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fO p 33. 37K M
Harvard Collège
Library
FKOM THE BEQUBST OF
JOHN HARVEY TREAT
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SAINTE EUSÉBIE
ET 'SES 40 COMPAGNES- MARTYRES
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MARSEILLE
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ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSEILLE
SAINTE EUSEBIE
Abbesse
ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSI-:iLLK
L'Abbé S. VERNE
Sttltur dt la Paroisse Saiatt-Eusibît, à Montrtdoa
TeneU tradilionts.
1 Uardtz vos traditions >
(Il AD THBSS.,2, 14.)
MARSEILLE
Rue Sainte, 3g
1891
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Conformément aux décrets du pape Urbain VIII, nous décla-
rons ne vouloir préjuger en rien les décisions de l'Eglise au
sujet des faits et des appréciations contenus dans cet ouvrage
et soumettre celui-ci à l'autorité doctrinale de notre Evèque,
rejetant et condamnant tout ce 'qu'il désirerait nous voir
rejeter et condamner.
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JNIVERSITY
LI-' vary
DÉDIÉ
SA GRANDEUR MONSEIGNEUR ROBERT
ÉYÊQUE DE MARSEILLE
ÊVÊCHÉ Marseille, le 12 Novembre 18 go,
DE
MARSEILLE
Mon bien cher Curé,
Vous venez de terminer heureusement, après plusieurs
années d'un travail infatigable, l'œuvre qu'a inspirée à
votre foi et à votre piété le culte de sainte Eusébie,
titulaire de votre chère paroisse.
Votre étude historique accuse de savantes et de profon-
des recherches. Il y a surtout un sentiment pieux, qui fait
du bien à l'âme. Les solutions que vous donnez à des
points douteux pourront paraître contestables à quelques-
uns ; mais cela n'empêchera pas que votre livre ne soit
lu de tous avec grand intérêt et, ce qui vaut mieux encore,
avec beaucoup d'édification. Vos paroissiens notamment
trouveront dans cette lecture le moyen de bien connaître
et d'aimer, comme ils le doivent, celle que l'Eglise leur a
donnée pour patronne et pour modèle.
Combien il serait désirable que les prêtres occupent
leurs loisirs, ainsi que vous l'avez fait, à recueillir avec
respect et amour ce qui intéresse l'histoire de leur paroisse !
Nous aurions bientôt une série de monographies parois-
siales fort utile pour l'histoire générale du diocèse.
L'exemple que vous donnez portera ses fruits, j'en ai la
confiance, et ce ne sera pas l'un des moindres résultats de
votre savant et religieux travail.
Recevez, mon bien cher Curé, avec mes sincères félici-
tations, la nouvelle expression de mon affectueux attache-
ment en Notre Seigneur.
•J- LOUIS, évêque de Marseille.
PRÉFACE
Nous avons à dire l'humble genèse de ce modeste travail.
Une légende antique de l'histoire de Marseille, le mas-
sacre de sainte Eusébie et de ses compagnes par les Sar-
rasins, nous a toujours charmé. Enfant, ce nous était un
doux plaisir de l'entendre raconter par les vieillards ;
plus tard, lorsque nous ne savons quel ouvrage nous eut
appris qu'une tradition indiquait les bords de la mer, la
plage au bout du Prado, comme le théâtre de cet événe-
ment, nous cherchions à refaire dans notre imagination
les phases diverses de cette scène désolante.
Prêtre et vicaire à Saint-Giniez, la légende nous capti-
vait. Bien des fois, nous avons parcouru cette partie de
nos rivages et, nous reportant à onze ou douze siècles en
arrière, nous revoyions par la pensée le moutier d'Eusé-
bie, auquel les bois, les prairies, les vignes et la mer fai-
saient une verte et gracieuse ceinture. Nous prêtions
l'oreille, et nous croyions entendre, comme un doux mur-
mure qui arrivait jusqu'à nous, les chants et les prières
des Cassianites. Soudain ce spectacle ravissant se chan-
geait en scène lugubre. Les douces compagnes d'Eusébie,
Eusébie avec elles, nous les voyions fuir éperdues dans la
chapelle de leur monastère, poursuivies par de farouches
envahisseurs. Nous entendions leurs cris de désolation,
leurs appels suppliants, nous étions témoin d'un acte
héroïque. Puis le silence le plus profond ! Et les vaisseaux
qui portaient les barbares regagnaient la haute mer, ou
disparaissaient derrière les collines qui bornent au sud le
terroir de Marseille. Curé à Montredon, et notre église
étant dédiée à la chère sainte Eusébie, nous étions tout à
la joie d'habiter près de ces lieux bénis que l'héroïque
martyre avait foulés de ses pas .
VI
* Quel ne fat pas notre étonnement de lire un jour, dans
la Vie des Saints de Marseille (1), que cette tradition qui
faisait vivre et mourir sainte Eusébie dans un monastère
cassianite, aux bords de l'Huveaune, n'avait aucun fonde-
ment et qu'il fallait céder à d'autres lieux, plus proches de
Marseille, la gloire d'avoir été le théâtre d'un si glorieux
martyre. Nos plus beaux rêves se dissipaient ! Il n'y avait
pas à en vouloir à l'auteur de l'excellent ouvrage cité plus
haut : écrivant la Vie des Saints les plus connus dans
notre Eglise, il ne pouvait entrer dans tous les détails et
discuter à fond les points douteux qui pouvaient se pré-
senter .
Notre ligne de conduite était toute tracée. Il nous fallait
étudier sur quelles bases s'appuyait la vieille légende deis
Desnarrados (2) et peut-être mettre par écrit le résultat de
nos recherches. Nous le devions à nos rêves d'enfant. A
titre d'ancien vicaire de Saint-Giniez, nous avions à le
faire. Depuis notre arrivée à Montredon, il nous semblait
entendre la chère sainte Eusébie nous le demander cha-
que jour.
Ce fut le motif qui nous fit entreprendre d'écrire ees
pages.
Mais, nous l'avouons simplement, c'était une simple
brochure que nous désirions offrir aux amateurs des
« choses marseillaises ». Or, les détails se présentèrent si
nombreux, que la brochure devint un petit livre.
Notre tâche était à peu près achevée, lorsque parurent,
dans Y Echo de Notre-Dame de la Garde, quelques ex-
traits d'une monographie de l'abbaye de Saint- Victor-lez-
Marseille (3). L'estimable M. Grinda en était l'auteur.
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille. — Sainte Eusébie et ses
compagnes, vierges et martyres, 11 octobre.
(2) Leis desnarrados ou desnazados, c'esl-à-dire sans nez. Allusion
évidente au genre de martyre qu'ont enduré sainte Eusébie et ses com-
pagnes.
(3) Echo de Notre-Dame de la Garde, année 1888.
VII
Tout en assurant que son but était de mettre à l'abri de
la critique impie notre tradition* sur sainte Eusébie, il la
découronnait cependant, à notre avis. Si l'on voulait re-
garder, en effet, l'inscription lapidaire d'Eusébie comme
Tépitaphe de notre sainte héroïne marseillaise,il fallait pla-
cer le martyre au Ve siècle et fouler aux pieds ce point de
notre tradition qui attribue aux Sarrasins le martyre des
Cassianites. Si Ton voulait, au contraire, attribuer à ces
barbares ce fait odieux, il fallait renoncer à voir dans cette
inscription funéraire la légende de notre sainte Eusébie.
Nous avons remis notre travail sur le métier et de notre
œuvre première ainsi remaniée il en est sorti, hélas, un
bien gros livre ! !
En toute confiance nous le livrons à la bienveillance
comme à la critique de nos lecteurs. Ce qui nous rassure
c'est que nous n'avons pas la prétention d'avoir trouvé la
vérité, de la faire toucher du doigt. Non. Ce point de nos
annales est trop difficile à éclaircir. On se heurte à la nuit
des temps barbares. Il faut lutter avec les tâtonnements,
les contradictions, les objections des auteurs, souffrir de
la pénurie presque complète des documents, car il ne
reste que l'inscription lapidaire du tombeau de sainte
Eusébie, et, disons-le, elle n'est pas hors de toute
conteste. De plus savants et de plus habiles que nous ont
cherché longtemps à déchiffrer cette énigme, et ils n'ont
pas réussi. Humble pionnier, armé d'outils bien faibles,
pouvions-nous espérer de découvrir le trésor? et, ouvrier
malhabile, de conduire l'édifice à son achèvement ? Ne
risquions-nous pas de nous égarer loin du filon précieux,
et nos matériaux seraient-ils toujours de premier choix ?
C'était là le danger !
Nous voulons être sincère- Il nous a été impossible de
découvrir un document précis, authentique sur lequel on
pût établir un argument péremptoire, relativement aux
deux questions qui vont nous occuper. Nous n'avons pas
VIII
de preuve certaine, irréfragable de ce que nous soute-
nons. C'est, d'ailleurs, ce que Ton nous avait prédit.
Nous avons dû nous contenter de réunir et de classer
tout ce que l'histoire pouvait nous offrir de faits, de docu-
ments, de souvenirs et d'en dégager une somme de pro-
babilités assez sérieuses, croyons-nous, en faveur de notre
thèse.
Cependant, par l'étude que nous avons faite de cette
question, un coin du voile qui s'obstine à la recouvrir
aura été peut-être quelque peu soulevé, et nous aurons
apporté une petite pierre à l'édifice qu'un autre, nous
l'espérons, achèvera plus tard. Nous avons pu nous lais-
ser induire en erreur ; mais ce qui est sûr, qu'on le sache
bien, c'est que nous ne voulons point faire parade d'éru-
dition, et que si nous nous sommes trompé nous serons
heureux de le reconnaître. Si quelqu'un plus habile, mieux
servi par les circonstances, plus favorisé que nous,
découvrait de nouveaux documents et nous donnait des
preuves solides, contraires à la solution que nous pré-
sentons, nous ne ferions nulle difficulté de nous ranger à
son avis. La gloire de notre chère sainte Eusébie nous
tient plus à cœur que la nôtre propre, et rien n'honore
les saints comme la vérité.
Maintenant, comme Duns Scot, accourant à l'Univer-
sité défendre le privilège de l'Immaculée Conception,
disait, en passant devant une statue de la Vierge Marie :
Da mihi virtutem contra hostes tuos (1), volontiers,
offrant à la sainte patronne de notre église ces quelques
pages, nous lui dirions : Bonne sainte Eusébie, c'est de
vous qu'il s'agit, venez-nous en aide et guidez notre
plume ! !
S. V.
(1) c Donnez-moi la force pour lutter contre vos ennemis. » Paroles
tirées de l'office de la Sainte Vierge.
SAINTE EUSÉBIE
ABBBSSE
ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSEILLE
INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER
L'Abbaye Cassianite des Bords de l'Huveaune
LE TERROIR. DK SAINT-GïNIEZ.— LE CŒNOBIUM CASSIANITE DE FILLES,
AUX BORDS DE L'HUVEAUNE. — DYNAMIUS, BIENFAITEUR DU CŒNO-
BIUM. — LETTRE DU PAPE GRÉGOIRE LE GRAND A L'ABBESSB
RESPECTA.
Là, où de nos jours l'avenue du Prado étale ses frais ombra-
ges et groupe ses plus riantes villas; dans l'espace que limi-
tent, au nord, les dernières pentes de la colline de Notre-Dame
de la Garde ; à l'est, le cours du Jarret ; au sud, les collines de
Sainte-Marguerite, de Mazargues et de Montredon, se déroulait
jadis une plaine immense que l'Huveaune, dans son cours lent
et sinueux, partageait en deux moitiés à peu près égales.
Le paysage qui s'offrait aux regards, pour être sévère, triste,
monotone, n'était pas cependant dépourvu de majesté et de
grandeur. Ici, vers Montredon, de vastes et sauvages grèves,
sur lesquelles la mer roulait ses vagues, tantôt impétueuses
et tantôt caressantes; là, sur le terroir de Bonneveine, des
— 2 —
»
landes sablonneuses et incultes que battaient sans trêve ni
repos les brises du large ou les rafales du mistral ; d'un côté,
sur le versant méridional de la Garde, des bois épais de pins qui
descendaient jusqu'aux berges de l'Huveaune ; de l'autre, vers
le Rouet, le Rond-Point et Saint-Giniez, des marais stagnants
que formaient des ruisseaux sans déversement, ou les eaux de
l'Huveaune, refoulées à certains jours par la mer soulevée (1).
Avec les siècles cependant, la civilisation avait pris pied
dans ce désert. Où se trouvaient jadis un bois sacré, un oratoire
païen, se dressa bientôt une modeste église : celle de Saint-
Giniez (2). Où s'étendaient des terres incultes, se formèrent de
puissants domaines, peuplés de serfs et de colons : Carvillan
et Romagnac, d'un côté de l'Huveaune (3), Fabias et Consuas
de l'autre (4); les bois, les marécages, les plus minces filets
(1) Nous devons prévenir nos lecteurs que dans ces pages ils trouve-
ront un certain nombre d'assertions dont la preuve est faite seulement
dans notre ouvrage intitulé : Sainte Eusèbie, abbesse, et ses 40 compa-
gnes martyres,
(2) Notice historique, topographique et hagiologique sur Saint-
Giniez, par M. l'abbé Daspres, p. 11. M. Daspres était curé de Saint-Gi-
niez, quand il composa cette notice, remplie de détails précieux, sur ce
point du terroir marseillais.
(3) Carvillan, « in suburbio Massiliense, villam que dicitur Carvil-
lianus, id est, casis astantibus et dirutis, terris cultis et incultis,
vineis, pratis, pascuis, etc., etc. » Cartulaire de Saint-Victor, charte 28,
du 24 juin 840, et charte 27, de 1020.
Le territoire désigné sous ce nom de Carvillan comprenait une
partie du terroir de Sainte-Marguerite. — Lire les pages pleines d'intérêt
qu'a écrites M. l'abbé E. Arnaud, curé de Sainte-Marguerite, sur Carvil-
lan, dans la Notice historique sur Sainte-Marguerite, ch. 2, p. 26
etsuiv.— Notice historique sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 83
et suiv. — Dictionnaire topographique de l'arrondissement de Marseille,
par J.-B. Mortreuil, au mot Carvillian, p. 86.
Romagnac. « Super fluvium Vuelne, in locis his nominibus desi-
gnatis : Romagnac, Ligus Pinis, Fabias.* Cartulaire de Saint-Victor,
ch. 29, de 965. Cette terre était une partie du terroir actuel de Bonne-
veine, lequel était appelé dans d'autres chartes Gas de Romagnana, gué
ou passage de Romagnac sur l'Huveaune, ou gast de Romagnana, terre
inculte, stérile de Romagnac. — Notice historique sur Saint-Giniez,
par l'abbé Daspres, p. 88. — Dictionnaire topographique de Mortreuil,
au mot Romagnana, p. 313.
(4) Fabias: terroir situé entre le Rouet et Saint-Giniez. Cartulaire de
— 3 —
d'eau prenaient un nom. Le Ligus Pinis désignait le versant
boisé de la Garde (1) ; le palud des bords de l'Huveaune
s'appelait Arculens (2) ; celui du Rond -Point, Antignane (3) ;
celui des environs du Rouet, Framaud, Frémautou Formai (4);
le pelit ruisseau d'Antignane même avait sa place dans les
chartes de l'époque.
8aint- Victor, ch. 29. — Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres,
p. 111.— Dictionnaire topographique de Mortreuil, v. Fabias, p. 147.
CoDsuas : portion du terroir sur lequel est construit actuellement le
château Talabot. Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 102.
— Dictionnaire topographique de Mortreuil, v. la Conseillère, p. 117.
(1) Ligus Pinis, quartier sur le versant méridional de Notre-Dame de
la Garde. Cartulaire, ch. 29. —Notice sur Saint-Giniez, p. 15, 104. —
Dictionnaire de Mortreuil, v. la Pinède, p. 280. C'est bien à tort, croyons-
nous, que le Dictionnaire géographique, placé en appendice au tome II
du Cartulaire de Saint-Victor, affirme que le Ligus Pinis est le village
actuel de la Pêne, près Saint-Marcel.
(2) Arcuîens, Arcollens, Arcola, Arcoulens, Arquolens, RecoUens,
autant de mots qui désignent un môme quartier de Saint-Giniez, situé
sur le bord de l'Huveaune, prés de l'ancien gué et du pont, qui, aujour-
d'hui, conduit au parc Borély. Au XVII* siècle, on le regardait comme
taisant partie du terroir de Bonneveine : Bone vene, Arcollens, Arquo-
lens, frive Bonevene, RecoUens ou Bonneveine. Cartulaire de Saint-
Victor, ch. 52, de 1040.— Dictionnaire géographique du Cartulaire, t. II,
▼. Arcolœ. — Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 66, 87, 88.
141, U2.
(3) Antignane, Antignana, Antinana, fons d' Antinana* palus
à: Antinana. C'est tantôt dans les chartes un quartier, tantôt un marais
ou un ruisseau, alimenté par une source, qui portait le même nom : fon*
Antinana; dans le XI* siècle, ce marais s'appela indifféremment: \8
palud de Saint-Giniez ou le palud d'Antignane, — Notice sur Saint-
Giniez, par l'abbé Daspres, p. 192, 138 et suiv. — Dictionnaire topogra- -
phique de Mortreuil, v. Antignane.
(4) Le palud de Formai, Framald, Frémaut devait être situé entre
Saint-Giniez, le Bouet, la Capelette. «Moi, Lambertus Dodo,\e donne une
pièce de terre, prés l'église de Saint-Giniez ; elle se termine d'un côté
à la terre d'Adalugi, de l'autre au chemin qui va à Marseille, et de l'autre
au palud de Framaut (Framaldi). . . Moi, Virfred et Bostagnus A m al rie,
donnons cette terre qui est située dans le palud de Formai. » Ch. de 1097.
Nous donnons en appendice cette charte dans notre ouvrage : Sainte
Euzébie et ses 40 compagnes martyres. Elle est cotée aux archives de
là Préfecture, n* 789, au diocèse de Marseille, n* 317. — Notice sur
Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, charte de 1097, p. 141. — Dictionnaire
topographique de Mortreuil, v. Framaud, p. 164.
— 4 —
Une tradition dont nous établirons ailleurs les preuves
nous dit que ce fut cet humble coin de terre que choisit saint
Cassien pour les religieuses qu'il venait d'établir à Marseille.
Sur la rive droite de l'Huveaune, à quelques pas de ses bords,
non loin de la plage sablonneuse s'éleva le monastère de Tordre
naissant. Dans cette solitude, à la grande voix de la mer, au
mugissement de la tempête, à travers la forêt, se joignirent
désormais une voix plus douce : celle de la prière, et un mur-
mure bien suave : le chant des bymnes saintes que les Gas-
sianites faisaient monter chaque jour vers Dieu.
Le Gœnobium de l'Huveaune fut placé, au début de sa fonda-
tion, sous le vocable de la sainte Vierge (1). La haute piété,
les douces vertus des religieuses qui y vivaient, autant que le
désir de se sanctifier à l'école du patriarche de la vie monas-
tique (2), avaient attiré en ce lieu béni de nobles âmes. Elles y
accouraient, avides de sacrifices et de renoncement. Nulle part
ailleurs, à Marseille du moins, elles n'auraient trouvé une
source aussi limpide pour y boire à longs traits la perfection
chrétienne qu'elles rêvaient, et y apaiser la soif qu'elles
avaient de servir Dieu uniquement (3).
(1) Ruffl, Histoire de Marseille, t, II, p. 57. — L'Antiquité de l'Eglise
de Marseille, par Mgr de Belsunce, t. I. p. 258. — André, Histoire
de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur de Marseille, p. 3. —
Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, p. 28. — Les Saints de
V Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 225.
*(2) C'est vers 415 ou 420, que Cassien établit à Marseille deux monas-
tères, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes. On peut l'appeler
à juste titre le fondateur dans notre ville de la vie cénobitique. Avant lui,
il y avait peut-être dans les grottes et les bois environnants des soli-
taires, des anachorètes, des ermites, adonnés à la contemplation et à la
pénitence. Mais il n'y avait pas, à proprement parler, de monastères,
c'est-à-dire de religieux vivant en commun sous le même toit et soumis
à une même règle.
(3) Sur divers points de la Gaule ou de la Provence s'élevaient déjà
des monastères. Vers 405, saint Honorât, qui fut plus tard évoque d'Arles,
avait fondé celui de Lérins, dans l'île de ce nom. En 360, saint Martin de
Tours avait fondé celui de Ligugé, près de Poitiers, et un peu plus tard,
celui de Marmoutier, près de Tours.
En Italie, la vie monastique jetait aussi un vif éclat. Sur le mont
Aventin, à Rome, la patricienne Marcella avait fait de son palais un
— 5 -
Au début du VI" sièole, on comptait parmi ces cœurs d'élite,
la jeune Césarie, sœur de l'évoque d'Arles, saint Césaire. Elle
vint demander aux vierges de l'Huveaune de lui apprendre la
pratique de cette vie religieuse, que plus tard elle devait
enseigner à d'autres. L'évêque d'Arles, saint Césaire, l'avait
voulu ainsi, tant il avait en estime la sainteté des filles de
Cassien (1).
Cette renommée si justement acquise valut au monastère
de nombreux bienfaiteurs. Deux personnages illustres de Mar-
seille au VIe siècle, Dynamius et Aurelius, en avaient agrandi
les constructions, en cédant une de leurs maisons que
Ton unit par un corps de bâtisse aux appartenances de
l'abbaye (2). La dévotion spéciale que ces donateurs profes-
cœnobium de vierges et de saintes veuves. A Milan, saint Ambroise fon-
dait un monastère de filles. En Afrique, «saint Augustin en fondait un
pour les hommes, à Tagaste. En Espagne, dès 380, un concile de Sarra-
gosse parle des moines et des religieuses qui vivent dans les monastères
de celte contrée.
Cet élan vers la vie monastique, en Occident, avait été déterminé par
les merveilles de sainteté et de vertu, que saint Athanase, exilé d'Alexan-
drie, et venu à Trêves en 336, à Rome eu 340, avait racontées des reli-
gieux vivant dans les cœnobia des bords du Nil. — Histoire de l'Eglise,
par le cardinal Hergenroether, t. II, p. 592. — Histoire de sainte Poule,
par l'abbé Lagrange, p. 85. — Histoire de l'Eglise, par l'abbé Darras,
t IX, p. 551. — Ozanam, La civilisation au V9 siècle, leçon XII,.t. II,
p 31. — * Histoire du monastère de Lérins, par l'abbé Alliez, t. I, p. 14.
(1) c Evocataque eMassiliensi cœnobio venerabili sorore sua Gffisaria,
< quam ideirco eo miserat, ut disceret quod doceret, et prius esset disci-
t pula quam magistra. » Vie de saint Césaire, par Gypricn, son disci-
ple, dans Chronologia sanctorum insulœ Lerinensis, par Barralis,
p. 237. — Patrologie latine, édit. Migne, t. 67, OperaS.Cœsarii, col. 1013.
Mabillon dit de saint Césaire d'Arles que : « Perfecto monasterio,
t 8ororem Gœsariam a Massiliensi Parthenone, quo eam monasticis
c ritibus informandam direxerat,revooatam prœfuit. » Annales Ordinis
S. Benedicti, t. I, p. 22. — « Evocat e monasterio venerabilem germa-
t nam suam Caesariam, quam inibi direxerat. » En note, Mabillon
ajoute : « Nempe in Parthenone a Joanne Gassiano sanctimonialibus
« erecto in agro Massilise suburbano ad Yvelinum amnem, unde nomen
« esnobio. » Annales Sanctorum Ordinis Benedictini, Vie de saint
Césaire, 1. 1, p. 642. — Histoire de saint Césaire, évéque d'Arles, par
l'abbé VU) e vieille, p. 129.
P) « ... Juxta petitionem filiomm nostrorum Dynamii atque Aure-
_ 6 —
saient pour le bienheureux Gassien, avait été le motif d'un tel
acte de générosité. C'était sans doute aussi dans l'intention
d'offrir un abri plus vaste, plus spacieux aux filles de Gassien,
dont le nombre au monastère augmentait sans cesse. 11 ne se
passait pas de jour, qu'une âme, fatiguée du monde, dégoûtée
de sa corruption, désireuse de vivre sous le regard de Dieu,
n'accourût y demander asile.
Elles étaient nombreuses, en effet, les Gassianites au Cœno-
bium de l'Huveaune.
En 597, le pape saint Grégoire leur permit d'élire parmi
elles, et à l'exclusion de toute religieuse d'un autre monas-
tère, leur abbesse (1). Un tel privilège n'aurait pas eu sa raison
d'être, si le Gœnobium n'avait compté qu'un nombre restreint
de vierges consacrées à Dieu.
« liani, qui id reiigiosa devotione domuî sui juris junctis uniisse aedi-
« ficiis comprobantur... » Lettre de saint Grégroire à Respecta. Ces
deux personnages de Marseille étaient peut-être deux frères, peut-être
le frère et la sœur, car certains auteurs Usent Au relise ou Aurelianae,
au lieu de Aurelius. Nous ne savons pas grand'chose d'Aurelius. Dans
une lettre à un personnage de ce nom, saint Grégoire le Grand l'exhorte
à continuer la vie de pénitence et de charité qu'il avait embrassée. Quant
à Dynamius, il a eu, semble-t-il, une carrière assez mouvementée. D'a-
bord gouverneur de Marseille, sous Gontran, roi de Bourgogne, il per-
sécuta bien vivement saint Théodore, alors évêque de cette même ville.
Il était en même temps administrateur des biens de l'Eglise romaine
dans les Gaules. A plusieurs reprises, saint Grégoire parle de lui dans
ses lettres en termes excellents. Retiré des affaires publiques, il s'adonna
aux œuvres de bien et de charité. Dans une lettre du pape, adressée à
Respecta, il est dit que Dynamius avait donné sa maison pour agran-
dir le monastère, in honore sancti Cassiani constructum. Selon quel-
ques auteurs, Dynamius mourut en 601 . Son épitaphe et celle d'Euche-
ria, son épouse, font savoir qu'il mourut à l'âge de 50 ans et qu'il fut
enterré avec son épouse dans une église dédiée à saint Hippolyte,
martyr. St Grégoire, Lettres (passim) ; Patroi. lat., édit. Migne, t. 77.—
Ed. Leblant, Inscrip. chrét. de la Gaule, t. II, n# 641. — Guesnay, Pro-
vincial Massiliensis annales, p. 224. — Mgr de Belsuoce, Antiquité de
l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 227-258. — André, Histoire de V abbaye de
Saint-Sauveur, p. 4 et aux pièces justificatives A. — Les Saints de
l'Eglise de Marseille, saint Théodore, sainte Eusébie.
(1) « ... Gonstituentes ut obeunte antedicti monasterii abbatissa, non
« extranea sed quam congregatio sibi de suis elegerit ordinetur. ...»
Lettre de saint Grégoire le Grand àl'abbesse Respecta... André, His-
toire de l'abbaye de Saint-Sauveur, appendice, pièces justificatives A.
— 7 —
Vastes et étendues devaient être aussi les possessions de
l'abbaye (l). Les règles de l'Eglise et la simple prudence dé-
fendaient d'accepter plus de religieuses que les ressources du
monastère ne permettaient d'en nourrir (2). Dès le principe,
Gassien et les premiers abbés de Saint-Victor, ses successeurs,
durent être les administrateurs de ces biens. Au milieu du
VI' siècle, ce furent les évoques de Marseille. En 597, la lettre
du Pape saint Grégoire le Grand fait connaître que c'était Tab-
besse seule qui en avait la gestion (3). Ni l'ordinaire du lieu,
(1) Les fragments d'un polyptique découverts jadis par Ruffl et rédigés
dans le courant du IX* siècle, indiquent, en effet, qu'à cette époque,
l'abbaye cassianite de femmes possédait quelques biens ; à l'origine de sa
fondation, des gens pieux durent doter le monastère, dont ravoir s'accrut
ainsi avec les siècles. Voir ces fragments dans V Armoriai et sigillo-
graphie des Evéques de Marseille, par M. le cbanoine Albanés, p. 30.
(2) Le concile de Mayence, de l'an 813, défendait dans son 19* canon :
« Qu'on n'envoyât jamais dans les monastères plus de chanoines ou de
moines, ou de religieuses, que la maison ne saurait en nourrir. » De
même le concile d'Aix-la-Chapelle, de 816, article 118, celui de Gliffe, en
Angleterre, en 747, canon 28. Histoire chronologique et dogmatique des
conciles de la chrétienté, par Roisselet de Sauclières, t. IN.
(3) c ... In rébus autem vel in dispositione monasterii ejusdem, nec
« episeopum neque ecclesiasticorum quemquam aliquam habere decer-
c ni mus potestatem, sed haec ad sollicitudinis tuée, vel ejus quœ post te
c in eodem loco fuerit abbatissa, curam statuimus per omnia habere.. . »
Aux premiers temps de la vie cénobitique, la plupart des monastères
de vierges ayant été fondés par des moines, il est croyable que ceux-
ci avaient l'administration des biens de ces monastères. Nous savons,
en effet, que saint Facôme établit des couvents de religieuses, qui
étaient pourvus du nécessaire par les couvents des moines, pour lesquels
elles travaillaient de leur côté. De plus, ce que Ton appelait en Orient les
monastères doubles, c'est-à-dire les couvents de moines et de religieuses,
bâtis à proximité les uns des autres, n'avaient d'autre raison d'être que
la facilité de s'entr'aider mutuellement pour les choses nécessaires à la
vie. Gassien donc, établissant à Marseille deux couvents, l'un pour les
hommes, l'autre pour les filles, dut s'inspirer des mêmes idées. Peu à peu
cependant, l'influence et l'autorité des évêques se répandant sur les mo-
nastères, l'administration des biens passa entre leurs mains. Le V*
concile d'Arles, en 554, l'ordonna en termes formels pour les monastères
de filles, t Ut episcopi de puellarum mouasteriis quse in sua civitate
t constituta sunt curam gérant. » C. 5. Mais, pour remédier à certains
abus qui s'étaient glissés, sans que l'on puisse dire de qui ils pro-
venaient, le Pape saint Grégoire le Grand, en 597, ordonna que l'abbaye
— 8 —
ni qui que ce fût, désigné par lui, n'avait le droit d'y pré-
tendre (1). Preuve, d'ailleurs, que tout dans l'abbaye suivait
une marche régulière, et que les difficultés n'étaient pas à ce
point compliquées, qu'il fallût une autorité, une vigilance,
une direction autre que celle d'une simple abbesse.
À celle-ci encore de conduire son petit troupeau et de tout
régler dans l'intérieur du monastère. L'Evêque cependant
avait la haute surveillance de la conduite et des actions des
servantes de Dieu et de l'abbesse. Il devait, le cas échéant,
punir, selon la rigueur des saints canons, celles qui auraient
pu tomber dans quelques graves manquements.
A l'abbaye cassianite était joint un oratoire. Chaque jour,
un prêtre, commis à cet effet par l'Ordioaire, y célébrait la
en l'honneur de saint Cassien, à Marseille, gérerait ses propres affaires.
Histoire de l'Eglise, par Hergenroether, t. II, p. 583. — Histoire des
conciles, par Roisselet de Sauclières, t. IT, p. 488. — L'Antiquité de
l'Eglise de Marseille, par M*r de Belsunce, 1. 1, p. 233. — Lettre de saint
Grégoire à Respecta, dans Histoire de Saint-Sauveur, par André, Pièces
justificatives A.
(1) Combien d'années le monastère cassianite de Marseille jouit de ce
privilège d'exemption que lui accorda le Pape saint Grégoire, en 597 ?
D'une part, ce pontife ne voulait pas crue les religieuses s'occupassent
du temporel de leurs monastères; il ordonnait à l'archevêque de Gagliari
de « choisir dans son clergé un homme que son âge et sa probité missent
à l'abri de tout soupçon et qui prît soin des affaires matérielles des mo-
nastères de son diocèse. » D'autre part, le II* concile de Sévi) le, de l'an
619, ordonnait que : « l'administration des biens des monastères de
filles fût confiée aux moines. » G. H. Quoi qu'il en soit, au lendemain
des invasions sarrasines, ce privilège n'existait plus. Les évêques de
Marseille avaient pris l'administration des biens de l'abbaye de Saint-
Victor. Or « l'abbaye marseillaise des religieuses était alors en un état
plus triste encore que celle des hommes, et devait autant que celle-ci
se trouver sous l'autorité épiscopale. » Au sortir des invasions, quelques
années après la restauration de cette abbaye sous le titre de Saint-Sau-
veur, en 1069, l'évéque de Marseille la soumit à la juridiction temporelle
de l'abbé de Saint-Victor. Mais ce ne fut que pour quelques années. Bien-
tôt l'évéque dut en prendre la direction, sous peine de voir labbaye dis-
paraître. Vie de saint Grégoire le Grand, par l'abbé Glausier, p. 252.
— Histoire des Conciles, par Roisselet de Sauclières, t. II, p. 572. —
Armonial et sigillographie des Evêques de Marseille, par M. le cha-
noine Albanés, chap. XXIV. — Histoire de l'abbaye de Saint-Sauveur,
par André, p. 21-24.
— 9 —
messe. A l'anniversaire de la fondation du monastère ou de la
dédicace de cette église, l'Evêque y officiait. Ce jour-là, en
signe de juridiction, la cathedra y était dressée. Mais, suivant
la prescription de saint Grégoire, elle devait être enlevée au
départ de l'Evêque (1).
C'est à peu près tout ce que l'histoire nous a gardé de sou-
venirs sur l'antique Cœnobium des bords de l'Huveaune.
(1) « ... Die siquidem natalis vel dedicationis supradicti monasterii,
c episcopus il lue missarum sacra conveniat solemnia celebrare ; a quo
c tamen ita est hoc officium exsolvendum ut cathedra ejus nisi prsedictis
c diebus dum illic missarum solemnia célébrât, non ponatur. Quo disce-
c dente similiter etiam cathedra illius de eodem oratorio auferatur.
c Caeteris vero diebus, per presbyte ru m, qui ab eodem episcopo fuerit
c deputatus missarum officia peragentur. . • »
Ce n'était pas une exception laite en laveur seulement du monas-
tère que gouvernait Respecta, à Marseille, mais bien une loi quasi géné-
rale que le Pape saint Grégoire devait formuler en 601, au V* concile de
Rome ou de Latran : c Nous défendons à l'évêque de faire l'inventaire
des biens ou titres du monastère, même après la mort de l'abbé ; nous
lui défendons aussi d'y célébrer des messes publiques, d'y établir sa
chaire. . .» Histoire des Conciles, par Roisselet de Sauclières, t. II, p. 558.
CHAPITRE II
L' Abbesse Eusébie
EUSÉBIE AU CŒNOBIUM DE i/HUVBÀUNB. — OCCUPATIONS DBS RELI-
GIEUSES DANS LES MONASTÈRES, A CETTE ÉPOQUE : PRIÈRE, LECTURE
DES LIVRES SAINTS, TRAVAIL MANUEL, COPIE DBS MANUSCRITS. —
EUSÉBIE S'ADONNE A CBS TRAVAUX. — ELLE REÇOIT LE VOILE DB8
VIERGES. — EUSÉBIE RELIGIEUSE, ABBESSR. — SES COMPAGNES. —
ELLES ÉTAIENT QUARANTE. — DIGNITÉ, CHARGES, DEVOIRS D'UNE
ABBESSB.
Or, vers la fin du VII' siècle, une jeune fille, presque une
enfant, se présentait à l'abbesse du monastère des bords de
THuveaune, la suppliant de l'admettre au nombre des servan-
tes de Dieu qui vivaient sous sa direction. Elle avait quatorze
ans, était de bonne famille, et portait un nom prédestiné :
Eusébia.
Plusieurs saintes, en effet, se sont appelées de même nom
dans l'Eglise de Dieu et l'ont rendu illustre par l'éclat de leurs
vertus.
Telle sainte Eusébie, abbesse du monastère d'Hamage
(diocèse de Cambrai), qui mourut à trente-trois ans, en 680,
lis embaumé que le divin Epoux voulut cueillir aux jardins
de celte terre pour le transporter dans son jardin du ciel (1).
Telle, quelques siècles plus tôt, Eusébie, la vierge et martyre
de Bergame, qui, sollicitée d'aimer un autre époux que Jésus-
Ci) Sainte Eusébie, abbesse d 'Ha m âge, dans le diocèse de Cambrai,
était fille d'Adalbaud et de Rictrude, sœur d'un saint moine du nom de
Mauront, et de deux autres saintes religieuses appelées Glotsende et
Adalsende. Elle gouverna ce monastère durant 23 ans. Elle mourut,
en 680, à peine âgée de 33 ans. On célèbre sa fête le 14 mars.Acta Sanc-
torum Ordinis S. Benedicti, t. II, p. 924. — Bolland, Act. Eusebice Ha-
maticensis, 14 mars.
— il —
Christ, préféra le bûcher et la mort aux délices et aux char-
mes des joies de la vie (1). '
Or, Dieu a voulu, semble-t-il, que notre Eusébie de Mar-
seille réunit, dans sa propre vie, les vertus et les mérites de
chacune de ces saintes, dont elle portait le glorieux nom.
Elle aussi avait dit adieu au brillant avenir que sa famille
peut-être lui destinait. Elle aussi avait été choisie par Dieu,
pour être le modèle et l'exemple de ses compagnes (2). Elle
aussi donna généreusement sa vie pour Jésus-Christ.
L'abbesse des bords de THuveaune devina-telle ce qu'il y
avait en cette enfant de grâces de prédilection et de vertus
singulières ? Nous ne saurions le dire. Mais celui qui dirige
la volonté et incline les cœurs de ceux qui commandent,
permit qu'un bon accueil fût fait à la jeune Eusébie.
Toute heureuse, elle franchit le seuil du monastère et se
donna au Seigneur. Elle répondait ainsi à cette voix douce et
pressante que Dieu fait entendre à toute âme qu'il appelle à
lui et choisissait la meilleure part que Dieu lui offrait, de préfé-
rence à d'autres. Se dérobant aux embrassements des siens,
renonçant généreusement à ce qu'elle pouvait posséder, elle
vint cacher sa vie derrière les murailles du paisible moutier.
Celui-ci à cette époque était placé sous le vocable nouveau
de Saint-Cyr, jeune martyr d'Antioche (3). C'avait été sans
doute à l'occasion de quelque relique de ce saint, donnée au
monastère, que ce vocable avait été substitué à l'ancien.
D'après ce que nous avons dit plus haut, Eusébie y trouva un
(1) Sainte Eusébie de Bergame souffrit le martyre, le 29 octobre 307,
sous Maximien Hercule. On célèbre sa fête ce môme jour. Bol I and, 29 oct.
On honore à Constantinople, le 6 juin, une sainte femme du nom
(TEusébie ou de Zénide. Elle était disciple d'un saint évoque de Tauro-
menium (Taormine). Le 24 janvier, on célèbre encore la fête d'une
Eusébie ou Xéné, vierge de M y les, en Carie. Elle vivait au V* siècle, au
rapport deNicépbore. Bolland, 6 juin et 24 janvier.
(2) Et ubi a domino electa est, dit, de notre Eusébie, l'inscription
qui jadis se trouvait sur son tombeau, à Saint-Victor.
(3) Saint Gyr, fils de sainte Julitte, fut martyrisé, âgé à peine de trois
ans, avec sa mère, sous Maximien et Dioctétien, par Tordre d'Alexandre,
gouverneur d'isaurie, dans la ville de Tarse, en Gilicie, en 305, le 16 juin.
On célèbre sa fête ce même jour. Bolland, t. III, de juin, le 16 juin.
— 12 —
grand renom de sainteté et de perfection. C'était encore une
pépinière de saintes âmes, et de son temps, comme jadis au
V"* siècle, beaucoup avaient puisé à cette source féconde la
sainteté la plu3 consommée et s'en étaient allées porter sous
d'autres cieux ces hauts enseignements de la vie religieuse.
Nul ne sut mieux mettre à profit ces riches trésors et s'ins-
pirer de ces nobles traditions que la jeune Eusébie. L'inscrip-
tion, placée jadis sur son tombeau, à Saint-Victor, l'appelle :
a Ancella Domini.D Servante du Seigneur, elle le fut vraiment.
' Dans le Cœnobium de l'Huveaune, comme dans tous les
monastères de l'époque, le temps était partagé entre la prière,
la lecture des livres saints et le travail des mains. A Bethléem,
dans le monastère que, suivant les conseils de saint Jérôme,
la patricienne Paula avait fondé, près de la grotte de la
Nativité, « on se réunissait dès le matin, puis à la troisième
heure, à la sixième, à la neuvième, et enfin le soir, pour
chanter les psaumes, et, au milieu de la nuit, les voix des
filles de Paula s'élevaient encore pour redire les belles
hymnes du prophète de Bethléem (1). »
Il en était de même dans le monastère de sainte Césarie, à
Arles. Suivant la règle que le saint évéque Césaire avait
écrite (2), à certaines heures de la journée on se réunissait
dans l'oratoire du monastère pour la psalmodie. Une sœur,
debout au milieu de ses compagnes, récitait les psaumes, les
autres écoutaient. Aux grandes fêtes, telles que la Noël, l'Epi-
phanie, les veilles se prolongeaient davantage. A la psalmodie
s'ajoutaient alors la lecture et l'oraison.
Sur les bords de l'Huveaune les anges de Dieu étaient chaque
jour les heureux témoins d'un aussi ravissant spectacle. Les
échos de nos bois et de nos rivages retentissaient des mêmes
chants et des mêmes prières. Notre cœnobium en effet, avait
dû, comme tant d'autres monastères des Gaules, accueillir
avec empressement la règle de saint Césaire, remplaçant ainsi
(1) Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, chapitre M,
p. 392 et suiv.
(2) Histoire de saint Césaire, évéque d'Arles, par l'abbé Villevieille,
p. 138. — Patrol.lat., édit. Mig ne, t. 67, saint Césaire, régula, cc.,8,13, 18,
col. 1109.
— 13 —
d'une manière avantageuse, au point de vue de la pratique de
la perfection religieuse, l'abrégé des institutions et des confé-
rences de Cassien, qui jusqu'alors en avaient tenu lieu (1).
Il nous est donc permis de suivre la jeune Eusébie à l'ora-
toire du monastère, de prêter l'oreille au son de sa voix alors
quelle lisait la psalmodie, ou chantait les hymnes sacrées.
Quel esprit de foi, quel maintien pieul en chacune de
ces saintes actions 1 Pénétrée de la pensée que c'était bien
l'œuvre de Dieu, opus Dei(2), comme l'avait défini la règle de
saint Césaire, qu'elle accomplissait, elle y apportait tout le zèle
d'une véritable servante du Seigneur.
La lecture des livres saints et les occupations manuelles
remplissaient le reste de la journée d'une religieuse, à cette
époque primitive. Dans le monastère de Paula encore, rapporte
saint Jérôme, toutes les sœurs étaient obligées d'apprendre
chaque jour quelque chose des divines Ecritures (3). A Arles,
on consacrait les deux premières heures de la journée à lire, à
écrire, à étudier les lettres, c'est-à-dire la grammaire et les
autres éléments de la littérature ; cela afin de pouvoir vaquer
(1) Saint Gésaire, évoque d'Arles, écrivit vers 520 ou 530 une régie pour
le monastère de vierges qu'il fonda dans sa ville épiscopale, et à la tête
duquel il avait placé Césaric, sa sœur. Avant saint Gésaire, il n'existait
pas de règle uniforme. Chaque monastère avait la sienne, rédigée par le
fondateur et qui ne lui survivait guère, sauf pour les prescriptions gêné-'
raies, communes nécessairement à toutes les règles. Celle de saint Césaire
a eu la gloire de lui survivre, d'être acceptée et observée durant bien
longtemps par la plupart des monastères de la Gaule, et louée par les
papes, les évêques, les conciles du V> et du VII* siècle. Et même après
que saint Benoit et saint Golomban eurent écrit leurs constitutions,
toujours, il est fait mention par ceux qui rédigent de nouveaux statuts
pour les monastères des Vierges, de la règle de l 'Evoque d'Arles, à côté
de celles de saint Benoit et de saint Golomban. Histoire de l'Eglise, par
le cardinal Hergenroether, t. Il, p. 595. — Histoire de saint Césaire, par
rabbé Villevieille, p. 1 33 et suiv.
(2) c Quse signo tacto tardius ad opus Dei... venerit, correptioni
« digna erit. » Opus Dei, idest divinum officium, dicit Coïntius. Régula
Cesarii ad Virgines. Patrol. lat., édit. Migne, t. 67. col. 1109.
(3) « Nec licebat cuiquam sororum ignorare psalmos et non de scrip-
« turis sacris quotidie aliquid discere. » Saint Jérôme, épitapbe de Paula.
Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, p. 392.
— 14 —
avec profit à la lecture des saints livres, que Ton faisait à
haute voix durant les heures de travail, et à la méditation de
chaque jour (i).
De plus, en Orient comme en Occident, les heures et le
genre de travail étaient bien réglés. A Bethléem, le dimanche,
au retour de la messe, chaque sœur du monastère recevait sa
tâche pour la semaine. C'était d'ordinaire des vêtements à
confectionner pour les pauvres de la contrée, ou pour les habi-
tants du monastère (2). A Arles, auprès de sainte Césarie,
mêmes habitudes. Une sœur lisait à haute voix pendant le
travail qui se faisait dans une salle commune. Plusieurs
étaient occupées à confectionner et à réparer les vêtements
pour l'usage des religieuses, d'autres étaient chargées des
différents services de la maison (3).
Mais dans tous les monastères, un plus noble travail encore
était départi à beaucoup. Sous la direction et la surveillance
de saint Jérôme, on commença dans les couvents de Bethléem
« ce travail de copie des Saintes Ecritures, qui devint plus
tard une loi universelle pour tous les religieux. Loi, dit
Ozanam, la plus utile qui ait jamais été portée, si on considère
ce qu'elle a sauvé. * Ainsi les vierges romaines, compagnes de
Paula, a dans la cellule monastique qui avait remplacé leurs
palais opulents, entourées de volumineux manuscrits grecs,
hébreux, latins, mettaient au net avec un soin intelligent et
pieux ces psaumes que nous chantons encore aujourd'hui (4). »
Même travail à Arles. La règle de saint Césaire le prescri-
vait. Le biographe du saint évêque (5) nous apprend que,
(1) Histoire de saint Césaire d'Arles, par l'abbé Villevieille, p. 187.
— c Omnea litteras discant, omni tempore duabus horis, hoc est, a
c marie usque ad horam secundam lectioni vacent. . . i — « Légère discant
c dicit Golntius. » — c Reliquis in unum operantibus, una de sororibus
c usque ad tertiam légat.» Patrol. lat. édit. Migne, t. 67 régula ad virgi-
nes, c. 17, etc., col. 1109, etc.
(2) Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, p. 393.
(3) Histoire de saint Césaire d'Arles, par l'abbé Villevieille, p. 138.
— Patrol. lat., édit. Migne, t. 67, régula, ce, 18,25,26, col. 1109,1111, 1112.
(4) Histoire de sainte Paule% par l'abbé Lagrange, p. 406.
(5) c Gujus Cœsariae opus cum sodalibus tam prsecipum viget et inter
« psalmos atque jejunia, vigilias quoque et lectiones, libros divinos
— 15 —
sous la conduite de Césarie leur abbesse, « quelques-unes des
religieuses transcrivaient les livres saints avec de beaux carac-
tères pour en multiplier les copies. » Labeur fécond qui
faisait des monastères de la Gaule autant de ruches d'or, d'où
s'échappaient, comme des essaims d'abeilles, chargées d'un
miel exquis, des recueils d'homélies, des évangéliaires, des
manuscrits sans nombre. Disséminés plus tard sur tous les
points du monde chrétien, ils apportaient avec eux la
connaissance de la foi et l'amour de Jésus-Christ.
Marseille, aussi heureuse qu'Arles, sa voisine, et que Beth-
léem,, avait aussi sa ruche animée, sur les bords de PHuveaune,
et la jeune Eusébie en était l'abeille «industrieuse (1). » Pen-
dant quelques années, se trouvant la plus jeune des religieuses
du monastère, elle devait, debout au milieu de ses compagnes,
faire, avec piété et onction, la lecture, durant le travail. Peut-
être aussi l'abbesse la prenait avec elle, lorsque le soin et la
visite des pauvres, des serfs, des colons de l'abbaye l'ame-
naient au dehors. Des mains d'Eusébie alors, passaient dans
celles des pauvres serfs, ces vêtements que ses compagnes
avaient tissés, la nourriture qu'elles avaient préparée. Ainsi,
son jeune âge et sa piété, que le nom d'Eusébie semblait lui
rendre naturelle (2), faisaient de la jeune enfant la douce
messagère des autres religieuses auprès des malheureux.
Un peu plus tard, nous aimons à la voir penchée sur un
manuscrit, le copiant, l'enjolivant à l'exemple de ses com-
pagnes. C'était peut-être la règle du Cœnobium pour quelque
< scripsissent virgines Christi, ipsam matrera magistram habentes. »
Vita Cœsarii a Cypriano, Messiano et Stephano discipulis ejus, dans
Ckronologia Sanct. insulœ Lerinensi à Barrali, 1. 1, p. 247.— Histoire
de saint Césaire, par l'abbé Villevieille, p. 138.
(1) t Apis argumentosa. » On a dit de sainte Cécile qu'elle avait été
apis argumentosa, tant elle avait contribué par ses prières, par ses ins-
tructions, à la conversion de Valérien, son époux et de Tiburce, son
beau-frère. Office de sainte Cécile, antienne des Laudes.
(2) cEnsebia.» Ce nom, comme on sait, a une étymologie grecque;
totftut, piété, (Eu, bien, aeâbpai, vénérer.) Le moine Hucbald écrit
de Sainte Eusébie d'Hamage : « Busebia bona Dei cultrix, secundum
ioterpretationem sui nominis. » Hucbaldus, Vita Sanctœ Rictrudis.
Patrol. Ut. édit. Migne, 1. 132, col. 834.
- 16 -
monastère gui allait se fonder (1), l'homélie d'un saint Evoque,
un extrait du Bienheureux Cassien ou quelque page de l'Evan-
gile, s'attachant surtout à graver dans son cœur ce que sa
plume confiait au parchemin déroulé devant elle.
Dans ces occupations multiples, un certain nombre d'années
s'écoulèrent. Eusébie avait franchi le cycle de la jeunesse,
et atteint l'âge mûr. L'heure allait sonner bientôt, où sa consé-
cration au Seigneur serait définitive.
Il était d'usage, en effet, dans l'Eglise à cette époque, du
moins en France, en Espagne, en Italie, de ne bénir les vierges
et de ne leur donner le voile qu'après une longue probation,
et pas avant l'âge de 40 ans. Quelque remplie d'oeuvres et de
vertus que fût leur vie, quelque éprouvées que fussent leurs
mœurs, à moins de circonstances impérieuses, telles que le
danger d'une mort prochaine ou le péril certain de perdre la
* chasteté, on ne pouvait les admettre à cet honneur (2). L'Eglise
les considérait bien comme vouées à Dieu, soumises à la
(1) On sait que Radegonde, fondatrice du monastère de Sainte-Croix,
à Poitiers, vint à Arles, avec Agnès, l'abbesse qu'elle avait fait choisir
pour ce monastère, et en rapporta la règle de saint Césaire et de la
bienheureuse Césarie. Grégoire de Tours, Hisl. Francorum,\AX. —
Histoire de saint Césaire, par l'abbé Villevieille, p. 144.
(2) La discipline a varié dans l'Eglise sur ce point, suivnnt les époques
et suivant les pays. En Afrique, le concile d'Hippone de 393, canon 1,
ceux de tîarthage en 397, canon 4, de 418, canon 10, de 419, canon 16,
défendent de donner le voile aux vierges avant l'âge de. 2 5 ans, à moins
de circonstances spéciales. En Espagne, le concile de Sarragosse, en 381,
canon 8, voulait que l'on retardât jusqu'à 40 ans. En Italie, le Pape saint
Léon le Grand et l'empereur Majorien ne le permettaient pas avant cet
âge. En France, le concile d'Agde, que présidait saint Césaire, en 506,
canon 19, statue qu'on ne donnerait pas le voile avant 40 ans, quelque
éprouvées que fussent les mœurs et la vie de la postulante. En Alle-
magne, le concile de Francfort, en 794, canon 46, permettait cette céré-
monie dès l'âge de 25 ans. En France encore, le concile de Tours, en 813,
canon 28, s'en tenait à cet âge de 25 ans. Mais en 858, un autre concile de
Tours, canon 28, réclamait l'Age de trente ans. Enfin, celui de Thionville,
en 805, caaon 14, ne le permettait pas avant que la jeune vierge eût
atteint l'âge de raison, et celui de Tribur, en 895, canon 24, le permettait
à 12 ans, si c'était de son plein gré qu'une enfant le demandât. Histoire
de l'Eglise, par le cardinal Hergenroether, t. II, p. 595. — Leçons du II*
nocturne de l'office de saint Léon, Pape. — Histoire des Conciles, par
Roisselet de Sauclières, t. II, III, IV.
— 17 —
règle du monastère, et aux obligations qui découlaient de cet
état de vie (1), mais la consécration officielle manquait.
Au jour fixé, c'était ordinairement à la fête de l'Epiphanie,
de Pâques ou des saints apôtres (2), relue, non point parée des
ornements du siècle, mais humblement revêtue de l'habit
qu'elle devait porter le reste de sa vie, dans le monastère (3),
paraissait devant l'Evoque, seul autorisé par les saints canons
à procéder à la cérémonie (4). Celui-ci bénissait le voile et
l'imposait à la nouvelle épouse de Jésus- Christ. Dès ce moment,
l'adieu au monde devenait éternel. Il n'était plus permis à la
vierge consacrée à Dieu de sortir du monastère, si ce n'est pour
des raisons très graves, approuvées par l'Evêque. Les peines
canoniques les plus sévères lui étaient réservées, si elle violait
ses vœux ou quittait le monastère (5).
(1) Saint Léon le Grand ne fait pas de différence officielle entre les reli-
gieuses : a Quae virginitatis propositum atque habitum susceperunt,
etiamsi coDsecratio, non accessit, » et celles qui ont reçu la consécration.
Histoire de l'Eglise, par le card. Hergenroether, t. II. p. 595.
(2) Histoire de l'Eglise, par le card. Hergenroether, t. II, p. 595.
(3) Le IV* concile de Carthage, en 358, canon 11, dit : a Sanctimonialis
« virgo cum ad consecrationem suo episcopo offertur in talibus vestibus
< appltcetur, qualibus semper usura est professioni et sanctimoniali»
i aptis. Summa conciliorum collecta per F. Barth. Caranzam Mirend.
« 0. P. p. 155. » — Histoire des Conciles, par Roisselet, t. II, p. 112.
Le concile de Constantinople, appelé in Trullo ou guinisexte, confirma
cette décision, canon 45: cQuoniamintelleximus in nonnullis mulierum
« monasteriis, mulieres quae sacro illo amictu dignse habentur, prius
« sericis et omnis generis vestibus, prseterea autem et mundis auro et
« gemmis variegatis, ab eis qui illos ducunt exomari et sic ad altare acce-
« dentés exui tanto materiae apparatu, et statim in il lis fieri habitûs
« benedictionem, illasquenigro amictu indui : statut mus ne hoc deinceps
« fiât. » La raison que donne le concile est celle-ci: «De peur de donnera
croire que ces religieuses quittent le monde à regret. » Summa conci-
liorum, ut supra, p. 499. — Histoire des Conciles, par Roisselet, t. III,
p. 138.
(4) Le concUe 1" de Carthage en 390, le 2" en 390, canon 3, le 2- de
SéTille en 619, canon 7, de Rouen, en 650, canon 9, défendaient aux prê-
tres de bénir et consacrer les vierges, réservant cette fonction à l'évoque.
Le3~ de Carthage en 397, canon 36, ne le permettait aux prêtres qu'avec
l'autorisation de l'ôvêque. Histoire des Conciles, par Roisselet, t. II
et III.— Histoire de l'Eglise, par Hergenroether, t. il, p. 594.
(5) Les Conciles de Tours, 567 ; de Lyon, 583 ; de Paris, 615, les frap-
paient d'excommunication. Histoire des Conciles, par Roisselet. t. II.
2
- 18 —
En quelle fête, sainte Eusébie reçut-elle le voile des vierges
sacrées, des mains de l'Evéque de Marseille ? Nous ne savons.
Ce que nous devinons, c'est qu'il y eut grande joie au Cœno-
bium de l'Huveaune. Les religieuses qui y vivaient remer-
ciaient Dieu d'appeler au rang de ses épouses une de leurs
compagnes si avancée en piété et en vertu.
Ce que nous devinons encore, c'est qu'il y eut une joie pro-
fonde au cœur d'Eusébie. Relisant en ce jour les lettres et les
discours de saint Césaire aux religieuses d'Arles, véritables
traités de la vie monastique, notre chère sainte y trouvait
ces lignes sur lesquelles son regard devait s'arrêter avec
bonheur (1) : a Mes filles, aimez le Christ, si vous voulez
garder fidèlement cette virginité que vous lui avez consacrée
avec tant d'ardeur. Réjouissez-vous, rendez d'éternelles
actions de grâces au Christ qui a daigné vous retirer d'un
monde orageux et vous conduire dans ce port tranquille.
Voyez ce que vous avez laissé derrière vous et ce que vous
avez gagné. Vous avez quitté les ténèbres du monde pour com-
templer, heureuses, la radieuse lumière de Jésus-Christ. Vous
avez dédaigné les plaisirs amers des passions pour goûter la
douceur et les charmes de la chasteté. Et s'il vous faut lutter
jusqu'à la fin de votre vie, avec le concours de Dieu cependant,
nous sommes sûrs de la victoire. . . Mais je vous en prie, mes
filles, si le passé inspire à vos cœurs une douce confiance, que
l'avenir, du moins, soit l'objet de votre sollicitude. Déposer les
vêtements du siècle et revêtir ceux de la religion, c'est l'affaire
d'un moment. Mais conserver des habitudes vraiment saintes,
combattre ses inclinations mauvaises, fuir les plaisirs si
amers de ce monde, c'est le travail de toute une vie, et vous
le savez, ce n'est pas celui qui commence, mais celui qui per-
sévère jusqu'à la fin qui sera sauvé. »
La lutte jusqu'à la fin de la vie, la persévérance jusqu'au
boutl II nous semble que ces paroles simples en elles-mêmes
durent captiver l'attention d'Eusébie, ce jour-là, d'une ma-
(1) Epistolall, Sancti Cœsarii ad Virgines, col. 1129, t. 67, Patrol
lat., édit. Migne.
— 19 -
nière singulière. Ne lui parurent-elles point le présage secret
de lointains événements ?
De nouvelles années de calme, de paix, de tranquillité se
levèrent pour notre chère sainte. Dieu avait ses desseins. Il
voulait qu'Eusébie, comme l'avait déjà fait une des gloires du
Cœnobium de l'Huveaune, sainte Césarie, apprît ce que plus
tard elle devait enseigner, et qu'elle fût disciple avant de
devenir maltresse dans la vie de perfection.
Or à une époque, l'abbesse, peut-être celle qui avait accueilli
la jeune Eusébie au monastère, vint à mourir. Suivant la
règle de saint Césaire et le rescrit de saint Grégoire le Grand
à Respecta, on dut procéder à l'élection pour la remplacer. On
ne pouvait la choisir dans un autre monastère (1). Mais
qu'était-il besoin d'une semblable prescription? Le Cœnobium
de l'Huveaune possédait une fleur de vertu et de piété. Les
religieuses le savaient. D'une voix unanime elles élurent leur
compagne Eusébie. Le plan de Dieu se dessinait. Longtemps
elle avait appris à l'école de Notre-Seigneur. De discipula
qu'elle avait été jusqu'à cette heure, elle devenait magistra.
A quel moment de sa vie l'élévation à cette dignité vint la
surprendre ? Impossible de le dire. Dans une de ses lettres, le
Pape saint Grégoire le Grand écrivait : « Nous défendons très
énergiquemdùt que l'on nomme de jeunes femmes abbesses. »
Et il requérait' l'âge de soixante ans, et une renommée irré-
prochable (2).
Avant saint Grégoire cette prohibition n'a pas toujours été
en vigueur dans l'Eglise. En effet, l'homonyme de notre sainte,
Eusébie d'Hamage, diocèse de Cambrai, n'avait que trente-
trois ans lorsqu'elle mourut et elle avait gouverné ce monas-
tère en qualité d'abbesse durant vingt-un ans. Elle n'avait
(1) Règle de saint Césaire. — Lettre de saint Grégoire le Grand à Res-
pecta, citée plus haut.
(2) Saint Grégoire le Grand, pape et docteur de VEglise, par l'abbé
Qausier, pubUé par l'abbé Odelin, p. 252. — « Juvenculas abbatissas fieri
« vehementissime prohibemus, nullum igitur episcopum patemitas tua,
« nisi sexagenariam virginem, eu jus setas hoc atque mores exigerint,
« velare permittat...» (Velare in abbatissam, dit une note). Patrol. lat.,
Mit. Migne, t. 77, saint Grégoire, pape, lib. VI, épist. 11.
— 20 —
donc que douze ans lorsque ses compagnes la choisirent pour
supérieure (1). Admettons que ce soit unç exception, motivée
par la sainteté éminente et manifeste de cette enfant.
Gésarie, la sœur de saint Césaire, évêque d'Arles, et plus jeune
que lui, fut dix -huit ans abbesse du monastère établi par
celui-ci dans sa ville épiscopale, et mourut douze ans
avant son frère, en 503 (2) . Sûrement donc, elle fut abbesse
avant l'âge de soixante ans. Gésarie la jeune, nièce du môme
saint Césaire, et de la même Césarie, la remplaça comme
abbesse du monastère d'Arles. Sûrement encore elle n'avait
pas soixante ans. Sainte Radegonde fonda vers 544 un monas-
tère de filles, à Poitiers. Ne voulant pas accepter la direction
de jeunes filles de toutes les conditions, qui l'avaient suivie,
elle fit nommer abbesse Agnès, qu'elle avait formée par ses
leçons. Or, cette Agnès n'avait pas soixante ans.
Depuis saint Grégoire ce décret fut-il observé ? Il semble
que non. A Marseille, Tillisiola, qui vivait de la moitié du
VP siècle environ au milieu du VII% mourut à 70 ans, et elle
fut abbesse 'durant quarante ans, dit l'inscription de son tom-
beau (3). Elle n'avait donc pas atteint l'âge fixé par saint Gré-
Ci) Acta Sanctorum Ordinis S, £., t. II., p. 924. — Bolland, Act.
Eusebiœ, 14 mars.
(2) Vie de saint Césaire d'Arles, par l'abbé Villevieille, passim.
(3) Voici l'inscription de Tillisiola :
• i + T
IN HOC TVMVLO SITA EST TILLISIOLA
ABBATISSA QVE NOMINIS SVI DBCVS
VITA FACTIS QUE 8EBVABIT
CRISTIGBNÀQ. MABIAM MENTE
SBCTVATA FIDELI VIBOO
VIBGINIBVS SACBIS XL PB^FV
IT ANNI8 VIXIT ANN LXX...
DP EIVS. VII ID. APBL IND VIII
Nous faisons remarquer que le premier nous donnons la vraie lec-
ture de ce texte épigraphique. D'éminents auteurs l'ont vu et l'ont
laissé de côté ou l'ont donné incomplet. Ce D'est pas à nous, cependant,
qu'en revient l'honneur, mais bien au savant historiographe de notre
diocèse, à M. le chanoine Albanés. Ses recherches patientes et habiles
le lui ont fait découvrir, l'affection qu'il a pour tout ce qui intéresse l'his-
— 21 —
goire. Ainsi on ne saurait dire d'une manière certaine si notre
Eusébie était aussi avancée en âge, lorsque, d'une voix una-
nime, ses compagnes l'appelèrent à les diriger.
I/Evêque de Marseille, tout heureux de ratifier un tel choix,
vint, quelques jours après, bénir la nouvelle élue (1), en
plaçant entre ses mains la crosse abbatiale, symbole de son
autorité, lui confia l'administration du monastère et le gouver^
nement des servantes de Dieu. Mieux que toute autre, peut-
être, Eusébie comprit ce que cette dignité lui imposait de
sollicitude. Ce n'était plus seulement de la perfection de son
âme qu'elle devait avoir souci; mais la responsabilité de la
sanctification, de la persévérance dans le bien de celles que sa
dignité lui permettait d'appeler ses' filles, pesait sur elle d'un
poids bien lourd.
Quarante religieuses habitaient le cœnobium de l'Huveaune.
Deux chartes du XV* siècle, en effet, parlant des reliques en
vénération à Saint- Victor, à cette époque, citent les corps de
sainte Eusébie et de ses quarante compagnes (2). Une autre charte,
toire de l'Eglise de Marseille le lui a fait recueillir. M. le chanoine Albanés
a bien voulu nous communiquer ce précieux document et nous permettre
d'en orner notre modeste travail. Nous ne savons comment le remercier
d'une telle obligeance à notre endroit !
(1) C'était à l'Evêque de bénir l'abbesse nouvellement élue. La lettre de
saint Grégoire le Grand à l'abbesse Respecta reconnaît ce droit : « Cons-
« tituentes ut, obeunte antedicti monasterii abbatissâ, non extranea,
« sed quam congregatio sibi de suis elegerit, ordinetur, quam tamen,
« si digna huic ministerio judicata fuerit, ejusdem loci Episcopus
c ordioet. i André, Hiètoire de l'abbaye de Saint-Sauveur, pièces
justificatives A.
(2) La charte de 1431 est l'autorisation donnée par l'abbé de Saint- Vic-
tor, Guillaume Dulac, à une noble Dame, Marie d'Espinosiis, veuve du
chevalier de Lumere, d'habiter et de posséder, moyennant une petite
redevance annuelle, le prieuré et l'église dédiés à la Sainte-Vierge, sous
le titre de Sainte-Marie de la Petite-Baume. Celle de 1446 est la conces-
sion du privilège d'être inhumé dans le cimetière de Paradis, accordée
aux confrères de l'association de N.-D. de Confession, par l'abbé de
Saint- Victor, Pierre Dulac. Dans ce document, comme dans celui de
1431, il est parlé de c Eusebia cum XLU aliis virginibus et martyribus. »
—Recueil de chartes par dom Lefournier, t. III. — Notice sur les cryp-
tes de Saint- Victor, par Kothen (appendice). — Guesnay, Gass. illust.,
p. 642, 704.
— 22 -
antérieure de quelques années à celles-ci et que dom Lefour-
nier a conservée dans son recueil, parle aussi des corps des
quarante religieuses martyres, qui sont ensevelis devant la
chapelle de Notre-Dame de Confession, et du corps d'Eusébie,
leur abbes^e, qui est inhumé à part, non loin de l'autel de la
Sainte- Vierge (1).
C'est fort probablement le nombre exact des religieuses
qu'Eusébie conduisait et dirigeait dans son monastère.
Eusébie fut, nous pouvons le dire, à la hauteur de sa mission.
Sous son gouvernement, la vertu et la piété ne firent que s'ac-
croître. De son côté, quelle exactitude et quel soin dans l'accom-
plissement des devoirs de sa charge I Son titre d'abbesse faisait
d'elle la mère de ses compagnes (2). A elle donc de veiller à leur
santé, à leur nourriture, à leur travailla leur sûreté, à leur
sanctification. Aussi, pas de ménagements, pas d'attentions
qu'elle n'eût pour ses filles malades. La nourriture de chaque
jour était saine et abondante, et, aux jours de fête, elle se faisait
une joie d'ajouter, suivant la prescription de la règle, quel-
ques douceurs au menu (3).
Chaque jour elle distribuait à ses filles la tâche à accomplir,
veillant darîs sa charité délicate et prévenante à ne pas imposer
une trop lourde part à celles que la fatigue ou la maladie
aurait pu affaiblir. C'était à l'abbesse de garder en dépôt
pendant la nuit les clefs du monastère; et à ces époques de
(1) Charte sans date, recueillie par dom Lefournier, dans son recueil.
Voir la page de notre travail où cette charte est citée.
(2) La règle de saint Gésaire appelle l'abbesse la mère des religieuses,
c Mat ri post Deum omnes obediant. » Régula, cap. 16. — « Quia mater
monasterii necesse habeat pro animarum salute sollicitudinem gerere...»
Gap. 25. Patrol. lat., éd. Migne, t. 67, saint Césaire, col. 1109.
(3) Règle de saint Gésaire. « Sanctœ Abbatissœ cura. . . ut vinumprovi-
deat unde aut infirma?, aut illae, quse sunt delicatius nutritae palpentur.
Gap. 28. — Pulli vero infirmis praebeantur. Gap. 17. — In ipsis laniflciis
faciendum, pensum saum quotidianum cum humilitate accipiant.
Gap. 14. — In festivitatibus majoribus ad prandium et ad cœnam fercula
addantur, et recedentibus de eà dulceamina addenda sunt. Gan. 16. —
Janua monasterii vespertinis, ac nocturnis ac meridianis horis nun-
quam pateat, ita tamen ut ipsis horis quando reficitur, claves apud se
abbatissa habeat. » Gap. 9, récapitulatif Patrol. lat. éd. Migne, saint Gé-
saire, t. 67, col. 1109, etc.
— 23 —
troubles, de guerres, il nous semble bien qu'Eusébie ne devait
prendre son repos qu'après s'être assurée par elle-même que
le moindre danger ne menaçait ses filles.
Et la sainteté de leurs âmes et leur avancement dans la
vertu et leur persévérance dans l'esprit de leur vocation,
quel soin continuel elle en avait ! Personne, ni hommes, ni
femmes, ni laïques, ni prêtres, à l'exception de TEvêque et
de ses ministres à certains jours de fête, ne pouvait entrer
au monastère. La clôture inviolable et perpétuelle était en
vigueur à cette époque (1). Notre abbesse, qui avait quitté
bien jeune le monde, devait être éloquente pour en peindre
àses filles les dangers et les périls, leur recommander la soli-
tude, le silence, la retraite, qui faisaient de leur paisible
cœnobium un arche de salut.
À Tabbesse encore de régler les jeûnes nombreux prescrits
par la règle, les jours d'abstinence et le genre de mortifica-
(1) c Nullus virorum in sécréta parte in monasterio et in oratorio
« introeat, exceptisepiscopo... presbytero, diacono et uno vel duobus
« lectoribus, qui aliquoties missas facere debeant. » G. 33. Régula ad
rirgines, S. Césaire, Patrol. lat. édit. Migne, t. 67. — € Nulla ex vobis
« usque ad mortem suam de monasterio egredi aut permittatur aut per
« seipsam prsesumat exire. »C. 1, recapitulatio. Patrol. lat. ut supra.
- Le biographe de saint Césaire d'Arles, le diacre Cyprien, dit, des
vierges que l'Evéque avait réunies dans le monastère d'Arles : c Erant
« auteminillo loco adeo inclusse, ut usque ad supremum vitse diem nulli
*. earum f as esse t extra monasterii ostium progredi.» Barralis, Chronolo-
« gia Sanctorum insulœ Lerinensis, t. 1, p. 237. La régie de saint
Césaire ayant été écrite vers 530, la clôture existait donc déjà dans toute
sa rigueur pour le monastère de filles, à l'époque de sainte Eusébie.
Bien antérieurement à cette époque, on vit les conciles chercher à l'éta-
blir tantôt par une prescription, tantôt par une autre. Les conciles d'Hip-
poneen 393, can. 26, de Carthage en 397, canon 25, défendent aux moines,
clercs, prêtres, évéques de visiter souvent les vierges consacrées à Dieu.
Un concile d'Irlande, présidé par saint Patrice, vers 450 ou 456, défend
aux moines et aux religieuses de vivre dans la môme maison ; celui
d'Agde, 506, can. 28, recommande d'éloigner les monastères des filles
de ceux des hommes. Ceux d'Epaone 517, can. 38, de Mâcon 582, c. 2, de
Rouen 650, c. 10, de Trullo691, can. 48, sont plus précis: l'entrée des mo-
nastères de filles est formellement interdite aux clercs, aux laïques, à
moins de nécessité et avec la permission de l'évêque. — Histoire des
Concile» par Roisselet de Sauclières, t. II, III. Passim.
— 24 —
tion. A Pabbesse, enfin, de faire les remontrances et d'infliger
les punitions à celles que l'orgueil ou la vanité portait à ne
pas obéir (1). Autant de détails dans lesquels Eusébie avait le
devoir de descendre, mais dont sa douceur, sa bonté savait
tempérer la rigueur.
Sous la direction si maternelle de leur abbesse, les quarante
vierges du cœnobium de l'Huveaune étaient heureuses. En l'en-
tendant leur redire sans cesse cette parole de saint Jérôme : a Je
ne puis me résigner à rien voir en vous de médiocre, je voudrais
que tout y fût exquis et parfait,» elles devaient avoir à cœur de
réaliser ces ascensions sublimes qui conduisent à la perfection.
Des bords de THuveaune, comme plus tard des champs qui
avoisinaient Saint-Victor, on pouvait dire déjà, à cause des
saintes âmes qui y vivaient dans la pratique des vertus les
plus belles, qu'ils étaient le Paradis, la porte du Paradis.
(1) a Si qua pro quacumque re excommunicata fuerit, remota a
« congregatione, in loco quo abbatissa jusserit. » G. 31. Pat roi. lat.
ut supra.
CHAPITRE III
Martyre de sainte Eusébie et de ses 40 compagnes
PREMIÈRES INCUB8I0NS DBS SARRASINS EN FRANCE. — RECÈLEMENT DES
CORPS SAINTS EN PROVENGE. — LES SARRASINS EN PROVENCE. — MAU-
RONTE APPELLE LES SARRASINS A MARSEILLE. — L'ABBBSSE EUSÉBIE
AU CŒNOBIOM DE L'HUVEAUNE. — LES SARRASINS ATTAQUENT LE
MONASTERE. — MARTYRE DE SAINTE EUSÉBIE ET DE SES COMPAGNES.
C'était au début du VIII* siècle. De bien longues années
s'étaient écoulées depuis le jour où le seuil du monastère de
l'Huveaune s'était ouvert à la jeune Eusébie. L'antique gloire
de l'abbaye cassianite n'avait fait que grandir ; les vertus de
la nouvelle servante de Dieu lui avaient donné un lustre et un
éclat dont jusqu'à la fin des temps on gardera le souvenir.
Des jours lugubres cependant s'étaient levés sur la Gaule.
Comme ce souffle de vent qui, aux jours d'été, passant bas et
rapide sur les campagnes, présage l'orage et la tempête, un
bruit sinistre avait couru. Les rares porteurs de nouvelles b,
cette époque, les voyageurs ou les moines, qui allaient de
monastère en monastère, racontaient des scènes sanglantes
qui jetaient le frisson dans les cœurs. C'était le pillage des
églises, l'incendie des monastères, de barbares et d'igno-
minieux traitements, plus terribles que la mort, infligés aux
moines, aux vierges consacrées à Dieu ; les chrétiens égorgés,
les femmes menées en esclavage, les enfants contraints à
l'apostasie. Chaque nouveau messager annonçait de nouveaux
désastres, et, détail plus poignant, que les Sarrasins, c'était
d'eux qu'il s'agissait, avançaient toujours ; qu'ils avaient
franchi les Pyrénées, qu'ils foulaient le sol de la Gaule I
Vers 716, sur Tordre des évoques, on avait enfoui les reliques
des saints et les trésors des églises (1). A Saint-Maximin, on
(1) A vrai dire, cet avertissement vint peut-être du ciel. L'anonyme de
— 26 —
recouvrait d'un amas de décombres la crypte où reposaient les
restes de sainte Marie-Magdeleine (1). On fit de même à Ta-
rascon> pour le corps de sainte Marthe (2), et au petit hameau
de Notre-Dame de la Barque, en Camargue, pour les corps des
saintes Maries (3). A Marseille, on prit les mêmes précautions.
L'église cathédrale mit à l'abri le corps de saint Lazare (4) ;
les moines de Saint- Victor, les reliques du prolecteur de leur
abbaye ; puis ceux-ci fermèrent les cryptes et réparèrent leurs
murailles. A l'abbaye cassianite de l'Huveaune, la tradition
nous dit que Ton procéda à une semblable opération. La croix
de saint André, que Ton conservait à Saint- Victor, fut portée
de ce monastère à celui de l'Huveaune, et cachée dans un
endroit ignoré (5).
A l'annonce de ces terrifiantes nouvelles, durant ces prépa-
ratifs hâtés, signes avant-coureurs de bien tristes événements,
de quelles angoisses l'âme d'Eusébie devait être remplie ! Elle
la vie de saint Porcaire de Lérins rapporte que ce saint abbé connut, par
la révélation que lui en fit un ange, la destruction prochaine de son mo-
nastère, et reçut l'ordre de cacher les reliques des Saints : « Gum gens
< agarenorum furens, omnem depopulasset Provinciam, angélus Do~
c mini... apparuit in sommis S. Porcario, dicens : Surge velociter, et
a occulta reliquias, quasin hac sacra insula decrevit Dominusper multa
« tempora observandas... S. Porcarius dicit : Occultemus, viri fra-
c très, venerafbiles reliquias, ne a sacrilegis contingantur. » Chrono-
logies sanctorum insulœ Lerinensis a Barrali, 1. 1, p. 221. — Paillon,
Monuments inédits. . . 1. 1, col. 681 .
(1) Cette opération fut faite durant une nuit de décembre de l'an 716,
sous le règne d'Eudes, duc d'Aquitaine, par les religieux cassianites de
Saint-Maximin.
(2) L'abbé Faillon, Monuments inédits sur l'apostolat de sainte
Magdeleine, 1. 1, col. 682-690. — Légendes et traditions provençales,
par le marquis de Virieu, p. 11^.
(3) Faillon, op. cit., 1. 1, col. 1280. — De Virieu, op. cit., p. 98.
(4) Et pour les mettre plus en sûreté, Gérard de Roussillon, comte de
Provence, les transporte à Autun, un peu plus tard, à l'exception du chef
du saint évêque martyr, que deux chanoines de Marseille purent ravir à
celui qui emportait les vénérables reliques.
(5) Vesuntio civitas imperialis, par J.-J, Ghifflet, p. 199 et suivantes.
Sacrum gynœcœum, au 30 décembre, par Arthur de Monestier, —
Martyrologium Gallicanum* par de Saussay, natalis eancti Andreœ. —
Cassianus illustratus, par Guesnay, p, 475.
— 27 —
était, par le fait de sa charge, la gardienne de ses filles ; qu'al-
laient-elles devenir, si les flots de la barbarie arrivaient sous
les murs du monastère ! Quel triste sort leur était réservé !
Aussi la sainte abbesse passait de longues heures prosternée
au pied de l'autel, recommandant à l'Hôte du tabernacle
celles qu'elle appelait ses filles, mais dont il avait daigné faire
ses épouses privilégiées.
Un moment l'orage sembla devoir s'éloigner de la Provence.
Un joyeux message, en effet, celui de la victoire de Poitiers,
gagnée par Charles- Martel, était arrivé en 732, rassérénant les
cœurs et calmant les alarmes (1). Que d'actions de grâces
durent être adressées à Dieu et à Marie, qui déjà se consacrait
le mois d'octobre par l'écrasement de la barbarie (2). Hélas,
ce ne fut qu'une éclaircie dans la tempête! Les jours rede-
vinrent mauvais. Les Sarrasins avançaient, et, successivement,
on apprenait, en 736, qu'ils étaient aux portes de la Provence ;
qu'ils y avaient pénétré, en franchissant le Rhône; qu'Avignon
était tombé entre leurs mains ; que le gouverneur de Mar-
seille, Mauronte, trahissant son prince, vendant sa patrie, les
avait appelés !
« Deus, adjuva nos, » dut s'écrier la chère sainte Eusébie,
à cette nouvelle, «Dieu venez à notre aide, car ceux qui
doivent nous garder abandonnent notre cause ! » Il sembla
que cette prière fût entendue, car, vers 737, celui que l'on
appelait le Marteau, le bras de fer, Charles Martel, accourut en
Provence et les Barbares reculèrent. De quel poids immense
durent être soulagés tous les cœurs 1 Hélas encore, la joie de
tous fut de courte durée 1 Obligé de quitter la Provence, en
738, Charles Martel, la terreur des Sarrasins, remonta vers le
(!) c Du champ de bataille même, Charles Martel expédia à Grégoire III,
à Rome, des messagers, pour lui annoncer la victoire de l'armée chré-
tienne. . . Leur rapide passage à travers les populations, que l'invasion
musulmane avait frappées d'épouvante, fut une course triomphale. Dans
toutes les églises de France et d'Italie on rendit à Dieu de solennelles
actions de grâces.» Dan-as, Histoire générale de l'Eglise, t. XVII, p. 41 .
(2) L'abbé Darras prouve en note, dans son Histoire générale de
l'Eglise, t. XVII, p. 93, que la bataille de Poitiers a été livrée le samedi
tt octobre 732.
— 28 —
Nord. Aussitôt les Barbares reprirent leur marche en avant.
En quelques mois, Avignon, Arles, Marseille et les contrées
environnantes devinrent la proie de leurs fureurs, sans que
Hauronte, qui les avait appelés, pût en être le maître.
A cette heure critique, n'allons pas croire que l'affolement et
la terreur envahirent le monastère de l'Huireaune. C'est le pro-
pre des âmes basses et criminelles de trembler ; les âmes fortes
et chrétiennes relèvent la tête. Lisant au ciel la volonté de
Dieu, elles l'adorent, l'acceptent et se mettent en mesure de
l'accomplir. En retour Dieu envoie la force et le courage qui
trempent les volontés et raffermissent les cœurs.
On se trouvait dans cette disposition d'esprit au cœnobium
de rHuveaune. Eusébie voyait venir le martyre. Prête pour sa
part à l'endurer, elle y préparait ses compagnes. Nous devi-
nons sans peine le sujet habituel des exhortations de l'abbesse
à ses filles : le martyre, la gloire de le souffrir pour conserver
intacte cette belle fleur de virginité qu'elles avaient vouée à
Dieu.
Cependant, les nouvelles devenaient chaque jour plus affli-
geantes. Où aller, où se réfugier ? Marseille était envahie par
les Barbares. D'affreuses scènes de carnage, que Mauronte ne
pouvait empêcher, y avaient lieu. Les routes étaient cou-
vertes de fuyards, les campagnes sil lonnées pa r les maraudeurs.
Déjà même du haut des murailles de l'abbaye on pouvait aper-
cevoir des coureurs isolés, des bandes détachées, qui, se cachant
durant le jour dans les bois avoisinants, venaient le soir, à la
faveur des ténèbres, épier le monastère sans défense, calculer
ce qu'il devait receler de trésors et ce qu'il pouvait procurer
de basses satisfactions aux instincts brutaux et sanguinaires de
ceux qui le prendraient d'assaut.
Chère sainte Eusébie, quel long et douloureux martyre Dieu
vous faisait souffrir 1 A la pensée du sort ignominieux dont les
ennemis de votre Dieu vous menaçaient, vous et vos com-
pagnes, quelle pâleur parfois sur votre front, et quelles larmes
dans vos yeux 1 !
L'heure du sacrifice cependant avait sonné.
Un soir, pendant que les vierges de l'Huveaune, réunies
dans leur chapelle, prolongeaient leur sainte veillée, comme
- 29 —
si elles se doutaient que ce dût être la dernière, une rumeur
sourde, vague, lointaine se fit entendre au dehors ; le vent
qui gémit dans la forêt apporte des sons inarticulés, des cris
étouffés, parfois le heurt retentissant d'une armure, et puis. . .
le silence le plus profond. Seul le bruit du flot qui se brise sur
les rochers ou qui expire sur la grève vient le troubler à in-
tervalles réguliers. Des ombres de plus en plus nombreuses
errent d'ici de là. Sur la mer, à quelques encablures de la
côte, de lourds navires croisent dans l'obscurité, tandis qu'en-
tre les berges de l'Huveaune des barques défilent et remontent
le courant. Et tout ce murmure confus, indécis, insaisissable,
augmente et se rapproche insensiblement.
Soudain une clameur féroce, sauvage retentit. A ce signal,
de tous côtés les Sarrasins bondissent. Il en sort des profon-
deurs du bois, il en accourt des barques amarrées au rivage, à
l'embouchure du fleuve ou le long de ses bords. Le monastère
est entouré. Des torches s'allument, les glaives brillent, les
lances s'agitent, les boucliers s'entre-choquent ; des cris, des
imprécations, des blasphèmes se font entendre. Une bande
plus acharnée se met à la recherche de la porte du monastère.
Les vierges du Christ, comme de timides colombes que l'ou-
ragan a surprises, se pressent autour de leur abbesse. Elles
murmurent, les yeux levés au ciel, cette parole de nos saints
livres : a Ne livrez pas, Seigneur, aux botes impures les âmes
qui se sont confiées en vous ! »
La porte du monastère est trouvée! Sous une violente
poussée, elle vole en éclats et la horde sauvage s'élance, se
répand de tous côtés, liais personne.dans les cloîtres, dans les
salles basses, dans les cellules I . . . Les Sarrasins, interdits,
troublés, furieux, s'arrêtent.
Un chant plaintif et suave arrive à ce moment jusqu'à eux.
Ils prêtent l'oreille. La faible lueur qui s'échappe d'une des
ouvertures de l'oratoire leur indique l'endroit où se trouve ce
qu'ils recherchent. Ils se précipitent vers l'église. La porte,
plus solide cette fois, résiste à leurs efforts. Ils redoublent de
blasphèmes, et poussent plus violemment ; ils ne peuvent que
l'ébranler.
Dans l'intérieur de la chapelle, quel spectacle émouvant !
>
— 30 —
Debout au milieu de ses filles, au pied de la croix, devant
l'autel , Eusébie tient dans sa main un fer meurtrier. Prévoyant
la honte et l'ignominie du supplice que les barbares réservent
à ses compagnes, elle brandit, avec une sainte énergie, ce
glaive d'un nouveau genre, et de ses lèvres autant que de son
cœur, s'échappent ces nobles accents: « 0 mes filles 1 l'heure
est venue de mouiir pour notre Dieu et notre époux céleste,
Jésus-Christ I Gardons- lui nos cœurs sans tache et sans souil-
lure. Si ses ennemis veulent nous arracher à son amour,
trompons en cet instant leurs perfides desseins. Mille fois la
mort plutôt que le déshonneur et le péché ! Voici un glaive,
mes filles, défigurons nos visages pour garder nos cœurs à
Dieu. Donnons à Jésus -Christ notre dernier captique, gage
suprême de notre amour 1 •
D'une voix assurée, Eusébie entonne alors l'hymne sainte
de l'espérance et de la confiance en Dieu. Puis, d'une main
courageuse, elle presse l'instrument tranchant sur son visage
et mutile son nez et ses lèvres. La religieuse la plus rappro-
chée imite son abbesse. Ensanglanté, le couteau vole de main
en main, accomplissant chaque fois son terrible ouvrage.
Le doux concert des voix virginales va s'affaiblissant au fur
et à mesure qu'augmente le nombre des héroïnes de la chas-
teté. Ce n'est bientôt plus qu'un plaintif gémissement, qui
cesse tout à coup...
En effet, dans la main de la dernière compagne d'Eusébie, la
plus jeune peut-être, une vague et ancienne tradition (1) nous
(t) C'est un souvenir d'enfance que nous rapportons ici . Le premier
récit qui nous lut fait de cette légende marseillaise renfermait ce détail
qui demeura, depuis, profondément gravé dans notre mémoire. Ce n'était
peut-être bien en réalité qu'une simple fiction de conteurs plus ou moins
Imaginatifs. Mais, chose remarquable, nous avons rencontré il y a des
années cette même particularité dans une légende relatant le martyre,
en Espagne, à l'époque des Maures, des religieuses d'un couvent, qui
furent les dignes imitatrices de notre sainte Eusébie par l'héroïsme avec
lequel elles se mutilèrent le visage, afin d'échapper à la lubricité des
Barbares 1 D'ailleurs n'incriminons point trop l'intention de nos aïeux 1
En quoi la puissance de la grâce sur les âmes est-elle diminuée ? La
jeune compagne d'Eusébie a- 1- elle moins mérité la palme du martyre?
Est-ce qu'une telle hésitation n'est pas dans la mesure de l'infirmité
— 31 —
dit que le fer a tremblé. Une lutte terrible se livre en cette
âme. Le sang généreux qui coule autour d'elle, les clameurs
impies qui retentissent au dehors, l'entraînent au sacrifice.
Mais Thorreur de la souffrance et, sans doute, le sacrifice
de sa beauté la font hésiter.
Or, les barbares s'acharnaient contre la porte de la chapelle,
la secouant avec fureur, la frappant à coups de hache. Quel
moment de poignante douleur pour Eusébie et ses filles 1
Toutes sont à genoux, aux pieds de cette enfant, les bras
tendus vers elle, la suppliant de leurs regards, ne pouvant le
faire de leurs lèvres mutilées, de ne pas perdre le ciel, pour
conserver quelques charmes périssables. La pauvre enfant
hésitait toujours 1 . . .
Mais les cris redoublent, la porte ébranlée, soulevée,
s'échappe de ses gonds et se renverse avec fracas. Dieu se
laissa toucher par le cri du cœur de ses martyres. La jeune
enfant n'hésite plus. Pour la quarante et unième fois, le fer
meurtrier, conduit par une main redevenue héroïque, fit la
dernière victime, puis glissa sur les dalles du saint lieu.
Au môme instant, par la porte brisée et abattue, des flots
pressés de Sarrasins, ivres de fureur, de lubricité et de carnage,
se précipitent. En un clin d'œil ils arrivent au pied de l'autel,
à deux pas d'Eusébie et de ses filles à genoux, les yeux et les
mains au ciel. A la vue du sang qui inonde les pauvres victi-
mes, des affreuses blessures qui les ont défigurées, les barbares
s'arrêtent, reculent et frémissent d'horreur. Mais bientôt leur
colère, leur rage éclate ; et voyant que la proie convoitée
leur échappe, ils se précipitent de nouveau, foulant aux pieds,
frappant du glaive, de la hache, de la lance, du bouclier les
vierges du Christ et les massacrent sans pitié. Ils saccagent
humaine ? Ne lit-on pas dans le récit du martyre de saint Porcaire de
Lérins, que, sur les 500 religieux massacrés par les Sarrasins, deux des
plus jeunes, Golumban et Eleuthère, eurent peur,< duos ex ipsis juvenes
plurimum formidare, » et coururent se cacher dans une caverne. Golum-
ban, touché par la grâce, rougit de sa frayeur et vint rejoindre les géné-
reux confesseurs de la foi avec lesquels il succomba. Quant à Eleuthère,
il ne sortit de sa cachette que lorsqu'il vit s'éloigner les barques des
Sarrasins.— Chronologie/, sa net. Insul. Lerinensis a Barrali, 1. 1, p. 222.
- 32 —
ensuite, pillent et détruisent tout ce gui s'offre à eux, mettent
le feu au monastère et se retirent à la hâte par les sentiers
obscurs de la forêt ou sur les navires qui les ont amenés.
Ceci se passait, si nous en croyons les termes de l'inscrip-
tion lapidaire placée autrefois sur le tombeau de sainte
Eusébie, à Saint- Victor, le pridie kalendas octobris, indic-
tione VI ', c'est-à-dire le 30 septembre 738.
CHAPITRE IV (1)
Sainte Eusébie et son culte immémorial
LB6 RESTES DES CASSIANITES PORTÉS A SAINT-VICTOR.— SOUVENIR QUE
i/ON CONSERVE DU FAIT GLORIEUX DE LEUR MARTYRE. — SAINT
TSARNB VISITE LES CRYPTES ET Y VÉNÈRE LES RELIQUES. — « IBI
ADTBM SEORSUM TURBA SACRARUM VIRGINUM QUIESClT ». — CES
VLBRGES SACRÉES ENSEVELIES, NON PAS DANS LE CIMETIÈRE DE
PARADIS, MAIS DANS LES CRYPTES. — LA « TURBA SACRARUM VIRGI-
RUH », CE SONT SAINTE EUSÉBIE ET SES COMPAGNES.
La nouvelle de cet horrible carnage se répandit bien vite
dans les environs et arriva jusqu'à Marseille. Le gouverneur
de la ville, Mauronte, ne dut pas l'ignorer. Il vit bien quels
alliés il avait appelés pour l'aider à trahir son prince et sa
patrie. L'effroi s'empara de tous les cœurs et Ton n'eut plus
d'espérance qu'en Dieu seul.
Cependant, au lendemain de la catastrophe, quelques colons
du monastère, échappés à la mort, de pieux chrétiens, cachés
aux environs, des moines peut-être, venus à la dérobée de
Saint- Victor, recueillirent pendant la nuit ces restes glorieux,
les transportèrent en secret dans les cryptes de l'abbaye et les
placèrent très probablement sous le pavé, devant la chapelle
de Notre-Dame de Confession (2). Mais, sous les dalles des
cryptes qui recouvrirent ces ossements sacrés, ne put être
(1) Au sujet de ce chapitre et des deux qui suivent, l'auteur a le
devoir de déclarer, que pour lui, comme pour tout bon Marseillais, le lait
du martyre de sainte Eusébie et de ses compagnes, ainsi que le culte
ininterrompu, quoique point très apparent, qu'on leur a rendu à travers
les siècles demeure hors de toute conteste. C'est là la foi de nos pères et
la tradition de notre Eglise. Nous n'avons qu'à l'accepter. Si donc l'on
trouvait trop faibles et pas assez concluantes les preuves a l'appui, c'est à
l'insuffisance de l'auteur et non à cette tradition que Ton devrait s'en
prendre. {Note de l'auteur.)
(2) C'est en cet endroit que nous les retrouverons vers Tan 1000.
.3
- 34 —
enseveli le souvenir de la fin glorieuse de ces chastes épouses
de Jésus-Christ. Ceux qui en portèrent les restes sanglants
durent être les premiers à faire connaître ce qu'ils pouvaient
savoir de détails sur l'horrible scène. Eurent- ils l'idée de la
regarder comme un véritable martyre ? M. de Rey dit que
non : « Au moment où les Sarrasins faisaient tant de victimes,
où chaque jour ils immolaient sans pitié hommes, femmes,
enfants, moines et prêtres, on considéra la mort desCassia-
nites comme un des événements douloureux de la guerre,
mais non pas comme un martyre (1). » Nous le croyons aussi.
Pour ces braves colons du terroir de Saint-Giniez, pour ces
serviteurs de l'abbaye de l'Huveaune, ce massacre ne fut qu'un
acte de barbarie à ajouter aux tueries sauvages qui ont
marqué le passage dans nos contrées de ces farouches enva-
hisseurs.
Le côté héroïque cependant de cette mort dut les frapper.
C'est par là qu elle se distinguait du trépas de tant d'autres
victimes inconnues ou ignorées à cette époque désastreuse.
Ce fut aussi ce qui en fit passer le souvenir à la postérité, et
le nom de desnarrados donné à ces martyres l'a fait arriver
jusqu'à nous. Un détail encore frappa les esprits, ce fut le
nombre des victimes. Elles étaient quarante sans compter
Eusébie, dit la tradition. Et aujourd'hui, sans avoir la moindre
idée d'y contredire, nous les appelons: Eusébie et ses quarante
compagnes.
Le fait du massacre des vierges de l'Huveaune fut ainsi
toujours présent à la mémoire de tous. On se le transmit, on
se le raconta. Plus tard, au XI* siècle, les annales du monas-
tère, relevé de ses ruines, en gardèrent le souvenir, et proba-
blement déjà, comme d'anciens manuscrits l'attestent pour
une époque postérieure, « à chaque novice qui faisait pro-
fession, on devait rappeler l'héroïsme d'Eusébie et de ses
quarante compagnes (2). »
Cette persévérance cependant de la part des religieuses
(1) Invasions des Sarrasins en Provence, par M. 6. de Rey, p. 144.
Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 237.
(2) Deuxième leçon du II* nocturne de l'office pour la fête de sainte
Eusébie, 11 octobre, Propre du diocèse de Marseille.
— 35 —
cassianites à se transmettre des unes aux autres le souvenu*
de la fin glorieuse de leurs sœurs, ne constitue pas, à propre-
ment parler, un .culte public établi en leur honneur. Nous ne
connaissons pas pour le IX* et le X* siècle d'autre fait ou
d'autre monument qui soient l'indice d'une vénération plus
accentuée de la part des fidèles. A cela rien d'étonnant. Aux
Sarrasins du VHP siècle ont succédé les Normands et les Sar-
rasins du IX- et du X- siècle. Sous les coups répétés de ces
barbares, l'abbaye cassianite a succombé de nouveau. Un
siècle presque entier, (de 923 à 1004) s'écoule sans que les murs
en soient relevés. Toutes les religieuses qui avaient pris avec
un saint élan la place des compagnes d'Ëusébie sont mortes,
d'autres leur ont succédé et sont mortes à leur tour. Surtout
le monastère ne s'élève plus là, sur les bords de l'Huveaune,
où sont tombées les héroïques martyres. Le souvenir du mas-
sacre a donc pu s'effacer quelque peu.
Malgré tout cependant, la tradition en demeurait vivace. A
cette époque, en effet, vers l'an 1000, on conservait à Saint-
Victor les corps des vierges de Jésus-Christ, ensevelis dans un
endroit à part des cryptes. Ce lieu béni, on le montrait aux
visiteurs de* l'abbaye, et sans aucun doute, en cicérone cons-
ciencieux, le moine qui les guidait, avec ces reliques qu'il
faisait vénérer, racontait d'une manière sommaire la vie et la
mort d'Ëusébie et de ses compagnes.
C'est ce que nous apprend la vie anonyme de saint Ysarne,
abbé de Saint-Victor. Il était jeune encore lorsqu'il vint à
Marseille en compagnie du moine 6aucelin.Se prenant d'affec-
tion pour les cryptes, il les visita avec foi et amour. Or, écoutez
les détails que donne l'historien : « Les religieux qui accom-
pagnaient le jeune Ysarne, tout heureux de la piété que
manifestait leur visiteur, s'attachaient à satisfaire le vif
désir qu'il éprouvait de parcourir les cryptes. Aussi, remplis
d'une douce charité pour lui, ils le conduisirent dans tous les
sanctuaires. Lui montrant un point des cryptes : « En cet
endroit, lui dirent-ils, repose la vénérable armée des martyrs,
auxquels on ne s'adresse jamais en vain, et qu'entoure de tous
côtés, dans les vastes champs d'alentour, le peuple innombrable
des saints confesseurs, jadis religieux de notre monastère. Ici,
— 36 —
à part, repose la troupe des vierges sacrées. Là, dans cet étroit
sacrarium qui est creusé dans la roche vive, sont le3 tombeaux
des saints Innocents (1). »
On a traduit différemment que nous cette page de la vie de
saint Ysarne, et notamment Yibi autem seorsum ne désigne-
rait pas un endroit à part des cryptes, mais un coin du cime-
tière de Paradis réservé à l'ensevelissement des Filles de saint
Cassien. Ce texte perdrait ainsi toute valeur pour nous (2 j.
À notre avis une telle interprétation est fausse. Pour le
démontrer, expliquons ce texte avec quelque détail.
D'abord, la première phrase : on visite a ce lieu où reposent
les martyrs dont personne n'implore en vain la puissance :
Hune locum venerandus martyrum, eut nunquam frustra
supplicatur, tenet exercitus. » Quel est cet hune locum ? Ces
mots désignent ou les cryptes, ou bien un coin du cimetière de
Paradis, ou le cimetière de Paradis dans son entier.
Or, ce n'est pas d'un coin du cimetière de Paradis que Ton
veut parler. Les chartes qui traitent de Paradis, notamment
celle de 1044, dans laquelle on raconte que Fulco et Odile son
épouse firent rebâtir à leurs frais, à la prière de saint Ysarne,
alors abbé de Saint-Victor, l'antique chapelle de Saint-Pierre
de Paradis, ne disent pas qu'il y eût un point déterminé, un
endroit à part où les corps des martyrs étaient ensevelis. Et
cependant cette charte de 1044 explique bien ce qu'était Para-
dis : « Ce cimetière, situé à la porte du monastère, est appelé
Paradis, parce qu'un grand'nombre de corps de saints martyr^,
de confesseurs et de vierges y reposent (3).* Incodtestablement,
(1) « Hune, aiunt, locum venerandus martyrum, cui nunquam frustra
suppllcatur, tenet exercifus, quos per hos totos latè patentes campos
sanctorum confessorum, hujus loci quondam monachorum circum circa
innumerabilis populus ambit. Ibi autem seorsum sacrarum virginum
turba quiescit. At in illo interiori sacrario quod in ipso naturali saxo
excisum vides » — Vita Sancti Ysarni; Acta SS. ordinis Béné-
dicte t. VIII, p. 584.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 235.
(3) t Quse ecclesia vel locus, multis retroactis temporibus, vocatus est
Paradisus, ideirco vero idem locus ad porta m monasterii situs, vocatus
est Paradisus, sicut et nos com péri mus, quia multorum corporum vide-
iicet sanctorum martyrum confessorum ac virginum eodem loco quies-
— 37 —
s'il y avait eu dans ce cimetière un endroit spécialement consa-
cré par les dépouilles des saints martyrs, vers lequel les foules
se seraient portées, conduites par la vénération qu'elles avaient
pour ces reliques, la charte 1044 l'aurait indiqué. Elle ne dit
rien de semblable. Donc il n'y a pas dans Paradis de hune
îoeum spécial, sanctifié par la présence des ossements des
martyrs.
Est-il question du cimetière de Paradis en entier ? Mais alors
où se trouvaient les vastes champs dans lequel le biographe de
saint ïsarne affirme que reposaient les saints confesseurs jadis
religieux de Saint-Victor ? On ne peut le nier, ces latentes
campos ne sont autres que les champs de Paradis môme. Donc,
cet hune loeum n'est point le cimetière de Paradis tout entier.
Donc par ces mots hune loeum il faut entendre les cryptes,
et mieux, un point particulier des cryptes, la chapelle de
Notre-Dame de Confession, ainsi appelée, disent les auteurs,
i cause des nombreux corps de martyrs au-dessus desquels la
Sainte Vierge a son trône élevé (1).
Arrivons à la deuxième phrase. Les visiteurs s'arrêtent
devant l'endroit à part où reposent les vierges sacrées. Ibi
auiem seorsum sacrarum virginum turba quiescit , Qu'indi1-
quent ces deux mots ibi seorsum ? Un coin encore de Paradis,
ou le cimetière de Paradis tout entier ? Ni l'un ni l'autre.
Il ne s'agit pas d'un coin du cimetière de Paradis. Nous le
répétons, s'il y avait eu dans Paradis . un endroit à part, des-
tiné à l'ensevelissement ici des martyrs, là des confesseurs,
plus loin des vierges, la charte de Fulco et d'Odile l'aurait
insinué de quelque manière. Or, elle ne dit rien de semblable.
Il ne s'agit pas du cimetière de Paradis en entier, puisque,
d'après le texte de la vie de saint Ysarne, la dépouille des
centium, decoratur auxiliis et suffragatur meritis. » — Cartulaire de
8aint-Victor, II, charte 32, Carta sancti Pétri de Paradiso.
(1) c Le nom de confession était donné aux sépulcres des martyrs et
des confesseurs, parce que le lieu des maitres-autels où Ton renfermait des
reliques de martyrs portait le nom de confession » — Rufll, Histoire
de Marseille, t. Il, p. 115. — Marchetti, Explication des usages et cou-
tûmes des Marseillais, p. 190.— Martigny, Dictionnaire des antiquités
chrétiennes, p. 173.
-38 -
vierges consacrées à Dieu repose dans « un endroit à part . »
Forcément on veut parler des cryptes.
D'ailleurs, admettez un instant que Vibi seorsum désigne un
coin du cimetière de Paradis, réservé à l'ensevelissement des
filles de saint Cassien. Voyez le bizarre itinéraire que Ton fait
suivre aux visiteurs. Le hune locum venerandus martyrum
se trouve bien dans les cryptes. Impossible, on Ta vu, d'en
faire un coin de Paradis. Ysarne donc et les moines qui le
guident sortent des cryptes, où ils ont vénéré les martyrs
qui y reposent, viennent dans Paradis pour y visiter l'endroit
à part « ibi seorsum » où reposent les vierges sacrées. Puis
ils redescendent dans les cryptes pour y vénérer au sacra -
rium les reliques des saints Innocents. Mieux valait saluer le
hune locum venerandus martyrum dans les cryptes, conti-
nuer la visite en passant devant le sacrarium où l'on garde
les reliques des saints Innocents et remonter ensuite dans les
champs de Paradis pour y vénérer en cet endroit à part les
reliques des saintes vierges cassianites ! Non, l'interprétation
donnée par quelques auteurs est fausse. Le hune locum est la
chapelle de Notre-Dame de Confession, le ibi autem seorsum
le devant de l'autel de Notre-Dame, et le sacrarium la cha-
pelle de sainte Marie-Magdeleine. Ainsi les visiteurs n'ont pas
quitté les cryptes. Mais, après s'être agenouillés devant le hune
locum, ils viennent se prosterner là où reposent les vierges
sacrées, puis ils visitent le sacrarium des saints Innocents.
Certains hésiteront peut-être à accepter notre interprétation,
sous le prétexte qu'il semble nécessaire d'admettre la déter-
mination dans Paradis d'un coin spécialement réservé à l'en-
sevelissement des filles de Cassien. Or, nous croyons qu'il n'y
a jamais eu, à aucune époque, semblable affectation.
En effet, si quelqu'un avait dû posséder ce privilège, de repo-
ser dans un endroit à part du cimetière de Paradis, c'étaient les
moines de Saini-Victor. Or, la chane de 1044 dit simplement
que a dans Paradis reposent un grand nombre de corps de
saints martyrs, de confesseurs et de vierges. » Le texte de la
vie anonyme de saint Ysarne dit que « les corps des confes-
seurs, jadis moines de l'abbaye, reposent dans les vastes
champs qui entourent les cryptes. » C'est donc d'ici de là,
— 39 —
sans ordre bien établi, sans affectation particulière pour les
moines ou pour les religieuses, que l'on a inhumé dans Para-
dis, durant tant de siècles, les corps que l'on y a portés. Cha-
cun choisissait, ou Ton choisissait pour le défunt, l'endroit de
sa sépulture, suivant la dévotion que l'on avait pour tel saint
ou tel martyr. L'essentiel était de reposer auprès d'eux. Si donc
les moines n'avaient pas d'endroit à part pour leurs dépouilles
mortelles, les religieuses cassianites n'en avaient pas non
plus.
On alléguera, sans doute, les tombeaux découverts jadis
auprès de la chapelle de Sainte-Catherine et nous entendons
Ruffi nous dire que « tous ces tombeaux marquaient que ce
lieu était assurément un cimetière et que c'étaient des reli-
gieuses qu'on y avait enseveli (1). » Il y a du vrai et du faux
dans ce qu'affirme Ruffi. « Tous ces tombeaux marquaient
que ce lieu était un cimetière. » C'est vrai. Paradis devait
s'avancer jusqu'aux environs de la chapelle qui, bâtie plus
tard, fut dédiée à sainte Catherine. Mais que ce fussent des
religieuses qui y étaient ensevelies, c'est ce que Ruffi aurait
dû prouver 1 II donne l'épitaphe de l'une d'entre elles :
Ëugénia. Soit. Mais il aurait dû citer les autres inscriptions,
s'il y en avait; et, s'il n'y en avait pas, qui Pautorise à affir-
mer que les personnes enterrées à côté d'Eugénia étaient des
religieuses comme elle ?
Ce texte de Ruffi ne prouve donc rien contre notre opinion.
Et il est vrai de dire que ïibi seorsum ne se trouve pas dans
Paradis. C'est plutôt un endroit à part dans les cryptes. Quel
endroit ? Nous ne pouvons le désigner sûrement. Mais, on l'a
vu plus haut, si le hune locum venerandus martyrum est la
chapelle de Notre-Dame de Confession, nous croyons que
lïW seorsum désigne le devant de l'autel, le pavé du sanc-
tuaire de Notre-Dame.
La vraie et rigoureuse interprétation de ce passage étant
donnée, quelle est cette turba sacrarum virginum dont les
dépouilles reposent ibi seorsum, dans cet endroit à part des
cryptes ? Il ne s'agit certainement pas de toutes les religieuses
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 55.
- 40 —
cassianites, qui ont vécu avant le X' siècle. Pas plus que les
moines de l'abbaye de Saint-Victor, elles ne recevaient la
sépulture dans les cryptes. On n'y ensevelissait que les reli-
gieux ou religieuses d'un caractère de sainteté assez marquant
et reconnu (1). Quant aux autres moines ou religieuses, c'est à
Paradis que leurs corps étaient inhumés. Voilà pourquoi la
vie anonyme de saint Ysarne parle des vastes champs oh re-
posent les confesseurs, jadis moines de l'abbaye, et la charte
d'Odile et de Fulco rappelle que dans Paradis reposent les
corps des martyrs, des confesseurs et des vierges.
Il s'agissait donc d'un nombre restreint de religieuses, aux
dépouilles desquelles on avait donné cet endroit pour sépul-
ture. Mais quelles religieuses a-t-on jamais inhumées ailleurs
qu'à Paradis ? En faveur de qui a-t-on fait une exception ?
Pas pour d'autres religieuses que les compagnes d'Eusébie.
En effet, le mot turba implique un certain nombre et la
tradition dit que les compagnes d'Eusébie étaient quarante.
C'est à part, seorsum, entre le lieu où reposent les martyrs et
le 8acrarium taillé dans le rocher, que repose la troupe des
vierges sacrées et c'est à un endroit, à part encore, devant
l'autel de Notre-Dame de Confession, que la tradition et les
chartes les font reposer. La similitude est trop frappante pour
que l'on hésite un instant. C'est bien d'Eusébie et de ses com-
pagnes qu'il s'agit dans ce passage de la vie de saint Ysarne.
D'ailleurs une charte du XV* siècle nous l'assure. Sainte Eusébie
fut placée dans un tombeau, derrière la chapelle de Notre-
(!) Les martyrs et les confesseurs ont joui les premiers du privilège
de la sépulture dans les églises. Il y avait une raison plausible que don-
nait saint Ambroise :« Succedunt victimse triumphales in locum ubi Chris-
tus est. Sed ille super altare qui pro omnibus passus est, isti sub altari
qui illius redemptisunt passione. » Un peu plus tard, les fidèles jouirent
de ce privilège. Mais il y eut bientôt des abus. Dès lors, un concile
de Braga défendit cette pratique. Au IX* siècle, un évoque d'Orléans lit
de même, mais il admettait des exceptions : « Nemo in ecclesia sepe-
liatur, nisi forte talis sit persona sacerdotis aut cujuslibet justi hominis,
qui per vit© meritum talem vivendo suo corpori defuncto locum acqui-
sivit. » — La Sépulture chrétienne en France, par Arthur Murcier,
p. 76, 77. — Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. II,
p. 219 et suivantes.
— 41 —
Dame de Confession et ses quarante compagnes furent déposées
devant l'autel de la bienheureuse Vierge Marie.
Or, cet ensevelissement à part auprès de Notre-Dame de
Confession, à l'endroit le plus sacré de nos cryptes, à côté
des reliques des plus illustres martyrs ; ce pèlerinage que Ton
fait auprès de ces restes? ; cette vénération que Ton a pour eux,
est-ce autre chose que la marque et le signe que Ton conserve
pieusement le souvenir du trépas héroïque de ces saintes
vierges et que Ton a voulu mettre une différence entre leur
genre de mort et la mort simple et naturelle des autres reli-
gieuses ? C'était une sorte de culte qui s'établissait. Eusébie
et ses compagnes étaient donc honorées et déjà saint Ysarne
disait un des premiers, au fond de son cœur : Bienheureuses
filles de notre père Gassien, priez pour nous !
CHAPITRE V
Sainte Eusébie et son culte immémorial
(Suite)
SAINTS BU3BBIB BT SBS COMPAGNES, ENSEVELIES SOUS LB PAVÉ DBS
CRYPTB8, DU VIII" SIÈCLE AU XIV* SIÈCLE. — CHARTE SANS DATE, PAR.
LANT d'EUSÉBIE ET DE SBS COMPAGNE6. — LB CULTE EN L' HONNEUR
DBS SAINTBS MARTYRES S'ACCENTUE AU XIV* SIÈCLE. —SAINTE EUSÉ-
BIE DAN8 UN TOMBBAU A PART. — SBS COMPAGNES , DEVANT L'AUTEL
DB NOTRE-DAME DB CONFESSION. — ON VISITE CETTB CHAPELLE. —
MONSEIGNEUR DE BELSUNCE ÉTABLIT LB CULTB PUBLIC EN L'HONNBUR
DB NOS SAINTBS MARTYRES.
Combien d'années, ou mieux combien de siècles, ces restes
précieux demeurèrent-ils en cet endroit, honorés par les visi-
teurs des cryptes, mais ne recevant point encore cependant
de la généralité des fidèles ces marques de vénération qui
constituent un véritable culte public ?
Trois ou quatre peut-être. En effet, un inventaire des reli-
ques possédées par l'abbaye de Saint-Victor, rédigé en 1363,
ne fait aucune mention de nos chères saintes. A cette époque,
Urbain V avait ordonné de restaurer Saint-Victor. Or, au
moment de détruire le maltre-autel de l'église supérieure,
pour le remplacer par celui que ce Pape devait consacrer
deux ans plus tard, on ouvrit une grande caisse placée sous
cet autel et dans laquelle plusieurs corps saints étaient ren-
fermés. Le procès -verbal dressé à cette occasion énumère les
reliques que Ton y trouva. Il n'y a rien d'Eusébie, ni de ses
compagnes (1).
Déplus, à l'occasion de la consécration de l'autel en 1365,
on avait placé, à droite et à gauche, dans l'église supérieure,
(1) Recueil de chartes de Saint- Victor, par Dom Lefournier, t. III,-
archives départementales.
ST. HUE OCCUPEE J
— 43 -
des reliques insignes que l'on avait tirées des cryptes. Or, pas
un mot encore de sainte Eusébie, ni de ses compagnes (1).
C'est, à notre avis, la preuve la plus certaine que rien n'avait
été changé à l'état dans lequel ces reliques se trouvaient vers
Tan 1000, à l'époque de la visite de saint Ysarne. Si les corps
avaient été exposés publiquement dans les cryptes, ou placés
dans un tombeau, comme Ta été le corps de sainte Eusébie
plus tard, il est difficile de croire qu'on ne les eût pas exposés
dans la grande église, ce jour-là (2). Ils se trouvaient donc
encore, très probablement, sous le pavé de la chapelle de N.- D.
de Confession.
Quelques années après la mort d'Urbain V, on fit certains
changements dans les cryptes. On toucha aux reliques que
Ton y gardait. Dès ce moment, nous voyons sainte Eusébie
ensevelie dans un tombeau à part, non loin de ses compagnes.
En effet, une charte sans date, que Dorn Lefournier a transcrite
d'un vieux manuscrit sur papier soie, atteste que a le corps
de l'abbesse était placé dans un tombeau, en dehors de la
chapelle de Notre-Dame de Confession et tout auprès ; et les
quarante compagnes 'demeurèrent ensevelies devant l'autel
de Notre-Dame (3). »
Or, quelle est bien la date de celte charte ? Ce n'est guère
que d'une manière approximative que nous pouvons l'indi-
quer. En 1376, Marseille étant environnée et presque assiégée
par de nombreux ennemis et l'abbaye de Saint- Victor pouvant
être à chaque instant pillée et saccagée, les religieux du
monastère firent porter, le 10 mai, dans l'intérieur de la ville,
le chef de saint Victor et d'autres reliquaires, appartenant à
(l) Recueil de chartes de Saint-Victor, par Dom Lefournier, t. III. —
Livre noir des archives de Saint -Victor, t. III, p. 129.
(2)11 y eut, exposées à la vénération des fidèles dans l'église supérieure,
en ces circonstances et pendant un certain* temps, les reliques de saint
Agricol, du bienheureux Marcel, de sainte Archontanie, de saint Ber-
nard, abbé et câlinai, de saint Mauront, évoque de Marseille, de saint
Hilarion, de saint Yviffred, les corps de saint Ysarne et de deux autres
saints. — Chartes de Dom Lefournier, t. III. — M. l'abbé Albanés,
Entrée solennelle du pape Urbain V à Marseille, en 4365.
(3) Nous donnons cette pièce in-extenso dans : Sainte Eusébie et ses
W compagnes martyres.
— 44 -
l'église de l'abbaye (1). Quelques jours après, le danger ayant
disparu,. tout fut rapporté à Saint-Victor.
Quelles sont les reliques (2), outre le chef de saint Victor,
que Ton s'empressa de mettre à l'abri de la rapacité des enne-
mis ? Le procès-verbal dressé par les religieux ne le dit pas.
Ce durent être les plus précieuses sans doute, mais certai-
nement aussi celles que 4'on pouvait le plus commodément,
le plus facilement transporter. Or, il y avait, atteste l'inven-
taire de reliques rédigé en 1365, dans les chapelles latérales
et au chevet de l'église supérieure, plusieurs châsses conte-
nant les corps des saints les plus illustres, entre autres de
saint Mauront, de saint Ysarne, de saint Dviffred, de saint Ber-
nard, etc. , etc. Urbain V les avait fait placer, on se le rappelle,
en ces différents endroits, afin de satisfaire la piété des fidèles.
Presque certainement, on dut, à l'époque critique de 1376,
transporter ces corps saints dans la ville.
Mais, le danger passé, on dut les descendre dans les cryptes.
En effet, un autre inventaire fait, en 1444, mentionnant les
reliques qui sont contenues dans une grande caisse, placée
sous l'autel de l'église supérieure, ne parle nullement des
corps saints, jadis placés dans les chapelles latérales ou au
chevet de cette église. Ils ne s'y trouvaient donc plus. Or, la
charte sans date qui nous occupe les désigne comme étant
placés dans les cryptes. Ce document a donc été probablement
rédigé entre les années 1376 et 1444.
(1) Ce procès-verbal se trouve dans les chartes de Dom Lefournier,
t. III, à cette date de 1376.0a y parle de : caput sancti Victoris et cœteri
réliquœTii sanctœ Ecclesiœ venerabilis monasterii,
€ En 1376, tandis que la Provence était dans une grande confusion, les
Marseillais firent porter dans la ville le chef de saint Victor et les ossements
de ses compagnons avec les autres reliques qu'on conserve dans cette
église et on les mit en dépôt entre les mains d'Antoine Die udé* et de
Guillaume Vivaud, gentilshommes de Marseille, en suite d'une délibéra-
tion du conseil de la communauté, qui fut tenu pour ce sujet dans la
salle de l'hôpital du Saint-Esprit, le 10 mai de la même année; mais quel-
ques jours après elles furent rapportées en procession dans le monas-
tère. » — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 122.
(2) Ruffl parle de reliques. Mais le procès-verbal parle de reliquaires :
cœteri religuœrii.
- 45 —
D'autre part, la placQ que Dom Lefoumier assigne à ce docu-
ment, dans son recueil manuscrit de chartes, nous fournit
une indication plus précise. Il le fait précéder et suivre de
deux actes de 1407. Si ce n'est point là l'indication d'une
date certaine, on peut y apercevoir cependant l'opinion de
Dom Lefoumier. Ce serait donc avant 1407, qu'on l'aurait
rédigé.
Quelques mots de cette charte nous permettent de préciser
davantage. Parlant du corps d'Urbain V, qui repose dans la
grande église du monastère, le rédacteur de cette charte écrit
que « l'on a des miracles constatés pour la canonisation du
saint Pape (1).» Or, la première démarche pour obtenir la cano-
nisation d'Urbain V ayant été faite par Valdemar, roi de
Danemark, en 1375 (2); le procès ayant été dressé par le pos-
tulateur de la cause, en 1382 (3) ; durant cet intervalle, l'abbé
de Saint -Victor et ses moines ayant demandé de vive voix, à
Clément VII, résidant à Avignon, d'accorder cette grâce (4),
cette charte doit être donc de 1380 ou de 1381.
C'est à cette époque, croyons-nous, qu'il faudrait fixer le
changement dont nous avons parlé tantôt, relatif aux restes
d'Eusébie et de ses compagnes. A la suite du remaniement que
l'ou opéra dans les cryptes et des fouilles que Ton y fit, on
plaça le corps d'Eusébie dans le tombeau qu'il a occupé jus-
qu'à la Révolution, et l'on laissa sous le pavé delà chapelle,
au pied de l'autel de Notre-Dame de Confession, les restes des
40 compagnes.
(i) De quo habemus multa miracula ad canonisât ione m. Chartes
recueillies par Lefoumier, t. III.
(%) Abrégé de la vie et des miracles du bienheureux Urbain V,
par l'abbé Albanés, p. 189.
(3) L'abbé Albanés, op. cit., p. 192.
(4) L'abbé Albanés, op. cit., p. 191 .— Recueil de chartes de saint Victor
par Dom Lefoumier, t. III, supplique faite à Clément VII, par l'abbé et les
religieux du monastère de Saint- Victor, ut Papa Urbanus V adscriba-
tur in catalogo sanctorum. — Le 8 juillet 1381, le conseil de la cité de
Jfarseille présente aussi une requête au Pape et aux cardinaux ad
petendam, prosequendam et obtinendam canonisationem sanctœ me-
rnoriœ Urbani Papœ V; recueil de chartes par Lefoumier» t. III,— His-
toire d'Urbain V et de son siècle, par l'abbé Magnan, p. 479.
— 46 —
Une preuve, c'est qu'à partir de ce moment sainte Eusébie
est nommée dans les chartes. On ne la confond plus avec ses
compagnes. La sainte abbesse et ses religieuses ne sont plus
désignées par l'expression vague et confuse de turba sacrarum
virginum. Mais cinquante ans à peine plus tard, en 1431, on lira
dans les chartes : sainte Eusébie et les 40 vierges, ses compa-
gnes : sancta Eusebia et XL aliis virginibus et martyr i-
bus (1).
Y a-t-il eu un procès- verbal de cette translation? Nous ne
saurions rien dire de certain à ce sujet. Dans tous les cas, cette
charte sans date, copiée sur un manuscrit papier soie, pourrait
fort bien être un débris, un extrait de ce procès-verbal (2).
Quel signe a pu faire distinguer les reliques d'Eusébie de
celles de ses compagnes? Rien de certain encore. Mais il y a
l'inscription d'Eusébie! Qui assurera qu'on ne Ta pas trouvée
à ce moment sur le corps de cette chère sainte ? Il est de fait,
d'une part, que jusqu'à cette époque nul historien, croyons
nous, na parlé d'une inscription d'Eusébie; d'autre part,
sûrement cette inscription n'a pas été gravée au XV* siècle. Il
est de fait encore, nous l'avons dit plus haut, que jusqu'à ce
moment jamais on n'a désigné nommément sainte Eusébie.
On la confond avec ses compagnes martyres, la troupe des
vierges sacrées. Mais à partir du XV* siècle, Eusébie apparaît
distincte de ses compagnes. On l'appelle par son nom. Or, qui a
fait connaître ce nom? Nous disons, nous, que c'est l'inscrip-
tion. Que l'on indique un autre document ! !
D'ailleurs, voici ce que dit cette charte : a Dans l'église infé-
rieure il y a une chapelle sous le vocable de Notre-Dame de
Confession, elle est entourée d'une grille en fer. Sous l'image
(1) Charte de 1431 . — Chartes recueillies par Lefournier, t. III, Mdifi-
catis, etc.
(2) Ce procès-verbal a pu être égaré dans les deux circonstances que
mentionne Ruffi, dans son Histoire de Marseille. En 1423 et 1441, sous
prétexte que les Aragonais menaçaient Marseille, des gens de cette ville
pénétrèrent à Saint-Victor, enlevèrent des reliques, des joyaux, des livres,
des ornements, les portèrent de côté et d'autre et ne voulurent plus les
rendre. Il fallut procès sur procès pour les y forcer. C'étaient là, on peut
le dire, de fâcheux amis : oneroai amici. Ruffi, Histoire de Marseille,
t. II, p. 122.
— 47 -
de la bienheureuse Vierge Marie reposent les restes des trois
soldats qui furent les compagnons de saint Victor et martyrs
avtc lui: Félicien, Alexandre et Longin. Devant l'autel de
la Vierge Marie se trouvent les quarante religieuses martyres.
Par respect pour elles, les femmes n'entrent point dans cette
chapelle. Si elles en franchissaient le seuil, elles perdraient
la vue. L'abbesse de ces quarante religieuses a été placée
auprès, mais au dehors de la chapelle, et cette abbesse s'appe-
lait Eusébie (1). » Si jusqu'à la fin du XIV siècle aucun docu-
ment ne pouvait fournir une trace bien certaine et bien pro-
bante du culte public en l'honneur de notre chère sainte, à la
date de la rédaction de cette charte toute difficulté s'évanouit.
Le culte est ici bien établi et bien marqué.
C'était d'abord une chose fréquente, que par respect pour
certains oratoires il ne fût pas permis d'y pénétrer. À l'oratoire
de Saint-Sauveur, à Aix (2) ; à la crypte de Sainte- Marie-Mag-
deleine, à Saint-Maxiuiin ; à Rome, pour la chapelle de Saint-
Jean, dans le baptistère de Latran (3), cette prohibition existait
(l)c Estqusedamcapella quse d ici tu r cape lia B. Mari» de Confessione et
eircuiturferro Sub imagine B. Mariée, jacent très milites qui fuerunt
socii Victoris et martyres eu m eo, Felicianus, Alexander et Longinus, et
antealtare B Virgin is jacent quadragin ta moniales martyres..... Reve-
rentîam illarum mulieres non intrant dictam capeilam, et si intrant
amittant visu m, et abbatissa illarum jacet juxta, extra capeilam etdici-
tur Eusebia ... i — Recueil de chartes, par Dom Lefoumier, t. III.
L'abbé Marchetti connaissait ce texte, car il écrit au sujet des fem-
mes qui par respect n'entrent pas dans la chapelle de Notre-Dame de
Confession, qu'elles agissent ainsi < de peur que la témérité de cette irré-
vérence ne soit punie de l'aveuglement dont la tradition de cette abbaye
assure que Dieu châtia celle d'une princesse qui perdit la vue pour avoir
été si hardie que d'y entrer. •— Explication des usages et coutumes des
Marseillais, p. 191.
(2) Les Trois Romes, par Mgr Gaume, t. I, p. 278.
(3) L'oratoire de Saint-Sauveur, à Àix, appelé la sainte chapelle, fut
bâti suivant la tradition par saint Maximin, premier évoque de cette ville.
Pitton, l'annaliste de la sainte Eglise d'Aix, écrit que les femmes, par
respect n'osent entrer. Les actes des délibérations du chapitre d'Aix, de
l'année 1581, disent: « In parvam capeilam Sancti Salvatoris nunquam
mulieres ingrediuntur propter loci sanctitatem et venerationem.» Paillon,
Documents inédits sur l'apostolat de sainte Magdeleine, 1. 1, p. 503. —
Pitton, Annales de la Sainte Eglise d'Aix, pp. 4, 114. — L'ancienne
— 48 -
pour les femmes. Il en était de même à Saint- Victor pour la
chapelle de Notre-Dame de Confession, où se trouvaient ense-
velies les compagnes d'Eusébie (1) Preuve évidente de la véné-
ration publique que Ton avait pour ce lieu béni. Qu'il fût
défendu en outre aux femmes de franchir le seuil de Cette
chapelle, preuve évidente encore que les foules venaient la
visiter, y prier les vierges héroïques qui y reposaient. Or, un
des détails qui constituent le culte public rendu à un saint,
c'est le concours des fidèles auprès du tombeau ou des reliques
de ce saint. Donc, le culte était établi en l'honneur de nos
saintes martyres.
On alléguera que la vénération des fidèles s'adressait non
pas aux reliques de sainte Eusébie et de ses compagnes, mais
seulement au sanctuaire de Notre-Dame de Confession. C'est,
en effet, ce qu'ont pensé beaucoup d'auteurs et anciens et mo-
dernes. Mabillon, dans les Acta sanctorum ordinis sancti
Benedicli et dans les Annales ordinis sancti Benedicti dit
de la chapelle de Notre-Dame de Confession : « que l'entrée
en était interdite aux femmes (2) ». La. Notice sur les monu-
ments de Saint-Victor affirme que les personnes du sexe ne
peuvent y entrer, et l'auteur de cet ouvrage cite l'usage de
l'église de Saint-Pierre de Rome, d'après lequel les femmes
ne peuvent pénétrer dans l'église inférieure qu'à certaines
fêtes (3). L'Essai historique et archéologique sur V abbaye
de Saint- Victor (4), mentionne la même coutume.' Marchetti
Vie de Sainte-Marie-Magdeleine dit : « Femina enim nulla unquam
temeritatis audacia in illud sanctissimum templum ingredi praesump-
sit. . . • Paillon, ut supra, 1. 1, col. 419, 423 ; t. II, col. 436.
(1) a Ce sanctuaire,qui est réputé le premier et le plus ancien de Mar-
seille, est pour cela en si grande vénération, que les femmes, à qui l'ac-
cès de nos autels a été de tout temps interdit, s'abstiennent encore d'y
entrer et s'en éloignent par révérence.» Marchetti, Explication des usa-
ges et coutumes des Marseillais, p. 191.
(2) « In eo sacello R. Maria? de Confessione, cujus aditus mulieribus
interdictus. » Mabillon, Annales, O. S. B., t. II, p. 90. — Acta sanct,
O. S. B., t. IV, p. 487.
(3) Notice des monuments conservés dans V église noble, insigne et
collégiale de l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, p. 14.
(4) Essai historique et archéologique sur V abbaye de Saint- Victor
lez Marseille, par E. B. . ., p. 24.
— 49 —
écrit: * Ce sanctuaire, qui est réputé le premier et le plus
ancien de Marseille, est pour cela en si grande vénération que
les femmes, à qui l'accès de nos autels a été de tout temps
interdit, s'abstiennent encore d'y entrer et s'en éloignent par
révérence (1) ». Ruffl, Kothen et M. l'abbé Magnan (2)
affirment à leur tour que l'entrée du sanctuaire de Notre-
Dame de Confession était interdite aux femmes. Suivant donc
ces auteurs, la vénération des fidèles et la crainte qu'ils ont
de pénétrer dans ce sanctuaire provenaient du respect que
l'on avait pour la Sainte Vierge et non pas celui que Ton pro-
fessait pour les restes des saintes compagnes d'Eusébie.
Guesnay cependant donne une variante. Parlant de la cha-
pelle de Notre-Dame, il dit qu'elle est célèbre « soit à cause
de la belle image de la bienheureuse Vierge, soit à cause des
trente-neuf compagnes d'Eusébie, qui y sont ensevelies t, et il
ajoute : « C'est à cause de cela que les jeunes filles et les fem-
mes ne peuvent franchir le seuil de ce sanctuaire (3). »
D'après cet auteur donc l'entrée de la chapelle serait inter-
dite non pas seulement par respect pour Notre-Dame, mais
aussi par vénération pour les saintes martyres. Or, nous
croyons que Guesnay est davantage dans la vérité que la plu-
part des auteurs. Voici, en effet, ce que dit la charte citée plus
haut : « C'est à cause du respect que l'on a pour ces martyres
que les femmes n'entrent pas dans cette chapelle (4) ».
(1) Marchetti, Explication des usages et coutumes des Marseil-
lais, p. 19J.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 130 : t Le tombeau des
quarante religieuses qui se coupèrent le nez à l'exemple d'Eusébie, est
dans la chapelle de Notre-Dame de Goniession où les femmes n'osent
pénétrer de peur de perdre la vue. » — L'abbé Magnan, Saint-Victor de
Marseille, ses origines, etc., etc., p. 22. — Kothen, Notice sur les
cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-ïex-MarseUle, p. 47.
(3) c E regione autem illius speluncœ amplius quoddam et paten-
tas sacellum cui nomen B. Virginia a Confessione, summà fréquen-
te celebratum, tum ob elegantem B. Yirginis propositam in eo effi-
giem, tum quia in eo novem et triginta dicatarum Deo virginum, a
Sarraeenis Vandalisque interfectarum, corpora sepulta sunt, eôque lit ut
pnellse cseterseque mulierculae ab illius aditu etiamnum hodie ut et a
majoribus religiose observatum vidimus, prohibeantur. » Cassianus
illvstratus, par Guesnay, p. 474.
(4) Charte sans date, citée plus haut.
4
— 50 —
On a de la dévotion, du respect pour ces saintes martyres,
donc elles ne sont pas inconnues; on vient visiter leur tom-
beau, on les prie, donc le culte en leur honneur est établi au
XIV- siècle.
Aussi, dès cetle époque de l'histoire, il est facile de suivre
pas à pas le progrès et l'extension de ce culte.' On aime à se
confier à la protection des saintes martyres. On se fait une
gloire et une consolation de dormir son dernier sommeil dans
les champs qui avoisinent leur tombe. C'est un honneur que
l'on n'accorde pas à tous. Seuls les membres de la confrérie de
Notre-Dame de Confession jouissent de ce privilège (1). Quand
on veut célébrer la gloire de l'abbaye de Saint-Victor, on rap-
pelle à tous que les corps de tant de saints illustres y reposent
et notamment ceux de sainte Eusébie et de ses quarante
compagnes. Les deux chartes de 1431 et de 1446 sont la
preuve de ce que nous avançons (2). Au XV"- siècle donc on
honore, on vénère, on prie sainte Eusébie et ses compagnes.
Bétail singulier cependant, que des auteurs et surtout
M. de Rey ont noté (3), les enfants de Saint-Cassien et les
moines de Saint-Victor, leurs successeurs, qui devaient consi-
dérer comme leur appartenant toutes les gloires de l'ordre de
Cassien, ne faisaient pas l'office de ces glorieuses martyres et
(1) lis demandent que pour encourager cet élan (l'établissement de
cette confrérie de Notre-Dame de Confession) une place particulière soit
assignée dans le cimetière du monastère pour la sépulture des confrères
et qu'il soient rendus participants à toutes les bonnes œuvres des moines.
L'abbé de Saint-Victor, Pierre Dulac, leur accorda ce privilège' par un
acte qui existe encore, daté du 5 mai 1446. On lit dans cette charte que
Kothen a publiée en appendice dans sa Notice sur les crypte $ : c Uni-
versarum gratiarum et meritorum quas et que S. Victor et socii ejus
S. Adrianus cum sociis suis, Mauricius. Innocentius et socii eorum, Gri-
santus et Daria, Eusebia cum quadraginta aliis virginibus et martyri-
bust Petrus et Marcellinus... S. Gassianus, Maurontus, Ylarianus, Ysarnus,
Hugo. Bernardus et Siffredus presules et Gbristi confessores et SS. Inno-
centes ac XI millia virgines, quorum et quarum corporum magnus nu-
méros in monasterio hujusmodi in pace in Ghristo requiescunt, et alii
martyres, episcopi et confessores ac virgines in ecclesià memorati monas-
teriiin. Ghristo requiescentes, innocentià vit».. . acquivisse et promenasse
noscuntur. .. »
(2) Nous donnerons en Appendice cette charte de 1431.
(3) Les Saints de l'Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 238.
— 51 —
ne plaçaient pas leurs reliques sur les autels. Nous Ta vous
déjà dit, l'inventaire des reliques fait en 1444, à Saint-Victor,
celui qui fut dressé en 1365, celui de 1363, ne font aucune
mention des dépouilles de nos saintes marseillaises. On a retiré
des Cryptes vers 1365 plusieurs restes insignes de saint Cas-
sien, de saint Ysarne, de saint Bernard, etc., pour les placer
dans l'église supérieure. Jamais il ne s'agit des ossements
d'Eusébie et de ses compagnes. Un bréviaire de 1497, qui appar-
tenait à Saint-Victor, ne fait mémoire de nos saintes ni dans
l'office, ni dans les litanies, ni dans le propre de l'abbaye (1).
Les Bollandistes attestent que dans aucun martyrologe tant
ancien que nouveau, il n'est parlé de sainte Eusébie et de ses
quarante compagnes (2). Arthur de Monestier seul fait exception
dans le Sacrum Gynœcœum (3). Bien plus, parmi les auteurs
qui en parlent, beaucoup ne les appellent pas Saintes. Et cepen-
dant on les honore, on les vénère à Saint-Victor ! Explique
qui pourra cette étrange anomalie.
Quand on sait cependant que saint Mauront n'avait pas, lui
aussi, d'office propre à Marseille, dont il a été évoque, et que
Ton ne connaissait presque rien de sa vie (4), on devine que
(1) Invasions des Sarrasins en Provence, par M. de Rey, p. 141.
(2) t. . . Certé ego nullam eorum apud martyrologos memoriam reperi,
excepta Artburo, sed silentibus omnibus este ris martyrologis tam antiquis
quam recentioribus, scriptoribus intérim aliis qui de eisdem honorifici
meminerint, antiquum earum sacrum cultum non asserentibus aut certô
non probantlbus, quin etiam eorumden aliquibus nec sanctarum nec
beatarum titulo illas honorantibus. . . » Acta sanct. — Bolland , Vita
Sanctœ Eusebiœ, 14oct., p. 282.
(3) Sacrum gynœceum ab Arturo de Monasterio ad diem 30 dec. :
c Apud Veaunense monasteriumdiœcesismassiliensis, passio sanctarum
Eusebiae et sociarum sanctimonialium virginum, quae mira constantià
pro tuitione castitatis et ftdei decertantes, martyrii palmam reportarunt. »
(4) « Dans nos anciens bréviaires il n'y a point de leçons propres pour
l'office de saint Mauront, et dans l'hymne il n'est rapporté aucun fait de
ta vie. Les leçons qu'on cite à présent le jour de sa fête, sont extrême-
ment récentes ...... Antiquité de VEglise de Marseille, par M*' de
Belsunce, t. I, p. 300.
« Le sanctoral de l'abbaye de Saint Victor est muet et se borne à louer
d'une façon générale sa chasteté, son esprit de mortification, la douceur
de son caractère et son application à l'administration de son service. »
— Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 253.
- 52 —
si on n'a pas fait l'office de nos yierge3 cassianites, c'est que
l'on ne savait rien de certain sur elles et que seule la tradition
rapportait le genre de leur martyre.
Il faut arriver au XVII-siècle pour que ce culte se réveille
et se pare de quelque splendeur. D'abord c'est Arthur de Mones-
tier, nous l'avons dit, qui insère dans le martyrologe ce que
la tradition rapporte. Puis c'est Mabillon, qui raconte le genre,
l'époque de leur martyre et fait connaître le lieu de leur
sépulture. Guesnay atteste à son tour que de son temps on
les appelle martyres, bienheureuses, saintes (1). Ainsi le culte
en leur honneur grandit et s'implante: Enfin, arrive M" de
Belsunce qui répare l'oubli des siècles. Il compose lui-
même la Légende (2), y insère la tradition et par un décret
du 27 mai 1733 institue une fête et ordonne la récitation de
l'office en leur honneur. Alors et depuis, avec la sainte Eglise,
nous pouvons dire : sainte Eusébie, et vous ses compagnes,
priez pour nous II.. .
Une conclusion se dégage des deux précédents chapitres.
Si, de tout temps, sainte Eusébie a été honorée d'un culte plus
ou moins extérieur et public, le martyre de notre sainte n'est
donc pas une pure légende. Quelques historiens de Marseille
l'ont pensé. 11 est vrai qu'ils se sont contentés de récrire, sans
jamais s'occuper de fournir la moindre preuve à l'appui. Il en
est même qui ont affirmé le contraire le lendemain (3). La vie
(1) Guesnay à plusieurs reprises dans son Cassianus illustratus, les
appelle saintes martyres, page 475 : « ... Àd hujus sacelli dexteram,
marmoreum sepulcrum constitutum est in eoque Sanctœ Eusebiae... ossa
condita. .. Hae autem.. mortem quam virginitatem Deo dicatam dépé-
ri re sibi maluerunt . .» — Ibidem, p. 725 : Sepulchrum . . . in quo sanc-
tissimarum virginum et martyoïm lipsana...»— Page 510 : « Quse fortiter
dato capite ad duplicatum virginitatiset martyrii praemium evolarunt. *
— Page 725 : « Sancta Eusebia virgo et martyr... cœnobium de Yvelino
vixit aliquot annos... Gum Eusebia, Deo sacrât» virgines 39, receptis
repentin» Victoria? palmis, militiae cœlestis cuneos suà accessione amplia-
runt. Sacra martyrum exuviae ...»
(2) Acta sanct. — Bolland., Vit a Sanctœ Eusebiœ, . oct. U, p. 292.
M" de Belsunce fixa la fête de sainte Eusébie au deuxième dimanche
d'octobre : c Quod illan nullum certum suo cultui sacrum diem habe-
rent », ajoutent les Bollandistes.
(3) M. Mortreuil traite d'une manière assez irrévérencieuse le fait des
— 53 —
et la mort de notre héroïne sont entourées d'obscurités, c'est
vrai, mais la foi du peuple ne s'embarrasse pas de ces obstacles.
Elle perce ces ténèbres pour aller droit au but. Et n'ayons
crainte, le peuple chrétien sait bien à qui il porte ses prières.
En définitive c'est le souffle du Saint-Esprit qui le pousse et le
conduit
Lorsque au printemps nous voyons une rose, fraîchement
épanouie, charmer nos regards par les brillantes couleurs de
sa corolle embaumée, nous disons : C'est le rosier qui a produit
cette rose 1 A l'heure actuelle nous vénérons sur les autels, à
Marseille, la sainte abbesse Eusébie, et Ton respire, à la prier,
je ne sais quel parfum délicieux de rose et de lis. Sachons-le
bien, nous possédons la Rose, sûrement nos pères avaient vu
le Rosier ! !
Desnazzadas. « C'est une pieuse légende commune à plusieurs établisse-
ments monastiques, et la date n'en est rien moins que certaine. » (Mortreuil,
Réponse aux observations de M. Augustin Fabre sur l'ancienne
bibiliothèque de Saint-Victor, p. 6.)
Pour Achard l'historiographe, cité par M. Saurel, Banlieue de Mar-
seille, p. 154, et Meynier, cité aussi par Saurel, dans le môme ouvrage, ce
n'est qu'une vieille légende, dont le fait n'est pas prouvé et probable*
ment emprunté à un épisode analogue arrivé à Saint Jean-d'Acre, et qui
d'ailleurs semble être un moyen assez violent de se défendre contre les
barbares.
Augustin Fabre ne l'accepte que comme légende, dans les Rues de
Marseille, t, 1 p. 280. Mais, dans Observations sur la dissertation de
M. Mortreuil, p. 4, il l'appelle : « un sacrifice touchant et sublime » et
le tient pour vrai.
4.
CHAPITRE VI
Sainte Eusébie, ses compagnes martyres
et leurs reliques
JUSQU'A LA RÉVOLUTION, LB CORPS DE 8AINTE EUSÉBIE ÉTAIT ENSE-
VELI DANS UN TOMBEAU A PART. — A CETTE ÉPOQUE SES RELIQUES
ONT PU ÊTRE PROFANÉES. — JUSQU'A LA RÉVOLUTION, LES RBLI-,
QUBS DES SAINTES COMPAGNES D'EUSÉBIE ONT ÉTÉ SOUS LE PAVÉ,
DEVANT L'AUTEL DE NOTRE-DAME DE CONFESSION. —ELLES T SONT
ENCORE.
La question du culte en l'honneur de sainte Eusébie et de
ses compagnes étant réglée, il est intéressant pour nous de
savoir ce que sont devenues leurs reliques.
Relativement à sainte Eusébie, nous l'avons vu, une charte
du XIV- siècle affirme que ses ossements béni? se trouvaient
dans un tombeau (actuellement au Musée du Château-Borély)*,
placé dans les cryptes, à droite de la chapelle de Notre-Dame
de Confession, à l'extrémité du. passage étroit qui conduit au-
delà de cette chapelle. De fait, jusqu'à l'époque de la Révo-
lution, c'est là que Ton voyait ces reliques vénérables.
Tous les auteurs postérieurs au XIV- siècle qui ont parlé de
notre sainte, ont placé son tombeau à ce même endroit, en
donnant des indications plus ou moins détaillées. Chifflet place
le corps d'Eusébie dans la chapelle de l'église inférieure, dans
les cryptes (1). Guesnay dit qu'à la suite de cette chapelle se
trouvait un tombeau de marbre, dans lequel étaient placées les
reliques de sainte Eusébie, jadis abbesse de trente-neuf com-
pagnes (2). Mabillon, parle du tombeau sur lequel on voyait
(1) Chifflet, Veauntio ci vit as imper ialis,p. I99etsniv.: «... Quarum
corpora aliquo post tempore disquisita, in monasterium Sancti Victoris
translata su nt et in sacello ecclesiœ inferiorisreposita...»
(2) « Ad hujus sacelli dexteram marmoreura sepulcrum eonstitutum
est, in eoque sanctae Eusebise eammdem novem et triginta monalium
quodam abbatissa?, ossa condita. . . » Cassianns illustratua, p. 475.
— 55 —
une image de notre sainte, le visage et le nez mutilés (1).
Arthur de Monestjer citeGuesnay. Agneau écrit : « En sortant
de la chappelle (Sainte-MagdeleineJ on voit un tombeau en
marbre blanc qui renferme les reliques de sainte Eusébie, ab-
besse des religieuses Cassianites (2). » M" de Belsunce affirme
que « les corps de ces martyres furent transportés à l'abbaye de
Saint- Victor, où ils sont encore au jourd'hui, dans l'église sou-
terraine. Celui de sainte Eusébie est dans un tombeau de mar-
bre quarré-long, et enchâssé dans une espèce de niche. » La
Notice sur les Cryptes, de Kothen, précise l'endroit de la
sépulture : « A l'extrémité du passage (derrière la chapelle de
Notre-Dame) se trouve, dans un mur, un emplacement de tom-
beau arqué qui contenait les restes de sainte Eusébie (3) ».
M. le chanoine Magnan dit de même que « le premier arcoso-
Hum (derrière l'autel de Notre-Dame) est celui où se trouvait
autrefois le tombeau de sainte Eusébie (4).» M. de Rey : a Les
reliques de sainte Eusébie furent enfermées dans une tombe
de marbre que l'on plaça dans l'épaisseur de la muraille, à
côté de la grotte'de sainte Magdeleine (5). »
Ainsi, pendant trois cents ans, sainte Eusébie a reposé dans
ce tombeau à part, à côté de la chapelle de Notre-Dame de
Confession.
Et aujourd'hui, où se trouvent ces restes précieux ? On est
d'accord à dire qu'à l'époque de la Révolution tout fut détruit,
brûlé et dispersé. Cela est fort probable, à moins que quelque
main pieuse ait pu dérober le corps aux barbares modernes,
et l'ait placé dans un recoin ignoré des cryptes ou ailleurs.
Mais il n'y a guère lieu de l!espérer.
Quant aux reliques des quarante compagnes d'Eusébie, les
(1) t Exstat in monasterio Sancti Victoris Eusebise tumulus, cui impo-
rta est ejusdem heroinse effigies, dimidia facie et naso mutila, cum hoc
epitaphio... » Annales ordinis Sancti Benedicti, t. II, p. 96.
(2) Agneau, Calendrier spirituel du Diocèse de Marseille, en /75P,
p. 381.
(3) Notice sur les Cryptes de l'abbaye de SainUVictor-lez-Marseille,
p. 54.
(4) Saint- Victor de Marseille, par l'abbé Magnan, p. 22.
(5) Les Saint 8 de l'Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 235.
— 56 —
auteurs ne sont pas d'accord pour désigner l'endroit précis
où elles ont été déposées.
Du temps de saint Ysarne, nous l'avons prouvé, elles étaient
à part, seorsum, et cet endroit à part, c'est la chapelle de
Notre-Dame de Confession. Elles y étaient encore au XIV siè-
cle, puisque la charte citée plus haut dit qu'elles se trouvaient
placées : ante al tare Beatœ Virginis.
Depuis cette époque, les a-t-on changées de place ? Nous ne
le croyons pas.
D'abord, avant la Révolution elles y étaient. Chifflet écrit
qu'elles sont dans l'église souterraine (1). De même Mgr de
fielsunce, qui ajoute: a Elles y sont encore aujourd'hui,
(de son temps.) (2) » Arthur deMonestier, Guesnay, deAufti,
Agneau, disent qu'elles se trouvaient dans la chapelle de
Notre-Dame de Confession (3). Mabillon affirme que de son
temps les reliques de ces saintes vierges se trouvaient au
milieu de cette chapelle (4).
Il n'y a qu'une variante. La Notice des monuments conser-
vés à Saint- Victor, sans désigner l'endroit précis où se trouve
le tombeau de sainte Eusébie, place les reliques des quarante
compagnes dans le tombeau de l'abbesse (5), ce qui est maté-
(1) Chifflet, Vesuntio civitas imperialis, p. 199 et suivantes.
(2) L'Antiquité de l Eglise de Marseille, par Mgr de Belsunce, t. I,
p. 291.
(3) Arthur de Monestier : Sacrum gynœceum ad 30 dec, cite le
texte de Guesnay. — Guesnay, Cassianus illustrât us, pp. 474, 725:
« Ad hujus sacelli dexteram, marmoreum sepulcrum. . . in quo sanctis*
simarum virginum et martyrum lipsana suis ut decet locuiis condita,
piorum clientum votis exhibentur. » — Ruffi, Histoire de Marseille,
t. II, p. 130 : « Le tombeau des quarante religieuses qui se coupèrent le
nez à l'exemple de l'abbesse Eusébie est dans la chapelle de Notre-Dame
de Confession...» — Ruffi (Antoine de) : c Elles sont ensevelies au mitan
de la chapelle intitulée : Notre-Dame de Confession. » Histoire de Mar-
seille, p. 408. — Agneau : Leurs reliques sont sous l'autel de Notre-Dame
de Confession. » Calendrier spirituel, p. 384.
(4) Mabillon : « Sanctimoniales alise quadraginta ejus socise jacent in
medio saoello B. Mariae de Confessione, ut vocant. » — Annales O. S. £.,
t. 2, p. 90. — Acta sanctorum O. S. B., t. 4, p. 487.
(5) Notice des monuments conservés.,, p. 17. Nous venons de voir
que Guesnay offre aussi cette variante.
- 57 -
riellement impossible. Quarante corps, ou les ossements de
quarante corps ne peuvent être contenus dans un tombeau
pareil à celui de sainte Eusébie. En résumé donc, les auteurs
antérieurs à la Révolution sont d'accord. De leur temps, les
reliques des quarante compagnes d'Eusébie étaient dans la
chapelle de Notre-Dame de Confession.
Les auteurs postérieurs à la Révolution ont moins d'unani-
mité dans leurs affirmations.
Dans Y Essai historique et archéologique sur les cryptes de
Saint-Victor, on lit que « l'autel (de Notre-Dame de Confes-
sion) renfermait, outre diverses reliques, celles de quarante
religieuses qui, à l'exemple de leur abbesse Eusébie, se muti-
lèrent le visage. . . (1) » M. l'abbé Verlaque (2) affirme que,
d'après plusieurs auteurs et la légende de l'ancien plan des
souterrains, le tombeau de sainte Eusébie et celui de ses com-
pagnes étaient placés sous l'ancien autel de Notre-Dame de
Confession. M. Eothen cite une délibération du Chapitre de
Saint- Victor, en date du 1" juin 1746, dans laquelle on lit :
« Attendu que le dit autel (de Notre-Dame de Confession) ren-
ferme plusieurs tombeaux de saints martyrs, les dits prieurs
promettent que le dessus sera d'une planche en bois qu'on
pourra facilement enlever pour satisfaire la pieuse curiosité
des fidèles. » Il ajoute : « D'après la plupart de nos chroni-
queurs et la légende de l'ancien plan, ces tombeaux renfer-
maient les restes des compagnes de sainte Eusébie, abbes-
se (3). »
Nous croyons ces opinions complètement erronées. En effet,
les chroniqueurs, nous les avons cités, et à moins que Eothen
en ait connu d'autres, ceux dont nous avons rapporté le
témoignage : Mabillon, Arthur de Monestier, Chifflet, Ruffi,
disent à peu près tout lé contraire. Pour ces auteurs, les reli-
ques des compagnes de sainte Eusébie ne sont pas dans l'autel
(1) Essai historique et archéologique sur Us cryptes de Saint- Vic-
tor, p. 25.
(2) Notice sur Sainte Eusébie, par l'abbé Verlaque, p. 21 .
(3) Kothen, Notice su* les cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-lès-
MarseiUe, p. 34.
— 58 -
ou sous l'autel de Notre-Dame, mais : jacent in média
sacello. La légende de l'ancien plan doit être celle que
M. Paillon a donnée dans son premier volume des Monuments
inédits (1), et que Ton trouve aussi dans Kothen. Or, dans le
plan que donne Paillon, pas un mot du tombeau de sainte
Eusébie, ni de celui de ses compagnes, et dans le plan que
donne Eothen, le tombeau de l'abbesse est indiqué, mais pas
celui de ses compagnes.
Quant au* reliques qui se trouvaient sous l'autel de Notre-
Dame de Confession, nous n'avons qu'à nous rappeler la charte
sans date du XIV* siècle, nous saurons à quels saints elles
appartenaient. « Sous l'image de la Bienheureuse Vierge repo-
sent les trois soldats qui furent les compagnons de saint Vic-
tor et martyrs avec lui: Félicien, Alexandre et Longin(2) ».
Voilà les reliques que l'autel Notre-Dame renfermait. L'auteur
de V Essai historique, M. l'abbé Verlaque et Eothen se sont
donc trompés. Nous préférons l'opinion de M. André: « Les
restes vénérés des quarante martyres étaient devant l'autel de
Notre-Dame de Confession (3) ». Et l'opinion de M. Rey qui dit
également : « Les corps des quarante victimes des Sarrasins,
que le peuple appelle du nom expressif de desnarrados Jurent
ensevelis dans l'église inférieure de Saint- Victor. Ils y repo-
saient dans le sol, sous le dallage, à l'entrée de la chapelle
de Notre-Dame de Confession (4) *. Avant la Révolution ils
étaient donc là. Les auteurs modernes le reconnaissent.
Or, pendant la Révolution les a-t-on déplacés de cet en-
droit ? A-t-on fouillé le pavé? A t- on jeté au vent, au feu, à
la mer les ossements bénis qu'il gardait depuis des siècles ?
Peut-être. Mais quel est l'auteur qui l'ait dit avec preuve à
l'appui (5) ? Quel vague souvenir a-t-on conservé de ce fait?
(1) Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Magdeleine,
par l'abbé Faillon, 1. 1, col. 54. — Kothen, op., cit. planche VI.
(2) c Sub imagine B. Maria? jacent très milites qui fuerunt socii Vic-
toria et martyres cum eo, Felicianus, Alexander et Longinus. .. »
Recueil de chartes de Dom Lefournier, t. 3 ; Archives départementales. |
(3) André, Histoire de V abbaye de Saint-Sauveur, p. 13. :
(4) Les Saints de l'Eglise de Marseille : sainte Eusébie, p. 295.
(5) Sur quinze ou vingt ouvrages que nous avons entre les mains et i
- 59 —
On a prof ané' et brûlé, nous l'acceptons, les reliques de sainte
Eusébie et d'autres saints. Leurs tombeaux étaient visibles aux
regards de tous. Mais ces reliques des quarante compagnes
d'Eusébie étaient sous le pavé, peut-être très profondément
enfouies. Elles ont pu échapper à la rage des nouveaux
yandales. Aussi nous n'hésitons pas à l'affirmer. Notre con-
viction est qu'elles s'y trouvent encore, là, sous le pavé, sous
le dallage, devant l'autel de Notre-Dame. Et ce qui nous con-
firme dans notre croyance c'est que nous nous rencontrons du
même avis que l'historien de nos Saints de Marseille, qui con-
naît bien et aime beaucoup nos cryptes, M. de Rey (1).
que nous citons Je long de ce travail, il n'en est guère que trois qui
supposent que les reliques des compagnes de sainte Eusébie ont été
profanées à cette époque désastreuse. Dans quelques lignes consacrées
à sainte Eusébie par M. l'abbé Magnan, on lit : « Les cendres d'Eusébie
et de ses compagnes ont été jetées au vent, son tombeau a été arraché
do Heu qu'il occupait.» Semaine liturgique, année 1868, p. 732, t. VII.
Dans une Notice sur Sainte Eusébie, M. l'abbé Verlaque a écrit : « Le
tombeau de sainte Eusébie et celui de ses compagnes étaient placés sous
l'ancien autel de Notre-Dame de Confession.. Jusqu'en 1793 les sarco-
phages restèrent debout, mais à cette époque le vandalisme s'abattit
avec rage sur cette maison de prières... » p. 21. — L'abbé Bayle, dans
un opuscule sur Saint- Victor, se contente d'écrire : « Ses reliques (de
Sainte Eusébie) ont été profanées. » p. 127.
(1) « Us y reposaient, et peut-être ils y reposent encore, dans le sol,
sous le dallage, à l'entrée de la chapelle de Notre-Dame de Confes-
sion. » Les Saints de l'Eglise de Marseille : sainte Eusébie, p. 235.
o§*>*<*§o
SAINTE EUSÉBIE
Abbesse
ET SES 40 COMPAGNES MARTYRES
A MARSEILLE
En quel lieu et à quel endroit
elle a souffert le martyre
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
Précis Historique de la Controverse
AUTEURS QUI ONT ÉCBIT SUR SAINTE EUSÉBIE. —DEUX QUESTIONS A
TRAITER. — OPINION CONTRAIRE DE CERTAINS AUTEURS RELATIVE-
MENT A CES DEUX QUESTIONS. — MARCHE A SUIVRE DANS CE
TRAVAIL.
Nous l'avons dit, à notre avis, le monastère où sainte Eusé-
bie a passé de longues années dans la pratique de la vie reli-
gieuse était situé sur les bords de l'Hu veaune, près de la mer,
à l'endroit occupé actuellement par l'ancien restaurant Gon-
tard/Et c'est là qu'elle a été martyrisée avec ses quarante
compagnes par les Sarrasins, en 738.
Mais la question est controversée . En regard de nos obser-
vations se dressent deux négations aussi formelles.* Des
auteurs et bien nombreux soutiennent qu'il faut céder à
d'autres lieux et à une autre époque l'honneur d'avoir vu tant
de piété, de vertu et d'héroïsme. Donnons en quelques mots
le précis de cette controverse.
Quatre auteurs ont écrit sur sainte Eusébie : M. l'abbé
Nagnan, dans un travail que la Semaine liturgique inséra
jadis dans ses pages (1) ; M. l'abbé Verlaque, dans un petit
opuscule intitulé ; Notice sur la vie de sainte Eusébie,
abbesse et martyre; M. Gonzague de Rey, dans un livre bien
(1; Sainte Eusébie et ses compagnes, par l'abbé Magnan ; Semaine
liturgique, année 1868» p. 732 et suiv. — Le même auteur a écrit
quelques lignes sur le même sujet dans sa Notice sur la Croix de Saint-
André, pp. 16 et 17, et dans l'Histoire d'Urbain V et de son siècle%
p. 252.
5
— 62 —
goûté de tous : Les Saints de l'Eglise de Marseille (1);
M. Grinda, enfin, dans quelques extraits d'une monographie
de Saint-Victor, publiés dans Y Echo de Notre-Dame de la
Garde, année 1888*
Nombre d'auteurs ont effleuré aussi dans leurs ouvrages le
même sujet, le traitant d'une manière plus ou moins som-
maire. Ainsi, Chiffletius J.-J., dans son Vesuntio civitas li-
béra imperialis (2) ; le P. de Saussay , dans le Martyrologium
Gallicanum (3) ; le P. Guesnay, dans le Cassianus illustratus9
le Provinciœ Massiliensis Annales (4) ; le P. Arthur de Mones-
tier, dans le Sacrum Gynœceum (5); Mabillon, dans les Acta
sanctorum ordinis Sancti Benedicti et les Annales ordinis
Sancti Benedicti (6) ; les deux Ruffl, dans Y Histoire de Mar-
seille (7) ; H. Bouche, dans la Chorographie et l'Histoire de
Provence; Bouche, dans Y Essai sur V Histoire de Pro-
vence (%) ; le P. Lecointe, dans les Annales ecclesiastici Fran-
corum (9); le P. Denis de Sainte- Marthe, dans la Gallia
Christiana (10) ; Mgr de Belsunce, dans Y Antiquité ou la suc-
cession des évéques de Marseille ; Agneau, dans le Calen-
drier spirituel de 1759 ; le P. Saint-Alban, dans le Ca-
lendrier spirituel et perpétuel de la ville de Marseille, de
(1) Les Saints de V Eglise de Marseille, Sainte Kusébie et ses com-
pagnes, vierges et martyres, 11 oct., p. 225etsuiv. — Le même auteur
traite ce sujet dans les Invasions des Sarrasins en Provence.
(2) Chiffletius J.-J., Vesuntio civitas, etc., p. 139 et suiv.
(3) De Saussay, Martyrologium Gallicanum, Naialis Sancti An-
drœœ, pridie kalend. decembris (30 nov.). — Martyrologium Gallica-
num Supplementum,2Q nov ., Natahs Sancti Hugonis confessoris.
(4) Guesnay, S. Cassianus iUustratus, p. 475, etc. ; Provinciœ Mas-
8iliensis Annales, pp. 186 et 600.
(5) Arthur de Monestier, Sacrum Gynœceum, 30 déc.
(6) Mabillon, Act a sanctorum ordinis Sancti Benedicti,t. IV, p. 487;
— Annales ordinis Sancti Benedicti, t. II, p. 90.
(7) Antoine de Ruffi, Histoire de Marseille, p. 386. — Louis de Rufû,
Histoire de Marseille, t. II, pp. 56, 116, 120.
(8) H. Bouche, Chorographie et Histoire de Provence, t. II. —
Bouche, Essai sur l'histoire de Provence, 1. 1, p. 182.
(9) P. Lecointe, Annales ecclesiastici Francorum, t. I, ann. 536.
(10) P. Denis de Sainte-Marthe, G allia Christiana, 1. 1, Ecclesia Mas-
siliensis, col. 695, etc.
— 63 —
1719(1); Grosson, dans VAlmanaeh historique de Marseille
de 1770 (2) ; Papon, dans l'Histoire de Provence (3) ; Lautard,
dans ses Lettres archéologiques (4) ; Guindon et Méry, dans
VHistoire analytique et chronologique des actes et délibéra-
tions du corps et du conseil de la municipalité de Mar-
mite (5) ; M. l'abbé Magloire Giraud, dans sa Notice histori-
que sur la paroisse de Saint-Cyr(6) ; Bousquet Casimir, dans
La Major (7) ; André, dans Y Histoire des religieuses de
Saint-Sauveur (8) ; les mémoires de la Société archéologique
du Midi (9); Expilly, dans le Dictionnaire historique (10);
Edmond Leblant, dans les Inscriptions chrétiennes des
Gaules, antérieures au VIII9 siècle (11); Augustin Fabre, dans
les Rues de Marseille, • la Bibliothèque de Saint- Victor,
Y Histoire de Marseille et V Histoire de Provence (12); Mor-
treuil, dans la Réponse aux Observations de M. Augustin
Fabre sur l'ancienne bibliothèque de Saint- Victor (13); Mey-
nier, Anciens Chemins de Marseille ; l'abbé Daspres, dans
(1) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, par Mgr de Belsunce, t. I,
pp. toi, 258, 290. — Agueau, Calendrier spirituel, pp. 154, 381, etc.—
P. Saint-Àlban, Calendrier de 1714, p. 148.
(2) Almanach historique de Marseille, par Grosson, année 1870,
p. 74; année 1773, p. 93.
(3) Histoire générale de Provence, par Papon, t. I, p. 361.
(4) Lettres archéologiques sur Marseille, par Lautard, p. 397, etc.
(5) Guindon et Méry, Histoire analytique et chronologique des actes
et délibérations, etc., 1. 1, p. 100 ; t. Y, p. 200, etc.
(6) Notice historique sur l'église de Saint-Cyr% par l'abbé Mag.
Giraud, p. 14.
(7) La Major, par le docteur Bousquet, pp. 67, 629.
(8) Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur, par
Aûdré, p. 9.
(9) Mémoires de la Société archéologique du Midi, t. II, p. 219.
(10) Dictionnaire historique d'Expilly, verbo Marseille.
(H) Inscriptions chrétiennes de la Gaule, antérieures au VIII*
siècle, par Ed. Leblant, n' 545.
(12) Rues de Marseille, t. I, p. 282. — Observations sur la disser-
tation de M . Mortreuil intitulée a L'ancienne bibliothèque de Saint-
Victor i, p. 31 ; Histoire de Provence, t. I, p. 313; Histoire de Mar-
*ifo,t. I, p. 218.
{1$) Réponses aux Observations de M, Aug. Fabre, p. 5. — Meynier,
Anciens Chemins, pp. 43, 44.
— 64 -
sa Notice sur la paroisse de Saint-Giniez (1) ; Satirel
Alfred, dans la Banlieue de Marseille (2) ; l'abbé J.-J. Cayol,
dans Y Histoire de Saint-Loup (3) ; la Statistique des Bou-
ches- du -Rhône (4) ; Fouque, dans les Fastes de Provence (5);
Baudin, dans Y Histoire de Marseille (6) ; L. Méry, dans
Y Histoire de Provence (7); l'abbé Faillon, dans les Monuments
inédits sur le culte de sainte Madeleine (8) ; Reynaud, dans
les Invasions des Sarrasins en France (9) ; Alliez, dans
Y Histoire de Lérins (10) ; l'abbé Darras, dans son Histoire
de l'Eglise (11); Rocbacker dans Y Histoire générale de
V Eglise (12).
Mais la solution qu'ils donnent aux deux problèmes que
nous nous proposons d'étudier ici est loin d'être claire et uni-
forme. S'il s'agit de déterminer l'emplacement du monastère
où sainte Eusébie a vécu et souffert le martyre, Chifflet,
Arthur de Mo nés tiers, de Saussay, Mabillon, Guesnay, Magnaa
désignent les bords de l'Huveaune ; Ruffl, Denis de Sainte-
Marthe, Agneau, André, Daspres, Verlaque préfèrent le voisi-
nage de Saint- Victor ; Grosson assigne les Catalans ; Meynier
et l'abbé Cayol, Saint-Loup; de Rey, le Revest; Magloire
Giraud, Saint-Cyr du Var; Alfred Saurel, Guindon et Méry,
Bousquet, le bassin du carénage ; de Belsunce, Alliez, Darras,
Reinaud, Fabre, Boudin, Faillon et d'autres ne se pronon-
cent pas.
(1) Notice historique, topographique et hagiographique sur Saint-
Giniez, par l'abbé Daspres, p. 26.
(2) La Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, p. 154.
(3) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé J.-J. Cayol,
ch. 2.
(4) Statistique des Bouches-du-Rhône, t. II, pp. 324, 457.
(5) Fastes de la Provence ancienne et moderne, par M. Fouque,
t. I. p. 241.
(6) Histoire de Marseille} par Amédée Boudin, p. 116.
(7) Histoire de Provence, par L. Méry, t. II, p. 363.
(8) Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Magdéleine,
par l'abbé Faillon, 1. 1, col. 388.
(9) Reinaud, Invasion des Sarrasins en France, p. 137.
(10) Histoire du monastère de Lérins, par l'abbé Alliez, 1. 1, p. 398.
(11) Histoire générale de V Eglise, par l'abbé Darras, t. XVII, p. 14*
(12) Rocbacker, Histoire de l'Eglise; invasions des Sarrasins.
— 65 —
S'il s'agit de fixer l'époque du martyre de sainte Eusébie,
Guesnay affirme qu'il eut lieu en 477 ; M. Grinda en 497 ;
Mabillon, Belsunce, Guindon, Fabre, Fouque, Bousquet, de
721 à 735, 736, 737; lluffi, Lautard, en 867; Grosson, durant
le IX- siècle ; André, de Rey, vers 923, etc., etc. , etc.
On le voit, sur ce point comme sur l'autre, le désaccord ne
peut être plus tranché.
A nous donc de faire la preuve de nos deux affirmations et
de réfuter les assertions opposées.
Voici la marche que nous nous proposons de suivre. Deux
questions sont à examiner: en quel lieu sainte Eusébie a
souffert le martyre, et à quelle époque cet événement s'est
passé.
Pour traiter la première question avec ampleur, nous cite-
rons les témoignages des auteurs d'une opinion contraire à la
nôtre ; nous discuterons ensuite les objections qu'ils fournis-
sent contre nous, et, enfin, nous établirons notre opinion sur
des preuves négatives et positives.
Pour traiter la seconde, nous suivrons une méthode identi-
que. Après avoir cité les auteurs opposés à notre sentiment
et discuté la valeur de leurs témoignages, nous réfuterons
leurs objections, nous établirons ensuite notre thèse ; enfin
nous tirerons nos conclusions.
Une fois de plus, que la chère sainte Eusébie nous vienne
en aide !
■**"*'na/\AAA/\AAAAAaa^*~— .
PREMIÈRE QUESTION
En quel endroit Sainte Eusébie a souffert
le martyre
PEEIOÈBE PAETIE
RÉFUTATION DES AUTEURS
PREMIÈRE SECTION
Exposition des Objections et Questions Préliminaires
CHAPITRE PREMIER
Les Auteurs contraires à notre opinion
AUTEURS CONTRAIRES A NOTRE OPINION. — LE8 DEUX RUPFI. — GROS-
SON. — P. 8AINT-ALBAN. — AGNEAU. — LAUTARD. — GUINDON ET
IfÉRY. — L'ABBÉ MAGLOIRE GIRAUD. — MEYNIER. — ANDRÉ. — L'ABBÉ
CAYOL. — L'ABBÉ DASPRES. — SAURBL. — LA « GALLIA CHRISTIANA ».
— L'ABBÉ VBRLAQUE. — LES BOLLANDISTES.— M. DE REY. — RÉSUMÉ
DBS OBJECTIONS.
Nous allons citer le témoignage des auteurs d'une opinion
contraire à la nôtre, en commençant par Ruffi (Louis de). Il
s'exprime en ces termes :
« Une des chartes que j'ai citées ci-dessus, pour prouver
que Cassien avait été le fondateur de ce monastère, marque
que cet édifice était situé au pied de la montagne de la Garde,
et il est certain qu'il était au même lieu où nous avons vu la
chapelle de Sainte-Catherine, qui n'était guère éloignée du
monastère de Saint-Victor, et qui fut démolie en 1685 pour y
bâtir le Canal et quelques édifices à l'usage des galères. Car
— 70 —
ce qui fortifie ce que je viens de dire c'est que depuis environ
quelques années que Ton creusait les fondements de la maison
que Ton construisait pour y fabriquer la poudre, on décou-
vrit quantité de tombeaux en pierre de taille, faits en forme
de caisse, avec leurs couvercles, qui étaient remplis d'osse-
ments, parmi lesquels on en trouva un qui était fort avant
dans la terre, où il y avait au-dessus une petite pierre de
marbre qui contenait cette épitaphe :
HIC REQUIESCET BONE
MEMORIE EUGENIA ANCILLA DEr
CUI VEXIT ANNUS ZZXXVI RECESS1T
VI NONAS MARSIAS
C 0 3
« Tous ces tombeaux marquaient que ce lieu était ancien-
nement un cimetière et que c'étaient des religieuses qu'on y
avait ensevelies. Elles ne peuvent être que celles dont nous
parlons ; puisqu'on ne trouve point qu'il y ait dans Marseille
des religieuses si anciennes que celles-ci On découvrit
aussi au même endroit quelques fondements d'un grand édifice
extrêmement épais qui marquaient une très grande antiquité
et même on y découvrit quelques masures d'un presbytère,
qui fournait du côté du levant.
« A tous ces raisonnements j'ajouterai l'autorité de deux
chartes des années 1431 et 1446 qui font foi que, lorsque le
monastère de Saint-Victor fut détruit par les Vandales, il y
avait tout proche un autre monastère qui ne peut être que
celui-ci. De sorte qu'on ne peut plus douter que ce monastère
ne fût situé en cet endroit, et non pas au quartier de Saint-
Loup, ni à celui de Saint-Marcel, ni encore moins à l'embou-
chure de THuveaune, ni sur les bords de la mer, comme
quelques-uns l'imaginent, à cause qu'on y voit paraître des
masures d'une église qui appartient aux religieuses de Saint-
Sauveur et qu'on appelait anciennement Notre-Dame de i'Hu-
veaune.. .
a II n'y a pas apparence que Gassien ait bâti un monastère
de filles si loin de la ville, et sur le bord de la mer, pour né
— 71 —
pas les exposer aux incursions des pirates qui faisaient alors
de fréquentes courses en ces mers, ni qu'il les eût logées dans
l'intérieur du terroir, puisqu'il pouvait les placer plus proche,
et dans un lieu aussi solitaire qu'il pût souhaiter. Car la
montagne de la Garde était toute couverte de bois de haute
futaie qui la rendaient obscure et extrêmement propre à la vie
solitaire dont Cassien faisait profession.
« Mais, comme il fonda l'abbaye de Saint-Victor, il voulut
bâtir proche de cette maison et à une distance proportionnée
ce monastère de filles, afin qu'elles pussent alors commodé-
ment entendre la messe dans l'abbaye de Saint-Victor, parce
que en ce temps- là les religieuses n'avaient point encore
d'églises pour y faire célébrer les saints mystères ainsi que
nous l'apprenons de saint Jérôme, qui exhorte les religieuses
à ne point sortir de leur monastère pour aller à l'église qu'en
compagnie de leur supérieure. En effet, sainte Paule, après
avoir fait construire à Bethléem un monastère d'hommes,
fonda trois monastères de filles, qui allaient tous les diman -
ches à la messe, à l'église la plus proche de leur monastère,
sous la conduite, de leur abbesse. Quelque temps après les
religieuses eurent des oratoires dans leurs monastères pour y
faire célébrer le service divin, et ne commencèrent à bâtir des
églises publiques qu'après l'an 817, comme il est facile de le
conjecturer d'après le concile d'Aix-la-Chapelle. Ces autorités
et ces exemples fortifient toujours davantage la situation de
cette maison en cet endroit.
« D'ailleurs, il y a lieu de croire que Cassien, qui vivait du
temps de sainte Paule et qui avait demeuré pendant cinq
années dans son monastère de Bethléem, jugea à propos d'in-
troduire dans les deux maisons qu'il fonda en cette ville la
même façon de vivre. . . Il n'aurait pas osé bâtir si loin un
monastère de filles* qui île gardaient point la clôture, pour ne
pas les hasarder à mille inconvénients, d'autant plus que
nous ne trouvons pas de titres si anciens qui nous fassent
savants qu'avant ce temps-là il y eût quelque église en ces
quartiers, où elles pussent entendre la messe.
« Il voulut encore en cette occasion suivre l'avis de saint
Jean Chrysostome qui porte que les monastères ne doivent
- 72 —
point être écartés des villes, afin qu'ils ne fussent point éloi-
gnés des commodités de la vie, dont ils ne peuvent se passer.
Mais une des principales raisons qui obligea ce bon Père de
faire bâtir le monastère en cet endroit, fut afin d'avoir moyen
de visiter plus souvent ses filles, pour les instruire et les
consoler dans leurs besoins spirituels (1). »
Voici ce qu'Antoine de Ruffl, père du précédent, avait écrit
sur le même sujet (2) :
« Quelques auteurs ont pensé que le monastère était aux
bords de l'Huveaune, à quoi l'on ajoute qu'il fut transféré dans
la ville, au lieu où il estaujourd'hui, après qu'il eut été rava-
gé par les Sarrasins, et que les religieuses, à l'exemple de leur
abbesse Eusébie, se coupèrent le nez . Cette tradition (que le mo-
nastère était à l'Huveaune) n'est appuyée sur aucun monument
ni vieille écriture qui en parle clairement, se trouve fortifiée
par plusieurs conjectures. Aux premiers siècles on bâtissait les
monastères en lieu écarté, hors de l'enceinte des villes, si bien
que Gassien, qui fut le fondateur et qui faisait profession de
vie solitaire, voulut bâtir cette maison en ce lieu écarté.
« De plus, l'inscription de l'abbesse Eusébie qui est dans
l'église inférieure de Saint-Victor nous marque que cette
illustre femme était une abbesse du monastère sous le titre de
Saint-Quirice Saint-Sauveur était hors de la ville, il por-
tait le nom de Saint-Quirice. Il garda les reliques de saint Cyr
en vénération et, après qu'il eut été détruit, les religieuses
vinrent en ville, y portèrent les reliques portées en ce pays
au V* siècle par Amator, évoque d'Auxerre, et, pour quelque
raison que nous ne connaissons pas, ce monastère changea le
nom de Saint-Cyr en celui de Saint-Sauveur. Quant à dire où
était ce monastère, nous ne tenons cela que par tradition.
J'estime que ce monastère était ou à Saint-Loup ou à Saint-
Marcel, d'autant que les religieuses possèdent des biens et deux
propriétés. Ceux-là se trompent qui disent qu'il se trouvait h
l'Huveaune, à cause des masures d'une vieille église appelée
anciennement Notre-Dame-d'Huveaune. »
(1) Ruffi (Louis de), Histoire de Marseille, t. II, p. 56 et suiv.
(2) Histoire de Marseille, par Antoine de Ruffl, pp. 386, 401 ; ouvrage
imprimé par Claude Garciu, en 1642, à Marseille.
— 73 —
Grosson, dans VAlmanack historique de 1770, s'exprime
sur ce sujet en ces termes :
« L'abbaye royale de Saint-Sauveur. Cette ancienne abbaye
de Cassianites fut fondée par Cassien en 420, en même temps
que Saint -Victor, dans la forêt sacrée, à quelque distance du
couvent de cette première abbaye. Il y a lieu de croire que
c'était vers l'endroit où se trouvent aujourd'hui les Infirmeries
Vieilles, sous la citadelle de Saint-Nicolas, et non pas à l'em-
bouchure de l'Huveaune, comme quelques-uns l'ont dit. Ce
dernier monastère était une abbaye des Prémontrés qui ne
fut établie que longtemps après. Ce monastère fut d'abord
dédié à saint Cycirius. Elles sortirent de ce local par la persé-
cution des Sarrasins. Vers Tan 737, elles furent plus près de
Saint- Victor et ensuite aux Accoules, puis au local actuel,
qu'elles firent élever sur les ruines de l'ancien Marseille (1). »
A la page 75 de VAlmanach de 1774, Grosson ajoute :
« Ceux qui penseraient que les religieuses cassianites, au-»
jourd'hui à Saint -Sauveur, avaient autrefois le monastère à
l'Huveaune et qui leur attribuent les restes des édifices que
Ton aperçoit encore en ce lieu, seraient bien aises d'apprendre
que ces restes sont les ruines de l'abbaye des Prémontrés qui
fut bâtie en 1203. La charte dit : de novo œdificare, ce qui
supposerait que les Prémontrés y avaient déjà une église (2). »
Le P. Saint-Alban, dans son Calendrier spirituel et perpé-
tuel de la ville de Marseille, en 1713, écrit, en parlant de
Saint-Tronc :
« 11 y avait autrefois en cet endroit un couvent de reli-
gieuses de Saint-Benoit. On y voit encore des masures de leur
église (3). »
Agneau, dans son Calendrier spirituel, en 1759, écrivait à
son tour :
« L'an 420, Cassien établit le deuxième monastère pour des
religieuses qui prirent aussi la règle de saint Benoit, et qui
était situé au pied de la montagne de la Garde, où était la
chapelle de Cassien, tout auprès le monastère de Saint-Victor,
(1) Grosson, Abnanach historique de Marseille, année 1770, p. 74.
