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Full text of "Rutebeuf"

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RUTEBEUF 



' I '. 



17. i GRANDS ÉCRIVAINS ÎRi> 



HUTEBEl 



PAU 



LKON GLKi'AT 



PARIS 

LIRRAIRIl' HACHETTE ET ' 

70, BOIILEVM'.D S\IM-o' HVUN, 7" 



Iji -Ift 'l!' 'r .'l'. ' ■ n ft l» ii«j 



LES GRANDS ÉCRIVAINS FRANÇAIS 



RUTEBEUF 



PAR 



LÉON CLÉDAT 



PARIS 

LIBRAIRIE HACHETTE ET G'" 

79, BODLEyARD SAINT-OERMAIN, 79 

1891 

DroiU de traduction et de reprodaclion riservj». ' 



AVANT-PROPOS 



Ce livre ne se présente pas tout à fait dans les 
mêmes conditions que les autres volumes de la col- 
lection, consacrés à des auteurs qui sont déjà connus 
du public et à des ouvrages qui se trouvent dans 
toutes les mains. 

Rutebeuf est certainement un inconnu pour beau- 
coup de lecteurs, et la difficulté de la langue * fait 
que ses œuvres sont inabordables pour tous ceux 
qui n'ont pas eu le loisir d'apprendre le vieux fran- 
çais. Il fallait donc avant tout rendre ces œuvres 
accessibles, en les traduisant, afin de pouvoir appuyer 



1. Ce volume avait été écrit avec l'orthographe de la Revue 
de philologie française. Mais comme il fait partie d'une 
collection, l'éditeur a tenu à ce qu'il fût imprimé avec 
l'orthographe officielle, suivie dans la collection. Dans les 
citations toutefois le système de la Revue de philologie a 
été adopté, en raison de sa conformité avec l'orthographe 
même de Rutebeuf. 

2. Cette difficulté résulte principalement de la déclinaison 
à deux cas, reste de la déclinaison latine, qui disparut à la 
fin du xiv* siècle. 



6 AVANT-PROPOS. 

notre étude sur des citations très abondantes. 11 
convient de laisser fréquemment la parole à Rute- 
beuf. Le commentaire sera d'autant plus utile qu'il 
se restreindra pour faire une place plus large à 
Tœuvre même. 

Nos traductions seront, à vrai dire, de simples 
rajeunissements. Nous nous appliquerons à con- 
server les locutions de Tauteur, en donnant seule- 
ment aux mots la forme actuelle, et comme le rythme 
fait partie intégrante de la pensée d'un poète, nous 
maintiendrons fidèlement le nombre des syllabes et 
la répartition de l'accent dans chaque vers. La rime 
seule sera très souvent sacrifiée, quand le rempla- 
cement d'une forme ou d'un mot anciens par la forme 
nouvelle ou par un mot resté dans la langue aura 
fait disparaître la consonance. Pour reconstituer 
partout la rime, il eût fallu introduire dans le texte 
des changements j^arfois considérables et se con- 
tenter d'approximations dans l'expression des pen- 
sées : il valait mieux être infidèle à la rime qu'à 
l'idée. 

Nous respecterons le plus souvent les lois et les 
licences de la versification du moyen âge : Ve muet 
compté pour une syllabe après une voyelle ou une 
diphtongue, la contraction facultative du pronom 
elle en el, la syllabe féminine ne comptant pas (ijiême 
non élidée) après la césure des grands vers, l'hiatus 
autorisé, etc. 

Nous maintiendrons aussi, toutes les fois que la 
mesure l'exigera et que la clarté n'aura pas à en 



soulfrir, les particularités de l'ancienne langue, telles 
que l'ellipse fréquente du pronom sujet, l'emploi 
des adjectifs grand, tel, loyal et autres semblables 
sans e muet au féminin. 

Il va sans dire qu'on ne trouvera pas dans ce livre 
une traduction intégrale de Rutebeuf. Les citations 
seront souvent coupées par les analyses, tanti^t 
brèves, tantôt détaillées. Nous supprimerons les 
passages devenus obscurs et ceux dont l'intelligence 
exigerait des explications trop minutieuses. Nous 
ne chercherons pas toutefois à dissimuler les fai- 
blesses du poète; nous n'avions pas à former une 
anthologie, mais à faire connaître aussi complète- 
ment que possible le grand trouvère du xiii" siècle, 
avec ses défauts comme avec ses qualités. 

L. Clé DAT. 



RUTEBEUF 



h 



HAPITRE I 



LE SIÈCLE DE SAINT LOUIS 

Les contemporains de saint Louis ont célébré 
à l'envi sa haute taille, ses formes grêles, mais élé- 
•gantes, son visage « angélique », son air avenant, la 
modestie de son costume, la noblesse empreinte 
dans toute sa personne, et nous savons qu'à cet 
extérieur attirant répondaient les plus rares qua- 
lités de Tesprit de gouvernement, les dons du cœur 
les plus séduisants. Dans toute l'histoire du monde, 
Guizot ne trouve qu'un seul prince qui soit digne 
de lui être comparé, c'est Marc-Aurèle. 

Nul prince n'a mérité plus que lui l'honneur de 
donner son nom au siècle où il a vécu , et le 
XIII* siècle est le plus grand du moyen âge. La 
France était alors remarquablement prospère, à coté 
de l'Italie, déchirée par les luttes des Guelfes et des 
Gibelins, de l'Allemagne livrée aussi aux dissen- 
sions intestines pendant que ses empereurs dispu- 



10 RUTEBEUF. 

taient à la papauté des lambeaux de territoire et 
d'autorité, de l'Angleterre soumise à la triste admi- 
nistration de Henri III et réduite à solliciter l'arbi- 
trage de saint Louis. Les autres peuples souffraient 
des mêmes misères ou végétaient dans une obscure 
tranquillité. 

La France seule jouissait des bienfaits d'un gou- 
vernement sage, consciencieux jusqu'au scrupule, 
soucieux de la paix publique, du bonheur de tous 
et d'une exacte justice, et elle rayonnait au dehors 
d'un éclat incomparable. Elle continuait à diriger 
ce grand mouvement des croisades, si glorieux mal- 
gré de cruelles défaites, si fécond bien que le but 
immédiat n'en ait pas été atteint. Les bannières de 
nos chevaliers flottaient à Saint- Jean-d' Acre; leur 
valeur maintenait en Orient l'influence politique de 
la France, que Charles d'Anjou tentait, non sans 
grandeur, de faire pénétrer au sud de l'Italie, et, 
avec saint Louis, au nord de l'Afrique. Un descen- 
dant de Gharlemagne, un parent du roi de France, 
occupait l'empire de Gonstantinople, et s'il en fut 
bientôt déj^ossédé, il y laissa l'usage de notre 
langue, que longtemps après on parlait encore à 
Athènes et dans la principauté de Morée. 

A cette époque, le français était bien près de 
devenir la langue définitive de l'Angleterre, car il 
y faisait, dans le peuple même, de grands progrès, 
et sans la^guerre de Cent Ans il n'aurait pas eu de 
peine, selon toute vraisemblance, à reléguer l'an- 
glais à l'état de patois. Les écrivains anglais de 



LE SIECLE DE SAINT LOUIS. H 

naissance employaient le français. C'est aussi notre 
langue que choisissait Brunetto Latino, pour écrire 
sa naïve encyclopédie du Trésor^ et il donne ainsi 
la raison de son choix : « Bien que nous soyons 
Italien, ce livre est écrit en roman de France, parce 
que le langage des Français est le parler le plus 
délectable et le plus commun à toutes gens ». Depuis 
la conquête romaine on n*avait rien vu de pareil à 
cette diffusion de notre langue, ou, pour être plus 
exact, de nos deux langues, celle d'oïl et celle d'oc. 
Le provençal était compris en Espagne et en Italie. 
C'est en provençal, et non dans leur propre dialecte, 
que les poètes catalans composaient, et l'Italie du 
Nord a fourni à notre littérature méridionale une 
vingtaine de troubadours, parmi lesquels on compte 
de très grands seigneurs, comme le marquis de 
Malespina et deux membres de l'illustre famille 
génoise des Doria. L'influence provençale, qui était 
une des formes, et une des plus brillantes, de l'in- 
fluence française, ne devait pas survivre longtemps 
à la croisade albigeoise. Cette guerre sans merci 
assura en France l'unité de langue littéraire, qui 
n'était pas indispensable à l'unité de la patrie, et 
précipita la réunion à la couronne d'une partie du 
Languedoc. L'avantage ne devait compenser ni les 
désastres accumulés que saint Louis — c'est une 
de ses gloires — essaya de réparer, ni l'étouffement 
brutal d'un foyer intense de civilisation. 

Désormais, pendant bien des siècles, l'unique 
centre de notre rayonnement sur le monde sera la 



/ 



12 UUÏEDEUF. 

France du Nord, et dans celle-ci Paris prend déjà 
le rôle prépondérant qu'il n'a pas cessé de garder 
et qui en fait, dès ce temps, la capitale des lettres 
et des arts. Dans le merveilleux développement de 
l'architecture et de la sculpture monumentale qui 
caractérise le xiii® siècle, l'école de l'Ile-de-France, 
comme l'a constaté Viollet-le-Duc, avait une supé- 
riorité marquée, dont témoignent encore aujour- 
d'hui l'harmonieuse façade et l'imposant vaisseau de 
Notre-Dame et l'inimitable joyau qu'on nomme la 
Sainte-Chapelle. Dans l'ordre littéraire, si les diffé- 
rentes provinces de la France continuent à pro- 
duire des poètes et des prosateurs de talent, la 
langue de l'Ile-de-France prévaut de plus en plus 
sur les dialectes voisins, et les auteurs provinciaux 
s'excusent de mal parler le parisien. Enfin Paris 
était par excellence la ville des fortes études. Les 
étudiants y affluaient de toutes les parties du monde 
civilisé * ; quelques-uns d'entre eux devenaient des 
maîtres à leur tour et s'honoraient de professer dans 
l'Université qui les avait formés*. « Paris, écrivait en 
1250 le pape Alexandre IV, remplit l'univers de la 
plénitude de sa science, répand les lumières de l'in- 
telligence, chasse les ténèbres de l'ignorance, révèle 
au monde les secrets de la connaissance. C'est la 
cité renommée des lettres et des sciences, la pre- 
mière école de l'érudition. » Alexandre IV ne se 



1. Des quatre parties ou régions du monde, comme on disait 
ahjrs, sans pour cela prophétiser la découverte de l'Amérique. 




LE SIECLE DE SAINT LOUIS. 13 

■contentait pas de célébrer la gloire de Paris, il y 
envoyait ^es deux neveux et prouvait ainsi la sincé- 
rité de ses éloges. 

Parmi les étrangers célèbres qui ont étudié ou 
enseigné à Paris ou qui y ont séjourné au xiii* siè- 
cle, on peut citer Albert le Grand, Roger Bacon, 
le Docteur admirable, saint Bonaventure et saint 
Thomas d'Aquin, le chroniqueur italien fra Salim- 
bene, ce « spirituel vagabond », et son compatriote 
Jean de Parme, qui fut non pas l'auteur, mais l'édi- 
teur responsable de \ Évangile éternel, Brunetto 
Latino, enfin le grand poète Dante. On y vit aussi 
pendant quelque temps de jeunes Byzantins que 
l'empereur Baudouin avait envoyés pour mettre les 
Grecs en contact avec les Occidentaux. Malheu- 
reusement le renversement de l'empire latin de 
Constantinople ne permit pas de renouveler cette 
intéressante tentative. 

Ce n'est pas seulement par les armes et par l'en- 
seignement, c'est aussi par la littérature que nous 
agissions sur le monde, et on a là, au moyen âge 
comme de nos jours, une des causes principales de 
la diffusion de notre langue. On oublie trop ou, à 
vrai dire, on ignore trop en France que notre litté- 
rature a été la première à se développer et que long- 
temps elle a régné seule en Europe. Nos chansons 
de geste étaient chantées sur les places publiques 
d'Italie, tantôt en français même, tantôt en français 
italianisé, tantôt en italien, avec un tel succès que la 
circulation en était interrompue et que les munici- 



\ 14 . RUTEBEUF. 



r 



palités devaient prendre des mesures pour la réta- 
lîlir*. On peut dire, à quelques exceptions près, que 
jusqu'à la fin du xiii® siècle la littérature des autres 
peuples n'a été qu'une traduction ou qu'une imita- 
tion de la nôtre. Nos vieux poèmes épiques ont été 
traduits, en leur temps, dans toutes les langues 
européennes, y compris le suédois et le norvégien '. 
Un succès analogue était réservé à notre Roman de 
la Rose, à nos fableaux. 

Au XIII® siècle, la période héroïque de la littéra- 
ture épique était passée ; toutefois ce siècle a encore 
produit, surtout dans sa première partie, des chan- 
sons de geste remarquables et de beaux romans du 
cycle breton. La plupart des autres genres littéraires 
ont pris naissance ou se sont particulièrement déve- 
loppés entre Philippe-Auguste et Philippe le Bel. 
L'histoire en prose française débute avec Villehar- 
douin, qui montre la voie à Joinville; la satire, née 
à la fin du siècle précédent, prend avec Rutebeuf 
une vigueur et une autorité qui en font une véritable 
puissance. La littérature dramatique poursuit lente- 
ment son évolution, tandis que la poésie lyrique se 
renouvelle sous l'influence des poètes méridionaux, 
inventeurs des rythmes savamment compliqués. Le 
genre si français du conte en vers, du fableau, dont 

1. Un édit de 1288 défend aux chanteurs de gestes français 
de stationner sur les places publiques de Bologne. 

2. Un bon nombre d'opéras de Wagner traitent des sujets 
empruntés à la littérature française du moyen âge : ainsi 
Tristan et Yaeult^ et les opéras où figurent les chevaliers du 
Saint-Graal. 



i 



LE SIECLE DE SAINT LOUIS. I5 

les premiers essais parvenus jusqu'à nous remontent 
au milieu du xii® siècle, est, auxiii®, en pleine florai- 
son. Enfin de nouvelles « branches » s'ajoutent au 
Roman de Renard^ et le Roman de la Rose, commencé 
dans les premières années du règne de saint Louis, 
s'achève au milieu du règne de son fils. 

C'est aussi sous saint Louis et Philippe le Hardi 
qu'a vécu Rutebeuf. 11 est cité surtout comme sati- 
rique. Mais si l'on excepte le genre épique, entré 
dans la période de décadence et qui ne produira 
plus de grandes œuvres, on peut dire qu'il a abordé 
tous les genres. Pièces lyriques, pièces satiriques, 
poèmes allégoriques, poèmes dramatiques, vies de 
saints, fableaux, son talent se prête aux sujets les 
plus divers , et on doit le considérer comme le 
représentant le plus complet de la littérature fran- 
çaise au moyen âge. C'est à ce titre, non moins que 
pour l'originalité de son talent, qu'il a été choisi entre 
tant d'autres pour prendre place dans cette collection. 

Toutefois l'œuvre de Rutebeuf ne peut donner 
qu'une idée incomplète du genre lyrique ; car on n'y 
trouve point trace de cette poésie amoureuse, d'un 
caractère si particulier, dont le plus illustre repré- 
sentant au xiii^ siècle est Thibaut IV de Cham- 
pagne, roi de Navarre. 

Le siècle précédent avait produit dans la France 
du Nord des pastourelles, des romances, des chan- 
sons à danser, pendant que se constituait dans les 
cours du Midi la poétique de la chanson d'amour 
proprement dite, qui devait prévaloir au temps de 



16 RUTEBEUF. 

saint Louis. L'amour qui fait le fond de cette 
poésie lyrique est un singulier mélange d'inspira- 
tions païennes et chrétiennes. Il procède à la fois 
de VArt d'aimer et de l'Evangile, empruntant naïve- 
ment à Ovide l'idée d'une réglementation, qui cesse 
d'être un jeu pour devenir un . code, et prenant de 
l'amour divin ses formules mystiques et ses grâces 
moralisatrices. « Ce qui nourrit l'amour comme 
l'eau le poisson, dit un troubadour, c'est la bra- 
voure, la valeur, la libéralité. » On doit se rendre 
digne de l'amour de sa dame, comme de l'amour 
de Dieu, par la pratique de toutes les vertus, bien 
qu'on ait le ferme propos et l'unique préoccupation 
de pécher contre l'une de ces vertus. Car cet amour 
est par essence illégitime. Les poètes ne s'adressent 
jamais qu'aux femmes mariées ; ils cherchent à leur 
inspirer un sentiment que, d'après la théorie du 
temps, elles ne peuvent et n'ont jamais pu éprouver 
pour leur mari. La comtesse Marie de Champagne, 
fille de la célèbre Eléonore d'Aquitaine, déclare que 
l'amour est aussi impossible entre époux que la véri- 
table amitié entre un père et son fils. On affecte de 
ne tenir aucun compte du mari, de n'en point parler, 
de ne point se cacher de lui plus que de tout autre. 
C'est surtout par le soupirant évincé qu'on craint 
d'être surpris, et celui-ci tâche de pénétrer le secret 
de son rival, pour pouvoir l'accuser d'avoir manqué 
au premier article du code de l'amour, la discrétion. 
Les Précieuses n'ont rien imaginé de plus subtil. 
Est-il utile d'ajouter que cet amour n'était ni popu- 



^ 



-^^•^ 



LE SIECLE DE SAINT LOUIS. 17 

laire ni bourgeois? Il était né dans les cours sous 
rinfluence des femmes, et il eut pour expression une 
poésie exclusivement aristocratique et courtoise. 

Au moyen âge, les livres d'érudition et d'histoire 
et les textes sacrés étaient conservés, sous forme de 
manuscrits généralement très soignés, enrichis de 
lettres ornées et de belles miniatures, dans les 
bibliothèques de couvents, à coté desquelles on ne 
peut encore signaler qu'un petit nombre de collec- 
tions privées, très restreintes, comme celle que saint 
Louis avait organisée dans la Sainte-Chapelle. Quant 
aux ouvrages composés pour la classe aristocratique 
ou pour le peuple, bien qu'on en ait fait de bonne 
heure de volumineux recueils ou d'élégants volumes, 
destinés à prendre place dans les bibliothèques d'où 
notre temps les a tirés après un oubli de plusieurs 
siècles, c'est par l'intermédiaire des jongleurs qu'ils 
arrivaient jusqu'au public. 

Les jongleurs étaient à l'origine, comme le mot 
l'indique {joculatores)^ des amuseurs, au sens le plus 
large. Les grands seigneurs en avaient à leur ser- 
vice, soit pour répandre leurs propres œuvres dans 
les cours voisines, quand ils cultivaient la poésie 
lyrique, soit pour se faire débiter les œuvres des 
autres. Il y avait aussi les jongleurs ou ménestrels 
indépendants, qui couraient le pays avec un léger 
bagage où figuraient des manuscrits compacts, éco- 
nomiques, sans miniatures, destinés à secourir leur 
mémoire trop souvent surchargée. Les uns col- 
portaient ainsi de longues chansons de geste, des 

2 



;omans d'aventure, d'autres des fahleaux, des pièces 
satiriques, des miracles de Notre-Dame, ou bien un 
leu de tout. Ils s'arrêtaient sur la voie publique, 
lans les châteaux, dans les logis que quelque fête de 
amille mettait en joie, et ils donnaient des séances 
>û les bouffonneries des liislrions et les jongleries, 
LU sens moderne du mot, laissaient place à la dis- 
raction plus élevée d'une récitation littéraire. 



Chacun le sait, anast chacuno, 

Quand un faotninc fuit noce ou fête 

Où y a gcna de bonne raec, 

Les ménealrcU, quand ils l'apprennent, 

Qui autro chose ne demandent, 

Vont là, soit amont soit aval, 

L'un à pied et l'autre ù cheval <. 

Le débit des jongleurs était une sorte de psalmodie 
[u'ils accompagnaient sur la vielle, sur la barpe, sur 
a guitare. Les chanteurs de complaintes, que l'on 
'oit encore de nos jours installer leurs tréteaux dans 
los carrefours, sont les héritiers dégénérés des vieux 
aénestrels. 

On accueillait presque toujours les ménestrels 
,vec empressement. Ils trouvaient partout sur leur 
lassage, même dans les couvents, une large bospi- 
alilé. Le cardinal Jacques de Vitry raconte, comme 
m fait exceptionnel, l'histoire d'un jongleur qui 
tait venu frapper une nuit k la porte d'un monastère 
t h qui l'on n'avait offert que du pain noir, de l'eau, 

1. fiulebcuf, la Vcngeanct de Chafîot. 



LE SIECLE DE SAINT LOUIS. 19 

des légumes cuits au sel et un lit dur et malpropre. 
L'abbé était un homme sans cœur, qui avait eu soin 
de préposer au service de l'hospitalité un frère sem- 
blable à lui. Pour se venger au moins de l'un des 
deux, le jongleur, rencontrant au sortir du couvent 
l'abbé qui revenait d'un petit voyage, lui dit : « Je 
vous remercie, mon bon monsieur l'abbé, vous et 
tout le couvent, car frère un tel m'a reçu magnifi- 
quement cette nuit ; il a fait préparer un grand feu 
et m'a servi, avec du vin de choix, d'excellents pois- 
sons et tant d'autres plats que je n'en sais plus le 
nombre. Et encore, au moment où je partais, il m'a 
donné des chaussures, une courroie et un couteau. » 
L'abbé, furieux contre le frère, s'empressa, en 
rentrant au couvent, de le destituer de ses fonctions, 
et c'est ainsi, dit Jacques de Vitry, que le jongleur 
se vengea de ce mauvais chien. La faveur dont 
jouissaient les ménestrels est encore attestée par ce 
qu'on raconte de saint Louis, qui faisait appeler, 
après ses repas, les ménestrels avec leurs vielles, et 
attendait pour dire les grâces qu'ils eussent fini de 
réciter leurs vers. 

Ainsi, dans l'histoire littéraire du xiii® siècle, à 
côté du poète, du trom>eur ou trouvère, le jongleur 
ou ménestrel a un rôle capital. Deux siècles avant 
que l'invention de l'imprimerie permît de multi- 
plier les exemplaires des ouvrages de l'esprit et de 
placer entre l'auteur et le public l'intermédiaire d'un 
libraire, les jongleurs, d'une autre façon, remplis- 
saient cet office. Les deux rôles étaient souvent 



et les poètes de profession allaient eux- 
chanter ou débiter leurs œuvres. Rulebeuf 
e ces trouvères-jongleurs, le plus grand de 
non le plus connu, celui dont l'esprit se 
fie le plus de l'esprit moderne et qui peut 
t nous donner cette sensation qu'à travers 
>tre littérature, du moyen âge aux temps 
!S, malgré la diversité des mœurs, des con- 
et des formes, circule un même souille qui 
e l'intime parenté de nos grands écrivains 
les temps et de tous les genres. 



1/ 



CHAPITRE II 



VIE DE RUTEBEUF 

Pour le caractère et pour le talent, Rutebeuf peut 
être comparé à Villon. C'est le Villon du xiii® siècle, 
un Villon non moins besogneux, mais plus honnête. 

Il n*y a pas apparence qu'en fouillant les archives 
on trouve jamais à son compte un casier judiciaire 
aussi chargé que celui de François Villon. Il nous a 
laissé sa confession publique dans la Repentance de 
Rutebeuf; même en lisant entre les lignes on n'y 
peut relever trace de fautes graves ; 

Renoncer me faut à rimer, 
Et je me dois moult étonner 
Quand l'ai pu faire si longtemps ! 
Bien me doit le cœur larmoyer 
Que jamais ne me pus plier 
A Dieu servir parfaitement. 
Mais j'ai mis mon entendement 
En jeu et en ébattement, 
Jamais ne daignai dire psaumes. 
Si ne m'assiste au Jugement 
Celle en qui Dieu reçut asile, 
J'ai passé bien mauvais marche. 



r 



S2 RUTEBEUF. 

Tard je Tiendrai nu repentir. 

PauTFG moi[ Point ne aul comprendre 

Comment oscraîs-je mot dire 
Quand juatea même trembleront ? 
Tous les jours j'engraissui ma panse 
Du bien d'autrui, d'aulrui substance. 
Bon clerc est qui mieus sait mentir. 
Si je dis : a C'est par ignorance, 
Car je ne sais qu'est pénitence n, 
Cela ne me peut garantir.... 

J'ai fait au corps sa volonté, 

J'ai Tait rimes et j'ai chanté 

Sur les uns pour aus autres plaire; 

Car l'Ennemi m'a enchanté 

Et rendu mon ime orpheline 

Pour la mener au noir repaire. 

Si Celle en qui brille tout bien 

Ne prent en souci mon affaire. 

Mauvaise rente m'a volu 

Mon eœur d'oii me vient tel tourment. 

Médecins ni apothicaires 

Kg me peuvent donner santé.... 

J'ai tant Tait que plus je ne puis ; 
Aussi me faut tenir en pais : 
Dieu veuille que ne soit trop tardl 
Tous les jours j'ai accru mon tais, 
Et chacun dit, clerc ou laïque : 
« Plus le feu couve, plus il brûle o. 
J'ai pensé engeigner Renard : 
Bien n'y valent engins ni arts, 
Tranquille il est en son palais. 
Pour ce sièelo qui se finit, 
11 m'en faut partir d'outre port : 
Nul n'y peut rieu, je l'abandonne. 

On ne se méprendra pas sur le sens des vers 
îi Rutebeuf s'accuse d'avoir vécu du bien d'autrui. 
le ne fut pas un voleur, mais simplement un débî- 



VIE DE RUTEBEUF. 23 

teur peu scrupuleux. Quant à ses autres aveux, il 
n'en est aucun que, par humilité chrétienne, les plus 
grands saints n'eussent pu faire. S'il se confesse 
d'avoir « chanté sur les uns pour aus autres plaire » , 
c'est le péché de médisance. Il a en effet, nous le ver- 
rons, beaucoup médit de son prochain; mais assuré- 
ment il ne croyait pas l'avoir calomnié, car, dans la 
dernière strophe, il attaque encore, sous le nom de 
Renard, ses adversaires les hypocrites, qu'il a si 
vertement fustigés : le vieux satirique repentant 
ne peut s'empêcher de leur lancer un dernier trait. 
Le peu que nous savons sur -la vie de Rutebeuf, 
c'est dans ses œuvres que nous l'apprenons. Nous 
ignorons la date de sa naissance et celle de sa mort. 
Parmi ses poésies à date un peu sûre, les plus 
anciennes sont postérieures de quelques années à 
la première croisade de saint Louis, les plus ré- 
centes nous reportent à la fin du règne de Philippe 
le Hardi. Il habitait Paris, mais rien ne prouve qu'il 
y fût né*. Dans la pièce intitulée le Mariage de 
Rutebeuf, il raconte qu'il prit femme le 2 janvier 
1261, « l'an de l'Incarnation mil deus cents, en l'an 
soissante *, huit jours après la naissance de Jésus ». 
Ce n'était point sa première femme, comme il nous 
l'apprend ailleurs. Celle-ci était pauvre, laide et 
vieille. C'est une folie qu'il a commise, mais « un 



1. On est porté, d'après certaines rimes, à le faire naître 
dans la région orientale de la France. 

2. L'année commençant alors à Pâques, il faut traduire 
1261. 



i 



lU qui ne commet pas de folies ]iert son temps » ; 
a contristé ses amis et fait la joie de ses ennemis : 

Pour plus donner de réconfort 
A c:eus qui ù mort me haïescnt, 
Tel femme ai prise 

Elle était pauvre et besoi gueuse 

Quaud je la pris. 
Et le mariage a ce pris ' 
Qu'or je auis pauvre et besoigneua 

Aussi comme elle. 
Elle n'est pas gente ni belle. 
A cinquante ons dans son écuclle^. 

