'ecisse,  quam  cerluni  est, 
impune  illis  fiiturum  non  fuisse,  siquidem  lam  Christianae  pietatis, 
quam  existiniationis  suae  obliti  tam  deteslabilc  soelus  in  se  admisis- 
sent.  Si  illi  docti  viri  viuerent,  fur  non  inullum  luliiisel.  Porro  tam 
iinpiidentis  caliimtiiae  aurtor  fuit  sacriliculus  Gentiliaci  vici  ',  in  quo 
illi  doclissinii  viri  de  consliluto  coieranl,  ut  de  symbolis  essenl. 
Totum  drama  exponerem,  si  opus  essel,  ut  losephus  me  docuit  '■', 
qui  ilhul  ad  unf,n)eni  tenet.  Sed  ponamus  venim  esse  :  quid  haec  ad 
losephum,  qui  lune  puer  Hurdigalae  primis  rudimenlis  Latiiii  sermonis 
initiabalur?  An  quia  sexto  post,  septimo  et  oclavo  aniio  omnes,  prae- 
ter  lodellum,  illos  vidit  et  fa  m  ili  a  r  i  I  er  nouil,  ideo  eiusdem 
criminis  poslulanilus  erit  •*? 

Plus  tard,  Scaliger  disait  volontiers  à  ses  amis  de  Hollande 
l'admiration  qu'il  portait  à  Ronsard  et  aussi  à  Du  Bellay  ^,  et  il 
se  faisait  donner  des  nouvelles  de  celui  des  deux,  le  plus  {^rand, 
qui  l'avait  accueilli  dans  sa  jeunesse  ''.  Ronsard,  de  son  côté, 
savait  fort  bien  l'importance  et  l'autorité  de  la  grande  œuvre  phi- 
lologique que  poursuivait  Scaliger  ;  il  appréciait  même  hautement 
ses  qualités  d'écrivain,  puisqu'il  regrettait  de  ne  pas  les  voir  au 
service  de  la  langue  française  :  u  0  quantesfois  ay-je  souhaité 
que  les  divines  testes  et  sacrées  aux  Muses  de  losephe  Scaliger, 
Daurat,...  voulussent  employer  quelques  heures  à  si  honorable 
labeur  !  ''  »  Le  poète  avait  dû  garder  longtemps  dans  ses  papiers 
un  essai  poétique  que  Scaliger  avait  lui-même  conservé  parmi  les 
siens,  après  le  lui  avoir  adressé  en  hommage  pendant  son  séjour 

d.  Le  curé  de  Gentilly,  près  d'Arcueil,  n'avait  rien  compris  à  l'aimable 
fantaisie  de  nos  poètes,  improvisant  leur  cérémonie  à  l'antique  avec  le  bouc 
survenu  par  hasard  au  milieu  du  festin. 

2.  C'est  Hutgers  qui  est  censé  parler  au  nom  de  Scaliger. 

3.  Munsterus  Hypoholimaeus...  et  Virijiila  iliuina...  Accessit  his  acctirala 
Burdoniiiit  fahulae  cnnfiitatio.  Leyde,  1609,  p.    338-340. 

4.  «  Ronsardus  magnus  poëfa  Gallicus  :  ut  Bellaius  utriusque  linguae  lati- 
nae  et  gallicae,  qui  iquod  hactenus  pauci'i  facilitatem  et  dulcedinem  Catulli 
assequutus  est  »  {Prima  Scaliijerana,  p.  14'n.  Dans  une  lettre  do  l.'iTS,  le 
pliilologue  se  plaint  à  Pierre  Pithou  de  méchants  propos  qu'a  tenus  Pas- 
serai sur  son  compte  :  <(  Ce  qu'il  a  dict  de  moy,  il  ne  le  peust  nier.  Car  il 
y  avoit  trop  de  gens  de  bien,  lesmoins  Monsieur  Ronsard  et  Monsieur  de 
Saincte-Marlhe,  de  Poictiers  »  (Tamizey  de  Larroque,  /.  c,  p.  83). 

3.  Fédéric  Moral  le  Gis  lui  écrit  de  Paris,  en  février  158">,  après  avoir 
parlé  de  leurs  amis  communs,  Cujas,  Dupuy,  Pithou,  etc.  :  «  Auratus  j-io 
v£o-ca;j.05  et  Ronsardus  ovi;  veoOivr;;  hic  viuunt  et  valent  »  (Burmann,  Sylluges 
epislolarum,  t.  II,  p.  313i. 

t).   Dernière  préface  de  la  Franciaile  (1387).  Ed.  L.,  I.  Vil,  p.  97. 


JOSEPH     SCALIGER  203 

à  Paris,  (rétail  une  traduction  en  t,'rec  du  Morctum  de  \'ir- 
gile,  dont  le  manuscrit  portait:  Conuersum  anno  i56i ,  oblaturn 
vcro  Petro  Ronsardo  anno  i!)6S  '.  La  dédicace  d'un  tel  travail 
montre  assez  à  quel  degré  l'on  reconnaissait  à  Ronsard  la  qua- 
lité d'iielléniste,  et  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  le  voir  proclamer 
tel  par  le  prince  des  pliilologues. 


VII 


L'Humanisme  a  aidé,  beaucoup  plus  qu'on  ne  l'a  dit,  à  répandre 
hors  de  France  le  nom  de  Ronsard  et  la  lecture  de  ses  ouvrages. 
Leur  influence  est  constatée,  par  les  contemporains  eux-mêmes, 
en  bien  des  pays.  Elle  étend,  selon  le  mot  de  Du  Perron,  «  la 
gloire  de  nos  paroles  et  les  limites  de  nostre  langue  »  et  fait  qu'on 
«  en  tient  eschole  jusques  aux  parties  de  l'Europe  les  plus  esloi- 
gnées,  jusques  en  la  Moravie,  jusques  en  Pologne  et  jusques  à 
Danzik,  là  où  les  œuvres  de  Ronsard  se  lisent  publiquement  -  ». 
Les  «  gens  de  lettres  »,  il  est  vrai,  ne  furent  pas  partout  les  pre- 
miers k  travailler  à  la  diffusion  des  livres  de  notre  poète  national. 
Ils  furent  devancés  souvent  par  de  nobles  étrangers  venus  en 
France,  qui  le  virent  apprécié  de  nos  rois,  de  nos  reines,  des 
grands  du  royaume,  et  allèrent  apprendre  ses  mérites  aux  autres 
cours  de  lEurope. 

Celle  de  Marie  Stuart  n'avait  pas  besoin  d'être  ainsi  renseignée, 
puisque  la  reine  dEcosse  s'était  montrée  elle-même  en  France 
la  plus  dévouée  protectrice  de  Ronsard  ;  mais  les  ambassadeurs 
et  les  voyageurs  servirent  utilement  sa  réputation  à  la  cour  d'Eli- 
sabeth d'Angleterre,  où  il  trouva  plus  d'un  imitateur '.  En  Savoie, 
auprès  de   son    époux    Emmanuel-Philibert,   la  bonne   duchesse 

1.  los.  Scaliç/eri  lut.  Caes.  f.  Poemata.  miinia,  Anvers,  161  j,  p.  106.  L'au- 
teur a  offert  des  Properliana  à  G.  Ganter  à  Paris,  en  1561  (Bernays,  p.  303  ; 
Pattison,  Ës.iays,  t.  1,  p.  200). 

2.  Du  Perron,  Oraison  funèbre  sur  lu  mort  de  ^^onsieur  de  Ronsarrl, 
Paris,  ir,86,  p.  48. 

3.  Ronsard  a  dédié  à  la  reine  Elisabeth,  en  1565,  son  recueil  d'£'/egr(es, 
mascarades  et  bergeries,  qui  put  contribuer  à  développer  à  la  cour  de 
Londres  le  goût  des  «  mascarades  ».  On  trouvera  dans  les  notes  de  Lau- 
monier  à  Binet,  p.  209,  la  bibliographie  des  ouvrages  traitant  de  l'influence 
de  Ronsard  sur  la  poésie   anglaise. 


206  UONSAKU    ET    LIIUMAMSME 

Marguerite  avait  emporté  dans  ses  coffres  les  vers  de  son  poète 
favori  et  continuait  à  en  faire  ses  délices.  Elle  avait  auprès  d'elle, 
pour  s'en  entretenir  familièrement,  son  secrétaire  Dallier,  beau- 
lils  de  Jean  de  Morel  ',  et  un  prélat  tout  ;i  fait  francisé,  élevé 
par  Morel,  Jérôme  de  la  Révère,  évéque  de  Toulon,  puis  arche- 
vêque de  Turin,  à  qui  fut  dédié  le  <(  songe  »  de  Lh  Vertu  amou- 
reuse dans  le  Bocage  royal  '-.  L'humaniste  Antonio  de  Gouvea,qui 
connaissait  si  bien  la  Pléiade  •'',  appartint  à  la  cour  de  Turin  et  y 
mourut  en  I5()o,  maître  des  requêtes  et  conseiller  secret  du  duc. 
(Juanl  aux  Français  qui  rimaient  en  Savoie,  comme  en  Piémont, 
ils  étaient  pour  la  plupart  de  l'école  de  Ronsard  ;  tels  Pierre 
Duniay  et  Jean  Grangier,  le  poitevin  et  le  lorrain  qui  menèrent 
les  «  bergeries  »  à  la  cour  pour  les  fêtes  du  baptême  de  Charles- 
Emmanuel  ',  Marc-Claude  de  Bultet,  qui  comptait  dans  la  Bri- 
gade et  se  trouvait  être,  né  à  Chambéry,  un  sujet  de  Madame  Mar- 
guerite, Jacques  Peletier  enfin,  qui  habita  trois  années  sa  ville 
d'Annecy  et  mit  sous  son  patronage  le  poème  La  Savoye, 
qu'il  y  publia  en  1572.  N'oublions  pas  le  séjour  de  Jacques 
Grévin  à  Turin,  qui  y  mourait  en  1570,  ayant  dédié  à  la  princesse 
française  ses  beaux  sonnets  d'humaniste  sur  Rome,  où  se  conti- 
nuent dignement  les  Antiquitez  de  Du  Bellay  ■\  La  cour  de  la  sœur 
de  Henri  II  était  assurément  la  seule  en  Italie  qui  fût  aussi  pleine 
des  échos  de  la  Pléiade.  Parmi  les  autres,  celles  qui  ont  raffolé 
des  Rime  d'Annibal  Caro  ne  pouvaient  manquer  de  goûter 
dans  Ronsard  au  moins  le  poète  courtisan,  et  ce  fut  même  un 
divertissement  des  lettrés  italiens  de  comparer  entre  eux  les  deux 
écrivains  ^.  On  se  rappelle  aussi  la  rencontre  joliment  contée  par 
Brantôme,  qui  cause,  dans  la  boutique  d  un  libraire  de  Venise, 

1.  .loachim  Dallier  écrit  à  Morel,  de  Rivoli  en  Piémont,  le  22  octobre 
l:i61  :  «  Mousieur,  Tout  premièremeat  je  vien  de  recepvoir  vostrepacquet 
par  Mous''  de  Vincent  avec  les  compositions  de  Mons"'  de  Konsaid,  que  je 
feray  sans  faulte  voir  à  Madame.  .  .  •>  ;  Bibl.  iiat , ,  Lat.  8589,  fol.  30}. 

2.  «  A  très  illustre  prélat  Hyeronyme  de  la  Rouvere,  evesque  de  Tou- 
lon ..  (éd.  L.,  t.  m,  p.  335-343  ;  cf.  t.  VII,  p.  385^  Une  lettre  familière  du 
prélat  à  Jean  de  Morel,  écrite  pendant  le  colloque  de  Poissy,  est  au  ms. 
LaL  8589,  fol.  37.  V.  la  noie  de  mon  édition  des  Lettres  ileJ.  du  Hella;/,  p.  29 

3.  On  l'a  établi  plus  haut,  p.  145.  Cf.  \V.  Slepliens,  Margarel  of  France, 
p.  241. 

4.  Cf.  Ferdinando  Neri,  //  Chiahrera  e  la  Pléiade  francese,  Turin.  1920, 
p.  32-37. 

5.  L.  Pinverl,  Jacques  Grévin,  p.  358-370. 

6.  V.  plus  loin,  p.  226. 


RENOMMÉE  DE  RONSARD  HORS  DE  FRANCE  207 

avec  un  «  magnifique  »,  ancien  ambassadeur  à  Paris,  et  comment 
celui-ci  s'étonne  de  voir  vm  g'entiliionime  français  rechercher  les 
œuvres  de  Pétrarque,  puisque,  dit-il,  «  vous  en  avez  un  envostre 
France,  plus  excellent  deux  fois  que  le  nostre  »  '. 

Quoique  si  bien  servie  par  les  gens  de  cour,  la  renommée  de 
Ronsard  hors  des  frontières  de  son  pays  doit  dav;intage  à  cet 
humanisme  international  dont  Paris  fut  alors  un  des  centres  de 
ravonnement.  Les  écrivains  étrangers,  qui  vécurent  dans 
notre  capitale  pendant  le  troisième  tiers  du  seizième  siècle, 
manquèrent  rarement  de  visiter  le  grand  poète,  que  les  érudits 
eux-mêmes  considéraient  comme  un  confrère.  Un  exemple  digne 
de  mémoire  est  fourni  par  la  Pologne,  qui  tenait  alors  le  premier 
rang  intellectuel  dans  les  pays  du  nord  et  de  l'est  de  l'Europe  et 
rattachait  étroitement  sa  civilisation  à  celle  de  l'Italie  et  de  la 
France.  Son  plus  grand  écrivain  de  cette  époque,  qui  est  en 
même  temps  son  meilleur  humaniste,  a  connu  notre  Ronsard  et 
s'est  inspiré  directement  de  son  œuvre.  Ces  relations,  qu'aucun 
biographe  de  celui-ci  ne  paraît  avoir  signalées,  n'ont  qu  une  his- 
toire très  courte,  mais  pleine  de  signification. 

Il  y  avait  en  Italie,  au  temps  de  la  publication  des  Amours  et 
des  Hymnes,  un  jeune  polonais  de  vingt-six  ans,, qui  s'initiait  aux 
lettres  grecques  et  latines  auprès  des  chaires  les  plus  réputées. 
Il  trouvait  à  Venise  les  leçons  de  Muret  et  comptait  vraisembla- 
blement au  nombre  des  étudiants  qui  inspirèrent  à  celui-ci  une 
telle  admiration  pour  la  culture  de  la  Pologne,  qu'il  la  compara 
iin  jour  à  celle  de  l'Italie,  en  lui  accordant  même  l'avantage  -. 
Jan  Kochanowski  était  ardent  et  enthousiaste  :  ce  fut,  on  peut  le 
supposer,  par  le  jeune  professeur,  récemment  arrivé  de  France, 
qu'il  apprit  l'existence  d'un  grand  poète  dans  ce  pays  et  les  succès 
d'une  école  qu'il  avait  intérêt  à  connaître,  puisqu'il  rêvait  déjà 
d'accroître  lui-même  le  trésor  littéraire  de  sa  nation.  L'étudiant 
polonais  se  mit  en  route  pour  la  France  en  I.5.o6,  en  compagnie 

1.  Brantôme,  éd.  Lalaniiu,  L.  III,  p.  288.  Cf.  Flamini,  Stiidi  di  storia  Icl- 
leraria  ilul.  c  slrsn.,  Livoiirne,  ISO'i,  p.  346. 

2.  Opéra  Miireti,  t.  I,  p.  490  [Epist.  I,  66.  LcLlre  sur  les  offres  du  roi 
Et.  Batory  pour  le  décider  à  venir  enseigner  à  Cracovie).  Aucun  biographe 
de  Jan  Kochanowski,  ni  Stan.  Tarnowski,  ni  Loewenfeld,  ni  Maria  Kasierska, 
dont  le  livre  est  le  plus  récent  [Les poêles  lalins  polonais,  [.vant  loS9,  thèse, 
Paris,  1018),  n'a  remarqué  la  présence  simultanée  à  Venise  de  Muret  et  du 
poète,  qui  étudiait  aussi  à  Pailoue. 


208  nii.NSAiirj  Ki-  i.'iiu.MAMSMf; 

d'un  de  nos  compatriotes,  qui  devait  être  aussi  un  admirateur  de 
la  Brigade  et  à  qui  il  envoya,  quatre  années  plus  tard,  une  élégie 
sur  la  mort  de  Henri  II.  Après  avoir  traversé  avec  cet  ami  la  Pro- 
vence et  l'Aquitaine,  il  séjourna  à  Paris  et  vit  aussi  la  Belgique. 
Voici  ses  vers   sur   notre    pays,    adressés  à  son   compagnon  de 

voyage  : 

Te  duce  Aquitanos  el  Belgtca  vidimus  ;iriia 

Kxtremoque  silam  lilore  Massiliam, 
('.ellarumque  doiUDS  el  quo  magnae  in/!iiil  urhi 

Caerulaeus  rapidis  Seqaana  vorlicibus... 
El  Ligerel  Bhodanus  noslrum  sensere  dolorem, 

Cutn  linquenda  nii/ii  Gallica  régna  furenl  '. 

A  Paris,  introduit  peut-être  par  Muret,  Kochanowski  ne  resta 
pas  étranger  au  monde  des  poètes  ;  il  rencontra  Ronsard,  et 
l'impression  (jue  fit  sur  lui  la  personne  dlm  tel  maître  ne  déçut 
point  SOI)  attente.  La  grandiloquence  juvénile  de  son  témoignage 
n'en  doit  pas  faire  suspecter  la  sincérité  : 

Hic  illum  palrio  modulatiim  carmina  pleclro 

Bonsardum  vidi,  nec  minus  ohslupui 
Quam  si  Thehanos ponenleni  Amphiona  niuros 

Orphacue  aiidissem  ]^hoeJji(/enamuL'  I.inuni. 
Delinila  suos  inhihehanl  flumina  cursus, 

Saxaque  ad  insoUlos  exsilnere  sonos  '^ . 

C'était  un  poète  humaniste  que  la  Pologne  envo\-ait  à  Paris  ; 
ce  fut  un  poète  polonais  qui  en  revint.  L'exemple  triomphant  de 
Ronsard  et  de  ses  amis  fit  perdre  au  latin,  dans  l'esprit  de  Kocha- 
nowski, une  part  de  son  prestige  ;  il  lui  apparut  avec  évidence 
qu'une  grande  poésie,  comparable  à  celle  des  Anciens,  pouvait 
être  tentée  dans  les  idiomes  modernes.  Dès  son  temps  de  France, 
il  annonce  à  une  belle  Française,  dont  il  est  amoureux,  la  nais-  - 
sance  de  sa  «  Muse  slave  »  •'.  On  voit  désormais  la  langue  natio- 
nale alterner  dans  sa  production  avec  celle  de  l'Humanisme  et  y 

1.  Opéra  loannis  Cochanouii,  éd.  Plenkiewicz,  Varsovie,  1887,  I.  III, 
p.  117.  L'édition  originale  des  Eleijiae  est  de  Cracovic,  1584.  L'auleur  appelle 
Charles  son  ami  français. 

2.  Même  élégie  ad  Caroliim,  la  8'  du  livre  III. 

3.  Koclionowski  a  aimé  une  Française,  <■  venusia  Galla  >•,  à  qui  il  adresse, 
sous  le  nom  de  Lydie,  mainte  élégie  tibullienne.  Il  lui  déclare  en  passant 
{Eleg.,  I,  vi)  qu'il  la  chantera  aussi  dans  sa  langue  maternelle  : 

Huicsi  quid  hlandum  spirant  mea  carmina  debenl. 
lliiic  Latia  ah/ne  recens  Staiiica  Musa  canal. 


KIICIIANOWSKI  209 

prendre  bientôt  la  place  principale.  L'étalage  de  l'érudition,  les 
vastes  imaginations  mythologiques,  l'imitation  d'Anacréon  et 
d'Horace  s'y  retrouvent  comme  chez  Ronsard,  et  l'on  rapprociie 
avec  raison  l'épithalame  composé  par  celui-ci  pour  le  mariage  de 
Charles  de  Bourbon  avec  Jeanne  d'Albret,  de  celui  de  Kocha- 
nowski  chantant  les  noces  de  Christophe  Radziwill  et  de  Cathe- 
rine Ostrowska  '.  De  même,  par  le  goût  et  le  sens  de  la  nature, 
par  l'élan  lyrique  et  d'autres  traits  encore,  les  deux  poètes  sont 
fort  voisins  l'un  de  l'autre,  et  le  plus  jeune  a  conscience  de  rem- 
plir dans  son  pays  un  rôle  analogue  à  celui  de  son  aîné,  qu'il  a 
visiblement  étudié  avec  ferveur. 

Quand  le  duc  d'Anjou,  frère  de  Charles  IX,  partit  jjour  la 
Pologne  pour  y  régner,  on  mit  sans  doute  parmi  les  livres  qu'em- 
portaitce  roi  lettré,  plus  d'un  ouvrage  de  Ronsard,  ceux  du  moins 
qui  célébraient  la  victoire  de  Moncontour  et  le  prince  choisi  pour 
porteries  fleurs  de  lis  en  ces  régions  lointaines.  Le  futur  Henri  III 
emmenait  avec  lui,  d'ailleurs,  Philippe  Desportes,  déjà  son  poète 
préféré  et  dont  l'étoile  naissante  allait  obscurcir  bientôt  celle  du 
chef  de  l'école.  Kochanowski  ne  manqua  pointd'adresseraujeune 
souverain  prêt  à  quitter  la  France  une  ode  latine  exprimant  l'en- 
thousiasme et  les  espérances  qui  animaient  ses  compatriotes. 
Mais  on  sait  quelle  fâcheuse  figure  fit,  dans  sa  capitale  «  sar- 
mate  »,  ce  prince  trop  habitué  aux  commodités  de  la  vie  fran- 
çaise et  aux  plaisirs  du  Louvre.  Desportes,  qui  partageait  ses 
regrets  et  ne  fut  pas  le  dernier  à  conseiller  son  départ  précipité 
de  Cracovie  à  l'annonce  de  la  mort  de  Charles  IX,  a  écrit  sur  la 
Pologne  en  termes  légers  et  méprisants,  bien  dilîérents  de  ceux 
dont  les  poètes  parisiens  avaient  salué  l'ambassade  de  1573,  qui 
venait  offrir  la  couronne  à  son  maître  -.  II  soutint  contre  Kocha- 
nowski une  polémique  littéraire,  où  celui-ci,  défendant  l'honneur 
et  les  mérites  de  son  pays,  garde  assurément  le  beau  rôle  ^.  S'ils 

1.  Stan.  Siedlecki,  Jan  Kochanowski,  1330-1 56i,  Cracovie,  1884,  p.  7. 

2.  On  sait  quelle  part  Ronsard  a  prise,  avec  Dorât,  à  la  réception  de  l'am- 
bassade polonaise  à  Paris  et  à  la  fête  donnée  aux  Tuileries  par  Catherine 
de  Médicis.  V.  surtout  la  publication  de  Féd.Morel:  Magni/ire/itissimispec- 
taculi  a  Rcgina  Regum  maire  in  liorlis  siihurhanis  editi...  descriplio,  lo. 
Aurati  poeta  regio  autore,  Paris,  1573. 

3.  Abel  Mansuy,  Le  monde  slave  et  les  classiques  français  aux  XVI'-XVII' 
siècles,  Paris,  1912,  p.  42  sqq.  Le  chapitre  sur  f/n  iîo/îsarc/isan<  oui/(é  met 
en  œuvre  certains  travaux  de  la  critique  polonaise,  notamment  ceux  de  Th. 
Wierzbowski,  sur  Kochanowski. 

NoLHAfi.  —  Ronsard  et  rHuiiianisme.  l'i 


210  uonsahu  kt  i.'iiiîmamsmi; 

eurent,  comme  il  est  probable,  l'occasion  de  se  rencontrer  au 
château  duWawel,  le  Polonais,  qui  devait  chanter  ironiquement 
la  «  fuite  »  sans  gloire  de  Henri  de  France  ',  put  s'élonner  et 
s'indig'ner  de  trouver  son  entourage  si  médiocrement  disposé  pour 
ce  grand  Ronsard,  resté  le  modèle  idéal  de  sa  propre  vie. 

Pendant  son  séjour  à  Paris,  Kochanowski  avait-il  suivi  les 
leçons  de  Dorât?  Celui-ci  n'était-il  pas  enfermé  encore  dans  son 
petit  collège  de  Coqueret  ?  S'il  eût  écouté  le  •<  lecteur  »  célèbre  du 
Collège  royal,  l'écrivain  polonais  y  eût  fait  sans  doute  quelque 
allusion.  On  est  mieu.x  renseigné  ]iour  un  autre  personnage,  moins 
iniporlanl  dans  l'histoire  des  lettres,  mais  qui  a  pris  une  part 
active  aux  controverses  intellectuelles  et  religieuses  de  l'époque, 
André  Dudith  Sbardellat.  Ce  parfait  latiniste  hongrois,  connu 
par  ses  nombreuses  missions  en  Allemagne,  avait  passé  quehiue 
temps  de  ses  études  k  Paris  et  figuré  parmi  les  élèves  de  Dorât, 
avant  de  devenir  l'orateur  au  Concile  de  Trente  et  le  négociateur 
d'universel  savoir  qu'admire  J.-A.  de  Thou.  Les  jeunes  Français 
qu'il  avait  fréquentés  se  ra2>pelèrent  longtemps  ce  brillant  con- 
disciple, et  plus  d'un  regretta  que  l'extrême  éloignement  ne  per- 
mît pas  d'entretenir  son  amitié  2.  Us  avaient  appris  sans  surprise 
qu'André  Dudith  était  devenu,  de  bonne  heure,  évêque  en  Hon- 
grie ;  mais  les  nouvelles,  plus  tard,  eussent  paru  fâcheuses  à 
plusieurs,  car  la  fin  de  sa  vie  fit  de  lui  un  protestant  déclaré  *. 

1.  Ou  lira  dans  le  livre  de  M.  Kasterska,  p.  154-15o,  un  petit  poème  en 
lieudécasyllabes  récemment  retrouvé  :  lo.  Kochanouii  de  eleclione^  coronn- 
lione  et  fuga  Galll.  Il  vient  s'ajouter  à  la  réponse  faite  à  Desportes  et 
intitulée  Gallo  crocilanli. 

2.  G. -M.  Imbert,  dans  un  de  ces  sonnets  de  vive  allure  écrits  de  sa  pro- 
vince, rappelle  le  séjour  du  Hongrois  à  un  condisciple  llaïuand  : 

Quelque  part  que  tu  sois.  Charles  Utenliovie,... 
Que  fait  ton  Apollon  ?tli  le  moi  je  te  prie 
El  di  moi  de  lestât,  si  lu  le  scais  ou  non, 
Dé   nosire  cher  ami,  dont  tant  me  plaisi  le  nom, 
Dudicc  Sbardellat,  grand  honneur  de  l'Hongrie. 

(Sonnet  26  des  Sonets  exoteritjues,  Bordeaux,  ISIS.  Le  sonnet  43  est 
adressé  à  Dudith  lui-même  et  commence  par  la  répétition  du  dernier  vers 
cité.  Au  sonnet  46,  l'auteur  se  félicite  modestement  d'avoir  été  noraraé  par 
Ronsard). 

3.  André  Dudith,  dit  quelquefois  Sbardellat,  du  nom  de  sa  mère  véni- 
tienne, naijuit  à  Buda  en  lo33  et  vécut  jusqu'en  1589.  V.  l'article  étendu  de 
De  Thou,  traduit  par  Teissier,  Z,es  Etoyes,  t.  IV,  p.  39;  Cataioyuf:  codd. 
lat.  Hibl.  Monacensis,  t.  Il,  part.  1,  .Munich,  1874,  ji.  l'.K);  Dorci,  Cal.  Je  la 
coll.  Dujiiiij,  t.  I,  p.  .32'.). 


HUMANISTES    DES    PAYS-BAS  211 

Ami  et  admirateur  de  Muret,  qu'il  fréquentait  iulimement  à 
Padoue,  en  1538  ',  il  n'est  pas  douteux  qu'à  Paris  il  n'ait  connu 
personnellement  Ronsard.  Est-ce  à  lui  que  pense  Du  Perron,  quand 
il  parle  de  ce  pays  un  peu  incertain  de  »  Moldavie  »,  où  le  poète 
français  a  trouvé  des  introducteurs  ? 


IX 


Ce  fut  parmi  les  élèves  et  les  auditeurs  de  Jean  Dorât  que  se 
recrutèrent  le  plus  aisément  les  admirateurs  de  Ronsard.  On  peut 
s'expliquer  par  là  que  tout  l'humanisme  des  Pays-Bas  lui  ait  rendu 
hommage.  Le  groupe  des  jeunes  savants,  nés  dans  les  provinces 
soumises  aux  Espagnols,  qui  vivaient  en  1363  à  Paris,  chassés 
par  les  troubles,  était  formé  d'élèves  de  Dorât.  La  Hollande 
connut  le  poète  à  travers  leur  enthousiasme.  Le  plus  brillant  d'entre 
eux,  Jan  van  der  Does,  dit  Janus  Dousa,  revendique  tant  d'amitiés 
parisiennes  autour  de  la  Pléiade  qu'on  peut  penser  que  cet  esprit 
très  actif  a  porté  à  Leyde  1  écho  de  leurs  admirations.  Il  avait 
fréquenté  en  France,  de  façon  familière,  Dorât,  Baïf,  Guillaume 
des  Autels,  dédié  des  odes  latines  à  Vaillant  de  Guélis,  plus  tard 
abbé  de  Pimpont,  et  à  Jean  de  Morel.  Comment  n'aurait-il  pas 
rencontré  Ronsard  avec  eux?  11  le  lisait,  en  tout  cas,  ainsi  que 
Belleau,  et  remerciait,  en  1373,  l'Anglais  Daniel  Rogers  de  lui 
envoyer  les  nouveaux  ouvrages  des  poètes  :  c  Literae  illae  quas 
aliquando  post  discessum  meum  Ronsardi  Franciadi  et  Bella- 
quaei  libellis  comités  dedisti  quantam  habentdeclarationem  amo- 
ris  tui  -  ?  »  On  sait  que  Van  der  Does  a  influencé  particulièrement 
son  familier  Jan  van  Hout,  secrétaire  delà  ville  de  Leyde.  qui  a 
rêvé  d'être  le  Dorât  d'une  nouvelle  Pléiade  et  a  défendu  non  saus 

1.  Cf.  Mureli  opéra,  t.  I,  p.  424,  495. 

2.  lani  Duzae  Nordouicis  nouoruinpoematuin  secunda  Lugdnnensis  edilio. 
Impr.  in  noua  Lugduni  Balauorum  Academia,  lo7t)  (non  paginé],  V.  la  pré- 
face du  IV'  livre  des  Odes  [lanus  Duza  Danieli  Bogerio  suo),  où  l'auteur 
rappelle  que  Rogers  est  cher  à  ses  propres  amis.  <i  Valenti,  Buchanano, 
Aurato,Baitio,  Florenti  [Christiano?],  Altario,Thorio  ».  Il  parle  plus  loin  de 
deux  pièces  qu'on  retrouve  à  la  fin  de  son  recueil  ;  [Odas]  ad  Germanum 
Valentem  et  lanum  Morellum  sincfulas,  quas  ante  annos  oclo,  ut  nosti,  a  me 
quondam  Parisiis  fusas  verius  quam  scriptas...  noua  deinum  incude  refin- 
gereplacail.  Le  séjour  de  Van  der  Does  à  Paris  se  place  vers  laô'î. 


212  lUiNSAlUJ    Kl'    l/lILMAMSME 

auliirilé  dans  son  pavs  les  idées  ([ui  trii)in](liaiciil  (!ii  |-raiice  avec 
la  notre  '.  De  leur  côté,  les  frères  Canlcr,  bons  philologues  hol- 
landais qui  ont  vécu  à  Paris  -,  ont  eu  Dorât  pour  [)rofesseur  au 
Collège  roj'al  et  recueilli  avec  piété  ses  poèmes  comme  ses  correc- 
tions de  textes  anciens  ;  l'aîné,  Guillaume,  en  a  même  fait  un 
petit  recueil  qu'on  se  passait  de  mains  en  mains  ^;ils  n'ont  pu 
mancjuer  de  s'intéresser,  pendant  leur  séjour,  au  plus  grand  des 
disciples  du  maître,  que  leur  recommandaient  à  la  fois  les  senti- 
ments de  leur  entourage  et  une  ferveur  commune  pour  les  études 
grecques.  Il  est  extrêmement  probable  quils  l'ont  connu  *.  La 
preuve  de  l'ardente  curiosité  qu'ils  lui  portèrent  est  fournie,  au 
reste,  par  la  correspondance  de  Théodore  Ganter.  Il  envoyait 
d'Utrecht  à  Vulcanius,  professeur  à  Leyde,  la  dernière  édition 
complète  des  œuvres  de  Ronsard  publiée  du  vivant  de  l'au- 
teur, et  la  signalait  en  ces  termes  à  l'éditeur  de  Callimaque, , 
de  Bion  et  de  Moschos  :  «  It  at  te  tandem  Ronsardus...  Ego  suc- 
cissiuas  aliquot  hebdomadarum  horas  ei  perlegendo  impendi, 
itaque  maiore  nescio  an  voluptate  an   fructu  ;  ita  niihi  accurata 


i.  V.  l'article  de  J.  Prinsen,  analysant  son  livre  sur  Jan  van  Hout,  dans 
la  Revue  de  la  Renaissance,  année  1907,  p.  l"2o-135. 

2.  V.  leurs  notices  dans  la  Bihliotheca  belr/ica  de  Foppens,  Bruxelles, 
1739,  p.  114  et  394.  On  lit  dans  celle  de  Guillaume  Canler  (Utrccht,  1541- 
Louvain,  1373)  :  "  Aelatis  anno  xvi  Galliani,  llaliam,  Germaniamque  lus- 
trauit  et  in  doctissimorum  virorura,  loannis  Aurati  (quem  in  Graecis  doc- 
toreni  quoad  vixit  coluit),  Caroli  Sigonii,  Fuluii  Ursini,  Ant.  Mureti,  alio- 
rumque  amicitiam  venit;  quibuscum  omnis  illi  sei'mo  erat  de  litteris  (Grae- 
cis praesertim  in  quas  naturae  quodam.  ductu  ferebatur),  deque  bibliothe- 
cis  libris  bene  inslructis.  » 

3.  Le  fait  est  attesté  par  une  lettre  d'André  Scholt,  envoyée  d'Anvers  à 
Leyde,  le  27  mai  1619,  où  Peter  Scriverius  est  remercié  d'un  de  ses 
ouvi-ages  :  «  .  .  .Ego  vero  nescio  quod  iviiSiocov  reponam,  nisi  forte,  quia  et 
in  poetica  excellis,  et  Simonidae  Lyrica  eidem  poetae  comitem  munerl 
misisti,  ad  te  allegem  Pindarico  stylo  loan. Aurati  poetae  Regii  quacdam, 
quae  a  Can  leris  fratribus,  dura  viueient,  suntque  Guliel  mi  manu  ple- 
raque  descripta,  accepi,  et  quaedamtypis  nondum  esse  euulgata  obseruaui. 
llabes  itaque  poeta  poeticum  munusculum  exiguum,  at  magni  pignus  amo- 
ris  habe  ;  quando  nihil  nunc  quidem  suppetitquod  rependam  »  (Burmann, 
Sylloges  epist.,  t.  11,  p.  378'.  Qu'est  devenu  ce  recueil,  où  Schott  notait 
de  l'inédit  ? 

4.  Je  lis  dans  une  lettre  de  Th.  Ganter  à  Pierre  Daniel  (L'trechl,  1370)  : 
"  Magnopere  scire  desidero...  quid  gerat  Auralus  noster.  .  .  Saluta  nobis 
D.  Pimpuntium  et  Auràtum  et  reliquos  amicos  »  (Biblioth.  de  Berne, 
ms.  141,  fol.  211).  On  a  vu  que  Vaillant  de  Guélis  (Pimpuntius)  est  un  des 
intimes  de  Ronsard. 


l'LANTIN 


213 


in  eo  felicissimaque  poetârum  tam  Graecorum  quaiii  Latinorum 
imitalio  placuit  '.  »  Telle  est  bien  la  raison  pour  laquelle  les 
humanistes  de  tous  les  pays  goûtent  si  fort  l'œuvre  française  de 
notre  poète. 

Il\'  a  de  même  en  Flandre  de  nombreux  ronsardisants.  Presque 
tout  le  monde  littéraire  qui  gravite  autour  de  Christophe  Plantin 
a  passé  par  les  écoles  de  Paris  et  y  a  noué  des  amitiés.  C'est  un 
public  tout  préparé  au  poète.  Mais  il  se  trouve  que  Plantin  lui- 
même,  transplanté  de  sa  Touraine  natale  en  pays  flamand,  a 
imprimé,  au  temps  de  ses  débuts  à  Anvers,  certains  livres  de  Ron- 
sard. 11  en  paraît  assez  fîer,  puisque  dans  une  «  Odeaus  Muses  » 
insérée  dans  ses  Ephémérides  de  loS3-S6,  il  nomme  le  Vandô- 
mois  parmi  les  auteurs  qui  laissent  confier  leurs  ouvrages  k  ses 
presses  déjà  appréciées  : 

...Puis  Ronsard  nous  vient  dire 
Ses  plus  belles  chansons, 
Que  premier  sur  la  Lire 
R'aprit  dans  vos  girons  -. 

11  faut  entendre  par  ces  "  chansons  »  les  Aniour-s,  Continua- 
tion, Bocage  et  Meslanges,  que  Plantin  imprima  en  loo6,  en  par- 
tie pour  le  compte  d'Arnaud  L'Angelier,  libraire  à  Paris  ^.  On  le 
voit,  quelques  années  plus  tard,  préparer  une  réimpression  du 
Théâtre  de  Jacques  Grévin  ^  et  fournir  de  poésie  française,  de 
l'école  de  Ronsard,  le  libraire  Jean  Desserans,  son  correspondant 

1.  S.  Abbes  Gabbema,  Epistolarum.  . .  centuriae  très,  Groningue,  1666, 
p.  712.  La  lettre  est  du  17  novembre  1583.  Legueldrois  Van  GilTen  [Giplia- 
nius)  a  fait  partie  du  groupe  parisien  de  1565,  avec  les  brugeois  Louis  Car- 
rion  el  Lucas  Fruytiers  ;  son  Lucrèce,  paru  en  1566,  lui  a  valu  des  attaques 
de  Lambin  dans  la  préface  du  sien,  qui  ont  cliargé  à  tort  sa  mémoire  (v. 
Ch.  Nisard,  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Iiiscr.,  année  1882, 
p.  1871.  Van  Giffen  écrit  à  Muret,  se  plaignant  de  Lambin  :  De  tua  libera- 
litateatque  facilitale  multa  saepe  in  Gallia  Auratum,  Fruterium  et  Canlerum 
praedicantes  audiui.  [Mureli  opéra,  éd.  Ruhnkep,  t.  I,  p.  500).  Il  a  fait  par- 
tie de  l'ambassade  de  Paul  de  Fois  en  Italie,  avec  d'autres  amis  de  Ron- 
sard ,  mais  il  ne  reste  pas  de  trace  de  relations  directes  avec  lui. 

2.  Max  Rooses,  Cfirisloplie  Plantin,  "2«  éd.,  Anvers,  1896,  p.  35. 

3.  Des  exemplaires  portent  ."  «  A  Rouen,  par  Nicolas  le  Rous,  1557  ». 

4.  L'exemplaire  de  l'édition  de  1562,  corrigé  de  la  main  de  l'auteur,  est  au 
Musée  Plantiu-Moretus.  Plantin  n'a  point  fait  paraître  cette  édition,  mais  il 
a  publié  de  Grévin  quatre  autres  ouvrages,  dont  sa  traduction  de  Nicandre 
(1568). 


211  RONSARD  ?;T    l/llKMANISME 

(le  I-oiidres.  Celui  ci  lui  demande  précisément  les  auteurs  publiés 
chez  Cavollart  :  «  Vous  pouriez,  écril-il,  mandera  vostie  homme 
par  delà  [à  Paris]  qu  il  list  quelque  bon  assortiment  de  livres 
iiouviaulx  et  de  tout  les  sortes  de  petits  poètes  qui  pourroit 
recouvrer  de  chez  Guillaume  Cavellart,  et  que  il  en  fist  une  balle 
ou  ung  tonniau,  et  que  il  me  les  envoyast  en  ceste  ville  '  m.  Les 
(<  ])alles  »  que  Plantin  faisait  faire  sous  ses  yeux,  en  ses  voyages 
de  Paris,  contenaient  assurément  de  pareille  marchandise. 

Lorsque  l'illustre  typographe  entrei)rit  la  préparation  de  sa 
fameuse  Bible  polyglotte,  il  tint  chez  lui,  parmi  ses  collaborateurs 
les  plus  qualifiés,  un  helléniste  hébraïsant,  qui  se  dénommait  à 
Anvers  Fabricius  Boderianus,  mais  qui  était  aussi,  sous  son 
nom  français,  un  poète  de  quelque  mérite.  Guy  Le  Fèvre  de  la 
Boderie  avait  publié  des  Meslanges  poétiques  et  une  Gallia.de, 
qu'on  a  tort  de  ne  point  citer,  car  elle  est  pleine  de  renseigne- 
ments précieux  sur  les  arts  et  les  sciences  de  ce  temps.  Ses 
Hymnes  ecclésiasliques,  recueil  de  traductions  d'après  les  Pères 
et  les  auteurs  anciens  et  modernes,  témoignent  d'une  immense 
lecture;  une  des  pièces  est  dédiée  à  Ronsard  '-. 

Au  ((  cercle  cinquiesme  •>  de  la  GalUade,  sorte  d'encyclopédie 
laudative  de  notre  pays  depuis  ses  origines  gauloises,  La  Boderie 
énumère  les  poètes  et  les  musiciens  du  règne  de  François  I'"''  et. 
ceux  de  l'époque  suivante  qui  ont  fait,  d'après  lui,  revivre  l'art 
des  antiques  »  Bardes  »  ^.  Le  salut  à  Ronsard  est  d'un  beau  mou- 
vement : 

1.  Lettre  du  9  août  1o07  [Correspondance  de  Clirisloplie  Planlin,  éd.  Max 
Rooses,  t.  I,  Anvers  et  Gand,  1883,  p.  IC'i). 

2.  Paris,  1578.  On  y  trouve  une  traduction  en  vers  du  cantique  de  Danlo 
à  la  Vierge  Marie,  déjà  signalée  par  A.  Farinelli. 

3.  La  Galliude  on  de  la  Révolution  des  Arts  et  Sciences,  à  Monspi(/neiir  fils 
de  France,  frère  unique  du  lioij,  par  Guy  Le  Ferre  de  la  Boderie,  secrétaire 
de  Monseigneur  et  son  interprète  aux  Lanr/ues  Peregrines,  Paris,  1572.  Il  y 
a  des  exemplaires  avec  la  date  de  1578.  On  voit  parmi  les  auteurs  des  vers 
liminaires  deux  amis  particuliers  de  l'auteur,  Dorât  et  Goulu,  "  son  digne 
gendre  »,  ce  qui  explique  que  l'auteur  fasse  leur  éloge  avant  celui  de  Ron- 
sard. Après  le  poète,  viennent  dans  Tordre  suivant  :  Du  Bellay,  Jodelle,  La 
Péruse,  Garnier,  Scève,  Pelletier,  Tyard,  «  le  conile  d'Alsinois  ",  Baïf,  Bel- 
leau,  Desportes,  Passerai,  Toutain,  Filleul,  Muret,  Hesteau,  Davy,  "  les 
deux  Janiins  »  et  Des  Autels.  Les  musiciens  cités  pour  celte  période  sont 
Vaumesnil,  Orlande  et  Courville, 

Qui  si,'ait  si  douccnifiil  les  mode  varier 
Et  aux  nerfs  liieii  tcnctiis  les  Odes  marier. 


LE    FÈVRE    DE    LA    IIODEBIE  215 

Vive  le  grand  Ronsard  qui  despril  huul  el  rare 
A  fait  en  son  nom  clair  siiREDOnE»  i-indahe  ', 
Et  Terpandre  nouveau  a  remis  sur  les  lois 
Des  versmodulisez  de  nos  Bardes  Gaulois, 
Happorlant  le  premier  en  la  terre  Gallique 
Des  Homains  et  des  Grecs  la  Poésie  antique  -. 

Il  devait  y  avoir,  on  le  voit,  dans  l'imprimerie  anversoise, 
sanctuaire  de  toutes  les  sciences  et  foyer  intellectuel  d'une  bonne 
partie  de  l'Europe,  un  culte  véritable  pour  le  poète  français.  Ce 
culte  était  encore  prêché  dans  les  Flandres  par  le  gantois  Charles 
Uytenhove.  On  Ta  déjà  rencontré  plusieurs  fois  dans  ce  livre, 
mêlé  à  la  Pléiade  et  aux  amis  de  celle-ci.  Les  années  de  sa  jeu- 
nesse qu'il  avait  passées  en  France  y  avaient  laissé  la  renommée 
d'un  polyglotte  et  le  souvenir  d'un  honnête  homme.  Il  était 
regardé  «  comme  le  plus  savant  étranger  qui  fût  alors  en  Paris  », 
en  même  temps  qu'il  s'était  n  rendu  agréable  à  nos  illustres  poètes 
françois...  «  par  sa  docte  conversation  et  par  la  douceur  de  ses 
mœurs  » '.  Il  les  avait  tous  fréquentés,  alors  qu'il  était  chez  Jean 
de  Morel,  moins  en  précepteur  des  enfants  qu'en  ami  de  la  mai- 
son où  ils  aimaient  à  se  réunir.  Combien  de  services  alors  sa  vaste 
érudition,  étendue  à  tant  de  langues  et  à  tant  d'objets,  ne  leur 
avait-elle  pas  rendus  !  combien  de  dédicaces  flatteuses  n'avait-il 
pas  reçues  en  échange  '  !  Assidu  aux  cours  de  Dorât  ■',  admirateur 
et  familier  de  Ronsard,  confident  littéraire  de  Joachim  du  Bellay; 
il  fut  un  temps  où  les  poètes  l'invitaient  à  leurs  parties  de  pro- 

i.  C'est  l'anagramme  connue  du  nom  de  Pierre  de  Ronsard. 

2.  La  Galliade,(.  124  V.  Ce  passage  n'a  été  cité  que  par  Colletet.  Lau- 
moniei"  parait  oublier  l'œuvre  de  ce  poète,  qui  n'est  nommé  qu'une  fois  à 
VAppendice  de  ta  Pléiade  de  Marly-Laveaux  ;t.  II,  p.  4041,  à  propos  de 
Jodelle  et  seulement  pour  ses  Diverses  meslanges  poétiques,  Paris,  15*9, 
ouvrage  beaucoup  moins  intéressant  que  la  Galliade.  La  Boderie  a  colla- 
boré au  «  tombeau  »  du  président  de  Thou  et  à  d'autres  moins  fameux  ;  il 
a  composé  des  vers  liminaires  pour  Vauquelin  de  la  Fresnaye  (1570),  pour 
Thevet  (1575),  etc.  Il  raconte  lui-même  sa  vie  dans  une  pièce  des  Diverses 
ineslan;/es.  C'est  une  intéressante  biographie  h  reconstituer. 

3.  Biblioth.  nat.,  Xouv .  acq.  franc.  .3073,  fol.  489  (»  Vie  de  Ch.  Uten- 
hove  »,  par  Colletet). 

4.  CJ.  plus  haut,  p.  67  et  174,  où  plusieurs  indications  sur  Uytenhove 
sont  rassemblées. 

5.  Cf.  p.  67.  Dans  la  lettre  de  1562,  citée  p.  217,  n.  2,  il  nomme  ses 
maîtres:  Turnebum,  Auratum  et  Balduinum,  a  qiiibiis  doceor.  freqnonlare 
soleo  ;  quod  reliquum  est  temporis  mets  lucuLrationibus  liiitnndis  impendo..., 
bonam  non  noclis  parlem  hiiic  ciirae  décident. 


216  RO.NSAiiii  i;r  i.'iir.MAMSMK 

menade,  aux  «  fontaines  »  cl'Ai-cueil  ou  de  Gentilly,  à  leurs 
dîners  sous  la  lonne  au  faubourg  Saint-Marcel,  pendant  les 
journées  brûlantes  de  la  canicule  : 

Or  viens,  Grévin,  viens  à  mon  Saint-Marceau 
Avec  Ronsard,  Utenhove  et  Belleau, 
Pour  nous  venger  dune' saison  si  dure  '. 

Uj'tenliove  garda  longtemps  ses  relations  avec  la  France,  lors- 
qu'il revint  s'établir  dans  sa  ville  natale,  j)uis,  un  peu  plus  tard, 
dans  les  pays  rhénans  ^.  Une  lettre  de  celte  dernière  période  de 
sa  vie  exprime  avec  beaucoup  de  chaleur  le  sentiment  des  savants 
de  l'époque  sur  Ronsard  et  l'idée  qu'ils  se  faisaient  de  lui.  Evoquant 
l'intimité  née  dans  la  demeure  de  Morel,  il  écrivait  au  maître, 
au  moment  de  la  foire  de  Francfort,  pour  introduire  auprès  de 
lui  un  étudiant  particulièrement  distingué,  qui  allait  s'instruire  à 
Paris  et  y  voir  les  gens  illustres  3.  Ce  jeune  homme,  nommé  Ket- 
teler,  fils  d'un  conseiller  du  duc  de  Clèves,  connaissait,  paraît-il, 
le  français  comme  les  langues  anciennes  et  savait  par  cœur  des 
odes  et  des  hymnes  de  Ronsard.  L'ami  d'autrefois  profitait  de  l'oc- 
casion olferte,  pour  envoyer  à  celui-ci  ce  que  nous  appellerions 
les  <i  bonnes  feuilles  »  d'une  traduction  des  Psaumes  de  David, 
qu'il  faisait  imprimer  chez  Plantin  et  pour  laquelle  il  sollicitait  la 
faveur  insigne  de  quelques  vers  liminaires  : 

i.  Les  œuvres  poétiques  franr^ises  de  Nicolas  Ellain  parisien,  éd.  Ach. 
Genty,  Paris,  1861,  p.  30. 

2.  La  notice  de  Foppens  {Bibliotheca  belgica,  p.  165)  dit  bien  peu  sur  le 
personnage  :  •<  Gandauensis,  vir  nobilis  (ad  cuius  parentem  Carolum  Mar- 
liemii  Toparchiam,  virum  Gandaui  consularem,  et  auum  Nicolaura  supiemi 
Flandriae  concilii  praesidem,  plures  epistolae  legunlur  Erasmi).  Gramma- 
ticam  in  patria  sub  loanne  Ottone  didicit  [cf.  les  Xenia  de  Du  Bellay|. 
Hinc  Parisios  profectus,  bonam  vitae  parlem  egH  in  illo  hominum  erudito- 
rum  velut  microcosmo,  et  latinae  graecaeque  linguae  accuratam  cognitio- 
neni  asseculus  est,  usus  farailiariter  Dionisio  Lamijino,  Adriano  Turnebo, 
loanne  Aurato  aliisque  ;  viris  etiam  principibus  principumque  legatis,  ob 
politam  eruditioneni  al(|ue  eruditam  quandam  festiuitatem,  longe  gratissi- 
nium.  OIjiit  Coloniae  a.  1600,  aet.  64.  )i  Cf.  la  notice  de  Teissier  (Les 
Eloges,  t.  IV,  p.  373).  L'étude  de  ce  savant,  de  ses  voyages  et  de  ses  tra- 
vaux, sur  lesquels  renseignerait  sa  correspondance  inédite,  sera  faite  assu- 
rément un  jour. 

3.  Biblioth.  nat.;  Lat .  18.^92,  fol.  114  v°-116.  Ce  ms.,  daté  de  lliOS,  est  la 
mise  au  net  d'un  recueil  épistolaire  d'Uytenhove,  préparé  pour  l'impression, 
et  dont  je  n'ai  pas  trouvé  à  Paris  l'édition  de  Cologne,  ex  officina  lohannis 
Gyiniiici.  Le  ms.  en  tient  aisément  lieu.  Il  y  a  des  lettres  adressées  à  trois 
Kolteler,  Wilhelm,  Heinrich  et  Gottfried,  sans  doute  le  père  et  les  oncles 


.      IJYTKMinVE  217 

Carolus  IJlenhouius  Pelro  Bonsetrdo  Viiiducino. 

Ro  nsarde  prin  ceps  (iallicae  fitlicen  lyrae,  commentlo  iuue- 
nem,quem  vides  coram  tibi,  vel  quiaparentis  optiini  idem  est  iilius,  vel 
quia  parenli  similis  idem  est  optimo  lano  Ketlero  nobilissimo  viro, 
Ducisque  consiliario  Cliuensium  adinissionalique  (Camerae  nuncupant 
vulgo  magistrum),  .  .  .  vel  quia  nepos  patruis  duobus  est  viris 
pietate  claris  atque  honoratissimis,  quorum  hic  Monasteri  est 
fuitue  episcopus,  Coloniensi  solo  episcopo  minor  in  gentis  huius 
(quam  vocant  Ubios)  plaga,  Kurlandiae  dux  aller  in  Liuonia,  gêner 
Megapolitensis  inclytus  ducis,  vel  quia  magistro  Karolo  Utenhouio 
Ronsardi  amico  vetulo  et  integerrimo  Latiani,  Pelasgam  Gallicamque 
edoctus  est  linguas,  ad  unguem  quas  tenere  creditur,  vel  quia,  quod 
est  rei  caput,  Ronsard  ici  ta  m  nomin  is  s  t  udiosus  es  t,  ut  ipsius 
studio  videndi  pane  solo  (îalliam  patria  relicta  tempore  hoc  pleno  aleae 
periculosae  petere  non  dubitauerit,  studio  videndi,  inquam,  sacrum 
Musis  caput,  cuius  Poesin  Gallicam  edidicit  puerpotuitque  memoriter 
sonare  quoslibet  Hymnos  et  Odas,  quas  adhuc  memori  tenet  plae- 
rasque  mente  concinitque  iugiter  inter  canora  voce  ôaviXixa;  sibi  '. 

Plura  addere  animus  his  erat,  sed  Nundinis  ego  Francofurdiensibus 
tôt  occupor  ad  eruditos  exarandis  versibus  lotius  Europes  epistolaribus, 
Ronsardo,  ut  hanc  dictare  fdiolae  meae  fuerim  coactus  Annulae  Uten- 
houiae  iubar  ante  Eoum,  cuius  etiam  dextera  simul  alteratam  unam 
alteramque  Elegiam  (nidesit  otium)  recipies,  de  luis  quas  Foixio  scrip- 
sisse  le  memini   meo  -,   parili  elaboratam  atque  translatam  fide,  quâ 

do  celui  qui  a  porté  la  lettre  à  Ronsard.  Parmi  celles  qui  sont  écrites  à  des 
savants  connus,  notons  celle  où  Uytenhove,  retiré  à  Cologne,  se  plaint  à 
Fédéric  Morel  le  fils,  en  1389,  d'un  silence  épistolaire  de  Dorât  remontant 
à  quinze  années.  Il  y  a  aussi  une  lettre  à  Dorât,  de  1384,  pour  recommander 
l'humaniste  Janus  Guilielmius,  de  Lubeck  [Aurate,  l'hoenix  Galliae  unice 
omnis,  hune  commendo  Phoenicem  unicum  Germaniae...] 

i.  On  noiera  l'intérêt  du  témoignage  sur  les  œuvres  chantées  de  Ronsard. 

2.  C'est  la  pièce  «  A  Monsieur  de  Foix,  conseiller  du  Roy  »,  que  Ronsard 
a  recueillie  au  Bocage  royal  (éd.  L.,  t.  III,  p.  280;  éd.  BI.,  t.  111,  p.  363)  et 
qui  commence  ainsi  : 

Ton  bon  conseil,  ta  prudence  et  ta  vie 
Seront  chantez  du  docte  Oullienovie, 
A  qui  la  Muse  a  mis  dedans  la  main 
L'outil  pour  faire  un  vers  Grec  et  Romain. 

Uytenhove  quitta  Paris  à  l'automne  de  1362,  pour  accompagneren  Angle- 
terre Paul  de  Foix,  ambassadeur  de  Charles  IX  ;  il  annonçait  les  circon- 
stances de  son  départ  à  Morel  dans  une  lettre  du  2  novembre  (Biblioth.  nat., 
Lat .  8o89,  fol.  3).  Le  31  octobre  13G4,  une  longue  lettre  à  Turnèbe,  signée 
en  grec,  annonce  le  départ  d'Angleterre  de  l'ambassadeur  envoyé  en 
Espagne  (Biblioth.  de  Munich,  Coll.  Camer.,  33,  l'ol.  185). 


218  noivsAno   et  liittmamsme 

transtuli  Dauidicae  psalmos  lyrae  fere  uniuersos,  praela  sub  Planli- 
niae,  Honsarde,  si  nescis,  ituros  (si  volel  Deus)  officinae  proximas 
sub  Nundinas,  quorum  eliam  in  hoc  spécimen  puellari  manu  millo  exa- 
raUim  iilhuc,  ul  illis  cl  luum,  Ronsarde,  iudicium  vel  uno  disticho 
lelraslichoue  Gallico  (quod  versibus  totidem  Latinis  exprimam  fideli- 
ter)  (nec  enim  requiro  Enc(omium)appingas.  Vale,  Ronsarde...  tuoque 
iudieio  tui  L'ienhouici  fnelus  beare  ne  giaueris  obsecro,  meosque  si 
fas,  nomirie  .-\iiralos  idem  Meiceridasque  '  posée,  onusque  cui  siem 
par  sustinendo  (rogo;  niiiii  iiiipone  inuicem.  Kellerus  illud  quale- 
cunque  est  cum  suis  cuiMbit  :ul  me  perferendum  lilleris. 

Le  poète  ne  prodiguait  point  les  «  liminaires  »  ;  il  ne  répondit 
pas  au  désir  de  l'ancien  ami  et  n'envoya  pas  le  distique  ouïe  qua- 
train qui  eût  honoré  celui-ci  devant  l'Europe  entière  -'  ;  mais  il 
dut  être  touché  des  chaudes  paroles  et  de  la  fidélité  du  souvenir. 


X 


Ronsard  paraît  avoir  eu  peu  de  relations  avec  l'Aliema^ne, 
malgré  qu'il  reçût,  comme  on  le  voit,  certaines  visites  de  la  région 
rhénane.  11  y  a  eu  cependant,  en  ce  pays,  un  poète  humaniste 
fameux,  qui  l'a  beaucoup  admiré  et  qui  a  entretenu  avec  la 
Pléiade  des  rapports  qu'on  ne  saurait  trop  mettre  en  lumière. 

1.  D'après  Moiéri,  la  femme  de  Jean  de  Morel,  Antoinette  de  Loynes, 
avait  épousé  en  premières  noces  Lubin  Dallier,  docteur  es  droits,  avocat 
au  Parlement  de  Paris  et  bailli  de  Saint-Germain-des-Prés,  qui  vivait  encore 
en  1340;  elle  en  eut  Mnrie  Dallier,  qui  fut  mariée  le  18  janvier  1552  i^anc. 
st.)  avec  le  savant  Jean  Mercier,  professeur  et  lecteur  public  du  Hoi  en 
langue  hébraïque,  mort  en   15G7.    Uytenhove,  en  désignant  à    Ronsard   la 

.  famille  des  o  Mercerides  »,  a  surtout  en  vue  le  fds  do  l'Iièbraïsant,  Josias 
Mercier,  qui  devint  plus  tard  conseiller  d'Etat  et  fut  le  beau-père  de  Sau- 
maise.  Il  avait  voyagé  en  Angleterre  et  en  Allemagne,  dans  sa  jeunesse. 
Divers  papiers  de  lui  sont  conservés  dans  la  collection  Camerarius,  à 
Munich,  notamment  des  lettres  de  Du  Bartas,  do  Paul  Melissus,  de  Natlian 
Chrytraeus,  de  Jacobus  Lectius.  Ce  dernier  lui  écrit,  précisément  en  1583, 
«  A  Monsieur  Mercier,  au  fauxbourg  S.  Germain  à  la  rue  de  Seine,  au  logis 
de  Mad""  Mercier  sa  mère.  A  Paris  ». 

2.  Au  reste,  le  David  d'Uytenhove  ne  parut  pas  chez  Plantin,  qui  réim- 
prima en  LIS?  la  Iradnclion  en  vers  des  PKatinifs  par  Jacques  I.atomus  le 
jeune,  chanoine  de  Louvain  (Ruelens  et  De  Radier,  Annules  Planliniennes, 
Paria, 1886,  p. 297).  Uytenhove  parle  de  ses  travaux  sur  les  Psaume»  dans  une 
lettre  ù  Fr.  Junius  de  Bourges,  et  dans  une  autre  en  vers  h  Henri  Estienne, 
datée  de  1576  {fol.  102  et  104  du  ms.V  La  lettre  î»  Rons.ird  n'est  pas  datée. 


PAL'L    MELrSSLS  219 

C'est  «  le  Pindare  de  l'Allemagao  »,  le  bibliothécaire  de  la  Pala- 
tine d'IIeidelberg-,  Paul  Schede,  dit  Melissus,  qui,  venu  deux  fois 
à  Paris  au  cours  de  ses  nombreux  voyages,  a  vécu  dans  le 
milieu  le  plus  propre  à  lui  faire  aimer  Ronsard  '. 

Durant  son  premier  séjour,  en  1367,  il  chercha  surtout  à 
entendre  les  professeurs  du  Collège  royal  et  à  connaître  quelques 
Français  de  marque,  comme  Henri  de  Mesmes  -.  Il  vit  sans  doute 
l'auteur  des  Odes  et  des  Amours  dans  la  maison  de  Morel,  où  il 
déposa  tant  de  poétiques  hommages  aux  pieds  de  la  docte  Camille  '-. 
D'autres  écrivains  du  groupe  l'intéressèrent ."  «  Ce  poète  allemand 
Paul  Mélisse,  dit  Colletet,  prenoit  à  tache  de  traduire  en  latin  les 
vers  françois  de  Jodelle  '.  »  Très  expert  dans  les  choses  de  la 
musique,  il  étudia  les  airs  les  plus  récemment  appliqués  aux  odes 
des  poètes,  afin  d'adapter  à  ses  propres  melica  les  mêmes  prin- 
cipes d'accompagnement.  Au  milieu  des  vers  dédiés  aux  musi- 
ciens français  de  l'époque  ^,  il  est  une  ode  éloquente  adressée  à 

1.  Sur  Paul  Melissus,  v.  O.  Taubert,  P.  Schedes  Leben  une!  Schriften,  Tor- 
gau,  18C>4  ;  le  t.  XXI  de  VAllr/emeine  deiitschp  Biographie  ;  NoUiac,  La 
bihliolh,  (le  Fulvio  OrsiVu',  Paris,  1S87,  p.  63  et  441  ;  Eni.  Weber,  Virorum 
clar.  saec.  XVI  el  XVII  epislnlae  selectae,  Leipzig,  1894,  p.  152-135  ;  surtout 
Augé-Chiquet,  J.-A.  de  Bai/,  p.  488-492. 

2.  .\u  témoignage  de  J.-,l.  Boissard,  Icônes  quinquaginla  virorum  illus- 
triuin,  Francfort,  1397-1599;  part.  II,  p.  88.  (On  note,  tlans  cet  ouvrage  non 
cité  par  Laumonier,  la  biographie  de  Ronsard  et  celle  de  Baïf,  et  un  grand 
éloge  de  L'Hospital,  part.  I,  p.  287;  part.  III,  p.  37.) 

3.  V.  à  partir  delà  p.  194,  l'édition  de  ses  œuvres  donnée  à  Paris  par 
Melissus  sous  ce  titre  :  Melisii  Schediasniala  poetica,  secundo  edila  mullo 
auctiora,  chez  Arnold  Sitlart  [gendre  de  Cavellart;  cf.  p.  561],  1586,  avec 
privilèges  de  l'Empereur  et  du  roi  de  France.  La  première  et  beaucoup  plus 
courte  édition  est  également  de  Paris.  1575.  Les  diverses  parties  de  la 
seconde  ont  des  titres  spéciaux  avec  l'indication  des  qualités  de  l'auteur 
(Pauli  Melissi  Schfdii,  Franci,  Germani,  Comilis  Pahilini  el  equitis,  Luurea- 
Cique  poetae,  Ciuis  Romani...} 

4.  Bibl.  nationale,  \oui\  acq.  franc.  ^O'S,  fol. '233. 

5.  Il  est  naturel  que  Melissus  se  soit  intéressé  extrêmement  aux  ouvrages 
lyriques  de  Ronsard  composés  sur  des  airs  de  musique,  puisqu'il  a  initié 
ses  compatriotes  ii  la  musique  mesurée,  en  soutenant  que  le  chant  doit  se 
plier  rigoureusement  au  rythme  de  la  diction.  Il  a  composé  lui-même  des 
Cantiones  harmonicae,  recueilli  des  lettres  précieuses  de  Goudimel,  célébré 
l'art  de  Lassus  (Augé-Chiquet,  p.  490j.  On  me  laissera  citer  un  passage 
encore  non  utilisé  d'une  lettre  de  Melissus,  parce  qu'on  peut  imaginer 
qu'il  y  est  question  de  chansons  de  Ronsard.  Il  raconte  à  H.  Baumgarlner 
un  épisode  de  son  séjour  à  Geuève,  en  1569,  l'attaque'^de  fièvre,  dit- 
il,  «  quam  conceperam  ex  subita  admiratione,  cum  puellam  nobilem  Gallam 
earnque  formosissimam,   in    aedibus   Henrici   Stephani,   milii   ad  sinistram 


220  RONSAiiD  i;t  i.'iiimams.me 

Ronsard,  où  le  rùle  de  celui-ci  dans  ces  nouveautés  est  mis  en 
évidence,  ainsi  que  son  influence  sur  1" Allemagne  lettrée. 
Quelques  strophes  feront  juger  de  l'intérêt  histori(jue  de  la  pièce  : 

Non  Galla  taiilum,  scil»  (jrmiis  sont. 
Te  patriorum  litara  /luniinum, 

Riinsarde.  clara  personantem 

J'ecliniJjus  ciiharae  slupescunt  : 
Maenus  refiisis  Franciariis  radis  ', 
Me  jniisico,  odas  cornibus  ad  tuas 

Sotlerter  elatis  serenani 

Allonilabibil  aurevocem. 
.  .  .  Quàm  fiieraiil  priiis 
Nyrnphae  poêlas  indigenae  sacros 

Et  Celtin  Hiiltenumque,  et  ipsum 

Ldtichium  ^  r/uocfue  prosequiilae 
Phillris  amantes:  tam  philotesiis 
Te  demereri  du  Ici  bus  extera 

Quamuis  in  ora  procreatum, 

l'rancigenani  tamen,  usque  r/unerunt... 
Te  praeter  omnes,  inclile,  principem 
Solnm  poëtarum  indigitant ,"  ad  haec 

Palrem  Canienarun)  falenlur 

Stirpis  et  Hectoreae  architeclum 
Gaudens  salutat  Francia  nohilis, 
Secura  clausis  Hercynii  iuçji 

Siluis  ;  honnrem  salluosus 

l'inlfer  ingeniinat  triumphi. 
IJuid  niulta  ?  cantor  Franca  per  nppida 
( lliliuionem  carminilius  tuis 

iJefendo,  Gerniaitos  docere 

Callidus  insniilum  canorem. 
Non  usita/is  duni  fernnur  vus 
Prisci  sequentum  tramitis  orbitas, 

adsidentem  (conueneramus  aliquot  miisici),  praesentibus  honestissimis 
matronis  earumque  maritis,  Orlaiidi  Ciinliones  Gallicas  summa  cura  suaui- 
tate  et  vocis  elegantia,  testudine,  quam  increpabat  digitis,  admola,  raodii- 
lantem  porsonantemque  audiuissem  »  (Ern.  Weber,  l.  c,  p.  20). 

1.  Ils'agitdu  Mein.  qui  coule  en  Franconie. 

2.  Les  poêles  allemands  de  qui  Melissus  se  plait  à  rapprocher  Ronsard 
ont  tous  écrit  en  latin  :  ce  sont  Konrad  Celtes,  Ulrich  de  Ilutten  et  Peter 
Lotich,  professeur  à  Heidelberg,  dont  les  Elegiae  ont  paru  à  Paris  en  1551. 
Aucun  poète  de  langue  allemande  n'existe  pour  lui. 


PAUL     MELISSL'S  221 

Vesligioruni  me  reventuin 
Indiciis  iuiiat  iinmorari . 
Teciini perennis  ia/n  (jenii  Petre 
Pleno,  futurum  est,  plenus  utipsemel 
Forlassis  aelernem  per  aetium 
Teulonicani  jidicen  Camenam  '. 

Les  vers  de  Melissus  ramènent  souvent  le  nom  de  Ronsard; 
on  sent  qu'il  aime  les  formes  de  sa  poésie  et  puise  aux  mêmes 
sources  d'inspiration.  S  il  s'encombre  moins  que  lui  de  mytho- 
log'ie,  il  montre  des  g-oùts  pareils  pour  la  campagne,  les  arbres, 
les  fontaines'-;  il  est  également  une  sorte  de  poète  aulique 
comme  lui,  puisqu'il  répand  ses  dédicaces  parmi  les  princes  de 
l'Europe  entière.  Cet  étranger  est  du  nombre  des  lettrés  qui 
attendent  impatiemment  la  Franciade.  Au  moment  où  paraît  le  • 
poème,  il  le  célèbre  par  avance  comme  l'œuvre  d'un  nouvel 
Homère  et  d'un  nouveau  Virgile,  et  il  s'y  intéresse  d'autant  plus 
que  le  héros  Francus,  avant  de  venir  en  Gaule,  a  régné  d'abord 
sur  son  cher  pays  de  Franconie  ■^.  Il  en  parle  à  Muret,  à  Dorât, 
d'après  les  oeuvres  qu'il  connaît  déjà  du  poète,  il  demande,  dès 
la  première  heure,  le  prêt  du  volume  à  Georges  d'Averly  : 

Prodiit  in  lucem  quae  nuper  Francias  illa 

Gallica,  Ronsardi  nohile  vatis  opus, 
■Mi  cordi  légère  est;  fac  ea  poliamur,  Auerli, 

Nam  reor  exemplar  tepenes  esse  recens. 
Si  nescis,  qnanli  faciam  tant  docta  poetae 

Carniina,  cui  regio  vix alituUa pareni. 


1.  Se/ierfî'a.sma/a,  p.  251. 

2.  Ad  fontes  Francise  [Sched.,  p.  227);  In  laurum  lani  Antonii  Baifii 
(p.  ^IS);  In  poemata  P.  Ronsardi  {3«pai-t.,  p.  97). 

-3.  V.  le  recueil  d'épigrammes  dédié  à  la  reine  Elisabeth  par  une  lettre 
en  prose  datée  de  Paris,  en  août  1585,  qui  fait  la  troisième  partie  des  Sclie- 
diasmaia.  On  y  trouve,  p.  222-224,  les  diverses  pièces  sur  la  Franciade. 
Celle  qui  est  adressée  à  Ronsard  commence  ainsi  : 

Laomedonleae  post  diruta  moenia  Troiae 

Celtica  dum  Phrygium  miltis  in  arua  ducem, 
•  '  A'ort  minus  hoc  laudiponit  sihi  Francia  tellus. 

Quant  decus  hinc  captai  Gallia  docta  suum. 
Ut  hene  Gallorum  f'ratres  sincera  vetuslas 

Germanos  iunctis  dixit  amicitiis .' 
Ci  hene  posteritas  reguni  firinatiit  easdem, 

Vnius  imperii  quam  duo  régna  forent! 


222  RONSARD    ET    l'huMANISME 

Dicere  sufficial  :  plushuicdehere  poesin 
Soliiere  (juarn  Musae,  (fimm  vel  Apollocfueat. 

L'no  ali(/uovelere.i  norani  exceUere  vales; 
Sed  mihi  vunclorum  solus  hic  instar  erit  '. 

L'humaniste  franconien,  après  un  long  séjour  en  Italie  -  et 
maintes  pérégrinations,  revit  son  cher  Paris  en  1584,  avec  une  joie 
exubérante.  11  y  retrouvait  d'anciennes  amitiés,  parmi  des  curio- 
sités nouvelles.  Goudimel  était  mort,  et  le  musicien  favori  des 
poètes  était  depuis  longtemps  Orlando  de  Lassus  ;  autour  de 
Ronsard  apparaissaient  d'autres  figures,  et  Sainte-Marthe  mena 
Melissus  dîner  chez  un  écrivain  à  la  mode,  qui  était  Philijipe 
Desportes  -^  Les  poèmes  de  cet  étranger  ressemblent  parfois  aux 
pages  d'un  journal  de  vojage.  Il  a  parlé  à  me.rveille  de  la  «  docte 
Lutèce  »,  de  ses  monuments,  de  ses  jardins  et  même  des  agré- 
ments de  sa  banlieue  '.  Mais  le  coin  de  la  ville  qu  il  fréquenta  le 
plus  fut  la  maison  de  Baïf,  où  l'attiraient  à  la  fois  la  poésie,  la 
musique  et  une  très  chaude  atfection.  Sa  présence  encourageait 
le  laborieux  rimeur  des  Passa-teins  à  faire  à  présent  des  vers 
latins,  qu'ils  relisaient  et  limaient  ensemble  ■.  Melissus  habitait 
tout  auprès  de  Ba'if,  au  faubourg  Saint- Victor  '',  et  il  adoptait  ses 

1.  11  y  a  encore  une  allusion  à  la  Franciade  dans  une  ode,  p.  2lli. 

2.  De  tous  les  savants  qu'il  a  vus  à  Rome,  Muret  parait  avoir  été  le  plus 
aimé.  Une  foule  de  poèmes  lui  sont  dédiés  (il  y  en  a  aussi  à  l'ambassadeur 
Louis  Chasteigner  de  la  Rochepozay,  p.  282,  5a4).  Sa  poétique  promenade 
parmi  les  antiquités  de  Rome  (p.  278)  a  dû  réjouir  son  autre  grand  ami, 
Fulvio  Orsini. 

3.  Ad  Philippum  Porlaeum  [p.  511,  avec  d'intéressaûts  détails  sur  l'in- 
térieur de  Desporles)  ;  .-Irf  Scaeuolam  Sammarlhanum  {p.  523). 

4.  De  vingt  poèmes  dignes  d'être  cités,  je  ne  retiens  que  l'ode  à  A.  G. 
Busbequius  sur  sa  résidence  de  Saint-Cloud  l'p.  141),  une  des  odes  à  Muret 
(p.  520),  une  ode  à  Eslieane  (p.  508),  où  Melissus  déclare  préférer  Paris  à 
Venise  et  à  Rome  même. 