(2) Grossdû, Abnanach historique de Marseille, année 1/74, p. 75;
(3) P. Saint-Alban, Calendrier spirituel et perpétuel^ p. 176.
— 74 —
laquelle fut démolie en 1685 pour l'usage des galères. C'est
l'abbaye antique de Saint-Sauveur qui, après avoir souvent
changé de place, a été fixée à l'endroit où elle est mainte-
nant (1). »
Après Agneau, Lautard. Cet écrivain, dans son ouvrage
intitulé : Lettres archéologiques sur Marseille, suit pas à pas
Iluffi et le copie presque mot à mot, sans indiquer cependant
qu'il lui emprunte deux pages de son-Histoire de Marseille.
Puisqu'il n'apporte d'autres raisons que celles mentionnées
dans Ru fû, nous nous dispenserons de transcrire son texte. Ce
sont les pages 398, 399, 400, 401 de ses Lettres.
MM. Guindon et Méry, dans le V* volume de Y Histoire ana-
lytique et chronologique des actes et délibérations du corps
et du conseil de la Municipalité de Marseille (2), disent :
« On ignorait encore, il y a quelques années, le lieu où la
première maison claustrale avait été située. Les uns la pla-
çaient à l'embouchure de l'Huveaune, les autres dans l'inté-
rieur de la ville. Rufli, dans son Histoire de Marseille, se
rapproche le plus de la vérité. Il suppose que le couvent des
Cassianites se trouvait dans le voisinage du monastère de
Saint- Victor. La découverte d'une inscription sur marbre faite
dans le courant du mois de juillet 1833, en creusant le bassin
du carénage, a dissipé tous les doutes à cet égard et démontré
que la première demeure des religieuses s'élevait au bord et
près du port, à l'endroit même où le bassin du carénage a été
creusé.»
Le chanoine Magloire Giraud, le savant curé de Saint-Cyr,
dans le Var, ayant eu à s'occuper, dans ses études sur le
Beausset, Taurœntum et Saint-Cyr, du martyre de sainte
Eusébie, a écrit ces deux pages que nous empruntons à sa
Notice sur Saint-Cyr :
a Ce serait le lieu d'examiner ici si ce ne serait pas à
Saint-Cyr même que se trouvait ce monastère, monasterium
sancti Cyricii, où Sainte-Eusébie passa cinquante ans,
(1) Agneau, Calendrier spirituel, p. 154.
(2) Guindon et Méry, Histoire analytique et chronologique des actes
et délibérations du corps et de la municipalité de Afarseille, U V,
p. 200.
— 75 —
comme l'indique l'épithaphe de son tombeau déposé autrefois
dans l'église de Saint-Victor..., monastère que des écrivains
ont confondu, sans autre preuve que cette inscription, avec
cet autre monastère fondé en 420 sous l'invocation de la
Sainte Vierge par l'illustre Cassiçn, auprès de son abbaye et
sur l'emplacement duquel les auteurs sont si peu d'accord,
puisque lea uns le placent à l'embouchure de l'Huveaune, les
autres au pied de la colline de No tre-Dame-de- la-Garde, qui
à Montredon, qui aux Vieilles Infirmeries ou au local de
l'ancienne chapelle de Sainte- Catherine, qui enfin et avec
plus de raison au bassin du carénage ; tandis que d'autres se
bornent à dire qu'il était situé, ceux-ci à Marseille, ceux-là
dans la campagne de cette ville, non loin de l'église de Saint-
Victor. Mais les limites de cette notice ne nous permettent
pas de discuter cette question.
« Qu'il nous suffise de faire remarquer que : 1* le tombeau
où forent déposés les restes de sainte Eusébie, de l'aveu de
tous, ne fut pas fait pour elle, il lui est antérieur de deux
cents ans ; 2° que l'inscription n'indique pas que cette
religieuse souffrit le martyre ni qu'elle fût abbesse ; 3° qu'au-
cun monument historique ne prouve que le célèbre monastère
de femmes fondé par Cassien, auprès de son abbaye, d'abord
détruit par les Normands en 867, saccagé par les Sarrasins en
923, réédifié en 1031 par les vicomtes Guillaume et Fouques,
réparé en 1060 par Pons II et son père Geoffroy, rien ne
prouve que ce monastère où Saint-Césaire plaça sa sœur
sainte Gésarie ait jamais porté le nom de Saint-Cyr, bien que
le culte de ce glorieux martyr y ait été en grande vénération.
L'inscription dont il s'agit est la seule preuve qu'on invoque,
et cette preuve est plus qu'incertaine, s'il est vrai qu'avant
la destruction de Taurœntum, vers le milieu du IX' siècle,
il existait près du village de Saint-Cyr, au quartier rural
qui porte encore le nom de la Mure (villa murata), un
monastère de femmes dont on désigne l'emplacement et dont
il reste la tour, qui est de beaucoup antérieure à la destruc-
tion de la ville phocéenne (Taurœntum.)
« Or, l'existence d'un monastère de femmes près l'ancienne
chapelle de Saint-Cyr, laquelle était une dépendance de
— 76 —
l'abbaye de Saint- Victor, est un fait attesté par la tradition
locale et par les débris qui ont survécu aux ravages des temps
et des hommes.
« Ce fait semble déterminer à Saint-Cyr môme remplace-
ment du monastertum sancti Cyricii où sainte Eusébie
vécut cinquante ans (1). »
Dans les Anciens Chemins de Marseille, par Meynier,
voici ce que l'on lit (2) : « Avant de terminer ce qui a trait à
l'Huveaune, il reste à parler de son embouchure, à cause
d'un établissement qui a donné matière à bien des contro-
verses, le couvent des Gassianites. La première de ce3 maisons
fut édifiée près de Saiut-Victor ; quant à la seconde, celle
qui est admise par les uns et contestée par les autres, celle-là
a eu sa place à l'embouchure de l'Huveaune. Il a été déjà dit
qu'il y avait près de Saint-Loup un couvent de femmes qui
existait à l'époque des Sarrasins. Ceci repose, non point sur
une tradition vague et générale, mais sur une tradition
constante et accréditée depuis longtemps. Ce couvent était
situé au pied de la montagne de Saint-Cyr, nom que les
Cassianites ont porté au VP siècle : on les appelait religieuses
de Saint-Cyr. D'un autre côté, il est dit que ce monastère
était situé à l'embouchure de rHuveaune. Peut-on concilier
ces deux opinions si diverses ? Il le semble.
a En examinant la plaine de Saint-Giniez, les amas de
sables accumulés sur divers points, la marche lente de la
rivière, on arrive à reconnaître que des atterrissements consi-
dérables se sont formés sur ce point. La mer a perdu là ce
qu'elle a gagné à la plage de Séon. On peut admettre que
cette plaine était un vaste étang, peut-être ce port de Léonium
qui existait au IXe siècle et dont il est parlé en son lieu. Gela
posé, l'embouchure de rHuveaune peut être placée non loin
du Rouet. Maintenant, de ce point à celui indiqué par les ruines
du couvent, il reste bien 2,000 mètres, mais rien n'indique
que cet édifice a été considéré comme exactement placé à
l'embouchure de la rivière. A l'endroit où l'Huveaune se jette
(1) Notice historique sur l'église de Saint-Cyr (Var), par l'abbé
Magl. Giraud, p. 14 et suiv.
(2) Meynier, Anciens Chemins de Marseille, pp. 43,44.
— 77 —
actuellement à la mer, il y avait les ruines du couvent
regardé comme étant la deuxième maison fondée par les
Cassianites. On reconnut plus tard que ce couvent avait
appartenu aux Prémontrés, (la fondation de cet ordre remonte
au XII* siècle) et alors de dire que les Cassianites n'avaient
jamais eu d'établissement dans cette contrée. Grosson vint
visiter les ruines, partagea l'opinion des opposants et avec
beaucoup de vivacité.
« Toutefois le fait est appuyé par trop d'auteurs pour le
rejeter avec assurance.
« A l'époque où Guesnay écrivait, si on avait songé que
l'embouchure de THuveaune a pu être déplacée, si on avait
tenu compte des ruines peu éloignées du Rouet, de la tradition
constante sur ce fait, on aurait reconnu que si les Prémontrés
ont pu en 1204 fonder ce couvent à cet endroit, rien ne
s oppose à ce que, en 410, Cassien l'ait fondé à l'embouchure
primitive. »
Nous rencontrons, parmi les adversaires de notre opinion,
l'auteur de la monographie intitulée : La Major, cathédrale
de Marseille, M. Casimir Bousquet. Cet auteur, après avoir
dit dans son ouvrage, sur la foi de l'historien Papon, que le
couvent des religieuses de Saint-Sauveur, fondé en 410 par Cas-
sien, était situé à l'embouchure de l'Huveaune, s'en prend à
cet auteur de l'avoir induit en erreur, et il ajoute :
« Papon a cru devoir admettre l'existence simultanée de
deux couvents de femmes. Mais, pour que ce système eût
chance de prévaloir, il n'aurait pas fallu que cet auteur avouât
naïvement, dans le deuxième volume de son Histoire, qu'il
n avait pas été admis à consulter les archives de Saint- Victor.
Cet aveu contient sa condamnation. Si Papon avait eu accès à
ces archives de l'abbaye, il aurait sans doute su que rem-
placement du monastère cassianite est parfaitement désigné
dans le cartulaire de Saint-Victor. « Pater Cassianus, y est-il
« dit, f unda vit monasterium monialium non longe a ripa portus
a juxta viam de Gardiâ. » Voilàqui est clair, ce nous semble.
Kuffl, Belsunce, Grosson, Augustin Fabre, Lautard sont dans
terrai en affirmant que le premier couvent des dames de
Saint-Sauveur était situé près de l'abbaye de Saint- Victor, au
6
— 78 —
pied de la montagne de la Garde. Au surplus, une découverte
faite en creusant le bassin du carénage vient confirmer plei-
nement le texte du cartulaire, ainsi que l'opinion de Ruffi
au sujet de l'existence du couvent des religieuses cassianites
dans le voisinage de l'abbaye. Une inscription tumulaire,
trouvée en juillet 1833, démontre que la première demeure
de ces religieuses s'élevait au bord et près de l'embouchure
du port de Marseille (1).-»
L'auteur de l'Histoire de l'abbaye de Saint-Sauveur,
M. André (2), parlant du second monastère fondé par Cassien,
dit « qu'il fut construit dans le voisinage de Saint-Victor,
non loin de la rive du port. » Toutefois la plus grande incer-
titude a régné parmi les historiens sur la position de ce
monastère. André cite alors Ruffi, Grosson et Guindon et
Méry. Puis il ajoute :
« Il serait difficile de déterminer d'une manière précise la
position de la première demeure des Cassianites; nous savons
seulement qu'elle n'était pas éloignée de la rive du port. (En
note les chartes de 1431 et 1446.) L'opinion de Ruffi nous
parait parfaitement correspondre aux termes d'une charte du
XI* siècle (la charte 40 du cartulaire de Saint- Victor), dans
laquelle il s'agit d'une vigne qui confronte du levant le che-
min du Lauret, du septentrion la terre de Sainte-Marie ou
des religieuses qui sont proche la rive du port , dans le monas-
tère fondé par Cassien, et confronte également au couchant le
chemin de la Garde. »
L'abbé J.-J. Cayol, dans son Histoire du village de Saint-
Loup près Marseille, a efileuré quelque peu notre sujet. Il
a écrit :
« On fonda ( au quartier de Saint-Tronc ) un couvent de
religieuses qui existait encore en 1240. Une charte de Saint-
Victor dit formellement que le 6 octobre 1240, Raymond
Béranger, roi d'Aragon et comte de Provence, prit sous sa pro-
tection la terre des religieuses de Carvillian, ortum monia-
lium de Carvilliana. . . . Quelques antiquaires croient que le
(1) La Major, parle docteur Bousquet, p. 623.
(2) Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur de A/ar-
seilley par M. André, p. 2, etc.
— 79 —
m
couvent de Sainte-Marie était une annexe de celui de Saint-
Sauveur, et que c'est peut-être là qu'habitaient les des-
narrados (1). a
L auteur de la Notice sur Saini-Giniez, le regretté M. le
chanoine Daspres, est loin d'avoir soutenu notre opinion (2).
G eût été cependant travailler à la gloire de sa paroisse que de
chercher à prouver qu'elle était bien fondée. Mais, après
avoir avoué que la plus grande incertitude règne parmi les
historiens sur la position de cette fondation, il ajoute qu'il se
doit à la vérité et qu'il suit l'opinion de Rufii. Il énumère les
raisons que Ruffi a alléguées, il cite l'opinion de Grosson, de
Guindon, et termine en disant :
a Ce qui parait incontestable, c'est que ce monastère était
près du port, car une charte du XI" siècle (charte 40) parle
d'une vigne qui confronte au nord la terre des religieuses, qui
sont proche la rive du port, dans le monastère fondé par
Cassien...
« Une seule chose cependant pourrait nous mettre en consi-
dération, ce serait la tradition constante et universelle de ceux
qui se souviennent encore avoir vu la chapelle de Notre-
Dame d'Huveaune ; ils ne la dénomment jamais que sous le
titre deis desnarrados. Mais nous trouvons l'explication de
cette tradition dans la prise de possession de cette chapelle par
les religieuses cassianites de Saint-Sauveur au XV? siècle. La
légende populaire put facilement attribuer à ce lieu ce qui
n'appartient qu'à la congrégation et, en effet, partout où il y a
eu un monastère de religieuses, on place aussi ce glorieux
fait. »
Alfred Saurel, dans sa description de La Banlieue de
Marseille (3), écrivait en ces termes sur ce sujet :
* D'après Papon, Guesnay, Denis de Sainte- Marthe, c'est
dans le monastère qu'elles habitaient, près de l'embouchure
(1) Histoire du quartier de Saint-Loup, banlieue de Marseille, par
l'abbé J.-J.CayoJ, chap. II. pp. 13, 15, 26.
(2) Notice historique sur Saint-Ginies, par l'abbé Daspres, ch. 111,
p. 26, etc.
(3) La Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, Saint-Ginies ,
p. 151, etc.
— 80 — .
• *
de PHuveaune, qu'Eusébie et ses compagnes se sont volontai-
rement défigurées. D'autres historiens, tels que Ruffî, Grosson,
Fabre et ceux qui écrivent de nos jours, démontrent que ce
monastère se trouvait à l'entrée du port de Marseille. Le
document que nous citons avec d'autres est assez précis pour
arrêter toute discussion : a Pater Cassianus fundavit monas-
« terium monialium non longe a ripa portus, juxta viam de
« Gardia. »
a Une découverte faile en juillet 1833, quand on creusa le
bassin du carénage, est concluante. C'est une inscription
tumulaire qui n'est autre que l'épitaphe d'Eusébie et de ses
compagnes. Le nom des desnarradoa qui est resté aux ruines
que Ton voyait à l'embouchure de la rivière n'est donc pas
suffisant pour justifier la version de Papon. Les dames de
Saint-Sauveur ayant reçu en don les ruines de ce monastère
en 1407, le peuple désigna cette nouvelle possession du nom
qui était encore donné aux religieuses de l'ordre auquel sainte
Eusébie avait appartenu. »
La Gallia Christiana, du P. Denis de Sainte- Marthe, s'occu-
pant aussi de l'emplacement du monastère cassianite, s'ex-
prime en ces termes :
« L'abbaye de Saint-Sauveur fut fondée à Marseille par
Paint Gassien, auprès du cœnobium de Saint-Victor, et non
pas à l'endroit que Guesnay lui assigne. Ruffi, en effet, a vu
dans le cartulaire deux chartes qui affirment que ce monastère
de femmes se trouvait au pied de la montagne de la Garde, à
l'endroit où en 1685 on découvrit des tombeaux avec l'inscrip-
tion d'Eugenia. Les deux chartes de 1431 et 1446 confirment
cette assertion, puisqu'elles disent que lorsque le monastère de
Saint-Victor fut détruit par les Vaudales, il y avait auprès un
monastère de vierges que Cassien avait fondé (1). »
L'abbé Verlaque, qui a écrit la Notice sur sainte Eusébie^
a dit :
a Plusieurs auteurs n'étant pas d'accord sur l'emplacement
de ce monastère, nous n'entrerons pas dans une discussion
qui nous mènerait trop loin. Cependant, Popiniori la plus
(1) Gallia Christiana, 1. 1, Eccleeia Mas8iliensi8t col. 693.
— 81 —
accréditée sur ce sujet est que l'abbaye de Saint-Sauveur fut
bâtie au pied de la montagne de Notre-Dame de la Garde, sur
l'endroit même où se trouve aujourd'hui le bassin du carénage.
D'autres veulent qu'elle ait été établie là où se trouve actuelle-
ment la Major et, comme appui, ils signalent un passage
souterrain qui existait entre la Major et Saint- Victor. Or, les
fouilles opérées pour le creusement du bassin de carénage
n'ont montré aucun vestige de ce souterrain (1). »
Voici le résumé de ce que les Bollandistes ont écrit sur
notre sainte Eusébie et ses trente-neuf compagnes, à la date
du 8 octobre (2) :
(Test M" de Belsuncc qui, par un décret du 27 mai 1733,
fui la fête de ces saintes au deuxième dimanche d'octobre.
Avant lui, aucune date n'était assignée. Nous ne l'avons
trouvée indiquée dans aucun martyrologe, excepté dans le
Sacrum Gynceceum d'Arthur de Monestier, qui place cette
fête au 30 décembre. Les autres martyrologes, aussi bien les
anciens que les modernes, se taisent sur ces saintes martyres.
Les écrivains môme qui parlent d'elles et racontent leur
héroïsme, ne disent pas qu'on les honorait d'un culte spé-
cial, quelques-uns môme ne les appellent ni saintes ni bien-
heureuses. Guesnay, cependant, qui écrivait quatre-vingts ans
avant le décret de M" de Belsunce, assure qu'elles étaient
honorées à Marseille. Il est assez difficile d'admettre, en effet,
qu'une mort si héroïque, un vrai martyre, n'ait attiré à celles
qui l'ont subie une vénération spéciale. Cependant, nulle
part on ne trouve les actes de cette passion, la tradition seule
en fait mention.
£n quel endroit ont-elles souffert le martyre ? Sans
contredit dans le monastère dont Gennade parie dans ses
écrits. L'emplacement primitif de ce cœnobium est un objet
de discussion. Qui le place auprès de Saint- Victor, qui le
relègue loin de la ville. Guesnay dit qu'il s'élevait sur les
bords de l'Huveaune, Belsunce et Denis de Sainte-Marthe disent
(1) Notice sur sainte Eusébie, abbesse et martyre du diocèse de
Marseille, par l'abbé Verlaque, p. 8.
(2) Acta Sanctorum, Bolland. t. IV, d'octobre, p. 292, Sainte Eusé-
bie et ses compagnes.
— 82 —
près de la ville. Cependant il se trouvait certainement hors de
la ville, lorsque Eusébie était abbesse et lorsqu'elle souffrit
avec ses compagnes.
Nous terminerions volontiers ces citations par un emprunt
fait au livre de M. de Rey sur les Saints du diocèse de
Marseille, au chapitre de sainte Eusébie. Mais il faudrait tout
citer. Nous devons donc nous contenter de l'analyser :
Où se trouvait ce monastère cassianite, se demande M. de
Rey ? Suivant les uns, à Saint-Cyr près Saint-Loup ; avec
Ruffi il faut dire que c'était trop loin dans les bois. D'autres
l'ont placé à l'embouchure de THuveaune. Quoiqu'il y ait
eu en cet endroit une église et une maison anciennement,
et dont l'histoire est inconnue, il ne paraît pas qu'avant
le XI* siècle les Cassianites aient rien possédé à l'embou-
chure de l'Huveaune et la tradition locale sur sainte Eusébie
ne peut être plus ancienne. Ce monastère était près du port,
la charte du XIe siècle le dit. Puis, s'efforçant d'être plus précis,
M. de Rey arrive de déduction en déduction à fixer la position
du monastère au Revest,' quartier de Rive-Neuve.
Tels sont les auteurs qui sont opposés catégoriquement à
notre thèse. Il en est d'autres, certainement, qui se sont occu-
pés de la même question, et qui sont aussi d'un avis contraire
au nôtre sur l'emplacement du monastère où vécut sainte
Eusébie. Nous ne les connaissons pas. D'ailleurs, la liste de
ceux que nous avons cités est déjà bien longue, et il n'est
guère probable que l'on puisse apporter contre notre thèse
d'autres arguments que ceur dont nous avons fait rénu-
mération.
Mais il n'a pas échappé à l'attention de nos lecteurs que
parmi les écrivains cités, beaucoup se sont copiés les uns les
autres, et que, partant, les mêmes objections ont plusieurs
fois défilé devant leurs yeux.
Nous en faisons donc un résumé succinct :
Suivant Ruffi (Louis de), la Gallia christiana. Agneau,
La u tard, André, l'abbé Daspres, le monastère cassianite se
trouvait au pied de la montagne de la Garde, dans le voi-
sinage de l'abbaye de Saint-Victor. Voici les raisons que tous
-83-
ces auteurs ou quelques-uns d'entre eux ont données de leur
assertion.
Ma charte 40 du cartulaire de Saint- Victor l'affirme;
2* en 1685, on a trouvé à l'endroit où s'élevait la chapelle de
Sainte-Catherine des tombeaux et une inscription ce d'Eugenia
ancilla Dei* ; 3° les chartes de 1431 et 1446 disent que,
lorsque Saint- Victor fut détruit par les Vandales, il y avait
tout auprès un monastère qui ne peut être que celui des
religieuses de Gassien ; 4* Cassien ne pouvait établir ce monas-
tère si loin de la ville, sans exposer ces saintes filles aux
incursions des barbares ; 5* ces saintes filles n'auraient pu
assister à la messe le dimanche, puisqu'il n'y avait pas
d'église en ce quartier de l'Huveaune et qu'elles n'avaient pas
de chapelles particulières; 6* Cassien voulut suivre l'avis de
saint Jean Chrysostome, qui porte que les monastères ne
doivent pas être loin des villes, pour ne point être privés des
commodités de la vie dont on ne peut se passer; 7* parce
qu'il voulait visiter plus souvent ces religieuses, les instruire
et les consoler dans leurs besoins spirituels.
Grosson place l'abbaye aux Catalans. Il ne donne aucune
preuve de son assertion.
Guindon, Saurel, Bousquet, Verlaque désignent le bassin du
carénage comme l'emplacement de ce monastère. A leur avis,
la découverte que l'on fit, en 1833, d'une inscription, et le
texte de la charte 40 du cartulaire de Saint- Victor le prouvent
suffisamment.
Suivant M. de Rey, l'abbaye cassianite aurait été au
quartier du Revest, vu l'impossibilité de la placer ailleurs ;
et parce que, d'après une charte de 1081, ce point appartenait
à Saint-Victor.
L'abbé Magloire Giraud place cette abbaye Sancti Cyricii
à Saint-Cyr dans le Var, la paroisse dont il était curé, parce
qu'une tradition locale indique la présence d'un ancien
monastère de Saint-Cyr, et que l'on a confondu à tort le
monastère de Saint-Cyr où vivait sainte Eusébie avec celui
que saint Cassien a fondé à Marseille.
L'abbaye cassianite est à Saint-Loup, au quartier de
Saint-Cyr, a soutenu l'abbé Cayol, un enfant de Saint-Loup,
— 84 —
et avant lui Antoine de Ruf fi, le P. Saint-Alban et Meynier.
La raison est que en 1240 il y avait là un couvent de reli-
gieuses, et que celle-ci y possédaient des biens.
D'aucuns affirment qu'elle s'élevait aux environs de la Ma-*
jor ; Grosson et l'abbé Yerlaque mentionnent cette opinion,
sans la soutenir.
MM. D as près, Saurel, Bousquet, etc., disent que le nom de
de8narrado8 que l'on donne à la chapelle en ruines située à
l'embouchure de l'Huveaune ne constitue pas une raison
suffisante pour affirmer que le monastère de sainte Eusébie
était aux bords de l'Huveaune.
Ce sont ces objections que nous allons combattre et tâcher
de résoudre.
CHAPITRE II
Divers emplacements du monastère cassianite
Première question préjudicielle
LE MONASTÔBB CASSIANITE DE FILLES, AUX ACCOULES, EN 1077, — A
LA PLACE DE LENCHE, A SAINT-8AUVEUR, EN 1073, — AUX ACCOU-
LBS, EN 1069, —A LA PLACE DE LENCHE, EN 1050, — AUX ACCOULES,
EN 1031, — A LA PLACE DE LENCHE, EN 1004, — PRÈS DE SAINT-
VICTOR, A SAINTE-CATHERINE, EN 923, — A UNE TERRE NON LOIN
DU PORT, SUR LE PLATEAU DE REVBST, EN 838, — AUX BORDS DE
L'HUVBAUNB, VERS 738, — A l'huveaune, LORS DE SA PONDATION.
Nous devons, avant d'engager la discussion, établir d'une
manière solide, comme préliminaires, trois propositions qui
seront autant de jalons autour desquels elle roulera, autant
de bases sur lesquelles s'appuieront nos arguments.
D'abord, le monastère des femmes et des filles fondé par
Cassien, vers 415, a changé souvent d'emplacement.
La plupart des auteurs sont d'accord avec nous sur les don-
nées générales de ce changement. Ruffi (1) place le monastère
au pied de la montagne de la Garde, au même endroit oii l'on
a vu plus tard la chapelle de Sainte-Catherine, démolie en
1685 ; puis en ville, à la place de Lenche.
Monseigneur de Belsunce (2) dit que l'abbaye de Saint-Sau-
veur, après avoir souvent changé de place, a été fixée enfin
dans l'endroit où elle est actuellement, à la place de Lenche.
(1) Voir ce que disent, sur ce point particulier, dans les fragments que
l'on a cités de leurs ouvrages ut supra, ch. I*p, les auteurs contraires à
notre opinion. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, pp. 57, 58.
(2) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 411.
— 86 —
Pour Grosson, c'est aux Infirmeries Vieilles, près des Cata-
lans, que s'éleva le monastère. Après 737, ce fut aux environs
de Saint- Victor, et enfin aux Accoules.
Pour Lautard (1), c'est dans le vaste quartier du territoire
situé entre l'abbaye de Saint- Victor et l'Huveaune, puis en
ville, à la place de Lenche, aux Accoules ensuite, enfin de
nouveau à la place de Lenche.
Guindon et Méry le fixent au bassin du carénage et-, après
737, aux bords de l'Huveaune (2).
M. de Rey, enfin, le place d'abord au quartier de Revest,
près de Saint -Victor, puis à la place de Lenche (3).
Mais où le désaccord commence, c'est lorsqu'il s'agit de
fixer la date, sinon précise, du moins approximative, de ces
changements. Tandis que Grosson fait sortir les Gassianites de
leur monastère des Catalans à la suite de la persécution des
Sarrasins, en 737, et les fait venir près de Saint-Victor, à
cette même époque de Belsunce les fait venir de Saint-Victor
à la place de Lenche, à la suite de ces invasions, vers 737 (4).
D'autre part Ruffi, la Gallia christiana (5), Lautard retardent
jusqu'en 867 ce transfert eu ville, André jusqu'en 1030 (6) et
M. de Rey jusqu'aux premières années après le commence-
ment du XI° siècle (7). On le voit, rien de précis.
Essayons de fixer la date de chacun de ces changements et
d'indiquer à la fois et l'endroit que l'on quitte et celui que
l'on vient habiter.
Partons d'une date certaine. Kn 1073, les religieuses habi-
(1) Lettres archéologiques, pp. 403, 434, etc.
(2) Guindon et Méry, Histoire analytique, etc., op. cit., t. V, p. 202.
(3) Les Saints de l'Eglise de Marseille, pp. 227, 235. — Invasions des
Saivasins en Provence, p. 139, etc.
(4) V Antiquité de l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 411.
(5) c Potsquam autem monasterium, illud cum Victor in o dirutum est,
non quidem a Vandalis sed potius a Normannis, incerto anno, forsan
8G7, virgines illae in urbem migrarunt, ibique Sancti Salvatoris monas-
terium sibi condiderunt... » Gallia christiana, 1. 1, col. 696.
(6) « Contrairement à ce qui a été dit sur la date du transfert des reli-
gieuses en ville, il y a lieu de croire qu'il ne s'opéra que vers Tannée
1030. » Histoire de l'abbaye de Saint-Sauveur, p. 16.
(7) Invasions des Sarrasins en Provence, p. 139.
— 87 —
tent le monastère de Sainte-Marie des Accoules dans la ville
de Marseille (1). Qu'était-ce que ce monastère ? Ce n'était pas,
à proprement parler, la demeure des religieuses. « Les reli-
gieuses de Saint-Sauveur, dit deBelsunce, avaient déjà l'église
des Accoules, et elles étaient logées dans les maisons qui en
dépendaient, en attendant qu'elles pussent retourner dans leur
monastère (2). »
C'est aussi l'avis de André, ainsi que celui de Ruffi, qui
affirme a que les vicomtes de Marseille tirent présent de
cette église des Accoules aux religieuses de Saint-Sauveur,
pour y faire leur habitation, à cause que le monastère de
Saint-Sauveur était entièrement détruit (3). »
Outre donc l'église des Accoules qui servait provisoirement
de monastère, il y avait le véritable cœnobium qui était
appelé Saint-Sauveur, c en mémoire, dit Rufîi, de ce que le
Sauveur du monde se transfigura sur une montagne (4). » Ce
monastère de Saint-Sauveur était situé dans l'enceinte de la
ville épisfcopale, en dessous des murs de la ville vice-comitale
de Marseille (5). On sait que notre cité était divisée en deux
parties : la ville épiscopale et la ville comitale, et suivant que,
dans une charte, c'est Tévôque ou le comte qui parle, Saint-
Sauveur est intra ou infra muros urbis (6).
L'emplacement précis de Saint-Sauveur était la place de
Lenche, de l'avis de tous. En 1077 donc les religieuses habi-
taient les Accoules. En 1073, y habitaient-elles déjà, ou se
(1) « Nos saoeti moniales Sanctœ Mariée ad Acua consistentes, in civi-
tate Massiliâ, vendimus Bernardo abbati et omnibus monachis in mo-
oasterio Sancti Victoris... > Gartulaire de Saint- Victor, ch. 88.
(2) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, op. cit., 1. 1, p. 412.
(S) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, pp. 50, 59.
(4) Rufli, op. cit., p. 58.
(5) c Ad cœnobium Sanctœ Maris Virginis quod est situm infra muros
Massiliâ*. » Donation de la vicomtesse Stéphanie, 1050. (André, Histoire
de Vahbaye Saint-Sauveur, p. 206.) — t Monasterium ancillarum Dei
quod est intra urbis nostrœ ambitum. » Charte de Pons II, évéque de
Marseille. (André, op. cit., p. 207.)
(6) c Donans monacharum monasterio quod in honorem DeiGenitricis
Mari» infra muros Massiliœ situm est... » Charte de donation de Déo-
' <lat, évéque de Toulon, aux Cassianites. (Cassianus illustratus, par
Guesnay, p. 570.)
— 88 —
trouvaient-elles encore à Saint-Sauveur ? Cela dépend de l'in-
terprétation que Ton donne à une charte de 1073.
D'après certains auteurs, il s'agit, dans cette charte, de
l'église des Accoules, à laquelle Pons II rendrait ou donnerait
les droits de paroisse.
Huffi dit, en effet : « Ce droit de paroisse donné à l'église
des Accoules fut confirmé huit ans après (1072 ou 1073) à
l'abbesse Garsende, par Pons II, évéque de Marseille, qui avait
élu, consacré, intronisé cette abbesse. Ce prélat déclare, dans
ce titre, que cette église était anciennement paroisse (1). »
André affirme que a le 7 janvier 1073, l'évoque Pons II, le
jour môme de l'intronisation et de la consécration de Garsende,
sa sœur, que les religieuses avaient élue abbesse, donne ou rend
à l'église de Sainte-Marie de l'Abbaye, c'est-à-dire des Accou-
les, le droit de paroisse qu'elle avait eu auparavant. Le prélat
ordonna que tous ceux qui habitaient aux environs de cette
église et jusqu'aux anciens murs dépendraient désormais de
Notre-Dame des Accoules, en qualité de paroissiens (2). »
Ainsi, selon Ruffi et André, les religieuses sont aux Accoules
en 1073, car, cette charte, disant que Pons II a intronisé et
consacré abbesse sa sœur Garsende ibi, dans cette église, indi-
que bien que les religieuses y habitaient.
DeBelsunce n'est pas de cet avis, « Pons II, dit-il, intronisa
et consacra Garsende dans l'église de Sainte-Marie, c'est-à-
dire Notre-Dame des Accoules, où l'élection avait été faite.
Il régla ensuite le district de l'église des Accoules et lui rendit
les anciennes limites. Il confirma Garsende et son monas-
tère dans la possession de la paroisse et ordonna que tous ceux
qui habitaient aux environs de l'église et jusqu'aux anciens
murs de la ville dépendraient désormais de l'abbaye de Saint-
Sauveur, en qualité de paroissiens (3). »
Pour de Belsunce donc, Garsende est élue et consacrée aux
Accoules. Mais c'est l'église de l'abbaye de Saint-Sauveur qu'il
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 50.
(2) André, Histoire de V Abbaye des religieuses de Saint-Sauveur,
p. 23.
(3) V Antiquité de V Enlise de Marseille, par M"p de Belsunce, t. I,
p. 421.
— 89 —
érigea en paroisse. Ainsi les religieuses, suivant de Belsunce,
habitaient Saint-Sauveur en 1073. Qui a tort ? qui a raison ?
Recourons au texte.
Voici d'abord la lecture que la Gallia christiana donne de
celle charte de 1073 : « Notum sit fidelibus univer-
sis quod ego Pontius, urbis Massilise episcopus, sanctimo-
nialium feminarum ad ecclesiam Sanctae Mariae abbatise omnes
circa ipsam habitantes usque ad veteris urbis muros paro-
chialiter pertineant, in omni ecclesiasticâ ordinatione, nostro
donatu (1). »
En note, la Gallia christiana dit que la Gallia christiana
quadripartita fait lire : a Sanctimonialium feminarum paro-
chiam dono infra Massiliam in vice-comitali parte, scilicet
ut ad ecclesiam Sanctae Mariae », etc., comme plus haut (2).
De Belsunce donne ces mots de surplus entre parenthèses (3)
et André (4) les cite comme le texte même de la charte. Or,
la Gallia christiana, qui ne donne pas ces mots de surplus,
affirme que son texte provient « ex autographo (5) » et de Bel-
sunce dit que : cela (ces mots entre parenthèses) ne se trouve
pas dans l'acte qu'on conserve aux archives de Saint-Victor (6).
Si Ton prend donc le texte de la charte tel qu'il est cité par la
Gallia christiana, qui parait être le texte authentique, car
les mots de surplus ne sont qu'une explication, et dono qu'une
répétition de nostro donatu , il semble que Ruffi, André, Bel-
sunce ont eu tort de parler ici de l'église des Accoules.
A notre avis, voici le sens: Pons, évoque de Marseille,
règle, par sa propre autorité, nostro donatu, que tous ceux
qui habitent autour de l'église Sainte-Marie de l'Abbaye des
religieuses seront les paroissiens de cette même église :• a ut
omnes circa ipsam habitantes parochialiter pertineant ad
(!) Gallia christiana, t. I, Eccîesiœ Massiliensis instrumenta,
col. 112, XVIII.
(2) Gallia christiana, ibidem .
(3) De Belsunce, op. cit., t. I, p. 421, en note.
(4) André, op. cit. , pièces justificatives, pi 209, C, donation de l'évé-
quePons, 1072.
(5) Gallia christiana, t. I, Instrumenta, c. 112, XX, en marge:
(6) Belsunce, op. cit., t. I, p. 421, en note.
— 90 —
ecclesiam Sanctae Mariae abbatise sanctimonialium femina-
« rum. »
Or, cette ecclesiam Sanctœ Mariœ abbatiœ, de la charte
de 1073, est la même que V ipsam videlicet abbatiam de
la charte de 1069 (1). En effet, après avoir parlé, dans
cette charte, du a monasterium ancillarum Dei quod est
infra muros Massiliae, ecclesia scilicet Sanctœ M... . ad Acuas
praedictum », on ajoute: «et ipsam videlicet abbatiam».
Mais cette ipsam abbatiam n'est pas autre que Saint-Sau-
veur (2). Donc il s agit de Saint-Sauveur dans cette charte
de 1073. La phrase latine est embarrassée, c'est vrai; mais
les autres chartes du môme Pons II ne sont pas d'un style
plus correct et plus clair. Quelque copiste, pour i'éclaircir, a
ajouté plus tard les mots entre parenthèses. Du coup il a
défiguré le texte primitif. Or, s'il est dit, dans cette même
chartedel073: ibi intronisavi ac consecravt, c'est donc dans
cette église de Sainte- Marie de l'Abbaye des religieuses que
Garsende a été élue, intronisée et consacrée ; et si cette église
de Sainte-Marie de l'Abbaye est l'église de Saint-Sauveur,
c'est donc à Saint-Sauveur que les religieuses se trouvaient
en 1073.
Ce n'était pas cependant depuis de longues années qu'elles
habitaient ce monastère de la place de Lenche. Car en 1069,
Pons II et son frère Geoffroy, vicomte de Marseille, « vou-
lant rétablir le monastère des servantes de Dieu, situé dans
l'enceinte de notre ville, monastère que les traditions des
anciens affirment avoir été établi par le fondateur du monastère
de Saint- Victor, le bienheureux Cassien; désirant correspondre
de tout leur cœur à la volonté de Dieu, réaliser le dessein
que leur père, le seigneur et vénérable comte Guillaume,
avait eu d'établir dans ce monastère des femmes pieuses pour
(1) c Donamus igitur ego Pontius, Massiliensis episcopus, cum canoni-
cis nostrse sedis, et ego Joffredus, vicecomes, una cum uxore et flliis
meis monasterium ancillarum Dei quod est infra urbem Massiliam
ecclesiam scilicet Sanctae Marias..... ad Acuas predictum, et ipsam
videlicet abbatiam» cum omnibus quae ad eam pertinent... » Cha-te de
Pons II, 1069. (André, op. cit., pièces justilicatives, p. 207.)
(2) On va le voir à la page suivante.
V
\
— 91 —
y servir Dieu et de restaurer cette maison qu'il avait trouvée
entièrement détruite,» confièrent ce monastère des religieuses,
qui est situé en dessous delà ville de Marseille, à savoir l'église
de Sainte-Marie appelée des Accoules, et l'abbaye elle-même,
avec tout ce qu'elle possède, à la direction et l'administration
de l'abbé de Saint- Victor (1 ).
Expliquons ce passage de la charte de 1069. Il ne faudrait
pas traduire ces mots a ecclesiam Sanctae Mariœ ad Acuas
praedictum et ipsam abbatiam... » par: « l'église de Sainte-
Marie des Accoules et l'abbaye elle-même (des Accoules) » .
(Test Pons II qui rédige cette charte, il parle en son nom et
au nom de son frère Geoffroy. Mais, comme c'est lui évêque
qui règle une question de juridiction, il dirige, il conduit la
phrase. Or, s'il a dit plus haut, dans cette même charte, que
le monastère des religieuses fondé par Gassien se trouve
intra urbis nostrœ ambitum, dans l'enceinte de sa ville
épiscopale (2), la place de Lenche, en effet, est dans l'enceinte
de la ville de l'évéque, il ne faut pas lui faire dire, dix lignes
plus bas, que ce monastère se trouve dans la ville comtale,
en dessous de la ville (épiscopale). li ipsam videlicet abbatiam
est donc un édifice distinct de Yecclesiam Sanctœ Mariœ
ad Acuas. L'une, Y ipsam videlicet abbatiam, se trouve
intra urbis nostrœ ambitum, c'est Saint-Sauveur; l'autre,
Yecclesiam Sanctœ Mariœ ad Acuas , l'église de Sainte-
Mai ie des Accoules, se trouve infra urbem Massiliœ, en
dessous de la ville épiscopale, dans la ville vice-comtale.
Celte explication donnée, il est visible qu'il s'agit, dans cette
charte, de l'abbaye de Saint-Sauveur. Le monastère que
Pons II et Geoffroy veulent restaurer est celui qui est situé
intra urbis nostrœ ambitum ; c'est donc Saint-Sauveur qui
est en ruines. Les religieuses donc ne l'habitaient pas encore,
en 1069 ; mais elles se trouvaient à Sainte-Marie des Accoules.
(1) Charte de Pons II, évoque de Marseille. (André, op. cit., pièces
justif.,p. 207.)
(2) c Ideoque monasterium ancillarum Dei quod est intra urbis
nostrœ ambitum, a beatissimo Gassiano, cœnobii Sancti Victor is abbate,
olim fuodatum... * Charte de Pons II, 1069. (André, op. cit., p. 207,
pièces justificatives.)
— 92 —
C'est bien ce que dit la charte : le monastère des religieuses
qui est au-dessous de la ville de Marseille, appelé l'église
Sainte-Marie de? Accoules.
Quel était le motif qui amenait l'évoque et son frère
Geoffroy à céder, à l'abbé de Saint- Victor, Saint-Sauveur et les
Accoules, pour les administrer? C'était, d'une part, le peu de
ressources que ce monastère possédait ; d'autre part, l'inintel-
ligence, le manque de fermeté que ces religieuses apportaient
dans le maniement de leurs affaires temporelles (1). Quoi qu'il
en soit, en 1069, les religieuses n'étaient pas à Saint-Sauveur,
mais aux Accoules (2).
Elles n'étaient absentes de Saint -Sauveur que depuis quelques
années à peine. En 1050, en effet, la mère de Pons II et de
Geoffroy, la vicomtesse Stéphanie, veuve de Guillaume le
Gros, faisait donation de quelques terres à Solliès, et de l'égli-
de Notre-Dame-de-Beaulieu, près de cette ville, au cœnobium
Sancti Salvatoris, ou cœnobium Sanctœ Virginia qui était
situé « infra muros Massilise » (3). C'est la vicomtesse Stépha-
nie qui parle dans la charte ; pour elle, le monastère est en
dessous des murs de la ville vice-comtale. En 1050 donc, les
religieuses habitent Saint-Sauveur.
Elles n'y étaient que depuis peu de temps encore, puisque,
en 1033, le seigneur de Rians, Geoffroy, et sa femme Scotia,
consacraient à Dieu leur fille Vauburge, et la cérémonie avait
lieu dans l'église des Accoules (4). Saint-Sauveur était, en
effet, en réparation à ce moment.
Cette réparation avait été entreprise sous Tabbesse Adalmoïs,
en 1031, par le comte Guillaume, père de Pons II et de Geof-
(i) DeBelsunce, op. cit., t. I, p. 414.
(2) André, op. cit., p. 21.
(3) André, op. cit., pièces justif., B, donation de la vicomtesse Stépha-
nie, p. 206.
(4) De Belsunce, op. cit., t. I, p. 412. — Ruffi, Histoire de Marseille,
t. II, pp. 50, 59. —André, op. cit., p. 19.
« Eam sanctimonialem in templo Domini offerimus in monasterio mo-
nacharum quod vocatur Alas Accoas, quod œdificatum est in honorent
Sanctœ Genitricis Mariœ. » S. Cassianus iîlustratus, par Gucsnay,
p. 704.
— 93 —
froy, et par son frère Fulco(l). Ces deux vicomtes de Marseille
avaient trouvé ce monastère détruit de fond en comble a ex
totopenitus destructum », dit la charte de 1069(2). C'était
pour doter ce monastère qui se reconstruisait, que l'évoque de
Toulon, Déodat, lui donnait, en 1031, l'église de Sainte-Marie,
au territoire de Solliès (3), que Guillaume, en 1032, lui cédait
la quatrième partie de la juridiction et des droits seigneuriaux
du lieu d'Allauch (4) et que, en 1050, la vicomtesse Stéphanie
lui donnait les terres dont on a parlé plus haut (5).
S'il fallait en croire André, ce monastère de Saint-Sauveur,
que Ton relevait de ses ruines en 1031, n'aurait compté que
quelques années d'existence. Cet auteur suppose que c'était le
premier monastère construit dans la ville à l'usage des Cassia-
nites (6). C'est eu 1030 que ces religieuse, quittant le voisinage
de Saint- Victor, seraient venues à la place de Lenche. Mais la
charte de 1069 démontre l'erreur d'André. Guillaume et Fulco
ont trouvé ce monastère complètement ruiné, ils commencent
à le reconstruire en 1031, sous Adalmoïs : il faut donc suppo-
ser un monastère plus ancien à la place de Lenche. C'est donc
antérieurement à Tan 1030 que les religieuses y sont venues.
Les raisons sur lesquelles André s'appuie pour soutenir son
dire ne valent rien. Car le texte de la charte 40 du X? siècle
n'a pas le sens qu'il lui donne, nous le prouverons plus tard (7)
et l'inscription tumulaire de Tillisiola, qu'il regarde comme la
(1) Ruffi, op. cit., t. II, p. 59. — De Belsunce, op. cit., t. II, p. 411.
(2) Charte dePous II, évoque de Marseille, 1069 (André, op. cit., piè-
ces justif ., p 207) :
« Et quidem hoc ipsum (monasterium) pater noster dominus ac vene-
rabilis VHlelmus, vicecomes, in votis habuit et devotas ibi feminas ad
serviendum Christo constituera, ipsumque locum quem ex toto penitus
destructum invenerat aliquatenus renovare. . . »
(3) Donation de Deodat, évéque de Toulon, à Saint-Sauveur. (Provins
cirp Massiliensis Annales, par Guesnay, p. 292 ; S. Cassianus illustrât us,
parGuesnay, p. 670.)
I) Ruffi, Histoire de Marseille, t. Il, p. 59.
(5) André, op. cit., pièces justif., D, donation de la vicomtesse Stépha-
nie, p. 206.
(6) André, op. Ht., pp. 16, 18.
(7) Voir le chapitre de cet ouvrage intitulé : La charte 40.
1
- 94 -
première abbesse de Saint-Sauveur, après le rétablissement de
ce monastère en ville (1), est bien antérieure à Tau 1030. M.
de llossi la fait remonter au VI* ou VIP siècle.
La date de construction de ce monastère réparé en 1031,
une charte de 1004 semble l'indiquer. Il s'agit, dans cette
charte, de l'élection de Pontia (2), en qualité d 'abbesse de Saiiit-
Sauveur, et il est dit d'une Ëlgarde qui assiste avec ses trois
fils à celte cérémonie, qu'elle est la fondatrice de ce même mo-
nastère : « ejusdem monasterii fundatricis ». Les auteurs
s'accordent à dire que Pontia est une abbesse de Saint-Sau-
veur (3). De plus, en fait de monastère de religieuses, il n'y
avait à Marseille, à cette époque, que celui de Saint-Sauveur.
Dans cette charte de 1004, il s'agit donc de Saint- Sauveur. Et
comme Elgarde est appelée la fondatrice de ce monastère dont
Pontia est élue abbesse, c'est bien Elgarde qui a fondé Saint-
Sauveur. La date de la construction du monastère que Ton
restaure en 1031 est donc bien l'an 1004.
Ce qui achève de le prouver, c'est que le monastère d'Elgar-
de a été bâti à la place de Lenche et pas ailleurs.
Impossible, en effet, d'admettre avec André et M, de Rey que
le monastère d'Elgarde a été construit dans le voisinage de
Saint-Victor (4). Cette personne, peut-être l'épouse de quelque
vicomte, connaissait certainement, pour les avoir entendu
raconter par ses aïeux, les désastres de 923, la destruction de
l'abbaye de Saint- Victor, l'incendie de la cathédrale, le pillage
delà ville; elle connaissait aussi le fait de l'enlèvement par
les Danois d'un certain nombre de religieuses, en 838. Souvent
on avait dû rappeler autour d'elle la mort héroïque d'Eusébie
et de ses chastes compagnes ; et elle, une femme timide,
douce par nature, oubliant ces horreurs, ces massacres, rebâ-
tira loin de la ville, puisque le port l'en sépare, un monastère
de filles ou de femmes 1 Quelle folie !! Que l'abbaye de Saint-
Victor se relève de ses ruines sur le même emplacement, on le
(1) Audré, op. cit., p. 17.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, ch. 1053, du 6 janv. 1004.
(3) BelsuQce, op. cit.y t. I, p. 413.— André, op. cit., p. 17.
(4) André, op., cit.t p. 17. — Invasions des Sarrasins en Provence,
p. 139.
— 95 —
comprend, c'est un monastère d'hommes. Ces moines s'entou-
rent de remparts, à l'abri desquels ils pourront se défendre,
ce qui à cette époque devait être habituel. Il ne se passait pas
de longs jours, en effet, sans que Ton dût endosser la cuirasse
sur la robe de bure, interrompre le chant des louanges de Dieu
pour armer son bras et courir à l'ennemi. Mais des femmes ;
des filles, que pourraient-elles? Non, si Elgarde a bâti un mo-
nastère, c'est sûrement dans l'intérieur de la ville. Le monas-
tère de 1004 est le même que celui de 1031. En 1004 donc, les
religieuses de Saint-Sauveur sont à la place de Lenche.
Hais, antérieurement à Tan 1004, où se trouvait le monas-
tère ? Sûrement, en 923 il était auprès de Saint-Victor, c'est-
à-dire de l'autre côté du port. Les chartes de 1431 et 1446 en
donnent la preuve.
Ces deux documents, que nous étudierons plus tard, disent
que ce monastère de Saint-Victor et un autre qui autrefois
en était voisin, détruit par les Vandales, avaient été fondés
par Cassien (1). Les Vandales, qui ont détruit ces monas-
tères, ne sont autres que les Sarrasins. Car la charte de
1040, faisant le tableau de la désolation sous laquelle l'abbaye
de Saint- Victor avait été plongée durant de longues années,
l'attribue à un agent rusé d'origine vandale, « callidus exactor
de vaginâ Vandalorum (2). » Or, nous savons que l'abbaye de
Saint-Victor ne fut déserte qu'à l'époque de 923, lors de
l'invasion des Sarrasins (3). De plus, la charte de 1005 dit que
la « gens barbarica », qui couvrit de ses hordes la Provence,
détruisit les églises et saccagea les monastères, était arrivée
(1) « Gassianus, qui hoc praesens monasterium et aliud olim sibi
vicinum in diebus illifl per profanos Vandalos funditus demolitum miré
condidit. » Chartes de 1491 et 1446. (Chartes de D. Lefournier, t. III;
archives départementales.)
(2) Cartulaire de Saint-Victor, charte 14, du 5 oc t. 1040. — La plupart
des chroniqueurs qui ont raconté les désolations dont la France fut le
théâtre à l'époque des invasions des Sarrasins, se servent indifféremment
des termes : Vandales, Sarrasins, Païens. Voir les chroniqueurs cités
par de Belsunce, Antiquité de V Eglise de Marseille, t. I, p. 288 ;
Cartulaire L II, à la table, p. 823; Barras, Histoire de l'Eglise, t. VII, p. 22.
(3) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 124 et suivantes.
— Vie des Saints de l'Eglise de Marseille, p. 8.
- 96 —
en Provence plusieurs cycles d'années après le décès de
Charlemagne (1), postérieurement à Tan 814. Donc il ne s'agit
pas de Vandales. Il faut lire: à l'époque où les Sarrasins
détruisirent Saint- Victor, il y avait un monastère voisin de
celui-ci et fondé par Gassien (2). Or, les Sarrasins ne détrui-
sirent Saint-Victor qu'en 922 ou 923. Donc, à cette époque,
le monastère cassianite se trouvait auprès de Saint- Victor.
Mais, de 923 à l'an 1004, quelle place occupait ce monas-
tère ? C'est une chose curieuse que de Tan 923 à l'an 1004 on
semble perdre de vue ce monastère cassianite de filles.
Aucune charte, aucun document que nous connaissions n'en
fait mention. L'Ordre semble avoir disparu dans la tourmente
de 923.
A vrai dire, on ne doit pas s'en étonner. Ce fut une crise
terrible pour l'église de Marseille que cette époque du
X* siècle. Les chartes de Saint- Victor tracent de ces années
un bien sombre tableau. « Lorsque le Dieu tout-puissant, lisons-
nous dans la charte 15 de l'an 1005, voulut châtier le peuple
chrétien, il se servit des païens. Une nation barbare fit
irruption en Provence, se répandit de tous côtés, en augmen-
tant chaque jour sa force et son courage, parvint à s'emparer
de tous les lieux fortifiés, s'y établit, s'y livra au pillage des
églises, et beaucoup de monastères furent détruits; les endroits
qne l'on aimait à visiter devinrent d'affreuses solitudes, et là
où les hommes habitaient, les bétes féroces établirent leurs
repaires. C'est ce qui advint au monastère de Saint-Victor,
le plus fameux de la Provence. Il fut dévasté, mis en ruines
et réduit à néant (3). » L'histoire est là pour confirmer le
(1) « Sed post multa curricula annorum. cum idem piissimus princeps
a sœculo decessisset. » «Jartulaire de Saint-Victor, charte 15.
(2) Voir au chapitre intitulé: Les chartes de iâSi et ihkQ, de ce présent
ouvrage, un autre sens que l'on pourrait donner à cette phrase ; ou
arrive cependant à la môme conclusion.
(3) t Sed, post multorum curricula annorum, cum idem piissimus
princeps a seculo decessisset, et omnipotens Deus vellet ilagellare
populum christianum per seviciam paganorum, gens barbarica in regno
Provincial irruens, circumquaque diffusa, vehementer invaluit, ac
munitissima quseque loca obtinens et inhabitans cuncta vastavit,
ecclesias ac monasteria plurima destruxit, et loca (juse desiderabilia
— 97 —
dire des chartes. Les Sarrasins, qui depuis 891 ou 892 s'étaient
emparés du Fraxinet, se répandirent dans toute la Provence,
occupant d'abord les côtes, puis promenant leurs hordes
sauvages dans le haut pays, prenant les villes, les saccageant,
et descendirent vers la basse Provence. Lentement le cercle
se rétrécit autour de Marseille. En 922 et 923, ils se jettent sur
elle, la pillent, la saccagent. La cathédrale est incendiée,
Saint- Victor est dévasté et réduit à néant (1).
La position est si précaire, que les chanoines qui ne peuvent
plus occuper leurs sièges, que les clercs, les hommes
libres, les serfs n'ont ni nourriture, ni vêtements. Le mal-
heureux évoque de Marseille, Drogon, en est réduit à solli-
citer de son métropolitain, l'archevêque d'Arles, le pain et le
vêtement pour ses prêtres et ses fidèles (2).
Incontestablement le monastère des religieuses, où qu'il
se trouve, en 923, auprès de Saint-Victor, a été détruit.
Les auteurs l'admettent, l'abbé Daspres, André, de Rey, etc.,
etc. (3). Et cette ruine est si complète, qu'à notre avis
il disparaît entièrement! C'est, d'ailleurs, ce qui arrive
momentanément à l'abbaye de Saint- Victor. La charte 14 de
Fan 1040 l'atteste : « Le monastère a vu périr ses nombreux
enfants, qui étaient sa gloire. Il végète maintenant dans les
larmes de la solitude, ruiné, malheureux, et il traîna ainsi de
longs jours une douleur qui le rongeait (4). » Une autre
charte 565, de l'an 1055, dit encore: « Le monastère détruit
videbantur, in solitudine redacta sunt, el quae dudum fuerat habitatio
homlnum, habitatio postrnodum cepit esse ferarum ; sicque factum est
ut monasterium illud quod olim prsecipuum ac famosissimum in tôt A
Provinciâ fuerat, adnullatum et pêne ad nihilum est redactum. »
Cartulaire, t. I, charte 15.
(1) M. de Rey, Invastons des Sarrasins en Provence, passiin.
(2) « Vir Drogo, Massiliensis episcopus, singultuoso planctu canônicos
suse ecclesiae propter continuos Sarreceuorum impetus suis in locis
manere non posse conquestus... » Cartulaire de Saint- Victor, charte 1.
(3) Daspres, Satire sur Saint-Ginies, p. 28. — André, op. rit., p. 12.
— De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 139; Idem,
Saints de Marseille,. p. 230.
(A) « Hoc extincto, sobolumque flore amisso, viduitalislacryma, flexibi-
liset infelix, nimisque senlo consumptum permansit... » Cartulaire de
Saint-Victor.
- 98 -
par les Païens avait perdu non seulement ses biens, mais il
s'était, pour pour ainsi dire, perdu lui-môme, réduit qu'il
était en servitude (1). » Ce ne fut qu'en 966, sous Honoré II,
évoque de Marseille, qu'il revint à l'existence et, à ce moment,
Tévôque qui rend des biens à Saint-Victor ne fait aucune
mention des moines de l'abbaye. Il n'y en a pas. Ce n'est qu'en
970 que Ton parle de Saint- Victor et de ses moines (charte
598)(2). Trente ans après ce relèvement, vers l'an 1000, Garnier,
Tabbé de Saint- Victor, n'a avec lui que cinq religieux. Ce n'est
qu'en 1005 qu'il en compte vingt-cinq (3). On le voit, l'abbaye
de Saint- Victor s'est relevée bien lentement.
Il dut en être de même de l'abbaye cassianite des filles.
Détruite en 923, ce ne fut qu'au bout de trois quarts de siècle
qu'elle put se relever. Et c'est encore la charte de 1004 qui en
est la preuve. Examinez-la dans le détail. Il s'agit, nous l'avons
dit, de l'élection d'une abbesse. Or, combien y a-t-il de reli-
gieuses, pour faire cette élection (4) ? Trois sont nommées,
tout au plus quatre ; en comptant Pontia, qui fut élue, elles
sont cinq. Mais à cette cérémonie il y a un concours assez
extraordinaire: deux évoques, de pieux laïques, de vénérables
dames, El garde et ses trois fils, même un chef de soldats, et
son escorte. Il est dit dans cette charte, en propres termes,
(1) « ... ipsum monasterium, a paganis destructum, non solum sua,
sed etiam se ipsum, in solitudine redactum, amiserat. . . > Cartulaire de
Saint- Victor.
(2) De Rey, Invasion* des Sarrasins en Provence.
(3) Les Saints de l'Eglise de Marseille, Saint -Viffred, pp. 305-306.
(4) « Idcirco nos dicate Deo mulieres, Rainberga, Fradegarda, Suffi-
cia... quatlnus eis de quibus loquimur consortes esse possimus, anno
millésime» quarto trabcationis dominiez, indictione V, mense duodecirao
qui dicitur Janus, atque ejusdem VII idus, coram prsesentia sacrorum
antitistum Produs... ceetenimque piorum hominum, et ante conspectum
nobilis matrone, ejusdem monasterii fundatricis, una cum flliis suis
(nomen etenim ejus Elgarda dicitur, ipsius vero nliorum suorum notan-
tur Garinus, Vigo, Aldebertus) ; itaque nos omnes unanimiter praesi-
gnata puella, elegimus atque pneferimus nobis hanc monacam nomine
Ponciam vultu décora m , sensu illustrem , natura sublimem rao-
ribusque insignem . Idquidem facimus ea ratione qua oportet, fa vente
Dorumdeo suorumque militum copia... » Cartulaire de Saint-Virtor,
eh. 1053, du 6 janvier 1004.
- 99 —
qu'Elgarde est la fondatrice de ce monastère. Ge monastère
ainsi relevé n'a pas de nom, la charte n'en mentionne aucun.
Or, si ce monastère de 1004 en remplace un autre, détruit
depuis seulement quelques années, comment expliquer cette
omission ? Gomment affirmer qu'Elgarde a fondé ce monas-
tère? On dira plus tard de Pons II, et de son frère Geoffroy,
qu'ils désirent rétablir, restaurer le monastère détruit, «cupi-
mus restaurare, aliquatenus- renovare atque restituera ».
Mais ici c'est « fundatricis ejusdem monasterii », fondatrice
de ce monastère, que l'on dit. Pourquoi, d'ailleurs, cette
pompe extraordinaire à cette élection faite seulement par.cinq
religieuses ? D'où vient encore ce petit nombre de religieuses
dans un monastère qu'Eusébie et ses quarante compagnes ont-
illustré ? Il y a là plus qu'une élection ordinaire. C'est la
reconstitution d'un ordre, le rétablissement d'un monastère
détruit et disparu. Pour nous donc, de l'an 923 à Tan 1004, le
monastère des religieuses n'existait plus I ! !
Une seule chose nous ferait hésiter : un des fragments
découverts par Rufll, concernant l'histoire des possessions de
Saint-Sauveur, à une certaine époque. Il est dit, dans ce
document (l) : a que les religieuses ont des esclaves dans la
campagne, dans les champs Albuciens ; une colonie à Plom-
bières; près du Jarret, les champs de Saint- Victor ; au
même endroit le tiers des terres de Sainte Marie. Elles ont
le pré de Sainte-Euphémie et de Saint-Baudile en entier, terres
que le chorévôque Honoré possède en bénéfice. » Si Ton pou-
vait prouver que cet Honoré, chorévêque, est le même qui fut
évoque de Marseille de 948 à 976, on aurait là une preuve évi-
dente que le monastère existait de 923 à l'an 1004, puisque,
vers 948, il possédait des terres qu'Honoré tenait en bénéfice
avant d'être évêque, c'est-à-dire avant 948.
(1) « Descrîptio mancipiorum de agro Albuciano, colonica in Plumba-
rias. Habemus juxta fluvium Genre, campos Bancti Victoria. Habemus
inibi de colonica, tertiam partem de terras Sanctse Maria?. Habemus
pratum Sanctae Buphemiœ et Sancti Baudilii ab integro, quos Honoratus
r.Orepicopus in beneticio babet. » Armoriai et Sigillographie des évê-
que* fie Marseille, par le chanoine Albanés, p. 30.— Antiquité de l'Eglise
<ie Marseille, par M«rde Belsunce, t. 1, p. 302, note.
— 100 -
Mais nous croyons d'abord qu'il est difficile d'idendifier
cet Honoré, chorévêque, avec Honoré II, évéque de Marseille.
Aucun auteur, que nous sachions, ne Ta dit. De plus, à cette
époque au milieu du X* siècle, il n'y avait presque plus de
chorévéques. Cette dignité disparut après le X* siècle, selon
M1' de Belsunce, et vers le milieu de ce siècle, selon le cardinal
Hergenroether (1). Donc, fort probablement il ne s'agit pas de
celui qui fut plus tard Honoré II, évéque de Marseille.
Ce qui ajoute à ces preuves, c'est qu'il est question des biens
qu'aurait possédés le monastère cassianite vers 948. Or, s'il est
certain que ce monastère a été détruit vers 923, comment peut-
il s'être déjà relevé avant 948, et posséder des biens, alors que
Saint-Victor n'a commencé à sortir de ses ruines qu'après 9fi6 ?
De plus ces biens sont appelés « les champs de Sainte-Marie,
les champs de Saint- Victor ; » ces champs ont donc appartenu
à l'abbaye de Saint-Victor et à la cathédrale, qui, à une certaine
époque, les ont donnés à l'abbaye cassianite. Or, en nous
maintenant toujours dans l'hypothèse que ce chorévêque
Honoré est le même personnage qu'Honoré II, plus tard évéque
de Marseille, nous sommes à une époque antérieure à 948, au
(1) « Cette charte est donc, au plus tard, du X' siècle, après lequel on
voit plus de chorévéques. » M" de Belsunce, op. cit., t. I, p. 303. —
Histoire de l'Eglise, par le cardinal Hergenroether, t. IJI, p. 311. —
Oq donnait le nom de chorévéques aux prêtres qui exerçaient quelques
fonctions épiscopales dans les bourgades et les villages, et qui étaient
par ce lait les vicaires de l'évêque. En Orient, ils lurent très nombreux.
Il en est fait mention au concile d'Antioche, en 340. En Occident, le
concile de Riez en 439 est peut-être le premier qui en ait parlé. Il leur
était défendu de rien entreprendre sans la permission de l'évêque. Ils n'a-
vaient la tâche que de soulager celui-ci dans ses fonctions et d'administrer
le diocèse pendant la vacance du siège. En Orient, ils avaient le droit de
consacrer des lecteurs. Mais, comme ils voulaient empiéter sur les fonc-
tions exclusivement épiscopales, telles que la consécration des églises,
des vierges, l'ordination des prêtres, la confirmation, etc., on restrei-
gnit leurs attributions. Finalement on abolit cette dignité. Ils disparu-
rent complètement vers le milieu du X* siècle. — Diplomatique chré-
tienne, édit. Migne, col. 202.— Histoire de l'Eglise, par Hergenroether,
t. II, p. 429; t. III, p. 133 et 311. — Dictionnaire de théologie, Lenoir,
Chorévêque, t. II, p. 504. — Histoire des conciles, par Roisselet, t. III,
p. 624, errata.
— 101 —
lendemain de la destruction de Saint- Victor, au lendemain de
ces affreux ravages qui forcèrent le malheureux Drogon, évo-
que de Marseille, à implorer le secours de l'archevêque d'Arles,
Manassés. Et Saint-Victor serait assez riche déjà pour céder à
l'abbaye cassianite des terres sur le bord du Jarret, et partant
d'une culture facile, puisqu'elles sont à proximité ! Et l'évê-
que aurait déjà des biens en telle abondance, qu'il pourrait en
céder à l'abbaye! Cela n'est guère possible.
Au contraire, que l'abbaye cassianite possède à une époque
des biens appelés « champs de Saint- Victor et terres de Sainte-
Marie», ce nous est un indice que c'est tout récemment qu'on
les lui a donnés. Elle n'a pas eu le temps encore de se les
assimiler et de les ranger sous le nom général de biens de
l'abbaye. Que l'abbaye de Saint-Victor ou la cathédrale
les ait donnés à l'abbaye cassianite, ce nous est une. preuve
encore qu'on les lui a cédés pour former un domaine,
un fonds, lin capital, une mense, et la relever de quelque
destruction.
Or, nous l'avons dit, après 923, ni Saint-Victor, ni la cathé-
drale n'ont pu être généreux à ce point. C'est donc à une
époque antérieure, époque relativement florissante pour Saint-
Victor et la cathédrale, peut-être en 838, 867, que ces biens
ont été donnés. Ce chorévêque Honoré daterait donc de cette
époque, et non pas de 948. Ce fragment du Polyptique ne
s'opposerait donc pas à notre assertion: que, de 923 à l'an 1004,
le monastère cassianite n'existait pas.
En 923, il se trouve tout près de Saint-Victor. Pourrait-
on dire à quel endroit auprès de cette abbaye s'élevait le
monastère cassianite? Très probablement aux environs de la
chapelle de Sainte-Catherine. Les ruines que Ruf G y a vues,
l'inscription tumulaire qu'il y a trouvée en sont des indices.
On ne devrait pas cependant arguer de ces tombes décou-
vertes à la chapelle de Sainte-Catherine, pour placer forcément
le monastère à cet endroit. Car, en supposant qu'il s'élevât sur
cette terre qui appartenait aux religieuses, sur le plateau du
Revest, on pourrait dire aussi qu'on inhumait celles qui
mouraient dans l'enceinte de Paradis, aux environs de cette
chapelle de Sainte-Catherine.
— 102 —
On peut en effet le placer sur le plateau qui s'élève et s'étend
au-dessus de l'endroit appelé, par M. de Rey, le Revest. Ce
plateau s'étend de rentrée de Paradis, à peu près, à la hauteur
de la place de la Gorderie actuelle, jusque vers la rue de
Rome. Il y avait là des terres, des vignes appartenant à des
particuliers; les religieuses cassianites, vers 1048, y possé-
daient une grande terre que très probablement elles avaient
déjà au début du X* siècle, à la fin du IX\
C'est à ces deux endroits que l'abbaye cassianite pouvait
être, lors de sa destruction par les Sarrasins, en 923. Ces
deux emplacements se trouvaient assez voisins de l'abbaye
de Saint- Victor pour qu'on put leur appliquer le texte des
chartes de 1431 et 1446: « aliud olim sibi vicinum ».
Donc, indifféremment le monastère pouvait être à Sainte-
Catherine, ou sur le plateau du Revest. Cependant nous préfé-
rerions, à cette époque de 923, l'emplacement de S'*-Catherine.
Depuis combien d'années se serait-il trouvé à Sainte-
Catherine? Qmnze à peine. En 904, Louis l'Aveugle cède
à l'abbaye de Saint-Victor « toute la rive du port qui est sous
le monastère avec les pêcheries, les ancrages et les salines,
de plus toute la terre qui va du monastère, de ces pêcheries et
de ces salines, jusqu'à Carnarium, le cimetière de Paradis (1) » .
Or, l'emplacement de la chapelle de Sainte -Catherine se trou-
vait sur la terre comtale, cédée à Saint-Victor. Si l'abbaye
cassianite eût été en cet endroit, que le point où elle s'élevait
fût la propriété du comte ou de l'abbaye cassianite elle-
même, la charte de donation de 904 aurait mentionné que
cette terre était cédée à Saint- Victor, à l'exception de l'empla-
cement de cette chapelle, ou y compris cet emplacement.
(1) « Noverit quoniam Rostagnus, metropolita, et Teutbertus,
cornes, nostram adeuntes excellentiam, enixius postula verunt, quatinus
fideli nostro Magno, abbati ecclesiie scilicet Dei Genitricis Mari® et glo-
riosi martyris Victoris .. concedamus jure perpetuo, videlicet fiscum
quod nominatur Pinus, cum salinis et piscationibus et portus navium
et omnibus juste et legaliter ad eumdem fiscum pertinent! bus conja-
centem in comitatu Massiliensiqui vulgo Paradisus nominatur, sicut est
\ia qua» descendit aGuardia usque in Poium formicarium, una cum terra
comi'ali quœ ante portam castri fore videtur usque ad Carnarium... »
Cartulaire de Saint-Victor, ch. 10, 21 avril 90i.
— 103 -
C'est donc postérieurement à Tan 904 qu'il a pu s'élever à
Sainte-Catherine, et, dans cette hypothèse, il n'aurait guère
compté que quelques années d'existence, de 904, à l'an 923,
époque de sa destruction .
Si, au contraire, -on acceptait de placer le monastère cassia-
nite sur le plateau axi-dessus du Revest, sur la terre même
qui en 1048 appartenait aux religieuses, nous dirions qu'il
s'élevait en cet endroit au début du IX* siècle.
En 838, en effet, c'est là, au-dessus du Revest, que très pro-
bablement il se trouvait, lorsque les religieuses furent enle-
vées par les pirates et transportées par eux sur leurs vaisseaux.
Elles n'habitaient pas la ville, à cette époque. Rufli et Lautard
se trompent en les y plaçant dès 867, à la suite des ravages
des Normands, à Marseille (1). M. de Rey regarde cette asser-
tioo concernant les ravages des Normands à Marseille comme
nn peu gratuite (2). Nous le croyons avec lui. Les annales de
Saint-Bertin ne disent rien à ce sujet. D'ailleurs, si elles sont
en ville en 867, pourquoi sont-elles revenues auprès de
Saint- Victor avant 923, puisque à cette date le monastère cas-
sianite se trouvait auprès de cette abbaye, aux termes des
chartes de 1431 et 1446? Avaient-elles oublié les ravages des
Normands ? Elles n'étaient donc pas dans l'intérieur de la
ville en 867.
Non plus en 838, car il est impossible de s'appuyer sur les
texte des annales de Saint-Bertin (3) : « non modica congre-
gatio, qua? illic degebat », pour affirmer qu'en 838 les reli-
gieuses habitaient déjà l'intérieur de la cité. Outre qu'il est
assez difficile de faire dire à ce texte pareille chose, car le sens
ie plus raisonnable et le plus naturel de ces termes est que le
monastère cassianite se trouvait à Marseille et rien de plus au
fl) Rufli, t. II, pp. 58, 59, 118. — Lautard, Lettres archêoloniques sur
Marseille, p. 402.
(2) Invasions fies Sarrasins en Provence, p. 267.
(3) < 838... intérim Sarracenorum piraticœ classes Ma«siliam Provin-
rûe ir mentes, abduciis sanctimonialibus, quarum illic non modica
eongregatio degebat, omnibus, et cunctis masculini sexùs clericis et
laicis, vastataque urbe, thesauros quoque ecHesiarum Christi seeum
universaliter nsportarunt. » Annales de Saint-Bertin.
— 104 -
sujet de sou emplacement, on se heurterait à la même diffi-
culté signalée plus haul : si elles sont en ville en 838, pour-
quoi sont-elles revenues à Saint-Victor en 923 ?
D'autre part, elles ne se trouvaient pas à Sainte-Catherine,
en 838. Nous l'avons déjà dit, la charte de 904 l'aurait men-
tionné. Ni au Revest ; sur cet étroit espace il n'y avait pas la
place suffisante pour un monastère. Non plus aux Catalans, ni
au bassin du carénage. En effet, dans la charte 23, de 966,
Honoré II, évoque de Marseille, restitue à Saint-Victor une
grande terre dans l'étendue de laquelle ces deux points sont
circonscrits. Or, si l'abbaye cassianite se fût trouvée à un de
ces endroits, l'évéque l'aurait su, et, en 966, en restituant
ce domaine aux moines, il aurait indiqué que dans cette
restitution était comprise ou non l'ancienne abbaye cassianite,
détruite elle aussi en 923. Or, le silence est complet sur ce
sujet. Les religieuses n'avaient donc pas là leur monastère
eu 838.
S'élevait-il dans le cimetière de Paradis ? M. de Rey se
refuse à le croire : a Ce n'est pas dans l'enceinte de Paradis,
pas davantage en dehors dans la direction du sud-est, qu'il
qu'il faut chercher l'emplacement du monastère (I). » Et de
fait Paradis était un lieu trop vénéré pour que l'on y eût bâti
un monastère. D'autre part, un cimetière n'est guère la place
d'un établissement, quelconque. On pourrait dire de même
que, l'abbaye de Saint- Victor s'y trouvant, l'abbaye cassia-
nite pouvait y être ! Soit ; mais que l'on explique, alors,
pourquoi les chartes qui parlent de Paradis, mentionnent
l'abbaye de Saint-Victor dans son voisinage et omettent d'in-
diquer de quelque manière que l'abbaye cassianite s'élevait
aussi en cet endroit.
S'élevait-elle entre Paradis et la ville ? Non sûrement,
dit encore M. de Rey (2). Il y avait des salines depuis les
abords du cimetière de Paradis jusqu'à la Cannebière actuelle,
salines que l'on ne céda à Saint-Victor qu'en 904. Lors de
cette donation, on Ta dit plus haut, on aurait indiqué que là
se trouvait le monastère, s'il y avait été en réalité.
Cl) Les Saint* de VEfjlise de AfavsefUe, sainte Eusébie, p. 23?.
(2) Les Saints de VIù/Hse de Marseille, sainte Eusébie, p. 231.
— 105 —
Où se trouvait-il alors ?
Sur cette terre, qui était non loin du port, quoiqu'elle ne
fût pas sur la rive, comme nous le prouverons plus tard, et
que les religieuses possédaient en 10381048, aux termes de la
charte 40 .
Depuis quelle époque le monastère se trouvait-il sur cette
terre, sur le plateau au-dessus du Revest ? Aucun document
que nous connaissions ne l'indique. Pour ceux qui admettent
que ce monastère a toujours été réellement non loin de Saint-
Victor, c'est en cet endroit ou aux environs qu'ils le font
établir par sain t Cassien .
Pour nous qui soutenons que sainte Eusébie a été marty-
risée aux bords de l'Huveaune, nous disons qu'au lendemain
de cet événement on quitta ces parages et Ton vint construire
le nouveau monastère près de la ville, auprès de Saint- Victor,
sur celte terre dont nous parlions tantôt: Nous sommes ainsi
d'accord avec plusieurs auteurs: Lautard, Grosson, Ruffi, de
Belsunce, etc., qui supposent un changement de local, en se rap-
prochant de Saint- Victor, à la suite du martyre de sainte Eusé-
bie. Or, comme nous plaçons le martyre de sainte Eusébie vers
738, ce serait vers 750 qu'aurait eu lieu ce changement. Avant
cette époque l'abbaye avait toujours été aux bords de rHu-
veaune. C'est ce qui sera plus longuement prouvé.
Nous nous résumons. De 410 à 738, le monastère cassianite
est aux bords de l'Huveaune ; de 738 à 838, il se trouve aux
abords de la ville, sur la terre au-dessus du Revest, avec
changement probable de local après 838. En 923, c'est auprès
de Saint- Victor, à Sainte-Catherine, qu'il s'élève.
De 923 à l'an 1004, il n'y a pas de trace du monastère, il
semble ne plus exister. En 1004, il se relève et se trouve à la
place de Lenche. En 1033, les rtîligieuses sont aux Accoules.
En 1050, elles sont retournées à la place de Lenche, qu'elles
quittent avant 1069, pour y revenir vers 1073, s'en éloigner
encore vers 1077, et demeurer aux Accoules. Enfin elles se fixent
définitivement à la place de Lenche dans le X1P siècle, puis-
que, en 1153 et 1159, les bulles des papes nomment le «monas-
leriuin Sancti Salvatoris» et les « sorores Sancti Salvatoris ».
CHAPITRE III
Noms divers que le Monastère a portés du Vr
au XIe siècle
Deuxième question préjudicielle
PREMIER VOCABLE DE L'ABBAYE CA8SIANITE : LA SAINTE VIERGE ; —
PUIS: 8AINT-CAS8IEN, — SAINT -CYR. — SAINT AMATOR ET LES RE-
LIQUES DE SAINT CYR. — L' ANTIQUE VOCABLE DE LA SAINTE VIERGE
REPRIS AU XI* SIECLE, UNI A CELUI DE SAINT-SAUVEUR.
Si le monastère cassianite a souvent changé de place, sou-
vent aussi il a changé de nom. De l'aveu de tous les auteurs, il
fut placé successivement sous le vocable de la Sainte Vierge.
deSaint-Cassien, de Saint-Cyr, de Sainte-Marie et de Saint-Sau-
veur. Cet ordre cependant n'est pas admis sans constestation.
Tels et tels auteurs ont élevé des diffîculés à ce sujet. Nous
avons donc le devoir d'entrer dans quelques détails, afin d'in-
diquer avec le plus de précision possible dans quel ordre véri-
table ces différents vocables ont été portés.
La plupart des auteurs admettent que le premier vocable du
monastère a été la Sainte Vierge. C'est ce que nous affirment
Iiuffi, la Galliachristiana, deBèlsunce, André, de Rey (1), pour
ne citer que quelques noms. Nous croyons cette assertion
exacte. Cassien fonde à Marseille deux monastères, l'un de
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56. — De Belsunce, Antiquité
de l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 258. — Gallia christiana, t. I, col. 696.—
André, Histoire de l'abbaye des reliyieuses de Saint-Sauveur, p. 3. —
De Rey, Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 224.
— 107 —
femmes, l'autre d'hommes (i), à peu près à la même époque :
celui des hommes vers 415, celui des femmes vers 420 (2). Or,
celui de Saint-Victor est sous le vocable de la Sainte Vierge.
A chaque instant on lit dans les chartes que la Vierge Marie
est le titulaire de cette abbaye (3). Pourquoi douter qu'il ait
donné le môme vocable au monastère de filles et de femmes ?
C'est très croyable (4).
Environ cent cinquante ans plus tard, ce vocable a disparu.
Celui de Sain t-Cassien l'a remplacé. Saint-Grégoire le Grand,
pape, écrivant à Respecta, abbesse cassianite, en 597, parle du
monastère « in honore sancti Cassiani consécration (5) » .
Depuis combien de temps s'appelait-il de ce nom ? A quelle
occasion lui avait-il été donné? Nous ne savons rien de précis.
Il est fort probable que dès la mort de Cassien (6), ses lilles
n'aient pas attendu longtemps pour placer leur monastère
sous la protection de leur saint fondateur. Mais plus tard il
perdit encore ce titre pour prendre celui de Saint-Cyr. L'épi-
taphe de sainte Eusébie mentionne que cette religieuse vécut
cinquante ans « in monasterio Sancti Cyrici (7) ». Or, à quelle
époque ce vocable nouveau fut-il donné au monastère; à quelle
(I) c Mortuo Ghrysostoino, Maasiliam recessit Gassianus, ibique près-
byterfactus duo monasterîa, virorum alterum, et altorum mulierum,
condidit. .. * Offlcium proprium venerabilis monasterii Sancti Victoris
Ma$*illiœ 1672.
[I) Ruffi et de Belsunce ne donnent pas de date certaine ; André assi-
gne l'année 410 pour la fondation des deux monastères; et de Rey l'an-
née 415 pour celui des hommes, et 420 pour celui des femmes.
(3) t . . . Notum sit. . . qualiter nosob araorem Donnai, ad monasterium
Massiliense quod est in honore beatisslme semperque Virginis Mariai,
vel Sancti Victoris martyris ... » Cartulaire de Saint-Victor, n° 8.
(4) Nous devons à la vérité d'avouer qu'il n'existe pas, à notre connais-
sance, de document qui 1e prouve catégoriquement.
(5) € Proinde monasterio quod in honorem sancti Cassiani est consé-
cration, in quo praeesse dignosceris...» Lettre de saint Grégoire le Grand
âl'abbesse Respecta. — André, op. cit., pièces justificatives, A, p. 205.
(6) L'auteur de la Vie des Saints de l'Église de Marseille dit que saint
Cassien est né aux environs de Tannée 360 et est mort après 440. Il avait,
croit-on, 97 ans. (Saint-Gassion, La»s Saints de l'Eglise de Marseille,
p. 109 et suiv.)
(7) Voir cette épitaphe au chapitre : Inscription de sainte Ktusébie, de
notre présent ouvrage.
— 108 —
occasion; combien de temps il le garda: autant de points
qu'il est nécessaire d'élucider. Souvent, en effet, on nous a
posé cette question : Est-il bien sûr que le cœnobium des
filles ait porté le nom de Saint-Cyr, après avoir porté celui
de Saint-Cassien, c'est-à-dire postérieurement à Tan 597 ?
Ne pourrait-on pas supposer raisonnablement qu'au début
la Sainte Vierge en fut le titulaire et que, dans la suite,
ce fut Saint-Cyr? Et l'on invoquait à l'appui plusieurs
raisons.
La première était déduite de ce que racontent Rufii, André,
Magloire, Giraud, de Rey, Grindaet avant eux la Gallia ckris-
tiana, Guesnay, V Histoire littéraire de la France, etc. Sui-
vant ces auteurs, les reliques de saint Cyr, ce petit enfant qui
fut martyrisé, en 304, à Tarse, en Cilicie, en même temps que
sa mère sainte Julitte, furent transportées à Antioche sous le
règne de Constantin, et de cette ville saint Amator, évêque
d'Auxerre, les apporta en Gaule au commencement du V- siè-
cle. Une partie de ces reliques vinrent en la possession des
religieuses de Marseille, et c'est pour cette raison qu'elles se
placèrent sous le patronage de saint Cyr (1).
La seconde raison était celle-ci : Les hommes les plus
compétents regardent comme étant du VIe siècle l'inscription
de sainte Eusébie, où il est dit que celle-ci vécut cinquante ans
a in monasterio Sancti Cyrici(2)». On voitd'iciles conclusions.
Puisque saint Amator a porté en Gaule les reliques de saint
Cyr et en a donné au monastère cassianite, au début du
V" siècle ; puisque l'inscription de sainte Eusébie est du VIe
siècle, forcément le monastère cassianite a porté le nom de
(1) Rufli(le père). Histoire rie Marseille, p. 387. — Rufli, Histoire de
Marseille, t. II, p. 57. — Guesnay, Annales Massiliensis provincial
p. 599. — Gallia christ iana, 1. 1, col. 697. — André, Histoire de l'abbaye
des religieuses de Saint-Sauveur, p. 14. — L'abbé Magloire Giraud*
Notice historique sur l'église de Saint-Cyr (Var), p. 18. — L'abbé Daspres,
Notice sur Saint-Giniez, p.28.— De Rey, Les Saints de l'Eglise de Mar-
seille, p. 226. — Grinda, Monographie de Saint-Victor (Echo de Notre-
Dame de la Garde, 1888 ; note).
(2) Edmond Leblant, dans les Inscriptions chrétiennes des Gaules,
antérieures au VIII* siècle, à l'épitapbe de sainte Eusébie, dit que cette
inscription de Marseille semble appartenir au VI° siècle ; t. II, n° 545.
— 109 —
Saint-Cyr avant de prendre celui de Saint-Cassien. Or, cette
conclusion est fausse, parce que les prémisses sont fausses
elles-mêmes. Le vocable de Saint-Cyr est postérieur à celui
de Saint-Cassien. Voici les preuves :
D'abord, la Gallia chrisliana, Guesnay, Y Histoire litté-
raire de la France, Hufli, Magloire Giraud, etc., etc., sem-
blent bien croire à cette translation, et paraissent la fixer au
V* siècle. Mais c'est à tort que Ton en concluerait qu'au V
siècle l'abbaye cassianite de Marseille porta le vocable de
Saint-Cyr. Ruffi, en effet, regarde l'inscription de sainte Eusé-
bie comme l'épitaphe de notre sainte marseillaise et il sou-
tient que cette Eusébie a été martyrisée par les Normands
vers 867. Or, il dit que le monastère dans lequel cette sainte
souffrit la mort était sous le vocable de Saint-Cyr (1). Donc,
Ruffi pensait que l'abbaye cassianite portait le vocable de
Saint-Cyr postérieurement à celui de Saint-Cassien, titulaire
de ce monastère en 597.
L'abbé Magloire Giraud croit que le monasterium Sancti
Cyrici où sainte Eusébie vécut cinquante ans se trouvait à
Saint-Cyr du Var. Il n'est pas sur que l'abbaye cassianite de
Marseille ait porté le vocable de Saint-Cyr. L'Eusébie de l'ins-
cription n'est pas, selon cet auteur encore, la sainte martyre
que nous honorons (2). Comment apporter contre nous son
témoignage ? Il n'est ni pour, ni contre.
André est persuadé qu'il « faut distinguer deux Eusébie :
Tune simple religieuse, décédée paisiblement dans le monas-
tère cassianite, sous le titre de Saint-Cyr, au VII? siècle,
et l'autre abbesse et martyre, qui vivait au commencement du
X' siècle, époque de la destruction de l'antique abbaye (3). »
Donc, selon André, c'est au VHP siècle que l'abbaye cassianite
portait le vocable de Saint-Cyr.
I/auteur des Saints de l Église de Marseille, n'acceptant
que très difficilement, et il a raison, de placer au V* siècle le
(I) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 57.
(2i Magloire Giraud, Notice historique sur l'église de Saint-Cyr
VVi,;, pp. ie et 17.
(3) André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur,
p. 10.
- no -
martyre de sainte Eusébie, croit de préférence, avec la tradi-
tion, que cette sainte a été massacrée par les Sarrasins vers le
XB siècle. Il regarde l'inscription d'Eusébie comme l'épitaphe
de notre sainte héroïne (1). Donc, selon M. de Rey, c'était bien
sous le vocable ,de Saint-Cyr que se trouvait, au X* siècle,
l'abbaye cassianite.
Quant à la Gallia christiana, il est assez difficile de dire
de quel côté elle se range (2). Elle semble bien dire que l'ins-
cription d'Eusébie, abbesse de Saint-Cyr, est celle de notre
Eusébie de Marseille. Elle affirme bien que l'abbaye cassianite
a porté successivement le vocable de la Sainte Vierge, de
Saint-Cassien, puis celui de Saint-Cyr. Mais, comme elle ne
donne de date approximative ni pour l'inscription, ni pour le
martyre de sainte Eusébie, et qu'elle se contente de fixer la
ruine de l'abbaye vers 867, on ne saurait affirmer, d'après elle,
que le martyre de notre sainte a eu lieu entre le V* siècle,
date de la translation des reliques de saint Cyr, et l'année 597,
où l'on voit le vocable de Saint-Cassien donné à l'abbaye, et
qu'ainsi, le vocable de Saint-Cyr a été porté par ce cœnobium
postérieurement à celui de Saint-Cassien.
Guesnay et Grinda fournissent une base à l'argumentation
contre nous. Eux racontent la translation des reliques de saint
Cyr, faite au V* siècle. Mais ils placent aussi le martyre de
sainte Eusébie au Ve siècle (3).
En résumé, sur six auteurs dont on invoquerait le témoi-
gnage contre nous, il en est quatre, ayant écrit de Marseille,
qui ne sont pas contre nous. Ajoutons maintenant qu'il faut
en rabattre de l'assertion de Ruffl, André, etc., etc.: que
saint Amator aurait donné au V* siècle, aux Cassianites de
Marseille, une partie des reliques de saint Cyr. Il est à peu
près certain que ce saint évoque apporta d'Orient en Gaule les
restes du saint enfant martyr et ceux de sa mère sainte Ju-
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille; Sainte Eusébie, 11 octobre.
(2) Gallia christiana, 1. 1, col. 696.
(3) Guesnay, Provinciœ Massiliensis Annalest p. 599, pp, 186,900. —
Grinda, Monographie de Vabbaye de Saint- Victor (Écho de Notre-
Dame de la Garde, année 1888).
- ill -^
lille (1) ; certain aussi qu'à une époque l'abbaye cassianite de
Saint-Sauveur a possédé quelques reliques de saint Cyr. Mais
il est faux de tout point que ce soit saint Amator qui les lui
ait données. On lit, en effet, dans un manuscrit de la collection
du cardinal Barberini, dans un autre cité par Henschenius,
dans les actes de ce martyr donné par Hucbald, moine de la
lin du IX* siècle, le récit suivant (2) :
(1) c Translata fuisse horum sanctorum martyrum corpora in Gallias
per sanctum Amatorem episcopum Antissiodorensem, cum in Oriente
peregrinatus est. » (Notée in Martyrologio, XVI junii.) — « Hujus opéra
delata esse in Gallias corpora sanctorum Julittœ et Quiricii, habent acta
eoraradem martyrum. » ( Nota? in Martyrologio, I inaii, Baronius. )
(2) c Sanctus Amator, epîscopus Antissiodorensis, clarissimo viro
Savino comité, fines Àntiochiae peragrans, sanctorum illorum corpora
(Quiricii et Julittae) Christ» gratia reperit. Quœ cum magno cultu rediens
in partes Gai Use altulit ac Austricse urbi delata, solo tantum pueri brac-
chio sancti Savini precibus concesso, in domo quâ idem prasul, merito-
rum gloria pollens, a fidelibus honoratur, item honorificè tumulavit. »
Manuscrit du cardinal Barberini, Acta sanctorum, 1. 1, maii.— Il y a eu de
cette translation des reliques de saint Gyr d'Orient en Occident par saint
Amator une relation qui ne se trouve pas, il est vrai, dans la vie de ce
saint évêque d'Auxerre, écrite en 580 par un prêtre du nom d'Etienne,
Africain d'origine. Mais cette relation a été insérée dans plusieurs ma-
nuscrits que les Bol 1 an dis tes ont vus et qu'ils ont jugés dignes de foi*
Entre autres il y avait le manuscrit de la bibliothèque du cardinal Barba-
berini, et celui que Henschenius avait trouvé à Rome.
Sur quels originaux ces manuscrits avaient été composés? Le voici :
Dn évêque d'Iconie, appelé Théodore, avait écrit les actes de ces mar-
tyrs et les avait adressés â un évêque d'Isaurie, Zenon, au temps de
l'empereur Justinien. Après cet évêque, Métaphraste en avait fait paraître
d'autres. C'étaient là des documents sur lesquels on pouvait s'appuyer, et
il n'y avait entre eux d'autre différence que le style. Les Manichéens, au
V* siècle, en composèrent à leur tour, dans lesquels ils insinuèrent le
venin perfide de leur hérésie. Le papeGélase, en 496, au concile de Rome,
condamna ces actes comme apocryphes et hérétiques. Or, tandis que
Iâpomanus, Surius se guidaient sur les actes écrits par Théodore et Méta-
phraste, d'autres, malheureusement, n'ayant à leur disposition que les
actes apocryphes, se guidaient sur eux et donnaient de nouvelles éditions
tout en les corrigeant. Les manuscrits de Barberini et d'Henschenius
ont été rédigés incontestablement sur les actes primitifs de Théodore et
de Métaphraste et nous font lire la vérité. Un moine du IX° siècle, prieur
d'ErnoDe ou Saint-Amand, diocèse de Tournai, mort en 930 ou 932,
regardé comme le plus célèbre docteur du IX* siècle, après saint Rémi
— 112 —
« Saint Amator, évêque d'Auxerre, vint, accompagné
de l'illustre Savinus, visiter les contrées voisines d'An-
tioche. Par la grâce du Christ, il trouva les corps des deux
saints martyrs Quirice et Julitte. Il les recueillit et les
transporta avec grande pompe et grand respect en Gaule
et les plaça dans la ville d'Auxerre. Aux instantes prières de
Savinus, son compagnon, qui lui demandait une portion de
ces reliques, il sépara le bras du saint enfant et le lui remit.
Quant au reste, il l'ensevelit avec honneur dans l'église où
plus tard lui-même fut inhumé, et où il est honoré par les
fidèles. »
d'Auxerre, à l'occasion de la translation qu'il fit lui-même d'une relique
de saint Cyr, de Ne vers à Saint-Amand, voulut écrire la vie de saint Gyr et
de sainte Julitte. N'ayant auprès de lui que les actes apocryphes, il les
corrigea, mais ne parvint pas à donner à son ouvrage la moindre auto-
rité. Son travail se trouve parmi ses œuvres dans la Patrologie de Migne,
t. 132. Or, tous cçs actes faux ou vrais portent le récit de la translation
des reliques de saint Gyr en Orient, on peut donc y ajouter foi.
Voici ce que disent les Bollandistes des manuscrits dont nous avons
parlé plus haut : « Miranda sunt quse Romse descripsimus ex manuscripto
cardinalis Barberini et alio ms. (quod Rom» repertum allcgat Hensche-
nius) in quo hic tituius praefigebatur : incipiunt miracula. » Suit la rela-
tion du voyage d 'Amator en Orient. « Post praemissum titulum ea in
dicto ms. (celui d'Henschenius) sequuntur quse in ms. Barberini im-
médiate subjiciuntur legendae per Hucbaldum impositse. » Suit le fait de
la translation des reliques. Quant à l'écrit d'Hucbaldus, voici leur
opinion : <r Utrique ( aux deux manuscrits ou deux relations dignes
de foi, celle de Théodore et de Mètaphraste) subjungere placet ex
codice Bodecensi, acta apocrypha (ce manuscrit « Bodocensis » est la
traduction des actes apocryphes que Hucbaldus suivit, en lu conn-
geant) ut posse cognoscere et sestimare lector possit, quid distent aéra
lupinis, minusque miretur, non majorem a nobis haberi rationem eorum
quse Hucbaldus edidit. . »
Voici enfin leur opinion au sujet de l'absence de cette relation dU
voyage en Orient dans la vie d'Amator par Etienne : « Licet in ea (vîtâ)
nihil de ejusmodi sancti Amatoris peregrinatione legatur, non débet ea
prorsus incredibilis videri, cum ad finem ejusdem quinti sœculi, cujus
initio Amator obiit, adeo passim nota fuerit passio sancti Quiricii apo-
crypha ( ulique cum reliquiis perlata ex Oriente et eodem tempore latine
reddita) ut Gelasius papa de eà necesse habuit judicium ferre... » Acta
sanctotnim, t. III de juin, p. 17 et suiv.; 1. 1 de mal, p. 50.— Martyrologe
annoté par Baronius, au 16 juin et 1" mai. — Notice historique sur
Hucbaldus, Patrologie latine, édit. Migne, t. GXXXII, col. 815 et suiv.
— 113 —
Il y a loin, on le voit, entre l'affirmation de Rufïi, etc., et la
relation des manuscrits. Saint Amator n'a cédé un bras de
saint Cyr qu'à son compagnon Savin : « solo tantum pueri
bracchio sancti Savin i precibus, concesso ». Ce n'est donc point
saint Amator qui a donné ces reliques aux Cassianites de
Marseille. Ce n'est donc pas au début du Ve siècle que celles-
ci ont pu les recevoir. L'affirmation des auteurs précités est
donc fausse, tout au moins fort hasardée et sans preuve.
Inutile, croyons-nous, de nous arrêter au dire de l'abbé
Darras dans son Histoire générale de V Eglise, au sujet de
cette translation des reliques de saint Cyr. Suivant cet
auteur, Amator aurait fait le voyage en Orient et en aurait
apporté les reliques du saint martyr, avant d'être évoque.
« Ainsi que tous les nobles gallo-romains de son temps,
Amator avait passé son adolescence dans les célèbres écoles
d'Autun, de Lugdunum et de Burdigala. Il avait complété son
éducation par un voyage en Italie et en Orient. A Antioche,
accueilli par le clarissime comte Sabinus, gouverneur de
Syrie, il avait assisté à l'ouverture du tombeau de sainte
Julitte et de saint Cyr. Les reliques sacrées qu'il en obtint
enrichirent les églises des Gaules auxquelles il les dis-
tribua (1). » Et Darras raconte à la suite le mariage d'Amator,
puis son ordination sacerdotale et épiscopale. Il y a dans ces
lignes une série d'inexactitudes. Le manuscrit Barberini dit
que : « sanctus Amator, episcopus Antissiodorensis fines Antio-
chiae peragrans... honorificè tumulavit... (2) ». Baronius,
dans les notes sur le Martyrologium, dit : « Translata fuisse
horum sanctorum corpora per S. Amatorem episcopum (3) » .
Saint Amator était donc évêque quand il apporta en Gaule
les reliques de saint Cyr.
Le manuscrit Barberini parle d'un « clarissimo viro Savino
comité ». Ce Savin était un prêtre ou un diacre qui accompa-
gnait l'évéque dans son voyage et non pas un gouverneur de
Syrie (4). Le manuscrit Barberini affirme qu'Amator ne céda
(1) Darras, Histoire fie l'Eglise, t. XII, p. 520.
(2) Voir plus haut le texte de ce manuscrit.
f3) Baronius, au iM et au lG.juin.
(4) Les Bollandistes avouent ne pas connaître qui était ce Savin. Ce
— 114 —
qu'à son compagnon Savin un des bras du saint martyr. Que
reste-t-il de vrai du récit de Darras?
Il y a une autre preuve, assez forte, croyons-nous, pour ne
pas dire péremptoire. On lit, en effet, à un endroit du Polypti-
que de Vadalde, dont nous avons déjà parlé, la : a descriptio
mancipiorum Sanctae Mariae et Sancti Gyrici Massiliensis facta
temporibus Vadaldi episcopi, indictione VI ». Nous explique-
rons plus tard comment ces mots: a Sancti Cyrici » furent
mis au XI* et XII* siècles sur cette charte, au lieu des mots
a Sancti Victoris » que Ton y voyait, et comment l'abbaye de
Saint-Sauveur, remise en possession, au XI* siècle, des biens
que le Polyptique désignait en 814 comme appartenant à
Saint- Victor ou à la cathédrale, les replaçait sous la rubrique
de Saint-Cyr, vocable antique de cet abbaye.
Mais sur ce fait matériel nous établissons cet argument :
D'une part, si Saint-Cyr a été le vocable de l'abbaye cassia-
nite avant qu'elle portât celui de Saint-Cassien, c'a été de l'an
415 environ à Pan 500. Saint Gassien est mort vers 460, et,
nous Pavons dit, il est fort probable que les Cassianites n'aient
pas attendu longtemps pour placer leur monastère sous la
^protection de leur fondateur. Retardons, si Pon veut, jusqu'en
550.
D'autre part, et par voie de conséquence, Saint-Cassien a
été le vocable du monastère depuis 500 ou 550 jusqu'à l'épo-
que de sa ruine vers 923. En effet, ceux qui soutiennent que
Saint-Cyr a été le vocable primitif ne peuvent raisonnable-
ment affirmer qu'après avoir remplacé ce vocable par celui
de Saint-Cassien en 597, les religieuses Pont repris de nouveau
postérieurement à 597. Pourquoi, en effet, auraient- elles
quitté le titre de Saint-Cassien pour reprendre celui de Saint-
Cyr qu'elles avaient déjà laissé avant 597 ?
Or, au XI* ou au XT1* siècle, on inscrit sous la rubrique
de Saint-Cyr des biens qui ont jadis appartenu à l'abbaye
cassianite, alora qu'elle portait ce nom de Saint-Cyr. En affir-
mant qu'elle a porté ce vocable de 415 à 500 ou 550, on
n'était ni un évoque, ni un personnage illustre ; ils croient que c'était
un prêtre ou un diacre. [Acta SS.y Boll., t. III de juin et t. I de mai, vie
de Saint Cyrice et vie de Saint Àmator.)
— 115 —
affirme partant qu'il s'agit de biens appartenant à l'abbaye
à cette époque primitive de 415 à 550. Or, peut-on croire
d'abord qu'au lendemain de sa fondation l'abbaye cassianite
possédait tant de biens ? Ensuite, comment expliquer, durant
cette époque assez paisible de 415 à 550, cette dépossession
totale de Saint-Cyr en faveur de Saint-Victor ou de la cathé-
drale (1) ? Il faudrait supposer une série de circonstances qui
ne se sont pas rencontrées à cette époque (2). Donc, au XI° siè-
cle, on ne veut pas parler de biens ayant appartenu à l'abbaye
cassianite à cette époque primitive, 417-550, mais de ceux qui
avaient pu lui appartenir postérieurement à 415-550 et anté-
rieurement à 814, à une époque qui par ses agitations et ses
bouleversements explique cette transmission successive des
biens de l'abbaye de Saint-Oyr à Saint- Victor ou à la cathé-
drale. Or, dès 597, le vocable de l'abbaye est Saint-Cassien.
Si, au XI* siècle, on avait voulu parler des biens, propriétés de
l'abbaye vers le VI° siècle, c'eût été sous le vocable do Saint-
Gassien qu'on les aurait inscrits. On les a placés sous le nom
de Saint-Cyr, donc on a voulu parler des biens qui ont appar-
tenu à l'abbaye postérieurement encore au VI" siècle. Donc
c'est postérieurement à 597 que l'abbaye a été sous le vocable
de Saint-Cyr. Donc ce vocable de Saint-Cyr a été porté après
celui de Saint-Cassien.
La seconde raison que Ton alléguait ne vaut pas davantage.
Nous croyons pouvoir prouver un peu plus loin, dans ce tra-
vail, que l'inscription de sainte Eusébie, rangée par Edmond
Leblant parmi celles du VI* siècle, appartient à une époque
postérieure, au VII? siècle. Donc encore ce n'est pas au début
du V* siècle que le monastère cassianite se trouvait placé sous
le vocable de Saint-Cyr.
A ces raisons négatives nous pouvons en ajouter de positi-
ves. D'abord, il est impossible que ce soit saint Amator qui
ait donné les reliques de saint Cyr à l'abbaye cassianite, et
(1) Rappelons-nous que, dans le Polyptique, en 814 ces biens sont
sous la rubrique de Saint- Victor, et que ce mot « Victoria » a été gratté
et remplacé par celui de « Cyrici > au XI- ou XIIe siècle.
(2) On le verra dans les chapitres de ce présent ouvrage, où il s'agit
des invasions des Vandales, Visigoths, etc.
— 116 —
qu'ainsi cette abbaye ait porté ce nom dans le V* siècle.
En effet, saint Amator est mort en 418 (1). Il a dû effectuer
son voyage en Orient avant 418 et donner des reliques de saint
Gyr aux Cassianites, en supposant qu'il en ait laissé, au plus
tard dans l'année 418. Or, M. de Rey fixe à l'année 420 la fon-
dation de l'abbaye.
La conclusion est facile à tirer. Mais supposons que l'abbaye
ait été fondée en 410, suivant André, en 415 suivant d'autres.
Ou bien saint Amator a donné ces reliques avant la fondation
de l'abbaye, avant 415, si déjà le saint évéque avait effectué
son voyage en Orient, car on ne connaît pas la date précise de
ce voyage ; ou bien il les a données après la fondation de l'ab-
baye, de 415 à 418. S'il les a données avant la fondation de
l'abbaye, avant 415, ce sera Cassien lui-même qui, pour ho-
norer ce saint martyr d'Antioche, aura placé le monastère dès
sa fondation sous son vocable. Or, la plupart des auteurs, Ruf-
fi, André, etc., disent que l'abbaye, au début de son existence,
avait pour titulaire la Sainte Vierge !! Cassien aurait-il donné
au monastère des femmes et le vocable de la Sainte Vierge et
celui de Saint-Cyr, comme il l'avait fait pour le monastère
des hommes qui était élevé a in honore Beatissimse semperque
Virginis Mariae vei Sancti Victoris martyris (2) r> . Alors, pour-
quoi la lettre de Grégoire le Grand à l'abbesse Respecta ne fait-
elle mention que d'un seul vocable : celui de Saint-Cassien ?
Pourquoi l'inscription de sainte Eusébie ne porte-t-elle encore
que le nomade Saint-Cyr ? D'oii vient qu'à ces deux époques le
monastère n'a plus qu'un nom ?
Qu'importe d'ailleurs, la chose pourrait à la rigueur être
possible. Mais, si la Sainte Vierge et Saint-Cyr sont les vocables
donnés par Cassien lui-môme, pourquoi les a-t-on laissés pour
prendre, avant 597, celui de Saint-Cassien ? Ce sont les Cassia-
(t) Saint Amator naquit vers 344. Il fut sacré évéque vers 388, et mou-
rut le 1er mai 418. Sa vie fut écrite vers 580 par un Stephanus Africanus.
De plus, Gonstantius , qui a écrit la vie de saint Germain d'Auxerre,
parle aussi de saint Amator. — Darras, Histoire de l'Eglise, t. XII,
p. 534.— Acta Sanctorum, 1" mai, t. I, de mai, p. 51. — Baronius,
notes in Martyrologium, au 1er mai et au 16 juin.
(2) Gartulaire de Saint-Victor, passim, chartes.
— 117 —
nites, dira-t-on, qui, en souvenir de leur père qu'elles regar-
dent et vénèrent comme un saint, ont sacrifié le vocable de
Saint-Cyr pour adopter celui de leur fondateur. Soit. D'où
vient qu'elles ont quitté ce vocable de Saint-Cassien qui leur
était si cher, pour prendre plus tard celui de Saint-Cyr ? car,
avant 814 et postérieurement à cette date, l'abbaye était sous
ce nom, nous l'avons dit tantôt. Non, ce n'est pas saint Gassien
quia donné le vocable de Saini-Cyr à son abbaye, et les reli-
ques de ce saint martyr n'ont pas été portées par saint Amator
avant la fondation de l'abbaye, antérieurement à 415.
Saint Amator les a-t-il données, après cette fondation, de l'an
415 à Tan 418? C'est encore impossible. L'abbaye étant fondée,
Cassien la place sous le vocable de la Très Sainte Vierge. C'est
croyable, nous l'avons dit. Quelques années après, recevant
de saint Amator ces précieuses reliques, il changera le vocable
de la Sainte Vierge et le remplacera par celui de Saint-Cyr!
C'est à peine croyable. Réunira-t-il ces deux vocables? Alors
encore pourquoi cette inscription de sainte Eusébie et la lettre
à Respecta ne font-elles pas mention de ce double vocable ?
Pourquoi encore, comme on vient de l'objecter plus haut, les
Cassianites ont-elles quitté ces deux vocables pour prendre
celui de Saint-Cassien ? Pourquoi enfin, y revenir au IX* siè-
cle?
Non, il y a impossibilité à ce que ce nom de Saint-Cyr ait été
donné par Cassien de 415 à 418, ou après 420 ; impossibilité à
supposer que saint Amator ait porté lui-môme ces reliques à
l'abbaye. Donc celle-ci n'a été sous le vocable de Saint-Cyr
qu'après avoir été sous celui de Saint-Cassien.
A la suite de quelles circonstances ce vocable de Saint-Cyr fut
attribué au monastère cassianite? Il n'y a pas de doute qu'il
n'y ait un fond de vérité dans ce que les auteurs affirment, à
savoir que c'est à l'occasion du don fait à ce monastère de quel-
ques reliques de ce saint martyr, qu'il fut placé sous son
patronage. La dévotion à saint Cyr a été très grande, à une
époque, en France (l).On réclamait de tous côtés, dit Saussay,
(1) La cathédrale de Nevers, au IXe siècle, était dédiée à Saint-Cyr.
Acta sanctorum, Bolland , t. III, de juin.
— 118 -
des parcelles de ces vénérables reliques. Un grand nombre
d'églises et de monastères furent élevés en son honneur (1).
L'abbaye cassianite de Marseille dut recevoir quelque relique,
que d'ailleurs elle a conservée pendant bien longtemps (2), et
échangea son ancien vocable avec celui de Saint-Cyr qui alors,
pourrait-on dire, était à la mode.
À quelle époque eut lieu ce changement ? Il n'est guère
possible de le dire. Le culte de saint Cyr est très ancien
en Provence, il faut donc remonter bien haut. D'une part,
en effet, les détails que nous donnerons plus tard sur le
Polyptique de Vadalde indiquent qu'antérieurement à 814
l'abbaye portait ce nom de Saint-Cyr; d'autre part, en 597,
elle portait celui de Saint-Cassien, peut-être depuis une
centaine d'années, et elle l'a conservé encore un demi -siècle
au moins. A cette époque, le souvenir de saint Cassien
commence à se perdre. Plusieurs générations ont passé depuis
la mort du saint fondateur. On ne tient plus autant à l'ancien
vocable. Survienne un événement favorable et le changement
s'opérera sans difficulté. L'occasion se présenta. Vers 650
environ, on dut apporter ces reliques de saint Cyr et ce nou-
veau titulaire fut adopté. Combien de temps le garda-t-il ?
L'inscription que nous avons du tombeau de sainte Eusébie
porte cette mention : in monaaterio sancti Cyrici, Or, nous
fixons à 738 la date de la mort de cette martyre. Au VIII* siècle
donc l'abbaye cassianite était sous le vocable de Saint-Cyr.
En 838, lorsque les Normands enlevèrent un grand nombre
(1) t Quorum sacratissima pignora inde in Gallia per sanctum Ama-
torem Antissiodorensem episcopum (eu m in Orientera peregrinatus est)
alla ta, ambitiosaque populorum petitione dispertita, sacraria plurima-
rum ecclesiarum ditaverunt. eamque in ipsos martyres excita verunt
devotionem ut basilicaî multae in eorum cœlitum honorem mox fuerunt
conditae, monasteriaerecta... > Saussay, Supplementum Martyrologii
gallicani (Sanctorum Cyrici et Julittae, 16 kalendas julii), pp. 360, 361.
(2) Saint- Germain d'Auxerre, voyageant en Italie, portait sur lui des
reliques de saint Cyr. Il mourut à Ravenne, et ces reliques demeurèrent
dans cette ville. Qui sait si les reliques de saint Cyr ne vinrent pas aux
Cassianites de Marseille par l'intermédiaire de quelque moine qui les
leur apporta d'Italie ? — Acta sanctowm, Bolland., t. I, de mai ; vie de
saint Amator.
— 119 —
de religieuses; en 923, lorsque les Sarrasins détruisirent
l'abbaye, conservait-elle ce vocable? Aucun titre que nous
connaissions ne l'indique. Nous croyons cependant qu'en
mémoire de sainte Eusébie et de ses héroïques compagnes, les
Gassianites, qui avaient relevé le monastère incendié au
VII? siècle, avaient dû être heureuses de le garder.
Le monastère qu'Elgarde fondait et bâtissait en 1004, quel
nom portait-il? Très probablement ce n'était pas celui de
Saint-Cyr; dans la tourmente, ce nom et ses gloires avaient
disparu. Ce fut le vocable de la Sainte Vierge que Ton adopta.
En effet, vers 1031, lorsque Tabbesse Adalmoïs relève le monas-
tère déjà en ruines et que Déodat, évoque de Toulon, lui
accorde quelques libéralités (1), ctst la Très Sainte Vierge
qui en est la patronne. De même en 1050, puisque la vicom-
tesse Stéphanie fait une donation au « cœnobium Sanctœ
Mariae Virginis (2) ». Mais, à cette date, un second vocable
apparaît : celui de Saint-Sauveur, « cœnobium Sancti Salva-
toris (3) ». Depuis quelle époque le donnait-on à l'abbaye ?
Etait-ce depuis la première restauration du monastère, ou
seulement depuis quelques années? Ruffi semble supposer que
c'est depuis l'arrivée des Cassianites en ville, a Lorsque les
religieuses se axèrent au lieu où elles se trouvent, qui est
situé sur une petite éminence, elles lui changèrent le nom, et
lai donnèrent celui de Saint -Sauveur (4) » . C'est le titre qu'il
a gardé, à travers les siècles, jusqu'à son extinction en 1793.
En résumé donc, de 415 à 550, l'abbaye fut sous le vocable
de la Sainte Vierge, de 550 à à 650 sous celui de Saint-Cassien,
de 650 à 923 sous celui de Saint-Cyr, de 1004 à 1032 sous celui
de la Sainte Vierge, de 1050 à 1799 sous celui de Saint-
Sauveur.
(t) c . . . Deodatus episcopus Telonensis, donans monacharum monas-
terio quod in hoaorem Oei Ctenitricis Mariœinfra muros Massiliae situm
est... s Provinciœ Massiliensis Annales, par Guesnay, p. 292.
(2) André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur,
pièces justificatives, B, p. 206.
(3) Dans la même donation on lit en effet: c Dono... Deo omnipo-
tent!, et beat» Maria et cœnobio Sancti Sa 1 va tons Massilise. .. » André,
op. cit., p. 206.
(4) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 58.
— 120 —
Complètement fausse est donc l'opinion de ces auteurs qui,
ne parvenant pas à établir Tordre successif suivant lequel les
divers noms de l'abbaye cassianite ont été portés durant les
siècles, ont eu l'idée d'affirmer qu'il y avait eu à Marseille,
trois ou quatre monastères de religieuses,à peu près à la même
époque. Papon nomme celui de Saint-Sauveur, qui, bâti près
de Saint-Victor, portail le nom de Saint-Cyr lorsqu'il fut dé-
truit par les Sarrasins qui massacrèrent sainte Eusébie et ses
compagnes ; puis celui de l'Huveaune bâti et fondé encore par
Cassien et dont les religieuses qui l'habitaient eurent le même
sort que sainte Eusébie (1).
Guesnay, dans son Cassianus illustraius, énumère jusqu'à
quatre monastères de femVnes qui ont existé à Marseille : celui
de l'Huveaune, celui de Saint-Sauveur, celui fondé par Dyna-
mius en l'honneur de saint Cassien, et celui de Saint-Zacharie
au pied de la Sainte-Baume (2).
On comprend que de telles assertions devraient être basées
sur quelques documents, pour être prises au sérieux. Or, pas la
moindre preuve. Inutile donc de nous arrêter à discuter. Il
n'y a jamais eu à Marseille, du Ve au XI? siècle, qu'un monas-
tère de religieuses, qui a changé souvent de nom comme
souvent il a changé de place.
(1) Papon, Histoire de Provence, t. I, p. 360.
Le Père Lecolnte, dans les A nnales ecclesiastici Francorumtk la suite
de Guesnay, parle du monastère de l'Huveaune et de Saint-Cassien
comme de deux monastères bien distincts.
L'abbé Magloire Giraud est tombé dans la même erreur. Le monas-
tère de filles fondé par Cassien à Marseille est bien différent d'un monas-
tère de Saint-Cyr, qui se serait élevé à Saint-Cyr du Var, dans sa
paroisse.
La Gallia christiana fait de même. Outre le monastère de Saint-
Sauveur, elle place un monastère des Accoules fondé vers 1033 entre
l'abbaye de Saint- Victor et la rivière de l'Huveaune ; t. 1, col. 696.
(2) S. Cassianus* illustralus, par Guesnay, ch. XVII, p. 409.
M. le chanoine Bayle, dans la Vie de Saint Sérénus, demande si le
cœnobium de Saint-Cassien , dont Respecta était abbesse, était le même
que celui qui s'appela du nom de Saint-Cyr. Il cite l'opinion de Mgr de
Belsunce et celle de Guesnay. (Vie de Saint Sêrênus, par l'abbé Bayle,
p. 36.)
CHAPITRE IV
Le quartier de Saint-Giniez du Ve au XIe siècle
Troisième question préjudicielle
LE TERROIR DE SAINT-GINIBZ HABITÉ AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE. — IL
ÉTAIT HABITÉ AU IX* SIÈCLE, CHARTE DE CARVILLAN DE 840 ; — AU
Xe SIECLE, LB8 DEUX RIVES DE L^UVEAUNa SONT HABITEES ; — AU
XI» SIECLE AU8SI ; — DONC, ELLES L*ONT ÉTÉ DU V AU VIII- SIÈCLE
— SAINT-GINIEZ « IN RIPA MARIS ». — SOUS LES BARBARES ON A PU
CULTIVER CETTE PARTIE DU TERROIR. — LES INVENTAIRES DE
VADALDB EN 818, ET DE VENATOR EN 896.
Un point encore à établir c'est que le quartier de Saint-Giniez
n'était point aussi désert, aux V, VI", VIIe et VHP siècles, que
certains auteurs ont bien voulu le dire.
De tout temps, il a été habité.
Pour l'époque antérieure au christianisme, et pour les pre-
miers siècles de notre ère, M. l'abbé Daspres nous donne de
cette assertion des preuves surabondantes dans sa Notice sur
Saint-Giniez (1). Lors des fouilles opérées à l'occasion de
l'agrandissement de l'église, on a découvert des poteries en
grès d'un gris foncé, des débris d'amphores et des dolium, in-1
diquant l'époque gréco-marseillaise, le VII- ou le VP siècle
avant Jésus-Christ ; puis des poteries de fabrication gauloise
d'un travail plus fini, indiquant l'influence de la domination
romaine, et l'époque plus récente du II0 siècle avant notre
ère ; ensuite des poteries romaines importées en Gaule, les
unes avec le vernis noir et brillant, que Ton est convenu d'ap-
(1) Xotice hiëtovique, topor/raphique et hayiologique sur Saint-Giniez
par l'abbé Daspres; Notes et pièces justificatives, p. 129 et suivantes;
— 122 —
peler poteries étrusques ; les autres avec le vernis d'un rouge
vif, et le grain lin et délicat, rappelant les belles poteries si-
gnées Ruûus, contemporain deMarius; enfin, des poteries
gallo-romaines, c'est-à-dire faites par les Romains en Gaule,
vers la même époque. En outre, la pioche des terrassiers mit à
découvert des constructions antiques qui jadis avaient servi
de citernes, de réservoirs; des médailles de Nerva et d'Antonin ;
des tombes gallo-romaines éparses çà et là, ou placées dans
les citernes hors d'usage mentionnées plus haut. Ce sont tout
autant de témoignages, que de temps immémorial l'emplace-
ment où se trouve l'église a été fréquenté ; de preuves et d'in-
dices qu'une villa romaine avait dû s'élever dans cette position
si délicieusement abritée.
De plus, cette église de Saint-Giniez, édifiée dans cette partie
du terroir et en ruines dès 1044, semble indiquer l'existence
d'un sanctuaire chrétien très ancien. L'archéologie, en effet,
regarde comme un axiome que partout où l'on rencontre un
sanctuaire chrétien très ancien, là devait se trouver un
sanctuaire païen. Où s'élève Saint-Giniez aujourd'hui, là
presque certainement se trouvait quelque lucus, quelque
bois sacré, quelque oratoire du paganisme (1). De tout temps
donc ce quartier a été habité. A elles seules, ces preuves
ci-dessus mentionnées nous conduisent, du VI* siècle avant
J.-G. aux 1?, IIP et IV siècles après.
Si nous ouvrons maintenant le cartulaire de Saint- Victor;
si nous nous aidons des travaux de M. l'abbé Daspres, curé de
Saint-Giniez, et de M. l'abbé Arnaud, curé de Sainte-Margue-
rite (2), nous arrivons à cette conclusion : que ce quartier de
Saint-Giniez, que les deux rives de l'Huveaune, depuis Sainte-
Marguerite jusqu'à la mer, étaient cultivés et habités dès Tan
800 ou 900.
En effet, sur la rive gauche de l'Huveaune, dès Tan 840,
Sigobertus, et son épouse Euberba donnent à l'abbaye de
Saint-Victor la terre deCarvillan (3J, vaste tèneraent qui avait
(1) Daspres, Notice sur Saint-Giniez, ut supra, p. 11.
(2) Notice historique et topographique sur Sainte-Marguerite, par
l'abbé Arnaud, pansim.
(3) «... lu suburbio Massilieuse, villam quœ dicitur Garvilliauus, id
— 123 —
pour limites, au midi le sommet des montagnes, au nord le
rivage de l'Huveaune, et qui s'étendait du pont de Yivaux
actuel jusqu'aux premières maisons situées sur le bord de
l'Huveaune, près de Sainte-Marguerite. Or, ce tènement n'était
pas inculte. La charte de donation qui en fait la description
dit qu'il y avait des maisons en état d'être habitées, d'autres
en ruines, des terres cultivées, des terres incultes, des vignes,
des prés, des pâturages, des bois, des taillis, des vergers, des
arbres fruitiers et des arbres de haute futaie. Forcément, il y
avait dans ce domaine des serfs, des colons, des cultivateurs.
Et si, en 840, ce domaine était en état de prospérité, s'il y
avait des maisons en ruines, on peut, sans trop hasarder de
conjectures, dire qu'en 800 ce coin du terroir de Saint-Giniez
était habité.
Descendons plus bas vers la mer, toujours sur la rive
gauche de l'Huveaune. Il y avait là des marécages, les paluds
d'Arculens, des terres gastes, des terres incultes, le gast de
Romagnac. Or, en 965, Honoré II, évoque de Marseille (1) se
rendit à Arles, auprès de Boson, comte de Provence, et lui
demanda de restituer à l'église de Marseille et à l'abbaye de
Saint-Victor certaines terres qu'il détenait injustement,
quoique de bonne foi. Entre autres terres qu'il réclamait, il y
avait celle de Romagnac, sur le fleuve de l'Huveaune, le
terroir actuel de Bonneveine. Saint Honoré prouva, sur la
déposition de témoins sûrs et fidèles, le bien fondé de ses
revendications et cette terre lui fut rendue.
Or, si en 965 Boson détient ces terres, si des témoins
« scientes ac cognitores » affirment que ces biens apparte-
naient auparavant à la cathédrale ou à Saint-Victor, nous
arrivons à l'an 900. Et, comme ni l'abbaye de Saint-Victor, ni
est casis astantibus et dirutis, terris cultis et incultis, vineis, pratis,
pascuis, 8ilvis, montibus, garricis, ortis, pascuis, arboribus pomileris et
impomileris, aquis aquarumve decursibus, accessisque omnibus cum
omni integritate absque ullà diminutions. » Gartulaire de Saint-Victor,
ch. 28, du 24 juin 840.
(1) Gartulaire de Saint-Victor, charte 29, de mars 965: c... interea
namque episcopus, scientes et bene cognitores ac testes fidèles adhibens,
voluit... d
— 124 —
la cathédrale ne les possédaient pas depuis quelques années
seulement, on peut arriver jusque vers l'an 850. Dès cette
époque, il y a en ces lieux des colons, des habitants ; car,
quelque inculte que soit une terre, il y a toujours des habi-
tants, ne fût-ce que des gardiens de troupeaux. Donc, de 800 à
850 la rive gauche de l'Huveaune, du pont de Vivaux à la
mer, est habitée.
Passons sur la rive droite. Le même document (1) que nous
venons de citer nous montre Boson restituant à Saint- Victor
deux autres terres : Tune le Ligus Pinis, partie boisée du terroir
sur le versant sud de la Garde; l'autre, Fabias, située au con-
fluent du Jarret et de l'Huveaune. Et nous disons comme plus
haut : si Boson les détient en 965, et si, avant qu'il les possédât,
elles appartenaient à la cathédrale ou à l'abbaye de Saint-
Victor, nous remontons encore à Tan 800 ou 850.
Nous trouvons dans plusieurs chartes d'autres preuves que,
dès la lin du XI* siècle, les deux rives de l'Huveaune étaient
habitées.
Pour la rive gauche d'abord. En 1030, un certain Boniface
donne à Saint- Victor une terre en partie cultivée, en partie
boisée, située auprès de l'église de Sainte-Marie de Margue-
rite (2). La charte 42, qui doit être de 1050, indique les terres
cultivées et non cultivées de Mont-Redon, au delà de l'Hu-
veaune, comme appartenant à Saint-Victor (3). En 1072, Pons II,
évoque de Marseille, donne à l'abbaye l'église de Sainte-Mar-
guerite située entre Carvillan et l'Huveaune, avec toutes ses
terres cultivées et non cultivées, ses sources et ses jardins (4).
Une charte de l'an 1097 énumère plusieurs portions de terre
cédées à Saint- Victor par des particuliers. L'une de ces terres
est dans la vallée de Mazargues, près du chemin qui va à Mont-
Ci) Charte 29, de mars 965, Cartulaire de Saint- Victor.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, charte 91, de 1030 : « . . . omnem partem
meam, henni et culti. . . »
(3) c . .. ultra Vuelna, in Podio Rotundo, terra erma et cul ta.» Cartu-
laire de Saint- Victor, charte 42, scecuL XL
(4) « ... ecclesiam Sanctse Mari» quae dicitur Margarita, cum omni-
bus appendiciis suis, in terris cultis etincultis, cum fonte et ortis quœ ibi
tiferi possunt. . . » Cartulaire de Saint- Victor, charte 80;
— 125 —
Redon, l'autre à Homanana, Bonneveine; une autre au palus
d'Archulens ; deux autres encore près de Mont-Redon (1). La
rive gauche est habitée au XI* siècle.
lien est de même pour la rive droite. En 1030 Guillaume et
Fulco, vicomtes de Marseille, Pons II, évoque de cette ville,
donnent ou plutôt restituent aux moines de Saint- Victor le
moulin qu'ils avaient bâti jadis à grands frais, situé au con-
fluent du Jarret et de THuveaune (2). En 1062, Lambert, fils
d'Adalbert, et son épouse donnent à Saint-Victor une terre en-
tre le béai et l'Huveaune (3). En 1065, Pons et Geoffroy, fils
du vicomte de Marseille, Guillaume, rendent à Saint- Victor des
terres qu'on lui avait enlevées et qui étaient situées entre la
rive du Jarret et le jardin des moines, près de Saint-Giniez (4).
En 10S0, Fougues Humbert cède au monastère uue terre située
entre le Jarret et le jardin des moines à Saint-Giniez (5). En
1080 encore, Iterius et Aicelena cèdent à Saint- Victor une pièce
de terre, près de THuveaune et du béai du moulin de Saint-
Giniez (6). Enfin, la charte de 1097énumère les donations fai-
tes à Saint-Victor de terres situées près de l'église de Saint-
Giniez, dans les marais d'Antignane, à, l'embouchure de THu-
veaune, au marais Framaud, et dans toute l'étendue du terroir
de Saint-Giniez (7).
Inutile de pousser plus loin la nomenclature. Les chartes
sont si nombreuses ; si précis, si détaillés sont les rensei-
gnements qu'elles fournissent, que Ton pourrait, si Ton vou-
lait, dresser le plan cadastral des deux rives de THuveaune,
au XI* siècle. Les deux rives sont habitées. C'est l'abbaye de
(1) Daspres, Notice *uv Saint-Giniez t op. cit., pièces justifie.» note C;
charte inédite de Saint-Victor, cotée n* 789, diocèse de Marseille, n* 317.
(2) Chartes 20, 21, 22 du Cartulaire : « ... ortorum, pratorum vel ar-
borura et omnium omnino rerum quae in supradicto termino, monachi
Saocti Victoris sedilicavërunt... ipso molendlno quem monachi aedifica-
verunt cum raagoo labore et multis sumptibus. . . »
(3) Charte 35 du Cartulaire de Saint-Victor, 1062.
(4) Cartulaire de Saint-Victor, charte 84, de l'an 1065-1079.
(5) Cartulaire de Saint- Victor, charte 148, de 1080.
(6) Cartulaire de Saint-Victor, chartes 1087, 1088, de l'an 1080.
(7) Daspres, Notice vur Saint-Giniez, charte inédite, pièces justifica-
tives.
9
— 126 —
Saint- Victor qui a en sa possession la presque totalité de cette
partie du terroir, et, comme M. l'abbé Daspres Ta dit : * Dès
ce moment l'abbaye n'a plus rien à y acquérir (1).»
Or, nous disons que si ces rives de l'Huveaune sont habitées
de Tan 1000 à Tan 1100, elles Tétaient déjà dès le IX' siècle.
En effet, est-ce que la mise en valeur de ces terres date de
quelques années à peine? Non. Dans les chartes 20 et 21
il s'agit de la restitution faite aux moines de Saint-Victor de
prairies, de jardins que ceux-ci ont défrichés, du moulin lui-
même qu'ils ont bâti à grands frais et avec beaucoup de travail.
Or, les moines n'ont pu construire ce moulin postérieurement
à l'an 923, époque de la destruction du monastère. Ils ont dû,
depuis cette époque jusqu'à celle où les chartes 20 et 21 ont
été rédigées, en 1030, s'occuper d'abord de la restauration de
leur abbaye ; il s'ensuit que les vicomtes de Marseille qui res-
tituent ce moulin en 1030 ont dû s'en emparer à l'époque de
la destruction de Saint-Victor en 923. La construction de ce
moulin date donc au moins des dernières années du IX* siècle.
De plus, est-ce que les particuliers qui font donation à
Saint- Victor, au XI' siècle, de quelques-unes de leurs terres,
sont les propriétaires primitifs de ce sol ? Nullement.
Tantôt, en effet, les chartes disent clairement qu'il s'agit de
biens que l'on restitue ; ainsi, en 1065-1079, Geoffroy, fils du
vicomte de Marseille du même nom, rend à l'abbaye des
vignes, près du Jarret,que Ton avait enlevées à l'autel de Saint-
Pierre de Paradis (2). En 1097, Damalcus, d'Àubagne, et son
épouse Dulciane donnent deux pièces de terre situées à l'em-
bouchure de l'Huveaune et que l'on avait jadis enlevées à
Saint- Victor (3).
Tantôt elles disent que ces biens cédés à Saint-Victor par
ces particuliers leur sont arrivés par héritage. C'est le cas de
Vicherius, qui, en 1040, donne à l'abbaye quelques terres
(1) Daspres, op. cit., p. 19.
(2) c Reddo et guipertionem facio de vineis quas Petrus Nodollo tol-
lebat altario Sancti Pétri de Paradiso.. » Charte 84, cartulaire de
Saint-Victor.
(3) Charte inédite dans Notice sur Samt-Giniez, par l'abbé Daspres,
p. 136.
— 127 —
qu'il a reçues en héritage de sa mère (I ). L'une de ces terres
est située à Àrcolas, sur la rive gauche. C'est le cas de Damal-
cus et Dulciane cités plus haut, qui affirment que ces terres
de l'embouchure de l'Huveaune ont été laissées en héritage à
sa mère (2).
Tantôt elles mentionnent que ces biens donnés à Saint Vic-
tor proviennent de propriétés antérieurement vendues, cédées
aux donateurs, En 1087, l'abbesse Garcende de Saint-Sauveur
cède à Saint-Victor la dime d'un champ qui avait appar-
tenu à Pierre Saumade (3) ; Amelius Candidia, en 1097, donne
la dime qu'il prélevait sur un champ déjà cédé à Saint -
Victor (4).
Tantôt la donation du XI' siècle n'est que la confirmation
d'une donation antérieure. En 1062, Lambert donne à Saint-
Victor une terre que déjà, de concert avec son père et sa mère,
il lui avait cédée (5).
Tantôt ce que l'on donne a été démembré d'une autre pro-
priété. En 1076, Pierre Saumade donne la condamine qui jadis
faisait partie des biens d'un certain David (6).
Tantôt les donateurs montrent bien, par les termes dont ils
se servent, qu'ils sont en possession de ces terres depuis de
longues années.
Tantôt, enfin, il est mentionné dans ces chartes qu'il s'agit
de terres cultivées, de vignes, de prairies que l'on a conquises
sur le marais.
Ces divers modes par lesquels ces biens sont advenus aux
propriétaires du XI* siècle, indiquent clairement que anté-
(1) c Ego dono aliquid de proprietate meâ.. . quae mihi ex succes-
sione matris mese venit.. . » Charte 52.
(2) Daspres, op. citato, charte inédite.
(3) Cartulaire de Saine- Victor, charte 88 : c ... Nos sancti moniales.,
veodimus. . . decimo de campo que fuit de Petro Saumada. . . »
(4) Charte inédite (Daspres, op. cit.)
(5) « Donamus... videlicet totam terram illam, quem jam dictus
pater meus et mater mea et ego donavimus. . . » Charte 95, cartulaire
de Saint- Victor.
(6) « . . . facio venditionem. . . de condaminà ipso, que de menso David
fuit... » Charte 87, cartulaire de Saint- Victor.
— 1-28 —
rieurement au XP siècle cette partie du terroir était cultivée.
Nous pouvons remonter ainsi jusqu'à la fin du IX* siècle.
Que Ton n'allègue pas le texte delà charte de 1097 (1) qui,
parlant des marais de Saint -Giniez, semble affirmer que l'église
dédiée à ce saint se trouvait sur le bord de la mer, a Sancli
Genesii in ripa maris », et qu'ainsi il n'y avait pas d'habitant
en ces lieux.
M. Saurel (2) a supposé que la mer avançait jusqu'à Saint-
Giniez et qu'il y avait là une anse, un marécage se prolon-
geant jusqu'au Rond-Point, et accessible aux barques. Tout
ceci n'est que de la pure imagination. Sans doute au X- et au
XIe siècle, le quartier de Saint-Giniez n'était pas ce quil est
aujourd'hui. Il y avait un marais près de l'église, le « palus
Sancti Genesii » ; un autre vers le Rond-Point, le « palus
Antignana » ; un autre vers le Rouet, le palus Formai ; un
autre entre Saint-Giniez et la mer, vers le parc Borrely, le
palus Archulens. Ils étaient formés soit par l'Huveaune, dont
les eaux, point encore encaissées, ni complètement utilisées
pour les moulins, se répandaient sur les terrains en dépres
sion, soit par les diverses sources qui n'avaient point eucore
un écoulement régulier vers la mer. Mais autre chose un ma-
récage où croissent des joncs, autre cfrose des lagunes où les
barques peuvent naviguer. Cette charte de 1097, qui cite le
« palus Sancti Genesii », celui de Formai, d'Antignane, d'Ar-
coulens, parle précisément de terres que l'on cultive dans
ces marais (3) ; preuve évidente que chaque jour les habitants
faisaient la conquête de quelques portions de terrain sur ces
endroits incultes jusqu'alors.
Ces termes : « Sancti Genesii in ripa maris » sont mis tout
(1) Daspres, op. rit., charte inédite, p 136.
(2) La Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, Saint-Ginie:,
l>p. 151, 152.
C'était aussi quelque peu l'opinon de M. Meynier : Anciens Chemin*
rie Marseille, p. 43. Suivant cet écrivain, l'embouchure de l'Huveaune
se trouvait à Saint-Loup, aux premiers siècles, de sorte que la plaine de
Saint-Giniez aurait été un vaste étang, peut-être le port de Leoniuni
dont il est parié au IX« siècle.
(3) Voir les détails de cette charte inédile, de 1097, dans la Notice w
Saint-Giniez, par l'abbé Daspres, pièces justificatives, note C, p. 136.
— 129 —
simplement pour faire une distinction entre les biens appar-
tenant à Saint-Giniez de Marseille et les possessions des autres
églises, dédiées au même saint martyr, en divers lieux de la
Provence. Il y avait, en effet, beaucoup d'églises, de monastères
sous le vocable de ce saint. Le livre de M. l'abbé Daspres en
indique plusieurs (1). Il y avait Saint-Giniez d'Arles, Saint-
Giniez de de Lodève ; dans les Basses- Alpes, il y en avait deux
autres; dans le diocèse de Rodez, trois; près de Forcalquier,
une ; près d'Apt, une autre ; près de Martigues, une autre ; etc.
Or, chacune de ces églises, chacun de ces monastères relevant
pour la plupart de l'abbaye de Saint -Victor, possédaient des
biens. Afin de ne pas se tromper sur le monastère dont ils
étaient les ressources, on les avait désignés par une rubrique
spéciale. L'église de Saint-Giniez à Marseille s'appelait « Sancti
Genesii in ripa maris ».
Or, nous disons : Le quartier de Saint-Giniez a été habité
vers le IV* siècle, il l'était sûrement dès le IX' ; donc il l'a été
aussi durant l'intervalle qui va du V' au IX- siècle, et ce
n'était pas cet affreux désert que Rutli voudrait nous repré-
senter. Nous n'avons pas, il est vrai, des données précises et
exactes pour faire la description de ces lieux aux V, VI°, VIP
VIII* siècles. L'histoire n'en fournit guère pour cette époque.
Il est assez diflicile de croire cependant, que ce quartier n'était
ni cultivé, ni habité.
D'où proviendrait, en effet, cette solitude qui se serait sou-
dainement faite du Ve au IX- siècle ? Faudrait-il en accuser
les invasions barbares ? Sans doute Goths, Visigoths, Bourgui-
gnons et Ostrogoths sont venus assiéger et piller Marseille
durant ces siècles. Mais faut-il croire qu'ils se soient telle-
ment acharnés sur cette partie du terroir, qu'ils l'aient sac-
cagée, dévastée et qu'ils en aient massacré les habitants?
Sous l'action de ces invasions, les terres ont été enlevées à
leurs possesseurs légitimes, c'est vrai, mais toutes ne res-
taient pas en friche. Le moment de la fureur passé, les enva-
hisseurs eux-mêmes tendaient à se fixer dans les villes qu'ils
saccageaient. A l'exception des Goths d'Ataulphe qui ne firent
(!) Daspres, Notire *i#r Saint-Ginies, p. 115 et suiv.
— 130 —
que traverser la Provence, les Visigolhs d'Euric se fixent à
Marseille et y demeurent au moins vingt ans. Après eux, les
Bourguignons de Gondebaud et de Godégisile y passent un
bon nombre d'années dans une paix profonde. Théodoric le
Grand gouverne la Provence avec une sagesse admirable.
Les Francs l'administrent dans l'ordre et la tranquillité.
Seuls les Sarrasins font exception. Ils furent le fléau dévas-
tateur. Dès leur apparition en Provence vers 730, tout fut
détruit sur leur passage, les colons massacrés, les habitations
dévastées. La charte de Tan 840 mentionne dans le domaine
de Carvillau des « casis adstantibus et dirutis ». Ces destruc-
tions et tant d'autres, c'est à ces barbares qu'il faut les impu-
ter. Déjà donc, avant leur arrivée en nos contrées, le terroir
de Saint-Giniez était cultivé et habité. Ce qu'ils ont détruit
au VIII' siècle existait au Vil* et plus que probablement aux
VI' et V' siècles. Non, on ne peut pas prétexter les invasions
des barbares pour soutenir que notre terroir était désert.
On a dit souvent que les exigences du fisc romain rendaient
la culture des terres très difficile, que les paysans étaient
obligés de se vendre, de se faire esclaves pour vivre , que
d'autres préféraient laisser les terres en friche, prendre les
armes et piller. Sans doute il y avait de graves désordres à
cette époque ; mais de là à dire qu'il n'y avait ni colons, ni
esclaves dans notre terroir, pour le cultiver et l'habiter, c'est
pousser à 1 exagération.
Les quelques fragments dans lesquels se trouvaient inven-
toriés les biens de l'abbaye cassianite, nous sembleraient une
preuve de plus que, dès le VIII* siècle, notre terroir était cul-
tivé. En effet, trois de ces inventaires ont été rédigés sous
l'épiscopat de Vadalde, à l'indiction Xï, qui correspond à
Tan 818 (1). Il ne s'agit pas précisément, dans ce document,
de propriétés situées dans notre terroir. Il en est un cepen-
(1) « Descriptio mancipiorum de agroColumbario, factum tempore Gua-
daldi episcopi, indictione XI ; — Descriptio mancipiorum de agello
Cellas, factum tempore supradicti episcopi, indictione XI ; — Descriptio
mancipiorum de villa Podiolum, juxta fluvium Uvelnœ, factum tempore
supradicti episcopi, indictione XI. » (Armoriai et Sigillographie det*
évéque* fie Marseille, par M. le chanoine Albanés, p. 30.)
— 131 —
dant qui relate la description des serfs du domaine de Colom-
bier; or, Mortreuil place ce domaine au Rouet (1). Mais, si
on fait en 818 un inventaire de ces biens, donc il est permis
de supposer que ceux qui les possédaient en 818 n'en étaient
pas les premiers possesseurs, que ces terres étaient déjà habi-
tées et cultivées lorsqu'ils en sont devenus les propriétaires.
Nous remontons ainsi à l'an*00, 750 ou 700.
Le même raisonnement peut être fait pour le fragment rela-
tant lïnventaire fait la dixième année de l'épiscopat de Vena-
tor vers 896, des biens et des esclaves que l'abbaye cassianite
possédait « in agro Massiliensi (2)». L'« ager Massiliensis »
comprenait Saint-Giniez. Si, en 891, on fait un inventaire des
serfs qui cultivent cette terre ; si l'abbaye n'a pas mis elle-
même ces terres en culture; si elle les a reçues d'un proprié-
taire primitif, il est facile dédire qu'en 800, 750, 700 ce coin
de terre était cultivé, habité, et, s'il l'était au VIP , on se
demande pourquoi il ne l'aurait pas été aux VI* et V* siècles.
Cassien fondant un monastère de religieuses a pu le placer
sur les bords de l'Huveaune. C'était la solitude, mais pas le
désert. Lui qui avait parcouru toutes les thébaïdes ne dut pas
être effrayé de ces marais, de ces bois. Recherchant le calme,
la tranquillité, l'éloignement du bruit du monde pour ses
filles, aucun site n'était favorable comme les rives de l'Hu-
veaune et la vallée de Saint-Giniez (3).
Ces prolégomènes établis, abordons les objections que les
divers auteurs apportent contre notre thèse.
(t) Dictionnaire topoyraphique de V arrondissement de Marseille,
par Mortreuil ; verbo Colombier, pp. 114, 115.
(2) c Descriptio mancipiorum de agro Massiliensi, factum terapore
Venatoris episcopi, decimo anno episcopatus ejus. » (Armoriai et Sigil-
loyraphie des êvêques de Marseille* ut supra, p. 30.)
(3) (l'est le sentiment qu'exprime M. de Rufïi (le père), lorsqu'il écri-
vait dans son Histoire de Marseille, p. 285 : « Cassien, qui était le fon-
dateur de cette abbaye et qui faisait profession de vie solitaire, voulut
bâtir cette maison en ce lieu écarté. »
DEUXIÈME SECTION
Discussion des Objections
CHAPITRE PREMIER
Texte de la Charte 40 du XIe siècle dans le
Oartulaire de Saint-Victor
OBJECTION DE RUFFI, TIRÉE DE LA CHARTE 40 DU XI* SIECLE.— TEXTE
DE CETTE CHARTE. — DONNÉES TOPOGRAPHIQUES FOURNIES PAR
CETTE CHARTE. — LA TERRE DES RELIGIEUSES DE SAINTE-MARIE.
La première objection qui s'offre à nous- est celle que l'his-
torien lluffi énonce en ces termes : « Une des chartes que j'ai
citées ci-dessus pour prouver que Cassien avait été le fondateur
de ce monastère, marque encore que cet édifice était situé au
pied de la montagne de la Garde (1). » Et nous Favons dit,
avec Rutïi se trouvent la Gallia christiana, Lautard, André,
l'abbé Daspres, etc.
Ruffi n'indique pas clairement de quelle charte de Saint-
Victor il entend parler. Car, quelques lignes plus haut, il
s'appuie « sur deux chartes qui disent formellement que Cas-
sien fut le fondateur de cette maison », et en marge il désigne
le folio 14 du grand cartulaire(2). Au folio 14, il n'y a qu'une
charte qui traite de notre sujet, c'est la charte 40. C'est celle-
<1) Ruffi, HMoire de Marnille, t. II, p. 55.
(2) Ruffi, op. rit., p. 44.
— 134 —
là, d'ailleurs, que les auteurs ci-dessus nommés citent à leur
tour.
Voici le passage de ce document en question :
a Non loin de l'église de Saint-Pierre (1), en dehors de la
porte qui est appelée Paradis, aux environs du chemin public
qui vient de l'église de Saint-Thyrse et se dirige vers le port de
Marseille, sont placées les vignes suivantes. Il y a là une vigne
de la contenance d'une demi-quarterée, qui appartient à
Gairald Blanca Lancea, que celle-ci donna à Dieu et à Saint-
Victor. Elle est bornée à l'orient par le chemin de Lauret;
au midi, par la vigne de Ilichao; au nord, par la terre de
Sainte-Marie ou des religieuses demeurant dans le monastère
fondé par Gassien, terre placée non loin du port; h l'occident,
par le chemin qui conduit à la Garde. »
On devine que la phrase dont Ruffi et les autres auteurs veu-
lent faire une preuve de leur assertion est celle-ci : « au nord,
la terre de Sainte-Marie ou des religieuses qui habitent dans le
monastère fondé par Cassien, terre située non loin du port :
a ... a septentrione, terra Sanctœ Mariae vel sanctimonialium,
non longe a ripa porti supradicti, incœnobio quod Pater fun-
davit Gassianus, consistentium. » C'est sur elle donc qu'il
nous faut concentrer toute notre attention.
Selon Ruffi, il n'y a jamais eu de monastère cassianite sur
les bords de l'Huveaune, mais ce monastère a toujours été au
pied de la montagne de la Garde. La preuve qu'il donne c'est
la phrase ci-dessus indiquée, et voici son argumentation :
Si au début du XIe siècle les religieuses de Sainte-Marie
habitent non loin du port, comme le dit la charte 40, puisque
cette même charte ajoute qu'elles habitaient dans le monas-
tère que leur Père Cassien avait bâti, il est certain que, d'après
cette charte, à toutes les époques et de tout temps, le monas-
tère cassianite s'est trouvé non loin du port, au pied de la mon-
tagne de la Garde, et non pas sur les bords de l'Huveaune. Or,
nous disons qu'il est impossible de prouver pareille assertion
par le texte de cette charte 40. On lui donne un sens qu'il n'a
pas. Pour nous en convaincre, entrons dans les détails.
(I) Cartulairede Saint-Victor, charte \0.
— 135 —
D'abord, de quoi s'agit-il dans cette phrase de la charte?
Dune terre: a terra Sanctae Maris ». Or, où se trouvait cette
terre? La charte l'indique clairement: Elle borne, au nord,
la vigne d'une certaine Gairald Blanca Lancea. Mais cette
vigne de Gairald est bornée au midi par la vigne de Richao,
au levant par le chemin de Lauret, au couchant par le chemin
de la Garde. La charte fournit un autre renseignement : les
vignes dont il s'agit sont situées non loin de l'église de
Saint-Pierre, en dehors de la porte Paradis, aux environs du
chemin public qui vient de l'église de Saint-Thyrse et aboutit
au port de Marseille. Lorsque nous connaîtrons chacun de ces
points topographiques, nous aurons remplacement à peu près
exact de la terre de Sainte-Marie.
Saint-Thyrse est le village actuel de Saint-Loup (l). La « via
quœ venit ab ecclesiâ Sancti Thyrsi et vadit in portu Massi-
liensi » est le chemin de Toulon qui arrive à la place Gas-
teilane, et qui, suivant le vieux chemin de Rome, venait abou-
tir, en faisant un coude, au port, c'est-à-dire à la porte de la
ville qui s'ouvrait au Podium Formicarium, près de l'église
des Augustins actuellement (2).
Le Lauret était un quartier de Marseille placé aux abords
de la place Maronne et vers le milieu du cours Belsunce. Ce
nom lui venait d'un oratoire « l'aouret, l'aouretori » qui se
trouvait en cet endroit. Le chemin qui y menait, à peu près
la rue Saint-Ferréol actuelle, s'appelait la « via de Laureto ».
(1) Sanrtus Tyrsus, anciennement Cent/ri* et plus tard Saint-Thyrs,
aujourd'hui Saint-Loup, village situé sur le territoire de Marseille.
(Dictionnaire géographique du cartulaire de Saint-Victoi\ t. II, p. 924.
— Dictionnaire topographique de l'arrondissement de Marseille, par
Mortreuîl, verbo Saint-Loup, p. 336.)
(2) Cette porte s'appelait Porte de la Calade, parce que de ce point
partait la c via que vocatur Galada », qui conduisait à la plaine de
Saint-Michel parla rue d'Aubagne ou de (a Palud. Ainsi, du Podium à
la nie d'Aubagne, le chemin de Saint-Thyrse s'appelait : via Calada. —
< Usque ad columnam flxam in via que vocatur Calada. » Charte 864,
cartulaire de Saint-Victor. — Statistique des Bouches-du-Rh6ne, t. II,
p. 353. — Histoire analytique et chronologique fies actes et délibéra-
tions du corps et du conseil de Marseille, par Guindon et Mery, t. I.
p. 1 19.
— 136 -
Il y a quelques années une rue voisine, celle de Saint-Gilles,
0
qui débouchait sur cette place Maronne, portait encore le
nom de rue de Laurel (1).
Le chemin de la Garde allait de cette montagne au Podium
Formicarium. Le Podium Formicarium, le Plan Four-
miguier ainsi appelé à cause des fourmis qui venaient man-
ger le blé que les navires y débarquaient, commençait à
l'endroit jadis nommé Cul de Bœuf, la place actuelle entre la
Bourse, l'église Saint-Ferréol et le quai de la Fraternité, et
s'étendait jusqu'au bas de la Gannebière (2), à un petit ruis-
seau qui déversait dans le port les eaux d'une tannerie
voisine, d'autres disent les eaux du Jarret qui à cette époque
se jetait dans le port (3). Sur ce Plan Fourmiguier, entre le
rempart qui touchait au port et ce petit ruisseau, se dressait
une colonne en pierre. C'était la limite de la ville comtale et
de la ville abbatiale de Saint-Victor. Au-delà de ce ruisseau
et en remontant jusqu'à mi-hauteur de la Cannebière, com-
mençaient les salines. Elles s'étendaient le long du port, le
(1) Statistique, op. cit., t. II, p. 773, note 2. — Peut-être aussi ce
nom lui venait de ce qu'il conduisait au Rouet. Le mot Lauretum, dit
l'index du Car tu lai re, t. II, p. 876, désigne cette localité ; ou parce qu'il
conduisait au quartier du Lauret, près de la place Maronne. Plus tard
aux abords de cette place on ouvrit la porte Réale, qui s'appelait aussi
porte de Lauret, parce que le poids de Lauret, c'est-à-dire le bureau de
pesage des grains et farines, y était établi. (Meynier, Ancien* Chemins
(le Marseille, p. 13-14. — Rufll, Histoire de Marseille, t. II, p. 204.)
(2) Statistique, op. cit., t. II, p. 773, note 2.— Dans la suite, la dénomi-
nation de Plan Fourmiguier s'est étendue à toute la partie des quais oc-
cupée plus tard par l'arsenal des galères jusqu'aux environs de la place
aux Huiles. (Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 300.)
(3) La charte 917, de 1230, dit : « inter parietem et rivulum qui defluit a
curataria juxta Podium Formicarium. » Mais la charte 1002, de 1204,
appelle ce ruisseau vallato salinarum ; c Quoddam patuum, se i lice t a
vallato salinarum usque ad Podium Furmiguerii.. . 9 Ce vallat, ce ruis-
seau, semblerait provenir du marais de la Palud, de la Font-gate. Une
vue de Marseille, datant de 1655 (Meriam sculpsit), montre des marais
vers le Grand Théâtre, quartier de la Palud, et un ruisseau qui, de ce
point, se jette dans le port dont les quais Est et Sud sont couverts de
salines ou marécages. (Bibliothèque de Marseille, estampes, n° 36. — La
Provence pittoresque et illustrée, publiée jadis par l'imprimerie Olive,
l'a donnée a ses lecteurs.)
— 137 —
contournaient, en occupaient le versant tout le long de Rive-
Neuve, en contre-bas de la rue Sainte actuelle. Bornées au
midi par le chemin qui montait à la Garde, a sicut est via
quœ descendit a Guardia usque ad Poium Formicarium », elles
se continuaient le long de la rive jusqu'à la hauteur de
1 église de Saint-Pierre de Paradis, « ab istà ecclesia Sancti
Pétri usque ad civitatem (l). »
Cette chapelle de Saint-Pierre de Paradis, Rufli, Belsunce,
la Statistique des Bouches- dit- Rhône la placent à l'endroit
où se trouvait l'arsenal ( rue Breteuil, cours Pierre-Puget,
place du Palais de Justice) (2). C'est à peu près, en effet, ce
qu'indiquent les chartes. Nous savons qu'en 1044 Fulco et
Odile, au jour de la dédicace de l'église de Saint-Pierre de
Paradis qu'ils avaient fait bâtir à la prière de saint Ysarne(3),
(1) Statistique des Bouches- •du-ffltône, t. II, p. 351. — Actes et
délibérations etc., par Guindon et Mery, 1. 1, p. 155. — « Cum salinis
et piscationibus et portu navium et omnibus juste et legaliter ad eum-
dem fiscum pertinentibus, conjacentem în coraitatu Massiliensi qui
vulgo Paradisus nominatur, sicut est via quae descendit a Gardia usque
in Poium Formicarium... » Charte 10, 21 ap. 904, cartulaire de Saint-
Victor.— Fulco et Odile donnent à Saint-Victor : a omnem partem nostram
(rase ad nos pertinere débet de salinis, quse in portu civitatis Massiliœ
esse videntur, ab ipsà ecclesia Sancti Pétri usque in civitatem. » Charte
32, de l'an 104 i, cartulaire de Saint-Victor.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p> 179 : « Cette église fut dé-
molie du temps de Bourbon, et le lieu où elle était a donné à tout le
quartier le nom de Paradis. »
Belsunce, Antiquité de V Enlise de Marseille, t, I, p. 396 : « Pons II
rebâtit l'église Saint-Pierre qui était tombée par vétusté. Elle était dans
le quartier de Paradis, à l'endroit où est à présent le Parc. Une partie
du quartier que l'on appelle aujourd'hui Rive-Neuve en dépendait, et a
porté longtemps le nom de clos de Saint-Pierre. »
Lautard, Lettres archéologiques sur Marseille, t. II, p. 376 : « Cette
chapelle de Saint-Pierre de Paradis donna son nom à tout le quartier où
elle se trouvait et la belle rue qui le porte encore aujourd'hui indique û
peu prés le lieu qu'elle devait occuper. »
La Statistique de* bouches-du-Rhône, t. II, p. 352 : « Cette chapelle
de Saint-Pierre de Paradis, une des plus anciennes de Marseille, était où
se trouve maintenant l'arsenal . . . »
(3) Cartulaire de Saint-Victor, charte 32 : « Uoc advenit in mente et
voluntate firmaquatenus œdificaremus ecclesiam in honore Sancti Pétri
apostoli. . . quae olim vetustate destructa ad nihilum devenerat et lundi-
tus corruerat... Quare disposuimus œdifleare ecclesiam supradictam*
consilio atque jussudomini Ysarni felicis mémorise. . »
— 138 —
donnèrent à l'abbaye de Saint- Victor, pour servir à l'entretien
de cette chapelle, trois terres, trois clos plantés de vignes.
Or, l'un de ces clos, le troisième, était situé au chevet de
l'église de Saint-Pierre : a tertium clausum qui est situs ad
caput ejusdem ecclesiae Sancti Pétri (1) ». Ce clos fut appelé
clos Saint-Pierre pendant longtemps (2). Au XI* siècle il por-
tait ce nom, car la charte 40, qui est de cette époque, le
mentionne. Il servait de limite, au midi, à une petite-vigne
qu'un certain David avait donnée à. Sain t- Victor (3). A côté de
cette vigne, en dessous, probablement sur le bord de la mer,
devait se trouver une ou plusieurs tuileries. La charte 40 dit
que cette vigne de David était «ad Teolarias(4) ». Au-delà
de cette vigne de David, et de ces tuileries, s'étendait une terre
comtale (5) que Louis l'Aveugle avait cédée en 904, à Saint-
Victor et qui d'un côté touchait à la mer ( c'est là que se trou-
vaient les pêcheries, le « portusnavium » dont les droits et
les revenus étaient cédés par l'empereur à l'abbaye en 904),
de l'autre montait jusqu'au cimetière, « usque ad carnarium »,
que l'on appelait Paradis.
D'autre part, non loin de cette église de Saint-Pierre de Para-
dis, passait le chemin de la Garde, puisque la vigne de Blanca
Lancea était non loin de l'église de Saint-Pierre, et qu'elle
(1) Cartulaire de Saint- Victor, charte 33 : « ... ego Fulco et uxor mea
Odila, jussu domini Ysarni abbatis. .. cepimus œdificare ecclesiam in
honore beati Pétri, Apostolorum principis... cui, in die suas dedicatio-
nis, dedimus ei in sponsalitio . . . Tertium vero (clausum) quem dedimus,
non quidem plantavimus, sed de nostro adquisivimus, qui est situs ad
caput ejusdem ecclesiœ Sancti Pétri.. . »
(2) De Belsunce, op. cit., 1. 1, p. 396.— Statistique, op. cit., t. II, p. 352.
(3) « Uiiara semodiatam de vinea quam David dédit Sancto Victori . .
ab oriente terminum publicam viam quae vadit ad Guardiam, a mendie
clausum Sancti Pétri de Paradiso. » Cartulaire de Saint-Victor, charte 40,
ad fine m.
(4) Cartulaire de Saint- Victor, charte 40, item ad flnem : c . . . vinea
quae David dédit Sancto Victori quem Pontius Suricis tenet ad fevum,
habemus ad Teolarias. »
(5) c ... salinis... sicut est via quae descendit a Gardia, usque inPoium
Formicarium, una cura terra comitali, quae ante portam castri fore
videtur, usque ad Carnarium. » Cartulaire de Saint- Victor, charte 10,
de 904.
— 139 —
était limitée au couchant par ce chemin de la Garde. De plus,
ce chemin, limite au couchant de la vigne de Blanca Lancea,
bornant à l'orient la vigne de David, située à Teolarias.
Ce chemin passait donc entre ces deux vignes et allait vers le
midi, en moutant à la Garde. Après la vigne de David, il limi-
tait, en le longeant, le clos Saint-Pierre et passait devant la
chapelle dédiée à cet apôtre (1).
Mais, puisque ce chemin de la Garde servait de limite, au
midi, au salines, jusqu'à la hauteur de la chapelle de Saint-
Pierre et qu'arrivé à la vigne de David et de Blanca, il se diri-
geait vers le midi, vers la montagne de la Garde, forcément il
faisait un coude. Or, en supposant l'inflexion de ce chemin à
l'angle des rues Sainte et Fort-Notre-Dame actuelles, on voit
que la chapelle de Saint-Pierre devait se trouver à peu près
à la place de la Corderie ou à celle du Palais de Justice (2).
C'est là que finissait le vaste terrain appelé Paradis.
Cet espace s'étendait devant le portail du monastère, « ante
portam monasterii » . Ce nom lui venait de ce que, dit la charte
32, il servait de sépulture à un grand nombre de corps de
saints martyrs, confesseurs et vierges. Il portait un autre nom,
celui de porte de Paradis : a vocabatur porta Paradisi » , parce
que, aux jours et à l'époque de Cassien, la sainteté des moines
qui habitaient le monastère, la règle admirable que Ton y
suivait lui donnèrent un tel éclat, que l'on put à bon droit
l'appeler le Paradis, jardin rempli des dons de la rosée céles-
te (3). Cet espace de terrain partait de l'abbaye, s'étendait
(1) c Nod longe ab ecclesia Sancti Pétri. . . habetur vinea quai fuit de
GairaJd Blanca Lancea.. . ab occidente terminât via de Gard i a.. . vinea
quam. dédit David Sancto Victori, ab oriente terminum publicam via m
quae vadit ad Gardiam... » Cartulaire de Saint-Victor, charte 40,
passîm .
(2) Ce fut sur cette place, où se trouvait jadis la porte Paradis (ce nom
(ut donné au quartier environnant l'abbaye de Saint-Victor, à cause de la
sainteté des premiers moines qui vivaient dans ce monastère) et qui est
occupée aujourd'hui par le palais de justice, que fut élevée cette fontaine.
(Vie de Monseigneur île Belsunce, par le P. Demi Bérengier, t. II,
pp. 318. 321.)
(3) « Idcirco isdera locus, ad portam monasterii si tu s, vocatus est Pa-
radisus, sicut et nos co m péri m us, quia multorum corporum, videlicet
sanctorum martyrum, confessorum et virginum, eodem loco quies-
— 140 —
d'une part vers la montagne de Ja Garde, jusqu'à un chemin
qui le longeait au midi, « viam juxta locum, quem vocant
Paradisum (1 ) », de l'autre jusqu'à la terre comtale dont nous
■
avons parlé plus haut, a usque ad carnarium (2) »,et finissait à
l'église de Saint-Pierre qui était appelée aussi Paradis, aquae
ecclesia vel locus vocatus est Paradisus», et qui se trouvait
bâtie dans son enceinte, a ecclesise in supradicto loco cons-
truise^) ».
Ainsi donc ce chemin de la Garde partait du Podium Formi-
carium, traversait ce plan, enjambait le ruisseau, côtoyait les
salines de la Cannebière, parallèlement à la rue Beauvau ou à
la rue Paradis, les contournait à la hauteur de la rue de
la Darse, les longeait dans le sens de la rue Sainte, en contre-
bas de cette rue (4), et cela jusqu'à l'église de Saint- Pierre de
Paradis. C'est là que les salines unissaient : « salinse ab ecclesia
Sancti Pelri usque ad civitatem ». A cet endroit, à l'angle des
rues Sainte et Fort Notre-Dame, le chemin de la Garde faisait
un second coude et se dirigeait vers le midi, passant entre
deux vignes, servait de limite, à l'orient, à celle de David, « ab
centium, decoratur auxiliis et suffragatur meritis, imo eliam vere voca-
batur Paradisus et porta Paradisi, quia in diebus Gassiani . . tanta no-
bilitate viguit et sanctitate floruit apostolice et régula ri s disciplina?, ab
his sanctis Patribus tradite, in qua continentur inserte sanctarum ani-
marum oranes delicie, ut merilo et actu etnomine vocaretur Paradisus,
rorisquc superne gratiae illustralus virtutibus.» Charte 32, cartulaire de
Saint- Victor. *
(1) La terre qu'Honoré II, évèque de Marseille, donne à Saint- Victor
en 965, est située autour de l'abbaye, et une de ses limites est : « viam
juxta locum quem vocant Paradisum ». Charte 23 du cartulaire de Saint-
Victor.
(2) Charte 10 du cartulaire.
(3) Charte 32 du cartulaire de Saint- Victor. — Grosson, Remeil des
antiquités et des monuments marseillais, p. 10 etsuiv. — - Statistique
des Bouches-du-Rhône, t. II, p. 352.
(4) Il est incontestable que l'ancien chemin de la Garde n'est pas la rue
Sainte actuelle. L'ancien chemin de la Garde a disparu sous les maisons
que l'on a bâties à l'endroit qu'il occupait. De plus il était eu contre-bas
de la rue Sainte. Les plans et dessins de l'ancienne Marseille font voir
une sorte de plateau s'abaissant brusquement vers la mer, derrière les
arsenaux qui s'élevaient à Rive-Neuve. Voir : vue de Marseille n° 31, Dek
43, tiroir 42, portefeuille 65, 31, a la bibliothèque de Marseille.
— 141 — •
oriente terminum publicam viam quse vadit ad Guardiam(l)»,
de limite, à l'occident, à la vigne qu'un Petrus Algitinus avait
donnée h Saint-Victor et à celle de Bianca Lancea. A ce point,
le chemin passait devant la chapelle de Saint-Pierre, recevait
l'amorce du chemin qui longeait Paradis et montait à la
colline.
Précisons maintenant la position de la vigne de Gairald
Bianca Lancea. Elle se trouve non loin dé l'église Saint-Pierre,
en dehors de Paradis, aux environs du chemin public qui
vient de Saint-Thyrse à Marseille. La chapelle de Saint-Pierre
se trouvant à peu près à la place de la Corderie ou du Palais
de Justice; et le chemin de Saint-Thyrse, étant la rue de
Home, c'est donc entre ces deux points que se trouvent les
vignes de Bianca et des autres particuliers. De plus, la vigne de
Bianca est limitée à l'orient par le chemin de Lauret, au cou-
chant par celui de la Garde. Le chemin de Lauret étant la rue
Saint-Ferréol et ce chemin de la Garde suivant à peu près la
rue actuelle de Fort Notre-Dame, c'est entre la rue Saint-Fer-
réol et celle de Fort Notre-Dame que cette vigne se trouvait.
Or, la vigne de Bianca était limitée au nord par la terre des
religieuses de Sainte-Marie (2)^ donc, cette terre se trouvait
entre la rue Saint-Ferréol et la rue Fort Notre-Dame.
Or, s'il faut placer la vigne de Bianca non loin de l'église
Saint-Pierre, c'est-à-dire non loin de la place du Palais de Jus-
tice, à l'ouest de la rue Saint-Ferréol ; si la terre de Sainte-
Marie est assez grande, puisque elle sert de limite à plusieurs
propriétés à la fois (3), c'est aux environs de la Préfecture, du
Grand Théâtre, du Palais de Justice, en tirant vers le nord, que
se trouvait cette terre de Sainte-Marie ou des religieuses de
Saint-Cassien.
(!) Charte 40 du cartulaire de Saint- Victor.
(2) c ... a septentrione, terra San et se Maria? », etc. Charte 40 du car-
tulaire de Saint-Victor.
(3) Cette terre de Sainte-Marie est à. la fols limite de plusieurs terres :
celle de Petrus- Algitinus est bornée « a meridie terram sanctimonia-
lium, a septentrione idem ipsam terram »; celle de Boniface est bornée
« a meridie supradicta terra ancillarum Dei » ; celle d'AImaric est bornée
« ab oriente vinea SanctîD Mari se, a meridiano terra Sanctsc Maria?.. . »
Charte 40 du cartulaire de Saint- Victor;
10
CHAPITRE II
Texte de la charte 40 du XI9 siècle
(Suite)
ON PBUT DONNER TROIS SENS ▲ CETTE PHRASE DE LÀ CHARTE 40. —
LB PREMIER SENS EST INADMISSIBLE ; EN» 1004, LE CCBNOBIUM EST A LA
PLACE DE LENCHE. — LE SECOND EST INADMISSIBLE ENCORE ; CES
MOTS : C NON LONGÉ A RIPA PORTI » NE SIGNIFIERAIENT RIEN. — LE
TROISIEME SENS EST LE SEUL LÉGITIME. — SIGNIFICATION DES
MOTS : « CŒNOBIUM QUOD PATER CASS1ANIUS PUNDAVIT ».
L'emplacement précis de la terre de Sainte-Marie ou des
religieuses étant déterminé, relisons la phrase en question de
la charte 40 : « terra Sanctœ Maria vel sanctimonialium, non
longe a ripa porti supradicti, in cœnobium quod Pater fun-
davit Cassianus, consistentium ». Quelle est sa signification
exacte?
On ne peut le nier, cette phrase est d'une construction assez
embarrassée. A la première lecture, on lui donne le sens que
Ruffl et les autres auteurs lui ont attribué. Mais, en l'étudiant,
en mettant chaque terme à la place que Tordre grammatical
lui assigne dans le mot à mot, afin de fournir un sens raison-
nable, en tenant compte, bien entendu, de la ponctuation, on
s'aperçoit que cette phrase dit tout autre chose que Ruffl veut
lui faire signifier. Telle quelle est dans la charte, elle est
susceptible de recevoir trois sens différents (1) .
•
(1) Voici le texte en litige : t Non longe ab ecclesià Sancti Pétri, foris
portam quse vocal ur Paradisi, circa viam publicam quse venit ab ecclesià
Sancti Tyrsi et vadit in portu Massiliensi, h» positse suntvinese : l'abe-
tur ibidem vineaquactai rata dimidia,quœfuit deftairaldoBlanca Lancea,
quam dédit Domino Deo et Sancto Victori. Terminât eam ab oriente
via deLaureto; a parte meridianâ, vinea de Richaoja septentrione»
terra Sanctae Mariée vel sanctimonialium, non longe a ripa porti supra.
— 143 —
D abord : * terra Sanctae Mariae vel sanctimonialium non
longe a ripa porti supradicti, in cœnobio quod Pater f undavit
Cassianus, consistentium ». Dans ce premier sens, la terre qui
appartient aux religieuses est remplacement même qui porte
le cœnobium fondé par Cassien. Ainsi terre et cœnobium sont
situés « non longe a ripa porti », près du port.
Ensuite : « terra (pertinens ad monasterium) Sanctœ Mariae
vel sanctimonialium consistentium non longe a ripa porti
supradicti, in cœnobio quod Pater fundavit Cassianus ». Ici,
la terre des religieuses est située à un endroit quelconque, le
monastère seul est « non longe a ripa porti », près du port.
Enfin: a terra (sita) non longe a. ripa porti supradicti
(pertinens ad monasterium) Sanctae Mariœ vel sanctimonia-
lium consistentium in cœnobio quod Pater fundavit Cassianus».
Dans ce troisième sens, la terre est située non loin du port ;
quant à l'emplacement du cœnobium, la charte ne le désigne
pas.
Or, lequel des trois sens est le sens légitime et logique ?
C'est le dernier. Nous allons le prouver.
Impossible, d'abord, d'admettre le premier sens : que la
terre de Sainte-Marie et le cœnobium se trouvent au même
endroit, non loin de la rive du port, t non longe a ripa porti ».
Nous avons établi, en effet, à l'aide du texte des chartes,
que cette terre des religieuses est située aux environs du
Grand-Théâtre ou du Palais de justice, en réalité non loin du
port. Or, si le cœnobium des religieuses du Bienheureux Cas-
sien se trouve aussi en cet endroit, pourquoi Ruffî, Lautard,
l'abbé Daspres, etc., qui mettent en avant cette charte, ne
l'on t^ ils pas dit? Pourquoi Font-ils placé les uns aux Cata-
lans, les autres à Sainte-Catherine, qui au Revest, qui auprès
de Saint-Victor? On le voit, nos adversaires ont été les pre-
miers à ne pas adopter ce premier sens.
Mais, dira-t-on, ces auteurs se sont trompés. Us ont mal lu,
faussement interprété la charte. Ils auraient dû, en adoptant
le premier sens, placer le monastère aux environs du Grand -
dicti, in cœnobio qnod Pater fundavit Cassianus, consistentium ; ab occi-
dent*, item terminât via de Guardia. » Gartulaire de Saint-Victor,
charte 40.
- 144 -
Théâtre, là où se trouvait véritablement la terre des religieu-
ses. Soit. Mais vain subterfuge. 11 est impossible d'induire
des termes de la charte que terre et cœnobium se trouvaient
à l'endroit réellement désigné, aux environs du Grand-
Théâtre.
En effet, nous avons établi que le monastère fondé par
Elgarde en 1004 ne se trouvait pas près de Saint-Victor, mais
à la place de Lenche (1). Or, ou bien cette charte 40 est pos-
térieure à Tan 1004, et alors, comme le cœnobium est à la
place de Lenche, la charte ne peut pas dire qu'il se trouve
de l'autre côté du port. Ou bien elle est antérieure à Tan 1004.
Alors, puisque, d'une %part, cette charte est du XI* siècle, et
que, s'appuyant sur cette charte, les auteurs affirment que le
cœnobium est auprès du port, et que, d'autre part, il est cer-
tain que dès l'an 1004 le cœnobium se trouve à la place
de Lenche, ' il faut nécessairement supposer que, de l'an
1000 à Tan 1004, ce monastère près du port a été détruit.
Or, la cause raisonnable, le motif plausible, la preuve de
cette destruction où est-elle, quel auteur l'a donnée ? Donc,
il est faux qu'il y a un cœnobium près du port, de l'an 1000
à Tan 1004. Donc, la charte 40 ne prouve pas que terre et
cœnobium étaient aux environs du Grand-Théâtre. Donc,
c'était la terre des religieuses qui se trouvait a non longe a
ripa porti », et non pas le cœnobium. Donc, le premier sens
est inadmissible.
admettons qu'en dépit de nos preuves il soit faux que le
monastère fondé par Elgarde en 1004 ait été bâti à la place
de Lenche, mais qu'en réalité il ait été construit près du
port aux environs du Grand-Théâtre, là où se trouvait la
terre de Sainte- Marie ; impossible encore d'admettre ce pre-
mier sens ainsi rectifié.
En effet, si les Cassianites sont non loin du port, aux envi-
rons du Grand-Théâtre en 1004, il est certain qiren 1033 elles
habitent de l'autre côté du port, aux Accoules, en attendant
que le monastère de Saint-Sauveur soit réparé. Cette répara-
(1) Voyefc Je chapitre intitulé : Divers emplacements que le mono*-
Ivre vanianite a occupés.
— 145 —
lion avait été commencée sous l'abbesse Adalmoïs en 1031,
date à laquelle ce monastère était a penitus ex toto déstruc-
tura (1) 9. On pourrait faire remonter h. une dizaine d'années
la fondation de ce monastère ainsi en ruines en 1031, soit
vers 1020. D'autre part, donnons une dizaine ou une quin-
zaine d'années d'existence au monastère fondé en 1004 « non
longe a ripa porti ». Ainsi, en moins de trente ans, deux
monastères ont été construits et renversés? Or, quelle est la
cause de ces destructions successives ? Qui Ta fait connaître ?
Aucun auteur, croyons-nous. Donc, l'existence d'un cœno-
bium « non longe a ripa porti » en 1004, aux environs du
Grand-Théâtre, n'est pas prouvée. Donc, ce premier sens,
même rectifié, est inadmissible.
Faut-il adopter le second : que la terre des religieuses est
aux environs du Grand Théâtre actuel, mais le cœnobium
est « non longe a ripa porti », au Revest par exemple, à
l'emplacement de la chapelle ,de Sainte-Catherine ? On peut
dire que c'est là le sens que Ru fil* La u tard, Daspres, etc. ont
suivi.
Non, ce deuxième sens est encore inacceptable.
Voyez, d'abord, le rôle que l'on fait jouer à ces mots:
« noq longe a ripa porti ». Ils ne se trouvent pas dans
une charte ordinaire, traitant d'un sujet de dogme, de
morale, de religion. Ce n'est pas pour terminer une période
sonore, une phrase à effet qu'on les a écrits. Cette charte 40
indique des confronts, des bornes de propriété. Et dans ces
sortes de documents, pas plus au XI* siècle qu'au XIX*, on ne
s'amuse à faire des phrases. Dans les actes de vente,
d'échange de propriétés, tout doit être précis, chaque mot à
sa place ; aucun terme qui puisse fournir une marque topo-
graphique ne doit être omis ou ajouté sans raison. Or, si ces
mots « non longe a ripa porti supradicti » s'appliquent au
cœnobium et non pas à la terre des religieuses, ils sont d'abord
une redondance, susceptible d'induire en erreur et de plus
ils désignent mal les confronts des propriétés en question.
(I) Voir le chapitre intitulé: Divers emplacements que le monastère
rassfanite a occuvôt*.
— 146 —
Ils sont d'abord une redondance. Combien y avait-il, au
XI* siècle, de monastères de femmes ou de filles, à Marseille ?
Un seul, celui des Cassianites. Combien de maisons habitées
par des religieuses cet ordre y possédait-il? Une seule
encore. Nul auteur, que nous sachions, n'en indique d'autre-
Il était donc impossible de se méprendre. Quand on parlait
du monastère des Cassianites, on savait de qui il s'agissait.
Dire donc d'une terre qu'elle appartenait aux religieuses
cassianites était suffisant. Ajouter que ce monastère était
situé près du port c'était inutile et superflu. On savait bien,
on voyait bien que ce monastère se trouvait près du port.
Ces mots donc, appliqués au cœnobium, afin de désigner
son emplacement, sont une redondance. Et cependant il est
visible, à la simple lecture de la charte 40, que ces mots
placés entre deux virgules, comme dans une sorte de paren-
thèse, ont été inscrits à dessein. Ils ont leur valeur, ils don-
nent une marque topographique.
De plus, si ces mots s'appliquent au cœnobium, la confusion
se met dans la désignation des confronts. Est -il sur, en effet,
que les religieuses cassianites ne possédaient pas, le long du
chemin de la Garde, de Lauret ou de Saint-Thyrse, d'autres
propriétés que celle qui servait de limite à la vigne de Blanca
Lancea? Elles le pouvaient bien. Nous ne possédons pas l'in-
ventaire des biens de l'abbaye cassianite à cette époque. Or,
quand on'lira que la vigne de Blanca est limitée au nord par la
vigne des religieuses qui habitent non loin du port, de laquelle
de ces vignes des religieuses s'agira-t-il ? Sera-ce une désigna-
tion claire, précise, suffisante des confronts de celte propriété
de Blanca? Il y a d'autres propriétés, indiquées dans cette
charte 40, dont il est dit qu'elles sont bornées par la terre des
religieuses. Mais, lorsqu'on aura dit qu'elles sont bornées
par la terre des religieuses qui habitent près du port, si les
religieuses ont plusieurs • terres en cet endroit du terroir,
laquelle de ces terres sera la délimitation ? Et si ce monastère
cassianite vient à changer d'emplacement, quel propriétaire se
contentera de lire dans ses actes que son bien est limité par la
terre des religieuses qui sont auprès du port, alors qu'elles n'y
demeurent plus. Et si cet ordre vient h fonder plusieurs mai-
— 147 — •
sons, Time près du port, une autre ailleurs, qui nous dit que ce
seront les religieuses demeurant près le port et non pas les
autres qui seront les légitimes propriétaires de cette terre ? Et
alors quelle manière de désigner les borne3 d'une propriété
que de dire: Elle est limitée par la terre des religieuses qui
sont auprès du port !
Non, toute charte qui indique les çonfronts d'une propriété
ne peut causer de pareilles erreurs.
D'ailleurs, à soutenir cedeuxième sens, on se heurte tou-
jours aux mêmes impossibilités. La charte 40 est du XI* siècle,
d'après le cartulaire. Or, ou elle est antérieure à l'an 1004,
alors comment expliquer qu'il y ait au début du XI* siècle un
cœnobium « non longe a ripa porti », au Revest, à Sainte-
Catherine, et que ce monastère soit, en 1004, à la place de
Lenche ? Ou elle est postérieure à Tan 1004 ; alors, puisque
dès cette année 1004 le cœnobium s'élève à la place de Len-
che, la charte ne peut vouloir dire qu'il se trouve auprès du
port, aux endroits préférés par les auteurs. Ici encore il faut
dire que l'on donne à la charte 40 une fausse interprétation.
Reste le troisième sens : la terre des religieuses est située non
loin du port (aux environs du Palais de justice ou du Grand-
Théâtre). Qaant à l'emplacement du cœnobium, la charte n'en
dit rien.
Nous soutenons que c'est là le sens, seul logique et légi-
time, qu'il faut donner à cette phrase de la charte 40.
D'abord, en ce faisant, nous évitons la contradiction dans
laquelle tombent la plupart des auteurs, Ruffi, Lautard, Das-
pres, etc., etc., qui s'appuyant sur cette charte pour prouver
que le monastère était à Sainte-Catherine au XI* siècle, affir-
ment que peu après 867, ce monastère se trouvait dans l'inté-
rieur de la ville 1 Nous, du moins, en plaçant seulement la
terre des religieuses non loin du port, nous demeurons libre
de placer le monastère où nous voudrons, au Revest, à la place
de Lenche, ou à Sainte-Catherine. •
Ensuite, avec ce sens, les termes de la charte conservent
leur signification naturelle. Ce ne sont plus des redondances,
des mots inutiles pouvant plus tard amener la confusion dnns
la recherche des limites des propriétés. Tout est clair, précis.