Est maigre et sèehe i 
Je n'ai pas peur qu'elle me triche. 
Depuis que naquît en la crècbe 

DicQ de Marie, 
On ne yit telle épouseric.... 
Je crois que Dieu le débonnaire 

M'aime de loin : 
Bien l'ui-je vu en cette affaire. 
Je suis où le mail met le coin 3 : 

Dolents et tristea mes amis. 

Or, ù vrai dire. 
Si de Dieu j'ai mérité l'ire, 
De moi se peut jouer et rire. 

Cor bien s'en venge.... 
Même la ruine de Troie 
Ne fat si grand comme est la mienne.... 
Commeat ne perdrais-je courage? 
Avant que vienne avril ni moi. 

Viendra carême. 
J'en puis bien dire mon avis ; 
De poîsson autant que de crème 

1. L, ^.ni,, . «1 ,tt,t. 

2. Nous dirions aujourd'hui : /loiir Uiut potage. 

3. Où le maillet enfonce le coin. 



VIE DE RUTEBEUF. 25 

Aura ma femme. 
Bien pourra son ûihe sauver : 
Qu'elle jeûne pour douce Dame ! 

Loisir en a...,. 
Par le Seigneur qui tout gouverne, 
Quand je la pris j'avais bien peu, 

Et elle moins. 
Je ne suis ouvrier des mains. 
L'on ne saura où je demeure, 

Trop pauvre suis! 
Point ne sera ma porte ouverte, 
Car ma maison est trop déserte 

Et pauvre et nue. 
Souvent n'y a ni pain ni pâte ; 
Ne me blâmez si je n'ai hâte 

D'aller chez moi, 
Car je n'y aurai bel accueil : 
L'on ne m'a pas pour bienvenu 

Si je n'apporte ; 
C'est ce qui plus me déconforte, 
Que je n'ose entrer en ma porte 

A vides mains. 
Vous savez comment est ma vie : 
L'espérance du lendemain, 

Ce sont mes fctes. 



Rutebeuf se compare ensuite aux martyrs, qui 
ont été rôtis, lapidés, écartelés, mais « dont la peine 
fut tôt finie », tandis que la sienne durera toute sa 
vie, et en terminant il prie Dieu de lui compter ses 
misères comme autant de pénitences pour gagner le 
paradis. Amen. 

En entendant la plainte touchante de Rutebeuf 
sur Taccueil qui Taltend à la maison quand il y 
revient les mains vides, on se rappelle les vers 
célèbres d'un de ses contemporains. Colin Muset, 
s'adressant au seigneur devant lequel il a « vielle » : 



HOTEBEUF. 

Sire comte, commandei 
De moi votre Tolonté. 
Sire, s'il vous vient it gté, 
Uu beau don me donnerci 

Par courtoisie. 
Désir ai, n'en douiez mie, 

Quand vais bourse dégarnie, 



En quel terre avez été, 

De par la ville I 

Voyci, votre malle plie : 
Elle est bien de vent farcii 
Honni soit qui a envie 
D'être en votre compognic 



le pièce qui est comme la suite de la prc- 
t qui porte le titre de Complainte de Hiite- 
lète revient sur la misère qui a été la con- 
ie son mariage, et il en plaisante avec une 
jue peu amère. Pour comble de malheur, 
l'œil droit, « dont il voyait le mieus », et 
s'est brisé la jambe. Sa femme est accou- 
mdant ce temps il était lui-même malade 
lans un autre lit. Il a mis ses meubles en 

oit pas d'argent, menace de rapporter le 
I à la maison. Son propriétaire réclame le 
1 loyer, et le pauvre Rutebeuf, mal rétabli, 
urces, sans bois pour son hiver, presque 
lenls, est abandonné de ses anciens amis, 
sa complainte au comte de Poitiers, frère 



VIE DE RUTEBEUF. 27 

de saint Louis, qui l'a aidé jadis, et dont il espère 
un nouveau secours. Il est d'ailleurs plein de bonnes 
intentions, et promet de devenir sobre et sage. Il 
demande à Dieu de l'aider à nourrir l'enfant « qu'il 
a fait naître », et à mieux conduire sa maison. Ce 
qui lui brise le cœur, c'est l'abandon de ses amis : 



Les maus ne savent seuls venir : 
Tout ce qui pouvait m'avcnir 

Est avenu. 
Que sont mes amis devenus, 
Que j'avais de si près tenus 

Et tant aimés ? 
Je crois qu'ils sont trop clair semés : 
Ils ne furent pas bien semés, 

Point n'ont levé. 
De tels amis m'ont bien trahi, 
Que, tant que Dieu m'a assailli 

De tous côtés, 
N'en vis un seul en ma maison. 
Le vent, je croîs, les m'a ôtés : 

L'amour est morte. 
Ce sont amis que vent emporte, 
Et il ventait devant ma porte : 

Sont emportés ! 



Si, comme on l'a dit, Brunetto Lalino faisait allu- 
sion à Rutebeuf quand il écrivait dans son Livre du 
Trésor : « Le rire, le jeu, voilà la vie du jongleur, 
qui se moque de lui-même, de sa femme, de ses 
enfants, de tout le monde », c'est sûrement à la Com- 
plainte de Rutebeuf qu'il pensait. Mais on sent que 
les larmes sont près du rire. 

Quelques années plus tard, à l'époque de la croi- 
sade de Tunis, les affaires de Rutebeuf allaient plus 



ntTEfiBUF. 



mal encore. Cette fois, ce n'est |>lus au frère du roi, 
"'""t à saint Louis lui-même qu'il adresse sa requête, 
; le titre de : la Pauvreté de Rutebeuf. 



Pour parler de ma panvrclé ! 

Pour Dieu tous pri(e), franc roi de France, 

Que me donniez quelque chevance. 

Voua Terez grande charité.... 

Sire, je tous fais ù savoir ; 

Je n'ai de quoi du pain avoir. 

A Paris sais entre tous biens, 

N'est aucun d'eus qui soit à moi. 

n ne veut plus lui faire crédit parce qu'il est 
ttté. Le roi, avec ses deux croisades, a éloigné 
bonnes gens. « Je tousse de froid, de faim je 
e.... Je suis sans matelas et sans lit, n'y a si 
fre jusqu'à Senlis. » Il n'a que de la paille dans 
lit, et « lit de paille n'est pas lit ». Il se souvient 
de saint Peu [saint Paul) que d'aucun autre 
re. 

serait injuste de reprocher à Rutebeuf d'avoir 
i tendu la main. Pendant longtemps les dons et 
pensions des rois et des puissants ont été la 
cipalc ressource des poètes qui n'étaient pas 
grands seigneurs. Relisez les dédicaces de Cor- 
e! Et Corneille n'avait pas, comme Rutebeuf, 
;u8e d'une extrême misère, ni le mérite de la 
are dans l'éloge. L'attitude j)olitique de Rute- 
, telle qu'elle ressort de ses poésies, a toujours 
l)arfaiteinent digne. On ne peut lui imputer 



VIE DE nUTEBEUF. 29 

aucune palinodie. Besogneux corame il l'était, il 
lui fallait quelque courage pour soutenir dans la dis- 
grâce Guillaume de Saint-Amour contre les plus puis- 
sants, contre le roi lui-même. Et lorsqu'il déclare, 
à la fin du dit de Guillaume de Saint-Amour, qu'il 
mourrait pour la défense de sa cause, on sent qu'on 
peut l'en croire sur parole. 

Nous ignorons si saint Louis fut généreux. Mais 
Rutebeuf se plaint doucement, dans le dit de la croi- 
sade de Tunis, que les deux fils du roi, Philippe et 
Tristan, et leur cousin le « bon » comte d'Artois 
mettent peu d'empressement à le secourir. Son pro- 
tecteur le plus assidu paraît avoir été le comte de 
Poitiers; dans la complainte composée à l'occasion 
de sa mort, Rutebeuf rappelle délicatement ses bien- 
faits : 

Parce qu'il me fit tant de biens, 
Veus retracer un peu des siens. 

Quel est l'ami dont il est question dans la Prière 
de Rutebeuf 1 II est impossible de le deviner. 

J'avais un bon ami en France, 
Or Tai perdu par malechance ; 
De toutes parts Dieu me guerroie. 

S'il l'a perdu, c'est au figuré. Cet ami est arrivé 
aux honneurs : 

Quand le moyen devient grand sire,... 

Lors est perdu jouer et rire.... 

Le pauvre ami en route reste : 

s'il vient ù cour, chacun l'en chasse* 



r 



, quand I 

!, doit-on 
\ plus la lumi 



e est pri 



mi dans une position 
1 qu'il l'y maintienne. 
) de nous, mieus nous 



■té faite» 



certain nombre 
s apprend lui- 




s dû Rutebeuf, i 

commande. Il i 

l'Erard de Valéry, connétable ■ 

li avait commandé la Vie de sainte Ëlïsa- 

longrie pour la femme du roi Thibaut V de 

Isabelle, fille aînée de saint Louis. On peut 

aussi que plusieurs des comptai/nés qu'il 

nsacrées aux morts illustres de son temps, 

nment la complainte du roi de Navarre Thi- 

V, lui ont été payées par les familles. C'étaient 

s aubaines rares. Ses ressources ordinaires 

iit celles de tous les trouvères et ménestrels du 

n âge. Il nous raconte qu'il se rendît un jour 

cennes pour assister à la noce d'un cousin de 

gume, pancticr du comte do Poitiers, et qu'il 

va en com])agnie de Chariot le Juif, l'un des 

lénestfels de son temps dont il ait cité le 

I vivait bien pendant quelques jours; puis, en 

congé du héros de la fêle, on recevait de lui 

cadeau ou une somme d'argent, soit une 

! recommandation pour quelque parent riche, 

.parfois peu généreux. 

; avons des raisons de croire que, dans la 

fortune, Rutebeuf n'était pas avare de ses 

I. S'il eut beaucoup de créanciers, nous lui 

<sons au moins un débiteur, du nom de 



VIE DE RUTEBEUF. 31 

Brichemer, aussi mauvais payeur que lui-même, et 
pour cause. Il en plaisante finement dans une de ses 
plus charmantes pièces, le dit de Brichemer : 

Rimer me faut de Brichemer, 
Qui de moi se joue à la briebe. 
Quant à moi, je le dois aimer, 
Ne le trouve avare ni cbicbe. 
Nul n'est si grand jusqu'outre mer, 
Car de promesse m'a fait ricbe : 
Du froment qu'il fera semer 
Me fera, cet an, bonne miche. 

Brichemer est de belle affaire. 
N'est pas homme plein de désordre : 
Dous et courtois et débonnaire 
Le trouve- t-on et de grand soin. 
Je n'en puis tirer que promesse, 
Je n'y vois pas d'autre ressource : 
La même attente il me faut faire 
Que les Bretons font de leur roi l. 

Haï Brichemer, beau très dous sire, 
Payé m'avez courtoisement, 
Car votre bourse n'en est pire, 
Chacun le voit ouvertement. 

« 

Mais une chose vous veus dire, 
Qui n'est pas de grand coûtement : 
Faites votre promesse écrire, 
Et mettre en votre testament. 

Les causes de la détresse habituelle de Rutebeuf 
sont faciles à déterminer, surtout lorsqu'on tient 



1. Arthur, roi de Grande-Bretagne, dirigea au vi* siècle la 
résistance des Bretons contre l'invasion anglo-saxonne. Il 
demeura très populaire parmi les Bretons, qui attendaient 
toujours son retour, et qui chantaient ses exploits. Il a dans 
les romans de la Table Ronde la même importance que Char- 
lemagne dans les Chansons de geste du cycle carolingien. 



32 RUÏEBEUF. 

compte des ressources insuffisantes et précaires de 
son métier de poète. La première de ces causes, et 
la plus honorable, paraît avoir été sa générosité 
lorsqu'il lui arrivait d'avoir la bourse pleine. Joi- 
gnez-y l'insouciance de son caractère, son amour de 
la bonne chère, dont il s'accuse, et qui devait être 
d'autant plus vif qu'il était plus rarement satisfait, 
enfin et par-dessus tout sa passion du jeu. Deux de 
ses pièces sont consacrées à la grièche, sorte de jeu 
de dés. Il commence le dit de la Grièche â! hiver par 
des lamentations sur son dénûment : 

Pauvre sens et pauvre mémoire 
M'a donné Dieu, le roi de gloire, 

Et pauvre rente.... 
Ainsi suis comme l'osier franc 
Ou comme l'oiseau sur la branche : 

L'été, je chante; 
L'hiver, je pleure et me lamente, 
Et me défeuille ainsi que l'arbre 

Au premier gel. 
En moi n'ai ni venin, ni fiel : 
Ne me reste rien sous le ciel. 

Tout va sa voie.... 
Les dés que les détiers ont faits 
M'ont de ma robe tout défait : 

Les dés m'occient, 
Les dés me guettent et épient, 
Les dés m'assaillent et défient. 

C'est mon malheur! 
Je n'en puis mais, si je m'effraie : 
Ne vois venir avril ni mai, 

Voici la glace. 

Il fait ensuite le portrait du joueur : « ... En été il 
ne cherche pas l'ombre, ni froide chambre, car nus 
lui sont souvent les membres ». 



\ 




VIE DE I 

Les mêmes idées reviennent dans l 

Vété : 

Me plains sept jours en la semaine, 
Et par raison! 

Les joueurs composent l'armée de la 

Sont tous CGUS de sa bande nus 

Et tous déobaus 
Et par les froids et por les chauds; 
iSiaie le plus grand sénéchal 



Un est en cotte, autre en chemise. 

Les joueurs se promettent de s'offrir des 
avec l'argent qu'ils auront gagné : 

Hais deus tournois, 



Aussi l)oivent-ils leur gain, et se reirouvi 
vres comme avant. Quand vient avril, on 
jouer de plus belle : 

Voici Ift joie. 
N> a si nu qui ne s'ébatte; 
Plus sont seigneurs que rais en mei 

Tout cet été. 
Trop ont en grand froidure été, 
Or leur a Dieu un temps prêté 

Où il fait cbaud, 
Et d'autre cbose ne leur chaul : 
Tous savent bien marcher déchaus. 



RUTEBEUF. 

clques exagérations sans doute, 
iience de Rutebeuf. .Nous avons 
lents qu'on peut trouver dans ses 
;onnaiasance de sa vie et de son 
détaillée de ses ceuvres permettra 
le politique et littéraire. 



BDTEBEUF. 



î à deux, réunissant en une même strophe deux 
ipes de trois vers. Chaque vers de quatre syl- 
s rime avec les octosyllabes qui suivent ; 



Si de Dieu j'ai mérita l'ire. 
De moi se peut jouer et rire, 

Car bien s'en venge, etc. 

:rait s'aiguise dans le petit vers, et comme ce 
est lié par le sens avec ceux qui précèdent et 
loins par la rime avec ceux qui suivent, il en 
Ite un enchaînement plein de grâce, qui permet 
iter ce qu'aurait de haché une série de couplets 
irtés, indépendants les uns des autres. 
3 vers le plus fréquent chez Rutebeuf est l'oeto- 
ibe. Il emploie souvent la strophe de douze 
syllabes sur deux rimes disposées comme suit : 
upposant que les deux rimes soient a et é, on 
d'abord deux vers en a et un vers en é, puis 
Te deux vers en a et un en é, ce qui constitue 
iremier groupe de six vers ; a, a, é, — a, a, é. 
lecond groupe sera disposé de même, mais on 
mencera par la rime en é : é, é, a, — é, d, a; il 
ra donc au milieu de la strophe trois rimes en é 
Liite, la dernière du premier groupe et les deux 
lières du second. Gomme exemple, voici une 
)he de la Repentance de Rutebeuf : 



VER SI 

Qui me donna sens et aayolR 
El me fit à aa forme tii*re? 
Encor me St bonté plus chère : 

Sens me donna de décevoiR 

Là d'où nul ne se peut ravoia 

Par prière ni por «voir: 

N'en ™i« nul qui revienne ^vrière. 

La même disposition de rimes est appliquée à des 
strophes de vers de six syllabes dans la prière du 
Miracle de Théophile. 

On trouve aussi la strophe de huit octosyllahes 
sur deux rimes croisées ; 

Ho! Brichemer, beau très dous sire, 

Payé m'uTci 

Car votre b 

Chacun le ti 

Mois une chose vous veua diVe. 

Qui n'est pas de grand ooùteHErvT : 

Faites votre promesse écrire, 

Et mettre en votre testnHENT. 

Les rimes féminines alternent dans cette pièce 
avec les masculines; mais c'est probablement un 
hasard, car d'ordinaire Rutebeuf ne recherche nul- 
lement cette alternance, qui n'a été érigée en règle 
qu'au xvi' siècle, et dont une jeune école poétique, 
celle des symbolistes, tente aujourd'hui de s'affran- 
chir. 

Dans la Chanson de Puuille, tous les couplets, 
qui sont de huit vers, offrent les deux mêmes rimes, 
réparties dans le même ordre : é, eut, é, eut, puis é. 



Cette répétition des mêmes rimes dans 
couplets est imitée de la versilication des 
■s. Voici deux strophes de la Chanson de 



Que nul ne soit d«sGapér«, 
Crians merci hardiemENT ; 
Car Dieu est plein de charité, 
Do pitié Jusqu'où jugcmENT. 



Un conle plein de durele : 

(c Venez, le» bons, à ma c 
Allez, mauvais, à danincn 



Clercs et prélat 


,qai 


rassemble 


Ont Taï 




rctl 


argEKT, 


L'ont-ils 


de leur 


loyal 


chete ' î 


Leur pé 


e l'oTa 


t-iloï*STÎ 


Anssitât 


qu'ils a 




passe, 


Tout l'uToir qa' 


Isont 




Comme 


ombre d'un i 


leus fosW, 


Ces dcu 


choses 


ont u 


n semblANT 



.rin s'emploie généralement au moyen 
* tiradea ou strophes monorimes. Rute- 
'en sert peu, en forme des strophes de 



■oi était comte d'Anjou et de Provence, 

e qu'il ne veut faire un Dieu de sa pniue, 
Dur l'flmc sauver met le corps en balonee. 

pièces qui ne sont pas divisées en stro- 



cketel [latin capitale), écrit aujourd'hui cheptel, 
;nifié n propriété, capital, avoir ». 



VERSIFICATION. 39 

phes, les vers riment deux par deux, sans croisement 
ni alternance : 

Les clercs de Paris la cité, 

Je dis de l'Université, 

Nomméement les artiens, 

Non les prudhommes anciens, 

Ont entrepris querelle ensemble ; 

Nul bien n'en viendra, ce me semble, etc. 

Tels sont les principaux rythmes qu'on peut- 
rencontrer dans Rutebeuf. Nous avons particulière- 
ment insisté sur la rime, parce que, dans nos tra- 
ductions rythmées, comme nous l'expliquons dans 
l'avant-propos, la rime est souvent sacrifiée. Les 
indications sur la versification propre à chaque 
genre seront données dans les chapitres qui leur 
sont consacrés. 



CHAPITRE IV 

PIÈCES LYRIQUES 



poésies de Rutebûuf portent le nom de 
a Chanson des ordres, la Chanson de 
Ihanson de Notre-Dame. 
m des ordres se compose de treize petits 
quatre vers suivis d'un refrain de deux 
ne disposition d'un heureux effet, les 
rs vers de chaque couplet riment en- 

quatrîème rime avec le dernier vers du 

Du monde Teus chontec 
Qui SG taisae enchanter; 
Tel Tcnt pourra Tenter 
Que plus n'ira ainsi. 



avenir, à propos des 
' les sentiuienls de 



PIECES LYRIQUES. 

Rutebeuf à l'cgard des papelards et des béguin 
Nous ne voulons que signaler ici l'allure vive 

intuelle de cette chanson, avec s 
dégagés et ses couplets alertes : 

Tant d'ordrea noua aïons! 
Ne sais qui les invente. 
Dieu les liime-t-il ? Non, 



z disent de bien, 
ois s'ils en ront rit 
leur donne du sien 



Aus frères Guilleniina 
Et aus Trères Hcrmins 

Les aimerai mardi. 

Papelards et Béguins 



La Chanson de Fouille est d'allure 
n'a pas de refrain. Elle a été comjwsé 
de la guerre entreprise par Charles 



■ royaume des Deux-Siciles. Ruteheuf 
demande aux clercs de contribuer aux frais de la 
guerre, et il gourmande la jeunesse qui hésite à s'en- 
rôler dans les troupes du roi Charles : 



JcuneE gens, qu'avei-vous pensé ? 

Quand venus serez en vieil fige? 
Qu'irez-vous â Dieu reprochant? 
De tout ce qu'il vous u donné, 
Cœur et [orce et vie et santé, 
Vous lui avez le ctenr Oté ; 
C'est ce qu'il veut tant Beulemcnt. 



à la Chanson de Notre-Dame, c'est un véri- 
tique, dont les couplets, au nombre de cinq, 
les mêmes rimes. Il n'y a guère à y relever 
ernier couplet, où est assez heureusement 
; une comparaison qui était populaire au 
ge, et que Rutebeuf lui-même a plui 



l'on voit le soleil, chaque jour, 

briser, tant y frappe et refrappe, 

La Vierge Miirie. 

Vierge Dieu porta. 
Vierge l'allaita. 



chanson pieuse, comme beaucoup d'autres 
lalogues du moyen Age, a probablement été 
e sur le modèle d'une chanson d'amour, à 



PIECES LYRIQUES. 

laquelle les deux premiers vers ont pu être empru 
tés textuellement : 



C'est le lieu commun favori des trouvères 
troubadours quand ils nous parlent de leui 
La sainte Vierge était la dame par excelle 
c'est sans aucune pensée irrévérencieuse 
appliquait aux chants composés en son lion 
rythme, la musique et parfois les paroles des 
profanes. 

Il faut rapprocher de la Chansim de Notre 
l'Ave Maria de Rutebeuf, le dit de Natre-Bar. 
dit des Propriétés de Notre-Dame, bien qu'au( 
ces pièces n'ait entièrement la forme lyrique 

h' Ave Maria de Rutebeuf débute par une 
duction satirique. Le poète fait ensuite un « s 
la douce Dame » ; il prend les paroles de \'Avt 
et fait suivre chacune d'elles d'un commentai 
voici quelques fragments comme exemple : 



Domiaus, le Père sauveur, 
Fit de TOUS sa fille et sa mère, 
Tant TOU8 aima! 

1. La forme lyrique est csractériaée par la réj 
semblable des rimes masculines et fèminiiiea dans 
férentes strophes. C'est gi'Ace à cette répurtition ii 
que le m^me air peut s'up[>liqucr sans aucun cbang 
tous les couplets. 



44 RUTEBEUF. 

Vous appela dame des anges.... 
Tecuniy par sa digue piété, 

Veut toujours être, 
Là-haut en la gloire céleste ; 
Faites qu'aussi puissions y être 

A son côté!... 



Plus intéressant est le dit des Propriétés de 
Notre-Dame, encore appelé le dit des Neuf Joies de 
Notre-Dame. On donnait le nom de dits à des 
poésies de genres très variés, généralement descrip- 
tives. Celui dont on vient de lire le double titre est 
une longue pièce de vingt-six strophes. Le poète 
n'aborde les joies de Notre-Dame que tout à fait à la 
fin, dans les six dernières strophes : sa première 
joie fut la conception du Créateur, sa neuvième 
l'Assomption. Tout le reste de la pièce est occupé 
par de véritables litanies, où sont exaltées les pro^ 
priéfés, les qualités mystiques de la Vierge : 

reine de pitié, Marie, 
En qui déité pure et claire 
A mortalité se marie, 
Tu es et vierge et fille et mère. 
Vierge enfantas le fruit de vie, 
Fille ton fils, mère ton père ; 
Moult as de noms en prophétie, 
Et n'y a nom qui n'ait mystère. 

Tu es sœur, épouse et amie 
Du Roi qui fut, sera toujours; 
Tu es vierge, sèche et fleurie, 
Dous remède de mort amèrc ; 
Tu es Esther qui s'humilie, 
Tu es Judith qui bien se parc : 
Aman en pert sa seigneurie, 
Et Holopherne est châtié.... 



PIECES LYRIQUES. 45 

Dame, c'est toi qu'on doit prier 

En tempête et en grand orage : 

Tu es étoile de la mer, 

Tu es ancre, nef et rivage, 

C'est toi qu'on doit servir, aimer. 

Tu es fleur de l'humain lignage. 

Tu es la colombe sans tache. 

Qui porte aus captifs leur message!... 

Tu es château, roche hautaine 
Qui ne craint assaut ni surprise. 
Tu es le puits et la fontaine 
Dont notre vie est soutenue. 
Et l'haleine des cieus par qui 
*Verdure est en terre épandue. 
Aube qui le jour nous amène, 
Tourterelle aus amours fidèles.... 

Tu as des vertus les prémisses. 
C'est ton droit, c'est ta propre rente. 
Tu es et l'aigle et le phénix 
Qui du soleil reprent jeunesse. 
Chambre de fleurs et champ d'épices. 
Baume, cannelle, encens et menthe. 
Notre paradis de délices. 
Notre espérance, notre attente!... 

Le trouvère n'était pas toujours aussi heureuse- 
ment inspiré dans ses chants pieux. Le dit de Notre- 
Dame est très faible : le poète va chanter la glorieuse 
Dame, il ne peut s'en taire; mais on pourrait plus 
tôt épuiser un puits que raconter combien elle est 
débonnaire. Il ne sait par où commencer, il est 
besogneux par trop d'abondance. Il imagine alors 
la prière que la bonne Vierge adresse à son fils en 
faveur des humains, lui rappelant tout ce qu'il a 
déjà fait pour eux par sa vie et sa mort, et lui 
demandant de ne pas les abandonner. Conclusion : 
dévotion à Notre-Dame. / 




46 RUTEBEUF. 

Rutebeuf n'a écrit aucune chanson d'amour, et on 
a pu s'en étonner. Mais l'amour était au moyen 
âge un sentiment de luxe, inaccessible aux pauvres 
hères. Les femmes que Rutebeuf connaissait n'étaient 
sûrement pas de nature à lui inspirer ce sentiment 
raffiné — je ne dis pas platonique — que les trou- 
vères grands seigneurs ont chanté, après les trou- 
badours. 

En dehors des chansons satiriques et des chants 
pieux, on ne trouve à ranger parmi fes œuvres 
lyriques de Rutebeuf que les complaintes composées 
à l'occasion de la mort de plusieurs grands person- 
nages. Encore deux d'entre elles ne sont-elles pas 
même divisées en strophes; mais le ton est généra- 
lement lyrique. Le mot « complainte » désignait 
non pas comme aujourd'hui des chansons très vul- 
gaires ayant un caractère narratif, mais des poésies 
d'une inspiration souvent fort élevée. 

Rutebeuf attribue naturellement toutes les qua- 
lités à chacun des personnages dont il déplore la 
mort, et il le fait chaque fois à peu près dans les 
mêmes termes, ce qui donne à ses complaintes une 
certaine monotonie. Toutefois, on y rencontre aussi 
des allusions précises, qui les sauvent de la bana- 
lité et ajoutent à leur valeur littéraire un intérêt 
historique. 