5.  Augé-Chiquel,  l.c,  p.  471. 

6.  Il  donne  son  adresse  de  sa  main  dans  un  billet  de  1584,  écrit  ;i  Sainte- 
Marthe  :  «  Entre  la  porte  S'  Victor  cl  la  porte  S'  Marceau,  sur  le  fossé,  à 
l'image  Notre  Dame  près  du  Chappeau  rouge,  u  (Cf.  recueil  Ern.  Weber, 
p.  28.)  On  me  permettra  de  donner  un  autre  billet  de  la  collection  d'auto- 
graphes de  l'Institut,  ms.  290,  fol.  56  et  57  (cf.  une  ode,  fol.  38).  Il  est 
adressé  aussi  à  Sainte-Marthe,  mais  de  l'année  suivante: 

«  Heri  raihi  indicauit  H.  Stephanus,  qui  nobiscum  coenauit,  te  heic  ess'e, 
Sammarlliane  suauissime,  quod  si  scissem,  iamduduni  te  salutassem,  quae- 
sisscmquean  Oden,  quam  ad  te  misi  supcriore  auno,accepisses.  Diem  igilur 
et  horam  a  meridie  mihi  significabis,  qua  te  conueniam.  Mane  mihi  non 
vacat  ;  sura  enim  totus  in  nieis  recensendis,  ut  secundo  edantur.  Vale  et 
me  ama.  P.  Melissus.  —  Hors  la  porte  S'  Michel  au  pavillon  de  Brusquet. 


PA.UL   MELISSU8  223 

idées  si  fralenielleinent  qu'on  l'entend  célébrer,  avec  une  émo- 
tion digne  d'un  des  nôtres,  les  souvenirs  qui  rendaient  chers 
aux  poètes  cette  demeure  aimée  des  Muses  et  ce  jardin  où  crois- 
sait du  laurier  : 

Vatibus  hic  locus 

Jure  est  sacratus.   Hoc   viridarium 

Bonsardus  impleuil  sonore 

Grandiloquis  numeris  canorus. 
Auralus  heic,  valuniemeritus  paler. 
Magnum  sonaluram  increpuil  lyram. 

El  nuniine  ad/Ialis  heriigno 

Praehuîi  ingenium  poelis  '. 

Parmi  les  vers  écrits  pour  Jean  Dorât,  il  est  une  ode  où  Paul 
Melissus  rapproche  la  belle  vieillesse  de  l'helléniste  de  celle  de 
Pier  Vettori,  qu'il  a  connu  à  Florence,  et  il  insiste  pour  obtenir 
de  sa  nonchalance  le  recueil  complet  de  ses  poésies  dispersées  ". 
Il  a  eu  de  lui  des  distiques  liminaires  mis  en  tête  de  son  propre 
recueil  ',  et  il  se  souvenait  qu'il  l'avait  pris  pour  modèle  quand  il 
composait  ses  Emmetra  ad  aemulalionem  Pindari  modulata  ; 
enfin,  il  le  nomme  le  premier  parmi  les  écrivains  parisiens  conviés 
dans  un  poème  final  Ad  Academiarn  parisiensem,  à  juger  l'en- 
semble d'une  production  poétique  qu'il  a  tenu  à  faire  imprimer 
dans  leur  propre  ville  *.  Un  homme  aussi  mêlé  à  la  vie  littéraire 
française  devait  être  des  premiers  à  collaborer  au  Tombeau  de 
Ronsard  ;  son  ode,  envoyée  ii  Florent  Chrestien,  raconte  com- 
ment la  douloureuse  nouvelle  et  les  détails  de  la  mort  du  grand 

1.  Scherl.,  p.  510.  Cf.  In  laurum  lunii  Antonii  Baifîi  (p.  318). 

2.  Cf.  plus  liaut,  p.  83,  elSched.,  p.  523  : 

Aiirate,  canos  cum sene purtiens 
Viclorio  aeguos,  aeqmtque  iempora, 

LiiKjuae  professor  uirinsque  et 

ï^obilium  corypliaee  vatum. 
An  eraJilodegin  in  otio 
Suauem  nenectain. . . 

3.  A  la  suite  de  Dorât,  ont  écrit  J.-A.  de  Thou,  Aoliille  Estaço,  Baïf,  Pas- 
serai, FI.  Chrestien,  Louis  Garrion.  Féd.  Morel,  H.  Estienne  (engrec),  etc. 
L'oraison  l'uuèljre  d'Anne  de  Thou,  imprimée  à  Paris  en  1584,  contient  des 
vers  de  Dorât  et  de  Melissus. 

4.  Sched.,  p.  561.  Les  juges  que  reconnaît  Melissus  sont  J.-A.  de  Thou, 
Vaillant  de  Guélis  (Pimpuntius),  H.  de  Mesmes,  Passerai,  avec  Scaliger, 
Juste  Lipse  et  Douza,  et  deux  Orléanais,  Chrestien  et  Audeberl. 


224  BONSAIU)    ET    l'iIUMAMSME 

piiètc  lui  sont  j)arvonus  en  Angleterre  par  les  soins  de  l'ambassa- 
deur Rogers,  et  l'on  sent,  dans  ce  petit  poème  où  il  nomme 
quelques   amis   de  France,   une  tristesse    vraiment  sincère  '. 


XI 


Ronsard  a  connu  un  grand  nombre  d'Italiens  ;  il  parlait  leur 
langue,  lisait  leurs  poètes,  aimait  leur  Bembo  et  leur  Arioste 
comme  leur  Pétrarque,  s'inspirait  des  vers  de  leurs  humanistes, 
et  n'ignorait  même  point  les  noms  de  Cavalcanti  et  de  Dante  -. 
L'aimable  et  savante  sœur  de  Henri  II,  k  qui  il  était  si  attaché 
et  que  l'année  1359  devait  faire  princesse  italienne,  Marguerite 
de  France,  tenait  en  honneur,  dès  avant  son  mariage  avec  le  duc 
de  Savoie,  les  poètes  du  pays  destiné  à  devenir  le  sien.  Ronsard, 
dans  leurs  causeries  du  Louvre,  a  dû  l'entretenir  maintes  fois  de 
ceux  qu'elle  préférait  et  aussi  de  quelques  contemporains  latini- 
sants qu'il  se  plaisait  à  imiter  en  langue  française  et  sur  les- 
quels s'étendait  déjà  la  protection  de  la  princesse  ■*.  Aucune 
jalousie,  aucune  défiance,  à  ce,  moment  de  sa  carrière,  ne  se 
mêlait  à  ses  admirations  littéraires. 

L'entourage    de  Catherine  de  Médicis  le  mettait  en  relations 

t.  Je  n'en  cite  rien,  puisqu'on  le  lit  aisément  dansl'éd.  Bl.,  t.  prélini., 
p.  268.  Les  amis  de  Ronsard  nommés  sont  F.  Morel,  Binet,  H.  Estienne  et 
Jean  Bonnefon,  auteur  de  Pancharis.  Melissus  rappelle  que  le  bruit  de  la 
mort  du  poète  avait  couru  deux  ans  plus  tôt  ;  il  y  a  une  curieuse  épi- 
gramme  de  lui  à  Dorât  sur  ce  sujet  [Sched.,  3'  part.,  p.  319). 

2.  V.  les  passades  relevés  par  A.  Farinelli  au  t.  I  de  Dante  e  la  Francia. 
On  lit  dans  V Elégie  à  B.  Del-Bene  (éd.  L.,  t.  VI,  p.  27)  : 

Depuis  que  ton  Pétrarque  eut  surmonte  la  Nuit 
De  Dante,  et  Calvacant,  et  de  sa  renommée 
Glaire  comme  un  Soleil  eut  la  terre  semée... 

3.  V.  un  livre  rare  de  Flaminio,  où  se  trouve  une  lettre-dédicace  à  Mar- 
guerite de  France  :  M.  Anlonii  Flaminii  inlibrum  psalmoruin  breuis  expla- 
natio  ad  Alexandrum  Farnesiiim  cardinalem...  Adieclae  quoque suntet  eius- 
deni  Ant.  Flaminii  carmina  aliqua  de  rehus  diuinis  ad  Marrjarilam  Ilenrici 
Gallorum  régis  sororem.  Parisiis,  ex  officina  Pétri  Gatteri...  ISol  (pet.  in-S). 
La  dédicace  de  la  dernière  partie,  éditée  en  1330,  mentionne  Carnesecchi  : 
'<  Cum  Petrus  Carnesecus  lectissimus  et  ornatissimus  vir  de  tua  singulari 
erga  Deum  pielate  et  assidue  literarum  studio  ad  me  multa  scripsisset  hor- 
tatusque  esset  ut  siquid  noui  elucubratus  essem  id  ad  te  mitterem,  quod 
tibi  scriptorum  meorum  lectioném  non  iniucundam  esse  solere  affirmarct...  » 


ilËLATloS'S  AVEC  LES   ITALtEiNS  225 

ttvec  tout  ce  que  Florence  faisait  vivre  en  France,  dans  les 
emplois  de  cour  ou  d'armée,  ou  par  les  bénéfices  d'église  '.  Il  est 
permis  de  deviner,  à  mainte  allusion,  (ju'il  a  fini  par  trouver 
un  peu  encombrant,  surtout  sous  Henri  III,  le  développement  de 
cette  «  petite  Italie  »  et  cette  prédominance  du  goût  transalpin, 
que  dénonça  vigoureusement  le  curieux  pamphlet  de  Henri 
Estienne  '-.  On  sait  quels  furent,  à  partir  du  séjour  triomphal  de 
Henri  III  à  Venise  et  dans  l'Italie  du  nord,  l'importance  accor- 
dée en  notre  cour  aux  éléments  étrangers,  l'infiltration  continue 
des  usages  de  nos  voisins  et  le  souci  qu'en  prirent  chez  nous  de 
très  bons  esprits  ■' ;  on  sait  aussi  que  les  mœurs  et  les  tendances 
intellectuelles  de  ce  milieu  préparèrent  l'éclatant  succès  de  Des- 
portes, au  détriment  de  Ronsard  vieillissant.  En  fait,  les  dédi- 
caces de  celui-ci  à  des  personnages  italiens  sont  rares  à  toutes  les 
époques  de  sa  vie.  Il  n'en  fréquentait  pas  moins,  et  sans  doute 
avec  intérêt,  les  voyageurs  reçus  à  la  Cour,  parmi  lesquels  les 
lettrés  étaient  nombreux. 

En  1570,  le  cardinal  Luigi  d'Esté  amena  avec  lui  en  France  un 
poète  de  la  cour  de  Ferrare,  Torquato  Tasso,  qui  n'était  encore 
qu'à  ses  débuts.  Si  le  futur  auteur  de  la  Jérusalem  délivrée  eut 
cette  entrevue  avec  Ronsard,  dont  l'es  biographes  de  l'un  et  de 
l'autre  ont  fait  tant  d'état,  elle  n'est  attestée  par  aucun  témoi- 
gnage authentique  ^ .  Peut-être  aurait-elle  pu  être  ménagée  par 

1.  Nous  n'avons  pas,  pour  les  règnes  de  Henri  II  et  de  ses  lils,  l'équiva- 
lent de  l'excellent  tableau  tracé  parFrancesco  Flamini  des  letti-es  italiennes 
à  la  cour  de  François  I''"',  dans  ses  Studi  di  storia  letteraria  italiuna  e  stra- 
niera,  Livourne,  180o,  p.  197-337.  On  consultera  quelques  pages  du  même 
livre  sur  les  Ftinie  d'Odet  de  la  Noue,  les  travaux  sur  Corbinelli  et  B.  Del- 
bene  cités  ci-dessous,  le  Pélrarquisme  en  France  de  Vianey  et  les  recherches 
restées  inachevées  d'Emile  Picot. 

2.  «  Vous  scavez  que  pour  quarante  ou  cinquante  Italiens  qu'on  y  voyoit 
autresfois  [à  la  Cour],  maintenant  on  y  voit  une  petite  Italie  »  (H.  Estienne, 
Dialoyues  du  nouveau  langage  franrois  ilalianizê...  principalement  entre  les 
courtisans  de  ce  temps,  éd.  Liseux,  Paris,  1883,  t.  II,  p.  223).  Ce  témoignage 
est  de  1578,  postérieur  de  quatre  ans  au  triomphal  séjour  de  Henri  III  en 
Italie. 

3.  J'ai  essayé  de  l'indiquer  dans  le  livre  publié  en  collaboration  avec  le 
regretté  Angelo  Solcrti  :  Il  viaggio  in  Italia  di  Enrico  III,  re  di  Francia  e 
le  feste a  Venezia,  Ferrara,  Mantova  e  Torino,  Turin,  1890,  et  dans  une  note 
additionnelle  parue  au  Giorn.  stor.  délia  letter .  ital.,  vol.  XVII,  p.  146 
[Henri  III  et  lin/luence  italienne  en  France). 

4.  On  consultera  sur  cet  épisode,  en  dehors  des  récits  français  presque 
tous  de   pure  fantaisie,    Angelo   Solerti,   Vita  di   Torquato    Tasso,   Turin, 

NoLHAc.  —  Ronsard  et  l'Humanisme.  15 


226  uoNSAUD  d:i   l'humanisme 

Jacopo  Corbiiielli,  qui  vit  Tasso  dans  ce  voyage  et  qui  tenait 
depuis  peu  auprès  de  la  Reine  nicre  une  place  de  confiance, 
comme  précepteur  du  duc  d'AIenvon  '.  Mais  il  n'est  point  sûr 
que  Gorbinelli  ait  connu  lionsard  à  cette  éjioque,  et  il  serait  un 
peu  surj)renanl,  si  Tasso  avait  rencontre  notre  poète,  alors  eu 
pleine  gloire,  qu'il  l'eût  mentionné  d'une  façon  aussi  détachée  au 
seul  passage  de  son  œuvre  qui  le  nomme.  Cette  mention  est  dans 
le  dialogue  intitulé  II  Calaneo  o  vcro  Je  (jli  Icloli,  où  se  lisent 
quelques  vers  en  français  et  quelques  autres  traduits  par  Castel- 
vetro  de  V  Hymne  de  Henry  deii.ciesme  ;  mais  l'auteur  ne  s'y  attache 
que  pour  constater  un  défaut  commun  de  Ronsard  et  d'Annibal 
Garo,  qui  chantent  tous  les  deux  les  louanges  n  de'  priucipi  cris- 
tiani,  anzi  cristianissimi,...  non  altramente  di  (juel  che  sarebbe 
stato  lodevole  a'  tempi  d'Alessaiidro  e  d'Auguslo  »  -.  L'emprunt 
de  1  idée  et  celui  de  la  citation  sont  faits  à  Castelvetro,  ce  qui 
leur  enlève  toute  importance. 

Lodovico  Castelvetro  est  le  premier  écrivain  italien  qui  atteste 
une  connaissance  directe  des  œuvres  de  Ronsard.  Le  morceau  étendu 
qu'il  a  cité  en  15u9,  d'après  la  première  édition  des  Hymnes  ■^j 
et  qu'il  a  ensuite  littéralement  traduit,  lui  sert  dans  sa  polémique 
contre  Annibal  Caro,  lorsqu'il  montre  celui-ci  fort  inférieur  au 
poète  français  pour  la  <(  déification  »  à  l'antique  de  la  Maison  de 


1895,  t.  I,  p.  148.  Tasso  arriva  à  Paris  le  15  novembre  1571,  et  en  partit  le 
20  mars  1571,  après  avoir  suivi  son  cardinal  h  Chàalis  et  à  Villers-Cotterets. 
La  légende  a  brodé  sur  ce  court  séjour,  qu'on  a  clcndu  à  toute  une  année. 
Scrassi,  par  exemple,  affirme  gratuitement  que  Ronsard  donna  ses  œuvres 
au  poète  ferrarais.  Celui-ci  n'aurait  pu  lui  <<  soumettre  »  les  premiers  chants 
de  la  Jérusulem,  puisqu'ils  n'étaient  pas  encore  écrits.  L'anecdote  d'un 
prêt  de  deux  écus  fait  par  Ronsard  à  Tasso  est  tirée  d'un  manuscrit 
(Alberti)  fabriqué.  Cf.  l'éd.  L.,  t.  VUl,  p.  243. 

1.  Rita  Calderini  de-Marchi,  Jacopo  CorhinolU  cl  les  ériidih  français, 
Milan,  1914,  p.  52.  Les  relations  de  Corbinelli  avec  Ronsard,  dont  il  ne 
subsiste  aucun  témoignage,  n'ont  pu  avoir  en  aucun  cas  le  caractère  d'inti- 
mité qu'atteste  sa  correspondance  avec  Ba'if  (p.  154-156).  De  même  Ba'if, 
seul  de  la  Pléiade,  dédie  des  vers  à  Bencivieni,  bibliothécaire  deCatherine 
de  Médicis  (Au  seigneur  Jan  Batiste  Bencivene,  abbé  de  Bellebranehe  {éc\. 
Marty-Laveaux,  t.  IV,  p.  438). 

2.  Dialoghi,  éd.  Ces.  Guasti,  Florence,  1858-1859,  t.  III,  p.  205.  11  y  a 
un  sonnet  de  Tasso  sur  la  mort  de  Muret. 

;i.  Ed.  L.,  t.  IV.  p.  194-195.  Ce  .sont  vingt-huit  vers  commençant  ainsi  : 

Mais  quoi  ?  ou  ie  nie  trompe  ou  pour  le  seul  ic  croy 
Que  Iiipiter  a  fait  partage  avec  mou  Roy 


CASTELVETRO    ET    CHiABRERA  227 

\'alois  tentée  dans  sa  célèbre  canzone  «  Venite  ail'  ombra  de 
gran  gigli  d'oro  ».  «  Adunque,  conclut-il,  poi  che  la  Francia  ha 
la  deificazione  de  suoi  signori  presenti,  che  è  stata  tratta  più 
perfettamente  e  più  convenevolmente  in  canzone  di  lingua 
francesca  per  opéra  d'un  suo  poeta  paesauo,  che  non  è  stata  in 
lingua  italica  per  opéra  d'Annibal  Caro,  non  è  cosa  veri- 
simile  che  essa  faccia  molta  stima  délia  deificazione  forestière  »  ; 
et  la  comparaison  qui  s'établit  entre  les  deux  poètes  prouve  à  la 
France  «  quanto  di  gran  lunga  il  suo  poeta  francesco  trapassi  in 
poesia  il  nostro  italiano»'.  Renforçant  ailleurs  son  attaque 
contre  Garo.  Castelvetro  aurait  été  jusqu'à  1  accuser  de  plagiat 
(«  avendo  io  provato  che  egli  non  era  poeta,  essendo  la  'nven- 
tione  délia  sua  Canzone  stata  involata  à  Pietro  Ronzardo,  sic- 
come  appare,  e  non  trovata  da  lui  )i)-.  L'accusation  n'est  point 
justifiée  :  l'hymne  ronsardien,  d'ailleurs  fort  différent  de  la  can- 
zone, a  été  publié  en  laoo  et  celle-ci  date  de  1553^.  On  saitaussi 
que  Du  Bellay,  qui  fréquenta  à  Rome  le  poète  des  Farnèse,  la 
remercié  par  une  épigramme  latine,  puis  par  une  belle  traduction 
en  vers,  de  riiommage  rendu  à  ses  princes.  Au  reste,  ni  sur 
Caro,  ni  sur  aucun  des  poètes  italiens  de  son  âge,  Ronsard  ne 
paraît  avoir  eu  d'influence.  C'est  lorsque  la  forte  tradition  litté- 
raire de  la  Renaissance  s'affaitlit  que  s'étal)lit  son  autorité, 
mais  alors  d'unefaçon  décisive,  avec  le  brillant  Chiabrera.  L'au- 
teur des  Cartzonette  et  des  Se  lier  zi  s'appuie  sur  la  Pléiade  fran- 
çaise pour  lutter  contre  l'Arcadie,  et  proclame  hautement  ce  qu'il 
doit  à  l'inspiration  de  nos  poètes  et  à  leur  métrique''.  On  aime 
à  penser  qu'un  des  maîtres  romains  qui  enseignèrent  sa  jeunesse, 
Muret  lui-même,  a  ouvert  pour  la  première  fois  devant  ses 
regards  éblouis  les  recueils  lyriques  de  Ronsard. 

1.  Ragione  d'alcune  cose  segnale  nella  canzone  d'Annibal  Caro  Venilc 
alVomhra...,  s.  1.,  1559,  S.  88-91  ;  2=  éd.,  Venise,  1560,  ff.  13o-138.  Jem- 
piunte  ce  texte  à  un  précieux  travail  de  Ferdinando  Neri,  Il  Chiabrera  e  la 
Pléiade  francese,  Turin,  1920,  p.  6. 

2.  Annotation  snrVErcolano  de  Varchi  (1570),  citée  par  Neri,  p.  7. 

3.  Ce  point  est  établi  par  Neri,  qui  donne  toute  labibliograpliie,  p.  8. 

4.  Le  livre  de  Ferd.  Neri  met  en  lumière  cette  imitation,  qui  n'est  nulle- 
ment isolée,  et  les  services  qu'elle  rend  à  la  poésie  italienne.  Pour  les  rela- 
tions avec  Muret,  et  aussi  avec  Speroni,  v.  p.  44  un  texte  autobiogra- 
phiipie  de  Chiabrera  sur  sa  jemiesse  à  Rome  :  "  Poi  crescendo  e  Irattando 
nello  Studio  j)uLblico,  udiva  leggere  Marc'  Antonio  Mureto,  ed  ebbe  seco 
familiarità...  » 


228  ftONSARD   ET   l'hUMANISME 

Un  critique  comme  Traiano  Boccalini,  qui  parle  de  Ronsard 
au  temps  où  Chiabrera  l'imite,  n'a  peut-être  rien  lu  de  lui.  Cepen- 
dant'ce  satirique  batailleur  et  avisé,  qui  défend  la  Jérusalem  et 
combat  les  détracteurs  de  la  Divine  Comédie,  donne  au  maître 
français,  au  cours  de  ses  polémiques,  un  rôle  tout  à  fait  inattendu. 
Il  le  suppose  admirateur  de  Dante,  en  le  faisant  intervenir  dans 
l'allégorie  d'un  RiujgusiyUo  intitulé  :  «  Dante  Alig-hieri  da  alcuni 
virtuosi  travestiti,  di  noLle  essendo  nella  sua  villa  e  maltrat- 
tato,  del  gran  Ronsard  francese  vien  soccorso  e  libérale  »  '.  Cette 
fiction  symbolique,  dont  le  récit  aujourd'hui  semble  étrange  et 
qui  eût  étonné  notre  poète  si  peu  instruit  sur  Dante,  constitue 
pour  lui,  du  moins,  un  solennel  hommage.  Avec  Boccalini,  tous 
les  Italiens  d'alors  l'ont  reconnu,  même  sans  le  lire,  u  prencipe 
de'  poeti  francesi  ». 

De  son  vivant,  des  poètes  de  cette  langue,  humanistes  comme 
ils  l'étaient  tous,  lui  ont  dédié  des  vers.  On  en  connaît  de  Barto- 
lomeo  (Baccio)  Delbene  et  de  Sperone  Speroni.  Le  premier,  gen- 
tilhomme servant  de  la  duchesse  de  Savoie,  était  le  neveu  de 
l'abbé  de  Hautecombe  et  appartenait  à  cette  famille  Delbene,  à  la 
fois  militaire  et  lettrée,  qui  tirait  son  origine  de  la  banque  de 
Florence  et  dont  trois  générations  servirent  la  France  avec 
éclat  '-.  Bartolomeo  a  adressé  à  Ronsard  deux  odes  dont  l'accent 
est  d'un  véritable  disciple  et  que  les  éditions  n'ont  pas  manqué 
de  recueillir  3  ;  elles    ont.  d'ailleurs,  pour   l'histoire  des  lettres, 


1.  \'.  le  texte  du  Raijijaaglio  XCVIII  de  la  Ceniuna  prima  reproduit  par 
Carlo  Del  Balzo,  L'Ilalia  nella  letteralura  francese,  Turin-Bome,  1905, 
p.  290-292. 

2.  Sur  tous  les  Delbeiie,  pourvus  d'emplois  en  Franco  et  dont  trois  au 
moins  appartiennent  à  l'histoire  des  lettres,  v.  Emile  Picot,  Les  Italiens  en 
France  au  XVl"  s.,  Bordeaux,  11)02,  p.  88  sqq.  Sur  le  rôle  de  Harlolomeo 
auprès  la  sœui-  de  Henri  II,  v.  Roger  Peyre,  Une  Princesse  de  la  lienais- 
sance,  Marguerite  de  France,  Paris,  1902,  p.  13,  62  et  100. 

3.  Ed.  Bl.,  t.  Il,  p.  380;  t.  IV,  p.  3o9.  Cf.  éd.  L.,  t.  VI,  p.  2;;.  C'est  dans 
la  première  de  ces  odes,  visiblemeiit  faite  pour  être  chantée  et  jointe 
au  recueil  remanié  de  celles  de  Ronsard,  que  les  rivières  de  son  enfance 
(Loir,  Maine,  Sarthe  et  Loir)  sont  rappelées  à  propos  des  villes  qui  se  dis- 
putaient l'honneur  d'avoir  vu  naître  Homère  : 

Luer,  Meno,  Sartra  e  Lera, 
Conlendei'anno  un  giorno 
Ciascim  portar  sul  corno, 
Hramanilo  il  nome  di  tua  palria  altéra. 


DELBENE    ET    SPERONI  229 

un  prix  trop  longtemps  dédaigné  •,  et  sont  nécessaires  pourexpli- 
(juer  l'élégie  où  le  maître  répond  en  évoquant  Pétrarque  : 

Del-Bene,  second  Cygne  après  le  Florentin 
Que  l'art  et  le  sçavoir,  l'Amour  et  le  Destin, 
Firent  voler  si  haut  sur  Sorgue  la  rivière 
Qu'il  laissa  de  bien  loing  tous  les  autres  derrière, 
Sinon  toy,  qui  de  près  suis  son  vol  et  sa  vois... 
Sous  les  ombres  là  bas  le  Calabrois  Horace 
Entre  les  Myrthes  verds  te  quitera  sa  place, 
Et  Pindare  Thebain  te  cédera  son  bien^. 

L'épître  de  Speroni  à  Ronsard,  qui  date  de  la  lin  de  la  vie 
de  l'un  et  de  l'autre,  n'est  guère  moins  intéressante  ;  elle  contient 
une    des  plus    nobles  attestations  du  génie  du  maître  français  : 

Leggo  spesso  tra  me  tacilo  e  solo, 
Dotto  Ronsard,  le  voslro  ode  honorate... 
Ecco  novella  gloria  corne  è  giunta 
All'antica  di  Francia,  or  che  più  chiara 
Ne  maggior  non  parea  che  esser  potesse. 

...   é  di  tal  gloria 
Per  voi  solo,  Signor,  si  gloria  e  vanta 
La  vostra  nobil  patria  ;  che  sicconie 
Generando  vi  fe  nascer  consorle 
De'  voslri  antichi  Vandomesi  eroi; 
Cosi  crescendo  in  voi  fuor  il  nostrouso 
La  virtù  innanzi  agli  anni,  a  tutlo  il  niondo 
Note  l'aie  di  Ici  la  lingua  e  il  senne  ^. 

t.  Cf.  Ferd.  Xeri,  Il  ChiaLrera...,  p.  17-28,  et  la  publication  de  Camille 
Couderc,  Les  poésies  d'un  florentin  à  la  Cour  de  France,  B.  Delbene,  Turin, 
1891  (extr.  du  Giorn.  stor.  délia  lelter.  ilal.,  t.  XVII). 

2.  L'élégie  n'a  paru  que  dans  l'éd.  posthume  de  1S87.  Ronsard  dit  nel- 
loment  qu'elle  lui  a  été  réclamée  «  pour  contr'  oschange  ». 

3.  Opère  di  Messer  Sperone  Speroni  deçjli  Alvarotti,  Venise,  1740,  t.  IV, 
p.  3o6-3G3.  Le  poème,  écrit  en  lo84-,  n'a  pas  moins  de  314  vers.  Il  y  a  un 
charmant  passage  sur  les  Muses,  à  qui  Ronsard  fait  traverser  les  Alpes  nei- 
geuses pour  les  conduire  en  son  doux  pays  ;  le  poMe  termine  sur  un  élo- 
quent tableau  dos  mau.x  de  l'Italie  («  Povei'a  Italia  niia...  »)  et  un  hommage 
à  la  grande  Italienne  louée  par  Ronsard,  Catherine  de  Médicis.  La  pièce  a 
été  imprimée  avec  des  variantes  à  la  Qn  du  Tombeau  de  Ronsard,  puis  dans 
ses  éditions  du  xvn"=  siècle.  —  L'Italie  a  ajouté  au  Tombeau  une  contribu- 
tion de  valeur  médiocre,  mais  abondante.  Hlanchemain  en  a  reproduit  seu- 
lement quatre  sonnets  signés  de  Grigioni,  Zampini,  Malespina  etRuggieri. 
Trois  de  ces  personnages  sont  identifiés  par  Ferd.  Neri,  Il  Chiabrera .  .  ., 
p.  38.  Le  dernier  est  le  Cosimo  Ruggieri  condamné  pour  avoir  envoûté 
Charles  IX  (E.  Defrance,  Cath.  de  Médicis,  aes  astrologues  et  ses  méilecins- 
envoûleurs,  Paris,  1911,  p.  190). 


230  RONSARD    1:1     l'iIUIIANISME 

Sperone  Spcroni,  qui  a  su  parler  de  Ronsard  mieux  quaucuu 
de  ses  compatriotes  et  qui  a  vécu  assez  pour  transmettre  au  jeuae 
Chialirorn  l'htM-ilagc  de  son  admiration,  avait  reçu  lui-mf-me  de 
rilumanisme  une  forte  empreinte,  ainsi  que  ses  «  discours  »  sur 
Virgile  suf(îsont  à  le  montrer.  Cependant  il  apparaît,  surtout  par 
ses  tiiéories  littéraires,  ainsi  que  par  la  pratique  de  toute  sa  car- 
rière, comme  un  des  propagateurs  les  plus  ingénieux  de  la  langue 
«  vulgaire  »  et  notre  Pléiade  naissante  lui  a  dû  noml)re  d'inspira- 
tions utiles.  Ronsard  ne  pouvait  ignorer,  comme  nous  l'avons 
fait  longtemps,  tout  ce  f[ue  son  ami  Du  Bellay  avait  emprunté  de 
Speroni  pour  la  composition  do  la.  iJe /fente,  où  sont  transposées 
des  pages  entières  du  Dialogo  délie  lingue  et  qui  applique  direc- 
tement au  français  ce  que  l'auteur  a  dit,  de  façon  excellente,  pour 
l'italien  '.  Il  avait  pu  lire  la  traduction  des  Dialogues  imprimée 
à  Paris  en  l.'i.^l.  Mais  il  n'j-  a  eu  d'autres  rapports  directs  entre 
Ronsard  et  Speroni  que  ceux  marqués  par  cette  tardive  épitre. 
On  a  parlé  d'une  amitié  remontant  à  trente  années  et  d'un  livre 
envoyé  à  Padoue  par  Ronsard,  en  l.")S2,  par  l'entremise  de 
Filippo  Pigafetta,  avec  prière  à  Speroni  d'en  donner  son  juge- 
ment. La  lettre-de  Pigafetta  à  celui-ci,  qui  met  en  scène  Ron- 
sard avec  Dorât,  doit  être  présentée  au  lecteur  pour  établir 
qu'elle  ne  renferme  rien  de  ce  qu'on  a  cru  y  voir  : 

Clar.  sig.  mio,  Dopo  sedici  anni,  per  qualche  negozio  che  corre, 
io  sono  ritornato  in  Francia  ed  a  Parigi..  *.  Degli  amici  miei  vecchi  ho 
trovati   vivi  tre  principali.«?imi  :  il  medico  Durelo,   il  quale  fa  profes- 


1.  P.  Villey  Ta  établi  do  la  façon  la  plus  inléressante  dans  Les  sources 
ilnliennes  de  la  De/J'ence...  de  J.  du  Bellay.  Paris,  1908  ;  il  y  reproduit  le 
dialogue  de  Speroni  d'après  le  texte  de  la  première  édition  des  Dialagi 
(Aide,  1S4-2). 

2.  i<  E  l'ho  ritrouata  bon  d'altra  forma  in  qnalclie  parte  di  quel  che  era  al 
partir  mio.  Il  vivere  caro  i  due  terzi  più,  quantunque  in  quantité  ve  ne  sia 
in  abbondanza  ;  i  dottori  mancati,  ed  i  scolari,  i  qnali  solevano  ascendere 
al  numéro  di  venti  mille  [chilfre  donné  par  Lambin],  ora  sono  scemati  idue 
terzi.  »  Du  Paris  humaniste  vu  par  Pigafetta  vers  1564,  il  y  a  un  bref  tableau 
dans  une  lettre  de  lui  à  Juste  Lipse  :  «  Laprimiera  volta,  ch'io  andasse  in 
Francia  hebbi  nello  Studio  di  Parigi  stretta  conversatione  (an/.i  fuilor  audi- 
torel  col  ïurnebo,  con  l'Aurato,  e  Lambine,  e  col  Dureto,  hcroi  nello  loro 
profossioni  ;  et  col  Ramo  ancora,  consore  presuntuoso  (por  non  appellarlo 
bestiale)  d'Aristotele  ;  ncl  quai  tempo  il  Tuniebo  compilava  i  libri  de  suoi 
Aversarii...  »  (Hurmann.  Syllinjes  episl.,  t.  11,  p.  (iO.  De  Rome,  20  avril 
IGOO). 


PIGAFETTA  2.1 1 

sione  di  iulendere  Ippocrale  con  pocliis<;iini  nella  sua  ling'ua  lonica...  ' 
Gli  alLri  due  sono  Giovanni  Aui-alo  e  Pielro  Ronsardo,  famosi  poeti 
e  i  primieri  di  Fraiicia  in  Lalino  ed  in  Franccse;  coi  quali  ra^ionando 
diverse  fiate,  e  con  altri  leLterati  di  quesla  città,  che  sono  molli  e 
sommi,  e  fra  gli  altri  con  l'autore  di  questo  libro,  dalla  poesia  Ilalia- 
na  e  de' poeti  suoi,  e  di  Y.  S.  onoratissimaniente,  e  dicendogli  che  già 
piii  di  ventiquattro  anni  io  era  amico  suo;  dunque,  sogginnse,  cgVi 
essendn  amico  mio  <;ià  trenta  anni,  vi  piacerà  di  inviarli  uno  de'  miei 
volumi,  pregandolo  a  leggerlo,  e  con  ogni  suo  comodo  srrivermene 
con  lettera  brève  il  suo  parère.  Cosi  ho  consegnato  il  ditto  libro  al 
molto  111.  Sig.  Cavalier  Cortese,  Ambasciatore  dell'  Altezza  di  Fer- 
rara,  stimando  che  presto  e  bene  l'abbia  a  far  capitar  in  sua  mano. 
Se  vorrà  con  una  grazioza  lettera  rispondere  ail'  autore,  m'assicuro  che 
sarà  opra  di  cavalière,  ed  io  gliene  saprô  buon  grado  ;  e  potrà  diriz- 
zare  le  lettere  al  sudetto  Signor  Ambasciatore,  scrivendo  in  Ilaliano, 
e  la  soprascritla  in  questa  maniera  :  A  Mons.  Mons.  Claudio  Fochel, 
Pre-ndenle  délia  corle  délie  nionele,  a  Paricji,  con  quel  titoli  che 
convengono...  ^. 

L'interlocuteur  de  Pigafetta,  dans  la  conversation  rapportée, 
est  évidemment  le  président  Fauchet,  et  l'ouvrage  qu'il  lui  a  re- 
mis est  celui  qu'il  vient  de  publier,  fruit  mûri  de  longues 
recherches,  son  Recueil  de  Voriçjine  de  la.  langue  et  poésie  fran- 
çoise,  ryme  et  romans,  plus  les  noms  et  sommaire  des  œuvres  de 
1 ''27  portes  français  vivans  avant  l'an  MCCC^.  Cet  historien  avait 
dû  connaître  Speroni  dans  sa  jeunesse,  alors  qu'il  accompagnait, 
en  15oi,  le  cardinal  de  Tournon  en  Italie;  il  avait  appartenu 
plus  tard  à  l'entourage  du  chancelier  de  L'Hospital  ''  et  un  ins- 
tant au  cercle  de  Ronsard  •'  ;  mais  l'anecdote  littéraire  qu'on 
peut  tirer  du  document  italien  n'intéresse  pas  notre  poète. 

1.  La  lettre  raconte  ici  la  querelle  philologique  enli-e  Louis  Duret  et 
Scaliger. 

2.  Opère  di  Sp.  Speroni,  t.  V,  p.  371.  La  lettre  est  datée  de  Paris,  lOjuil- 
let  Ki8-.  La  fausse  interprétation  adoptée  par  les  biographes  de  Ronsard, 
et  même  par  Laumonier  [Binel,  p.  214),  parait  remonter  aux  éditeurs  de 
Speroni  (t.  IV,  p.  356). 

3.  Paris,  M.  Pâtisson,  lo81. 

4.  On  trouve  Claude  Fauchet  parmi  les  poètes  latins  qui  ont  collaboré  au 
fameux  recueil  en  l'honneur  du  chancelier,  sur  la  médaille  antique  d'argent 
représentant  un  Aristote  ressemblant  à  L'Hospital  (1364). 

0.  Dans  les  Dialogues  (lor)6)  de  Louis  Le  Caron,  dit  Cliarondas,  Fauchet 
figure  parmi  les  interlocuteurs  du  dialogue  intitulé /}ofi.sard  ou  de  la  Poésie, 
avec  Ronsard,  Jodelle  et  Pasquier.  Baïf  fait  état  de  son  approbation  pour 
ses  vers  latins  (Carnii/ia,  f.  17). 


232  noNSARD  i:t  i/iiumanisme 

Il  y  a  à  Padouc  un  autro  Immaniste  depuis  longtemps  accou- 
tumé à  suivre  avec  attention  la  production  littéraire  de  son 
é])oque,  (|ui  ne  manque  pas  d"acquérir  à  leur  apparition  les  a-u- 
vres  de  Ronsard,  en  même  temps  qu'il  se  fait  envoyer  de  France 
les  priiicipaux  livres  d'érudition,  de  grammaire,  et  même  ces 
traités  d'orthographe  qui  ont  si  vivement  passionné  nos  poètes. 
C'est  Gian-Vincenzo  Pinelli,  qui,  sans  rien  publier  lui-même, 
met  au  service  de  ses  contemporains  les  ressources  de  son  érudition 
presf[ue  universelle  et  de  sa  vaste  bibliothèque  ^  Corbinelli  et 
Claude  Dupuy  entretiennent  avec  lui,  de  Paris,  une  correspon- 
dance où  il  est  fait  quelquefois  mention  de  Ronsard.  En  iïyll), 
réclamant  à  Dupuy  les  Moralia  de  Plutarque  dans  la  traduc- 
tion d'Amyot  et  d'autres  livres  français  récemment  parus,  il  le 
dispense  expressément  de  lui  envoyer  la  nouvelle  édition  des 
œuvres  du  poète,  car  il  peut  se  la  procurer  en  Italie  -.  Dix  ans 
plus  tard,  il  interroge  Corbinelli  sur  le  prix  de  certains  volumes 
isolés  ^.  Enfin,  Dupuy  lui  fait  tenir  la  première  édition  posthume, 
préparée  par  Galland.  La  lettre  de  l'érudit  parisien  du  22  janvier 
1')88,  qui  parle  "de  cette  expédition,  donne  sur  les  dernières 
éditions  de  Ronsard  une  opinion  très  intéressante  à  recueillir  à 
cette  date  et  de  cette  plume  : 

.le  vous  ai  enuoiè  les  œuvres  de  Ronsard  de  la  dernière  impression,, 
qui  est  in  12°  et  non  in  f"  comme  portoit  vostre  mémoire.  Celles  in  f° 
furent  imprimées  du  viuant  de  Ronsard  en  l'an  1583  ou  84  ;  ces 
dernières  furent  faites  l'année  passée  seulement,  comme  elles  auoient 
esté  reueues,  corrig'ées  et  augmentées  par  l'auteur  peu  avant  son 
trespas,   ainsi  qu'il   est   tesmoigné  par  l'intilulation,  et   la   vérité  est 

1.  Sur  Pinelli  et  son  rùle,  qui  inpppllo  celui  de  notre  Peireso.au  siècla 
suivant,  v.  La  nibliothèr/iie  Je  Fulvio  Orsini,  p.  74-76  et  passim.  et  les 
études  deCrescini  et  de  Rajna,  citées  dans  le  travail  de  Rita  Calderini  de 
Marchi  sur  Corbinelli,  entièrement  composé  sur  la  correspondance  inédile 
Corbinelli-Pinelli  fMilan,  1914).  Cf.  Revue  d'hisl.  tiit.  de  la  France,  t.  XXIV, 
1917,  p.  676-678.  J'ai  transcrit  à  TAmbrosienne  la  jiKipart  des  lettres  de 
Claude  Dupuy  à  Pinelli,  dont  la  publication  intéresserait  l'histoire  des  lettres 
et  de  l'érudition  en  France  comme  en  Italie. 

2.  "  Non  mi  euro  più  dell'  opère  di  Ronsard,  et  una  volta  si  Iroveranno  di 
quà,  corne  di  già  l'havea  trovate,  et  l'harei  prese  se  non  l'aspettava  di 
Costa  n  (Biblioth.  nat.,  Dupuy  704,  fol.  3ô.  Lettre  du  13  mai  1575^. 

3.  Corbinelli  écrit,  le  1"''  janvier  1586:  "  Quanto  a  tre  volumi  in  16°  dcl 
Ronsardo  legato  come  dice  V.S.,  si  son  venduti  uno  scudo  e  testoni  10  e 
questi  ultimi  si  vendono  uno  scudo  testoni  20  »  (R.  Calderini  De  Marchi, 
/.  c.,p.  93). 


G.-V.    PINELLI    ET    CLAUDE    DUl'UV  233 

telle.  Toutesfois  i'aimerois  beaucoup  mieux  les  premières  éditions  que 
ces  dernières,  esquelies  il  a  tout  ffasté  selon  mon  iugement,  aiant 
esté  plusieurs  belles  pièces  et  changé  les  plus  beaus  et  hardis  traits  des 
autres,  de  manière  qu'on  n'y  reconjïnoist  quasi  plus  ce  grand  Ronsard 
qui  a  mis  nostre  poésie  Françoise  au  parangon  de  la  Grecque  et 
Romaine  '. 

Avant  d'être  conseiller  au  Parlement  et  de  devenir  le  célèbre 
bibliophile  que  l'on  sait,  Claude  Dupuy  avait  fait  un  long 
voyage  d'études  au  delà  des  Alpes,  explorant  les  bibliothèques, 
visitant  les  savants,  et  ses  conversations  très  actives  avaient  aidé 
à  propager  la  renommée  de  notre  poète  parmi  les  lettrés  rencon- 
trés ou  recherchés  par  lui.  Le  fait  nous  semble  d'autant  plus 
assuré  que  tous  les  amis  parisiens,  dont  il  se  réclame  dans  sa 
correspondance  d'alors,  appartiennent  à  l'intimité  même  de 
Ronsard  -.  Bien  d'autres  voyageurs  français  répandirent  à  leur 
tour  en  Italie  ce  nom  d'abord  apporté  par  des  compagnons  de  la 
première  heure,  te^s  que  Du  Bellay  et  Magny,  et  que  Muret  y 
faisait  entendre  avec  honneur  ■''.  Dans  le  groupe  d'écrivains 
amenés  en  lo74  par  la  fameuse  ambassade  de  Paul  de  Foix, 
figuraient  des  amis  du  poète*.  L'ambassadeur  auprès  de  Grégoire 
XIII,  Louis  Chasteignerde  la  Rochepozay,  seigneur  d'Abain,  qui 
fit  accueil  à  Montaigne,  était  un  élève  particulier  de  Dorât  :  il  se 
trouvait  par  cela  même  lié  avec  Ronsard,  qu'une  tendre  amitié  de 
jeunesse  unissait  à  deux  de  ses  frères  ■\  Il  conviendrait  de  mettre 


i.    Bibliotli.  Ambrosienne,  t.   167,  fol.   255. 

■2.  Biblioth.  nat.,  Dupui/  16,  fF.  12-13  ^lett^e  à  P.  Delbene.  Padoue, 
1570)  :  "  Mitto  tibi  versus  Theocriti  nunc  primum  ...in  Iiiceni  reuocatos... 
Eosvelim  Auiato,  Lambino  et  Passeratio  comniunicas...  Salutameis  verbis 
fratres  meos,  Lambinum,    Passeratiiim,  Gallandium   tuum,  Thorium.  » 

3.  On  peut  croire  à  celte  propagande  de  la  part  de  Jacques  Gillot,  con- 
seiller-clerc au  Parlement  de  Paris,  correspondant  de  Muret  et  l'un  des 
futurs  auteurs  de  la  Sati/re  Ménipppe,  qui  va  à  Rome  en  1580,  et  de  Nicolas 
Audebert.  fils  du  poète  humaniste  Germain  Audebert,  qui  voyage  longue- 
ment en  Italie  de  1574  à  1578  (E.  Picot,  Les  français  italianisants,  t..  II, 
p.  152;  Nolhac,  La  Biblioth.  de  Fulvio  Orsini,  p.  45-68,  et  A'.  Audebert 
archéologue  Orléanais,  dans  la  Revue  archéol.  de  1887). 

4.  Par  exemple,  J.-A.  de  Thou  et  Ch.  Uytenhove  (J.-A.  Thuani  de  vita 
sua,  au  t.  Vil  de  l'éd.  de  Londres,  1733,  p.  22.  Cf.  La  Biblioth.  de  Fulvio 
Orsini,  p.  68). 

5.  'V.  les  pièces  adressées  à  Roch  Chasteigner  de  la  Rochepozay  et  à 
Antoine,  (jui  fut  poète  et  mourut  à  vingt  ans  au  siège  de  Thérouaune.  Ron- 
sard  a   composé  pour  ces  amis  de  belles  et  touchantes  épitaphes  relatant 


234  RONSARD    ET    L'uCMANtSMR 

en  lumière  le  rôle  littéraire  de  cet  ambassadeur  savant,  (|ui  u'élail 
étranger  à  aucune  des  belles  disciplines  de  son  temps  et  de  qui 
Muret  entretenait  le  goût  du  grec,  en  venant  étudier  avec  lui 
VElhique  et  la  Politique  d'Aristote  '.  C'est  par  son  entremise 
que  le  maître  du  Collège  Romain  recevait  les  publications  éru- 
ditcs  de  Paris  et  pouvait  lire,  lorsqu'ils  paraissaient,  les 
nouveaux  ouvrages  de  Ronsard  -. 

Parmi  de  plus  modestes  personnages  venus  à  Rome  vers  le 
même  temps,  on  ne  peut  omettre  un  érudit,  mêlé  d'assez  près 
à  la  fin  de  la  vie  du  poète,  Claude  Binet,  de  Beauvais,  qui  doit 
sa  notoriété  littéraire  à  la  biographie  consacrée  par  sa  piété  de 
disciple  à  ce  maître  vénéré  :  «  D'autres  excellens  personnages  », 
y  écrit-il,  «  comme  Pierre  Victor,  Pierre  Barga  et  Speron 
Sperone,  l'ont  tellement  estimé  que  les  deux  premiers  m'ont 
dit,  lorsque  j'estois  en  Italie,  que  nostre  langue  par  la  divine 
Poésie  de  nostre  Ronsard  s'egaloit  à  la  Grecque  et  à  la  Latine  ^.  » 

leurs  exploits  et  son  amitié  Ed.  L..  t.  II,  p.  288,  495;  t.  V,  p.  2G8-278,  472). 
Cr.  Longnon,  P.  de  Ronsard,  p.  204-206.  Dorât  était  en  correspondance 
avec  François,  seig-ncur  de  la  Hochepozay,  antre  frère  de  I.onis,  et  il  avait 
passé  qnelque  temps  ou  chàleau  de  la  famille  pour  Téducatlon  du  futur 
ambassadeur;  «  puis  estant  revenu  à  Paris,  où  sa  charge  publique  le  rap- 
peloit,  il  lui  envoya  Joseph  de  la  Scala...  que  chacun  a  cogneu  depuis  sous 
le  surnom  de  Scaliger  »  (André  du  Chesne,  Histoire généni .  de  la  maison  <Ies 
Ctiaulcignera,  Paris,  1634,  p.  124). 

1.  Une  correspondance  inédite  de  l'ambassadeur  avec  Ch.  Dupuy  met- 
trait on  lumière  ces  mérites  oubliés.  Je  n'en  détache  qu'une  page,  dans 
la  lettre  du  5  juillet  do77  ;  «J'ai  fait  vos  recommendations  à  Monsieur 
Meuret,  qui  vous  rend  les  siennes  1res  humbles  et  ne  sommes  sans  parler 
souvent  de  vous.  Nous  lisons  maintenant  les  Politiques  ayant  parachevé 
nos  Ethiques  et  vous  promets  que  ledit  sieur  Meurot  me  contante  tonsiours 
davantage,  tant  plus  je  voys  en  avant.  Mais  les  infinies  occupations  qu'il 
me  fauU  avoir  en  ce  lieu  m'empeschent  bien  d'y  pouvoyr  employer  le  temps 
comme  je  debvrois  et  desirroys  sans  le  respect  du  service  de  mon  maisire  » 
(Bibl.  nal.,  Dupui/  7/2,  fol.  28).  V.  outre  ce  ms.,  le  vol.  3oO  de  la  mémo 
collection  et  les  lettres  échangées  entre  Pior  Veltori  et  D'Abain  de  la 
Rochcpozay,  dans  la  correspondance  de  Muret.  L'intimité  que  je  signale 
est  attestée  encore  par  un  fort  beau  sonnet  dans  Les  Œuvres  de  Scévolede 
Sainie-Martlie,  Paris,  lu79,  fol.  1d8  : 

Cependant  que  bien  loin  de  nos  terres  mutines 
Avecloprand  Mui'ct  vous  passez  vosti'e  temps,... 
Ambassadeur  du  R<iy  sur  les  rives  Latines. 

2.  On  le  déduit  aisément  d'une  autre  lettre    Dupii;/  7/2.  fol.  27). 

3.  Ce  passage  ne  figure  dans  la  vie  de  Ronsard  qu'il  partir  de  la  seconde 
édition  (éd.  Laumonier,  p.  42).  Binet  l'introduit  pour  se  faire  honneur 
autant  qu'à  son  maitre. 


CLAUDE    BINET  23!) 

On  chercherait  eu  vaiu  dans  les  ouvrages  de  ces  Italiens  célèbres 
quelque  ligne  rappelant  de  tels  propos.  Si  un  jeune  Français 
enthousiaste,  s'entretenant  à  Florence  avec  Pier  Vettori,  à  Hise 
avec  Pier  Angeli  da  liarga,  a  pu  recueillir  leur  témoignage , 
c'est  qu'il  l'a  lui-même  sollicité.  L'ancien  gonfalonier  de  la  Répu- 
blique florentine  était  devenu  le  plus  expert  des  savants  adonnés 
à  la  critique  des  textes  ;  quanta  l'auteur  des  Ci/negelica,  favorisé 
de  Henri  III  et  de  la  Reine-nière,  il  passait  pour  le  plus  élégant 
versificateur  latin  de  sa  génération  '.  Il  n'est  pas  sans  intérêt 
de  constater  que  leur  autorité  de  grands  humanistes  s'accordait 
avec  l'opinion  des  poètes. 


XII 


Le  voyage  en  Italie  du  futur  biographe  de  Ronsard,  alors 
avocat  au  Parlement  de  Paris,  peut  être  fixé  à  l'année  1379  -. 
Les  appréciations  flatteuses  que  Rinet  rapporta  au  poète  lui  four- 
nirent sans  doute  l'occasion  d'enlrer  plus  avant  dans  son  intimité. 
Il  fut  parmi  les  lettrés  qui  entourèrent  son  âge  déclinant  et,  s'il 
j  a  dans  les  détails  de  l'ouvrage  lauJatif  qu'il  composa  après  sa 
mort,  et  surtout  dans  les  retouches  de  ses  éditions  successives,  des 
parties  complaisantes    à   l'amour-propre  de  certains    contempo- 

1.  Sur  .\ngeli  et  ses  relations  avec  la  France,  v.  E.  Picot,  Les  jLiUcns  en 
France  au  XVI"  s.,  Bordeaux,  1902,  p.  73.  Onyjointha  des  lettres  de  Lam- 
bin dans  les  Epislolae  clarorum  viroruni,  Lyon,  luGl,  p.  443  cl  Api>endijc. 
Les  quatre  piemiers  livres  de  l'épopée  d'Angeli  sur  la  première  Croisade 
ont  été  imprimés  à  Paris  en  1582  et  1584.  La  Si/rias  est  déiliée  à  Henri  III 
et  à  Catherine  deilédicis.  Après  la  dédicace  au  Roi,  est  une  pièce  adressée 
à  Desportes.  Les  Audebert,  père  et  lils,  ont  donné  des  vers  liminaires.  Il 
n'y  a  nulle  part  mention  de  l'auteur  de  la  Franciadc. 

2.  Le  voyafife  de  Claude  Binet.  que  Laumonier  suppose  remonter  à  15G8 
ou  1509,  a  précédé  au  contraire  de  l'orl  peu  de  temps  la  publication  de  son 
choix  d'antiques  épigrammes  latines  inédites  (Poitiers,  1579),  cité  plus  haut, 
p.  35,  n.  5.  Parmi  ses  propres  poèmes  latins,  il  y  a  précisément  des  dédi- 
caces à  Vettori  (Viclorius)  et  à  Angeli  (Bargaeus).  Cette  date  m'est  fournie 
par  une  lettre  à  Achille  Estaço  (Statius),  le  commentateur  des  Elégiaques 
latins,  par  laquelle  Binet  accompagne  l'envoi  à  Home  de  son  essai  d'antho- 
logie latine  :  'I  Edidi  epigrammata  illa  tandem  quae  Roniae  anno  supe- 
riore  tibi  credideram,  antiqua  scilicet  illa  et  Petronii  Arbilri  magna  ex 
parte...  1)  La  lettre,  qui  traite  de  sujets  philologiques  et  mentionne  Corbi- 
nelli  et  Cujas,  est  datée  de  Paris,!'''  mai  1580  (Rome,.  Biblioth.  Valicel- 
liana,  ms.  B.  106,  fol.  92). 


236  RONSARD    ET    l'hUMAMSME 

rains,il  faut  néanmoins  admettre  qu'une  bonne  part  de  ses  rensei- 
gnements provient  des  conversations  de  Ronsard  ou  des  récits 
authentiques  de  ses  amis.  Ceux  qui  se  vérifient  par  d'autres 
sources  permettent  d'accorder  à  la  narration  de  Binet  au  moins 
l'intérêt  d'une  sorte  d'historiographie  officieuse,  conforme  aux 
vues  des  derniers  disciples  '.  Elle  fut  rédigée  alors  que  Baïf  et 
Dorât  vivaient  encore,  et  d'accord  avec  Jean  Galland.  qui  assura, 
en  même  temps  que  l'auteur,  l'exécution  des  deinières  volontés 
du  poète  pour  la  réimpression  de  ses  œuvres. 

Le  collège  de  Boncourt,  dont  Galland  était  le  principal  et  qui 
était  situé  derrière  le  chevet  de  l'église  Saint-Etienne-du-Mont, 
tient  une  grande  place  dans  les  dernières  amitiés  de  Ronsard. 
Celte  savante  maison  n'était  point  éloignée  de  celle  de  Ba'if, 
bâtie  sur  la  contrescarpe  de  l'cnceint*  de  Philippe-Auguste, 
«  entre  les  portes  Saint-Victor  et  Saint-Marcel  »,  où  se  réunissait, 
pendant  la  fin  du  règne  de  Charles  IX,  l'Académie  de  poésie  et 
de  musique '.  Pour  les  séances  solennelles.  Boncourt  offrait 
l'hospitalité  à  l'Académie  et  à  ses  invités,  et  s'ouvrait  aux  dames 
et  à  la  Cour^.  La  demeure  de  Dorât,  sise  au  faubourg  Saint- 
Victor,  était  toute  proche  ''.  C'était  aussi  depuis  assez  longtemps, 
le  quartier  de  Ronsard,  puisque  la  ■■  maison  de  l'Ange  »,  qu'il 
occupa  avant  de  quitter  Paris  pour  ses  prieurés  de  campagne  et 
qui  appartenait  à  Baïf,  communiquait  avec  l'habitation  de  celui- 

1.  On  sait  qu'une  discii.ssion  sévère  a  été  instituée  sur  les  sources  de 
Binet  par  son  dernier  éditeur  Laumonier,  qui  a  critiqué  également  toute 
l'information  relative  à  Ronsard  sortie  de  Boncourt. 

2.  Sur  la  maison  de  Ba'if,  v.  plus  haut.  p.  222.  et  dans  le  Bulletin  pliilol . 
et  hislor.,  année  1016,  p.  15,  le  document  tout  nouveau  publié  parTueley. 
C'est  un  acte  du  i\  septembre  15S7,  portant  donation  par  J.-A.  de  Ba'if, 
secrétaire  du  Roi,  à  Jeanne  du  Bippnon  [sa  maîtresse],  femme  d'Antoine 
Patu,  bourg-Pois  de  Paris,  d'une  maison  voisine  de  la  sienne,  «  sur  les- 
ditz  fossez  [Saint-'Victor]  où  soulloit  estre  pour  enseigne  l'Ange,  tenant 
d'une  part  a  la  maison  du  Chappeau  Rouge  audict  de  Ba'if  ».  La  maison 
donnée  par  Ba'if  à  sa  maîtresse  (le  document  précise  cette  (]ualité|  était 
donc  celle  que  Ronsard  avait  habitée. 

.3.  Sauvai,  Histoire  et  recherches  des  anliqiiil(^s  de  la  ville  de  Paris.  Paris. 
1724,  t.  II,  p.  491.  Sur  l'Académie  baifienne,  distincte  de  celle  du  Palais. 
V.    l'excellent  chapitre  x  de  l'ouvrage  d'Augé-Chiquot. 

4.  y.  plus  haut,  ]).  60.  A  la  fin  de  sa  vie,  Dorât  est  revenu  à  l'intérieur 
de  la  ville.  L'acte  de  donation  dune  maison  à  Saint-Cloud,  à  Goulu,  son 
gendre,  et  Madeleine  Dorât,  sa  fille,  le  7  janvier  1586,  indique  sa  demeure 
"  dans  l'encloz  de  la  commanderiede  Saiiict-Jean  de  Latran,  paroisse  Saincl- 
Benoist  >■  IHtill.  pliilol.  et  liistor.,  année  1916,  p.  12;. 


Le  collège  de  bokcourt  23*? 

ci  par  un  passage  percé  dans  le  mur  de  la  ville  par  autorisation 
spéciale  du  Roi  '.  II  se  rendait  volontiers  chez  son  ami  pour  se 
récréer  avec  des  poètes,  et  aussi  parfois  chez  Dorât,  bien  que 
les  compag'nies  y  fussent  trop  joyeuses  pour  son  gré  et  qu'il  fût 
privé  de  leur  agrément  par  sa  surdité.  Il  se  trouvait  assurément 
plus  à  l'aise  au  collège  gouverné  par  Galland  et  y  prenait  peu  à 
peu  ses  habitudes  "-.  En  tout  cas,  ce  groupement  de  la  Pléiade 
dans  le  Paris  des  études  et  la  constante  familiarité  des  poètes 
avec  les  gens  de  l'Université  resteront  des  faits  bien  établis.  Ce 
petit  monde  assez  particulier  est  évoqué  par  un  texte  de  Jacques 
Auguste  de  Thou,  qui  rappelle  un  moment  de  sa  jeunesse  et  y 
associe  plusieurs  de  nos  personnages  : 

lam  loannes  Au  rat  us  profession!  renuntiaueratet  inSanuictoria- 
num  suburbium^  concesserat,  quo  frequens  itabat  Thuanus,  ex  eiusque 
coUoquiis  semper  instructior  redibat,  de  Budaeo,  quem  ille  puer 
viderai,  Ge  rma  no  Brixio,  lacobo  Tusano  sedulo  eum  perconta- 
lus.  Huius  etiam  beneficio  in  notitiam  P.  Ronsardi  discipub  véné- 
rai, cuius  iam  tum  el  amicitiani  poelica  quadam  facullate  demeruit, 
adeo  ut,  cum  ultima  editione  opéra  sua  recudendalo.  Galandio  man- 
dasset,  Orphea  ei  cum  honoritico  maxime  elogio  dicaueril.  In  lo. 
.\ntonii  Baifii  eliam  el  Remigii  Bellaquei  famibarilatem  in 
eadem  occasione  se  insinuauit,  quam  postea  arctius  coluit''. 

Boncourt  devint  plus  tard  l'unique  habitation  parisienne  de 
Ronsard,  qui  y  logea  pendant  les  dix  dernières  années  de  sa  vie, 
toutes  les  fois  qu'il  fit  séjour  dans  la  capitale.  Galland  et  ses 
autres  amis  ly  retenaient  le  plus  longtemj)s  possible,  lorsque  le 
«  poignait  »  le  désir  de  ses  bois  et  de  ses  fontaines  et  qu'il  songeait 
à  reprendre  le  chemin  du  Vendômois  ou  de  la  Touraine.  11  aimait, 
d'ailleurs,  ce  milieu  des  collèges  parisiens,  groupés  sur  la 
montagne  Sainte-Geneviève,     parmi   lesquels   une    partie  de  sa 

i.  Sauvai  voyait  encore  les  traces  de  cette  porte.  Cf.  Jusserand,  Ronsard, 
p.  131. 

2.  Le  groupement  des  textes  sur  Galland  est  fait  par  Laumonier,  dans 
les  notes  de  la  Vie  écrite  par  Binet,  p.  173-178,  et  dans  son  édition  de 
Ronsard,  t.  VI,  p.  43  ;  t.  Vil,  p.  132-133  ;  t.  VllI,  p.  144. 

3.  Le  traducteur  français  des  Mémoires  de  De  Tliou,  inexact  pour  ce  pas- 
sage, écrit  que  Dorât  n  s'étoit  retiré  dans  l'abbaye  de  Saint- Victor  »  ;  il 
lisait  évidemment  coenobium  pour  suburbium. 

4.  J.-A.  Thuani  Historiariim  sui  lemporislibri  C.Y.VA'V///...,  Anvers,  1620. 
Commentaria  de  vila  sua,  lib .  I,  p.  5. 


238  BONSARb    ET    LtllMAniBME 

jeunesse  s'était  écoulée,  et  surtout  ce  Boncourt,  où  il  retrouvait 
le  souvenir  des  succès  de  son  cher  Jodolle  '.  11  s'y  montrait 
dune  simplicité  charmante,  prenant  ses  repas  avec  les  écoliers 
et  les  maîtres,  leur  donnant  des  exemples  de  piété  et  des  conseils 
de  poésie.  Tous  l'entouraient,  quand  il  faisait  sa  promenade 
quotidienne  dans  le  jardin  du  collège,  devenu,  dit  l'un  d'eux, 
un  véritable  jardin  d  Académus.  On  a  trop  peu  recueilli  de 
cette  parole  vive  et  savoureuse,  qui  instruisait  et  charmait  ce 
dernier  auditoire.  Le  poète  enseignait  l'amour  de  la  lang-ue 
française,  à  l'aide  de  ces  brillantes  imagos  qui  ont  tant  frappé 
Agrippa  d'Aubigné  -  ;  il  traitait  volontiers  de  la  théorie  de  son 
art  et  de  la  technique  du  vers,  appréciait  sans  malveillance,  mais 
sans  complaisance,  le  talent  de  ses  contemporains  3,  éclaircissait, 
avec  son  autorité  reconnue  de  tous, les  passages  obscurs  des  Anciens, 

l.Cf.  plus  haut,  p.  ICI,  n.  3,  etle  passage  cité  du  principal  du  collège  d'A- 
miens, p.  199. 

2.  «  Mes  enfants,  deffendoz  vostre  mère  de  ceux  qui  veulent  faire  servante 
une  damoiselle  de  bonne  maison...  Je  vous  recommande  par  testament  que 
vous  ne  laissiez  point  perdre  ces  vieux  termes...,  contre  des  marau.\  qui  ne 
tiennent  pas  élégant  ce  qui  n'est  point  escorclié  du  latin  et  de  l'italien,  et 
qui  aiment  mieux  dire  coltauder,  conlemner,  blasonner,  que  louer,  mespri- 
ser,  blasmer.  Tout  cela  c'est  pour  l'escolier  de  Limosin.  »  Ces  paroles  de 
Ronsard  sont  rapportées  dans  l'introduction  aux  Tragiques  (éd.  Ch.  Read, 
Paris,  1872,  p.  6). 

3.  A  propos  de  Du  Bartas  et  de  L)u  Monin,  on  entend  Ronsard  dire  chez 
Ba'if  :  n  Ils  sont  en  mon  endroit  tels  que  les  courtisans  d'Alexandre  envers 
ce  monarque...  En  toutes  leurs  œuvres,  ils  sont  bien  mes  imitateurs  en  ce 
que  j'ay  escrit  d'impertinent  ;  mais  pour  imiter  parfaictement  ce  que  j'ay 
fait  d'admirable,  ils  ne  peuvent,  et  n'ont  point  l'esprit  assez  beau  pour  y 
sçavoir  jamais  arriver  »  (Pierre  de  heimicr,  L'Académie  de  l'arl  poétique, 
Paris,  1610,  p.  119).  —  Je  crois  utile  d'indiquer  les  ambitions  de  cet  Edouard 
du  Monin,  qui  me  semble  avoir  étédu  dernier  entourage  de  Ronsard  et  aussi 
de  la  société  de  Boncourt.  Honoré  d'un  quatrain  par  Du  Bartas,  d'une  ana- 
gramme par  Dorât,  il  est  un  des  introducteurs  des  Poemalia  de  celui-ci.  11 
est  aussi  de  ceux  du  Premier  volume  de  la  Bibliothèque  du  sieur  de  la  Croix- 
du-Maine,  Paris,  1584  ;  et  surtout  il  a  eu  l'honneur  immérité  de  mettre  des 
vers  française  côté  des  latins  de  Dorât,  au  devant  de  V  Art  poétique  franroi/s 
de  Ronsard,  édité  à  nouveau  par  Linocier,  en  l.ï8y.  Dans  Le  Quareme  de 
lan  Edouard  du  Monin,  divisé  en  trois  parties.  Première.  Le  triple  amour  ou 
l'Amour  de  Dieu  du  monde  angelique  et  humain...,  Paris,  1384,  il  a  inséré 
p.  333  un  poème  Ad  /.  Galand  Collegii  Becod.  primarium.  literariae  classis 
asylum  ac  perfufjium.  On  lit  dans  son  épitre  dédicatoire:  «  Après  Ronsard, 
je  ne  sai  en  France  que  du  Bartas  et  moi  qui  assés  heureusement  puisse 
faire  marcher  la  solide  Philosophie  à  pieds  poétiques...  "  Mais  Ronsaixl. 
selon  Deimier,  «  disoit  parfois  à  ses  amis  que  Du  Monin  et  Du  Bartas  luy 
avoyeut  gasté  la  Poésie  ». 


hOMSÂHD  CHEZ  OALLAND  239 

expliquait  les  emprunts  qu'il  leur  avait  faits,  revenait  à  ses  idées 
familières  sur  la  supériorité  des  Grecs  et  sur  la  nécessité  d'écrire 
dans  la  langue  maternelle  pour  rester  dans  la  vraie  tradition 
des  maîtres  '.Et  »  le  Lonhomme  Ronsard  »,  comme  disaient  les 
jeunes  gens,  émerveillait  encore  ses  compagnons  de  table  ou  de 
promenade,  en  improvisant  de  belles  traductions,  vers  pour  vers, 
de  morceaux  de  Virgile  et  d'Horace'-. 

La  famille  de  Jean  Galland  ét;iit  faite  pour  récréer  uu  vieil- 
lard. Ronsard  y  trouvait  autour  de  lui  une  gaie  jeunesse,  qui 
l'admirait  ;  Dorât  plaisante  à  ce  sujet  avec  ses  deux  amis,  en  ces 
hendécasyllabes  à  la  façon  de  Catulle,  par  lesquels  il  leur  apprend 
joyeusement  son  mariage  de  sexagénaire  : 

Oplimo  optirna  sil  salus  poelae, 
Oplimo  opiima  sil  salus  sodali, 
U  Ilonsarde,  lihi  lialandioque, 
Ambohus  lepidis  veniislulisc/ue 
Malernae  Veneris  siiae  columhis. 
Quos  et  saepe  viae  ferunl  eaedcm, 
Et  quos  saepe  domus  legunl  eaedeni, 
Eademque  donio  puellae    eaedem, 
Eadem  vencres  ferunl  ei'sdern, 
Veslre  nunc  nec  ego  hospilalilali 
Nec  sorti  inuidulus  heatiori, 
Hanc  vobis  fero  gratulationem...  ■^ 

Chez  Galland,  chacun  prodiguait  au  vieux  poète  les  soins 
qu'exigeaient  ses  infirmités  et  ses  longues  et  douloureuses  atta- 
ques de  goutte  ;  on  savait  en  même  temps  lui  éviter  les  visi- 
tes importunes  et  l'ennui  de  recevoir  des  gens,  souvent  considé- 
rables, qu'attirait  à  Boncourt  l'indiscrète  curiosité  d'entretenir  un 
homme  illustre.  Une  véritable  l'econnaissance  le  liait  donc  à  son 
lj.ovicpiAoû|j,£vî^,  ce  bon  Galland,  qu'il  nommait  aussi  c<  sa  seconde 
âme  ».  Celui-ci  l'aida  à  publier  la  dernière  édition  qu'il  ait  donnée 

1.  Ces  dernières  préoccupations  sont  à  chercher  dans  la  troisième  pré- 
face de  la  Franciade,  qui  est  de  1587. 

2.  G.  Crichton,  Laudalio  fuuehris,  fol.  10;  J.  Velliard,  Laurlalio  fune- 
bris,  fol.  16. 

3.  Ce  petit  poème,  qui  est  inédit,  se  trouve  dans  le  nis.  aoO,  fol.  64,  du 
fonds  Dujjuy.  Lu  suite  du  morceau,  (|ui  intéresse  surtout  la  biographie  de 
Dorai,  devra  être  recueillie,  le  jour  où  l'on  réunira  les  lettres  et  les  vers  de 
lui  qui  méritent  d'échapper  à  l'oubli. 


24d  «ONSAIlD   ET   L'HniAM8MË 

de  ses  œuvres,  le  bel  iu-folio  k  deux  colonnes  de  lo8i,  à  propos 
duquel  il  réclamait  au  libraire  «  soixante  bons  escus,  pour  avoir 
du  bois  pour  s'aller  chauffer  cet  hy  ver  avec  son  amy  Gallandius  »  '. 

Quand  on  apprit  à  Paris  la  mort  du  poète,  survenue  à  Saint- 
Gosme-lez-Tours  le  23  décembre  1583,  le  principal  de  Boncourt 
s'occupa  de  préparer  dans  sa  maison  une  cérémonie  d'hommage 
solennel.  Le  '2i  février  1386,  les  admirateurs  de  Ronsard  se 
réunirent  dans  la  chapelle  du  collège.  Il  y  eut  le  matin  ceux  de 
la  Ville  et  l'Université  ;  deux  professeurs,  le  chartrain  Jacques 
Velliard  et  un  écossais,  Georges  Crichton  (Crittonius),  avaient 
composé  des  éloges  étendus,  où  furent  commémorés  en  bon 
latin,  avec  les  mérites  littéraires  du  glorieux  défunt,  les  liens 
qui  l'unissaient  à  Boncourt-.  On  entendit  ensuite  un  requiem  à 
cinq  voix,  la  première  œuvre  importante  de  Jacques  .Mauduit, 
le  musicien  le  plus  apprécié  de  l'Académie  de  Baïf,  qui  prodi- 
guait en  l'honneur  de  Ronsard  les  ressources  d'un  art  que 
celui-ci  avait  tant  aimé  3.  Un  dîner  abondant  sépara  cette  pre- 
mière séance  de  la  seconde,  à  laquelle  prit  part  la  Cour  et  qui 
fut  remplie  par  la  grande  oraison  funèbre  en  français  prononcée 
par  le  jeune  Du  Perron,  lecteur  de  la  chambre  du  Roi.  Nous 
avons  les  textes  imprimés  de  toutes  ces  harangues  et  des  derniers 
vers  de  Ronsard,  dont  l'auditoire  fut  régalé.  Il  manquait  le 
récitdirect  d'un  assistant  ;  une  lettre  inédite  de  Nicolas  Rapin 
à  Scévole  de  Sainte-Marthe  va  nous  le  donner  : 

Monsieur,  J'ay  présenté  voz  reconimendalions  aux  seig^neurs  men- 
tionnez pur  vostre  letre,  qui  toulz  vous  resaluenl  et  vous  désirent  icy 
pour  ayder  à  célébrer  la  memoyre  de  Monsieur  de  Ronsard,  duquel 
les  obsèques  furent  soleninellement  faictes  lundy  dernier  à  Boncourt, 
en  très  notable  assemblée,  où  après  les  harangues  scholastiques,  et  le 
concert  de  la  musique  excellente,  et  le  disner  sumptueux  aux  despens 
de  Monsieur  Galland,  Monsieur  du  Perron  fit  l'orayson  funèbre,  telle 
que  pouvez  imaginer  pouvoir  venir  de  luy  ;   à   laquelle  assistèrent, 


t.  C'est  la  lettre  bien  connue  écrite  de  Croix- Val,  le  9  septembre  1584, 
etrapportée  par  Colletât  (éd.  L.,  t.  VII,  p.  132). 

2.  J'ai  utilisé  divers  témoignages  tirés  de  ces  documents,  notamment  aux 
p.  11,  68,133. 

3.  Cf.   .lulien  Tiersot,  Ronsard   et  la  musique  de  son  temps.  Paris,  1902, 
p.  72  sqq.  (tirage  à  part  de  la  S.I.  M.,  IV'  année). 


