Skip to main content

Full text of "Saint Bernardin de Sienne, 1380-1444: un prédicateur populaire dans l'Italie de la Renaissance"

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 

to make the world's bocks discoverablc online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the 

publisher to a library and finally to you. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. 
We also ask that you: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web 

at |http: //books. google .com/l 



Google 



A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 

ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 

trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 
Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

A propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl 



1 




1 - jm g PROPBRTT OF THB 

Mickigm 
1 "" ""-^ 




1 A « T E s SCIENTIA VERITAS 


L. 





SAINT BERNARDIN 



DE SIENNE 



r • t ■ ■ t 



L'auteur et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de 
reproduction et de traduction en France et dans tous les 
pays étrangers, y compris la Suède et la Norvège. 

Ce volume a été déposé au ministère de rintérieur (sec- 
tion de la librairie) en avril 1896. 



DU MEME AUTEUR 



Bojalistes et Répnblicalnsy Essais historiques sur 
des quesiious de politique coniemporaiDe : I. La Quet-^ 
tion de Monarchie ou de Républitfue du 9 thermidor au 
18 brumaire; H. L* Extrême Droite et les Roytdistes sous 
ta Restauration; III. Paris capitale sous la Révolution 
française, 2" édition. Un volume ia-I8. Prix 4 fr. 

Le Parti libéral sons la Restauration» 2« édi- 

tion. Un vol. in-18. Prix A fr. 

L'Église et l'État sons la IHonarelile de Jnil- 

let. Un vol. in-18. Prix 4 fr. 

■Istoire de la monarchie de JnlUet. 2« édition. 

Sept volumes in-8<*. Prix de chaque volume 8 fr. 

{Couronné deux fois par t Académie française, 
GRAND PRIX GOBERT, 1885 et 188B.) 



mm 



PARIS. TYP. DX K. PLOIf, NOURRIT XT C>«, 8, RUX GARANCIÈRX. — lUi. 



UN PRÉDICATEUR POPUIAIRI 

DANS l'iTALIE DE LA RENAISSANCE 



SAINT BERNARDIN 

DE SIENNE 

1380 — 1444 
fAsr.e KeVrV 

Paul'^THUREAU-DANGIN 




LIBRAIRIE PL.ON 
E. PLOK, NOURRIT et C% IMPRIMEURS-ÉDITEURS 









i ") 



Q 



?% 



^ff-/B 5. -/A 1 



INTRODUCTION 



I L'Italie, dans la première moitié du quinzième 
cle, apparaît toul illuminée par la Renaissance : 
fen'estpas encore la Renaissance à son plein midi; 
istla Renaissance à son aube, ayant moins d'éclat 
ôt-être, mais plus de fraîcheur et de grâce, un 
nae plus délicat et plus pénétrant. Des brumes 
( il a été comme enveloppé pendant le Moyen 
:énie de l'antiquîté se dégage, radieux, 
^ dans l'éblouissement de cette apparition, tous 
forent ce dieu nouveau qu'ils s'imaginent leur 
porter le secret perdu de la beauté et l'émanci- 
pation des intelligences. Est-ce bien d'ailleurs pour 
l'Italie un dieu nouveau? Il lui semble qu'elle se 
retrouve elle-même dans ce passé latin avec lequel 
elle n'avait jamais complètement rompu et dont 
les vestiges couvraient son sol. 

Tout la portait alors à s'absorber dans cette 
pensée unique. Les grandes idées qui l'avaient 
ppccupée pendant le Moyen âge ne la touchaient 



VIII INTRODUCTION. 

plus. Le long duel de la Papauté et de l'Empire, 
où était débattue non seulement l'indépendance 
d'un peuple, mais celle de la conscience univer- 
selle, avait pris fin par la défaite des Hoben- 
staufen ; l'Empire vaincu avait été rejeté défi- 
nitivement en Allemagne; par une coïncidence 
étrange, la Papauté victorieuse avait été, peu 
après, réduite, elle aussi, à passer les Alpes, et le 
discrédit dont la frappait l'exil d'Avignon s'était 
encore accru par le scandale du grand schisme. 
Dans cette Italie délivrée des Empereurs et pres- 
que déshabituée des Papes, rien ne restait de tout 
ce qu'avaient évoqué, durant plusieurs siècles, les 
noms tragiques de Guelfes et de Gibelins. On n'y 
trouvait guère davantage trace de cette passion 
de liberté qui avait donné tant de vie, mais une 
vie si orageuse, aux innombrables républiques de 
la Péninsule : partout, les populations fatiguées 
abdiquaient aux mains des tyrans, et s'il y avait 
encore des intrigues et des conspirations de palais, 
on eût vainement cherché un forum où subsistât 
quelque vie publique. 

Le culte de l'antiquité retrouvée arrive donc à 
propos, au commencement du quinzième siècle, 
pour remplir le vide fait dans l'âme italienne. Ce 
qui occime alors les curiosités et fait battre les 



il aui 

L Sai 

II 

roi' 



IKTHODUCTTON I5 

lUTs, ce n'est plus la formation d'une Ligue 

intre les n barbares » ou le succès de (jueiquo 

ivolution démocratique ; c'est le choix de l'archi- 

icte auquel sera confiée l'entreprise nouvelle et 

audacieuse de lancer dans les airs la coupole de 

Santa Maria dei Fiori; c'est l'applaudissement du 

iuple émerveillé quand GKiberti a terminé les 

irtes du Baptistère; c'est une harangue de Ma- 

letli ou d'^neas Sylvius, écrite dans un latin cicé- 

ronicQ et débitée en grand apparat; c'est la nou- 

Telle que le savant Poggio aretrouvé un traité perdu 

Quintilien ou un livre de Tacite. Les gouverne- 

ts mettentleurs diplomates en campagne pour 

disputer des manuscrits, et le roi de Naples 

Ipule, comme condition de la paix conclue avec 

Tence, la cession d'un bel exemplaire de Tite- 

îve. Princes ou magistrats républicains, tous 

font honneur de grouper autour d'eux une 

ientële d'humanistes et d'artistes. Ce n'est pas 

lement affaire de goût ; c'est calcul de poli- 

[ue. Pour acquérir la faveur du peuple et le con- 

ir de la liberté supprimée, il faut embellir sa 

enricliir ses bibKothèques, lui fournir l'oc- 

ion d'entendre quelque professeur fameux. 

fous les ambitieux savent que le mécénat est le 

lilleur moven de s'élever et de se maintenir. Les 



X INTHODUGTIOM. 

papes eux-mêmes, près d'un siècle avaot Léon X, 
se pri''Occupent déjà de faire travailler les artistes 
fit d'attacher à leur cour, par dos fonctions ecclc- 
siastiques, les liuinaiiîstes parfois les moins dévota 
et les moins austères. Ainsi, partout, ce spectacle, 
vraiment nouveau et extraordinaire, d'une nation 
entière qui semble ne vivre que pour le dilettan- 
tisme littéraire et artistique. En même temps que 
le secret de la beauté, on se flatte d'avoir retrouvé 
celui du bonheur. Répudiant dédaigneusement ce 
qu'on appelle la tristesse du Moyen âge, les pen- 
sors sévères de renoncement et de pénitence, les 
visions et les terreurs de l'au-delà, on prétend y 
substituer une sorte d'allégresse épicurienne, la 
joie de vivre, et de cette Italie, que son Dante, au 
milieu des dures épreuves des siècles précédents, 
nommait une a h<itellerie de douleur », on rêve de 
faire un palais en fête, où tout sera plaisir pour 
l'esprit et les sens. 

Tel apparaît à- première vue ce charmant Quat- 
trùcento, tel on se plait généralement à le peindre. 
Est-il donc là tout entîe.r? N'y découvre-t-on rien 
autre que ce dilettantisme un peu païen? Il faut se 
méfier, en histoire, de ceux qui ne voient qu'une 
face aux événements ; les choses sont d'ordinaire 
plus complexes. A regarder avec quelque attention 



INTRODUCTION. XI 

l'Italie (le cette époque, on y discerne facilement, 
à cûté de cette brillante renaissance littéraire et 
artistique, un renouveau inattendu d'ascétisme et 
de sainteté. Trop souvent, les historiens ont eu le 
tort d'ignorer ou de dédaigner cette sorte de 
contre-courant. Son action cependant a été consi- 
dérable. Ce qu'il a d'imprévu et de mal connu le 
rend plus intéressant à étudier. En cette société 
où l'on ne nous montre que des chercheurs de 
jouissances raffinées, il est piquant de voir surgir 
l'austère figure des apôtres de la pénitence, de 
constater leur popularité et leur action. 

Ce contre-courant ne vient pas des hautoui's de 
la hiérarchie ecclésiatique ; il sort de pauvres et 
humbles cloîtres franciscains. On dirait un jaillis- 
sement nouveau de cette source de renoncement 
héroïque, d'amour emhrasé, de charmante et su- 
blime poésie, que saint François d'Assise avait ou- 
verte, deux cents ans auparavant, sur une colline 
de l'Ombrie et qui, de \k. s'était répandue à flots 
non seulement sur l'Italie, mais sur tout le monde 
chrétien. Merveilleusement abondante et féconde 
pendant les premiers temps, cette source avait 
paru ensuite, sinon se tarir, du moins se troubler. 
Diverses causes y avaient contribué : les unes 
spéciales à l'Ordre des Mineurs : dissensions intes- 



Xli ISTRODUCTION. 

tines, nées, d'une part, du relikliement, d' 
pari, d'un esprit de révolte qui frôlait l'Iiéi 
les secondes, communes k tous les Ordres' 
gîeux : d'abord la peste extraordinairement 
trière qui, de 1348 à 1330, avait vidcetdésorf 
les couvents, ensuite le grand schisme qui, 
haut en bas de l'Église, avait ébranlé l'autorité et 
la discipline. Aussi, la famille franciscaine, qui 
s'était gloriûée, au treizième siècle, de posséder un 
saint Antoine de Padoue, un saint Bonaventure, 
un Alexandre de Halès, un Roger Bacon, un Duaa 
Scot, ne peut offrir, dans le quatorzième siècle, 
rien de comparahle à ces grands noms. Cette stéri- 
lité relative rend plus remarquable encore la florai- 
son de sainteté qui éclate soudainement, au com- 
mencement du quinzième siècle, dans les couvents 
d'Italie, et qui produit, coup sur coup , des saints 
tels que Bernardin de Sienne, Jean de Capistran, 
Jacques de la Marche, des Bienheureux comme Al- 
bert deSarziano, Bernardin de Feltre, Bernardin ds 
Fossa. Pas plus que leur père, ces dignes fils de 
saint François d'Assise ne se renferment dans 
cloîtres. Bien au contraire, tout embrasés du feu 
de l'apostolat, ils vont par les villes et par les cam- 
pagnes, réunissent des foules immenses autour do 
Ipurs chaires, que Ton dresse sur les places publî- 






INTRODUCTION. xiii 

ques à défaut des églises trop étroites, répandent 
la parole de pénitence, de miséricorde et de paix, 
et réveillent dans les âmes l'écho trop oublié du 
sermon sur la Montagne. Rarement prédication 
populaire eut autant d'activité, d'éclat, d'extraor- 
dinaire efficacité. Jamais, en tout cas, elle ne fut 
plus pure de tout mélange humain, plus dégagée 
de toute préoccupation de parti, plus exclusive- 
ment inspirée par le souci des âmes et le zèle de 
Dieu. 

n m'a paru qu'il y avait là une face mal connue 
iuQimttrocentOj qui méritait d'être mise en lumière. 
Bernardin de Sienne y tient la place principale. 
C'est lui le promoteur de cet apostolat, et tous les 
autres le proclament leur chef et leur modèle. Si 
son nom, un peu oubhé du public profane, n'ap- 
parait pas, dans l'histoire générale, entouré du 
même éclat tragique que celui d'un autre prédica- 
teur de ce siècle, le grand et infortuné Savonarole, 
si son existence a été beaucoup plus simple, plus 
unie» il n'en a pas moins été, de son temps, très 
célèbre, très populaire, et tel fut le prestige unani- 
mement reconnu de sa sainteté, qu'aussitôt mort, 
ritalie entière réclama sa canonisation et que, par 
mie faveur réservée à quelques grands saints, le. 
Pape la prononça presque immédiatement. Encore 



XI» IMRODt'CTIÛS. 

aujourd'liui, du resle, le touriste rencontre. presqiM 
à chaque pas, en Italie, dans les monuments datait 
du (|uiu2ième et du commencetneol du seizièou 
»il:c]e, le témoignage matériel de cette célébrité: 
<!C n'est pas seulement à Sienne, où la figui 
asct'^tique de Bernardin est tant de fois reproduit 
sur les murs des palais publics comme sur ceux de 
églises; c'est à Pérouse. où sa statue préside au 
cliarmants bas-reliefs polvcbromes, sculptés, e 
1461, par Agostino di Duccio, au portail de Torof 
toirc [jui lui est dédié; c'est à Borne, oîi l'habile 
et gracieux pinceau de Pinturichio a représenta 
divers traits de sa vie, dans une des chapelles de 
l'Araceli; c'est dans plusieurs autres villes, oîi l'oa 
conserve quelque souvenir de l'apôtre, la chaire 
mobile d'où il précliait, la tablette qu'il exposait à ' 
la vénération du peuple, et où les maisons portent 
encore, gravées sur leur façade, les lettres du nom. 
do Jésus, dont il exhortait ses disciples à se fair^ 
comme un pieux blason. 

Je n'ai pas la prétention d'apporter sur saint 
Bernardin tout ce qu'un érudit et un théologien 
auraient pu trouver à en dire. Mon dessein est plu» 
modeste. J'ai essayé, en remontant aux sources 
qui étaient à ma portée, de retrouver la physio-^ 
nomic du personnage, de le. placer dans son cadre, 



INTRODUCTION. xv 

et surtout de me rendre compte de ce qu'avait pu 
être une prédication qui produisait alors des effets 
si extraordinaires. Un tel travail, sans doute, eût 
mieux convenu à quelque érudit d'outre-monts; 
celui-ci eût eu, pour l'accomplir, des facilités et 
des ressources qui m'ont manqué. Pour excuser 
mon intrusion dans un sujet qui semblait appar- 
tenir plus particulièrement aux compatriotes du 
saint, on me permettra d'invoquer un précédent. 
Quelques années après la mort et la canonisation 
de Bernardin, le roi de France, Louis XI, envoyait 
à la ville d'Aquila, qui possédait ses restes, une 
très riche chasse en argent doré, et le Pape ordon- 
nait que le corps y fût aussitôt placé. Je n'ai certes 
pas la présomption de rapprocher du don magni- 
fique d'un roi l'œuvre modeste d'un écrivain ; 
mais j'ose espérer que le saint moine italien qui a 
laissé son corps reposer quelque temps dans une 
châsse française, ne verra pas de mauvais œil que, 
dans un livre venu aussi de France, on ait tenté 
de faire revivre sa figure. 



SAINT BERNARDIN 



DE SIENNE 



CHAPITRE PREMIER 

LA FORMATION DU SAINT ET DU PRÉDICATEUR 

(1380-1417) 



I. Sienne au Moyen âge. Anarchie et sainteté. Les Bienheareux 
Tolomei, Colombini, Petroni et sainte Catherine de Sienne. — 
II. Enfance et jeunesse de Bernardin. Son caractère. La Vierge 
de la porte Camollia. La peste de 1400. Bernardin à l'hôpital 
de la Scala. Il prend l'habit des Frères mineurs. — 111. Ber- 
nardin novice au petit couvent de Colombaio. Il fait profes- 
sion et reçoit la prêtrise. Il prêche sur la Passion. Le Ministre 
général lui ordonne de se consacrer à la prédication. —IV. Carac- 
tère nouveau donné à la prédication par les deux grands Ordres 
mendiants. Décadence au quatorzième siècle. Saint Vincent Fer- 
rier. Celui-ci pressent et annonce l'apostolat de Bernardin. — 
Y. Premiers sermons de Bernardin. Fondation du couvent de 
la Capriola. Période de recueillement. Bernardin reçoit d'en 
haut l'avis d'aller évangéliser la Lombardie. 



I 

Sur la triple colline où elle accroche ses palais 
et ses églises, fait escalader ses ruelles tortueuses 

i 



) 




>-""« v/cL *""'?« 
"Palai., "'"""" 

'^'^"''•••demi- 



:i 



2 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

et dresse sa fîère silhouette dentelée de créneaux 
et hérissée de tours. Sienne, à la différence de la 
plupart des villes de l'Italie, nous apparaît avec la 
marque, non de la Renaissance, mais du Moyen 
âge. H faut remonter, en effet, au treizième siècle, 
pour la trouver puissante et prospère, émule sou- 
vent heureuse de Florence dans la guerre, le 
commerce et les arts. La plupart des monuments 
qui lui donnent une physionomie si particulière, 
entre tous le Duomo et le Palazzo pubUco^ sont 
de cette époque. Dans la seconde moitié du siècle 
suivant, elle était déjà en déclin; loin d'étendre 
sa domination, elle semblait impuissante à cou- 
ser\'er son indépendance ; si elle continuait à s'or- 
ner, le grand souffle créateur était tombé. C'est 
que l'anarchie y régnait : des révolutions inces- 
santes bouleversaient la constitution et portaient 
au pouvoir des factions hors d'état de s'y main- 
tenir; les plus vils démagogues étaient préfé- 
rés aux citoyens éclairés qu'on jalousait et pro- 
scrivait; l'influence dominante appartenait aux 
clubs et aux sociétés secrètes; l'exil et la con- 
fiscation frappaient des classes entières, un jour 
les nobles, le lendemain les artisans; les oppo- 
sants ou les suspects étaient condamnés à mort; 
meurtres et massacres ensanglantaient le Palais 



FURMATIOS Dr .SAINT ET DU PRÉDICATEUR. S 

public, siège ilu gouvernement, et, de ses larges 
fenêtres gothiques, IVmeute viclorieuac préci- 
pitait sur la place les corps mutilôs des magis- 
trats; à l'êlat permanent, sévissait cette guerre 
des rues, dont les rouges palais, aux porches 
bas, aux rares fenêtres grillées, aux énormes 
bossages, semblent encore aujourd'hui garder les 
tragiques meurtrissures; eu un mol, quelque 
chose comme la Terreur de 1793 ou la Commune 
Je 1871, se prolongeant pendant près d'un demi- 
sifecle. 

Et cependant, par un de ces contrastes habituels 
à l'Italie do Moyen âge, cette ville, qui semblait 
ne plus être qu'un foyer de passions haineuses, 
était, à cette même époque, si féconde en saints, 
qu'elle méritait d'être appelée par les contempo- 
rains r « antichambre du paradis a. A peiue le 
Bienheureux Bernard Tolomei étail-il mort, en 
J348, après avoir fondé l'austère congrégation des 
Ifivétaios, que le Bienheureux Jean Colombini, 
Uque-là riche négociant et l'un des chefs de la 
ipublîque, embrassait la pauvreté, la pénitence 
trburaîliation, avec cette folie héroïque qui fait 
[Ordinaire le scandale du monde ; sa parole et son 
£mple groupaient autour do lui des compagnons 
tift des meilleures familles de Sienne, qui s'il 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

titulaient les « Pauvres do Jésus-Clirisl (1) » ; puis, 
tous ensemble, ils allaient par les rues ou par la 
campagne, préchant, priant et chantant, débordant 
de sainte poésie, ivres d'amour divin, heureux 
quand on les bafouait, souriant à la douleur et à 
la mort, tout illuminés de surnaturel, renouvelant, 
à près de deux siècles de distance, l'apostolat du 
Poverello d'Assise et de ses premiers disciples (2). 
Pendant ce temps, au Fond de la Chartreuse où il 
inait une vie d'oraisou et de mortification, un 
autre Siennois,le Bienheureux Pietro dei Petroni, 
acquérait un renom de sainteté qui dépassait les 
murs du cloître, et ses concitoyens s'arrachaient 
à leur vie ai agitée, pour venir recevoir de lui 
des avis oîi ils reconnaissaient avec admiration 
des lumières venues d'en haut (3). Enfln brillait, 
entourée d'une auréole plus lumineuse encore, la 
figure de sainte Catherine de Sienne (4) : cette fille 
d'artisan, humble tertiaire dominicaine, torturée 
par la souffrance, en même temps qu'elle vivait 

(J) Plus tard, devonua un Ordre Douveau, ils s'appelleront les 
Je suâtes. 

(8) Colombini mourut on 1367. Sa vie, jusqu'ici peu connue, 
a été mise récemment ea lumière par le livra charmant et tou- 
chant de Mme la comtesse de Raubutead, Le Bieyihtureux Colom- 
bini, HiiloWe d'un Toiean au XIV liicle, ches LecoiTre, 1893. 

(3) Petroni mourut en 1361, 

(1) me en 13i7, morte en 1380, 



FORMATION DU SAINT ET DU PRÉDICATEUR. 5 

d'une vie contemplative dont les mystères éton- 
nent notre intelligence, faisait preuve, dans les 
choses de ce monde, d'un génie admirablement 
pratique ; elle trouvait des accents pénétrants pour 
prêcher la paix, l'union, la justice, à une époque 
où tout était trouble, discorde et violence, non 
seulement dans la cité, mais dans l'Ëglise univer- 
selle ; par la seule autorité de sa sainteté, elle deve- 
nait, toute jeune encore, la conseillère écoutée du 
Pape et des gouvernements, l'arbitre de la chré- 
tienté, et apparaissait comme l'un des types les 
plus extraordinaires et les plus purs de cette sorte 
de prophétisme qu'à certaines heures de crise 
exceptionnelle, la Providence semble susciter en 
dehors et à côté de la hiérarchie ecclésiastique. 



II 



C'est l'année même de la mort de sainte Cathe- 
rine, en 1380, et comme pour ne pas laisser d'in- 
terruption dans cette suite de saints, que naft à 
Massa, ville du territoire siennois, l'enfant qui doit 
être saint Bernardin (1). Par son père, gouverneur 

(1) Je me suis attaché à recueillir les faits intéressants de la vie 
de saint Bernardin, dans les biographies assez nombreuses qui 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

de cette ville, il appartenait à la noble famille des 
Albizcschi. A moins de trois ans, il perd sa mère; 
à six ans, son père; mais rorpheUii rencontre tout 
près de lui, pour suppléer ses parents, des femmes 
de rare piété qui n'ont pas peu contribué à sa for- 
mation morale : ce sont ses trois tantes, Diana, 
Pia, Bartolomea, et sa cousine Tobia. Pas une 
ombre à la lumière candide et charmante dans 



ont été écrites, peu aprâs su mort, par des c ou lernpo raina ayant 
pu le connatlre lit fltra téiuoius d'une partie des faita qu'ils 
racontent. Plusieurs de ces liiogrupliieB ont tlé publiùes intégra- 
lement ou en parlie. soit dans les Acta lancterum des Bollaa- 
distas, au tome V du mois de mai, soit en tête des Opéra inncfi 
Bemardini Senemii, édités, au seizième siècle, en cinq lames, par 
Ici p. ub la Havb. D'autres ont été fondues pas Wauuing, dans 
ses Annalei Minorum, écrites au dU-septième siècle; il en indique 
neuf qui lui ont servi et dont il dit avoir les manuscrits sous 
les yeuï. Entre ces diveraos biographies, notons do préférence 
celle qui a été écrite, dix mois après la mort du saint, par 
Bernabieus Senensis, ami de Bcrnaritin, litlcraleur du quelque 
notoriété, ayaut rempli divers emplois dans la république de 
Sienne; celle qui a pour auteur Mapha:us Vegius, humaniste 
célèbre qui osa composer un tn;iziÈme livre do l'Eneida et qui 
mourut, en 1458, religieux Augustin, après avoir été, bous 
Eugène IV, Abréviateur et Secrétaire de la Dalerie; celle qui a été 
attribuée, i. tort ou à. raison, é. saint Jean de Capîslran, disciple 
et ami de saint Bornardin; la Vie anonyme, composée aussltdt 
■ après la translation du corps ■ par un Frère mineur du couvent 
d'Aquila; enfin celle qui a été Irauscrito par Surius, dans le 
recueil publié par lui au seiiième siècle, et qui est reproduite en 
tète des CËuvres du saint. Mentionnons aussi la notii:e contenue 
dans les Vite di uotnîni illuilri dtt ttculo XV, par Vespasiano 
DA Bisricci. et reproduite en tète des Prediche volgari di Saa 
Beritardino, publiées par L. Banchi (Siena, 1880}. 



PORMATrON DU SAIKT ET DU PRÉDICATEUR. 7 

laquelle nou3 apparaissent ses premières aimdes. 
Telle était sa purcîté, qu'à la moinilre parole mal- 
sonnante, la rougeur lui montait au visage, comme 
ai, disait un contemporain, quelqu'un lui avait 
donné un soufflet (1). Qu'on ne se le Ggure pas 
cependant enfant timide ot gauche, sans défense 
contre le mal : il est alerte et vaillant. Un jour 
qu'il jouait dehors, avec quelques condisciples, un 
personnage d'un certain rang s'approche pour lui 
faire des propositions déshonnéles : ce n'était pas 
chose rare à cette époque; l'enfant, indigné, ré- 
pond par un coup de poing ; sa petite taille ne lui 
permet d'atteindre que le menton, mais le coup 
est si vivement asséné, que le bruit en retentit 
presque jusqu'au bout de la place (2); l'homme 
s'éloigne, couvert de confusion aux yeux de tous 
les assistants. « Plusieurs années après, raconte 
l'un des biographes, sur cette même place, j'ai 
vu, pendant un sermon de Bernardin, ce même 
personnage, le cœur touché de componction, ver- 
ser des larmes aussi abondantes que s'il eût été 
durement battu de verges, n Une autre fois, pour- 

(!) ■ llli mbor in fade veremndiœ apparebal, ae ti injuria 
fuii ti alapam itttaliiiet. > (Via attribuée A S. Jesn de Capistrao,) 

(i) • Statim mni^nii iciu pugnt tinem ilium pertuiiil infra min- 
lutA. tTfdeat percultre facicm. adea magno Mni(u, quod ferf tolam 
plnieam repl/vit auJitv > (/biii.) 



8 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

suivi par un étranger qui lui tenait des propos sem- 
blables, Bernardin l'attire adroitement hors de la 
ville, après s'être concerté avec ses camarades, et 
là, subitement, tous lui jettent, en même temps 
qu'une volée d'injures, les pierres dont ils ont eu 
soin de remplir leurs poches ; ils le lapidaient, dit 
la vieille chronique, avec non moins d'ardeur que 
les Juifs saint Etienne (1). 

Dès l'âge de onze ans. Bernardin avait été appelé 
par ses oncles, à Sienne, pour y recevoir une in- 
struction en rapport avec le rôle auquel le destinait 
sa naissance. Il s'appliqua d'abord, avec un succès 
dont ses maîtres ont rendu depuis témoignage, 
aux belles -lettres et à la philosophie. Devenu 
adolescent, il étudia, pendant plusieurs années, 
le droit canon, la théologie, les saintes Écritures, 
et y prit tant de goût que les autres sciences 
lui parurent fades. D'ailleurs, ce qu'on disait déjà 
de sa piété et de sa vertu, les mortifications dont 
ses camarades surprenaient parfois le secret, 
n'étaient pas d'un jeune homme que tentaient 
les ambitions mondaines. Son austérité n'ôtait 
rien à sa bonne grâce. Les historiens insistent 
sur l'amabilité de son caractère, sur son affa- 

(1) « Non minus avide malignum hominem lapidabant quam 
Judœi Stephanum. » (Vie attribuée à S. Jean de Capistran.) 



PORMATION DU SAINT ET DU PRÉDICATEUR, fl 

lité envers tous, sur la gaieté de sa conver- 
lation. a Là où est Bernardin, disait-on, nulle 
;e à l'ennui. « Sa Cgurc, alors, n'avait rien de ce 
lasque singulièrement émacié, creusé, ridé, de- 
iDU le type d'après lequel les vieux peintres l'ont 
iprésenté sur les autels ; on nous le dépeint, 
cette première époque, comme un jeune homme 
Ht agréable, d'un visage coloré, d'une pliysio- 
'Aomic fine et distinguée, d'un air enjoué et cepen- 
dant imposant lo respect, de manières courtoises 
^fit engageantes, d'une taille moyenne et bien prise, 
£n le voyant si fait pour plaire, les pieuses pa- 
intes qui veillaient sur Bernardin jugeaient sage 
le mettre souvent en garde contre le danger des 
iquetterîes féminines. Un jour que sa cousine 
'obia lui donnait quelque avis de ce genre : 
'» Sachez, répondit-il plaisamment, que je suis 
.8 d'une très noble dame. Je donnerais volon- 
î ma vie pour jouir de sa présence, et ma nuit 
irait sans sommeil, si j'avais passé la journée sans 
voir. » Puis revenant d'autres fois sur le même 
ïjet : a Je vais voir mon amie, ma belle amie, n 
propos rendaient Tobia fort perplexe : elle 
t peine cependant à soupçonner un jeune 
me qu'elle savait si dévot et si mortifié. 
■« Quelle est donc, lui demanda-t-eUe, cette bien- 



iU S,\INÏ BERNARDIN DE SIENNE. 

aimée donL vous me parlez sans cesse î Où ( 
meure-t-elle? n Bernardin se borna à réponâl 
qu'elle demeurait au delà de la porte Camol^ 
De plus en plus troublée, Tobîa se décide à obsf 
ver secrètement les démarches do son jeune col 
sin. Dès le lendemain, cachée près du lieu iiidîqtd 
elle ne tarde pas à voir venir Bernardin. Âu-desai 
de la porte CamoUia, était peinte une Vierge ( 
s'élevait dans les cieux, au milieu d'anges dansa] 
chantant, jouant des instruments (1). Cette frestjl 
n'existe plus, mais d'autres peintures du tem|^ 
nous permettent d'imaginer ce qu'elle pouvait 
avoir d'inspiration et de charme pieux, malgré 
les gaucheries de l'exécution. Bernardin s'age- 
nouille devant l'imago de la Vierge; l'expression 
de son visage témoigne du ravissement avec 
lequel il la contemple, de la ferveur avec laquelle 
il la prie; cela fait, il se relève et rentre directe- 
ment chez lui. Plusieurs jours de suite, Tobia 
renouvelle l'épreuve avec même résultat. Pleine- 
ment rassurée, elle redemande à Bernardin do lui 
révéler le nom de la femme dont il est épris, afin, 
dit^Ue, de la demander en mariage, si elle n'est pas 



(1) Cette fresque, peinte, en 1310, pur les peintres Cccco et 
Nuccio, fut refaite, en lilS, pur Benedl^llo di Biudo. 11 n'en resta 
plui aucune tracu. 



FOBHATIO^ Dt' SAIST ET DT PREDICATEUR. Il 

de raog trop supérieur, ■ Ma mère, répond lo jeuoe 
borame, puisque vous l'ordoDiiCE, je vous livrerai 
le secrel Je mon cœur, que, sans cela, je n'au- 
rais révélé à personne. Je suis épris de la Viei^o I 
bienheureuse, Marie, mère de Dieu : c'est elle que 1 
j'ai toujours aimée ; c'est elle que, brûlant d'amour | 
jusqu'au plus profond de mon être, je di-sirc voir ; 
c'est elle doal j'ai fait ma très chaste Bancée; c'est i 
sur elle que je voudrais toujours fixer mes regards 
avec la vénération qui lui est due. Mais, no pouvant 
le faire ici-bas, j'ai résolu de visiter chaque jour 
son image. Voilà quelle est ma bîeo-aimée. n 
Tobîa, avec des larmes de joie, serre dans ses bras 
celui qu'elle appelle son fils béni, et rend grâces au 
Seigneur. Les biographes rapportent que Bernar- 
din garda toujours cette aimable dévotion à la 
Vierge de la porte Camoilia. Devenu moine, il sai- 
sira, au milieu de sa vie errante, toutes les occa- 
sions de lui rendre i-isite comme aux jours de sou 
adolescence, et quand, préchant aux Siennois, il 
voudra leurdonneruneîdée des splendeurs de l'as- 
somption de Marie, il leur rappellera l'image qu'ils 
^ent habitués à voir k l'entrée de leur ville (I). 



Tuttigti angioli... It ilaiino da tarno giubilando , eaa- 
faeûndoU cetehio, eomt ta vedi dipéiito eolà lu 
Camoilia... » (Le Prtditht volsaridi San Bernardine 



12 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

Sienne possédait alors un hôpital fameux, dont 
la création remontait à 832 et qui était dédié à 
Santa Maria délia Scala, Construit, suivant la 
touchante coutume d'autrefois, à l'ombre de la 
cathédrale, cet hôpital subsiste encore. L'entrée 
fait face au portail du Dôme : par la porte géné- 
ralement ouverte, le regard du touriste enfile 
une longue et vaste salle aux arceaux gothiques; 
à travers les fenêtres qui la terminent, il aperçoit 
un horizon de collines gracieusement ondulées 
qui, sous la fine lumière d'un ciel toscan, se pro- 
longe jusqu'au fond bleuâtre des montagnes; par 
moments, comme une note plus moderne dans ce 
cadre antique, comme un rappel de France dans 
ce milieu tout italien, passe et repasse, d'une dé- 
marche alerte, la blanche cornette d'une fille de 
Saint- Vincent de Paul. Au quatorzième siècle, dans 
cette ville en proie à tant de discordes, la Scala 
était un foyer de charité qui attirait naturellement 
les âmes généreuses. Le Bienheureux Bernard 
Tolomei y avait trouvé la mort en soignant les 
pestiférés; le Bienheureux Colombini, après sa 
conversion, y avait fait l'apprentissage de la sain- 

da Siena, dette nella Piazza del Campo l*anno MCCCCXXVII, 
ora primamente édite da Luciano Banchi, Siena, 1880, 1. 1, p. 25.) 
Je reviendrai plus tai'd sur cette importante publication. 



FORMATION DU SAINT ET DU PRKDICATEUR, iS'fl 

tcté; là aussi, le Bienheureux Pelrooi avait faît| 
admirer sa tendresse compatissante et son abné- 
gation. L'association des Disciplinati Confralerni- 
ifis B. Mariœ, qui y avait son siège, compronain 
B hommes do tous rangs, décidés à mener une; 

B dévouement et de mortification. Dès l'âge de! 
E-sept ans, Bernardin s'y était affilié, afin, dit unJ 
K ses biographes, de pouvoir se donner avec plusj 
\ facilité aux couvres de pénitence. Il y faisait,! 
jjpuis quelques années, l'édification des mem-l 
la confrérie, quand, en 1400, une sinislrorl 
îsiteuse frappa à la porte de la Scala, la peste. 
ICe n'était pas une inconnue. Depuis qu'elle! 
tait, au milieu du quatorzième siècle, épouvanté'! 
; littéralement dépeuplé le monde, elle avait I 
iïparu, à plusieurs reprises, tantôt sur un point, ï 
ii^antfit sur un autre. En 1400, Sienne en était àl 
t troisième invasion du fléau. Ses ravages se ' 
buvaient, cette fois, encore accrus par le pas- 
des pèlerins qui se dirigeaient en foule 
irs Rome, pour assister aux fêtes du jubilé sécu->d 
Kre. Ciiaque jour. Je nombreux malades suo^l 
^mbaient dans l'hôpital. Ceux qui les soignaient» 
fêtaient pas épargnés ; la mort frappa mèmea 
I un tel point parmi eux , que le dévoué direc 1 
fîeur de la Scala, Jean Landaroni, sentant avec! 



14 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

effroi le vide se faire autour de lui, ne crut plus 
avoir d'autre ressource que de se jeter aux pieds 
de Marie, gardienne de cette charitable maison, 
de lui crier sa détresse, et de remettre en ses 
mains les malades qu'il n'avait plus les moyens 
de faire soigner. Peu après, il voit venir à lui 
Bernardin qui lui propose de se charger entière- 
ment, avec quelques amis, du service de l'hôpital. 
Touché jusqu'aux larmes, le directeur hésite cepen- 
dant à accepter cette offre : la peste s'attaquait 
surtout aux adolescents; peut-il exposer à un tel 
péril cet enfant de vingt ans, héritier d'une noble 
famille? Celui-ci insiste : « Si Dieu veut que je suc- 
combe, dit-il, j'accepte une telle mort avec joie. » 
A cette fermeté simple, Landaroni reconnaît l'es- 
prit de Dieu; non seulement il permet à son jeune 
ami de venir soigner les malades, mais, sans s'ar- 
rêter à son âge, il lui remet la direction de toute 
la maison (1). 

Bernardin réunit alors une dizaine de ses com- 
pagnons. En quelques paroles enflammées, il leur 
rappelle la promesse de Celui qui a dit : « Tout ce 
que vous aurez fait au plus petit des miens, vous 
l'aurez fait à moi-même. » Loin de leur dissimuler 

(1) « Claves totiusferè domus eidem contignaviL » (BolL i'* vie.) 



FORMATION DU SAINT ET DU PRÉDICATEUR. IS 

le péril, il leurnionlre combien il est beau do con- 
quérir ainsi, en temps de paix, la couronne du 
martyre, h Vous le voyez, mes bieii-aimt^s, ajoute- 
L-il, l'incendie est allumé au loin, le monde presque 
entier en est devenu la proie; la haciie est appli- 
quée à l'ai'bre; la faux appelle la moisson. Qui 
d'entre nous pourra se flatter de prolonger sa vie, 
quand nous voyons les autres mourir tous les 
jours, quand nos compagnons les plus cliers ont 
succombé aux premières atteintes du fléau? Si 
nous mourons en remplissant les devoirs de la 
charité, nous irons au Seigneur; si, au contraire, 
la mort nous (■pargne,nous nous réjouirons, toute 
notre vie, d'avoir rendu à Dieu do tels services en 
la personne de ses pauvres. Soit donc que nous 
vivions, soït que nous mourions, nous no pouvons 
que gagner dans un tel ministère, » L'appel est 
entendu. Après s'être confessés et avoir reçu en- 
semble la sainte communion, ces ji.'uncs gens se 
rendent à l'hôpital. Bernardin prend en main la 
direction; jour et nuit, il est au service des ma- 
lades, les soigne, les console, les aide à mourir, 
les ensevelit de ses mains; les besognes les plus 
répugnantes ou les plus périlleuses sont celles 
qu'il préfère; en mémo temps, il veille au bon 
ordre, à la propreté, fait puriflcr l'air par de grands 



16 SAINT BERNARDIN DE SlIiS.NK. 

feux. Si encombrée que soit la maison, il trouve 
toujours moyen Je recevoir ceux qui y demandent 
asile. La mort frappe les malades par centaines; 
elle n'épargne pas les jeunes compag;nons de Ber- 
nardin, dontplusieurs succombent glorieusement; 
mais les remplaçants ne manquent pas. 

Pendant quatre longs mois, à l'admiration de la 
ville entière, Bernardin soutient sans faiblir ce 
combat. Il ne se relire que quand la peste a dis- 
paru. A peine a-t-il quitté l'iiôpital que, par une 
suite naturelle do tant de fatigues et d'émotions, 
il tombe malade à son tour; on le croit un moment 
perdu, mais sa jeunesse reprend le dessus. Que 
va-t-il faire de cette santé reconquise, de cette vie 
que Dieu lui laisse? Depuis longtemps, il se posait 
la question, non sans anxiété, 11 se sent attiré 
vers la vie religieuse. Pour le moment, toutefois, 
un devoir lui paraît primer tous les antres : sa 
tante Bartolomea est devenue aveugle; il se re- 
fuse à abandonner celle qui a veille sur son en- 
fance. Ce n'est qu'un relard d'une année : bientôt, 
Barlolomea morte saintement dans ses bras, rien 
ne le relient plus. Pour s'examiner plus immédiate- 
ment en présence de Dieu et aussi pour s'aguerrir 
à la pénitence, il se cherche, en dehors de la ville, 
au milieu des jardins, une retraite cachée, une 



FORMATION DU SAINT ET DU PRÉDICATEUR. 17 
sorte (le solitude où il installe un petit oratoire. Il 
y passe son temps en prières, en méditations, en 
austérités, couchant sur la terre nue, se nourris- 
sant d'herbes et de racines (1). 11 obtient en ré- 

(!) BerDordin a confessa lui-rni^mo, plus tard, ce que ëv» tiustâ- 
litËs avaient ou. au d^but. d'oxcessir. Cet avuu, fuit avec son 
«□jauonieQl accoulumâ. se trouve daaa un seniioo prononcé k 
Sfeaae, en septembre iiil, sermoo où il rappelait à la discrétion, 
au bon sens et à l'buniilité certains péoitcnta présomptueux et 
téméraires. • Je veux vous raconter, disail-il, le preuier miracle 
que j'aie jamais fait; c'était avant que je fusse Frère. 11 me vint 
une résolution de vouloir vivre comme ud ange et non pas 
Gomiiie un lioiume. Je pensai à m'établir dans un bois, et je com- 
tneoçaî A me dire à moi-même : • Que feras-tu dans ua bois? 
Que mangeras- tu T • Ja me répoudais ; • Je ibrai ce que ruisaleot 
les saints pères; je mangerai de l'herbe quand j'aurai faim, et, 
quand j'aurai soif, je boirai do l'eau, • Je d>;llbi^rai eocoro 
d'acheter une Bible pour lire, et uno robe grossière pour me 
vèlir. Et j'achetai la Bible, ainsi qu'une peau de chameau Im- 
perméable pour que la pluie ue la mouillât pas. Je cherchai 
ensuite où je pourrais QJe nicher.. , J'allai lâ-bas, hors de la porte 
Follonica, et je commençai è. cueillir une salade de lailerons et 
d'autres herbessauvageii; je n'avais ai pain, ni sol, ni buile;ji^ 
me dis : ■ Commençons, pour celte première fois, par la laver et 
l'éplucher, et puis, une autre fois, nous ne forons que l'i^plucher 
sans la nettoyer autrement; et quand nous on aurons pris l'ha- 
bitude, nous ferons la salade sans la nettoyer aucunement, et 
enlia nous ne la cueilleroas même pas. • bit, ayant invoqué le nom 
de Jésus béni, je commentai avec une boucliée d'herbes amËres, 
et. l'ayant mise dans ma bouche, je me mis k la mOcher. Je 
m&cbe. Je mâche; elle ne voulait pas descendre. Mo pouvant 
l'avaler, je me dis : * Allons, commençons par boire uue gorgée 
d'eau. i>Basteireau descendait, et l'herbe restait dans la bouche. 
En somme, je bus plusieurs goi'giies d'eau aveo une bouchée 
d'herbes et je ne pua l'avaler. Sais-tu ce que je voui dire? Avec 
une seule bouchée d'herbes, j'éloignai toute tentation; carcertal- 
i que c'était une tentation. Ce qui a suivi 



compense ploiiio lumière sur sa vocaUon : il lui 
semble que du erucifix même lui vient l'appe! à 
une vie de sacrifice et de pauvreté. Reste seule- 
ment à choisir l'Ordre où il trouvera cette pau- 
vreté le plus complètement pratiquée. Il hésite 
entre les Franciscains et les Dominicains. La 
lecture de la règle de Saint-François et un son^e 
qu'il croit envoyé de Dieu, le font donner la préfé- 
rence aux Frères mineurs. 

Le couvent de San Francesco, à la porte duquel 
vint frapper Bernardin, occupait une sorte de 
promontoire à l'une des extrémités de Sienne. 
L'église, récemment roslaurée, et les cloîtres 
subsistent encore. Il ne fallut pas longtemps au 
gardien du couvent (1), Jean Ristori, religieux 
éprouvé, pour examiner et reconnaître une voca- 
tion, si \'isiblement inspirée de Dieu. Bernardin, 
insensible au blâme de certains de ses parents qui 
avaient rêvé pour lui une vie biillanle dans le 
monde, distribua joyeusement sa fortune aux pau- 
vres et au.\ églises, et, dépouillé de tout, il vint. 



depuis a été «lecllon et non teotatioa. Oli I conibian il faut réQé- 
chir avant de suivre le» traces d'autrui dans des n^sulutions qui 
se trouvent très mauvaises et qui paraissent sj bonnes I • (Le 
Prtdichi volgari, eilite da Ldciano Bancui, t. II, p. 331 et s.) 
(1) Ainsi sont appelas les supérieurs des couvents de Frères 



r 



FORMATION DU SAINT ET DU PRÉDICATEUR. 19 

le 8 septembre 1402, au milieu de ses concitoyens 
accourus en foule, recevoir de Jean RistoriThumble 
et pauvre habit des Frères mineurs. C'était à cette 
même date du 8 septembre, fête de la Nativité de 
la Vierge, que, vingt- deux ans auparavant, il 
était né et avait été baptisé. A cette même date, 
dans les années suivantes, il fera sa profession, 
dira sa première messe et prononcera son pre- 
mier sermon. Aussi, plus tard, en prêchant sur le 
mystère de cette fête, aimait- il à rappeler ces 
coïncidences et y voyait-il comme un signe de sa 
particulière consécration à Marie (1). 



III 



Bernardin ne demeura pas plus de deux mois 
au couvent de Sienne. Ses relations de famille, le 

(1) Les biographes contemporains rapportent que Bernardin 
s'exprimait ainsi : « fn die Naiiviiaiis Beaiœ Virginis natus, eâdem 
die, revolutis tamen iemporibus, renatut, religionem ingrestus sum 
Seraphiei Patrit Francisci ; eâdem die professus in Ordine, eâdem 
die primam Mistam caniavi, et eâdem die primum ad populum 
sermonem feci de Beatâ Virgine, eujut amore et gratiâ opto et tali 
die ex hâe vitâ migrare. » Ce dernier vœu ne devait pas être 
exaucé; il mourut le 20 mai. Ce langage peut être rapproché de 
celui que Bernardin tenait à Sienne, en 1427. (Cf. Le Prediche 
Vêlgari di San Bemardino da Siena, édite da Luciano Banchi, 
t. II, p. 240.) 



20 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

renom même de ses vertus lui attiraient trop de 
visiteurs. A quelque distance de la ville, dans une ] 
solitude sauvage, au milieu des bois, était le cou- -i 
vent de Colombaio, bien petit et bien pauvre, mais 
sanctifié par le séjour qu'y avaient fait saint Fran- 
çois et saint Bonaventure. Avec l'approbation de 
ses supérieurs , Bernardin prit le parti de s'y reti- 
rer. Une raison surtout le déterminait : Colom- 
baio était un des couvents, très rares alors, revenus 
à la stricte application de la règle de Saint-Fran- 
çois ; il appartenait à ce qu'on commençait à appeler 
l'Observance (1). 

Les biographes contemporains notent la joie 
aimable, la douce allégresse avec lesquelles Ber- 
nardin vint chercher asile dans cette sainte maison ; 
ils notent aussi l'ardeur avec laquelle il y em- 
brassa la pauvreté, la mortification, l'humiliation, 
jamais plus heureux que quand il était insulté 
dans la rue ou que des enfants jetaient des pierres 
sur ses pieds nus. « Laissez-les faire, disait-il à 
son compagnon indigné, ils nous aident à acquérir 
une gloire éternelle. » Toutefois, s'agissait-il de 
défendre sa pureté, reparaissait en lui quelque 

(1) J'aurai occasion, plus loin, en exposant ce que Bernardin 
.a fait pour propager l'Observance, de rappeler la genèse de cette 
réforme. (Voir le chapitre V.) 



BRMATIOS l)V aAINT ET DU PRËDICATKIJR 
B de la vivacilé avec laquelle, cnfanl, il avait 
té, en pleine place publique, l'Iioirime qui 
Toulait le corrompre. Il y avait h Sienne une 
femme qui passait, avec son mari, pour être pieu- 
sement attachée aux Frères mineurs; mais, par 
l'effet (l'on ne sait quelle diabolique dépravation, 
elle s'était laissé secrètement envahir par une 
passion criminelle pour Bernardin, Un jour que le 
jeune novice faisait, suivant l'usage, la quête de 
porte en porte, cette femme, qui le guettait, l'invite 
à monter dans sa maison, pour y prendre le pain 
destiné au couvent. Il la suit sans défiance. A peine 
eatr-il entré, qu'elle ferme la porte, s'offre à lui, 
et lui déclare que, s'il la repousse, elle criera 
et l'accusera d'avoir voulu lui faire violence. Le 
Frère, qui mesure le péril, appelle Dieu à son 
secours, dans le silence de son cœur. Il lui vient 
alors cette inspiration de répondre à cette femme 
f que, pour accomplir son dessein, elle doit d'abord 
se dévêtir. Puis, au moment où elle commence h 
le faire, il saisit silencieusement la discipline qu'il 
avait l'babitude de porter sur lui, et la flagelle 
si rudement que, dit le vieil historien, il met en 
fuite la tentation. Plus tard, le seul souvenir do 
cette correction suffisait à préserver cette femme 
de toute pensée mauvaise; elle demeura, ainsi 




2S SAINT BERNARDIN DE SIENNE- 

que son mari, très <I(ivoui:e au saint et à son 

Ordre. 

Le 8 septembre 1403, après une année du novi- 
ciat le plus fervent, Bernardin fut admis à faire 
profession. Pour obéir à ses supérieurs, il se pré- 
para ensuite à la prêtrise; déjà fort instruit dans 
les sciences sacrées, une année lui sufflt pour 
recevoir tous les ordres ; le 8 septembre 1404, il 
célébra sa première messe et prêcha son premier 
sermon sur la Nativité de la Vierge. 

Devenu prêtre, son austérité, sa ferveur s'en 
accrurent encore et firent, chaque jour davan- 
tage, l'admiration de ses compagnons. En digne 
fils du stigmatisé de la Verna, il aimait parti- 
culièrement à méditer sur la passion du Christ 
et on était si remué que, dit son biographe, 
on eût cru qu'il allait mourir de douleur (1). Les 
penaers d'amour et de pénitence que cette con- 
templation éveillait en lui, il avait soif de les 
répandre. Un jour, il n'y tient plus. Suivi de quel- 
ques Frères qu'il a enflammés de son zèle, il sort 
du couvent; sur ses épaules mises à nu, il porte 
une grande et lourde croix. Ainsi chargé, il se 
dirige vers Sarziano, bourg voisin. Ce spectacle 



FORMATION DU SAINT ET DU PREDICATEUR. 23 

étrange provoque d'abord des moqueries. Mais le 
jeune Frère parle, laissant déborder, sans regarder 
ni à Tordre ni à la forme, les sentiments qui bouil- 
lonnent dans son âme. Les rieurs écoutent, sur- 
pris, troublés, émus : leurs yeux se mouillent, et 
ils finissent par saluer comme un saint celui que, 
tout à l'heure, ils bafouaient comme un fou. Ne 
dirait-on pas quelque trait de la vie de François 
d'Assise ? 

Si, dans une heure de pieuse exaltation, Ber- 
nardin était ainsi sorti du cloître et avait fait œuvre 
d'apostolat, il n'avait cependant aucun dessein 
arrêté de devenir prédicateur. Trop obéissant pour 
ne pas attendre sur ce point l'ordre de ses supé- 
rieurs, il était trop humble pour le solliciter. Mais 
une telle lumière pouvait-elle rester sous le bois- 
seau? Antoine-Ange Pireto, élevé en 1405 au géné- 
ralat des Frères mineurs, était favorablement dis- 
posé pour les Observants. Instruit du rare mé- 
rite du jeune religieux caché dans le couvent de 
Colombaio,illui envoya l'ordre de se consacrer au 
ministère de la prédication. 



24 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 



IV 



Dans les premiers siècles de l'Église, la prédi- 
cation avait été principalement pastorale, œuvre 
des évêques et des curés enseignant leurs ouailles 
dans la cathédrale ou dans l'église paroissiale, 
des abbés instruisant leurs moines dans l'intérieur 
du cloître. Portée très haut par les Pères grecs ou 
latins du quatrième siècle, abaissée avec l'invasion 
d'ignorance et de barbarie qui avait accompagné 
la chute du vieux monde romain, elle s'était 
relevée d'un puissant élan au douzième siècle, 
époque de renaissance religieuse, littéraire et 
artistique. A cette date, elle ne retrouve pas seu- 
lement un éclat perdu; elle tend à prendre une 
forme nouvelle, avec les prédicateurs populaires 
des Croisades, avec saint Bernard surtout, qui ne 
se contente pas d'adresser des homélies à ses 
Frères de Clairvaux, mais qu'on retrouve sur 
toutes les routes de France, d'Allemagne, d'Italie, 
attirant les foules sur ses pas, leur préchant de 
sa grande voix la guerre contre les infidèles et la 
paix entre les chrétiens. 



I FORMATION DU SAINT ET DU PRËDICATKIIR, 25 

■ La transformation, ainsi commencée, se com- 

■ plète avec la fondation des deux Ordres men- 
diants, au commencement du treizième siiscle. 
Le3.lils de Sainl-François et do Saint-Dominique, 
À la différence des fils de Saint-Benoît, ne s'enfer- 
ment plus dans un clotlre pour y chercher la soli- 
tude : leur rôle est de se r^'pandre au dehors et de 
praler partout la parole sainte. « Dieu veut que 
nous allions par le momie >, disait le Pauvre d'As- 
sise, et il avait donné à ses disciples l'exemple 
de cette vie de mission errante- La prédication 
dominicaine était d'ordinaire savante. Les Fran- 
ciscains étaient les orateurs préférés du peuple, 
dont, au scandale de plus d'uo clerc, ils parlaient 
volontiers le langage, abordant tous les sujets avec 
Dne familiarité hardie, prompts à prendre en main 
la cause des petits et des opprimés, ne se génanl 
guère pour attaquer les puissants de l'Ëtat et 
même de l'Ëglise. Des sanctuaires, ce prêche 
démocratique débordait sur la place publique., où 
il se trouvait plus à l'aise (1), Des chaires impro- 
visées se dressaient en plein air, autour desquelles 
certains orateurs attiraient des multitudes de vingt, 

(1) L«a oOus de ces acrmoas en plein uir dcviiiciil les faire 
Interdire au quinzième aiècle, en Franco, par plusioara conciles 
locaux. L'usage en persista plus longtemps eu Italie. 



SAIWT BERMAHDIS DK SIENNE. 



diteurs. ^^^H 
dessus de iBftTI 



quarante et même soixante mille auditeurs, 
saint Antoine de Patloue, ou ce frère Bertolt 
Ratishonne qui faisait dt-ployer, au- 
téte, une banderole, afin que la foule, voyant dloù 
venait le vent, sût de quel côté se placer pour 
entendre de très loin. 

Les prêtres séculiers n'étaient pas sans prendre 
ombrage de ces nouveaux venus auxquels ils 
reprochaient a d'usurper entièrement l'olfice de la 
prédication » ; mais ils n'y pouvaient rien que 
tâcher de les imiter; c'est ce que faisaient aussi 
les religieux des autres Ordres. Les sermons se 
trouvaient ainsi multipliés dans une mesure in- 
connue aux époques précédentes. Pour se faire 
d'ailleurs une idée de l'importance prise par cette 
prédication populaire, non seulement dans la vie 
religieuse, maïs dans la vie sociale, il faut se rap- 
peler qu'en ce temps le Ilvi'c était rare, le journal 
inconnu; dès lors, la parole publique, — et, au 
Moyen âge, il n'en était guère d'autre que le ser- 
mon, — était le seul aliment des esprils, le prin- 
cipal facteur de l'opinion. N'avait-on pas vu ce 
qu'elle était capable de faire, lors des Croisades? 
La venue d'un prédicateur célèbre était un évé- 
nement qui occupait toute une contrée. Les longs 
sermons que, chaque jour, au nom d'une foi 



' FORMATlOK Dtr SAINT ET DH PRÉDICATEUR. 27 
religieuse demeurée, miilgré tout, maîtresse des 
intelligences, il prononçait devant des auditeurs 
que ne distrayait aucun autre enseignement, pou- 
vaient produire des effets inconnus dans la vie 
plus complexe de nos cités modernes. Qu'était-co 
si, au prestige de l'éloquence, s'ajoutait celui, 
plus grand encore, de la sainteté et du miracle? 

En plein épanouissement au treizième siècle, 
cette prt'dication populaire décline au quatorzième. 
Le premier élan fait place à une sorte de fatigue, 
l'inspiration à la routine. C'est le r6gne des manuels, 
où chacun trouve préparé le sermon dont il a 
besoin : tel, entre beaucoup d'autres du môme 
genre, le recueil Dormi seciir^, dont le titre seul 
dit au prédicateur paresseux : a Dors en paix, ton 
sermon est tout fait. » De plus, comme par l'effet 
d'une pente naturelle, les défauts du genre s'ag- 
gravent : la familiarité tourne en trivialité et en 
bouffonnerie; la liberté dégénère en licence, no- 
tamment dans le royaume de France, alors déchiré 
par les factions, où plus d'un a preseheur h se fait 
tribun et démagogue. Ajoutez que la crise tra- 
versée par l'Église et qui aboutit au grand schisme, 
n'était pas faite pour donner plus de tenue aux 
prédicateurs. 
' Hais, preuve nouvelle de cette divine fécondité 



Î8 SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

par laquelle le christianisme a tant de fois iloané 
des démentis à la superbe de ses adversaires ou au 
découragement de ses amis, au milieu même du 
schisme, à l'heure la plus sombre de cette fin d'un 
triste siècle, surgit tout à coup un prédicateur dont 
le renom et les succès semblent dépasser tout ce 
qu'on a vu jusqu'alors. C'est saint Vincent Femer, 
Dominicain espagnol. Il a déjà près de cinquante 
ans, quand, en 1397, il commence son apostolat 
à travers les pays d'obédience avignonnaîse. 
Bientôt célèbre par son éloquence, par ses ver- 
tus, par les miracles extraordinaires qu'U accom- 
plit, pour ainsi dire, à chaque pas, on le demande 
de tous côtés. Chaque viile qui le possède un 
moment voudrait le retenir. Il ne s'arrête nulle 
part, toujours en marche, « pèlerin de la parole 
divine », comme l'appelle un de ses contemporains. 
Ainsi évangélise-t-il l'Espagne, la Provence, la 
Ligurie, le Piémont, la Savoie, la Suisse, les 
Flandres, et surtout la France entière qu'il parcourt 
à plusieurs reprises dans tous les sens, jusqu'à ce 
qu'en 1419, il meurt épuisé, en Bretagne. Il ne sait 
d'autre langue que le valencîen, affirment ses bio- 
graphes, et cependant partout on le comprend. 
D'une extrême austérité, il voyage à pied, sauf 
dans ses dernières années où une plaie à la jambe 



FORMATION DU SAINT ET DO PRÉDICATEUR. 1 
l'oblige à monter sur un âne. Des pénitents de»J 
deux sexes l'accouipagnent, valus d'Iiabîts blancs 1 
et noirs de forme monastique, soumis à une disci-J 
pline sévère, sans rien des désordres qui, à d'autres 1 
époques, avaient vite déconsidéré les bandes dej 
ilageUants . 11 mène aussi avec lui des prêtres pour I 
les confessions, des chantres pour les offices, et I 
jusqu'à un notaire pour sceller les réconciliations; 
c'était en effet une de ses principales préoccupa- 1 
lions, au milieu des discordes qui avaient envahi 1 
même le sanctuaire, de prêcher partout la paix et I 
l'union (1). Airive-t-il près d'une ville, ses péni-J 
tents se forment en procession; la population sort I 
au-devant de lui; c'est à qui l'approcliera, le lou- 
chera; ses vêtements sont bientôt mis en lambeaux 
par loua ceux qui veulent emporter de lui quel- 
que rehque; il lui faul tenir ses mains au-dessus J 
de sa tête pour les soustraire aux gens qui s'ef- 
forcent de les baiser; ce n'est qu'en l'entourant de 
madriers portés par des hommes vigoureux qu'on j 
peut l'empêcher d'être écrasé. En plus d'une ville, j 
tant que dure sa prédication, les affaires sont arrê- 
tées, les magasins fermés, les audiences mêmes. | 
; des tribunaux suspendues, o Pour entendre maître J 

{t) • II avait coutumo, dit un coDlempCkra.ia, derétablir la coi^j 
corde partout où il passait. • 



30 SAINT BERNARDIM DE SIENNE. 

Vincent, rapporte un témoin, tout le monde quit- 
tait ses occupations, les ouvriers leurs ateliers, les 
avocats le Palais de justice, les laboureurs la cam- 
pagne, et les femmes, si la chose est croyable, 
leur toilette. » 11 prêchait d'ordinaire le matia, 
après avoir chanté la messe; son sermon ne durait 
pas moins do trois heures, etquelquefois six quand 
il parlait sur ta Passion ; à certains jours, il repre- 
nait la parole dans l'après-midi et dans la soirée. 
A défaut des églises trop étroites, on lui élevait 
une chaire sur la place publique; les auditeurs s'y 
pressaient debout, garnissaient les fenêtres et 
jusqu'aux toits des maisons ; d'autres fois, quandia 
foule était plus considérable encore, il prêchait en 
rase campagne. Ses biographes parlent couram- 
ment d'auilitoires de dix, vingt et môme, à Nantes, 
soixante mille personnes. Son procédé est généra- 
lement de jeter la terreur dans les âmes : nouveau 
Jonas, il montre aux Ninivites la colère de Dieu sur 
le point d'éclater et les presse de la conjurer par la 
pénitence; les désordres, les scandales du temps 
lui paraissent révéler la venue de l'Antéchrist, et 
il se dresse comme l'ange du dernier jugement. 
Un jour, à Toulouse, prêchant sur ce texte : 
« Morts, levez-vous et venez au jugement », il 
jette une telle épouvante chez ses auditeurs que 



flHMATION DU SAINT ET DO PBÉDICATEDR. 31 

f ceux-ci, comme s'ils triaient réellement appelas au 
tribunal suprême, lombent, à plusieurs reprises, 
laface contre terre, en criant miséricorde; la place 
en (levait garder, pendant quoique temps, le nom 
de valtét; de JosaphaL A la suite des sermons, 
c'étaient de longues processions de flagellants 
auxquelles prenaient part les habitants, et on le 
bruit des cordes frappant les épaules nues accom- 
pagnait des complaintes sur la Passion. Telle, 
pendant vingt-deux ans, se continua cette prédi- 
cation, de ville en ville', de village en village, 
laissant partout derrière elle, comme marque de 
son passage, un réveil do foi, une réforme des 
mceurs, un effort de pénitence, et la pacification des 
cœurs. 

Sauf une pointe rapide faite en Piémont et en 
Ligune, l'apostolat de saint Vincent Ferrier n'avait 
pas atteint l'Italie (I). Et cependant, là aussi, com- 
bien il eflt été nécessaire! A la fin do quatorzième 
siècle, leBienheureux Jean Dominîci (2), des Frères 
prêcheurs italiens, gémissait sur la décadence de la 
prédication autour de lui. a II y a un grand manque 

(i) C'est sans fondement que certains hiatorieDs prùtoodeat 
que Vincent Ferrier aurait précité à Florence et à Bologne. 

(Z) Hù vers 1357 ou 1360, Dominioi mourut cardioul en UIS. 
Cf. l'ouvrage du P. Aug. Ra».sLe:a, sur le Cardinal Johanna 
i. (Freiburg, Herder, 1SD3.) 



.32 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

de parole de Dieu, écrivait-il^ et les esprits sont 
pour ainsi dire affamés de cette parole. » Il s'était 
employé, pour sa part, à remédier à cette famine, 
et ses sermons étaient fort goûtés des Florentins. 
Son exemple avait été suivi : un religieux du 
même Ordre, le Bienheureux Pierre de Palerme (1), 
évangélisait avec succès, au commencement du 
quinzième siècle, le nord et le centre de Tltalie, en 
attendant qu'il allât se fixer en Sicile. Toutefois, 
si fructueuses qu'elles fussent, ces prédications 
étaient loin d'avoir le retentissement et l'éclat 
de celles de saint Vincent Ferrier. C'est à un 
Franciscain, à notre Bernardin de Sienne, qu'il 
devait être donné de renouveler en Italie les mer- 
veilles dont la France venait d'être le théâtre. 

Saint Vincent Ferrier paraît avoir pressenti 
son successeur et son émule. Prêchant à Alexan- 
drie, en Piémont, il eut Bernardin parmi les audi- 
teurs qu'attirait de toutes parts sa renommée. 
Le jeune Franciscain, alors inconnu, fort touché 
des sermons de l'illustre Frère prêcheur, obtint 
de lui la faveur d'un entretien particulier, dans 
lequel il lui ouvrit son âme et dont il sortit 
plein de gratitude et de consolation. Le lende- 

(1) Né en 1381, mort en 1452. 



FORMATION DU SAINT ET DU PRÉDICATEUR. 33 

main matin, au cours de son sermon, Vincent 
s'interrompait : « mes enfants, s'écriait-il, il y a 
dans cette assemblée un religieux de l'Ordre des 
Frères mineurs qui sera bientôt un homme illustre 
dans toute l'Italie; sa doctrine et ses exemples 
produiront de grands fruits parmi le peuple chré- 
tien. Je vous exhorte donc à rendre grâces à Dieu ; 
prions-le, tous ensemble, de vouloir bien accomplir 
ce qu'il m'a révélé. Bientôt se réalisera ce que je 
vous annonce ; c'est pourquoi je retourne évangé- 
liser la France et l'Espagne, et je laisse à cet 
homme le soin d'instruire les peuples de l'Italie 
auxquels je n'ai point fait entendre ma voix (1). » 



Bernardin attendra plusieurs années, avant de 
réaliser pleinement la prophétie de Vincent Ferrier 
et de devenir un prédicateur célèbre. Il avait cepen- 



(1) Ce fait est rapporté par le plus vieux et le plus autorisé 
des biographes de saint Vincent Ferrier, Petrus Ranzanus 
(livre III, ch. i). On a discuté sur la date. Quelques historiens 
ont déduit de certaines phrases de Ranzanus que Fentrevue 
aurait eu lieu en 1408. Le P. Pages, auteur d'une vie récente de 
saint Vincent Ferrier, la reporte en 1402, avant rentrée en reli- 



3i SAINT BERKARDIN DE SIENNE. 

liant suivi tout île suite l'indication qui lui ayaîl 
donnée de se vouer à la chaire. Dès l'été de liî 
on le trouve prêchant à la porte de Sienne, en un 
lieu sanctifié par un miracle de saint François et 
appelé l'Alberino. Le 12 juin de cette même année, 
il était, près de là, au petit ermitage de San Ono- 
frio, sur la colline de la Capriola, et, y rencontrant 
une grande affluence de peuple attirée parla fête du 
saint, il se sentait inspiré de monter sur un arbre 
pour lui adresser la parole ; comme naguère à Sar- 
ziano, ceux qui le prenaient tout d'abord pour un 
fou étaient bientôt captivés. Ce lieu, d'où l'on 
voyait Sienne, et qui en était cependant séparé par 
une vallée profonde, lui plut, et le désir lui vint d'y 
fonder une maison de l'Observance. L'ermitage 
dépendait de l'hospice de la Scala, dont le directeur 
ne pouvait rien refuser a celui qui avait tant fait 
pour ses malades pendant la peste. Bernardin 
obtint donc, sans difûculté, la permission d'y faire 
sa fondation: il se mit aussitôt à l'œuvre, donna 
lui-même l'exemple de travailler de ses mains. 



gion de Bernsnlia. Que faît-il alors des paroles mêmes atlribuéM 
à sainl Vincent et ou il est question de Beroardio comme Étant déjt 
Frère minourî En tout cas, le tait a dû se produire entre U02 
et li08. Pour arriver à une précision plus graiiiio, il faudrait 
pouvoir Établir en quelle anoée saiut Viacent Ferrier a pu venir 
précliei' 4 Alexandrie. 