Si les portraits que l'on trouve dans les com- 
plaintes de Rutebeuf se ramènent tous à un type à 
peu près uniforme, il faut en accuser plutôt son 
temps que lui-même. C'est ainsi que dans les chan- 



PIECES LYRIQUES. 47 

sons d'amour il semble que tous les poètes aient 
chanté la même maîtresse. Par là ils évitaient de 
compromettre leur « dame » et se conformaient à la 
. loi de discrétion imposée par la poétique du genre ; 
mais ils auraient été probablement fort empêchés de 
procéder autrement. Dans la littérature entière du 
moyen âge on remarque cette impuissance d'indi- 
vidualiser qui se manifeste aussi dans les œuvres 
d'art : toutes les descriptions et toutes les peintures 
de la nature se ressemblent, tous les personnages 
ont pour ainsi dire même visage. A travers les qua- 
lités particulières on ne voit qu'un type général, qui 
varie seulement d'après l'âge et par grandes caté- 
gories de personnes : tous les traîtres des Chansons 
de geste sont des Ganelons, tous les bons cheva- 
liers sont des Rolands. La distinction établie entre 
Roland et Olivier est un trait exceptionnel dans 
notre vieille poésie ; encore tient-elle tout entière 
dans ce vers : 

Roland est preus, mais Olivier est sage. 

C'est dans les chroniques que la préoccupation 
de l'exactitude conduit insensiblement à une vue et à 
une peinture plus précise des formes individuelles, 
physiques ou morales, et les ébauches de Joinville 
font pressentir les portraits de Comines. 

Des quatre grands seigneurs pleures par Rute- 
beuf, le moins connu est Anceau de l'Isle-Adam, 
l'un des ancêtres du fameux grand maître de Rhodes, 



48 RUTEBEUF. 

Villiers de l'Isle-Adam. S'agit-il d'Anceau IV, qui 
mourut en 1285 en Aragon, où il avait accompagné 
Philippe le Hardi, ou bien de son père Anceau III? 
Les commentateurs hésitent. Rutebeuf ne nous 
apprend guère qu'une chose sur le compte de son 
héros, c'est qu'il aimait la chasse. La complainte est 
médiocre, pleine de jeux de mots insipides et obscurs. 
Nous n'y relèverons que quelques vers où le poète 
reproche à la Fortune son inconstance : 

Un homme est vite sur la roue, 
Chacun le sert, chacun l'honore, 
Chacun l'aime, chacun l'entoure. 
Mais elle tourne en bien peu d'heure ; 
Les servis tombent en la boue, 
Et les servants lui courent sus. 

Le comte Eudes de Nevers était parti en 1265 pour 
la Terre Sainte, en compagnie d'Erard de Valéry. 
Deux ans après, il y mourait, et son cœur était 
rapporté à Gîteaux. Il laissait pour lui succéder dans 
le comté de Nevers son gendre le prince Jean, fils de 
saint Louis. 

Ha! comte Jean, beau très dous sire, 
De vous puisse-t-on dire un jour 
Tout le bien qu'on dit du comte Eudes ! 

Rutebeuf fait un ^rand éloge d'Eudes : 

Meilleur que lui ne pourra naître, 
Mon escient, de corps de femme.... 

Le cœur du comte est à Cîteaux, 
Son âme là-haut en saints cieus, 
Et son corps repose outre mer, 
Voilà partage bon et beau ! 



V 



PIECES LYRIQUES. 49 

Y a là trois joyaus de pris, 
Que tous les bons doivent aimer. 
Dans les cieus il fait bon semer : 
N'y faut pas la terre fumer, 
Nul oiseau n'y mange lé grain.... 

Messire Erard, Dieu vous maintienne 
Et en bonne vie vous tienne ! 
Il en est bien besoin là-bas!... 

Rutebeuf exhorte le roi et les seigneurs à partir 
au secours de Saint-Jean-d'Acre, maintenant qu'elle 
est « dégarnie » de la bannière redoutée du comte 
Eudes. 

Quatre ans après, en 1271, la mort frappait 
encore, entre autres personnages considérables, le 
roi de Navarre et le comte de Poitiers, et Rutebeuf 
écrivait deux nouvelles complaintes. 

Thibaut V, comte de Champagne et de Brie et roi 
de Navapre, fils du célèbre trouvère Thibaut IV, était 
mort à trente et un ans en Sicile, à son retour de la 
croisade de Tunis, laissant ses possessions à soa 
frère Henri. Issu du troisième mariage de Thibaut IV, 
Thibaut V avait, par le fait même de sa naissance, 
encouru la haine de son oncle et de sa tante, le duc 
et la duchesse de Bretagne, qui comptaient hériter du 
royaume de Navarre. D'après la pièce de Rutebeuf, 
on peut conjecturer que cette haine s'était manifestée 
par des calomnies : avant la croisade de Tunis, le 
jeune roi de Navarre n'avait pas eu l'occasion de 
montrer ses vertus guerrières, on l'accusait de n'en 
point avoir. Rutebeuf répond à ces attaques en invo- 
quant le témoignage d'Erard de Valéry, qui fut 

4 



HU TE BEI) F. 



létable de Ghaïupagne; Erard avait accompagné 
>i de Navarre à Tunis et l'avait sans doute initié 



Le poète insiste d'abord sur celte idée, que le 
jeune roi est mort avant le temps : 



homme qui aroU sur Sei 
r Marne maintes maisons 


• 


homme n'atteignit ai haut 
(ùt Tenu, ne fût la mort 

avant le temps l'a saisi, 
le roi Thibaut de Novarr 




en deuil son royaum 


et son 



Quand il succéda à son père, il eut a 

il n'avait oncle ni tante qui le cœur n'eilt plein de 

colère. Mort déloyale , qui n'entends rien , si tu 

moins désolé. Mais tu l'as tué en sa venue. -Le poète 
ne peut se taire quand il se souvient des exploits 

du prince devant Tunis : 



11 ne prenait pas garde à la dépei 



Il faisait tremper la soupe deux fois par jour pour 
nourrir ses familiers. Sur le champ de bataille, son 
exemple inspirait à tous la hardiesse : 
Qui l'avait en Champagne va. 



PIÈCES LYRIQUES. 

Quand on est en paix dans son pays, i 
pour fou si on se battait contre les mi 
dit Rutebeuf, je veux abattre calomnie, 
dit. Quand il faisait le guet, chacun étai 

Car son guet valait bien un mur... 

Roî Henri, frère du boa roi, 
Dieu mette en Tous si bon couragï 
Qu'cnt le roi Thibaut TOtre frère I 
Déjà vous eûtes si bon père!... 

La complainte du comte de Poitiers e: 
temps que celle du roi de Navarre. Saint 
donné en 1241 k son frère Alphonse 1 
Poitiers, enlevé aux Anglais ; peu d'an 
Alphonse, marié avec l'héritière du cou 
louse, avait joint ce comté à celui de Poi 
avoir accompagné le roi dans ses deus t 
comte de Poitiers et de Toulouse moun 
au retour de la seconde, laissant ses p( 
son neveu, le nouveau roi Philippe le Hî 

Rutebeuf vante les sentiments religieu 
et nous apprend qu'au serment habituel ; 
Marie ! » il avait substitué, par scru 
curieuse variante : « Par sainte Garie ! 
gesses d'Alphonse de Poitiers étaiei 
au XIII' siècle, le poète en avait eu 
témoigne sa reconnaissance. Les éloges 
libéralité du comte ne sont donc pas i 
ments de commande. Pour achever de 
vaincre, il suffit de relire ce récit de Joinv 



S2 BUTKBEtF. 

dant le séjour du roi à Saint-Jean-d' Acre , les 
frères du roi s'étaient mis à jouer aus dés, et le 
comte de Poitiers jouait si courtoisement que, lors- 
qu'il avait gagné, il faisait ouvrir la porte de la 
salle et faisait appeler les gentilshommes et les 
gentillesfemmes, s'il s'en trouvait là, et il donnait 
à poignées aussi bien ses deniers que ceus qu'il 
avait gagnés. Et quand il avait perdu, il achetait par 
estimation les deniers de ceus avec qui il avait joué, 
et il donnait tout. » 

La complainte du comte de Poitiers est composée 
avec un soin particulier. Rutebeuf commence par 
faire le |>ortrait du parfait chrétien : Celui qui 
aime Dieu et le sert et le redoute, volontiers écoute 
sa parole, ne craint ni maladie ni mort. La tentation 
lui semble un souffle, car il a bon ëcu contre elle, 
c'est le côté de son créateur : 

De son cAté il fait son heaume, 



11 fait le sacrifice de sa vie, abandonne père et 
mère, femme et enfants, laisse sa terre, et combat 
pour Dieu jusqu'à la mort. Alors il reçoit le pris de 
son service, car Dieu et lui sont quitte à quitte. 

Ainsi fut le comte de Poitiers. Jamais on ne le 
vit si irrité qu'il lui sortit de la bouche autre chose 
que de bons enseignements. Son plus grand ser- 
ment était ; " Par sainte Garie! » Il fut, tant qu'il 
■vécut, miroir de chevalerie. Seigneur Dicul où pre- 



RUTEBEUP. 

l'ont-ils), ni plus grand. 



■nier trait serait une flatterie un peu lourde 
issait de tout autre personnage. Appli- 
iin prince aussi pieux et aussi charitable 
inse de Poitiers, l'idée est au contraire 
et touchante. 

itres pièces de Hutebeuf qui portent le titre 
plaintes » déplorent non la mort d'un grand 
ige, mais un malheur public ou privé, tel 
?rte de Constantinople, l'exil de Guillaume 
Amour, les scandales de l'Église, etc. Ces 
tes, où la satire domine, figureront à leur 
ta le chapitre suivant. 



CHAPITRE V 

PIÈCES SATIRIQUES 

Nous avons déjà signalé deux chai 
de Rutebeuf, et nous parlerons p 
fableaux, où la satire joue un n'ile 
examinera ici celles de ses poésies f 
sont ni des chansons, ni des contcf 
dent le mieux, pour le fond, à ce qu 
d'appeler so((>e, au sens classique di 
en est très variée ; on y trouve tou 
mètres et de strophes. Ce n'est plus 
uniforme des œuvres classiques. 

Rutebeuf aborde toutes les grandi 
ont agité la société de son temps, 1. 
des ordres religieux, les querelles di 
des ordres mendiants, l'Eglise et le 
sades, la guerre de Fouille. Ses s< 
vivre avec lui en plein xiii° siècle ; > 
l'histoire une lumière nouvelle en 
l'impression très vibrante d'un ron 



RUTEBEUF. 

Les ordres religieux. 

ni quel pieux respect saint Louis professait 
i ordres religieux, et quel soin il mettait à les 
>rès de lui dans sa capitale. 11 y installa suc- 
nent les Carmes, les Béguines, les Frères 
îu Sachers, dont l'ordre n'eut qu'une durée 
re et survécut peu au roi qui le soutenait; H 
1 communauté des Quinze- Vingts, celle des 

l'Hôtel-Dieu qu'on appelait les Filles-Dieu 
re les Filles du roi. 

même, dit Joinville, que le scribe qui a fmi 
e l'enlumine d'or et d'azur, le roi enlumina 
aume de belles abbayes qu'il y fit, et d'une 

quantité d'IiAtels-Dieu et de maisons de 
irs, de Cordeliers et autres reiigieus. n 
ilarmes étaient aussi nommés les Barrés, à 
c leur costume coupé de bandes ou barres 
rsales. Us demeuraient tout près des Béguines, 
région qui s'est appelée plus tard le quartier 
t-Maria. Les Béguines et les Filles-Vieu ne 
;aient pas de vœux perpétuels ; elles pouvaient 
l'ordre au bout d'un temps déterminé, comme 
jours encore les béguines de Gand. Il y avait 
^s Béguines et des Béguins qui vivaient dans 
le en suivant certaines règles, Paris possé- 
nutre les Cordeliers ou frères Mineurs, por- 
- leur robe grise le cordon à trois nœuds de 
rançois, les frères Prêcheurs ou Domlni- 
u encore Jacobins (leur couvent était rue 



SATIRES. LES ORDRES RELIGIEUX. G7 

Saint-Jacques), qui allaient sans chemise, portant 
directement sur la peau la robe de laine ou lange, 
les Trînitaires, voués à la rédemption des ca| 
qui, de par leur règle, ne pouvaient chevauclit 
âne, les chanoines réguliers du Val des Écolie 
Chartreux, qui, établis d'abord à Gentilly, i 
obtenu en 1258 de s'installer à Paris dans l'hi 
Vauvert, les Hennins ou hermites de Saini-^ 
lin, les Guilleniins ou Guillemites, qui se 
chaient aussi à l'ordre de Saint- Augustin. 

Nous les voyons tous défiler dans la satiri 
tulée les Ordres de Paris et dans la Cliaiis 
ordres. Rutebeuf se plaint qu'il ne suffise plus 
prud'homme (honnête homme) pour être cons 
il faut être alîdié à quelque béguinage; les Be 
et par là il entend les religieux en général, doi 
le monde. C'est particulièrement aux Jacobin 
en a; il ne leur pardonne pas la guerre faite à 
versilé de Paris, dans laquelle ils ont su mei 
leur cflté le pape et le roi, Les adversaires des 
mendiants n'ont réussi qu'à faire condamner I 
gile éternel, œuvre d'un Gordelier, oii l'inst 
des nouveaux ordres était présentée comme 1 
sième et définitive phase de l'évolution reli 
du monde, comme le règne du Saint-Espr 



1. Les ordrea mendiants ne fnieaicnt que s'applique 
mimes cette idée du règne du Saint-Esprit, formulé 
em, notamment par les Albigeois, et qtii repose sui 
calypse. Le titre complet de l'ouvroge est Introdi 
VËnangiU éternel. L'auteur est Gérard de San Donntn 



SS RUTEBEtP. 

première phase, règne du Père et des laïques, étant 
caractérisée par l'Ancien Testament, et la seconde, 
rptrnp dn Fils et du clergé séculier, par l'Evangile 

ViansoH des ordres, Ruiebeuf reproche 
Hineurs d'avoir, comme les Prêcheurs, 
ichesses. Qui n'obéit à ces deux ordres 
[lérétiquc, si honnête homme qu'il soit, 
coche aussi quelques traits aux Trini- 
Barrés, aux Sachcrs, aux Filles-Dieu, 
es : « Cous de la Trinité ont grand 
Is ont transformé les ânes en roussins. 
Barrés sont gras et carrés. Les frères 
scmhlent à un vacher qui sort de son 
roi a sept-vingts filles ou plus : jamais 
jc n'en engendra autant. Nous avons 
; Béguines, qui ont de larges rohes : 
■obe font ce que pas ne vous dis. n II 
in couplet consacré aux Quinze- Vingts, 
B non-voyants », comme dit Rutebeuf, 
:gne une obscurité, |>eut-être voulue, 
lents du poète se donnent plus libre car- 
. satire des Ordres de Paris. 
e Dieu triple et un, Rutebeuf commence 
; son coîur lui dicte. 



:r par quoi i 



i ORDRES RELIGIEUX. 



Car pur autorilés divines. 
Par exemples et par doctrines 
Que les una aua autres apportent. 
Ne peuvent prendre nul détour •.... 

Léger est l'ordre des Béguines, 

L'on en sort bien pour mari prendre; 
D'autre part, qui baisse la ti>te 
Et a robe large et plénière, 
Devient Béguine sans le cloitrc. 
Et ne leur peut-on pas défendre 
Qu'elles n'aient de la chair tendre.... 
Si pour cela Dieu leur donnait 
Le bonheur qui ne prendra fin, 
Saint Laurent l'acheta trop cher. 



Et de biens ils ont grande somme. 
Celui qui meurt et ne les nomme 
Ses eiécuteurs, pert son &me. 
Ils sont apôtres par parole ; 
Bien profitèrent de Técolc. 

Car leur haine n'est pas légère. 
Pour moi, qui crains ma tète foltc, 
Plus ne dis qu'un mot : ils sont hommes. 

Si les Cordeliers peuvent gagner Dieu avec leur 
corde, ils furent bien inspirés de la prendre. [Vien- 
nent ici des plaisanteries et de mauvais jeux de 



1. Rulebeuf dira aillei 


ira. 


dans la VU c 


Béguines et 


les Béguins 


mil 


lent très boni 




.ttre glouton 




;c bon vin, ni 


ni chat avec 


le lard ». 







Plus que deus gêna contre deoB mille ; 
C'est grand douleur et grand dommage. 

La pièce se termine par une strophe assez obscure 
sur les Guiltemlns. 

Rutebeuf, on le voit, s'en prend directement au 
roi, et le rend responsable de l'autorité croissante 
des ordres religieux. Cependant Joinville nous 
raconte que lorsque saint Louis « était en joie n, il 
aimait à entendre démontrer que « prud'homme vaut 
mieus que béguin o, ce qui est la thèse même de 
Rutebeuf. Le poêle va jusqu'à insinuer qu'en faisant 
ses fondations pieuses, saint Louis cède à un besoin 
d'agitation plus qu'à un zèle bien entendu pour la 
religion ; u Si le feu prenait aus Quinze- Vingts, le 
roi aurait plus à refaire! » Le nom du roi revient 
encore, spirituellement amené, à la fin du dil des 
Béguines, écrit en jolis vers de sept syllabes : 

En quoi que Béguine die, 
N'entendez tous rien que bien. 
Tout est de religion 

Sa parole est prophétie. 
Elle rit? C'est compagnie. 
El plenre } Dévotion. 
Elle dort P Elle est ravie. 



s ORDRES RELIGIEUX. 63 

Elle cat Marthe et puis Marie; 
El 3« garde ou s« marie. 
Mais n'en dites point de mal, 
Le roi ne le souffrirait. 

Dans une pièce de satire générale, la Vie du 
monde, Ruteheuf nous dit qu'il chercherait volon- 
tiers un ordre religieux pour y sauver son âme; 
mais la plupart n'ont de l'orilre que l'habit et le 
nom. On y viole tous les vœux. 



Chanoines réguliers mènent très 


bonne vie, 


Chacun a son hùtel et sa maiso 




11 y en a de tels qui ont grand a 


eigneurie, 


Qui font peu pour «mis, cl beau 


coup pour amie. 


En l'ordre des chanoines dits de 


Saint-Aug'ustin 


Ils -vivent grassement, sans tum 


Lilte et sana bruit. 


Qu'il leur souvienne donc, le so 


r et le matin, 


Que la chair bien nourrie porte 


à l'Ame venin. 



L'ordre des Moines noirs, l'ordre de Saint-Benoit 
tt qu'on dit le Mal-tourné », ne pense plus à Dieu. 
L'ordre de Citeaux est sage et bien croyant, 

Mais trop iU me déplaisent quand ils se Font marchands. 
Et de charité faire deviennent oablleus. 

Ceux de Prémontré se laissent décevoir par 
Orgueil et Convoitise : 

Ils sont par dehors blancs, et par dedans sont noirs. 
Les Barrés, les Sachera, les frères de la Pie ', 
Gomment trouveront-ila en ce eièclc leur vie? 
Ils sont trop tard venus, c'est l'heure de complies : 
Le pain est tout donné, il n'y faut plua compter. 

1. Ordre de chanoines réguliers établi par saint Louis en 



èlerincs aus saintes et aas saints. 
1 sait gré, je n'en sais pas certain ; 
, sages, elles iraient bien moins. 
inains s'en vont par le pa^s s'ébattre, 
is, les autres à Montmartre, 
art deuB, qu'on en ramène quatre,... 

Ile Jubinal, on répéterait encore à 
dicton : « C'est l'abbaye de Mont- 
va deus, on revient quatre. « 
ss vices contre les vertus, ou le dit de 
st spécialement dirigée contre les 
:s. Cette pièce est ironique d'un bout 
d'ailleurs ce qu'annonce le second 
i Mensonge b. 

ccorde à dire que h Qui est oiseus 
t », Rutcbeuf va travailler, comme il 
it-à-dire rimer, 

litre ouvrage ne sais faire. 

e deux ordres saints, élus de Dieu, 
u les vices et exalté les vertus. Humi- 
;ueil, Largesse a triomphé d'Avarice, 
l'Ire, Charité d'Envie, Abstinence 
Chasteté de Luxure. Il n'y a pas 
que ces deux saints ordres vinrent : 



s ORDRES RELICIEUX. 

Vinrent ces gaintCB gens sur terre, 

Qunnd ils vinrent premièrement, 
Ils vinrent assez humblement. 
Du pain quêtèrent, c'est la rèj^le, 
Pour Ûter les péchés du siècle. 
Quand ils vinrent cbei pauvre prêtre, 
Tel bien qu'il eut, c'est vérité, 
Prirent en bonne patience. 
Au nom de sainte Pénitence. 



Des rois, des prélats . 

Humililé chnsse l'Org 

C'est bien le droit et la raison 

Que si grand dame ait grands muisa 

Et benus palais et belles snllcs. 

Malgré tant de mauvaises langues. 

Celle avant tout de Rutebeuf, 

De les bliîmer si eoiilumier.... 

Pour miens Humilité défendre 
Contre les attaques d'Orgueil, 
Ont fondé deus palais les frères.... 
Or parlent quelques médisants. 
Qui par le pays vont disant 
Que si Dieu avait pris le roi, 
Par qui Ils ont honneur et pris, 
Honlt serait la chose changée. 
Et leur seigneurie éloignée; 
Et tel qui leur fait bonne mine 
Pou songerait ii leur amour. 
Et tel leur fait semblant d'amour 
Qui par crainte le fait ainsi. 
Et je répon» à leurs paroles . 
Et les dis vaincs et frivoles. 
Si le roi leur fait son nnmûne 
Et s'il leur donne de ses biens. 
El qu'ils en prennent, ils font bien, 
Car ils no savent pas combien 



HCTEBEUF. 



juel temps cela peut durer.... 
»n prenne le bien quand on peal, 
on ne le prenl quand on Tcul. 



bIIc ne eraïnt homme ni femme; 
es Frères, qui la maintiennent, 
1 le royaume 



Is ont peur de leurs enquêtes, et leur 
;. Aussi font-ils tenir pour prud'homme 
t pas la loi de Rome; ils transforment 
en liomme généreux, 
ans le dit de la Mensonge, il s'agisse 
ieux ordres mendiants, ce sont avant 
ns que vise Rutebeuf. 11 avait jtlus de 
>ur les Cordeliers ou frères Mineurs. 
scure, le dit des Cordeliers, semble 
! apologie de cet ordre à propos d'un 
souvent de Cordeliers vient de soute- 
i servante qui cloche la cloche du clo- 
où interviennent le |tàpe, l'évèque et 
■, né à Reirns, Les Cordeliers ont été 
installer ailleurs. Dans cette pièce, 
igue sur la signification du mot Menor 



LES ORDRES RELIGIEUX. 



(frère mineur) d'après le sens qu'on peut atl 
chaque lettre. On trouve des plaisanleries 

goût: 



Les Jacobins sont seuls pris à partie da 
des Jacobins et dans le Pharisien. La premit 

est d'un rythme grave, et s'élève parfois 
l'éloquence : 

Ils étaient par dehors et purs et nela et moadei 
Longtemps ils ont été comme les eau9 praFondc 
Qui sans courir jumais tournoyent ù la ronde. 

Avec un peu de chaume ou do paille grossière. 
Le nom de Dieu prêchaient nus puuTres sans i 
Maintenant n'ont que Taire de gens qui yont à j 

Tant iU ont en d'argent de clercs et de laïques 
Et d'eiécQlions, d'aum6nes et de legs, 
Que des basses maisons ont fait si grands pala 
Qu'un homme lance au poing y rcraït un galop 



De tels gens ne ront pas dans le st 
Car Dieu ne veut avoir tonneaiis su 
Ni deniers l'un sur l'autre, ni blés, 
Et ce sont des banquiers que les fr 


mtier de Die 
r son chanti 
ni pains en 
ères du jour. 


Honni soit qui croira jamais pour i 
Que dessous simple habit méchanc 
Car lel v*t rode robe, où félon cœu 


■ien au moni 
■été ne loge; 
r repose; 



1. Il nous est difficile de nous associer ù ce rep 
Rutebeuf, qui revient si souvent dans ses satires ; 
goût des ordres religieux pour les ■ grands palais • 
devons ces beaux cloiU'cs du moyen ûgc qui foi 



68 RUTEBEUF. 

Dans le Pharisien ou Hypocrisie^ les Jacobins ne 
sont pas nommés, mais ils sont désignés fort claire- 
ment. 

Rutebeuf veut protester contre Hypocrisie, cou- 
sine germaine d'Hérésie. Elle qui avait Thabitude 
de coucher dans la vermine, on la prise et on Tho- 
nore; nul n'est bien vu et honoré qui ne la flatte. 
Elle a fait crier merci à tous ses adversaires : 



Je vous veus dire sa façon, 

Qui sont ses seigneurs et ses maîtres 

Parmi la ville.... 
Grands robes ont de simple laine 
Et ils ont de simples manières ; 
Simplement chacun se comporte, ♦ 

Couleur ont simple et pâle et vaine, 

Simple visage, 
Et sont cruels, félons et traîtres 
Vers ceus à qui ils ont affaire, 

Plus que lions 
Ni léopards, ni scorpions.... 

Ils nous trompent et trahissent Dieu. S'il était sur 
terre, ils le tueraient. 

Autrement ils font qu'ils ne disent : 

Prenez-y garde. 
Hypocrisie la renarde, 
Qui dehors oint et dedans larde, 

Vint au royaume : 
Tôt eut trouvé frère Guillaume, 
Frère Robert et frère Alleaume, 

Frère Jofroi, 
Frère Lambert, frère Lanfroi...à 
Tel qui, croit-on, se frotte au lange, 
Autre chose a sous la courroie, 

A mon avis. 




•f"' 



SATIRES. LES ORDRES RELIGIEUX. 69 

N'est pas tout or ce qui reluit. 
Hypocrisie est en renom; 

Tant elle a fait, 
Tant OBt les siens bien traTaillé 
Que par la fraude ils ont conquis 

Grand part du monde.... * 

C'est par de telles gens que TAntéchrist viendra. 

On voit que le personnage allégorique qui porte 
dans le titre le nom de Pharisien^ change de sexe et 
devient Hypocrisie dans la pièce. Ce personnage ne 
diffère pas du Faux-Semblant introduit par Jean de 
Meung dans le Roman de la Rose. L'un et l'autre 
sont la personnification de l'hypocrisie qui se couvre 
du manteau de la religion, ce sont les ancêtres du 
Tartufe de Molière. Mais l'un et l'autre, dans l'esprit 
de nos trouvères, appartenaient à l'ordre de Saint- 
Dominique, a Je suis, dit Faux-Semblant, des valets 
de l'Antéchrist, 

Je suis des valets d'Antéchrist, 
Des larrons dont il est écrit 
Qu'ils ont habits de sainteté 
Et virent en telle feintise : 
Dehors semblons agneaus plaintifs, 
Dedans sommes loups ravisseurs. 

En somme, le principal reproche que l'on adresse 
aux Jacobins est le reproche d'hypocrisie : ils affec- 
tent, dit-on, d'avoir la robe de laine (le lange) sur la 
peau, mais plus d'un porte chemise * ; ils flattent par 

1. La chemise était encore un objet de luxe. On a pu dire 
que Fusage universel de cette pièce du costume est l'événe- 
ment le plus considérable du xivo siècle, par l'influence qu'il 
a eue sur la fabrication en grand du papier de chiffe, notre 
papier moderne. 



à 



RCTBBBtF. 

ant et frappent par derrière. Ajoutez l'amour des 
§ses, contraire à la lettre comme à l'esprit de 
règle, la passion de dominer, l'orgueil. Nous 
» qu'ils fournirent à TEglise beaucoup d'inqui- 
■s; dès cette époque, on les accuse de s'insi- 
dans les maisons, de chercher à surprendre les 
ts des familles. Mais leur grand crime, aux 
de Rutebeuf et de ses amis, celui qui explique 
lence de toutes ces attaques, c'est leur hostilité 
; l'Université. 