LES  OBSÈQUES  A  BONCOURT  24l 

oullre  Messieurs  le  Premier  Président  et  infini/,  conseillers,  Monsieur 
de  Joyeuse  et  Mesdames  de  Retz  et  de  \'illeroy  ' .  On  présenta 
quelques  vers  l'aitz  par  le  delFunct,  comme  ilz  en  portent  la  marque  qui 
ne  se  peult  contrefayre  par  personne  vivant.  Vous  en  jugerez  :  je  les 
vous  envoyé,  aveq  une  meschante  elegie,  que  les  prières  de  Monsieur 
Binet,  et  l'exhortation  publique  qui  anime  chascun  à  ce  travail,  a 
extorqué  de  nioy  plus  tost  qu'aulcune  alegresse  ou  espérance  de  faire 
rien  pour  mov.  \'ous  m'en  manderez,  s'il  vous  plaist,  vostre  advizety 
passerez  la  douce  lime,  dont  polissez  voz  escripz,  à  la  charge  du  contre 
eschange,  c'est  a  dire  de  me  fayre  veoyr  ce  qu'aurez  faict  sur  mesme 

sugect,  comme  vous  y  estes  obligé 

De  Paris,  ce  2  de  mars  1586. 

Vostre  serviteur  et  très  obéissant  amy 
Nicolas  R.\pin'  -. 

Les  humanistes  de  Boncourt  s'empressaient,  comme  on  le  voit, 
avec  Claude  Binet,  à  provoquer  et  fi  recueillir  les  poèmes  pour 
le  Tombeau  de  Bonsard.  Destinés  à  figurer  à  la  suite  de  la  pre- 
mière édition  delà  biographie  qui  se  préparait,  les  vers  arrivèrent 
en  grand  nombre.  Scévole  de  Sainte-Marthe,  qui  joignait  à  la 
ferveur  d'admiration  commune  à  tous  les  disciples  tant  de  raisons 
d'être  reconnaissant  k  un  maître  ami  '',  envoya  une  contribution 
importante^;  il  fit  même  appel  aux  versificateurs  de  sa  connais- 
sance pour  enrichir  le  monument  littéraire  qu'on  voulait  élever  ^■'. 

1.  Sur  Catherine  de  Clermontde  Vivonne,  ducliesse  de  Retz,  v.  Hilarion 
de  Cosle,  Les  Eloges...,  p.  147.  Pontus  de  Tyard  a  dédié  à  cette  dame 
savantela  seconde  édition  du  Solitaire  premier.  Ronsard  a  adressé  des  vers 
à  Madeleine  de  l'Aubespine,  poétesse  mariée  à  son  ami  Nicolas  de  Neuf- 
ville,  seigneur  de  Villeroy,  secrétaire  d'Etat. 

2.  Biblioth.  de  l'Institut,  ms.  290  (anc.  292),  fol.  22  («  A  Monsieur  de 
Saincte-Marthe,  conseiller  du  Roy  et  trésorier  gênerai  de  France.  A  Poic- 
tiers  11). 

3.  V.  plus  haut,  p.  194-196. 

4.  Marty-Laveaux,  Notice  hioijr.  sur  Ronsard,  p.  cj,  a  publié  la  lettre  où 
Binet  sollicite  la  collaboration  de  Sainte-Marthe,  le  24  janv.  1586  (éd.  L., 
t.  VIII,  p.  271). 

5.  Les  papiers  de  Sainte-Marthe  contiennent  une  lettre  écrite  de  Lou- 
dun,  par  Pierre  Joyeux  (Laetus),  en  réponse  à  une  demande  de  ce  genre  : 
n  (Juid  unquam  habuit  Gallia  magno  illo  Ronsardo  aut  subliniius  aut  poli- 
tius  ?  Tnmen,  nisi  me  excitasses,  tanti  viri  casum  siccis  oculis  audiebam. 
Quo  fit  ut  plus  tibi  debere  me  falear,  quod  luis  ex  litteris  perspexerim 
quam  humano  et  liberali  sis  in  me  anime  ;  quod  etiam  me  eorum  esse  ciipias 
ex  numéro,  qui  excellentissimi  Poetae  memoriam  magis  ac  magis  illustrari 
volunt  :   illud  vereor  ne  meis  versibus  obscuretur  potius  quam  ornetur... 

NoLHAC.  —  Ronsard  et  l'Humanisme.  16 


242 


nONSAltli    ICI     I,  IIL'MAMS.ML 


Plusieurs  pièces  parvinrent  trop  tard  pour  être  insérées;  mais  le 
recueil  mrig^nin(|uemenl  impi-inié  par  GnbrielBuon  n'est  que  trop 
riche.  Il  y  a  beaucoup  de  fatras  en  trois  langues,  et  même  en 
quatre,  puisque  quelques  Italiens  ont  fourni  de  ces  sonnets  qui 
leur  coûtent  si  peu  d'elfort.  On  y  goûte,  en  revanche,  des  pages 
émues  de  Piobert  Garnier  et  d'Amadis  Jamyn,  et  les  vers  fran- 
çais et  latins  où  Baïf  commémore  une  glorieuse  amitié.  En  géné- 
ral, la  partie  latine,  extrêmement  abondante,  se  montre  .supé- 
rieure à  la  partie  frani,'aise,  avec  les  nobles  élégies  de  Sainte- 
Marthe,  de  De  Thou,  de  Rapin  et  l'ode  du  fidèle  Melissus  '  ; 
Pierre  Pithou,  Antoine  Loisel,  Antoine  Ilotman  font  entendre  la 
voix  des  juristes,  et  Ponlus  de  Tyard  sait  tout  dire  en  un  dis- 
tique : 

Pclrus  Ilnnsardus  iacet  hic  '  si  caetera  nescis, 
Nescis  quiJ  J'hoehus,  Musa,  Minerua,  Charis  *. 

La  publication  du  Tombeau^  en  même  temps  qu'un  hommage 
collectif  de  la  poésie,  apparaît  comme  une  manifestation  de 
l'humanisme  français  tout  entier.  Peu  de  noms  notables  manquent 
;i  l'appel,  et  quelques-uns  signent  à  la  fois  plusieurs  pièces  en 
langue  différente  ^.  La  muse  grecque  a  dicté  un  epitaphion,  où 
Nicolas  Goulu  paye  sa  dette  de  lecteur  royal,  et  surtout  Vcpice- 
dion  de  Dorât  *.  Le  vieux  maître  de  Coqueret  a  retrouvé  sa  verve 

Aliquot  tanien  ad  te  iitraque  lingua  mido,  quibusnon  tantum  Iribuas  velim 
ut  luae  in  me  beneuolenliae  longe  plus  non  putes  esse  tribuendum...  lulio- 
duni,  Id.  April  [l.'iSG].  »  La  lettre  est  accompagnée  de  cinq  distiques,  In 
oI>ituiii  P.  Ronsardi  [Nohile  qune,  pridein  firmia  super  acthora  permis,)  et 
d'un  sonnet  qui  semble  également  inédit  :  «  Qu'cst-il  besoin,  Ronsard,  que 
des  verson  te  donne  ?  »  (BiblioUi.  de  rinslilnt,  ms.  200,  fol.  1.31  et  132). 

1.  Cette  ode,  écrite  à  Londres  en  février  1386,  est  dédiée  à  Florent 
Chrestien  qui  n'a  point  collaboré  au  Tombeau. 

2.  L'évêque  de  Chàlon  a  fait  réimprimer,  à  l'occasion  de  la  mort  de  son 
ami,  l'opuscule  latin  analysé  plus  haut, p.  201,  et  ya  placé  le  même  distiqnc. 

3.  La  réimpression  du  Tomlieaii  de  Ronsard  au  t.  VIH  de  l'édition  Dlan- 
chemain  est  fort  incnmjdète.  L'édition  originale,  à  peu  près  reproduite  dans 
l'in-folio  de  1623,  présente  par  exemple  quatre  pièces  de  Dorât  au  lieu  île 
deux,  dont  une  importante,  celle  où  il  parle  de  Galland  et  de  la  biographie 
préparée  par  Binct.  Il  y  a  six  sonnets  italiens,  au  lieu  de  quatre.  Blanche- 
main  omet,  également  sans  avertir,  la  collaboration  de  Jean  Iléroard,  méde- 
cin du  Roi,  l'épitaphe  due  à  Germain  Vaillant  de  Guélis,  abbé  de  Pimpont, 
un  des  grands  amis  de  Ronsard,  et  1'  «  Ode  saphique  rimée  »  de  Nicolas 
Rapin. 

4.  Il  y  a  encore  quatre  épigrammes  grecques  de  Robert  Estienne,  quatre 
distiques  grecs  de  Daniel  d'Auge,  autant  de  Nie.  Valla,  (|uelques  vers  dans 


LE    «    TOMBEAU    »  243 

de  jadis  pour  proclamer  que  non  seulement  Terpandre,  dont  il 
salua  la  résurrection  en  tête  des  premières  Odes,  mais  encore 
Pindare,  Eschvle,  Sophocle,  Homère  lui-même  et  Callimaque, 
enfin  Virgile  et  Horace,  ont  quitté  de  nouveau  la  terre  en  la 
personne  de  Pierre  de  Ronsard. 

Le  rénovateur  de  notre  poésie  a  terminé  sa  vie  littéraire  au 
milieu  des  humanistes,  ainsi  qu'il  l'avait  commencée.  Les  meil- 
leurs de  son  siècle  l'avaient  entouré  et  participèrent  à  la  forma- 
tion de  son  esprit.  Par  Lazare  de  Baïf,  il  se  rattachait  à  la  tradi- 
tion de  Budé  ;  par  son  cher  Jean  de  Morel,  à  celle  d'Erasme. 
L'école  de  Dorât  fut  longtemps  sa  vraie  famille  :  puis  les  ensei- 
gnements du  Collège  royal  nourrirent  sa  curiosité,  sans  la  rassa- 
sier :  il  écouta  les  leçons  de  Turnèbe  et  fréquenta  chez  Ramus  ; 
il  connut  les  grands  philologues,  comme  Henri  Estienne  et  Joseph 
Scaliger,  et  compta  Lambin  et  Muret  parmi  ses  amis  les  plus 
intimes.  Il  accueillait  volontiers  à  Paris  les  érudits  étrangers  et  les 
écrivains  de  langue  latine,  qui  devenaient  hors  de  France  les 
propagateurs  de  sa  renommée.  Après  avoir  traversé  tant  de 
milieux  divers,  obtenu  les  suffrages  de  la  Cour,  savouré  l'engoue- 
ment des  femmes,  épuisé  la  faveur  des  princes,  il  ragaillardissait 
ses  vieux  ans  parmi  les  honnêtes  régents  de  Boncourt,  dans  une 
maison  de  l'Université  qui  lui  rappelait  la  studieuse  retraite  de 
sa  jeunesse  et  son  bel  apprentissage  des  lettres.  Cette  prédilec- 
tion pour  certains  hommes  et  pour  certaines  études,  cette  per- 
sistance dans  la  pratique  du  grec  et  du  latin  ne  sont  point  choses 
LndiiTérentes.  Elles  donnent,  au  contraire,  à  la  iigure  de  Ronsard 
son  caractère  particulier.  Toute  notre  poésie  classique  s'abreuve, 
après  lui,  aux  sources  antiques  ;  mais  il  est  le  seul  de  nos  grands 
poètes  qui  soit,  au  sens  complet  et  au  degré  le  plus  éminent, 
un  grand  humaniste. 


la  même  langue  de  Féd.  Moiel,  de  Louis  Martel,  Roiiennais,  et  d'Antoine 
Moinac.  Deux  épitaphes  latines,  en  slvle  lapidaire,  sont  composées  par 
Louis  d'Orléans  et  .lean  Héroard.  Sauf  celui  de  Fcd.  Morel,  aucun  de  ces 
textes  n'est  mentionné  par  Blanchemain. 


TROISIÈME    PARTIE 

LES  ÉCRITS  LATINS  DE   RONSARD 


Fidèle  jusqu'à  la  fin  à  l'Antiquité,  qui  ne  cessa  de  lui  fournir 
la  meilleure  nourriture  de  son  esprit,  Ronsard  ne  paraît  pas 
avoir  gardé  intacts  les  sentiments  de  sa  jeunesse  pour  la  litté- 
rature de  l'Humanisme.  Il  en  arriva  même,  un  jour,  à  juger  sans 
indulgence  des  œuvres  qu'il  avait  pratiquées  avec  délices  et  à 
condamner  en  bloc,  en  exceptant  celle  de  quelques  amis,  toute  la 
poésie  moderne  écrite  en  latin.  Cette  proscription  est  formulée 
avec  la  plus  ferme  éloquence  dans  le  «  Discours  sur  la  poësie 
héroïque  »,  qui  fut  publié  par  les  éditeurs  de  1587  comme  une 
préface  posthume  à  la  Franciade.  On  relira  avec  fruit  cette  page 
pleine  de  doctrine,  une  des  plus  belles,  au  surplus,  qui  soit 
sortie  de  la  plume  d'un  des  meilleurs  prosateurs  du  siècle  : 

.le  te  conseille  d'apprendre  diligemment  la  langue  Grecque  et  Latine, 
voire  Italienne  et  Espagnole  ;  puis,  quand  tu  les  sçauras  parfaitement, 
te  retirer  en  ton  enseigne  comme  un  bon  Soldat  et  composer  en  ta 
langue  maternelle,  comme  a  faict  Homère,  Hésiode,  Platon,  .Aristote 
et  Theophraste,  Virgile,  Tite  Live,  Saluste,  Lucrèce  et  mille  autres 
qui  parloient  mesme  langage  que  les  laboureurs,  valets  et  chambrières. 
Car  c'est  un  crime  de  leze  Majesté  d'abandonner  le  langage  de  son 
pays,  vivant  et  llorissant,  pour  vouloir  déterrer  je  ne  sçay  quelle 
cendre  des  anciens  et  abbajer  les  verves  des  Irespassez,  et  encore  opi- 
niastrement  se  braver  là  dessus,  et  dire  :  J'atteste  les  Muses  que  je  ne 
suis  point  ignorant  et  ne  crie  point  en  langage  vulgaire  comme  ces 
nouveaux  venus,  qui  veulent  corriger  le  Magnificat,  encores  que  leurs 
escrils  estrangers,  tant  soient-ils  parfaits,  ne  sçauroient  trouver  lieu 
aux  boutiques  des  Apoticaires  pour  faire  des  cornets. 

Comment  veux-l-u  qu'on  te  lise,  Latineur,  quand  à  peine  lit-on 
Stace,  Lucain,  Seneque,  Silius  et  Claudian,  qui  ne  servent  que  d'ombre 
muette  en  une  estude,  ausquels  on  ne  parle  jamais  que  deux  ou  trois 
fois  en  sa  vie,   encore  qu'ils  fussent  grands  maistres  en   leur  langue 


DERNIÈRE    OPINION    SLR     LUSAGE    DU    LATIN  24?) 

maternelle?  Et  tu  veux  qu'on  te  lise,  qui  as  appris  en  l'escole  à  coups 
de  verg;es  le  langag'e  estran^fer,  que  sans  peine  et  naturellement  ces 
grands  parloient  à  leurs  valets,  nourrices  et  chambrières  ?  0  quantes- 
fois  ay-je  souhaité  que  les  divines  testes  et  sacrées  aux  Muses  de 
Josephe  Scaliger ',  Daurat,  Pimpont '^,rd'Emery',l  Florent  Chrestien  ', 
Passerai  ',  voulussent  employer  quelques  heures  à  si  honorable 
labeur, 

Gallica  se  (jiiantis  atlollel  glaria  verhis  "  / 

Je  supplie  tres-humblement  ceux  ausquels  les  Muses  ont  inspiré 
leur  faveur  de  n'estre  plus  Latineurs  ny  Grecaniseurs,  comme  ils  sont 
plus  par  ostentation  que  par  devoir,  et  prendre  pitié,  comme  bons 
enfants,  de  leur  pauvre  mère  naturelle.  Ils  en  rapporteront  plus 
d'honneur  et  de  réputation  à  l'advenir  que  s  ils  avoient,  à  l'imitation 
de  Longueil,  Sadolet  ou  Bembe,  recousu  ou  rabobiné  je  ne  sçay  quelles 
vieilles  rapetasseries  deA'irgileet  de  Ciceron.  sans  tant  se  tourmenter; 
car,  quelque  chose  qu'ils  puisseat  escrire,  tant  soit  elle  excellente,  ne 
semblera  que  le  cry  d'une  Oye,  au  prix  du  chant  de  ces  vieils  Cygnes, 
oiseaux  dédiez  à  Phebus  Apollon.  Après  la  première  lecture  de  leurs 
escrits,  on  n'en  tient  non  plus  de  compte  que  de  sentir  un  bouquet 
fani.  Encore  vaudroit  il  mieux,  comme  un  bon  Bourgeois  ou  Citoyen, 
rechercher  et  faire  un  Lexicon  des  vieils  mots  d'.Arfus,  Lancelot  et 
Gauvain,  ou  commenter  le  Romant  de  la  Rose,  que  s'amuser  à  je  ne 
sçay  quelle  Grammaire  Latine  qui  a  passé  son  temps.  .  . 

N'eust  esté  le  chant  de  nos  Eglises,  et  Psalmes,  chantez  au  leulhrin, 
long  temps  y  a  que  la  langue  Romaine  se  fust  esvanouve,  comme 
toutes  choses  humaines  ont  leurs  cours  ;  et  pour  le  jourd'huy  vaut 
autant  parler  un  bon  gros  Latin,  pourveu  que  l'on  soit  entendu,  qu'un 
aiTetlé  langage  de  Cicéron  '.  Car  on  ne   harangue  plus  devant  Empe- 

1.  Sur  les  relations  de  Scaliger  avec  Ronsard,  v.  plus  haut,  p.  202-205. 

2.  Sur  Vaillant  de  Guélis,  v.  p.  t57-tb8.  L'abbé  de  Pimpont  est  un  des 
auteurs  de  vers  liminaires  pour  la  Franciaiie. 

Z.  Ce  nom,  qui  désigne  Jacques-Auguste  de  Thon,  seigneur  d'Emery 
(Aemeriusl,  a  été  ajouté  au  texte  dans  l'édition  de  laO".  Il  est  possible 
que  celte  addition  soit  une  politesse  des  éditeurs  ;  on  peut  croire  pourtant 
qu'elle  avait  été  prévue  par  Ronsard  lui-même,  qui  avait  eu,  dans  la  der- 
nière partie  de  sa  vie,  de  bons  rapports  avec  le  futur  historien  (v.  p.  144 
et  237). 

4.  L'honneur  fait  au  nom  de  Florent  Chrestien  atteste  sa  réconciliation 
avec  son  maître. 

3.  Sur  Jean  Passerai,  v.  p.  163-166. 

6.  Ce  vers  pourrait  être,  par  jeu,  de  Ronsard  lui-même. 

7.  On  verra,  dans  l'écrit  inédit  publié  plus  loin,  que  tel  est  bien  le  «  bon 
gros  latin  »  dont  use  Ronsard. 


246  iiONSAiti)  i:r  i,'hi;manismi; 

reuis,  ne  Sénateurs  Romains,  et  la  lanf^ue  Latine  ne  sert  plus  de  rien 
que  pour  nous  truchemaater  en  Allemaigne,  I-'oloi-jne,  Angleterre,  el 
autres  lieux  de  ces  pays  là.  D'une  langue  morte  laulre  prend  vie, 
ainsi  qu'il  plaist  à  l'arrest  du  Destin  et  à  Dieu,  qui  commande,  lequel 
ne  veut  souH'rirque  les  choses  mortelles  soient  éternelles  comme  luy, 
lequel  je  supplie  tres-huinblemenl,  Lecteur,  te  vouloir  donner  sa 
grâce  el  le  désir  d'augmenter  le  langage  de  ta  nation  '. 

Ce  regard  lucide  jeté  sur  l'avenir  est  illuminé  par  l'expé- 
rience de  toute  une  vie.  Le  poète  achève  une  carrière  de  prodi- 
gieux labeur  ;  il  n'a  jamais  été  plus  conscient  des  difficultés  et 
des  réussites  de  son  art  ;  s'il  se  critique  lui-même,  en  corrigeant 
etperfectionnant  son  œuvre  à  chaque  édition  successive,  il  acquiert 
le  droit  de  juger  également,  et  avec  la  même  sévérité,  l'œuvre 
d'autrui.  Ses  arrêts  sur  la  littérature  humaniste  sont  déduits  si 
clairement  qu'ils  font  prévoir  la  ratilîcation  certaine  des  temps 
prochains.  L'événement  lui  a  donné  promptement  raison  contre 
les  meilleurs  tenants  de  l'Humanisme.  Le  mouvement  naturel 
des  lettres  françaises  s'écartait  de  formes  désuètes,  qui  avaient 
fourni  bien  des  modèles  à  nos  écrivains,  mais  dont  l'eflicacité 
était  épuisée.  Nul  autant  que  Ronsard  n'avait  contribué  à  les 
discréditer.  A  mesure  que  le  poète  avançait  en  âge,  il  comprenait 
mieux  lui-même  l'étendue  du  rôle  que  lui  conférait  son  génie  et 
dont  il  n'avait  vu  d'abord  que  l'honneur,  «  l'honneur  sans  plus 
du  verJ  laurier  ».  11  était  dans  sa  destinée  de  rejeter  dans 
l'ombre,  non  seulement  cette  poésie  française  qu'il  voulait  rem- 
placer et  faire  oublier,  mais  encore  toute  la  poésie  latine  mo- 
derne dont  il  avait  été  l'admirateur.  Lui-même  s'était  mis  à 
l'école  des  humanistes  d'Italie.  Il  avait  appris  d'eux  l'art  d'adapter 
les  beautés  antiques  à  l'inspiration  d'un  temps  nouveau,  le  se- 
cret des  transpositions  heureuses  et  l'audace  des  glorieux  «  pil- 
lages ))  qui  enrichissaient  le  temple  de  nos  muses.  Le  dédain 
qu'il  exprimait  pour  eux,  à  la  lin  de  sa  carrière,  n'allait  pas  sans 
quelque  ingratitude. 

1.  Ed.  L.,  t.  VII,  p.  96-99.  J'ai  su|)primé  les  mots  française  el.  qui  (iguienl 
à  la  deuxième  ligne  avant  le  mot  italienne,  et  qui  rendent  le  passage  très 
singulier  ;  l'édition  de  Io97  lésa,  d'ailleurs,  fait  dispuruilre.  N'oublions  pas 
que  ce  texte  a  été  imprimé  par  Binclsur  un  manuscrit  dicté  par  l'auteur  et 
ic  assez  mal  en  ordre  »,  qu'il  a  dû  remettre,  avoue-t-il,  «  à  peu  près  selon 
ses  intentions  », 


LES    «    flARMINA    ))    DE    BAlV  2  J-7 

Peut-être  est-il  permis  d'expliquer  une  telle  page  par  des  cir- 
constances ([ui  l'auraient  inspirée  ?  On  croit  y  démêler  des  inquié- 
tudes pour  une  cause  littéraire  qui  semblait  gagnée,  mais  qu'un 
retour  de  mode  aurait  pu  remettre  en  péril.  Le  poète  a-t-il  eu 
à  craindre  que  le  latin  ne  rejjrît  sur  l'esprit  des  contemporains  le 
prestige  que  son  œuvre  lui  avait  ravi?  Il  vit  se  produire,  en 
eiïet,  quelques  tentatives  passagères,  notamment  celle  de  Baïf. 
Le  compagnon  de  ses  premiers  travaux  abandonn;»,  d'une  façon 
retentissante,  le  champ  cultivé  en  commun  et  composa,  pour  ce 
faire,  quatre  livres  d  épigrammes,  la  traduction  des  cent  cinquante 
psaumes,  plus  de  quinze  mille  vers  latins  dont  il  donna  une  partie 
à  juger  aux  lettrés  en  lo77.  Sans  doute,  en  renonçant  délibérément, 
à  quarante-cinq  ans,  k  l'usage  du  français,  cédait-il  au  décou- 
ragement ressenti  pour  l'échec  de  ses  vers  rriesurés  ;  mais  il 
ne  l'avouait  qu'à  demi,  affichant  surtout  le  désir  de  remettre  en 
honneur  l'art  de  Sannazar,  de  Flaminio,  de  Xavagero,  et  s'abri- 
tant  sous  le  grand  nom  de  Dorât.  S'il  motivait  sa  résolution, 
c'était  à  la  fois  sur  la  décadence  poétique,  qu'il  prétendait 
constater  autour  de  lui,  et  sur  le.  besoin  d'atteindre,  hors  des 
frontières  de  la  France,  tout  le  large  public  étranger  qui  ne  lisait 
point  notre  langue  : 

Hactenns  incfralae  Gallorum  carmina  genli 
Et  cecini  el  cecinisxe  piçjet,  quae  forte  legentur 
Qua  Franci  porrecta  patent  conftnia  rec/ni, 
Nunc  iuuat  et  flauum  Rheni  transcendere  jlumen, 
Transque  Pyrenei  monti's  iuga,  transque  niuosas 
Alpes  ferre  pedem,  Dacorum  notas  adoras, 
Germants,  parilerque  Italis  el  clams  Iheris, 
Qui  mea  scripfa  canent,  seu  Graio  pectine  luduin, 
^  Seu  Latio.  Juual  Aonias  muisere  syluas, 

Daphneaeque  nouum  capiti  decas  addere  frondis  '. 

Vingt  ans  auparavant.  Du  Bellay  avait  caressé  les  mêmes  pen- 
sées. Mais  nul  n'était  moins  suspect  à  Ronsard  que  l'auteur  de  la 
Deffencc   et  de    l'Exhortation    aux  François    d'escrire    en    leur 

\.  Carniinuni  lani  Antonii  BaifU  liber  /.,  Luleliae,  apud  il.  Pâtisson, 
1577,  fol.  31.  La  même  année, parait  Mtoâv.;,  -o'r,[ix  èXrcciov,  avec  traduction 
latine  (Parisiis,  apud  loannein  Bene-natum)  ;  mais  le  texte  grec,  au  moins, 
est  une  œuvre  de  jeunesse.  V.  sur  toute  cette  production  tardive  de  Baïf, 
Augé-Chiquet,  /.  c,  p.  463-485. 


248  RO^sAnD  et  i/humanisme 

la/ifjiic]  et  d'ailleurs,  de  quelles  précautions  ce  fidèle  ami  n'en- 
tourait-il pas  Tannonce  de  ses  Poemata  : 

Kl  t]uny,  Ronsard,  et  quoy  si  au  bord  estranger 
Ovide  osa  sa  lanffue  en  barbare  changer 
Afin  d'estre  entendu,  qui  me  pourra  reprendre 

D'un  chan^'c  plus  heureux?  \ul,  puisque  le  François, 
Quoy  qu'au  Grec  et  Romain  égalé  tu  te  sois, 
Au  rivage  Latin  ne  se  peull  faire  eiilondre  *. 

Du  Bellay  excusait  élégamment  une  muse  latine  que  Baïf 
imposait  avec  des  façons  belliqueuses.  Ronsard,  toujours  ombra- 
geux, devait  voir  une  hostilité  déclarée  aux  principes  de  l'école 
en  des  vers  où  l'auteur  revendiquait  hardiment  la  qualité  du 
«  transfuge  ».  A-t-il  écrit  pour  y  répondre  le  grand  morceau  où 
il  ménage  peu  de  gens,  et  où  Baïf  n'est  point  nommé?  C'est  une 
hypothèse  qu'il  n'est  pas  aisé  d'appuyer,  le  <(  Discours  »  ayant 
été  publié  après  sa  mort,  sans  être  pourvu  d'une  date  précise. 
Mais  il  a  laissé  aux  lettres  beaucoup  plus  que  des  manifestes, 
l'exemple  de  son  œuvre  entière.  Sachant  h  merveille  le  prestige 
que  donnait  la  double  langue  aux  écrivains  de  son  temps  -, 
habile  autant  que  personne  dans  le  maniement  du  latin,  il  n"a 
pas  consenti,  par  principe,  à  s'en  servir. 


Les  "Vers. 


Les  observations  qui  précèdent  ne  sont  point  infirmées  par  le 
petit  recueil  en  mètres  divers  qu'on  peut  arriver  à  réunir  et  à 
attribuer  authentiquement  à  Ronsard.  Outre  qu'il  reste  fort  court, 
chacune  de  ces  pièces  s'explique  par  une  fantaisie  du  moment, 
à  laquelle  le  poète  n'a  jamais  attaché  d  importance,  et  quatre 
seulement  se  sont  glissées  dans  ses  éditions. 


i.  V.  Du  Bellay,  éd.  Marty-Laveaux,  t.  II,  p.  172.  L'Exhorlation  aux 
François  est  au  t.  I,  p.  57. 

2.  On  a  déjà  rappelé  plus  haut,  p.  7,  comment  toute  la  Pléiade  écrivit  en 
latin. 


VERS    LATINS    I)K    RONSARD  249 


I 


In  tumulum  lani  Brynonis 
rtOXSAIiDUS 

Quo  tcf/itur  tumulo  Bryno  lacrimantur  eodeni 
Phoebus,  Amor,  Charités,  puUataqiie  turba  sororum. 

Ce  distique  figure  clans  un  «Tombeau  »  de  Jean  Brinon,  jusqu'à  ce 
jour  if^noré  et  dont  j'ai  retrouvé  un  exemplaire,  probablement  le  seul 
qui  soit  conservé,  dans  le  recueil  10694  A  de  la  Bibliothèque  Maza- 
rine.  Le  recueil  a  été  formé  par  François  Basse  des  Nœux,  chirurgien 
de  Paris,  lettré  curieux,  qui  a  signé  sur  beaucoup  de  pièces  de  cette 
collection  de  «  Tombeaux  »  de  son  temps,  dont  plusieurs  sont  extrê- 
mement rares.  Celui  de  Brinon  porte  les  n°^  14  et  15. 

Il  se  compose  de  deux  feuilles  distinctes,  imprimées  au  recto 
chez  ,\ndré  W'echel,  et  portant  en  titre,  l'une  :  sir  le  tombeau  de 
BRYxoN,  l'autre  :  EniTA<I>U  EIS  'lA.  BPYNONA.  La  première  contient 
des  vers  français,  latins  et  italiens;  la  seconde,  des  vers  grecs  et 
latins,  consacrés  par  le  cercle  du  jeune  conseiller  au  Parlement  à  pleu- 
rer la  mort  prématurée  d'un  incomparable  ami  des  lettres.  Cet  hom- 
mage lui  était  bien  dû,  s'il  est  vrai  que  l'amphitryon  de  Villennes  et 
de  Médan  se.  soit  ruiné  en  dons  et  en  festins  pour  les  poètes.  Jean 
Brinon  était  mort  vers  le  mois  de  mars  1554  (cf.  p.  16  et  60,  et  Laumo- 
nier,  R.  poète  lyrique,  p.  134  et  136).  C'est  de  ce  moment  même  que 
date  l'impression,  visiblement  improvisée,  du  souvenir  funéraire.  Le 
principal  morceau  consiste  dans  les  trois  strophes  de  Bonsard  (éd.  L., 
t.  VI,  p.  241  ;  éd.  Bl.,  t.  VII,  p.  272\  qui  ont  trouvé  place  dans  la 
2^  édition  des  Meslanges,  imprimée  par  le  poète  au  moment  de  la 
mort  de  son  ami  ;  notre  plaquette  en  est  la  publication  originale,  avec 
des  variantes  orthographiques  et  un  dernier  vers  différent  : 

[La  terre]  arrousée  de  ton  pleur 
Soudain  quelque  nouvelle  fleur 
Hors  de  ma  lomhe  fera  naistre. 

Les  autres  collaborateurs  sont,  pour  la  partie  française,  Jodelle, 
G.  .\ubert,  ce  mystérieux  Calliste,  à  qui  Bonsard  adresse  un  sonnet 
des  Amours  (éd.  L.,  t.  I,  p.  327;  et  que  le  commentaire  de  Belleau 
dit  X  fort  docte,  bien  nav  et  bien  versé  en  l'une  et  l'autre  langue  »  ; 
enfin  Bernard  du  Poey  du  Luc,  versificateur  humaniste  dont  les  Odae, 
parues  à  Toulouse  en  1551,  contiennent  un  témoignage  d'admiration 
pour  Bonsard  auquel  aucune  dédicace  de   la    Pléiade  ne  fait  écho.  Les 


250  RONSARD    ET    l'hUMAMSME 

poètes  latinssur  la  même  feuille  sont  Ronsai-cl,  Belleau,  Callii^le  et  un 
auteur  désigné  par  l'abréviation  Ile.  And.,  (|ui  me  paraît  être  le  col- 
laborateur de  Henri  I''slionne  pour  la  deuxième  édition  de  son  Ana- 
créon,  Ilclias  Andréas  ;  la  dédicace  de  sa  traduction  latine  complète 
des  Odes  Anacréontiques  est  du  23  décembre  1555.  Brinon  est  pleuré 
encore  dans  un  sonnet  italien  signé  G.  P.  M.  Les  vers  de  Jodelle,  qui 
rappellent  le  dénùiiient  où  il  mourut,  n'ont  pas  été  recueillis  par 
l'auteur,  comme  le  furent  les  strophes  de  Ronsard  ;  sa  pièce  commence 
ainsi  : 

Arreste  toy,  Passant,  il  faut  que  de  ce  temple 

Tu  rapportes  chez  toy  et  l'une   et  l'autre  exemple 

Que  je   donne   en  doublant  ma  vie  par  ma  mort... 

Quelques-uns  de  ces  noms  se  retrouvent  sur  la  feuille  grecque  et 
latine.  Les  poèmes  grecs  sont  de  Dorât,  de  Baïf  et  d'un  Stjxsiv  ilùÀflto;, 
qu'on  doit  identifier  avec  Siméon  Du  Boys,  né  à  Limoges  en  1536, 
élève  de  Dorât  et  de  Turnèbe,  qui  commentera,  en  1580,  sous  le  nom 
de  Bosius,  les  Lettres  à  Allicus  (cf.  Alb.  Du  Boys  et  Arbellot,  Biogr. 
des  hommes  illustres  du  Limousin,  t.  I,  Limoges,  1854,  p.  205-211). 
Le  latin  est  de  Dorât,  de  Jodelle,  de  B.  du  Poey  [B.  Podius  Luc.)  et 
d'un  certain  J.  Lebon,  qui  ne  m'est  pas  connu.  Une  des  deux  pièces  de 
Dorât  est  une  anagramme  ('Ixvô;  o  Bpûvwv  =  "lov  'Aêpoçuvwv)  ;  l'autre 
un  assez  long  £yxuj;j.!a5Tixbv,  qui  commence  ainsi  : 

T(  vSv  Èpô)  se  BPf  NQN  ; 
Tt  5'a'.véTio  de  TtpÔTOv 
Tî  B'udTaTOv  aésov  te  ; 
i^ù  yàci  ta  rivt'  aptSTOç, 
TàxivTï  ô'atvETÔç  tu... 

Les  distiques  suivants  de  Dorât,  entre  bien  d'autres  vers  à  la 
mémoire  de  Jean  Brinon  insérés  dans  ses  recueils,  donnent  le  ton  de 
toute  cette  poésie  funèbre.  On  trouve  la  pièce  et  six  autres  du  même 
auteur  dan^  la  Farracjo  pocmaliim  de  Léger  du  Chesne,  citée  p.  16  : 

Nota  domus  nulli  mayis  est  sua,  quam  lua,  Bryso, 

Nota  fuit  doclis  omnibas  usque  domus. 
Hic  epulae,  hic  epulas  inler  doctissima  mille 

Cûlloquia  a  claris  sunt  agitata  viris. 
Quae  si  forte  loquax  paries  recitare  valeret. 

Non  foret  in  terris  doclior  hoc  paries. 

En  même  temps  que  cet  hommage  de  la  première  heure,  le  groupe 
de  Médan  en  préparait  un  autre  plus  important  et  plus  réfléchi.  C'est 
ce  qu'indique  un  distique  linal  de  Dorât  : 


VERS  LAllNS  DE    HONSARU  231 

J/iis  dédit  inferiiis  lihi   iiuiic  pro  lempuru  Buvno 
Inipelus  :  at  ratio  t/rAiidius  urgel  opus. 

La  |)remière  feuille  traduit  aiusi  celle  annonce  : 

Pour  l'heure  à  Loy  ces  ver.i  oITre  du  dueil  la  rage, 
Bav.NON,  mais  le  conseil  l'apporte  d'auantage. 

Afin  d'honorer  plus  abondaninieiit  le  défunt,  on  dut  faire  appel  à 
tous  les  familiers  de  sa  maison.  La  plaquette  de  VVeehel  fut  sans  doute 
envoyée  en  Italie  à  Muret  et  à  Magny.  Celui-ci  se  montre  ému  de  la 
triste  nouvelle  dans  le  sonnet  :28  de  Souspirs,  tandis  que  Du  Bellay  se 
tait  sur  Brinon,  dont  il  ne  parait  pas  avoir  fréquenté  le  cercle,  proba- 
blement trop  libre  pour  lui.  Le  projet  d'un  «  tombeau  »  plus  consi- 
dérable n'eut  pas  de  suite.  Mais  la  mémoire  du  conseiller  Brinon  vit 
assez  dans  les  œuvres  de  Ronsard  pour  qu'aucun  de  ses  lecteurs  ne 
puisse  l'oublier;  et  cet  obscur  Du  Poey  disait  bien  : 

Longtemps  après  l'on  orra  son  nom  ; 
X'oila  que  sert  d'aymer  les  Poètes. 

II 

In  p.  Ronsardum, 
Ranae    Icmanicolae   coaxatio. 

Dam    bihis    Aonios    latices    in    vertice    Pindi, 

Ronsarde,  uadenas  dum  quatis  arte  fîdes  : 
Vindocini  riiris,  grauibus,  tua  personal  agros 

Musa  modis,  Phoehas  quos  velit  esse  suos. 
Ast  ubi  cura  fuit  praepinqui  abdoinine  veiilrein 

Seligerae  latuin  reddere  more  suis, 
lllorum  explesti  numeram,  qui  funera  curant. 

Qui  referunt  fucos,  sunt  operumque  rudes. 
Exin  Missae  agitas  numéros  :  at  tempore  ah  illo 

Non  tua  Musa  canit,  sed  tua  Missa  canit. 

P.     RONSARDI     RESPONSLM. 

Non  mea  Musa  canit,  canit  haec  oracida  vatis 

Patniicolae  ranis  Musa  Lemanicolis, 
Obscoenas  fore  1res  foedo  cuni  corpore  ranas, 

Immundos  potius  Daemonas  aut  totideni. 
Seniper  in  are  suiqui  stantcs  Pseudoprophetae 

Inquc  Deuni,  inqucpios  verba  profana  crêpent. 


2.'Î2  RONSAKD  lyr  l'humamsme 

Vem  fiâes  vatl,  lu  rnna  es  \(}e'^  Irihiis  ima, 

Alfern  Caluinus,  tcrtia  fiez;i  /iiii.i. 
lirzn  ferons  veleris   Theodori  nonien,  eandem 

Der/ucDeo  mentem,  r/uam  Thcoclorus,  hahens. 
Talihus  o  ranis  raiicissima  rie  tribus  illa, 

Quae  me,  r/tia  superos^  garrnlUa/e  petis  : 
Aonios  non  lu  lalicex  in  vertice  Pindi. 

Sed  Iiihix  impuros,  stagna  SaJ/auda.  lacus. 
Nec  cum  pum  iiilrl.  srd  rum  niiic  lurliida  mixia, 

El  (jlacie  fusa  monlihus  unda  fluit. 
Inde  (jelala  viani  vocis,  tumcfactaque  fauces 

Digna  coaxasti  carmina  vate  suo. 
In  c/uihus.  ut  decuit  gihboso  gutfure  mnnsirum. 

Non  nisi  ranalis  vox  strepit  ulla  tihi. 
Namquod  Musa  virûm  doctorum  voce  vocalur, 

Id  nunc  Missa  tihi  vox  inamoena  sonat. 
Non  nisi  ranarjueal  sacra  sic  rorru  m  père  rerhn  : 

Sihila  rana  fera  est .sihilaverha  crepias. 
I  nunc,  et  palriis  inlersirepe  viua  lacunis, 

Inque  pios  homines  quidlibet,  inque  Deum. 
Mortua  dum,  pacem  ne  turhes  rana  piorum 

Nigra,  lacu  Slygio  vel  Plilegelonte  nates. 
Donec  in  ardenli,  causani  raucedinis.  unda 

Exculias  frigus,  quo  lua  Musa  riget. 

Les  vers  de  Ronsard  répondent  aux  cinq  distiques  du  pasteur  de 
Genève,  qui  accompagnent  la  première  Response  au.r  calomnies  conte- 
nues au  Discours  et  Suyte  du  Discours  sur  les  misères  de  ce  temps... 
[Orléans],  1563.  (Cf.  éd.  L.,  t.  VII,  p.  .-)49:  t.  VIII.  112.  118.)  Le 
poète  réimprima  l'attaque,  avec  un  titre  dérisoire,  et  ses  propres  vers, 
à  la  suite  de  sa  Responce  de  P.  de  Ronsard  genlilltomme  Vandomois 
aux  injures  et  calomnies  de  je  ne  sçaij  quels  Predicans  et  Minisires 
de  Genève,  Paris,  Buon,  1563.  Cette  polémique  poétique  est  complé- 
tée par  une  pièce  attribuée  à  Dorât  {In  laudem  Ronsardi),  dont  les 
premiers  vers  sont  cités  par  Montaif3;ne,  sans  indication  de  provenance, 
vers  le  commencement  de  V Apologie  de  Rnimond  Sehond.  Les  trois 
poèmes  suivent  immédiatement  le  Recipe,  c'est-à-dire  l'ordonnance 
facétieuse  introduite  par  Ronsard  en  ce  vif  morceau  de^  prose  railleuse 
qu'il  intitule  :  Aux  bons  et  fidelles  médecins  predicans,  sur  h  prise 
de  trois  pillules  [les  trois  pamphlets]  qu'ils  m'ont  envoyées.  Ce  texte 
étant  un  exemple  du  latin  bouffon  de  Ronsard,  je  crois  devoir  ne  pas 


Vers  latlns  de  Ronsard  2o3 

l'omettre  ici,  bien  qu'il  figure  dans  les  éditions  et  qu'il  ail  été  composé 
vraisemblablement  avec  l'aide  des  médecins  du  poète,  ^'oici  la  purga- 
tion  qu'il  conseille  à  ses  adversaires,  non  sans  recommandations 
joyeuses  :  »  N'oubliez  après  la  prise  vous  faire  ouvrir  la  veine 
moyenne  senestre,  et  après  ventoser  et  scarifier  deux  ou  trois  fois 
la  nuque  du  col,  pour  atirer  et  évaporer  l'humeur  noir  et  mélanco- 
lique, lequel  sans  relâche  vous  tourmente  et  gaste  le  cerueau  »  : 

Recipe  radicuin  polypodii  quercini,  capparis,  lamaricis,  lapalhi, 
ana  unciani  semis,  fumiterrae,  huglossi,  borraginis,  chamaepilheos , 
chamaedryos,  scolopendrii,  epilhimi\  ana  manipulum  semis,  folio- 
rum  senne  mundal.orum  drachmas  1res,  fiai  decoclio  pro  dosi,  in  cola- 
lura  dissolue  calholici  unciam  unam,  confeclionis  hamech  dragmas 
1res,  syrupi  de  fumolerrae  dragmas  sex,  fiât  polio,  detur  tempore 
praedicto.  Quod  si  hoc  remedium  non  salis  purgarit  humorem  melan- 
cholicum,  augealur  vis  eius  addilo  ellehoro  el  lapide  ci/aneo  praepa- 
ratis  ut  decet. 

Tout  en  laissant  ici  au  F.  Bonsardi  responsum  la  place  qu'on  ne 
peut  lui  refuser,  je  crois  devoir  soulever  un  doute  d'attribution.  Il  se 
tire  d'un  texte  de  Jacques  Grévin,  vers  la  fin  du  Temple  de  Ronsard, 
qui  accompagne  la  Seconde  Response  de  F.  de  la  Baronie  [Flor. 
Chrestien],  parue  en  septembre  1563.  Grévin,  qui  est  un  connaisseur 
et  sait  à  quoi  s'en  tenir  sur  l'entourage  du  poète,  réplique  ainsi  à  son 
ancien  maître  :  «  Messire  Pierre  mon  amy,...  vous  pouvez  communi- 
quer ce  Temple  à  vostre  maistre  le  Limosin,  afin  que  Agnoscat  mores 
ille  legatque  suos,  le  remerciant  de  nostre  part  de  ce  qu'il  a  pris  la 
peine  de  défendre  son  disciple  :  vous  luy  direz  que  les  grenouilles 
(qui  font  des  long  temps  la  guerre  aux  rats  de  son  pays)  n'ont  pas  été 
si  grues,  qu'ils  n'ayent  bien  cognu  le  masque  de  sa  patte.  Ce  qui  n'a 
pas  esté  sans  crier  Au  rat,  au  rat...  »  Ce  passage,  qu'on  a  cru  viser 
seulement  le  poème  Jn  laudem  Ronsardi,  me  semble  s'appliquer  sur- 
tout au.\-  vers  sur  les  grenouilles  du  lac  Léman,  où  je  suis  assez  incliné 
à  retrouver,  comme  Grévin,  le  goût  et  la  manière  de  maître  Auratus. 
Rien  n'interdit  de  penser  à  une  collaboration  inler  pocula  entre  Dorât 
et  Ronsard. 

III 

Ad   C.vrolum  Lotii.vri.nglm. 

Carole,  Ronsardum  sine  vincere]  viclus  ab  Mo 
Post  tua  vicfurus  fada  superstcs  crit. 

On  lit  ce  distique  en  1565,  à  la  fin  d'une  plaquette  intitulée  :  Le 
Procès,  A   Iresillustre  Prince   Charles,    Cardinal  de  Lorraine  (s.  1. 


âS4  nUNSAUU    t'.T    1,  HUMANISME 

n.  d.),  11  se  retrouve  dans  les  éditions  collectives  de  ISBôà  1573,  à  la 
suite  de  la  pièce,  qui  a  été  insérée  parmi  ies/'oénie*  avant  do  prendre 
place,  sans  le  distique,  dans  I.e  Jiocuf/e  royal  (éd.  L.,  t.  111,  p.  '268; 
éd,  Bl.,  t.  111,  p.  34y).  Bien  que  le  motif  en  soit  simplement  Timpa- 
tience  du  poète  d'obtenir  les  largesses  trop  retardées  de  son  protec- 
teur, on  rencontre  mainte  page  éloquente  dans  ce  morceau,  composé 
avant  avril  1562  et  commençant  ainsi  ; 

J'ay  procès,  Monseigneur,  contre    voslre  grandeur, 
Vous  estes  défendeur  et  je  suis  demandeur; 
J'ay  pour  mon  advocat  (-lalliopo,  et  pour  jupe 
Pliebus  qui  vous  cognoist  et  qui  est  mon  refuge... 

Un  distique  Ad  Jionsxirdum.  qm  répond  à  celui  de  Ronsard,  est 
cité  par  Laumonier  d'après  le  m.»;.  Fr.  4897  de  la  Bibl.  nationale  : 

Masarvm  ftoiisnrde  decus,  sine  vincere  Carluiii, 
Fosl  sua  iiam  vtncens  fala  superstes  eril. 

IV 

In  Ciceronem  a  Dyonis.  LA3IllI^o  loci.s  inni^merahiliuls 
Emend.itlm. 

Qui  iacuit  longo  post  funera  rosiis  ah  aciio, 
Tulliiis  ///<•,  f/ecij.s  lingiiae  f/entisrjiie  /or/atae, 
Pulcriorè  tenebris  surgit,  lucenujue  reuisil 
Munere  diuino  Lambini  :  qui  velut  aller 
Phyllirides,  illum  caeco  reuocauit  ab  Orco. 
P.  fionsardus  faciebat. 

Inconnus  à  tous  les  éditeurs  de  Ronsard,  ces  vers  figurent  parmi 
les  liminaires  de  l'édilinn  de  Lambin  :  .1/.  TiilHi  Ciceronia  opéra  omnia 
quae  exstanl,  Dionysio.  Lamhino  Monstroliensi  ex  codicibiis  wanii- 
scriptis  emendala  et  aucta...  Parisiis.in  aediJnis  Rouinij  via  lacohea... 
MDLXVJ.  \n-{o\. 

La  présence  de  Ronsard  parmi  les  poètes  humanistes,  qui  honorent 
cette  grande  œuvre  de  leurs  louanges,  s'explique  par  ses  relations 
d'amitié  avec  Lambin  (v,  plus  haut,  p.  151  sqq.).  Au  reste,  sans  par- 
ler de  Dorât,  qui  célèbre  en  grec  et  en  latin  son  collègue  au  Collège 
royal,  et  de  Henri  de  Mesmes,  dédicataire  de  l'ouvrage  entier,  il  y  a 
encore  deux  poètes  de  la  Pléiade  qui  ont  donné  des  vers  au  nouvel  édi- 
teur de  Cicéron  ;  ce  sonlîiiiïî  [Qui modo  mendosis  maculalavolunune 
naeuis...)  et  Belleau  (Hic  qui  jro  roslris  qiiem   olim  slvjvere  Qui- 


VERS    I^TINS    liK    H0N8ABD 


258 


rîles...).  Toutes  oos  pièces  snnl  roprotliiites  dnns  :  D.  Lan^hinî  Mons- 
troliensis  TuUinnae  emendalitmes...  accurauil  Fr.  Nie.  Klein, 
Silesitis,  Col)leul/,  18;î0,  p.  i.xxx  scjq,  \ 

L'allusinn  qui  termine  le  morceau  de  Ronsard  se  rapporte  au  cen- 
taure Chiron,  né  de  Saturne  et  de  Phillyra  (non  Phi/llira),  expert 
dans  l'art  de  la  médecine  et  de  la  chirurgie. 


Ad  Carolum  Agenoreum, 
EPiscoPUM  Cenomanensem,  epigramma. 

Materiam  vellein  meliorcm  fala  dédissent 

Spec/andi  egregios  marte  vel  arle  viros, 
Quam  niiper  Gallis  loue  quain  damnante  dederunt 

Tristia  proque  aris  praelia  proqiie  focis. 
Si  tamen  haud  alia  licuil  ratione  probare 

In  Pairiani  quantus  fortibus  esset  Amor^ 
Pace  tua  dicam  fuit  hoc,  o  Gallia,  tanli 

Visa  quod  es  vires  ipsa  timcre  tuas. 
Si  modo  sic  paluit  pi'o  laude  subirc  pericla 

Quis  posset  Patriae  proque  salute  suae 
Honsardus  Patriam  patriis  defenderat  armis, 

Carminibus  patriis  patria  sacra  canens. 
Digna  tuo  quondam  quae  nomine  Charta  legalur, 

Carole,  Agenoreae  gloria  magna  domus  : 
Qui  uelut  auspiciis  iisdem  quibus  usus  et  ille 

Ccnomani  vindex  ausus  es  esse  soli. 
Si  tamen  ut  linguaepost  sancta  pericula,  linguam 

Non  limidam  forfis  sit  comilata  manus. 

Ce  poème,  où  résonne  tant  do  fois  et  si  noblement  le  nom  de  la 
patrie,  a  été  placé  en  tête  du  Discoars  sur  les  Misères  de  ce  temps 
dans  l'édition  collective  de  1567.  Il  est  supprimé  à  partir  de  1584 
(éd.  L.,  t.  VIII,  p.  114).  Charles  d'Angennes,  évoque  du  Mans,  avait 
succédé  sur  ce  siège  au  cardinal  du  Bellay,  C'est  dans  son  diocèse 
que  Ronsard  tenait  en  commende,  depuis  1555,  la  cure  d'Éviiillé  ;  sa 
paroisse  natale,  Couture,  dépendait  pour  le  spirituel  de  l'évêchédu 
Mans,  où  il  avait  lui-même  reçu  la  tonsure  en  1543.  Le  poète  ne  pou- 
vait manquer  de  reconnaître,  en  dehors  de  toute  idée  de  flatterie,  la 
fablo  de  la  descendance  de  la  famille    d'.Angennes,  qui  se  prétendait 


256     ,  RONSARD    ET   l'hU.MAMSME 

issue  trA^'énor,  héros  Iroyen  tué  par  Pyrrhus;  on  la  retrouve  dans  la 
Hesponce  aux  injures  : 

J'honore  mon  IVelatdes  autres  l'outre-passe, 
Qui  a  pris  dAgenor  son  surnom  et  sa  race. 

VI 

fREGIS    CakOI.I    IX     EI'ITAPIIHm] 

Carolus  in  terris  (errarum  yloria  vixil 
Maxima,  Jiistiliac  magno  et  Pielatis  amore: 
Nuncidem  caelo  viuens  est,  gloria  caeli, 
Quô  se  Justitiae  et  Pietatis  sustulif  alis. 

Ces  vers  ont  paru  dans  Le  Tombeau  du  feu  fioy  Tres-chreslien 
Charles  IX,  prince  tres-dehonnaire,  tres-vcrlueux  el  tres-cloquenl. 
Par  Pierre  de  Ronsard,  aumosnier  ordinaire  de  Sa  Majesté,  el  autres 
excellents  Poêles  de  ce  temps.  A  Paris,  de  l'imprimerie  de  Federic 
Morel...  [157i].  La  marque  porte  Pielale  el  Juslilia,  devise  donnée 
au  roi  par  Michel  de  L'Hospital  et  qui  a  inspiré  d'autres  vers  de  Ron- 
sard. Cf.  éd.  L.,  t.  VIII,  p.  106,  114. 

VII 

Ad  Tlllelm   primum    praesidem. 

Liwjuae,  Tullee,  prima  Tullianae 

Quondam  gloria,  niinc  Catonianae 

Idem  primus  honos  seucritatis. 

Hoc  est  Justitiae  atr/ue  sanctitatis, 

Cuius  gloria  suninia ,  per  fauorem 

Nil  cuiquam  darc  plus  minusuc  Justo: 

A  te  gratia  nunc  rogatur  ista, 

A  te  sola  roganda  quac  decentcr, 

A  te  sola  decenter  impetranda  : 

Ponsn/'do  facias  tuo  clienti, 

In  causa  facili,  prohata,  apcrta, 

Non  prosit  fauor  ullus  ut  nocenli, 

Sed  ne  obsit  fauor  ullus  innoccnti. 

L'original  de  cette  pièce  est  conservé  dans  un  recueil  de  la  Bibl. 
nationale,  Dupuy  S ,3  7,  fol.  248.  Il  porte,  de  la  main  de  Pierre  Dupuy, 


7MU.it  r^m^  rr'rrnf^  ^vHimt 
'CuÀr-i^^  MnLj7ii<.nc  (^ahrrmit 

Roc  cû  ^ju/Uh^  fi^^ulfanma^, 

/      it  joU  'TC 0,0.71  J^^  awt  lu?M^y^j 

A    ie^  Cota.  lictT'Aty  Tn^dr^rM,  ; 


ii'i 


VERS    LATI.NS    DE    RONSARD  2o7 

rincJicalion  /ionsardi  manu,  (jui  doit  être  acceptée,  l'écriture  étant  la 
même  que  celle  de  l'attestation  pour  Nicolas  Goulu  et  de  "l'hommage 
des  volumes  oITerls  à  Muret  et  à  M.  de  Fioles  yv.  plus  haut,  p.  137, 
14I,  \ôï).  C'est  l'écriture  appliquée  de  Ronsard,  celle  qu'on  pourrait 
dire  son  écriture  de  cérémonie  et  dont  il  se  sert  dans  le  ms.  du  livre  II 
de  la  Franciade  reconnu  par  Edmond  Faral.  Les  observations  de  Lau- 
monier  sur  le  feuillet  de  la  collection  Dupuy  sont  inexactes  t.  ^'III, 
p.  114).  La  copie  existant  dans  les  papiers  de  Pierre  de  l'Estoile  avec 
la  mention:  P.  Ronsardus.  ex  aulographo  (éd.  Brunet,  t.  XI,  p.  294), 
parait  faite  sur  ce  précieux  original. 

Le  personnage  à  qui  Ronsard  adressait  seshendécasyllabes,  à  l'occa- 
sion d'un  litige  qui  n'est  pas  connu,  est  le  Premier  Président  du  Par- 
lement de  Paris,  Christophe  de  Thou.  La  forme  du  nom  Tulleus, 
choisie  par  le  poète  pour  un  flatteur  rapprochement  avec  celui  de  Cicé- 
ron,  parait  suggérée,  comme  l'a  remarqué  Blanchemain,  par  celui  des 
comtes  de  Toul,  dont  la  famille  de  Thou  prétendait  descendre.  Léon 
Dorez  a  rapproché  de  la  forme  employée  par  Ronsard  et  aussi  par 
Dorât  {Tnllaeus]  celle  dont  se  sert  Jérôme  Maurand  dans  la  dédicace 
du  recueil  des  inscriptions  d'Antibes  :  Praeslantissimo  viro  [Chrislo- 
phoro]  de  Tullo  [Itinéraire  de  J.  Maurand  d'Antibes  à  Constanti- 
nople.  1544,  Paris,  1901,  p.  v  et  291).  On  a  latinisé  le  même  nom  en 
Tnthaeus  ;  mais  la  forme  consacrée  est  Thuanus;  c'est  celle  qu'em- 
ploient les  auteurs  du  Tombeau  du  Premier  Président,  imprimé 
en  1583,  et  que  son  fils  l'historien  a  rendue  illustre. 


L'Invective    coîstre   Pierre  de  Paschal. 

L'ouvrage  de  prose,  qui  va  prendre  place  ici  parmi  les  écrits 
latins  de  Ronsard,  est  d'un  tout  autre  intérêt  que  ses  vers  en 
cette  langue.  Il  se  rattache  à  un  curieux  épisode  de  l'histoire  de 
la  Pléiade,  resté  jusqu'à  présent  ^ssez  obscur,  et  révèle  un  aspect 
inattendu  de  l'écrivain.  On  le  voit  étendre  sa  maîtrise  a  un  genre 
littéraire  de  l'Humanisme,  l'invective,  qui  a  fleuri  abondamment 
pendant  la  Renaissance,  et  d'abord  en  Italie,  sans  laisser  beau- 
coup de  morceaux  dune  qualité  supérieure  à  celui-ci.  Ronsard 
s'y  montre  assez  bien  l'émule  des  Poggio  et  des  Philelphe.  Son 
style  vigoureux,^  grammaticalement  correct,  n'affecte  l'imitation 
d'aucun  auteur  préféré  ;  mais,  chargé  volontairement  des  mots 
les  plus  expressifs,  sans  nulle  préoccupation  de  purisme,  ce  «  bon 
NoLHAC.  —  Ronsard  et  l'Humanisme.  17 


238  koNSAHLi  tr  l'humaMsMe 

gros  latin  »  qu'il  nime  rappelle,  au  moins  pour  l'aisance,  celui 
(l'hrasme  elde  ceux  des  contemporains  (|ui  conservent  à  la  langue 
des  Anciens  la  couleur  et  le  mouvement  de  la  vie. 

On  pourrait  verser  cette  pièce  au  dossier  des  polémiques  du 
«  Cicéronianisme  »,  car  la  question,  alors  tant  controversée,  de 
l'exclusive  discipline  cicéronienne  s'y  trouve  directement  abor- 
dée. Le  Gascon  ambitieux,  qu'attaque  Ronsard  pour  des  raisons 
à  la  fois  littéraires  et  personnelles,  se  montre  dans  le  milieu 
parisien  le  représentant  attitré  de  cette  doctrine  venue  d'outre- 
monts,  dont  le  prestige  lui  a  jirocuré  de  grands  prolits  pour  sa 
carrière.  Pierre  de  Pasclial  lit  chez  nous  un  personnage  que 
l'Italie  a  connu  par  centaines  et  (jui  ne  fut  pas  commun  en  France, 
même  après  les  publications  d'Etienne  Dolet  et  de  Robert 
Estienne.  Cicéronien  de  la  plus  stricte  observance,  théoricien 
pédant  et  infatué,  it;dianisant  affichant  son  mépris  pour  le  latin 
écrit  par  ses  compatriotes,  il  devait  provoquer  des  contradictions 
violentes,  et  l'on  s'étonne  seulement  qu'elles  aient  longtemps 
tardé. 

Comment  un  tel  homme,  d'un  talent  mince  et  muni  d'idées 
assez  courtes,  parvint  k  s'imposer  à  des  lettrés  aussi  fins  et,  en 
somme,  aussi  avertis  que  Ronsard  et  ses  disciples,  j'essaie  plus  loin 
de  le  conter  avec  l'ensemble  de  ses  aventures.  Il  suffit  de  rappe- 
ler ici  qu'il  tira  avantage  auprès  d'eux,  dès  son  retour  d'Italie, 
des  promesses  qu'il  prodigua  de  les  immortaliser  tous  par  ses 
futurs  ouvrages.  11  oITrait  de  répandre  leur  renommée  en  Europe, 
grâce  à  la  langue  comprise  et  écrite  de  tous  les  lettrés  et  qui 
servait  si  grandement  déjà  l'honneur  des  noms  italiens.  La  Bri- 
gade avait  de  la  gloire  une  avidité  extraordinaire.  L'idée  de 
figurer  de  compagnie,  autour  du  maître,  dans  les  Illustrium 
viroriim  elogia  que  Paschal  annonçait  pour  faire  suite  aux  célèbres 
Elogia  de  Paul  Jove,  mit  en  joie  tout  ce  jeune  monde.  On 
accueillit,  on  fêta  le  méridional  plein  d'assurance,  prompt  à  l'en- 
thousiasme et  aux  propos  éloquents,  détenteur  par  surcroît  des 
secrets  de  la  plus  pure  latinité,  et  l'on  contresigna,  sans  y  regar- 
der de  près,  le  brevet  de  génie  qu'il  commençait  par  se  décerner 
lui-même. 

Ronsard  confesse,  avec  une  bonne  foi  rageuse,  la  naïveté  de 
ces  innombrables  dupes.  Se  plaçant  en  tête  de  la  liste,  il  range 
Du  Bellay,  Jodelle,  Belleau,  Pontus    de  Tyard,    Nicolas    Déni- 


LA    QLERELLE    DE    1559  259 

sot,  parmi  les  écrivains  qui  se  laissèrent  prendre  avec  lui  à 
cette  mirifique  <■  piperie  ».  C'était  au  temps  de  Henri  II,  dont 
parle  Etienne  Pasquier,  «  lorsque  l'on  se  frottoit  aux  robes  de 
ces  grands  Poètes  qui  tlorirent  sous  ce  bon  Roy,  pour  trouver 
un  arrière-coin  dans  leurs  œuvres»  '.  Paschal  y  fut  du  premier 
coup  logé  en  place  d'honneur.  Les  plus  flatteuses  dédicaces,  dans 
les  recueils  publiés  à  partir  de  15o0,  attestent  comment  se 
payèrent  par  avance  les  services  qu'on  attendait  de  lui.  Si  celles 
de  Ronsard  furent  les  premières  et  les  plus  reluisantes,  les  cinq 
pièces  des  Regrets  où  Paschal  est  nommé  auraient  suffi  à  mener 
son  souvenir  jusqu'à  nous,  sans  parler  d'une  épître  au  Roi,  où  Du 
Bellay  le  célèbre  un  jour  aux  côtés  de  Ronsard  lui-même.  Olivier 
de  Magny  avait  contribué  plus  largement  que  personne  à  fabri- 
quer cette  fausse  renommée  et,  si  Ronsard  ne  cite  point,  c'est 
peut-être  parce  que  le  poète  quercinois,  plus  particulièrement 
lié  avec  l'humaniste  gascon,  ne  voulut  pas  prendre  part  à  la  cla- 
meur hostile  qui   s'éleva  un  jour  contre   celui-ci. 

Quelques  esprits  avisés,  en  effet,  dont  étaient  Dorât  et  Ramus, 
s'aperçurent  que  le  rusé  compagnon  n'avait  ni  les  moyens  ni  l'in- 
tention de  tenir  ses  engagements.  Après  avoir  reçu  lui-même  des 
écrivains  la  notoriété  qu'il  promettait  de  leur  assurer,  il  eu  tirait 
parti  pour  se  munir  à  la  Cour,  grâce  à  la  faveur  du  cardinal  de 
Lorraine  et  des  prélats  lettrés,  d'une  fonction  bien  rétribuée, 
celle  d'historiographe  du  Roi.  Elle  lui  permettait  de  se  passer  de 
ses  amis  et  de  se  livrer  désormais  à  une  paresse  naturelle.  Se 
disant  absorbé  par  les  travaux  de -sa  charge,  qu'on  l'accuse  de 
n'avoir  pas  remplis,  il  éludait  ses  obligations  envers  ceux  qui 
lui  avaient  fait  la  courte  échelle  à  force  d'odes  et  de  sonnets. 
Les  poètes  virent  enfin  qu'on  s'était  moqué  d'eux.  Un  de  leurs 
amis  plus  sincères,  Adrien  Turnèbe,  déchaîna  les  attaque.^ 
par  une  satire  latine;  Du  Bellay  s'y  associa  en  la  traduisant-. 
On   était  en  1339;  la  mystification  avait  duré  dix  ans. 

Ronsard  se  montra  le  plus  acharné.  Pressé  d'arracher  à  son 
tour  le  masque  qui  l'avait  abusé,  il  tint  à  employer  à  cet  usage 
la  langue  habituelle  à  l'imposteur  et,  par  \me  ironie  assez   heu- 

1.  Les  Œuvres  d'Estienne  Pasquier,  Amsterdam,  1723,  t.  II,  col.  292. 

2.  Toute  cette  histoire  se  trouve  racontée  dans  la  ejuatiième  partie  de 
ce  livre,  avec  les  références  utiles  et  avec  une  mise  au  point  que  per- 
mettent le  groupement  des  témoignages  sur  Paschal  et  l'étude  de  ses  écrits. 


260  RONSAllD    ET    l'humanisme 

reuse,  .-idopta  la  Idiiiie  de  l'éloge  vainement  attendu  par  tant  de 
poêles.  S'inspiraiit  lui-même  de  Paul  Jove,  dont  les  œuvres 
étaient  dans  toutes  les  mains,  il  montra  élégamment  que  cette 
besogne  d'imitateur  n'était  pas  aussi  difficile  que  le  prétendait 
Paschal.  Au  reste,  il  ne  s'assujettit  qu'à  peine  à  suivre  le  modèle 
italien  et,  dans  le  cadre  qu'il  emprunte,  il  s'abandonne  librement 
au  caprice  insolent  dune  raillerie  débridée,  ne  reculant  devant 
aucune  audace.  Le  portrait  physique  ne  le  cède  pas,  en  traits 
méchants  et  drus,  au  portrait  moral  dont  il  accable  son  ancien 
ami.  Sa  rancune  dépasse  assurément  les  bornes,  car  on  verra,  en 
vérifiant  des  griefs  qu'elle  exagère,  que  Paschal,  malgré  ses  airs 
avantageux  et  ses  défauts  d'  «  arriviste  »,  comme  on  dirait  de 
nos  jours,  n'était  pas  dénué  de  tout  mérite  et  ne  justiliail  pas 
tant  d'outrages. 

Bien  que  le  poète  l'eût  menacé  de  faire  imprimer  son  invec- 
tive, elle  ne  circula  qu'en  manuscrit.  Le  succès  fut  grand  dans  le 
public  d'initiés  auquel  elle  s'adressait,  et  Etienne  Pasquier, 
déjà  bon  défenseur  de  notre  langue,  en  fit  incontinent  une  tra- 
duction française.  Il  écrivait  à  Ronsard  à  ce  sujet  : 

Voyez  quel  commandement  ont  vos  ouvrages  sur  moy.  A  peine 
estois-je  arrivé  à  Arg^enteiiii  que  j'ay  leu  et  releu  l'Eloge  Lalin  que 
vous  avez  fait  de  Pascal:  el  l'ay  leu  de  bien  bon  cœur;  car  quelle 
chose  peut  venir  de  voslre  lime,  qui  ne  me  plaise  ?  Vrai  Dieu  que  vous 
avez  à  propos  descouverl  sa  piperie  ?  Gomme  non  seulement  vous  avez 
combatu,  ains  abatu  ce  grand  monstre  ?  Si  que  je  me  promets  (quelque 
privilège  d'impudence  qu'il  se  donne)  que  désormais  il  apprendra  à  se 
taire,  et  de  ne  publier  ses  inepties  devant  la  face  de  noslre  Prince.  Par- 
quoy  soudain  cpic  j'ay  esté  de  repos,  je  nay  eu  rien  en  plus  grande 
recommandation  que  d'habiller  à  la  Françoise  vostre  Latin.  Ce  sera 
à  vous  de  juger  si  bien  ou  mal.  Dune  chose  vous  puis-je  asseurer,  que 
si  je  ne  vous  ay  satisfait,  je  me  suis  contenté  moy-mesme  pour  revan- 
ger  une  juste  querelle  de  nostre  France  et  des  gens  doctes,  entre  les- 
quels combien  que  je  ne  me  donne  nul  lieu,  si  vy-je  en  cette  espérance 
que  chacun  d'eux,  tant  que  vostre  exemple  que  le  mien,  apprendra  à 
la  parfin  de  garentir  ce  Royaume  de  cette  dangereuse  beste.  En  quoy 
nous  ne  faisons  rien  qui  n'ait  esté  attenté  par  ce  grand  personnage 
Tournebu  '. 


1.  Les  OEuvres  d'Est.  Pasquier,  t.   II,   col.   23.    La  lettre  à   La  Crois    du 
Maine  est  au  t.  H,  col.  238. 


RÉCIT  d'étienne  pasocier  261 

Cette  petite  bataille  littéraire,  intéressante  par  les  noms  qui 
s  y  trouvent  mêlés,  laissa  quelques  souvenirs.  On  en  trouve 
l'écho  dans  une  plaisante  page  de  Brantôme.  Pasquier  lui-même 
la  narrée,  en  écrivant  à  La  Croix  du  Maine,  lorsque  ce  biblio- 
graphe préparait  son  grand  ouvrage  consacré  aux  écrivains  de 
son  siècle  ;  sa  lettre  fait  revivre  assez  bien  les  passions  qui 
expliquent  l'opuscule  de  Ronsard: 

J  entends  que  baslissez  un  livre  qu'intitulez  la  Bibliothèque,  qui  est 
un  Cathalogue  général  de  toutes  sortes  d'autheurs  qui  ont  écrit  en 
François,  avec  un  récit  de  leurs  compositions,  tant  imprimées  qu'à 
imprimer.  Oeuvre  certes  laborieux  et  digne  de  celuy  qui  a  beaucoup 
veu  el  leu:  mais  auquel  avez  à  vous  garder  de  plusieurs  embûches  de 
ceux  qui,  pour  ne  pouvoir  par  adventure  rien  de  soy,  tascheront  de 
s'ad\antager  en  réputation,  aux  despens  non  de  leurs  plumes  ains  de 
la  vostre  :  car  ne  pensez  pas  que  la  fosse  de  Pierre  Paschal  nail  pro- 
duit plusieurs  rejettons.  Quand  je  vous  dis  Pierre  Paschal,  vous  sça- 
vez  ce  que  je  veux  dire.  Et  neantmoins.,  puisque  je  suis  maintenant  de 
loisir,  encore  vous  en  feray-je  le  conte  par  manière  de  passe-temps. 
Pierre  Paschal  estoit  un  gascon,  qui  sur  son  premier  advènemenl  se 
fit  amy  et  compagnon  de  la  pluspart  des  poètes  de  nom,  qui  floris- 
soient  sous  le  règne  du  Boy  Henry  Second.  Cestuv.  vovanl  tant  de 
nobles  esprits  mettre  la  main  à  l'œuvre,  et  qui  luy  eust  esté  mal  séant 
au  milieu  d'eux  de  se  taire,  commença  de  nous  repaistre  de  belles  pro- 
messes, se  vantant  de  faire  l'histoire  de  son  temps,  et  pareillement  le 
sommaire  des  vies  des  gens  de  marque,  qui  lors  estoient,  à  l'imitation 
de  Paul  Jove.  Sous  ces  faux  gages,  il  solliciloit  impudemment  uns  el 
autres  poêles  de  le  trompeter  par  leurs  escrits,  leur  promettant  une 
pareille  et  de  les  arranger  entre  ses  Hommes  illustres.  Ses  imporluni- 
lez  el  prières  portèrent  tel  coup,  qu  estant  haut  loué  par  Monsieur  de 
Bonsard.  et  quelques  autres,  le  bruit  de  son  nom  en  vint  jusques  aux 
aureilles  du  Boy  Henrv  ce  n"esl  pas  un  petit  secret  des  allaires  du 
monde  d'envoyer  un  bon  bruit  de  nous  pour  avant-coureur  de  nos 
actions».  Le  Boy,  au  son  de  sa  renommée,  le  fit  son  Historiographe, 
aux  gages  de  douze  cens  livres  par  an.  Toutefois,  après  son  decez,  on 
ne  trouva  rien  si  froid  que  son  eslude  ;  car  aussi,  pour  en  dire  le  vray, 
il  ne  sçavoit  parler  ny  latin,  ny  françois  ;  el  le  peu  de  latin  qu'il  redi- 
geoit  par  escrit  estoit  tiré,  pièce  a  pièce,  des  Commentaires  de  Nizo- 
lius,  pour  dire  qu  il  estoit  Cicéronien.  De  ce  vous  en  puis-je  asseurer. 
comme  celui  qui  l'ay  veu  de  près.  Et  qui  est  le  plus  beau  de  ce  conte, 
c'est  qu'au  mariage  de  la  Boyne  d'Escosse  avec  le  Boy  Dauphin,  il  fit 
imprima  une  longue  harangue  fort  mal  bastie,  dans  laquelle  il  faisoit 


2()2  BONSAiii)  i;t  l'iiumanisme 

parler  au  lioy  ccsle  princesse  i'orl  jeune,  quand  elle  arriva  en  France, 
tout  ainsi  que  si  elle  eust  eu  Ircnle  ans  sur  la  lesle.  Ht  porloit  le  tilli-e 
que  celle  harangue  avoil  eslé  exlraicle  du  qualre  ou  cinquiesme  livre 
de  son  Histoire,  dont  il  n'avoit  encore  enconimencé  le  premier.  Celuy 
qui  lialcna  prcmicrenienl  son  fard,  fui  ce  (,M'and  et  docte  Adrian  de 
Tournebu,  personnage  aussi  aigu  et  violent  en  satyres  contre  ceux  qui 
le  méritoienl,  comme  doux  en  mœurs  et  conversation  avec  les  gens 
(l'Iiouiieur  et  de  lettres;  lequel  luy  fil  une  plaisante  épistre  sous  cesie 
inlilulalion,  E(jo  libi,  laquelle  l'ut  depuis  mise  en  l'ranvois  par  Du. 
Bellay;  et  à  leur  suite  Ronsard,  qui  Taxolt  lanl  de  fois  célébré  par  ses 
escrits,  chantant  une  palinodie,  fit  un  éloge  I.alin  de  luy,  que  je  Ira- 
duisi  en  François  et  ay  encore  entre  mes  brouillas. 