FORMATION DV SAINT ET DU PRÉDICATEUR. 35 

porla 8ur sesojiaules les pierres, le bois elles autres 
matériaux. Il eut ainsi bien vile construit un mo- 
deste monastère dont il fut le premier gardien. Le 
couvent de la Caprîola devait tenir une grande place 
dans la vie de notre saint. Il y demeura d'abord 
pendant plusieurs années, et plus tard, au cours de 
sa vie devenue errante, ce sera presque toujours 
à la Capriola qu'il reviendra passer ses courtes 
heures de repos. Nul lieu n'est donc plus marqué 
de son souvenir. Le couvent subsiste encore, Inais 
reconstruit et complètement Iransfornnî à une 
époque ulLi5rieure. 

Sur les dix à douze années qui suivirent la fon- 
dation Je la Capriola, les biographies du saint on 
nous donnent guère de renseignements. Il y a là 
comme une pi^TÎode de recueillement et de prépa- 
ration, soustraite à la curiosité du public. Déjà 
cependant. Bernardin apparaît le modèle des reli- 
gieux, scrupuleux dans l'observation de la règle, 
généreux dans ses austérités, le plus empressé 
aux offices, passant une grande partie des nuits à 
méditer avec larmes sur ses péchés, sur l'ingrati- 
tude des hommes, sur la passion du Christ. Il ne 
se laissait jamais atteindre par les affaires du de- 
hors pendant le temps réservé à ses oraisons, mais, 
hors de là, il était d'un abord facile et aim^le pour 



36 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

tous ceux qui avaient besoin de le consulter. Il ne 
négligeait pas le travail intellectuel, reprenait, en 
vue de la prédication à laquelle ses supérieurs 
l'appelaient, l'étude de la théologie et des Saintes 
Écritures, et rédigeait même à l'avance des ser- 
mons sur divers sujets, non sans doute dans la 
forme où il comptait les prononcer, mais avec 
leur substance doctrinale. En même temps, il prê- 
chait, soit à la Capriola, soit dans les contrées 
environnantes. Était-ce humilité ou conscience 
de son inexpérience, il choisissait, de préférence 
aux grandes villes, les bourgs et les campagnes. 
De cette première prédication, évidemment peu 
retentissante, aucun écho ne nous est parvenu. 
Très estimé pour ses vertus par ceux qui l'appro- 
chaient, Bernardin n'avait encore aucun renom 
d'orateur (1). 

Cette période d'obscurité se prolonge jusqu'en 
1417, où nous trouvons Bernardin devenu, par 
suite de circonstances ignorées, gardien du cou- 
vent de l'Observance, établi à Fiesole près de 
Florence. Une nuit, l'un de ses novices, au sortir 
d'une longue prière, parcourt le couvent en criant : 
« Frère Bernardih, ne tenez plus cachés les talents 

(1) « Multis enim annis latuit, incognilumque ac ohscurum ejtu 
nomen fuit. » (Maph^eus Vegius.) 



FORMATION DU SAINT ET DU PREDICATEUR 
que Dieu vous a donut^s; allez ot précliez en Lom- 
bardie 1 » Vainement les autres moines essayent-ils 
de le faire taire, le novice se déclare poussé par 
une force irrésistible. Bernardin était absent. In- 
^ formé, à son retour, de ce qui s'est passé, il se 
|<inet en oraison avec toute sa communauté, et sup- 
plie Dieu de lui faire connaître sa volonté. Doit- 
il donc franchir les frontières de cette Toscane 
où il s'est modestement renfermé jusqu'à ce 
rjour, s'éloigner de son monastère pour mener la 
I vagabonde du missionnaire, et, des petites 
ibaires de campagne oii a été presque confinée aa 
Irprédication, s'élever à celles des grandes villes? 
&près avoir beaucoup réiléclii, beaucoup prié et 
nïait prier, il acquiert la conviction que l'appel, 
lltransmis par le novice, vient d'en haut. Or il 
Eëtait de ceux qui obéissent sans hésiter à de tels 
■'Appels. 

Date décisive dans la vie de Bernardin! Il est 

la maturité de l'âge. Tout ce qui a précédé 

1 une sorte d'apprentissage pendant lequel il 

■Vest muni d'une forte doctrine, s'est familiarisé 

jàvec la chaire et surtout a développé en lui cette 

Ksainteté dont le rayonnement ne sera pas la moindre 

■partie de son éloquence. Ainsi préparc, il peut 

iborder une scène plus large, plus en vue, et il va 



38 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

répandre partout, avec une abondance et un reten- 
tissement extraordinaires, cette parole qui ne se 
taira plus jusqu'à sa mort et qui lui vaudra d'être 
salué par ses contemporains, comme V « apôtre de 
ritalie ». 



CHAPITRE II 



l'apostolat 



(1417-1427) 



I. État religieux de Tltalie. La Renaissance païenne. Importance 
des Humanistes. Relâchement des mœurs. Immoralité des 
princes. Divisions des factions guelfe et gibeline. — II. Milan 
et les Visconti. Prédications de Bernardin dans cette ville. Son 
action personnelle. Son caractère aimable et enjoué. — III. Il 
prêche dans les diverses villes de la Lombardie. Son mode de 
prédication. Miracles. Il parle surtout contre les factions. 
Résultats obtenus. Controverse avec Manfrëde, au sujet de 
TÂntéchrist — IV. Bernardin à Venise et dans les villes do 
son territoire. Il recommande la dévotion au nom de Jésus. — 
V. A Ferrare, il combat les excès du luxe ; à Bologne, les jeux 
de hasard. — VI. Bernardin à Florence. A Volterra, il expose à 
la vénération une tablette portant les lettres du nom de Jésus. 
Miracle à Prato. Prédications à Sienne, à Arezzo. — VII. Ëvan- 
géUsation de l'Ombrie. Pérouse pacifiée et transformée. Sta- 
tions à Orvieto et Viterbe. Bernardin est cité à Rome par le 
Pape. 



I 



Faut-il prendre à la lettre les lamentations des 
biographes de Bernardin, sur l'état religieux de 
l'Italie, au moment où il se disposait à Tévangé- 



40 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

lîser? Quand ils peignent de semblables tableaux, 
les pieux auteurs ont l'habitude et le goût des 
couleurs sombres. Toutefois, dans le cas particu- 
lier, il pourrait bien n'y avoir pas trop d'exagéra- 
tion. L'Église venait de traverser, avec le grand 
schisme, la plus effroyable crise qu'elle eût jamais 
connue (1). Pendant trente-neuf ans, on avait vu 
deux et même, à la fin, trois papes se disputer le 
pontificat, s'anathématisant l'un l'autre, faisant 
avorter, avec une obstination violente ou caute- 
leuse, toutes les tentatives d'union, battant mon- 
naie pour soutenir la lutte, exploitant et servant 
les inimitiés internationales que leur rôle était 
autrefois de dominer et d'apaiser, réduits à plaider 
leur cause devant les princes et les peuples dont, 
par une sorte de renversement, ils étaient devenus 
les justiciables, fomentant la discorde à tous les 
rangs du clergé, impuissants à y réprimer les 
désordres qui, depuis plusieurs siècles, faisaient 
pousser à tant de grands chrétiens le cri de ré- 
forme, bien au contraire disposés à une indul- 
gence complaisante qui leur paraissait nécessaire 
pour gagner des adhésions et prévenir des défec- 



(1) C'est seulement en 1417, Taonée même où Bernardin se 
décidait à étendre ses prédications, que Télection de Martin Y 
mettait un terme au schisme. 



L'APOSTOLAT. 
tions. Fallait-il s'Olonner que le peuple chrétien 
n'eût pas été impunément témoin d'un si énorme 
scandale, que les consciences fussent désorien- 
tées, la discipline détruite, les croyances ébran- 
lées, et que surtout on fût désliabîtué de respecter 
les prêtres ? Et comment se flatter que la reli- 
gion échappât au discrédit dont étaient atteints ses 
ministres? L'antique constitution de l'Église se 
trouvait mise en question, et les plus graves théo- 
logiens en venaient à préconiser des moyens révo- 
lutionnaires. De faux prophètes surgissaient, qui 
annonçait'ot la destruction ou la transformation 
radicale de la société ecclésiastique. L'hérésie, qui 
se levait sur divers points, avec Wiclef en Angle- 
terre et Jean ÏIuss en Bohême, ne trouvEiit pas, en 
Italie, de terrain favorable ; mais le mal y tournait 
en indifférence frivole ou méprisante ; les églises 
étaient désertes, les sacrements négligés ; presque 
plus de vie religieuse, et, à la place, une sorte de 
paganisme pratique. 

A ce paganisme aidaient l'enchantement et 
l'ébl ouïsse ment que causait alors à l'imagination 
italienne l'exhumation des monuments littéraires 
de l'antiquité. Non que celte Renaissance fût né- 
cessairement opposée au christianisme. L'Église 
pla jugeait pas telle; dès le premier jour, elle lui 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 



1 



faisait très bon accueil, Adèle à la Wsgio de con- 
duile qui, même aux époques les plua barbares, 
l'avait toujours portée à encourager les études 
classiques. Parmi les humanistes du commence- 
ment du quinzième siècle, plusieurs étaient des 
catholiques réguliers ou même zélés; tels, Gia- 
nozzo Manetli, Ambrogio Traversari, Leonardo 
Bruni, Guarino de Vérone, Victorino de Feltre; 
on en comptait dans les rangs du Sacré Collège, 
comme Albergati, Orsini, Cesarini, Capranica, 
Bessarion, ou même sur le siège pontifical, tels que 
Nicolas V et Pie H. Mats force est bien de recon- 
naître qu'il existait, dans ce monde des humanistes, 
un autre courant qui s'éloignait du clirislianisme. 
Certains d'entre eux n'admiraient pas seulement, 
dans la littérature antique, une belle manifestation 
du génie de l'homme; ils prétendaient y trouver 
la réponse à toutes les questions et la solution de 
tous les problèmes philosophiques; ils en venaient 
à considérer le catholicisme comme une superfé- 
tation barbare qui avait malheureusement dévoyé, 
obscurci et attristé la vie humaine. Ainsi pen- 
saient, avec des nuances diverses, les Marsupplni, 
les Valla. les Poggio, les Fileifo, les Beccadelli. 
Quelques-uns, complètement athées, ne reculaient 
pas devant les négations blasphématoires. La plu- 



L'APOSTOLAT. 43 

part, d'opinion plus vague ou plus prudente, beaux 

esprita sarcasliques et méprisants à l'L'gard des 
choses religieuses, évitaienL cependant de contre- 
dire trop ouvertement le dogme; ils profitaient, pour 
donner le change sur leurs vraies idées, de ce que 
la mode littéraire autorisait, comme une élégance 
de style, une étrange confusion de la mythologie de 
l'Olympe et de la doctrine du Christ(f); tout en 
daubant volontiers sur le clergé, ils sollicitaient 
des postes lucratifs dans la curie romaine et rem- 
plissaient des fonctions plus ou moins ecclésias- 
tiques ; mais, étrangers à toute notion du surnatu- 
rel, ils ne se cachaient pas de professer une sorte 
d'épicurisme doctrinal et pratique. Ces épicuriens 
n'étaient pas une nouveauté en Italie; cent ans 
auparavant, Benvenulo d'Imola les déclarait « in- 
nombrables », et, dans la terrible plaine, remplie de 
sépulcres entr'onverts, où Dante plaçait les héré- 
tiques, il nous montrait d'abord les « sectateurs 
d'Épicure qui font mourir l'âme avec le corps, 
cite l'anima cot corpo viorta fanno ». Depuis Dante, 
le mal s'était aggravé : chez les épicuriens du 

(I) Ti^iiioin les portes eo bronze de la basilique do Saint-Pierre, 
posées, en lUS, par un pape pieux et auatËre, Eugène IV, et où 
les scènes de la mythologie la plus païenne, jusque» et y com- 
pris Léda et noa cygne, sont mêlées aux figures du Cbrist, de la 
■Vierge et des saiats. 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 
quinzième siècle, la foi religieuse est plus foncière- 
ment atteinte qu'à l'époque où un Boccace, après 
s'être étourdi un moment dans la joie licencieuse 
du Décaméron, prenait peur do l'enfer et finissait 
sa vie en chrétien. 

La contagion de ce paganisme ne se serait peut- 
être pas étendue bien loin, si les humanistes qui 
en étaient atteints n'avaient été que des érudits, 
vivant dans l'ombre silencieuse des bibliothèques. 
Mais tout autre était leur situation. Ils comptaient 
au nombre des personnages publics et avaient un 
rôle d'apparat qui n'était pas l'une des moindres 
particularités de ce temps. Le seul renom de 
latiniste leur valait la faveur des princes et des 
peuples , les faisait combler de toutes sortes 
de dignités et de bienfaits; à eux, les places de 
secrétaires de gouvernement, d'ambassadeurs, 
de ministres ; pas de cérémonie d'Etat où ils 
ne fussent invités à prononcer quelque harangue 
en belle langue cicéronienne. Les papes les plus 
sévères jugeaient leur concours indispensable à la 
rédaction des actes de la chancellerie pontificale 
et au prestige de la cour romaine ; de là ce fait 
qui nous scandalise quelque peu aujourd'hui, mais 
qui n'étonnait guère alors , do libertins d'esprit 
et de mœurs, comme Poggio, Valla ou Filelfo, 



L'APOSTOLAT. *S 

Utactii^'s à la curie en qualité de secrclaires apo- 
stoliques (1). L'importance ainsi acquise par ces 
personnages n'avait aucune proportion avec leur 
valeur réelle : non qu'on puisse contester les ser- 
vices rendus par eux, en découvrant, déchiffrant, 
commentant les manuscrits antiques ; mais de 
littérature originale, créatrice, il n'en est pas sorti 
de leur plume ; dans leurs œuvres, il n'y a qu'habi- 
leté de riiéteur; rien n'en a survécu, et, à con- 
stater cette stérilité, n'est-on pas fondé à se deman- 
der si c'était un progrès d'avoir répudié l'inspi- 
ration chrétienne du Moyen âge, celle d'où était 
sortie la Divine Comédie? Au quinzième siècle, on 
ne songeait guère à se poser semblable question : 
nulle gloire ne paraissait alors dépasser celle des 
humanistes. Ceux-ci, en tout cas, n'étaient géné- 
ralement pas hommes à douter de leur propre 
importance. Plusieurs d'entre eux, d'une vanité 
sans mesure, convaincus qu'ils personnifiaient le 
génie de leur époque et que le monde gravitait 
Oltour d'eux, se croyaient pouvoir et se donnaient 
lÎBsion de distribuer ou de refuser la renommée ; 
il silence était une disgrâce sous laquelle 
KleuT semblait que les plus hauts dussent lléchir. 

tl^H) FUelfo célèbre, daae uae de îbb lettres, la liberté d'esprit 
li régna i Rome. - Incredibilis qai^dam hic liberlai est, > 



48 SAINT BEBNARDIM DE 8IENNK. 

Trafiquant, non sans impudence, de ccUe aulo- 
ritt', se mettant, en quelque sorte, aux enchères, 
ne s'attachant nulle pai-t, prêts à aller où leur 
ambition et leur convoitise trouveraient leur 
compte, flattant qui les payait, mordant qui leur 
refusait, ils inauguraient ce chantage littéraire 
qu'au siècle suivant, FArélin devait porter à son 
apogée. Ajoutez, pour compléter le portrait, qu'ils 
se détestaient et se jalousaient les uns les autres, 
se jetaient mutuellement à la face les accusations 
les plus infamantes et donnaient à la galerie le 
spectacle de querelles auprès desquelles la dispute 
d'un Trissotin et d'un Vadius serait un modèle de 
délicatesse. Un temps viendra, sans doute, où ces 
vices et ces ridicules finiront par provoquer une 
réaction contre les humanistes, où les papes ose- 
ront condamner leur irréligion, tandis quel' Arioste 
les raillera dans ses satires; mais, au commen- 
cement du quinzième siècle, leur prestige était 
loin d'être usé; ils exerçaient une sorte de prin- 
cipal d'opinion qui en imposait à tous, petits et 
grands. Il n'était pas jusqu'aux souverains qui 
ne tremblassent devant eux. ii Une lettre de 
Collucio Salutati, disait Jean-Galeas Visconti, 
peut faire plus de mal (|ue mille reîtres floren- 
tins. B Le pape Eugène IV s'excusait des faveurs 



L'APOSTOLAT. i7 

qu'il accordait à certains savants peu recom- 
maDdables, en avouant la peur qu'il éprouvait de 
leurs vengeances : « Ils ont des armes, disait-il, 
dont il est difficile d'éviter la blessure. » Nul 
n'était surpris d'entendre appeler celte époque 
a l'âge de Poggio ». Importance singulière qu'ont 
rarement possédée à un tel degré des gens de 
plume et dont le règne des a philosophes » , au dix- 
huitième siècle, peut seul donner l'idée. 

L'affaiblissement de la foi avait naturellement 
pour conséquence le relàchf ment des moeurs. C'é- 
tait d'ailleurs l'une des prétentions doctrinales du 
néo-paganisme, de délivrer la chair de la mortifi- 
cation et de la suspicion que le christianisme faisait 
peser sur elle. Dans des écrits licencieux, parfois 
jusqu'à l'obscénité, les plus fameux humanistes 
renversaient, aux applaudissements de leur public, 
tous les fondements de la vieille morale : tels le 
dialogue de Voluptate de Valla, les Facetta de 
Poggio, et le plus infâme de ces livres, VHei-ma- 
pkrodùus de Beccadelli, dit le Panormita: tout au 
plus reconnaissait-on que ce dernier était allé un 
peu loin. Par son commerce, par ses industries, 
par ses banques, l'Italie était devenue le pays le 
plus riche de l'Europe; la recherche du bien-être, 
la vie raffinée et luxueuse y étaient beaucoup plus 



is Saint bebhabdin de sienne. 

UDiversellement répandues que dans les autres 
coDtrées où les habitudes ôlaient encore rudes et 
presque barbares. Elle semblait aiosi un cadre 
bien préparé pour une vie de plaisir, dout l'art 
renaissant voilait, par ses élégances, la brutalité 
sensuelle. Chacun oe cherchait qu'à jouir, sauf 
aux meilleurs à se préoccuper d'avoir des jouis- 
sances délicates. La mort, fût-ce avec l'appareil 
terrifiant de la peste, n'était plus la leçon sévère 
qui transformait les âmes; elle était une incita- 
tion à s'élourdir davantage, ou même, pour cer- 
tains blases, une façon de renouveler, par la vio- 
lence du contraste, la saveur de la volupté. Du 
dérèglement des mœurs, on n'a pas seulement, 
comme indication, les gémissements, peut-être 
suspects, des moralistes chrétiens, de notre saint 
Bernardin, par exemple, qui en venait à prétendre 
qu'en entrant en Italie, le voyageur y sentait une 
puanteur particulière, due aux vices infâmes dont 
ce pays était infecté; on a le témoignage d'écri- 
vains laïques, comme ce Vespasiano da Bisticci, 
fameux biographe florentin do ce temps, qui écri- 
vait que H l'Italie était pleine de toutes les iniqui- 
tés » , et que " tous les vices s'y étaient multipliés » ; 
on a la preuve plus irrécusable encore qui res- 
sort de tant de lois, de règlements, alors décrétés 



L'APOSTOLAT. 49 

pour essayer d'arrêter ud débordemenl d'immora- 
lité dont les puissances civiles eiles-mémes s'ef- 
frayaieut. Le mauvais exemple venait de haut. 
Les princes n'admettaient aucun frein à leurs pas- 
sions. Nul n'était surpris de les voir agir comme 
si la loi du mariage n'existait pas pour eux : heu- 
reux quand ils naJlaient pas jusqu'à l'inceste; les 
bâtards pullulaient dans leurs familles, et c'étaîl 
de préférence à leur profit que s'appliquait l'héré- 
dité dynastique. A peine, dans leurs rangs, peut-on 
signaler la pure figure d'un Montefeltro d'Urbino. 
Combien d'autres, au contraire, sont plus ou 
moins sur le modèle de ce Sigismond Malatesta de 
Rimini, àrae et corps de fer, grand capitaine, d'une 
énergie indomptable, éloquent, poète, artiste, mais 
capable de toutes les perfidies, de toutes les cruau- 
tés, de toutes les scélératesses, ne reculant, pour 
satisfaire sa luxure, ni devant le viol, ni devant 
l'assassinat, n'hésitant pas, dans l'impudence de 
son paganisme, à dédier à sa maitresse, la belle 
Isotta, l'église jusque-là consacrée à saint Frao- 
Cois : Divœ IsoUif Sacrum! 

Ce n'était pas seulement par les désordres de 

leur vie privée que les princes d'alors étaient d'un 

funeste exemple. Dans la révolution qui, depuis un 

îècle, avait substitué, presque partout, la tyrannie 



50 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

aux vieilles institutions des républiques commu- 
nales, l'idée du droit avait sombré. Pour se saisir 
du pouvoir et pour s'y maintenir à travers tant de 
vicissitudes tragiques, les tyrans avaient dû faire 
une singulière dépense d'audace, d'énergie et 
d'habileté; sur de petits théâtres, quelques-uns 
s'étaient révélés grands politiques; mais, à défaut 
du prestige de la légitimité qui leur manquait 
absolument, ils usaient sans scrupule de tous 
les moyens, corruption ou violence, fourberie ou 
cruauté, et pratiquaient à l'avance les maximes que 
devait bientôt formuler Machiavel. Jamais le gou- 
vernement n'avait été aussi étranger à toute mo- 
ralité, à toute notion, du bien et du mal. Devant 
ce spectacle, la conscience publique n'était pas 
longue à se per\'ertir; elle en venait k juger que 
le succès excusait, plus encore, ennoblissait les 
pires forfaits ; ceux-ci étaient admirés, dès qu'ils 
étaient hardiment et habilement accomplis; tout 
rôle bien joué, i'ût-il criminel, était applaudi. La 
langue même se ressentait de cette aberration : 
témoin le sens alors donné aux mois onore et virtù. 
h'onore, a-t-on pu dire justement, n'était pas plus 
l'honneur que la virtù n'était la vertu : Vonore était 
le prestige d'un succès éclatant; la virtù se disait 
(le ce qui était ingénieux, habile, beau, et, suivant 



L'APOSTOLAT. 51 

Machiavel, pouvait s'allier à la scellerateiza (1). 
L'Italie avait-elle au moins gagné à la tyrannie 
un peu d'ordre et de repos î L'existence des cités 
était sans doute moins turbulente qu'au temps des 
républiques; mais la discorde n'en avait pas été 
extirpée. Si riea ne subsistait plus, depuis long- 
temps, des grandes idées recouvertes par les vieux 
noms de Guelfes et de Gibelins, ces noms demeu- 
raient, et avec eux l'esprit de faction, les haines 
tenaces et meurtrières qui y étaient attachées. 
Toute ville avait ses familles guelfes et ses fa- 
milles gibelines, qui eussent été bien embarras- 
sées de dire quels principes les divisaient, mais qui 
se détestaient, se faisaient le plus de mal possible 
et s'appliquaient à transmettre aux générations 
nouvelles l'héritage de leurs inimitiés, de leurs res- 
sentiments, de ce qu'on pourrait appeler leurs mn- 
dette. Chaque parti avait ses insignes qu'il arborait 
comme une provocation au parti adverse. L'un 
prenait le bon pour emblème, l'autre l'aigle : c'était 
dès lors une sorte de défi assez fréquent de peindre 
sur sa maison le lion humilie sous l'aigle, ou réci- 
proquement. Des insignes étaient placés jusque 



(1) La reinaniue a ('lé faite par M, Gebhart, dans une étude 
sur la Renaittance, et par M. Klaczko, dans ses Causeriei [loren- 



53 SAINT BERNARDIW DE SIENNE, 

sur lc3 tombeaux, les églises, les calices, les orne- 
ments sacrés. On manifestait être Guelfe ou Gibe- 
lin, par la fa(;on dont on portait la plume de la 
toque ou les bouffants du haut-de-chausse, mieux 
encore, par la manière dont on taillait la gousse 
d'ail ou dont on pelait la pèche (1). Puérilités, dïra- 
t-on, mais puérilités qui témoignent à quel point 
l'esprit lie faction avait envahi la vie entière. La 
lutte était de tous les instants, lutte acharnée, 
sans merci, enveloppant les femmes et les enfants, 
s'attaquant aux biens, à l'honneur, à la vie, si 
meurtrière que l'Italie en apparaissait à un contem- 
porain toute dégoûtante de sang (2). Les princes 
étaient impuissants à l'arrêter : à vrai dire, ils 
n'y faisaient pas toujours effort, voyaient là un 
obstacle à toute union formée contre leur domi- 
nation, et souvent même en tiraient proG t. On con- 
seillait à l'un d'eux de mettre fin à ces (juerelles : 
a Mais, répondit-il, elles me rapportent, chaque 
année, jusqu'à douze mille ducats d'amendes. » 
Telles étaient les maladies diverses dont, en 

(1) Sur ces bizarreries, les prédicaUoQKdesaintBeraftrdm con- 
tieDDSnl de curieiiK di^lnils. Voir Dotaminent Le Prediche votgari 
di S. Bemardino, tdite da Luciano Bakcui, l. II. Prtdiea vsgaima 

(S) ■ Tanla rabiet Guelforum et GibilUnorum uhiqut inealuarat 
ul cTueiito horrarc muluo ae {ralerno lan^uiiie maderet Italia. ■ 
(l'reiiii^rc vie de fiaiat liernardïn, publiée par les Bollaadietes.) 



L'APOSTOLAT. 63 

dépit de ses charmantes apparences, était atteinte 
la société du Quattrocento, Bernardin les voyait 
et en avait compassion. C'est afin d'y remédier 
qu'il quittait son couvent, se mettait en marche 
à travers l'Italie, et lui portait la parole de foi, de 
pénitence et de paix dont son état même prouvait 
qu'elle avait grand besoin (1), 



II 



Résolu à commencer son apostolat par Milan, 
Bernardin y arrive vers la fin de 1417. C'était 
s'attaquer, pour ses débuts, à l'une des cités maî- 
tresses de l'Italie. Sans doute, cette ville n'égalait 
pas Florence dans l'art ou dans les lettres ; ses habi- 
tants, de goûts moins affinés, d'allure plus provin- 
ciale, d'un parier un peu rude, étaient volontiers 
regardés comme des Béotiens par les Athéniens de 
Toscane. Mais, placée au cœur de la grasse Lom- 
bardie, elle était riche, et surtout elle avait acquis 
par son histoire, par sa situation stratégique au 

(1) «( Pereunti seculo eompatiens, atsumpiâ in Deo fiduciâ^ eœpit, 
et remotat urbes, et loca in$ignia, ac provincias peragrando , vitia 
et virtutes, pcenam et gloriam, fidelibui annuntiare. • (Loc. cit.) 



SAINT BEHIfABDIN DE SIENNE, 
pied des Alpes dont elle ouvrait ou fermait les 
portes, une grande importance politique ; oq a pu 
dire d'elle qu'elle était la clef de voûte de la Pénin- 
sule. Au Moyeu âge, à l'époque des républiques 
municipales, elle avait eu le premier rflle dans la 
fameuse Ligue lombarde. Depuis, les Visconti, 
tout en supprimant ses libertés, avaient fait d'elle 
la capitale d'un fctat puissant. Race singulière et 
monstrueuse que ces Visconti, rappelant, par 
l'énormilé de leurs crimes, les pires Césars; mais 
politiques retors et audacieux, administrateurs 
habiles, princes magnifiques, marcliant de pair 
avec les familles royales et s'unissant à elles par 
des mariages; ne payant pas toujours volontiers 
de leurs personnes dans les guerres qu'ils enga- 
geaient, mais experts, du fond de leur palais bien 
gardé, à se servir des condottieri; osant rêver, à la 
faveur du désordre général, de régner sur l'Italie 
presque entière, étendant, par moments, leur domi- 
nation non seulement sur la Lombardie, le Pié- 
mont, une partie de la Vénétie, mais sur Gènes, 
Pise, Sienne, Bologne, Pérouae, Assise : domina- 
tion fragile, il est \Tai, que le génie d'un Jean 
Galeaa faisait grandir en quelques années, et qui, 
à sa mort, semblait s'évanouir en quelques mois. 
Les Milanais n'étaient pas sans souffrir de ce 



L'APOSTOLAT. SS 

despotisme féroce qui se jouait de leurs droits, de 
leurs biens, de leurs vies, de l'honneur <\c. leurs 
femmes et de leurs filles. Par moments mùmc, ils 
perdaient patience : témoin le massacre, en 1412, 
dans une église, d'un Jean-Marie Visconti qui 
s'amusait à faire dévorer les bourgeois par des 
dogues dressés à cet effet. Cependant, aucun mou- 
vement sérieux ne fut jamais tenté pour restaurer 
la liberté. On était, en somme, habitué aux Vis- 
conti, ébloui par leur faste, flatté de leur puis- 
sance, reconnaissant de la prospérité matérielle 
qui en résultait. Cet état d'esprit n'était pas pour 
moraliser le peuple. Malgré tout, même au milieu 
des influences les plus corruptrices, il était resté, 
chez les Milanais, un sentiment religieux qu'une 
parole apostolique avait chance de ranimer : peut- 
être était-ce l'héritage que leur avait laissé ce 
grand saint Ambroise au souvenir duquel ils étaient 
toujours demeurés, à travers les événements les 
plus divers, pieusement fidèles. 

En 1417, le duché de Milan était aux mains du 
dernier des Visconti, Philippe-Marie, dans l'âme 
duquel sont venus se concentrer tous les vices 
de sa race. Sombre, sournois, fourbe, aussi lâche 
que cruel, prompt à briser les instruments dont il 
venait de se servir et qu'il craignait de voir se re- 



SAINT BEBNABDIN DE SIENNE, 
tourner contre lui, il ne se fiait à personne, sauf à 
son astrologue, ne sortait guère de son château, 
hors duquel il ne se croj'ait pas en sûreté; mais, 
habile à mener Je tortueuses intrigues, il était ainsi 
parvenu à étendre son empire presque aussi loin 
que Jean Galeas. 

Bernardin arrivait à Milan, tout à fait inconnu. 
Ses débuts furent des plus modestes. II se borna 
à prendre la parole dans quelques églises secon- 
daires, aux jours où il était d'usage de prêcher. 
Sur ces premières prédications, nous avons les 
renseignements d'un témoin, Maphseus Vegius, 
l'un des biographes du saint. Ainsi qu'il le ra- 
conte, il avait douze ans et était écolier à Milan, 
quand Bernardin y fit son apparition. Le vieux 
professeur de grammaire du jeune Vegius avait 
pris goût aux sermons de notre saint; pour y 
entraîner ses élèves, il leur vantait sans cesse 
la grâce et l'éloquence de « ce bon petit Frère, 
si misérablement vêtu », et il affirmait « n'a- 
voir jamais vu son pareil », Les élèves parta- 
gèrent l'admiration de leur maître. Peu à peu, ie 
renom du prédicateur s'étendit et grandit, ai bien 
qu'au bout de quelques mois, on lui demanda de 
prêcher le carême de 1418, dans la principale 
église de la ville, et d'y parler tous les jours. 



f 



L'APOSTOLAT. 57 

Le premier sermon de celle slalion fut marqué 
par un incidenl qui ne conlribua pas peu h atlirer 
FaUention sur Bernardin. L'oraleur suivail le dé- 
veloppemenl de son sujet, quand loul à coup, au 
grand étonnement des auditeurs, il s'arrête, de- 
meure quelques instants sous l'empire d'une sorte 
d'extase, puis descend de la chaire sans terminer 
son discours. Rentré au couvent, on l'interroge; il 
refuse d'abord toute explication; enfin, pressé par 
ses compagnons : a J'ai vu, dit-il, ma sœur 
Tobia (1), que j'ai toujours vénérée comme ma 
mère, rendre à ce moment le dernier soupir, et son 
âme, revêtue de la robe d'immortalité, s'élever au 
ciel. » Aussitôt cette réponse connue en ville, un 
messager est envoyé à Sienne, pour vérifier l'exac- 
titude du fait (2) : son rapport confirme que Tobia 
s'est, en effet, saintement éteinte au jour et à 
l'heure même où Bernardin a interrompu son dis- 
cours. Dès lors la foule se sent plus attirée encore 
aux sermons d'un religieux favorisé de visions 
aussi extraordinaires. Elle n'y trouve pas seule- 



(1) Tobia, cousine de Bernardin, était, comme on Ta vu plus 
haut, une des saintes femmes qui avaient veillé sur son en- 
fance. 

(2) Ce messager fut-il envoyé par des habitants de Milan ou 
parle duc Philippe-Marie? Sur ce point de détail, les biographes 
ce sont pas d'accord. 



Tl 



SU SAINT BERNARUIN DE SEENI1E. 

iiiOHt lu satisfaclion de sa curiosité : les conver- 
tiiuiis sont nombreuses, el Maptiœus Vegius, pour 
noua donner quelque idée de l'affluence de ceux 
ijui veuaient dans les églises chercher des confes- 
Hours, les comparait aux fourmis : « Concurrebant 
ad ecclesias imlar formicarum. » 

Les Milanais ne laissèrent Bernardin s'éloigner 
qu'en obtenant de lui la promesse de revenir 
pour le carônie de l'année suivante. En atteo- 
danl, il porta la parole sacrée, les uns disent en 
Ligurie et Piémont, les autres en Emilie et Véné- 
tie. Le second carême, prêché à Milan, eut plus de 
succès encore que le premier. Les biographes con- 
tompopains nous dépeignent la population entière 
de cette grande ville comme arrachée de ses 
demeures pour venir se serrer autour du prédica- 
teur (1). 

Dans cet apostolat. Bernardin n'usait pas seule- 
ment du sermon public. Tout à tous, demeuré, 
même après être devenu célèbre, tr&s simple et 
aussi accessible que le plus obscur religieux, ne 
refusant jamais un pieux entretien à qui pouvait 
en avoir besoin, appropriant alors son langage à la 



(I) • Tûla civilai illa, quiB innumero populo compléta est, quaii 
evulta leitibas luis, ni linru virum tanctum antpleeterentur, viie- 
batur. • (BsjinabjSds Senbhgie.) 



L-Al'OSTOLAT- 

situation de chacuu.U moatrait autant de zèle pour 
le salut d'une seule âme que pour la conversion 
d'une ^dlle, pressait celte âme, l'enveloppait de sa 
charité ardente, ingénieuse et toujours gra- 
cieuse (1). Les méchants n'étaient pas ceux avec 
qui il était le moins accueillant et le moins em- 
pressé. Si, du haut de la chaire, il était parfois ter- 
rihle contre le péché, il était toujours, en particu- 
lier, doux et affable avec le pécheur (2). Détestant 
non seulement l'impatience et la colère, mais la 
mélancolie et l'ennui, il était resté sous le froc ce 
que nous l'avons vu dans le monde, aimalile, 
allègre, gai. ^Eneas Sylvius nous dit que son 
visage n'était jamais triste, si ce n'est quand il 
souffrait d'un crime public, et il ajoute qu'il 
plaisantait souvent. Nous trouvons même témoi- 
gnage dans un sermon de Michèle da Milano, Frère 
mineur, qui avait connu Bernardin dans sa jeu- 
nesse. H II était si gai, dit-il, il hadinait et riait 



(1) • iVun minui tliam inl«r privai» ocltonfi laluli luoriim- 
cnmqut caniulibat; nunt hartaiu, nun« montni, nunc pru sua 
quemque conditione emendam. > (MApa.eus Veoius.) 

{i) • In luggeslo vero lerribilU vtlîorum dttettator, in quoti- 
dianà eonrtrialione iln affabilit tt graliœ ptenui ut qaaii Angdut 
Dei pularitur. • (BEtiNAB.cvs Shijensis.) — • ... 171 cuni publier 
OMnium erimiita acerbûsimè carperet, privalim tameii n 
unquam, ipsoi eliam dometiitot tt inferioret, nisi duleittr i 

rit. ■ {MàPH£US Vbgiii9.) 



58 SAINT BERKABDIIf T'" ,^. 

ment la satisfaction d*" ,. •'^^un religieux 

sions sontnombrp- ',,,-^,/e cette gaieU-, 

nous donner qr ,, '^ .-f^s opérés par les 

qui venaient il .-' j ■ y ^ sa mort, il fut pris 

seurs, les C( „ \j>' ^nde honorable auprès 

ad ecetesias ..■• V'II^'^^nient était un des carac- 

Les Mi' '^^^■'■'.«rti.''*» ^ ^^^^ ""^ outre con- 

qu'en o ''^'■'f^ ■t^"^ exemples de saint Fran- 

pour I' --■',.*■ jrJait Iti tristesse comme une 

dant. .«^ S''"' .«aladies de rame, et faisait de 

^'S' '■■;^.- -'.,■, arion monastique, au même titre 

tie ■ ,;,■ ■"" ',,; et l'obéissance. A son avis, l'ama- 

sr ' .' I* '''" , jh'îI aimait à appeler la courtoisie 

t Ji^' ' , (lu prix à la cbarité. o Mon frère, 

^.■*''*'\ uii novice, pourquoi cette figure triste? 
^ xiiiiniis quelque pécbé? Cela ne regarde 
''*' iii^H *' *■"'■ ^^ prier. Mais, devant moi et 
^ «lit '''^ frères, aie toujours une mine sainte- 
,t jovcuse; car il ne convient pas, lorsqu'on est 
jen'ÎL'e de Dieu, de montrer un air maussade 
. rtifrogné. » A l'un des chapitres généraux, il 
foiïiiît aflicher en grosses lettres cette recomman- 
Jation : « Que les Frères évitent de jamais se mon- 
trer sombres, tristes et chargés de nuages, comme 

(1) Cinqus Preiliche a monache, publiées par Fba Mauccllino 
M CivEzZA (l'ralo, 1881), p. 109. 



r\ 



L'APOSTOLAT. 61 

[es hypocrites ; au contraire, qu'on les trouve, en 
iut temps, joyeux dans le Seigneur, gais, aimables 
et gracieux, ainsi qu'il convient. » En cela, comme 
en tout le reste, Bernardin était le vrai fils du saint 
d'Assise. 



III 



Arrivé inconnu à Milan, Bernardin en sortait 
célèbre. Dès lors, les cités se disputent l'honneur 
de l'entendre. De 1419 à 1422, il prêche en Lom- 
bardie, notamment à Bergame, Côme, Mantoue, 
Crémone, Plaisance, Crème, Brescia (1). Il va 
d'une ville à l'autre, ne s'arrête que quelques 
semaines dans chacune, y parle tous les jours, 
ne prend pas un instant de repos; « semper docens^ 
dit énergiquement un de ses vieux historiens, 
semper ins tans y semper insudanSj semper ad Dei amorem 
omnium animos incitans ». Il fait la route à pied. 
L'une des difficultés de ses voyages est que beau- 
coup des villages où il passe cherchent à le re- 

(1) C'est en combinant les renseignements contenus dans les 
biographies contemporaines qu'on arrive à fixer à peu près Fiti- 
néraire de cette prédication. Quelques dates demeurent dou- 
teuses; mais elles importent peu. 

4 



?^- 



-:■■.*/■»■■ 



60 SAINT l^''' 

touj'^"" ^gpi'^^ jgae sont pas 

™ ^ r*--'' ^"Ci^'^^ ^el ^^ langage figuré 

''^lli"^f"iif"'^ si nombreuse quelque- 

6i#v» 'l" „^ *' . nar des toiles. D'ordinaire, 



ype YiP^^ messe. Les auditeurs arrivent 



^1/^^^ ^^^fertier, il parle à l'aube, après 



*^ V t;^^^ ^niir être sûrs de trouver place : 

vB^^ 'eni^eni de villages éloignes, les en- 

gJt/sî^^ igg épaules du père ou au cou de la 

fsfit^ ^ germons durent souvent trois ou quatre 

ifi^^' ^ ^'était la mesure habituelle en ce temps 

A^ jljjieurs paraissaient avoir oublié que saint 

^jg d'Assise, dans sa règle, recommandait au 

^dicateurla « brièveté du discours », à l'exemple 

An Seig^®^^ " ^^^ avait abrégé son verbe sur la 

terre »• Le zèle de Bernardin ne recule d'ailleurs 

devant aucune fatigue : se trouvant à Crème, au 

moment des vendanges, il prend le parti de prêcher 

la nuit, « si bien de nuit, racontait-il lui-même plus 

(1) « Itaque, dit Bernab-gos Senensis, sibi difficile erai gressum 
per oppida et villas eoloniasque habere. » 

(2) U leur parlait, dit encore Bernabœus, « grosio modo et per 
figuram quamdam ». 




iPOSTOLAT. S3 

tard, qu'à l'aurore j'avais déjà parlé pendant 
quatre lieures (1) h. Quelque longs (|ue soient ses 
sermons, ils sont écoutés, rapporte ^Eneas Syl- 
vîus, avec une « attention incroyable ». L'orateur 
_ne néglige aucun moyen de soutenir et d'aviver 
§cette attention, par le choix des sujets, par la va- 
jîëté des développements, au besoin par l'agrément 
i digressions. C'est surtout, nous dit Mapha'us 
I Vegius, aux jours de grandes fêtes, quand l'assis- 
■tance est plus nombreuse et plus disparate, que 
ÉSernardin juge ces digressions nécessaires : alors 
s'inquiète plus gutre de l'ordre savant, saute 
^'une idée à l'autre, se laisse aller au tour natu- 
rellement enjoué de son esprit, mêle d'aimables 
teicétîes aux pensées les plus graves, soigneux de 
récréerles auditeurs afln de les rendre plus attentif s. 
Sa vois, tout en ayant des douceurs singulières, 
Hait claire, nette, sonore, retentissante, et se fai- 
SÛt entendre à de grandes distances; «'élevant ou 
Rabaissant, elle s'adaptait, avec une rare flexi- 
BiUté, à tous les mouvements du discours, aux 
pensées hautes ou humbles, séviTes ou aimables, 
^jouées ou tragiques (2). Les contemporains ne 

L.lp) Lt Pridiche volgari di San Bet-nardino. édile da LucuNn 
I. 1. 1, p. 28S, Î88. 

• Sermo parut ne diluàdui, vo!t lonora. grandia lat«ra, 
IJolMl eum resonanlisiimà race oralio, eiim dukÎ! et Jilai'ij, lutn 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 
tarissent pas sur le charme de ce qu'ils appellent 
sa pronuntiatio , et qui a entendu la musique de 
la langue italienne dans une bouche toscane com- 
prend ce que peut comporter un tel éloge. Cette 
quahté avait, racontait-on, une origine surnatu- 
relle : au sortir de sa profession, lors de ses pre- 
miers essais oratoires, la voix de Bernardin était 
si rauque que plusieurs le déclaraient de ce chef 
absolument inapte à prêcher; le jeune religieux 
s'était alors tourné vers Dieu, s'en rapportant 
à lui pour le guérir si la prédication était en 
effet sa mission; en réponse à cette prière, un 
globe de feu était descendu sur sa bouche, et, de 
ce jour, son infirmité avait disparu. Au charme 
du débit, Bernardin ajoutait l'art du geste. Il 
s'était trouvé expert dans cette mimique expres- 
sive et animée qu'aiment les Italiens et qui pou- 
vait presque suppléer la voix pour les auditeurs 
trop éloignés (1). La vivacité de cette action 
oratoire laissait cependant intacte la dignité de 
son attitude : tout en lui inspirait respect et véné- 

eh'ant tristit et gravit, et ila /lexibilit. ul eam quoeaiaque vellet 
facile cûntorqiuret. • (Behnab.sus Sënensis.) — • Vax Unit, elara, 
lonora, diitincla, cxplicnla, toUda, pénétrant, plena, redundam, 
tttvata atque efficax erat. • (Mafb«us VEâius.J 

(1) MAPKKua Vegids dit, après avoir parlé de ses gestea : 
■ Quibuf adeo m\ro nnlurie mun«re valebal, u( neqaitqiiam iltum 
f Hamvii doetut atqite orani arle intlmelM mimui anieiret. > 



L'APOSTOLAT. 85 

ration (1). A cette époque, il gardait encore quel- 

fjue chose du charme de sa figure et de la grâce i 

de toute sa personne (2). Néanmoins, d'année i 

en aunée, par l'effet de la fatigue et des aualé- 

idtés, son visage s'amaigrissait, se ridait et pre- 

taait un caractère d'extrême ascétisme auquel 

tontiibuait aussi la pauvreté sordide de son vôte- 

;. Ceux qui le voyaient, peu après, à Bologne, 

a étaient si frappés qu'ils croyaient, disaient-ils, i 

retrouver saint François lui-même (3). I 

Ce qu'on commençait déjà à raconter des mira- 

les qu'il opérait ne contribuait pas peu au prestige 

L prédicateur. Entre plusieurs, citons celui qui 

» produisit, raconte-t-on, en 1420, pendant qu'il 

îéchait à Mantoue (4). Pour aller du couvent où il 

igeait, à la ville, il lui fallait traverser un lac. Un 

[dut, presséd'aller prononcer son sermon, îlprie le 



Va de sea biographes iasiale sur ce que ses disco 
ont JamaÎB • ridicuU >. 

■ PulehTà faeie, dit Behnabxds, aigus atpeclu quidem ve 
i>ii£us Vegius indique ces traits : • Ytitmlai o; 
a vultus, ioliuiqve décor corporii. • 
< Sordidut eral corpoHt ejul aniiclui, mira jejuniis 
atperitatem ac rlgiditatem vndique ipirans indolei, ita ul 
erenl. beatum iplum Franciicum se videte pularent. • 
M, De Episcopis Bonanientibui, lib, IV, cilé par Wadding, 






) mirade n'aurait a 



66 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

batelier de le recevoir par charité dans sa barque. 
Celui-ci, qui le soupçonne d'avoir quelque mon- 
naie cachée sous son froc, exige d'être payé. Vai- 
nement Bernardin arguK-t-il de sa pauvreté com- 
plète, insiste-t-il sur ce qu'il est attendu par ceux 
auxquels il doit porter la parole de Dieu, le batelier 
refuse de le passer, s'il ne débourse. Alors le saint 
se tournant vers le religieux qui l'accompagnait : 
« Mon frère, lui dit-il, avez-vous pleine confiance 
dans le Seigneur? — Certainement, — Pouvez- 
vous imiter ce que vous me verrez faire? — Oui.» 
Bernardin étend son manteau sur les eaux et 
s'avance dessus : son compagnon fait de même, 
et tous deux, à genoux, les yeux et les mains vers 
le ciel, implorant le secours divin, gagnent rapi- 
dement l'autre rive, où ils prennent terre sains et 
saufs, alors que la barque n'était encore qu'à mi- 
chemin. Soit de cette barque, soit du rivage, les 
spectateurs , émus et stupéfaits , priaient à haute 
voix. J'ai appris ce miracle, dit l'un des biogra- 
phes, d'un vieux prêtre, fort lié dans sa jeunesse 
avec Bernardin, et qui l'avait vu de ses yeux 
passer sur les eaux. » 

Bernardin n'était pas homme à répéter partout 
aveuglément les mêmes sermons sans s'inquiéter 
des besoins spéciaux des diverses régions. Bien 



L'APOSTOLAT. 87 

i contraire, il s'appliquiiil soigneusement à con- 
naître ces besoins, et dirigeait en conséfiuence 
ses prédications; il suivait, disait-on, la coutume 
des médecins qui approprient le remi'de au mal 
de chaque client. Ainsi fut-il amené, dans cette 
première tournée à travers les villes de la Lom- 
bardie, à prêcher souvent contre les factions guelfe 
et gibeline qui déchiraient cruellement cette con- 
trée, non seulement les cités importantes, maïs 
aussi les bourgs et les campagnes. A Bergame et 
dans les montagnes environnantes, tel était l'achar- 
nement des deux partis que, dit un vieux chro- 
niqueur, « le meurtre régnait en maître; nul 
moyen d'y échapper, même pour les vieillards, 
les enfants et les femmes; pas de cruautés dont 
le spectacle ne fût donné (1) ». A Brescia, Guelfes 
et Gibelins se massacraient à tour de rôle, ven- 
daient la chair des vaincus et obtenaient, de Jean- 
ne Visconti, licence de se battre entre eux et 
e commettre tous les forfaits pendant six mois. 
haines. Bernardin apportait la parole de 
[ que, depuis plus de deux siècles, les disciples 
L François, fidèles aux enseignements et 
: exemples de leur maître, jetaient au miheu 

) Marcds A.nto.mcs BoKAkiDS, in CoamentariU de «ilà tt gatii 

m Btrgomalum. 



«8 SAINT BERNARDIN DE SIENNE- 

(les discordes de l'Italie, L'un des derniers actes 
du Poverello mourant n'avaît-îl pas été d'ajouter 
à son M cantique du soleil a une strophe en l'hon- 
neur de ceux qui pardonnent et qui persévèrent 
dans la paix, et n'avait-U pas éteint, par le seul 
chant de ces vers, la guerre intestine rallumée 
dans sa ville natale? « Paix, paix, pour l'amour de 
Jésus-Christ crucifié ! « tel avait été aussi, à la fin 
du quatorzième siècle, le cri de sainte Catherine 
de Sienne. • 

Pour venir à bout de passions si invétérées. 
Bernardin usait de toutes les habiletés que lui 
suggérait son zèle, amadouant et circonvenant 
son auditoire avant de l'attaquer de front. Dirai-je 
qu'il réussissait partout? A Côme, par exemple, 
il échouait. Mais le plus souvent il obtenait des 
réconciliations au moins temporaires : les insignes 
des factions disparaissaient des maisons; des 
associations de charité se substituaient aux ligues 
de partis. A Bergame, à Brescia, le succès fut 
complet (1). Entre Treviglio et Caravaggio, le 
champ oii sa parole avait décidé le rapprochement 
des cités ennemies recevait de la voix publique le 



(IJ BEHNiBfi'S Senkksis dît Qa pu-laat de Brescia ; > PerfidU- 
lima oc in^uraCiiiîma eomm contuetudo torruplaruia porltum, 
ïo fundilui deleta est. ' 



nom Je u Champ de la Paix «. Il a raconté lui- 
même, plus tard, dans uq sermon aux Sîennois, 
quel avait vie l'effet de sa prédication à Crèœo. 
Par l'effet des divisions dont souffrait cette ville, 
beaucoup de citoyens étaient en exil. Bernardin 
rapporte qu'il commença prudemment, demeurant 
dans les généralités, sans rien taire toutefois de 
ce qui importait; bientôt les habitants, touchés, 
vinrent, l'un après l'autre, lui demander ce qu'il 
fallait faire; devant cette bonne volonté, il se 
décida à préciser ses conseils. « Cependant, conti- 
nue-t-il. tout en prêchant de mon mieux, je laissai 
opérer Dieu et eux-mêmes. Il me vint à l'idée, 
dans un de mes sermons, de parler de cette cla- 
meur immense que poussent les innocents devant 
Dieu, contre ceux qui les ont injustement fait souf- 
frir, de ce cri de vengeance qu'ils élèvent contre 
leurs persécuteurs. Cette parole entra si bien dans 
les esprits, que les habitants tinrent un conseil où 
l'union fut mer\'eilleuse; il fut décidé que chacun 
des bannis pourrait rentrer chez lui. Peu après, à 
mon départ de Crème, j'allai dans un village 
éloigné peut-être de dix milles, et j'y rencontrai 
l'un des exilés, ([ui avait laissé à Crème tant de 
son bien qu'il y en avait pour environ quarante 
I florins. « Comment vont les choses? » me 



demanda-t-il. « Avec la grâce de Dieu, lui répon- 
« dis-je, lu retourneras dans ta maison, car j'ai vu 
• leurs bonnes intentions, h II se moqua beaucoup 
de ce que je lui disais. Mais, peu après, un mes- 
sager vint lui annoncer qu'il pouvait, à son gré, 
rentrer chez lui. A cette nouvelle, son allégresse 
fut telle qu'il ne pouvait ni boire, ni manger 
ni dormir. Il vint à moi; la joie l'empêchait de 
parler. Il resta ainsi plusieurs jours, puis alla 
à Crème. Et écoutez la chose merveilleuse! En 
retournant chez lui, il trouva sur la place son, 
ennemi, lequel, le voyant, courut l'embrasser et 
voulut l'emmener souper avec lui. Un autre, qui 
avait pris possession de sa maison, se hâta, 
pendant qu'il soupait, de la débarrasser de ses 
propres objets, en y laissant ceux de l'exilé. Qui- 
conque avait quelque chose à lui le faisait por- 
ter à sa demeure : ainsi lui forent renvoyés son lit, 
ses coffres, ses draps, ses ustensiles do ménage, 
ses tonneaux, son argent, et, le soir même, 
il put être conduit chez lui, et dormit dans son 
lit, au milieu des choses lui appartenant. Je vous 
assure que paraissait heureux qui pouvait lui rap- 
porter un de ses meubles ou de ses vêtements. 
Et, dans les jours suivants, quiconque possédait 
ses bestiaux, ses chevaux, était tout joyeux de 



^enir lui dire : n Voilà tes bœufs, voiià les ânes, 
: voilà tes brebis. » Si bien qu'à la Dn il rentra en 
possession lie tout ce qui lui appartenait. Ainsi en 
fut-il pour les autres exilés. Et je crois que, pour 
cette raison. Dieu a écarté beaucoup de périls de 
cette contrée. Plusieurs autres prirent exemple 
sur elle, et elle est aujourd'hui une des parties 
florissantes de laLombardie (1). » 

Ce fut pendant ces premiiîres années d'aposto- 
lat, à une date difficile à préciser, que Bernardin 
prêcha enLigurie et on Piémont, particulièrement 
à Torlone, à Caslelnuovo, à Alexandrie, [où il 
s'était rencontré autrefois avec Vincent Ferrier. Il 
y trouva les âmes fort troublées par un moine 
dominicain, nommé Manfrède, homme pieux et 
iastiiiit, mais de jugement peu sûr et d'imagina- 
tion exaltée, qui annonçait la venue immédiate de 
l'Antéchrist. Cette idée avait été très répandue 
pendant le grand schisme. Beaucoup, et des meil- 
leurs, s'étaient figuré qu'un si grand désordre 
était le signe de la fin du monde. Saint Vincent 
Ferrier lui-même se disait chargé de proclamer 
que le jugement était proche, que l'Antéchrist était 
déjà né, et ce n'était pas l'un de ses moindres 

(1) Le Predicha volgari di San Bernardino, édile da Ldciano 
NCai, 1. 1, p. 285 et sci. 



70 SAINT B'''^ .^^,vA^ 



demanda*' ^.^.v.^^^''^//^/2ce les peuples 

dis-î .•*'■' .«V '* ^j^rtc se croire autorisé 

^ /"'^'jS*/^ rtïpAéties aux habitants 

■/»!*'■• V'^''-^^^*'''^ ^ ^^ VOIX, des 
sa- //^p'^'^'^^^^ 0e8f au nombre d'environ 



a leu 
de f 



r* 



Li^:. ^^' 



/•J^'*^ ^ «^ xfeat leurs familles pour former 

Z*'^"^,^//* ^ rt^ation pénitente qui le suivait 

4^^^^^ / du reste, une vie irréprochable. 

" .^/, ^ erreurs , Manfrède soutenait que , 

^Ife *'' M ^ù la venue de l'Antéchrist mettait 

^s ^^ ^femnie ou le mari était libre de rompre 

leB^ 'a^» môme contre le gré de son conjoint, 

^ g préparer à la crise suprême par la prière 

f mortification. Informé de ce qui se passait, 

^ mardifl jugea utile de combattre, par la parole 

par la plume, ces doctrines d'épouvante qu'il 

gfltait être contraires au véritable esprit de saint 

François d'Assise, esprit d'amour, de paix et 

dejoie(l); il les signala, en outre, à l'inquisiteur 

(i) On lit dans un sermon prononcé par Bernardin, à Sienne, en 
1427 : « Il a été dit souvent, et, dans mon enfance, j'entendais dire 
que l'Antéchrist était né. Mais que dis-jc? Dès les temps aposto- 
liques, on disait déjà qu'il était né, et on Ta dit aussi au temps de 
saint Bernard. Et encore, aujourd'hui, on lo dit, et il y a peu de 
temps qu'on en pariait avec certitude. Eh! quelle folie est celle-là 
des gens qui veulent en savoir plus que Dieu ne veut qu'ils ne 
sachent? Quel est celui qui le sait? Il n'y a pas de créature au 
monde qui puisse le savoir, parce que Dieu, le Christ Jésus, ne 
voulut pas le dire à ses disciples, et môme le Christ, en tant 



L'APOSTOLAT. 73 

d'Alexandrie et au supérieur général des Frères 
prêcheurs. Peut-être empêcha-t-il ainsi qu'elles ne 
se répandissent davantage, mais il ne put avoir 
raison de Taveuglement de Manfrède et de ses 
partisans : ceux-ci avaient suivi leur chef à Bolo- 
gne, à Florence, à Rome, attendant toujours l'An- 
téchrist, dans la prière et l'austérité. Le Pape lui- 
même essaya vainement de les disperser et de les 
renvoyer dans leur pays. Plusieurs devaient finir 
dans les hallucinations. Le zèle montré par Ber- 
nardin en cette circonstance lui fit des ennemis, 
et nous verrons plus loin quelles furent contre lui 
les représailles des amis de Manfrède. 



IV 



En 1422, nous retrouvons Bernardin sur un 
tout autre théâtre, à Venise, où le renom de ses 
prédications l'a fait appeler. Alors en pleine pro- 
spérité, n'ayant aucun avertissement du coup mor- 
tel que devait bientôt lui porter la découverte de 

qu'homme, ne le sut jamais. » {Le Prediehe volgari di San Ber- 
nardino, édite da Luciano Banghi, 1. 1, p. 68. — La môme idée se 
retrouve dans un autre sermon^ 1. 11^ p. 375.) 

5 



7* SAINT BERNARDI.N DE SIENNE- 

l'Amérique, Venise différait des autres villes 
italiennes par Bon histoire, nés traditions, son 
génie, SCS destinées, et jusque par sa physionomie 
extérieure. Bien que, grâce à l'étendue croissante 
do ses possessions territoriales, elle fût devenue 
un des principaux États de l'Italie, et qu'elle eût 
été conduite, pour cette raison, à se mêler à la poli- 
tique si troublée de la Péninsule, elle était, par ses 
comptoirs et ses colonies, une puissance orien- 
tale. La stabilité de ses institutions aristocratiques 
contrastait avec la mobilité et la turbulence démo- 
cratiques de Milan, de Florence, de Sienne ou 
de Bologne. Plus lento que d'autres à subir les 
influences de la Renaissance, elle avait gardé 
davantage de l'idéal héroïque, austère et mystique 
des âges précédents. C'est qu'en effet la Venise 
du quinzième siècle, où la foi religieuse apparaît 
encore liée au patriotisme, ne doit pas être con- 
fondue avec cette Venise du seizième, plus fami- 
lière à notre imagination, toute païenne et volup- 
tueuse, dont Paul Véronèse a peint la ravissante 
et lumineuse image au plafond du Palais des 
Doges : entre les deux, même distance qu'entre 
les Madones d'un Jean Bellin et les Vénus d'un 
Titien. Quand, plus d'un demi-siècle après Ber- 
nardin, notre Commines arrivait à Venise comme 



L'APOSTOLAT. 75 

f ambassadeur, il la déclarait sans doute, dans son 

' émerveillera ont, » la plus triomphante cité qu'il 

eût \'ue B, mais il ajoutait : (c C'est celle qui plus 

sagement se gouverne et où le service de Dieu est 

le plus solennellement fait. » 

Devant une population indemne du lléau des 
Guelfes et des Gibelins, Bernardin n'avait plus à 
prêcher la concorde, comme eu Lombardie. Atten- 
tif, suivant sa coutume, à approprier ses discours 
aux besoins parLîculiers de ses auditeurs, il parla à 
ces négociants de leur négoce; tout en en faisant 
_ l'éloge (1), il exposa les lois morales qui devaient y 
tre observées, et précisa, jusque dans le détail des 
ipplicatîons pratiques, ce qui était moyen licite ou 
illicite de gain (2). Pendant plusieurs mois, patri- 
Bfiens et peuple se pressèrent autour de sa chaire. 
■ n usa de l'autorité qu'il avait acquise sur eux, pour 
leur faire fonder, dans deux des îles voisines, une 
Chartreuse et un lazaret destiné aux pestiférés. De 
B séjour, il devait garder bon souvenir : préchant 
i tard aux Siennoîs, il avait encore dans l'es- 
la vision pittoresque de ces innombrables 
ires, galères, barques, gondoles, bateaux de 



I I (1) ■ Mtrtalui-am lantUitimé laudavit. > (Be; 
{i) • Quid lit honetttim locando, vendendo, v 
»or»m ptrmittit, doeent. • (Ibid.j 



rs.) 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

formes et d'armements divers qui sillonnaient en 
tous sens les eaux de Venise (1) ; mais il proclamait 
avoir été plus frappé encore do la concorde qui 
régnait dans cette ville, et la proposait volontiers 
en modèle à toutes celles que déchiraient les fac- 
tions (2). 

En sortant de Venise, Bernardin parcourt son 
territoire, s'arrôtant plus ou moins longtemps dans 
les villes, évangélisant au passage les campagnes, 
A Vérone, où il prêche dans la cathédrale, du 
i" novembre 1422 au 17 janvier 1423, il arrive 
précédé de la nouvelle d'un miracle éclatant : on 
raconte qu'à peu de distance de la ville, ayant 
trouvé sous un arbre le corps d'un homme qui 
venait d'être tué par accident, il s'est mis en 
prière et a obtenu qu'il fût rappelé à la vie. Les 
Véronais témoignent de leur déférence pour le 
prédicateur, en fixant, sur sa demande, avant le 
Carême, des jeux commémoratifs, célébrés jus- 
qu'alors le dimanche après les Cendres. A Vicence, 
où les historiens notent son séjour du 16 avril au 
30 juin 1423, l'affluence est si grande qu'aux jours 
de fête il lui faut parler sur la place publique; 

(1) Le Prediche volgari di San Bernardino, édite da Luciako 
Banch:, 1. 1, p. 3S4. 

(2) /6iiï., t. II, p. 17. 



L'APOSTOLAT. 

jigt et même trente mille personnes se pressent 

iutour de sa chaire et forment ensuite, à travers la 

Ue, d'immenses processions. On noie son pas- 

assano, à Tréviso, et jusqu'aux extréraitds 

du territoire vénitien, au milieu des Alpes Nori- 

ques, dans une ville que les vieux chroniqueurs 

■iqtpellent Virunura et qui parait être Friesach, en 

Ulyrie; il y pacifie de sanglantes dissensions, fait 

V^rOIer solennellement tout ce qui constatait l'anta- 

Igonisme des partis (1), et laisse do son court séjour 

1 souvenir que les habitants devaient longtemps 

t pieusement garder. En septembre 1423, il est 

tticore en pays de montagnes, à Bellune, qui lui a 

léputé deux de ses premiers citoyens. Cette ville 

Il grand besoin de sa parole ; les factions y sévis- 

int aussi cruellement que dans les cités lom- 

Lrdes ; les archives publiques et privées con- 

t soigneusement des listes indiquant à quel 

i appartient chaque famille et contre qui, par 

, ceux qui sont au pouvoir doivent diriger 

persécutions. Accueilli avec joie par le 

pie et par les magistrats qui ont fait dresser 

) chaire sur la plus grande place de la ville, 

Bernardin procède, suivant sa coutume, avec d'ha- 



• Flammà conxumptis peilife 




78 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

biles ménagemeotB. Le jour vient, cependant, où 
il altaque le mal de front. Son succès est com- 
plet; les notables, après délibération solennelle, 
décident, comme gage de la pacification déflnitive, 
de détruire toutes les listes de partis. Une courte 
station à Feltre termine cette évangélisation de la 
Vénétie. 

C'est au cours des sermons prononcés alors à 
Venise et dans les villes de son territoire, qu'a 
commencé à se manifester avec éclat le zèle de Ber- 
nardin â propager la dévotion au nom de Jésus (I), 
Cette dévotion, aussi ancienne que la parole de 
saint Paul : « 7b nomine Jesu omne genu fiectatur », 
était particulièrement en honneur dans la famille 
franciscaine : saint François d'Assise en faisait 
l'objet de fréquentes exhortations, et ce nom divin, 
rapporte le plus autorisé de ses biographes, ne 
pouvait passer sur ses lèvres sans que sa voix 
s'altérât, comme s'il eût entendu une mélodie inté- 
rieure ; saint Bonaventure avEiit écrit un opuscule 
De laude mellifluinominis Jesa. Bernardin n'innovait 
donc pas, quand il cherchait à ranimer cette dévo- 
tion, un peu négligée de son temps. Il aimait 

(1) D'après Waddiog, BeroirJin avait déjà préconisé celle 
dévoUoQ eo 1117, é. Florence: mais son aposlolal ii'éLait paB 
alors commencé, et sa parole n'avait pas eu de retentissement. 



L'APOSTOLAT. 

à célébrer magniliquement, dans ses sermons, les 
beautés, les grandeurs, les mysléneuses vertus 
du nom de Jésus; puis, pour donner un signe 
extérieur aux sentiments qu'il suscitait dans les 
âmes, il engageait ses auditeurs à inscrire sur 
les monuments publii:s ou privés ce nom, ou du 
moins l'une des abréviations par lesquelles on 
avait pris l'habitude de l'exprimer (1). Il avait 
adopté celle qui était formée des trois lettres 
I H S (2), et avait imaginé de les entourer d'un 
cercle de rayons dorés. Il estimait opportun d'im- 
primer une telle marque sur un pays envahi par le 
paganisme, et, en la substituant à tous les sym- 
boles guelfes ou gibelins dont les murs étaient 
couverts, il croyait sceller la pacification des cœurs. 