• Jacobins reparaîtront dans les pièces relatives 
liversité, et aussi, avec les autres ordres, dans 
tires sur le Monde et l'Eglise. Un seul ordre 
s grâce devant Rutebeuf, c'est celui de Saiot- 
r : Nul, dit-il dans le poème allégorique inti- 
oyage du paradis, naine tient la voie de charité 
té les moines de Saint- Victor. Jamais on ne vil 
)i sages; Ils ne font pas leur Dieu de leur panse, 
e les autres moines font, n 



'Jniversité de Paris. Le procès de Guillaume 

de Saint-Amour. 

ique fois que Rutebeuf dirige un trait de satire 
; les clercs en général, il prend soin d'excepter 
idiants. Sa prédilection pour eu?c n'avait point 
urs le caractère d'une tendresse aveugle, car 
gourmande, non sans vigueur, dans le dii de 
ersité de Paris. C'était à la suite d'une de ces 



SATIRES, l'université DE PARIS. 71 

querelles comme il s'en éleva plusieurs au xiii® siècle 
entre les écoliers. Déjà, en 1218, l'official de Paris 
avait dû sévir contre ceux « qui recouraient à la 
force des armes, blessaient et tuaient jour et nuit 
d'autres écoliers, enlevaient des femmes », etc. Les 
disputes provenaient souvent de la rivalité des 
nations^ entre lesquelles se répartissaient les écoliers, 
nation de France, de Picardie, de Normandie, d'An- 
gleterre. Celle de France, plus nombreuse que 
toutes les autres, demandait à être représentée par 
trois examinateurs au lieu d'un dans le jury de la 
maîtrise es arts, le doctorales lettres du moyen âge. 
Il est difficile de dire à laquelle de ces querelles se 
rapporte le dit de l'Unwersité de Paris. Rutebeuf y 
donne les plus sages conseils : pourquoi quitter son 
pays pour venir étudier à Paris, si on y perd la rai- 
son au lieu d'apprendre la sagesse? 11 parle avec 
émotion des pauvres parents qui se privent de tout 
pour envoyer leur fils à l'Université, et dont les 
économies servent à payer mille folies. 

Le fils d'un pauvre paysan 
Viendra à Paris pour apprendre. 
Tant que son père pourra prendre 
En un arpent ou deus de terre, 
Pour conquérir pris et honneur 
Baillera le tout à son fils ; 
Et lui, en reste ruiné. 
Quand il est à Paris venu 
Pour faire à quoi il est tenu 
Et pour mener honnête vie, 
Il retourne la prophétie. 
Gain de soc et de labourage 
Il nous convertit en armure, 




À 



BVTEBEUF. 
par chaque rue il regarde 



ne fait point bon lu aemer. 
ndant cartmc, oii l'on doîl faire 
ose qui à Dieu doive plaire, 

boivent lant que ils s'enlètent. 

u trois ou quatre qui font 
latrc cents écoliers se battre, 

chômer l'Université; 
:st-ee point là trop grand malhcnr 
tu! 11 nest point si bonne vie, 
land de bien faire enyic on a, 
ic celle de ange écolier : 

ont plus peine que collier, 
lis s'ils dôaircnl bien apprendre, 

ne peuvent pas s'appliquer 
demeurer longtemps & table, 
ur vie est ausai bien mettable 
le celle des religrieus. 
urquoi laisser sa région, 
1er en pays étranger, 

land on y doit sagesse apprendre? 
I pert son avoir et son temps 
l'on fait ù ses amis bonté, 
lia ils ne savent qu'est honneur! 



ne s'est pas borné à intervenir, par de 
ans les dissensions intestines qui divi- 
)liers, il a pris avec la plus vive énergie 
■ l'Université de Paris contre l'envaliis- 
lacobins. Celte grande querelle est un 
i rivalité entre les ordres mendiants et 
ulior. Car il ne faut pas oublier que les 
u moyen âge n'étaient pas des univer- 



SATIRES. L UNIVERSITE DE PARI 

sites laïques; c'est aux prêtres séculii 
réguliers disputaient ie privilège d'ensei 

De très bonne heure les ordres 
s'étaient écartés de l'esprit d'humilité 
ils avaient été créés, et ils y étaient ] 
leur succès même, dû sans doute à l'esp 
qu'ils représentaient, au caractère pi 
leur règle, à leur contact incessant, da 
errante, avec les différentes classes de 
On les rechercha comme confesseurs et 
dicateurs, et par là ils virent bientôt le' 
s'accroître dans des proportions consid 
en vinrent — du moins les frères Mine 
considérer comme des rénovateurs, inspii 
chargés de répandre un nouvel évangil 
définitif et éternel, et l'un d'eux eut la n 
de formuler cet évangile. C'était prêter 
attaques des prêtres séculiers, qui gu 
occasion de rétablir leur autorité comp 

Pendant ce temps, la lutte d'influen 
par la force des choses entre les deux 
continuait sans ré]iit dans la vie de chaq 
moine italien, fra Salimhene, de l'ordr 
Mineurs, nous a laissé dans sa Chronit 
geignements les plus curieux sur cette li 
la fois juge et partie, mais sa partialité Ii 
corrigée par un grand fonds de naïveté 
chise . Gomme il arrive dans toutes 
humaines, les questions d'intérêt se mèl; 
ment aux préoccupations plus élevées. 



74 RUTEBEUF. 

séculiers se plaignaient que les dîmes leur fussent 
mal payées parce que les fidèles préféraient remplir 
les paniers des frères mendiants. « Et cependant, 
disaient-ils, la dîme est d'institution divine, car Dieu 
a dit : Apportez la dime de chaque chose dans mon 
grenier. — Sans doute , riposte Salimbene , mais 
vous ne citez pas le texte complet, car il y a ensuite : 
pour que j'aie dans ma maison de quoi me nourrir. 
Or, non seulement vous avez de quoi vous nourrir; 
mais il y en a parmi vous qui possèdent plus de 
terres que vingt paires de bœufs ne pourraient en 
labourer. — Vous nous enlevez nos morts, disent 
les séculiers, et ainsi nos églises se trouvent dé- 
])ouillées de beaucoup de biens temporels. — 
Chacun a bien le droit de se faire enterrer par 
ceux qui lui plaisent », répond Salimbene, et il 
riposte plus vertement encore au reproche d'acca- 
parer la confession et la prédication : a C'est notre 
droit, droit reconnu par les papes sous certaines 
conditions que nous observons scrupuleusement. 
D'ailleurs vous êtes indignes de confesser et inca- 
pables de prêcher. Soyez plus instruits et plus élo- 
quents, et le peuple ne désertera pas vos chaires. » 
11 paraît que le peuple désertait aussi les messes 
des églises paroissiales, qui se trouvaient ainsi pri- 
vées des offrandes, et se portait en foule dans les 
couvents. On s'en plaignit à Innocent IV, qui, après 
avoir résisté, finit par décider que, les jours de fête, 
les frères Mineurs ne pourraient ouvrir leurs 
portes qu'après neuf heures. Innocent IV, raconte 



"\ 



SATIRES, l'université DE PARIS. 75 

Salirabene, fut bien puni de cet acte de faiblesse; 
car il mourut peu de temps ajirès, de même que le 
vice- chancelier qui avait été son conseiller en cette 
aBaire. Alexandre IV s'empressa de lever la prohi- 
bition de son prédécesseur. 

Salimbene nous dit encore quel devait être, à son 
avis, le piMedes deux ordres, D'après lui, les Mineurs 
étaient faits pour l'oraison et la contemplation, et 
les Dominicains pour l'étude des sciences séculières. 
Ce sont en effet les Dominicains que nous trouvons 
surtout en conilit avec le clergé enseignant de l'Uni- 
versité de Paris. 

A la faveur des troubles, causés par une échauf- 
fourée d'étudiants, qui agitèrent l'Université et 
interrora|iirent les cours au commencement du règne 
de saint Louis, les Dominicains obtinrent de l'évêquc 
(le Paris d'abord une première chaire de théologie, 
et bientôt une seconde, où ils donnèrent à l'origine 
des leçons privées, puis, malgré l'opposition du 
chancelier, des cours publics. Une fois installés dans 
l'Université, ils cherchèrent à s'y rendre indépen- 
dants; ils refusèrent de faire cause commune avec 
les autres maîtres et d'observer les statuts. Menacés 
d'exclusion, ils accusèrent leurs collègues séculiers 
de conspirer contre l'Kglise et le roi, et portèrent 
l'affaire devant le pape, qui devait leur donner 
raison. C'est à cette occasion que Rutebeuf rima la 
Discorde de C Université et des Jacobins : 

Rime 
Qu'à 



•• "*-;3B^- 



76 RUTEBEUF. 

Entre gens qui miséricorde 
Vont prêchant et honnête vie. 
De foi, de pais et de concorde 
Est leur langue toute remplie, 
Mais leur manière me rappelé 
Que dire et faire sont bien deus. 

Ils guerroient pour une école où ils veulent ensei- 
gner par force, et ils oublient ce qu'ils doivent à 
l'Université. 

Chacun d'eus devrait être ami 
De l'Université vraiment, 
Car l'Université a mis 
En eus tout le bon fondement. 
Livres, deniers et pain et gages. 
Maintenant le lui rendent mal. 
Car ceus-là détruit le Démon 
Qui plus l'ont servi longuement. 

Ils ont mis l'Université du trot au pas. Il y a des 
gens qu'on héberge et qui veulent chasser ensuite 
le maître du logis. 

Jacobins sont venus au monde 
Vêtus de robe blanche et noire. 
Toute bonté en eus abonde, 
Le peut quiconque voudra croire. 
Si par l'habit sont nets et purs, 
Vous savez, c'est vérité sûre, 
Si un loup avait chape ronde, 
Bien ressemblerait-il à prêtre. 

... Car si Renard ceint une corde 
Et revêt une cotte grise *, 
N'en est pas sa vie plus pure : 
Rose est bien sur épine assise. 

1. Ces vers s'appliquent aux Cordeliers. 



SATIRES. GUILLAUME DE SAINT-AMOUR. 77 

Ils peuvent être braves gens, dit en terminant 
Rutebeuf, je veux bien que chacun le croie. Mais le 
procès qu'ils font à Rome a l'Université est une 
raison de ne pas le croire. Et il résume ainsi son 
opinion sur les Jacobins : « Quelqu'objet qu'ils mis- 
sent en gage, je ne paîrais pas la pelure d'une 
pomme de leur dette ». 

Tout en luttant contre les maîtres séculiers pour 
se faire une place près d'eux, les ordres mendiants 
reconnaissaient ce qu'ils devaient à {'Université, 
bien que Rutebeuf leur reproche de l'oublier. Dans 
une réunion générale des professeurs et des étu- 
diants, le général des Gordeliers, Jean de Parme, 
avec une humilité sans doute un peu affectée, s'expri- 
mait en ces termes : « Vous êtes nos maîtres et nos 
seigneurs, c'est vous qui nous avez instruits, nous 
vous en rendons grâces et nous sommes prêts à 
témoigner notre reconnaissance par nos prières et 
nos prédications. Nous sommes vos fils et vos servi- 
teurs. Si nous avons quelque science, c'est de vous 
que nous la tenons. Je me soumets moi-même, et je 
soumets les frères qui sont sous mon autorité, à votre 
correction. Nous voici en vos mains, faites de nous 
ce qui vous paraît bon et juste. » Malheureusement 
il ne paraît pas que les actes des Jacobins aient 
répondu à ces paroles de conciliation. 

Le défenseur le plus hardi de l'Université fut l'un 
des professeurs séculiers, Guillaume de Saint-Amour. 
Il traite les frères mendiants aussi rudement que 
Rutebeuf, les qualifiant de pseudo-prédicateurs, hypo* 



78 RUTEBEUF. 

crites , inquisiteurs [domos pénétrantes) , oisifs et 
vagabonds. En chaire et dans ses écrits il combat 
l'institution même des nouveaux ordres ; il demande 
s'il est permis à un homme de donner tout ce qu'il 
possède de façon à ne rien garder pour soi et à être 
ensuite forcé de mendier, et si on doit faire l'aumône 
au mendiant valide, même lorsqu'il est pauvre. A 
ses yeux VÉi^angile éternel est impie , sacrilège et 
dangereux, et il écrit pour le prouver le livre des 
Périls des derniers temps. Gomme il est naturel, les 
ordres mendiants rendaient coup pour coup. Cette 
guerre dura sept ans, de 1250 à 1257. Le pape con- 
damna successivement les deux livres, à une année 
de distance. Mais l'impartialité n'était qu'apparente. 
Ce pape était Alexandre IV, celui-là même qui, au 
dire de Salimbene, redoutait la mort prématurée que 
Dieu avait infligée à son prédécesseur Innocent IV, 
pour n'avoir pas suffisamment protégé les Mendiants. 
Il ne lança pas moins de quarante bulles contre 
l'Université, et, tandis qu'il se bornait à réprouver 
la doctrine de Y Evangile éternel, il poursuivait avec 
acharnement l'auteur des Périls des derniers temps. 
Dans les attaques qui s'échangèrent pendant toute 
cette période, il faut faire la part des exagérations 
qu'une lutte aussi vive ne pouvait manquer d'amener, 
et dont on aura la mesure en réfléchissant à ce seul 
fait que l'un de ces mendiants si vilipendés, l'un des 
Jacobins qui enseignèrent à cette époque à l'Uni- 
versité de Paris, était le plus grand philosophe du 
moyen âge, saint Thomas d'Aquin. 




SATIRES. GUILLAUME DE SAI 

En 1356, les prélats réunis en 
sous la présidence de l'archevêque 
voulu mettre fin à la lutle entre les J 
versité et avaient désigné comme a 
archevêques de Bourges, de Rein 
Rouen. Guillaume de Saint-Amou] 
occasion avec le roi une entrevue q 
fait connaître et où il s'était enga 
sentence des arbitres. De son côté, 
mis d'obliger les religieux à s'y 
l'avait juré, comme il en avait l'hal 
lui, pour ne pas jurer par le nom 
saints. Mais le pape cassa l'àrbitrag 
d'enseigner à Guillaume et à trois 
l'Université, et ordonna qu'ils fu 
royaume de France. Après un voyaj 
Guillaume dut se retirer dans s> 
Saint-Amour, qui se trouvait alors 
l'Empire, en Franche- Comté. 

Dans le dit de maître Guillaume 
Rutebeuf proteste contre cet exil, 
aux prélats, aux princes, aux rois, ■ 
Pour lui, le bannissement de Guillai 
au droit, car le pape n'a aucune j 
terre de France, et le roi ne peut 
sonne sans jugement. Il soutient ce 
une fermeté éloquente, et ne craint 
le pape et le roi de la vengeance di" 

OjM, prélats, princes et roii 
La déraison et l'iDJnstiCe 



li a exilé maître Guil- 
eut exiler quelqu'un de 
Ù8 de seigneurie. Si le 
re du pape Alexandre, 
LU , dont on ne saurait 
i du droit civil, ni du 
i à roi ni à comte d'exi- 
1 droit Si 1 piilé porte 
euf ne répond pas du 
la justice 

IF comme le jour que 
ugement 



n mmque pas peut 
\ouIurent terminer 



SATIRES. GUILLAUME DE 

cette guerre , et demandèrent 
Frères de leur laisser faire If 
déplaire à des gens qui prêche 
donc la paix el on scella le tn 
vint au roi, et lui dit devan 

prélats la rédigeront; je ne si 
la briseront ». Le roi jura : a 
m'auront pour ennemi s'ils la 
jour, dejiuis sa sortie du pal 
n'a rien Tait, il a respecté l'at 
sans le voiri 

Guillaume de Saint- Amour 
raitre devant le roi, les prince! 
Ce n'est pas un moyen détour 
royaume; car on pourra biei 
après l'avoir entendu. 



Quar 


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tel 



Le râle prêté à saint Louis ] 
tout à fait conforme à l'idée 
d'après les pièces officielles qu 
vées. On sait d'ailleurs que s 
piélé, fit toujours preuve d'un* 



Wffis^- 



RUTEBEUF. 

le haut clergé et avec le pape. 

en effet enjoint au roi n. pour la 
léchés B d'expulser Guillaume de 
me de l'emprisonner. Mais il est 
lin autre bref du pape, postérieur 
r, que le roi s'y était refusé; il 
BxandrelVnon pas en lui deman- 
dler Guillaume, comme on l'a dit 
lion inexacte du texte, mais en 
jer qu'il n'avait qu'à défendre à 
tu de son autorité pontificale, de 
oyaume. C'est ce que fit Alesan- 
ude du roi est très différente de 
te, bien que le résultat ait été le 

^ mnitre Guillaume de Saint-Amnur 
\ mise dans la bouche de Sainte 
nt de ses faux amis et déplore le 
■ appelle Guillaume « son père «; 
ux qui se sont emparés de César 
, du roi et du pape. Ses anciens 
s, pour qui il s'est dévoué, l'ou- 
lit la moquerie de Château-Lan- 
idonné après l'avoir poussé en 



SATIRES. GUILLAUME DE SAINT-AMOUR. 

On dirait une traduction, mot pour mot, vers 
vers. 11 nest pas invraisemblable que Dante. 
vint à Paris au commencement du règne de Pliil 
le Bel, se soit inspiré de Rutebeuf. 

Les collègues de Guillaume de Saint-Amoi: 
qui Rutebeur reproche d'oublier leur défenseï 
leur ami, avaient pourtant adressé une suppi 
au roi en 1259, pour obtenir le rappel de l'e 
En cette circonstance, saint Louis se cond 
comme un bon père de famille, respectueux c 
discipline, qui gronde sévèrement son fils poi 
peine qu'il a encourue, mais qui secrètement 
mande au maître de lever la punition. Il répon 
la supplique que Guillaume était un monstre, ind 
de pardon, mais il écrivit au pape en sa faveur. 

C'est seulement après la mort d'Alexandri 
et de son successeur immédiat, que Guillaum 
Saint-Amour revint à Paris, où on lui fit une ri 
tion triomphale. Quant à son livre sur les Périh 
derniers temps , tous les exemplaires n'en av 
pas été brûlés , car il fut imprimé au xvi' < 
XVII' siècle, et il fut poursuivi à cette époque co 
au temps de sa nouveauté. On le dénonça à Louis ^ 
qui, par un arrêt rendu en Conseil privé, rapp( 
condamnation prononcée par Alexandre IV, ord 
de saisir tous les exemplaires , et défendit 
libraires de le mettre en vente sous peine de r 

On peut conjecturer que la persécution dîi 
contre Guillaume de Saint- Amour atteignit au as 
défenseur intrépide, Hutebeuf. Une bulle d'Ali 



L.: 



dre IV ordonnait de brûler à Paris non seulement 
le livre des Périls, mais aussi des « chansons et 
rythmes inconvenants » com|>osés contre les frères 
Prêcheurs et Mineurs, Rien n'élablit absolument 
que les satires de Rutebeuf fissent partie des rythmes 
réprouvés ; mais il se )>laint •■ jilusieurs reprises de 
ne plus pouvoir parler librement, et il nous apprend, 
dans le dit d'Hypocrisie, que les gens prudents se 
cachaient pour lire ses vers. Toutefois, l'existence 
même des poésies de Rutebeuf, et de beaucoup 
d'autres aussi hardies, prouve que nos ancêtres du 
xiii' siècle jouissaient encore d'une grande liberté 
de parole, toutes les fois que la croyance et le dogme 
n'étaient pas en jeu. 

Cette grande querelle fut, semble-t-il, d'autant 
plus vite oubliée qu'elle avait été plus vive. En 1274, 
au moment de la mort de saint Thomas d'Aquin, 
l'Université réclamait la dépouille mortelle de celui 
qu'elle avait voulu exclure du nombre de ses maîtres. 
Elle écrivait au chapitre général des frères Prê- 
cheurs : u Nous réclamons humblement, comme le 
plus beau des présents, le corps de celui que nous 
n'avons pu ravoir pendant sa vie ; car il est tout à fait 
indigne, il n'est pas décent qu'une autre nation ou 
qu'une autre ville que la très noble cité de Paris, mère 
de toutes les études, possède la dépouille et le tom- 
beau du grand docteur dont elle a d'abord formé, 
nourri et réchauffé l'esprit et duquel elle a reçu elle- 
même plus tard d'ineffables enseignements, i 



.Ml 



SATIRES. LE MONDE ET l'ÉGLISE. 87 



Le monde et V Église. 

Dans un bon nombre de ses poésies satiriques, 
Rutebeuf fait porter ses critiques, soit sur toute 
l'Eglise, clercs séculiers et réguliers, soit sur la 
société entière de son temps, clercs et laïques. Ces 
pièces reviennent souvent sur les mêmes idées, et 
ne se prêtent pas à un classement méthodique. Nous 
les passerons en revue, en commençant par les plus 
générales. 

11 faut d'abord mettre à part le dit d'Aristote, qui 
appartient plutôt au genre didactique pur qu'au genre 
satirique. Rutebeuf place dans la bouche d'Aristote, 
s'adressant à Alexandre, quelques enseignements 
moraux : 11 faut se défier des parvenus; ceux que la 
faveur porte aux honneurs sont comme un ruisseau 
grossi par les pluies, qui est plus violent que l'eau 
qui coule naturellement: ils sont plus cruels qu'un 
comte ou un châtelain puissants par leurs ancêtres. 
Mais si tu vois un homme qui vaille ton bienfait, 
ne le lui refuse pas et ne prends pas garde à sa 
parenté. 

Dès que nature en l'homme a mis 

Sens et valeur et courtoisie, 

11 est quitte de yilenie. 

Un homme est tel comme il se fait. 

L'un fait lui-même sa noblesse, 

Un autre met la sienne en pièces.... 

Celui-là est yrai gentilhomme 

Qui fausseté et trahison 

Hait et repousse, et honneur aime.... 

L'on peut bien régner quelque temps 



lusaeté, sans Buccomber 
longtempa qui plus sait de raae); 
il faut qu'un jour il se dupe 
lème, quoi qu'il puisse raire-.. 

t, continue Aristote, sans prendre le 
: un juge qui prend doit être jugé 
■on. Quand on donne, il faut le faire 



; don, ainsi fait le sage.... 
li arme ne peut défendre 

le cœur plein de targeaae. 

des idées qui se présentent » 
;ure morale du moyen Age, et qu'on 
iment dans le Roman de la Rose. Le 
ur la vraie noblesse a été repris par 
gnifiquenient exjirimé dans la fameuse 
Menteur et son père : 



tonner d'entendre Aristote |>arler do- 
gentil s hommes. Mais nos trouvères 
;nt les héros de la Grèce et de Rome 



SATIRES. LE MONDE ■>" 

comme des barons de leur p 
jeûner les Troyens comme d 
nous montrent P allas armé 
Alexandre était pour eux le ( 
lui attribuaient comme vertu » 
vertu chère entre toutes aux i 
gleur.. 

L'Ave Maria de Rutebeuf t 
contre l'avarice universelle : 



Les averlit : 
CeuB qui ont le coeur n. 
Doivent tous le rnoode i 

Et s'en aller.... 
C'est vérité que je tous 
Chanoines, clercs et roi 

N'ont souci de saaier 1( 
Hais leurs corps baigne 

Et bien nourrir 
Car ils ne pensent pas . 
Mi dedans la terre pour 

Ce qu'ils feront 
Un jour, garde ne se pi 
Que tel morceau cnglou 

Qui leur nuira; 
Car leur pauvre âme en 
En enfer, et sans nul ri 

Été, hiver.... 



C'est encore 1' 
l'État du monde, 



W RUTBBEDF. 

ment les religieux (les moines blancs et noirs, Pré- 
montrés et Bénédictins, puis les Mendiants), les 
chanoines, les avocats; parmi les laïques, les justi- 
ciers (prévôts, baillis ou maires), les marchands, 
les ouvriers, les paysans; enfin, les chevaliers et les 
prélats. 

Le monde se change plus souvent que denier de 
change. Ce fut l'été, voici l'hiver. Le monde était 
bon, maintenant il est « d'autre manière ». 



Rutebeufva rimer de l'état du monde, et d'abord 



Je crois, Binai je le comprens. 
y a double religion : 

Les uns sont moines btnncs et noirs, 
Qui maint pays et maint manoir 
Ont, et mainte richesse assise, 
Qui tous sont serfs de Convoitise. 
Tous jours veulent sans donner prendi 
Tous jours achètent sans rien Tendre. 
Ils prennent, l'on ne leur prent rien. 
lia sont fondés sur fort merrain. 
Bien peuvent leur richesse accroître. 
L'on ne prSebe plus dans les cloilres 
Sur Jésus-Christ ni suv sa mère, 
Ni sur saint Paul ni sur saint Pierre : 
Qui eonnaît micus tout l'art du monde 
Est le meilleur selon leur régule. 

Après ce sont les Mendiants, 
Qui par la ville vont criant : 
e Donnez, pour Dieu, du pain aus frèn 



i des grands prédicateurs du 
lal Jacques de Vitry constate 
us de la dialectique dans tes 

clercs, où l'on s'efforçait de 
out l'art du monde », comme 
ons également que les diffé- 
s étaient aussi désunis entre 
les séculiers. » Aux yeux des 

représentait dans l'Ecriture 
s parce qu'il dit : a L'or et 
toi B, au lieu de dire : « l'or 
nous n, ce qui signifie que les 
ut rapporter à eux. Ils sont 
, et si le pape choisit un car- 
, il faut qu'ils en aient un 
faire en paille n. 
ises, que Rutebeuf reproche, 
* les catégories de clercs, est 
i piquants par un prédicateur 
le est un dous venin. Beaucoup 
i l'amasser avec l'intention de 
î de Dieu et des pauvres ; mais 
;nt, ils changent d'avis. Un 
;s biens t'aideront à avoir la 
a moine dira en lui même : 
1 un autre, et mes deniers me 

;st le tour des laïques : 



SATIRES. LE MONDE ET L 

Les prévùta, les baillis et m: 

Ainsi ConvoitiBc le veut. 
Car je vois bien que les pré' 
Qui afferment les prÉTdtés, 
Veulent plumer toutes lea cAi 
De ceua qui sont en leur jusl 
Et se dérendeat en tel guise 
u Nous p oyons cher les prèv 

Font-ils, partout lever et pn 



Or y a gens 



De choses plus de cinq cents 
Qui sont nu monde nécessaii 
Je vous le dis bien vraiemer 
Ils font plus d'un mouvais et 
Et ils jurent que leurs dcaré< 
Sont et bonnes et épurées, 
Souvent que e'est mensonge 

Qui besognent parmi les rue 
Et chacun fuit divers métieri 
Comme il est au monde beso 
Ils ont, eus aussi, d'autres p 
Ils veulent être bien payés, 
Et très peu de besogne faire 
Même les paysans des vigl 
Veulent avoir bon payement 
Pour peu faire. Dieu me pa^ 



Les plaisanteries dirigées cont: 
qui trompent aur la qualité de la mi 
lea ouvriers et les paysans qui ' 
payés sans rien faire, sont un 
temps. Ce qui est plus particulii 
c'est la justice des prévôts pt maii 



àlâiài__.. 



quait déjà au siècle précédent dans 1 
>re de la fable le Loup et l'Agneau : 



trouvent bien pour les canCandrc. 
font goûtent citer au plaid, 
chair leur prennent et la peau 
inic le loup fit à l'agneau. 

enfaits de saint Louis a été de réprimer 
is l'adraînistration de la justice. Mais it 
demander à un satirique de signaler le 
lu mal. 

ne ménage pas la chevalerie plus que 
états B ; les ménestrels ne trouvent plus 
valiers la générosité des vieux âges : 

J'arriTO it lu chevalerie, 
ui aujourd'hui est ébahie. 
oint de Holand, point d'Olivier, 

n peut bien voir et bien entendre 
u'il n'y a plus nul Alexandre. 
eur métier se pert et décline; 
a plupart vivent de rapine,... 



elui qui donne, au temps présent ; 



SATIRES. LE MONDE ET l'ÉGLISE. 97 

Je n'ose ainsi que les deus autres. 
Car tout ainsi qu'on sait que l'or 
Est le meilleur métal qu'on trouve, 
Elle est le puits là où l'on puise 
Tout sens, tout bien et tout honneur : 
Il est bon que je les honore. 
Mais tout ainsi que draperie 
Vaut mieus que ne fait friperie. 
Valurent mieus cens qui sont morts 
Que cens qui sont et qu'on voit vivre ; 
Car le monde est si fort changé , 
Qu'un loup blanc les a tous mangés, 
Les chevaliers loyaus et preus. 