• — 148 —
La terre des religieuses est un vaste domaine situé non loin
du port. Et cette terre sert de limite à telles et telles pro-
priétés. On ne peut se tromper. Que les religieuses en pos-
sèdent d'autres, qu'elles habitent ici ou là, n'importe, il
n'y aura pas de confusion. C'est de la terre placée près du
port qu'il s'agira.
De plus, nous nous maintenons dans le sens général de la
charte 40. C'est un plan terrier, un cadastre en petit que cette
charte (1), On n'y parle que de terres, de vignes, de prairies,
et il s'agit, à plusieurs reprises, de cette terre des Religieuses.
Mais on se sert toujours des mêmes termeç : « terra ancilla-
rum Dei, vinea Sanctae Mariae, terra sanctimonialium ». Jamais
un mot du cœnobium, excepté dans la phrase en question.
Sans doute le moine rédacteur de ce document aurait pu
s'exprimer avec plus de clarté et de précision. Mais, enfin, il
faut prendre sa charte telle qu'elle est.
Nous tombons d'accord avec les données historiques. Dès
l'an 1004, les Cassianites habitent, la place de Lenche ; h cette
époque aussi, au XI- siècle, elles possèdent une terre, de l'au-
tre côté du port et non loin de sa rive, la terre de Sainte-
Marie, la vigne de Sainte-Marie. Plus de contradiction, plus
de monastère bâti et détruit en l'espace de quelques années.
Enfin, nous sommes en règle avec la véritable date de ce
document. C'est ici, en effet, l'argument qui brisera, croyons-
nous, toutes les résistances. Quelle est la date de la charte
40 ? Le Cartulaire la met au nombre de celles qui appartiennent
au XI* siècle. Mais de quelleannée ?
Nous crovons l'avoir trouvée. Cette charte, faisant mention
de la vigne de David, dont on a parlé plus haut, dit qu'elle est
bornée au midi par le clos de Saint-Pierre de Paradis (2). Or,
ce clos de Saint-Pierre fut cédé, on s'en souvient (3), à cette
(1) Elle est intitulée : c Memoria, sive notitia de diversis divisiontbus
stye partibus terrarum vel vinearum pertinentium adcellariam. » Charte
40 du Cartulaire.
(2) c Vinea quam dédit David Sancto Victori . . . ad Teolarias. .. a me-
ridie clausum Sancti Pétri de Paradiso. » Charte 40, cartulaire de Saint-
Victor.
(3) « Tertium clausum quem dedimus .. qui est si tus ad caputejus-
dem ecclesia* Sancti Pétri. » Charte.33, cartulaire de Saint-Victor.
— 149 —
chapelle par Fulcoet Odile, qui, vers Tan 1044, firent rebâtir,
à la prière de saint Ysarne, l'antique chapelle de Saint-Pierre,
et lui donnèrent en dot plusieurs terres parmi lesquelles se
trouvait ce clos situé au chevet de ladite chapelle. Ceci se
passait postérieurement à Tan 1044, puisque la charte qui rap-
pelle la détermination que prirent Fulco et Odile de rebâtir la
chapelle est marquée, dans le Cartulaire, de la date 1044, et
que ce ne fut qu'au jour de la dédicace, peut-être un an ou
deux après, qu'ils donnèrent la dot de la chapelle. Aussi la
charte qui indique la cession de ce clos porte, dans le Car-
tulaire, la date approximative de 1038-1048. Donc, la charte
40, qui parle du clos de Saint-Pierre, est postérieure à Tan
1038-1048.
Or, de l'aveu de tous les auteurs, de Rey, Daspres, André,
Lautard, Ruffi, etc., les Cassianites se trouvaient, à cette
époque, dans la ville. Sous l'abbesse Adalmoïs, en 1031, on
restaure le monastère de Saint-Sauveur, à la place de Lenche,
et les religieuses habitent momentanément aux Accoules.
Donc, il est impossible que cette charte 40 dise que, an XI-
siècle, il y avait non loin du port une terre et un cœnobium.
Il y avait une terre aux environs du Grand-Théâtre, en réalité
non loin du port ; mais le cœnobium était en ville. Donc,
Ruffi avait tort de vouloir prouver l'existence de l'abbaye
cassianite au pied de la Garde, à Sainte-Catherine, par cette
phrase de la charte 40. Il donne à ce texte une interpréta-
tion forcée, dont les faits démontrent la fausseté. Cette phrase
fournit deux détails : qu'au X? siècle l'abbaye cassianite pos-
sédait une tejrenon loin du port, et qu'à cette époque l'abbaye
était sous le vocable de Sainte- Marie. Telle est la seule et
vraie signification de cette phrase de la charte 40, tant invo-
quée par Ruffi.
Nous prévoyons deux objections. D abord vous avez donné,
nous dira-t-on, à la charte 40 un sens autre que celui qu'il
faudrait lui assigner. Ruffi, Lautard, Daspres se sont trom-
pés, c'est vrai, mais vous aussi. La charte 40 étant du
XIe siècle et à cette époque le monastère cassianite se trouvant
à la place de Lenche, la terre peut être il l'endroit qu'indique
la charte, mais les mots « non longe a ripa porti » doivent
t)
— 150 -
s'appliquer non pas il cette terre, mais au cœnobiuin de la
place de Lenche, qui en réalité n'est pas loin du port. Soit,
répondrons-nous. Si on veut cette signification, nous l'accep-
tons, sans l'approuver cependant. Mais, dans ce cas, il faudrait
par avance avouer catégoriquement que Rufii et les autres
ont eu tort de se servir de ce texte pour prouver que au
XIe siècle il y avait un monastère à Sainte-Catherine, sur la
rive du port, du côté de Saint- Victor.
On nous objectera ensuite : Si, aux termes de la charte 40,
la terre des religieuses est auprès du port, et le monastère,
à cette époque, à la place de Lenche, comment affirmer, avec
la même charte, que ce cœnobium a été fondé par Cassien,
puisque il a été fondé par Elgarde? Et d'abord, répondrons-
nous, si, au dire de Ru fû et autres, le monastère était non
loin du port, sur la rive, près de Saint-Victor, à Sainte- Cathe-
rine, comment nos adversaires s'y prendraient-ils pour sou-
tenir que ce monastère a été fondé par Cassien? Voudraient-
ils affirmer que le cœnobium antique n'a jamais été démoli,
que c'est matériellement le même qui fut bâti par le saint
fondateur ? Cela n est guère possible. Doue, pas plus que nos
adversaires nous ne voulons soutenir que Cassien a bâti le
cœnobium de Lenche.
Evidemment il faut donuer à l'expression « cœnobium fun-
dare»unsens plus large 'que celui de bâtir un monastère.
Le style des chartes et des écrits anciens nous y autorise. Eu
effet, lorsqu'il est question, dans les chartes, de Cassien
établissant ses religieux à Marseille, on se sert des expressions :
« cœnobium sic viguit, monasterium instituit, duo monas-
teria condidit (1) » ; ces termes « cœnobium, monasterium »
ne désignent pas la seule construction matérielle de l'abbaye
de Saint-Victor, puisqu'il y eut jusqu'à 5000 religieux qui se
rangèrent sous la juridiction de saint Cassien et ces cinq mille
religieux ne se trouvaient pas tous dans un seul monastère,
(1) « Cœnobium Massiliense, priscorum temporibus sic viguit... ut
quinque millium monachorum numerus ibi reperiretur, in SanctiCas-
siani teinpore. » Cartulaire de Saint-Victor, charte 532.
« Cassianus... Massiliam... instituit monasterium in quo usque ad
quinque miilia monachorum extitit Pater. » Martyrologe de Toulon, de
- 151 -
une seule maison. Ces mots signifiaient donc ordre, commu-
nauté. Les lexiques, d'ailleurs, donnent au mot cœnobium la
signification multiple de communauté, abbaye, couvent,
monastère. Donc, le « in cœnobio » de la charte 40 ne veut pas
dire la maison matérielle, elle signifie la communauté, Tordre,
l'institut des Gassianites.
D'autre part, il est assez rare, croyon3-nous, de trouver
l'expression « cœnobium fundare » avec la signification de
bâtir un monastère. Cyprien, le disciple de saint Césaire
d'Arles, voulant exprimer cette idée, a employé les mots de
« monasterium construere, cœnobium extruere Ci)». Le
concile d'Agde a dit : « collocare monasterium (2) » ; la
charte 14 : a monasterium a Cassiano constructum (3) ».
Donc, l'expression « in cœnobio quod f undavit » de la charte
40 ne peut se traduire par maison que bâtit le bienheureux
Cassien . Quelle est la vraie signification ?
Dans la charte de. 1069, Pons II, évêque de Marseille, et
Geoffroy, son frère, parlant du monastère que Guillaume leur
père voulait rebâtir, disent qu'il avait été « a beatissimo
Cassiano fundatum (4) ». Pons II et Gooffroy ne veulent pas
b affirmer que Cassien avait fait bâtir ce monastère. Donc, il
faut traduire a in cœnobio quod f undavit Cassianus » par le
•
H 40, cité par le chanoine Albanés dans Le Couvent royal de Saint-
Maximin en Provence, p. 3, note 2.
* Cassiartus. . . duo monasteria condidit id est virorum ac mulierum.»
Gennade, De illustribus ecclesiœ scriptoribus . Patrol. lat., édit. Mignè,
l. LVII1.
« Cassianus hoc praesens monasterium... et aliud olim sibi vicinum
mire condidit. f Charte de 1440, citée par Kothen, Notice sur les
f'njptes de Saint- Victor, p. 97.
(1) Vite Cœsarii episcopi Arelatensis a Cypriano ejus discipulo,
dans Chronologia sanctorum insulœ Lerinensis par Vinc. Bar rai is,
t. 1, pp. 235, 236: c Monasterium quod sorori ejus et cœteris virginibus
construebatur.... feminarum extruxit cœnobium. »
(2) a Monasterium novum... nullus incipere aut fundare prsesumat »
[Can, 48.) « Monasleria puellarum longe a monasteriis monachorum col-
locentur. » (Can. 49. Concil. Aoathensis.) (Sunnna omnium concilio-
rum, par Carranzam, p. 254.)
(3) Cartulairede Saint-Victor, charte 14.
(I) Charte de Pons II, en 1069 (André, Histoire de l'abbaye des reli-
fjieuses de Saint-Sauveur, p. 207.) Cartulaire de Saint-Victor, n° 1079.
— 152 —
sens de communauté, d'ordre que Cassien avait établi, ou les
religieuses établies par Cassien.
La première objection de Ruffi, sans contredit la plus
forte, est ainsi résolue. Alléguer ce texte de la charte 40, pour
prouver que le monastère où sainte Ëusébie a vécu n'était pas
sur les bords de l'Huveaune, mais près de Saint-Victor, non
loin du port, à Sainte-Catherine par exemple, c'est s'appuyer
sur un argument sans valeur. MM. Daspres, Lautard,
André, etc.,ayant employé le même argument, sont convaincus,
à leur tour, de s'être servis d'une arme sans portée.
CHAPITRE III
Inscription d'Eugénia
OBJECTION DE RUFFI. — L'INSCRIPTION D'EUQENIA N'APPARTIENT PAS
AUX IV\ V*, VI*, VII*, VIII* SIÈCLES. — AGES JÊPIGRAPHIQUES, ET
LEURS TRAITS CARACTÉRISTIQUES. — ELLE EST DU IX* SIÈCLE. —
SI ELLE APPARTENAIT AUX IV*, Ve, VI*, VII*, VIII* SIÈCLES, ELLE
SERAIT L'INSCRIPTION D'UNE RELIGIEUSE MORTE A L'HUVEAUNE ET
INHUMER A PARADIS.
Nous passons à la seconde objection qui nous est faite par
Kuffi, André, La u tard, etc. Voici les paroles de Ruffi (1) :
« U est certain qu'il était au môme lieu où nous avons vu la
chapelle de Sainte-Catherine, qui n'était guère éloignée du
monastère de Saint-Victor, qui fut démolie en 1685 pour y
bâtir le canal et quelques édifices à l'usage des galères. Car ce
qui fortifie ce que je viens de dire c'est que depuis environ
quelques années que Ton creusait les fondements de la
maison que Ton avait construite pour y fabriquer la pou-
dre, et qui fut abattue aussi en 1685, on découvrit quantité
de tombeaux de pierre de taille, fails en forme de caisse,
avec leurs couvertures, qui étaient remplis d'ossements, parmi
lesquels on en trouva un, fort avant dans la terre, où il y
avait au dessus une petite pierre de marbre qui contenait cette
épitaphe :
HIC REQUIESCET BONE
MEMORISE EUGENIÀ ANCILLA DEI
CUI VEXIT ANNUS ZZXXVI RECESSIT
VI NONAS MARSIAS
0 0
g Tous ces tombeaux marquaient que ce lieu était ancien-
nement un cimetière, et que c'étaieut des religieuses qu'on y
(I) Rufli, Histoire de A/am'i7ft% t. II, p. 55»
— 154 -'
avait ensevelies. Elles ne peuvent être que celles dont nous
parlons, puisque nous ne trouvons point qu'il y ait à Mar-
seille des religieuses si anciennes que celles-ci. »
Selon Ruiïi doftc, l'abbaye cassianite de femmes était pro-
che l'emplacement de la chapelle Sainte-Catherine, jparce
qu'on a découvert à cet endroit des tombeaux de religieuses,
entre autres celui d'Eugenia.
Cette objection parait bien forte, cependant elle ne résiste
pas à un examen approfondi.
D'abord, prenons le texte de Rufli par le détail et voyons
ce qu'il pèse: « En 1675, on découvrit quantité de tombeaux
de pierre de taille, faits en forme de caisse, avec leurs cou-
vertures, qui étaient remplis d'ossements. » Or, parmi ces
tombeaux « on en trouva un fort avant dans la terre », celui
d'Eugenia. D'après le contexte donc, ces tombeaux n'ont pas
été découverts tous à la môme profondeur. Les premiers dont
parle Ruffi, on les a trouvés au niveau des fondations qne
l'on creusait, et celui d'Eugenia, « fort avant dans la terre *.
Or, nous savons par les rapports des ingénieurs qui ont dirigé
les travaux au bassin du carénage, que le sol,* sur ce point
de Marseille, a été exhaussé à diverses reprises (1). Le tom-
beau d'Eugenia peut donc appartenir aux cinq ou six pre-
miers siècles de notre ère ; quant aux autres, ils sont d'une
époque postérieure, du IX* , du X* siècle peut-être. Partant
ils ne sont d'aucune utilité à M. Ruffi pour la démonstration
de sa thèse : que l'abbaye cassianite s'élevait près de la cha-
pelle de Sainte-Catherine. Nous admettons, on le sait, que
dès la fin du VIIIe siècle, jusqu'en 923, l'abbaye a pu se trou-
ver en cet endroit.
a Tous ces tombeaux marquaient que ce lieu était ancienne-
ment un cimetière. » C'est vrai, jusqu'au X* siècle au moins
on a enterré à cet endroit. La charte de 904 parle d'une terre
comtale qne l'empereur Louis l'Aveugle donnait à Saint-Vic-
tor, et qui allait de la nier « usque ad carnarium (2) ». Cet
endroit iaisait donc partie du cimetière de Paradis.
(\) Echo de Notre-Dame de la Garde (Monographie sur l'abbaye de
Saint- Victor-les-Marseille par M. Grioda), n° 324.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, 1. 1, charte 10.
— 155 —
Roffi ajoute : « Tons ces tombeaux marquaient que c'étaient
des religieuses qu'on y avait ensevelies .. . » Et la preuve?
Auffi semble n'eu apporter qu'uue seule : l'épitaphe qui se
trouvait sur la tombe d'Eugenîa!! Or, cette preuve ne vaut
rien ! Qu'Eugenia ail été une religieuse, son inscription le fait
croire. Mais que les ossements des autres tombeaux appartien-
nent à des religieuses, lluffi aurait été fort embarrassé pour
le démontrer. De plus, il a été prouvé que dans le cimetière de
Paradis il n*y avait pas d'emplacement spécialement réservé
aux religieuses, au moins jusqu'au XI* siècle, date des chartes
deFulco et d'Odile (1), Donc il n est pas probable que ce soient
des religieuses que Ton ait ensevelies dans ces tombeaux. Donc
l'affirmation de Ruffi n'a aucune valeur.
Et si Ton voulait quand même voir dans ces tombeaux des
sépultures de religieuses, comme ces tombes sont postérieures
à celle d'Eugénia et qu'elles appartiennent aux IX*, X* siècles
peut-être, Rufti ne peut encore en tirer aucun avantage pour sa
thèse. Aux IX* et X* siècles, l'abbaye cassiauite était probable-
ment à cet endroit. Les détails du texte de lluffi, on le voit,
n'ont aucune valeur contre nous.
Reste l'inscription d'Eugénia. Est-ce l'épitaphe d'une reli-
gieuse? A quelle époque appartient-elle? Ce document prouve-
t-il que l'abbaye cassianite était au même lieu où nous avons
vu la chapelle Sainte-Catherine ?
Eugénia est appelée « ancilla Dei ». Or, ce terme signifie-t-il
religieuse? « C'est à tort, selon moi, a dit M. Edmond Leblant,
que l'on voit dans les mots « ancilla Dei » la désignation spé-
ciale des religieuses. Le titre de serviteur de Dieu était deve-
nu celui de la généralité des chrétiens. Si Ton peut citer sur
ce point quelques exceptions de détail, le fait n'en reste pas
moins hors de doute La seconde partie du traité De eultu
ferninctrum, où Tertulien reprend le luxe inconvenant des
femmes chrétiennes, débute par les expressions : « Ancillse Dei
vivi, conservae etsorores me» v, qui ne s'adressaient pas ap-
paremment aux religieuses. La même mention se lit, d'ailleurs,
sur les tombes de femmes mariées (2). »
(1) Cartulaire de Saint-Victor, chapitre de l'introduction.
(2) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au
— 156 —
«
Nous croyons juste l'assertion de M. Leblant. Daus son ou-
vrage : Inscriptions chrétiennes de la Gaule, nous en trou-
vons notamment une du VI* siècle : « Ancella ad Dcminum
festinat. » Dans le tome I des Inscriptiones christianœ urbis
Romœ par M. de Rossi, nous avons trouvé trois marbres portant
ce terme a ancilla Dei », dans aucun il n'apparaît qu'il s'agisse
de religieuses (1). L'abbé Martigny en donne un autre, celui de
Praetiosa, enfant de douze ans, qui est appelée vierge, et de plus
a ancilla Domini etChristi (2) ». Il ne s'agit pas, ici encore, de
religieuse. Les auteurs ecclésiastiques nous fournissent aussi
des textes à l'appui de l'opinion de M. Leblant. Gennadius, prê-
tre à Marseille, rapporte qu'Eutropius a scripsit ad duas sorores
suas, ancillas Christi, quseob devotionem pudicitise etamorem
religionis exheredatae sunt a parentibus (3) ». Ici non plus il ne
s'agit pas de religieuses dans la force du terme. On pourrait en
dire autant du texte de saint Augustin : « intactisque ancillis
Christi (4) », de celui de Grégoire de Tours : « Propria Dei an-
cilla ipsi sedulodeservire(5)». A notre humble avis, dans ces
VIIJ* siècle , t. 1, p. 123, note. — M. de Rossi, lnscript. christ, urbis
Romœ, 1. 1, n° 739, p. 322, donne un marbre daté de 447ou 460, et portant
le nom de Gaudiosa, qualifiée de « clarisshna femina ancilla Dei ». — ►
Leblant, op. cit., t. I, n° 708.
(1) N»6JÎ de l'année 440: « Hic Honorantiœ ancillae Dei », p. 286; —
« Hic quiescit Gaudiosa clarissima femina ancilla Dei, quae. .. », de l'an-
née 447-460. n° 739, p. 322 ; — «... ancilla Dei quae vixit. . . », de Tannée
381-434, n°91l, p. 406. — Leblant, Inscriptions chrétiennes, t. II, p. 708.
(2) Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétiennes, p. 663 ; « Prsetio-
sa, puella annorum virgo XII tant uni, ancilla Dei et Christi. »
(3) Gennade, Eutropii, Patrologie latine, édit. Migne, t. 58, col. 1887.
(4) Ces mots sont en opposition avec viduis, midieribus nUptiset rir-
ginibus nupturis. « Quse faciunt pudoris immemores etiam feininisfemi-
nae jucundo turpiter et ludendo, non solura a viduis et intactis aucillis
Christi in sancto proposito constituas, sed omnino nec a mulieribus
nuptis et virginibus sunt facienda nupturis ». Il s'agirait, selon nous.de
personnes qui vivant dans le monde, avaient fait vœu de virginité, et
non pas de religieuses proprement dites. D'autant plus que saint Au-
gustin, dans la même lettre, appelle les religieuses : « famula? Dei «.(Opé-
ra sancti Augustini, t. II, col. 964. Patrologie latine, édit. Migne.)
(5) Il s'agit de sainte Clotilde qui, à la mort de ses petits enfants, s'oc-
cupa exclusivement de faire du bien aux églises et aux monastères (Gré-
de Tours, Histoire des Francs, livre III, chap. 18<)
— 157 —
textes, cette expression équivaut à « famulaDei »,en français:
humble servante de Dieu, pieux serviteur de Dieu, selon le
sens que nous donnons aux paroles de la Vierge Marie : ce Ecce
ancilla Domini ». Après avoir trouvé ce terme sur les lèvres de
la Mère de Dieu, il est tout naturel que les chrétiens en or-
nassent les tombes de celles qui avaient vécu dans la pratique
des vertus chrétiennes.
Mais «il est incontestable aussi que ce terme équivaut sou-
vent à celui de religieuse.
Possidius, écrivant la Vie de saint Augustin, dit, de la sœur
du grand et saint évoque, qu'elle était : « prœposita ancilla-
mm Dei (1) ». Saint Grégoire le Grand composa l'oraison:
« super ancillas velandas » ; ce pape, appelle les religieuses
par ce nom, soit dans ses lettres, soit dans ses autres ouvra-
ges (2) . L'auteur de la Vie de saint Césaire dit des religieuses
d'Arles : a Turbatae sunt ancillae Dei (3) ». Saint Eucher com-
mence un traité par : a Venerabiles filiœ, servi et ancillse
Dei, clerici, monachi et virgines (4) r> . « Ancilla Dei signifie
donc religieuse. Maison peut faire une remarque, c'est que le
contexte indique toujours qu'il s'agit bien de personnes consa-
crées à Dieu, lorsque le terme « ancilla » a cette signification.
Or, dans l'inscription d'Eugenia, que veut dire le terme
€ ancilla Dei » ? S'agit-il simplement d'une bonne chrétienne,
fidèle à la vertu, ou d'une religieuse, d'une personne consa-
crée à Dieu ? Rien dans le contexte ne l'indique. On pourrait
donc à la rigueur soutenir qu'Eugenia était une pieuse chré-
tienne de Marseille. L'argument deRuffi, du coup, perd toute
sa valeur.
A quelle époque appartient cette inscription ? Elle est de la
fin du VP siècle ou du début du VII" siècle. Nous l'établirons
(1) Possidius, Vita sancti Augustini, ch. 26. {Opéra sancti Augus-
tini, t. II, col. 55. Patrologie latine, édition M igné.)
(2) Grégoire le Grand, dans sa lettre à Respecta de Marseille, appelle
les religieuses : « ancillae Dei ». — Dans une lettre de ce pape, Patrologie
latine, édition Migne, t. 77, col. 881, on lit : « De medietate vero ancillis
Domini Dei, quas vos grœca linguà dicitis monastrias, lectisternia emere
disposui, quia multa? sint... »
(3) Barrai i s, Chronologia sanctorum insulœ Lerinensis, t. I, p. 255i
(h) Eucher (Patrologie latine, édition Migne, t. 50, col. 1210.)
11
— 158 —
avec quelques détails dans un chapitre subséquent (1). Une
conséquence à en déduire. Comme à ce moment le mot « ancilla
Dei » est assez fréquemment employé pour désigner une reli-
gieuse, on peut dire avec quelque certitude qu'Eugenia en
élait une. Nous le croyons, en effet.
Or, de ce qu'Eugenia vivait au VI* ou VII* siècle, qu'elle a
été inhumée aux environs de la chapelle Sainte-Catherine,
est-ce une preuve que 1 abbaye cassianite se trouvait à cet
endroit aux VI*, VII* siècles et même depuis sa fondation ?
Point du tout.
En effet, ne pouvons-nous pas supposer, et cela raisonna-
blement, avec un fond de vraisemblance bien établie, que,
tout en demeurant aux bords de l'Huveaune, comme nous le
supposons, les religieuses cassianites aient tenu à se faire
ensevelir auprès de Saint-Victor ? Oui, la supposition est
permise et très légitime. Rappelons-nous que les champs au-
près de Saint- Victor qui avaient été la nécropole des chrétiens
aux premiers siècles (2) ; qui servaient probablement encore
de cimetière au X* siècle (3) ; rappelons -nous, dis- je, que ces
champs sont appelés Paradis parce que les corps de beaucoup
de martyrs, de confesseurs et de vierges y reposent (4) ; rap-
pelons-nous que Ton montre, vers Tan 1000, au jeune Ysarne
qui visite Saint- Victor, les tombes des saints martyrs, qu'a en-
tourent au loin, dans les champs environnants, les innombra-
bles confesseurs qui jadis furent religieux dans ce monas-
tère ». Rappelons-nous, enfin, qu'à ces âges de foi, le désir
du chrétien, sa consolation dernière, le plus grand honneur
que Ton pouvait accorder à sa dépouille était de reposer au—
près du tombeau de quelque martyr, de quelque saint confes-
seur (5).
(1) Cf. chap. VI: Inscription de Sainte Eusébie .
(2) Grosson, Recueil des antiquités et des monument s marseillais,
p. 98.
(3) Charte 10 du cartulaire de Saint-Victor.
(4) « Vocatus est Paradisus quia multorum corporum, videlicet sanc-
torurn martyrum et virgînum, eodem loco quiescentium. » Charte 32»
cartulaire de Saint- Victor.
(5) Dès les temps antiques, les fidèles pensaient que les restes des
— 159 —
Or, tandis que les moines de Saint- Victor ambitionnent
d avoir un coin de ce champ de repos pour y dormir après
leur mort auprès des corps des saints martyrs qu'ils honoraient
à l'abbaye, de ces saints confesseurs qui avaient été leurs
frères en religion, vous pouvez supposer que les religieuses
cassianitea dus V\ VI*, VU* siècles n'ont pas désiré, n'ont pas
réclamé, une place auprès de ces martyrs de la foi, ou de cette
foule de vierges chrétiennes des premiers âges, et de cette
foule surtout de vierges, jadis leurs compagnes dans l'abbaye?
La supposition est à ce point légitime, qu'elle est la vérité.
Que vous dit la tradition? Qu'Eu se bie et ses compagnes ont
été martyrisées aux bords de l'Huveaune, qu'on a jeté leurs
corps sanglants dans un puits, que les colons les en retirèrent
et vinrent les ensevelir dans les cryptes de Saint -Victor. Or,
s'il avait été d'usage d'ensevelir les Cassianites auprès de leur
monastère, les colons n'auraient pas eu l'idée de les porter
à Saint-Victor. Ils auraient retiré du puits les corps des
martyres, leur auraient donné dans la chapelle, sur le théâtre
même de leur glorieuse mort, une sépulture honorable. -C'eût
été plutôt fait et avec moins de risques et de périls. Mais non,
leur première idée est de porter ces restes vénérables dans les
cryptes de Saint-Victor. D'où vient ? Est-ce pour les mettre
plus en sûreté? Erreur, ils l'eussent été davantage, enterrés
auprès de l'oratoire incendié, ou çà et là dans les champs de
Paradis, que tous réunis dans les cryptes. Si on inhume dans
les cryptes les vierges cassianites, c'est que leur mort est
l'objet de l'admiration de tous, c'est qu'on les regarde, sinon
comme des martyres, du moins comme des modèles achevés
d'héroïsme et de vertu. Mais, si on a pensé tout d'abord à les
porter à Saint- Victor, c'est qu'on avait l'habitude d'ensevelir
à Paradis les religieuses de l'Huveaune qui mouraient.
saints les protégeraient, dans la tombe, contre les redoutables atteintes
da démon, les recommanderaient à la miséricorde divine. (Edmond Le -
blant, op. cit., p. 146.)
Saint Ambroise dît : « Commendabiliorem Deo futurum esse me cre-
dam, quod supra sancti corporis ossa quiescam. » (Opéra, t. II, col.
1118.)
C'est ce que signifient ces locutions que l'on trouve si souvent dans les
anciens écrits : c sociari martyribus, ad sanctos martyres », etc.
- 160 -
Quoi donc aurait pu empêcher cet usage d'exister? La distance
des bords de l'Huveaune aux champs de Paradis ? A notre
époque, telle paroisse que nous connaissons porte ses morts
à une grande heure de distance. Le nombre peut-être trop
grand de décès des religieuses, ce qui aurait pu occasionner
des sorties trop fréquemment répétées du monastère ? Outre
que la clôture n'était pas une règle aussi sévère à cette époque
qu'à la nôtre, l'abbaye de rHuveaune ne devait pas compter
un nombre si grand de religieuses, qu'il dût y avoir un décès
tous les jours, toutes les semaines, tous les mois. Si sainte
Eusébie dirigeait quarante religieuses, il n'y a pas d'appa-
rence que l'abbaye ait compté jamais, sauf peut être en 838,
un nombre bien considérable de religieuses. Donc on peut
soutenir avec beaucoup de vraisemblance et de raison qu'aux
V*, VI* et VII* siècles, les religieuses cassianites se faisaient
inhumer dans les champs de Paradis. L'endroit où reposaient
leurs dépouilles mortelles était peut-être aux environs de la
chapelle de Sainte-Catherine. Les sarcophages découverts en
1685, à cet endroit, étaient les tombes de ces saintes filles de
Cassien, et l'inscription l'épi taphe de l'une d'entre elles. Ainsi
l'objection de Ruffi devient sans force et sans valeur.
Mais nous dirons aussi qu'à notre avis cette inscription
appartient au VIII*, ou IX* siècle ; que partant Eugenia était
une religieuse inhumée à cette époque aux environs de la
chapelle de Sainte-Catherine. De ce chef encore, l'objection de
Ruffi essuie une nouvelle réfutation. En effet, en 818 ou à.
peu près, l'abbaye cassianite existe, puisque Vadalde, évéque
de Marseille, fait opérer le dénombrement des serfs, des colons
appartenant à l'abbaye, dans le quartier du Colombier (1).
En 838, l'abbaye existait encore, puisque les pirates normands
enlèvent un certain nombre des religieuses qui l'habitaient (2).
En 867, l'abbaye était debout encore, puisque, s'il faut en
croire Ruffi, les Normands la saccagèrent (3). En 923, elle
(1) « Descriptio mancipiorum de agro ColumbaHo, factum tempore
Guadaldi, indictione XI. » De Belsunce, Antiquité de V Eglise de Mar-
seille, 1. 1, p. 302).
(2) Annales de Saint-Bertin en Tannée 838.
(3; Ruffl, Histoire de Marseille^ t. II, p. 56.
— 161 —
existait puisque elle fut détruite par les Sarrasins en même
temps que la cathédrale et le monastère de Saint-Victor (1).
Or, nous savons aussi qu'à ces différentes époques l'abbaye
cassianite s'élevait non loin de Saint- Victor, et nous ne nous
refusons pas à l'admettre, à peu près à l'emplacement de
la chapelle de Sainte-Catherine. Par conséquent, ces tombes
découvertes en 1685, cette inscription d'Eugénia peuvent
avoir été les tombes et l'inscription des religieuses qui
habitèrent cet endroit à la fin du VIII* siècle, durant le IX* et
au début du X0. Mais, de là à dire, comme Ruffi, que c'est une
preuve que toujours le monastère cassianite s'est élevé en cet
endroit, c'est vouloir forcer l'argument.
Nous résumons nos conclusions :
Si ces tombeaux découverts en 1685 appartiennent à des
religieuses, ils sont postérieurs à celui d'Eugénia, ils datent
probablement du VIII" ou du IX* siècle. Or, à cette époque,
l'abbaye cassianite peut être placée à la chapelle Sainte-
Catherine. Si Eugénia est une simple chrétienne, l'objection
de Rufll n'a aucune valeur. Si l'inscription d'Eugénia est
celle d'une religieuse, ou bien cette inscription remonte au
VIII0 siècle et il s'agit alors d'une religieuse du monastère
cassianite qui s'élevait en cet endroit de 814 à 923 ; ou bien
elle appartient aux VI* et VII* siècles, elle est alors l'épitaphe
d'une religieuse de l'abbaye de l'Huveaune inhumée à cette
époque dans les champs de Paradis.
(1) Voir chapitre : Divers emplacements qu'a occupés le monastère
cassianite.
CHAPITRE IV
Texte des chartes de 1431 et 1446
LE TEXTE DE CES CHARTES,— PHRASE MAL CONSTRUITE.— PLUSIEURS
SENS.— LORSQUE 8AINT-VICTOR PUT DÉTRUIT PAR LES VANDALES, IL
Y AVAIT TOUT PROCHE UN AUTRE MONASTÈRE.— LES VANDALES N*ONT
PAS DÉTRUIT SAINT-VICTOR. — LORSQUE LE MONASTÈRE CA881ANITE
FUT DÉTRUIT PAR LES VANDALES, IL ÉTAIT PROCHE DR SAINT-VICTOR.
— LES VANDALES N'ONT PAS DÉTRUIT CE CŒNOBIUM DES VIERGES.
IL S'AGIT DES SARRA8INS. — LORSQUE LES SARRASINS ONT DÉTRUIT
SAINT-VICTOR, IL T AVAIT TOUT PROCHE UN AUTRE MONASTÈRE DE PIL-
LES.— LES SARRASINS DÉTRUISENT 1 AINT-VICTOR, EN 923.— LORSQUE
LES SARRASINS DÉTRUISENT LE CŒNOBIUM DES VIERGES, IL ÉTAIT
TOUT PROCHE DE SAINT-VICTOR.— CE N'EST PAS DE LA RUINE DE CE
CŒNOBIUM EN 738 OU 838 QUE L'ON VEUT PARLER, MAIS DE CELLE DE
923. — SUREMENT IL S'AGIT DE LA RUINE DE SAINT-VICTOR EN 923,
OU DE LA RUINE DBS DEUX MONASTÈRES EN 923.
Nous passons à une objection autrement sérieuse. C'est
toujours Ruffl qui la présente : « A tous ces raisonnements
j'ajouterai l'autorité de deux chartes de 1431 et 1446 qui font
foi que lorsque le monastère de Saint- Victor fut détruit par les
Vandales, il y avait tout proche un autre monastère qui ne
peut être que celui-ci, de sorte que Ton ne peut plus douter
que ce monastère fût situé en cet endroit et non pas au quar-
tier de Saint-Loup, ni à celui de Saint-Marcel, encore moins à
l'embouchure de l'Huveaune, ni sur les bords de la mer comme
quelques-uns s'imaginent (1). »
Si deux chartes attestent qu'à l'époque des. Vandales, c'est-
à-dire de 405 à 535, il y avait un monastère auprès de Saint-
Victor, comme il n'y a jamais eu à cette époque d'autre
monastère de religieuses à Marseille que celui dont nous par-
lons (2), il est certain que l'abbaye des Cassianites n'a jamais
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.
(2) Ruflï ledit en plusieurs endroits: « Cassien fonda un monastère
— 163 —
élé aux bords de l'Huveaune. Cette époque des Vandales est
trop rapprochée de celle de la fondation de l'abbaye par Cas-
sien pour qu'il y ait eu au début un monastère à l'Huveaune,
et qu'à l'époque des Vandales ce monastère se trouvât auprès
de Saint- Victor, ou qu'après la destruction de ce monastère
auprès de Saint-Victor, par les Vandales, il y ait eu un
monastère de Cassianites à l'Huveaune. L'objection de Huffl
serait donc péremptoire et notre thèse battue en brèche.
Mais l'étude que nous allons faire du texte de ces deux chartes
va nous montrer clairement qu'elles ne contrarient en sien
notre opinion. Citons d'abord le texte de ces deux chartes.
La première est de Tannée 1431. C'est l'abbé de Saint- Victor
qui donne à une personne de piété une modeste église appelée
Sainte-Marie de la Petite-Baume, aux environs de Saint-
Zacharie. Après avoir raconté les gloires de cette grotte célèbre,
dans laquelle sainte Marie-Madeleine avait passé trente ans,
dans laquelle, ou auprès, de laquelle grotte Cassien avait lui-
même passé plusieurs années de sa vie dans la pratique des
vertus érémitiques, l'abbé ajoute qu'enfin : « hoc praesens
sacrum monasterium (Saint- Victor) et aliud olim sibi vici-
num, in diebus illis per profanos Vandalos fuuditus demo-
litum mire condidit (1) » .
Dans la charte de 1446, l'abbé de Saint- Victor, Pierre Dulac,
veut accorder aux confrères de l'Association de Notre-Dame
de Confession l'autorisation d'être inhumés dans le cimetière
du monastère. Or, après avoir dit que dans ce monastère il y
a les reliques de saint Victor, saint Adrien, saint Maurice,
sainte Eusébie et ses quarante compagnes, il parle de saint
Cassien, ajoutant : « qui hoc praesens monasterium et aliud
olim sibi vicinum in diebus illis per profanos Vandalos f un-
dltus demolitum mire condidit (2) ». Tel est le texte que Ton
objecte contre nous. Examinons-en le sens précis.
de religieuses à Marseille... Nous n'eu avons aucun qui ne soit moderne
en comparaison de celui dont nous parlons. » pp. cit., pp. 54, 55.
(1) Guesnay, Cassianus illustratus, p. 642. — Archives départemen-
tales. Recueil de chartes, par Dom Lefournier, t. IJI.
(î) Kolhen, Les Cryptes, appendice, p. 97 ; cette charte de 1440 est
citée en entier.
— 164 —
t
Avez*-vous remarqué cette sorte d'équivoque produite par la
mauvaise construction de la phrase? 11 est dit que Cassien a
fondé deux monastères : « hoc prœsens monasterium et aliud
olim sibi vicinum per profanos Vandalos f unditus demolitum
mire condidit. » A quoi se rapporte ce « per profanos f unditus
demolitum » ? Est-ce à a hoc praesens monasterium » ? est-ce
à « olim sibi vicinum *> ? Est-ce, en un mot, le monastère de
Saint- Victor, ou celui qui en était voisin, qui a été détruit par
les Vandales? C'est douteux. Ruffl le fait se rapporter à « hoc
praesens monasterium », puisqu'il écrit : « Lorsque lo monas-
tère de Saint-Victor fut détruit par les Vandales, il y avait
tout proche un autre monastère (1). » Serait-ce à a aliud sibi
vicinum »? Le sens alors serait tout différent. Saint Cassien,
dirait la charte, a fondé deux monastères : celui de Saint-
Victor, et un autre qui en était jadis voisin et qui fut détruit
par les Vandales.
Lequel des deux sens est le bon ?
Dans l'incertitude, passons en revue les deux hypothèses ;
voyons si les Vandales ont détruit l'un ou l'autre de ces deux
monastères, et partant si ces deux chartes concluent contre
nous.
D'abord, étudions les termes des chartes précitées d'après
la signification que leur donne Ruffl : a Lorsque le monastère
de Saint- Victor fut détruit par les Vandales, il y avait tout
proche un autre monastère. » Les Vandales ont-ils détruit
l'abbaye de Saint- Victor, à Marseille? Sûrement, ils ne l'ont
pas fait avant 450.
Nons en avons la preuve dans le silence que garde Salvien,
né à Cologne ou à Trêves, et ordonné prêtre à Marseille, sur
un semblable fait, dans son livre De Gubernatione Dei. Cet
auteur, qui vécut de 390 à 495, a été témoin des ravages que
les barbares ont semés sous leurs pas. Il a écrit son livre en
445 ou 450 (2). Or, à aucun endroit de ce livre, il n'insinue
(1) Rufli, Histoire de Marseille, t. II, p. 58.
(2) Salvien, dans Dictionnaire de théologie, par Lenoir, t. XI, p. 313
— Bibliographie générale de Michaud. — Cet écrivain aurait vécu de
390 à 484. Cependant Gennade, qui vivait en 495, année où il termine son
catalogue des écrivains ecclésiastiques et le dédie au pape Gélase, dit de
— 165 —
que ces barbares soient venus à Marseille, et qu'ils se soient
attaqués à l'abbaye de Saint Victor. On ne s'expliquerait pas
son silence sur ce point, si ce fait réellement était arrivé.
Ce n est pas non plus de 450 à environ 490. Nous avons un
argument que nous croyons sans réplique. Gennade, prêtre
et écrivain de Marseille, qui vivait sous le pape Gélase (492-
496) et sous Ànasta3e, empereur d'Orient (491-518), a écrit
un livre intitulé De scripioribus ecclesiasticis, composé
de cent articles ou biographies sommaires de personna-
ges qui ont vécu de 330 à 490. Or, dans ce recueil, à l'article
de Cassien, fondateur de l'abbaye de Saint- Victor, il dit :
«Condidit duo monasteria id est virorum acmulierum, qure
usque hodie exstant(l). » A l'époque donc où Gennade écrivait
cette biographie de Cassien, les deux monastères qu'il avait
fondés existaient encore.
Or , cette biographie de Cassien a été écrite avant 495,
puisque en cette année même Gennade termine son manus-
crit et l'envoie au pape Gélase. Mais sûrement il ne l'a pas
envoyé au souverain pontife sans le revoir et le retoucher. Si
donc, depuis le jour où il avait rédigé l'article de Cassien,
dans lequel il est dit que a les deux monastères existent enco-
re », ces deux monastères eussent été détruits, Gennade aurait
rectifié sa phrase. Il ne l'a pas fait, donc jusqu'en 495 ces
deux monastères n'avaient eu à, subir aucune attaque de la
part des barbares, ou, dans tous les cas, ils n'avaient pas été
renversés.
Ce ne fut pas non plus à une époque postérieure de 495 à
535, date de l'extermination des Vandales, que le monastère
de Saint-Victor a été renversé, car, dès l'an 480, les Visi-
goths s'emparent de Marseille. Puis ce sont les rois bourgui -
gnons qui la gouvernent, ensuite les Ostrogoths de Théodoric,
Salvien que « vivit usque hodie in senectute bonà ». Il vivait donc en-
core en 495. (Gennade, De scriptotnbus ecclesiowticis ; Patrologie latine,
édition Migne, t. LVIII, col. 979, etc.)
(1) « Gennade, prêtre de Marseille, a composé plusieurs écrits, entre
autres celui intitulé De scriptoribus* ercleaiastirii*, qui est un recueil de
cent biographies. Il termina ce livre on 495. » (Gennade ; Patrologie lati-
ne, édition Migne, t. LVIII.)
— 166 —
enfin les Francs qui se partagent la Provence vers 536. Or,
ni les uns, ni les autres n'auraient permis aux Vandales de
saccager Marseille. Cette ville était occupée par de bonnes
garnisons, relevant des divers rois qui la possédaient. Par
conséquent, les Vandales n'ont pu détruire Saint-Victor. C'est,
d'ailleurs, l'avis de l'auteur des Saints de V Eglise de Mar •
seille (1).
Donc, l'argument de Rufïi : a Lorsque le monastère de
Saint- Victor a été détruit par les Vandales, il y avait tout
proche un autre monastère » ne vaut rien. Les Vandales n'ont
pas détruit Saint-Victor. Donc, on ne peut pas en déduire
que de 410 à 530 le monastère cassianite des vierges se trou-
vait tout proche de l'abbaye de Saint- Victor.
Prenons l'autre hypothèse, faisons se rapporter k « aliud
sibi olim vicinum » les termes « in diebus illis per profanos
Vandalos funditus demolitum » ; c'est-à-dire : Lorsque les
Vandales détruisirent le monastère des vierges cassianites,
celui-ci était tout proche de Saint-.Victor.
Les Vandales ont-ils détruit cette abbaye cassianite et à
quelle époque ? Ils ne l'ont jamais renversée. Les raisons que
nous avons données pour prouver qu'ils n'ont pas démoli
Saint-Victor, prouvent aussi qu'ils ne se sont pas attaqués à
l'abbaye cassianite des filles. Donc encore, les termes de ces
chartes avec cette nouvelle signification ne concluent pas
contre nous.
En réalité, nous attribuons à ces chartes un sens qu'elles
n'ont pas ; on les interprète mal. On traduit les mots a per
profanos Vandalos » par Vandales proprement dits, qui ra-
vagèrent l'Afrique de 429 à 535, alors qu'il faut les traduire
différemment. Il ne s'agit pas ici des Vandales.
La véritable signification de ces termes n'est pas autre que
celle qui est fournie par l'ensemble des chartes. Quand
celles-ci parlent des Vandales, ce mot est un terme générique
dont elles se servent. Le souvenir de la terreur que ces bar-
bares ont laissée dans le monde a toujours demeuré. Nous-
(1) « L'abbaye de Saint-Victor, située hors de la ville, était exposée à
toutes les péripéties de ces longues guerres (412-536) ; il ne parait pas
rependant quo les moines aient du jamais l'abandonner... » Page 7.
— 167 -
mômes, lorsque nous voulons désigner un pillard, un féroce
destructeur, nous disons de ce scélérat qu'il est un « vandale ».
Lorsque, au IX* et au X* siècle, les Sarrasins apparurent,
semant partout la dévastation et la mort, on les appela d'un
nom qui rappelait d'anciennes désolations: les Vandales (1);
et comme les Sarrasins venaient d'Afrique, précisément par
le môme chemin que les Vandales avaient pris pour y aller,
ce nom leur était justement donné par les chroniqueurs du
temps. Aussi, on rencontre ce mot de Vandales à côté des mots
« gens pagana, gens barbarica, gladium Sarracenorum (2) ».
Mais, dans ces documents, ces termes désignent les Sarrasins.
Il en est de même des chartes de 1431 et 1446. Lorsqu'elles
nous disent que le monastère fut détruit par les Vandales,
elles veulent désigner les Sarrasins. Le sens de ces deux
chartes serait la phrase de Rufû ainsi modifiée : « Lorsque
Saint-Victor fut détroit de fond en comble par les Sarrasins,
il y avait tout proche un autre monastère » ; ou bien cette
phrase : a Cassien fonda deux monastères, celui de Saint-
Victor, et un autre qui en était voisin et qui fut détruit par
les (Vandales) les Sarrasins. » Il y a là deux sens bien diffé-
rents pouvant donner des conclusions bien différentes. Mais,
quel que soit celui que Ton veuille choisir, aucun des deux
ne conclut contre nous.
Etudions d'abord la phrase telle que la donne Rufû : « Lors-
que Saint-Victor fut détruit par les Sarrasins, il y avait tout
(I) « Tarn altè Vandalorum crebrae, lateque diffus» piraticse incur-
siones cunctorum animis infixse erant, ut quae longe posthac Sarrace-
norum incursio coofecerat, ad hanc simili ter epoçham traducta fuerit. »
(De initiis Ecclesiœ Forojuliensis dissertatio , par J. Anthelme,
p. 120.)
* 11 parait qu'au Moyen âge on désignait sous le nom de Vandales tous
les envahisseurs, quoiqu'ils n'appartinssent pas a ce peuple. Les Sarra-
sins venaient de l'Afrique, d'où les Vandales avaient lait jadis des des-
centes dans le midi des Gaules, ce qui a pu faire confondre les deux
nations, t (Histoire du monastère de Lérins, par Alliez, t. I, p. 401.)
— t On donnait alors le fiom de Vandales aux Sarrasins. » (De Belsunce,
Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. I, p. 388.)
(?) Notamment dans les chartes 155, 100, 269, 77, 101, 15, 1, où »1 est
certainement question des Sarrasins, quel que soit le nom dont ils sont
appelés : Pa^am, Mauri, Vandali. Cartulaire de Saint-Victor.
— 108 —
proche un autre monastère. » A quelle époque le monastère des
vierges cassianiles était-il proche de Saint-Victor? Ces barbares
sont venus à Marseille vers la première moitié du VIII' siècle.
Ont-ils renversé Saint- Victor à ce moment? Non.
La charte 14 de Tan 1040 dit, en effet, que « de vaginâ
Vandalorum callidus exactor educitur », et que c'est ce tyran,
cet exploiteur préposé par les Vandales (les Sarrasins) qui fit
un désert du monastère (1). Deux lignes plus bas la charte
ajoute que le monastère demeura dans cet état d'abandon
jusqu'à ce que l'abbé Wifired a hic has aedes condens dila-
tavit ». Or, Wiffred était abbé de Saint- Victor en 1005 (2). Si
les Sarrasins ont détruit Saint-Victor vers 738, cette abbaye a
été déserte durant deux cent cinquante ans, de 738 h Tan 1005
environ. Et cependant il y a des centaines de chartes qui
supposent que Saint-Viclor existait aux VHP, IXm et X* siècles.
Et encore, la charte 15 dit que ce monastère (de Saint-
Victor) ne fut renversé que <c post multa curricula annorum »,
après la mort de Charlemagne (3). Or, ce prince est mort
en 814. Donc, les Sarrasins n'ont pas détruit l'abbaye de Saint-
Victor au VII? siècle, en 737 ou 738 par exemple.
C'est aussi l'opinion de M. de Rey. Dans les Invasions
des Sarrasins en Provence, il écrit : « Quelques souffrances
qu'ait endurées le monastère de Saint- Victor, depuis Charles-
Martel, cependant il existait epcore an commencement du
X* siècle, et non seulement ses murs étaient encore debout,
mais les religieux l'occupaient toujours. » Dans Les Saints
(1) « Cumque diutius in tantiamoris matrimonio perdurasset (monas-
terium) omissà proie tant» nobilitatis, de vagina Vandalorum callidus
exactor educitur .. Quod necare antiqui serpe utis framea corruptovelle
disponit, hoc extincto sobolumque flore omisso, viduitatis lacryma,
flexibilis et infelix, nimioque senio consumptum permansit. Post nempe
annorum curricula, temporibus sanctœ Romanse sedis antistitis
Johannis, claruit sacris virtutibus Wifredus abbas, locihujus rector...
Hicergo has aedes condens mi ris doctrinis dilatavit, vellenec ne posse
vicecomitum seu egregii praesulis Massiliensis... » Cartulaire de Saint-
Victor, charte 14.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, vie de saint Wifred, 12déc,
p. 306.
(3) Cartulaire de Saint-Victor, charte 15.
— 169 —
de l'Eglise de Marseille, le même auteur écrit, à la fête de
la translation des reliques de saint Victor : o Môme pendant
le cours de ces guerres sans pitié, qui firent tant de martyrs
en Provence, les moines de Saint- Victor restèrent dans leur
abbaye et veillèrent sur les reliques confiées à leur soin (1). »
Donc, si nous acceptons la signification que Ruffi donne à
cette phrase des chartes de 1431 et 1446, que « lorsque Saint-
Victor fut détruit par (les Vandales) les Sarrasins, il y avait
tout proche un autre monastère », son argumentation ne vaut
rien contre nous. Les Sarrasins n ont pas détruit Saint-Victor
au VIII" siècle; donc, à cette époque, il n'y avait pas de mo-
nastère de filles proche celui de Saint- Victor.
Mais, si les Sarrasins n'ont pas détruit l'abbaye de Saint-
Victor au VHP, siècle, sûrement ils l'ont renversée au X\ Nous
lisions tantôt la charte 14 de Tan 1040, la charte 15 de Tan
1005 qui l'affirmaient en termes exprès. Et les auteurs pla-
cent cette destruction de l'abbaye en 923 ou 924. C'est à
cette époque donc qu'il y avait tout proche de Saint-Victor
un autre monastère. Mais, nous l'avons dit mille et mille
fois, pour nous l'abbaye des religieuses s'est trouvée non
loin de Saint- Victor dès 837 peut-être et presque sûrement
en 923. L'argumentation de Ruffi ne vaut rien contre nous:
« Lorsque Saint-Victor fut détruit par (les Vandales) les Sar-
rasins, il y avait tout proche un autre monastère.» Cette des-
truction de Saint- Victor a eu lieu en 923 ou 924. A cette épo-
que, le monastère des filles était tout proche. C'est ce que
nous avons dit. M. de Ruffi en est pour ses frais.
Etudions l'autre signification que nous avons donnée aux
termes de ces chartes, en faisant se rapporter à a aliud olim
sibi vicinum » les mots a in diebus illis per prof anos Vandales
funditus demolitum » , c'est-à-dire : « Le monastère des filles
cassianites était proche de Saint- Victor, lorsqu'il fut détruit
par les Sarrasins. » Il nous paraît extraordinaire que Rufii,
sans cesse à l'affût de nouvelles preuves pour appuyer son
système (que le cœnobium des filles était tout proche de
(1) M. d« Rey, Invasions des Sarrasins en Provencei p. 124. — Les
Saint* rie l'Eflh'te de Marseille, p. 7
— 170 —
Saint-Victor, au lieu d'avoir été sur les bords de l'Huveaune) ,
n'ait pas découvert la sérieuse objection que contient cette
signification donnée aux termes des chartes du XV* siècle. Car
les Sarrasins ont sûrement détruit ce monastère en 923,
par conséquent à cette date il se trouvait auprès de Saint-
Victor. A cela nulle difficulté. Mais sûrement aussi ils
ont détruit le monastère dans lequel Eusébie était abbesse
et où elle fut martyrisée. Or, ce martyre nous le plaçons
dans notre thèse en 738. Donc, en 738, l'abbaye cassianite
des filles était tout proche de Saint-Victor, au lieu d'être
aux bords de l'Huveaune. Notre système serait à terre, et Ruf-
fi aurait une preuve bien vraisemblable à alléguer contre nous.
Ruffi n'a rien découvert cependant. Comme nous ne voulons
pas diminuer la vérité, nous nous devons de présenter cette
objection et d'essayer de la résoudre.
Voici cette lecture : Cassien fonda le présent monastère de
Saint-Victor et un autre, jadis tout proche, qui fut détruit
complètement par les Sarrasins. Nous disons que, môme avec
ce sens et cette signification, ce passage des chartes ne prouve
rien contre notre thèse.
Rappelons-nous que le cœnobium des vierges, à trois
reprises, au moins, a été saccagé et ruiné. En 738, d'abord,
époque à laquelle nous plaçons le martyre de notre sainte Eu-
sébie. Quel que soit l'auteur qui parle de cet événement, il
atteste que le cœnobium fut incendié et détruit. Une seconde
fois il fut pillé et renversé, en 838. Le texte des Annales de
Saint-Bertin, qui raconte cet événement, dit que les Sarrasins
se précipitent sur Marseille, la dévastent, pillent les églises,
portent sur leurs vaisseaux les richesses qu'ils ont prises,
amènent comme esclaves clercs et laïques, et enlèvent toutes
les religieuses de cette ville (1). On conviendra avec nous que-
ces détails font bien supposer une ruine complète et des égli-
(1) « Intérim Sarracenoru m pi ratiese classes Masslliam Provincise ir-
ruentes, abductis sanctimonialibus, quanim illic non modiea congregatio
degebat, omnibus et cunctis masculini sexûs clericis et laicis, vastatàque
urbe, thesauros quoque ecclesiarum Gbristi secum universaliter asporta-
runt.» Annales de Saint-Bertin, 898 (De Rey, Invasions des Sarrasins ,
p. 222).
- 171 —
ses et des monastères. Les mœurs connues des Sarrasins nous
autorisent à le croire. Autre dévastation du cœnobium en 923
ou 925. Celle-ci fut si complète, si entière, que le monastère,
qui s'était relevé des désastres du VIII6 et du IXe siècle, suc-
combe cette fois. Ce n'est que quatre-vingts ans après, vers
1004, qu'on le réédifie. Mais alors ce n'est plus auprès de
Saint-Victor qu'il s'élève, c'est dans l'enceinte de la ville. Ce
ne sont plus lesCassianiles qui y vivent, ce sont les Bénédic-
tines, puisque les religieuses de Saint-Sauveur ne suivent plus
la règle de saint Cassien, mais ce] le de saint Benoit. Le voca-
ble même est changé. Ce n'est plus celui de Sain t-Cyr qu'il
porte, mais celui de Saint-Sauveur.
Or, à laquelle de ces destructions est-il fait allusion dans les
chartes de 1431 et 1446? Le texte ledit clairement. On y lit:
« funditus demolitum », ruiné défend en comble. Or, la ruine
complète du cœnobium est celle de 923. A cette date, il sombre
dans la tourmente. C'est la fin. C'est donc à cette destruction
du monastère en 923 qu'il est fait allusion dans les chartes du
XV* siècle. Alors il était auprès de Saint-Victor, attestent ces
chartes. Mais, nous l'avons dit plus haut, à cette époque nous
acceptons, nous croyons qu'en effet le cœnobium cassianite
se trouvait voisin de Saint -Victor. Donc, la lecture de ces
chartes n'est pas contre nous.
Le contexte des chartes du XV# siècle ne l'exprimerait pas,
que l'on serait autorisé à supposer que le moine rédacteur de
ces documents a entendu parler de la ruine survenue au cœ-
nobium cassianite, en 923. Dans ces chartes, en effet, l'abbé
de Saint- Victor raconte les gloires de son monastère fondé
par Cassien, et il ajoute, en passant, que cet illustre religieux
a fondé un autre cœnobium voisin de Saint-Victor et plus tard
détruit par les Sarrasins. Par trois fois, nous le savons, ce
cœnobium fut détruit. Or, de laquelle de ces trois ruines du
monastère le moine rédacteur a-t-il voulu parler ?
Supposerons-nous qu'il a voulu rappeler à la mémoire de
ses lecteurs que jadis, au VIII* siècle, en 738, par exemple,
puisque c'est la date que nous préconisons, ce cœnobium fut
renversé ? Il oubliera de dire qu'A la suite de cette dévastation
ce cœnobium en a subi d'autres ? Mais à quel litre cette des-
— 172 —
traction de 738 doit-elle, dans l'idée du moine historien, atti-
rer notre attention ? Serait-ce à cause du martyre de sainte
Eusébie ? Il est parlé précisément de cette sainte, deux lignes
plus haut, pour dire qu'elle repose dans le monastère de Saint-
Victor avec ses quarante compagnes. Pourquoi ne pas insinuer,
alors, que c'est bien à cette époque qu'elle a subi le
martyre ?
Supposera-t-on qu'il a voulu attirer notre attention sur le3
désastres du IXe siècle, en 838, l'enlèvement des religieuses,
circonstance plus pénible et plus douloureuse que le martyre
de sainte Eusébie ? L'écrivain laissera dans l'oubli, alors, et la
ruine de 738, et la destruction de 923 ! Rien n'autorise à croire
que telle a été l'intention de l'auteur. Pas un mot de ces docu-
ments ne l'indique. D'ailleurs, les règles du langage et de la
logique ne permettent pas de procéder ainsi. Quand on ra-
conte les événements heureux ou malheureux qu'une per-
sonne, une institution ont subis, ou bien on détaille chacun
de ces événements que Ton cherche à rappeler, ou, si Ton se
sert d'un terme général, c'est sur le fait principal, vers l'évé-
nement saillant que Ton attire l'attention. Or,quel est ici, dans
le sujet qui nous occupe, le point important? c'est la ruine
complète, la tin du cœnobium. Or, cette ruine, s'est effectuée
en 923. C'est donc à elle que l'auteur de ces chartes fait allu-
sion. Or, en 923, l'abbaye cassianite, nous l'avons dit, se trou-
vait auprès de Saint-Victor. Donc encore, la lecture, telle que
nous l'acceptons de ce passage des chartes, ne conclut pas
contre nous. C'est toujours de la ruine de l'abbaye cassianite,
en 923, qu'il s agit.
Disons plutôt que cette nouvelle signification donnée par
hypothèse aux termes des chartes n'est pas acceptable. Ce n'est
pas à « aliud sibi olim vicinum » que se rapportent le « in
diebus illis per profanos Vandalos fundilus demolitum », mais
à « hoc praesens monasterium (Sancti Victoris) » ; c'est-à-dire
c'est le monastère de Saint-Victor dont il est dit dans ces
chartes qu'il a été détruit par (les Vandales) les Sarrasins et
non pas celui des Filles de saint Cassien.
D'abord, c'est l'opinonde Kufli, nous l'avons dit, et de Lau-
tard son copiste fidèle. Rappelons-nous qu'interpréter ces
— 173 —
chartes de 1431 et 1446 comme nous l'avons fait, était apporter
la meilleure des preuves en faveur de leur système, contraire
à celui que nous préconisons. Or, Ruffi s'en est tenu au pre-
mier sens ; donc, ces chartes, à la première lecture, offraient
ce sens tout naturel et tout obvie.
Ensuite, plusieurs des auteurs qui se sont occupés du sujet
que nous traitons n'ont fait sur ces passages des chartes au-
cune réflexion qui puisse embarrasser notre marche. Et ils
connaissaient ces chartes. La Gallia, André, dans V Histoire
de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur les ont citées.
M. de Key devait les connaître aussi, car, d'une part il cite
souvent l'ouvrage de M. André, d'autre part il semble faire
allusion à ces chartes dans les Invasions des Sarrasins en
Provence ,p. 138 : « Les abbayes de Saint-Victor et de Saint-
Sauveur, ainsi rapprochées l'une de l'autre, durent avoir
même fortune pendant les guerres des Sarrasins, et tout ce
que la première eut à souffrir au milieu de ces longs boule-
versements, l'autre le souffrit aussi ». Et à la page 138 : « Le
monastère cassianite ne périt qu'au temps des Sarrasins du
Fraxinet, sous les coups des mêmes invasions qui emportèrent
l'abbaye de Saint-Victor, c'est-à-dire, dans la première moitié
du X* siècle après Tannée 924. » Dans les Saints de V Eglise
de Marseille, on lit aussi : e C'est alors (923) que périt le
monastère de Saint-Victor, et alors aussi, croyons-nous, que
celui de Saint-Cyr, surpris par une attaque imprévue, suc-
comba si glorieusement. »
Ces auteurs, on le voit, traduisent, peut-être même sans
y penser, le passage de nos chartes : Cassien fonda le monas-
tère de Saint- Victor détruit par les Sarrasins, et un autre
monastère qui était tout proche. Or, ces auteurs ne paraissent
pas se douter que ce passage des chartes peut recevoir une
autre interprétation, celle que nous discutons; ou, s'ils y ont
pris garde, ils ont jugé cette interprétation peu conforme avec
le sens général de ces documents et ils ne s'y sont pas arrêtés.
C'était cependant une très forte preuve encore à l'appui de
leur opinion, puisque tous deux, MM. André et de Rey, placent
le monastère cassianiste des filles auprès de Saint -Victor.
Xou9 aurions donc mauvaise grâce à adopter, nous, une in-*
12
— 174 -
terprétation différente, d'autant plus qu'elle serait très défa-
vorable à notre système, si elle était demeurée sans réponse et
sans explication.
Ajoutons que vouloir suivre la lecture de ces passages des
chartes telle que nous l'avons proposée en objection, en fai-
sant se rapporter à « olim sibi vicinum » le a in diebus il lis a
Vandalis funditus démoli tum », c'est s'exposer à un grave
inconvénient. S'il n'y avait pas à Marseille nne tradition qui
place le cœnobium cassianite sur les bords de l'Huveaune ;
s'il n'existait pas quantité de documents attestant que ce
monastère a changé souvent et de nom et d'emplacement ; si,
de plus, l'on pouvait, à l'aide de cette lecture, concilier les
auteurs, on pourrait à la rigueur accepter ces chartes comme
preuve qu'à l'époque où il fut détruit par les Sarrasins, en
738, le cœnobium était auprès de Saint- Victor. Mais il y a une
tradition, quelque peu appuyée, qu'un monastère s'élevait
jadis à l'Uuveaune. Des documents prouvent qu'à plusieurs
reprises ce monastère a changé son vocable et de lieu d'em-
placement. Cette lecture ne concilierait pas le témoignage
des auteurs. Or, niera-t-on la tradition? récusera-t-on les docu-
ments? réfutera-t-on les raisons apportées par les auteurs?
Gela ne serait pas possible. Donc, laissons de côté la lecture
proposée et objectée, et acceptons celle de Ruffi.
Encore, pourquoi appliquer le a per prof anos Vandalos fundi-
tus demolitum » à 1' a olim sibi vicinum » et non pas à 1' « hoc
prsesens monasterium Sancli Victoris »? Ces mots « per profanos
Vandalos » ne sont pas autre chose que la répétition de ce que
les chartes disent si souvent de ce monastère. Dans la charte
15, en 1005, en effet, on lit que ce monastère de Saint-Victor
< fuit adnullatum ac fere ad nihilum est redactum ». Dans la
charte 14, en 1040, après avoir parlé de la gloire de cet anti-
que cœnobium, on dit qu'à une époque, « de vaginâ Vanda-
lorum callidus exactor educitur, quod necare antiqui serpen-
tis framea corrupto velle disponit. .. » Puis: « hoc monas-
terio extincto. . . nimioque senio consumptum permansit. »
Dans la charte 691 de Tan 1045, on lit encore: « olim illorum
(monachorum) raonasteria a paganis destructo » ; dans celle
de 1055 (charte 565) il est écrit : < monasterium a paganis
- 175 —
destructum.. . in solitudinem redactum... » Comparez ces
diverses phrases avec celle des chartes de 1431 et 1446. Les
termes sont différents, mais l'idée est la même. Il s'agit de la
destruction, de la ruine du monastère de Saint* Victor. Pour-
quoi donc appliquer à un autre monastère, dont on ne parle
presque jamais dans les chartes, ce que Ton dit si souvent de
Saint- Victor ? C'est donc de Saint-Victor qu'il s'agit dans ces
titres du XV siècle.
Une autre considération va démontrer plus amplement que
c'est uniquement de Saint- Victor qu'il s'agit. De pieux fidèles
ont exposé à l'abbé du monastère que s'il accordait, à ceux
qui font partie de la confrérie de Notre-Dame de Confession,
d'être inhumés dans le cimetière de ce monastère et de parti-
ciper aux prières, aux mérites des saints religieux qui y
vivent, l'honneur et la vénération qui en reviendraient à la
Sainte Vierge en seraient augmentés. L'abbé de Saint- Victor,
alors Pierre Dulac, acquiesça à cette requête, et à ce sujet il
célèbre dans une page très animée les gloires de son abbaye :
« C'est là, dit-il, que reposent les restes des martyrs : Victor
et ses compagnons, Adrien et ses compagnons, Maurice, Inno-
cent et ses compagnons, Chrisante et Darie, Eusébie et ses
quarante compagnes vierges et martyres. Cassien fonda ce
monastère, ainsi qu'un autre qui était tout proche, détruit
plus tard par les Vandales. Dans ce monastère il se vit entouré
de cinq mille moines... Là il vécut jusqu'à l'âge de quatre-
vingt-dix-sept ans, et ce fut de ce lieu béni que les anges le
portèrent aux cieux, où il retrouva cette multitude de saints
et de saintes qu'il y avait envoyés par ses exemples et ses
enseignements. Là vécurent encore saint Mauront, Hilarianus,
Ysarne, Hugues, Bernard, Wiffred et quantités d'abbés ou de
confesseurs de Jésus-Ghrist,et cette foule innombrable de mar-
tyrs, d'évêques, de confesseurs, de vierges, dont les corps
reposent aux alentours de ce monastère ou dans son église... »
C'est donc de l'antique abbaye de Saint -Victor que l'on
parle; c'est cette abbaye dont on rappelle les riches trésors de
grâces, de vertus, de sainteté, qu'elle possédait dans ses murs ;
pourquoi donc mêler à cette histoire celle du cœnobium cassia-
nite, et dire qu'il a été détruit par tels ou tels barbares!
— 176 —
Qu'on fasse mention de son existence, cela se comprend, puis-
qu'on ajoute à la gloire de saint Cassien, qui le fonda. Mais
que Ton parle de sa ruine, à quoi cela servira-t-il ? L'on dira
au contraire que ce monastère de Saint- Victor a été détruit,
c'est un nouveau titre de gloire que l'on énumère. L'on fait
bien d'en parler, l'histoire de l'abbaye est ainsi complète.
C'est donc bien de Saint-Victor que l'on dit qu'il a été « per
profanos Vandalos funditus demolitum ». Donc, les chartes
de 1431 et 1446 ne concluent par contre nous.
(1) Voir cette charte citée in extenso duus les Cryptes de l'abbaye de
Saint- Victor, par Kothen, p. 99.
<
j
CHAPITRE V
Plusieurs objections de Ruffi
LE CŒNOBIUM DES VIERGES N'ÉTAIT PAS AUX BORDS DE L'HUVEAUNE.—
LES MASURES QU'ON Y VOIT SONT LES RESTES D*UN COUVENT DE
PBBM0NTRÉ3. — C'EUT ÉTÉ TROP LOIN DE MARSEILLE, PÉRIL DES
PIRATES.— CASSIEN AVAIT DES SITES PLU3 RAPPROCHÉS. — RUINES
DÉCOUVERTES A LA CHAPELLE DE SAINTE-CATHERINE.
Le monastère où sainte Eusébie a vécu n'était pas sur les
bords de l'Huveaune, parce que Cassien n'a pu avoir la pensée
de rétablir en cet endroit. Et Ruffi (1), qui soutient cette thèse,
énumère une série de raisons que nous rangeons sous cette
même rubrique : Impossibilité pour le monastère de Sain te -
Easébie de se trouver à l'Huveaune. « Il ne pouvait être ni sur
le bord de la mer, ni à l'embouchure de l'Huveaune, comme
quelques-uns l'imaginent, à cause qu'on y voit paraître des
masures d'une église' qui appartenait aux religieuses de Saint-
Sauveur, et qui fut un couvent de l'ordre des Prémontrés qui
ne fut bâti que l'an 1204. »
Après avoir lu notre travail, on avouera, nous l'espérons,
que si nous plaçons le monastère de sainte Eusébie sur les
bords de PHuveaune, ce n'est pas uniquement parce que
l'histoire nous dit qu'il y avait là des masures ayant appar-
tenu aux religieuses de Saint-Sauveur. C'est à cause d'un
ensemble de faits, de dates, de circonstances qu'il est difficile
de ne pas accepter comme preuve de notre assertion. Ceux,
d'ailleurs, qui du temps de Ruffi ou avant lui, soutenaient la
môme thèse que nous à Gette heure, ne s'appuyaient pas uni-
quement sur ces masures des bords de l'Huveaune, mais sur
d'autres arguments, et surtout sur la tradition dont Ruffi
semble vouloir ne pas entendre parler (2).
(1) Rufli, Histoire de Marseille* t. II, p. 56.
(?) Ainsi Mabillon, du Saussay, Chifflet, Lecoiote, Arthur de Mones-
tier. etc.
— 178 —
« Il n'y a pas d'apparence que Cassien ait bâti un monastère
de filles si loin de la ville, et sur les bords de la mer, pour
ne pas les exposer aux incursions des pirates gui faisaient
alors de fréquentes courses en ces mers (1). » Soit; admet-
tons que c'était bien imprudent, de la part de Cassien,
de placer un monastère de filles loin de la ville, et sur les
bords de la mer. Mais où donc l'a-t-il établi, suivant Ruffi?
Sans doute au sein de la ville, à l'abri des murailles ou,
du moins, comme le bruit et le tumulte d'une ville ne sont
guère favorables au recueillement d'un monastère, ce sera en
dehors de la ville, mais toujours aux portes de la cité. En cas
d'alerte, aux premiers avis d'une invasion, les religieuses
trouveront un refuge assuré au milieu de la ville. C'était de la
plus vulgaire prudence, car de 410 à 420, époque où les deux
monastères ont élé fondés, il y a bien des troubles, des bou-
leversements, des agitations au sein des peuples. Rappelons la
phrase de saint Prosper : « La ruine de la Gaule eût été moins
complète, si l'Océan avait déversé tous ses flots sur les champs
gaulois (2). » II y a quelques années à peine, les Vandales ont
ravagé et saccagé la haute Provence. Arles heureurement les
a arrêtés. Les Visigolhs ont laissé de côté la Provence, mais les
Burgundes s'avancent lentement vers elle. Cassien ne peut
donc prendre trop de précautions pour le choix de l'emplace-
ment destiné à ses deux monastères.
Or, qu'arrive-t-il ? Cassien avise de l'autre côté de la ville
un endroit solitaire, au pied d'une montagne, couverte peut-
être encore de bois épais, séparée de la ville par un bras de
mer plus large que ne l'est le port de nos jours, inaccessible
presque, puisqu'il est entouré d'une ceinture de salines et de
marais. C'est là qu'il établit l'abbaye de Saint-Victor et qu'il
fonde aussi le monastère de filles. Quelle admirable prudence,
n'est-ce pas, si Ion ne considère que le choix du site! Comme
il sera facile, au jour où les pirates débarqueront à l'impro-
(1) Ruflî, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.— M. deRuffï père pensait
tout le contraire. Cassien, dit-il, aimait la solitude, et il a bien pu profiter
de ce coin tranquille et retiré de notre terroir pour y établir un monastère.
(2; <t Si toi us Gallossese effudlsset in agros Oceanus, vastis plus supe-
resset aquis...», dansRuinart, Hiçtov ta persecutionis Vanflalicfp.p. 195.
- 179 —
viste soit à l'entrée du port, soit sous les murs du monastère ou
dans quelque anse ignorée du versant opposé de la Garde,
comme il sera facile, dis- je, à ces saintes filles d'avoir des
barques toutes prêtes pour les passer de l'autre côté du port,
ou prendre leur course à travers les salines, les marais, les
ruisseaux, de faire un immense détour pour atteindre et
gagner la ville !
Non, non, si Cassien, en fondant ses deux monastères, s'est
préoccupé de cette idée qu'ils pourraient être un jour attaqués
par les pirates, ce n'est pas de l'autre côté du port qu'il devait
établir au moins celui des filles. C'eût été dans la ville même,
ou à côté des remparts. Non plus, nous l'avouons, il ne pou-
vait songer aux bords de l'Huveaune. L'emplacement eût été
aussi mal choisi dans un cas comme dans l'autre. L'argument,
donc, de Ruffi n'est pas irréfutable.
« Il n'y a pas d'apparence qu'il les eût logées dans l'inté-
rieur du terroir, puisqu'il pouvait les placer plus proche et
leur donner un lieu aussi solitaire qu'il pût souhaiter. Car
la colline de Notre-Dame de la Garde était couverte de
bois (1).» Nous ne sommes pas à chercher quel endroit Cassien
aurait dû choisir. A part les raisons que le fondateur pouvait
avoir et que nous ne savons pas, nous avons dit que les bords
de l'Huveaune étaient un site aussi défavorable que le voisi-
nage de Saint- Victor. Mais Cassien n'avait-il pas quelque
raison à nous inconnue ? Quel site a-t-il choisi de préférence ;
voilà la question qui en réalité fait l'objet de cette dis-
cussion.
« On découvrit au même endroit (dans les environs de l'an-
cienne chapelle de Sainte-Catherine), en creusant la terre pour
construire le Canal, quelques fondements d'un grand édifice
extrêmement épais, qui marquaient une très grande antiquité,
et même on y découvrit quelques masures d'un presbytère qui
tournait du côté du levant (2). » On devine notre réponse.
Puisque nous acceptons que le monastère a été en cet endroit,
vers 838 ou 923, ce sont les ruines de ce monastère que Ton
(1) Rufli, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille , t. II, p. 50.
— 180 —
a découvertes en 1685. Si ces ruines datent du IXe ou X* siècle,
leur antiquité est assez respectable. Quant au a presbytère
lourné vers le levant »,Ruffi est un bien habile archéologue
s'il nous certifie que ces masures étaient celles d'un pres-
bytère. Si nous voulions soutenir, nous, que c'était une loge
de portier, nous ne savons qui voudrait se charger de dirimer
la question ! D'ailleurs, l'abbaye de Saint-Victor n'étant guère
plus qu'à deux cents pas de distance du monastère cassianite,
vers 923, il était inutile qu'il y eût le logement des moines
dans les attenances de l'abbaye des religieuses.
CHAPITRE VI
Les Religieuses cassianites
n'avaient pas de chapelles pour y faire célébrer
les Saints Mystères
objection de rufpi. — des 524, les religieuses ont des chapelles
publiques. — a l'époque de ruffin, de saint Jérôme, elles
ont des oratoires privés. — si l'on va entendre la messe, le
DIMANCHE, A L'ÉGLISE, LES RELIGIEUSES DE L'hUVEAUNE ONT PU
ALLER A SAINT-GINIEZ. — TOUT AU PLUS DURANT QUATRE-VINGTS
ANS. — DÈS 510 OU 512 ELLES ONT PU AVOIR UN ORATOIRE PRIVÉ.
— CHAPELLES INCONNUES DANS NOTRE TERROIR. — PEUT-ÊTRE CELLE
DU CŒNOBIUM.
C'est une autre objection de Ruffî. a Gomme il fonda Fab-
baye de Saint -Victor, Cassien voulut faire bâtir près de cette
maison, et h une distance proportionnée, le monastère des
tilles, afin qu'elles pussent plus commodément entendre la
messe dans l'abbaye de Saint- Victor, parce que en ce temps-là
les religieuses n'avaient pas d'église pour y faire célébrer les
saints mystères. . . Quelque temps après, les religieuses eurent
des oratoires dans leurs monastères pour y faire célébrer le
service divin, et ne commencèrent à avoir d'églises publiques
qu'après l'an 817, comme il est facile de le conjecturer d'après
le concile d'Aix-la-Chapelle (1). »
11 y a dans cette page un luxe d'érudition avec lequel il va
falloir compter, semble-t-il. Ne nous laissons pas éblouir ce-
pendant. Il est faux d'abord de dire que ce fut « après 817 que
les religieuses eurent des églises publiques, comme il est fa-
cile de le conjecturer d'après le concile d'Aix la-Chapelle » .
Car, premièrement, le concile d'Aix-la-Chapelle de 817 ne
parle pas des églises de religieuses. C'est le concile de 810,
(1) Hufti, Histoire fie Marseille, t. II, p. 56.
— 182 —
tenu dans cette môme ville, qui s'en occupe (1). Deuxième-
ment, ce concile de 816 ne dit rien au sujet des chapelles
publiques des monastères. Voici ce qu'on Ht dons un de ses
décrets : « Les prêtres chargés de dire la messe aux cha-
noinesses, appelées aussi sanctimoniales, n'entreront dans la
communauté que pour célébrer les saints mystères dans
l'église des chanoinesses qu'au temps marqué. Pendant la
messe, les chanoinesses tireront un rideau devant elles. Si
Tune d'entre elles veut confesser ses péchés au prêtre, ce doit
être dans l'église, afin qu'elle soit vue de tous. » Il ne s'agit
pas, dans ce texte, de chapelle publique, mais bien de cha-
pelle privée dans un monastère. Ruffi donc ne peut en déduire
que ce fut après 817 seulement que les monastères eurent des
églises publiques ouvertes à tous les fidèles. Bien avant 817, les
monastères de religieuses possédaient des églises publiques. On
lit dans la Vie de saint Césaire d'Arles que les Pères du con-
cile tenu à Arles en 524 firent la dédicace d'une église à trois
nefs que cet évéque avait fait bâtir dans les attenances du
monastère de sainte Césarie, sa sœur, à laquelle église les
fidèles avaient accès par une porte, les religieuses par une
autre (2).
L'affirmation de Rufïi relativement aux églises publiques des
monastères est donc fausse. Quant aux chapelles privées, il
est vrai que, généralement parlant, à l'époque de saint Cas-
sien, les religieuses n'en avaient pas encore pour y faire célé-
brer la sainte messe. Le cardinal Hergenroether (3), dit : « Ce
(1) Histoire chronologique et dogmatique des conciles de la chré-
tienté, par Roisselet de Sauclières, t. III; coueile d'Aix-la-Chapelle, en
816, 27* article de la règle des chanoinesses, p. 358.
(2) Histoire de saint Césaire, évéque d'Arles, par l'abbé Villevieille,
pp. 131, 132. — Iiecapitulatio regulœ, ch. IX; Saint Césaire, Patrolo-
gie latine, édition M igné, t. LXVlï. col. 1109, etc.— Et il y avait de plus,
dans le monastère, un oratoire privé où un prêtre disait la messe. Voici
le texte de la Règle à ce sujet: « Nullus virorum in sécréta parte mo-
nasterii et in oratorio introeat, exceptis episcopo, provisore, presby-
tero, diaconis, et uno vel duobus lectoribus, quos setas et vita commen-
dant, qui aliquoties missas facere debent. » Saint Césaire, Patrologie
latine, édition Migne, t. LXVII, col. 1109.
(3> Histoire de VEgh'se% par le cardinal Hergenroether, t. II, p. 609.
— 183 —
ne fut qu'à partir du VP siècle que les couvents de nonnes
eurent des églises particulières. Dans l'origine elles allaient en
commun, le dimanche, à la messe paroissiale. » Mais il y
avait bien des exceptions: Le moine Rufiin, qui vivait du
temps de saint Jérôme (331-340) (1), raconte qu' « il vint dans
la ville d'Oxyrinche en Thébaïde, et qu'il la trouva peuplée
de moines et de religieuses. Les édifices publics, jadis temples
des fausses divinités, servaient d'habitations aux moines, et il
y avait dans cette ville plus de monastères que de maisons de
particuliers. Or, cette ville, fort grande et populeuse, possé-
dait douze églises, dans lesquelles le peuple se réunissait, à
l'exception des monastères dans chacun desquels il y avait
des oratoires. Nous demandâmes à l'évêque de la ville
combien de moines et de religieuses Thabil aient, et nous
trouvâmes vingt mille religieuses et dix mille moines (requi-
rentes a sancto episcopo loci illius, viginti millia virginum
et decem millia monachorum inibi comperimus haberi). »
Dans la ville d'Oxyrinche, il y avait donc des églises pour le
peuple, et chaque monastère possédait un oratoire. Or,
comme les habitants de chaque monastère ne se rendaient
pas aux églises ouvertes au public, forcément moines et reli-
gieuses entendaient la messe dans leurs oratoires privés.
lien était à peu près de même à Bethléem, dans les mo-
nastères de Paula (2). Il y avait dans chacun d'eux une église
ou chapelle, et nous savons même quel titulaire fut donnée
par Paula à l'église de son monastère, ce fut Sainte-Catherine
d'Alexandrie. Seulement, on ne célébrait pas la messe dans
ces chapelles. Saint Jérôme n'ayant pu consentir, par un sen-
timent de profonde humilité, à monter au saint autel, et Vin-
(1) « Venimus et ad civitatem quamdam Thebaidis, nomine Oxyryn-
chum.. replet am namque eam monachisintrinsecusvidimus et extrin-
secusex omni parte circumdatam. ittdes publics (si qua in eâ fuerant)
et templa superstitionis antiquse, habitationes nunc erant monachorum,
et per totam civitatem multo plura monasteria quam doimis videbantur.
Sunt autem in ipsâ urbe, quia est ampla vaide et populosa, duodecim
ecclesise, in quibus agitur populi conventus, exceptis monasteriis in
quihun per sînfjula orationum tlomus sunt.* (Saiirtus Cassimius illus-
trât ut, par Guesnay, p. 70.)
(2) Histoire île sainte Paule, par l'abbé Laffrange, pp. 387,393.
— 184 -
centius, le seul prêtre qu'il y eut alors avec lui, ne voulant
oser ce que Jérôme n'osait pas, chaque dimanche on se ren-
dait à l'église -de Bethléem. Mais il faut savoir que cette
église n'était pas éloignée des monastères. C'était l'église
qu'autrefois sainte Hélène avait fait édifier sur la grotte de la
Nativité, et les monastères étaient à côté (1). N'ayant pas à
faire une longue course, pour entendre la messe, aucun in-
convénient ne se présentait de quitter le monastère sous la
conduite de leur abbesse. Si elles avaient dû aller bien loin
pour participer aux saints mystères, nous n'assurerions pas
que saint Jérôme, à la prière de sainte Paule, ne fût revenu
sur sa décision et n'eût trouvé le moyen de procurer aux com-
pagnes de Paula la consolation d'entendre chez elles la sainte
messe.
Or, ne peut-on pas dire que Cassien a eu pour ses Filles la
môme sollicitude, et que, pour leur épargner une longue
course, il leur a bâti un oratoire qu'il faisait desservir par
un de ses moines?
N'importe cependant, supposons que les religieuses cas-
sianites fussent obligées d'aller entendre la messe hors de
leur monastère, sous la conduite de leur abbesse. Quel incon-
vénient pouvait se présenter ? La clôture n'existait pas encore
à cette époque, ce n'était donc pas un obstacle. Devaient-elles
aller bien loin ? S'il fallait supposer que chaque dimanche
elles étaient obligées de franchir les bois et la colline de la
Garde pour venir à l'abbaye de Saint- Victor, dans ce cas il
faudrait avouer, avec Rufli, que saint Cassien n'a pu vou-
loir exposer ses Filles aux mille inconvénients d'une aussi
longue course. Mais ne peut-on pas indiquer une église située
(1) « Post virorum monasterium quod viris (Paula) tradiderat guber-
nandum plures, virgines quas e diversis provinciis congregaverat ta m
nobiles quam medii et infimi generis in très turmas monasteriaque divi-
sit (un manuscrit dit: per monasteria) ita duntaxat ut in opère et in
cibo separatae, psalmediis et orationibus jungerentur. Die taraen domi-
niez ad ecclesiam procedebant, ex cujus latere habitabant. Erat ad an-
trum Nativitatis Christi quam Constantius atque Helena construxerant
et unumquodque agmen matrem propriam sequebatur atque inde pari-
ter revertentes instabant operi distributo. » Saint Jérôme, lettre 108.
(Opéra Sancti Hiemnymi, t. I, col. 896; Patrologie latine, édit. Migne.)
— 185 —
dans les environs de leur cœnobium aux bords de l'Hu-
veaune ?
Et Saint-Giniez ? Ne l'oublions pas, c'est une église antique,
qu'elle ait ou non toujours porté ce titre ou ce vocable. En
1040 elle était en ruine, lorsque Pons II la donna à Saint-Victor.
Mais incontestablement elle existait avant les invasions.
M. Daspres a prouvé que ce point du terroir a toujours été
habité, puisque Ton y a découvert des vestiges de tous les
âges. Il y a eu probablement un lucus, un oratoire païen, et
plus tard une église (1). Et cela forcément, puisque les rives
de l'Huveaune ont été cultivées de bonne heure, puisqu'il y
avait des serfs et des colons. C'est donc à Saint-Giniez même
que les religieuses cassianites pouvaient assister aux offices.
Or, du monastère de l'Huveaune à l'église de Saint-Giniez, il
y a une vingtaine de minutes, et, à cette époque, surtout
quand il s'agissait de religieuses, une telle distance n'était
pas capable d'effrayer.
D'ailleurs, combien de temps durent-elles s'assujettir à ce
déplacement, en supposant toujours qu'elles n'eussent pas
d'oratoire privé ? Tout au plus quatre-vingts ou cent ans. Car,
en Provence, les monastères eurent bientôt des oratoires pri-
vés, où l'on disait la messe. Saint Césaire d'Arles, nous l'avons
dit tantôt, fit bâtir dans cette ville un monastère de filles, à
la tète desquelles il plaça Césarie, sa sœur. Or, ce monastère
avait un ou deux oratoires intérieurs dans lesquels un prêtre
venait célébrer la messe aux jours de fête. Il en est fait men-
tion plusieurs fois dans la règle. Et ce monastère fut bâti
en 510 et habité dàs 512. De plus, le concile d'Agde, en 506,
avait autorisé les particuliers à avoir des oratoires où l'on
disait la messe, excepté les jours de fêtes (2). On peut bien
supposer que déjà, depuis quelque temps au moins, un pareil
(1) L'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez, p. II.— Voir le chapitre
de notre présent ouvrage, intitulé : Quartier de Saint-Giniez- , du V* au
XI* siècle .
(2) < Il est permis aux particuliers d'avoir des oratoires et des chapelles
dans les campagnes éloignées des paroisses, * (Histoire dogmatique et
et chronologique des concile* de la chrétienté^ par Hoisselet de Sau-
eliéres. t. II, p. 370.)
— 186 —
privilège était accordé aux religieuses, fie ne serait donc que
de 420 à Tan 510-512, que les religieuses cassianites, si elles
habitaient les bords de l'Huveaune, auraient été obligées
d'aller entendre la messe à Saint-Giniez.
Or, est-il bien sûr qu'elles aient attendu aussi longtemps
pour avoir un oratoire privé ? Si en 506 le concile d'Àgde per-
met d'en posséder, est-ce que déjà depuis un bon nombre
d'années cette coutume ne tentait pas de s'introduire? Peut-
on dire que ce ne fut strictement qu'après 506 que Ton eut
de ces oratoires? Est-ce seulement à partir de 597, sous l'ab-
besse Respecta, ou quelques années auparavant, qu'elles ont
possédé celui qui était dédié à saint Casssien ? N'y a-t-il pas
eu en cet endroit, sur les bords de l'Huveaune, une église et
un monastère dont l'histoire est inconnue, tant elle est
ancienne (1) ?
Cette église de Sainte-Marie de Sait que mentionne la charte
de 1097 ne serait-elle pas l'oratoire primitif du monastère (2)?
D'autre part, il y a eu dans l'espace compris entre la monta-
gne de la Garde et l'Huveaune un bon nombre de chapelles
dont on connaît à peu près le site (3), telles que celles de Saint-
Saturnin, de Saint-Benoit, de Saint-Suffren. Mais il en est
d'autres, celles de Saint-Gabriel, de Saint-Félix, par exemple,
dont on ne sait absolument rien. Qui pourrait dire qu'il n'y
avait pas d'autres chapelles rurales dont le nom lui-même a
disparu ? Que l'on ne sache rien de précis sur ces chapelles,
n'est-ce pas une preuve qu'elles datent d'avant les invasions ?
Les documents qui en parlaient ont été perdus. Or, qui sait
si le nom de cet oratoire domestique du monastère cassianite,
à cette époque antique, n'aurait pas été lui aussi enseveli dans
la nuit des temps barbares?
(1) a II y a eu, à ce bord de mer, à une époque antique, une église
et une maison dont l'histoire nous est inconnue. Etait-ce une paroisse
rurale ? Etait-ce un prieuré de Saint-Victor 1 » (Saints (le l'Eglise de
Marseille ; sainte Eusébie, p. 231.)
(Z) C'est la question que se posait l'abbé Daspres dans son ouvrage
sur Saint-Giniez, p. 149.
(3) Saint-Suffren, Saint-Gabriel, Saint-Félix, Dictionnaire topogra-
phique de Mortreuil, pp. 344, 331.
— 187 —
Encore une fois cette série de fails, de dates qu'objecte Ruiïi
pour nier l'existence d'un monastère cassianite sur les bords
de l'Huveaune, en réalité ne prouve rien. Les Cassianites ont
Pu aller à la messe à Sain t-Gi niez, durant tout le temps
qu'elles n'ont pas eu d'oratoire privé. Elles ont pu avoir cet
oratoire dès le début du VI* siècle, et peut-être avant. L'objec-
tion de Ruiïi ne porte pas.
CHAPITRE VII
Les monastères doivent être proche des villes.
Texte de saint Jean Ohrysostome.
OBJECTION DE RUFFI. — SAINT JEAN OHRYSOSTOME NE DIT RIEN DE
SEMBLABLE. — TEXTE DE SAINT BASILE. — AUTRE OBJECTION DIS
RUFFI : LE CŒNOBIUM EUT ÉTÉ TROP LOIN DE SAINT-VICTOR.
« Cassien, écrit encore Itufii, voulut encore suivre eu cette
occasion l'avis de saint Jean Chrysostome qui porte que les
monastères ne doivent point être écartés des villes, alin qu'ils
ne fussent point éloignés des commodités de la vie dont ils ne
peuvent se passer (1). »
Il est fort possible que saint Jean Chrysostome ait émis cet
avis dans ses ouvrages. Mais Ruffi et ceux qui le copient
auraient bien fait d'indiquer dans quel écrit de ce grand
docteur on trouvait ce texte. Nous l'avons vainement
cherché. Nous avons pris la table des matières des écrits
du saint évoque et fouillé dans les douze volumes in-quarto.
Impossible de découvrir le texte en question. Et cependant
saint Jean Chrysostome parle souvent des moines ; la table
des matières renvoie à de nombreux endroits de ses ouvrages.
Nous n'avons trouvé qu'un seul renseignement au sujet des
moines et des religieux * Ils vivaient nombreux aux environs
d'Antioche, et ils habitaient tous sur les montagnes (2).
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56.
(2) Voir la table des œuvres de saint Jean Chrysostome, Patroloyie
firéco-ldtine, édition Migne, t. XIII de saint Jean Chrysostome, à l'article
Monàchi in montibus def/ebant.
« Isidore de Péluse, libr. III, epist. 234, appelle ces moines habitant
le sommet des montagnes : oupavoitoXttac » (Histoire de V Eglise , par
Hergenroether, t. II, p. 186.)
- 189 —
il y a loin, on le voit, de ce que le saint docteur a écrit, à ce
que Ruffi lui fait dire.
On pourrait peut-être trouver l'idée générale dece que Ruffl
attribue à saint Jean Chrysostome dans quelques lignes du pané-
gyrique de saint Basile, prononcé par son ami, saint Grégoire
de Nazianze (1). « Le grand évéque avait remarqué, dit le saint
docteur, que les moines, qui vivent mêlés aux autres gens,
leur sont d'une grande utilité, à cause des exemples qu'ils
leur donnent. Les moines cependant ne retirent pas eux-
mêmes grand profit de ce voisinage. Car leur vie tranquille et
parfaite n'est pas compatible avec le tracas et le souci des
affaires, au milieu desquels ils se trouvent. D'autre part, ceux
qui vivent dans la solitude sont plus unis à Dieu, plus fidèles
à leur vie parfaite, mais les gens du monde ne retirent au-
cun avantage de la perfection des religieux. Basile voulut
réunir ces deux genres de vie. Il fit bâtir lès monastères assez
près des lieux habités, pour que les moines pussent exercer
la charité à l'égard des hommes, lorsque cela pourrait être
possible; assez loin cependant pour que la tranquillité du
monastère ne fût pas troublée par le bruit et le tumulte. Ainsi
les religieux étaient utiles à leurs semblables, et ceux-ci ap-
prenaient des moines la sagesse, la patience et les autres ver-
tus. Ainsi la terre et la mer s'entr'aident mutuellement (2). »
(1) Sanctus Cassianus illustratus, par Guesnay, p. 150.
(2) Voici le texte de ce passage de saint Grégoire de Nazianze, Orat.
in laude Basilii :
« Ut autem non sol uni sibi sed aliis proficeret, p ri mus cœnobia excogi-
tavit, ritumque illum monachorum antiquum et agrestem ad ordinem
quemdam ac formulam religioni propiorem redegit. Gum enim animad-
vertisset eos cui in commuai vita, hoc est, aliis mixti aguut, etiam
si monasticam abstinentiam servent, aliis quidem utiles esse, non
ila sibi ipsis, cum in mullis eos malis versari necesse sit, quœ vit se
quiebB omnino perfectse contraria videntur, eos vero qui in solitudine
procuJ ab aliis degunt, firmiores sane in proposito magisque Deo conjunc-
tos, attamen sibi tantum utiles, cum rerum experientiam te néant, nec
cum aliis comraercium ullum habeant. Utrumque genus vitae conjun-
gere conatus est. Quamobrem monachorum cœnobia haud procul ab
iis qui in ho mi nu m societate vivunt aediflcari jussit, nec omnino sepa-
tavit ut propinquitatis cum opus charitatis exposcerat adesse possent,
(iissiti propriis terminis, ne quies eorum interrumpi per multitudinem
13
— 190 —
Nous avons tenu à citer tout le passage, afin de bien montrer
qu'il n'y avait dans le dire du saint docteur nulle trace de ces
préoccupations matérielles dont parle Ruffl.
Qu'importe, d'ailleurs, ce que saint Jean Chrysostome a
pu écrire sur remplacement des monastères ! On peut bien
dire que Cassien ne jugea pas à propos d'introduire dans les
maisons qu'il fonda, la manière de vivre qu'il avait vue ail-
leurs. Il établissait la vie religieuse en Provence sur d'au-
tres bases qu'en Egypte, en Syrie et en Palestine. Là elle
était toute florissante, les déserts étaient remplis d'ana-
chorètes; des villes entières étaient peuplées de religieux. Ici
elle était à peu près inconnue. Force lui était d'établir des
monastères là oii l'emplacement lui était concédé. Il n'a-
vait pas le désert devant lui ; tout autour de Marseille régnaient
des cultures et s'élevaient des habitations. Cassien, d'ailleurs,
n'a guère suivi les conseils des moines plus anciens que lui (1).
L'abbé Abraham, qu'il avait connu en Egypte, lui avait re-
commandé de fuir sa patrie et le voisinage de ses parents.
Précisément, il établit son ordre près de sa famille, dans sou
son pays natal, en Provence (2). Il suivit en tout l'inspiration
posset, nec ipsi monachi actionis merito quod ex impendcndâ aliis
charitate existeret privarentur, neque rursus eorum actio per tumultus
inutilis efficeretur, et alter alterum juvare posset, ut monachorura vita
per conversationem eorum qui ia commuai agunt, fructuosa Ûeret et
ipsi e monachis quietem, sapientiam, contemplationemque discerent,
quemadraodum terra et mare sese invicem complectuutur et juvant. >
Guesnay, Cassianus illustratus* pp. 150,151.
(1) Il est certain que si Cassien a voulu de propos délibéré choisir la soli-
tude pour y placer le cœnobium de ses filles, il ne faisait qu'imiter ce qui
se faisait en Orient. On lit dans la Vie des Pères du désert, par le Père
Ange Marin, t. II, que Théodore le Sanctifié, voulant bâtir un monastère
de religieuses, l'établit à une demi-lieue de celui des religieux qu'il diri-
geait; p. 51 ; — saint Pacôme, voulant fonder un couvent de religieuses
dont il nomma sa sœur abbesse, rétablit assez loin de Tabenne, où il
demeurait avec ses religieux, et séparé par le Nil ; p. 178;— on dit de ces
religieuses, que « non seulement séparées, mais encore éloignées des mo-
nastères de leurs frères à la distance qui convenait » p. 190.
(2) Il nous semble plus probable que Cassien soit né en Provence.
Voir : L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, par M«f de Belsunce, t. I,
p. 100 ; de Rey, Saints de V Eglise de Marseille, p. 104; Guesnay, Cas-
sianuz illustratus, 1. 1, c. I. Le Propre du diocèse de Marseille le fait origi-
— 191 —
que la Providence lui envoyait, et fut ainsi vraiment fonda-
teur de la vie religieuse en Provence.
D'ailleurs, quand il se retirait à l'ermitage qui a gardé son
nom près de la Sainte-Baume ; que, plein de vénération pour
cette grotte sanctifiée et illustrée par les longues années de
pénitence de Marie-Madeleine, il y envoyait de ses moines
y habiter; lorsqu'il leur donna la garde du tombeau de
Marie-Madeleine à Saint-Maximin, à coup sur Cassien oubliait
l'avis que Ruffi lui fait donner par saint Jean Chrysostome, de
placer ses religieux près des endroits habités.
Enfin, et c'est là que se terminent les objections de Ruffi :
« Une des principales raisons qui obligea ce bon Père de faire
bâtir le monastère en cet endroit ( auprès de Saint-Victor ),
fut afin d'avoir un moyen de visiter plus souvent ses Filles,
pour les instruire et les consoler dans leurs besoins spiri-
tuels (1). » Ce n'est pas là encore une raison bien forte. Entre
le monastère de Saint- Victor que Cassien habitait et celui de
ses Filles, aux bords de l'Huveaune, la distance n'était pas tel-
lement grande, qu'il fût impossible au bon Père d'effectuer ce
voyage. En traversant les bois dont les revers de la Garde
étaient couverts, il ne devait falloir qu'une très petite heure
pour venir de Saint-Victor à l'embouchure de l'Huveaune. De
nos jours, en effectuant un immense détour, on y arrive cer-
tainement en une heure et demie.
Nous en avonsfini avec Ruffi. MM. Lautard, Daspres, etc.,
qui ont quelque peu emprunté les idées de Ruffi, sont réfutés
parle fait même.
Daire de la Scythie : « Scythià ortus est. » (Office de la fête de saint Cas-
sien, 23 juillet, \n leçon du 2e nocturne.)
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 57.
CHAPITRE VIII
Origine du nom « deïs Desnarrados » donné
à la chapelle des bords de l'Huveaune.
CE QUE DISENT LES AUTEURS — HISTORIQUE DE CES RUINE8 « DEIS
DESNARRADOS » — LES DAMES DE SAiNT-SAUVEUR ÉTAIENT BÉNÉ-
DICTINES, ET NON PAS CASSIANITES. — ON N*A PAS DONNÉ CE NOM
a DEIS DESNARRADOS • AUX BIENS DE SAINT-SAUVEUR SITUÉS EN
DIVERS POINTS DU TERROIR. — LA OU L'ON PLACE CE FAIT, LA SE
TROUVAIT UN MONASTÈRE.
Inutile, disent quelques auteurs (1), de nous appuyer sur
la dénomination de chapelle a deïs Desnarrados » que le
peuple donne aux ruines qui se trouvent à l'embouchure de
l'Huveaune, pour prouver que là s'élevait le monastère
cassianite, parce que « nous trouvons l'explication de cette
tradition dans la prise de possession de cette chapelle par les
religieuses cassianites de Saint-Sauveur au XVI* siècle. La
légende populaire put facilement attribuer à ce lieu ce qui
n'appartenait qu'à la congrégation, et, en effet, partout où il
y a eu un monastère de ces religieuses, on place aussi ce
glorieux fait (2). » Nous avons à montrer que l'explication
fournie par les auteurs ne vaut rien.
Les ruines de l'abbaye de Prémontrés, sur les bords de
THiiveaune, auxquelles on donne le nom de chapelle a deïs
Desnarrados », avaient été cédées, vers 1405, au couvent de
Sainte-Paule (3) que la reine Yolande, femme de Louis II, roi
(\) Casimir Bousquet, La Major ; — Alfred Saurel, La Banlieue de
Marseille (Saint-Giniez) ; — l'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez.
(2) L'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez, pp. 27, 28.
(3) L'abbé Daspres Notice sur Saint-Giniez, pp. 24 et 29. — André,
Histoire des religieuses de V abbaye de Saint-Sauveur, pp. 117,119.
— De Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. III, p 138, etc.
— Rufli, Histoire de Marseille, t. II, pp. 5G, 101. — Papon, Histoire de
Provence, 1. 1, p. 362.
— 193 —
de Sicile et comte de Provence, avait fondé, de concert avec
deux riches Marseillais. Le pape, à la demande de Yolande,
avait consenti à l'union de cette ancienne abbaye des Pré-
montrés aux biens du nouveau couvent de Sainte-Paule. Mais
ce monastère de Sainte-Paule ayant été démoli lors du siège
de Marseille par le connétable de Bourbon, les religieuses qui
l'habitaient se réfugièrent à Saint-Sauveur, et en 1528, le 28
janvier, avec l'autorisation du pape, unirent leurs biens à
ceux de Saint-Sauveur . a C'est de cette manière, ajoutent les
auteurs, que Saint Sauveur vint en possession de ce que Ton
appelle la chapelle a deïs Desnarrados ». Et comme à aucune
époque antérieure, Saint-Sauveur n'a possédé ces ruines, c'est
à partir de cette époque, vers 1528, que cette dénomination
de chapelle a deïs Desnarrados » leur aurait été donnée (1).
Observons d'abord qu'à cette époque de 1528 les religieuses
de Saint-Sauveur ne sont plus des Cassianites. Depuis déjà bien
des siècles ces religieuses avaient quitté la règle de Cassien
pour suivre celle de saint Benoit. Ce changement dut s'effec-
tuer vers le X- siècle, à Saint-Sauveur, en môme temps qu'il
s'effectuait à Saint-Victor (2), alors que les évoques de
Marseille, vu le manque total de moines cassianites, dispersés
ou massacrés à l'époque du sac de l'abbaye, y introduisirent
(1) André, Histoire des religieuses de Saint Sauveur ;p. 119. —
Daspres, Notice sur Saint-Giniez, p. 29.
(2) Lorsque Honoré II, évêque de Marseille, rétablit l'abbaye de Saint-
Victor, il voulut que les religieux suivissent la régie de saint Benoit :
« Cum clericis meis divini accensum amoris, in honore Dei omnipotentis
sa dc tique Victoris martyris, congregationem monachorum secundum
regulam sancti Benedicti, in abbatia ejusdem Sancti Victoris constitui
optamus. » Gartulaire de Saint-Victor, ch. 23. — Belsunce, Antiquité de
l'Eglise de Marseille, p. 349, suppose que bien avant 966 la régie de
saint Benoit était suivie à Saint- Victor. C'est fort probable. Dés l'an 534,
un disciple de saint Benoit l'établit en Sicile. A peu près à la même époque,
Maur, un autre disciple, la fit adopter en France. Dès l'an 676 le concile
de Crécy recommandait aux abbés et aux moines de la suivre. Puis les
conciles de Germanie, (742), de Liptines (743), d'Aix-la-Chapelle (803), de
Reims, de Mayence, de Châlons-sur- Saône (813), ne cessent de la recom-
mander et de l'imposer aux monastères. (Histoire chronologique et
historique des conciles, par Roisselet de Sauclières, t. III, passim.)
— 194 —
les bénédictins (1). Depuis donc trois cents ans, quatre cents,
cinq cents ans, les dames de Saint-Sauveur, en 1528, ne sont
plus des Cassianites; on les appelle: a moniales de Sancto
Salvatore », les dames de Saint-Sauveur (2).
C'est une chose que l'on sait à Marseille, que ce sont les
religieuses d'un autre ordre, n'ayant guère de commun avec
les anciennes Cassianites que le privilège et l'honneur de leur
avoir succédé. On sait aussi, à Marseille, qu'Eusébie et ses
compagnes étaient des religieuses cassianites ; qu'à ce titre
leurs corps étaient inhumés à Saint-Victor, presque à côté du
tombeau de saint Cassien, le fondateur de leur monastère ;
qu'elles sont une des gloires de l'ordre des vierges que ce
saint avait établi. Voilà ce que l'on sait en 1528, et ce que l'on
a toujours su à Marseille, avant et après 1528.
Or, en 1528, les dames, les « moniales » de Saint-
Sauveur, qui ne sont pas Cassianites, arrivent aux bords
de l'Huveaune et le peuple donnera à l'oratoire qu'elles
acquièrent la dénomination de chapelle « dels Desnar-
rados » ! Cela n'est pas possible. Pour que le peuple
désignât leur chapelle par ce titre, il serait nécessaire
que cette congrégation de Saint-Sauveur ait toujours
été désignée comme ayant fourni les héroïnes de ce
glorieux fait. Or, jamais auteur sérieux n'a dit que les*
(1) A quelle époque précise la règle do saint Benoit fut adoptée par les
religieuses cassianites, nous ne saurions le dire. Les conciles de
Germanie en 742, de Liptines en 743, de Mayence en 813, de Pavie en
855 la recommandent et l'imposent aux monastères. Quant aux Cassia-
nites de Marseille, aucun document, que nous sachions, ne nous indique
si déjà elles la suivaient. Le premier titre dans lequel il serait fait men-
tion de ce point qui nous occupe est de 1216, c'est un bulle d'Honorius III,
qui autorise d'éiire l'abbesse de Saint-Sauveur selon la règle de saint
Benoit: « Cum au te m in monasterio vestro, abbatissae fuerit electio
celebranda, eam vobis in abbatissam statuimus apostolica auctoritate
concedi quam vos communi consensu. aut major pars vestrum consilii
sanioris cum consilio rcligiosorutn virorum, secundum Deum et beati
Benedicti régula m provideritis eligendam. » André, Histoire des
religieuses de Saint-Sauveur, p. 32, pièces justificatives, G, p. 214.
(2) c Alexander. . . filiabus sororibus Sancti Salvatoris Massiliensis. . .
monialibus Sancti Salvatoris. » André, op. cit., pièces justif., passim.
— 195 —
religieuses de Saint-Sauveur avaient mutilé leur visage, pour
échapper à la lubricité des Sarrasins. Si on Ta dit, c'est par
pure confusion de mots, par pure ignorance des événements,
en affirmant un fait impossible, car les religieuses de Saint-
Sauveur datent de l'an 1004 ou au moins de Tan 1033, et les
Sarrasins ont accompli leurs ravages au plus tard vers 923.
De plus, si cette dénomination de chapelle a deïs Desnarra-
dos r> a été attribuée à ces ruines parce quelles devenaient la
propriété de Saint-Sauveur, il aurait fallu que ce titre de
gloire ait suivi cet ordre religieux dans les divers endroits où
son siège a été établi, où il a possédé des biens. Or, a-t-on
jamais appelle la chapelle de leur abbaye de Saint-Sauveur,
à la place de Lenche, la chapelle des Accoules qu'elles occu-
pèrent plus tard: chapelle a deïs Desnarrados » ? Dès Tannée
1032, elle possédaient la quatrième partie d'AUauch que le
vicomte Guillaume leur avait cédée (1), des droits sur le bourg
de Laza ( Roquevaire) ; en 1216, des terres à Saint-Loup, à
Saint-Marcel. A-t-on jamais dit que c'étaient là les terres
« deïs Desnarrados »? Ni Marchetti, dans les Coutumes des
Marseillais, ni André, ni personne n'ont cité un texte don-
nant ce titre à ces chapelles. Donc le peuple n'a pas donné en
1528, à ces ruines de THuveaune, un titre qui n'appartenait
pas en réalité à la congrégation de Saint-Sauveur.
Si donc on appelle ces ruines de ce nom, c'est qu'il y a un
motif. L'abbé Daspres croyait l'avoir découvert: a Partout où
il y a un monastère de ces religieuses, on place aiissi ce
glorieux fait (2), tant il est accepté dans l'esprit du peuple
(1) André, Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, pp. 17, 32, etc.
Il y a, à Allauch, un quartier appelle Sant-Aouphemi, que Ton croit
être le même point du terroir désigné dans les fragments de Polyptique
sons le nom de < habemus pralum Sanctae-Euphemiœ ». Or, jamais,
durant notre séjour à Allauch, nous n'avons entendu désigner cet endroit
sous le no.n de « deïs Desnarrados > et cependant, en supposant qu'il
soit vrai que ce coin du terroir lût bien le môme que celui dont parient
ces fragments, il s'agissait bien alors des Cassianites, et il ne s'était pas
écoulé un long temps depu*s le massacre « dels Desnarrados ». Les péni-
tents bleus d'AUauch possédaient jadis une statue de sainte Euphémieetie
culte en l'honneur de cette sainte était une dévotion locale.
(2) L'abbé Daspres, Notice sur Sain t-Giniezy p. 28.
— 196 —
que ce sont les Filles de Saint-Cassieh qui se sont montrées si
admirables d'héroïsme. » Il serait plus exact de dire : partout
où Ton place ce fait, il y a eu un monastère de religieuses. Et
l'on énoncerait ainsi une vérité historique. Car, à ces époques
désastreuses, cet acte de courage a été accompli par des
légions de vierges chrétiennes. On dit qu'à Ptolémaïde ce fait
se produisit ( t). Ruffl cite deux couvents qui furent le théâtre
de ce zèle virginal (2). Dom Bérengier en cite un autre à
Gastelmoron (3). De sorte que Ton peut très bien dire, en
renversant la proposition, que lorsque la croyance populaire
place ce fait à un endroit, c'est que là il y a eu un monastère
de religieuses. Or, c'est le cas pour les ruines de l'ancienne
chapelle des Prémontrés. Le peuple les appelle maison «deïs
Desnarrados », donc il y a eu en cet endroit une maison de
religieuses. Toute la question est de savoir à quel moment
on a commencé à appeller cette maison en ruine : la chapelle
« deïs Desnarrados ». Est-ce depuis 1528 ou avant 1528? Nous
le verrons plus tard.
Que, dans son langage ordinaire, le peuple, de nos jours,
appelle les religieuses de Saint- Sauveur: a celles qui se sont
coupé le nez », et l'emplacement du couvent Saint-Sauveur,
à la place au Lenche : les ruines du couvent « deïs Desnar-
rados », nous le répétons, c'est par ignorance des faits,
ou par une confusion de mots. Nous-méme, quand nous
employons cette expression vulgaire, ou bien nous ou-
blions l'histoire de Saint-Sauveur ou bien nous donnons
à cette expression une signification de convention bien dif-
férente de celle qui lui revient en réalité. Nous ne pouvons
vouloir dire, en effet, que ce sont les dames de Saint-Sauveur
qui ont été ainsi martyrisées, puisque nous savons que les
héroïnes de ce fait c'étaient des Cassianites, et que les reli-
gieuses de Saint-Sauveur n'étaient pas les filles de Cassien.
(1) Scaramelli, Guide ascétique, t. III, p. 319, traduction par l'abbé
Pascal. x
(2) Ruffl, Histoire de Marseille, t. II, p. 58. — Histoire des Normands,
par Deppiez, p. 153.
(3) Dom Bérengier, Vie de Monseigneur de Belsunce, t. I, p. 10,
note 1.
— 197 —
Notre manière de parler signifie donc que les dames de Saint-
Sauveur sont les religieuses qui ont remplacé les Cassianites,
qui jadis se mutilèrent le visage, en se coupant le nez. Voilà
la véritable et logique signification de cette expression vul-
gaire dont nous nous servons quelquefois. Ce n'est donc pas
parce que les dames de Saint-Sauveur ont possédé en 1528 les
ruines de la chapelle des Prémontrés, qu'on a appelé ces
ruines: la chapelle « deïs Desnarrados ». C'est pour une
autre raison.
CHAPITRE IX
L'abbaye cassianite placée par les auteurs
aux Catalans ou au bassin du Carénage
TEXTE DE GROSSON. — PAS DE PREUVES. — INSCRIPTION DU CARÉNA-
GE. — IL S'AGIT DANS CETTE INSCRIPTION D'UN HOMME MARIÉ. —
ELLE EST DU V" SIÈCLE AU PLUS TARD. — M. BOUSQUET ET 8A FU-
REUR CONTRE PAPON. — M. SAUREL ET SES INEXACTITUDES.
Grosson, dans son Almanach historique, de Tan 1770, sou-
tient que l'abbaye cassianite se serait trouvée « à quelque
distance du couvent de Saint-Victor ». a II y a lieu de croire
que c'était vers l'endroit où sont aujourd'hui les Infirmeries
Vieilles (les Catalans), sous la citadelle de Saint-Nicolas, et
non pas à l'embouchure de THuveaune (1). » Grosson est un
auteur très estimable. Cependant personne n'est obligé à le
croire sur parole. Aussi une petite preuve nous aurait causé
un sensible plaisir. Mais il nous faut nous contenter de cette
formule bien vague: « Il y a lieu de croire ». On avouera
que ce n'est pas suffisant. Aussi nous passons.
Voici une objection autrement sérieuse, quoique assez
facile à résoudre.
L'abbaye cassianite, suivant Guindon et Méry, Saurel ,
Bousquet, Magloire Giraud, Verlaque, se trouverait à l'em-
placement qu'occupe actuellement le bassin du Carénage, en
dessous de l'abbatiale de Saint- Victor (2). La preuve en serait
une inscription sur marbre, découverte en juillet 1833.
Quelle est cette inscription ? Sur une plaque de marbre de
moyenne grandeur est sculptée une croix, dont les bras,
(1) Grosson, Almanach historique de Marseille pour Tannée 1779,
p. 74.
(2) Voir le chapitre du présent ouvrage où ces auteurs sont cités in
extenso.
— 199 —
plus courts que le montant, s'adaptent au tiers de la hauteur
de ce montant, ce qui la fait ressembler à une croix latine.
Sur cette croix môme sont gravés ces mots , partie sur le
montant, partie sur les bras : « Votum fecit cui nomen Me-
nas. » Puis, de chaque côté de la croix, dans les angles
que forment les côtés, cette inscription, que M. Edmond
Leblant a ainsi déchiffrée : a fiono requie avia in die futuro
maritum Eumenata bene vixerit, et mercede superna vocabit
apud Domino hic jacet Gemula cui nomen. » Au-desssous des
deux bras de la croix sont gravés à gauche Valpha, à droite
Yomèga, largement ouverts, renversés et reliés par un fil à
la branche de la croix (1).
Pour que cette inscription fût une preuve concluante qu'à
remplacement du bassin du Carénage s'élevait un monaslère
de religieuses à une époque antérieure au IX* siècle, il faudrait
que ce fût là l'épitaphe d'une ou de plusieurs religieuses, vier-
ges consacrées à Dieu ; de plus, que cette inscription appar-
tint aux V, VI-, VII* siècles ou à la première moitié du
(1) Guindon et Méry, op. cit., p. 201. — Voici de quelle manière
M. Edmond Leblant donne le fac-similé de cette inscription :
+ BON
0 REGV
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APUTS
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3
D SIS
DQ
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— 200 —
VIII" siècle ; et, enfin, qu'il fût impossible à des religieuses
habitant par supposition les bords de l'Huveaune de se faire
inhumer auprès de Saint-Victor. Si cette inscription appar-
tenait au IX' ou au X' siècle, elle ne prouverait rien contre
nous, puisque nous acceptons qu'à partir de la deuxième
moitié du VHP siècle, le monastère cassianite se trouvait
auprès de Saint- Victor. Si, d'autre part, cette inscription da-
tant du V% du VI-, du VII- siècle, il était possible de supposer que
des religieuses habitant non loin de Saint-Victor, sur les bords
de l'Huveaune par exemple, aient pu se faire inhumer au
Carénage, l'inscription ne prouverait encore rien contre nous;
si, enfin, cette inscription était l'épitaphe de toutes autres
personnes que de religieuses, ce serait bien inutilement qu'on
1 alléguerait.
Or, en premier lieu, cette inscription n'est pas l'épitaphe
d'une ou de plusieurs religieuses. Il s'agit, en effet, d'un cer-
tain Eumenas, qui est le mari au souvenir de qui l'épouse,
peut-être cette Gemula indiquée plus bas, a fait graver cette
inscription : « Maritum Eumenate ». On le voit, si la ques-
tion est tranchée de quelque manière, elle Test contre ceux
qui avancent une telle preuve. Dans cette inscription il ne
s'agit pas de religieuses.
Ensuite, de quelle époque date cette inscription ? M. Le-
blanc qui la relate dans son Recueil d'inscriptions chré-
tiennes antérieures au VHP siècle % n'indique pas de
date précise. Mais le seul fait de l'avoir insérée dans son
Recueil indique qu'elle n'est pas postérieure au VIII- siècle .
Nous prouverons en son lieu que ce marbre appartient à la
deuxième moitié du V siècle.
D'ailleurs, ce marbre parlât-il de religieuses vivant à
cette époque, il ne pourrait encore fournir une preuve
concluante contre nous. Si Ton peut, en effet, supposer que
des religieuses habitant un monastère loin de Saint- Victor,
par exemple sur les bords de l'Huveaune, ont été inhumées
dans le cimetière qui se trouvait au bassin du Carénage, toute
la force de l'argument de Guindon tomberait. Or, cette sup-
position on peut la faire. Dans un chapitre précédent nous
— 201 -
l'avons démontré longuement (1). Donc l'assertion de Guindon,
Méry, etc., ne tient pas.
Gomme Guindon et Méry, M. Bousquet, auteur de la Mono-
graphie sur la Major, a soutenu son opinion en alléguant la
même preuve (2). Ce qui a été dit plus haut devrait suffire.
Mais nous ne résistons pas au plaisir de citer cet écrivain.
Rien n'est curieux comme son cas, nous voulons dire sa
déconvenue.
Il avait, dans deux passages de son ouvrage, soutenu que
c'était bien à THuveaune que s'élevait le monastère des
vierges cassianites. C'est, parait-il, pour s'être fié à Papon
qu'il avait accepté cette opinion. Mais, reconnaissant plus
tard qu'il n'y avait là qu'un ingénieux système, M. Bousquet
se plaint amèrement de sa mésaventure. Voulant' tancer ver-
tement l'écrivain, il dit de celui-ci « qu'il n'aurait pas fallu
qu'il avouât, dans le deuxième volume de son Histoire, qu'il
n avait pas été admis à consulter les archives de Saint- Victor.
Cet aveu contient sa condamnation (3). » C'est bien aussi
quelque peu la condamnation de M. Bousquet, car, lorsqu'il
écrivait sa monographie, vers 1857, il pouvait très bien lire
l'aveu naïf de Papon et agir en conséquence (4).
« Si Papon, ajoute l'irascible auteur, avait eu accès aux
archives de Saint- Victor, il aurait vu que remplacement du
monastère cassianite est parfaitement désigné dans le cartu-
laire de Saint- Victor : a Pater Cassianus, y est-il dit, funda-
« vit monasterium monialium non longe a ripa portus, juxta
« viam defGardia.» Voilà qui est clair, et Guesnay est inexcu-
sable de n'avoir pas lu ce texte, lui qui jouissait de la faveur
qui ne fut pas accordée à Papon. »
Ce que c'est que de vouloir toujours trouver en défaut moi-
Ci) Voir le chapitre du présent ouvrage intitulé : Inscription d'Eu-
genia.
(2) Casimir Bousquet, La Major, cathédrale de Marseille, pp. 67, 69,
623.
(3) C. Bousquet, p. 625. — Papon, Histoire de Provence, t. I, pp. 361,
362.
(4) Papon le dit tout simplement dans t. II, page 4 de la préface et
p. 526.
— 202 —
nés et prêtres ! ! Qui est bien vengé, en effet, c'est Papon
et Guesnay. Eussent-ils joui du privilège de fouiller les archi-
ves de Saint-Victor, il leur eût été bien difficile de lire ce texte,
puisqu'il n'existe pas. Et M. Bousquet, qui a vu le cartu-
laire (1), l'a très mal lu. Papon et Guesnay sont donc parfaite-
ment excusables de n'avoir pas cité ce texte si clair et si pré-
cis. Ils ont lu ce texte, seulement ils l'ont compris, voilà pour-
quoi ils ne s'en servent pas. On se rappelle, en effet, que nous
avons expliqué ce texte de la charte 40, du XI" siècle (2). Il
n'est point tel que M. Bousquet affirme l'avoir lu. En outre,
il a un sens bien différent de celui que M. Bousquet lui donne.
En dépit donc de cet auteur, il est entièrement faux que le
couvent cassianite ait été au pied de la Garde.
M. Bousquet est encore dans Terreur au sujet de la dénomi-
nation provençale a deïs Desnarrados ». Nous l'avons prouvé
plus haut en réfutant M. l'abbé Daspres. Enfin, il se trompe
encore, cet excellent M. Bousquet, quand il allègue comme
preuve de son opinion la découverte de l'inscription du Caré-
nage. Ce marbre ne parle pas de religieuses, mais d'une per-
sonne mariée. Donc, que M. Bousquet se calme, et qu'il n'en
ait plus contre Papon. 11 a perdu, lui, l'occasion de soutenir
ce qui est la vérité sur cette question.
Nous arrivons à Alfred Saurel. On a vu plus haut ce que cet
auteur a écrit sur le sujet qui nous occupe (3). Malgré tout son
désir d'être exact, A. Saurel a réuni dans quelques lignes une
jolie collection d'inexactitudes. 11 cite les auteurs qui sou-
tiennent une opinion différente, puis il ajoute : « Lie document
que nous donnons avec d'autres est assez précis pour arrêter
toute discussion (4). » Certes, la preuve péremptoire que nous
cherchons depuis si longtemps a-t-elle été découverte ? La
(1) Le cartulaire de Saint-Victor a été imprimé en 1857. Si M. Bous-
quet n'a pas vu cet ouvrage imprimé, il a pu voir aux archives le car-
tulaire manuscrit.
(2) Voir le chapitre où ce texte est cité et interprété.
(3) Voir le chapitre de ce présent ouvrage où le témoignage de cet
auteur est cité.
(4) Banlieue de Marseille, par Alfred Saurel, Saint-Ginies, pp. 160
154.
— 203 -
voici, telle que la donne A. Saurel: « Pater Cassianus fundavit
monasterium monialium non longe a ripa portus, juxta viam
de Gardia ! ! ! »
Cette phrase que cite A. Saurel ressemble fortement à
celle que M. Bousquet affirmait avoir lue dans le Cartulaire.
Elle est identique! Aussi un terrible soupçon nous tourmente.
Il est peut-être téméraire, n'importe, faisons-le connaître.
Nous gagerions que Saurel a copié Bousquet, qu'il ne s'est
pas donné la peine, ou le luxe d'ouvrir un cartulaire de Saint-
Victor, et d'y lire le véritable texte de la charte 40, du XI* siè-
cle. Dans tous les cas, il y aurait dans l'assertion de Saurel
une première inexactitude !
Cet auteur ajoute qu' « une découverte faite en juillet 1833,
au bassin du Carénage est du reste concluante. C'est une ins-
cription tumulaire déposée aujourd'hui au musée Borrély, et
reproduite dans l'ouvrage de Guindon, qui n'est autre que
l'épitaphe d'Eusébie et ses compagnes. » M. Saurel nous met
de nouveau martel en tête ! Nous avons peur qu'il n'ait jamais
lu cette inscription dans Guindon ; qu'il ne Tait jamais vue
au musée Borrély ; et que, de plus, il n'ait jamais aperçu,
au même musée, l'épitaphe d'Eusébie que l'on trouve dans
Ruf fi, Verlaque, André, le Cata'ogue raisonné du Musée
archéologique du château Borrély. Dans l'inscription citée
par Guindon et Méry, nous l'avons montré plus haut, il s'agit
d'Eumenas, homme marié, et d'une Gemula, qui parait être
sa femme ou sa fille, et dans celle d'Eusébie il s'agit d'une
religieuse qui vécut cinquante ans « in monasterio Sancti
Cyrici » . Deuxième inexactitude !
A. Saurel termine en attribuant la dénomination a deïs
Desnarrados » que l'on donne aux ruines de l'Huveaune à
l'entrée en possession de ces ruines parles dames de Saint-Sau-
veur, au XVI* siècle. 11 a élé démontré que cette explication
ne valait rien !
Ainsi donc les auteurs qui ont placé le monastère cassianite
à l'emplacement du bassin du Carénage n'ont pas réussi à
établir cette assertion sur des preuves assez solides.
CHAPITRE X
L'abbaye cassianite au quartier du Revest
LES CASSIANITES ONT POSSÉDÉ DES BIEN3 AU TERROIR DE SAINT-GINIEZ,
DURANT LE X* SIÈCLE. —LE TEXTE DE LA CHARTE 40 N'EST D*AUCUN
SECOURS. — LE REVEST SELON LES AUTEURS.
C'est l'opinion de l'auteur des Saints de V Eglise de Mar-
seille el les arguments à l'appui que nous devons discuter
maintenant. Cet aimable historiographe ayant écrit plus lon-
guement et tout récemment sur le sujet qui nous occupe, nous
devons le réfuter avec quelque détail.
« Certains historiens ont cru, a dit M. de Rey, que ce mo-
nastère était à l'embouchure de l'Huveaune, et ils se sont ap-
puyés sur une tradition locale qui met en ce lieu le martyre
de sainte Eusébie. . . Mais il ne parait pas que les religieuses
de Cassien aient rien possédé à l'embouchure de l'Huveaune
avant le XVI'siècle, et la tradition locale ne peut pas être beau-
coup plus ancienne (1) .»
On sait que les Prémontrés reconstruisirent, en 1204,
une petite chapelle, à cette époque en ruine, sur ces
bords et en firent l'abbaye de Notre-Dame-d'Huveaune qui
dura deux cents ans. Après ce laps de temps, cette abbaye et
ses dépendances furent données aux Augustines de Sainte-
Paule, lesquelles cent ans plus tard, en 1528, s'unissant aux
dames de Saint-Sauveur, leur apportèrent cette propriété. Il
est vrai que si les religieuses de Saint-Sauveur n'ont fait leur
apparition à l'embouchure de l'Huveaune qu'en 1528, la tra-
dition locale sur sainte Eusébie pourrait ne pas être plus an-
cienne et partant on ne pourrait guère placer en ce lieu le
martyre de cette sainte. Mais les religieuses de Saint-Cassien
ont possédé des terres à l'embouchure de l'Huveaune, ou non
(1) Les Saints de l'Eglise de Ma rseiUe, sainte Eusébie, p. 231.
— 205 —
loin de là, bien avant le XVI0 siècle. Au mois d'avril 1077, Gar-
sende, abbesse de Saint-Sauveur, cède ou vend à Saint-Victor
la dlme ou la part qui lui revenait sur un champ dont Pierre
Saumade, fils de la vicomtesse Stéphanie et de Guillaume le
Gros, était propriétaire. Et ce champ était situé a juxta ortum
Saocti Victoris ad Vuelna », sur la rive droite de ce fleuve, à
peu près vis-à-vis de Saint-Giniez (1).
La charte 37 du XI- siècle parle d'un jardin des religieuses,
«ortum monacharum », situé au quartier de Ressac, jardin
qui sert de limite et de conf ront à deux ou trois pièces de terre
que certains particuliers donnent ou vendent à Saint-Victor.
Or, les lieux environnant ou confrontant ce jardin des reli-
gieuses s'appellent a ad Resclausum ». D'après M. Mortreuil,
c'est l'endroit du terroir appelé l'Ecluse, un ancien quartier
de Saint-Giniez, à la jonction du Jarret et de l'Huveaune (2).
Voilà déjà deux propriétés que Saint-Sauveur possède sur les
bords de l'Huveaune et près de Saint-Giniez, au XI- siècle. Or,
peut-on dire que ce soient les premiers biens que Saint -Sau-
veur ait possédés dans ce quartier ? Mais les fragments trouvés
par Ruffl, et que M. Albanès pense être des portions du grand
Polyptique ou des parchemins lui faisant suite, ces frag-
ments (3), dis- je, indiquent que « tempore Gualdadi », à Tin-
diction XI, c'est-à-dire vers .814, l'abbaye possédait des escla-
ves, des serfs, des colons « in agro Columbario ». M. Mortreuil
place ce quartier de Colombier près du Rouet (4); qu'au temps
de Venator, à la fin du IX" siècle, elle avait des esclaves « in
agro Massiliensi ». Or, T«ager Massiliensis» comprenait Saint-
Giniez comme d'autres quartiers (5).
Pourrait-on assurer que l'abbaye cassianite n'a jamais rien
possédé sur les bords de l'Huveaune antérieurement à Valdalde,
(1) Cartulaire de Saint-Victor, charte 88.
(2) Cartulaire de Saint-Victor, charte 37. — Dictionnaire topographi-
que de Marseille ,par Mortreuil, verbis : Ecluse, p. 138 ; Ressac, p. 306.
(3) Armoriai et Sigillographie des êvêques de Marseille, par M. le cha-
noine Albanès.
(4) Mortreuil, op. cit., p. 114, verbo: Colombier.
(5) Mortreuil, op. cit., p. 216, verbo: Marseille.— Cartulaire de Saint-
Victor, 1. 1, préface, p. LXI.
14
— 206 -
Venator, etc., etc.? que les titres de ces propriétés n'ont pas pu
disparaître à l'époque des invasions ? qu'ainsi tels et tels biens
n'ont pas pu tomber, à l'époque de la destruction de l'abbaye
cassianite, à quelque date qu'elle ait eu lieu, dans le domaine
de Saint-Victor ou de la cathédrale, sans qu'il restât de cette
opération une trace quelconque? Certes, il a pu en être ainsi.
La conclusion de M. de Rey parait donc bien hasardée. Les
preuves que nous avons déduites des chartes 37 et 88 et des
lragments du Polyptique montrent, au contraire, que la tra-
dition locale sur sainte Eusébie pourrait au moins remonter
jusque-là.
« Il est inutile, continue le même historien, de nous attarder
à combattre ces opinions fantaisistes. Nous savons que le mo-
nastère des religieuses était voisin de celui des moines, sur le
port même de Marseille (1) ». Et M. de Rey cite le texte de la
charte 40 du cartulaire de Saint- Victor : « Terra Sanclae Ma-
riae... », etc., etc. Nous avons vu plus haut, en réfutant les
objections de Ruffi, le cas qu'il fallait faire de cette preuve. Ce
texte ne va pas ad rem.
M. de Rey veut ensuite indiquer l'endroit précis oii se serait
élevé le monastère des Gassianites : « Le cimetière de Paradis,
si vaste qu'il fût, ne descendait pas jusqu'à la mer. Le pla-
teau occupé par l'abbaye de Saint-Victor et traversé par la
rue Sainte actuelle s'incline brusquement vers le port par une
pente rapide. Là existait, à l'époque dont nous parlons, une
villa ou hameau dont le nom rappelle la disposition du terrain.
G était le Revest. C'est sur ce coteau incliné vers la mer que
s'élevait le monastère de Saint-Cyr. On ne peut lui attribuer
un autre emplacement (2) . » Tout serait parfait, si l'auteur
donnait une preuve de ce qu'il avance. Mais il ne dit que ce-
ci : o Un titre de l'an 1081 confirme aux moines de Saint-Vic-
tor le « Revestum juxta portum », le Revest sur le port.»
11 nous semble d'abord que l'auteur commet une inexacti-
tude topographique en traduisant les mots «juxta portum»
par sur le port, et en donnant à ces mots * Revestum juxta
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 232.
(2) Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 234.
— 207 —
portum » une signification qu'ils n'ont pas. En effet, que veut
dire, dans le style des chartes, le root a revest » ? Le versant
d'une montagne. M. l'abbé Daspres, dans son histoire de Saint-
Giniez, dit : « que tous les versants de la Garde sont désignés
par le nom de Revest. Ainsi le bourg de Revest est au nord de
la Garde, le castel de Revest sur le versant occidental, le che-
min des Princes et des bouches de l'Huveaune ou Revest de la
Garde à Test, et le quartier de Saint-Giniez est au midi (1).»
M. Mortreuil donne à ce mot de Revest la même signification :
« C'est tout le côté de la colline de Notre-Dame de la Garde
qui avait sa pente vers l'ouest jusqu'à la mer (2). » C'est dans
ce sens qu'il faut prendre ce mot de Revest dans la charte de
1097 : « Dne pièce de terre qui est près du chemin qui va à
Saint-Giniez sur le Revest (3).» Aussi dans ce sens qu'il faut
prendre les mots a Revestum juxta portum » des chartes de
1079, de 1081, de 1135 (4).
Ce n'est donc pas « le Revest sur le port » que signifie « Re-a
vestum juxta portum »,mais : le quartier, le versant du côté
du port. Ce n'est donc pas un bourg, un hameau, un point
déterminé dont les chartes veulent confirmer la possession à
Saint-Victor, c'est tout le versant de la Garde vers le port. On
se rappelle que Honoré II, évéque de Marseille, avait donné
ou vendu à l'abbaye de Saint-Victor, en 966, tout l'espace
compris entre le port, la mer, la Garde et le chemin de
Paradis (5); en 1079, 1081, 1135, cette possession fut confir-
mée à Saint- Victor par les papes.
Plus tard, ce nom de Revest perdit sa signification première.
Il s'était bâti en cet endroit un petit bourg qui s'appela
hameau du Revest, c'est le nom que lui donnent les chartes.
Celle de 1150 le désigne par « villa quse dicitur Revestum » ;
celle du 27 mars 1228 : « villa del Revest » ; celle du
(1) M. l'abbé Daspres, Notice sur Saint-Giniez, p. 102.
(2) Mortreuil, op. cit., verbo : Revest, p. 307.
(S) Charte inédite de 1097. (Daspres, Notice sur Saint-Giniez, note C,
p. Ut.)
(4) Chartes 843, 841,844.
(5) Cartulaire de Saint- Victor, charte 23.
— 208 —
1" avril 1228 : « villa de Rêves to » ; celle du 30 janvier 1230 :
« tenementum de Revesto » (1).
Or, à cette époque, ce centre d'habitation, ce quartier, n'avait
pas pour limite la partie du terrain incliné vers la mer, en
contre-bas de la rue Sainte. Il formait ce que Ton appelait le
district de Saint-Victor dont la charte de 1228 indique les
limites : a Le hameau de Revest et tout ce qui se trouve sur
son territoire est ainsi limité : Il va du monastère de Saint-
Victor de Marseille jusque à la colonne du Podium Formica-
rium ; de là on va vers le Pontellar ; on comprend dans l'espace
circonscrit le petit bourg qui était autrefois le jardin de Pierre
Lica, puis toutes les salines. Puis la limite se dirige vers
l'église de Beaulieu (Notre-Dame des Salines), on suit le chemin
de la Garde, on arrive au pin de Raymond Dalmas, on suit le
chemin qui va vers Gironde, la maison de Jacques de la Salle
jusqu'à la mer, de tous côtés (2). » Voilà le quartier du Revest,
le district de Saint- Victor au XIII* siècle. C'était, en résumé, la
donation d'Honoré II, accrue de donations postérieures.
Mais le quartier du Revest sur le port, tel que le dépeint M.
de Rey, n'existait pas aux VII6, VI11\ IX', X siècles! Existât-il,
il n'est pas prouvé que le monastère cassianite s'y élevât. Et
serait-il prouvé qu'il s'élevait en cet endroit en 1081. il fau-
drait établir encore qu'il existait à l'époque du martyre de
sainte Eusébie, à quelque époque qu'on le place, du VI? au X*
siècle. C'est ce qui n'a pas été fait. Si donc le monastère s'est
trouvé, aune époque, au Revest, c'a été postérieurement au
martyre de sainte Eusébie. C'est là, ou du moins tout auprès,
nous le croyons, qu'il se trouvait lorsqu'il fut détruit, en 923,
(1) Cartulaire de Saint- Victor, chartes 849, 899, 900, 917.
(2) t Villa de Revesto... quod clauditur istis terminis videiicet: monas-
terio Santi Victoris Massiliensis usque ad columnam de Podio Formicario»
et inde itur ad Pontellar, et inde colligitur borguettus qui solebat esse
ortus Pétri Lica, et tote saline, et postea itur ad ecclesiam de Belloloco
et inde sicut vadit via quâ itur versus Guardiam et ad pinum Raimundi
Dalmacii, et sicut itur ad Girundam et ad domum Jacobi de la Sala, et
tote consue rémanent indominio monnsterii Sancti Victoris.» Cartulaire
de Saint-Victor, chartes 899, 900. Ruffl (Ant. de) : « 11 y avait entre les
salines une chapelle appelée Notre-Dame de Beaulieu ou des Salines, i
{Histoire de Marseille, p. 421.)
— 209 —
par les Sarrasins. Dans ces tombes découvertes aux environs
de la chapelle de Sainte -Catherine, ont reposé les dépouilles
mortelles ou bien des religieuses morte3 postérieurement à
Tan 904, ou bien de celles qui moururent après le martyre de
sainte Eusébie, alors que l'abbaye de l'Huveaune avait été
rééiiflée auprès de Saint-Victor, ou de celles enfin qui décé-
dèrent sur les bords de FHuveaune et que Ton transporta au
cimetière de Paradis.
CHAPITRE XI
L'Abbaye cassianite à Saint-Oyr (Var)
TEXTE DE M. MAOLOIRB GIRAUD. — UN CŒNOBIUM DE VIBROB8 A
SAINT-CYR (VAR). — C'EST A TORT QU'ON L'AURAIT CONFONDU AVEC
CELUI DE MARSEILLE. — AUCUNE PREUVE EN FAVEUR DE L 'OPINION
DE M. MA GLOIRE OIRAUD. — LA CHAPELLE DE SAINT-CYR (VAR)
DATERAIT DU X* OU DU XI* SIECLE.
On a lu plus haut les quelques pages que M. l'abbé. Magloire
Giraud, curé de Saint-Cyr (Var), a consacrées à ce point d'his-
toire dans sa Notice sur l'église de Saint-Cyr. Cet auteur,
après avoir protesté qu'il était loin de sa pensée de vouloir
attaquer une des traditions de l'Eglise de Marseille, l'étudié,
le flambeau de la critique à la main. Il se demande si ce ne
serait pas à Saint-Cyr même que s'élevait jadis le a monaste-
rium Sancti Cyrici » dans lequel une épitaphe connue nous
apprend que sainte Eusébie a vécu cinquante ans. On le voit,
c'est de M. l'abbé Magloire Giraud que l'on pourrait dire qu'il
prêche pour sa paroisse 1 Nous ne lui en faisons pas un repro-
che cependant. C'est un honneur qu'il vaut la peine de reven-
diquer pour une localité, d'avoir donné asile à un monastère
célèbre, comme le fut celui de Saint-Cyr. Seulement, notre
écrivain décapite la tradition, diminuant d'autant la gloire
qui en reviendrait à son église. Suivons, en effet, son argu-
mentation (1).
Disons d'abord que M. Magloire Giraud a été le premier à
soutenir que le monastère de Saint-Cyr se trouvait dans le
Var. Si loin de Marseille ! C'est contre lui que Ruffi, Lautard
(1) Notice historique sur V église de Saint-Cyr (Var), par l'abbé
Magloire Giraud. — Nous avons eu la consolation de connaître l'auteur
de cette Notice historique sur l'église de Saint Cyr. C'était un prêtre
d'une éminente vertu et d'une grande science. L'âge et la maladie avait
brisé ses forces, mais non son énergie. Cn mois avant sa mort, il ne par-
— 211 -
et de Rey ont beau jeu. Ces écrivains n'acceptent pas que le
monastère cassianite fût à l'embouchure de l'Huveaune parce
que c'eût été dans un terroir exposé aux incursionsdes pirates ;
loin de toute église pour entendre la messe le dimanche ; loin
de toutes les commodités de la vie nécessaires à un monas-
tère. En vain M. Giraud eût répondu que ce monastère était
aux environs de la petite ville de Taurœntum. Cette ville ne
devait pas être une forteresse de premier ordre, capable d'offrir
un asile bien sûr en cas d'invasion, puisque M. Giraud fait se
retirer à Marseille les religieuses de Saint- Cyr, à l'époque de
l'envahissement de Taurœntum par les Sarrasins. Ce ne devait
pas être non plus une ville offrant beaucoup de ressources ; il
y avait d'ailleurs une bonne distance entre le monastère
supposé et Taurœntum ! Mais arrivons à la discussion.
t On a confondu le a monasterium Sancti Cyricii », oh
sainte Eusébie a vécu cinquante ans, avec le monastère de
femmes fondé par Cassien en 420, habité par la sœur de saint
Césaire, détruit par les Normands en 867, saccagé par les
Sarrasins en 928. Et pour faire cette identification on n'a eu
qu'une preuve: l'inscription que l'on connaît (1). » Il y a là
une exagération. Aucun monument historique ne prouve
qu'il faille identifier les deux monastères, c'est vrai. Mais ce
qui est vrai aussi, c'est que, d'une part, aucun monument,
aucune inscription n'indique que de 410 à 923 il y ait eu à
Marseille un monastère de femmes autre que celui des Cassia-
nites. D'autre part, le monastère fondé par Cassien était à Mar-
seille, rien n'est plus sur, mille preuves existent. La vie de
saint Césaire, le texte de Gennade, la charte 40 du XI* siècle,
les chartes de 1066 relatives à Saint-Sauveur, celles de 1431
et 1446, etc., etc. Enfin, l'épitaphe de sainte Eusébie mention-
nant un a monasterium Sancti Cyricii » a été trouvée à Mar-
seille; la tradition et l'unanimité des auteurs disent que ce
iait que de nouvelles monographies à écrire et d'une grande mission à
(aire prêcher à Saint-Cyr. Les félicitations venues de plusieurs acadé-
mies et comités historiques de Province avaient récompensé ses labeurs
scientifiques. Dieu Ta certainement récompensé de ses travaux de prêtre
et de pasteur des âmes.
(1) Magloire Giraud, op. cit., p. 14.
i
- 212 -
monastère de Cassien placé sous le vocable de la Sainte Vierge
était le même que celui qui fut plus tard « in honore Sancti
Cassiani ». On conclut tout naturellement que le titre de Saint-
Cyr a été un vocable nouveau sous lequel l'abbaye cassiani te
était placée au VIF ou au VIII* siècle, que ce monastère cas-
sianite a changé souvent de nom et de place, mais que, malgré
ces changements, il n'y a jamais eu qu'un seul monastère.
L'inscription de sainte Eusébie n'est donc pas la seule raison
pour les auteurs de commettre ce que M. Magloire Giraud
appelle une confusion.
Cet auteur aura-t-il, du moins, quelques preuves à donner
que le « monasterium Sancti Cyricii» de l'inscription de sainte
Eusébie et celui fondé par Cassien étaient deux monastères
distincts? Nous le verrons bientôt.
« On a fait u ne seule personne de sainte Eusébie, qui
a vécu cinquante ans « in monasterio Sancti Cyricii », avec
cette Eusébie que la tradition dit avoir été martyrisée par les
Sarrasins. Et Ton n'a eu que des preuves inadmissibles. On en
a fait une abbesse, et cette inscription ne contient pas les
mots de « abbatissa, praefuit ». On en a fait une martyre, et
cette inscription encore ne porte aucun signe symbolique, une
palme par exemple, qui le fasse supposer. On a dit que son
corps reposait à Saint-Victor dans un tombeau, et ce tombeau
ne fut pas fait pour elle, il lui est antérieur de deux cents
ans (1). » C'est le résumé des pages de MM. Magloire Giraud.
C'est vrai, l'inscription dont il s'agit n'indique pas que
sainte Eusébie fût martyre. Moins que tout autre, M. Magloire
devrait en être surpris. Ce fut, en effet, selon lui, « quelque
lapicide de campagne qui grava cette inscription. » On
l'avouera, notre lapicide dut être bien embarrassé pour dire
dans son épitaphe, en un style passable, que sainte Eusébie
s'était coupé le nez ! Pour trancher la difficulté, le lapicide
n'a rien dit. Mais nous donnons la réponse ailleurs à cette
objection.
Cette inscription n'indique pas qu'elle fut abbesse! Ceci est
peut-être exagéré. Car ces mots : a religiosa magna » ou
(1) Magloire Giraud, op. cit., passim, p. 14 et suivantes.
<- 213 —
« magna ancilla Domini », rapprochés de a magnus Dei sacer-
dos », qui chez saint Grégoire de Tours désignent un évêque,
de « ancilla Dei » donné aux simples religieuses, pourraient
remplacer très avantageusement les mots « abbatissa,prsefuit »
que Ton se plaint de ne pas y lire.
Le tombeau où reposaient ses restes à Saint-Victor n'avait
pas été fait pour Eusébie. Il était de deux cents ans plus
ancien qu'elle! C'est vrai, nous croyons que c'est là un tom-
beau païen, alors que d'autres y voient un tombeau chrétien.
Mais que d'autres corps saints, à Saint-Victor, ont été déposés
dans des tombeaux païens: saint Mauront, saint Victor, etc.!
« D'autre part, vers le milieu du IX* siècle (1), avant la
destruction de Taurœntum, existait près du village de Saint-
Cyr, au quartier rural de la Mure (villa murata) un monas-
tère de femmes, dont on désigne l'emplacement, et dont il
reste la tour Ceci semble déterminer à Saint-Cyr même
remplacement du a monasterium Sancti Cyricii » où vécut
durant cinquante ans sainte Eusébie. Ce monastère dut être
abandonné par les religieuses lors de l'envahissement de Tau -
rœntum par les Sarrasins. Celles-ci se réfugiant à Marseille,
les restes de sainte Eusébie furent portés à Saint-Victor, mis à
la hâte dans un tombeau, et un lapicide de campagne grava
l'épitaphe en termes barbares. »
Nous avouons ne plus reconnaître la tradition de Marseille.
Nous eussions préféré voir M . Magloire Giraud revendiquer
hautement pour sa paroisse de Saint-Cyr la gloire d'avoir été
le théâtre du massacre. Il découronne la tradition 1 Mais, s'il
est vrai, comme le soutient notre écrrivain, qu'autre a été
le « monasterium Sancti Cyricii », autre celui fondé par
Cassien; s'il est vrai que ce monastère d'Eusébie se trouvait à
Saint-Cyr dans le Var, M. Magloire Giraud, en sa qualité de
curé de Saint-Cyr, doit posséder une ample provision d'argu-
ments à l'appui de son dire. Hélas! il va falloir nous contenter
de peu :
« L'existence d'un monastère de femmes, à Saint-Cyr, est
(1) Magloire Giraud, op. cit., p. 15.
— 214 —
attestée, dit- il, par la tradition locale et les débris qui ont
survécu aux ravages des hommes (1). » Et c'est tout.
Cela est vrai peut-être. Mais, à notre tour, sans être trop
exigeant, et tout en étant disposé à croire M. Giraud sur pa-
role, une preuve, si petite fût -elle, eût bien fait notre affaire I
Nous avons cherché dans les divers ouvrages «de cet auteur,
sur Taurœntum, sur Saint-Damien, sur le canton du Beausset,
s'il n'avait pas fait la preuve de son assertion. Impossible de
rien trouver de précis. Dans son livre de Taurœntum, après
avoir parlé de cet édifice appelé la Mure, il se contente
d'ajouter : « On croit généralement, dans le pays, que cet
ancien édifice était autrefois un monastère. J'ignore jusqu'à
guel point cette conjecture est fondée (2). » Or, cet ouvrage
sur Taurœntum est de 1853, celui sur Saint-Cyr est de 1855.
Si M. Magloire Giraud n'avait pas de preuve lorsqu'il écrivait
de Taurœntum, il devait en avoir lorsque, écrivant de Saint-
Cyr sa paroisse, il abordait cette question. Il avait à démontrer
que ces ruines de la Mure étaient bien celles d'un ancien
monastère, et que ce monastère était le même que le « monas-
terium Sancti Cyricii ». C'est ce qu'il n'a pas fait! Nous som-
mes donc en droit de l'affirmer: c'est un simple rappro-
chement que M. le curé de Saint-Cyr se permettait de faire
par suite de la similitude des noms que portaient et sa pa-
roisse et cet ancien monastère. Mais une pure supposition I
Car, nous le répétons, aucune raison sérieuse ne prouve qu'il
y ait eu à Saint-Cyr un monastère.
Inutile aussi d'affirmer qu'il y a eu là un monastère de
Saint-Cyr, parce que pi as tard les moines de Saint-Victor ont
donné ce vocable aune chapelle du terroir, l'église du Saint-
Cyr actuel. Quoique la fondation d'une chapelle à Saint-Cyr
(Var), en l'honneur du jeune saint martyr, remonte à une
époque fort ancienne, cependant, on ne peut pas dire « qu'elle
se perde dans la nuit des temps (3). » On peut trouver l'époque
(1) Magloire Giraud, op. cit., p. 16.
(2) Magloire Giraud, Mémoire sur l'ancien Taurœntum, pp. 43, 44.
(3) Magloire Giraud, Histoire du prieuré de Saint-Damient pp. 4, 7.
— Notice sur l'église de Saint-Cyr (Var)% par le même. p. S.
— 215 —
»
approximative de cette fondation. Ce n'est qu'en 966 que les
religieux de Saint-Victor viennent dans cette contrée (1).
L'évoque de Marseille, Honoré II, leur donne, aux termes de
la charte : a ecclesiam Sancti Damiani cum appendiciis suis ».
Par ces mots sont désignées les terres qui dépendent de Saint-
Dam ien, dont la même charte donne les limites (2).
Si déjà la chapelle de Saint -Cyr existait, si surtout il y avait
eu, dans les environs de Saint-Damien, uu monastère de Saint-
Cyr, Honoré II en aurait fait mention en parlant des dépen-
dances. S'il ne dit rien, c'est qu'à cette époque, sur ce terroir,
il n'y a que l'église de Saint-Damien. Plus loin, il y a la
Cadière. Ce village à son tour est cédé en grande partie à
Saint- Victor par Guillaume I", comte de Provence, vers 967.
Or, a à ce moment, la paix qui succède aux invasions porte
tous les habitants à se remettre aux travaux des champs. La
population, qui s'était abritée jusqu'ici dans les villages for-
tifiés, se répand dans la campagne. Les moines alors font
élever dans la circonscription territoriale des chapelles rurales
pour alimenter la piété des fidèles et leur faciliter l'accom-
plissement des devoirs religieux (3). Telles furent celles de
Saint-Jean, du côté du levant de Saint-Damien ; et celle de
Saint-Cyr, dans la partie du territoire la plus voisine de
Taurœntum. » Nous citons M. Magloire Giraud lui-même et ce
n'est que dans les chartes de 1113 et 1135, que ces chapelles
sont indiquées comme annexes de l'église de la Cadière : « pa-
rochialem ecclesiam de Cadeira cum capellis suis. » Jusqu'à
cette époque, on n'en trouve aucune trace. En 1079, il n'y a
d'indiqués que Saint-Damien, la Cadière, son église et les
églises des villages voisins (4;. Si les chapelles ne sont point
nommées, c'est la preuve qu'elles n'existent pas encore.
(1) Magloire Giraud, Mémoire sur Taurœntum, p. 152; Histoire du
prieuré de Saint-Damien, pp. 4, 7 ; Notice sur V église de Saint-
Cyr, p. 8.
(2) Gartulaire de Saint-Victor, charte 23.
(3) Magloire Giraud, Histoire du prieuré de Saint-Damien, p. 15.
(4) Gartulaire de Saint-Victor, charte 843, de 107» : c cellam Sancti
Damiani... castella quœ subscripta sunt, villas cum ecclesiis, prœdiis et
pertinentiis, videlicet catedram, Citharistam »', etc.— Charte 848, de 1133 :
— 216 —
Pourquoi, maintenant, les moines donnent-ils à cette cha-
pelle rurale le vocable de Saint-Cyr plutôt qu'un autre ? Il est
difficile, à huit cents ans de distance, d'indiquer le motif qui
détermine ce choix. Quel qu'il ait pu être, on avouera qu'étant
donnée la pénurie, l'absence de preuves indiquant l'existence
d'un monastère à cet endroit, on ne saurait sérieusement
prétendre que si les moines, vers 1113, ont appelé cette cha
pelle du nom de Saint-Cyr, c'est qu'il y avait là ou aux envi-
rons un monastère de femmes portant ce vocable. Ce ne serait
qu'une affirmation en l'air.
Donc, la supposition de M. Magloire Giraud : qu'il y a eu, à
Saint-Cyr (Var), un monastère de femmes ou de filles, est
sinon fausse, du moins très hasardée. Partant, l'objection
qu'il énonce contre notre thèse est sans force et n'est pas
prouvée. Il nous est donc permis de ne pas en tenir compte.
c parochialem ecclesiam de Gadeira cum capellis suis ». — Charte 844,
de 1135 : c parochialem ecclesiam de Gadeira cum capellis suis ».
CHAPITRE XII
L'Abbaye cassianite à Saint-Loup
AFFIRMATIONS DE M. MEYNIER ET OB M. L'ABBE GAYOL — PAS DE
PREUVES A L'APPUI.— EN 1240 « ORTUM MONIALIUM DE CARVILLIANO.—
LE8 RUINES QUI EXI8TENT SONT CELLES D'UNE MAISON DE CAMPAGNE
APPARTENANT A SAINT-SAUVEUR.— ASSERTIONS GRATUITES DE M.
ANDRÉ.
On a lu plus haut ce que Meynier a écrit au sujet de Saint-
Loup et de Saint-Cyr, emplacements supposés d'un couvent
cassianite de femmes. Ce monastère aurait été situé à quelque
distance de la route de Saint-Loup et, suivant la tradition du
pays, il aurait été détruit par les Sarrasins (1). C'est bien d'in-
voquer la tradition du pays, mais encore faudrait-il fournir
quelque preuve. Et M. Meynier n'en donne aucune. Il n'y a
donc pas lieu de s arrêter à cette assertion. D'ailleurs, ce que
nous allons dire va servir à la réfuter.
L'abbé Cayol, auteur de la Monographie sur le village de
Saint-Loup, à Marseille (2), n'a fait qu'une supposition, ne
reposant sur aucune base sérieuse, lorsque, après avoir
dit que Ton avait* fondé un monastère de religieuses au
quartier de Saint- Tronc, il ajoute que c'était « peut-être là
qu'habitaient les Desnarrados.n C'est un a peut-être » absolu-
ment en l'air !
Il est certain que les religieux de Saint-Victor acquirent
en 840 une portion du terroir appelé Carvillan (3), terre dont
M. l'abbé Arnaud a donné les limites bien exactes (4). Ce
(1) Meynier, Anciens Chemins de Marseille, p. 21.
(2) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé J.-J. Cayol,
pp. 13, 26. '
(3) Cartulaire de Saint- Victor, charte 28.
(4) L'abbé Arnaud, Notice historique et topographique sur Sainte-
Marguerite, chap. 2, p. 26, etc.— L'abbé Cayol, op. cit., pp. 21, 22, donne
les limites de Carvillan.
- 218 —
tellement, quelle qu'en soit l'étendue, est situé entre Sainte-
Marguerite et Saint-Loup ; et si le quartier actuel de Saint-
Tronc ne faisait pas partie jadis de Carvillan, du moins il en
était voisin. Il est certain encore que les religieuses de Saint-
Sauveur possédèrent en 1216 d63 terres au quartier de la
Moutte, entre Saint-Loup et Saint-Marcel (1) ; qu'en 1216
encore elles avaient des prés, des terres, des vignes, des mou-
lins au quartier de Sanctis, proche la rivièrede l'Huveaune (2).
Ce quartier de Sanctis c'est Saint-Thyrse, Saint-Loup. Or, ces
terres étaient forcément voisines de Saint-Tronc, de Car-
villan.
Certain encore qu'en 1240 le comte de Provence, Raymond
Bérenger, prit sous sa protection ces terres que la charte
désigne sous le nom de jardin, propriété des religieuses
à Carvillan (3). Mais y avait-il en cet endroit, en 1240, un cou-
vent de religieuses? Le Père Saint-Alban, en parlant de Saint-
Tronc, dans le Calendrier perpétuel et spirituel de la ville de
Marseille, affirme o qu'il y avait autrefois en cet endroit
(à Saint-Tronc) un couvent de religieuses de Saint-Benoit. On
y voit des masures de cette église (4). » L'abbé Cayol fait la
description de ces ruines, en ajoutant que l'on fonda en cet
endroit (à Saint- Tronc; un couvent de religieuses qui exis-
(1) C'est ce que nous apprend une bulle d'Innocent III, datée de Todi
et du 29 avril 1216 : a Innocentius episcopus... dllectis filiabus abbatisse
et monialibus sub B. Pétri et nostrâ protectione suscepimus, spécial i ter
autem ecclesiam Sanctœ Maria de Accuis... jus quoque quod h abêti s in
castris de Allaucho, et Rocaveira, etc.. Motta juxta fluvium Velnœ...»
De Belsunce, L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. II, p. 62. — André,
op. cit., p. 62.
(2) André, op. cit., pp. 33, 214 : c Et in villa quœ dicitur Sanctis et
circa flumen quod vocatur I veina, prata, terras, vineas et molendinas.»
(3) t . . . insuper affldamus, eodem modo, ut supra, vil la m de Revesto
domos Sancti Genesii, ortum monialium de Garvilliano, de Sala et
Sancti Justi, cum omnibus famulis, possessionibus ac rébus omnibus
praedictorum locorum, et generaliter quidquid ad dictum monasterium
(Sancti Victoris) pertinet in tota villa Massiliae et ejus territorio seu
tenemenlo. » Gartulaire de Saint- Victor, t. II, charte 1027, de 1240.
(4) Calendrier spirituel et perpétuel pour la ville de Marseille, p.
176, imprimé en 1713; par le Père Saint-Alban. — Histoire du gttartiev
de Saint-Loup, ut supra, p. 14.
- 219 —
tait en 1240, et qu'il va établir que ce9 religieuses de Car-
villan ne sont autres que celles de Saint-Tronc, donl parle le
Père S^int-Alban. Mais, ces preuves, nous les attendons
encore I
Il est visible cependant que Terreur commise par Saint-
Alban et l'abbé Cayol provient de ce qu'ils ont mal traduit les
termes de la charte de 1240 : « ortum monialium de Carvil-
liana ». Ce que le comte de Provence prend sous sa protec-
tion, c'est ce dont Honorius III confirmait la possession à
l'abbaye de Saint-Sauveur, en 1217. Or, dans cette bulle d'Uo-
norius, il s'agit de terres, de prés, de vignes, de moulins que
les religieuses de Saint-Sauveur de Marseille possédaient à.
Sanctis, Saint-Thyrse, Saint-Loup, mais nullement d'un
nouveau monastère. Le comte de Provence, en 1240, pre-
nait sous sa protection de suzerain temporel ces terres, que
les religieuses possédaient à Carvillan, a ortum monialium de
Carvilliana ». Ce ne sont pas les religieuses qui sont à Car-
villan, ce sont les terres, Ta ortum», la propriété. Voilà ce
qu'il y a dans ces chartes (lj.
Que, dans la suite, les religieuses de Saint-Sauveur aient eu
une maison de campagne voisine de Carvillan, on l'acceptera,
si l'on veut. Mais, qu'il y ait eu, en 1240, un monastère
différent de celui de Sain t- Sauveur, c'est une erreur. Les
ruines dont l'abbé Cayol fait la description, M. Saurel en a
raconté l'histoire (2). Nous la croyons exacte. Mais ce ne sont
pas les ruines d'un monastère datant de 1240! C'est donc en
vain que a quelques antiquaires croient que le couvent de
(1) C'est tellement le sens de ces mots c ortum monialium », que la
même charte disant c ortum monialium de Carvilliana, de Sala, et Sancti
Jusii », il faudrait dire qu'il y avait des religieuses non seulement à
Carvillan, mais encore à la Salle (près de Saint-Marcel) et à Saint-Just.
Or, en 1214, il n'y avait que quinze religieuses à Saint-Sauveur, et en
1252 on n'en compte que treize. Comment supposer qu'il y ait eu à la
même époque plusieurs communautés de religieuses de Saint-Benoit à
plusieurs endroits hors de Marseille ?
(2) D'après M. Saurel, la chapelle serait postérieure à l'an 1645. Quant
au monastère ou à la terre, c ce n'est qu'à titre de propriété rurale, de
maison de campagne, de maison de santé peut-être, que les Bénédictines
l'ont possédée ». Saurel, Banlieue de Marseille, Saint-Tronc, p. 195, etc.
- 220 —
Saint-Tronc était une annexe de celui de Saint-Sauveur (1) » ;
en vain, M.André lui-même, écrivant à l'auteur de Y Histoire
de Saint-Loup, dit qu'il a serait tenté de croire que l'abbaye
cassianite de Saint-Sauveur fondée par Cassïen avait des
annexes aux environs de Marseille, que Saint-Tronc pouvait
bien en être une... Car les chartes nous apprennent que
Cassien eut jusqu'à cinq mille moines sous sa conduite. Les
vierges, dans ce siècle de foi, durent s'enrôler en grand nombre
et renoncer aux vanités des choses de la terre (2j .*
Que saint Cassien ait compté, 'de son vivant, jusqu'à cinq
mille moines sous sa direction, c'est un fait certain (3;. Mais
qu'il y ait eu un nombre très grand de religieuses, ' rien ne
l'indique. Sainte Eusébie n'avait que quarante compagnes,
dit la tradition. Lors de la restauration du monastère, en 1004,
par Elgarde, il n'y a que quatre ou cinq religieuses. Cela
n'indique pas un grand zèle de la part des femmes pour la
vie religieuse, que cela provienne de la difficulté des temps
ou de toute autre cause.
a De là insuffisance de local, ajoute M. André, et néces-
sité d'établir des succursales où la maison mère envoyait
celles qui étaient le plus affermies dans l'état religieux (4). »
Ceci est encore une douce exagération qui nous étonne de
part de M. André. L'abbaye de Saint -Sauveur n'a jamais dû
créer des succursales; encore moins au XIII" siècle. M. André,
en effet, dit en propres termes qu'au XIII" siècle la commu-
nauté de Saint-Sauveur n'était pas nombreuse. De fait, en
1214, elle ne se composait que de quinze religieuses; en 1257,
de treize ; en 1266, de vingt-sept (5).
Il est donc bien peu probable qu'en 1240 il y eût un monas-
tère annexe à Saint-Tronc. D'ailleurs, elles étaient loin d'être
(1) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 26.
(2) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 27.
(3) €. Cœnobium Massiliense, priscorum temporibus, sic sub régula ri
dominatione viguit Deo volente, ut quinque millium monacborum nu-
méros ibi reperiretur, in sancti Cassiani tempore. . » Cartulaire de Saint -
Victor, charte 532.
(4) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 27.
(5) Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, par M. André, pp
41,32,45.
— 221 —
exemplaires en tout, puisque l'évoque de Marseille dut procéder
canoniquement contre elles, en 1278(1). Non, l'opinion de
M. André, pas plus que celle de l'abbé Cayol, n'est fondée en
raison.
Quant à la chapelle de Saint-Cyr, bâtie sur le sommet d'une
montagne aux environs de Saint-Loup, M. Cayol dit : « qu'elle
a du être bâtie par la maison de Saint- Victor ou les religieuses
de Saint-Tronc (î).» C'est fort probable. Mais à quelle époque,
on n'en sait rien. M. Cayol ne citant aucun texte et ne donnant
aucune raison, nous n'avons pas à nous en préoccuper da-
vantage.
D'ailleurs, que nous importerait qu'il y ait eu, en 1240, un
monastère de religieuses à Saint-Tronc, que ce fût une
annexe de Saint-Sauveur? Notre thèse n'en subsisterait pas
moins : qu'antérieurement au milieu du VIII- siècle le
monastère cassianite s'élevait aux bords de l'Huveaune. L'abbé
Cayol devrait, en effet, prouver que ce monastère de Saint-
Tronc, en 1240, remonte au VII- ou au VIII- siècle; que déjà
à cette époque il existait sous le vocable de Saint-Cyr; qu'il
n'y en avait pas d'autre à Marseille ; que c'est là enfin que
sainte Eusébie est morte ! Autant de points que cet écrivain
aurait dû élucider ; ce qu'il n'a pas fait. Nous sommes donc
en droit de le dire : le monastère cassianite n'était pas à
Saint-Tronc.
(1) Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur* par André,
p. 46, etc.
(2) Histoire du quartier de Saint-Loup, par l'abbé Cayol, p. 32. —
D'ailleurs, quel fut le vocable primitif de cette chapelle et de la montagne
sur laquelle on la voyait ? Mortreuil incline à croire que c'était Saint-
Thyrse, dont le langage du peuple a fait Saint-Cyr. Inutile, par consé-
quent, de prétexter la similitude des noms, pour affirmer la présence au
quartier de Saint-Cyr d'un monastère de Saint-Cyr. — Voir Mortreuil,
Dictionnaire topographique : Saint-Cyr.
15
CHAPITRE XIII
Assertions diverses de la « Gallia christiana »,
de M. André, de l'abbé Verlaque, etc., etc.
A GALLIA CHRISTIANA ». — lf. ANDRÉ. — L'ABBÉ VERLAQUE. — QUEL-
QUES AUTEURS DÉSIGNENT SAINT-MARCEL. — M. LE DOCTEUR COUR ET.
— PAS AILLEURS.
La Gallia christiana (1). — Nous croyions découvrir dans
c^t ouvrage une mine de renseignements sur le sujet qui
npus occupe^ Le Père Denis de Sainte-Marthe n'a su que copier
Ruffi et ses erreurs. On n'y accepte pas l'opinion de Guesnay,
qui place le monastère aux bords de l'Huveaune. On préfère,
avec Ruffi, le placer aux pieds de la montagne de la Garde.
Et les preuves sont celles de Ruffi : la charte 40 d'abord, la
découverte des tombeaux faite en 1685, à remplacement de la
chapelle Sainte-Catherine, les deux chartes de 1431 et 1446.
Or, de toutes ces assertions, aucune n'a de valeur probante.
Nous l'avons démontré plus haut.
M. André (2). — Il semble que c'est avec cet auteur surtout
que nous devrions ou marcher d'accord, ou bien avoir maille
à partir 1 II n'en est rien cependant. M. André est très paci-
fique. Il n'est pas de notre opinion, puisqu'il préfère celle de
Ruffi. Mais il se contente de citer le dire des auteurs, et il
n'allègue aucune preuve nouvelle. Pour lui l'abbaye cassianite
est près du port ; son argument le plus convaincant c'est le
texte de la charte 40. Nous l'avons vu, ce texte ne signifie rien
contre nous. Ainsi nous nous quittons bons amis avec M.
André.
(1) Gallia christiana, t. I, Eccleata Massiliensis, Abbatia Sancti
Salvatoris, col. 695, etc.
(2) Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur, p. 2 et
suivantes.
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V"
— 223 —
•
L'abbé Verlaque (1) a écrit, sur notre sainte; or, il soutient
que l'opinion la plus accréditée est que l'abbaye fut bâtie au
pied de la montagne de la Garde, à l'endroit où se trouve le
bassin du Carénage! Nous ne pardonnons que difficilement à
l'abbé Verlaque de n'avoir pas. dans sa Notice sur sainte
Eusèbie, discuté cette assertion pour la contredire ou la
prouver. Nous avons dû le faire plus haut, et il résulte de cet
examen que l'opinion, loin d'être accréditée, n'est pas fondée
du tout.
Cet auteur mentionne l'opinion de ceux qui placent
l'abbaye caesianite à la Major, sous prétexte qu'il existait, dit-
on, jadis un passage souterrain entre Saint- Victor et la Major.
C'est un pur cancan sur les communications souterraines que
les romanciers affectent de faire exister entre les monastères
de moines et les monastères de religieuses, a Ce souterrain,
dit M. l'abbé Verlaque, citant Grosson(2), n'a jamais existé.» En
effet, le creusement du bassin du Carénage n'a rien révélé de
semblable. Eùt-il existé d'ailleurs, ce ne serait pas une
preuve qu'à la Major il y avait un monastère de religieuses.
Il aurait pu être à l'usage des prêtres et des prêtresses de
Diane, dont le temple était, dit-on, à la Major actuelle. Mais
le texte indiquant qu'il y a eu là un monastère de religieuses,
ce texte est encore à trouver !
S'il faut en croire Ruffi, André, etc, (3), quelques auteurs
auraient placé le cœnobium cassianite à Saint-Marcel. Qui
sont ces auteurs, en quels ouvrages cette assertion est-elle
émise? Nous ne savons. Sur quel document ont-ils pu
appuyer une telle opinion ? Nous ne savons encore. Serai U- ce
la bulle d'Honorius III, datée du 12 octobre 1216, dans
laquelle le pape confirme à l'abbaye de Saint-Sauveur tels et
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(1) Notice sur sainte Eusébie, abbesse et martyre du diocèse de
Marseille, par l'abbé V. Verlaque, p. 8. .
(2) Grosuon (Recueil des antiquités et des monuments marseillais,
p. 229) détruit cette fable. Guindon et Mèry (Actes et délibérations du
conseil de Marseille, t. V, p. 170, note) ont fait de même.
(3) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 56. — André, Histoire de
l'abbaye de Saint -Sauveur, p. 2. — M. de Rey. Les Saints de l'Eglise de
Marseille, p. 230.
— 224 —
tels biens ou revenus, entre autres c les tasques de Porpo-
rières (1) » ? « Porporières ou Corporières, Carpourière, est un
torrent qui prend naissance dans les vallons de la Treille,
traverse le territoire des Gamoins et va se perdre dans l'Hu-
veaune, aux environs de Saint-Marcel (2). » Ces tasques que
percevait l'abbaye de Saint-Sauvenr étaient-elles attachées à
quelque fonds de terre, près de Saint-Marcel? C'est possible.
Dans tous les cas, la charte de 1216 parle de taxes, de rede-
vances et non pas de cœnobium ni d'abbaye. S'il s'agit d'une
abbaye, c'est de celle de Saint-Sauveur de Marseille qui avait
la directe, la possession de ces biens-fonds. Et puis nous
sommes au XIII* siècle, et non pas à l'époque dont nous nous
occupons, du Y* au X* siècle. Donc, inutile de parler de Saint -
Marcel, l'abbaye cassianite ne s'y trouvait pas.
Nous nous souvenons avoir lu dans un article de journal
qu'un historien d'Aubagne, le docteur Couret, plaçait le
cœnobium cassianite, théâtre du martyre des héroïques
compagnes d'Eusébie, à Aubagne même, son pays natal. Et à
l'appui de celte assertion, nous avons entendu quelquefois
nommer la rue Dels Moungeos, qui existerait, par ait-il, à
Aubagne.
Il faut rendre justice à qui elle est due. M. le docteur Cou-
ret n'a point revendiqué cette gloire pour sa patrie. On a mal
lu ou mal compris son texte. Voici ce qu'il a écrit : « Vers
l'an 736, les Maures rentrent en Provence, s'emparent de nou-
veau de Marseille, d'Aubagne et des villes environnantes, qua-
rante religieuses se coupent le nez pour éviter le déshonneur ;
lej hommes et les femmes sont exilés sur les vaisseaux, les
enfants et les vieillards sont égorgés (3). » On le voit, il ne
s'agit pas d'Aubagne, mais de Marseille. Quant à la rue Deis
Moungeos, si elle existe à Aubagne, cette dénomination s'ex-
plique facilement. « En 1647 les consuls d'Aubagne cédèrent
(1) Bulle du 12 octobre 1216, Ho d or i us III, fonds de Saint-Sauveur H,
II. (André, pièces justificatives, appendix: Tasquas de Porporières,
p. 214.)
(2) Mortreuil, Dictionnaire topographique de Marseille ; vox : Car-
pourière* (Camoins).
(3) Histoire d'Aubagne, par César Couret, p. 1 1 .
- 225
■•*
provisoirement la chapelle de Saint-Roch à trois religieuses et
à une novice du monastère du Petit-Puits, pour fonder à
Aubagne un couvent et une église. En arrivant elles furent
logées dans une maison du quartier de TAfferage. Deux ans
après, elles achetèrent, de Blanche Férié, leur prétendante,
une maison au quartier de Saint- François et, sur le rapport
de messire Pierre de Seigneuret, l'évôquè de Marseille leur
accorda la permission de bâtir le monastère et l'église. Vers
1640, les religieuses Ursulines, venues à Aubagne en 1632,
devinrent adjudicataires des moulins.. . Il y avait autrefois à
Aubagne un couvent de Bernardines, il fut supprimé par
l'évoque (1)..» Ces détails, puisés dans l'ouvrage du docteur
Couret, nous expliquent la dénomination donnée à une rue
d'Aubagne. Probablement il y avait là, jadis, soit une église,
soit un monastère, soit une propriété de ces diverses reli-
gieuses. Le peuple en a gardé le souvenir en appelant cette
rue: la rue Deis Moungeos.
Faudrait-il accepter encore ce que, dans un factura, les
Servites de la Ciotat écrivaient, au XVIII* siècle, à savoir que
l'antique chapelle de Font-Sainte, située sur le bord de la mer,
aurait été le théâtre du glorieux martyre de sainte Eusébie!
Non, ce n'est là qu'une simple légende. L'abbé Vidal, un
enfant de la Ciotat, de douce mémoire, l'a racontée en deux
pages délicieuses de poésie et de fraîcheur ; Monseigneur
Ricard Ta insérée dans ses Récits de veillées ciotadennes,
sans nommer cependant notre sainte Eusébie (2). Mais ce
n'est toujours qu'une gracieuse légende. Marin, lui aussi de la
Ciotat, a écrit a qu'il n'a jamais découvert aucune preuve que
Font-Sainte ait été un couvent de religieuses (3). » Il y a
mieux et plus sûr et plus péremptoire que Marin, c'est la
charte de donation de Font-Sainte. En 1521, le cardinal Jules
de Médicis, #abbé de Saint- Victor, donna aux Servites l'ora-
y,-
V.
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41
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^
(1) Histoire d'Aubagne, par César Couret, pp. 25, 29, 29. — Rien
d'ailleurs, dans l'Histoire d'Aubagne que feu M. le docteur Barthélémy
avait publiée, ne vient à l'appui de cette opinion que Ton prête au doc-
teur Couret.
(2) Monseigneur Ricard, Récits de veillées ciotadennes, p. 15J et suiv
(3j Marin, Histoire delà Ciotat, pp. 130, 156.
— 226 —
toire appelé Notre-Dame de Font-Saintev situé entre Ceyreste
et la Ciotat et construit par les fidèles de ces deux localités, et
qu'habitait à ce moment un ermite de l'ordre des Servîtes (1).
Mais pas un mot, dans cette charte, qui fasse allusion à un si
glorieux passé. 0r( s'il y avait eu la moindre tradition atta-
chée à cet oratoire, à cette fontaine réputée sainte, à tout le
moins assez curieuse, l'abbé de Saint- Victor en aurait parlé,
et, mieux encore, il n'aurait pas cédé à d'autres ce lieu
vénéré. Non, ce n'est pas à Font-Sainte, de la Ciotat, qu'Eusé-
bie et ses compagnes ont été martyrisées 11
Inutile d'espérer retrouver le cœnobium cassianite dans
l'espace compris entre le Hevest et la ville. « Non, sûrement,
parce que cet espace était occupé par des salines que Louis
l'Aveugle céda à Saint-Victor en 904 et que les vicomtes
détinrent ensuite jusque en 1044(2). » En effet, ils donnèrent
à l'abbaye, pour doter la nouvelle chapelle de Saint-Pierre de
Paradis, qu'ils avaient fait reconstruire, plusieurs pièces de
terrain et de plus toute la partie des salines qui leur apparte-
nait depuis la chapelle de Saint-Pierre jusqu'à Podium Formi-
carium. Incontestablement, si le cœnobium eût été quelque
part de ce terrain, les vicomtes eu auraient parlé dans les
chartes des donations.
Se trouvait-elle à un autre endroit de la ville? Non. Car il
n'y a aucune habitation qui l'indique. Aucun auteur, que
nous sachions, n'a désigné d'autres endroits avec des argu-
ments à l'appui.
Notre tâche est déjà bien avancée. Quelques auteurs ont
soutenu par des raisons positives et des objections que le
mouastère cassianite n'a pu s'élever sur les bords de l'Hu veaune.
Puis ils ont essayé d'établir que ce monastère se trouvait en
réalité, suivant les uns, à l'emplacement de la chapelle de
Sainte-Catherine, suivant les autres aux Catalans, au bassin
(1) « Dictura oratorium Sa net se Mariœ de Fonte Sancto. situm inter
villara Ce reste m et Civitatem . . in quo ad prœsens certus ère mi ta v es tri
ordinis existit.. . largimur. .. » Archives départementales, H 641, reg. 9,
p. 159, Saint-Victor.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, Sainte Eusébie.
— 227 -
du Carénage, au Revest, à Saint-Loup, à Saint-Cyr du Var et à
la Major, etc., etc.
Or, nous avons réfuté premièrement les raisons qu'ils
alléguaient contre l'existence possible d'un monastère à l'Hu-
veaune, ensuite celles qu'ils apportaient pour établir que ce
monastère se trouvait aux Catalans, au Revest, au Carénage,
à Saint-Loup, à Saint-Cyr (Var), à la Major, etc. Le terrain est
ainsi déblayé. Nous allons pouvoir placer les premières
assises du monument que nous rêvons en l'honneur de sainte
Eusébie.