Jjff) Cbb abréTÎatîûns avaient été en uaoge dét l'origiiia du 
bistiuiiime. On trouve alors aur des monaaies ou dei mé- 
uAilleB, pour aîgnilier 'Ii^noù;, le monogramme 1 ou le digrarame 
[H, ou le Irigranitie mi. On trouve aussi IC ou lEIC, le C étant 
pris comme forme latinp du a-î-fim. Plus tard, on parut préfi^rer 
IfiS ou IbS : 00 avait oublié i^ue l'II figurait originairerueut dam 
ce Bigne comme la majuscule de 1 r,Ta grec, et on avait Qai par y 
voir une h Utiae. D'ailleura, en souvenir de IV^, on écrivait 
générale ment, iiu moyen âge, Jbeiiu. Sur la pierre sépulcrale de 
sainte ColelLo, morte en liiT, le nom de Jt'aus-Christ est écrit 
Jht-Criit. Saint Ignace el, â sa suite, les Jésuites ont adopté l« 
même trigramrae que saint Bernardin : IHS, 
(S) Ces trois lotlref^ étaient éeritea en caractères goUiiques qui 
1 Tornie d'un T, L'II était généralement 



lODté d'ui 






80 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

Son invitation fut entendue dans toute la Vénétie. 
Magistrats et particuliers s'erapressiTcnt à faire 
peindre ou sculpter, avec grand honneur, le 
rayonnant trigramme (1). C'était comme la trace 
matérielle du passage de Bernardin et la manifes- 
tation extérieure de l'adhésion donnée à son en- 
seignement. 



En sortant des Étals de Venise, au commence- 
ment de 1424, Bernardin se rendit à. Ferrare, où 
l'appelait le seigneur de cette ville, le marquis 
Nicolas d'Esté. Dissolu, fourbe, cruel, comme 
tous ceux de sa race, chez lesquels une histoire 
trop complaisante affecte de ne voir que de bril- 
lants Mécènes, Nicolas ne se gênait pas plus qu'eux 
pour violenter le clergé et, ce qui est pis, pour le 
corrompre. La pieuse sollicitude qui lui faisait 
inviter Bernardin peut donc étonner. Il n'était 
pas le seul des princes de cette époque qui, peu ( 

(1) o Nomea Damini noalri Jaa Ckriiii tantum honoravU, quod 
ûmnes popuH Keneiorum, tum aanciorum IcmpUt, tum privatU 
domibui, auritii quidem litlerii TulilaiilibTii radii» noman lanetum 
Salvatorit nostri paitetibuc honoratittimépiiixtre. > (Bebnab£DS.) 



fflévot 



pour f 
! de faire ( 



L'APOSTOLAT. 



I compte, jugeât prudent et 



polî- 



ntes I 



édicationi 



s corriger pa 

lé moralisateur de ses exemples. Son mar- 
de petite étendue, même avee l'adjonction 
de Modène, ne comptait pas au rang des Ëtats 
importants de la Péninsule; mais sa capitule, k la- 
quelle on attribuait alors cent mille habitants, était 
célèbre pour le faste de sa cour, l'éclat de ses fêtes, 
l'élégance raffinée de ses mœurs, la somptuosité 
de ses habitants. Bernardin fut ainsi conduit à y 
parler contre les abus du luxe et l'immodestie des 
vêtements. Ce mal est de tous les temps, comme la 
vanité humaine et la coquetterie féminine; toute- 
fois il sévissait avec une particulière intensité au 
sortir duMoyen âge : c'était une réaction contre la 
rudesse de l'époque précédente. Les chroniqueurs 
italiens, français, allemands, anglais sont remplis 
de détails sur l'extravagance des modes à cette 
époque (1). Aussi le sujet était^il familier aux pré- 
dicateurs contemporains. Saint Vincent Ferrier 
i'avait souvent traité : un vieil historien dit en 
irlant des sermons prêches par lui à Angers ; 
ir Pendant ce mois, il fit tomber de dessus la 
i femmes la creste de leur vanité, » Ce 



l ^1] On a calculé que certaines robes en brocart d'or devaient 
d quarante ou ciocguaate cailla francs de noire monnaie. 



SI SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

FqI lui (jui détermina les Génoises à couvrir led 
cheveux de la gracieuse et modeste mantille bl^ 
che qu'elles portent encore aujourd'hui. Les légj 
latBurs eux-mêmes s'inquiétaient de ces excèsl 
essayaient de régler, jusque dans le détail, l'aja 
tement des femmes, d'en limiter la richesse, 
fixer la longueur des queues et la largeur des m!H 
ches : prescriptions impuissantes, comme l'ont U 
jours été les lois somptuaires (1). Avec les Fen 
raises. Bernardin parut obtenir plus de succès, en 
touchant leurs cœurs ; les biographes affirment 
qu'il parvint à refréner leur licence, à modérer le 
luxe de leur habillement et k leur imposer une 
tenue plus décente (2). 

AFerrare, notre prédicateur se trouvait sur la 
frontière des États de l'Église. Ceux-ci n'étaient 
pas alors la partie la moins agitée de l'Italie. Durant 
l'exil d'Avignon et le grand schisme, Rome, dépeu- 
plée, ruinée, avait été la proie des factions et du 



(1) On trouve beaucoup de règlemeutB de ce genre dans les 
Arcliirea de tous les petits États d'Italie. Voir, par eiempla, 
à. Sienne, les Tolumes intitulas : Spoglto delU deliberasioai del 
Comiglio delta Campana, et Spoglio dette deUberazioni del Con- 
liglio générale dell' Arehivio délie RifurmagUmi di Siena. Voir 
aussi l'ouvrage lic Cablo Paletti-Fossati, Coilumi Seneii nella 
tecotida meta dd Hcalo XIV. (Sieua. ISBS.) 

(2) ' E/frienataia licenliaia mulierura eoerceiu, pampas eamm 
in Vïtitlu el gcttu moderavil. « (BEUNAa;SUs SEM£.NSi!i.J 



brigandage, e.l, dans beaucoup de villes du Patri- 
moine, de rOrabrie, des Marches, de la Romagnc, 
s'étaient constituées des républiques ou des prin- 
cipautés qui affichaient leur indépendance; parfois 
même, quelque condottiere, comme Braccio de 
Montone, prétendait se tailler, en plein domaine du 
Saint-Siège, une souveraineté plus étendue. C'est 
de cette époque que Macliiavel a écrit, cent ans 
plus tard : n Naguère , aucun baron n'était assez 
petit pour ne pas mépriser la puissance papale. » 
Quand l'élection de Martin V, on 1417, donna 
enfln à l'Église un chef incontesté, celui-ci dut de- 
meurer trois an.s, d'abord en Lombardie, ensuite 
en Toscane, avant de pouvoir mettre le pied dans 
ses États, à ce point humilié que, dans les rues 
de Florence, les gamins l'accompagnaient avec 
des couplets satiriques. Mais, habile et ferme, il 
entreprit aussitôt la restauration de son pouvoir, 
par la pohtique autant que par les armes. Il ne 
visait pas seulement à rétablir l'espèce de suze- 
raineté complexe, variée et souvent discutée, 
dont s'étaient contentés ses prédécesseurs : son 
dessein était d'y substituer une monarchie directe 
et uniËcc. Cette entreprise, qui se heurtait à tant 
de traditions, de prétentions et d'usurpations, 
is l'œuvre d'un jour, et elle devait tra 



Si SAINT BERNARDIN DE STENNE. 

verser bien dos vicissitudes, avant d'être menée 
à fîn par l'ambition peu scrupuleuse des Borgia et 
par la main de fer de Jules II. 

Entre toutes les villes des États de l'Église, la 
plus considérable et la plus turbulente était Bolo- 
gne. Se prétendant république indépendante à 
l'avènement de Martin V, elle avait été ramenée 
de force sous l'autorité papale; mais sa soumission 
était loin d'être complète. A des tentatives de 
révolte, sans cesse renouvelées, le Souverain Pon- 
tife était obligé de répondre par des interdits. 
L'anarchie politique y avait accru le désordre des 
mœurs; les jeux de hasard, notamment, avaient 
pris un développement extraordinaire : nombreux 
étaient les tripots où les gens de tout âge et de toute 
condition venaient jouer leur avoir et se livrer à la 
débauche. Vainement l'évéque de la ville, Alber- 
gati, bientôt cardinal, l'une des plus nobles et plus 
pures figures du clergé de ce temps, avaitril cher- 
ché, par des exhortations ou des mesures répres- 
sives, à arrêter ces désordres, tout avait échoué. 
Il eut alors l'idée d'appeler à l'aide le prédicateur 
dont on racontait les merveilleux succès en Lom- 
bardie et en Vénétie. 

Docile à cet appel, Bernardin se concerte avec 
Albergati, reçoit de lui toutes informations sur 



L'APOSTOLAT, 
t'état des esprits et entreprend de préclier le 
Carême de 1424. Conformément à sa taelique 
habituelle, c'est seulemeat quand il 8ent avoir 
pris autorilé sur son auditoire, qu'il sort des gôné- 
ralités et annonce l'intention d'aborder la ([UOstion 
des jeux. La foule, ainsi avertie, accourt si nom- 
breuse que la vaste nef de San Petronîo no suffit 
plus, et qu'il faut transporter la chaire sur la plaee. 
L'orateur parle avec une force patln'Lii]ue qui finit 
par vaincre la passion. Aux dcrniurs jours du 
Carême, les joueurs repentants viennent, k's una 
rès les autres, lui apporter les instruments do 
KUTB jeux; il en a bientôt une telle quantité qu'il 
mt en dresser un vaste bûchor sur la place, ot 
[ y fait mettre le feu, aux applaudissements du 
Hiple assembli^ (1). Quelque,s-uns, cependant, 
Kapplaudissaient pas : c'étaient les fabricants et 
oïdeurs de cartes à jouer. L'un d'eux vient 
rouver Bernardin et se plaint amèrement qu'il lui 
ilfeve son gagne-pain. « N'as-tu pas un autre nié- 
(er? lui demande le saint. — Non, — Eli bien I 
(tH tu fais ce que je te dirai, tu auras de quoi 
Jjîvre. — Je le ferai volontiers, w Alors, prenant 

, {1) ■ Popalo ipio approbante. i — De lels bûchers i^taient 
wnTent allumi's par les prd-dicateure populaires de ce temps : c'est 
a appelait, en lUlie. abbruciameali délie van-ilà: en Frunce, 
m chroniques contt'UiporaiQCE les mentioaneat fréquemmeat. 



8a SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

un compas, Bernardin trace uq cercle sur une 
tablette et peint, au milieu, le trigramme de Jésus, 
I H S, entouré de rayons, a Fais de même, lui dit-il, 
et tu gagneras l'argent qui t'est nécessaire, » Le 
conseil est suivi ; le peuple prend goût à cette 
façon d'honorer le nom du Sauveur, et l'artisan 
réalise ainsi beaucoup plus de bénéfîces que quand 
il peignait des cartes. Telle est l'origine de ces 
tablettes dont il sera plusieurs fois question dans 
la vie de notre saint. 

Non content de vaincre le démon du jeu, Bei^ 
nardin s'attaclie aussi à détruire, dans Bologne, 
l'esprit de révolte et de faction. L'histoire sub- 
séquente de cette cité ne permet pas de dire que 
le mal fût à tout jamais supprimé. Il y eut, du 
moins, une paciQcation temporaire, a Une grande 
tranquillité, dit le vieux biographe, fut rétablie. 
pour quelque temps, dans la ville {!). s 



Le moment était arrivé, pour Bernardin, de re^ 
venir dans cette Toscane d'où il était parti, encore 

(1) « Paccgue ei coruordiâ inicr civet faclà, magna iTanquHlila* 
aliquaiidUi in urbe integrata t>l. - (Behnab.gus.) 



L'APOSTOLAT. 87 

inconnu, sepl ans auparavant. InviU', pendant 
qu'il pr^'chait à Bologne, par une députation des 
Florentins qui se disaient très avides de l'enten- 
dre (!), il se rend dans leurs murs, au cours de 
l'été de 1424 (2). Florence est alors, entre toutes, 
la ville de la Renaissance ; elle apparaît comme 
l'officine où s'élabore la culture nouvelle qui va se 
répandre dans le monde. Nulle part ailleurs, cette 
culture n'a autant pénétré la vie publique et privée. 
Là se réunissent les bumanistes les plus célèbres. 
Là se manifestent les grands artistes : en 1424, 
au moment où arrive Bernardin, Brunellescbi ter- 
mine les plans de la coupole de Santa Maria dei 
Fiori ; Giiiberti vient de finir la première porte du 
Baptistère ; Donalello a déjà sculpté, depuis plu- 
sieurs années, le fier saint Georges de l'Orsan- 
michele : Masolino commence les fresques de la 
chapelle Brancacci, et Masaccio s'apprête à les 
compléter. Les jouissances de celte rénovation 

(1) • ... guoniavi avidissimi etim omnet Florendni exptctiAant. • 
(Bbhnabsus.] 

(I) A en croire le journal d'iNPEasiiHA, aocrétairB du Sénat ds 
Borne, saint Bernardin aura.it prêché à Rome, en jain 14S4. et, le 
21 de ce mémo mois, un graad abbruciainenlo délie vanilà aurait 
eu lieu sur la. place du Capitale. Ce séjour k Rome me parait 
malBlaÉ \ intercaler cnUe Bologne el Florence, et je suis purti^ â 
croire qu'il y a au là quelque coofusion de dates. J'ai déjà, du 
reste, eu occasion de dire que la cbronologie des prédications 
s saint était, sur plusieurs points, asseï incertaine. 



S8 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

littéraire et artistique remplacent, chez les Floren- 
tins du quinzième siècle, les passions politiques si 
violentes de l'âge précédent. Sans doute, à la dif- 
férence de la plupart des autres cités de la Pénin- 
sule, Florence est encore une république, mais 
elle n'est plus guère qu'une république nominale. 
L'influence grandissante des Médicis prépare un 
principat qui, sans heurt, sans coup de force, 
ahsorhe peu à peu tout ce qui reste des vieilles 
libertés. Les bourgeois turbulents et belliqueux du | 
treizième et du quatorzième siècle, si prompts aux 
émeutes du dedans et aux batailles du dehors, 
sont devenus des marchands et des banquiers qui, 
avec leurs comptoirs répandus dans tout le monde 
alors connu, ne songent qu'à gagner beaucoup 
d'argent et à le dépenser, en diktlanti élégants et 
raffinés, en épicuriens délicats. Elle est plus loin 
que jamais, l'antique Florence, « sohna e pudica n, 
que, déjà deux siècles auparavant, Dante regrettait 
de ne plus retrouver. 

Il ne faut pas croire cependant que les Floren- 
tins fussent devenus indifférents aux choses reli- 
gieuses. Dans les premières années du siècle, ils 
avaient pris tant de goût aux sermons du Bienheu- 
reux Jean Dominîci, qu'ils avaient demandé au 
Pape de l'empêcher de quitter leur ville. Ce Domi- 



L'APOSTOLAT. 

ici. Frère prêcheur, mort, en 1419, archevêque de 
use et cardinal, avait fondé, en 1400, à Fieaole, 
i peu au-dessous du couvent franciscain d'où 
Irnardin devait partir pour son apostolat, uq 
honastère de Dominicains, et y avait allumé un 
pyer de sainteté qui a, pendant assez longtemps, 
■yonnésurFlorcnce. Là enseignait, comme maître 
8 novices, le Bienheureux Laurent de Ripafratta, 
litre émînenl de la vie spirituelle ; là avaient 
i^t ensemble leurs vœux deux religieux à peu 
jba du même âge, unis par une étroite amitié et 
itetinés à se faire un nom illustre parmi les 
lunes : l'un, Fra Giovanni de Fiesolc, celui que 
tpOBtérité appellera il beato Angelico, peintre des 
ûons célestes, ravissante fleur mystique qui 
Semble détachée de l'Assise du treizième siècle et 
qu'on s'étonne de voir s'épanouir en pleine renais- 
sance païenne; l'autre, saint Antonin, qui, après 
avoir gouverné et réformé beaucoup de monastères, 
sera contraint, par la vénération universelle, d'ac- 
cepter l'archevêché de Florence. Enfin, de ce cou- 
vent de Fiesole, descendra, enl436, la colonie qui 
peuplera, daos Florence, le célèbre couvent de 
Saint-Marc, et de celui-ci sortira, à la fin du siècle, 
un prêcheur bien autrement retentissant que Do- 
, Jérôme Savonarole, ce moine grandiose 



90 SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

et tragique qui gouvernera, pendant plusieurs 
années, du haut de la chaire, par le seul ascendant 
de son éloquence et de sa vertu, non pas quelque 
cité ascétique du Moyen âge, mais la Florence des 
Médicis, reconquise en quelque sorte sur le paga- 
nisme. 

Il ne paraîtra pas, dès lors, étonnant que, dans la 
ville qui avait goûté Dominici et qui devait se pas- 
sionner pour Savonarole, Bernardin ait trouvé 
des auditeurs curieux et attentifs. Il prêcha avec 
succès, dans lagrande église franciscaine de Santa 
Croce, contre les vices régnants. « Ayant trouvé 
la ville très corrompue, dit un historien florenti 
du temps, il parvint, grâce aux bonnes disposi 
lions des habitants, à la changer et, pour ainsi 
dire, à la faire renaître (1). » Comme àBoIognc, un 
bûcher fut élevé, sur lequel les femmes apportè- 
rent tous leurs engins de vanité, leurs faux che- 
veux, les instruments de jeu, et le feu y fut mis. 
Enfin, sur la façade de Santa Croce, les Florentins 
firent peindre avec grand soin le trigramme de 
Jésus, entouré d'un large cercle de rayons dorés, 
aQn, dit un contemporain, de témoigner ainsi à 

(1) VespamancidaBisticci. nu diiiominiittuslri del lécolo XV. 
— Bbhnab.gus Sekensis dit aussi, en parlant de ceUe prédication : 
1 Ad bonoi et laudabilei moTei religïoii faciliterque FloreM 



L'APOSTOLAT, SI 

tous les yeux à quel poinl ils avaient goûlé le pré- 
dicateur (1). 

Cette (iiWolion au nom de Jésus prenait, en 
effet, de plus en plus de place daas la prédication 
-{le Bernardin. Il y trouvait un moyen de raviver 
la piété populaire . A Volterra, où il prêche l' Avent 
de 1424, il inaugure une pratique qui devait bientôt 
soulever de vives contestations : à la fin de ses 
discours, il présente à la vénération des assistants 
agenouillés une tablette sur laquelle il a peint lui- 
même les trois lettres IHS, entourées de rayons, 
les excite à crier miséricorde au Sauveur, à lui 
promettre de vivre en paix, et enûn les bénit en 
élevant la tablette. Celte tablette, laissée par Ber- 
nardin à son départ, a été conservée par les habi- 
tants de Volterra, comme une pieuse relique ; long- 
temps déposée dans une église bâtie sous le vocable 
du nom de Jésus, confiée à la garde d'une confrérie 
spéciale, elle était, aux jours d'épreuves ou de 
péril, exposée au public et portée solennellement 
en procession; elle est maintenant dans une des 
chapelles de la cathédrale. 

Beaucoup d'autres villes de Toscane reçurent la 



(1) • ... Vi leiliinonïum ubijue proipeclum quam evidentiitimé 
daret, quod prœiikalionei ma haie dettoliuimo populo et grata et 
jutiindm fument. » (Behnabads.) 



92 SAINT BERNARDIW DE SIEWÎTE- 

visite de l'apôtre. Au carême de 1425, il était & 
Prato. Plusieurs biographes raconteot que, comme 
il quittait cette ville, après Pâques, accompagné 
par la population entière, un bœuf, effrayé par la 
foule, s'élança furieux et frappa si cruellement on 
jeune homme que celui-ci fut laissé pour mort sur 
le sol. Bernardin accourt, appelé par les cris du 
peuple : b Le démon, dit-il en gémissant, voudrait, 
à cette heure, détruire tout ce que Dieu a fait de 
bien dans cette ville. » Puis, levant les yeux au 
ciel et faisant le signe de la croix sur la victime, il 
ajoute : n Par la grâce de Dieu, ce jeune homme 
n'aura aucun mal, emportez-le. » En effet, à peine 
a-t-on fait quelques pas, que le jeune homme se 
relève sain et sauf. 

Les Siennois, jadis témoins de la pieuse jeu- 
nesse de Bernardin, n'apprenaient pas le renom 
dont jouissait maintenant leur compatriote dans 
tant de contrées de l'ItaUe, sans en être flattés 
dans leur amour-propre national, ni sans désirer 
vivement l'entendre à leur tour. Le saint, sen- 
sible à leurs vœux, arriva à Sienne, vers la fin 
d'avril 1425. Magistrats et peuple, tous le reçu- 
rent avec joie (1). Une chaire et un autel furent 



i amctuique pepului 
B^IIS Senensis.) 



i front» e 



L'APOSTOLAT. «3 

dressés sur la grande place, contre le Palais 
public. Le cadre est resté de nos jours à peu près 
ce qu'il était alors : elle est toujours là, véritable 
vision du Moyen âge, cette Piazza del Campo, d'as- 
pect t^trange et grandiose, creusée on forme de 
conque marine et entourée de ses palais gothiques; 
il est toujours là, ce Palazzo publico, massif, liérîssé 
de créneaux, avec sa physionomie farouche et 
tragique, comme s'il gardait l'empreinte des dra- 
mes populaires qui l'ont jadis ensanglanté ; elle 
est toujours là, cette haute torre délia Mangia, 
dessinant hardiment sur le ciel sa svelLe et su- 
perbe silhouette. Chaque matin, pendant cinquante 
jours, Bernardin prêcha, après avoir célébré la 
messe. La foule remplissait la vaste place; les 
magistrats de la ville étaient sur une estrade. 
Parmi les auditeurs, se trouvait un jeune homme, 
alors inconnu, bientôt illustre, le brillant .^neas 
Sylvius Piccolomini, le futur Pie II; les sermons 
lu touchèrent tellement, a-tr-11 raconté, qu'il fut 
sur le point d'entrer chez les Frères mineurs. 
Les témoignages contemporains sont, d'ailleurs, 
unanimes à constater le grand succès de l'ora- 
teur; ils nous montrent les Siennois, dociles à sa 
parole, réformant leur vie, revenant aux vieilles 
mœurs chrétiennes, répudiant l'esprit de discorde 



S4 SAINT BERNARDIN DE SIEMNE. 

et de trouble, si invétéré dans leur cité (1). A la 
suite de sermons contre le jeu, le luxe et les vani- 
tés féminines, on construisit au milieu de la place 
une sorte de château en bois, où chacun apporta 
caries, dés, échiquiers, ornements de toilette, 
faux cheveux; on en réunit plus de quatre cents 
charges, et le feu y fut mis. Les derniers travaux 
de la cathédrale, commencée au treizième siècle, 
languissaient ; Bernardin excita à les pousser plus 
activement. Il avait garde d'oublier sa chère dévo- 
tion au nom de Jésus ; le lundi de la Pentecôte, 
au peuple tout échauffé par sa parole, il faisait l'os- 
tension d'une tablette oii, suivant sa coutume, les 
lettres IHS étaient peintes, entourées de rayons; 
telle fut, à cette vue, l'émotion des assistants que, 
dit un vieux chroniqueur, ils se mirent à crier 
miséricorde, versèrent des larmes abondantes et 
semblèrent prêts à tomber en défaillance (2). Le 

(Ij • Animai Seœnsium omnium ad omnem votunlatem luam 
redutent. ad priitinam et vetuttam conineludinem béni et chriitiani 
Vivendi eot /irmamt... Paeem inter diisidenlei componeni, cuncfun 
populum pacatum ac tranquiltum snamilimà oralione tvA reddi- 
dit. • (Bernàbjbds.) 

(£) > ... e fu lanlD lo spleadore che dava el Gieiii, ch'e' mim tfu- 
pore a agnuno, e tomincïoiti a gridare iai»e)-icordia con lanlt 
lacrime, e per grande devozïone paTeva che ngnano xeaitte m»lui. • 
(CnoNACA Sene^e, cbe va totto il nome degli Aldobrandîni, m&nu< 
scrit de la bibliothCquu commuaale da Sienne, cité par M. Dohati, 
dans la Bullelino Sencse- diStoiia palria, I89i, p. Si.) 



L'APOSTOLAT. 



I vestibule de la salle capilulaire du Dôme de Sienne 
I renferme un tableau curieux, œuvre d'un peintre 
[ contemporain, Sano di Pietro (1), qui représente 
le saint debout dans une chaire haute, dressée 
devant le Palazzo publico ; derrière lui, le petit 
autel où il a dit la messe i entre ses mains, uae 
tablette rectangulaire sur laquelle sont peintes 
les lettres IHS; les magistrats sont sur leur 
estrade ; le peuple occupe la place, hommes et 
femmes séparés par une barrière que forment des 
bandes d'étoffes; les femmes ont la tôle couverte 
d'un voile blanc; tous sont à genoux, les yeux 
levés vers la tablette (2). Le mardi de la Pente- 
côte, s'organisa une immense procession, à la- 
quelle prit part la population entière, sous la 
conduite de ses magistrats, et où l'on porta, au 
milieu des reliques, la tablette de Bernardin (3). 



(1) Nêcn»û6, morleoUai. 

(S) Oa trouve it Sienne deux s^utros pcinlnres. prabablement 
aussi de Sano di Pietro : l'une, qui est dans une sïlte du Pala:zo 
fublita, est à peu près semblable à callo qui vient d'fllrc décrite ; 
k seconde, qui est dans le vestibule de la salle capituiaire, repré- 
■enle le saint prAcliant sur la place de l'Église S. Francesco; il 
montre, non plus une tablette, mais le cruciiix, aux assistaola, 
hommes et femmes toujours sùparcs et & genoux. Signalona 
ciiËo. dans la galerie de l'AcadOtnio des Beaux-Arts, à Sienne, 
une peinture où saint Bernardin, en chaire, montre un crucifix 
surmonté d'une tablette ronde où est peint le Irigramnic. 

(3) C'est probablement celte même tablette qui est conservâe 



B6 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

Pour garder ie souvenir do ces évt^nements et faire 
solennellement allégeance au nom de Jésus, les 
chefs de la république décidèrent que, sur la façade 
du Palazzo publico, à l'endroit même où, dans un 
jour de défaillance patriotique, avaient été inscrites 
les armes de Visconti, le trigramme sacré serait 
peint dans un grand cercle azuré, entouré de rayons 
d'or; ils le firent reproduire également à l'inté- 
rieur du palais, dans la salle dite de la Mappe- 
monde ; ces peintures subsistent encore (i). Beau- 
coup de particuliers firent de même en leurs 
demeures, et le voyageur retrouve aujourd'hui, 
au-dessus des portes de plus d'une vieille maison, 
les trois lettres sculptées dans la pierre. Ce ne fut 
pas la seule façon dont les magistrats de la ville 
témoignèrent de leur déférence pour le prédica- 
teur; ils promulguèrent, le 8 juin 1425, plusieurs 
décrets qui tendaient au rétablissement des bonnes 
mœurs et qui s'appelèrent : Riformagioni di frate 
Bemardino (2) ; quelques-uns limitaient le chiffre 



aujourd'hui i. Sienne, dans la cbapelle 
Bernardin. 

(1) Mit-ANEsi, Docamenti pn* la lîorii 
p. 128 et 131. 

(2) Cf. sur 



i la Confrérie de Saint- 
delf arle ttiute. t. II, 



Riformagioni di frate Bernardino I'ouïts^ da 
. MENGDili. il moale dei Paichi, noie starïehe raccolU e pub- 
lia per ordine délia deputasione ed a cura det présidente conte 
:olo Piccalomini, 1. 1, p. Hl ot sq. 



I 



L'APOSTOLAT. 



,do\a et le luxe des noces, aûn de faciliter les 
devenus trop rares ; d'autres prohi- 
baient les vêtements d'une richesse excessive ; 
d'autres excluaient des fonctions publiques les 
usuriers et les gens atteints de vices infâmes; un 
magistrat spécial, appelé Capitano e exequitore di 
Giuslizia, avait charge de veiller à l'exécution de 
ces rÈglements. 

Sienne ne vit pas venir sans douleur le jour du 
départ de Bernardin (!). Quand, le 10 juin, après 
son dernier sermon, il donna au peuple une béné- 
diction d'adieu, toutes les cloches furent mises 
en branle et les trompettes sonnèrent. Un peuple 
immense l'accompagna, hors de la ville, jusqu'à 
la cinquième borne, près de la rivière Arbia, avec 
tous les témoignages d'une pieuse vénération. 
Lorsqu'il fallut enfln se séparer de lui, beaucoup 
ne purent retenir leurs larmes. Au milieu de la 
foule qui le reconduisait avec tant d'honneur, le 
saint, souffrant dans son humilitéi marchait, triste 
et tête basse, dit un de ses bioj 



(1) Da U douleur que causait aux Sieuaoia Iq dâpart de Ber- 
nardin, on trouve un témoignage dans le Lamenio que composa. 
alors le poète Froncesto di Giovaaai, et (|ue dea érudits oat' 
découvert d[in<i un manuscrit de la bibliotlièque de Sienne. (Cf. la 
conTéreacedu professeur 0. Bacci dans le volume des Conferense 
dilla Commiiiione leni^tt: di Storia palria. 1S93, p. 134.) 



gs SAINT BERNARDIN D£ SIENNE. 

s'il fût mené au supplice (Ij. Il ne se seotil à 
l'aise que quand it se retrouva seul dans la cam- 
pagne de Sienne, et, pour se consoler de tant de 
brillants succès, il demeura quelque temps dans 
cette région, heureux d'évangéliser obscurément 
d'bumldes campagnards, et appropriant son lan- 
gage à la simplicité de leur esprit. 

Il termina sou apostolat eu Toscane par Arezzo. 
Les historiens racontent comment il y arrêta 
miraculeusement, par le signe de la croix, la pluie 
qui menaçait d'interrompre le sermon qu'il pro- 
nonçait en plein air, et comment il mit On aux 
pratiques superstitieuses qui se perpétuaient dans 
un bois voisin, auprès d'une fontaine jadis consa- 
crée à Apollon : la statue de la Vierge, qu'il y fit 
éjever, fut bientôt l'objet d'une dévotion populaire 
et le but d'un pèlerinage ; on y construisit, bous le 
vocable de Santa Maria délie Grazie, une église où 
le touriste admire, encore aujourd'hui, l'élégant 
portique élevé sur les dessins de Benedetto da 
Majano. 

(1) • Vitumque atiquando, dum populi eum diicedentem magna 
mm honore et coivcursu eomitarentur , iia IriiL-m, dejtclum, pro- 
ttratnmque incedere, ae li ad tupplicium duceretvr. ■ (Muhmih 
Vegids.) 



L'APOSTOLAT. 



K^xezzo touche à l'Ombrie, terre pauvre, un peu 

fBTa^e, mais d'un charme doux, avec ses mon- 

fleB abruptes couronnées de petites villes forti- 

Bes, les lignes harmonieuses de ses horizons et 

nzquise finesse de sa lumière. Elle avait un attrait 

rticulier pour Bernardin, à qui elle apparaissait 

icore tout embaumée du souvenir de saint 

&aDfois. En août 112», il est au pied d'Assise, 

tcélèbre, avec une foule immense de pèlerins, la 

Ue de Sainte-Marie des Anges, dans le fameux 

fauvent de ce nom, le premier qu'ait fondé le 

Weretlo. Toutefois, il ne s'y arrête pas, et, cette 

ttisfaction donnée à sa dévotion filiale, il reprend 

^ssitôt son lahorieux apostolat. 

k Au témoignage des contemporains, les guerres, 

tïi, depuis tant d'années, dévastaient les États de 

Iglise, avaient détruit dans les populations au- 

jefois assez pieuses de l'Ombrie presque toute 

loccupation des choses de Dieu, presque tout 

itiment de foi, de religion et de justice (1). 



.. prœcipui n 



n regionem qaasi lolam 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 
Bernariiin commença par Pérouse. Le désordre 
y élait extrême; sous l'action des luttes intes- 
tines continuelles, les mœurs étaient devenues 
ai violentes qu'elles avaient fait aux habitants un 
renom de férocité (1). Notre saint, qui logeait, à 
la porte de la ville, dans un couvent de l'Obser- 
vance, allait chaque matin prêcher sur la grande 
place. On venait en foule l'entendre, mais il n'avait 
pas le sentiment que les âmes fussent conquïseE. 
Il eut alors l'idée singulière d'annoncer aux Péni- 
gins qu'avant peu il leur montrerait le diable. La 
curiosité, ainsi surexcitée, attire un auditoire plus 
nombreux encore. Après quelques jours d'attente : 
n Je vais tenir, dit-il, la promesse que je vous 
ai faite; et ce n'est pas un diable, c'est plusieurs 
que je vous montrerai. » Comme il tenait ainsi 
tous les esprits en suspens et en émoi : « Regai^ 
dez-vous donc les uns les autres, s'écrie-t-il, et 
vous verrez des diables ! N'éles-vous pas , en 
effet, des diables, vous qui faites les œuvres de 
Satan? n Puis, avec une gra^'ité d'accent qui ne 
permettaitpas de prendre la chose en plaisanterie, 
il fait un tableau sévère et pathétique de tous les 

vaitattent; quart in rebut de Deo, de religione, deiuitîlià,de fide, 

laies homines nihil teu parum sentiebant. • {Ber ' 

())■,. feri propfcr bellam iateitinum ac cîvi 



L'APOSTOLAT. IBl 

KeB qui régnent dans la ville et la conjure de 
Tênoncer aux œuvTes de Satan. Ces objurgations 
8ont enfin entendues. La conversion pst complète, 
La paix publique est rétablie. Les haines les 
plus invétérées disparaissent dans une réconci- 
liation générale, et ceux qui croyaient avoir des 
offenses à venger sont les premiers à aller trouver 
leurs ennemis pour leur demander pardon, plu- 
sieurs la corde au cou. La piété éteinte se ranime. 
Tous les objets de vanité féminine, faux che- 
veux, fards, eaux parfumées, guirlandes, chaus- 
sures à hauts talons, miroirs, et « autres abo- 
minations », sont apportés en masse sur la place 
publique; on en fait deux grands châteaux sur 
lesquels est arborée la bannière de Satan, et on 
y met le feu. Une femme, raconte un vieux chro- 
niqueur, n'a pu se décider à livrer une belle tresse 
qu'elle conservait dans une cassette; quand elle 
ouvre cette cassette, la tresse se détache d'elle- 
même et vient la frapper au visage : pâle de dou- 
leur et de crainte, elle court la porter au feu 
comme les autres. Partout, le nom de Jésus est 
inscrit sur les maisons. Les autorités prennent des 
arrêtés pour punir le blasphème, l'usure, les vices 
infâmeSj et pour supprimer les danses qui avaient 
1 à certaines fêtes. Par une 




loa SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

coutume barbare qui datait de loin, la ville c^-'^ 
brait, au printemps, des jeux publics où les jeuc*** 
gens, revêtus d'armures, combattaient les il^^ 
contre les autres, à coups de pierres, avec uat*' 
acharnement que mort s'ensuivait souvent; c^* 
jeux sont interdits sous les peines les plus sévèreS * 
et les objets qui y servaient sont détruits. En tét^ 
de tous ces arrêtés connus sous le nom de Statutct 
S. Bemardini, il est stipulé qu'ils sont pris pour 
se conformer aux préceptes du prédicateur : Inhœ- 
rendo doctrinœ fratris Bemardini de Senix, Ordinii 
Minorum (1). 

Bernardin devait garder le souvenir ému d'une 
telle conversion. Deux ans après, préchant aux 
Siennois, il se plaisait à leur citer Pérouse en 
exemple; il leur rappelait comment, après avoir 
été des pires, cette ville était devenue subitement 
des meilleures; il y montrait les désordres répri- 
més, la paix régnant, les égUses si remplies, les 
confessions si fréquentes n que c'était une mer- 
veille n. « Oui, s'écriait-il, je n'ai jamais vu ailleurs 
de tels résultats... Entre toutes, c'est la ville 
selon mon cœur, car il n'en est pas do plus pure, n 



(1) Cf. Miicetlanea franeescann (Foligno). vol IV. p. 1*7, Le 
Predïche volgari di San Bemardinu, idite da L Bancui, I. I, 
p. 350, notes 1 et 2, et la Storia di Peragia, par Bdna^zi, pj 



L'APOSTOLAT. 103 

Et se retournanl vers ses compatriotes : n II y a, 
leurdisail-il, autant de distance de vous aux Pé- 
rugms i)ue de la terre au ciel (!). » 

Si changée cependant que fût Pérouse, elle 
n'était pas garantie contre tout danger de rechute, 
Quelques années plus tard, la discorde y sévissant 
de nouveau avec beaucoup d'âpreté. Bernardin 
accourt. « Dieu, dit-il en montant en chaire, a vu 
vos dissensions qu'il déteste, et il m'a envoyé vers 
Tous, comme son ange, pour annoncer la paix aux 
hommes de bonne volonté, n Puis, après avoir fait 
quatre discours pour rapprocher les esprits, il ter- 
mine ainsi le dernier : n Que tous les hommes de 
lionne volonté, désireux de vivre en paix avec le pro- 
chain, se mettent à ma droite; quant h ceux qui ne 
veulent pas obéir à mes paroles, qu'ils passent à ma 
gauche! » Tout le peuple se lève pour se placer à 
droite; seul, un jeune homme, do noble et puis- 
sante famille, reste à gauche avec ses gens, et 
murmure contre Bernardin, Celui-ci l'interpelle : 
> Te voilà seul de ton côté, méprisant, dans 
ton orgueilleuse obstination, les conseils que, 
flur la parole do Dieu, je donne à ce peuple. Je 
t'exhorte de nouveau, au nom de Dieu, à pardonner 

(1) Le Prediehe colgari di San Bemardino. ediU da L Ban- 
CBI, 1. 1, p. 97,349-331); t. U, p. iU; t. Ul, p. *97. 



L 



; SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

aux aulres, du fond de ton cœur, ce qu'Us ont pu 
faire de mal à toi ou à ta famille, et à passer 
ensuite à ma droite. Que si tu me résistes, tien» 
pour assuré que tu ne rentreras pas vivant daoBla 
maison. » Le jeune homme se moque de cette pré- 
diction qu'il qualifie de délire, et refuse d'obéir. 
A peine arrivé au seuil de sa demeure, il est saisi 
d'un mal subit et meurt sans avoir pu recevoir l6& 
sacrements de l'Église. 

Parti de Pérouse à la fin de 1425, Bernardil» 
employa toute l'année 1426 à évangéliser noO 
seulement les villes, mais les bourgades de l'Om- 
brie. Au commencement de 1427, il s'avance plus 
au sud, dans la direction de Rome : du 1" jan- 
vier au 16 février, il est à Orvieto; de là, il va & 
Viterbe. Partout sa parole produit l'effet accou- 
tumé. Il s'attaque vivement à l'usure, l'une des 
plaies de cette région, et excite les autorités à 
prendre des mesures contre ceux qui la pratiquent 
et qui sont généralement des Juifs (1). La guerre 
aux usuriers, à « ces vendeurs de 



(1) A propos des rapports de B 
vieux cbroDiquBur raconte une plaisanle histoire. Comme il prê- 
chait à Milan, iJ reput les visites fréquentes d'un m^ircband qui 
le poussait à attaquer fortemeut l'usure, de telle sorte qu'elle 
fût à tous en abomiuatioD. laformations prises, notre saint ant 
que ce marcliand Était le plus grand usurier de la ville, et que ce 
qu'il eu faisait était pour dlminuor le nombre d 



L'APOSTOLAT. 105 

comme les appelait un disciple de notre saint. 
Bernardin de Feitre, devait occuper longtemps les 
Frères mineurs de l'Observance; ce sont eux qui, 
dans la seconde moitié du quinzième siècle, crée- 
ront et propageront, malgré la violente et souvent 
puissante opposition de ceux dont ils gênaient ainsi 
le méchant commerce, les Monts-de-Piété, à l'ori- 
gine institutions de prêts gratuits, alimentées par 
les libéralités de riches bienfaisants. 

De l'effet des sermons de Bernardin dans toute 
cette région, il subsiste un témoignage matériel : 
ce sont les lettres du nom de Jésus qu'on voit 
encore gravées sur les monuments de plusieurs 
de ces villes et qui permettent de le suivre comme 
à la trace. D'autres témoignages peuvent être 
exhumés de la poudre des archives locales : de 
pieux érudits ont commencé, sur certains points, 
à y faire des fouilles, par exemple à Gubbio (1), 
à Viterbe (2), à Orvieto (3). On y trouve la con- 
firmation d'un fait déjà constaté : c'est l'obligation 
morale où se trouvaient les autorités de seconder 



BD iDspiraot aux autres l'horreur do ce vice. (Lud. ', 

Faeesie, ch. vt, cité par F. Donati, Baltetino Seneie dî Sloria 

iwiria. lS94,p.G3.) 

(1) Miicellanga franceicana {FoMsDO), vol. IV, p, 150. 

(2) Ibid.. vol. IV, p 35, 

(3) San Bernardine da Siena in Orvieto e in Porano, par 
L. Fdmi. (Siena. ]S8S ) 



106 SAINT BEBNAnniN Dlil SIENNE. 

l'œuvre réformatrice <!u préilicateur. Ainsi a-t-oa 
recueilli, dans !e registre du conseil général & 
la commune d'Orvieto, deux délibérations intéres- 
santes. Dans la première, datée du 12 janvier 1427, 
le conseil, après avoir rappelé que le Frère Ber- 
nardin, H predicator desideratus o, est venu apporter 
la parole de Dieu, avec cinq autres Frères de soil 
Ordre, et qu'ils n'ont pour subsister que ce qû* 
leur fournil l'aumône, déclare qu'on ne peut pas, 
san3 ingratitude, ne pas subvenir à leurs besoins; 
il cbarge donc les conservateurs, d'accord avec 
six citoyens qu'ils s'ajoindront, de fournir, 
les fonds de la commune, tout ce qui sera né' 
cessaire k l'entretien des religieux. La seconde 
délibération est du 16 février; cent dix-sept mem- 
bres étaient présents : il y est dit qu'au cours de 
sa prédication, h le vénérable Père, Frère Bernar- 
din », a, entre autres avertissements, insisté sur la 
nécessité de s'abstenir des blaspbèmes et des jeux 
de hasard, d'observer les fêtes, de réprimer l'usure 
que facilitent des concessions autrefois faites aux 
Juifs; il est ajouté que, dans son dernier sermon, 
prononcé le jour même, le prédicateur a demandé 
que le conseil général prit des mesures de réforme 



ieil ' 



sur ces divers sujets; en conséquence, le consi 
cbargeait une commission de rédiger les décrets 



L'APOSTOLAT. 107 

demandés, leur assurant d'avance jdeint autorité 
igislative. 

Ainsi Bernardin parcourait l'Italie, attirant les 
I populations en foule autour de sa chaire et trans- 
I formant les cœurs. De l'aveu général, il était de- 
venu le premier orateur sacré de son lemps, et 
sa sainteté eu imposait à tous. Pour donner une 
idée de la vénération et de l'admiralion dont il 
était entouré, les contemporains ne craignent pas 
de dire qu'il était accueilli comme m un autre Paul», 
et que ses paroles paraissaient m des oracles di- 
\'in8 B. Ambrogio Traversari, religieux camaldule 
d'une haute piété, d'un grand savoir, l'un des plus 
illustres humanistes du temps, parlait,, dans une 
lettre à un ami, du n Heuve immortel de divine 
éloquence » qui coulait a de la bouche très douce 
et très pleine de cet homme divin, Frère Bernar- 
din (i) » . Mais, à l'heure même oii sa gloire brillait 
du plus vif et du plus pur éclat, voici qu'un orage 
imprévu menace soudainement de l'obscurcir : il 
était à Viterhe et y prêchait le carême de 1427 
avec son succès accoutumé, quand lui arrive du 
Pape citation de se rendre immédiatement à Rome 
et d'y répondre à une accusation d'hérésie. 



J 



CHAPITRE III 



l'épreuve 



(1427-1433) 



I. Bernardin est accusé d'hérésie à l'occasion de sa dévotion au 
nom de Jésus. Accueil sévère de Martin Y. Calme de l'accusé. 
Jean de Capistran accourt à son secours. Débat devant le 
Pape. Victoire de Bernardin. Il prêche à Rome. L'opinion, 
naguère troublée, lui revient. Il refuse l'évêché de Sienne. — 
II. Nouvelle prédication à Sienne et en d'autres contrées. Ber- 
nardin tient tête à Philippe-Marie Yisconti. Il détourne Sienne 
de la guerre. Son humilité dans le succès. — III. Les adver- 
saires de Bernardin n'ont pas désarmé. Ils reprennent leurs 
accusation s» à l'avènement d'Eugène lY. Poursuites entamées à 
Rome, à l'insu du Pape. Celui-ci, averti, annule les poursuites 
et fait l'éloge de Bernardin. — lY. Propagation de la dévotion 
au nom de Jésus, du vivant de Bernardin et après sa mort. Il 
apparaît comme l'initiateur de cette dévotion. — Y. Bernardin 
est en rapport avec Sigismond. Il accompagne ce prince & 
Rome, lors de son couronnement. 



I 



En même temps que s'était répandue, sous l'im- 
pulsion de Bernardin, la dévotion au nom de Jésus, 
les formes nouvelles de cette dévotion, notamment 
l'ostension et la vénération des tablettes sur les- 
quelles étaient peintes les lettres du nom sacrée 



L'ÉPREUVE. 109 

avaient inquiété quelques esprits. Cette pratique 
leur paraissait tendre à la superstition ou même à 
l'iilolâtrie ; il était à craindre, selon eux, que le 
peuple ne vît dans la tablette une sorte d'amulette, 
et n'apportât son adoration à l'objet lui-même (1). 
Bernardin s'était gardé, quant à lui, de toute erreur 
de ce genre et avait eu soin d'en préserver ses au- 
^teurs. « Do même, disait-il, que vous adorez 
J^sus dans sa chair, de même vous devez adorer 
le nom de Jésus : je ne dis pas la sculpture ou la 
couleur, mais en quelque sorte la saveur; non le 
âgne, maïs ce qui est signifié ; car le nom de Jésus 
signifie pour vous le Sauveur, le Rédempteur et le 
Fils de Dieu (2). a De telles déclarations, si for- 
melles qu'elles fussent, n'avaient pas cependant 
désarmé les critiques. Peut-être, d'ailleurs, quel- 
ques-uns des Frères mineurs qui s'étaient empres- 
sés d'imiter Bernardin n'avaient-ils pas observé 
la même mesure; on racontait que, sous leur con- 
duite, des processions avaient eu lieu où les ta- 
blettes avaient le pas sur le crucifix. 



(1) Saiot Aotonin, rapportaat les faits, quelques aimées plus 
lard, écrivait : • Hoe elii impUcibui videretur devotionem afférre, 
tapientet arbilrabanlur idolatriam vel satleia ad superslilionem 

(î) Ce fragment eaL rapporté par un des biographes du saint, 
Amédée de VeDise. 

7 



un SAINT BERNARDIN DE SIENNE 

Parmi les plus empressera à soulever et k th^ 
pandre ces criliques, étaient les partisans de Mail- 
frède, ce Frère prêcheur dont Bernanlin avait 
combattu les doctrines sur l'Antéchrist. C'tilail 
leur façon de venj^er leur mattre. Ils étaient par- 
venus à faire partager leur manière de voir pat 
un certain nombre de Dominicains. On a tort, 
sans doute, d'exagérer l'antagonisme qui a pu 
exister parfois entre les deux grands Ordres men- 
diants. Ni l'un ni l'autre n'oubliait le baiser fra- 
ternel qu'avaient échangé autrefois saint Domi- 
nique et saint François, et dont Fra Angclico 
a laissé une si louchante représentation aux murs 
du cloître de San Marco. L'amitié fidèle qui unis- 
sait saint Bonaventure et saint Thomas d'Aqiiin, 
l'accueil de saint Vincent Ferrier vieillissant, au 
jeune saint Bernardin dont il prédisait et SEduait 
la gloire future, n'étaient-ils pas comme la conti- 
nuation de ce baiser? Toutefois, force est de re- 
connaître que, chez les âmes moins hautes et 
moins saintes, la diversité légitime, la salutaire 
émulation qui existaient entre les deux Ordres, dé- 
généraient parfois en rivalité un peu jalouse. Dans 
les grandes batailles théologîques qui passionnaient 
le Moyen âge, quand les Mineurs étaient d'un 
côté, il n'était pas rare que les Prêcheurs fussent 




L'EPREUVE- m 

de l'autre, et n'-ciprotiuemcnt. Ainsi étuit-il arrivé, 
au coaimencement ilu qualorzîème sitcle, dans 
cette controverse sur la pauvreté du Clirist et des 
Apôtres qui avait tant troublé les esprits et divisé 
jusqu'aux papes; ainsi, à la lin de ce même siècle, 
sur riramaculée Conception de la Vierge, défendue 
par les Franciscains, contestée par lus Domini- 
cains; ainsi en sera-t-il encore, dans la seconde 
moitié du quinzième siècle, sur la question, singu- 
lièrement subtile et au moins oiseuse, de savoir si 
le sang répandu par Jésus-Christ, au temps de sa 
passion, continuait, une fois séparé du corps, à 
faire partie de la divinité et â mériter par suite l'ado- 
ration : dispute acharnée que le Pape ne pourra 
apaiser qu'en défendant à chaque partie de quali- 
fier d'hérésie l'opinion contraire. 11 n'est donc pas 
surprenant que, dans la controverse soulevée sur 
le nom de Jésus, les Dominicains fussent portés à 
contredire les Franciscains, non sans doute qu'ils 
blâmassent en elle-même la dévotion à ce nom 
sacré; c'eût été manquer à l'une des traditions de 
leur Ordre qui, au treizième siècle, avait précisé- 
ment re<;u mission de prêcher cette dévotion (1); 
mais ils croyaient que Bernardin et les siens y 

(1) Le R. P. Ch. 




.INT BERNABDIN DE SIKNNE. 






mêlaient des pratiques dangereuses et liét( 
doxes. 

La même opinion était soutenue par un 
et alors célèbre religieux de l'Ordre des Ernuil 
de Saint^Augustin, André Biglio. Celui-ci n'était 
pas suspect do vouloir venger Manfrède, car il avait 
publié contre lui une Admonitio. Ce fut donc par 
d'autres motifs qu'il fit paraître un écrit intitulé : 
De institutis, discipulis ac doctrinâ fratris Derimrdini, 
Ord. Minorum; il y rendait Iiommageàlavertu et à 
l'éloquence de Bernardin, mais blâmait son mode 
de prédication et l'accusait, lui et ses disciples, 
d'être des u semeurs de scandale et de super- 
stition (1) ». 

Cette polémique ne suffisait pas aux ressenti- 
ments des partisans de Manfrède. Us prétendirent 
recueillir, dans les discours de Bernardin, des pro- 
positions contraires à la foi, rassemblèrent, sur sa 

{t) MuBATont menlioaDe cette publication, saas ea pr^^ciser la 
date. (Jïerum iiojicnrum tcriptores priBcipui, t. XIX. p. 4.) Biglio, 
qui est devenu, dans la suite, proviacial dus Augustius, jt Sienne, 
etcpii est mort dans cette ville, en H3o, ne parait pas avnïr Cûn- 
servé ses prèventiaus contre Bernardïu. Eu uUet. dans les manu- 
scrits de la BjbliûtJiËque communnle de Sienne, oa truuve une 
lettre de lui à BerDanlio, où il le loue beaucoup de ses prédica- 
UoDS aux Sienuois et lui témoigne une graoïle vi^nèiatioii ; il 
termine on l'asBuriuit qu'il ne tient à rieu plus qu'il son esUme. 
(Noiitia $u S. Bernardino, par F. Donati, dans le BulMino u- 
K di Storia patria. IBDi, p. 57.) 



L'ÉPREUVE. 



US ' 



conduite, îles tt-moignages plus ou moins sincères, 
et formèrent ainsi tout un acte d'accusation qu'ils 
adressèrent au Pape. Celui-ci, habilement circon- 
venu, jugea les faits graves, prit les plaintes en 
considération, et, sans s'informer davantage, cita 
brusquement Bernardin devant lui. 

Le cardinal Otto Colonna, qui avait été proclamé 
pape, le 8 novembre 14i7, à Constance, sous le 
nom de Martin V, et dont l'élection avait été saluée 
avec joie, par toute la chrétienté, comme la fin du 
schisme, était un Romain de vieille race, d'une 
grande dignité de caractère, politique prudent et 
énergique, de mœurs pures, d'une science étendue. 
Trouvant, à son avènement, les deux royautés 
temporelle et spirituelle du Saint-Siège également 
ébranlées, il s'était attaché tout d'abord à les raf- 
fermir. Il déployait de rares qualités de gouverne- 
ment et de diplomatie, pour réprimer l'anarchie et 
les usurpations qui avaient envahi les États de 
l'Église, et pour défendre la primauté pontificale 
contre les prétentions du concile ou des princes. 
Absorbé par cette double lutte, au point de né- 
gliger la réforme ecclésiastique, si nécessaire et 
tant demandée, il n'avait pas eu jusqu'alors occa- 
sion de connaître l'humble Franciscain, tout oc- 
rçupé de ses prédications : cela même explique 



m SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

comment il put d'abord se laisser prévenÎF cM 
lui par ses adversaires. 

Au reçu de la citation du Pape, Bernai 
prompt à l'obi^issance, interrompt ses prédication^ 
et se met en route. Beaucoup d'habitants de Vi- 
terfae veulent l'accompagner, pour rendre hom- 
mage à sa doctrine (i). Arrivé à Rome, il se pro- 
sterne aux pieds du Pontife. Celui-ci lui fait un 
accueil sévère, lui déclare que, si les choses sont 
telles qu'on les lui a rapportées , il mérite le châti- 
ment réservé aux ecclésiastiques téméraires et aux 
fauteurs d'hérésie; il lui interdit de remonter en 
chaire, d'exposer ses tablettes et de quitter la ville, 
jusqu'à ce qu'une enquête sérieuse ait fait pleine 
lumière sur sa conduite. Ses écrits et ses sermons 
sont déférés à l'examen d'une commission com- 
posée principalement de Frères prêcheurs et d'Er- 
mites de Saint-Augustin. Enfin on fixe la date 
d'une réunion solennelle où doivent être mis en 
présence les accusateurs et l'accusé. 

Ainsi traité en suspect, Bernardin voit l'opinion 
s'éloigner de lui. Dans les rues de Rome, on le 
montre au doigt comme « l'hérétique » . Ses adver- 
saires portent partout la tête haute et croient tenir 

(i) • ... frequentiisïmo, nb reeertntiam docfn'iliF, populo iitie- 
quenle.' (WAnciNG.) 



L-ÉPREUVE. 



tIS 



i villes, des confesseui'S 
!ux qui ont dans leurs 



la vicluire. Dans plusii 
refusent l'absolulion i 
maisons, des tabletlBs avec les lettres du nom 
de Jésus. Quand les Frères mineurs sortent pour 
faire leur quête liabituelle, la populace leur crie : 
« Foras Jesiil Deliors Jésus 1 m Le soulèvoment 
gagne ceux-là mêmes qui se sont dits jusqu'alors 
dévoués à Bernardin. Quant aux amis demeurée 
Qdèles, ils sont désolés, désorientés, effrayés. De 
ce nombre est, k Florence, le célèbre Ambrogio 
Traversari : consulté par un Frère mineur, dis- 
ciple de notre saint, Albert de Sarziano, qui son- 
geait à venir prêcher h. Florence pour apaiser et 
ramener les esprits, Traversari ne l'y encourage 
pas; il lui laisse voir combien, dans l'état de l'opi- 
nion, la tâche serait difficile; triste et inquiet, il 
a besoin, pour se raffermir, de se rappeler que 
les apôtres ont rencontré de semblables contra- 
dictions (1). 

Le moins troublé de tous est Bernardin. Pas une 
parole de colère, d'animosîté, d'impatience ne lui 
échappe contre ses accusateurs, A ceux qui s'éton- 
nent de son calme : « Laissez faire Dieu » , ré- 
pond-il. II ajoute, du reste, a que ces persécutions 

(1) Ahbhosci TR*ïEBSAiii[Epii(o!(f f{OrffiiOBes(PlorenC8.17S9), 
lib. II, 40, La lellre ù laquello je fais allusion n'est pas datée. 



HB SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

lui sont très utiles, et que, sans elles, son âme eût 
été certainement en grand péril », Un jour qu'on 
le voyait, après avoir reçu des injures, entrer dao» 
sa cellule pour travailler, ses amis lui disent: 
« Gomment pouvez-vous, mon Père, vous appli- 
quer maintenant à des études qui exigent la tran- 
quillité de l'esprit? — Chaque fois, répond-ii, 
que j'entre dans ma cellule, toutes les injures, 
tous les outrages restent à la porte; aucun n'ose 
entrer avec moi, de telle sorte qu'ils ne peuvent 
m' apporter d'entrave ni d'ennui. » C'est bien le 
même homme qui dira, quelques mois plus tard, 
du haut de la chaire, aux Siennois : « Depuis en- 
viron vingt-cinq ans que j'ai revêtu cet habit, je le 
dis, il n'est pas un de ceux qui m'ont causé quelque 
déplaisir à qui je n'eusse volontiers baisé les pieds, 
et même plus encore {!). » 

Cependant, les Mineurs de l'Observance sont 
fort émus du danger couru par leur plus illustre 
frère, et plusieurs se rendent à Rome pour l'as- 
sister. Au nombre de ces auxiliaires est Jean 
de Capislran, qui doit, lui aussi, après une vie de 
prédications retentissantes , être canonisé. Bien 
qu'ayant seulement cinq ans de moins que Ber- 



(1) Le Prediche volgari, edilt 



L'IÏPRECVE 117 

ttardin, il se disait son disciple et avait étudié 
la théologie sous sa direction : il n'était entré 
dans le cloître qu'en 1417, après avoir passé par 
le monde. II prêchait k Naples, quand lui arrive 
la nouvelle des accusations portées contre son 
maître. Avec l'ardeur chevaleresque de sa nature, 
il quitte tout pour voler à son secours, court 
à Aquila prendre ses papiers et ses livres, fait 
peindre sur une tablette, en beaux caractères et 
au milieu do rayons d'or, les lettres du nom de 
Jésus, et, ainsi armé, se dirige en hâte vers Rome. 
Il y fait son entrée, suivi d'un certain nombre 
d'amis, le malin même du jour indiqué pour la 
réunion contradictoire, A la porte de la \Tlle, 
ignorant probablement la défense du Pape, il fait 
élever la tablette sur une pique comme un éten- 
dard, puis s'avance à travers les rues, au milieu 
d'une foule qui grossit d'instant en instant et qui, 
entraînée par son attitude, chante avec lui les 
louanges du nom divin. On eût dit le cortège d'un 
messager de victoire. Il arrive ainsi jusqu'au 
Vatican. Le Pape, ému de ce grand concours de 
peuple et des sentiments qui l'animent, n'ose 
pas faire procéder, le jour même, à la discussion 
annoncée; il la renvoie à une date ultérieure, 
mais en donnant à Jean de Capistran l'assurance 



118 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

qu'il pourra prendre la parole pour Bernardin. 
Enfiu, au jour ûxé, le débat s'engage dans la 
basilique de Saint-Pierre, devant le Souverain 
Pontife. Plusieurs des accusateurs, généralement 
de l'Ordre des Dominicains, prennent la parole. 
Leur attaque est subtile et passionnée (1), Berna> 
din et Jean de Capistran répondent. Malheureu- 
sement, rien n'a été conservé de ces discours. Le 
succès de la défense est complet. Le Pape, jus- 
qu'alors si prévenu, recoimaît que rien ne prête 
à critique dans les paroles ou les écrits de l'ac- 
cusé, et il lui parait que la dénonciation a pu 
être inspirée par de méchants motifs. Le lende- 
main, il fait venir Bernardin, le comble de ses 
bénédictions, lui rend entière liberté de por- 
ter partout la parole de Dieu, de montrer aux 
peuples le « très doux nom de Jésus «, et l'invite, 
pour commencer, à prêcher dans la basilique 
vaticane. Il ordonne en outre, afin de rendre la 
réparation plus éclatante, que des prières solen- 
nelles et une grande procession aient lieu, avec le 
concours de tout le clergé, en l'honneur du nom 
de Jésus, dont les lettres sont dès lors partout 



(i) . Adveriarii et a^nuli fu 
tyliogitmis, in «uni mnctum v 
Dcui îmmortalit, qiialU fuit m 



Il potnpd et implicatil 
effrcenntum ftcen. O 
.(Beb 



LÊl'REUVE, 119 

inscrites sur les portes des églises et des maî- 
BOiis(l). 

Pendant quatre-vingts jours de suite , Bernar- 
din prêche à Home, soit à Sainl-Pierre, soit dans 
d'autres églises, et lui-même a évalué à cent 
quatorze le nombre des sermons prononcés par 
iui dans cette ville (2). Le Pape et les cardi- 
naux y assistent à plusieurs reprises. Une fois le 
public habitué au genre de l'orateur, à sa viva- 
cité familière, le succès est éclatant. « Tous, 
dit ^neas Sylvius, le trouvent grand et admi- 
rable (3). n A sa parole, les haines font place 

(t) Un érudit aienDois, M. P. DodkU, dsuis une notice publt'^e 
p&r le Bullelîiio lenese di tlurîa patrîa, lS9i. parall croire que le 
P&pe, tout en donnant gain de cause à Bernardin 9ur la doetrtne 
de la défolioii au nom de Jésus, lui aurait interdit l'oslension 
des tablettes. Les argumeota apporlùs par il. Daoali no me seu- 
bleat pas protianis ; ils ne peuvent ébranler l'auloritè des anciens 
récits parlant d'un triompha complet. D'aillcura, le langage et la 
conduite ultérieurs de Bernardin, les honneuis que l'on a conti- 
nué à rendre aui tablettes et qui ont persiste pondant des siâctes, 
prouvent bien que celles-ci n'avaient pas été interdites. La vârité 
est qn'il parait bien y avoir eu, sur le moment, cbez certains 
esprits, une équivoque volontaire on non sur la décision du 
Pape. Les adversaires de Bernardin étaient bien aises de se per- 
suader que telle de ses pratiques avait éti; blimée. Peut-être y 
avait-il là une conFusion entre la première décision du l'ontife i 
l'arrivâe de Bernardin, décision d'avant l'aire droit en quelque 
sorte, qui lui interdisait en eilet l'ostension des tablettes, et la 
décision dèGnïlive, rendue après débat, qui parait lui avoir été 
pleînemeol favorable. 

(2) Le Pre^khe Kolyari. édile da L. BanCH:, t. II, p. 4^0. 

(3) ■ Ma^iius et mirabilis apud omnss habebiitur. - 



aa SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

à la charilé (1). Ainsi qu'il avait fait à Pérouae**' 
il s'attaque aux usages barbares nés des dis- 
cordes intestines : en vertu d'un de ces usages, 
un homme d'uu parti avait-il tué quelqu'un du 
parti contraire, il faisait placer des barreaux de 
fer devant sa porte; dès lors, la justice n'avait 
aucune prise sur lui, tant qu'il ne sortait pas de 
sa maison; mais les amis du mort pouvaient l'y 
attaquer à main armée, d'où de nouveaux meur- 
tres; Bernardin obtient la suppression de cette 
coutume. Des miracles viennent encore augmenter 
sa renommée. Entre les guérisons de malades 
rapportées par les biographes contemporains, dé- i 
tachons celle-ci. Comme il était très souffrant par 
suite de tant de fatigues et d'austérités, une pieuse 
dame eut l'idée de lui envoyer des confitures et 
autres mets aromatisés qu'elle croyait de nature à 
lui rendre des farces. « Je n'ai aucun besoin de 
ces choses, répondit le saint au messager qui les lui 
apportait; mais allez dans telle rue, vous y trou- 
verez un homme très malade ; vous les lui donnerez, 
en lui disant : Frère Bernardin vous envoie cea 
meta, alin que vous les preniez au nom de Jésus 
(i) 



prêctiBDt peu aprèa devant les Sieonois, leur 
en exemple les RumB.LDs qui avaient, â. sa doiuande, réuni 
d'argent pour délivrer trente priBannierE, {Le Predicht vol- 
1. II. p. s».) 



L'Él'REUVE. lai 

*l que vous soyez guéri. » A peine le malade eut-il 
i^il comme avait dit le saint, qu'il se leva do son 
lileo bonne sauté. 

Ainsi Bernardin devenaitchaque jour plus popu- 
laire à Rome. Pour le pauvre Frère que, peu au- 
paravant, chacun traitait comme s'il était déjà con- 
vaincu d'hérésie, le revirement est aussi complet 
que subit. C'est désormais à qui lui témoignera le 
plus de vénération. La nouvelle de son triomphe, 
vite répandue dans toute l'Italie, y rétablit et y 
accroît son renom de sainteté (1). Les Florentins, 
suivant l'exemple de Rome, font procéder à des 
prières solennelles en l'honneur du nom de Jésus, 
et érigent, sur la place de Santa Croce, une grande 
pierre qui s'y voyait encore deux siècles plus tard, et 
sur laquelle ce nom était magniCquement sculpté. 
De celte même ville de Florence, Traversari, na- 
guère si triste, si découragé, écrit à un de ses amis 
de Rome, pour lui dire sa grande joie d'apprendre 
que toute la cour et toute la population romaines, 
de très hostiles qu'elles étaient à Bernardin, lui 
sont devenues très favorables ; il ne peut attribuer 
un tel changement qu'à l'intervention divine et se 

(1) ■ Cretil vbique, iam erga tacraliiiim'um notn^n, tum erga 
■anelûiimuni yriecoMm, veaeratio. » (Wabding.) — - Crevît deînde 
taœ banitatii tancUtatisque fama eiarïisima quasi totum per 



m SAINT BERNAS 

félicite du bien qui ou résulte pour les âmes, dani 
l'Italie entière; seulement, il est impatient d'avoitl 
plus de détails sur la confusion des adversaires ell 
supplie son correspondant de les lui envoyer pour I 
l'amour de Bernardin; il termine en disant com- 
bien il eût été heureuxde voir, de ses yeux, w la vie- ' 
toire triomphale du Seigneur Jésus, par le Frfcrï 
Bernardin, cet homme de Dieu, bon, vrai, saint et 
juste (1) a. Préchant peu après aux Siennois, notre 
saint rappellera, avec sa bonne grâce familière, les 
vicissitudes extrêmes qu'il vient de traverser à 
Rome, it Lorsque j'y arriva), dit-il, les uns me vou- 
laient frit, les autres rôti; après qu'on eut entendu 
mes prédications, malheur à qui aurait prononcé 
une parole contre moi. Quand je considère cela, 
j'en suis stupéfait, et je me dis à moi-môme : 
Mets-toi avec Dieu, car tout n'est que cliangement 
dans les choses de ce monde; maintenant ils me 
veulent vivant, et peu auparavant ils me voulaient 
mort (2). « 

Dans cette faveur générale, il n'eût tenu qu'à 
Bernardin de recevoir des honneurs. Pendant qu'il 
prêchait à Rome, ses concitoyens de Sienne en- 
voyèrent une dcputation pour demander qu'il fût 



(1) AManusii Travkiiç*hit Epiitola et Orattane 
(i) Le Prediche eolgari, t. 1, p. 98. 