Ce sont là de beaux vers, mais ils recouvrent un 
lieu commun familier aux moralistes et aux sati- 
riques de tous les temps. Bien des gens sont dis- 
posés aujourd'hui à considérer le siècle de saint 
Louis, non seulement comme un grand siècle, mais 
comme un âge d'or. Voyez ce qu'en pense un con- 
temporain du saint roi ! Il regrette le temps des 
chansons de geste. Et si nous interrogeons un écri- 
vain du XI® siècle, il nous répondra avec l'auteur 
de la Vie de saint Alexis : 

Bon fut le monde au temps des anciens. 

On pourrait remonter ainsi jusqu'à l'origine même 
de l'humanité, où sans doute les moralistes, s'il y en 
eut, vantaient l'époque du chaos. 

La Vie du monde ou la Complainte de Sainte Église 
exprime encore la même idée générale; mais cette 
pièce a, grâce au rythme, une tout autre allure que 
les précédentes. On y trouve en outre une allusion 
intéressante à la malheureuse guerre d'Aragon, 

7 



BOTEBEUF. 

!85 par Philippe le Hardi pour 
i que son fils Charles tenait d'une 
te. L'année précédente en effet, le 
Simon de Brie) avait répondu aux 
s en donnant l'Aragon â Charles 
: à cette occasion imposé une dîme 
ce, dont Rutebeuf soutient les inté- 
l'avarice de la cour de Rome, ce 

pas de prodiguer ses sarcasmes 
lont il prend la défense et de les 
convoitise. Les chevaliers ne sont 

la Chanson de geste d'Aspremont 
^ne triompher d'Agolant, roi païen 
e son fils Eaumont : a Les Eaumont 
lit Rutebeuf, ne trouvent plus de 
raincre ». Ici la satire atteint le roi 

te par une courte introduction. 
, dans un jardin, sous une aubé- 
ouve un petit livre en parchemin, 
auquel il donne ce titre : la Vie 



e le poème 
• de quatre alexandrins : 

plamt, et ce n'est point mem 
>yer cuntre elle se prépare ; 
ormi«, pour elle nul ne Teille 
1 péril si Dicn ne la conaeillB. 



^ 



qu'on appelé Simon, 
Tégof d'Aragon, 
ite joara de pardon 
ae de fsire nn tel don.... 



ipe la dimc en Allemagne. 

it qu'il ait l'épée. 

pour être roi d'Espagne ! 

I de faire tout ce que Dieu 
er jour et nuit, ceindre leurs 
>ieu est délaissée, livrée à 
y viendra pour vendanger, 
nais il saura se venger des 
lis qu'on fait de ses biens. 

lise se complaint Jésus-Christ 

s. fourrure, petit-grii. 
queues Margot et Béatrii, 
Dieu sont pauvres, nus, sans pain. 

ménagés; le poète leur re- 
s'enrichir et de bâtir des 
lit gré de l'opposition qu'ils 
«eut qu'on est déjà loin des 
lit soulevées la question de 



ml gens de bon 
nais il leur faui 



s veulent taire. 



SATIRES. LE HONDI 

Les curés doyens reçoivei 
tives de Rutebeuf ; 

J'ai bien longtemps pensé à i 
Cor je croyais trouTer quelqu 
HaÎB il n'est si prud'homme, < 
S'il devenait doyen, qui ne de 

Parmi les prêtres et curés 

Que l'érèque peut dire : j'ai I 

Or prions à la En le Seigneur 
Que par lui nos péchés nous i 
Qu'il nous laisse en ce siècle 
Qu'ayons bi 



Le dit des Règles est de b 
pièce qui précède : au ton di 
Guillaume de Saint-Amoui 
banni, on comprend que ce j 



mot régies e 

dent le parai 
plaint de n": 


s pa 
m n d 
Ru b uf a 
1 lu la U 


On verra poi 
donne pas au 


n qnln s 

X prélats de 



bouche quand l'accord qu'ils 
versité et les Jacobins a é 
En revanche, il témoigne u 
pauvres prêtres de campagnt 

Puisqu'il faut la véri 
De parler n'ai-je plu 
Vérité j'ai dite en ma 
La dire devient péril 



102 RUTEBEUF. 

A ccus qui n'aiment Yérité, 
Qui ont mis en autorité 
Tels choses que mettre n'y doivent. 
Ils nous trompent et nous déçoivent 
Comme Renard fait aus oiseaus. 
Savez le tour du damoiseau ? 
En terre rouge s'enveloppe, 
Fait le mort et la sourde oreille : 
Lors viennent les oiseaus des nues, 
Et il aime moult leurs venues, 
Car il les tue et les affole. 
Ainsi vous dis en peu de mots : 
CeuS'ci nous tuent, nous affolent, 
Qui de paradis font leur chose. 
A cens le donnent et délivrent 
Qui les abreuvent et enivrent 
Et qui leur engraissent la panse, 
Mais sont souvent vrais hérétiques 
Et en paroles et en fait, 
Ou usuriers faus et retors. 
Dont nous est dit en un verset 
Qu'ils sont tous damnés et perdus... 
Si l'on avait le paradis, 
Après la mort pour son avoir, 
Ferait bon voler et piller. 



Si on vend le paradis, Dieu sera du moins à la 
livraison. Saint Pierre n'a pas abandonné les clefs. 

Ces gens-là flattent les riches et se font donner 
par testament les biens mal acquis. Puis ils gardent 
tout, sans plus s'occuper de l'âme du mort. 



Et le curé n'en peut avoir 

Qu'à grand peine du pain pour vivre, 

Ni acheter un petit livre 

Où il puisse lire complies. 

Mais eus, ont la panse remplie. 

Ont bibles et psautiers glosés. 

On les voit gras et reposés.... 



SATIRES. LE MONDE ET l'ÉGLISE. 103 

Quand chez un pauvre prêtre ils Tiennent, 

Il semble que ce soient des rois : 

Il faut pour eus grand appareil, 

Ce dont le pauvre homme est en peine. 

Et dût-il engager sa chape, 

Il faut qu'il serve d'autres mets 

Que l'Ecriture ne commande. 

S'ils ne sont repus sans défaut, 

Si en cela le prêtre manque, 

Sera tenu pour mauvais homme, 

Valût-il saint Pierre de Rome. 

Dans la satire de Sainte Eglise Rutebeuf déve- 
loppe à nouveau cette idée que les saints ont eu 
bien tort de s'exposer au martyre, s'il est si facile 
de gagner le paradis. 

Des yeus du cœur ne voyons goutte 
Plus que la taupe sous la motte.... 
Si l'on peut paradis avoir 
Pour habit brun ou blanc ou noir, 
Qu'il est de fous parmi les saints ! 

Je tiens bien pour fou, pour niais, 
Saint Paul, saint Jacques de Galice, 
Saint Barthélémy, saint Vincent, 
Qui furent sans faute et sans vice, 
Et prirent, sans autre délice. 
Plus de cent supplices pour Dieu. 
Les saints prud'hommes s'occupant 
A rechercher parmi les bois 
Racines pour toute richesse, 
Furent aussi bien fous vraiment 
Si on a Dieu si aisément 
Pour large cotte et pour pelisse ! 

Le dit d'Hypocrisie nous transporte à Rome au 
moment de l'élection de Thibaut, ancien chanoine 
de Lyon, archidiacre de Liège, qui devint pape sous 
le nom de Grégoire X (septembre 1271). 11 n'y avait 



SATIRES. Ll 



Et de V 



Avec VOS rimea, p. 
connaître ceu:c qui 
hypocrites. Ceux qui 
tremblent et se cache 
qui se soucient peu 
chaud et qui ne craif 
entendre dire par voi 

A son tour, après 
son aimable hdte que 
a J'ai nom Courtois, 
prisent moins qu'un 
me montre au doigt, 
font bonne mine qu 
gens pauvres sont 
retourner dans leur [ 
cour où la justice s'a 
regarder aux mains; 
vous n'avez pas, vous 
la glace. Ils rognent . 
Le nom des habitan 



SATIRES. LE MONDE 

Hypocrisie a tant travai 
presque tout le pays. C'est 
parti dans l'assemblée. Ma 
l'humanité : 

Ils 9e prirent à entr'i 
L'un à l'autre Courte 
. Chacun le ïeul, nul i 
Ainsi fat lors Courte. 
Et je Tus bien de joie 
Et je m'Ëveillei sur li 

Grégoire X devait se moi 
opinion qu'avait de lui Ru 
l'établissement de nouveaux 

Dans toute la littérature i 
latins comme en vers fran 
l'étranger qu'en France , o 
attaques contre la cour de P 
lats. D'ailleurs les religieu 
ménageaient guère les uns 1 
conclure de semblables polën 
tentés de prendre au mot le) 
La réciprocité parfaite des ac 
qu'elles fussent entièrement j 
permet au moins d'affirmer qi 
du moyen âge, tant séculîe 
sérieusement prise à la cr 
d'ailleurs se méprendre sur 
état de choses inspirait au j 
favoris; ils voyaient le mal, 
mais leur religion n'en était 



112 ROTEBEUF. 

vint de Grèce en France et en Bretagne', y a été 
longtemps chérie. Mais Ogier et Charlemagne sont 
bien morts! Loyauté, la compagne de Chevalerie, 
est morte aussi! On n'aime plus les chevaliers, qui 
pourraient défendre la Sainte Eglise. Le roi ne leur 
rend pas justice, il les méprise; au lieu de Naime de 
Bavière, le sage conseiller de Charlemagne, il tient 
près de lui des gens à double face, vêtus de robe 
blanche et grise! Si la France était menacée, il 
ferait beau voir les armes et le conseil remis aux 
mains de la gent béguine! Puis le poète feint de 
croire que le roi ne quitte pas son royaume pour 
éviter un pareil danger. 

Qu'ont fait les clercs pour la croisade? On ser- 
monna les gens, on les invita à prendre la croix, on 
pensa vendre le paradis et le livrer de par le pape. 
L'on put bien le germon entendre; mais nul ne 
voulut tendre la main à la croix, quelque émouvant 
que fût l'appel. 

Le roi dépense sans compter pour les pieuses 
fondations. Si tout l'argent qu'on a donné à ceux 
qui de Dieu se disent amis avait été employé en 
Terre Sainte, cela eût mieux valu. Les religieux 
recueillent des héritages sans que la cause de Dieu 



s du cycle de l'anti' 



nUTEBEUF. 



es pourrait prendre à la main. 
I n'uTuns point de demain, 
lerrae vient et approche 
mort noua clora la bouche. 

i pièce, Rutcbeuf, mélangeant les 
! l'histoire et ceux de la légende 
t Engclier de Gascogne, le compa- 
à cflté de Tancrède et de Godefroy 
lore qu'on ne trouve plus de Tan- 
igeliers, plus de Godefroys, plus de 

[ues départs isolés pour la Terre 
lut peut-être faire honneur à l'ar- 
! de Rutebeuf. Le comte de Nevers, 
lourait malheureusement deux ans 
ie la complainte qui lui est consa- 
louvelle son cri de détresse : 

i de France, roi de France 1 
ujours est en danger, 
:z-la, il en est temps I 

e faites-vous ici? Comte de Blois, 
mte de Saint-Pol', 

Qt crier à Dieu merci, 
ort en tos lits tous tue ?... 
t n'accorde nul délai, 
ppe à coupa de massue : 
clair t6t elle a Tait nuit. 



SATIRES. LA GUERRE DE POUILLB. 

To 
Vous 

Qui est k votre créateur? 
Vous avez bien lea yeui bandés 
Quand vers Dieu ne vous défendez, 
Et pour lui ne vous préparez. 
Peu craignez la profonde tour 
D'où les captifs n'ont nul retour, 
Où par parc a se descendez. 
N'y a plus là ni tour ni passe. 
Quand mort ainsi TOUS va fouettant, 
A Dieu corps et Ame rendez. 

Par ses chants de croisade, Rutebeuf aidait comme 
il le pouvait le pape Clément IV, qui faisait aussi 
de grands efforts pour répondre aux demandes de 
secours de Jofroi de Sergines. 

Si dans la Complainie de Coiistantlnopte et la pre- 
mière Complainte loutre-mer Rutebeuf exhorte les 
princes et les chevaliers à voler au secours de Saint- 
Jean-d'Acre, il les poussait d'autre part, presque en 
même temps, à seconder Charles d'Anjou dans sa 
guerre de Fouille, pour la conquête du royaume des 
Deux-Siciles. Le pape, instigateur de l'entreprise, 
avait autorisé la levée d'un décime sur les biens du 
clergé pour subvenir aux frais de guerre. 

Charles d'Anjou eut à lutter successivement contre 
Manfred et son neveu Conradin, que Rutebeuf, dans 
le dit de Fouille, compare à Agolant et à son fils 
Eaumont, les adversaires de Charlemagne dans la 
chanson d'Aapremont. Les arguments du trouvère 
sont toujours les mêmes : on n'a le paradis que si 
on le gagne, et, comme la vie est courte, U faut se 
hâter de l'employer au service de Dieu. 



une le saint Paradis à ceux 
de bon cœur! Je veux parler 
)i de Sicile, qu'il faut aller 
de temps à vivre, dès que 
moins encore quand nous 
ns-y garde, gros et menus, 
s quand nous le )>ouvons, en 



! mère donne au noble comle 
adis et la grande joie claire ! 
'il était l'ami de Dieu. Prions 
18, ne murmurez pas de payer 
Jésus-Christ pour le succès 
n est, sachez qu'on prendra 
laissera crier'. 
le est du même temps que le 
ni les mêmes exhortations : 
'S, dit en terminant Rutebeuf, 
;nts que de perdre par votre 
é des cieusl Comte de Blois, 
ouvoir, vous ne savez pour 
ntrez que vous lui en savez 



SATIRES, L 

Il y eut un grand se 
exactement conforme au3 
Erard de Valéry. AjJrè 
rieuse à la première c 
repartit en 1265 pour la 
Eude de Nevers; puis, c 
battre en Italie pour Cha 
pagna saint Louis à 1 
Fouille, il contribua larj 
de Tagliacozzo. Les enn 
s'avançaient en rangs s 
joindre leurs lignes poi 
se jeter au milieu d'eu 
Erard, avec l'assentimei 
d'un stratagème qui réi 
de trente chevaliers d'éj 
l'armée, et, comme s'il 
côté où la fuite parait i 
par cette manœuvre, le: 
a Us fuient 1 Us fuient! 
suite de la petite troup< 
au milieu d'eux avec 
qu'Erard et les siens fi 
sant de grands cris. 

Cependant l'expéditioi 
pour aider Charles d'^ 
Terra Sainte. C'est ah 
célèbre Dispute du Cr 
exprime les arguments ] 
avec une telle impartial! 



RUTEBEUF. 

S sentiments. On l'a représenté 
lire timide des croisades, sans se 
; la timidité n'était point son fait, 
leurs il pousse à la guerre sainte 
n dont la sincérité n'est pas dou- 
me qu'il développe dans sa a Dis- 
qu'on savait d'autre part, que ces 
ns commençaient ù être discutées. 
ut désapprouvée par une bonne 
ige de saint Louis, notamment par 
inement succède h l'enthousiasme, 
isades. 

tebeuf débute par un court récit : 
irs la Saint-Remi , il chevauchait 
pensant aux malheurs de la Terre 
ir cette pensée, il se détourna de 
une maison où il y avait quatre 
ces souper allèrent s'ébattre dans 
1 bois. Il descendit pour s'accoter 
^s écouta parler. L'un d'eux avait 
un autre ne la voulait prendre. 
lait décider l'autre à suivre son 

Vous voulez que j'abandonne mon 
e mes enfants à garder aux chiens. 
le Dieu enseigne qu'on doive ainsi 

j naquis de ta mère nu, et main- 
st bien recouverte, Qu'as-tu fait 
nd cent fois ce qu'on lui donne ? 




■'^ 



SATIRES. LES CROISADES. 121 

On peut aujourd'hui avoir facilement le paradis. 
Saint Pierre et saint Paul l'ont acheté bien plus 
cher, d'un bien fort précieux, la tête et le cou. 

Le Décroisé, — Sans courir les aventures, on 
peut gagner Dieu ici, et vivre de son héritage. 

Le Croisé. — Tu penses, sans tribulation, gagner 
Dieu par ton beau rire ! Ils furent donc fous, les 
saints qui souffrirent le martyre pour obtenir la 
rédemption ? 

— Seigneur qui prêchez la croisade, 
Sermonnez donc ces haut tondus, 
' Ces grands doyens et ces prélats.... 
Clercs et prélats doivent. venger 
Notre Dieu, puisqu'ils ont sa rente. 
Ils ont à boire et à manger, 
Il ne leur chaut s'il pleut ou vente. 
Le monde est tout en leur pouvoir. 
S'ils vont à Dieu par telle sente, 
Seraient bien fous de la changer. 
Car c'est de toutes la plus gente. 

Le Croisé, — Laisse les clercs et les prélats, et 
vois le roi de France qui, pour conquérir le para- 
dis, expose son corps et ses enfants. Il aurait de 
meilleures raisons que nous de demeurer dans son 
royaume. 

Le Décroisé, — Je veux rester au milieu de mes 
voisins et mener douce vie. Vous irez outre mer, 
vous qui pouvez embrasser de grands faix. Dites 
au Soudan que je me moque de ses menaces. S'il 
vient par ici, il lui en cuira, mais là-bas je ne Tirai 
pas chasser. Je ne fais tort à personne, me couche 
tôt et fais grand somme, et aime bien mes voisins. 



•«?w: 



122 RUTEBEUF. 

— Ici tu veu8 à Taise Tiyre, 
Sais-tu si tu viTras longtemps?... 
C'est tout un, tiens-le pour certain, 
Et Tie d'homme et œuf brisé. 
Las! Malheureus! Mort te pourchasse, 
Qui tôt t'aura lacé et pris : 
Dessus ta tête tient sa masse : 
Viens et jeunes ont même pris. 
Tôt a fait d'un pied une échassc. 

Le Décroisé. — C'est grand merveille que les gens 
qui vont outre mer et dont Tâme est pour meilleure 
tenue, ne vaillent rien quand ils reviennent. 

Pourquoi aller chercher Dieu si loin ? 

Si Dieu est quelque part au monde, 
Il est en France, c'est sans doute. 
Ne pensez qu'aille se cacher 
Entre gens qui ne l'aiment mie. 

« 

Votre mer est si profonde qu'il est bien juste que 
je la redoute. 

Le Croisé, — Tu ne redoutes pas la mort et sais 
qu'il te faut mourir; et tu dis que la mer te fait 
peur ! Quelle folie ! Les mauvais mourront ici en 
leur lit « comme des vaches ». Bienheureux qui 
mourra là-bas ! Pour moi , pourvu que le corps 
puisse sauver l'âme, peu m'importe la prison, la 
bataille, ni de laisser enfants ni femme! 

Le Décroisé. — Beau cher sire, quoi que j'aie dit, 
vous m'avez vaincu et maté, je prens la crois. 

On est frappé de voir le Décroisé se déclarer 
subitement vaincu, sans préparation, sans qu'on 
l'ait senti faiblir dans ses ripostes. Mais la brus- 






SATinES. LES CROISADES. 12 

querie de la conclusion n'est pas, quoi qu'on en ai 
(lit, un moyen habile du poêle pour marquer r" 
secret sentiment tout en concluant, pour la fon 
en faveur de la croisade. C'est le contraire d'i 
habileté. L'intérêt du sujet et le charme des détj 
dissimulent mal la gaucherie de l'auteur dans 
conduite générale du dialogue. On n'avance pas, 
piétine sur place, chacun des interlocuteurs re 
nant sans cesse aux mêmes arguments. Dans 
conditions le débat ne pouvait se clore que par i 
conversion instantanée, par une sorte de coup 
grâce. Rutebcuf qui est, sans aucun doute possil 
un partisan du Croisé, néglige même l'artillce ( 
mentaire qui consiste à atténuer les raisons du p 
sonnage à qui on veut donner tort; il était t 
heureux de mettre dans la bouche du Décrc 
de vigoureuses attaques contre les prélats. 

Malgré d'honorables exceptions , l'inexpérie 
dans l'art du dialogue est générale au moyen â 
Cependant les dialogues, sous le nom de « débat: 
formaient un véritable genre, qui remontait d'aîlle 
à l'antiquité. Les débals du vin et de l'eau, de l'hi 
et de l'été, du corps et de l'âme, sont célèbres d 
notre ancienne littérature. Rutebcuf en a comp 
deux : celui qui vient d'être analysé, et la Disf 
de Chariot et du Barbier, qui est une satire pers 
nelle, et dont il sera question plus loin. 

Le dit de la Croisade de Tunis [de la Voie 
Tunes] est le manifeste de la dernière croisade. 

Les évangélistes, les apfitres, les confesseurs 



RUTBBBOP. - 

pour Dieu des supplices. Prenez-y garde, 
i êtes leurs successeurs, on n'a pas Je paradis 
irtyre. En s'abandonnant aux délices de la 
n va tout droit àla grande fournaise, au puits 

Prenons garde, 

dit dans l'Kvangile : a Si le prud'homme 
quelle heure viendra le larron, il veillerait, 
ron ne pourrait lui nuire ». Aussi ne savons- 
and Dieu dira ; « Venez ! n Malheur à ceua 
seront pas prêts, car Dieu sera pour eus 
un lion forcené. Vous n'y pensez pas, vous 
lez toutes vos aises. Le roi ne les prent pas, 
la. à travers les mers combattre les infidèles ! 
quitter douce France. Dieu lui donne de 
îr en joie à Paris ! Le comte de Poitiers et le 
ate d'Artois (frère et neveu de saint Louis), 
Philippe et le comte de Nevers (fils de saint 
uivent le roi de France, ainsi que le bon roi 
rre Thibaut : ii laisse si belle terre qu'on ne 
;n trouver une plus belle. Et le poète ajoute, 
i générosité intéressée : « Quoique les deus 
)i et le comte d'Artois soient tardifs et lents à 
du bien, j'ai de pitié pour eus le cceur dolent n. 
leuf s'indigne ensuite contre ceux qui hési- 
livre le roi : 



a (ait une autre qui coûte peu d'argent.... 



SATIRES. LES CROISADES. 125 

Dès lors que Thomme naît, il a bien peu à vîyre ; 
Quand il a quarante ans, il en a moins encore. 
Quand il doit servir Dieu, il s'abreuve et s'enivre : 
Il ne se prendra garde que lorsque mort viendra.... 

Voyez et d'où vous vîntes et où vous reviendrez. 
Dieu ne fait tort à nul; n'est nul juge si droit. 
Il est seigneur des lois, il est maître des droits, 
Tous jours le trouverez droit juge en tous endroits. 

Le moment est venu qu'il a besoin d'amis. 

Il ne veut que le cœur de ce qu'il mit en vous. 

Qui lui aura le cœur et promis et donné, 

Pour gagner son royaume aura fait un grand pas. 

Les mauvais demeureront : 

S'ils sont mauvais ce jour, ils seront demain pires : 
De jour en jour iront de royaume en empire *. 

Puisse le Roi qui conduisit les trois rois à 
Bethléem conduire les croisés et leur permettre de 
triompher du Soudan ! 

Rutebeuf avait d'autant plus de mérite de pousser 
à la croisade, qu'elle éloignait, comme il le dit, les 
a bonnes gens ». C'est à cette époque même qu'il 
s'adressait au roi pour lui conter sa \détresse, dans 
le dit de la Pauvreté de Rutebeuf. 

On sait la déplorable issue de l'expédition de Tunis. 
Le zèle de Rutebeuf n'en est pas refroidi. 11 souhaite 
encore une nouvelle croisade, et il la prêche avec 
éloquence dans la Nouvelle Complainte d'outre-mer, 



1. Ce vers répète purement et simplement l'idée du précé- 
dent, avec un jeu de mots que Rutebeuf ne manque jamais 
une occasion de reproduire. 



128 RUTEBEUF. 

longue pièce de 366 octosyllal 



, ilit le poètf 
secourt pas la Sainte Terre. Sain 
sommes tous un corps en Je 
sommes donc membres les uns di 
dant nous sommes comme les ch 
pour un os. Il en dirait plus, mai 
plein de miséricorde, mais il e: 
de droiture, fort, puissant et sag 
le jour du Jugement. 

Roi de France, roi d'Angleter 
quérir ])endant votre jeunesse l'h 
le profit de l'âme, avant que le 
pierre, si vous voulez avoir para 
la Sainte Terre, qui est perdue s 
aide cette année même. Et si elle < 
temps, en quel temps sera-t-ell 
Sicile, à qui Dieu a permis de ci 
et la Sicile, souvenez-vous de 11 
ordonne de laisser pour Dieu pc 
et enfants. Barons, à quoi pensez-^ 
ils jamais défendus par vous, ceu 
en grand danger et en espérance < 
de Flandre et de Bourgogne, i 
quelle honte pour vous si la Terre 
de votre temps! Tournoyeurs, qu 
rir les tournois l'hiver, quelle I 
ainsi votre temps et de laisser ) 
gloire! Souvenez-vous de mons 







SATIRES. LES CROISADES. 127 

Sergines, qui fut si brave et qui est aujourd'hui 
couronné en paradis, et du comte Eudes de Nevers, 
sur lequel on ne peut chanter que de bonnes chan- 
sons. Vous devriez prendre . exemple sur eux et 
secour^ir Saint- Jean-d' Acre et les chevaliers du 
Temple. Jeunes écuyers « au poil volage », vous ne 
pensez pas à bien faire! Vous êtes fils de maints 
prud'hommes — je les vis tels, tels je les nomme, — 
et vous êtes musards et fous. Vos éperviers sont 
mieux dressés que vous ; car, lorsque vous les lan- 
cez, ils vous rapportent l'alouette sur le poing. 

Honni soit qui ne sert que lui, 
Et non son Dieu et son pays ! 

Vous ne faites que ce qui peut vous être agréable. 
Vous enlevez aux pauvres filles leur honneur, et 
quand elles ne peuvent trouver mari, elles devien- 
nent « du grand nombre ». C'est un péché qui pèse 
sur votre âme. Vous marchez sur vos pauvres voi- 
sins, et oubliez votre noblesse. Vous attendez, pour 
penser à bien faire, d'avoir la face ridée et d'être 
vieux et chenus. Si vous aimiez l'honneur et le 
renom de votre race, vous seriez prud'hommes et 
sages. 

Quand avez votre temps vécu 
Sans que païen vît votre écu, 
Que demandez-vous à Celui 
Qui sacrifice fit de lui?... 

Prélats, clercs, chevaliers, bourgeois, 
Qui trois semaines pour un mois 
Laissez aller à votre guise 
Sans servir Dieu et Sainte Église, 



^ 



HUTEBBUP. 

Grégoire X s'efforçait alors vainement d'orga- 

une nouvelle croisade ; 

ère Guillaume de Beaujeu, grand maitre du 
lie d'outre-mer et de France, vous pouvez voir 
l'on sait faire aujourd'hui pour le service de 
! Ce n'est plus le temps de Godefroy, Je Bohé- 
, de Tancrède ! 