DEUXIEME PAETIE
PREUVES EN FAVEUR DE NOTRE THÈSE
PREMIÈRE SECTION
PREUVES NEGATIVES
CHAPITRE PREMIER
cassianite n'a pu se trouver
à remplacement du bassin actuel du Carénage
LB BASSIN ACTUEL OU CARÉNAGE, AUX PREMIERS SIÈCLES. DESCRIP-
TION TOPOGRAPHIQUE. — ESPACE TROP ETROIT POUR UN MONAS-
TÈRE. — LB8 FOUILLES OPÉRÉES EN CET ENDROIT N'ONT DONNÉ
AUCUNE PREUVE EN FAVEUR DE L'EXISTENCE D'UN CŒNOBIUM. —
C'ÉTAIT UN CIMETIÈRE. — POURQUOI AURAIT-ON CHANGÉ D'EMPLACB-
MXNT. — C'EUT ÉTÉ TROP PRÈS DE L'ABBAYE DE SAINT-VICTOR.
Les objections des auteurs sont réfutées, à nous maintenant
de développer les preuves à l'appui de notre thèse.
Nous en avons de négatives et de positives. A l'aide des pre-
mières nous allons détruire et saper jusqu'à la base les affir-
mations contraires des auteurs ; à l'aide des secondes nous
étayerons notre propre affirmation.
Jusqu'ici il s'est agi de démontrer que toutes les raisons
données par les auteurs à l'appui de leur dire n'avaient aucune
valeur. Ils ne parvenaient pas à prouver que le monastère
cassianite s'était trouvé au Carénage, aux Catalans, ou ailleurs.
— 230 -
Nous avançons d'un pas, et nous disons qu'il est historique-
ment impossible qu'il se soit trouvé à aucun de ces endroits, de
Tan de sa fondation à l'époque du martyre de sainte Eusébie
(415-738).
D'abord, le monastère cassianite ne se trouvait pas et n'a
pu se trouver à l'emplacement du bassin actuel du Carénage.
Il y avait là un cimetière antique qui s'étendait de la rive
du port jusqu'en deçà de Saint- Victor (1). M. Kothen dit que
« plusieurs cimetières successifs et superposés avaient été éta-
blis à cet endroit par les colons phocéens d'abord, et par les Ro-
mains en suite. Une carrière avait même été exploitée dans ces
temps reculés (2). » Les chrétiens, lorsque celle-ci fut aban-
donnée, vinrent creuser des ramifications et des galeries nou-
velles, dans lesquelles ils placèrent les corps de leurs martyrs
et de leurs frères. Bien antérieurement à l'arrivée de Gassien
à Marseille, une chapelle et un autel étaient dédiés à Notre-
Dame de Confession (3), dans un endroit de ces catacombes.
Or cet oratoire primitif était en telle vénération que bien de
fervents chrétiens demandaient la faveur de faire déposer leur
dépouille mortelle dans le voisinage des corps saints qui y
reposaient, ou dans les champs d'alentour. Aussi ce fut sur
l'emplacement, sur les voûtes de ces cryptes de Notre-Dame
de Confession que le bienheureux Cassien bâtit le monastère
des moines, pour en faire les gardiens de ce sanctuaire et de
ses reliques précieuses.
Quant à l'abbaye cassianite des femmes et des filles, on ne voit
pas où il aurait pu la placer au milieu des sépultures et des tom-
beaux. En effet, l'état actuel des lieux nous permet de sup-
poser avec vraisemblance qu'à la sortie de cette carrière, ou,
suivant l'expression pittoresque de Ruffi, « à l'embouchure de la
(1) Grosson, Recueil des antiquités et des monuments marseillais,
p. 98. — Les Saints de V Eglise de Marseille, saint Lazare, p. 161.
(2) Notice sur les cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille,
par Kothen, p. 11
(3) Rufli, Histoire de Marseille, t. II. p. 115. — Mgr de Belsunce,
Antiquité de l'Eglise de Marseille, t I, p. 387. — Grinda, Monographie
de Vabbaye de Saint- Victor-lez-Marseillet publiée par Y Echo de Notre-
Dame de la Garde, n° 328, p. 267 ; n# 330, p. 307.
— 231 —
grotte de Sainte-Magdeleine s'ouvrait une petite vallée, bordée
de rochers abruptes, au milieu desquels s'élevaient quelques
arbres (1). • Or, au début du V* siècle, l'état de ces lieux
n'avait guère changé. A notre époque encore on distingue le
creux de cette vallée primitive qui aboutissait à la rive : d'un
côté, les pentes sur lesquelles est assis le fort Saint-Nicolas ; de
l'autre, les hauteurs de la rue Saint-Catherine (2). Or, ce n'est
pas dans cet étroit couloir que saint Cassien a pu bâtir l'ab-
baye cassianite. Quelque restreint que fût le nombre des reli-
gieuses au début, il faut cependant à un monastère un espace
convenable. Or, cet espace il ne pouvait l'avoir au fond de
cette petite vallée, qni dans toute sa largeur n'avait guère
plus de 100 à 200 mètres. D'autre part, ce n'est pas sur les
hauteurs du fort actuel de Saint-Nicolas qu'il bâtit le monas-
tère. On admettra facilement que ce n'était pas la place d'un
cœnobium de filles et de femmes. Donc il ne s'élevait pas au
bassin actuel du Carénage.
D'ailleurs, si lo monastère s'était élevé en cet endroit, d'où
vient que dans les diverses fouilles qui ont modifié par deux
fois, surtout en 1836 et en 1875, l'état de ces lieux, on n'ait
trouvé ni inscriptions, ni monuments qui fassent supposer
l'existence d'un monastère ? En 1836, on a découvert l'inscrip-
tion d' Eumenas dont parlent Bousquet, Guindon, Saurel. Et
dans cette inscription, il s'agit d'un homme marié. En 1875, on
a mis au jour les inscriptions de Spanilia, de Cypriana. Or,
rien ne marque qu'il s'agisse dans celles-ci de religieuses (3).
D'ailleurs, ces inscriptions fussent elles les épitaphes de
Cassianites, en l'absence de monument indiquant que là s'éle-
(1) Kothen, op. cit., p. 15.
(2) Grinda : c Avant le creusement du bassin du Carénage, opéré en
1830, le sol formait une pente assez régulière, sauf quelques escarpe-
ments, depuis l'abbaye jusqu'au rivage de la mer, alors en prolonge-
ment avec le quai de Rive- Neuve. Cette plaine inclinée vers le nord
était dominée au couchant par les hauteurs du fort Saint-Nicolas, et, au
levant, par le quartier qui s'étend de la rue Sainte au quai de Rive-
Neuve; elle formait donc un large vallon dirigé du nord au midi. »
Monographie de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille, publiée par
VEcho de Notre-Dame de la Garde, n° 324, p. 183.
(3) Voici ces inscriptions telles que les donne le Catalogue des ob-
— 232 —
vait l'abbaye, on pourra toujours dire que, si c'est en cet en-
droit qu'elles furent inhumées, c'était pour satisfaire ce pieux
désir que tant de chrétiens éprouvaient, de reposer auprès
des restes des saints martyrs. Mais on ne pourra pas assurer
que ces religieuses avaient vécu en cet endroit.
M. Grinda(l), citant le rapport rédigé sur les fouilles du
bassin du Carénage opérées en 1831, nous montre a les sépul-
tures pratiquées dans cet immense remblais formant trois
grandes assises s'étageant en gradins depuis le port jusque
sous les murs de la place Saint-Victor. La première assise ren-
fermait un grand nombre de tombeaux et de débris attribués
à la période grecque. La seconde a fourni de nombreux tom-
beaux et des monnaies impériales romaines,les plus anciennes,
d'Auguste, et les plus récentes, de Gordien, ce qui comprend
un peu plus de deux siècles. La troisième a servi de lieu de
sépulture pendant sept siècles, d'après les tombeaux et les
monnaies trouvés à cette hauteur. Cette période s'étend de-
puis Aurélien (270-275) jusqu'à Jean Zimiscès qui régnait à
Constantinople, de 969 à 976. Des inscriptions païennes et
chrétiennes ont été découvertes dans cette dernière assise. ..
Tout ce vallon était donc une vaste nécropole où des généra-
tions païennes et chrétiennes ont trouvé conjointement leur
dernier asile. On a constaté dans les fouilles un nombre si
considérable de tombeaux, qu'on est fondé à croire que pen-
dant plusietirs siècles ce lieu a été réservé pour la sépulture
de la population environnante. »
jets contenus dans le Musée d'archéologie de Marseille par M . Penon,
p. 33f n° 133, et p. 41, n-161.
f HIC BBQU1ESCET
IN PACE SPANILIA
QUI VIX1T ANNOS
QUIKQUAOBNTA ET
SEPTE BECESSIT DIE
SEPTIMV IDUS
+ MAIAS f
(1) Grinda, Monographie de V abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille,
publiée par Y Echo de Notre-Dame dfi la Garde, n*324.
HIC REQUIESCIT
CYPBIANA
IN PACB
QUI VIXIT
. . . . MN ANNS
XXXIII
— 233 —
Durant les dix premiers siècles du christianisme donc on a
inhumé dans cet étroit vallon, et Ton veut y placer un monas-
tère vers le V. Il y a sur ce point le va-et-vient continuel de
ceux qui accompagnent à sa dernière demeure la dépouille
mortelle d'un ami. De plus, païens et chrétiens se coudoient
dans cette enceinte, accomplissant des rites funéraires bien
divers, et les saintes filles deCassien devront être chaque jour,
et plusieurs fois le jour, les témoins de ces scènes ! Puis, c'est
dans un bas-fond, l'atmosphère y est viciée par les mias-
mes délétères qui se dégagent de toute vaste nécropole (1).
Le monastère de Saint-Victor, du moins, est sur la hauteur,
exposé aux brises du large. Il se trouve à Textrémilé de celui
de Paradis. 11 a de l'espace devant lui, il peut à son gré,
reculer ses murailles. Tout autant d'avantages que n'aurait
pas eu l'abbaye cassianite. Aussi il n'est pas probable qu'elle
fût là.
Si le cœnobium se fût élevé au Carénage, toujours il y fût
resté. On ne voit guère pour quelle raison, en effet, on aurait
changé de place. Or, nous croyons qu'il faut admettre que le
monastère s'est trouvé aux environs de la chapelle de Sainte-
Cal herine, vers 923. Mais pourquoi laisser l'emplacement du
Carénage pour venir à Sainte-Catherine? Si l'on a quitté les
bords de THuveaune pour venir auprès de Saint-Victor, si
plus ta d on quitte le voisinage de Saint-Victor pour venir en
ville, c'est afin d'échapper aux incursionsdes pirates. Mais quelle
raison a-t-on d'aller du Carénage à Sainte-Catherine, à cent
pas de distance ? Etait-ce pour échapper au milieu peu hygié-
nique des tombeaux et des sépultures du cimetière antique ?
Mais l'emplacement de la chapelle de Sainte-Catherine se
trouve précisément sur la limite de Paradis, le carnarium
dont parle la charte de 904 (2). Si, au lieu de venir à Sainte-
Ci) Dans la lettre de saint Grégoire le Grand à Pabbesse Respecta de
Marseille, il est dit que Oynamius donne aux Cassianites une de ses
maisons voisines de l'abbaye. A quel endroit était donc placée cette
maison ? Dans le cimetière ? On ne devrait pas s'étonner qu'il ait eu
l'idée de s'en débarrasser !
(2) c ... Una cum terra comitali quae ante portam castri fore vide-
tur usque ad carnarium. . » Charte 10 du 21 avril 904, Gartul. de Saint-
Victor, 1. 1.
— 234 —
Catherine, on est venu au Revest, celui-ci est au bord des
salines et en contre-bas de Paradis, tout à fait au nord. Etait*
ce pour se rapprocher de la ville afin d'en avoir les avantages
et les commodités ? Ce n'était pas à Sainte-Catherine, ni au Re-
vest qu'il fallait se fixer alors, c'était auprès des murs de la cité.
Etait-ce pour placer entre l'abbaye de Saint- Victor et l'abbaye
des religieuses une distance respectueuse? On s'y prenait
bien tard. Et puis quelle était cette distance? Tout au plus
cent ou cent cinquante pas. Non, on ne s'explique pas ce
changement. A une certaine époque le monastère s'est élevé
ailleurs qu'au bassin du Carénage, donc primitivement il ne se
trouvait pas en cet endroit.
One raison de convenance, que nous effleurions tantôt, s'y
opposait. Placer le monastère des religieuses au Carénage, c'est
le placer trop près de l'abbaye des religieux à Saint-Victor.
Quelques auteurs ont cru que Cassien, voulant imiter ce qu'il
avait vu en Orient, où les monastères de femmes n'étaient pas
éloignés des monastères d'hommes, avait fait élever l'abbaye
cassianite non loin de celle de Saint- Victor. Nous croyons,
pour noire part,que ces auteurs se sont complètement trompés.
Il est faux d'ériger en principe qu'en Orient on ait élevé les
monastères d'hommes et de femmes non loin les uns des
autres. Qu'au sein d'une petite ville il n'y eût pas une grande
distance entre les monastères, il n'y a rien d'étonnant. Forcé-
ment ils devaient être rapprochés, puisque l'enceinte des villes
à cette époque n'était guère développée. Mais croire que là où
iï y avait de l'espace on n'en ait pas profité peur placer entre les
monastères des deux sexes une distance proportionnée, c'est
une erreur que les faits démontrent amplement. Nous l'avons
dit, saint Pacôme avait une sœur religieuse. Il lui fit bâtir
par ses religieux un monastère bien éloigné du sien, puisque
le Nil les séparait (1). A Bethléem, du temps de saint Jérôme,
le monastère des hommes était bâti à mi-côte, celui des fem-
mes se trouvait dans la plaine (2). A Jérusalem, à la même
(1) Fleury, Histoire de l'Eglise, liv. XV, n° 50. — Notice sur la Croix
de Saint André, par l'abbé Magnaa, p. 16.
(2) Histoire de sainte Paule, par l'abbé Lagrange, p. 363.
— 235 —
époque, il y avait un monastère d'hommes sur le mont des
Oliviers, et celui des femmes était au pied de la montagne.
Inutile de s'appuyer sur ce qu'on appelait les monastères
doubles, coutume qui régnait en Orient.
Cette coutume a été réprouvée par l'Eglise, les conciles se
sont prononcés contre elle, et les papes l'ont prohibée.
Le concile d'Agde en 506, dans son canon 19, recommande
d'éloigner les monastères de filles des monastères d'hommes,
non seulement pour éloigner les tentations du démon, mais
aussi pour éviter les calomnies des méchants(l). Nous savons
que le pape Saint-Grégoire le Grand improuvait cette habitude
que l'on avait contractée. Bien plus, il ne voulait pas que les en-
virons des monastères fussent trop fréquentés et habités. Ayant
appris que des nombreuses familles, chassées par les Lom-
bards, s'étaient réfugiées dans de petites lies de la Méditer-
ranée et de l'Adriatique, il ordonna au sous-diacre Anthé-
mius d'en chasser toutes les femmes. Si ces familles sont
riches, disait-il, elles choisiront facilement d'autres retraites;
si elles sont pauvres, qu'elles viennent à Rome, leurs frères
leur apprendront le chemin du Latran, où est le trésor de
l'Eglise devenu le leur (2)'.
(1) Concile d'Agde, en 506, canon 19 : c Monasteria puellarum collo
centur longiùs a monasteri s roonachoruin propter insidias diaboli et
propter oblocutiones hominuin. (Summa conciliorum, par F. Carra-
zam, p. 255. Histoire des conciles de la chrétienté, par Roisselet de
Sauclières, t. II, p. 371. — Le VII* concile général, de Nicée II*, canon
20, dit : c Statuimus non fieri duplex monasteriûm, quoniam hoc sit
multis scandalum et ofiensio. » Summa conciliorum, op. cit., p. 552.
Histoire des conciles, op . cit., t. III, p. 251.) — Voici, d'ailleurs, ce
que Ton lit dans Christian us Lupus, Synodorum Generalium Canones,
t. III, p . 208 : < Privatae potins illae domus, quain cœnobia fuerunt.
Daplicium, cœnobiorum originem sancto Bxsilio maie adscribunt. Nain
et qusedam Pachomiana fuisse, Nilo ta m en flumine divisa... semper
dure oluerunt. » — Le pape Gélase les défendit : « Discreta sui habita-
tionibus virorum atque feminarum, sicut sanctum propositum decet
ezerceatur circumspecta devotio.» Le pape Pascal II fit de même :c IUud
omnino incongruum est, quod per regionem veslram monachos cum
sanctimonialibus habitare didicimus. Ad quod resecandum experientia
▼estra immineat, ut qui in praesentiarum simul sunt, divisis longe habi-
taculis separentur, neque in posterum consuetudo hujusmodi prœsu-
matur. »
(l) Saint Grégoire le Grand, par l'abbé Clausier,pp. 247,248.
ï
— 236 —
Or, croiUon qu'en 504 l'Eglise dans ses conciles, et en 590 le
pape Saint-Grégoire inauguraient un nouvel ordre de choses ?
L'Eglise et le pape réglementaient définitivement ce qui était
en usage chez les saints religieux ; on remédiait aux abus qui
pouvaient encore exister. Pour s'obstiner à soutenir pareille
coutume, il faudrait oublier à quelle perfection les solitaires
de l'Orient de l'époque de Cassien avaient élevé la pratique de
la vie religieuse. Or, rien ne lui était contraire comme un pa-
reil voisinage. Cassien n?a pas parcouru de si longues années
les solitudes de la Thébaïde ; il n'a pas mené la vie de soli-
taire d'aussi longues années, avant d'établir ses monastères,
sans voir la nécessité de suivre les exemples des maîtres de la
vie érémitique et de fuir les abus que deçà et delà il avait
pu rencontrer.
Non, le monastère cassianite au Carénage eût été trop rap-
proché de celui de Saint- Victor. Donc il n'y était pas. Saint
Cassien ne l'y a pas fait bâtir. A aucun moment de son exis-
tence, jusqu'à l'époque, tout au moins, du martyre de sainte
Eusébie, il ne s'est élevé en cet endroit.
CHAPITRE II
L'Abbaye cassianite n'a pu se trouver ni à Paradis
ni au Revest.
le cœnobium n'était pas a paradis.— les chartes l'auraient dit.
- on l'aurait indiqué a saint ysarne, alors qu'il visitait les
cryptes de saint- victor.— le quartier du revest, description
topographique.— k6p ace trop restreint.— plateau au-de8sus
ou revest.— terre des religieuses de sainte-marie —le mo-
NASTERE n'était point en cet endroit encore, cette terre ne
LEUR APPARTENAIT PAS AU V" SIÈCLE.— ENCLAVES DE CETTE TERRE.
— AUCUN AUTEUR NE LE DIT.— PA8 LA MOINDRE TRADITION —ON NE
FOURNIT AUCUNE PREUVE EN PAVEUR DU REVEST. — SAINT YSARNE
Y AURAIT RELEVÉ L 'ORATOIRE DE SAINT-CASSIEN.
Du V* au VIIIe siècle, le monastère cassianite n'était pas
dans l'enceinte du cimetière de Paradis.
M. de Rey, qui a cherché à préciser remplacement du mo-
nastère cassianite, â dit a qu'évidemment il ne fallait pas le
chercher dans Paradis même (1). » C'est bien la vérité. Les
Chartes, notamment les 32, 33, 34 du Oartulaire, qui parlent
du cimetière de Paradis, auraient certainement fait mention
de l'existence d'un monastère de femmes, s'il s'y fût trouvé»
La définition qu'elles donnent de Paradis, à elle seule le
prouve. « Cette église de Saint-Pierre, et ce lieu (le cime-
tière), dit la charte 32, ont été appelés Paradis depuis les
temps les plus reculés. Cet endroit, situé à la porte du monas-
tère (de Saint-Victor), porte ce nom parce que les corps de
beaucoup de saints martyrs, de confesseurs et de vierges qui
y reposent attirent les bénédictions et les grâces du ciel. Bien
plus, il est appelé Paradis ou la porte du Paradis, parce que
du temps de Cassien, le père très saint, le docteur remar.
quable, le fondateur du cœnobium de Saint-Victor, il y régna
(1) Le* Saints de V Eglise de Marseille, p. 233.
16
— 238 —
dans les âmes une grande sainteté, une grande noblesse, et que
Ton y vit fleurir dans toute sa splendeur la discipline monas-
tique, source réelle de toutes joies pour les âmes pieuses (IJ.d
C'est toujours du monastère de Saint-Victor qu'il s'agit dans
cette charte et, si l'abbaye cassianite des femmes s'était
trouvée en cet endroit, ce document n'aurait pas eu uu mot
pour dire que cette dernière abbaye avait, en même temps
que celle de Saint-Victor, honoré ce lieu de Paradis par les
exemples, les vertus et la sainteté des religieuses qui l'habi-
taient! C'est difficile à croire.
On a lu plus haut qu'un historien du XI* siècle, écrivant
la vie de saint Ysarne, abbé de Saint-Victor, rapporte (2) que
tout jeune encore ce saint vint à l'abbaye Saint-Victor, en
compagnie du moine Gaucelin. Tandis que celui-ci visitait
parents et amis, Ysarné n'eut d'autre désir que de parcourir les
cryptes. Les religieux, pleins de charité, heureux de satisfaire
les pieux désirs du voyageur, le conduisirent dans tous les sanc-
tuaires de l'abbaye, lui nommant les riches trésors de bé-
nédictions et de grâces qu'ils contenaient, « £n ce lieu, lui
disaient-ils, repose l'innombrable armée des martyrs dont on
n'invoque jamais en vain l'assistance, restes vénérables qu'en-
toure dans les vastes champs voisins la foule des confesseurs,
(1) f ... Quae ecclesia (Sancti Pétri )vel locus, multis retroactis tem-
poribus vocatus est Paradisus. Idcirco vero isdem locus, ad portam
monasterii situs, vocatus est Paradisus, sicut et nos comperimus, quia
multorum corporum, videlicet sanctorum martyrum, confessorum ac
virginum eodem loco quiescentiura, decoratur auxiliis et suffragatur
meritis. Imo etiam vocabatur Paradisus et porta Paradisi, quia in die-
bus Cassiani, sanctissimi patris et doctoris exiinii, institutoris hujus-
modi Sancti Victoria cœnobii, tantà nobîlitate viguit et sancti tate
floruit apostolicœ et regularis disciplina?, ab his sanctis patribus traditse,
ut merito et actu et nomine, vocaretur Paradisus, roris supernse gratis
iilustratus virtutibus. • Gartulaire de Saint-Victor, charte 32.— L'auteur de
la Vie des Saints de V Eglise de Marseille dit lui-même en traduisant
cette charte 32 : • Le monastère s'appelait Paradis, parce que là repo-
saient les vierges, les martyrs et les confesseurs, gloire de l'Eglise de
Marseille, et aussi parce qu'il renfermait le monastère de Cassien, séjour
inondé de grâce divine... » Page 233.
(2) Voir le texte de ce passage et son explication dans les chapitres
quatrième et cinquième de V Introduction.
— 239 —
».-"f
autrefois religieux de ce monastère. Là, dans un endroit à part,
dort la foule des vierges consacrées à Dieu; ici, dans le
sanctuaire taillé au vif du rocher, tu vois les restes des saints
Innocents. » Qu'il s'agisse, dans ce passage de la vie de saint
Ysarne, des divers* endroits des cryptes, ou qu'il s'agisse d'un
coin de Paradis, toujours est-il que s'il y avait eu dans le
cimetière de Paradis, à deux pas de l'abbaye, un monastère
fondé par le bienheureux Cassien, incontestablement les re-
ligieux qui mettent saint Ysarne au courant, le lui auraient
fait savoir, et l'auteur de cette vie aurait fait mention de ce
détail. Il ne dit rien cependant, c'est que le monastère cassia-
nite ne se trouve pas dans Paradis. A aucun moment, tout au
moins du V* au Vlli' siècle, il ne s'est élevé à cet endroit (1).
De 420 â 750, il n'a pu se trouver encore à l'endroit que l'on
appelle le Revest, c'est-à-dire sur le versant qui de la rue
Sainte s'incline vers le port.
Quelle est bien la topographie de ce point du terroir? Nous
l'avons dit plus haut en expliquant la charte 40 du XI* siècle.
Le chemin qui va à la Garde part du Podium Formicarium,
près de l'église actuelle de Saint-Ferréol, longe la rive est
du port, à la hauteur de la rue Beauvau, tourne à l'ouest
à la hauteur de la rue de la Darse, passe en contre-bas de la
rue Sainte, toujours en tirant vers l'occident jusqu'à la rue
Fort-Notre-Dame. A ce point il fait un second coude et re-
monte vers le sud. Or, depuis le Podium Formicarium jusqu'à
ce second coude, ce chemin de la Garde d'un côté borde des
salines établies sur la rive du port (2); de l'autre côté, du
premier tournant au second, il sert de limite aux quelques
terres situées sur le plateau et appartenant à des particu-
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(1) < Le cimetière de Paradis, si vaste qu'il fût, ne descendait pas jus-
qu'à la mer. Le plateau occupé par la rue Sainte actuelle s'incline brus-
quement vers le port par une pente rapide. . .; c'est sur ce coteau incliné
vers la mer que se trouvait le monastère. » (Les Saints de V Eglise de
Marseille, pp. 234, 235.)
(2) < Cum salinis et piscatfonibus et portu navium et omnibus juste
et legaliter ad eumdem ûscum pertinentibus, conjacentem in comitatu
'Massiliensi qui vulgo Paradisus nominatur, sicut est via quso descendit
a (iuardia usque in Poium Formicarium. » Cartulaire de Saint-Victor,
charte 10.
'.'!
:
i
— 240 —
liers (1). Ainsi ce poiut du terroir que M. de lley appelle
le Revest n'est en réalité qu'un espace fort restreint. « Sur
ce coteau incliné vers la mer », le chemin de la Garde et les
salines occupent jusqu'à la moindre parcelle de terrain. 11 est
donc difficile d'y trouver la place pour un monastère.
Mais en deçà du chemin de la Garde, au-dessus de cette brus-
que inclinaison île terrain, le plateau s'élargit, et l'on pour-
rait peut-être comprendre cet espace de terrain sous la
dénomination de quartier de Revest. Il y a sur ce point des
terres appartenant à des particuliers, et même il y en a une
qui est la possession des religieuses, au XI* siècle. Nous avons
désigné plus haut remplacement exact de cette terre. C'est là
qu'à la rigueur les -auteurs qui veulent l'abbaye cassianite au
Revest, pourraient la placer.
Et cependant l'abbaye n'a pas été sur cette terre des reli-
gieuses, de 420 à 750.
Celte terre, d'abord, ne leur appartenait pas à cette époque
primitive. Il n'y a pas de titre, croyons-nous, qui indique
que c'était là une possession de l'abbaye au V° ou au VI- siècle.
En supposant qu'elle fût ce qu'un des fragments d'inventaire,
découvert jadis par Ruffi, appelait 1' « ager Massiliensis » ,
comme cet inventaire fut dressé sous Venator, évêquede Mar-
seille, c'est-à-dire après 886 (2), ce titre ne prouverait pas que
l'abbaye possédât ce domaine au début de sa fondation. Le
titre serait bien trop postérieur.
Ensuite, celte terre est d'une assez vaste étendue. Telle que
la charte 40 du XI" siècle nous lu dépeint, elle renferme plu-
sieurs enclaves appartenant soit à des particuliers, soit à
l'abbaye de Saint- Victor. Or, ce n'est pas au début de sa fon-
dation, et au lendemain de celle de Saint- Victor, que l'abbaye
cassianite des filles a pu posséder un si vaste domaine.
(1) « Vineadft Blanca Lancei .. ab occidenle terminât via de Guar-
dia. . vinea Algilini,aboccidenteviadeGuardia. »Cartulaire de Saint-
Victor, charte 40.
(2) « Descriplio mancipiorum de agro Massiliensi, factum tempore
Venatoris episcopi, decimo anno episcopafùs ejus. — Venator gouverna
l'Eglise de Marseille, vers la un du IXe siècle. » Armoriai et Sigillogra
phie des b'véques de Marseille, par M. le chanoine Albânès, p. 30 et
article XXIV.
~ 241 —
De plus, ces différentes enclaves nous sont une preuve que
ce n'est point là une possession si ancienne de l'abbaye. Au
début du V* siècle, quel était l'aspect de ce plateau, au-dessus
duRevest, touchant d'un côté le cimetière de Paradis, qu'il
bornait à l'occident (1), de l'autre aboutissant par une pente
insensible au marais de la Palud ? Ce ne devait être que des
terrains incultes, des marécages, des garrigues comme l'était
d'ailleurs Paradis et le terrain au-delà de Saint-Victor (2). Qui
en était le maître? Le souverain de l'époque, les comtes de Pro-
vence, peut-être aussi l'évéque de Marseille. Or, quel qu'en fût
le propriétaire, celui qui l'avait cédé à l'abbaye cassianite,
nouvellement fondée, l'aurait donné tel qu'il était, inculte,
désert, marécageux; à l'abbaye cassianite de le faire cultiver.
D'autre part, celle-ci n'aurait jamais distrait de ce domaine
certaines portions, pour les céder en toute propriété à des parti-
culiers. L'abbaye étant sur cette terre, le voisinage de ces parti-
culiers aurait été une gène. On ne peut pas dire que les gens qui
sont nommés dans la charte 40 étaient les fermiers de ces biens
pour le compte du monastère, puisque la charte les cite comme
les maîtres de ces terres enclavées ou voisines (3). Non plus,
que ces maîtres du XI' siècle étaient les successeurs des fer-
miers, qui à la suite des invasions se seraient emparés des
biens de l'abbaye, puisqu'il y a sept ou huit enclaves, et la
terre des religieuses n'est pas tellement grande qu'elle ait con-
tenu sept ou huit fermes et autant de fermiers. D ailleurs, il
y a des enclaves appartenant à Saint- Victor (4). A la suite des
(1) Ce plateau du- Rêves t était séparé de Paradis par le chemin de la
Garde qui passait devant la chapelle de Saint-Pierre située à l'entrée du
cimetière.
(2) Le terrain au delà de Saint-Victor était « terra culta et inculta, pra-
tis, pascuis, garricis, aquis aquarum, ductibus vel reductibus.fi Charte
'$, de 965.Gartulairede Saint-Victor. 1. 1.— Paradis, étant un cimetière,
n'était pas cultivé. Le reste du plateau, en ces temps reculés, ne devait
guère l'être davantage.
(3) c Vinea quam Petrus Algitinus solttus erat facere... quam Boni-
facios dédit... quam Pontius dédit Sancto Viclori.... quœ fuit Alma-
rici.. . quse facit Gisfredus. . .» Cartulaire de Saint-Victor, charte 40.
(i) « Continetur ibidem una quartairada vineae, quam Pontius, pres-
byter Sanctt Tirsi, dédit Sancto Victori Vinea Sancti Victoris de
<tomi. i Cartulaire de Saint-Victor, charte 40.
- 242 —
invasions, cette abbaye, du moins, aurait fait restitution. Or, ces
enclaves dans cette propriété, ce n'est pas l'abbaye cassianite
qui accepta de les créer. Donc elles existaient quand ce domai-
ne lui a élé donné. Donc ce n'est pas au début de sa fondation
que l'abbaye la possédé. C'est plus tard, peut-être au IX* siècle.
Alors, à un bien qu'on lui donne elle en ajoute plusieurs autres
par achat, par échange ou par donation. Restaient d'autres
enclaves, qu'elle n'avait point encore pu réunir à sa propriété,
en 1038-1048. Donc l'abbaye ne pouvait pas être en cet endroit,
lors de sa fondation.
Mais qu'importe, dira-t-on, que cette terre n'ait pas appar-
tenu aux Cassianites à cette époque reculée ? L'abbaye pouvait
cependant s'élever en cet endroit, le terrain, l'emplacement
appartenant par supposition ou à Saint-Victor, ou à l'évoque,
ou aux comtes de Provence.
Non encore, l'abbaye, même dans ces conditions n'était pas
là, au début du V siècle.
Aucun des auteurs qui ont parlé de cette terre des reli-
gieuses suivant les indications de la charte 40, n'a entendu
y placer l'abbaye cassianite. Quel est le sens véritable de
cette phrase de la charte 40 : « Terra Sanctœ Mari» », etc.? On
Ta dit plus haut. Mais tous les auteurs n'y ont vu qu'une
chose : que l'abbaye était sur le bord de la mer, non loin du
port. Aucun qui l'ait placée à l'endroit même où la terre se
trouvait. M. de lley lui-même, qui loge l'abMye à deux pas
de cette terre, au Revest, et qui peut-être a l'intention de com-
prendre ce plateau dont nous parlons dans le périmètre du
quartier du Revest, n'a pas du tout l'intention d'y placer le
cœnobium. « C'est sur le coteau incliné vers la mer que s'éle-
vait le monastère de Saint-Cyr , on ne peut lui attribuer un
*
autre emplacement (1).»
Autre preuve. 11 n'y a pas, que nous sachions, de tradition,
si vague soit-elle, que le monastère cassianite ait été en cet
endroit sur le plateau en dessus du Revest, au V siècle. D'au-
cuns l'ont placé aux Catalans, au Carénage, à Paradis, ï Sainte-
Catherine, au Revest, afin de se conformer à une faible tradi-
(1) Les Saints de VÉfjlise de Marseille, p. 235.
— 243 —
tion, et ils ont donné à l'appui quelques raisons, bien faibles
il est vrai, mais des raisons. Or, pour cet endroit aucun vestige
de tradition. Donc le monastère ne se trouvait pas sur ce point,
au début de sa fondation.
Et si Ton voulait arguer de ce que le plateau, au-dessus du
Revest, est voisin du quartier le Revest lui-môme, pour établir
que la tradition, qui placerait le monastère au Revest, pourrait
servir à le placer sur les terres environnantes, nous de-
viendrions alors plus exigeant. Nous demanderions que Ton
nous donnât une preuve solide de la tradition en faveur du
Revest. Et, cette preuve, on ne Ta pas fournie. Or. qui expli-
quera l'absence de tradition en faveur du plateau, au-dessus
du Revest, si le monastère a été là, au V siècle? Cassien au-
rait fondé là sur cette terre, qui en 1047 appartenait aux reli-
gieuses, l'abbaye des filles ; en 597, elle s'y élevait encore •
à l'époque des invasions, de même. Là auraient été martyri*
sées sainte Eusébie et ses compagnes. Là encore les pirates en
838, seraient venus enlever les religieuses. Peut-être l'ab-
baye s'y élevait encore en 923, car rien ne prouve sûremeut
qu'elle se trouvait à cette époque à Sainte-Catherine. Cette
terre des religieuses, aussi voisine relativement de Saint-Victor
que pouvait l'être le quartier de Sainte Catherine, présentait
les mêmes avantages comme les mêmes inconvénients. Et ni
les chartes, ni la tradition même la plus vague n'auraient
gardé le souvenir de l'existence durant cinq siècles, du pre-
mier cœnobium de religieuses, à Marseille 1 C'est à peine
croyable.
Aatre preuve. Durant cinq siècles il y aurait eu là un mo-
nastère embaumé des parfums des vertus les plus belles. Eu-
sébie y aurait vécu avec ses compagnes ; au lendemain de leur
mort héroïque, on a inhumé dans un endroit a part, dans les
cryptes, leurs glorieuses dépouilles. Ysarne en a visité les
tombeaux. Bien plus, la chapelle de ce monastère avait été
dédiée à la Vierge, disent à peu près tous les auteurs, ce qui
faisait de cet oratoire un des plus anciens avec la Major et
Notre-Dame de Confession, consacrés à l'honneur de Marie, à
Marseille. Cent ans après la mortde Cassien, et peut-être plus
tôt, afin de perpétuer le souvenir des vertus du saint fonda-
— 244 —
teur des deux abbayes, cet oratoire lui a été dédié. Tout cela se
passait à deux pas de Saint-Victor. Et au XI* siècle, alors que les
Viffred (1) et les Ysarne sont à l'œuvre pour rééditier les saints
lieux dévastés par les Sarrasins; que Fulco et Odile, son épouse
sur le conseil des moines et le désir de saint Ysarne (2), font
rebâtir la chapelle de Saint-Pierre de Paradis, un peu plus tard
font construire celle de Sainte-Croix, près de Saint-Pierre (3),
il ne viendra à la pensée de personne, ni de l'abbé, ni du vicomte,
ni des moines, de faire revivre le souvenir de l'antique
abbaye cassianite! Ysarne n'aura pas à cœur de faire re-
construire la première chapelle dédiée à l'honneur du saint
fondateur Cassienl Toutes les chartes de l'époque parlent
en termes élogieux du saint abbé, du Père très saint, de l'ex-
cellent docteur Cassien ; les ruines du premier oratoire qui lui
est dédié sont là à deux pas, près du monastère de Saint- Vic-
tor et de Saint-Pierre de Paradis, et on ne s'occupera pas de
les relever ! C'est incroyable de la part d'Ysarne, de Fulco et
d'Odile.
Donc, l'abbaye cassianite ne se trouvait pas, de 420 à 750,
sur le plateau du Rêves t.
(1) « Claruit sacrîs virtutibus Viffredus abbas... Hicergo has aedes con-
tiens.. . velle nec De posse vicecomitum seu egregii praesulis Massiliensis.»
Cartulaire de Saint- Victor, charte 40.
(2) c Quare disposuimus œdificare ecclesiam, consiliis, atque jussu Do*
mini Isarni abbatis, feiicis mémorise, atque omnium fratrum in eodem
cœnobio manentium voluntate. . . » Cartulaire de Saint- Victor, charte 32.
(3) c Ego Guillelmus.vicecomes Massiliensis, feci aediflcare ecclesiam,
quœ est sita juxta ecclesiam Sancti Pétri, Massiliensis monasteri ad
sinistram partem ; et in honore Dei et Sanctœ Cruels rogavi eam conse-
crari... » Cartulaire de Saint- Victor, charte 25.
CHAPITRE III
L'Abbaye cassianite n'a pu se trouver à
remplacement de l'ancienne chapelle S^-Oatherine,
ni aux Catalans
PAfi A SAINTE-CATHERINE. — TROP PRES DE SAINT-VICTOR. — AU
MILIEU DES BRUITS DU PORT. — UNE CHARTE DE 904 EN AURAIT FAIT
MENTION. — PAS AUX CATALANS — GROSSON NE DONNE PAS DE
PREUVE. — IL N'Y A PAS DE TRADITION. — C'EUT ÉTÉ SUR UNE TERRE
DE SAINT-VICTOR, ET LA CHARTE DE 966 EN AURAIT PAIT MENTION.
L'abbaye cassianite ne se trouvait pas, de 420 à 750, à rem-
placement que la chapelle de Sainte- Catherine occupa plus
tard.
De l'endroit où le chemin de la Garde tournait vers le sud,
jusque vers le bassin du Carénage s'étendait une vaste terre
relevant du comte de Provence (1) et allant de la rive du port
jusqu'à la limite du cimetière Paradis. Le long du rivage qui
bordait cette terre comtale, il y avait des pêcheries, des salines,
un ancrage, un petit port qui devint le port de l'abbaye de
Saint-Victor (2). C'était sur cette terre comtale que s'éleva à
(1) « Dna cum terra comitali quse ante portarn castri fore videtur,
usque ad carnarium. . . » Cartulaire de Saint-Victor, t I, charte 10.
(2) « Concedimus... cum salinis et piscationibus et portu navium...
conjacentem in comitatu Massiliensi qui vocatur vulgo Paradisus, sicut
est via quae descendit a Guardia usque ad Podium Formicarium. » Cartu-
laire de Saint- Victor, charte 10.
c .. in quâ continebntur insertum, qualiter ecclesiœ Sancti Victoris
znartyris, uhi sacratissimum corpus umatum est, concessisset Thelo-
nœum de villa quœ dicitur Leonio. . . nec non et Theionœum de navibus
ab Italia venieutibus, quse ad eamdem ecclesiam arripare videntur... »
Cartulaire de Saint- Victor, charte 11.
c... omnem. partent nostram... de salinis quœ in portu civitatis
Massiliœ esse videntur, ab ipsa ecclesia Sancti Pétri, cum piscatione et
portu navium quse in supradicto termino arripaverint. » Charte 23 du
cartulaire de Saint- Victor.
— 24G —
une certaine époque la chapelle de Sainte-Catherine. Or, nous
disons que l'abbaye cassianite ne se trouvait pas en cet endroit.
C'était d'abord très proche de l'abbaye de Saint-Victor.
11 y avait à peine une distance de cent cinquante à deux
cents pas.
Puis, il y avait là des salines, nous l'avons dit, des pêche-
ries, un petit port, et il est assez difficile de vouloir y placer
un monastère de religieuses. Cassien a recherché pour elles
le calme, la tranquillité et la solitude. Or, c'était là un en-
droit très fréquenté, très bruyant, quoique il y eût certai-
nement moins d'agitation et de tumulte qu'il n'y en a de
nos jours à la place aux Huiles. Il est donc difficile de suppo-
ser le monastère des filles à ce point du terroir.
D'autant plus que, le plateau se relevant assez brusque-
ment vers Paradis, il n'y avait pas entre les salines et le
cimetière un assez grand espace de terrain qui entourât de
paix, de calme un monastère.
Ensuite, si l'abbaye cassianite s'est trouvée en cet endroit
de 420 à 750, elle y a toujours été jusqu'en 923. On ne voit
pas pourquoi, en effet, elle aurait quitté le voisinage de Saint-
Victor pour aller ailleurs, à moins de venir en ville.
Et encore, cette terre comtale fut donnée à Saint-Victor
en 904. Si avant cette époque l'abbaye s'y était trouvée, la
charte l'aurait indiqué de quelque manière. L'empereur
Louis, cédant ce domaine, aurait dit qu'il le cédait en com-
prenant ou en ne comprenant pas remplacement de l'abbaye
des filles. Or, il n'y a rien à ce sujet dans cette charte ; donc
l'abbaye n'était pas là au début de sa fondation.
Elle n'était pas non plus aux Catalans, de Tan 420 à 750.
Rappelons d'abord que Grosson, qui le premier, croyons-
nous, a indiqué ce point du terroir comme emplacement de
l'abbaye cassianite, n'a fourni aucune preuve de son asser-
tion (1). M. de Rey, qui a étudié à quel endroit on pouvait
placer l'abbaye cassianite, a reconnu que pas plus aux
Catalans qu'au Carénage il n'y a de place pour elle (2).
(1) Grosson, Almanach historique de Marse Me, de 1770, p. 74.
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. S32. Sainte Eusébie et ses
compagnes.
— 247 —
Ensuite, il n'y a, sur le fait de l'existence de ce monastère à
cet endroit, aucune tradition, si vague eoit-elle. Pour le
Carénage on a allégué la nécessité de placer le monastère des
filles à côté de Saint-Victor; pour sainte Catherine, on a
allégué les tombeaux et les inscriptions que Ton a découverts
aux environs ; pour Paradis, les sépultures des vierges sacrées;
pour le Revest, le texte de la charte 40 ; pour THuveaune, la
tradition sur la chapelle a deïs Desnarrados ». Mais pour les
Catalans, aucun fait, aucun document, n'est allégué, ni par
Grosson, ni par un autre. Or, l'absence de toute tradition ne
s'expliquerait pas, si le monastère avait été en cet endroit
de 420 à 750.
Une preuve, d'ailleurs, qu'il ne s'élevait pas aux Catalans.
La charte 28, de 966, rappelle que Tévêque de Marseille,
Honoré II, donna au monastère de Saint-Victor (1) une terre
qui entourait Tabbaye et dont les limites étaient : de deux
côtés la mer, de l'autre la fontaine, la montagne de la Garde,
et un chemin le long de Paradis. » C'est l'espace de terrain qui
est borné au couchant et au nord par la mer, au levant par
une ligue qui partirait du rivage du port à l'entrée de l'abbaye
et de celle-ci aux premières pentes de la Garde ; au sud cette
montagne elle-même jusqu'à la mer ; dans cet espace les
Catalans sont compris.
Or, celte terre que l'évêque donnait à Saint- Victor n'avait pas
toujours été possession épiscopale. Depuis l'époque des
premières invasions sarrasines et de la ruine de l'abbaye, les
évéques de Marseille, afin d arracher à la cupidité des laïques
puissants les biens des églises et des monastères, les avaient
réunis à leur mense et en avaient gardé l'administration.
C'était à ce titre que les évéques de Marseille, et probablement
Honoré II, avaient détenu ce domaine durant un certain nombre
d'années. Mais à cette époque de 966, l'abbaye de Saint- Victor
(1) « Et est ipsa terra, in comitatu Massiliensi, in giro ejusdem
ecclesiae beati Victoris: consortes de duos latus, litus maris, de alio latus
fontem et montem quem nuncupant Guardiam et viam juxta locum de
Paradiso. » Charte 23 du cartulaire de Saint-Victor.
- 248 -
se relève de ses ruines ; l'évéque, pour concourir à celle
résurrection, rétrocédait cetle terre (1).
D'autre part, il est facile de se convaincre que ce domaine
était une possession très ancienne de l'abbaye. C'était une
terre aux alentours de Saint-Victor; on peut bien croire donc
que c'a été un des premiers biens qui lui ont été concédés par
la piété des fidèles et des grands. Ce n'est pas d'ailleurs de
924 à 966 que l'abbaye a pu la recevoir, car à cette époque
elle était en ruine, elle n'existait plus. Ce ne fut pas non
plus de 840 à 924, car à cette date les évoques avaient déjà
pris l'administration des biens de Saint-Victor (2). Loin de
donner à l'abbaye, on cherchait à lui ravir. Les évéques
avaient fort à faire pour défendre ces biens. La possession
par l'abbaye de Saint-Victor, de ce domaine, serait donc anté-
rieure aux premières invasions.
Si donc l'abbaye cassianite s'était trouvée sur ce point aux
Catalans, elle eût élé sur une terre de Saint- Victor. Or, n'est -
il pas étonnant que dans la charte de 966, en remettant ce
domaine à l'abbé de Saint- Victor, l'évoque ne rappelle pas aux
moines qu'il y a sur une portion de leur domaine un lieu
sanctifié et béni, arrosé par le sang de vierges héroïques,
embaumé par le parfum des vertus des premières filles de
Cassien, et que là fut le premier oratoire élevé en l'honneur
de leur saint fondateur ?
(1) « Et ut tbl utiliùs posslnt regulariter vivere, ex terra quae ad
eamdem abbatiamfSaucti Victoria; pertinere dignoscitur, aliquid conce-
dimus'.hocest terra culta et inculta, pratis, pascuis, garricis, aquis,
aqunrum duc ti bus, earum vel reductibus, et est ipsa terra in comitatu...i
Cartulaire de Saint-Victor, charte 23.
« ... Igitur ego, jam dictus Honoratus episcopus, cum clcricis
meis, divini accensus amoris, atque gloriam retributionis orani affectu
desiderans. . . » Charte 23, ut supra.
«la honore Dei omnipotentis Sanctique Victoria martyris, congrega-
tionem monachorum secundum regulam Sancli Bencdicti in abbatia
ejusdem beati Victoris constitul optamus. » Charte 23 du cartulaire de
Saint- Victor.
(2) Dès l'an 780, sous l'épi scopat de saint Mauront, jusque vers le
milieu du Xe siècle, l'administration des biens de l'abbaye a été entre les
mains des évéques. (In v>asions des Sarrasins en Provence , par M. de
Rey, passirn.)
— 249 —
JJira-t-onque le point où s'élevait l'abbaye cassianite des
tilles avait été la possession de cette même abbaye, lors de sa
fondation? Mais en 738 ou plus tard, à l'époque de sa destruc-
tion, levêque aurait pris l'administration de ce domaine. Et
toujours en 966, alors qu'il restituait à l'abbaye de Saint-Vic-
tor ce qui lui appartenait, il aurait fait exception de ce bien
de l'antique monastère, bien qu'il aurait conservé, uni à sa
mense épiscopale, ou qu'il aurait cédé à Saint-Victor. Mais
forcément il aurait mentionné ce fait ; or, la charte de 966 ne dit
rien de cela. Donc l'abbaye n'est pas aux Catalans, de 420 à
750.
S'élevait- elle à Saint-Loup? C'est postérieurement à 840,
suivant l'abbé Cayol que les Cassianites auraient habité ce
quartier. De 420 à 750 elles n'y étaient donc pas.
L'abbaye pouvait-elle se trouver à Saint-Cyr (Var)? Non
encore. Il y a dans le cartulaire de Saint-Victor, et en appen-
dice aux différents écrits de M. Magloire Giraud, sur Saint-Cyr,
laCadière, Saint-Damien et Taurœntum (1), un bon nombre
de chartes dans lesquelles on ne s'explique pas, qu'il ne soit
fait aucune mention de l'existence de l'abbaye cassianite, a
Saint-Cyr, si celle-ci s'y est trouvée réellement. Notamment
la charte de 906 d'Honoré II, dans laquelle celui-ci cède à Sainte-
Victor îe terroir de la Cadière. Comme nous l'avons dit plus
haut, Honoré II aurait rappelé aux moines l'existence de ce
cœnobium primitif des allés de Cassien. La charte de 967-993,
quiiacontele voyage de Guillaume, comte de Provence, à
la Cadière, pour aider les religieux à se mettre en possession de
(1} « Goncedimtis eis ecclesiara Sancti Damiani eu m appendicite
suis... » Suivent les limites. (Cartulaire de Saint-Victor, charte 23.—
Charte 77, de Tan 967-993.- Charte 75. de l'an 1019.)
La donation de la Cadière étant laite et les limites étant fixées, le
comte de Provence ajoutait : « Omnia quœ istis terminis continentur,
quantum ad me pertinent, Sancto Victori ex integro dono. Sane si quis,
quod evenire minime credo, contra hanc donationem venlre ant obsiâ-
tere voluerit, obtinere istud non vaieat. . . »— « Omnia quae istis termi-
nal ion i bus continentur, ex integro dono Sancto Victori, exceptis pinis.»
— (Charte 76, de 1019, cartulaire de Salut Victor.— Histoire du prieuré
de Saint-Damien, par l'abbé Magloire Giraud, appendice, chartes 1, 2,
3, 4, 5.)
— 250 —
leurs biens, l'aurait insinué encore. Celle de 1019, qui relate
la donation à Saint-Victor d'une terre à la Cadière par Fulco
et Odile, et dans laquelle les limites de la Cadière sont préci-
sées, aurait encore indiqué l'endroit où se trouvait ce mo-
nastère. Et tant d'autres chartes qui gardent sur ce sujet le
silence le plus complet. Donc on peut en conclure que l'abbaye
cassianite n'était pas à Saint-Cyr à cette époque primitive.
Pouvait-elle se trouver à cette époque aux salines, à Saint-
Marcel, à Aubagne, à la Ciotat, etc., etc.? On n'attend pas de
nous que nous passions en revue toutes les localités de la Pro-
vence où il plaira au premier venu de placer l'abbaye cassia-
nite. En citant un point quelconque du terroir, que Ton
prouve l'existence d'une tradition sérieuse en faveur de cet
endroit, alors il sera possible d'établir sur des bases solides
une discussion utile. Or, c'est le cas pour Saint-Marcel, Auba-
gne, etc., etc. Nous passons.
L'abbaye cassianite donc n'a pu se trouver à l'époque de sa
fondation aux Catalans, ou au Carénage, à Sainte-Catherine,
au Revest, sur le plateau du Revest, à la Major, etc., etc. A
quel endroit se trouvait-elle alors, puisqu'il faut admettre
qu'elle était quelque part ? Nous l'insinuons dans la conclu-
sion suivante.
Aux auteurs qui plaçaient le cœnobium à tel ou tel endroit,
aux environs de Marseille, nous avons prouvé qu'ils étaient
dans Terreur. Restent donc les bords de l'Huveaune ; or, à ceux
qui soutenaient que jamais cœnobium ne s'est élevé en ce
point du terroir, nous avons démontré que leurs objections ne
tenaient pas. D'autre part, un certain nombre d'historiens
désignent les parages de l'Huveaune comme l'endroit où
pouvait se trouver l'abbaye. Donc, le cœnobium a pu être là.
Ceci n'est point une preuve péremptoire, nous le reconnais-
sons; mais on ne saurait le nier, cela peut suffire à faire
pencher quelque peu la balance en faveur de notre opinion.
Voici, d'ailleurs, les preuves positives.
— ■*^vv\A/VAAAAAA/wv**«—
DEUXIÈME SECTION
PREUVES POSITIVES
CHAPITRE PREMIER
Les Auteurs favorables à notre opinion
et discussion de leurs assertions
MàBILLON. — CHIPFLBT J.-J. — ANDBÉ DU 8AUSSAY. — GUE8NAY J.-B.
— ABTHUB DE MONE8TIEB. — LE P. LECOINTE.— LE PKBB POIBEY.
— L' € ATLAS MABIANUS ». — H. BOUCHE. — M. LE CHANOINE
MAGNAN.
Il est juste de citer en premier lieu les auteurs qui ont sou-
tenu notre opinion. D'ailleurs nous connaîtrons ainsi sur quels
arguments ils s'appuient et ils rendront plus évidente l'au-
torité que nous apporteront leurs témoignages.
D'abord, Mabillon. Dans son ouvrage monumental, inti-r
tulè : Annales ordinis Sancti Benedicti , et les Acta
sanctorumO. S. B.y Mabillon écrit: « C'est à cette époque
que l'on place ce fait mémorable concernant les quarante
religieuses du monastère de Saint-Cyr, situé près de Mar-
seille et fondé par Gassien. Sur les exhortations d'Eusébie,
leur abbesse, elles se mutilèrent le visage en se coupant le nez,
afin d'échapper à la lubricité des Sarrasins (1) ». L'auteur
(l)«Huc re vocant f actum sanctimoDialium quadraginta coenobii sancti
Cyricii, prope Massiliam a B. Joanne Cassiano erecti, quae hortante
Eusebiâ matre et abba tissa, ne suse pudicitise vis a Sarracenis infer-
retur, oasuin sibi praeciderunt. » Mabillon, Annales ordin. S. Bene-
— 252 —
ne désigne pas l'emplacement exact du « cœnobium sancti
Gyricii » ; c'est a prope Massiliam » qu'il le loge. Mais il
faut remarquer qu'en écrivant ces lignes, il ne cherchait
point à élucider une Question qui pour lui n'était qu'un sim-
ple détail à ce moment, quoique pour nous elle soit une ques-
tion importante. Il racontait, il affirmait que sainte Eusébie
et ses compagnes avaient été martyrisées par les Sarrasins;
que le monastère théâtre de ce massacre s'élevât en cet endroit
ou à un autre, peu lui importait. Ce n'était, encore une fois,
qu'un détail.
Cette seule expression cependant semble indiquer que
Mabillon admettait plutôt notre opinion que l'opinion con-
traire (1). A l'époque ou il écrivait, en 1668, il n'aurait pas
employé cette expression : « prope Massiliam », si, à son avis,
le monastère cassianite avait été jadis sur la rive du port ,au
Carénage, aux Catalans, ou au Revest. En 1668, ces divers
endroits, se trouvaient englobés dans l'enceinte de Marseille,
et, Mabillon voulant désigner un de ces points pour l'empla-
cement du monastère cassianite, aurait dit simplement, ou
bien que celui-ci était à Marseille, ou bien qu'il s'élevait à
tel endroit, hors de Marseille à cette époque. Si donc cette ex-
pression « prope Massiliam o se trouve sous sa plume, c'est
l'indice que pour lui le monastère s'élevait aux bords de l'Hu-
veaune. Ce qui suit, d'ailleurs, va corroborer cette interpré-
tation et nous montrer que Mabillon est bien de notre avis.
Si le savant Bénédictin se tient dans la généralité lorsqu'il
raconte l'histoire de sainte Eusébie, il précise davantage lors-
qu'il parle du monastère lui-même. Dans la vie de saint
Césaire d'Arles, au sujet de sainte Césarie, la sœur ou la cou-
sine de l'évêque, que celui-ci avait placée dans uil cœnobium
de vierges a pour y apprendre d'abord cette piété, cette vertu
qu'elle devait plus tard apprendre aux autres », Mabillon veut
indiquer quel est ce monastère de vierges où vécut sainte
dictitt. ir, p. 90, ad ann.73$. — Acta sanctorum ordinis S. Béné-
dicte t. IV, p. 487, ad ann. 734.
(1) Dans les Annales ordinis S. #., Mabillon se sert de l'expressiori
t prope Massiliam » et, dans les Acta SS. ordinis S. Bénédictin il em-
ploie l'expression de « prope urbem ».
— 253 —
rn;
Eusébie, et il dit : c Dans le monastère que Jean Gassien
construisit pour les religieuses dans le terroir suburbain de
Marseille, auprès du fleuve de THiiveaune, d'où lui vint le
nom de monastère de THuveaune (1) ». C'est précis et clair.
Objectera-t-on que c'est dans une note que ces paroles se
lisent? Soit; mais la note est de Mabillon lui-même,
comme le sont d'ailleurs toutes celles de cet ouvrage Car en
tête il est dit: « Universum opus, nolis, observationibus indi-
cibusque necessariis illustravit (2). » Plus de doute donc,
Mabillon croit, avec nous, que le monastère oii sainte Césarie
fut élevée et dans lequel vécut plus tard et fut martyrisée
sainte Eusébie était sur les bords de rHuveaune, « ad Yvelinum
amnem ».
Où Mabillon a-t-il puisé ce renseignement ? Qu'importe !
Le savant Bénédictin était un esprit assez éclairé, d'une critique
assez sûre pour que nous puissions être sans inquiétude à ce
sujet. Car, ou bien il a eu à son service des documents anciens
que nous n'avons plus. Puisqu'il s'est fié à ces documents,
nous pouvons à notre tour nous y fier. Ou bien il a accepté
le dire de certains auteurs qui citaient cette tradition, tels
que Chifflet, qui écrivait en 1618, de Saussay dans son Marty-
rologium gallicanum de 1638, Arthur de Monestier dans le
Sacrum Ch/nœceum de 1657, Guesnay dans le Cassianus
illustratus de 1652 et dans le Provinciœ Annales de 1657,
Lecointe dans les Annales ecclesiaslici Francorum de 1667.
Or, 3i Mabillon a suivi ces auteurs, c'est qu'il croyait leur
opinion fondée. Il les eût cerlainement laissés de côté, s'il
avait pu soupçonner que leurs conclusions étaient exagérées.
Après Mabillon, Chifflet, Jean-Jacques (3), qui écrivait en
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(1) « Evocat e moaasterio venerabilem sua m Caesariam, quam inibi
Ideo direxerat ut disceret quod doceret. » Kn note : « Nempe in parthe-
oooe a Joanne Gassiano sanctimonlalibus erecto, in agro Massiliensi
suburbanoad Yvelinum amnem unde nomen cœnobio... » Acta sanc-
torum 0. S. £., Mabillon, 1. 1, p. 612 ; vie de saint Césaire.
(I) En tête de son ouvrage on lit, en, effet, ces mots.
(3) « Eam vero crucem Paradinus, De Antiq. Statu Burgundiœ
ad annum âOI, dicit a Stephano rege in Sancti Victoris massiliensem
basUicam illatam .. nos vero ex certioribus monumentis collocatam
censé mus in agri Massiliensis cœnobio sanctimonialium de Uveaune ad
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- 254 -
1618 son ouvrage intitulé : Vesuntio civitas imperialis. Il
raconte t qu'un certain roi de Bourgogne, du nom d'Etienne,
avait placé sur les étendards de son armée l'image de la croix
de saint André, en souvenir du bois de la croix sur laquelle
cet Apôtre de Jésus-Christ était mort, croix qu'il avait rapportée
d'Achaïe et qu'il avait déposée à Marseille. . . .
« Cette croix de saint André, un historien du royaume de
Bourgogne, Paradin affirme qu'elle fut placée par ce roi
Etienne dans le monastère de Saint- Victor, où elle se trouve
encore à l'heure présente ; mais, à notre avis et sur la foi de
preuves et d'écrits plus certains, nous disons qu elle a été
placée dans un monastère du terroir de Marseille, sur les bords
de l'Huveaune, aux bord3 de la mer, à un ou deux milles de
cette ville. De quelle manière cette insigne relique est venue
du monastère des religieuses de l'Huveaune à Saint-Victor,
voici ce que les annales de Marseille nous racontent.
« Lorsque les Sarrasins, arrivant de l'Aquitaine, dévastèrent
la Provence, les religieuses du monastère de THuveaune,
pour dérober au pillage, au feu, à la profanation, la croix de
l'Apôtre du Sauveur, l'ensevelirent profondément dans la
terre. Les barbares firent irruption dans le monastère ; les
religieuses, pour sauvegarder leur pudeur, se mutilèrent le
visage, en se coupant le nez, les oreilles et les lèvres. Les sau-
vages envahisseurs les massacrèrent,et les corps de ces héroïnes
furent peu après transportés dans une chapelle de l'église
inférieure, dont l'entrée était interdite aux femmes sous peine
d'excommunication portée par l'évoque.»
André du Saussay , dans le Martyrologe gallican (1), composé
littus maris, altero circiter a Massiliâ miliario. ... » J.-J. Chifflet
Vesuntio, p. 199.
(1) « Crux Sancti Andrese asportata a Stephano rege Burgundi® ex
Achaià, in Galliam deportata, apud Veaunenses virgine8t in agro Mas-
siliensi deposita, inde paulo ante anno salutis 1250 ad Sancti Victoris
famosum cœnobium translata est, ubi nunc asservatur. » Martyrolo-
gium Gallicanum, pridie kal. decembris, natalis Sancti Andreese. De
Saussay. — « Hanc (crucem) ex Achaiâ, in Galliam delatam Stephanus
Burgundiœ rex, apud Veaunenees virgines in agro Massiliensi depo-
suit. » Supplem. Martyrol. Gallic, sexto idus novembris, Sancti
Hugonis de Glazinis. De Saussay.
— 255 —
en 1638, sur Tordre de Loua XIII, raconte, à la fête de saint
André, Apôtre, que la croix sur laquelle ce disciple de Jésus
souffrit et mourut fut rapportée d'Achaïe en Gaule par
Etienne, roi des Bourguignons, et déposée chez les religieuses
de rHuveaune, près de Marseille et de là, un peu avant 1250,
transportée au monastère de Saint-Victor.
Au supplément de son Martyrologe, à la fête de Hugues de
de Glasinis, il raconte la vision que ce saint religieux eut pen-
dant la messe, vision lui marquant l'endroit où se trouvait
cachée la croix de TApôtre au cœnobium de rHuveaune.
Guesnay, Jean-Baptiste, jésuite, né en Provence, a inséré
la même tradition à plusieurs endroits de son Casaianus
illustraiuSi imprimé en 1652. Il dit que « le monastère de
THuveaune fut fondé par quelques pieuses femmes de Mar-
seille, sur un terrain appartenant à Saint- Victor, là où le
petit cours d'eau THuveaune se jette dans la mer. Les débuts
du monastère furent pénibles et difficiles, mais la vertu y fit
de grands progrès, ce qui détermina plusieurs personnes de
distinction et de piété à agrandir le monastère et à lui ména-
ger de plus abondantes ressources. Bien plus, les habitants
du voisinage accourant en foule à l'oratoire de ce monastère,
on construisit une église plus vaste, laquelle fut dédiée à la
Vierge et fit donner au cœnobium, contre lequel elle était
adossée, le nom de Notre-Dame d'Huveaune, à raison du fleuve
de THuveaune sur les bords duquel il était bâti (1). »
Racontant le martyre de sainte Eusébie, Guesnay s'exprime
en ces termes : « Sainte Eusébie, vierge et martyre, vécut
dans le monastère des tilles fondé jadis par Cassien sur les bords
de THuveaune, partie du terroir suburbain de Marseille, et le
(1) # Monasterium Yvelinse aquae ut dicitur, a piis quibusdam mu-
lieribus Massiliensibus inchoatum, in agro suburbano et in ea Rotundi
Montis regione ubi Yvelinus amnis Méditerranée immiscetur. . . Tenue
quidem principium babuit. . . sed nonnuUi eximia tam sanctse familiœ
opinione ac benevolentiâ excitati, angustas xdes amplificaverunt et am-
plifie* tas uberiobus fructibus stabilierunt, temploque laxiori ad populi
coramoditatem et frequentiam exornarunt, quod Virgini Deipara dica-
tum cœnobio per amœnae Yvelini fluminis ripae adjacenti, Nostrae Domi-
na de Yvelino proprium accertum nomen imposuit. » Casaianus illus-
tratus, Guesnay, p. 409.
— 256 —
gouverna un certain nombre d'années en qualité d'abbesse.
A l'époque où la Provence, les bords de la Méditerranée et sur-
tout le terroir de Marseille furent si souvent visités par les
pirates et les barbares, il sévit contre les fidèles une telle
persécution, que Ton pourrait dire que la fureur et la rage
de ces sauvages avaient fait couler de sang les rivières de ces
contrées, au point d'en inonder les champs et les villes qui
les avoisinaient. Or, le monastère de THuveaune, à l'abri
duquel sainte Ensébie vivait avec trente-neuf compagnes,
religieuses comme elle, fut occupé par les barbares. Pris de
rage et de fureur contre ces saintes filles, ils les massacrèrent .
Les dépouilles sacrées de ces martyres furent peu après trans-
portées à Saint-Victor par quelques pieux chrétiens, et dépo-
sées dans la primitive église des religieux de Saint-Cassien(l). »
A un autre endroit de son ouvrage, Guesnay veut raconter
le massacre de sainte Eusébie et de ses compagnes, et c'est
toujours sur les bords de PHuveaune qu'il place le monastère
théâtre de ce glorieux martyre, fondé par Cassien dans le
terroir de Marseille, à peu près à la même époque que celui
de Saint-Victor, et appelé du nom de Notre-Dame d'Huveaune.
« Or, les barbares ayant attaqué Marseille, mais la trouvant
garnie de troupes, les portes fermées, ils durent s'en éloigner.
Ils se répandirent de tous côtés dans la campagne, arrivèrent
sur les bords et à l'embouchure de l'Huveaune. Là se trou-
(1) « Sancta Eusebia virgo et martyr cœnobium parthenium Nostrse
Dominse de Yvelino, vulgo de Veaune, a Cassiano fundatum in oppidano
Massiliœ terri torio per aliquot annos, et fructus auctoritatis cepit ex-
tremos. . . Quo tempore Provincia maritimaeque regiones ac praesertim
Massilia) suburbanae piratis, proedonibusque patefacta, tam atrocem in
fidèles persecutionem passa sunt, ut ex eorum laniena cruoris afflu-
antes rivi vicos et agros miserandà strage inundarunt. Yvelino monas-
terio a barbaris occupato, cum sancta Eusebia, Deo sacrât» virgines
novem supra triginta sub ejus regimine vitara profltentes monasticam,
altis praxoniis Ghristi nomen efferent, illico in odium pise confessionis
et glorificationis trucidatœ, receptis repentinœ Victoria? pal mis, militia?
cœlestis cuneos suû accessione ampliarunt. Sacrae martyrum exuviaepostea
a Massiliensibus Ghristi nomen ac Yvelini cœnobii vindicantibus, in ur-
bem translatas apud Sancti Victoris cassianitarum monachorum pri-
înariam basilicam collocatœ sunt. » CassianUs illustratus, Guesnay,
p. 724.
— Tôt —
vait le monastère de filles que gouvernait, en qualité d'abbesse,
sainte Eusébie (1). » Suit le récit du massacre.
Quand il énumère les reliques conservées dans les cryptes
de Saint- Victor, Guesnay n'oublie pas celles de sainte Eusébie
et de ses compagnes, et il dit à ce sujet : a A la droite de cette
chapelle se voit un tombeau en marbre. C'est là que reposent
les dépouilles de sainte Eusébie, jadis abbesse de trente-neuf
religieuses. Elles vivaient dans un monastère fondé par le
bienheureux Gassien, à deux ou trois milles de Marseille, et
que l'on appelle encore Noire-Dame d'Hu veaune. Exposées
aux fureurs des Sarrasins, ces vierges préférèrent la mort à la
perte de leur virginité (2). »
Dans un autre ouvrage intitulé: Promnciœ Massiliemis
Annales, imprimé en 1657, Guesnay fixe à Tan 477 la date
du martyre de sainte Eusébie, et il dit : « Durant la persécu-
tion que Genséric et son fils Hunéric suscitèrent contre les
catholiques, les Vandales, qui couraient les mers en pirates,
abordèrent le point de nos rivages où l'Huveaune se jette
dans la mer, et attaquèrent le monastère des filles que Cassien
y avait fondé et qui était très florissant. Le monastère em-
porté, les barbares n'ayant pu faire apostasier sainte Eusébie,
(1) « Nec omittendum hoc loco parthenium cœnobium Nostne Domi-
na de Yvelino, vulgo de Veaune, a Gassiano fundatum in oppidano
Massiliae territorio, cui iidem natales fuerunt qui ipsi monasterio Sancti
Victoris... Descensione factà urbem aggrediuntur. Ingens eo loco
vis erat populi, portse oppidi clausae, disposita prœsidia, tan toque ad
repellendos hostiles conatus labore, assiduitate, dimicatione certatum
est, ut ab incolis exclusi barbari et ad vicinos circumquaque agros depo-
pulabundos diffusi, Yvelini fluminis ostium aditumque subierint. Ibi
parthenium cœnobium in quo sancta Ëusebia novem super triginta
monialium religiosissimis prseerat antistita... » Cassianus illustratus,
p. 509.
(2; « Ad hujus sacelli dexteram marmoreumque sepulcrum constitu-
tum est. in eoque sancta) Eusebiœ, earumdem novem supra triginta
monialium quondam abbatissae ossa condita, hœ autem omnes cum vitam
agerent, in monasterio ad mare olim a beato Gassiano excitato duobus
tantum tribusve milliaribus Massilia dissito, quod etiamnum vulgari
appellatione B. Virginis de Veaune dicitur, ne a Sarracenis violarentur,
mortem oppetere quam virginitatem Deo dicatam sibi deperire malue-
runt. » Casëianus Mu stratus, p. 475.
— 258 -
abbesse du cœnobium et ses trente-neuf compagnes, ils les
massacrèrent sans pitié... fl). »
A un autre endroit du môme ouvrage Guesnay parle de
sainte Eusébie, de ses trente-neuf compagnes et c'est tou-
jours du monastère situé sur les bords de THuveaune qu'il
s'agit (2).
Arthur de Monestier, dans le Sacrum Gynœceum, imprimé
en 1657, place au 30 décembre la fête de sainte Eusébie et de
ses compagnes, « qui vivaient dans un monastère situé aux
bords de l'Huveaune, non loin de Marseille ». Cet auteur cite
à la fois le Cassianus illustrât us, le Martyrologium galli-
canum et Chifflet, en relatant les termes de ces auteurs (3).
Le Père Lecointe, dans les Annales ecclesiastici Francorum,
imprimées en 1667, dit a qu'il y avait à Marseille quatre
monastères fameux : celui de Saint- Victor. . . celui de Notre-
Dame d'Huveaune, celui de Saint-Sauveur et celui de Saint-
Cassien. Guesnay en a parlé longuement dans son Cassianus
illustratus. Le premier était un monastère d'hommes, le
second de femmes et de filles, tous deux fondés par Cassien
lui-même. . . Celui de Notre-Dame d'Huveaune est situé dans
(1) « Anuo 477. Circa excitatum a Genserico, sive Hunerico filio suo,
catholicorum persecutionem, cum Vandali piraticam agerent, (orte in
eam Provincial Massiliensem oram appulsi, in quà Yvelinus fluvius mare
inflult, parthenonem quam olim Cassianus ibi florentissimam cons-
truxerat, adoriuntar. Capto monasterio, cumsanctamEusebiam abbatis-
sam, Deoque sacratas virgines novem supra triginta sub ejus regimine
vitam profitentes monasticam, nullo modo potuissent adduci barbari,
ut Christum negarent, illico trucidatae... » Guesnay, Provenciœ Afas-
siliensis Annales, p. 186.
(2) t Anno 450. SanctaEusebia virgo et martyr.— Cœnobium parthenium
Domina* Nostrae de Yvelino, vulgo de Veaune, a Cassiano fundatum in
oppidano Massiliae territorio, rexit sancta Eusebia... quo tempore Provin-
cia, maritimae regiones, etc. » Guesnay, Provinciœ Massiliensis Anna-
les, p. 600.
(3) c Apud Veaunense monasterium, diœcesis Massiliensis, passio sanc-
tarum Eusebise et sociarum sanctimonialium virginum, quœ mira cons-
tantiâ pro tuitione castitatis et fidei decertantes, martyrii palmam repor-
tarunt ». Sacrum Gynœceum, par Arthur de Monestier; 30 déc. Il cite
en note le passage de Chifflet: « Cum Sarraceni... », le passage de
Guesnay : « ad h jus sacelli dexteram...», et le sens de ce que de
Saussay a écrit au sujet de la croix de saint André, ut suprà.
— 259 —
le terroir, derrière la montagne gui est à l'opposé du monas-
tère de Saint- Victor, là où l'Huveaune se jette dans la
mer. Il a passé par mille épreuves fâcheuses, souvent dé-
truit, incendié. . . C'est à la suite de sa dévastation qui remonte
à une époque antérieure à la domination des Francs dans la
Provence, que les religieuses bâtirent celui de Saint-Sauveur,
situé dans la ville elle-même (1) *.
Avant de passer à d'autres auteurs, demandons-nous ce que
vaut le témoignage des quatre que nous venons de citer. Ne
nous le dissimulons pas. Leur autorité, parait- il, est fort
contestable. Feller, dans son Dictionnaire historique, les
accuse tous d'accepter sans trop de critiques les légendes (2).
Cependant, puisqu'ils sont des témoins de nos traditions, ne
passons pas entièrement sous silence leur opinion. Quel fond
est-il donc permis de faire sur leur témoignage?
Disons d'abord qu'ils ne sont nullement intéressés à donner
à la question qui nous occupe une solution de parti pris. A
l'exception de Guesnay qui, lui, est Provençal, le martyre de
sainte Eusébie, la découverte de la croix de saint Andréa
Marseille ne les intéressent qu'à titre de chrétiens, de prêtres,
de religieux. Ce n'est pas une question où l'amour du clocher
(1) « Ad Massiliam enim vel in ipsâ civttate tune conspicièbantur
quatuor illustria monasteria : Sancti Victoria, Nostrœ Dominée de
Yvelino, Sancti Salvatoris, et Sancti Cassiani, de quibus Guesnay (lib. IL
cap. 17, 25) in Cassiano illustrato prolixe disserit.Primum erat virorum,
alterum puellarum; cœnobia Sancti Victoria etN. D. de Yvelino condita
suut ab ipsomet Cassiano... Prope muros stat etiamnum monasterium
Sancti Victoris...; cœnobii de Yvelino, siti in agro suburbano et in ea
Rotundi Montis parte quae monasterio Sancti Victoris aversa in occur-
sum patet, ubi Yvelinus amnis mari Mediterraneo immisceatur sors fuit
longe infelicior. » Père Lecointe, Annales ecclesiastici Francorumt
t. I, n* 43, ad ann. 536.
(2) Chifflet J.-J. c Si Ton retranchait (dans cette histoire de Besançon)
de la partie civile l'érudition étrangère et de la partie ecclésiastique
les fables et les légendes, son in 4° serait bien diminué.» (Feïler, Dic-
tionnaire historique.)— André du Saussay, Afartyrologiumgallicanum^
« dans lequel on remarque beaucoup d'érudition, mais pas assez de criti-
que et d'exactitude.» (Feller, op. cit.).— Guesnay, J.-B., Annales Pro-
vincial Massiliensis : « Ce n'est qu'une compilation mal digérée et sans
critique.» — Feller se borne à indiquer le S. Joannes Cassianus* sans
l'apprécier.
— 260 —
puisse les faire abonder dans un sens plutôt que dans un
autre. Pour Guesnay lui-même la solution que nous préconi-
sons,de mettre lecœnobium cassianite aux bords de l'Huvea une,
est une question de détail. Si ces auteurs donc le fixent à cet
endroit, c'est qu'ils le savent de quelque manière. Et où ont-
ils puisé ces renseignements? Incontestablement dans des
documents anciens que nous n'avons plus. Guesnay parle de
t monumentis publias et tabulis veteribus Massilise reperies
editi instrumenti anno 710 (1) ». Les autres auteurs citent des
ouvrages antiques. Faut-il supposer que, pour le plaisir d'agré-
menter leur narration, ils ont forgé des documents ou vu dans
ces documents autre chose que ce qu'il y avait. Gela n est
guère possible.
Les fiollandistes, qui sont venus après eux, se contentent de
les citer quand il s'agit d'écrire sur sainte Eusébie. Et nous
irons, nous, les accuser de faux (2) ? D'ailleurs, Mabillon a
traité le même sujet (ne parlons que du martyre de sainte
Eusébie). Or, ou bien Mabillon a connu les écrits de ces
auteurs et s'est appuyé sur leurs assertions, alors elles sont
exactes, car Mabillon les aurait rejetées, s'il avait eu le
moindre soupçon d'une erreur historique ; ou bien il ne les a
pas connus, et n'a pas pu se servir de ce qu'ils contenaient.
Dans ce cas, puisque Mabillon et ces auteurs arrivent aux
mêmes conclusions, puisque pour les uns et les autres le
monastère cassianite est situé aux bords de l'Huveaune, nous
ne voyons pas pourquoi on n'en croirait pas ces auteurs. Ils
ont dit la vérité, nous en avons pour garant le docte Ma-
billon (3).
(1) S. Joannes Cassianus illustrât us, y. 409. Nous ne savons pas à
quel document Guesnay fait allusion, à moins que ce ne soit à la charte
10 du cartulairu de Saint-Victor, qui date non pas de 710, mais de 904.
(2) Dans les Acta Sanctorum, à la fête de sainte Eusébie, t. V, d'octo-
bre, p. 292, les Bollandistes rappellent ce que ces divers auteurs ont écrit,
sans donner aucune appréciation de l'autorité dont ces auteurs jouis-
sent.
(3) Nous pourrions ajouter & ces auteurs qui sont pour nous : Antoine
de Ruffl, le père de M. de Ruffl. Si ce dernier est contre nous, il n'en est
pas de môme du père. Nous avons cité son témoignage. Or, il semble que
le père veuille réfuter à l'avance ce que son fils écrira plus tard de
> .
— 261 —
Le Père Poirey (François), dans la Triple Couronne de la
Vierge Marie y a écrit : « A la descente de cette colline de
Notre-Dame de la Garde, Ton trouve Notre-Dame de la Veaune,
jadis monastère de filles, où arriva ce fait mémorable des
religieuses qui, à l'abord d'une rage barbaresque, se coupèrent
le nez d'un commun accord, pour conserver leurpudicité (1).*
L'Atlas Marianus, parlant de la statue miraculeuse de
Notre-Dame de la Veaune, s'exprime en ces termes (2) : a Cette
contraire à notre opinion : t Cette tradition (que le monastère était à
l'Huveaune; n'est appuyée sur aucun instrument, ni vieille écriture, mais
se trouve fortifiée par plusieurs conjectures !...» C'est une tradition
d'abord, et elle n'est pas dénuée de fondements.
(1) Triple Couronne de Marie, par P. Poirey, nouvelle édition parles
Pères Bénédictins deSolesmes, traité I, ch. 12, article de N.-D. de la Se.
t Cet ouvrage fut imprimé à Paris en 1630, puis en 1633 et 1643 ; il eut
beaucoup de succès. Le Père Poirey était un homme pieux et instruit.»
(Michaud, Biographie universelle, Poirey.)
(2) tTemplum hoc extra urbem est, et vel hodiè,si pietas adsit,beneflciis
Virginis clam m. Olim miraculosam fuisse statuam Virginis inde certum
est. Quod ad miraculum pios eflecerit, rem intellige, lector, quam si
semel atque iterum alibi factam legisti, frustra in libris post hâc et
initolabore simile exemplum quaeres.
c Cœnobium hic sacratarum Deo virginum fuit, loco, quum nulla
vicinorum potentia contra malos defendere poterat. lrruentibus Barbaris,
virginibus cura fuit, quae in periculis solis fugae nec te m pus, nec locus
amplius erat, sed et nemo, qui inermes et feminas defenderet ; itaque
ipsae ad gladios plusquam virili fortitudine respexerunt ; et quia gladium
nec unum habebat cœnobium, brèves cultros singulœ arripuerunt, sua-
dente antistità in praeclarum factum suffecturos. Illa, postquam ita arma-
Us silentium induxit : « Vultus, inquit, nostri suot, quorum décore vir-
c gineo periclitamur : hos si decoro vulnere devenustamus, periculo
t defunctse sumus, aliud enim non petunt, qui nobis jam imminent,
« hostes. Audea rausl Fluet pulchro de vulnere sanguis virgineo rubore,
< Virginis placiturus cui non jamdudum devovimur. Si placet, incipiam
« et meo exemplo nutitantes animabo. »
« Simul cum dictofet illœ omnes idem se facturas clamarunt. Et illa,
neqxiam promissi pœniteret, nasum sibi prsecidit. Quam caetera; om-
nes tan ta promptitudine secutae sunt ut dubium inter multas esse
exstiterit, quae inter omnes primos lanti facti honorem meruerit. Ita
felici hostium contemptu securse periculo se capedierunt-
« I nunc, et hoc sine Deiparae miraculo fie ri posse puta.
« Caetera, quae ad hanc sanctam iconem (quae forte hodiè non supe-
rest) contigerunt ad me non pervenire, atque etiam si ad me pervenis-
'M
i
<
:a
r.c
— 262 -
église de Notre-Dame d'Huveaune se trouve hors de Marseille
et aujourd'hui encore la Sainte Vierge aime à récompenser la
piété de ceux qui viennent l'y vénérer. Il est certain que la
statue de cette Vierge peut être appelée miraculeuse. Voici qui
va le prouver ; on trouvera ce fait raconté en bien des livres,
mais, quant à savoir s'il a été accompli une seconde fois, c'est
en vain qu'on le rechercherait.
a Là s'élevait jadis un monastère de vierges consacrées à
Dieu, Dans le voisinage de ce cœnobium personne d'assez
puissant pour protéger contre les méchants les saintes âmes
qui y vivaient. Or, les barbares vinrent un jour sur cette plage
déserte. Les religieuses ne pouvaient ni fuir, ni se défendre ;
mais, avec un courage plus que viril, elles essayèrent cepen-
dant de lutter à leur manière. Il n'y avait point de glaives, ni
d'armes au monastère. Elles saisissent des couteaux et se pré-
parent, sur les exhortations de leur abbesse, à combattre vail-
lamment. A ce moment terrible, l'abbesse, en effet, impose le
silence et s'écrie : « Mes ailes, c'est la beauté de notre visage
a qui nous met en péril. Nos ennemis n'en veulent qu'à elle.
« Défigurons-nous et nous échapperons au danger 1 Courage ! !
« Nous nous sommes consacrées à la Vierge Marie ! Pour lui
a plaire, donnons- lui notre sang. La première, je vais lui
« offrir ce sacrifice. Suivez mon exemple. »
a D'une voix unanime elles acceptent. Et pendant que l'hé-
roïque abbesse mutile son visage, les autres l'imitent, et cela
avec une joie, un enthousiasme sans pareils et une telle promp-
titude, qu'on ne saurait dire qu'elle fut celle de ces saintes
victimes qui eut plus tôt achevé son sacrifice. Un tel mépris
des ennemis de leur chasteté les mit à l'abri du péril de
succomber au mal.
« Jugez, maintenant, si un tel acte a pu s'accomplir sans
que la Vierge Marie y soit intervenue.
a Quant à ce qui a trait à la sainte image elle-même (qui,
sent, hic non apponerem, qualiacumque demtim essent, quia hoc raritate
suà suffîcit ut credatur Deiparse statua miraculosa. » Père Poirey, Triplex
Corona, tract. I, cap. lî. — Allas Marianus, édit. 1672, t. II, p. 3017,
u. 1687-1137, Imago miraculosa de la Veaune Massiliœ in Gallia; mo-
nogramme : Gaudeamus, amici, en pura Mater in alto.
— 263 —
peut-être à l'heure actuelle n'existe plus(l) je ne sais rien.
J'en saurais davantage que je ne l'écrirai pas. Le fait que j'ai
cité suffit pour établir que la Vierge de l'Huveaune peut être
appelée miraculeuse.»
Nous lisons dans Honoré Bouche, Histoire de Provence,
qu'il y avait à Saint-Victor « les ossements de quelques
saintes religieuses du monastère d'Uveaulne qui souffrirent le
martyre par les infidèles ». Autre part : « Le monastère des
religieuses d'Uveaune, proche de Marseille, fut entièrement
détruit par ces barbares (2). »
M. le chanoine Magnan, qui a écrit jadis une Notice sur la
Croix de saint André , a soutenu notre opinion. Après avoir
cité le dire de Grosson, de Lefournier et de quelques autres
auteurs plus récents, lesquels plaçaient le monastère de sainte
Eusébie au bassin du Carénage ou sur le quai de Rive-Neuve,*
il ajoute : « D'où vient que les auteurs les plus dignes de foi
assurent que ce monastère était aux environs de Marseille
et à la campagne: « in agro Massiliensi» ?... Mais notre
but n'est pas de prouver ici que le monastère de sainte
Eusébie était sur les bords de l'Huveaune. Une question si
importante et si difficile demanderait des développements
plus étendus. Nous voulons montrer seulement que cette
opinion peut être encore soutenue (3). » Dans sa Notice sur
sainte Eusébie, le même écrivain dit catégoriquement que
ce fut sur les bords de l'Huveaune que saint Cassien fonda le
monastère des filles et que vécut et mourut sainte Eusébie (4).
Enfin, dans V Histoire d'Urbain V, le même auteur écrit
encore : « Cassien fonda à Marseille deux monastères, l'un
pour les hommes sur le tombeau de saint Victor, l'autre pour
les femmes sur les rives de l'Huveaune (5). »
(1) Nous dirons, dans un chapitre suivant, que la sainte image de
N.-D, d'Huveaune existe encore.
(2) H. Bouche, Chorographie et Histoire de Marseille, t. II, pp.
332, 565.
(3) L'abbé Magnan, Notice sur la Croix de saint André, p. 16.
(4) Notice sur sainte Eusébie, publiée dans la Semaine liturgique,
1— année, p. 732, et dans le Conseiller catholique, en 1851.
(5) Vie du pape Urbain V, p. 252.
CHAPITRE II
Le Propre de Marseille
Leçons de l'office de sainte Eusébie
LEÇONS DU PROPRE DE MARSEILLE. — AUTEUR DE CBS LEÇONS. —
MONSEIGNEUR DE BBLSUNCE SE TIENT DANS UNE SAGE RÉSERVE;
MAIS, N'ACCEPTANT PAS CATÉGORIQUEMENT L'OPINION DE RUFFI, IL
EST POUR NOUS. — LES TERMES DONT IL SB SERT SE LISENT DANS
LES AUTEURS QUI NOUS SONT FAVORABLES. — DANS « L' ANTIQUITÉ
DK L'ÉGLISE DE MARSEILLE », IL N'EST PAS CONTRE NOUS.
On connaît le texte des leçons du II0 nocturne de l'office de
sainte Eusébie. Nous le trouvons dans le Propre de Marseille,
à la date du 11 octobre (1). En voici la traduction que nous
empruntons à l'ouvrage de M. Rey : Les Saints de V Eglise
de Marseille (2) : •
« La vierge Eusébie, d'une grande piété, gouvernait le mo-
nastère de religieuses que le bienheureux Cassien fonda
(1) « Lectio IV. — Eusebia, virgo, insigni pietate illustris, sacrarum
virginum monasterio praef uit, quod olira beatus Gassianus , in agro
Massiliensi, non procul a Sancti Victoris templo, exstruxerat. Irruenti-
bus in monasterium infidelibus, sacras virgines, de vità retinendà, uni-
nusquam de pudore servando sollicitas, hortatur Eusebia nasum sibi
praecidant, ut cruento spectaculo barbarorum accendatur feritas, libido-
que exstinguatur. Quod cum incredibili animi alacritate et ipsa et csete-
rse omnes prœstitissent, barbari p ri mu m rei novitate attoniti, tune
furore percitt, eas numéro quadraginta Christum mira constantià confi-
tentes immaniter trucidarunt.
« Lectio V. — Earum ossa in subterraneo Sancti Victoris templo con-
dila, veneratione religiosa coluntur. Certissimà constat traditione, in
earumdem monasterio quod intra Massiliœ muros translatum, sub
Sancti Salvatoris nomine diu floruit, olim moris fuisse ut quotiescum-
que virgo aliqua, vel ad ponendum vit» cœnobiticae tirocinium, vel ad
vota emitlenda admitterentur, abbatissse Eusebia? sociarumque marty-
rium il l i sacerdos velut maximun constantiae incitamentum in memoriam
revocaret. »
(2) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 227.
— 265 —
autrefois dans le terroir de Marseille non loin de l'église de
Saint-Victor. Les infidèles faisant irruption dans le monastère,
et les vierges sacrées ayant plus à souci la conservation
de leur pureté que de leur vie, Eusébie les exhorta à se
couper le nez, afin d'irriter par ce spectacle sanglant la fureur
des barbares et d'éteindre leurs passions. Avec une incroya-
ble ardeur, elle-même et toutes ses compagnes accomplirent
cet acte ; les barbares, étonnés d'abord par la nouveauté,
mais remplis de fureur, les massacrèrent impitoyablement
au nombre de quarante, tandis qu'elles confessaient le Christ *
avec une admirable constance.
a Leurs ossements, déposés dans l'église souterraine de Saint-
Victor, y sont honorés religieusement. Il est de tradition
dans leur monastère, qui, transféré dans les murs de la ville,
y a fleuri longtemps sous le titre de Saint-Sauveur, qu'au-
trefois, quand une vierge était admise à entrer au noviciat ou
à faire ses vœux, ce prêtre lui rappelait le martyre de l'ab-
besse Eusébie et de ses compagnes, comme un grand exem-
ple de fermeté. »
Peut-on, ce contexte à la main, condamner notre thèse, et
partant avons-nous à craindre d'être en contradiction avec le
croyance et la tradition de l'Eglise de Marseille en la formu-
lant ? Nous ne le croyons pas. Les leçons du Propre de Mar-
seille, dans l'office de sainte Eusébie, ne sont pas contre notre
opinion. Au contraire elles lui sont plus que favorables. Voici
la partie du texte latin sur lequel nous argumentons : « Euse-
bia virgo, insigni pietate illustris, sacrarum virginum monas -
terio praefuit, quod olim beatus Cassianus, in agro Massiliensl
non procul a Sancti Victoris templo, exstruxerat »
Quel est le sens précis de ces mots : « in agro Massiliensi,
non procul a Sancti Victoris templo » ? Pour le savoir, lâchons
de connaître l'opinion, sur ce point, du rédacteur de ces
leçons ?
C'est M,r de Belsunce qui a composé cette partie de l'office.
Il l'avoue dans une lettre, adressée à son chapitre, le 9 juillet
1733 : « Moi- même, dit-il, n'ai- je pas donné la leçon de
sainte Eusébie et de ses compagnes (1) ? » A aucune époque
(1) Dom Berengier, Vie de Monseigneur de Belsunce, X. II; p. 149;
— 266 -
avant lui, pas plus dans le Propre de Marseille que dans celui
de l'abbaye de Saint-Victor, il n'est fait mention de notre
sainte martyre (1). Ces leçons, composées en 1733, devinrent
obligatoires dans la récitation de l'office divin dès la fin de la
même année, en vertu d'un décret de l'Ordinaire, en date du
27 mai 1733 (2), puis insérées dans l'édition nouvelle du Pro-
pre que fit imprimer le même prélat, probablement celle de
1735(3).
Or, M*r de Belsunce a-t-il, dans ces leçons, donné une opi-
nion très précise, bien arrêtée sur l'endroit où se trouvait le
cœnobium qu'babitait sainte Eusébie, et partant est-il opposé
à notre thèse ? Nullement. Ce prélat, en efiet, n'ignorait
pas que cette question était bien discutée parmi les auteurs.
S'il lisait de Ruffl dans l'édition que cet auteur donnait, en
1695, de Y Histoire de Marseille, il y voyait soutenir que le
monastère des filles cassianites s'élevait auprès de Saint- Vic-
tor (4). Dans le Cassianus il lustrât us , et les Provinciœ
Massiliensis Annales de Guesnay, il trouvait l'opinion
contraire : que ce cœnobium était sur les bords de l'Huveau-
ne(5). Bien plus, en étudiant davantage cette question, il
voyait que lorsqu'il s'agissait de savoir quels étaient les
auteurs du massacre de ces saintes vierges, pendant que
Ruffi désignait les Normands, il lisait encore dans Guesnay
que c'étaient les Vandales à un endroit de cet ouvrage, et les
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 238. — Les Invasions des
Sarrasins en Provence, par G. de Rey, p. 401. — Les éditions des Offi-
cia propria Sanctorum MassiHensis Ecclesiœ de 1662, 1692, 1732, ne
contiennent rien au sujet de sainte Eusébie. Les Officia propria venera-
bilis Monasterii Sancti Victoria Mossiliœ, de 1672, n'ont rien non
plus.
(2) Acta Sanctowm Bolland., sainte Eusébie, 8 octobre, t. IV, d'oc-
tobre, p. 292. — Ex decreto die XXVII maii 1733.
(3) Un exemplaire des Officia propria Ecclesiœ Massiliensis, posté-
rieur à 1732 et édité chez veuve Brébion, conservé à la bibliothèque de
Marseille, contient ces leçons de l'office de sainte Eusébie.
(4) Voir le chapitre : Les auteurs contraires à notre opinion, de ce
présent ouvrage.
(5) Voir le chapitre : Les auteurs favorables à notre thèse, de ce pré-
sent ouvrage.
• t
(1) Et les deux Ruffl disaient cependant qu'il était de tradition que
c'étaient les Sarrasins. Guesnay, dans le môme paragraphe, nommait
les Sarrasins et les Vandales.
(2) Monographie de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille, par M.
Grinda, dans Y Echo de Notre-Dame de la Garde, année 1888, n° 345.
(3) Voir les leçons de l'office de sainte Eusébie.
(4) V « ager Massiliensis » comprenait : Arcoulens, Saint-Tronc,
Plombières, Sarturanum, Saint-Giniez. (Cartulaire de Saint- Victor, pré-
face, p. LXI.) — Mortreuil, Dictionnaire topographique, au mot Mar-
seille, p. 216.
*$
— 267 —
Sarrasins à un autre (1), et dans Chifflet, duSaussay, le Père
Lecointe que c'étaient les Sarrasins. La divergence la plus
grande, en un mot, parmi les auteurs.
Tous étaient d'accord sur le fond de la question, à savoir :
que sainte Eusébie avait été martyrisée avec ses compagnes ;
mais, quant aux détails, chacun avait une idée différente.
Que devait faire M" de Belsunce ? Ne prendre parti ni pour
une opinion, ni pour une autre, afin de ne pas exposer la
liturgie sacrée aux attaques de la critique. Conservant donc
le fond de cette tradition locale, il se tint, par rapport aux
détails, dans un juste milieu. Pour indiquer les auteurs du
massacre, il se servit des termes d' « infidelibus, barbaroruin,
barbari », expressions qui, à la rigueur, peuvent s'appliquer
aussi bien aux Vandales qu'aux Sarrasins et aux Nor-
mands (2). Pour désigner l'endroit où se trouvait le cœno-
bium, il choisit une locution d'une acception très large et
que les partisans de Tune et de l'autre opinion pourraient
tirer à eux : « in agro Massiliensi, non procul a Sancti Victo-
ris templo (3). »
En effet, de quelque opinion que Ton soit, on peut inter-
préter dans son propre sens ces termes de la leçon. Si l'on
soutient que le monastère est à l'Huveaune, on se trouve dans
Y « ager Massiliensis (4) » et a non procul a Sancti Victoris
templo », car il y a à peine une heure de marche entre l'em-
bouchure de l'Huveaune et l'abbaye de Saint-Victor, et
1 « ager Massiliensis » comprenait ce que nous appellerions
la banlieue de Marseille . Si l'on préfère placer le monastère
près du port, on se trouve encore non loin de Saint- Victor,
-y
• • »i
— 268 —
et dans P « ager Massiliensis », puisque le quartier de
Saint- Victor ne se trouvait pas, au *V" siècle, dans l'en-
ceinte de la ville. On le voit, en s'exprimant de la sorte,
l'écrivain se tenait dans une réserve sage et prudente. Il ne
contredisait pas son ami de Rufû, qui ne voulait pas entendre
parler d'un monastère aux bords de l'Huveaune et surtout il
n'exposait pas une partie de l'office divin aux critiques sacri-
lèges des dénicheurs de saints, Launoy et ses successeurs.
Mais cependant il est facile de s'apercevoir que M,r de Bel-
sunce embrasse plutôt l'opinion contraire, la nôtre. S'il avait
été de l'opinion de Ruffi, il l'aurait dit en propres termes, sans
avoir à craindre de le contrarier. En admettant qu'il n'ait pas
voulu se prononcer catégoriquement en faveur de cette opinion
de Ruffi, il aurait du moins fait entendre qu'il penchait de ce
côlé. Or, les termes qu'il a employés ne sauraient indiquer
ni qu'il accepte l'opinion de Ruffi, ni même faire supposer
qu'il la croit acceptable. Pour désigner clairement que le
monastère était près du port, il y avait des termes tout trou-
vés : ceux de la charte 40 du XI* siècle : a non longe a ripa
porti », ceux des chartes de 1431 et 1446 : « o'iim sibi vici-
num (1) » ; et tant d'autres que le cartulaire aurait suggérés.
Mais jamais, il ne serait venu à l'esprit de l'évéque écrivain
de se servir des mots « in agro Massiliensi » pour désigner la
rive du port. Les termes employés sont trop vagues, pas assez
précis. Donc, Mgr de Belsunce n'accepte pas l'opinion de
Ruffi.
Ces termes ne font pas môme pressentir qu'il croit accep-
table l'opinion de Ruffi. S'il n'avait écrit que a non procul a
Sancti Victoris templo », on aurait pu y découvrir une insi-
nuation, en faveur de Popinion de cet historien ; et, comme
ce terme était encore bien vague, on aurait pu le faire accep*-
ter par les tenants de l'opinion adverse. Mais, à côté de ces
mots, il y a « in agro Massiliensi » ; et, comme nous le
disions il y a un instant, qui jamais a désigné la rive du port
par ces mots : « in agro Massiliensi » ? M'r de Belsunce donc
(1) Cartulaire de Saint-Victor, charte 40.— Chartes de 1431, 1446. —
Voir plus haut le chapitre : Les chartes de W34 et ihfà.
" .•' Vf
- 269 -
ne patronne pas l'opinion de Ruffi. Au contraire. Les termes
dont il se sert étant favorables à notre opinion, on peut dire
qu'il penche de notre côté.
La source à laquelle puise l'écrivain l'indique amplement
encore. Dans son ouvrage V Antiquité de VEgtise de Mar-
seille, à l'endroit où il parle du martyre de sainte Eusébie,
quel est l'auteur que M" de Belsunce cite, qu'il traduit, qu'il
suit? Mabillon(l). Or, celui-ci, on le sait, place le monas-
tère à l'Huveaune et il se sert du mot a propre Massiliam »,
pour désigner cet emplacement. Mgr de Belsunce, lui, emploie
dans la leçon l'expression : « in agro Massiliensi », qui dit la
même chose. De plus, cette locution a in agro Massiliensi »
se lit à la fois dans Chifflet. dans de Saussay, dans Arthur de
Monestier, dans le Père Lecointe et dans Guesnay (2) Or, ces
auteurs placent le cœnobium à l'Huveaune. Gomme Mgr de
Belsunce avait ces ouvrages sous la main et que les expres-
sions de ces ouvrages se retrouvent dans la leçon qu'il a com-
posée, on peut en insérer qu'il a puisé à ces ouvrages. Seule,
la locution « non procul a Sancti Victoris templo » ne se lit
pas chez ces auteurs, mais il y a l'expression toute synonyme :
éloigné d'à peine deux ou trois milles de Marseille (3). Donc
c'est là encore que M8r de Belsunce a puisé. Donc il accepte
plutôt notre opinion qu'il ne la rejette.
Qu'il en soit encore ainsi, l'ouvrage même de M|r de Bel-
sunce, cité tantôt, Y Antiquité de V Eglise de Marseille, le
démontre. A vrai dire, on s'attendrait à trouver dans cet écrit
postérieur aux leçons de l'office de sainte Eusébie, car les deux
premiers volumes parurent en 1747 (4), une affirmation caté-
'-*.*
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(1) V Antiquité de l'Eglise de Marseille par Mgr de Belsuuce, t. I,
p. 290.
(2) Chifflet : c Crucem sancti Andrœae collocataih censemus in agri
Massiliensis monasterio de Uveaune ». — Arthur de Monestier: « In
agri Massiliensis prœfato sanctimonialium monasterio de Uveaune ».
De Saussay : « In agro Massiliensi deposita apud Veaunenses virgines ».
Père Lecointe : « Siti in agro suburbano Massilise ».
(3) « Ad mare olim a B. Cassiano excitato duobus vel tribus tantum a
Massilia miliaribus dissito. » Arthur de Monestier, Chifflet.
(4) Dom Bérengier, Vie de Monseigneur ore Belsunce, t. II, p. 182;
18
— 270 —
gorique sur la question qui nous occupe. Or, voici cependant
en quels termes le prélat consigne dans cet ouvrage son opi-
nion sur ce point : a Cassien, dit-il, établit dans une forêt
qui aboutissait au port de Marseille deux monastères. Le pre-
mier fut la fameuse abbaye de Saint- Victor. Le second monas-
tère, qui fut habité par des religieuses, n'était pas éloigné du
premier. » — a Le monastère de filles établi par saint Cas-
Bien, auprès de celui de Saint-Victor. . . » — a Le monastère
de sainte Eusébie, qui portait alors le nom de Sanctus Cyri-
ctus ou Ceris, était hors de la ville et assez peu éloigné du
port. » — a Le monastère des religieuses fondé par saint Cas-
sien, près de Marseille (1). » On le voit, c'est assez sobre d'in-
dications topographiques.
Or, pourquoi révoque-écrivain, composant un ouvrage pu-
rement historique, et partant tenu à moins de réserve que
lorsqu'il rédigeait les leçons de l'office, n'a-t-il pas fait
connaître davantage sa pensée ? A notre avis, c'a été de la
part de M" de Belsunce un acte d'admirable délicatesse et de
prudence consommée. Il ne voulait pas d'abord, après s'être
tenu dans un juste milieu dans la rédaction des leçons du
Propre, avoir Pair de reprendre ses franches coudées dans un
ouvrage de science purement humaine. Un tel procédé aurait
certainement attiré sur son opinion des attaques qui forcé-
ment auraient atteint les leçons de l'office. On lui aurait repro-
ché de ne donner aux fidèles qu'une vérité diminuée, des
assertions timides, et de réserver à un écrit profane toute son
érudition. Il y avait une autre raison, nous semble-t-il. On
sait que Ruffi est catégoriquement opposé à l'existence d'un
monastère cassianite à PHuveaune. Il n'en veut à aucun prix.
Or, émettre une opinion diamétralement opposée et la prou-
ver, c'était attaquer à fond M. de Ruffi. Or, M«r de Belsunce
entretenait avec cet auteur des relations épistolaires assez
agréables. De plus, il s'était aidé, dans son travail, d'un ma-
nuscrit de M. de Ruffi lui-même sur les évoques de Mar-
seille (2). Enfin, comme à une époque il avait appris que
(1) L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, 1. 1, pp. 101, 258, 290, 410.
(2) Dans le mandement par lequel Mgr de Belsunce annonçait à son
peuple la prochaine publication de son ouvrage, il écrivait : « Un ma-
- 271 —
M. de Ruffi allait écrire une critique de la Chronologie de
des Evêque8 de Marseille donnée par le Père de Saint Alban
en 1713, dans son Calendrier spirituel; le digne évêque
essaya de l'en dissuader, et le pria de n'être point trop sévère.
M. de Ruffi s'empressa de rassurer son évêque (1). Eùt-t-il
été délicat de la part de Mgr de Belsunce de venir, quelques
années plus tard, alors que M. de Ruffi n'était plus, attaquer
à fond les assertions de cet historien ? Il se contenta donc
encore d'une sage réserve et d'un juste milieu. Mais la preuve
en notre faveur, c'est qu'il ne se range pas à l'avis de Ruffi
d'une manière catégorique , puisque les locutions « près de
Marseille ; hors de la ville ; assez peu éloigné du port ; n'était
pas éloigné du premier (de celui de Saint-Victor) n sont d'une
signification très large, pouvant être acceptées aussi bien par
les tenants d'une opinion que par les tenants de l'autre.
Ainsi Mgr de Belsunce n'est pas contre nous dans Y Anti-
quité de V Eglise de Marseille. Il l'est bien moins encore
dans les leçons qu'il a rédigées pour l'office de sainte Eusébie.
Donc, nous ne nous heurtons pas de front à la tradition de
l'Eglise de Marseille. Que dis-je? elle nous est plutôt favo-
rable. Et c'est déjà quelque chose ! !
•
nuscrît de feu M. de Rufti le fils, que M. d'Artigues, son gendre, a bien
voulu nous communiquer, nous a été aussi d'un grand secours. » Man-
dement du 15 août 1741. (Vie de Monseigneur de Belsunce, par Dom
Bérengier, t. II, p. 181.)
(1) Dom Bérengier, Vie de Monseigneur de Belsunce, t. I, p. 139 et
suiv.
CHAPITRE III
La Oroix de saint André cachée à l'Abbaye
cassianite de l'Huveaune
TEXTES DE CHIPPLET, DE DU SAUSSAY, D'ARTHUR DE MONESTIER. — LÀ,
CROIX DE SAINT ANDRÉ TROUVEE A MARSEILLE, A NOTRE ÉPOQUE; ELLE
Y ÉTAIT DEJA EN 1494. — ELLE Y ÉTAIT AU XIII* SIÈCLE. BAS-RELIEF
DE HUGUES DE GLASINJS.— ELLE N*EST PAS ARRIVÉE A MARSEILLE
SEULEMENT A L'ÉPOQUE DES CROISADES, LORS DE LA PRISE DE
CONSTANT1NOPLE, EN 1198.— CETTE CROIX N'ÉTAIT A CONSTANTI-
NOPLE, NI AU VIe, NI AU IV° SIÈCLE. — NI MÊME A PATRAS AU IVe
SIÈCLE. — SAINT RÉGULFUS.
Nous trouvons dans Chifflet, du Saussay et Arthur de Mo-
nestier une preuve nouvelle de l'existence sur les bords de
l'Huveaune du monastère cassianite de vierges dans lequel
vécut et mourut sainte Eusébie (1).
Voici ce qu'on lit dans Jean-Jacques Chifflet (2) :
a Les Burgundes devenus chrétiens placèrent surleursensei-
gnes militaires une croix au lieu d'un dragon. Un grand nom-
Ci) On trouvera peut-être que c'est beaucoup de trois chapitres pour
traiter la question de la croix de saint André à Marseille, par rapport au
sujet qui nous occupe, l'endroit où sainte Eusébie a été martyrisée. C'est
vrai. Nous avons cru cependant bien faire en donnant quelque dévelop-
pement à ce point de notre, histoire religieuse locale. Il nous a semblé
que notre travail y gagnerait en utilité pratique. Ajoutons encore cepen-»
dant que cette étude est forcément incomplète. Il est bien d'autres argu-
ments, en effet, que l'on pourrait produire si l'on voulait établir d'une
manière plus précise que l'Eglise de Marseille possède vraiment la croix
de saint André.
(2) Vesuntio vivitas imperiali8t libéra Sequanoi'um metropolis, par
J.-J. Chifflet, p. 199, etc.:
t Christian» fidei lumine illustrât! Burgundiones ex draconnariis facti
sunt cru ci fer i. Ëxstantenim permulti apud nostrates rerum Burgundiaca-
rum commentarii galliéè conscripli, in quibus Stephanus quidem Bur-
gundiae rex dicitur, crucem saucti Andrseœ pro vexillo militari sibi ar
— 273 —
bve d'auteurs qui ont écrit de notre temps sur les faits et ges-
tes des Burgundes rapportent qu'un certain Etienne, roi de
Burgundie, avait le premier fait représenter une croix de saint
André sur ses drapeaux. Cette croix il l'avait apportée d'Achaïe
et déposée à Marseille. Cet Etienne, aucun roi de Bourgogne
ne s'appelant de ce nom, n'est pas autre, à notre avis, que
Gundioc, roi des Bourguignons, qui, devenu catholique, prit ce
suisprimus accepisse,eamque ex Achalà déporta ta m, Massiliao collpcasse.
Stephanum hune (quia nullus hujus nominis exstatin probatis Burgundiœ
chronicis) non alium esse suspicor a Gundioco Burgundiarum rege, qui
quondam cecidisse in pugnâdicitur,cum jam catholicus adversus Attilam
pro romano imperatore dimicaret, opinor eum Stephanum in baptismo
vocatum, qui tamen ab illius sévi scriptoribus Gundiocus semper dictas
fuit
c Eara vero crucem, Paradinus (De Aniiq. Statu Buvfjond.,ad
ann. éW) dicit a Stephano rege in Sancti Victoria massiliensem basili-
cam (in qu& nunc habetur) illatam ; nos ex certioribus monumentîs collo-
catam censemus in agri Massiliensis cœnobio sanctirnonialium de Uveau-
ne ad littus maris, altero circiter a Massilia milliario, quâ vero parte ad
Sanctum Victorem devenerit, habesic ex Massiliensium commentariis.
€ Cum Sarraceni Catalauniae incolœ Provinciam devastarent, moniales
dicti monasteriide Uveaune, B. Andraese cruci, quam religiose servabant
a flammis aliàve injuria cautum esse voluerunt. Igitur excavata humo,
crucem sepeliunt, rata) ni mi ru m ita barbarorum oculos, manusque eva-
suram. Barbaris deinde in monasterio irrumpentibus, veritae ne pudori suu
vim inferrent, nares sibi, aures et labia hic crudolitate praeciderunt, ut
déformes apparerent et sane omnes interfectœ sunt.Quarum corpora ali-
quo post tempore disquisita, in monasterium Sancti Victoris translata
sunt, et in sacello ecclesi» reposita sunt eu jus ingressu pontifleià aucto-
ritate sub pœnâ excommunicationis mulieribus interdictum est.
c Sollicité deinde disquisita est a monach's Sancti Victoris crux
Andreana, cumque nusquam occurreret crédita est aut sublata a Sarra-
cenis, aut concremata. Hugoni postmodum cuidam, ex eodem monaste-
rio, inter missarum solemnia Angélus tertio apparuit, crucemque in terra
abditam in monasterio de Uveaune revelavit. Quod cum super iori mani-
festasse t, ad eum locum a monachis piè processum est, quà crucem ini-
bi effossam in Sancti Victoris (ubi nunc cernitur) monasterium irapor-
tarunt.
« Bono huic Hugoni, qui sanctus vulgo habebatur, positus estpraeter
morem tumulus e marmore candido vermiculato, in quo expressus est,
quasi sacris operans ad altare, e quo B Andrœae crux sese il!i offerat.at-
que hoc epitaphiuoi adscriptum. (Suit Vépitaphe que Ruffl, donne dans
V Histoire de Marseille, t. //, p. /2£.J Hinc vides non multo ante annum
1250 illatam in Sancti Victoris monasterium B. Andraeae crucem. »
- 274 -
nom d'Etienne. Il combattit dans les armées romaines contre
Attila et mourut dans une bataille livrée à ce barbare (t).
a Au sujet de la croix de saint André, Paradin écrit qu'elle
fut portée en 401 à Saint -Victor par ce roi Etienne, et c'est là,
dans cette église, qu'elle se trouve. Mais, sur la foi de docu-
ments plus certains et plus autorisés, nous croyons qu'elle fui
placée dans un monastère de vierges situé sur les bords de
VHuveaune, près de la mery à peu près à deux ou trois milles
de Marseille. Comment de ce monastère de THuveaune vint-
elle à Saint-Victor? Le voici :
« Lorsque les Sarrasins qui habitaient l'Espagne eurent en-
vahi la Provence, ils attaquèrent le monastère de l'Huveaune
et massacrèrent les religieuses qui l'habitaient. Les dignes
filles deCassien, voulant mettre à l'abri la précieuse relique
qu'on leur avait confiée, creusèrent la terre, y enfouirent la
la croix, pensant ainsi la dérober à la vue et à la rapacité des
barbares. Plus tard, le calme étant revenu, les religieux de
Saint-Victor cherchèrent longtemps cette croix de saint André,
et, ne la retrouvant pas, ils crurent qu'elle avait été ou enlevée
ou brûlée par les Sarrasins. Or, un certain Hugues, religieux
du môme monastère célébrait un jour la messe, lorsque un
ange lui apparut et lui indiqua l'endroit du monastère de THu-
veaune où la croix de l'Apôtre était cachée.
« Tout heureux de cette communication, Hugues la fit con-
naître à l'abbé du monastère. On chercha la relique à l'endroit
indiqué, on la retrouva et on la rapporta à Saint- Victor. C'est
là qu'on la vénère maintenant.
« Le religieux du nom d'Hugues, qui est appelé saint, fut
déposé après sa mort, et cela contrairement à l'usage qui n'ac-
corde pas de tels honneurs à un simple moine, dans unmagni-
que tombeau de marbre blanc, couvert de sculptures. Et sur
la pierre fut gravée cette inscription :
« Hugues, sacristain, dont cette petite pierre recouvre la
a dépouille mortelle, se réjouit au ciel en compagnie des
« saints et de l'archange Michel. Il fut en cette abbaye l'hon-
(1) L'histoire mentionne une bataille livrée par les Bourguignons à Atti-
la. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 165.
— 275 —
a rieur, la gloire de tous les religieux. Il avait un culte pour
« les saints de nos cryptes. Aussi c'est à bon droit qu'il repose
« dans ce temple, qu'il a restauré de fond en comble. On le
« déposa dans ce tombeau le 8 novembre, Joignez à mille,
* deux fois cent et cinquante et vous aurez l'année qu'il est
a monté au ciel.»
« De plus le bienheureux Hugues est représenté sur cette
pierre tombale disant la messe; au-dessus de l'autel sur
lequel il célèbre, la croix de saint André lui apparaît. Il mourut
vers 1250. On voit que ce n'est guère avant cette année que la
croix de saint André fut portée à Saint-Victor. »
Arthur de Monestier a écrit, dans son Sacrum Gynœceum,
à la date du 30 décembre : « Le monastère actuel de Saint-
Victor est très célèbre à. cause de la translation que l'on fit de
la croix de saint André, Apôtre. Ce fut un roi de Bourgogne qui
l'y fit apporter. Mais des documents plus certains et d'une plus
grande autorité nous disent, et c'est là notre opinion, que
cette croix fut placée dans le monastère des vierges situé sur
les bords de l'Huveaune, près du rivage de la mer, à deux ou
trois milles de Marseille. » Et cet auteur emprunte à Chifflet
la page de son ouvrage où il raconte que les vierges de l'Hu-
veaune cachent dans la terre la pieuse relique. (1).
André du Saussay a traité le même sujet dans son Marty-
rologium gallicanum,b. la fête de saint André, «pridiè kalen-
das decembris », 30 novembre, a La croix de saint André, dit-il,
apportée d'Achaïe par Etienne, roi de Burgundie, fut déposée
en France dans le monastère des religieuses de l'Huveaune,
situé dans le terroir de Marseille, et transférée à Saint- Victor
un peu avant l'année 1250 (2).»
(1) « Célèbre ac notissimum exstabit praesens monasterium ob trans-
lationem crucis sancti Andraeae Apostoli in ipsum factam opéra régis
Burgondino ; ex certioribus siquidem monumentis collocatam censemus
in agri Massiliensis prsefato sanctimonialium de Uveaune monasterio ad
littus maris imo vel altero circiter a Massilià milliario. Cum autem Sar-
raceni Catalauoiœ incolœ . . . . (Ut supra apud Chiflletium.) » — Arthur
de Monestier, Sacrum Gynœcceum, 30 déc. Apud Uveaunense monas-
terium passio sanctœ Eusebiœ, notes.
(2) « Pridie kalendas decembris, Natalis sancti Andraeae.. . Crux sancti
— 276 —
k\xsuwlémmtAuMartyvologiu?ngallicanum,\e <* sexto idus
novembris», il ajoute (1): « Au monastère de Saint- Victor, à
Marseille, la fête de saint Hugues, confesseur à qui il fut révélé
pendant qu'il célébrait le saint sacrifice, à quel endroit se
trouvait la croix de saint André, qui avait été égarée et perdue.
Cette croix, rapportée d'Achaïe en France par Etienne, roi des
Bourguignons, fut placée dans le monastère des religieuses
situé sur le3 bords de l'Huveaune, dans le terroir de Marseille.
Mais, pour éviter qu'un si riche trésor devint la proie de quel-
que ravisseur, il fut porté à Saint-Victor et mis en lieu sur.
C'est là qu'elle est encore honorée.»
En résumé donc, d'après ces auteurs, la croix de saint André
aurait été, à une certaine époque, cachée dans un monastère
de religieuses situé sur les bords de l'Huveaune. Or, ce fait
est-il vrai ? Nous ne nous occupons pas pour le moment de la
valeur intrinsèque du témoignage que nous apportent ces au-
teurs. Nous l'avons jugée tantôt, en constatant qu'ils s'étaient
rencontrés de la même opinion avec le docte Mabillon, sur
ce point de notre travail : qu'il y avait un monastère de filles,
fondé par Gassien sur les bords de l'Huveaune. Nous ne vou-
lons qu'étudier au point de vue historique le fait relatif à la
croix de saint André. A-t-elle été cachée, ou non, dans un mo-
nastère aux bords de l'Huveaune ?
Si oui, nous avons une preuve de plus qu'il y a eu un
cœnobium cassianite sur les bords de l'Huveaune.
Que Ton ait la patience de nous suivre dans nos déductions,
et l'on verra la lumière se faire quelque peu sur ce point.
Andraeae a Stephano rege Burgondiœ ex Âchaià in Gallia deportata, apud
Veauuenses virgines (nam virgo et Andrœas luit et perstitit) in agro
Massiliensi deposita, indepaulo ante annum salu is 1250 ad Sancti Vic-
toria famosum cœnobium translata est.» Martyrologium Gallicanum,
par André de Saussay.
(1) « Massiliœ ad Sanctum Victorem, sancti Hugonis coniessoris,
cui divinam rem facienti revelatum est ubinam esset crux sancti Andraese
apostoli, quœ amissa fuerat. Hanc ex Achaià in Galliam delatam Stepha-
nus Burgondiœ rex apud Veaunenses virgines, in agro Massiliensi de-
posuerat, ac ne tam nobile pignus raptui pateret, Massiliam ad securio-
rem situm deportata, in Sancti Victoris templo monastico perpetuo cul-
tu conservenda deposita fuerat.» Du Saussay, Supplementum ad Marty-
rologium Gallicanum, sexto idus novembris.
— 277 —
D'abord, il est certain disons-nous avec l'abbé Magnan, qui a
écrit sur ce sujet, que la croix de saint André se trouve à Mar-
seille. La tradition qui nous la fait honorer dans les souterrains
de Saint-Victor repose sur des bases qu'il est difficile de con-
tester (1). Tillemont avoue que Ton prétend « que la croix qui
a servi d'instrument de supplice à saint André se conserve
encore à Saint-Victor de Marseille (2).» Un savant Dominicain,
Yepes, dit a que l'on montre cette croix de saint Andréa Saint-
Victor, et personne ne révoque en doute que ce monastère de
Marseille ne possède ce précieux dépAt et qu'Etienne, roi de
Bourgogne, lui en fit présent (3).» Jean Féraud, l'auteur de la
Disquisiiio reliquiaria, dit qu'il a « vu de ses propres yeux
cette croix de saint André à Saint- Victor (4).» Le Martyrologe
bénédictin (5) affirme « qu'une partie de cette croix se trouve
en l'église de Saint-Maurice, à Cologne ; quant au reste de la
croix, elle est à Marseille.» À ces autorités joignez que nul
auteur n'indique où peut se trouver cette précieuse relique, et
jamais ni ville ni contrée n'ont réclamé l'honneur de la pos-
séder (6) . Ce que nous honorons est donc sûrement la croix de
saint André.
Depuis quelle époque cette relique se trouve- t-elle à Mar-
seille ?
Sûrement elle y était en 1494, puisque un religieux prieur
de Saint- Victor, Lazare Barbani, en enleva une partie et ne fit
connaître son larcin qu'au moment de sa mort. On a le procès-
verbal de cette déclaration, Ruffi le cite en entier (7).
(1) Notice sur la croix de saint André, par l'Abbé Magnan, passim.
(2) Tillemont, Mémoires pour servir à V histoire ecclésiastique de
France , t. I, p. 337.
(3) Cité par M. l'abbé Magnan dans la Notice sur la croix de saint An-
drê, p. 5.
(4) t Tum nos ipsis oculis ad Sancti Victoris Massiliœ templum
in illo enim cœnobio sancti Andrœae crux ad angulos rectos compacta
ferreisque obtuta laminis » Disquisitio reliquiaria, par Jean Féraud,
p. 167.
(5) c Pars de cruce ejus in sancti Mauritii, Colonise; reliqua crux tota
in Sancti Victoris Massiliœ.» Festum sancti Andrœœ.
(6) Magnan, op. cit., p. 4.
(7) Magnan, op. cit., p. 7. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 121 .
- 278 ^
Avant 1494, cette relique se trouvait-elle à Marseille?
Oui, elle se trouvait à Marseille vers le milieu du XIIP siècle.
Nous avons entendu du Saussay et Chifflet nous dire que le
bienheureux Hugues de Glasinis, sacristain de Saint- Victor,
avait connu par révélation, pendant qu'il disait la messe, Ten-
droit où cette relique avait été enfouie (1). Cette tradition de
Marseille que ces auteurs nous ont transmise est appuyée sur
un monument lapidaire, la pierre tombale qui a recouvert la
dépouille mortelle de ce saint religieux. Il est représenté, nous
lavons dit, célébrant la messe, revêtu des ornements sacerdo-
taux, devant un autel antique, une large dalle reposant sur un
fût de colonne, et au-dessus de l'autel une croix à branches
égales de petite dimension. Mais, tout à côté de cette figure,
il y a une grande croix de Malte supportée par un pied, accom-
pagnée de deux chandeliers, et surmontée d'une étoile à six
rayons et d'un croissant (2). Ruffl ne fait pas de difficulté
d'admettre, à la suite des auteurs cités plus haut, que les fi-
gures de ce bas-relief autorisent la tradition (3). Et M. labbô
Magnan assure « que ce bas-relief serait une énigme inexpli-
cable sans l'histoire racontée par Chifflet (4). »
Nous le croyons aussi. Ce bas-relief, en effet, n'est pas autre
chose qu'une explication en image de l'inscription gravée en
l'honneur de ce religieux, « II était, dit celle-ci, le sacristain
de l'abbaye et il avait par ses soins et sa diligence rebâti ou res-
tauré de fond en comble le temple des saints, l'abbaye :
(1) a Hugonis cui divinam rem facienti revelatum est ubinam
esset crux sancti Andraeœ. » Du Saussay, Suppl. ad Martyr. GaU.—* Hu-
goni cuidam iuter missarum solemnia Angélus tertio apparuit. » Chif-
flet, Vesuntio.
(2) Kothen, Notice sur la crypte de l'abbaye Saint-Victor , planche II,
p. 58. — Ruffi, t. II, p. 128.
(3) La croix de saint André demeure ainsi cachée jusqu'à ce qu'un
ange révèle l'endroit où elle était, à Hugues, sacristain du monastère de
Saint-Victor, qui disait la messe, ce qui semble être autorisé par la
représentation de quelques figures qui sont sur le tombeau du saint. .
Rufll, Histoire de Marseille, t. II, p. 120. — C'est aussi l'opinion de
Guesnay : « ... Quod miraculum eu m epitaphio inscriptum est.» Sanc~
tus Joannes Cassianus illustratus^ p. 475.
(4) L'abbé Magnan, op. cit., p. 7.
— 279 —
<* Hugo sacrista. . . sepelitur sanctoram eorum templo quod
primo quasi totum fecit ab imo. » Aussi on représente sur la
pierre du sépulcre l'abbaye que Hugues a restaurée. Il était la
gloire, l'honneur des religieux, « flos etdecus monachorum ».
Il avait en grande vénération les saints qui reposaient dans les
cryptes, « cultor sanctorum ». fit on le représente célébrant
la messe sur un autel antique des cryptes, peut être celui de
Notre-Dame de Confession .
Que signifie maintenant cette grande croix gravée dans le
compartiment du milieu de la pierre tombale ? Admettez le
récit de Gbifflet et des autres auteurs, et vous aurez une expli-
cation toute naturelle de cette partie du bas-relif . Que ce soit
par révélation, que ce soit à la suite de longues recherches,
que le saint religieux ait pu découvrir la croix de saint André,
peu importe. On ne peut le nier, ce monument lapidaire est
une preuve certaine de la croyance que Ton avait à cette épo-
que, à Marseille, de l'existence de la croix de saint André dans
les cryptes de l'abbaye de Saint- Victor.
Pour nous, nous croyons sans peine à cette révélation ou à
ces recherches suivies d'un si heureux résultat. Toutes les
précieuses reliques de notre Provence, enfouies et cachées à
l'époque des invasions des Sarrasins, ont été découvertes à peu
près de la même manière : le corps de sainte Anne, à Apt, à la
suite, dit la tradition, de la guéiïson d'un aveugle sourd et
muet qui indiqua l'endroit où la relique se trouvait (1); le
corps de sainte Marthe, à Tarascon ; celui de sainte Marie-
Nagdeleine, à SaintMaximin ; ceux des saintes Maries, à
l'église de Notre-Dame de la Mer, à la suite de grandes fouilles
exécutées pour rechercher ces trésors insignes de notre foi.
Pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour la croix de
saint André? C'est en 1187 que le corps de sainte Marthe est
découvert à Tarascon ; en 1279 que le fut celui de sainte
Marie- Magdeleine à Saint-Maximin (2). Pourquoi n'aurait-on
(\) Histoire de VEglise d'Apt, par l'abbé Boze, p. 69 et suiv.
(2) Légendes et traditions provençales par de Virieu: Saintes Maries,
p. 98; leurs reliques furent découvertes, en 1448, sous le roi René, qui
ordonna les fouilles ; — Sainte Marthe* p. 117; ses reliques furent
découvertes en 1187 ; — Sainte Marie-Madeleine, p. 144; ses reliques
— 280 —
pas fait à la même époque des recherches, à Marseille, pour
retrouver cette croix de saint André qu'une ancienne tradition
disait y être cachée ?
Depuis combien d'années cette relique se trouvait à Mar-
seille, lorsque Hugues de Glasinis la retrouva?
Guesnay raconte, dans son ouvrage intitulé Magdalena
Massiliensis advena, a qu'un certain roi de Bourgogne, du
nom d'Etienne, parti pour la croisade avec plusieurs princes
chrétiens, avait pris à Patras, ville d'Achaïe, la croix de saint
André, relique insigne qu'il appréciait grandement et qu'il fit
placer dans le monastère de Saint-Victor, à Marseille (1). »
Le môme écrivain, dans l'ouvrage intitulé Sanctus Joannes
Cassianus illustratus, a écrit : « La croix de saint André a été
apporté d'Achaïe, h Marseille, par un roi de Bourgogne
appelé Etienne. C'est ce que nos aïeux nous ont appris (2) ».
Ce serait donc à l'époque des croisades, que la croix de saint
André aurait été apportée en notre ville (3).
Darras, de son côté, écrit dans Y Histoire de V Eglise, au
sujet de la prise de Constantinople par les croisés en 1198,
a La croix où l'apôtre saint André avait consommé son
martyre fut recueillie et pieusement conservée par ses disci-
ples. Les croisés latins la retrouvèrent en Achaïe, d'où elle
fut transportée à la fameuse abbaye de Saint-Victor k Mar-
seille (4). »
furent retrouvées à Saint-Maximin en 1279. — Les Saints de l'Eglise de
Marseille, p. 49, 128. — Faillon, Monuments inédits sur l'apostolat de
Marie-Madeleine, 1. 1, pp. 1217, 1321, 869.
(1) « Constat equidem Burgundise regem nomine Stephanura, dum in
Orientem unà cum principibus christianis, tesserarià crucc decoratus
contendit D. Andraeae crucem, quam si n gui ari honore prosequebatur,
ex Patraco, urbe Achaiae ereptam, istud in monasteriuro, non modo
jam fundatum, sed etiam toto orbe terra ru m celeberrimum atque notissi-
mum, et ab ipso maxime religioni habitum transtulisse. » Magdalena
Massiliensis advena, par Guesnay, p. 107.
(2) « (Grux Sancti Andraeae) ex A chai à ad nos Rtephani Burgundionum
régis beneficio allata est, ut majorum traditionibus accepimus. » Cas-
sianus illusiratuSy p. 475.
(3) On lit dans VAlmanach des Saints de Provence pour l'année 1890,
au 30 novembre : « Lacroix de saint André était vénérée à Saint- Victor
de Marseille depuis le XIII ' siècle. »
(4) Histoire générale de l'Eglise, par l'abbé Darras, t. VI, p. 464.
— 281 —
L'assertion de Guesnay est aussi inexacte que celle de Darras.
En effet, quel est ce roi de Bourgogne, du nom d'Etienne, qui,
d'après Guesnay, prit à Patras la croix de saint André, à
Fépoqiie des croisades, et la donna à Saint-Victor ? De quelle
croisade veut-il parler? Quel est ce duc de Bourgogne mon-
trant une telle générosité à l'endroit du monastère de Saint-
Victor? Si un roi de Bourgogne avait eu pour sa part de butin
une telle relique, il l'aurait gardée pour ses Etats et ne
l'aurait pas laissée à Saint- Victor. Nous verrons tantôt que le
cardinal Pierre de Capoue lit présent du corps de saint André
à sa ville natale d'Amalfî. Or, quelle relation y avait-il entre
un roi de Bourgogne et l'abbaye de Saint- Victor de Marseille,
à cette époque ?
- Vers 1240, il est vrai, un duc de Bourgogne (1) vint s'em-
barquer à Marseille pour la Terre-Sainte, en compagnie
d'autres princes chrétiens. L'abbaye de Saint-Victor lui
prêta-t-elle quelques subsides, en reconnaissance desquels
ce duc de Bourgogne lui donna plus tard la croix de l'Apôtre ?
Mais rappelons-nous que Hugues de Glasinis a découvert
cette relique, à Marseille, à peu près vers cette époque* Si c'est
un roi de Bourgogne qui, vers 1240 a donné la croix de saint
André, on n'a pu la perdre en aussi peu de temps. Le fait donc
de sa découverte par Hugues de Glasinis serait faux. Et cepen-
dant il existe une tradition à ce sujet, appuyée sur le monu-
ment lapidaire dont on a parlé plus haut. La croix était donc
à Marseille avant 1240.
Ajoutons que ce môme auteur, Guesnay, dans le Sanctus
Joannes Cassianus illustratus, enlève toute valeur à sa
propre assertion. Parlant de Hugues de Glasinis il écrit : « Ce
religieux (2) vécut jadis dans ce monastère de Saint- Victor.
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 129. — Antiquité de V Eglise
de Marseille, par Mgr de Bel su n ce, t. II, p. 155.
(2) « Is (Hugo de Glasinis) in hoc monasterio œditui quondam obiit
mu nus, eoque inscio, crux Sancti Andraeœ non procul ab eodem virgi-
num monasterio ab aliis quibusdam religiosis de la ta est, ibique defossa,
ne a Vandalis aliisque barbaris Massiliam tum occupant! bus, alio
subduceretur. Nec ita multo post cum ejusdem monasterii religiosi
convenissent ut sacras reliquias suis locis ac sedibus restituèrent, jam
Or, un jour, à son insu, des religieux prirent la croix de saint
André, la portèrent au monastère des vierges de l'Huveaune
et l'y enfouirent, de peur qu'elle ne fût enlevée par les
Vandales et autres barbares qui ravageaient et occupaient
Marseille, à cette époque. Quelque temps après, les religieux
revenus au monastère, désirant remettre en sa place cette
relique, ne la trouvant plus, s'en prirent au bienheureux et
le menaçaient de châtiment pour une telle insouciance à
l'endroit du trésor dont il avait la garde. Mais celui-ci, divine-
ment inspiré d'avoir recours à Dieu, apprit par révélation du
ciel que la croix de l'Apôtre avait été enfouie non loin du
monastère des vierges de l'Huveaune. »
Ceci n'est qu'un joli petit roman bâti par Guesnay sur le
récit de Chifflet. Avouons d'abord que ces religieux s'y sont
pris bien maladroitement. Quand on fait une opération de ce
genre, on s'entoure de précautions capables de guider les
recherches futures. Puis ce n'est pas au bout d'un aussi court
laps de temps que l'on perd toute trace de ce que Ton a
caché.
Quel est ensuite ce monastère de filles, établi sur le bord de
l'Huveaune, auprès duquel, du vivant de Hugues de Glasinis,
on vint enfouir et cacher la croix de saint André ? Il n'y avait
pas de monastère de filles à cette époque, en cet endroit du
terroir. Dès l'an 1004, le monastère se trouvait à Saint-Sauveur,
au sein de la ville. Dès l'an 1204, les Prémontrés vinrent se
fixer à l'Huveaune, et en l'année 1405 les biens de ce monas-
tère des Prémontrés furent réunis au couvent de Sainte-Paule.
Qui sont, enfin, ces Vandales et ces barbares qui du vivant
de Hugues occupaient Marseille ? D'environ 1180 à 1250, Mar-
seille n'a pas eu d'invasion à subir. Elle a été occupée à se
défendre tantôt contre les comtes de Provence, tantôt contre
que viro illi secreto pœnam aliquam imponere decrevissent, quod eo
sacrarium procurante crux Ma sacra autdeperditaautaliotraductaesset,
divino afllatus spiritu vir sanctissimus impetrata divinam opem implo-
randi gralia, divinitus accepit crucem illam non procul a monasterio
B. Virginis de Veaune fuisse defossam. Quod miraculum cum sequenti
epitaphio marmoreo ejusdem sepulcro inscriptum est. > Cassianus
illustraluB, p. 475.
- 283 -
les évoques, qui voulaient y asseoir ou développer davantage
leur autorité. Mais, à aucun moment de ces luttes, en résumé
toutes pacifiques, il n'y a eu pillage et vol, au point de forcer
les religieux de Saint-Victor à cacher la croix de saint- André
qu'ils gardaient dans les cryptes.
A un seul moment cela aurait pu se' faire, c'est vers 1236
ou 1240. A cette époque, le comte de Provence, fatigué des
obstacles que Marseille mettait à reconnaître son autorité, vint
mettre le siège devant la ville. Mais le comte de Provence
pouvait en vouloir à la ville, sans en vouloir à l'abbaye de
Saint-Victor dont le terroir, on le sait, échappait à la juri-
diction de l'évêque et de la cité. De plus, rien dans les annales
de Marseille, ne rappelle une telle mesure, qui, le cas échéant,
se serait étendue à toutes les reliques de l'abbaye (1). Non,
Guesnay a fait erreur. Ce n'est pas vers 1240 que la croix de
Saint- André est arrivée à Marseille.
Ce que dit Darras n'a pas plus de valeur. En effet, lors de la
prise de Constantinople en 1198, par les croisés latins, les reli-
ques insignes que cette capitale de l'Orient possédait dans ses
églises furent enlevées, c'est vrai, par les vainqueurs. Mais la
croix de saint André ne faisait pas partie du butin. Les chro-
niqueurs qui racontent ce fait d'armes parlent de l'enlèvement
de la croix du Sauveur, des corps de divers saints qui échu-
rent en partage à tel ou tel seigneur, à tel ou tel évêque. Chez
aucun de ces historiens, cependant, il n'est fait mention delà
croix de l'Apôtre. Si on parle de saint André, c'est pour dire
que le corps de cet Apôtre fut donné au légat de la croisade,
le cardinal Pierre de Capoue, originaire d'Amalfi, qui le fit
porter dans sa ville natale et placer dans la cathédrale que l'on
dédia à saint André, à cette occasion (2).
*r
(t) Ruffi, Histoire de Marseille ', 1. 1, p. 125.
(2) « Petrus Capuanus cardinalis, ci vis Amalphitanus, confesslonem
propno aère sediflcavlt sub quâ corpus B. Andrœae Apostoli quod e Cons-
tantinopoli ubi apostolicae sedis legatum egerat et quod patriam
A mal phi m detulerat, reposuit, 1208. »
Ce corps de l'Apôtre se trouve dans la cathédrale ; il s'agit toujours de
« illa sac rata ossa, corpus B. Andraeœ ». Cette translation eut lieu le
8 mai 1208, durant l'épiscopat de Mathieu. — Ughelli, Jtalia sacra,
— 284 -
Or, peut-on croire que le cardinal de Capoue n'aurait pas
apporté avec lui la croix de l'Apôtre en môme temps que son
corps, si on l'avait trouvée à Gonstantinople? S'il l'avait appor-
tée à Amalfi en même temps que les autres reliques, est -il
croyable que les documents qui relatent la translation du
corps de l'Apôtre n'auraient fait aucune mention de sa croix ?
Si le cardinal avait cédé la croix à une autre église, ces docu-
ments encore se tairaient sur ce sujet? Et en supposant
qu'elle eût été le lot d'un autre évoque ou d'un autre seigneur,
et qu'elle ait été ainsi portée ailleurs, cette chronique qui
parle du corps de saint André n'aurait encore rien dit de sa
croix? Et si un roi de Bourgogne, à cette époque, l'eût cédée
à Saint Victor, comme on le disait tantôt, il ne resterait rien
d'écrit à ce sujet ? De plus on aurait perdu cette relique, dès
le lendemain de son arrivée à Marseille, au point qu'il aurait
fallu, quelques années plus tard, une révélation spéciale ou
des fouilles et des recherches compliquées, pour que Hugues
deGlasinis retrouvât ce trésor? Et si on avait dû l'enfouir, à
cette époque, on ne saurait pas à quelle occasion ce recel
aurait eu lieu ?
Non, Darras s'est trompé. La croix n'a pas été apportée de
Constantinople à Marseille, en 1198.
A cette date, d'ailleurs, cette croix n'était pas à Constantino*
pie. Et, non seulement elle n'était pas à Constantinople en
1198, un fait nous prouve qu'elle n'y était pas au VI* siècle.
Baronius raconte, dans ses A nnalee, à l'année 586, qu'au
départ de l'apocrisiaire Grégoire, plus tard le pape Grégoire le
Grand, de Gonstantinople, où il représentait le pape alors
régnant, Pelage (l\ l'empereur Tibère lui fit présent du chef
de saint André et de quelques ossements de saint Luc. N'est*
il pas croyable que l'on eût remis à Grégoire quelques par-
celles de la croix de l'Apôtre, si elle avait été en vénération
à Gonstantinople à cette époque? Est-ce que Grégoire lie
l'aurait pas sollicité et pour doter son monastère et pour en
histoire des évoques d'Amalfi, t. VII, col. 241, 272. — Darras» Histoire
de V Eglise, t. VI, p. 464.
(I) Saint Grégoire le Grand, par l'abbô Clauzier, p. 68. Baronius, ad
annum 686, n° XXV.
— 285 —
enrichir la ville de Home ? L'histoire cependant se tait sur ce
point, preuve que la croix n'était pas dans la ville de Constan-
tinople en 586.
Nous allons plus loin ; jamais, k aucune époque, cette ville
n'a possédé cette précieuse relique.
L'empereur Constantin le Grand avait fait édifier à Cons-
f antinople une magnifique basilique dédiée aux saints Apôtres
et destinée à lui servir de lieu de sépulture (i). Or, le fils de
Constantin, Constance, afin d'enrichir cet te église de précieuses
reliques, y déposa entre autres les corps de saint Timothée, de
l'évangéliste saint Luc et de l'Apôtre saint André. Ce fut
Tévéque de Patras qui fit connaître à l'empereur Constance,
que ces précieuses reliques de l'Apôtre reposaient dans une
église de cette ville. Un seigneur de la cour de Constance,
Artemius, plus tard un martyr, assista à l'exhumation du
corps de l'Apôtre, l'accompagna à Constantinople et, sous ses
yeux, il fit déposer 6e trésor auprès du sépulcre de Constantin
le Grand. Ceci se passait en Tannée 357, au témoignage de
Théodore le Lecteur et d'Idace le Chroniqueur (2). Or, si la
croix de saint André eût été à Patras, en 357, l'empereur
Constance l'aurait fait prendre pour en orner quelque église
de Constantinople, et l'histoire eût rapporté ce fait.
Nous en trouvons une autre preuve dans la vie de saint
Régulfus (3). Ce moine, d'une grande sainteté, s'était rendu
(l)Darras, Histoire de V Eglise, t. IX, p. 336; t. X, p. 118. — Acte
Sancii Arlemii, Bollandistes, 10 oct., pp. 861, 862. — Hergenroether,
Histoire de V Eglise, t. II, p. 545.
(2) « Goostantius, ûlius Constantini Magni,imperavit 24 annos, dies 5.
Hujus temporibus allât» sunt Constantinopolim reliquiœ sanctorum
apostolorum Timothsei ante diem octavam kalendas julias, Andraeœ
Apostoli et Lucse, ante diem quartam nonas murtias et depositœ sunt
in magna ecclesia sanctorum Apostolorum ab ipso dedicata. » Historia
ecclesiastica Theodori Lectoris, lib. II, col. 214.
« Gonstantio nonum et Juliano Csesare iterum consulibus, his consu-
Jibus introierunt Gonstantinopolim reliqui» sanctorum Apostolorum
Andrsese et Lucse, die V nonas martias. » Chronique d'Idace, annota-
tiones, col. 213.
c Anno 357, imp. Flavius Constantius AugustuslX, Flavius Claudius
Julianus Ccesar II. » Dictionnaire de Larousse, verbo: Fastes.
(3) Acta Sanctorum, Bolland., Vita sancti Hegulfi, 17 oct., t. VIII,
d'oct.,p. 163.
19
— 286 —
en pèlerinage à Patras, et, y ayant vénéré les reliques de
l'Apôtre saint André, il s'en constitua le gardien. Or, à un
moment, un ange lui apparut, lui ordonna de prendre une
partie des reliques du saint Apôtre et de les porter dans les
contrées lointaines de l'Occident Ce religieux obéit, il s'en
vint en Ecosse, portant avec lui ce précieux trésor. 11 était
accompagné d'un autre moine du nom d'Eusébius. Tous deux
déposèrent ces reliques dans la ville de Eileure, laquelle
prit plus tard le nom d'Andreanopolis.
Ce fait, la tradition ecclésiastique l'accepte, puisqu'on lit
dans l'office de saint Regulf us l'oraison suivante : a Seigneur,
qui par les mérites de votre très doux serviteur le bienheu-
reux Regulf us avez fait parvenir jusqu'à nous les reliques de
votre Apôtre saint André, etc. »
Ce fait se passait, disent les Actes de saint Regulf us, en 359.
Il est certain qu'il y a une erreur de date ; ce fait ne pouvant
être postérieur à la translation des reliques de saint André à
Constantinople par l'ordre de Constance, en 357. Il a dû se
passer quelques années auparavant, soit que Dieu ne voulût
pas que tous ces glorieux restes demeurassent entre les mains
de cet empereur arien, schismatique et persécuteur, soit qu'il
voulût que l'Occident joignit ses hommages et sa vénération
à ceux que l'Orient décernait à cet Apôtre. Mais, quelle que soit
la date de la mission et du voyage de saint Regulf us, il est
incontestable que la croix de l'Apôtre n'était déjà plus à
Patras, au IV0 siècle. Certainement Regulfus aurait pris
avec les reliques du corps de saint André une partie de sa
croix. C'eût été un moyen bien efficace de prédication, auprès
des peuples barbares, que de leur montrer, en racontant la
vie et la mort de saint André, l'instrument de son martyre. Et
s'il avait pris une partie de cette croix, les Actes de sa vie en
eussent fait mention.
Sûrement donc, au IV* siècle, la croix de saint André n'était
pas à Patras, et partant elle n'a pu être portée à Constantino-
ple, au IV' siècle ou plus tard.
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CHAPITRE IV
La Oroix de saint André
(Suite)
OU ÉTAIT-ELLE 1 — RÉCIT DE CHIPPLET. — CINQ AS8ERTION8. — SONT-
ELLES VRAISEMBLABLES? — LA PREMIÈRE. — MIGRATION DES PEUPLES
BARBARES. LES BURGUNDE8. — AU DÉBUT DU V* SIÈCLE, ILS SONT
CATHOLIQUES. — COMMENT LA FOI CHRÉTIENNE S'INTRODUISAIT CHEZ
LES PEUPLES BARBARES.— LA CROIX DE SAINT ANDRÉ A PU ARRIVER
JUSQU'A EUX. — LA DEUXIÈME. — LES BURGUNDB8 NE SONT VENUS A
MARSEILLE QUE DE 480 A 517.— LA TROISIÈME.— ILS ONT PU PLACER
LA CROIX A SAINT-VICTOR. — LES MOINES PLUTÔT LA LEUR ONT
RACHETÉE, PARCE QUE VERS 490 LES BURGUNDBS ÉTAIENT ARIENS. —
LA QUATRIÈME ET LA CINQUIÈME. — ON A PU CACHER CETTE RELIQUE
A 8AINT-VICTOR, OU A L'HUVEAUNE.
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Où se trouvait cette croix de saint André, si au IV* siècle
elle n'était pas à Patras ? Nul historien ne donne une réponse
à cette question. Seul Chifflet, appuyé sur Paradin et le com-
plétant, fait le récit que nous connaissons. La croix de saint
André était à Marseille dès le début du V* siècle. Est-ce pos-
sible ? Parfaitement.
Prenons le récit de Chifflet, étudions-le dans le détail, et
nous pourrons nous convaincre que toutes les assertions de cet
auteur, sauf de légères invraisemblances qui n'entament point
la véracité du fait lui-môme, que toutes les assertions, dis-je,
de cet auteur concordent avec les traditions, les événements
de Marseille dans ces temps reculés et sont la plus plausible
explication de faits et de traditions entourés d'obscurités.
Il y a cinq assertions dans le récit de Chifflet : 1# c'est un
roi burgunde, du nom d'Etienne, qui a porté la croix de saint
André à Marseille ; 2* c'est en 401 que cette précieuse relique
arriva dans notre ville ; 3* on la plaça à Saint- Victor ;
4# on l'enfouit auprès du monastère des vierges de l'Hu-
h\
1
L<&
— 288 —
veaune (1); 5' cette croix ayant été perdue, Hugues de
Giasinis apprit par révélation l'endroit précis où cette relique
était cachée et la rapporta à Saint* Victor.
C'est d'abord un roi burgunde, du nom d'Etienne, qui a
porté cette croix de saint André à Marseille. Or, rien ne s'op-
pose à ce qu'un roi burgunde ait agi ainsi.
A la suite de migrations successives qu'avaient opérées dans
le nord de l'Europe différentes peuplades de la Germanie, les
Golhs, qui descendaient de la Scandinavie, s'établirent sur les
deux rives du Dniester ; les Longobards, sur les bords de
l'Oder; les Marcomans, en Bohème; les Vandales, en Mora-
vie (2). Une tribu, d'origine vandale, quittant ses foyers, vint
fixer son séjour dans les vallées de la Saale et du Mein, c'était
la tribu des Burgundes, appelés plus tard Bourguignons.
Ceux-ci, avides de guerre et d'aventures, en 257 sous Gallien,
en 277 sous Probus, en 287 sous Dioclétien et Maximin, atta-
quèrent et pillèrent les provinces voisines relevant de l'empire
romain (3). Vers 370 cependant, sous l'empereur Valentinien,
ils se firent ses auxiliaires (4). Mais bientôt, chassés de leurs
cantonnements par les Huns qui montaient le long du Da-
nube, les Burgundes franchissent le Rhin dans la nuit du 31
décembre 406 au 1" janvier 407, en compagnie des Suèves, des
Alains, des Vandales, etc., etc. (5). Pendant que ces diverses
tribus ravagent la Gaule et se dirigent vers l'Espagne, les
Burgundes, d'un caractère plus paisible, moins féroces, pro-
fitant des dissensions qui régnent entre les généraux romains
(1) Nous suivrons pour le moment le dire de Paradin, car Ghifflet croit
pour sa part qu'elle a été placée au cœnobium de l'Huveaune. Nous le
verrons tantôt.
(2) Histoire des Romains, par Du ru y, t. VI p. 353 — Précis d'his-
toire de France, par Todiére, t. I, p. 51. — Darras, Histoire de l Eglise \
t. XIII, p. 445 — Histoire des Vandales, par Marcus, p. 24.
(3) Histoire des Vandales, par Marcus, p. 1. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 41. — Duruy, op. cit., t. VI, p. 353. — André Du-
chesne. Histoire des rois et ducs de Bourgogne, p. 4. — Alphonse
d'Elbene, De regno Burgundiœ, p. 29.
(4) Marcus, op. cit., p. 33. — Ducuy, op. [cit., t. VI, pp. 411, 511»
534.
(5) Duruy, op. cit. t. VI, p. 411.
— 289 -
'ùi
chargés de les battre et de les refouler, s'établissent dans la
Séquanaise entre la Saône et le Rhône (1), province que leur
cède l'usurpateur Jovin et dont, en 419, Honorius leur con-
firme la possession (2).
Or, de bonne heure, la tribu des Burgundes a connu les
lumières de la foi catholique. Sozomène atteste que sous Cons-
tantin le Grand l'Evangile commença à leur être prêché (3) ;
Orose atteste que dès 417 le gros de la nation avait des prêtres
catholiques ; en 530, toute la nation professait la religion
de Jésus Christ (4). Sous leurs rois Gondioch et Chilpéric, ils
demeurèrent fidèles,et ce ne fut que pour quelques années,sous
Gondebaud, vers 490, qu'ils inclinèrent vers Tarianisme. Dès
517, cependant, à la mort de Gondebaud, Sigismond son fils
rétablit dans ses Etats le catholicisme (5).
Comment la foi chrétienne avait-elle pénétré chez eux?
Nous avons ditque ce peuple vivait sur les bords de la Saale
et du Mein. Or, à deux pas de leurs cantonnements, il y avait
des fidèles, des prêtres, des évêques catholiques (6). Depuis
plus d'un siècle, en effet, la religion était florissante dans les
provinces de la rive gauche du Rhin : à Cologne, à Trêves, à
Toogres, à Laybach,à Pettau, il y avait des évêques,et non des
moins illustres, dont les enseignements ont pu arriver jus-
qu'aux Burgundes (7).
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(1) Marcus, op. cit , p. 58. — Todière, op. cit., p. 62. — Papou, op.
cit., t. II, p. 42.
(2) Todière, op. cit., p. 62.
(3) Sozomène, cité par M. l'abbé Magnan, op. cit., p. 14.
(4) Orose, livre VII, cap. 32.
(5) Socrate, Histoire ecclésiastique, VII, 30. — Darras, Histoire de
l'Eglise, t. XIII, p. 416. — Ozanara, t. IV, Etudes germaniques,
p. 50.
(6) Darras, op. cit., t. XIII, p. 44G.
(7) Les contrées avoisinant le Rhin ont été évangélisées de très
bonne heure. Mayence, Metz, Toul ont eu pour premier évêques des
disciples des Apôtres. (Ozanam, t. IV, Etudes germaniques, p. 18.) —
Un texte de saint Irénée ferait remonter la prédication de la foi dans la
Germanie antérieurement à l'an 200. (Ozanam, op. cit., p. 3.)— Sous
Marc-Aurèle, sous Maximilienil y eut des martyrs. (Ozanam, op. cit.,
p. 5 ) — Constantin appelle à un concile à Rome Tévêque de Cologne.
Au concile d'Arles, en 314, il y avait des évêques de Germanie. (Ozanam,
op. cit. pp. 8, 17.)
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— 290 —
L'historien Sozomène, racontant de quelle manière le chris-
tianisme s'était introduit chez les Goths, écrit : «C'est aux cap-
tifs que la guerre faisait tomber entre leurs mains qu'ils doi-
vent la vérité. Ils ramenaient de leurs excursions des évoques,
des prêtres, des fidèles dont ils faisaient quelquefois leurs es-
claves ; or, en voyant leur vie et leurs mœurs douces et pures,
les miracles qu'ils accomplissaient dans l'intérêt même de
leurs persécuteurs, ceux-ci étaient touchés (1). » Il a dû en
être de même pour les Burgundes.Que de fois, alliés à d'autres
peuplades, ou livrés à leurs seules forces, ils ont envahi les
contrées voisines, ramenant sur leurs chariots un butin abon-
dant, et traînant après eux de nombreux esclaves, qui peu à
peu les rendaient chrétiens !
Il y a quelque chose de plus particulier à rappeler au sujet
des Burgundes. I/Apôtre saint André a été martyrisé à Patras,
en Achaïe. Mais bien habile serait celui qui pourrait préciser
les villes et les nations qu'il a évangélisées (2).
Les Apôtres allaient devant eux, là où le Saint-Esprit les
unissait. Quand on dit d'une contrée qu'elle a été évangélisée
(1) Ozanan, t. IV, Etudes germaniques, p. 4; il cite Sozomène
Histoire ecclésiastique, t. II, chap. 6.
(2) Après l'ascension de Notre-Seigneur et la descente du Saint-
Esprit, saint André, suivant Origène, prêcha l'Evangile dans la Scylhie.
Sophrone, qui écrivait peu de temps après saint Jérôme et qui a traduit
en grec le Catalogué des hommes illustres et quelques autres ouvrages
de ce Père, le fait aussi apôtre de la Colchide et de la Sogdiane. Théo-
doret dit qu'il passa dans la Grèce. On lit dans saint Grégoire de Na-
zianze qu'il prêcha particulièrement en Epire; dans saint Jérôme, qu'il
porta le flambeau de la foi en Àchaïe ; dans saint Paulin, que sa parole
réduisit au silence les philosophes d'Argos ; dans saint Philastre, qu'il
vint du Pont dans la Grèce, et dans la ville de Sinope. .. Les Moscovites
sont persuadés que saint André a prêché dans leur pays jusqu'à l'em-
bouchure du Borysthène, jusqu'aux montagnes où est aujourd'hui la
ville de Kiew, et jusqu'aux frontières de Pologne. Si les anciens qui
font de laScythie le théâtre des travaux du saint Apôtre ont voulu par-
ler de la Scythie européenne, leur témoignage sera favorable aux Mos-
covites. Suivant les Grecs, s'il s'agit de la Scythie dans la Colchide, il
pourrait être aussi question de la Scythie européenne, puisque, selon ces
Grecs encore, saint André prêcha en Thrace et Byzance. {Vie des Saints,
par le Père Giry, p. 942.) — 30 nov., Martyrologe romain annoté par
Baronius.
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— 291 —
par un Apôtre, il ne faut pas croire que celui-ci s'est borné
à parcourir cette contrée seulement. Non, il est allé deçà et t
delà, répandant partout la bonne nouvelle de l'Evangile. La
région que Ton désigne est tout au plus celle où il a davan-
tage travaillé pour Jésus-Christ.
Or, il est dit, dans l'office de saint André, qu'il a prêché
l'Evangile dans la « Scythiam Europae (1 ) », c'est-à-dire dans
les contrées que le Danube borne à l'occident, le Volga ou le
Borysthène à l'orient. Le Martyrologe ajoute qu'il a prêché
dans la Thrace et la Scythie (2). On sait que les Russes ont une
grande dévotion à saint André et ils sont persuadés que l'Apô-
tre a porté la foi dans leur pays, et jusqu'aux frontières de
Pologne. Ainsi l'Apôtre aurait parcouru la Grèce, le Pont, tout
le nord de l'Europe.
Or, qui sait si dans le temps où les Goths, les Marcomans,
les Longobards, les Vandales, les Burgundes erraient dans les
steppes de la Germanie et de la Scythie, à la recherche d'un
campement fixe, qui sait si les Burgundes n'avaient pas vu,
pas entendu cet Apôtre*? C'était bien suivant un dessein de la
Providence que s'accomplissaient les migrations des peuples.
De même que les flots glacés des océans du pôle descendent
par des courants immenses vers les chaudes régions de l'équa-
teur, afin de s'y attiédir et de rapporter aux rivages d'où ils
viennent un peu de vie et éloigner la congélation complète au
sein de leurs abîmes, ainsi les peuples sauvages quittent suc-
cessivement leurs foyers, assis au sein des ténèbres du paga-
nisme et de la barbarie,pour se rapprocher des contrées où la
vérité et la foi brillent déjà d'un vif éclat, et rapporter, en re-
gagnant leurs forêts et leurs steppes lointains, un peu de foi,
un peu de religion.
Pour les Burgundes, leurs migrations et leurs courses ont
(1) «... Andréas, cum in Scythiam Europae, quae ei provincia ad
Chrisli fidem disseminandam obtigerat, venisset deinde Epirum ac
Thraciam peragrasset. » Officium Sancti Andrœœ, 30 nov., Breviarium
Romanum.
(2) htartyrologium Romanum, 30 nov. : c Apud Pat ras A chaise, na-
talis sancti Andrseae Apostoli, qui in Thracia et Scythia Christi evange-
Hum prœdicavit. »
— 292 —
pu leur apporter ce bienfait. Admettons qu'au début ils n'aient
pas accepté d'embrasser cette vérité que leur prêchait l'Apô-
tre. Mais on en a conservé un vague, un persistant souvenir,
qui se transmettait de famille en famille, de village en vil-
lage, de tribu en tribu. C'était le germe d'une semence qui
devait lever plus tard, à la première occasion favorable.
Or, qui sait encore si, dans leurs courses, ils n'ont pas ren-
contré cette occasion favorable ! Nous trouvons les Burgundes
occupés au pillage, à la guerre, en I 11 y rie, en Macédoine, en
Grèce, à plusieurs reprises durant le III* siècle (1). Les Goths,
peuplades alliées et voisines, désolent pendant vingt ans, au
IIP siècle encore, la Mésie, la Grèce, la Troade, l'Illyrie, la
Cappadoce, brûlant et saccageant Ephèse, Nicée, Athènes,Tré-
bizonde, etc., etc. (2j. Quand ils reviennent dans leurs cam-
pements, ce sont des longs convois de prisonniers, de lourds
charriots de butin qu'ils ramènent avec eux dans le Nord. Or,
Patras, lieu du supplice et de l'ensevelissement de saint André,
a dû être visité par les Goths; qui assurera que la croix de
l'Apôtre n'a pas été prise avec d'autres reliques, qu'elle n'a pas
été portée dans le Nord comme un vil butin, qu'elle n'a pu être
troquée contre quelque vile marchandise, et que de peuple
en peuple, de vente en vente, elle n'est pas arrivée aux
mains de quelque soldat, de quelque chef burgunde ? Qui as-
surera que, au souvenir de l'Apôtre qui avait jadis prêché
leurs pères, ces Burgundes n'ont pas reconnu cette relique et
ne l'ont pas eue en vénération ? Qui assurera que pour la croix
de l'Apôtre, comme pour celle de Notre-Seigneur, il n'y a pas
eu quelque fidèle, quelque prêtre, quelque évoque qui se soit
dévoué pour la suivre et la garder dans les pérégrinations
lointaines, et qu'arrivé à la suite de cette relique chez les
Burgundes, il n'en ait fait connaître le prix en leur préchant
la foi que l'Apôtre leur avait annoncée ? Qui assurera qu'il
n'y avait pas au milieu des Goths, durant ces courses, quelque
chef burgunde qui, se rappelant l'Apôtre de ses aïeux, se soit
fait attribuer, de préférence à tout autre butin, la croix, l'ins-
(1) Duruy, op. cit., t VI, pp. 411, 511.
(2) Ozanam, t. IV, Etudes germaniques, p. 22. — . Duruy, op. cit ,
t. VI, pp. 411, 435, etc.
— 293 —
trament de son supplice, et ne Tait rapportée au milieu de sa
tribu ? Et pourquoi cette relique ainsi en honneur n'aurait-
elle pas vu son image remplacer, sur les drapeaux guerriers,
le dragon qui les ornait auparavant ?
On le voit, il n'y a rien d'impossible dans Ja première asser-
tion de Chifflet et de Paradin : que c'est un roi burgunde
qui a donné cette relique à Marseille. Car, bien antérieure*
ment à 401, un roi burgunde a pu posséder la croix de saint
André. Si en 417 les Burgundes étaient chrétiens, ils pou-
vaient l'être dès 401, et à cette môme date il pouvait bien y
avoir un chef, un roi de cette nation qui fût baptisé, qui
s'appelât Etienne, quoique l'histoire ne le connaisse pas sous
ce nom (1) !
Poursuivons. C'est en 401 que le roi bourguignon Etienne
apporte cette relique à Marseille, dit Chifflet. Nous croyons
que sur ce point la tradition est fautive. Ce n'est pas en 401 .
En effet, en 405-406 les Burgundes franchissent le Rhin et
viennent en foule à la suite des Suèves, des Alains, des Van-
dales, etc. Pendant que les Vandales se dirigent vers l'Espagne,
les Burgundes s'établissent, sous leur roi Gondebaud, entre
la Saône et le Rhône. L'usurpateur Jovin en 411,. Honorius
en 413 les confirment dans la possession de cette province.
A cette époque donc ils ne sont pas venus jusqu'à Marseille.
Ataulfe et ses Visigoths, chargés par Honorius, en 412, de bat-
tre les usurpateurs de J'empire, Jovin et Sébastien, leur
auraient barré le passage. Et il n'y a pas de trace dans l'histoire
qu' Ataulfe ait eu à lutter contre eux.
Vers 413 et plus tard, c'est encore moins probable, Marseille
et Arles sont garnies de troupes. Boni face gouverne Marseille
et repousse Ataulfe et les Visigoths qui voulaient s'en emparer.
Il aurait repoussé aussi les Burgundes.
Vers 425 Àetius, vers 430 son lieutenant Littorius, vers 43 i
Aefius encore battent et repoussent les Visigoths. Pareille-
Ci) Raymond des Soliers, dans les Antiquités de Marseille, p. 167,
estime que c'est bien à tort que l'on a compté cet Etienne au nombre
des rois de Bourgogne. Mais ce u'est qu'une supposition encore qui est
bien contrebalancée par le dire de certains auteurs que ce nom d'Etienne
a pu être le nom de baptême donné à un de ces rois.
-294 -
ment ils auraient repoussé les Burgundes s'ils avaient tenté
de prendre Marseille.
Vers 453 cependant, profitant de l'absence d'Aetius, occupé
avec les Francs, et de Littorius, occupé avec les Visigoths,
les Burgundes s'ébranlent. Mais Aetius les atteint, les bat,
leur tue 20,000 hommes, et, pour faire la paix, il leur cède la
Savoie. En supposant qu'à cette date ils sont arrivés jusqu'à
Marseille, comme ils venaient pour piller, enlever des reli-
ques, ce n'est pas en cette circonstance qu'ils en ont laissé, sur-
tout une aussi précieuse que la croix de saint André.
Ils reviennent en 456, 457, 458, 459. Mais toujours repous-
sés, ils ne peuvent se fixer dans notre vHle (1). Vers 480,
Euric, roi des Visigoths, prend Marseille, qu'il convoitait de-
puis longtemps. Certainement, durant son règne, il aurait
chassé les Burgundes, s'ils s'étaient présentés. Mais en 484 la
situation change. Les Bourguignons viennent à Marseille. Euric
est mort. Alaric II, son fils, fait alliance avec le roi des Bour-
guignons, Gondebaud, et lui cède Marseille et la Provence (2),
eu 489 ou 500. En 506 elle lui appartenait encore (3). Mais,
reçusse du siège d'Arles, en 508, par Théodoric, roi des Ostro-
goths, accouru d'Italie pour défendre l'héritage de son neveu,
il dut à son tour rétrocéder à ce roi vainqueur la Provence et
Marseille (4)-. Depuis cette époque notre ville devint successi-
vement la possession des Ostrogoths jusqu'en 536, des enfants
de Clovis, puis de Clotaire, roi de Soissons, de Sigebert, de
Childebert, de Gontran, pour la moitié de la ville, de Chiide-
bert encore, et ne fit plus partie du royaume de Bourgogne.
(1) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 244 et suiv. — Fouque,
Fastes de Provence, t. 1, p. 213, etc. — Papon, t. II, p. 42 et suiv. —
Ruffi, Histoire de Marseille, 1. 1, pp. 36, 37.
(2) Fabre, A., op. cit., p. 255. — Statistique des Bouches- du-Rhône,
t. II, p. 88. — Ruffl, t. I, p. 36.
(3) Statistique, op. cit., t. II, p. 92. — Fabre, A., op. ciï.,t. I,
p. 260.
(4) Pour l'année 489, l'inscription de Nymphidius de Marseille, datée
par les consuls, le prouve ; pour 500, c'est la présence de l'évèque de
Marseille ati colloque de Lyon; et pour 506, c'est l'absence de ce même
évêque ou de son représentant au concile d'Agde. — V. Longnon, Gaule
au VI* siècle, pp. 47, 49.
— 295 —
Il y a donc un moment, de 484 à 500-506, où les Bourgui-
gnons sont les maîtres de Marseille. Si, comme on Ta vu plus
haut, la croix de saint André est en leur possesssion anté-
rieurement à 401, de 484 à 508 ils ont pu la donner à Mar-
seille. On le voit, l'assertion deChifflet et Paradin nous relatant
la tradition devient de plus en plus probable !
Poursuivons encore. La croix de saint André a été placée
dans l'abbaye de Saint-Victor, disent Chif flet et Paradin . Y a-
t-il sur ce point quelque invraisemblance? Aucune.
Dom Lefournier, pour réfuter Paradin affirmant qu'en 401
un roi burgunde déposa cette relique dans le monastère de
Saint-Victor, répond que l'église de Saint- Victor n'existait pas,
puisque Cassien ne l'a bâtie que vers 415 (1). Cette réponse n'a
aucune valeur. Saint Victor, disent les Actes de son martyre,
avait été enseveli dans une grotte et sur cette grotte les fidèles
construisirent une petite église, puisque Benoit IX, dans sa
bulle de 1040, dit qu'un petit monastère y avait été fondé du
temps de l'empereur Antonin (2). Ce terme de monastère signi-
fie église, lieu de réunion. Donc, à la rigueur, si les Bur-
gundes avaient pu venir à Marseille en 401, il leur aurait été
possible de déposer la croix de saint André dans cette église
primitive.
Mais, si cette relique n'a été portée à Marseille que vers 484,
toute difficulté s'évanouit. En 484, ou un peu plus tard, il y a
un monastère, une église. Gennade atteste que de son temps
ce monastère existait. Donc, en 484, un roi burgunde a pu
y placer la croix du saint Apôtre.
Mais, dira-t-on, comment peut-il se faire qu'un roi bur-
gunde cède à l'abbaye de Saint -Victor un trésor si précieux?
Effectivement il est difficile de croire que les Bourguignons
aient accepté de s'en dessaisir. Il a fallu nécessairement qu'à
un moment donné ils n'eussent plus pour cette relique
cette vénération que leurs aïeux avaient professée pour
(1) Dom Lefournier, cité par M. l'abbé Magnan, Notice sur la Croix de
saint André, p. 12.
(2) Cartulaire de Saint- Victor, charte 14, de 1040 : « Monasterium apud
urbem Massiliensium tempore Antonini fundatum. •
— 296 —
elle. Cette circonstance s'est-elle présentée ? Oui. Rappelons-
nous que les Bourguignons étaient passés à l'arianisme sous
leur roi Gondebaud, de 480 à 517 (1). Quand ils viennent
à Marseille de 484 à 508, ils étaient donc ariens. Et Ton com-
prend que les moines de Saint- Victor, voyant cette relique
insigne entre les mains des Ariens, aient sollicité de l'avoir
dans leur église, peut-être môme l'ont-ils achetée au poids de
l'or. Voilà comment s'explique tout naturellement que ce roi
burgunde du nom d'Etienne, ou de quelque nom que ce soit,
ait placé la relique de la croix de saint André dans l'abbaye de
Saint-Victor. Paradin et Chifflet ont-ils avancé une chose
invraisemblable ?
Voyons la quatrième et la cinquième assertions. A une épo-
que, cette relique fut enfouie dans le monastère des vierges de
l'Huveaune, et retrouvée plus tard par le bienheureux Hugues
de Glasinis, sacristain de l'abbaye de Saint-Victor.
Qu'à un moment donné la croix ait été cachée, rien de plus
vraisemblable, 11 fut un temps où, les Sarrasins menaçant la
Provence, on prit, à l'endroit des plus précieuses reliques, la
môme précaution (2). En 716, à Saint-Maximin, on déroba sous
un amas de terre la crypte qui abritait les restes de sainte
Marie-Madeleine. On fit de même à Tarascon, pour le corps
de sainte Marthe ; à Notre-Dame de la Mer, pour les corps des
saintes Maries; à Marseille, pour le corps de saint Lazare (3) ;
à l'abbaye elle-même de Saint-Victor, pour les corps des saints
martyrs que l'on y vénérait. A-t-on gardé à découvert la croix
de saint André dans l'abbaye ? Ce n'est pas croyable.
Ensuite, que plus tard Hugues de Glasinis ait découvert cette
(1) Gennade, De illustribus Ecclesiœ Scriptoribus : c Casstanus. ..
duo monasteria, id est virorum et mulierum, quœ usque hodie exstant,
condidit. » Patrologie latine, édition Migne, t. LVIII, Gennade, DeïUustr.
Script. t cap. 61.
(2) M. l'abbé Magnan, Notice sur la Croix de saint André, p. 14. —
Ozanara, op. cit., t. IV, p. 50.— Darras, op. cit. t. XIII, p. 446.
(3) C'est ce que l'on flt en Espagne, au rapport d'un historien de ce
pays: c Hoc DCGXV, in summà rerum inopiâ... sanctorum. corpora
veneranda trans Pyrsenœum et in editissima castella arcentur. » — On
S'î rappelle Tordre donné par un ange à saint Porcaire, de Lérins. . . —
Faillon, Monuments inédits, 1. 1, col. 681.
— 297 -
relique, c'est fort possible, puisque, à l'appui de la tradition
et du dire des auteurs, il y a un monument lapidaire « qui
est inexplicable sans le récit de Chifflet (l)» . On le voit, c'est
une tradition ancienne de Marseille que Chifflet et Paradin
nous rappellent. Et les faits, les événements de notre Provence
et de notre cité à cette époque, bien loin de lui être contraires,
lui sont favorables.
(1) Faillon, op cit., t. I, col. £81.
CHAPITRE V
La Oroix de saint André
(Suite)
LA CROIX DB SAINT ANDRÉ N*A PU BTRB CACHÉE A SAINT-VICTOR AU
VIII* SIECLE. — ON NE L'AURAIT PA8 PERDUE. — PA8 AU IX* OU X*
SIÈCLE, CAR AU X* SIÈCLB ON L'A PERDUE. '— BLLB N*A PAS ÉTÉ
CACHÉE HORS DB SAINT-VICTOR AU X* SIÈCLE. ON L' AURAIT VITE RE-
TROUVÉE. — BLLB A ÉTÉ CACHÉS HORS DE SAINT-VICTOR AU VIII*
SIÈCLE.— AU CŒNOBIUM DBS VIERGE8 C A8SIANITES, A L'HUVBAUNB.
C'EST LA PEUT-ÊTRE QU'ELLE A TOUJOURS ÉTÉ AVANT LB XIII* SIÈ-
CLE. — LBS PRÉMONTRÉS N'ONT PU LA RÉCLAMER. — IL N'Y A PAS
BU DB PROCÈS-VERBAL.
La question importante pour nous est celle-ci : Cette croix
de saint André a-t-elle été cachée dans un monastère de
vierges aux bords de l'Huveaune et Hugues de Glasinis l'y
a-t-il découverte ? Ou bien le recel et l'invention de cette
relique se sont-ils faits à Saint-Victor ?
Le recel et l'invention de cette relique n'ont pas été accom-
plis à Saint-Victor. Ce n'est pas dans cette abbaye qu'elle a été
cachée, perdue et retrouvée.
Si le recel de la relique avait eu lieu à Saint- Victor, il n'y
a que deux époques où il aurait pu être fait avec quelque
vraisemblance et quelque nécessité. Au début du VHP siècle,
alors que les Sarrasins menaçaient la Provence, vers 716, 730,
ou plus tard au IX* siècle, entre 838 et 924, époque de tribula-
tions pour nos contrées, à cause des incursions des Sarrasins
établis au Frazinet, vers 886.
Or, cette opération ne s'est pas faite au début du VHP siècle.
La conquête de l'Espagne avait été si prompte, que la frayeur
la plus grande s'empara de tous les cœurs, en Provence. Par-
tout dans la contrée on cache les reliques. A Saint-Victor on
dut faire de même et enfouir ce que l'on avait de plus pré-
— 299 —
deux. Mais rien ne sortit de l'abbaye. Le corps de saint Victor
y demeura. Les moines ne quittèrent pas le monastère. Où
seraient-ils allés ? A qui auraient-ils demandé secours et pro-
tection? On n'ignorait pas, à Marseille, que Mauronte, par
ambition, avait appelé les Sarrasins (1) ; on se confia aux
épaisses murailles de l'abbaye et, de fait, elle ne fut pas dé-
truite, quoique Marseille ait été prise et saccagée en 737 (2).
Mais, l'orage passé et les ennemis en fuite, toutes les reliques
durent être remises à leurs places dans l'abbaye. On ne con-
naissait pas les ennemis à qui on avait affaire et Ton crut que
tout était uni. Si donc, vers 716 ou 738, la croix de saint
André a été cachée à Saint-Victor, ce ne fut que momentané-
ment. Le calme revenu, elle a dû sortir de sa cachette. Et il
est impossible de supposer qu'elle a pu être perdue en un
aussi court laps de temps, les moines n'ayant pas quitté l'ab-
baye, et la relique étant par supposition cachée dans cette ab-
baye. Donc elle n'a pas été perdue au VIII* siècle.
Elle ne l'a pas été au IX* siècle. Les bandes sarrasines, arré -
tées par Charlemagne durant son règne, reprennent dès 814
leur marche en avant. En 813 elles avaient brûlé Nice, et
enlevé à Marseille, en 838, les religieuses qui y vivaient ; en
842, elles pillent la ville d'Arles et brisent le tombeau de
saint Césaire. Bientôt ce sont de nouveaux ennemis qui se joi-
gnent aux Sarrasins, les Normands. Ceux-ci, en 867 s'emparent
de Marseille, en 869 tuent l'archevêque d'Arles, Rotland, sacca-
gent la Camargue et désolent les deux rives du Rhône. En 885,
les Sarrasins s'établissent au Fraxinet, en 890 ils brûlent Fré-
jus. Toulon, Taurœntum, etc. subissent le même sort (3).
An milieu de tels périls, on devine la préoccupation des
moines, des prêtres et des évêques en Provence. Une seconde
fois on met à l'abri ce que l'on possède de plus précieux. En
(1) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 310. — Guesnay, Annales
Provinciœ Massiliensis, à l'année 730, n* 9, pp. 236, 237. — Ruffl, His-
toire de Marseille, t. I, p. 49.
(2) Fabre, op. cit., t. I, p. 312. — Faillon, op. cit. t. I, col. 684. —
De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 179.
(3) De Rey, op. cit., pp. 263, 265, 266, 288. Faillon, op. cit., col. 682.
Fabre, op. cit., pp. 342. 366.
— 300 —
870, on donne à Gérard de Roussillon le corps de saint Lazare,
à l'exception du chef que deux prêtres de Marseille conservent
à leur cité natale (1). Dans l'intervalle des années 841 et 904,
les moines de Saint- Victor transportent dans la ville le corps
du saint martyr protecteur de leur abbaye (2). On fait de
même pour les autres reliques. Ou bien on les enfouit dans les
cryptes, ou bien on les transporte hors de l'abbaye.
La croix de saint André, qui a déjà subi une fois cette opé-
ration du recel, demeura-t-elle à Saint-Victor ? Si on la cacha
dans les cryptes, on ne dut pas le faire sans témoins, carr la
crise passée, il fallait pouvoir exhumer cette relique et l'offrir
de nouveau à la piété des fidèle.
Or, l'abbaye de Saint-Victor est détruite vers 925. Mais,
lorsquelle sort de ses ruines, vers 965, les diverses reliques
qu'elle possédait, celles de saint Victor entre autres, re-
viennent au monastère. 11 aurait dû en être de même pour
la croix de saint André. On n'aura pas attendu Tannée 965 pour
la retirer de sa cachette ou faire connaître à d'autres religieux
l'abri qui la gardait. Que l'abbaye ait eu une fin violente ou
qu'elle ait péri par l'excès de la misère et de ia dureté des
temps, il sera bien resté quelque vieux moine, pour guider
les fouilles et retrouver la relique.
Et cependant, lorsque tout se relève, que de nouveaux
moines viennent habiter ces lieux purifiés, que les autels re-
voient les trésors précieux qui les ornaient jadis, seule la
relique de la croix de saint André ne reparaît pas I Ou a réédi-
fié la chapelle de saint André dans les cryptes, on élève du-
rant leXI# siècle des celles, des ermitages, des oratoires, des
(1) DeRey, op. cit., p. 267.— Faillon, op. cit., t. I, pp. 722, 728, etc.
— Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 164.
(2) La charte 12 suppose que les reliques de saint Victor sont encore à
Saint-Victor, puisque les moines y habitent encore : « Liceat servis Dei
ibidem consistentibus. . . », qu'il est dit dans cet acte que : « Teutpertus
est episcopus Massiliensis ecclesise quae in honore Maria? semper Virgi-
nis constructa ubi sanctus Victor corpore requiescit » et qu'il s'agit de
l'abbaye : c invenimus insertum qualiter ipsa casa Dei...» Gartulaire de
Saiot-Victor.
La charte 10, de 904, dit au contraire :« Ecclesise Dei Genitricis Maris
et gloriosi martyris Victoris, eu jus corpus in Massilift urbe requiescit.. »
- 301 —
chapelles en l'honneur du saint Apôtre, et cela non loin de
l'abbaye de Saint- Victor ( 1), et jamais un mot, dans les chartes,
qui ait trait à cette précieuse relique 1 On ne se sera pas con-
tenté, vers 965, de faire quelques recherches sommaires. Pré-
cisément parce que la dévotion à saint André est très vive à
Marseille et à l'abbaye, on a dû exécuter des fouilles nom-
breuses à Saint- Victor pour retrouver cette croix. On n'en
parle pas. Donc elle n'a pas été cachée à Saint -Victor au
IX" siècle.
Elle n'a pas été transportée non plus, au IX* siècle, hors de
l'abbaye .
Où l'aurait- on déposée dans ce cas, vers 840, au retour
des Sarrasins ? Dans la ville de Marseille ? Mais à qui Paurait-
on confiée ? Pas au premier venu. Il faut des mains sûres et
des personnes pieuses pour recevoir la garde d'un tel trésor ?
Et pas une de ces personnes pieuses n'aurait survécu à ces tri-
bulations ? C'est un peu difficile à croire.
L'a-t-on placée au monastère des filles cassianites ? Mais à
cette époque il est désert. En 838, les religieuses qui l'habi-
taient ont été enlevées par les pirates (2), et ce n'est pas au
lendemain de cette catastrophe que de nouvelles religieuses
se sont présentées pour habiter ces lieux dévastés.
L'a-t-on enfouie dans les ruines de ce monastère? Mais
cela ne s'est pas fait sans témoins ; précisément parce que
c'étaient au milieu des ruines que l'on déposait un tel trésor,
il y a eu cinq, six, dix moines présents à cette opération.
L orage passé, il en restera bien un qui pourra indiquer le
(1) Peut-être est ce bien là l'occasion de cette translation de saint
Victor dont la fête se célèbre, à Marseille, le 24 janvier. (Les Saints de
l'Eglise de Marseille, p. 9.)