11, il. 



LÉPBEfVE. Ii3 

élevé au siège épiscopal de cette ville. Lo Pape 
approuva ce choix et en fit part à Bernardin. 
Celui-ci refusa sans hésiter. « Dieu, répondit-il, 
ne m'a pas envoyé baptiser, mais évangéliser, et 
j'estime ([u'il m'est plus avantageux d'enseigner 
l'Évangile à toute la terre que de me renfermer 
dans les limites d'un seul évéché. Quant aux hon- 
neurs et aux pompes de l'épiscopat, je les repousse, 
et j'aime mieux souffrir le dénuement avec les 
pauvres que d'être honoré avec les prélats opu- 
lents. Je ne me sens pas fait pour les soins mul- 
tiples de cette charge, et, dans l'hunible état que 
j'ai choisi sous l'inspiration de Dieu, je pourrai 
mieux tenir ce que j'ai promis. » Il estimait très 
haut la mission de porter partout la libre parole de 
Dieu, a On me ferait tort, disait-il en plaisantant, 
de me faire quitter, pour être chef d'une seule cité, 
une position grâce à laquelle je suis reçu comme 
un chef partout où je vais. » Quelques mois plus 
tard, il disait aux Siennois : « Si je fusse venu ici, 
comme vous vouliez que je vinsse, c'est-à-dire 
comme votre évoque, j'aurais eu la moitié do la 
bouche fermée. Voyez, comme ceci. (Et il faisait 
le geste de fermer la bouche.) Je n'aurais pu ainsi 
parler qu'à bouche close. Si j'ai voulu venir comme 
je suis, c'est pour pouvoir parler ainsi à bouche 



m SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

ouverte, pour pouvoir vous dire ce que je veuXi I 
pour pouvoir vous parler à ma façon de toule choBB } 
et vous admonester ardemment au sujet de vos 
péchés (i). Il Volontiers eût-il répondu, coraraecel 
autre Franciscain, Maillard, célèbre prédîcatenr 
français de la fin du quinzième siècle : « Nikil haba 
aisi tinguam. Je n'ai rien que ma langue. » 

Si, en repoussant l'épiscopat, Bernardin con- 
tristait beaucoup de personnes, il répondait au 
vœu de quelques amis d'élite. Tel était Traversari, 
qui lui avait écrit pour le conjurer avec larmes 
de refuser cet honneur, indigne, fi son avis, d'uQ 
prédicateur de la pauvreté ; mieux vaudrait mou- 
rir, ajoutait-il, que d'accepter cette malheureuse 
dignité, infelicissimam dignitatem, et de faire ainsi à 
son Ordre un tort dont se réjouiraient ses plus 
grands ennemis (2). Bernardin n'avait pas besoin 
qu'on lui apprît à mépriser les honneurs; lui- 
même se chargeait d'enseigner ce mépris aux 
autres, et il le faisait avec le tour plaisant qui était 
dans sa nature. S'adresaant à un Frère illettré qu'il 
aimait pour sa simplicité : ■ J'ai, mon cher Frère, 
lui dit-il, une heureuse nouvelle à vous annoncer. 
Les Siennois m'ont choisi unanimement pour leur 

(1) Le Prediche vatgari. t. II, p. fi9, 70, 
(!) THAVEnsABii Epiit., xîUi. 



L-ËPREUVE. 135 

évêque. Cela ne vous paraît-il pas très bien? — 
0ht mon Père, répond le Frère, n'allez pas perdre 
tout ce que vous avez gagné en instruisant les 
peuples, pour la vanité d'une si petite ciiose et 
pour un bien qui n'est qu'une ombre. — Quoi 
donc! si les Milanais, qui m'aiment plus que tout 
autre peuple, me nommaient leur archevêque, 
serait-ce aussi à dédaigner? — Oui, je crois qu'il 
faut le mépriser d'autant plus que c'est plus grand, 
si vous ne voulez couvrir d'opprobre vous et tous 
ceux qui, sur vos traces, annonceni la sainte parole 
de Dieu. — Eh quoil si le Pape me nommait pa- 
triarche, eslr-ee que vous ne me conseilleriez pas 
d'accepter? » — Alors le Frère attristé : n Je vois 
que votre esprit penche vers les vanités du monde 
et que vous voulez leur sacrifier et l'amour des 
peuples que vous aviez acquis par un si grand tra- 
vail, et la grâce de Dieu. — Mais enfin si je suis fait 
cardinal, dois-je aussi le mépriser? » Cette fois, le 
pauvre Frère ne peut se défendre d'être lui-même 
ébloui par l'éciat d'une telle dignité : « On ne sau- 
rait, dit-il, persister plus longtemps à refuser. Qui 
n'est pas séduit par un pouvoir si élevé? Allons, 
mon Père, dénouez votre corde et exécutez-vous. » 
Alors Bernardin, jugeant le moment venu de 
mettre fin à ce jeu, gourmande vivement son com- 



Ii6 SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

pagQOD, lui enseigne que les dignilés sont d'autaa 
plus périlleuses qu'elles sont plus hautes, et qua 
par conséquent, ce sont celles-là qu'il faut surtoul 
mépriser. « Quant à moi, ajoule-t-il, je suis résoluT 
à refuser non seulement l'épiscopat, le patriarcat, 1 
le cardinalat, mais la papauté môme, et je 
trouve beaucoup plus riche et plus heureux dans ' 

L vie humiliée et pauvre de saint Frauçois que 
dans les plus hautes positions (1). » 



Tandis qu'il était à Rome, Bernardin avait su 
qu'on le désirait vivement à, Sienne, où les divi- 
sions et les désordres, apaisés par lui en 1425, 
avaient reparu. Avant de se rendre à cet appel, il 
voi^ut attendre que l'affaire de l'évèché fût bien 
définitivement écartée, de peur que sa présence 
ne fournît occasion aux Siennois d'exercer une 
pression sur lui. Il n'arriva donc à Sienne que le 
li août 1427. Dès le lendemain matin, il mon- 
tait en chaire sur la Piazza del Campo, et continua 



(1) Huaxm Veoids. 



L'EPREUVE 127 

ses sermons, quarante-cinq jours de suite (I). Il 
ne cacha pas à ses concitoyens quels fâcheux rap- 
ports lui avaient été faits sur leur compte. « A 
cause de l'amour que je vous porte, leur disait-il, 
tout ce que j'entendais sur vous, qui n'était pas 
à rotre honneur, me portait un coup, m'era viia 
bombarda. » Il leur reprochait d'être revenus, avec 
leur mobilité accoutumée, aux mauvaises pra- 
tiques dont il les avait corrigés, et déclarait que, 
de toutes les villes où il avait prêché, nulle n'était 
autant retombée dans ses vieux errements. Mais 
n voulait la guérir. « Si je fais du bien aux autres, 
s'écriait-il, est-ce que je ne suis pas tenu, plus 
encore, d'en faire à mes compatriotes (2)? » De là, 
la charité vigilante avec laquelle il toucha, l'un 
après l'autre, tous les points malades. L'effet en fut 
bienfaisant. Comme ils avaient déjà fait deux ans 
auparavant, les magistrats confirmèrent l'œuvre du 
prédicateur par de nouveaux décrets de réforme (.S). 



(1) Ce sDtil eee quarants-cinq sermons dont od a retrouvé une 
Borte de aténogriiphie, et qui out été publiés ûa 1884 à 1S8S, sous 
CB litre : Le Prediche votgari di San Beriiardiao da Siena, dette 
nella piazza del Campa, fanno MCCCCXXVII, ora primamenh 
édite da Lociano Banchi, 3 vol. J'ai déjà en l'occasion de citer 
cette curieuse publicatioD, et je serai conduit à eu parler avoc 
plus de détails. 

(2) Le Prediche valgan, t. Il, p. 69, 28Ï, 28i. 

(3) Cf. une brocliure intitulée : Soprn «h codiee cartaceo dsl 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 



f 

^^H Durant les quatre années qui suivirent, de liS^ 

^^H à 1431, Bernardin continua sa vie errante à travera 

^^H la Toscane, la Lombardie, la Boniag'ne, la Marche 

^^H d' Aucune, évan^élisant les campagnes comme Us 

^^H villes, allant de préférence à ceux qui avaient le 

^^^1 plus souffert de la guerre, de la famine, de b 

^^H peste, ou à ceux chez lesquels le christianisme 

^^H était le plus affaibli. Établir avec quelque précision 

^^H la suite chronologique de ces prédications, serait 

^^1 malaisé et de peu d'intérêt; les vieux biographes 

^^H n'attachaient guère d'importance à ces questions 

^^H de date ; ils se bornent à constater le bien accompli 

^^H par notre saint et comment il savait vite attirer et 

^^H toucher ceux-là mêmes « qui étaient, pour les 

^^H choses de religion et de dévotion, durs comme la 

^^H pierre (1) b. 

^^^H itcnla XV, Obiervazioni entiche dell' An. Luibi de Angelis (CoIlS, 

^^^P 1820). L'inQueDce exercée par Bernardin sur le gouvemement et 

l'adminiatratioD de Sienne devait persister. Ainsi, en 1439, alon 
que notre saint était pria de la ville, au couvent de la Clpriola, 
les magistrats prirent, évidemment sous son inspiraUoD, de 
I nnuvelles mesures pour êtaulTer les dissensions; ils interdirent 

notamment l'emploi des surnoms alors en usage de Chiatta et 
Graffio, • perché, disaient-ils, suonavano par^ialilà e divitioae ■; 
tous ceux qui as serviraient de ces surnoms devaient être pour- 
suivis devant les recteurs de la cité et condamnés t ne pouvoir 
entrer, pendant trois ans, sous peine de cent livres d'amende, 
dans le palais des Slagnifici ligaori. [Spoglio délit àeliberasioni 
del Comiglio detla Campana.) 
(l) Voir sur l'elVot produit par les si 



L'ÉPREUVE- 139 

Tantôt Bernardin s'adressait à des populations 
I qu'il n'avait pas encore visitées, tantdt il retournait 
ï celles dont il avait commencé la conversion 
I daDB les années précédentes. Quelques-unes lui 
étaient particulièrement chères; tels les Milanais 
qui avaient eu, en 1417, les prémices de son apo- 
stolat et qui, depuis, s'étaient toujours montrés plus 
avides que tous autres de l'entendre (I). Philippe- 
Uarie Visconti, en dépit de ses vices et de son 
' impiété, se félicitait que son peuple eût le bienfait 
d'une sainte prédication, tout comme, sans être 
lettré, il jugeait honorable et habile de posséder 
à sa cour l'humaniste Filelfo. Ce n'est pas cepen- 
dant que l'arrogance du despote ne se heurtât 
parfois à la liberté de l'apôtre. A l'un de ses 
séjours, je ne saurais préciser lequel, Bernardin 
croit devoir s'élever, en chaire, et devant le duc 
lui-même, contre sa prétention d'exiger, pour ses 
ordonnances, des honneurs presque divins; il met 
le peuple en garde contre cette sorte d'idolâtrie et 
l'exhorte it ne pas accorder aux hommes, dont la 

dn SB mars nu 2 juillet 1431. li chronique coq tempo raine écrite 
P&r un Ijabilant de cette viUo. (Miiceiiaiiea fraaceicaaa. t. V, 
9/33, 34.) 

(1) • J^edinlaiium »apiui, cuj'ut memoria ex aiximo minime 
4tltri poUral, reeiselint. ° (Maph^ds Yeggiits.) — ' lia gralè itlum 
Jiidiolanciiiis poputui audiebal ul nallum alïum majari avidilals 
unquam audiverint. • {Bbd 



n 

la à 11^8' 



130 SAINT BEHNARDIN DE SIENNE. 

grunileur est toujours si vaine, le culte dû 
seul. Fort irrité, Philippe-Marie fait menacei' Ber- 
iiurdin, s'il ne s'abstient de semblables discours, 
de l'enlever de sa chaire et de lui infliger les plus 
cruels supplices. Le saint rit de ces menaces qu'il 
rapporte au peuple dans le sermon suivant; il 
supplie ses auiliteurs de ne pas le défendre, se dé- 
clare prêt à subir le martyre pour la vérité; puis, 
reprenant sa thèse, il blâme de nouveau l'usag'e 
sacrilège qu'on tentait d'établir (1). Intimidé par 
celte fermeté, le duc n'ose recourir à la force; 
mais, y substituant l'astuce, sur le conseil d'ua 
de ses courtisans, il envoie au moine une grande- 
somme d'argent, avec invitation J'en user à son 
gré et selon ses besoins. Son calcul était de 
le dénoncer au peuple, s'il acceptait, comme un 
homme qui ne pratiquait pas la pfiuvreté qu'il 
prêchait. Le saint refuse. Nouvelle ambassade, 
avec prière d'accepter l'argent au moins pour 
l'usage de ses Frères et pour la construction d'un 
monastère. L'offre n'a pas plus de succès, o Mais 

(1) Cette iQilépeDdaiice et ceUe fermeté n'étaieat poa rares 
cliez les prédicateurs de ce teraps. Frère Maillard, en France, 
ayant déplu, par lu liberté de sa parole, à Louis XI, celui-ci 
lueQacado ief.iire jeter à la rivière, cousu daos un sac, LeraoÎDB 
ri>pondit au messager dii Roi, ea l'oisanl aJtusion à la récente. 
créalioa des postes ; ■ Va dire à ton maître que j'arriverai plus 
tùt au ciel, par eau, que lui pax ses cliovaui de poste. > 



L'jÇPREUVE 131 

que voulez-vous donc, s'écrient les envoyés, que 
nous fassions de celle somme? Nous avons ordre 
de ne pas la rapporter. — S'il en est ainsi, répond 
Bernardin, suivez-moi. » Il se dirige alors vers la 
prison pour dettes, paye ce qui est dû par les dé- 
tenus et les rend à la liberté. Deux seuls restent 
que la somme remise n'a pas suffi à délivrer. 
Comme ils se lamentaient : « Ne vous laissez pas 
abattre, leur dit le saint religieux, ému lui-môme, 
je vais m'oecuper de vous libérer, et, si je ne puis 
y parvenir, je me constituerai prisonnier à votre 
place. » A peine le peuple a-t-il appris ce qui vient 
de se passer, qu'une collecte est faite qui fournit 
la somme nécessaire. Cependant le duc, ne voyant 
pas, 'cette fois, revenir son or, triomphait déjà et 
disaità ses courtisans : b Le Frère, en parole, tient 
l'argent pour rien; dans la réalité, il en use difTé- 
remment. jj Au retour de ses messagers, force 
lui est de reconnaître qu'il s'est trompé, et, répu- 
diant tout soupçon et tout ressentiment, il loue 
hautement l'homme de Dieu. 

Si Bernardin savait au besoin user de cette fer- 
meté avec les princes, il n'était nullement dans ses 
habitudes d'affecter à leur égard l'attitude de tri- 
bun où se complaisaient parfois les prédicateurs 
du Moyen âge. Jugeait-il à propos, — ce qui lui 



i 
É 



133 SAINT BKRNAHDIN DE SIENNE, 

arriva en effet plus d'une fois, — d'enseigner aux 
gouvernants leurs devoirs, il disait simplement 
toute la vérité, sans souci de plaire ou de déplaire, 
mais se renfermait dans son office de moraliste 
chrétien, absolument étranger à la politique et 
Bupérieur aux partis (1). Maphœus Vcgius lui fait 
honneur de ce qu'il pariait toujours avec réserve 
des grands et des hommes revêtus du pouvoir; 
il eût craint, par un autre langage, d'exciter les 
troubles que partout il s'appliquait à réprimer, et 
il ne voulait pas, pour un avantage quelconque, ris- 
quer de produire un scandale. « Conduite d'autant 
plus digne de louange, ajoute Vegius. qu'elle est 
plus rare chez les prédicateurs; tant il est difficile 
k celui qui parle sur beaucoup de sujets, devant 
beaucoup de gens, de garder toujours la mesure, b 
Môme mesure, non moins rare alors, à l'égard 
des autorités religieuses. Et cependant, en l'état 
où se trouvait l'ftglise au sortir du grand schisme, 
■les sujets n'eussent pas manqué à la satire ou 
à l'invective. Bernardin s'en abstient. 11 profes- 

(1) Bernardin praressait que les religieux devaient se tenir 
tloignés àù3 foiifLiona civiles, et, dans uD sermon prononcé à 
Sienne, en li27. il s'élevait contre ta coutume, étubliu dans cette 
ville, de coiifioi* i^ un religieux camaldule l'office du Camerlingne 
de la Commune. (Le Prtdiche volgari di Saa Bernardino da Sûfia, 
édile da Luciano BâNcbi, t. III, p. 317.) 



L'ÉPREUVE, 133 

iaiC qu'en semblable matière, le défnul de dis- 
ii«rétîoo pouvait faire un grand mal, « Tel prt^- 
dicateur, disaîl-il, s'attaque aux désordres les plus 
énormes, foudroie les coupables; qu'il introduise 
dans sou discours quelque chose contre le clergé : 
aussitât tout ce qui a (5té dit de plus grave contre 
des pécheurs scélérats est perdu de vue; on ne se 
souvient que de ce qui a été dit contre les prêtres; 
cela circule de bouche en bouche, comme une fable; 
on ne l'oublie plus. Voici plus étrange encore. Si 
le peuple souffre, au sermon, de l'ennui, du chaud 
ou du froid, ol que le prédicateur profère ou annonce 
seulement un petit mot contre les prêtres, contre 
les prélats et contre les religieux, aussitôt les dor- 
meurs s'éveillent, les ennuyés s'égayent ; pour ceux 
qui souffraient du chaud , la chaleur s'est changée en 
fraîche rosée ; pour ceux que le froid tourmentait, à 
l'hiver a succédé l'été ou le printemps; ils en ou- 
blient la faim et la soif. Et, ce qui est pis encore, 
les pécheurs les plus criminels deviennent, à leurs 
propres yeux, des justes et des saints, quand ils 
se comparent au clergé (1). n 

Parmi les prédicateurs contemporains, il est 
facile J'en trouver qui, par le contraste de leur 

(1) Sancti Beritardini Seiieaiii Opéra, l. I. p 101 , 



13* SAINT BERNABDIS DE SIENNK 

propre intempérance, font ressorlir davantage en- 
core la sagesse de Bernardin. Tel un certain Tho- 
mas Couette, religieux carme, dont, au rapport d'un 
chroniqueur du temps, les sermons « mouU longs n, 
prononcés devant des auditoires de seize et vingt 
mille personnes, faisaient grand bruit, en i428, 
dans les Flandres, l'Artois et l'Amiénois. II s'at- 
taquait Il par eapecial » aux « vices et péchés des 
nobles et gens d'Église » . Non content de dénoncer, 
comme tant d'autres, les excès du luxe et particu- 
lièrement l'extravagance des coiffures féminines, 
il ameutait les enfants contre les belles dames, les 
faisait crier après elles : Au hennin! et provoquait 
de violentes bagarres. Ainsi était-il devenu en 
grande faveur auprès du menu peuple. Des foules 
immenses, auxquelles se mêlaient les notables en- 
traînés ou intimidés, se portaient au-devant de lui, 
arrachaient, pour s'en faire de pieuses reliques, les 
poils de son âne, et lui h faisoient révérence et 
honneur, comme on eust pu faire à ung des apostles 
de Notre Seigneur Jhesucrîst n. Mais ce grand 
triomphe, ce « règne », — c'est le mot dont se sert 
la chronique, — devait mal finir. Peu d'années 
après, en 1432, Couette, étant allé continuer, en 
Italie, ses déclamations contre le clergé et y ayant 
mêlé des propositions malsonnantes sur l'excom- 



municatioQ, fut, assur 
é comme hérétique 
1 paix est toujours 



brûlé c 



•e-l-oii, poursuivi à Rome t' 

(1). 



principale préoccupation 
de Bernardin; partout où il la voit en péril, il 
accourt. En 1431, il prêchait dans la marche d'Au- 
cône, quand lui arrive la uouvuUe que les Siennois 
unissent leurs armes à celles du due de Milan pour 
attaquer Florence et ménageries États de l'Ëglise. 
il interrompt sa prédicalion et court à Sienne, a sa 
très douce patrie qu'il a taut aimée pendant toute 
sa vie », dit son vieux biographe; il confère avec 
les magistrats, parle au peuple, montre à tous les 
dangers et l'injustice du parti qu'ils ont pris, et 
fait tant, par ses sermons comme par l'autorité de 
sa sainteté, qu'il amène ses compatriotes a rompre 
l'alliance avec le Viscontî et à renoncer à la guerre. 
Ce résultat obtenu, il retourne dans la Marche, 
pour y reprendre sa prédication interrompue. 

Chez les peuples témoins de cette vie, l'admira- 
tion et la vénération pour Bernardin allaient gran- 
dissant. De nouveaux miracles paraissaient d'ail- 
leurs une confirmation donnée par Dieu même 
de la sainteté du rehgieux. L'évéchc de Ferrare, 



(i) La Chronique d'Enguerrand de Moniiretel. éd. par la Société 
de rniatoire de France, t. IV, p. 303 à 306, - Hittoiri tittérairt 
de la Franee. t, XXIV, p. 37«, 



138 SAINT BEBNARDIS DE SIENNE, 

peut-être aussi celui d'Urbin, lui fureat offerts; 



il les refusa comme naguère celui de Sienne. Plus 
il acquérait de gloire, plus son lan»:age, sa tesue, 
sa démarcLe, jusqu'à son port de tête témoigaaieat 
que, loin de se croire la moindre supi^-rioritc, il 
s'estimait au-dessous des autres, sans rien d'affecté, 
mais avec l'aimable et courtoise simplicité qui le 
distinguait. On le voyait se soumettre à des novices 
et demander conseil à des inférieurs . Au Frère Vin- 
cent, qui l'accompagnait d'ordinaire, il avait donné 
ordre de ne jamais le louer pour ses prédications, 
et au contraire de relever tout ce qui lui pEiraE- 
trait lildmable. Un religieux de son Ordre lui 
demandait un jour le moyeu le plus facile de bien 
remplir les devoirs de son état; il lui répondit ce» 
seuls mots : « En bas, eu bas! » et en même 
temps il inclinait tout son corps vers la terre, vou- 
lant signifier, par sa parole et son geste, que tout 
était dans l'abaissement volontaire. 

On eût dît que Dieu lui-même avait souci 
d'entretenir et d'exercer l'humilité do son servi- 
teur. Vers 1431, au moment où la réputation de 
Bernardin semblait le mieux assise, éclatait une 
crise nouvelle qui la remettait en péril. Pour la 
seconde fois, il se voyait accusé de pratiques héré- 
tiques. 



L'EPREUVE. 



A vrai dire, les adversaires de Bernardin, bien 
que déboutés par Martin V, n'avaient jamais com- 
plètement désarmé. Prêchant à Sienne, quelques 
moia après le jugement du Pape, notre saint s'était 
plaint, dans plusieurs de ses sermons, que l'on 
continuât à attaquer, même du haut de la chaire, 
sa doctrine sur le nom de Jésus. 11 repoussait hau- 
tement ces attaques, et, avec une autorité qui se 
sentait appuyée par le Saint-Siège, il maintenait 
solennellement son enseignement. « Je sais, disait- 
il , que je voua ai prêché la vérité sur ce nom 
divin. 11 II comparait ses « détracteurs » à h ceux 
qui mettent des épines au tronc du poirier pour 
empêcher que les gamins ne montent dessus; 
ainsi entourent-ils d'épines le pied du bon arbre, 
pour qu'on n'en puisse pas goflter les fruits ». A 
l'entendre, ces * envieux », ces a semeurs d'er- 
reurs B étaient plus nombreux dans sa propre 
patrie que partout ailleurs, a Allez donc, s'écriait-il, 
contredire, à Pérouse, à Rome, ou en d'autres Ueux, 
la doctrine que je prêche, et vous verrez ce qu'on 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 
VOUS répondra I . . . On ne me dit jamais rien, quand je I 
suis là, ajoutait-il; mais, une fois que je suis parti, ' 
combien on parle contre moi! n Aussi ne se las- | 
sait-il pas de sommer ceux qui voulaient le contre- j 
dire, de le faire tout de suite, en sa présence, au 1 
lieu do l'attaquer par derrière, en trahison. Quantk ' 
lui, ce qu'il avait dit, il se faisait honneur de l'avoir 
dit hautement, clairement, sur la place publique. 
Il enjoignait à ses auditeurs de ne pas écouter les 
prédicateurs qui viendraient après coup le com- 
battre, promettant, s'il était informé de quelque 
chose de ce genre, de quitter aussiliît tout pour 
venir se défendre. Il déclarait, en effet, consentir 
à ce qu'on dît du mal de sa personne, mais non de 
sa doctrine sur le nom de Jésu.s, car l'affront serait 
fait à Jésus lui-même ; pour cela, il ne pouvait être 
patient, pas plus qu'il ne supporterait qu'on insul- 
tât l'hostie consacrée, tandis qu'il la tenait ea ses 
mains, pendant la messe. " Ul parturiens clamabo, 
disait-il; je veux crier comme celle qui enfante, et 
ainsi j'ai déjà crié (i). » 

(1) le Prediche tiolgari, édile rfa Lcciano Banchi, paisim. — Cf. 
nolaramont t. I, p. 188; t. Il,p.ï53. 283, 385, ilS et sq. - Dana 
ces sermons do Sienne (t. II, p. *16), Berûardin nvail dû mettre 
ses auditeurs en garde conti'e ceux qui, par uue étrange mé- 
fîance à l'égard du doid de Jésus, voulaient qu'on ; ai^oignlt 
tonjoura celui de Christ, et qui oorrigeaionl dans ce sens l'Ave 
Maria et plusieurs passages de l'Évangile. C'étaient sans doute ces 



L-ÉPRELVE, 139 

ËXSn lel langage avait dû en imposer aux adver- 
■es. D'ailleurs, ceux-ci, lant que Martin V vivait, 
LpDuvaieut se flatter de le faire revenir sur le 
amel jugement qu'il avait rendu en 1427. En 
fier 1431, Martin V meurt et est remplacé 
f Eugène IV. Chez le nouveau pontife, moine 
austère et pieux, rien ne fait présager dea dis- 
positions moins favorables à Bernardin; cardi- 
nal, il lui a témoigné affection et estime. Mais 
aussitôt sur le trône, il se trouve aux prises 
avec les plus graves difficultés : turbulence et 
complots des Romains qui l'obligeront bientôt à 
s'enfuir de Rome; inimitié du puissant et perfide 
Philippe-Marie Visconti; enfin et surtout, réunion 



mémea gcna qui airectaient de croire que BerBardin et sas parti- 
sans supprimaient le nom de Clirist pour ne cousorver que celui 
de Jt'SUB. Oa trouve trace de cotle priteutiDo d'opposer l'un des 
□orna du Sauveur & l'autre, dans uoe lettre du célèbre bumaniste 
foggio i un autre Ërudit, Francisco Barbara. Eu se mêlant ù 
cette querelle toute tht^ologique, ce sceptique Épicurien n'obt'ts- 
sait probablement qu'A son antipatliie coolre les moines. Poggio, 
dons sa lettre, félicitait Barbaro, qui était d'ailleurs beaucoup 
meillaur calbolique que lui, de ce qu'il s'ttait dOcidi; à joindre 
le Doru de Christ à celui de Jésus. <i Je me réjouis, lui disait-il, 
de ce que lu ea eoCri devenu chrèlieu, en abandonnant catlejéiui- 
ierk (relîclà illà jeinitale) que tu inscrivais en tête de tes lettres. 
Àiaei tu t'es écarté de l'impudence de ceux qui, s'attacbant au 
seul nom du Jésus, ont formé nue nouvelle secte d'il c ré tique s et 
ont cbercbé, en grandissant ce nom, A se faire une réputation 
auprès du vulgaire, de la plèbe ifjnDrantc, dont ils aollicilent les 
dons. . (Pwir.ii Epistolie. éd. Tonflli, lib. lil, cp 26 ) 



iiO SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

du concile de hà\e qui laisse toul de suite voir 1 
les prétentions usurpatrices contre lesquelles le ' 
Pontife sera réduit à combattre pendant tout son 
règne. Les ennemis de Bernardin se flattai en t-ils 
qu'un pape absorbé par de telles luttes serait 
plus facile à surprendre"? Toujours est-il que, peu 
après son avènement, ils relèvent la tête et recom- 
mencent leurs attaques. 

Cette fois encore, c'est h Sienne que ces attaques 
se produisent. À peine, en 1431, Bernardia a-t-il 
quille cette ville, après l'avoir détournée de servir 
les mauvais desseins de Visconti, qu'il apprend que 
des prédicateurs y contredisent sa doctrine sur le 
nom de Jésus. II n'hcsite pas, retourne à Sienue, 
monte en chaire et réfute les critiques, avec fer- 
meté, mais sans amertume. Convaincus par sa 
parole, le clergé et les magistrats ordonnent des 
prières et des manifestations solennelles en l'hon- 
neur du nom sacré. 

De Sienne, Bernardin se rend à Bologne, où 11 
parle si bien de ce nom, que les chanoines en 
font peindre magniflquement les caractères sur un 
grand tableau et placent ce tableau au-dessus du 
maître-autel de l'église San Petronio. Irrités de 
celte démonstration, les adversaires crient à l'hé- 
résie et, le prédicateur parti, l'attaquent en chairç^ 



L-ÊPREUVE. 1*1 

L'iaquisiteur Lutlovico Pisano. gagné âleur cause, 
ordonne d'effacer du tableau les lettres saintes et 
d'y substituer l'image du crucifié. L'émotion et le 
scandale sont grands parmi les chanoines et dans 
le peuple. Le Pape, informé, adresse des reprociies 
aévères à l'inquisiteur et lui prescrit de rétablir 
sur l'autel un tableau où les lettres du nom de 
Jésus surmonteront le Clirist en croix. 

Les incidents de Sienne et de Bologne n'étaient 
que des escarmouches préliminaires. C'estàRome 
même que, cette fois encore, les ennemis de Ber- 
nardia essayent de lui porter le coup décisif. 
Profitant de ce que Martin V avait concédé au 
Promoteur de la Foi pouvoir d'entreprendre, sans 
bruit et sans formes judiciaires, des poursuites 
contre les personnes suspectes d'hérésie, ils ohtien- 
nent que le promoteur Michael Plehano agisse 
dans ces conditions contre Bernardin et ses fau- 
teurs, et que le jugement soit conlié au cardinal 
Jean de Casanova, des Frères Prêcheurs. L'affaire 
est poussée avec grande rigueur. Le cardinal, après 
avoir entendu de faux témoins produits par 
Michael, lesquels déposent des actes d'hérésie, 
des excès et des scandales imputés aux accusés, 
cite ceux-ci, par lettre du 24 novembre 1431, à 
comparaître devant lui. Bernardin et ses frères 



14! SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

se rendent h. cette citation. L'accueil qu'ils rep^ 
vent, les affronts qu'on leur fait, ne sont pas pc^ 
leur laisser d'illusions sur les sentiments du ju^* 
Le calme du saint n'en est pas troublé. Des a»-*' 
diences, il sort tout joyeux d'avoir été jugé digi** 
de souffrir pour le nom de Jésus (1). 

Le procès a été mené si secrètement que 1^ 
Pape n'en a rien su. Cependant, au dehors, le» 
amis de Bernardin s'émeuvent. Les Siennois en- 
voient à Rome, avec mission de prendre en main 
la cause de leur illustre compatriote, un ambassa- 
deur spécial; celui-ci se concerte avec le cardinal 
Cassini, ancien évéque de Sienne, pour avertir et 
éclairer le Pape. Eugène IV, justement indigné du 
coup monté contre u» religieux qu'il a pu appré- 
cier lors de la première accusation, n'hésite pas à 
interposer son autorité. Par une bulle en date du 
7 janvier 1 432, il annule les poursuites (2) . Le Pon- 
tife constate, dans cette bulle, que le procès a été 
entamé à son insu et sans son agrément (sine «ctlu 
et voluntate nostrâ); il note que les témoins ont 
fait de fausses et méchantes dépositions (minus 
veraciter et improbe deposuerunt) ; puis il ajoute : 

(]} • tmo gaudem ibat a eontpeeiii concilii, quoiiiam dignut 
habebatur pro nomine Jeiu contumcliam pati. • 

(S) Le texle de la Balte a été publié par Waeiding, Annalei Mi- 
norum, t. X, 190. 



LKmEUVE. 

" Noas avons su d'une manière indubitable, par 
des témoins graves, que Bernardin de Sieone, de 
' Ordre des Frères .Mineurs , était regardé et con- 
sidéré comme un homme de bon renom, d'une v 
™gne de louange, pieux et vertueux ; que non 
seulement il est catholique et chrétien Gdèle, mais 
encore ennemi ardent de l'hérésie; que, par l'inté- 
^lé de sa vie, pai' un louable enseignement de la 
parole de Dieu et par les fruits salutaires de ses 
touoes œuvres, il est devenu un prédicateur 
illustre et un docteur irréprochable dans presque 
toute ritalie et au delà; qu'il est connu et compte 
communément parmi les hommes les plus fameux 
de notre époque qui annoncent la divine parole; 
que jamais il n'a été, comme on le prétend, 
accusé d'hérésie par des hommes honorables et 
sérieux; que bien plus, au su de tous, il s'at- 
tache, de toutes ses forces, aux traditions et à 
la doctrine de l'Église romaine, des souverains 
pontifes, des docteurs et des Pères, enseigne et 
prêche tout ce que cette même sainte Église, la 
mère des autres, ordonne et enseigne, ne s'en 
éloigne en aucun point, porte les fidèles h obéir, 
comme il a coutume de le faire lui-même avec 
humilité, à ses préceptes et à ses ordres aussi 
iQ qu'aux nôtres. Nous donc, désirant voir le 



Ii4 SAINT CEBPJABDIN DE SIENNE. 

même Bernardin s'appliquer à ses saintes prédi- 
cations et autres œuvres divines, avec d'autant 
plus de liberté qu'il sera plus entièrement à l'abri 
des attaques odieuses dont nous avons parlé,... 
pour les raisons exposées et d'autres à nous parti- 
culières, avec une connaissance parfaite do cette 
cause, de ces insinuations, de l'origine des moyens 
employés dans cette aËTaire et de tout ce qui s 
rapport soit anciennement, soit présentement, h 
cette citation, par la teneur des présentes, nous 
abolissons, cassons et déclarons nulles toutes ces 
choses... » Pour le coup, on pouvait dire : Causa 
fiiita est. L'acharnement des accusateurs de Ber. 
nardin n'avait abouti qu'à lui valoir, pendant sa 
vie même, de la part du chef de lEglise, une glo- 
riUcation comme les saints n'en obtiennent d'oi^ 
dinaire qu'après leur mort (1). 

(1) Les opposants devaient cependant tenter encore ud demiu 
effort. RepoussiJs par Eugéoe IV. couiine ils l'avaient ^té par 
Uartia V, ils s'adresseront au concile de Bâie, en lutte 
Pape. En 1438, un religieux aiigustin y dénonce Beraapâin, à 
raison du culte liee tablettes portant le nom de Jésus. Mais, eat 
l'affirmation de l'un des Pères que ce culte a HÈ interdit par 
Martin V et que, depuis. Bernardin y a rcnonci, l'affaire 
de suito. (Hiiloria coiicilii Basiteitiia, par AuGcsn^es Patbu;iiw,j 
cap, 79, reproduit par Lasbe, Concilia, t. Xltl. ISOl.) L'interdifr- 
tion alléguée n'était pas exacte, pas plus que l'abstention de Ber- 
nardin : elles sont en conlradicllon avec tous les faits rapportés 
ci-dessus; les Bollandistes constatent, comme moi. cotte int 
titude. (Cf. la vie de saint Jean de Capistran, au t. X dii< 



L'ÉPREUVE. 145 



IV 



Avant même cette seconde approbation du Sainte 
Siège, la dévotion au nom de Jésus était deve- 
nue fort populaire, non seulement en Italie, mais 
dans les autres pays de la chrétienté. Dès le 
8 juin 1427, peu après la décision de Martin V, 
dans un chapitre général des Frères mineurs, tenu 
à Verceil, pour proclamer le triomphe de Bernar- 
din, les religieux avaient été invités à propager 
partout cette dévotion (1). Parmi ceux qui s'y ap- 
pliquèrent, il convient de noter le Frère Richard, 
prédicateur populaire et patriote, fort en faveur en 

d'octobre.) Cet incident témoigne seulement de l'équivoque, déjà 
signalée, qui avait été jetée volontairement ou non sur la déci- 
sion de Martin V. (Cf. ci-dessus, p. 119.) Peut-être est-ce à la 
même fausse interprétation que faisait allusion Poggio, quand, 
dans une lettre non datée, il louait Bernardin « d'avoir renoncé 
-à la seule chose qui avait été jugée en lui un peu répréhensible ». 
(PoGGii Epistolœ, éd. Tonelli, lib. IX, ep. 3.) 

(1) Ce fait est rapporté par M. Siméon Luce, dans son livre sur 
Jeanne d'Arc à Domremy, p. 243. V^adding parle de ce chapitre, 
mais n'en avait pas retrouvé les actes. — A propos du livre de 
M. Siméon Luce, disons que certaines assertions de ce livre, rela- 
tives aux Dominicains, doivent être confrontées avec la réfuta- 
tion qu'en a faite le R. P. Chapotin, des Frères prêcheurs, sous 
ce titre : La guerre de Cent ans, Jeanne d'Arc et les Dominicains. 

9 



146 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

France, à l'époque de la mission de Jeanne d'Arc. 
A Troyes en 1428, à Paris en 1429, à Orléans 
en 1431, par sa verve tour à tour joviale ou pathé- 
tique, il retient des milliers d'auditeurs, pendant 
cinq et six heures de suite, autour de sa chaire 
généralement élevée sur la place publique, les 
excite à la pénitence, fait brûler les atours des 
femmes et les « jeux de plaisance », « tournant 
plus le peuple à dévocion que tous les sermonneurs 
qui, depuis cent ans, avaient presché » ; il recom- 
mandait, comme sauvegarde dans les périls de 
l'heure présente, de petites médailles de plomb 
portant le trigramme du nom de Jésus tel que 
Bernardin avait l'habitude de le représenter (1). A 
la même époque, sainte Colette, en pays picard et 
bourguignon, prenait le nom de « Jhesus » comme 
devise de la réforme qu'elle suscitait dans l'Ordre 
franciscain : ce mot, tantôt seul, tantôt joint à 
celui de Maria, était inscrit en tête ou à la fin de 
ses lettres , parfois également au-dessus de l'adresse . 
Jeanne d'Arc, qu'on a prétendu, sans preuve jus- 



(1) Journal d'un bourgeois de Paris, année 1429. — On a retrouvé 
quelques-unes de ces médailles, et la Revue archéologique (nou- 
velle série, t. III, p. 432) en a donné une reproduction. Les 
Parisiens, après avoir accepté volontiers ces médailles, les avaient 
plus tard détruites ou jetées dans la Seine, quand ils avaient su 
que Frère Richard était avec les Armagnacs. 




L'ÉPREUVE. U7 

qu'ici suffisante, avoir été affiliée au tiers ordre 

de Saint-François, mais qui, en tout cas. a eu des 

rapports affectueux avec les Frères mineurs, avait 

aussi adopté le culte du nom divin; ce nom était, 

avec celui de Maria, peint sur son étendard, gravé 

sur son anneau et inscrit en tête de ses lettres (I). 

Un petit dessin à la plume, tracé sur un registre du 

parlement de Paris , représente Jeanne d'Arc 

tenant à la main un étendard et, sur cet étendard, 

■je Irigramme conforme au type de saint Bernar- 

i (2). La dernière parole de la Pucelle, brûlée 

pve le 30 mai 1431, fut une invocation au nom 

B Jésus, et l'un des témoins du procès de revision 

^porte M avoir entendu dire que le nom de Jésus 

rut inscrit dans la flamme du bûcher » . 

i nouvel et éclatant triomphe remporté en 

1132 par Bernardiu sur ses accusateurs imprime 

l élan plus puissant encore à cette dévotion. Ses 

pies se donnent pour mission de la répandre 

■oui : saint Jean de Capistran (3) expose les 

énération des foules immenses qu'en 

hlîe, en France, en Allemagne, il attire par sa 

3 Cf. Simiioa Ldce, Jeanne d'A ir à Domremy. 

dessiQ est reproduit dans le beau livre que les RR, PP. 
s ont publié, à la librairie Pion, sur Saint Frartrois 



148 SAIXT BERNARDIN DE SIENNE. 

parole, et il invoque le nom sacrée quand il conduit 
avec Hunyadeles croisés contre les Turcs; par la 
vertu de ce nom, saint Jacques de la Marche (i) 
guérit les malades ; le Bienheureux Bernardin de 
Feltre (2), dans le centre de la Péninsule, le Bien- 
heureux Mathieu de Girgenti (3), en Sicile, s'em- 
ploient à ce que ce nom soit gravé sur toutes les 
portes et mieux encore dans tous les cœurs; le 
Bienheureux Thomas Illyricus fait de même dans 
le midi de la France, et, suivant l'exemple de Ber- 
nardin, il détermine les fabricants de cartes à 
peindre des feuilles qui contiennent le nom de Jésus 
et que les habitants mettent en divers endroits de 
leurs maisons. Toujours au quinzième siècle, cette 
dévotion s'étend en Espagne, comme on en peut 
juger par la Casa del Cordon^ à Burgos, maison ainsi 
appelée parce qu'au tympan de la porte est sculpté 
un cordon de Saint-François; au milieu, sont les 
armes du comte et de la comtesse de Haro, pro- 
tecteurs à cette époque des Franciscains de l'Ob- 
servance, et, au-dessus, le trigramme de saint 
Bernardin. Au seizième siècle, c'est ce même tri- 
gramme que saint Ignace de Loyola donne comme, 



(1) 1391-1476. 

(2) 1437-1494. 

(3) Mort en 1451. 



armes à sa compagnie. Enfin, dans des temps plus , 
modernes, le Franciscain saint Léonard de Port- ; 
Maurice (1), qui recommence, trois siècles après ' 
Bernardin, l'apostolat de l'Italie, porte, dans ses 
prédications, un étendard sur lequel le nom de 
Jésus est écrit en lettres d'or. 

Dans les villes oii Bernardin a laissé quelqu'une 
de ses tablettes, notamment à Sienne, VolLerra, Bo- 
logne, Rome, Orte, Trévise, Camajore, etc., elles 
ont continué à être l'objet d'un culte qui, sur plu- 
sieurs points, s'est prolongé jusqu'à nos jours; con- 
fiées parfois à la garde de confréries, ces reliques 
étaient, à certains jours, solennellement portées en 
procession (2) . Enfin, l'Église elle-même a fait place 
à cette dévotion dans sa liturgie. Saint Bernardin 
avait, croit-on, commencé à composer, en l'hon- 
neur du nom de Jésus, un office que compléta un 
de ses disciples, le Bienheureux Bernardin de Bustî. 
En 1530, Clément VII, cédant aux instances déjà 
anciennes de l'Ordre des Frères mineurs, lui permit 
de célébrer, le 14 janvier, une fête spéciale consa- 
crée à ce saint nom. Cette fôte, accordée au diocèse 



(1) 1676-1751. 

(î) DftDs une petite histoire populaire de saint Bernardin, 
publiée sous ce litre : l'Aportoh delC Italia «fl leeolo XV, 
M. G. Olhi a réuni, sur ce sujet, des reoseignemeats recueillis 
rs pointa de la Péninsule, p. 273 à 335. 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 



1 

m 



de Sienne en 1582, à celui Je Florence en 1684, 
étendue, en 1722, à toule la chrétienté par Ii 
cent XIII, sur lademande de l'empereur Charles' 
et fixée au deuxième dimanche après l'Ëpiphi 

Telle a été la destinée de la dévotion que 
Bernardin avait inaugurée, au milieu de contra- 
dictions si ardentes. Il en apparaît, aux yeux de 
tous, comme le fondateur. Dans les nombreux 
portraits qui ont été faits de lui au quinzième et au 
seizième siècle, et qu'on voit partout en Italie, 
il porte presque toujours, de ses deux mains, 
une tablette, le plus souvent carrée, quelquefois 
ronde, encadrée d'or, au milieu de laquelle sont 
les trois lettres I H S entourées de rayons : en 
haut du portrait, quelque exergue comme celui- 
ci : « Manifesfari nomen tiiutn hominibus. » De ces 
peintures, on peut rapprocher deux belles médailles 
de Bernardin, gravées, peu après sa mort, par 
Antonio Marescotti, sculpteur ferrarais : toutes 
deux ont d'un côté le buste du saint, de l'autre le 
trigramme entouré de rayons ; l'une a pour devise : 
« Manifestavi nomen tuuvi hominibus » ; l'autre, ces 
mots : a In nomine Jhe omne genu ftectatitr celestium. 
terrestriv. infemo (1). » Aussi comprend-on qu'un 

(1) Cr. Is troisième livraisoD de l'ouvrage de M. A. IIeiss, Lti 
VédaitUuri de la Benaitiaiice, pi. IV, a" i el 4. 



vieux chroniqueur italien, voulant résumer l'œuvre 
de notre saint, dise avec un laconisme énergique : 
a Bernardino percorre l'Ilalia, portando Gesù (i). " 



t 



Cette année 1432, au début de laquelle Ber- 
nardin a été comblé des éloges du Pape, nous 
le montre, à la fin. tra.ité en ami par le cbef du 
Saint-Empire romain. Le César allemand n'était 
plus, il est vrai, ce que l'Italie l'avait connu 
du onzième au treizième siècle, alors que son 
prestige balançait celui du Pape. La déchéance 
datait de la défaite des Hohenstauffen. Les empe- 
reurs qui, depuis lors, étaient descendus dans la 
Péninsule, y avaient fait figure d'aventuriers im- 
puissants, besogneux, sans soldats ni argent, ne 
suivant aucun grand dessein politique, se bornant 
à ballre monnaie avec les privilèges qu'ils se 
croyaient encore le droit de conférer. 

Sigismond gouvernait l'Empire, depuis vingt et 
un ans, avec le titre de roi des Romains, quand, 

(1) UeoLiNi, Slorta 4el àutato di Urbiao, cîtÉ par Mvratdhi, 



SAINT BESKABDIN DE SIENNE, 
en 1432, il avait passé les Alpes pour tâcher de 
se faire sacrer empereur. Mais il s'était échoué 
à Sienne, négociant sans grand succès avec 1© 
Pape qui lui reprochait d'être allié à Visconti et 
d'appuyer le Concile de Bâle, trop faible pour 
8'ouvrir de force la roule de Rome, entre les 
troupes hostiles de Florence et de Venise. C'est 
pendant ce séjour à Sienne qu'il se trouva con- 
naître Bernardin. Quelle fut l'origine de leurs rela- 
tions? Est-ce le reUgieux qui fut conduit vers le 
prince, pour démentir certains faux rapports? Est- 
ce le prince qui se montra curieux de voir un 
prédicateur si célèbre? Sur ce point règne quelque 
incertitude. Ce que l'on sait, c'est que Sigismond 
se prit aussitôt du goût le plus vif pour Bernar- 
din. 11 ne pouvait se passer de lui, assistait à sa 
messe, à ses sermons, ou le faisait venir pour 
l'entretenir. Toute journée passée sans le voir 
était, disait-il, une journée sans lumière. Le saint, 
nullement ébloui de cette royale intimité, n'y 
cherchait qu'une occasion de donner au prince 
des conseils utiles au salut de son àme et au bien 
de l'Église. 

Sigismond était à Sienne depuis neuf mois, 
quand, en avril 1433, ayant fourni à Eugène IV 
les satisfactions et les garanties demandées, il put 



enfin sin;ner avec lui un accord qui rendait son 
couronnement possible. Il se mit aussitôt on roule 
pour Rome, emmenant avec lui Bernardin. Le 
sacre eut lieu en grande pompe, dans la basilique 
vaticane, le 31 mai. Étranger aux fêtes célébrées 
à cette occasion, Bernardin employait son temps 
libre à évangélîser les divers quartiers de Rome. 

Peu (le jours après le couronnement, Sigismond 
reprit la route de ses Ktats, toujours suivi de notre 
saint. Celui-ci, demeuré Frère mineur au milieu 
de la cour, n'avait voulu d'autre monture qu'un 
petit âne. La figure qu'il faisait ainsi, au milieu du 
brillant cortège, ne laissait pas que d'exciter par- 
fois quelques railleries. Les biographes rapportent 
que conimr, il traversait, en cet équipage, la ville 
d'Aquila, un couvreur, du haut de son toit, se 
moqua de lui et lui cria ironiquement : « Où va 
donc ainsi notre pontife? » Aussitôt un grand vent 
s'élève et précipite sur le sol l'ouvrier. Celui-ci, 
grièvement blessé, se fait porter auprès du Frère, 
lui demande pardon et le prie de tracer sur lui le 
signe de la croix : ce que fait, il se relève com- 
plètement guéri. 

Arrivé aux frontières de la Toscane, Bernardin 
put enfin prendre congé de l'Empereur qu'il lais- 
sait disposé par ses conseils à mieux servir 



$IN DE SldfKl:. 



me cour, 
,!i\>iner le mnKÛDemfmt du 
,, iLM'C joâr qu'a se dirigea 

M'iii >[i' U Cifoùla gu'il avait 
I 1 lOTj, à bpoTte de SMaine, et 

l>lu3ibUTS ^iBNS. avant f adop- 



CIIAPITKK IV 

LES SEAMOXS 



! retire à la Capriola pour écrire aea sefifiSs. 
CEuvrcs de saint Beraardin, édlti^es par le P, de la Haye. Leur 
aulheuticité. Pourquoi tes sermous sont-ils rédigés en latin? 
— 11. Sujets di2s sermons publiés daos les CËuvi'es de saint 
Bernardin. Le fond et la forme sont d'un théologien. Abus dea 
divisions et des citations de l'Ecriture. (oQuence de la ScolaB- 
tique sur la prédication. — Ili. Ces sermons ne sont pas ceux 
que Bernardin a prononcés : ce sont des traités di^stinésà Hxer 
aa doctrine et ù aider sbl prédication ou celle des autres. — . 
]V. L'éloquence se fait jour à travers l'appareil tliéologiqiio. 
Citations diverses sur les pécheurs, le luxe, la pauvreté, la ■ 
paix, la Madeleine après la Résurrection. — V. Sermons écrits 
s auditeurs. Recueil des sermons prononcés, en 1427, à 
, par Bernardin Le scribe y note jusqu'aux petites digres- 
:t aux moindres incidents. Il a dû se servir d'un procédé 
tachygraphique. — VI. Les sermons recueillis sont bien de 
Bernardin. Leur diCTérence avec les sermons latins. C'est la 
libre et vivante parole. L'orateur parle le langage qui con- 
Tient au peuple. Similitudes, apologues et nouvelles. Que 
faut-il penser de cette prédication populaire? Bernardin et 
Maillard. — VU. Sujets divers traitùs dans les sermons de 
Sienne. L'Assomption. La prédication, La médisance. Le mal 
des partis. La paix. Les vanités féniioines. Le commerce. Les 
devoirs entra maii el femme. Les fiâtes de Marie. Menace 
des châtiments divins. Le condottiere. Derniers adieux. Ces 
:o qu'était alors la prédication popD- 



itifi HAINT IIKRNARDIN DE SIENXE. 



I 



Itcriiri^' h lu (ifipriola, Bernardin y mena, pendant 
luiviVoii troÎH aiin/îCH, jusque vers 1436, une vie 
HMmiitiini, comme il n'en avait plus connu depuis 
Hi&Aa tiuH. Avec un homme aussi peu habitué à se 
m/^nagcr, le h(*.Hoin de repos ne suffit pas à expli- 
(juer cjïtte uiimohilit/;. Une autre raison Favait 
d/tcidi^.. ApWîs les attaques qu'il venait de subir et 
la douhh*/ approbation que lui avait donnée le 
8aint-Si^^ç(î, il jugeait utile de rédiger ses ser- 
mons h tAte rc/poséiî (ît de fixer ainsi sa doctrine 
avec une netteté (|ui ne permît plus de la dénatu- 
rer (\). (le n'était pas moins qu'un vaste traité de 

(i) On Koralt curieux do pouvoir pénétrer par la pensée dans 
la celiulo où Iravailia ain8i notre Haint. AuBsitôt après sa mort, 
le 10 Juin U44, le gardien du couvent do la Capriola, assisté de 
troiH gonfaioniers de la cité do Sienne, dressa un inventaire des 
oiiJotK ii l'usago do Ilornardin qui so trouvaient dan» sa cellule : 
on y voit Tindication de ses lunettes, ainsi que des livres qu'il 
avait ('scrits ou dont il se servait pour ses études ; parmi ses 
manuMcritM, notons colui qui est ainsi désigné : Una bolla di 
Papa Kugenio che eontiene la confermalione délia sua vita e dot' 
trina. CM inventaire, qui est conservé à VArchivio di Slato de 
Hienno, vient d'étro publié par le professeur Orazio Bacci : Inven- 
tario degli oggeiii e libri lasciati da S. Bernardino da Siena, 
Gasteltiorentino, tipogr. Giovanelli e Carpinetti, 1895. 



LES SERMONS. IST 

théologie dogmatique et morale dont il entrepre- 
□ait la composition. Il faisait celle œu^Te pour 
s'aider lui-môme dans ses prédications futures, et 
aussi pour aider tous ceux qui avaient charge de 
distribuer la parole sacrée (1). Il avait conscience 
de leur fournir ainsi des éléments plus sérieux, 
des matériaux plus solides que ceux qu'ils pou- 
vaient trouver dans les manuels alors en usage. 
Aussitôt rédigés et publiés, les sermons de Bernar- 
din se répandirent partout avec une rapidité 
extraordinaire ; les biographes contemporains no- 
tent comment, non seulement en Italie, mais en 
France, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre 
et jusqu'en Orient, les prédicateurs t'herchaient 
k s'en procurer quelque copie et à s'en inspirer; 
c'était la source où tous venaient puiser, le mo- 
dèle que chacun s'efforçait d'imiter. Robert do 
Lecce, scrmonnaire très en vogue dans la seconde 
moitié du quinzième siècle, déclarait que ses con- 
frères, et lui-môme tout le premier, se piquaient 
d'imiter « la méthode et le style de Bernardin »; 
qu'ils étaient habitués à faire grand usage des dis- 
cours compilés par lui, que souvent même ils se 

(i) S%R\\Bi.i:s SENEKsisdit en parlant des • livres • que Ber- 
nardin rédigea à la Capriola : < Botque i» lucem, uf nliquii ipii 
m.fntdeutnl, cdidil. - 



SAINT BERSARDIN DE SIENNE. 



,c:.i^Q ' 



bornaient à ies réciter, et qu'ils obtenaient ainsi des 
fruits abondants (I). 

Au di\-septième siècle, le Père Jean do !a Haye, 
des Frères mineurs, publia en cinq tomes in-i" tout 
ce qu'il put alors réunir des œuvres de saint Ber- 
nardin {21- Ce recueil comprend évidemment les 
senuons ri-digés à la Capriola, de 1433 à 1436; 
mais il en renferme plusieurs autres de date posté- 
rieure, tels que ceux de l'Avent De christianA ritâ, 
où il est question de la mort du Frère Vincent, sur- 
venue seulement vers Ii42 (3). Il appert en elTet 
des témoignages contemporains que, dans les der- 
nières années de sa vie, notre saint est revenu 
plusieurs fois à la Capriola, pour reviser et com- 
pléter la rédaction de ses œuvres. 

La confrontation avec les manuscrits les plus 
anciens et les plus autorisés confirme, d'une façon 
générale, l'authenticité de la plupart des sermons 
ou traités publiés par le Père de la Haye (4). 

(1) Voir le iliacoui's que Robort de Lecce a proDoncé sur soiot 
Bernardin, et qui est à. la Gn d'uu volume intitule : Sermonet Ho- 
btrii dt Litio, de tandibus lanclûrum. 

(S) Satuili Beraardini Senemii, ordiaii leraphici Minurum, 
Opéra omnia. Il exista trois éditions de cet ouvrage : les deux 
premières ont paru & Paris et à Lyon, du vivant du Père de la 
Haye; la troisiÈma a ét^ publiée à Venise, on 1743. Les renvoti 
que je ferai se rapportant â l'éi^tion de Lyon (1650). 

(3) Soiieli Bemardini opéra, t. III, p. 37 et sq, 

(!) Cot examen de l'authenticité des CËuvros publiées par la 



LES SERMONS. IS» 

Toutefois, quelques parties, secondaires, il est 
vrai, sont apocryphes et à supprimer (1); d'autres, 
douteuses, seraient à examiner de près (2); cer- 
taines répétitions devraient disparaître (3) ; enfin 
il serait facile de trouver, dans les bibliothèques 
d'Italie, les manuscrits de sermons et d'opuscules 
qui ont été omis et qui seraient à ajouter. 11 est 
donc h souhaiter qu'on entreprenne, quelque jour, 
pour les œuvres de notre saint, une édition cri- 
tique, semblable à celle que mènent à fin, en ce mo- 
ment, avec autant de science que de conscience, 
pour les œuvres de saint Bonaventure, les Fran- 



Père delà Haye a élu fait récemment, avec soin, parle P. Aloysius 
Tassi, des t'rÉres mioeurs, à l'occasion d'une demande adresai'e 
k Rome, en 1862, par le chapitre de son Ordre, pour faire déclaior 
sainl Bernardin docteur de l'Église. Les dillérenles pii^ces de 
l'instruction ouverte à ce sujet, devant la Congrégation des Rites, 
ont éti> réunies dans un volume in-4°. imprimé â. Rome en 18TT 
J'ai pu avoir communication de ce volume, qui n'est pas dans le 
commerce; il contient, outre la dissertation du 1'. Aloysius Tassi 
sur la question d'authenticité, la demanda de l'Ordre des Frères 
mineurs avec apostilles d'évéques ou autres personnages ecclé- 
siastiques, les observations du Promoteur de la Foi chargé de 
ppésenter des objections, enGn le morceau principal qui est la 
réponse faite par Mgr Perrata à ces objections, 

(I) Notamment un sermon De Expugnalione paradiii. 

(i) Par exemple le carême De PugnA tpiritaaii et loi Cnminm- 
tarii in Apùcatypiim. 

(3) Voir une description des merveille» de l'univers , qui se 
trouve, â la fois, au t. 1, p. âST, et au t. Il, p. 'H3, ou tiion dea 
réflexions sur la conduite delà Madeleine, après la résurrection, 
ps'on rencontre identiques, au 1. 1, p 307, et au 1. 11, p. 433. 




SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

ciscains du coUègo de Quaracchi, près de Flo- 
rence (1). 

Les sermons contenus dans les cinq tomes do 
Père de la Haye sont en latin. Lien que Bernardin 
prêchât notoirement en italien. II en est de même 
de presque tous les sermons publiés parleurs au- 
teurs au Moyen âge. Les savants rédacteurs de 
l'Histoire littéraire en avaient même conclu qu'on 
prêchait alors en latin. Cette opinion ne tient plus 
devant les dernières recherches (2) ; il est aujoui^ 
d'hui reconnu que, sauf quand ils s'adressaient 
exclusivement aux clercs, les sermonnaires se ser- 
vaient de ce qu'on appelait la m langue vulgaire », 
seule comprise du peuple. C'est après coup, quand 
ils voulaient publier leurs discours, qu'ils les écri- 
vaient en latin ; ils eussent cru s'abaisser en usant, 
pour cette publication, d'une autre langue que de 
celle de l'Église et du haut enseignement. Ber- 
ihold de Ratisbonne, fameux prédicateur du trei- 
ziëme siècle, ayant appris qu'on faisait circuler 
des sermons de lui rédigés en allemand, les publia 



(i) Ce vieu d'QLiB Édition nouvelle des ceuvreg de Dernardin 
était exprimé. Il y li quelques années, dans le Kirclteiilejiieon, par 
le savant Père Jeilcr, qui eat devenu, depuis, l'un des principaux 
collaborateurs ds rùditlau des OEiinrei de saint Boiiavenluri. 

(i) Cf. les travaux do MH. Locoy de la Mai'che, Bourgoia, 
Aubertiii, Langlois, Jansse, etc. 



LES SERMONS. Ui 

lui-même en latin; il y joignit une pri-face où il se 
plaignait de la publication en a langue vulgaire u, 
la déclarait défectueuse et ajoutait ((ue, pour con- 
naître sa vraie doctrine, il fallait se reporter à la 
version latine (1). Quand les prédicateurs croyaient 
devoir écrire à l'avance, sinon le texte complet, 
tout au moins le canevas de leurs discours, c'était 
encore ilu latin qu'ils se servaient; ainsi faisait 
notamment saint Vincent Ferrier (2). Surgant, qui 
composa, à la fin du Moyen âge, un Manuale Curato- 
rum, fort répandu en Allemagne, recommandait de 
concevoir d'abord les sermons en latin ; pour les 
prononcer ensuite en langue vulgaire, le prédica- 
teur était obbgé de faire une sorte de traduc- 
tion; il y avait des vocabulaires, vocabularii prœ- 
dicantium, pour l'aider dans ce travail, et les 
manuels traitaient de regulis vulgarisandi . Pour 
plusieurs, c'était une gène d'employer une autre 
langue que le latin : tel ce docteur de Sorbonne, 
abbé du Mont Saint-Michel, qui, opinant en français 
devant Charles VI, en 1406, lui disait : « Excusez- 
moi, Sire, je n'ai pas faconde à mon plaisir, espe- 
ciaulment en français : j'eusse eu moult plus cher ■ 



(1) Ce fail m'a Hé signalé par le Père Jeiler, ré( 
CEoTres do aaÎDl Boaaventure. 
M[>) ''''« '*' «n*"' Vinrent Ferrier, par le R. P. Pages. 



SAINT BEBNÀBDin DE SIENNE. 

parler en latin (i). u L'usage du latin, pour les 
sermons publiés, a persista même après saint Ber- 
nardin. A la fin du quinzième siècle, Savonarole s'y 
conformait encore; certains de ses discours, pro- 
noncés en italien et recueillis dans cette langue par 
des auditeurs, étaient par eux traduits en latin 
avant d'être offerts au public; c'était, disaient-ils, 
pour leur donner h une forme plus littéraire (2) ». 
De même, au commencement du seizième sï&cle, 
quand l'érudit Wimphelîng voulut donner une édi- 
tion complète des œuvres de Gerson, il fit tra- 
duire en latin ceux des sermons qui avaient été 
prononcés et recueillis en français (3). Quelques 
années plus tard, Luther publiait en latin les 
sermons qu'il avait prêches à Wittemberg, en 1S16 
et iS17. 



4 



Les cin(( tomes édités par le Père de la Haye 
contiennent beaucoup de sermons et quelques 

fl) Ai;beiiti\, Hisinire de ta langue el de ta littèralnre françeitu 
au Moyen âge, l. II, p. 320. 

(!) ViLLARi, Jérôme SavoiiaroU et loit tempi, trad. de M. dis* 
Uvo Gruyar, t. I, p. 181, 182. 

(3) Esiai historique et critique itir les lerjoùai fraiifaia de Csr- 
ion, parl'abM (aujourd'hui cardinal) Bocbret, p. 28 et 



LES SERMONS. 



I traités. La plupart des sermons sont groupés en 
[ Carêmes ou en Avents, qui ont chacun leur litre : 
par exemple : Quadragesimale de ckristianâ religione, 
ou de Evangelio wterno, Adventuale de christiani 
vitâ, etc. D'ordinaire, ces litres n'ont pas Je signi- 
fication bien précise, et les groupements sont un 
peu artificiels. Les sermons de chaque Carême et 
de chaque Avenl traitent de sujets très variés ; si 
quelques-uns se suivent de façon à former un 
ensemble doctrinal, beaucoup d'autres n'ont aucun 
lien avec ceux qui les précèdent. Le prédicateur 
est moins soucieux de faire un tout, de composer 
une sorte de somme, que de répondre aux besoins 
des âmes tels qu'il les voit se manifester autour de 
lui. Tantôt il expose les principes du dogme; tantôt 
il s'applique à réchauffer la piété ; le plus souvent 
il est occupé de réformer les mœurs, La théologie 
morale est, en elFct, celle qui tient la plus grande 
place dans son œuvre ; il s'y montre à la fois 
observateur pénétrant et casuïste très précis. Dans 
ces divers discours, on ne sera pas surpris de 
retrouver les sujets que nous savons avoir été 
traités par Bernardin dans telle ou 'telle ville : 
divisions des factions, jeux de hasard, vanités 
féminines, usure, i:as do conscience de la vie 
commerciale, culte du nom de Jésus. Quelque 



161 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

sujet ([u'il aborde, il fait un grand déploiemeot 
de science théologique. La substance doctrinale 
paraît chez lui forte et copieuse. De ce mérite, 
J6 n'ai sans doute pas qualité pour être juge; mais 
de bons appréciateurs en font cas; je sais tel ora- 
teur sacré de nos jours, et non de ceux dont la 
parole est le moins bien appropriée aux besoins 
du temps, qui s'aide volontiers des œuvres de 
notre saint pour sa prédication et qui déclare y 
avoir trouvé toujours d'abondantes ressources. 
Il y a quelques années, les représentants de 
l'Ordre franciscain ont sollicité pour saint Ber- 
nardin le titre de docteur de l'Église : l'affaire a 
été instruite (1); si le Saint-Siège n'y a pas donné 
suite, c'est probablement par crainte de voir trop 
se multiplier les demandes de ce genre. 

Ce n'est pas seulement par le fond, mais aussi 
par la forme que ces sermons sont œuvre de théo- 
logien. Cette forme, sobre, grave, digne, est un 
peu sévère. L'auteur, surtout soucieux du déve- 
loppement logique de son sujet, pose d'abord 
son tkema, sans exorde oratoire, puis le divise 
aussitôt eu articles, qui se subdivisent en cha- 
pitres, avec une symétrie minutieuse, parfois 

(1) Voir, sur las pièces de cette inslniction, ce que j'ai d^à^ i 



LES SERMONS. 165 

subtile et artificielle. Sans doute, l'exemple de 
Bossuet est là pour prouver que des sermons peu- 
vent être éloquents avec des divisions bien appa- 
rentes, des articulations fortement marquées et, 
pour ainsi dire, une ossature visible : cela même 
leur donne du corps et du soutien. Encore faut-il 
que l'ossature soit recouverte d'une chair vivante, 
et qu'on ait mieux qu'un squelette, ce qui n'est pas 
toujours le cas avec les sermons latins de saint Ber- 
nardin. Les divisions excessives y fatiguent l'atten- 
tion qu'elles prétendent soutenir; elles empêchent 
le mouvement puissant, continu et progressif, qui 
seul entraîne l'auditeur. Entre les articles ou les 
chapitres, nul art de transition; souvent la simple 
indication que du 1° l'orateur passe au 2% et ainsi 
de suite. Au moins, dans l'intérieur de chacun de 
ces compartiments, se donne-t-il carrière? Non; 
l'espace est d'ordinaire trop circonscrit, pour qu'il 
puisse prendre son élan. L'argumentation est 
serrée, nourrie, toute au sujet, sans digression, 
mais sèche, se bornant parfois à une juxtaposition 
de raisons soigneusement numérotées , — on en 
compte, dans tel article ou tel chapitre, jusqu'à 
vingt et vingt-cinq (1), — quelque chose comme un 

<1) Voir, par exemple, S. Bem. op., 1. 1, p. 239-260, et p. 346-347. 