Or prions au Roi glorieus 

Et à son cher £ls précieus 

Et au Saint Esperit ensemble. 

En qui toute bonté S'assemble, 

Et à la précieuse Dame 

Qui est salut de corps et d'âme, 

A tous saints et à toutes saintes 

Qui pour Dieu enrent peines maintes, 

Qu'il noue octroi(e) sa joie fine. 

^ôlé des lieux communs habituels sur la mort 
1rs menaçante, sur le paradis qu'il faut conqué- 
m aura remarqué dans cette complainte une 
■atinn plus originale , lorsque le poète nous 
des beaux projets de croisade qu'on forme le 
après un bon dîner, et qui s'évanouissent au 
, Huit ans auparavant il avait ébauché ce 
.u dans la complainte du comte de Nevers ; 



Au feu prés de la cheminée. 
Lors nous nous croisons de grand c< 
El quand arriïc molinée, 
Est la croisade terminée. 

retouche a été heureuse. 



PERSONNELLES. 



Satires personnelles. 



En rassemblant les éléments ëpars de 
phie de Rutebeuf, nous avons analysé la 
satires personnelles, celles où il se moi 
même, des siens, de son débiteur Bri< 
sont là ses poésies les plus originales. 
accent de pénétrante inélancolie il noi: 
son « fol cœur », comme plus tard Villoi 
sa B jeunesse folle » ! Quelle peinture sj 
touchante il fait de son dénûmcnt, de son 
chaque jour déçue, en un lendemain mei. 

On retrouve la même note dans une | 
mante, la plus courte de ses œuvres (e 
douze vers), le dit des Ribauds de Grèi 
a chanson des gueux n du Xiii« siècle; 
l'entrée de la mauvaise saison, adresse : 
tissantes railleries aux pauvres ribauds 
de Grève : à peine vêtus, ils souffriront d 
sentiront les piqûres de la neige, ces 
mouches » de l'hiver. 

Ribauds, bien ètes-Tous à point : 
Les arbres dépouillent leurs bronchi 

Voas en aurez (roid âtos hanches. 

Combien ïous plairaient les pourpo 

Et les Burcots fourrés à manches I 

Voua allei en été si vifs, 

Et en hiier si engourdis l 

Vos souliers n'ont pas besoin d'huili 

De -vas talons faites semelles. 



POÀMBS ALLÉGOniQDES. \3b 

Faute de comprendre suffisamment les allusions, 
nous perdons tout le sel de cette pièce, que nous 
n'essaierons pas d'analyser. Rappelons seulement 
que le nom de Renard revient souvent dans les 
autres poéstes de Rutebeuf, ]>ersonni fiant toujours 
l'hypocrisie religieuse, celle que le poète reproche 
volontiers aux ordres mendiants, particulièrement 

Le Voyage du Paradis a plus de rapports avec le 
roman de la Rose de Guillaume de Lorris que Renard 
le Mal-tourné avec le roman de Renard. Le cadre 
du récit est aussi un songe, comme dans une autre 
pièce de Rutebeuf [le dit d'Hypocrisie), où le trou- 
vère raconte, sous le voile de l'allégorie, l'élection 
du pape Grégoire X. Ce cadre, dont l'idée était 
empruntée au Songe de Scipion de Cicéron, avait 
d'ailleurs été employé au moyen âge avant te roman 
de la Rose. Guillaume de Lorris n'était pas non plus 
l'inventeur des personnages allégoriques, qui jouent 
déjà un rôle important dans la poésie des trouba- 
dours, et il imitait un a Voyage du Paradis « anté- 
rieur à celui de Rutebeuf 

11 y a une ressemblance frappante entre le début 
du petit poème de Rulebeuf et l'introduction du 
roman de la Rose : 



Me semblait qu'il était matin ; 
C'était en mai, je le rèTais, 
Au temps nmoureus, plein de joi< 
Temps où toute chose s' égayé, 
Que l'on ne voit buisson ni haie 



ouvrent leur verdare, 
■a tant que l'hiTer dore: 
l'enorgueillil 
qui la mouille, 



Guillaume de Lorris. 

ebeuf : 



Gvant l'été, 

le couvrent de Teuilles ; 

jnorgueillit la terre 



au point du jour, Rutebeuf a 

jrenant écharpe et bourdon et 
inage clans la voie de Paradis, 
chemin très large et très plai- 
iijours en se rétrécissant et au 
e un peuple félon qui ne laisse 
rin. Rutebeuf prend le chemin 
, le soir, dans la cité de Péni- 
I accueilli par un prud'homme 
lité : 

n l'hûtel de mon hâte, 
et r écharpe il m'rjtc 

Toge sur ma terre, 



138 RUTBBBnF. 

la fait tomber. Les clients d'Orgtieil en viennent à 
curer une étable pour du pain. Us sont vêtus de soie 
vermeille, mais qui déteint au soleil. Ils ont de 
merveilleux chapeaux de fleurs que la cbalear a vite 

fanés. — Avarice, dans son manoir, 

Emmi la salle sur un coffre 
Uicu8 semble être morte <jae Tivc; 



ic grrande pierre d'Himant. 
murs autour sont à ciment, 
It est bien fermée l'enceinte. 



' Au fond d'une obscure Tallèc, 
D'où la clarté s'en est allée, 
S'esl Envie cachée et mise. 

Elle couche dans l'ordure; sa maison n'a ni 
fenêtre, ni verrière, et jamais le soleil n'y luit. Elle se 
réjouit du deuil et s'afHige de la joie des autres; etc. 

Gloutonnie va souvent frapper à la porte de 
Hasard le tavemier. Luxure (dont le chambellan est 
Fou-s'y-fie) est voisine de Gloutonnie. 

Tel entre chez elle à cheval, 



Bel Accueil, qui garde la parle. 
Connaît bien celui qui apporte : 

Car il sait affoler le fou. 
Celui qui y Ta bourse vide 
Est bien fou si trouver y pense 
Beau jeu, beau ris et belle chère; 
De vide main vide prière, 



Le poète nous parle encore de Débonnaireté, de 
Charité, d'Abstinence, de Chasteté qui guide Rute- 
beuf à travers la cité. Rutebeuf ne pourrait raconter 
toute l'histoire de la cité de Repentance, même si le 
Rni de gloire lui avait donné autant de langues que 
de dents. L'une des quatre portes est faite d'amour 
fine. C'est celle qui conduit à Confesse, qui tout 
nettoie. Le poème s'arrête brusquement à la porte de 
Confesse. 

Le Voyaye du Paradis et le dil d'Hypocrisie sont 
les seules pièces de Rutebeuf où l'allégorie règne 
d'un bout à l'autre , mais it introduit à chaque in- 
stant, dans ses autres poésies, des personnages 
allégoriques. C'était la mode de son temps, mode 
persistante dont on retrouve encore l'abus au com- 
mencement du siècle de Louis XIV, avec Clélîe et 
la carte du Tendre. 



iMJ, 






Le théâtre comique du 
au xv'^siécle, se réduit, 
connaissances, à un trè 
une courte farce, et les • 
Halle, contemporain de 
est une pastorale, l'autre 
où l'auteur met crûment s 
rains et compatriotes d'. 
xv^ siècle qu'on voit se u 
ques, moralités, farces, s 

Aux trois pièces indi 
ajouter le dit de VHerher 
tous les caractères de ce 
qui eurent tant de succè 
continuent, après une m 
monologues de notre (in 
raflinés, plus excentrique) 
tuels et moins gais. 



L 



ŒUVRES DRAMATIQUES. 

Grenats, topazes, 
Et lellagons et galofacea. 
De mort ne craindra les menaces 

Tel qui les porte..,. 

VoDS ne BHyei qui tous voyez; 
Taisei-vous et tous assoyez, 

Voici mes herbes : 
Je vous dis, par sainte Marie, 
Que ce n'est point de friperie. 

Mais nobles choses... 
Toute fièvre, mime la quarte. 
Guérit en moins d'une semaine 

Sons faute aucune; 
Et je guéris aussi la goutte, 
Tant soit-elle baaae ou soit haute, 

Je l'abas toute.... 

Et de la dent 
Je guéris inanifcsteincnt 
Par un tout petit peu d'onguent. 

Qne vous dirai-je? 
Oyer comment je fais l'onguent, 
En le disant ne mentirai. 

C'est vérité : 
Prenei graisse de la marmotte. 
De la Ecnte de la linotte 

Hardi matin, 
El de la feinllc du plantain,... 
De la poussière de l'étrille. 
De la rouille de la faucille 

El de la laine, 
Et de l'ccorce de l'avoine. 
Piiei, premier jour de semaine, 

Vous en ferez 
Un emplâtre : du jus lavez 
La dent, el l'emplâtre mettez 

Dessus la joue. 
Dormez un peu, je vous le dis. 
Si, uu lever, il n'y a boue, 

Dieu vous détruise ! 



;-r- 



lft4 RUTEBEUF. 

Le boniment se continue en prose : 

Belles gens, je ne suis pas de ces panvres prêcheurs ni de 
ces pauTres herbiers qui vont par devant les églises, avec 
de pauvres chapes mal cousues, qui portent des boîtes et des 
sachets, et étendent un tapis. Car tel vent poivre et cumin et 
autres épices, qui n'a pas autant de sachets qu'ils en ont. 
Sachez que de ceus-là je ne suis pas; mais je suis à une 
dame qui a nom madame Trote de Salerne ^, qui fait un 
couvre-chef de ses oreilles, et les sourcils lui pendent avec 
des chaînes d'argent par-dessus les épaules; et sachez que 
c'est la plus sage dame qui soit dans les quatre parties da 
monde. Ma dame nous envoie ainsi en diverses terres et en 
divers pays, en Fouille, en Calabre, en Toscane, en Terre de 
Labour, en Allemagne, en Saxe, en Gascogne, en Espagne, 
en Brie, en Champagne, en Bourgogne, en la forêt d'Ar- 
denne, pour occire les bêtes sauvages et pour en tirer les 
onguents pour donner médecines à cens qui ont les maladies 
dans le corps. Ma dame me dit et me commanda que, en 
quelque lieu que je vinsse, je disse certaines choses pour 
que ceus qui seraient autour de moi y prissent bon exemple; 
et, parce qu elle me fit jurer sur des reliques quand je la 
quittai, je vous apprendrai à vous guérir du mal des vers 
si vous le voulez ouïr. De par Dieu ! 

Quelques-uns me demandent d'où les vers viennent. Je 
vous fais assavoir qu'ils viennent de diverses viandes réchauf- 
fées et des vins mis en fûts et boutés. Ils se créent dans le 
corps par la chaleur et par Thùmeur, car, comme disent 
les philosophes, toutes choses sont créées par la chaleur et 
par l'humeur, et pour cela viennent les vers dans le corps, 
qui montent jusqu'au cœur, et font mourir d'une maladie 
qu'on appelé mort subite. Faites le signe de la crois! Dieu 
vous en garde tous et toutes. 

Pour la maladie des vers guérir, à vos yeus vous la 
voyez, sous vos pieds vous la foulez, la meilleure herbe qui 
soit dans les quatre parties du monde, c'est l'armoise. Les 
femmes s'en ceignent le jour de la Saint- Jean et en font des 
chapcaus sur leur tête, et disent que la goutte ni le vertige 
ne peut les prendre ni à la tête, ni aus bras, ni aus pieds 

1. Allusion à Trotola de'Roggeri, médecin célèbre de Salerne 
au XI® siècle. 



^1 



ŒUVRES DRAMATIQUES. 145 

ni aus mains ; mais je m'étonne que leur tête ne se brise, et 
que leur corps ne se rompe par le milieu, tant Therbe a de 
vertu en soi. Dans cette Champagne, où je suis né, on 
Fappèle Marrebour, ce qui veut dire la mère des herbes. De 
cette herbe vous prendrez trois racines, cinq feuilles de sauge, 
neuf feuilles de plantain. Battez ces choses en un mortier de 
cuivre, avec un pilon de fer, prenez le jus à jeun par trois 
matins, vous serez guéri de la maladie des vers. 

Or, 6tez vos chaperons, tendez les oreilles, regardez mes 
herbes que ma dame envoie en ce pays et en cette terre ; et .. 

parce qu'elle veut que le pauvre y puisse aussi bien arriver j 

que le riche, elle m'a dit d'en donner pour un denier! Car | 

tel a un denier dans sa bourse qui n'y a pas cinq livres. Et | 

elle me dit et me commanda que je prisse un denier de la ./| 

monnaie qui aurait cours dans le pays et dans la contrée où 
je viendrais : à Paris un parisis, à Orléans un orléanois, à 
Etampe un étampois, à Bar un barrois, à Vienne un vien- 
nois, à Clermont un clermondois, à Dijon un dijonnois, à 
Mâcon un mâconnois, à Tours un tournois, à Troyes un 
tressien, à Reims un reincien, à Provins un provenésien, à 
Amiens un monsien, à Arras un artésien, au Mans un man- 
sois, à Chartres un chartain, à Londres en Angleterre un 
esterlin; pour du pain, pour du vin à moi; pour du foin, 
pour de l'avoine à mon roussin; car celui qui sert l'autel 
doit vivre de l'autel. Et je dis que s'il y avait si pauvre, ou 
homme ou femme, à n'avoir que donner, qu'il s'avance : je 
lui prêterais l'une de mes mains pour Dieu, et l'autre pour 
sa mère, à la condition que d'aujourd'hui en un an il fit 
chanter une messe du Saint-Esprit, je dis nommément pour 
l'âme de ma dame, qui ce méfier m'apprit.... 

Ces herbes, vous ne les mangerez pas ; car il n'y a si fort 
bœuf en ce pays, ni si fort destrier qui, s'il en avait aussi 
gros qu'un pois sur la langue, ne mourût de maie mort, tant 
elles sont fortes et amères ; et ce qui est amer à la bouche 
est bon au cœur. Vous me les mettrez trois jours dormir en 
bon vin blanc; si vous n'avez du blanc, prenez du vermeil; 
si vous n'avez du vermeil, prenez du châtain; si vous n'avez 
du châtain, prenez de la belle eau claire ; car tel a un puits 
devant sa porte, qui n'a pas un tonneau de vin dans sa cave. 
Vous en boirez à jeun treize matins. Si vous y manquez un 
matin, prenez-en un autre ; si vous y manquez le quatrième, 
prenez-en le cinquième; car ce ne sont pas des sortilèges. 
Et je vous dis, par le supplice que Dieu infligea à Corbitaz. 

10 



L 



146 RUTEBBUF. 

le Juif qui forgea dans la tour d'Abilant, à trois lieues d« 
Jérasalem, les trente pièces d'argent pour lesquelles Dieu fui 
Tendu, que vous serez guéri <te diverBes maladies et di 
diverses infirmités; de toutes fièvres, sans eicepter la fièvre 
quarte, de toutes gouttes sans excepter la palatine, de 
l'enllure du corps.... Car si mon père et ma mère étaient en 
danger de mort, et s'ils me demandaient la meilleure herbe 
que je leur pusse donner, je leur donnerais celle-ci. C'est 
!s onguents; qui voudra en 



s, qui m 



voudra pas les laii 



De nos jours, le mal de dents est le seul qui ait le 
privilège d'être traité sur les places publiques par 
des guérisseurs non diplômés. Mais les comptes 
rendus judiciaires nous montrent que tes marchands 
d' II herberie », pour exercer clandestinement leur 
métier, n'en sont pas moins les dignes successeurs 
du charlatan de Rutebeuf. Les exploiteurs de la 
crédulité publique ont d'ailleurs , en dehors des 
remèdes , ample matière à bénéCces. Aujourd'hui 
encore ils vendent, dans nos carrefours, les objels 
les plus divers, et le ton de leurs boniments n'a pas 
changé; c'est toujours la même volubilité d'idées et 
de paroles, la même assurance emphatique, le même 
appel au gros rire, les mêmes flatteries insidieuses 
à l'adresse des petites bourses. Il n'est pas douteux 
que le trouvère n'ait fidèlement reproduit le langage 
des charlatans de son temps, en leur prêtant toute- 
fois un peu de son esprit et beaucoup de sa Tantaisie 
de poète. 

On a prétendu que le dit de l'Herberie ne pouvait 
être rangé parmi les monologues dramatiques parce 
qu'il serait le seul à être mélangé de prose et de 



_ J 



DRAMATIQUES. 147 

vers. Qu'importe? La question de savoir si le dit a 
été réellement porté à la scène est elle-même très 
secondaire. Débité par un jongleur ou par un acteur, 
dans un théâtre, ou partout ailleurs, ce boniment 
devait forcément être jimé. Il fallait entrer dans la 
peau du marchand d'orviétan, imiter ses gestes, son 
débit précipité, ses éclats de voix, en un mot jouer 
le rôle. 

Rutebeuf s'est essayé aussi dans le genre drama- 
tique sérieux, et il y a beaucoup moins réussi. Son 
Miracle de Théophile est cependant un spécimen 
intéressant de ces miracles et mystères du moyen 
âge, où l'on rencontre parfois quelques beaux vers, 
des scènes naïves, d'édifiantes tirades, mais jamais 
un ensemble bien conçu constituant vraiment une 
bonne pièce de théâtre. Le moyen âge est souvent 
heureux dans la comédie, sous ses formes les plus 
populaires, et toujours médiocre, pour ne pas dire 
plus, dans le drame. Aucun mystère ne saurait être 
comparé à la farce de Pathelin. 

Le théâtre est né en France, comme en Grèce, au 
milieu des cérémonies de la religion; la première 
pièce a été une partie de l'office dramatisée. Aujour- 
d'hui encore, le jour des Rameaux, l'évangile de la 
Passion est débité à la grand'messe par deux offi- 
ciants. On faisait de même |)our d'autres récits 
sacrés, avecun plus grand nombre d'officiants, qui 
joignirent bientôt le geste à la parole, qui prirent le 
costume du personnage dont ils tenaient le rôle, et 
transformèrent complètement la narration en drame. 



Lttr^ 



BDTEBEOF. 

icer dans l'église le prophète Bataam 
1 âne. 

ame sortit de l'église pour s'installer 
oisine : cette évolution était déjà ache- 
iècle, mais il nous reste bien peu de 
■t de témoignages pour cette époque. 
Je lui-même ne nous a transmis que 
sérieuses : le Jeu de saint Nicolas de 
d'Arras ' et le Miracle de Théophile 

Ce qui fait le principal inlérêt du Jeu 
las, c'est que la croisade y est mise en 
1 poète qui s'était lui-même croisé et 
lie de lèpre empêcha seule de partir 
e Sainte. Suivant le goût du temps, les 
ilus relevées et les épisodes les plus 
iuccèdent dans ce drame touffu et mala- 
onstruit, qui est cependant supérieur 

de Rutebeuf. 

! de Théophile a été très répandue en 
iphile était vidame d'une église de Cili- 
oir refusé de succéder à son évêque, il 

par le nouvel élu, et destitué de ses 
rite de cette injustice, il fit, par l'en- 
juif, un pacte avec le diable. Mais il se 
tût, et implora Notre-Dame, qui obligea 
ui rendre le pacte signé de lui. Cette 
1 narrée en grec, en latin, en vers fran- 



ie de Jean Bodcl comme d'Adam de la Halle, 
véritable école de poésie et d'art dramatique. 



ŒUVRES DRAM 

çaîs, sculptée sur une des p( 
Paris, et peinte à fresque i 
chapelle de Nancy. Rutebeuf 
dans son Ave Maria et adap 
Mifacle de Théophile. 
^Le Miracle de Thëophili 
scènes qui se passent suce 
pbile, chez Saladin, dans li 
l'évêque, dans une chapelle < 
représentait simultanément, < 
lieux, comme c'était l'usage, 
de l'un à l'autre; il fallait de 
la vallée où le diable donne r 
Aucune trace de division ( 
s'écoulent entre les dix pren 

Le dialogue est généra lem 
syllabes, rimant deux à deu: 
des œuvres dramatiques du 
aussi le rythme en deux met 
Rutebeuf dans ses œuvres s: 
vers de huit syllabes suivis 
poète a presque toujours si 
gemcnts de personnages e 
ensemble; les acteurs, au 
trouvaient ainsi, dans le de 
adressé, la rime qui devait t 
de leur rôle ; cette précaut 
d'une défaillance de mémoii 
nt utile pour des act< 



ŒUVRES OR 



celui qui vous rendrait ^ 
bonne volonté. — Eh bit 
vos honneurs. Revenez d< 



Nouveau monologue de ' 
aux conséquences de son 



Et Notre 
Que fera ma chéti 
Elle brûlera en la 



MaU il pense aussi qu'i 
sion de ses richesses, et c« 
m'a trahi, je le trahirai.' i 

SCÈNE IV. -^ Salabih, l 

Saladin raconte au di 
venir le lendemain, et qu' 

te faire venir un peu vite : 

Bagahi, laça baca 

Lamuc, cabi achal 

Karrelyoa 

Le diable arrive et se [ 
tourmenté. Saladin lui ra 
phile : « J'ai toujours eu 1 



1 pu le conquérir. Puisqu'il 
nne dans ce val, près d'ici, 



rs Saladin et lui demande 

matin et si son affaire est 
i plus grand seigneur que 
\s trouver le diable. » 



:rs le diable, qui le voit hésï- 
: u Ne ressemble pas h un 
.... Joins tes mains et deviens 
hommage, le diable réclame 
st-à-dire une charte avec un 
us de sûreté. Théophile, qui 
lui remet. Le diable lui fait 



: tu feras. 

me en besoin te prie, 

ieu et qu'on vit chastement, 
ne semble qu'un serpent me 
itre.... 



r 



SCENE VU. - 



Courte scène où Vé\< 
chercher Théophile; 
qu'il lui a follement ei 

SCÈNE VIII. — 1 

Pince -Guerre frap|i 

Et vous, qui ètes-vou 
je suis prêtre. L'évêqi 
rendre vos biens. — 
voulu. J'ai eu tort de 
me lit la guerre. Mai! 
me dira. — Je vous i 

SCÈNE rx. - 

L'évèque fait amen 
déclare qu'il lui rend 
bonne patenfltre, rép< 
vilains viendront m'ac 
On ne vaut rien quant 



seigneur, j'y consens. 



Théophile reprocht 
Pierre et Thomas, de 

l'évèque l'a chassé, et 



pent subilement (après plus de 
ans une chapelle de Notre-Dame 
epentir par un long monologue, 

■s diffûrents ; 



li qui fait toat mal ?. .. 



- Théophile et Notke Dame. 

irait et repousse d'abord les sup- 
jhile : « Sors de ma chapelle », 
lie se calme tout à coup, et lui 
sa charte d'engagement avec le 



— Notre Dame, le diable. 
Notre Dame arrache la charte à 



— Notre Dame, Ti 

»orte la charte à Théophile, e 
;re à l'évêque pour qu'il la lis 
sainte église. 






Théophile baille la cl; 
lit au peuple. Il ajoute c 
par Notre Dame, et il tei 
tateurs à se lever pour 

Il est certain que t 
l'enfance de l'art. Rien 
par coups de grâce sub 
l'évêque à de meilleurs 
de Théophile et même 
La partie du drame la m 
où nous assistons aux 
avant le pacte. Le style 
pas rencontré d'inspirati 
décesseur Jean Bodel, qi 
dire à un jeune chevalie 

Seigneur, 91 je suis jcuni 

Le rôle de Théophili 
Vobjurgations contre Die 
/étaient de nature h proi 
\ le mélange du comique 
/ fait dans le caractère de 
( plus près de la réalité qi 
l sa séparation absolue de 

On a conservé, du xr 



' 'X .■; 



CHAPITRE VIII 

VIES DE SAINTS ET FABLEAUX 

Rutebeuf a rimé deux vies de saints, celle de 
sainte Marie l'Egyptienne qui, après une folle jeu- 
nesse, acheva sa vie au milieu des bois dans une 
pénitence qui dura vingt ans, et celle de sainte Elisa- 
beth de Hongrie, la princesse amie des pauvres, 
dont Rutebeuf fut presque le contemporain. 

C'est pour la reine Isabelle de Navarre, fille de 
saint Louis, que le poète traduisit du latin, comme 
il nous l'apprend lui-même, la vie d'Elisabeth. Quant 
à la vie de Marie l'Egyptienne, elle avait été écrite 
par un trouvère antérieur, dont il s'est contenté de 
renouveler l'œuvre. Les deux poèmes sont en octo- 
syllabes rimant deux à deux. 

Les Vies de saints ont subi dans notre littérature 
le même sort que les légendes épiques, et elles ren- 
trent à vrai dire dans le genre héroïque. Elles ont 
eu le même âge d'or, qui s'étend du xi® au commen- 
cement du XIII® siècle. C'est alors qu'elles produisi- 
rent des œuvres de haute valeur, comme la Vie de 



aint Thomas de Cantorbéry. 
beuf est pour ce genre litté- 
cadence. Aussi doit-on se 
œuvres hagiographiques de 
it fastidieux d'analyser ces 
comptent, t'un près de treize 
de deux mille. Le mérite de 
Lir ressortira bien mieux de 
1 est vrai, mais plus courts, 

ses Tableaux. 

s contes en vers ', dans le 
ntaine. Notre littérature en a 
ire au xiii" et au xiv' siècle; 
iècle, ils sont remplacés |>ar 
les Cent Nouvelles nouvelles, 
le Navarre, les Joyeux Devis 
ériers. C'est seulement au 

en vers a repris faveur. 
nt les vilains, les clercs, les 
émmes , qui sont raillés et 

de fableaux. Plus d'une fois 
t le rôle le plus avantageux 
ites, où les trouvères étalent 
lisons et les ruses féminines. 
souvent grossiers, plus que 
ais quelques-uns sont char- 
Ceux de Rutebeuf respirent 

bcs. En dehors des chansons de 



VIES DE SAINTS ET FABLEAUX. 159 

une honnête gaîté, malgré quelques détails un peu 
crus. Ils comptent parmi les meilleurs, les plus litté- 
raires, les plus vivement troussés. Un seul ne peut 
être qu'indiqué, c'est celui que Legrand, d'Aussy 
intitule, par un euphémisme pudique, « V Indigestion 
du vilain », substituant le nom de la cause à celui 
de l'effet. Rutebeuf y explique comment les vilains, 
qui, en tant que vilains, sont exclus du paradis, 
mais que jadis on pouvait recevoir en enfer, ont 
perdu ce dernier asile. Cette histoire obtint un 
grand et durable succès, et à la fin du xv® siècle 
André de la Vigne eut l'audace et l'habileté de la 
porter à la scène sous le titre de la Farce du Meunier, 
La Vengeance de Chariot le Juif est le récit d'une 
aventure arrivée au ménestrel Chariot (celui qui 
ligure dans la Dispute de Cliarlot et du Barbier) à 
la noce du cousin de Guillaume, panetier du comte 
de Poitiers. Le lieu de l'aventure est Vincennes, 
séjour habituel du frère de saint Louis. A la suite de 
la noce, Guillaume avait été désigné par son cousin 
pour être le a maître » de Chariot, c'est-à-dire qu'il 
était chargé de rétribuer les services de Chariot, 
comme jongleur , pendant les fêtes du mariage. 
Rendu de mauvaise humeur par la perte récente 
d'un cheval, il donna au ménestrel, pour tout cadeau, 
la peau du lièvre à la chasse duquel son cheval avait 
pris une fièvre mortelle. Chariot se vengea « vilai- 
nement » de cette mauvaise plaisanterie. 