Cartulaire de Saint- Victor, charte 40 du XI* siècle: «... Ab occi-
dente habens Geirennum fluvium, ibidem una semodiata de vinea quœ est
deecclesia Sancti And ne se. » — Charte 843, de 1079 : Cura capellis cir-
cum jacentibus, viceltcet. . Sancti Andraeae. » —Charte 841, de 1081 :
« Cum capellis circum jacentibus, videlicet... Sancti Andrsese. » —
Charte839.de 1089 :« Ei monasterio circum cellas subditas, id est...
Sancti Andraeae. » — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 197.
(2) Annales de Saint-Berlin, citées par de Rey, Invasions des Sarra-
sins en Provence, p. 263.
20
— 302 —
lieu du recel, et vers 950, alors que les Sarrasins commencent
à être refoulés; dès 965, alors que l'abbaye se relève, on exhu-
mera la relique, et on l'oflrira à la vénération des fidèles. Et
cependant, nous l'avons dit tantôt, le silence se fait sur elle.
Donc, au IXr siècle, elle n'a pas été cachée hors de Saint-
Victor.
D'autre part, elle ne Ta pas été, de 830 à 904, à Saint- Victor.
Donc il faut faire remonter à une époque antérieure au IX*
siècle le recel de la croix de l'Apôtre hors de l'abbaye.
Ce recel s'est fait au VIII* siècle, lors des premières inva-
sions, vers 716-737.
Et à cette époque ce ne fut pas dans les cryptes qu'elle fat
déposée. Nous l'avons dit, au départ des Sarrasins, en 740, on
l'eût retrouvée. Ce*ne fut pas dans l'intérieur de Marseille
qu'on la porta. On avait peur de Mauronte. Mais, comme il
n'y avait pas mains plus sûres, à qui on pût confier ce tré-
sor, que les religieuses cassianites, c'est à leur monastère
qu'on la plaça.
Or, où était ce monastère de filles ?
Pas auprès de Saint-Victor; car dans ce cas le recel aurait
été fait par-devant des témoins assez nombreux, puisqu'il
était facile de les réunir, l'abbaye de Saint-Victor étant à
proximité. Mais, dès le départ des Sarrasins, vers 739, le mo-
nastère cassianite de filles étant détruit, les religieuses mas-
sacrées, puisque l'abbaye de Saint- Victor avait échappé à la
destruction, il y aurait eu quelqu'un des moines témoins du
recel pour indiquer la cachette, exhumer la relique et la rap-
porter à Saint- Victor. Cette relique ainsi retrouvée et revenue
à Saint- Victor, au retour des Sarrasins vers 840 on aurait pu
la cacher de nouveau. Si on l'avait déposée dans Marseille, on
Ta dit tantôt, il y aurait eu quelque témoin, échappé à la
tourmente, qui plus tard aurait fait connaître où elle se trou-
vait. Si on l'avait placée dans les cryptes, lorsque la tran-
quillité serait revenue, que le monastère de Saint-Victor se
serait relevé de ses ruines, on l'aurait retrouvée et, en même
temps que l'on bâtissait des celles, des oratoires en l'honneur
de saint André, on aurait parlé de sa croix. Si on l'avait en-
fouie dans les ruines du monastère de Saint-Cyr, cela n au-
— 303 -
rait pas été fait sans témoins. En 950, 965' on l'aurait re-
trouvée. Or, aux IX# et X- siècles, on a perdu la trace de cette
religue. Donc le monastère cassianite auquel fut confiée la
croix de saint André, au VIII* siècle, ne se trouvait pas auprès
de Saint -Victor.
Où était-il ? Pas au bassin du Carénage, pas aux Catalans, pas
auprès du port, pas à la place de Lenche, pas aux Accoules,
pas à Sainte- Catherine, pas au Revest, pas à Saint-Loup, pas
à Saint-Cyr (Var) ; on l'a prouvé.
Reste un endroit que la tradition désigne, que plusieurs
preuves déjà nous insinuent, que le récit de Chifflet nous in-
dique : les bords de l'Huveaune !
S'il se trouve en cet endroit, tout s'explique, toute difficulté
s'évanouit. C'est au début des invasions sarrasines; le monas-
tère des filles étant loin de Saint- Victor, l'opération de l'en-
fouissement de cette relique se fait en présence de quelques
témoins seulement : les moines qui ont porté ce précieux far-
deau, et quelques religieuses du monastère de THuveaune.
Puis la tourmente s'abat sur le monastère, les vierges cassia-x
nites sont massacrées jusqu'à la dernière, Eusébie à leur tête.
Les quelques moines témoins du recel meurent, dans l'inter-
valle, sans avoir pu donner des indications précises à leurs
frères. Ainsi on perd la trace, on ignore l'endroit exact de la
cachette. La croix n'est plus retrouvée.
Allons plus loin encore. Peut-être que, pour ne pas donner
Téveil, ce sont quelques religieuses, qui viennent prendre à
Saint-Victor la relique, qui la cachent elles-mêmes. Qui aurait
prévu ce qui arriva plus tard : que toutes seraient massacrées!
Aussi, au lendemain du massacre, c'est en vain que Ton cher-
che, on ne retrouve rien .
Allons plus loin encore ; pourquoi Chifflet ne livrerait-il pas
le secret de l'énigme ? La croix de saint André n'a jamais peut-
être été à Saint-Victor. C'est au monastère de l'Huveaune
qu'elle aura été déposée, lorsque ce roi bourguignon l'eût
portée à Marseille, soit que les religieux de Saiht-Victor l'eus-
sent volontairement confiée à leurs sœurs cassianites, soit
que celles-ci l'eussent achetée de leurs propres deniers pour
l'arracher aux mains de ces Ariens. Aux jours de l'invasion
— 304 —
sarrasine, alors que les religieux de Saint-Victor cachaient
dans les cryptes les reliques dont ils avaient la garde, les
vierges de l'Huveaune, pour dérober à l'incendie ou à la pro -
fanation la croix de l'Apôtre, la cachent dans leur monastère
ou aux alentours. Mais les mauvais jours arrivent, tout est
massacré, pillé, saccagé, brûlé au monastère. Les témoins du
recel sont morts, puisque les vierges de l'Huveaune sont mas-
sacrées jusqu'à la dernière. Nul moyen de recouvrer ce trésor
précieux. Les moines de Saint-Victor opèrent des fouilles, font
des recherches, vains efforts. La croix de saint André est per-
due. Dans la pensée de tous, elle a été enlevée par les Sarra-
sins ou elle a été jetée au feu par ces mécréants (1). On a de
la peine à recueillir les membres éparsdes quarante victi-
mes. Quand on réédifie le cœnobium des vierges, on le rap-
proche de Saint-Victor. L'oubli se fait alors sur ce point du
terrain, et six cents ans se passe avant que Dieu, pour la croix
de son Apôtre, comme pour les reliques de Marie -Madeleine,
fasse connaître par quelque prodige là où se trouve caché ce
trésor.
Ainsi la vision de Hugues de Glasinis se comprend et s'ex-
plique. Paradin et Chifflet ont dit vrai. La croix de saint André
a été apportée vers 484 par un roi de Bourgogne. Peut-être
elle a été donnée à Saint-Victor à ce moment ; peut-être c'est
au cœnobium de l'Huveaune qu'on l'a confiée. C'est dans ce
monastère, dans tous les cas, que plus tard elle est cachée.C'est
là qu'au XIIIe siècle Hugues de Glasinis la retrouve. Donc, et
c'est pour cette conclusion qui lient en une ligne, que sont
écrites les longues pages qui précèdent, donc au VHP siècle, il
y avait un monastère de filles aux bords de l'Huveaune II!
Reste une difficulté à résoudre. La voici. S'il est vrai que la
croix de saint André ait été cachée au monastère des vierges
(1) c Nos ex certioribus monumentis collocatam censemus in agri
Massiliensis monasterio sanctimonialium de Uveaune. . . Moniales dicti
monasterii. . . B. Andraeee cru ci quam rcligiose asservabaot e flam-
mis aliâve injuria cautum esse voluerunt. Jgitur excavata humo crucem
sepeliunt. . . Disquisita est a monachis Sancti Victoris crux Andreaua.
cumque nusquam occurreret, crédita est aut sublata a Sarracenis aut
concremata. » Chifflet, Vesuntio civitas, p. 199.
- 305 —
de rHuveaune, et que Hugues de Glasinis l'y ait retrouvée,
comment se fait-il que les Prémontrés, établis à ce même
monastère de l'Huveaune dès 1204, aient laissé reprendre cette
relique sans protester? Comment se fait-il, en outre, qu'il n'y
ait aucune trace de cette invention de la relique, qu'il n'y ait
pas de procès -verbal, qu'il ne reste qu'un bas-relief interprété
par les auteurs dans le sens d'une découverte de la relique,
mais qui ne vaut pas un bon procès-verbal ? Voici notre
réponse :
Les Prémontrés, établis à l'Huveaune en 1204, n'ont pas ré-
clamé le droit de garder cette relique ! Mais de droit ils n'en
avait aucun. La croix de saint André était venue de Saint-
Victor, elle y retournait, les nouveaux habitants du cœno-
bium de l'Huveaune n'avaient aucune prétention à élever (1).
De plus, en quelle année Hugues de Glazinis a-t il découvert
la sainte relique ? On ne peut rien préciser à ce sujet. Il est
désigné, dans les chartes, par le titre de Sacristain de Saint-
Victor dès l'année 1212. Maisa-t-il fait cette découverte seule-
ment lorsqu'il remplissait cette fonction ? Qui empêcherait de
croire que ce fut bien avant ? Par conséquent, les Prémontrés
n'auraient pu rien dire, ils n'étaient pas encore arrivés aux
bords de l'Huveaune.
D'ailleurs, la croix avait-elle été cachée au sein du monas-
tère cassianite ? Peut-être que non, mais dans un coin retiré,
dans les champs, dans quelque dépendance du cœnobium à
l'époque. Que pouvaient réclamer les Prémontrés, si la décou-
verte n'était pas faite dans leur propriété ?
Il n'y a pas de trace écrite de cette trouvaille, pas de procès-
verbal de l'invention ! Et si on n'en a pas fait ? On a découvert
en 1187, à Tarascon, le corps de sainte Marthe : où est le pro-
cès-verbal d'invention de la relique ? Les auteurs disent que
(1) SI nous supposons que les religieuses de l'Huveaune aient toujours
eu la garde de la croix de saint André, les Prémontrés, en 1204, n'au-
raient pas eu plus de droit à réclamer pour eux cette relique. Il suffisait
que l'évéque du diocèse autorisât les moines de Saint- Victor à la pren-
dre. D'ailleurs, si elle revenait à quelqu'un, c'était au moines de Saint-
Victor dont Gassien avait été le fondateur, comme il l'était de l'abbaye
de l'Huveaume.
— 306 —
l'on ignore les détails de cette opération (1). Et si celui qu'on a
rédigé de notre relique a été détruit, perdu ? Si on le retrou-
vait un jour ? Le meilleur procès-verbal est la tradition, que
Chifflet et les autres nous rapportent. Où ces auteurs ont-ils
puisé ce qu'ils énoncent dans leurs livres? L'ont-ils inventé !
Et d'où vient que tout, dans les faits, les dates, les événements
concorde à peu près exactement avec leur dire? Ils ont lu
cette tradition chez d'autres auteurs plus anciens. Et ceux-là
où l'ont-ils puisée ? Quel intérêt avaient-ils à doter notre
ville, l'abbaye de Saint-Victor, l'abbaye de l'Huveaune de ce
trésor ? Ils n'étaient pas de Marseille, ce n'est donc pas un vain
amour-propre de clocher qui les a fait parler. Et s'ils étaient
de Marseille, ces auteurs primitifs que Chifflet et Paradin ont
copiés et suivis, serions-nous bienvenus de leur reprocher
d'avoir écrit ce que nous appelons une pure légende ! Maïs
sommes-nous sûrs qu'ils ne possédaient pas de titres, perdus
depuis ? D'où vient, enfin, qu'à six cent ans de distance nous
trouvons qu'il soit fort probable qu'ils aient dit la vérité.
Non, ces difficultés ne valent rien. La croix de saint André a
été cachée et découverte au monastère des filles, à l'Hu-
veaune. Donc, au VIII* siècle, il y avait un monastère aux bords
de l'Huveaune.
(1) Paillon, Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Madeleine,
t. I, col. 1219.
CHAPITRE VI
L'église et la maison en ruines sur les bords
de l'Huveaune ou l'abbaye des Prémontrés
établie à l'Huveaune en 1204
CHARTE DE 1204. — ARGUMENT. — LES PRÉMONTRÉS NE SONT VENUS
A L'HUVEAUNE QU'EN 1204.— AUTEURS POUR ET CONTRE.— RAISONS
TIREES DU TEXTE DE LA CHARTE.— CHARTE DE 1218.— SAINTE-MA-
RIE D'HUVBAUNB.
Une autre preuve qui s'offre à nous ! Au commencement du
XIII* siècle, dit M. l'abbé Daspres, deux religieux prémontrés de
l'abbaye de Font-Caude, dans le diocèse de Béziers, demandè-
rent à l'évoque de Marseille de pouvoir relever de leurs ruines
une église et une maison situées sur le bord de la mer,- à l'em-
bouchure de PHuveaune. Ces deux religieux avaient nom Guil-
laume et Amansus ; l'èvéque de Marseille s'appelait Rainier.
Celui-ci ne crut pas devoir rejeter la demande qu'on lui
adressait, persuadé que ces religieux contribueraient à l'édifi-
cation de son peuple. Mais, pour prévenir les contestations qui
pourraient s'élever plus tari entre son chapitre et le nouveau
monastère, et empêcher que cet établissement ne portât quel-
que préjudice à son église, dont les. revenus avaient considéra-
blement diminué par des donations de dîmes et par d'autres
concessions, il régla que les Prémontrés donneraient à la
cathédrale « le tiers des rétributions pour les enterrements et
de ce qui lui reviendra des morts soit en meubles, soit en im-
meubles qui seront hors du diocèse, et dans ce tiers sera com-
prise la* part due à l'èvéque. . . Ils payeront la dlme de toutes
les vignes qu'ils posséderont dans le territoire de Marseille, à
l'èvéque et aux chanoines séparément. . . Ils payeront la dlme
du blé, des légumes qu'ils retireront de toutes les terres cul-
tivées, et de toutes celles dont une partie aurait été cultivée
— 308 —
autrefois. . . (1) .» Cet acte fut signé en 1204, au mois d'avril .
Or, nous disons : le fait seul de l'existence en cet endroit
d'une église et d'une maison en ruines est une preuve que là
s'élevaient jadis la chapelle et le monastère qu'Eusébie et ses
compagnes embaumèrent du parfum de leurs vertus et em-
poufprèrent de leur sang.
Il va nous suffire, pour le prouver, d'établir solidement les
deux points suivants : 1° que cette église et cette maison, res-
taurées par les Prémontrés, ne leur a point appartenu antérieu-
rement à l'an 1204 ; 2° que cette église, en ruines en 1204,
remonte à l'époque des premières invasions des Sarrasins. La
conclusion toute naturelle sera que, si à l'époque des invasions
sarrasines, vers 716, 738, il y avait là une chapelle ; si, d'autre
part, une tradition sérieuse affirme qu'en cet endroit vécut et
fut martyrisée sainte Eusébie; si, enfin, nous prouvons que
le monastère ou vécut notre sainte ne pouvait s'élever qu'à
ce point du terroir, il sera hien vrai de dire que le fait de
l'existence de cette église et de cette maison en ruines en
1204, en cet endroit, est une preuve en faveur de notre asser-
tion.
D'abord, les Prémontrés ne sont venus aux bords de l'Hu-
veaune qu'en 1204.
Quelques auteurs, entre autres Ruffi et M*r deBelsunce, ont
soutenu le contraire, a Dans l'acte de fondation cité plus haut,
(I) Daspres, Notice sur Saint-Ginies, p. 21, etc.— Ruffi, Histoire de
Marseille, t. II, p. 100. —L'Antiquité de l'Eglise de Marseille, par M«r
de Belsunce, t. II, pp. 17et suiv.: « Innomme Domini... an no Incarnatio-
ns ejusdem MCCIIII, m ense aprili, ad evitaodum malum dissentioais,
quœ de superscripto negotio inter ecclesiam B. Mariae sedis et fratres
ordinis Prsemonstrati evenire possent in posterum, concedimus votis. . .
ut ad ho no rem Oeiet relîgionis augmentum et omnium in Christo cro-
dentium salutem, possitis in territorio Massiliae, citra amnem Huveau-
nse, juxta littus maris, secundum arbitrium et voluntatem vestrara, de
novoœdificare ecclesiam et domum ordinis vestri, et eam, prout vobis
dominus donaverit, episcopali et ecclesiastico jure per omnia salvo, juste
acquisitis ampliare. His tamen conditionibus et pactis... Et nos...
fratres ordinis. Prsemonstrati et dictidomûs fundatoresyvo nobis et suc-
cessoribus nobis omni privilegio vel indulgentiae quod modo habemus
vel in posterum habebimus contra praedicta, omni no renuntiantes.. . »
(Archives de Saint-Sauveur, H. 56, aux archives départementales.)
- 309 —
dit Ruffi, on peut remarquer que, comme ils avaient eu quel-
ques différends ensemble, on les obligea de transiger, et qu'on
leur permit de construire de nouveau une église et une maison
de leur ordre ; que ces religieux étaient logés en cet endroit
depuis quelque temps auparavant et y avaient une maison qu'il
était nécessaire de rebâtir, laquelle n'était pas néanmoins pour
lors fort ancienne, d'autant que leur ordre ne fut institué qu'en
Tan 1120(1).»
M" de Belsunce dit également : a II parait par la charte que
nous suivons ici que l'église et la maison leur auraient apparte-
nu avant que d'être ruinées (2).»
Papon cependant et l'abbé Daspres ont pensé comme nous.
« Ces mots, dit l'ancien curé de Saint-Giniez, « de novo aedifi-
care », ont fait croire à plusieurs auteurs que les religieux
étaient déjà propriétaires. Cette conclusion n'est pas très
rigoureuse (3) .» Papon est plus précis encore : « On lit dans
une charte de 1204, dit-il, que l'évoque de Marseille permit
aux Prémontrés de bâtir une église sur les ruines d'une autre
qui ne subsistait plus, et à côté desquelles on voyait encore,
suivant l'historien des évoques de Marseille, les masures d'une
maison détruite. Ce monastère n'avait point appartenu aux Pré-
montrés; leur ordre était trop récent dans les Gaules pour
avoir eu sur les bords de l'Huveaune un établissement que le
temps eût déjà détruit. Ils ne s'y étaient établis pour la pre-
mière fois qu'en vertu d'une charte, qui aurait été rappelée
dans celle de 1204, et il n'en est pas fait mention. Je remarque,
enfin, que les conditions stipulées dans celle-ci annoncent
que ces religieux n'avaient encore passé aucune convention
avec l'évêque, ni avec aucun de ses prédécesseurs (4) .»
M. de Rey parait être de cet avis; car, après avoir dit :
« qu'il y a eu , à ce bord de mer, à une époque antique, une
église et une maison dont l'histoire nous est complètement
inconnue : était-ce une paroisse rurale, était-ce un prieuré de
Saint- Victor ? nous n'en savons rien », cet auteur ajoute:
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 100.
(2) M«'de Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. II, p. 18.
i"3) Daspres, Notice sur Saint-Ginie*,p.2i.
(4) Papon, Histoire de Provence, t. I, p. 361.
- 310 -
a En 1204, les Prémontrés la reconstruisirent et en tirent une
abbaye sous le titre de Notre-Dame d'Huveaune(l) .» Nous
acceptons ce témoignage, et surtout nous trouvons concluantes
les raisons de Papon.
Les Prémontrés ne vinrent qu'en 1204 sur les bords de
l'Huveaune.
Nulle trace d'abord, dans cette charte de 1204, qu'il y ait eu
déjà des dissentiments entre l'évoque, le chapitre d'une part et
les Prémontrés de l'autre. Au contraire, on veut prévenir jus-
qu'à l'ombre d'un dissentiment: « ad evitandum malumdis-
cussionis, quod de subscripto negocio. . . eveuire posset in
posterum ». D'autre part, l'assentiment est complet entre les
parties contractantes: aassensuet voluntate ambarum par-
tium ». Ensuite, nulle allusion à un établissement antérieur,
aucun indice que les conditions imposées à cette heure sont
plus rigoureuses que d'autres concédées jadis. Au contraire,
ce sont des détails précis, des stipulations arrêtées, que les
deux religieux acceptent et jurent de garder inviolablement.
De plus quel est le titre que se donnent ces deux religieux :
Ils se disent : Dicti fundatorea domûs.
D'ailleurs, puisque Rufli parait avoir tant à cœur d'affirmer
que ces ruine3 avaieut appartenu autrefois aux Prémontrés,
pourquoi ne se donne-t-il pas la peine d'indiquer la date de
l'arrivée dé ces religieux à Marseille et de leur établissement
aux bords de l'Huveaune, de faire connaître la cause probable
de la destruction de cet établissement primitif ? Comprend-on
encore que cette charte de 1204, si elle n'est que l'autorisation
de rebâtir une église et un monastère en la possession déjà des
Prémontrés, comprend-on, dis-je, que ni l'évoque, ni les reli-
gieux prémontrés n'insèrent dans cet acte le titre, le vocable
de cette église? Quatorze ans plus tard, Honorius III le donne ;
il écrit : a Priori et fralribus ecclesiae Sanctae Mariœ de Ibelnâ »,
« Aux prieur et frères de l'église de Sainte-Marie de l'Huveau-
ne (2) ». Mais en 1204, pas un mot de ce sujet. Et cependant,
si les Prémontrés l'ont possédée avant 1204, la ruine de cette
(1) Les Saints de V Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 231.
(2) DeBelsimce, op. cit., t. Il, pp. 63,64.
— 311 —
église ne peut remonter tellement loin dans l'histoire, qu'ils
aient perdu le souvenir du vocable de ce monastère.
C'est en 1120 que saint Norbert fonde cet ordre des Prémon-
trés, au fond d'un vallon étroit, boisé, obscur, marécageux de
la forêt de Ooucy. 11 est vrai que cet ordre s'accrut d'une ma-
nière merveilleuse. A peine vingt ans s'étaient écoulés, dit
un contemporain, que déjà l'ordre comptait cent monastères.
Trente ans après,, le chapitre général comptait cent abbés (1).
Supposons que le monastère de l'Huveaune ait été fondé
dès 1130, en 1140, il faudra soutenir que dans l'espace de
soixante ou soixante-cinq ans l'ordre a fondé, bâti, fait vivre
et prospérer un monastère aux bords de l'Huveaune, puis, que
ce monastère a été détruit, abandonné au point que ni l'évoque
du diocèse, ni les frères Prémontrés ne peuvent en rappeler le
le vocable. C'est possible, mais peu vraisemblable et très
difficile à admettre 1
Non, les Prémontrés ne sont venus aux bords de l'Huveaune
qu'en 1204, et pas avant.
Deux expressions pourraient cependant prêter matière à
contestation. D'abord, « omni privilegio vel indulgentise quod
modo habemus. . . renun liant es». Les religieux renoncent à
tout privilège, à toute indulgence qu'ils auraient déjà. Ne
croyons pas que ce soit là une allusion à d'anciens droits.
L'évêque leur imposant d'être placés sous sa juridiction et celle
de ses successeurs, de donner à son église cathédrale le tiers,
de payer la dîme au chapitre, ils renoncent à tout privilège
toute exemption, facilité, accommodement que par les coutu-
mes de leur ordre, par la concession des papes, ils auraient ou
ils avaient dans d autres endroits.
L'autre expression est celle-ci : de novo aedificare ecclesiam
etdomum ordinis vestri». Il ne faudrait pas traduire cette
phrase latine, simplement par ces mots : « rebâtir l'église et la
maison de votre ordre ». Ce sens ne cadrerait pas avec la suite
de la charte, qui ne suppose pas, nous l'avons dit, un établis-
sement antérieur aux bords de l'Huveaune. Mais il faut tra-
duire, avec M. l'abbé Daspres : « l'autorisation de relever les
(1) Darras, Histoire de l Eglise, t. XXVI, pp. 191,256.
— 312 -
raines d'une église et d'une maison sur le bord de la mer, à
l'embouchure de l'Huveaune, et de l'affecter à votre ordre *.
Ainsi donc, cette église et cette maison en ruines, en 1201,
que les Prémontrés reconstruisirent, avaient une origine plus
ancienne. Ce point reste acquis.
CHAPITRE VII
L'église et la maison en ruines
des bords de l'Huveaune
(Suite)
LA «CHAPELLE DE L'HUVEAUNE, EN RUINES DÈS 1204, n'a PAS ÉTÉ BA-
TIE ENTRE 1044 ET 1204. — NI UN SIMPLE PARTICULIER, NI SAINT-
SAUVEUR, NI L'ÉVRQUE, NI SAINT-VICTOR, N'ONT PU LE PAIRE. —
DONC ELLE EXISTAIT DEJA EN 1044. — ELLE ÉTAIT DÉJÀ EN RUINES,
SINON ON L'AURAIT FAIT SERVIR AU CULTE DANS CETTE PARTIE DU
TERROIR. — CETTE CHAPELLE DE L'HUVEAUNE APPARTENAIT, EN
1044, A L'ÉVÊQUE, COMME PROPRIÉTÉ DE SA CATHÉDRALE.
Or, si cette chapelle est en ruines dès 1204, et si elle n'a
pas appartenu antérieurement aux Prémontrés, forcément son
origine remonte aux invasions sarrasines.
Ce point sera un peu long et difficile à établir. Nous espé-
rons cependant y arriver.
Voici, d'ailleurs, la série de nos affirmations que nous
éîayerons de preuves suffisantes, croyons-nous.
1* Cette chapelle de l'Huveaune, en ruines vers 1204, exis-
tait déjà en 1044, et déjà aussi elle était en ruines.
2* Cette chapelle, en ruines vers 1044, appartenait à cette
époque à l'évéque.
3* Cette chapelle de l'Huveaune, possession de l'évéque,
n'est pas postérieure à l'église de Saint-Giniez.
4* D'autre part, l'église de Saint-Giniez n est pas postérieure
à la chapelle de l'Huveaune. .
5* Cette chapelle de l'Huveaune est antérieure à 923 ; déjà
à cette date, elle était en ruines.
6° La chapelle de l'Huveaune n'a pas été bâtie vers 850, ni
vers 814, ni vers 771, ni vers 730. Elle existait déjà.
— 314 —
7' Cette chapelle était le cœnobium des vierges cassianites,
dans lequel vécut et mourut notre chère sainte Eusébie.
D'abord, cette chapelle des bords de rHuveaune, en ruines
vers 1204, et que les Prémontrés réédifient au XIIIe siècle,
existait déjà en 1044, et déjà aussi elle était en ruines.
En effet, en 1044, Tévéque de Marseille Pons II, désirant
restaurer les lieux destinés au culte du Seigneur, donna au
monastère fondé en l'honneur de Saint- Victor l'église de Saint-
Giniez, située non loin de la montagne de la Garde : « Cette
église est détruite maintenant. De concert avec les chanoines
de notre église, nous la donnons, afin que, la rebâtissant, les
moines de Saint-Victor la possèdent à perpétuité (1). »
Or, la chapelle de THuveaune, en ruines dès 1204, existait
en 1044. Elle n'a pu, en effet, être bâtie durant cet espace de
cent cinquante ans. Qui aurait pu la bâtir, à cette époque ?
Il n'y avait que quatre sortes de personnes : ou bien l'évo-
que de Marseille, ou le monastère de Saint Victor,, ou celui
de Saint-Sauveur, ou un simple particulier.
Ce ne pouvait être un simple particulier ; car l'évoque et
son chapitre, la cédant en 1204 à Tordre des Prémontrés, en
étaient propriétaires ; et cependant pas un mot, dans cette
charte de cession, n'indique que cette chapelle soit revenue à
l'évoque par le fait d'une vente ou d'une donation. Pas un
mot sur le môme sujet dans les chartes de l'époque, si fertiles
cependant en détails. Et ce serait merveille que ce fait eût
échappé à la connaissance de tous.
Ce ne pouvait être Saint-Sauveur, car, dès l'an 1077, celte
abbaye vend des biens qu'elle possède au quartier de Saint-
Giniez, aux bords de rHuveaune (2). En 1097 elle fait une
(1) a Ego Pontius, gratià Dei, sancte sedis Mas3iliensis episcopus,
cupiens restaurari loca servicio Dei apta, ecclesiara sancti Uenesii quse
est sita in comitatu Massiliensi, juxta montem quse dicitur Guardia, quse
nunc est destructa, cum consensu canonicorum ecclesise nostrae, dono
omnipotenti Deo, i psi us que monasterio in honore Sancti Victoris, apud
Massiliam fundato, et abbati Isarno, ut œdificantes praedictam ecciesiam
scilicet Sancti Genesii, perpetuô teneant et possideant.... » Carlulaire
de Saint- Victor, 1. 1, charte 73, de 1044. — M«r de Belsunce, Antiquité
de l'Eglise de Marseille, t. 1, p. 395.
(2) Carlulaire de Saint-Victor, 1. 1, charte 88.
— 315 —
convention avec Saint- Victor au sujet d'une terre située sous
l'église de Saint-Saturnin (1). Ces ventes de domaines indi-
quent un état de gène. Et de fait, à partir de cette époque
jusque vers 1163, ou a peu de détails sur la vie de ce monas-
tère ; les abbesses qui succédèrent à Garcende, sœur de Pons II,
sont inconnues, et ni les actes des évoques, ni les chartes de
Saint-Victor font mention de Saint-Sauveur (2). De 1163 à l'an
1200, la situation est un peu plus prospère.
Mais il serait assez curieux qu'une chapelle, un monastère
aient été bâtis par l'abbaye, aux bords de l'Huvéaune, vers
1160, qu'ils soient en ruines dès 1204 , sans qu'elle n'en
connaisse ni le titre, ni le vocable. De plus, il faudrait expli-
quer comment cette église a pu être cédée par Tévôque en
1204, aux Prémontrés, sans qu'il soit resté une trace quelcon-
que indiquant de quelle manière ce bien était venu en sa
possession.
Inutile d'ajouter que c'était un des biens placés sous la
dépendance de l'évêque, pareillement à ceux que mentionne
la bulle d'Anastase IV, dans laquelle, parmi les biens de l'église
de Marseille sont énumérées « l'abbaye de Saint-Sauveur et
l'église (3). » Car il ne s'agit là que d'une dépendance spiri-
tuelle. D'une part, en effet, une bulle d'Alexandre III
(1159-1181) permet aux religieuses de Saint-Sauveur d'avoir
des prêtres qui, autorisés par l'évêque, devront rendre compte
du spirituel à lui évoque et du temporel à labbesse (4j. D au-
tre part, elles vendent, contractent, cèdent, plaident sans que
l'évoque intervienne (5).
(1) Charte de 1097, citée par M. Daspres, Notice sur Saint-Ginies ,
pp. 136, 140.
(2) André, Histoire des religieuses de Vabbaye de Saint-Sauveur t
p. 24.
(3) André, Histoire des religieuses de Vabbaye de Saint-Sauveur ,
p. 24.
(4) « ... In parochialibus au te m ecclesiis quas tenetis, licitum sit vo-
bis presbyteros vel clericos eligere, et electosepiscopo prœsenlare, qui-
bus, si idonei fuerint, episcopus animarum curam committat. » André,
op. cit., documents en appendice, D, p. 210.
(5) La charte 88 du cartulaire de Saint-Victor, 1. 1, et celle de 1097,
citées plus haut, ne font aucune mention spéciale à ce sujet.
— 316 -
Ce ne pouvait être davantage l'abbaye de Saint-Victor. A
cette époque (1044) l'abbaye est florissante, c'est vrai. Elle
fait chaque jour de nouvelles acquisitions dans le terroir de
Saint-Giniez. Aussi, lorsque Pons H, en 1044, lui cède l'église
de ce quartier, pour la reconstruire, l'abbaye accepte. Ainsi
le culte divin est assuré en ces lieux. Mais, après 1044, pour-
quoi l'abbaye bâtirait-elle une nouvelle église aux bords de
l'Huveaune ? De l'emplacement que la tradition assigne à
cette chapelle à Saint-Giniez, il n'y a pas loin. L'abbaye
voudrait-elle établir un pèlerinage, perpétuer quelque sou -
venir que la tradition lui rappelle ? Et quel est ce souvenir ?
Quel est l'objet de cette tradition ?. . . En outre, jamais aucune
des nombreuses bulles de • confirmation que les papes
octroyaient à l'abbaye ne fait la moindre mention de cette
église, ni qu'elle fût un lieu de pèlerinage ou une simple cha-
pelle, ouverte aux colons du terroir. D'ailleurs toujours la
même question à résoudre. Comment a-ton oublié le nom de
cette chapelle ? Comment, si l'abbaye de Saint-Victor l'a
bâtie, l'évêque a-t-il pu la céder comme bien lui apparte-
nant, sans que l'on ait conservé le moindre souvenir de sa
mise en possession ?
Ce n'a pas été l'évêque de Marseille non plus. Quelle était
la nécessité d'une église en ce point du terroir ? A deux pas
s'élevait celle de Saint-Giniez reconstruite et embellie. Pres-
que tout le terroir appartient à Saint-Victor. Comment l'évê-
que fera-t-il bâtir une église, aux frais de sa cathédrale, pour
la satisfaction des habitants, tous vassaux presque de Saint-
Victor ? Cela n'était guère possible.
Or, si, d'une part, ni l'évêque, ni l'abbaye de Saint-Victor,
ni celle de Saint-Sauveur, ni un simple particulier n'ont pu
construire cette église de 1044 à 1204 ; s'il a été impossible,
dans l'espace de cent cinquante ans (de 1044 à 1204), de voir
une église se bâtir et tomber en ruines, sans que l'on en sache
le titre et l'origine ; si, d'autre part, elle est en ruines en
1204, une conclusion toute naturelle s'en dégage : elle exis-
tait déjà en 1044.
Mais en quel état se trouvait cette église en 1044 ? Elle était
— 317 -
en ruines déjà, comme en 1604, et ne servait plus aux céré-
monies du culte.
Si elle eût été en état, quel qu'en fût le possesseur en 1044
on en aurait tiré parti. L'évéque, en effet, afin de donner une
église aux habitants des bords de l'Huveaune, l'aurait cédée
à Saint-Victor, lui évitant ainsi d'avoir à reconstruire celle
de Saint-Giniez. La question du plus du moins d'éloignement
de cette église du centre habité ne pouvait tirer à conséquence.
L'important était d'assurer le service du culte. De nos jours,
d'ailleurs, les habitants de la plage vont à l'église de Saint-
Giniez. L'évoque cependant agit autrement : il cède Saint-
Giniez à l'abbaye de Saint-Victor. Pas un mot de la chapelle
de l'Huveaune.
L'abbaye de Saint-Victor, si elle en eût été possesseur,
aurait de beaucoup préféré l'adapter au service du culte que
d'avoir à rebâtir l'église de Saint Giniez. C'est cependant cette
église que l'abbaye réédifie !
L'abbaye, enfin, de Saint-Sauveur, si elle l'avait eue en
sa possession, ou bien l'aurait fait desservir par ses prêtres,
ou l'aurait cédée à l'évéque ou à Saint Victor pour le même
but. Et cependant c'est Saint-Giniez que l'on réédifie en
entier ! Incontestablement, en 1044, la chapelle des bords de
THiiveaune existe, mais déjà elle est en ruines î
On le voit, nous avançons à petits pas, mais nous avançons !
Allons de l'avant encore.
Cette chapelle de l'Huveaune, en ruines en 1044, appar-
tenait à cette époque à l'évéque.
Certainement elle n'appartenait pas à Saint-Victor, car l'ab-
baye, qui sort de ses ruines elle aussi, s'empresse de relever
les chapelles, les oratoires détruits, d'en bâtir d'autres à l'aide
de ses propres ressources, et à l'aide des libéralités des vicom-
tes de Marseille. C'est le cas de Saint-Pierre de Paradis, de
Sainte-Croix près de Saint-Pierre de Paradis, de Saint-André,
probablement de Saint-Ferréol, de Saint-Saturnin, de Saint-
Benoit (1). Or, peut-on croire qu'elle n'aurait pas relevé cette
(1) Saint-Pierre de Paradis est réédifiée en 1044 (charte 32). — Sainte-
Croix est bâtie en 1045 (charte 23). — Saint- André, Saint-Ferréol existent
21
- 318 —
chapelle de l'Huveaune, puisque Saint-Giniez ne lui appar-
tenait pas, et que celle-ci, d'ailleurs, était hors d'usage? Mise
en demeure par l'évoque de Marseille, Pons II, de fournir une
église aux habitants de ce quartier qui lui était soumis, est-
ce que l'abbaye n'aurait pas préféré relever une chapelle lui
appartenant que celle de Saint-Giniez qui ne lui appartenait
pas, et qu'on ne lui donne qu:en 1044 ? C'était, dira-t on,
une nouvelle acquisition d'une plus grande valeur que l'église
des bords de l'Huveaune et qu'elle a pféféré reconstruire !
Alors, pourquoi en 1204 l'évoque cède-t-il la chapelle de
l'Huveaune, en qualité de possesseur ? Qui la lui adonnée?
Quelle trace reste-t-il d'un achat, d'un échange, d'une ces-
sion quelconque ? Non, ces ruines, en 1044, n'appartiennent
pas à Saint- Victor.
Non plus à l'abbaye de Saint-Sauveur. Celle-ci vit pénible-
ment à cette époque. Depuis quarante ans, ses a moniales »
vont de maison en maison sans s'y fixer définitivement, de la
place de Lenche aux Accoules, des Accoules à la place de
Lenche (1). En ce moment dé 1041, elles viennent de s'établir
au monastère de la place de Lenche, que les vicomtes ont
restauré (2). Or, si cette chapelle de l'Huveaune leur eût
appartenu, elle l'eussent cédée à l'évoque ou à Saint- Victor
et l'indice de cette vente apparaîtrait quelque part. Si
elles l'avaient conservée comme le souvenir d'un passé qui ne
fut pas sans gloire, comment en 1204 l'évoque a-t-il pu la
céder comme bien lui appartenant ? Elle n'était donc pas la
propriété de l'abbaye de Saint-Sauveur.
Ces ruines appartiennent en réalité à l'évéque de Marseille.
Non pas qu'elles fissent partie de ces biens qu[, jadis la pos-
session de saint Victor, avaient, à la suile des invasions, été
unis à la mense épiscopale. Car Pons II, qui fait rendre à celte
abbaye des biens que l'on retenait injustement, et qui lui-
môme en restitue quelques-uns, môles à, ses biens propres et
m
en 1048 (charte 40), en 1079 (charte 841, etc ). —Saint-Saturnin existe en
1038-1048 (charte 33). — Saint-Benoit existe au XI» siècle (charte 42).
(1) André, Histoire des religieuses de V abbaye de Saint-Sauveur,
chapitre 3, p. 16. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 59.
(2) André, op. cit., p. 19.
— 319 —
«
personnels, aurait fait rendre à l'abbaye cette chapelle (l).
Avant d'accepter Saint-Giniez avec la charge de la reconstruire,
l'abbaye de Saint-Victor aurait prié l'évoque de lui rendre ce*
qui lui appartenait. Non pas encore que cette chapelle de
l'Huveaune fit partie des biens jadis la possession de l'abbaye
de Saint-Sauveur, unis à la mense épiscopale à la suite de la
destruction du monastère et des invasions. Saint-Sauveur se
relève difficilement, depuis 1004, du coup que les invasions
lui ont porté. En 1044, tout y est en souffrance et il aurait
fallu être bien dur et injuste pour ne pas restituer à ce pauvre
monastère ce qui lui appartenait, alors que l'on rendait à
Saint-Victor qui avait bien d'autres ressources.
D ailleurs, l'abbaye cassianite, qui souvent fut en lutte
d'intérêts avec le chapitre et l'évoque lui-même, aurait, à un
moment où à un autre, revendiqué ces ruines comme lui
appartenant. Nul vestige cependant d'une semblable reven-
dication. I/évêque détient donc cette église comme propriété
de sa cathédrale, au même titre qu'il détient Saint-Giniez,
dont il fit cession à Saint-Victor en 1044, avec le consentement
de son chapitre. Aussi, en 1204 il la cède aux Pr^ mon très,
et du consentement de son chapitre.
En 1044 donc cette chapelle des bords de l'Huveaune
appartient à révoque. De plus, en 1044 il y a deux églises
en ruines dans la même partie du terroir : celle de l'Huveaune
et celle de Saint-Giniez, toutes les deux appartenant à l'évêque,
à quelque cinq cents mètres l'une de l'autre.
(1) Cartulaire de Saint-Victor, t. I, chartes 18, 20, 30, etc.— Mgr de
BeUunce, Antiquité de VE alise de Marseille, t. I, pp. 398, 399, 402,
406, 408.
CHAPITRE VIII
L'église et la maison en ruines
des bords de l'Huveaune
(Suite)
LA CHAPELLE DK L'HUVEAUNE A EXISTÉ EN MÊME TEMPS QUE CELLE
DE SAINT-GINIEZ", ELLE N*A PAS ÉTÉ BATIE APRES. — L'ÉGLISE
DR SAINT-GINIEZ, D'AUTRE PART, N'A PAS ÉTÉ BATIE APRÈS CELLE
DE L'HUVEAUNE — TOUTES LES DEUX 80NT ANTÉRIEURES A 923.—
DEJA, EN 923, ELLES ÉTAIENT EN RUINES. — LA CHAPELLE DE
L'HUVEAUNE N*A PU ETRE BATIE VER8 850, NI DURANT LE RÈGNE
DK CHARLEMAONB (771-814). — ELLE EXISTAIT EN 720-740, ET
C'ÉTAIT L'ABBAYE DE SAINT CYR QUI L'AVAIT FAIT BATIR. — CE
N'ÉTAIT PAS UN ORATOIRE DE CAMPAGNE, MAIS LA CHAPELLE DU
CŒNOBIUM DE SAINt'-CYR.
Or, pourquoi ces deux églises en cet endroit du lerroir ?
Ont-elles existé simultanément, ou bien Tune a-t-elle été
bâtie alors que l'autre tombait en ruines? Laquelle des deux
est antérieure à l'autre? Questions importantes dont la solu-
tion va faire faire un pas à notre thèse.
La chapelle de l'Huveaune n'est pas postérieure à l'église
de Saint-Giniez.
D'abord, elle n'a pas élé édifiée alors que celle de Saint-
Giniez servait aux fidèles. Pourquoi bâtir une église à une si
petite distance de la première? Ce point du terroir,, l'em-
bouchure de l'Huveaune, n'était pas plus habité qu'il ne l'est
aujourd'hui. Etait-ce pour favoriser les habitants de Ligus
Pinis? Mais ils pouvaient venir à Saint-Giniez, comme ceux
qui les ont remplacés y viennent actuellement. Pour favori-
ser ceux de Romagnac? Mais il y a un marais à l'embou-
chure de l'Huveaune, mieux aurait valu la bâtir au-delà de
cette rivière, sur le terroir même de Romagnac.
Elle n'a pas été construite lors de la ruine de l'église de
— 321 —
Saint-Giniez. Celle-ci est démolie dès 104i. Or, si Ton en
reporte la destruction vers Tan 1000, et que Ton place à ce
moment la construction de celle de l'Huveaune, cette dernière,
qui est elle hors d'usage aussi dès 1044, on Ta dit, aura vu,
dans l'espace de quarante *ou cinquante ans, se perdre et
s'oublier jusqu'à son vocable, tandis que l'on a conservé le
souvenir du vocable de l'église de Saint-Giniez dont la destruc-
tion est dp cinquante ans plus ancienne. D'ailleurs, pourquoi, si
l'église de Saint-Giniez est en ruines, vers l'an 1000, ne pas
la reconstruire, au lieu d'aller en bâtir une autre à l'extrémité
du terroir, au milieu des marais? Et c'est l'évêque qui les
aurait fait élever toutes les deux, puisqu'elles lui appartien-
nent!
Si l'on fait remonter la destruction de l'église de Saint-
Giniez aux dernières invasions de 923 et que l'église de l'Hu-
veaune ait été bâtie pour la remplacer, les mêmes difficultés
se présentent. Comment a-t on perdu le souvenir du vocable
de cette chapelle, de 923 à 1044, et conservé celui de Saint-
Giniez? Pourquoi ne pas rebâtir une seconde église au même
endroit, sur les ruines de celle qui a été renversée, au lieu de
la construire au bord de la mer?
Si cette église de Saint-Giniez a souffert des pirates, la nou-
velle église sera-t-elle plus abritée?
De plus, qui l'eût bâtie, en ce moment, vers 923 ?
L'abbaye de Saint- Victor était « penitus ad nihilum redacla » ,
dit la charte. Le monastère des religieuses cassianites avait
disparu dans la tourmente. L'évêque de Marseille était obligé
de demander du secours à son métropolitain d'Arles. Ce n'était
guère le temps de reconstruire des églises rurales. Ce ne fut
qu'en 1044 que Pons II put y penser. Donc l'église de l'Hu-
veaune n'a pas été bâtie postérieurement à celle de Saint-
Giniez.
D'autre part, l'église de Saint-Giniez n'est pas postérieure à
celle de l'Huveaune.
D'abord, elle n'a pas été bâtie alors que celle de l'Huveaune
servait aux fidèles. L'église de Saint-Giniez en ruines,
dès 1044, sa destruction datant au moins de Tan 1000, c'est
dans la première moitié du X* siècle qu'on l'aurait édifiée.
— 322 —
Or, pourquoi bâtir une église à Saint-Giniez, à cette époque ?
•Celle des bords de l'Huveaune suffisait. Avec quelles ressour-
ces, d'ailleurs, l'évêque l'aurait-il fait construire, puisqu'il
manquait de tout pour ses clercs?
L'aurait- on bâtie lors de la destruction, pour une cause
quelconque, de la chapelle de l'Huveaune? Puisque la ruine
de l'église de Saint-Giuiez date au moins de Tan 1000, c'est
encore dans le cours du X" siècle qu'il faudrait en placer la
construction, vers 960 par exemple. La nécessité de donner
aux colons du terroir un édifice religieux aurait amené révo-
que à cette dépense. Soit. Mais, alors, notre chapelle de
l'embouchure de l'Huveaune est antérieure à 923. On n'a pu,
en effet, l'édifier vers 960, puisque celle de Saint-Giniez, nous
venons de le supposer, est bâtie à cette époque ; ni vers 923,
le moment est trop critique et l'évêque de Marseille est privé
de tous moyens. Elle existait donc en 923.
D'autre part, on ne peut lui faire traverser la crise de 923
sans encombre. La charte de 1005 dit que : « gens pagana
• cuncta vastavit, ecclesias et monasteria plurima destruxit. *
Il est plus que probable, donc, qu'elle ait été renversée vers
923. Donc elle est antérieure à 923.
En ruines dès 923, la chapelle de l'Huveaune n'a pas été
bâtie vers 850 par exemple. Qui l'eût construite, en effet?
L'abbaye de Saint-Victor ? Elle lui aurait appartenu en 923
et, aussitôt l'invasion passée, elle l'aurait réédifiée, comme
elle le fit pour d'autres chapelles du terroir. Et si, après 923,
cette chapelle fût passée dans le domaine de l'évoque par
suite de la destruction du monastère de Saint-Victor, l'évêque
l'aurait rendue en 1044, et Saint-Victor, au Heu de relever
l'église de Saint-Giniez, aurait préféré s'occuper de ce qui lui
appartenait déjà. Si c'eût été une acquisition nouvelle de
Saint-Victor, cette abbaye aurait réclamé quand même sa
propriété. Si c'eût été un échange, on en parlerait bien quelque
part dans les innombrables chartes de ventes et de cessions.
Sera-ce Saint-Sauveur? Encore moins; car, de 850 à 923,
l'état de cette abbaye est très précaire. En 838, toutes les reli-
gieuses ont été enlevées par les pirates normands. Si elle a pu
— 323 -
se relever de cette catastrophe, elle ne doit pas penser à bâtir
une chapelle si loin.
Sera-ce l'évêque? Peut-être. Mais, ou bien l'église de Saint-
Giniez existe déjà, inutile alors, semble- t-il, de bâtir une autre
église aux bords de la mer. Et si on en construit une, c'est qu'il
y a une raison spéciale!!! Ou bien cette église de Saint-
Giniez n'existe pas, il serait alors prouvé que vers 850 notre
chapelle de l'Huveaune existe. Mais pour quel motif bâtir
une église, à cette époque, en un endroit d'un acc&s si difficile
à cause des bois, des marais, du cours de l'Huveaune? Le
centre habité, c'est le Saint-Giniez adtuel. C'est là qu'il faut
une église et non pa3, au bout du terroir! Ajoutons que le
moment est critique. Les Sarrasins, en 842, 849, 850, 869;
les Normands en 859,860 désolent la Provence; comment
hâtir des églises au milieu des invasions? Non, l'église de
l'Huveaune ne date pas de 850. Elle existait déjà.
On ne l'a pas élevée, non plus, dans les années qui suivirent
la mort de Charlemagne,de 814 à 850. Toujours il faudra indi-
quer qui aurait pu la bâtir, et pour quelle raison.
Ce n'est pas l'abbaye de Saint-Sauveur ou plutôt de Saint-
Cyr, qui est auprès de Saint- Victor, à ce moment, et dont
en 838 les religieuses furent enlevées par les barbares. Si
elle bâtissait à lette époque une chapelle sur les bords de
l'Huveaune, on pourrait bien supposer qu'il y a autre chpse
que le désir d'avoir une ma;son de plus!...
Ce n'est pas l'abbaye de Saint-Victor. On lui vole ses biens,
et à ce moment elle passe sous la juridiction des évoques de
Marseille.
Ce n'est pas l'évoque lui-même; il avait assez de peine à
sauvegarder les biens de l'évêché et de l'abbaye, il aurait pu
bâtir régi i se de Sajnt-Giniez, si elle n'existait pas encore,
car ce point du terroir est habité. Mais aux bords de la mer,
impossible d'y penser. Ce n'est donc pas à cette époque, de
• 814 à 850, que remonte notre église de l'Huveaune. Elle est
dédale plift ancienne.
L'a-t-on construite durant le règne de Charlemagne, de
771 à 814? C'est une époque de relèvement, le calme se fait,
— 324 -
les Sarrasins sont tranquilles. C'est vrai. Mais qui a pu bâtir
cette église ?
Ce n'est pas le monastère de Saint-Cyr. Il sort de la crise
des invasions ; ou» s'il fait bâtir, c'est qu'il veut perpétuer le
souvenir de quelque fait important.
Ce n'est pas non plus l'abbaye de Saint- Victor, puisque
jamais il n'a été dit que cette chapelle lui eût appartenu ;
jamais d'ailleurs l'évéque ne la lui a rendue, ni en 1044, ni
plus tôt .
Ce n'est pas l'évéque de Marseille. A bâtir une église, c'est
au quartier actuel de Saint-Giniez qu'il l'aurait placée. Et si
déjà il y en a une, pourquoi en édifier une autre à l'embou-
chure de THuveaune, à moins de vouloir garder le souvenir
d'un fait important! ! Ce n'est donc pas de 771 à 814 que date
cette chapelle de l'Huveaune. Il faut monter plus haut encore.
Mais nous sommes alors en pleine invasion sarrasine, et
certes ce n'est pas à ce moment que l'on pense à construire
des églises. Donc notre chapelle de l'Huveaune existait
à l'époque des invasions. Et, comme tout a été bouleversé à
cette heure terrible (737-740), sûrement noire chapelle a
succombé à ce moment. Donc aussi elle est antérieure à 737.
Donc elle existait au début du VIII" siècle ! 1
Ici précisons davantage. Qui a pu faire bâtir, au début du
VIII* siècle, une église à l'embouchure de l'Huveaune? Seul
le monastère de Saint-Cyr.
Impossible de dire que c'a été l'abbaye de Saint-Victor. Si
c'eût été l'abbaye, elle l'eût élevée pour la commodité des colons
et des gens établis en ces lieux. Et si cette chapelle eût
été détruite sous la première invasion, celle-ci passée, Saint-
Victor l'eût relevée et l'eût gardée en sa possession. Si elle.fùt
demeurée debout, malgré la tourmente, jamais elle n'aurait
pu devenir la possession de l'évéque. En admettant que lors
de la destruction de Saint-Victor elle eût fait partie de la
mense épiscopale, tôt ou tard l'évoque l'aurait rendue. Or,
l'évéque la cède en 1204 comme propriété de son Eglise, et il
n'y a pas la moindre trace qu'elle ait été cédée ou vendue !
Impossible de dire que c'est l'évéque. Jamais celui-ci n'ira
bâtir un oratoire sur le rivage de la mer, au milieu des marais
— 325 —
et des bois, alors que le centre habité, les fouilles l'ont
prouvé, se trouvait à remplacement actuel de Saint-Giniez !
C'est donc Saint-Sauveur, ou plutôt le monastère de Saint-
Cyr, qui a élevé cette chapelle? Oui, quoique ne comptantque
trois siècles d'existence, le monastère cassianite, à l'époque
qui précède les invasions, est dans un état florissant. Au temps
de saint Césaire d'Arles, Césarie, sa sœur, y vient apprendre à
pratiquer les vertus que plus tard elle devra enseigner aux
autres. En 597, le monastère était agrandi par les soins de
Dynamius et d'Aurelius. La tradition nous dit qu'Eusébie y
avait quarante compagnes. A ce moment donc le monastère
de Saint-Cyr pouvait faire bâtir cette chapelle de l'Huveaune,
et cela à quelque époque que ce fût, de 420 à 720.
Mais pour quel motif le monastère de Saint-Cyr a-t-il fait
construire cette église aux bords de l'Huveaune? Etait-ceparce
qu'il n'y avait pas encore d'église dans le quartier de Saint-
Giniez, au début du VHP siècle ? Non, car l'église de Saint-
Giniez existait déjà. Dans un paragraphe précédent, nos dé-
ductions nous amenaient à dire que Ton pouvait signaler
l'existence de cette église à ce point du terroir vers 960, alin
de remplacer celle de l'Huveaune, en ruines dès 923. Mais il
est évident qu'il faut remonter plus haut. De tout temps, le
quartier de Saint-Giniez a été habité, de tout temps une
église a été nécessaire à cet endroit. Or, la chapelle de l'Hu-
veaune était démolie dès 850, dès 737. Donc, au début du
VIII* siècle, il y avait une église à Saint-Giniez.
Dès les temps primitifs, il y a eu en cet endroit un oratoire
de campagne dédié à je ne sais quel saint ou quel martyr.
Vers 420, les Câssianites arrivent sur les bords de l'Huveaune.
Leur premier lieu de prières, le dimanche, dut être cet ora-
toire de campagne, modeste et restreint. Peut-être tombait-il
en ruines déjà à cette époque. Alors, le monastère nouveau
aidant, on l'agrandit, et, étant donné que saint Genès est un
martyr d'Arles, que c'est un concile d'Arles qui a autorisé les
premières chapelles de campagne, que saint Césaire d'Arles a
eu de grands rapports avec le monastère cassianite de l'Hu-
veaune, à cause de sa sœur Césarie qui y était élevée, et
peut-être que saint Césaire avait enrichi de quelque relique
— 326 —
de saint Genès cet oratoire, on l'a dédié ce martyr!
Telle est l'origine probable de l'église de Saint-Giniez et de
son vocable. Dans tous les cas, la chapelle de l'Huveaune n'a
pas été bâtie au début du VIII" siècle, parce qu'il n'y aurait
pas eu d'église au quartier de Saint-Giniez.
Etait-elle un oratoire adossé à la maison des champs de
l'abbaye de Saint-Cyr ? Point du tout. Une tradition sérieuse,
difficile à contester, raconte qu'Eusébie et ses compagnes,
a leïs Desnarrados», ont été martyrisées en cet endroit. Si
cette chapelle n'eût été qu'un oratoire, joint à une maison de
ce genre, les religieuses n'y seraient pas mortes. Impossible
d'admettre qu'à cette époque troublée elles aient quitté leur
monastère pour se réfugier à la campagne. Leur départ aurait
été connu. D'ailleurs, elles étaient plus exposées hors de la
ville qu'aux abords de celle-ci.
Et encore, où s'élevait le cœnobium à ce moment? Il
n'était pas, nous l'avons prouvé plus haut, au Carénage, aux
Catalans, au Revest, à Sainte-Catherine, à Saint-Loup, ni
ailleurs. Restent les bords de l'Huveaune !
Cette chapelle de l'Huveaune n'était donc pas simplement une
maison de campagne pour l'abbaye cassianite. C'était, disons-
le, le monastère lui-même. Oui, c'est aux abords de notre
plage du Prado que la jeune Césarie se formait à la piété, qiie
Respecta, l'abbesse du temps de saint Grégoire, groupait son
essaim de servantes de Dieu, et qu'un peu plus tard Tillisiola
édifiait par ses vertus les vierges consacrées. C'est là que vécut
l'illustre religieuse, la grande servante de Dieu, la chaste
Eusébie ! ! Les échos de nos rivages ont entendu sa voix. Les
berges fleuries de l'Huveaune l'ont vue parcourir leurs prai-
ries verdoyantes. 0 sainte Patronne de ce coin béni de notre
terroir, laissez-moi vous saluer, baiser la trace de vos pas. Que
ne puis-je en retrouver les vestiges sur le sable doré de la
grève 1 C'est là aussi que vous avez souffert ! Le sol que nous
foulons, vous et vos généreuses compagnes l'avez rougi de
votre sang 1 Que vous devez aimer à venir encore, avec vos
vaillantes sœurs, visiter ces lieux témoins de votre héroïque
courage! Nous aussi nous les aimons, ces lieux, ces prairies.
— 327 —
•
ces rivages, tout y est plein de votre souvenir, 'ô sainte Eusé-
hie. Honneur et gloire vous soient rendus !
C'est donc l'abbaye cassianite qui était là sur ces bords.
Tout s'explique maintenant. Les Sarrasins ont attaqué le
monastère, l'ont saccagé, en ont massacré les humbles reli-
gieuses. On peut à peine, quelques jours après, recueillir et
emporter dans les souterrains de Saint-Victor les restes de ces
héroïnes. Plus tard, peut-être, après les invasions, on com-
pose l'inscription. Entre deux invasions, on essaie bien de
cultiver le petit domaine qui entourait le monastère incendié.
Mais une nouvelle invasion survient, il faut tout abandonner.
C'est l'heure de l'oubli qui commence 1 On perd peu à peu les
titres de possession. Ceux qui habitent en ces lieux ou sont
massacrés ou s'en éloignent. La chapelle est délaissée. Il n'y
a bientôt plus que des ruines. Avec les invasions, les biens de
.ce monastère comme les biens de celui de Saint -Victor passent
à la mense épiscopale et, en 1204, l'évéque, de concert avec le
chapitre, cède, en qualité de propriétaire, cette chapelle en
ruines aux Prémontrés.
D'où venait à l'évéque le droit de possession sur celte cha-
pelle ? Y a-t-il eu, à cette époque lointaine, un acte de vente
ou de cession de la part des religieuses qui relevèrent le mo-
nastère abandonné? Cela pourrait être. Car il n'est pas croya-
ble que Tévôque eût refusé de rendre plus tard cette propriété
au monastère qui se reformait. Peut-être aussi, et nous croyons
cette opinion préférable, que la terre sur laquelle le monas-
tère primitif était construit appartenait à l'évéque.
En 420, saint Cassien, voulant fonder un monastère de fem-
mes; avait obtenu de l'évéque quelques terres voisines de
Saint-Giniez, comme il avait obtenu pour son monastère
d'hommes les souterrains de Saint-Victor. Les invasions fai-
sant tout disparaître, l'évéque rentrait dans sa propriété.
Un fait semblerait venir à l'appui de cette opinion. En 597,
le pape Grégoire le Grand exempte l'abbesse Respecta et son
monastère de la juridiction temporelle de l'évéque, laissant à
celui-ci la juridiction spirituelle. Or, cette juridiction tempo-
relle que Ton enlève à l'évôquepouvait lui venir d'un double
titre : soit du concile d'Arles en 554, qui avait ordonné aux
_ ass —
évoques de prendre soin des monastères de filles (I ), soit de ce
que, comme nous l'avons dit, révoque avait donné à saigt
Cassien quelques terres pour y bâtir le monastère des filles.
Respecta voulut secouer ce joug, alors que Dynamius et Au-
relius agrandissaient le monastère. lie pape acquiesça en
537 (2). Mais, exécutée ou non, cette sentence fut annihilée par
les événements. Les invasions arrivèrent. Par la force des
choses, l'évéque rentra en possession des biens du monastère
de Saint-Cyr. Mais ce ne furent que des débris. La chapelle de
PHuveaune était du nombre. C'est ce qui permit à l'évéque de
la céder en 1204, sans qu'il ait été obligé de la rétrocéder
jamais à Saint-Sauveur.
Nous avions raison de le dire au début de ce chapitre. Il y
avait, en 1204, aux bords de l'Huveaune, une église et une
maison en ruines, c'est là que vécurent, prièrent et furent
martyrisées notre chère sainte Eusébie et ses illustres com-
pagnes.
(1) De Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. Iw, p. 222.
(2) Voir la lettre de Grégoire le Grand a l'abbesse Respecta, dans
André, Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, appendice a, p. 205.
CHAPITRE IX
Eglise de Sainte-Marie de Sait,
aux bords de l'Huveaune
UNE ÉGLISE ANTIQUE A L'EMBOUCHURE OB L'HUVEAUNE. — SAINTE-
MARIE DB 8ALT. — DIFFÉRENTS DE CELLE DU TER HOIR DE POURRI È-
RBS.— GBTTB ÉGLISE DE SAINTE-MARIE DE SALT ÉTAIT BN RUINES
EN 1097.— ELLE APPARTENAIT A L'ÉVEQUB AU XI* 8IÈCLE. — ELLE
N'A ÉTÉ BATIE NI AU XI*, NI AU X% NI AU IX* SIÈCLE, MAIS, AU DÉBUT
DU VIII' SIECLE. COÏNCIDENCE AVEC LA TBADITION QU'IL Y AVAIT
UN MONASTÈRE CASSIANITB AUX BORDS DB L'HUVEAUNE.
« Il y a eu à ce bord de mer (à l'embouchure de l'Hu-
veaune), à une époque antique, une église et une maison
dont l'histoire nous est inconnue. Etait-ce une paroisse ru-
rale, était-ce un prieuré de Saint-Victor ? Nous n'en savons
rien. En 1204, les Prémontrés les reconstruisirent et en firent
une église sous le titre de Notre-Dame de l'Huveaune (1).»
Ainsi parle M. de Rey.
Bien avant M. de Rey, le Père Guesnay avait écrit, dans le
Cassianus illustratus, a que le monastère cassianite était aux
bords de l'Huveaune depuis une époque fort reculée, comme
on peut le voir dans des documents publiés, existant à Mar-
seille et datant de 710 (2) ». Il est fort regrettable que Gues-
nay n'ait pas cité in extenso ces documents dont il parle. Il y
a cependant un fond de vérité dans ce qu'il a écrit. Noua,
allons le prouver en donnant le nom de cette église antique,
située aux bords de l'Huveaune.
Quel est le nom de cette église, en effet ? Dans une charte du
(t) Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 231 .
(2) c Hoc perscriptura in monumentis publicis et tabulis veteribii9
Massiliae reperies editis instrument! anno 710 ». Guesnay, Cassianus
illustrât us, p. 400.
— 330 —
XI' siècle, que M. baspres a publiée, en la traduisant, à la tin
de sa Notice sur Saint-Giniez, nous lisons : a Les mêmes,
Damalcus d'AIbania et son épouse Dulciana, donnent (à Saint-
Victor) le décime qu'ils avaient sur les vignes qui sont de-
vant l'église de Sainte-Marie de Sait (1). »
Or, qu'était-ce que cette église de Sainte-Marie de Sait? Où
était-elle située? A l'embouchure de THuveaune, là môme
où les Prémontrés, au XIII* siècle, trouvèrent des ruines sur
lesquelles ils bâtirent leur monastère de Notre-Dame d'tfu-
veaune.
Ce qui le prouve, c'est d'abord la dénomination de cette
église : Sainte-Marie de Sait. Ce mot sait, écrit en abrégé,
signifie saltus, que Ton tradttit par forêt, bois.
De fait, le quartier des bouches de l'Huveaune était fort
boisé à cette époque antique. C'est là que se trouvait le Ligus
Pinis, bois ou forêt de pins qui des bords de ce cours d'eau
montait vers les collines de la Garde. Aujourd'hui encore, les
bois épais dès propriétés Talabot, Schuitz descendent pres-
que jusqu'aux environs de l'emplacement qu'occupait le mo-
nastère des Prémonlrés. De l'autre côté de l'Huveaune, le bois
ne devait pas être moins fourni. Il se continuait, par le collet
de Montredon jusqu'aux montagnes, interrompu çà et ta par
quelques clairières où poussaient les vignes, les arbres frui-
tiers et le blé.
Si l'on avait voulu donner à une église, située à cet endroit,
un nom en rapport avec l'état topographique de la localité, on
ne pouvait mieux faire que de l'appeler église de Notre-Dame
du Dois, de la Forêt. Or, c'est précisément ce nom que porte
cette église : Notre-Dame de Sait.
Il y a une autre explication que légitime fort bien l'état des
lieux. Saltu8 veut dire aussi défilé, ravin ; par extension, on
pourrait lui faire signifier gué, passage difficile. Or, presque à
l'embouchure de l'Huveaune, à l'entrée actuelle du château
(l) L'abbé Daspres, Notice sur SainUGiniez, appendice, p. 139.— « Ego
Damalcus de Albania et uxor me a Dulciana donamus. .. illam decimam
quœ habebamus in vineis quae suût ante ecclesiam Sanctse Marine de
Sait, ». — Charte de 1097, archives départementales, fonds de Saint-
Victor, n» 709, 317.
— 331 —
Borrély, se trouvait légué de Romagnac, legasd'Arculens*. Et,
depuis la hauteur du chemin actuel de Mazargues jusqu'à
l'embouchure de THiiveaune, s'étendait le palud d'Àrchulens. '
Si Ton voulait donner un nom à une église placée à deux pas
de ces marais et de ce gué, celui de "Sainte-Marie du Gué, du
passage difficile, de Sait aurait bien la couleur locale. C'est
celui que fournit la charte de 1097.
Bien^>lus, cette même charte parle des vignes qui se trou-
vaient devant l'église de Sainte- Marie de Sait. Or, l'état des
lieux tels que les documents postérieur* nous le dépeignent
permet de croire que devant l'ancienne église des Prémontrés,
à l'embouchure de l'Huveaune, s'étendaient des vignes. Un acte
du 27 octobre 15794 mentionné par M. Daspres(l), établit
« que l'église, alors la propriété des dames de Saint-Sauveur,
était environnée de vignes, excepté au couchant, où elle
était bornée par la mer ». Et par un acte du 5 décembre 1781,
a que la propriété des dames de Saint- Sauveur consistait en
terres cultes et incultes, vignes, arbres, bâtiments et puits,
située au dit lieu de Notre-Dame d'Huveaune (2) ». L'église
de Notre-Dame de Satt était donc à l'embouchure de l'Hu-
veaune.
Nous en trouvons une autre preuve dans le contexte de la
«charte de 1097. Damalcus d'Albania rend à Saint-Victor une
terre située à la fos d'Uvelne ; puis, au paragraphe suivant, il
cède la dime des vignes placées devant l'église de Sainte-Marie
de Sait. Immédiatement après, Iteiius deBorriana cède à Saint-
Victor une terre au gué de Romagnac (3). Peut-on croire que
dans l'espace de deux ou trois lignes on indique deux propriétés
presque contiguës et une troisième placée en tout autre en-
droit et bien éloignée des deux premières?
On pourrait objecter que sur le terroir de Pourrières il exis-
tait, à cette môme époque, une église dédiée à la Sainte
(1) Notice sur Saint-Giniez, par M. l'abbé Daspres, p . 30. — Par un
acte passé en 1320, une Béat ri x Gasqui vend une vigne sise proche le
monastère de N.-D. de l'Huveaune. (Fonds de Saint-Sauveur, H, 50;
archives départementales. )
(2) M. Daspres, Notice sur Saint-Giniez,ip. 31.
(3) Voir celte charte. M. Daspresr op. cit., p. 139.
— 332 —
Vierge sous le titre de Sainte-Marie de Sait, de Saltu, ad
Saltumy de Sauto (1); que, partant, il s'agit, dans la charte
de 1097, d'une chapelle située à Pourrières et non pas aux
bords de l'Huveaune.
Cette église de Sainte-Marie de Sait, à Pourrières, en effet,
fut donnée h Saint- Victor en 1065 par Iterius, fils d'Aice-
lene, épouse d'un vicomte de Marseille (2) ; en 1079, une
bulle du pape Grégoire MI en confirmait la possession à
Saint- Victor. En 1135, une autre bulle pontificale en parlait
dans le même ordre d'idées; en 1113, dans un autre docu-
ment, il s'agissait de la même église (3). Or, les donateurs
de cette église de Sainte-Marie de Sait, à Pourrières, sont
les mêmes que ceux dont il est parlé à plusieurs reprises dans,
la charte de 1097, qui donnent à Saint-Victor certains biens
situés sur les bords de l'Huveaune. Cette donation se fait à
l'époque où l'on parle de Sainte-Marie de Sait dans la charte
de 1097. De plus on n'indique pas dans ces documents qu'il
s'agit d'une église de SainteMariedeSalt différente de celle
de Pourrières. Il semble donc qu'il n'y ait jamais eu qu'une
seule église de ce nom : celle de Pourrières.
Et cependant, nous soutenons qu'il s'agit bien d'une église
située sur le terroir de Saint-Giniez, à l'embouchure de l'Hu-
veaune. Remarquons, en effet, que la charte 121, de l'an
1065, dit, de cette église de Pourrières, qu'elle est « in terri -
torio de Porrerias », la charte 843, de 1079, dit qu'elle est « in
episcopatu Aquensi»; la charte 848 de 1113, la charte 844 de
1135 emploient la même formule. Et notre charte de 1097 ne
dit rien ! Afin de n'amener aucune confusion, lorsque le bien
(1) Notre-Dame de Miséricorde, notice historique sur la statue
vénérée sous ce titre dans la paroisse de Pourrièrest par Ferdinand
André, p. 7.
(2) « Ego Joffredus Aicelene quondam fil i us. . . et ego Iterius. . .«Charte
21, de 1065, cartulairede Saint-Victor.
(3) Cartulaire de Saint- Victor, t. II, charte 843 de 1079, charte 814 de
1135, charte 848 de 1113. Cependant une charte de 1098, charte 224, qui
renferme la confirmation au monastère de Saint-Victor des chapelle que
cette abbaye possédait dans le diocèse d'Aix, ne parle pas de cotte église,
quoiqu'elle nomme l'église de Saint-Trophime a Pourrières, celles de
Saint-Pierre, de Saint-Jacques et de Saint-Etienne.
- 333 —
cédé, vendu, se trouve dans un terroir autre que celui où Ton
est, on indique l'endroit précis de ce bien, de cette terre. Or,
on rédige la charte de 1097 à Marseille ; il s'agirait d'une
terre à Pourrières, hors du terroir, hors du diocèse et l'on
n'indiquerait pas où se trouve cette terre, cette église de
Sainte-Marie de Sait? Cela semble difficile à croire.
Pourquoi, dira-t-on, ne pas mentionner que cette église
était dans le terroir de Marseille et différente de celle de Pour-
rières ? C'est que toutes les deux n'ont pas appartenu à Saint-
Victor. Si celle de Pourrières lui appartient, la charte de 1097
ne dit pas que celle de Marseille soit sa propriété. Il n'y a que
la dlme sur les vignes qui revienne à Pabbaye. L'église elle-
même à qui est-elle? Il n'en est pas question. Elle n'appar-
tient pas à Saint- Victor, en effet, nous le verrons bientôt. Le
moine-rédacteur de cette charte ne s'occupait que des biens
appartenant aux religieux de Saint- Victor. Il n'avait donc
pas à faire cette mention .
D'ailleurs, qu'est-ce que cette charte de 1097? Deux lignes
qu'elle renferme nous donnent la clef de l'énigme : « Toutes
ces donations ou ventes ont été faites ou inscrites en l'année
1097, dans l'église de Saint-Giniez. » (1) A notre avis, cette
charte désigne tou3 les biens cédés ou donnés à Saint-Gi-
niez, en l'année 1097, afin de constituer la même de cette
église. Nous sommes, en effet, en 1097; l'église en ruines de
Saint-Giniez, donnée à Saint- Victor par Pons II, évoque de
Marseille en 1044, a été rebâtie. Il faut maintenant y établir
un prêtre à demeure et fonder le service du culte divin. Cette
détermination est prise en 1097, et mise en exécution. Chaque
semaine de cette année, pendant plusieurs jours, le registre
est ouvert ; à chacun de s'inscrire pour la somme ou le bien
qu'il donne ou cède à Saint-Victor en faveur de cette œuvre.
A la fin de Tannée, le fonds était suffisant, la souscription
fut close.
Que telle soit la raison de la charte de 1097, un simple coup
(1) « Factse sunt autem hse carte harum donationum vel venditionum
an no aJb incarnatione Domini MXGVII, indictione V, in ipsâ ecclesià
Sancti Genesii feria V aut VI sive etiam sabbato. » Charte de 1097, fonds
de Saint- Victor, n« 789 ou n* 317, archives départementales.
22
— 334 —
d'œil le fait apercevoir. Si un religieux de Saint-Victor avait
voulu simplement dresser le sommier des possessions de l'ab-
baye dans le terroir de Saint-Giniez, il aurait d'abord daté le
document par une formule plus précise : le jour, le mois,
l'année. Ici Tannée seulement est indiquée. De plus, il aurait
suivi un certain ordre. Puisqu'il y avait des biens disséminés
dans les divers quartiers du terroir de Saint-Giniez, il fallait
mentionner les uns à la suite des autres tous les lots de terre
situés sur un même point du terroir et non pas joindre, à un
bien sis à Framau, près du Rouet, une terre voisine de l'embou-
chure de l'Huveaune, ni un champ placé sur la rive droite de ce
fleuve à un autre placé sur la rive gauche. Or, ce décousu dans
la rédaction est celui que nous offre la charte de 1097. On
parle d'abord des terres situées près de l'église; les biens si-
tués à Mazargues et à Montredon leur succèdent. Puis, du palus
de Framau on va à Consuas, de Consuas à l'Antignane, de
l'Antignane à l'embouchure de l'Huveaune I Autre remarque.
C'est qu'il y a ordinairement deux, trois, quatre propriétaires
du même quartier qui consignent à la suite les uns des autres
les biens qu'ils donnent, dans ces quartiers. Notre conclusion
est donc que cette charte est le livre dans lequel les proprié-
taires de bonne volonté se sont inscrits pour doter la nouvelle
église.
Mais, et c'est ici que se trouve la preuve de notre affirma-
tion : qu'il s'agit bien d'une église- de Sainte-Marte de Sait,
à Saint-Giniez, toutes ces terres, tous ces biens se trou-
vent dans le terroir de Saint-Giniez, ou aux environs. Donc,
les vignes, que la charte dit être placées devant l'église de
Sainte-Marie de Sait et dont Damalcus, d'Aubagne, donne la
dlmc à Saint- Victor, se trouvent dans le terroir de Saint-
■0 Giniez. Donc, l'église de Sainte- Marie de Sait s élève dans le
terroir de Saint-Giniez. Donc, il .ne s'agit pas de celle de Pour-
rières. Sinon il faudrait dire que, pour doter l'église de Saint-
Giniez, on donne des rentes et des biens situés en dehors du
territoire. Ce qui n'est guère probable. Dans ces deux lignes
donc de la charte de 1097, il s'agit d'une église de Sainte-Marie
de Sait, à l'embouchure de l'Huveaune (1).
(1) On pourrait alléguer encore, comme preuve qu'il s'agit, dans ce
— 335 —
Ce point bien établi, poursuivons notre étude.
En quel état se trouvait cette église de Sainte-Marie de Sait,
en 109/ ? La charte ne le dit pas. Mais on peut affirmer qu'elle
était en ruines. Il a été prouvé, au chapitre précédent, que
forcément elle Tétait en 1044; sinon, au lieu de faire
rebâtir Saint-Giniez, on se serait servi de cette église. De
plus, qu'en 1204 on ne puisse en dire ni le vocable, ni l'ori-
gine, c'est une preuve que depuis fort longtemps déjà elle
était hors d'usage 1
Or, à qui appartenaient ces ruines dès 1097 ? Pas à Saint-
Victor, car aucune des bulles pontificales confirmant à l'ab-
baye la possession de certaines églises ne fait mention de
Sainte-Marie de Sait (de Marseille) au nombre de celles qui
lui appartiennent. Appartenaient- elles à Saint-Sauveur ?
Nous ne saurions le dire. A l'évoque de Marseille? Oui, c'est
plus probable. Car, en 1204, celui-ci fait acte de propriétaire
en cédant cette église aux Prémontrés.
Mais qui donc avait bâti cette église, déjà en ruines, en 1097?
Ni Saint-Victor, ni Saint-Sauveur, ni l'évoque de Marseille,
aux X* et XP siècles (de 900 à 1097). Car les invasions des
Sarrasins, la destruction des monastères, la restauration de
Saint- Victor, le relèvement de Saint-Sauveur, les difficultés
que rencontrait l'évoque pour réparer tant de désastres dans sa
ville épiscopale, ne durent pas permettre de construire une
église en ce point du terroir. La preuve en est que l'évoque
cède l'église de Saint-Giniez à l'abbaye de Saint -Victor, en
passage de la charte de 1097, d'une église située non pas à Pourrières,
mais sur les bords de l'Huveaune, le terme dont on appela une tour,
bâtie prés de la mer, aux environs de l'embouchure de l'Huveaune, et
qui existait au XIV* siècle : la tour de Palbs, « ad turrem quse dicitur
Palbs ». D'une part, certains auteurs placent cet édifice non loin de la
plage actuelle du Prado. D'autre part, il y a une très grande similitude
entre Sait et Palbs ; ajoutez que l'on ne peut donner la signification de
ces deux noms. — Le Cassianus illustratus de Guesnay donne la bulle
d'Urbain V, où on lit ces mots : « Eundo per montem qui dicitur Mons
Rotundus parvus* veniendo directe usque ad turrem quse dicitur Palbs,
et veniendo directe a dicta turri per littus maris usque ad ecclesiam
sancti Nicolai. » Page 292. — De Ruffi, Histoire de Marseille, t. II,
p. 169. — Mortreuil, Dictionnaire iopo graphique, verbo : Palbas,
p. 257.
- 336 —
1044, pour que celle-ci puisse la rebâtir. Avant le X* ou XI*
siècle donc, l'église de Sainte-Marie de Sait existait.
Est-ce au IX* siècle qu'il faut placer sa construction ? Non
pas. Dès 814 ou 820, les Sarrasins, les Normands, un instant
contenus, ont recommencé leurs invasions. Ce n'est pas le
moment favorable pour bâtir des églises. Il faut remonter jus-
qu'au début du IX* siècle, à la fin du VIII*, pour rencontrer une
époque de tranquillité, le règne de Charlemagne par exemple.
C'est alors, croyons -nous, que l'on a construit l'humble ora-
toire de Sainte-Marie de Sait à l'embouchure de l'Huveaune.
Mais à la fin du V III* siècle, au début du IX*, pour quel
motif élever une église en cet endroit écarté ? Pourquoi la
dédier à la Sainte Vierge ? Qui le dira? Dans l'Atlas Maria-
nu8y cité plus haut, il est écrit, en parlant de limage de Notre-
Dame d'Huveaune, qu'il y avait là, dans le cœnobium situé
sur les bords de ce petit fleuve, une statue miraculeuse de
Marie. C'est aux pieds de cette image qu'Eusébie et ses com-
pagnes se mutilèrent le visage afin de garder leurs cœurs à
Dieu. Or, un tel acte d'héroïsme, ajoute-t-on dans cet ouvrage,
n'a pu s'accomplir sans un miracle de la Sainte Vierge, sans
une force, une énergie que la protection de Marie valut à ces
saintes âmes (1). Est-ce là une simple exagération ? Non.
Aussi nous dirons : il y a eu, à la fin du VIII* siècle, un
oratoire dédié à Marie sur les bords de l'Huveaune ; donc,
c'est sur ces bords aussi que sainte Eusébie a été martyrisée!
Jugez, en effet, si notre conclusion est en l'air 1
Une tradition dont nous avons donné des preuves, Gxe à cet
endroit le martyre d'Eusébie. Et il y a là une église : ecclesia !
La tradition assigne la fin du VIII' siècle comme époque de ce
martyre. Et cette église existe en cet endroit, à la fin du VIII*
Siècle, au début du IX* I Les auteurs s'accordent à dire que le
vocable primitif du cœnobium des Cassianites était la Sainte
Vierge. Et cette église des bords de l'Huveaune est dédiée à
sainte Marie ! Un sait que les religieuses cassianites, martyri-
sées aux bords de l'Huveaune ne furent pas ensevelies dans le
(1) c I nunc, et hoc sine Deiparœ miraculo fieri posse puta. » Atlas
Marianne, t. II, p. 3017.
— 337 —
cœnobium, mais dans les cryptes de Saint- Victor ; quelles ne
furent pas considérées comme de véritables martyres ; que dès
lors le peuple ne les invoqua point en cet endroit du terroir où
elles avaient subi la mort. Mais on comprend qu'il dut véné-
rer la maison, l'oratoire de ces héroïques vierges. Et le peuple
appelle cette maison, cette église, l'église « deis Desnarrados I »
Le peuple dut encore vénérer l'image de la Vierge Marie,
devant laquelle a leis Desnarrados » avaient souffert. Et le
titulaire de cette église n'est pas sainte Eusébie, mais la Sainte
Vierge, sainte Marie de Sait, la Sainte Vierge de la Forêt, la
Sainte Vierge des Bois, la Sainte Vierge du monastère du Gué,
Sainte Vierge de l'Huveaune. On sait, enfin, que Saint-Cyr fut
le vocable du cœnobium dont Eusébie était abbesse. Et dans
le monastère rebâti plus tard sur les ruines de cette église de
Sainte-Marie de Sait on professait une grande dévotion à saint
Cyr!!l
Que de coïncidences, en vérité, si le cœnobium d'Eusébie
ne s'éleva pas où fut plus tard cette chapelle de Notre-Dame
de Sait! !I
CHAPITRE X
Notre-Dame d'Huveaune, vocable de l'abbaye
des Prémontrés
VOCABLE DONNÉ PAR LBS PRÉMONTRÉS A UNIS ÉGLISE BATIE SUR LES
RUINES QU'ILS TROUVENT EN 1201, A L'EMBOUCHURE DE L*HUVEAJJNE.
— D'OU VIENT CE VOCABLE? — SAINTE MARIE DE 6ALT EN 1097. —
DÉVOTION ANTIQUE DES HABITANTS DBS BORDS DE L'HUVBAUNE. —
LES PRÉMONTRÉS CHANGENT CE VOCABLE EN CELUI DE NOTRE-DAME
D'HUVEAUNE. — ILS NE POUVAIENT PAS PRENDRE LE VOCABLE DE
SAINT-CYR.
Le vocable sous lequel les Prémontrés placèrent leur monas-
tère, bâti en 1204, aux bords de l'Huveaune, est une preuve
nouvelle à l'appui de notre assertion, que là se trouvait le
cœnobium où vécut sainte Eusébie.
Quel fut ce vocable ? La charte de fondation de r abbaye
d'Huveaune ne l'indique pas. Ce n'est que dans la bulle du
pape. Honorius 111, envoyée aux Prémontrés, en 1218, quatorze
ans après rétablissement de cette abbaye, que Ton trouve ce
monastère désigné sous le vocable de a Sanctae Mariae de
lbelnà ».
Il est fort remarquable que les Prémontrés de Font-Caude,
qui viennent fonder un monastère ayx bords de l'Huveaune,
n'aient pas au préalable choisi un titulaire. On ne se décide
pas du jour au lendemain à fonder une abbaye, on a donc
tout le temps d'en choisir le vocable !
Mais il est plus remarquable encore que l'évêq ne de Mar-
seille ne désigne pas à ces religieux le vocable qu'ils pourraient
donner à leur fondation. Il est parlé, dans la charte de 1204,
d'une église et d'une maison, que l'évoque permet aux Pré-
montrés de rebâtir pour en faire une maison de leur ordre et
l'évéque ne sait pas indiquer quel était le titulaire de cette
église. Il y a là quelque chose d'assez extraordinaire.
Au bout de quatorze ans cependant, le nom de Sainte-Marie
STATUE DE NOTHti-
— 339 —
d'Huveaune apparaît. D'où vient ce vocable ? Est-ce une simple
dénomination que les Prémontrés ont imaginée et qu'ils ont
attribuée à leur monastère? Non, le choix du patron d'un lieu,
d'une église se fait d'une manière plus sérieuse. Sont-ce les
Prémontrés qui d'eux-mêmes ont donné ce vocable à leur
abbaye? Sûrement ils l'auraient indiqué dans la charte de
fondation. L'ont-ils trouvé déjà attaché à celte église et à cette
maison en ruines? L'évoque, l'ordinaire du lieu, l'aurait
su, et lui aussi l'aurait fait connaître dans la charte de 1204.
Comment sortir de celte difficulté? Il y a un moyen !
Rappelons-nous qu'il y avait là, antérieurement à 1204,
une petite église, et que cette église portait le nom de
Sainte-Maïie de Sait. La charte de 1097 en fait foi. Or, cette
église, déjà au XI* siècle, était en ruines, et elle l'était depuis
fort longtemps. Voilà pourquoi Tévêque n'en rappelle pas le
nom dans la charte de 1204 Aucun titre peut-être ne le lui
apprenait sûrement et il ne voulait pas l'indiquer en propres
termes dans un document officiel, afin de ne pas paraître
l'imposer aux Prémontrés.
Or, ce titre de Sainte-Marie de Sait donné à cette église pri-
mitive, d'où venait-il? Nous le savons, c'était la dévotion
populaire qui l'avait imposé à cette chapelle, en souvenir
d'un fait merveilleux : l'héroïsme avec lequel les vierges
cassianites avaient souffert le martyre pour conserver leur
vertu. C'est aux pieds de la statue de Marie, dit le Père Poirey,
que cet événement s'était déroulé, c'est la Sainte Vierge qui
avait donné aux Cassianites le courage pour accepter la mort
plutôt que l'ignominie. De là vint la dévotion que le peuple
professa pour la Sainte Vierge en ce point du terroir.
Les Prémontrés trouvent donc celte dévotion implantée sur
ces ruines. On leur en parle dès leur arrivée aux bords de
l'Huveaune. Ils ne se pressent pas d'acquiescer au dire popu-
laire. Ils se donnent le temps de réfléchir et de mieux se ren-
seigner. Finalement ils l'acceptent. Seulement, comme c'est
une réédification, une fondation nouvelle, tout en conservant
la dévotion attachée à ces ruines, ils lui donnent un
nom nouveau, mais tout local. Impossible de garder celui
de Sainte- Marie de Sait. Il y a à Pourrières, dans le diocèse
— 340 —
d'ALx, une chapelle*portant ce nom. On ne peut le conserver
à l'église qu'ils restaurent. Cela donnerait lieu plus tard à des
difficultés.
Impossible encore de garder le vocable de Saint-Cyr, que
portait lecœnobium d'Eusébie quand elle fut martyrisée. Nous
sommes en 1204. Or, dans le courant du XI' ou du XII* siècle
on a vendu à l'abbaye de Saint-Sauveur des terres qu'elle
possédait jadis, elle les a consignées dans ses archives, sous la
rubrique de l'ancien vocable, la confusion va se produire dans
les biens des deux monastères.
Ces ruiues se trouvent aux bords de la mer. Mais l'église de
Saint-Giniez est déjà appelée : « ecclesia Sancti Genesii in ripa
maris ». Même difficulté que plus haut à prendre le nom de
Sainte-Marie a in ripa maris ». Elles se trouvent sur les rives
de l'Huveaune. Le vocable est tout trouvé : Sainte Marie d'Hu-
veaune. Ce sera celui du nouveau cœnobium. Ainsi se perpé-
tuera la dévotion à la Sainte Vierge établie en cet endroit (1).
(1) Elle serait délicieuse à lire l'histoire de la dévotion des habitants
de Saint-Giniez envers Notre Dame d'Huveaune ! Mais qui pourra jamais
la composer ? Les documents sur ce sujet sont si rares !
Quoiqu'il en soit, durant des siècles cette dévotion a fait le bonheur
de nos aïeux. Avant la Révolution, ils entouraient de leurs hommages la
slatue vénérée de Notre-Dame d'Huveaune, dans la chapelle de ce nom.
Après la Révolution, le souvenir qu'ils gardaient de la protection bien-
faisante dont Notre-Dame avait récompensé leur piété, était si durable,
qu'ils venaient encore visiter, à certaines fêtes de l'année, son antique
sanctuaire. Mais hélas! celui-ci était dépouillé maintenant de son plus
bel ornement : l'image bénie de la Sainte Vierge.
Qu'était devenu, se demandait-on souvent avec anxiété, ce précieux
trésor de la foi de nos pères ? On apprit enfin qu'aux plus mauvais jours
de la Révolution une main pieuse l'avait dérobé aux profanations
sacrilèges des Vandales de l'époque, et l'avait abrité dans un oratoire
domestique. Bien des sollicitations arrivèrent aux heureux Obédédoms
de la nouvelle arche d'alliance : elles ne furent pas écoutées. L'heure
marquée par Dieu n'était point encore venue de rendre à Marie son
église, son autel et son trône !
De fait, les curés de Saint-Giniez n'espéraient plus rentrer en possession
de la vénérable image. Après avoir, les uns reconstruit, l'église de ce
quartier, les autres l'avoir ornée, disposée et embellie, le curé actuel,
l'abbé Coudray, mettant la dernière main à l'œuvre, la fit daller en marbre,
et en annonça la consécration prochaine. Quinze jours à peine devaient
- 341 —
Or, cette dévotion, ne l'oublions pas, est l'écho d'un événe-
ment qui s'est passé sur ces bords: le martyre de sainte
Eusébie. Donc, le vocable de Notre-Dame d'Huveaune donné à
ces ruines que l'on restaure est une confirmation de la
croyance que là s'élevait le coenobium de sainte Eusébie.
s'écouler avant cette cérémonie . Quelque sainte âme plaida-t-elle auprès
de Dieu la cause de Marie ? Nous ne saurions le dire. Un jour on annonce
à l'abbé Coudray l'arrivée d'un colis et d'une lettre à son adresse. On
ouvre la caisse, on décacheté le pli ! O merveille 1 ! C'était la statue
antique de Notre-Dame d'Huveaune qui revenait de bien loin, à Saint-
Giniez, afin d'y présider, pour ainsi dire, les solennités que Ton préparait
en l'honneur de son Fils ! 1 Vite, avec joie et amour on lui dressa un
trône magnifique l Avec une douce émotion on la recouvrit de vêtements
somptueux. Et, au jour mémorable de la consécration de l'église, Notre.
Dame d'Huveaune était là sur son autel, gardant à ses pieds les saintes
reliques dont le nouveau temple allait être enrichi ; assistant aux longues
mais sublimes prières de la liturgie en cette cérémonie; voyant se
dérouler devant elle les rangs pressés dés fidèles, avides de la prier, de
la remercier d'être retournée au milieu d'eux ; entendant les exclamations
naïves de tous, tant on était fier et heureux d'avoir encore l'ancienne
Bonne-Mère du quartier l ! 1
La cérémonie achevée, Notre Seigneur reçut, parle fait de la consécration
de l'édifice, une demeure définitive à Saint-Giniez. Mais sa volonté était
manifeste. A la veille de ces jours de fête, il avait mandé sa Mère. Son
désir était donc que sa Mère demeurât avec lui.
A son tour, Notre-Dame d'Huveaune rentrait en triomphe dans la
nouvelle église. En qualité d'antique Heine de ces lieux, elle s'assit à la
droite de son Fils. A cette heure, du haut de son autel, que dans je ne
sais quel pressentiment secret on avait élevé riche et précieux, Notre-
Dame d'Huveaune sourit à nos chants, préside à nos fêtes, entend,
écoute, exauce nos prières, et, comme jadis elle avait béni et protégé nos
pères, elle bénit et protège leurs enfants! !
CHAPITRE XI
Coite de saint Oyr établi dans l'abbaye des
Prémontrés de rHuveaune
AFFIRMATION DE M.ANDRÉ.— INVENTAIRE DE 1388.— D'OU VENAIT AUX
PRÉMONTRÉS LA DÉVOTION A SAINT CYR?— D'CNE FÊTE LOCALE? D*ONE
RELIQUE ? — L'ABBAYB DE SAINT-SAUVEUR A DU EN CÉDER QUELQUE
FRAGMENT.
C'est une preuve que nous suggère M. André dans son His-
toire de l'abbaye de Saint-Sauveur (1).
« Les religieux Prémontrés établis à l'embouchure de l'Hu-
veaune, dit-il, honoraient le jeune martyr saint Gyr d'une ma-
nière toute spéciale. » Nous tirons de cette assertion une
conclusion naturelle et logique. Si les Prémontrés qui,
avant de venir aux bords de rHuveaune, n'avaient pas une
dévotion spéciale à saint Gyr, en professent une fbien grande
en y arrivant, sûrement l'ancien monastère de Saint-Cyr, où
mourut sainte Eusébie, se trouvait aux bords de rHuveaune.
D'abord, il est vrai que les Prémontrés de l'Huveaune pro-
fessaient une certaine dévotion à l'endroit du jeune martyr
d'Antioche. Dans un inventaire desornements de la chapelle de
Notre-Dame d'Huveaune, abbaye des Prémontrés, inventaire
rédigé en 1388, il y a cette note : « Indumentum sacerdotale
pulchrum pro festo Sancti Cyrici (2) .» La mention d'un
ornement affecté à un jour de l'année indique clairement que
l'on célèbre ce jour-là une fête solennelle. Or; comme l'on a,
dans une paroisse, l'ornement patronal, ainsi l'abbaye possède
l'ornement propre à la fête de saint Cyr. M. André a dit la vérité.
Mais, d'où venait aux Prémontrés cette dévotion à saint Cyr?
(î) André, op. cit., p. 15.
(2) Archives départementales des Bouches-du -Rhône, fonds Saint-
Sauveur, H, Prémontrés, inventaire fait en 1388.
— 343 —
D'abord, elle n'était pas spéciale à l'Ordre. Nous n'avons pu
voir les Annales des Prémontrés, ouvrage qui ne se trouve
pas à la bibliothèque de Marseille. Mais les Bollandistes, soit à
la vie de saint Gyr, soit à celle de saint Norbert, ne font aucune
allusion à une semblable dévotion, Il n'est guère croyable non
plus qu'elle ait été apportée de Font-Caude, d'où sortaient
les religieux fondateurs de notre abbaye de l'Huveaune. Car
il resterait quelque trace de cet emprunt. On aurait, dans un
acte ou dans un autre, insinué combien cette dévotion primitive
était chère à tous, puisqu'elle venait de l'abbaye mère. Très
probablement même le monastère de l'Huveaune, en dépit des
réclamations de Saint-Sauveur, eût été placé sous le vocable
de Saint- Cyr. Rien de tout cela cependant.
Donc cette dévotion leur provenait ou d'une tradition qu'ils
ont trouvée en cet endroit du terroir, tradition qu'ils ont gar-
dée ; ou d'une fête que l'on y célébrait avant eux, et qu'ils
ont continué de solenni-er comme l'on célèbre dans une pa-
roisse une fête antique; ou bien de quelque relique de saint
Cyr que l'on aura pu donner au monastère lors de sa fonda-
tion.
Si elle provient d'une tradition que les Prémontrés trouvent
implantée en ce point du terroir, notre cause est gagnée. Une
tradition place aux bords de l'Huveaune le monastère de Saint-
Cyr; une autre tradition, locale celle-là, nous montre, la
dévotion à saint Cyr vivante en ces lieux. La coïncidence
serait trop frappante pour qu'elle ne fût pas lavéflté.
Si c'est une fête antique qu'ils célèbrent chaque année, fête
propre à ce point du terroir, d'où peut provenir cette fête de
saint Cyr, à Saint-Giniez ? L'explique qui pourra. Bien hum-
blement nous disons : Une tradition rapporte qu'il y avait
jadis aux environs de Marseille un monastère cassianite sous
le vocable de Saint-Cyr, monastère dont une des abbesses, du
nom d'Eusébie fut martyrisée avec quarante de ses compagnes'
par les Sarrasins, à l'embouchure de l'Huveaune, à un endroit
appelé la chapelle « deïs Desnarrados » . Ne serait-ce pas la
raison de cette fête ?
Une telle explication, sans être une preuve péremptoire, est
cependant assez difficile à révoquer en doute.
- 344 —
Si cette dévotion à saint Gyr provient d'une relique que le
monastère possède, d'où lui vient cette relique? Les deux reli-
gieux fondateurs de l'abbaye de l'Huveaune ne l'ont pas
apportée de Font-Caude, on l'a vu plus haut. Serait-ce le don
d'une église, d'une abbaye? C'est possible. Mais de quelle
abbaye? On ne sait. Nous rappelons encore qu'il y avait
à Marseille, à cette époque, aux XII*, XIII*, XIV* siècles,
une abbaye de religieuses, celle de Saint -Sauveur, qui avait
remplacé l'antique cœnobium cassianite sous le vocable de
Saint-Cyr ; que cette abbaye de Saint-Sauveur possédait des
reliques de saint Cyr en 1204, puisqu'elle en avait en 1519 (1);
que probablement cette abbaye en a cédé une portion, si mini-
me soit-elle, à l'abbaye de l'Huveaune; qu'à cette occasion les
Prémontrés ont institué et célébré chaque année la fête de ce
saint. N'est-ce pas encore une explication plausible de l'exis-
tence et de la célébration de cette fête de saint Cyr à l'abbaye
de l'Huveaune?
Et voyez la force de cette explication ! saint Cyr et ses reli-
ques sont le palladium de Saint-Sauveur, son plu3 riche tré-
sor, ce qu'elle a sauvé de toutes les destructions. Or, l'abbaye
de l'Huveaune est construite tout récemment. Elle demande à
Saint- Sauveur des reliques de saint Cyr. Est-ce que Saint-
Sauveur acquiescera à ce désir? Â ce monastère qu'elle
ne connaît pas, elle donnera d'autres reliques. Celles de saint
Cyr? Jamais ! Si elle en donne, c'est qu'il y a eu entre ces deux
monastères une relation toute particulière. Laquelle? Précisé-
ment celle que notre tradition rapporte. Les religieuses de
Saint-Sauveur apprennent que les Prémontrés vont habiter là
où leurs sœurs cassianites habitèrent jadis, ce coin de terre
qu'elles ont rougie de leur sang. Or, le monastère antique,
témoin de tant d'héroïsme, était sous le vocable de Saint-Cyr.
Aussitôt elles divisent les reliques du saint martyr, et en
cèdent une partie à l'abbaye de l'Huveaune. Celle-ci, chaque
année, rappelle cette circonstance en célébrant la solennité de
ce saint. On ne donnera pas des reliques de sainte Eusébie, on
ne célébrera pas la fête de cette vierge et de ses compagnes .
(1) André, Histoire des religieuses de Saint-Sauveur, y. 114.
— 345 —
Ce n'est que vers 1400 que l'abbaye de Saint- Victor vénérera
leurs restes et ce ne sera que sous de Belsunce qu'on rédigera
un office en leur honneur. Mais saint Cyr, dès le début du
monastère de THuveaune, sera honoré et fêté.
Voilà une preuve, convaincante selon nous, que nous em-
pruntons à M. André.
«
CHAPITRE XII
" Lois Desnarrados "
« LB1S DESNARRADOS ». — AUTEURS APPELANT DE CE NOM SAINTE
EUSÉBIB RT SES COMPAGNES. — EXPRESSION TRÈS ANCIENNE.
(Test le nom donné par les habitants du terroir de Saint-
Giniez à la chapelle qui fut, d'après la tradition de leurs aïeux,
le théâtre du massacre de sainte Eusébie.
Or, pour que cette expression provençale soit vraiment
une preuve de notre assertion: que sainte Eusébie a souffert le
martyre aux bords de l'Huveaune, il nous faut bien préciser
le sens de cette expression. Que signifie : chapelle « deïs
Desnarrados » ?
A-t-on donné ce nom à l'oratoire, à l'église qui se voyait
encore au début de notre siècle, parce que les religieuses de
Saint-Sauveur en ont été les possesseurs en 1528 ? Non, nous
l'avons prouvé. Cette expression ne les a pas suivies partout
où elles se sont établies: à Saint-Loup,à Saint-Marcel, à Sainl-
Victor, à Saint-Sauveur.
Par ce nom on appelle l'église, l'oratoire, l'endroit à Saint-
Giniez où sainte Eusébie et ses compagnes ont mutilé leurs
visages en se coupant le nez. Lisez, en effet, les auteurs. Qui
appellent-ils a leïs Desnarrados » ? Eusébie et ses compagnes.
De Rey : a Les corps des quarante victimes des Sarrasins,
que le peuple appelle du nom expressif de Desnar-
rados (1). » — De Rey : a Le fait de sainte Eusébie et des
quarante Desnarrados n'est donc pas de celle époque (2). »—
L'abbé Verlaque : a En disant ces paroles, elle se coupa le
nez... toutes les religieuses suivirent cet exemples... C'est
(1) Les Saints de VEglise de Marseille, p. 235.
(2) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 145.
— 347 —
pour cette raison qu'elles reçurent le nom de senso nas, sans
nez (1). » — L'abbé Cayol : a C'est peut-être là (à Saint-
Tronc), qu'habitaient les Desnarrados, c'est-à-dire des reli-
gieuses qui se coupèrent le nez pour échapper à la brutalité
des barbares qui avaient envahi leur asile (2). j> — Kothen :
« Les compagnes d'Eusébie imitèrent son exemple héroïque...
De là vient le nom de Desnarrados qu'on leur donne dans la
langue vulgaire (3). 9 — André : « Les restes des quarante
martyres étaient devant l'autel de Notre-Dame de Confes-
sion... L'action des religieuses Desnarrados vivra long-
temps dans le souvenir des Marseillais (4). » — C. Bousquet :
« On connaît le dévouement des religieuses de Saint-Sauveur
qui, pour échapper aux outrages des Sarrasins. . . L'asile de
ces saintes filles était situé alors près de l'embouchure de
l'Huveaune. . . De la vint cette tradition populaire qui fit long-
temps appeler les ruines du couvent et de l'église : tels Des-
narrados (5). » — Guindon et Méry : « Ce lieu (du martyre
d'Eusébie et des trente-neuf religieuses dont elle était la
supérieure) où était situé le couvent des Cassianites, à l'em-
bouchure de l'Huveaune, est encore désigné sous le nom deis
Desnarrados (6). » — Reinaud : « Eusébie et ses quarante
religieuses se mutilèrent le nez. . . d'où elles furent appelées,
dans le pays, les Desnazzados (7). » — La Statistique des
Bouches-du-Rhône : « L'exemple d'Eusébie fut aussi suivi par
les Cassianites de l'autre abbaye (celle de l'Huveaune). C'est à
cause de cet événement que les ruines de cette dernière
abbaye de l'embouchure de l'Huveaune furent appelées leïs
Desnarrado89 c'est-à-dire le monastère des religieuses qui se
(1) M. l'abbé Verlaque, Notice sur sainte Eusébie, p. 16.
(2) Cayol, Histoire du quartier de Saint-Loup, p. 26*
(3) Notice sur les cryptes de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Marseille,
par Kothen, p. 55.
(4) André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur
p. 13.
(5) Casimir Bousquet, La Major, p. 67.
(6) Guindon et Méry, Histoire des actes et délibérations du corps
municipal de Marseille, p. 202.
(7) Reinaud, Invasions des Sarraains en Provence, p. 137.
- 348 —
coupèrent le nez (1) . » — Papon : « Ce monastère (de l'Hu -
veaune) fut détruit par les Sarrasins ou les Visigoths. Les re-
ligieuses qui échappèrent à leur fureur ou qui la prévinrent
par la fuite, s'étant retirées dans le couvent qui était près de
Saint-Victor, eurent le sort de sainle Eusébie. De là cette tra-
dition populaire qui fait appeler ces vieilles masures leïs
Desnarrados , c'est-à-dire le monastère des religieuses sans
nez (2). »
On le voit, « leïs Desnarrados » ce sont, à proprement par-
ler, sainte Eusébie et ses quarante compagnes. Donc la chapelle
a deïs Desnarrados » c'est le monastère, l'église même des reli-
gieuses qui se sont coupé le nez. Il y a donc, dans le terroir de
Saint -Giniez, un point, un endroit dans lequel on place le
martyre de sainte Eusébie : la chapelle a deïs Desnarrados ».
Mais depuis combien de temps emploie -t-on, à Saint-Giniez,
cette expression ? M. Daspres écrivait que c'était a la tradition
constante et universelle de ceux qui se souviennent d'avoir vu
la chapelle de Notre-Dame de l'Huveaune ; ils ne la dénom-
ment jamais que sous le titre c deïs Desnarrados ». Nous ajou-
tons que les vieillards de Saint-Giniez, interrogés par nous sur
ce point, nous répondaient : Nous avons toujours entendu ap-
peler cette chapelle, par nos anciens, du môme nom : « lels
Desnarrados ». A Saint-Giniez donc, de tout temps, cette ex -
pression a été en usage. Hors de Saint-Giniez, à Marseille,
cette expression est regardée comme très ancienne. D'après les
auteurs cités plus haut, c'est le peuple, la langue vulgaire, la
tradition populaire qui emploient ce mot expressif. De fait,
c'est une formule provençale très archaïque, du vrai, du pur
provençal. Papon en 1776, au XVIII* siècle, la connaissait et
la citait comme transmise par la tradition populaire. De très
(1) Statistique des Bouches-du-Rhône, t. II, p. 324.
(2) Papon, Histoire de Provence, t. I, p. 362. — On voit l'étrange
contradiction dans laquelle sont tombés Papon et la Statistique pour vou-
loir admettre l'existence simultanée de deux monastères de filles, l'un à
Saint- Victor, l'autre à l'Huveaune. Et cependant, entraînés par la tradi-
tion populaire, ils appellent « lels Desnarrados » les religieuses qui se
coupèrent le nez, et l'église « deïs Desnarrados » le monastère ou l'ora-
toire de ces religieuses.
— ;U9 —
longue date donc on a employé cette expression, à Marseille, et
partant on y a cru, ce que Ton croyait à Saint-Giniez, que la
chapelle a deïs Desnarrados », située à l'extrémité du Prado
actuel, était bien le monastère, l'église oti sainte Eusébie et
ses compagnes avaient souffert le martyre.
Or, est-il possible «que des générations et des générations
soient dans Terreur, que des auteurs de Marseille qui ont étu-
dié nos traditions historiques n'aient pas relevé cette erreur ?
Pas un n'aurait rectifié l'écart de la tradition populaire, et
donné à la formule « lois Desnarrados » son sens vrai, un sens
autre que celui dont elle jouit et dont nous appuyons noire
opinion ! Nul ne Ta fait, que nous sachions, d'une manière
solide et convaincante La chapelle « deïs Desnarrados » est
donc bien, dans le langage du peuple et des historiens, le mo-
nastère des religieuses qui se coupèrent le nez. Or, cette cha-
pelle a deïs Desnarrados» se trouve toujours, d'après le
langage populaire, à Saint-Giniez ; à l'embouchure de
THuveaune. Donc c'est là qu'a été martyrisée notre sainte
Eusébie.
23
CHAPITRE XIII
« A casales » et la terre « ad Arabenz »
C A CA8ALB8 », t AD ARABENZ » DE LA CHARTE DE 1097. — EMPLA-
CEMENT PRÉCIS DE t A CASALES » A L'EMBOUCHURE DE L'HTJ-
VEAUNE. — RUINES ANTIQUES DU CŒNOBIUM. — EMPLACEMENT
PRÉCIb DE <l TERRA AD ARABENZ », AUPRES DE L'EMBOUCHURE DE
I/HUVBAUNE. — CE QUE PEUT felGNIFIER CE MOT f AD ARABENZ ».
II y a dans la charte de 1097, que M. l'abbé Daspres a placée
en appendice à sa Notice sur Saint-Giniez, deux expressions
qui nous prouvent que le monastère de sainte Eusébie se
trouvait bien à l'embouchure de l'Huteaune. Voici ces
termes :
« Moi Villelme Artaldus, je donne une pièce de terre, située
à l'endroit appelé Saint-Félix, qui est terminée par les
casales jusqu'au fossé d'eau, de l'autre côté par la mer, de
l'autre par l'Huveaune. De même je donne une pièce de
terre ad Arabenz, limitée à l'orient par la condamine de
Tévéque, au midi par la terre de Pierre Isnard, à l'occident
par la terre de Gantelme de Marseille.
« Moi, Autrannus, fils de Richau, je donne à Saint- Victor
six dexlairades de terre dans un autre lieu appelé A rabenz (1).»
(1) c Dono ego Villelmus Artaldus pro supradicto fllio meo, in unâ
pecia de terra medietatem in loco quidicitur ad Arabenz. . . Et termina-
tur ab oriente condamina episcopi et a meridie terra Pétri Isnardi et
ab occidente terra Gantelmi de Massilia. — Similiter dono de pecia
medietale in loco qui dicitur ad Sanctum Felicem et terminatur a
casales usque in iossatum aquae, ex alia parte mare et ex alià aqua
Uvelnae.
« Ego Bertrannus, filins Richau, dono Sancto Viclori pro anima mea
una quarlairada de vineâ in loco qui dicitur de Calcadis et in alio loco
ubi dicitur ad Arabenz in VI sextairadas de ipsa duas partes quae tertia
pars est fratris mei Aicardi, et terminatur ab oriente terra Ismidonis
quam dédit Villelmo fllio suo monacho, a meridie terra Sancti Victoris
— 351 —
Pour déduire une preuve en faveur de notre thèse, faisons
connaître remplacement exact des terres désignées par ces
expressions..
Et d'abord à quel endroit des bords de THuveaune se trou-
vait le monastère de saiute Eusébie, la chapelle « dexs Des-
narrados », d'après les auteurs qui nient ou affirment l'exis-
tence de ce monastère?
Nul n'est aussi exact et précis que M. l'abbé Daspres. Il fait
autorité à ce sujet, puisqu'il s'agit de l'histoire de sa paroisse.
Cet écrivain, qui, rappelons-nous, n'accepte pas noire
opinion, place cette chapelle « deïs Desnarrados » là où
s'éleva plus tard le monastère des Prémontrés, près de l'an-
cienne batterie d'Orléans, sur le bord de la mer, à l'embou-
chure de l'Huveaune. « L'ancienne chapelle des Prémontrés
d'abord, de Saint-Sauveur ensuite en 1529, se trouve dans le
local des restaurants Logos et Gontard et sert de cellier (1). »
Or, que lisons-nous dans la charte de 1097? « Moi, Villel-
mud Ârtaldus, je donne une pièce de terre située sur le lieu
appelé Saint-Félix, qui est terminée par les casâtes, jusqu'au
fossé d'eau, de l'autre côté par la mer et de l'autre, enfin,
par les eaux d'Uvuelne. »
Quel est le point précis du terroir où se trouve cette terre ?
Les termes de la charte précitée fournissent quatre points de
repère qui vont le déterminer. Cette terre est limitée par les
eaux de rHuveaune, puis par la mer, donc elle est située sur
quae fuit Pétri Isnardi, etab occidente terra Gantelmi. » (Charte de 1097,
aux archives départementales, cotée 789-317, fonds de Saint- Victor.)
(1) « Il y a au sujet de ce monastère de Notre-Dame d'Huveaune deux
erreurs historiques, assez communément répandues. La première est
celle qui place en ce lieu le fait glorieux du martyre de sainte Eusébie
et de ses compagnes... . » (Notice sur Saint-Giniez, par l'abbé
Daspres, p. 20, p. 27.)
On se rappelle le texte de la lettre d'un ancien curé de Saint-Giniez,
qui appelle la chapelle de Veaune : la chapelle dédiée à sainte Eusébie.
(En 1831).
C'est le point qu'indiquent d'ailleurs les contemporains, et les anciens
de Saint-Giniez, que nous avons notis-même interrogés souvent.
Un acte du 21 mars 1791, au registre 176, de la vente des biens doma-
niaux, donne la description parfaite de cette propriété. ('Daspres,
op. cit., p. 31.)
— 352 —
le rivage, au nord de l'Huveaune ou au sud. Un fossé d'eau
lui sert aussi de limite. Le texte latin dit « fossatum aquae ».
Que faut-il entendre par cette expression ? Elle peut désigner
ou bien les deux béais qui, empruntant leurs eaux à l'Hu-
veaune, à la jonction de celle-ci avec le Jarret, reviennent les
y déverser : l'un, le béai de Paradou, à quelque cents mètres
du point de jonction du chemin de Mazargues et du Prado,
vers la mer(l); l'autre le petit béai, au parc Borély (2). Elle
peut désigner encore le ruisseau de Gironde qui, partant du
palud, du marais d'Ântignage au rond-point, vient se jeter à
la mer en dessous des Bains du Roucas-Blanc (3).
11 ne peut s'agir ici du petit béai, qui alimente le moulin de
Barrai, puisque ce cours d'eau ne date que de 1514 (4).
Ces mots « fossatum aquae » ne désignent pas non plus le
grand béai de Paradou (5). Il y a loin entre la mer et le point
de jonction de ce béai avec THuveaune. Cette terre de Vil-
lelme serait une terre immense si le « fossatum * était ce béai.
Or, nous verrons tantôt qu'entre la mer et ce point de rencon-
tre du béai avec le fleuve il y a d'autres terres ijue celle de
Villelme. Ainsi cette terre de Villelme n'est pas située au midi
de l'Huveaune, sur sa rive gauche.
Si nous voulons trouver un a fossatum aquae » pouvant
servir de limite à une terre déjà bornée par le rivage et
l'Huveaune, nous n'avons que le ruisseau de Gironde. Ainsi
l'emplacement exact de la terre de Villelme est bien désignée.
Elle se trouvait dans l'espace que l'Huveaune, la rive de la
(1) Notice sur Saint-Giniez, l'abbé Daspres, p. 80; voir sa carte du
terroir de Saint-Giniez.
(2) Notice sur Saint-Giniez ', l'abbé Daspres, p. 79; voir sa carte du
terroir de Saint-Giniez.
(3) Notice sur Saint-Giniez, l'abbé Daspres, p. 93; voir sa carie du
terroir de Saint-Giniez.
(4) Notice sur Saint-Giniez, l'abbé Daspres, p. 79; voir sa carte du
terroir de Saint-Giniez.
(5) Dans un acte de 131 1, on parle d'une vigne située proche l'Huveaune
et vendue au monastère de Notre-Dame d'Uuveaune. On lui donne pour
confronts : la terre de Pascal Urbain, d'une part ; la vigne de Solamos
Albareista ; d'autre part, l'Huveaune et le valat de ladite église. (Fonds
de Saint-Sauveur, H. 56, Prémontres. Archives départementales.)
• — 353 —
mer et les Bains du Roucas Blanc circonscrivent. Or, c'est bien
là que s'éleva plus tard l'abbaye des Prémontrés. L'abbé
Daspres le disait plus haut.
Cette terre de Villelme bornée à l'ouest pair la mer, au
midi par l'Uveaune, au nord parle « fossatum aquae » est
terminée, dit la charte, par les casales. M. Daspres n'a pu
s'empêcher de se demander quelle était la signification de ce
mot. A notre tour nous disons: que veut-il dire? Les chartes
de Saint-Victor vont nous fournir l'explication.
On lit.dans la charte 259 : « Ego Bonuspars de vineâ cultâ
ïmpono mediam quart airatam ad casales Martini Venelli. » Il
s'agit d'une vigne située auprès des maisons ou de l'habita-
tion dé Martin Venel. Plus bas, dans le même document :
• Uno fron te casales Sancti Pétri. » Ce sont ici des maisons
qui forment la dot de l'église de Saint-Pierre. Dans la charte
258, on lit : « Unum latus casai maximum prseter duos casales
quse sunt supra ecclesiam. » Ici encore il. s'agit d'une maison,
de deux habitations situées au-dessus, dans un terrain domi-
nant une église. Dans la charte 149 : « Ut in borgo suo domos
sive casales deberet concedere ubi sibi et monachis hospitium
posset honestum habere, dédit casales ad aediflcandos do-
mos (1).« Toujours des maisons, des habitations que l'on ap-
proprie à d'autres usages; c'est-à-dire les demeures, les habi-
tations que les colons ou cultivateurs du terroir occupaient.
Dans ce sens, les casales dont il est parlé dans la charte de
1097 sont des maisons ordinaires. Puisque ce coin de terroir
était appelé Saint-Félix, il pouvait y avoir là un oratoire sous
ce vocable, et tout autour, ces quelques huttes se dresser.
Cependant, comme le terme casales n'est accompagné d au-
cune autre dénomination, il nous paraîtrait avoir, dans ce
passage, unsens plus général, celui de vieilles masures, d'an-
ciennes habitations, de vastes dépendances, ce que nous a p pè-
lerions les communs d'un château. Mais en ce point il n'y a
(1) Gartulaire de Saint- Victor. — Glossarium de Ducange, ad verbum :
Casale : « Accipitur pro prœdio ruatico, casa videlicet cum porlione agri.
— - Casa tegurium : illic humile casale sibi erexit. (Vita sancli Nicolai
de Rupe.)— Certus numerus casarum.» — CamUs, même signification :
t civitatem et casales et omnia praedia occupavit. .. »
— 354 —
nulle trace de villa, de maison importante, en 1097. Ce sont
donc les dépendances d'une propriété ancienne, des casais en
ruine, et Ton se sert de ce nom vulgaire de casais pour déter-
miner remplacement que cet ancien domaine occupait
jadis.
Cette terre deVillelme qui va de THuveaune à la Gironde
et de la - mer aux casales étant connue, où se trouvaient ces
caèales? Non pas peut-être à l'endroit même de ces ruines
que les Prémontrés relevèrent en 1204 ; mais pas trop loin
cependant, car la terre de Villelme, tout en ayant une cer-
taine étendue, était limitée cependant par d'autres terres,
situées non loin de là, appartenant à d'autres propriétaires
que Villelme, et portant d'autres noms.
Or, qu'étaient ces casales sans nom, ces ruines en 1097, a
deux pas de l'église de Sainte-Marie de Sait; à deux pas de
l'endroit où s'éleva plus tard le monastère des Prémontrés ; à
deux pas de la chapelle que la tradition populaire appelait
« leïs Desnarrados », c'est-à-dire le monastère des religieuses
qui se coupèrent le nez ; à deux pas enfin de l'endroit que la
tradition désigne pour être le lieu du martyre de sainte Eusé-
bie? Si l'on disait : ce sont des dépendances de l'antique mo-
nastère de Saint-Cyr, les habitations ruinées et abandonnées
des colons, des fermiers de ce monastère, serait-on bien éloi-
gné de la vérité ? Qu'il y ait, au XI* siècle, à ce point du ter-
roir, des ruines, des maisons abandonnées, et que, d'autre
part, la tradition dise qu'il s'est passé là un événement tel
que celui de la dévastation d'un monastère et le massacre
odieux des religieuses qui l'habitaient, c'est, on l'avouera, une
coïncidence bien étonnante, si la tradition populaire ne dit pas
la vérité.
Une expression encore que nous trouvons dans cette charte
de 1097 va nous fournir une autre preuve en faveur de notre
opinion.
À trois endroits du contexte de cette même charte, on
trouve cette indication : « Moi, Villelme Artaldus, donne une
pièce de terre ad Arabenz, qui se termine, à l'orient, h la
condamine de l'évoque... Moi Autrannus, fils de Richau,
donne un pièce de terre dans un autre lieu appelé Arabenz...
— 355 —
Moi, Iterius de Borriana donne en, gage à Saint-Victor une
pièce de terre ad Arabenz.D Quel est donc l'emplacement de
ce lieu : ad Arabenz ? M. Daspres a dit qu'il l'ignorait (1) ;
cherchons cependant, il est peut-être possible d'en déterminer
approximativement la position.
La première pièce de terre ad A rabenz, celle de Villelme,
est bornée à l'orient par la condamine de l'évêque. Or, cette
terre devenue la propriété de Saint- Victor, quoiqu'elle portât
encore le nom de révéque,servaitde limite à une terre appar-
tenant à Ponlius Signoreti (2). Celle-ci, en effet, était limitée à
l'occident par la condamine de Saint-Victor, qui avait
appartenu à l'évoque, au midi par l'Huveaune, à l'orient par
la terre de Gaufredus le vicomte. Or, celui-ci possédait plu-
sieurs terres dans le quartier : une au-dessus de l'église, l'au-
tre dans le palud, une autre encore près de l'église (3). Toutes
les trois pouvaient servir de limite à la terre de Signoreti, à
l'orient par rapport à celle ci.
La seconde terre située ad Arabenz, celle de Bertranus,
fils de Richau, était bornée à l'orient par la terre qu'Ismido
donna à son fils Villelme le moine, au midi par la terre de
Saint-Victor qui appartint à Pierre Isnard, à l'occident par la
terre deGantelme. L'espace de terrain qui longe la rive droite
de l'Huveaune étant déjà occupé par la terre de Pontius
Signoreti, la condamine de l'évêque et la terre de Villelme
dont il s'agit ci-dessus, force est de placer la terre de Ber-
tranus, fils de Richau, plus au nord, vers le ruisseau de.
Gironde.
De sorte que, de Saint- Giniez en allant vers la mer, sur
la rive droite de rHuveaune, on trouve : la terre de Gaufredus,
4
(1) « Arabenz, Saint-Félix... et quelques autres noms qui semblent
jusqu'à ce jour enveloppés d'un mystère impénétrable. « Daspres. op,
cit., p. 111. — Mortreuil (Dictionnaire topographique), au mot Ara-
benz, dit que c'est au quartier de Saint-Giniez.
(2) « Ego Pontius dono et vendo Sancto Victori unam peciam de terra
in terri torio Sancti Genesii et terminatur ab oriente terra Gaufredi vi-
cecomitis, a meridie aqua Uvelnœ et ab occidente condamina Sancti
Victoris, quae fuit Episcopi. » Ghaite de 1097, ut suprà.
(3) Charte inédite de 1097, publiée en français par M. l'abbé Daspres
(Notice sur Saint •Giniez), appendice, p. 136 etsuiv.
— 356 —
celle de Signoreti, la condamine de l'évêque ou de Saint-
Victor, la terre de Pierre Isnard, celle de Gantelme, celle
qui appartenait à Rostand d'Amalric, et dont la dlme appar-
tenait au chanoine Amelius Candidia, enfin celle de Villelme
au bord de la mer. Au-dessus de ces terres, en lon-
geant la rive gauche de Gironde, on trouvait d'autre part : la
terre de Gaufred, celle de Signoreti encore (toutes les deux
allaient probablement del'Huveauue à Gironde), la terre qu'Is-
mido donna à son fils le moine Villelme, celle de Berlranus,
fils de Richau, celle de Gantelme et, peut-être contiguë à cette
dernière, la terre de Villelme au bord de la mer et du « fos-
satum».
Or, de ce plan cadastral dressé en petit, il résulte ceci : que
le quartier ad Arabenz était situé sur le Prado même, à cin-
quante, cent ou cent cinquante mètres de la plage, en tirant
vers le rond-point. Le Prado séparait, selon nous, ces deux
terres. Celle de fiertranus était au nord, vers Gironde, celle
de Villelmus, au sud, vers l'Huveaune II
Le quartier ad Arabenz était donc non loin de l'embou-
chure de l'Huveaune, non loin de l'emplacement qu'occupa
plus tard l'abbaye des Prémontrés.
Or, quelle peut être la signification de ces mots : ad Ara-
benz ? Ils ressemblent tellement au mot Arabes, que Ton peut ,
sans crainte de se tromper, les traduire par la terre des Ara-
bes, terre située près des Arabes. Et l'on peut, croyons-nous,
défier les érudits les plus perspicaces de donner une explica-
tion sérieuse de cette expression (1). Quels Arabes, avaut
1097, s'étaient fixés à Saint-Giniez? Quels Arabes y avaient été
ensevelis?...
Or, en regard de cette expression incompréhensible, placez
notre tradition. Est-ce que l'explication qu'elle fait jaillir n'est
»
(1) M. Mortreuil (Dictionnaire topographique de Marseille), au mot
Arabenz , dit qu'il ne peut rien apporter de précis sur l'endroit appelé
de ce nom.
M. Daspres (Notice sur Saint-Giniez) pense de même, p. 111. — Rap-
pelions-nous, d'autre part, que certains chroniqueurs, tels que Isidore
de Beja et Rodrigue de Tolède, ont employé les termes : « sera Arabum,
anno imperii Arabum; » en parlant des Sarrasins.
— 357 —
pas surprenante? Est-ce que Ton ne découvre pas dans ce
mot le souvenir obscur que le peuple a conservé de quelque
fait, de quelque particularité concernant les lieux qu'il habite,
et qu'il a fixé à un coin de terre ! La terre des Arabes, est-ce
que de soi-même, instinctivement, on ne refait pas dans son
esprit les scènes de désolation et de Carnage que la tradition y
a placées ? Est-ce que Ton n'ajoute pas à cette expression terra
ad Arabenz: C'est là que sainte Eusébie fut martyrisée par les
Sarrasins I
Il y a là encore une coïncidence fort étonnante, si elle n'est
pas la vérité I !
CHAPITRE XIV
La Tradition
TRADITION GÉNÉRALE QUE SAINTE EUSEBIE A SUBI LE MARTYRE AUX
BORDS DE L'HUVEAUNE. AUTEURS. — TRADITION A MARSEILLE QUE
SAINTE EUSÉBIE A SOUFFERT LE MARTYRE A CET ENDROIT. AUTEURS.
— TRADITION DE L'ÉGLISE DE MARSEILLE ENCORE A CE SUJET.—
TRADITION DE 8AINT-GINIEZ AUSSI SUR CE POINT.— OR, CETTE TRA-
DITION EST ANCIENNE. — ELLE S* APPUIE, OU PLUTOT L'EXISTENCE
EN EST DÉMONTRÉE PAR L'ARRIVÉE A L'HUVEAUNE DES PRÉMON-
TRÉS, — PAR LEUR DÉVOTION A SAINT CYR, —PAR LE VOCABLE QU'ILS
DONNENT A LEUR MONASTÈRE,— PAR LE NOM « TERRA AD ARABENZ ».—
SAINTE EU8ÉBIB INVOQUÉE AUX BORDS DE L'HUVEAUNE AU DÉBUT
DU XIX* SIÈCLE.
Nous ne nous sommes pas trompés. C'est la tradition !
Il est de tradition générale, en effet, que sainte Eusébie a
vécu, a été martyrisée aux bords de l'Huveaune. Nous avons
vu tantôt bon nombre d'auteurs apporter leur témoignage.
Mabillon, qui affirmait que le monastère dans lequel la sœur
de saint Césaire d'Arles avait été formée à la vie religieuse
était celui que Cassien fit élever dans le terroir de Marseille,
sur les bords de l'Huveaune.
J.-J. Chifflet, qui, en racontant la venue à Marseille de la
relique de la croix de saint André, disait quelle avait été en-
fouie dans une des dépendances du monastère de l'Huveaune,
et il faisait à la suite le récit du martyre de sainte Eusébie.
André du Saussay, qui, mentionnant le fait relatif à la croix
de saint André, parlait du monastère de l'Huveaune.
Le Père Lecointe, qui citait aussi le monastère de l'Hu-
veaune au nombre de ceux que Marseille possédait à une cer-
taine époque.
L'Atlas Marianus et le père Poirey, dans la Triple Cou-
ronne de Marie, qui, parlant de la statue vénérée de Notre-
Dame d'Huveaune, racontaient le martyre de notre sainte
héroïne.
— 359 —
Voilà les témoins de notre tradition. Et comme ces auteurs
ont écrit de 1618 à 1668, il s'ensuit qu'au début du XVII*
siècle, partant à la fin du XV?, il était accepté et dit partout
que notre sainte Eusébie avait vécu, avait été martyrisée sur
les bords de l'Huveaune. Sur quels faits, sur quels documents
ces témoins appuyaient leur témoignage, nous le verrons plus
tard.
Serrons davantage la question et disons : Il est de tradition,
à Marseille, que sainte*Eusébie a été martyrisée aux bords de
l'Huveaune. Nous avens entendu les historiens de Marseille ;
rappelons leur témoignage.
Guesnay. — Il est provençal, natif d'Aix, au courant des tra-
ditions de notre Provence. Or, il affirme à plusieurs reprises
qu'il y avait au bord de l'Huveaune un monastère de reli-
gieuses cassianites dont Eusébie était l'abbesse, et il raconte
son glorieux martyre.
H. Bouche. — Il est provençal encore, natif d'Aix, au fait
des coutumes et traditions de notre contrée. Et son Histoire
de Provence parle du monastère de THuveaune, habité par
les Cassianites, détruit par les infidèles et de leurs reliques
conservées à Saint- Victor.
. Guindon et Méry ont écrit : a Le lieu où était situé le cou-
vent des Cassianites, à l'embouchure de l'Huveaune, est encore
désigné sons le nom a de'ta Desnarrados ». Cette appellation
justifie pleinement le séjour des Cassianites dans cette localité.
Ruffi et Grosson se trompent quand ils avancent que les dames
de Saint-Sauveur n'ont jamais habité le quartier de Mont-
redon. »
Bousquet nous rappelle que : a L'asile de ces saintes filles
était situé près de l'embouchure de l'Huveaune, à une petite
lieue de Marseille. » Et il cite le martyre de sainte Eusébie.,
M. le chanoine Magnan offrait de discuter l'existence d'un
cœnobium aux bords de l'Huveaune, et affirmait que Cassien
en avait établi un à cet endroit du terroir, pour les filles.
Les deux de Iluffi, Grosson, André, Giraud Magloire, Das-
pres, M. de Rey, tout en combattant notre opinion, attestent
que beaucoup d'auteurs plaçaient le monastère des Cassianites
et de sainte Eusébie aux bords de l'Huveaune.
— 360 —
Papon et la Statistique, tout en défigurant celle tradition,
en constatent l'existence d'une certaine manière.
Le premier affirme qu'il y avait aux bords de l'Huveaune
un monastère de filles, fondé par Gassien, détruit par les Visi-
gots et les Sarrasins: a Les religieuses qui échappèrent à leur
fureur ou qui la prévinrent par la fuite, s'étant retirées dans
le couvent qui était près de Saint-Victor, eurent le sort de
sainte Eusébie : elles se coupèrent le nez#». En dépit de l'idée
bizarre défaire courir les Cassianites des bords de l'Huveaune
à Saint-Victor, et de supposer deux monastères de filles, Papon
admet bien qu'il y ait eu un couvent de filles à l'Huveaune (1).
La Statistique des Bouches-du-Rhdne, elle aussi, raconte
qu' « à l'abbaye de Saint-Cyr, sainte Eusébie et ses compagnes,
après s'être coupé le nez, furent massacrées par les Sarrasins,
et que leur exemple fut suivi par les Cassianites de l'autre
abbaye, située à l'embouchure de l'Huveaune (2)». Même
bizarrerie que chez Papon, mais même affirmation de ce fait :
qu'il y a eu un monastère cassianite aux bords de l'Huveaune,
à l'époque de sainte Eusébie ! !
Ainsi tous ces auteurs, qu'ils acceptent notre opinion, qu'ils
la rejettent ou qu'ils la dénaturent, demeurent cependant les
témoins de cette tradition. Et comme ils ont écrit de 1650 à
1885, nous pouvons conclure qu'au XVII* siècle on croyait
bien, à Marseille, que sainte Eusébie avait souffert le martyre
aux bords de l'Huveaune.
Précisons davantage et disons : Il est de tradition à Saint-
Giniez même que sainte Eusébie et ses compagnes ont cueilli
glorieusement la palme du martyre à l'embouchure de l'Hu-
veaune, dans le cœnobium qu'elles habitaient. Interrogez les
vieillards de cette paroisse, comme il nous est arrivé de le
faire, alors que nous en étions vicaire, et bien souvent depuis
que nous avons entrepris d'écrire ces pages. Tous vous racon-
tent le martyre de notre sainte patronne, et ils vous indiquent
l'endroit où il a été subi. C'est l'emplacement occupé plus tard,
au XII? siècle, par le monastère des Prémontrés, et mainte-
(\) Papon, Histoire de Provence, t. I, p. 361.
(2) Statistique des Bouche$-du-Rhônett. II, p. 324.
— 361 —
nantpar le cellier et les dépendances du restaurant Giroudy-
Gontard.
Le dire des habitants de Saint- Giniez, leur croyance que le
terroir qu'ils cultivent a été le théâtre de cet événement glo-
rieux pour l'Eglise de Marseille, M. Daspres, qui fut le curé
de cette paroisse, les constatait dans sa Notice sur Saint-
Giniez. « Quelques auteurs, dit il, placent ce monastère de ,
religieuses à l'embouchure de l'Huveaune, et ce serait certai-
nement avec bonheur que nous accepterions pour ce quartier
la gloire d'avoir vu naître cette longue génération de religieu-
ses cassianites. Mais... » Il n'acceptait pas cette opinion. 11
ajoutait cependant : a Une chose pourrait nous mettre en con-
sidération, ce serait la tradition constante et universelle de
ceux qui se souviennent encore avoir vu la chapelle de Notre-
Dame d'Huveaune ; ils ne la dénomment jamais que sous le
titre deis Desnarrados . . . (1). »
M. de Rey aussi a constaté l'existence « d'une opinion locale
qui met en ce lieu le martyre de sainte Eusébie. Il y a eu, en
effet, à ce bord de mer, à une époque antique, une église et
une maison dont l'histoire nous est tout à fait inconnue (2).»
D'ailleurs, ce que les auteurs constatent, une locution usitée
dans le terroir de Saint-Giniez le prouve surabondamment. La
chapelle des bords de l'Huveaune y est appelée l'église « deïs
Desnarrados ». Or, « leïs Desnarrados »,on le sait, ne sont pas
les religieuses qui ont vécu dans le même Ordre que sainte
Eusébie, mais bien les religieuses qui se sont coupé le nez,
Eusébie et ses compagnes. C'est là leur chapelle, leur maison,
l'endroit où ce trait héroïque s'est passé. On le dit, on le sait,
on le croit à Saint-Giniez. Il est donc de tradition, dans
cette partie du terroir, que sainte Eusébie y a été martyrisée.
Or, cette tradition, cette dénomination « deïs Desnarrados »
ne date pas d'hier à Saint Giniez. Ce ne sont pas seulement les
auteurs modernes, Guindon et Méry, Bousquet, la Statistique,
M. Daspres, qui attestent que cette expression était en usage
dans cette partie du terroir. Mais Papon la connaissait et
(1) M. Daspres, Notice sur Saint-Giniez, pp. 26, 27 1
(2) Les Saint s de V Eglise de Marseille, p. 231 .
— 362 —
l'insérait dans son ouvrage et, en déptt des inventions bi-
zarres qu'il entasse à ce sujet, comme d'ailleurs l'ont fait
beaucoup avant et après lui, il s'exprime catégoriquement :
« De là cette tradition populaire qui fait appeler ces vieilles
masures (des bords de l'Huveaune) leïa Desnarrados, c'est-
à-dire le monastère des religieuses qui se coupèrent le nez! »
M. Daspres avouait lui même que c'était, à Saiht-Giniez,« une
tradition constante et universelle » et qu'on n'appelait la
chapelle de l'Huveaune que la chapelle a deïs Desnarrad os b.
Donc, ce terme, à lui seul, fait remonter notre tradition en
plein XVIII' siècle. D'autre part, le témoignage des auteurs
cités plus haut nous fait constater l'existence de cette tradition
en plein X\II* siècle. A la fin du XVI* siècle donc, on peut dire
qu'elle est vivante, certaine, acceptée de tous.
Or, date t-elb du XVI' siècle seulement? Non. Nous en
trouvons la trace à une époque bien antérieure. *
Une tradition étant la transmission de bouche en bouche,
de génération en génération, d'un événement ou d'une doc-
trine, il n'est pas absolument nécessaire que des faits, des
monuments viennent appuyer positivement cette tradition3en
constater l'existence le long des siècles. Il suffît que, l'exis-
tence actuelle de cette tradition étant prouvée, on ne puisse,
en remontant à l'origine de" ce fait ou de cette doctrine, allé-
guer ni fait, ni monument qui la combattent ou dont on
puisse dire qu'ils l'ont fait naitre et s'établir à tel ou tel
moment. Mais, si les preuves positives manquent quelquefois
à l'appui d'une tradition, bien souvent les preuves négatives
abondent. Ce sont des faits, des événements qui ne s'expli-
quent que par l'existence de cette tradition.
C'est le cas de celle qui nous occupe. A la fln du XVI* siècle,
on croit? à Saint-Giniez, à Marseille et ailleurs, que sainte
Eusébie a été martyrisée aux bords de l'Huveaune. Or, de la
fin du XVI* siècle à l'époque oîi nous plaçons le martyre de
cette sainte, au VIII* siècle, y a-t-il un fait, un écrit, un
événement, un monument qui s'oppose à celte croyance?
Nous n'en connaissons pas, et ceux que l'on a allégués nous
les avons réfutés.
Peut-on dire que celte tradition a pris naissance à tel et tel
— 363 -
moment durant ces huit siècles d'intervalle? Non, on n'a
rien dit ni écrit de semblable, ce qui a été dit ou écrit a été
combattu et réfuté.
Existe-t-il des preuves catégoriques, positives de Inexistence
de cette tradition durant ces huit siècles? Hélas! nous n'en
connaissons pas.
Mais n'y a-t-il pas des faits, des événements, des écrits, des
monuments qui ne s'expliqueraient pas sans l'existence de cette
tradition ? Oui, il en existe et les voici :
D'abord, au XIII* siècle, les Prémontrés deFont-Caude, nous
l'avons dit précédemment, s'établirent aux bords de rHuveaune.
Or, la fondation de ce monastère en cet endroit du terroir ne
se comprend, ne s'explique que par la croyance à cette époque,
au début du XIII* siècle, en .1204, que sainte Eusébie et
ses compagnes avaient été martyrisées en ce môme endroit.
Que faut-il pour fonder un monastère ? La solitude, l'espace
devant soi, la facilité d'acquérir les champs qui avoisinent,
aQn de ne pas être serré comme dans un étau ; que le monas-
tère puisse prospérer et se développer. Un coin de nos rivages
est préféré! Quel en est l'aspect? Est-ce la solitude, le désert?
Y a-t-il absence de toute servitude? Pourra t-on s'agrandir ?
Non. La plupart des terres qui avoisinent le monastère sont
occupées. Saint- Victor règne en maître, et ce ne sera pas la
puissante abbaye qui cédera ni vendra ses propriétés pour
favoriser le monastère de rHuveaune! C'est donc un très
mauvais calcul delà part des religieux Prémontrés de choisir
ce point du terroir.
11 y a bien une église et une maison. Mais elles sont en ruines !
Il faudra tout rebâtir. Ne vaudrait-il pas mieux chercher
quelque vieux moutier abandonné, que Ton restaurerait à peu
de frais ? Bien plus, l'évoque, en les autorisant à bâtir en cet
endroit, leur impose des conditions bien onéreuses. Ne pourrai t-
on pas en obtenir de meilleures en cherchant ailleurs? Et
cependant les religieux acceptent ces conditions de l'évéque,
la charge de tout reconstruire, l'étroitesse de remplacement,
et se iixent là! Comprenons-nous qu'ils passent par-dessus
toutes les difficultés, s'il n'y a là qu'une église ordinaire, qu'un
monastère sans tradition?
- 364 —
Ils ont tout accepté ! C'est que cette église, celte maison en
ruines ont un passé glorieux ; c'est que, tout en renonçant à
l'espoir de s'agrandir, on pourra faire revivre ce passé, glori-
fier Dieu, la Sainte Vierge et ses saints ; c'est que Ton a trouvé
un vieux moutier, une église antique, un débri arraché à la
fureur des hommes et à l'oubli des siècles I Qu'importent les
difficultés ! la Providence pourvoira à tout. Tôt ou tard on
dotera l'abbaye, et c'est ce qui arriva, en effet, l'inventaire de
1368 en fait foi. Mais qui a fait connaître à ces religieux fonda-
teurs le passé glorieux de cette église, de cette maison en
ruines? Ni les chartes, ni les livres, ni les monuments. Pas
d'autre voix que celle de la tradition I On leur raconte la
légende de sainte Eusébie, on leur montre les débris des '
siècles, les Prémontrés croient à la tradition, ils viennent
habiter eu cet endroit.
Autre fait. Les Prémontrés des bords de l'Huveaune ont une
grande dévotion à l'égard de saint Cyr. Cela ne s'explique pas
sans notre tradition.
Cette dévotion, nous l'avons dit plus haut, leur vient soit
d'une tradition qu'ils trouvent en cet endroit du terroir,
d'une fête que l'on y célèbre de tout temps, ou de quelque
relique de ce saint martyr qu'ils possèdent. Si c'est d'une
tradition qu'ils trouvent aux bords de l'Huveaune, notre
preuve est faite! Si c'est d'une solennité en l'honneur de
saint Cyr, célébrée en ces lieux, l'existence de notre tradition
explique seule cette fête. Si c'est de quelque relique donnée
par Saint-Sauveur, on ne comprend la demande que les
Prémontrés en font à l'abbaye de Saint-Sauveur que par la
connaissance qu'ils ont des faits qui se sont passés en ces lieux.
Or, qui leur a fait connaître l'histoire des ruines qu'ils
habitent? Ni les chartes, ni les livres, ni les monuments.
Seule, la tradition, c'est-à-dire ce que les habitants de ce quar-
tier se transmettent les uns aux autres de bouche en bouche,
de génération en génération sur l'église « deïs Desnarrados » !
Autre fait encore, les Prémontrâs ont donné à leur monas-
tère du terroir de Saint-Giniez le vocable de Notre-Dame
d'Huveaune. Or, ceci ne s'explique pas sans l'existence de
notre tradition.
-i:
— 305 —
Nous avons dit, en effet, que ce vocable n'était pas simple-
ment une désignation nouvelle, mais qu'il correspondait à
une réalité, à une croyance, à une dévotion établie en ce
point du terroir ; que cette dévotion, abritée pour ainsi dire
dans les ruines de l'église de Sainte-Marie de Sait, se conser-
vait depuis des siècles ; qu'elle était le souvenir d'un fait mé-
morable accompli en ces lieux ; que les Prémontrés, par ce
vocable nouveau, avaient eu le dessein de rajeunir celte dé-
votion l Or, comment les Prémontrés ont-ils connu tous ces
détails ? Par la voix du peuple, par la tradition locale ! Donc,
au XI1P siècle, notre tradition existe déjà.
Montons plus haut, nous en constatons l'existence au XI*
siècle. La charte de 1097 donne le titre de Notre-Dame de Sait
à une église située précisément à l'endroit que le monastère
des Prémontrés occupa plus tard: à ce point du terroir appelé
l'église a deïs Desnarrados ». Le même document parle de
« casales » — maisons en ruines et abandonnées depuis
longtemps. Il désigne par le nom d'Ârabenz une terre, placée
aux environs de ces a casales ». Or, expliquez l'existence d'une
église à ce point du terroir, à celte époque primitive; expliquez
d'où viennent ces ruines antiques des « casales » ; expliquez
cette expression bizarre: Arabenz, sans notre tradition que
sainte Eusébie et ses compagnes ont souffert le martyre à cet
endroit!
Oui, cette tradition existe, la preuve en est que sainte
Eusébie a été officiellement invoquée dans cette chapelle de
l'Huveaune ! Au commencement de ce siècle, chaque année,
au jour de l'Ascension, on se rendait en procession de Saint-
Giniez à cette chapelle. Or, à qui était-elle dédiée ? quelle sain-
te on quel saint y était invoqué? Sainte Eusébie !! C'est le
curé de Saint-Giniez, à l'époque, qui l'atteste dans une lettre
adressée par lui à l'évêque de Marseille, pour lui demander
d'être déchargé du soin d'une paroisse que ses infirmités ne
lui permettaient plus de diriger (1) Le prêtre qui donnait ce
détail, cité plus haut, administrait la paroisse déjà depuis
neuf ans. Il était donc au courant des coutumes de son église.
.- *i
'. \i
>r
.VI
. «■.».-.
'••>.
(H Nous donnons cette lettre en appendice.
24
4
— 366 —
C'était un vénérable vieillard, de 77 ans, ancien Chartreux,
saint prêtre, tout au regret de ne pouvoir, à cause de son
âge et de ses infirmités, reprendre sa vie d'austérité et de
pénitence, retrouver sa douce et paisible cellule de religieux.
Une parlait donc pas à la légère, ce qu'il disait était vrai ! Or,
depuis quelle époque ce culte public était décerné à notre
sainte dans cette chapelle? Nous ne saurions le dire. Il faut
certainement remonter à plus de dix et vingt ans, h M" de
Belsunce très probablement. Dans tous les cas, ce fait est la
consécration définitive de notre tradition locale. On croit, à
Saint- Giniez, que Sainte Eusébie a vécu, a été martyrisée à ce
point du terroir, à l'embouchure de THuveaune. Sainte Eusébie
y a été invoquée d'un culte public. Donc la tradition populaire
nous a transmis la vérité. C'est là que notre sainte a été mar-
tyrisée 1
Et voyez la conduite de la Providence ! Depuis M,r de
Belsunce, qui le premier a fait décerner un culte public à
sainte Eusébie, on a fondé bien des paroisses dans le diocèse de
Marseille. Jamais il n'est venu à l'idée de personne de donner
le vocable de Sainte-Eusébie à une de ces paroisses. A la longue
cela paraissait être un oubli à l'endroit de notre sainte héroïne.
Les auteurs s'en plaignaient (1). Ce fut une joie pour beau-
coup lorsque, vers 1850, on y remédia ! Or, à quelle paroisse
nouvelle a-t-on imposé le vocable de Sainte-Eusébie et de ses
compagnes? A une église voisine des bords de FHuveaune,
des champs et des rivages que la sainte abbesse et ses com-
pagnes avaient si souvent parcourus I On aurait pu l'attribuer
à toute autre église! Il semblait, au contraire, que la Provi-
dence en voulait disposer ainsi, que l'église dédiée à l'illustre
martyre serait, par une coïncidence singulière, une preuve,
un confirmation de la tradition de Marseille qu'elle avait vécu,
qu'elle avait été martyrisée sur les bords de l'Huveaune!!
Pour nous, l'existence d'une telle tradition est certaine.
Nous n'hésitons pas à l'affirmer. On pourra peut-être trouver
que nos arguments ne sont pas péremptoires. Mais, quant à
(1) M. Magnan, article de la Semaine liturgique. — M. André,
Histoire de Saint-Sauveur, p. 13
— 367 —
vouloir établir la non-existence de cette tradition, ce sera,
croyons-nous, une œuvre difficile !
Nous résumons la première partie de notre travail. Voici la
série logique de nos arguments.
Certains auteurs ont soutenu que le monastère de Sainte
Eusébie n'était pas à Saint-Giniez, aux bords de l'Huveaune,
sur le rivage de la mer. Les raisons qu'ils ont apportées sont
nombreuses. Or, ces raisons vous les avons réfutées.
Après avoir prouvé, selon eux, que ce monastère n'était pas
à l'Huveaune, ils ont affirmé qu'il était les uns à Saint- Victor,
les autres au Carénage, ceux-ci aux Catalans, ceux-là au
Revest, qui à la Major, qui à Saint Loup, qui à Saint-Cyr (Var),
etc., etc. Les raisons qu'ils donnent de leurs affirmations,
nous l'avons prouvé encore, ne valent rien.
A notre tour, nous avons soutenu d'abord qu'il était impos-
sible que ce monastère fût à ces divers endroits. Puis nous
avons prouvé, autant que cela peut se faire, que le monastère
cassianite se trouvait dans le terroir de Saint-Giniez. Donc la
première partie de notre travail est achevée. Sainte Eusébie
a vécu et est morte à l'embouchure de l'Huveaune.
Reste la deuxième question. A quelle époque sainte Eusébie
et ses glorieuses compagnes ont souffert le martyre ?
■ ^naaAAAAAAAAA/ia^
DEUXIÈME QUESTION
A quelle époque a été martyrisée
Sainte
PREMIERE PARTIE
Réfutation des Auteurs opposés à notre sentiment
PREMIÈRE SECTION
Objections et Questions préliminaires
CHAPITRE PREMIER
Les auteurs qui attribuent à d'autres
qu'aux Sarrasins le martyre de sainte Eusébie
EXPOSITION DE LA DISCUSSION. AUTEURS CITÉS : OUESNAY, H. BOUCHE,
RUFFI, LA « QAlLIA CHBISTIANA », PAPON, L AU TARD, ORINDA
La première questiopque comporte notre travail est résolue.
Sainte Eusébie a: subi le martyre sur les bords de l'Huveaune,
en donnant avec ses glorieuses compagnes son sang et sa vie
pour Jésus-Christ.
La seconde question se pose devant nous : à quelle époque
et, s'il est possible de préciser, en quelle année a eu lieu cette
scène tragique ? C'est ce que nous allons rechercher. Nous
prouverons dans les pages qui vont suivre que les Sarrasins
ont été les bourreaux de ces généreuses victimes et que c'est
en 738 qu'ils ont commis ce massacre odieux.
Nous l'avons annoncé au début de ce travail, la question est
fort controversée. Des auteurs qui l'ont traitée ou l'ont effleu-
rée dans leurs écrits, les uns assignent à cet événement une
— 372 —
date différente de la nôtre, les autres chargent de ce forfait
d'autres barbares que les Sarrasins. Afin de placer sous les
yeux du lecteur toutes les pièces du procès, citons le dire de
tous les auteurs que nous connaissons et dont nous avons les
ouvrages entre les mains.
D'abord, les auteurs qui attribuent à d'autres que les Sar-
rasins le martyre de sainte Eusëbie; ensuite ceux qui assi-
gnent à cet événement une autre date que celle de 738.
En premier lieu, les auteurs qui attribuent à d'autres que
les Sarrasins le martyre de sainte Eusébie. Nous avons sous la
main, le Père Guesnay, les deux Ruffl, If. Bouche, la Gallia
christiana, Papon, Lautard, Grinda, l'abbé Pierrhugues.
Guesnay, dans le Cassianus illustratus, attribue le mar-
tyre de sainte Eusébie aux Vandales : « Dans une des fré-
quentes excursions de ces barbares en Gaule, alors que les
Vandales, mêlés aux Àlains, aux Goths et aux autres peuples,
passèrent d'Espagne en Afrique, appelés parle duc Boniface,et
que leurs pirates ravageaient les côtes de Provence, portés par
la tempête, ces forbans s'abattirent un jour sur le rivage de
Marseille et y commirent d'affreux méfaits (1). » Et Guesnay
raconte le martyre de sainte Eusébie et de ses compagnes,
sans indiquer cependant cette circonstance, mentionnée par les
autres auteurs : qu'elles se mutilèrent le visage.
Le môme auteur, dans les Provinciœ Massxliensis Annales,
alors qu'il indique la date de cet événement, l'attribue aux
Vandales encore. Il écrit, en effet : « Alors que les Vandales
faisaient une guerre de pirates, ceux-ci attaquaient le rivage
de Marseille, débarquaient à l'embouchure de l'Huveaune,
etc. (2). »
H. Bouche écrit que « les mémoires anciens du monastère
(1) Guesnay, Cassianus illustratus, p. 509: «In bis frequentibus in
GalHà tôt barbarorum grassationibus, du m Vandali mixti Alanis, Go Uns
«t alits barbaris nationibus, ex Hispanià olim a duce Bonifacio excur-
runt in Africain, et piratico apparatu adversi littoris circumquaque
Provinciia imminent, tempestate subito abrepti ex alto invehuntur in
oram Massilise maritimam. »
(2) t Gum Vandali vitam agereut piraticam, forte iu eam Provincial
Massiliensem oram appulsi, in quâ Yvelinus fluvius mare influit... »
Guesnay, Provinciœ Massiliensis Annales, p. 186.
— 373 —
de Saint-Victor-lez-Marseille assurent que ce monastère a été
souvent détruit par les Vandales et autres peuples barbares,
gui ont brûlé ses anciens documents et que le monastère des
religieuses d'Uveaune, proche de Marseille, fut entièrement
détruit par ces barbares (1) . »
M. de Ruffi père écrit : a Quant au temps* du martyre (de
sainte Eusébie), c'était au XI' siècle, par les Normands (2). »
Ruffi (Louis de), dans Y Histoire de Marseille, a écrit :
« Nous tenons de tradition que ce monastère fut ravagé par les
Sarrasins, et que les religieuses, pov.r conserver leur virginité,
se coupèrent le nez, à l'exemple de l'abbesse Eusébie, ce qui
est autorisé par deux chartes de 1431" et 1446, qui marquent
que lorsque les Vandales détruisirent le monastère de Saint-
Victor, ils ruinèrent en môme temps celui de Saint-Sauveur.
Mais c'était plutôt les Normands que les Vandales, puisque
ceux-ci se retirèrent en Espagne avant que le monastère de
Saint-Sauveur ne fui fondé. . . (3). »
La Gallia christiana dit que a après que ce monastère des
Cassianites eût été détruit en même temps que celui de Saint-
Victor, non pas par les Vandales, mais par les Normands, ces
religieuses vinrent se fixer eu ville, à Saint-Sauveur (4). »
Papon, dans son Histoire de Provence, après avoir indiqué
deux monastères cassianites, l'un à Saint-Sauveur, l'autre sur
les bords de l'Huveaune, ajoute que a tous les deux ont été
détruits par les Sarrasins ou les Visigoths, qui massacrèrent
Eusébie et ses compagnes, ainsi que les religieuses de l'Hu-
veaune (5). »
Lautard, dans les Lettres archéologiques sur Marseille, en
fidèle copiste de Ruffi, a écrit : « Lors de la destruction de ce
monastère par les Normands, l'abbesse Eusébie et les qua-
rante religieuses qu'elle avait sous ses ordres se coupèrent le
(1) H. Bouche, Histoire de Provence, 1. 1, p. 565.
(2) Ruffl (Antoine), Histoire de Marseille, p. 386.
(3) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 58.
(4) Gallia christiana, t. I, p. 696 : t,Postquam autem monasterium
illad cum Victorino dirutum est, non quidem a Vandalis, sed potius a
Normannis.. »
(5) Papon, Histoire de Provence, 1. 1, pp. 361, 362.
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nez, pour conserver leur pureté. Ce faites! attesté parles char-
tes déjà citées du monastère de Saint-Victor, des années 143 1 et
1446, et par un manuscrit authentique, déposé dans les archi-
ves de la communauté des religieux. La tradition en était
si bien établie, que, lors de l'admission des novice^ à la sainte
cérémonie de leurs vœux, on leur rappelait toujours la coura-
geuse détermination de ces servantes du Seigneur qui n'a-
vaient pas craint de se mutiler pour que de profanes mains ne
portassent aucune atteinte à leur vertu (1). »
A ces auteurs nous pouvons joindre M. Grinda. Dans les
pages pleines d'érudition et de détails détachées de sa Mono-
graphie de V abbaye de Saint-Victor- lez- Marseille et insé-
rées dans l'Echo de Notre-Dame de la Garde, cet auteur a
traité des questions se rattachant à la légende de sainte Eusébie.
Ayant à parler notamment des Sarrasins à qui Ton impute
le massacre de notre héroïne, il écrit (2): « La tradition
désigne-elle formellement les Sarrasins ? Nous n'hésitons
pas à répondre : non. Les historiens qui ont rapporté ce glo-
rieux souvenir de l'Eglise de Marseille sont loin d'être d'ac-
cord. Ils désignent les Vandales, les Goths, les Normands, les
Bourguignons, les pirates arabes, les Sarrasins. Le Propre du
diocèse de Marseille, qui résume la tradition dans la leçon IV'
de l'office de sainte Eusébie, ne nomme pas. les Sarrasins ; il y
est question des infidèles et des barbares, ce qui peut s'appli-
quer aux Vandales, aux Visigoths, aussi bien qu'aux Sarra-
sins . . . »
a . . . Le Père Guesnay, dans le Cassianus illustratus, dit
que sainte Eusébie fut martyrisée, alors que la Provence était
la proie des Vandales, des Goths et autres barbares. Nous par-
tageons volontiers cette opinion, qui semble corroborée par
l'archéologie et qui permet de considérer notre inscription
comme l'épitaphe de cette sainte martyre »
«... Un autre détail vient encore corroborer l'époque que
nous assignons à cette inscription, il y est fait mention du
(1) Lautard, Lettres archéologiques sur Marseille, pp. 401,402.
(2) Griuda, Monographie de V abbaye de Saint-\ictor-ltz-Mar&eille.
fragments publiés dans Y Echo de Notre-Dame de la Garde, année 1888,
n- 345.
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monastère de Saint-Cyr, titre que prit cette maison au V* siècle,
mais qu'elle n'avait déjà plus vers la fin du siècle suivant
(597), sous l'épiscopat de saint Sérenus. * Et M. Grinda cite en
note quelques lignes de Y Histoire littéraire de la France,
t. III, p. 234 : a Les reliques de saint Cyr et de sainte Julitte,
sa mère, martyrisés en 304, furent apportées d'Antioche, au
commencement du V siècle, par saint Amatre, évêque
d'Auxerre ; quelque temps après on transféra à Nevers un
bras de saint Cyr. Les religieuses cassianites prirent une par-
tie de ces reliques. »
Nous pourrions ajouter ici, pour mention seulement, le nom
de l'abbé Pierrhugues. Cet auteur, dans un travail intitulé :
Fin de Lérins, s'est attaché à prouver que saint Porcaire et ses
cinq cents disciples ont été martyrisés par les Vandales.
Or, quelques auteurs ont semblé placer à la même époque,
et partant attribuer aux mômes barbares, le massacre de
sainte Eusébie et de ses compagnes. Nous verrons plus tard ce
que vaut cette affirmation.
CHAPITRE II
Auteurs qui ont assigné au martyre de
une date autre que celle de 738 .
TEXTE DE CBS AUTEURS.
Nous citerons successivement : le Père Guesnay, Mabillon,
Grosson, M" de Belsunce, les deux Ruffl, la a Gallia cArtV
tania », Papou, P. Longueval, H. Bouche, Bouche, Fouque,
Fabre (Augustin), Lautard, Guindon et Méry, l'abbé Magloire
Giraud, Bousquet, Reinaud, lu Statistique, Alliez, Robacker,
Darras, Kothen, André, M. le chanoine Magnan, M. de Rey,
M. Grinda.
Guesnay donne la date de cet événement dans les Annales
provinciœ Massiliensis. Il la fixe à l'an 477. « A l'époque,
écrit-il, de la persécution de Genséric ou d'Hunéric, son fils,
contre les catholiques, alors que les Vandales faisaient une
guerre de pirates, ceux-ci attaquèrent le rivage de Marseille
et débarquèrent à l'embouchure de l'Huveaune. S' emparant
du monastère qu'habitaient Eusébie et ses trente-neuf com-
pagnes, ils les mirent à mort en haine de la religion de ces
héroïques victimes (1). » A un autre endroit de ce même ou-
vrage, Guesnay fixe cet événement à Tannée 450 (2).
H. Bouche. Nous avons vu (3) cet auteur attribuer le mar-
tyre de notre sainte aux Vandales, sans indiquer d'autre date
que celle qui est en marge : 407.
(1) Guesnay, Provinciœ Massiliensis Annales, p. 186, ad annum477 :
« Circa excitatam a Genserico sive Hunerico ejus filio, catholicorum
perseculionem,, cum Vandali piraticam agerent •
(2) « Anno 450. Eodem an no SS. virgines ac martyres novem supra
triginta sub reglmine Eusebi» moniales Cassianitœ • Guesnay,
op. cit. y p. 600.
(3) H. Bouche, Histoire de Provence, t. !•% p. 565.
•■• M
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Mabillon, dans les Annales ordinis Sancti Bénédictin à la
suite de l'année 732, écrit : « que ce fut à cette époque qu'eut
lieu le fait mémorable du martyre par les Sarrasins des
quarante religieuses du monastère de Saint-Cyr, fondé par
Cassien, près de Marseille. A la tôte de ces martyres se trouvait
l'abbesse Eusébie, qui exhorta ses compagnes à se mutiler le
visage pour échapper à la lubricité des Sarrasins (1). » Dans les
Acta sanctorum ordints Sancti Benedicti, Mabillon raconte
ce fait à l'année 731 (2).
M" de Belsunce, dans l'Antiquité de l'Eglise de Marseille,
citant Mabillon, dit : a Ce fut probablement durant ces guerres
des Sarrasins que sainte Eusébie, abbesse du monastère fondé
par Cassien, souffrit le martyre avec ses compagnes. Les Sar-
rasins avaient des vaisseaux dont ils se servaient pour, faire
des descentes dans les lies ... Le monastère de sainte Eusébie,
qui portait alors le nom de Saint-Céris ou Gyricius, était hors
de la ville et assez peu éloigné du port. Cette situation l'expo-
sait aux incursions des pirates sarrasins dont une troupe vint
tout à coup descendre sur le rivage et marcha vers le monas-
tère. . . (3). »
Ruffi, dans Y Histoire de Marseille, écrit « que, quant au
temps de la destruction de l'abbaye (des religieuses), il est
presque impossible d'en pouvoir fixer l'époque, à cause que la
Provence a souffert divers ravages des Sarrasins, savoir en
Tannée 726 et 730, et du temps de Charlemagne. Toutefois, il
y a apparence que ce fut au IX' siècle que les Normands,
altérés du sang des chrétiens, aïant inondé diverses provin-
ces... qui, s'étant aussi jetés en ce royaume, entrèrent
par mer en Provence, ruinèrent et désolèrent un grand nom-
bre de maisons religieuses. . . J'estime qne cette funeste irrup-
(1) « Hue revocant nobile factum sanctimonialium quadraginta cœno-
bii Sancti Cyricii, prope Massiliam a B. Joanne Cassiano erecti, quse,
hortante Busebia, matre ac abbatissa, ne suœ pudicitiae vis a Sarracenis
inferretar, nasum sibi prœcidisse traduntur » c Ad annum 732. »
(Annales ordinis Sancti Benedicti, t. II, p, 90.)
(2) t Ad annum 73/. » (Acta sanctorum ordinis Sancti Benedicti,
t. IV, p. 487.;
(3) De Belsunce, Antiquité de V Eglise de Marseille, 1. 1, p. 290.
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tion arriva environ en l'an 867, auquel temps une armée de
nés barbares était conduite par un comte appelé Tulba ou
Hulba. .. (1). »
Papon, dans l'Histoire de Provence, sous la rubrique des
années 736 et 737, rappelle la trahison de Mauronte, gouver-
neur de Marseille, a qui avait des intelligences secrètes avec
les Sarrasins déjà maîtres de la Sep ti manie, qui profita du
temps où Charles Martel faisait la guerre en Saxe pour leur
livrer, de concert avec ses complices, les villes d'Arles et
d'Avignon, et le reste de la Provence. .. Les religieuses de
Marseille, ayant à leur tête l'abbesse Busébie, donnèrent à cette
occasion l'exemple d'une fermeté vraiment chrétienne. Elles
se coupèrent le nez et se déchirèrent le visage, pour n'inspirer
que de l'horreur ou de la pitié (2). »
Grosson, dans les Almalnachs historiques de Marseille,
pour les années 1770 et 1773, n'indique pas de date précise.
Après avoir rappelé que Ruffi place ce fait au IX* siècle, il
affirme que le monastère caçsianite était sous le vocable de Saint-
Cyr, que sainte Ëusébie en était abbesse, qu'il était situé
aux Infirmeries vieilles, sous la citadelle Saint-Nicolas, que
les religieuses Cassianites qui l'habitaient en sortirent par la
persécution des Sarrasins qui les massacrèrent après qu'elles
se furent coupé le nez, et qu'en 737 elles vinrent plus près de
de Saint-Victor. Suivant Grosson, ce fait serait antérieur
à 737 (3).
Longueval, dans l' Histoire de ï Eglise gallicane , place cet
événement à l'année 731. « Les Sarrasins pénétrèrent, dit- il,
jusqu'à Marseille et ce fut sans doute alors que les religieuses
du monastère de Saint-Cyr ou de Saint-Sauveur, bâti proche
de cette ville par Cassien, firent une action très héroïque pour
la défense de leur chasteté • ; et cet auteur raconte le fait tel
que nous le connaissons (4).
Bouche, dans Y Essai sur Vhistoire de Provence, parlant des
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 58.
(2) Papon, Histoire de Provence, t. Il, pp. 77, 78.
v3) Grosson, op. cit., p. 74, Almanach de H70\ et page 94, pour celui
de 1773.
(4) Longueval, Histoire de V Et/lise gallicane, t. IV, p. 495.
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invasions des Sarrasins, écrit, sous Ja rubrique de l'année 736:
a On prétend que les religieuses qui habitaient les campagnes
voisines de Marseille, pour échapper au malheur de perdre
leur virginité et n'inspirer que de l'horreur à ces féroces
étrangers, se coupèrent le nez et se meurtrirent le visage (1). ».
La Gallia christiana, qui a désigné les Normands comme
les auteurs de ce massacre, place ce fait probablement en
Tannée 867 (2).
La Statistique des Bouches -du-Rhône , parlant de l'abbaye
de Saint-Cyr, dit : « Les Sarrasins la détruisirent en 810 (3).»
Fouque, dans les Fastes de Provence, écrit : o Toujours bat-
tus, jamais découragés, les Maures rentrèrent en Provence en
736 et s'emparèrent de nouveau d'Arles et de Marseille: d'après
la chronique de Tordre de Saint- Benoit, quarante religieuses
se coupèrent le nez et se mutilèrent le visage pour repousser
par la laideur ou intéresser par la pitié ces féroces conquérants
ou éviter le déshonneur (4). »
Fabre, Augustin, dans Y Histoire de Provence, iixe ce fait
ù Tannée 737 et le raconte en ces termes, citant tour à tour
Gnesnay et Mabillon : a Les Sarrasins désolèrent l'abbaye de
Saint-Victor, qui ne présenta plus que des ruines. En ces cala-
mités effroyables, les religieuses cassianités du monastère de
Saint-Sauveur tirent éclater leur héroïsme. Elles avaient pour
abbesse la vertueuse Eusébie. Cette femme, sublime de cou-
rage et de chasteté, se coupa le nez et se déchira le visage pour
faire horreur aux barbares et pour sauver ainsi sa pudeur
alarmée. Ses saintes compagnes, imitant son exemple avec
empressement, se mutilèrent la figure sans montrer la moin-
dre émotion (5). »
La u tard, dansies Lettres archéologiques sur Marseille, dit
qu' « il n'existe aucun titre qui puisse fixer l'époque de ce ter-
(1) Bouche, avocat, Essai sur l'Histoire de Provence, t. I, p. 189.
(2) « Postquam illud monasterium cum Yictorino dirutum est, non
quidem a Vandalis, sed potius a Normannis, Jncerto anno, fortasse
867... * Gallia christiana, t. I, col. 696.
(3) Statistique des Bouches-du-Rhône, t. II, p. 457.
(4) Fouque, Fastes de Provence, t. I, p. 241.
(5) Fabre, Aug., Histoire de Provence, t. I, pp. 312, 316
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rible événement. Il est probable qu'il ne remonte qu'au IX-
siècle, lorsque les Normands entrèrent en Provence. Ce fut en
867 que ce redoutable fléau désola nos contrées (1) ».
Guindon et Méry, dans Y Histoire analytique et chronolo-
gique des actes et délibérations du Corps et du Conseil de la
municipalité de Marseille, disent « que, chassés en 735 de
leur demeure par les barbares, les Cassianites s'établirent peu
de temps après à Pembouchure de l'Huveaune. . . (2) •.
M, l'abbé Magloire Giraud a écrit, dans la Notice historique
sur l'église de Saint-Cyr ( Var)y a que la mort de l'abbesse
Eusébie arriva l'an 867 selon Ruffi, ou Tan 838 d'après Rei-
naud, dont l'opinion est plus fondée, époque qui coïncide
avec la destruction de Taurœntum, occasionnée, comme on le
sait, par les Sarrasins. . . (3) ».
M. Bousquet, dans la Monographie de la Major, raconte la
légende et en fixe l'époque de 725 à 730. Il cite et s'approprie
le texte de H. Bouche, dans son Histoire de Provence (4).
Alliez, dans Y Histoire du Monastère de Lèrins, après avoir
raconté le fait qui nous occupe semble le fixera l'année 732,
car il cite en note Mabillon, qui assigne cette date (5).
Reinaud, dans les Invasions des Sarrasins en France,
place le martyre de notre sainte Eusébie en Tannée 838 (6).
Rappelant le texte des annales de Saint-Bertin que nous con-
naissons, il ajoute: « C'est peut-être à cette occasion qu'eut
lieu le fait attribué à sainte Eusébie, abbesse d'un couvent de
Marseille. . . » II raconte le martyre tel que nous le connais-
sons.
Darras, dans Y Histoire générale de V Eglise, place cet évé-
nement au printemps de l'année 732, quand Lérins fut sac-
, cage. « A Marseille, ajoute-t-il, dans le couvent de Saint-
Ci) Lautard, Lettres archéologiques, p. 402.
(2) Guindon et Méry, t. V, p. 202.
(3) M. L'abbé Magloire Giraud, Notice historique sur l'Eglise de Saint-
Cyr (Var), p. 16.
(4) Bousquet, Monographie de la Major, p. 65. — H. Bouche, Histoire
de Provence, t. I", pp. 699, 700.
(5) Alliez, Monastère de Lérins, t. I-r, p. 398.
(6) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 137.
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Sauveur, l'abbesse sainte Eusébie et quarante religieuses de
ses compagnes se défigurèrent le visage et se coupèrent le
nez, afin de se soustraire aux outrages des Musulmans (1). »
Avant l'abbé Darras, l'abbé Rocbaker, traitant du même
fait, le raconte comme les autres auteurs et le p lace en
Tannée 751 (2).
André, dans son Histoire de C Abbaye de Saint-Sauveur,
apré& avoir rappelé ce que la tradition raconte du martyre de
sainte Eusébie, ajoute que quelques historiens ont placé ce
fait vers 737, en s'appuyantsur le texte de l'inscription tumu-
laire. Mais, comme il ne croit pas que cette inscription ait
été rédigée pour notre sainte Eusébie, il n'accepte pas cette
date. A la suite de Ruffl et de Lautard, il pense que ce serait
difficile d'en indiquer une bien précise. Celle de 867, donnée
par Ruffl, ne lui plait pas. Il préférerait celle de 823, ce qui
ferait correspondre la ruine de Saint- Victor avec la ruine du
monastère de sainte Eusébie et la mort de celle-ci. a Nous
reportons, dit-il, à cette époque le martyre d'Eusébie et la
ruine de son monastère. En effet, au témoignage de la charte
de 1005, les Sarrasins détruisirent plusieurs monastères ; de
plus, rien avant le commencement du X' siècle ne témoigne
de la ruine de l'abbaye cassianite; au contraire, nous la
voyons riche et prospère par les divers dénombrements de
ses biens dressés de 788 h la fin duX' siècle (3). »
M. Kothen, après avoir cité Mabillon, Ruffl, Belsunce, et
parlé de Reinaud qui choisit la date de 838, écrit : « Cette
époque où régnait le faible successeur de Charlemagne, nous
parait aussi la plus probable (4). »
M. le chanoine Magnan, dans quelques pages insérées jadis
dans la Semaine liturgique de Marseille, expose que sainte
Eusébie vivait vers la fin du VII' siècle. Elle était abbesse
d'un monastère près de l'Huveaune, à l'époque de l'invasion
(1) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XVII, p. 14.
(2) Rocbaker, Histoire de l'Eglise, liv. LI.
(3) André, Histoire de l'Abbaye des religieuses de Saint- Sauveur,
p. 12.
(4) KOtben, Notice sur les Cryptes de VAbbatJe de Saint-Victor-lez-
Marseille, p. 55.
25
— 382 —
des Sarrasins en Provence. Elle fut massacrée avec ses com -
pagnes dans la chapelle de ce monastère par une horde de
ces barbares. Cet auteur ne donne pas de date précise de cet
événement. Cependant, comme il ajoute que « deux ans après
ce martyre toute la puissance des Sarrasins vint expirer dans
la plaine de Tours, sous les coups de Charles Martel », et
cette bataille de Poitiers ayant été livrée en 732, ce serait
donc en 730 que, suivant cet auteur, le martyre de sainte
Eusébie aurait eu lieu (i).
L'abbé Verlaque,.dans une Notice sur sainte Eusébie^ dé-
signe les auteurs du massacre de cette sainte abbesse. Mais
il ne donne pas de date précise. « Ce serait, dit-il, pendant le
règne du faible successeur de Charlemagne » , dans une de leurs
excursions, que, venant mettre le siège devant Marseille,
ils mirent à mort la glorieuse phalange. Or, Louis le Débon-
naire, le successeur du grand empereur, ayant régné de 814
à 840, ce serait durant ce laps de temps de vingt-six ans que
ce fait ce serait passé (2).
M. de Rey, dans son Histoire dés invasions des Sarrasins
en Provence (3), dit que ce sont les Sarrasins qui ont détruit
le monastère de Saint-Cyr et massacré sainte Eusébie et ses
compagnes. « Resterait à fixer, ajoute-t-il, la date de ce ter-
rible événement : on ne peut le faire avec certitude. Guesnay
le place en 477 et le met à la charge des Vandales. . . Quel-
ques historiens ont choisi fort arbitrairement la date de 732 ;
d autres, se basant sur ce qui est dit dans les annales de
Saint-Bertin de l'enlèvement des religieuses de Marseille» le
mettent à Tannée 838 ... Le fait de sainte Eusébie et de ses
quarante desnarrados n'est pas de cette époque. Il est pro-
bable, et c'est l'opinion de M. André, que les religieuses
souffrirent au commencement du X* siècle, dans une de ces
expéditions sanglantes que les Sarrasins dirigèrent contre
Marseille et que la date de leur martyre est celle de la des-
truction de leur abbaye, un peu après 924. En admettant cette
(1) Semaine liturgique, année 1868.
(2) Verlaque, Notice sur sainte Eusébie, pp. 14, 15.
(3) G. de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 145,
— 383 —
opinion, il faut placer le meurtre de sainte Eusébie en 933 ou
en Tannée 948, qui correspondent à l'indiction VI, donnée par
l'inscription de son tombeau. »
Le même auteur, dans sa biographie de sainte Eusébie,
insérée dans Y Echo de Notre-Dame de la Garde, puis dans
Les Sainte de l'Eglise de Marseille, a écrit : « C'est aux
Sarrasins que la tradition impute le massacre des dames Cas-
sianites. a Mais, pour l'époque de ce massacre, il ajoute :
« Nous ne croyons pas que ce soit dans les premières expédi-
tions des Sarrasins (sous Charles Martel) que les Cassianites
ont trouvé la mort. . . Ce ne fut pas non plus en 838, lors de
l'enlèvement des religieuses à Marseille suivant ce que la
chronique de Saint-Bertin raconte (1). »
M. de Rey préfère les années qui suivirent 923. « C'est
alors que périt le monastère de Saint-Victor, et alors aussi,
croyons-nous, que celui de Saint-Cyr, surpris par une attaque
imprévue, succomba si glorieusement.»
A la fin de ce travail cependant, M. de Rey, influencé par
l'opinion de M. Edmond Leblant, qui range l'inscription tu-
mulaire de sainte Eusébie parmi celles du VI* siècle, ajoute:
c S'il en est ainsi, il faut avouer que nous n'avons pas l'ins-
cription de sainte Eusébie ; à moins qu'abandonnant l'opinion
commune qui la dit martyrisée par les Sarrasins, nous ne
croyions, avec le Père Guesuay, qu'elle a péri au V€ siècle
dans une descente des pirates africains. Mais nous n'entrerons
pas dans cette voie ; nous n'avons sur sainte Eusébie que la
tradition, nous devons nous y attacher et ne pas suivre des
hypothèses toutes gratuites (2). »
M. Grinda, enfin, dans les extraits de sa Monographie de
V Abbaye de Saint-Victor, publiés dans Y Echo de Notre-
Dame de la Garde, parlant de l'inscription tumulaire de
sainte Eusébie, prouve qu'elle est du V- siècle : « Elle appar-
tient à ce que les archéologues appellent le troisième âge, et
se place entre les années 487 et 499. C'est dans ces douze
années qu'il faut chercher la date de notre inscription. Or, la
(1) Les Saints de l'Eglise de Marseille, sainte Eusébie, pp. 229, 230.
(2) Les Saints de V Eglise de Marseille, sain le Eusébie, p. 237.
— 384 —
troisième période d'indiction commence en 492, la sixième
année de celte indiction est Tan 497, qui est la date cherchée.
L'abbesse Eusébie, pour laquelle l'épitaphe a été gravée, serait
née, selon nous, en 433; elle serait entrée dans le monastère
en 447, à l'âge de quatorze ans, et, après cinquante années de
vie religieuse, elle serait morte la veille des kalendes d'octobre
de Tannée 497(1). »'
(1) M. Grinda, Monographie de l'abbaye de Saint- Victor, dans VEcho
de N.-D. de la Garde, n° 344, année 1888.
CHAPITRE III
Les Sarrasins
Première question préjudicielle
COUP D'ŒIL RAPIDE 8UR LEURS INCURSIONS EN AFRIQUE, EN ESPAGNE,
EN FRANCE. — VERS 732, ILS SONT EN PROVENCE. — LUTTE ENTRE
LES SARRASINS ET CHARLES MARTEL (737-739). — LES SARRASINS
RÉFUGIÉS DANS LES MONTAGNES DES MAURES. — PAIX DURANT LE
RÈGNE DE CHARLEMAONB. — RAVAGES DBS SARRASINS DURANT LE
IX' SIÈCLE. — VAINCUS ET CHASSÉS EN 973.
Dans un certain nombre de chapitres il va être longue-
ment question des Sarrasins. Donnons un aperçu de leurs in-
vasions en Espagne, en France, en Provence, afin de mieux
saisir les détails qui se groupent autour de notre sujet : le
martyre de sainte Eusébie.
Tentés par le site de l'Espagne et la fertilité de ses plaines ;
poussés en avant par cette idée fanatique, que le Prophète leur
a insinuée, de soumettre la terre entière à la domination du
Coran, les Sarrasins (1), mettant à profit les désaccords et les
rivalités de Yitizza et de Rodrigue, le dernier roi des Visigoths,
abordent en Espagne vers 711, renversent Rodrigue en 712 et
commencent la conquête de ce royaume (2). Au bout de trois
ou quatre ans c'était chose faite .
(1) Invasions des Sarrasins en Provence, par M. de Rey, p. 8.
(2) C'est, en effet, la rivalité qui existait entre Vitizza et Rodrigue ou
Rode rie qui fut la cause de la perte de l'Espagne. Chez les Goths d'Espa-
gne les rois étaient nommés à l'élection. Or, Vitizza voulut désigner son
fils pour son successeur. Le sénat de la nation excita Boderic à combattre
une telle prétention. Il fut en effet victorieux de Vitizza et de son fils.