SAINT BEHMAriDlN DE SIENNE. 

sommaire ou une table des matières. Ces raisons 
sont souvent une plirase, un mot de la Bible, de 
l'Évangile ou des Pères, Plus encore qu'à toute 
autre époque, les tliéologiens se piquaient alors 
de ne rien avancer qu'ils n'appuyassent d'un teste 
de l'Écriture. Certains discours de Bernardin ne 
sont presque plus qu'une marqueterie de ces textes. 
On dirait que son dessein a été déformer, pour lui 
et pour les autres, comme un arsenal de citations. 
Son éditeur lui fait honneur d'en avoir réuni 3,95â 
de l'Ancien Testament et2,t)55 du Nouveau. Toutes 
ne sont peut-être pas également topiques et per- 
tinentes; en plusieurs, on pourrait relever quelque 
abus de ce qu'on a appelé le seîis accommodatice. Au 
moins notre auteur se borne-t-i! à puiser dans les 
Livres saints ou dans les Pères, et ne va-t-il pas, 
comme plus d'un sermonnairc de son temps, chei^ 
cher ses textes chez les écrivains profanes et même 
païens. 

Abus des divisions ou des citations, ce défaut 
venait moins de l'homnio que du temps. C'était 
la marque de la scolastique qui, au treizième 
siècle, avait imposé à la prédication, comme à 
tout le reste, sa méthode et ses procédés. Sans 
s'associer au dédain ignorant et irréfléchi avec 
lequel on traite parfois un mouvement intellei 



r 



LES SKRMONS 



qui a eu sa grandeur et sou origiualité, il faut 
reconnaître que, dans le domaine particulier du 
sermon, l'inûueuce de la scolastique n'a pas été 
bienfaisante. Elle a rétréci et euLravé le large et 
puissant courant d'éloquence religieuse qui, au 
douzième siècle, sous l'action de cette première 
renaissance médiévale, aujourd'hui mieux connue 
et appréciée, avait commencé à se répandre dans 
la chrétienté. Vainement, au commencement du 
treizième siècle , François d'Assise donnait-il le 
modèle d'une parole populaire absolument étran- 
gère aux complications, aux raideurs et aux sub- 
tilités de l'École, parole toute de libre inspiration, 
de grâce fraîche et piime-sautière, de familiarité 
aimable, d'émotion spontanée, de charité débor- 
dante, ^ celui peut-être de tous les verbes humains 
qui s'est le plus rapproché de la simplicité évangé- 
lique, — ce modèle trouvait peu d'imitateurs. Il ne 
prévalait même pas, chez les compagnons et les fils 
spirituels du PovereUo, contre l'influence ambiante 
de la scolastique. Celle-ci régnait en maîtresse dans 
les sermons d'un saint Antoine de Padoue et d'un 
saint Bonaventure, ou du moins dans ce qui nous 
en est parvenu. L'Ordre des Frères mineurs ne 
comptait-il pas d'ailleurs dans ses rangs, avec 
Uesandrc de Halès et Duns Scot, les plus fameux 



■ 



168 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

elles plus subtils docteurs de la dialectique aristo- 
télicienne? Chez les sermonnaires du quatorzième 
siècle, la scolaslique se montre encore plus pé- 
dantesque et routinière. Au commencement du 
quinzième siècle, la Renaissance classique ne 
l'a pas encore détrônée. Dans les sermons qui 
nous restent des prédécesseurs immédiats, des 
contemporains ou des successeurs de Bernardin, 
toujours le même appareil de divisions et de sub- 
divisions symétriques et subtiles, la même sura- 
bondance de textes sacrés, parfois un peu arbitrai- 
rement détournés de leur sens naturel; ainsi chez 
saint Vincent Ferriei'(l), chez le Bienheureux Jean 
Dominici (2), chez le Bienheureux Pierre Jérémie 



(1) On pourrait donner beaucoup d'exemples des bizarreries 
subtiles qu'offrent les divisions des discours de saint Vincent 
Ferrier. Il compare la confession à l'œuvre du médecin et dis- 
tingue sept moyens de guérison physique dont il trouve l'ana- 
logue dans la thérapeutique spirituelle. !• Faciès ingpicitur; 
^0 pulsus tangitur; 3° urina attenditur ; 4*» dietta prœscribitur ; 
5" sirupus immiltitur; 6» purgatio tnbuitur; 7« refectio conceditur. 
— Ailleurs, à propos du sommeil de l'âme sous l'accablement du 
péché, il se demande ce que fait l'homme en se réveillant : dix 
choses : il ouvre les yeux, se met sur son séant, s'habille som- 
mairement, sort de son lit, crache, se chausse, met sa ceinture, 
se lave les mains, besogne un peu, va déjeuner; chacun de ces 
actes lui fournit le sujet d'une analogie spirituelle. 

(2) Voyez, entre autres, la seconde partie d'un sermon de 
Dominici sur la communion. Développant cette idée que l'homme 
doit être semblable au tombeau du Christ, il détaille successive- 
.ment, avec applications morales, sept propriétés de ce tombeau : 



LES SERMONS. 169 

de Palerme, chez saint Antonin, chez Gerson quoi- 
que avec plus de mesure et de sagesse, chez Robert 
de Lecce, et jusque chez Maillart, le libre prêcheur 
français de la fin du quinzième siècle. Seul, le 
génie de Savonarole, tout inspiré du prophétisme 
biblique, devait commencer à briser ce vieux 
moule. 



III 



On ne saurait s'étonner de trouver, dans les 
sermons publiés sous le nom de saint Bernardin, 
les procédés en usage à son époque. Ce qui sur- 
prend, c'est de n'y pas trouver autre chose, de 
ne rencontrer, au milieu de cet attirail de dialec- 
tique, presque aucune trace de l'éloquence popu- 
laire, si pleine de mouvement et de variété, tan- 
tôt enjouée, tantôt pathétique, dont nous parlent 
ses biographes. On se demande comment ces 
' dissertations théologiques, savantes, mais ardues, 
avaient pu remuer si profondément des villes 
entières. La réponse est simple : les sermons 

4» le tombeau est une caverne; 2o la caverne est sur un rocher; 
3» il n'y avait qu'un rocher; 4» le tombeau était neuf; 5» per- 
sonne n'y avait été déposé; 6<* le tombeau était une propriété 
étrangère ; 7» le propriétaire s'appelait Joseph. 

10 



170 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

recueillis par le Père de la Haye ont bien été rédi- 
gés par saint Bernardin, mais ce ne sont pas ceux 
qu'il a prononcés. Dans sa cellule de la Capriola, 
il n'a pas prétendu écrire de souvenir ses dis- 
cours passés, ni écrire à l'avance des discours 
qu'il n'aurait plus tard qu'à réciter. Du passé, il a 
seulement voulu retenir la doctrine qu'il avait 
enseignée, pour éviter que ses détracteurs ne la 
dénaturassent. Quant à ses sermons futurs, il 
entendait bien y aider par ce travail; se rendant 
compte qu'avec sa vie errante et ses prédications 
continues, il n'aurait pas le temps de préparer, au 
fur et à mesure, chaque discours, il voulait se mu- 
nir de matériaux soigneusement assemblés, coor- 
donnés, qu'il pût emporter avec lui dans ses péré- 
grinations (1); il se réservait d'en user suivant 
les circonstances, les besoins, l'inspiration, de 
n'en employer que telle ou telle partie, de les 
développer plus ou moins, de les combiner diver- 
sement, et surtout d'y ajouter ce que la rédaction 
première ne cherchait pas à avoir, la forme, le mou- 
vement, la vie oratoire. De même, aux autres pré- 

(1) On sait en effet, par les témoignages contemporains, que 
Bernardin emportait partout avec lui « ses livres » : c'était la 
charge de l'âne sur lequel il montait lui-même, quand il était trop 
fatigué. iEneas Sylvius parle de cet âne ^ quem ipse aliquando 
fes8U8 via solebat ascendere, quique suos libros deferebat ». 



r 



LES SERMONS, 171 

(licaleurs dont sa rhariU^ cherchait à seconder 
l'apostolat, il n'eotentlail pas fournir des sermons 
tout faits, mais seulement la substance des ser- 
mons à faire. En somme, c'étaient moins des dis- 
cours que des traités de théologie : Bernardin 
lui-même les a qualifiés, à plusieurs reprises, de 
tractatus (1). Dès lors, on comprend la longueur 
variable de ces sermons, dont les uns n'ont que 
trois, quatre, cinq pages in-folio, tandis que les 
autres en ont jusqu'à quinze, vingt et quarante. 
L'auteur n'a négligé aucune occasion de s'expli- 
quer sur ce caractère de son recueil. Il dit, à la fin 
du premier Carême : h Cette œuvre s'est trouvée 
être plus longue que je ne pensais... Que ceux qui 
jugeront ces sermons trop longs prennent, pour 
leur prédication, les parties qui leur plairont le 
plus; car chaque article de chaque sermon fournit, 
pour la lecture ou le discours, une matière toute 
préparée et ordonnée (2). » il dit encore, au com- 

(!) Oa lit, par exempte, en tête d'une série de discours sur les 
contrats et l'usure : "... Neeettaniiin reputaviy de cunlraclibus et 
uturù, Iraclatum poiteris traders, non tamen verbo prœeeatibui 
prmdieam, uf habeant minus docti, et tîbi et aliii. in talibut male- 
n'ant fidelUer contulendi. • QuelqueB ligues plus loin, il se sert 
encore de ce mot ; tratlatui (S. Bera. op., t. II. p. 200.) — Un 
long sermon sur la Passion se termine pai' i;eLlp phrase : u E.ipli- 
cH tractatus de Sacrittiisimà Passions Damtiû nosti-i Jesii Chrîitî. 



i72 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

mencement du second Carême : « Bien que, dans 
le présent ouvrage, j'aie écrit quelques sermons 
fort longs, je ne Tai pas fait avec cette intention 
que tous soient prononcés en entier dans une seule 
prédication ; c'est l'utilité des choses à dire qui m'a 
rendu long ; mais je ne m'astreins pas moi-même à 
cette longueur ; j'abrège, j'allonge, je transpose, 
je varie, suivant ce que demandent le temps, ma 
commodité, ou l'intérêt de mes auditeurs. Je laisse 
aux autres la liberté d'en faire autant (1). » Plus 
loin, à propos de la série des discours sur les 
contrats et l'usure : « Quoique ce traité soit 
ainsi coordonné, cependant un prédicateur dis- 
cret et savant changera cet ordre, en mettant les 
sermons les uns avant les autres, en abrégeant, 
en ajoutant, en adaptant les matériaux à l'intelli- 
gence et aux dispositions de son auditoire. Moi- 
même qui ai ainsi coordonné les preuves pour la 
connexion plus complète du sujet, je ne ferais pas 
difficulté de ne pas observer cet ordre dans cer- 
tains cas particuliers (2). » 

(1) s. Bern, op., t. II, p. 6 et 7. 

(2) Ibid., t. II, p. 200. 



LES SERMONS. 173 



IV 



Nous voilà bien avertis que, si nous pouvons 
chercher dans les sermons publiés par le Père de 
la Haye la' théologie de saint Bernardin, nous ne 
saurions y découvrir le secret de son action ora- 
toire. Ce n'est pas cependant qu'à travers tout cet 
appareil scolastique, l'éloquence du prédicateur ne 
parvienne parfois à se faire jour. Elle apparaît 
dans des passages plus ou moins longs, où l'auteur, 
ressentant, la plume à la main, quelque chose de 
l'émotion qui le possédait dans la chaire, s'y est 
momentanément abandonné. Quelques citations 
en donneront l'idée. 

Bernardin vient d'écrire, contre les jeux de ha- 
sard, un sermon tout compliqué de divisions et d'al- 
légories ; il s'y est plu à montrer Satan parodiant, 
dans le jeu, les diverses cérémonies de la messe; il 
a énuméré, cinq par cinq, les quinze malignités de 
ce vice, et, quatre par quatre, les douze catégories 
d'hommes qui y participent; mais, en commençant 
le discours suivant sur un autre sujet, il s'atten- 
drit à la pensée des pécheurs dont il a, dans le ser- 

10. 



I» 



SAINT BERNARDIN DE SIEIfNE. 



mon précédent, analysé les misères ; et, au lieu de 
débuter, suivant son usage, par la division de sa 
matière, il prend occasion de son texte : Si juif 
sitit, veaiat ad me et bihat, pour adresser à ces pé- 
ctieurs un appel d'un accent singulièrement péné- 
trant : 

Si quii situ, veniat ad me et bibat. Elle est large, 1a 
miséricorde de Dieu, elle De méprise personne, ne 
repousse personne, ne dédaigne de porter gecours à 
pa'sonne; elle appelle tous les hommes, les désire 
tous, se délecte à les sauver tous... Jésus invite tout 
le monde, les justes et les coupables, les prostituées et 
les joueurs, tous les hommes eu un mot. Madeleine la 
pécheresse s'est entendu sans doute appeler dans le 
temple, et c'est pourquoi elle est accourue, comme une 
brebis altérée, à la fontaine de l'amour; elle a bu, et a 
bu encore, jusqu'à s'enivrer. Le publicaio, qui était 
aussi peut-être uo joueur, a sans doute, lui également, 
entendu l'invitation; dans la soif anxieuse de son 
humilité, il est venu en courant pour boire, et il a tant 
bu qu'il est sorti de là justifié. Venez doue, ô joueurs 
et autres pécheurs, venez à la fontaine d'eau vivante. 
OmMS sitierUes venite ad aquas, comme il est dit dans 
Isaïe. Bibite et ittebriamini, carissimi, comme dit le Can- 
tique, parce que Notre -Seigneur Jésus-Christ vous 
appelle tous, lorsqu'il dit dans le texte précité : Si quis 
sitit, veniat ad me etbibat (i). 



(1) S. Bern. op., t. I,f 



LES SERMONS, 

Souvent, c'est la vue du mal qui l'échauffé et 
l'indigne. Témoin les apostrophes enllamméea 
dont, à la fin d'un discours sur la médisance, il 
poursuit la langue méchante, la mettant en face de 
tous les maux qu'elle produit (1). Témoin aussi 
les satires dont il flagelle impitoyablement les 
vanités féminines, les ruineuses extravagances de 
la mode, non pour le vain plaisir de s'en moquer, 
mais pour en tirer de graves et pathétiques 
leçons (2) ; ainsi montre-t-îl, par une métaphore 
énergique, a la pourpre teinte du sang des pau- 
vres B, et il crie k la femme fastueusement vêtue 
de longues robes à queue : 

Faut-il vous parler des blasphèmes des pauvres, 
lorsque, souffrant cruellement du froid de l'hiverj ils 
voient la boue recouverte de ces vêlements achetés à si 
hautprix; lorsqu'ils voient leur propre chair, leurs flls 
et leurs filles, torturés par le froid, la faim, la soif, et 
cela par la cruelle impiété et le dur manque de com- 
passion de ce luxe (mot k mot : de ces queues, saevâ 
impietate ot dura incompassione ca«darum)J Ouvre tes 
oreilles, ù femme vêtue d'une robe à queue (o domina 
caudata), écoute avec soin, û esprit fermé, sois atten- 
tive et considère, ô lime sourde, et tu entendras les 
voix de ceux qui se lamentent et qui crient vengeance 




176 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

à leur Dieu... Des hommes nus gémissent; dans leur 
travail, ils sont torturés par le froid et la faim. On 
trouve de quoi charmer les yeux curieux, et Ton ne 
trouve pas de quoi subvenir aux besoins des malheu- 
reux. La boue trouve pour la couvrir des vêtements 
qu'elle ne cherche pas; et le pauvre ne trouve pas la 
nourriture et le vêtement qu'il implore à grands cris (1) ! 

Plus loin, l'orateur s'attaque aux coiffures du 
temps : 

Il paraîtrait étrange qu'une femme vînt à l'église, 
le jour de la mort de son époux ou de son père, la 
tête ornée de fleurs. Eh bien, il est beaucoup plus 
étrange de voir une femme, rachetée par le sang du 
Christ, fille et épouse du Père Suprême, se rendre à 
la messe, la tête ornée non seulement de fleurs, mais 
d'or, de pierres précieuses, de fard et de faux che- 
veux, et cela quand la messe est célébrée en mémoire 
de la passion du Christ, quand le prêtre, en élevant le 
corps et le sang du Seigneur, rappelle perpétuellement 
l'élévation du Christ sur la croix. Quelle est ta vanité, ô 
femme qui ornes ta tête d'une telle multitude de va- 
nités 1 Souviens-toi de cette tête divine qui est un objet 
de tremblement pour les anges. Pour expier ta vanité, 
elle est percée jusqu'aux parties tendres du cerveau 
et ensanglantée par une couronne serrée d'épines... 
Cette tête est couronnée d'épines; la tienne est ornée 
de pierreries. Ses cheveux sont souillés de sang; tes 

(1) S. Bern. op., t. I,p. 244. 



LES SERMONS. 177 

cheveux, ou plutôt les cheveux étrangers que tu portes, 
sont enduits avec art. Ses joues sont souillées de cra- 
chats, de sang et de meurtrissures; les tiennes sont 
colorées par le fard et par des peintures variées. Ses 
yeux si beaux, que contemplent les anges de Dieu, sont 
obscurcis par la mort la plus cruelle, et tes yeux sem- 
blent scintiller des ardeurs de la volupté et des flam- 
mes de la luxure. Cette tête redoutable, que les anges 
mêmes doivent vénérer, s'abaisse pour toi dans une si 
grande confusion, et contre elle la tienne s'élève avec 
un tel orgueil. Elle s'abaisse pour offrir le baiser de 
paix, et la tienne s'arme pour livrer combat. Il invite 
aux pleurs du pardon, et tu l'insultes par le rire de la 
faute (1). 

S'il maudit le luxe, de quel accent il bénit la 
pauvreté, cette pauvreté qu'il a choisie pour épouse 
très chère, à l'exemple de son père François d'As- 
sise ! Avec quel amour enthousiaste, avec quel 
charme attendri il en parle 1 On le sent alors sur 
son terrain, dans son domaine préféré : 

pauvre, si tu veux suivre mon conseil, précipite- 
toi au-devant de la pauvreté; à son arrivée, ouvre-lui, 
d'une âme joyeuse, la porte à deux battants, et jette-toi 
dans ses bras. Au premier abord, il est vrai, son front 
est sévère, et ce n'est pas sans raison qu'on l'a compa- 
rée à un voyageur morose et couvert d'armes. Elle 

(1) 5. Bern. oj)., t. I, p. 245. 



118 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

fait irruption d'un air meDafant. Mais, dès qu'elle a 
été admise dans l'intimité, il n'est pas d'hôte moins 
gênant, plus sûr ni plus affable. Crois-moi, ouvre-lui 
au plus vite, sans attendre que, dans sa violence, elle 
brise le verrou et entre victorieuse sur les portes arra- 
chées de leurs gonds. Pénible pour ceux qui résistent, 
elle est douce à ceux qui l'accueillent (I), 

La pauvreté n'a-t-elle pas él6 d'ailleurs la com- 
pagne fidèle du Christ sur la terre? S'inspirant 
d'une prière célèbre du Poierello (2), Bernardin 
s'écrie : 

Jésus, mon Sauveur, à votre entrée dans la vie, la 
pauvreté vous a reçu dans la sainte crèche et dans 
l'étable. Descendu sur la terre, elle vous a privé de 
tout, au point que vous n'aviez pas même où reposer 
votre tête. Compagne fidèle, tandis que vous souteniez 
le combat de notre rédemption, elle fut toujoui's à vos 
côtés, et, durant la lutte de votre Passion, alors que vos 
disciples vous abandonnaient, reniant votre nom, elle 
ne s'éloigna pas, écuyer jaloux. Elle en profita même 
pour vous étreindre plus fortement. Alors que votre 
Mère, qui seule vous honora dans la fidélité de son 
cœur et ressentit les angoisses de vos douleurs, alors 
qu'elle ne pouvait approcher de vous, tant la croix 
était élevée, alors la pauvreté victorieuse vous entoura 



(1) S, 



ern. op., l. III, p. 5 



(S) Voir le texte d. 
par M. l'abbé Le Monnieh (5» ùd.), t 



LES SERMONS. 



ns 



de toutes ses gênes, comme d'un corlôge agréable 
à votre cœur, vous tint plus étroitemeot entre ses 
bras et s'attacha à vous avec plus de zèle. Elle ne 
prît pas le soin de raboter votre croix, mais vous en 
façonna une rude et grossière. Elle ne fabriqua pas 
les clous en nombre égal à vos blessures, elle n'en 
aiguisa pas la pointe, elle n'en corrigea pas les aspé- 
rités; elle en fit trois, rudes, rugueux et obtus, afin 
d'aggraver vos douleurs. Alors que vous mouriez, 
dévoré de soif. Mêle épouse, elle fut pleine de sollici- 
tude et vous priva m(*me d'une ffoutte d'eau. Elle vous 
prépara, par la main impie de vos gardiens, un breu- 
vage si amer qu'après l'avoir goûté, il vous fut impoa- 
BÎhle de le boire. C'est donc entre les bras de votre 
bien-aimée que vous avez rendu le dernier soupir. 
Toujours (idèle, elle eut garde de n'être pas à votre 
sépulture. Ce ne fut qu'à titre d'emprunt qu'elle vous 
permit d'avoir un tombeau, des parfums, un linceul. 
Elle ne fut pas absente, non plus, lors de votre résur- 
rection. Glorieux, vous Êtes ressuscité entre les bras 
de votre sainte épouse, abandonnant dans votre tom- 
beau tout ce que vous aviez emprunté et tout ce qui 
vous fut offert. Vous l'avez entraînée aux cieux, lais- 
sant aux mondains tout ce qui est de ce monde {!). 

Même accent pour parler de la charité, à laquelle 
sont consacrés les six premiers sermons du Carême 
De Evangelio œtenio (2). L'une des filles de la cha- 

(1) s. flem. op.. l. III, p. 28, 

(2) Ibiit..l. II, p. 2 et sq. 



180 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

rite, c'est la paix, cette paix que Bernardin ne se 
lassait pas de prêcher à l'Italie toute déchirée et 
ensanglantée par ses discordes. Il a, pour la célé- 
brer, des paroles dont la douceur singulière 
finissait par agir sur les âmes violentes et hai- 
neuses de ce siècle troublé : 

En temps de paix, toutes choses semblent crier la 
joie. Les semences sont confiées à la terre, et les épis 
mûrissent jusqu'au moment de la moisson; les vignes 
fleurissent, les arbres donnent leurs fruits; les fureurs 
de la guerre n'entravent plus le cours de la nature, 
qui vit et s'épanouit librement. A la maison, on dort 
en sécurité, et, dans les champs, on poursuit sa route, 
sans avoir à redouter une attaque. Dans la paix, la 
virginité fleurit et répand son parfum. La pudique 
chasteté est dans la joie, et l'amour conjugal est heu- 
reux de n'avoir pas à redouter les violences de soldats 
débauchés. Les arts embellissent les cités, et le berger 
sans souci joue du chalumeau, en menant paître ses 
brebis et ses bœufs. Dans la paix, on exploite les 
forêts, on plante des vignes, on construit et on répare 
des maisons, les familles se multiplient. Alors vont et 
viennent marchands et marchandises. Les monastères 
sont entourés de calme, les églises et les offices sont 
en honneur. Les études sont en vigueur, et fréquentes 
sont les œuvres de piété. La parole de Dieu est véné- 
rée et porte ses fruits dans le cœur de ceux qui vien- 
nent en foule pour l'entendre. Tous les droits sont 



LES SERMONS. 181 

respectés, et personne n'a à se plaindre de l'injustice. 
La paix, en un mot, est favorable à toutes choses, et, à 
son souffle, tout semble tressaillir d'allégresse (1). 

Il est d'autres sermons oîi Ton peut également 
entrevoir ce que devenait cette parole sous l'em- 
pire d'une grande émotion : ce sont ceux où Ber- 
nardin parle des mystères de la Passion et de la Ré- 
demption. Alors, tout en suivant pas à pas le récit 
sacré, il s'abandonne, par moments, à de pieuses et 
pathétiques considérations. Pour en donner l'idée, 
détachons d'un sermon sur la Résurrection quel- 
ques extraits du long morceau où l'orateur con- 
temple Marie-Madeleine, venue seule au tombeau, 
le matin, et toute désolée de n'y plus trouver le 
corps de son Seigneur : 

Marie, dans quel espoir, dans quel dessein, ou 
soutenue par quel courage, restais-tu ainsi seule au- 
près du tombeau?... Celui que tu cherches a l'air de 
ne faire aucune attention à ta douleur, de ne pas 
voir tes larmes ou de ne pas s'en soucier. Tu l'ap- 
pelles, et il ne t'entend pas. Tu le cherches, et tu ne 
le trouves pas. Tu frappes, et il ne t'ouvre pas. Tu le 
suis, et il s'enfuit à ton approche. Hélas I qu'y a-t-il 
donc? Hélas! quel est ce profond changement? Gom- 
ment les choses ont-elles pu être ainsi renversées? 

(1) S. Bern. op., t. III, p. 58. 

11 



183 SAINT BERNARDIN DE SIENNE 

Jésus s'éloigne de toi; peut-être ne t'aime-t-il plus. 
Autrefois, il te chérissait. Autrefois, il te défendait 
contre le Pharisien et doucement t'excusait auprès de 
ta sœur. Autrefois, il te louait, quand tu oignais ses 
pieds de parfums. Et toi, tu les arrosais de tes larmes, 
pour les essuyer ensuite avec ta chevelure. Il adoucis- 
sait alors ton repentir et te remettait tes péchés. 
Autrefois, il te cherchait quand tu étuis absente, t'ap- 
pelait quand tu n'étais pas à ses côtés, te faisait man- 
der par ta sœur, afin de t'avoir près de lui. bon 
maître, en la voyant pleurer, vos yeux se sont mouil- 
lés. C'est en retour de votre amour pour elle qu'elle 
vous a beaucoup aimé. Vous avez ressuscité son frère 
Lazare et changé en cris de joie la plainte de votre 
fllle préférée. maître très doux, en quoi donc, après 
de telles faveurs, votre disciple vous a-t-elle offensé, de 
quelle blessure a-t-elle déchiré la tendresse de votre 
âme, pour que vous vous éloigniez d'elle ainsi? Quant 
à nous, nous n'avons connaissance d'aucun péché qui 
lui soit imputable... Pourquoi donc cette femme, qui 
vous aime et qui veille depuis le matin, ne vous 
trouve-t-elle pas? Marie, écoute mon conseil; sache te 
contenter de la consolation que t'apportent les Anges; 
demande-leur si, par hasard, ils savent ce qu'est de- 
venu celui que tu cherches, tout en pleurs. J'ai idée 
qu'ils sont venus pour te renseigner, envoyés peut- 
être par celui dont tu déplores ia perte, avec la mission 
d'annoncer sa résurrection et de calmer ton angoisse. 



L'orateur s'étend alors sur le colloque de Uade- 



LES SERMONS. 
leine et des anges, puis arrive au luoiiieot où Jésus 
apparaît sous la forme d'un jardinier ; 



Elle aperçut Ji^sus, sans se dmiter (|ue c'était lui. 
Et Jésus lui dit : • Femme, pourquoi pleures-tu? Qui 
cherches-lu? ■ vous, vers qui toute son âme aspire, 
pourquoi lui demander la raison dé ses larmes, l'objet 
de ses recherches? Est-ce bien à elle, qui, il y a peu 
de temps, vous voyait, avec un g^rand déchirement, 
suspendu à la croix, que vous demandez pourquoi 
elle pleure? Est-ce bien à elle, qui, il y a trois jours, 
voyait, déchirés et transpercés de clous, vos mains 
qui l'ont bénie souvent, vos pieds qu'elle couvrait de 
baisers en les arrosant de ses larmes, est-ce bien â 
elle que vous demandez la cause de sa douleur? A 
présent, elle croit que votre corps, ce corps qu'elle 
venait oindre de parfums en manière de consola- 
tion , a été enlevé , et vous lui dites : » Pourquoi 
, pleures-tu? Qui cherches-tu? ■.,. C'est vous, Jésus, 
[uî, par l'invincible attrait de votre parole, le charme 
1 votre esprit, avez amoureusement amené cette 
SFemme à vous. Vous l'avez enchaînée à vos pas, par 
Fl'invisible cbatne d'un amour sans bornes, alors que 
rous avez effacé ses péchés. Par vos actions, par vos 
paroles, vous avez embrasé son cœur d'amour. De 
>votre souffle, vous avez ébranlé ses esprits. Vous avez 
ffiéehé ses larmes et vous n'avez pas craint les baisera 
Tde ses lèvres. Vous avez chassé de son cœur tout 
jiamour périssable, afin qu'elle marchât avec vous dans 
i paix. Et maintenant, vous lui demandez qui elle 



184 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

cherche!... C'est vous qui avez fécondé cette âme par 
Tincessante fraîcheur de canaux invisibles. A présent, 
cette tendresse que vous avez répandue de votre âme 
dans la sienne la tient enchaînée au sépulcre. Et vous 
choisissez ce moment pour lui demander la cause de 
ses pleurs. Vous seul êtes la cause de ses gémisse- 
ments, de ses angoisses. Tout entière, elle est à vous; 
tout entière, elle espère en vous, et c'est de vous qu'elle 
désespère. Elle vous cherche avec tant d'ardeur qu'en 
dehors de vous, elle ne pense à rien, ne s'inquiète de 
rien. Elle n'a plus ses esprits et est égarée à cause de 
vous. Pourquoi donc lui demander : « Que pleures- 
tu? Qui cherches-tu? » Est-ce pour lui faire dire que 
c'est vous qu'elle pleure, vous qu'elle cherche?... Ou 
bien est-ce pour qu'elle vous reconnaisse, malgré votre 
intention de vous cacher? Toujours est-il que, prenant 
Jésus pour le jardinier, elle lui dit ces mots : « Si vous 
l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez déposé, et je 
l'emporterai. » douleur misérable, ô admirable 
amour I Cette femme, enfouie dans son chagrin comme 
dans un nuage, ne voyait pas le soleil levant qui jetait 
ses premiers rayons dans son âme et entrait par les 
ouvertures de son cœur. Elle languissait d'amour à un 
tel point que ses yeux obscurcis regardaient sans voir. 
Elle regardait Jésus et ne le voyait pas. Marie, si tu 
cherches Jésus, pourquoi ne le reconnais-tu pas? 
Voici Jésus qui vient à toi; celui que tu demandes, 
t'interroge. Et tu le prends pour un jardinier! C'est 
Jésus, et en effet il est jardinier à sa manière : il a 
semé la bonne graine, dans le jardin de ton âme, et 



LES SERMONS. J85 

vient maintenant en arracher les mauvaises herbes de 
l'infidélité. De qui parles-tu donc, quand tu dis : ■ Si 
vous l'avez enlevé? ■ Qu'entends-tu pur l,à? Pourquoi 
ne pas prononcer le nom de celui que tu cherches? 
... Tel est l'effet du dtîsir. Il donoe à ceux qui en sont 
victimes l'illusion que tout le monde est au courant 
de ce qu'ils veulent... Mais pourquoi dis-tu, loi qui 
n'es qu'uoe femme : i Et je l'emporterai. » Joseph 
lui-même recula et n'osa pas détacher de la croix le 
corps de Jésus, sans en demander la permission à 
Pilate. Toi, tu es sans craiote et tu ne te mets pas 
BOUS le couvert de la nuit. Tu t'engages sans compter : 
* Et je l'emporterai. » Û Marie, si par hasard le corps 
de Jésus était déposé dans l'atrium du grand prêtre, 
là oii s'est chauffé le prince desApôtres, que ferais-tu? 
S'il était étendu sur la place, au milieu de la foule, 
comment t'y prendrais-tu? S'il était dans la maison de 
Pilate, gardé par les soldats, qu'entreprendrais-tu, je 
te le demande? ■ Et je l'emporterai. • superbe au- 
dace! Tu es femme, et tu n'uses d'aucune réticence; tu 
ne mets à ton dévouement aucune condition ; tu parles 
sans pour et tu promets sans hésiter. femme, grande 
est ta constance, grande est ta foi! Mais comment, 
avec quelles forces, quelle vigueur, à l'aide de quels 
stratagèmes, pourrais-tu porter seule un corps aussi 
lourd, alors que, pour le mettre au sépulcre, tu eus 
l'aide de nombreux porteurs ? Crois-tu les avoir encore 
avec toi? Us se sont éloignés. • Et je l'emporterai. » 
L'amour, en effet, range l'impossible parmi les choses 
qui sont en son pouvoir et souvent présume trop de 



IBfi SAINT BERNABDIH DE 8IEWNE. 

ses forces. bon Jésus, veuillez ne pas exalU 
désir, car depuis trois jours il la consume. Et elleî^ 
vous a pas pour rassasier son âme, qui ne peut être 
assouvie que si vous lui offrez le pain de votre cœur. 
La vie ne restera pas longtemps encore dans sa chair, 
8i, en vous déclarant, vous ne rendez la vie à son âme. 
Alors Jésus l'appela : • Marie. ■ Dès qu'il eut prononcé 
son nom, la voix de Jésus pénétra en son âme, et aussi- 
tôt, dans sa parole, elle reconnut le verbe accoutumé... 
Son Mattre, en effet, avait l'habitude de l'appeler ainsi. 
Dans cet appel de son nom, elle sentit la douceur de 
Dieu et ainsi reconnut son Seigneur dans celui gui la 
nommait... Maître très doux, ô Seigneur, combien 
vous êtes bon pour ceux qui ont le cœur pur I Heureux 
sont ceux qui vous cherchent dans la simplicité de 
leur cœur, et satisfaits sont ceux qui espèrent en vous t 
Cela est vrai, et vrai sans l'ombre d'un doute. Vous 
aimez qui vous aime et vous n'abandonnez jamais 
ceux qui espèrent en vous. Votre fille préférée vous 
cherchait en toute simplicité d'âme, et, en vérité, elle 
vous a trouvé. Elle espérait en vous, et vous ne l'avex 
pas délaissée. Elle a plus obtenu de vous qu'elle ^ 
attendait (J). 



Je ne veux pas prolonger ces citations. C'est" 
assez pour permettre d'entrevoir quel orateur se 
cachait derrière le théologien. C'est également 



(i) s. Berit. op 

reproduit dans u 



LLS SERMONS, 187 

assez, si je ne me trompe, pour éveiller le désir 
d'approcher de plus près cet orateur, de le mieux 
connaître. N'y a-t-il donc aucun moyen de l'en- 
tendre directement? Ne peut-on saisir nulle pari 
le sermon, non plus tel que Bernardin l'a rédigé 
dans sa cellule, mais tel qu'il Ta eÉfeclivement 
prononcé sur les places publiques des cités ita- 
liennes? 



I 



Xies sermons du Moyen âge qui nous ont été 
conservés n'ont pas tous été rédigés par leurs au- 
teurs ; beaucoup ont été recueillis par des auditeurs. 
Ceux-ci apportaient à l'église leurs cahiers ou leurs 
tablettes; parfois, ils avaient un encrier à leur cein- 
ture, ainsi qu'on les voit figurés dans les miniatures 
des manuscrits. C'estpar cette voie que nous sont 
parvenus quelques-unea des œuvres de saint Bona- 
venture (1), plusieurs des sermons de Gerson (2) 

(1) Voir dans les Opéra omnia S. BoHovenlurm, éditùs par les 
Përea franciscams du collège de Quaracclii, la partie du t. V qui 
reafarme Isa Callaliones iii Sfj:aêmeron, ot celle où est le traité 
Dp Septem donis Spirilus SancU. 

(ï) BouiiRET. Estai ci-itliitie et h'igtoriqiie sur tes sermons fran- 
fuis de Gertiin, p. S6 etlSl. 



188 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

et de Savonarole (1). De tels comptes rendus, le 
plus souvent faits par des inconnus, ne peuvent 
inspirer une absolue confiance et sont forcément 
de valeur très inégale. Quelquefois, le scribe rem- 
place par des etc, des développements qui lui pa- 
raissent oiseux ou qu'il n'a pu suivre; celui qui 
recueillait les discours de Savonarole confesse, 
à plusieurs reprises, avec une naïveté touchante, 
qu'à tel endroit l'émotion et les larmes l'ont em- 
pêché de continuer à écrire. Les uns, plus fami- 
liers avec le latin, rédigeaient en cette langue 
des discours prononcés en italien, en français 
ou en allemand; le plus grand nombre se ser- 
vaient du même idiome que l'orateur. Tantôt ils se 
bornaient à de simples analyses, à des résumés 
plus ou moins secs ; tantôt ils tâchaient de repro- 
duire le discours aussi complètement que pos- 
sible. 

Ce qui se faisait pour tous les prédicateurs célè- 
bres devait se faire également pour notre saint. 
Dans les manuscrits des bibliothèques d'Italie, no- 
tamment à Florence et à Sienne, se trouvent plu- 

(1) ViLLARi, Savonarole et son temps, trad. Gruyer, passim. — 
Par exemple, le discours sur l'art de bien mourir, prononcé par 
Savonarole, le 2 novembre 1496, a été recueilli par un auditeur 
qui déclare l'avoir écrit dalla viva voce del Padre mentre che pre- 
dicava. 



LES SERUONS. IBS 

sieurs de ses sermons, recueillis par des auditeurs, 
la plupart en langue vulgaire (1) . Le Père de la Haye, 
qui ne se souciait guère que de reproduire exacte 
ment l'enseignement théologique de saint Bernar- 
din, avait dédaigna de puiser à ces sources (2). 
C'est là, au contraire, que l'historien, curieux sur- 
tout de se faire une idée de la prédicatiou popu- 
laire à cette époque, a le plus de cliance de saisir 
sur le vif l'orateur et son discours. Entre tous ces 
recueils, on remarqua de bonne heure celui des 
quarante-cinq sermons que Bernardin a prononcés 
à Sienne, dans l'été de 1427, en revenant de 
Borne. Le a prologue » nous informe que, pen- 
dant celte prédication, k Dieu inspira a à un 
citoyen nommé Benedetto, tondeur de draps de 
son métier, ayant femme et enfants, plus ver- 
tueux que riche, d'abandonner momentanément 
son travail pour recueillir et écrire chaque ser- 
mon, mot à mot (de verbo ad verbum), en ne lais- 
sant aucune parole, si minime qu'elle fût, sortie 
de celte bouche sainte, sans l'écrire {non lassando 

(t) Le profeBseur Oraxio Bacci a anDODcé i^u'il pri^parait uns 
Eibliogra/ia de' codici e délie ilampe dtUe prediche eotgari di lanto 
Bemardino. 

(3) Toutefois le Vbre de la IIa,ye lui-même avait inséré dans 
sa collection une sârie àe aermona rédigea seulsnienl pas un 
auditeur (t. Ill, p, 168 et aq,) : c'est lo cftrémo dit Séraphin. 
pronoDcO à Padooe, sur lequel j'aurai l'occasion de revenir, 
U. 



100 BAI^T BERNABDIN DE SIENNE 

una minima paroluza di quelle che uscivaiio di quellii 
aanta bocca che lui non scrieisse); il est ajouté 
que Benedetto prenait ses notes avec un stjiel 
sur des tablettes de cire, puis, le discours fini, 
rentrait dans sa boutique pour le transcrire sur 
des feuillets. Le manuscrit original de Benedetto 
n'a pas été retrouve; mais on en possède quatre 
copies très anciennes : trois à la bibliothèque de 
Sienne, postérieures de peu d'années à la mort de 
Bernardin : la quatrième à Palerme, datée de 
li43, c'est-à-dire antérieure d'une année à cette 
mort. Dès 1820, l'abbé Luigi de Angelis, con- 
servateur de la bibliothèque de Sienne, signa- 
lait l'importance de ce recueil (1); en 1863, Mila- 
nesi en publiait une partie (2); en 1868, Zam- 
brini en détachait des extraits (3) ; enfin, de 1880 
à 1888, un érudit siennois, Luciano Banchi, fit 
imprimer intégralement, en trois volumes, les 
quarante-cinq sermons (i). 



;o del leeoio X V, fcrili 



(1) Sopta un coD 
in eera, e lù Varie aiiiichiiim 
tezza det pariare, Oiiervazion 
{Colle. 18S0J. 

(â) Prediche volgari di San Bernardin 
m«i« in luca. (Sieoa, 1833.) 

(3) Zaushini, NoveUe.tle, Esiempi mora 
BerniudiAO da Siena. (Bologaa, 1868.) 

(i) Le Pi-ediche po^ari di San Hemaydi 
piazzn del Campo famo iICCCXXVII, or 






LES SERMONS. 



ISi 



Est-il exacl que Beiiedetto ail toujours réussi, 
comme l'aflirme le n prologue » du manuscrit, à 
écrire les sermons de verbo ad verbtim? On n'oserait 
s'en porter garant. Certaines parties ont des obscu- 
rités, des incertitudes, des lacunes, qui ne sauraient 
être toutes imputées à l'orateur. Néanmoins, ce 
compte rendu est beaucoup plus complet que la plu- 
part des autres travaux du même genre qui nous 
sont parvenus du Moyen âge. A le parcourir seu- 
lement, il saute tout de suite aux yeux qu'on est en 
présence, non plus d'un simple résumé, mais du 
discours même. On n'en voudrait pour preuve que 
l'espace occupé par chaque sermon ; quelques-uns 
tiennent jusqu'à cinquante pages d'impression ser- 
rée; la moyenne est de trente pages, notablement 
supérieure à la dimension des discours publiés par 
le Père de la Haye (1). Les sermons contenus dans 
les deux derniers tomes sont généralement plus 
étendus que ceux du premier : il n'est pas vraisem- 
blable que le prédicateur ait allongé ses discours à 

LcciAND Banchi. (Sieaa, 1380, ISSi et 1S88.) J'ai iiji. eu occosloa 
dp citer pi uBieurB fois eut ouvrage. 

(1) Comparez, par exemple, deux discours sur laNativité de la 
Vierge, l'un dans les Prediehe votgari, l. II, p. Ï33 et aq. ; l'autre 
dans les Œuvres latines, t. IV, p. 93. Tous deux sont à. peu près 
congus sur le même plan, avec les mêmes divisions et subdivi- 
. Le premier est au moins deux fois plus long que 1 



191 SA.INT BERNARDIN DE SIENNE. 

la Un de la station; ne doit-on pas supposer plutôt 
que le scribe était devenu, par l'usage même, plus 
habile et plus prompt à suivre la parole? Ce qui 
n'est pas moins probant que la longueur matérielle, 
c'est l'accent, le charme, la saveur tout originale 
de la langue. Il y a là quelque chose qu'un scribe 
n'invente pas. En Italie, de bons juges ont déclaré 
que ces predklie volgari étaient * des trésors de 
belle et pure langue familière siennoise, des mo- 
dèles d'excellente prose narrative, descriptive, 
discursive et oratoire n ; ils ne tarissent pas sur 
K la richesse, la fraîcheur, la variété merveil- 
leuse « de ce style, et n'hésitent pas à classer l'aa- 
teur au premier rang des prosateurs du Quattro- 
cento (I). 

Certains détails permettent d'apprécier jusqu'à 
quel point notre Benedetto s'appliquait à. tout 
reproduire. Non content de rapporter très soigneu- 
sement les développements de l'argumentation, il 
ne négligeait aucune des petites digressions qui 
venaient l'interrompre, digressions provoquées 
par des circonstances extérieures ou nées de la 

(1) Cf. notamment una InLéresBante confârcQce du profesBeor 
Obazio Bacc[, sur Ita Predieht mlgari di San Bemardino. (Ci»- 
ferenît délia commiiiione leneie di storia palria, Siens, 189B.) 
Cf. aussi le Manuale de Ittltralura italiana, par MM. b'Ahcihu et 



LES SERMONS. 49B ' 

fantaisie de l'orateur. Ainsi note-t-ii, au passage, 
des interpellations à l'adresse des auditeurs inat- i 
tentifs, distraits ou sommeillants, celle-ci par] 
exemple : « Je vois dormir deux femmes côte t 
c(Me, l'une faisant oreiller à l'autre. Je ne peux J 
le souffrir, parce que je suis de la race de ces T 
avares qui, lorsqu'ils voient du vin se répandre, 
crient aussitôt : Hélas ! cela se perd ; car ce ] 
n'est pas de cela que boivent les poules (1) t » Il ] 
s'arrête pour inviter ceux qui sont trop loin à 
se rapprocher (2), ou pour rappeler ceux qui font 1 
mine de s'en aller avant la fin du sermoi 
« Restez en place, mesdames, ne vous en allez 
pas! Eh quoi, quoi donc? Qu'aucun de vous ne 
s'en aille ! ... Oh ! c'est là un mauvais signe, oui, un 
mauvais signe. Ainsi ma prédication a été inter- 
rompue l'autre jour. Je voudrais qu'il m'en coûtât i 

(1) Le Pitdiche volyari, t. l, p. Bi, Cf. aussi t. I, p. 77, 187; 
t. II, p. 3S9; t. III, p. SA, 443. — Ces interpellation 9 aui dormeuri i 
Étaient habiluelles aux prédicateurs du Moyeu âge. Le cardinal 
Jacqnss de Vitry raconte qu'il réveilla, un jour, l'attention de | 
toute une multitude, par cette seule parole : ■ Celui qui dort 1â, 
dam un coin, ne connaîtra pas le secret que je vais vous coo- 
fiei'. » Une autre Cois, il disait : <> Voulez-vous maintenant que je 1 
vous parle de la femme tioonëte? Je vais vous parler de cette 
vieille que j'aperçois endormiel,.. Pour Dieul si quelqu'un 
épingle, qu'il la réveille : ceux qui dornient au sermon se gar- 
dent bien de dormir à table. ■ Lecot us la Mauche, La Chaire 
frartçniieau Moyen dge, p. au, 

(î) Le Prcdiche valgari, 1. 1, p. 110. 



194 SAINT BEBNABDIN DE 8IENNE- 

trois livres de sang et que mon sermon ne fill pas 
interrompu. Je vais flnir ; écoutez la conclu- 
sion (1). a C'est encore aux femmes qu'il reproche 
le bruit fait pendant la raesso qu'il célébrait avant 
le sermon : « femmes, quelle honle est la vôtre t 
car, le malin, pendant que je dis la messe, vous 
faites un tel vacarme qu'il me semble entendre un 
tas d'os qui s'entre-choqueut. Et quels cris ! L'une 
dit ; Jeanne I L'autre appelle : Catherine 1 Une autre : 
Françoise 1 Oli! la belle dévotion que vous avez à 
entendre la messe 1... Ne pensez-vous pas que, 
dans ce lieu, est célébré, pour votre salut, le sacri- 
fice du corps glorieux du Christ, Fils de Dieu; que 
voua devriez vous tenir tranquilles, sans qu'aucune 
de vous fit même chutf Vient madame « Pîgara d, 
elle veut s'asseoir devant madame « Sollicita d . Ne 
faites plus ainsi. Qui arrive la première se range 
la première. Comme vous arrivez, asseyez-voua et 
n'en laissez aucune passer par devant (2). » II les 
détourne de venir, avant le jour, retenir leurs 
places, parce que, leur dit-il, « quand vous avez 
ainsi passé une mauvaise nuit, vous dormez au 
sermon ; l'espace est assez vaste pour qu'en venant 
à l'appel de la cloche, vous soyez sûres d'être bien 

(1) Le Prediche volgan, t. 111, p. 388. Cf. ansû t. 11, p. 139. 

(î) Ibid., t. II, p. 109, 110. ^H 



placées (1) " . Puis le voici qui apostroplitï des en- 
fants qui jouent à la balle (2), des gens qui font du 
bruit Bur la place : « Oh 1 là-bas, près de la fontaine, 
vous qui êtes là-bas à faire votre marché, allez 
donc le faire plus loinl Vous n'entendez pas, 
vous, prés de la fontaine (3) î » Une autre fois, il 
invite à chasser un chien (4), ou bien il s'arrête 
pendant que sonne la cloche de l'horloge (S). Il 
entretient les auditeurs de sa santé qui se trouve 
très bien, assure-t-il, des consolations que ceux-ci 
lui donnent (G) ; il prétend « peser, après avoir prê- 
ché, une livre de plus qu'avant (7) »; la simplicité 
naïve de ses confidences sur ce sujet serait pour 
faire sourire un auditoire moderne : « Hier, dit-il 
au début de son quatrième sermon, j'étais mort, et 
aujourd'hui je suis vivant; je ne croyais pas pou- 
voir prêcher à cause du grand mal qui me tenait; 
c'est pourquoi j'ai pris une forte purgation (8). w 

(i) Le Prediche lOluari, l. 1, p. 123, 

(ï) lbid.,l III, p, 13G. 

(3) Ibid., t. Il, p. 270. Ceue fontaine sur la Piaiza del Campa 
est la célèbre Pootegaïa. sculptée par Giacomo ilella QuLTcia; 
elle veDait d'être achbvée, quelques aiiu<:es auparavant, ca lilB. 
Cf. aussi, t. II, p.î4S, S71. 

(*) /6id.. t. Ili, p. 4Ûli. 

(5) Ibid . t. IIJ, p. 305 

(6) Itid., 1. Jl. p. ïflo 

(7) Ibid-, t. il, p. 3i0. Cf. aussi t. Il, p, 381», 

(8) Ibid., t. ], p 8'J, Le déUil est d'une précision plus natura- 



196 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

Ses auditeurs semblent-ils inquiets d'une me- 
nace de pluie, il les rassure : h Le nuage est 
passé 1', leur ilit-il (1). D'autres fois, le sermon 
s'arrête brusquement, et l'on trouve dans le 
compte rendu quelque note de ce genre : « Eu 
ce moment, la pluie commence h tomber, et le pré- 
dicateur cesse do parler (2). o Tel jour, le temps 
lui paraît si agréable qu'il éprouve le besoin de 
s'en réjouir avec ses auditeurs : « femmes, que 
vous semble de ce temps pour la prédication î 
Quant à moi, je dis qu'il me paraît excellent, et 
que c'est un morceau friand enlevé au diable : il 
n'y a ni pluie, ni froid, ni clialeur, ni vent. C'est 
un plaisir à la barbe du diable (3). » Dans sa minu- 
tieuse et imperturbable fidélité, le rédacteur note 
jusqu'à l'hésitation voulue avec laquelle l'orateur 
répète ses mots en attendant que l'auditoire soit 
plus attentif (4), jusqu'à ses inflexions de voix, aux 
syllabes sur lesquelles il appuie plus fortement (5), 



liste encore : ' la ebbi una fargaziont lanto grande, the ii 
mono XXIIII valu a qv.a. • Un jour, saint Vincent Ferrier, étant 
enroué, tirait de son eorouement même tout le sujet de si 

(1) Le Prediche volgari, t. III, p. 220, 
(!) 7ÈW., t. I.p.îTB; t. Il, p- 20. 

(3) Ibid-,1 II, p. 336. 

(4) /ftid, t. II.p-270- 
(S) Ibid., t. II, p. i£, 228, il4; t. 111, p. IHO. 



LES SERMONS. 19T 

et, parfois, à travers le texte, on croit entrevoir ses 
gestes et sa mimique (1). 

A un compte rendu qui reproduit si complète- 
ment les moindres détails du discours, l'écriture 
ordinaire n'a pu vraisemblablement suffire. On est 
amené à supposer que Benedetto usait d'un système 
tacbygraphique quelconque. Ces procédés, moins 
parfaits sans doute que notre sténographie mo- 
derne, ont été pratiqués de tout temps, et notam- 
ment au Moyen âge (2). Les scribes y avaient 
recours, soit pour épargner le parchemin, soit 
pour gagner du temps : la rapidité avait un prix 
particuher quand il s'agissait de recueillir le cours 
d'un professeur ou le sermon d'un prédicateur. 
Certains auteurs se servaient, pour leurs propres 
manuscrits, de caractères abréviatifs, parfois mal- 
aisés à déchiffrer : c'est le cas, entre autres, de 
saint Thomas d'Aquin (3). Quel était le procédé de 
Benedetto? On l'ignore : on sait seulement qu'il 



(1) Ls Prediche volgari. t. 



. IS*; 



, ir, p. 70; t. III. 



(2) Cf. sur ce sujet Maurice Phou, Manuel de patcographit 
latine ef française, du sixiime au dix-ieptième siècle, suivi d'un 
hietionnaire des abréviationt{iS^Oj. 

(3) Tel est le manuscrit évidemment autograptie de la Sumtna 
contra Gentitet, éditéa par Uoslli (Romtc. Typographia polyglotta 
S. C. de Propagandà fide, 1878). En [Ôte de celte éiiilion, est le fac 
timite d'une pags de i 



198 SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

se servait d'un stylet el de tablettes de cire (1). 
Même avec le secours de la tacliygrapliie, il n'en 
demeure pas moins surprenant qu'un seul liomme, 
un artisan, ait pu accomplir un tel travail, noter, 
le matin, toutes les phrases d'un discours qui 
durait plusieurs heures, les transcrire, dans l'après- 
midi, sur feuillets, et cela quarante-ciuq jours de 
suite. Ajoutez que, pour ne pas se perdre au milieu 
de ces divisions et subdivisions d'une théologie 
parfois subtile, pour recueillir exactement tant de 
citations latines de l'Écriture sainte ou des docteurs, 
il fallait une instruction qu'on n'attend pas d'un 
toudeui- de draps. Il est vrai que, dans les cités 
démocratiques de l'Italie de cette époque, certains 
artisans étaient parfois d'une culture et d'une nais- 
sance fort supérieures à celles de nos ouvriers 
modernes ; à Sienne, notamment, des nobles se 
faisaient inscrire au livre des métiers, par calcul 
politique et pour échapper aux proscriptions édic- 
tées contre les hautes classes ; divers indices ont 
fait supposer que Benedetto était peufr-étre dans ce 



(1) Ces talilettes, fort employées dans Tïntiquité, D'aTaient pas 
GomplÉtoment disparu au Moyen âge ; oq les trouve en usage, 
dans certains couvents fraaçais, jusqu'au dlx-buitième siècle. 
Cf., sur ce sujet, l'opuscule, àÈ'ik cité, de l'obbË de Angeus, Oiwr- 

ioni critkhe tnpra un codice cartaceo del leenlo XV e là t*4j 
antichUsima di irrifere in ciraron pari pretifizn dpi parlât 



LES SEBMONS. l»g 

cas (I). Enfin, il n'est pas invraisemblable <|ue le 
prédicateur l'ait un peu aidé : Bernardin savait 
que quelqu'un écrivait ses discours, et il s'intéres- 
sait à ce travail; on le voit par divers incidents 
du compte rendu; à plusieurs reprises, il inter- 
pelle n celui qui écrit », pour lui recommander 
de prendre avec soin tel passage difficile, par 
exemple Findication de divisions compliquées, ou 
une parole des Livres saints (2) ; un jour, ayant à 
dire un texte particulièrement long, il le répète une 
seconde fois à l'intention de « celui qui écrit (3) ». 
Quoi qu'il en soit, le résultat obtenu est fort extraor- 
dinaire, et l'on comprend qu'à l'époque même où 
ce travail a été fait, le prologue de notre manuscrit 
l'ait signalé comme une chose prodigieuse, cosa 
miracolosa. 



^r^Oii, 



Que les sermons recueillis par Benedetto soient 
bien de Bernardin, c'est ce qui ne peut faire de 
doute. On y trouve, à plusieurs reprises, des allu- 



l'Cf. les Omervaiioni précitées de l'abbâ de ânoelis. 
YU Pridiche colgari. t. I, p. 161; t. IT, p. 35, 2*1, £73. 

S ibid., t. m, p. ao7. 



200 SAINT BJERNARbiN DE SIENNE. 

sîons aux circonstances connues de sa vie : par 
exemple, à ce fait qu'il est né, a pris Thabit et a 
prononcé ses vœux le jour de la Nativité de la 
Vierge (1); à ses diverses prédications, notam- 
ment aux jeux meurtriers dont il a obtenu la sup- 
pression à Pérouse (2) ; à son récent voyage à 
Rome et aux attaques dont il a été l'objet à propos 
de la dévotion au nom de Jésus (3) ; au refus qu'il 
a fait de l'évéché de Sienne (4). En outre, plusieurs 
de ces sermons, par le sujet, par la doctrine, par 
l'ordonnance, par les divisions, par les textes 
sacrés, par l'argumentation, ont une similitude 
marquée avec ceux que Bernardin a rédigés en 
latin : tels notamment certains sermons contre 
les discordes des partis, contre les vanités fémi- 
nines, ou sur diverses fêtes de la Vierge (5). La 
similitude est plus probante encore, quand elle se 

(1) Le Prediche volgari, t. II, p. 240. 

(2) Ibid., t. I, p. 97, 285, 349. 

(3) i6id.,t. I, p. 98. 

(4) Ibid.,i. II, p. 69,219. 

(5) Comparez, par exemple, le premier sermon des Prediche 
volgari sur rAssomption (t. I, p. 7 et sq.), avec le sermon de 
Assumpiione B. V. Mariœ et celui de Exaliatione B. Virginis in 
gloriâ (Sancti Bernardini Senensis Opéra, éd. de la Haye, t. IV, 
p. 125 et sq., p. 132 et sq.). Comparez de môme le sermon des 
Prediche volgari sur la Nativité (t. II, p. 239 et sq.), et ceux sur 
l'AnnoDciatioD (t. II, p. 389 et sq., et p. 430 et sq), avec les ser- 
mons sur les mêmes sujets, publiés par le Père de la Haye (t. IV, 
p. 93 et sq., et p. 98 et sq. ; t. II, p. 316 et sq). 



^^" LES SERMO:iS, 201 

I maiiîfesle par la répétition d'idées trop bizarrespour 
I être venues simultanément à plusieurs esprits (I). 
C'est donc bien sûrement le même homme qui 
a écrit les sermons latins et prononcé ceux en 
langue vulgaire ; ce qui ne veut pas dire que ce 
soient lea mêmes sermons, ni le même genre de 
sermons. Ils diffèrent au contraire beaucoup. Sans 
doute, quand il prêche sur la place de Sienne, 
Bernardin ne se dégage pas de ces divisions, 
subdivisions et classifications scolastiques qu'il 
combinait si subtilement, la plume à la main, 
dans sa cellule; il y voit même un point d'appui 
dont, au milieu des entraînements de l'improvi- 
salion, il s'astreint à ne jamais se séparer ; son 
esorde consiste souvent à indiquer et à numé- 
roter les divisions , sa péroraison à les rappe- 
ler (2), et il y revient fidèlement à chaque transi- 
tion. Mais, dans les compartiments ainsi formés, il 
se lance, s'anime, s'échauffe. Au lieu de l'argu- 

(1) Telle est l'obsL'rvalion que le prédicateur prÉlimdail avoir 
faite, et d'aprâs laquelle l'oau daDs laquelle une femme a lavé hbs 
taaJaB serait moiiis sale que celle qui a servi à un liorame ponr 
le même usage ; ello se trouve daos l'une des Prediche volgari 
<t. II, p. 109) et dans l'un des Stnnnnei publiés par le Péro de la 
Haye (t. I, p. S43); seulement elle ne sert pas, dans les deux cas, 
à la mâme démonslratian. 

(3) Le scritie se dispensait parfois de prendre cette sorte de 
recollection et se bornait k l'indiquer. Cf., par exemple, Le Pn- 
' 4iduvotgaTi,l.ï,p. S38,3ûfl; t. Il, p. 387. 



S02 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

mentation méthodique et souvent un peu sèche 
des discours l'crits, c'est la libre et vivante parole, 
avec son aisance, sa variété d'allure, familière ou 
véhémente, satirique ou tendre, allègre ou pathé- 
tique, trahissant tantôt le sourire sur les lèvres 
de l'orateur, tantôt le tremblement ému de sa 
voix, mêlée d'interjections , d'apostrophes , de 
questions et de réponses, parfois presque de petits 
drames vivement mis en scène, toute de verve, 
alla gagliardoza, comme il aime à dire lui-même. Il 
va, revient, se répète, appuie sur les idées qu'il 
sent insuffisamment comprises, suit les pistes qui 
se présentent, obéit aux inspirations qui lui vien- 
nent des circonstances, s'interrompt pour donner 
un avis ; puis, quand il se voit ainsi entraîné trop 
loin de son sujet, il s'y rappelle lui-même : « A 
casa, dit-il, torniamo a casa. » 

En tout cela. Bernardin n'obéit pas à sa fantai- 
sie : il agit suivant les besoins de son public, tels 
qu'il les a discernés d'avance, tels aussi qu'il les 
constate sur le moment. On sent qu'il tient con- 
stamment ses auditeurs sous son regard, devi- 
nant, à leur attitude, s'ils sont distraits ou émus, 
convaincus ou résistants, et qu'il règle en consé- 
quence son discours, n Je m'aperçois bien à cer- 
tains signes, leur dît-il, quand vous ne m'écoutw 



LES SERMONS. 203 

pas de boa cœur; vous remuez la tête, vous y 
portez la main, vous vous retournez (l). » Pour 
les maintenir en haleine et se mettre plus direc- 
tement en communication avez eux, il leur fait 
faire avec lui certains gestes (2), ou les invite h 
nouer soit un fil, soit quelque partie de leur vête- 
ment, pour se rappeler, une fois chez eux, tel pas- 
sage du sermon qui les regarde plus particulière- 
ment (3). En un mot, quand Bernardin, dans sa 
cellule, seul en présence de son sujet, rédigeait 
son sermon, c'était un monologue. Quand il prêche 
sur la Piazza, au peuple assemblé, c'est un dia- 
logue. 

Pour être assuré d'être bien entendu, il a soin 
de parler à ses auditeurs le langage môme dont ils 
se servent tous les jours. Aussi les Prediche vol- 
gari offrent-elles un spécimen, très intéressant 
pour les historiens de la langue, du vieux dialecte 
stennois (i). On conçoit que ce dialecte fût fami- 

(1) Le Prediche votgari, 1. 1, p. 187. 
(ï) /iW., t. II, p. 278, 279. 

(3) Ibid.,i. II. p. 2. 

(4) Quelques expraaâions de ce dialecte ne sont pas faciles à 
comprendre, surtout pour un étranger. M. Milaneïi avait ajouta 
aux dix Piediche publiées pai' lui un vocabulaire explicatif des 
niota et dos fafons de dire propres au dialecte aieanais, qu'il 
avait rencontrés daus ces sernjons. M. Bandii se proposait de 
refaire ce vocabulaire, et il l'avait anuoDcé dans sa préface de 
l'éditioa complète des Predieke volsari ; la mort l'eu a euipéché. 



204 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

lier à Bernardin, puisque Sienne était sa patrie. 
Mais il faisait de même dans les autres contrées de 
ritalie. « Quand je vais prêchant de pays en pays, 
disait-il, et que j'arrive quelque part, je m'ingénie 
à parler le dialecte des habitants. J'ai appris ainsi 
et suis parvenu à parler à leur façon sur beau- 
coup de sujets (1). » Sous l'empire de cette même 
préoccupation, il donne à sa parole un tour qui 
puisse être goûté et facilement compris de la foule. 
Il recourt volontiers aux locutions populaires, aux 
dictons, aux proverbes. Pour exposer et raison- 
ner ses enseignements moraux, il préfère, aux 
considérations abstraites, les images, les com- 
paraisons tirées des objets familiers, à son au- 
ditoire, de la vie de chaque jour, du ménage, 
de la cuisine, des jeux d'enfants, des métiers, des 
choses de la nature, des plantes, des pierres, des 
animaux surtout. On trouve ces images, ces com- 
paraisons, presque à chaque page des sermons, 
quelquefois indiquées en peu de mots, d'autres 
fois développées jusqu'à former de petits tableaux 
aux vives et fraîches couleurs, de courtes scènes 
piquantes et pittoresques (2). C'était là, du reste, 

(1) Le Prediche volgari, t. II, p. 229. 

(2) Ces images, ces comparaisons sont si fréquentes qu'on 
serait vraiment embarrassé d'en choisir des spécimens. Notons, 
au hasard, rien que dans le premier volume, Taccueil fait au chien 



r 



LES SERMONS. 



une habitude chez les prédicateurs du Moyen âge; 
ils exploitaient dans ce dessein une histoire natu- 
relle, parfois très fantaisiste, dont les manuels du 
temps. Bestiaires, Volucraires, Lapidaires ou autres, 
leur fournissaient les éléments. « Autant, disait^ 
au douzième siècle, Hugues de Saint-Victor, il y 
a- de propriétés dans les ohjets visibles et corpo- 
rels, autant on peut trouver d'applications pour la 
vie intérieure de l'âme. » Au seizième siècle, saint 
François de Sales usera encore de celte méthode, 
l'on sait avec quelle grâce, dans ses livres de 
spiritualité. 

Toujours à l'adresse de son assistance popu- 
laire. Bernardin introduit, de temps à autre, dana 
la trame de son discours, de courtes nouvelles ou 
des apologues contenant une leçon morale (1). Le 
lien qui les rattache au sujet traité est parfois un 
peu lâche et artificiel ; il est visible que le dessein 
de l'orateur est surtout de reposer et de récréer 

étranger par les ctiieiiB en Iraio de boire (p. 151), la mÈre qui 
met un amoi' sur son sein pour sevrer son eafant (p. 198), la, 
mouche qui loniix^ dans la soupe du mari gourmand (p. 199], 
l'armurier qui bmail son arme (p. 3£iS), l'oufant tombù dans la 
boue, que an mtie vient relever (p. 355), etc., etc. Voyez aussi 
dans le 1. 111, ji 298, le semeur qui prétend éloigner les corbeaui 
en dressant un mannequin avec une arbalète à la .Tiain- 

(1) M. Zaniiirini a publié, en 1878, un recueil de trente-huit 
Novellelte, Esismpi morati e Apologhi. estraits des discours de- 
Bieane. 