A  défaut  de  ce  texte  français,  qui  est  perdu  avec  les  «  brouil- 
lons i>  de  l'auteur  des  Rccherclies  de  lu  France,  nous  aurons 
l'origiiuil  latin  plus  intéressant  pour  nous.  Il  est  conservé  parmi 
des  papiers  provenant  de  Jean  de  Morel,  dans  \a.Colleclio  Carne- 
rariana  (vol.  33),  à  la  Bibliothèque  de  Munich.  Ces  feuillets, 
dépourvus  de  titre  et  ,de  nom  d'auteur,  n'attirent  pas  l'attention 
parmi  tant  d'autographes  des  amis  de  Morel  ou  de  sa  famille, 
ou  j'ai  recueilli  jadis  diverses  pages  de  Michel  de  L'Ilospilal,  de 
Joachim  du  Bellay,  de  Dorât  et  de  quelques  autres.  Ils  offrent 
cependant  les  caractères  d'un  manuscrit  original  et,  bien  que 
l'ensemble  paraisse  de  la  main  d'un  copiste,  plusieurs  additions 
sont  dues  à  l'auteur  lui-même.  Je  regrette  que  les  circonstances 
ne  me  permettent  pas  de  vérifier  en  ce  moment  les  remarques 
faites  au  moment  de  la  transcription  ;  mais  aucun  doute  n'est 
possible  pour  les  deux  ailditions  importantes  de  la  fin,  celles  qui 
portent  sur  les  défauts  physiques  du  Gascon  ;  elles  sont  d'une 
écriture  cursive,  un  peu  fébrile,  pleines  d'abréviations  et  de 
ratui'es. 

Dans  l'édition  qui  suit,  la  graphie  du  manuscrit  est  exactement 
reproduite  ;  la  ponctuation  a  été  ajoutée  et  des  alinéas  ménagés 
pour  la  conmiodité  du  lecteur. 


[Pétri  Pascmasii  Elugium.] 

Pclrus  Paschasius  Vasco,  ul  coç/noinen  ipsiiin  iiulirat.  ex 
in/iina  ctahiecta  familia  natus  est,  quamiiis  se  ab  iîrhano  tertio 
Pontificc  originem  traxisse  glorietur.  Ab  ineunte  aetate  Carpen- 


INVECTIVE  CONTRE  PASCHAL  263 

loracti  in  scholis  piiblicin,  non  in  jiriualis  aedibus  S  ad  oie /i.  ul 
iactat, prima  gramniaticeselementasuscepit.  Vcrtitn  ciun  nniinad- 
iierteret  illoriini,  ut  coeterarum  deinceps  artiiun,  se  nulliini 
progressum  faccrc  ad  tus  ciuilc  perdisccndum  Tholosam  profec- 
tus  est.  Cum  aulcin  ibi  nec/ue  lurisprudentiam  neque  lurispru- 
dentiae  interprètes  anima  prorsus  assor/ui  posset,  relicti.i  tum 
demiim  legihus,  ad  conscribendos  versus  gnUicos  talus  se  contu- 
lit.  l't  leges  prinium,  ita  versus,  ficlo  quodam  allions  discipli- 
nae  obtentu,  nouus  philosophus  penitus  neglexit,  quamuis  nescio 
quid  Régale  Canlicurn  [sic  enim  in  Ludis  Floralibus  Tholosac 
ap]jellaturj,  obscurum  lacerumque  et  labirintheo  errore  inlertex- 
tum,  immodicis-laudibus  efferat  '. 

Cum  autem  Tholosae  degeret,  in  amiciliam  Durhani-  [viri 
profecta  utcunque  docli),  simulato  literarum  nomine,  clanculum 
ita  irrepsit,  ut  pêne  Durbani  altéra  videretur  anima.  Is  prinius 
Durbanus  in  Galliatale  monstrum,  quale  in  Apihrica  non  gene- 
ratur,  magnifiée  et  cum  magno  apparatu  prodidil  et  homincm 
adeo  ineplum  et  illiteratum,  nimium  credo  indulgens  amicitiae, 
numéro  doctorum  inscruit.  Xunc  illum  lauilans,  nunc  ab  illo 
vicissim  laudatus,  ita  niutuis  laudationibus  ad  nauseam  usque 
repetilis,  impudentissima  garrulitate  erudilorum  aures  ubique 
gentium  obtundebat^.  Cum  autem  ab  omnibus  suam  inscitiam 
iam  deprehensam  subdolus  animaduertisset.  Romani  iuit  ;  ubi  de 
legibus  in  corona  doctorum  virorum  [ut  ait)  publiée  respondit  ac 
doctar  magno  cum  applausu  Romanorum.  legum  sane  e.rperlium, 
effectus  est .' pmuide  si/ii  consulens,  ne  si  quid  Tholosae  de  legi- 
bus /iisce>-ef,  ab  omnibus  crplosus  et  irrisus  e  suggcstu  publico 
deturbarctur. 


1.  Le  ton  méi)nsant  de  Ronsard  rappelle  un  passage  bien  connu  de  la 
Deffence  :  m  Me  laisse  toutes  ces  vieilles  poi-sies  frnnçoyses  aux  Jeus  Flo- 
raux de  Toulouse...,  comme  Rondeaux,  Rallades,  Vvrelaiz,  Chants  Royaux, 
Chansons,  et  autres  telles  episseries.  »  On  sait  comment  Guillaume  des 
A\itelz  a  défendu  contre  Du.Bellay  le  ■<  Chant  royal  »  et  aussi  «  l'Eglantine 
Tholosane  ».  Ronsard  lui-même  reçut  celle-ci  en  (354,  probablement  sur 
l'initiative  de  Paschal. 

2.  Michel-Pierre  de  Mauléon,  protonotaire  de  Durban. 

3.  Ronsard  a  célébré  plus  que  personne  l'amitié  des  deux  inséparables 
méridionaux.  On  remarquera  qu'il  ne  fait  point  d'allusion  ici  h  un  plai- 
doyer latin  prononcé  à  Venise,  au  nom  de  la  famille  de  Mauléon,  et  tra- 
duit en  français  par  Durban,  dont  il  a  parlé  dans  ses  premiers  recueils 
avec  d'hyperboliques  éloges. 


26 i  RONSARD    ET    I.'nUMANISME 

Prriusirnfu  Ilulin.  iin.'t  ciirii  DiirLuno  Liifecinin  profectus 
es/,  iilii  priiniim  ntadcstus  cl  siLi  ipsi  imprranx,  nulla  elalus 
snprrhin  in  lilcrn/oriini  rlroruia  consortio  se  mlsceh.'tt,  ni)  urnicis 
pos/iilanK  lit  sihi  liisliirinriiin  iiosiri  (eniporis  coninientaria  Irade- 
rrnl^  ;  el  r;i  de  chuxh  se  /me  venisse  ttffinna/jat,  ut  de  rehiis  ad 
haiie  rem  jierthieiililius  certinr  fiieltia  hisloririni  ali(fiiandrt  scri- 
heret . 

Inlerim  In  ainiei/iain  J'oe/ariirii,  sine  (juid  Graece,  stuc  f/uid 
Latine  nul  didliee  serihcntiuin,  iin/iortuno  amijilu  sensim 
irrepens.  seipsuni  insinuiiuit ,  ner/ue  corunt  f/uisr/uani  euaderc 
/loluit,  (juin  suiini  noinen  iinniensis  Inudilms  et  pêne  portcntosis 
ii/nominiose  extortis,  paslerilati  commcndaret .  Ronsard  us  pri- 
rnuni,  impudentissimis  iisce  laudationihus  ad  taedium  et  nauseam 
us(/ue  et  usque  e/lla;/itatis,  nialo  daemone  initium  dédit,  quem 
deinceps  secuti  sunt Bellaius,  lodellus,  Bellaeus',  Thiar- 
tus,  Denisotus  et  alii  innumeri  eodem  veneno  infecti,  quos 
numerare  infinitum  csset.  JVemo  ea  tenipeslale,  qui  studio  siLi 
faniam  aliquam  co/nparasset,  Luteciam  inçjressus  est,  a  quo  in 
ipso  etiam  porlaruin  li/nine  impudentissinnirn  non  efflar/itarel 
teslimonium,  illum  per  Dcos  Immortales,  per  mânes  paternes 
obsecrans  ut  variis  laudihus  Paschasium  astris  insereret. 


1.  D'après  cette  indication,  Paschal  aurait,  dés  son  arrivée  à  Paris, 
annoncé  l'intention  d'écrire  l'histoire  de  son  temps  et  demandé  des  notes 
et  dos  mémoires  aux  témoins  des  événements.  Il  se  préparait  déjà  à  briguer 
les  fonctions  d'historiographe. 

2.  On  trouve,  pour  le  nom  de  Rémi  Belleau,  d'autres  formes,  Bellaqiia, 
par  e.xemple  dans  l'épitaphe  de  Dorât,  que  Piganiol  de  la  Force  lisait  encore 
à  l'église  Saint-Benoît  :  Cuius  ex  sinti  protlierunt  loi  patriae  suae  décora, 
loi  aelatis  xiiae  ornamenta,  Honsardus,  Bellaïus,  Dellaqua,  Baïfius,  Port.ieus, 
celerirpie...  Dorât  a  joué  lui-même,  en  célébrant  Belleau,  sur  le  nom  très 
semblable  de  deux  poètes  du  groupe  {Poematia,  2"  part.,  p.  93)  : 

In  Hemigii  Bellaquei  Poemala. 

Carmina  qui  poaset  grandi  resonare  cnlhiirno 

Ronsar-dum  Gallis  llegia  tniisa  Jedil... 
Helli  helia  amhoA  qui  Carmina  liidcre  fjosscnt 

Xominihus  hello  bella  Camena  dédit. 
Bel  laiiim  primiim.  te  liellaq  uee  ante  secundnm 

Sunc  etiam  primum,  dum  prior  ilte  iacet . 
Musa  duos  di'deral  liellos,  Parca  abstulit  unum  ; 

i'nus  enini  visna posse,  quod  ante  duo 
Oeciderit  hellus  Bellaius 

...ast  iste  supersit 

Bellaqueus,  bellae  quijluat  uber aquae. 


INVECTIVE    CONTRr    PASCHAI.  26?) 

Primi  omnium  Aùratas,  Bcllaijus,  liamiis,  Bellaeus. 
PeleCarius,  Pcgius,  Baifius.  nonnulUque  eiusdem  classis  et 
notae  summi  viri,  crassissimam  hominis  insciliam  et  fuciim  [ubi 
primum  inter  eosdc  bonis  literis  sermo  incidit)  nasuti  subolfece- 
riint^,  cl  illuni  eodeni  plane  modo,  r/iio  niiper  Mon  ti  boue  m- 
non  sanae  mentis  Poelam,  dicteriis  et  salibus  deluserunt.  Verum, 
ubi  ab  aliquo  nouo  laudatnre  se  salis  commendatiim  vidcl,  evanes- 
cit  ;  et  proprias  laudes  vel  typis  excudendas  curât,  vel  inlerpella- 
tim  récitât,  vel  in  fronte  scrinii  collocat,  ut  sint  omnibus  ingre- 
dientibus  ohuiae,  vel  in  Regiam  suis  fautoribus  defert  ;  ut  iacta- 
bundeoslentat  quantus  et  qualis  in  are  hominum  Paschaafius^ 
versetur. 

Corrogatis  undique  laudationibus,  quas  uf  prorsus  veras  animo 
sibi  finjreral,  spretis  loi  tantisque  doctissimis  riris,  bac  tempes- 
taie  in  omni  literarum  génère  alquc  disciplinarum  a  pueritia 
apprimè  educatis,  Regem  et  eius  hislorias  atrabile percitus  animo 
concepit.  IVunc  aulem  et  antea  mulus,  inler  mutos  non  apparet  ; 
sed  palam  ore  distorlo  et  elatis  in  caelum  oculis,  iaclare  non  eru- 
bescit  se  omnium  eloquentissimum  et  plane  Ciceronianum  esse, 
qui  lamen  nullo  proprio  marte  /'relus,  sed  auxiliaribus  armis 
adiutus,  locis  quibusdam  communibus,  Dole  ti  commenlariis 
librisquc  Manutii  immensis  et  praegrandibus  lliesauris  Roherli 
Stephani  et  Xizolii,  in  quibas  phrases  omnes  Ciceronianae 
facile  reperinntur  ',   ea  ipsa   Ciceronis  verba,  et  non   alia,    suae 

1.  Les  amis  de  Ronsard  «  qui  ont  eu  du  nez  »  inasuli)  sont  Dorât,  Du 
Bellay,  Pierre  de  la  Ramée,  Belleau,  Jacques  Pelelier,  Louis  Le  Roy  et 
Baïf.  Il  a  oublié  Turnèbe. 

2.  Bertrand  Berg-ier  do  Montembeuf,  poitevin,  est  le  plaisant  de  la  Bri- 
gade. H.  Chamard  {J.  du  Bellay,  p.  47)  a  relevé  les  dédicaces  des  poètes  à 
ce  fantaisiste  de  belle  humeur,  dont  Ronsard  loue  les  qualités  de  cœur  et  à 
qui  sont  attribués  quelquefois  les  Dithi/rambes  recitez  à  la  pompe  du  bouc  de 
Jodelle.  Du  Bellay  le  qualifie  de  «  poêle  bedonnique  boufTonique  »  ;  il  donne 
dans  les  Xenia  son  nom  latin  :  Monlihos  poêla  dithyramhicus.  Il  avait  fort 
peu  de  lettres  et  un  grain  de  folie,  si  l'on  en  croit  ici  Ronsard . 

3.  Il  y  a  bien  Paschautius  en  surcharge.  * 

4.  Ronsard  connaît  fort  bien,  on  le  voit,  les  commodités  qu'offre  la 
librairie  savante  de  l'époque  aux  amateurs  d'imitation  cicéronienne.  Mario 
Nizzoli,  mort  en  1560,  est  l'auteur  dos  Obseruationes  in  Ciceronem,  Brescia, 
1535,  et  du  Thésaurus  Ciceranianus  plusieurs  fois  imprimé.  La  France  a 
pris  dans  ces  travaux  lexicographiques  une  part  considérable.  On  aime  à 
voir  Ronsard  rendre  hommage  aux  «  immenses  Trésors  >>  de  Robert  Es- 
tienne.  Le  Thésaurus  linguae  lalinae  a  paru,  sous  sa  première  forme,  en 
1536;  l'auteur  dans  sa  préface  remercie,  parmi   ses    collaborateurs,   Budé, 


260  RONSAIW)    KT    1,'lILMAMSMf; 

hisloriae  impudent er  assuil.  \Atfjue  id  piilidu  ne  jujcrlli  nnutiiin 
imitatione  audet,  nullo  eruditorum  excepta,  aul  ullo  apiid  illos 
rectc  et  pudenter  imil;indi  arll/icio  rcce/ilo  et  npprobalo  'j. 

Certe  si  in  legcndis  bonis  autiioribus  oleiini  et  opcram  {ut  dici- 
tur)  insiinifjsisset,  diiiersa  verha  varia  et  assidua  lectione  sibi 
pctitaet  comparata  scribenti,  ultro  memoriae  obuia  neque  inuita 
se  praebcrenf,  neque  snne  ulluni  maius  inipcritiae  indicium  pro- 
dere  potcsl,  quam  iurare  iinius  in  verha  muqisiri,  et  solis  vesti- 
qiis  tel  ('iceronis,  vel  Caesaris  tenaciter  inhaerere  '-.  Genus 
dicendi  ampllssimiim  et  fer.irissirnum  non  in  solo  TuUio,  quam- 
uis  eloquenlissimo,  bonarum  lileraruin  copia  conclusa  est. 
Legendus  est  Varro,  Pliniiis,  Titus  Liuius,  Salusiius,  Cato, 
Pandectae  luris  •*,  Terentius,  Plautus.  Virgilius,  Horatius 
aliique  onines  latini  sernionis  principes  ''.  Et  hinc  inaqnani  vcr- 
borum  supelleclileni  sihi  comparare  conueniebat.  Sed  quod  iudi- 
cium  de  Cicérone  in  médium  afj'erre  posset,  ille  laudum  usque 
ade.o  impudens  emendicator  et  helluo?  qui  nusijuam  Ciceronem 
vidit,  nec  intellejit  ?  —  Vidi,  inquis,  Familiares  Epistolas.  — 
Al  hoc  non  est,  vir  hone,  Tullium  perleqere.  Euoluendae  sunl  ad 
.  Atticum  Epistolae ;  de  Oralore,  de  Nalura  Deorum,  Thuscula- 
nae  Quaesliones,  de  Finibus  bonorum  et  malorum  libri  sunl  ins- 


Lazare  de  Baïfel  Toussain.  La  seconde  édition,  en  trois  tomes,  est  de  1542. 
Les  Commeitfaria  linr/uae  laiinae...  Siephano  Doleto  Gallo  Aurelio  aiilore, 
dédiés  à  Guillaume  Budé,  forment  deux  in-folio  publies  par  Séb.  Gryplie,  à 
Lyon,  en  K)36-lo38.  Le  premier  volume  contient,  aux  col.  1227-123;».  sous 
le  mol  Eloijui-nliî,  une  vive  attacjue  contre  Erasme  et  l'exposition  complète 
de  la  thèse  cicéronienne,  dont  voici  les  sommaires  :  Ciceronis  noinen  non 
liominin,  sed  eloqnentiae  noinen  est.  —  l'iira  verborum  copia  non  aliumle 
quam  a  Cicérone  petenda.  — Cicero  maxime  omnium  imilandus  Laline  loqui 
cupienti.  —  Scriptores  omnes  leijendi,  sed  nullus  imitandus  praeler  Cicero- 
nem. — •  Dolet  approuve  aussi  l'usage  du  vocabulaire  de  Térence  el  juge 
ridicule  la  trop  servile  et  "  superstitieuse  "  imitation  usitée  par  certains  ci- 
céroniens;  mais  le  parallèle  qu'il  établit  entre  Longueil  et  Erasme,  si  dur 
pour  ce  dernier,  achève  de  préciser  les  principes  de  toute  une  doctrine 
littéraire,  que  personne  n'a  mieux  défendue  que  lui. 

1.  Addition  marg'inale  du  correcteur,  qui  n'est  autre  que  Ronsaid  lui- 
même. 

2.  Le  glossaire  personnel  de  Paschal,  cité  plus  loin  parmi  les  manuscrits 
qu'on  a  de  lui,  ne  renferme  que  des  exemples  de  (^icéron  et  de  César. 

3.  L'insertion  des  l'andecles  dans  la  liste  des  ouvrages  de  bonne  latinité 
remonte  î>  Politien,  qui  en  avait  préparé  une  édition.  Elle  est  intéressante 
à  noter  chez  Ronsard. 

4.  L'incorrection  de  la  phrase  parait  tenir  à  la  rapidité  de  la  rédaction. 


INVECTIVE    CONTRE    PASCHAL  267 

piciendi  '  ;  deniqiie  lolus  concuifiicnilusesl  Ciccro,  anleifiiam  roma- 
nde, inio  diuinae,Ulius  èlocjuenliae  te priiiiuin  itul  uuuin  iinilato- 
rem  el  cmulalorcm  esse praedices. 

Verumenimuero  cuin  Paschalius  assidue  aninio  revolueret 
quanain  ralione  honestè  Ber/i  imponere  posset,  auUcorum  amici- 
liam  onini  obseruantia  et  ohser/uio  sihi  comparare  decreuit.  Pri- 
mum  Lanceloti  Carlei  et  lani  Monliicii  -,  viroriim  profecto 
suininoruin  et  inoinni  boiuiruin  Hier  arum  disciplina  educatnrum, 
amicitiae  necessitudineni  blandiendo  sibi  demeruil  ;  ijui,  cum 
illum  diliyrn/ius  inspexissent,  nonsoluin  de  bonis  literis,  verum 
etiam  de  eo  génère  scribendi,  in  quo  versaturn  se  yloriatur,  igna- 
rum  prorsus  atque  imperitum  animadaertissent.  Sed  decepti  qui- 
busdam  e  Sadoleio  et  Bembo  subrepticiis  epistolis,  et  a  qui- 
bu.idani  dicendi  formulise  Cicérone  perperam  petiiis,  intentatum 
atque  ine.rploratum  in  comniendatione  apud  Regem  posuerunt, 
ild  ut  iproh  pudor)  opinione  sola  Regius  Historiographus  merce- 
narius  ex  iniperitissiniis  omnium  imperitissimus  effeclus  sit. 

0  tempora,  o  mores!  Xomophylax  illum  fouet. \  docfissimus 
nie  Cardinalis  Lothnrenus  videt  el  liex  opt.  patitur.  Debe- 
rent  profecto,  deberent  etiam  grammaticuli  hominem  tanla 
animi  insolentia  superhicntem  et  Régis  oculos  vana  allusione 
perstringentem  et  ludificantem,  flagris  et  priuatim  et  publiée 
caesum,  ad  grammatices  vel  prima  perdiscenda  praeceptori  Mon- 
tibouo  tradere.  Eritne  ille  Historiographus  Regius,  Turneho 
Aura  toque  spretis?  qui  ne  Iiistoriae  quidem  ijisius  nomeii  adhuc 
benc  nouit  ?  qui  ne  minimam  quidem  partem  vel  artis  bene  di- 
cendi vel  philosophiae  vel  mathematices  vel  naturalis  diuinaeque 
Theologiae  vel  medicinae  ?  Sed  quorsum  tam  ardua  persequor? 
Verum  nec  prima  [uti  dicebam)  linguae  aut  artis  cuiusquam 
rudimenta  summis  labris  unquam  degustarit  ?  Verumenimuero, 
siquis  etiam  nunc  illius  scurilitate  fascinatus  me  quadam  inui- 
dia  motum  in  eius  conlumeliam  talia  opprobria  palam  pjrofcrre 
iudical,  euni  ipsum  interroget.  Aliquid  ab  eo  siscitelur  ',  illum 
percontetur  et  primo  qnoque  verbo  vel  obmutescet,  vel  prorsus 
suani  patefaciet  inscitiam. 

i.  On  peut  voir  ici  une  liste  des  œuvres  de  Cicéron  familières  à  Ronsard. 

2.  Lancelot  de  Carie,  évêque  de  Riez,  et  Jean  de  Monluc,  évêque  de 
Valence. 

3.  Le  Xomo/ihylax  csl\e  chancelier,  Michel  de  L'Hospital. 

4.  Sic  pour  sciscitetur. 


268.  RONSAKri  ET  l'hlmamsme 

Libron  Hislorhiram  iioslri  ternporis  a  tertio,  trunco  et  inuti- 
lato  iiempe  volumine,  liicri  t/raiia,  vafrè  ar/fjressus  est,  ut  /{ex 
fla'iranlius  prinimn  utquc  alt<riim  desiJcraret.  Ncc  tatncn  ciiis- 
dein  libri  auctor  ipse  [lierai  primas,  sed  Franciscus  liahuli- 
niis  (/uispiam  miles  gregariiis,  qui  rébus  Usée  ab  Ilenrico  II  lieç/e 
eiiisf/ue  leyatis  et  exercitu  geslis,  dum  Principi  .Xiuernensi  sti- 
pendia facerel,  singula  prope  ubique  pjre.iens,  diliqenlia  non 
plane  aspcrnabili  annolnuerat.  atqiie  in  commentarios  qiio  poluil 
sermone  gallico  rcliilcnit  '.  Quos  postea  iste  noster  sibi  ipso  ah 
Bahulino  lei/cndos  censcndosqiie  forte  tradito.s,  siifipresso  inlerea 
aiictoris  noniine.  dum  opéra  uti  consueuit  aliéna  subni.rus  lati- 
nes facit,  suos  fecit  ',  ac  sibi  qua  vidimus  ipsi  impudentia  pu- 
bliée apud  Begesin  Aula  et  totius  Galliae  oculis  pro  suis  ascripsil 
et  arrogauif.  -  Sic  vos  non  vobis  fertis  aratra  boues  '. 

Sed  qais,  quaeso,  unquam  hisloriae  conscribendae  a  libro  ter- 
tio initium  dédit?  praesertim  nostrorum  temporum,  quibus  vel 
nullius  conditionis  homines  testes  oculati,  cum  res  agerentur, 
praesto  adfuerunt?  Vcrum  cum  ex  scntentia  non  saiis  foeliciter 
succederet  hisloriae  conficiendae  opinio,  et  cum  eius  impostura  ab 
omnibus  deprehensa  cerncretur,  ut  magis  atque  magis  hominuni 
iudicium pertentaret,  fragmentum  aliquod  in  Beginae  Scoto- 
rum  nupfias,  suppresso  lamen  nomine,  clanculum  excudendum 
curauit  ''.  Si  ex  voto  successisset,  epislolam  quandam  tertii  libri 
Historiarum  in  luccm  emisissef,  sed  cum  sua  spe  decipi  [quod 
non  s/terabat)  animadiicrtissct,  ne  verbum  quideni  amplius  de 
historia.  sed  fragmentum  illud  tenaciter  et  obfirmato  animo  se 
srripsisse  denegat'^. 

i.  On  verra  plus  loin  ce  (|u"il  faut  penser  rie  ce  prolentlu  pla{,Mat  des 
Commentaires  de  François  de  Raljutin,  gentilhomme  bourpuifjnon  de  la  com- 
pagniedu  ducdeXevers,  qui  ont  été  imprimés  pour  la  première  fois  en  l"ia.')- 

2.  Les  six  lignes  précédentes  sont  chargées  de  retouches  qui  paraissent 
indiquer  des  hésitations  de  l'auteur  dans  l'expression  de  ses  attaques. 

3.  On  voit  passer  dans  la  prose  de  Ronsard  des  réminiscences  ou  des 
citations  assez  communes,  qu'il  est  inutile  d'indiquer  au  lecteur. 

4.  C'est  la  «  harangue  fort  mal  bastie  »,  dont  parle  Etienne  Pas(|uier. 

5.  Cf.  plus  haut,  p.  2t)2,  le  témoignage  de  Pasquier.  Ant.  Du  Verdier,  qui 
donne  place  à  Paschal  dans  sa  liibliolhi>que  (Lyon,  158"),  p.  lOUn),  fournit 
ce  détail  sur  l'histoire  de  France  qu'il  était  chargé  d'écrire  :  "  J'en  ay  veu 
au  logis  de  la  petite  harpe,  rue  de  la  Harpe,  tout  ce  qu'il  avoit  faict  en  sa 
vie,  qui  ne  passoil  pas  dix  ou  douze  feuillets,  que  s'en  allant  il  avoit  laissé 
avec  quelques  hardes  à  son  hoste  nommé  Maugis  pour  gage  de  la  somme  de 
cinquante  escus  sol,  qu'il  luy  devoit  encores.  de  reste  de  despence.  "  Nous 
verrons  ce  qu'il  faut  penser  de  ces  diverses  affirmations. 


INVECTlVt;    CONTnE    PASCIIAL  269 

Queinadmodum  qui  canis  furiosi  dente  pelunlur  furere  non 
desiniinl,  ita  percitiis  airahilc  ah  inceplo  ahstrahi  non  poiest, 
(juin  vci  aliquid  scriLat  vcl  uli(/uid  recitcl,  vcl  seipsuni  iactc/, 
vel  suam  crehris  aninii  iactalionibus  insaniani  omnibus  nolani 
ci  planarn  facial.  Sic  Pasclmlius  cuni  ah  hisloria  scriltcnda.  ne 
inccpta  quidein,  manuni  reuocasset,  Illuslriurn  Viroruin  (quos 
sua  imperitia  obscuros  reddil)  Imagines  et  Elogia  non  tam  scri- 
here  aggressus  est,  quam  de  Pauli  illius  louii  Elogiis  sihi  elo- 
giorum  centones  isfos  conficere  ;  et  ad  hanc  fraudem  non  furiose 
profecto,  sed  ingcniose  commentatur,  quam  si  lihet  paucis  dete- 
gani. 

Posiquam  honorifica  conimendatione  illustrisaimi  doclissimiquc 
principis  Caroli  Cardinalix  Lo  I  hareni  ((/ui  tôt  honiinuni  in- 
génia et  mores  jjulchre  callct,  in  hoc  solo  Paschalio  caecu- 
ticns)  Régis  aures  iam  sihi  faciles  hahuit,  interniissa  vel  potius 
non  incepta  historia,  Vitas  et  Elogia  Illustriorum  Virorum  [quac 
soloecismis  scaturientia  in  publicum  proferre  non  auder-et)  scri- 
bere  pollicitus  est.  Ut  inde  Begem,  Principes  et  Proceres  et 
cuiuslihet  artis  honiines.  sibi  hlandiendo  deuinciret,  et  non  mini- 
mum lucrum  e  tali  impostura  faceret,  ut  pote  qui pro  pictorum 
etiam  Romae  quaesitorum  impensis  et  sumptibus  a  liège  liberalis- 
simo  duo  millia  ducatorum  impudenter  emungeret  ';  quod  se  sla. 
tim  facturum  non  difidit,  nisi  [si  quis  adhuc  mortalibus  restât 
pudor)  illc  noster  Cardinalis  Lotharenus  pro  Galliae  salule 
tanquam  Hercules  tali  monstro  fortissime  sese  opponat. 

Auderetne  ille  Historiograplius  Regius  talia  elogia  hinc  et  hinc 
verbis  Tullii  et  uti  di.ri  louii  emendicata  -,  assuta  et  locis  ccntuni 
repetita,  in  luceni  edere?  non  profecto,  non  auderel.  DU  boni, 
c/uot  soloecismi,  quoi  litcrarum  inuersiones  quot  prauae  uhic/uc 
orlhographiae  in  uno  lantum  elogio  apparent  '■'■  !  quot  periodi 
integrae  vel  a  Caesare  vel  a  Tullio  decerplae,  et  tanquam  ex 
bonis  arboribus  in  malis  praue  consitac  !  Vcrba  sunl  Ciceronis, 
inc/uis.  Fateor ;  sed  maie  intellecta,  deprauata  et,  quod peius  est, 

1.  D'après  ce  texte,  Pasclial  aurait  utilisé  ses  relations  à  Home  pour  y 
faire  travailler  des  peintres  aux  frais  de  Henri  II.  .Ce  détail  n'est  indique 
nulle  part  ailleurs. 

2.  Ces  quatre  mots  sont  ajoutés  par  l'auteur. 

3.  Ceci  paraît  viser  un  éloge  de  Mellin  de  Sainl-Gelais,  le  seul,  comme 
on  le  verra  plus  loin,  qu'ait  composé  Pasclial  avant  l'éloge  mortuaire  de 
Henri  II. 


270  hONSARD  ET  l'hUMANISMÉ 

perperam  scripla,  ut  pote  qui  nulluni  in  manihus  librum  liahens, 
(juam  Manutiurn  vel  aliqucm  gramrnaticulum. 

Desinc  tandem,  riti  Petre  l'aschali ,  desine  et  Bef/i  et  Car- 
dinali  et  omnibus  denique  irnponere.  Nemo  est  usquam  genlium 
qui  luain  non  videaf,  quam  solus  non  vides,  imperitiam,  et  tamen 
impudens  audcs  palam  proferre  te  omnium  quotquot  sunt  in 
Europa  [hisce  aurihus  milies  tuo  ex  are  percepï)  esse  eloquenlis- 
simum.  Quapro/tler  consilio  hominum  tiln  fuuentium  luhens 
acquiesce  et  cxislima  sexcentos  in  hac  urhc  hispidos  et  incomplos 
excerptores  et  audit  ores  esse,  qui  foelicius  et  Ciceronem  imitenlur 
et  in  hono  génère  dicendi  te  longe  supercnt .  Quapropter  tuas  fas- 
tus  et  clatiores  animi  spirilus  comprime,  et  lua  te  in  rute  conli- 
ncns,  priuata  ccrecundia  impos/crum  (c  ipsum  melire .  Quod  si 
non  feceris,  per  Deos  Immorlalvs,  ut  Palriam  a  me  et  a  mille 
aliis  opem  imperanteni  ah  liac  poste  libercm,  hoc  tuum  Elogium 
vcrissimum  publicis  typis  excudendum  curabo,  et  Galliam  viros 
alere,  qui  in  te  et  tua  scripta  durius  animaduertant,  tuo  damno 
tandem  intelligas.  Deus  Opl.Max.  melioreni  mentent  in  postcrum 
tibi  largialur. 

Est  slalura  mediocri,  vul/u  subpallido,  perfricta  fronle,  S  risu 
frigido  et  prope  canino  ',  lingua  loquacissima  et  impudenfissima. 

A    Annos  quadraginta  octo  circiter-  natus. 

^  Suhcaesiis  at  oculis  suhdolum  quiddam  et  furiale  prae  se 
ferentibus,  nisi  curn  oblata  forte  aliqucin  fallendi  spc  ad  coac- 
tani  nescio  quam  insipidae  lenitatis  speciem  eos  consulta  compo- 
sue.rit. 

Naso  ad  aliquid  olfaciendum  semper  intenio.  Ore  lato  et  ad 
Allogium  pro  Elogio  perperam  ut  omnia  pronunciandum  distorto 
ac  cffuso.  Voce  aspera,  subrauca,  insuaui.  (Jongressu  atque  di- 
gressu  inconsfanli,  fîclitio,  inccrio  ac  illepido.  Barba  ispida, 
subflaua,  helluina. 

ft  Sermone  barbaro,  illiherali,  interciso,  precipiti,  confragoso, 
horrido,  cnntenlioso,  et  optimis  quibusque  et  modestiss.  permo- 
lesto.  Ita  est  non  erudituni  qucmpiam  loquentem,  sed  currum 
preterientem,  asinumue  clitellarium  rudentem  aut  molossum  bri- 
tannicum  adlatranteni  audire  te  putes,  re  vera  existimes. 

1.  Ces  trois  mots  sont  ajoutés  par  Tailleur. 

2.  Ces  deux  mois  sont  ajoutés  par  rauleur. 


QUATRIÈME  PARTIE 

LE  CICÉROMEN  DE  LA  BRIGADE 

RONSARD  ET  PIERRE  DE  PASCHAL 

Le  nom  de  l'humaniste  qui  fut  historiographe  de  France  sous 
Henri  II  ligure  en  bonne  place,  pendant  une  dizaine  d'années, 
dans  les  premiers  recueils  de  Ronsard  et  de  sa  «  Brigade  ».  Le 
personnage,  parailleurs  fort  mal  connu,  tire  une  sorte  decélébrité 
des  hommages  que  les  poètes  lui  ont  prodigués.  Il  en  aura  davan- 
tage du  pamphlet  latin  où  le  plus  illustre  de  ses  amis  l'a  peint 
en  un  amusant  portrait.  Ce  témoignage  demande  à  être  contrôlé 
l)ar  la  reconstitution  dune  curieuse  carrière,  où  se  groupent  des 
observations  assez  neuves  sur  la  vie  littéraire  autour  de  Ronsard. 


I 

Sans  doule  se  nommait-il  simplement  Pierre  Paschal  ;  mais  il 
était  déjà  d'usage  d'ajouter  une  préposition  flatteuse  aux  noms 
patronymiques  qu'on  voulait  faire  reluire,  et  le  siècle,  depuis  Rabe- 
lais jusqu'à  Béroalde  de  ^'erville,  a  plus  dune  fois  raillé  ces  vani- 
teuses transformations.  L'écrivain,  que  nous  verrons  liàtir  sa  for- 
tune à  force  d'audace  et  de  Volonté,  ne  dut  point  se  priver  de  ce 
premier  avantage.  II  était  né  gascon  en  1322,  et  c'est  tout  ce 
qu'on  a  de  certain  sur  sa  famille,  qu'il  se  vantait  de  rattacher  à 
celle  du  pape  Urbain  III.  «  Paschalius  Vasco  »,  dira  Ronsard. 
«  Hic  Aquitanus  erat,  Saluaterrensis  »,  écrit  un  autre  contempo- 
rain '.  Sauveterre  est  au  pied  des  Pyrénées,  proche  la  rive  droite 


1 .  Note  marginale  du  recueil  de  Gelida,  professeur  au  collège  de  Guyenne 
{loannis  Gelidae  Valenlini  liiirtligalensis  ludnnagislri  epislolae  alir/tiol  et 
carinina.  La  Hochelle,  l.")71.  Ep.  42  :  Pelro  Pasciiali).  Cotte  lettre,  écrite 
de  Bordeaux  en  IS.'iOou  lool,  ne  coiilient  que  dos  piotestatious  d'amitié. 


272  RONSARD    ET   LHLMA.MSME 

de  la  Garonne,  à  Irois  lieues  de  Saint-Beilraiid-de-Comniinges '. 
Ceik'  région  a  été  rattachée  au  Languedoc,  et  l'on  peut  noter 
qu'un  oncle  paternel  de  Pasclial  est  chanoine  dAgde,  évêché 
de  cette  province  -.  Ronsard  puhli('  son  deuxième  liocaç/e,  celui 
de  1534,  Dédié  à  P.  de  Paschal,  du  bas  pais  de  Lanfjuedoc.  et 
la  même  dédicace  est  placée  par  Olivier  de  Magny  au  titre  du 
fameux  recueil  des  Gayelez  :  A  Pierre  Paschal,  f/cntillionime  du 
bas  pais  de  Lanr/uedoc  ■*.  Gentilhomme  ou  non,  notre  homme 
était  donc  natif  de  la  région  do  Toulouse  et  c'est,  en  elfet,  à 
cette  ville,  où  devait  être  sa  sé|>ulture,  (pie  l'unissent  la  plupart 
des  souvenirs  et  des  liaisons  de  sa  jeunesse  ^.  Au  reste,  le  por- 
trait physi(]ue  que  Ronsard  a  tracé  de  ce  petit  homme  bavard 
et  avantageux  marque  nettement  quelques  traits  de  race,  parmi 
des  particularités  tirées  vers  la  caricature  •'. 

Les  premières  études  de  Paschal  se  firent  en  bon  lieu,  au  col- 
lège de  Garpentras,  dont  le  principal  était  Jacques  Bording, 
médecin  de  Montpellier  et  docteur  de  Bologne,  bon  humaniste  au 
surplus,  qui  a  laissé  un  nom  dans  l'histoire  de  l'enseignement  *•. 

1.  Ce  Sauveterre  en  Haute-Garonne,  qui  fait  de  Paschal  presque  un  Tou- 
lousain, est  très  voisin  de  Mauléon  (Hautes-Pyrénées),  d'où  sort  la  famille 
de  ses  amis.  Beinard  de  La  Monnoye  le  rattachait  »  la  région  de  Bordeaux, 
en  nommant  Sauveterre-en-Bazadois  [Bihliolhèque  de  La  Croix  du  Maine, 
t.  H,  p.  309).  L'édition  de  1772  (t.  II,  p.  303j  corrige  l'indication,  probable- 
ment d'après  Magny  et  Ronsard,  et  mentionne  Paschal  comme  «  un  gentil- 
homme du  bas  pays  de  Languedoc,  homme  très  docte  et  grand  historien 
latin  et  françois  ».  Si  l'on  ajoute  Du  Verdier,  qui  ne  parle  pas  de  la  patrie 
de  Paschal  (t.  V,  p.  309),  et  Moréri,  on  a  nommé  tous  ses  anciens  bio- 
graphes. 

2.  Il  adresse  un   billet  7o.  Paschasiu  Aguleiisi  canonico,  patrono  suo . 

3.  Bocage,  Paris,  1554  (privilège  du  4  janvier,  achevé  d'imprimer  du  27 
novembre).  Gayelez,  Paris,  1554  (le  poème  de  dédicace  esta  Pierre  de  Pas- 
chal). 

4.  Les  seules  recherches  faites  jusqu'à  présent  sur  sa  vie  sont  dues  à 
Paul  Bonnefon  ;  Pierre  de  Paschal,  historiographe  du  Roi,  lo2à-l5(iii, 
Paris  et  Bordeaux,  1883  (tiré  à  90  ex).  Cet  opuscule,  auquel  je  renverrai 
pour  les  indications  très  utiles  qu'il  renferme,  n'est  pas  exempt  d'inexacti- 
tudes et  ne  fait  qu'eflleurer  les  parties  du  sujet  les  plus  intéressantes  pour 
nous.  Ce  fut  le  début  de  l'auteur  dans  l'érudition. 

5.  La  voix  raucjue,  la  parole  bruyante  et  précipitée,  la  démarche  caute- 
leuse ;  la  barije  rôussâtre  et  mal  soignée,  les  yeux  gris-vert  au  regard  rusé  et 
mobile,  le  nez  toujours  en  quête,  etc.   On  trouvera  le  reste  au  latin,  p.  270. 

6.  On  sait  si  peu  de  chose  de  la  carrière  française  de  Jacques  Bording, 
que  je  crois  utile  de  signaler  trois  lettres  d'un  humaniste  (aux  initiales  PII. 
S.)  à  lui  adressées.  Elles  sont  recueillies  par  Henri  Estienne  aux  pages  300- 
301   du  singulier  recueil  dédié   à  Henri  III  et  intitulé  :  Pétri  liunelli  Galli, 


LE   CICÉRO.MEN    DE    LA    BRIGADE  273 

La  conversion  de  Bording  au  calvinisme  l'obligea  à  renoncer  à 
la  direction  de  ce  collège  et,  tandis  qu'il  allait  achever  sa  vie  à 
Anvers,  où  il  exerça  son  art  et  enseigna  avec  succès,  il  fut  rem- 
placé par  Claude  Baduel.  Celui-ci,  un  des  réformateurs  des  études 
au  seizième  siècle,  était  allié  à  la  famille  de  Paschal,  qui  a  parlé 
de  lui  avec  déférence  ',  ainsi  que  du  médecin  Jean  Durant,  de  qui 
il  reçut  les  éléments  de  la  philosophie  '-.  Il  a  nommé  avec  plus  de 
respect  encore  le  prélat  qui  occupait  le  siège  épiscopal  de  Car- 
pentras  et  étendait  sa  protection,  non  seulement  au  coDège  qu'il 
avait  sous  sa  surveillance,  mais  à  ceux  des  élèves  qui  montraient 
des  dispositions  pour  les  lettres.  Les  souvenirs  de  Paschal  sont 
réunis  dans  une  lettre  à  Antoine  Armand,  de  Marseille,  étudiant 
plus  tard  la  médecine  à  Montpellier,  à  qui  il  rappelle  les  tra- 
vaux de  leur  jeune  temps.  C'était  à  l'école  de  Bording,  oùl'évèque 
Sadolet  se  montrait  pour  eux  un  conseiller  admiré  et  bienveil- 
lant :  «  Quanti  enim  te,  etquamvalde  puerum  lacobus  ille  Sado- 
letus  cardinalis  faciebat  1  quibus  laudibus  efferebat  1  qua  beneuo- 
•  lentia  complectebatur  !  Iluius  ego  rei  possum  locupletissimus 
esse  testis,  qui  illi,  pro  eius  in  me  summa  humanitate,  in  variis 
sermonibus  coUocutionibusque  quotidie  aderam.  lacobus  vero 
Bordingus  praeceptor  noster,  omnibus  bonis  artibus  perpolitus, 
ut  te  amplexebatur  !  ut  in  manibus  habebat  !  ut  virtutis  mirifi- 
cam  in  te  indolem  ingeniique  praestantiam  admirabatur  ^.  » 

La  présence  de  Sadolet  à  Garpentras  et  la  doctrine  littéraire 
qu'il  aimait  à  répandre  suffisent   à  expliquer  l'enthousiasme  du 

praeceptoris,  Pauli  Mantitii  Itali,  discipuli,  epislolae  Ciceroniano  stylo  scrip- 
tae.  Aliorum  Gallorum  pariler  et  Italoram  epislolae  eodem  stylo  scriptae. 
Anno  MDLXXXI.  C'est  un  dossier  peu  connu  sur  la  question  du  Cicéro- 
nisme,  que  notre  Henri  Estienne  a  combattu,  comme  on  le  sait,  avec  des 
armes  de  toute  sorte. 

1.  Lettre  de  Paschal  à  Jean  Durant  :  «  Claudium  Baduelluni  affinem 
meum  meo  nomine  saluta  »  (p.  159  du  recueil  de  1548,  qui  sera  analysé  plus 
loin). 

2.  Même  lettre  :  «  Summo  illi  amico  meo  Antonio  Armando...  praeceptor 
fuisti  nosque  philosophiae  rudimentis  imbuisti.  » 

3.  Page  148  du  recueil  de  1548.  D'après  Paschal,  l'estime  qui  entoure  son 
ami  Armand  s'étend  jusqu'à  Paris  même  :  "  Quis  est  enim  quinesciat  quanto 
in  pretio  Lutetiae  Parisiorum  habearis"?  Lutetiae  autem  "?  imo  vero  ubi- 
cunque  virtus  et  doctrina  in  honore  sunt.  ■■  Peut-on  voir  ici  un  indice  du 
prestige  qu'e.Kerce  Paris  sur  les  imaginations  méridionales  ?  Il  est  certain 
qu'Antoine  .Vrmand,  Marseillais,  figure  parmi  les  poètes  latins  qui  ont 
collaboré,  en  1551,  au  Tombeau  de  la  reine  de  Navarre. 

NoLHAC.  —  Ronsard  et  l'Humanisme.  18 


274  RONSARD    Kl     l.'lll  MAMS.MK 

jeune  homme  pour  Cicéron.  Le  futur  cardinal  joig-nait  à  ses  ver- 
tus (le  cceur  et  d'esprit  une  éloquence  persuasive  ;  il  prêchait 
autour  de  lui  l'imitation  de  l'écrivain  romain,  en  qui  il  voyait  le 
modèle  unique  de  la  belle  prose  latine  et  dont  il  reproduisait 
habilement  le  style  dans  ses  propres  œuvres.  Il  rendait  ainsi, 
avec  art  et  mesure,  un  lustre  nionienlané  à  l'autorité  liltéiaire 
des  Cicéroniens,  combattue  par  l'école  d'Erasme  à  cause  de  son 
intolérance  et  de  ses  excès.  Pierre  de  Paschal  vit  avant  tout  dans 
la  profession  de  «  cicéronien  »  un  «  moyen  de  parvenir  »  ;  on 
saura,  dans  la  suite,  qu'il  n'eut  pas  à  se  plaindre  de  l'avoir 
embrassée  et  qu'il  put  dédaigner  un  jour,  en  homme  bien  nanti, 
les  railleries  qu'il  reçut  de  Ronsard  lui-même. 

Lorsqu'il  vient  faire  k  Toulouse  ses  études  de  droit  civil,  mène- 
t-il  celte  dure  existence  des  étudiants  toulousains  que  Henri  de 
Mesnies  décrit,  précisément  pour  celte  ép<i([ue,  «  en  plus  estroicte 
vie  et  pénibles  travaux  que  ceux  de  maintenant  ne  voudroieiit 
supporter  »  '?  est-il  assidu  aux  levons  de  Corras  et  de  Du  Fer- 
rier  ?  cherche-t-il  le  délassement  du  labeur  juridique  dans  la  fré-  • 
quentation  des  professeurs  humanistes,  ïurnèbe  et  Lambin  par 
exemple,  qu'il  doit  retrouver  un  jour  à  Paris  ?  Nous  savons  qu  il 
fait  surtout  des  vers  et  avec  succès.  11  les  écrit  en  français  et 
obtient  même  une  des  récompenses  annuelles  décernées  par  le 
célèbre  Collège  de  Rhétorique,  qui  deviendra  l'Académie  des 
Jeux  Floraux  '-.  Ronsard  veut  que  ce  soit  pour  un  «  chant 
royal  »,  c'est-à-dire  un  des  poèmes  à  forme  fixe  les  plus  compli- 
qués de  notre  ancienne  versification,  un  de  ceux  qu'il  a  lui-même 
hautement  dédaignés  3.  Toulouse  procure  au  jeune  homme  une 
amitié  précieuse,  celle  de  Michel-Pierre  de  Mauléon,  protono- 
taire de  Durban,   de  la  puissante   famille  du  comté  de  Foix.  Ce 

1.  Mém.  inéd.  de  Henri  de  Mesmes,cd.  Ed.  Fréniy,  p.  130-144.  L'étiulianl 
parisien  arriva  à  Toulouse,  avec  son  précepteur  Jean  Maledent,  au  début 
de  1546.  Beaucoup  plus  jeune  que  Paschal,  il  ne  parait  pas  l'avoir  connu. 

2.  Ecrivant  d'Italie  à  François  Revergat,  qui  fut  après  lui  lauréat  des 
Jeux  Floraux,  Paschal  mentionne  ces  compositions.  Il  s'y  plaint  de  n'avoir 
pas  reçu  de  réponse  à  deux  de  ses  lettres  :  «  Nisi  forte  quia  Gallice  essenl 
scriptae,  contempsisti,  quod  certe  ipsum  facere  non  dcbchas.  Siquidem  lu 
in  laudc  mihi  aliquando  posuisti,  quod  lantum  opeiis  suhcisiuis  perfecerim, 
ul  Gallica  scripta  nostra  nomini  Gallico  laudcm  aliqunrm  alTorent.  Quod  Cifo 
profocto  ncc  aynosco,  nec  postulo,  sed  i|)si  tibi  (lolius  et  iure  opiimo  tri- 
buo.  »  Cf.  plus  loin,  p.  282. 

3.  V.  p.  263. 


LE   CICÉROMEN    DE    LA    UniGADC  2  t  i) 

«  protonotaire  Durban  »  sera  lié,  lui  aussi,  avec  la  Brigade  et 
mainte  fois  célébré  par  elle;  il  devient  le  meilleur  ami  de  Pas- 
chal  et  leurs  deux  noms,  comme  leurs  personnes,  sont  désormais 
inséparables  '.  Disons  ici  que  ce  titre  ecclésiastique  de  «  proto- 
notaire »,  porté  assez  souvent  dans  l'entourage  de  nos  poètes, 
n'exigeait  point  à  ce  moment  du  siècle  la  gravité  qu'il  a  conférée 
depuis  :  «  Les  jeunes  prothenotayres,  bien  quilz  fussent  pour- 
veus  de  quelques  dignitez,  estoient  un  peu  trop  muguetz  jusques 
à  estre  receus  aux  dances  et  près  des  dames  dans  une  salle  de 
bal...  et  sestudioient  à  dancer  aussy  bien  et  baler  qu'un  gentil- 
bomme.  »  Brantôme  ajoute  à  ce  propos  que  le  protonotaire  Carie, 
de  Bordeaux,  depuis  évêque  de  Riez  et  grand  personnage,  avait 
été  réputé  en  son  jeune  temps  comme  «  le  meilleur  danceur  de 
gaillarde  qui  fust  en  la  court  -  ».  Tel  est  sans  doute  le  {jrolono- 
taire  de  Durban,  en  attendant  qu'il  ait  sa  charge  de  conseiller- 
clerc  au  Parlement  de  Toulouse,  puis  au  Parlement  de  Paris. 

Toulouse  a  toujoursjustifîé  sesprétentionslittéraireset  savantes, 
et  c'est  déjà  un  lieu  commun  de  la  designer  comme  une  «  nou- 
velle Athènes  ■^  ».  Paschal  ne  manque  point  de  s'assurer  des  pro- 
tections et  des  amitiés  profitables  dans   la  société  lettrée,  repré- 


1.  Ronsard,  qui  racontée  sa  manière  la  liaison  de  Paschal  el  de  Durban 
exceptera  celui-ci  de  l'anathème prononcé  contre  son  ami. 

2.  Brantôme,  éd.  Lalanne,  t.  III,  p.  134.  Il  y  a  un  rôle  assez  jo3eux  de 
prolonotaire  dans  la  comédie  de  Grévin,  La  Trésorière  (L.  Pinvert,  Jacques 
Grévin,  /3.3S-/570,  Paris,  1899,  p.  1G7). 

3.  Un  éloge  humaniste  de  Toulouse,  à  la  date  où  nous  sommes,  se  lit 
dans  un  petit  recueil  de  jeunesse  de  Léger  du  Chesne,  qui  fut  plus  tard  en 
relations  avec  la  Pléiade  :  Leodegarii  a  Quercu  Praelectionum  el  Poematum 
liber,  Paris,  1349  (dédié  à  Guillaume  du  Prat,  évêque  de  Clermont).  Le 
premier  discours  [Praefalioqua...  usus  esl,  qiiuin  aggrederetur  inlerprela- 
lionein...  inpubliro  [iiris  Ciuilis  audilorio  Tolosano,  xii  Calend.  April.  1  SiS) 
traite  précisément  du  parallèle  d'Athènes  et  de  Toulouse,  l'avantage  étant 
accordé  à  celte  dernière  :  «  Ubi  grammaticorum  literae,  oratorum  colores, 
dialeclicoruni  syllogismi,  musicorum  toni,  arithmeticorum  numeri,  geome- 
trarum  dimensiones,  astrologorum  motus,  medicorum  alexipharmaca.  clii- 
rurgorum  cataplasmata,  Romanorum  deceniuirales  leges;  ubi  deniqueisi, 
triuiales  artes  respexeris)  quicquid  ad  pingendum,  sculpendum,  fingenduni, 
texeudum,  lingendum,  ai-audum,  aedificandum  ac,  ne  singula  persequar, 
quicquid  ad  humanae  vitae  vel  necessitatem,  vel  voluptatem,  vel  honesta- 
tem  pertineat,  natum,  educatuni  et  traditum  fuit.  Ut  aulem  non  mediocrem 
inde  laudcm  Allienae  sunt  consequutae,  quod  liaec  omnia  primum  inuene- 
rit,  ita  maiorem  Tolosa  laudem  meretur,  quod  ab  aliis  inucnla  meliora  red- 
diderit...  » 


276  RONSAni)  ET  l'husiamsme 

sentée  au  Parlement  comme  à  l'Université.  Sa  correspondance 
renseigne  sur  les  relations  utiles-  que  l'étudiant  avisé  sait  s  y  pro- 
curer. La  plus  brillante  est  celle  du  Premier  Président  Jean  de 
Mansencai  ',  magistrat  fort  cultivé,  à  qui  Antonio  de  Gouvea 
dédie  alors  son  commentaire  des  Topica  de  Cicéron  -.  Paschal  l'a 
comparé  à  Apollon,  puis  à  Hercule,  et  le  parlement  qu'il  dirige, 
aune  <<  assemblée  de  dieux  ».  C'est  son  remerciement  pour  les 
moments  d'opulent  loisir  passés  dans  la  maison  de  campagne  du 
président,  "  véritable  académie  »  où  tous  les  plaisirs  de  l'esprit 
et  de  la  table  sont  offerts  aux  invités  •'.  On  y  rencontre  des  magis- 
trats ou  des  avocats  poètes,  comme  ce  François  Revergat  qui 
obtiendra  des  dédicaces  de  Ronsard  et  qu'Olivier  de  Magny  célé- 
brera dans  une  ode  solennelle  "•.  Cette  élégante  société  toulou- 
saine paraît  avoir  apprécié  Paschal.  Comme  il  faut  à  ses  petits 
poèmes  une  Dame  pour  les  inspirer,  il  a  celle  (jue  son  ami  Magny 
appelle  gaiement  <i  ta  belle  Rivière  ».  Sous  ce  voile  transparent 
on  devine  la  femme  ou  la  fille  de  Jacques  Rivier,  conseiller  du 

1.  Jean  tle  Manseiical  fut  premier  président  de  lo38  à  lo62,  année  de  sa 
mort.  Il  publia  eu  1d.ï8  un  traité  De  la  vérité  et  autorité  de  lajmtlicedu  Roi 
Très-Clirétien,  etc.  V.  Dom  Vaissète,  Hist .  générale  du  Languedoc,  t.  V, 
Paris,  1745,  p.  144  et  passim.  Cf.  Tamizey  de  Larroque,  Lettres  inéd.  du 
card.  d'Armagnac,  p.  108.  Le  recueil  de  Léger  du  Chesne,  cité  ci-dessus, 
contient  un  dialogue  De  negligendis  interpretibus  luris  dédié  Amplissimo 
viro  D.  lo.  Mansecallo,  Praesidi primo  apud  Tolosates  (fol.  311. 

2.  Antnnii  Goueani  Commentarius  in  M.  T.  Ciceronis  Topica.  Ad  loannem 
Mansencallurn  primum    Tolosae  Praenidem...  Paris,  S.  de  Colines,  1545. 

3.  P.  95-97  du  recueil  de  1548  :  o  Habcs  non  procul  ab  urbc,  non  villam, 
sed  Academiam,  ubi  a  Resp.  curis  requiescens,  otium  libi  ita  sumis,  ut  nun- 
quamoam  soliludinem,  quam  vacalio  a  forensibus  et  senatoriis  literis  afTert, 
languore  patiare...  Itaque  domus  tua  urbana  totius  est  oraculum  ciuilatis, 
rustica  vero  politioris  humanitatis  ac  omnis  verae  philosophiae  recepta- 
culum.  >) 

4.  Dernières  poésiesd'O.  de  Magny,  éd.  E.  Courbet,  Paris,  1881,  p.  51,53  : 

C'est  llevergat,  qui  maintes  fois 

Des  sons  alléchants  de  sa  vois 

A  ravy  l'esprit  et  l'oreille 

Du  sénat  Tholosan... 

A  ces  mots  ton  Durban  ie  vol, 

Pascal.  Forcatel  et  du  Poi  [B.  du  Pocy  ?]... 

L'ode  de  Magny,  qui  parait  assez  ancienne,  ne  nomme  que  des  habitants 
de  Toulouse  ;  elle  s'achève  par  un  rappel  de  l'estime  de  Muret  pour  le  talent 
poétique  de  Revergat.  Les  pièces  dédiées  à  celui-ci  par  Ronsard  sont  l'ode 
du  Bocage  de  1554,  connue  sous  Ic  nom  de  VAmour  mouillé,  et  les  traduc- 
tions d'épigrammes  sur  la  génisse  de  Myron,  à  la  suite  de  la  Continuation 
des  Amours  (1555),  dédiées  plus  tard  à  Muret. 


LE    CICÉROMEX    DE    LA    BRIGADE  277 

Roi,  personnage  dont  le  jeune  homme  reconnaît  les  bienfaits  dans 
l'ingénieux  latin  dune  épître  '. 

L'occasion  soUVit  bientôt  à  lui  de  briller  sur  un  plus  grand 
théâtre.  Un  ancien  précepteur  de  Pierre  de  Mauléon,  devenu 
auditeur  de  Rote  ~,  lui  conseilla  de  venir  prendre  à  Rome  le 
bonnet  de  docteur,  l'assurant  que  son  grade  aurait  plus  déclatsil 
s'accompagnait  d'un  diplôme  pontifical.  Il  se  rendit  en  Italie,  où  il 
l'obtint  à  l'Université  de  la  Sapienza.  D'autres  pensées  l'avaient 
attiré  dans  la  péninsule.  Un  tel  voyage  était  déjà,  pour  qui  pou- 
vait l'entreprendre,  le  complément  de  l'éducation  d'un  lettré.  Un 
séjour  à  Rome  faisait  le  grand  désir  de  tous  ceux  qui  ne  connais- 
saient l'Antiquité  que  par  les  livres.  C'est  pour  mieux  la  pénétrer, 
disait  Paschal  devant  un  auditoire  romain,  qu'il  s'était  décidé  à 
quitter  sa  patrie  :  «  Ut  hancvestramUrbem  acmaiorumvestrorum 
sedes  ac  monumenta,  quae  animo  multo  ante  videram,  oculis 
cernerem  ^.  »  Tel  était  le  sentiment  général  des  contemporains, 
et  l'on  sait  que  Ronsard  lui-même,  qui  a  fait  dans  sa  vie  plusieurs 
voyages,   regretta  toujours  de  n'y  pas  ajouter  celui   de  Rome  *. 


II 


La  renommée  littéraire  de  Paschal,  créée  de  toutes  pièces  par 
les  poètes  de  son  temps,  repose  sur  un  seul  opuscule  latin  de 
164  pages,  qu'il  publia  avant  son  retour  en  France  et  qui 
mérite  un  attentif  examen.  Ce  rare  livret,  qu'on  dépouille   pres- 

1.  Recueil  de  1548,  p.  121.  Cf.  Maguy,  Gayelez,  éd.  E.  Courbet,  Paris, 
1871,  p.  1  (dédicace),  et  le  sonnet  des  Souspirs  où  la  dame  est  en  belle 
compagnie  : 

Laisse  pour  quelque  temps  ta  Cassandre  en  arrière 
Et  ta  Marie  aussi,  mon  Apollo  Ronsard, 
Laisse,  gentil  Bellay,  ton  Olive  à  l'escart, 
Laisse,  divin  Pascal,  ta  gentille  Rivière. . . 

2.  Ce  Suaiiius  Renmanait  est  nommé  dans  une  préface  de  Pierre  de  Mau- 
léon (v.  p.  291). 

3.  V.  p.  63  du  recueil  analysé  ci-dessous  :  Pétri P.ischulii  oratio  de  Leç/i- 
bus,  Roniae  apud  sanclum  Eijslachium  habita,  curn  iuris  insignia  capere/ . 
S.  Eustachio  était  la  paroisse  de  l'Université  de  la  Sapienza. 

4.  Cf.  l'ode  Au  paig  de  Vendomois,  voulant  aller  en  Italie  {Odes,  t.  II, 
p.  91).  Laumonier  a  démontré,  p.  79  de  son  éd.  de  Binet,  que  le  poète  n'a 
jamais  franchi  les  Alpes  et  que  l'affirmation  du  biog'raphe  sur  un  voyage  en 
Piémont  n'est  pas  fondée. 


278  .  noNSAHD  KT  r/iiLMAMs.Ari: 

que  avec  l'intérêt  d'un  manuscrit,  renferme  un  ensemble  de  dis- 
cours et  do  lettres  écrites  en  Italie  au  crjurs  de  l'année  1518.  Bien 
qu'il  porte  le  nom  d'un  grand  imprimeur  de  Lyon,  c'est  en  réa- 
lité une  impression  vénitienne,  sortant  des  presses  de  Giovanni 
Griffio,  frère  de  Sébastien  Gryphe,  qui  a  reçu  seulement  les 
exemplaires  en  dépôt  '.  Le  titre,  avec  lej^rifl'on  du  vénitien  riche- 
ment   encadré,    se    présente    ainsi  :    Pktri   Paschalu  adversus 

lOANNIS    MaULII     PAURICIDAS     ACTIO     IN     SeNATU      VeNETO    RECITATA. 

Eiuadem  Gallia,  pcr  proxnpnpoaiam  inducla  in  Vencfam  Pemp. 
OnATio  de  Let/ihus,  Romae  habita,  ciirn  luris  insifjnia  caperef. 
Epistolae  in  Italicaperegrinationeexaratae.  ApudSeh.  Grijphium, 
Liu/diini,  /5/<?'^ 

La  dédicace  est  au  cardinal  Georges  d'Armagnac,  évéque  de 
Rodez,  alors  en  résidence  à  Rome,  que  nous  trouverons  célébré  par 
Ronsard  au  Bocage  de  1354.  Le  protonotaire  de  Durban  a  assuré 
à  rauteurl'accueilbienveillant  de  cet  illustre  Mécène  :  ■  Quandiu 
enim  Romae  tecum  et  apud  te  fui,  et  me  vidisti  libenter  et  audisti 
libentissime  ;  praeterea  quo  vultu  illa  carmina,  quae  til^i  nostra 
Calliope  tuni  in  Gallia,  tum  eliam  in  Italia  cecinit,  excepisti  »  ^. 
Mais  le  motif  de  l'hommage  d'une  œuvre,  dont  le  morceau  essen- 
tiel est  un  discours  judiciaire  prononcé  à  Venise,  c'est  l'intérêt 
que  le  cardinal  a  pris  à  la  cause  qui  s'y  trouve  défendue  et  les 
démarches  qu'il  a  faites  lui-même  pour  la  soutenir. 

1.  Cette  conclusion  ressort  fie  l'examen  du  volume  au  point  de  vue  typo- 
graphique. Quelques  exemplaires  portent  au  litre  :  Veneliis,  Aldi  /Hii. 
L'ancre  aldine  occupe  un  feuillet  final  qui  suit  le  feuillet  (Verr.ita  non 
paginé.  Ces  exemplaires  sont  décrits  par  Renouard  [Annales  de  l'imprime- 
rie des  Aide,  t.  I,  Paris,  1803,  p.  2ut),  qui  a  ignoré  la  Active  édition  lyon- 
naise. 

2.  Le  volume  ne  porte  point  de  privilège  (Bibl.  nat.,  X,  3235). 

3.  Georges  d'Armagnac,  né  en  1500,  évéque  de  Rodez  en  1529,  fut  envoyé 
par  François  I"  comme  ambassadeur  à  Venise  en  1536,  y  resta  jusqu'à  la 
fin  de  1339  et  remplit  à  Rome  les  mêmes  fonctions  de  1540  à  1545;  il  y  fut 
nommé  cardinal  par  Paul  III,  le  19  décembre  1344.  Il  parut  en  1547  à  la 
cour  de  Henri  II,  ([ui  lui  confia  à  trois  reprises  des  missions  particulières 
auprès  du  Pape  ;  il  séjourna  à  Rome  de  1347  à  1550,  année  où  il  prit  part  à 
l'élection  de  Jules  III,  de  1354  à  1557,  en  1539  et  en  156S.  On  le  trouve  à 
Toulouse  en  1532,  comme  un  des  deux  lieutenants  généraux  du  Roi  au  pays 
de  Lanyuedoc.  Il  fut  archevêque  de  Toulouse,  puis  d'Avignon,  oi'i  il  mou- 
rut le  21  juillet  1585.  V.  l'introd.  de  Taniizey  de  Larroque  aux  Lettres  ini^d. 
dn  card.  d'Armagnac,  Paris  et  Rordoaux,  1874,  et  P.  Maruéjouls,  dans  les 
Positions  dfs  thi^sesde  l'Ecole  des  Charles,  1896,  p.  22-28.  Ces  "  positions  » 
aiinoQçaient  un  livre  qui  n'est  pas  venu. 


LE    CICÉRONIEN    UK    LA    lîRIGADE  27Î) 

Cette  cause  était  juste  et  française.  lîil(>  méiitait  lappui  dun 
prince  de  l'Eglise  et  d'un   fidèle  sujet  du  Roi  ;  elle  se   rattachait 
à  la  défense  d'une  jeunesse,  attirée  parses  études  aux  universités 
d'Italie  et  qui  ne  recevait  pas   toujours,  au  pied  de  ces  chaires, 
une  hospitalité  exempte  de  jalousie.  On   peut   conclure  cet  état 
d'esprit  de  certains  faits  de  la  chronique   des  villes  universitaires 
et  par  exemple    de  la  tragique  aventure   d'un  écolier  du  Studio 
de  Padoue,  Jean  de   Mauléon,    survenue   vers  la  fin  du  mois  de 
juillet  lSi7.  Ce  garçon,  arrivé  depuis  peu,  se  trouva  mêlé,  on  ne 
sait  comment,  aux  «  brigues  de  l'Université  qui  se  font  en  cette 
saison  »,  et  quelques  jeunes  gens  de  Vicence  et  de  Brescia  vin- 
rent l'assaillir  en  armes,  en  son  logis  :  «  Ainsi  que  le  Potestat 
mesme  par  bonne  information  l'a  mandé  à  ses  Seigneurs,  toutes- 
fois  quelques  douces  prières  ni    remonstrances    qu'il    leur  pust 
faire,  forcèrent  furieusement  son  logis,  et  dedans  sa    chambre  où 
il  s'estoit  retiré  le  tuèrent  plus   inhumainement  que  je  ne  vous 
sçaurois  escrire,  et  avec  luy  deux  siens  serviteurs.  Le  meurtre 
fait,  ils  saccagèrent  tout  ce  qu'il  avoit,  que  l'on  estime  à  plus  de 
cinq  ou  six  cens  escus  d'argent,  car  n'y  a  gueres  qu'il  avoit  receu 
sept  ou  huit  cens  escus,  et  se  gouvernoit  sagement,  et  oustre  lui 
estèrent  du  col  une   chesne  et  quelques  anneaux  qu'il  avoit  aux 
doigts.    »  Ce  récit  est  fait   par  l'ambassadeur  du  Roi    à  ^'enise, 
Jean  de  Morvilliers,  au  connétable  de  Montmorency  "•.  Il  ajoutait 
que  la  Seigneurie,  quoique  promettant  prompte  justice,  ménage- 
rait  sans   doute  des  coupables,    fils  des   meilleures   familles  du 
domaine  de  la  Sérénissime   en  terra  ferma  ;  il  pensait  que  les 
Vénitiens  éviteraient   d'accorder   des    sanctions,  qui    cependant 
touchaient  «  leur  devoir  et  honneur  ».  Aucun  des  meurtriers  du 
jeune  Mauléon  ne  subit,  en  effet,  la  peine  capitale.  Ce  n'est  pas 
que    l'ambassadeur   ait   cessé    de    la    réclamer,    ni   surtout  que 
la  famille  de  Mauléon    se  soit  désintéressée    de    sa   vengeance  ; 
bien  au  contraire,  elle  n'épargna  rien    pour  obtenir  satisfaction 
et,  comme  le  jeune  Paschal,  ami  de  la  victime  et   de  son  frère, 
se  trouvait  en  Italie  pour  prendre  son   bonnet  de  docteur,   c'est 
à  lui  quelle  confia  la  charge  de  plaider  sa  cause  devant  le  Sénat. 
Le  cardinal    d'Armagnac  le  recommanda   à   Morvilliers,   qui   lit 
accueillir  sa  requête  et  sa  plaidoirie. 

1.  Bonnefon,  /.  c,  p.  19-20. 


280  noNSAni)  kt  l"iiimams>ie 

C'est  devant  le  Conseil  des  Dix,  à  qui  le  Sénat  déléguait  l'ad- 
ministration  de  la  Justice,  que  fut  lue  (recita/a)  Vactio  contre  les 
assiissins  de  Jean  de  Mauléon.  Le  texte  imprimé  par  l'auteur 
montre  qu'il  avait  fait  appel  à  toutes  les  ressources  de  la  rhéto- 
ric[ue  cicéronienne  pour  convaincre  un  auditoire  de  juges  lettrés. 
11  serait  possible,  si  cette  reciierche  en  valait  la  peine,  de  relever 
les  passages  imités  du  Pro  T.  Milone.  du  Pro  Afincna,  du  Pro 
Sex.  Hoxcio  Amerino  ou  du  Pro  Q.  f.ir/ario.  La  partie  la  plus 
curieuse,  et  (|ui  dut  étonner  les  auditeurs  Vépitiens,  se  rapporte 
aux  origines  de  la  famille  de  Mauléon,  laquelle  se  vantait  de 
remonter,  suivant  une  forme  de  prétention  fréquente  à  cette 
époque,  auxManliusde  lancienne  Rome.  Après  avoir  dit  lillus- 
tralion  historique  de  la  yens,  l'orateur  conte  sa  légende  avec  gra- 
vité :  «  Ad  illum  L.Manlium  Praetorem  venio,qui,  victoa  Caesare 
Pompeio,  perturbatissima  Repub.  in  Aquitaniam  (quae  et  regio- 
num  latitudine  et  multitudine  hominvmi,  ex  tertia  parte  Galliae 
est  existimanda)  perfugit,    maluitque   in  nulla  quam    in  confusa 

et  desperata  Republica  viuere Ea  enim  Aquitaniae  pars,  ubi  is 

constitit,  et  agrorum  ubertate  et  pastionis  niagnitudine  facile 
omnibus  aliis  Aquitaniae  terris  antecellit  '.  »  Suivent  une  des- 
cription élégante  de  la  région  des  Pj-rénées  où  se  trouve  la  vallée 
de  Mauléon,  ainsi  que  des  détails,  fabuleux  ou  réels,  sur  la  famille 
de  l'étudiant  de  Padoue.  Le  récit  du  crime  forme  un  épisode 
d'un  éclat  assez  emprunté,  où  le  meurtrier  de  Jean  de  Mauléon 
est  peint  des  mêmes  couleurs  que  le  Clodius  flétri  par  Cicéron  : 
t<  Ad  iij  Calend.  Sextil.  tertia  fere  noctis  vigilia  (rem  tetram  et 
horribilem  attendite  P.C.)  Stephanus  Rogerius,  homo  temerarius 
et  ad  omnia  nefaria  scelera  audacissimus,  manu  amentium  et 
perditorum  facta,  adeamdomum.  in  qua  hic  integerrimus  ado- 
lescens  diuersabatur,  proficiscitur.  Caedunt  ianuam,  isstant 
ferro,  intro  irrumpunt...  »  La  péroraison  fait  valoir  que  non 
seulement  la  famille  désolée,  mais  l'Aquitaine  et  la  France 
entière  attendent  le  châtiment  des  coupables.  Un  opuscule  joint 
au  discours  I  ;<  Gallia  ad  ^'enetam  Remp.  per  prosopopoeiam  induc- 
ta  »)  est  un  morceau  pompeux,  évidemment  préparé  en  vue  du 

1.  Recueil  de  1548,  p.  M.  L'élymologie  du  nom  de  Mauléon  est  expliquée 
ainsi  :  Longissiiniis  lenijtoris  lapsus,  ut  solet  omnia,  pauluin  illucl  nomen 
deflexil;  itaque  et  locum  Maulium  pro  Manlio  et  gentem  Maiiliam,  unica 
iininutata  litera.  hodie  vocant. 


LE    CICÉROMEN    UE    LA    llRIfiADE  281 

plaidoyer  et  que  l'auteur  n'a  pas  voulu  perdre;  il  y  rappelle  sans 
la  moindre  précision  les  relations  séculaires  du  royaume  de 
France  et  de  la  république  de  Venise. 

La  partie  intéressante  du  petit  volume  est  le  recueil  des  lettres 
écrites  d'Italie.  Malgré  l'artifice  de  style  d'un  bout  à  l'autre 
maintenu,  il  apporte  des  renseignements  précis  sur  le  milieu  où 
l'auteur  a  vécu  à  Rome  et  sur  les  préoccupations  habituelles  à  un 
humaniste  en  voyage.  La  liste  des  correspondants  est  longue  et 
quelques-uns  comptent  dans  l'histoire  des  lettres.  Jean  de  Boisson, 
l'ami  de  Dolet,  le  «  très  docte  et  vertueux  Boissoné  »  de  Rabe- 
lais, qui  a  contribué  à  la  restauration  des  lettres  à  Toulouse, 
appartient  en  ce  moment  au  Parlement  de  Savoie,  à  Charabéry  *. 
Guillaume  Philandrier,  lecteur  de  Georges  d'Armagnac  et  protégé 
de  Marguerite  de  Navarre,  est  le  commentateur  de  Quintilien, 
qui  vient  de  publier  à  Rome  ses  Annotationes  sur  Vitruve  -;  il 
joint  à  sa  culture  érudite  la  compétence  d'un  architecte  instruit 
par  Bramante  et  Serlio  ;  on  sait  qu'il  a  travaillé  à  la  cathédrale 
de  Rodez,  dont  il  fut  archidiacre,  et  peu  de  Français  de  cette 
époque  offrent  une  figure  aussi  variée,  aussi,  attachante,  aussi 
digne  d'une  étude  attentive  ■^.  Guillaume  Le  Blanc,  traducteur  de 
Xiphilin,  plus  tard  évêque  de  Toulon,  est  aussi  du  cercle  littéraire 
du  cardinal  d'Armagnac^  Antoine  du  Moulin,  de  Mâcon,  qui  a 
donné  la  première  traduction  française  du  Manuel  d'Epictète  et 
des  éditions  de  Le  Maire  de  Belges,  de  Despériers  et  de  Marot, 
a  fait  partie  de  la  maison  de  la  Reine  de  Navarre.  C'est  avec  une 
complaisance  particulière  que  Paschal  étale  l'intimité  qui  sem- 
ble l'unir  à  ces  aînés  de  renom. 