Mais les Arabes d'Afrique profitèrent de ces luttes intestines, débarquèrent
— 386 —
Dès 716, un des lieutenants du calife Alahor pénètre en
Septimanie. Quelques coureurs arabes se montrent peut-être
sur les bords du Rhône. Dès 719, Narbonne est prise, les hom-
mes en sont massacrés, les femmes et les enfants jetés en es-
clavage (1). En 720, ils viennent assiéger Toulouse, sous la
conduite de Zama. Eudes, duc d'Aquitaine, les attaque et les
bat en 721. En 725, ils reviennent, prennent Carcassonne et,
favorisés par l'inaction d'Eudes et l'absence de Charles Martel,
occupé en Bavière, arrivent jusqu'à Nîmes, Sens, Autun,
qu'ils assiègent et incendient (2). La Septimanie était con-
quise.
Sept ans plus tard, les Sarrasins reprennent leur marche en
avant. En 732, conduit par Abderamme, ils prennent Bor-
deaux, battent l'armée d'Eudes, pillent Poitiers. Une autre
armée sarrasine s'avançait le long du Rhône et saccageait la
Viennoise. Arles fut investie (3).
C'en était fait de là France et de notre Provence, si Charles
Martel ne fût accouru. Réunissant ses troupes à celles d'Eudes,
il écrase les envahisseurs à Poitiers, en octobre 732(4); puis,
descendant vers Arles, les bat encore (5), et les rejette en Sep-
timanie. Sans l'ambition de Charles Martel, les Sarrasins ne se
relevaient pas de leurs défaites. Par suite, en effet , de ses guerres
en Espagne en 71t. Roderic, qui marcha contre eux, fut défait en 712 et
périt en combattant. On voit donc que la légende de Rodrigue violant
la fille du comte Julien, gouverneur de Ceuta, et forçant celui-ci,
pour se venger, à appeler les Sarrasins dans sa patrie, ne repose sur
aucun fondement. (Voir Revue des questions historiques* année 1881,
liv. de juillet, Les Espagnols et les Visigoths, et la livraison d'avril
1882, Ruine de V Espagne gothique .)
(1) Dareste, Histoire de France, 1. 1, p. 319.
(2) H. Bouche Histoire de Provence, t. I, p. 699. — De Mauléon,
Mérovingiens et Carlovingiens, t. I, pp. 236, 237. — Dareste, Histoire
de France, t. I, p. 320. — Darras, Histoire de l'Eglise, t. XVII,
pp. 22, 23.
(3) Invasions des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 28, etc. —
Darras. Histoire de l'Eglise, t. XVII, p. 24. — De Mauléon, Mérovin-
giens et Carlovingiens, t. I, pp. 243, 244, etc.
(4) Darras, op. cit., t. XVII, p. 29, etc. — Dareste, Histoire de
France, t. I, p. 324, etc.
(5) Invasions des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 29.
— 387 —
en Bavière et en Saxe, Charles Martel avait dû négliger le midi
de la France qui s'était peu à peu détaché de la couronne.
Or, au lieu de procéder avec douceur pour rétablir son auto-
rité, ce fut par la force des armes qu'il l'implanta en Bourgo-
gogne(l)en 799, parla ruse et la spoliation qu'il l'inaugura
en Aquitaine, dont il s'empara en 735, à la mort d'Eudes, au
détriment des fils de ce prince vaillant (2). Ce fut alors le tour
de la Provence. En 736, il y arriva, donna des gouverneurs à
Arles, Marseille, etc., croyant asseoir sa puissance de Lyon à
la mer (3).
Or, M a ur on te, duc de Marseille, établi par Charles Martel,
aspira à l'indépendance et, s'alliant aux Sarrasins de Septi-
manie, ils les appela à son aide (4). Ceux-ci accoururent,
s'emparèrent d'Arles en 737, marchèrent sur Avignon, le pri-
rent, y commirent d'affreux ravages, livrant tout au flam-
mes, souillant les monastères et les lieux saints, ravageant la
contrée avoisinante : Cavaillon, Carpentras, Apt, Saint-Paul-
Trois-Chàteaux (5) . Heureusement que Charles Martel accou-
(1) De Mauléon, Mérovingiens et Carlovingiens, 1. 1, p. 247. — Inva-
sions des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 32.— Fabre, Histoire
de Provence, t. I, p. 310. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 325.
— Darras, Histoire de V Eglise, t. XVII, p. 42.
(2) Invasions des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 32. — De
Mauléon, Mérovingiens et Carlovingiens % p. 249. — Darras, Histoire
lie V Eglise, t. XVII, p. 45. — Dareste, Histoire de France^ t. I,
p. 326.
(3) Invasions des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 32. —
Darras, Histoire de V Eglise, t. XVII, p. 42; Il cite Prédégaire : « Usque
Massiliensem urbem vel Àrelatum suis judicibus constituit. i
(4) Quel que soit le prétexte que Mauronte ait pu alléguer à cette épo-
que pour attirer les Sarrasins en Provence, il est certain qu'il y eut de
sa part une véritable et odieuse trahison contre sa foi et contre sa patrie.
Les uns disent qu'il fut soudoyé par les fils d'Eudes, dépossédés de
l'Aquitaine par Charles Martel ; les autres qu'il voulut affranchir de la
domination de Charles Martel une des possessions d'Eudes, car le do.
rnaine d'Eudes s'étendait jusque dans le terroir d'Arles (de Rey, Inva-
sions des Sarrasins en Provence, p. 25); d'autres, enfin, qu'il voulut
protester contre l'ambition de Charles Martel qui s'arrogeait le titre de
prince des Français (H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 700 ;
«le Mauléon, Mérovingiens et Carlovingiens, etc., t. I, p. 247).
(5) Incasions des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 34. —
i
i
- 388 —
rut de nouveau ; en 737 il mit le siège devant Avignon, prit la
ville, en passa la garnison sarrasine au fil de l'épée ; puis,
courut en Septimanie, assiéger Narbonne, battit une armée
de secours dans la vallée de Corbières et remonta en Bavière
où l'appelait une rébellion (1).
C'est ce qui sauva Mauronte. A peine Charles Martel s'était
éloigné que les Sarrasins revinrent (838). Cette fois ils enva-
hissent Marseille, reprennent Arles, Avignon, où ils s'établissent
de nouveau (2). Mais, la révolte pacifiée en Bavière, Charles
retourne en Provence, en 739. Cette fois, afin de ne point
laisser échaper les envahisseurs, il fait alliance avec Luitprand.
roi des Lombards! qui ferme le passage des Alpes ; puis il
marche en avant, s'empare d'Avignon, parcourt la Provence,
vient à Marseille, en chasse Mauronte, écrase les Sarrasins au
Cannet, dit la tradition. Poursuivis par le vainqueur impito-
yable, ceux-ci se réfugièrent dans les collines entre Hyères et
la rivière de l'Argens, appelésdepuis montagnes des Maures (3).
Cachés dans leurs sombres repaires, les bandits sortaient
parfois pour piller et saccager les villes et les villages voisins.
Ce doit être à cette époque, 739 ou 740, qu'ils ravagèrent l'ab-
baye de Lérins, qu'ils ruinèrent la ville de Nice (4). Mais, dès
H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 700. — De Mauléon, Aféro-
vingiens,t. I, p. 250. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 326. —
Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 76. — Darras, Histoire de
l'Eglise, t. XVII, p. 47. — Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 312.
(1) Invasions des Sarrasins en Provence, par de Rey, pp. 39, 40.—
De Mauléon, Mérovingiens, etc., p. 250.— Dareste. Histoire de France,
t. I, p. 327.— Darras, Histoire de l'Eglise, t. XVII, pp. 49, 50.— Papon,
Histoire de Provence, t. II, p. 79. — Fabre, Histoire de Provence, t. I,
pp. 316, 317. — Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 49.
(2) Invasions des Sarrasins en Provence, p. 43.— Darras, Histoire
de V Eglise, t, XVII, p. 59. — Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 317.
— Ruffi, Histoire de Marseille, t. 1, p. 49.
(3) H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, pp. 702, 703. — Invasions
des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 43, etc. — Papon, Histoire
de Provence, t II, p. 79. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 327.
— Darras, Histoire de V Eglise, t. XVII, p. 53. — Fabre, Histoire de
Provence, t. I, p. 317. — De Mauléon, Mérovingiens et Carlovingiens,
t. I,p. 253. — Ruffi, Histoire de Marseille, 1. 1, pp. 49, 50.
(4; De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 51.
- 389 —
752, Pépin le Bref, iils de Charles Martel, pour se débarrasser
de ces hordes sauvages, attaqua et prit Narbonne (1), et les
chassa de la Septimanie (758).
Le calme revint en ces contrées. Occupés en Espagne à des
révolutions de palais et à leurs discordes, les Sarrasins ne firent
plus d'invasions. Mais, au bout de quarante ans, en 798, ils
recommencent leurs courses sur la mer, prennent et brûlent
Nice en 812 et Givita-Vecchia en 819 (2). Nouvelle période
de tranquillité. Charle magne gouvernait la France, et, pour
en finir avec leurs pirateries, il avait fait mettre le littoral
en état de défense. De fait, durant le règne du grand empereur,
ils ne purent rien tenter sur nos côtes.
Charlemagne étant mort, les Sarrasins reviennent. En 838,
ils enlèvent les religieuses de Marseille ; en 842, ils pillent
Arles; en 849, 850 ils dévastent le littoral, saccagent une fois
encore Arles, diétruisent le tombeau de saint Césaire ; en 869,
ils remontent le Rhône et tuent l'archevêque d'Arles, Rotland,
en Camargue (3).
Jusqu'à cette heure cependant, ils n'avaient pu se fixer en
Provence. Or, voici qu'en 885 ou 886 vingt Sarrasins débar-
quent à Saint-Tropez, gagnent les montagnes des Maures,
s'établissent au Fraxinet, appellent à eux des renforts d'Espagne,
puis s'élancent pour faire cette fois la conquête en règle de la
Provence (4) . D'abord tous les villages autour du Fraxinet sont
détruits. Les villes éprouvent le même sort. Fréjus est incen-
dié vers 890 ; Antibes, Nice, Vence, Toulon, Taurœntum, etc.,
(1) De Rey, op. cit., pp. 51, 60. — Dareste, Histoire de France, 1. 1,
p. 339. — Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 319. — De Mauléon,
op. cit., 278, t. I. —Bouche II., Histoire de Provence, 1. 1, p. 720.
(2) De Rey, op. cit., p. 80. — Papon, Histoire de Provence, t. II,
p. 83. — Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 319.
(3) Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 84. — Fabre, Histoire de
Pmvence, t. I, p. 344. — De Rey, Invasions des Sarrasins en Pro-
vence, pp. 82, 83, etc. — Lalauzière, Abrégé chronologique à* Y Histoire
d'Arles, pp. 96, 97. — H . Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 735.
(4) H. Bouche, Histoire de Provence, 1. 1, p. 772. — Papon, Histoire
de Provence, t. II, p. 146. — Fabre. A.. Histoire de Provence, X. I,
p. 361. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 523.— De Rey, Invasions
des Sarrasins en Provence, p. 95.
- 390 —
le sont à leur tour (1). Maîtres de cetle partie des côtes de la
Provence, ils s'avancent vers l'intérieur, cherchant à s'em-
parer de la région des Alpes. Glandevès, Senez, Riez, Ma-
nosque, Àpt en 896, Sisteron en 911, Embrun en 916 tombent
entre leurs mains. Des montagnes, ils descendent dans la
plaine, enserrent peu à peu Marseille dans un cercle de
dévastation. Ainsi ils détruisent Trets, Saint-Maximin, Aîx,
Saint-Zacharie et les autres localités envirdnnantes (2). En
923, 924, enfin, ils sont à Marseille, qu'ils pillent et saccagent
et dont ils 'détruisent la cathédrale (3).Toute la Provence leur
appartient.
Heureusement, le roi de Vienne, le duc Hugues, les attaqua
dans leur repaire du Fraxinet et s'empara de ce château-fort
en 942, avec l'aide de la flotte grecque. Mais il ne sut pas pro-
fiter de la victoire. Les Sarrasins reprirent leur citadelle
et recommencèrent leurs déprédations (4).
L'heure de la défaite allait sonner cependant. Les barbares
ayant arrêté dans les Alpes, chargé de chaînes et mis à la ran-
çon saint Mayeul, abbé de Cluny, Guillaume, comte de Pro-
vence, pour les punir de cette insulte, réunit des troupes,
parvint en 979 à s'emparer du Fraxinet, en massacra la gar-
nison, fit démolir les remparts et jeter en esclavage le petit
nombre de Sarrasins échappés aux divers combats qui avaient
précédé ce dernier fait d'armes (5). La Provence délivrée
pouvait enfin respirer.
(t) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence \ p. 101, etc. —
Fabre A., Histoire de Provence \ t. I, p. 366. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 146.
(2) Invasions des Sarrasins en Provence, par de Rey, p. 107, etc.
— Dareste, Histoire de Provence, t. I, p. 524.
(3) Invasions des Sarrasins en Provence^ par de Rey, p. 121.
(4) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 155. — H. Bou-
che, Histoire de Provence, t. I, p. 742. — Fabre, Histoire de Pro-
vence, t. I, p. 378. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 524. —
Papon, Histoire de Provence* t. II, p. 145.
(5) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 167, etc., 192,
etc. — Dareste, Histoire de France, 1. 1, p. 524. — Papon, Histoire de
Provence, t. II. p. 171.— H. Bouche» Histoire de Provence, 1. 1, p. 803.
— Fabre, Histoire de Provence, t. II, p. 9.
CHAPITRE IV
Inscription de sainte Eusébie
Deuxième question préjudicielle
INSCRIPTION D'BUSÉBJE. — LE TEXTE LAPIDAIRE CHEZ DIVERS AU-
TEURS. — VRAIS LECTURE DE CE TEXTE. — IL EST BIEN L'ÉPITAPHE
D'UNE ABBBSSE, D'UNE MARTYRE. — QUI A COMPOSÉ CETTE INSCRIP-
TION ? — QUAND L'A-T-ON COMPOSÉE ET GRAVÉE?
L'inscription placée jadis sur le tombeau de la sainte pa-
tronne de Montredon se voit actuellement au musée du Châ-
teau Borély ; la voici : « Ici repose en paix la religieuse Eusé-
bie, la grande servante du Seigneur, qui vécut dans le siècle
quatorze ans ; puis, dès le jour où elle fut ^choisie par Dieu,
passa cinquante ans dans le monastère de Saint-Cyr. Elle
mourut la veille des calendes d'octobre, indiction sixième.
»
J^ HIC REQVIESCET IN PA
CE* EVSEBIA RELIGIOSA §
MAGNA ANC ELLA Dl QVI ^
IN SECVLO AB HENEVNTE
ETATE SVA VIXIT
SECOLARES ANNVS XIIII
ET VBI A DO ELECTA EST
IN MONASTERIO SCS CVRICI
SERVIVET ANNVS QVINQVA
GENTA RECESSET SVB DIE
PRID KAL3 OCTOBR fy IND3 SEST*
C'est là tout ce qui nous reste de sainte Eusébie, avec le
tombeau qui pendant des siècles nous garda ses reliques. Cette
— 392 -
inscription nous l'avons donnée telle que nous la fournit un
estampage en notre possession r exécuté sur la pierre même de
l'inscription (1).
A l'aide de ce fac-similé, il va nous être facile de montrer
les incorrections dont fourmillent les leçons que les auteurs
ont données de cette inscription . •
M. Edmond Leblant offre à ses lecteurs un texte correct dans
son ouvrage Les Inscriptions chrétiennes de la Gaule, sauf une
feuille de lierre qu'il omet après ancella di qui, et un petit a
après kal et ind. Dans la planche où il a fait graver cette épi-
taphe, le texte est fautif, il écrit requiescit pour requiescet,
et omet la feuille de lierre après di qvi.
Chez M. Penon le texte est exact, sauf un § après octobb,
un s après kal et ind, qui manquent (2).
MM. Magloire Giraud, André, Kothen, Verlaque, etc. (3),
tout en ayant un texte correct, ont omis certains signes, tels
que le trait abréviatif sur prid, sur ses ; les feuilles ou cœurs
regardés comme signes de ponctuation en épigraphie ; un §
après octobr, une feuille après di qui Q^ .
L'auteur des Saints de l'Eglise de Marseille a placé une
croix immissa f , au début de l'inscription, au lieu du mono-
gramme J> que porte la pierre gravée (4). Il a omis encore les
traits abréviatifs sur di, do, prid, ses, les feuilles et les cœurs
après religiosa, qui, octobr.
Chez d'autres, le texte est souvent fautif, maladroitement
(1) Nous devons cet estampage au regretté M. Augier, conservateur
adjoint au musée du Château Borély. A l'excellent et bienveillant
M. Penon, directeur de ce môme musée, nous devons de pouvoir offrir
à nos lecteurs une reproduction du tombeau de notre Sainte» exécutée
par M. Rampai, photographe à l'Imprimerie Marseillaise, rue Sainte, 39.
(2) Leblant Ed. Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures
au VHP siècle, t. II, na 545. — Penon, Catalogue raisonné des objets
contenus dans le musée d'archéologie de Marseille , pp. 31, 32.
(3) Magloire Giraud, Notice historique sur l'église de Saint-Cyi*
(Var)9 p. 49. — André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-
Sauveur, p. 6, planche II. — Kothen, Notice sur les cryptes de l'abbaye
de Saint-Victor, p. 56, planche I.— L'abbé Verlaque, Notice sur sainte
Eusébie, planche II et page 25. — Grinda, Monographie de Vattbaye
de Saint-Victor-lez-Marseille, n°344,ann. 1888.
C4) Les Saints de V Eglise de Marseille , p. 236.
— 393 —
complété (1). Le Dictionnaire d'èpigraphie omet le mono-
gramme, les feuilles de ponctuation, les traits abréviatifs, ne
suit pas l'ordre des lignes et complète le texte.
La Gallia christiana fait de même et traduit ses par sanc-
torum, écrit passe pour page, kald pour kal8 .
La Notice des monuments de Saint-Victor fourmille de
fautes. Le monogramme du Christ est remplacé par le mot de
per, elle donne requiesset, passe, ancela, secullo, ellecta,
SANCTORUM, KALL.
Ruffi a moins d'incorrections. Mais il ne donne pas le mono-
gramme en entier; on voit unJP au lieu de J^, requiescit pour
REQU1ESCET, PASSE, DNI pour DI, SiECULO pour SECULO, DNO pour
do, sanctorum, kald. Pas de signes d'abréviation, ni dç
ponctuation, aucun ordre dans les ligues.
Enfin, nul auteur, à l'exception de M. Leblant, n'a fait
mention d'un point gravé entre page et eusebia (2). On nous
reprochera peut-être de nous arrêter à des vétilles. Il n'y a pas
de vétilles quand il s'agit d'inscription. Les copies d'inscrip
tion remplacent rarement le texte lui-même quand il est
fidèlement reproduit (3), à fortiori quand il est imparfaite-
ment donné. Le moindre mot changé ou mal copié peut en-
traîner à des erreurs. Notre inscription de sainte Eusébie en
est l'exemple.
Quelques auteurs, entre autres Ruffi, la Notice, Mabillon, la
Gallia traduisent . ses par sanctorum. et M. le chanoine
Magnan par Sancti Cassiani, Sancti Cyrici (4). Or, sait-on
bien que si c'était là la version fidèle, nous aurions une preuve
(1) Dictionnaire cVêpigraphie chrétienne, édit. Migne, t. I, col.
880. — Gallia christiana, t. I, col. 69t. — Notice des monuments con-
servés dans V église de Saint- Victor, p. 17. — Ruffi, Histoire de Mar-
seille $ t. II, p. 128.
(2) Ce point semble indiquer qu'un certain temps s'est écoulé entre la
gravure du début et celle du reste de l'inscription. On sait que les qua-
dratarii, les lapicides ou graveurs d'inscriptions avaient des marbres
préparés à l'avance pour .recevoir les épitaphes. (Martigny, Diction-
naire des antiquités chrétiennes, p. 219.)
(3) Ed. Leblant, Manuel d'épigraphie chrétienne, p. 214.
(4) Sainte Eusébie, notice publiée par la Semaine liturgique, année
1888, p. 732etsuiv.
— 394 —
très forte eu faveur du martyre de sainte Ëusébie au VIII*
siècle, ou tout au moins postérieurement au VI* siècle. En
597, en effet, le pape Grégoire le Grand, écrivant à l'abbesse
Respecta, parle du monastère que celle-ci gouverne et qui
est : a in honorem sancti Cassiani » . Si Eusébie a vécu dans
le monastère « Sancti Cassiani, Sancti Cyrici », c'est donc
postérieurement à 597 qu'Eusébie est morte. Mais il n'en est
rien, la version sanctorum ou Sancti Cassiani, Sancti Cy-
rici est fautive: ses signifie Sanctus ou Sancti.
Gomment faut-il lire cette inscription ? Nous parlions tau-
tôt des cœurs, des feuilles qui étaient gravés, sculptés çà et là
sur le marbre d'Eusébie. Ces figures ne sont pas de simples
ornements, mais, selon quelques auteurs, des signes de ponc-
tuation. Martigny, dans son Dictionnaire des antiquités chré-
tiennes (1), et M. Edmond Leblant, dans les Inscriptions chré-
tiennes de la Gaule antérieures au VHP siècle, le disent en
propres termes (2). Or, nous trouvons ces cœurs, ces feuilles de
lierre placés à la fin de la deuxième et de la troisième ligne.
On pourrait dire que ce sont de simples ornements imaginés
par le sculpteur.
Mais on peut croire aussi que ce sont des signes de ponc-
tuation. Dans ce cas, le premier signe placé après religiosa
et séparant ce mot de magna ancella domiîu jouerait le rôle
d'une virgule, distinguant chacun des membres d'une énu-
mération. Le second signe placé après qui, pour qilb, n'est pas
à sa place. C'est la suite d'une distraction du sculpteur ou
(1) c Le premier signe de ponctuation, le plus répandu de tous dans
Tépigraphie soit antique, soit chrétienne, est une sorte de -cœur ou de
feuille <ÎÇ , qu'on plaçait après chaque mot, chaque lettre, ou à la fia de
chaque ligne.» (Dictionnaire d'antiquités chrétiennes, p. 308.)
(2) M. Leblant, citant l'inscription d'Expectatus, n° 631, ornée de ces
cœurs, dit : « que les feuilles qui servent ici de marque de ponctuation
deviennent des cœurs percés de flèches ». Puis, en note, il ajoute : « Il
s'agit ici de simples feuilles de lierre, comme nous l'apprend un marbre
de Cirta (Algérie). » Et il donne le texte de ce marbre. (Leblant, Ins-
criptions chrétiennes, t. II, p. 501.) — Voir dans Leblant des inscrip-
tions ornées de cœurs à chaque ligne, après chaque mot, n°* 516, 543,
511. — Voir dans de Rossi, t. If Inscriptiones christianœ urbis Ro-
mœy des épitaphes ornées de cœurs et de feuilles : nM 661, 112, 442, 699.
— 395 —
l'effet de son ignorance. IL aurait fallu poser ce signe après
domini, c'est évident.
D'où il suit que la vraie lecture de ce texte lapidaire serait :
« Eusebia religiosa, magna ancella Domini, qui, etc. » et non
pas « Eusebia religiosa magna, ancella Domini. » C'est un
petit détail qui a son importance I
Cependant, comme il n'est pas absolument sur que ces
feuilles ou ces cœurs soient gravés ici comme signes de
ponctuation, puisque le lapidaire n'en a pas mis partout où
il aurait dû en mettre, nous ne chicanerons pas ceux qui
voudraient lire : a Eusebia religiosa magna, ancella Domini ».
Pour qui a été composée cette inscription ? Pour une
abbesse, pour une martyre. Certains auteurs, entre autres
MM. Magloire Giraud et André, affirment le contraire.
M. Magloire Giraud, dans sa Notice historique sur Saint-
Cyr(Var)([), après avoir rappelé la tradition de Marseille
au sujet de notre sainte Eusébie, suppose qu'il y a eu à Saint-
Cyr (Var) un monastère de religieuses, dont Eusébie faisait
partie. C'est de cette religieuse que serait l'inscription. « L'ab-
sence, dit-il, de tout attribut symbolique du martyre sur
cette môme inscription, l'omission des mots « abbatissa » ou
« praefuit », ou de tout autre, pour constater que celte sainte
était à la tête d'une communauté religieuse, la simple quali-
fication de « religieuse » sembleraient prouver que celle dont
les dépouilles précieuses furent enfermées dans ce tombeau ne
fut ni martyre ni abbesse, mais seulement une personnne
consacrée à Dieu, d'une haute piété et d'un mérite éminent :
c magna ancella Domini » . Si elle eût souffert le martyre, et
surtout le glorieux martyre qui a illustré celle dont nous
célébrons la fête le 1 1 octobre, l'inscription porterait quelques
signes symboliques pour l'attester, ne fût-ce que la palme ;
de même, si elle avait eu sous sa direction plusieurs reli-
gieuses, il en serait fait mention Le mot a recessit », au
lieu du mot « occubuit », porte à croire qu'une mort ordinaire
mit fin à ses jours, et la désignation du lieu où elle s'endor-
(1) M. Magloire Giraud, op. ci*., pp. 17, 50.
— 396 —
mit dans le Seigneur est un indice certain que son corps fut
transporté d'un monastère dans un autre. »
M. André a écrit: a qu'il ne parait pas vraisemblable que
cette inscription ait été gravée en mémoire d'une abbesse et
d'une martyre. La religieuse dont il est ici question n'est
qualifiée que de grande servante du Seigneur : « magna ancella
Domini »; le titre d'abbesse et celui de martyre ne lui sont
point donnés. Bien plus, l'inscription fait soupçonner que
cette religieuse vécut et termina tranquillement sa vie dans le
cloître, ce qui ne peut s'attribuer à sainte Eusébie, vierge et
martyre. . . (1). »
Nous osons soutenir, contre MM. Magloire Giraud et André»
que c'est bien £Our une abbesse d'abord que cette incription
a été rédigée.
Que signifient les termes « religiosa magna » ou a magna
ancella Domini » ? Grégoire de Tours, voulant parler d'un
évéque de Lan grès, l'appelle « magnus Dei sacerdos (2). »
Dans la liturgie on salue un évoque par l'antienne Ecce sacerdos
magnus (3) ou bien on lui applique les paroles de l'Ecclésiasti-
que : « Sacerdos magnus qui in vitâsuffulsit domum, etc. (4). »
Or, est-ce que le « religiosa magna » ou « magna ancella Do-
mini » ne nous fournit pas l'équivalent de « magnus sacer-
dos » et ne traduirait-on pas actuellement par abbesse les
mots : grande religieuse, grande servante du Seigneur, comme
on traduit par le mot évoque l'expression de Grégoire de Tours
ou celle de la liturgie(o). Hâtons-nous de dire que cette opinion
est partagée par la plupart des auteurs : la Gallia christiania,
de Ghantelou, les deux Rufïi, Mabillon, Kothen, M. le chanoine
(1) André, Histoire des Religieuses de Saint-Sauveur > p. 10.
(2) Grégoire de Tours, Histoire de France, 1. 3, c. 19.
(3) 1" antienne des laudes de l'office des Confesseurs Pontifes.
(4) Missale romanum, fête de saint Liguori, 2 août, communion. —
Cf. Leblant, Inscriptions chrétiennes, n° 509, l'épitaphe de Concordius et,
n° 595, celle de Faustin, tous deux évèques et appelés « sacerdos ».
(5) M. Leblant donne une inscription de Vienne, n° 699, où il s'agit
d'une Meria ou Maria, appelée c religiosa.... ma », qu'il traduit par
« maxima i>.
— 897 —
Magna», l'abbé Verlaque, Edmond Leblant, de Rey, Grinda,
etc. (1).
Nous ajoutons qu'il s'agit, dans notre inscription, d'une
martyre.
M. de Rey a semblé vouloir excuser l'absence de la mention
du martyre, quand il a écrit : a Au moment où les Sarrasins
faisaient tant de victimes, où chaque jour ils immolaient sans
pitié hommes, femmes, enfants, moines et prêtres, on consi-
déra la mort des dames Gassiauites comme un des événements
douloureux de la guerre, mais non pas comme un martyre, et
on crut faire assez en appelant Eusébie une servante du Sei-
gneur: « magna ancella Domini (2) ». Cette observation est
parfaitement juste, à notre avis. Il faut aller bien avant dans
les siècles pour trouver un document qui appelle martyres les
vierges de THuveaune. Sans doute on décerna un certain culte
à leur mémoire, et dès les temps les plus reculés leurs reli-
ques furent placées près de l'autel des cryptes. Mais on ne
les regardait pas précisément comme martyres, puisque on
disait à Ysarne, en lui montrant cette sépulture : « Ibi seor-
sum turba sacrarum virginum quiescit ( Là repose la troupe
des vierges sacrées). »
A notre avis cependant on trouve dans l'inscription une
certaine mention du martyre.
D'abord, au-dessous de l'inscription on voit deux colombes
affrontées buvant à un vase. M. Leblant dit que ce sont deux
paons, parce qu'ils ont la queue un peu élargie (3). C'est possi-
ble. Mais on peut y voir aussi des colombes. La hâte avec
laquelle ce dessin et cette inscription furent faits explique le
peu de fini que l'on y découvre. On voulait indiquer par ces
emblèmes la .fragilité de la vie, la délivrance de l'âme, l'in-
nocence qui règne dans les cœurs purs (4). Mais quelquefois
(] ) Tons ces auteurs, en effet, nous le verrons bientôt, accordent la
dignité d'abbesse à l'Eusébie dont parle l'inscription.
(2) G. de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 144. — Les
Saints de V Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 234.
(3) Bd. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, antérieures
au VIII* siècle, t. II, p. 301.
(4) G. de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 143. -^
26
- 398 —
aussi les colombes sont l'emblème du martyre, comme on le
montre pour sainte Agnès (1). Il s'agit donc ici bien probable-
ment d'une martyre.
Il y a plus. Ces mots « religiosa » et « ancella » font double
emploi. Tous deux signifient ordinairement la môme chose.
Or, précisément parce que le rédacteur de l'épi taphe les a
écrits tous deux, nous devinons que, dans sa pensée, il veut
dire autre chose que religieuse, abbesse. Pour désigner ce
titre, « religiosa magna » ou « magna ancella Domini »
auraient suffi, à la rigueur. Mais il y a les trois mots, il y a
redondance. Forcément ces mots ont une signification cachée •
Sera-ce parce qu'elle a quitté le monde à quatorze ans et
qu'elle en a vécu cinquante dans le cloître, qu'Ëusébie est
appelée la grande servante du Seigneur ? Un si grand nombre
d'années passées au service de Dieu est quelque chose de bien
beau, mais que d'âmes généreuses de son temps l'avaient imi-
tée en ce point 1 Tillisiola, une autre abbesse, a gouverné le
même monastère, en qualité d'abbesse, durant quarante
ans (2). A-t-on voulu dire simplement qu'Ëusébie fut abbesse?
On aurait pris un autre tour de phrase. Ainsi, dans l'inscrip-
tion de Tillisiola, on se sert du mot « praefuit » pour indiquer
cette dignité. Ici on emploie des termes à la fois plus simples
et plus compliqués. Donc il ftfut donner à ce mot un sens
particulier. Pour nous le rédacteur de cette inscription a voulu
dire en termes couverts qu'Ëusébie était morte d'une manière
plus qu'ordinaire. A-t-il eu l'idée de la regarder comme
martyre, quoiqu'il ne lui donne pas cette appellation? Nous
ne savons. Mais l'héroïsme de notre sainte abbesse est parfaite-
ment mentionné I
Martigny. Dictionnaire des Antiquités chrétiennes» au mot Colombe t
p. 163.
(1) Martigny, op. cit., v. Colombe, p. 163. D'ailleurs,, les paons sur les
Incriptlons funéraires symbolisent l'incorruptibilité de l'Âme, la résur-
rection à une vie meilleure, après cette vie de souffrances et de péchés —
Martigny, Dictionnaire des Antiquités chrétiennest p. 500. — Inscrip-
tions chrétiennes* t. 1. p. 136. — Caumont, Abécédaire d'Archéologie,
p. 47.
(2) Virgo virgtnibus sacris quadraginta prœfuit annis. Voir cette
inscription plus loin dans cet ouvrage.
— 399 -
Qui a composé cette inscription ? M. l'abbé Verlaque pense
que c'est peut-être l'évêque de Marseille ou l'abbé de Saint-
Victor(l). M. Magloire Giraud a écrit qu'un « lapicide de
campagne peu familier avec l'orthographe latine aura gravé
à la hâte l'épitaphe en termes barbares (2). Graver une épita-
phe n'est pas la composer, c'est vrai. Mais d'après son contexte,
M. Magloire semblerait croire que c'est bien ce lapicide qui
l'aurait composée.
Ce qui n'a rien d'étonnant, d'ailleurs. Il y avait des gens
dont la profession était de rédiger et de graver tout à la fois
les inscriptions (3) et, comme ce n'étaient pas des grammai-
riens consommés, leurs élucubrations épigraphiques n'étaient
pas des chefs-d'œuvre. Mais il arrivait aussi que l'auteur
d'une épitaphe la confiait à un sculpteur pour la graver sur la
pierre (4). On peut donc supposer qu'il y a eu pour notre
document un rédacteur et un sculpteur. Le sculpteur a pu
être un lapicide de campagne.
Mais le rédacteur ? Nous croyons que ça été un moine de
Saint- Victor, un prêtre fort au courant des faits et gestes de la
sainte abbesse martyre. Avec M. Grinda, en effet, nous remar-
quons que cette inscription a donne des détails sur l'âge d'Eu-
sébie, à son entrée dans le cloître, le temps qu'elle y vécut, le
jour, le mois, l'année de sa mort. Elle fait mention de sa qua-
lité d'abbesse « religiosa magna » ou « magna ancella Domini »;
(1) Notice sur sainte Eùsébie, par M. l'abbé Verlaque, p. 26.
(2) Magloire Giraud, Notice sur Saint-Cyr, p. 16.
(3) Il existait ce que l'on appelait des quadratarii, lapicides ou gra-
veurs de profession, qui tenaient en réserve des marbrés préparés à
recevoir une inscription. Déjà même la majeure partie de cette épitaphe
était gravée, il n'y avait plus qu'à y ajouter le non) du défunt, Tannée,
le jour delà mort. Ces ouvriers se servaient de formulaires. Mais ils
n'étaient bien souvent ni forts graveurs, ni forts savants. C'est ce qui
explique les fautes de syntaxe et d'orthographe que l'on trouve sur les
marbres. (Leblant, Inscriptions ctirétiennes, t. I, p. 491 ; t. II, pp.
18, 187. — Martigny, Dictionnaire d'Antiquités chrétiennes , pp. 219,
319,314,311.)
(4) Fortunatus, ayant composé une épitaphe, écrivait : « Veillez à ce
que le lapicide grave sans faute sur le marbre cette inscription. 9
Leblant, Inscriptions chrétiennes^ t. II, p. 188.
— 400 —
de sa piété ; rien n'y manque (1). » Or, ces détails tons ne
les connaissaient pas. Il n'y a guère qu'un moine, qu'un
prêtre, attaché peut-être à l'abbaye cassianite, qui ail pu les
savoir.
Nous ajoutons que les termes dont on se sert dans la rédac-
tion de cette inscription nous dénotent un esprit familiarisé
avec les choses ecclésiastiques. Appeler une abbesse a reli-
giosa magna » ou « magna ancella Domini », c'est se montrer
au courant de la liturgie qui, nous l'avons dit tantôt, salue les
évêquesdel'2?cce sacerdos magnus ; au courant des lettres
humaines : Çrégoire de Tours appelle un évéque de Lan grès
« magnus sacerdos » ; au courant un peu de l'épigraphie :
dans les épitaphes on appelle aussi les évéques « sacerdos o
et les abbesses « religiosa maxima ». Mentionner la vocation
d'Eusébie à la vie religieuse par les termes « ubi a Domino
electa est », c'est encore parler un langage ecclésiastique.
Aux yeux de l'Eglise, la vocation c'est l'appel, lechoix de Dieu ;
c'est rappeler le « virgo electus à Domino », titre donné par
l'Eglise au disciple bien-aimé, saint Jean l'Evangéliste (2).
Distinguer par les mots « annos secolares » le temps passé
dans le monde, de celui qu'Eusébie passa dans le monastère,
c'est montrer encore l'estime que Ton a de la vie religieuse,
et ce certain mépris ou dédain que toute âme appelée par Dieu
à le servir uniquement, professe à l'endroit des choses de la
terre. Or, cet esprit familiarisé avec le langage, les coutumes,
les idées de l'Eglise, ne peut être qu'un moine, qu'un
prêtre.
Quand est-ce que Ton a composé et gravé cette épitaphe?
Nous avons entendu M. Magloire Giraud dire que le lapicide
l'avait gravée à. la hâte. M. l'abbé Verlaque, au contrairej
croit que cette inscription a été gravée bien des années après
le martyre de cette vierge et pour en perpétuer le souvenir (3)*
Il y a exagération des deux côtés. « Il suffit de lire ce texte,
(1) Monof/raphie sur l'abbaye de Saint- Victor lez Marseille, dans
YEclio de Notre-Dame de la Garde, aunée 1888, n# 344, p. 590.
(2) Office de ce saint, 27 décembre, 1er répons du 1er nocturne.
(3) M. l'abbé Verlaque, op. cit.t p. 27.
— 401 —
écrit M. Grinda, pour voir qu'il n'a pas été fait dans le style
laconique et bref des épitaphes gravées à la hâte... Il est
évident que les détails qu'il fournit ne laissent pas deviner la
précipitation (1). »
C'est vrai. La catastrophe du massacre des vierges de l'Hu-
veaune, de l'incendie, du pillage du monastère étant connue,
et elle le fut bien vite, les mauvaises nouvelles se propageant
plus rapidement que les bonnes, on s'occupa de transporter dans
le plus grand secret les corps des saintes héroïnes. Or, elles
étaient au nombre de quarante, sans compter Tabbesse; il y a
assez loin de l'Huveaune à Saint-Victor ; il fallait éviter de
donner, l'éveil aux barbares qui couraient la campagne. On dut
employer et plusieurs voyages et plusieurs nuits à celte opé-
ration de transfert. On eut donc plusieurs jours pour compo-
ser et graver cette épitaphe. L'ensevelissement terminé, l'ins-
cription était achevée aussi, et on put la placer à l'endroit
précis où le corps d'Ëusébie, facile à reconnaître en réalité
par les insignes de sa dignité, avait été déposé.
(1) M. Grinda, Monographie sur Vabbaye de Saint-Wictor Uz Mar-
seille,'dans Y Echo de Notre-Dame de la Garde, n* 344, p. 590.
CHAPITRE V
Inscription de sainte Eusébie
(Suite)
cette inscription a été gravée pour sainte eusébie de mar-
seille. — témoignages des auteurs anciens et modernes. —
ou sb trouvait placée cette inscription 1 — du xiv» siècle a
l'époque de la révolution, sur le tombeau d'eusébie. — avant
le xiv* siècle et depuis la mort d'bu8ébjet sur son corps,
sous le sol.
Pour quelle Eusébie maintenant a été rédigée cette inscrip-
tion ? Est-ce en réalité pour celle que nous honorons à Mar-
seille et dont nous écrivons, ou pour une autre Eusébie à
nous inconnue?
C'est bien de notre sainte Eusébie qu'il s'agit dans cette
inscription. Voici le témoignage des auteurs.
Louis Ruffi, donnant le fac-similé du tombeau de notre
sainte ainsi que l'inscription, écrit : « Le tombeau d'Eusébie,
abbesse du monastère de Saint-Quirice, fondé par saint Cas-
sien. Cette abbesse se coupa le nez pour conserver sa virginité
et s'empêcher d'être violée par les infidèles qui ravagèrent ce
monastère. Voici son épitaphe dont la construction mons-
trueuse témoigne bien ce que' nous avons dit ci-dessus et fait
voir l'ignorance du siècle ou du sculpteur (1). »
Mabillon est du même sentiment dans les Annales ordinis
Sancti Benedicti. Après avoir raconté le genre de martyre de
notre sainte, il ajoute : « Il y a dans le monastère de Saint-
Ci) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 128. — M. de Ruffi (le père)
avait dit de même, dans son Histoire de Marseille, p. 386 : « De pins
l'inscription de J 'abbesse Eusébie qui est dans l'église. inférieure...»; p.
406 : « Tombeau de sainte Eusébie qui, pour s'empêcher d'être. violée par
les infidèles... Voici son épitaphe. .. »
— 403 —
Victor le tombeau d'Eusébie, sur lequel on a placé l'image de
cette héroïne : le visage et le nez de cette statue sont mutilés ;
il y a aussi cette épitaphe, précédée du monogramme du
Christ et rédigée en un style bien négligé. » fit Mabillon donne
de l'inscription la leçon que nous avons citée plus haut. Dans
les Acta sanctorum ordinis Sandi Benedicti% le même au-
teur écrit : a II nous plaît de parler ici de deux épitapbes qui
se trouvent à Marseille, dans le monastère de Saint-Victor»
Tune de sainte Eusébie, abbesse d'un monastère de Saint-
Cyr fondé par Cassien. De peur d'être l'objet de la brutalité
des Sarrasins, elle se coupa le nez avec quarante compa-
gnes (i). »
Dom Ghantelou écrit aussi dans ses ouvrages : « On voit
le tombeau d'Eusébie, abbesse du monastère de Saint-Cyr,
fondé par Cassien, laquelle se mutila le visage ... C'est une
tradition que confirme l'image de cette vierge héroïque
représentée sur ce tombeau la face mutilée et le visage
coupé (2).»
Dans la Notice des Monuments conservés à Saint- Victor :
* On lit sur une pierre sépulcrale, incrustée au-dessus du tom-
beau, l'épi ta phe suivante... » L'auteur de cette brochure
vient de parler des reliques d'Eusébie, abbesse de Saint Cyr,
et il cite à la suite l'inscription (3).
La Gallia Christianay donnant la liste des abbesses de
Saint-Sauveur, nomme Respecta et à la suite Eusébie. Elle
dit que cette Eusébie gouverna ce monastère et qu'elle se mu-
tila le visage, atin d'échapper à la lubricité des barbares.
Puis elle donne l' c epitaphium Eusebiae (4) ».
(1) Mabillon, Annales ordinis Sancti Benedicti : t Exstat in 8ancti
Victoria monasterio, Eusebiae tumulus eut imposita hujus heroïnœ effi-
gies, dimidia facie et naso mutila, cum hoc epitaphio. ..»; Acta SS,
ordinis Sancti Benedicti : « Lubet hoc loco subjicere epitaphia duo,
quae Massiliœ exstant in Sancti Victoris monasterio, unura Busebiœ
abbatissœ.. »
(2) Chan tel ou, ci té par Edm. Leblant, Inscriptions chrétiennes, t. II.
n*545, p. 301 : t heroinae effigies .. . supra tumulum posita cum épigra-
phe. »
(3) Notice sur les Monuments , etc., p. 17.
(4) « Huic cœnobio prsefuit per aliquot annos sancta Eusebia, quae cum
— 404 —
Ajoutons à ces auteurs Mfr de Belsunce. Dans son ouvrage :
Antiquité de l'Eglise de Marseille, il ne cite pas l'inscrip-
tion d'Eusébie, quoiqu'il parle de son tombeau . Mais un dé-
tail qu'il donne sur notre sainte prouve qu'il connaissait ce
monument lapidaire et qu'il le regardait comme l'épi ta phe
de notre Eusébie : « Le monastère de sainte Eusébie, dit-il,
qui portait alors le nom de Saint-Cyricius ou Cêris. . . (1). »
C'est bien la traduction de : a in monasterio Sancti Cirici » de
l'inscription.
Nous pouvons déjà le dire, pour les auteurs du dernier
siècle l'inscription qui nous occupe est bien celle de notre
sainte Eusébie.
Les modernes expriment la même opinion.
L'abbé Faillon écrit: a Dans l'inscription de sainte Eusébie
qui souffrit le martyre par la main des barbares, on lit ces
paroles:... »et l'abbé Faillon donne une partie de l'épi*
taphe(2).
Les Mémoires de la Société archéologique du Midi, à la
suite du texte de l'inscription, ajoutent : « Cette épitaphe
d'Eusébie avait été fixée sur un sarcophage, mais gravée sur
une pierre séparée. . . Eusébie élait abbesse du monastère des
religieuses sous le titre de Saint-Quirice, fondé par Cassien.
La légende rapporte qu'elle se coupa le nez pour conserver sa
virginité et s'empêcher d'être violée par les barbares qui rava-
gèrent la Provence â la fin du IX* siècle (3).»
Le Dictionnaire d'Epigraphie de M igné emprunte à ces
Mémoires de la Société archéologique du Midi l'inscription
d'Eusébie et cite le texte des Mémoires (4). C'est toujours de
l'épi taphe de notre Eusébie, abbesse, qu'il s'agit.
Heinaud, dans les Invasions des Sarrasins en Provence,
parlant du martyre de sainte Eusébie de Marseille, dit en
praedones seu barbari. . . Epitaphium Eusebise. » Gallia christiana, t. I**,
col. 697.— Gallia christiana, t. Iw. col. 697
(1) M" de Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. I*r, p. 290.
(2) Faillon, Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-
Madeleine, t. I#r, col. 777.
(3) Mémoires de la Société archéologique du Midi, t. II, p. 213.
(4) Dictionnaire d'Epigraphie chrétienne, t. !•% col. 880.
— 405 —
note : « Une inscription relative à sainte Eusébie existe en-
core à Marseille, mais elle ne porte pas de date (1). »
Pour l'abbé Verlaque encore l'inscription d'Eusébie est
bien celle de notre sainte de Marseille. Après avoir raconté le
martyre, tel que nous le connaissons, il ajoute; « II nous
reste à mentionner l'épitaphe de cette sainte », et il la donne
en faisant remarquer que la rédaction en est barbare, que la
date ne correspond pas à l'époque assignée ordinairement à cet
événement, et qu'elle ne fait pas mention du genre de martyre
subi par notre sainte (2).
Kothen est aussi précis qu'on peut l'être sur ce point. Il
traite du supplice qu'Eusébie a enduré, de l'époque, des
auteurs du martyre, du tombeau de la sainte, puis, il dit :
« L'épitaphe de cette sainte était placée sur le tombeau. Elle
se voit aussi au musée. En voici le texte », et le texte suit (3).
M. de Rey, dans les Invasions des Sarrasins en France
et dans la Notice sur Sainte Eusébie insérée dans les Saints
de l'Eglise de Marseille, regarde cette inscription comme
celle de notre sainte Eusébie. Il prend mémo la défense de
cette opinion contre les auteurs qui ne l'acceptent pas (4).
M. le chanoine Magnan, citant cette inscription dans les
quelques page3 publiées dans la Semaine liturgique de Mar-
seille, écrivait (5) : a Quand la paix eut été rendue aux chré-
tiens, on s'empressa de recueillir les ossements d'Eusébie et de
ses compagnes. Un tombeau magnifique reçut ces précieuses
reliques. Elles furent vénérées de tous les chrétiens dans le
souterrain de Saint-Victor, auprès de l'autel principal. Sur le
tombeau fat placée une pierre qui portait une inscription
touchante et empreinte de la naïveté de ces siècles de foi. La
voici en entier.... (Suit l'inscription). ., . C'est l'unique
monument qui rappelle aux générations le dévouement
d'Eusébie. »
(1) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 137.
(2) L'abbé Verlaque, Notice sur sainte Eusébie, p. 25.
(3) Kothen, Notice sur les cryptes, p. 55.
(4) G. de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 142. — Les
Saints de l'Eglise de Marseille, p. 237. *
(5) Semaine liturgique de Marseille, année 1868, t. VII, p. 737.
— 406 —
M. Leblant, dans ses Inscriptions chrétiennes de la Gaule,
antérieures au VUP'siècle, après avoir donné le texte lapi-
daire, écrit : « La célébrité de cette inscription vient surtout
d'une croyance populaire. Lors d'une descente des Sarrasins,
rapporte une vieille tradition, sainte Eusébie, abbesse d'un
couvent de Marseille, et ses quarante compagnes, se mutilè-
rent le nez pour échapper à la brutalité des barbares. On les
nomme, dans le pays, les Des nazz ados. Le corps d'Eusébie
avait été déposé dans un beau sarcophage antique. . . (I)*
M. Leblant, il est vrai, ne dit pas en propres termes que
cette inscription est de notre sainte Eusébie, du moins il
constate l'existence d'une tradition populaire en faveur de
cette idée (2).
Beaucoup d'auteurs donc regardent l'inscription d'Eusébie
comme Tépitaphe de notre sainte marseillaise.
Où se trouvait placée cette inscription? Avant la Révolution
elle était fixée au-dessus d'un sarcophage qui renfermait les
reliques de notre sainte Eusébie, dans les souterains de Saint-
Victor (3).
Nous avons cité tantôt la Notice des monuments conservés
dans V église noble de Saint-Victor à Marseille : # On lit sur
une pierre sépulcrale inscrustée au-dessus du tombeau fde
sainte Eusébie) l'épitaphe suivante, qui fait juger facilement
la monstrueuse ignorance du temps auquel elle a été faite » .
(Suit l'inscription.) Impossible de se méprendre.
D'ailleurs, il est tellement certain qu'avant la Révolution
ce marbre se Voyait sur le tombeau de sainte Eusébie, que
la plupart des auteurs modernes l'ont cru et l'ont écrit. On a
(1) Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, antérieures au
VIII* siècle, t. H, p. 301.
(2) Notice sur les monuments, etc., p. 17.
(3) André, Histoire religieuse de Vahhaye de Saint- Sauveur, p. 10.
— De Rey, Les Saijits de l'Eglise de Marseille, sainte Eusébie, p. 236. —
M. Grinda. « Nous pensons que c'est lui iDynamius) qui offrit le beau
sarcophage de marbre dans lequel étaient conservées les reliques de
sainte Eusébie et qui fut placé dans les cryptes de Saint-Victor, au-
dessous de Vèpitaphe du V* siècle. » Monographie, etc., dans YEcJio de
N.-D. de la Garde, u* 345, p. 606.
— 407 —
cité plu9 haut les Mémoires de la Société archéologique du
Midi, Kothen, M. le chanoine Magnan. Ajoutons à cette liste :
André, M. de Rey et M. Grinda.
Depuis quelle époque cette inscription se trouvait sur le
tombeau de sainte Eusébie, à Saint- Victor?
A la fin du XVII? siècle elle y était, puisque la Notice citée
ci-dessus l'affirme.
Au milieu de ce siècle, elle y était. Agneau, dans son
Calendrier spirituel de la ville de Marseille, édité en 1759,
nous apprend que « dans la seconde nef de l'église inférieure à
Saint- Victoron trouve un tombeau en marbre blanc renfermant
les reliques de sainte Eusébie, etc.» Or, Agneau ne pouvait con-
naître ce fait qu'en lisant une inscription, au-dessus de ce
sarcophage. Quoiqu'il ne parle pas de ce document, il est
évident qu'il Ta sous les yeux.
Elle y était en 1747, date de l'impression du premier volu-
me de V Antiquité de V Eglise de Marseille par M|r de Bel-
sunce. Cet auteur ne cite pas cette inscriptiou encore. Pour-
quoi, c'est difficile à expliquer. Mais il la voit sur le tombeau,
puisqu'il s'en sert pour affirmer que sainte Eusébie était
abbesse du monastère de Saint-Cyr, détail que l'on ne connaît
que par cette pierre funéraire.
Elle y était en 1734. On lit, en effet, dans les Acta Sancio-
rum ordinis S. Benedicti, de Mabillon : « Duo epitaphia quae
Massiliae exstant in monasterio Sancti Victoris... uiium
Eusebiae abbatissae, quae, etc. Quam loci traditionem confir-
mât. . . heroinae effigies. . . tumulo imposita cum hàc épigra-
phe... (Suit l'inscription). »
Elle y était, enfin, au début de ce siècle, en 1704. Mabillon
écrivait dans les Annales ordinis Sancti Benedicti: « Exstal
in Sancti Victoris monasterio Eusebiae tumulus, cui imposita
est ejusdem heroinse effigies... cum hoc epitaphio... »
Durant le XVIII" siècle donc l'inscription a été sur le tombeau
de sainte Eusébie, à Saint-Victor.
Il en a été de môme au XVII- . Nous avons lu tantôt ce que
Louis- An toinede Huffi mentionnait dans son Histoire de Mar-
seille, imprimée en 1696. Après avoir parlé du tombeau de
sainte Eusébie, abbessedu monastère de Saint- Quirice, il ajoute:
— 408 —
a Voici son épitaphe, etc. . . » Vers le milieu du siècle, Dom
G h an tel ou portait le môme détail : « TumulussanctaeEusebiœ,
abbatissœ monasterii Sancti Quiricii. . . Quam traditionem con-
firmât generosaeillius heroinae effigies... supra tumulum posita
cum épigraphe...» A peu près à cette époque, en 1642, paraissait
la première édition de Y Histoire de Marseille, par Antoine
de Ruffi, et dans cet ouvrage nous lisons : « Tombeau de sainte
Eusébie. . . qui, pour s'empêcher d'être violée par les infidèles,
se coupa le nez . . . Cette tradition se trouve confirmée par cette
figure de femme que nous voyons en relief sur le tombeau
et qui a le nez coupé. Voici son épitaphe... » Il est évident
que ces auteurs voyaient l'inscription sur le tombeau de cette
sainte. Sinon ils auraient parlé différemment. Au XVII" siècle
donc, elle y était.
Peu importe que Guesnay, qui lisait en 1652 l'inscription
de Tillisiola sur sa tombe, n'ait pas aperçu celle d'Eusébie
qui se trouvait à quelques mètres de distance. Ses contempo-
rains, les deux Ruffi, D. Ghantelou, l'ont vue et en ont parlé,
cela nous suffit.
Mais, antérieurement au XVII* siècle, cette inscription était-
elle à cet endroit ? Ni chartes, ni auteurs, que nous sachions,
ne nous fournissent de renseignements. Mais ce silence de
l'histoire ne peut être interprété comme une preuve que ce
marbre occupait une autre place. Si J.-J. Chifflet, Arthur de
Monestier, de Saussay, le P. Lecointe n'ont pas fait mention
de l'épitaphe d'Eusébie, c'est qu'ils ne sont jamais venus à
Marseille , et surtout qu'ils n'avaient pas à s'occuper de ce
détail, pour eux sans importance . D ailleurs, la suite de nos
déductions va nous prouver que très probablement, du XIV*
au XVII9 siècle, cette inscription a demeuré fixée au-dessus
du sarcophage .
Nous croyons, en effet, que cette inscription se trouvait
dans l'arcosolium placé à droite de la chapelle de Notre-Dame
de Confession, depuis la fin du XIV* siècle.
La preuve en est cette charte que Dom Lefournier nous a
conservée et qu'il avait transcrite sur un manuscrit de papier
soie : ex aiitographo bombycino.
Cette charte nous a relaté que le corps de l'abbesse Eusébie
— 409 —
reposait dans le sarcophage de larcosolium. Or, ces restes
vénérables n'étaient pas en cet endroit depuis fort longtemps,
puisque, d'une part, des inventaires de reliques dressés en
1363 et en 1365 ne font pas mention de sainte Eusébie ; d'au-
tre part, la charte qui nous en parle remonte à 1380 ou 1381 .
C'est donc entre ces deux dates que le corps de notre sainte
fut placé 'dans ce tombeau. Le motif de cette translation, nous
l'avons insinué à plusieurs reprises. A cette époque il se fit de
grands remaniements dans les cryptes à la suite de la restau-
ration de l'abbaye et de la construction des forts remparts
dont Urbain V la fit entourer. Ces travaux amenèrent le dépla-
cement de certains tombeaux aussi bien que la découverte de
corps saints auxquels peut-être on ne pensait plus, entre
autres les ossements de notre sainte et ceux de ses quarante
compagnes. On les trouva, là où ils reposaient depuis si long-
temps, au pied de l'autel de Notre-Dame de Confession, à
cet « ibi seorsum » dont parle la vie de saint Ysarne. De ces
restes vénérables, ainsi troublés dans leur repos glorieux, les
uns furent remis en leurs places, les autres portés dans
l'église supérieure. Or, peut-être que le sarcophage de l'arco-
solium à droite de Notre-Dame de Confession possédait un de
ces corps saints. Au lieu et place de ce corps que l'on mit à
un endroit plus honorable , on déposa les restes de sainte
Eusébie. En 1380 ou 1331 donc ils étaient là.
Or, nous disons que forcément on a dû fixer à ce moment
l'inscription sur ce sarcophage. Il y avait eu translation de
reliques. Ce n'était plus tel ou tel saint qui s'y trouvait, c'était
sainte Eusébie. Il fallait donc l'indiquer. De plus, non loin
de là, dans la chapelle même de Notre-Dame de Confession
reposait, dans un tombeau, Tillisiola, l'abbesse. Sur ce tom-
beau de Tillisiola se lisait son inscription. Or, afin d'éviter
que dans le peuple on regardât Tillisiola comme l'abbesse
des anciennes martyres, on dut placer une inscription sur
le tombeau de sainte Eusébie. C'était de la simple prudence.
C'est ce que l'on fit. De sorte que si cette inscription n'eût pas
existé, il aurait fallu la graver à ce moment 1 A la fin du
XIV4 siècle donc, l'épitaphe d'Eusébie se trouvait sur son
tombeau !
— 410 —
Du XIV au XVII* siècle donc, elle s'y trouva. Pourquoi
l'aurai t-on fait disparaître ?
Et antérieurement à la fin du XIV* siècle ? Elle était enfouie
avec le corps de sainte Eusébie, au pied de l'autel de Noire-
Dame de Confession. Vers Tan 1000, les restes des vierges
sacrées, Eusébie et ses compagnes, reposaient en un endroit
à part, « ibi autem seorsum '», au pied de l'autel de Notre*
Dame de Confession. On ne savait ni le nombre de ces vierges
sacrées, ni le nom de leur abbesse. Ce n'est, en effet, que
dans ce document sans date (de 1380 environ) que Ton appelle
Eusébie par son nom et que l'on indique le nombre de ses
compagnes. Entre 1363 et 1381, on place le corps d'Eusébie
dans le sarcophage de l'arcosolium, à droite de Notre-Dame.
Or, ces saintes martyres reposaient toutes ensemble avec leur
abbesse devant l'autel de la Vierge. Comment a-t-on pu
reconnaître le corps d'Eusébie, le corps de l'abbesse, pour le
mettre dans un sarcophage à part ? Nécessairement il y a eu
un signe, une marque 1 De plus, on ne savait pas d'une
manière certaine le nom de cette abbesse. Si on l'avait connu
par tradition, on l'aurait indiqué, insinué vers Tan 1000. Or,
d'où vient que dès la fin du XIV* siècle on le donne ? Quel
est le document qui l'a révélé ? Enfin, on sait que les com-
pagnes d'Eusébie étaient nombreuses. La tradition avait
conservé le souvenir de ce nombre quarante. Mais qui a
donné gain de cause à la tradition, qui a permis aux rédac-
teurs des chartes de 1380-1381, 1431, 1446 de préciser et
d'écrire : Eusébie et ses quarante compagnes martyres ? Nous
disons, nous : Ce sont les fouilles qui, amenant la découverte
de quarante corps, sans compter celui d'Eusébie, ont fait
connaître le nombre exact des compagnes de la sainte abbesse.
Ce sont les fouilles qui, amenant au jour cette inscription
placée sur les ossements d'un de ces quarante et un corps, ont
fait connaître, à ceux qui les opéraient, et le nom de l'abbesse
et le corps d'Eusébie.
Et depuis quand était-elle enfouie cette inscription ? Vers l'an
1000, on ne dit rien de précis, ni sur le nom de l'abbesse, ni sur
le nombre de ses compagnes. C'est la « turba sacrarum virgi-
num » . Donc l'inscription n'était plus visible. Elle était déjà
— 411 -
cachée sous terre. Or, l'ensevelissement des vierges cassia-
nites martyrisées par les Sarrasins s'est fait avec une certaine
hâte. L'heure était critique, les barbares désolaient Marseille.
Avec beaucoup de difficultés on transporta, durant la nuit,
ces restes sanglants. On n'avait pas le temps de bâtir un
sépulcre. On se contenta d'une simple fosse, dans laquelle on
coucha ces corps. On combla de terre cette excavation et, à
l'endroit précis où avait été déposé le corps de l'abbesse, sur
le sol môme on dut placer l'épitaphe. One dis-je, sur le sol ?
peut-être môme à une certaine profondeur, afin que rien
n'apparût aux regards. Les barbares pouvaient envahir les
cryptes, les profaner par des fouilles sacrilèges. Au moins.
que la dépouille des saintes martyres ne subtt pas cette nou-
velle humiliation ! î Qu'importait que l'inscription fût cachée ! !
La Providence trouvera bien le moyen de la faire connaître.
Or, avec le temps, la terre qui recouvrait ces reliques
s'affaissa, il y eut un dénivellement naturel. Sans ôter cette
pierre et la remettre de niveau, on jeta des débris pour égaliser
le terrain. Plus tard, môme opération dut se faire pour une
raison ou pour une autre, car le pavé des cryptes a été sou-
vent exhaussé. Et ainsi disparut, pour 500 ou 600 ans, ce
marbre funéraire. La tradition seule demeura et il en fut
ainsi jusqu'au XIV siècle I
Et, chose remarquable ! cette incertitude relativement aux
restes d'Ensébie, au nom de cette abbesse, au nombre de ses
compagnes, qui va se prolongeant durant cinq ou six siècles,
est une preuve qu'à un moment on a découvert cette inscrip-
tion sur le corps môme de sainte Eusébie !
Voyez, en effet, combien a été profondément enracinée la
tradition sur notre sainte ! A deux pas du tombeau d'Eusébie
et de ses compagnes, dans la chapelle de Noire-Dame de
Confession, il y avait celui de Tillisiola. Cette tombe a son
inscription, qui appelle Tillisiola du nom d'abesse, qui dit de
cette abbesse qu'elle a gouverné pendant quarante ans des
religieuses. On sait bien que Tillisiola n'a point souffert un
glorieux martyre, qu'elle n'avait pas quarante compagnes sous
sa direction. C'est d'Eusébie que l'on dit et que Ton croit ces
détails. Or, le populaire pouvait à la rigueur lire sur le mar-
— 412 -
bre de Tillisiola qu'elle avait été abbesse de quarante vierges.
Le populaire voyait que Tillisiola avait une place d'honneur
entre les saints et les saintes qui reposaient dans les cryptes.
C'est dans le sanctuaire que ses restes avaient été placés. Quel
danger pour la tradition de sainte Eusébie et de ses compa-
gnes ! La croyance du peuple ne changera- t-el le pas d'objet ?
N'attribuera-t-elle pas à Tillisiola ce que l'on dit d'Eusébie ?
Non ! Tillisiola est laissée de côté, c'est Eusébie qui triomphe ! !
Or, pour un résultat semblable ne faut-il pas supposer néces-
sairement qu'un jour il y a eu un fait, un monument qui a
donné raison à la croyance du peuple, dissipé tous les doutes,
résolu toutes les incertitudes ? Il le faut, et cela a été. Un
jour le confirmatur de la tradition populaire est apparu.
C'est au XIV- siècle, quand on a opéré les fouilles. Devant
leurs résultats providentiels on a pu dire, en face des reliques
de notre sainte : Voici l'abbesse, voilà son corps, voici son
nom ! !
CHAPITRE VI
Inscription de. sainte Eusébie
(Suite)
MAGLOIRE GIRAUD, ANDRÉ, GBINDA CONTESTENT QUE CETTE INSCRIP-
TION SOIT POUR NOTRE SAINTE EUSÉBIE. — CONTRAIREMENT A CBS
AUTEURS, ON PEUT AFFIRMER QUE CE N*EST PAS PAR HASARD QUE
L'ON TROUVE UNE INSCRIPTION PORTANT LE NOM D'EUSÉBIE, QUAND
IL S'AGIT D'INHUMER NOTRE SAINTE. — QUE CETTE INSCRIPTION SE
TROUVAT SUR UNE TOMBE, OU COMME OBJET DE REBUT DANS UN
CIMETIÈRE, DANS LB8 CRYPTES, IMPOSSIBLE D 'ACCEPTER QU'ON EN
AIT FAIT l'ÉPITAPHE DE NOTRE SAINTE MARTYRE,
Plusieurs historiens regardent l'inscription d'Eusébie com-
me ayant été rédigée pour notre sainte Eusébie, de Marseille.
Il y a cependant, nous avons à le dire, quelques dissidents :
MM. Magloire Giraud, André, et un peu M. Grinda.
Nous lisions tantôt ce qu'en pensait M. Magloire Giraud.
Voici ce qu'en disait André, dans V Histoire de Saint-
Sauveur :
« Lorsque on porta à Saint-Victor, à une époque indéter-
minée, les reliques de sainte Eusébie et de ses quarante
compagnes, on déposa ses restes dans un ancien tombeau, et on
lui donna pour épilaphe une inscription qui portait le nom
d'Eusébie: la similitude des noms dut frapper les fidèles.
Nous croyons donc qu'il faut distinguer deux Eusébie : l'une
simple religieuse, décëdée paisiblement dans le monastère
cassianite sous le titre de Saint-Cyr, au VIII* siècle, et
l'autre abbesse et martyre qui vivait au Commencement du
X- siècle (1). »
M. Grinda (2) semble se ranger à l'opinion de Magloire
(1) André, Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur, p. 10.
(2) M. Grinda, Monographie sur Vabbaije de Saint-Victor, dans
Y Echo de Notre-Dame de lu Garde, n°* 344, 345; année 1888;
27
- 414 —
Giraud et André. 11 veut « préserver notre tradition sur sainte
Eusébie de l'atteinte qu'elle recevrait si la science archéolo-
gique établissait par des preuves irréfutables l'anachronisme
de ce document (l'inscription) considéré comme un témoignage
de la tradition marseillaise. »
Il tient cependant a à considérer l'inscription d'Ëusébie
comme l'épitaphe de la sainte que l'Eglise honore. » Il croit
aussi pouvoir faire remonter la date de son martyre à la fin
du V° siècle. Mais on découvre dans son argumentation,
la trace du désir secret d'accepter l'opinion d'André. En
effet, il parait reprocher à l'auteur du remarquable ouvrage
intitulé: Invasions des Sarrasins en Provence, de ne pas
« admettre la distinction » que fait André des deux religieuses
du nom d'Ëusébie ; « de ne pas tenir compte de la date
révélée par les caractères épigraphiques; d'en faire un monu-
ment gravé en souvenir de sainte Eusébie, martyre du IX*
siècle ». Somme toute, M. Grinda, croyons-nous, penche plutôt
du côté d'André que du côté des autres auteurs cités plus
haut.
Eh bien ! en dépit de l'affirmation contraire de Magloire
Giraud, André, etc., nous persistons à croire que cette inscrip-
tion est bien de notre sainte Eusébie.
Nous avons entendu, dans un chapitre précédent, le témoi-
gnage des auteurs, ajoutons nos propres remarques.
D'abord, ce sépulcre tout préparé, cette inscription toute
prête « et dont la similitude des noms dut frapper les fidèles
qui portent à Saint- Victor le corps d'Ëusébie » nous trouvent
quelque peu incrédule 11
Effectivement, ils durent, ces bons fidèles, s'écrier qu'ils
avaient une veine incroyable! Jugez donc: ils portent entre
leurs bras les restes, peut-être encore sanglants, de l'héroïque
abbesse. Il fallait un tombeau. Mais tout juste il y en a un vide
qui se trouve sous leurs mains I II leur fallait une inscription,
pour une religieuse et du nom d'Ëusébie 1 1 La même chance les
poursuit, il y a une inscription dans les cryptes, elle indi-
que la profession de religieuse, et, ô bonheur, elle porte le
nom d'Ëusébie 111 II fallait encore que cette épitaphe eût une
date, et une date véritable, la date de Tannée ou Ton se trou-
— 415 —
vait, du mois, du jour. Mais la chance ne les quitte pas,
ces heureux fidèles ! I Cette inscription porte une date,
l'indiction sixième et le a pridie kalendas octobris ». Et
ô veine, ô chance, ô hasard renversants, cette date est tout
justement celle que Ton peut le plus probablement assigner
au martyre de sainte Ëusébie. Pour une chance, c'en est une 11
Non, la supposition d'André n'est pas sérieuse.
D'ailleurs, sachons-le bien, cette supposition est inaccepta-
ble. On se le rappelle, selon André, l'inscription n'a pas élé
faite pour notre sainte. « Quand on porta ses restes à Saint-
Victor, on lui donna pour épitaphe une inscription qui portait
le nom d'Eusébie. » Or, ou bien sainte Eusébie a été mar-
tyrisée dans un monastère près de Saint-Victor, comme le
veulent nos adversaires, ou bien elle la été dans le monastère
situé aux bords de l'Huveaune.
Supposons le massacre accompli auprès de Saint-Victor.
Immédiatement ou quelques jours après, on recueille ces
restes vénérables, on les porte à la crypte de l'abbaye, on les
ensevelit dans un tombeau vide, ou bien dans un tombeau
que Ion y descend à la hâte, ou bien encore on les inhume
sous le sol des cryptes, au pied de l'autel de Notre-Dame
de Confession. On prend une inscription qui porte le nom
d'Eusébie et on la place sur le tombeau de l'héroïque abbesse.
Mais, où se trouvait cette inscription qui arrive avec tant
d'à -propos entre les mains pieuses qui ensevelissent sainte
Eusébie? Puisque il y a un cimetière auprès de Saint- Victor,
cette inscription ornait peut-être dans ce cimetière, la tombe
d'une autre Eusébie, d'une autre sainte Eusébie, puisque elle
est la grande servante de Dieu? Or, quelle manière d'agir
maladroite ? Comment reconnaître, plus tard, où repose la
dépouille mortelle de cette autre graude servante de Dieu, si
on ôte le signe qui la rappelle à la piété, à la vénération, à
l'imitation des fidèles? On lit le même nom, c'est vrai, mais
il ne s'agit plus de la même personne, ce n'est pas la même
vie, ce ne sont plus les mêmes vertus !
De plus, quelle manière d'agir sacrilège et sans piété 1 C'est
un manque de respect pour les tombes 1 Jamais moine de
Saint- Victor n'eût consenti à agir ainsi. Et, si un l'avait fait,
1
1
— 410 — i
impossible de croire que les autres y eussent accédé. Une
inscription est vite rédigée, il suffit qu'elle soit courte et sim-
ple. On n'a donc pas enlevé cette pierre d'une tombe pour la
placer sur celle de notre sainte Eusébie.
Peut-être cette pierre gisait dans ce cimetière, ici ou là,
comme objet de rebut, reste de quelque sépulcre vide ou
détruit. C'est possible à la rigueur. Mais, encore une fois,
quelle heureuse chance ont ces fidèles, qui ensevelissent la
martyre! les inscriptions leur arrivent toutes faites II Non,
elle n'était pas dans ce cimetière comme un objet sans des-
tiiiatiou !
Se trouvait-elle dans les cryptes, sur un tombeau d'une
autre sainte Ëusébie ? Remarquons que l'on n'avait pas l'habi-
tude d'inhumer dans les cryptes toutes les religieuses défuntes.
La preuve en est qu'Eugénia, n'y a pas sa sépulture. On devait
y inhumer les abbesses.Tillisiola, en effet, y avait son tombeau,
et peut-être aussi les religieuses illustres par leur sainteté et
leurs vertus. C'est à ce dernier titre que l'on porta dans les
cryptes le corps d'Eusébie et ceux de ses compagnes. Si donc
il y a, dans les cryptes, déjà une autre sainte Eusébie inhu-
mée, et que l'inscription dont il s'agit soit placée sur sa
tombe, c'est que ou bien cette Eusébie est une abbesse, alors
les mots « religiosa magna, magna ancella Domini » dési-
gneraient celte fonction, ou bien elle est une religieuse de
grande sainteté, dont cette partie de l'inscription relatait les
vertus, et le détachement du monde. Dans les deux cas, on
lui enlève cette épitaphe pour la donner à notre sainte Eusébie.
Ainsi l'Eusébie primitive, qu'elle soit abbesse ou grande
sainte, sera frustrée de l'hommage, de la vénération qu'elle
avait droit de recevoir de la part des fidèles, et en sera privée
au point que toute mémoire en disparaîtra, que Ton n'en
connaîtra plus la sépulture! Ce serait agir encore d'une ma-
nière maladroite, odieuse et sacrilège. Les moines de Saint-
Victor, encore une fois, n'ont pas fait cela !
Que l'on ne dise pas : les moines de Saint- Victor ne sont point
en cause. Peut-être qu'à cette heure critique ils n'étaient
pas dans l'abbaye, ils avaient peut-être cherché une asile,
un abri dans la ville. Ce sont de pieux et courageux fidèles
-417 -
qui ont transporté secrètement ces reliques dans les cryptes
et ont opéré cette substitution de pierre tombale ? Vains sub-
terfuges. Les moines se trouvaient à Saint- Victor, car, s'ils
avaient cherché un abri dans la ville, les religieuses cassiani-
tes en auraient fait autant. Ils n'ont pas quitté leur monas-
tère à l'époque des invasions sarrasines. D'ailleurs, sup-
posez une absence momentanée, dés le premier instant de
calme, en rentrant dans le monastère, ils n'auraient point
toléré cette substitution. Ils auraient rendu à l'ancienne sainte
Eusébie l'inscription qui lui appartenait, et en auraient gravé
une autre pour notre héroïque martyre. Non, encore une
foi?, les moines de Saint- Victor n'auraient point souffert un tel
mode d'agir ; c'eût été odieux et sacrilège de leur part !
Celle pierre avec inscription se trouvait-elle dans les cryptes
comme objet de rebut et sans destination ? Avouons encore
que l'on ferait jouer au hasard un grand rôle ! De plus, ces
bons moines n'auront pas la présence d'esprit d'ajouter un
signe, le moindre soit-il, pour faire connaître que le genre de
mort de la nouvelle Eusébie, à qui on attribue l'inscription, est
bien différent de celui que subit l'Eusébie, pour qui l'inscrip-
tion avait été primitivement faite! Non, quoi qu'en disent cer-
tains romanciers, même au Moyen Age les moines n'étaient
pas simples à ce point.
Donc, en admettant que le monastère primitif se soit élevé
auprès de Saint-Victor et que le massacre ait eu lieu en cet en-
droit, impossible de supposer raisonnablement que l'on ait
pris à la hâte une inscription qui n'était pas pour notre sainte,
et qu'on l'ait placée sur son tombeau !
Examinons la seconde hypothèse : le monastère cassianite se
trouve sur les bords de l'Huveaune. Le massacre a lieu en cet
endroit. A peine les barbares se sont-ils éloignés, que de pieux
fidèles accourent, prennent ces restes sanglants, les portent à
Saint -Victor, et, selon M. André, ils placent sur la tombe
une inscription qui tout juste fait lire le nom d'Ensëbie. Cette
supposition rencontre les mêmes difficultés, partant elle doit
être re jetée.
On aura découvert, en effet, cette inscription soit dans les
cryptes, soit dans quelque cimetière voisin de Saint-Victor,
- 418 —
soit dans le cimetière des religieuses, qui peut-être se trouvait
près de l'Huveaune, aux environs du monastère. Mais tou-
jours, ou cette inscription était déjà sur une tombe, ou elle
n'était qu'une épitaphe sans emploi à ce moment.
Si elle est déjà sur une tombe, il s'agit d'une abbesse ou
d'une religieuse de grande vertu. Or, comme on Ta dit plus
haut, volontairement, du consentement des moines de Saint-
Victor, on fera disparaître le signe qui doit rappeler aux fidèles
la mémoire de cette sainte ou de cette abbesse 1 Ceci, nous le
répétons, est odieux et sacrilège.
Si elle est un objet de rebut, placé dans un coin des cryptes
ou des cimetières de Saint-Victor et de l'Huveaune, on oubliera
d'y graver ce signe distinctif qui indiquera aux siècles futurs
qu'il s'agit d'une autre sainte Eusébie I Ce serait la preuve
d'une très grande simplicité, et dans l'Eglise de Dieu, on traite
sérieusement ce qui doit être sérieusement traité I
L'opinion de M , André est donc de toute manière inadmis-
sible. On n'a pas placé sur la tombe de notre sainte Eusébie
une inscription faite pour un autre. Il serait plus raisonnable
de dire qu'on l'a composée à la hâte, après le massacre, que
ce fut peut-être bien un lapicide de campagne qui la grava.
Mais elle le fut pour notre sainte Eusébie 1
A cette raison négative tirée de la fausseté de l'opinion émise
par André, s'ajoutent deux raisons positives : Où se trou-
vait placée l'inscription de sainte Eusébie? Nous l'avons
prouvé plus haut. Dès le XIV* siècle elle était sur la tombe de
sainte Eusébie. C'est là qu'elle fut prise à l'époque de la Révolu-
tion. Or, d'où vient que les moi nés de Saint- Victor l'y ont tou-
jours laissée durant trois siècles? S'ils avaient soupçonné que
l'Eusébie de l'inscription n'était pas celle dont les reliques
étaient dans le tombeau ; s'ils avaient pensé qu'on avait jadis
attribué cette inscription à notre Eusébie, pour le seul motif
de n'avoir pas à en rédiger une nouvelle, l'y auraient-ils
laissée ? Ce n'est pas croyable I !
Où a-t-on trouvé cette inscription d'Eusébie? On l'a dit plus
haut encore. De déduction en déduction, on arrive à cette con-
clusion frappante que : ou bien les moines de Saint- Victor ont
rédigé et gravé cette inscription au XIV- siècle, ce qui n'est pas
- 419 —
soutenable ; ou bien ils l'ont trouvée au XlVa siècle à l'endroit
où reposaient, depuis le lendemain de leur trépas, Eusébie et
ses compagnes, devant l'autel de Notre-Dame. Or, cette pierre
tumulaire ainsi enfouie depuis des siècles et déposée sur les
cadavres des vierges héroïques, à l'heure de leur martyre, on
soutiendra qu'elle a été gravée pour une autre Eusébie que la
nôtre! ! et que, mettant à profit la coïncidence du nom, de la
profession, de la dignité, de la date que porte cette inscription,
les fidèles de cette époque, pour authentiquer ces reliques véné-
rables, l'ont placée sur le tombeau ! ! En vérité, ne disons plus :
le hasard n'est qu'un mot ! ! ! Non, non, si on la trouve en cet
endroit en faisant des fouilles, au XV6 siècle, et si on l'y
laisse, c'est que l'on est persuadé que cette inscription, quoique
mal faite, est bien celle de notre sainte Eusébie!
Voici l'autre raison : Cette inscription porte une date. Sainte
Eusébie est morte aindictionesextâetle a pridie kalendas octo-
bris », c'est-à-dire le 30 septembre de la sixième année d'une
période de quinze ans, que Ton appelle indîction, mode de
calcul adopté à cette époque. Dans un chapitre subséquent
nous prouverons que le martyre de notre grande sainte Eu-
sébie n'a pu avoir lieu qu'en 738, entre juillet de cette
année 738 et février de 739. Or, l'année 738 est précisé-
ment une indictioo 6, et notre inscription assigne la fin de
septembre. Ou bien il faut avouer, sans croire au hasard, que
le hasard a tout fait dans cette affaire ; ou bien il faut dire : c'est
pour notre sainte Eusébie que cette insuri tion a été gravée 1
Voilà pour la réfutation de Magloire Giraud et d'André.
Quant à l'opinion émise par M. Grinda, nous la jugerons bien-
tôt. Il nous suffira de dire pour le moment que, bien loin de
simplifier la question, comme le désire cet nu leur, son sys-
tème ne fait que l'embrouiller. 11 faut, en effet, sauter à pieds
joints sur notre tradition ; que ce sont les Sarrasins qui ont
martyrisé sainte Eusébie. Or, « tenete traditiones » ! !
CHAPITRE VII
Inscription de sainte Eusébie
(Suite)
CERTAINS AUTEURS ASSIGNENT LE VIII* SIÈCLE COMME DATE DE CETTE
INSCRIPTION. — M. GRINDA DIT QU'ELLE E8T DU V# SIECLE. — QUEL-
QUES INEXACTITUDES. — NOTES CARACTÉRISTIQUES DES INSCRIP-
TIONS DU V* SIÈCLE. — NOTRE INSCRIPTION NE POSSÈDE PAS CBS
NOTES.— INSCRIPTIONS DE 490 A 500 CONFRONTÉES AVEC LA NOTRE.
— INSCRIPTIONS DE NOTRE RÉGION DE 470 A 519 EN REGARD DE
CELLE DE SAINTE EUSÉBIE. — LE RÉDACTEUR DE CETTE INSCRIP-
TION N'ÉTAIT PA8 UN IGNORANT, IL ÉTAIT FAMILIER AVEC LES CHO-
SES DE L'EGLISE. — ON DATAIT PAR LES CONSULATS, A CETTE ÉPO-
QUE, DAN8 NOTRE RÉGION.*— ET IL S'AGISSAIT DE l'ÉPITAPHÉ* D'UNE
ABBESSB. — CETTE INSCRIPTION N'APPARTIENT PAS AU Ve SIÈCLE.
Quelle est la date de cette inscription ? Les Mémoires de la
Société archéologique du Midi, après avoir dit que sainte
Eusébie et ses compagnes se coupèrent le nez pour conserver
leur virginité et ne pas être violées par les barbares qui rava-
geaient la Provence à la fin du IX0 siècle, ajoutent « que si la
légende dit vraie, elle doit être du IX* siècle (1) *. Giraud
Magloire l'attribue aussi au IX* siècle (2). Verlaque pense de
même, à cause des mots qui sont écrits contrairement aux rè-
gles de la latinité (3). C'était aussi ce que croyait Millin (4),
sur lequel s'appuyaient les Mémoires de la Société archéolo-
gique du Midi et Magloire Giraud, à cause du mauvais état
et de l'orthographe vicieuse de cette inscription.
Cependant André, qui suppose que cette inscription a
(1) Mémoires de la Société archéologique du Midi, t. II, p. 213.
(2) L'abl.é Magloire Giraud, Notice sur Saint-Cyr, p. 49.
(3) L'abbô Verlaque, Notice sur sainte Eusébie, p. 25.
(4) Millin, Voyage dans les départements du Midi de la France %
t. III, p. 179.
— 421 —
été écrite bien avant notre sainte Euséhie, la range parmi
celles du VIII* siècle (1). M. Penon la croit aussi du VI? ou du
VII? siècle (2). M. de Rey (3), après avoir cité Millin, ne se
prononce pas ; au contraire il dit a qu'il faut avouer que les
hommes les plus compétents croient cette épitaphe fort anté-
rieure à l'époque sarrasine et, sans toutefois se prononcer
catégoriquement, la regardent volontiers comme appartenant
aux premières annés du V? siècle . »
M. Leblant est un de ces auteurs. Il écrit : « L'inscription de
Marseille me semble appartenir au V? siècle (4). » M. Grinda
en est un autre; à la suite de M.' Leblant il soutient que
l'inscription est du V' siècle ; il assigne môme une date, celle
de 497 (5).
Nous devons, avant d'établir que l'inscription de sainte Eu-
sébie appartient au VII? siècle, essayer de réfuter ces deux
derniers auteurs. La tâche sera difficile, c'est vrai, car nous
avons affaire à forte partie. Mais nous travaillons pour les
saints, à l'œuvre donc !
Notre argument général est celui-ci : L'inscription de sainte
Eusébie ne ressemble pas aux inscriptions du V* siècle, donc
elle n'appartient pas à cette époque. Entrons dans les détails.
C'est l'opinion de M. Grinda qui s'offre en premier lieu.
Tout d'abord faisons une simple rectification.
Nous croyons rencontrer quelques inexactitudes dans les
règles qu'il emprunte à M. Leblant pour indiquer la date
approximative des marbres qui sont dénués de toutes mar-
ques chronologiques certaines.
a Le monogramme P n'est employé en Gaule que de l'an
(1) André, Histoire des religieuses de Saint-Sauveur', p. 10.
(2) Penon, Catalogue des monuments conservés au musée du Châ-
teau Borély,p. 31.
(3) Les Saints de l'Eglise de Marseille, Sainte Eusébie, p. 237.
(4) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. II, n* 545.
Dans son ouvrage : Sarcophages chrétiens, p. 41, cet auteur dit qu'elle
semble appartenir au V* ou au VIe siècle.
(5) M. Grinda, Monographie, etc., dans Y Echo de Notre-Dame de
la Garde, n° 344.
- 422 —
400 à Tan 525 (i). » M. Edmond Leblant l'indique en effet (2).
Mais son recueil des Inscriptions 'chrétiennes de la Gaule,
antérieures an VHP siècle fournit une inscription, trouvée
à Lyon en 1678, marquée du monogramme }s datée de la
douzième année après le consulat de Justin le jeune et de la
XVf indiction, ce qui la fait remontera 551 (3), Une autre
inscription nous est donnée par le même ouvrage. Elle fut
trouvée à Trêves. Elle est marquée du monogramme J^t
accompagnée de colombes et de poissons. Et M. Leblant écrit :
« Le marbre de Trêves me parait appartenir à la un du VI*
ou au commencement du Vil* siècle (4).» Une troisième inscrip-
tion trouvée à Yenasque, marquée du P, appartient à la fin
du VIe siècle (5). Enfin on voit gravé sur l'autel de Hain le
chrisme^, et cela en Tannée 676 (6). On trouve donc le
chrisme P postérieurement à 525.
« La formule Hic requiescet in pace va de de 469 à 488 (7).i
On la trouve encore postérieurement à cette date, en 489, 498.
« Le mot religiosa parait vers 491, et n'est plus usité après
540. » Tout juste, en 491, on se sert du terme puella Deopla-
cilat n* 388 de Leblant, et Ton trouve chez cet auteur deux
(1) Grinda, Monographie de V abbaye de Saint- Victor-let-Mar-
seille, dans YÉoho de Notre-Dame de la Garde, année 1888, n° 344.
(2) Ed. Leblant, t. II, préface XIV, Inscriptions chrétienne* de la
Gaule.
(3) Ed. Leblant, op. cit., n" 65 et 667 a.
(4) Ed. Leblant, op. cit., n° 261.
(5) Ed. Leblant, op. cit., na 708.
(6) Ed. Leblant, op. cit., n*91.
(7) Grinda, op. cit. — Ed. Leblant, op. cit., n°» 548, 482. Inutile de
jouer sur les mots requiescet et requiescit. On a mis Ye à la place de
l'i, à toutes les époques et avec toutes les formules. Ainsi on trouve
« Hic requiescet in pace » en 469, 489, 498, n°* 87, 548, 482.— « Hic requies-
cet boni* memoriœ » en 638 ou 695, n° 586 a. — « Hic requiescet in pace
borne memoriœ » en 501, 527, 547, n°°374, 613 a, 467. — « In hoc tumulo
requiescet in pace bonœ memoriaî » en 486 ou 529, 606, nM 373, 397. D'autre
part, on trouve « Hic requiescit in pace » en 491, 517, 534, n" 388, 623,
etc. — « Hic requiescit in pace bonœ memoriœ » de 485 à 568, n" 474 b,
374 a, 77, etc, — « In hoc tumulo requiescit in pace bonœ memoriœ » de
503 à 578. On le voit donc, qu'il s'agisse de requiescit ou de requiescet,
cette expression se lit bien postérieurement à 489. La note de M. Grinda
est donc un peu inexacte.
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- 423 —
inscriptions qui à la rigueur pourraient être de 453, de 428,
n°' 435, 387 a.
« L'indiction parait pour la première fois en 491. » H
faut ajouter un mot, l'indiction accolée aux noms des consuls,
oui, se montre en 491 ; mais l'indiction, comme seule date sur
un marbre, à quelle époque parait elle ??? . . .
c Le symbole des colombes et du vase qui accompagne
celte inscription cesse d'être employé après 612. » .Noua
avons une inscription de Mandourel, appartenant, d'après
M. Leblant, à la fin du VI? siècle, qui porte ces colombes,
ir 621b.
M. Grinda fixe, nous l'avons dit tantôt, à Tannée 497, la
date de l'inscription de sainte Eusébie. C'est là une faute
d'impression certainement, puisque la sixième indiction cor-
respondant à ce moment du V siècle tombe en l'année 498 (i).
Mais venons à la discussion. L'inscription de sainte Eusé-
bie ne ressemble pas à celles du V* siècle. Quelle est, en effet,
la marque caractéristique générale des inscriptions lapidaires
de ce siècle ?
Pour la trouver, nous avons pris dans l'ouvrage de M. Ed-
mond Leblant à peu près toutes les inscriptions datées et
appartenant à ce siècle. Nous en avons recueilli quarante-
deux. Il n'y en a guère davantage, croyons-nous si Ton ne
prend que celles dont la date est à peu près certaine.
Or, voici nos conclusions. La marque caractéristique des
inscriptions du V- siècle est : 1° de porter les dates hypatiques
c'est-à-dire consulaires. Sur quarante-deux épitaphes, trente-
quatre possèdent cette formule chronologique. Quant aux
autres, elles sont datées soit par l'indiction et les années de
règne d'un roi, soit par les années de règne seulement, soit
enfin par des événements à l'aide desquels il est facile de fixer
leur origine (2).
2° C'est de ne pas être datées par l'indiction. Quatre à peine,
(1) Dictionnaire de diplomatique chrétienne, édition Migne, col. 480.
— Gallia christiana% t, I, page 212 de l'appendice. — Grinda, op. cit. —
Leblant, op. cit., n* 388.
(2) Ed. Leblant, op. cit.y n" 556 a, 569, 612, 482, 412, 28, 54, 200.
— 424 -
sur quaranle-deux, ont cette date (1). Mais alors on ne trouve
dans ces inscriptions ni le monogramme P, ni vases, ni co-
lombes. Par contre elles portent les dates consulaires, ou sont
ornées du monogramme constantinien^.
3* C'est de ne pas avoir le monogramme p. Trois au plus le
possèdent (2). Et encore une de ces inscriptions est de date in-
certaine. Puis, elles débutent par des formules spéciales ; elles
n'ont point le « Hic requiescet in pace » ; elles portent le
a bonae memoriaî », les dates consulaires, et n'ont pas l'indic-
tion.
48 C'est de n'avoir pas le début : « Hic requiescet in pace *.
Huit seulement commencent par cette formule (3). Mais elles
portent la date des consuls ou celles des rois ; elles ont la for-
mule a bonae mémorise », le ^ ; pas de colombes ni de
vases, ni de J^.
5* C'est de ne pas avoir les vases ou les colombes symboli-
ques. Six seulement sont ornées de ces figures (4\ Mais on
trouve chez elles la date des consuls seule ou avec le chrisme
+ ou « Hic requiescit in pace bonae memoriae » ou a In hoc
tumulo requiescit », le monogramme J^ avec la date consu-
laire et a In hoc loco requiescit » ou « Hoc jacet tumulo ».
6* Enfin, quand il s'agit de religieuses dans ces inscriptions,
elles y sont appelées de divers noms. Mais, sur trois épitaphes
où il est fait mention de personnes vouées à Dieu, pas une
d'entre elles qui soit appelée « religiosa » ou a ancilla Dei ».
L'une est nommée « sacrata Dei puella », l'autre « puella Deo
placita » ; de la dernière, on dit que « mundum, Deo mise-
rante, reliquit ('5) ».
Or, notre inscription de sainte Eusébie ne porte pas la date
consulaire, elle a l'indiction, le monogramme J^, la formule
a Hic requiescit in pace », les colombes et les vases symboli-
(1) Ed. Leblant, op. cit., n" 481 a, 388, 556 a, 538.
(2) Ed. Leblant, op. cit., n°* 412, 44, 631.
(3) Ed. Leblant. op. cit., n" 87, 474 B, 374 a, 548, 388,77, 612, 482.
(4) Ed. Leblant, op. cit., n»68, 379, 69, 412, 44, 374 a.
(5) Ed. Leblant, op. cit., n0i 388, 615, 55. Les deux derniers numéros
sont de dates incertaines ; les inscriptions qu'ils désignent pourraient
appartenir au VI» siècle.
— 425 —
gués. Eusébie y est appelée « religiosa, ancilla Domini ».
Cette inscription ne ressemble pas à celles du V* siècle. Donc
il n'y a nulle apparence qu'elle appartienne à cette époque .
Ce serait assurément un coup de hasard qu'on fût obligé de
la ranger parmi les marbres de cette époque épigraphique.
Serrons davantage la question, afin d'échapper le plus pos-
sible à la critique. Prenons les inscriptions datées par les dix
dernières années du V" siècle, de 490 à 500. Confrontons avec
elles l'inscription de sainte Eusébie. Nous avons entre les
mains quatorze de ces inscriptions dont une d'Aïx, une d'Arles,
une d'Artonnes (Puy-de-Dôme), une de Vézeronces (Isère), une
d'Aoste (Isère), une de Viviers (Ardèche), une d'Anse (Rhône),
une de Coudes (Puy de-Dôme), une de Salle-d'Aude (près de
Narbonne), deux de Vienne (Isère), trois de Lyon (Rhône).
Or, voici les résultats auxquels nous arrivons.
Notre inscription de sainte Eusébie est ornée du mono-
gramme de second ordre f. Or, pas une de ces quatorze ins-
criptions ne le porte (1). Trois d'entre elles ont le mono-
gramme constantinien £$> j^> J£ (2); une le monogramme
de troisième ordre + (3).
L'inscription de sainte Eusébie débute par la formule a Hic
requiescet in pace ». Quatre sur quatorze de ces inscriptions
possèdent cette formule (4). Mais à deux d'entre elles s'ajoute
la note a bonse mémorise », aucune n'a les colombes ou les
vases symboliques.
Notre Eusébie est appelée « religiosa » et « ancilla Domini ».
La seule inscription qui parle d'une religieuse, appelle celle-ci
« puella Deo placita (5) ».
Notre inscription est datée par l'indiction . Mais, sur ces
quatorze marbres, dix portent la mention chronologique des
consuls, trois sont datés par les années du règne. Un possède
la date de l'indiction accolée aux années de règne, deux la
(1; Ed. Leblant, op. cit., n" 436, 388, 32, 69, 77, 556 a, 569, 458 ee, 625,
538,612,391,482,12.
(2) Ed. Leblant, op. cit., n°* 388, 77, 556 a
(3) Ed. Leblant, op. cit., n* 391.
(4) Ed. Leblant, op. cit., n" 388, 77, 612, 482.
(5) Ed. Leblant, op. cit., n* 388.
-426 -
joignent aux noms des consuls (1). Ici encore nous notons la
présence tantôt du ^ ou du P, tantôt du « bons mémorise ».
Enfin un vase, des colombes symboliques décorent notre
inscription. Une seule de ces quatorze inscriptions porte ces
figures (2>. Et toujours nous constatons l'absence du mono-
gramme P, de la formule a Hic requiescit in pace », de Pin-
diction, et la présence au contraire de la date consulaire, du
« bonse mémorise », d'un début de basse époque: « In hoc
tumulo requiescit » . L'inscription de sainte Eusébie ne res-
semble pas à celles de la fin du V0 siècle. On ne peut donc
l'attribuer à cette époque.
Il y a plus encore. M. Grinda a écrit que la date de notre
inscription, en suivant la donnée chronologique de l'indic-
tion qu'elle porte, serait 497 (3) ou mieux 498. Or, prenons,
si Ton veut, la sixième indiction précédente, soit Tannée 483;
prenons encore la sixième indiction qui suit et appartient
déjà au VI* siècle, soit Tannée 513. Confrontons l'inscription
de sainte Eusébie avec des inscriptions datant de cette partie
du V* et du VP siècle, appartenant à la région de Marseille et
aux pays environnants.
Nous avons ainsi dix-sept inscriptions, allant de 470 à 519,
dont une de Marseille, trois d'Aix, deux d'Arles, trois de Vai-
son, une de Valence, une de Viviers, six de Vienne (4).
n" toutes ces inscriptions, même celle de Marseille, sont
"— « ontion de celle de Viviers, qui
lu mono-
^certaine ;
i formule
a pace » et
. (1) Ed. Leblant, op. cit., nw 556 a, 388, 538.
(2) Ed. Leblant, op. cit., n° 69.
(3) Grinda, op. cit.
(4) Ed. Leblant, op. cit., inscription de Marseille n# 548 ; — d'Arles,
n" 538, 510; — d'Aix, n" 627, 625, 623 ;— de Vaison, n- 490, 492, 489;
— de Valence, n9 474 b ; — de Viviers, n# 482 ; — de Vienne, n~ 448,
436, 458 EB, 434, 437, 407.
— 427 —
n'est pas ornée des vases et colombes symboliques (1). Une des
inscriptions qui proviennent d'Aix porte le monogramme J£>
mais elle est datée par les consuls, n'a ni l'indiction, ni vases,
ni colombes, ni la formule « Hic requiescet in pace (2). Deux de
celles qui appartiennent à Vaison ont le +, main elles ont
aussi les dates hypathiques, une forme particulière dans la
composition, la mention « bonae memoriae » (3). La dernière,
provenant de Vaison, possède le J£, mais elle est datée par
les consuls, elle a la formule « bonae mémorise » et n'a ni
vases, ni colombes, ni le c Hic requiescet in pace » (4).
Trois inscriptions, dont celle de Marseille, offrent le début
« Hic requiescit in pace » ; mais on y trouve la date consu-
laire, le « bonae mémorise » et Ton n'y trouve ni l'indiction, ni
les vases symboliques, ni le monogramme P (5). Trois enfin,
dont celles d'Arles et d'Aix, présentent le début « Hic in pace
quiescit » ; là encore on rencontre la date par les consulats, la
formule « bonae memoriae », mais ni l'indiction, ni les figures
symboliques, ni le monogramme J^, ne s'y rencontrent (6).
Or, l'inscription de sainte Eusébie ne parte pas la date con-
sulaire, elle est marquée par l'indiction, elle porte le mono-
gramme ^, elle débute par a Hic requiescet in pace », elle
est ornée par les colombes s'abreuvant au vase symbolique.
Nulle ressemblance donc entre cette inscription d'Eusébie et
celles de la fin du V* siècle et du début du VI# siècle apparte-
nant à notre région. Donc on ne peut la ranger parmi les mar-
tres du Va siècle.
Oue l'on n'allègue pas l'ignorance de ceux qui ont rédigé
l'épitaphe de sainte Eusébie, pour excuser l'absence de la date
consulaire, non plus la bâte, la précipitation avec laquelle
elle a été faite! Nous avons dit plus haut que l'on avait eu
(1) Ed. Leblant, op. cit., n° 407. — Dictionnaire d'Epigraphie, de
Migne, t. II, col. 1184.
(2) Ed. Leblant, op. cit., n* 623.
(3) Ed. Leblant, op.cit , a" 489, 492.
(4) Ed. Leblant, op. cit., n» 490.
(5) Ed. Leblant, op. cit., n" 548, 474 b, 482.
(6) Ed. Leblant, op.cit., n"510, 623, 489.
— 428 —
plusieurs jours pour rédiger et graver cette inscription, et que
c'était un prêtre ou un moine qui Pavait composée.
Or, ce moine, ce prêtre rédacteur de cette inscription, si
nous la supposons, avec M. Grinda, du V siècle, savait bien
qu'à cette époque on datait par les consuls. Les conciles, les
lettres des empereurs, les inscriptions employaient cette for-
mule. Nous avons parlé plus haut, en effet, des inscriptions
chrétiennes de Marseille, d'Aix, d'Arles, etc. Mais nous avons
des inscriptions civiles portant aussi durant ce siècle la date
hypathique(l). L'histoire ensuite a conservé des lettres que
les Augustes, les Césars, les empereurs écrivaient. Une d'entre
elles est rédigée à Arles et datée par le consulat (2). Le concile
de Riez mentionne les consuls durant Tannée desquels il
se réunit (3). Si l'inscription d'Eusébie appartient au V* siècle,
il est très étonnant, étant donnés celui qui la rédige elles
détails qu'elle fournit, qu'elle ne porte pas la formule chrono-
logique des consuls . Toutes celles de la fin du IV6 siècle, la
majorité de celles du V' en entier possèdent cette manière de
dater. La nôtre ne l'a pas, donc elle n'est pas du Yc siècle.
Enfin, ce moine, ce prêtre ne rédigeait pas l'épilaphe d'un
simple fidèle. Il s'agissait dune religieuse* d'une grande ser-
vante de Dieu, de Tabbesse d'un monastère; il s'agissait enfin
de conserver le souvenir d'un événement important (4). Il dut
apporter à la rédaction de cette inscription tout le soin voulu,
et mettre au bas de ce document une date certaine, une date
compréhensible.
Or, au V* siècle, il n'y avait, pour obtenir ce résultat, que
deux manières : ou bien il fallait employer la date par les
consulats, ou bien il fallait dater par les années du règne du
roi. Or, à ce moment de 498, c'était Alaric II qui était le maî-
tre légitime de Marseille et de la Provence. Quatre inscriptions
(1) H. Bouche, Histoire de Provence^ t. I, p. 583, inscript, de 435.
(?) H. Bouche, op. cit., t. I, p. 575: lettre de Théodose et d'Honorius
à la ville d'Arles, en 418.
(3) II. Bouche, op. cit., t. 1, p. 584 : concile de Riez en 439.
(4) Les fidèles avaient, en effet, grand soin de préciser la date de la
mort d'un saint personnage, afin d'en célébrer plus tard la tête. Leblant,
Inscriptions chrétiennes, t. II, p. 420;
— 429 -
de ce siècle, appartenant à Viviers, Artonnes, Coudes, Salles
d'Aude donnent cette formule chronologique (1). C'était
peut-être aussi Gondebaud, roi des Bourguignons, qui l'occu-
pait (de 484 à 501). Or, les Bourguignons ont gardé jusqu'au
VII* siècle l'habitude de dater par consulats. Aussi les maîtres
d'Aix, d'Arles, de Marseille emploient la date des consuls (2).
Le choix était libre donc. Or, le rédacteur de notre inscription
n'a employé ni une manière, ni une autre.
La conclusion toute naturelle est que ce n'est pas au V' siècle
qu'elle a été rédigée et gravée.
(1) Ed. Leblant, nM 556 jl, 569, 612, 482.
(2) Ed. Leblant, n" 548, 538, 510, 627, 625, 623.
CHAPITRE VIII
Inscription de sainte Eusébie
(Suite)
SUIVANT M. EDMOND LEBLANT, NOTRE INSCRIPTION DE 8AINTE EUSÉBIE
APPARTIENT AU VI* SIÈCLE. — CARACTÈRES ÉPIGRAPH1QUBS DBS
INSCRIPTIONS DATÉES PAR L'iNDICTlON. — NOTRE INSCRIPTION NE
LES A PAS. — CARACTÈRES DES INSCRIPTIONS DU IV* AGE. — NOTRE
INSCRIPTION NE LES A PAS. — NOTE CARACTÉRISTIQUE GÉNÉRALE
DES INSCRIPTIONS DU VI* SIÈCLE. — NOTRE INSCRIPTION NE L*A PAS.
— ON DATAIT PAR LE8 CONSULATS AU VI* SIÈCLE ENCORE DANS LA
RÉGION. — LES MARBRES DE VIENNE ET DE TRÊVES NE PROUVENT
PAS CONTRE NOUS. —L'INSCRIPTION DE SAINTE EU8ÉBIE N'ESTPAS DU
VI* SIÈCLE. — ELLE N*EST PAS DU VII* 8IÊCLB.
Nous arrivons à M. Edmond Leblant. C'est, nous l'avons dit
déjà, un maître en épigraphie, et, s'il nous en coûte de ne pas
être de son opinion, nous sommes bien osé d'essayer de la
combattre.
« L'inscription de Marseille nous semble appartenir au
VI' siècle », a dit cet écrivain. Il nous parait difficile, croyons-
nous, d'accepter cette affirmation. L'inscription de sainte
Eusébie, en effet, ne ressemble pas à celles du VI' siècle, donc
elle ne peut appartenir à cette époque.
M. Edmond Leblant dislingue quatre âges, quatre époques
en épigraphie. La première époque précède l'avènement de
Constantin, la seconde est la période constant inieu ne, la
troisième embrasse le IV et le Ve siècle, la quatrième com-
prend le VI' et le VI? siècle (1). Or, voici, d'après M. Leblant,
les caractères, qui d'après les marbres chronologiques, nous
Reportent au V? ou au VII' siècle :
« Défaut de monogrammes, croix en tête de la première
(1) Edmond Leblaiitj Manuel d' Epigraphie cftrétiennet pp. 51, 53, 35
— 431 —
ligne, indiction, début compliqué : a In hoc loco requiescit,
Hic requiescit in pace bon» mémorise a. Ailleurs il ajoute :
« La date de Tannée de la mort devient fréquente, on ne
rencontre plus ni le nom du père, ni l'indication de ceux qui
ont fait faire la tombe (1) ».
A un autre endroit de son ouvrage où il s'agit des inscrip-
tions datées de la seule indiction, cet auteur écrit : « Cette
note chronologique accuse une basse époque (en épigraphie).
Les inscriptions qui la présentent devront donc offrir en même
temps les marques propres au dernier âge : absence du mono-
gramme J£, du nom de ceux qui ont fait faire la tombe, croix
au début de la première ligne, mention du jour de la mort,
début de forme banale et compliquée, mots abonae mémorise,
obiit, plus minus, religiosa ». Toutes ces particularités carac-
térisent les épitaphes dont je parle (2) ». Et M. Edmond Leblant
cite en note seize inscriptions datées par l'indiction seulement,
parmi lesquelles se trouve celle de sainte Eusébie, oubliant
cependant de citer celle d'Eugenia de Marseille (3).
Or, l'inscription de notre sainte Eusébie est datée de la seule
iudiction, et M. Leblant la croit du V? siècle. Pour affirmer
que notre inscription appartient au V? siècle, il faut donc ou
qu'elle ressemble de quelque manière à ces seize inscriptions
que cite cet auteur et datées par l'indiction, ou qu'elle ren-
ferme les marques propres au dernier âge.
Examinons, et nous conclurons ensuite.
Sur ces seize inscriptions et huit en plus : celle d'Eugenia,
une autre que M. Leblant avait sans doute oublié de men-
tionner dans cette liste, et six autres que nous avons recueil-
lies, parmi lesquelles celle de Tillisiola, en tout donc vingt-
quatre, trois appartiennent à Marseille, sans compter celle de
sainte Eusébie, deux à Aix, neuf à Arles, une à Vénasque, une
à Narbonne, une à Viviers, une à Die, une à Saint-Laurent
(1) Edmond Leblant, op. cit., pp. 50, 55.
(2) Edmond Leblant, Manuel d' Epigraphie, p. 33.
(3) 11 nous semble que les lettres C Q, qui terminent cette inscrip-
tion d'Eugenia, sont lès vestiges de la formule de l'indiction : « indic. . . ; &
q|uinta] >;
- 432 -
de Mure, trois à Vienne, (Isère), deux à Lyon (1). Toutes donc
appartiennent à notre région.
Or, la série des marques propres aux inscriptions datées
par l'indiction seulement, exclut le monogramme Jç , et de
fait aucun des vingt-quatre marbres cités en exemple ne le
porte, pas même ceux de Marseille, d'Aix, d' Arles, de Vénas-
que. Celui de sainte Eusébie est orné du chrisme de
second ordre p. Les inscriptions datées par l'indiction doivent
avoir comme début une formule compliquée ; « Hic requiescit
in pace bons mémorise ». De fait, sur les vingt-quatre inscrip-
tions, treize, parmi lesquelles celles de Marseille, d'Aix,
d'Arles, ont le début « Hic requiescit in pace bons mémorise »9
cinq ont celui de a In hoc loco requiescit in pace, In hoc
tumulo requiescit bons mémorise *, une débute par « Hic
requiescit bonae mémorise », trois enfin ont une forme spéciale.
Dix-neuf ont la mention « bonae mémorise d. Mais précisément
le marbre de sainte Eusébie ne porte pas cette marque
chronologique. Il débute simplement par « Hic requiescit
in pace ».
Les marbres datés par l'indiction seulement doivent avoir
la croix en tête. De fait encore, sur les vingt-quatre inscrip-
tions, onze, parmi lesquelles deux de Marseille, une d'Aix, une
de Venasque, trois d'Arles, possèdent cette croix -J-. Une
d'Arles porte le P avec « bonse mémorise » et plus minus .
Les autres n'ont aucun signe, aucun monogramme. Or, si
notre inscription de sainte Eusébie n'est pas privée de chrisme;
ce n'est pas la croix +, mais le monogramme de second ordre,
le P, qui orne sa première ligne.
La formule plus minus doit se trouver sur les marbres
datés par la seule indiction. Aussi, le plus minus marque
treize inscriptions, sur les vingt-quatre qui sont citées, et
parmi ces treize il y en a une de Marseille et neuf d'Arles.
Notre inscription d'Eusébie cependant ne porte pas le plus
(1) Edmond Leblant, Inscription* chrétiennes, nM 544, 551, Marseille;
— 624, 629, Aix; - 513, 523, 524, 532, Arles; - 707, Venasque, — 616*,
Narbonne; — 483, Viviers; — 478\ Die; — 386, Saint-Laurent; — 465,
461, 458 l, Vienne; — 37, 83, Lyon ; — en plus deux marbres trouvés à
Arles en 1882. (Bulletin arcJiéologique, 1882, p. 292.)
- 433 -
minus. Enfin, c'est le nom de a religiosa » que l'on donne aux
personnes consacrées à Dieu, sur ces marbres à indiction toute
seule. Or, parmi ces vingt-quatre marbres, il n'y en a que
deux qui soient les pierres funéraires de religieuses. C'est celui
d'Eugenia de Marseille, et celui de Tillisiola, abbesse dans la
môme ville. Or, Eugenia est appelée non pas c religiosa »,
mais « ancella Domini » ; Tillisiola « virgo », ses compagnes
« virgines sacra ». La règle n'est donc pas suffisamment
établie. Avouons cependant que dans l'inscription que nous
étudions, Eusébie est qualifiée « religiosa », mais elle est
appelée aussi « ancella Domini » .
Enfin, ces marbres à date par indiction seulement ne font
pas mention de ceux qui ont fait faire la tombe. L'inscription
d'Eusébie sur ce point encore est d'accord avec les marbres
précités. Ils portent le terme « obiit », celui d'Eusébie porte
le mot « recessit » qui, on le sait, est une expression usitée
pendant longtemps dans l'épigraphie marseillaise. Enfin,
ils mentionnent le jour de la mort, et notre marbre l'indique
aussi. Mais, somme toute, sur neuf des particularités qui
caractérisent ces marbres, il y en a six, et ce sont les princi -
pales, qui ne se rencontrent pas dans celui de sainte
Eusébie.
Une conclusion toute naturelle, c'est que cette épitaphe est
en dehors des règles données pour les inscriptions à date in-
dirtionnelle. Or, comme ces marbres ainsi datés appartien-
nent, de l'aveu de M. Leblant, h une basse époque, au VI*
siècle, il s'ensuit que le nôtre n'est pas du VI* siècle.
Nous avons indiqué plus haut les caractères qui, d'après les
marbres chronologiques, nous reportent au VI" siècle. Ils se
confondent avec ceux que les marbres datés par l'indiction
seulement nous ont ! fait connaître. Mais, pas plus ceux-là que
ceux-ci ne prouvent que notre inscription appartienne au VI*
siècle. Ces marbres du VI* siècle portent l'indiction, la date de
la mort, ne font pas connaître le nom de ceux qui ont fait
faire la tombe ; celui de sainte Eusébie fournit ces signes. Mais
ils n'ont pas de monogrammes, et celui de sainte Eusébie
offre le chrisme de second ordre, le £. Ils ont la croix en tête
de la première ligne, et celui de sainte Eusébie n'a pas ce si-
— 434 —
gne cruciforme, mais le monogramme P . Ils ont le début
compliqué : a In hoc loco requiescit, Hic requiescit in pace
bonae mémorise », et celui d'Eusébie fait lire le « Hic requies-
cit in pace ». Ainsi donc, notre inscription, de ce chef en-
core, ne parait pas appartenir au VI* siècle, puisqu'elle ne
ressemble pas aux épitaphes de cette époque.
Nous arrivons à la même conclosion en procédant à l'égard
de M. Leblant de la même manière que nous ayons procédé à
l'endroit de H. Grinda.
Quelle est la note caractéristique générale des inscriptions
du VI- siècle ?
C'est d'abord d'être datées par les consulats, que ces consulats
soient la seule marque chronologique, qu'ils soient accolés
aux indictions, ou bien aux années de règne de quelque
prince. Sur quatre-vingt-onze inscriptions datées que nous
avons recueillies dans les Inscriptions chrétiennes de la
Gaule, antérieures au VIII* siècle, il y en a soixante-neuf
qui portent ces dates hypatiques, dont quarante-cinq par les
consulats, vingt-trois par les consulats et l'indiction, une par
le consulat, l'indiction et les années de règne. Les autres ins-
criptions ne portent aucun genre de date, ou bien sont datées
par les années de règne exclusivement.
Une autre trait caractéristique, c'est de ne porter aucun
monogramme. Sur quatre-vingt-onze inscriptions, en effet, il
n'y en a qu'une avec le J£, deux avec le yfc, quatre avec le P ,
et dix-huit avec la croix +. En tout vingt-cinq sur quatre-
vingt-onze.
Une autre marque encore, c'est d'employer une formule de
début de basse époque. Sur quatre-vingt-onze inscriptions,
vingt-une à peine font lire : a Hic requiescit in pace » ou « Hic
in pace quiescit ». — Une note encore c'est l'absence d'un
monogramme quelconque précédant la formule « Hic requies-
cit in pace ». En effet, la croix + accompagne cette formule
dans sept inscriptions seulement, le monogramme constanti-
nien ^ ne se lit qu'une seule fois avec « Hic in pace quiescit »
et le monogramme de second ordre J^ ne se lit pas une seule
fois au-devant de la formule t Hic requiescit in pace ».
Autre trait, c'est l'absence du vase et des colombes symboli-
- 435 —
•
ques. Sur quatre-vingt-onze marbres, il n'y en a que six sur-
lesquels ces figures sont gravées, et ces marbres n'ont ni Jï,
ni P , ni +. Tous sont datés par les consuls. Deux à peine ont
le début 9 Hic requiescit in pace » et quatre ont laformule
« bon» mémorise ».
Un dernier détail caractéristique, c'est que lorsqu'il s'agit
de personnes vouées à Dieu, sur onze inscriptions de ce genre,
dans quatre, on les appelle « religiosa (1) » ; dans quatre
autres, on les désigne par : a Deo sacrata, famula Christi (2) »;
dans deux, enfin, par une périphrase, telle que «mundana
reliquit, venerabilis religione (3)», jamais par a ancilla Do-
mini » .
Or, nous le savons, notre inscription de sainte Eusébie dé-
bute par le monogramme P, suivi de la formule « Hic re-
quiescet in pace », et pas une des inscriptions du VI* siècle
n'a ce monogramme accompagnant un tel début; celles qui
ont ce début ne le font précéder d'aucun chrisme ; ou, s'il y
en a, c'est le monogramme primitif que Ton trouve, le J£ ou
la croix +.
Dans notre inscription, Eusébie est appelée «religiosa »,
mais aussi « ancilla Domini » . Et aucun des marbres du VI"
siècle ne fait lire ce mot. — Notre inscription est datée par
l'indiction seulement. Or, la grande majorité des inscriptions
du VI* siècle porte la note chronologique des consuls ou des
rois ; celles qui n'ont pas cette note sont d'une allure épigra-
phique différente de celle de notre marbre ; pas une inscrip-
tion k indiction toute seule et dotée d'une date historique, capa-
ble de nous servir de point de repère.
Deux colombes s'abreuvent à un vase symbolique,dans notre
inscription. Or, ce détail ne se rencontre que dans six ins-
criptions du VI* siècle, et aucune d'elle ne porte le P , le « Hic
requiescit in pace » sans adjonction. Elles font lire le a bon»
mémorise », la date des consuls, le « In hoc tumulo », etc. En
vérité, vouloir quand même ranger ce marbre d'Eusébie
(1) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, nM387 a ,435.
663,688.
(2) Ed. Leblant, op. cit., n- 203. 560, 615, 31, 406.
(3) Ed. Leblant, op. cit., n*< 47, 55.
— 436 -
»
parmi ceux VI* siècle, c'est, croyons- nous, aller plus loin que
ne le permettent les données épigraphiques concernant cet
âge. Pas de ressemblance donc entre notre inscription et
celles du V? siècle.
Que Ton n'allègue pas l'insuffisance de ceux qui ont rédigé
Tépitaphe de notre sainte, pour excuser l'absence de la date
consulaire. Nous avons dit plus haut que ce n'était pas un
ignorant qui avait composé ce document. Le rédacteur sa-
vait bien que Ton datait, à son époque, par les consulats. Du -
rant ce siècle, en effet, on s'est servi de cette formule chrono-
logique. Les conciles d'Ambérieux (501), d'Àgde (506),
d'Epaone (517), d'Arles (524), de Carpentras (527), d'Orange
(529) dataient leurs décrets par les consulats. Nous avons de
plus des marbres d'Aix, d'Arles, d'Avignon, de Vaison, de
Vienne (1); tous nous donnent à lire les dates hypathiques.
Pourquoi le rédacteur de cette inscription, si elle est du VI*
siècle, n'a-t-il pas employé cette formule, en usage en ce mo-
ment ? Les Francs, il est vrai, se sont emparés de la Provence
vers 534. Malgré cet événement cependant, on a continué à
dater en Provence, sur les bords du Rhône, dans les Etats
bourguignons, par les consulats (2). Ce ne fut que vers la
seconde moitié du siècle, que l'on joignit quelquefois aux
consuls la mention du roi (3). Pourquoi, à Marseille, n'a-t-on
pas suivi cette coutume ?
Il s'agissait, nous l'avons dit encore, d'une personne de
marque, d'une grande servante de Dieu, de l'abbesse du seul
monastère de religieuses à Marseille. Pourquoi se contenter,
si c'est toujours au VI* siècle que l'on grave cette inscription,
d'une forme chronologique sans valeur ?
(1) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, nM 623. 510. 530,
537, 597, 487, 4*9, 492, 407, 434, 437, 689, 694, 695, 431, etc., etc. — Manuel
d'Epigraphie, de M. Leblant, p. 135. — Longnon, Gaule au VI* siècle,
pp. 46,62,63,71.
(2) Ed. Leblant, op. cit. On trouve des inscriptions : de Vaison, en
536 ; d'Arles, en 541 ; de Villeneuve-lez-Avignon, de 586, datées par les
consuls; n°« 487,537, 597.
(3) Ed. Leblant, op. cit9 n«597, Inscription de Villeneuve-lez-Avignon,
de 586 ; n°375, inscription de Briord, de 557 ; n* 474, inscription de Guil-
lerand, de 596.
- 437 —
Non, on n'a pas daté par les consulats, alors qu'il aurait
fallu et qu'on pouvait le faire ; c'est que notre inscription
n'appartient pas à celte époque ; 'elle n'est pas du VI* siècle.
On peut faire une objection. Un certain nombre de marbres
chrétiens, trouvés à Vienne, en Dauphiné, et à Trêves, portent
le monogramme de second ordre ^ et possèdent, comme dé-
but, la formule « Hic requiescit in pace » . Or, quoiqu'ils ne
soient datés ni par les consulats, ni par l'indiction, on les
range cependant parmi les inscriptions du IV*, du V- et du VI*
siècle. A ce titre donc, notre marbre de sainte Eusébie, ayant
le même monogramme J^ et le même début, pourrait très bien
appartenir au V* ou au VI* siècle.
Il est vrai que le précieux ouvrage de M. Leblant nous offre,
parmi les inscriptions de Vienne, dix-huit marbres sans date
possédant la formule « Hic requiescet in pace ». Sur ces dix-
huit marbres, trois sont ornés du monogramme £, un de
la croix -f-> deux enfin de la croix -\- et du chrisme constanti-
nien jï (1). Mais la plupart de ces inscriptions portent une
mention spéciale : la formule a Resurrecturus in Christo,
Resurget in Christo, Requiescet in spe resurrectionis ». Notam-
ment les trois marbres dotés du ^ et de « Hic requiescit in
pace» ont cette mention.
Or, à quelle époque cette formule, exprimant l'espérance
de la résurrection se trouve-t-elle mentionnée dans les ins-
criptions ? Quatre marbres de Vienne ou des environs, possé-
dant cette formule et datés par des consulats, nous le font
connaître (2) : c'est de 441 à 547. Donc toutes les inscriptions
sans note chronologique de cette même contrée, portant une
formule d'espérance, qu'elles aient tel ou tel début, tel ou tel
monogramme, appartiennent à peu près à l'âge épigraphique
des inscriptions datées.
Il y a à l'appui une raison que nous appellerions historique:
c'est que cette mention de l'espérance de la résurrection en
Jésus-Christ fait allusion à l'erreur du gnoslicisme, répandue
(1) Ed. Leblant, Jnscrptions chrétiennes de la Gaule , n» 419, 412,
403, 439, 427, — n» 416, — ir* 414, 441, 467.
(2) tid. Leblant, Inscriptions chrétiennes, nM 415, 436, 458 ke, 467.
— 438 -
en ces contrées des bords du Rhône et combattue par saint
Irénée et ses successeurs. Les trois inscriptions de Vienne dotées
du J^ et de V « Hic requiescit; in pace », quoique n'ayant pas
de date, s'en voient forcément assigner une et par les marbres
congénères datés et par cette raison historique. Elles appar-
tiennent aux V et Vï* siècles et au début du VIP (1).
Mais on ne peut nous les opposer. Notre inscription de
sainte Eusébie porte le monogramme J^ , le « Hic requiescit
in pace », mais aussi l'indiction. Or, possède-t-on dans la col-
lection des marbres une et plusieurs inscriptions présentant la
même allure dans la composition que la nôtre, offrant le même
chrisme P, le même début « Hic requiescit in pace », la
même formule chronologique, et nous permettant, par les
détails historiques dont elle serait remplie, de déterminer sa
date certaine et d'en assigner une ainsi à la nôtre ? Nous ne
croyons pas que ce marbre existe (2).
Il en existe un dans le VII* siècle, daté de la seule indiction,
et prouvant par une raison historique qu'à cette époque le
chrisme +, le début « Hic requiescit bonae mémorise *, l'al-
pha et l'oméga, étaient en usage. C'est le marbre de Venasque,
relatant l'épitaphe de Boetius, évoque de cette ville, décédé,
on le sait, vers 604 (3). Si Pindiction ne peut procurer une
date certaine à cette inscription, le fait historique la fait con-
naître.Or, en existe-t-il, au V ou VIe siècle, de semblable pour
nous forcer à donner à l'inscription de sainte Eusébie cette
date du V* ou du V? siècle ? Il n'en existe pas, croyons-nous,
nous n'en avons pas remarqué. Donc les marbres de Vienne
sans date, ornés du J^ et du a Hic requiescet in pace » ne peu-
vent nous être opposés.
Ceux que l'on a trouvés à Trêves ne peyvent pas non
plus arguer contre nous. L'ouvrage de M. Edmond Leblant
nous fournit quelque quarante inscriptions non datées, et re-
cueillies dans cette ville. Sur bon nombre de ces marbres, on
voit les chrismes J£, p, +et le début «Hic requiescit in pace».
(1) Ed. Leblant, Manuel a" Epigraphe chrétienne, p. 50.
(2) Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. II, n*' 507
et 707.
(3) Leblant, Manuel d'Epigraphte chrétienne, p. 105.
— 439 —
Or, on attribue ces inscriptions au IV et au V# siècle (1).
Puisque notre inscription de sainte Eusébie n'a d'autre date
que l'indiction, qu'elle offre le même début et porte un de
ceschrismes, le Jp, ne pourrait- on pas lui assigner, comme
date, le Y* siècle au moins ?
Nullement. Examinons, en effet, les marbres de Trêves.
Nous en avons choisi quarante-six parmi ceux qui paraissent
les plus complets et offrent le plus de ressemblance avec
l'inscription de sainte Eusébie. Or, sur quarante-six il y en a
trente-sept qui portent une formule spéciale : la mention de
ceux qui ont fait faire la tombe. Mais ce détail, de l'aveu de
M. Leblant, est au nombre de ceux qui désignent le troisième
âge, le IV* et le V* siècle. De plus, certaines raisons histo-
riques vous forcent à assigner cette date à ces inscriptions.
Au milieu ou à la fin du Y' siècle, la Rome des Gaules
tomba entre les mains des Francs Ri pua ires, en 464. Ceux-ci
demeurèrent païens de bien longues années. Au VIII* siècle,
l'idolâtrie y était encore en honneur (2). Ce n'est donc pas aux
VII*, VHP siècles que Ton peut attribuer ces marbres. L'his-
toire nous dit qu'ils sont du IV* ou du V* siècle..
Or, ces marbres de Trêves qui ont le chrisme J^ et le a Hic
requiescit in pace » ne peuvent être une objection pour nous.
D'abord, il n'y en a que deux en réalité qui ont ce chrisme
et la formule « Hic requiescit ». Mais ils portent aussi la men-
tion de ceux qui ont fait faire la tombe. De ce chef donc, il est
certain qu'ils appartiennent au IV* ou au V* siècle. Or, notre
inscription de sainte Eusébie n'a point cette mention, elle ne
ressemble donc pas à ces marbres. D'autre part, si le fait
historique nous obligea donner à ces marbres la date du IV* ou
du V* siècle, des raisons historiques nous amènent aussi à la
refuser à notre inscription. Donc ils ne peuvent nous être
opposés d'aucune manière. Nulle ressemblance encore entre
notre inscription et celles de Vienne, de Trêves, et celles du
VI* siècle. Donc elle n'appartient pas à cette époque.
Pour en finir avec ces études épigraphiques, prouvons que
notre inscription n'appartient pas non plus au VII* siècle.
(!) Leblant, Manuel d'Epigraphie chrétienne, p. 105.
P) Leblant, Manuel d'Epigraphie chrétienne, pp. 106, 107, 108.
— 440 —
Les inscriptions datées sont rares à cette époque. M. Edmond
Leblant avoue n'en avoir trouvé que quatorze (1 ». Dans le
supplément qu'il a ajouté à son ouvrage, nous en avons
recueilli quelques-unes de plus. Il nous en est venu quelques
autres encore. En tout, nous en possédons vingt-six, dont dix-
sept appartiennent certainement au VIP siècle. La date qu'elles
portent en fait foi. Quant à celles dont M* Leblant doutait
qu'elles fussent du VII* siècle, leur style épigraphique et
leurs débuts, les formules qu'elles emploient les font telle-
ment ressembler à celles du VII* siècle, que l'on peut dire
presque sûrement qu'elles lui appartiennent. Elles serviront
donc à baser nos conclusions.
Or, nous disons, sur ces vingt-six inscriptions du VII* siècle,
pas une qui ait quelque trait de ressemblance avec celle de
sainte Eusébie.
Notre inscription, en effet, porte le chrisme f. Il y en a
une aussi ornée de ce signe, parmi les vingt-six. Mais la date en
est incertaine. « Ce marbre, écrit H . Leblant, me parait appar-
tenir à la fin du VII* siècle. » Puis, cette inscription est origi-
naire de Trêves, elle porte la mention déplus minus, est ornée
de poissons; elle n'a pas l'indiction, ni la formule « Hic
requiescit in pace » (2). Impossible d'y trouver un modèle se
rapprochant de la nôtre.
L'inscription de sainte Eusébie débute par le * Hic requiescit
in pace. » Or, parmi les marbres du VII* siècle, il n'y en a pas
un qui fasse lire ce début.
C'est l'indiction qui daté notre marbre. Or, sur ces viogt-
six inscriptions du VII* siècle, onze sont datées par les années
de règne, quatre par les années de règne et l'indiction, une
par le consulat, deux par les consulats et l'indiction, une par
les consulats et les années de règne. Pas une donc qui ait l'in-
diction toute seule.
Ajoutez que les formules de début sont tout à fait différen-
tes du début de la nôtre. Ici a In hoc tumulo requiescit », là
« Hic requiescit bonse mémorise », à d'autres « In hoc tumnlo
requiescit bonae mémorise. »
(1) M. Leblant, Manuel a'Epigraphie, p. 190.
(2) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, 1. 1, p. 261.
— 441 —
Quant au chrisme, douze portent le -|-, une le J^ et le +>
une autre le J£. Enfin, relativement aux inscriptions dont
nous doutons quelles appartiennent au VII' siècle, disons tout
desuitequetoutes(elles sont au nombre de sept) sontdatéespar
les années de règne ; pas une ne fait lire le « Hic requiescit in
pace », pas une n'offre le monogramme P . Donc encore elles
ne ressemblent pas à l'inscription de sainte Eusébie.
Celle-ci donc n'appartient pas au VII* siècle.
CHAPITRE IX
Inscription de sainte Eusébie
(Suite)
QUELQUES DÉTAILS ÉPIGRAPHIQUES. — BATE PROBABLE DE CHACUNE
DBS INSCRIPTIONS CHRÉTIENNES DE MARSEILLE. — L 'INSCRIPTION
D'EU8BBIE NE LEUR RESSEMBLE NULLEMENT.
Nous n'avons pu trouver la moindre ressemblance entre le
marbre d'Eusébie et les marbres des V, VI% VI? siècles. Nous
l'avons même surpris comme gravé en dehors de toutes les
règles épigraphiques en usage à cette époque. Devons-nous aller
plus loin ? Oui. On nous a conseillé de demander la véritable
date de cette épitaphe d'Eusébie à la confrontation de celle-ci
avec les autres inscriptions funéraires latines et chrétiennes
de Marseille. Suivons ce conseil et voyons s'il y a entre ces
inscriptions et la nôtre quelques traits de ressemblance.
Il va jaillir de cette confrontation un argument de plus en
notre faveur.
Nous avons montré que le marbre d'Eusébie est en opposi-
tion avec les règles générales de l'épigraphie . Nous allons
voir qu'elle se trouve encore en contradiction avec les données
épigraphiques usitées à Marseille et connues jusqu'ici «
A cet effet, nous avons recueilli treize inscriptions. En voici
la nomenclature par le nom du destinataire : celles de Sen-
trius Volusianus, d'Enoetus, d'Ulpia, de Fœdula, de Menas et
Gemula, d'Eugenia (nobilis), de Spanilia, de Nymphidius, de
Cypriana, d'Urbeca, de Tillisiola, enfin de notre Eusébie.
Indiquons d'abord à quelles époques épigraphiques appar-
tiennent ces marbres, comparofls-les ensuite à celui de notre
Eusébie.
Pour le faire avec plus de clarté et de précision, rappelons
quelques données épigraphiques recueillies dans les ouvra-
— 443 —
ges sur la matière, notamment dans le Dictionnaire des
antiquités chrétiennes de Martigny , dans les Inscriptions
chrétiennes de la Gaule antérieures au VHP siècle, dans le
Manuel d'Epigraphie chrétienne de l'édition Migne, et dans
les Inscriptiones christianœ urbis Romœ de l'illustre M. de
Rossi.
Il y a quatre âges en épigraphie se distinguant chacun par
des détails spéciaux. Le premier âge, qui précède l'avènement
de Constantin, n'a pas un formulaire chrétien. Le moule des
inscriptions est païen encore. C'est un mot, un symbole anti-
que, tels que l'ancre, le poisson, qui ornent les marbres ; la
date de l'année y fait défaut, le jour de la mort ne s'y trouve
point ; on y lit les tria nomina du vieux système romain,
l'indication de ceux qui ont fait faire la tombe. Cet âge com-
prend les trois premiers siècles (1).
Le second âge se caractérise par le monogramme J£, la
brièveté dans les formules, le début de forme simple, le mot
« recessit » , la mention des parents qui ont fait faire la
tombe, les acclamations, la prétention du jour de la mort. Il
comprend le début et le milieu du IV* siècle, c'est-à-dire la
période constantinienne (2).
Au troisième âge apparaît la date de la mort, on y fait usage
des débuts simples : « Hic pausat , Hic jacet , Hic quiescit,
Hic requiescit », accompagnés parfois des mots « in pace »,
Les monogrammes J£ et £ y sont fréquents. Les IV et V' siè-
cles font partie de cet âge épigraphique (3).
Le quatrième, enfin, possède les formules secondaires de
« Hic requiescit in pace, Hic requiescit bonae mémorise, Hic
requiescit in pace bonae mémorise, In hoc tumulo requiescit
in pace bonae mémorise », le nom simple. Pas de monogram-
me?, mais la croix en tête, Y indiction. La fin du V* siècle, le
VI\ le VIP siècle comprennent cet âge (4).
Les deux monogrammes du Christ, le ^ et le J^ , la croix
grecque -f- ou la croix latine f sont, en réalité, un seul et
(1) Ed. Leblant, Manuel d'épigraphie chrétienne, pp. t9* 34» 51, 52a
(2) Ed. Leblant, op. cit., pp. 18, 34, 44, 47.
(3) Ed. Leblant, op. cit., pp. 40, 50, 54, 55.
(4) Ed. Leblant, op. cit., pp. 36, 40, 50, 55 1
- 444 —
môme 9igne de christianisme que les fidèles emploient. C'est
toujours le nom de Jésus-Christ et la figure de l'instrument
de son supplice, plus ou moins dissimulés suivant Tépoque où
Ton se trouvait (1). A Rome, le j£ apparaît sur les marbres dès
323. Dès 347 ce signe se complique puis il se résout en J^
jusque vers la fin du VI' siècle. Mais dès le début du V siècle
la croix apparaît (2). En Gaule, les monogrammes disparais-
sent moins vite. On y trouve le Jç de 377 à 498 (3). Le J^ va
de 400 à 521 et même au delà (4). La croix, qui apparaît vers
442 et 448, se montre encore vers 680 (5).
Les deux chrismes $ et f ne sont pas autre chose, nous
l'avons dit, que la + dissimulée d'une manière plus ou moins
complète. Ordinairement on voit ces chrismes se succéder pro-
gressivement sur les marbres d'un môme pays. Aux époques
primitives, c'est le j£, un peu plus tard le ^ apparaît, enfin
c'est la + qui s'étale au grand jour. Et bien rarement il arrive
que ces chrismes chevauchent les uns sur les autres; quand
l'antique monogramme a disparu, a été remplacé par le mo-
nogramme secondaire, le plus ancien ne se voit plus, et ainsi
de suite. De fait, c'est ce que prouvent les marbres datés de
Venasque, de Vaison, d'Arles, d'Aix, de Briord, de Vienne (6).
(1) Ed. Leblant, op. cit., pp. 29, 30. — Martigny, Dictionnaire d'anti-
quités chrétiennes, p. 413, etc.
(2) Martigny, op. cit., p. 416.
(3) Ed. Leblant, Manuel d'Epigraphie chrétienne, p. 29. — Leblant,
Inscriptions, t. II, n° 596, de 347; 1. 1, n» 12, de 498.
(4) Nous l'avons dit dans un chapitre précédent.
(5) Leblant , Manuel d'Epigraphie, p. 29. — Leblant, Inscriptions
chrétiennes, t. II, n° 657, de 442; t. I, n* 68, de 448. Quoique M. Leblant
ait écrit, 1. 1, p. 15, qu'avant 503 on ne trouvait pas la croix en Gaule
au début des épitaphes, on la voit au contraire dés 448.
(6) Lorsque, en effet, on met en regard les marbres datés appartenant
à la même région, on voit se vérifier l'observation que nous venons de
faire. Les inscriptions chrétiennes de M. Leblant nous donnent le résul-
tat suivant :
Marbres de Venasque : fin du VI* siècle E , en 604 + ; — de Vaison, en
470 3£, en 516, en 519 + ; — d'Arles, eo 374 ji, en 450 E, en 553 + ;
— d'Aix, en 517 j£, au VI- ou VII* siècle + + + : — de BrioA. en 557 ^,
en 622 ou 638, en 632 + ; — de Vienne, en 503, en 541 Jî, Ji, en 578 +.
n y a une exception à faire pour les marbres de Lyon» où Ton trouve
— 445 —
Outre l'habitude de placer la et r» 'entre les branches du
>{£, du f- et de la +, on avait celle de les suspendre par des
chaînes, figurées sur le marbre, à ces mêmes branches des
monogrammes (1). En Gaule on le voit fréquemment.
le £& en 493, le p en 431 et 551,1a + en 418, 503,511, GOI. Mais, lorsque
l'on défalque, des marbres conservés à Lyon, ceux dont il n'est pas dit
qu'ils ont été trouvés dans celte ville, on arrive a ce résultat : le £ en
454-540, 431, 55.1, la + en 503, 541, 701. En résumé, le marbre de 551
serait seul à chevaucher. •
(1) Les fidèles plaçaient ces deux lettres en regard des monogrammes
et de la croix, non pas seulement comme protestation contre l'hérésie
d'Arius, mais comme l'affirmation éclatante de leur foi au dogme de la
divinité de Jésus-Christ. (Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétien-
nes, p. 42.)
Souvent aussi ils les suspendaient aux extrémités des lettres des mo-
nogrammes. A Home, un marbre postérieur de quelques années seule-
ment à 431 montre Va el l'o attachés aux branches de x. Deux autres
marbres cités par M. de Rossi, Inscriptions chrétiennes, t. I, nM 661 et
666, de 430 et 431, les montrent suspendues à la branche transversale du
jp. (Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétiennes, p. 415.)
On les trouve aussi suspendues aux bras de la croix, notamment en
Algérie, à An noua h. (Martigny, op. cit., p. 43.)
En Gaule, cet usage existait aussi. On trouve le J^ dès 377 à Sion
(Suisse). (M. Leblant, Inscriptions chrétiennes, t. I, n°369), jusque vers
493. Le St so voit durant le Va siècle et la moitié du YK Le dernier
marbre orné de ce chrisme- ainsi accompagné parait être de l'an 541
(a9 55 des Inscriptions chrétiennes de Ed. Leblant, 1. 1.) Le ࣣ enfin se
rencontre en 547, n* 437; en 520-690, n° 565; au début du Vil» siècle,
n9 707 du môme ouvrage.
L'habitude existait aussi çn Gaule de suspendre par de3 chaînes
ces deux lettres aux branches des monogrammes. Nous ne connaissons
pas de CB portant ces deux lettres suspendues, mais le JEL nous le voyons
sur un marbre de Vienne, n° 140 du t. II des Inscriptions chrétiennes de
M. Leblant ; sur un autre marbre n* 92 du même ouvrage. Le -£j~ enfin
apparaît sur la pierre tombale de l'évèque Boetius, au début du VII" siè-
cle, n> 707, et sur le marbre de Menas, à Marseille, n° 551 de M. Leblant,
op. cit.
Mais, particularité remarquable, on ne grave prêsqu j jamais l'oméga
majuscule avec l'alpha majuscule, c'est toujours le minuscule u>. et cela
sur les pierres tombales, sur les inscriptions, sur les sceaux en forme de
chatons de bague. Voir TA B G de M. Gaumont, pp. 48, 50, 55, 62, et les
planches des Inscriptions chrétiennes de M. Leblant, passim. Tantôt
c'est le J2L, la -Jj, tantôt le JÇL, la ^. Très rarement on représente
l'oméga majuscule. Nous en avons trouvé à peine quelques exemples
29
- 446 -
En Gaule encore, jusque. vers le milieu du VI* siècle on con-
tinua à dater par les consuls (1 ). Depuis le premier quart deoe
siècle cependant on avait pris l'habitude de joindre l' indic-
tion au consulat, et on usa de cette méthode chronologique
jusque vers 573 (2). Déjà en certaines contrées de la Gaule la
supputation consulaire était abandonnée (3). On datait par
les années de règne des rois ou par Tindiction toute seule (4).
Seulement, tandis que les Visigoths et les Francs cessent de
dater par les consuls dès 484 et 534, partout où s'étendait la
domination des Bourguignons la date h y patique était conser-
vée* Elle se prolongea jusque vers .623 (5) : à Marseille et dans
dans M. Leblant, no< 4, 241, 212, 462 des planches de cet ouvrage. C'est one
remarque mentionnée dans Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrë-
tienneê, p. 43.
(1) La dernière inscription datée par la formule hypathique en
Gaule parait être l'épitaphe d'un évéque d'Arles, Aurélien. Elle appar-
tient à Tan 551, n* 23 des Inscription» chrétiennes de M. Leblant.
(2) Au V* siècle on trouve l'indiction, uuie a la date hypathique, dés
491. Cest la première inscription possédant cette formule chronologi-
que. Mais on la voit fréquemment gravée depuis 532 à 573. Au VII* siè-
cle on ne trouve que deux marbres datés : en 601, n* 17, et en 606, n* 397.
(3) M. de Rossi donne la raison de cet abandon: « Précédente tamen
tempore indictiooibus adnotandis titulorum scriptores ita paulatim
adsuevere, ut eos absque aliis annorum no'tis non raro adhibuerint, quse
plane inutilis designandi temporis ratio est, id certè fieri cœptum, cum
ordinaril con suies quibus an nus desîgoabatur, creari desierant, et glis-
cente barbarie légitimas atque accuratas tempo rum notas, muIU iguo-
rabant vel negligebant. » (In&eriptiones ciiristianœ urbis Rotnœ, pnef.,
pp. XGVIII et XCIX..) — Martigny. Dictionnaire d'antiquités chré-
tiennes , p. 317 . La création régulière des consuls fut souvent inter-
rompue. Mais ce fut surtout en 542, où cette interruption dura vingt-
trois ans, et en 566 où elle dura neuf ans. Or, l'habitude d'omettre la
date consulaire coïncide avec cette époque, ainsi que l'usage de l'indic-
tion toute seule et de la date par les années de régne.
(4) Dès 541, en effet, nous trouvons les inscriptions avec la date
royale, et celte méthode se conserve bien longtemps.
(5) Dès que Ai'aric II monte sur le trône de Toulouse (487-507), il date
et on date parles années de son règne. M. Leblant donne deux inscrip-
tions ainsi marquées, nw 482, 556 ▲. Et ce n'est plus qu'à de rares inter-
valles que l'on revient À la date hypathique.
Ainsi font les Francs ; dès qu'ils pénètrent eu Aquitaine, c'est par le
J
— 447 —
les environs, au V* et au VI* siècle, on datait par consuls
avec ou sans indiction (1).
A l'aide de ces renseignements, assignons une date approxi-
mative à chacune de nos inscriptions de Marseille.
Voici i'épitaphe deSentrius Volusianus.
. . TRIO VOLDSÏAMO
, . BVTYCHETIS FILIO
0 FORTVNATO QVI VIM
S PASSl SVNT
. GIA PISNTIS5IHIS F
REFRIGERET NOS
. T*ST k$>
Nous la trouvons dans les Inscription* chrétiennes de la
Gaule antérieure au .VIIl* siècle, d'Edmond Leblant ; dans
le Catalogue raisonné du musée d'archéologie de Marseille,
par M . Penon ; dans Y Armoriai et Sigillographie des évé-
que* de Marseille, par M. le chanoine Albanès (2).
D'après M. Edmond Leblant, cette inscription appartient
« aux beaux temps de l'épigraphie ». Les détails qu'elle
fournit « lui assignent une époque antérieure à la création
du premier formulaire chrétien ». Or, c à la première époque
régne de leurs rois que l'on date. Il y a bien encore quelques excep-
tions, mais l'usage est pris.
Les Bourgu:gnons, au contraire, conservent ce souvenir de la domi-
nation romaine sur les contrées qu'ils possèdent. Jusqu'en 623t ils datent
par les consuls.
(Manuel d'Epigraphie chrétienne, par M. Leblant, passim, p. 132, etc.)
(1) Les inscriptions du V* siècle appartenant à Marseille, Aix, Vaison,
Valence, Vienne ne portent que la date consulaire. Un marbre d'Arles,
de 495, n» 538 de M. Leblant, lait seul exception.
Celles du VI* siècle appartenant à Aix, Arles, Vaison portent les unes
la date des consuls toute seule, les autres la date des consuls jointe à
l 'indiction. La meilleure raison de celte méthode chronologique est que
les Bourguignons ont possédé la Provence, en tout ou en partie, de
Tannée 486 au milieu du VI* siècle environ.
(2) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, t. II, n* 548 a. — Peoon,
Catalogue..,, du Musée, p. 29. — M. le chanoine Albanés, Armoriai
et Sigillographie...., p. 4.
I
f
t
- 448 —
(épigraphique) qui précède l'avènement de Constantin, le
formulaire épigraphique chrétien n'existe point encore (1)».
Et Constantin fut proclamé empereur en .306, et l'édit de
Milan qui donna toute liberté à la religion chrétienne est
de 3 13 (2). Cette inscription est donc an plus tard du début
du IV siècle.
M. le chanoine Albanés écrit dans Y Armoriai : a Combien
de fois n'avons-nous pas entendu des savants de divers pays,
qui venaient d'admirer notre vieux marbre chrétien, y recon-
naître les caractères de l'époque d'Antonin ?" Il faudrait re-
monter plus haut encore, au jugement de celui qui a été
récemment appelé par l'autorité municipale pour invento-
rier les antiquités de notre musée: il ne regardait pas comme
téméraire que l'on put se croire en face d'un monument de
l'âge de Domitien. » Or, An ton in le Pieux régna de 138 à 161,
Domitien de 81 à 96. Cette inscription peut donc remonter
au I" siècle ou au II\
Nous ajoutons : les trois noms dont le marbre de Volusia-
nus porte la trace ; le symbole antique de l'ancre ; cette men-
tion d'Eulogia, la mère de Volusianus, et de Fortunatus; ces
mots: « refrigeret nos qui omnia potest », qui ressemblent à
une réponse énergique de ces chrétiens au juge qui les con-
damne ; l'indication du genre de supplice qu'ils endurèrent ;
l'absence de tout monogramme, sont autant d'indices d'anti-
quité pour ce marbre.
Nous le faisons suivre de celui d'Eunoetus. M. Leblant Ta
donné d'après les manuscrits de Peiresc (3).
0 • VETÎN/E • EVNOETO
*S*.QVI • VIX ANN • XV • M • III ^
VET1NI1 • HERMES ET ACTE
PARENTES • FIL • PIISSIMO *
ET DVLCISSIMO • FECERVN
E HERMAIS • SOROR LIB • LIBERTAB • POSTERISQ • EORVM
(1) Leblant, Manuel d'Epigraphie, p. 51.
(2) L'Eglise et V Empire romain au VI* siècle, par Albert de Broglie,
1. 1, pp. 193, 241.
(3) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes^ t. II, n° 551 b.
4
— 449 —
A cette inscription on peut appliquer ce que M. Edmond
Leblant a écrit de celle de Sentrius Volusianus. Ajoutons que
a s'il n'est pas fréquent de rencontrer les tria nomina sur les
tombes chrétiennes, l'ancienneté dont témoigne cette forme est
ici en rapport complet avec la présence de l'ancre et des pois-
sons, symboles éminemment primitifs (1) ». En effet, la pré-
sence de ces symboles chrétiens, du triple nom romain, des
noms des parents qui ont fait graver ce marbre, l'absence de
tout monogramme, témoignent d'une haute antiquité. A quel
moment des trois premiers siècles faut-il placer l'origine de
ce marbre? De plus habiles que nous pourront le dire.
Celui de la vierge Ulpia nous est connu par les copies que
nous en ont données Ruffi, Grosson et Ed. Leblant (2). La
voici telle que nous la fait lire M. Leblant :
DM
HIC JACET V1RGO FIDELIS VLPIA
DOMENE OVE VIXIT ANN XVI
M XI D XX INLVCIVS ET VL
PIA AGGRIPPINE DVLCISSIMAB
Cette inscription, une dés quatre qui, d'après Grosson, se
trouvait dans les souterrains de Saint-Victor, à l'emplacement
qu'occupe la chapelle de Saint-Lazare, semble appartenir au
IV* siècle, à cause de la forme de son début et des noms de
femmes qui l'ont fait graver.
Nous ajoutons que la formule simple de « Hic jacet », qui
ne se lit plus après 449, la mention de la mère qui fait élever
cette tombe à sa fille, le double nom que porte ce marbre
Ulpia Domene etUlpra Agrippina ; le signe D M que les inscrip-
tions chrétiennes offrent assez souvent et qui rappelle soit la
présence au moment où l'on fait la tombe des deux cultes
dans la contrée, à cause de «a signification Diis manibus, soit
(1) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, t. II, p. 312, n° 551 b.
(2) Guesnay, Provinciœ Massiliensis Annales, p. 78. — Ruffi, //ia- ,
toire de Marseille, t. II, p. 319. — Grosson, Recueil des antiquités •
et monuments marseillais, p. 272. — Leblant, Inscriptions chré-
tiennes, n° 550, t. II, p. 307.
— 450 —
le besoin de graver ce3 inscriptions suivant les formules adop-
tées à l'époqtie (1) sont autant de motifs pour nous de ranger
ce marbre parmi ceux du deuxième âge. Il appartiendrait,
selon nous, au milieu du IVe siècle. Ort l'a tu, M< Ed< Leblant
n'y contredit pas.
~ Celui de Fedula est aussi bien antique.
PAVSAT I
FEDVLA
CVM QVEM V
AVDI MEE COM
DS MEVS ES TV
GOMMENDO
SPBTM MEVM
M. Leblant nous fait remarquer que Ton y voit deux
emprunts faits au psaume XXX» 0r9 « c'était, la coutume, aux
premiers temps .chrétiens, de chanter des psaumes à la veillée
des corps et à leur enterrement (2). » Le nom de la chrétienne
de Marseille dénote aussi une grande antiquité.
Fœdula est, en effet, un de ces termes de mépris que les
païens donnaient àttx premiers chrétiens, que ceux-ci accep-
tèrent avec joie par amour pour Notre Seigneur et dont
ils firent un nom (3). Ainsi, le marbre qui nous occupe
appartient à l'époque antique. Ces textes de la Sainte Ecriture
que nous lirons dans ce marbre dénotent encore l'époque
primitive. Mais le monogramme je qui apparaît dès 347 (4)
et qui dès 377 s'augmente de ValphaelAeYùmèga(b),\tk formule
« Pausat in pace » plus compliquée que « In pace » de l'épita-
(1) Edmond Leblant, Inscriptions chrétiennes, n* 361-362.
(2) Edmond Leblant, Inscriptions chrétiennes delà Gaule, n° 546. .
— M. Penon, op. cit., 42.
(3) Edmond Leblant, op. cit., t II, p. 64, etc.
(4) Edmond Leblant, op. cit.$ n° 596, dans le marbre de Severa et de
Patrocle»
• t5) Edmond Leblant, op. cit., n° 369.
■ - 451 —
phe de Severa et Patroclus en 347 (}) ijons déterminent à lui
assigner les premières années après le milieu du IV* siècle.
Voici Fépitaphe de Menas et de Gemula que MM. Grinda,
Méry et M. Edmond Leblant nous rapportent :
BON
V
0 RBQV •
EAVI
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PVTV
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RV MA
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DE 8VPE
I
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RMENO
T
OMEN
CABN
M
VS IS
ÀPVTB
E
CT
DO.
N
Cette épitaphe nous fait lire la formule « In die futuro »
qui marque l'attente de la résurrection (2) ; les mots inscrits
à la partie- gauche rappellent des textes de la Bible. On y
remarque une contraction dans le nom propre Menas pour
Eumenate. M. Edmond Leblant n'ajoute rien autre qui puisse
nous indiquer à quelle époque il fait remonter ce marbre.
A notre avis, cette inscription appartiendrait à la fin du V*
siècle. En 470 on trouve la formule « votum facere a comme
inscription dédicatoire d'un monument funéraire : « Rusticus
(1) t Val. Severa vieil an nos XXX, recissit non. jul. Rufino et Eusebio
c cônes. Pac. Patroclus prœsby ter sibi in pace. » (Inscriptions chrétien-
nes, n° 596.)
<2) Guindon et Méry, Histoire des actes et délibérations oies corps et
de la municipalité de Marseille, t. V, p. 201 . — Edmond Leblant,
Inscriptions chrétiennes, t. II, n° 551 A.
— 452 —
pro voto buo fecit (1) » L'alpha et Yoiftèga insérés dans le
monogramme je apparaissent vers 377 jusque vers 493. Dès
500 jusqu'en 547 on les voit attachés au P et dès 520, 547
ils se trouvent sous la -{-» Mais celle-ci, la +, on la rencontre
au début et au milieu des inscriptions funéraires dès 442, 447.
D'autre part, la formule a Hic jacet » ne se lit plus après 447,
449. C'est donc entre les années 450 et 500 qu'il faut placer
l'origine de notre marbre.
Celui de Nymphidius, Guesnay, de RufQ, Grosson, Papon,
Edmond Leblant nous en ont conservé l'inscription (2) :
HIC REQVIESCET IN P
NYMFIDIVS EX PRA
QVI VIXIT ANNOS I
RECESSBT VIII KALEN
PROBINO ET EVSEB
Incontestablement il appartient au Ve siècle, puisqu'il est
daté par les consuls et cette date est l'année 469.
Or, comme ce marbre est bien de Marseille, puisqu'il a été
recueilli dans son port, il nous fournit une indication: c'est
qu'à la fin du Ve siècle on se sert de la formule « Hic requies-
cit in pace » et du terme a recessit », et qu'ainsi les épitaphes
de Menas, de Fedula, de Ulpia, sont antérieures à 489.
MM. Millin, Penon, Leblant nous donnent l'inscription
d'Eugenia (nobilis) (3) :
+ Nobilis Eugbnia pr^eclari sanguinis ortu, etc., etc.
ê
Cette magnifique épitaphe ne porte pas de date. Mais elle
fait allusion à l'acte de charité qu'accomplissaient tant de
(1) Edmond Leblant, op. et*., n° 496.
(2) Guesnay, Provinciœ Massiliensis Annales, p. 79. — Ruffl, Histoire
de Marseille, t. II, p. 321. — Grosson, Recueil des antiquités, p. 271. —
Papon, Histoire de Provence, 1. 1, p. 25. — Edmond Leblant, Inscrip-
tions chrétiennes, n° 548.
(3) Millin, Voyage, t. III, p. 169. — Penon, Catalogue du Musée
d'archéologie de Marseille, p. 34. — Edmond Leblant, Inscriptions
chrétiennes, t. II, n° 543.
— 453 —
*
chrétiens, celui de racheter leurs frères captifs aux mains
des barbares, a C'est à cette époque où l'Empire se débattait
sous une terrible étreinte, que nous reporte le marbre d'Euge-
nia », a dit M. Edmond Leblant (1).
C'est durant ce V° siècle, en effet, qu'il faut placer l'origine
de ce marbre. La croix au début de l'inscription la fait dater
de 448 à 680. Mais il s'agit du rachat des captifs auquel
Eugenia se livre, et les barbares ont saccagé la Gaule, ramassé
des esclaves surtout de 405 à la fin du siècle. C'est le motif
qui nous fait assigner cette époque comme date d'origine à ce
marbre.
De L'inscription de Spanilia :
f HIG REQVIESCET
IN PACE SPANILIA
OVI VIXIT ANNOS
QV1NQVAGENTA ET
SEPTE RECESSIT DIE
SEPTIMU IDVS
f MAIAS f
M. Leblant ne dit qu'une chose, « c'est qu'elle a été trouvée
dans les fouilles du bassin du Carénage et conservée au musée
de la ville (2). »
Nous la plaçons encore au V° siècle. La croix au début de
Tinscription se lit dès 448, à l'intérieur des inscriptions dès
442. Mais la formule « Hic requiescit in pace » ne se lit guère
avant 469 et ne se voit guère après 498. C'est donc centre 469
et 498 environ qu'elle a été gravée.
Inscription de Cypriana :
HIC REQV1E5
CIT CYPRIANA
IN PACE
QVI VIXIT
MN ANNS
XXXIII
(1) Edmond Leblant, Inscription* chrétienne», t. II, p. 299.
(1) Edmond Leblant, Inscriptions chrêtienn?s,\. II,n°549. — Penon,
Catalogue du Musée d' 'archéologie, p. 33.
— 454 —
Personne n'a parlé de ce marbre, excepté M. Penon dans son
Catalogue raisonné du Musée d'archéologie de Marseille,
n° 161, pour dire que cette inscription a été trouvée en 1875,
près du bassin du Carénage (l).
L'inscription de Cypriana appartient au V siècle, précisé-
ment à cause de la formule* « Hic requiescit. . i in pace».
On ne la trouve guère après 491 et 498. Mais le qualificatif
« bonae memoriœ » s'y joint bien vite : on le trouve dès 473.
D'autre part, le c Hic requiescit in pace » se lit seulement
vers 469. Notons que l'expression plus minus que renferme
cette épitaphe commence à se lire dès 511 . C'est donc posté-
rieurement à 469, entre 479 et 511, que notre inscription a sa
place, vers la fin du V* siècle, peut-être au début du VI*.
M. Ruffi et Ed. Leblani nous ont conservé l'inscription
d'Urbeca :
JL JL JL
i 1 i
hic reqvïéscëT tn *ÀCE
BONE MEMORfA URBÊCÀ FÎLIA BONE MEMORISE
SQUELIOLES QV1 VICTET PLVS MEKOS AJINO. S. L. RECESSET
SVD DIE KALENDA8 OCTOBRES IN DICTION H SEXTA
L'inscription d'Urbeca est « d'une assez basse époque, comme
le montrent, entre autres détails, la formule du début et la date
de l'indiction. Elle doit être jointe aux rares épitaphes chré-
tiennes qui indiquent la filiation du défunt (2)» »
On peut;en effet, lui assigner le VP siècle comme époque pro*
babledeson origine. Elle nous fait lire le début assez compliqué
de a Hic requiescit in pace bonae memoriœ », lequel se trouve
dans les inscriptions peut-être avant 491, mais sûrement à
cette date, jusqu'en Tannée 689 (3). D autre part, la locu-
tion plus minus que porte ce marbre se rencontre de l'année
(1) M. Penon, op. cit., p. 41.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, p. 396. — M. Ed. Leblant,
Inscriptions chrétiennes, t. Il, n* 551.
(3) Le marbre de Nevitta porte cette formule et date peut-être f de
362, n° 493.— Le ne 474 B porte la date de 491 et fait lire « Hic requiescit
in pace bonae mémorise ». — Le n° 621 porte la date de 689.
— 455 —
511 à l'année 643 et peut-être à Tannée 695(1). De plus, la
date par l'indiction seulement nous donne une époque posté-
rieure à la moitié du V? siècle (2). Enfin, trois croix ornent ce
marbre. Oh a dit qu'elles étaient « un hommage rendu à la
sainte Trinité, à cause de l'hérésie arienne »* ce qui est,
croyons-nous, une bonne petite hérésie. Oiiadit « qu'elles
étaient des caractères propres, de l'ornementation et de l'épi-
graphie à l'époque mérovingienne (3) », ce qui est assez vrai.
Il nous semble que ce sont tout autant de signes et de preu-
ves de là vivacité de la foi de ceux qui ont fait graver ces
marbres. De fait, ces trois croix ont été d'un usage assez fré-
quent on beaucoup d'endroits, et surtout assez longtemps.
Avant même que le signe cruciforme apparût en évidence
complète, on avait l'habitude souvent de répéter plusieurs
foi» soit le je, soit le J^ , soit l'un ou l'autre de ces mono-*
grammes mêlés à la +. C'est ce que nous montrent des mar-
brés de Trêves, de Vienne, de Ghâlons-sur-Saône, appartenant
aux V et X- siècles (4).
Souvent aussi et à des époques assez éloignées lès unes des
autres nous trouvons ces croix répétées sur les marbres, tantôt
à une place, tantôt à une autre. Tels le marbre de Montedy
appartenant au V" siècle, celui de Mandourel de la fin du
celui d'Aix du VIII* ou IX* siècle et un de Limoges, de 853
Parfois aussi on place ces chrismes d'une manière régulière
en tête de l'inscription, à la fin de celle-ci, et au nombre de
troi9. C'est le cas d'un marbre de Trêves, d'un de Vienne et
d'un autre de Coudes (6),
(1) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, n«586A..
(2) M. de Rossi, Inscriptiones christianœ urbis Romœ, p. XCVII,
écrit: c Christianœ inscriptiones quœ indictionum notas prœ se ferunt,
seculo plerumque sexto minime esso antiquiores vere Muratorius pro-
nuntiavit. »
(3) Bulletin de la Société archéologique du Midi de la France, éplta-
pbe de Tillisiola, p. 30.
(4) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, n" 414, '12, 269, 322, 11
(p. 30), 439.
(5) Ed. Leblant,. op. cit., nM 610, 621 B, 624. — Marbre de Limoges,
Dictionnaire dfEpigraphie% ôdit. Migne, t. I, col. 651.
(6) Ed. Leblant, op. cit., n- 271, 441, 565.
Y1I-,
/
— 456 —
Or, à quelle époque rencontre-t-on cette particularité des
trois chrismes ? Le marbre de Trêves est assez antique, il a le
début primitif a Hic jacet » , il remonte peut-être au IV* siècle.
Celui de Vienne parait appartenir au V*, à cause du début
« Hic requiescit in pace ». Mais celui de Coudes porte une date :
les années de règne d'un roi, et cette date va de 500 à 690.
Le marbre d'Urbeca, postérieur à. la moitié du VI* siècle, peut
appartenir au VII0. Ne prenons pas la date extrême, acceptons
qu'il soit de la fin du VP siècle.
Nous connaissons jiéjà l'inscription d'Eugenia « &ncilla Dei ».
A quelle époque faut-il l'attribuer?
La formule assez compliquée du début « Hic requiescit
bonse memoriae » appartient au quatrième âge épigraphique.
Elle se lit sur les marbres de Tau 458 à Tan 638 et peut-être
695. Cette locution se rencontre bien avant dans le VHP siècle.
Une inscription de Saint-Orens, près de Toulouse, que le Dic-
tionnaire d'Epigraphie, édition Migne, fixe à Tannée 790 ;
une autre de Foix, datée de 791 ; une autre de Toulouse peut-
être, datée du VIP siècle d'après M. Leblant, et de 806 d'après
rauleurduZ>iWio>inat>e d'Epigraphie cité plus haut, donnent
ce début (1). Le champ d'origine pour ce marbre d'Eugenia
est j)ien vaste, il s'étend du Ve siècle au VHP et peut-être au IX\
Mais la date de cette inscription marquée par l'indiction toute
seule en «resserre les limites. Comme ce mode chronologique
correspond, d'après M. de Rossi, à une époque postérieure à la
moitié du VP siècle, c'est entre 550 environ et 790 qu'on peut
la placer.
On peut le restreindre davantage en étudiant la locution
« ancillaDei », qualificatif d'Eugenia, et formule équivalente
du mot « religiosa ».
A quelle époque a-t-on appelé les religieuses « ancilla Dei » ?
Les marbres épigraphiques de la Gaule nous montrent cette
formule quelquefois employée. M. Leblant nous fournit quatre
(1; Marbre de Tulinus, Saint-Orens, Dictionnaire d'Epigraphie, édit.
Migne, t. II, col. 977.— Marbre d'Arricho, Foix, Dictionnat7'e d'Epigra-
phie, édit. Migne, t. I, col. 476. — Marbre de Marsilia, Toulouse, Dic-
tionnaire d'Epùj rapine, édit. Migne, t. II, col. 1120. — Ed. Leblant,
Inscriptions chrétiennes, t. Il, n* 601.
— 457 —
inscriptions de ce genre. Malheureusement aucune n'étant
datée ne peut fournir de renseignements positifs. D'autre
part, les épitaphe3 de religieuses, avec date à peu près certaine,
que M. Leblant nous a conservées et appartenant aux Ve, VI",
VII0 sièclesrfie nous font jamais lire la formule « ancilla Dei » .
D'autre part, enfin, nous avons, à Marseille, une inscription
que M. de Rossi croit être du Ve ou du VIP siècle, celle de Til-
lisiola, et dans cette inscription Tillisiola et ses religieuses sont
appelées « virgo, virginessacrœ». Il est donc fort probable que
ce marbre d'Eugenia n'est pas de la fin du VI° siècle. Il est pos-
térieur. Ajoutons qu'à aucun moment, sauf au milieu du
VIII' siècle, on ne lit cette expression dans le texte des canons
et des décrets des conciles. Donc, ce marbre d'Eugenia peut
appartenir au VIII- siècle.
Cependant il ressort du texte de certains écrivains ecclésias-
tiques qu'à toutes les époques presque, ce terme « ancilla Dei »
aété employé pour désigner les religieuses. On peut bien dis-
cuter sur le sens exact de plusieurs de eus textes, à savoir s'ils
désignent réellement des personnes consacrées à Dieu^j mais
il est certain, par exemple, qu'en 597 saint Grégoire le Grand,
qui remploie fréquemment, récrivait dans une lettre à Res-
pecta, abbesse du monastère de Saint-Cassien à Marseille.
Peut-on en inférer que cette inscription d'Eugenia appar-
tienne à la lin du VI* 9iècle, ou au début du VII-, et que Ton
ait voulu décerner à cette religieuse Eugenia le titre que le pape
donnait à ses sœurs à peu près à cette époque ? C'est possible.
Mais nous formulons une difficulté. Nous avons parlé tantôt
de l'inscription d'Urbeca et de celle de Tillisiola. Celle d'Ur-
beca nous semble appartenir à la fin de ce VI" siècle; celle de
Tillisiola, M. de Rossi la croit du VIe ou du VII* siècle. Or, ces
deux inscriptions portent le chrisme -f- trois fois répété.
Pourquoisur cette inscription, si elle est de la fin du VII' siècle,
Ce signe ne se trouve- t-il pas ? Les trois marbres sont de Mar-
seille. Dans tous les trois il s'agit de religieuses. Et pas une croix
sur celui d'Eugenia. Cela nous semble difficile à accepter.
Attribuez donc cette inscription, si vous voulez, à la fin du VI',
siècle, au début du VIP ; mais, pour nous, les conciles n'ap-
- 458 -
pelant les religieuses « ancilla Dei » qu'au milieu du VIII*
siècle, c'est à cetle époque qu'elle appartient.
L'inscription de Tillisiola, à quelle époque appartient-
elle? M. de Rossi, on lésait, la croit du VIe ou du VII- siècle.
Ajoutons nos preuves (1).
Ce marbre offre à nos regards trois* chrismes gravés en
forme régulière et en tête de l'inscription. D'après ce que nous
avons dit tantôt, la date de ce marbre peut dès lors se pla-
cer entre le IVe et le VIP siècle. Le début de l'inscription nous
indique aussi une époque assez basse : <* In hoc tumulo sita
est ». Cette formule n'est pas habituelle. On lit : a In hoc tu-
mulo requiescit » avec plus ou moins de détails, mais les
mots « sita est » sont assez rares, croyons-nous. Dans tous les
cas, la locution a In hoc tumulo», qui se lit dès le V' siècle,
se prolonge fort avant dans les VI", VI?, VHP, IXe siècles. En
853 on lit sur un marbre de Limoges : « In hoc tumulo re-
quiescit sanctse mémorise Dodo (2) o. C'est du V* au IX8 siècle
que Ton pourrait donc placer son origine.
Mais, comme ce marbre est daté par Tindiction seulement,
de ce* chef nous descendons à une époque postérieure au
milieu du VI* siècle. Le qualificatif d'à abbatissa d désignant
la dignité de Tillisiola apparaît quelquefois dans les inscrip-
tions. Nous le trouvons à Capoue, en 569 (3), à Vienne, à la
fin du VI°, au début du VII0 siècle (4). Sans difficulté on peut
donc attribuer ce marbre au VI° ou au VII* siècle.
Cependant l'expression «Virgo virginibus sacriso le fixe à la
date la plus basse. Ce terme de « virgo » est antique. C'est
vrai, nous avons lu « Ulpia virgo fidelis » au IV* siècle. Mais à
ce moment, il ne signifie pas religieuse dans le sens ordinaire
du mot. De plus, on ne le retrouve dans les marbres de la
(1) Dans une lettre de M. de Rossi adressée à Mgr Barbier de Mon-
tault, au sujet de cette inscription, le savant archéologue écrit : « Les
formules de l'épitaphe ne permettent pas de l'attribuer au bas âge. Je la
crois du VI- ou bien du VIIe siècle. s Bulletin de la Société arctiêologi-
que du Midi de la France, série in-S°, n° 1, p. 29.
(2) Marbre de Dodo, abbas, Limoges, Dictionnaire d'Epigraphie, édi-
tion Migne, t. I, col. 651.
(3) Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétiennes^ p. 486.
(4) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, n*G99.
— 459 —
Gaule et désignant à proprement dit des religieuses, qu'au
VII* siècle, sous la forme de « Deo sacrât» virgines » (l). De
ce chef donc la date d'origine de ce marbre descend jusqu'au
VU- siècle.
Mais veut-on noire sentiment? Cett« inscription, selon
nous, appartient à la tin du VIII" siècle, à l'iîjwnjlm rn1*M et
paisible des règnes de Pépin et de Charlemagne. Et voici nos
raisons :
Nous avons un faible pour nos traditions locales, et volon-
tiers nous nous mettons à leur remorque. Or, c'est une tradi-
tion, une croyance, un dit-on, si l'on veut, admis par les
auteurs cependant (2), que Tillisiola a été une des abbesses
qui ont succédé â sainte Eusébie. De fait, elle était ensevelie à
Saint-Victor, à deux pas de l'autel de Notre-Dame de Confes-
sion, au pied duquel reposaient Eusébie et se» compagnes. Or,
nous ne sachions pas que l'on ait inhumé dans les cryptes
•des religieuses avant sainte Eusébie. D'autre part, son épitaphe
dit qu'elle fut abbesse, et que par ses actes et sa vie elle lit
honneur à ce titre. Or, un tel éloge, qu'elle a été à la hauteur
de sa dignité, mis eu regard de la mort héroïque de sainte
Eusébie, est une véritable gloire. L'honneur que celle-ci a ac-
quits en souffrant le martyre, celle-là l'a conquis par ses vertus.
Et puis on ne nous ôtera pas de l'esprit que ce vers si joli,
si bien fait, si coulant :
Vlrgo virginlfons sacrle, quadraginta pr&fuit annis,
ne soit pas un harmonieux tour de phrase, comportant deux
sens : l'un vrai, que Tillisiola a gouverné pendant quarante
(1) Ed. Leblant, op. cit., n' 199.
f2) Guesnay, dans Promnria Massiliensis Annale*, p. 585, et dans
CaurianuF iltustratu», p. "05, parte de Tillisiola après avoir parlé <le
sainte Eusébie ei semble ainsi la croire postérieure É noire sainte mar-
tyre. — M'' de Belsuuce croit que Tillisiola a été aMii-ust: de Sainl-Sau-
■veur. (Antiquités de l'Eglise de Marseille, t. I, p. 411 1. — André. His-
toire de l'abbaye de Saint-Sauveur, écrit : ■ On cmil que la première.
abbesse de Sai.uL-Sauve.ur, après son élaLlisoeui. (ver a t03U; iu(
Tillisiola. > Page 17.
— 460 —
ans un monastère; l'autre, figuratif, mais curieux, ayant
trait à ce nombre de quarante qu'atteignaient les vierges
héroïques, compagnes d'Ëusébie, martyrisées par les Sarra-
sins ! Que Ton pense ce que Ton voudra de notre idée ! Pla-
cez au VIP siècle l'inscription de Tillisiola, mais nous la
plaçons, nous, à la -fin du VIII* siècle. Notez qu'au VIIIe siècle
on lit sur un marbre de Mayence : « lu hoc titoxo requiescit »
avec des -f- répétées ; dans un autre du IXe (821) : a Sub hoc
lapide requiescit » avec la +; dans une autre du même
siècle (853) : « In hoc tumulo requiescit » avec des croix
nombreuses encore et force détails (1). Rien donc ne s'oppo-
serait à ce que l'épitaphe de Tillisiola appartint au VIII* siècle.
Nous arrivons à l'inscription d'Ëusébie. A quelle époque
appartient-elle ?
A l'aide des prémisses que nous avons établies, il va nous
être facile de montrer une fois de plus que cette épitaphe a
été composée en dehors de toutes les règles épigraphiques en
usage aux V\ VI* siècles, qu'elle ne ressemble en rien aux
inscriptions de Marseille originaires de celte époque.
Nous avons fait la remarque, au début de ce chapitre, que
les chrismes n'empiétaient pas les uns sur les autres ordinai-
rement dans une localité, et nous avons cité à l'appui les
marbras de Venasque, de Vaison, d'Arles, d'Aix, de Brioude
et de Vienne. Il en a été de même pour notre ville. Aux
premiers siècles, les inscriptions de Volusianuâ, d'Enoetus
sont ornées de l'ancre et du poisson. Entre le milieu et la lin
du IV* siècle, le marbre de Fœdulanous donne le ^; entre
450 et 500, ceux de Menas, d'Eugenia (nobilis), de Spanilia
nous montrent la +. Aux VI* et Vil* siècle, ceyx d'Urbeca, de
Tillisiola portent la -j- plusieurs fois répétées. •
La progression, en fait de chrisme, étant régulière à Mar-
seille, force est d'y faire rentrer le chrisme P et de le placer
entre le ^ et -}-. De ce chef, donc, l'inscription d'Ëusébie de-
vrait être rangée entre celle de Fœdula ornée du j£ et celle dte
Menas qui porte la + et se voir assigner, comme date d'ori-
(1) Marbre de Mayence, Caumont, Abécédaire d'archéologie, p. 75. —
Marbre de Chàteau-Gontier, Caumont, op. cit., p. 104. — Marbre de
Limoges, Dictionnaire d'Epigraphie, édition Migne, t. I,col. 651.
— 461 —
gine, l'époque qui court de la lia du IV0 siècle au milieu du
V. Or, voyez les première points de dissemblance de notre
marbre avec les règles générales d'épigraphie .
Si, en général, le P cadre bien entre le ^ et la + ; si à
Marseille sa place légitime est entre la fin du IV* et le milieu
du V', certains détails de cette inscription ne peuvent accepter
cette date.
En effet, les colombes symboliques se rencontrent sur les
marbres dès l'an 378. Mais le vase figuratif ne parait que dès
450, les colombes s'abreuvant à, ce vase ne paraissent que dès
454, le début a Hic requiescet in pace » ne se lit que dès 469 ;
enfin, le terme « religiosa » ne s'emploie dans les épita-
phes que dès Tan 511 (1). On le voit, le chrisme p , qui ne
doit se montrer à Marseille que de la fin du IV' siècle au
milieu du V% ne va pas avec les autres détails.
Comparez maintenant ce marbre, orné du p , avec ceux de
Marseille portant le^ et la +> appartenant à la fin du IV*
siècle ou au début du Ve, et entre lesquels il devrait être
plapé. L'un, celui deFœdula, est d'un primitif remarquable
par son début a Pausat in pace », par les textes de l'Ecriture
qu'il nous fait lire. L'autre, celui de Menas et Gemula, nous
montre le «< Hic jacet », le « votum », un texte encore de la
sainte Ecriture. Pas de date sur aucun des deux marbres. Et
celui d'Eusébie étale son « Hic requiescet in pace », sa date,
des détails de vie et de mœurs rarement renfermés dans les
inscriptions primitives. Si l'on veut mettre cette épitaphe, à
cause du chrisme qu'elle porte, à son rang légitime, entre
celle de Fœdula j£ et celle de Menas +> avouons qu'elle ne
leur ressemble guère.
Pour cacher ce défaut, reculons la date de notre marbre,
attribuons-le au VI" siècle, époque des colombes, des vases
symboliques, du terme « religiosa », de 511 à 540. Ici, nou-
veau point de dissemblance avec les règles générales de l'épi -
(1) La table explicative de M. Ed. Leblant dans son Manuel d'Epigra-
phie chrétienne, p. 29, montre que le E parait de 400 à 525-540, en
Gaule. A Marseille, confrontation faite entre les inscriptions de Fœdula
et de Menas, ce chrisme devrait se montrer plus tôt. Les colombes se
voient de 378 à 612, le vase de 450 à 563 environ.
30
— 462 —
graphie. Notre marbre fait lire le début a Hic requiescet in
pace » ; or, ce début ne se voit guère après 498 (1).
L'indiction toute seule date ce marbre. Or, ce mode
chronologique ne se voit, d'après M. de Rossi, que dans
l'époque postérieure à la dernière moitié du VI* siècle (2),
et à ce moment l'usage du a Hic requiescit in pace » et de
l'expression « religiosa » a déjà disparu.
Pour nous mettre d accord avec Tépigraphie, assignons à
notre marbre une date plus rapprochée de nous, la fin du
VI* siècle, à cause de la date par l'indiction toute seule. Or,
voyez encore la dissemblance.
Mettons en regard du marbre d'Eusébie celui d'Urbeca qui
appartient à la lin du VI' siècle. Tous les deux ont l'indiction
pour seule date. Mais quels points de différence ! Au marbre
d'Eusébie le monogramme P, à celui d'Urbeca la + répétée
par trois fois. Au marbre d'Eusébie le début ordinaire « Hic
requiescit in pace »,àcelui d'Urbeca le a Hic requiescit in pace
bons mémorise » compliqué du plus minus. Au marbre
d'Eusébie, enfin, les colombes, le vase symbolique ; à celui
d'Urbeca aucun de ces détails. Dissemblance complète, donc,
entre notre inscription et celle d'Urbeca. Et cependant nous
les supposerions de la même époque !!
Un autre défaut se manifeste. A la fin du VI* siècle on datait
par le consulat, en Provence. Cette formule chronologique
n'avait pas cessé d'y être en usage, malgré la présence des
Francs et des Bourguignons en cette contrée. Bien plus, les
(1; La dernière inscription avec le début « Hic requiescet in pace » est
de 498, n° 482, Inscriptions chrétiennes de M. Edmond Leblant. Et la
dernière avec « Hic requiescit in pace > appartient à Tannée 534, n* 696
du même ouvrage.
(2) « La date par l'indiction seule marque une époque postérieure à la
moitié à peu près du sixième siècle. » (Lettre de M. de Bossi à M*r Bar-
bier de Montault, au sujet de l'inscription Tillisiola. — Bulletin delà
Société archéologique du Midi de la France, série in-8», n° 1, p. 29.)—
Voir le texte de M. de Rossi, cité plus haut et extrait de ses Inscription
nés christiancp urhis Romae. — « Jusques vers le milieu du VI* siècle,
on continua à joindre le nom des consuls à l'indiction» mais depuis cette
époque on se mit à dater par les indictions toutes seules. » (Martigay,
Dictionnaire d'antiquités chrétiennes, p. 316.)
— 463 -
Bourguignons, qui, on le sait, conservèrent plus longtemps
dans leurs Etats cette manière de dater, possédaient Marseille,
à ce moment, par moitié. Ils ont dû y garder aussi cette
formule chronologique. Et encore, on datait par les rois en
France, au VI* siècle, et, quoique nous n'ayons qu'un marbre
originaire de Provence portant cette note chronologique (1),
il est incontestable que Ton connaissait à Marseille le roi
régnant. Les médailles des rois mérovingiens, frappées ou
trouvées dans notre ville en font foi (2). Or, puisqu'il s'agis-
sait d'une personne recommandable comme Tétait sainte
Eusébie, pourquoi n'a-t-on pas choisi une des deux formules
chronologiques ?
Autre dissemblance !
Eusébie est appelée « ancilla Domini ». Or, nous Tâtons
dit plus haut, aucun marbre daté ne donne cette formule.
D'autre part, les conciles n'emploient ce terme qu'au milieu
du VIII* siècle. Vouloir donc ranger cette inscription au
nombre de celles du VI* siècle, c'est fouler aux pieds les règles
de Tépigraphie.
On objectera qu'au VI" siècle Grégoire le Grand, dans une
lettre à Respecta, appelait celle-ci a abbatissa » et ses reli-
gieuses a ancillae Dei » ; que, dans ses écrits, il donnait aux
personnes consacrées à Dieu, tantôt le nom de a religiosa »,
tantôt celui d'à ancilla Dei » ; que Grégoire de Tours faisait
de môme, et que partant l'inscription d'Eusébie pourrait
très bien appartenir à la fin du VI* siècle, au début du VII*.