Qui ménestrel veut engeigner 
Ferait bien de moult barguigner; 






160 RUTEBEUF. 

Car moult souventes fois avient 

Que celui-là est engeigné 

Qui ménestrel engeigner pense ^ ; 

Et s'il remporte bourse vide, 

Je ne vois nul qui bien s'en trouve.... 

Apprenez ce qui à Vincennes 
Avint, n'a pas un an entier, 
A Guillaume le panetier. 
Ce Guillaume, dont je vous conte, 
Qui est à monseigneur le comte 
De Poitiers, chassait l'autre jour 
Un lièvre, car il eut loisir. 
Le lièvre, qui les chiens craignait, 
Moult durement se dérouta. 
S'enfuit beaucoup et longuement, 
Et on le chassa durement. 
Assez courut, assez alla, 
Assez gauchit et çà et là. 
Mais à la fin je vous dis bien 
Qu'à force le prirent les chiens : 
Pris fut sire Couard le lièvre. 
Mais le roussin en eut les fièvres, 
Et sachez que plus ne les tremble. 
Ecorché en fut, ce me semble. 
Guillaume son roussin pleura 
Et mit la peau à essorer. 
La peau. Dieu me donne salut ! 
Coûta plus qu'elle ne valut. 
Or nous laisserons là la peau, 
Il la garda et bien et bel 
Jusques au temps que vous orrez : 
De l'ouïr vous éjouirez.... 

Le cousin de Guillaume fit 
Une noce qui fut commune 2 ; 

1. La Fontaine, fable de la Grenouille et le Rat : 

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui, 

Qui souvent s'engeigne soi-même. 
J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui 
Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême. 

2. Une noce où il y eut beaucoup d'invités. 



FABLEAVX. 

Assez y eut de belles gens, 
Cène snia-je combien y farenl. 
Beaucoup mangèrent-ila cl burenl, 
BcBncoup ils firent ftte et joie. 
Moi-même, qui présent étais, 
N'en vis jamais si belle faire, 
Ni qui pût tout autant me plaire. 
Par les biens que Dieu noua réserve 
N'est réunion (qui) toujours dure. 
Les bonnes gens se sont quittés, 
Gbaeun s'en Ta de son eùté. 
Les ménestrels déjà bottés 
S'en Tinrent droit à l'épousé. 
Nul n'y Tut de parler en reste : 



Ni mes paroles prolongeant? 
Cbacun maitrc eut, même Chariot, 
Qui n'était pas moult beau varlet. 
Chariot eut pour maitre celui 
A qui te ItèTre fit ennui. 
Pour lui il rejut une lettre 
Moult bien scellée el bien écrite. 

Ne pensez pas que je tous mente : 
Chariot s'en est allé au bois, 
A Guillaume sa lettre baille. 
Guillaume la rerut sans Faute, 
Guillaanie la commence à lire, 
Guillaume se mit à lui dire ; 
« Chariot! Chariot, beau dons ami. 
Vous êtes ci it moi transmis 
De noce & mon cousin germain. 
Mais je crois bien, par saint Germain 
Que je vais vous donner tel chose, 
Dussé-je des regrets uToir, 
Qui m'a coùlé plus de cent sous, 
Par la merci que Dieu me Fasse I » 
Lors appelé ses serTitcurs. 
Qui furent sages et fidèles; 
La peau du liéTre fit chercher 



RDT&DEUF. 

Pour qui il fit maint pas sur terre. 
Il* l'apportent en toute hûle, 
Et Guillaume de recbef jure : 
n Chariot, pur la grilee de Dieu, 
Par tout le bien qu'il peut me faire, 
Tant me coûta comme j'ai dit. 
— L'on n'en aurait pas samedi. 

Il prent la peau qu'on lui tendît, 



Pensif il est sorti dehors. 
Et il pense dedans son cteur. 
S'il peut, qu'il la lui saura r( 
En la rendant la lui vendit. 
Il a trouvé ce qu'il fera, 
Et comment il la lui rendra 
Pour lui rendre la félonie.... 



Il fut ainsi deus fois capot : 
Du ménestrel il fut berué, 
Et du Uivre il fut mal bailli. 
Car son cheval il en perdit. 
Butebeuf dit, bien m'en souvient ; 
n Qui cherche à tourber, fonrbe trouve 



vengeance de Chariot est d'une telle nature 
nous avons dû omettre les vers où elle est 
itée. 

tte pièce donne une idée assez complète du 
e des fableaux, du ton qui domine dans tous, 
i mérite littéraire qui distingue les meilleurs. 
Bcit de la chasse au lièvre et celui de la noce 
ent de petits tableaux intéressants et mouve- 
és, et l'entrevue de Guillaume et de Chariot 
agénieuBement présentée. Le dialogue, ici, est 



court et pris sur le vif. Les négligences qu'on peut 
relever sont inhérentes au genre même , qui est 
sans prétention, et au mètre employé, le vers de 
huit syllabes, où le laisser-aller est presque inévi- 
table. On peut comparer le récit de Rutebeuf, non 
pour le sujet, mais pour l'allure, à un délicieux 
fableau du xix" siècle, Simone, d'Alfred de Musset : 

Dans le beau paya des Toscans 
Vivait jadit, DU bon vieux temps, 
La pauvre enfant d'un pauvre père. 
Dont Simonette fut le nom. 
Fille d'humble condition, 
Passablement jeune et jolie, 
Avenante et douce en tout point, 
Maie de l'argent n'en ayant point. 
Et donc elle gagnait sa vie 
De la laine qu'elle filait 
An jour le jour, pour qui voulait. Etc. 

11 ne faudrait pas tenir rigueur à Rutebeuf pour 
d'aimables négligences qu'on tolère, qu'on loue 
même parfois, chez d'autres. 

La Vengeance de Chariot n'est pas le seul fableau 
de Rutebeuf dont le sujet soit emprunté à une aven- 
ture contem|>oraine. C'est aussi le cas du dit de Frère 
Denyse, au moins selon toute vraisemblance. Pour 
bien comprendre on des détails importants du récit, 
il faut savoir que le nom masculin Denys avait au 
moyen Sge la double forme Denys ou Denyse. On 
disait « saint Denys » ou o saint Denyse ». Denyse 
n'était donc pas exclusivement, comme aujourd'hui, 
une forme féminine. 



e, par laquelle s'ouvrent tou- 
plus développée dai^^ Frère 
igeance de Chariot. 



, ne fait l'criiiile. 
ermila^ habite, 

int deus (étus 
i la vèturo, 

Doai le promet, 
pen» font belle montre 
I semblant < qu'ils Tiiiltei 
:8 arbres qui trompent, 
p beau» CD la fleur, 
l telles gens mourir 



shommcs plus de vingt 
me femme requise; 

e mariage, 
d...i..n.... 
. ft Notre Dame. 

noble fut, 

t feu son père. 

t, ni steur ni frère : 

a mère ensemble. 

'9 hantaient chez elles. 



FABLEAUX. 165 

Tous ceus qui par hasard passaient. 
Or ayint qu'un d'eus y hanta 
Qui la demoiselle enchanta, 
Je TOUS dirai en quel manière. 

La jeune fille ayant exprimé au Frère son désir 
d'entrer en religion : « Ah! lui dit le Frère, si vous 
vouliez mener la vie de Saint-François, vous ne 
pourriez manquer d'être un jour une sainte! » Puis, 
pour mieux Tabuser , il feint de combattre l'idée 
qu'il a fait naître en elle, lui représente que, pour 
entrer dans l'ordre de Saint-François, il faut qu'elle 
soit sûre de pouvoir garder à Dieu une fidélité iné- 
branlable. Elle en fait le serment en toute bonne foi. 



Alors le Frère la reçut. 
Par sa ruse il sut tromper celle 
Qui ne pensait à fourberie : 
Sur son ûme il lui défendit 
Que nul ne connût son projet, 
Qu'elle fit si secrètement 
Couper ses belles tresses blondes 
Que jamais ne le sût le monde, 
Et qu'elle prît tels vêtements 
Gomme à jeune homme conviendrait. 
Et qu'ainsi mise elle vint droit 
Au couvent dont il est custode. 
Lui, qui était plus faus qu'Hérodc, 
Part alors et lui fixe un jour. 
Et elle a pleuré mainte larme 
Quand loin d'elle partir le voit.... 

Elle croit comme prophétie 
Tout ce qu'il lui a sermonné ; 
Elle a son cœur à Dieu donné ; 
Lui, a fait du sien un tel don 
Dont il espère bon salaire. 
Sa pensée est tout le contraire 



i 



** — ■ 



■P»^'' 



FABLB&UX. 1«7 

El fui bien de chanter appriac. 
Elle chantait avec les autres 
Moult bien et moult courtoisement. 
Et moult se tient hoiEnétemenl. 

Or eut demoiselle Denjsc 
Ce qu'elle voulait à son gré. 
Son nom ne lui Tut pae change : 
Frère Denysc l'appelèrent. 
Frère Denyee moult aimèrent 
Tous les frères de ce couvent; 
Mais plus l'aimait frère Simon.... 
Vie il menait de débauché, 

Il lui apprit la patenâtre, 
Qu'elle retenait volontiers. 

Frère Simon, dans ses tournées de quête, ne vou- 
lait plus d'autre compagnon que frère Denyse. Or, 
un jour qu'ils étaient venus chez un chevalier qui 
avait de bons vins dans sa cave, la dame du chevalier 
fut frappée de la mine de frère Denyse. 

Bientôt s'est apcrcju la dame 

Que frère Denyse était femme. 

SaToir veut si c'est yrai ou fable. 

Quand l'on eut fait ôter la table, 

La dame, qui bien tut apprise, 

Prit par la main frère Denyse ; 

A son mari elle sourit, 

En souriant lui dit : a Beau sire. 

Allez là dehors vous ébattre. 

Et faisons deus parts de nous quatre : 

Frère Simon aille avec vous, 

Frère Denyse est désigné 

Pour ma confession ouïr a. 

Lors ne songent ù s'éjouir 

Les Cordeliers I Dedans Pontoise 

Voudraient bien être; moult leur pèse 

Ce que la dame vient de dire : 

Ne lear plut pas cette parole, 



UTEDEUP. 

e la découverte. 



idre pénitence ». 

nés péchés dire 

1 sa chambre aller 

se elle enferme. 

eilla tel folie 
1 religion ? 
ion que Dieu 
irder â la mort, 



Ile peut veut nier; 
la fit concluse 
s qu'elle lui donne, 
: s'en put défendre. 

m,m. I. ..ppir.' 
lui faire honte. 

<ut tout lui conta, 



que jamais 

n'en fut tant dit: 

[■d, faus hypocrite, 

t de lieua nouée, 
«une journée. 



De telles gens perdent le monde, 
Qui dehors aerablent £tre boas 
El par dedans soat tout pourris! 



Un te) ordre, par saint DenfB. 
N'est n[ noble, ni beau, ni bon! 
Vous défendez auB bonnes gêna 
Les danses et les sauteries, 
Vielles, tambours et eithares, 
Et tous plaisirs de ménestrels 1. 
Or dites, sire haut tondu, 
Saint François eut-il telle vie? 
Bien avez bonté mérité. 
Gomme faus traître reconnu. 

Qui TOUS paira votre mérite I >> 
Lors elle ouvre une grande huche 
Pour mettre le Frère dedans. 



Frère Simon 


se jète à lerr. 




Se met 




devant la da 




Et le cbevalier! 


t'humilie, 




Qui par 




ise eut le cœu 


r tendi 


Quand 1 


Fit le Fr 




■étcndr 


Il le lève par la 


. main droite 




« Frère, 


tait-il. 


voulez- vous être 


De cette 


affaire et quitte et libre f 



Quand le Frère entent la nouvelle, 
Onques n'eut (el joie en sa vie. 
Lors a sa parole donnée 



Alors il part, congé a pris. 

I. Les danses du xiii* siècle paraissent avoir été Tort 
sées. Les prédicateurs les condamnent surtout à cause des 
rains qui les accompagnaient. 



170 RUTBBEUF. 



La dame traita demoiselle Denyse avec la plus 
grande courtoisie, Tassurant que personne ne sau- 
rait jamais son secret, et qu'elle serait bien mariée : 
elle n'avait qu'à choisir dans toute la contrée celui 
qu'elle préférerait. Sa mère, mandée par un message, 
accourut pleine de joie; la dame lui fit croire que 
Denyse s'était faite fille-Dieu, et qu'ellf l'avait enlevée 
à une de ses compagnes qui, un soir, l'avait amenée 
chez elle. 



Pourquoi vous en dire plus long, 
Ni leurs paroles raconter ? 
Tant fut Denyse chez la dame 
Que les deniers furent payés. 
Après, n'ont guères attendu 
Qu'elle fut à son gré lotie ; 
A un. chevalier fut donnée, 
Qui l'avait autrefois requise. 
Elle eut nom madame Denyse 
Et fut à moult plus grand honneur 
Qu'en habit de frère Mineur. 



Cet agréable conte a été plus ou moins directe- 
ment imité par les a nouvelliers ». Il paraît aussi 
que l'histoire véritable, origine probable du conte, 
s'est reproduite sous Henri III à Paris, en 1577 : 
la demoiselle s'appelait en religion frère Antoine. 

Un des fableaux de Rutebeuf rentre dans la caté- 
gorie des c( Miracles de Notre Dame », car on don- 
nait ce titre non seulement aux miracles dramatisés, 
mais encore aux miracles narrés. C'est l'histoire du 
Sacristain et de la femme du chevalier. Ce miracle 
avait été commandé à Rutebeuf par un certain Benoît, 



k^ 



r 



vais goût ; 



FABLEAUX. 171 

il ioue avec un indéniable mau- 



c ce soit en la benoîte heure 
e Benoît, qui son Dieu adore, 
fait taire une benoîte œuTre! 



11 souhaite de bien g;agner i'argent 
prorais pour son travail, ce qui amènt 
pement sur les marchés et les marci 
être honnête dans ses œarchés, si on ' 
traité an jour du Jugement dernier. 11 
garder de l'envie, qui ressemble à un h 
toutes parts sont les poinçons ». Suit i 
l'Envieux, qui se retrouve identiquei 
la Voie de Paradis. Rutebeufva raconte 
deux personnes « qui ont été exposées 
diable n, et c'est ainsi que le récit se ratt 
duction, qui en paraît d'abord fort éloij 

La dame d'un chevalier avait toutes 
toutes les piétés. Elle était surtout t 
Notre-Dame. Dans la ville ou elle habita 
une abbaye de chanoines réguliers, don 
était aussi très pieu\ et très dévot à Ni 
n'était pas avare et ne songeait pas 
chandelles allumées par les fidèles de^ 
Notre-Dame, avant qu'elles fussent to 

La dame rencontrait le chanoine 
l'église. Jaloux de leur piété, le démon 
de l'amour l'un pour l'autre : 



RUTEBEUF. 

is était oublié, 

1 esprit fut dévoyé ; 

d il Tonlait grâccB rendre, 

s il lai fallait reprendre 

ne la moitié fût dite. 

soin que Dieu lui aidel 

le nom de chanoiae, et de l'ordre 
n il ne lui reste que l'habit. La 

oins tourmentée. Dieu ne possède 



ustcment, ce me semble : 
onnc blé, diable le yoIc b, 
inbles ont bien volé 



ia dame s'aiment donc, mais sans 

e le tient par l'oreille. 

Il ehanoine, pourquoi tardes 
e dame ne regardes? 
elle, cours et la prie! v 
[cite, tant le tourmente 

xl par force venir. 






-':-^7' 



FABLE AUX. 173 

Ne puis plus ma douleur couvrir, 
Par force il faut ma bouche ouvrir.... 
Vous me serrez souvent le cœur, 
Dame, je vous aime d'amour ! » 
Dit la dame : « Vous êtes fou!... 

— Dame, dame, pardonnez-moi ! 
Je souffrirai et jour et nuit 
Désormais mon mal et ma peine, 
Avant que de vous faire offense. 
Taire me faut, je me tairai.... 
Par moi ne serez tourmentée. 

— Mon beau seigneur, ne me puis taire. 
Vous aime tant, ne se peut dire ! » 

Après cet aveu, la dame propose au chanoine de 
fuir ensemble, et d*emporter tout ce qu'ils pourront 
avoir. Ils prennent chacun de leur côté tout ce qu'ils 
peuvent; le chanoine pille le trésor de l'église, ne 
laisse ni croix ni calice. Les voilà partis comme 
s'ils allaient au marché, leur bagage pendu au cou. 
Ils vont ainsi à quinze lieues. Pendant ce temps, 
grand émoi au couvent quand on s'est aperçu du 
départ du sacristain et du vol commis. 

Le couvent dort, ne se remue. 

Le couvent la déconvenue 

Ne sait pas ; savoir lui faudra, 

Car un convers au couvent vient, 

£t dit : (( Seigneurs, sus vous levez, 

Si ce jour lever vous devez. 

Car il est beau jour, clair et grand ». 

Chacun de se lever se hâte, 

Quand ils ont le convers ouï. 

Durement furent ébahis ! 

Car n'avaient ouï sonner cloche. 

Ni campanelle, ni horloge. 

Or disent tous, sans plus chercher, 

Que le soir avait été ivre 



i»y*^ 




RUTEBBItP. 

Lenr ■acriitaiD, tant avait ha 
Que le vin l'avait dû tromper. 
Mais je crois qu'autre chose y n, 
Par Toi que dois à Notre Dame l 

lis sont à l'égilise Tenus, 
Petits, grands, jenaes et chenus. 
Le sacristain ont appelé, 
Qui 1g trésor avait pillt.... 
Quand ils furent entrés au chceur. 
Chacun voudrait bien être hors. 
Car tous avaient si grande peur 
(Rien ne savaient les uns des autres), 
Que la chair leur frémit et tremble. 
L'abbé leur parle à tous ensemble : 
n Seigfneura, dit-il, nous voilA bieni 
Le sacristain nous a volés. 
Frire, dit-il au trésorier, 
LaisBÛtea-vous le trésor hier 
Bien fermé ? Prenci-y bien gnrde, v 
Et le trésorier y regarde. 

I ne trouve dans le trésor 



, le chevalier s'aperçoit de la fuite de 
s de doute, elle est partie avec le cha- 
uettent tous, au grand galop de leurs 
poursuite des coupables. On arrive, 
e ait sonné, dans la ville où ils s'étaient 
informe, on donne le signalement des 
>nt dénoncés par une Béguine : 



FABLEAUX. 175 

On s'empare du chanoine et de la dame, et on les 
met en prison. Après quoi, le chevalier et les moines 
s'en retournent chez eux, en attendant le jour du 
jugement. 

Cependant le sacristain et la dame commencent à 
reprendre leurs esprits, il leur semble qu'ils ont été 
ivres. Ils invoquent l'un et l'autre Notre-Dame, la 
priant de les arracher aux enchantements du démon. 
Notre-Dame leur apparaît dans la prison, au milieu 
d'une clarté « dous-fleurante ». Elle tient enchaînés 
les deux diables qui ont fait tout le mal, et leur 
ordonne de le réparer. Ils prennent sur leur dos l'un 
le chanoine, l'autre la dame, et les rapportent « grand 
erre » dans leur lit : 

L'un met le moine dans sa couche, 
Et l'autre a la dame couché 
Près son seigneur si doucement 
Que lui, qui dormait durement, 
Ne s'éveilla ni ne dit mot. 

Puis les diables replacent chez le chevalier et dans 
le trésor du couvent les objets et l'argent qui avaient 
été volés. Tout est remis dans le même ordre qu'au- 
paravant ; de ce qui s'était passé il ne resta pas plus 
de trace que d'un coup dans l'eau. 

A l'heure de matines, le sacristain se lève comme 
d'habitude et sonne la cloche. Nouvel émoi dans le 
couvent; on se précipite à l'église, on est ébahi d'y 
voir le sacristain, qu'on croyait en prison à quinze 
lieues de là. 11 se défend du crime qu'on lui impute, 
et on trouve en effet le trésor intact. Même scène 






r 



176 RUTEBEUF. 

chez le chevalier. A l'heure où elle avait coutume 
de se rendre à Téglise, la dame se lève, met sa che- 
mise (on la quittait pour se coucher) et prend sa 
robe. A ce moment le chevalier s'éveille. Plein 
d'effroi, il saute du lit, saisit une torche, fait cent 
signes de croix. Puis il va au couvent : 

« Seigneurs, dit-il, je tiens ma femme. 
Ravez-Yous votre sacristain? 
— Oui, oui, lui répondent les moines. 
De nous un fantôme se joue. » 

On se rend ensemble à la ville voisine, et on 
trouve dans la prison les deux diables, qui avaient 
pris le costume et la ressemblance de la dame et du 
chanoine. Gomment se tirer d'un pareil embarras ? 
On va chercher l'évêque, qui arrive en toute hâte, 
et obtient des diables l'aveu de leurs méfaits ; ils 
reconnaissent qu'ils ont perdu leur peine et n'ont 
pu faire pécher le chanoine et la dame. 

Messire Benoît a su cette histoire, et l'a racontée 
à Rutebeuf : 

Et Rutebeuf en un conte a 
Mise la chose et la rima. 

On voit que, sauf l'intervention finale de Notre- 
Dame, le miracle du Sacristain et de la femme du che- 
valier e^X un véritable fableau. L'intérêt n'y faiblit pas 
un instant, et on peut y signaler en particulier deux 
épisodes supérieurement traités : le tableau du désar- 
roi du monastère après la fuite du sacristain, et la 
scène d'amour presque ingénu où la dame et le cha- 
noine, poussés par le diable (qui joue le rôle de 



^ 



FABLEAUX. 177 

rinstînct dans les aventures non miraculeuses), se 
font en rougissant l'aveu délicieusement gauche de 
leurs tendres sentiments. 

Les sujets des deux autres fableaux de Rutebeuf 
sont empruntés à la littérature populaire, et ont été 
maintes fois traités, avec des variantes souvent con- 
sidérables. Ces fableaux sont : le Testament de l'dne 
et la Dame qui fit trois tours autour du moâtier. 

Le premier débute par cette sentence : k Celui 
qui poursuit la richesse en ce monde est exposé 
aus ennuis de la médisance ». Et Rutebeuf ajoute : 
Si dix personnes sont assises à sa table, il y aura 
six médisants et neuf envieux, qui par derrière 
l'estiment moins qu'un œuf, et, par devant, lui font 
de grands saluts. On le verra bien dans l'histoire 
de ce prêtre, qui avait une bonne église et mettait 
tous ses soins à thésauriser. Ses greniers étaient 
pleins de blé, et il s'entendait à bien le vendre. Il 
possédait un âne comme on n'en vit jamais, qui vingt 
ans entiers le servit, et l'aida fort à s'enrichir. 
Quand son âne mourut de vieillesse, il ne voulut pas 
le laisser éco.rcher, mais il l'enfouit au cimetière. 

Ce prêtre avait un évêque bon vivant : 

L'évoque était d'autre manière ; 
Gonvoiteus ni chiche n'était, 
Mais courtois et bien accueillant. 
Quelque perclus qu'il eût été» 
S'il eût vu prud'homme venir, 
Nul ne l'eût pu au lit tenir» 
Compagnie de bons chrétiens 
Était son premier médecin ; 
Tous jours était pleine sa table. 

12 



nUTEBEUF. 

m parlait à sa table des clercs riches et 
avares. On cita notre i>rètre, on raconta 
(agéra sa richesse, et un des convives 
avait fait pis qu'un Bédouin, qu'il avait 

Baudouin en terre bénite. 
s'indigne et cite le prêtre devant lui. 
aparatt, reçoit les reproches de son 
emande à prendre consei-l avant de ré- 
qui lui est accordé. Il ne se troublait 
int bien qu'il avait bonne amie, c'est sa 
jour fixé, il apporte dans une courroie 

de bonne monnaie. « Seigneur, dit-il 
mon âne a longtemps vécu, il m'a servi 
ingt ans entiers : 

iHcuii aa il gagnait vingt soos, 
[int qu'il a épargné vingt livre», 
ïur qu'il soit d'enfer délivré,. 
voua les laisse en teatament. a 
'. dit l'évéque : « Dieu l'umendc, 
; lui pardonne ses méfaits 
: tous les péchés qu'il a faitel d... 

n payant bien et bel sen legs. 

histoire est racontée par Le Sage d'un 
chien, et c'est probablement la forme 

:main il vint chez moi un homme qui me 
eur Sidy Hally, une affaire importante 
hez vous. Monsieur le cadi veut vous 
nez, s'il vous plaît, lapeinedevenirchez 
heure. — Apprenez-moi de grâce ce qu'il 



FABLEâUX. 179 

« me veut, lui répondis-je. — Il vous l'apprendra lui- 
« même, reprit-il; tout ce que je puis vous dire, c*est 
« qu'un marchand arabe qui soupa hier avec vous lui 
« a donné avis de certaine impiété par vous commise 
« à l'occasion d'un chien que vous avez enterré ; vous 
« savez bien de quoi il s'agit; c'est pour cela que je 
« vous somme de comparoître aujourd'hui devant ce 
« juge, faute de quoi je vous avertis qu'il sera procédé 
« criminellement contre vous. » Il sortit en achevant 
ces paroles, et me laissa fort étourdi de sa sommation. 
L'Arabe n'avoit aucun sujet de se plaindre de moi, 
et je ne pouvois comprendre pourquoi ce traître 
m.'avoit joué ce tour-là. La chose néanmoins méritoit 
quelque attention. Je connoissois le cadi pour un 
homme sévère en apparence, mais au fond peu scru- 
puleux, et de plus avare. Je mis deux cents sul tanins 
d'or dans ma bourse, et j'allai trouver ce juge. Il me fit 
entrer dans son cabinet, et me dit d'un air rébar- 
batif : « Vous êtes un impie, un sacrilège, un homme 
« abominable. Vous avez enterré un chien comme un 
«musulman! quelle profanation! Est-ce donc ainsi 
« que vous respectez nos cérémonies les plus saintes ? 
« et ne vous êtes-vous fait mahométan que pour vous 
« moquer de nos pratiques de dévotion ? — Monsieur le 
« cadi, lui répondis-je, l'Arabe qui vous a fait un si 
« mauvais rapport, ce faux ami, est complice de mon 
« crime, si c'en est un d'accorder les honneurs de la 
tt sépulture à un fidèle domestique, à un animal qui 
a possédoit mille bonnes qualités. 11 aimoit tant les 
a personnes de mérite et de distinction, qu'en mou- 



L___ 



nUTEBEUF. 

ne il avoulu leur donner des marques de son 
I leur laisse tous ses biens par un testament 
Tait, et dont je suis l'exécuteur. II lègue à 
gt écus, trente à l'autre ; et il ne vous a point 
monseigneur, poursuivia-je en tirant nia 
: voilà deux cents snltanins d'or qu'il m'a 
de vous remettre. » Le cadi, à ce discours, 
gravité; il ne put s'empêcher de rire, et, 
DUS étions seuls, il prit sans Taçon la bourse, 
; en me renvoyant ; « Allez, seigneur Sidy 
eus avez fort bien fait d'inhumer avec pompe 
eur un chien qui avoit tant de considération 
s honnêtes gens, n 

de la Dame qui fit trois tours autour du moâ- 
ttache à la série si nombreuse des récita 
\9 où l'on met en jeu les ruses féminines, 
re se termine par le triomphe de la femme 
, et l'on voit une fois de plus que nos Irou- 
sc piquaient pas de faire tourner les gauloi- 
leçons de vertu, comme l'essaya plus tard la 
Navarre. 11 y a cependant, suivant l'usage, 
;me deux « morales o, l'une au début, déve- 
'autre à la fin, condensée en une brève sen- 
is c'est de la morale à la façon de LaFontaine: 

son du plus fort eil toujoare la meilleure. 

eçon, c'est une legon de choses, pratique 
'expérience. On y apprend à ae méfier du 
n peut subir beaucoup plus que de celui 
Ut faire. 