11  aurait  pu  écrire  de  même  à  Rabelais,  qu'il  a  connu  à  Rome 
et  dont  il  fait  deux  mentions.  La  première  est  dans  une  lettre  à 

1.  On  pourrait  rechercher  des  traces  de  Paschal  dans  les  mss.  de  lettres 
et  de  vers  de  Jean  de  Boysson  conservés  à  la  Bibliothèque  de  Toulouse  et 
utilisés  partiellement  par  G.  Guibal  (De  loannis  Boyssonei  vita,  Toulouse 
1803,  p.  3).  Dans  sa  courte  lettre  à  Boysson,  Paschal  mentionne  le  vicomte 
de  Monclar. 

2.  Gulielmi  Philandri  Casiilionii  Galli  ciuis  Ro.  in primum  lib.  M.  Vitru- 
uii  Pollionis  de  archilectura  annolaliones,  Rome,  1344. 

3.  V.  sur  Philandrier  ou  Filandier,  en  latin  Philander  (150o-lS65),  l'éloge 
de  Sainte-Marthe,  la  belle  pac^e  de  J.-A.  de  Thon  (Teissie.r,  Eloges,  t.  II, 
p.  226)  et  la  notice  latine  de  Philibert  delà  Mare  (Dijon,  1667).  Louis  Dela- 
ruelle  a  publié  une  note  de  Budé  sur  une  visite  de  Pliilandrier  [G.  Budé,  les 
origines...,  p.  273). 


282  RONSAnn  ct  i.'itcmanisme 

Philandrier,  que  maître  François  a  appelé  un  jour  «  noslre  grand 
amy  et  seigneur  M.  Pliilander'  »  ;  Paschal  lui  écrit  de  Venise  au 
iiioiiH'iit  de  rentrer  en  France  :  «  Tu  omnibus  amicis,  nomina- 
tim  autem  F.  Uabelaeso  et  Ant.  Angeles,  d.  -  »  Très  peu  après, 
le  2o  septembre  1548,  il  nommeencore  le  médecin  du. cardinal  du 
Bellay  :  «  Kgo,  si  quid  in  'Gallia  geretur  quod  putem  te  scire 
curare,  faciam  ut  scias.  Fran.  Habelaeso  et  Hieronymo  illi  V'ico- 
nouano  a  me  salutem  dices  •*.  »  Le  destinataire  de  la  lettre  est 
François  de  Bouliers,  frère  de  Tévêque  de  Riez  et  amateur  de 
philosophie,  que  Paschal  -endoctrine  longuement  au  sujet  de 
l'existencede  Dieu.  11  appartient  à  la  maison  de  Jean  du  Bellay  \ 
Comme  Philandrier,  il  a  transmis  aisément  les  salutations  du 
jeune  humaniste  k  Ral)elais.  (jui  habite  avec  lui  le  palais  des 
Saints-Apôtres  =•. 

Le  Parlement  de  Toulouse  est  représenté  parmi  les  correspon- 
dants de  Paschal  par  plusieurs  de  ses  magistrats,  et  par  son  Pre- 
mier Président,  Jean  de  Mansen'cal,  à  qui  il  adresse  une  longue 
épître.  L'écrivain  n'omet  point  de  s'intéresser  aux  Jeux  Floraux 
et  aux  usages  de  la  compagnie  littéraire  à  laquelle  il  appartient. 
Il  écrit  à  François  Revergat  :  "  Quid  his  ludis  Floralibus  Tolosae 
actum  fuerit,  quisue  palmam  tulerit,  valde  scire  auco.  Tametsi 
non  dubito,  quin,cum  duarum  palmarum  iure  optimo  vir  fueris, 
triuni  quoque  hoc  tempore  sis.  Ouod  si  ita  est,  tibi  gratulor  et  te 
in  Collegium  nostrum  cooptatum  esse  immortaliter  gaudeo  ''.  » 
Il  veut  que  sa  province  lettrée  le  considère  dans  Rome  comme  son 
délégué,  chargé  d'en  maintenir  la  réputation.  Il  met  en  lumière 
sans  cesse  les  succès  qu'il  remporte  comme  candidat  au  doctorat 


1.  Cf.  Ralhery,  A'o<(ee  biographique  sur  R.ihel.iis.  p.  Ho,  cl  .\.  Heulhardé, 
Rabelais,  ses  coijages  en  Italie,  Paris,  1R91,  p.  277  et  280. 

2.  Recueil  de  1348,  p.  ISo  [Veneliis,  VT,  id.  Sept.].  Le  personnage  nomm, 
avec  Rabelais  est  Antoine  Lange,  d'.\.miens. 

3.  Recueil  de  Ia48,  p.  121.  L'évêque  de  Riez  est  Jean-Louis  de  B<)ulier,s, 
qui  occupe  ce  siège  épiscopal  de  1546  à  15o0,  et  a  pour  successeur  Lan- 
celol  de  Carie  (Ganis,  Séries  episeopornni  . 

4.  .\u  nombre  des  conclavistes  du  cardinal  du  Bellay  pendant  le  con- 
clave de  1349-looO,  on  trouve  Franciscus  de  Bolleris.  clericus  Taurinensis 
diocesis. 

b.  Rabelais  est  arrivé  h  Rome  le  27  septembre  1547  et  en  est  reparti  le  22 
septembre  1549  (L.  Romier,  Notes  crit.  sur  le  dernier  voyage  de  Rabelais  en 
Italie,  extrait  de  la  Revue  des  éludes  rabelaisiennes,  t.  X,  1912). 

6.  Recueil  de  1548,  p.  110.  ,       ' 


LE   CICÉROiNIEN    DE    LA    liRIGADE  283 

ès  lois  dans  l'UiiiversitiJ  romaine  et  comme  avocat  devantle  Con- 
seil des  Dix.  11  attend  que  ses  compatriotes  soient  tiers  de  lui  et, 
pour  justifiiM'  la  [uiblication  ({ui  va  solliciter  leur  suffrage,  il  se  fait 
délivrer,  pendant  son  séjour  à  Venise,  une  sorte  de  certiticat  par 
'e  dépositaire  attitré  de  la  tradition  cicéronienne,  le  célèbre  impri- 
meur Paul  Manuce  ' . 

Fils  et  continuateur  d'un  père  ([ui  dans  son  art  fut  plus  grand 
que  lui  et  dont  le  nom  évoque  les  plus  magnili([ues  initiatives  de 
la  typographie  italienne,  Paul  Manuce  a  visé  au  renom  d'écrivain 
et  surtout  à  celui  d'épistolier.  D'une  vaste  correspondance  inter- 
nationale entretenue  sudes  matières  littéraires  et  parfois  poli- 
tiques, il  est  peu  de  morceaux  qu'il  ait  négligé  de  garder  pour 
grossir  ses  recueils.  On  n'y  trouve  point  cependant  le  billet  de 
pure  politesse  que  notre  Paschal  a  obtenu  de  lui  et  joint  vaniteu- 
sement à  son  opuscule.  Interrogé  par  celui-ci  sur  le  mérite  de 
son  plaidoyer  vénitien,  l'imprimeur  n'a  pas  manqué  d'j'  louer 
«  une  grande  maturité  pour  son  âge  »  et  d'encourager  une  publi- 
cation. C'est  là  sans  doute  conseil  de  typographe  ;  mais  Manuce, 
à  qui  Paschal  projetait  de  confier  les  soins  de  l'impression,  s'en 
déchargea  sur  son  confrère  Griffio,  en  prenant  simplement 
quelques  exemplaires  sous  l'ancre  illustre  des  Aide.  Le  reste  de 
l'édition  fut  envoyé  à  Lyon,  chez  Sébastien  Gryphe,  frère  de 
l'imprimeur  vénitien -.  Celui-ci  y  avait  mis  la  perfection  qu'assu- 
raient les  presses  aldines  dans  leur  meilleur  temps.  On  regrette 
presque  qu'une  telle  élégance  typographique  se  soit  appliquée  à 
ce  médiocre  ouvrage  ;  mais  on  y  reconnaît  l'esprit  avisé  d'un 
auteur  qui  comprenait  l'avantage  de  présenter  noblement,  et 
comme  une  chose  précieuse,  le  livret  latin  qui  avait  coûté  tant  de 
peine  à  sa  naturelle  indolence. 

Le  jeune  écrivain  compte  bien,  en  effet,  vivre  longtemps  sur  le 
labeur  accompli  pour  mettre  au  jour  ces  quelques  pages.  Il  a  pris 
soin,  à  tout  hasard,  d'apprendre  à  ses  prochains  admirateurs  que 
ses  œuvres  abondent  ;  une  lettre  mentionne  quantité  de  vers  et 

t.  '(  Orationem  nostram,  de  qua  tecura  manesum  locutus,  Manuti  doctiss., 
ad  te  mitto,  quam  velim  perlegas  mihique  signifiées  num  illam  in  apertum 
proferendum  putes.  Quod  si  abs  te  probabitur,  in  liiceni  eniittara...  Vene- 
tiis,  prid.  cal.  Sept.   »  (p.  164). 

2.  Sur  ces  particularités  assez  curieuses,  voir  ci-dessus,  p.  278.  Les  errala 
considérables  iiidii|uent  la  précipitation  du  travail  ou  l'absence  de  l'auteur 
au  moment  du  tirage. 


284  noNsARD  ET  l'humanisme 

de  prose,  et  même  une  «  comédie  »,  quil  recommande  à  son  ami 
Durban  de  recueillir,  au  cas  où  il  serait  assassiné  à  Venise,  vic- 
time du  dévouement  déployé  pour  sa  famille.  Il  a  laissé  des 
manuscrits  à  Nîmes",  à  Toulouse,  d'autres  encore  :  «  Odas,  Ele- 
gias,  Epigrammata,  quae  tihi  in  librum  congesta  reliqui,  Lufi;'di:- 
num  (si  esse  edenda  putabis)  ad  loannem  Tornaesium  milles  '.  » 
Aucune  de  ces  compositions  n'a  vu  le  jour,  soit  qu'elles  fussent 
imaginaires,  soit  (pic  l'Mulcur  ait  renoncé  à  produire  des  essais 
juvéniles  qui  ne  pouvaient  plus  lui  servir. 

S'il  y  a  beaucoup  de  verbiage  dans  le  mince  volume  et  si  le 
plaidoyer  laisse  une  piètre  idée  de  l'éloquence  judiciaire  des  cicé- 
roniens,  les  lettres  témoignent,  comme  d'autres  du  même  temps, 
de  d'espèce  d'ivresse  intellectuelle  que  le  séjour  en  Italie  et  le 
contact  de  l'Antiquité  procuraient  aux  Transalpins.  Quelques 
détails  se  rattachent  aux  événements  de  l'époque.  Paschal  trans- 
met les  nouvelles  parvenues  à  sa  connaissance  et  qui  doivent 
intéresser  d'autant  plus  ses  correspondants  que  les  informations 
politiques  circulent  alors  avec  difficulté.  C'est  une  occasion  de 
montrer  sa  virtuosité,  en  narrant  dans  les  formules  de  son  cher 
Cicéron  les  faits  de  la  vie  contemporaine.  11  apprend,  par 
exemple,  au  Premier  Président  de  Toulouse  ce  qii'on  dit  du  Con- 
cile de  Bologne,  dont  l'empereur  Charles-Quint  exige  de  Paul  III 
le  transfert  dans  la  ville  de  Trente  ;  il  conte  les  rumeurs  qui 
courent  à  Rome,  les  inquiétudes  qu'excite  la  duplicité  impériale  ; 
il  parle  des  concentj-ations  de  troupes,  de  la  mise  en  état  de 
défense  de    Parme  et    des   villes    pontificales  -.   Les     nouvelles 

1.  Recueil  de  1548,  p.  161  :  «  ...Si  quid  acciderit,  omncm  meani,  quan- 
tulacunque  est,  bibliothecam  tibi  obueiiire  aoIo.  Oratioiies  et  epistolas, 
quas  dum  lacobo  Bordingo  Carpentoracti  operam  darem  scriptitaui, 
Nemauso  ad  te  perferendas  curabis.  Eas  autem  in  aperluno  ut  proferas 
nihil  postule.  Comoediam,  quam  Tolosae  apud  Caiolum  Viadellum  hospi- 
tem  nostrum  reliqui,  politius  abs  te  liniatam,  si  libi  videbitur,  foras  dabis.  » 
Le  projet  de  publication  posthume  chez  J.  de  Tournes  est  accompagrné 
de  cette  chaste  réserve  :  •<  lllud  velim  diligenter  videas  (quod  ego,  mi  Dur- 
bane,  tui  in  me  amoris  snpremum  testinionium  esse  cupiol  ne  ea  quae  a 
me  iuueniliter  sunt  scripla,  quaeque  potius  animos  honiiniim  elToeminare 
quam  aliquid  ad  communem  fructum  afferrc  posse  videbuntur,  emiltas,  sed 
ila  comprimas,  ut  nunquani  e  tuis  manibus  émanent.  « 

2.  Recueil  de  1548,  p.  98-101  {Ex  Urbe,  xv  calend.  Mart.).  Le  pape  est 
ainsi  jugé  :  «  Paulus,  que  nec  cautior,  nec  animosior  senex  unquara  fuit, 
ita  ad  omnia  se  parât,  ut  alter'ille  intelligere  possit  sibi  non  modo  cum 
sapiente  et  copioso  sene,  sed  cum  fortissimo  rege  et  munitissima  Rep.  esse 
pugnandum.  " 


LE   CICÉKONIEN   DE  LA    BRIGADE  28o 

d'Allemagne  sont  transmises  au  conseiller  Rivier  :  «  Habes  quae 
ex  Germania  nouissime  Romam  perlata  sunt.  —  Quae  Romae 
gerantur,  accipies  ex  Durbano  ;  nam  ad  eum  res  omnes  urbanas 
scripsi,  et  eundem  eas  tecum  ut  communicaret  rogaui  '.  »  C  est 
ici  un  exemple  de  la  manière  dont  les  nouvelles  internationales 
étaient  répandues  par  les  correspondances  privées. 

Paschal  est  à  Rome  au  moment  de  la  mort  du  cardinal  Sado- 
let,  et  l'annonce  qu'il  en  fait  prend  un  accent  personnel,  puis- 
qu'il tient  à  rappeler  l'accueil  du  prélat  k  l'évêché  de  Carpentras  ; 
Sadolet  étant,  de  plus,  le  prince  des  Cicéroniens,  il  convient  aux 
disciples  de  pleurer  congrument  leur  maître  :  «  lac.  Sadoletus 
cardinalis  XV  cal.  Nov.  e  vita  discessit,  quam  placide,  quam 
constanter,  malo  te  coram  quam  ex  meis  literis  intelligere.  Cum 
enim  illius  et  mortis  et  humanitatis  venit  in  mentem,  conficior 
lacrymis.  Sperabamus,  ut  scis,  et  mihi  tanti  viri  beneuolentiam 
Romae  amplam  fore,  et  illi  ipsi  veterem  illam  nostram  necessitu- 
dinem  visum  iri  non  indignam.Sed  propius  erat  illius,  quam  nos 
putaremus,  supremus  ille  dies  '.  » 

Une  assez  vivante  description  de  journées  romaines  nous  intro- 
duit parmi  les  lettrés  réunis  autour  du  cardinal  d'Armagnac  et 
auxquels  Rabelais  se  joignait  quelquefois  : 

Quo  modo  hic  hyenieni  traducinius  audi.  Traducinms  auteni,  mihi 
crede,  admoduni  iucunde;  diem  enimita  consume  ut  matutina  tempera 
Giceroni  (quo  cum  in  gratiam  diis  approbantibus  redii)  et  a  prima  luce 
ad  horam  X\  I  tribuam  ;  a  XVI  ad  undeuig;esiinam  obeundo  Urbem  in 
praudium  e-terceor.  Quam  cum  oculis  atque  animo  lustro,  varie 
mediusfidius  afficior.  Cumuler  gaudio,  cum  mihi  licet  intueri  non 
solum  urbem,  sed  etiam  proprios  domos  atque  lares  ubi  tôt  homines 
immortali  virtute  praediti  nati  et  educati  fuerunt,  ubi  res  praeclaras 
admirabilesque  gesserunt,  ubi  non  urbem,  sed  orbem,  non  moeiiibus, 
sed  singulari  quadam  virtute  ac   animi   magnitudine  firmatum    atque 

obualiatum  tenuerunt In  eo  sum  solo,  in  his  sum  regionibus,  quas 

primi  omnium  Siculi,  deinde  Aborigènes  tenuerunt,  in  quibus 
Saturnus,  lanus,  Faunus,  Hercules  (quos  vetustas  in  Deorum  inimor- 
talium  numerum  retulit)  regnauerunt.  Quorum  aul  fanorum,  aut 
sepulcrorum  vestigia  quotidie  cerno.  Et  ut  ad  proximiora  veniam, 
qua  me  laelitia  afllci  putas,  cum  eaudem  ipsam    Lupam,  dequa  meni- 


1.  Recueil,  p.  104  et  121  [Ex  Urbe,  m  id.  Fehr.  el  prid.  cal.  Mari.). 
"2.  Recueil,  p.  92  (lettre  à  Durban). 


286  llOASAnO    ET    L'ilUMANlSilE 

nit  Cicero,  et  Romulum  et  Hemum  paruos  et  lactentes  ubcribus  lupi- 
nis  inhiautes  in  Gapilolio  video  '  ?  quando  Auentinum  montem  et  in 
eius  vertice  Remoriam  ubi  Hemus  de  condenda  Urbe,  et  Palatium  ubi 
Homulus  auspicatus  est,  intueor?  Plane  videor  volantes  vulturcs  et 
Rcmum  trislem  sinislro  auj^urio,  Romulum  secundo  laetum  alque 
iucundum  videre.  Incredibile  estquani  sit  inihi  suaucambulare  in  ipso 
solo,  in  qno  Reges,  Coss.,  Impcralores  omnium  gentium  domini  inces- 
serunt,  frui  codem  coelo  ac  spiritu  quo  lot  Poetae,  Pliilosophi,  Ora- 
tores  alque  omni  doctrinarum  génère  \iri  praestanlissimi  ac  excel- 
lentes. Quos  omnes  talcs  fuisse  docent  cum  aeneae  statuae,  praecla- 
rissimaeque  inscriptiones,  lum  ipsi  libri  in  quibus  vitani  eorum  tan- 
qua'm  in  specuio  intueri  ac  cernere  possumus.  Mouet  me  rursum 
angitque  vehementer.  dum  qualis  fuerit  olim  Roma  et  quae  nunc  sit 
coyito.  Nani,  ut  omittum  Urbcm  dirulam  atque  descrlam,  \'ias  A[)pias 
et  Aurelias  incultas  frondibusque  et  virgultis  iandiu  inlerclusas,  coluin- 
nas,  templa,  porticus,  sig^na  aenaea  et  marmorea  fracta  et  comminu- 
ta...,  qua  moleslia  afiici  putas,  cum  video  istorum  boniinum  animos, 
qui  ut  quemadmodum  sunt,  sic  etiani  diuini  et  immorlales  pulanlur, 
ila  tamen  a  maioribus  suis  dégénérasse,  ut  ex  illis  nunquam  orli  et  ex 
se  nati  prorsus  esse  videantur? 

Cette  description  de  la  ruine  de  Rome  et  celte  opposition  de 
sa  grandeur  à  sa  décadence  auraient  pour  nous  un  attrait  plus 
vif,  si  elles  ne  se  rencontraient  bien  des  fois  dans  la  littérature  de 
rilumanisme  '.  Pétrarque  le  premier,  en  d'admirables  lettres,  a 
développé  le  thème  d'une  façon  originale,  et  avec  une  éloquence 
qu'aucun  de  ses  successeurs  n'a  dépassée.  Cette  page  dun  Fran- 
çais nous  apprend  du  moins  qu'on  y  revenait  volontiers  dans  l'en- 
tourage du  cardinal  d'Armagnac,  el  il  ne  faut  pas  oublier  que, 
de  cette  banale  antithèse  ressassée  par  les  Italiens  en  vers  et  en 
prose,  vont  sortir  tout  prochainement  les  Anliquitez  de  Rome  de 
Du  Bellay  3. 

1.  C'est  la  Louve  de  bronze  du  Palais  des  Conservateurs. 

2.  Nous  avons  sur  ce  sujet,  à  côté  des  pages  de  Chamard,  celles  de  Viancy 
dans  Le  Pélrarqiiismeen  France,  p.  318etsuiv.  J'essaie  d'y  ajouterquelqiie 
chose. 

3.  Paschal  fournirait  aussi  plus  d'un  trait  à  une  annotation  des  Iiegre(s. 
Il  est  dur  pour  le  monde  intellectuel  de  Rome  (dans  la  suite  du  passage 
précédent)  :  «  At  sunt  Romae  poetae,  pliilosophi  atque  oratores.Certe,  scd 
(|uos  audire  aul  omuino  videre  nolis.  Poètes  voeanl  mimes,  histriones, 
comoedos,  qui  vicatim  poti  vulgaria  fpiaedam  carniina  bacchantur,  quae 
niliil  habent  praeter  muliebres  risus  lasciuianique  numeris  quibusdani  el 
rilhniis  inuolutam.  Philosophi  huiussuntgencrisut  omnia  voluptale  metian- 
tur,  ut  nihil  nalurae  non  tribuant...  >• 


Lk  cu.ëromen  de:  la  brigade  28? 

A  cilo  domum  Armeignaci  Gardinalis,  ad  Corneillanum  '  aut  Phi- 
landruni,  quos  scis  nobis  cuni  perpétua  animorum  voluntate  coniunc- 
tos,  tuiii  liUeris  et  artibus  nostris  deditissimos,  me  confero,  ibique  tein- 
pus  variis  sermonibus  duoimus.  Inde  aut  in  Vaticanum,  aul  Quirina- 
lem,  aut  N'iminalem  montem,  aut  quo  suauissimus  Blaesius,  utriusque 
nostrum  amantissimus,  me  ducit  eo.  Marmoratas  veterum  laudes  ac 
scriptiones  dii^itis  saepe  elïodimus,  nonnunquam  eliam  exscribinius. 
Poslea  me  in  cubicuhim  abdo,  ad  mullanique  noctem  meo  more  vigi- 
lo.  Ad  easdem  vices  cum  luce  reuertor  ^. 

Le  tableau  a,  par  endroits,  dti  pittoresque.  On  devine  l'auto- 
rité savante  d'un  Philandrier  sur  cette  troupe  d'archéologues 
improvisés  -K  On  aime  les  voir  chercher  sur  les  «  sept  costaux  » 
les  «  sainctes  ruines  »  que  chantera  l'ami  de  Ronsard,  suivre 
avec  les  doigts  les  caractères  gravés  sur  le  marbre  antique  et 
transcrire  curieusement  des  inscriptions  intéressantes  ^.  Plus  d'un 
étranger  rapportait  ainsi  dans  son  pavs  quelque  stjUoge,  remplie 
souvent  de  maladroites  lectures  ;  Paschal  suivait  cette  mode 
propre  à  lui  faire  honneur  parmi  les  savants,  et  tenait  à  parler  de 
ces  travaux  :  «  Hune  februariuni  in  perquirendis  et  inuestigandis 
veterum  monumentis  consumam  •''.  »  Quelques  bribes  de  son  butin 
épigraphique  passeront  un  jour  dans  ses  narrations  à  l'antique  de 
l'histoire  française. 

Avec  l'ami  Revergat,  c'est  l'antre  de  la  Sibylle  qu'évoquent  ses 
rêves  :  «  Quid  in  Italia  viderim,  didicerim,  egerim,  praesenti  ser- 
moni  reseruo.  Ego  in  speluncàm  Cumaeae  Sibyllae  perendie  cogi- 
to;  nam  hic  mirabilia  de  ea  quaedani  dicuntur,  quae  cum  videro 
faciam  ut  scias  •*.  »  Le  projet  ne  se  réalise  pas  ;  Paschal  est  envoyé 
à  Venise  par  la  famille  de  Mauléon,  et  il   ne  s'embarque  point  à 

1.  Jacques  de  Corneillan,  devenu  en  1,")34  évoque  de  Val)i-es,  était  neveu 
du  cardinal,  qui  résigna  en  sa  faveur  l'évêché  de  Rode?.,  en  loûO. 

2.  Recueil,  p.  83-90  (lettre  à  Durban). 

3.  On  juge  de  l'expérience  romaine  de  Philandrier  par  ses  Annot»lionfs 
sur  \'itruve,  que  termine,  dans  l'édition  do  1544,  la  mention  suivante  :  Uafc 
Philànder  commentahatiir  Romae  111.  Cstend.  iugusH  M.D.XL^  suadenle 
iinpcll/'ntpqiie  et  adiuu.iiite  Muecenate  siio  Georgio  Armeniaco  liulhenorum 
episcopi,  luin  reyioad  l'auhiin  III Pont.  Max.  leijato. 

4.  Les  sculptures  les  intéressent  moins;  pourtant,  durant  sa  mission  de 
t.ïoaà  Rome,  le  caixlinal  d'Armagnac  veillera  à  l'e.vpédition  d'ceuvres  d'art 
antiques  au  connétable  de  Montmorency  ^Tamizey  do  Larroque,  Lettres 
inéd.  (lu  card.  dWrmagnae,  p.  69). 

5.  Recueil,  p.  lOS  (autre  letli-e  à  Durban), 
(j.  Recueil, p.  103  et  112. 


288  RONSARD    ET    LHL'MAMSJIE 

Naples,  mais  à  Ancone.  Ses  amis  y  ont  gagné  la  description 
d'une  tempête  sur  l'Adriatique,  qu'il  adresse  à  Philandrier,  et  où 
ne  manque  aucun  des  lieux  communs  d'un  tel  récit  '.  Il  assure 
qu'au  plus  fuit  (lu  danger,  il  pensait  succcessivement  a  chacun 
de  ses  protecteurs  et  aux  amis  qu'il  n'espérait  plus  revoir  ;  leur 
pompeuse  énumération,  en  ce  moment  de  la  narration,  est 
assez  comique.  Après  tant  de  périls  et  d'émotions,  il  arrive 
enfin  à  Venise,  où  trois  jours  de  repos  sont  nécessaires  avant 
d'ouvrir  ses  colîres  et  d'en  tirer,  parmi  des  manuscrits  mouillés, 
ceux  qu'il  va  présenter  à  Paul  Manuce-. 

Son  séjour  est  surtout  rempli  par  les  démarches  de  lalTalre 
des  Mauléon  et  par  la  production  du  fameux  plaidoyer.  11  lui 
reste  peu  de  temps  pour  s'intéresser  à  Venise  elle-même.  >si  les 
édifices,  ni  les  particularités  de  mœurs  ne  le  retiennent.  Comme 
il  n'y  a  point  de  monument  romain,  aucun  souvenir  ne  lui  semble 
digne  d'être  noté  ;  mais  il  trouve  le  moyen  de  parler  des  canaux 
vénitiens  à  un  ami  dans  le  langage  du  siècle  d'Auguste  :  "  Si 
forte  es  nescius,  scito  me  Venetiis  esse.  Atquamprocul  aMusis! 
Omnia  in  his  locis  Tritonis  vocibus  personant.  Non  dulcis  ille 
Apollinis  soiîus  complet,  ut  solebat,  aures  meas  ;  neque  mihi 
Nereidas,  utpote  qui  ad  Na'iadas  exarserim,  adhuc  conciliaui. 
Sed  quid  ego  haec  in  familiari  praesertim  epistola-^.  »  11  [arrange 
son  retour  par  Padoue,  Brescia,  Mantoue,  Plaisance,  Parme  et 
Turin,  excellent  complément  de  son  voyage  d'Italie*. 

La  recherche  des  manuscrits  anciens,  qui  tient  tant  de  place 
dans  les  correspondances  d'humanistes  et  notamment  dans  celle 
de  Paul  Manuce,  n"a  pas  pas  encore  apparu  chez  leur  imitateur. 


1.  Recueil,  p.  1dI-1o3. 

2.  r'  At  dum  me  sic  colligo,  duni  ineos  libros  euoluo,  omnes  ar|UR  madi- 
dos  reperio,  illudque  quod  Paulo  Manulio  eram  daturjs,  ita  distiactuni  et 
laceralum  vix  ut  ego  recoi;noscerem.  Collegi  (amen  orania,  ut  potui,  eique 
obtuli.  Qui  me  suo  more  perluimaniter  amplexus  est,  nostiaque  scripta  sic 
probauit  ut  mihi  maxime  autor  fuerit  ne  ea  in  lucem  emittere  dubitarem.  » 
V.  plus  haut,  p.  283. 

.3.  Recueil,  p.  133. 

4.  «  Gras...  Patauium  veniain,  inde  Rressam  sum  profccturus,  postes 
Mantuam  ;  Mantua  Placentiam  et  Parniain  cogito.  Nam  eae  urbes  Italiae 
sunt  mihi  reliquae,  quas  ego  adhuc  non  vidi.  Breuiter,  ut  orania  quae 
cupio  videam,  eril  mihi  in  palriam  itineribus  deuiis  redeundum.  Si  frater 
tuus  Riuensis  episcopus  fuerit  Taurini,  eum  conueniam...  Venetiis,  V  cal. 
Oct.  »  (Recueil,  p.  120). 


LE   CICÉRO.MEN    DE    I.A   BRIGADE  289 

Elle  se  glisse  fort  à  point  ilaiis  le  post-scriptum  de  la  lettre 
envoyée  de  Venise  à  Philandrier.  Paschal  y  fait  mention  de 
certains  manuscrits  de  Vitruve  et  de  Cicéron  signales  à  Lyon 
par  Antoine  dn  Moulin  et  qu  il  tiendrait  à  étudier  à  son  passage 
dans  cette  ville.  Il  en  écrit  à  Du  Moulin  lui-même  '.  On  pourrait 
attacher  quelque  intérêt  à  ce  détail,  si  l'on  était  sûr  qu'il  ne  l'a 
point  introduit  ad  ostentationem .  Il  serait  naturel  qu'il  partageât 
les  goûts  de  l'entourage  du  cardinal  d'Armagnac,  qui  achète  de 
nombreux  textes  grecs  et  latins,  en  fait  transcrire  d'autres  par 
un  calligraphe  en  renom,  et  envoie  des  explorateurs  dans  toute 
l'Italie  et  en  Grèce  même,  pour  enrichir  sa  bibliothèque  ainsi  que 
celle  de  son  roi.  On  ne  voit  pas  cependant  que  Paschal  s'en  soit 
occupé  le  moins  du  monde  pendant  son  séjour  romain,  ce  qui 
donne  à  supposer  que  le  morceau  sur  les  manuscrits  de  Lyon  peut 
n'être  qu'un  simple  ornement  pour  son  recueil. 

La  lettre  à  Antoine  du  Moulin  se  termine  par  ces  compliments  : 
«  Seb.  Gryphium,  loan.  Tornaesium  saluere  velim  iubeas  meis 
verbis  plurimum.  Si  Nicolaus  Borbonius,  noster  ille  Ouidius, 
istic  fuerit,  illum  meo  nomine  salutabis  ».  Paschal  rencontra- 
t-il  à  Lyon  le  poète  humaniste  qu'il  comparait  à  Ovide,  ce  Nico- 
las Bourbon, à  qui  des  Nugac  plusieurs  fois  réimprimées  avaient 
valu  quelque  réputation  2?  Jean  de  Tournes,  l'imprimeur  lettré  qui 

1.  c<  Cal.  Sept,  literae  a  te  mihi  reddilae  sunl,  (|uibus  intellcxi  te  nostri 
esse  amantissimum.  De  quo  etsi  nihil  unquam  dubitaui,  tamen  illud  in  (uis 
literis  per  mihi  gratum  parque  iucundum  fuit.  Quod  scribis  te  in  quadam 
bibliotheca  Vitruuii  exemplar  vetustate  insigne  et  manu  scriptum  reperiisse 
alio  omnino  exemplo,  quam  quod  hodie  vulgo  circunfertur,  rem  mihi  nouam 
multoque  iucundissimam  nuntias.  Neque  enim  nescis  quam  obscurus 
quamque  difTicilis  est  autor  ille  et  quam  grauiter  doctorum  honiinum  ingé- 
nia eius  difficultas  hactenus  torserit...  "  Il  l'engage  à  donner  une  édition  de 
Vitruve:  «  Huius  igitur  rei  Guilielmum  Philandrum  certiorem  feci.  Scisenini 
quibus  luminibus  vir  ille  doctissimus  autorem  illum  illustrarit.  Epistolas 
ad  .\tticum,  quas  te  etiam  nactura  esse  nuper  ad  me  scripsisti,  istic  videbo. 
Utinam,  cum  ita  sis  fortunatus,  illos  quoque  Ciceronis  de  Republica  libros, 
quos  desideramus,  posteritati  reperires...  »  Recueil,  p.  l5-")-l36. 

2.  Nicolas  Bourbon  avait  publié  à  Lyon,  chez  Sébast.  Graphe,  son  Opus- 
culum  puérile  ad  piieros  de  morihus  [i")'.i(ij  et  l'édition  augmentée,  en  huit 
livres,  do  ses  Nii;jae(l">'iH).  V.  Carré,  De  Nicolai  Borbonii  vila  et  operibua, 
Paris,  1888.  Jacques  Toussain  comparait  déjà  à  Ovide  ce  Bourbon,  qui  s'en 
défendait  modestement  : 

iVaso  tibi  videor,  Tussane,  intelligo  :  Jiempe 
Scribo  Tomianis  carmina  digna  Getis. 

Les  filles  de  Jean  de    Morel  correspondaient  en  latin  avec  Bourbon,  ce 

19 


290  BONSAHD    ET   I.HUMAMSJIE 

éditaentre  tant  d'autres  les  œuvres  de  Louise  Labc  etdePonlusde 
Tyard,  put  s'enleiulreavec  Gryphe  pourla  niiseen  vente  du  volume 
qui  arrivait  tout  imprimé  d'Italie.  Il  est  probable  que  Paschal  se 
dirigea  ensuite  vers  Toulouse  ;  mais  c'est  à  Paris  que  Durban 
«  son  grand  amy  »  fit  publier,  quelques  mois  plus  tard,  la  traduc- 
tion de  son  discours  :  «  L'oraison  de  M.  Pierre  Paschal  pronon- 
cée au  Sénat  de  Venise  contre  les  meurtriers  de  l'archidiacre  de 
Mauléon,  traduicte  du  laliii  en  françois  parle  Prolonotaire  Dur- 
ban et  nouvellement  imprimée  par  commandement  de  la  Royne 
de  Navarre.  Du  mcsnie,  France  par  prosopopée  k  la  Républicque 
de  Venise.  A  Paris,  par  Vascosan,  rue  S.  Jaques,  M.  D.  XLIX.  '  » 
Lîn  détail  montre  des  relations  déjà  nouées  avec  le  jeune  groupe 
de  Ronsard  ;  c'est  un  sonnet  liminaire  de  ce  livret,  «  prins  sur  le 
grec  de  Claude  Rammile  »  et  signé  /.  A.  de  Baif,  qui  se  trouve 
la  première  pièce  de  vers  que  Baïf  ait  publiée  "-.  Quant  au  patro- 
nage delà  Reine  de  Navarre,  alors  si  honorable  pour  les  écrivains, 
il  est  ainsi  invoqué  par  le  traducteur  :  «  Ne  trouve  pas  estrange, 
amy  lecteur,  si  à  présent  je  veux  publier  à  tous  ceste  mienne 
traduction,  l'ayant  par  cy  devant  voulu  communiquer  à  peu  de 
personnes  ;  mais  entens  s'il  te  plaist  que  la  Royne  de  Navarre, 
ces  jours  passez,  après  en  avoir  (je  ne  scay  par  quelle  fortune) 
ouy  faire  lecture,  m'auoit  commandé  expressément  qu'elle  feust 

bien  tost  imprimée Il  feust  son  plaisir  d'user  de   la  puissance 

qu'elle  a  sur  moy,  qui  suis  son  treshumble  et  tresobéissant 
homme  vassal  et  serviteur  subject  ;  et  ne  luy  pleust  oncques 
admettre  aucune  de  mes  excuses  '■.  »  La  dédicace,  adressée  par 
Durban  à  son  cousin  Mauléon,  est  composée  pour  rehausser  l'im- 
portance de  cette  publication,  non  seulement  dans  la  famille  dont 
elle  proclame  l'illustration,  mais  aux  yeux  de  tous  les  lettrés  : 

(|ui amène  sou  nom  au  voisinage  tle  Rons.Tiil.  Il  y  a,  à  ce  sujet,  une  jolie 
lettre  de  leur  mère  à  cet  liumaniste  dans  un  ms.  de  Munich  (coll.  Camer, 
vol.  33,  fol.  131). 

1.  Bibl.  nat.,  Rés.  X  2.^27.  Feuillets  marqués  de  A  îi  Giij.  Le  passage  de 
la  dédicace  cité  plus  loin  n'atteste  pas  l'existence  d'une  édition  mauutienne, 
ou  portant  le  nom  des  Aide  ;  il  ne  vise  que  le  texte  latin. 

2.  Le  sonnet  de  Baïf,  traduit  des  distiques  grecs  de  ce  Rammille  qui  se 
trouvent  dans  le  recueil  de  Gryphe,  manque  à  l'édition  Marty-Laveaux.  Il 
n'a  point  échappé  a  .\ugé-Chiquet,  La  vie...  de  J.-A.  rie  Baif,  p.  on. 

3.  Marguerite  de  Navarre  n'a  pu  voir  la  publication  française,  étant 
morte  à  Odos  en  Bigone,  le  21  décembre.  La  page  d'agréable  description 
des  Pyrénées  n'aurait  pas  manqué  de  lui  plaire. 


Le   CICÉHONIEN    DE    LA    liKlGADÉ  29^ 

Davaiilaigo  n'est-il  l'aisoii  que  ceulx  qui  sont  des  nosires  à  présent 
et  naistront  d'eulx  à  l'advenir  sachent  que  M.  le  Reverendissime 
Cardinal  d'Armaignac  advoua  ton  frère  et  les  siens  pour  parens, 
Paschal  pour  gentilhomme  de  sa  maison,  et  print  ceste  cause  autant 
à  cœur,  que  le  plus  important  de  ses  propres  alTaires  ?  Ce  que  i\I.  de 
Morvilliers,  Ambassadeur  pour  le  Roy,  a  solicité  à  \'enise,  et  M.  de 
Termes  soutenu  en  Piedmond,  ne  mérite  il  pas  d'estre  cogneu  par 
ceulx.  à  qui  touche  l'olTense  ?  ne  sommes  nous  pas  redevables  de  beau- 
coup à  M.  de  Corneillan,  evesque  de  Vabres,  et  à  M.  l'auditeur  Reo- 
manus,  autrefois  mon  précepteur,  qui  se  sontmonslrez  autant  liberaulx 
à  n'y  espargner  leur  bien,  que  voluntaires  à  y  employer  leurs  person- 
nes? Doibt  il  eslre  caché  1  honneur  que  Paschal  a  fait  à  noslre  maison, 
le  vouloir  qu'il  nous  a  monstre,  la  peine  qu'il  en  a  prinse,  le?  dangers 
où  il  s'est  exposé  et  la  mémoire  qu'il  a  laissée  de  sa  charge  ?  Scaurions 
nous  taire  l'honnesteté  de  P.  Manutius,  un  des  premiers  hommes  qui 
se  meslent  des  lettres,  qui  a  voulu  imprimer  soubs  sa  marque  l'ccuvre 
dudict  Paschal  ou  plustost  la  nostre,  aimant  mieulx  soustenir  le  parly 
de  la  vérité  que  favorir  les  coulpables  de  sa  propre  patrie  ? 

Ces  deux  petits  volumes,  qui  se  réduisent  à  un  seul  ouvrage, 
vont  être  pendant  longtemps  tout  le  bagage  littéraii'e  du  jeune 
humaniste.  Mais  il  est  de  ces  gens  de  plume  qui  font  de  leurs 
moindres  pages  une  distribution  avisée  et  avantageuse.  Après  en 
avoir  tiré  gloire  parmi  ses  amis  de  province,  Paschal  a  gardé 
quelques  exemplaires  du  tirage  pour  les  faire  circuler  dans  la 
capitale,  où  il  a  décidé  de  chercher  fortune.  S'il  l'a  offert  aux 
personnes  en  place,  il  n'a  pas  manqué  d'en  munir  les  poètes. 
Ronsard,  qui  l'a  reçu,  y  fera  plus  d'une  allusion  directe.  Chacun 
l'accueille  avec  bienveillance,  et  cen'estque  plus  tard  qu'Etienne 
Pasquier  y  dénoncera,  comme  le  poète  déçu,  la  médiocrité  de  la 
composition,  les  emprunts  du  style,  la  servile  imitation  des 
Italiens  '.  Au  début,  presque  tout  le  monde  y  est  trompé.  Une 
seule  protestation  paraît  s'élever  contre  les  prétentions  de  l'au- 
teur. Elle  vient  d'un  de  ses  anciens  maitres  de  Toulouse,  le  pro- 
fesseur de  droit  civil,  Etienne  Fbrcadel.  Cet  écrivain,  qui  napas 
été  sans  relations  avec  Ronsard  ~,  a  déjà  des  liens  avec  le  groupe 
de  protecteurs  dont  .se  réclame  Paschal  ;  il  dédie  des  vers  au  car- 
dinal d'Armagnac,  à  Jacques  de  Corneillan  {Corneliunus),  à  Phi- 

1.  V.  plus  liaul,  p.  261,  26o. 

2.  V.  p.  192. 


2!)2  RONSAKD    ET    LIIUMAMSME 

landrier  ',  à  Antoine  du  Moulin,  à  Pieno  de  Mauléon  lui-même, 
au  Premier  Président  et  aux  conseillers  de  Toulouse  ^.  Du  mê- 
me milieu  littéraire  que  Paschal,  et  son  aîné,  il  ne  se  laisse  pas 
prendre  à  tant  d'étalage  ;  son  recueil  de  lo.'il  contient  une  petite 
pièce,  qui  le  vise  assurément  : 

A  l'imitateur  deCicero. 

Toy  Orateur,  singe  du  grand  Romain, 
Oy  ce  que  dit  sa  dorée  éloquence  : 
Que  le  parler,  tant  doux  soit  il,  est  vain, 
Si  quand  et  luj'  n'y  ha  bonne  sentence  : 
'  Profond  savoir,  mais  rude,  c'est  enfance, 
Les  mots  ornez  et  nuds,  témérité  : 
Qui  parle  bien  avecques  gravité 
Semble  le  champ  fleurissant  et  fertile  : 
Car  en  tous  poincts  ha  le  prix  mérité, 
Qui  scet  le  doux  accoupler  à  l'utile  ^. 

11  semble  que  le  talent  qu'elle  a  vu  naitre  inspire  à  Toulouse 
quelque  défiance.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  Paris,  où  s'exer- 
cera sans  contrôle  sur  les  lettrés  le  prestige  des  succès  d'Italie 
et  de  l'imperturbable  faconde  du  cicéronlen. 


II 


Ce  fut  Ronsard  lui-même  qui  commença  la  renommée  de  Pierre 
de  Paschal.  La  sienne  débutait  à  peine  et  n'était  guère  sortie  du 
cercle  de  poètes  où  son  génie  était  fraternellement  reconnu.  En 
1550,  paraissait  son  premier  volume,  le   fier  recueil  des  Quatre 

i.  Stephani  Forraliili  iiireconsulli  epitji  ammat.i,  l^yon,  J.  de  Tournes, 
d551,  p.  87,  liii,  170.  Une  pièce  est  dédiée  à  Jean  de  Mauléon  :  M.  P. 
Durbano  Maiilio  Senalori  nobiliss.  ;  une  autre  Ad  lo.  Mensenrnlbim  Sena- 
ttis  Toi.  praesidrm  Max.,  p.  5.3,  153).  Les  vers  adressés  à  Pliilaudrier  sont 
inlitulés:  De  GuUelino  Philandro  Archileclurae  honariimque  arliiim  peridss. 
Le  poêle  suppose  que  Phébus  est  inquiet  pour  son  palais,  qui  menace 
ruine  ;  son  embarras  ne  durera  point  :  Ecce  Philander  adest. 

2.  Poéfie  d'Estienne  Forcadel,  Lyon,  .T.  de  Tournes,  15.")!,  p.   131,  138. 

3.  Poésie,  p.  1;)2.  Les  Epif/rammata  ne  contiennent  qu'un  distique  insi- 
gnifiant adressé  Pe.  Paschalio  doct.  (p.  111).  Paschal  mentionne  Forcadel 
dans  une  lettre  à  Revergat  :  Forcaliiliim  noslrum  ineis  verliis  xalulaljis 
(Recueil  de  1548,  p.  135). 


LE   CICÉRONIEN    DE    LA    llRlfiADE  293 

premiers  livres  des  Odes,  où  s'affirme  le  chef  de  l'école.  Dès  le 
premier  livre,  Paschal  obtient  sa  dédicace,  et  l'on  va  voir  de  quel 
ton  Ronsard  associe  à  sa  fortune  ce  jeune  homme  inconnu,  cet 
autre  Pierre,  qu'il  se  charge  d'immortaliser  avec  lui.  N'aurais-je 
point  tort,  dit-il  avec  emphase, 

Si  je  n'emplumoi  la  gloire  Fait  immortel  par  le  son 

De  toi,  mon  Paschal,  affin  Du  Vandomois  qui  le  chante. 
Qu'elle  voltige  sans  fin  Vraimentmes  vers  manifestes 

Dans  le  temple  de  Mémoire  ?  Diront  que  tu  fus  ami 

La  cheine  qui  entrelace  De  moi,  t'elevant  parmi 

Ton  esprit  avec  le  mien.  L'honneur  des  troupes  célestes. 
Et  mon  nom  semblable  au  tien  La  carrière  du  tens  use 

Commande  que  je  le  face.  Les  palais  laborieus, 

...la  ton  Languedoc  se  vante  Non  les  traits  victoriens 

D'honnorer  son  nourrisson  Venant  de  l'arc  de  ma    muse  '. 

Comment  ce  lien  est-il  si  promptement  noué  entre  deux  écri- 
vains fort  dissemblables  de  talent  et  de  caractère  ?  comment 
Paschal  a-t-il  eu  la  fortune  d'entrer  dans  le  petit  monde  de  Ron- 
sard ?  On  peut  penser  à  une  rencontre  au  cours  de  ce  voyage  en 
Gascogne  et  aux  Pyrénées,  dont  l'itinéraire  nous  est  si  mal 
connu  et  que  le  poète  paraît  avoir  fait  au  cours  de  l'année  lo49. 
Ce  voyage  l'a  au  moins  intéressé  à  la  province  d'où  Paschal  est 
originaire  -.  Sans  recourir  à  une  hypothèse,  il  est  plus  simple 
d'admettre  que  la  réputation  de  l'enseignement  de  Jean  Dorât 
vient  d'attirer  au  collège  de  Coqueret,  parmi  les  auditeurs  du 
grand  humaniste  parisien,  Pierre  de  Mauléon  etsonami  revenant 
d'Italie.  Nous  avons    le  témoignage  même  du  poète,  qui,  sans 

1.  C'est  l'ode  xix  de  ce  livre  I,  où  sont  les  grandes  dédicaces  littéraires  et 
amicales  à  Du  Bellay,  à  Dorât,  à  Baïf,  etc.  Odes,  éd.  Laumonier,  t.  I,  p.  160. 
Les  deux  derniers  quatrains  viennent  d'Horace,  Carni.  IV,  vni,  13  et  siiiv. 
Ils  subissent  dans  l'édition  de  laoo  la  variante  significative  qu'on  trouvera 
plus  loin. 

2.  On  ne  paraît  pas  avoir  relevé,  à  propos  du  voyage  de  Ronsard  aux 
Pyrénées,  que  rappellent  les  vers  sur  la  mort  de  sa  haquenée  (Oc/e.s"*  t.  I. 
p.  205),  d'autres  vers  de  X'Hymnede  Charles  cardinalde  Lorraine  (éd.  L.  t.  lY, 
p.  235),  qui  ont  tout  l'accent  du  souvenir  personnel  ; 

Qui  a  point  veu  courir  à  bruyantes  ondées 

Un  torrent  franchissant  ses  rives  desbordées, 

Ou  surlesmoiits  d'Auvergne. ou  surle  plus  haut  mont 

Des  cloistres  Pyrenez,  quand  la  neige  se  fond 

Et  que  par  gros  monceaux  le  Soleil  la  consomme  "> 


294  HONSAUli    i:i     (.'lll'MAMSME 

prôciscr  aI)solunient  la  proniièro  rencontre,  tissure  (juo  sa  liaisf)ii 
intellecLuelleavec  les  jeunes  in^ridionnux  a  commencé  chez.  Dorai  : 

...Chez  lui  premièrement, 
Nosire  ferme  amitié  print  son  commencement, 
Laquelle  dans  mon  âme,  à  tout  jamais,  et  celle 
De  ton  ami   Durban,  .sera  perpéluelle  '. 

C'est  donc  l'Humanisme  qui  les  a  unis,  et  ce  qu'on  sait  des 
dispositions  d'esprit  de  Ronsard,  à  cette  époque  de  sa  formation, 
'explique  aisément  son  enthousiasme.  Sensible  à  la  belle  phrase 
latine,  qu'il  pratiquait  avec  moins  d'adresse  que  Paschal,  il  l'est 
aussi  à  l'autorité  conférée  par  ce  séjour  d'Italie,  qu'il  souhaite 
pour  lui-mjme.  Dorât,  plus  averti,  semble  s'être  détaché  très 
vite  de  ces  beaux  parleurs.  On  peut  croire  qu'un  maître  aussi 
informé  ne  fil  qu'un  cas  médiocre  de  la  supériorité  k  l'italienne 
dont  Paschal  était  fier  ;  il  ne  le  nomme  qu'une  fois  dans  ses 
écrits,  sans  louange  particulière,  et  n'a  conservé  avec  Durban 
lui-même  aucune  relation.  Des  élégances  purement  verbales,  qui 
le  laissaient  indifférent,  devaient  au  contraire  éblouir  le  jeune 
Ronsard.  Celui-ci  ne  se  contentait  pas,  dans  son  recueil  de  lo.'jO, 
de  l'ode  à  la  louange  de  Paschal  ;  il  revenait  à  lui,  dans  une 
seconde  pièce,  qui  célébrait  avec  la  même  chaleur  pédante  les 
qualités  d'esprit  du  conseiller  au  Parlement  de  Toulouse  ; 

Languedoc  me  sert  de  témoin, 
Voire  Venise,  qui  plus  loin 
S'émerveilla  de  voir  la  grâce 
De  ton  Paschal,  qui  louengeant 
Les  ^lauleons,  alla  vengeant 
L'outrage  fait  contre  ta  race, 

Lorsqu'au  meillieu  des  Pères  ^'ieus, 
Dégorgeant  le  présent  des  Dieus 
Par  les  torrents  de  sa  harangue, 
11  cmbla  l'esprit  des  oians 
Comme  épies  çà  et  là  ploians 
Dessous  le  dous  vent  de  sa  langue  '. 

Deux  ans  plus  tard,  le  second  recueil  de  Ronsard,  les  Amours, 
montre  la  même  admiration  alfectueuse  pour  Paschal.   Voici  le 

i.  Dorage  de  io^i  (  épîtie  biographique  .1  P.  de  Paschal). 
2.  Odes,    t.    Il,    p.    8i-8.^.    La   fin   de  l'ode  indique  la   préparation   d'un 
ouvrage  <l'aslrologie  que  Durban  n'a  pas  publié. 


LE   CICÉROMEN    DE    LA    IIRIGADE  ^fl.'i 

sonnet  qu'il  lui  adresse  à  Toulouse,  y  faisant  sonner  six  fois  son 
nom,  el  ([ue  v;i  commenter  Muret  : 

De  toi,  Pasclial.  il  me  plait  que  j'écrive. 
Qui  de  bien  loin  le  peuple  abandonnant. 
Vas  de  l'Arpin  les  trésors  moissonnant, 
Le  Ion  des  bors  où  ta  Garonne  arrive. 

Haut  d'une  langue  éternellement  vive. 
Son  cher  Pasclial  Tolose  aille  sonnant, 
Paschal,  Paschal  Garonne  resonnant. 
Rien  que  Paschal  ne  responde  sa  rive. 

Si  ton  Durban  l'honneur  de  noslre  tans 
Lit  quelque  fois  ces  vers  par  passetans,  — 

Di  lui,  Paschal,  lainsi  l'apre  secousse 

Qui  m'a  fait  choir,  ne  te  puisse  émouvoir) 
Ce  pauvre  .\mant  estoit  dinne  d'avoir 
Une  maitresse  ou  moins  belle  ou  plus  douce. 

Il  adresse  ce  Sonet  à  Pierre  Paschal,  gentilhomme  natif  du  bas  pais 
de  Lano;uedoc,  homme,  outre  la  conoissance  des  sciences  dignes  d'un 
bon  esprit  (ausquelles  il  a  peu  d'egaus),  garni  dune  telle  éloquence 
Latine,  que  mesme  le  Sénat  de  Venise  S'en  est  quelque  fois  émerveillé 
...\'^as  de  tArpin  les  trésors  moissonnant.  \'as  soigneusementrecueil- 
lant  les  richesses  de  l'éloquence  de  Ciceron.  Il  dit  cela,  parce  que 
Paschal  est  un  des  hommes  les  mieux  versés  en  Ciceron,  qui  vivent 
pour  le  jourd'hui...  Si'  Ion  Durban.  Michel  Pierre  de  Mauleon,  Pi-oto- 
notere   de   Durban,    conseiller  en    parlement   à  Tolose,   homme  tant 

excellent Entre  luy  et  Paschal  est  une  si  grande  amitié  qu'elle  est 

suffisante  pour  elTacer  toutes  celles  qui  sont  par  les   anciens    auteurs 
recommandées  '. 

Pendant  que  tant  des  vers  de  Ronsard  ajoutaient  au  lustre  de 
cette  amitié  incomparable,  Paschal  faisait  encore  de  Toulouse, 
écrit  Muret,  «saplus  ordinaire residance  »  ;  mais  il  était  quelque- 
fois sur  le  chemin  de  Paris,  et  Magny  le  mentionne  dans  une  ode 
Aux  nynfes  du  Loth,  pour  caresser  Paschal  passant  par  Cahors. 
Il  annonce  à  ces  nymphes  qu'il  ira  bientôt  chanter  leur  gloire 
sur  les  bords  de  la  Seine,  oîi  son  ami  va  le  devancer  : 

1.  Muret  cite  en  témoignage  trois  strophes  de  Iode  à  Durban  (Les 
Amours,  d'après  te  texte  de  ISIS,  éd.  Vaganay,  p.  391.  Ed.  L.,  t.  VI,  p.  IGO). 
La  seule  variante  que  présente  l'édition  de  1532  est  au  v.  3  :  Vas  du 
Arpin....  Notons  qu'il  n'y  a  aucune  place  faite  à  Paschal  dans  le  recueil 
des   .Iiiiienilia, 


296  nONSAKiJ    Kl    Lfll  MAMSME 

Na^iiière,  Mignonnes,  vous  vistes 
Lautre  mignon  des  Irois  Charités, 
Son  Durban  l'ornement  françoys  : 
Paschal,  Nynfes.  vous  voie/,  ores, 
Vous  voie/  l'autre  Arpin  ainçois, 
El  bien  tost  vous  verrez  encores 
Vostre  nourrisson  Quercynois'. 

Paschal  se  trouvait  k  Paris,  au  carnaval  de  1553,  lors  de  la 
représentation  de  la  Clcopàtrc  de  Jodelle  en  l'hôtel  de  Reims, 
devant  le  Roi,  bientôt  suivie  de  celle  du  collège  de  Boncourt.  f[uo 
Pasquier  a  si  bien  contée  :  «  Toutes  les  fenostres  estoienl  tajjissées 
d'une  intinité  de  personnag-es  d'honneur,  et  la  cour  si  pleine  d'es- 
choliers  que  les  portes  du  collège  en  regorgeoient . . .  Et  les  entre- 
parleurs  estoient  tous  hommes  de  nom,  car  mesme  Rémi  Belleau 
et  Jean  de  la  Pérusc  jouoient  les  principaux  rollets  -.  »  Notre 
humaniste  assista  au  festin  d'Arcueil,  où  les  poètes  fêtèrent  le 
succès  d'un  des  leurs,  et  il  a  l'honneur  de  figurer  dans  l'énuméra- 
tion  des  Dithyrambes  recifez  à  la  pompe  du  bouc  de  Jodelle  : 

Tout  forcené  à    leur  bruit  je    freniv  ; 

J'enlrevoy  Bayf  et  Remy, 
Colet,  >Ianvier  el  ^'ergesse  et  le  Conte, 
Paschal,  Muret  et  Ronsard  qui  monte 

Dessus  le  bouc,  qui   de  son  gré 

Marche  affin  d'estre  sacré 

Aux  pieds  immortelz  de  Jodelle, 
Bouc   le   seul    pris   de    sa    gloire    éternelle. 

Pour  avoir  d'une  voix  hardie 

Renouvelle  la  Tragédie...  ' 

La  même  année,  Ronsard,  publiant  avecrpielqucs  oilos  récentes 
la  deuxième  édition  des  Amours,  introduit  le  nouvel  ami  dans 
une  réunion  d'un  caractère  plus  sérieux.  C'est  celle  de:  la  «  chère 
bande  »  idéale,  choisie  pour  aller  vivre  aux  /s/es  fortunées,  par- 
mi le  repos  et  la  solitude  consacrée  aux  Muses.  Le  texte  original 

1.  Gnytez,  éd.  E.  Courbet,  p.  39. 

2.  Gustave    Laiison,    dans    ses  Eludes  sur  les  origines  de   la    Tragédie  i 
classique  en  France,  a  reporté  à  1553  cet  intéressant  épisode  de  notre  his- 
toire littéraire.  {Revue d'Iiist.  lill.,  1903.  p.  187-189  et  19bt.Cf.  Laumonier, 
/?.  poète  lyrique,  p.  100,  et  l'éd.  de  Binet,  p.  154. 

3.  Éd.  L.,  t.  VI,  p.  186.  La  pièce  a  paru  dans  les  Folastrief. 


LE    CICÉRONIEN    DE    LA    IIRIGADE  297 

du  poème  dédié  à  Muret  porte  en  bonne  place  le  nom  de  Paschal, 
disparu  des  éditions  suivantes  : 

.le  voy   Baïf,    Denizot,   Tahureau, 
Mesme,  du  Parc,  Bellai,   Dorât  et  celle 
Troupe  de  gens  que  devance  Jodelle. 
Ici  Maclou,  là  Caslaig:ne  conduit. 
Et  là  j'avise  un  grand  peuple  qui  suit 
Notre  Paschal...  ' 

Au  mois  d'août  de  cet  an  mémorable,  Denys  Lambin,  en 
voyage  aux  environs  de  Paris  avec  le  train  du  cardinal  de  Tour- 
non,  rencontre  Paschal,  qu'il  a  dû  connaître  à  Toulouse.  11 
raconte  à  Ronsard  leur  conversation  à  son  sujet,  et  loue  la 
réserve  et  la  bonne   tenue  du    jeune   lettré  («  inest  enim  in  eius 

fronte  et  oculis  pudor   ille  ingenuus,  doctrina   et  literis di- 

gnus  1))-.  Quoi  qu'on  pense  de  ce  dernier  détail,  la  lettre  atteste 
que  Paschal  fait  bien  partie  de  la  Brigade. 

C'est  le  moment  où  la  renommée  de  Ronsard  s'étend  avec  rapi- 
dité et  où  la  France  littéraire  se  prend  tout  entière  à  l'acclamer. 
Une  preuve,  entre  bien  d'autres,  est  l'anecdote  des  Jeux  Floraux, 
à  laquelle  Paschal  se  trouve  mêlé.  Un  passage  ampoulé  et  peu 
exact  de  Claude  Binet  raconte  comment  son  maître  «  reçeut  de 
Tolouze  une  gratification,  non  seulement  libérale,  mais  qui  temoi- 
gnoit  le  bon  esprit  et  jugement  de  ceux  qui  l'ofTroient  et  le 
mérite  de  celuy  qui  la  recevoit  »  ;  ce  fut  le  prix  de  l'églantine 
des  Jeux  Floraux,  "  instituez  par  ceste  noble  dame  Clémence 
Isore  »  3.  Binet  fait  honneur  à  Pibrac  de  cette  initiative  ; 
il  semble  bien  qu'elle  revient  plutôt  k  Paschal,  si  l'on 
interprète  le  texte  de  la  délibération  du  Collège  de  rhétorique  de 
Toulouse,  du  3  mai  1534  :  «  Quant  à  la  fleur  de  l'églantine,  fut 
par  commun  advis  et  délibération  arresté  qu'elle  seroit  adjugée  à- 
M.  Pierre  de  Ronsard,  poète  ordinaire  du  Roy  nostre  sire,  pour 
excellense  et  vertu  de  sa  personne,  et  que  la  dicte  fleur  soit  aug- 

1.  Texte  publié  par  Laumonier  (flerup  d'hist.  litt.,  1905,  p.  249).  Il  est  tiré 
des  Amours  de  1553,  achevés  d'imprimer  le  24  mai  et  accompagnés  de  quatre 
pièces  «  non  encor  imprimées  »,  dont  Les  hles  fortunée;:.  L'énumération  a 
souvent  changé  suivant  la  fantaisie  de  Ronsard.  Cf.  éd.  Bl.,  t.  VI,  p.  173. 
En  1560,  le  nom  de  Paschal  est  remplacé  par  celui  de  Magny. 

2.  V.  p.  161. 

3.  La  vie  rie  P.  de  Ronsard,  éd.  L.,  p.  23,  et  l'annotation,  p.  146-150. 


298  noNSAnn  et  r.'inMAMSMF; 

mentée  de  prix  selon  ce  qui  seroil  advisé,  lat|uelle  luy  seroil 
envoyée  et  portée  en  la  court,  et  en  son  lieu  seroil  reçue  et  accep- 
tée par  M.  Pierre  Pascal,  docteur  et  maistre  en  la  dicte  science.  << 
Le  greffier  consigne  en  son  livre  rouge  qu'il  a  délivré,  dans  la 
séance  solennelle  de  Tannée,  «  la  fleur  de  l'églantier  audict  Pas- 
chal,  tenant  lieu  du  sieur  de  Ronsard  poëte  » '.  Cette  formalité 
fut  accomplie  dans  la  séance  annuelle  où  le  Collège  reçut  les 
remerciements  des  précédents  lauréats-';  mais  la  fleur  réservée  à 
Ronsard  ne  fut  point  envoyée  et,  l'année  suivante,  par  délibéra- 
tion commune  du  Collège  et  des  Capitouls,  convertissant  et  aug- 
mentant le  prix  de  l'églantine,  on  fit  exécuter  par  un  orfèvre  de 
la  ville  une  Pallas  d'argent,  qui  prit  le  chemin  de  Paris.  Ron- 
sard adressa  des  remerciements  pour  un  présent  qui  paraît  lui 
avoir  été  agréable  et  qu'il  olfrait,  à  son  tour,  au  roi  Henrill.  On  a 
six  courtes  pièces  latines  de  Du  Bellay,  consacrées  à  célébrer  le 
don  d'une  ville  lettrée  et  sa  destination  dernière'';  elles  prouvent 
l'intérêt  que  prit  à  cet  hommage  l'entourage  du  poète,  et  con- 
trastent avec  le  dédain  affiché,  quelques  années  plus  tôt,  dans  le 
manifeste  batailleur  de  la  Def/'cnsc,  pour  ces  Jeux  Floraux  de 
Toulouse,  bons,  semblait-il,  à  couronner  des  «  épisseries  »  et  h 
prolonger  misérablement  l'existence  des  formes  désuètes  de  notre 
poésie  ''. 

Cet  épisode,  qui  prouve  tout  nu  moins  que  Paschal  savait  être 
agréable  aux  gens,  n'a  laissé  chez  Ronsard  aucun  sentiment  de 
reconnaissance.    11  l'ouljlle   naturellement,  le  jour  où   il   lui  con- 


1.  Du  Mège,  Histoire  des  institutions  Je  Toulouse,  t.  IV,  p.  .310  (cilé  par 
Piiiil  Bonnefon,  l.  c,  p.  39).  J.  de  Laliomlès,  dans  U>  Iiull:>lin  rie  /.i  Société 
arcliéolo;/ir/ue  du  Midi  de  ta  France,  niini-e  1908,  p.  18^!  l.S"i.  Les  docunionls 
de  ces  deux  publications  se  complètent  sur  notre  sujet. 

2.  Voici  ces  noms  sans  jjloire,  d'après  Du  Mège,  <jui  voisinent  avec  lion- 
sard  :  Rog'uiéris,  Moèan  et  Podius.  Ce  dernier  ne  serait-il  pas  B.  du  Poey 
du  Luc? 

3.  Poemala,  Paris,  1S;)8,  fol. 26  v°  à  28  :  /n  Mineruam  argenteamà  S.  I'.  Q. 
Tholosano  l'etro  Ronsardo  ludis  Floralibus  décrétant  et  posleà  ab  ipso  Ron- 
sardo  Herrico  liegi  Chrislianiss.  dicatam.  On  notera  surtout  la  pièce  qui 
commence  ainsi  : 

Cur,  Fonsarde,  nouo  alque  inusilato 
Décréta  libi  nohilis  Ttiolosa 
Caclat:im  modo  detulit  Mineruam  ? 
Vt  qui  scilicicet  et  usiluia  Gallis 
Sic  uesligia  linquit... 

4.  Deffence,  1.  II,  ch.  iv  Cf.  plus  haut,  p.  263,  n.  1. 


LE    CIOÉRONIE.N    UIO    LA    IIRIGADE  291) 

vient  de  faire  un  récit  satirique  de  la  conduite  adoptée  par  le  Gas- 
con pour  se  l'aire  bien  venir  des  poètes.  On  ne  peut  poindre  avec 
plus  de  férocité  lindiscrétion  du  quémandeur  et  ces  flagorneries 
mutuelles  dont  usent  quelquefois  encore  les  gens  de  lettres.  Pas 
un  écrivain  n'échappait  aux  sollicitations,  même  ceux  qui  com- 
posaient en  grec  ;  aucun  ne  savait  s'en  défendre;  et  Ronsard  s'ac- 
cuse d'avoir  donné  l'exemple  de  la  pire  faiblesse  («  impudentis- 
simis  iisce  laudationibus,  ad  taedium  et  nauseam  usque  et  usque 
efflagitatis.  nialo  daemone  initium  dédit  »).  11  cite  quatre  noms 
de  sa  future  Pléiade  parmi  ceux  des  innombrables  dupes  ("  alii 
innumeri  eodem  veleno  infecti  »)  ^ 

Quels  que  soient  les  procédés,  ils  ne  laissent  pas  de  réussir. 
Paschal  recueille  de  tous  côtés  les  attestations  louangeuses.  Du 
Bellay  lui  dédie,  dès  1 353 ,  un  sonnet  où  il  lui  confie  ses  ennuis 
de  plaideur  au  Palais  et  son  labeur  de  traducteur  du  VP  livre 
de  V Enéide.  Le  ton  y  est  tout  pareil  à  celui  de  Ronsard  : 

Docte  Paschal,   honneur  de  la  Garonne, 
Qui,  retraçant  d'une  diuine  m;iin 
Les  plus  beaux  traicts  du  mieux  disant  Romain, 
T'es  mis  au  chef  la  plus  docte  couronne  ^... 

Jacques  Tahureau  compose  une  longue  épître  .4  Pierre  de  Pas- 
chal et  aux  dieux  en  sa  faveur.  Que  glaner  dans  ces  trois  cents 
vers,  où  l'éloge  du  «  divin  Paschal  »  et  l'analyse  de  son  fameux 
discours  de  ^'enise  s  entremêlent  de  prolixes  évocations  mytholo- 
giques? Celle-ci  a  le  mérite  de  quitter  l'Olympe  : 

Je  voy,  je  voy  desjà  près  des  belles  fontaines 
S'assembler  les  beautez  des  nimphes  Tholozaines; 
Je  les  voy,  ce  me  semble,  aux  bords  des  cleres  eaux. 
Tortiller  de  leurs  doys  mille  odorans  chapeaux 
De  fleurettes  d'esiite,  et  toutes  faisans  feste 
A  Paschal,  à  l'envv  luv  en  couvrir  la  teste  '... 


t.  V.  p.  264. 

2.  Du  Bellay,  CEui'res  poétiques,  éd.  Chamnrd,  t.  II,  Paris,  1910,  p.  284 
(éd.  M.-L.,  t.  Il,  p.  141).  La  date  est  établie  parChamard,  J.  du  Bellai/, 
p.  248. 

3.  Les  preniif^res  poésies  de  laques  Tahureau,  Poitiers,  1554  (dans  les  Poé- 
sies de  J.  Tahureau,  éd.  Blanchemain,  Paris,  1870,  t.  I,  p.  75-91).  Le 
poème,  dont  Colletet  parle  avec  un  éloge  qui  surprend,  fait  allusion  au  pro- 
cès de  Paschal  mentionné  plus  loin. 


300  noNSAiih  i:i   i.'iiimamsme 

Loys  le  Caron  nomme  l'humaniste  parmi  les  nobles  esprits 

Qui    ont    rendu   au   François 
Un  vaillant  bruit  éternel  '. 

Mais  c'est  surtout  Olivier  de  Magny  qui  donne  à  Paschal  une 
place  considérable  et,  de  son  propre  aveu,  encombrante.  Leur 
caractère  autant  que  leur  orij^ine  les  prédisposent  à  s'entendre. 
Il  y  a  en  Marrny  le  plus  aimable  des  cadets  de  Gasco°:ne,  qui  a  pu 
accordera  Paschal  une  sympathie  sans  réserve,  étant  lui-même 
fort  habile  il  bien  aménager  son  destin.  Venu  avant  lui  à  Paris, 
son  charme  et  son  talent  l'ont  fait  adopter  de  bonne  heure  par  la 
Bricfade.  Il  commence,  à  vingt-trois  ans,  d'édifier  sa  fortune  sur 
le  recueil  de  ses  Amours  et  aussi  sur  le  souvenir  de  son  maître, 
le  célèbre  aumônier  de  François  \",  im  des  amis  de  la  Reine  de 
Navarre,  Hugues  Salel,  abbé  de  Saint-Chéron,  dont  il  a  été  plu- 
sieurs années  le  secrétaire.  Le  titre  même  des  Amours  du  jeune 
poète  de  Cahors  annonce  des  vers  inédits  de  Salel,  qu'il  a  cru  poxx- 
voir  joindre  à  ses  propres  œuvres  -.  La  précaution  est  ingénieuse, 
et  les  vers  liminaires,  dont  il  est  honoré  avec  une  abondance 
extrême,  attestent  l'avantage  qu'il  tire  de  la  mémoire  respectée 
de  l'helléniste,  sous  le  patronage  duquel  il  abrite  ses  débuts.  11 
a  préparé  en  même  temps  l'édition  des  livres  X  et  XI  de  Y  Iliade. 
traduite  par  Salel.  Cette  publication,  destinée  à  compléter  celle 
des  dix  premiers  livres  mise  à  l'impression  du  vivant  de  l'auteur, 
témoigne  à  nouveau  du  culte  que  Magny  lui  garde,  ainsi  que  de 
la  part  prise  à  ses  derniers  travaux  :  il  y  joint  un  Tombeau  de 
Salel,  oîi  il  sait  grouper  de  beaux  hommages  posthumes,  parmi 
lesquels  un  poème  de  Ronsard  lui-même  ^.  Paschal  y  figure  par 
une  simple  épitaphe  latine,  rappelant  surtout  la  retraite  à  Chartres 
et  les  dernières  années  du  traducteur  de  Y  Iliade  :  Hvgoni  Salellio 

1.  La  Poésie,  Paris,  lSo4,  fol.  47  v". 

2.  Les  Amours  d'Oliiier  de  Magny  Qiiercinois.  el  r/iielgues  oiles  de  liiy. 
Ensemble  un  recueil  d'aucune^^ui'res  de  Monsieur  Salel,  abbé  de Sainl-f^hé- 
ron,  non  encore  veûes,  Paris,  Est.  GrouUeau,  1333.  Le  privilège  est  du 
18  mars  1552. 

3.  Les  unzieme  et  douzième  livres  de  riliade  d'Homère,  traduictz  de  grec 
en  français  par  feu  Hugues  Salel...  avec  quelques  vers  mis  sur  son  tombeau 
par  divers  poêles  de  ce  temps,  Paris,  Sertenas,  1554.  Le  privilège  est  du 
25  juillet  1554,  et  la  dédicace  est  à  Jean  d'Avanson.  Cf.  l'édition  des  Sous- 
pirs  d'E.  Courbet,  p.  xij,  et  Jules  Favre,  Olivier  de  Magny,  Paris,  1883.  p.  45- 


LE   CICÉRONIËN    DE    LA    BRIGADE  301 

Cadvrco,  qui  ex  regia  mortuo  Francisco,  ut  se  totum  otio  et  doc- 
(riiiao  (lederet,  Cnrnufuni  renil,  ubi  alir/uol  pnsi  annos  diuturno 
et  niorti/ero  mordo  a/fectus  de  cita  placide  et  conslanler  decessil. 
Anno  asalule  mortalibus  restituta  M.  D.  LUI.  Vixif  an.  XLIX, 
nien.  VI.  C'est  le  ton  des  inscriptions  relevées  par  l'auteur  sur 
les  tombes  italiennes  de  l'époque  ;  Paschal  se  plaira  à  en  compo- 
ser d'autres,  et  celle  qu'il  fera  pour  Joachim  du  Bellay  est  vrai- 
ment un  modèle  du  genre.  N'oublions  pas  que  cette  sorte  de  tra- 
vail ne  lui  coûte  guère  et  qu  il  aimera  toujours  éblouir  ses  con- 
temporains à  peu  de  frais.  L'éditeur  prête  à  «  l'ombre  de  Salel  » 
ce  remerciement  : 

Je  le  veux  dire  aussi  comme  je  vieu  d'entendre 
Le  Ciceron  Paschal,  qui  daigne  .sur  ma  cendre, 
Tesmoig^nant  mes  verluz,  respandre  de  sa  main 
Les  trésors  plus  divins  de  son  parler  Ronïain  '. 