Soit. Mais comment se fait-il qu'à la un du VI* siècle
Tinscription d'Eusébie porte le chrisme antique P, alors qu'il y
a fort longtemps que la -f- est en usage dans notre ville ? Des
marbres la portent et elle se trouve sur les monnaies (3).
(1) Marbre de Villeneuve-lez-Avignon, n9 597 des Inscriptions chré-
tiennes de M. Edmond Leblant, t. II.
(2) Grosson, Recueil des antiquités de Marseille, nous donne le
lac-simile de quelques-unes de ces médailles ; on y trouve sept médailles
de Clotaire I" (555-562), quatrp de Gharibert I" (562-570;, huit de
Sigebert I" (572-577;, une de Sigebert II (613), trois de Clotaire II
(614-631), trois de Dagobert 1" (628-647), une de Chilpéric II (664-667).
(3) Les marbres de Menas, d'JBugenia « nobilis », de Spanilia, d'Urbeca,
- 464 -
Gomment se fait-il qu'à la fin du VI' siècle on lise sur notre
marbre le début a Hic requiescit in pace » que Ton ne voit
plus après 498 ou après 534? Comment se fait- il que Ton date
par la seule indiction la tombe d'une personne si recomman-
dable, alors que Ton connaît à Marseille le roi régnant ?
D'où vient que saint Grégoire appelle Respecta de Marseille
a abba tissa » et qu'Eusébie est qualifiée de « magna ancella i?
Pourquoi Tillisiola .est-elle appelée a virgo » et Eusébie
c religiosa » ? Pourquoi les compagnes de Respecta sont-elles
désignées par le terme de * ancilla » et celle de Tillisiola par
celui de « virgines sacra » ? Et cela à Marseille, à peu près à la
même époque ! Voilà bien des difficultés épigraphiques qu'il
faudrait résoudre avant de faire sortir du même moule Tins*
cription de sainte Eusébie et celles du VI* siècle.
Et, si l'on voulait quand même attribuer ce marbre à cette
époque, sous prétexte qu'il aurait été gravé en dehors des
règles épigraphiques, au VI* siècle, nous dirions, qu'à ce
moment ces règles étaient observées. La preuve en est dans
la multitude des inscriptions de ce siècle, toutes régulière-
ment composées.
Nous ajouterions qu'avant d'accepter de placer au VI* siècle
ce marbre d'Eusébie, nous demanderions de voir résoudre les
raisons historiques, puis les motifs épigraphiques dont nous
allons parler tantôt.
Enfin, nous dirions : Oq bien cette inscription, que l'on sup-
poserait de la fin du VI* siècle, concerne notre Eusébie, ou non.
Dans le premier cas, réfutez les arguments exposés dans les
divers chapitres de notre travail; prouvez-nous que le martyre
de cette sainte a pu avoir lieu à la fin du VIe siècle. Dans le
second cas, démontrez encore la fausseté de nos asser*
tions sur ce point spécial, donnez-en quelque preuve convainc
bante. Lorsque cela sera fait, nous verrons alors de croire que
ce marbre appartient à la fin du VI* ou au début du Vit*
siècle.
Jusque-là, il nojis sera permis de constater qu'il n'y a pas
sont ornés de la -f. Les médailles des VI* et VII* siècles ont cette croix
an exergue .
— 465 —
de ressemblance entre notre inscription et celles de Marseille;
que celle-ci a été composée en dehors des règles épigraphiques
suivies à Marseille et ailleurs ; qu'ainsi il nous est impossible
d'accepter qu'elle appartient aux V, VI* ou VII* siècles.
CHAPITRE X
Inscription de sainte Eusébie
(Suite)
RAISONS HISTORIQUES PROUVANT QUE CETTE INSCRIPTION N'APPAR-
TIENT PAS AUX V*, VI*, VII* SIÈCLES. — LES BARBARES DU V* SIÈCLE
N'ONT PU MARTYRISER SAINTE EUSÉBIK. — TRADITION A MARSEILLE
QU'EUSÉBIE A SOUFFERT SOUS LES SARRASINS. — LE MONASTÈRE
CASSIAN1TB N'A PORTÉ LE VOCABLE DE SAINT-CYR QUE POSTÉRIEU-
REMENT AU VI" SIÈCLE. — MOTIFS ÉPIORAPHIQUES PROUVANT QUE
CE MARBRE APPARTIENT AU VIII* SIÈCLE. INDICTION, NOTE CHRONO-
LOGIQUE POSTÉRIEURE AUX CONSULATS. — « RELlGlOSA », EXPRES-
SION USITÉE AU VIe SIÈCLE SEULEMENT. — C RBLIQIOSA MAGNA »,
FORMULE EN USAGE A UN MOMENT DU VUl* SIÈCLE. « ANCELLA DO-
MINI X», TERME DU VIII* SIÈCLE. « ANCELLA MAGNA > DATE AUSSI DU
VIII* SIÈCLE. — LE CHRISMB EeN USAGE AU IX* SIÈCLE. — LES
DÉBUTS DES INSCRIPTIONS SE PERPÉTUENT D'AGE EN AGE. — FOR-
MULAIRES D'INSCRIPTIONS. — DATE VÉRITABLE DE NOTRE MARBRE.
Nous avons parlé des raisons historiques qui nous ame-
naient à dater d'une autre époque que les V, VI% VII* siècles
notre inscription de sainte Eusébie. Les voici sommairement
exposées :
Suivant M. Grinda, notre inscription est du V* siècle; sui-
vant M. Edmond Leblant, elle parait appartenir auVT. Or,
nous prouverons longuement, que, durant ces trois siècles, ni
Vandales, ni Visigoths, ni Francs, ni Bourguignons, ni au-
cun peuple que ce soit, n'ont pu commettre le crime du mas-
sacre de sainte Eusébie. Donc la théorie de MM. Grinda et
Leblant est fausse.
D'autre part, c'est une tradition certaine, fortement enra-
cinée à Marseille, que ce sont les Sarrasins qui ont martyrisé
sainte Eusébie et ses compagnes. Nous le prouverons dans
un chapitre subséquent. Or, ou bien notre inscription de
sainte Eusébie appartient aux V% VI°, VIIe siècles, et ce sont
- 467 -
les Visigoths, etc., etc., qui ont martyrisé cette sainte, alors
il faut rejeter celte tradition de Marseille, ce qu'il n'est pas
facile de faire ; ou bien il faut accepter cette tradition, et
dans ce cas la thèse de MU. Grinda et Leblant ne vaut rien .
De plus, dans le corps de l'inscription, il est dit que sainte
Kusébie a vécu, est morte dans le. monastère de Saint-Cyr,
a in monasterio Sancti.Ciricio. Or, nou9 avons démontré, dans
lin des chapitres précédente, que le cœnobinm cassianite
n'avait porté ce vocable de Saint-Cyr que postérieurement
au VI* siècle. Donc, l'inscription d'Euséhie ne peut appartenir
aux V", VI' siècles. Tout au plus serait-elle du VII*. Et il a
été prouvé qu'elle n'était pas de ce siècle encore.
A ces raisons historiques nous croyons pouvoir joindre ce
que nous appelerions des motifs épigraphiques, tirés de quel-
ques-uns des termes qui sont employés dans cette inscription.
A notre avis ils sont autant de preuves que ce marbre d'Ku-
sébie appartient au VIII* siècle.
L'indiction qui date ce marbre nous est une de ces preuves.
L'indiction par elle-même est une marque chronolog
suffisante, le même quantième reparaissant au bout de la
période de quinze ans, dont elle est composée (1). Celte m a-
niere de dater n'a donc pu être employée ordinairement par
des gens quelque peu au courant des événements de leur
époque. Ils savaient que ce système défectueux n'apprendrait
rien de ce qu'ils voulaient transmettre à la postérité. S'ils se
sont servis de cette désignation inutile, c'est qu'ils ne pou-
vaient faire autrement.
On a du l'employer lorsque le consul désigné pour l'année
n'était pas encore connu dans la contrée ou l'on se trouvait ;
lorsque par suite de quelque bouleversement politique, l'élec-
tion consulaire n'était pas faite ; lorsque l'institution des
consuls disparut. Martigny, après M. de RoBsi, donne une
autre raison (2) : lorsque, « grâce à la barbarie, à l'ignorance
(1) Martigny, Dictionnaire d'antiquités cltrètiennes, pp. 297, 317.—
H. de Rossi écrit de l'indiction : ■ qute plane inutilis désignante tempo-
ris ratio est. o (Inscriptiones cliristianœ urhiê Romœ, p. XCVI1I.)
— Ed. Leblant, Inscription» chrétiennes, t. II. p. XI.
(2) Martigny, Dictionnaire de* antiquités chrétiennes, p. 317. —
— 468 —
toujours croissante, beaucoup en étaient venus à ne plus
attacher aucune importance à la constatation des dates sur les
monuments ». En Gaule! quand les consuls disparurent,
l'usage -s'établit de dater par les années de règne d'un rof (1).
On ajoutait quelquefois l'indiction, mais souvent on l'omet-
tait (2). Si le roi était mort et n'était pas remplacé aussitôt,
force était, durant les années d'interrègne, de dater par Fin-
diction toute seule.
Or, nous l'avons dit, ceux qui ont composé l'inscription de
sainte Eusébie n'étaient pas tout à fait ignorants. S'ils ont
vécu au V ou au VI* siècle, ils savaient très bien qu'à Marseille
on datait par les consuls. Ils savaient aussi quel roi visigoth,
bourguignon ou franc possédait la Provence. Les monnaies
l'indiquaient. Ils pouvaient donc employer la date consulaire
ou la date royale. Nous l'avons dit encore, ils voulaient gar-
der et confier à la postérité le souvenir de la grande reli-
gieuse. Leur intérêt était donc de placer au bas de l'inscrip-
tion qu'ils faisaient graver une date certaine consulaire ou
royale. Or, ils se sont contentés d'y placer l'indiction. Donc,
pouvons-nous dire, notre inscription est d'une époque posté-
rieure aux V* et VP siècles.
On ne peut pas prétexter que le nom du consul de Tannée
peut-être n'avait pas encore été notifié à Marseille. La mort
cT Eusébie est fixée au « pridiè kalendas octobris », 30 septem-
bre, et dès le commencement de janvier le consul était connu
en Gaule (3). On ne peut pas prétendre que l'état de guerre
avait empêché la notification du consul. Pour le V comme
pour le VI' siècle, on possède de nombreux marbres de la
M. Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, p. LXX. — Nous avons cité
plus haut le texte de M. de Rossi.
(1) Martigny, op. cit., p. 317. Le dernier citoyen qui a reçu les hon-
neurs du consulat a été FI. Basil lus junior, nommé consul l'an 541 . Dés
cette année on voit chez les Visigoths et les Francs s'introduire l'usage
de dater par jes rois. Cf. Ëd. Leblant, Inscriptions chrétiennes,
n" 616, 620 B. 620, 616 B, 611, 620 a, 375 ; — Dictionnaire cTEpigraphie
de Migne, t. Il, col. 976, une inscript, de 585.
(2) Voir notamment les n" 616, 597, 474.
(3) M. Ëd. Leblant, dans une note, cite un marbre daté par le con-
sulat, le 12 janvier. Inscriptions chrétiennes, t, II, préface, p. LXXII.
- 469 —
Gaule, et notamment des régions avoisinant Marseille, et la
plupart font lire les dates hypathiques (1). L'état de guerre
donc, s'il existait, n'a pu empêcher l'emploi de .cette formule
chronologique. De plus, comme la domination visigothe, fran-
que et bourguignonne y était établie, on aurait pu, à défaut de
consuls, employer la date des rois. On ne Ta pas fait ; c'est que
cette inscription n'appartient ni au V% ni au VI* siècle.
Ajoutons que l'on a continué,dans les provinces relevant de
la royauté bourguignonne, à employer la date des consuls,
jusqu'en 628 (2); que durant tout ce VII° siècle on a daté aussi
par le règne des rois (3). Or, ceux qui ont rédigé l'inscription
de sainte Eusébie connaissaient ces détails. Ils auraient dû
dater par ces consuls ou par ces rois. Ils ne l'ont pas fait en-
core. D'autre part, il n'y a pas eu d'interrègne marquant
durant ce VII" siècle. D'ailleurs, il n'est pas nécessaire de
croire que l'on a rédigé l'inscription au lendemain de la mort
d'Eusébie ; ainsi on a eu tout le temps de s'éclairer. Mais on a
préféré dater par l'indiction noute seule. Donc cette inscrip-
tion n'appartient pas au VIIe siècle.
Eusébie est appelée a religiosa » . A quelle époque cette ex-
pression était-elle en usage dans le langage épigraphique ?
Aucun marbre des Gaules ne la fait lire, croyons-nous durant
le V° siècle. Les personnes consacrées à Dieu sont appelées
« Deo sacrata puella, Puella Deo placita » (4). Et ce que l'épi-
(1) M. Ed. Leblant, op. cit., a trente-deux inscriptions environ parfai-
tement datées et appartenant à toutes les années du V* siècle. Pour les
Y* et VI* siècles il en donne cinquante-cinq datées par les consuls, dont
une d'Xix, trois d'Arles, trois de Vaison, une d'Avignon.
(2) C'est un fait curieux, en effet, que les Bourguignons ont continué à
dater parles consulats jusqu'en 628, bien longtemps après que les Francs
et les Visigoths eurent rejeté ce système pour dater par les années de
régne de leurs rois. V. Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, préface,
p. LXI1I et suiv., note. — Du début de ce VII» siècle à l'année 628, il y a
quatre inscriptions datées par les consuls : ne* 17, 507, 397, 397 a.
(3) Ed. Leblant, op. cit,, donne seize inscriptions du VII* siècle datées
par les rois.
(4) Marbre de Leocadia, de 431, n° 44 ; celui d'Alsberga, de 491,
n° 388 (Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes). Il y a deux marbres
portant l'expression de « religiosa», mais la date en est douteuse. Pour
le n° 387 a, elle va de 428 à 511 . Mais, de l'aveu de M. Leblant, cette ins-
— 470 —
graphie fait constater, lea textes des conciles le montrent
aussi. On y emploie l'expression « Puella Dei, Virgo, Virgo
vêla ta, Virgo quse se vbverit Deo, Puella, Virgo sancta » et non
pas « religiosa » (1). Sûrement donc notre inscription n'est
pas du V" siècle.
Durant le VIe siècle, au contraire, cette formule est usitée.
M. Leblant, qui en fait la remarque, nous donne quatre
marbres datés et un sans date, portant le. titre de t reli-
giosa » (2). De prime abord il semble donc que Ton puisse
ranger l'inscription de la religieuse Eusébie parmi celles du
VI- siècle.
Il n'en est rien cependant. Il faut remarquer, en effet, que
ces marbres, datés par les consulats, appartiennent à la pre-
mière moitié du VI* siècle, tandis que celui d'Eusébie, daté
par l'indiction seule, appartient de ce chef à la seconde moi-
tié du .yp siècle (3). Or, dans cette seconde moitié du VI"
siècle, les conciles n'emploient jamais cette expression dans
leurs décrets (4). Les marbres non plus. Nous avons, en effet,
plusieurs inscriptions appartenant à peu près à cette époque et
relatives à des personnes consacrées à Dieu. Or, dans les unes,
ces personnes sont appelées « sacrata Deo puella 9, dans les
autres « sacrata Christi » ; dans une autre « famulaDei », ou
toute autre expression identique (5).
cription appartient plutôt au VI* siècle. Quant à l'épi taphe de Scurpi-
liosa, sa date court de 453 à 524. Mais.de l'aveu de M. Leblant encore, elle
est plutôt du VIe siècle, n° 435.
(1) C'est ce qui résulte de nos recherches dans les collections des dé-
crets conciliaires du V* siècle.
(2) Celles d'abord de Scurpiliosa 453-524, et le n° 387 a de 428-511 ; puis
celle de Carusa en 520, n° 663, et celle de Maria en 540, n* 688; enfin,
celle de Meria « religiosa maxima », n° 699.
(3) Voir le texte de M. de Rossi que nous avons cité précédemment à
ce sujet. r
(4) Nous ne l'avons remarqué qu'une seule fois dans un décret d'un
concile de Lérida en 524, canon 6. (Ltabbé, Sacrosancta concilia, t. IV,
col. 1212.)
(5) Nous trouvons chez M. Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, les
marbres de Crescentia, de Georgia antérieures à Grégoire de Tours,
n°* 203. 560 ; or, ces personnes sont appelées « sacrata Deo puella, sacrata
Christi » ; celui de Theochectilde vers 680, n° 199, appelée « mater sacra-
— 471 —
Donc, forcément il faut ramener à une époque plus basse,
plus rapprochée de nous, la date d'origine de ce marbre. Le
terme même de a religiosa » nous y contraint.
M. Leblant a dit que cette locution se trouve dans Grégoire
de Tours, dans les lois barbares, les capitulaires (1). De
fait, Grégoire de Tours et saint Grégoire le Grand, pape, se
sont servis de ce terme a religiosa » dans leurs écrits (2). Mais,
nous venons de le dire, dans la seconde moitié du VI* siècle,
cette expression n'a pas de place en épigraphie. Tout au plus
cela aboutirait à faire croire que cette inscription est du VI*
siècle. Or, on sait quelles difficultés surgiraient. Les lois
barbares,les capitulaires emploient cette locution quelquefois.
Nous la lisons dans un édit de Clotaire II, en 615, et dans un
capitulaire (3). Mais au VII* siècle encore ni les conciles, ni les
marbres n'emploient cette formule. Les conciles se servent
de l'expression <* virgo famula Christi, virgo sacra ». Le mar-
bre de Jouarre, de 680, appelle les religieuses « sacra tae Deo
virgines » (4). Ce n'est donc pas ce terme de u religiosa » qui
nous amènerait à attribuer l'inscription d'Eusébie au VII*
siècle, pas plus qu'au V* ou au VI*.
tarum Deo virginum » ; celui de Dulcitia, de de 551-579, n* 406, appelée
t famula Dei » ; celui de Maria » en 552, n* 47, appelée cvenerabilisreli-
gione ».
(1) Ed. Leblant, Manuel d' Epigraphie chrétienne, p. 24.
(2)« Unde factum est ut puella quadam religiosa. » Grégoire de
Tours, Historia Francontm, liv. II, cap. 2.
(3) Les lois barbares appelées Ripuarium, Alemanorum et Bavarto-
rum furent composées par Thierry I", roi de France, mais retouchées
et publiées par Dagobert I*r, vers 630 ou quelques annés auparavant. —
Patroîogie chrétienne, édit. Migne, t. LXXX : Dagobert I". col. 497.
Edictum Clotarii II régis in concilio Parisiensi V anno 6/5, cap.
18: f Puellas et viduas religiosas aut sancti moniales quae se Deo vove-
runt. » (Capitularia reg. Franc, Steph. Baluzio, 1. 1, col, 24.) — Liber
quintus Capitûlarium, c. 385, col. 906, t. I : a Si quis rapuerit religio-
samfeminam. »
(4) Ceux qui voudraient placer les inscriptions de Eugenia « ancilla »
et de TiMisiola aux VI* et VU* siècles auraient, de ce chef, une difficulté
de plus. GomAlent, si à la fin du VI* et au début du VII* on a appelé
Eugenia « ancilla» et TiMisiola «virgo », notre inscription d'Eusébie
appelerait celle-ci « religiosa » ?
— 472 —
Nous croyons trouver une preuve nouvelle dans les mots
« religiosa magna ». Cette expression signifie abbesse et cor-
respond à a abbatissa ». Or, si cette inscription appartient aux
V% VI* siècles, pourquoi les rédacteurs ont-ils employé cette
formule quelque peu ampoulée, au lieu du mot « abbatissa » ?
Ce dernier terme était en usage cependant à cette époque. Dès
le IIIe siècle, le pape Eutychianus, défendant à une abbesse de
donner le voile aux vierges, se sert de l'expression « abba-
tissa » (1). Au IV* siècle les canons antiques de Nicée, traduits
en latin, font lire « abbatissa » (2). Aux Ve, VI* siècles c'est
l'expression courante. Les écrivains ecclésiastiques, les conci-
les, les Vies des saints l'emploient (3). Dans le langage épigra-
phique on la trouve aussi ; notamment un marbre de 569 (4) et
un autre que nous trouvons dans M. Edmond Leblant la porte
gravée (5).
Il en est à peu près de môme au VII* siècle ; Donatus l'em-
ploie dans un de ses ouvrages ; à Marseille, le marbre de Til-
liciola, que M. de Rossi attribue à la fin du VI* ou au début
du VII* siècle, nous la fait lire Or, nous le répétons, d'où
(1) Décréta Eutychiani Papœ, ann. 276 : « Statuimus abbatissa
prœsumens velare virginem vel viduam excommunicetur. » (Summa
concil, par Garranzam, p. 52.J
(2) Le canon 20 du concile de Nicée dit : « Quando necessaria vit». . .
deferuutur extra portera, hœc suscipiat abbatissa. » (Synod. generalium
Décréta, par Christian Lupus, t. III, p. 207.)
(3) Testament de saint Césaire d'Arles : « Ancillae nostra Cœsariae
abbatissae. . . » Chronologia sanctorum insul. Lerinensis, 1. 1, p. 270.J —
Régula ad virgines, Récapitulât io; Patrologie latine, édit. Migne,
t. LVII col. 1111.— Saint Grégoire le Grand, lettre à Respecta, abbesse
de Marseille. — Concile d'Arles, en 554 : « Ut episcopi de pueilarum mo-
nasteriis... curam gérant, nec abbatissœ ejus monasterii aliquid liceat
contra regulam facere. » (Canon 5; Labbé, Sacrosancta concil., t. Vt
col. 781. — Concil. Pictaviense, ann. 590: « Abbatissa monasterii et
monachae. » Labbé, op. cit., t. V, col. 1593. — Vita sanctœ Euphra-
siœ : « Nam si sumo baculum abbatissœ... » fViia PP., c. 39, p. 359*
apud Rossveid.)— Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétiennes.
p. 265.
(A) « Hic requiescit in sommo pacis Justina abbatissa. > Martigny,
op. cit.% p. 486.
(5) « In hoc tumulo... Deo sacrata Maria Habbat... > Ed. Leblant,
Inscriptions chrétiennes, n# 615.
— 473 —
vient que ceux qui ont composé l'inscription d'Eusébie, si elle
appartient aux V% VI' ou VII* siècles ont choisi une expres-
sion nullement en usage à ce moment ?
Il y a une explication possible. C'est que Ton aurait connu
à Marseille une inscription de Vienne appelant une vierge
consacrée à Dieu et abljesse a religiosa maxima ». Ce marbre
mutilé a perdu sa date, mais les formules qu'il fait lire le font
remonter vers le milieu du VI* siècle (1). Le moine rédacteur
de l'épitaphe d'Eusébie a pu employer le même terme, se
contentant de voiler sa réminiscence sous le simple diminutif
de « religiosa magna », au lieu.de « religiosa maxima ».
Mais, pour attribuer aux VI* et VII* siècles notre marbre d'Eu-
sébie, il faudrait pouvoir résoudre toutes les difficultés épi-
graphiques et historiques que cette date soulève. Mieux vaut
accepter qu'au VIII* siècle on connaissait aussi ce marbre de
Vienne, et que l'on a adopté pour l'épitaphe de notre sainte la
formule qui s'y lisait : « religiosa maxima » .
Eusébia est appelée « ancilla Domini ». A quelle époque ce
terme a-t-il été employé dans le langage épigraphique? Les
inscriptions chrétiennes de la Gaule recueillies par M. Leblant
ne nous donnent aucune solution. Cet ouvrage, d'abord, ne
renferme que quatre inscriptions portant cette expression. Or,
de Tune, M. Leblant ne fait nul cas, il semble croire qu'elle
appartient à une païenne; d'une autre, impossible d'en tirer
parti, elle est sans date aucune. Les deux dernières ne peu-
vent être d'une grande utilité, puisqu'il s'agit du marbre
d'Eugenia de Marseille, qui est sans date encore, et du mar-
bre de notre Eusébie, qui est en question (2). Impossible donc
(1) N° 699 : « In hoc tumulo requiescit in pace bonae mémorise m..»
meria religiosa ma... ma, quae vixit anous plus minus LX obiet in
Christo... 5 augustas. » (Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes de
la Gaule, t. II. )
(2) Tout au plus nous fourniraient-ils quelques données chronologi-
ques. L'épitaphe deDivixta parait très ancienne à cause du D. M. , du nom
du père ou du maître qui s'y trouvent renfermés, de l'absence de toute for-
rttule chrétienne, telles que « Hic jacet, Requiescit, » etc. Elle serait
sûrement au nombre de celles qui, sorties d'un moule païen, appartien-
nent aux premiers siècles chrétiens. Celle de Calumniosa, avec le B. M.
et le début « Hic requiescit in pace », sans chrisme ni date; parait appar-
- 474 -
d'en référer à ces débris épigraphiques pour connaître d'une
manière certaine l'époque à laquelle cette expression était em-
ployée.
Nous trouvons, il est vrai, dans le même ouvrage de
M. Leblant, vingt-huit inscriptions de religieuses, dont quinze
sont datées (I). Elles vont du début du V siècle à la fin
du VIP. Or, comment appelle- t-on, sur ces marbres, les reli-
gieuses? On leur donne le nom de « Deo sacrata puella, Puella
Deo placita, Religiosa, Famula Christi, Sacrata Deo virgo, » et
jamais « ancilla Dei ». L'inscription de Tillisiola de Mar-
seille, qui appartient au milieu du VI" siècle ou au début
du VIP, suivant M. de Rossi, donne la formule « sacris virgini-
bus ». La dernière inscription de religieuse portant une date,
de 680, fait lire l'expression « Deo sacrata virgo ». Il y a
donc, on le voit, incertitude complète. Mais on peut dire aussi
qu'il y a grande chance que notre inscription d'Eusébie lie
remoute pas aux V% VI% VIP siècles.
C'est, d'ailleurs, ce que les conciles nous confirment. De
quelles expressions se servent-ils, dans leurs actes et leurs
décrets, pour parler des personnes consacrées à Dieu, des reli-
gieuses? De a Virgo, Puella Deo se vovens, Virgo sacra, Sanc-
timonialis, Puella Dei, Filia devota, Religiosa, Virgo religiosa,
Puella Deo dicata, Virgo Christi, Mulier Deo dicata, Monacha,
Ancilla Dei, Monialis » (2). Or, à quelle époque lit-on, dans
ces conciles, l'expression a ancilla » ? En 721, au concile de
Rome; en 743, à celui de Germanie; en 744, à celui de Sois-
teûir au V' siècle. Si l'on voulait s'autoriser de ces données, U faudrait
d'abord prouver que dans ces trois inscriptions, dans les deux premières
surtout, il s'agit de religieuses. Quan t à s'appuyer sur celle d'Eugenia
pour établir que l'inscription d'Eusébie c religiosa» et « ancella» appar-
tient a la fin du V* siècle, vu qu'à ce moment saint Grégoire pape et Gré-
goire de Tours appellent les vierges consacrées à Dieu < religiosa, an-
cilla », on sait les difficultés qui ressort iraient de ce système.— Ed.
Leblant, Inscriptions chrétiennes, n" 584, 622 a, 544,545.
(1) Ed. Leblant op. cit., n" 388, 31, 66, 615, 387 a, 663, 435, 55, 203,
560, 688, 55, 4U6, 47, 199.
(2) Notre assertion est basée sur un travail personnel que nous avons
fait à l'aide des grandes collections de conciles, entre autres Labbé,
Mansi, Gabassut.
— 475 —
sons; eu 754, à Celui de Rome; en 783, à un concile d'An-
gleterre (1). Mais pas avant le VIII* siècle. On devine la
conclusion. «
Les écrivains ecclésiastiques nous apportent eux aussi leur
témoignage. Tous ceux, Pères de l'Eglise ou non, qui ont
écrit sur la virginité ou sur les monastères emploient des
expressions spéciales. Qui appelle les religieuses « Virgo,
Virgo sacra, Virgines sanctae », qui leur donne le nom de
« Puellae, Virgines Deo deditae, PamulaDei, Religiosa, Sancti-
monialis, Virgo devota Ghristo, Monacha, Virgo venerabilis ».
Or, il en est qui choisissent l'expression a ancilla Dei ». Ce
sont : au V* siècle, Possidius en Afrique, saint Eucher à Lyon ;
au V? siècle, saint Césaire à Arles, Grégoire le Grand à
Rome (2). Mais cette formule ne devait pas faire partie encore
du langage épigraphique, ni de la terminologie officielle de
l'Eglise, puisque, d'une part, les inscriptions lapidaires des
V', VI* et VII* siècles font lire a Deo sac rata puella, Puella
Deo placita, Famula Christi, Religiosa » ; d'autre part, les
décrets des conciles emploient la formule « Puella Dei, Virgo,
Virgo sancta, Sanctimonialis, Virgo religiosa, Monacha,
Devota ».
Au contraire, au VHP, au IX* siècle, le terme « ancilla Dei »
(1) Concile de Rome de 721: « Si quis monacham quam ancillam Dei
vo camus in conjungium duxerit, anathema sît » ( Labbé, Sacrosanct a
concil., t. VI, col. 1456.; — Concile de Ratisbonnc en 742 : « Ut mo-
nachi et ancilla) Dei monasteriales juxta régula m Sancti Benedicti
vivant.» (Labbé, op. cit., t. VI, can. 15, col. 1509.) — Concile de Sois-
sons en 744 : « Ut ordo rnonachorum aut ancillarum Dei secundum regu-
lam sanctam stabilis permaneat. ♦ (Labbé, op cit., t. VI, can. 3,
col. 1553.)
(2) Possidius : « Quae vidua. .. prœposita ancillarum Dei vixit. » (Vita
Augustini, Patrologie latine, édition Migne, t. I, col. 55). — Saint
Eucher: « Venerabiles filiœ, servi et ancillœ Dei, clerici et monachi. »
(Opéra Sancta Eucherii, Patrologie latine, édition Migne, t. L, col.
1210.) — Saint Césaire d'Arles: « Turbatae sunt ergo ancillfe Dei. »
(Vie de saint Césaire, Chronologia sanctorum insulœ Lerinensis, par
Barralis, t. II.) — Saint Grégoire le Grand, lettre à Respecta, abbesse de
Saint-Cassien à Marseille, livre VII, lettre 12; lettre ad diaconum
Anthemium: « Insinuatam est nobis ancillas Dei quasdam.. . », livre I,
lettre 24; lettre 4 livre II; Patrologie latine, édition Migne, t. LXXVII.
— 476 —
ou « Domini » est admis chez les écrivains ecclésiastiques et
dans les rescrits des princes et des rois. Carloman, en 742,
Pépin en 744, Charlomagne en 814 l'emploient dans leurs
capitulaires (1).
Saint Boniface, l'apôtre de la Germanie, à l'époque de
Charles Martel, dans ses lettres (2) ; l'archevêque d'Eborac
dans les statuts qu'il dresse pour ses peuples (3) ; le pape
Zacharie dans ses rescrits à Pépin le Bref etc. (4), s'en servent
à plusieurs reprises. Cette locution est devenue commune.
Rien d'étonnant que sainte Eusébie ait été désignée par ce
terme. De ce chef donc l'inscription de notre sainte appartien-
drait au VHP siècle.
Autre preuve. Nous avons dit que la vraie lecture du texte
de notre inscription était a Eusebia, religiosa, magna ancella
Domini. » A notre avis, c'est l'indice que ce marbre ap-
partient au VHP siècle. A quelle époque conciles et écri-
vains ont-ils appelé les personnes consacrées à Dieu ; « ancilla
Domini »? Au VIP siècle surtout, nous l'avons dit. C'est à ce
moment aussi que Ton appelle l'abbesse Eusébie de ce nom
de .a magna ancella », non pas seulement à cause de sa dignité,
mais à cause de ses vertus, de son martyre.
(1) Capitulai re de Carloman ea 742. cap. 6: c Statuimus ut. .. quisquls
servomm Dei aut ancillarum Dei in crimen fornicationis lapsus
fuerit... »; cap. 7: a Et ut monachi et ancillas Dei monasteriales juxta
regulam sancti Benedicti studeant vivere. » Capitulaire de Soissons, sous
Pépin, en 774, cap. 3 : « Ut ordo monachorum vel ancillarum Dei... *
— Capitulaire de Charlemagne, à Salzbourg, en 817: < Ut nullus in
monasterio puellarum aut ancillarum Dei intrare prsesumat. > Capitu-
laires des rois francs, Baluze, 1. 1, col. 148, 157, 417*
(2) Dans une lettre de Boniface à Daniel: « Nam sine patrocinio principis
Francorum nec populum regere, nec presbyteros vel diaconos, monachos
aut ancillas Dei defendere possum. » (Ozanam, Etudes germamques.
t. II, p. 179.)— L'abbesse Eadburg, écrivant à Bonilace, s'appelait:
« Eadburg indigna ancillarum Dei abbatissa. » (Pagi, Critica in Anna-
les Baronii, t. III. col. 200.)
(3) Egobert. archevêque d'Eborac, cite saint Grégoire le Grand et le
concile de Rome, qui appelaient les religieuses: « monachse, id est
ancillœDei. » (Labbé, op.cit , t. IV, col. 1597.)
(4) Lettre du pape Zacharie à Pépin le Bref, paragraphe 5 : « De niona-
chis, idestde ancîllis Dei •. (Labbé, op. cit., t. VI, col. 1509.)
— 477 —
Et que cette dénomination ne nous paraisse pas insolite.
Indépendamment de la formule « abbatissa », les écrivains
ecclésiastiques, les conciles et les inscriptions lapidaires ont
employé diverses périphrases pour désigner les abbesses.
Tantôt c'a été « prseposita ancillarum », tantôt a mater monas-
terii », ici « quae prœest », là « prxfecta », à un endroit
a mater cœnobii » à un autre « praelata ». Cela a été commun
à toutes les époques. Mais c'est surtout aux VIP et VHP siècles
que ces diverses expressions se rencontrent. Un concile
d'Espagne en 619 appelle l'abbesse : « eaquse prseest (1) ». Dans
la traduction latine des canons du faux concile quinisexte en
691, on lit: « prsefecta » (2). Dans celle des canons du II"
concile de Nice en 787, on trouve encore: « prsefecta (3) ».
En 836, enfin, un concile d'Aix-la-Chapelle lui donne le nom
de « praelata (4)».
Même observation pour les marbres funéraires. Celui de 680
fait lire « cœnobii mater » et celui de Vienne « religiosa
maxima (5) ». Or, dans chacune de ces formules il semble
que Ton a voulu résumer la vie et les vertus de l'abbesse dont
on parlait. Le « prseposita ancillarum Dei » rappelle le respect
des religieuses de Tagaste pour la sœur de saint Augustin.
Le a mater monasterii » insinue la douceur et la bonté que
saint Césaire ordonnait à sa sœur et aux abbes?es qui la rem-
placeraient d'avoir pour leurs compagnes. Les « prœest,
prsefecta, praelata » indiquent l'autorité et le commandement
dans une abbesse; le « cœnobii mater » dit à tous la sollicitude
(1) c Nec abbati nec ei qui prœflcitur extra eatn quae prœest virgi-
nibus. . . loqui licebit. . . nec eu m ea sola quae prseest loqui oportet. . . »
Concil. Hispalense II, en 619, c. 11. (Labbé, op. cit., t. V, col. 166.)
(2) Concil. quinesexteem, en 691, c. 46 : « Cum mandate* ejus quse prse-
fecta est. »
(3) « ... prseftente prsefecta, cum eà alloquatur exiguo et brevi terri-
pore...» Deuxième concile de Nicée, en 787, c. 20. (Summa conciliorunii
par Garanzam, p. 522.)
(4) « Prœlata monasteriorum. » Conc. Aquigranense II, ann. 836,
c. 13. (Labbé, op. cit , t. VII, en 1713.)
(5) Edmond Leblant, Inscriptions chrétiennes, n° 199, marbre de
600 ou 680, et n* 699.
31
— 478 —
que Tecbtilde avaient pour ses religieuses de Jouarre. Enlin,
le « religiosa maxima *, tout en faisant connaître la dignité
de Meria, devait rappeler aussi ses vertus et ses qualités.
Or, pourquoi le moine rédacteur de l'inscription de sainte
Eusébie, se rappelant ces diverses formules, ayant présents à
l'esprit et la dignité et les vertus, et le martyre de l'abbcsse
cassianite, n'aurait pas laissé de côté le terme ordinaire
d'à abbatissa » pour employer une périphrase, une expression
traduisant mieux sa pensée ? Et puisque à ce moment, au
VIII* siècle, on désignait les religieuses par le terme « an cil la
Dei » dans les décrets des conciles et les écrits des évéques et
des rois, pourquoi n'aurait-il pas appelé Eusébie : la grande
servante de Dieu, « magna ancella Do mini » ?
Nulle ressemblance, donc, entre l'inscription de sainte
Eusébie et celles des V\VI*,VII* siècles. Des raisons historiques
qui ne permettent pas de ranger ce marbre parmi ceux de cette
époque, l'usage de certaines formules épigrapbiques nous
amènent à cette conclusion. Notre inscription peut donc très
bien appartenir au VIII* siècle.
Que peut-on nous opposer ? Le chrisme de second ordre J^
que Ton voit au commencement de cette inscription ?
Les monogrammes ne chevauchent pas, avons- nous dit,
dans la même contrée. Nous avons fait un argument de cette
assertion, afin d'établir que le marbre d'Eusébie ne pouvait
pas appartenir à la fin du IV" siècle ou au milieu du V*. C'est
vrai. Mais sachons bien que si les monogrammes sont des jalons
chronologiques en épigraphie, ils sont aussi des signes de
religion et de piété. Aussi longtemps qu'on a eu l'habitude de
graver des épitaphes pour les placer sur la tombe des fidèles,
ces chrismes ont rempli les deux buts à la fois. Mais lorsque,
par suite du cours des évènemenls, les inscriptions devinrent
rares, au VII*, au VIII* siècle par exemple, on perdit peu à peu
la science de ce que nous appellerions le langage épigraphi-
que. On ne se piqua plus d'exactitude sur les termes et les
signes à employer. On négligea les dates précises. On en vint
à copier dans les formulaires, ou même sur les tombes voisines
les inscriptions à placer sur la dépouille de ceux que Ton
perdait. Selon la fantaisie, le caprice, ou l'érudition du
— 479 -
rédacteur on employait tel ou tel monogramme, telle ou telle
locution. Ce n'était plus de suivre les règles épigraphiques
que Ton avait souci, c'était d'orner l'inscription, le marbre,
la pierre sépulcrale, et de manifester sa foi et sa piété.
M. Leblant a bien dit et Martigny a écrit d'autre part * qu'au
temps de Charlemagne, sans doute à raison de la faveur
qu'avaient reprise les bonnes études et du goût renaissant pour
l'imitation des choses antiques, le monogramme revint en
grand honneur. C'est ce qu'on peut voir notamment par les
souscriptions de quelques conciles tenus sous l'empire de ce
prince et dont nous possédons les originaux (1). » De fait,
Plusieurs de ces documents que nous avons vus portent des
- , des J£ , des -f- comme signatures des princes, des évoques,
surtout les actes du concile de Pitres et de celui de Boissons
vers 863 (2).
Martigny ajoute c que le monogramme redevint alors fré-
quent dans les diplômes et même dans les inscriptions sépul-
crales (3). » Cela ne nous étonne pas.
Nous voyons le chrisme jP, uni à des poissons, sur un
marbre de Trêves appartenant au VIP siècle, et uni à la +
et gravé sur l'autel de Ham, vers 676 (4). On ne soutiendra
pas que les auteurs de ces épitaphes ont pensé à suivre les
règles de l'épigraphie. La + elle-même s'est conservée pen-
dant des siècles, en dépit encore de ces règles. Aux VIII-, IX%
X% XI\ XII8 siècles on la trouve gravée sur des marbres (5) .
Au X* siècle notamment, un reliquaire porte la + et le mono*-
(1) Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétiennes, monogrammes,
p. 416.
(2) Mabillon, De re diplomatica, liv. V, tableaux 44, 45, 47.
(3) Martigny, Dictionnaire d'antiquités chrétiennes, monogrammes,
p. 417.
(4) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, nù 261, n° 91,
(5) Inscription de Mayence, VIII* siècle (Gaumont, ABC, p. 75); —
d'Aix, Leblant, n° 624 ; — de Cbàteau-Gontier, IX* siècle (Gaumont, p.
104);— item du IX- siècle, (Gaumont p. 103), (M igné, Dictionnaire
d'Epigraphie, t. I, col. 652); — de Chalon-sur-Saône X* siècle
(Leblant, n» 11) ; — de Poitiers, XI» siècle (Gaumont, p. 374) ; — de Neu-
chatel (8ei ne-Inférieure), XII* siècle (Gaumont, p. 375);— d'Orléans,
XII* siècle (Leblant, n* 218, note).
- 480 -
gramme primitif Jç(l). Ce que le langage épigraphique ne
saurait donc réclamer, la foi, la pratique chrétienne le reven-
diquent. Passé le VI* siècle, ces monogrammes ne sont plus
des jalons chronologiques, ce sont des marques de religion,
de piété, un ornement, un décor pour le tombeau. Dans ces
conditions, pourquoi s'étonner que le P orne le marbre d'Eu-
sébie au VHP siècle ?
Le début a Hic requiescit in pace » de notre marbre ne doit
pas non plus nous faire reculer. Il en est des termes comme
des signes ; quelques-uns se sont perpétués et conservés très
longtemps, en dépit des règles du langage épigraphique. Qu'on
en juge. Les inscriptions du VII8 siècle ont pour la plupart le
début compliqué et de basse époque « In hoc tumulo requie-
cit bonse mémorise, In hoc tumulo requiescit in pace ». Le
« Hic requiescit » du IVe siècle, le « Hic requiescit bonse
memoriae » du V* sont déjà bien loin. Et cependant un marbre
de Foix, un deSaint-Savin (Poitou), datés du VHP siècle; un
autre de Barcelone du IX°, font lire le début primitif « Hic
requiescit » (2). Un marbre de Toulouse, appartenant au
VIIIe siècle, et un autre du IX', de la môme ville, font lire
le début du V « Hic requiescit bonse mémorise » (3). Au
milieu du IX* siècle, un marbre de Limoges a conservé le
début du VII* « In hoc tumulo requiescit sanctse mémorise »
(4). Pourquoi donc le début a Hic requiescit in pace » du
Ve siècle, dans notre inscription, n'aurait-il pas pu se conser-
ver jusqu'au milieu du VIII* ?
Sont-celes colombes s'abreuvant à un vase symbolique,
gravées sur notre marbre, qui doivent nous arrêter? Pas le
moins du monde. M. Leblant cite ce marbre de Trêves, orné
précisément du chrisme J^, et portant des poissons et des
(1) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, n° 11.
(2) Marbre de Foix (791) (Migne, Dictionnaire tVEpigraphie, t. I,
p. 476; —celui de Saint-Savin (Poitou), VIIIe siècle (Migne. op. cit>
t. II, col. 979) ; — celui de Barcelone (877) (Migne, op. cit. 1. 1, col. 124).
(3) Marbre de Toulouse (790) (Migue, Dictionnaire d'Epigraphie
chrétienne, t. II, col 977); — item (806) (Migne, op. cit., t. II, col.
1120) ; — M. Leblant (n° 601) dit que ce marbre est du VII* siècle.
(4) Marbre de Limoges (853) (Migne, op. cit., 1. 1, col. 651).
— 481 —
colombes. Il fait remonter ce marbre à la fin du VI* ou au
début du VII- siècle, ajoutant ces mots : « Ce marbre reporte-
rait, selon moi, l'usage de l'ix^» dans nos contrées, un peu
au delà de l'époque indiquée par le savant M. de Rossi comme
dernière limite de l'existence de ce symbole sur les épitaphes
étrangères au sol romain (1) ». Or, « M. de Rossi, ajoute M.
Leblant, montre que, gravé sur les premiers marbres des
fidèles, ce symbole disparait, à Rome, vers la fin du IV* siècle.
Son existence ne s'est guère prolongée au delà dans les pro-
vinces ». Ajoutons que Y alpha et Y oméga, signes presque aussi
primitifs que l'ancre et le poisson, et dont M. Leblant signale
la présence sur les marbres de 377 à 547, apparaissent au
VI? siècle dans une inscription de Venasque de l'an 604 (2).
Ajoutons encore que les colombes, dont M. Leblant limite la
présence de 378 à 612, paraissent encore vers la fin du VIP
siècle sur un marbre de Mandourel (3).
Si donc, en dépit des prévisions de M. de Rossi, on trouve
l'i^dùc gravé sur le marbre deux ou trois siècles après qu'on
n'espérait plus le rencontrer en Gaule ; si Valpha et Y oméga
apparaissent un bon demi-siècle après la date assignée par
M. Leblant ; s'il en est de même des colombes symboliques,
pourquoi ne pas admettre que Ton peut retrouver le J*, ces
mêmes colombes quelque quarante ou cinquante ans plus
tard ?
Rien d'impossible donc à ce que et chrisme J^ et début « Hic
requiescit in pace » et colombes et vases ne se retrouvent au
milieu du VIII* siècle.
La cause, nous l'avons indiquée plus haut, ce sont les re-
cueils, les formulaires d'inscriptions, à l'aide desquels on
rédigeait, on composait les épitaphes. MM. Leblant, Martigny
ont indiqué l'existence de ces collections épigraphiques (4). A
, (1) Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, n°' 261, pp. 370, 371.
(2) Ed. Leblant, op. cit., n° 507.
(3) Ed. Leblant, op. cit.t n°62lB.
(4) c II y avait, soit cbez les païens, soit chez les chrétiens, des for-
mulaires pour les inscriptions, comme il y en avait pour les actes et les
contrats. » (Martigny, Dictionnaire d'antiquités, p. 314). — « Aux
temps anciens, comme maintenant encore il existait des formulaires
— 482 —
une époque de décadence comme le VIII* siècle, les rédacteurs
des inscriptions ont choisi sans trop de discernement, dans ces
formulaires, tel signe, telle expression, tel ornement depuis
asseft longtemps hors d'usage. N'imitons-nous pas, nous, ces
lapicides dans nos inscriptions et nos monuments ? Ne gra-
vons-nous pas> dans une épitaphe latine, le a Hic jacet, Hic
requiesoit in pace 9 des âges antiques ? Ne plaçons-nous pas
comme ornement, à un autel, un monogramme ancien: ou
le Jç, ou le P, ou le ©? Nos aïeux avaient soub leurs yeux de
ces recueils d'inscriptions, copiées peut-être dans quelque
voyage à Rome ou ailleurs, des tombes avec épitaphes aux
environs de l'abbaye de Saint-Victor, dans les champs de
Paradis, ou à l'emplacement du Carénage. Pourquoi leur refu-
ser l'idée d'avoir pris modèle sur une de ces inscriptions pour
rédiger Tépitaphe de notre sainte Eusébie? On faisait bien
disparaître de ces formulaires, au fur et à mesure, les carac-
tères qui devenaient hors d'usage* Gela a pu se passer ainsi
pour quelques-uns de ces recueils. Mais est-il bien sur qu'il
en a été toujours de môme? D'ailleurs, les tombes demeuraient I
On s'explique donc qu'il soit possible de ranger l'inscrip-
tion de sainte Eusébie parmi celles du VIII6 siècle.
NoUS ajoutons un dernier mot. Il nous semble facile) après
les détails de tout genre que nous avons fournis* d'indiquer
la date, peut-être précise, de cette inscription. Elle n'a d'autre
marque chronologique que l'indiction. Or, nous l'avons dit,
cette manière de dater n'était employée que lorsque on ne
pouvait pas faire autrement, le nom du consul de l'année n'étant
pascoiinu, le trône étant vacant. Il ne peut s'agir de l'épo-
que où la date consulaire était en usage, puisque notre ins-
cription n'appartient ni au V* ni au VI* siècle. Il ne peut s'agir
non plus du VII", puisqu'il n'y a pas eu d'interrègne marquant
pour la Provence durant ce siècle.
dressés pour servir de modèles d'actes, de contrats et de lettres pri-
vées. . . . quelque écrit fixait sans doute (les types acceptés des inscrip-
tions) et les faisait connaître aux gens du métier, qui les suivaient avec
fidélité. . » . Les manuels dont je soupçonne l'existence devaient se trou-
ver apparemment comme un instrument d»i profession entre les mains
des lapicides. »(Ed. Leblant, Inscriptions chrétiennes, t. II, pp. 180, 187.)
— 483 —
Mais il y a eu, au VIIIe siècle, un moment où le trône
était vacant. C'a été dès Tannée 737 : le roi Thierry IV, dont
Charles Martel fut le maire du palais, était mort en avril, et,
on le sait, Charles Martel, soit calcul politique, soit préoccu-
pation provenant des guerres qu'il avait à soutenir, ne le
remplaça pas tout de suite. L'interrègne dura cinq ans, de
737 à 742 (1). ©r, si Ton avait dû dater une épitaphe à ce
moment de notre histoire, de quelle formule chronologique
se serait-on servi? Aurait-on compté par les années de
pouvoir de Charles Martel? Le duc d'Austrasie n'était pas
le prince légitime de Provence, c'était aux fils d'Eudes
d'Aquitaine que cette contrée appartenait de droit. Par les
années de règne de ces princes ? Non plus. Les nommer sur
un monument public, c'eût été, d'une part, attirer la colère
de Charles Martel, et, d'autre part, oublier que ce vaillant
guerrier avait arraché la Provence aux Sarrasins. Force donc
eût été, dans ce cas, de se contenter de la seule indiction.
Or, la tradition nous dit que sainte Eusébie a été marty-
risée avec ses compagnes par les Sarrasins. Les Sarrasins ont
été à Marseille, nous le dirons plus tard, de juillet 738 à,
février 739. Précisément cette année 738 correspond à une
indiction sixième. On s'explique donc l'absence de toute
autre formule chronologique. On n'a pu dater que par indic-
tion. Mais il y a aussi une coïncidence remarquable ! Le mar-
bre d'Eusébie est daté par la seule indiction, et cette indic-
tion sixième correspond à 738, année qui peut servir décadré
aux horreurs du massacre des Cassianites, par suite de la
présence des Sarrasins à Marseille. Donc, très probablement
cette inscription est de notre sainte Eusébie. Donc, ce marbre
appartient au VIII" siècle. C'est là, croyons-nous, ce qu'il
fallait démontrer.
(1) Dareste, Histoire de France* t. 1, p. 330.
DEUXIÈME SECTION
DISCUSSION DES OBJECTIONS
CHAPITRE PREMIER
Les preuves apportées par les auteurs
pour attribuer à d'autres que les Sarrasins
le martyre de sainte Eusébie
ne sont pas recevables
PREUVES APPORTÉES PAR GUESNAY.— CELLES APPORTEES PAR BOUCHE,
LES DEUX RUPFI, LA a GALLIA CHRISTIANA », PAPON, LAUTARD,
M. L'ABBE PIERRHUGUES, GRINDA.
Les preuves que les historiens précédemment cités appor-
tent à l'appui de leur opinion sur les auteurs présumés du
martyre de notre chère sainte sont-elles convaincantes ? Notre
but dans ce chapitre est de l'étudier. Disons tout de suite
qu'elles n'ont aucune valeur.
Le Père Guesnay tout d'abord. D'après lui, ce fait doit être
imputé aux Vandales. Il a été accompli à l'époque des inva-
sions barbares en Gaule, alors que ces Vandales vinrent en
Afrique, et qu'ils désolèrent de leurs pirateries les côtes des
provinces voisines. Mais la preuve ! Pas plus en deux endroits
du Cassianus illustrattts, où il raconte en quelques lignes
la vie et le martyre de sainte Eusébie, que dans les Pro-
vincial Massiliensis Annales, où à trois reprises il parle de
cet événement, cette preuve n'est donnée.
Nous notons même une contradiction. A la page 509 du
Cassianus, Guesnay nomme les Vandales : « Dum Vandali
— 486 —
mixtisAlanis » ; à la page 475, ce sont les Sarrasins et
les Vandales qui massacrent sainte Eusébie : a qui in eo
(tumulo) novem ac triginta dicatarum Deo virginum a Sarra-
cenis Vandalisque interfectarum corpora sepulta sunt.. . ne
aSarracenis violarentur. » Il est vrai que dans les Provinciœ
Massiliensis Annales, ouvrage postérieur au Cassianus
illusiratus, Guesnay semble corriger cette contradiction, Ce
sont bien les Vandales qui ont commis ce méfait : a dum Van-
dali piraticam agerent », page 186. Mais, aux pages 585
et 600, ces Vandales ne sont plus que des « piratis praedoni-
busque... » Or, remarquons qu'il était bien facile et bien
permis à l'écrivain, sans avoir à craindre de se répéter, de
nommer les Vandales. A la page 600, en effet, il indique, pour
le martyre de notre sainte, une date correspondant aux inva-
sions des Vandales, et comme, ni avant ni après ce passage, il
ne s'agit de ces barbares, la clarté de la narration, la préci-
sion dans les détails réclamaient qu'il appelât ces pirates et
ces « prœdones » de leur propre nom. A la page 585 encore,
le Père Guesnay parle en général du martyre de sainte
Eusébie. En aucun endroit de cette page, il ne s'agit de Van-
dales. L'exposition du sujet voulait encore que leur vrai nom
fût donné à ces pirates et à ces brigands. C'est ce qui n'a pas
été fait. L'assertion du Père Guesnay n'est donc qu'une simple
affirmation.
H. Bouche attribue la destruction du monastère de Saint-
Victor aux Vandales. Ces mêmes barbares ont aussi détruit le
cœnobium d'Uveaune. La preuve en est, suivant cet historien,
le témoignage des mémoires anciens de Saint-Victor pour le
monastère de ce nom. Pour celui d'Uveaune, Bouche cite en
note Guesnay et le Cassianus il lu stratus. Les mémoires an-
ciens de Saint-Victor attribuant aux Vandales la destruction
de ce monastère sont sans aucun doute les chartes de 1431
et 1446 dans lesquelles on lit que Cassien fonda ce monastère
de Saint-Victor et un autre qui en était tout proche, détruit
de fond en comble « per prophanos Vandalos». Or, nous avons
vu en son lieu quel sens il fallait donner à ce passage des
chartes du XVe siècle. Pour le cœnobium d'Uuveaune, le
témoignage de Guesnay est sans autorité suffisante, nous ve-
- 487 —
nons de le voir. D'ailleurs, H. Bouche semble un peu se con-
tredire. À la page 565 du 1. 1 de V Histoire de Provence, il
parle des Vandales ; à la page 332 du même ouvrage, il s agit
d'infidèles. Or, les Vandales étaient ariens. Les Sarrasins, oui,
sont des infidèles. L'assertion de H. Bouche n'est pas non plus
concluante contre nous.
Avec Rufli nous arrivons au même résultat. Ce sont les
Normands, affirme cet historien, qui sont coupables du crime
d'avoir martyrisé sainte Eusébie. On sait que M. de Ruffi ne
voulait pas entendre parler d'un monastère cassianite aux
bords de rHuveauneet ravagé par les Sarrasins. Or, suivez les
bizarreries de langage que ce parti pris fait commeltre à
l'illustre écrivain marseillais. D'abord, il reconnaît qu'il est
de tradition, à Marseille, que ce monastère de religieuses a
été ravagé et détruit par les Sarrasins. Et à l'appui de celte
tradition il cite, sans donner les explications nécessaires,
deux chartes de 1431 et 1446, dans lesquelles il n'est parlé
que des Vandales. Comme on pourrait paraître étonné d'une
semblable preuve, de Ruffi se hâte d'ajouter qu'il ne s'agit
pas, dans ce document, des Vandales, mais bien des Nor-
mands I !
Arrivons au détail de cette argumentation» a Nous tenons de
tradition que ce monastère des religieuses cassianites a été
ravagé par les Sarrasins et que les religieuses, pour conserver
leur virginité, se coupèrent le nez, à l'exemple de leur abbesse
Eusébie, ce qui est autorisé par deux chartes de 1431 et 1446,
qui marquent que lorsque les Vandales détruisirent le monas-
tère de Saint- Victor ils ruinèrent en même temps un monas-
tère voisin de cette abbaye, qui n'est autre que celui de Saint-
Sauveur. » Nous avons eu l'occasion déjà d'étudier ces chartes
et d'en préciser le sens. Or, il a été prouvé que ces a propha-
nos Vandalos » ne sont pas autres que les Sarrasins;
que la destruction complète des monastères à laquelle il
est fait allusion est celle qui eut lieu vers 923 ou 924. En
réalité donc ces deux documents sont une preuve en
faveur de la tradition de Marseille, que ces monastères ont
été détruits par les Sarrasins. Les apporter comme preuve que
ce sont les Normands qui ont commis ce méfait, c'est leur
- 488 —
faire signifier ce qu'ils ne disent pas. Il s'agit ici des Sarrasins.
En outre, dans ces documents, il n'est pas fait mention du
genre de martyre qu'endurèrent sainte Eusébie et ses compa-
gnes. On ne peut pas non plus en inférer qu'elles ont subi ce
martyre à l'époque assignée par ces chartes comme celle de
la destruction des monastères. Se servir donc de ces documents
pour prouver que sainte Eusébie a été martyrisée par les
Normands, c'est apporter une preuve sans valeur.
De Rufti allègue ensuite que « ce sont les Normands plutôt
que les Vandales, parce que ceux-ci se retirèrent en Espagne
avant que ce monastère de Saint-Sauveur ne fût fondé ». Pour
que ceci fût vrai, il faudrait supposer qu'il n'y a pas eu d'au-
tres barbares qui ont fait irruption en France et qui ont pu
massacrer les religieuses cassianites. Or, il y a eu les Sarra-
sins. Cette preuve encore ne vaut rien. Le témoignage de Ruffi
n'est pas concluant contre nous (1).
Suit la Gallia chriatiana. Selon les PP. de Sainte-Marthe,
ce sont les Normands qui ont détruit le monastère des Cassia-
nites. Malheureusement ce n'est qu'une simple affirmation
sans aucune preuve à l'appui. La Gallia chriatiana copie
Ruffi et en réfère aux chartes de 1431 et 1446, que cet histo-
rien a citées. Or, nous l'avons dit tantôt x il ne s'agit, dans
ces chartes, ni de Vandales, ni de Normands, mais des
Sarrasins.
Maintenant, de ce que la Gallia chriatiana affirme que les
Normands ont détruit le monastère des Cassianites, on ne peut
pas en déduire qu'elle affirme aussi que les Normands ont
martyrisé sainte Eusébie . Les écrivains de la Gallia chria-
tiana, en effet, alors qu'ils racontent la destruction de ce
monastère par ces barbares, ne s'occupent jpas, à propre-
ment parler, de notre sainte martyre. Ils décrivent les diffé-
rentes péripéties ou transformations qu'a subies ce cœnobium
des Filles de saint Cassien. Ce n'est qu'à la colonne suivante,
qu'un paragraphe spécial est consacré à sainte Eusébie. Or, à
(1) Ce que nous avons dit de l'argumentation de Ruffi le fils, nous
pouvons le dire de celle de Rufli père, dont on a lu plus haut les asser-
tions.
— 489 —
cet endroit, il n'est pas fait mention des Normands. Ce sont
des « prsedones seu barbari (i) ». Quels étaient ces barbares ?
Probablement des Normands, pour les écrivains de la Gallia.
Mais on ne peut cependant trop l'assurer.
Nous arrivons à Papon. Ce que dit cet historien sur le sujet
qui nous occupe est une preuve nouvelle qu'à ne pas vouloir
ou ne pas savoir accepter simplement la tradition de Marseille,
qui place le monastère de sainte Eusébie aux bords de l'Hu-
veaune et la fait martyriser par les Sarrasins, on s'oblige
à émettre les assertions les plus étranges. Suivant Papon, en
effet, le monastère des religieuses cassianites, qu'il appelle le
monastère de Saint-Sauveur, était bâti près de Saint-Victor et
portait le nom de Saint-Céris ou Cérice, quand il fut détruit
par les Sarrasins, qui massacrèrent sainte Eusébie et ses
compagnes. . . Mais il y avait un autre monastère de Cassia-
nites aux bords de rHuveaune, fondé par Cassien ou quel-
qu'un de ses successeurs... Il fut détruit par les Sarra-
sins ou les Visigoths ; les religieuses qui l'habitaient et qui
échappèrent à leur fureur s'étaient retirées dans le monastère
de Saint- Victor, et eurent le même sort que sainte Eusébie (2).
Que d'efforts d'imagination pour expliquer une chose bien
simple ! I II est certain, en effet, nous l'avons vu dans un cha-
pitre précédent, qu'il n'y a jamais eu qu'un seul monastère
cassianite de filles à Marseille, monastère qui a changé sou-
vent de nom et d'emplacement. Quant à l'opinion de notre
historien : que le monastère de rHuveaune a été détruit par
les Visigoths, il n'y a là qu'une simple affirmation, exprimée
encore sous une forme dubitative, puisqu'il est dit : « détruit
par les Sarrasins ou les Visigoths *. Bien plus, comme Papon
affirme à plusieurs reprises que notre sainte Eusébie a été
martyrisée par les Sarrasins, et que pour nous là est le point
capital, son opinion touchant les Visigoths nous laisse bien
tranquille.
(1) « Huic cœnobio prrefuit per aliquot annos Eusebia, quao cum prœ-
dones seu barbari monasterium occupassent, ab ipsis trucidata est cum
39 monialibus. » Gallia christiana, t. I, col. 697.
(2) Papon, Histoire de Provence, t. I, pp. 361, 362; t. II, p. 78;
— 490 —
De Lautard, qui attribue le martyre de sainte Eusébie aux
Normands, il n'y a rien à dire, sinon qu'il a suivi fidèlement
de Ruffi. Il aligne les chartes de 143) et 1446, il cite un
manuscrit des archives de Saint- Victor ou de Saint-Sauveur,
relatif au souvenir que Ton rappelait aux novices cassianites,
du courage de sainte Eusébie et de ses compagnes. Hais, nous
l'avons déjà dit, nulle trace de Normands dans les chartes de
1431 et 1446. En était-il fait mention dans ce manuscrit ? C'est
ce que Ton ne sait pas, car il y a déjà bien du temps qu'il
n'existe plus. MRr de Belsunce, qui eu parle, ainsi que de
lluffi(l) ont-ils vu et lu ce manuscrit? Nous ne saurions
le dire. Dans tous les cas, si ce document existait encore
à leur époque, et s'il a été donné à ces historiens de le
consulter, ou bien il était dit que c'était à tels ou tels barbares
que ce massacre devait être imputé, et ces historiens l'auraient
fait connaître ; ou bien il n'y avait dans ce manuscrit que des
expressions vagues et indéterminées, ce qui est fort probable.
Inutile donc d'apporter ce manuscrit comme preuve que ce
sont les Normands qui ont martyrisé sainte Eusébie.
M. l'abbé Pierrhugues, nous l'avons dit, attribue aux Van-
dales le massacre de Porcaire et des 500 religieux de Lérins. Voici
en deux mots les preuves qu'il apporte en faveur de cette asser-
tion. D'abord, la Vida de sant Honorât ou plutôt le cinquième
livre de cette Vida, ayant pour sous-titre : Passion de saint
Porcaire, écrite par un religieux de Lérins, frère Porcaire en
religion, Raymond Féraud dans le siècle ; ce document affirme
que ce fut Genséric qui ravagea Lérins (2). Ensuite, la tradition,
de Lérins,que les Vandales avaient martyrisé saint Porcaire(3j.
De plus, le silence complet qui se fait sur ce monastère au
VI' siècle (4). Grégoire de Tours*, notamment, n'en parle
jamais (5). Enfin, l'impossibilité de supposer que Lérins ait
échappé à la fureur des Vandales (6). Discutons un instant ces
(1) M«'de Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. I, p. 292.—
Ruffi, Histoire de Marseille , t, II, p. 58.
(2) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lérins, pp. VIII, 93, 110.
(3) L'abbé Pierrhugues, op. cit., p. 135.
(4) L'abbé Pierrhugues, op. cit., p. 8.
(5) L'abbé Pierrhugues, op. cit., p. 8.
(6) L'abbé Pierrhugues, op. cit., p. 43 et suiv.
— 491 —
preuves. Elles n'ont aucune valeur. Nous nous étonnons que
M. Pierrhugues ait cru pouvoir eu étayer ses assertions.
D abord, ridée générale de l'abbé Pierrhugues, que ce sont
les Vandales qui ont détruit Lérins, a contre elle les auteurs
les plus sérieux. D. Ruinart, dans VHistOria Persecutionis
Vandalicœ, parlant de ceux qui attribuent aux Vandales,
durant leurs incursions, sous Genséric, le massacre de saint
Porcaire et de ses religieux, à Lérins, écrit qu'ils débitent des
fables et les renvoie à Baronius et à Mabillon pour la réfuta-
tion de leur dire (1). Or, D. Ruinart a commenté les cinq
livres de Victor de Vite sur cette persécution vandale, il a
étudié cette persécution dans tous ses détails, citant les lieux
et les hommes qui ont souffert à cette époque, et il ne trouve
pas un fait qui puisse rattacher à cette époque le martyre de
saint Porcaire (et partant celui de notre sainte Eusébie).
Barralis, l'auteur de la Chronologie de Lérins, rejette lui
aussi cette hypothèse et il en appelle au témoignage de
Baronius (2). Celui-ci, dans la Vie de Saint Césaire d* Arles,
cite un écrit que Ton attribue à Fauste, évoque de Riez, dans
lequel il est dit que le monastère de Lérins fut détruit par les
Sarrasins sous Porcaire, abbé du cœnobium et maître de saint
Césaire. Et il ajoute : « Il faut savoir que cet écrit n'est pas de
Fauste. Il est placé à la suite des sermons de l'évoque de Riez
(1) Ruinart, Historia Persecutionis Vandalicce, p. 231 : t Fallunturqui
putant, iisdem quoque Va ad al o ru m incursionibus, Lerinensein insulam
cum celeberrimo saucti Honorati monasterio a Genserico direptam
fuisse. Qui enim Porcarium abbatem, inuumerosque istius insulsc iuo-
nachos, eâ occasione, martyrium pertulisse asserunt, fabulas vendi-
tant »
(2) « Ex his igitur abductis, et quse... ex Baronio. . non inconve-
niens erit afflrmare intra horum spatia temporum, scihcet ab anno
Domini 729 aut 730, aut ad summum 738, victrici martyrii palma,
sanctum Porcarium abbatem Lerinensem et socios quingentos donatos
fuisse, soloque aequatum monasterium Lerinense, una quando universa
Gallia Narbonensis nefandae gentis Ismaelitarum flammae, ferroque suc-
cubuitet furori. Non autem Vandalicae gentis, Genserici régis temporibus,
longe ante praeferendum, ut habetur in tertio vitae libro sancti Honorati,
archiepiscopi Arelatensis, cap. 24, et aliquibus actis in manuscriptis a
nonnullis nostratibus etsi mendosis, circumferri solitls. . » Barralis,
Chronologia sanctorum insulœ LerinensiSy t. I, p. 227
'
— 492 —
aux moines, mais il ne lui appartient pas. D'ailleurs, de quelle
autorité peut être un écrit annonyme? D'où venaient ces
Sarrasins, qui en réalité n'apparurent en nos contrées que trois
cents ans plus tard ? Un autre écrit contenant la vie de saint
Honoré et relatant ce même fait l'attribue à Genséric, duc des
Vandales. Nous n'en croyons rien. Comment saint Césaire
a-t-ll pu, dans de ce cas, célébrer comme il l'a fait le monastère
de Lérins? (Genséric est mort en 477_, et saint Césaire était
évéque de 502 à 542.) Les écrits de saint Césaire ne feraient
pas mention de ce fait, de ce désastre ? Et en supposant
que Técrit où il en aurait parlé ait été perdu, comment
l'historien de saint Césaire, Cyprien, n'en a-l-il pas dit un seul
mot (1)? » A notre avis, l'abbé Pierrhugues n'a pas répondu
dans son livre à ces objections de Baronius. Il n'est pas facile,
en effet, de le faire d'une manière satisfaisante.
Anthelmi Joseph, auteur de Delnitiis Ecclesiœ Forojulien-
8Îs, n'admet pas non plus la thèse de M. Pierrhugues. A son
avis, ce sont bien les Sarrasins qui ont massacré saint Por
caire et ses religieux. Si quelques auteurs l'ont attribué aux
Vandales, c'est qu'ils manquaient de renseignements. A cette
époque, malheureusement, tout avait été à ce point dévasté,
(1) « Sed quod sub Fausti nomine pervulgata legitur fabula de eodem
Lerinensi cœnobio exciso a Sarraceuis sub Porcario abbate, institutore
sancti Cxsarii, eu m sic obiter refellere ex iostituto onus iacumbit.
Primum vero scias non esse Fausti scriptionem illam, sed appendicem
ad Fausti instructionem ad monachos, ut apparet ex ea nuper édita. . .
post funebrem orationem sancti Hilarii episcopi Arelatensis, et alia
conjuncta, ubi post absolutam Fausti illam tractationem, subjicitur
nafratio de excidio monasterii Lerinensis, quà dicitur idem monaste-
rium a Sarraceuis diruptum, et sanctum Porcarium abbatem cum suis
esse necatum. At quanta? fidei scriptum illud auctoris incerti? Et
ubinam gentium Sarracenorum incursio his temporibus in occiduis
oris innotuit, qui vix post trecentos annos auditi sunt mare Mediterra-
neum infestasse... » Barralis, op. cit., t. I, pp. 272. 273.
« Haud majoris fidei nobis, quœ habentur in spuria vita sancti
Honorati, ubi hœc facta dicuntur per Gensericum Vandalorum in Africa
regem... Si hœc vera sunt, quomodo post Gensericum jam defunctum
adeo celebratur gioria ejusdem monasterii Lerinensis, ut audivimus a
Csesario (Homelia 9J. Quomodo de tanti cœnobii clade nul la penitus
habetur nieotio in actis sancti Caesarii, quae sunt scripta ab hujus
temporis scriptore Cyprîano*?. . » Barralis, op. cit., 1. 1, p. 273;
- 493 —
saccagé, ravagé en Provence, que Ton croyait impossible à
qui que ce fût d'en consigner la relation dans un docu-
ment public. Ainsi, l'obscurité s'est faite déplus en plus com-
plète sur ces événements et la confusion la plus grande s'est
répandue sur eux. Pendant longtemps on a cru que saint Ga-
lacterius, évêque de Lescours, massacré par les Visigoths,
avait été mis à mort par les Vandales. De même pour saint
Porcaire. Les invasions des Vandales ont été si fréquentes,
elles ont laissé dans les esprits un souvenir si terrifiant, qu'on
leur a attribué les désastres que plus tard les Sarrasins ont
semés partout. Cela parait croyable, lorsqu'on sait que chez
un grand nombre d'auteurs, les Goths, les Alains, les Gépides
sont appelés du nom de Vandales. Voilà ce qui a trompé
les historiens (1).
Nous osons, pour notre part, essayer de réfuter les asser-
tions de M. l'abbé Pierrhugues.
L'écrivain sur lequel M. l'abbé Pierrhugues s'appuie davan-
tage, Raymond Féraud, n'est pas d'une autorité incontestée.
Les auteurs de l' Histoire littéraire de la France disent
du moine poète de Lérins : a Si nous voulions, de cet
ouvrage {La Vida de sant Honorât) qui forme un assez gros
volume, extraire d'un côté les fictions de toute espèce, et de
l'autre la part de la vérité et de l'histoire, nous ne savons
s'il resterait quelque chose pour celle-ci. Toujours serait-ce
peu de chose (2). » On sait qu'Antelmi l'appelle : a nugivendi-
tor », débiteur de fables (3). Baronius disait de ce poète :
a Plane ferreus et ignorantiae rubigine undiqueobductus (4). »
« L'œuvre principale de Raymond Féraud est la Vida de sant
Honorât, poème en vers provençaux, où le génie de l'époque
est marqué, mais où abondent les absurdités et les anachronis-
ities les plus évidents (5).» On le voit, l'abbé Pierrhugues aura
(i) Antelmi, De initiis Ecclesiœ Forojuliensis, p. 120.
(2) Alliez» Histoire du monastèi%e de Lérins , t. I, p. 4P4. (Citation
de r Histoire littéraire de la France, t. III, p. 236.)
(3) Antelmi, De initiis Ecclesiœ Forojuliensis, p. 78.
(4) Citation prise dans Antelmi, op. cit., p. 78.
(5) RechercJies historiques sur saint Léonce, écéque de Fréjus, pal*
l'abbé Disdier, p. 153.
32
— 494 —
fort à faire pour donner de l'autorité à son auteur favori. Il est
vrai qu'un écrivain moderne lui a rendu quelque peu de cré-
dit, quand il a dit : « En somme, Féraud n'est guère plus
qu'un habile traducteur. Ses plus grandes libertés consistent
à introduire de temps à autre, dans la narration, quelques
noms propres qui prouvent une certaine connaissance de notre
littérature épique (1).» Mais il y a ici, à côté de l'éloge, la défi-
ance. Si Raymond Féraud, en effet, a brodé sur les noms, cela
suffit pour que nous refusions à le suivre aveuglément.
De fait, qu'est-ce que cette Vida de sant Honorât, compo-
sée par Raymond Féraud ? C'est une traduction amplifiée et
embellie d'une vie de saint Honorât composée en latin et
dont nous avons un spécimen dans un manuscrit du XIV* siècle,
trouvé à Dublin en 1878 (2). Or, ce manuscrit à qui attri-
bue-t-il le martyre de saint Porcaire ? A Genséric, chef des
Sarrasins (3). Il existe de ce même manuscrit une version
catalane, imprimée à Valence au XV" siècle. Que dit cette
version du sujet qui nous occupe? Que contre les chrétiens
se leva Genséric, chef du méchant peuple des Sarrasins (4). On
possède encore un abrégé de ce manuscrit, c'est la Vita sancti
Honorait, imprimée à Venise en 1501. Or, ce document attri-
bue aux Vandales de Genséric le massacre de saint Porcaire (5).
En résumé donc, sur trois auteurs parlant du môme sujet, un
désigne les Vandales, deux les Sarrasins. Ou bien Féraud a
suivi les données de ces manuscrits, ou il les a amplifiées.
S'il lésa amplifiées, inutile d'apporter ses élucubrations comme
preuve historique ; s'il les a suivies, puisque les manuscrits
parlent des Sarrasins, pourquoi choisir les Vandales et leur
attribuer le fait en question?
D'ailleurs, que dit Raymond Féraud lui-môme dans cette
Vida de sant Honorât? Au milieu d'un fatras eld'inven-
(1) Un article extrait de la revue parisienne Romania, oct. 1879, par
P. Meyer, cité par Pierrhugues, Fin de Lérins, p. 209.
(2) Article de le Romania, daus Fin de Léinns, p. 207.
(3) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lérins, p. 45.
(4) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lérins, pp. 46, 92.
(5) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lé?*inst pp. 110, 136.
- 495 —
lions ridicules, il écrit en propres termes : a qu'en
danl vers la mer, les moines virent arriver à pleines voi]
les Sarrasins (1). » Et on lit cette expression à quatre ou cinq
endroits du poème (2 J. Puis il parle des Turcs, des Vandales,
deGenséric, de Miramolin, etc., etc. Pourquoi donc M. Pier-
rhugues tient-il tant à faire attribuer par Raymond Faraud
le massacre de saint Porcaire aux Vandales, puisque cet auteur
parait l'attribuer plutôt aux Sarrasins t Est-ce le nom de
Genséric qui l'a décidé ? Mais il y a tant d'autres noms dans
ces pages de Féraud, pourquoi s'arrêter à l'un plutôt qu'a
l'autre. Donc, non seulement le nom de Raymond Féraud n'est
pas une autorité suffisante pour forcer la conviction, mais il
semble encore que l'on fait dire à ce moine de Lérins plus
qu'il n'a dit.
Passons à la deuxième preuve que l'abbé Pierrhugues allègue
en faveur de son assertion. Il était de tradition, ;'t Lérins, que
les Vandales avaient martyrisé saint Porcaire. « Elle est consi-
dérable, en effet, l'autorité de la tradition dans un monastère
où les générations successives sont étroitement liées dans une
commune affection pour le passé (3). » Mais il faut, dans ce
cas, solidement établir que c'est bien la tradicion du monas-
tère. Et, de plus, il y a tradition et tradition. Si l'on doit faire
grand cas delà tradition d'un monastère sur un point de doc-
trine, il n'en est pas de môme, on l'avouera, sur un point
d'histoire. Il y a là une différence qu'il faut savoir accepter !
Or, de quoi s'agit-il ici ? D'une question historique: sont-ce
les Vandales ouïes Sarrasins qui ont détruit Lérins et massacré
saint Porcaire? Nous trouvons pour le monaslùic de Saint-
Victor la môme difficulté. Faut-il attribuer aux Vandales ou
aux Sarrasins la destruction de ce monastère? Des chartes
du XVV(4) siècle nomment les Vandales: « per prophanos Van-
(1) Raymond Féraud, elle par l'abbé Pierrhugues, Fin de tarin», p. B7.
(2) Raymond Féraud, cité par l'abbé Pierrhugues, Fin rlc Lérin$,
\>p. 55, 67, 83, 93, 95, 117.
(3) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lérins, 135.
(*) Charte de iUti citée dans Kothen, Notice eurleicrypiu^ili: l'abbaye
de Saint-Victor, a l'appendice.
— 496 —
dalos ». On peut voir dans ces expressions la tradition cou-
rante du monastère à cette époque. Mais faudra-t-il, pour
cela, s'incliner et accepter sans discussion ? Non, on le com-
prend facilement. Qu'à Lérins l'opinion soit que les Vandales
et non les Sarrasins aient détruit l'antique monastère, à la
rigueur on n'est pas obligé d'y acquiescer.
Or, est ce bien la tradition de Lérins que les Vandales aient
martyrisé saint Porcaire ? Ecoutons l'abbé Pierrhugues en don-
ner les preuves. « L&Vita sancti Honorati, imprimée à Venise,
en 1501 et composée à Lérins, le dit en propres termes: aPrseeunte
sancto Porcario pastore, eorum quingenti sub Genserico, Van-
dalorum duce, pro labore quem perpessi sunt diri mari yrii,
coronas decoris recipere meruerunt de manu Domini(l). » L'af-
lirmation est claire. C'est vrai. Mais qu'est-ce que cette Vita
de 1501? « C'est un simple extrait, souvent remanié dans la
forme, de cette vie que Féraud a eue sous les yeux (i) »,
c'est-à-dire du manuscrit de Dublin que Féraud a traduit. Or,
ce manuscrit de Dublin que dit-il? « La Vita de Dublin parle
de Sarrasins dont Genséric était le chef (3). » A qui accor-
der plus de foi : au manuscrit de Dublin qui date de 1300, ou
à la Vitaàt 1501 ? Sans hésitation aucune, notre préférence est
pour le manuscrit de Dublin. Voici, croyons-nous, l'explication
de la différence qui existe entre ces deux documents. Au XVsiè-
cle on appelait Vandales les Sarrasins. Nous l'avons vu pour
les chartes de cette époque, dans le cartulaire de Saint- Victor.
Or, le moine rédacteur de la Wtadel501, imbu de cette
idée, trouvant le nom de Genséric, dans le manuscrit de Du-
blin, accolé à celui de Sarrasins, a voulu mettre d'accord les
textes. Il a écrit Vandales au lieu de Sarrasins, et l'on a lu,
depuis : sous Genséric, chef des Vandales. En réalité, c'est le
nom de Genséric qu'il fallait changer.
Comme seconde preuve de la tradition, à Lérins, que c'étaient
les Vandales qui avaient massacré saint Porcaire, l'abbé Pier-
rhugues allègue la lettre d'un pape du nom de Grégoire,
(1) I/abbé Pierrhugues, op. cit. , p. 136.
(2) Article de la Romania, cité par Pierrhugues, p. 207.
(3) L'abbé Pierrhugues, op. cit.> p. 45.
— 497 —
dans laquelle le fait est raconté (1). Or, que vaut cette
preuve ? Rien du tout, on va en juger.
D'abord, où se trouve cette lettre ? « Elle prend place
dans la Vita de 1501. » Or, lisez encore l'abbé Pierrh ugues.
« M. Paul Meyer, de l'Institut, apprécie sévèrement les char-
tes citées dans la Vita de 1501. Ajoutons, dit-il (M. Meyer),
que les chartes fausses qui ornent l'imprimé ne se trouvent
point dans l'original (manuscrit de Dublin). Elles ont été
ajoutées par les moines en vue de l'impression (2), »! ! !
Après ceia, liez-vous à la lettre pontificale. Bien plus, l'abbé
Pierrhugues avoue que « certains critique* déclarent cette
lettre apocryphe (3). »! ! Et de deux! Cette lettre est-elle « de
Grégoire II on de Grégoire III? Peu importe (4j,n! ! ! Et de
trois ! Pour clore le débat, à qui cette lettre du pape attribue-l-
elle le martyre de saint Porcaire : « Debacchante super eos
furore gentis Sarracenorum (5). »!!! Quelle bonne volonté il
a fallu à l'abbé Pierrhugues pour y lire la preuve qu'il était de
tradition, à Lérins, que saint Porcaire avait été martyrisé pat-
tes Vandales !
Suivrons-nous rénumération des antres preuves 1 En faveur
de la tradition de Lérins, l'abbé Pierrhuguos allégué la pro-
phétie que la Vita de 1501, la Vida par Faraud, la version
catalane, et le manuscrit de Dublin mettent dans la bouche de
saint Honorât mourant: a Pendant cinquante- trois ans l'abbaye
demeurera déserte après le massacre de ses enfants (6). » Que
vaut cette prophétie? Est-elle authentique ou non ? qui le
sait ? Mais admettons-le. Si Lérins a été détruit par les Sarra-
sins en 730, il a pu s'écouler cinquante-trois ans avant sa res-
tauration, puisque on s'accorde à regarder connue fausse la
charte qui attribue cette restauration à Pépin. Nous avons
entendu M. Paul Meyer nous dire ce qu'il pensait des
Charles insérées dans la Vite de 1501, et M. l'abbé Pierrhu-
(!) L'abbé Pierrhugues. op. cit., pp. 136, 137.
(2) L'abbé Pierrhugues, op. cit., 179.
(3) L'abbé Pierrhugues, op. cit., p. 13G.
H) L'abbé Piervhugues, op. cit., p. 136.
(5) Pour le texte de cette luttre, voir Pierrhugues. o;..
(6j L'abbé Pierrhugues, Fin tle Lêrint, p. 139.
— 498 —
gués écrit . « La restauration du monastère sous Pépin est un
mythe (1). »! ! !
Que Denis Fauchier, mort en 1562, ait cru que Lérins a été
détruit par les Vandales ; que dans une prose, chantée à
Lérins, on plaçât le martyre de saint Porcaire avant la sainte
mort du bienheureux Âygulfe, qui vivait vers 660 (2), qu'im-
porte pour noire fait historique en discussion 1 II faut d'autres
arguments pour ébranler la conviction. Il n'est donc pas prouvé
qu'à Lérins il était de tradition, comme veut le dire l'abbé
Pierrhugues, que les Vandales et non les Sarrasins eussent
martyrisé saint Porcaire.
L'abbé Pierrhugues continue : a Un silence complet s'est
fait sur ce monastère au VI* siècle, Grégoire de Tours ne parle
jamais de Lérins. » Que Grégoire de Tours n'ait jamais parlé
de Lérins, c'est, en effet, une chose inexplicable. Lérins et ses
gloires antiques devaient lui être connus. Si Lérins existait
de son temps, il aurait dû en parler et l'on ne se rend pas
compte de son silence ; mais, si Lérins a' été détruit quelque
cinquante ans auparavant, cette épouvantable catastrophe
devait aussi lui être connue, et l'on s'explique encore moins
qu'il n'en ait rien dit. Nous sommes portés à croire, pour
notre part, que si Grégoire de Tours se tait sur cette ruine de
Lérins, c'est que le monastère de cette lie florissait encore ; et,
s'il ne l'a pas glorifié dans sa splendeur, c'est qu'il avait à par-
ler d'autres choses. Nous ne cachons pas cependant que le
silence de cet écrivain nous étonne.
Maintenant qu'il se soit fait, au VI- siècle, un silence absolu
sur Lérins, c'est un fait que nous n'admettons pas. En sui-
vant Alliez dans son Histoire du monastère de Lérins, nous
trouvons plusieurs détails qui font supposer que le monastère
était encore debout, au VI* siècle. Eh effet, sous l'abbé
Honorât H, vécut un saint religieux, du nom de Jean, sur-
nommé lleomaus, qui y demeura dix-huit mois, puis fut
rappelé dans son pays natal, à. Langres, par l'évéque de cette
ville. Or, l'abbé Honorât succéda à saint Porcaire vers 507.
(1) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lérins, p. 183.
(2) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lérins, p. 141. — Voir cette prose
dans Barralis, Chronolorjia insulœ Lerinensi*, t. I, p. 29.
- 499 -
A cette époque donc Lérina existait (1), Vers 550, un abbé du
nom de Florian gouvernait Lérins. Ce religieux écrivit à saint
Nicet, évéque de Trêves, pour que celui-ci employât son
crédit auprès du roi d'Austrasie en faveur de l'Ile do Lari, qui
n'est pas autre que Lérins. Le monastère existait donc (j),
A cette même époque vivait A Lérins Vigile, plus tard
évéque d'Arles. Le monastère donc était eu pleine prospérité.
• L'histoire, c'est vrai, n'a conservé, pour l'époque dont nous
nous occupons, que peu de documents sur ce monastère (3). »
Mais qu'importe, il en reste assez pour prouver qu'il existe
et pour attester que rien ne Tait entrevoir qu'il ait été détruit
cinquante ou soixante ans auparant d'une façon si terrible.
11 est impossible, enfin, affirme l'abbé l'ierrhugues, que
Lérins ait échappé à la fureur des barbares. Que cela soit
extraordinaire, nous le comprenons, et nous nous en étonnons
avec Baronius (4). Mais que cela soit impossible, nous le nions.
Ce qu'il y a de vraiment étonnant et impossible, c'est que,
si Lérins a été détruit du vivant de saint Cétaire, vers 507,
cet évéque, enfant de Lérins, disciple chéri de saint l'orcaire,
n'aîi jamais parlé de la mort héroïque de ce saint religieux;
c'est que l'écrit oii il en a parié «e soit pardi] ; c'est que son
disciple Cyprien, qui a composé la vie du suint évoque, n'en
ait rien dit non plus I Voilà l'imposaibi ;.
La thèse de l'abbé Pierrhugues : que les Vandales et non pas
les Sarrasins aient détruit Lérins et martyrisé saint l'orcaire est
insoutenable. Donc personne ne serait autorisé à se servir
de cette ihèse pour affirmer que notre sainte Eusébie, elle
aussi, a été martyrisée par les Vandales.
Nous arrivons A M. Grinda. La manière dont cet auteur a
parlé de l'inscription lapidaire de sainte Eusébie nous semble
bien hardie, quoiqu'elle procède, nous ne saurions trop le
reconnaître, d'une intention pleine de loyauté et de bon
esprit. M. Grinda veut préserver notre tradition marseillaise
(1) Alliez, Histoire du monastère tic Lérins, 1. I, p. 27C, etc.
(2) Alliez, Histoire du monastère de Lérina, t. I, p. 3(13.
(3) Alliez, Histoire du monastère de Lèr in?, I. I, p. ;)U0.
H) L'abbé Pierrhugues, Fin de lérina, p. 41.— llmnilis, Clironolof/ia
insutœ Lerinennie, p. 272.
— 500 —
<f de l'atteinte qu'elle recevrait, si la science archéologique
établissait par des preuves irréfutables l'anachronisme de ce
document considéré comme un témoignage de la tradition
marseillaise (1). » Et voici son argumentation, telle que nous
la comprenons.
Nous avons une tradition, à Marseille, d'après laquelle
sainte Eusébie a été martyrisée par les Sarrasins avec qua-
rante de ses compagnes. A l'appui de cette tradition, on
allègue ordinairement l'inscription lapidaire qui porte le nom
d'Eusébie. Or, le jour où quelque critique, peut-être mal
pensant, nous prouverait que ce document est d'une époque
antérieure aux Sarrasins, notre tradition paraîtrait fort ébran-
lée. Mieux vaut donc actuellement s'expliquer et voir en face
les difficultés.
Or, cette inscription lapidaire est du V0 siècle. Les données
actuelles de l'épigraphie le prouvent, dit M. Giïnda. « Elle
appartient à ce que les archéologues appellent le troisième
âge, et se place entre les années 487 et 499. C'est dans ces
douze années qu'il faut chercher la date de cette inscription.
Or, la treizième période d'indiction commence en 492. La
sixième année de cette indiction est l'an 497, qui est la date
cherchée. »
Donc, ou bien nous voulons garder toute notre tradition de
Marseille, à savoir que sainte Eusébie a été martyrisée par
les Sarrasins. Dans ce cas, il nous faut faire le sacrifice de
cette inscription lapidaire. Antérieure de trois siècles aux
Sarrasins, elle n'est point pour notre sainte Eusébie, niais elle
appartient à une autre religieuse portant ce même nom. Qu'à
cela ne tienne cependant. Notre tradition n'en demeure pas
moins debout, car il nous reste bien d'autres monuments pour
le prouver.
Ou bien nous tenons « à considérer l'inscription d'Eusébie
comme l'épitaphe de la sainte que l'Eglise de Marseille
honore », et M. Grinda préfère ce dernier parti. Il nous faut
faire, dans ce cas, le sacrifice d'un des détails de notre tra-
(1) Grinda, Monographie deVabbayede Saint-Victor-lez-Marscille,
dans \* Echo de Notre-Dame de la Garde, n° 344, aunée 1888.
— 501 —
«
dition de Marseille, à savoir que sainte Eusébie a été marty-
risée par les Sarrasins. C'est à d'autres barbares qu'il faut
imputer ce crime. Ne nous effrayons pas trop encore.
M. Grinda nous rappelle que « les historiens qui ont rapporté
ce glorieux souvenir de l'Eglise de Marseille sont loin d'être
d'accord. Ils désignent les Vandales, les Goths, les Normands,
etc., etc., etc. » Dans les deux cas cependant, on nous fait
remarquer que le principal objet de notre tradition, à savoir
que sainte Eusébie a été martyrisée, sort intact de la lutte.
Or, que vaut ce système ?
Ce système, hâtons-nous de le dire, n'est pas nouveau.
M. Grinda en conviendra. C'est, ou bien l'opinion de M. André,
l'historien de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur, qui est
remise en honneur, on sait qu'il n'admettait pas que l'inscrip-
tion lapidaire fût de notre sainte Eusébie ; ou bien c'est l'opinion
de Guesnay dans le Cassianus ou les Annales Provinciœ
Ma8siliensi8 que l'on reprend. Cet écrivain, nous l'avons vu
plus haut, place le martyre à l'année 450 ou 477, et ce sont les
Vandales qui en sont les auteurs.
Or, ce système très séduisant se heurte à de graves
difficultés. D'abord, si cette inscription lapidaire n'est
pas de notre sainte Eusébie, nous avons eu tort de croire,
à Marseille, pendant des siècles, qu'elle nous parlait de notre
sainte abbesse cassianite. Ce qui n'est pas très flatteur pour
nousl Puis, il faudrait trouver une explication raisonnable de
cette crédulité plusieurs foi» séculaire; dire et prouver com-
ment cette inscription a pu être attribuée à notre sainte Eusé-
bie. Ce qui peut-être ne serait pas très facile à faire !
Ensuite, si cette inscription est du V0 siècle, et si elle nous
parle de notre sainte Eusébie, nous sommes en opposition
formelle avec la tradition de Marseille qui est que notre sainte
a été martyrisée par les Sarrasins. Qu'on ne se fasse pas illusion,
en effet. A Marseille, il n'est pas de tradition seulement que
sainte Eusébie a été martyrisée avec quarante de ses compa-
gnes, et que toutes se sont mutilées le visage. Ceci est le sum-
?narium, le compendium, le"résumé de la tradition des « Des-
narrados ». Mais il est de tradition aussi qu'elles ont été mar-
tyrisées par les Sarrasins et sur les bords de l'Huveaune.
— 502 —
Voilà toute la tradition. Or, ce système est en opposition com-
plète avec cette croyance populaire.
Et encore, il est en contradiction avec une foule de dates, de
faits, de documents qu'il est très difficile de révoquer en doute
ou d'expliquer d'une manière conforme aux idées de notre
auteur. Enfin, ce système n'explique rien du tout dan3 cette
question obscure. Supposons que l'inscription appartienne au
VB siècle et qu'elle soit de notre sainte Eusébie. Et puis,
savons-nous en quelle année a eu lieu le massacre? qui Ta
perpétré? Avons-nous un jalon de plus pour nous conduire?
un peu plus lumière pour éclaircir nos doutes, interpréter les
historiens? Disons simplement que nous n'acceptons pas cette
manière de voir de M. Grinda. Pour nous, nous nous en
tenons à la tradition de Marseille: sainte Eusébie a été marty-
risée par les Sarrasins, aux bords de 1'Huveaune. Et l'inscrip-
tion que nous avons parle de notre sainte Eusébie.
Venons à la réfutation des raisons que M. Grinda apporte
pour prouver que ce ne sont pas les Sarrasins qui ont massa-
cré sainte Eusébie. D'abord, à qui attribue-t-il le martyre de
notre sainte? Il ne le déclare pas formellement, c'est vrai.
Cependant, se rangeant à l'opinion de Guesnay, qui fixe
le martyre de sainte Eusébie à l'époque où la Provence
était la proie des Vandales, des Visigoths et autres, il semble-
rait désigner ces mômes barbares, qui désolèrent nos contrées
au Ve siècle, comme les auteurs de ce massacre.
Dans tous les cas, M. Grinda se refuse à croire que ce soient
les Sarrasins qui ont martyrisé notre sainte. La tradition, à
son avis, ne les désigne pas formellement. Ceci est inexact. La
tradition populaire, la voix, la croyance du peuple les
nomme formellement. Nous le verrons bientôt.
« Les historiens qui ont rapporté ce glorieux souvenir de
l'Eglise de Marseille sont loin d'être d'accord. Ils désignent les
Vandales, les Goths, les Normand*, les Bourguignons, les
pirates arabes, les Sarrasins. » C'est vrai, ces historiens ne sont
pas d'accord. Mais il y en a d'autres qui le sont, et la liste eu
est convenablement longue. Nous les citerons dans un des
chapitres suivants.
a Le Propre de Marseille, qui résume la tradition, dan9 la
J
- 503 —
VI* leçon de l'office de sainte Eusébie, ne nomme pas les
Sarrasins; il y 'est question des infidèles et des barbares, ce
qui peut s'appliquer aux Vandales, aux Visigoths, aussi bien
qu'aux Sarrasins. » C'est vrai encore. Mais que M. Grinda
remarque bien l'expression dont il s'est servi. Elle est d'une
précision admirable: « Le Propre du diocèse de Marseille
résume la tradition. » Il fait connaître, en effet, l'objet princi-
pal, l'idée générale de notre tradition de Marseille, à savoir
que sainte Eusébie a été martyrisée avec ses compagnes par des
infidèles ou des barbares. Quant aux détails de cette tradition,
à savoir à quel endroit, à quel époque exacte et par qui ce
massacre des Cassianites de Marseille a été opéré, le Pro-
pre n'en dit presque rien et il ne faut pas nous en étonner.
M*r de Belsunce, qui a rédigé ces leçons, savait très bien
que ces détails étaient en discussion parmi les historiens. Il
ne pouvait pas se prononcer et engager l'autorité de l'Eglise
sur un point d'histoire locale.
Alléguer donc le vague dans lequel le Propre du diocèse
se tient par rapport aux auteurs du martyre de sainte Eusébie,
pour refuser de l'imputer aux Sarrasins, c'est apporter une
preuve qui se dérobe sous celui qui s'y appuie.
CHAPITRE II
Les preuves apportées par les auteurs pour placer
à une date autre que celle
de 738 le martyre de sainte Eusébie,
ne sont pas recevables.
BAISONS ALLÉGUÉES PAR GUESNAY, H. BOUCHE, MABILLÛN, DE
BELSUNCE, GROSSON, RUFFI, PAPON, LONGUEVAL, BOUCHE, LA
« GALLIA », FOUQUE, FABRE AUG., LAUTARD, GUINDON ET MÉRY,
MAGLOIRE GIRAUD, ALLIEZ, RE1NAUD, DAEHAS, ROCBACKER, LA
t STATISTIQUE », ANDRÉ, M. LE CHANOINE MAGNAN, L'ABBÉ VEBLA-
QUE, KOTHEN, DE REY, GRINDA.
Nous avons vu que Guesnay fixait le martyre de notre
sainte Eusébie à Tannée 477, dans ses Provinciœ Massi-
liensis Annales, page 186. A la page 600 du môme ouvrage,
c'est une autre date qu'il indique, l'année 450. Puis, il
écrit : a C'est à l'époque de la persécution que Gensèric a
suscitée contre les catholiques d'Afrique, ou bien à l'époque
de celle qu'Hunéric, fils de Genséric, suscita lui-même. » Il
ajoute encore : « alors que les Vandales faisaient une guerre
de pirates ». Nous devons, enfin, rappeler que, dans son Cas-
sianus iUustratus, le môme auteur avait placé cet événement
« à l'époque des invasions fréquentes des barbares en Gaule » ;
autre détail : a alors que les Vandales, unis aux Alains, aux
Goths, passaient d'Espagne en Afrique »; dernier détail enfin :
« au moment où les Vandales désolaient de leurs pirateries les
côtes des provinces voisines ». Il semble difficile d'apporter
plus de précision, pour fixer la date du martyre de la sainte
abbesse cassianite. Et cependant Guesnay n'a réussi qu'à en-
tourer de la plus grande confusion la date de cet événement.
D'abord, à la page [86 des Provinciœ Massiliensis A finales,
c'est l'année 477 qu'il indique ; à la page 600 du môme ou-
vrage, c'est 450. Quelle est la raison d'une telle contradiction?
Guesnay garde le silence. Puis le martyre de notre sainte
aurait eu lieu en 477 ou 450, « à l'époque de la persécution
— 5U5 —
suscitée par Genséric contre les catholiques ». Or, Genséric ;i
commencé à sévir contre les catholiques en 437, et il n'a guère
cessé de les tourmenter jusqu'à sa mort, arrivée en 477 (I). La
persécution soulevée par Hunéric commença en 481 et se pour-
suivit encore jusqu'il la mort de ce roi, eu 484 (2). Si l'on place le
martyre de sainte Eusébie: a circa persecutionem excilatam ab
Hunerico », durant la persécution d'Hunéric, la date de 477,
donnée par Guesiiay, ne concorde ni avec celle du début, ni
avec celle de la an de cette persécution. Si l'on veut choisir,
« durant la persécution de Genséric i (437-477), l'année 477,
on se rencontre justement avec celle de la mort de ce prin-
ce sanguinaire, qui expira le 25 janvier 477 (3). Pour que
cettedale concordât avec les faits, ilfaudrait que les pirates
vandales eussent exécuté leur barbare exploit durant ce mois
de janvier. Il y aurait lieu, dans ce cas, d'admirer longue-
ment la prodigieuse précision, nous allions dire la chance
de Guesnay.
Si l'on vent adopter la date de 450, toujours a durant la
persécution de Genséric », on tombe, il est vrai, à un moment
où. Genséric vit en paix avec l'empereur d'Occident, Valenti-
nîen III, et l'empereur d'Orient, Marcien, et où les Vandales
courent les mers et font les piraies. Mais pourquoi cette
année de 450 plutôt qu'une autre? Quelle preuve Guesnav
allègue-t-il en faveur de cette année? Aucune. Il jouera de
bonheur, s'il devine juBte !
Passons aux autres détails que donne Guesnay : a Alors,
dit-il, que les Vandales faisaient une guerre de pirates...
qu'ils désolaient les cotes des provinces voisines... » Mais
ces Vandales, Sidoine Apollinaire a écrit a que chaque
année leurs flottes nombreuses saccageaient les rives de la
Méditerrannée (4). » Procope, à son tour, a dit a qu'a chaque
(1) Ruinarl, Histovia Perseeutionit Vandalicn; pp. 507, 233.
(2) Ruinart, Historia Persectttionis Vandalicœ, pp. 237, 265.
(3) Ruinarl, op. cit., p. 233.
{*) t . i HincVandalushostis
L'rget, et in nostrutn numeroaa classe quotannis
Militât excidium ■
Sidoine Apollinaire, Carmen il in Panegijrico Ant/teniii\ {Ruinarl
ùp.clt., p. 227.)
— 506 —
printemps ils débarquaient sur les côtes de Sicile et d'Italie
et les ravageaient (l) ». Dès leur entrée en Espagne en 409,
jusqu'à leur extermination complète en Afrique, en 534, ils
ont pratiqué ce métier. A quelle année donc les fera-t-on
arriver jusqu'à Marseille? Guesnay se tient sur la réserve.
Elle est fort sage, en effet. A n'indiquer aucune date, il ne
court pas le risque de se tromper ! !
« A l'époque où tant de barbares faisaient en Gaule de
fréquentes incursions. » Mais les barbares ont envahi et
saccagé la Gaule durant des siècles. Depuis l'invasion des
Francs Ripuaires, jusqu'à l'arrivée en Provence des Ostro-
goths de ïhéodoric d'Italie, que de fois les barbares, de
quelque nation qu'ils fussent, ont foulé et pillé le soi de la
patrie ! Quelle année donc choisir, durant ces deux siècles,
pour le martyre de sainte Eusébie ¥ Aucune. Guesnay se con-
tente de dire : Ce fut à cette époque que le martyre eut lieu !!
Enfin, à l'époque a où les Vandales mêlés aux Alains, aux
Goths, passaient en Afrique ». Mais les Vandales s>ont venus
en Afrique en 427 (2); que deviennent alors les dates de 450
et 477, spécialement désignées plus haut ?
Guesnay, croyant pouvoir attribuer aux Vandales le
martyre de sainte Eusébie, peut-être sur les termes des
chartes 1431 et 1446, a jeté au hasard deux dates, accompa-
gnées de détails excessivement vagues, partant insuffisants,
pour élucider le point d'histoire que nous étudions. Ce n'est
donc pas en 450, ni en 477, que la chère sainte abbesse a
souffert son glorieux martyre !
H. Bouche, après avoir racconté l'arrivée en Gaule des Van-
dales et des autres barbares, vers Tannée 406-407, raconte en
deux lignes que ces Vandales ont détruit le monastère de
Saint-Victor et celui des bords de l'Huveaune (3). Il ne donne
pas d'autre date que celle qui est en marge, 407. Mais surtout
(1) « Quoties ver redierat, nu ne Siciliam, nunc Italiam populabundus
vexabat. » Procope, lib. I, De Bello Vandalico. (Ruinart, op. cit., p. 2?7.)
(2) Ruinart, Historia Persecutionis Vandalicœ, p. 204. — M arc us
Histoire des Vandales, dit que ce fut en 429 ; p. 129.
(3) II. Bouche, Histoire de Provence^ t. I, p. 565.
ï
- 507 —
il n'apporte aucune preuve. Inutile donc de nous attarder
longtemps à combattre son témoignage.
Mabillon. Devant le nom de cet illustre écrivain, le prince
de la science hagiographique, notre humble petite plume
hésite h formuler la moindre critique. Nous ne pouvons pas
cependant ne pas appeler l'attention, d'abord sur la différence
de dates que l'on rencontre dans ses ouvrages, relativement
au martyre de sainte Eusébie. Dans les Annales ordinis
8<mcti Benedicti, Mabillon assigne l'année 732. Dans un
ouvrage postérieur, les Acta sanctorum ordinis sancti
Benedicti, il indique l'année 731 (1). C'est une preuve évi-
dente de l'incertitude qui, aux yeux du savant bénédictin,
règne sur cet événement.
De plus, l'expression dont se sert Mabillon semble indiquer
que c'est plutôt à une époque qu'à une année précise qu'il
veut rattacher ce fait, a Après avoir raconté, écrit M"r de
Belsunce, les diverses irruptions que les Sarrasins ont faites
en France, durant les années 721, 728, 731,732, Mabillon
ajoute: « Hue revocant nobile factum sanctimonialium
quadraginta cœnobii Sancti Cyricii, prope Massiliam... »
« C'est à cette époque que l'on place le fait mémorable des
quarante religieuses du monastère de Saint-Cyr près Mar-
seille.. . (2) »
Enfin, Mabillon n'invoque, à l'appui de ces dates, ni fait,
ni document qui force la conviction de tous. En résumé donc,
le témoignage de Mabillon, qui nous est contraire sur ce point
particulier, n'est pas tellement précis qu'il renverse notre
opinion.
Mgr de Belsunce, après avoir raconté que Mauronte « traita
avec les Sarrasins, leur livra Avignon, en 737, que cette ville
fut reprise l'année suivante par Charles Martel et que ce
prince, obligé ensuite de marcher contre les Saxons, qu'il
dompta, étant revenu deux ans après en Provence, en 739,
a
(1) Annales ordinis Sancti Benedicti, t. II, p. 90. Cet ouvrage fut
imprimé eu 1704. — Acta Sanctorum ordinis Santi Benedicti, t. IV,
p. 487. Cet ouvrage fut imprimé en 1734.
(2) M«f de Belsunce, Antiquité de l'Ef/lise de Marseille, t. I, p. 290,
do te.
— 508 —
avec son armée victorieuse, en chassa Mauronte, s'avança
jusqu'à Marseille et fit rentrer tout le pays sous sa domina-
tion », ajoute: « Ce fut probablement durant ces guerres des
Sarrasins que sainte Eusébie, abbesse du monastère de Saint-
Cyr, souffrit le martyre avec ses compagnes, etc. . . » Mer de
Belsunce, on le voit, ne précise pas la date du martyre. C'est
entre la prise d'Avignon, par les Sarrasins, en 737, et la fuite
de Mauronte, en 739, qu'il le place. Son témoignage donc,
au lieu d'être contraire à notre opinion, lui est plutôt favo-
rable.
Grosson dans ses Almanachs historiques de Marseille
pour 1770 et 1773, choisit une date antérieure à 737. Mais il
n'apporte aucune preuve. Donc le témoignage de cet histo-
rien ne peut guère nous embarrasser.
Le texte de llufli nous l'avons cité tantôt. Nous savons
qu'il tient à désigner les Normands comme les auteurs du
martyre de notre sainte abbesse. Il parle bien peu des
Sarrasins et de leurs invasions successives en France, durant
les années 725 et 730, et du temps de Charlemagne. Mais c'est
pour ajouter aussitôt qu'il est presque impossible de pouvoir
iixer une époque à cet événement. En cherchant, Rufft aurait
pu trouver une date au moins approximative. Quoiqu'il recon-
naisse la tradition à Marseille que notre sainte Eusébie a été
mise à mort par les Sarrasins, a il y a apparence, ajoute-t-il,
que ce soient les Normands qui ont commis ce méfait. » Or,
à quelle époque? Au IX- siècle, en l'année 867. a Les Nor-
mands altérés du sang chrétien, ayant inondé diverses pro-
vinces, entrèrent par mer en Provence, ruinèrent et désolèrent
un grand nombre de maisons religieuses, entre autres
l'abbaye de Saint-Victor. . . Quelques auteurs nous apprennent
que peu auparavant ils avaient abordé en l'île de Camargue
et qu'ils avaient désolé quelques villes et monastères, qui
étaient près du Rhône, et il y a apparence que ce fut
alors qu'ils ruinèrent le monastère de Saint-Victor et saccagè-
rent la ville de Marseille (l). » Ces termes a peu auparavant »
font allusion aux années 859 et 860.
(i) Rufli, llistoire de Marseille, t. II, pp. 58, 118. — Toujours même
- 509 -
Les annales de Saint-Berlin et la chronique des Nor-
mands(l) nous disent, en effet, aux années 859 et 860, que les
Normands entrent dans le Rhône et, après avoir ravagé plu-
sieurs villes et monastères, s'établissent en Camargue et éten-
dent leurs ravages jusqu'à Valence. De là, après avoir tout
pillé, ils retournent à l'Ile où ils étaient Axés. Les Danois, qui
étaient sur le Rhône, gagnent l'Italie, prennent Pise et d'au-
tres villes. Mais « quelles sont ces villes que le chroniqueur
assure avoir été saccagées par les barbares du Nord, dans la
première année de leur apparition? se demande M. deRey.
On raconte qu'ils vinrent à Martigues, même à Marseille, où
ils auraient détruit l'abbaye de Saint-Victor. Tout est cela est
un peu gratuit (2), »
Quant à l'affirmation de Ruffi.que cette funeste irruption
des Normands eut lieu en 867, nous répondrons que nul
auteur ne parle de la venue de ces barbares à Marseille, en
cette année I Notre ville a échappé à leurs fureurs.
De Papon, il faut dire comme de M" de Belsunce, qi. 'il
n'assigne pas de daie précise au martyre de notre sainte, mais
qu'il range cet événement et ceux qui concernent les Sarra-
sins sous la rubrique des années 736, 737. En le plaçant d'ail-
leurs au temps « où Charles Martel faisait la guerre en Saxe,
au temps où Mauronte en profite pour livrer aux Sarrasins
Arles, Avignon et le reste de la Provence », Papon semble
préférer l'année 736. que nous indiquons nous-mêmes .
C'est, en effet, alors que Charles Martel était en Saxe ou dans
le Nord et que Mauronte livre la Provence aux Sarrasins,
que nous placerons cet événement. En résumé Papon est favo-
rable à notre thèse.
Longueval assigne lemartyre de sainte Eusébie à l'année 731 .
Les Sarrasins, dit-il, pénétrèrent jusqu'à Marseille. i> Nous avons
vu dans le chapitre précédent, et nous le verrons avec plus
de détails dans les suivants, que ce n'est pas en 731 que le3
observation a laite au sujet îles assertions d'Antoine de Ruffi. Ce que
nous disons du fils, nous le disons aussi du père.
(0 Cités par M. de Rey, Invasion» de* Sarrasin» en Provence, pp. 2Î2,
225.
(2) M. de Rey, op. cit., p. Kï.
— 510 -
Sarrasins sont arrivés en Provence, mais seulement en 732.
Partant, il n'ont pu pénétrer jusqu'à Marseille en 731. « Ce fut
sans doute alors que tes religieuses de Saint-Sauveur se muti-
lèrent le visage, » Ces mots « sans doute alors » dénotent que
le Père Longueval ne tient pas absolument à fixer ce fait à
cette date de 731. IL aurait pu, selon lui, se passer un peu plus
tard. Dans tous les cas, son affirmation est dénuée de preuves.
Bouche, dans Y Essai sur Vhiètoire de Provence, choisit
la date de 736. Les Maures auraient alors occupé Marseille
sans la ravager, par égard pour Mauronte qui les avait appe-
lés. Cependant les religieuses cassianites souffrirent à cette
époque le martyre. D'abord, les Sarrasins ont-ils épargné
Marseille, lorsqu'ils y sont venus, appelés par Mauronte ?
Il est bien difficile de le croire. Si Mauronte, ensuite, a été
assez puissant pour sauvegarder Marseille, a-t-il laissé mas-
sacrer les vierges cassianites ? Cela ne nous étonnerait pas de
la part d'un traître à sa patrie. Mais, en 736, les Sarrasins ne
sont pas arrivés jusqu'à Marseille. C'est un peu plus tard.
Nous le verrons dans les chapitres suivants.
De la Gallia christiana qui fixe le martyre de notre sainte
à l'an 867, nous dirons comme tantôt, alors que nous discu-
tions son affirmation au sujet des Normands, auteurs du massa*
cre. Nul historien, sauf Ruffi et Lautard ne parle de l'arrivée
des Normands à Marseille en 867. Si la Gallia assigne la date
de 867 pour la destruction des monastères, lorsqu'il s'agit de
sainte Eusébie elle-même, elle n'indique aucune année pour
son martyre. Son témoigne donc est trop faiblement appuyé
pour qu'il puisse être concluant contre nous.
Fouque, comme Bouche l'avocat, place cet événement en 736.
Il suppose qu'en cette année tes Sarrasins ont repris Arles et
Marseille. Non, en 736, ces barbares n'ont pas paru à Marseille,
Nous le verrons aux chapitres suivants.
Fabre Aug. assigne la date de 737. Supposant les Sarrasins
dans notre ville, il leur fait détruire l'abbaye de Saint-Victor,
massacrer les Cassianites. Cette date de 737 n'est pas exacte.
Nous le verrons. Les Sarrasins ne sont pas venus à Marseille
en cette année de 737, ils n'ont pu détruire l'abbaye Saint-
Victor, qui a traversé d'ailleurs cette crise sans être renversée.
-511 -
Notre cité échappa cette année au pillage. Il est vrai, ce ne
fut que partie remise.
Lautard donne, comme Ruffi, la date de 867. Impossible de
l'accepter, faute de preuves, a II n'existe aucun titre qui puisse
fixer Tépoque de ce terrible événement. » Soit. De quel droit
al ors assigne-t -il l'année 867? Si Ton ne peut fixer une date
certaine, on peut arriver à en trouver une approximative. « Il
est probable que cet événement ne remonte qu'au IX* siècle,
lorsque les Sarrasins entrèrent en France. Ce fut en 867 que
ce fléau désola nos contrées. » Les annales de Saint-Berlin en
disent plus long que Lautard. Elles parlent de la venue en
Provence des Normands en 859 et 860. Elles ne disent rien
pour Tannée 867. De plus, elles se taisent au sujet de Marseille.
Nous croyons les annales de Saint -Bertin, de préférence à
Lautard .
Guindon etHéry semblent placer le martyre de sain teEusébie
en 735. « Chassées de leurs demeures, par les barbares, en 735,
les religieuses vinrent peu après aux bords de l'Huveaune. »
On s'explique difficilement que des religieuses ayant été mar-
tyrisées dans un monastère, près des murs de Marseille pro-
bablement, celles qui les remplacent, la tourmente passée,
viennent se loger, loin de la ville, aux bords de l'Huveaune.
On comprendrait mieux le contraire. D'ailleurs, en 735, les
Sarrasins n'étaient pas à Marseille.
Magloire Giraud cite les dates diverses que donnent cer-
tains auteurs. Mais il n'ajoute aucune preuve; il se contente
de préférer l'année 858, préconisée par Reinaud. Nous savons
♦qu'elle est inacceptable.
Bousquet emprunte à H. Bouche la description que cet his-
torien fait des invasions des Sarrasins en Provence de 725 à
730. Ce tableau s'appliquerait plutôt aux années 735 à 739.
Car, en 725 ou 730, les Sarrasins sont en Aquitaine, mais nul-
lement en Provence. Dans ce passage, d'ailleurs, H. Bouche
ne parle pas de sainte Eusébie. Le témoignage de Bousquet
n'est pas concluant contre nous.
L'abbé Alliez s'en rapportant à Mabillon pour la date de 732,
que cet historien assigne au martyre de sainte Eusébie, nous
rappellerons simplement que Mabillon a varié dans la fixation
— 512 -
des dates, donnant celle de 732 dans un ouvrage, celle de 731
dans un autre qui est postérieur. D'ailleurs, aucune preuTe
n'est apportée par le savant auteur en faveur de Tune ou de
l'autre de ces dates.
Reinaud a fixé le martyre de sainte Eusébie en 838. Mais
pas la moindre preuve encore. Il lui suffit de dire : « C'est peut-
être en cette occasion qu'eut lieu le martyre de cette sainte. »
On ajoutera que peut-être aussi il a eu lieu à une autre époque.
Darras, dans l'Histoire générale de l'Eglise, choisit l'an-
née 732, comme l'ont fait Mabillon, Alliez et d'autres. Mais
il n'apporte aucun fait, aucun document à l'appui de cette
date. A ce moment, les flottes des Sarrasins qui ravagèrent la
Septimanie et la Provence ne vinrent pas à Marseille. Nous le
verrons mieux plus tard .
Rocbacker place l'événement en l'année 751 . Aucune preuve
spéciale n'est donnée . En 751, les Sarrasins n'étaient pas à
Marseille. En supposant qu'une bande isolée ait accompli cet
odieux méfait, en 751, il n'y a pas déraison pour supposer
qu'ils n'aient pu le faire à tout autre moment. Mais alors nous
entrons dans Tordre de suppositions, où tout est possible.
La Statistique des Bouches-du-Rhône assigne au martyre
la date de 810. C'est une simple affirmation dénuée de toute
valeur, car, à la page 108 de ce même ouvrage, t. II, on lit
que « durant le règne de Charlemagne, comme l'observe judi-
cieusement Papon, les Sarrasins ne tentèrent qu'une seule ex-
pédition sur la côte de Provence, du côté de Nice, en 813. »
Comment en 810, alors, ont-ils pu massacrer sainte Eusébie ?
M. André, nous l'avons vu, n'accepte pas la date 737 qu'in-
sinue l'inscription lapidaire, ni celle de 867 donnée par Ruffi.
Il préfère celle de 923 et il apporte trois raisons à l'appui.
Nous allons nous rendre compte qu'elles ne sont pas con-
cluantes contre nous. La charte de Tan 1005 dit, à la vérité,
que : « gens barbarica ecclesias et monasteria plurima des-
truxit ». C'est bien des ravages et destructions de 923 ou des
années précédentes qu'il s'agit dans ce document, puisqu'ils
ont été accomplis « un grand nombre d'années après la mort
du grand empereur Charles ». A cette époque, il y avait deux
monastères à Marseille : celui de Saint* Victor et celui des
— 513 —
religieuses cassianites. Ils étaient voisins l'un de l'autre, les
chartes de 1431 et 1446 l'affirment. Voilà les monastères qui
ont été détruits. Ces chartes du XV siècle le disent en propres
termes, nous l'avons expliqué plus haut, Mais il ne s'ensuit
pas que sainte Eusébie ait été martyrisée en 923. Cette raison
de M. André n'a pas grande valeur !
« Rien, ajoute-t-il, avant le commencement du X- siècle, ne
témoigne de la ruine de l'abbaye cassianite. » Cette affirma-
tion est par trop exagérée. Les annales de Saint-Bertin ne
disent-elles pas qu'en 838 les flottes des pirates sarrasins abor-
dèrent à Marseille, enlevèrent sur leurs vaisseaux la commu-
nauté de religieuses qui y vivaient, saccagèrent les églises et
pillèrent leurs trésors ? C'est déjà un commencement de ruines
de l'abbaye cassianite avant le X° siècle. De plus, au début du
IX* siècle, en 814, l'abbaye cassianite, nous le savons, était
sous l'administration de l'évéque de Marseille, aussi bien que
Saint-Victor, puisque Vadalde faisait l'inventaire des trésors
des deux monastères, en même temps que celui des trésors de
sa cathédrale. L'évéque voulait ainsi mettre les biens de ces
institutions à l'abri de la cupidité des laïques qui profitaient
des troubles et des bouleversements de l'époque pour s'em-
parer de ce qui leur plaisait. N'est-ce pas un indice que le
monastère cassianite avait eu déjà quelque peu à souffrir ? et
que partant notre sainte a pu subir le martyre très antérieu-
rement au X- siècle ?
« Nous la voyons, au contraire, ajoute André, riche et pros-
père, par les divers dénombrements de ses trésors dressés en 788
à la fin du IX* siècle. » Les divers dénombrements dont parle
André, M. le chanoine Albanés les a donnés, et M" de Belsunce
les avait insérés dans son Antiquité de l'Eglise de Marseille. Il
y en a trois de 818 ou à peu près, un de 863, un de 870, un de
871, l'autre de 896. Nous ne contestons pas que, durant le règne
de Charlemagne et durant le IX* siècle, l'abbaye ait été floris-
sante. Mais, de cette prospérité à cette époque, conclure qu'a-
vant le règne de Charlemagne elle n'ait rien eu à souffrir de
la part des Sarrasins, et que le martyre de sainte Eusébie n'a
pu avoir lieu, c'est aller trop loin. M. André, en suivant cette
opinion, serait peut-être fort embarrassé de nous dire de
— 514 —
quelle manière et dans quelles conditions l'abbaye cassianlte
a traversé l'époque des premières invasions des Sarrasins, de
716 à 738 par exemple? Non, les raisons de H. André ne sont
pas concluantes.
H. le chanoine Hagnan semble fixer le martyre de sainte
Eusébie à l'année 730, puisque « deux ans après cet évène-
nément toute la puissance des Sarrasins vint expirer dans la
plaine de Tours, sous les coups de Charles Martel. » Or, cette
bataille de Poitiers ayant été livrée en 732, ce serait donc en
730 qu'il faudrait placer le martyre. Malheureusement, il n'y
a pas de preuve en faveur de cette assertion. On ne peut rien
en conclure contre nous.
M. l'abbé Verlaque, en plaçant l'événement qui nous occupe
t pendant le règne du faible successeur de Charlemagne (814
à 840) », fait allusion sans doute à l'irruption inopinée des
Sarrasins à Marseille, en 838, et à l'enlèvement sur leurs
vaisseaux des religieuses qui habitaient un monastère de cette
ville. Mais, comme il sera dit plus tard, ce n'est pas en cette
circonstance de 838 qu'a été martyrisée notre sainte Eusébie.
M. Kothen a choisi cette même date et parle du faible suc-
cesseur de Charlemagne. Mais il ne donne aucun argument à
l'appui.
M. de Rey , nous l'avons vu tantôt, après avoir passé en
revue les dates diverses proposées par les auteurs, et qu'il
n'accepte pas, ajoute qu'il est plus probable que ce fut au
commencement du X* siècle. . . un peu après 923. Nous avons
lu et relu les divers passages qui ont trait à notre question,
dans les deux ouvrages de M. de Rey, les Invasions des Sar-
rasins en Provence, et Les Saints de V Eglise de Marseille*
mais nous n'avons pas trouvé de preuves concluantes en faveur
de cette assertion. L'auteur semble ne s'appuyer, en résumé,
que sur l'autorité d'André : a 11 est plus probable, écrit-il,
(c'est l'opinion de M. André)? pour placer cet événement en
923 ou 924, et sur la nécessité de faire correspondre la date
cherchée avec une indiction VI', pour accepter les années 933
ou 948. Mais ce ne sont pas là des raisons bien fortes. L'opi-
nion de l'historien de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur
est sujette à caution» Nous venons de prouver qu'aucune des
- 515 —
assertions qu'il allègue ne soutient la discussion. Quant à
faire cadrer la date du martyre de notre sainte Eusébie aveG
l'indiction VI* de l'inscription tumulaire, on arrive à ce résul-
tat aussi bien en prenant une autre date, celle da 738, par
exemple, que nous présentons.
Quant au doute dans lequel la lecture de M. Edmond l&-
blant a jeté M. de Key, nous louons fort celui-ci de ne s'y
être pas arrêté. Tenons-nous ferme dans notre tradition de
Marseille. C'est d'elle que nous viendra la vérité sur ce point
d'histoire. Somme toute cependant, les raisons de M. de Rey
n'ébranlent pas notre opinion.
M. Grinda, « tenant à considérer l'inscription d' Eusébie
comme l'épitapbe de la sainte que l'Eglise honore à Marseille,
croit que l'on peut faire remonter la date de son martyre à la
fin du V* siècle. Il partage volontiers l'opinion de Guesnay,
qui, dans Cassianua illustratus, dit que sainte Eusébie
fut martyrisée vers la fin du Y* siècle (1). Et de fait, étudiant
l'épitaphe, M. Grinda fixe cette date à l'année 497. Nous disons
que cette date est inacceptable, les preuves apportées à l'appui
ne jouissant pas d'une grande valeur.
La première de ces preuves est l'inscription lapidaire de
sainte Eusébie. C'est à la fin du V* siècle que Grinda rapporte
ce monument épigraphique. a II est conçu, dit-il, dans le
style et suivant les formules usitées à la fin du VB siècle. » Or,
il a été prouvé plus haut que cette inscription n'appartenait
pas au Ve siècle. » Donc, cette raison ne vaut pas contre nous.
Il partage volontiers l'opinion de Gueanay, qui place le
martyre vers la fin du Vô siècle. Mais l'affirmation de Guesnay
est loin d'être incontestée, nous l'avons vu lorsqu'il s'est agi
de cet auteur.
Enfin, a un autre détail vient corroborer l'époque (du V- siè-
cle) que nous assignons à cette épitaphe ; il y est fait mention
du monastère de Saint-Cyr, titre que portait cette maison auV*
siècle. » Or, nous avons dit et prouvé que cette maison a porté
ce vocable, particulièrement au V* siècle ; que saint Amator
(1) Grinda, Monographie de Vabbaye de Saint- Victor-lez-Marseille,
dans VEcho de Notre-Dame de la Garde, nM 344, 345, année 1888.
— 516 —
a pu transférer en Gaule les reliques de saint Cyr, mais qu'il
n'en a pas laissé aux Gassianites de Marseille ; que le bras de
saint Cyr a pu être porté à Neversetde Nevers au monastère de
Saint-Amand (Elnone), diocèse de Tournai (1). Mais à quelle
époque ont été faites ces translations ? Celle d'Auxerre à Ne-
vers a eu lieu antérieurement à 877, puisqu'un diplôme de
Charles le Chauve, du temps d'Abbon, évoque de cette ville,
affirme que la cathédrale de Nevers était dédiée au saint mar-
tyr (2). Celle de Nevers à Elnone fut faite par un moine du
nom d'Hucbald, vers Tannée 860 peut-être. Dans tous les cas,
on ne peut affirmer que les religieuses cassianites ont reçu
une part de ces reliques' lors de ces translations. Il faudrait
une preuve. Et cette preuve nul ne la donne. Il faudrait,
enfin, pouvoir déterminer à quelle date ces reliques furent
cédées aux Cassianites. Et ce détail nul ne le fournit. Cette
dernière raison de M. Grinda n'est pas concluante, et son
affirmation : que cette épitaphe d'Eusébie date du V* siècle et
de 497, se trouve en l'air.
(1) On ne sait ni quand, ni comment les reliques de saint Cyr vinrent
d'Auxerre à Nevers. On croit savoir comment et quand elles vinrent de
Nevers à l'abbaye de Saint-Amand de Tournai. Un moine de Saint-
Amand, Hucbald, les aurait prises à Nevers et en aurait doté son mo-
nastère, vers 860. C'est à cette occasion que ce moine aurait écrit une
Passion de saint Cyr et de sainte Julitte, en se servant d'un manuscrit
contenant une relation apocryphe rédigée en grec, et qu'il corrigea quel-
que peu. Ce détail du pieux larcin opéré par Hucbald ne nous est
connu que par une lettre écrite à Jean, abbé de Saint-Amand de Tour-
nai en 1579-1592, par Philippe, abbé du monastère des Prémontrés de
Bonœ Spei. [Acta Sanciorum Boll. : Vies de saint Amator, l*r mai,
de saint Cyr, t. III, de juin. — Œuvres d'Hucbald, Patrologie latine,
édit. Migne, t. CXXXII, col. 815.)
(2) « Ostendisti prœcepta genitoris in quibus erat insertum, qualiter
idem dominus genitor quasdam res suas proprietatis ecclesiae Nivernensi
quse est in honore sancti Cyricii martyris constructa, contulerit. » Acta
San ctoim m Boll. : saint Cyr, t. III, de juin.
CHAPITRE III
Les preuves alléguées contre la date de 738
ne sont pas reçevables,
FAIBLESSE DES BAISONS QU'APPORTENT, CONTEE CETTE DATE DE 738,
H. BOUCHE, BOUCHE, BBINAUD, ALLIEZ, ANDRÉ, ETC.
Les Sarrasins ont pu massacrer notre sainte Eusébie durant
Tannée 738, à Marseille.
Rien ne s'y oppose. Nous n'avons trouvé que quelques au-
teurs qui ne veulent pas de cette date. Ce sont H. Bouche, Bou-
che, Reinaud, André, etc.
H. Bouche écrit que « pour la ville de Marseille, qui -était
à leur dévotion, il y a apparence que pour l'amour de Mau-
ronte, son gouverneur, elle ne fut pas forcée (1). » H. Bouche
suppose aux Arabes des sentiments de reconnaissance que leur
férocité n'engage guère à admettre. Mauronte leur livrait la
Provence, le reste leur importait peu ; ils ne se piquaient point
d'autant de fidélité.
La raison, d'ailleurs, de H. Bouche ne vaut rien. Il suppose,
en effet, qu'Arles et Avignon leur résistèrent à ce moment.
Ceci est faux. Les annales du temps (2) disent, au contraire,
que ces villes furent occupées sans combat. La ville d'Arles
fut prise sans coup férir : « Arelate civita pace ingreditur » .
Avignon fut prise par ruse et trahison ;k a iusidiantibus inflde-
libus hominibus, sub dolo et fraude Mauronto » . Or, ces villes
qui leur furent livrées par des traîtres, comment les ont-ils
traitées ? A Arles, ils s'emparent des trésors de la ville et des
habitants et ravagent les environs: « thesauroscivitatis invadit
(1) H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 700.
(2) Voir le texte des annales dans Reinaud, op. cit. , pp. 54, 55. — De
Rey, Invasions des Sarrasins en Provence , p. 35, etc.
— 518 -
et Arelatensem provinciam depopulat » . A Avignon, ils font
de même : ils saccagent les environs, sans épargner la cité,
car ils renversent les autels, et détruisent l'église de Sainte-
Marie (1). Telle fut la récompense de la trahison de Mauronte.
Marseille aurait eu un meilleur sort? Non, ils l'ont saccagée
en dépit de Mauronte.
Bouche, l'avocat, dit aussi : « Dans ce désastre général,
Marseille fut épargnée, non que cette ville eût paru plus redou-
table aux Maures que tout autre, mais parce que Mauronte,
qui en était gouverneur, avait fait alliance avec eux ou, comme
le pensent d'autres historiens, les avait appelés. On croît même
que ce fut lui qui leur livra les villes d'Avignou et d'Arles,
etc. . . (2).* Il ne servit de rien à Arles et à Avignon d'avoir été
livrées à l'ennemi par Mauronte, ces deux villes furent pil-
lées et saccagées. « Les Sarrasins, étant entrés de nouveau en
Gaule, écrit Paul Diacre, vinrent jusqu'en Provence et, s'étant
emparés d'Arles, ils ruinèrent tout aux environs. » Sigebert
dit de même : « 738. Arles, ville des Gaules, prise par les Sar-
rasins, et toutes choses ruinées tout à l'entour. . . (3).» Il dut
en être de même pour Marseille; cela ne fait aucun doute
pour nous.
Reinaud, l'historien des Invasions des Sarrasins en France,
a émis la même opinion, a II est probable, dit-il, que par
considération pour Mauronte, qui les avait appelés et qui
aspirait à être maître du pays, ils ne se livrèrent pas aux
mêmes violences qu'en d'autres contrées (4).» Même observa-
tion que plus haut. Les Arabes n'étaient point accessibles à de
tels sentiments. On avait beau stipuler avec eux avant de ren-
dre des villes.La ville rendue, les habitants désarmés, c'était
le pillage, l'incendie, et les plus hideuses ignominies qui
commençaient.
Alliez, dans V Histoire du monastère de Lèrins, après avoir
parlé des ravages commis par les Sarrasins en Aquitaine,
ajoute : «Nous ne trouvons rien de semblable dans les annales
(1) De Rey, op. cit., p. 36. — Gallia christiana, t. 1, col. 802, 803.
(2) Bouche, Essai sur l'Histoire de Provence, t. I, p. 189.
(3) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 43.
(4) Reinaud, op. cit., p. 63.
J
— 519 — i
de Provence ; l'alliance de Mauronte avec les Sarrasins devait
empêcher de semblables luttes (1).t> Mauronte gouvernait aussi
bien Arles, Avignon que Marseille. Il était à la fois gouverneur
de Marseille et de la Provence. Or, Paul Diacre, Sigebert,
Ekkeard disent que Arles fut saccagée et toutes choses ruinées
à l'en tour (2). A quoi servait donc l'alliance de Mauronte, si
elle ne sauvait pas Arles et Avignon? Marseille ne fut pas pri-
vilégiée sur ce point.
André a donné la môme raison : a L'alliance que les Sarra-
sins contractèrent avec Mauronte, duc ou gouverneur de la
Provence, était un puissant motif pour porter ces infidèles à
respecter dans le pays les personnes et les propriétés (3).* En
réalité, Mauronte, qui avait appelé les Sarrasins & son aide,
était sous leur dépendance, et, comme il arrive toujours en
pareille circonstance, les alliés faisaient ce qu'ils voulaient,
et pour le pillage d'un couvent de religieuses, Mauronte, qui
trahissait sa patrie, n'allait pas rompre avec les Sarrasins.
L'auteur de la Vie des saints de l'Eglise de Marseille, après
avoir raconté brièvement les efforts que Charles Martel fit pour
vaincre et chasser de Provence en 737 et 739 les Sarrasins,
ajoute : « Nous ne croyons pas que ce soit dans ces premières
expéditions que les Gassianites aient trouvé la mort. Les évé-
nements de la guerre étaient connus, le retour de l'armée vain-
cue ne fut pas une surprise et il était facile à l'abbesse de
prendre toutes les mesures nécessaires. D'ailleurs, les Sarra-
sins passèrent seulement par Marseille, peut-être 'même ils
n'y entrèrent pas, serrés de près par l'armée de leur vain-
queur f4).»
Nous le prouverons bientôt, ce fut durant l'année 738 qu'eut
lieu le massacre desCassianites. Or, durant presque toute cette
année, Mauronte fut à Marseille, avec ses bandes de Sarra-
sins, qui durent se dédommager, par le pillage et les désordres,
de la frayeur que l'arrivée imprévue de leur vainqueur, en
(1) Alliez, Histoire du monastère de Lérins, t. I,p. 413.
(2) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 43.
(3) André, Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-Sauveur,
p. 11.
(4; De Rey, Les Saints de V Eglise de Marseille, p. 229»
— 520 —
737, et ses coups terribles leur avaient occasionnée. L'ennemi
était à Marseille même, que pouvait faire l'abbesse Eusébie
pour arracher ses compagnes au péril et à la mort? La situa-
tion était sans issue, il fallait se confier à Dieu seul ; Dieu les
préserva de toute ignominie en leur donnant le courage et la
grâce du martyre.
D'ailleurs, pour quelques auteurs qui ont supposé que la
présence de Mauronte sauva Marseille du pillage, de l'incen-
die et de toutes les horreurs, il en est d'autres, et en grand
nombre, qui affirment le contraire. Guesnay, M" de Belsunce,
Ruffi, Papon, Paillon, Fabre, Fouque, Bousquet, Lautard,
Guindon et Méry, etc., etc., disent que les Sarrasins y commi-
rent mille atrocités, et ils sont bien loin de supposer que pour
l'amour et la considération de Mauronte Marseille fut épar-
gnée.
DEUXIEME PARTIE
NOTRE THÈSE
Sainte Eusébie a été martyrisée par les Sarrasins en 738
PREMIÈRE SECTION
PREUVES NÉGATIVES
CHAPITRE PREMIER
Les Vandales n'ont pas martyrisé sainte Eusébie.
LES VANDALES EN GAULE EN 406-407.— ILS NE VIENNENT PAS EN PRO-
VENCE A CE MOMENT. — DE 409 A 429, ILS SONT EN ESPAGNE. — ILS
PASSENT EN AFRIQUE. — PRISE DE CARTHAGE EN 439, DE ROME EN
455. — MORT DE GENSÉRIC EN 477.— ILS NE SONT PAS VENUS EN
PROVENCE A CETTE ÉPOQUE.— HUNÉRIC PERSÉCUTEUR (484). — GUN-
TABUNDE PACIFIQUE (496). — TRANSAMUNDE PERSÉCUTEUR (529). —
HILDÉRIC BON (531).— GÉLIMER, PERSÉCUTEUR, EST DÉTRÔNÉ EN 535.
— ILS NE SONT PA8 VENUS EN PROVENCE A CETTE ÉPOQUE. •
Les Vandales passent à pied sec le Rhin glacé, dans la nuit
du 31 décembre au 1" janvier 406-407, en compagnie d'autres
barbares, les Alains, les Gépides, les Hérules, les Burgundes,
les Suèves (1). Us traversent la Gaule du nord au sud; et,
(1) Précis d1 Histoire de France et du Moyen âge, par II. Chevalier,
p. 62. — Histoire de Provence* par Augustin Fabre, t. I, p. 238. —
Oareste, Histoire de France, 1. 1, p. 148. — Marcus, Histoire des Van-
dales, p. 59.
— 522 —
franchissant les Pyrénées en 409, ils entrent en Espagne (1).
Durant ces deux années, les Vandales pillent et saccagent la
Gaule, incendiant les villes de Mayence, de Reims, d'Amiens,
d'Arras, de Tournai, ravageant l'Aquitaine, la Novempopu-
lanie. la Narbonnaise. Lyon, Avignon, Toulouse les voient
sous leurs murailles. Quelques villes t praeter paucas urbes »
échappent seules à la férocité de ces hordes, et encore, pen-
dant que le fer de ces barbares fait périr ceux qui habitent
hors de ces villes, la famine fait mourir ceux qui s'abritent
dans leurs murs.
Tel est le tableau que peint saint Jérôme de ces horreurs,
dans sa lettre à Agerruchia (2). Salvien, prêtre de Marseille,
témoin de ces atrocités, renchérit encore sur saint Jérôme en
les racontant : « Toutes les villes ne semblaient être qu'un
vaste bûcher. L'incendie éteint, les malheurs devenaient
plus grands encore. Ceux que l'ennemi avait épargnés suc-
combaient plus tard dans la misère. Les uns mouraient de
faim, les autres se traînaient dans une affreuse nudité ; ceux-
ci séchant de langueur, ceux-là d'effroi. Des cadavres sans
nombre, couverts de blessures, déchirés par les oiseaux de
proie, encombraient les rues des cités, et de cet amas de
pourriture s'exhalait une odeur iufecte, véritable peste pour
ceux qui survivaient (3). »
Notre ville de Marseille eut-elle à souffrir de ce passage
des barbares, à travers la Gaule ? Augustin Fabre dit bien que,
« sous la conduite de Crocus, leur chef, les Vandales s'éten-
(1) Historia Persecutionis Vandalicœ studio Theodorici Ruinart,
index chronologicus persecutionis vandalicœ. — Marcus, Histoire des
Vandales, p. 82.
(2) « Moguntiacum, nobllis quondam civitas, capta atque subversa
est... Vangiones longâ obsidione delati. .. Remorum urbs prœpotens,
Ambiant, Atrebatœ : extremique hominum Morini, Tornacus, Nemete,
Argentoratus translati in Gerraaniam, Aquitaniae Novemque-populorum,
Lugdunensis et Narbonensis provincia?, praeter paucas urbes, populata
sunt cuncta, quas et ipsas foris gladius et intus vastat famés. » Epistola
Hyeronymi ad Agerruchiam . — Marcus, Histoire des Vandales, p. 75.
(3) c Omnis civitas bustum erat, malis et post incendia crescentibus.
Nam quos hostis in excidio non occiderat, post excidium calamitas
obruebat. » Salvien, De gubematione Deit lib. VI.
- 523 -
dirent des deux côtés du Rhône, ravagèrent toutes les villes
voisines, Saint-Paul Trois-Châteaux, Valence, Orange, Vai-
son, Carpentras, Apt, Avignon, Uses, NimeB, Agde. » A un
autre endroit, il est écrit : a Quelques historiens affirment
qu'Arles fut prise par les barbares, d'autres ont cru que les
Vandales mirent seulement le siège devant cette capilale(l).»
On ne peut guère inférer de ces textes que Marseille ait vu
les Vandales dans ses murs. Où Fabre a-t-il puisé ce rensei-
gnement? Il ne l'indique pas. Peut-être dans la Gallia
Chrisliana. Dans les Instrumenta ad provinciam Avenio-
nensem pertinsnlia, quœ apectant ad metropolim Ave-
nionensem, un document que D. Polycarpe de la Rivière
a extrait d'un vieux manuscrit mentionne, dans le même
ordre que l'a fait Augustin Fabre, les villes dont il parle,
et on lit qu'elles furent dévastées par un certain Crocus.
Hais, de l'aveu de ce manuscrit, ce Crocus était roi des Ale-
mans (2). Grégoire de Tours, qui en parle aussi, le fait roi de
ce peuple (3). Marcus (4), dans ['Histoire des Vandales, dit
la môme chose. Ensuite, l'expédition de ce Crocus, roi des
Alemans, dans l'intérieur de la Gaule, remonte à l'année 265
environ. C'est le témoignage formel de Grégoire de Tours.
Parlant de Valérien et de Gratien, empereurs, sous lesquels
souffrirent le martyre le pape Corneille a Rome, et saint
Cyprien à Carthage, cet auteur écrit: * Sous le règne de ces
empereurs. Crocus, roi des Alemans, ayant rassemblé son
armée, fit invasion dans la Gaule (5). » C'est l'opinion delà
Gallia christiana, qui se demande u comment au VI' siècle
Grégoire de Tours aurait pu ignorer la dévastation et les massa-
cres que ce Crocus aurait accomplis au V, si ce Crocus avait
conduit des Vandales (6). » La première affirmation d'Augus-
tin Fabre est donc sans valeur.
(I) Fabre Aug., Histoire de Provence, 1. 1, pp. 238 et 210.
(î) Gallia ctiriêliana, t. I, /nafrumenla, p. 137.
(3) Gregorii Turonensis Historia Francorum, lib. I, cap. 32.
(4) Marcus, Histoire des Vandales, pp. 13 el 80 des notes.
(5) t Horiim tempore et Crocus il le Alemanorum dux, commoto exer-
citu, Uallias pervagavlt. • Gregorii Turonensis Historia Francorum,
lib. I, cap. 32.
(6) Gallia clirittiana, t. 1, Instrumenta, p. 137, note.
- 524 —
N'en serait-il pas de môme de la seconde? Il a pu pour
celle-ci s'en rapporter à H. Bouche, qui à la date de 407 écrit :
« C'est à ce temps qu'il faut placer la capture d'un Crocus,
un des conducteurs de ces Vandales, qui, après avoir désolé
une grande quantité de villes des Gaules, vint enfin mettre le
siège devant celle d'Arles. Et, comme il croyait de la prendre,
il y fut surpris par la vaillance, les uns disent de Marion,
évéque, les autres d'un grand capitaine, nommé Marius(l). »
Ce n'est pas au V€ siècle qu'il faut placer le siège d'Arles par
ce Crocus et ses barbares. Arles fut assiégée vers 410 ou 411 par
Constance, général de l'empereur Honorius, afin d'en chasser
Constantin, soldat de fortune qui s'était fait élire empereur
des Gaules par ses soldats. Arles fut prise ; Constantin, pour
échapper à la mort, se fit ordonner prêtre par l'évêque d'Arles,
alors Héros. Voilà ce que disent Saxi, dans le Pontificium
Arelatense (2) ; Lalauzière, dans Y Abrège chronologique de
l'histoire d Arles (3) ; Dareste dans V Histoire de France (4).
Mais du siège d'Arles par Crocus, au V# siècle, pas un mot. Il
est parlé, dans le Pontificium Arelatense, de l'épiscopat de
Marinus, vers Tan 300 (5) et, dans V Abrège chronologique de
V histoire d'Arles, sous la date de 260 (6). Ainsi la seconde affir-
mation de Fabre ne vaut pas davantage que la première. Arles
donc ne fut pas attaquée par les Vandales (7) et Marseille non
plus n'eut pas à supporter de telles horreurs.
Notre ville fut du nombre de celles qui furent épargnées,
a On ne croit pas, dit M8r de Belsunce, que les Vandales aient
fait irruption en Provence, tout au moins dans la partie sud de
(t) H. Bouche, Histoire de Provence, 1. 1, p. 565.
(2) Saxi, Pontificium Arelatense p. 27.
(3) Lalauzière Abrégé chronologique de l'histoire d'Arles, p. 51.
(4) Dareste, Histoire de France, 1. 1, p. 152.
(5) Saxi, Pontificium Arelatense : « Illius enim muros Arelatis, Crocus
dux Alemanorum sub Mariano prœside, sed legendum, sub Martiano
prœside, credo, solo aequarrat. » Page 9.
(6) Lalauzière, op. cit., p. 36.
(7) Arles était une des plus fortes places de la Gaule romaine à cette
époque. Le patrice y résidait, ainsi qu'un certain nombre de grands otû-
ciers et dignitaires de l'empire romain. Les troupes y étaient toujours
nombreuses. Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 10 et suiv.
— 5-25 —
cette province (1). » Saint Jérôme, qui énumère les villes et
les provinces saccagées, ne dit rien de la nôtre (2). Et Salvien
témoin de ces horreurs, ne fait pas supposer que la ville de
Marseille, qu'il habita, ait eu à souffrir de ces barbares (3). Si
donc déjà, à cette époque, le monastère cassianite avait été
fondé parCassien, comme le pensent ceux qui le font arriver
de Rome à Marseille vers 406, ce n'est pas durant le cours de
ces années qu'il a pu être ravagé. Pour nous qui croyons que
ce n'est guère que vers 415 ou 420 que Càssien a fondé ces deux
monastères, il est évident que les Vandales, fussent-ils venus
jusqu'à Marseille, n'auraient pu les détruire.
Les Gaules n'offrant plus rien à leur rapacité, les barbares
franchissent les Pyrénées en 409 (4) « et promènent en Espagne
les mêmes feux dont ils ont incendié la Gaule (5). » Un chro-
niqueur d'Espagne, témoin attristé de ces horreurs, s'écrie :
« Ivres de fureur, avides de carnage, les barbares se sont jetés
sur l'Espagne et, mettant à profit la terreur que produit sur
tous une peste affreuse qui désole ces contrées, ils pillent tout.
La famine y produit de tels ravages, que lès hommes se sont
dévorés entre eux, des mères dénaturées ont mis à mort leurs
enfants, en ont fait cuire les membres délicats et s'en sont
nourries (6). «Saint Augustin, rappelant ces abominations, disait
dans une lettre : « Les pauvres évéques d'Espagne ont dû fuir
de leurs cités. Du troupeau qu'ils avaient à conduire, partie
(1) De Belsunce, Antiquité de V église de Marseille, t. I, p. 388.
(2) Saint Jérôme. Epistola ad Agerruchiam. — Salvien, De guber-
natione Dei (ut supra).
(3) Voici Tordre dans lequel les provinces gauloises furent saccagées
par les Vandales : < Oe solo patrio, gens Vandalorum effusa est in Ger-
maniam primam, post cujus exitium primum arsit regio Belgarum,
deinde opes Aquitanorum luxuriantium . . . » De gubernatione Dei,
liv. Vil.
(4) Ruinart, Historia Persecutionis Vandalicœ , p . 199 — Marcus,
Histoire des Vandales, p. 82 : « Ce fut le 11 ou le 29 octobre 409, un
mardi, qu'ils entrèrent en Espagne. »
(5) « Flammis quibus arserant Galli, Hispanos etiam arsisse... i Sal-
vien, De gubernatione Dei, lib. VII.
(6) Idacius Lemicensis, évêque dé la Galice, cité par IX Ruinart, op. cit.\
p 199.
34
— 526 —
a pris la faite, partie a succombé sous le fléau, partie a péri de
misère durant le siège. Le reste a été conduit en captivité (1). »
En vain, les armées romaines marchèrent contrôles envahis-
seurs, elles furent repoussées. Les vainqueurs se partagèrent
la malheureuse Espagne. Les Suèves s'établirent en Galice,
les Alains dans la Lusitanie, les Vandales se cantonnèrent dans
la Bétique (2).
La guerre finie (3), la persécution commence. Ariens, ils
veulent que toute l'Espagne embrasse leurs erreurs et mettent
en œuvre les tourments et la mort pour contraindre les chré-
tiens à les imiter. Cet état de choses dura jusqu'en 429 (4).
Est-ce à cette époque que les Vandales ont détruit notre
monastère cassianite ?
Gela n'est guère possible. De l'année 409, où ils entrent en
Espagne, à Tan 415, les Vandales sont uniquement occupés à
piller, saccager ces contrées malheureuses qu'ils ont envahies.
On ne peut supposer qu'ils soient arrivés jusqu'à Marseille,
pour y détruire nos monastères, puisque ces monastères, on
l'a dit, n'existaient pas (5).
De l'année 415 à l'an 419 les Vandales luttent contre Vallia,
roi des Visigoths, qui a accepté de les combattre en Espagne
pour le compte des Romains et qui les a refoulés et cantonnés
en Bétique (6). Ce n'est pas encore dans cet espace de trois
(1 ) Saint Augustin, Epistolaad Honoratum, cité par D. Ruinart, op. cit.,
p. 199.
(2) D, Ruinart, op. cit., p. 200. — Marcus, Histoire des Vandales,
p. 84.
(3) D. Ruinart, op. cit., pp. 199, 200.
(4) « Per idem tempus persecutionem in Christianos Trasimundus
(Gonsericus) exercuit ac totam Hispaniam ut ad perfidiam arianae
sectae consentirent tormentis ac diversis mortibuaimpellebat. » Grego-
rii Turonenais Historia Francorum, lib. II, cap. 2.
(5) D'ailleurs, à cette époque, vers 412, le comte Boniface veillait à Mar-
seille, et défendait cette ville, avec ses légions romaines, contre Ataulphe
et ses Visigoths qui voulaient s'en emparer. (Papon, Histoire générale
de Provence, t. II, p. 24. — Fabre, Histoire de Provence, t. I,
p. 243.)
(6) Augustin Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 245. — Papon,
Histoire générale de Provence, t. II, p. 28. — Marcus, Histoire des
Vandales, p. 106.
— 527 —
années qu'ils sont venus chez nous. De 419 à 429, les Vanda-
les ont recommencé leurs courses. A cette époque, ils se livrent
à la piraterie. Les chroniqueurs attestent qu'ils ont pillé les
Baléares, la Corse, renversé Garthagène, Hispalis et d'autres
puissantes cités (1). Mais on ne peut admettre qu'ils aient
dévasté Marseille. Marseille, Arles, la province romaine
ne sont pas sans défense , à cette époque. Arles est tou-
jours défendue par des troupes romaines, tantôt contre les
empereurs usurpateurs Constantin, Maxime, tantôt contre
leurs généraux. Ce sont Constance, Aetius qui y gouver-
nent (2). Marseille a une puissante garnison. Nous l'avons vu,
en 413, le comte Bonif ace, qui y réside, en éloigne, en lui
infligeant une sanglante défaite, les Visigoths ; il n'est guère
probable qu'une bande de Vandales y ait commis quel-
ques ravages. C'eût été plutôt le fait des Visigoths, qui
parfois cherchaient à reprendre Arles ou Marseille. Aucun
texte cependant ne mentionne leur présence en notre ville.
D'ailleurs, Salvien, qui a vécu à Marseille et qui a écrit son
traité De gubernatione Dei> dans lequel il raconte les ravages
des Vandales, aurait incontestablement fait mention de leur
venue en notre ville. Donc, ce n'est pas de 409 à 429.
En cette année 429, au mois de mai, quatre- vingt mille
Vandales franchissent le détroit de Gabès (Gibraltar) (3) et
abordent en Afrique sous la conduite de leur roi Genséric.
C'est Boniface, le comte romain qui avait en 413 défendu
Marseille et dont saint Augustin avait loué les vertus et
(1) D. RuJnart, op. cit., p. 201 — Marcus, Histoire des Vandales,
p. 116.
l2) Aug. Fabre, Histoire de Provence, 1. 1, pp. 242 et suiv.— Papon,
op. cit., t. II, p. 29, etc.
(3) « Transi ens igitur quantitas universa, calliditate Genserici ducis,
ut famam terribilern faceret suae gentis, illico statuit oranem multitu-
dinem numerari... qui reperti sunt senes, juvenes, parvuli, servi et
domini octoginta raillia numerari. » Victor de Vite, évoque, De Perse-
cutione Vandalica, lib. I, n° 1. — D. Ruinart, op. cit., p. 204. —
Darras, Histoire de l'Eglise, t. XII, p. 575. — On est en doute sur
la date précise de l'entrée des Vandales en Afrique : Prosper, dans sa
chronique, assigne celle de 427 ; Idace, dans sa chronique, donne celle
de 429 ; Darras place cet événement en 428 et Marcus, Histoire des
Vandales, p. 131, au mois de mai 429.
— 528 —
l'habileté, qui, pour se venger d'une intrigue que son rival
Aelius avait ourdie contre lui auprès de l'impératrice Placidie,
les appelle en Afrique (1). A peine y ont-ils rais le pied, que
tout esta feu et à sang. Victor de Vite fait un tableau épou-
vantable des désordres dont cette contrée fut le théâtre (2).
Boniface, mis au courant de l'intrigue, se repentit de sa faute.
Mais il était trop tard. Ni les menaces, ni les promesses ne
purent déterminer les Vandales à quitter l'Afrique. Il dut les
combattre. Mais il fut défait à deux reprises (3).
Maîtres de l'Afrique, les barbares agirent avec tant de
cruauté, qu'eux-mêmes, dit Salvien dans son livre De la
Providence divine , avouaient ne pas comprendre pourquoi
ils déployaient une férocité au-dessus môme de leur caractère
sauvage. Ils se sentaient poussés par une force divine à agir
ainsi (4). Jugez alors, ajoute Salvien, de la grandeur de nos
malheurs, puisque les barbares étaient comme excités à nous
tourmenter et à, tout nous ravir. Le mal le plus terrible était
la persécution qui éclata, et dans laquelle personne ne fut
épargné. Cependant Home voulut faire la paix avec Genséric,
en 437. Mais, pendant que Home, se fiant à cette paix, com-
battait d'autres barbares, Genséric s'empare de Garthage, pille
et saccage tout en 439 (5), servant ainsi d'intermédiaire, dit
Salvien, à la justice de Dieu contre les vices des Afri-
cains (6).
Or, ce n'est pas encore dans cette période de dix ans, de
(1) Ruinart, op. cit., p. 202, cite le texte de Procope, liv. III De Histo~
ria Vandalica, — Darras, Histoire de V Eglise, t. XII, p. 576, etc.
(2) Victor de Vite, évoque, De Persecutione Vandalica, lib. I,n#l.
(3) Ruinart, op. cit., p. 205. — Darras, op. cit., p. 578. — Marcud,
Histoire des Vandales, p. 145.
(4) « Ipsi fatebantur non suura esse quod facerent, agi enim se divino
jussu acperurgeri... Ex quo eniro intelligi potest quanta sint mala
nostra, ad quos vastandos ac cruciendos iri barbari compelluntur
inviti. » Saivien, De gubernatione Dei, lib. VU.
(5) Chevalier, Précis d%histoire de France et du Moyen âge, p. 70*
— Marcus, Histoire des Vandales, p. 155.
(6) c IUa utique coelestis manus, quse eos Vandalos ad punienda
Hispanorum ûagitia illuc traxerat etiam ad vastandam Africain transire
cogebat . . » Salvien, De gubernatione Dei, lib. VII. — « Divinai seve-
ritati tribuendas non esse, sed Afrorum sceleri deputandos. » Idem,
ibidem .
- 529 —
429 à 439, que les Vandales vinrent sur nos rivages dévaster le
monastère cassianite.lls avaient autre chose à faire. D'ailleurs,
Sal vien, qui raconte le détail de ces désordres, ne dit rien de
ce fait, et rappelons-nous que Salvien est prêtre de Marseille.
Carthage détruite, Genséric tourne ses armes contre la
Sicile, la pille en 440(1). Puis l'année 441 se passe à prépa-
rer la défense contre une flotte nombreuse que Théodose
envoie contre lui. Cette tentative ayant échoué, il obtient
une paix honorable qui lui vaut en toute propriété la plus
grande partie de l'Afrique (442) (2).
Dès ce moment la persécution recommence dans les contrées
qui lui sont soumises. Victor de Vite dit a que les malheureux
chrétiens ne pouvaient plus respirer en paix, ni offrir à Dieu
des sacrifices, ni verser des larmes (3) ». En 454, l'impératrice
Eudoxie appelle Genséric et ses barbares en Italie, afin de
venger le meurtre de son époux Valentinien, tué par Pétrone
Maxime. Genséric accepte, et en 455 il s'empare de Rome et la
met au pillage durant quatorze jours, n'épargnant que trois
basiliques, puis retourne en Afrique continuer ses persécu-
tions (4). Dans le même temps, il fait ravager jusqu'à treize
provinces de l'empire. Devenu pirate et voleur, comme l'appelle
Sidoine Apollinaire, chaque année il recommence ses ravages (5),
(1) Ruinart, op. cit., p. 221.— Marcus, Histoire des Vandales, p. 162,
cite la Sicile et le Brutium (Calai) re).— Chevalier, op. cit., p. 70. Cet
auteur parle de la Sar daigne, de la Corse, dont Genséric se serait empa-
ré, et de l'Italie méridionale qu'il aurait ravagée. Mais les chroni-
queurs de ces guerres ne parlent que de la Sicile ; quant aux autres
provinces, elles étaient bien défendues. — Ruinart, op. cit., p. 222, cite
les auteurs. — Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIII, p. 179.
(2) Ruinart, op. cit., 222. — Darras, op. cit., t. XIII, p. 178.— Victor
de Vite, op. cit., p. 5, n# 4.
(3) t Terret (Gensericus christianos) prseceptis feralibus, ut in medio
Vandalorum nostri nullatenus respirarent, neque usquam orandi aut
immolandi concederetur, gementibus locus. » Victor de Vite, op. cit.,
n#7.
(4) Ruinart, op. cit., p. 225. — Marcus, Histoire des Vandales,
p. 242.
(5) Hinc Vandalus hostis...
Urget et in nostrum innumerosâ classe quotannis
Militât excidium...
(Sidoine Apollinaire, deuxième chant, in Panegyrico Anthemii). —
Marcus, Histoire des Vandales, pp. 255, 262.
— 530 —
a Tour à tour l'Espagne, dit Victor de Vite, la Dalmatie, la
Campanie, la Calabre, TApulie, la Sicile, la Sardaigne, le
Brutium, la Vénétie, la Lucanie, l'Epire, THellade reçoivent
la visite des corsaires (1), qui vont où ils croyaient que la
colère de Dieu les conduisait (2). L'empereur Avitus remporta
plusieurs victoires sur eux, alors qu'ils infestaient les côtes de
Provence, vers 456(3). Moins heureux, Majorien essaya, mais en
vain, en 458, de les arrêter dans leurs courses ; il mourut avant
d'avoir réalisé son dessein (461). Les empereurs Léon, Anthé-
mius échouèrent à leur tour dans de semblables entreprises,
en 468 et 472 (4). Genséric, cependant, que ces victoires
remportées sur les aigles romaines rendaient plus fier et plus
orgueilleux, devenait aussi plus cruel de jour en jour. U
mourut enfin en 477 (5). »
Sera-ce à cette époque des invasions annuelles, périodiques,
des Vandales sur les côtes de l'Italie, que nous placerons la
destruction de notre monastère ? Incontestablement, il v a
quelque apparence que ces événements ont eu lieu en ces années
désastreuses. On les bat non loin des côtes de Provence. On a
placé & ce moment la captivité et la mort de saint Paulin de
Noie, le massacre de saint Porcaire et de ses cinq centsdisciples
dans Tlle de Lérins (6). Guesnay fixe à Tan 477 précisément la
ruine de notre monastère (7). Quelle sera donc notre ré-
ponse?
D'abord, les victoires d' Avitus sur les Vandales, en 486, se
bornent à la défaite que le comte Ricimer leur fit essuyer
(1) « Quse vero in Hispaniâ, Dalmatiâ, Gampaniâ, Calabriâ, Sicilià,
Sardinià, Brutiis, Venetià, JLucaniâ, Epiro veteri, vel Helladà gesserit,
melius ibi ipsi qui posai sunt miserabiliter lugendo, narrabunt. »Victor de
Vite, op. ctï.,lib. I, n* 17.
(2) « Procophi8 Darrat : Ferum illum principem, cum aliquandoe
Garthaginis portu solvisset, a nautâ interrogatum, quô veilet inferre
bellum, respoo disse : In eos quibus iratus est Deus. » Ruinart, op. cit.,
p. 228.
(3) Fabre A., Histoire de Provence, 1. 1, p. 252.
(4) Ruinart, op. cit., pp. 229, 231.
(5) Ruinart, op. cit., p. 233.
(6) Ruinart, op. cit., pp. 229, 23t.
(7) Guesnay, Provinciœ Maasiliensi* Annale** p. 186.
j
— 531 -
près d'Agrigente, où il leur coula soixante vaisseaux, et
l'autre défaite cm'il leur fit subir en Corse d). Il v a loin à ui
à
qu'il leur m suDir en uorse (1). Il y a loin à une
descente sur les côtes de Provence, dont parle Augustin Fabre.
L'historien des Vandales ne dit pas que ces peuples aient,
approché de ce point de nos contrées, à cette époque. Leur
attention était retenue ailleurs.
Dès la prise de Rome, en 455, Genséric s'acharne contre la
Sicile et la Corse. Mais ces deux lies sont fort bien défendues.
Un comte romain, du nom de Marcellin, s'y trouve avec des
troupes et bat à plusieurs reprises les Vandales. De 458 à 469,
il fut impossible aux Vandales de s'y fixer. Un peu plus tard,
vers 470, c'est en Sardaigne que Marcellin attaque et défait les
barbares et, pendant qu'il les écrase dans ces lies, la flotte
romaine croise dans les eaux de la Méditerranée pour donner
la chasse aux vaisseaux de Genséric (2). D'autre part, en 460,
Genséric se voyait menacé par une flotte puissante qui se
préparait à l'atlaquer en Afrique. Il n'échappa à ce péril que
par la paix qu'il obtint de l'empereur Majorien (3). Cette trêve
brisée quelque temps après, Genséric ravage les côtes de
l'empire d'Orient (4). Mais une nouvelle flotte envoyée par les
empereurs d'Occident et d'Orient, Léon et Anthemius , mit
fin à ces ravages. Cette fois encore, Genséric ne dut son
salut qu'à la ruse. Il parvint à faire incendier cette flotte,
presque en vue de Carthage 469 (5). Or, ces expéditions en
Orient, ces attaques répétées contre la Sicile, la Sardaigne, la
Corse ont certainement détourné les coups des Vandales de
nos côtes de Provence, de 456 à 469. Il y a plus, dès l'année 466,
Genséric fait alliance avec Euric, roi des Visigoths, il l'engage
à, s'emparer de la partie méridionale de la Gaule qu'il ne
possède pas encore, pendant que lui occupera les forces romai-
H?
(1) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIII, p. 344. — Marcus, Histoire
des Vandales, p. 265.
(2) Marcus, op. cit., pp. 265, 269, 273, etc.
(3) Marcus, op. cit., p. 268.
(4) Marcus, op. cit., p. 272.
(5) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIII, p. 286. — Marcus, Histoire
des Vandales, p. 274»
— 532 —
nés d'un autre côté(l). Dès 466 donc, il n'est pas probable que
les Hottes vandales aient désolé les côtes des rivages de la
Provence.
Venons aux autres détails maintenant.AvecDom Ruinartnous
n'acceptons pas de fixer à cette époque la captivité de saint
Paulin de Noie. Elle eut lieu vers 410, alors queAlaricet
ses Goths ravagèrent l'Italie (2). Nous n'acceptons pas davan-
tage cette époque pour le massacre de saint Porcaire. Dom
Ruinart renvoie, pour la preuve, à Baronius (3). Or, avec
Baronius nous disons : Si Lérins a été saccagé sous Genséric,
comment se fait- il que saint Césaire, qui plus tard a célébré dans
ses sermons Lérins et sa gloire, n'ait jamais rappelé ce fait (4) ?
Il a dit presque tout le contraire dans son homélie. Rappelons
que ce fut l'abbé Porcaire de Lérins qui l'initia à la vie
religieuse. À défaut de saint Césaire, comment l'historien
de ce saint évoque n'a-t-il pas fait mention de la mort
du maître de saint Césaire, saint Porcaire (5), soit que ce
massacre ait eu lieu vers 477 ou qu'il ait eu lieu vers 507,
comme a tenté de le prouver l'abbé Pierrh ligues (6)? Impossi-
ble aussi de placer la ruine du monastère cassianite à cette
époque de 477 (7). Marcus, l'historien des Vandales, dit qu'à
(l)Marcus, Histoire des Vandales, p. 172.
(2) Ruinart, op. cit., p. 229. — Histoire de saint Paulin de Noie,
par l'abbé Lagrange, t. II, p. 278.— Cet auteur semble placcer le fait
aux environs de Tannée 410 ou 413, alors que les Goths ravagaient la
Campanie.
(3) Ruinart, op, cit., p. 231.
(4) Dans son homélie 20, saint Césaire parle au contraire du respect
que tous les barbares qui ont parcouru les Gaules ont professé pour
Lérins. — H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 598.
(5) c Si hsec vera sunt, quomodo post Gensericutn jam defunctum a«ieo
celebratur gioria ejusdem monasterii Lerinensis, utaudivimusaCœsario?
Quomodo de tanti cœnobii clade, nul la penitus habetur tnentio in actis
ipsius sancti Gsesarii quœ sunt scripta ab hujus tempus scriptore Cypria-
no ? » Chronologia insulœ Lerinensis, par Barralis. 1. 1, p. 273.
(6) La Fin de Lérins, par l'abbé Pierrhugues, chap. XIII, p. 168.
(7) D'abord Guesnay, qui à la page 509 de son Cassianus illustratus,
attribue ce fait aux Vandales, à la page 475 l'attribue aux Sarrasins :
« ... ne a Sarracenis violarentur ». Dans les Annales Provinciœ Massi-
Uensis, alors qu'à la page 186 il place ce fait à Tannée 477, à la page 600
il le fixe à Tannée 450.
- 533 —
la suite de la paix signée avec Zenon, empereur d'Orient,
en 476, Genséric ne fit plus aucune descente sur les côtes de
l'empire (1).
En outre, comment se fait-il que Gennade, qui écrivait en
480 sa Vie des hommes illustres de l'époque, parlant de saint
Gas9ien, dise, des deux monastères que ce saint religieux a
fondés, que : a usque hodie exstant (2) » ? Pourquoi Victor
de Vite, qui énumère les provinces ravagées par les Vandales,
ne mentionne-t-il pas la Provence ? Incontestablement les Van-
dales, s'ils sont venus à Marseille, n'ont pas commis ce seul
méfait de détruire notre abbaye. Us ont dû en commettre
d'autres. Lérins était sur leur passage. Or, nous venons de
prouver que ce ne sont j>as les Vandales qui ont massacré saint
Porcaire. Donc ce n'est pas à cette époque de 456 à 475 qu'ils
ont martyrisé sainte Eusébie.
Les huit années que dura le règne d'Huneric, fils et succes-
seur de Genséric, furent une ère de persécution terrible. Elle
était si atrocement menée, qu'on ne peut supposer que ce
roi barbare ait cherché à satisfaire au dehors sa rage et sa
fureur (3). Guntabunde lui succéda vers 484. Quoique arien,
il ne persécuta pas toujours les catholiques. La fin de son
règne fut une ère de paix (4). Les églises furent rouvertes, les
prêtres et les évoques rappelés de l'exil Mais Trasamund,
qui succéda en 496, rouvrit l'ère sanglantee. Sa persécution
revêtit plutôt un caractère d'astuce que de tourment propre-
ment dit. Il exila la plupart des évêques. Puis il s'acharua,
par les menaces et par l'enseignement de l'erreur, sur les peu-
(t) Marcus, Histoire des Vandales, page 287 et 8 de la page précédente.
(2) Gennade, De illustribus Ecclesiœ scriporibus,
(3) a Fuit hic Hunericus in Africain christianos habitantes omnium qui
nunquam fuerc ssevissimus iniquissimusque. » Procope, lib. I, De Bello
Vandalico. — « Hunericus ariano furore suscitatus, catholicos per totam
Africam atrocior pâtre persequitur. . . » Isidorus Hispalensis, DeVanda-
lorum Historiâ. — Ruinart, op. cit., pp. 233, 236.
(A) Procope dit : « Hic Gundemundus.. . tractatis pessime christianis »;
lib. I. — Isidorius Hispalensis, au contraire, dit : « Unerico succedit
Guntamundus regnans annis duodecim, qui statim pacem Ecclesise refor-
mans, catholicos ab exilio'revocavit. » Ruinart, op. cit., concilie ces deux
affirmations contraires, p. 267.
— 534 —
pies sans défense (1). A sa mort, en 523, Hildéric lui succéda
Ce fut un prince timide, mais bon. Il rappela les évêques exi-
lés et fit régner la paix (2). Malheureusement il fut détrôné par
Gélimer, en 531, qui le fit massacrer et commença la persécu-
tion. Mais le royaume des Vandales allait succomber. Justinien,
empereur d'Orient, envoya contre eux une puissante armée
sous la conduite de Bélisaire ; Gélimer vaincu se rendit. Les
Vandales avaient vécu (535) (3).
Or, ce n'est point durant cette dernière période non plus
qu'il faut placer la destruction du monastère. Nous l'avons
dit : les Vandales sont occupés à persécuter en Afrique. D'ail-
leurs, en 480, Euric, roi des Visigoths, s'est emparé de Mar-
seille et de la Provence, et il n'aurait point permis aux anciens
adversaires de sa nation de venir piller sa nouvelle con-
quête (4). Dès l'an 484, à la mort d'Euric, ce sont les rois
bourguignons qui gouvernent Marseille, puis les Ostrogoths
de Théodoric, enfin les Francs, qui se partagèrent la Provence
vers 536. Or, ni les uns, ni les autres n'auraient permis aux
Vandales de saccager Marseille. Donc, notre monastère cas-
sianite n'a pas été détruit par eux.
(t) c Frater Trasamundus successor,. .. christiaoos ad patrium situ
dogma transferre cupiens, non vi in corpora incessit, sed honores, ma-
gistratus ostentans... » Procope, De Bello Vandalico, lib. I. — Ruinartt
op. cit., p. 274.
(2) * Mirabilis bonitas Hilderici regnare incipientis, ecclesise catho-
licae per Aîricam constitutae lïbertatem restituens. » Vitœ Fulgentii
auctor, cap. XXVIII, dansRuinart, op. cit.% p. 277.
(3) Ruinart, op. cit., p. 288 et suiv.
(4) Fabre A., Histoire de Provence, 1. 1, p. 254.
CHAPITRE II
Les Visigoths n'ont pas martyrisé sainte Eusébie.
LES VISIGOTHS EN PROVENCE ; SYNCHRONISME. — NI SOUS ATAULPHE,
NI SOUS THÉODORIC, NI SOUS EURIC, NI 80 US ALARIC II, NI S0U8
THÉODORIC, ROI DES OSTR0Q0TH8, NI SOUS THÉODAT, LES VISIGOTHS
N'ONT MARTYRISÉ SAINTE EUSÉBIE ET SES COMPAGNES.
Papon a nommé les Visigoths (1) comme ayant pu être les
auteurs du massacre de notre sainte Eusébie. Disons qu'on ne
peut leur imputer ce crime.
Conduits par Alaric, les Visigoths s'emparèrent de Rome en
410 et deux ans plus tard, sous Ataulphe, ils passèrent dans
le midi de la Gaule. En 413 Marseille les vit auprès de ses
murailles. Mais le comte Boniface, qui en était le gouverneur,
veillait; il les battit et les repoussa (2). Us descendirent alors
en Espagne, puis revinrent en Gaule et s'établirent à Toulouse,
vers 420. Quelques années plus tard, à la mort de l'empereur
Honorius et du gouverneur des Gaules, Constance, ce fut le
tour de la ville d'Arles, à les voir sous ses murs (425). Aetius,
le fameux général romain, les délit et les chassa (3). Une
seconde fois, puis une troisième en 437, ils renouvelèrent leur
tentative. Aetius d'abord, Littorius, son lieutenant, ensuite les
battirent (4). Théodoric, à ce moment leur roi, fit la paix avec
l'empereur Valentinien, et le calme régna en Provence. L'in-
vasion des Huns dans le nord de la Gaule, et plus tard l'arri-
(1) Papon, Histoire de France, t. I, p. 462 : c Le monastère de l'Hu-
veaune fut détruit par les Visigoths ou par les Sarrasins.»
(2) Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 24. — Ruili, Histoire de
Marseille, X. I, p. 37. — Aug. Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 243.
(3) Aug. Fabre , Histoire de Provence, 1. 1, p. 245. — Papon, His-
toire de Provence, t. II, p. 29.
(4) Aug. Fabre, Histoire de Provence* t. p. 246. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 29.
- 536 —
vée à Rome de Genséric et de ses Vandales en 455 contribuèrent
pour beaucoup au maintien de la paix. Cependant, en 459,
Théodoric et ses Visigoths attaquèrent Arles ; mais, repoussés
par le comte Gilles, qui la défendait à la tête des troupes
romaines, ils firent de nouveau la paix (1).
A la mort de Théodoric que Euric, son frère, tua, celui-ci
s'empara du royaume. Prince ambitieux, guerrier habile, il
en étendit les limites par ses conquêtes. Mais la Provence
échappa à son pouvoir. Ce ne fut qu'en 480, qu'il put prendre
Arles et Marseille (2). Euric mourut à son tour en 484. Ala-
ric II, son fils, lui suceéda. Vaincu et tué en 507 par Clovis,
roi des Francs, à la bataille deVouil!é,ses Eta}s furent attaqués
et par Clovis qui prit les provinces de l'ouest avec Toulouse
leur capitale, et par Gondebaud, roi des Bourguignons, qui
s'empara de la Provenee en 508, à l'exception d'Arles qui
résista. Après un siège de deux ans, elle fut délivrée des Bur-
gundes et des Francs par l'armée de Théodoric, roi des Ostro-
goths, qui reprit Marseille et la Provence et les plaça sous sa
domination (3).
Le grand roi Théodoric étant mort, le 30 août 526, ses Etats
furent partagés entre ses deux petits-fils. Les provinces de
Tltalie et la Provence échurent en partage à Athalaric, encore
un enfant. Mais Amalasonthe, sa mère, prit les rênes du gou-
vernement et maintint la paix dans ce royaume. Son fils Atha-
laric ayant succombé à la fleur de l'âge, Amalasonthe, soit
par ambition, soit pour conserver la royauté dans sa famille,
fit asseoir sur le trône son cousin Théodat, puis l'épousa. Mais,
un an après, celui-ci la fit étrangler. A son tour, Théodat subit
le châtiment de sa cruauté : il fut égorgé par un de ses sujets
(1) Aug. Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 253. — Papou, Histoire
de Provence, t. II, p. 35.
(2) Aug. Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 254. — Ruffi, Histoire
de Marseille, t. p. 38. — Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 38.
(3) Abrégé chronologique de Vhistoire d'Arles, par de Noble Lalau-
zière, p. 70, etc. — Papoo, Histoire de Provence, t. II, p. 46 et suiv.
— Essai sur Vhistoire de Provence, 1. 1, p. 175 et suiv. —Aug. Fabre,
Histoire de Provence, t. I, p. 256 et suiv. — H. Bouche, Chorograpkie
et Histoire de Provence, t. I, p. 620 et suiv.
— 537 • —
au moment où il vendait aux Francs, pour 2000 livres pesant
d'or, les contrées situées entre le Rhône, la mer et les Alpes,
et partant la Provence (536) (1).
Pouvons-nous trouver, dans l'espace de temps qu'embrasse
ce court synchronisme, une date à laquelle il soit possible
d'assigner le fait que nous étudions? Nous ne le croyons pas.
Les Visigoths assiégèrent Marseille vers 413. Ils ne purent
détruire l'abbaye cassianite, puisque celle-ci n'était pas encore
fondée, la date la plus probable de cet établissement étant 415
ou 420 (2). D'ailleurs, eût-elle été fondée déjà à cette époque,
si ces barbares avaient saccagé Marseille et commis le massacre
de sainte Eusébie, Salvien, qui a écrit, nous l'avons dit, son
livre De gubernatione Dei vers 455, en aurait parlé, puisque
précisément au livre V de cet ouvrage il traite des mœurs et
des sentiments religieux des Visigoths (3). Ce ne fut donc pas
en413 que sainte Eusébie a pu être martyrisée par ces barbares.
Ce n'a pas été durant les divers sièges que la ville d'Arles
eut à subir, soit en 425, en 437, en 459, de la part des Visigoths.
Si ces barbares avaient poussé jusqu'à Marseille et y avaient
commis un méfait du genre de celui qui nous occupe, tou-
jours pour la môme raison Salvien et Gennade, qui vivaient à
Marseille à cette époque, l'auraient mentionné dans leurs
écrits.
Déplus, dans sa Chronique, Sigebert, à l'année 470, affirme
que le roi des Visigoths, Euric, désireux d'envahir les Gaules,
écrasa dans une défaite Riothime, roi des Bretons, accouru en
toute hâte au secours des Romains et pour défendre avec eux
les Gaules. Puis il soumit à sa puissance Bordeaux et son terri-
toire, occupa diverses villes des Gaules, entre autres Arles et
Marseille (4). Quelques auteurs, en effet, entre autres Bouche,
(1) Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 52etsuiv. — Aug. Fabre,
Histoire de Provence, t. Ii p. 261 et suiv. — Lalauzière, Abrégé chrono-
logique de Vhistoire d'Arles, p. 79, etc. — H. Bouche, Chorographie
et Histoire de Provence, t. I, pp. 629, 635 et suiv.
(2) Les Saints de V Eglise de Marseille, saint Gassien, p. 113. L'auteur
de cet ouvrage assigne la date de 415.
(3) Salvien, De gubernatione Dei f lib. V.
(4) Cité par Guesnay. Annales Provinclce Massiliensts: « Eoricus, rex
— 538 —
Lai au zi ère, de Belsunce, supposent que vers Tannée 464, 468
ou 470, Euric s'empara d'Arles et de Marseille et dépouilla
môme cette dernière ville du titre de métropole pour le donner
à Arles (1).
Ce ne serait pas à cette date non plus que le massacre aurait
eu lieu. Gennade l'aurait dit dans son écrit, et il affirme, on
le sait, le contraire. Jusqu'à son époque les deux monastères
existaient.
D'ailleurs, Sidoine Apollinaire, l'évoque de Clermont qui,
dans sa lettre à Graecus, évéque de Marseille, lui rappelle qu'il
a perdu ce titre de métropolitain, lui aurait parlé des hor-
reurs commises à Marseille par le tyran de l'Arvernie auprès
duquel il était accrédité en qualité d'ambassadeur. Or, sur ce
point Sidoine se tait complètement. C'est que rien de ce genre
n'était arrivé à Marseille.
Ce n'a pas été encore durant les longues guerres qu'Euric,
roi des Visigoths, lit aux peuples de l'Arvernie. A la vérité,
ce roi fut un tyran cruel et sanguinaire. L'évoque de Cler-
mont en Auvergne, Sidoine Apollinaire, témoin attristé de
ces luttes sanglantes, disait d'Euric : « Le nom seul du catho-
licisme l'irrite à ce point, qu'on se demande s'il n est pas plu-
tôt le chef des Ariens que le roi des Visigoths. Il a fait mettre
à mort un grand nombre d'évêques, il ne veut pas permettre
qu'on en donne d'autres à ces peuples désolés. Les églises
tombent en ruines, et celles qui demeurent debout sont livrées
à une dévastation sacrilège. Le nom seul du catholicisme
était une amertume pour ses lèvres et son cœur, il condamnait
les évoques et les prêtres à l'apostasie ou au martyre, livrait
tous les sanctuaires à la dévastation (2). »
Visigothorum, Gallias occupare visus, Riothimum regem britannum ad
defensionem Galliarum Romanis auxilio venientem, bello contrivit,
Burguudiones victor sibi subegit, etiam Arelatum et Massiliam Gallia-
rum urbes, invasit, etc. . . ( ad annum 470). »
(1) Bouche, Cfiorographie et Histoire de Provence, t. I, p. 614. —
Lalauzière, Abrégé chronologique de l'histoire d'Arles, p. 70. — De
Belaunce, Antiquité de VEglise de Marseille, t. 1. pp. 174, 182 etsuiv.—
Essai sur V histoire de Provence, 1. 1, p. 175. — Ruffl, Histoire dePro-
vence% t. I, p. 38.