FABLEAUX. 181 

Le fableau est assez court pour être donné tout 

entier : 

Qui femme Toudrait décevoir, 
J« lui fais bien apercevoir 
Que plus tôt décevrait le diable.... 
Celui qui veut punir sa femme 
Chacun jour la peut torturer : 
L'endemain elle est toute saine 
Pour souffrir pareille autre peine. 
Quand femme a mari débonnaire 
Et qu'avec lui elle a querelle, 
Elle dit tant de menteries, 
De contes et de fanfreluches 
Qu'elle lui fait par force entendre 
Que le ciel sera demain cendre ; 
Elle gagne ainsi son procès. 

Je pense à une demoiselle. 
Qui fut femme d'un écuyer 
De Chartre, ou berrichon peut-être. 
La demoiselle, en vérité. 
Etait d'un prêtre moult amie. 
Bien l'aimait-il et elle lui, 
Et pour rien elle n'eût manqué 
De faire en tout sa volonté, 
Diit-il en coûter peine à d'autres. 
Un jour, au partir de l'église. 
Le prêtre avait fait son service, 
Laisse à plier ses vêtements. 
Et va demander a la dame 
Que le soir en un bosquet vienne. 
Parler lui veut de quelque affaire : 
Je crois que peu je gagnerais 
Si je vous disais quelle affaire. 
La dame répondit au prêtre : 
« Seigneur, me voici toute prête. 
Le moment est à point choisi. 
Car il n'est pas à la maison. »... 

Or les deus maisons n'étaient pas 
Près l'une l'autre à quatre pas : 
Il y avait, ce qui leur pèse. 
Le tiers d'une lieue française. 



i 



lUTEBEUP. 




une était un bo 


iis 


>utume en Gfili 


nais. 


let dont je lou, 


* parle 


■ liant prudhon 




idelle A saint A 


niould'. 


id déjà mainte étoile 


el, comme il m 


e semble, 



lame il mésavint 
Duld son mari vint, 

et tout eagclé : 

était allé. 
Bile s'attarder, 
prêtre il lui aourint, 
a tout préparé, 
,» faire veiller. 
it cinq mets ni quatre, 
r, g^èrcB s'ébattre 

■ dit : n Beau dous eire, 

', vous fcrei bien. 

lal, sur toute cboac, 

uand il est lassé; 

OTanehÉ assez, o 

,«[ tant lu! eonseille, 

, que la bouche pleine 

: aller coucher, 

ipper grand désir. 

■-v y alla, 

D femme appela 

>ult la prise et l'aime : 

fait-elle, il me faut Iran 

e que je fais, 

lis fort empêchée, 

ne sais que j'en fasse, 
soit telle filasse, 



Dil r*cujer, comme est la vôtre ! 
Par ma Tai en saint Paul l'apaire. 
Je Toudrois qu'elle fût en Seine! « 
Alors ee eouchc, puis se signe. 

Et elle a'en va de la chambre. 
Point ne perdit-elle eon temps 
Pour venir où le prélre attcnt. 
Les broB se tendent l'un à l'autre, 
Et furent lu en grande joie 
Tant qu'il fut bien prca de minuit. 
Du premier somme Arnould s'éreillG, 
Moult il a grand élonneraent 
Quand près de Ini ne sent sa femme : 
« Chambriire, où est votre dame ? 
— Elle est là hors, en cette ville, 
Chez sa commère, où elle file, a 
Quand il entent qu'elle est dehors, 
Vrai est qu'il fit moull laide mine, 
Prent son surcot, et se leva, 
Il va quérir sa demoiselle. 
Chez sa commère la demande, 
Ne trouve qui nouvelle en donne, 
Car point n'y avait-elle été. 
Voici notre homme en frénésie. 
Près d'eus, cachés dans le bosquet. 

Et quand il fut outre passé ; 
a Seigneur, fail-ellc, c'est assez. 
Or convient-il que je m'en aille ; 
Vous apprendrez noise et bataille ! • 



Que 


vou 


allez être battue ; 


Onq 




moi ne pensez plus ! 


— S 


igné 




Dit 


a demoiselle en riant. 


Que 




irais-je imaginant f 


Cha 


•uns 


en vint à son logis. 


Arno 


nid, 


cauché, ne se put tair 


. In 


dign 


et vile créature. 


Que 




SDvez la mal trouvée 


Dil 


écnyer; d'où venez-vous? 



nrTEBEVF. 



le SE tut; il s< 

Ab ! par le sang et par le (oie I 

ir la fressure, par la tète 1 

le vient d'avec notre prêtre, s 

nsi dit vrai, et ne le sut. 

aand il voit quel ne se défent, 
m s'en raat de CDurrous n'éclate, 
pense bien en aventure 

)lcre le presse et l'attise. 

t femme il saisit par les tresses, 

>nr la frapper son conteau tire. 



us entendrci là grande ruse! ') 
imerais mieus <ïtrc en la fosse! 
li est que je suis de vous grasse, 
l'an me conseilla d'aller 

lis tours, dire trois patenMres 
ir JésDS-Cbrist et ses apûtres, 
re une fosse au pied du mur, 
que par trois jours j'y revinsse. 
tiers jour la Irouvais-je ouverte ? 
st un Sis qu'avoir je devais, 
dose elle élait. c'était fille. 
tonl ce que j'ai fait ainsi 
vaut, dit la dame, une bille. 



Il voyage ni de la voie? 

ont â tort bMmé je vous ai, 
étais homme à n'en dire mol 



X auditeurs du Tableau. 



FABLEAUX. 185 

Alors se turent, font la pais ; 
Il n'en doit plus parler jamais. 
Quoi que sa femme puisse faire, 
N'entendra plus menace ou noise. 
Rutebeuf dit dans ce fableau : 
« Mari niais de femme est joie ». 

La facilité avec laquelle les poètes du moyen âge, 
d'ailleurs très pieux, faisaient jouer à des prêtres 
un rôle immoral, trouve son explication dans les 
désordres du clergé du temps et dans les sentiments 
de réprobation mitigée que ces désordres inspi- 
raient. Les prêtres dont la vie était honnête, et qui 
condamnaient ces abus, n'en faisaient pas une cause 
d'indignité absolue pour leurs collègues moins aus- 
tères, et saint François d'Assise lui-même recom- 
mandait de les respecter : « La souillure de leurs 
mains, disait-il, n'enlève rien à la vertu des sacre- 
ments ». Certains prêtres vivaient publiquement en 
état de concubinage, ce qui n'empêchait personne 
d'aller à leurs messes. On se bornait à éviter d'échan- 
ger avec. la prêtresse le baiser de paix, comme avec 
les autres assistants; car alors, d'après la super- 
stition courante, on aurait perdu tout le fruit de la 
messe. Le paysan qui conjurait les rats de respecter 
son tas de blé leur disait : 

Je vous conjur, souris et rats, 
Que TOUS n'ayez part en ces tas 
Pas plus que n'a part en la messe 
Qui reçoit pais de la prétresse. 

Les prêtres impurs ne scandalisaient pas plus nos 
ancêtres dans les fableaux que dans la réalité. 



CONCLUSION 



h 



Les qualités maîtresses de Rutebeuf sont la verve, 
l'entrain, le trait et, quand il y a lieu, la couleur. 
Pâle ou rudimentaire dans les œuvres des siècles 
précédents, la couleur prend chez lui plus d'éclat, 
plus de variété et de relief. Il tire un effet charmant 
du mélange et du croisement des images, comme 
dans la Grièche d'hiver^ où il se compare à la fois à 
l'osier et à l'oiseau, indiquant tout d'abord la pre- 
mière idée pour y revenir après avoir développé la 
seconde : 

Ainsi suis comme l'osier franc 

Ou comme l'oiseau sur la branche : 

L'été, je chante ; 
L'hiver, je pleure et me lamente, 
Et me défeuille ainsi que l'arbre 

Au premier gel. 

Il a vraiment inauguré et il personnifie au xm® siècle 
l'esprit français, cet esprit primesautier qu'on retrou- 



i 



^^r* 



CONCLUSION. 187 

vera plus tard chez Villon, chez Marot et Bonaven- 
ture des Périers, chez La Fontaine, chez Voltaire. 
Avant lui, on peut rencontrer des traits d'esprit 
épars dans les œuvres littéraires; on ne citerait pas 
une seule pièce achevée, finement ingénieuse d'un 
bout à l'autre, comme le dit de Brichemer, celui des 
Rihauds de Grève ou celui des Béguines. Pour la 
première fois on trouve dans les bons passages de 
Rutebeuf l'harmonie parfaite de l'idée et de l'expres- 
sion : 

Ce sont amis que vent emporte, 
Et il Tentait devant ma porte : 
Sont emportés ! 

Quel est le poète, parmi nos meilleurs, qui n'eût 
voulu signer ces trois vers ? Et ils portent bien la 
marque de Rutebeuf; si les manuscrits qui les ont 
conservés n'avaient pas nommé l'auteur, on n'eût 
pas hésité à les lui attribuer, tant ils rentrent dans 
sa manière, tant il est vrai qu'il avait une manière, 
un style à lui, ce qui est une nouveauté dans notre 
littérature. 

Tel de ses défauts n'est pas moins caractéristique 
que ses qualités. Le plus grave est l'abus, et souvent 
la puérilité des jeux de mots. Il pousse cet abus plus 
loin qu'aucun de ses contemporains. Il aime à accu- 
muler les mots de même racine ou qui sonnent de 
même, par exemple à la fin du dit de Notre Dame : 
accorder , raccorder , recorder (rappeler) , décorder, 
accord, corde, cordon, miséricorde. 



188 RUTEBEUF. 

Il commence ainsi le dit des Jacobins : 

Seigneurs, moult me merveille que ce monde devient, 
Et de cette merveille trop souvent me souvient, 
Tant qu'en me merveillant à force il me convient 
Faire un dit merveilleus qui de merveille vient. 

Il est rare qu'il cite son nom sans jouer longue- 
ment et obscurément sur les syllabes qui le com- 
posent, comme à la fin de la Vie de sainte Elisabeth, 
œuvre sérieuse s'il en fut : 

Si Rutebeuf rudement rime, 
Si rudesse en sa rime y a. 
Prenez garde qui la rima. 
Rutebeuf qui rudement œuvre >, 
Qui rudement fait la rude œuvre 
Qui fort en sa rudesse ment, 
Rima la rime rudement ; 
Car pour rien je ne pourrais croire 
Que bœuf ne fasse rude raie, 
Tant y mettrait-on grande étude. 
Si Rutebeuf fait rime rude. 
Je n'y pers plus ; mais Rutebeuf 
Est aussi rude comme bœuf. 

On comprend que notre trouvère, aimant à jon- 
gler ainsi avec les mots, n'ait pas évité, lorsqu'il 
ne les recherchait pas, les répétitions de mots et de 
syllabes. On peut lui reprocher aussi des chevilles 
non dissimulées (parfois des vers entiers), et d'autres 
négligences qui sont plutôt le fait de son temps, et 
qui s'expliquent par les conditions mêmes dans les- 
quelles les œuvres littéraires du moyen âge étaient 



!.. Indicatif présent du verbe ouvrer, qui avait le sens géné- 
ral de travailler. 



CONCLUSION. 189 

communiquées au public, conditions toutes diffé- 
rentes de celles que présente l'antiquité classique. 
L'auteur se réservait et ne se faisait pas scrupule de 
modifier son œuvre, en la débitant, d'après l'inspi- 
ration du moment, et il savait que les jongleurs qui 
la colporteraient après lui répareraient souvent des 
défaillances de mémoire par des improvisations 
personnelles. C'est seulement après l'invention de 
l'imprimerie, qui permettait de fixer les produc- 
tions littéraires, que nos poètes ont pu songer à 
arrêter définitivement la forme de leur pensée, à 
peser chaque mot, à « vingt fois ren^ettre sur le 
métier », enfin que le souci d'un style châtié a pu 
chez nous prendre naissance. 

Les négligences sont surtout fréquentes dans 
l'octosyllabe narratif, qui s'y prête et les autorise en 
quelque sorte par son allure familière. Il faut aussi, 
pour être juste, considérer que telle inversion, qui 
nous paraît puérile, était alors usuelle, même en 
prose, que telle expression, qui nous semble vulgaire 
et plate, pouvait avoir au xin® siècle un relief que le 
long usage lui a fait perdre*. Comme les monnaies 
courantes dont l'empreinte s'efface en passant de 
main en main, les mots s'usent en circulant de 
bouche en bouche, et les termes les plus énergiques 

1. C'est ainsi que le mot Aeur, très employé encore an 
xvii' siècle, était considéré par Furetière comme un terme 
bas. Mais depuis, il a disparu de la langue courante, et 
comme nous ne l'employons plus, il prend à nos yeux la 
valeur d'un terme très relevé, quand nous le rencontrons dans 
Corneille. 



190 RUTEBEUF. 

arrivent à n'avoir plus aucune force. On sait l'his- 
toire du verbe « gêner », qui signifie torturer chez 
Corneille, et dont la valeur s'est tellement affaiblie 
depuis lors! Quantité de mots ou de locutions, 
dont l'histoire nous est moins connue, ont pu subir 
une atténuation semblable. Faute d'un critérium 
pour mesurer exactement la force des vieux mots, 
nous devons être très circonspects et ne pas prodi- 
guer à nos trouvères le reproche de platitude. 

Il serait intéressant de suivre le développement 
du talent de Rutebeuf. Malheureusement les pièces 
qu'on arrive à dater ne sont pas assez nombreuses. 
Ce qu'il est permis d'affirmer, c'est que les œuvres 
qu'on peut sûrement attribuer à la fin de sa carrière, 
comme la Vie du Monde^ postérieure à 1285, ou la 
Repentance de Rutebeuf^ qui est son testament litté- 
raire, ne sont pas inférieures aux poésies, telles que 
le Mariage de Rutebeuf, écrites un quart de siècle 
auparavant. 

Rutebeuf a subi l'influence de la première partie 
du Roman de la Rose et, à son tour, il a exercé une 
influence incontestable sur la seconde. C'est ainsi 
qu'il se rattache à la fois à Guillaume de Lorris et à 
Jean de Meung. Il a puisé chez Guillaume de Lorris, 
ou tout au moins à la même source que lui, le goût 
de l'allégorie , qu'il a contribué à transmettre aux 
siècles suivants , et qui se fait sentir jusqu'au 
xvii*' siècle, jusqu'à la carte du Tendre. Il a fourni, 
selon toute vraisemblance, à Jean de Meung plus 
d*un trait de satire et sans doute l'idée première du 




CONCLUSION. 191 

personnage de « Faux Semblant ». D'ailleurs, comme 
Jean de Meung était son contemporain , on peut 
admettre entre eux une action réciproque, du moins 
à partir de 1277, date de la continuation du Roman 
de la Rose. 

Notre vieille littérature épique était bien connue 
de Rutebeuf. Il fait allusion à la Chanson de Roland^ 
à la Chanson d'Aspremont, aux romans du cycle Bre- 
ton et du cycle de l'antiquité, et on peut signaler 
dans ses poésies en alexandrins plus d'un vers à 
tournure épique : 

Il a nom le roi Charles, il lui faut des Rolands ! 

J'expliquerais volontiers par l'influence des Chansons 
de geste un des défauts de Rutebeuf : la répétition 
fréquente des mêmes locutions, des mêmes séries 
d'épithètes. L'adjectif « net » par exemple est pres- 
que toujours accompagné de « pur et monde ». Il y 
a là comme une imitation inconsciente de l'épithète 
homérique , qui caractérise les épopées primitives 
dans toutes les littératures. 

On peut aussi relever plus d'une fois chez notre 
trouvère des traces de ce que j'appellerai le style de 
sermon. Il « prêche » la croisade , comme il le dit 
lui-même en plaisantant. Et il ne se borne pas à 
reproduire, en les revêtant d'une autre forme, les 
arguments des sermonneurs du xiii® siècle; il lui 
arrive d'emprunter les procédés familiers aux prédi- 
cateurs de tous les temps, comme dans la Nouvelle 



r 



192 RUTEBEDF. 

Complainte d'outre^mer où, après avoir posé en prin- 
cipe que Dieu est un « juge fort, puissant et sage », 
il reprend chacun de ces termes pour en donner le 
commentaire. 

Il est impossible de préciser Tinfluence de Rute- 
beuf sur les poètes de son temps autres que Jean 
de Meung, et sur ceux des siècles suivants. Aucun 
d*ailleurs ne se réclame de lui. Sans doute on trouve, 
chez Villon par exemple, des qualités qui rappellent 
celles de Rutebeuf, mais elles peuvent très bien se 
rencontrer chez l'un et l'autre sans qu'il y ait eu 
transmission du premier au second. Si l'on essaye 
d'établir un lien intellectuel et moral entre le trouvère 
du xm® siècle et ses précurseurs ou ses successeurs, 
d'après les idées ou les qualités qui leur sont com- 
munes, on se heurte à la difficulté de faire la part 
de l'imitation consciente ou inconsciente et celle de 
l'inspiration personnelle. Il y a eu plutôt transmis- 
sion de siècle à siècle que d'homme à homme. 

Une qualité de Rutebeuf qui lui est bien propre, 
et qui participe à la fois de l'esprit et du cœur, c'est 
l'élévation de la pensée quand il traite les grandes 
questions de son temps. Plusieurs de ses satires 
sont d'une inspiration aussi haute, aussi soutenue 
que les poésies les plus relevées des littératures 
classiques. Malheureusement il lui arrive de re- 
produire, dans plusieurs pièces, les mêmes idées 
exprimées à peu près dans les mêmes termes, et la 
répétition des mêmes effets en atténue forcément la 
portée. Toutefois il sait encore varier l'expression 




CDNCLDStOK. 18 

des grands lieux communs qu'il affeclionne , tel 
que la brièveté de la vie, l'avarice des clercs, 1 
décadence des vertus guerrières. 

Chez Ruiebeuf, la valeur morale est à la hauteu 
du mérite littéraire. La\ied'exi>édienisqu'il s'accus 
lui-même d'avoir menée était une conséquence près 
que fatale de sa modeste origine et de sa jiauvretc 
Mais s'il a, de ce fait, encouru quelque blâme, ton 
s'efface devant la noblesse de son attitude dans I 
()rocès de Guillaume de Saint-Amour. Nous n'avon 
pas à prendre parti dans la querelle. Mais en sup 
posant même que la cause de Guillaume fût mau 
vaise, Rutebeuf s'est doublement honoré, d'abon 
en défendant son ami, à ses risques et périls, contr 
les adversaires les plus puissants, ensuite en affir 
mant avec énergie la supériorité du droit sur 1 
force, même exercée par les autorités légitimes. 1 
ne conteste ni les pouvoirs du pape, ni ceux du roi 
il ne songe pas à s'insurger contre leurs décisions 
mais il en appelle à Dieu, au nom du droit. 

Que deviennent, après Rutebeuf, la langue et 1 
littérature françaises? Dès le siècle suivant, la langu 
commence à s'embrouiller dans la déclinaison à deu 
cas, que le xv* siècle réduit dérinitivcment à l'éta 
actuel. Désormais les noms et les adjectifs n'auron 
plus qu'un seul cas pour chaque nombre, et la [ilac 
des mots pourra seule indiquer le sujet et le com 
])lément, ce qui diminue sensiblement l'ancienn 
liberté des inversions. 

A partir de la Gn du xiv' siècle, dans ses flexion 
13 



194 RUTEBEUF. 

comme dans les traits généraux de sa syntaxe, la 
langue est telle que nous la parlons aujourd'hui. 
Aussi lisons-nous facilement dans le texte Villon et 
Charles d'Orléans; ou du moins, nous ne sommes 
arrêtés que par des difficultés de vocabulaire, devant 
les mots qui ont disparu de la langue, mais non plus 
devant des formes ou des tournures qui nous décon- 
certent. 

Il y a toutefois entre la langue du xv^ siècle et le 
français moderne — qui date du xvii® siècle — toute 
une série de différences, d'origine commune, qui 
affectent à la fois le vocabulaire et la syntaxe. C'est 
la part de la Renaissance dans la formation de notre 
langue. Cette part eût été considérable, si nous avions 
conservé tous les termes empruntés au latin et au 
grec par les écrivains du xvi** siècle, toutes les 
constructions calquées par eux sur le latin. On peut 
dire que le plus souvent ils n'écrivent pas en fran- 
çais, mais dans une langue hybride et factice, qui 
n'a jamais été parlée *. L'imitation des anciens dé- 
passait toute mesure. Bien que Rabelais s'en moque 
avec son écolier limousin, il n'échappe pas à ce 
défaut, même dans l'admirable lettre de Gargantua à 
Pantagruel. Les exceptions sont rares. Parmi les 
grands écrivains du temps, Bonaventure des Périers 
est peut-être celui qui représente le mieux la pure 
tradition française. 

1. C'est à eux aussi que nous devons cette orthographe 
anti française, hérissée de lettres parasites, qui n*a été que 
très imparfaitement corrigée depuis. 



j- 



CONCLUSION. 1S6 

Cette tradition, appuyée, sur le langage parlé, 
devait nécessairement triompher, et elle prévalut au 
xvn' siède. Mais le mouvement du xvi° siècle, si 
artillc^f^il ait pu Stre, laissa son empreinte dans 
notre langue. Nous n'avons pas d'ailleurs à le re- 
gretter. Les néologismea mal venus disparurent en 
foule, les constructions pédantesques et bizarres 
tombèrent dans l'oubli, mais notre vocabulaire resta 
enrichi de termes utiles qui lui manquaient, et la 
phrase française, désormais assouplie, se prêta à 
des effets plus variés et devint apte à prendre, dans 
les genres élevés, la noble allure de la période 

La Renaissance eut, sur la littérature, une influence 
plus grande encore et plus durable que sur la langue. 
Ce fut un renouvellement complet de tous les genres, 
qui revêtirent la forme consacrée par les classiques 
grecs et latins et se modelèrent sur les conceptions 
antiques, au lieu de poursuivre leur développement 
spontané et libre. 

Le drame, tel que le moyen âge l'avait inconsciem- 
ment créé, tel que le comprend Rutebeuf dans son 
Miracle de Théophile, fait place à la tragédie, qui 
régnera sans partage jusqu'à notre siècle. Si la 
tragédie atteignit assez vite à un degré de perfec- 
tion dont les vieux mystères étaient toujours restés 
fort loin, il faut en faire honneur à l'esprit fran- 
çais, qui arrivait a maturité, beaucoup plus qu'aux 
trois unités, sans lesquelles nous aurions certaine- 
ment eu notre Shakespeare, tout aussi bien que 



nuTEDEUF. 



j;lais, un |)eu ]ilus laril qu'eux seulement, 
n aurait tort de regretter que nos grands 
dramatiques du xvii" BJècle se rapprochent 
e Sophode et d'Euripide. Notre ^^i^ dra- 
: n'a jiu que gagner à se soumettre pendant 
deux siècles à lu forte discipline des règles 
les. Le romantisme, qui nous en a affranchis, 
ijuste pour elles, semblable a à ces enfants 
forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui bat- 
r nourrice ». Il n'a fait d'ailleurs que renouer 
c interrompue par la Renaissance; il a res- 
ins s'en douter, le vieux drame français, en 
nt une plus grande variété dans les sujets et 
mtestable supériorité dans l'exécution, 
nre dramatique était bien vivant en France 
i Renaissance lui lit subir la métamorphose 
t d'être rappelée. Le genre épique, au con- 
tait mort depuis longtemps lorsque Ronsard 
t sa Franciade. Nos chansons de geste, 
ées au xiv" siècle, s'étaient transformées au 
omans de chevalerie. Au siècle suivant, on 
!i ressusciter le genre, sous sa forme anli- 
imitant Homère et Virgile, et depuis Ron- 
épopces à la mode classique, sans aucun 
avec notre épopée nationale du moyen âge, 
succédé presque jusqu'à notre temps sans 
'élever au-dessus d'une honnête médiocrité, 
tenant maintes fois beaucoup au-dessous. 
>ut parcourir ainsi tous les genres litté- 
, leurs difTérenles subdivisions; partout on 



CONCLUSION. 197 

constatera, à partir de la Renaissance, la substi- 
tution des formes antiques aux vieilles formes fran- 
çaises * telles que nous les offre le siècle de saint 
Louis. On ne fit grâce qu'aux genres du moyen âge 
qui, comme le sonnet, se présentaient avec la re- 
commandation d'une littérature étrangère. La satire 
fut asservie par Vauquelin de la Fresnaye à une 
exacte imitation d'Horace, à laquelle se soumirent 
tous les grands satiriques du xvii" et du xviii^ siècle, 
Régnier, Boileau, Voltaire. Il faut arriver jusqu'au 
milieu de notre siècle, jusqu'aux Châtiments^ pour 
retrouver, dans un recueil de satires, la même 
variété de rythmes, la même liberté d'inspiration 
que dans l'œuvre de Rutebeuf. 

Il est cependant un genre littéraire dont l'anti- 
quité n'avait pas l'équivalent, et qui est resté à peu 
près identique à lui-même, de Rutebeuf à Alfred de 
Musset, c'est le conte en vers. L'éclipsé qu'il a subie 
pendant plusieurs siècles n'était que partielle, car 
on avait alors la nouvelle en prose, due à l'imita- 
tion, non plus des classiques de l'antiquité, mais 
des nouvelliers italiens, auxquels nous reprenions 
notre propre bien sous une autre forme et à notre 
insu. Il y a une communauté évidente de concep- 
tion, sans parler de la communauté fréquente des 
sujets, entre nos meilleurs fableaux et les contes de 
La Fontaine et de ses successeurs. Nos conteurs en 



1. Toutefois, pour la comédie, il y a eu plutôt fusion des 
deux inspirations que triomphe de l'une sur l'autre. 




nUTEBEUF. 

es hérilîers véritables des trouvères, et 
ernes, n'étant plus gênés par un type 
■c, ont toujours joui d'une grande indé- 
allurc, ])lus grande même que les auteurs 
âge, qui maintenaient par tradition le 
isyllabique. 
élément nouveau, que l'on voit aussi 
dans notre littérature surtout, à partir 
ècle, c'est l'imitation des littératures 
vivantes, et au milieu de tant d'imitations 
i parfois quelque peine à démêler la part 
ersonnel et celle du génie national. Ce 
rand intérêt du développement littéraire 
igc, outre la valeur réelle de beaucoup 
'est l'unité et le caractère bien français 
;ion. Dans son action considérable à l'ex- 
it l'influence française sans mélange que 
iture répandait alors sur le monde civi- 
nd plus tard nous nous sommes avisés à 
l'imiter nos voisins, il nous est souvent 
colter ù l'étranger, sans y prendre garde, 
s avions libéralement semé nous-mêmes 
icIcE auparavant. 



TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE I 



CHAPITRE II 
Vie de Rutebeuf 



CHAPITRE III 
Vehsiflcation 



CHAPITRE IV 
Pièces lyriques : 



CHAPITRE V 

Pièces satiriciues 

Lea ordres religieux 

L'Uaiveriilé de Paria . Le procèa de Guillaamcdc S 



'Jon TAULE DES MATIERES. 



Le moiulc et l'É^'Use 87 

Les Croisades et la guerre de Pouille 108 

Satires personnelles 131 



CHAPITRE VI 
Poèmes allégoriques 134 

CHAPITRE VII 

GClVIlES DRAMATIQUES 141 

CHAPITRE VIII 
Vies DE SAINTS ET FABLEAUX 157 

CHAPITRE IX 
Conclusion 186 



Coulomiiiicr?. — Imp. Paul BliODARDi 



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