12 



a06 SAINT BERNAItlJIN DE SIE. 

ses auditeurs, ce qui n'était pas inutile avec des 
sermons ilc plusieurs heures. Aussi, voyez comme 
il annonce tout d'abord le récit qu'il va faire, de 
façon à bien réveiller l'attention engourdie ou dis- 
traite : « Je vais, dit-il, vous raconter un très bel 
exemple, un belUssimo essemplo (c'est le nom 'qu'on 
donnait alors à ces contes moralises); écoutez bien; 
cela vous plaira (1). b En ce point encore, Bernardin 
ne faisait qu'user d'une méthode fort répandue à 
son époque, et qui, à la vérité, était de tous les 
temps. Ne rapporte-t-on pas que déjà, à Athènes, 
Démostliène et Démade ressaisissaient l'esprit de 
leurs auditeurs, en leur contant la dispute sur 
Tombre de l'àne ou le voyage de Cérès avec l'an- 
guille et l'hirondelle? Mais c'est surtout au Moyea 
âge que les m exemples » ont été en faveur (2). 
Les éléments en étaient empruntés aux auteurs 
anciens, aux légendes des saints, aux chroniques, 
aux contes populaires, aux apologues en circu- 
lation. Avec le caractère d'universalité qui est 



(1) Cf. Le Prediche votgari, t. I, p. 172, 23i, al9; t. Il, p. 29. 

(B) « Le glaive alHlé de l'argum en talion, disait ua sermonaire 
fameux lie ce temps, Jaequca de Vilry, n'a point de pouvoir 
sur les laïques; à la acience des lîeritui'es, sans lai.]uelte on ne 
peut faire un pas, il faut joindre des eiemplos oneouragoantB, 
récréatifs et cependant édifiants. Ceui qui blâment ce mode de 
prédiuatian ue soupçonnant pas les fruits qu'il peut produire. ■ 



LES SERMONS. 207 

propre ii cette époque, ils formaient une sorte de 
fonds commun à tous les pays de la chrétienté. 
Diverses compilations en avaient été faites à l'u- 
sage des prédicateurs (l). 

Bernardin puise, lui aussi, à cette source banale 
les sujets de ses h exemples ». Quelques-uns se 
retrouveront plus tard chez les conteurs et les 
fabulistes modernes. Voici, par exemple, l'apo- 
logue du Loup et du Renard (2), presque identique 
à celui Je La Fontaine, ou le moine, le moinillon 
et l'âne (3), qui est, avec quelques variantes, la 
fable du Meunier, son fils et l'âne. Voici le lion con- 
voquant les animaux en chapitre, pour leur faire 
faire la coulpe à l'instar des moines : c'est à peu 
près la scène des Animaux malades de ta peste : 
l'àne est roué de coups de bâton et honni comme vo- 
leur; la brebis est traitée d'hypocrite, avant même 
d'avoir ouvert la bouche, et jugée digne des plus 
grands châtiments, tandis que le renard et le loup 
sont déclarés excusables d'avoir suivi leur tempé- 
rament (4). Voici encore l'âne aux trois fermes : 

(1} La Société dei ancieng textet fronçait a publié, en isas, un 
râcueil de ce fleure. Les conta nioratisês de Nicole Bozoa, Frère 
mineur vivant en Anfjlelerra, nu quatorzième .tiécle. 

(S) le Prediche calgari. t. 1, p. 319. 

(3) I6W.,l. I, p dïâ. 

(*) Ibid.,l. H, p. 29 



208 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

trois fermiers sont convenus d'entretenir ensemble, 
dans une petite cabane, sur le chemin du moulin, 
un âne dont ils doivent se servir, à tour de rôle, 
pour porter leur grain. Le premier qui prend 
l'àne lui laisse pour toute nourriture brouter 
l'herbe autour du moulin, pendant la mouture du 
grain; l'herbe était rare, et l'âne l'a vite tondue. Le 
lendemain, le second fermier se sert de l'âne à son 
tour, et, comptant qu'il a mangé la veille, le ramène 
à la cabane sans lui donner aucune pitance. Le 
troisième vient le jour suivant et charge l'âne d'un 
sac plus lourd, se disant qu'im âne appartenant à 
plusieurs doit être fort; et, comme l'âne fléchit, il 
le roue de coups, sans lui donner non plus rien à 
manger. Le quatrième jour, la pauvre bête était 
morte (1). Une autre fois, l'orateur raconte l'his- 
toire de la veuve avant envie de se remarier, mais 
qui craint ce qu'on dira d'elle : pour éprouver l'o- 
pinion, elle imagine de faire écorcher un cheval, 
puis dit à un de ses domestiques de le promener 
par la ville et d'observer ce qu'on en dira; le 
domestique revient en racontant que chacun se 
pressait autour de lui et demandait : « Qu'est-ce 
que cette chose extraordinaire ? » Le jour suivant, 

(1) Le Prediehe volgari, t. III, p. 196. 



LES SERMONS. 
même épreuve avec un autre cheval également 
écorché; l'étonnement est beaucoup moindre. Le 
troisième jour, personne ne se dérange plus de 
sou chemin. Alors la veuve se dit : n Ohl je puis 
bien prendre un mari, car, après qu'on en aura 
jasé, on s'en lassera et, au bout de deux ou trois 
jours, on n'en parlera plus (1). m Faut-il mention- 
ner encore l'histoire de l'ermite qui ne va pas 
entendre le sermon (2), celle du voleur qui se 
déguise en porc pour voler de la farine pendant 
la nuit (3), celle du fou qui se bat avec son 
ombre (4), etc., etc.? Quelques-uns de ces récits 
sont troussés lestement et brièvement; dans d'au- 
tres, l'orateur se complaît à mettre en scène ses 
personnages et à les faire dialoguer; dans tous, 
il fait preuve d'une bonhomie fine ot gracieuse, 
d'un tour vif, et de cet art du conteur où excel- 
laient alors les compatriotes de Boccace. 

Ce mode de prédication populaire a été parfois 
déprécié par certains critiques qui s'étonnent que 
des moines du Moyen âge ne parlent pas, en pleine 
place publique, à une foule encore naïve et rude, 
sur le ton des évêques préchant à la cour de 

(l) Le Prediche volyari, t. I, p. 174. 
(2)J6id..t I, p iitl. 
(3) Ibid., t. 1, p. 33*. 
<i) Ibid., t. 11, p, 210. 



lia SAIST BI-.B.XARUITi DE SIESM-, 

Louis XrV. Ce jugement témoigne de peu de lar- 
geiu- d'esprit. L'éloquence doit être appropriée 
aux circoDstaDces, et la meilleure est celle qui agit 
le plus sur l'auditoire auquel elle s'adresse. Or 
jamais la parole religieuse n'a eu autant d'in- 
fluence sur le peuple qu'à l'époque où elle em- 
ployait les moyeos dont on affecte d'être choqué. 
Sans doute, en cela: comme en toutes choses, il y b 
eu des abus : chez plusieurs des prêcheurs d'alors, 
la familiarité dégénérait en grossièreté, la bonho- 
mie et la belle humeur en bouffonnerie et pasqui- 
nade; de là des scandales qui avaient plus d'une 
fois provoqué les protestations des contemporains 
et les réprimandes de l'autorité ecclésiastique (1). ! 
Mais depuis quand suffit-il qu'on ait abusé d'un 
procédé pour en condamner l'usage? Chez Bernar- 
din, d'ailleurs, nul excès de ce genre. Jamais il 
n'est mû par le vulgaire désir d'amuser ceux qui | 
l'écoutenl; il ne cherche à récréer les esprits que 



(I) DËB 1g IreizièiDË siicle, Dai^le se plaignait des « fiil>lei 
qu'on débitait OD cbaire >, et il ajoutait : t Aujourd'Jiui, l'on s'en 
Ta prêchant avec des Jeui de mots et des bauSoaaeriea; pour 
peu qu'on ait fait rire l'auditioire, le capuclion ae gonfle, et l'on 
n'en demande pas davantage. ~ {ParadUo, ch. ixii, v, iOi-iii.) 
Au aeizième siècle, le concile leou & Sens , en 1328. renouve- 
lait la défense de * provoquer les éclats de rire, A la aianière 
des boulîoua élioDléa, par de» contes ridicules et des liistoi rM.dé | 
vieille Temiiie >. 



LES SERMONS, 3H 

pour convertir les âmes. Si l'on trouve citez lui, de 
loia en loin, quelques expressions, quelques ima- 
ges, dont le réalisme naïf étonne notre goût plus 
timoré (1), ce sont des taches rares. On est plutût 
frappé de ce que cette parole, au moment même 
où elle se fait populaire, garde ordinairement de 
délicatesse, de grâce, de pureté; on y voit trans- 
pirer, à chaque ligne, avec l'exquise candeur du 
saint, la distinction de l'homme bien né et la poli- 
tesse d'un lettré qui n'est pas étranger au mouve- 
ment de la Renaissance. 

Ces qualités font même à Bernardin une place à 
part entre les prédicateurs populaires de son temps, 
Pour s'en rendre compte, il suffit de rapprocher 
de lui un autre célèbre prêcheur qui devait le 
suivre de peu, également Mineur de l'Observance, 
leFrançais Olivier Maîllard(2). Salué par ses con- 
temporains comme M un nouveau Bernardin de 
Sienne d. Maillard est, lui aussi, d'un zèle infati- 
gable, toujours en route, attirant autour de sa cTiaire 
des foules immenses; il traite les mêmes sujets, 
s'attaque aux mômes vices que Bernardin; comme 
lui, il apporte, dans le cadre d'une théologie toute 

(i) Cf. par eiemple Le Predkhe volgari, t. I, p. 15i ; t. 11. p. 13, 



(ï) Cf. le livre de l'abbé Sjibodillan, sur Olivier Maillard, i 



212 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

scolastique, une vie étonnante, moraliste ingénieux 
et piquant, conteur, dialogueur et metteur en scène 
plein de verve ; mais sa verve est plus grossière, 
plus plébéienne; sa satire, d'une note plus vio- 
lente; son rire, plus âpre. Dans sa bouche, le ser- 
mon a des trivialités, des audaces, des licences qui 
approchent de celles du Mystère et du Fabliau ; plus 
d'un trait trahit le contemporain et le compatriote 
de Villon. Enfin, à l'entendre s'indigner des vices 
des puissants, Fapôtre parait avoir quelque chose 
du tribun, sa libre parole a des accents presque 
révolutionnaires qui rappellent les prêcheurs du 
temps des Bourguignons et des Armagnacs, et qui 
font pressentir ceux de la Ligue. De Maillard à 
l'aimable et tendre Bernardin de Sienne, il y a, 
semble-t-il, la différence du rude climat du Nord 
au doux ciel de Toscane. 



VII 



Dans les quarante-cinq sermons qui remplissent 
les trois volumes édités par M. Banchi, on ne dis- 
cerne aucun ordre didactique. Les sujets se suc- 
cèdent ou se mêlent, suivant les circonstances, les 



LES SERMONS. 213 

besoins du peuple de Sienoe, ou l'inspiration du pré- 
dicateur, qui est muni d'avance pour les traiter tous- 
Sur quelques-uns qui lui tiennent plus à cœur, il 
parle plusieurs jours de suite et revient k diverses 
reprises. Lavarîétélui paraît un moyen de tenir son 
auditoire en haleine, et souvent, au milieu de son 
discours, il s'interrompt pour annoncer les sujets 
tout différents qu'il traitera les jours suivants (t). 
Il prononce son premier sermon le 15 août, na- 
turellement sur la fête du jour, l'Assomption. 11 ne 
comptait commencer que le dimanche suivant, 
mais les Prieurs de la ville l'ont pressé de ne pas 
faire attendre le peuple avide de sa parole (2), 
D'ailleurs, prêcher à l'improviste sur Marie n'est 
pas pour l'embarrasser; nul sujet ne lui est plus 
familier el plus doux ; on sait comment il avait fait 
de la Vierge de la porte Camollia la fiancée de sa 
jeunesse (3) ; ses biographes rapportent que, quand 
il prêchait sur la Mère de Dieu, son visage s'illu- 
minait d'une lueur séraphique, et qu'un jour, à 
ÂquUa, devant le roi de Sicile, coointe il célébrait 
les douze <'loiles de la couronne de Marie, l'une 
de ces étoiles brilla au-dessus de sa léte. 

(If Le PredUkt colgari, t 1, p 336; t II. p tu8. US; I tU, 
p. SU, 372 
{3) /6^ , t i. p 2« 
(3) Cr. i^u* luul p 9 et iw>. 



SAINT BERNARDIN DE SIEMME 
A ne considérer, dans ce premier sermon de 1e 
station de Sienne, que l'appareil des ilivisions et 
des ^numérations, par exemple riDlerprélaliondM 
cinq pierres de la couronne de la Vierge (1), on 
serait tout d'abord un peu rebuté. Mais on seul 
bien vite quelle tendre et chaude inspiration cir- 
cule et déborde k travers ce cadre, transformaot 
la ilissertalion scolastique en prière ardente, en 
contemplation mystique, en chant triomphal. 
Voyez, par exemple, comme l'orateur nous peint 
la Vierge répondant à l'invitation d'en haut : 
VfHi de Libano, sponsa mea. Il nous la montre 
se mettant aussitôt eu mouvement, de la terre 
s'élevant dans les nuages, traversant successive- 
ment le ciel de la Lune, celui de Mercure, de 
Vénus, du Soleil, de Mars, de Jupiter, de Saturne, 
ne s'y arrêtant pas, montant plus haut, atteignant 
le ciel des étoiles, puis le cristallin, puis l'empyrée, 
toute rayonnante de fôte, de joie et de gloire : 

Comme, au printemps, la terre est enceinte de fleura 
et de parfums, ainsi Marie est entourée d'anges, d'apft- 
tres, de martyrs, do confesseurs; tous se tienuent 
autour d'elle, l'enveloppant des chants et des odeurs 
les plus suaves. Il me semble que vous pouvez la voir. 



(1) [.e Prtdkhe volgari 1. 1, p. ÏD e: 



LES SERMONS. 2 

§;la pensée, s'élever à la gloire, invitée par tous les 
IFits bienheureux, avec tant d'allégresse, avec de si 
: cantiques, avec une telle fête, que, rien qu'à 
rveilter l'idée par ces brèves paroles, on est ravi... 
, anges, archanges, chérubins, séraphins, apô- 
, patriarches, prophètes, vierges, martyrs, l'en- 
mnent, jubilant, chantant, dansant, faisant des 
(Ses, comme vous le voyez peint, ici près, au-dessus 
l porte Camollia. 

ttarie ne s'arrête pas au milieu des saints; c'est 
Dieu même qui lui a fait appel : 

Considérez Marie monter au Père éternel, ornée de 
toutes les vertus qui font l'âme belle. Elles sont là, 
autour de Marie, toutes les vertus qui peuvent se nom- 
mer, chacune plus ou moins haut suivant son rang, 
toutes désirant parvenir à la bonté suprême de Uieu, 
qui est la source d'où elles découlent en nous. Et 
Marie, ainsi entourée, montait, avec une telle fête, une 
telle volonté, tout enflammée du désir de s'unir à la 
divinité incréée du Père. Et pareillement le Père, avec 
les deux autres personnes divines, l'attendait avec une 
joie, une allégresse que la langue humaine ne peut 
exprimer. Le Cantique des cantiques donne un peu 
l'impression de la douceur des paroles du Père, quand 
il dit : Veni in kortum meum, somr, sponsa; miscut mijr- 
ram meam cum aromatibm mets : comedi favum cum melle 
meo; bibi vmmn meum cum lacté mm. 

L'orateur contemple ensuite Dieu le Père invi- 



21Ô SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

tant Marie à reconnaître « son doux Fils » (dolce 
Figliuolo) uni avec la Divinité : 

Quelle plus grande joie que celle de Marie! Elle jouit 
de Dieu, Je voit, le considère, le possède; elle se mire 
en lui uni au Père éternel. Elle voit dans son fils bien- 
aimé la propre chair qu'elle a nourrie de son lait, 
celle qu'elle a conçue et tenue dans son sein virginal. 
Elle voit cette même chair avec laquelle il a passé 
trente-trois années dans cette vie. Elle voit cette môme 
chair qui a souffert de si âpres douleurs sur le bois de 
la Croix, pour le salut des âmes qui voudraient suivre 
sa doctrine évangélique. Et, de cette vue, Marie éprouve 
tant d'allégresse, tant de consolation, tant de joie triom- 
phante que jamais elle ne se lasse de regarder son fils. 

Et plus loin : 

Toute cette fête qui se fait dans la gloire du ciel, 
quelle en est la cause? Ce sont les noces qui s'y font, 
les noces de Marie, épouse de Dieu. Voilà pourquoi, 
depuis que celle-ci a été élevée au ciel, il n'y a plus 
que danses, réjouissances, chants suaves qui n'auront 
pas de fin. Et il est dit par Salomon à tous ceux qui 
se trouvent à ces noces : Venite et comedite panem meum 
et bibite vinum^ quod miscui vobis,,, Venite et comedite 
omnes et inebriamini. Tous, nous sommes invités à ces 
noces. femmes, plût à Dieu que je vous visse toutes 
enivrées, et moi avec vous, de ce vin de gloire de la 
vie éternelle (1) I 

(!) Le Prediche volgari, t. I, p. 22 à 28. 




LES SERMONS- 217 

En dépit de l'impuissance de notre français mo- 
derne à l'endi'e la grâce, la fraîcheur, la saveur 
originale de la vieille langue siennoise, ne dirait- 
on pas de quelqu'une de ces visions sérapKîques 
que Fra Angelico commençait alors à peindre aux 
murailles des cloîtres et où il montrait, dans la 
splendeur d'une lumière toute céleste, dans le sou- 
rire d'une béatitude et d'une jeunesse éternelles, 
les saints et les anges, chantant, jouant des instru- 
ments, dansant sur les gazons fleuris du paradis, 
ou entourant, dans l'extase de l'adoration, une 
Vierge immaculée que couronne un Christ rayon- 
nant de divine tendresse? 

L'un des premiers sujets traités par Bernardin, 
après ce début, est la prédication elle-même (1). 
Ce lui est une occasion de marquer l'importance 
qu'il y attache. Il va jusqu'à dire qu'entre la messe 
et le sermon du dimanche, mieux vaudrait encore 
manquer la messe que le sermon (2). Que devien- 
drait la foi chrétienne, demande-t-il, si elle n'était 
prèchée"? Et il déclare que le silence de la chaire 
sera l'un des signes de ce règne de l'Antéchrist dont 
il était alors tant question (3). Il se plait à rap- 



(1) 3- , 

(2) Pred.iotg.l. I, p. 66. 
(3)ifii<j.,t. I, p.es. 



318 SAIWT BERNAltDlN DE SIENNE. 

peler, du reste, en d'autres endroits, que c'est 
pour remplir plus librement la mission du prédica- 
teur, pour s'y vouer plus exclusivement, qu'il a 
refusé d'être évéque. « Voilà déjà plusieurs années, 
dit-il, que je supporte cette fatigue de la prédica- 
tion, et je ne connais pas de meilleure fatigue. 
C'est pourquoi j'ai résolu de laisser toute autre 
œuvre. Je ne confesse ni homme ni femme et ne 
m'occupe que de semer la parole de Dieu. " 
Puis, faisant allusion à tous ceux qui viennent 
le presser de se charger de telle ou telle affaire, 
d'apaiser une inimitié, de faire payer une dette, 
de réconcilier un père avec son fils, un mari avec 
sa femme, de mettre le bon ordre dans une pa- 
roisse : n Ce n'est pas mon rôle, répond-il; mon 
rôle est seulement de prêcher (1). » Aussi, de quel 
accent presse-t-il le peuple de venir au sermon! 
« vous qui êtes froids et morts, s'écrie-l-il, allez 
à la fontaine de vie. femme, quand, le matin, tu 
viens h cette fontaine de la vie et de la doctrine de 
Dieu, à la prédication, ne laisse pHS ton mari dans 
son lit, ni ton enfant, ni ton frëre, mais aie soin 
de les éveiller et qu'ils viennent aussi entendre ce 



(i) Prfd. rolg., t. 11. p. 69 et 7û, 367 à 370. — Rapprochez de 
ces pQESDgeB ce qui BEt dit dans un dus sermons latins des 
Œuvrei de taint BemoTdin, 1. 111, p 379. 



LES SERMONS, 
qui, b'îIs sont morts, les rendra vivants (1). n Ce- 
pendant, avec la sagesse et l'esprit de mesure qui 
se joignent toujours à son zèle, ce prédicateur, si 
convaincu de l'excellence du sermon, est le pre- 
^ïDÎer à détourner certaines gens d'y venir : 

Tu as un malade chez toi? — Oui. — Ne reconnais- 
tu pas quel bien tu fais en le soignant? Ne l'abandonne 
pas, pour venir à ia prédication. As-tu de jeunes en- 
fants? — Oui. — Ne néglige rien de ce qui leur est 
r nécessaire, pourvenir à la prédication. As-tu un mari 
L et des enfants pour lesquels il faut que tu conduises 
ménage? — Oui. — Ne les quitte pas, pour assister 
a prédication; si tu ne procurais pas à ta famille ce 
I dont elle a besoin, je ne louerais pas ta venue, car il 
efaut mesurer la part faite à l'autel, Me (icomiiene 
htiiurare Pallare (2). 



Il se plaît à donner des conseils pratiques sur la 

■façon de bien entendre le sermon, de s'y tenir 

I éveillé, attentif, de n'en perdre aucune partie, et il 

[ le fait avec une bonhomie vive, en s'aidant de com- , 

' paraisons familières. Ainsi recommandc-t-il à ses 

auditeurs de o ruminer » , en s'en retournant à leur 

boutique ou à leur vigne, ce qu'a dit le prédicateur. 

« Imitez le bœuf, quand il a pâturé; il rumine, ru* 

(i) Pr«rf. «o(s.,t. I, p. 7S. 
(2) ibid„t, II, p. 42. 



r 



SAIST BERSABDIS DE SIESSE. 



^ 



raine, et ce ruminemcDl lui paraît meilleur que de 
p&turer. Faites de méroe avec la parole de Dieu, 
quand vous reoteudez : ruminez-la beaucoup, afin 
qu'elle vous paraisse encore meilleure à ruminer 
qu'à entendre (1). • Ases conseils, il mêle de petits 
tableaux satiriques : telle l'histoire d'un moine gros 
et stupide, « tauto grosso, di qitelli grossolani, che era 
una confusionf lanto nu grosso ■ ; celui-ci s'exta- 
siait sur le sermon d'un autre Frère qui, au con- 
traire, » disait des choses si subtiles que c'était 
merveille, plus subtiles que le fil de vos fillettes ». 
A chaque question qu'on posait au gros moine, sur 
la raison de son admiration, il savait seulement 
répéter : ■ Le Frère a dit les choses les plus hautes 
et les plus nobles que j'aie jamais entendues. » 
Enfin, pressé davantage : o II a été si iMevé, répon- 
dît-il, (jue je n'y ai rien compris. » Bernardin en 
concluait a. la nécessilé, pour le prédicateur, de 
parler clair ; chiarozo, chiarozo, répétait-il avec 
insistance, alia ckiarozza, de façon que l'auditeur 
sorte content, illuminé, et non imbarbagliato (2). 

Après ces diversions piquantes. Bernardin re- 
prend le ton grave et ému; il donne rendez-vous 
à ses auditeurs devant le souverain ji 



(2) tbid. t. I, p. 59 t 61. Voir anui t. lU, p. S13. ' 



LES SEHMONS. S91 

Sachez que, lejourdujtigement, je serai devantDieu, 
disant : ■ Seigneur, je prêchai à ce peuple ta doctrine, 
et ils ont agi selon ce que j'ai prêché; c'est pourquoi, 
Seigneur mon Dieu, tu as dit par ton évang^lîste : Si 
guis iermonem meum servaverit, mortem non hahebil in 
œternum; quiconque gardera ma parole ne mourra pas 
étemellemeot. Donc, Seigneur, fais que ceux-ci soient 
sauvés... Et je serai aussi, devant Dieu, contre ceux 
qui ont résisté à mes prédications, et de même je dirai 
à Dieu ; Seigneur, j'ai annoncé à ce peuple ce que tu 
m'as commandé; ils n'ont pas voulu m'entendre, ni 
suivre ma parole. Aussi, Seigneur, as-tu dit dans ton 
évangile : Qui non est mecum contra me est; quiconque 
n'est pas avec moi est contre moi. Or puisque ceux-ci 
ne voulurent pas être des tiens, Seigneur, que ta jus- 
tice s'accomplisse (1) 1 

La médisance, qui est de tous les temps et de 
tous les pays, siîvissait à Sienne, car Bernardin 
n'y consacre pas moins de qualro sermons de 
suite (2). En dépit de divisions bizarrement écha- 
faudées sur la description du dragon dans l'Apo- 
calypse, il s'y montre moraliste ingénieux, souple, 
& la fois pratique et élevé. Les divers méfaits 
de la langue méchante sont finement analysés, 
vivement flétris. Quand l'orateur raille, ce n'est 
pas vaine malice, mais toujours désir de déta- 

(1) Pred. volg.. t. I, p. 87. 

(2) 6-, 7% a* el 9- sermons. 



SAINT BEHNAHDIN DE i 
cher les âmes du puclié. Le ton est varié 
peiaturcs de mœurs, des historiettes vienni 
reposer des coûsidératioDs abstraites. A des mor- 
ceaux plaisants, succèdent des mouvements pathé- 
tiques : telle une véhémente malédiction portée 
contre cette langue du détracteur, sen:ieu3e de 
scandales, de mensonges, de discordes et de 
guerre, « première cause des Guelfes et des Gi- 
belins (i) B. Mais s'il flétrît la médisance. Bernar- 
din ne veut pas que celui qui en est victime s'en 
attriste; ne lui est^il pas plus avantageux d'être 
diffamé que loué ? Et il ajoute : 

Il n'est qu'une chose pour laquelle je voudrais a' 
de l'argent. — Que voudrais-tu en faire? Le dépensef 
en aumône pour marier les jeunes filles ? — Non, — 
Pour le profit des églises? — Non. — Pour les prison- 
niers? — Non. — Oh! qu'en ferais-tu? — Je le donoe- 
rais tout à qui voudrait médire de moi... Eh! dis-moi, 
qui crois-tu qui soit plus utile à mon âme, ou quel- 
qu'un qui me loue, ou quelqu'un qui me blâme? 
Reods-toi compte qu'il y a autant de diff'érence entre 
l'un et l'autre, qu'entre celui qui m'entraînerait d'ici à 
terre, et l'autre qui me soutiendrait et m'empêcherait 
de tomber (2). 



Le mal des factions guelfe et gibeline, la 



^ 



(1) Prtd. volait, l.p 159,160, 
(i) Ibid.l. I, p.îOS 




LES SEBHONS. 233 

zialita, ticnL une grande place dans les sermons de 
Sienne, comme du reste dans toute la prédication 
deBernardin.Ilrappelle lui-même comment il avait 
déjà parlé de ce mal en Lombard ie et en beaucoup 
d'autres lieux (1) ; il ajoute que si, en sortant de 
Rome, il est venu à Sienne, c'est qu'il a appris que 
les dissensions yavaieril reparu (2). Trois sermons 
qui se suivent (3) ne lui sufflsent pas à épuiser ce 
sujet; il y revient à diverses reprises dans d'au- 
tres discours (4). Le ton sur lequel il en parle est 
particulièrement grave, ému, tragique ; plus de 
place aux diversions plaisantes ; tout est sombre 
peinture et condamnation sévère. L'exposé qu'il 
fait de ces divisions fournirait à l'hislorien des 
renseignements curieux sur l'état des mœurs ; il 
montre à quel point l'esprit de faction avait tout 
envahi, jusqu'aux actes les plus ordinaires de la 
vie ; il montre aussi à quelle étrange férocité on 
en était arrivé. Parlant devant ceux mêmes qui 
avaient été témoins des faits, l'orateur ne devait pas 
les exagérer; or, voici le tableau qu'il trace des hor- 
reurs qui s'étaient produites a Sienne, depuis deux 
ans, c'est-à-dire depuis sa dernière prédication : 

(1) Pred. vol'j., t I. p. 240, 253. 3M. 

(S) /6id., t. II, p. 69,319. 

(3) ItK, H'Btl3": 

(4) 16'. iS'etiS'a 



23* SAINT IlERNABDIN BE SIEXNE. 

Hélasl que s'est-il fait depuis deus ans? Combiui 
de maux ont produits ces deux partis gueire et gibe- 
lin! Combien de femmes ont élé tuées, dans leur pro- 
pre cité, dans leur maison 1 Combien ont été éventrées, 
de même combien d'enfants tués pour se venger de 
leur père! Combien tirés du sein de leur mère, foulé) 
aux pieds, et pria, et jetés contre le mur pour leur 
briser la tète; la chair de l'ennemi vendue à la boit 
chérie, comme une autre viande; son cœur arraché dn 
corps, pour le manger crui Combien ont été tués par 
le fer et puis ont été enfouis au milieu des excrémentst 
Ceux-ci ont été rôtis et puis mangés, ceux-là ont été 
précipités en bas d'une tour, d'autres jetés dans l'eau 
par-dessus les ponts; ici la femme a été prise et violée 
devant le père et le mari, et eux tués devant elle; et 
nul n'a eu pitié d'autrui, qu'il ne l'ait vu mort. Que 
vous en semble, femmes? Bien plus, j'ai entendu dire 
qu'il y a eu des femmes si acharnées contre les partis 
adverses, qu'elles ont mis la lance à la main du tout 
petit enfant, pour que, par le meurtre, il assouvit sa 
vengeance. Je sais une femme si cruelle pour une 
autre femme du parti contraire, qu'elle dit à un servi- 
teur : « Une telle fuit, elle est en croupe derrière un 
cavalier qui remmène. • Et ce serviteur les poursui- 
vit, criant avec menace au cavalier : ■ Pose celle 
femme à terre, si tu neveux pas la mort 1 ■ Le cavalier 
ayant obéi, l'une des femmes tua l'autre (1). 

L'orateur ajoute qu'il est loin d'avoir tout dît. 
(1) Pred. volg.. 1. 1, p- BSÏ, ÏS3. 



LES SEBMONS. 835 

Aussi emprunte-t-il la parole de Jean dans l'Apo- 
calypae, pour s'écrier : Vœ terrœ et mari, quia des- 
cendit diabolus ad vos. Le diable, c'est bien lui qu'il 
découvre et dénonce dans toutes les œuvres des 
partis. Il est indigné, comme d'un horrible sacri- 
lège, quand il voit les insignes de ces partis, gravés 
ou peints dans les églises elles-mêmes. « Quelque- 
fois, ajoute-t-il, je les ai vus jusque sur la tôto du 
Crucifié. Alors, à ce spectacle, j'ai dit : Seigneur 
Dieu, oh! tu as le diable au-dessus de toi (1)1 » 
Après tout acte de parti qu'il dénonce, il déclare 
solennellement que c'est un « péché mortel n, le 
M péché le plus grand, le plus corrupteur, le 
plus pestilentiel qui existe sous la calotte des 
cieux u; il ajoute que celui qui meurt en cet état 
est damné , qu'il va en enfer, « a casa del diavolo « . 
Avertissement redoutable qu'il ne se lasse pas de 
répéter, et qui retombe à'cliaque fois, comme un 
lourd marteau, sur la tête du parziale (2). A son 
avis, nulle messe ne peut-être dite, nulle prière 
ne doit être faite pour l'homme de parti mort sans 



(1) L'émolion du prédicateur donne même à, aoa langage une 
énergie et une audace que la délicatesse moderne ne me permet 
pas de traduire : ' lignare Dio, oh, lu hai il diavolo topra i2i 1', 
il quaU si puù dire che îi piscia in eapol — Baita, batta. - (Prtd. 
. volg., t. II, p, 15.) 
. (S) Patiim, dans les sermons précités 




8AIHT BERNABDIN D£ SIENNE, 
s'élre repenti : ce serait pécher mortellement J 
tercéder pour lui, parce que Dieu veut qu'il sw 
damué. u II est aussi licite, dit-il, de prier pour 
son âme que de prier pour l'àme de Mahomet (1). » 
Et, aiia de donner une forme plus saisissante, plus 
effrayante à son admonition, il va jusqu'à dire : 

Mes concitoyens, et vous femmes, je veux que vous 
écoutiez une prière que je vais faire, ce matin, pour les 
âmes de mon pÈre, de ma mère et de mes parents, 
t Seigneur Jésus-Christ, je te prie que, si mon père, 
ma mère ou quelqu'un de mes parents est mort tenant 
pour un des deux partis dont je parle, aucune messe 
ne vaille pour son âme, qu'aucune de mes prières ne 
lui soit utile. El encore, je te prie, Seigneur, que si 
l'un d'eux a tenu pour un parti jusqu'à la mort, et ne 
s'en est pas confessé, mille démons aient son âme, et 
qu'il n'y ait jamais de rédemption pour lui (2). » 

Autant la parole de Bernardin est terrible quand 
il maudit la discorde, autant elle a de douceur 
quand il prêche la paix (3). Il y emploie tout un 
des derniers discours de la station. Écoutez-le 
s'écrier, avec ua accent qui rappelle saint François 
d'Assise et dont, après plus de quatre siècles, on 

(1) Pred. volg., t. II, p. 237, 838. 
(!) Ibid., t U, p. 18. 

(3) CI-, 9ur ce sujet, un pusage déjà aM des Bermona kUne, 
plus haut, p. 180. 



LES SERMONS. 227 

croit encore percevoir la tendresse émue ; « Oli ! 
mes concitoyens, récoaciliez-vous ! (Mot à mot : 
réembraasez-vous, rabracciatevi insieme.) Que celui 
qui a reçu des injures, pardonne, pour l'amour de 
Dieu, et, en cela, il prouvera qu'il veut du bien à 
sa cité. Vous avez l'exemple de la vie du Christ; il 
a toujours dit : Paix. Il n'est rien qu'il ait aussi 
tendrement recommandé que la paix. » Un peu 
plus loin : « Mes concitoyens, je vous prêche la 
paix, je vous recommande la paix. vous qui 
avez bonne volonté, ne vous dérobez pas, observez 
cette paix, pour l'amour de celui qui vous la re- 
commande. M Puis il rappelle au chrétien que le 
Christ, l'Èghse, sa conscience, les inGdèles eux- 
mêmes, tout lui crie : Paix. « C'est pourquoi, lui 
répète-l-il encore, je te prie, je te conseille, je 
t'ordonne, de la part de Dieu, de pardonner (1). » 
Enfin, quand, à force d'instances, il croit avoir 
touché le cœur de ses auditeurs, il leur demande 
un signe visible de leur adhésion; il invite femmes 
et hommes à se rendre, en sortant du sermon, les 
premières à l'église Saint-Martin, en suivant le 
Ponione (2), les seconds à la cathédrale (3) ; par 

ft àe\ Carupo 



(1) Pred. volg.. l. III, p 


377. 381. 


(S) Nom aoeien de la ru 


e qui conduisait de la Piojtza del 


l'église Saint-Martin. 




(3) Le texlo porte Vesco 


vado, mais l'éditear pense que 



sas SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

cette démarche, les uns et les autres témoigneront 
aolennelleraent qu'ils offrent la paix à tous et se 
réconcilient avec leurs ennemis (1). L'orateur ter- 
mine par cette dernière adjuration : 

Ohl mes frères et mes pères, aimez-vous les uns les 
autres, embrassez-vous de nouveau, et si quelque mal 
vous a été fait dans le passé, pour l'amour de Dieu, 
pardonnez les injures refues; n'ayez plus de haine 
entre vous, afin que vous ne soyez pas haïs de Dieu. 
Aimez-vous et témoignez-le l'un à l'autre, avec vos 
paroles, avec votre cœur, avec vos actes, comme fai- 
sait le Christ envers ceux qui l'avaient offensé. Vous 
savez que, lorsqu'il était sur le bois de la crois, il mon- 
tra combien, loin de les haîr, il les aimait... Qui sera 
assez inique et assez cruel pour refuser de pardonner 
pOTirramour de Dieuî... Citoyens et vous femmes, je 
vous prie, je vous exhorte, je vous ordonne autant 
que je peux, que vous ayez et que vous gardiez la 
paix. A vous femmes, je demande que vous m'aidiez 
pour l'amour de Dieu. A tous, hommes et femmes, je 
dis que vous m'aidiez dans la fatigue que j'ai portée, 
avec tant de sollicitude et d'amour, pour votre paix... 
Si vous êtes tous réconciliés ensemble, vous aurez la 
paix sur la terre et, de là, vous l'aurez dans la gloire 
que je prie Dieu de vous accorder par sa grâce et sa 
miséricorde, in sœcula sœculorum. Amen. Femmes, géné- 

BÎgniQe. en celte circonalance, ta csUitdriLle. Cl. Pred. volg., 
t. II, p. 411. 
(i) Pred. voty., t. III, p. 383. 



LES SERMONS, SSO 

reusement par le Porriooe, et vous,vailliints hommes, 
à la cathédrale (1)1 

Aux vanités féminines, aux excès du luxe, à 
rimmodealie des vêtements, notre prédicateur con- 
sacre tout un sermon, où il passe en revue la toi- 
lette, de la tête aux pieds (2); le môme sujet est 
touché accessoirement dans plusieurs autres dis- 
cours. A l'entendre, les Siennoises dépassent, 
par le faste de leurs modes, ce qu'il a vu ail- 
leurs (3); il leur oppose les dames romaines qui, 
toutes, femmes de princes ou autres, n'ont pour 
atour qu'une étoffe de laine blanche dont elles se 
recouvrent les épaules et la tête (4). Les détails 
dans lesquels entre le prédicateur permettraient 
de reconstituer par le menu le costume d'une élé- 
gante ou d'un damoiseau d'alors, n'est parfois 
l'embarras de savoir à quel objet s'applique telle 
ou telle expression (5). Ne va-t-il pas jusqu'à 

<1) Pred. volg., t. m, p, 389, 38D. 

(S) 37- sermon. 

(3) Pred. votg., t. li, p. 111. 

(i) Ibid., t. Il, p. 90. 

(S) On trouvait déjà des descriptions de ce genre dans les sor- 
mons latius rédigés par saint Bernardin et publiés dans l'édiUon 
du PÈre de la Haye. 11 nous y dépeint la femme portant sur la 
tête des cheveux postiches, dorés et chargés d'une couronne d'or. 
Au-dessus encore, s'élève, couverte de soie et de hroderies, uoe 
mitre que, dans son indignation, il appelle une vessie toute 
gonflée. Des peignes, des joyaux de prix achèvent d'enibellir la 



«A-. SAINT BEBNABDIN DE SIENNE. 

fixer la dimension des talons de chaussures? « Ces 
femmes, dil-il, prétendent que je leur ai permis 
de porter des mules liautes de deux doigts; c'est 
vrai; mais quelques-unes disent avoir compris 
deux longueurs de doigt; je n'ai pas dit cela; 
j'ai dit deux largeurs de doigt (1) . u Avec quelle 
piquante vivacité il met en scène tous les manèges 
de la coquetterie féminine I Ici, c'est le portrait 
finement détaillé de la veuve qui brûle de se rema- 
rier (2); là, le tableau de jeunes femmes flirtant 
avec les jeunes gens, au sortir de l'église (3). 
Écoutez encore ce court apologue : 

As-tu jamais entendu parler d'une corneille qui s'ha- 
billa un jour avec des plumes de toutes sortes? Oh! 
qu'elle était belle avec des reflets de diverses cou- 
leurs I Sais-tu ce qui est arrivé? Tous les oiseaux s'as- 
semblèrent autour d'elle, chacun enleva la plume que 

tâte, et les pierres retambeot sur le froot. Aux tempes, des 
cerulesd'ar: aux oreilles, de riches pendaDls. Le froaL trop étroit 
■'est agrandi, grâce sut épilatoires. Les sourcils décrivent une 
courbe gracieuse que [ait mieux ressortir ta teiale Doire qu'on 
leur a donaËe. Los deote tombées out été remplacées par des 
dents d'ivoire; les dents g&lées ODt élè ramenées è. leur blan- 
cheur primitive. Un verre léger a enlevé le duvet que ne pou- 
vait atteindre le rasoir, cl la peau s'est adoucie sous les uosmé- 
ticfuaB. (T. 1, sermon XLIV, Conlrn vt'indanas vaiUlales el pampas, 
et sermon XLII, Contra facatat et capiilos aduilerinoi porlanles.) 

(1) Pred.ttolg..L l,p 356, 

(S) Ibid., t, II, p. 197 à 199. 

(3) Ibid., t. m, p âlS ^^H 



LES SERMONS, 



931 



' la corneille lui avait empruntée, et ainsi elle resta 
déplumée. femme qui portes tant de choses qui ne 
sont pas tiennes, si la laine dont tu es vêtue retour- 
nait à la brebis, la soie au ver qui l'a filée, et les 
cheveux que tu portes aux morts dont ils étaient les 
propres cheveux, et si les crins que tu emploies re- 
tournaient aux chevaux, si toutes les choses que tu as 
enlevées pour les appliquer à ta parure, retournaient 
à leur principe, oh! tu resterais bien dépouillée, tu 
n'aurais pas tant d'ornements et de barbouillages que 
tu en as, et tu ne ferais pas autant de péchés (J). 

Et au sujet de ces femmes qui ne sont pas chez 
eAles ce qu'elles se montrent dans le monde : 



N'as -tu pas entendu dire que l'aubergiste vend 
deux sortes de vin en même temps, l'un meilleur 
que l'autre? Le meilleur, il le donne aux amis et à 
ceux qui viennent souvent; et le plus mauvais, aux 
sots. Ainsi fait la femme vaine. Elle vend le meilleur 
vin sur la place de l'évêché, dans la cathédrale, à 
ceux qui l'admirent; et l'autre à son sot de mari. 
Quand elle va â l'église, elle y va ornée, peinte, en- 
guirlandée, comme si elle élaït Madonna Smiraldina, et, 
à la maison, elle se tient comme une péronnelle. Certes, 
vous devriez en rougir... C'est dans votre chambre, 
avec votre mari, que vous devriez faire la meilleure 
figure, et non sur la place de l'évêché au milieu de 



(1) Pred. vah/., t. 1 



232 SAINT CERNARDIN DE SIEMME. 

tant de gens. Quelquefois, il semble que tu veuilles ' 
te montrer dehors ud lion, et à la maison une 
pécore (i) . 

Contre l'extravagance des modes, la satire lui 
paraît de mise. 11 se moque des femmes qui por- 
tent sur leurs têtes, « l'une des créneaux, l'autre 
une citadelle, la troisième une tour détachée comme 
celle que je vois là », dit-il en désignant du geste 
la grande tour du Palais public. « Ce sont ces cré- 
neaux, ajoutc-l-il, où se dressent les étendards du 
diable. » Les auditeurs sont-ils tentés de rire, il les 
contient sévèrement: « Ne riez pas, leur dit-il, car 
vous avez sujet de pleurer (2). » Et un autre jour, 
comme il s'élevait contre « ces manches si vastes 
qu'on pourrait on faire deux manteaux » : « Holà, 
s'écrie-t-il, ne souriez pas, car le diable, lui ausBÎ, 
aurait de quoi sourire. Si les séraphins de Dieu ont 
deux ailes, les séraphins du diable en ont aussi 
deux; vous êtes vraiment, avec vos manches, les 
séraphins du diable (3). s Ce n'est pas, en effet, 
pour lui matière à plaisanterie : dans ces vanités, 
il dénonce, avec une rigueur qu'on serait tenté 
parfois de trouver excessive, des « péchés mor- 

(1) Prad. volg., l. III, p. 30G. 

(2) Jb(<I.,t. III, p. 306. 

(3) /6id„ t. III, p. 307.208. 



r 



LES SERMONS. 



lels (1) 11. Aussi sa raillerie tourne-t-elle viti 
indignation. A la mèro qui hatille sa fllle comme 
une courtisane, il crio : « N'as-tu pas honte?,., Olit 
si j'étais ton mari, je te donnerais une volée t 
coups de pied et de coups de poing dont tu te sou- i 
viendrais... frate Mazica, fraie Bastone (2), venez I 
punir le péché de celles qui veulent paraître cour- 
tisanes (3). B II revient fréquemment sur cette > 
assimilation : | 

A quoi recoonalt-on où se vend le vin? A l'enseigne. 
De mÉme à quoi reconnatt-on une auberge? Aussi à j 
l'enseigne. Ta vas à la taverne pour avoir du vin, 
parce que tu as vu l'enseigne, et tu dis au marchand : 
Donne-moi du vin. N'est-ce pas ainsi? Or, si quelqu'un 
allaita une femme qui, dans ses vêtements et sa coiffure, 
porte l'enseigne d'une prostituée et lui demandait... tu 
m'entends, ce qu'on demande à une prostituée, comme 
on demande du vin à l'aubergiste, que penses-tu qu'il ' 
en serait (4)? 

Ce qui le révolte le plus dans ce luxe, c'ea 
voir, à côté, la misère non soulagée. A la femme j 
qui empile dans ses coffres et dans ses armoires 

(1) Pred. votg., t. III, p. 1S6, 193, 304 et pattim. 

(Si Mot A mol: (Frère Gourdia, frère Bâton >, cxpresâioa habi- 
tuelle Il Bernardin pour persoDûiGer les fléaux dlvei's par lesquels 
Dieu punit les méchants. 

(3) Pred. notg., t. lU, p. 176, 

I, p. 307. Cf. aussi p 18g et 330. 



S!3i SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

tant de beaux vêtements, pendant que le pauvre 
iiieurL Je froid, il demande : « Quel sera, crois-tu, 
devant Dieu, le cri de ce malheureux contre toîl 
Olil si Lu prêtais l'oreille, tu entendrais : Ven- 
geance, vengoancel De marne, si tu écoutais le 
cri de tes colTres, de tes armoires si remplies, lu 
entendrais : Miseremini mei, miseremini mei (1). » 
D'ailleurs, toute cette richesse n'est-elle pas faite 
souvent de vol, d'usure, et, comme il dit énergi- 
quement, a de la sueur des citoyens, du sang des 
veuves, de la moelle des pupilles et des orphe- 
lins s ? Et il ajoute : ■ Qui prendrait une de ces 
jupes, pour la presser et la tordre, en verrait 
sortir le sang de créatures humaines... Ne vois-tu 
pas que l'habit que tu portes sur les épaules est 
taché de sang (2)1 » 

Devant un peuple aussi commerçant, Bernar^ 
din ne pouvait pas ne pas parler du négoce et des 
péchés qui s'y commettent (3) ; il en énumère jus- 
qu'à dix-huit; à ce propos, il met en scène, avec 
le tour vif qui lui est propre, les diverses pratiques 
dont usaient alors les marchands malhonnêtes : 
elles ressemblent fort à celles d'aujourd'hui. 

(1) Pred. volg., t. IH, p. 1S5, ISS. Noua a 
chose d'analogue daua les sermoDs latins. Cf. pluj 

(2) Ibid., t III, p. 193,191. 

(3) 38' sermon. 




LES SERMONS. 1 

i maintenant une série de sermons sur 
^çon dont le mari doit aimer sa femme, et la 
femme son mari (l). Nul plus que cet homme de 
cloître ne prise la valeur et le charme d'une bonne 
épouse; nul n'en parle avec plus de grâce et de 
chaleur : 

Saurais-tu me dire quelle est la plus belle et la plus 
utile chose qui soit dans une maison? Est-ce d'avoir 
beaucoup de domestiques obéissants et bien habillés? 
Ce n'est pas cela. Serait-ce d'avoir du l'argenterie, des 
tentures de drap ou de velours? Ce n'est pas cela. 
Serait-ce d'avoir des enfants obéissants, sages et aima- 
bles? Non pas cela. Quoi donc? Le sais-tu? le sais-tu? 
C'est d'avoir une femme belle, grande, bonne, gage, 
honnête, douce, et qu'elle donne à son mari de petits 
enfants. Certes, c'est là le plus bel ornement qui puisse 
être dans une maison. Sais-lu comment est cette femme? 
Elle est comme le soleil qui illumine le monde, et, 
sur la terre, rien de plus beau que le soleil. Qui le 
dit? L'Ecclésiastique au chap. iv. Sicut sol ornamentum 
at in altissitnisj ita mulier sapiens in domo viri (2). 

n veut qu'on juge la femme, comme l'arbre, 

d'après ses fruits. Or, demande-t-il, peut-on voir 
un plus beau fruit qu'un petit enfant? N'est-ce pas 
le fruit de l'arhre planté dans le paradis terrestre 



(i) )9', 30°etïi' 
(2) Pred. ralg.,t 



I. p. 108, 107. 



838 SAINT BERNÂROIK DE SIENNE, 

et formé des mains de Dieu même? Aussi s'in- 
digne-t-il contre ceux qui, ne sachant pas recon- 
naître la beauté de ce fruit, n'ont pas égard à la 
femme qui le leur donne. 

Il est des hommes qui sauront mieux supporter une 
poule, à cause de l'œuf frais qu'elle pond tous les jours, 
qu'ils ne supporteront leur propre femme. Si, par 
hasard, la poule brise un pot ou un gobelet, ils ne la 
battent pas, pour n'être pas privés de son fruit qui est 
l'œuf, fous à enchaîner, vous ne savez pas sup- 
porter une parole de vos femmes qui vous font de si 
beaux fruits I car, si une femme dit une parole de plus 
qu'il ne convient à son mari, subitement celui-ci prend 
le bâton et commence à la battre: et la poule qui glousse 
toute la journée sans aucun repos, tu la Bupportes 
patiemment pour avoir l'œuf qui peut-être se cassera... 
Des maris bourrus battent leurs femmes, quand ils ne la 
trouvent pas assez parée, tandis qu'ils supportent que 
la poule fasse ses crottes jusque sur la table... Consi- 
dère donc, malheureux, considère le beau fruit delà 
femme, et sois patient : il ne faut pas la battre pour 
la moindre chose. Nonl... (1). 

Lafemme, pournotre prédicateur, est aussi celle 
qui gouverne la maison; ce lui est une occasion 
de peindre, avec la précision réaliste d'un maître 
hollandais, deux petits tableaux d'intérieur : d'une 



(1) Prtd. 




^^™ LES SERMONS- 237 

f part, la bonne mt^nagère, tenant tout on ordre, ran- 
' géant son grenier, soignant l'huile, le vin et les 
salaisons, répartissant ce qui est à vendre et à 
garder, faisant filer et tisser la toile des draps, etc. ; 
en opposition, l'homme qui n'a pas de femme pour 
tenir son ménage, et chez lequel tout est sale et en 
désordre; son huile se répand, et il se borne à jeter 
un peu de terre dessus ; son vin tourne au vinaigre : 

Au lit, sais-tu comment il se couche? Il dort dans 
un fossé, et le drap qu'il a mis sur le lit, on ne l'en- 
lève pas jusqu'à ce qu'il soit déchiré. De même, dans 
la salle où il mange, gisent par terre les cosses de 
melon, des os, des épluchures de salade, et toutes 
sortes de choses laissées sur le sol, sans être presque 
jamais balayées. La table, sais-tu comment elle est ser- 
vie? On pose tout sur la nappe qu'on n'enlève que 
quand elle est pourrie. Le billot est un peu nettoyé, 
parce que le chien le lèche et le lave. Les pots sont tous 
brisés. Va, regarde. Sais-tu comment vit cet homme? 
Il vit comme un animal- Je t'assure qu'on ne peut 
jamais bien vivre en vivant seul. Femmes, saluez (1)! 

Bernardin pénètre bien plus avant dans son 
sujet, si avant que je serais embarrassé de le 
suivre. Il aborde les cas de conscience les plus 
intimes et les plus délicats de la vie matrimo- 

^^(i) Prtd. votg., l. II, p. JIS, 119. 



938 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

niale, avec uoe liberté qui effaroucherait fort au- 
jourd'hui. Ce n'est certes pas, chez le saint et 
pur religieux, recherche indiscrète des questions 
scabreuses ; c'est uniquement sollicitude aposto- 
lique des âmes qu'il voit en péril. « Sur mille 
mariages, dit-il, je crois qu'il y en a neuf cent 
quatre-ving^t-dix qui sont mariages du diable (1). » 
Aussi ne se lasse-t-il pas de répeter : Malheur 
au prédicateur qui n'instruirait pas les igno- 
rants et n'avertirait pas les coupables ! A plu- 
sieurs reprises, il presse les mères d'amener à 
cette prédication leurs Glles, non seulement celles 
qui sont mariées, mais celles qui sont à marier (2). 
Il voudrait aussi, en cette circonstance, avoir, au 
pied de sa chaire, tous les confesseurs de la ville, et 
il demande qu'on leur réserve un banc. Que plu- 
sieurs do ses auditeurs feignent d'être choqués et 
lui cherchent querelle à ce propos, il s'y attend, 
mais ne s'en trouble pas, sûr qu'il est de faire son 
devoir (3). « Sais-tu pourquoi, demande-t-il, je te 
parle de ces choses? C'est pour ton bien. Tu dis 
peut-être : Oh ! tes paroles m'apportent une puan- 
teur qui me pénètre jusqu'àla cervelle, — Je te ré- 



(I) Pred.volg., l. II, p. 95. 
(8) Ibid.. t. II. p. 85, 9S, i4i. 
(3) Ibid.. tu, p. 101. 



r 



LES SERMOKS 



ponds qu'à moi cela ne me paraît pas une puanteur, 
mais la meilleure odeur du monde (i) « Il prescrit 
donc à son auditoire de l'écouter avec conflance et 
sana se scandaliser, senza scandale e con fede (2). Il 
promet d'ailleurs de parler avec discrétion. « Avez- 
vous jamais vu, dit-il, le coq. quand il entre dans 
la fiente? Il y entre tout propre, en relevant ses 
ailes pour ne pas se salir et pour pouvoir s'envoler 
sur son perchoir. Ainsi ferai-je (3). n 

Il est un autre sermon où cette hardiesse de lan- 
gage apostolique étonnerait plus encore un audi- 
toire moderne, c'est celui qui est consacré tout 
entier à combattre le vice infâme qui jadis avait 
attiré le feu divin sur Sodome (4). D'après les 
témoignages contemporains, l'Italie en était alors 
infestée (S) ; les magistrats étaient obligés d'édicter 
des naesures spéciales pour le réprimer, tandis 
qu'un écrivain, tristement fameux, en faveur au- 
près dos princes et dos humanistes, Beccadelli, dit 
le Panormita, en faisait l'apologie dans un de ses 
Ji\Tes. Cela explique que Bernardin ail cru néces- 



(i) Pred. 1-ot.j ,1. Il, p. 136 
(S) Ibid.. t. II, p, 132, 
(3) Ibid., t. 11, p, 95. 
(i) 39' sermoQ, 
(5) Cf. les sources îadiquéi: 
t, trad. F. Baynaud, 1. 1, p 



: dans VHisloire des Papes, do Pas- 
32,33. 



F 



us SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

saire de porler le fer rouge de sa parole dans cel 
ulcère. Alors surtout, il désire un nombreux audi- 
toire, n Je voudrais, dit-il en commençaot ce aefr 
mon, qu'il m'en coûtât une demi-livre do sang et 
que ce fût aujourd'hui dimanche, pour qu'Q y 6Ûl 
plus de monde à m'enlendre (1). » 

Parfois, c'est l'évtinement du jour qui détermine 
le choix do son sujet. Des élections ou l'înst^ 
lation de nouveaux fonctionnaires le conduisent 
à exposer les devoirs de la vie publique, ceux des 
citoyens comme ceux des magistrats (2). La fête 
de la Nativité lui est une occasion de reparler de la 
Vierge (3). Avec quelle joie il la saisit 1 h O voua 
hommes, et vous aussi femmes, s'écrie-t-il, pre- 
nons-en ce matin tout notre saoul, pigliamone stit 
mane una corpacciata. » Cela no lui suffit pas ; au 
cours de l'octave, il revient encore à Marie et cé- 
lèbre son Annonciation : a femmes, dit-il, apprè- 
lez-vous à être attentives; si les pierres pouvaient 
et savaient, elles voudraient entendre, h Le lende- 
main, toujours à propos du mémo mystère, iï 
aborde ce qu'il appelle una gentilissima materia (i) ; 
il expose comment la Vierge, au moment de la 

(1) Pred.volg.,tm, p. 233. 

(2) 17' et 35" sermons, 

(3) 2i' sermoD. 
(1) Pred. volg., t. II, p. 430. 



LES SERMONS, 3il 

Eutation angélique, n'était pas seule, mais avait 
""autour d'elle douze nobles demoiselles : ces de- 
moiselles sont les personnifications des vertus de 
Marie (1). Le public du Moyen âge goûtait fort les- 
allégories de ce genre; certains prédicateurs en 
développaient souvent de moins gracieuses et 
d'une subtilité plus bizarre. 

Ces sermons, de sujets si variés, sont tous 
comme échauffés par une même flamme. Cette 
flamme, c'est le zèle de l'apôtre, son amour 
ardent et inquiet des âmes. A-t-il quelque indice- 
que ses exhortations sont entendues, il en est tout 
heureux; son cœur et son corps même eu sont 
revivifiés : o Je vous assure, dit-il un jour où il 
constatait les bonnes dispositions du peuple, que 
j'ai engraissé, depuis que je suis arrivé dans cette 
ville, n Senl-il, au contraire, des résistances, il en 
souffre et s'alarme des colères divines dont il voit 
la menace peser sur ses auditeurs. A chaque 

(t) Barnardia aimait particulièrement cettoeillËgorie des domoi- 
selled, compagnes de la Vierge; elle est reproduite, avec des 
Tariaotes, dans plusieurs de ses discours latins (Sancli Bernar- 
dini opéra, t. il, p. 319, et t. 111, p. 288), et aussi dans le manu- 
scrit inédit d'autres Predicke volgari, prononcées par lui à Florence 
et conservées dans la Bibliothèque de celte ville. Cette allégorie 
avait, du reste, cours dans la prédication du tempp. et on la 
retrouve, plus ou moins modifiée, dans les sermons de GersoQ et 
dans ceux do Maillard. 



^ 



us SAINT BERNARDIN DE SlE.XiNE. 

instant, il les avertit du péril et trouve, pour le 
faire, quelques-uns de ces accents de prophète par 
lesquels, un demi-siècle plus tard, Savonarole 
terriûera Florence. Cueillons au hasard dans 
divers sermons : 

Vous êtes en meilleure situation qu'aucune autre 
cité. Ilélas! j'ai grandpeur que, sous tant de Mens, il 
ne couve quelque chose qui m'épouvante. Vous aTM 
beaucoup de richesses, vous avez la paix partout, vous 
avez l'abondance de toutes choses, vous êtes bien vus 
de chacun (1)1... Où peut-il être plus doux d'habiter 
qu'en Italie?... Prenez s^rde que Dieu ne dise : Je 
vous ai donné la paix, et vous n'avez pas su le recon- 
naître; aussi je vous donnerai la guerre. Je vous ai 
donné les richesses, et je vous donnerai le dénuement. 
Je vous ai donné la famille, et je vous donnerai la mor- 
talité (2)... Si vous dites qu'il ne vous manque rien, 
je vous répondrai qu'il ne vous manque qu'une chose ; 
savez-vous laquelle? Il ne vous manque que la colère 
de Dieu (3)... Prends garde, prends garde, cité de 
Sienne, qu'on ne dise de toi ce que Dieu a dit de Jéru- 
salem ; Vidit civitatem a longé : fievit super iliam et dixit : 
Si tu cognovisaes tempus visitatiotus tum, etc... Sienne, 
tu es belle, oui; mais non autant que le fut Jérusalem! 
Tu as la paix, oui, mais non si pleine que l'avait Jéru- 



(i) Pred. votg.A- I,p. 133. 
(2) Ibid..l. 1. p. 272,876. 



LES SERMONS. 213 

Ealem I Et je le dis : Prends garde, prends garde, car, 
comme le péché de ce peuple a ému la colère de Dieuj 
aiast je te dis de prendre garde que tes péchés n'é- 
meuvent la colère de Dieu. Il observe, observe; quand 
il aura observé et observé, tiens pour certain qu'il 
fera comme à Jérusalem, où il ne resta plus debout 
une pierre de ses éditices, et où tout fut exterminé (I). 

Ailleurs, Bernardin parle de ce prédicateur qui, 
lui aussi, sait réunir h. ses sermons des foules de 
trente et quarante mille personnes. « Savez-vous 
comment il s'appelle? demande-t-il. II s'appelle 
frate Bastone (2) . Oh ! c'est là un très grand prédi- 
cateur. J'ai bien peur qu'il ne vienne vous prê- 
cher (3). « L'orateur compare encore l'ange des 
colères divines à un faucheur : 



Sais-tu comment fait celui qui fauche le foin? 11 
prend la faux en main, et il la bat, la bat, la bat. 
llélasi hélasl Sienne! Quand celui qui fauche aiguise 
sa faux, prends garde à toi, je te le dis. Car quand il 
a fauché un morceau de pré, il aiguise sa faux de 
nouveau, et regarde autour, de toutes parts, où il y a 
à faucher. Il regarde au levant, au couchant, au midi 
et au nord. Considère qu'il a déjà fauché partout, 



(1) P«d. iM)(!,„t. I, p, 131. 

(S) J'ai diijâ 
persaoniGor ninai 1 
hommes. 

(3) Pred. loly.. t. 1 



noter qua Bernardin se plaisait i 
par lesquels Dieu châtiait les 



244 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

excepté ici. C'est pourquoi je te dis : Prends garde, 
prends garde, prends bien garde. Sienne (1). 

Plus loin, il reprend cette même métaphore : 

Le faucheur pose la faux appuyée à terre, tient le 
manche en main, et, pendant qu'il est ainsi, il se de- 
mande : Où dois-je d'abord mettre la faux? Et il reste 
ainsi en suspens. Puis, après avoir délibéré en lui- 
même, il élève la faux et lui fait faire un cercle. Ainsi 
a fait l'ange. Il s'est arrêté à réfléchir : Où veux-je 
moissonner? S'il met la main sur vous, Siennois, mai- 
heur, malheur, malheur à vous (2) î 

Aussi adjure-t-il ses compatriotes de ne pas 
attendre que cette terrible moisson ait commencé : 
« cité de Sienne, ô mes concitoyens, ô femmes, 
ô mes petits enfants, n'attendez pas, n'attendez 
pasi Convertissez-vous à Dieu... N'attendez pas 
que la faux atteigne la terre (3) ! » Ce cri de ten- 
dresse anxieuse se mêle à tous ses avertissements, 
à toutes ses menaces ; c'est vraiment la note propre 
de Bernardin : 

Je ne dois pas rester ici : je partirai, et quand je par- 
tirai, j'irai me lamentant, comme font les Allemands. 
L'inquiétude que j'éprouve pour vous et l'amour que 



(1) Pred. volg., t. I, p. 317. 

(2) Ibid., t. I, p. 323. 

(3) Ibid., t. I, p. 331. 



LES SERMONS. S45 

je vous porte me feront toujours tendre les oreilles 
quand j'entendrai parler de Sienoe. Je m'en vais, le 
cœur tout gros de soupirs et de douleurs, par la peur 
qu'il ne vous arrive malheur (1). 

Et encore : 

Hélas I à qui est-ce que je parle? Je parle à mes 
Sieonois. Oh! si vous pouvez voir mon cœur, je vous 
parte si tendrement et avec tant d'amour, qu'en ie 
voyant vous me croirez (2)... Oh! mes concitoyens, je 
suis vraiment des vôtres et je vous parle avec grande 
affection. Hélas! j'ai peur de voire ruine (3), 

Parfois, la mcQace se précise et prend une forme 
. qui est caractéristique de ce temps : l'orateur 
désigne celui qu'il entrevoit comme l'instrument, 
peut-être prochain, des vengeances divines : c'est 
le condolliere. L'Italie était alors en proie à des 
bandes de soldats de toutes nations, dont les 
chefs, souvent habiles, toujours sans scrupules, 
se louaient au plus offrant, combattaient, un 
jour pour un État, le lendemain pour un autre, 
ou faisaient, pour leur propre compte, le brigan- 
dage en grand. Les tyrans avaient trouvé en eux 
des instruments appropritis à leur ambition sour- 
noise, et il ne pouvait leur déplaire que leurs 

(1) Pr/d. rolg.. t. III, p,8*, 
(!) /iid„ t, I, p. 8ii. 
<3) Ibid., l, III, p. B4. 



»B 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 



sujets amollis se déchargeassent sur des merce- 
DairoB du métier des armes. Le condottiere méaar 
geait quelquefois, par camaraderie, l'autre condot- 
tiere que son marché l'obligeait à combattre; il ne 
ménageait jamais les populations, et, partout où 
il passait, il ne laissait que dévastation et mas- 
sacre. Sienne savait par expérience ce qu'il ea 
était, et naguère elle avait payé des sommes 
considérables pour éloigner de son territoire ces 
terribles visiteurs. Elle devait donc comprendre 
de quel péril la menaçait Bernardin, quand il 
s'écriait : « cité de Sienne, prends garde à pré- 
sent, je te le dis, parce que Dieu, lorsqu'il ne' 
voudra plus attendre ta conversion, dira à l'un des 
exécuteurs de ses hautes œuvres : Capitaine 
d'hommes d'armes, mets la main sur cette ville, 
dépouille-la (1|. » 11 s'étendait en de longs déve- 
loppements où il comparait les soldats des con- 
dottieri aux sauterelles dont parle l'Apocalypse (2). 
Il les montrait ravageant tout, mettant les villes à 
sac, faisant boucherie des individus de tout sexe 
et de tout âge, violant les femmes, incendiant les 
maisons, dégradant les œuvres d'art, brisant les 
métiers, coupant les vignes, emmenant les bes- 

(1) Pred. «offf, t. III,p. lia, 
(ï) 33', 3** et 36" sermons. 



LES SERMONS- 2*7 

tiaux, brûlaol le butin qu'ils ne peuvent empor- 
ter. Est-ce que, demandait-il, ces choses ne sont 
pas arrivées {!)? Il en appelait à ceux dont les 
Bouvenirs remontaient à vingt ou quarante ans en 
arrière (2). « N'avez-vous donc jamais entendu 
parler de measer Giovanni Aculo et de ses An- 
glais? N'est-il personne qui s'en souvienne? Us 
Bavaient châtier, ceux-là, eh (3)? » Cet Acuto, 
de son vrai nom John Hawliwood, Anglais de 
naissance, avait été, à la fin du siècle précédent, 
l'un des plus fameux et des plus farouches con- 
dottieri de l'Italie. A la prise d'une ville, deux de 
ses officiers se disputant une religieuse : a Prenez- 
en une moitié chacun », leur disait-il, et, de sa 
main, il la coupait en deux. Comme des Frères 
mineurs le saluaient, suivant leur habitude, par 
ces mots : « Monseigneur, Dieu vous donne la 
paixl » il leur répondait : a Dieu vous enlève vos 
aumônes! Voulez-vous que Dieu me fasse mou- 
rir de faim? Je vis de la guerre, comme vous 
vivez d'aumi'ines. w Le portrait de ce condottiere 
est peint à cheval dans la cathédrale de Florence. 
Ce n'est pas toutefois sur ces sombres prophé- 

(1) Pred. viHy., l lii, p. Uâ, 66, 104. 

(2) Ibtd.. L. III, p. 181. 