Magny  célèbre  encore,  dès  sa  première  ode,  l'orgueil  qu'il  res- 
sent de  cette  amitié.  D'après  lui,  Paschal  a  attiré  les  regards  du 
Roi,  l'estime  du  poète  de  la  Cour,  Mellin  de  Saint-Gelais,  et 
Toulouse  est  déplus  en  plus  fière  d'un  fils  aussi  glorieux  : 

Ja  desja  je  voy  ce  grand  Roy,  Je  voy  son  esprit  et  ses  yeux 

Ce  grand  Henri,  Dieu  de  la  France  Fichez  d'un  travail  qui  recrée 

S'aprivoysant  dessous  la  loy  Sur  le  distillant  gracieux 

De  tes  escritz  pleins  d'excellance  ;  De  ta  langue  docte-sucrée 

Je  voy  comme  béant  il  fait  Je  voy  (laronne  desborder 

Jugement  saint  de  ta  doctrine,  Orgueilleuse  de  sa  victoire. 

Et  comme  il  estime  parfait  Et  avec  Tholose  acorder 

L'enfantement  de  ta  poitrine.  L'hinne  consacré  de  ta  gloire  ; 

Je  voy  le  mignon  d'Apollin,  Je  voy  eneor  les  Seurs  au  bal, 

Celuy  qui  repaist  son  oreille,  Mignardans  un  chant  délectable 

Le  graue-doux  savant  Mellin  Qui  ne  resonne  que  Paschal, 

Tout  ravy  de  ceste  merveille  ;  Leur  cher  Paschal  inimitable  "... 

La  dédicace  des  Gayetez  constitue  un  nouvel  hommage  '.  Le 
recueil  a  une  réputation  fâcheuse,  qu'il  ne  justifie  qu'à  demi,  car 
le  ton  lascif  y  est  assez  rare    et,  pour  peu  qu'on  ait  feuilleté  une 

t.  Odes,  éd.  E.  Courbet,   Paris,  1876,  L  I,  p.  'iS  (à  Monsieur  d".\vanson). 
2.   Amours,  éd.  E.  Courbet,  Paris,    1878,  p.  92-04.   I^es  «  Seui-s  au  bal  » 
sont  les  Muses.  L'ode  a,  bien  entendu,  une  strophe  consacrée  à  Durban. 


30â  noNSAKD  ET  l'iicma.nisîie 

certaine  lilliTulure  latine  delà  Henai.ssMnce,  on  est  porté  à  moins 
de  sévérité  pour  celte  {jailé  yauloise  et  plutôt  hacliicjue.  La  pim- 
pante pièce  des  Marlinales,  qui  ne  serait  point  indigne  delà  veine 
plaisante  de  Ronsard,  désoblige  à  peine  un  instant  les  chastes 
oreilles.  Faschal  y  paraît  plusieurs  fois,  dans  les  attitudes  les 
plus  joviales,  mêlé  à  ce  groupe  d'amis  réunis  autour  de  François 
de  Gharbonier  et  de  sa  «  nynfe  geôlière  »  pour  fêter  Bacchus, 
«  le  bon  Denis,  le  bon  père  »,  sous  la  treille  du  cabaret  parisien. 
La  compagnie  est  au  rendez-vous,  et  la  faim  1"  "  espoinvonne  »; 
la  perdrix  se  dessèche  sur  la  broche,  parce  que  Paschal  est  en 
retard;  il  arrive,  s'excusant  sur  la  pluie  «  qui  l'a  moitement  trem- 
pé ».  On  se  met  à  table,  le  garçon  passe  «  l'aiguière  lavandière  » 
et,  tandis  qu'on  attaque  les  viandes  et  que  Gharbonier  découpe  le 
«  poulastre  indien  »,  Magny  entonne  l'éloge  des  convives  : 

'Dieu  f,'ard  Paschal,  qui  les  Grâces 

Par  leur  Irasses 
Suyt  tousjours  d'un  lil)re  pas,.. 
Voyez  Paschal  notre  guide 

Gomme  il  vuyde 
Ce  verre  plein  de  vin  i)lanc 

Les  belles  Muses  ne  sont  point  oubliées,  non  plus  que  les 
maîtres  absents.  On  évoque  le  «  Pétrarque  Vendomois  »,  on  rap- 
pelle le  festin  d'Arcueil,  et  tous  boivent  en  chceur  «  à  ce  tout 
divin  Jodelle  »,  s'essayent  à  vider  le  pot  à  la  ronde,  avalent  "  au 
tireligot  »  le  malvoisie  «  et  ce  bon  gros  vin  de  grave  —  qui  les 
lave  —  de  tristesse  et  de  tourment  »  : 

Paschal  enseigne  et  radresse  Voyez  le  comme  il  enserre 
De  la  presse  De  ce  verre 

Ceulx  qui  faillent  en  cecy.  Les  despouilles  dedans  soy, 

Et  nous  monstre  la  manière  En  l'honneur  de  son  Oreste 
Taverniere  Tout  céleste, 

D'escarbouiller  le  soucy.  Son  Durban  à  qui  je  boi  '. 

Tout  cela  est  innocent  et  joyeux,  dans  une  tradition  qu'on  sait 
assez  être    nationale;  Ronsard  n'a  pas  dédaigné  d'accorder  son 

I.  Gagelez,  éd.  E.  Coiu-bet,  p.  64,  05,   70,  72.  La  date  osl  donnée  par  le 
motif  du  retard  que  met  Pascal  à  rejoindre  la  compagnie  : 
Pascal,  qui  plus  la  décore. 

Est  encore 
Pai-  la  ville  A  son  procès. , . 


LE    CtCÉRONlEN    DE   LA    URIGADI::  303 

lulh  à  de  telles  chansons,  et  son  élève  ne  s'y  montre  point  mala- 
droit. 11  peint  vivement  un  Paschal  de  belle  humeur,  hors  du 
ton  gourmé  de  pédant,  qu'il  reprend  ailleurs  avec  son  latin  et 
(juil  afliche  avec  avantage  en  d'autres  lieux.  Ses  amis  de  lettres 
s'entendent  à  merveille  à  soutenir  son  ambition  en  bataille  et  à  le 
pousser  dans  le  monde.  Il  faut  s  adresser  encore  à  Magny,  dans 
ses  Odes,  pour  savoir  jusqu'où  s'enfle,  chez  un  poète  d'alors, 
l'hyperbole  de  l'amitié.  Le  livre  II  est  presque  entièrement  rem- 
pli par  la  gloire  et  les  intérêts  de  Paschal. 

Un  procès  important,  qu'il  soutient  à  Paris,  fournit  matière  à 
trois  longues  odes  adressées  à  M .  d' Avanson,  premier  président  au 
Grand  Conseil  du  Roi,  à  Jean  Bertrand  et  à  Nicolas  Compain, 
conseillers  au  même  Conseil,  toutes  «  en  faveur  de  Pierre  de  Pas- 
chal ».  Le  poète  décrit  dans  la  première  les  tourments  du  plai- 
deur, «  son  front  ([ui  trop  se  ride  »,  sa  face  «  trop  humide  >>  ;  il 
dit  comment  se  lamentent  ses  amis 

Et  la  docte  Tholoze  encore, 
.  Qui  par  rhonneur  de  son  sçavoir 
Tant  d'honneur  se  sent  recevoir 
Qu'en  l'honorant  elle  s'honore. 
Je  cognoy  parmy  cette  bande 
Son  Durban,  le  mignon  des  Dieu.x'  ... 

L  ode  au  conseiller  Bertrand  lui  annonce  que  Paschal  a  pris 
en  main  l'éloge  de  l'illustre  famille  à  laquelle  il  appartient,  et 
qu'il  va  célébrer  dans  la  langue    «  du  mieux    disant  Romain  »  : 

Je  rencontray  l'œuvre  latine, 
Ainçois  de  Paschal  les  torrentz. 
Plains  d'éloquence  et  de   doctrine 
Qui  bruyoient  l'honneur  des  Bertrandz... 
Paschal  que  les  Grâces  chérissent, 
Paschal  que  les  Muses  nourrissent  ^... 

Ce  nourrisson  des  Muses,  si  dévoilé  à  la  famille  des  Bertrand, 
mérite  rpi'on  se    hâte  d'arrêter   une  ordonnance    en   sa  faveur  ; 

1.  Odes,  t.  I,  p.  88-89.  Après  Durban  et  Panjas,  le  poète  énumère 
Tumery,  Revergat,  la  Roze,  Dubuix  fdu  Poey  '.'],  Cbarbonicr.  C'est  le 
groupe  toulousain  de  Paschal  ;  les  Marlinales  l'ont  montré  à  Paris  dans  un 
autre  groupe,  avec  Magny,  Charbonier,  Cappel,  Navières,  etc.  Mis  au  net 
en  1557,  le  recueil  des  Odes  contient  des  pièces  de  diverses  époques. 

2.  Odes,  t.  I,  p.   102. 


304  RONSARD    ET   L  HUMANISME 

un  tel  geste  est  digne  du   magistrat  ami  des  lettres,  qui  se  fait 

Bien  aymer  des  Cygnes  parfailz, 
Des  Cygnes  qui  sont  les  Poètes... 

Les  mêmes  adjurations  sont  adressées  au  conseiller  Nicolas 
Compain,  à  qui  l'écrivain  promet  de  chanter  son  los  sur  la  Seine, 
le  Lot  et  la  Loire,  à  la  manière  des  Anciens,  c'est-à-dire  de  façon 
pindarique,  «  tout  ainsi  que  notre  Ronsard  '  ».  L'ami  soutenu 
auprès  de  ses  juges  de  cette  façon  originale  gagna-t-il  ce  fameux 
procès  ?  11  obtint,  du  moins,  fort  peu  de  temps  après,  un 
succès  beaucoup  plus  considérable.  Dans  la  dernière  ode  du 
livre,  Magn}'  instruit  la  postérité  de  la  nouvelle  dignité  de  son 
héros.  Elle  a  pour  titre  :  Sur  son  parlement  de  France  pour 
aller  en  Italye,  à  Pierre  de  Paschal,  historiographe  du  Roy  -.  Les 
premières  strophes  annoncent  à  celui-ci  le  départ  de  Magny, 
avec  l'ambassadeur  Avanson,  et  le  plaisir  qu'il  aura  de  retrouver 
à  Rome  Panjas  et  Du  Bellay,  parmi  "  les  plus  belles  anti- 
quitez  »,  cependant  que  leur  ami  commun  tiendra  à  Paris  une 
plume  honorée  : 

Tandis  sur  le  mestier  Romain 
Tu  tixlras  de  ta  docte  main 
Le  fil  de  ta  Françoise  histoire, 
Empennant  si  bien  la  victoire 
El  l'honneur  de  nostre  grand  Roy, 
Qu'à  jamais  sa  gloire  par  toy 
Volera  vive  en  la  mémoire. 

Certes  noz  nepveuz  qui  viendrout 
Grandement  heureux  tiendront 
Nostre  belle  et  fertile  France, 
De  quoy  dechassant  l'Ignorance 
Elle  allaicte  ore  en  son  giron 
Un  Paschal  qui  deCiceron 
Egalle  la  douce  éloquence. 


i.  Odes,  t.  I,  p.  111-112.  Le  sonnet  xcii  des  Sous/tirs  nicnlionne  avec 
Paschal  le  même  conseiller  au  Gi-and  Conseil. 

2.  On  assigne  communément  à  ce  départ,  avec  l'ambassadeur  Avanson, 
la  date  de  1553.  Mais  Avanson  parait  avoir  fait  le  voyage  de  Rome  plus 
d'une  fois,  et  c'est  à  l'année  1554  qu'il  convient  de  reporter  la  nomination 
de  Paschal, 


LE   ClCÉRONltN    DE   LA    BRIGADE  303 

Aussi  ce  grand  Roy  le  sçail  bien, 
Qui  soigneux  d"acquerir  le  bien 
A  qui  nul  bien  se  parangonne, 
Maintenant  la  charge  le  donne 
D'escrire  tout  ce  que  soubz  luy 
Nous  avons  veu  iusqu'au  jourd'huy, 
Depuis  qu'il  vint  à  la  couronne  '. 

Interrompons  ici  le  défilé  des  poètes  qui  ont  célébré  notre  hu- 
maniste, pour  le  contempler  dans  ses  fonctions  inattendues 
d'historiographe  de  France. 


III 


Pierre  de  Paschal  voyait  ses  ambitions  comblées.  11  obtenait, 
pour  l'unique  mérite  de  son  pur  langage,  d'être  chargé  d'écrire 
l'histoire  de  son  temps  et  de  son  roi,  honneur  insigne  que  son 
modèle  cicéronien,  Etienne  Dolet  lui-même,  avait  sollicité  et 
espéré  vainement  de  François  1^''  -.  Le  petit  Gascon,  dont  la  seule 
force  était  de  croire  en  soi-même,  avait  fini  par  imposer  cette 
confiance  autour  de  lui  et  en  tirait  un  prodigieux  parti.  Fort 
attaché  aux  biens  terrestres,  il  pouvait  regarder  sa  fortune  faite. 
Il  avait  charge  de  cour;  il  approchait  les  grands,  recevait  pension 
du  Roi .  Cette  pension  était  de  douze  à  quinze  cents  livres  selon 
Brantôme,  qui  le  peint,  en  un  malin  portrait,  «  tout  glorieux  » 
au  temps  de  sa  «  piaffe  »  ^.  Le  pamphlet  de  Ronsard  donne,  sur 
les  moyens  qu'il  employa  pour  réussir,  des  détails  particuliers 
que  nous  pouvons  vérifier  en  partie. 

Le  bruit  extravagant  fait  par  les  poètes  autour  de  lui  servit 
assurément  à  son  succès.  Mais  il  eut  des  répondants  plus  sérieux 
auprès  de  Henri  II,  de  Catherine  de  Médicis  et  du  cardinal  de 
Lorraine,  qui  le  fit  choisir  ;  ce  furent  deux  prélats  lettrés,  im- 
portants à  la  Cour,  auxquels  il  fut  recommandé  sans  doute  par  le 

I 
\ .  Odes,  t.  I,  p.  114-113.  L'ode  prévient  un  reproche  déjà  entendu  : 

Si  quelcun,  Paschal,  te  trouvant 
Dedans  mon  livre  si  souvent, 
Envieu.ï,  m'en  vouloit  reprendre... 

2.  Voir  l'épitre  par  laquelle  Dolet  dédie  au  Roi  le  second  tome  des  Com- 
mentaria  linguae  latinae,  Lyon,  1538. 

3.  Voir  plus  loin,  p.  .338. 

20 


306  konsahu  et  L"nuMAMa.MÈ 

cardinal  d'Arma^'nac.  Lun,  le  disert  LanceloLde  Carie,  évêque  de 
Riez,  appréciait  riUilie  et  la  culture  qu'on  en  rapportait  ';  l'autre 
Jean  de  Monluc,  évéciue  de  Valence,  frère  du  grand  capitaine  et 
fort  différent  de  lui  par  le  caractère,  était  mêlé  de  près  à  la  poli- 
tique royale  et  se  rapprochait  des  idées  conciliatrices  de  Michel  de 
L'IIospital  ;  Ronsard  louera  ses  vertusecclésiasliques,  notamment 
dans  la  Cuinplninlc  à  lu  Boyiie  mère,  de  qui  Monluc  sera  un 
intime  conseiller  -.  Le  poète  assure  que  la  flatterie  n  a  pas  suffi 
à  Paschal  pour  obtenir  l'appui  de  ces  éminents  personnages, 
mais  qu'il  a  exploité  leur  goût  sincère  des  bonnes  lettres,  en  se 
faisant  valoir  à  leurs  yeux  par  des  épîtres  pillées  chez  les  cicéro- 
niens  qualifiés  («  decepti  quibusdani  eSadoleto  et  Bcinbosubrepli- 
ciis  epistolis  et  a  quibusdani  dicendi  formulis  e  Cicérone  perpe- 
rampetilis  )>)-^.  11  oublie  (jue  lui-même  fut  le  premier  proneur  d'un 
obscur  écrivain  proclamé  par  lui  le  Cicéron  de  la  France. 

Comment  s'y  prit  Paschal  pour  faire  réussir  ses  démarches,  on 
le  voit  dans  une  lettre  adressée  à  un  de  ses  parents,  Guillaume 
Bohier,  président  au  Parlement  de  Toulouse,  personnage  influent 
et  consulté  '.  Ce  document,  qui  a  trouvé  le  chemin  de  la  Cour, 
définit  en  bons  termes  toute  la  doctrine  littéraire  qu'il  exploite. 
On  y  apprend  par  quels  arguments  il  fait  soutenir  sa  candidature 
au  poste  lucratif  sur  lequel  il  a  jeté  son  dévolu,  et  aussi  quelles 
sont  les  idées  régnantes  surlart  de  l'histoire  et  sur  la  convenance 
de  ne  l'écrire  qu'en  pur  langage  cicéronien  ^  : 

...  Auere  te  certo  scio  tum  Gallicarum  reruni  historiani  pure  et 
latine  scriptam  videra,  lum    a  nie  scriptam.  Quod   quidcm  quam    sit 

1.  V.  p.  185. 

2.  Ed.  L.,  t.  II,  p.  14;  t.  Vil,  p.  309  {Bocage  ittijal^  Monluc  fui  ambas- 
sadeur en  Pologne  où  il  assura  l'élection,  royale  du  duc  d'Anjou.  Tauiizey 
de  Larroque  a  publié  des  \otes  et  doc.  inécl.  pour  servira  la  biographie  de 
Jean  de  Monluc,  1868.  Emile  Picol  a  esquissé  cette  biograpbie,  /.  c,  l.  I, 
p.  251-269.  Son  rôle  équivoque  lors  de  la  Saint-EJarlliélemy  est  mis  en 
lumière,  à  propos  de  VEpislola  de  Pibrac,  par  René  Badouaul,  dans  la 
Revue  d'Iiisl.  litt.,  1910,  p.  17-28. 

3.  V.  p.  265. 

4.  11  avait  été  lié  avec  Lazare  de  Ba'if,  ayant  été  chargé  de  procéder,  de 
concert  avec  lui,  pendant  sa  mission  de  1544  en  Languedoc,  aux  engage- 
ments du  domaine,  négociations  d'emprunts,  etc.  [Catalogue  des  actes  de 
François  ^^  t.  IV,  p.  668.) 

5.  BibL  nat.,  Lai.  8585,  fol.  47-f8.  «  P.  Pascliolius  G.  Bocrio  Praesidi 
S.  D.  »  Ces  quatre  pages  autographes  sont  la  seule  lettre  originale  de  Pas- 
chal que  j'aie  retrouvée. 


Le   ClCÉRONlEJi    DE    LA    ItKlGAUE  30l 

inagnuiii,  quanirnie  et  magnae  et  arduae  cogitatioiiis  indigent  vel  ex 
hoc  ipso  intelligi  polest,  ([uod  iiomiiiem  qui  pro  dignilate  id  praes- 
tare  poluerit  adhuc  vidimus  neminem.  Quotus  enim  quisque  est  qui 
de  horridis  rébus  nitidam,  de  ieiuuis  plenam,  de  peruulgatis  nouam 
oratinneni  facial  ?  Periiiulti  sunl  in  (lallia,  fateor,  (|ui  non  pessinie  illi 
quidem  loquuntur,  et  lileratius  fortasse  quuni  caeteri  ;  sed  qui  plane, 
qui  dilucide,  qui  ad  rem  et  dignitatem  ornate  scribant,  non  ita  mulli. 
Unus  inanem  quandam  verborum  volubilitateni  eioquenliani  esse 
putat  ;  aller  una  aut  altéra  oralione,  horriilis  verbis  et  insoleiilibus 
ab  autoribus  omnibus  sine  uUo  dek'Ctu  sumptis,  quoquo  modo  com- 
posila  eloquenteni  se  esse  praedicat  '.  Quid  quaeris  ?  Tota  iUa  velus 
copiose  loquens  sapieutia,  hoc  est  eloquentia,  in  obliuione  quasi  per- 
pétua iacet.  Et  nisi  Ciceroniani  quidam,  qui  iamprideni  Dei  Opt.  Max. 
quodam  veluti  munere  ex  Ilalia  sunt  exorli,  illam  ab  obliuione  homi- 
num  atque  a  silenlio  vindicassent,  obrula  oninino  iaceret. 

Horum  ego  hominum  seclam  alque  institutionem  iuuenis  apud 
lacobum  Sadoletum  Cardinalem  {qui  fuit  eodem  ex  studio  non  apud 
Ilalos  soluni,  sed  apud  omnes  génies  etiam  vir,  ut  sois,  eruditissimus) 
diligenter  salis  sum  prosecutus  -  ;  idque  me  unum  assecutum  esse 
confido,  ut  scriptorum  subtililatem  aliorum  et  elegantiam  perspiciam; 
sublililer  vero  ac  eleganter,  et  antique  illo  et  Romano  more  me 
scribere  posse  plane  desperem.  Quare,  Boeri,  dolet  mihi,  et  vehenien- 
ler  quidem  dolet,  cum  honestae  tuae  postulationi,  ut  maxime  vellem, 
concedere  non  possuni. 

Veruntauien  fac  me  eum  esse  qui  hoc  ample  praestareet  cumulate 
possim.  Fac  meam  eius  generis  esse  orationem  quae  nostrorum  Cice- 
ronianorum  (quos  enumerare  perfacile  est,  ita  sunt  pauci)  terelibus 
ac  religiosis  auribus  abunde  satisl'aciat...  Al  Régis  annales,  et  Régis 
praesertim  omni  praestanlia  praecellenlis,  confîcere  ;  nostrorum 
Imperatorum  rei  militaris  virtule  caeteris  omnibus  praestantium,  et 
erudilionem,  nostrorum  denique  temporum  coiisilia  alque  eueutus 
historiis  latinis  ila  mandare,  ut  veleris  illius  eloquentiae  pressum 
aliquod  vestigium  perpétue  apparcat,  magnum  hoc  totuui  est,  fateor, 
atque  haud   scio  an.  de   caeleris  omnibus  aliis  rébus    longe  maximum. 

Quod  quoniam  proximis  his  su[)erioribus  annis  quidam,  orationis 
faciundae  ac  poliendae  meo  quidem  iudicio  plane  ignari,  atlingere 
sunt  conati,  quid  in  hoc  ego  génère  possim  non  experiar.  Tanlum 
dicam  me  nuper  in  quendam  historicum  forte  incidisse,  qui  lanta 
verborum  ieiunitate  et  famé  de  laudibus  Francisci  illius,  illius  inquam 


Il  Ceci  touche  au  point  csscaliel  de  la  théorie  cicéroiiieune. 
2.  Cf.  plus  haut,  p.  273. 


308  RONSARD  JiT  l'iii;mamsme 

magiii  Francisci  Gallorum  He;,'is  patriae  tolius  ac  Musarum  omnium 
vere  parentis,  scripsit,  ut  e};o  humunculus  Manium  tanli  Régis  sanc- 
lissimorum  quodani  modo  miscrerer  *.  Alque  tali  impudentia  amarior 
fiiclus,  nonsolum  fjenus  scribendi  putidum,  sed  hominem  etiam  ipsum 
qucm  niinc|uani  videram,  sutn  slomachatus.  Videliatur  enim  cerle 
lanti  l{egi.s  sjjlendorem,  uescio  quiiius  laudilnis,  maculare...  Alicunde 
est  tibi,  Boeri,  Giceronianus  aliquis  requirendus  ;  in  lioc  quod  petis 
unus,  niihi  crede,  satis  eril.  Ille  enini  potest,  quod  isli  volunl  ;  ille 
solus  perficiet,  quod  isti  conantur.  . . 

Le  morceau  est  joli  et  iulroit.  Rien  n'y  manque,  ni  la  fausse 
modestie,  ni  la  féroce  critique  des  prédécesseurs  et  des  rivaux. 
L'autorité  de  l'Italie  est  invoquée  avantageusement  dans  une  cour 
où  l'italianisme  sous  toutes  ses  formes  gagne  du  terrain,  grâce  àla 
Reine  et  à  son  entourage.  La  thèse  cicéronienne  est  défendue  dans 
un  style  qui  veut  joindre  l'exemple  à  la  théorie.  Ne  nous  éton- 
nons pas  de  voir  purement  littéraires  les  titres  qu'a  fait  valoir 
Paschal  à  écrire  l'histoire  de  France.  Telle  était  la  tradition  de 
l'historiographie  officielle  en  langue  latine,  à  laquelle  avaient 
procuré  quelque  éclat  les  travaux  sur  les  rois  français  du  véro- 
nais  Paul  Emile  ~.  Cette  tradition  devait  se  maintenir,  lorsque 
le  français  fut  tardivement  adopté  pour  narrer  les  gestes  de  nos 
princes  et  de  notre  nation.  La  charge  resta  littéraire,  et  même 
oratoire,  jusqu'au  temps  de  Mézeray,  et  il  suffit  de  rappeler  les 
noms  d'écrivains  qui  la  tinrent  au  xviu"  siècle.  Voltaire,  Duclos, 
Marmontel,  et  aux  vingt  et  un  volumes  de  Discours  sur  l'histoire 


1.  L'historiographe  de  François  I'"'',  dont  Paschal  parle  avec  mépris 
parce  qu'il  n'est  pas  cicéronien,  ne  peut  ('lie  qu'.\rnoul  le  Fcrron  (1515- 
156.3), le  célèbre  jurisconsulte  bordelais,  dont  la  continuation  de  Paul  Emile 
s'arrête  à  la  mort  de  François  1"''.  Son  ouvrage  historique  venait  d'être 
précisément  publié  par  Vascosan.  \  la  fin  de  sa  vie,  mieux  pclairé  sur  les 
mérites  d'Arnoul  le  Ferron  ou  n'ayant  plus  à  diminuer  un  rival,  on  verra 
Paschal  lui  consacrer  un  court  éloge  funèbre. 

2.  Vascosan  réimprime  à  Paris,  en  1553,  l'ouvrage  anWanl:  Pauli  Acmi/lii 
Veronensis  hislorici  clarissiini  dp  Robus  gestis  Francorum  libri  X.  ArnoIJi 
Ferroni  Fiurdigalnnsi.i,  Régis  cunsiliarii,  de  rehus  gestis  Gallorum  lihri  IX 
ad  historiam  Patili  Acmylii  additi,  Chrnnicon  I.  Tiliide  regihus  Francorum, 
a  Pharamundo  usrjuc  ad  Ilenricam  II  (in-8  de  448  p.).  La  dédicace  de 
Michel  Vascosan  à  François  I"'  est  datée  Lui.  Par.  III  non.  Mari.  1339.  Le 
recueil  ne  dépasse  pas  le  règne  de  Charles  Vlll  et,  malgré  la  promesse  du 
titre,  ne  contient  que  l'œuvre  de  Paul  Emile.  La  liste  chronologique  des 
rois  comprend  Henri  11,  qui  est  le  57°  depuis  PJiaramond. 


LE    CICÉROMEN    Ui;    I.A    IIRHi.vrjE  30Î) 

de  France  laissés  par  Morcau,    pour   sapercevoir  qu  elle  g'arda 
jusqu'à  la  fln  des  traces  de  son  origine  '. 

Une  quinzaine  d'années  après  l'épisode  ici  raconté,  Ronsard 
semble  avoir  compris  la  vanité  d'ulie  composition  historique  oii  la 
recherche  de  la  forme  reste  le  premier  souci  de  l'écrivain.  Il  pense 
peut-être  k  l'expérience  faite  avec  Paschal,  il  donne  en  tous  cas  un 
avis  mûri  par  le  temps  et  d'une  éloquente  autorité,  lorsqu'il  défi- 
nit le  rôle  de  l'historien  dans  un  sonnet  adressé  au  traducteur  de 
Guichardin  : 

Non,  ce  n'est  pas  le  mot,  Chomedey,  c'est  la  chose 

Qui  rend  vive  l'Histoire  à  la  postérité; 

Ce  n'est  le  beau  parler,  mais  c'est  la  vérité 

Qui  est  le  seul  Trésor  dont  l'Histoire  est  enclose. 

Celui  qui  pour  son  but  ces  deux  poincts  se  propose 
Désire  ensemble  éloquent  et  loing  de  vanité, 
Victorieux  des  ans,  celuy  a  mérité 
Qu'au  giron  de  Pallas  son  Livre  se  repose. . .  ^ 

L'ami  de  nos  poètes  n'eut  point  d'ambition  aussi  haute.  Mais  son 
travail  historique  ne  fut  pas  une  pure  illusion,  comme  les  con- 
temporains l'ont  cru.  S'il  y  mit  une  lenteur  exagérée,  qu'explique 
son  laborieux  artifice,  on  ne  peut  nier  qu'il  ait  accompli  au  moins 
une    partie    de  la    tâche    pour  laquelle   il    fut   pensionné  '.   Ses 

1.  Lacurne  de  Sainte-Palaye,  dans  son  Diclionnâire  des  Antiquités  natio- 
nales que  possède  le  fonds  Moreau  de  la  Bibl.  nat.,  a  dressé  une  liste  insuf- 
fisante, quoique  abondante,  des  écrivains  qui  ont  porté  le  titre  d'historio- 
graphe. La  liste  est  résumée  par  Chéruel,  Dict.  hist.,  t.  1,  p.  548.)  Un  arrêt 
du  Parlement  est  relatif  au  choix  de  l'avocat  Jacques  Gohorry  et  à  des 
émoluments  de  oOO  livres  tournois  à  prendre  sur  un  leg:s  de  Ramus  ;  on  v 
voit  assez  bien  quelle  incertitude  régnait  dans  la  continuation  de  nos  chro- 
niques. Le  ms.  de  Sainte-Palaye  assigne  h  Tannée  lao3  la  nomination  de 
Paschal  (fonds  Moreau,  liilSj.  Le  litre  d'historiographe  de  Henri  11  a  été 
porté  par  un  autre  des  premiers  amis  de  la  Brigade,  Denys  Sauvage,  sieur 
du  Parc. 

2.  Ed.  L.  l.  VI,  p.  422;  éd.  El.,  t.  V,  p.  .356.  Le  sonnet  a  paru  en  titre  de 
la  traduction  de  l'Histoire  (VltaUe.  .  .  translatée  par  Hierosme  Chomedey, 
Paris,  1568. 

3.  L'historiographe  était  appelé  à  rendre  par  sa  plume  des  services  à  la 
politique  royale.  Le  premier  travail  de  Paschal,  à  peine  investi  de  sa  fonc- 
tion, fut  précisément  la  publication  d'un  pamphlet  intitulé  ;  Ad  principes 
chrislianos  cohorlatio  pacificatoria  (Lyon,  Tournes,  1555),  que  lui  attribue 
Dupuy.  29  pages  in-8.  Cum  priuilegio  Uegis.  (V.  Léon  Dorez,  Inv.de  la  coll. 
Diipiiy,  t.  II,  p.  154,  description  du  vol.  624.) 


.Md  nONSARD    ET    I.'riU.MANISME 

manuscrits  existent;  on  pourrait  aujourd'hui  les  étudier, et  même 
avec  utilité  '.  Ce  sont  trois  volumes  de  brouillons  et  de  mise  au 
net,  équivalant  <i  peu  près  aux  quatre  premiers  livres  de  son 
ouvrage  2.  Le  témoignage  sur  certains  faits  de  son  temps  pren- 
dra môme  un  réel  intérêt  au  premier  livre  (qui  commence  à  l'an 
15t7et  sachève  sur  le  récit  de  la  naissance  de  la  princesse  Claude 
de  France  à  Fontainebleau),  si  la  mention  suivante,  que  je  trouve 
à  Vc.vplicit,  est  tout  h  fait  véridique  :  «  Primus  hic  liber  (rerum 
ab  llenrico  rege  geslarum)  totus  ox  Caroli  Lolharingi  cardinalis 
commentariis  est  confeclus  ;  qui,  quia  maxi[mis]  occupalionibus 
distentus  persequi  historiam  non  potest,  aduersaria  scribit.  At, 
ut  hune  primum  librum  suis  commentariis,  sic  caeteros  omnes 
aduersariis,  ut  spero,  illustrabit.  VNi  deo  honor  et  gi.oria  in 
SEMPITERNVM  AEVVM -^tt  11  y  a  Une  tradition  assez  incertaine  sur  des 
mémoires  écrits  par  le  cardinal  de  Lorraine,  dont  rien  ne  sest 
retrouvé  jvisqu'à  présent.  Cette  collaboration  illustre,  attestée 
par  la  minute  même  de  Pasciial  et  dont  il  s'est  fait  gloire  devant 
le  public  dans  la  dédicace  de  son  éloge  de  Henri  II,  mérite  sans 
doute  d'être  relevée  dans  son  œuvre. 

Ronsard,  après  leur  brouille,  l'accusera  non  seulement  d'es- 
quiver par  paresse  les  obligations  de  sa  charge,  mais  même  de 
pratiquer  le  plagiat.  Il  nommera  un  personnage,  simple  homme 
d'armes  des  armées  royales,  dont  l'historiographe  aurait  i)illé  les 
notes  rédigées  en  français  pour  les  transcrire  en  son  latin  \  Cette 


d.  Le  mérite  derétiulede  Paul  Bonnefon  a  été  de  mettre  en  lumière  l'exis- 
tence de  ces  manuscrits  et  d'établir  que  l'œuvre  de  Paschal  n'est  pas  aussi 
infime  que  l'on  s'est  plu  à  le  redire  après  Pasquier,  Brantôme  et  La  Croix 
du  Maine.  Bonnefon  a  publié,  comme  spécimen  du  travail  de  Paschal,  un 
important  fragment  de  son  livre  II  contenant  le  récit  des  émeutes  borde- 
laises de  1545  (Pierre  Je  Pasc/ia/,  p.  6"i-71V 

2.  Bibl.  nat.,  Dupuy  (i2i  (Dore/,  t.  11,  p.  154);  fragments  autographes 
du  I'"'  et  du  11^  livre.  Lai.  H481  :  fragment  du  I"'  livre,  en  brouillon,  et 
notes  diverses.  Lnl.  18339:  les  livres  II,  111  et  IV. 

3.  Bibl.  nat.,  Lai.  11481,  fol.  50.  On  lira  plus  loin,  dans  la  lettre  au  car- 
dinal de  Lorraine,  une  autre  attestation  de  celle  collaboration  et  de  l'exis- 
tence de  ces  Commentaires. 

4.  V.  p.  268.  Ce  texte  du  poète  précise  pour  la  première  fois  l'accusation 
de  plagiat  contre  Paschal,  portée  par  les  contemporains  et  vaguement 
recueillie  par  le  P.  Lelong  et  par  Aubery,  qui  par.iil  le  confondre  avec 
Charles  Paschal.  traducteur  français  d'un  éloge  de  Catherine  de  Médicis 
(Bounefoji,  p.  36).  Le  texte  d'Aubory  mentionne  la  disparition  d'«  une  très 
ample  et  très  curieuse  histoire  du  règne  de  Henri  II  »,  rédigée  parle  car- 


LE    CICÉRONIEN    DE    [.A    liHIOADE  311 

fois,  la  passion  l'égaré  liors  des  limites  de  la  liDiiiie  foi.  Ou 
reconnaît  aisément  à  quel  ouvr^g^e  il  fait  allusion  ;  ce  sont  les 
Cnnimen/aircs  sur  le  faict  des  (lernicres  f/uerres  en  la  Gaule  Bel- 
gique entre  Henri  II"  et  Charles  K'',  qu'a  publiés  en  li)o3  Fran- 
çois de  Rabutin,  g'entilhomme  bourguignon  de  la  compagnie  du 
duc  de  Nevcrs,  et  qui  ont  été  plusieurs  fois  réimprimés  '.  Or, 
l'auteur  conte,  dans  la  dédicace  à  son  duc,  comment  il  s'y  prit 
pour  tirer  parti  des  notes  journalières  recueillies  sur  les  faits 
qu'il  avait  vus  et  quels  secours  il  dut  solliciter  : 

Au  retour  du  camp,  fortune  ma  porté  à  Paris,  lieu  honoré  pour 
l'excellence  de  plusieurs  hommea  de  bon  esprit  ;  je  m'enqiiiers  des 
plus  sullisans,  je  les  recherclie,  cognoy,  fréquente,  et  finablement 
m'elTorce  d'acquérir  leur  bonne  grâce.  Entre  autres  je  m'addresse 
à  monsieur  Barthélémy,  Maistre  des  Requestes  du  Hoy,  des  plus 
estimez;  je  luy  communique  mes  brouillons  et  mémoires,  je  luy 
fais  ouverture  de  mon  intention  ; .  .  .  il  cognoit  mon  labeur  avoir 
esté  grand  et  mes  escrits  conformes  à  la  vérité  de  ce  qu'il  en 
avoit  sceu  et  entendu.  Parquoy  me  conseille  et  m'admoneste  de  les 
faire  imprimer  et  mettre  en  lumière,  non  toutefois  sans  derechef 
les  avoir  communiquez  à  gens  doctes;  entre  lesquels,  pour  la  sin- 
gulière amitié  qu'il  portoit  à  P.  Faschal,  gentilhomme  de  rare 
doctrine  et  sçavoir,  il  m'adressa  à  luy.  Qui,  voyant  mon  œuvre  mal 
digéré  et  le  slile  mal  limé  et  poly,  ce  que  moy-mesme  je  cognoissois, 
tant  à  cause  du  peu  de  temps  qui  m'esloit  resté  à  les  disposer  en  bonne 
forme, 'que  ]>our  le  default  que  je  puis  avoir  des  lettres,  s'ollrit  de  bon 
cueur  à  m'y  vouloir  ayder.  Et  ne  pouvant  satisfaire  à  ce  labeur,  pour 
eslre  coniinuellemenl  occupé  à  escrire  noz  histoires  Françaises  en 
Latin  {je  dis  en  Latin,  Monseigneur,  pource  que,  selon  l'opinion  des 
plus  sçavans  hommes,  il  ne  semble  point  que  ce  soit  un  François,  mais 
un  Césarou  un  Saluste  escrivant) ,  il  pria  un  gentilhomme  sien  amy, 
nommé  Guy  de  Bruès  de  Languedoc,  proveu  de  grand  sçavoir  et 
humanité,  vouloir  m'ayder  de  son  opinion.  Lequel,  pour  divers  empes- 
chements,  qui  luy  ostoient  le  moyen  de  veoir  les  autres,  retint  seule- 
ment le  sixième  livre.  . , 


dinal  de  Lorrnine  et  conCéc  par  lui  à  Paschal.  La  souscription  du  livre  I"" 
des  histoires  de  celui-ci,  qu'on  vient  de  lire,  donne  toute  précision  sur  ces 
divers  points. 

t.  \j ne  Continuation  des  Commentaires  a  paru  en  1559.  Guy  de  Bruès, 
lié  aussi  avec  Ronsard,  les  a  continués  jusqu'en  1562  (ITauser,  Les  sources 
de  l'histoire  de  France,  XVI'  siècle,  n"  1253).  Je  cite  le  texte  de  1574. 


312 


RONSARD    ET    L  IILMANISME 


Telle  est  la  source  du  renseig^nement  envenimé  par  Ronsard. 
L'accusation  de  plagiat  a  dû  lajsser  Paschal  indiiîérent.  Il  se 
croyait  en  droit  d'emprunter  des  récits  de  soldat,  puisqu'il  les 
fondait  dans  im  texte  bien  ii  lui.  A  ses  veux,  tout  le  mérite  de  ce 
texte  était  d'être  celui  d""  un  César  ou  Salluste  écrivant  »  ;  c'est 
aussi  le  défaut  de  ce  qui  nous  reste  de  son  histoire.  La  plus  élé- 
gante uniformité  ne  cesse  d'y  régaer.  Le  détail  n'y  tient  de  place 
que  dans  la  description  des  cérémonies,  où  l'auteur  paraît  se  com- 
plaire. S'il  aborde  une  chronique  plus  familière,  c'est  sans  quitter 
le  ton  noble,  ce  qui  en  enlève  l'intérêt.  Il  est  tout  à  fait  k  l'aise 
dans  le  discours,  oratio  ou  concio,  et  dans  l'éloge  des  princes  et 
des  grands  personnages  qui  paraissent  dans  son  récit.  On  voit 
qu'il  s'est  attaché  par  exemple,  après  avoir  narré  dans  tous  ses 
détails  la  pompe  funèbre  de  François!"",  à  Saint-Denys,  à  consa- 
crer plusieurs  pages  au  portrait  moral  et  intellectuel  du  protec- 
teur des  lettres  et  des  arts  et  à  l'énumération  des  grands  esprits 
qui  ont  honoré  son  règne  '.  Ce  morceau  devait,  dans  sa  pensée, 
faire  valoir  sa  prose  abondante  aux  dépens  du  style  sec  de  l'histo- 
riographe du  roi  chevalier,  Arnoul  le  Ferron.  Les  narrations 
militaires  l'intéressent  beauct)up  moins  ;  elles  sont  presque  tou- 
jours traitées  sans  particularités  bien  précises  et  la  phrase  y  est 
empruntée  d'aussi  près  que  possible  à  Cicéron  ou  à  César. 

Des  notes  conservées  dans  les  brouillons  de  Paschal,  et  rédi- 
gées sous  forme  de  lexique,  témoignent  de  sa  manière  de  lire  les 
Anciens  et  d'en  extraire  les  termes  techniques  qu'il  peut  utiliser 
saiïs  trahir  la  pureté  de  la  langue.  La  source  est  généralement 
indiquée  et  l'expression  française  est  quelquefois  mise  en  regard  -'. 
Ce  travail  d'adaptation  du  vocabulaire  antique  aux  choses 
modernes  est  revendiqué  dans  sa  préface  comme  un  mérite  con- 
sidérable. Quehjue  médiocre  valeur  que  garde  cette  œuvre  de  pur 

1.  L'éloge  de  ?"rançois  I'"'  et  des  écrivains  de  son  temps  ne  manque  pas 
d'un  intérêt  littéraire.  On  le  trouve  au  ms.  Dupuij  624,  fol.  ")6. 

2.  Voici  quelques-unes  de  ces  notes,  tircesdu  ms.  i.a^  11481:  «  Siistinere 
eqiios.  Les  tenir  en  bride  et  l'aire  aller  au  petit  pas.  —  Cohors,  tui-ma. 
Une  bande  de  gendarmes.  —  Turniatim,  par  bandes.  —  Archiers  de  la 
garde.  Slipnlori^s.  —  Escarmochcs.  Prima  excursio  leuis  armaturae.  Cie.  — 
Espuiser.  Xox  illa  Iota  exinanienda  natii  consumitur.  InVer.  —  Un  hommt 
perdu.  \emo  est  inrjuam  inuenlus  tam  pru/ligalus,  tam  pe^ditus.  Cic.  Pro 
Bat.  »  —  Dans  un  autre  ordre  d'idées,  je  relève  une  phrase  que  l'auteur 
applique  à  son  cher  cardinal  d'Armagnac:  «  Armeig.  Est  oratUme  suauis  et 
ila  nmralus  iil  prae  se  probitalem  quandam  et  ingenuiiatem  ferai.  Cic.  » 


LE    CICÉRONIEN    DE    I.A    HBIGADE  313 

humanisme,  l'auteur  y  a  travaillé  avec  méthode,  se  conformant  à 
l'exemple  de  ses  modèles  italiens,  eux-mêmes  imitateurs  des 
Anciens,  et  c'est  justement  ce  qui  lui  constituait,  dans  le  milieu 
français  de  son  temps,  la  sorte  d'originalité  dont  il  était  si  vain. 
L'effort  coûtait  à  sa  nonchalance;  il  le  faisait  cependant,  et  s'en 
exagérait  l'importance.  Au  surplus,  il  était  assuré  d'écrire  un 
latin  meilleur  que  celui  qui  s'employait  autour  de  lui.  On  ne  peut 
donc  pas  dire,  comme  Ronsard,  qu'il  n'avait  même  pas  commencé 
son  traA'ail,  ni,  comme  Brantôme,  qu'il  vivait  dans  la  fourberie  et 
'I  amusoit  le  monde  ».  Il  semble,  au  contraire,  à  qui  parcourt 
ses  manuscrits,  qu'il  croyait  à  son  œuvre  et  qu'il  était  lui-même 
sa  propre  dupe. 

IV 

L'élévation  de  Paschal  lui  valut,  parmi  les  poètes,  un  renou- 
veau d'admiration.  Aucun  d'eux  ne  mettait  en  doute  qu'on  ne  vît 
sortir  un  chef-d'œuvre  historique  de  ses  doctes  veilles  :  aucun  ne 
jalousait  l'honneur  rendu  à  des  mérites  aussi  rares  ;  ils  y  voyaient 
plutôt  l'assurance  que  des  faveurs  analogues  les  attendaient  sous 
d'autres  formes.  Joachim  du  Bellay  s'inspire  de  cette  espérance 
dans  le  discours  qu'il  adresse  à  Henri  II  pour  lui  recommander 
d'honorer  Ronsard  et  de  le  traiter  aussi  bien  que  son  historio- 
graphe. Le  poète  parle  très  noblement  de  ce  qu'un  roi  peut 
attendre  de  Ihistoire  ;  la  postérité  s'étonne  seulementde  le  voir, 
même  dans  ce  poème  de   circonstance,   réunir  deux    noms  aussi 

Sire,  parlant  ainsi  du  pouvoir  de  l'histoire. 

Je  parle  du  poète,  estant  assez  notoire 

Que  tous  deux  sont  esmeuz  d'un  semblable  désir, 

Qui  est  de  profiterai  de  donner  plaisir. 

Tous  deux  par  leurs  escriptsmesme  chose  prétendent. 

Mais  par  divers  moyens  à  mesme  fin  ilz  tendent. 

Cestuy-là,  sans  user  d'aucune  fiction. 
Représente  le  vray  de  chascune  action. 
Comme  un  qui,  sans  oser  s'esgayer  davantage, 
Rapporte  après  le  vif  un  naturel  visage  : 
Cesluy-cy,  plus  hardy,  d'un  art  non  limité 
Sous  mille  fictions  cache  la  vérité, 


314  RoNSAHi)  i:r  i.'himamsmk 

Comnift  un  peindre  qui  hiit  d'une  Nrave  entreprise 
La  (iguro  d'un  camp  ou  d'une  ville  prise, 
Un  orage,  une  guerre,  ou  mesnrie  il  l'ail  les  Dieux 
lîn  façon  de  mortel/,  se  monslrer  à  nos  yeux. 
Tel  que  ce  premier  là  est  voslre  lanet^  Sire, 
Et  tel  que  le  second  Michelange  on  peult  dire  '  : 
A  l'un  voslre  Paschal  est  semblable  en  son  art, 
A  l'autre  est  ressemblant  votre  docte  Ronsard. 
Je  ne  veux  pas  icy  par  le  menu  déduire 
Plusieurs  autres  raisons,  que  je  pourrois  induire 
Pour  monstrer  ce  qui  est  de  semblable  en  ces  deux, 
Et  ce  qui  est  aussi  dedilîerence  entre  eux.  .  ..  ' 

Le  même  rapprochement  se  retrouve  .sous  la  plume  deMagny, 
(jui  l'inscrit  dans  une  dédicace  commune  :  .1  Pierre  de  Ronsard 
et  Pierre  de  Paschal,  ode  ;  onze  strophes  y  poursuivent  cesinjju- 
lier  parallèle  : 

Quand  je  voy  Ronsard  et  Paschal, 
Qui  d'un  nœud  saintement  fatal 
Se  lient  par  amour  ensemble, 
Je  beneiz  l'estoiledes  cieux, 
Qui  d'un  accord  si  précieux 
Deux  espritz  si  rares  assemble. 

Puys  quand  je  m'arresle  pour  veoir 
De  l'un  et  l'autre  le  sçavoir 
El  l'heur  qu'ilz  ont  de  la  nature, 
Admirant  leurs  espritz  aigus, 
Ronsardje  compare  à  Phebus 
Et  Paschal  j'esgalle  à  Mercure. 

Phebus  à  la  table  des  Dieux, 
Avecq  son  luth  mélodieux, 
Paisl  des  Dieux  les  sainctea  oreilles  : 
Et  Ronsard  à  celle  des  Roys, 
Mariant  son  luth  à  sa  voix, 
Paist  les  Roys  de  grandes  merveilles.  . . 

Quand  la  Mort  les  hommes  a  pris. 
Mercure  en  guide  les  espriz 

1.  Ronsard  comparé  à  Michel-Ange,  c'est  un  souvenir  du  séjour  à 
Rome.  Puis-je  indiquer  que  j'ai  établi  que  Du  Bellay  a  habité  le  Palais 
Farnèse,  à  l'époque  où  Michel-Ange  y  faisait  travaillera  sa  fameuse  cor- 
niclie  ?  [Souvenirs  d'un  vieux  Romain,  Paris,  1921,  p.  48). 

i.  Du  1-Sellay,  éd.  MartyLaveaux,  t.  I,  p.  ".216. 


LE   (UCÉnONIEN    UK    LA    BRIGADE  31 S 

lia  bas  aux  bordz  de  la  noire  unde  : 
Mais  Paschal  fait  plus  de  sa  voix, 
Car  il  y  va  quérir  noz  Hoys 
El  les  fait  revenir  au  moiulo  *. 

Malgré  son  bel  orgueil,  Ronsard  n'eut  jamais  l'idée  de  solTus- 
quer  de  ces  comparaisons.  Il  renchérissait,  au  contraire,  sur  ses 
propres  hommages  ;  il  créait  k  ce  Paschal,  qui  n'avait  rien  pro- 
duit de  sérieux,  une  gloire  factice  ;  il  lui  prodiguait  le  laurier,  au 
point  de  s'attirer  de  vigoureux  reproches  d'Etienne  Pasquier  : 
i(  Je  souhaitterois  que  ne  fissiez  si  bon  marché  de  votre  plume  à 
hault-Ioiier  quelques-uns  de  ceux  que  nous  sçavons  notoirement 
n'en  estre  dignes  ;  car  en  ce  Taisant,  vous  faictes  tort  aux  gens 
d'honneur.  Je  sçay  bien  que  vous  me  direz  qu'estes  contraint  par 
leurs  importunitez  de  ce  faire,  ores  que  n  eu  ayez  envie.  Je  le 
croy  ;  mais  la  plumed'unbon  Poëte...  doit  estre  seulement  voiiée 
à  la  célébration  de  ceux  qui  le  méritent  '.  »  En  dépit  de  ces 
avertissements,  aucun  des  recueils  que  publie  alors  le  jeune 
maître  ne  paraît  sans  être  orné  du  nom  de  son  ami.  Dans  les 
Hymnes  (1535)  ohVHymne  delà  Mort  lui  est  dédié,  il  le  nomme 
dans  une  des  plus  nobles  listes  qu'il  ait  dressée  de  contemporains 
glorieux,  celle  où  il  n'y  a  que  trois  autres  noms,  ceux  de  Dorât, 
de  Du  Bellay  et  de  Michel  de  L'Hospital.  Elle  selit  dans  l'/Zî/m/je 
de  Charles,  cardinal  de  Lorraine.  Le  poète  rappelle  qu'au  com- 
mencement du  règne  de  Henri  II,  «  la  Muse  estoit  sans  grâce  » 
et  que  la  protection  du  cardinal  vint  réveiller  «  les  courages  » 
des  Français  : 

Mais  si  tost  qu'il  te  pleut,  par  un  destin  fatal. 
Regarder  d'un  bon  œil  ce  divin  l'Hospital, 
Nourriçon  d'Apollon,  que  si  doctement  touche 
La  lyre,  et  qui  le  miel  l'ait  couler  de  sa  bouche  ; 
Et  si  tost  qu'il  te  pleut  prendre  dessous  ta  main 
Du  Bellay,  que  la  Muse  a  nourri  dans  son  sein 


1.  Odes,  éd.  Courbet,  t.  I,  p.  44-46. 

2.  Lettre  à  Ronsard  datée  de  iSSo  [Œuvres  d'Est.  Pasquier,  t.  Il,  col. 
14).  Que  Paschal  soit  particulièrement  visé,  on  peut  en  être  assuré  par 
l'animosité  que  Pasquier  témoigne  contre  lui  et  par  sa  lettre  à  La  Croix 
du  Maine,  où  l'on  retrouve  les  mêmes  expressions  que  dans  celle-ci  :  «  Ses 
imporlunilez  et  prières  portèrent  tel  coup  qu'estant /lau?  loiié  par  Monsieur 
de  Ronsard...  ■•  V.  plus  haut,  p.  2(J1. 


316  llii.NSAHIi    1.1     1,'llLMAMSME 

Et  i|ui  par  ses  chansons  les  Grâces  nous  r'ameine  ; 
Kl  Paschal  qui  nous  fait  nosire  histoire  Honiaine, 
A  qui  tu  as  commis  les  honneurs  des  François  : 
Va  Dorât  qui  en  Grec  surpasse  les  Grégeois.  ..  ' 

Un  autre  prince  de  lEglise,  le  cardinal  protecteur  de  Paschal, 
Georges  d'Armagnac,  apparaît  dans  un  poème  de  cette  époque, 
en  ce  Bocage  de  l.^Jîi,  où  Gascogne  et  Gascons  tiennent  une 
énorme  place  -.  Le  passage,  qui  sera  remarqué  à  Rome,  où  réside 
alors  Du  Bellay,  est  dans  une  pièce  dédiée  à  l'ami  de  celui-ci, 
Jean  de  Pardaillan,  protonotaire  de  Fanjas.  Ronsard  y  loue  le 
prélat,  que  Pardaillan  vient  de  suivre  en  Italie, 

Ton  Georges  d'Armagnac,  Cardinal  qui  enserre 

Tout  le  bien  et  l'honneur  qui  vient  du  ciel  enterre. 

Et  qui  sans  recevoir  nul  service  de  moi 

Daigne  louer  ma  Muse,  esmeu  comme  je  croi 

Des  propos  de  Pascal,  qui  de  tous  coûtés  sonne 

Les  vers  que  moi  de  France  en  l'rançois  je  façonne. .  .  •• 

Le  recueil  entier  de  ce  Bocage  appartient  à  Paschal.  L'ode 
dédicatoire,  qui  sera  supprimée  dès  la  première  édition  collective 
de  1560  ^,  commence  par  des  images  d'une  élégante  mélancolie, 
inspirées  de  Callimaque  : 

1.  Ed.  L.,  t.  IV,  p.   245. 

2.  On  trouve  une  suite  de  dédicaces  à  Durb.nn,  à  Paiijas,  à  Magnj',  à 
Revergat,  à  Brués,  et  aussi  à  Jean  Nicot,  de  Nîmes.  Ce  groupement 
d'amis  de  Paschal  est  significalif . 

3.  Ed.  L.,  t.  VII,  p.  238.  Le  morceau  est  supprimé  à  partir  de  15fiO.  Le 
protonotaire  de  Panjas  a  suivi  G.  d'Armagnac  à  Rome,  comme  secrétaire, 
en  avril  1554. 

4.  Elle  n'a  été  reprise  que  dans  l'édition  Marty-Laveaux,  t,  VI,  p.  359; 
éd.  L.,  t.  VI,  p. 200.  L'impression  du  Bocage  est  achevée  le  27  novembre 
1554,  pour  la  veuve  M.  de  La  Porte  (Laumonier,  R.  poêle  lyrique,  p.  125). 
La  même  année,  en  mars,  avait  paru  l'édition  du  pseudo-Anacréon  (v.  p. 
109).  Cet  événement  fut  salué  par  l'odelette  où  Ronsard  boit  à  Henri 
Estienne.  Paschal  est  des  convives  du  festin  : 

Fay  moy  venir  d'Aurat  icy. 
Pasctial  et  mon  Pangeas  aussy, 
Ctiarbonier  et  toute  la  troupe... 

Le  recueil  des  Meslanges,  paru  chez  Gilles  Corrozet  avec  la  date  de  1555, 
contient  une  petite  ode  adressée  à  Paschal  :  «  Tu  me  fais  mourir  de  me 
dire  »  (éd.  L.,  t.  II,  p.  3(53;  t.  V,  p.  289).  La  dédicace  a  passé  plus  tard  à 
Pasquier.  Dans  les  Hymnes,  autre  recueil  de  1555,  Vllynine  de  h  MorI  est 
dédié  à  Paschal. 


LE    CICÉRO.MEN    DE    LA    IIRIGADE  'ii\l 

Toutes  les  fleurs  es]ianoûyes. 
Dont  le  chef  je  me  suis  orne 
Au  vent  se  sont  evanoiiyes... 

Mais  la  leçon,  que  par  l'oûye 
La  Muse  m'a  mise  au  cerveau, 
Xe  s'est  perdiie  evanoiiye, 
Comme  une  tleur  du  renouveau  : 
Car  tous  les  jours  elle  foisonne 
En  fruict  qui  n'a  point  son  égal. 
Tesmoing  ce  livre  que  je  donne 
Pour  un  présent  à  monPaschal. 

Quelcun  trouvera  bien  estrange 
Et  ridera  son  front,  de  quoi 
J'heùre  Paschal  d'une  louange 
Dont  heureux  se  tiendroit  un  Roi  : 
Mais  moi  contant,  qui  ne  mandie 
Des  Rois  ni  bienfaictz,  ni  honneurs, 
Aux  sçavans  mes  vers  je  dédie 
Plus  volontiers  qu'aux  grans  Seigneurs. 

Car  leur  faveur  n'est  perdurable 
Et  leurs  bienfaictz  sont  inconstans: 
Mais  la  science  vénérable 
Dure  pour  jamais,  ou  long  tems. 
Puis  j'espère  qu'en  recompense, 
Paschal  me  fera  quelquesfois 
Immortel  par  son  éloquence 
Qui  vault  mieux  que  le  bien  des  Rois  ' . 

Cet  espoir,  Ronsard  le  précise  en  réimprimant  sa  vieille  ode 
de  1550,  dont  la  fin  se  trouve  changée.  Ce  n'est  plus  le  poète  qui 
promet  d'immortaliser  l'humaniste  ;  c'est  celui-ci  qui  va  se 
charger  d'établir  la  gloire  du  poète  : 

Quoy  !  C'est  toyqui  m'éternise;  Car  jamais  le  temps  n'ameine, 

Et.  si  j'ay  quelque  renom,  Comme  aux  autres,  des  oublis 

.le  ne  l'ay,  Paschal,  sinon  .Aux  escrits  qui  sont  polis 

Que  parla  vois,  qui  me  prise.  Par  ta  langue  si  romaine  *. 

Que  s'est-il  donc  passé  et  quel  surcroît  peut  attendre  la  re- 
nommée de  Ronsard  de   l'éloquence  d'un  historiographe  '?  C'est 

1.  Cf.  Laumonier,  ^  c,   p.    126. 

2.  Orles,  éd.  L.,  t.  I,  p.  1()2.  Le  lecteur  a  trouvé  pkishaut  le  texte  de  1S50. 


31  8  H0.N9AUD    IT    L  I1LMAM8.ME 

que  l'asclial  annonce  qu'il  fera  une  place  à  l'histoire  des  lettres 
dans  le  récit  des  faits  contemporains  et  qu'on  le  verra,  à  l'imita- 
tion de  Paul  Jove,  y  fixer  pour  la  postérité  l'éloge  des  hommes 
doctes  de  son  temps.  A  chacun  des  poètes  qui  l'ont  célébré  lui- 
même  jusqu'à  présent  par  pure  amitié,  il  promet  de  travailler 
pour  lui  à  son  tour,  dans  la  langue  de  l'histoire  qui  assure  l'im- 
mortalité. Ronsard  a  narré  tout  au  long  cette  entreprise  de 
mutuel  encensement,  où  il  a  compté  trouver  sa  grande  part  '. 
Pendant  plusieurs  années  le  projet  est  pris  au  sérieux.  Les 
poètes  comme  les  humanistes  restent  convaincus,  à  cette  époque, 
que  le  latin  seul,  traité  à  la  façon  des  grands  Italiens,  peut 
répandre  un  nom  dans  l'Europe  lettrée.  Tant  de  manifestes 
bruyants  et  sincères  en  faveur  de  la  langue  nationale  n'em- 
pêchent pas  cette  idée  de  dominer  les  esprits,  et  Ronsard  lui- 
même,  visant  à  la  gloire  universelle,  se  persuade  qu'un  Paschal  ' 
peut  la  lui  donner. 

Notre  grand  homme  compose  alors,  pour  servir  d'aide-mémoire 
à  son  futur  biographe,  une  sorte  de  récit  des  origines  de  sa 
famille  et  des  événements  de  sa  jeunesse.  Nous  devons  à  cette 
circonstance  le  précieux  poème  autobiograpliique  qui  deviendra 
plus  tard  V Elégie  à  Bemi  Belleau,  tant  de  fois  citée,  et  dont  les 
historiens  de  Ronsard  se  sont  parfois  servis  assez  mal,  parce  qu'ils 
ont  ignoré  l'esprit  qui  en  a  dirigé  la  composition.  Sous  sa  forme 
•première,  celle  du  Bocage  de  15o4,  elle  est  adressée  à  l'humaniste  : 

Je  veus,  mon  cher  Pascal  {sic),  que  tu  n'igfnores  point 

D'où,  ne  qui  est  celui  que  les  Muses  ont  ioint 

D'un  neud  si  ferme  à  toi,  aliii  que  des  années 

A  nos  nepveus  futurs  les  courses  enipanées 

Xe  celant  que  Paschal  et  Ronsard  n'esloient  qu'un 

Et  que  tous  deus  n'avoienl  qu'un  mesmecœur  commun...  - 

On  a,  de  ces  sentiments  de  Ronsard,  un  témoignage  indirect, 
mais  singulièrement  pittoresque  et  précis.  C'est  la  dernière  page 
des  Dialogues  philosophiques,  publiés  en  1537,  où  le  Languedo- 
cien Guy  de  Bruès  le  met  en  scène  avec  Ba'if,  Aubert  et  Nicot. 

1.  V.  p.  264,  -269. 

2.  Le  poème  esl  intitulé  :  A  Pierre  de  Paschal,  du  bas  païs  du  Langue- 
doc [Bocage  de  l.")o4,  fol.  22).  Marty-Laveaux  iXolice  sur  P.  de  Ronsard, 
Paris,  1893,  p.  ij)  a  le  premier  signalé  celte  forme  originelle  de  l'Élégie  à 
Rémi  Belleau  (éd.  Blanctiemain,  t.  IV,  p.  296;. 


Lk   CICÉKOME.N    hk    LA.   itRlGADE  3(9 

Ronsard  lient  naturellement  la  première  place  parmi  les  «  entre- 
parleurs »,  et  les  propos  qui  lui  sont  prêtés  sont  conformes  à  la 
vraisemblance.  Après  une  suite  de  causeries  au  bord  d'un  ruisseau, 
à  l'ombre  dune  saulaie,  Ronsard  donne  le  signal  de  la  sépara- 
tion pour  se  diriger  lui-même  chez  son  ami  Paschal  : 

Ronsard.  Or  mes  amys,  puisqu'il  a  pieu  à  Dieu  de  nous  faire  la 
grâce  d'avoir  amené  nostre  dispute  à  une  si  honeste  fin,  vous  ne  serez 
marris,  s'il  vous  plaist,que  ie  laisse  maintenant  la  com|)aignie,  attendu 
niesmement  que  i'ay  promis  à  Pierre  Pascii.\i.,  hystoriographe  du  tres- 
chrestien  et  tres-puissanl  Roy  Henry,  de  l'aller  voir,  et  ie  serois  marri 
de  liiy  l'aucer  ma  promesse,  ioint  que  ce  m'est  un  plaisir  incredible  de 
lire  l'histoire  qu'il  a  desia  faille,  tant  pour  la  gravilé  des  sentences, 
que  aussi  pour  l'aornemenl  el  élégance  du  langage,  qui  ne  semble  en 
rien  ditFerant  d'aveq  celuy  de  Ciceron  ou  de  César,  sinon  de  tant 
qu'il  a  rencontré  un  subiect,  qui  luy  aprestetout  les  moiens  de  faire  la 
plus  belle  el  mémorable  histoire  que  nous  ayons  encore  veiie  du  Roy 
ny  d'aucun  Empereur  qui  ait  iamaisesté.  — Acbeht.  le  le  prie,  Ronsard, 
que  ie  t'y  accompaigne,  car  ie  voy  bien  que  Nicot  et  Baïf  ont  quelques 
alîaires,  et  par  ce  nioien  ils  seront  bien  ayses  qu'on  les  laisse  tous 
seuls,  el  ie  le  seray  encore  plus  d'aller  voir  Paschal  et  de  lire  son  his- 
toire avec  toy.  Et  ie  croy  certainement  que,  si  nous  avons  tenu  en 
quelque  réputation  les  hystoriens  estranges,  d'oresnavant  ils  auront  le 
nostre  à  une  grande  admiration,  et  luy  donneront  Ihoinieur  d'avoir 
amené  César  et  Ciceron  en  nostre  France  '  . 

Derrière  leur  chef,  les  poètes  s'empressent.  Chacun  s'évertue  à 
traîner  les  bonnes  sràces  de  ce  distributeur  prochain  du  "  verd 
laurier  ».  Baïf  le  convie  en  ces  termes  à  célébrer  sa    Francine  : 

Pascal,  qui  nostre  temps  illustres  noblement. 

Ornant  les  hommes  preux  et  les  faits  de  nostre  Age 
D'un  si  pur  et  Romain  et  tant  loué  langage 
Que  Ion  honneur  en  doit  vivre  immortellenjenl  : 

Que  ne  l'employés  tu  pour  ce  rare  ornement 
De  la  terre,  ains  du  monde....  - 


1.  Les    dialogues    conti-e    les   nouveaux   acaclëjniciens,  p.  305  (cités  plus 
haut,  p.   1C9).  Dans  le  Bocage   de  taa4,   fol.  ai,  Ronsard  a  dédié  à    Bruès 

l'épigrammc  ;<   Quel  train  de  vie   est-iJ  bon  que  je  suive  »,  qui  portait  le 
nom  de  Muret  dans  les  Folastries. 

2.  Evvres  en  rime  de  /an  Anloine   de   Baïf,  Paris,  1573  (éd.  M.-L.,  t.  I, 
p.  184). 


320 


KIJ,>SAKI)    1.1     I,  IIL.MA.MSME 


Jacques  Grévin,  alors  tout  dévoué  à  Ronsard,  ne  manque  pas 
de  dédier  un  sonnet  à  Paschal  dans  chacun  de  ses  recueils.  Celui 
de  la  première  Gélodacryc  commence  ainsi  : 

Pascal,  si  je  pouvois  emprunter  la  science 
Ou  que  je  fusse  tant  favorisé  des  cieux 
Que  sçavoir  entonner  quelque  son  gracieux 
Qui  peut  heureusement  contenter  nostre  France  ; 

Je  suis  tant  animé  que  jaurois  espérance 
D'envoyer  une  histoire  aux  ans  de  nos  neveux...  '. 

Les  rimeurs  des  provinces  font  écho  à  ceux  de  Paris.  Charles 
Fontaine  adresse  une  de  ces  plates  compositions,  qu'il  ose  dé- 
nommer odes,  «  à  Pierre  Pascal,  clironiqueur  du  Roy  »  : 

Si  le  Philosophe  ancien  II  te  diroit  par  grand  bonheur 

Grand  Philosophe  Samien  De  l'Arpinat  l'ame  et  l'honneur,  . 

Revivoit  et  venoit  en  France,  De  l'Arpinat  l'honneur  et  l'ame, 

Ojant  ta  La'tine  éloquence,  Que  le  Tybre  encores  reclame*. 

Le  savoisien  Marc-Claude  de  Buttet  indique  l'œuvre  de  Pas- 
chal, aussitôt  après  avoir  parlé  de  Ronsard  et  de  la  Franciade 
dans  une  ode  où  il  annonce  l'immortalité  au  cardinal  de  Chà- 
tillon  : 

J'oi,  ce  me  semble,  Pascal, 

Qui  ja  tonne  en  ses  ,\nnales 

De  ton  frère  l'.Admiral 

Les  grands  batailles  navales. 

Pouvant  tous  les  tiens  nommer 

Foudres  des  bandes  guerrières, 

En  la  terre  et  en  la  mer...  ' 

1.  VOlimpe  Je  Jacques  Grevin...  Ensemble  les  autres  œuvres  poétiques 
dudicl  auteur,  Paris,  ïl.  Eslienne,  1560,  p.  98.  L'histoire  de  Grévin  eût  été, 
paraît-il,  celle  de  la  rébellion  de  Jiipin  et  de  la  chute  de  son  père  Saturne. 
Dans  la  seconde  (iélodacrye  •  Le  théâtre  de  Jacques  Grevin.  Paris,  V.  Serte- 
nas,  lS6i,  p.  305),  le  sonnet  n'est  (|u'iin  lieu  commun  de  déclamation 
contre  la  femme  : 

Trop  lu'ureu\  nous  fussions  sans  ccste  beste  estrange 

Qui  l'homme  accompagna  des  le  commencement... 
Sans  elle,  mon  Paschal.  l'homme  seroil  un  Ange; 
L'homme  scroit  parfaicl  de  corps,  d'entendement... 

2.  Odes,  énigmes  et  epigrammes...  par  Charles  Fontaine  Parisien,  Lyon, 
Jean  Citoys,  1557,  p.  33. 

3.  Le  premier  livre  des  vers  de  M.-C  de  Buttet  Savoisien,  Paris,  1561 
^dans  les  UEitvres  poétiques,  éd.  du  bibl.  .lacob,  Paris,  1880,  t.  II,  p.  2ft). 


LE   CICÉRO.MEN    DE    LA    KRIGADE  321 

Il  n'est  pas  jusquà  Dorât  qui  ne  consente  à  placer,  au  moins 
une  fois,  le  nom  de  l'historiographe  dans  son  latin.  Au  cours 
d'une  Erhortatio  ad  milites  Gallicos,  imprimée  chez  Wechel  en 
loo8  et  qui  latinise  un  éloquent  discours  de  Ronsard  aux  soldats 
de  Guise  et  de  Montmorency,  il  proclame  que  leur  renommée 
sera  due  à  l'histoire  qui  va  s'écrire  : 

Paschdlis  labor  hic,  cui  Rex  mandata  perenni 
Acta  suae  genlis  Iradidil  historiae...  ' 

Mais  c'est  à  Rome  que  se  préparent  des  sonnets  assurés  de 
mêler  à  jamais  un  nom  au  souvenir  des  poètes.  Les  Souspirs  de 
Magn}",  les  Regrets  de  Du  Bellay,  conçus  sous  la  même  inspira- 
tion et  composés  parallèlement,  font  défiler  les  mêmes  person- 
nages français  ou  romains.  Cinq  fois,  Magny  interpelle  son  Pas- 
chal  -,  le  fait  confident  de  ses  observations  de  mœurs,  du  cha- 
grin de  sa  destinée  ou  tout  simplement  de  ses  ennuis  de  secré- 
taire : 

Cependant,  mon  Paschal,  que  tu  fais  ton  histoire, 
Ton  dous  style  e^allant  au  mieux  disant  Romain, 
Icy,  sans  fiberté,  un  espoir  inhumain 
Me  tient  pris  anses  rets  et  rit  de  sa  victoire... 

On  se  rappelle  aussi  le  sonnet  des  nouvelles  de  Paris  : 

Assié-toi  là,  Guyon,  et  me  dy  des  nouvelles, 
Nous  nous  sommes  assez  embrassés  et  cheriz  ; 
Que  dit  on  à  la  courl,  que  fait  on  à  Paris?... 
Quels  seigneurs  y  void  on  et  quelles  damoiselles '?... 

As  tu  point  apporté  quelque  livre  nouveau? 
As  tu  point  veu  Ronsard,  ou  Paschal,  ou  Belleau  ? 
Que  dit  ou,  que  fait  on?  dy  moi  je  te  demande...  ' 

1.  Ronsarcli  exhortatio  ad  milites  Gallicos  latinis  versihus  de  Gallicis 
expressa  a  lo.  Aurato  Lemouice,  Paris,  Wechel,  1558,  4  ff.  non  cliiffrés.  Le 
nom  de  Paschal  doit  figurer  dans  le  texte  de  Ronsard  paru  à  cette  date. 

2.  Les  Souspirs  d'Olivier  de  Magny,  Paris,  Jean  Dallieret  V.  Sertenas, 
1558,  sonnet  cxlvi.  (Dans  l'édition  E.  Courbet,  Paris,  1874,  p.  102.  Cf. 
p.  32,  66,  81,  91,  10.3.)  Le  sonnet  cxxix  intéresse  l'ami  à  ses  amours  : 

.\près  avoir,  Pasclial.  d'une  sçavantc  main 
Reniplyde  cent  discours  ton  histoire  immortelle. 
Ornant  nostre  grand  Roy  d'une  grioire  aussi  belle 
Que  celle  d'Alexandre  et  du  jeune  Aphricain... 

3.  Sonnet  xxxvui  (éd.  Courbet,  p.  30). 

21 


322  RONSAHL     LT    LIILMA.MS.ME 

Dés  le  seuil  des  lic(/rc(s,  s'étale  le  nom  de  Paschal  ;  il  est  à 
la  pi-eniiéie  dédicace,  au  sonnet  sur  cette  rime  o  si  facile  »  que 
le  poète  défie  ses  rivaux  d'imiter  : 

Un  plus  sçavant  que  moy  (Paschal)  ira  songer 
Aveques  l'Ascrean  des-sus  la  double  cyme... 

Une  des  pièces  contre  le  «  pédante  »,  le  fameux  sonnet  du 
conclave  («  Il  fait  bon  voir,  Paschal,  un  conclave  serré  »),  un 
autre  sur  le  Pape  et  les  cardinaux  faits  «  de  tout  bois  »,  un 
autre  enfin  sur  Marguerite  de  France,  duchesse  de  Savoie, 
portent  à  cinq,  comme  dans  les  Soupirs,  le  nombre  des  sonnets 
dédiés.  Le  dernier  parle  du  travail  de  lihistorien  : 

Paschal,  je  ne  veulx  point  Juppiter  assommer, 
Ny,  comme  fit  Vulcan,  luy  rompre  la  cervelle 
Pour  en  tirer  dehors  une  Pallas  nouvelle. 
Puis  qu'on  veull  de  ce  nom  ma  Princesse  nommer... 

Mais  suivant,  comme  toy,  la  véritable  histoire. 
D'un  vers  non  fabuleux  je  veulx  chanter  sa  gloire 
A  nous,  à  noz  enfans,  et  cculx  qui  naislront  d'eulx  ' . 

C'est  un  honneur  aussi  d'être  au  nombre  des  amis  par  qui  le 
poète  exilé  attend  d'être  fêté  à  son  retour  : 

Je  voy  mon  grand  Ronsard,  je  le  cognois  d'ici, 
,Ie  voy  mon  cher  Morel,  et  mon  Dorai  aussi. 
Je  voy  mon  Delahaie,  et  mon  Paschal  encore  : 

El  voy  un  peu  plus  loing  (si  je  ne  suis  deceu) 
Mon  divin  Mauleou,  duquel,  sans  lavoir  veu, 
La  grâce,  le  sçavoir  el  la  vertu  j'adore  ^. 

En  ces  vers,  qui  sont  parmi  ses  derniers  écrits  à  Rome,  dans 
l'été  de  1557,  Du  Bellay  nomme,  avec  Jean  de  Morel  et  Robert 
de  la  Haye,  et  divinise  l'ancien  protonotaire  de  Durban,  que  Pas- 
chal lui  a  tant  vanté  et  qu'il  va  connaître  enfin,  puisqu'on  l'a  pour- 
vu, depuis  son  départ,  d'un  siège  au -Parlement  de  Paris.  Le 
poète  a  dû  s'embarquer  à  Cività-Vecchia  vers  la  ^n  d'août,  et 
revoit  ses  amis  Parisiens  à  l'automne  de  1557.  Le  privilège  de 

1.  Œuvres  françaises  de  J.  du  Bellay,  éti.  Maiiy-Laveaux,  t.  II,  p.  1G8, 
200,  207,  218,  257  ;  Œuires  poélirjues,  éd.  Clumiaid,  t.  II,  p.  oH,  103,  li:j, 
132,200).    . 

2.  Sonnet  cxxix  (éd.  Marly-Laveaux,  p.  227;  éd.  Cbamerd,  p.  15!>). 


Le    CICÉKONIEN  DE  LA    BRIGADE  323 

ses  Regrets  est  du  17  janvier  suivant  ;  c'est  vers  ce  moment  qu'il 
compose  le  parallèle  du  poète  et  de  l'historien,  adressé  à  Henri  11. 
On  va  bientôt  le  voir  directement  mêlé  à  la  levée  de  boucliers 
assez  brusque  contre  Paschal,  à  la  tête  de  laquelle  se  met  Ron- 
sard. 


L'attaque  vint  du  côté  des  humanistes.  Les  deux  savants  le 
plus  étroitement  liés  avec  les  poètes,  Dorât  et  Turnèbe,  n'avaient 
jamais  pris  au  sérieux  les  puérilités  cicéroniennes  qui  en  impo- 
saient à  leurs  amis.  Epris  de  connaissances  solides  et  plus  préoc- 
cupés de  la  science  de  l'Antiquité  que  de  l'imitation  d'un  style, 
ils  goûtaient  fort  peu  la  mode  dont  Paschal  se  réclamait.  Ils 
mirent  les  gens  en  garde,  dès  le  début,  contre  ces  prétentions 
transalpines.  Si  Muret  se  montra  moins  sévère  pour  le  nouvel 
ami  que  Ronsard  alors  portait  aux  nues,  c'est  que  lui-même, 
artiste  autant  qu'érudit  et  extrêmement  sensible  à  la  forme,  son- 
geait déjà  à  édifier  iine  carrière  en  Italie,  oii  le  renom  de  parfait 
cicéronien  devait  lui  servir.  Nos  durs  Français  furent  impitoyables. 
Parmi  les  savants  qui  se  chargèrent  de  l'exécution,  Ronsard 
nomme,  avec  Ramus  et  Jacques  Peleticr,  cet  excellent  helléniste 
Louis  Le  Roy,  avec  qui  Du  Bellay,  brouillé  par  des  racontars 
venus  jusqu'à  Rome,  venait  de  se  réconcilier  à  son  retour  et 
célébrait  comme  «  nostre  Platon  françoys  »  '.  C'était  un  groupe 
d'adversaires  redoutables  pour  le  Gascon  italianisé. 

11  n'a  pas  seulement  outrepassé  la  vantardise  ;  il  excite  aussi, 
chez  plusieurs,  le  sentiment  de  l'envie.  Ronsard  s'indigne  que  la 
Cour  l'ait  choisi,  au  lieu  de  Dorât  ou  de  Turnèbe,  tout  désignés 
pour  écrire  en  latin  l'histoire  du  Roi;  un  autre  observe  qu'il 
reçoit,  pour  cette  besogne,  des  émoluments  triples  de  ceux  des 
professeurs  au  Collège  roval  '-.  On  se  plaît  donc  à  lui  tendre  des 
pièges,  à  l'interroger  à  l'improviste,  à  l'embarrasser  sur  une 
quantité  de  points  de  philosophie,  d'histoire  et  de  grammaire, 
dont  il  ne  semble  pas  informé.  Son  ignorance  universelle,  hors 
la  précieuse   «  éloquence  »  de  ses  modèles,  éclate  peu  à  peu  à 

1.  V.  p.  8j,  pour  Le  Roy,  et  p.  26b,  pour  le  lu-xle  de  RousuiO. 

2.  Du  Verdier,  Bibliothèque,  l.  111,  p.  309. 


324  RONSAKD    ET    ^HUMANISME 

tous  les  yeux,  et  l'on  commence  à  le  tourmenter  sans  répit.  Ce 
jeu  cruel  se  pdur.suil  même  à  la  Cour,  où  sa  suffisance  irrite  éga- 
lement. Hranlôme  l'y  montre  assez  vite  démasqué,  ((  encore  qu'il 
vomist  quel(juel'ois  quelques  sentences  latines,  de  parade  .seule- 
ment, mais  non  pas  de  durée,  car  il  estoit  si  fin  qu'il  s'engar- 
doit  bien  de  s'enfoncer  dans  un  grand  gué  de  discours  '.  » 

Le  signal  est  donné  par  Turnobe.  Il  a  assurément  entendu 
parler  de  Pasciial,  quand  celui-ci  étudiait  à  Toulouse  et  s'y  pous- 
sait dans  le  monde  ;  le  savant  professeur  n'a  (juillé  cette  ville 
qu'en  ISi?,  lorsque  le  cardinal  de  Chùtillon  lui  a  procuré,  au  Col- 
lège royal,  la  chaire  de  grec  rendue  vacante  par  la  mort  de  Tous- 
sain'-.  Dojt-on  croire  qu'il  a  déjà  sur  le  jeune  homme  l'opinion  qu'il 
exprimera  dans  la  suite  ^7  L'étude  spéciale  qu'il  consacre  alors 
à  Cicéron,  sur  qui  il  multiplie  les  éditions  et  les  commentaires, 
doit  le  rendre  particulièrement  sensible  à  certaines  prétentions 
de  Paschal,  et  peut-être  celui-ci  a-t-il  commis  l'imprudence  de  se 
mêler  aux  détracteurs  dont  Turnèbe  a  eu  à  se  défendre  \  En 
tout  cas,  le  savant  n'a  pris  aucune  part  au  concert  de  louanges 
qui  s'éleva  dans  la  capitale,  et  auquel  Dorât  a  consenti  un  in- 
stant à  unir  sa  voix,  lorsqu'on  a  attendu  de  l'historiographe  royal 
une  sorte  d'éloge  officiel  des  hommes  illustres.  Ce  chef-d'œuvre 
ne  s'achevant  point,  et  le  travail  de  l'annaliste  ne  paraissant  pas 
avancer  davantage,  Turnèbe  «  despité  de  voir  la  France  ainsi 
befflée  »,  comme  dit  Pasquier,  décide  de  faire  connaître  sous  son 
vrai  jour  un  homme  qui  exploite,  selon  lui,  la  crédulité  de  la 
Cour  et  de  ses  confrères. 

La  satire  en  vers  qu'il  fait    imprimer  sans  la   signer  aura   du 


1.  V.  plus  loin,   p.  336,  pour  le  portrait  de  Brantôme. 

2.  Clément,  De  Adriani  Turnehi  regii  professoris  pmefalionibus  el  poe- 
Tualis,  Paris,  1899,  p.  9.  On  va  trouver  plusieurs  renvois  à  cet  excellent 
travail.  H.  Cliamard  est  arrivé  aux  mêmes  conclusions  que  l'auteur,  eu 
reconnaissant  Paschal  dans  la  satire  latine  qu'a  traduite  Du  Bellay  (7.  du 
Bella)/,  p.  412-418).  Mais  Clément  a  approfondi  la  question  et  doit  être  si- 
gnalé ici  comme  un  des  très  rares  lecteurs  du  recueil  de  1548. 

3.  Clément,  p.  60.  Cette  supposition  s'attache  à  ,un  poète  désigné  sous 
le  nom  de  Turqtinltihis  et  atlaipié  pour  ses  médisances  dans  les  lettres  de 
Paschal  I  p.  112,  127,  129). 

4.  Il  l'a  fait  par  une  publication,  dédiée  à  Lancolot  de  Carie,  qui  me 
paraît  viser  des  contradicteurs  beaucoup  plus  savants  que  Paschal  :  Adr. 
Turnehi  Apotogia  aduersus  r/uorundam  calumnias,  ad  lihrum  priinuin  Cicc- 
ronis  de  Legifjus,  Paris,  iuipr.  Turnèbe,  llioi. 


LE    CICÉROMEN    DE     LA    HRIOADE  32a 

succès  parmi  les  lettrés.  Elle  s'intitule  :  De  noua  captandae 
ulilitatis  e  litteris  ralione  epistolaad  Leoqiicrniiin  '.  Ce  Leocfuer- 
nus  est  Léger  du  Chesne,  ancien  professeur  de  Toulouse  comme 
Turnèbe  et  l'un  de  ses  meilleurs  amis  '-.  Presque  aussitôt,  une 
pièce  imprimée  sur  huit  pages  parait  «  à  Poitiers  »,  jetant  dans 
un  public  plus  étendu  une  traduction  de  bonne  facture;  les  ini- 
tiés peuvent  y  reconnaître  l'élégante  typographie  de  l'éditeur  des 
Regrets  et  le  pseudonyme  de  fantaisie  qui  s'étale  sur  le  titre 
trompe  peu  de  gens.  C'est  La  nouvelle  manière  de  faire  son  pro- 
fit des  lettres,  Iraduitte  de  Latin  en  François  par  I.  Quintil  du 
Tronssay  en  Poictou.  Ensemble  le  Poëte  courtisan  ^.  Les  deux 
plaquettes,  la  latine  et  la  française,  sont  datées  de  1359:  la 
seconde  est  de  Joachini  du  Bellay. 

Nos  deux  auteurs  prétendent  s'en  prendre  à  un  travers  général; 
mais  le  portrait  individuel  se  glisse  vite  dans  leur  satire.  Il  s'est 
introduit  depuis  peu,  disent-ils,  parmi  les  gens  qui  font  profes- 
sion des  lettres,  l'habitude  de  suivre  ^fercure  plus  qu'Apollon  ;  il 
ne  suffît  pas  d'être  docte  pour  réussir  ;  certaines  manœuvres  sont 
nécessaires,  quand  on  veut  acquérir  gloire  et  fortune.  La  pre- 
mière est  de  tirer  orgueil  d'un  voyage  en  Italie,  cjui  permet  de 
mépriser  .son  propre  pays  : 

Hinc pretiosa  venit  rnerx,  quae  nos  ducil  hianles 
Defixosque  tenel  :  n  quis  mendacia  plaustris 
Qualtuor  inde  referl simulatis  oblila  fucis, 
Si  Romam  sofial  et  Palaui  si persireptl  arbem, 
L'ndiuaffos  et  si   Venelos,  alque  Appula  rura. 
Si  prae  se  Gallas  contemnil  et  improhus  artes, 
Despuil  inque  siniim  Gallae  sermone  Mineraae, 
Nauseat  o/fensusque,  cibo  ceu  pasius  amaro  *. 

1.  Parisiis.  apud  viduam  P.  Attaignant...,  lii'.id. 

2.  Léger  du  Chesne,  que  les  titres  de  ses  livres  appellent  Lendef/arius 
a  Quercu,  et  dont  j'ai  eu  à  parler  p.  IG,  a  publié  en  loG5,  chez  Morel,  le 
Tumulus  de  Turnèbe,  où  reparurent  d'anciens  vers  de  Du  Bellay.  Il  a 
professé  Téloquence  au  Collège  royal  de  1568  à  1586,  et  sa  fille  épousa  en 
1581  Fédéric  Morel  le  jeune. 

3.  L'attentif  bibliographe,  qui  a  donné  les  «  annales  »  de  Morel,  n"a  pas 
compris  ce  petit  pamphlet  dani  la  liste  des  publications  de  Tami  de  Du  Bel- 
lay j  Jos.  Dumoulin,  Vie  el  œuvres  de  Fédéric  Morel,  Paris,  1901  ■.  Cf.  Clé- 
ment, p.  57,  n.  2. 

4.  Quelques  variantes  sont  à  relever  dans  l'édition  intitulée  :  Adr.  Tar- 
nehi...  poemala,  Paris,    1580,  p.  36  et  suiv.  Je  cite  le  recueil  où  Léger  du 


32fi  IlONSAIlll     HT     l.'llIMAMSMi: 

La  traduction  très  libre  de  Du  Bellay  transpose  à  merveille  ce 
vif  début,  d'accord   avec    les  rancunes   de   son    séjour  romain  : 

...  Tudois  vcoir  rilalie  et  les  .Alpes  passai'  : 

Carc'est  de  là  que  vient  la  fine  marchandise, 

Qu'en  bëanl  on  admire,  et  que  si  hault  on  prise. 

Si  le  rusé  marchand  est  menteur  asseuré, 

El  s'il  sçait  pallier  d'un  fard  bien  coloré 

Mille  bourdes  qu'il  a  en  France  rapportées, 

.Assez  pour  en  charg'er  quatre  grandes  chartées  : 

S'il  s(,'ait.  parlant  de  Ftome,  un  chacun  estonner, 

Si  du  nom  de  Favie  il  fait  tout  resonner, 

Si  des  Vénitiens,  que  la  mer  environne, 

Si  des  champs  de  la  Pouille  il  discourt  et  raisonne. 

Si  vanleur  il  sçait  bien  son  art  aulhoriser. 

Louer  les  estrangers,  les  François  mépriser. 

Si  des  lettres  l'honneur  à  luy  seul  il  reserve. 

Et  desdaigne  en  crachant  la  Françoise  Minerve. 

hiutile  de  se  morfondre  «  à  l'estude  »,  comme  on  le  fait  en 
Ftance  ;  avoir  vu  l'Italie  suftit  à  conférer  le  renom  de  «  grand 
clerc  »  et  de  «  singe-sçavant  >-.  11  sera  bon  d'user  des  manières  à 
la  mode  au-delà  des  Alpes  : 

Mais  tu  retourneras  Italien  aussi 

De  gestes  et  d'habits,  déport  et  de  langage  : 

Bref  d'un  Italien  tu  auras  le  pelaige, 

Afin  qu'entre  les  tiens  admirable  lu  sois. 

Ce  sont  les  vrays appas  pour  prendre  noz  François'... 

Il  sera  bon  aussi  de  te  faire  advoiier. 

De  quelque  Cardinal,  ou  te  faire  loiier 

Cliesne  a  réuni,  parmi  beaucoup  de  poètes  latins  (dont  L'Hôpital,  Dorai.  Du 
liellay),  un  choix  de  l'œuvre  de  son  ami.  Farrayo  poenialum  ex  optiniis  i/ui- 
hiiiirjuc  et  anti(/:iiorihus,  et  ^elatis  noslrae  poclis  selecta...,  Paris,  l"i60. 
p.  133  et  suiv.).  Dès  l'année  qui  suit  la  publication  anonyme,  Turnèbe 
acce|)ti'la  paternité  de  la  satire,  (|ue  lesilerniers  versattribuentà  unruslÉf: 
(irii/iiiis  Galianiis,  dont  le  nom  signifierait  peut-être  «  pourceau  du  (jàti- 
nais  ". 

i.  Rapprochons  ce  détail  de  ce  que  disait  de  lui-même  Paschal  en  Ilalie, 
écrivant  à  Durban  :  «  Quod  scribis  te  subuereri  ne  non  me  ad  Italorum 
mores  fiugere  elaccommodare  possim  ;  ego  veroeo  sum  iam  vultu.orationc, 
omni  reliquocorporis  niotu,  ut  me  non  Gallum  agnosceres,  sed  totum  Ita- 
him  iudicares.  Neque  quemadmodum  solebam,  ingénue  liberoque  fastidio 
ineptias  homiuum  respuo,  sed  omnia  laudo,  omnia  approbo...  »  (Recueil  de 

t:;48,  p.  107). 


LE   CICÉROXIEN    DE    LA    BRIGADE  327 

Par  quelque  homme  sçavant,  afin  que  tes  louëng-es 
Volent  par  ce  moyen  par  les  bouches  estrang:es  : 
Mais  il  faultque  le  livre  où  ton  nom  sera  mis 
Tu  donnes  çà  et  là  à  tes  doctes  amvs 

Tous  ces  traits  tombent  sur  Paschal,  y  compris  l'allusion  au 
cardinal  d'Armagnac  '.  On  le  montre  ensuite  occupé  à  flatter  les 
sfens  de  cour,  les  ><  gentils  reciteurs  i',  qui  rendent  1  opinion  favo- 
rable à  leurs  amis,  "  au  bout  d'une  table,  au  disner  des  seigneurs  », 
et  surtout  les  dames  «  qui  ont  bruit  de  savoir  »  et  dont  le  suf- 
frage emporte  celui  des  plus  grands.  Dédaigner  toujours  ou 
blâmer  à  propos  ce  que  publient  les  autres,  vous  fait  passer  aisé- 
ment pour  plus  savant  qu'eux.  Si  1  on  risque  à  l'imprimerie 
quelques  feuillets,  qu'on  n'y  mette  point  son  nom  ;  on  les  désa- 
vouera,  s'ils  n'ont  pas  de  succès  : 

Le  plus  saur  toutefois  seroit  en  tout  se  taire  : 
Et  c'est  un  beau  mestier,  et  fort  facile  à  faire. .  . 

Voici  maintenant  le  manège  de  Paschal  dénoncé  aussi  claire- 
ment que  si  son  nom  se  trouvait  écrit.  Bien  que  Turnèbe  et 
Du  Bellay  semblent  s'en  prendre  à  plusieurs  personnages,  toute 
la  lin  de  leur  satire  ne  vise  que  lui  : 

Quelque  autre  dit  avoir  entrepris  un  ouvrage 
Des  plus  illustres  noms  qu  on  lise  de  nostre  âge, 
Et  jà  douze  ou  quinze  ans  nous  déçoit  pur  cet  art  : 
Mais  il  accomplira  sa  promesse  plus  tard 
Que  l'an  de  jug^ement.  Toutefois  par  sa  ruse 
Des  plus  ambitieux  l'espérance  il  abuse, 
Carceulx  là  qui  sont  plus  delà  gloire  envieux 
Le  flattent  à  l'envy,  et  tachent  curieux 
Degaigner  quelque  place  en  ce  tant  docte  livre, 
Qui  peut  à  tout  jamais  leur  beau  nom  faire  vivre  ^.  .  . 
El  nulfcomnie  il  promet)  n'immortalisera: 
Mais  il  peindra  le  nez  à  tous,    et  pour  sa  peine 
De  les  avoir  trompez  d'une  espérance  vaine, 
Dessus  un  cheval  blanc  ses  monstres  il  fera 
Par  la  ville,  et  du  Roy  aux  gages  il  sera. 

1.  Un  seul  portrait  plus  loin  paraît  viser  un  autre  personnage  (Clément, 
p.  63). 

2.  L'aveu  de  ces  flaltenes  intéressées,  bien  plus  court  dans  Turnèbe,  est 
à  remarijuer  chez  Du  Bellay.  Le  latin  de  Ronsard  ne  les  dissimule  pas. 


32S  BONSARD   ET    I.'lILMANISME 

C'est  un  gentil  apiis  pour  les  oyseaux  attraire 
Ce  que  d'un  autre  *  dit  le  commun  populaire, 
Qui  par  les  cabaretz  tout  exprès  delaissoit 
Quatre  lignes  d'un  livre,  et  outre  ne  passoit, 
Avec  un  titre  au  front,  qui  se  donnoit  la  gloire 
D'estre  le  livre  quart  de  la  Françoyse  histoire. 
Qui  doncques,  je  te  pry,  nyra  que  cestuy  ci 
Ne  soil  des  plus  heureux  sans  se  donner  soucy 
Qui  (|uatre  livres  peult  de  quatre  lignes  faire, 
Qui  du  doy  pour  cela  est  montré  du  vulgaire, 
Qui  pour  cela  de  France  est  dil  l'Historien 
VA  au(|uel  pour  cela  on  l'ait  beaucoup  de  bien  '  1 

Les  feuillets  de  l'historiographe  royal  oubliés  au  cabaret  font 
une  piquante  anecdote,  qui  sera  reprise  par  d'autres.  Ce  dernier 
morceau  ne  figure  pas  au  texte  primitif,  et  le  prétendu  «  Quintil  du 
Tronssay  »  en  a  joint  les  vers  latins  à  son  opuscule.  Ils  pourraient 
être  de  Du  Bellay  lui-même,  car  ils  ont  le  ton  aisé  de  ses  Poe- 
mata  ;  mais  il  est  plus  naturel  de  croire  que  Turnèbe,  non 
moins  bon  poète  que  lui  en  langue  latine,  les  ayant  ajoutés 
après  coup  à  la  satire,  les  a  communiqués  à  son  complice  pour 
achever  le  portrait  de  leur  commune  victime. 

Gomme  Du  Bellay  mourut  le  1"'' janvier  1360,  il  est  possible 
que  Paschal  ne  sût  pas  encore  à  ce  moment  qui  avait  assuré 
avec  tant  de  malice  la  diffusion  de  ce  latin  méchant,  si  loin 
d'être  de  méchant  latin.  Soit  qu'il  lait  ignoré,  soit  qu'il  ait 
jugé  plus  avantageux  de  se  parer  jusqu'à  la  fin  d'une  si  belle 
liaison,  il  tint  à  collaborer  avec  éclat  au  recueil  des  Épi- 
taphes  sur  le  tresjjas  de  Joachim  du  Bellay.  Angevin.  Poète 
Latin  et  François.  Il  y  apporta  une  inscription  à  la  fois  élo- 
quente et  précise,  qui  est  certainement  sa  meilleure  page  '. 
Cette  épitaphe  donne,  avec  une  brièveté  toute  '  romaine,  des 
détails  sur  la  carrière  du  poète  et  sur  ses  derniers  jours  ;  elle  se 

1.  Il  s'agit  toujours  de  Paschal,  mais  c'est  ici  que  commence  le  passage 
rajouté. 

2.  Ed.  Marty-Laveaux,  t.  I,  p.  469. 

3.  Les  biogiaplies  de'  Du  Bellay,  et  particulièrement  H.  Chamard,  ont 
tiré  parti  des  détails  de  cette  inscription.  Mais  on  ne  la  trouve  repi'oduile, 
sous  sa  forme  originale,  qu'au  tome  II  de  l'Appendice  à  la  Pléiade  françoise 
de  Marty-Laveaux.  Les  Allusiones  paru<'s  dans  le  recueil  posthume:  loa- 
chiini  BellaiiAndini  poelae  clarissimi  Xenia,  Paris,  1569,  contiennent  (fol.  11 
y")  deux  distiques  en  l'honneur  de  l'historiographe. 


LE    CICÉRONIEN    PE     LA    ItRIOADE  329 

termine    par  rattestation   plus   pompeuse   que  véridique    d'une 
amitié  sans  nuage  : 

PETRVS     PASCHAUVS 

ET    VETVS    ET    VERVS    A.MICVS    AMICO 
INCOMPARABILI        DOLENS  POSVIT. 

A  la  satire  de  Turnèbe  et  de  Du  Bellay  venait  s'adjoindre  le 
pamphlet  plus  direct,  dont  Ronsard  désabusé  accablait  Paschal 
dans  sa  propre  lang'ue  d'humaniste.  Il  faut  qu'une  circonstance 
l'ait  bien  personnellement  blessé  pour  qu'il  ait  pris  ce  ton  vio- 
lent et  se  soit  complu  à  une  vengeance  aussi  laborieuse.  Je  relève 
une  coïncidence  de  dates  qui  en  apporte  peut-être  l'explication . 
De  tous  ces  éloges  vainement  promis,  Paschal  n'a  composé  qu'un 
seul,  resté  manuscrit  et  dont  le  poète  a  pu  avoir  connaissance  au 
commencement  de  1.5.59.  11  se  trouve  être  celui  de  son  ancien 
rival,*Mellin  de  Saint-Gelais,  mort  au  mois  d'octobre  précédent  '. 
Quoique  Ronsard  n'ait  plus  d'aigreur  contre  Mellin  et  sache  lui 
rendre  justice  -,  il  ne  peut  admettre  une  primauté  à  son  détri- 
ment. Bien  plus,  certain  passage  l'atteint  au  vif  de  ses  préten- 
tions d'inventeur  lyrique,  et  plus  d  une  allusion  est  de  celles 
qu'un  orgueil  sensible  comme  le  sien  ne  saurait  pardonner. 
Voici  quelques  lignes  de  ce  panégyrique,  qui  ont  dû  lui  être 
particulièrement  désagréables  : 

Gallice  omnium  in  Gallia  primus  amalorios  [versus]  et  omnis  gene- 
ris  innumeros,  ornatissimos  et  optimos  fudit,  ac  poetae  melici  nomen 
summa  omnium  approbations  obliiuiit.  Fidibus  praeclare  homo  musi- 
corum  prostudiosus  cecinit,  idque  ut  cetera  omnia  singulari  quadam 
cum  dignitate  ac  venustate  fecit.  .  .  Si  qui  erant  InRegia  ludi  paralis- 
simi  magnificentissimique  apparandi,  si  quid  amatorie.  si  quid  facete 
et  urbane,  si  quid  acute  arguteque  erat  scribendiim,  si  (|uid  trac- 
tandum  ingeniose  ad  Sangelasium  tanquam  ad  Apollinem  concurre- 
batur.  Erant  enim  in  eo  celeres  animi  atque  ingenii  motus  ad  exco- 
gitandum  sane  acuti,  ad  explicandum  et  ornandum  uberrimi.  Eius 
etiam  erat  acumen  in  reprehendis  aliorum  scriptis  (qua  ex  re  aliquam 
habuit  aliquando  inuidiam)  plane  solers  '. 

1.  Je  publie  ce  texte,  qui  date  de  la  fin  de  1538,  d'après  l'autographe  de 
la  collection  Dupuy,  dans  le  volume  du  Cinquantenaire  de  l'Ecole  rlesHautes 
Études.  Paris,   1921,  p.  23-27. 

2.  V.  p.  I8.Ï-187. 

3.  Biblioth.  nat ..  Dupuy  S iS,  fol'.' S. 


330  RONSARD    KT    L'irL'MANTSME 

En  fallait-il  davantage  pour  irriter  le  poète?  C'était  de  la  part 
de  Pasehal  maladresse  plus  encore  que  trahison.  En  tout  cas.  ne 
devait-il  pas  le  premier  des  éloj^^es  à  ce  Ronsard  de  qui  il  tenait 
tout  ?  On  le  lui  (it  bien  voir,  et  l'invective  fut  écrite  pour  lui 
ajjprendre  à  se  conduire. 

Mais  il  ne  pouvait  rester  sous  le  coup  d'une  agression,  que 
les  cercles  lettrés  de  la  Cour  n'ignoraient  pas  et  qui  allait 
.porter  une  sérieuse  atteinte  au  prestige  qu'il  y  conservait  encore. 
Le  moment  était  d'autant  plus  fâcheux  pour  lui,  que  le  roi  qui 
l'avait  pris  en  gré,  et  auprès  de  qui  sa  situation  restait  assu- 
rée, disparaissait  brusquement  de  la  scène  <lu  monde.  Henri  II 
était  blessé  mortellement  par  Montgomery,  au  tournoi  du 
29  juin  1359.  Cette  mort  fournit,  du  moins,  à  l'historiographe 
l'occasion  de  se  montrer  à  son  avantage  et  de  répondre  indirec- 
tement à  ses  détracteurs. 

On  le  voit  publier,  peu  de  temps  après  l'événement  tragique 
et  sous  le  patronage  même  de  Catherine  de  Médicis,  un  panégy- 
rique du  roi  défunt,  qu'il  présente  comme  le  résumé  d'une  grande 
œuvre  historique  consacrée  au  règne  qui  vient  de  finir.  Il  est 
imprimé  chez  Michel  Vascosan,  en  un  nuigniiique  in-folio  inti- 
tulé :  Henrici  II  Galloriiin  reffis  Elogiuni,  cum  eius  verissime 
expressa  effigie,  Petro  Paschalio  autore.  Eiusdem  Henrici  tumu- 
lus  autore  eodein  '.  Ce  recueil,  de  seize  feuillets  seulement,  a 
exigé  toutes  les  ressources  de  l'art  typographique  du  temps.  Il 
s'y  trouve  un  Ijeau  portrait  du  Roi  au  burin  et  une  image  de 
son  tombeau  gravée  sur  bois,  qui  sont  des  ouvrages  de  Jean  Cou- 
sin '^,  puis  six  feuillets  d'inscriptions  funéraires  entourées  d'en- 
cadrements et  composées  en  lettres  capitales  (siste  viator...  — ne 
MiRERE  VIATOR  QviSQvis  ES...).  Ce  sont  les  formules  chères  à  la 
Renaissance  italienne,  qui  les  empruntait  depuis  longtemps  aux 
marbres  antiques.  Bien  qu'élégamment  tournées,  elles  ne  valent 
point   la    nol)le  épitaphe  que  Joachim  du  Bellay,  autre    ilaliani- 


1.  Liitetlae  Parixioiuin,  :ij>ud  Micliaelei»  Vascusnitiini  M.  I).  L.  X.  Ex. 
priuilegio  Reijis.  10  IT.  in-folio.  Chacune  des  trois  traductions  qui  suivent  a 
une  pagination  distincte,  de  16.  10  et  13  pages.  L'un  des  trois  exemplaires 
de  la  Bibl.  nat.  est  celui  que  Catherine  de  Médicis  avait  à  Fontainebleau. 
(Vascosan  a  publié,  sous  la  même  date,  une  édition  in-8  comprenant  aussi 
les  traductions.) 

2.  G.  Duplessis,  Le  Peintre-Graveur,  I.  IX,  Paris,  ISGIi,  p.  5. 


LK    CICÉROMIEN     DE     LA    BRIGADE  331 

sant,  vient  de  composer  en  l'iionneur  des  soldats  français    tués 
pour  la  patrie  au  siège   de  Saint-Quentin  K 

La  dédicace  au  cardinal  de  Lorraine  n'est  pas  seulement  un 
hommage  de  reconnaissance,  c'est  un  appel  à  son  témoignage. 
Paschal  mentionne  les  livres  de  l'histoire  de  Henri  II  qu'il  a 
écrits,  que  des  gens  doctes  ont  lus  et  approuvés,  et  pour  lesquels 
il  a  eu  la  précieuse  collaboration  du  cardinal  en  personne.  Il  fait 
allusion  à  ces  Eloges  dhommes  illustres  qu'il  a  entrepris,  et  qui 
sont  précisément  l'ouvrage  que  Ronsard  prétend  tout  k  fait  fic- 
tif ;  l'occasion  d'en  attester  l'existence  devant  le  public  ne  peut 
être  plus  solennelle  ni  plus  habilement  choisie: 

Carolo  Lotharingio  s.  R.  E.  Cardinali  illustriss. 
PiîïRUs  Paschasil's  s.   D. 

Quoniam  tupenè  unus  scribendae  Fienrici  Régis  historiae  nonsolum 
auclor,  sed  adiulor  eliain  fuisti,  et  virorum  q  uoque  quorundam 
iliuslrium  elogioruni  conficiendorum  suasor,  Princeps  illustris- 
sime; idcirco  quicquid  iam  a  me  est  profectum  profîcisceturque  in  pos- 
terum,  non  magis  meum  esse  duco  quam  tuiiiu.  Neque  enim  illi  his- 
loriarum  libri,  quos  confecimus,  quosque  nonnulli  doclissimi  viri  tan- 
lopere  proljaruiU,  suiit  loti  nostri  ;  tui  sunt  niaiore  ex  parte^  et  ex 
doctissimis  luis  coinmeiitariis  decerpti.  Hoc  autem  regium  elogium, 
quod  nondum  perlecluiu,  seniel  atque  iterum  Henrico  Régi  perlegisti, 
sic  vel  i|)so  nutii  [aderam  enim  ipse  praesens)  emendasti,  ut  illud  non 
indignum  quod  in  nianus  hominum  peruenial  iam  tandem  iudicem. 
Quare  illo  nobis  erepto  Uege  confectoque  hoc  eius  eio;,'io,  visum  milii 
et  tibi  Hbitum  est  ut  id  in  apertum  nunc  demnni  proferremus,  et 
tanti  Régis  tam  illustres  landes  ab  obliuione  lioniinum,  quantum  in 
nobis  esset,  atque  a  silentio  vindicaremus.  l^)uod  faeio  illudque  interea 
dum  nostri  temporis  integram  hisloriam,  maximarum  sane 
vigiliarum  opus,  eontexto,  in  tno  clarissimo  noniine  apparere 
cupio.  Huic  ego  elogio  eius  sanctissimi  Hegis  demortui  formam  et 
imaginem,  ut  non  soium  iis  qui  eum  nunqnani  viderunt,  sed  iis  etiam 
qui  multis  post  seculis  futuri  sunt,  ipsa  quasi  de  l'acie  sit  cognitus, 
optimis  ab  artificibus  expressam,  praeponendam  typoque  aeneo,  quod 
tibi  posleritatiquegralum  futurum  spero,  imprimendam  curaui.  Munus 
igitur  hoc,  sapientissime  Princeps,  magnificum  illud  quidem  (de  uno 
enim    magnilicentissimo    Rege,  luique,   dum   vixit,   amantissimo,    est 

1.  Ce  curieux  morceau  accompagne  une  éléfjie  patriotique  sur  le  même 
sujet  (Poemaia,  fol.  53  v°,  et  Poésiex  fr.  et  ht.  de  J.  du  Bellay,  éd.  E.  Cour- 
bet, Paris,  1918,  t.  1,  p.  520). 


3.12  BONSARI)    KT    I.'hUMAMSME 

totiimi  a  taiitulo  tuo  Paschalio  ol)latuni.  aequo  animo  accipe  ;  et 
homini,  et  tui  cl  caeteroruni  illiistriurn  viroiuni  nominis  memoriam 
aeternis  monumeiilis  consacrare  exiiptanli,  pei[)etu6  faue.  Va!e.  Lule- 
tiae  Parisiorum,  Calend.  Sextil.  M.  \).  I,IX. 

Les  traductions  qui  ^grossissent  le  volume  font  quoique  iion- 
neur  à  l'orif^inal.  I^a  française,  écrite  par  exprès  commandement 
de  la  Reine  mère,  est  de  Lancelot  de  Carie,  l'italienne  dAntoine 
Carraciolo,  évêque  de  Troyes,  et  l'espagnole  de  Garci  Sylvesde 
Tolède.  Brantôme,  chaud  admirateur  du  roi  Henri  II,  ne  s'est 
point  laissé  prendre  à  ce  luxe  de  présentation  et  qualifie  l'ou- 
vrage de  (<  chétif  éloge  »  d'un  si  grand  maître.  On  appréciera 
cependant  certains  détails,  qui  sortent  de  la  banalité  du  genre. 
En  voici  cpii  se  rapportent  aux  arts  ;  en  les  prenant  dans  la  tra- 
duction française,  on  aura  un  exemple  du  style  de  ce  Carie,  qu'a 
loué  Ronsard  et  qui  mériterait  d'être  mieux  connu  : 

Tout  ainsi  qu'il  [Henri  II]  aimoil  la  cof^noissance  de  toutes  choses 
honnestes,  aussi  se  delectoit  il  sinp;ulierenient  do  l'Architecture.  Il  feit 
bastir  en  plusieurs  endroits,  au  tem])s  niesnie  de  son  règne  que  la  for- 
lune  sembloit  luv  estre  plus  ennemie.  Et  fut  le  premier  de  tous  ses 
prédécesseurs  qui  feit  ouvrir  dans  les  mons  Pyrénées  des  quarrieres, 
que  le  long  temps  avoit  couvertes,  et  plusieurs  autres  nouvelles,  dont 
il  feit  tirer  et  amener  par  eau  dedans  Paris  infinies  sortes  de  très 
beaus  marbres.  11  feit  parachever  avec  très  grande  magnificence  celle 
partie  du  chasteau  du  Louvre  qui  regarde  vers  l'Orient,  laquelle  avoit 
esté  commencée  par  le  Roy  François  son  père.  Il  faisoit  faveur  aux 
gens  de  lettres,  tant  de  son  naturel  que  incité  par  l'exemple  du  feu 
Roy  François  son  père  ;  et  faisoit  principalement  cas  des  beaus  esprits, 
qui  peuvent  rendre  immortels  les  faits  des  grand.s  et  illustres  person- 
nages. Il  entendoit  la  langue  latine... 

Catherine  de  Médicis  vit,  dans  le  travail  de  l'historiographe  à 
la  mémoire  du  roi  disparu,  un  hommage  digne  d'être  conservé  à 
la  postérité.  On  a  l'exemplaire,  magnifiquement  relié  à  ses  armes 
et  devises  et  orné  d'im  frontispice  peint,  qu'elle  fit  placer  dans 
la  bibliothèque  de  Fontainebleau.  Elle  voulut  qu'il  en  fût  déposé 
un  autre  par  les  soins  du  Parlement  de  Paris  dans  le  Trésor  des 
Chartes  ou  parmi  les  registres  de  cette  cour  '.  L'auteur  adressa 

1 .  »  A  Nos  seigneurs  du  Parlement  suplie  humblomonl  Pierre  de  Pascli;d, 
docteur  es  droit,  conseiller  et  historiographe  du  Roy.  Comme  le  dit  sup- 
pliant a,  par  le  commandement  de  la  Reine  mère  du  Roy  et  pour  le  devoir 


LE    CICÉRONIEN     DE    LA    BRIGADE  333 

une  requête  à  ce  sujet;  satisfaction  lui  fut  donnée,  et  sur  l'avis 
du  procureur  général,  le  Parlement  ordonna  que  le  livre  serait 
<<  mis  au  greffe  de  ladite  cour  pour  y  être  gardé  sous  clef  »,  hon- 
neur qui  pouvait  consoler  Paschal  des  méchancetés  des  «  gens  de 
lettres  »  ' . 

IV 

La  brouille  avec  Ronsard  n'avait  pu  être  dissimulée.  Le  poète 
l'affichait  avec  une  rage  orgueilleuse,  ne  pardonnant  point  k  Pas- 
chal l'attitude  ridicule  où  tant  de  ses  vers  flatteurs  lavaient  mis. 
Son  terrible  Elogium  faisait  quelque  bruit  parmi  les  rimeurs  et 
dans  le  petit  monde  de  lettrés  qui  gravitait  autour  d'eux.  L'au- 
teur fut  pourtant  bien  inspiré  de  ne  pas  le  livrer  aux  presses  ; 
les  lecteurs  eussent  trop  aisément  souligné  la  contradiction  écla- 
tante de  ses  jugements  sur  la  science  et  l'éloquence  du  «  divin 
Paschal  ».  Mais  les  belles  dédicaces  disparurent,  le  nom  s'effaça 
de  l'édition  collective  de  lotiO,  et  la  plupart  des  amis  du  poète 
cessèrent  de  faire  bon  visage  à  l'historiographe.  Ce  fut  probable- 
ment le  cas  de  Jean  de  Morel  ;  mais  il  n'alla  pas  jusqu'à  accepter 
le  transfert  d'une  dédicace,  celle  de  Y  Hymne,  de  la.  Mort,  que 
Ronsard  retirait  à  Paschal  pour  la  lui  oifrir  ;  il  refusa,  «  ne  vou- 
lant estre  honoré  des  dépouilles  d'autruy  »,et  sa  fille,  la  brillante 
Camille,  ne  consentit  pas  davantage  à  accepter  cette  dédicace  dis- 
ponible. Peu  de  temps  après,  Morel  fit  accueil  à  la  belle  épi- 
taphe  qui  fut  la  contribution  de  Paschal  au  «  Tombeau  »  de 
Du   Bellay,   préparé  par  Uytenhove    dans    la  maison   de  la    rue 

de  la  charge  en'laquelle  il  est  appelé  d'écrire  l'histoire  de  France,  dressé  et 
rédigé  en  bref  Téloge  de  la  vie  et  gestes  du  feu  Roy,  Henry  2«  de  ce  nom,  et 
reçeu  commandement  exprès  de  la  dite  dame  d'icelluy  présenter  à  la  dite 
Cour  pour  y  estre  mis  et  gardé  à  perpétuelle  mémoire  ;  ce  considéré,  il 
vous  plaise,  tant  pour  la  décharge  du  commandement  que  ledit  supliant  a 
reçeu  de  la  dite  dame  Reine  que  pour  la  louable  et  recommandable  mémoire 
du  dit  sieur  feu  Roj',  ordonner  le  dit  éloge  estre  reçeu  et  mis  entre  les 
registres  du  temps  et  règne  du  ilit  l'eu  Roy,  ou  au  Trésor  des  Chartes,  et  de 
la  réception  du  dit  éloge  décerner  et  expédier  au  dit  supliant  ordonnance 
de  ladite  Cour,  et  vous  ferez  bien,  .\insy  signé  Paschal.  »  (Registredu  Con- 
seil du  Parlement  de  Paris,  cité  parBounefon,  l.  c,  p.  35). 

1.  On  vient  délire  cette  expression  dans  le  morceau  de  Lancelot  de 
Carie.  Elle  est  tout  à  fait  courante  à  la  fin  du  siècle,  par  exemple  chez  Bran- 
tôme. « 


334  KO.NSAnU     I.T     I,  111  .MA.MS.MI, 

Pavée  '.  Ce  fut  le  premier  signe  de  lu  rentrée  en  grâce  du  cou- 
pable. 

Ayant  mis  sa  colère  en  latin,  Ilonsard  n'y  associa  point  sa- 
muse.  Les  initiés  reconnurent  la  querelle  au  passage,  en  lisant 
le  morceau  de  l'élégie  "  au  sieur  L'IIuillier  ■■,  où  le  poète  se  plaint 
de  ne  recevoir  de  ses  beaux  labeurs  nulle  récompense,  alors  ((ue 
les  rois,  les  princes  et  particulièrement  le  cardinal  de  Lorraine 
comblent  de  libéralités  des  protégés  indignes  : 

Il  me  fâche  de  vcoir.  ore  que  je  suis  vieulx, 
Un  lourd  Pi-olhciioliure,  un  niuguel  envieuz, 
Un  plaisynl  courli/.eur,  un  ravaudcar  d'Iiisloire, 
Un  qui  pour  se  vunler  nous  veull  forcer  de  croyre 
Quec'esl  un  Cicéron,  advancez  deviinl  moy, 
(^)ui  piiys  de  tous  coste/  semer  l'honneur  d'un  Roy. 
Il  laudroil  qu'on  gardasl  les  vacc];uis  bénéfices 
A  ceux  qui  font  aux  Hois  et  aux  princes  services, 
Et  non  pas  les  donner  aux  hommes  incogneuz 
Que  comme  potirons  h  la  Court  sont  venuz, 
Vieux  Corbeaux  afîamez,  qui  faueement  héritent 
Des  biens  et  des  honneurs  que  les  autres  méritent ''. 

Mais  le  ressenlinu>nt  des  |ioètes  ne  dure  le  plus  souvent  que 
le  temps  d'en  trouver  une  expression  satisfaisante.  Après  avoir 
fortement  manifesté  le  sien,  le  nôtre  cessa  d'y  attacher  de  l'im- 
portance. Au  reste,  Paschal  n'ayant  riposté  qu'indirectement, 
leurs  amis  de  la  Cour  durent  travailler  à  une  réconciliation. 
Dès  I.'jGS,  c'est-à-dire  après  quatre  ans  à  peine,  Ronsard  accorde 
son  absolution  publique,  au  cours  de  la  Reinonslrance  au  peuple 
de  France  ^.  Répondant  aux  attaques  des  huguenots,  qui  accu- 
sent la  vieille  religion  de  ne  plus  convenir  aux  savants  et  aux 
hommes  de  jugement,  il  évoque  contre  eux.  en  iui  passage  élo- 
quent, de  grandes  et  doctes  figures,  «  Amvot  et  Danès,  lumières 
de  notre  âge  »  ;  beaucoup  plus  loin,  et  sans  risquer  de  parallèle, 
il  fait  appaïaître  un  troisième  personnage  : 

1.  Voir  sa  plaisante  réponse  dans  le  livre  de  Henri  Longnon,  Pierre  de 
Ronsard,  p.  281  282.  Cf.  éd.  L.,  t.  IV,  p.  364.  L'hymne  échut  à  Des  Mazures. 

2.  Ed.  L.,  t.   VII,  p.  382  ;   éd.  Bl.,  t.  111,   p.  401.  Le  morceau  est  dans 
l'éd.  de  lo60  seulement. 

3.  La  Reinonslrance  a  été   imprimée  pour  la  première  fois  à  Paris,  chez 
G.  Biion,  en  1563,  in-4  de  16  Q. 


LE    CICÉROMEN    DE    LA    UIUGAbK  33o 

Toy,  Paschal,  qui  as  fait  un  œuvre  si  divin, 
Ne  le  veux-tu  point  mettre  en  évidence,  alin 
Que  le  peuple  le  voye  et  l'apprenne  et  le  lise 
A  l'honneur  de  ton  Prince  et  de  toute  l'Eglise  ? 
Eh  bien  !   tu  médiras  :  «  Aussi  tost   qu'ils  verront 
Noz  escrils  imprimez,  soudain  ils  nous  tueront  ; 
Car  ils  ont  de  fureur  l'ame  plus  animée 
Que  freslons  en  un  chesne  estoufTez  de  fumée.  » 
Quant  à  mourir,  Paschal,  j'y  suis  tout  résolu, 
Et  mourray  par  leurs  mains,  si  le  ciel  l'a  voulu. 
Si  ne  veux-je  pourtant  me  retenir  d'escrire, 
D'aymer  la  vérité,  la  prescher  et  la  dire  '. 

En  mêlant  ainsi  à  d'autres  noms,  dans  un  discours  de  portée 
générale,  le  nom  de  l'ami  réconcilié,  le  poète  lui  faisait  sans 
s'humilier  amende  honorable"  :  il  rendait  justice,  en  même  temps, 
à  une  œuvre  historique,  qui  s'édifiait  peu  à  peu  et  cessait  d'être 
la  grande  mystification  qu'on  avait  cru.  En  dépit  de  leurs  défauts 
et  de  leurs  artifices,  les  7?es  ab  Henrico  regc  gestae  prenaient 
figure  et  l'on  pouvait  croire  quelles  seraient  un  jour  publiées. 
Mais  les  attaques  de  Turnèbe  et  des  écrivains  dépités  pesaient 
toujours  sur  la  réputation  de  Paschal  ;  Florent  Chrestien,  converti 
au  protestantisme  et  donnant  par  de  vifs  pamphlets  des  gages  à 
son  parti,  les  reprenait  les  unes  après  les  autres  pour  accaljler 
l'auteur  de  la  Remonstrance  et  ruiner  ses  autorités.  Elles  repa- 
raissent dans  la  Seconde  réponse  de  F.  de  la  Baronie  à  Mesxire 
Pierre  de  Ronsard,  prestre-gentilhomine  Vandomois,  cvesquc 
futur.  Le  pamphlétaire    écarte,  en  quelques  mots  de  mépris,  le 

1.  Ed.  L.,  t.  VII,  p.  b43;  éd.  Bl.,  t.  VII,  p.  TO.  Ces  douze  vers  dispa- 
raissent des  réimpressions  après  1578.  L'édition  de  lîi84  conserve  encore  par 
inadvertance  le  nom  de  Paschal,  remplacé  à  partir  cle  1587  par  le  mot 
Lecteur,  dans  le  morceau  qui  suit  les  douze  vers  supprimés  (éd.  L.,  t.  V, 
p.  382  ;  t.  VII,  p.  544)  : 

Je  sçay  qu'ils  sont  cruel.<  et  tyruns  iiiluiniains  ; 
N'agueres  le  bon  Dieu  me  sauva  de  leurs  mains  ; 
Après  m'avoir  tiré  cinq  coups  de  liarquebuse, 
Encoril  n'a  voulu  perdre  ma  pauvre  Muse. 
Je  vis  encor',  Paschal,  et  ce  bien  je  reçoy 
Par  un  miracle  grand  que  Dieu  list  dessus  moy. 

2.  En  1567,  le  nom  de  l'humaniste  reparait  dans  un  sonnet  nouveau  des 
Amours  («  Je  meurs,  Paschal,  quand  je  la  voy  si  belle...  »).  Ed.  L.,  t.  I, 
p.  39.  Cf.  Les  Amours,  éd.  II.  Vaganay,  p.  151.  Le  commentaire  très  court 
est  de  Belleau. 


'A'M  hm.nsahii   i:r    i.'iil.ma.msmi-; 

<i  Iccti'ur  I)  Danès  et  le  i<    Irailucleur  »  Amyol  ;  il  s'en  prend  à 
riiistoriographe,  élant  documenté  par  Ronsard  lui-même  : 

Quant  à  ton  cherPaschal,  tout  le  monde  confesse 
Qu'il  est  docte  et  sçav.mt.  l'Italie  el  la  (Irece 
Le  cognoissent  fort  bien,  car  par  tout  l'univers 
On  ne  lit  que  le  nom  de  Paschal  eu  tes  vers. 
Puis  l'attente  qu'on  a  de  sa  Françoise  histoire 
Fera  f^raver  son  nom  au  dos  de  la  mémoire, 
Histoire  que  jamais  peut  eslre  ne  mourra, 
Car  peut  estre  qu'aussi  jamais  ne  vivera.. . 
C'est  luy  qui  a  premier  d'une  façon  nouvelle 
Fait  croire  qu'il  estoit  historien  fidèle 
Sans  rien  mettre  en  cscrit  ;  c  est  luy  qui  finement 
Entretenoit  un  Roy  de  mines  seulement... 
Il  est  vray  qu'autresfois  pour  cacher  ceste  ruze 
Il  en  a  bien  tracé  quatre  lignes  d'excuse. 
Car  ce  pendant  tousjours  ses  gages  il  tiroit, 
Et  pourestre  admiré  de  ceux  qu'il  désiroit 
(S'il  est  vray  ce  que  dit  l'Epistre  à  Leoquerne) 
Il  les  laissoil  tomber  mesmes  clans  la  taverne, 
Là  où  quelqu'un  venant  amassoit  ce  papier 
Quel'aucteur  tout  exprès  vouloit  bien  oublier  '... 

Le  plus  grave  pour  Pa.schal  était  ïjue  la  Cour  se  dégoûtait  de 
lui.  Privé  de  l'appui  du  souverain  qui  l'avait  attaché  à  sa  per- 
sonne, son  crédit  ne  tarda  pas  à  décroître,  et  l'écho  des  brocards 
littéraires  parvint  à  des  oreilles  cpii  n'y  furent  point  insensibles. 
C'est  au  Louvre,  et  chez  le  cardinal  de  Lorraine,  qu'ont  été 
recueillis  les  traits  d'une  image  peinte  du  pinceau  de  Brantôme. 
Honorant  Henri  H  dans  Les  vies  des  grands  capitaines,  il  regrette 
l'insuffisance  des  écrivains  qui  ont  narré  ses  hauts  faits,  et  notam- 
ment de  «  ce  bel  abuseur  de  Paschal  »,  si  vaniteux  dans  sa 
charge  : 

Il  en  tiroit  une  bonne  pention  tous  les  ans,  de  douze  à  quinze  cens 
livres  par  an,  et  promettoit  un'histoire  de  nostre  temps  la  nompareille 
du  monde  ;  si  bien  que  j'ay  veu  noz  roys  et  noz    princes,  et  M.  le  car- 

1.  La  Seconde  Réponse  (s.  1.,  1.Ï63)  n'est  pas  paginée.  Le  morceau  sur 
Paschal  n'occupe  pas  moins  de  trois  pages,  où  l'injure  du  ])nrtisan  ne  le 
ménage  pas  : 

Venez,  Muses,  venez  pour  accoler  Paschal, 
Donnez  luy  le  chappeau digne  d'un  cardinal: 
Asncs  rouges,  venez,... 


LE    CICÉROMEN    DE    LA    ItRKiADE  337 

(Jiiial,  pour  cela  faire  f;rand  cas  de  luy  ;  et  luy  laisoil  la  bonne  mine. 
Pensez  qu'il  songeoit  en  soy  et  disoit  soubs  bourre  en  se  mocquant  : 
«...  Ce  n'est  pas  ce  que  vous  pensez,  mes  bous  amis  ;  il  y  a  delà 
fourbe  »  ;  et  si  s'en  monslroit  tout  j^lorieux.  car  je  l'ay  veu  en  telle 
piaffe.  Après  avoir  faicl  monstre  de  faire  enfanter  des  montafjnes,  pour 
tout  poltageil  n'a  produit  qu'un  chétif  éloge  après   la  mort  du  Roy, 

que  j'ay  vu  en  latin Et  qui  plus  est,   on  n'a  trouvé  après   en  sa 

bibliothèque  un  seul  chétif  beau  mémoire  qui  peut  monstrer  l'envie 
qu'il  eut  en  cela  de  sacquicler  de  ses  debtes,  encor  qu'il  fust  d'ordi- 
naire à  la  suite  de  la  court,  et  qu'il  vist  à  l'œil  et  entendist  de  son 
Roy  et  des  grandz,  et  eust  toute  matière  en  place  pour  bien  bastir  son 
œuvre  :  mais,  comme  disoit  .M.  le  cardinal,  l'art  et  la  science  lui 
failloienl  pour  si  haute  entreprise  *. 

.\insi  fut  établie,  pour  durer  jusqu'à  nos  jours,  la  légende 
accréditée  contre  Paschal  par  sa  paresse  et  sa  fatuité.  Elle  put 
achever  de  le  dég-oùter  d'un  ouvrage,  dont  il  avait  cependant  mis 
au  point  des  parties  considérables.  Il  dut  sentir  sa  présence 
importune  à  la  Cour,  où  il  n'eut  bientôt  plus  de  fonction. 
Celle  d'historiographe  du  nouveau  règne  venait  d'être  confiée  à 
François  Hotman,  recommandé  par  le  chancelier  de  L'Hospital'-. 
C'est  à  lui  peut-être  que  pensait  Ronsard,  quand  il  s'écriait  au 
Discours  des  misères  de  ce  temps,  invoquant  ce  témoin  des  dis- 
cordes françaises  : 

Otoj'  historien,  qui  d'encre  non  menteuse 

Rscris  de  nostre  temps  l'histoire  monstrueuse. 

Raconte  à  nosenfans  tout  ce  malheur  fatal. 

Afin  qu'en  te  lisant  ils  pleurent  nostre  mal 

Et  qu'ils  prennent  exemple  aux  péchez  de  leurs  pères...-'. 

Paschal  était  encore  à  Paris  au  printenipsdeloGS,  car  Lambin 
le  mentionne  parmi  les  personnages  intervenus  dans  une  affaire 
intéressant    les  lecteurs   du   Collège    royal  '\  On  le  voit  bientôt 

1.  Ed.  Lalanne,  t.  III,  p.  28.3-28o.  t:f.  plus  haut,  p.  324.  Lalanne  u'ig-no- 
rait  poiiitque  Brantôme  était  mal  informé  desouvrages  de  Paschal  et  signa- 
lait déjà  l'existence  de  nos  autographes  conservés  dans  le  fonds  Dupuy. 

2.  Reçue  historique,  t.  II,  p.  50. 

3.  Ed.  L.,  t.  V,  p.  .33.3  ;  éd.  Bl.,  t.  III,  p.  13. 

4.  Dans  le  discours  d'ouverture  de  son  cours  sur  la  Rlii'-lorique  d'Aristote 
prononcé  en  avril  li)63,  Lambin  remercie  ceux  qui  ont  fait  des  démarches 
pour  faire  payer  leurs  gages  en  retard  aux  lecteurs  royaux  :  L'Hospital, 
.\niyot,  Lancelol  de  Carie,  Henri  de  Mesraes   et,  enfin,  Petrus   Paschalius 

Noi.HAc.  —  Honsard  et  l Humanisme.  '  22 


338  RONSAKI)    |:T    l.'nr.MAMSME 

après  finir  sa  vie  dans  sa  province  d'origine.  Le  cardinal  d'Arma- 
gnac,promu  à  l'archevêchâ  de  Toulouse,  continuait  de  réunirson 
cercle  de  savants  ;  il  y  retrouva  sa  place  d'autrefois.  Il  se  reprit 
à  composer  des  vers,  comme  ceux  qui  lui  avaient  valu  ses  pre- 
miers succès  parmi  les  lettrés  de  la  docte  ville.  De  cette  époque 
date  sa  courte  élégie  sur  la  mort  du  légiste  bordelais  Arnoul  le 
Perron,  son  prédécesseur  comme  historiographe  de  François  I*"'', 
dont  la  gloire  la  plus  certaine  vient  de  ses  fameux  Commentaires 
sur  la  Coutume  de  (iuyenne.  Jules-César  Scaliger,  qui  était  son 
ami,  le  célébra  aussi  en  vers  latins.  Les  vers  de  Pasciial,  les 
seuls  qui  restent  de  lui,  ne  sont  faits  que  de  réminiscences 
classif[ues  ';  ceux  de  Scaliger  ont  assurément  plus  d'accent  -. 

L'historiographe  de  Henri  II  n'avait  que  quarante-cinq  ans, 
lorsqu'il  mourut  à  Toulouse,  le  1S  février  I.'JG.o.  Trois  jours  après, 
mourait  chez  le  cardinal  d'Armagnac  Guillaume  Philandrier,  ' 
dont  la  science  de  l'Antiquité  était  grande,  mais  (jui,  par  sa  négli- 
gence à  publier  ses  travaux,  avait  déçu,  lui  aussi,  ses  admira- 
teurs ■''.  On  enterra  les  deux  amis  côte  à  côte  dans  le  cloitre  Saint- 
Etienne,  réservé  à  la  sépulture  des  illustres  de  la  cité.  Le 
monument  funéraire  du  premier  reçut  une  épitaphe,  dont  on  a 
le  texte  ''  ;  elle  consacrait  en  peu  de  mots  toutes  les  prétentions 
littéraires  de  sa  courte  vie  : 

l'ETRO    PASCIIALIO    REHVM  GESTARVM  AB 

IIENRICO  n  GAI.LIARVM  REGE 

SCRIPTORI    l'OLITISSIMO   ANTIQ\AE 

VIRTVTIS  ET    ROMANAE  ELOQVENT. 

AEMVLATORI     l'RAESTANTISS .      AMICI 

MllERKNTKS   I).  M.    1'. 

VIXIT  ANNOS   XI.V.   OBIIT   XIIH    KL.    MAR. 

AN.  POST  CIIRISTVM  NATVM  M.  DLXV. 

hislorlcus  Regius  ;  Iti  omnes  cerlafint  suo  qiiisque  loco  cnusam  nosirsm 
nccurateegerant  [Duae  orationes  D.  Lambini...  in  aiila  rjymnasii  Samaro- 
hrinensis  habitae,  Paris,  1363,  p.  Tj). 

1.  Ces  vers,  cités  par  P.  Bonnefon,  /.  c.,p.  44,  sont  Imprimés  en  tête  de 
l'édition  in-folio  dos  (jommenlairea  sur  la  Coultime. 

2.  L'ode  de  .I.-C.  Scaliger  à  la  louange  d'Arnaud  le  Ferron  [Poeinala,  p.3o3, 
est  citée  par  Sainte-Marthe  et  par  Tissier,  Éloges,  t.  II,  p.  107. 

3.  Le  témoignage  de  J.-.\.  de  Thou  est  bien  significatif  à  ce  sujet. 

i.  Cf.  P.  Bonnefon,  /.  c.,p.  26-27.  Je  lui  emprunte  le  texte  de  l'inscrip- 
tion, jadis  donné  par  Moréri  et  Le  Duchat,  et  recueilli  par  \.  <lu  Mége  sur 
la  pierre  avant  sa  disparition. 


LE    CICKROMEN    DE    LA    IIRIOADE  -^39 

Peu  de  temps  après  la  mort  de  Paschal,  Dorât  écrivait  à  un 
ami  qu'il  préparait  la  traduction  des  odes  de  Pindare  dans  les 
mètres  originaux  ',  et  qu'il  en  dédierait  une  au  défunt  en  recon- 
naissance d'une  belle  libéralité  :  «  Alteram  destine  Paschalio 
amico  Historico  Régis,  nuper  vita  functo,  qui  singulos  anulos 
aureos  singulis  amicis,  Tornaebo,  Ronsardo,  mihi,  pluribus 
moriens  legauit...  Ferreus  sim,  non  aureus  aut  auratus,  si  non 
hoc  ego  munus  amem,  et  muneris  etiam  magis  auctorem -.  » 
Ces  anneaux  d'or,  collectionnés  par  l'humaniste  et  légués  à  ses 
confrères  de  Paris,  avaient  une  signification  :  ils  attestaient  sa 
réconciliation  complète  avec  le  groupe  de  Ronsard.  L'adroit 
cicéronien,  qui  n'était  point  un  méchant  homme,  avait  trouvé 
une  façon  délicate  d'effacer  ce  qui  pouvait  rester  de  mauvais 
souvenirs  au  cœur  de  ses  anciens  amis. 


1.  i<  Et  quia  Latinura  aliquando  Pindarum  meditor  iisdem  mimeris  edere 
et  singulas  Odas  singulis  amicis  consecrare,  tua  iam  esto.  . .    > 

2.  .\ndré  Du  Chesne,  Hist.  généal.  de  la  maison  de  Chasteigner,  p.  12S 
(lettre 'à  Fr.  de  Chasteigner  de  la  Rochepozay).  Les  Scaligerana  men- 
tionnent le  legs  "  à  Aurat  et  autres  de  beaux  et  riches  anneaux  ;  le  moindre 
valoit  oOescus,  et  il  y  en  avoit  qui  valoient  100  escus  ••  i  Amsterdam,  1740, 
t.  II,  p.  493). 


ADDENDA 

Le  lecteur  ne  peut  s'étonner  que,  pendant  l'impression  de  ce  livre 
commencée  depuis  plusieurs  années,  d'assez  nombreuses  additions  se 
soient  offertes,  qu'il  a  semblé  utile  de  recueillir. 

P.  .'i6.  Comment  Jean  Dorât  a-t-il  été  introduit  chez  Lazare  de 
Ba'if  ?  On  peut  établir  que  l'ambassadeur  de  François  l'""'  le  connaissait 
par  sa  première  réputation  littéraire  dès  1540.  C'est  à  Baïf,  en  effet, 
qu'est  dédié  le  recueil  :  Roherti  Brilanni  Airebaiensis  epistolarum  Ultri 
duo,  Paris,  1540  (fol.  64  :  Lazaro  Baifio  lihellorum  magistro),  où  les 
j)roductions  poétiques  du  jeune  Limousin  sont  déjà  louées  avec 
enthousiasme  :  «  Delectauit  me  tuuni  carmen  ne  dici  quidem  potesl 
quanta  utilitate  aninii  et  ingenii  mei.  Erant  enim  in  illo  splendida  et 
acuta  omnia...  Ego,  ut  iani  me  tibi  aperiam,  neminem  esse  puto  his 
temporibus  qui  tantumlyrica  valent  venustate  quam  tu;  unum  escipio 
Macrinum,  oui  tu  facile  concedis...  »  (fol.  59  v").  Trois  distiques  de 
Dorât  sont  à  la  fin  du  recueil  de  vers  de  ce  même  Robert  Breton, 
d'Arras,  dédié  à  .\rnoul  le  Ferron  et  contenant  des  pièces  adressées 
à  Dolet,  Toussain,  Turnèbe,  .Ant.  de  Gouvea.  Un  long  poème  en 
distiques,  à  Dorât  lui-même,  témoigne  de  la  cordialité  de  leurs  rap- 
ports H.  Britanni  Alreh.  carminuin  liber  unus,  Paris,  1541,  fol.  17  v". 
Cf.  Marty-Laveaux,  Notice  sur  Dorai,  p.  xij).  Mais  une  lettre  du  pré- 
cédent recueil  nous  met  sur  une  autre  piste.  I^'humaniste  d'Arras 
l'adresse  au  compatriote  de  Dorât,  Jean  INialedent,  à  l'occasion  de  son 
entrée  comme  précepteur  dans  la  maison  de  Mesmes  («  Agis  in  donio 
honorilica.  Magnum  est  Propraetoris  ciuilis  nomen,  sed  virtus  Mesmii 
mullo  maior...  «  Fol.  59  v°).  Or,  le  jeune  Henri  de  Mesmes  et  Male- 
dent  fréquentaient  la  maison  de  l'ambassadeur  :  «  Mon  précepteur  me 
menoit  quelquefoischez  Lazarus  Baïiius,  ïussanus,  Strazellius,  Castel- 
lanus  et  Danesius,  avec  honeur  et  progrès  es  lettres  »  [Mémoires, 
p.  137).  Il  est  naturel  qu  ils  aient  recommandé  leur  ami  Dorai,  avec 
qui  j'ai  mis  en  lumière  leurs  étroites  relations  (p.  67  n.),  lorsque  Baïf 
a  cherché  un  maître  pour  son  fils.  Tel  fut  sans  doute  l'enchaînement 
des  circonstances  qui  conduisirent  Dorât  vers  Ronsard. 

P.  37,  1.  15.  Tous  les  bibliographes,  depuis  Du  \'erdier  jusqu'à 
Emile  Picot,  se  sont  accordés  à  attribuer  à  Lazare  de  Baïf  la  traduc- 
tion en  vers  de  V Hécube  d'Euripide,  parue  sans  nom  d'auteur  en  1544 
et  réimprimée  en  1550.  Dans  la  dédicace  du  livret  à  François  l",  on  a 


3i2  RONSARD   ET    1,'llUMAMSMK 

inlerprélé  les  mots  u  mes  enfants  "Comme  une  expression  de  tendresse 
paternelle  de  l'ambassadeur  pour  le  jeune  Ronsard,  ainsi  assimilé  à 
son  propre  lils,  compagnon  de  son  travail.  Cette  attribution  de  l'ou- 
vrage à  Bail'  (et  par  conséquent  ce  que  j'ai  cru  pouvoir  en  tirer  aux 
p.  38  et  39)  tombe  devant  une  démonstration  de  René  Slurel,  dans 
les  M(''lan(/es  Emile  Châtelain,  Paris,  1910.  |).  .'jTG-.ïSO.  L'/h'cuhe  a 
été  traduite  dans  la  maison  du  berrichon  (luillauine  Hochelel,  secré- 
taire du  Hoi,  qui  avait  alors  Jacques  Aniyot  pour  [irécepteur  de  ses 
fils.  .Vmvot  semble  l'autour  d'une  traduction  en  vers  des  TronJes 
dont  le  nis.  est  au  Musée  (vindé.  lui  tout  cas,  c'est  à  lui,  non  point  à 
Dorai,  que  s'appliquent  les  observations  sur  VHécnbe,  de  même 
qu'on  s'explique  comment  la  Deffence  de  Du  Bellay  ne  mentionne  pas 
cette  traduction,  à  côté  de  celle  d'Electre,  de  Sophocle,  qui  est  due  à 
Lazare  de  Baïf. 

P.  i7,  1.  1().  Aux  précisions  que  je  crois  apporter  sur  les  origines 
de  l'ode  pindarique  en  France  manquait  celle  des  circonstances  qui  ont 
introduit  l'œuvre  de  Benedelto  Lampridio  auprès  de  Dorât  et  de  nos 
poètes.  Les  Elocjia  virorum  lileris  illustriiim  de  Paul  Jove,  qu'ils  ont 
bien  connus  et  qui  ont  été  publiés  pour  la  première  fois  en  I5i(),  con- 
tiennent un  article  sur  le  poète  crémonais  («  Scripsit  odas  aemulatione 
Pindarica  erudilas  et  graues...  »),  accompagné  d'une  épigramme  de 
Marcantonio  Flaminio.  ^La  bibliographie  récente  de  la  "  lirica  pinda- 
reggiante  »  en  Italie  est  donnée  par  Ferdin.  Neri,  avec  qui  l'on  verra 
que  je  me  suis  rencontré  sur  le  rôle  de  I^ampridio  :  //  Chiahrerne  la 
Pléiade  francese,  Turin,  19:20,  p.  106.)  Mais  le  propagateur  des  odes 
de  Lampridio  en  France  est  certainement  Michel  de  L'Hospital,  qui  a 
fait  à  Padoue  six  années  d'études  littéraires  autant  que  juridiques,  de 
1526  à  1532.  Non  seulement  je  le  vois  citer  Pindare  parmi  les  auteurs 
qu'il  étudiait,  mais  il  nomme  expressément  son  imitateur  avec  Longueil 
et  Lazaro  Bonamico,  parmi  les  trois  maîtres  de  Padoue  qu'il  a  le  |)lus 
aimés  [Carntina,  .Amsterdam,  I73"2,  p.  429'  : 

. .  .Nam  me  dulcis  amor  lenet  aeternumque  tenehil 
Urbis  Palladiae,  Longoli,  Lampridu(j  uc 
Vatis,  et  egregii  Bonamica  génie  magislri. 

P.  121,  n.  5.  Henri  Guy  désigne  l'ouvrage  de  Michel  Psellos,  dont 
Ronsard  a  fait  un  résumé  assezexact  dansV Hymne  des  iJaimons;  c'est 
le  dialogue  publié  dans  Migne,  Patrologia  graecn,  t.  CXXII,  col.  S16- 
876.  [Les  sources  françaises  de  Honsard.  dans  la  Revue  d'hist.  litt. 
de  1902,  p.  227.) 

P.  123,  n.  1.  Dans  le  travail  cité  ci-dessus,  H.  Guy,  quia  com- 
mencé par  un  volume  sur  les  Rhêtoriqneurs  sa  précieuse  Histoire  de 


ADIlENDA  343 

la  poésie  française  an  seizième  siècle,  donne  une  très  utile  anHlyse 
des  passaf;es  des  Illuslralions  de  Gaule  et  Sini/iilarilez  de  Troije, 
par  Jean  Lemaire  de  Belg-es,  qui  ont  inspiré  l'auteur  de  la  Franciade. 
Il  observe  la  liberté  du  poète  à  l'égard  de  la  légende  de  Francus  el  le 
peu  de  créance  qu'il  accorde  lui-même  à  la  réalité  historique  de  son 
sujet.  Ronsard  écrit  qu'Homère  et  Virg-ile  ont  inventé  la  matière 
de  leurs  poèmes  :  «  Suivant  ces  deux  grands  personnages,  dit-il,  j'ai 
fait  le   semblable.  » 

P.  130,  n.  2.  Cette  épigramme  d'Estienne  Pasquier  n'est  pas  la  seule 
qu'il  dédie  à  Ronsard.  On  la  trouve  avec  deux  autres  dans  la  première 
édition  de  son  recueil  :  Sieph.  Paschasii  iurisc.  Paris,  ac  in  supremo 
Galliarum  Senatu  patroni  Epiçframmalum  libri  VI,  Paris,  P.  l'Iluil- 
lier,  ir)82.  \.  les  (T.  7,  54  et  81.  Les  hendécasyllabes  semblent  anté- 
rieurs aux  projets  d'épopée,  rappelés  dans  les  distiques  : 

Dum  te  délectai  strepilus  clangorque  tuharum, 
Armaque  Franciadum  saeuar/ue  hella  canis... 

P.  135,  1.  11.  Aymar  de  Ranconel,  qui  fut  président  aux  Enquêtes 
du  Parlement,  possédait  des  mss.  grecs.  Turnèbe,  qui  a  consacré  à 
Eschyle  sa  première  publication  de  textes  anciens  (Paris,  1552,  avec 
une  lettre  dédicatoire  en  grec  à  Michel  de  L'Hospital),  a  trouvé  chez 
Ranconet  uu  bon  ms.  de  trois  tragédies.  Son  Sophocle  (Paris,  1553), 
qui  est  dédié  à  ce  dernier,  mentionne  le  prêt  de  mss.  du  poète  et  de 
son  commentateur  Demelrios  Triclinios.  Ces  éditions  sont  celles  qu'a 
le  plus  pratiquées  Ronsard. 

P.  135,  1.  20.  Ronsard  a  dû  connaître  l'humaniste  Papire  Masson, 
historien  de  Charles  IX,  chez  le  chancelier  de  Cheverny,  dont  ce 
fécond  polvgraphe  fut  le  bibliothécaire  pendant  six  ans.  Masson  lait 
intervenir  le  souvenir  du  poète  dans  l'éloge  de  Dorât,  lorsqu'il  s'écrie  : 
«  0  si  hodie  discipulus  eius  Pelrus  Ronsardus  insignis  poeta  viuerel, 
qiias  ille  naenias  aut  quae  epitaphia  scriberel  !  »  [Eloqia,  cités  plus 
haut,  p.  ,59,  n.  2;  p.  60,  n.  3). 

P.  135,  n.  5.  Sur  le  bibliophile  Nicolas  Moreau,  seigneur  d'Auteuil, 
trésorier  de  France  de  1571  à  1586,  v.  l'étude  d'.A.  Vidier,  dans  les 
Mélanges  Emile  Picot,  Paris,  1913,  t.  II,  p.  371.  N'est-ce  ])as  à  lui, 
plutôt  qu'à  son  père  Raoul  Moreau,  qu'est  adressé  le  poème  de  Ron- 
sard .lu  trésorier  de  l'Espargne  (éd.  L.,  t.  W,  p.  51-56  ;  cf.  t.  VIII, 
p.  9)?  J'ai  cité,  p.  58,  un  poème  dédié  à  Nicolas  Moreau  dans  le 
recueil  de  Dorât. 

P.  157,  n.  3.  On  trouvera  deux  jolies  lettres  de  G.  Vaillant  de 
Guélis  à  Scaliger  dans  le  recueil  publié  par  J.  de  Rêves,  Lettres  fran- 


3i4  noNSABi)  F.T  l'humanisme 

çoixes  lies  /)ers(inn;ige.s  illuslras  et  doctes  à  Mans'  Joseph  .Juste  île  la 
Scabi,  llarderwyck,  1624,  p.  186  et  336.  Des  lettres  de  J.  Gillot, 
p.  IKJel  137  du  même  recueil,  montrent  Scaliger  en  relations  avec 
Desportes,  mais  après  lu  mort  de  Honsard. 

V.  lS(i,  M.  I.  (1  Mademoiselle  de  Morel  »  est  Antoinette  de  Loynes, 
iemiiiu  de  Jean  de  Mord.  J'ai  quel(|ue  soupçon  quecette  unique  lettre 
connue  de  Honsard  à  son  ami  est  celle-là  même  qui  a  disparu  du  ms. 
/y/(/.  iS.")(Sy  de  la  Hihiiollièque  nationale,  (le  ms.,  où  j'ai  retrouvé  jadis 
les  premiers  aulo^^raphes  de  Du  Bellay,  est  formé  de  lettres  originales 
réunies  par  Morel  et  la  table  ancienne  révèle  la  disparition  d'une 
lettre  de  Ronsard  h  lui  adressée,  ainsi  que  d'une  lettre  de  Jodelle. 
L'autoj;raphe  d'où  Ion  tient  le  texte  connu  a  appartenu  à  Feuillet 
de  Conches,  avant  de  ligurer  dans  les  collections  Benj.  Fillonet  Bovet; 
il  a  été  revendu  par  Charavay,  le  27  nov.  1888,  et  j'ignore  où  iPse 
trouve  aujourd'hui. 