(3) Ibid ,i. m. p. 166. 



!tS ' SAINT BERNARDIK DE SIENNE, 

lies que Beroardin termiae sa station et se sépare 
des Sieariois. Dans son dcroier sermon le ton se 
radoucit : c'est l'adieu attendri d'un père à ses 
enfants, a Peut-tUrc, leur dil-il, est-ce la dernière 
fois que je vous prêche, et ne vous reveirai^e 
jamais, n A ceux qu'il appelle « dileltitsimi figlitutli ; 

Iil adresse ses recommandations suprêmes : les 
unes regardent Dieu, les autres le prochain, et 
les dernières lui-même, La simplicité de l'accent 
révèle, mieux que toutes les phrases, la vérité de 
l'émotion. Finissant par ce qui le regarde, ii con- 
fesse humblement sa faiblesse, ses défauts, mais 
conflrme avec autorité l'enseignement qu'il a 
donné au nom de Dieu, t Si quelqu'un, déclare-t-il, 
venait, derrière moi, me contredire, sachez qu'il 
aurait le diable sur son dos et égarerait ceux qui 
le croiraient. » Il remercie les magistrats et les 
citoyens de lui avoir témoigné plus d'affection 
qu'il n'en méritait. Les reverra-l-il jamais? Il en 
doute, car il pense partir pour de lointains pays. 
A tous, il demande de prier pour lui, afln qu'il 
fasse la volonté du Père céleste et qu'il continue 
d'enseigner les peuples à la plus grande gloire de 
Dieu. Puis, donnant sa bénédiction à la foule qui se 
presse plus nombreuse que jamais sur la Piasza 
del Campo : a Je vous laisse, dit-il. avec !a paix 



LES SERMONS. U9 

de Noire- Seigneur, et priez Dieu pour moi! » 
N'est-il pas vrai qu'après avoir ainsi feuilleté 
ces Prediche volgari, on a de la prédication de 
Bernardin une idée que n'en donnaient pas les 
sermons latins, publiés par le Père de la Haye? 
Sans doute, une sténographie, si habile qu'elle soit, 
ne peut pas être une résurrection de la parole de 
l'orateur. Il y a dans cette parole quelque chose 
qui ne lui survit pas. C'est le secret de la déception 
que cause trop souvent la lecture d'un discours. 
Ainsi en doit-il être surtout d'une parole popu- 
laire, tout appliquée à l'effet du moment, s'inspi- 
rant des circonstances, en communion avec l'audi- 
toire. Là, que de choses qui agissaient peut-être 
plus encore que les idées exprimées : l'accent, le 
geste, la mimique, le cadre, l'émotion de l'orateur 
et celle du public, le souffle qui passait de l'un à 
l'autre, sans compter — ce que notre prédicateur 
possédait au plus haut degré — le prestige et le 
rayonnement de la Baintetél Mais si la reconstitu- 
tion complète de l'éloquence de Bernardin est 
impossible, l'étonnant travail du pauvre tondeur 
de drap de Sienne n'en est pas moins une véri- 
table révélation ; il nous permet de mieux com- 
prendre, et l'effet que cette éloquence a produit, et 
l'éloge qu'en faisaient tous les contemporains. 



I 



ÏSO SAINT BERKABDIN DE SIENNE 

Bien plus, il jette une vive lumière sur toute la 
prédication du Moyen âge, et apporte ainsi une 
précieuse contribution à l'un des plus importcints 
chapitres de l'iiistoire de la ciiaire chrétienne et 
de la société médiévale (1). 

{i) L'inlérËt di?s Prediche volgari de Sieano conduit & $a deman- 
der s'il n'y aurait pas encore plus à faire, daaa cet ordre d'idées. 
J'ai digâdit que les bibliothèiiues d'Italie possËdcat d'autres ma- 
DDscrita de sermons de saint Bernardin, recueillis ea langue vul- 
gaire, par des auditeurs. Plusieurs ae sont que des résumés 
incompiels et secs qui peuvent Être négligés Mais n'y en a-t-il 
aucun qui se l'approche du manuscrit de Benedetto? Le plus 
curieux, à ce point de vue, parait âtre un manuscrit contenant 
des sormons prononcés dans l'église Santa Croce, à Florence, 
eu 1424, et écrits, nous assure-t-on, dalla dvn voce, par un 
Florentin. Ce manuscrit est à la Bililiothèque de Florence; on en 
trouve également un, sur le même sujet, aux archives do Sienne. 
Quelques courts ustraita du manuscrit de Florence, qui ont le 
tour et la grâce des sermons de Sienne, ont été publiés, en 1871, 
sous ce litre : Del Torre Moglie, Mailime di Sait Bernardïno da 
Siena, Ricordo di Nazze. Le prolesseur Orazio Bacci avait 
songé, croyons-nous, à publier ce manuscrit eu entier; jusqu'A 
présunt, il n'a pas donné suite à son projet. — Des recherches 
analogues pourraient être [oMei, avec intérêt, pour les autres 
prédicateurs italiens du temps qui s'étaient tous proposé Ber- 
nardin pour modèle. On n'a généralement publié do leurs 
sermons que des résumés latins plus ou moins desséchés. Il y 
aurait lien d'eibnmer des biblioUièques d'Italie les comptes 
rendus en langue vulgaire, faits par les auditeurs. Ces comptes 
rendus existent. Ainsi le Frère Marcellino da Civezza. auteur de 
la Storia aniveraale délie Miuioni franceicane, a trouvé, dans la 
Bibliothèque de Florence, un manuscrit contenant six sermons 
dont il a publié cinq, un du Bienbeureux Bernardin de Feltre, 
les quatre autres de Michèle da Milano, sous ce titre ; Cingue 
prtdicke a Monache, in lingua vûlsare, di due celebri Francelcani 
del teeoto XV. Prato, 1881. Ces discours ne sont pas sans quelque 
analogie avec ceux de Bernardin. 



CHAPITRE V 



STRICTE OBSERVANCE, 



I. Bersardin s'est toujours beancoup occupé de l'Obscrvauce. 
Ou vivant de saJot Praocois, des di vergences s'étaient produites 
Eur l'iulerpréUtiao de ea règle, particulièremeot ea ce qui 
louche la pauvreté. Ces divergences g'aggravont par la suite. 
Les Conventuels et les Spirituels. — [I. Humbles débuts de 
rObserveaee. Ses progrés facilités, on Italie et en France, par 
le grand ecliïsine. La réforme chez les DominicaiDs. — III. État 
de l'Observance au moment ot y entre Burnardin. Il Ira- 
vsJlle A la propager. Il veille au maintien de la régie. Martin V 
et Eugène IV favoriaont les Observants. — IV. L'Observance 
et tes Ilumanislea. Attaques de Poggio. Bernardin et les 
lettres. Uotifs de l'hoatilité des Humanistes, Poggio est embar- 
rassé du scandale qu'il produit. — V. Comment concilier 
l'exislence de l'Observance avec l'unité de l'OriJre des Mineurs? 
Système des vicaires. Écbec des tentatives faites pour suppri- 
mer ou atténuer la dilTérence des règles. Beruardin est nommé 
^^^bicaire général pour l'OIiservance. — VI, Zèle et sagesse de 
^^^^pprnardia daus l'exercice de ses fonctions. Il obtient, en 144S, 
^^^Khn être déchargé. Grauds progrés réalisés par l'Observance. 
^^^^^ VII. L'Observance après la mort de Bernardin. Ses disciples. 
^^^^Btint Jean de Capistran. Les Observants sont devenus les plug 
^^^^Kombreux. Leur séparation d'avec les Conventuels. Leur situa- 



I 



Après avoir coDSacré environ trois ans, dans sa 
cellule de la Capriola, à rédiger ses sermons, Ber- 



asâ SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

nardin reprit, en 1436, avec une ardeur que l'âge 
ni la fatigue ne pouvaient refroidir, sa vie errante 
de missionnaire. Il avait hâte de répondre aux 
appels qui, durant sa retraite temporaire, lui étaient 
parvenus de plusieurs contrées de l'Italie. Maïs 
à peine eut-il employé deux années k des courses 
apostoliques, dont il serait difficile de préciser 
l'ilinéraire , que, bien malgré lui, il s'en vit de 
nouveau dlBtrait. En 1438, il était investi, avec te 
titre de vicaire général, du gouvernement de tous 
les couvents de la stricte Observance, en Italie. 

Bernardin avait eu, de tout temp3 ot au milieu 
même de son apostolat, une grande sollicitude pour 
ce qui touchait à l'intégrité et à la propagation de 
cette réforme monastique. Pendant les années de 
son vicariat, cette sollicitude va être plus absor- 
bante et plus exclusive ; elle occupera à peu près 
tout son temps et toute son activité. Le moment 
est donc venu do rechercher ce qu'était cette 
Observance, qui a tenu tant de place dans la vie 
de notre saint. Pour s'en bien rendre compte, 
pour comprendre les raisons de l'intérêt qu'il y 
portait, pour mesurer la part qu'il a prise à son 
développement, il convient de revenir en arrière 
sur l'histoire, quelquefois imparfaitement connue, 
de l'Ordre des Frères mineurs. 



r 



LA STnii;TE ÛBSKRVANCE, 



Depuis deux siècles qu'il existait, cet Ordre 
avait eu une vie à la fois très inteose et très tour- 
mentée : d'une part, un élan sublime d'amour et 
d'enthousiasme, une fécondité prodigieuse, une 
armée de près de deux cent mille moines, beau- 
coup de saints, de martyrs, de docteurs ; de l'au- 
tre, des contradictions passionnées entre Frères, 
des menaces de schisme, des accusations récipro- 
ques d'infidélité ou d'hérésie. Peut-être le carac- 
tère même du génie de saint François est-il pour 
quelque chose dans ce phénomène. C'était l'un des 
plus puissants séducteurs et excitateurs d'âmes 
que le monde ait connus ; nul homme n'a à ce 
point soulevé, enflammé les cœurs et les imagi- 
nations; nul n'a semé et récolté, en si peu de i 
temps, une toile moisson de sainteté, d'héroïsme ' 
et de poésie ; son impulsion a remué profondé- 
ment et transformé l'Église, la société et jusqu'au 
monde dos lettres et des arts. Mais peut-être 
n'avait-il pas au même degré les qualités de l'or- 
ganisateur et du législateur; après avoir fait sortir 
de terre une armée immense, on eût dit qu'il était 
un peu embarrassé de la constituer et de la disci- 
pliner. Aussi bien, au début, semblable en cela à 
tous les autres fondateurs d'Ordres, ne se dou- 
tait-il pas qu'il créait une grande institution. 11 



r:<i SAINT RERNARDIS DE SIEN.NE. 

n'avait cru d'abord former, avec ses premiers cora 
pagnons, qu'une troupe de pénitents, sans couvect 
sans église à eux, errant par les villages de l'Om 
brie à la façon des mendiants, insouciants di 
toutes les choses humaines, chantant l'amoui 
divin r|ui les brûlait, prêchant là où l'on voulaî 
bien d'eux, rendant grâces quand on les mallrai 
tait, tout enveloppés de ce charme tendre et n^ 
qui inspirait encore, un siècle plus lard, le peti 
livTe des Fioretti. Pas d'autre règle, d'autre goil 
vernement que la parole du saint, son regard, sj 
divination surnaturelle, l'altrait de sa grâce et dj 
sa bonté, la lumière qui émanait de lui. Mais cetti 
délicieuse et pieuse idylle ne pouvait se prolonge! 
iodéliniment, pas plus que l'Église n'eût pu toit 
jours se contenter de l'organisation embryonnaire l 
laquelle elle était réduite, aux jours où les Apôtres; 
ses premiers évéques, suivaient Jésus à traverf 
les campagnes de la Galilée, A mesure que l'Ordn 
se développait — et sa croissance fut d'une rapi- 
dité prodigieuse — il était manifeste que l'action 
persoimelle du fondateur ne sufûsait plus. Celuî-oi 
ne pouvait être partout et ne devait pas durer tou- 
jours. D'ailleurs, dans la foule des moines noui 
veaux, se glissaient des éléments plus mélangés. 
Il 11 y a trop de l^ineurs I b entendait-on din 



LA STRICTE OBSERVANCE. £S5 

parfois à François. Une règle précise, une con- 
stitution fortement agencée devenaient indispen- 
sables. Conscient de ce qui lui manquait pour une 
telle œuvre, le saint accepta, avec une humilité con- 
liante, l'assistance d'un pi:élal, tout nourri de l'es- 
prit d'organisation et de gouvernement, traditionnel 
à Rome, le cardinal Hugolîn. Sous son influence. 
le Porerello rédigea successivement deux règles 
UQ peu étendues. Toutefois, même dans ces con- 
ditions, sa pensée avait peine h se fixer en articles 
impératifs ; elle avait tendance à tourner en exhor- 
tations, en elTusions, en aspirations : forme tou- 
chante sans doute, mais qui prétait plus qu'une 
simple règle aux interprétations divergentes. 

Ces divergences commencèrent à se manifester 
du vivant même du fondateur, principalement au 
sujet de la pauvreté. Pour saint François, la pau- 
vreté n'était pas seulement une vertu abstraite qu'il 
invitait à pratiquer; elle prenait corps et vie à ses 
yeux ; c'était une noble dame injustement déchue 
dont il se constituait le chevaher, une Tiancée qu'il 
embrassait avec amour, la veuve même du Christ, 
délaissée depuis douze siècles (1), qu'il épousait à 

(1) Ainsi chantait Dante (Faradii, cti. ii) : 
Questa prxvata dtl pi-iiiio niarîlo. 
Milh a cent' anni e piii âùpetta e icura. 



U» S1I5T BER3tlROI5 DE SIEXSE- 

soo tour. Aussi entendait-il se dcmner à elle, sun 
réserve el sans mesnre. Noa cooteot d'obliger les 
Frères personnellenient aa dî-Duemeot absolu, il 
interdisait à l'Ordre de riea posséder, pas même 
le couvent où habitent ses membres, l'ég^lise où ils 
Itrienl. Une telle défense heurtait les idées régnan- 
tes, non seulement dans le clergé séculier, alors 
partie intégrante de la hiérarchie féodale, mais 
dans le clergé réguUer, représenté, à cette époque, 
par les opulentes abbayes bénédictines. Ceux-4à 
mêmes qui étaient heureux de voir réagir cooire 
la trop grande richesse de l'ÉgUse, se demandaient 
si celte interdiction de toute propriété n'était pas 
une impossibilité pratique, et s'il convenait de 
prendre absolument à la lettre ce qui paraissait 
une aspiration plus généreuse que sage. Ces dou- 
tes, ces inquiétudes pénétraient chez les Mineurs 
et y jetaient le trouble. Ils étaient d'ailleurs plus 
ou moins ouvertement propagés par l'un des com- 
pagnons de François, choisi de sa main pour 
gouverner l'Ordre en qualité de vicaire général, 
le célèbre Frère Élie, esprit supérieur, mais dont 
l'idéal religieux diflerait de celui du Poierello. Ces 
indices d'opposition n'échappaient pas au saint et 
furent la grande tristesse, la poignante angoisse 
de ses dornïferes années. Plus d'une fois, il laissa 



LA STRICTE OBSERVANCE. S57 

échapper, àce sujet, de douloureux pronostics; plus 
d'uae fois, et notamment dans les paroles suprêmes 
de son testament, il éleva une protestation émue 
contre ceux qui menaçaient d'altérer son œuvre. 
Le fondateur mort, les partisans de la mitiga- 
tion levèrent la tête plus hardiment encore et 
se multiplièrent. Le succès même de l'Ordre, les 
grands couvents, les magniflques églises que con- 
struisait pour lui la libéralité des peuples, les 
hautes dignités que la confiance des Papes ou des 
princes accordait à plusieurs de ses membres, 
semblaient peu compatibles avec la rigueur de 
pauvreté et d'humilité rêvée par saint François. 
Bientôt, ce ne fut plus seulement la mitigation, ce 
fut le relâchement. Dès le milieu du treizième 
siècle, saint Bonaventurc le dénonçait, et, quelques* 
années après, Dante, faisant parler ce même Bona- 
Tonture au Paradis, mettait dans sa bouche une 
plainte araère sur cette famille franciscaine qui, 
après avoir marclié d'abord fidèlement sur les traces 
de son père, lui tournait le dos, littéralement : « po- 
sait maintenant la pointe du pied où il avait mis les 
talons (I) n. En face de la niitîgation, de jour en 

(1) La sua famiglia, ehe li moite drilta 

Co' piedi aile lu' 0Tra<^, é lanto vutta 
Cht qutl iliniinsi a quel dirUtro gifla. 

(Paradii. ch. XII.) 



SAINT BERNARD I N DE SIENNE 
jour plus répandue et plus puissante, l'Observance 
rigoureuse n'avait pas cependant disparu. Mainte- 
nue avec une ferveur jalouse dans d'humbles cou- 
vents, entretenue et comme réchauffée par les 
redis de ceux qui se donnaient pour les vrais dé- 
positaires de la tradition d'Assise, elle résistait 
avec une fermeté taut<lt douce, tantAt farouche, 
aux exemples comme aux pressions, et inspirait 
contre ce qu'elle jugeait être une infidélité et une 
trahison, des protestations dont l'accent remuaitle 
monde chrétien. 

Avec le régime non centralisé des anciens mo- 
nastères bénédictins la solution eût été simple ; 
les Franciscains se fussent divisés en deux bran- 
ches, quelque chose comme Cluny et Cîteaux, 
Mais une autre idée avait présidé à la fondation 
des deux grands Ordres mendiants du treizième 
siècle, l'idée de l'unité sous un seul chef. Dès lors 
chaque parti devait chercher à imposer à l'autre sa 
manière de voir. Il fut bientôt visible que les mi- 
tigés, appelés H Frères de la Communauté » ou 
« Conventuels ", étaient beaucoup plus nombreux 
que les Zelanti ou « Spirituels m. A peu d'excep- 
tions près, les premiers occupaient tous les postes 
de supérieurs généraux ou provinciaux. Ils n'u- 
saient pas tous de même de leur autorité : les uns. 



LA STRICTE OBSERVANCE. SS9 

modérés, conciliants, cherchaient à jouer un rôle 
d'arbitres et de pacificateurs ; les autres se mon- 
traient ardents à réprimer ce qui leur paraissait 
une révolte et ne reculaient pas devant de vérita- 
bles mesures de persécution. 

Les Spirituels supportèrent sans faiblir cette per- 
sécution, qui leur donnait, par moments, l'exal- 
tation et l'auréole du martyre. Mais leur fermeté 
finit par tourner en obstination, leur résistance en 
rébellion. Ils se croyaient encouragés, par des 
paroles de saint Fran<;ois. à rejeter l'autorité des 
supérieurs, quand ils la jugaieot en désaccord 
avec la règle. La conscience qu'ils avaient de leur 
plus grande austérité éveillait chez eux des ten- 
tations d'orgueil et de mépris des autres. Ce 
mépris, ils retendaient à l'ÉgUse entière qui leur 
paraissait envahie, elle aussi, par le relâchement 
et destinée à une prochaine rénovation. Infidèles, 
à leur tour, à ce que leur fondateur, au milieu 
de SCS aspirations les plus mystiques, avait tou- 
jours gardé de clair et sain bon sens, de discipline 
d'esprit, de docilité envers l'autorité religieuse, de 
scrupuleuse orthocIo.\ie, ils se laissaient gagner à 
l'illuminisme apocalyptique qui avait germé, à la 
fin du douzième siècle, dans l'imagination d'un 
f^Satercien de Calahre, Joaciiim de Flore. A la 



B^tc 




9«« 



SAINT BERNARDIN DE SIEITirB. 1 



suite de ce nuageux prophète, les docte 
historiens el les poètes des Spirituels, 
Parme, Pierre-Jean Olîve, Ubcrlin de Casai, Aa- 
gelo Clareno, Jacopone de Todi, rêvaient plus ou 
moins d'une troisième révélation qui devait IraDS' 
former le monde religieux : la première, celle du 
Père, avait élé le règne de la Loi; la deuxième, 
celle du Fils, était le règne de la Grâce ; la troi- 
sième serait le règne du libre Amour, dans lequel 
les moines, les contemplatifs devaient remplacer 
l'Église srculière et temporelle. Égarés par leur 
dévotion envers saint François, ils divinisaientsoii 
image, grandissaient outre mesure son rôle, exa- 
géraient ce que l'un d'eux appelait ses n confor- 
mités •> avec Jésus, recevaient sa doctrine comme 
un second Évangile, faisaient de lui un nouveau 
Messie, le Messie de la révélation annoncée par 
Joachim, et considéraient l'Ordre des Mineurs 
comme destiné h. absorber l'Église imiverselle et h 
donner à l'humanité sa forme dernière. 

Les Papes furent conduits à intervenir fréquem- 
ment pour tâcher de rétablir la paix et l'unité dans- 
la famille franciscaine. En général, saufCélestin V, 
ils tinrent plus ou moins en suspicion les Spiri- 
tuels, surtout à cause de leur joacliimisme. Mais, 
s'ils appuyaient d'ordinaire les mitigés, ils les met- 



^^r LA STRICTE OBSERVANCE. 261 

taient en garde contre le relàclicment. Plusieurs 
des Spirituels, notamment libertin de Casai, au 
commencement du quatorzième siècle, refusèrent 
de se soumettre aux di^cisions du Saint-Siège; ils 
lui déniaient le pouvoir de modifier une règle 
révélée de Dieu, Sur ce terrain, la résistance était 
téméraire : les Spirituels s'y brisèrent. 

C'était finir en sectaires une entreprise inspirée 
à l'origine par une pensée haute et pure, et oii 
avait été dépensé beaucoup de vertu. Aussi l'im- 
pression qu'elle laisse est^elle mélangée et incer- 
taine. On admire celte fidélité à garder et ce cou- 
rage à défendre l'idéal franciscain ; on s'alarme d'y 
voir mêler des doctrines suspectes et un esprit 
d'indiscipline. On ne sait trop si l'on a affaire à des 
saints ou à des hérétiques, à des martyrs ou à des 
révoltés. Cette hésitation paraît avoir été partagée 
quelque peu par l'autorité ecclésiastique elle- 
même, qui poursuivait, de leur vivant, un Jean de 
Parme ou un Jacopone de Todi, et qui les béati- 
fiait après leur mort (1). 

(i) Lacontroï-eraequi s'éleva, dans la premiûre moitié du qua- 
tOMième siècle, sur la pauvreté du Christ et àes Apûtrea, et qui 
agita si étra.Dg6iiieDt la chrétienté, ea paraissant diviser les Papes 
eui-mémea, a été souvent rattacliée, par erreur, & la question 
dea Spirituels, Elle ne divisa pas les Mineurs entre eux; elle les 
mit aux prises avec d'autres Ordres, notamment avec lt>a Domi- 
I tfc^n s. Seulement, on y voit é quel point le monda rranciscain 



SAI5T BEBXARDIX DE âtEX5E 



Vers le milieu du qualoraème siècle, il sej 
doDC que la cause de la rè^ie stricte eût sui 
avec les Spîrituelâ, et qu'elle f ût irrémédiabli 
compromise par leur indocile lémérité. D'ailli 
au lendemain de la grande pesle et à la veille du 
grand scliisme, le vent n'était pas, dans les cloî- 
tres, à la ferveur et à l'austérité. C'est pourtant à 
celle époque que commence, obscurément et sans 
bruit, le mouvement qui, sous le nom d'Obser- 
vance, (levait fmir plus tard par ramener à l'austé- 
rité primitive la presque totalité des Frères mi- 
neurs. Il naît avec Jean de Vallc, au pauvre petit 
couvent de Brogliano, entre Camerino et Foligno, 
non loin d'Assise, dans une contrée montagneuse 
plus particulièrement pénétrée de la pure tradi- 



étail iLlors Iroublù : un diapître eolra en couilil avec le Pape ; le 
iiiJDialra giw'r&\ et les personnages les plu9 considérables de 
l'Ordre primnt parti conlre le Saint-Siège, pour Louis do Bavièra 
et pour son antipape qui était tui-mâme un Mineur. Mais on y 
volt aasii à quel point l'Ordre avait l'insliDcl de fidâliti!' catho- 
lique; la masse ae suivit pas les chefs révoltés, s'en dégagea, et 
liait par les amener eui-mëmes é résipiscence. 



P LA STHlCTE OBSERVANCE. ÎB3 

'tion franciscaine, et qui avait été, depuis plus 
d'uD siècle, comme la citadelle des Zelanll (1). 

Les compagnons de Jean de Valle n'étaient pas 
sans lien avec les Spirituels , dont ils avaient 
accueilli l'un des survivants, Angelo Clareno ; 
comme eux, ils étaient amants fervents de la pau- 
vreté et se tenaient à la règle stricte; mais, plus 
prudents, plus modestes, plus dociles, ils se déga- 
geaient du joachimisme , ne parlaient plus de 
transformer l'Église ni de faire schisme dans leur 
Ordre, et demandaient seulement aux supérieurs 
qu'on les laissât, dans leur humble petit coin, 
observer la règle à leur manière. 

Les autorités franciscaines se montrèrent d'abord 
tolérantes et même bienveillantes. La vertu des 
dissidents inspirait sympathie et respect; leur 
petit nombre et leur obscurité rassuraient. Par- 
fois cependant, la méfiance renaissait, et des vel- 
léités de répression se manifestaient : un moment, 
Gentile de Spolète, qui avait remplacé Jean de 
Valle, fut jeté en prison et ses communautés dis- 
persées. En dépit de ces alternatives, le petit groupe 
continuait à subsister, et même, dans une faible 
mesure, à se développer. Avec le Bienheureux 



(!) Sur ces origines de l'Obser vautre, cf. Otto EuTTEsnti 
Der Minoriienorden zur Zeit des grosscn Sehiimas. (beriin. i 



86* SAINT BEBNARDIR DE SIENNE. 

Paoluccio de Trînci, successeur de Gentile, en 
1363, le progrès fut même un peu plus marqué. 
Par un phénomène singulier, le désordre du grand 
schisme, qui éclata en 1378, se trouva servir la 
cause de l'Observance. Dans l'Ordre, divisé comme 
l'Église en deux obédiences, les supérieurs s'abste- 
naient d'exigences qui eussent pu rejeter les dis- 
sidents dans l'obédience opposée. Paoluccio obtint 
ainsi le droit de recevoir des novices, de fonder 
et de s'affilier des maisons nouvelles. Les Obser- 
vants ne prétendaient pas, sans doute, se sé- 
parer de l'Ordre des Mineurs ni se soustraire au 
gouvernement du ministre général; mais ils vi- 
vaient à part, selon leurs règles, indépendants 
des provinciaux, et dirigés par leur supérieur par^ 
ticulier. En 1390, quand h. Paoluccio, mort en 
odeur de sainteté , succéda Jean Stronconio , 
l'Observance était sortie du recoin montagneux 
où elle avait été d'abord confinée, et elle faisait sou 
apparition en divers points de l'Italie. Si peu 
que ce fût, le mouvement d'expansion était com- 
mencé; il ne devait plus s'arrêter. 

A cette même époque, sans qu'on puisse saisir 
de communications avec les Observants d'Italie, 
des symptômes de retour à la règle stricte se ma- 
nifestaient chez quelques Mineurs d'Espagne ou de 



LÀ STRICTE OBSERVANCE. 
Portugal, et, avec plus de force, chez les Mineurs de 
France. Dana ce dernier pays, cette réforme allait 
même recevoir, au début du quinzième siècle, une 
vive impulsion de la main d'une femme, extraor- 
dinaire entre toutes, sainte Colette (1). Cette fille 
d'un charpentier picard surgit soudainement, 
comme Jeanne d'Arc sa contemporaine, dans la 
France déchirée et envahie, étonne le monde par 
ses austérités et ses miracles, ne se borne pas à 
réformer les religieuses Clarisses dont elle est, 
mais suscite et dirige, avec une efficacité et une 
autorité toutes surnaturelles, la réforme des Frères 
mineurs qui prennent le nom de Coleltius. 

C'est d'ailleurs dans tous les cloîtres que se 
manifeste alors une réaction contre le relâche- 
ment. On la constate, dès la fin du quatorzième 
siècle, dans l'autre grand Ordre mendiant, chez les 
fils de Saint-Dominique. Le souvenir des exhorta- 
tions de sainte Calhonnc de Sienne, l'exemple de la 
Bienheureuse Claire de Gambacorta, reformatrice 
des Dominicaines, déterminent les Bienheureux 
Raymond de Capoue, Jean Dominici et Laurent 
de Ripafratta, à commencer, dans les couvents des 
Frères prêcheurs, une réforme, qu'au quinzième 



(1) Née en 1381, morte en 1447. 



266 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

siècle saint Antonin devait continuer en Italie et 
que d'autres devaient propager dans le reste de la 
chrétienté (1). 



III 



Quand, en 1402, Bernardin prit, à Sienne, l'ha- 
bit de Frère mineur, l'Observance avait conquis, 
en Italie, son droit à l'existence. Les supérieurs 
pouvaient hésiter sur le plus ou moins d'auto- 
nomie à lui concéder, mais il n'était plus question 
de la supprimer. Et surtout elle avait bon renom et 
s'était dégagée des suspicions qui pesaient naguère 
sur les Spirituels. Si elle ne comptait guère dans 
la Péninsule que vingt-cinq petits couvents, peu en 
vue, habités seulement par environ cent trente 
Frères, elle avait en outre pour alliés un certain 
nombre de Mineurs qui, tout en résidant dans les 

(1) Sur cette réforme dominicaine à la fin du quatorzième 
siècle et au commencement du quinzième siècle, et particulière- 
ment sur la part qu'y a prise ce Dominici que saint Antonin a 
appelé : primut suscitator obtervantiœ regularis in Italià, voyez 
P. Augustin Rossler, Cardinal Johannes Dominici, ein Reforma- 
torenbild aus der Zeit des grossen Schisma. (Freiburg» 1893.) 
Cf. aussi le P. Chapotin, Eludes historiques sur la province domi' 
nicaine de France. Cf. enfin les BoUandistes, passim. 



LA STR[CTE OBSERVAMCE 
maisons conventuelles, éLaient de cœur avec elle, 
aspiraient à vivre selon ses règles, ou, s'ils n'en 
avaient pas le courage, reconnaissaient sa supé- 
riorité morale. Des rapports ainsi existant entre 
certains Conventuels et les Observants, on peut se 
faire une idée par les débuts mêmes de Bernardin. 
Entré d'abord dans le couvent mitigé de Saint- 
François à Sienne, n'avait-il pas été, presque aus- 
sitôt après, autorisé, encouragé par le gardien de 
ce couvent, à chercher une règle plus stricte dans 
le monastère de Colombaio (1) ? 

A peine affilié à l'Observance, le jeune Bernardin 
travailla à la propager dans le cercle encore res- 
treint où s'exerça d'abord son action, et l'on sait 
comment un de ses premiers actes fut de fonder, 
en 1405, le couvent de la Capriola, à la porte de 
Sienne. Hors de son rayon, d'ailleurs, le progrès 
persistait, lent, mais continu. En 1415, les réformés 
entraient en possession du plus ancien couvent de 
l'Ordre, celui de Sainte-Marie des Anges, au pied 
d'Assise. On évaluait, vers cette date, à environ 
trente-quatre le nombre des couvents italiens ofi 
la règle stricte était appliquée. 

icc de l'Observance prit une allure 



J Voir plus liaul, p. 2 



268 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

bien autrement rapide, dès que Bernardin fut 
devenu célèbre par ses prédications en Lombardie 
et dans le reste de l'Italie. Partout, à la parole 
de Tapôtre, naquirent non plus de petites maisons 
cachées dans des lieux déserts, mais de grands 
monastères établis aux portes des villes impor- 
tantes. Le signal fut donné, en 1419, par les 
Milanais qui fondèrent, sous le vocable de Sainte- 
Marie des Anges, un couvent considérable, aus- 
sitôt rempli de jeunes gens dont quelques-uns 
appartenaient aux meilleures familles de la ville. 
L'exemple fut suivi, dans les années suivantes, 
à Pavie, Bergame, Brescia, Florence, Pise, etc. 
Ailleurs, c'étaient les anciens couvents qui se trans- 
formaient. Dans toutes ces maisons, on se récla- 
mait de Bernardin, on se guidait d'après ses avis. 
Les moines, doués pour la parole, se faisaient, à sa 
suite, prédicateurs populaires, quelques-uns avec 
beaucoup de succès. Lui-même parlait, un jour, 
aux Siennois, des « merveilles » opérées parles ser- 
mons de certains de ses compagnons, notamment 
de Mathieu de Sicile et de Jean de Pouille (1). 
Pour se faire bien accueillir, un prédicateur avait 
intérêt à se dire disciple de Frère Bernardin : 

(1) Le Prediche volgari, édite da Lugiano Banghi, 1. 1, p. 72, 73. 



LA STRICTE OBSERVANCE. 800 

3Î bien que ce dernier mettait les populations en 
garde contre ceux qui prenaient ce litre sans y 
avoir droit. « Ne les croyez pas, Jisail-il, ai vous 
n'avez pas une preuve écrite Je ma main (i). » 
Ce n'était pas seulement le talent oratoire de Ber- 
nardin, c'étaient ses vertus, que les Frères de 
l'Observance tâchaient d'imiter. Dans ces cloîtres, 
la sainteté florissait, comme il n'arrive d'ordi- 
naire qu'à l'aurore des grandes fondations monas- 
tiques. On y trouvait, dès cette époque, pour ne 
nommer que les plus illustres, saint Jean de Gapis- 
tran, saint Jacques de la Marche et le Bienheureux 
Albert de Sarziano, qui, tous trois, avaient pris 
l'habit entre 141b et 1417. 

Ne pouvait-il pas être à craindre que, dans cette 
faveur nouvelledu public, l'Observance nefûtplus 
aussi humble, aussi austère, aussi fidèle à lastricte 
pauvreté, que dans ses jours d'épreuve et d'obscu- 
rité? Bernardin y veillait. Il n'admettait pas qu'un 
Mineur acceptât de l'or, même pour de pieux motifs. 
On a vu sa résistance aux hbéralités perfides de Vis- 
conti (2). Lui léguait-on des sommes importantes 
pour bâtir des monastères, il les refusait, ne vou- 
lant, dit son biographe, ni regarder, ni toucher. 



(i) Pred. , 

(ï) cr, plu 



iftf., t, i, p."!, 73; t. m, p. 372. 



370 SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

ni conserver aucun argent (1). Cette questioff 
l'argent était la pierre de touche à laquelle il enteif 
dait qu'on distinguât ceux de ses frères qui étaient 
bons. A ce propos, il rappelait, dans un de ses dis- 
cours aux Sieanoia, que beaucoup de Mineurs s'en 
allaient qutHant de l'argent, ramassant des frag- 
ments de métaux précieux et des anneaux brisés, 
afin, disaient-ils, d'en faire des croix et des calices 
pour les églises, h Si quelqu'un d'entre eux vous 
tombe sous la main, dit-il, et qu'il prétende être de 
ceux qui vont avec Frère Bernardin, ne le croyez 
pas. De même que l'orfèvre a des signes auxquels 
il reconnaît le métal sans alliage, de même, à 
la question d'argent, al fatto del denaiuolo, vous 
reconnaîtrez ceux qui sont miens ou qui ne le sont 
pas (2).» 

Edifié du zèlo des religieux de la stricte Obser- 
vance, rassuré sur leur orthodoxie, le Saint-Siège, 
loin de les traiter avec la méfiance qu'il avait long- 
temps gardée à l'endroit des Spirituels, les consi- 
dérait d'un œil favorable et se plaisait aies encou- 
rager. Martin V intervint, par de nombreuses bulles, 
pour autoriser l'institution des nouveaux couvents 



(I) ' PfcuntatR ejuimodi «en atpxcere 
ttTvars voltbal. > 
(ï) Le Prediche taigari, l. 1. p. 71, 72, 




LA STRICTE OBSERVANCE. 871 

OU pour transférer aux Observants quelques-uns 
des anciens (1). Ainsi les mit-iJ, h la grande mortili- 
cation des Conventuels, en possession de la Vema, 
la montagne sacrée où saint Frangois avait reçu 
les stigmates. Un moment, en 1427, ce crédit fut 
mis en périt par l'accusation dirigée contre Bernar- 
din, à propos de la dévotion au nom de Jésus (2); 
mais ce ne fut que pour peu de temps. 

Le successeur de Martin V, Eugène IV, moine 
lui-même, comptait principalement sur les moines 
pour défendre le catholicisme contre les dangers 
qui le menaçaient; par suite, il attachait beaucoup 
de prix à leur ferveur : s'il ne jugeait pas possible 
de poursuivre la réforme générale de l'Église, il 
voulait du moins seconder celle des cloîtres. Très 
attaché aux Dominicains, chez lesquels il demeura 
pendant son long séjour à Florence, il ne témoi- 
gnait pas moins de bienveillance aux Franciscains, 
particulièrement à ceux de l'Observance. Il avait 
pour Jean de Capistran une amitié particulière, et 
l'on sait comment un Je ses premiers actes fut de 
veng-er Bernardin des accusations qui avaient été 
de nouveau portées contre lui. Vers la même épo- 



(1) Wauiiing, Annale» Miiioram, t. X, 
cite plusieurs de ces bulles de Martin V. 

(ï) Voir plus haul, cliap, m. 



3TS SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

que, il invita les Observants à choisir parmi eux 
six hommes, a graves, instruits et habiles h, qui 
devaient être mis à sa disposition et employés 
plus particulièrement à l'exécution de ses des- 
seins. Jean de Capiatran, Jacques de la Marche, 
Albert de Sarziano furent au nombre des reli- 
gieux ainsi désignés. Ou peut s'étonner de ne 
pas trouver dans cette liste le nom de Bernardin, 
que tous les Observants regardaient comme leur 
maître. Peut-être ne voulait-on pas le distraire 
de son apostolat. Quoi qu'il en soit, Eugène IV 
chargea Jean de Capistran d'affaires épineuses en 
Italie, délégua Jacques de la Marche eu Bosnie 
et en Pannonie où l'hérésie séWssait, et enfin 
envoya Albert de Sarziano, avec plusieurs Frères, 
en Orient, pour y préparer la grande œuvre du 
retour des l'-glises schisraatiques à l'unité : ce 
retour paraissait alors facilité par le péril extrême 
que les progrès des Turcs faisaient courir à l'em- 
pire de Byzance, et par le besoin que celui-ci sen- 
tait de s'appuyer sur les chrétiens d'Occident. En 
même temps, le Pontife encourageait, comme l'a- 
vait fait son prédécesseur, l'extension croissante 
d'une famille religieuse qui lui fournissait d'aussi 
précieux agents; comme lui, il tendait à dépossé- 
der les Conventuels au profit des Observants ; 



LA STRICTE OBSERVANCE. 273 

ainsi, en 1434, transférait-il à ces derniers les 
sanctuaires de Terre Sainte. 



IV 



Il ne faudrait pas croire cependant que les 
Observants rencontrassent partout faveur et bien- 
veillance. Ils avaient encouru la disgrâce d'une 
puissance qui passait alors pour redoutable, je 
veux parler des humanistes. L'un des plus célè- 
bres, sinon des plus estimables, d'entre ces huma- 
nistes, Poggio, ne manque pas une occasion 
d'exciter au mépris des Frati^ principalement de 
ceux qui se disent Observantins. Il ne tarit pas 
contre « ces vagabonds, hos circulatoreSy qu'on voit 
partout, sordides et la tète penchée » , contre ces 
a fâcheux aboyeurs, hos molestos latratores ». A 
l'entendre, ce sont des bouffons grossiers, igno- 
rants, dont le succès n'est dû qu'à une mimique 
de singe et à des poumons infatigables ; ce sont des 
hypocrites, avides de gain, qui poursuivent non 
la conversion des pécheurs, mais la faveur de la 
populace. Il les accuse de semer les scandales, 
et de former moins « une congrégation de reli- 



271 SAINT BKHNAHDIN DE SIENNE. 

gieux qu'une officine de crimes »; sa pudeur — 
el, par ses aulrea écrits, on sait ce qu'elle est — 
l'empêche de raconter plus explicitement leurs 
actes déshonnétes. Il ne craint pas d'impliquer 
nominalemeut Bernardin dans ces attaques; sans 
pouvoir contester son éloquence et le succès de 
ses prùdications, il lui reproche d'avoir plus souci 
de sa propre louange que du bien des âmes (1). 

D'où venait cette animositéïSi parmi les Frati 
il en était quelques-uns dont la rudesse un peu 
inculte et grossière pouvait choquer les beaux 
esprits, ce n'était pas le cas de Bernardin et de 
ses principaux compagnons. Dans sa jeunesse, 
notre saint avait étudié avec succès les belles 
lettres; à en croire un contemporain, il se serait, 
un moment, adonné à la recherche des anciens 
manuscrits (2). Pour avoir été, depuis, attiré et 
absorbé par les sciences sacrées, il ne traitait 
pas en ennemie la culture profane. On ne trouve 
même pas trace, chez lui. de l'inquiétude qu'éveil- 
lait alors, chez d'autres religieux, l'importance 
donnée aux auteurs païens dans la formation des 
esprits. Rien, dans ses sermons, des avertîsse- 

(1) PouQjus, ifitlorin convhialîi de Avaritià; Dialogui advtrnu 
hijpoeritim: Dinlogat de Miierïà humaniE oondilionii. Cf, itiiisi 
Epîilota. Éd. TanellJa, pattim. 

(S) Mehuï. Vita Àmbroiii Tn 



STRICTE OBSERVANCE. 



F ments que ce danger avait suggén's. peu aupara- 
l vant, k Jean Dominîci (I), ni des anatlièmea qu'il 
devait plus tard taire sortir de la bouche de Savo- 
narole. Beroardio entretenait, du reste, des rela- 
tions amicales avec plusieurs humanistes célèbres, 
Ambrogio Traversari, Leonardo Giustiniani, Fran- 
cesco Barbaro, Guarino de Vérone. Deux autres 
humanistes, Bernabwus de Sienne et Maphœus 
Vegius, (levaieut être ses biographes. L'un de ses 
disciples préférés, qu'il recommandait aux Sien- 
■ nois comme le plus cher de ses fils (2), et qui devait 
être l'un des chefs de l'Observance, Albert de 
Sarziano, était un brillant élève de Guarino; devenu 
moine et prédicateur, il continuait à étudier le grec 
avec son maitrc. Quand il rencontrait de tels lettrés 
parmi les Frères, Bernardin se préoccupait sans 
doute de les former à l'humihté monastique; dans 
ce dessein, il les mettait sous la direction de reli- 
gieux qui n'étaient savants que dans les choses de 
Dieu et de la vie intérieure; mais il se gardait de 
les détourner dune culture qui, bien dirigée, lui 
paraissait devoir aider à leur apostolat. 

Au nom des lettres, Poggio ne pouvait donc 



iotiliilé : Lucula 



{X} Lt Frediche volgari, t. lU, p, 372. 



276 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

arguer d'aucun grief contre Bernardin et ses com- 
pagnons. Son antipathie avait une autre cause. 
Des libertins de mœurs et d'esprit, des épicuriens 
et des sceptiques, rêvant plus ou moins de ramener 
le monde au paganisme, devaient nécessairement 
voir des ennemis dans ceux qui étaient, par leur 
vie, par leur doctrine, par leur parole, par leur 
seul aspect, la personnification la plus en vue, on 
dirait presque la plus provocante, de l'ascétisme 
et de la pénitence. Des incidents venaient parfois 
aviver une opposition qui tenait au fond des choses. 
Ainsi Poggio, en 1429, reprochait-il particulière- 
ment à Bernardin de s'occuper à fonder un cou- 
vent, près de Florence, en un lieu charmant oii le 
rhéteur avait souvenir d'avoir eu d'agréables réu- 
nions avec d'autres beaux esprits. Qu'un tel endroit 
fût désormais le séjour de misérables Fi^ati^ il s'en 
indignait comme d'une profanation, faisait des pieds 
et des mains, à Rome, pour obtenir une interdic- 
tion, et invectivait avec colère ces moines coupa- 
bles de choisir, pour s'installer, des lieux aussi 
délicieux, a loca amœna, voluptuosa^ omni referta 
jucmiditate (1) » . 

Si grand que fût alors le crédit d'un Poggio, ses 

(1) Poggii Epistolœ. Voir notammeDt une lettro du 16 décem- 
, bre 1429, liv. IV, ép. lU. 



LA STRICTE OBSERVANCE. 277 

attaques paraissent s'être brisées contre le bon 
renom de Bernardin et de ses compagnons ; elles 
nuisaient plutôt à leur auteur. Celui-ci ne laissait 
pas que d'être parfois embarrassé du scandale 
qu'il avait ainsi causé; il chercbait alors à s'en 
excuser, et en arrivait à rendre à la vertu, à la 
science, à l'éloquence de Bernardin ou d'Albert de 
Sarziano un témoignage auquel son hostilité don- 
nait une valeur particulière (1). Filelfo, autre hu- 
maniste, alors en guerre de plume avec Poggio, ne 
manquait pas, dans ses satires, de dénoncer à 
l'indignation générale l'homme capable d'avoir 
mal parlé de si saintes gens (2). Ce qui n'empêcha 
pas, il est vrai, ce même Filelfo, qui au fond ne 
valait pas mieux, de chercher plus tard, lui aussi, 
à mordre Bernardin et les Frères mineurs; la 
chose ne lui réussit pas mieux qu'à Poggio (3). 



Plus les monastères de l'Observance se multi- 
pliaient et prenaient d'importance, plus se posait, 

(1) Poggii Episiolœ, lib. HI, ep. XXXV; lib. IV, ep. HI. 

(2) Satyrœ Philelfi, satire U, 3, et satire VI, 5. 

{3) JoANNEs JoviANus PoNTANCs, De SermonCy lib. V, cap. i. 

16 



F 



SJyr BEIISASDI.1 DE sIE>>E 
urgeat et difBcile, le [Ht>bl*M&e de concilier kor 
existcDce avec l'uiiité de l'Ordre fraDctscaia. Les 
soumetlre puremeDt el simplement à la hiënrdie 
commune, toute aux maios des Conveotaels, 
c'était les espos«rà être entraves, persrtiulés. Ijés 
soustraire à celte hiérarchie, e*êtait entrer daas 
uue voie (|ui semblait devoir conduire a la sépa- 
ration. La question, depuis longtemps pendante, 
avait donné lieu à beaucoup de lâtonnemeats, de 
contradictions, sans avoir reçu de solution défiai- 
live. Aux heures oii prévalait l'esprit de concilia- 
tiou, on instituait, entre les maisons do l'Obser^ 
vaace et Ic3 autorités supérieures de l'Ordre, des 
vicaires, appartenant à la réforme, mais choisis 
par le ministre général et dépendant uniquement 
de lui ; l'étendue de leurs pouvoirs était très varia- 
ble; au commencement du siècle, Stronconio avait 
été vicaire général pour tous les Observants 
d'Italie ; en 1421, Bernardin apparaissait, un mo- 
ment, comme exerçant les fonctions de vicaire 
seulement pour les provinces de Toscane et de 
Saint-François. En France, à la suite de conflits 
assez A'guS' l^s Observants avaient obtenu, en 
1415, du concile de Constance, une indépen- 
dance mieux garantie : les vicaires qu'ils choisis- 
saient eux-mêmes oe pouvaient être refusés par 



5 autorît(^s conventuellea ; cette rèjfle ne s'éten- 
dit pas en Italie, où l'institution des vicaires de- 
meura à la discrclion du ministre général. 

Tant que l'Observance n'avait compris qu'une 
petite poignée de moines obscurs, les Conven- 
tuels avaient jugé qu'il était sans conséquence 
de lui concéder une certaine autonomie. Il n'en 
était plus de même depuis qu'elle s'était tant 
développée. Alors , il paraissait beaucoup plus à 
craindre que l'autonomie de fait ne fût un ache- 
minement à la scission de droit. Martin V, bien 
que personnellement favorable aux réformés, 
était préoccupé de ce danger. Ainsi fut-il amené 
à se demander s'il n'y aurait pas moyen de faire 
accepter par les Observants le gouvernement di- 
rect des Conventuels, à condition d'obtenir de 
ceux-ci une plus exacte application de la règle. 
II se sentait d'autant plus encouragé à chercher 
dans cette direction la solution du problème, que 
l'un des principaux disciples de Bernardin, Jean 
de Capislran, s'y montrait favorable. Il convoqua 
donc, en 1430, à Assise, un chapitre de l'Ordre : 
le ministre général, Antoine de Massa, suspect 
de favoriser le relâchement, fut déposé et rem- 
placé par Guillaume de Casai, homme pieux qui 
passait pour aimer les Observants; ccus-d renon- 



ERNARDIN DE SIEN] 




cèrent alors h leurs vicaires particuliers. Dans «les 
couférenccs où Jean de Capistran paraît avoir eu 
une action prépondérante, des statuts furent rédi- 
gés, appelés Slalula Martiniana, qui avaient surtout 
pour objet de réprimer les abus des monastères 
conventuels ; sans ramener ceux-ci à la règle 
stricte, ils les en rapprochaient ; quant aux Obser- 
vants, ils demeuraient libres de vivre à leur fa^on 
et étaient recommandés à la bienveillance des supé- 
rieurs; ces statuts, soumis au chapitre, furent 
approuvés par acclamation, et Jean de Capistran 
fut établi sociiis du ministre général, pour veiller à 
leur exécution. 

L'illusion de ce touchant accord ne devait pas 
durer longtemps. Quelques semaines ne s'étaient 
pas écoulées, que beaucoup de Conventuels trou- 
vaient le fardeau trop lourd, regrettaient l'enga- 
gement pris en une heure d'enthousiasme et solli- 
citaient des dispenses. Le ministre général, bien 
que de cœur avec les fervents, craignait d'attrister 
et de rebuter les lièdes : dans son embarras, il ne 
tenait pas la main à l'exécution des statuts. De là, 
plaintes des Observants qui voyaient ainsi leur 
échapper ce qui était la compensation de leur 
sacrifice et qui demandèrent lo retour à l'orga- 
nisation antérieure des vicariats. Entre les du 



LA STRICTE OBSERVANCE. 281 

partis, la contradiction renaissait plus vive que 
jamais. 

C'est sur ces entrefaites qu'Eugène IV succéda 
à Martin V, en 1431. Il prêta l'oreille aux réclama- 
tions des Observants ; tout en essayant d'imposer 
aux Conventuels l'exécution des Statuta Marti- 
niana/ il permit aux Observants de se réunir en 
un chapitre à part et leur accorda, en principe, le 
rétablissement de leurs vicaires, tels qu'ils exis- 
taient avant le chapitre d'Assise. Il ne paraît pas 
cependant que ce rétablissement ait eu lieu tout 
de suite, probablement à cause des résistances des 
Conventuels. Ce fut seulement en juillet 1438 que 
le ministre général, Guillaume de Casai, tombé 
malade à Sienne, se décida enfin à donner satis- 
faction aux Observants ; il nomma un vicaire 
général, avec pleins pouvoirs pour gouverner à 
sa place toute l'Observance italienne, et confia 
cette mission au religieux que les partisans de la 
règle stricte eussent choisi eux-mêmes, à Bernar- 
din. Le Pape, qui désirait depuis longtemps cette 
mesure, se hâta de l'approuver. 



16. 



SAIKT ■EKSAKDIX DE SIESn. 



BerDardiD e l'it préféré décliocr une rbar^ 
féoait sOD huniilité et interrompait sa prédït^tioil. 
MaJâ il ne pouvait résister à l'onlre de ses sopft- 
rîeurs et au vœu unanime de ses frères. La lÂcfae 
acceptée, il s'y donne avec son zèle accoutumé. 
De la Capriola, où il réside le plus habituellenieat, 
il a l'œil à tout, se porte là où sa présence est né- 
cessaire pour fonder ou réformer un couvenl, 
résoudre une difficulté, réprimer on désordre. 
Ainsi le voit-on, quelques mois apr^s sa nomina- 
tion, à Aquila, dans le royaume de Naples, où il 
sévil contre un ancien supérieur, devenu fau- 
teur de trouble. Sous son impulsiou, l'Obser- 
vance fait de nouveaux progrès. 11 s'attache sur- 
tout à ce qu'elle conserve son véritable esprit 
de pauvreté et d'humilité. Comme .Ubert de 
Sarziano revenait, avec un de ses compagnons, 
de la périlleuse mission qu'il avait, sur l'ordre 
d'Eugène IV, remplie dans le Levant, en Egypte 
et en Abysainie, le Pape avait envoyé au-devant 
de lui un brillant cortège ; les deux moines se 



. LA STBICTE OBSERVAPTCK. 283 

cvaîent donc faire leur entrée dans une ville. 
r des chevaux richement harnachés, entourés 
ae foule qui les acclamait et baisait leurs vote- 
nts; parmi les assistants, était Bernardin, mont^ 
*■ l'âne dont ses infirmités l'obligeaient à se 
SHr. En voyant les honneurs rendus h son cher 
l^ple, il s'émeut et craînl pour lui une tenta- 
i d'orgueil. « Mon frère Albert, lui crîe-t-il, 
Regardez à vos pieds, souvenez-vous de la mort et 
prenez garde que les hommes ne vous élèvent plus 
qu'il ne convient. » A cette voix, Albert saute à 
terre, court à Bernardin, le presse dans ses bras 
et le prie de lui laisser i'àne et de prendre le che- 
val, a Non, dit le saint, il convient que nous mar- 
chions d'une façon différente; mais ayez soin que 
la vaine gloire ne se glisse pas furtivement dans 
votre cœur et ne vous ravisse pas le prix d'un si 
grand travail. — Rassurez-vous, mon père, ré- 
pond Albert; au milieu des honneurs, je n'ai 
cessé d'adresser à Dieu cette prière : « Ne nous 
n donnez pas la gloire. Seigneur, ne nous donnez 
« pas la gloire ; mais donnez-la à votre nom. » 

Les Conventuels ne voyaient pas sans ombra- 
ges les pouvoirs conférés au vicaire général et les 
progrès qu'il faisait faire à la réforme ; Bernardin 
s'attache à dissiper ces ombrages, à force de pru- 



284 SAINT BERNARDIN DE SIENNK, 

(lencc et de cliarité. Le zèle, chez lui, n'exclulpas | 
la discrétion. Peadant une de ses absences, ' 

1439, les Frères de la Capriola ont admis clandes- 
tinement un tout jeune homme et, pour le sous- 
traire aux recherches des siens, l'ont envoyé dans 
un autre couvent. Sur les plaintes de la famille, 
les magistrats de Sienne s'adressent à Bernardin, 
Celui-ci répond en déplorant un fait qu'il n'eût pas 
toléré s'il eût été présent (1); il ajoute qu'il a 
aussitôt donné l'ordre de faire revenir le jeune 
homme et de le présenter devant les magis- 
trats (2). S'il tient, sur tous les points essentiels, à 
la stricte observation de la règle, il est, avec son 
bon sens accoutumé, ennemi des exagérations, 
des minuties, et met en garde les esprits simples 
contre les scrupules que ferait naître une concep- 
tion trop étroite et trop craintive do cette règle; 
dans ce dessein, il adresse à ses moines, le 31 juillet 

1440, une lettre encyclique qui interprète les points 
douteux ; cette interprétation, qu'il dit avoir été 
délibérée avec Jean de Capiatran et plusieurs 



(1) • Quia ialilerfieriin leandalum non EotMEtiiiMem >, êcrivElU 
Bernardm. 

(2) Cette correspondance se trouve dans les maauscrïts de la 
BibliotbÉque de Sienne. La réponse de Bernardin a été imprimés 
dans une brochure intitulée : Dieci tellerc di Seneiî iiluilri, publï- 
tale per le iioïSf delcav. Luciànd Bancbi. 




LA STRrCTE OBSERVANCE. 285 

res, donne presque toujours la solution large 
" et modérée (I). 

La même largeur d'esprit se manifeste dans 
toutes les décisions du vicaire général. Les pre- 
miers Observants, dans leurs pauvres couvents de 
l'Apennin, tout entiers à l'oraison el à la mortifi- 
cation, rustiques, incultes, un peu sauvages, ne se 
piquaient nullement de travailler les lettres sa- 
crées. Ceux-là seuls possédaient quelque science, 
qui l'avaient acquise avant d'entrer en religion. 
L'étude paraissait être un danger d'orgueil, une 
méconnaissance de la simplicité abaissée qui de- 
vait être le propre du Mineur. On croyait trouver 
dans saint François, du moins dans le saint Fran- 
çois un peu idyllique de la première période, un 
encouragement à cette humble ignorance. On 
oubliait que, plus tard, le Poveretto, instruit par 
l'expérience, avait reconnu, quoiqu'à regret, la 
nécessité des écoles. Bernardin s'attachQ k re- 
dresser ces idées; il estime la science nécessaire 
à qui peut avoir charge d'enseigner du Haut de 
la chaire ou de diriger des consciences. Aussi 
prescrit-il l'ouverture d'écoles où les Observants 
puissent étudier la théologie et le droit canon. 

(1) Voir le teste da cetta lettre dans Waddino. Annalet Mino- 
™m, t. XI, p, (02etsi|. 



IB6 SAINT BERKABDin DE SIEIfNE. 

Peu après, en 1444, Jean de Capistran s'autorise | 
de Bernardin pour combattre, lui aussi, la Ihbïe, 
non encore complètement vaincue, de l'humilili 
ignorante, et il publie un traité Tie promorendo stvÂii 
inter Minores. 

Tout en remplissant son office avec cette bien- 
faisante activité. Bernardin aspirait à en Être 
déchargé. Dès 1440, il fait une première démarche, 
en ce sens, auprès du Pape. Celui-ci luî répood 
qu'il est très lieureux de voir l'accroissement con- 
tinu de l'Observance, mais (|ue cet accroissement 
rend nécessaire d'en maintenir le gouvernement 
entre ses mains. Il lui permet seulement de prendre 
un coadjuteur (1), En vertu de cette autorisation, 
Bernardin s'adjoint, quelques mois après, Jean de 
Capistran comme visiteur et commissaire des pro- 
vinces de Gènes, Milan et Bologne. 

Deux ans plus tard, en 1442, la mort de Guil- 
laume de Casai, le ministre général de l'Ordre des 
mineurs, est, pour Bernardin, l'occasion de revenir 
à la charge auprès d'Eugène IV. Il invoque avec 
tant d'insistance le poids de son âge, sa mort pro- 
chaine et son désir de reprendre ses prédications, 
quelePontife, cette fois,Iui permet de se démettre. 

(1) Voir le texte de cette lettre daas Wjioiiino, Jnnafei it^m.- 

Tum.i. XI, p. 100,101, 



LA STRICTR OGSKRVANCE. 

On ne Domina pas tout de suite un nouveau 
vicaire pour l'Observance. Peu auparavant, les 
Mineurs do la province do Padoue ayant à élire 
un provincial, le choix unanime des Conventuels 
comme des Observants s'était porté sur l'un de ces 
derniers, Albert de Sarziano. Ce fait, si nouveau, 
avait paru au Pape l'indice d'un retour possible de 
toute la famille franciscaine à l'Observance. Pour 
aider à une évolution qu'il désirait vivement, il 
chargea ce même Albert, aussitôt après la mort du 
ministre général et en attendant la nomination 
régulière du successeur qui devait avoir lieu un an 
plus tard, de gouverner provisoirement l'Ordre 
entier avec le titre de vicaire général. C'était le 
désigner aux suffrages des Mineurs pour l'élection 
définitive. Le chapitro qui se réunit l'année sui- 
vante no réalisa pas l'espérance d'Eugène IV. 
Devant l'opposition qui se manifesta chez les mi- 
tigés, Bernardin et Albert de Sarzîanoise décla- 
rèrent prêts à accepter un ministre général con- 
ventuel; ils proposèrent et firent nommer Antonio 
Rusconi; qui, sans appartenir aux réformés, leur 
témoignait de la bienveillance. On revint alors au 
système des vicaires spéciaux pour l'Observance; 
Jean de Capîstran et Jean Maubert furent insti- 
tués, avec des pouvoirs étendus, l'un pour l'Ita- 



288 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

lie, l'autre pour les pays au delà des monts. 
Quelque parti, du reste, que prissent les Conven- 
tuels, ils ne pouvaient arrêter le progrès croissant 
de l'Observance. En 1443, celle-ci entrait en pos- 
session, par la volonté du Pape, du monastère 
de VAraceli^ résidence habituelle du ministre gé- 
néral à Rome depuis saint Bonaventure. Si l'on 
se reporte au jour où Bernardin est entré dans 
l'humble maison de Colombaio, quel changement! 
Au lieu des cent trente adhérents que comptait 
alors la réforme en Italie, elle en a maintenant 
plus de quatre mille. Bernardin a été pour beau- 
coup dans ce résultat, et son biographe n'évalue pas 
à moins de trois cents le nombre des couvents qu'il 
a fondés (1). 



VII 



Un si merveilleux progrès ne devait pas être 
arrêté par la mort de Bernardin. Celui-ci laisse der- 
rière lui des disciples qui maintiendront le prestige 
de l'Observance. Le Bienheureux Albert de Sarziano 
ne survit que peu d'années à son maître. Mais 

(1) Ce chiffre est donné par Bernabœus Senensis. 



LA STRICTE OBSERVANCE. i 

saint Jacques de la Marche ne meurt qu'en 1476. 
et il prêche ou remplit dos missions presque jus- 
qu'à son dernier jour. L'apostolat de saint Jean 
deCapistran aplus d'éclat encore. Son zèle déborde 
hors de ritalie. Pieds nus et ensanglantés par la 
marche, en haillons, mendiant son pain, petit, 
sec, épuisé, n'ayant que la peau, les nerfs et les os, 
gardant, dans la plus extrême fatigue, un courage 
que rien n'effraye et aussi cette gaieté qui est la 
marque d'un vrai disciple de Bernardin (1), il par- 
court sans cesse, souvent en qualité de légal du 
Pape, la France, l'Espagne, peut-être l'Angleterre, 
surtout l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie, la 
Pologne. Le bruit de sa renommée le précède. Les 
peuples viennent au-devant de lui, en processions 
immenses, au son des cloches, au chant des hym- 
nes, par les routes jonchées de feuillages et ornées 
de fleurs; c'est à qui touchera son vêtement. Pour 
les multitudes qui se pressent autour de sa chaire, 
laplacepubliqueest trop étroite; il faut la rase cam- 
pagne. Et pourtant, dans plus d'un pays, en Alle- 
magne notamment, l'ignorance où il est de l'idiome 
local l'obUge à parler en latin et à avoir auprès de 

(1) ^NEAs SiLïtus, qui l'a vu en Allemagne, le dépeint en ces 
termes : ■ Putiltum corpore, aiceaia, aridum, extiaoslum, lali 
cuU nertiisgut et ottiliut eompaetum, Iwtum lamen et in labort 



agu SAINT BERNARDIN l)E SIENNE. 

lui un interprète qui traduit son discours. Ceux 
même qui ne comprennent pas son langage sont 
touchés et convertis par son accent et son geste (1). 
A ceux qui sont trop loin pour rien entendre, il 
suffit de le contempler. Les miracles qu'il opère 
attirent les malades en foule : on en voit trois, 
quatre et même cinq mille, rangés le long des 
chemins, sur son passage, criant miséricorde, tan- 
dis que le saînlj ému de leur détresse, verse des 
larmes si abondantes que lui-même semble à demi 
mort. « Jamais, depuis le temps des apôtres, ajoute 
le spectateur auquel j'emprunte ces divers traits, 
on n'a entendu parler d'une telle secousse impri- 
mée aux peuples (2). » L'Observance profite natu- 
rellement d'un si grand succès, a A la parole de 
Jean, rapporte un témoin illustre, vEneaa Syl- 
vius (3), les couvents de l'Observance semblaient 
sortir de terre, tandis que les monastères mitigés 
semblaient s'écrouler et disparaître. » Une mort 



(1) JoANNEs Cociti,£us, qui écrivait, au soizième sièclu, iinebia- 
loira dus Husailes, dit de ces Eermons latins de saint, Jean de 
Capistran : " Talit erat pronvncialio ul etiam non inlelligenlft ad 
lacrymal et vitm emtndationem ptococaret. • 

(S) Lettre écrite, le 2i juillet 14SI, aux supérieurs de Toscane, 
par Kicolaa de Fara, compagoon de Jean de Capislran, pendant 
sa missioD d'Allemagne; cette lettre est publiée par Waddins, 
Annala Minorum, t. Xll, ad aon. liai. 

(3) Cité par les fiollandisteB. 



LA STRICTE OBSERVANCE, S9! 

héroïque ajoute encore à l'éclat de cette vie extra- 
ordinaire. Quand, en 1456, Mahomet II, àlalétcde 
deux cent mille Turcs, presse Belgrade, menace de 
pénétrer au cœur môme de l'Europe, et que, seul, 
dans la chrétienté désunie, insouciante, aveuglée, 
Hunyade fait face à l'ennemi, le vieux Jean de 
Capistran, alors à^é de soixante-dix ans, est à 
côté du soldat de la Croix. C'est lui qui, par sa 
parole, lui a suscité une armée ; c'est lui qui, sur le 
champ de bataille, le crucifix en main, allume au 
cœur des combattants l'enthousiasme qui les fait 
vaincre. Comme Hunyade et quelques semaines 
après lui, il meurt en plein triomphe, victime de 
l'épidémie causée par l'accumulation des cadavres 



Parmi les Observants de ce temps, j'en pour- 
rais nommer plusieurs autres, justement célèbres 
aussi, par exemple le Bienheureux Bernardin de 
Feltre (1), dont notre Bernardin avait prévu et 
annoncé le glorieux apostolat, et qui, pour sauver 
le peuple de l'usure, se fait, dans la seconde moitié 
du quinzième siècle, le propagateur des monts- 
de-piété. Le trait commun de ces moines est 
qu'ils considèrent tous saint Dernardiu de Sienne 



(1) Né ï. 



!fl2 SAIM IIKRNARDIN DE SIENNE 

comme lour maître et leur père. C'est en son nom 
que saint Jacques de la Marche opère des miracles. 
C'est avec ses reliques que saint Jean de Capistraa 
gu(^rit les malades; c'est son image qu'il fait pein- 
dre sur l'étendard des croisés dliunyade. C'est 
aussi de lui que se réclament, toujours à la même 
époque, d'autres Mineurs de l'Observance qui 
se font un nom dans la prédication populaire, 
Qotammeot Robert de Lecce (1), salué par les 
humanistes comme le plus disert des orateurs (2), 
en même temps que sa verve et sa mimique toute 
napolitaine obtiennent auprès du peuple un succès 
extraordinaire : Robert proclame très haut que 
tous ces prédicateurs et lui -môme se proposent' 
Bernardin comme modèle (3). 

Tandis que l'Observance continue à grandir en 
renommée et en nombre, les Conventuels, naguère 
si puissants, déchoient de plus en plus. A la fin 



(1) Voir iur Robert do Lecce un article de M. F. Tohbàc^ 
Arclt. Slor. NapoUt., T année, fasc. 1. 