P.  187,   I.  5.    La  faute   de  quantité  fipis   est  répétée  plusieurs  fois. 

P.  196.  En  regard  de  la  lettre  de  Ronsard  sur  le  livre  de  Sainte- 
Marthe,  on  mettra  une  lettre  d'humaniste  qui  loue  le  même  ouvrage. 
Elle  est  adressée  par  Fédéric  Morel  à  l'auteur  de  la  Paedotrnphia 
«  apud  Pictones  »,  et  commence  par  un  éloge  de  Poitiers  au  temps 
des  dames  Desroches  :  »  Felices  istic  esse  vos  quis  neget '.'...  Habetis 
ibi  iurisconsultissimos,  pT|Toptx(oTâTotj;,  ypau-aaTixioTaToui;,  Poetas  et 
poetrias  longe  meliores  Homero  et  Sappho.  BaOu-a  iSÉ'rSït.  Ex  Pictonum, 
urbe.  velut  ex  equo  Troiano  innuineri  viri  magna  et  excellenti  litera- 
riim  peritia  insiguili  prodiere.  Tu  quidem  certe,  quem  iure  omnes 
maiorum  gentium  vatibus  inserunt,  sublimi  feries  sidéra  vertice. 
Cuius  cum  'eximia  sint  omnia,  lamen  illud  postremum  opus  Tratào- 
Tpocpia;  micat,  velut  inter  ignés  Luna  minores.  Mirifice  sane  id  pro- 
bat  Poeta  Regius  [Dorât]  ;  nec  ullun\  unquain  poema  ab  illo  de 
meliore  'nota  comniendari  memini...  Cal.  aug.  Lut.  1579»  (Biblioth. 
de  l'Institut,  ms.  292,  fol.  48). 

P.  198,  n.  4.  François  Le  Duchat,  qui  avait  publié  son  recueil  à 
dix-huit  ans  et  dont  la  tragédie  A' Açjamemnnn,  imitée  de  Sénèque, 
parut  en  KÏ61  (avec  un  privilège  de  1553),  est  mort  prématurément. 
L'Mospital,  qui  l'avait  protégé  auprès  de  Marguerite  de  France  et  du 
cardinal  de  Lorraine,  a  composé  une  élégie  sur  sa  mort  (Carminn, 
p.  205,  218). 

P.  200,  1.  2.  Les  recueils  de  vers  que  l'ont  imprimer  les  jeunes  étu- 
diants humanistes,  pendant  leur  séjour  à  Paris,  contiennent  souvent 
un    hommage  à  Ronsard.  Le  limousin  Martial    Petiot,  par  exemple, 


ADDENDA  343 

lui  adresse  une  épi^ramme  pour  lui  souhaiter  loiiffue  vie  {Varionim 
ad  amicos  pro  Xeniis  Epirjrammaliini  lihellus,  Paris,  lô73,  f.  llj, 
dans  un  recueil  où  il  n'est  j,'uère  questiim  que  de  gens  des  collèges  (à 
Dorai,  f.  7,  à  Goulu,  f.  12,  à  Léger  du  Chesne,  f.  13).  Plus  intéressant 
est  Jean  de  la  Cessée,  de  Mauvesin  en  Gascogne,  qui  est  un  familier  de 
la  maison  de  Morel.  Dans  le  recueil  intitulé  :  /.  Gessei  Mauiiesii  in  V«s- 
conia  e/)if/rammalon  ad  principes  et  magnâtes  Galliae  permullosf/ue 
alios  insignes  viros  pro  Xeniis  libri  duo,  Paris,  1574  (vers  liminaires 
de  Dorai  et  de  Camille  de  Morel  et  portrait  à  23  ans),  on  lil  de  petites 
pièces  dédiées  à  Ronsard,  à  Dorât,  à  Morel,  à  Jodelle,  à  Passerai  et 
.lacq.  {sic)  Carnier,  à  Belleforest,  etc.  Il  écrit  à  Baïf  : 

Nepos  maxime  maximis  Baifi, 
Cui  par  disparihus  modis  Camoena 
Aurali  numéros  referre  Graios, 
Ronsardi  numéros  referre  Galles 
Exaequando  dal  annuente  Phoeho, 
A  luo  data  sume  dona  Gesseo.  .  . 

Le  jeune  gascon,  qui  a  aussi  rimé  en  français,  met  ses  essais  latins 
sous  le  patronage  de  Ronsard  : 

. .  .Dignior  et  ausim  doclae  me  adiungere  turhae 
Si  mea  Flonsardo  iudice  }fusa  plaçai. 

Il  a  dédié  au  maître  d'autres  vers  dans  le  "  Tombeau  »  de  Belleau 
Hiemigii  Bellacjuei  Poetae  Tumulus,  Paris,  M.  Pâtisson,  1577). 
Non  loin  du  quatrain  de  Ronsard  paraît  le  nom  de  La  Gessée.  Ses  vers, 
De  Remigio  Bellaqueo  defuncio  ad  P.  Honsardum.  commencent 
ainsi  : 

Ille  Bellaque'us  luus  meusque. 
Imo  Pieridnm  cornes  Dearum, 
Cuius  scripla  venusia,  lersa,  docta. 
Communi  studio   studenl  probare 
Phoehus,  et  Charis,  et  nouem  Sorores  : 
Ille  inquam  tuus  ac  mens  vicissim, 
Siue  Remigium  lihet  vocare, 
Siue  Bellaqueum  vocare  mauis, 
Pro  .'  Ronsarde ,   tihi.  mihi  omnihusque 
Ereptus  modo,  nos  reliquit  inler 
Planctus.  murmura,  lacrumationes  .'.  .  . 

P.  ^Oi,  n.  2.  Le  séjour  de  Scaliger  à  Leyde  vient  d'être  excellem- 
ment étudié  parGusl.  Cohen,  dans  ses  Ecrivains  français  en  Hollande, 
Paris,  1920.  p.  187-217. 


346  HONSARD    KT    I.'iUM ANISME 

P.  "202,  n.  5.  Ces  relations  peu  connues  de  Joseph  Sealiger  avec  lu 
I^léiade  intéressent  assez  nos  éludes  pour  qu'on  m'excuse  de  citer 
encore  un  fragment  de  correspondance  l'amilière  de  Dorât.  C'est 
la  lettre  (utilisée  à  la  p.  339)  que  recul  François  de  Chasteigner  au  mois 
d'avril  1565,  au  château  de  la  Rochepozay,  en  remerciement  d'un 
don  libéral  dont  hpuetn  rcçjius  avait  eu.  dit-il,  fort  grand  besoin  :  "  l,a 
nécessité  où  je  me  suis  trouvé  ces  jours  passés  me  le  fait  trouver 
u.'jp;ov  010V  plus  grand.  Je  ne  sçay  si  Monsieur  de  l'Escale  vous  l'a 
diet,  car  à  lu}'  seul  comme  Itilissimis  mirihiis  ilejHinere  niisiis  eram, 
lit  ille  non  iç/narus  niali  alirjiiando  mi-sens  stuciiri ère  Jiscerel.  La 
cause  de  ma  nécessité  a  hesté  les  procès,  l'aquisition  de  ma  maison 
et  réparation  dicelle,  et  tpii  pis  est  la  longue  absence  du  Rov.  i|ui  est 
xoXXwv  -y.'j.\y.:,,  in  quibus  etiam  meus,  comme  diet  noslre  Tindare  du- 
quel je  aclievois  la  première  Ode  des  Pythies,  où  il  presche  fort  de  la 
libéralité  des  Seigneurs  envers  les  lettrés,  quand  voslre  /yjnii  vjyv.-{\ 
'AttôXXojvo;  y.x<.  lo7rÀo)i7.u.wv  cjvo'.xov  Mo'.iriv  y.-:i(ivo't  ma  esté  apporté, 
cliilceiii  sudore  leuamen,  par  vostre  bon  Marc.  Et  afin  que  la  petite 
lettre  ne  soit  pas  à-^iXoXoYïiTo;,  je  vous  prie  de  demander  à  vostre 
Phoenix  [l'interprétation  complète  du  mol  cuvoixov].  »  Le  7^/joe/i(j:  de 
la  lîochepozay  est  appelé  plus  loin  nosler  Scaliger. 

P.  ill,  1.  18.  La  preuve  des  relations  que  je  supposais  entre  Jan 
\'an  der  Does  et  Ronsard  m'est  fournie  par  le  premier  recueil  de  vers 
du  célèbre  écrivain  hollandais  :  lani  Douzae  a  Noorlwijck  Epitjrani- 
malum  lih.  11,  Satyrae  lih.  Il,  Ele(/ortiiii  lib.  I,  Siliiarum  Uh.  II.  Ad 
vi'riirn  illiislr.  Gennanum  Valenlem  Pimponlium,  Retjiuin  in  Ciiria 
snprema  Parisiensi  Senalorem,  .Anvers.  G.  Silvius,  t.î69.  Portrait 
gravé  anno  aetalis  33.  (Brunet  ne  cite  qu'une  édition  de  1570.)  Ce 
recueil,  d'un-exlrème  intérêt  pour  nous  par  les  souvenirs  du  séjour  à 
Paris  de  Van  der  Does,  contient  des  poèmes  adressés  à  Guillaume 
des  .Aulelz,  à  Dorai  (ad  Aiir.  praecepl.),  à  Baïf,  à  Thorius  Bellio,  et 
des  vers  dédiés  au  jeune  hollandais  par  Vaillant  de  (juéiis.  Des 
.-Vutelz,  Florent  Chrestien,  Lucas  Fruy tiers,  D.  Rogers,  etc.,  d'où 
l'on  tirerait  aisément  un  vivant  tableau  de  ce  petit  monde  d'étudiants 
de  fous  pays,  férus  de  poésie  latine  et  parmi  lesquels  Ronsard  était 
adoré.  \'oici,  en  attendant,  un  témoignage  sur  notre  poète,  dans  une 
épître  Ad  Gulielmum  Cripium  Haghiensem  I.  C.  (p.  109'i,  où  N'en 
der  Does  prie  ce  compatriote,  lui-même  jioète,  d'accueillir  ses  vers; 
ils  n'en  sont  pas  indignes,  dit-il,  puisqu'il  est  lu  et  estimé  de  Ronsard 
et  de  ses  amis  : 

Te  quoque  J'arrisiae  vatem   admiranlnr  Alhenae. 
Testis  ego,  et  Franca  positi  tellure  sodales, 
Quos  inler,  mcrnini.  noti  iinam  Ilellio  de  te 


ADDENDA  M47 

Iliudein  mecum  decurrere  saepe  solebal. 
Kt  miraris  adhuc,  si  te  quoque  versihus  addal 
Douza  suis  turbelf/ue  nouo  tua  séria  lu-su  '.' 
De.sine.  Nil  praeter  soliluni  leuis  ille  minatur  : 
Cum  mullis  pateris  cominuiiia.  Leijil  eundein 
Et  prius  ipse  paler  vatuin  lionsardus,  et  illo 
Duclior  Auratus,  Traqicique  Baifius  oris, 
Quvsque  alios  longum  foret  enumerare  poëtas. 
Te  quoque  ne  pigeai  Cellarum  exempta  seculum 
Douzaeae  inala  ferre  innrae.  nutuque  secundo 
Ad  mea  plausuros  dimillere  carmina  ruilus. 

P.  iI6,  1.  \'2.  Plusieurs  documents  ronsaidiens  non  signalés  figurent 
dans  le  très  rare  volume  des  Xenia  de  Ch.  L'ylenlio\e,  dédiés  à  la  reine 
lilisabeth  (Xenia  seu  ad  illustrium  aliquot  Europae  hominum  nomina 
Allusionuni .  .  .  liber],  qui  font  suite  aux  poèmes  de  Buchanan  et  à  la 
triple  Silua  (Turnèbe,  Lllospital,  Dorât),  édités  à  Bàle,  s.  d.  [ISBSi. 
par  rim]irimeur  beige  Thomas  Guarinus.  Le  recueil  du  Gantois  a 
formé  une  sorte  de  pendant  aux  Xenia  de  son  cher  ami  Du  Bellay,  et 
leurs  papiers,  mêlés  pour  la  publication  qu'ils  projetaient  ensemble, 
avaient  été  triés  par  les  soins  de  Morel  i  cf .  Chamard,  J.  du  Bellay, 
p.  479).  Uytenhove  a  imprimé  aux  p.  83-87  :  des  distiques  grecs  et 
latins  sur  l'anagramme  connue  du  nom  de  Ronsard,  les  sept  distiques 
de  Du  Bellay  sur  le  même  sujet  (signés  /.  /?.),  une  comparatio  des 
deux  poètes,  deux  sonnets  et  un  petit  poème  latin  dédiés  à  Ronsard, 
enfin  une  traduction  en  hexamètres  du  début  du  discours  au  duc  de 
Savoie  («  Nous  Empereurs,  \'ous  Princes  et  vous  Roys.  .  .  «  Ed.  L. 
t.  111,  p.  "iJOl.  ^'oici  une  partie  de  ces  morceaux  : 

/.  Hellaii  et  P.   lionsardi  comparatio. 
amahilis  [  admirandus   1 

Bellaius  i  Bonsardus      t     amho  pares, 

promptior    ingenio     ^  doctior  ' 

Bellaius,    Bonsardus,    amahilis,    admirandus, 
Promptior  inqenio,  doctior,  amho  pares. 
Ad  P.  lionsardiim    Vindociniun,    cum  ah  eo  ad  coenam 
vocalus  esset. 
Si  mihi  te  potior  sil  Persica  coena,  vocatus 

Protinus  ad  coenam  sim  tihi  iamque  cornes. 
Sim   tihi,  sim   Comiti  cornes   Alsinooque    lihenter 

Callirhooque  comes,   Paschalioque  cornes. 
Ipse  sed  ad  duhiae  cur  me  conuiuia  coenae, 
Ad  te  non  potius  Docte  poeta  cocas  ? 


3'lS  nOXSARD    ET    I.'lIlMAMS.MK 

7'e  sine  non  epulis  cn/iiur,  Inrjicnte  /i.ilnUi, 

Te  sine  rin.i  mi/ti  snni  ;i>/ii;i,  cacnu  pinies . 
Ad  coen.un  i/imlics  lilii  me  condicere  (■(x/es^ 

Hue  itdes  iid  coemini,  non  inihi  die,  sed  ades. 
Carole,  dic  ades  e(/ie(/iuin  visere  J'uëlam, 

iVunc  lihi  conuiuas  inler  et  hospes  ero. 
Ah  valeanl  coenae  c/tiiciinr/ue  cujiidiue  ducli 

Visere  lionsarduni,  dallirlioiinujuc  naranl. 
Coena  luue  mihi  suni  diiiina  poeniala  Afusae, 

I\'on  amel  oh  coenam  te,  srio.  f/uis(fiiis  amal. 

Les  amis  cités  clans  ce  poème  sont  Dunisol,  Paschal  et  Relleaii. 
Celui-ci  est  en  ellet  désig^né  dans  une  des  allnsiones  sous  le  nom 
transparent  de  Callirhous.  —  I.e  premier  sonnet  d'L'ylenhove  .-1  /'. 
de  Uonsard  poëte  IresexcellenI  est  daté  de  IÔ57  et  convie  le  poète,  qui 
\  ient  de  publier  les  Hymnes,  à  se  consacrer  à  la  poésie  relijjieuse  : 

...  Si  tu  me  crois,  Ronsai-d,  tu  changeras  la  Muse 
De  ton  diuin  esprit  à  chanter  désormais 
Les  louanj;es  de  Dieu  plus  que  ne  fis  jamais  ; 
A  chanter  ce  grand  Hoy  personne  ne  s'abuse.  .  . 

Celte  pièce  vient  se  placer  à  coté  de  celle  de  Denisot,  qui  félicite 
Uonsard  pour  la  composition  de  Vllerciile  chrestien  [Vd.  L.,  t.  l\ , 
p.  247.  Cf.  Pierre  Perdrizet,  Honsard  el  la  lié  forme,  Paris,  1902, 
p.  6l-(i,'J).  Le  second  sonnet,  écrit  sans  doute  en  .Angleterre,  répond  au 
Discours  envoyé  à  l'ambassadeur  Paul  de  Foix,  qui  a  été  recueilli  au 
Bocage  royal  (éd.  L.,  t.  111,  p.  280-285)  : 

.l'ai  leu,  Ronsard,  el  releu  l'Elégie 

Qu'auez  escripte  à  .Monseigneur  de  Foix 

Comme  un  ouvrage  excellent,  mille  foix, 

Ft  plus  la  lis,  et  plus  m'en  prent  enuic. 
Aussi  faut  il  que  pour  donner  la  vie 

Au  livre  (ainsi  comme  en  vostre  lran(,ois 

Auez  sceu  faire)  en  Latin  et  Grégeois 

Pour  Guide  on  ayt  ce  qu'on  nomme  (jenie  ; 
C'est  un  esprit  d'Enthusiasme  tout-plein, 

Plein  de  fureur,  d'un  jugement  bien  sain, 

Plein  de  sauoir,  plein  de  diuinité, 
Comme  le  vostre  à  vray  dire,  qui  estes 

Sans  compagnon  le  premier  des  Poêles 

Qui  sont,  seront,  el  ont  oncques  esté. 


ADDENDA  'M9 

P.  217,  n.  2.  Les  circonstances  qui  ont  éloigne  de  Paris  Charles 
Llytenhove  sont  établies  par  sa  lettre  autojfraplie  à  Morel,  du  2  nov. 
I5ti2,  d"où  j'extrais  les  détails  suivants  ;  «  Roueriuin[cf.  la  dédicace  de 
Ronsard  à  Girol.  délia  Rovere,  rappelée  p.  206]  diuinae  indolis  ado- 
lesceiitem...  sumnia  cuni  voluptate  doceo.  Turnebum,  Auratum  et 
Balduinum,  a  quibus  doceor,  frequentare  soleo.  Quod  reliquum  est 
lemporis  nieis  lucubratiunculis  limandis,  perpoliendis...  expendo,... 
bnnam  non  noctis  partem  huic  curae  decedens...  Postridie  venitad  me 
Halduinus  cum  Régis  oratore  [l'ambassadeur  Paul  de  Foix],  qui  hodie 
in  Angliam  leg^ationis  nescio  cuius  obeundae  gratia  ablegatur,  num  et 
me  sibi  comitem  adiungere  vellem  ex  me  quaerens...  Heri  cum  eo 
coenaui...  Incertus  sum  an  unquam  in  Galliam  sim  rediturus...  » 
La  lettre  à  Turnèbe  citée  dans  la  même  note,  et  qui  exprime  un  sou- 
venir pour  Lambin  et  Ange  Vergèce,  est  une  copie  de  la  main  de 
Camille  de  Morel  ;  les  billets  écrits  de  Paris  et  de  Grigny,  où  Uyten- 
hove  mentionne  Du  Bellay  et  Ronsard,  sont  autographes. 

P.  218,  n.  1.  Longtemps  après  sa  démarche  auprès  de  Ronsard, 
Llytenhove  continuait  à  intéresser  ses  amis  à  sa  traduction  des 
Psaumes,  qui  ne  parut  jamais.  En  1593,  Melissus  et  J.  Gruter  en 
recevaient  des  parties  à  Heidelberg  (E.  Weber,  Virorum  clar.  episl. 
sel.,  Leipzig,  1894,  p.  41). 

P.  219,  1.  4.  Un  autre  Rhénan  de  marque,  le  médecin-poète  Jean 
Posthius,  qui  traversait  la  France  et  s'arrêtait  à  Paris  après  un 
séjour  d'études  à  l'Université  de  Montpellier,  a  eu  avec  Ronsard  et 
son  groupe  des  relations  personnelles.  Le  distique  Ad  Ronsardum, 
qu'on  lit  dans  son  recueil  [loan.  Poslhii  Gerinershemii  archiatri 
Wirzehurgici  Parerga  poelica,  Wurzbourg,  1580,  f.  58),  est  assez 
banal  : 

Tmu  nomen  Ponsarde  (uitm  laudesque  perilntnl, 
Quando  erit  in  niillo  Gallicus  ore  soiius. 

Mais    l'épigramme    Ad  lohannem     Passeralium   poelam    docliss 
(f.  64  v°)  est  beaucoup  plus  significative  : 

Tandem  niac/nificam  veni,  (fuod  laelor,  in  urbem 

Cui  Paris  aelernum  nomen  habere  dedit. 
Oninia  siin/  maiora  fide,  maiora  videnlur 

Omnia^  fama  prias  quani  niihi  relluleral. 
Sed  licel  ostendel  miranda  Lulelia  milita, 

Quae  sunl  luminihus  grala  thealra  meis; 
Nil  lamen  hic  vidi  Rnnsardo  gratius,  huins 

Colloquium  reliquis  omnibus  ante  fero. 


3?)()  RONSABD    ET    l.'lICM AMS.MI; 

Niinc  desidcrio  citpidiis  rnalé  lonfiieor  uno, 
Ut  dominam  nspiriam,  Inné  diserte,  liiam. 

Le  voyage  de  Poslhius  en  l'raiice  siiccédanl  à  un  long  séjour  en 
Italie,  que  IJoissard  raconte  dans  ses  Icônes  et  auquel  fait  des  allu- 
sions son  ami  Melissus,  est  de  l'année  1567.  La  partie  de  son  recueil 
intitulée  (inllica  contient  des  pièces  dédiées  à  Dorât,  à  Henri  l'^stienne, 
à  Scévole  de  Sainte-iMartlie,  à  François  Ilotnian  et  une  autre  intitu- 
lée Ad  Mich.  I/ospilalli  villain. 

P.  "Jl'.t,  n.  3.  I^u  première  édition  ilcs  poésies  de  Paul  Melissus  n'a 
point  élé  imprimée  à  Paris,  mais  à  Francfort,  en  deux  parties  :  Melissi 
Schediiismata  poelica...,  l.jTi  (194  p.,  avec  31  p.  pour  les  Ftumina 
de  F.  Vidler)  el  Meli.isi  Schediasmulum  reliquiae,  1575  (459  [>.).  Le 
[)remier  de  ces  volumes  contient,  p.  21-23,  un  Dialogas  P.  Melissi  et 
\.  (]leinenlis  Trelaci  qui  raconte  comment  ce  jeune  Nicolas  (élément 
de  Treles,  lorrain  du  pays  de  Vaudémont  et  lui-même  un  peu  poète, 
a  révélé  à  Melissus  Ronsard  ignoré  en  Allemagne: 

Clemens,  diilcis ocelle  draliaruni. 
Quas  digue  tihi pra  leporc pleni.s 
RoNSARDi  celeherrimi  libellis 
Me  persoluere  (fralias decehil  ?.._ 

Ce  document  fait  connaître  un  nouveau  propai;ateur  des  œuvres  et 
des  théories  de  Ronsard  hors  de  France.  11  faut  joindre  à  Nicolas  Clé- 
ment un  autre  ami  de  Melissus,  petit  poète  ronsardisant,  inconnu  des 
répertoires  français,  François  d'Avcrly,  qui  fui  un  agent  du  prince  de 
Condé  auprès  de  l'Elccleur  Palatin  à  Ileidelberg.  Un  trouvera  des 
détails  sur  ces  personnages,  avec  des  extraits  du  Dialogus,  dans  une 
prochaine  étude  sur  Un  poêle  Rhénan  ami  de  In  Pléiade  (et 
d'abord  dans  la  Revue  de  lilléralure  comparée,  t.  I,  1921). 

P.  251.  1.  1(1.  Si  Du  Rellay  n'a  pas  nommé  Hrinou  dans  ses  (cuvres 
françaises,  on  trouve  parmi  ses  Tumuli,  dans  les  Poemata  [Poésies 
fr.  et  lai-,  éd.  E.  Courbet,  t.  I,  p.  512),  quatre  petites  pièces  en  dis- 
tiques élégiaques  :  lani  Bri/nonis  senaloris  Parisiensi^s.  Elles  furent 
composées  à  Rome  pour  le  second  <■  tombeau  »,  qui  n'a  pas  été  réa- 
lisé. Le  poète  y  fait  allu.sion  à  la  ruine  du  jeune  conseiller,  qu'il  com- 
pare à  TibuUe  pour  sa  fin  prématurée. 

P.  257.  1.  5.  Le  livre  II  de  la  Franciade  écril  de  la  main  de  Ronsard 
et  oITert  à  Charles  IX  est  aujourd'hui  le  ms.  Fr.  19141  de  la  Bibl. 
nationale.  Cf.  E.  Faral,  dans  la  Revue  d'hist.  lill.de  1910,  p.  6S5sqq. 
(avec  un  fac-similé).  L'auteur  a  cru  devoir,  un  peu  plus  tard,  frapper 


ADDENDA  351 

lui-moiiic  irmi  doulc  ses  intéressantes  conclusions  [Revue  de  1913, 
p.  G72).  J'ai  dit  pourquoi  la  multiplicité  des  textes,  corroborée  par  le 
témoi^na^e  de  Pierre  Dupuy,  me  fait  rejeter  l'opinion  de  Laumoiiier 
sur  la  question  si  controversée  de  l'écriture  du  poète. 

P.  "270,  1.  20.  I.e  portrait  physique  tracé  dans  le  latin  de  Ronsard 
suit,  avec  une  intention  satirique,  celui  qu'on  trouve  dans  l'éloge  de 
Saint-Geiais  par  Paschal.  CI",  le  texte  publié  dans  le  vol.  du  Cinquan- 
tenaire de  tEcole  des  Hautes   Etudes,  p.  27. 

P.  277,  n.  2.  Seul  de  la  Pléiade,  Baïf  est  ailé  en  Italie  après  Du 
Bellay  ;  mais  il  n'en  a  rien  écrit,  sinon  qu'il  a  visité  \'enise,  "  sa  nais- 
sance». Ce  futau  printemps  de  1563,  après  cinq  moisd'un  ennuyeux 
séjour  dans  «  Trente  pierreuse  »  (éd.  Marty-Laveaux,  t.  I\",  p.  278    : 

...Laisson,  GrilTin,  laisson  le  Concile  et  l'aison 
Un  voyage  à  Mantoue.  à  \  incence  et  \'eronne. 

Je  frétille  d'aller,  je  désire  de  voir 
Les  villes  d'Italie  et  veu  ramentevoir 
Les  marques  des  Romains,  jadis  Rois  de  la  terre. 

Ronsard  écrivait  de  même  à  Odet  de  Chàtillon,  dans  le  Discours 
contre  fortune  composé  vers  lôôS  : 

.Aucunefois.  Prélat,  il  me  prend  une  envie 
(Où  jamais  je  ne  fus  i  d'aller  en  Italie. 

On  pense  avec  regret  à  tout  ce  que  la  poésie  française  pouvait 
attendre  d'un  tel  voyage. 

P. 333, 1.  20.  Ronsard  n'a  pointcollaboré  au  «  tombeau  »  de  Morel  : 
V.  C.  loan.  Morelli  Ehredun.  consiliarii  oeconomiq:  Regii,  mode- 
niloris  illastrissimi  principis  Enrici  Engolismaei,  maçjni  Franciae 
Prioris,  Tutnulus,  Paris,  l'éd.  Morel,  1583  56  p.).  Le  poète  avait  été 
cependant  sollicité  à  nouveau,  au  cours  de  l'impression  (p.  45),  par 
une  élégie  pressante  de  la  lîlle  du  défunt  :  Camilla  Morella  ;id  Ron- 
sardum  :  (...Sic  Patris  nianes  iani  negliç/is  ?].  Elle  sollicitait  de 
même  façon  Sainte-Marthe,  qui  finit  par  se  décider  (p.  49'j.  Cf.  ses 
deux  lettres  conservées  par  celui-ci  iBibl.  de  l'Institut,  ms.  290). 
Quelque  explication  qu'on  doive  chercher  pour  l'abstention  de  Ron- 
sard, alors  loin  de  Paris  et  souvent  malade,  il  n'est  point  permis  de 
penser  à  l'ingratitude.  Dorât  parlait  pour  tout  le  groupe  dans  une 
longue  pièce  que  ses  Poematia  n'ont  pas  recueillie  et  qui  commence 
ainsi  : 

Debilu  Morello  quis  carmina  iure  negarti, 
Omnia  doctorum  solitus  qui  carmina  vatuni 


3.")2  iKi.NSAiiK  i:t  I, 'humanisme 

Mac/no  cum  studio  conquirere,  et  illa  referre 
In  ntimeniin,  ul  posseni  prodesse  scffueulihiis  annis  ? 
Diilce  mini-sleriuni,  duplexi[ue  duos  simul  erffa 
O/ficunn,  aulhori  primum  cui fuma  supersles. 
Auspice  Morello  par  saecula   lon(/;i  manebil. 
Teslis  erit  Xeiiius,  Xeniû/ue  pocmala,  parlini 
lam'vulipita.  suis  parlini    nunc  condila   cislis. 
Teslis  lielhtii  (/uae  iam  nascenlia  famae 
Tradidil,  hauil  iussus  dédit  in  penelralia  Vestae  ; 
Xe  luiinerein  uiuns  jilnres,  ahasque  scpullas. 
Pic/noriJjus  quorum  liic  obsletrix  et  pia  nulrix. 

Les  "  cassettes  "  de  Morel,  indiquées  par  un  témoignage  aussi  pré- 
cis, contenaient  diverses  séries  de  papiers,  dont  la  plus  nombreuse 
passa  chez  Camerarius  et  (|ui  nous  révèicnl  laiil  de  choses  sur  Du 
Bellav  et  sur  Ronsard. 


—  Peut-on  mieux  terminer  ce  livre  que  par  ce  témoignage  d'huma- 
niste, retrouvé  dans  VHistoire  de  la  maison  de  Chasteigner  d'André 
DuChesne.  p.  382?  C'est  le  dernier  document  sur  l'amitié  de  Ronsard 
et  de  Muret.  Celui-ci  éci'it  à  l'ambassadeur  d'.\bain,  qui  vient  de 
quitter  Rome  en  1581  pour  rentrer  en  PVance  :  «  Je  vous  supplie, 
quand  vous  verrez  M.  d'Aurat,  que  vous  lui  fassiez  foi  que  je  l'aynie 
et  l'honore  à  bon  escient  et  de  même  à  M.  Cujas,  à  M.  de  la  Scale 
[Scaliger],  au  grand  Monsieur  de  Ronsard,  iv'i  Xoyco  à  tout  le  chœur 
des  Muses,  encore  que  le  seul  nom  de  Ronsard  embrasse  toutes  les 
Muses  et  toutes  les  Grâces  qui  furent  onques  au  monde  !  » 


INDEX 

DES    NOMS    .VNTKniELRS    AU    XVII'    SIÈCLE 


Abain  (d'f  de  La  Rochepozay,  222,    I 

233,  234,  352. 
Adanson,  155. 
.Mamanni,  46,  47. 
Albret  ;Jeanned"i,  209. 
Alcée,  33,  86,  109,  H8,  148. 
Alcman,  118. 
Aleandro,  12. 
Alençon  ^duc  d"),  75. 
Alsinois.  V.  Denisot. 
Amboise  <  card.  d'  ,  202. 
Ammien,  115. 

.\.mTOt,  134,  142,  156,  193,  232,334, 

336,  337,  342. 
Anacréon,     86,     107-115.     117,     118, 
136,  14»,  159,  209,  316. 

André  Elie).  110,  119. 

Andréas,  250. 

Angeli  da  Barga,  Bargaeus,  234,  235. 
Angennes  id"),  255. 

Angeriano,  15. 

Angoulème    duch.  d"  ,  10,  11. 

Angoulème    Henri  d"  ,  171,  173,  351. 

Apollonios  de    Rhodes,    86-88,    91, 
96,  99,  106,  127,  159. 

Aratos,  86,  88,  96,  107.  170. 

Arioste,  224,244. 

Aristophane,  75. 

Aristote,  71,  85,   94.    143,  169,  178, 
230,  234. 

Armagnac,  193,  278,   281,   285,  287, 
289,  290,  312,  316,  326,  338. 

Armand,  50,  273. 

Arlus,  245. 

Auge,  Augentius,  113,  242. 

Aubert,  169,  249,  319. 

Aubespine    Madel.  de  1'),  241. 

Aubigné,  238. 

Audebert  |G.\  196,  223,  233,  235. 

Audebert   N.\  233,  235. 


Auguste    empereur  ,  41. 
Ausone,  24,  78,  114,  115,  118. 
.Vutelz   (^Des),    Altarius,     103,    183, 

199,  211,214,  263,  346. 
.Vutomedon,  115. 
Avanson,  126,  149,  300.  303-304. 
-Vverly  '  Fr.  d',,  .\veilius,  350. 
AverlV  (G.  d"  ,  221. 

Bacchylide,  US. 

Bade,  15,  114. 

Baduel,  273. 

Baïf  (J.-Ant.  de  ,  7,  50,  61,  62,  66, 
92.  93,97,  103,  112,  114,  142,  147, 
152,  154,  156,  163,  169-171,  193- 
197,  202,  211,  214,  219,  222,  223, 
236,  237,  242,  247,  250,  254,  265, 
290,  297,319,  346,  347,  351. 

Baïf  (Lazare  de),  12,  36-39,  133,  266, 
306,  341,  342. 

Bargeo.  V.  Angeli. 

Bartas    Dm,   33,  200,  208,  218,  238. 

Barthélémy,  311. 

Bathory,  207, 

Baudouin,  215,  349. 

Baumgartner,  219. 

Beaubrueil.  151. 

Bellay  Joachimdu),  1-5,7, 13, 16,37, 
54,57,62,85,  91,103.  122,  128,  136, 
145-130,  167,  168,  173,  175-179, 
193,  203,  204,  206,  214,  215,  227, 
230,  247,  264,  265,  286,  297-299, 
313-316,  322, 325-330, 347,  350, 332. 

Bellay    René  du},  34,  202. 

Bellay  (Jean  du),  150,  255. 

Belleàu,  8,  103,  105,   110,   111,  118, 
119,  136,  142,153,  167,  203,    214, 
216,  237,  250,  254,  264,  265,  296, 
318,  321,  343,  348, 
Belleforest,  45,  343. 


N'oLHAC.  —  Ronsard  et  i Humanisme. 


23 


.•{."ii 


RONSAHII    ET    I,  HUMANISME 


Bellozano.  142. 

Bombo,  1,  :)0,  46,  04,  1:)k,  IS'.i,  190. 

196,  22V,  245,  267. 
Bcncivieni,  226. 
Bcrgierde  Monlembeuf,  62, 100,  26î>, 

267. 
Bertrand  (Jean),  303. 
Bétolaud,  ")5. 

B.'-ze,  3,  14,  17,  12:i,   179,  ISS. 
Billot,  44,  5o,i69,  224,  234-237,  241. 

242,  297. 
Bion,  102,  103,  119. 
Blanchon,  86. 
Blétonnière  (La),  200. 
Boccace,  3o,  96. 
Boccalini,  228. 
Bochelel,  342.  352. 
Bo<lerianus.  V.  Le  Fèvre  de  la  Bo- 

derie. 
Bohier,  300. 
Boissard,  219.  330. 
Boislaillé.  133. 
Boiiamico,  342. 
Bongars,  73,  82. 
Boni  (G.),  81. 
Bonnofon,  224. 
Bordinff,  272,  273,  284. 
Bouchot,  9. 
Bouguiei',  30. 
Bouliers,  282. 

Bourbon    Nie.  ,  4,  30,  289. 
Boyssières,  199. 
Boysson  ,.Iean  de  ,  281. 
Bramante,  281. 
Brantôme,  47, 134,  144,  191,206,275, 

305,  324,  332,  330. 
Breton,  Britannus,  341. 
Brie,  Brixius,  4,  237. 
Brinon,  10,   17,  39,  00,   01,  7i.  140, 

149,  198,249-231,  350. 
Brodeau,  114. 
Bruès,  107,    169,  170,  311.   316,  318- 

319. 
Brusquet,  222. 
Bucer,  12. 
Buchanan,  3,  91,   100,  144,  145,  172, 

175,  189,211. 
Budé,2,  12,36,  .37,  152,  237,  266,281. 
Buuel,  272. 


Buon,  150,242. 
Husbecq,  222. 
Buttel,  199,206,  320. 

Calcagnini,  115. 
Callierpi.  47,  50. 
Callimaque,  50,  53,  78,  79,  SO,  106, 

107,  117,  136,  159,  212,  316. 
Calliste,  249,  250. 
Calvin,   13. 

Camerarius,  124,  171,  218. 
Ganter  (G.),  60,  72,  78,  89,  90,  101, 

205,  212. 
Ganter  (Th.i,  158,  212. 
Gapilupi.  94.  97. 
Gappel,  303. 
Carlo,  40,  126, 183-186,  267,  306,  324, 

332,  337. 
Garnesecchi,  224. 
Caro,  206,  227. 
Carraciolo,  332. 
Carrion,  213.  223. 
Casa  i  Délia  ,  103. 
Castaigne,  297. 
Castelvetro,  225,  220. 
Castiglione,  40. 
Catherine  de  Médicis,  75,  134.   171, 

209,  224,  229,  235,  330,  332. 
Caton,266. 
Catulle,  3,  53,  23, 24,  25, 42,  105, 113, 

130,  148,  149,  168,  202,  203. 
CaurresiJ.  des  ,  Caurraeus,  198,  199. 
Cavalcanti,  224. 
Cavellal,  Cavellarl,  10,   78,   89.  214, 

219. 
Celtes,  220. 
Geporinus,  50. 
Certon,  188. 

César,  143,  266,  289,  311-312,  319. 
Charbonier,  107,  302,  .303. 
Cliarles  IX,  120,  143,  136,  237,  256, 

3.50. 
Charon.  59. 
Charpentier,  142,  168. 
Chasteigner.  V.  I,a  Rochepozay. 
Clu'itellerault.  11. 
Ch.itillon    card.  de,    110,   180,320, 

324,351. 
Chaumont,  157. 


INDEX 


3f)S 


Cliavigny,  86. 

(Mieverny,  13a,  ,14.1. 

Chiahiora,  227,  228. 

Cliiron.  2m  . 

Choiscul,  111. 

Ohomedey,  309. 

Chrestien,  H,  45,  I7'i,  188,  l'J8,  202, 

211,  222,  223,  24b,  253,  33.').  346. 
Cliricliton,   Cnltoniiis,   0,    133,  239. 

240. 
Chytraeus,  218. 
Cicéron,    2,  76,  80,   l.'il,   153,    245, 

254,  266,  269,  270,  274,  276,  289, 

292,  295,  307,  312,  319,  324. 
Claudien,  41,42,  96,  244. 
Clausse,  45. 

Olémenl  de  Treles,  350. 
Colet,  296. 
Colines,  23. 
Collalto,  46. 
Compain,  303-304. 
Corbinelli,75,82,  102,  149,  226,  232, 

235. 
Coiinna,  176. 
Cornai  lus,  120. 
Corneillan,  287,  291. 
Corras,  274. 
Corrozct,  191  . 
Cortese,  231 . 
(^ossé-Brissac,  145. 
Cotta,  15. 
Courville,  214. 
Cousin  \Jeanl,  59,  330. 
Cripius,  346. 
Cujas,  75,  197,  204,  235,  352. 

Dallier,  200,  218. 

Dampierre,  4,  196. 

Danès,  80,  143,334,336,  341. 

Daniel,  158,  198,  202,  212. 

Dante,  32,  82,  214,  224,  228. 

Darès,  127. 

David,  216. 

Davy,  214. 

Dcimier,  238. 

Delbcne  i-Mph.!,  153,  163,  198. 

Delbene  (Bart.),  49,  163,  228,  229. 

Delbene  iP.i,3l,  75,  102,  233. 

Démosthène,  74,  85. 


Denisot  (Gérard),  50. 

Denisol  (Nie),  «  Comte  d'Alsiuois  », 
.50,  62,  114,  147,  167,  181-189, 
203,214,264,297,348,361. 

Denys  le  Périégète,  50,  121. 

Desportes,  59,  158,  199,  209,  214, 
222,  235,  344. 

Desroches,  196,  344. 

Desserans,  213. 

Dictys,  96. 

Didyme,  90. 

Does  (Van  den,  Douza,  211.  223. 

Dolce,  46. 

Dolet,  2,  4,  85,  265,  266,  305,  341. 

Dolu,  laO. 

Dorât,  Auratus,  16,  18,  21,  36,  43- 
84,  103,  104,  112-114,  120,  133, 
134,  138,  141-145,  150-152,  156- 
158,  166,  171,  175,179,  198,202, 
204,  211,  214,  215,  217,  221,  223, 
231,  233,  236-239,  242,  245,  250- 
254,  264,  266,  294,  316,  321,  323, 
339-342,  344-347,  349,  351 . 

Douza.  V.  Does  (Van  der). 

Du  Boys  (S.),  Bosius,  82,  250. 

Dubuix,  .303. 

Du  Chastel,  Castellanus,  12,  341. 

Duchat  (Le),  Ducalius,  61,  198,  344. 

Du  Chesne,  Leod.  a  Queicu,  16,  63, 
142,  178,  250,  275-276,  325,  345. 

Duchi,  Duc,  9,  10. 

Dudith,  104,210. 

Dumay,  206. 

Du  Parc,  297,  309. 

Dupuy  (CL),  Puteanus,  75,  78,  102, 
151,  204,  232-234. 

Dupuy  (Pierre),  256,  351. 

Du  Prat,  278. 

Durant  (Jean),  273. 

Durct,  142,  152,  2.30. 

Durban.  V.  Mauléon. 

Du  Thier,   104,  130. 

Du  Verdier,  53,  56,  168,  272,  341. 

Elisabeth  d'Angleterre,  205;  221. 
Elisabeth  de  France,  57. 
Ellain,  216. 

Emery.  V.  Thou  (.J.-A.  de  . 
Emile  (Paul),  .308. 


;î;;c. 


llu.NSAlili     Kl 


III  MANISMK 


limpédocli-,  (17. 

l'^ohnnus  Ilcssiis,  lOV. 

Kl.i<-l<Me.  281. 

Epiciiie,  07 . 

Erasme,  1,  37,  38,  171,  2l:t,  itili. 

Eschyle,  44, 68, 7o,  78,  S 1 ,  86, 243, 

Eslaço,  Statius,  223,  235. 

Este  (Ilippolyle  d'),  150,  103. 

Esle  ('.iiiffi  d'),  225. 

Esliemie  (Cli.),  13,  4(t. 

Esticiine  lleniii,  30,  'il,  :iS,  06, 
75,  79,  '.M,  102,  100,  1(17,  100, 
114,110,218.210,  222-225,2.50, 

Esticnne  i  Robert),    12,   45,   90, 

175,  2o:;. 

Esliemie  (Uoh.  Ill,  242, 

Eiiniolpe,  87. 

Euripide,  38,  39,  71,  00,  130,  311 


343. 


110, 
272. 
121, 


F;ilUenburf;-,   107. 

Eaur  ^Du)  de  Saiiil-.loiy, 

07. 

Fauchel,  178,  231. 

Festus,  78. 

Ficles,  137,  237. 

Filleul,  214. 

l'I.iminio,  Ei,  21,  115 

221, 

217, 

342. 

Eoelin,  137. 

Eoix  (P.  dci,   Fo.\ius, 

150, 

217, 

233, 

348,  349. 

Fontaine,  5,  103,  320. 

F'orcadel    (Etienne', 

103, 

101- 

1 0 1 , 

276,  291,292. 

Fi-acastor.  4,  42,  190. 

François  I''-,  124,  .305 

308, 

31  2, 

311. 

François  II,  138. 

Fruytiers,    F'ruterius, 

78, 

150, 

158, 

2l"3,  346. 

Fulgence,  70,  96. 

Fumée,  05. 

Gabaldino,  102. 

169,  232,  236-241. 
Galland  (Jeanl,  133,    232,  233,   236- 

2U. 
Galland  (P.),  83,  91,  149,  160,  169. 
Gallus,  3,  23,  24,  148. 
Ganay,  16. 

Garnier,  214,  242,  345. 
Gassol,  110. 


Gaultier  (Léon.),  57. 

Gauvain,  245. 

Gelida,  271 . 

Gfirbelius.  12,  SS. 

(îessée    J.  de  la  ,  Gesseus,  345. 

Giberti,  46. 

GifTen  (Van),  Gifanius,  80,  145,  213. 

Gilles  (Nic.l,  150. 

(lillol,  233,  344. 

Gohorry,  309. 

Gordes,  3. 

Gorris,  100. 

(îoulu,    Gulonius,  00,    Kiii,  111.   2U, 

242,257,  345. 
Goudimel,31,  219,  222. 
Galland  (,Iean),  83,  91,  132.  133,  lOO, 
Goupyl  (Jacques],  50. 
Goupyl  (.leani,  16. 
Gouvea,   Goueanus,    144,    145,    105, 

179,  206,  276,  341. 
(îrangier,  206. 
Grévin,8,45,  175.  188,  20'i,  213.  216. 

253,  275,  320. 
Grigioni,  229. 
Grulcr,  349. 
Gryphe,  Grifio,  (iryphius,   278,  283, 

289. 
Guarinus  (Th.),  347. 
Guichardin,  309. 
Gulielmius,  217. 
Giiyon,  321. 

Héliodore,  185. 

Henri  II,  52,  127,  175.  208,  259,  200, 

298,  305,  312,  3.30-332.  330. 
Henri  III,  59,  209,  225,  235,  272. 
Iléroard,  242,  243. 
Héroet,  2,  13. 
Hérodote,  74. 

Hésiode,  68,  87,  88,  97,  158,  2*4. 
Hesteau,  60,  214. 
Hicroclès,  82. 
Homère,    36,  69-73,  70,   77,    87,   88. 

01,  96,  123-129,148,  158,  244,  343. 
Horace,  22,   66,    149,150,159,   108, 

203,  209,  239,  266,  292. 
Ilospitalius.  V.  L'Hospital. 
Holman  i.Vnl. t,  242. 
Holman  (Fr.),  164,  3.37,  3.50. 


INDEX 


3r,7 


Hout  iVan\  211. 

Murault.  V.  Boistaillé,  Lheverny. 

Iliitten,  220. 

Ibycos,  119. 

Imbert,  6'.i,  86,  194,  210. 

Isocrate,  8."i. 

Jamot,  90. 

Jamyn,  158,  19s,  211,  2i2. 

Janvier,  296. 

Janiac,  ")2. 

Jeanne  de  Navarre,  105. 

Jodellp,  5,  7,  100,  14-7,  160,  liil,  108, 
188,  193.  203,  20i,  214,  215,  219, 
231,  249,  250,  2G4,  296,  297,  302, 
344,  345. 

Jove,  15,  48,  258,  269,342. 

Joyeuse,  241. 

Joyeux.  Laetus,  241. 

Julien  (empereur  ,  t)3. 

Junius,  218. 

Juvénal,  168. 

Ketteler,  216. 
Kochanowski,  207-209. 


Labé,  290. 

La  Croix  du   Maine,   199,    238. 

272,  315. 
La  Haye  (Maclou  de  ,  162,  297. 
La  Haye  iRob.  de  ,  162,  189,  3 
Lambin,  43,  o3,  76,  80,  85,   102, 

149,  150,   i:i4-106,   198,  202, 

230,  233,  254,  274,  297,  337, 
Lampridio,  15,  45-48,  342. 
Lancelot,  245. 
Lange,  282. 
L'.Xng-elier,  213. 
La  Péruse,  29.  197,  214,  296. 
La  Rochefoucauld,  82. 
La  Rochepozay,   233,  234,  339, 

346.  V.  Abain. 
La  Roze,  .303. 
Lascaris,  12,  46,  106,  114. 
Lassus,  31,  214,  219,  220,  222. 
Latomus,  218. 
Le  Blanc,  281. 
LeCaron,  Charondas,  231 . 


261, 


22. 
142, 
213, 
349. 


340, 


Lectius,  218. 

Le  Fi'vre  de  la  Boderie,  Boderianus, 

214. 
Lemaire  de  Belges,  11,  96,  281,342' 
Le  Ferron,  308,  312,  338,  341. 
Le  Masle,  Masculus,  68,  69, 102. 
Léonidas  de  Tarente,  97. 
Le  Riche,  16. 
Le  Roux,  213. 

Le  Roy,  Regius,  84,  85,  265,  323. 
L'Estoile,  257. 
L'Hospital,  3,  8,  16,  52,  87,  91,  104, 

135,   166,  174,  178,  187,    189,  193, 

197,  219,231,  256,  267,  315,  337, 

342-344. 
L'Huillier,  334. 
Ligneris,  62. 
Linocier,  84,  238. 
Linos,  87. 
Lampridius,  47. 
Lipse  (Juste),  78,  223,  230. 
Loisel,  242. 

Longueil,  245,  266,  342. 
Lonicer,  50,  124. 
Loredano,  149. 
Lorraine  (cardinal  de  ,  104,  126,  132, 

145,  167,  169,   180,   182,  185,  193, 

253,  267,269,  310,  315,  .331,  336. 
Lotich,  220. 
Loynes  lAnt.  de:,  50,  173,    175,  177, 

218. 
Lucain,  41,  42,  244. 
Lucas  de  Leyde,  59. 
Lucilius,  115. 

Lucrèce,    41,  42,    77,   91,  157,  244. 
Lycophron,  59,    87-89,91,   93,    127. 


Macé,  28. 

Macrin,3,  4,  14,  17,  21,  50,109, 

196,  341. 
Magny,  5,  23,  107,  185,  193,  194, 

259^  276,  295,  297,  300-304, 

316,  321. 
Maledent,  Maludanus,  70,  192, 

341. 
Malespina,  229. 
Malvyn,  122. 
Maniiius,  203. 
Manuce  ^Alde',  .38,  88. 


172, 

251, 
314, 


nr,.s 


RONSARD   ET   I/HUMAMSMR 


Mamico  (Paiill,  149,   iG4,  26b,   270, 

27a,  28:j,  290,291. 
Manscncal,  276,  202. 
Manzuolo,  78,  79. 
Maicassus,  73. 
Margiu'iile    de     Franco,    duch.    de 

Savoie,  .'lO,  :i2,  103,  176,  179-182, 

206,  228,  322,  3VV. 
Mari^uoi-itc,  reine  <le   Navarre,   50, 

181,   ISri,  188,  192,  224,  228,  281, 

290. 
Marie  Stuart,  85,  1.38,  145,  205,  268. 
Marot,  13,  34,  37,  167,  192. 
Martel  (Louis),  243. 
Martin  (Jean),  89. 

MaruUc,  3,  14,  21,  23,  100,  107.  Ihi. 
Masson  iPap.  i,  59,  CO,  88,  343. 
Maiiduit,  240. 
Maudis,  268. 

Mauléou  iM.  P.  de),  proton,  de  Dur- 
ban, 263,  264,  274,  290,  292-295, 

316,  322. 
Mauléon  (Jean  de),  279,  280. 
Mazurt-s  (Des),  8,  125,  167,  334. 
Melanchthon,  51,  74,  119. 
Mélanippide,  119. 
Melissus,  83,  167,  176,  218,  219-223, 

242,  349,  350. 
Mellini,  46. 
Ménondre,  117. 
Mercier  (Jean),  Mercerius,  107,  175, 

185,  218. 
Mercier  (Josias),  218. 
Mesmes  (H.  de),   Menimius,  40,  76, 

77,    135,  156,   157,   166,  192,  219, 

223,254,  274,  297,  337,  341. 
Mesmes  (J. -J.de),  40,  178. 
Michel-.\nge,  314. 
Mininerme,  117. 
Minturno,  47. 
Mireurs  (Des),  Mirarins,  50,  62,  188- 

191. 
Moean,  298. 
Molsheym,  124. 
Molza,  18. 
Monier,  193. 

Monin  (Du),  56,  199,  238,  252. 
Monliic  (  J.  de),  267,  306. 
Monliiig-ne,  3,  145,  153,252. 


Montdoré,  Monlaurens,  3,  134.  146, 
178,  198. 

Montembeuf,  .Montibos.  V.  Bergier. 

Montjosieu  (Louis  de),  59. 

Montmorency,  126,  185,  321. 

Moreau  (Nie"),  58,  135.  343. 

Moreau  (Raoul),  343. 

Morel(IY'déric), 174,223,  325,  344,3.50. 

.Morel  Féd.),  le  fils,  57.  82,  204,  217, 
243,  32;;. 

Morel  (Camille  de),  45,  171,  174-178, 
219,  333,  345,  349,  351. 

Morel  (Jean  de),  50,  67,  169-178, 183- 
185,  189,  190,  193,  195,  206,  211, 
215-217,  262,  289,  322.  333,  344, 
349,   351. 

Mornac,  243. 

Morvilliers,  156,  279,291. 

Moschos,  102,  105. 

Moulin  (Du),  192,  281,  289,  292. 

.Muret,  7,  17,  18,  57,  60,  78,  81,  80, 
91,101,107,  125,144-151.158,  164, 
198,203,  207,211,  214,  221,  222, 
226,  227,  234,  295-297,  323,  352. 

Musée,  21,  08,  87,  99. 

Xancel,  168. 

Navagero,    Naugerius,    15,    21,    41, 

116,  117,  196,  247. 
Navlères,  303. 
Nesmond,  197. 
.Vevers  (duc  de),  268. 
\icandre,86,88,  97,99,  106,  136,213. 
Nicarque,  115. 
Nicot,  150,  169,  316,  319. 
Nizzoli,  Nizolius,  265. 
Nonnos,  106. 
Nostradamus,  80. 

Olivier,  171. 
Oppien,  87,  99. 
Oradour,  160. 
Orlande.  V.  Lassus. 
Orléans  (Louis  d"),  243. 
Orphée,  21,  87.  193. 
Orsini,  74. 
Ostrowski,  209. 

Ovide,  23-26,  42,  66,  96.  99,  105, 
148,  159,  168,  191.  289. 


INDEX 


359 


Paimpont.  V.  VaillanI  de  Guélis. 

Pahfocapp;!,  lill . 

Palingéne,  195. 

Palladas,  US. 

Pangeas,  Panjas.  \'.  Pardaillan. 

Panyasis,  117. 

Pardaillan,  proton,   de  Panjas,    107, 

303,  .304,  3lr,. 
Parlliénios  de  Nicée,   120. 
Paschal  (P.  de),  107,    133,   ll!l.  19*, 

•257-339,  348,  351. 
Paschal  ^Charlesi,  310. 
Pasquier,  8,  57,  123,  130,  154,  167. 
196,   231,  259-261,    291,  315,   316, 
343. 
Passerai,   102,   129,    133,    156,   163- 
167,  214,   223,  233,  243,  343,  349. 
Patouillot.  163,  203. 
Paul  III,  278,  284. 
Poccate,  9. 
Pelletier,  du   Mans,  2,   33,   50,   122, 

167,  192,  206,  214,  263. 
Perron  (Du),  205,  211,  240. 
Petiot,  344. 

Pétrarque,  3,  20,  23,  24,  32,  33,  33, 
94,  103,  123,   130,   136,  139,    191, 
207,  224,  229. 
Pétrone,  53,  233. 
Phérécyde,  96. 

Philandrier,  281,  287,  289,  292,  338. 
Philetas,  53. 
Pliocylide,  74,  1 17. 
Pibrac,  297,  306. 
Piètre,  83. 
Pigafetla,  230,  231. 
Pilon  (Germainl,  39. 
Pinipontius.  V.   Vaillant  de   Guélis. 
Pindare,  30,  44,  45,  49-53,68,  86,  90, 
96,  99,   118,   119,  130,     131,    159, 
223,  229,339,  342,  346. 
Pinelli,  102,  233. 
Pisidès,  82. 
Pisseleu,  160. 
Pithou  (P.\  202,  204,  242. 
Plantin,  106,  119,  21.3-215. 
Planude,  108,  114,  113. 
Platon,  74,  85,  135,  170,  244. 
Piaule,  78,  157,  158,  266. 
Pline,  96,  266. 


Plutarque,  74. 

Poitiers  !  Diane  de,  193. 

Poey  du  Luc  [Du  ,  Podius  ?,  249-251 , 

270. 
Politien,  189,  190,  266. 
Ponfano,  3,  14,  18,  21. 
Porte  (Ambroise  de  la),  139,   147. 
Porte  (.M.  de  la),  53. 
Posthius,  349,  350. 
Posidipi)e,  1 13. 
Proudhomnio,  13. 
Prévost,  160,  161. 
Primavera,  57. 
Proclos,  96. 
Properce,  3,  23,  24,  42,  78,  79,   109, 

148,  150,  153,  159,  168. 
Psellos,  121,  342. 

Quintilien,  23,281. 

Rabelais,  71,  128,  168,  281,  282,  283. 

Rabelle,  59. 

Raljutin,  268,  311. 

Rad-/.i\vill,  209. 

Ramée   (P.   de  lai,    Ramus,  75,   82, 

143,  167-169,  230,  264,  309. 
Ramniile,  290. 
Ranconet,  343. 
Rapin,  196,  240-242. 
Rasse  des  Nœux,  249. 
Regnard  iFr.),  30. 
Renieri,  94. 
Rets,  241. 
Revergat,   115,   274,   276,    282.   292, 

,303,  316. 
Reomanus,  291. 
Ridolfi,  134. 
Rivier,  276,  285. 
Robin  du  Faux,  90. 
Ruggieri,  229. 
Robortello,  79,  109. 
Rogers,  211,224,  346. 
Roguiéris,  298. 
Roillet,  34. 

Ronsard  (Jean  de),  11,  138. 
Ronsard  (Louis  de),  9. 
Rovere  [G.  délia),  206,  349. 
Rulgers,  204. 


360 


BONSARIJ    ET    L  IllMANISME 


Sadolot,  15,  245,  263,  267,  273,  285, 

307. 
Saint-Gelais,    13,  179-187,  189,  193, 

2(19,  :!(ll,  329,  351. 
Siiintc-Martlio  (Cli.  de),  50. 
Sainto-Maithe   (Scév.    de),    7,    50, 

79,  84,     157,   171,  176,   177,    180, 

194,  204,  222,  234,   240-242,  338, 

344,350,  351. 
Salel,  124,  300. 
Salluste,  244,  311. 
Salviati  (Cassaiidre),  22,  91,  101. 
Sannazar,  3,  14,  17,  103,    lit),    247. 
Sappho,  53,  109,  110,   118,  119,  17r,, 

344. 
Sauvage.  \'.  Du  Parc. 
Scalig-er  (,Ios.),  77,   81,  82,  89,  H2, 

135,   157,   194,  198,  202-205,  223, 

234,245,  344-346,  352. 
Scaliger  (J.-C.i,   112,  167,  202,  338. 
Scève,  13,  214. 
Schoppe,  Scioppius,  203. 
Schott,  212. 
Scriverius,  212. 
Second,  14,  19,  21,  109,  190. 
Séguier  (Pierre),  59,  65. 
Séguier  (Martin),  50. 
Selve,  143. 
Seymour,  50,  188. 
Sénèque,  244. 
Serlio,  281. 

Sibilet,  SéliiUot,  311,  53,  178,  l'.U. 
Sidère,  61 . 

Sidoine  Apollinaire,  41  . 
Sigonio,  58,  79,  80. 
Silius  Italiens,  42,  244. 
Simonide,  53,  117,  118,  131,  132. 
Sittarl,  219. 
Sleidan,  12. 
Selon,  117. 
Sophocle,  37,  38,  67,74,  78,  80,  117, 

118,  343. 
Speroni,  1,  227-231,  234. 
Slace,  42,  78,  99,  244. 
SlL'siiliore,  53.    IIS,  119. 
Stephanus.  V.  Kstienne. 
Stobée,  114,  117. 
Slraceel,  91,341. 
Strozzi  (Pierre),  134,  143,  144. 


Sturm,  12,  164. 
Surgères,   139,  106. 
Sylve,  332. 

Tabonrol,  56. 

Tagault,  50. 

Tahureau,  197,  297,  299. 

ïasso  (Uern.),  49. 

Tasso  (Torq.j,  72,  225,  220. 

Tatios,  Achille,  120. 

Tebaldeo,  46. 

Teleslos,  119. 

Téronce,  266. 

Termes,  69. 

Terpandre,  190,  243. 

Théocrile,  53,  74,   78,  80,    87,   101- 

106,  159,  191. 
Théognis,  117. 
Tliéopliraste,  244. 
Thevenin,  200. 

Tliou  Christ,  de  ,  Thuanus,  135,  257. 
Thou  (J.-A.    de),   56,  84,   144.    210, 

223,  233,  237,242,  245. 
Thevet,  56,    215. 
Thorius,  211,  233,  346. 
Th\icydide,  75. 
Tibulle,  3,  19,23,24,  H.  42,  78,  110, 

148,  159,  350. 
Tissard,  39. 
Tite-Live,  244,  266. 
Tomeo,  48. 
Toscani,  47. 
Tournes,  Tornaesiiis,  192,  193,  284, 

289. 
Tournonicard.de),  150, 160, 193,  2:tl. 
Toussain,  Tusanus,  39,  45,  75,  142, 

152,  237,266,  289,  341. 
Toutain,  82,  214. 
Triclinios,  343. 
Trissino,  .30. 
Truchy,  140. 
Tuniery,  303. 
Turnèbe,  3,   10,  76,  79,80,  91,  117, 

124,  139,  144,  149,  150,  152,  153, 

158,   164,  166,  178,  215,  217,   2.30, 

262,  267,   274,   323-328,   3.39,  341, 

343,  349. 
Tyard,  3,  7,  200-202.   214.  241,  242, 
"201. 


INDEX 


3fil 


Tyitée,  117. 
Tzetzès,  88,  '.)0, 

Urbain  III,  271. 

Uytenhove,  Utenhouius,  7,  G7,  100, 
171,  174-170,210. 215- -218.  347-349. 

Vaillant  de  Guélis,  Pinipontius, 
157,  160,  178,  195,  198,  211,  212, 
223,  242,  245,  343,  340. 

Valeranus,  138. 

Valerius  Flaccus,  96,  106. 

Valet,  82. 

ValIa(Nic.;,  242. 

Varchi,  227. 

Vairon,  266. 

Vascosan,  100,  290,  308,  330. 

^'atable,  l.)2. 

Vauquelin  de  la  Kresnaye,  197,  215. 

Vaumesnil,  214. 

Velliard,  11,  138,  2.39,  240. 


Vergèce  ^Ange),  39,  40,  "5,  76, 
Vergèce  (Nicolas),  40,  132,  134, 

179,  296. 
Vettori,  58,  223,  234,  235. 
Vig^enère,  51 . 
Villeroy,  241. 
Virgile,  10,  27,  42,  70,  103,  105. 

123,  159,   168,  191,  205.   239, 

245,  260,  343. 
Visagier,  N'ulteius,  4. 
Vitruve,  89,281,  289. 
Vivonne,  241. 
Vulcanins,  212. 


Wecliel,  50,  102,  104,  110,  111,  137, 
249.  321. 


3W 
155, 


122, 
244, 


Xénoplioii,  74,  85. 
Xiphilin,28l. 

Zampini,  229. 


Le  portrait  de  Dorai,  placé  en  face  de  la  p.  80,  est  au  Cabinet  des 
Estampes  de  la  Bibliothèque  nationale  (N.  A.  21  a,  fol.  172).  Je  serais 
tenté  de  voir  en  ce  crayon  inédit  une  œuvre  de  Nicolas  Denisot,  le 
peintre  de  la  Brigade  ;  mais  on  ne  connaît  jusqu'à  présent  de  cet  artiste 
que  des  portraits  gravés  (la  Reine  de  Navarre,  Muret,  Grévin). 

La  pièce  autographe  de  Ronsard,  placée  en  face  de  la  p.  256,  est  au 
Cabinet  des  Manuscrits,  Dupuif  837,  fol.  248. 


<:oiuii<;i:.\i)A 


P.  0,  1.   7.  I.IHE  Clirichloii  ;  I.  12.  iiiu;  pangenda. 

V.  7,  1.  7.  Lini-:  Chrichton;  1.  28.  i.iiii;  Ty.iid. 

P.  19, 1.  penult.  LinE  Neaera. 

P.  2a,  1.  1.3  des  notes,  .supphimkii  ne;  1.  i.'i.  hempi.ac.er  Lazare  de  Baïf  par 
Guillaume  Bochetel. 

P.  78,  1.  10  des  notes;  p.  89.  1.  ir>  des  notes;  p.  21 1,  1.  i  ;  p.  2i(t,  1.  12 
des  noies.  LiHECavellal. 

P.  129, 1.  M.  i.iiiE  En  tête  du  dernier  lome  d'une  édition  ;  1.  1 1,  i.ihe  qui 
ces  vers  liront;  1.  IG.  lihe  En  lieu. 

P.  129,  1.  17.  AJOUTER  LE  renvoi  Ed.  I,.,  t.  III,  p.  2.  Cf.  Laumonier, 
Tableau  chronol.,  2'  éd.,  p.  6'f. 

P.  177,  1. 1  des  notes,  i.ibe  T.  II. 

P.  220,    1.  6.  LIRE  ctarae  ;  I.  25.  lire  iugii;  1.  22.  virgule  APnks  falentiir. 

P.  221,  1.  ult.  lire  qtiom. 

P.  226,  1.  1  des  notes,  lire  15  novembre  1570. 

P.  228,  I.  18.  AU  LIEU  DE  neveu  LIRE  père;  I.  12  des  notes,  lire  Sarllie 
et  Loire. 

P.  2.33,  1.  1  des  notes,  lire  T.  167  ;  1.  13.  suppri.mer  et  Cli.  Uvtenliove. 

P.  247,  1.  32.  point  APRi-;s  regni;  I.  37.  lire  liidani. 

P.  292.  POUR  II,  LIRE  m  ;  p.  305.  liri:  IV  ;  p.  313.  V;  p.  323.  VI  ;  p.  333. 
VII. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


PREMIÈRE     PARTIE 

nONSAIlD    HUMANISTE.    l'kDUCATION,    LE    MILIEl',    LES   LECTURES. 

Les  langues  littéraires  au  xvi'  siècle.  —  Importance  de  la  poésie 
néo-latiue.  —  Les  latinistes  de  la  Pléiade 1 

I.  L'humanisme  autour  de  Ronsard.  —  Son  compagnon  de  jeunesse 
Claudio  Duclii.  —  Son  oncle  Jean  de  Ronsard.  —  .Son  parent 
Lazare  de  Baïf.  —  Le  voyage  d'.Msace 8 

IL  Ronsard  et  les  poètes  humanistes.  —  L'exemple  de  l'Italie.  —  Le 
llorilège  de  Léger  Du  Chesne.  —  Le  cercle  de  Jean  Brinon.  — Théo- 
rie humaniste  de  l'imitation 13 

III.  L'étude  des  Elégiaques  romains,  d'Ovide,  de  Virgile,  d'Horace. 

—  Union  du  vers  lyrique  et  du  chant.  —  Idées  de  Ronsard  sur  la 
musique.  —  L'influence  d'Horace.  —  Les  conseils  de  Jacques 
Pelelier  du  Mans 21 

IV.  L'initiation  au  grec.  —  Jean  Dorât  dans  la  maison  de  Lazare 
de  Baïf.  —  Études  de  Ronsard  et  de  Jean-Antoine  de  Ba'if.  —  Vue 
nouvelle  de  l'antiquité  romaine -'l! 

V.  Ronsard  au  collège  de  Coqueret.  —  La  révélation  de  Pindare.  — 
Les  origines  de  l'ode  pindarique  eu  Erance.  —  Benedetto  Lampri- 
dio.  —  Le  pindarismede  Ronsard 43 

VI.  Caractère  et  rôlede  Dorât.  —  Les  témoignages  de  son  temps.  — 
Son  auditoire.  —  Le  voyage  d'Arcueil  et  le  poème  de  Dorât.  — 
Ronsard  parmi  les  écoliers 52 

VII.  L'enseignement  de  Dorât.  —  Ses  idées  sur  Homère  et  l'épopée 
allégorique.  —  L'allégorie  chez  Ronsard.  —  Auteurs  étudiés  par 
Dorât.  —   Son  autorité  de  philologue  et  de  critique.   —  Son  œuvre 

de  poète 69 

VIII.  Ronsard  et  la  littérature  grecque.  — Son  classement  des  poètes 
anciens.  —  Lycophron  au  xvi'  siècle.  —  Lycophron  et  Ronsard.       84 

IX.  L'obscuritésavante  des  Amours.  —  Muret  interprète  de  Ronsard. 

—  Méthode  et  intérêt  de  son  commentaire.  —  La  légende  mytholo- 
gique. —  Le  vocabulaire  grec  chez  Ronsard 9'2 

X.  Théocrite  et  les  Bucoliastes  au  temps  de  la  Pléiade.  —  L'églogue 
de  Ronsard.  — Callimaqu'e  et  r.\lexandrinisme.  —  L'Anacréon  de 
Henri  Estienne.  —   L'imitation  anacréontique.  — L'Anthologie.  — 

Les  florilèges  deTurnèbe  et  d'Estienne.  —  Les  Hymnes ._. .     101 


36  i  IIONSABI)    ET    r.IllîMANISME 

XI.  Ronsard  lecteur  d'Homère.  —  La  Franciade  et  ses  modèles 
antiques.  —  Les  personnages  de  l'épopép  homérique  chez  Ronsard. 

—  Fidélité  de  son  ciille  pour  Homère 121 

XII.  «  Les  François  qui  ces  vers  liront  ».  —  L'histoire  des  deux  Cre- 
tois. —  Ronsard  philologue.  —  L'exploration  des  bibliothèques  et 
l'étude  des  manuscrits.  —  Ronsard  et  ses  livres 129 


DEUXIFMK    l'AHTlE 
iiONSAiii)   i:t   les  humanistes  nii  son  tkmi-s. 

I.  Les  hellénistes  de  la  Coui':  Danès,  .\myot,  Slrozzi.  —  lionsard  par- 
mi les  humanistes.  —  Buchanaii  l'tGouvea.   —  L'amitié  de  Muret. 

—  Son  départ  et  son  retour  à  Paris 142 

II.  Ronsard  et  Turnèbe.  —   L'intimité  avec  Lambin.  —  La  dédicace 

du  Lucrèce.  —  Ronsard  et  le  Collège  royal.  —  Passerai.  —  Ramus.     ir>2 

III.  Jean  de  Morel,  sa  famille  et  son  cercle  littéraire I~0 

y  .  Ronsard  et  Michel  de  L'Ilospital.  —  L'affaire  Saint-Gelais.  — 
L'Hospital  grand  protecteur  de  Ronsard 178 

V.  Enthousiasme  des  humanistes  pour  Ronsard.  —  Des  Mireurs  et 
les  Folaslries .  —  Forcadel.  —  Sainte-Marthe  et  le  groupe  de  Poi- 
tiers. —  Ronsard  admiré  dans  les  universités  et  les  collèges.  — 
Ponlus  de  Tyard.  —  Ronsard  et  Scaliger 187 

VI.  Ronsard  hors  de  France.  —  L'Humanisme  propage  sa  renommée. 

—  La  cour  de  Savoie.  —  Kochanowski  et  la  Pologne 20b 

Vil.  Les  humanistes  des  Pays-Bas  élèves  de  Dorât.  —  Jan  van  der 
Does.  —  Les  frères  Canter.  —  Ronsard  et  la  maison  Plantin.  — 
Le  Fèvre  de  la  Boderie.  —  Uy lenhove 2H 

\'III.  Relations  de  Ronsard  avec  l'Allemagne.  —  Paul  Melissus  dis- 
ciple et  ami  de  la  Pléiade.  —  Ses  deux  séjours  à  Paris 218 

l.\.  Ronsard  et  les  Italiens.  — •  Prétendues  relations  avec  Tasso.  — 
Ronsard  lu  par  Caslelvetro,  Chiabrera,  Speroni.  —  Bart.  Delbene. 

—  Pigafetta.  —  Pinelll.  —  Voyages  de  Claude  Dupuyetde  Claude 
Binet 22i 

X.  Ronsard  au  collège  de  Boncourt.  —  Son  amitié  pour  Jean  Galland. 

—  Ses  obsèques  à  Boncourt.  —  Son  "  tombeau  »,  œuvre  des  huma- 
nistes et  des  poètes 23^1 

TROISIÈME    PARTIE 

LES   ÉCRITS  LATINS  DE   RONSARD. 

Jugement  définitif  de  Ronsard  sur  la  poésie  et  l'Humanisme.  —  Les 
prétentions  de  Baïf.  —  Ronsard  défend  la  langue  française.  —  Faible 
importance  des  vers  latins  qu'il  a  laissés 244 


TAHI.E    DES    MATIÈRES  36o 

Recueil  des  vers  latins  de  Ronsard 248 

Ronsard  prosateur  latin  :  l'invective  contre  Paschal 257 

QUATRIÈME  PARTIE 

LE  CICÉRONIEN  DE    LA   BRIGADE.     IlONSAno  ET    PIERHE  DE  PASCHAL. 

I.  La  jeunesse  et  les  études  de  Paschal.  —  Le  collège  de  Carpentras. 

—  Sadolet  et  le  Cicéronianisme.  —  L'Université  de  Toulouse 271 

II.  Le  séjour  en  Italie.' —  Le  cercle  romain  du  cardinal  d'Armagnac. — 
Discours  de  Paschal  prononcé  à  Venise  et  publié  à  Lyon.  —  Recueil 

de  ses  lettres   latines 277 

III.  Ronsard  établit  l'autorité  de  Paschal.  —  Premières  dédicaces.  — 
L'Églantine  des  Jeux  Floraux.  —  Paschal  dans  la  Brigade. —  Pas- 
chal et  Magny 292 

IV.  Paschal  historiographe  de  France.  —  Ses  titres  de  cicéronien.  — 
Ses  relations  avec  le  cardinal  de  Lorraine.  —  Ses  prétentions  et  ses 
travaux 305 

V.  Etroite  union  de  Ronsard  et  de  Paschal.  —  Promesses  faites  aux 
poètes  en  échange  de  leurs  louanges.  —  Paschal  dans  les  Souspirs 

et  les  Regrets 313 

VI.  Les  humanistes  contre  Paschal.  —  Les  satires  de  Turnèbe  et  de 

Du  Bellay.  —  L'invective  de  Ronsard.  —  L'éloge  funèbre  de  Henri  II.     323 

VIL  La  réconciliation  avec  Ronsard.  — Paschal  sans  crédit  à  la  cour 
de  Charles  IX.  —  Sa  retraite  et  sa  mort  à  Toulouse 331 

Addenda 343 

Index  des  noms 353 


MAÇON,     PnOTAT    HIERES,    IMPRIMEURS. 


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Nolhac,  Pierre  de 

Ronsard  et  l'humanisme 


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