(i) L'humaniste PanlaDUS écrivait : > Nemo pott Pauliaa Tar- 
lensem meliui Raberto Lteeniï dieiita tractavit eloquia. •> (Cité pu 
W^DuiNG,) 11 avait coutume de dire : ' Morto Hoberto, morira 
Varie di lo predicar. • (Cité par Tokraca.) Filelfo fait aussi un éloge 
enthousiaste de Frère Hubert, dans une lettre d'avril liST. 
(Franciici Philelli Epiiiolarum familiarum libri XXXVII.) 

(3j Voir un panégyriijus de saint Bernardin qui se trouva &Ia 
Jtnd'un des volumes de sermons de Robert de Lecce, inlitalâ : _ 
Sermonet Raberti de lÀeio, de laudibut tanctorutn. 



L4 STRICTE OBSERVANCE. Se3 1 

du quinzième siècle, la proportion entre les deux 
groupes est renversée. Les Obser\'ants sont deve- ] 
nus de beaucoup les plus nombreux. Exemple , 
unique, ce me semble, d'un Ordre qui, loin de se J 
relâcher avec le temps, revient, après deux siècles, | 
par son propre effort, à la rigidité qu'il avait com- | 
mencé par estimer impraticable. 

L'Observance ne pouvait plus, dès lors, être | 
subordonnée aux Conventuels. En 1517, Léon X, , 
après avoir tenté, une dernière fois, d'unifier la 
règle et le gouvernement des Frères mineurs, 
décide qu'il y aura désormais comme deux Ordres I 
indépendants l'un de l'autre, différents par le i 
nom, le costume, la manière de vivre : d'une part, 
les Frères mineurs conventuels, usant des dispenses, , 
portant des chaussures, pouvant posséder en com- 
mun; de l'autre, les Frères mineurs de l'Observance 
régulière, chez lesquels la règle est complètement I 
appliquée. Chacun des deux Ordres a son supérieur, \ 
mais le Pape décrète que, seul, celui des Obser- 
vants portera le titre de Ministre général de tout 
l'Ordre des Frères mineurs, successeur de saint Fraa- I 
çois, et aura l'usage du sceau traditionnel de la 
famille séraphique. I 

Depuis lors, la fécondité de l'Observance ne s'est 
^as démentie. Des branches nouvelles ont jailli de 1 




294 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

son tronc, sans s'en détacher, Déchaussés en Espa- 
gne, Réformés en Italie, Récollets en France. Au 
seizième siècle, à côté d'elle et pour réagir contre 
un certain relâchement, naissent les Capucins, qui 
ont leur organisation à part. Aujourd'hui encore, 
la famille franciscaine se compose de ces trois 
groupes. Le chiffre total a diminué, mais la propor- 
tion marque de plus en plus la prépondérance des 
réformés. Les Observants sont, à l'heure actuelle, 
environ 15,000, les Capucins 7,700, soit près de 
23,000 réformés, tandis que les Conventuels ne 
sont plus que 1,345. En constatant ce triomphe 
définitif de la règle stricte, ne convient-il pas de 
rappeler, une fois de plus, que l'évolution qui y 
a conduit, date de notre saint Bernardin, que c'est 
lui qui a donné l'impulsion devenue si complète- 
ment victorieuse? 



CHAPITRE VI 

LES DERNIÈRES ANNÉES 

I. Bernardin, déchargé, en 1412, du vicariat do i' Observance, re- 
prend ses prédications. Il prôclie, à Padoue, le carême Séra- 
phin. Vénération croisEantc dont l'entourent les peuplée. — 

II. Séjour à la Capriola, où il complète la râdaction de ses 
BcrmoDs. Sa lamentation sur la mort du FrËre Vincent. — 

III. Prédications â Massa et à Sienne. Bien que sentant sa fin 
prochaine, il se met en roule pour aller évaogéliser le royaume 
de Naples. Incidents de son voyage. Soa derDief sermon & 
Citta-ducale, Il arrive k Aquila et y meurt, le 30 mai 1444. 
— IV, Manitea talions et miracles qui se produisent après sa 
mort. Un cri général s'élève, demandant sa canonisation. 
Elis est prononcée, le 2i mai 14S0. Honneurs rendus à saint 
Bernardin. 

I 

Pendant les quatre années de son vicariat, de 
H38 à 1442, Bernardin, absorbé par le gouverne- 
ment de l'Observance, avait dû renoncer à toute 
prédication suivie, A peine, de temps à autre, 
prononçait-il quelque sermon isolé. En 1439, il 
avait prêché, en grec, devant les Pères du Con- 
cile de Florence qui paraissait alors devoir mettre 



3SS SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

fin au schisme d'Orient. En 1440, c'est encore 
à Florence qu'il avait élé amené, par une ci> 
constance extraordinaire , à prendre la parole : 
cette ville, alliée du Pape, était menacée par les 
redoutables bandes de Pîccinino, condottiere au 
service du duc de Milan; les habitants effarés, 
démoralisés, divisés, s'agitant, dit un vieux chro- 
niqueur, M comme des poissons dans une mer 
empoisonnée « , semblaient sans défense contre 
les assaillants. Tout apôtre de paix qu'il fût d'ot^ 
dinaire. Bernardin comprenait les devoirs d'une 
guerre légitime. Du haut de la chaire, il excita les 
Florentins à implorer l'aide de Dieu et à s'aider 
eux-mémos, combattit les divisions, ranima les 
courages, rehaussa les cœurs et contribua ainsi, 
avec quelques bons citoyens tels que Gioo Cap- 
poni, à l'éclatante et inespérée victoire remportée, 
le 29 juin, sur l'armée de Piccioino. 

Bernardin, toutefois, souffrait d'être réduit à 
ces discours de circonstance. Quand, en 1442, il 
demanda au Pape la permission de déposer ses 
fonctions de vicaire de l'Observance, il argua, entre 
autres motifs, de la liberté qui lui était nécessaire 
pour la prédication (1). Aussi, cette liberté re- 

(1) > Causai OEpoiiciit gravit leneetutii, tiberiE pridicationii tt 
mortU prapinqaa. « 



LES DERNIÈRES ASKÉES. 1 

trouvée, ne perdit-il pas ua instant pour en user ; 
il reprit aussitôt cette vie errante de missiounaire, 
qu'il avait menée presque constammenti de 1417 à 
1438, et qu'il ne devait plus interrompre jusqu'à sa 
mort. Ni son âge, ni sa fatigue, ni les iniirnûtés 
pénibles dont il était affligé (1) ne lui paraissaient 
une raison de repos. Il était plus que jamais con- 
vaincu que la prédication était sa principale et 
même son unique vocation, a Autrefois, disait-il 
peu après aux habitants de Padoue, j'avais choisi 
l'oflice de confesseur, et j'entendais les hommes 
et les femmes ; ensuite, j'ai été chargé de gouver- 
ner mes Frères ; plus tard, j'ai laissé cette charge 
et l'office de confesseur. Je vois que ce n'est pas 
encore assez. Le temps viendra où nul homme ne 
conversera avec moi... Ma conscience me dit qu'il 
faut abandonner les affaires particulières et m'at- 1 
tacher à la prédication pour le plus grand bien de 
tous (2). .) 

Cette fois encore, c'est par Milan que Bernardin 
commence ses prédications. Il y est à l'automne 
de 1442 et y combat l'hérésie d'un certain Amédée, ' 

(1) • ArennlU diu vexatui e«t, padagrd aliquando; hemorrhoi- ' 
darum /iuxum gravem quatuordecim annit continua paisui eit, led i 
eA <rguanimiiaU, ut ab annvntiando verbo Dei nanquam ob id | 

«.«■il. , (Ma..h«m VEUitrs.) 
[ (2J Saiwti flecHnrdiiii Opéra, t. IIl, p. 379. - Cf. plus haul, p. 318. 



298 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

professeur de mathématiques. De là, il parcourt les 
villes (le la Lombardie. Les appels lui viennent de 
tous côtés. Réclamé à la fois par le duc de Milan 
et le marquis de Ferrare, pour le carême de 1443, 
il est obligé de leur répondre par un refus; il a 
promis de prêcher cette station à Padoue (1). 

Le compte rendu des soixante sermons pronon- 
cés à Padoue, en cette circonstance, fait partie 
des ŒiUvres de notre saint, publiées par le Père 
de la Haye (2). Ils sont présentés comme ayant été 
recueillis par un auditeur. On sait, par d'autres té- 
moignages, que cet auditeur était un jurisconsulte 
de la ville, nommé Daniel de Porcilia. Son compta 
rendu, écrit en latin, n'a rien de comparable à ce- 
lui du tondeur de drap de Sienne; il est loin d'être 
aussi complet et aussi vivant ; c'est un résumé un 
peu sec, inégal, en certaines parties visiblement 
écourté (3), mais qui doit reproduire assez exact&- 



(i) Voir les lettre» qu'Albert de Sarîiano, alors vicaire général 
de l'Ordre des Frères mineurs, écrivit, en cette occasion, aux 
deux princes. {Alberli Snrth. LitUri, Wtl- IS elle.) 

(2) Soticli Bemardini Opéra, t. 111. p. 168 â 3Bi. On trouya 1» 
Don seulecnent les sermons formaat le car£mt?, mais un cert^n 
nombre de sermons qualifiés û'ixtraordinarii. En elTet, Bernardin 
proloogea son séjour à Padoue. apr^s le curCme, A cause du cha- 
pitre réuni pour l'éleclion duminiati'û gênerai des Prùras mineurs; 
il en profila pour reprendre plusieurs fois la parole, 

(3) Voir, par exemple, la fin du sermon XXXIl, celle daser- 
raon XXXIII. la seconde partie du sermon XXXVI. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. s 

raent la substance des discours. Le scribe a, du 
reste, fait de son mieux; il a imploré le secours 
d'en haut et demande modestement au lecteur de 
s'en prendre à lui, et non à 1' « homme de Dieu », 
des erreurs qui pourraient être relevées dans sa 
rédaction (i). 

Séraphin quadragesimale, tel est le titre un peu 
bizarre de ce carême. L'orateur prétend étudier 
l'amour dans tous ses caractères et ses eSets ; par 
une allégorie qui est dans le goût du temps, il le 
considère sous la figure d'un séraphin ayant deux 
diadèmes et six ailes : chaque pierre des diadèmes, 
chaque plume des ailes représente un attribut par- 
ticulier de l'amour et forme le sujet d'un sermon. 
En réalité, sous ces étiquettes subtiles et artifi- 
cielles, le prédicateur fait rentrer les divers sujets 
qu'il a l'habitude de traiter et dont plusieurs ne se 
rattachent pas particulièrement h l'amour, par 
exemple le commerce, l'usure, les vanités fémi- 
nines, le mariage, les vices infâmes, la dévotion 
au nom de Jésus, etc. Dans une ville d'université, 
il devait parler de l'étude : il se plaint que les 
hommes des hautes classes ne s'occupent plus, 
comme autrefois, de science et d'arts libéraux, et 




3ÛQ SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

fait UQ tableau satirique de ces jeunes hommes qu'on 
voit oisifs sur la place publique, raillant les gens 
de bien, ou perdant leur temps à jouer, à monter 
à cheval, à chasser; il les presse d'étudier quelque 
science, de ne pas se confondre avec « ces idiots, 
qui s'imaginent devenir nobles parce qu'ils ne font 
rien, et négligent d'étudier parce qu'ils ont dw 
maisons et des domaines d; il montre de quel 
avantage un écolier, devenu un homme instruit, est 
pour sa pairie. « Vous êtes appelés, ajoute-t-il, à 
vous gouverner vous-mêmes, à gouverner votre 
famille, à aider la république de vos conseils. 
Une vie ennoblie par la science et la vertu est une 
vie délectable, une vie utile à tout le monde (i). » 
Ces enseignements étaient bien accueillis et 
compris par les habitants de Padoue. L'orateur 
lui-même le constatait et s'en félicitait : 

Jamais, en aucune ville, je n'ai traité des sujets aussi 
délicats ni exposé autant de vérités que dans la vôtre; 
je ne l'eusse pas osé ailleurs. J'ai agi ainsi, parce que 
j'ai vu venir à mes discours, non seulement des hommes 
d'une vie très intègre, mais d'éloquents et de saints 
docteurs de toutes les facultés. Ailleurs, je n'eusse pas 
été ainsi compris; on se fût moqué de moi; on m'aa- 

(1) s. Bern. Op.. t. III, p. 379 et aq. 



LES DERNIÈRES ANNÉES- 301 

rait accusé d'avoir dit beaucoup d'hérésies et de me 
poser en savant, alors que je ne savais rien. Je crois 
que c'est votre protecteur saint Antoine qui a obtenu 
de Dieu que je vinsse à voua. Ce que j'ai dit n'est pas 
de moi, mais de Dieu; c'est pourquoi, si quelqu'un 
vient contredire mes discours, ne l'écoutez pas : car 
ce sera proprement œuvre du démon (1). 

Vint le jour où Bernardio devait parler pour la 
dernière fois. La foule était plus nombreuse, plus 

émue que jamais. L'orateur résuma ce qu'il avait 
dit sur l'amour, puis il fit ses adieux à l'auditoire : 

Je rends tout d'abord grâces à Dieu et à notre Père 
séraphiqtie de tant de grâces qu'il nous a faites, de ce 
que nous avons toujours eu Un temps propice, sans 
pluie, escepté le seul jour où nous avons parlé de la 
luxure, et où il y a eu de la pluie, sans doute pour 
conformer le temps au sujet. Je rends grâces aussi à 
Dieu pour les fruits recueillis par les âmes, car nulle 
part je n'ai souvenir d'en avoir vu d'aussi abondants. 
Je rends grâces encore de votre patience; vous ne 
vous êtes jamais lassés; tout au contraire, vous êtes 
venus de jour en jour plus nombreux, plus fervents, 
plus avides d'entendre, avec une grande charité, la 
parole divine. Que les louanges, que d'infinies actions 
de grâces éclatent donc devant la majesté de Celui 
d'où viennent tout bien et toute perfection, qui a 



(1) S. flem. Op„l. III, p. 310. 



302 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

donné à moi la grâce de parler, à vous la grâce 
d'écouter... Grâces infinies soient aussi rendues, pour 
tous ces bienfaits, à la Vierge glorieuse, objet de ma 
dévotion, à saint Antoine qui a voulu que son culte 
fût renouvelé. J'ai aussi à rendre grâces aux Recteurs 
et Officiers de votre auguste cité, à ses éminents doc- 
teurs, aux honorables citoyens, aux étudiants, qui 
ont bien voulu m'écouter avec persévérance, et aux- 
quels je demeurerai à jamais obligé dans le Christ 
Jésus, et aux autres gens de bien, aux femmes qui 
ont prié pour moi. Maintenant je veux agir à la façon 
d'un bon père qui va se séparer de ses fils; je veux 
vous laisser mon testament. Je vous laisse d'abord la 
chose la plus précieuse que je puisse vous laisser, 
c'est-à-dire le très dévot nom de Jésus, qui est le nom 
au-dessus de tout nom... 

Le prédicateur continuait en recommandant de 
pieuses pratiques, puis il terminait ainsi : 

Je vous laisse aussi la charité que je vous ai prê- 
chée envers Dieu, envers le prochain, envers vous- 
mêmes. Je vous prie ensuite de vous souvenir de moi 
dans vos prières. Enfin je vous prie que nous soyons 
liés, moi avec vous, vous avec moi, par la chaîne 
d'une charité sincère en Jésus-Christ, de telle sorte 
que nous nous retrouvions en paradis, auquel daigne 
nous conduire, par sa miséricorde, le Dieu qui est la 
vie des vivants dans les siècles des siècles. Amen (1). 

(1) S. Bern. Op., t. III, p. 393. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 303 

KS8 Padouans ne se faisaient pas à la pensée de 
f l'homme de Dieu les quitter ; ils le supplièrent 
larmes de retarder son départ, au moins de 
rues jours. Bernardin refusa; il se sentait 
telé à éTang:êliser d'autres contrées, et il avait 
îdé, après s'être éclairé par la prière, de se 
[re à Vicence, Pour échapper aux démonslra- 
18, il laissa croire qu'il allait à Venise, et, pen- 
Pt que la foule l'attendait sur la route de cette 
, il prit le chemin de Vicence. Il ne put ce- 
idant sortir si secrètement qu'il ne fût accom- 
pagné de plus de cinq cents personnes qui avaient 
aussitôt laissé leurs occupations. Parvenu à quel- 
que dislance de la ville, il les pria de no pas aller 
plus loin et leur donna une bénédiction paternelle. 
« Tous, rapporte Daniel de Porcilia, accouraient 
pour lui baiser les mains : je le vis à ce point 
pressé, qu'il pouvait à peine avancer. A la pensée 
que notre père spirituel nous abandonnait, les 
cœurs se fondaient, et tous pleuraient. Jo vis un 
illustre docteur en l'un etl'autre droit, Prosdocimo 
Conti, avoir peine à lâcher sa main qu'il avait 
saisie et ne pouvoir retenir ses larmes. Beaucoup 
d'autres en firent autant, savants docteurs, étu- 
diants, citoyens notables. Bien peu se décidèrent 
à. s'en retourner; plusieurs prirent les devants 



304 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

pour Tallendre au pont de la Brentella ; beaucoup 
le suivirent, ne pouvant s'éloigner dé son ombre. 
Deux de ses frères, voyant que le saint homme 
était chagriné de ces manifestations, hâtèrent le 
pas et allèrent prier le maître du pont de le 
relever aussitôt que Bernardin serait passé. Quel- 
quesruns seulement traversèrent donc avec lui la 
rivière, et tous les autres durent s'en retourner 
tristement à Padoue. Arrivé à Relesega, avec le 
petit nombre de ceux qui avaient pu le suivre, Ber- 
nardin prit un peu de repos. Les paysans, avertis 
de sa présence, accoururent en foule, apportant 
du pain, du vin, de la viande (1). » 

Reçu avec grand honneur à Vicence, Bernardin 
y apaisa les discordes. De là, et comme pour par- 
courir une dernière fois toutes les contrées té- 
moins de ses premiers apostolats, il se fît entendre 
successivement à Vérone, à Venise, à Ferrare, à 
Bologne, à Florence. A cette même époque, une 
bulle d'Eugène IV, datée de Sienne, le 26 mai 
1443, le chargea de prêcher les indulgences pour 
la croisade contre les Turcs (2), mais on ne voit 
pas qu'il y ait été donné suite. Partout les popula- 



(1) S. Bern. Op., t. III, p. 393. 

(2) Bulletino Senese di Storia Patria, anno II, fasc. I-II, 
p. 130 et sq. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 305 

lions l'accueillaient avec une vénération, une dévo- 
tion croissante : de plus en plus, il était -aux yeux 
de tous, non pas seulement le prédicateur fameux, 
mais le saint. 



II 



A la fin de 1443 et au commencement de 1444, 
Bernardin paraît avoir séjourné quelques mois à 
la Capriola, pour compléter et reviser une der- 
nière fois la rédaction des sermons qu'il publiait 
en latin. C'est probablement en cette occasion 
qu'il écrivit la série des discours sur les Béatitudes, 
qui fait partie de l'Avent De christianâ vitâ (1); il y 
parle en effet de la mort de frère Vincent, le fidèle 
compagnon de ses courses apostoliques : or on 
sait que cette mort était survenue peu auparavant. 
Depuis plus de vingt-deux ans, Vincent n'avait pas 
quitté Bernardin, veillant à tous ses besoins, asso- 
cié à toutes ses œuvres, à ses pensées les plus inti- 
mes et les plus secrètes ; il avait même reçu de lui 
confidence de certaines grâces insignes dont Dieu 

(1) Saneti Beriiardini Opéra, t. UI. 



SAINT BERNARDIIÏ DE 8IENNS. 

l'avait comblé, mais avec interdiction d'en 
di\Tilguer. Aussi, sur son lit do mort, disaït-il tri* 
temeot h. quelques-uns de ses frères : n Je M 
crains pas la mort, mais je gémis d'ensevelir avec 
moi les vertus de Bernardin et les faveurs divines 
qu'il avait remues avec une telle abondance. Si 
j'avais sun'écu tant soit peu h cet homme de Dieu, 
libéré du serment par lequel il m'a lié, j'eusse 
publié des faits tels que le monde entier en eûtété 
dans l'admiration et la stupeur (1). u 

La perte d'un tel ami décbira le cœur tendre de 
Bernardin. Comme, en rédigeant ses sermons but 
les Béatitudes, il était arrivé au Beati qui lugent, il 
interrompit le développement logique de son sujet, 
pour crier sa propre douleur qu'il ne pouvait plus 
contenir, et, au milieu de la dissertation théologi- 
que, on rencontre un long chapitre, intitulé ; Pia 
deploratio pro morte fratris Vincmitii, pdelissimi m 
dilectissimi socii mei (2). Ainsi, trois siècles aupara- 
vant, saint Bernard s'était arrêté au milieu de sflE 
sermons sur le Cantique des cantiques, pour dé- 
plorer la mort do son jeune frère Gérard (3) 

(i) Waddlv-g, Annales Miaorum, t. XI, p. 169. 

(S) " Pieuse lame [lia lion sur la mort du Frère Vinceat, moi 
très Qdvlc et Efës chor compagnon, ■ {Snneli Bemardini Opertt,. 
t, ni, p. 37et8q.) 

(3) Saacti Bernardini Opéra- Cnnt. cant., serm. 26. 



LES DEKNIÈBE8 ANNÉES. 307 

Héme inspiration, même accent dans les Jeux 
mentations. On me saura gré de faire de celle de 
lemerdin une citation de quelque étendue : 

pe fois que je médite attentivement ce que 
pit les Écritures de la sympathie et de la tendresse 
fnelies, le glaive de douleur, qui transperce mon 
, se fait plus vivement sentir, et c'est en vain 
1 écrivant, j'essaye de contenir mes larmes... 
^ grftce auquel je pouvais, entons lieux, m'adonner 
Jfeigneur, celui-là m'a été ravi, et mon cœur s'en 
^é... Je m'efforce de maîtriser mon émotion..., 
il j'avoue ma défaite. Il faut que j'exhale le cha- 
frqui me ronge. Il faut que je dise ma peine, afin 
l des cœurs compatissants y apportent du moins 

3 adoucissement. 
nias savez, 6 mes frères bien-aimés, combien juste 
ÈDa plainte et combien pitoyable ma blessure. Vous 
savez combien fidèle était le compagnon qui m'a 
délaissé dans la voie de mon pèlerinage, combien 
vigilant il était dans ses soins, combien empressé au 
travail, combien doux de caractère. Il m'était étroite- 
ment uni et m'aimait de toute son âme. Par la reli- 
gion, il était pour moi un frère aimé, et par la charité 
il était un autre moi-même. Plaignez-moi, je vous en 
supplie, et considérez mon sort. Débile de corps, sou- 
vent j"ai été malade. Alors il me soutenait, alors il me 
conduisait. Faible de cœur, il m'encourageait. J'étais 
indolent, négligent dans la voie de Dieu, et il m'exci- 
tait. J'étais imprévoyant, oublieux, et il m'avertissait. 



308 



SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 



Comment m'as-tu été enlevé, ô Vincent? Commeot 
m'as-tu été ravi, toi qui ne faisais qu'un avec moi, Wl 
qui étais selon mon cœur?... Quel est celui qui n'in- 
rait pas été attendri à la vue du lien si doux qui nonî 
unissait en un même amour? En dehors de la mort, 
ennemie de tout bonheur, est-il quelqu'un quine nom 
eût pas épargnés?. .- 

Pourquoi, je le demande, nous sommes-nous aimés, 
ou pourquoi alors nous sommes-nous quittés? Dure 
extrémité, non pour toi, mais pour moi. Car, ô mon 
frère, si tu as quitté de chers amis, tu en as, comme 
je le crois, trouvé de plus chers encore... Au lieu de 
moi, pauvre et chétif, tu jouis de la présence du 
Christ, et, mÉlé au chœur des Anges, tu n'éprouves 
aucun chagrin de mon ahsence. Mais moi. à ta place 
que trouvé-je? Que je serais heureux de savoir sî 
maintenant tu penses à moi, ton ami Adèle, aujour 
d'hui chancelant au milieu des épreuves et sevré da 
Ion appui, bâton de ma faiblesse! Je serais heureux 
de le savoir, si toutefois il t'est permis, au sein d'uB 
abîme de lumière et plongé dans l'éternelle félicité, 
de songer encore aux misères de ce monde. Ton 
amour, je le sais, n'a point diminué. Il n'a fait quft 
changer, car la vue de Dieu ne peut t'avoir rendu 
insouciant à notre égard. Dieu lui-même, en effet, prend 
soin de nous. Ce qui est entaché de faiblesse, tu l'as 
rejeté; mais jamais la charité n'a rien anéanti de ce 
qui est saint. Aht ne m'oublie pas à jamais, ne ta 
sépare pas de moi. Tu sais où je rampe, en quel Ubb 
je gis, et tu te souviens de l'endroit où tu m'as laissé. 



LES DERRIÈRES ANNÉES. 
^'est plus personne pour me tendre la main. Au 
î de la vie, ainsi que j'en avais l'habitude, je 
les yeui vers mon frère Vincent, et i! n'est 
. Dans ma misère, je gémis comme un liomme 
hié de secours. Qui consulterai-je dans mes doutes? 
, dans l'adversité, donnerai-je ma confiance? 
n'aidera à porter mon fardeau? Qui éloignera de 
file danger? En tous lieux, les regards de Vincent 
traientrils pas coutume de précéder mes pas? Vous 
i l'avez connu, vous savez combien vraies sont mes 
■oies. Ton cœur, 6 Vincent, n'était-il pas plus au 
irant de mes soucis que je ne l'étais moi-même? Ne 
&ait-il pas plus de mes chagrins et ne ressentait-il 
Bplus vivement mes peines? De la parole aimable 
Jbleine de modestie, ne corrigeais-tu pas souvent 
Ireté de mes sermons, et, dans Ion amitié, n'en tem- 
Ùs-tu pas le feu? Le Seigneur lui avait donné un 
i riche de pensées, qu'il était capable de 
Scher sans préparation. Il émerveillait par la sa- 
Rse de ses avis et la grâce de ses conseils, tant sur 
(affaires domestiques que sur les autres. Il accou- 
t au-devant des visiteurs pour les empêcher de 
ibler mon repos. A ceux qu'il pensait pouvoir 
Risfaire, il permettait mon accès, et il renvoyait les 
autres... Jamais il ne s'inquiétait de ses affaires, lui 
qui entrait dans mes moindres soucis et s'occupait de 
tout ce qui me regardait, afin de me donner plus de 
loisirs. Il pensait, dans sa modestie, que mes loisirs 
portaient des fruits plus abondants que les siens n'en 
;nt produit. Plus il travaillait pour les autres. 



310 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

moias il en recevait. Lui qui gérait les afl'aires 
autres, il manquait du nécessaire, de nourriture, da 
vêlement et d'un endroit pour se reposer. Je te remer- 
cie du fond de mon cœur, ô doux ami, des fruits de 
mes prédications et de mes travaux, durant le cours de 
naes voyages en Italie. Si j'ai été utile en quelque 
chose, si mes enseignements ont été salutaires, c'est 4 
toi que je le dois. Tandis que lu vaquais aux soin» 
domestiques, je me reposais, grâce à toi, ou bien je 
prononçais mes sermons. Pourquoi n'aurais-je pas éii 
en toute sécurité, alors que je te savais à ma place, 
toi, ma main droite, la prunelle de mes yeux, mon 
cœur et ma langue tout à la fois?... Combien de fautes 
j'eusse commises dans mes prédications, si sa droite 
iatelligence, son esprit éclairé et son grand discerae- 
ment ne m'eussent formé avec autant de zèle et de 
solliritudot Dans mon Ordre, je l'avoue, je n'eus aucun 
autre maître pour m'apprendre à prêcher la parole de 
Dieu... Si quelque qualité est en moi, c'est de toi que. 
je la tiens... 

Sortez, mes larmes; que de mon front misérable 
s'échappent en torrents, qu'elles se répandent comme 
d'une source abondante; peut-être sufflront-elles à 
laver la souillure de mes crimes, de ces crimes qui ont 
allumé contre moi la fureur divine... Beaucoup de 
ceux qui étaient présents aux funérailles de mon frère 
aimé s'étonnaient de voir les larmes jaillir de mes 
yeux, larmes sorties du fond de mon cœur. En vain 
je m'efforçais de dissimuler mon chagrin. Contenu, 
le feu, qui consumait mon cœur, s'avivait et ravageait 



i DKRNIÈKES A.NNÉES. 311 

1 Ame. Il s'insiDuait avec d'autant plus de sou- 
plesse, mordait d'autant plus cruellement et réussis- 
[ eait, eD fin de compte, à épancher mes pleurs. Dans 
[ mes plaintes, je ne déplore rien de ce que le monde 
[ regrette. Je pleure un conseiller salutaire, un auxi- 
lisire fidèle dans les choses de Dieu, je pleure Vincent, 
Vincent mon fldÈle compagnon, durant vingt-deux 
innées et plus, dans la prédication de l'Évangile... 
, CombieD je suis malheureux I Amputé de la meilleure 
I partie de moi-mÉme, je rampe dans la fange, et on me 
demande si je pleure I J'ai les entrailles arrachées, et 
on me demande si je ressens quelque douleur 1 Je 
, pleure, et j'ai du chagrin, parce que ma force n'est 
5 celle du rocher et parce que ma chair n'est pas 
d'airain. Je souffre et je me plains, « et toujours 
ma douleur est présente à mon esprit «. Je ne puis 
avoir l'insensibilité de ceux dont parle Jérémie : i Tu 
les as frappés, et ils n'ont laissé échapper aucune 
plainte. • 

Si longue que soit cette citation, j'y ai fait de 
nombreuses coupures. On dirait que Bernardin ne 
pouvait pas plus retenir ses plaintes que ses 
larmes : il s'y abandonne, comme vaincu par sa 
douleur, sans s'inquiéter s'il se ri^pète. Rien de 
plus sincère, de plus profond, qui seule moins le 
rhéteur. On aime à le voir dans cette fail)lesse et 
à constater ce que, dans une vertu surhumaine, 
son cœur avait gardé, jusqu'en ses vieux jours, 



312 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

d'humaine tendresse. Le saint n'en est pas dimi-L 
nué ; rhomme en est plus touchant et plus aimable. \j^ 



III 



11 



Par ses infirmités croissantes, peut-être aussi 
par d'intimes révélations, Bernardin sentait qu'il 
n'avait plus que peu de temps à vivre. Est-ce pour 
cela qu'il voulut prêcher son dernier carême, celui 
de 1444, dans la petite ville qui l'avait vu naître, 
à Massa? Il y parla cinquante jours de suite, sans 
tenir aucun compte de sa fatigue, prêchant avec 
fruit cette paix qui lui avait toujours tenu tant à 
cœur. L'éclatante guérison d'un lépreux, délivré 
subitement de ses plaies en chaussant les sandales 
du saint, ne fut pas sans aider encore à l'effet de 
sa parole. De Massa, il revint à Sienne, où son 
cœur de patriote avait aussi des adieux à faire; son 
dernier sermon, prononcé sur la place du Dôme, 
.entre le porche de la cathédrale et l'hôpital de la 
Scala, traita, avec une ferveur remarquée, — fer- 
venter^ dit le biographe, — de la justice et du bon 
gouvernement de la république. 

De la perspective d'une mort prochaine, Ber- 



LES UERNIÈRES ANNÉES. 



f Tiartiin ne concluait pas à se reposer. Bien au con- 
'" traire, il semblait que, dans un corps plus vieux, 
I son âme fût devenue plus jeune, plus vaillante, plus 
^ardente à se dépenser pour le bien des autres (1). 
Lge crut appelé à étendre son apostolat à une 
Sltrce nouvelle, et décida d'aller évangéliser lo 
»ume de Naples ; il ne voulait pas qu'il y eût une 
lie de l'Italie où sa parole n'eût pas pénétré (2). 
bernent ses parents et ses amis, effrayés d'un 
Ksein qui paraissait au-dessus de ses forces, 
îîon juraient-ils d'y renoncer et de passer dans 
Épatric les dernières années de sa vieillesse : 
n'ignore pas, leur répondaitr-il, que je suis 
s et peu propre à supporter la fatigue; mais 
^our qui me presse m'oblige, aussi longtemps 
É je pourrai remuer la langue, à ne jamais cesser 
aoncer la parole de Dieu, d'exhorter les peu- 
I, et d'entreprendre, pour cette aiuvre, des voya- 
; fût-ce en lointain pays. » Comme ses chers 
Ees de la Capriola, tout en larmes, le serraient 
D8 leurs bras pour le retenir, il les consolait par 

■ Magna caritatît incendia, aeniit in leaiti corpore animuin 
H juveailem ingenique detideriiim proximis beiiefaeiendi. • 
c'avait, juaqu'oJora, fraaclii qu'unu fois la frontière du 
I royautne de Naples. En 1438, appelé \ A<|uila par les afCairos de 
robservaoce, Il avait prononcé un sarmon sur la Vierge, devant 
}i do Naples. C'est en cette occasion que, au dire des biogra- 
s, une Étoile aurait brillé sur sa tète. 



31* SAINT BERNARDIN DE SIENNE 

de douces paroles, mais leur ordonnait de laissa 
la tristesse, de peur de contrarier ainsi la volonté' 
divine. « Priez plutôt, leur disait-il, le Seigneur de 
la moisson qui m'envoie, moi indigne, pour tra^ 
vaiiler à cette moisson, qu'il daig'ne, pour la gloire 
de son nom, diriger mes pieds dans le droit che- 
min, et donner à ma voix la voix de la vertu, afin 
que je puisse dignement annoncer aux peuples sea 
merveilles, b Ainsi Vineent Ferrier, vieux et 
malade, s'était-il, lui aussi, senti pressé de portw 
la parole de Dieu en de plus lointaines contrées, 
et s'étail-il mis en route pour la Bretagne où il de- 
vait mourir. 

Dans la nuit du 30 avril 1444, Bernardin quitte 
secrètement Sienne, pour éviter les démonstra- 
tions par lesquelles ses compatriotes voulaient 
honorer son départ. Il est monté sur un àne, car 
sa faiblesse ne lui permet pas de marcher. Quatre 
religieux l'accompagnent. Le premier soir, il cou- 
che au monastère conventuel d'Asciano, dont il 
gagne le gardien à l'Observance. La 
étape est au couvent de l'île du lac Trasîmène, 
lieu sanctifié par François d'Assise ; il y rencontre 
un de ses plus illustres disciples, Jacques de la. 
Marche, passe trois jours avec lui en pieux col- 
s et lui fait ses dernières rt 



■ LES DERNIÈRES ANNËES. 31S.I 
ft}n8(l); le dimanche, il prèohe aux populations I 
Bfvironnantes, puis se met en route pour Pérouse. 

■ Cette ville, l'une ilc celles où sa prédication a 
^ncefois porté le plus de fruits, désirait vivement 
^■«osaéder de nouveau. Dans cette pensée, elle i 
^■rait élever, devant la cathédrale, une chaire de j 
Bjprbre dont nul ne devait se servir avant Ber- I 
BBlrdin. Celui-ci consent à y monter. A la vue de | 
^nte foule empressée à lui témoigner sou afTec- | 
^mi, le bon Père sourit, dit le vieux biographe, | 
^mmcendit et risit pariter bonus pater, tantam ridens I 
^^KWtissimorum liominum erga se affectionem n . Mais | 
^Kie consent pas à prendre la parole. Ëtait-ce, 1 
^Htame le dit un des narrateurs, qu'il craignait \ 
^Kun tel concours de peuple ne causât des acci- j 
^Hits? N'était-ce pas plutôt qu'il se sentait trop j 
^R>Ie pour se faire entendre d'un si nombreux au- 1 
^Koire? Il descend donc aussitclt de la chaire, se i 
Bornant à dire du ton plaisant qui lui était habituel : -j 
BLejour qui me l'a donnée, me l'a aussi enlevée. » I 
H De Pérouse, il se rend à Assise, et demeure quel- J 
Bbes jours au couvent de l'Observance, à Sainte- I 
^Barie des Anges, exhortant les moines et consolé '1 
^MX leur ferveur. Il poursuit sa route par Foligno 1 

l^fl) D'apri^s quelques historieDS. Jean de Cupïsiran aurait pria 1 
parL éga.1cracQt à ceUe confiirencc. Le fait ne me pîiraiL pas établi, j 



31S SAINT BERNARDIN DE SIENNE, 

et Spolète, où il prêche et accomplit des gu( 
miraculeuses. Plus il avance, plus, en tou: 
peuple, magistrats, clergé témoignent de' 
vénération émue. C'est que de la personne 
pauvre vieux moine, si humble, si misérable: 
pect, si ruiné Je corps, la sainteté rayon» 
jour en jour plus visible et plus sensible. 

Il quitte Spolète lo H mai. 11 a peine à so) 
la ville, tant la foule le presse. La dysente 
il est atteint, aggravée par la fatigue, lui 
voyage de plus en plus pénible ; toutefois, il ne^ 
pas s'arrêter. Lelendemain, il trouve encore la] 
de parler au hourg de Pcdelugo, et arrive de 
Rieti, en pays sabin. Le peuple et les magistri 
venus au-devant de lui avec des torches, le con- 
duisent au couvent de Saint-François, où un ban- 
quet a été préparé. Entre tant de mets, il n'accepte 
guère qu'un peu de pain trempé dans l'eau froide ; 
du moins cause-t-il avec une si aimable gaieté que 
ses hôtes charmés ont déclaré depuis n'avoir jamais 
fait, même chez les princes, de repas plus agréable. 
Le jour suivant, pour ne pas contristcr un peuple 
qui lui témoigne tant d'amitié et qui autrefois avait 
bien écouté sa parole, il consent h préclier : il n'a 
pas la force do développer de savantes pensées, 
juais, usant de paroles simples, il reprend les 





s où beaucoup se laissent entraîner, « Il y a 
dix-huit ans, dit-il en terminant, lorsque je me sé- 
parai do vous, je vous appelai mes enfants. Âpres 
tant d'années, je retrouve non seulement les en- 
fants que j'ai laissés, mais aussi les enfants de ces 
enfants. Eh bien, en ce jour, qu'il n'y ait aucune 
distinction : je vous adopte tous pour mes enfants ; 
vous porterez tous ce nom, et toujours je vous 
conserverai mon amour, n La guérison soudaine 
d'une petite fille atteinte de plaies ajoute encore à 
l'émotion universelle. 

De Rieti, Bernardin gagne la petite ville de Citta- 
ducale, sur la fronticre du royaume do Naples. Ac- 
cueilli avec les mêmes marques de vénération, il 
ne peut refuser, malgré sa faiblesse, de parler sur 
la place publique. Jamais son éloquence n'a été 
plus touchante, plus pénétrante. Il fait, à la fin, 
un retour sur lui-même, et invite le peuple à 
demander pour lui la mort des justes et le pardon 
de ses fautes. En descendant de cette chaire im- 
provisée. Bernardin savait qu'il ne remonterait 
dans aucune ; il se sentait arrivé au bout de cet 
apostolat populaire auquel il avait voué sa vio. Du 
moins pouvait-il se rendre cette justice qu'ill'avait 
prolongé jusqu'à son dernier souflle et qu'il avait 
fait tout le bien en son pouvoir. Ce bien était con- 



SAINT BERNARDIN 



SIENNE. 

traordinaire qi 



sidérable, et d'autant 
rœu\Te propre d'un seul homme qui a eu des à^<^ 
ciples, mais qui n'avait pas eu de maître. Non, 
sans doute, qu'il pût se flatter d'avoir à tout jamais 
transformé les peuples que ses sermons avaient 
remuiîs. Ne sait-on pas, hélas 1 ce que devait être, 
à la fin du sièele, l'Italie des Borgia? II n'est pas, 
du reste, dans la destinée de l'Église militante que, 
même sous l'action des plus grands saints, les 
sociétés se convertissent de telle façon qu'elles 
soient garanties contre toute rechute. C'est beau- 
coup déjà de produire une amélioration tempo- 
raire, do faire reculer le mal pour quelques ao- 
nées, de sauver sur le moment un certain nombre 
d'âmes. Plus que personne. Bernardin l'a fait, à lui 
seul et eu un temps où tous les soufiles régnants 
étaient contraires. Aussi, au terme de sa persé- 
vérante et bienfaisante prédication, répéterai-je 
volontiers l'éloge que faisait de lui un de ses con- 
temporains : B Non satis possummirari et magnifacere 
unum homùiem tôt populis saluti fuisse (1). » 

Le sermon de Citla-ducale a épuisé ce qui restait 
de forces h Bernardin. Le soir, la dysenterie aug- 
mente, avec accompagnement de fièvre et de défail- 

(1) < Je ne puis aasez admirer et glariQer un homme d'avoir 
été à lui seul le aalut de tant de peuples. • M.iph.eus Vebids. 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 319 

lance. Maigrie tout, le lendemain, il veut continuer 
son voyage et arrive péniblement au bourg d'An- 
trodoco : toujours gai, il plaisante aimablement 
avec ses compagnons aur sa façon de chevaucher 
h âne. Le jour suivant, il a encore plus de peine 
à avancer : plusieurs fois, l'excès de la souffrance 
l'oblige à s'arrêter et h se coucher à terre. Ses com- 
pagnons, émus du contraste des populations enthou- 
siastes qui se pressent, tout le long de la route, 
pour rendre hommage à leur père, et de la maladie 
qui, chaque jour, s'empare davantage de ce pauvre 
corps, se rappelaient de combien peu les hosannas 
des Rameaux avaient précédé la passion. Bernardin 
est contraint de s'arrêter au village de Saint-Silves- 
tre, à sept milles d'Aquila, La nuit est mauvaise. 
Le lendemain, il est si faible qu'il ne peut presque 
plus se remuer ; ses compagnons le décident à se 
laisser mettre sur une litière, et ils le portent ainsi, 
(t tristes et gémissant n, dit la vieille chronique, 
jusqu'à Aquila. C'était le dimanche avant l'As- 
cension. 

Voilà donc enfin Bernardin dans ce royaume de 
Naples vers lequel l'avait poussé sa charité. Mais 
en quel état ! Ses frères l'ont déposé dans le grand 
monastère des Conventuels, où il paraissait pou- 
voir être mioux soigné que dans le couvent plus 




3Î0 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

cloigni^ et plus diinuiî de l'Observance; un a es 
d'ailleurs l'attention do le mettre dans la cellule 
qu'avait coutume d'occuper son ami Jean de Capis- 
tran, quand il venait à Aquila pour les afTalres de 
l'Ordre; il était d'usage que les maisons conven- 
tuelles, plus considtîrables et mieux pourvues, 
exerçassent ainsi l'hospitalité à l'égard de leurs 
frères de l'Observance. Les magistrats envoient 
aussitôt les plus habiles médecins de la viUe. 
Notables et gens du peuple attendent les nou- 
velles avec anxiété. Mais les remèdes sont impuis- 
sants sur ce corps qui, au rapport d'un contempo- 
rain, K se li(]uéfiait comme la cire auprès du feu ». 
Le mercredi, le malade demande les derniers sacre- 
ments. U» peu plus tard, sentant l'heure venue et 
ne pouvant plus parler, il fait signe à ses frères 
qu'il désire être déposé surle pavé de la cellide(l). 
Les bras croisés, les yeux levés au ciel, la figure 
joyeuse, dit son biographe, comme de quelqu'un 
qui vient de remporter une victoire sur l'ennemi, 
semblable à un homme qui rit, « ridenli similis », 

(!) D'apriJs un aulro récit fait par un ti^molQ. Bernardin aurait, 
malgré les FrËres qui cberctiËreuL à deux reprises à l'en empê- 
cher, Eorli de tui-mâme ses jambes du lit pour les mettre sur lo 
pavé de la chambre, (Lettre écrite par Frn GiuliBDO. Mineur bIofv 
i, Aquilo, et publiée, d'après un manuacrit de la Biblioliièque de 
Florence, pur M. Domati, Bullelino Staeie di Storia Patria.aaaal, 
rase. Ml, 1894.) 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 321 

il rend sa très sainte âme à Dieu. C'était le 
20 mai 1444, veille de T Ascension, à l'heure des 
vêpres, pendant que les Frères chantaient, au 
chœur, l'antienne du Magnificat: « Pater^ manifestavi 
nomen tuum hominibus quos dedisti mihi : nunc autem 
pro eis rogo^ non pro mundo, quia ad te venio. Allé- 
luia (1). » Bernardin avait soixante-quatre ans, 
dont quarante-deux de vie monastique et au moins 
vingt de prédication. 



IV 



Aussitôt la mort connue, la population accourut 
au monastère et en força les portes pour vénérer 
les restes du saint. Les compagnons de Bernardin 
eussent désiré rapporter son corps à la Capriola, 
et, dans ce dessein, ils avaient commencé sans 
bruit certains préparatifs. Mais la ville d'Aquila 
n'entendait pas laisser échapper une si précieuse 
relique; ses magistrats prirent, sans tarder, des 
mesures pour s'en emparer. Par leurs soins, les 

(1) « Mon Père, j'ai fait connaître ton nom aux hommes que 
ta m'as donnés; el maintenant je prie pour eux, non pour le 
monde, car je viens à toi. AlIeluia. » 



322 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

obsèques furent cc^lébrées avec un éclat tel, fil» 
témoin, que jamais roi ou reine n'en eutdepaw* 
les (1). Ce qui frappa plus encore les esprits,» 
furent les miracles qui éclatèrent coup sur coup, an- 
tour du cercueil (2) . Pendant vingt jours, celtM 
demeura déposé à l'entrée de l'église des Francis- 
cains. Les habitants de la ville et des contrées v(n- 
sines, qui venaient en foide le visiter, formaient 
comme une procession ininterrompue; parmi eux, 
beaucoup de malades et d'infirmes, dont plusieurs 
sortaient guéris. La population, témoin de ces mer- 
veilles, était dans un état extraordinaire d'exalta- 
tion; les cloches étaient presque constamment en 
branle ; ouvriers et paysans avaient suspendu leur 
travail. Un moment, le réveil de récentes dis- 
cordes entre les nobles et le peuple menaça de 
troubler ce deuil transformé en fête : on allait 
en venir aux armes, quand, sur l'appel d'un en- 
fant, tous courent au cercueil; ils le trouvent 
rougi du sang qui s'échappe des narines du 
mort; effrayés et attendris par ce qui leur paraît 
une protestation d'outre-tombe contre leurs haines, 
ils se réconcilient aussitôt. Ainsi, Bernardin mort 

(1) Lettre précitée de Fra Giuliano, Bulleiino Senese di Storia 
Patria, anno I, fasc. I-II, p. 70. 

(2) Les biographies contemporaines sont remplies de Fénumé- 
ration détaillée de ces miracles. 



LES DERMÈRES ANNÉES. 

lit encore cette paix pour laquellu il avait 
Bfait pendant sa vie. 

iependant la nouvelle s'(5tait répandue en Italie. 
k moines, témoins de la mort et des prodiges qui 
% suivie, en avaient adressé à leurs frères des 
tions détaillées qui avaient aussitôt circulé (I). 
3 toutes les villes où avait prêché Bernardin, 
potion fut extrême; on y célébra des services 
nnels auxquels assistèrent les magistrats, le 
, la population entière. A Sienne, l'affluence 
ttelle qu'il fallut officier sur la Piazza del Campo. 
fXJo poète de celte ville, Giovanni di Ser Francesco, 
se fit, dans une sorte de complainte (2), l'inter- 
prète de la douleur et de la dévotion de ses com- 




J 



(1) TeUe est la lettre déjà citée de Pra GiuliaDa. (Butl. Sen. de 
Storia Polrin.) L'autaur, C[ui est probablement de Milan, adresse 
ea, relation à un couvent de cette ville. Écrite au cauranC de la 
plume, avec un certain désordre de composition, cette lettre 
trahit bien l'émotion du. moment. Giuliaoo ènumère pJuaieurs 
des miracles accomplia. en citant les noms. Dans la nalvetc pas- 
sionnée de ses sentiments, il se réjouit noo seulement de la con- 
golation qui en résultera pour les amis du saint, mais aussi da la 
conlusioa qu'en ressentiront ses adversaires; après avoir invité 
sea oorrespondanls û. ne pas garder pour eau les faits r]u'il leur 
rapporte, il ajoute ; ■ Faleae a lapere per tnilo Milano le non; vi 
farù tchumitiicare da Fraie Lodovkha e dalli cûmpagni. E amhs 
tari baono a Irovare guf tlo pori^o Bafaccio ehotla tftla, e lavargti 
U eapo tama lopone, e coti a luUi quanti n'dno dello malt : le 
TMinï fuie queilD, dirù maie di toi, > 

(2) BalUlino Scneie di Stoiia Palria, anao I, fasc. MI, p. SS, 
67., 



32* SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

patriotes, A Milan, le duc Pliilippe-Marie Vil 
si peu chrétien qu'il fût, demanda qu'on 11 
voyât lea lunettes du mort, dans l'espén 
guérir ainsi un mal d'yeux dont il souiïrail. 
On ne se borna pas à ces démonstratioi 
toutes parts, un cri s'éleva, réclamant la ci 
tion immédiate. Jean de Capistran accouruti 
du royaume de Naples, pour prendre cette 
en main, aussi ardent à poursuivre la gh 
tion de son maître mort, qu'il l'avait été à le 
dre vivant contre ses accusateurs. Il retn 
Aquila Jacques de la Marche, venu dans 
dessein. Ce dernier prêchait sur la place 
à l'heure même oii expirait Bernardin ; tout à 
il s'arrête au milieu de son discours, des 
quelques minutes immobile, puis reprend 
mon cher peuple, pleurons! A cet instant, vm 
de disparaître une grande colonne de la sainte 
Église; l'étoile la plus brillante de l'Italie 
éteinte. » Les Siennois, qui prenaient plus à cœm" 
que tous autres l'exaltation de leur compatrioti 
firent recueillir sur place, à Aquila, les preuves 
des miracles accomplis (i). Les habitants d' Aquila 

(1| Sur toutes les àémii.rchea Mten par lu répubUque de 
Sienne ea vue de la cananJEalion de Bernardia, la Bibliothèqui 
communale et les Archives de cette ville renferment beaucoup 
de documeots. PluBieurs sont mectionuës daus la notice d^à 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 325 

entreprirent, de leur côté, une enquête analogue. 
Dès le mois de juillet, la république de Sienne était 
en mesure d'envoyer à Eugène IV une ambassade 
ayant mission de demander officiellement la cano- 
nisation. Le roi de Naples, Alphonse d'Aragon, 
écrivit dans le même sens au Pape. Celui-ci mani- 
festa les dispositions les plus favorables; il s'esti- 
mait, dit-il. Il très heureux qu'un tel homme eût été 
envoyé de son vivant par Dieu, et qu'il fût mort 
à temps pour être canonisé par lui n . 

Toutefois, il n'était pas dans les habitudes du 
Saint-Siège de rien faire avec précipitation. Des 
commissions furent chargées de recueillir et de 
contrôler les miracles allégués. Le changement, la 
mort, la négligence des commissaires amenèrent 
des retards. Les anciens adversaires de Bernardin 
tentèrent d'en profiler pour remettre en question 
son orthodoxie; le Pape se chargea lui-môme de 
les confondre. Néanmoins, l'affaire traînait en lon- 
gueur. Sur ces entrefaites, Eugène IV mourut, en 
I4i7, et fui remplacé par Nicolas V. Celui-ci parut 
un moment troublé par certaines oppositions plus 
ou moins sourdes; mais, de beaucoup de côtés, 

citée de M. DoN*Tt. BuUelino Seneie <Ji Sloria Patria, aaao I, 
lue. 1-U, ou ilanB les notes de l'Hittaire d^t Papei. ilo Pastor, 
trad. P. Raynaud, t. U, p. li et sq. — Voir aussi Spoglio delU 
dâUbtrasioiii Jet ouiigtio dttta Campana, pasiiiit. 



SAINT BERNAHDIN DE SIENNE. 



lui 



(les suppliqui 



1 témoignaien 
l'impatience avec laquelle l'Italie attendait la cano» ■ 
nisation : Sienne notamment se plaignait par ses 
ambassadeurs. Jean de Capistran, pour dissiper 
tout doute dans l'esprit du Pape, lui offrit, avec 
sa fougue habituelle, de subir l'épreuve du feu; 
qu'on allumât un bûcher où l'on jetterait le corps 
de Bernardin et où il entrerait lui-même; si la 
ilamme les respectait, la sainteté du mort serait 
prouvée; il demandait seulement qu'au cas où il 
périrait, le fait fût imputé à ses propres péchés et 
laissât intact le renom de son maître. Nicolas V 
refusa de permettre l'épreuve, mais, ému de cet 
excès d'amour fraternel, il pressa plus vivement 
l'instruction de la cause. 

Le 26 février 1430, moins de six ans après la 
mort de Bernardin, le Souverain Pontife, jugeant 
enfin que pleine lumière était faite, annonça aux 
ambassadeurs de Sienne que la canonisation aurait 
heu à la Pentecôte. Tout concourait alors à rendre 
plus éclatante la glorification de l'humble Mineur. 
Les causes qu'il avait entrepris de servir quand 
elles étaient en péril semblaient, pour le moment, 
avoir triomphé. Une paix relative régnait en Italie, 
La prodigieuse affluence des pèlerins attirés à 
Kome par le jubilé rappelait la ferveur des siècles 



LES DERNIÈRES ANNÉES. 327 

plus chrétiens. L'unité de l'Église était raffermie 
par l'échec défloitif du synode de Bàle, et l'on se 
flattait môme que le concile de Florence avait fait 
rentrer les Grecs dans cette unité. Le grand 
renom littéraire du pape Nicolas V, son goût 
éclairé des arts grandissaient encore le prestige 
de la papauté. Rarement l'Église avait autant 
paru présider à la marche du monde. Entre les 
humiliations récentes du grand schisme et le scan- 
dale prochain d'Alexandre VI, le moment était uni- 
que pour le catholicisme. 

Aujourfixé pour la canonisation, le 24 mai iibO, 
on vit partir du couvent de l'Araceli, pour se diri- 
ger vers Saint-Pierre, une longue procession de 
près de quatre mille Mineurs de l'Observance, 
parmi lesquels trois devaient être aussi élevés sur 
les autels (l). La cérémonie fut célébrée, avec 
grand appareil, dans laj)asilique pontiûcale, et le 
Pape prit la parole pour louer magniflquement les 
vertus et les services du nouveau saint. 

L'exaltation de Bernardin fut saluée, en Italie, 
par de pieuses et joyeuses manifestations. A 
Sienne, les fêtes durèrent deux jours; l'évêque 
chanta la messe sur la place où le saint avait prê- 

(1) Jeaa de Ctpistraa, Jacijues de la Marclie et Diego d'Alcda. 



328 SAINT BERNARDIN DE SIENNE. 

ché ; « toute la ville était en liesse, disait un vieux 
chroniqueur, et chacun donnait à boire et à manger 
à qui voulait (1) ». Dans beaucoup de villes, des 
églises et des couvents furent dédiés à saint Ber- 
nardin. Peintres, sculpteurs, médailleurs, orfèvres 
reproduisirent à Tenvi son image. Les écrivains 
célébrèrent ses vertus et son éloquence. Dans la 
seconde moitié du quinzième siècle, nul saint 
n'était, en Italie, plus populaire et plus honoré. 
Son culte, propagé par ses disciples, s'étendit au 
delà des Alpes. Depuis lors, la poussière apportée 
et accumulée par le temps a voilé cette figure. 
C'est la raison de Tefifort que j'ai tenté pour lui 
rendre un peu de son éclat et de sa fraîcheur pri- 
mitive. J'ai cru que les qualités aimables et géné- 
reuses de ce pauvre moine, sa vertu sans aucune 
ombre, son amour des âmes, sa soif de paix et de 
justice étaient de nature» à lui attirer, de notre 
temps, quelque chose des sympathies et des admi- 
rations qu'il avait conquises au quinzième siècle. 

(1) On trouve des renseignements détaillés sur ces fêtes dans 
la Sioria SenesCy de Dati, et dans le Diario Senese, d'ALLECRETTi. 



FIN. 



TABLE DES MATIÈRES 



Introduction vu 

CHAPITRE PREMIER 

LA FORMATION OU SAINT ET DU PRÉDICATEUR. 

(1380-1417) 

I. Sienne au Moyen âge. Anarchie et sainteté. Les Bienheureux 
Tolomei, Colombini, Petroni et sainte Catherine de Sienne. 1 

II. Enfance et jeunesse de Bernardin. Son caractère. La Vierge 
de la porte CamoUia. La peste de 1400. Bernardin à l'hôpital 
de la Scala. Il prend l'habit des Frères mineurs 5 

III. Bernardin novice au petit couvent de Colombaio. Il fait 
profession et reçoit la prêtrise. li prêche sur la Passion. 
Le Ministre général lui ordonne de se consacrer à la prédica- 
tion 19 

IV. Caractère nouveau donné à la prédication par les deux grands 
Ordres mendiants. Décadence au quatorzième siècle. Saint Vin- 
cent Ferrier. Celui-ci pressent et annonce l'apostolat de Ber- 
nardin 24 

y. Premiers sermons de Bernardin. Fondation du couvent de 
la Capriola. Période de recueillement. Bernardin reçoit d'en 
haut l'avis d'aller évangéliser la Lombardie 33 

CHAPITRE II 

l'apostolat. 
(1417-1427) 

I. État religieux de l'Italie. La Renaissance païenne. Importance 
des humanistes. Relâchement des mœurs. Immoralité des 
princes. Divisions des factions guelfe et gibeline 39 

II. Milan et les Visconti. Prédications de Bernardin dans cette 
ville. Son action personnelle. Son caractère aimable et 
enjoué 53 

III. Il prêche dans les diverses villes de la Lombardie. Son mode 



330 TABLE DES MATIERES. 

de prédication. Miracles. Il parle surtout contre les factions. 
Résultats obtenus. Controverse avec Manfrède, au sujet de 
l'Antéchrist 61 

IV. Bernardin à Venise et dans les villes de son territoire. Il 
recommande la dévotion au nom de Jésus 73 

V. A Ferrare, il combat les excès du luxe ; à Bologne, les jeux 
de hasard 86 

VI. Bernardin à Florence. A Vol terra, il expose à la vénération 
une tablette portant les lettres du nom de Jésus. Miracle à 
Prato. Prédications à Sienne, à Arezzo 86 

VII. Évangélisation de l'Ombrie. Pérouse pacifiée et transfor- 
mée. Stations à Orvieto et Viterbe. Bernardin est cité à Rome 
par le Pape 99 

CHAPITRE III 

l'épreuve. 
(1427-1433) 

I. Bernardin est accusé d'hérésie à l'occasion de sa dévotion au 
. nom de Jésus. Accueil sévère de Martin V. Calme de l'accusé. 

Jean de Capistran accourt à son secours. Débat devant le 
Pape. Victoire de Bernardin. Il prêche à Rome. L'opinion, 
naguère troublée, lui revient. Il refuse l'évêché de Sienne. 108 

II. Nouvelle prédication à Sienne et en d'autres contrées. Ber- 
nardin tient tête à Philippe-Marie Visconti. Il détourne Sienne 
de la guerre. Son humilité dans le succès 126 

III. Les adversaires de Bernardin n'ont pas désarmé. Ils repren- 
nent leurs accusations, à l'avènement d'Eugène IV. Poursuites 
entamées à Rome, à l'insu du Pape. Celui-ci, averti, annule les 
poursuites et fait l'éloge de Bernardin 137 

IV. Propagation de la dévotion au nom de Jésus, du vivant de 
Bernardin et après sa mort. Il apparaît comme l'initiateur de 
cette dévotion 145 

V. Bernardin est en rapport avec Sigismond. Il accompagne ce 
prince à Rome, lors de son couronnement 151 

CHAPITRE IV 

LES SERMONS. 

h Bernardin se retire à la Capriola pour écrire ses sermons. 



TABLE DES MATIÈRES. 331 

saïDt Bernardm. éditées par le P. Je la Raye. 
F authenticiti!:, Pourquiii les sermons Boot-iU rÉdigùs en 

IbO 

19 publiés dans lea Œuvres de salât Bernar- 

U Le fond et la furme sont d'un tbèologleD, Abus des divi- 

}oas et des citations de l'Écriture, lulluence de la eculastiijue 

BUT la prédication 103 

HI. Ces sermona dd sont pas C8ui que Bernardin a prononcés : 
te aoat des traités liestinés 6. Ûxer sa doctrine et i aider sa 

prâdicaUon ou ocUo des aulres 169 

IV. L'àloqueoce se fait jour à, travers l'appareil Ihéologique. 
CitatioDS diverses sur les pécheurs, le luxe, la pauvreté, la 

; p^, la Madeleine après la Résurrection 173 

.V. BermoDs ûcrit>t par des auditeurs. Recueil des sermons pro- 
noncée, en liST, à Sienne, par Bârnardiu. Le Hcribe j note 
jusqu'aux peliles digressions et auzmoindreE inciileols. Il a dû 

se Berrir d'un procédé tach y graphique 187 

VI. Les serinoDs recueillis sont bien de Bernardin. Leur diffé- 
rence avet lea sermons latins. C'est la libre et vivante parole. 
L'orateur parle le langage qui convient au peuple. Siiiiilitades, 
apologues et nouvelles. Que faut-il penser de cette prédication 

populaire? Bernardin et Maillard 199 

I VU. Sujets divers traités dans les sermons de Sienne. L'Aisomp- 
tion. La pi'édrcation. La médisance. Le mal des partis. La paix. 
; Les vanités féminines. Le counnerce. Les devoirs entre mari 
I et femme. Les Ktes de Marie, Menace des ch.Uiments divins. 
I Le condottiere. Derniers adieux. Ces sermons font comprendre 
l^^ce qu'était alors la prédication populaire , . , 218 

I. Bernardin s'est toujours beaucoup occupé de l'Observance. 
Du vivant de saint François, des divergences s'étaient produites 
sur l'interprétation de sa régie, particulièrement en ce qui 
touche la pauvreté. Ces divergences s'aggravent par la suite. 

Les Conventuels et les Spirituels 251 

n. Humbles début.'; de l'Observance. Ses progrés facilités, en lia- 

_. lie et en Fiance, par la grand schisme. La réforme cheî les 

Dominicains 262 



CHAPITRE 



332 TABLE DES MATIERES. 

III. État de robservaace au moment où y entre Bernardin, il 
travaille à la propager. Il veille au maintien de la règle. 
Martin V et Eugène IV favorisent les Observants 206 

IV. L'Observance et les humanistes. Attaques de Poggio. 3er- 
nardin et les lettres. Motifs de Thostilité des humanistes. 
Poggio est embarrassé du scandale qu*il produit 273 

V. Comment concilier Tezistence de TObservance avec l'unité de 
l'Ordre des Mineurs? Système des vicaires. Échec des tenta- 
tives faites pour supprimer ou atténuer la différence des règles. 
Bernardin est nommé vicaire général pour l'Observance. 277 

VI. Zèle et sagesse de Bernardin dans l'exercice de ses fonctions. 
Il obtient, en 1442, d'en être déchargé. Grands progrès réalisés 
par l'Observance 282 

VII. L'Observance après la mort de Bernardin. Ses disciples. 
Saint Jean de Capistran. Les Observants sont devenus les plus 
nombreux. Leur séparation d'avec les Conventuels. Leur situa- 
tion actuelle . 288 

CHAPITRE VI 

LES DERNIÈRES ANNÉES. 

(1442-1444) 

I. Bernardin, déchargé, en 1442, du vicariat de l'Observance, 
reprend ses prédications. Il prêche, à Padoue, le carême Séra- 
phin. Vénération croissante dont l'entourent les peuples. 29: 

II. Séjour à la Capriola, où il complète la rédaction (de ses ser- 
mons. Sa lamentation sur la mort du Frère Vincent 305 

III. Prédications à Massa et à Sienne. Bien que sentant sa Un 
prochaine, il se met en route pour aller évangéliser le royaume 
de Naples. Incidents de son voyage. Son dernier sermon à Citla- 
ducale. Il arrive à Aquila et y meurt, le 20 mai 1444 ois 

IV. Manifestations et miracles qui se produisent après sa mort. 
Un cri général s'élève, demandant sa canonisation. Elle est pro- 
noncée, le 24 mai 1450. Honneurs rendus à saint Bernardin. o21 



PARIS. TYP. DE E. PLOIf, NOURIUT ET C»«, RUE GARASCIERE, 8. 



332 TABLE DES MATIERES. 

III. État de robseryaoce au moment où y entre Beroanii .. > 
travaille à la propager. Il veille au maintien de la ru' 
Martin V et Eugène IV favorisent les Observants -'* 

IV. L'Observance et les humanistes. Attaques de Poggio. >t 
nardin et les lettres. Motifs de l'hostilité des human'j .3 
Poggio est embarrassé du scandale qu'il produit i 

V. Comment concilier l'existence de l'Observance avec TuniU h 
l'Ordre des Mineurs? Système des vicaires. Échec des tmt.v 
tives faites pour supprimer ou atténuer la différence des rtgits. 
Bernardin est nommé vicaire général pour l'Observance, i" 

VI. Zèle et sagesse de Bernardin dans l'exercice de ses fonctions 
Il obtient, en 1442, d'en être déchargé. Grands progrès réalises 
par l'Observance 2Si 

VII. L'Observance après la mort de Bernardin. Ses disciplv? 
Saint Jean de Capistran. Les Observants sont devenus les plu: 
nombreux. Leur séparation d'avec les Conventuels. Leur situa- 
tion actuelle 2^ 

CHAPITRE VI 

LES DERNIÈRES ANNÉES. 

(1442-1444) 

I. Bernardin, déchargé, en 1442, du vicariat de l'Observanc; 
reprend ses prédications. Il proche, à Padoue, le carême >Vrc 
phin. Vénération croissante dont l'entourent les peuples. 2';' > 

II. Séjour à la Capriola, où il complète la rédaction de ses ser-l 
mons. Sa lamentation sur la mort du Frère Vincent S'V-i 

III. Prédications à Massa et à Sienne. Bien que sentant sa 1c 
prochaine, il se met en route pour aller évangéliser le royauiii-i 
de Naples. Incidents de son voyage. Son dernier sermon à CiUa- 
ducale. Il arrive à Aquila et y meurt, le 20 mai 1444 . ïl: 

IV. Manifestations et miracles qui se produisent après sa murt. 
Un cri général s'élève, demandant sa canonisation. Elle est pro- 
noncée, le 24 mai 1450. Honneurs rendus à. saint Bernardin. lil 



PARIS. TYP. DE E. PLO», NOUBRIT ET C>«, RUE GARAMCIÈRE, 8. 



UNIVERSITY OF MICHIQAN 



2344 H