(2) Sidoine Apollinaire, lettre citée par Guesnay, Annales Provinciœ
— 539 -
Grégoire de Tours fait de ce roi un portrait bien chargé en
couleurs. « Euric, dit-il, fit souffrir aux chrétiens des Gaules
une persécution horrible. Il mettait à mort ceux qui n'adhé-
raient pas à sa croyance impie, jettait en prison les clercs,
faisait conduire en exil les prêtres, quand il ne les envoyait
pas à la mort. Les temples, il ordonnait d'en fermer les por-
tes, d'en encombrer le seuil d'épines, afin que la foi se perdit
dans les âmes de ceux qui n'y pourraient plus entrer (1). »
Ajoutons que sur ce témoignage, et à la suite de la lettre de
Sidoine Apollinaire à Basile, évoque d'Aix, Guesnay affirme
« qu'Euric, pareil à un torrent qui a rompu ses digues, se
jeta sur Marseille, où il massacra clers et laïques, y suscita
mille vexations, pilla et incendia les églises sans pasteurs (2).»
Nous persistons à croire cependant que le massacre de nos
héroïques vierges cassianites n'a pas eu lieu à cette époque,
de 471 à 474.
D'abord, Gennade encore l'aurait dit. Il écrivait postérieu-
rement à cette date, il n'aurait pas oublié de faire mention de
ces atrocités. Ensuite, à l'époque des guerres de l'Arvernie,
de 471 à 474, Euric n'est pas venu à Marseille. Cette ville
Massiliensis, p. 183 : « Tantum ferunt ori, tantum pectori suo catholici
mentio aominis acet, ut ambigas amplius ne suse gentis an su» secta»
teneat principatum... Videat in ecclesiis au t pu très cul minum lapsus,
aut valvarum cardlnibus avulsis basilicaruro aditus hispidorum veprium
f rut ici bus obstructos ». — Bouche, Chorographie et Histoire de Pro-
vence, t. I, p. 614. — Alliez, Histoire du monastère de Lèrinsy t. I,
p. 247.— L'abbé Ville vieille , Histoire de saint Césaire d'Arles, p. 13,
introduction .
(1) Grégoire de Tours, Historia Francorum, lib. II, cap. 25 : « Hujus
te m pore et Euaric rex Gothorum. . ., grave m fn Galliis super Ghristianos
intulit pereecutionem. Truncabat passim perversitati sua? non consen-
tientes, clericos carceribus subigebat, sacerdotes vero alios dabat exilio,
altos gladio trucidabat. Nam et ipsos sacrorum templorum aditus, spinis
jusserat obserari, scilicet ut raritas ingrediendi, oblivionem faceret
fldei. 9
(2) « His igitur malis, quasi torrens obicibus fractis, Massiliam effudit
Eoricus, ubi non modo clericos, sed catholicos laicos omnes multis
vexaxit persecutionibus, et ecclesias sacerdotibus orbatas, excisionibus,
inflammationibus, eversionibus, furtis ac latrociniis depopulatus est. »
Guesnay. Annales Provincice Massiliensis, p. 183.
- 540 —
qu'il avait attaquée et piise entre 468 et 470, il avait dû
l'abandonner (1). Son royaume proprement dit ne s'étendait
pas jusqu'en Provence. Il comprenait les provinces circons-
crites par l'Océan, la Loire, le Rhône et la Méditerranée. La
Provence appartenait aux Romains (2). Or, le roi des Visi-
goths avait assez à faire en Arvernie et dans le pays de Bour-
ges, pour n'avoir pas à descendre jusqu'à Marseille.
D'ailleurs, s'il y était venu et s'il l'avait traitée comme les
autres villes de ses Etats, la lettre de Sidoine Apollinaire à
Basile, évoque d'Aix, l'aurait indiqué. Or, cette lettre parle
des villes de Bordeaux, de Périgueux, de Rodez, de Limoges,
de Mende, d'Eauze, de Bazas, deComminges etd'Auch, dont
il avait chassé ou fait massacrer les évéques, et rien de Mar-
seille. Il y est fait mention, c'est vrai, de beaucoup d'autres
cités qui avaient vu leurs évoques traités aussi indignement :
« multoque tam major numerus civilatum summis sacerdo-
tibus ipsorum morte truncatis (3). » Mais, adressée à unévé-
qne voisin de Marseille comme Test celui d'Aix, cette lettre
aurait eu au moins un mot pour rappeler ce que ce tyran
odieuxy aurait perpétré. Il n'en est rien cependant. Autre preuve
encore. Le traité qui met fln à la guerre d'Arvernie, en 475,
fut précisément discuté et préparé par les évoques d'Arles,
d'Aix, de Marseille et de Riez. Or, l'on sait que Sidoine Apol-
linaire écrivit une lettre éloquente à ces délégués du préteur
Licinius, chargé par Julien Népos de demander la paix au roi
(1) La première attaque qu'Euric dirigea contre l'Auvergne fut victo-
rieusement repoussée par Sidoine Apollinaire, évoque de Clermont, et
par Eudicius, maître des milices gallo-romaines. Il fut contraint de re-
tourner vaincu et humilié à Toulouse. (Darras, Histoire de VEglise*
t. XIII, p. 435.— A. Thierry, Récils de l'histoire romaine au V» siècle,
p. 223.)
(2) Fabre, Histoire de Provence, 1. 1, p. 253. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 37.
(3) « Burdigala, Petrochorii, Lemovices, Gabalitani, Elusani, Wasates,
Gonvenœ, Auscenses, multoque jam major numerus civitatum sum-
mis sacerdotibus ipsorum morte truncatis... » Sidoine Apollinaire,
hpist., lib. VII, ch. 2. (Lettre citée dans Guesnay, Annales Provinciœ
Massiliensis, p. 183.) — Bouche, Ckorographie et Histoire de Proven-
ce, 1. 1, p. 614.
r
"M
— 541 —
des Visigoths (1). Si ce roi eût ravagé et détruit Marseille,
Sidoine aurait pris prétexte de ces horreurs pour apitoyer
les messagers sur le sort de son propre troupeau. 11 n'en est
rien encore. Donc, de 471 à 475, ce ne sont pas les Visigoths
qui ont pu massacrer les vierges cassianites de l'Huveaune.
Guesnay a eu tort de se baser sur la lettre de Sidoine à Basile
d'Aix, pour parler des torrents de sang qu'aurait fait verser
Euric, h Marseille. Il s'agit, dans cette lettre et dans le pas-
sage de Grégoire de Tours, de TArvernie seulement.
Ce massacre aurait-il eu lieu de 475 à 480, année de la prise
de Marseille par Euric ? Non pas. Le traité de 475 qui termina
la guerre d'Arvernie fut respecté par Euric (2). Malgré les
regards d'envie qu'il jetait sur la Provence, il se fit un scru-
pule de l'attaquer. Elle était gouvernée au nom de Julien
Népos, par le préfet Polème (3). Ces quelques années furent
relativement calmes.* En 476, il se tint à Arles un concile qui
réunit les évêques de la région (4). Euric avait fixé sa rési-
dence à Bordeaux et à Toulouse, et il faisait administrer l'Ar-
vernie par Victorinus, comte gallo-romain catholique, qui
fut assez indulgent (5).
Le placerons-nous de 480 à 484, alors qu'Euric était le maître
de Marseille ? Non encore. Ce ne fut pas à la suite d'une
guerre que la Provence rentra sous la domination d'Euric,
mais bien à la suite du traité que le patrice d'Italie Odoacre fit
avec le roi des Visigoths. Dès la mort de l'empereur Julien
Népos, à Salone, en 480, de tous les points de la Gaule sur la-
quelle Euric n'avait point encore étendu sa puissance, on
réclama des secours à l'empereur d'Orient, alors Zenon. Mais
celui-ci abandonna la Gaule au roi des Hérules Odoacre. A son
tour, ce dernier, se contentant de régner en Italie, céda [la Pro-
vence à Euric. Aussitôt Arles et Marseille furent incorporées
• fi
il) Voir dans Guesnay, op. cit., p. 186.
(2) Ce traité passé entre l'empereur Julien Népos et Euric cédait à
celui-ci l'Arvernie, et laissait la Provence aux Romains.
(3) Fabre, Histoire de Provence, 1. 1 p. 254. — Darras, Histoire de
V Eglise, t. XIII, p. 439.
(4) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIII, p. 457.
(5) Darras, Histoire de V Eglise, t. XIII, p. 460.
35
il
M
t
- 542 —
aux Etats visigoths (1). Or, la domination de ce roi semble avoir
été assez paisible, à cette époque, « II ne s'occupa, dit Papon,
que de bien gouverner ses Etats et tâcha d'y établir une légis-
lation simple et uniforme. Son règne fut assez tranquille (2).s>
Nous trouvons, il est vrai, à l'actif de ce roi d'assez graves
reproches. Ruffi nous apprend, au rapport du docte Savaron,
qu'à l'instigation d'Euric Marseille perdit son titre de métro-
pole et devint église suffragante d'Arles (3). Cette détermi-
nation du roivisigoth s'explique assez facilement. Il avait éta-
bli sa résidence à Arles, rien d'étonnant qu'il voulût attribuer
à cette ville le titre et l'honneur de métropole. Dans la Vie de
Fauste, évêque de Riez, on lit qu'il fut banni de sa ville épis-
copale par Euric, en 477, et envoyé dans le Limousin (4).
Quelle fut la cause de cet ordre cruel à l'égard d'un pontife
déjà très avancé en âge ? On ne le sait. Mais le roi arien s'oc-
cupant de théologie, et Fauste à cette époque combattant l'aria-
nisme pour sauvegarder la foi de son troupeau, rien d'éton-
nant encore qu'Euric ait jeté cet évoque en exil et l'y ait laissé
de longues années, puisque ce ne fut qu'à la mort du roi arien
(1) <k Intérim tamen adeum ordinem, unde digressi sumus, redeamus-
et quomodo Eoricus rex Visigothorum, romani regni vacillationem cer-
nens Arelatum et Massiliam proprise ditioni subdidit > Jornandés, De
Rébus Geticis, c. XL VIL — (La Gaule au VI* siècle, par Longnon, p.
46.) — Bouche, Chorographie et Histoire de Provence, t. I, p. 614. —
Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 38. — Essai snr l'Histoire de
Provence, t. I, p. 178. — Fabre, Histoire de Provence, l. 1, p. 254.—
Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIII, p. 479.
(2) Papon Histoire d,e Provence, t. II, p. 38. — De Belsunce, Anti-
quité de V Eglise de Marseille, t. I, p. 184 : « A la suite du traité de 475,
Euric se radoucit à l'égard des catholiques, il souffrit môme ou dissi-
mula une assemblée catholique qui se tint à Arles, en 475. »
(3) Ruffi, Histoire de Provence, t. I, p. 38.
(4) Histoire du monastère de Lérins par Alliez, t. I, p. 261. —
Gallia christiana, t. I, col. 392 : « Aliquo tempore in exilio vixit : rediit
autem ad suam ecclesiam circa annum 484. > Aux notes de ce tome I,
col. 58 : « Idcirco vixit in exilio régis ariani jussu, quod ausus fuisset
contra Arianos tune provincire dominos scribere : exulavit autem in
diocœsi Lemovicensi anno 477, nec priùs rediit ad urbem Regenscm
quàm impio rege deiuncto, an. 484. » — Cet évêque est mort plus que
centenaire. (France pontificale : Riez, p. 301).
— 543 —
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que Fauste put revenir au milieu des siens. Ce fait, quoique
répréhensible, ne prouverait pas que de 480 à 484 Euric ait
pu autoriser un crime comme celui qui fait 1 objet de nos
recherches.
Alliez, Giraud Magloire (1) citant la Gallia christiana, An-
thelmi et Guesnay, accusent ce roi du meurtre de plusieurs
saints évêques de Provence, entre autres de saint Gratien (de
Toulon), de saint Ausile (de Fréjus), de saint Deutherius (de
Nice). Ils s'appuient sur un document antique, une Passion
abrégée que fit rédiger en 520 un évêque de Toulon nommé
Desiderius. Nous ne savons le cas qu'il faut faire de ce docu-
ment, où il est parlé de Saxons sous la conduite d'Hunéric,
suivant tel manuscrit, d'Eraric suivant tel autre, roi des Van-
dales, qui mettent à mort les deux évêques Gratien et Deuthé-
(l) Alliez, Histoire du Monastère de Lerinst t. II, p. 262. — Giraud
Magloire, Mémoire sur l'ancien Taurœnlum, p. 167.
Gallia christiana, t. I, col. 741 : c Gratianus, Evaricus Visigotho-
rum rex, qui in Gallia Narbonensi imperabat, cùm esset Arianus et
suam hœresim in Gallia propagare cuperet, saeviit in catholicos, maxime
in episcopos. Tune sanctus Gratianus qui Telonensem cathedra in obti-
nebat martyr occubuit, circa annum 472, ex doctissimo Anthelmo,
De initiis F 'oro julien sis Ecclesiœ... »
Anthelmius, De initiis Ecclesiœ Forojultensis, p. 148 : « lntra ann.
472 et 473, Valerius Antipolitanus, Gratianus Telonensis, Deutherius
Niciensis praîsules, ejusdem tyranni Evarici jussu , martyrio afli-
ciuntur. »
Guesnay, Annales Provinciœ Massihensis, p. 187-188: « Ténor dicti
instrumenti seu vitae omnium sanctorum qui in ecclesiâ urbis Toloni
commemorantur.. . Anno Domini J. G. nativilatis ejus 570, ad honorem
Dei ; etc., etc. Praesentibus et futuris notum sit quod ego Desiderius
Tolonensis episcopus, ad perpetuam rei memoriam in prae senti publico
instrument) et secundum tenorem ipsius de aliis manibus scripti
collecta? sunt ex nobis vitae omnium sanctorum qui in hàc ecclesiâ
quiescunt in pace. Et primo de sanclis Gratiano et Deutherio... Gra-
tianus episcopus Telonensis .v . cùm autem Saxones cum Hunerico
Waudalorum rege, Gallias nostras invasisset.Tolonem etiaminvaseruut,
Gratiano praedicante in ecclesiâ et ad populum dicti Saxones irruentes
sicut leones, in templo Gratianum cum socio suo Deutherio et cum
raultis aliis invenerunt, qui in adversis implorabant divinum auxilium,
et sanguinem pro Christo immolaverunt in pace moriendo, anno
Domini 493... » Le manuscrit que cite M. Magl. Giraud porte: « Eva-
rico Vaodaioruni rege ».
•»4
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M
»,
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— 544 —
rius, et cela en 493, à Toulon. Ensuite il est assez difficile de
trouver ce qu'il y a devrai dans ce texte. En 493, Hunéric,
roi des Vandales, et Euric, roi des Visigoths, étaient morts
depuis onze ans (484). Hunéric n'est jamais venu à Toulon, ni
à Marseille, il est resté en Afrique, occupé à persécuter les
catholiques. En 493, c'était Alaric, qui gouvernait les Visigoths;
Guntamond, qui était roi des Vandales. Or, tous deux n'ont
pas persécuté les catholiques, quoiqu'ils fussent ariens.
D'ailleurs, nous disons : de ce que le roi Euric aurait com-
mis ce crime à Toulon, il ne s'ensuit pas qu'il ait été aussi
cruel à Marseille, en faisant massacrer les vierges cassianites.
Toujours la môme raison péremptoire se présente en effet.
Gennade écrivait en 495 son livre des Hommes illustre*^ et
il y affirme que de son temps les deux monastères de Mar-
seille existaient encore. Si, durant le règne d'Euric à Marseille
de 480 à 484, quelque catastrophe avait eu lieu, Gennade
n'aurait pas tenu ce langage.
Alaric II succède à son père et règne jusqu'en 507, date de
de sa mort à la bataille de Vouillé. Est-ce l'époque du mar-
tyre de notre sainte Eusébie? a Dès son avènement au trône,
dit Ruffi, Alaric témoigna qu'il voulait suivre les traces de
son père et faire voir qu'il était aussi bien le successeur de la
haine qu'il portait à l'Eglise, que de ses Etats. Il commença
par exercer sa cruauté sur les catholiques, bannissant les uns,
faisant mourir les autres, ce qui fut cause de sa ruine (1). *
Cette appréciation du règne d'Alaric nous parait contredite
par les faits. Ce prince était arien, et, comme tel, ses préfé-
rences allaient aux adhérents de sa secte. Ayant pour
voisin de ses Etats un prince jeune, ambitieux et bouillant,
Clovis, le roi des Francs; sachant d'autre part que beaucoup
dans la Gaule désiraient avoir pour maître ce guerrier d'un
si grand avenir (2), Alaric II a pu maltraiter et exiler des
(1) Ruffi, Histoire de Provence, t. 1, p. 39.
(2) « Interea cum jam terror Francorum resonaretin his partibus et
omnes eos amore desiderabili cuperent regnare... » Grégoire de Tours,
Hiatoria Francorum, lib. II, cap. 23.— « Multi jam tune ex Galliishabere
Francos dominos summo desiderio cupiebant. » Grégoire de Tours,
Historia Francorum, lib. II, c. 36.
V.tf
- 545 —
évoques qu'il supposait, à tort c'est vrai, lui préférer Glovis.
C'est ce qui arriva à Césaire d'Arles, relégué à Bordeaux (1);
à Quintianus évoque de Rodez envoyé àGlermont et à d'autres
évêques (2). Mais un an s'était à peine écoulé, que Césaire ren-
trait comblé d'honneur par Alaric dans sa ville épiscopale. Celui-
ci permettait , en 506, que les évéques de ses Etats tinssent le
concile d'Agde (3), 11 en autorisait un autre à Toulouse pour
l'année suivante, et cela à la demande de Césaire (4). Il rap-
pelait d'exil, dès les premières années de son règne, Fauste,
évéque de Riez, jadis banni par son père (5). 11 invitait les
évêques catholiques à examiner le recueil de lois'qu'un savant
jurisconsulte avait dressé(6). On le voit, les bonnes dispositions
de ce prince arien en faveur des prélats orthodoxes se sont mani-
festées en bien des circonstances. Il avait mis en pratique les
dernières recommandations d'Euric, son père, et ne lui
ressembla nullement. C'est d'ailleurs l'opinion de bien des
auteurs (7). Peut-il donc être probable que sous son règne
le massacre de nos vierges marseillaises ait eu lieu ?
Durant le règne d'Alaric II, Marseille fut occupée un certain
nombre d'années par Gondebaud, roi des Bourguignons, de
485 à 500 et peut-être 506, 508. Puis elle fut remise sous la
domination de Théodoric, roi des Ostrogoths. Est-ce durant
ce laps de temps que nous placerons ce massacre?
Non, le roi Théodoric fut un prince sage, vertueux, bon
j.
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(1) L'abbé Vilïevieille, Histoire de saint Césaire d* Arles, p. 96. -
Lalauzière, Abrégé de l'histoire d'Arles, p. 72. — Bouche, Histoire de
Provence, t. I, p. 616.
(2) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIV, p. 114. — L'abbé Vilïevieille,
op. cit., p. 96.
(3) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIV, p. 111. — L'abbé Vilïevieille,
op.cit, p. 109.
(4) L'abbé Vilïevieille, op. cit., p. 114.
(5) Alliez, Histoire du monastère de Lérins, t. I, p. 266.
(6) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIV, p. lit. — L'abbé Vilïevieille,
op. cit., p. 113. — Bouche, Chorographie et Histoire de Provence,
t. I, p. 617.
(7) Bouche, Chorographie et Histoire de Provence, t. I, p. 616. —
Essai sur V histoire de Provence, t. 1, p. 175. — Darras, Histoire de
V Eglise y i. XIV, p. 111.
— 546 —
pour ses sujets. Quoique arien, il respecta la religion catholi-
que (1). Il exempta Arles, Marseille et d'autres villes d'une
partie des impôts, afin de les dédommager de leurs pertes et
de leurs maux durant la guerre qui venait de finir (2). Il
réprima les désordres que pouvaient commettre les armées (3).
a Les rois, disait-il, doivent fonder leur gloire sur le bonheur
de leurs peuples. » Ayant envoyé le préfet Libère pour
gouverner la ville d'Arles, il lui écrivait : « Traitez-en les
habitants si généreusement, qu'ils sentent combien il leur est
plus avantageux d'avoir été vaincus et faites cesser leurs
regrets de n'être plus romains (4). » Ces bons sentiments, les
auteurs les lui reconnaissent. Du roi Théodoric et de ses
Visigoths on peut dire ce que Salvien disait des Goths en géné-
ral : a Ils sont hérétiques, sans doute, mais ils l'ignorent. Ils
se jugent tellement catholiques, qu'ils nous flétrissent nous-
mêmes du titre d'hérétique. Ils errent, mais c'est avec bonne
foi, non par haine, mais par amour de Dieu, croyant l'honorer
et l'aimer. »
Nous ne pouvons pas placer ce massacre sous le règne
d'Amalasonthe. Ce fut une ère de paix. La plupart des auteurs
font l'éloge de cette princesse, a II y en a peu dans l'histoire
qui méritent de lui être comparées pour la pénétration et la
vivacité de l'esprit, la solidité du jugement et la fermeté du
caractère (5). »
Ce ne fut pas sous le règne de Théodat. « Il était avare,
injuste, timide, lâche et paresseux, ayant les vices et les défauts
qui déshonorent un roi (6). » Mais il ne se passa rien, à Mar-
ti) Bouche, Chorographie et Histoire de Provence, t. I, p. 631. — De
Belsunce, Antiquité de V Eglise de Marseille, t. I, 221. — Papon,
Histoire de Provence , t. II, p. 51. — L'abbé Villevieille, Histoire de
saint Césaire, p. 168.
(2) Lalauzière, Abrégé chronologique de l'Histoire d'Arles, pp. 74,75.
— Rufli, Histoire de Provence% t. 1, p. 40.
(3) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 261. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 51.
(4) Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 49.
(5) Papon, Histoire de Provence, t. II. p. 53. — Procope. — Bouche,
Chorographie et Histoire de Provence, 1. 1, pp. G35, 036. — Cassiodore.
, — Jornandés.
(6) Papon, Histoire de Provence, t. II. p. 54. — Procope. — Bouche.
— 547 —
seille, à cette date, qui puisse faire soupçonner qu'un
événement aussi retentissant que le massacre des religieuses
d'un monastère ait eu lieu. Durant toute cette période, de
l'avènement d'Alaric (484) à la cession de la Provence aux
princes francs, (536), on sait que l'abbaye de Saint-Victor,
placée en dehors de la ville, exposée à toutes les péripéties des
guerres sanglantes de l'époque, n'a pas été détruite et n'a
souffert aucun dommage. Jamais les moines ne Font abandon-
née (1). Ce qui suppose, de la part des Visigoths, un
gouvernement sage, protecteur, tranquille à l'égard de la ville
conquise. Or, ce qui arriva pour le monastère de Saint-Victor
a dû arriver pour l'abbaye cassianite des filles. Ce ne fut pas à
cette époque qu'elle eut à souffrir.
C'est, d'ailleurs, l'époque des conciles en Provence. De l'an
524 à 533, il s'en tient jusqu'à six, la plupart présidés par
saint Césaire : le IVe d'Arles, celui de Carpentras, celui de
Valence, celui d'Orange, celui de Vaison, celui de Marseille (2).
Autant de preuves que ce n'était pas une ère de persécution.
Sûrement, dans le cas contraire, il resterait du fait du massacre
des vierges cassianites un souvenir dans les délibérations et les
prescriptions conciliaires (3).
Nous pouvons donc encore le dire, ce ne sont pas les Visi-
goths qui ont martyrisé sainte Eusébie.
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Esêaisur V Histoire de Provence, t. I, p. 176. — Bouche, C horographie
et Histoire de Provence, t. I, p. 639.
(1) Les Saint* de l'Eglise de Marseille, p. 7.
(2) IV* concile d'Arles, en 524 ; Concile de Carpentras, en 527 ; II»
concile d'Orange, en 529 ; IIe concile de Vaison, en 529 ; concile de
Valence, en 529. (Roisselet des Sauclières, Histoire des conciles de la
chrétienté, t. II. — L'abbé Villevieille, Histoire de Saint Césaire
cC Arles* ch. V, p. 200). — Concile de Marseille, en 533. (Histoire de
Saint Césaire d'Arles, par Villevieille, p. 247).
(3) Rien, dans les comptes rendus de ces assemblées, ne fait supposer
pareil événement. (Roisselet des Sauclières, op. cit., à la date de ces
conciles.)
é
CHAPITRE in
Les Bourgaignonst les Francs n'ont pas martyrisé
sainte Eusébie.
LES BOURGUIGNONS EN PROVENCE. — NI VERS 418, NI VERS 450, NI DB
484 A 501, ILS N'ONT FAIT MOURIR SAINTE EUSÉBIE. — LES FRANCS EN
PROVENCE. — NON PLUS NI VERS 508, NI VERS 533, NI VERS 536, NI
APRÈS, LES FRANCS N'ONT ACCOMPLI UN ' TEL MASSACRE, A MAR-
SEILLE.
Les Bourguignons franchissent le Rhin en 406-407 avec les
hordes des Vandales et des Suèves. Moins nomades que ces
derniers barbares, ils parvinrent à s'établir dans les vallées de
la Saône et du Rhône, vers 410 ou 413. Puis le royaume bur-
gnnde alla s'agrandissant peu à peu. Vers 443, il s'étendait
entre le Rhôue, la Saône et les Alpes (1). Un peu plus tard,
vers 450, les limites en furent reculées vers la Durance et
Avignon, à la suite d'un traité depaix(?) qu'Aetius, qui dé-
fendait Arles au nom des Romains, fit avec Gondicaire, un de
leurs rois. A cette époque, suivant quelques auteurs, ils
seraient venus jusqu'à Marseille (3) sans jamais cependant s'y
être fixés. Plus tard, à la mort d'Euric, roi des Visigoths, en
484, Gondebaud, un des successeurs de Gondicaire, s'empara
de Marseille et du reste de la Provence (4). Dès 501, il en fut
chassé par Théodoric, roi des Ostrogoths. Une seconde fois, en
(l)Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 42. — Daresle, Histoire de
France, t. I, p. 171.
(2) Bouche H., Chorographie et Histoire de Provence, 1. 1, p. 583.—
Bouche, Essai sur l'Histoire de Provence, \ A, p. 174.
(3) Bouche, Chorographie et Histoire de Provence, t. I, p. 583. —
Bouche, Essai sur la Provence, t. I. p. 174. — Fastes de Provence, par
Fouque, t. I. p. 212.
(4) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 255. — Belsunce, Antiquité
de l'Eglise de Marseille, 1. 1, p. 215.
— 549 —
508, Gondebaud reprit Marseille, mais il en fut chassé encore
par Théodoric et, depuis, Marseille demeura sous la domina-
tion des Visigoths, jusqu'au jour où les fils de Glovis s'en
emparèrent en 536.
Or, on ne trouve pas, croyons-nous, nn moment, durant
cette période, où Ton puisse imputer aux Bourguignons le
massacre des religieuses cassianites.
Guesnay a bien dit que, vers 413, ces barbares vinrent
dans notre ville, en enlevèrent les reliques, eu massacrèrent
les habitants (1). Il invoque en témoignage la description que
Salvieu, contemporain de ces événements, en a fait plus tard.
Mais quel est ce texte de Salvien ? Guesnay ne lé cite pas.
Arrivé à Tépiscopat de Salvien, car il en fait un évoque de Mar-
seille, il ne s'explique pas davantage. Son assertion est donc
sans valeur.
Ruffi, à son tour, affirme qu'à une certaine époque les Bour-
guignons ont pris Marseille et l'ont pillée (2). Il s'appuie
encore sur ce que Salvien a écrit que Marseille n'était qu'un
désert, qu'elle était si fort ruinée qu'elle n'avait plus le nom de
ville. Ce texte de Salvien est sans doute celui-ci : a Par trois
fois ravagée et détruite, la plus illustre ville des Gaules vit
ses maux s'accroître môme après avoir été incendiée ; c'était là
ce qui arrivait à toute cité (3) ». Or, cette illustre ville des Gau-
les, c'est peut-être Trêves, à coup sûr ce n'est pas Marseille. A
quelle date, d'ailleurs, fixer cette prise de Marseille par les
Bourguignons ? Ruffi ne le dit pas.
(1) Guesnay, Provinciœ Massiliensis Annales, à l'année 419 : t Sunt
qui dicant tum a Burgondionibus bello captam Massiliam, spoliatos
cives, allatas opes et facultates omnes expilata venerandis suis reliquiis
et omni sacra supellectile templa, excisiouem, inflammationem, ever-
sionem, depopulationem, vostitatem omnibus tectis et agris illatam.
Nec modo urbem, sed universam quoque provinciam in eorum ditionem
potestatemque redactara fuisse Salviani Massiliensis testis tune vivi ac
prsesentis ingenium premebat haec importuna civitatis ciades, qui pro
rerum atrocitate déplorât et scriptis suis exibet tantas calamitates... »
Page 150.
(2; Ruffi, Histoire de Provence, t. I, p. 37.
(3) Salvien, De gubernatione Dei, 1. VI : « Excisa ter continuatis
eversionibus summa urbe Gallorum, cum omnis civitas bustum esset,
malis et post excidia crescentibus. »
- 550 -
D'ailleurs, les Bourguignons ne pouvaient guère se trouver à
Marseille à cette date de 419 ou à peu près. À cette époque, ils
étaient à peine fixés en Séquanaise. Y fussent-ils venus et eus-
sent-ils pillé la ville, peu importerait. Les monastères d'hom-
mes, de femmes n'avaient pas encore été fondés par Cassien,
la date la plus probable de cette fondation étant de 415 à 420.
Suivant.quelques auteurs, avons-nous dit plus haut, les Bour-
guignons seraient arrivés jusqu'à Marseille à l'époque où Àetius
lit un traité de paix avec eux, par lequel il leur cédait le Dau-
phiné, la Viennoise jusqu'à la Durance, et conservait aux Ro-
mains le reste de la Provence, c est-à-dire vers 480 (1). Ils ajou-
tent qu'à plusieurs reprises cette ville changea de maître, de
456 à 459 ; tantôt les Bourguignons, tantôt les Romains y com-
mandèrent (2). Guesnay raconte que Gondebaud, ayant battu et
chassé Euric de la Provence, la soumit à sa puissance. Toutes
ces assertions sont-elles bien exactes ? Nous ne voulons pas
nous y arrêter (3). Supposons-les vraies. Pourrons-nous placer
le martyre de notre sainte Eusébie à cette époque ? Non pas
encore. Salvien écrivait vers le milieu de ce siècle, Gennade un
peu plus tard, est-ce que ou l'un ou l'autre n'aurait pas parlé
de ces désordres ? Ils n'en ont rien dit. Gennade affirme que
jusqu'à son époque les deux monastères étaient debout: «usque
hodie exstant. » Donc il ne s'est rien passé d'anormal vers 480.
Euric étant mort en 484, Gondebaud, dont le royaume avait
(1) Bouche, Chororjraphie et Histoire de Provence^ t. I. p. 583. —
Fastes de Provence, par Fouque, t. I, p. 212.
(2) Fouque, Fastes de Provence, t. I, p. 212.
On ne pourrait s'appuyer pour soutenir ces assertions, comme le lont
Ruffl et Guesnay, sur le texte de saint Grégoire de Tours, dont nous
nous occuperons tantôt, car il est fait mention de Gondebaud et de
Godégésile seulement en qualité de rois, ce qui suppose la mort de
Gundioch leur père, qui arriva vers 479, époque où le royaume bour-
guignon fut divisé entre les quatre fils. Dareste, Histoire de France,
t. I, p. 180.
(3) « Deinceps Gundericum Gundicarii primi Burgundionum régis
filium, trans Druentiam nunc pénétrasse, datâque occasione, fugatoque
Eurico, Massiliensem subjecisse armis provinciam, et in ditionem su a m
redegisse... ad ann. 471. » Guesnay, Annales Provinciœ Ma&siliensis,
p. 179. — Ceci se rapporterait plutôt à l'époque qui suivit la mort
d'Euric, roi des Visigoths.
— 551 —
pour limite au sud la Durance, franchit cette rivière,
envahit la Provence et s'empara d'Aix, de Marseille, après une
guerre de courte durée (1). Grégoire de Tours dit, en effet,
« qu'à cette époque Gondebaud et Godégésile, son frère, avaient
sous leur domination les pays compris entre le Rhône, la Saône,
avec la province de Marseille (2). Sûrement Gondebaud,
mettant à profit et le trouble que la mort d'Euric apportait
dans ses vastes Etats et l'éloignement d'Alaric, son successeur,
obligé de courir à Toulouse, capitale du royaume, pour s'y faire
reconnaître, envahit la Provence et prit Marseille (3). Mais il
ne garda pas longtemps sa nouvelle conquête. Alaric dut
entrer en possession, vers 501, des Etats de son père (4). En 505,
il était le maître d'Arles, puisqu'il envoyait en exil saint Gésaire,
évoque de cette ville (5). Or, qui possédait Arles avait Marseille.
Cependant , comme à la conférence que Gondebaud permit
aux évoques catholiques et ariens de tenir à Lyon, en 499 (6),
assistaient l'évoque de Marseille et celui d'Arles (7) ; comme il
n'y avait guère que les évêques sujets d'un même, roi qui
vinssent aux conciles et réunions tenus dans ses Etats (8),
il est fort probable qu'en 499 Gondebaud, roi des Bourguignons,
fût le maître d'Arles et de Marseille (9). Mais, dès l'année 501,
(1) Aug. Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 255.
(2) « Tune Gundebaldus et Godegiselus fratres, regnum circa Rhoda-
nuro et Ararim cum Massiliensi provincia retinebant. » Grégoire de
Tours, Historia Francorum, lib. II, cap. 32. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 42.
(3) 11 est fort probable qu'en 489 Marseille appartenait à Gondebaud.
Il existe de cette année, nous l'avons dit au chapitre précédent, un
marbre trouvé à Marseille, celui de Nymphidius, daté par le consulat,
mode usité chez les Bourguignons, tandis que dans les Etats d'Alaric on
datait par les années de règne de ce roi : inscription de Viviers, etc.
(4) Longnon, La Gaule au VI* siècle, p. 51, note ; 60, note ; 73, note.
(5) Villevieille, Histoire de Saint Césaire d'Arles, p. 99.
(6) Darras, Histoire de V Eglise, t. XIV, p. 97.
(7; La Gaule au VI9 siècle par Longnon, p. 72.
(8) Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 43.
(9)Belsunce, Antiquité de V Eglise de Marseille, t. I, p 215.— Des
auteurs ont pensé qu' Alaric lui-même avait cédé Marseille et la Provence,
h l'exception d'Arles, à Gondebaud, afin de s'en faire un allié éventuel
dans le cas d'une guerre avec Clovis. (Statistique des Bouches-du-
— 552 —
il était vaincu par Clovis et Théodoric, roi d'Italie, qui se
partageaient son royaume (1), juste punition de ses fratricides
et de ses parjures. C'est donc de 484 à 500 que Marseille a été
sous la domination des Bourguignons.
Or, est- ce à cette époque qu'il faut placer le martyre de
sainte Eusébie en l'imputant aux Bourguignons ? Nullement.
S'il avait eu lieu, en effet, c'eût été en 484, lors de l'arrivée de
Gondebaud à Marseille. C'est à cette date aussi qu'il faudrait
assigner les massacres et les désordres dont Guesnay et Ruiïi
ont parlé. Mais, dans ce cas, comment se fait-il que Gennade,
qui écrivait son livre De scriptoribus ecclesiasiicis vers 495,
témoin de ces faits odieux, ait dit, des deux monastères de
Marseille, que a usque hodie exstant » ?
Ce n'est pas non plus à une date postérieure à 484 et durant
la domination de Gondebaud à Marseille que ce fait a pu avoir
lieu. Quoique arien, Gondebaud n'a pas persécuté à ce point
les catholiques. Dès l'an 490 il faisait recueillir et élever chez
lui, dans la foi catholique, sa nièce Clotilde (2). Nous l'avons
vu permettre aux évoques catholiques et ariens de tenir la
conférence de Lyon (3). Il avait en grande estime saint Àvit,
évêque de Vienne (4). Les lois qu'il avait données à ses peuples
étaient pour la plupart empreintes d'une grande équité,
puisque saint Grégoire de Tours en louait la promulgation (5).
Le même historien, Grégoire de Tours, qui indique l'arrivée
de Gondebaud à Marseille, ne dit pas qu'il s'y soit comporté en
barbare (6). Et Guesnay, qui en parle aussi, ne fait pas remar-
Rhône, t. II, p. 88. — Guindon et Méry, Histoire analytique... des
délibérations du Conseil municipal de Marseille% 1. 1, p. 89). — Guesr-
nay : c lpse vero Gundebaldus, interempto fratre, regnum Burgundionum
et provinciam Massiliensem solus tenuit. » Annales Provinciœ Ma&si-
liensis. p. 187.
(1) Bouche H., Chorographie et Histoire de Provence, 1. 1, p. 620.
(2) Darras, Histoire de V Eglise, t. XIV, p. 461 .
(3) Darras, Histoire de VEglise, t. XIV, p. 97.
(4) Darras, Histoire de VEglise, t. XIV, pp. 97 à 106.
(5) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIV, p. $0.—Historia Francorum,
par Grégoire de Tours : « Burgondionibus leges mitiores instituât, ne
Romanos opprimèrent. » (Lib. II, cap. 33.)
(6) Historia Francorum, par Grégoire de Tours, lib. II, cap. 32.
— 553 -
guer qu'il y ait eu à cette occasion ni massacres, ni désor-
dres (1).
À la suite de la défaite de Gondebaud par Clovis et Théodo-
ric, celui-ci remit à Alaric la partie delà Provence située
entre la mer et la Durance, qu'il avait reprise au roi des
Bourguignons. Cinq ou six ans'se passèrent. Mais, après la mort
d' Alaric, à la bataille de Vouillé, en 507, Clovis et Gondebaud
attaquèrent de nouveau la Provence (2). En 508 ils mirent le
siège devant Arles. Repoussés par une armée de secours qu'a-
menait lbbas, général de Théodoric, ils revinrent devant cette
même ville en 510. De nouveau ils furent vaincus par les gé-
néraux de Théodoric et définitivement chassés de la Pro-
vence (3). Jusqu'en 536, Marseille demeura sous la domina-
tion des Visigoths.
Placerons-nous à cette époque le martyre de sainte Eusébie?
On peut bien croire que, durant ces deux sièges d'Arles, la
Provence eut à souffrir de la présence des armées ennemies,
que la campagne fut ravagée, que d'autres villes furent
attaquées (4). Cependant les Francs et les Bourguignons
arrivèrent-ils jusqu'à Marseille? Ce n'est guère possible, l'armée
. des Ostrogoths leur barrait le passage. Cette ville était-elle
sans défense ? Non, les Visigoths la possédaient. L'ont-ils
ravagée et saccagée ? Aucun historien de la Provence ne le dit.
De plus, alors que ' dans les divers rescrits que Théodoric
adresse aux habitants d'Arles pour les féliciter de leur loyalisme
à son endroit et de leur courage dans la lutte, il est parlé des
maux soufferts, des tours renversées, de la famine et de la
misère subies, dans les lettres que ce même prince adresse, à la
même époque, aux habitants de Marseille, il n'est rien dit de
semblable, aucune allusion n'est faite à de pareilles calamités.
Nous pouvons donc l'affirmer sans crainte, ce ne sont pas les
Bourguignons qui ont martyrisé sainte Eusébie.
En chargerons-nous la mémoire des Francs nos aïeux ? Les
(1) Guesnay, Provinciœ Massihensis Annales, p. 187.
(2) Dareste, Histoire de France, t. I, p. 197.
(3) Dareste, Histoire de France, 1. 1, p. 198.
(4) Essai sur V Histoire de Provence, par Bouche, t. I, p. 176;
- 554 -
Francs ne se sont jamais emparés par conquête de cette partie
de la Provence qui est située entre la Durance et la mer. Une
première fois en 508, puis en 510, ils ont mis le siège devant
la ville d'Arles. C'était Thierry, fils deClovis, qui les comman-
dait. Ils avaient pour alliés les Bourguignons conduits par
Grondebaud, Une troisième fois, en 533, ils reparurent sous les
murs de cette cité, dirigés par Théodebert, petit-fils de Glovis.
En 536, enfin, Théodat et après luiVitigès, tous deux rois des
Visigotlis, cédèrent cette partie de la Provence aux Francs
pour 20,000 écus d'or. Ghildebert, fils de Clovis, eut Arles ;
Clotaire, également fils de Clovis, Marseille; Théodebert,
petit-tils de Clovis, le reste du pays(l).
A laquelle de ces différentes époques pourrait-on placer le
martyre de notre sainte, et l'attribuer aux Francs ? A au-
cune. Ce ne doit pas être en 508, 510, on l'a vu dans le chapi-
tre précédent. Non plus en 533. En effet, les habitants d'Arles
furent secourus par un puissant renfort d'Ostrogoths qui mit
en fuite Théodebert et ses Francs. D'autre part, Théodebert ne
put prolonger la guerre, puisqu'il fut subitement rappelé à
Metz par la mort de son père Thierry ou Théodoric, roi d'Aus-
trasie, fils de Clovis, pour prendre la couronne et déjouer les
complots de ses oncles. Donc, il ne put venir jusqu'à Mar-
seille (2).
Une preuve encore, c'est qu'en cette année 533 il se tint à
Marseille un concile qui prononça une sentence de déposition
contre l'évoque de Riez, Contumeliosus. Or, c'était saint Gésaire
d'Arles qui présidait ce concile ; seize prélats provençaux y
assistaient, et l'assemblée se tint le 23 mai 533 (3). A cette date,
(1) Dareste, Histoire de France, t. I, p. 215. — Fabre, Histoire de
Provence, t. II, p. 263. —H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 639.
— Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 41. — Papon, Histoire de Pro-
vence, 1. 1, p. 54. — Bouche, Essai sur l'histoire de Provence, 1. 1, p. 177.
— Statistique des Bouches- du-Rhône, 1. 1, p. 96. — Lalauzière, Ahréyé
chronologique de V Histoire d'Arles, p. 7').
(2) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 262. — Dareste, Histoire
de France, t. I, p. 214 — Statistique des Bouches-du- Rhône, t II, p. 95.
(3) M. le chanoine Albanés. Armoriai et Sigillographie des évéqves de
Marseille, p. 14 — Vie de saint Césaire, par l'abbé VUlevieille, p. 246.
- 555 -
Théodebert n'avait pas encore envahi la Provence, car Césaire
n'aurait pu quitter sa ville épiscopale, ni les autres évoques,
de Toulon, d'Apt, d'Avignon, de Digne, de Vence, de Vaison,
d'Orange, de Saint-Paul-Trois-Châteaux, etc., laisser leurs
troupeaux (1). Le siège d'Arles a donc commencé postérieure-
ment au mois de mai. Or, le père de Théodebert, Thierry, au-
près du lit duquel son fils accourut, est mort en 534 (2) et
Théodebert assista aux derniers jours de sa maladie ; puis, son
père mort, il se joignit à ses oncles Childebert et Clotaire, pour
achever la conquête de la Bourgogne, et tout cela en 534 (3).
Le siège d'Arles n'a donc duré que un ou deux mois. Il n'est
guère possible que dans ce laps de temps, étant donné que
Marseille, appartenant aux Visigoths, ne se trouvait pas sans
défense et que l'armée des Ostrogoths, arrivant au secours
d'Arles, devenait une protection de plus pour Marseille, il n'est
guère possible, disons-nous, que dans ces deux mois les Francs
se soient avancés jusqu'à Marseille.
Sera-ce en 536, alors que les Francs vinrent en Provence?
Us étaient bien barbares encore, nos aïeux, a Touchés au front
par l'eau du baptême, ils conservaient encore, en dépit de leur
conversion, la nature à demi bauvage des Germains, leurs an-
cêtres (4) » . La cruauté avec laquelle Thierry et Théodebert
avaient ravagé et soumis l'Arvernie en 530, les mœurs déver-
gondées de Clotaire ?' n'encouragent guère à les supposer
incapables d'avoir massacré des vierges sans défense (5).
C'est vrai, « les mœurs privées de ces princes étaient loin
encore de correspondre à la sainteté de leur foi, mais du moins
ils savaient rougir de leurs excès et, au besoin, les réparer
noblement. C'est en vain qu'on chercherait dans leur vie
l'unité constante de l'indifférence ou de la haine en matière
(1) L'abbé Villevieille, Histoire de saint Césaire d'Arles, p. 247.
(2) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIV, p. 445.— Villevieille, op. cit.%
p 302.
(3) Dareste, Histoire de France, t. I, p. 215 — Fabre, t. I, p. 262.—
Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 57. — H. Bouche, Histoire de
Provence, t. I, p. 633.
(4) Darras, Histoire de V Eglise, t. XIV, p. 446.
(5) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XIX, pp. 412, 414, 445.
— 556 —
de religion. Des passions ardentes les entraînaient en sens
contraditoire, mais le fond de leur cœur était toujours reli-
gieux (1). » Or, d'une part, les Francs entraient en Provence,
non pas à la suite d'une guerre, mais à la suite d'une cession
volontaire. D'autre part, nul historien de Marseille ou d'ail-
leurs qui ait chargé ces Francs d'un tel forfait accompli dans
notre ville. Grégoire de Tours, qui en a dit bien long sur nos
aïeux, n'a fait mention cependant de rien de pareil. pour
notre ville. Ce n'est donc pas en 536.
Impossible, enfin, de placer ce fait à un moment quelcon-
que de la domination des Francs en Provence, depuis la date
de leur arrivée en 536, jusque à la disparition des Mérovin-
giens, ou l'arrivée au pouvoir de Charles Martel, vers 720.
Marseille passa sous la domination d'une série de rois plus ou
moins belliqueux et sanguinaires dont les démêlés, les désas-
tres couvrirent la France de ruines, de sang. Mais la Provence,
Marseille échappaient pour l'ordinaire à ces désastres. Le
règne de Théodebert fut une époque de calme pour notre
cité. Il gouvernait son royaume avec justice, dit Grégoire de
Tours, honorant les évêques, faisant des dons aux églises,
secourant les pauvres, distribuant de nombreux bienfaits
d'une main libérale et charitable (2). » Théodebald (548),
Childebert (511-558), puis Clotaire (555-561) lui succédèrent.
Le nord et le centre de la France seuls furent le théâtre des
querelles et des guerres qu'ils eurent à soutenir. Sigebert
(561), qui fut le maître de Marseille, de moitié avec Gontran,
son frère, eut bien quelque démêlé avec celui-ci qui possédait
Arles. Ils se firent la guerre ; mais la lutte se circonscrivit
entre Avignon et Arles (3). A la mort de Sigebert, Gontran
prit possession de toute la ville de Marseille, dont il
restitua une moitié, en 582, à son neveu Childebert II, pour
la lui ravir encore l'année suivante,, et qu'il garda jusqu'après
585 (4). Ses querelles avec l'évêque de Marseille, saint Théo-
Ci) Darras, Histoire de VEglise, t. XIV, p. 447.
(2) Dareste, Histoire de France, t, I, p. 217. — Grégoire de Tours,
livre II, ch.XÏV.
(3) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 280.
(4) Longnon, Gatde au VI* siècle, pp. 447, 448.
/rr*
— 557 —
dore, ne suffisent pas pour faire soupçonner que ce fut sous
son règne que le forfait qui nous occupe a été commis (1).
a II fut fort généreux, sage, modéré en toutes ses actions,
juste, équitable, bon, indulgent, pieux, charitable envers
l'Eglise et les pauvres (2). » Le martyrologe le range au nom-
bre des saints (3). Sous Childebert qui reprit possession de
Marseille (593), à lui ravie par Gontran son oncle, sous Théo-
debert (596), Clotaire II (513), Dagobert (628), Sigebert (638),
et la série des rois appelés fainéants, en réalité dominés par
les leudes et les maires du palais (4), nulle trace, dans l'his-
toire de Provence et de Marseille, d'un tel massacre. C'est
toujours le nord et le centre de la France qui sont désolés par
ces rois, en rivalité les uns avec tes autres et en désaccord
avec leurs leudes. La Provence et Marseille sont tranquilles.
Encore une fois, cène sont pas les Francs qui ont massacré
sainte Eusébie.
(1) Fabre, Histoire de Provence, 1. 1, p. 290. —H. Bouche, Histoire
de Provence, t. I, p. 670, etc. — Ruffl, Histoire de Marseille, t I, p. 43.
(2) H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 674.
(3) 28 Mars, Martyrologe romain : « Gabillone, in Gallia, depositio
saucti Gunthramni, régis Francorum, qui spiritualibus actiouibus ita
se mancipavit, ut relictis saeculi pompis, thesauros suos ecclesiœ et pau-
peribus erogavit. » — Longnon, La Gaule au VI0 siècle, p. 225, citant
le cartulaire du chapitre de Notre-Dame de Lausanne, pp. 30, 31 .
(4) Da reste, Histoire de France, t. I, passim, livre quatrième.
36
4
CHAPITRE IV
Les Lombards, les Saxons n'ont pas martyrisé
sainte Eusébie.
LES LOMBARDS KN PROVBNCB — RN 570, ILS SONT BATTUS PAR âMAT,
PATRICR DBS BOURGUIGNONS. — EN 571, C'SST MUMMOLUS, AUTRE
GÉNÉRAL BOURGUIGNON, QUI LRS DÉFAIT A XMBRUN. — EN 575, ILS
SONT ENCORE REPOUSSES PAR LE MÈRE GÉNÉRAL A GRENOBLE, A
EMBRUN, ET ILS NE PASSENT PAS A MARSEILLE, EN FUYANT VERS
L'ITàLIE. - LES SAXON8 QUI VINRENT EN PROVENCE EN 572 OU 573,
N'ONT PAS PARU A MARSEILLE.
Les Lombards firent irruption en Provence en 570, mais
Àmat, patrice et général des Bourguignons, les battit. En 571,
ils reparurent d,u côté d'Embrun, Mummolus les repoussa. En
572, ce fut près de Riez qu'ils eurent le même sort. Trois ans
plus tard, ils attaquèrent à la fois Avignon, Valence et Arles,
pillant et saccageant tout sur leur passage. Amon, un de leurs
chefs, poussa même jusqu'à Marseille. Mais, la trouvant gardée
il s'en éloigna et se dirigea sur Aix. Mummolus défît les trois
généraux lombards, et tout fut fini (1).
A quatre reprises donc les Lombards ont envahi la Provence
et les contrées limitrophes. A quel moment de ces invasions
ont-ils pu martyriser sainte Eusébie? Est-ce bien à eux que
Ton doit imputer ce massacre?
Ils en étaient bien capables ; car leur historien, Paul Dia-
(1) H. Bouche, Histoire de Provence, U I, p. 667. — Ruffi, Histoire
de Marseille, t. I, p. 43. — Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 61.—
Bouche, Essai sur Vhistoire de Provence, t. I, p. 179. — Guesnay, An-
nales Provinciœ Massiliensis, p. 214. — Statistique des Bouche$-dv-
Rhône, t. II, p. 103. — Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 284. —
Dareste, Histoire de France, t.I, p. 236. — Grégoire de Tours, Historia
Francorum, lib. IV, p. 35.
* t
.î<
— 5o9 —
cre (1), faisant le récil de leurs conquêtes en Italie, dit « qu'ils
dépouillaient les églises, tuaient les prêtres, détruisaient les
villes et en massacraient les habitants. » Cependant on ne peut
pas dire que ce fut en 570 qu'ils ont massacré les reli-
gieuses cassianites.
Ils traversent les Alpes, en effet, et ravagent la partie du
royaume bourguignon qui confine avec ces montagnes. Mais,
Amat, le patrice de Bourgogne et gouverneur de la Provence(2)
pour leroiGontran. les arrête, les bat, les force à regagner
l'Italie. Malheureusement ce général vainqueur trouve la
mort dans sa victoire. Or, à quel endroit de la Provence s'est
livrée cette bataille? Un auteur dit que : « les historiens n'en
indiquent pas le lieu précis (3).» C'est vrai. Cependant H. Bou-
che et Guesnay affirment que c'est à la descente des Alpes (4).
Papon parle des ravages dans le Dauphiné (5), Dareste et la
Statistique (6) dans la Bourgogne, Ruffi, Lalauzière et Pabre
dans la Provence (7). Mais Grégoire de Tours se contentant de
dire que les Lombards firent un tel massacre des habitants de ce
pays appartenant au royaume bourguignon, que le nombre n'en
fut jamais connu (8) ; les historiens de Provence n'ayant rien de
précis sur ce point, on peut bien croire que si Marseille avait
\ *•
(1) c Spoliatis ecclesiis, sacerdotibus interfectis, civitatibus subrutis,
populisque exstinctis . . . î Paul Diacre, Historia Longobardorum, lib. II,
cap. 18.
(2; Dareste, Histoire de France, 1. 1, p. 236. — Ruffi, Histoire de Mar-
seille, 1. 1, p. 43.
(3) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 282.
(4) H. Bouche, Chorographie et Histoire de Provence, 1. 1, p. 666. —
Guesnay, Annales Provinciœ Massiliensis : c Factâ in Alpibus ingenti
prsedà.i Page 215. — Bouche, Essai sur l'histoire de Provence, t. I,
p. 179.
(5) Papou, Histoire de Provence, t. II, p. 61.
(6) Dareste, Histoire de France, t. I, p. 236. — Statistique des Bou-
ches-du-Rhône, t. II, p . 103.
(7) Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 43. — Lalauzière, Abrégé
chronologique de l'histoire a" Arles, p. 83. — À. Fabre, Histoire de
Marseille, t. I, p. 282.
(8) Grégoire de Tours, Historia Francorum : « Tantamque tune stra-
gem Longobardi feruutur fecisse de Burgundionibus, ut non poesit
colligi numerus occisorum.» Lib. IV, cap. 35.
f
i
— 560 —
subi quelque attaque lors de cette première invasion, et Gré-
goire de Tours aurait nommé Marseille, puisqu'il le fait pour
les autres pités ravagées par les barbares dans leurs invasions
suivantes, et les historiens de Marseille en auraient gardé le
souvenir. Ce n'est donc pas en 570 que Ton pourrait accuser
les Lombards d'avoir donné la mort à sainte Eusébie.
Pourrions-nous placer cet événement en 571, alors que les
Lombards, alléchés par le butin qu'ils ont transporté de Pro-
vence en Italie, et orgueilleux de leur victoire sur le patrice
de Bourgogne, Àmat, revinrent en Provence ? Non, tous les
historiens sont d'accord pour dire que Mummolus, le nouveau
général que Gontran avait placé à la tête de ses troupes, ren-
contra les ennemis, qui arrivaient par le val de Suse et le
mont Genèvre, auprès de la ville d'Embrun, qu'il les battit,
les mit en fuite, en massacra un grand nombre et obligea ceux
qui restaient à repasser les Alpes en désordre (1). Impossible
encore de faire massacrer en 571, par les Lombards, les vierges
cassianites de l'Huveaune, puisque ces barbares ne sont pas
venus jusqu'à Marseille.
Ecrasés par une telle défaite, les Lombards laissent la Pro-
vence en repos durant quatre ans, sauf quelques bandes isolées
qui se joignent aux Saxons, en 572, el retournent avec eux en
Provence. Mais en 575 ils reparaissent sous la conduite de
trois de leurs ducs : Amon, Zaban, Rhodanus.
Franchissant les Alpes, probablement au mont Genèvre,
comme ils Pont fait les années précédentes, ils se divisent en
trois armées. Amon se dirige, par Embrun, Riez, Digne, Siste-
(1) < Irruentibus autem iterum Longobardis in Galliis, et usque ad
Muscias Calmes accedeutibus, quod adjacet civitati Ebroduuensi, Mum-
molus exercitum movet et cum Burgondionibus illuc proficiscitur. Cir-
cumdaiisque Longobardis cum exercitu, actisque concidibus per divor-
tia silvarum i aruit super eos, multosque interfecit... Hœc prima Mummoli
certaminis Victoria fuit.. » Grégoire de Tours, Historia Francorum,
I.IV, 35.
Da reste, Histoire de France* t. I, p. 236. — Fabre, Histoire de Prch
vence, t. I, p. 283.— H. Bouche, Chorographie et Histoire de Provence,
1. 1, p. 666. — Bouche, Essai sur l'histoire de Provence, t. I, p. 180. —
Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 43. — Guesnay, Annales Massi-
tiensis Provinciœ, p. 2H.
— 561 —
roD, villes qu'il incendie, sur Avignon ; de là il descend sur
Arles, en ravage les environs et vient mettre le siège devant
la ville d'Aix. Pendant ce temps, l'armée de Zaban se porte sur
Valence, et celle de Rbodanus vient attaquer Grenoble. Mum-
molus, le général bourguignon, réunit son armée, traverse
l'Isère, bat Rbodanus sous les murs de Grenoble, le met en
fuite et délivre la ville assiégée. A cette nouvelle, Zaban quitte
Valence, remonte vers Embrun pour y rejoindre Rhodanus
vaincu. Mais Mummolus survient, les attaque à Embrun, les
écrase et les force à repasser les Alpes. Au bruit de ces défai-
tes successives, Amon est effrayé. Réunissant ses troupes, son
butin et ses prisonniers, il essaye de gagner l'Italie par les
montagnes du côté de Nice. Mais les neiges et les passages
difficiles de ces montagnes retardent sa marche, il est contraint
de sacrifier ses trésors et son butin pour sauver son armée que
Mummolus avait atteinte (1). Or, placerons-nous à cette année
le massacre de nosCassianites de l'Huveaune ? Non.
En effet, Amon, qui a détruit Arles, assiégé et rançonné
Aix, qui a pillé dans sa fuite Cimiez et Nice, a-t-il paru
devant Marseille? H. Bouche, Papon, Bouche, Fabre A., la
Statistique disent qu'il « arriva par la Grau jusqu'à Mar-
seille (2)». L'a-t-il ravagée? H. Bouche, Papon, Bouche (3)
disent qu'il a fit des courses sur les territoires d'Arles et de
Marseille, enlevant les hommes et les bestiaux, jettant par-
tout la désolation et la terreur » . Fabre et la Statistique (4)
disent aussi qu' « il arriva par la Grau vers Marseille, mais
que, trouvant cette ville bien gardée, il se retira vers Aix pour
le réduire » . D'autre part, Guesnay se contente d'affirmer
(1) Ruffl, Histoire de Provence, t. I, p. 43. - Fabre, Histoire de
Provence, 1. 1, p. 282.
Bouche, Ruffî, Papon, Fabre, Guesnay, Dareste, etc., etc., loc. cit.,
(ut suprà).
(2) H. Bouche, Histoire de Provence, 1. 1, p. 668. — Papon, Histoire
de Provence, t. II, p. 61. — Bouche, Essai sur Vhistoire de Provence,
t. I, p. 181. — Fabre, Histoire de Provence, 1. 1, p. 286. — Statistique,
t. II, p. 103.
(3) H. Bouche, Papon, Bouche, op. et loc. cit. (ut suprà).
(4) Statistique, Fabre, up. et loc. cit.
— 562 —
que c Amon arriva jusqu'au campus lapident, la Crauy et se
dirigea vers Aix, qu'il assiégea (1) ». Rufli est plus catégori-
que : « Amon, écrit-il, courut toute la province d'Arles et
ravagea la ville de Marseille, selon Paul Eusèbe, bien que
Paul Diacre, qui vivait deux cents ans après et qui a écrit
V Histoire des Lombards, n'en parle point. Ce qui m'oblige
à ne pas ajouter foi à Paul Eusèbe en cette rencontre, car il
n'y a pas d'apparence que Paul Diacre eût oublié une action
si remarquable et avantageuse à la gloire de la nation, outre
que Grégoire de Tours n'en parle pas, quoiqu'il s'étende lon-
guement sur la venue des Lombards en ce pays (2). » Effec-
tivement Grégoire de Tours dit « qu'Amon ravagea la province
d'Arles avec les villes qui sont situées autour et, arrivant
jusqu'au champ pierreux (la Grau) qui a voisine Marseille, il
enleva hommes et animaux (3). »
Pour notre part nous inclinons fort i croire que Marseille
échappa, comme le dit Ruffi, aux ravages des Lombards. Si
elle avait été prise, Paul Diacre l'aurait mentionné ; si elle
eût été saccagée, Grégoire de Tours, qui indique quelques
lignes plus haut, dans son récit, qu'Embrun, Machao, Die,
Valence, Grenoble, Arles, Aix ont été visitées par ces barba-
res, n'aurait pas omis de citer Marseille (4). De ce qu'il affirme
qu'Amon a ravagé la province d'Arles « cum urbibus quae
circumsitae sunt », il ne s'ensuit pas qu'il ait voulu compren-
dre Marseille au nombre de ces villes. Il s'agit de la province
d'Arles et des villes placées çà et là dans cette province. Or,
Marseille ne faisait pas, à proprement parler, partie de la pro-
vince d'Arles. Elle formait une enclave à part, Sigibert et Gon-
tran la possédaient par moitié (5). Grégoire donc l'aurait men-
(1) Guesnay, Annales Provinciœ Massiliensis : c Et usque ipsum
lapideum campum qui adjacet urbi Massiliensi accedens. > Page 2U.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille, t. I, p. 43.
(3) c Amo Arelatensein debellavit provinciam cum urbibus qu© cir-
cumsit» sunt. Et usque ipsum lapideum campum qui adjacet urbi Mas-
siliensi accedens... » Grégoire de Tours, Hi&toria Francorum, lib. IV,
c. 38.
(4) Grégoire de Tours, Historia Francorum, lib. IV, cap. 36, 36, 38.
(5) Sigebert et Gontran eu possédaient la moitié chacun. (H. Bouche,
— 563 —
tionnée. Possession de Sigebert et de Contran, elle n'était pas
sans défense ; il y avait un gouverneur pour chacune des
deux portions de la ville (1), il y avait des troupes. La
sachant en étal de leur résister, ils durent s'en tenir éloignés.
D'autant plus que, Mummolus pouvant les atteindre d'un
moment à l'autre, ils voulaient le gagner de vitesse et at-
teindre les Alpes-Maritimes avant lui. Ils ne sont pas venus
à Marseille en 575. Donc ils n'ont pu martyriser notre sainte
Eusébie .
Il y a bien la prophétie de saint Hospice, ermite des envi-
rons de Nice, qui, annonçant l'arrivée des Lombards dans les
Gaules, avait parlé de sept villes que ces barbares devaient
détruire (2). Quelles devaient être ces cités ? quelles sont
celles qui ont été détruites? Joffred, en V Histoire de Nice,
cite Marseille. Mais ne pouvait-on pas en trouver d'autres
pour les ranger parmi les sept?
Il n'y a pas d'apparence qu'ils soient les auteurs de ce
crime. Saint Théodore, qui était évéque de Marseille à cette
époque, avait à souffrir de la part d'Albin, gouverneur de
Marseille, qui en 573 fit jeter en prison, le jour de la Noël,
l'archidiacre de Marseille. En cette même année, Sigebert
ayant été assassiné par l'ordre de la cruelle Frédegonde (3;,
Childebert, le fils de ce roi, céda à Gondran, roi de Bourgogne,
son oncle, la moitié de Marseille, qui lui revenait, afin
d'obtenir en retour son concours et son amitié dans la ven-
Hisloire de Provence, 1. 1, p. 664. — Bouche, Essai 9ur Vhistoire de
Provence, t. 1, p. 179. — Ruffl, Histoire de Marseille, t, i, p. 43.) — La
Provence fut divisée en deux provinces : la province bourguignone , à
Gontran, avec Arles pour capitale ; la province austrasienne, à Sigebert,
avec Avignon et Aix pour capitales. (Fabre, Histoire de Provtnce% 1. 1,
p. 278. — H. Bouche, Histoire de Provence, 1. 1, p. 664.)
(1) Jovin, gouverneur avant 567, puis Albin, puis Dynamius. (De Bel-
sunce, Antiquité..., 1. 1, p. 224. Ruffî, t. I. p. 43.)
(2) c Ve nient Longobardl in Gai lias et devastabunt civitates mptem. i
Grégoire de Tours, Historia Francorum, liv. VI, cap. 6. — Bouche,
op. cit., t. I, p. 667.
(3) Dareste, Histoire de France, t. I, p. 238. — De Belsunce, Anti*
quité de V Eglise de Marseille, t. I, p. 226. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 63.
— 564 -
geance qu'il méditait de tirer des meurtriers de son père (1).
Gontran y nommait Dynamius pour gouverneur. Or, Grégoire
de Tours et d'autres chroniqueurs ont raconté les faits et
gestes des rois qui possédaient Marseille, des patrices qui la
gouvernaient, des évoques qui la dirigeaient (2). Ils auraient
parlé de ce fait aussi. . . En outre, saint Théodore, qui corres-
pondait avec saint Grégoire, l'en aurait informé. Le pape
écrivait en 591 à Tévêque de Marseille au sujet des Juifs que
Ton forçait à recevoir le baptême (3) ; il en aurait dit quelque
chose. Enfin, il existe une lettre de ce pape à Tabbesse
Respecta, postérieure à peine de vingt à vingt-cinq ans à cet
événement supposé. Il s'agit précisément de raggraadissement
de l'abbaye de Saint-Cassien (4). Croit-on que, si le massacre
de sainte Eusébie eût été si récent, en 597, le pape n'en
aurait pas fait mention de quelque manière?
Les Lombards ne sont pas les auteurs de ce massacre.
Les Saxons, à leur tour, ont-ils pu martyriser les Gassianites
des bords de l'Huveaune ? Non.
Les Saxons vinrent, nous l'avons dit, à la suite des Lom-
bards en Italie, afin de les aider à en faire la conquête,
espérant s'y établir eux aussi. Mais, la conquête achevée, les
Lombards, plus forts et plus nombreux, refusèrent de donner
des terres à leurs alliés (5). Ceux-ci, se rappelant que les
Lombards avaient fait un grand butin dans les provinces d'au
delà des Alpes, se mirent en marche, comptant eux aussi
s'arrêter en Provence et s'y fixer. En Tannée 572, sans se
laisser décourager par les défaites que les Lombards avaient
subies en 571, ils franchissent les Alpes au mont Genèvre,
(1) Papon, Histoire de Provence* t. II. p. 63. — De Belsunce, Anti-
quité de V Eglise de Marseille, t. II, p. 227.
(2) Grégoire de Tours, Historia Francorum (passim). — Aymoin
(cité par Ruffi).
(3) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XV, p. 239.
(4) Voir cette lettre dans André, Histoire de l'abbaye de Saint-
Sauveur, pièces justificatives.
(5) H. Bouche, Histoire de Provence, 1. 1, p. 667. — Papon, Histoi-
re de Provence, t. II, p. 62. —Bouche, Essai sur l'histoire de Pro-
vence, t. I, p. 181. — Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 284. —
Grégoire de Tours, Historia Francorumy lib. VI, ch. 36.
— 565 —
descendent par Embrun, Seyne, Digne, et viennent dresser
leurs tentes sur le territoire de Riez, à un endroit appelé
Estoublon (1). De ce point, ils rayonnent de tous côtés,
commettant toutes sortes d'horreurs. Mummolus court sus
à ces nouveaux ennemis, les surprend dans leurs campe-
ments, en fait un massacre horrible et ne permet aux mal-
heureux débris de cette armée envahissante de repasser les
Alpes qu'après avoir abandonné tout ce qu'ils avaient dé-
robé. Sûrement ce n'est pas en 572 que ces barbares, les
Saxons, ont martyrisé notre sainte Eusébie, puisqu'ils sont
demeurés dans l'est de notre Provence, sans descendre jusqu'à
Marseille.
Revenus en Italie et toujours dans l'impossibilité de se
faire céder des terres par les Lombards, les Saxons, suivis
de leurs femmes et de leurs enfants, reprennent le chemin
de la Provence (573). Leur but était d'arriver en Arvernie
et, de là, gagner la Germanie, d'où ils étaient originaires.
Ils se divisent en deux armées. L'une franchit les Alpes au
mont Genèvre, descend par Embrun jusqu'à Avignon ; l'autre
entre en Provence par le col de Tende, Nice et Cimiez. Leur
attitude n'était ni hostile ni conquérante. Mais on devine
que de telles hordes n'étaient guère disciplinées. Elles rui-
nèrent tout sur leur passage, coupant les blés, les faisant
manger à leurs chevaux, ou moissonnant ceux qui étaient
mûrs et emportant le froment. Elles arrivèrent sur les bords
du Rhône. Mais Mummolus est encore là, avec son armée.
Il interdit le passage aux Saxons, jusqu'à ce qu'ils aient rendu
ce qu'ils ont pris et payé ce qu'ils ont détruit, les mena-
çant de les exterminer jusqu'au dernier, s'ils ne s'exécutent
sur l'heure. Les barbares acceptent ces conditions et les
(1) « Post hsec, Saxones, qui cum Longobardis in Italiam vénérant et
iterum proruperant in Gallias, et infra terri torium Regense, id est apud
Stablonem villam, castra ponunt, discurrentes per villas urbium vicina-
rum, diripientes prsedas, captivos abducentes, vel etiam cuncta vastan-
tes. » Grégoire de Tours, Historia Francorum, lib. VI, c. 36. —
H. Bouche, op. cit. — Dareste, Histoire de France, t. I, p. 236. —
Papon, loc. cit .
- 566 -
accomplissent ; le passage leur est alors accordé et ils conti-
nuent leur route vers la Germanie (1).
En cette circonstance, en cette année, 573, les Saxons ont-ils
ravagé Marseille ? ont-il pu y massacrer sainte Eusébie? Nous
ne le croyons pas.
Ils ont traversé de Test à l'ouest la Provence, de Nice à Avi-
gnon. Nice, Gimiez, dit-on, ont été détruits par eux (2). Ce
n'est pas sur cependant. Ce serait plutôt le duc lombard
Amon, qui en 575 passera les Alpes à ce point, poursuivi par
Mummolus (3). Les historiens s'accordent à dire que les
Saxons n'avaient que des sentiments pacifiques (4). Mais,
comme ce n'était qu'une horde en marche, le désordre était
inévitable. Aucun historien cependant ne dit qu'ils aient passé
à Marseille, qu'ils l'aient pillée. Grégoire de Tours et Paul
Diacre, qui racontent cette marche, ne font pas soupçonner
qu'ils aient attaqué et saccagé notre cité (5). D'ailleurs, à cette
époque, Marseille est gardée, il y a un gouverneur pour Si-
gebert : Albin ; et peut-être Un autre pour Gontran (6). H y a
donc des troupes.
De plus, l'histoire ferait mention d'un fait tel que le massacre
des Cassianiles. En 573, précisément à la Noël, il se passait à
Marseille un événement assez marquant. Albin, gouverneur au
nom de Sigebert, avait fait saisir à l'autel l'archidiacre Vigile
(1) Grégoire de Tours, Historia Francorum, lib. IV, ch. 36. —
H. Bouche, Histoire de Provence, t. î, p. 667. — Papon, Histoire de
Provence, t. II, p. 63. — Fabre, Histoire de Provence, t. î, p. 284. —
Dareste, Histoire de France, t. I, p. 236.
(2) H. Bouche, Histoire de Provence, t. I, p. 667»
(3) Papou, t. II, p. 62, dit que même les Lombards, s'ils ravagèrent
les villes, n'en détruisirent aucune. Peut-être faudrait-il rapporter la
destruction de ces deux villes aux invasions des Sarrasins.
(4) Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 63. — Fabre, Histoire de
Provence, t. II, p. 284.
(5) Grégoire de Tours, Historia Francorum, lib. IV, chap. 36.
(6) Suivant quelques auteurs, Sigebert aurait été le seul maître de
Marseille. Ce ne serait qu'à la mort de ce roi en 575, que Gontran aurait
pris de force à Childebert, fils de Dagobert, une moitié de Marseille.
Suivant d'autres auteurs, Sigebert et Gontran auraient eu chacun la
moitié de Marseille. Et en 575, Gontran aurait pris la moitié qui reve-
nait à Childebert, pour l'unir à celle qu'il possédait déjà.
— 567 -
et l'avait jeté en prison. Saint Théodore était évêque de notre
ville, en ce moment. Or, le passage des Saxons, à Marseille, se
fût effectué seulement quelques mois auparavant, puisque
c'est à l'époque de la moisson que ces barbares traversent la
Provence (1). Le massacre aurait eu lieu en juillet ou août.
L'historien Grégoire de Tours et les autres chroniqueurs qui
ont relaie la scandaleuse conduite d'Albin auraient parlé
certainement de cet événement, datant de quelques mois à
peine (2).
Non, disons-le encore, ce ne sont pas les Saxons qui ont
massacré sainte Eusébie et ses compagnes.
(1) Grégoire de Tours, Historia Francorum, lib. IV, chap. 36 : c Erat
tune tempus messium, et locus ille maxime fructus terre sub diohabe-
bat. »
(2) Voir la narration de ce fait dans Belsunce, Antiquité de V Eglise
de Marseille, 1. 1, p. 2Î4, citant Grégoire de Tours. — Papou, Histoire
de Provence, t. II, p. 63, citant Lecointe* — Armoriai et Sigillographie
des èvêques de Marseille, par M. le chanoine Albanés, Saint Théo-
dore, p. 17.
CHAPITRE V
Les Normands n'ont point martyrisé sainte Eusébie.
LES NORMANDS EN FRANCE ET EN PROVENCE. — NI DE 810*À 813, NI
DE 813 A 844, NI DE 844 A 859, CES BARBARES NE 60NT VENUS
JUSQU'A MARSEILLE. — EN 859, IL8 SONT EN CAMARGUE. GÉRARD Dl
ROUSSILLON LES EMPÊCHE DE VENIR A MARSEILLE.
Devons-nous accepter l'opinion des deux Ruffi et de Laulard
qui imputent ce fait aux Normands ? « Il y a apparence, dit
Ruffi, que ce fut au IX* siècle que les Normands, ayant
inondé diverses provinces, firent ressentir l'effet de leurs
cruautés à quantité de monastères (1). » Lautard, en copiste
fidèle, dit la même chose, en se servant des mêmes termes (2;.
Les Normands, ou hommes du Nord, habitaient les contrées
que baignent, d'un côté, la mer Baltique, de l'autre la mer du
Nord, c'est-à-dire la Suède, la Norvège et le Danemark
actuels (3). Sauvages comme la nature froide et triste qui les
entourait, barbares comme le culte sanguinaire qu'ils
rendaient à Odin (4), robustes et aguerris par les dangers qu'ils
couraient sur la mer dans les tempêtes, au milieu de leurs
forêts contre les bêtes féroces, épris de passion pour une vie
d'indépendance et d'aventures, ils passaient leur vie à piller
les nations voisines et, rentrés chez eux avec leur butin, à
chanter leurs exploits. Ils naviguaient montés sur d'énormes
troncs d'arbres, creusés et façonnés en forme de barque,
(1) Ruffi, Histoire de Marseille, t. II, pp. 58, 118.
(2) Lautard, Lettres archéologiques sur Marseille, p. 402.
(3) Histoire des expéditions maritimes des Normands et de leur
établissement en France au A> siècle, par M. Depping, p. 4.
(4) Dans la mythologie Scandinave, Odin était regardé comme le
protecteur du guerrier, et Thor comme le Dieu du tonnerre ; Ran était
une divinité malfaisante qui cherchait à précipiter les marins au fond de
la mer.
— 569 —
munis de bancs de rameurs, de mâts et de voiles. A la poupe
et à la proue de ces longs vaisseaux, ils représentaient, afin
d'effrayer leurs ennemis, la figure hideuse de quelque animal
au cou allongé, à la tête de serpent ou de dragon, ce qui faisait
ressembler une flotte normande « à une troupe de bêtes
sauvages au sein d'une forêt (1) ».
Or, sur les côtes du Nord de la Germanie et de la Hollande,
vivaient les Saxons, eux aussi pirates et barbares (2). Dans leurs
petits bateaux en osier, recbuyerts de peaux, ils longeaient les
côtes, remontaient les fleuves, pillaient les villes et les bourgs
situés dans le voisinage, puis regagnaient à la hâte leurs
contrées pour y mettre à l'abri le butin. En suivant les sinuosi-
tés du continent ils arrivèrent sur les côtes de la Gaule, pour
la première fois en 286 (3), et y commirent d'affreux ravages.
Fatigués et irrités à la longue par ces actes de piraterie, les
Francs, en 480, répondirent à ces invasions en incendiant
les repaires ennemis (4). Ils firent davantage : envahissant
à leur tour la Germanie et la Hollande, ils en soumirent les
habitants, les forcèrent à se faire baptiser, et, pour extirper
jusqu'à la racine le germe de révolte, d'indépendance farouche,
qui demeurait au fond des cœurs, ils enlevèrent jusqu'à
10.000 de ces Saxons, les transplantèrent des bords de l'Elbe
dans l'intérieur de la Gaule, et distribuèrent les terres devenues
désertes à une peuplade alliée (5). Cela se passait sous Charle-
magne (804). C'était la goutte d'eau qui devait faire verser la
coupe de la haine de ces peuples contre le tout-puissant
empereur.
En effet, à plusieurs reprises déjà, les Saxons, en lutte
(1) « Dira Danorum manus latè maris sequora contexit de suis navibus,
adèo ut fera? silvestres putarentur malis sursum porrectis. » (Miracula
sancti Richarii), Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, t. 1. —
Depping, oj). dit., p. 35.
(2) Depping, op. cit., p. 28.
(3) Depping, op. cit., p. 43.
(4) c Insulae eorum cum multo populo interempto a Francis captai
atque subversa} sunt.» Grégoire de Tours, Historia Francorum, lib. II,
cap. 19. — Depping, op. cit., p. 43.
(5) Depping, op. cit., p. 54. — Eginhard, Vita Karoli imperaioris,
cap. VIL — Darras, Histoire de V Eglise } t. XVIII, p. 146.
— 570 —
contre les Francs, avaient appelé à leur aide les Normands.
Ceux-ci avaient volé au secours de leurs frères du Nord. Mais
de terribles défaites les avaient contraints à reculer, notam-
ment en 515, sous Clovis, en 555, sous Clotaire(l). Imaginez les
flots de vengeance et de colère qu'à chaque défaite la honte
de l'avoir subie accumulait dans ces cœurs. Joignez à cela
que le christianisme, dont Charlemagne voulait leur procurer
le bienfait, les irritait profondément. Autant que les Saxons,
ces pirates farouches redoutaient la grâce du baptême. Enfin,
le chef des Saxons, Vitikind, traqué, vaincu par Charlemagne,
s'était retiré chez les Normands. Marié à la fille d'un de leurs
rois, il les excitait à courir une fois encore au secours de leurs
frères (2).
C'est ce qu'ils firent. En 800, les Normands revinrent sur
les côtes de l'Aquitaine et les désolèrent. Mais Charlemagne
veillait. Il fit mettre le littoral en état de défense, équiper
une flotte pour les disperser (3). Au bout de quelques
années ils reparurent. Franchissant les colonnes d'Hercule,
le détroit de Gibraltar, leurs longs bateaux à tête de dra-
gon vinrent croiser un jour sur les côtes méridionales de la
France. Et Ton connaît le récit du moine de Sainl-Gall. L'em-
pereur, à une fenêtre de son palais de Narbonne, apercevant au
large ces fantastiques vaisseaux, demanda qui les montaient,
et, comme on lui répondit que c'étaient les Normands, il versa
des larmes abondantes à la pensée de ce que ses successeurs
auraient à souffrir de la part de ces corsaires. Ceux-ci n'abor-
dèrent pas cependant. Apprenant la présence dans la contrée
de Charlemagne, ils reprirent la haute mer et disparurent (4).
Mais ce fut pour porter ailleurs leurs dévastations et leur
fureur. Pendant plus de cent ans ils ont parcouru la France,
la couvraut de désolations et de ruines. A certains mo-
ments, ils l'attaquèrent à la fois dans le nord, à l'ouest
(1) Deppiog, op. cit., pp. 49, 51.
(2) Depping, op. cit., p. 52.
(3) Depping, op. cit., p. 52. — Eginhardi Annales Francorum ( ad
ann. 800).
(4) Moine Saint-Gatl, De rébus bellicis Caroli Magni, lib. II.— Depping,
op. cit., 53. — Darras, Histoire oie l'Eglise, t. XVIII, p. 156.
■•Jï
- 571 -
et au sud. Paris, Rouen, Tours, Nantes, Bordeaux, Tou-
louse, Saintes, Périgueux, Orléans, Noyon, Amiens, Saint-
Omer, Meaux, Poitiers, Reims, Cologne, Trêves, Sens,
AuxerrenBayeux, Chartres, etc., etc., les ont vus sous leurs
murailles, en franchir le seuil, les incendier et les piller.
Les traités de paix que Ton faisait avec eux, toujours ap-
puyés par des millions de livres d'or ou d'argent, demeu-
raient lettres mortes. Ils prenaient l'argent ; un mois après
c'étaient d'autres bandes qui apparaissaient, quand ce n'étaient
pas les mêmes. La désolation et la misère étaient partout. Les
abbayes étaient brûlées, les moines massacrés, les évoques
jetés en servitude ou immolés sans pitié, les religieux livrés
à toutes sortes d'ignominies. Et pour défendre le pauvre
peuple, ni rois ni seigneurs ne savaient s'entendre.
Ils n'étaient occupés qu'à vivre dans la débauche, ravir
le bien deséglises ou se battre entre eux (1). A la fin, il fallut
céder en toute propriété, vers 913, la Normandie à un de ces
chefs barbares, Rollon. Celui-ci, s'étantfait baptiser, mit de
l'ordre dans son duché, et peu à peu tout rentra dans le calme.
Or, à quel moment de ces invasions pourrait-on placer le
massacre de nos religieuses cassianites, si les Normands en
ont été les auteurs? Pour le savoir, entrons dans quelques
détails. Il n'y a guère que deux ou Irois époques favorables.
D'abord, vers 810 ou 812, au moment où Charlemagne, se
trouvant à Narbonne, vit les Normands essayer de débarquer
sur les côtes méridionales de la France (2).
Or, ce n'est guère probable à cette époque. En effet, la chro-
nique deSaint-Gall, qui raconte ce détail, fait remarquer qu'en
apprenant la présence de Charlemagne sur ces rivages, les Nor-
mands s'enfuirent (3) ; de plus, à cause des invasions que les
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(1) Depping. op. cit. (passimj, citant Alcuin, pp. 47, 48.— Alfred, Vita
sancti Ludgarii, p. 56. — Paschase Ratbert, moine de Corbie, p. 90, —
Synode de Quiersy, en 857, p. 107— Aigon, Fragmenta hist.t p. 100, etc.,
etc. — Darras, Histoire de l'Eglise, t.XVIII, p. 373.
(2) Les Mérovingiens et les Carlovingiens, par de Mauléon, t. II,
p. 130.
(3) Depping, op. cit., p. 53. — Moine Saint-Gall, De rébus bellicis Ca-
roli Magni% lib. II. ,
♦<
- 572 —
Sarrasins faisaient sur les côtes de l'Italie, de la Corse et de la
Sardaigne, tout le littoral avait été mis en état de défense. Les
postes militaires avaient été reconstruits, multipliés et forti-
fiés(l). L'ordre était donné à tout homme de se lever et de mar-
cher à l'ennemi aussitôt qu'on en signalerait la présence (2): des
flotilles stationnaient le long des côtes. Une d'entre elles se
trouvait aux environs des bouches du Rhône (3). Les pirates
normands qui n'arrivaient pas toujours en bandes très nom-
breuses, surtout dans le sud de la France, n'ayant guère l'es-
poir de faire un grand butin au milieu de populations en ar-
mes, ne débarquèreut pas. Nous en avons une preuve certaine
d'ailleurs, dans le témoignage de l'auteur de la Vie de Char-
lemagne, Eginhard, qui a raconté année par année les faits et
gestes de cet empereur. Après avoir mentionné la destruction
de Givita-Vecchia par les Maures, il ajoute qu'à l'exception de
ce désastre, durant la vie de Charlemagne ni les Maures en
Italie, ni les Normands en Gaule et en Germanie, ne tentèrent
quoi que ce soit (4). A Marseille donc et sur les bords de THu-
veaune il ne se passa rien d'anormal.
De 813 à 844, il n'y a pas de probabilité encoreque lesNor-
mands aient martyrisé notre sainte Eusébie, puisqu'ils ne sont
pas venus à Marseille. Les chroniqueurs qui relatent toutes les
entreprise s de ces pirates et qui les suivent dans le détail de
leurs opérations ne signalent pas leur présence sur nos rivages.
Le théâtre de leurs exploits furent les contrées du nord et de
l'ouest de ta France. En 820, les Normands pillent la Flandre;
(1) « Per o m ries portus et ostia fluminum qui naves recipi posse vi-
debantur, stationibus et excubiis dispositis ne quâ hostis exire potuisset,
tali munitione prohibuit.» Eginhard, Vit a Karoli, c. XIV.
(2) Gapitulaire 16 de Charlemagne.
(3) c Prseceperat tune temporis fabricari naves contra Normannium
incursiones in omnibus fluminibus quae mari influebant, quam curam
etiam filio injunxit super Rhodanum.» Vita Ludovici PU (ad ann. 807.J
— Depping., op. cit., p. 59.— Dareste, Histoire de France, t. I, p. 406.
(4) « Per hoc nullo gravi damno vel a Mauris Italia vel Gallia aut
Germania a Normaunis diebus suis affecta est, praeter quod Centum-
cellas, civitas Etruriae per proditionem a Mauris capta est atque vastn-
ta.» Eginhard, Vita Caroli Magni, cité par M. de Rey, -invasions det
Sarrasins en Provence, p. 217.
i
— 573 —
en 830, ils brûlent le monastère de l'Ile de Noirmoutier. De
833 à 846, pendant qu\ine bande ravage l'Angleterre, une
autre détruit Dorestad et Anvers, une troisième met à sac
Houen et l'abbaye de Jumièges, une quatrième remonte la
Loire, incendie Nantes, Blois et Tours (1).
L'année 844 les vit aussi pénétrer dans la Gironde, entrer
à Bordeaux, prendre Toulouse, ravager tout le pays voisin, ar-
river jusqu'à Tarbes qui fut réduite en cendres. Là cependant
une troupe valeureuse de montagnards les surprend dans un
défilé des Pyrénées, et les égorge tous (2). Une bande qui
avait échappé au carnage, parce qu'elle ne s'était pas aven-
turée si loin, cingle vers les côtes d'Espagne, met au pillage la
ville de La Corogne, puis, descendant vers le Tage, menace
Lisbonne sans l'attaquer, surprend Cadix, remonte le Guadal-
quivir, brûle Séville, et, pénétrant dans la Méditerranée,
en infeste les côtes jusqu'à Sidonia (3). Pourrait-on dire que
ces hardis pirates ont poussé jusqu'à Marseille ? Nous ne le
croyons pas. Aux environs de La Corogne d'abord, le roi des
Asturies leur livre bataille, en tue un grand nombre, incendie
90 bateaux et met le reste en fuite (4). Aux abords de Séville,
le même sort les attendait. Abdéramme II, roi de Cordoue, en-
voie à leur poursuite. Ainsi Normands et Sarrasins, deux races
de pillards, s'en tr égorgent à qui mieux mieux. Les Normands
sont vaincus cependant et poursuivis par la flotte sarrasine, qui
garde l'entrée des fleuves de concert avec les troupes qui pro*
tègent les villes du littoral (5). Ceux qui échappèrent à ces dé-
faites ne durent pas arriver jusque sur nos rivages. D'ailleurs,
les chroniques nous autorisent à le penser ainsi. C'est en sep*
terabre 844 que les Normands brûlent Séville. Or, cette flotte, en
quittant l'Espagne, revient sur les côtes d'Aquitaine. Ceux qui
(1) Depping, op. cit. (passim).
(2) Depping, op. cit., pp. 82, 83.
(3) Depping, op. cit., p. 85.
(4) « Ramirus rex, juxta Garum Bregantinum maximam ejusdeni
partem proslravit, traditis igni navibus, numéro LXX, onustus prœdà
ad propria incolumis reducitur.» Une chronique citée par Depping, op.
cit., p. &4.
(5) Depping, op, ci*.,pp. 85,86.
37
- 574 —
la montent arrivent jusqu'à Saintes, et la détruisent. Ils pas-
sent tout l'hiver de 845 dans ces parages, et au printemps ils
attaquent Bordeaux (1). Puisque les chroniqueurs sont si pré-
cis sur les détails, ils auraient fait mention de leur arrivée en
Provence à<re moment, si véritablement il3 y étaient venus.
Est-ce de 844 à 859 qu'ils ont pénétré chez nous? Non,
ils ravagent toujours le nord et l'ouest de notre malheu-
reuse patrie. En 845, Rouen les revoit dans ses murs, et
Paris, la veille de Pâques, est pillé, saccagé, incendié.
Ils ne s'éloignent de cette ville que moyennant la somme de
7,000 livres pesant d'argent. Mais, pour une flotte qui regagne
les ports danois, il y en a deux, trois, quatre autres qui con-
tinuent à sillonner les mers et les fleuves de France. En 847
on les trouve en Bretagne, le Mont Saint- Michel est brûlé ;
en 848, c'est le tour de Bordeaux, de Saintes, de Périgueux;
en 852, de Tours et d'Orléans ; en 855, de Bordeaux et de Tou-
louse; en 857, de Paris et de Chartres; en 759, de Noyonet
d'Amiens; en 859, enfin, moyennant un tribut de 3,500 li-
vres pesant d'argent, ils consentent à se retirer (2). Rien de
particulier donc, dans le récit des chroniqueurs, qui fasse
allusion à la venue jusqu'à Marseille des Normands, à cette
époque.
Durant cette môme année de 859, alors qu'une flotte nor-
mande quitte le nord de la France, chargée de butin, une au-
tre flotte de pirates, composée de cent bateaux et commandée
par Hasting, pille les Baléares et parcourt la Méditerranée, puis
elle se dirige sur les côtes de l'Italie. Apercevant du haut de
leurs navires une ville flanquée de tours et de murailles, les
barbares la prennent pour cette Rome dont ils ont si souvent
entendu parler. Ils débarquent et s'en emparent. Ce n'était ce-
pendant que la petite ville de Luna. Au retour, la chronique dit
qu'une tempête assaille la flotte, la brise et la disperse ÇS).
Mais un autre chroniqueur ajoute qu'a en cette année 850,
une troupe de Normands eut la hardiesse de pénétrer dans la
(t) Depping, op cit., pp. 85, 97.
(2) Depping, op. cit. (passim).
(3) Depping, op. c#.,pp. 112, 113.
- 575-
Méditerranée parle détroit qui sépare l'Espagne de l'Afrique,
d'entrer dans, l'embouchure du Rhône et, après avoir ravagé
quelques villes et monastères, de s'établir dans la Camargue,
lie très riche, où séjournaient fréquemment aussi les pirates
sarrasins. L'année suivante, 860, on vit ces pirates remonter le
tleuve jusqu'à Valence, puis revenir avec beaucoup de butin
à leur camp dans l'Ile du Rhône (1).» Sera-ce à cette époque
qu'il faudra placer la mort de nos héroïques Cassianites de
Marseille »
Nousne le croyons pas. En effet, M. de Iley demande a quelles
sont ces villes que le chroniqueur assure avoir été saccagées
parles barbares du Nord, dans la première année de leur
apparition. On raconte, ajoute-t-il, qu'ils vinrent aux Marti-
tigues, et même à Marseille, où, d'après Ruffi, ils auraient dé-
truit l'abbaye de Saint-Victor. Tout cela est un peu gratuit, et
nous ne nous y arrêterons pas. Nous accepterons plus volon-
tiers ce que quelques auteurs ont dit : que les Normands quit-
tèrent la vallée du Rhône et la Provence par crainte des arme-
ments de Gérard de Roussillon. Ce serait même après avoir
chassé les Normands et les Sarrasins, que Gérard, pour prix de
ses services, aurait demandé aux Marseillais le corps de saint
Lazare (2). »
A notre tour, nous disons que c'est .sans donner aucune
preuve de ses affirmations que Ruffi dit qu'a, il y a apparence
que ce fut pour lors qu'ils ruinèrent le monastère de Saint-
Victor, et qu'ils saccagèrent la ville de Marseille (3).n Nous
(1) Annales de Saint-Berlin, ad annvm 859 : c Pirate Danorum longo
maris circuitu. inter Hispanias videlicet et Africain navigantes, Rhoda-
uum Ingrediuntur, depopulatisque quibusdam civitatibus ac monasteriis
in insula quie Camaria dicitur, séries ponunt.» Ad annum 800 : ■ Hi
vero Dani, qui in Rhodano morabantur usque ad Valenlinam clvitatem
vaatando perveniunt. Unde direptis quœ circa erant omnibus, reverten-
tes ad insulani in quâ sedes posueranl, redeunt. Dani, qui in Rhodano
fuerant, Ilaliam petunt et Pisas clvitatem allasque captunt.i Invasion»
des Sarrasins en Provence. parG. de Rey, p. 223.— De Maulôon, Les
Mérovingiens et les Carlovingiens, t, II, p. 286. — Papou, Histoire de
Provence, t. II, p. 86.
(2) G. de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 87.
(3) Ruifl, Histoire de Marseille, t. I, p. 118.
— 576 —
ajoutons avec M. de Rey : « Quelles sont les villes que les Nor-
mands détruisirent alors? » La chronique de Nîmes mentionne
que ce furent Arles et Nimes(l). Il est bien croyable que si
Marseille avait subi le môme sort, les annales de Saint-Bertin
l'auraient dit, et la chronique de Nîmes surtout, annales de
de la région, en aurait parlé. Avec les auteurs, enfin, nous
croyons que la présence à Marseille de Gérard de Roussillon,
gouverneur de la Provence pour Charles, fils de l'empereur
Lolhaire, intimida ces pirates. Il marcha contre eux et les mit
en fuite (2).
Les quarante dernières années du IX* siècle s'écoulent en de
perpétuelles angoisses pour les populations de la France. Les
Normands parcourent ce pays en tout sens. Tantôt c'est la
Seine et la Marne dont ils remontent le cours ; Paris, Meaux
qu'ils saccagent (862-865) ; tantôt ce sont les bords de la Loire
qu'ils dévastent; Nantes (866), Bourges (867) qu'ils incendient.
On les trouve dans TAngoumois (863), dans le Maine, le Berry
(873), à Gand(878),à Ypres, Oudenarde et Arras(880), à Nimè-
gue, à Cologne, à Trêves (883) ; en Angleterre (870), où ils
massacrent les religieuses de l'abbaye de Collingham, qui, pour
échapper à la lubricité de ces barbares, imitent les vierges
de l'Huveaune et se mutilent le visage (3). Enfin, en 898, RoN
Ion débarque à Rouen, s'empare du pays, s'y installe avec
ses compagnons d'armes, d'une manière si forte, que, dans
l'impossibilité où l'on est de les chasser, on prend le parti de
le leur céder, à condition de la paix définitive(913) (4). C'est de-
puis, que ce pays conquis s'appella la Normandie.
Durant ce laps de temps, y a-t-il un moment où ces pirates
abordent à Marseille ? Nous ne le croyons pas. Ni les historiens,
iii les chroniqueurs n'en disent rien. La Provence, d'ailleurs,
(1) Depping, op. cit., p. 114, citant la chronique de Nimes, Histoire
de Nîmes, par Menard.
(2) Faillon, Monuments inédits sur Vaposiolat de sainte Marie-Mag-
deleine,t. I, p. 728.— Lalauzière, Abrégé chronologique de l histoire
'd'Arles, p. 97, à l'année 859. — Bouche, Essai sur Vhistoirc de Proven-
ce, 1. 1, p. 194. — Papon, Histoire de Provence, t. Il, p. 86.
(3) Depping, op. cit., p. 152.
(4) Depping, op. cit. (passim).
— 577 —
n'était guère mieux partagée que les contrées du Nord. Pour
n'avoir pas les Normands, elle avait les Sarrasins qui la pil-
laient, la rançonnaient, et la couvraient de ruines.
On le voit donc, il est difficile d'imputer aux Normands le
massacre de nos Cassianites de l'Hiiveaune .
CHAPITRE VI
Les Hongrois n'ont pas massacré sainte Eusébie
LES H0NGROI8 KN PROVENCE, VER8 924.— ASSERTIONS DES AUTEURS.
— CES BARBARES NE &ONT PAS VENUS JUSQU'A MARSEILLE. — ILS
N'ONT FAIT QUE TRAVERSER LA PROVENCE, DES ALPES EN NARBON-
NAISE PAR AVIGNON. — CHRONIQUEURS,
A un moment de notre histoire, les Hongrois sont venus en
Provence. Voici ce que nous lisons dans H. Bouche (1):
a Environ ce temps (924), les Huns et les Hongres, que Béren-
ger, roi d'Italie avait appelés pour se venger de Rodolphe, roi
de la Bourgogne trans]urane,voyant ceBérenger mort, destitués
d'appui pour eux et le pays de défense, ravagent déplorable-
ment toute la Lombard ie et réduisent en cendres presque toute
la ville de Pavie. Et, comme ils voulaient venir en France,
ils sont attaqués aux passages des Alpes, par ce Rodolphe et
par notreHugues (roi de Provence), qui leur ferment le pas-
sage de ces montagnes ; toutefois non pas si bien qu'ils n'y
trouvassent une ouverture. Car, ayant traversé le Dauphiné et
la Provence, ils entrèrent dans le Languedoc, où ils firent
aussi de grands ravages et exercèrent de grandes cruautés,
comme assure le bréviaire selon l'usage de l'abbaye de Saint-
Gilles sur le Rhône par le sieur Saxi, et où toutefois la main
de Dieu les arrêta, par une cruelle peste qui les fit tous
périr en cette province-là, sans exception presque de per-
sonne (i). »
Papon a écrit à son tour : a (924). Les Hongrois, attirés en
Italie par Bérenger, vinrent en deçà des Alpes par le mont
Cenis, afin de ravager les deux royaumes de Bourgogne
Hugues et Rodolphe, ayant réuni leurs forces, tombèrent
ensemble sur les barbares, les défirent et les obligèrent de
(1) H» Bouche, Histoire de Provence , t. I, p. 792
— 579 —
repasser en Italie. Cet échec ne les abattit point. Les Hongrois,
résolus de passer dans les Gaules, à quelque prix que ce fût,
se frayèrent un passage par les Alpes-Maritimes, se répandi-
rent dans la basse Provence et s'avancèrent jusqu'au Rhône,
commettant partout des cruautés inouïes. Hugues et Rodol-
phe, en ayant eu la nouvelle, se mirent en marche pour les
attaquer une seconde fois, mais ils arrivèrent trop tard, les
Hongrois avaiept déjà passé le Rhône et ravageaient le Lan »
guedoc, où ces princes ne jugèrent pas à propos de les pour*
suivre. . . (1) »
Parmi les auteurs modernes, de Mauléon a écrit à ce sujet :
« (925). Les Hongrois portaient depuis plusieurs années la
dévastation dans diverses contrées. Avant de signaler leurs
fureurs dans la Lorraine, ils s'étaient introduits en Italie,
dont ils avaient pillé un grand nombre de villes. Ils pénétrè-
rent en dernier lieu dans la Provence et le Dauphiné. Mais ils
furent si vivement poursuivis par Raoul et Hugues, comte de
Vienne, que la plupart périrent par le fer ou par les maladies
épidémiques que la maladie causa parmi eux (2). »
Dans les Fastes de Provence de Fouque, on lit : a Les
Hongrois et leurs bandes vagabondes continuaient à se répan-
dre partout où elles pouvaient pénétrer, le fer et la flamme à
la main. La Germanie, l'Italie et la France avaient été plus
d'une fois le théâtre de leurs fureurs. Ils traitèrent les Pro-
vençaux et les Bourguignons avec tant de cruauté, ils répan-
dirent tant de sang, ils brûlèrent tant d'églises et de monas-
tères, ils massacrèrent tant de ministres du Seigneur. . ., que
l'on s'imagina que la fin du monde était proche. £n 924, ils
traversèrent les Alpes vers le mont Cenis, se jetèrent dans la
Provence et la Bourgogne qu'ils mirent à feu et à sang.
Hugues et Rodolphe, agissant de concert, les repoussèrent (3).»
Dareste a écrit dans son Histoire de France : « Une armée
de Hongrois, que Bérenger avait prise à sa solde et qui n'ar-
riva qu'après sa défaite, ne se borna pas à dévaster la Lom-
(1) Papon, Histoire Provence, t. II, p. 153.
(2) De Mauléon, Mérovingi ens et Carlovingiens, t. III, p. Ï.9.
(3) Fouque» Fastes de Provence,t. I, pp. 315-316.
— 580 —
bardie et à piller la ville de Pavie, qui fut mise à feu et à
sang: elle passa les Alpes, parcourut la Provence, laGothie,
une partie môme de l'Aquitaine et s'avança jusqu'aux portes
de Toulon.'.. En 9*24, ils pillèrent Nimes et jetèrent une
véritable panique dans le midi de la France. . . Cependant
Raymond Pons, comte de Toulouse et marquis de Gothie,
s'entendit avec les rois des deux Bourgognes, réunit les forces
nécessaires, combattit les bandes hongroises, qu'il détruisit,
et délivra le Midi (1). »
Quelques autres historiens se contentent de vagues indica-
tions. La Statistique des Bouches-du-JRhône dit « que
Hugues se lia avec Rodolphe, roi de Bourgogne, pour com-
battre les Hongrois qui ravageaient toute la Provence (2). »
Guîndon et Méry rapportent que « Hugues, après avoir déli-
vré la Provence, de concert avec Rodolphe, roi de Bourgogne,
des Hongrois qui s'y étaient abattus. . . (3) »
Dans Lalauzière, on lit : a Boson, ayant appris que les Hon-
grois commettaient dans la province Narbonaise toutes sortes
de ravages, s'y porta à la tête d'une puissante armée, avec
laquelle il les détruisit, en 930 (4). »
Sur le témoignage de ces historiens pourrait-on établir la
probabilité que le3 Hongrois sont arrivés jusqu'à Marseille, et
qu'ils sont, eux, les auteurs de ce massacre que l'on a attribué
à d'autres peuples barbares ?
Non, ce ne sont pas les Hongrois qui ont martyrisé notre
sainte Eusébie.
D'abord, il n'y a aucun vestige de tradition, à Marseille,
que ces peuples aient visité notre terroir, et surtout qu'ils
aient détruit le monastère des vierges cassianites.
De plus, aucun historien de Marseille ou de la Provence que
nous connaissions n a émis une telle assertion. Ceux que nous
avons cités plus haut : Ruffi, Papon, de Mauléon, Fouque,
Lalauzière, Dareste, etc.-, etc., nommentjla Provence, laNar-
bonnaise, le Dauphiné, la Bourgogne, comme ayant été le
(1) Dareste, Histoire de France, t. I, p. 505.
Ci) Statistique des Bouches-du-Rhône% t. II, p. 116.
(3) Guîndon et Méry, t. ï, p. 109.
(4) Lalauzière, Ahrèçjè chronologique de l'histoire d* Arles, p 105.
— 581 —
théâtre de leurs sauvageries. Mais pas un qui désigne Marseille.
D'au 1res historiens delà Provence ou de Marseille ne par-
lent même pas de ces barbares : Ruffi, de Belsunce, Gaufridi,
Laulard, Faillon, Fabre, Alliez, etc.
Les chroniqueurs de l'époque (1) , les divers historiens (2),
ceux même qui ont parlé des Hongrois et de leurs ravages
dans les contrées qu'ils ont traversées ne disent d'aucune ma-
nière que Marseille ait eu à souffrir de leurs invasions. Il
existe donc déjà une forte présomption que ces barbares ne
sont pas les auteurs du massacre de sainte Eusébie.
Les détails que donnent certains historiens prouvent au
contraire que les Hongrois ne sont pas venus à Marseille.
La chronique de Verdun s'exprime en ces termes à ce
sujet : a Les Hongrois, alors que Raoul régnait sur la Gaule
cisalpine et Hugues sur le Viennois, forcèrent les portes des
Alpes et se jetèrent dans la Gothie (la Narbonnaise) (3). »
Flodoard, à l'année 924, raconte que a les Hongrois vinrent
en Gaule en traversant les gorges escarpées des Alpes. Rodol-
phe, roi de la Gaule cisalpine, et Hugues, duc de Vienne, les
enferment dans les défilés des collines Alpines ; mais, échap-
pant par des chemins détournés, ils gagnent la Gothie; les
chefs les poursuivent et massacrent ceux qu'ils peuvent
trouver (4). »
(1) La chronique de Verdun cité par la GctXlia Christiana, t. I, col.
479 ; celle de Flodoard, citée par de Rey, Invasions des Sarrasins en
Provence, p. 230. — Luitprand Antapodosis, cité par de Rey, op. cit.,
p. 225. —Livre des malheurs, de Saint-Gall, cité par de Rey, op. cit.,
p. 232. — Les chroniques Augiense et Vitzburgense, citées par G allia
Christiana, t. I, col. 479.
(2) Gallia Christiana, 1. 1, col. 479.— Guesnay, Annales Massiliensis
Provinciœ, p. 271.— Pontificium Arelatense, par Saxi, p. 188.— France
pontificale, par Fisquet (Sisteron), pp. 27,28.— Histoire hagiologique du
diocèse de Gap, p. 442. — De Rey, Invasions des Sarrasins en France,
p. 152, etc,
(3) c Montium portis exclus!, per dévia Gothiam ingressi sunt. »
Chronique de Verdun, citée par la Gallia Christiana, t. I, col. 479. —
La France pontificale (Sisteron), p. 28.
(4) « .. Hungari per abrupta transeuntes Alpium juga, veniunt in
Galliam, quos Rodolphus, Cisalpin» rex et Hugo Viennensis, inter an-
gustias collium Alpinorum claudunt, unde inopinatô per dévia montis
— 582 —
Le bréviaire en usage dans l'abbaye de Saint-Gilles contient
ce passage : a En Tannée 925, alors que Autulphus était abbé de
Saint-Gilles du Rhône, la nation des Hongrois, appelés aussi les
Huns, sortit des contrées de la Pannonie, ravagea l'Italie, puis,
comme un torrent furieux, elle s'élança et se répandit dans
les vallées et mit à sac toute la province appelée Naribon-
naise (1). »
Les rédacteurs de la Gallia Chrisliana, expliquant les ter-
mes de la chronique de Verdun : « per dévia Gothiam ingressi
sunt », indiquent, parmi les villes traversées par les barbares:
Forcalquier, Sisteron, Apt, etc. (2).
Le P. Colombi pense qu' a après avoir traversé les cluses
des Alpes, ils descendirent dans la vallée de la Durance, puis
qu'ils prirent l'ancienne voie romaine, qui passait par Alau-
nium, Catuiaca (Céreste des Basses-Alpes) et Apta Julia
(Apt) (3). »
M. de Rey dit que « Flodoard, par les mots : « inter angus-
tias collium Alpinorum », entend sans doute les montagnes
des Alpines, sur la rive gauche du Rhône, en face d'Arles et
Tarascon ; de là ils purent, en échappant à l'étreinte des deux
rois, traverser promptement le fleuve et pénétrer en Go-
thie (4). »
devadentes, Gothiam impetunt : quos insequentes prœdicti duces, ster-
nuntexhis quos reperire poterant... Hungari, qui Gothiam vastabant,
pestem quamdara perpessi... penecuncti, paucis evadentibus, nuniian-
tur esse consumpti... » Flodoard, cité par M. de Rey, Invasions des
Sarrasins en Provence, p. 230.
(1) « Post hsec, etiam anno 925, cum praeerat huic monasterio scilicet
sancti Egidil ad Rhodanum, domnus Autulphus abbas, gens Hungaro-
rumquaeet Huniolim vocabantur.egressa de finibus Pannonia?, cum per-
transisset devastando terminos îtaliae, quasi torrens raptim in conval-
Hbus diffusa est, et hanc provinciam Narbonensem longé latèquedepo-
pulata est. .. » Cité par Guesnay, Annales Massiliensis Prow'ncic», p. 271.
— Saxi, Pontifîcium Arelatense, p. 188.
(2) « Hi nimirum, Rodulpho Cisalpins? Gallia? rege et HugoneVien-
nensi transitus Alpium armatà manu tenentibus, montium portis ex-
clus!, per dévia (Forcalqueril, Sistarici et Aptœ Juliœ), Gothiam in-
gressi sunt. » Gallia Ctiristiana, 1. 1, p. 479.
(3) P. Colombi , cité par M. de Rey, Invasions des Sarrasins en
Provence, p. 152.
(4) De Rey, op. cit., p. 152.
— 583 —
À l'aide de ces données, il nous est facile de retrouver
dans ses lignes générales la route que les Hongrois ont suivie
pour venir d'Italie en Narbonnaise. Ils pénètrent en Gaule par
les cluses des Alpes (1), par le mont Cenis (2). L'armée de
Rodolphe les pressant d'un côté, celle de Hugues les serrant
de l'autre, ils gagnèrent Forcalquier, Sisteron et Apt, non sans
avoir essuyé des défaites (3). Mais, les armées de Rodolphe et de
Hugues se rapprochant toujours et les prenant comme dans
un étau, les barbares furent cernés entre Arles, Tarascon et
Apt, dans les déiilés des Alpines (4). Or, peut-être à la suite
d'une heureuse feinte ou de quelque combat point trop dé-
cisif, ils échappent aux deux rois qui les poursuivent, et
« inopinatô per dévia montis », dit Flodoard, a raptim in con-
vallibus », dit le bréviaire de l'abbaye de Saint-Gilles (5), ils
défilent promptement, traversent le Rhône et gagnent la
Narbonnaise (6). Là ils font mille ravages, détruisent la ville
de Nimes, arrivent même jusqu'à Toulouse (7). Poursuivis par
Rodolphe, Hugues et Raymond Pons, comte de Toulouse et
de Gothie, ils sont exterminés (8) et, une peste qui éclate, ai-
dant, ils périssent jusqu'au dernier (9).
On le voit il n'y a nulle apparence que les Hongrois soient
venus jusqu'à Marseille. Papon a bien écrit : « qu'ils se frayè-
rent un passage par les Alpes maritimes, et se répandirent
dans la basse Provence (10) ». Quelle preuve apporte t-il de
son affirmation ? Les chroniqueurs sont formels, ils ne disent
pas un mot de Marseille. Il vaut mieux se fier à ces chroni-
queurs qu'à Papon. D'autant que, tout en ayant ces chroni-
ques sous les yeux, Papon se trompe dans ses assertions. 11
»
(1) P. Colombi, cité par de Rey, op. cit., p. 152.
(2) Papon, Fouque.
(3) Gaîlia Christtana; Fisquet, P. Colombi, dans de Rey, op. cit. —
Chronique de Verdun, Bouche, Papon, Saxi, Guesnay.
(4) Chronique de Flodoard, dans de Rey, op. cit.
(5) Flodoard, bréviaire de Saint-Gilles.
(6) Chroniques de Verdun et de Flodoard.
(7) Dareste, H. Bouche, Papon, Lalauzière, etc.
(8) Dareste.
(9) Chronique de Flodoard, etc.
(10) Papon, Histoire de Provence t t. II, p. 153.
— 584 —
dit notamment que a Rodolphe et Hugues ne jugèrent pas à
propos de poursuivre les barbares en Languedoc, mais qu'ils
se contentèrent de faire main basse sur ceux de r arrière-garde
qui restaient en deçà du Rhône et les exterminèrent jusqu'au
dernier (1). » Or, Flodoard dit expressément : « que ces mêmes
chefs les y poursuivirent : a quos insequentes prsedicti
duces (2) 9. L'allégation de l'historien Papon ne repose sur
aucune preuve.
Nous pouvons encore le dire : Ce ne sont pas les Hongrois
qui, en 924 ou 925, mirent à mort les vierges cassianites de
THuveaune et leur abbesse sainte Eusébie.
(1) Papon, Histoire de Provence, t. IL p. 153.
(2) Flodoard, cité par de Rey.ojo. et*,
CHAPITRE VII
Le martyre de sainte Eusébie n'a pu avoir lieu
aux dates proposées par les auteurs.
DATES DIVERSES, — CELLB8 DE 407 (H. BOUCHE), DE 450, 477 (GUESNAY),
DE 497 (GRINDA), DE 507 (PIERRHUGUES), DE 725-730 (BOUSQUET), DE
730 (MAGNAN), DE 731 (LONGUEVAL), ANTÉRIEUREMENT A 737 (GROS-
son), de 731 ou 732 (mabillon, alliez, darras), de 735 (guindon
et mery), de 736 (bouche l'avocat).
H. Bouche, nous le savons, semble placer le martyre de
sainte Eusébie vers Tannée 407. C'est la date que Ton trouve
en marge, à l'endroit de son ouvrage où il parle de la destruc-
tion par les Vandales du cœnobium de l'Huveaupe. Impossible
de l'accepter pour deux raisons. Les Vandales, d'abord, ne
sont pas venus à Marseille en 407. Salvien, indiquant l'ordre
dans lequel les provinces de la Gaule ont été ravagées par ces
barbares, écrit « que la nation vandale, quittant ses foyers, se
jeta sur la Germanie, puis ce fut le tour de la région des
Belges, et enfin celui de l'Aquitaine. » Pas un mot de la Pro-
vence, et cependant Salvien était prêtre à Marseille et y habita
longtemps. Aussi, parmi les historiens, il est accepté que Jes
Vandales n'ont point paru dans nos contrées. Mgr de Belsunce
le dit en propres termes : a On ne croit pas qu'ils aient fait
irruption en Provence, tout au moins dans la partie sud de
cette province. » Ensuite, y fussent-ils venus, ils n'ont pu
détruire le cœnobium de l'Huveaune, parce qu'il n'était pas
fondé. Très probablement, à cette date, Gassien, le fondateur,
n'était pas encore à Marseille. En admettant qu'il s'y trouvât,
au plus tôt dès 406, ce ne fut pas dès son arrivée qu'il établit
les deux monastères. De l'avis de quelques auteurs, ils ont été
fondés vers 410, plus sûrement vers 415; En 407, donc, les
— 586 —
Vandales n'ont pu les détruire ; partant, sainte Eusébie n'a pas
subi le martyre en 407.
Guesnay assigne la date de 450 dans les Annales Provin-
ciœ Massiliensis et celle de 477 dans le Cassianus illustra-
tus. Ces deux dates sont inacceptables. Si le monastère
des religieuses cassianites avait été détruit à ce moment,
le souvenir en fût resté ti Marseille. On n'aurait pu l'oublier.
Or, postérieurement à 477, Gennade, écrivant la vie de saint
Cassien dans Les Hommes illustres de V Eglise , dit des
deux monastères que ce religieux établit : a Usque hodiè
exstant » (jusqu'à aujourd'hui ils sont debout), parole qui ne
serait pas vraie ou qui aurait reçu un correctif, si quelque
désastre du genre de celui qui nous préoccupe était arrivé aux
monastères ou à l'un d'entre eux. Donc, ce n'est pas en 450
ou 477 que sainte Eusébie a été martyrisée.
M. Grinda, nous l'avons dit, croit q'ue Tannée 497 est la
date de l'inscription d'Eusébie, et « tenant à considérer cette
inscription comme l'épitaphede la sainte que l'Eglise honore,
il croit aussi que l'on peut faire remonter la date de son mar-
tyre à la fin du V* siècle, » Dans l'idée de cet auteur donc,
Tannée 497 pourrait être celle du martyre de notre Eusébie.
Nous, nous disons : ce n'est guère possible.
Rappelons d'abord la rectification que nous avons faite au
sujet de cette date : 497, en qualité d'indiction sixième. C'est
498 qu'il faudrait dire. Si donc M. Grinda tenait au millé-
sime de 497, il serait d'abord en désaccord avec l'inscription.
Ce ne serait pas une indiction sixième. S'il accepte la rectifi-
cation, voici comment la date de 498 est inacceptable. Elle
coïncide, en effet, avec le début du règne du Vandale Trasa-
mund, successeur de Guntamunde, qui persécuta les catho-
liques, non pas par les souffrances et la mort, mais par l'exil
pour les évéques et Tappât des dignités et des honneurs pour
les simples fidèles. Elle coïncide avec la présence à Mar-
seille, probablement des Bourguignons, peut-être des Visi-
goths. Or, ni Alaric II, roi des Yisigoths, ni Gondebaud, roi
des Bourguignons, n'ont pu faire commettre ce forfait. Quoi-
que ariens tous deux, ils n'ont pas, à proprement parler, per-
sécuté les catholiques. Donc, ni Vandales, ni Visigoths, ni
— 587 —
Bourguignons n'ont trempé dans ce crime. Donc, la date de 498
n'est point sûre du tout.
L'abbé Pierrhugues, on le sait, fixe à l'année 507 (1) le
martyre de saint Porcaire et, nous Pavons dit, quelques au-
teurs ont émis l'opinion que le massacre de sainte Eusébie et
de ses compagnes a pu avoir lieu à la môme époque que celui
de saint Porcaire et de ses cinq cents religieux., Sainte Eusébie
a-t-eile pu souffrir le martyre en celte année de 507 ? Rien
n'est moins probable. Cette année de 507 correspond à deux
événements assez marquants dans Phistoire, et qui excluent la
possibilité d'un tel fait (2). Au début de l'année 507, Alaric,
qui depuis quelques années était doux et bienveillant pour
les catholiques de ses Etats, en avait invité les évéques à se
réunir à Toulouse. Il devait soumettre à leur approbation un
nouveau code qu'il avait rédigé pour ses peuples. La confé-
rence eut lieu, et la promulgation de ce recueil de lois se fit
le 3 février 507. Il n'est pas croyable qu'à ce moment Alaric
ait ordonné le massacre des religieuses cassianites à Marseille,
ou que des pirates aient commis ce forfait sans que les milices
du roi visigoth ne Paient empêché, ou qu'il n'en soit resté
quelque trace.
Quelques mois s'étaient écoulés que la guerre éclatait entre
Alaric et Clovis. La bataille de Vouillé dut avoir lieu au mi-
lieu de l'été, puisque Clovis(3), après avoir soumis l'Aquitaine
et prit Toulouse, vint passer l'hiver de 507 à Bordeaux. Or,
peut-on croire qu' Alaric, déjà bien convaincu de la grande
sympathie de ses peuples catholiques pour Clovis, vainqueur
en tant de combats, protecteur zélé des évéques et des monas-
tères, voulût ajouter à la défaveur dont l'arianisme le couvrait
en faisant massacrer de pauvres religieuses ? Admettra-t-on
que ses soldats en garnison à Marseille aient accompli ce for-
fait ? Non, puisqu'il marchait au combat contre un roi catho-
lique, Alaric savait qu'il était de son intérêt de ne pas s'affi-
(1) L'abbé Pierrhugues, Fin de Lérins, p. 174.
(2) Vie de saint Césaire d'Arles, par l'abbé Villevieille, p. 113.
(3) Grégoire de Tours, Historia Francorum, liv. II, ch. 37.— Darras,
Histoire de l'Eglise, t. XIV, p. 128. — Dareste, Histoire de France,
t. I, p. 196.
— 588 —
cher à ce point tyran cruel et sanguinaire a l'égard des catho-
liques. Supposera-ton qu'une explosion de fanatisme de la
part des Ariens à Marseille ait causé pareil crime ? Les milices
d'Alaric en garnison à Marseille l'auraient laissé accomplir!
Mettons les choses au pire. A la nouvelle de la défaite et de
la mort* d'Alaric, quelques Ariens exaspérés ont -ils opéré
ce massacre? Rien d'impossible, c'est vrai. 'Mais observons
que nul auteur ne l'a dit. Nul .document n'en parle, nulle tra-
dition n'en a conservé le souvenir. C'est nous qui, passant
en revue les diverses époques et circonstances où cet événe-
ment a pu se produire, en faisons la supposition. Nos adver-
saires ont été dans l'impuissance de la faire ! Plus impuissants
encore ils seraient de l'appuyer de raisons telles qu'elle devint
une réalité. Non, il n'y a rien qui incline à penser que ce fait
se soit accompli à cette date.
M. Bousquet parait vouloir placer le martyre de sainte Eusé-
bie entre les années 725-730. Il emprunte à H. Bouche la des-
cription des ravages des Sarrasins à cette époque. Cette date
est inacceptable encore. Les Sarrasins ne sont pas en Provence
à ce moment. En 721, ils furents défaits par Eudes, sous les
murs de Toulouse. Abdéramme les ramena en Espagne En 724,
Ambissa revint avec eux et, durant l'année 724 et une partie
de Tannée 725, il prit Carcassonne, Nimes, et remonta vers le
Nord, ravageant la Septimanie jusqu'au Rhône, l'Albigeois, le
Rouergue* le Gévaudan, le Velay. Ce chef battu et tué en 725,
son armée revint sur les frontières d'Espagne et le calme se
fit durant quelques années. Ce ne fut qu'en 732, au printemps,
qu'Abdéramme, amenant des renforts, reprit la route du Nord,
poussant les ailes de son armée jusqu'à Arles, qui fut prise et
saccagée (i). De 725 à 732 donc, il ne parait pas que l'événe-
ment dont nous occupons ait eu lieu.
M. le chanoine Magnau a choisi l'année 730, semble-t-il
encore, pour le martyre de notre sainte. Nous répondons,
comme nous venons de le faire pour M. Bousquet, que cette
[\) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, pp. 20, 22, 23, 34,
40, 41. — De Rey, Invasions des Sarrasins en Provenbe, pr- 11. 1*.
13, 15, 16, 28.
- 589 -
date est inacceptable : les Sarrasins se trouvaient en Aquitaine
en Septimanie, en 730, mais nullement en Provence et à
Marseille.
Le P. Longueval, dans l' Histoire de V Eglise gallicane,
place cet événement à Tannée 731 . Même réponse qu'à MM. Ma-
gnan et Bousquet. Les Sarrasins n'ont rien entrepris en 731.
Les années 728, 729, 730 sont remplies par des querelles de
palais et de gouvernement. Les chefs se remplacent à bref
intervalle, jusqu'au jour où Abdéramme est nommé généra-
lissime des musulmans, le 15 mars 731. Or, avant de franchir
les Pyrénées, ce chef est obligé de terminer une guerre civile
qui avait éclaté à Cordoue. Ce n'est qu'au printemps de 732
qu'il parait en France (1). Donc, l'année 731, préconisée par
le P. Longueval, est inacceptable .
Grosson a choisi une date antérieure à 737 (2). Nous allons
montrer, dans les réponses faites à Mabillon, Guindon et
Méry et Bouche, qui choisissent eux aussi une date antérieure
à 737, que ce choix ne peut être soutenu.
Le docte Mabillon, nous l'avons vu, place cet événement
aux années 731 ou 732. Quant à l'année 731, îl n'est guère
possible de l'accepter, nous l'avons dit tantôt. La date de 732
est-elle plus probable ? Non. C'est au printemps de 732 qu'Ab-
déramme passa les Pyrénées à la tête d'une armée formida-
ble (3). Il ravagea, dit Adon le chroniqueur, la Septimanie
et la Viennoise (4). De là il se rabattit sur le centre de la
France, quand il apprit que Charles Martel et Eudes se pré-
paraient à marcher contre lui. En octobre il était à Tours et
à Poitiers, où il trouva la défaite et la mort dans la fameuse
bataille que lui livra Charles Martel (5). Arles était sur
(1) De Rey, Invasions des Sarrasins en France, pp. 15, 18f 19.
(2) Grosson, AlmanacJis historiques de Marseille, pour 1770, 1773-
(3; Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 41.— De Rey,
Invasions des Sarrasins en. Provence, p. 23.
(4) < Sarraceoi, znultis copiis navibusque plurimis, longé laléque
plurimas urbes ta m SeptiraaoiaB quam Viennensis provinciae vastant. »
Dans de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, chronique d'Adoo,
p. 210.
(5) De Rey, op. cit., pp. 16, 29. — Reinaud, op. cit., p. 44.
38
— 590 —
la route des Sarrasins; elle fut prise, pillée et incen-
diée. Tous les auteurs s'accordent à le dire (1), mais aucun
ne parle de Marseille. Les Sarrasins, à ce moment, n'ont pas
redescendu le cours du Rhôue. D autre part, à la suite de
leur défaite dans les plaines de Poitiers, ils s'enfuirent eu
Espagne ou en Septimanie (2), mais ils ne passèrent pas
auprès de nous. I) n'est donc pas possible de placer en 732 le
martyre de notre sainte Eusébie.
Alliez et Darras, qui eux aussi ont accepté cette date, sont
réfutés par le fait même.
Guinâon et Méry choisissent Tannée 735 pour la date du
martyre de notre sainte. Il y aurait un semblant d'exactitude
dans cette assertion. La chronique de Moissac dit, en effet,
que « Youssouf, gouverneur de Narbonne, passe le Rhône
avec son armée, s'empare d'Arles sans coup férir, la saccage,
et y demeure pendant quatre années (3). » D'après cette chro-
nique, la prise d'Arles aurait eu Heu en 735. Reinaud, Thisto-
torien de? Sarrasins en France , semble adopter cette
opinion (4). Mais dans les Invasions des Sarrasins en
Provence, M. de Rey, la combat, et avec raison, croyons-
nous, a Comment accepter cette date, dit-il, quand, en 735,
Charles Martel était avec une armée en Aquitaine? Déplus,
l'auteur anonyme ajoute que Youssouf ravagea la Provence
durant quatre années. Or, nous savons qu'en 736 Charles
Martel parcourut la Provence jusqu'à la mer, et y établit par-
tout son gouvernement. Il y a donc erreur dans la date de
735. La prise d Arles par Youssouf doit être retardée jusqu'à
Tannée 737 (5). » On ne peut mieux réfuter l'assertion de
Guinâon et Méry. Ce n'est pas en 735 que notre sainte Eusébie
a pu être martyrisée. Les annales de Metz disent qu'à cette
date Charles Martel était en Aquitaine et s'emparait du pays,
(1) De Rey, op. cit.y pp. 29, 84. — Reinaud, op. cit., p. 32.
(2) Reinaud, op. cit., pp. 49, 50.
(3) « Yusseph... Rhodanum fluvium transiit, Arelate civitate pace
ingreditur, thesauros civitatis invadit et per quatuor an nos totaux A re-
late ose m provinciam depopulat. >
(4) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 54.
(5) De Rey, op. cit. , p. 34.
— 591 —
à la suite de la mort d'Eudes (1). Or, le souvenir de la défaite
de Tours ou de Poitiers était encore trop récent, pour que les
Sarrasins se hasardassent à remonter le Rhône pendant que
Charles était en Aquitaine, et de taille à saisir la moindre
occasion favorable pour leur couper la retraite et les exter-
miner. D autant mieux que Youssouf n'était pas un général
très habile. Keinaud nous fait connaître qu'à la suite de cette
prétendue prise d'Arles, il se serait fait battre au milieu des
montagnes des Pyrénées, et qu'à cette nouvelle le khalife le
destitua et mit à sa place Ocba (2).
Bouche l'avocat, dans Y Essai sur Vhistoire de Provence,
et Fouque, dans les Fastes de Provence, placent le fait qui"
nous occupe vers 736. Impossible encore d'accepter cette
date. Le texte des chroniqueurs suffît à le montrer. En cette
année 736, Charles Martel se trouvait en Bourgogne et en
Provence. « Il pénétra, disent les annales de Metz, jusqu'à
Marseille et jusqu'à Arles, mettant tout au pouvoir de ses
ducs, et retourna heureusement au siège de sa puissance (3). »
Le troisième continuateur de Frédégaire écrit : a Le très prudent
Charles, à la tête de son armée, se dirige vers la Bourgogne, sou-
met à son pouvoir la ville de Lyon, range sous son obéissance
les habitants et les chefs de cette partie de la province, arrive
jusqu'à Arles et Marseille, y établit ses juges, ou ducs ; puis,
chargé de présents, de tributs et de trésors, il revient au siège
de sa puissance, dans le royaume des Francs. » Comment
supposer que les Sarrasins s'éloignent à tel point de leur base
d'opération, qu'ils s'avancent aussi près de Charles Martel, et
que, bravant pour ainsi dire sa présence dans nos contrées,
il les attaquent et les ravagent ?
(1) Reinaud, op. cit., p. 55.
(2) Reinaud, op. cit., p. 56.
(3) Annales de Metz, citées par de Rey, p. 33.
CHAPITRE VIII
Le m&ftyxtt dô aalûtô Êuaébiô n'a pu avoir lieu atut
dates proposées par les auteurs.
(Suite)
IA8 DATSS DR 737 (DB BBLBUNCB, PAPON, AUO. PABRR), DB 751 (BOCBAC-
KBB), DB 810 (STATISTIQUE DBS BOUCHBS-DU-RHONB), DR 8i4 A 840
(VBRLAQUÉ, XOTHBN), DB 838 (BBI^AUD, MAGL. QIRAUD), DB 867
(RUFPI, LAUTARD) , DB 92à (aNDB^ , DB RBt), 933 ÛO 948 (bfe BKT),
BOltf IM4QCBPTABLB0.
M8' de Belsuncê, Thislor ien Papon et, dans notre siècle,
Augustin tfâbre, placent cet événement en 737. La date n'est
pas bien précise, il est vrai, mais c'est sous la rubrique de cette
année qu'ils le mentionnent.
Or, il semble qu'il y ait encore uhe certaine vraisem-
blance dans l'énoncé de cette assertion. En 737, en effet, les
chroniqueurs racontent que les Sarrasins ont pris Avignon et
Arleà et qu'ils ont tout ravagé aux environs. Malgré ce, nous
ne pouvons accepter la date de 737. On ne trouve pas de
moment favorable, en cette année, pour le martyre de sainte
Eusébie. Nous allons le démontrer en indiquant la Série des
opérations et remploi du temps durant Tannée 737.
Remontons à deux ans auparavant. Eudes, le duc d'Aqui-
taine, étant mort en 735, Charles Martel vint avec une
puissante armée pour s'emparer de ce pays et l'unir au royau-
me d'Austrasie, dont il avait le gouvernement en qualité de
maire du palais. La conquête fut assez rapide, ïnâiâ elle ne
fut pas terminée à la fin de Tannée 735 (i). Durant Thiver, en
(1) Annales Quedliburgenses — Veissemburgenses — Lamberti : c 735.
Carolua vastavit Vascones. » (Patrologie latine, édition Migne, t. CXLI,
p. 465.) — 8igebert deQembloux : c 733 (en marge 736). Carolus, Vaissero
- 593 —
effet, de 735-736, ta princes aquitains réunirent <fc nouvelles
troupes (1) et recommencèrent le» hostilité* au début de 73ô,
Pour peu de temps que la guerre se prolongea, elle dut bien
se continuer durant quelque* mois, Deux traité» y mirent 8a ;
l'un par lequel Hunald, le 81s aîné d'Eudes, obtenait le
gouvernement de l'Aquitaine, à la condition de se considérer
comme le vassal des rots d'Austrasie, et l'autre en vertu duquel
Uatton, le frère d'Hunald, obtenait le Poitou et le Limousin (?),
Toutes ces négociations conduisirent Charles Martel au mois de
mars ou d'avril 736. C'est alors que ce prince entreprit son
expédition en Bourgogne et qu'il poussa jusqu'à Lyon, Arles
et Marseille. Tout.ayaut été soumis au pouvoir de ses ducs, il
retourna heureusement au siège de sa puissance, iVerberi^
sur-Oise. Ce devait être la fin de 736 (3).
Or, les annales ou les historiens font mention d'une expédi-
tion de Charles Martel en Germanie, contre les Saxons, en 737.
On ne faisait pas la guerre au coeur de l'hiver. D'autre part,
les annales qui mentionnent le retour, en 736, de Charles
Martel au siège de sa puissance, ne disent pas qu'il en
et Hunaldo filiis Eudonis victls dimicando, Aquitaniam sibl subjectt. »
(D. Bousquet, op. cit., t. III, p. 3470
(1) A nnales Nawrianœ : « 795, Carolus iovasit Vascoqiem. 736,
Hatto ligatus est (per pacem torsan ?). » (D. Bousquet, op. cit., t. J,
p. 640). —Annales Petavianœ : « 735, Carolus invasit Vasconiam. 736,
Carolus dimicabat contra fllios Eudonis » ( D. Bousquet, op. cit., 1. 1,
P 642.)
(?) Annales Metenses : f 735, Eodo dm mortuus est. . . Carolus il la m
regionem (Aquitaniam) ei subjugavit. . . ducatumque illum solitâ pietate
Hunaldo flUo Eudonis, dédit, qui sibi et flltis Pippino et Karlomano
fidem promisit, » (P. Bousquet, op. cit., t. II, p. 6$4f) — Adon Viennen-
sis : 1 736... sed variante concertatione fœdusnpn dm maosumm inœunt.»
(D. Bousquet, op. cit., t. II, p. 671.)
(3) Annales Metenses ; % 736, Eodem tempera, Carolus principe
Burg ondiara adiit, Lugdutmm Gallia urbem munilissimam su» ditiopi
subjugat, et usque Massiliam urbem et A relate m civitatem penetrsYU,
suisque ducibus omnia in po testa te tradens, ad sedem prjocipatus sui
remeavit t. (D. Bousquet, op, cit., t. II, p. 685,) Le continuateur de
Frédégaire place aussi en 735 la guerre contre les fils d'Eudes et eu 736
la visite de la Bourgogne et de la Provence, (D, Bousquet, t* Ulf p* 4M.)
La chropique d'Adhémar 4e même, (Dt Bousquet, op. cit., t U» p» W&-)
— 594 -
Sortit aussitôt pour courir sus aux Saxons (1). Ce ne fut qu'en
février ou en mars 737 qu'il dut se mettre en marche contre ces
barbares. Pendant qu'il était aux prises avec eux, on lui fit
savoir que les Sarrasins appelés par Mauronte s'élaient empa-
rés d'Avignon, d'Arles, qu'ils ravageaient la contrée environ-
nante, qu'ils pillaient tout et qu'ils remontaient vers Lyon.
Aussitôt il fait partir Childebrand, son frère. Celui-ci descend
sur Avignon et met le siège devant la ville. Peu après, Charles
Martel arrive, prend la ville d'assaut et massacre la garnison
sarrasine. Jl résolut alors de se débarrasser de ce qui restait de
Sarrasins en Gaule. Comme Narbonne était leur place forte
depuis dés années, il vint mettre le siège devant cette ville.
Or, en apprenant et l'échec d'Avignon et le siège de Narbonne,
Ocba, un chef musulman d'Espagne, s'apprêta à passer les Pyré
nées avec une armée formidable pour courir au secoure de la
ville assiégée. Mais une insurrection des Berbères en Afrique le
força à s'y rendre et h n'envoyer au secours de Narbonne que
quelques troupes. De son côté, Charles Martel laisse les opéra-
tions du siège de Narbonne au soin de son frère, court à la
rencontre des Sarrasins, les joint sur les bordsdu fleuve Berre,
dans la vallée de Corbières, et les défait.
Ceci se passait sûrement en 737, car la plupart des chroni-
queurs indiquent cette année. Le continuateur de Frédégaire,
les annales de Veissembourg, deQuedlinbourg, la chronique
de M'oissac, celle de Foiîtenelle, Adon de Vienne, les annales
de Metz, celles de Fulda, la chronique d'Adhémar, les annales
Nazariennes, les annales Pitaviennes (2), Reinaud enfin, sont
(1) Les Annales Metenses seulement sembleraient le dire. Après avoir
affirmé qu'en 736 c Càrolus remeavit ad sedem principatus sui », elles
ajoutent aussitôt : c Collée toque exercltu Saxoniam bello coq tri vit
(ecitque eos tributarios. » (D. Bousquet, op. cit., t. II, p. 685.)
(2) Adon de Vienne place en 737 la guerre de Charles en Aquitaine et
Languedoc contre les Sarrasins; — les annales Metenses, en 737; — Fui-
denses, en 732, 733 (en marge 737); — la chronique de Moissac, en 737 ;—
délie de Fontenelle, en 737 ; — le continuateur de Frédégaire, la guerre
de Charles en Gothie, en 737; —la chronique d'Adhémar, en 737; — les
annales Nazariennes, Pitaviennes, la chronique do Lambert, en 737; —
les annales Quedlrburgenses,Weisseburgenses, en 737 : c Carolus pugna-
vit contra Sarracenos in Gothia »% (D. Bouquet, op. cit., t. II, pp. 671,
- 595 —
de ce sentiment. D'ailleurs, il avait fallu de longs mois pour
que ces divers événements s'accomplissent. La prise d'Avignon
par les Sarrasins n'a dû avoir lieu qu'en avril. En effet, pour
secouer l'autorité de Charles Martel et se rendre indépendant,
ou plutôt pour travailler en faveur du duc d'Aquitaine,
dont la Provence était en définitive une contrée annexe,
Mauronte avait appelé les Sarrasins. Mais il ne dut démas-
quer sa trahison que lorsqu'il sut que Charles Martel était aux
prises avec les Saxons. Il connaissait trop le duc d'Austrasie
pour agir différemment. Ce dut être donc en mars 737 que
sa trahison fut définitive. Puis le temps pour les Sarrasins
d'arriver à Arles, de s'y établir, de la piller, d'en ravager
les environs, de monter à Avignon, d'y renouveler les mômes
scènes de carnage, dut conduire en avril. Vers la fin d'avril
donc arriva Childebrand, suivi de Charles Martel.
Mais la prise d'Avignon, la marche sur Narbonne, les opé-
rations dil siège commencées autour de cette ville, le temps
nécessaire pour que les nouvelles de ces divers événements
parvinssent en Espagne, pour que le calife préparât des troupes,
les envoyât au secours de Narbonne, pour que celles-ci y
arrivassent, toutes ces démarches durent remplh*les mois de
mai et de juin. De sorte que la bataille de Corbières, livrée
en 737, ne Ta été qu'à la fin du printemps de cette année.
Or, après la victoire de Corbières, Charles Martel ne pour-
suivit pas le siège de Narbonne. Pourquoi? Fut-il appelé dans
le Nord à Timproviste par une rébellion des Saxons? Non, les
chroniqueurs, qui indiquent qu'en 738 Charles Martel com-
battit ces barbares du nord, ne disent pas qu'il dut laisser le
siège de Narbonne pour courir réprimer un soulèvement en
Saxe ou en Bavière. Si tel avait été le motif de la levée du
siège de Narbonne, la prudence aurait voulu que Charles Mar-
tel masquât son départ sous peine de voir les Sarrasins se
mettre à sa poursuite. Et l'histoire, d'ailleurs, aurait rappelé
cet incident. De plus, s'il avait dû remonteren toute hâte vers
le Nord, il ne se serait pas attardé à ravager, brûler, dé-
685, 674, 656, 661 ; t. III, pp. 455, 456. — Patrologie latine, éd. Migne,
t. GXL1, col. 469, 640, 642, 575.)
— 596 -
truire des forteresses et des remparts, s'emparer des églises
et de leurs biens, avant de rentrer dans ses Etats. S'il s éloigne
de Narbonne, c'est qu'il a un plan qu'il exécute. Il a vu que
ses troupes ne sont pas exercées aux opérations de siège, mais
qu'elles sont plutôt habiles dans les batailles rangées ; aussi
il s'éloigne de la ville dans l'espoir d'attirer à sa suite l'enne-
mi, de le battre en plaine et de l'écraser. Pour mieux réussir, il
prolonge son séjour dans les environs de Narbonne, ravage
Béziers, Agde, Nîmes, Maguelomie. L'ennemi ne sortant pas
de son repaire, Charles veut alors qu'il ne puisse se fixer
solidement nulle part ailleurs.
Il y a, croyons-nous, une autre raison : la mort de
Thierry IV, roi d'Austrasie (1), dont Charles Martel était le
maire du palais, ou peut-être l'annonce de la fin prochaine de
ce roi. Charles se rappelait les dures années de luttes et de
combats qu'il avait dû subir pour conserver, à la mort de
Dagobert, roi d'Austrasie et de Neustrie, l'autorité de maire du
palais et vaincre la jalousie que les leudes de Neustrie avaient
à son endroit (2). Il tenait donc à se trouver auprès du roi
qui allait s'affaiblissant ou avait hâte de gagner l'Austrasie
pour prendre les rênes du gouvernement. Laissant donc le
siège de Narbonne, il regagna le Nord.
Or, à quelle époque de l'année fixer la levée du siège de
Narbonne, le sac de la Septimauie, et la marche vers le Nord
du duc d'Austrasie? Les chroniqueurs et annalistes, qui
fixent à 737 le siège de Narbonne et la bataille de Corbières,
fixent aussi à la même année son départ pour la France (3).
Ceux-mêmes qui désignent Tannée 736 pour le sifcge de Nar-
bonne et la victoire de Corbières supposent que le ravage de
(1) Thierry mourut, suivant les uns, en avril ; suivant les autres, en
septembre 737.
(2) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XVI, p. 578 et suiv. — De Mau-
lôon, Les Mérovingiens et les Carlovingiens, t. I, p. 234.
(3) La chronique, de Moissac fixe ce retour en 737 : t 737... reversus
est in Franciam. » (D. Bouquet, t. II, p. 656.) — Celle de Fonte ne lie de
môme: «737... cum magno triumpho reversus est in Franciam » (D.
Bouquet, op. cit., t. II, p. 661.) — Frédégaire, de même : « 737. . rcmea-
vit in regionem suam, in terram Francorum ad solium prtncipatùs sui.i
(D. Bouquet, op. cit., t. III, p. 456.)
- 597 —
la Septimanie dura toute Tannée 737 (1). Nous sommes donc
d'accord avec eux en fixant la levée du siège au plus tard à la
fin de l'été de 737 (2) et le sac de la Septimanie pendant le
reste de l'aunée. Vers la fin de 737, Charles était dans le Nord;
à la Noél de 737 et au début de 738, il devait se trouver à sa
résidence de Verberie-sur-Oise.
Des détails que nous avons donnés sur les événements de 737,
il s'ensuit qu'il n'y; a que deux moments favorables, dans cette
année, pour que les Sarrasins aient pu accomplir l'odieux
méfait du massacre de sainte Eusébie : du mois de mars,
alors que les Sarrasins s'emparent d'Avignon, à la fin d'avril,
époque de l'arrivée de Ghiidebrand et de Charles Martel sous
les murs de cette ville; ou de septembre, par exemple, à la
fin de l'année 737, alors que Charles est dans le Nord.
Or, dans le court intervalle de ces deux mois, mars et avril,
les Sarrasins ne sont pas venus jusqu'à Marseille. Les annales
ne le disent pas; elles mentionnent Arles et Avignon, mais
pas d'autres villes. Et , comme elles parlent de Mauronte,
l'appelant traître et parjure, si les Sarrasins avaient occupé
Marseille, ces annales l'auraient fait connaître. Les Sarra-
sins n'ont pas eu le temps, en cette année 737^ de commettre
beaucoup de ravages. Nous croyons que tout ce que l'on indi-
que dans les auteurs comme ayant été accompli en 737 doit
être rapporté à 738. D'autre part, ce n'est pas en septembre,
octobre, novembre ou décembre 737, qu'ils ont pu venir &
Marseille. Impossible en effet de supposer qu'ils soient retournés
en Provence à la fin de 737. Mauronte n'a pu les rappeler à ce
moment. Charles Martel, qui gagnait le Nord, aurait pu faire
un crochet et punir Mauronte d'une manière terrible, s'il
l'avait vu de connivence complète avec les ennemis. La tacti-
que du traître était de cacher son jeu. Il n'avait pu réussir
une première fois, en 736 ; l'arrivée de Charles, en 737, avait
(1) Sigebert place le siège de Narbonne en 736; les annales de Fulde
en 736. (D, Bouquet, op. cit., t. II, p. 675 ; t. III, p. 347.)
(2) De Mauléon, Les Mérovingiens et les Carlovingiens, 1. 1. p. 251,
dit que Charles Martel leva le siège de Narbonne en octobre 737. C'est
ce que confirment les annales de Moissac, de Fontenelle et la chronique
de Frédégaire,
- 598 -
lout déjoué une seconde fois ; il lui fallait donc attendre une
autre occasion.
D'autre part, les Sarrasins savaient à quel terrible jouteur
ils avaient affaire, et ce n'était pas alors que Charles Martel
avait ses troupes autour de lui en remontant vers le Nord,
ni pendant qu'il se reposait à Verberie-sur-Oise, qu'ils allaient
se jeter en avant. C'était d'ailleurs en hiver, et les Sarrasins,
pas plus que les autres peuples qui les environnaient, ne fai-
saient la guerre à cette saison rigoureuse. Donc, en 737, il est
impossible de placer le martyre de sainte Eusébie. Cette date
proposée par les auteurs précités est inadmissible.
L'historien Rocbacker a préféré placer ce fait en 751. Cette
date n'est pas plus acceptable. Depuis la défaite des Sarrasins
en 749, durant tout le règne de Pépin et de Charlemagne, la
Provence fut tranquille. En cette année 75 1, les Sarrasins sont
en proie à des querelles intestines, en Espagne, produites par
un changement de dynastie. D'autre part, Pépin, le fils de
Charles Martel, était toujours en discussion avec le duc d'Aqui-
taine. Mais nui bruit de guerre en Provence, à Marseille,
a Les Sarrasins, dit Reinaud, auraient pu profiter de cette
occasion pour renouveler leurs funestes tentatives contre les
provinces méridionales de la France; mais il survint parmi
eux des discordes qui les mirent pour longtemps hors d'état
de rien entreprendre. » Une autre raison, d'ailleurs, leur aurait
inspiré une sage prudence : c'était la valeur de leur ennemi.
Il leur, en avait coûté de braver Charles Martel ; la valeur
de Pépin son fils ne devait pas leur être inconnue Ses victoi-
res en Aquitaine, en Germanie, en Bavière, ils ne les igno-
raient pas. Ils ne devaient pas tarder d'en sentir tout le poids.
En 752, Pépin descendit en Septimanie, s'empara par force et
par ruse de Mimes, d'Agde, de Maguelonne, de Béziers, finale-
ment de Narbonne en 759.
La Statistique des Bouches-du-Rhône a fixé à l'année 810
le martyre de notre sainte. Mais elle s'est réfutée elle-même,
nous lavons dit, puisqu'elle avoue, avec Papon, que, durant
le règne de Charlemagne, les Sarrasins n'ont fait qu'une seule
apparition sur les côtes de Provence, du côté de Nice, en 813.
C'est bien là ce que disent les historiens. M. de Rey écrit : « A
ces timides tentatives (de 812 ou 613 sur les côtes .de Nice) se
bornent les agressions des Sarrasins sur les côtes de Pro-
vence, pendant la vie de Charlemagne. » M. Reinaud, dans
les Invasions des Sarrasins en France, dit qu'en 806 les Sarra-
sins ravagèrent la Corse ; ils furent chassés et défaits par
Pépin, fils de Charlemagne. En 808, ils descendirent en Sar-
daigne et dans la Corse ; ils y furent battus par le connétable
Burchard. En 809 on les vit encore en Sardaigne et en Corse.
Mais en 810 on ne les voit nulle part. Au contraire on men-
tionne une trêve faite en 810 entre le grand empereur et les
musulmans. De plus, vint le moment où, pour se garder des
Normands qui commençaient à ravager les côtes de France,
Charlemagne fît mettre le littoral en état de défense (1).
Venons à la date 838, que Reinaud préconise dans les Inva-
sions des Sarrasins en France et qu'adopte l'abbé Magloire
Giraud dans sa Monographie de Saint-Cyr (Var). Nous
répondrons à l'assertion de Reinaud par quelques lignes
de M. de Rey dans Les Saints de l'Eglise de Marseille :
« Si Tabbesse et trente-neuf de s*es compagnes avaient
alors accompli Pacte héroïque qui leur valut le martyre,
comment l'annaliste de Saint-Berlin, si bien informé du
sort des autres religieuses, eùt-il ignoré les sanglants pré-
liminaires de l'enlèvement; s'il avait connu ce tragique
événement pourquoi aurait-il tu un fait si glorieux pour
l'Eglise ? Son silence prouve presque péremptoirement que le
martyre des Cassianites est d'une autre époque. * La raison est
excellente, on ne saurait mieux l'exprimer. La date de 838 est
inacceptable.
L'abbé Verlaque a placé le martyre de sainte Eusébie
durant le règne du faible successeur de Charlemagne, Louis
le Débonnaire, de 814 à 840 par conséquent. Ce laps de temps
est occupé par des luttes fréquentes entre Sarrasins et
Français. Mais le théâtre de ces luttes est ordinairement en
Espagne. H est vrai cependant que les Sarrasins se sont em-
parés, à cette époque, des lies Baléares, de la Sicile, qu'ils ont
(1) Reinaud, op. cit., pp. 122, 126. — De Rey, Invasions des Sarra-
sins en Provence^ p. 81.
_ GOO -
fait des descentes en Sardaigne et eq Corse et qu'ils nç lais-
saient, dit Reinaud, ni trêve ni repos aux côtes du Midi de la
France et à celles de l'Italie, Mais on répondait à leurs attaques
par une défense courageuse. Des flottes les poursuivaient,
allaient opérer des descentes dans les pays qu'ils habitaient.
De la sorte, leurs incursions ne se firent pas sentir bien avant
dans les terres. Dans tous les cas, les annales ne disent rien,
concernant Marseille. Une seule fois il est parlé de notre
ville en 838, mais nous avons dit tantôt que ce n'est pas à
celte époque qu'a eu lieu le martyre de sainte Eusébie. Si
c'est à cette date de 838 que l'abbé Verlaque a fait allusion, il
est déjà réfuté.
Kothen, dans la Notice sur les cryptes de C abbaye de Saint-
Victor lez- Marseille y cite Reinaudqui, parlant de la date de
838, a écrit : x C'est peut-être en cette occasion qu'eut lieu le
fait attribué à sainte Eusébie. » Il se range donc de l'avis de
Reinaud, mais il ajoute : a Celte époque où régnait le faible
successeur de Charlemagne nous parait aussi la plus probable. »
C'est bien l'opinion qu'a émise l'abbé Verlaque, Or, nous avons
dit tantôt que ni la date assignée par Reinaud, ni celle désignée
par M. Verlaque ne sont acceptables. Par le fait même, Kothen
est réfuté (i).
Ruffi, attribuant le martyre de sainte Eusébie aux Normands,
pense que ce fait a eu lieu vers 867. Cette date est inaccep-
table encore,
Nous avons dit en son lieu que les Normands, s'ils ont ravagé
les bords du Rhône , ne sont pas arrivés jusqu'à Marseille.
Marseille a échappé à leurs coups. En 867, ils n'y ont pas
paru: aucun texte, que nous sachions, ne l'indique (2). Ce n'est
donc pas alors qu'ils ont pu détruire l'abbaye cassianite. Suivant
M. de Rey et M, André, an contraire, à cette époque l'abbaye
était prospère. Elle possédait des biens assez considérables.
La preuve en est, suivant ces auteurs, dans les divers dénom-
brements qui furent faits à peu près à cette époque (3 ). Il y en
(1) Kothen, op. cit., p. 55.
(2) Les annales de Saint-Bertin —Chronique des gestes des Normands;
v. dans de Rey, Invasion* des Sarrasins en Provence, pp. 222, 225.
(3) André, Histoire de Saint- Sauveur , p. 12. — De Rey, Invasion*
des Sarrasins en Provence, p. 139.
— 601 —
a eu deux ; l'un vers 870 ou 871, du temps du roi Carloman,
la première année de Rotland , archevêque d'Arles ; l'autre
entre 870 et 875, sous Babon, évoque de Marseille. Or, nous
aussi croyons que ces dénombrements faits à cette époque,
trois ou quatre ans après Tannée où Ton supposerait le mas-
sacre opéré par ces Danois, sont une preuve que cet événe-
ment n'a pu avoir lieu. Si toutes les religieuses, l'abbesse en
en tête, ont été massacrées en 867, il a fallu plus de trois ans
pour relever ce monastère et y appeler de nouvelles reli-
gieuses. Car c'est une époque fort troublée. Les Normands,
ne sont pas venus à Marseille, mais ils en étaient pas loin. Les
Sarrasins, dès 869, remontaient le Rhône et tuaient l'arche-
vêque Rotland. Si donc l'abbaye a succombé, on ne voit pas
qui aura pu faire le dénombrement ; car il n'est pas dit que
cet inventaire des biens de l'abbaye fut dressé par l'évêque de
Marseille ou l'archevêque d'Arles, mais qu'il l'a été du temps
de CaHotn an, du temps de Rostaing, du temps de Babon :
« te m pore Garlomani, Rostagni, Babon is » ; il l'a été, sans
aucun doute, sur l'ordre de ces évêques, maiB non pas en l'ab-
sence des religieuses, ni en dehors de leur participation.
Si c'est bien en 867 que les Normands ont martyrisé notre
sainte, comment expliquer le silence du chroniqueur de Saint-
Berlin qui relate les faits et gestes des Danois en 860, et ceux
des Sarrasins en 860 (1) ? Incontestablement il en aurait fait
mention. II n'a rien dit, c'est qu'en cette année rien de sail-
lant ne B'est passé à Marseille. Ce n'est donc pas en 867.
Les auteurs de la Gallia chrtstiana et Lautard, qui ont
suivi Ruffi, sont réfutés par les mêmes raisons.
L'année 023 n'est pas la date du martyre de notre sainte.
En effet, sûrement en 923 l'abbaye cassianite se trouvait
auprès de Saint- Victor, loin de la ville. Elle n'était pas à
l'abri de tout danger, puisqu'elle ne devait pas être fortifiée,
ni environnée de murailles, comme Tétait l'abbaye de Saint-
Victor. L'orage approche, les premiers coureurs ennemis
apparaissent dans la campagne, Marseille mure ses portes et
(1) Aûnalesdô Saint-Bertin (de Rey, Invasions des Sarrasin* en Pro*
vence, p. tît).
— 602 —
ses habitants se mettent en état de défense. Que les moines de
Saint-Victor se renferment dans leur abbaye, à l'abri de leurs
murailles, c'est admissible. Mais que les religieuses demeu-
rent dans leur monastère sans défense, qu'elles affrontent le
péril après la triste catastrophe de 838, plus terrible pour elles
que la mort ! que Tévêque ne leur ordonne pas de se réfugier
dans la ville, c'est ce que Ton ne pourra faire admettre à tout
esprit réfléchi. Non, en 923, les Cassianitesont fui leur monas-
tère menacé, elles sont venues en ville, et le massacre n'a
pas eu lieu.
M. André, n'acceptant ni la date de 737, ni celle de 838,
préfère de beaucoup l'année 923. Impossible de l'agréer.
M. de Rey, dans les Invasions des Sarrasins en Provence,
a choisi la date de 933 ou 948 pour la date du martyre. « Il
est plus probable, écrit-il, que ce fut au commencement du
X' siècle, dans une de ces expéditions sanglantes que les
Sarrasins dirigèrent contre Marseille et que la date de leur
martyre est celle de la destruction de leur abbaye, un peu
après 924. En admettant cette opinion, il faut placer le
martyre de sainte Eusébie aux années 933 ou 948, qui corres-
pondent à l'indiction V1B donnée par l'inscription de son
tombeau. »
Nous ne pouvons accepter cette date de 933 ou celle de 948.
Le monastère de Saint- Victor, de l'aveu de tous, a été détruit
en 923 ou 924, et, nous le croyons avec M. de Rey, celai des
religieuses subit le même sort. Mais, si ce n'est pas dans celle
affreuse catastrophe de 923 ou 924 que les religieuses trouvent
le martyre, certainement elles durent se réfugier en ville ou
ailleurs. Or, est-ce dans les années qui suivent 923 qu'elles
ont pu se grouper de nouveau, pour que, en 933 ou 948,
l'ennemi juré du nom chrétien vint les assaillir et cette fois
les massacrer? Non, les Sarrasins, qui ont désolé Marseille
en 923, pillent et saccagent Aix en 924. Us se répandent à
l'entour et les traditions d'un grand nombre de villes et
villages du nord de notre département ont conservé le souve-
nir de leur présence. Vingt ans après, en 947, ils étaient en-
core maîtres d'Aix et de son territoire, puisque Odalric, évoque
de cette ville, qui avait dû en 927 se réfugier à Reims, à cause
.■
— 603 -
de la persécution des Sarrasins, y était encore et assistait au
concile de Verdun. Le monas ère détruit ne s'est pas relevé
de ses ruines, les religieuses dispersées en 924 n'ont pu venir
l'habiter de nouveau. D'autre part, hors de leur monastère
détruit, comment les retrouver au nombre de quarante,
Tabbesse à leur tête, pour subir le martyre ? Donc ce n'est pas
en 933 ou 948 qu'il a eu lieu.
M. de Rey a, dans sa Vie des saints du diocèse de Mar-
seille, abandonné cette première opinion, et il a préféré, à la
suite de ses études sur ce point, adopter la date de 923 :
« L'antique cité phocéenne, autrefois si riche et si puissante,
était complètement ruinée. C'est alors que périt le monastère
de Saint-Victor; et alors aussi croyons-nous, celui de Saint-
Cyr, surpris par une attaque imprévue, succomba si glorieu-
sement. »
Nous avons vu il y a un instant la valeur de cette assertion,
en la combattant dans le livre de M. André. Elle n'en a
aucune. En 923 ou 924, les religieuses cassianites, mettant à
profit la terrible expérience que leurs sœurs de 838 avaient
faite, se sont réfugiées en ville. Elle n'ont pu être martyrisées
au nombre de quarante. Qu'on ne s'étonne pas de notre
assertion. Tl n'est dit dans aucune charte de Saint-Victor, à
notre connaissance du moins, que les Sarrasins aient massa-
cré des religieux et des moines; et cependant, en 923 ou 924,
le monastère a péri. Il a succombé autant sous les coups des
barbares, que par la solitude et l'abandon dans lequel les
moines fugitifs le laissèrent. A ce moment plus de vie reli-
gieuse en commun à Marseille. Tout était dispersé, afin
d'échapper plus facilement à la fureur des Sarrasins. Il en
fut de même pour les religieuses cassianites. Et leur cœnobium
périt lui aussi, autant par le pillage et l'incendie que par la
solitude et l'abandon. C'était une des nécessités de cette époque
désastreuse.
CHAPITRE IX
On peut attribuer aux Sarrasins le massacre de
sainte Eusébie.
LB8 SARRASINS ET LEURS FÉROCITÉS.— CE QU'EN DISENT LES CHRONI-
QUEURS : ADON, AYMONIU8, ETC., LES ANNALISTES, LES HISTORIENS.
— LES RUINES QU'ILS ONT ACCUMULÉES EN PROVENCE ET DANS LES
CONTRÉS8 ENVIRONNANTES. •
Souvent, en effet, on a attribué ce massacre aux Sarrasins,
qui ont ravagé notre Provence durant les VHP, IX* et X* siècles.
Lecture faite de l'exposé sommaire des invasions de ces barba-
res dans le midi de la France, peut-on trouver quelque
vraissemblance historique à cette assertion des auteurs ? Oui.
Que disent, en effet, les chroniqueurs contemporains de ces
barbares ? Qu'ils ont tout pillé, tout ravagé et qu'ils s'en sont
pris aux monastères.
Adon, archevêque de Vienne, en Gaule, en 860, écrivait cent
ans à peine après l'événement qui nous occupe : « Les Sarra-
sins dévastèrent toute l'Aquitaine, promenant partout le fer et
le feu. Ils prirent Bordeaux et ravagèrent horriblement son
territoire. Ils livraient presque tout aux flammes, souillaient
les monastères et les lieux saints, chassaient devant eux un
peuple de prisonniers, qu'ils emmenaient en Espagne (1). »
Ecoutons Aymonius, dans son livre : Les Gestes desFrancs9
à l'époque que nous étudions, 715-730. « La nation impie des
Vandales, dit-il, commença à ravager la Gaule ; les églises
furent abattues, les monastères renversés, les villes prises,
(1) « Sarraceni pêne totam Aquitaniam vastantes et late alias provin-
cial igné ferroque superantes... Penè omnia flammis exureutes,
monasteria quoque ac loca sacra lœdantes, innumerum populum abigunt
atque inHispanias transponunt. » (Chronique d'Adon de Vienne, citée
par M. de Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 210.)
— 605 —
les maisons désolées, les châteaux forts détruits, une multi-
tude d'hommes passés au fil de l'épée et de toutes parts le sang
humain versé en abondance. Ils arrivèrent jusqu'à la ville de
Sens, qu'ils assiégèrent et couvrirent de traits. Mais, conduits
par leur évoque, Ebbon, les habitants firent une sortie et
taillèrent en pièces les barbares (1). »
C'est bien cette conduite inhumaine que les vieux manuscrits,
les annalistes, les historiens de toute époque imputent aussi
aux Sarrasins. Un parchemin antique, cité par l'abbé Faillon,
atteste que chaque jour « c'était quelque église jetée à terre et
démolie, quelque vieux monument renversé et détruit au ras
du sol (2) » . Baronius rapporte, au témoignage d'un auteur
ancien, « qu'un prince sarrasin ordonnait de démolir de fond
en comble les églises des chrétiens. Cela se fit à Emèse et dans
d'autres endroits de la Syrie jusqu'à Damas (3). » Et il en était
de l'Espagne, de la Gaule, comme de la Syrie.
« Quels massacres, écrivait Barralis, les Sarrasins ont faits
des pauvres chrétiens ! que de spoliations dans les temples 1
que d'incendies, que de sacrilèges dans les églises ! quels
tourments barbares infligés aux prêtres et quelles ignominies
ils ont fait subir aux vierges consacrées à Dieu ! Personne ne
pourra jamais ni le dire, ni le raconter (4). » — a Cette nation des
Sarrasins, lisons-nous dans Faillon, citant le P. Longueval,
(1) «Eo tempore, gens impia Vandalorum Galliam devastare cœpit,
quo tempore destructœ stint ecclesiae, subversa monasteria, captae urbes,
desolatœ suntdomus, diruta castra, strages hominum innumerae factœ. »
fAymonius, De Gestis Francoi^um^ liD. IV, cap. LV, cité par Barralis,
Chronologies sanctorum insulœ Lerinenais, p. 225.)
(2) « Quotidie ecclesise Dei destruuntur et antiquâ soliditate teropla Ar-
mât a terratenus coaequantur. » Faillon, Monuments inédits, t. I,
col. 680.
(3) « Ànno 780, addit Theophanes, a Sa r race no ru m principe esse jussas
christianorum ecclesias solo œquari : idque factum Emesae et in aliis
locis Syriaî usque Daraascum. > Baronius, Annales ecclesiostici, ann.716,
n0,2, 13 (dans Faillon, op. cit.% t. I, col. 680).
(4) « Quas strages, in miseros christianos, in sacra templa direptiones,
incendia, sacrilegia, in sacerdotes caedes, in sacratas virgines stupra
nefariè perpétraient, nemo putô mortalium scriptione dictioneve digne
satis expresserit, o Barralis, Chronologia sanctorum insulœ Lerinenais %
p. 226.
39
- 606 -
exerçait fia fureur principalement sur les églises et les person-
nes consacrées à Dieu (1). » — a II n'y a point d'horreurs qu'ils
ne commissent ; avides de pillage, altérés de sang, dit Papon,
ils mettaient le feu aux églises, détruisaient les monastères,
violaient les vierges consacrées à Dieu, massacraient les
moines, etc., etc. (2). » — « A cette époque, ajoute Reinaud,
les églises et les monastères passaient pour receler de grandes
richesses. Les Sarrasins, d'ailleurs, devaient décharger de
préférence leur fureur sur ces asiles de la piété, comme sur
les lieux d'où partait le plus souvent le signal de la résis-
tance (3). »
Oui, Ténumération des églises, des monastères saccagés
par ces barbares serait bien longue. On suit leur marche à
travers la France aux ruines, aux dévastations qu'ils ont faites.
On connaît les lieux où ils ont pénétré, à diverses époques de
leurs invasions, par le souvenir des dégâts qu'ils y commirent.
Partout les églises brûlées, les monastères détruits, les hommes
passés au fil de l'épée. Les abbayes de Saint- Sa vin, près de
Tarbes, de Saint-Sever de Rustan , en Bigorre, furent rasées ;
celle de Sainte-Croix, près de Bordeaux, livrée aux flammes.
Dans le Limousin, celle de Solignac ; en Velay, celle de Car-
méry ; aux environs de Libourne, le monastère de Saint-Emi-
lien ; à Poitiers, l'église de Saint-Hilaire subirent le même
sort. Les auteurs parlent encore de la destruction du
monastère de Jaucels , près de Béziers ; de celui de Saint-
Bausile, près de Nîmes ; du couvent de Saint-Gilles, près
d'Arles, là où été bâtie plus tard la ville de Saint -Gilles ; de
la riche abbaye de Psalmodie, près d'Aigues-Mortes. En
avançant dans la Gaule, aux environs de Vienne, sur les bords
du Rhône, les églises et les couvents n'offrirent plus que des
ruines. Lyon eut à déplorer la dévastation de ses principales
églises. Autun vit celles de Saint-Nazaire et de Saint-Jean
(1) Falllon, Monuments inédits sur Vap03tolat de sainte Marie-
Magdeleine, t. I, col. 680. — Le P. Longue val, Histoire de l'Eglise
Gallicane, t. IV, p. 246.
(2) Papon, Histoire de Provence, t. II, p. 77. — H. Bouche, Histoire
de Provence, 1. 1, p. 701.
(3) Invasions des Sarrasins en France, par Reinaud, p. 20.
— 607 —
livrées aux flamme? ; le monastère de Saint-Martin, près de
la ville, fut abattu ; à Saulieu, l'abbaye de Saint- Andoche,
pillée. Près de Dijon le monastère de Béze ; près de Nevers,
celui de Saint-Col u m ban, furent saccagés et démolis. A
Besançon, le clergé et la plus grande partie des moines furent
mis à mort. A son tour, l'abbaye de Luxeuil, au pied des
Vosges, vit ses religieux passés au fil de l'épée. Et tant d'autres
asiles de la science et de la piété, que nous ne pouvons
nommer !
Hors de la France, même ravage, même acharnement de la
part des Sarrasins contre les églises et les abbayes. Ne citons
que quelques-uns de ces forfaits. Sur les limites du Piémont,
dans la vallée de Suse, l'abbaye de Novalèse, entre Briançon et
Suse, le couvent d'Oulx furent pillés et livrés aux flammes.
Dans le Valais, la célèbre abbaye d'Agaune fut presque renver-
sée de fond en comble. Dans le pays des Grisons, l'abbaye de
Disentis, fondée par un disciple de saint Col u m ban, fut dé-
pouillée de tous ses biens. Il en arriva de même à l'église de
Goire (1). Les chroniqueurs, les historiens ont eu raison de dire
des Sarrasins qu'ils s en étaient pris surtout aux églises et aux
monastères, partout où ils sont passés.
La Provence peut faire elle aussi le dénombrement de ses
églises et de ses abbayes dévastées et incendiées. La main des
barbares s'est rudement appesantie sur elle. Ecoutons le moine
rédacteur du prologue de la Passion de saint Porcaire, abbé
de Lérins, et la légende du moine Aldelbald, mise en tête, sous
forme de prologue, à la Vie de saint Mayeul : a La nation
cruelle des Agareniens vint dans la province de la Narbon-
naise, dévastant, saccageant tout, et voulant, aprè* avoir aboli
le nom de Jésus-Christ, soumettre tout le pays à sa domina-
tion. Promenant deçà et delà leurs fureurs et leurs cruautés,
la région tout entière fut à ce point ravagée, que les endroits
les plus habités devinrent de profondes solitudes. Les villes
les plus peuplées étaient rasées jusqu'au sol, les châteaux
(1) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, pp. 20,21,26,27,
30, 31, 41, 42,49, 163, 165, 172, 174, etc., etc. — Alliez, Histoire de
V Abbaye de Lérins, t. 1, pp. 355, 396.
— 608 —
forts abandonnés, les villages renversés, le peuple fidèle dis-
persé de tous côlés, et bon nombre parmi ces chrétiens
odieusement massacrés ( 1). 9
Lisons ce que les moines de Saint- Victor ont écrit des bar-
bares qui s'acharnèrent contre cette abbaye. Ils parlent bien
des ravages des Sarrasins, après la mort de Charlemagne. Mais,
au fond, les chartes de Saint-Victor, en faisant le récit des
maux innombrables que ces barbares ont causés à l'abbaye et
en Provence, ne distinguent pas entre une époque et une autre.
Ce qu'elles disent s'applique à chacune de ces heures d'angoisse
par lesquelles nos pères ont passé. Or, parmi les détails
qu'elles fournissent sur les fureurs des Sarrasins, il y a la des-
truction des églises et des monastères. « Bien des années après
que le glorieux prince Charlemagne eut quitté le monde, Dieu,
voulant châtier le peuple chrétien par la persécution 'les
païens, permit qu'une race barbare, faisant irruption en Pro-
vence, se répandit de tous côtés, accrût sa puissance, occupât
les lieux les plus fortifiés, dévastât tout sur son passage, dé-
truisit les églises et un grand nombre de monastères, au point
que les endroits les plus habités devinrent solitaires et que là
où les hommes avaient vécu, les bétes féroces y habitaient (2). »
Interrogeons encore les traditions locales de certaines villes
de Provence, c'est toujours aux Sarrasins que l'on attribue la
ruine et la destruction de quelques églises ou quelques mo-
nastères qui s'élevaient aux environs ou dans l'enceinte de
leurs murailles.
(1) c Quœ videlicet gens crudelissima... provinciam Narbonensera
venit, ubi devastans omnia, suo imperio Ghristi aboli to nomine, inten-
debat eam subjugare... Gumque gens barbara longé latèque suae cœdis
crudelitatem extenderet, itainsolitudinem redegit penè totara regionera,
ut in efemi Vastitatem loca prius desidcrabilia conversa videbantur...
Urbes etiam nobilissimas terrœ et solo cosequans, castella depopulàns
oppida subruens, oviliaque Domini everlens, non mini mas Christianorum
strages dédit. » Prologue de la légende du martyre de saint Porcaire,
citée par Surius et lesBollandistes. — Voir Barralis, Chronologie &anc-
torum insulœ Lerinensis. — Fin de Lérins , par l'abbé Pierrhugues,
p. 186, pièces justificatives ; légende du moine Aldelbald, en tète delà
Vie de saint Mayeul, l'abbé Pierrhugues, op. cit., p. 197.
(2) Charte 15, cartulaire de Saint- Victor : « Guncta vastavit, ecclesias
et monasteria plurima destruxit. »
- 609 -
Dans le diocèse d'Apt, les historiens mentionnent les abbayes
et monastères de Saint-Eusèbe ou de Saint-Martin, de Saint-
Pierre des Tourrettes, de Notre-Dame d'Entrevaux, de Notre-
Dame de Vaucelles, comme ayant été détruits par les bar-
bares (1).
Dans le diocèse de Saint-Paul Trois-Châteaux, le monastère
de Dusera fut aussi renversé et saccagé h cette époque désas-
treuse (2). Dans celui de Fréjus, rillustre et l'antique abbaye
de Lérins subit le même sort (3;. Porcaire et cinq cents de ses
disciples y furent massacrés. Aux environs de Nice, l'abbaye
de Saint-Pons (4) ; près de Forcalquier, celle de Lure (5) ; dans
le diocèse d'Embrun, le monastère des Salettes (6), habité par
des religieuses, furent pillés, incendiés, détruits. Il en fut de
môme, à Arles, pour les monastères des Saints Apôtres, de la
Sainte Vierge, de Saint-Césaire (7). Et tant d'autres en divers
endroits de la Provence, dont l'histoire et le nom même ont
péri dans l'oubli des siècles.
Ne croyons pas que Marseille ait été épargnée par les bar-
bares. Les annalistes disent fort bien qu'elle a eu à souffrir,
que ses églises ont été dépouillées. Notamment la chronique
de Saint-Bertin raconte : a que les Sarrasins débarquèrent
à l'improviste, enlevèrent sur leurs vaisseaux les religieuses
qui vivaient dans un monastère, firent prisonniers clercs
et laïques, dévastèrent la ville et saccagèrent le trésor des
églises de Jésus-Christ. »
La tradition qui attribue aux Sarrasins le massacre de notre
(1) Histoire de V Eglise d'Apt, par Rose, pp. 55, 74. — Gallia chris-
tiana (Ecclesia Aptensis), t. I, col. 376, 377. — DeRey, Invasions des
Sarrasins en Provence, pp. 39, 111 .
(2) De Rcy, op. cit., p. 39. — Gallia christiana, t. I, col. 737.
(3) Barralis, Chronologia Lerinensis, p. 220. — Alliez, Histoire du
monastère de Lérins, t. I, p. 398. — Do Rey, op. cit., p. 51,
(4) DeRey, op. cit., p. 104.
(5) DeRey, op. cit., p. 110.
(6) De Rey, op. cit., p. 113. — Histoire hagiologique du diocèse de
Gap, par M«r Depery, pp. 446, 446.
(7) Gallia christiana, 1. 1, col. 600, 620. — Faillon, Monuments inédits,
col. 682, t. I. — Invasions des Sarrasins en France, par Reinaud, p.
54. — Alliez, Histoire du monastère de Lérins, p. 409, t. I.
— 610 —
sainte Eusébie et de ses compagnes n'a donc rien de surpre-
nant. Ces barbares sont venus à Marseille au VIII* siècle,
comme ils y vinrent au IX* (1). Ils étaient aussi féroces à une
époque qu'à une autre (2). Ce qu'ils ont fait en maints
endroits de la Provence, ils ont pu le faire à Marseille. Ils ont
attaqué et pillé nos monastères, les ont réduits en solitude, les
ont renversés de fond en comble, disent les chartes du XI* et
du XV* siècle (3). Vraisemblablement ils ont pu accomplir au
VIII* siècle l'odieux forfait que notre tradition locale leur im-
pute.
(1) Ils y étaient, lorsque Charles Martel, en 739, en chassa Mauronte
qui les avait appelés.
(2) On sait le barbare traitement que les Sarrasins firent subir aux
habitants de la ville d'Aix. Un vieux manuscrit de Narbonne dit : c Yiro-
rum ac mulierum quam pluresvivos decoriaverunt ut mos est Sarrace-
norum hominibus nostrse gentis facere... » Quand on parle de ces har-
bares, on écrit : « Non mediocriter laniabant... crudelissime depopulan-
tur. » Invasions des Sarrasins en Provence, par G. de Rey, pp. 227,23!.
(3) Adon de Vienne dit : « Su b versa mon asteria strages hominum in-
nuraerae /actae... » Les chartes de Saint-Victor disent : < Gens barbarica
cuncta vastavit, ecclesiaset monasteria plurima destruxit... insolitudine
monasteria redacta sunt... adnullatum et pêne ad nihilum est redac-
tum. «Charte 15.— • .. funditus demolitum fuit. » Chartes de 1436, 1441.
DEUXIÈME SECTION
PREUVES POSITIVES
CHAPITRE PREMIER
La tradition, à Marseille, que les Sarrasins ont martyrisé
sainte Eusébie.
TRADITION A 6AINT-GINIBZ, TRADITION A If ARfiBILLB. — AUTEURS Q.TJI
LE CONSTATENT. — TRADITION CONSIGNÉE DANS LES AUTEURS DU
XVIII", DU XVII# SIÈCLE, ET DANS LES AUTEURS ÉTRANGERS A LA
PROVENCE DU XVII 1% DU XVII* ET DU DÉBUT DU XVI" SIÈCLE. — CETTE
TRADITION, A. CE MOMENT DU XVIII* SIÈCLE, EST DIGNE DE FOI. — IL
S'AGIT D'UN FAIT HISTORIQUE, ORDINAIRE, APPUYÉ SUR DOCUMENTS
ET FAITS. — CBS DOCUMENTS ONT PU EXISTER, ILS ONT ÉTÉ
DÉTRUITS PAR LES SARRASINS. — CE DUT ÊTRE UN MANUSCRIT UNI-
QUE. — AU XI' SIÈCLE, LA TRADITION ORALE SE CONCRÈTE ; USAGE
DE RACONTER LE MARTYRE. « LEIS DESNARRAD08 » ; DÉVOTION A
LEUR ENDROIT. — ON DÉSIGNE TOUJOURS LES SARRASINS ET NON
PAS LES VANDALES. — ERREUR DE MOT.
Nous avons fait connaître la tradition de Marseille, concer-
nant sainte Eusébie, en étudiant les leçons du Propre des
offices du diocèse. Une observation bien importante a été faite
alors. C'est qu'il n'y a de renfermé dans ce3 leçons que la
tradition générale, 1 objet principal de notre tradition locale,
à savoir que sainte Eusébie a été martyrisée avec quarante
compagnes, qu'elle se mutila le visage afin d'échapper à
la lubricité des barbares. Or, deux autres détails s'ajoutent
à cette tradition et se confondent généralement avec elle :
- 612 —
c'est que sainte Eusébie a souffert le martyre sur le terroir de
Saint-Giniez et qu'elle y a été massacrée par les Sarrasins.
Dans une partie de notre travail nous avons établi le premier
de ces points secondaires de la tradition. Le but de ce présent
chapitre est de prouver la vérité du second : que les Sarra-
sins ont été vraiment les auteurs du martyre de notre sainte
patronne.
Oui, il est de tradition, à Marseille, que sainte Eusébie et
ses compagnes ont été martyrisées par les Sarrasins.
Parcourez le terroir de Saint-Giniez, étudiez les légendes
et les traditions auxquelles ce riant coin de terre sert d'asile
et d'abri, vous trouverez sûrement, à côté de celle que
nous avons prouvée tantôt, cette autre tradition qui fait
l'objet de ces lignes. Interrogez jeunes gens et vieillards,
maîtres et jardiniers, humbles et puissants, s'ils habitent
Saint-Giniez depuis un certain nombres d'années, tous vous
feront une réponse identique. Demandez-leur ce qu'était
jadis la chapelle de Notre-Dame d'Huveaune, ils vous diront :
C'était le couvent de sainte Eusébie, la chapelle « deis Des-
narrados ». Demandez une explication de cette locution pro-
vençale. On vous la donnera en ces termes : C'était la cha-
pelle des Cassianites qui se coupèrent le nez pour éviter le
déshonneur. Et si, poursuivant vos interrogations, vous
ajoutez : « Mais qui les a massacrées ?» on vous répondra :
Ce sont les Sarrasins. Ils tuèrent les religieuses, jettèrent
leurs corp3 dans un puits et mirent le feu au monastère. Nous
avons été vicaire à Saint-Giniez, nous avons interrogé de
vénérables vieillards dont les pères et les aïeux habitaient le
quartier, et ce n'est pas une fois, mais dix fois, cent fois que
le même récit nous a été fait. Il est donc de tradition, à Saint-
Giuiez , que sainte Eusébie y a été martyrisée par les Sarra-
sins (1).
(1) L'abbé Daspres constate l'existence d'une partie de cette tradition,
lorsqu'il écrit, dans la Notice sur Saint-Giniez, p. 20 : « Il y a, au sujet
de ce monastère, deux erreurs historiques, assez communément répan-
dues. La première est celle qui place en ce lieu, l'embouchure de l'Hu-
veaune, le fait du glorieux martyre de sainte Eusébie et de ses compa-
gnes... » Et à la page 27 : « Une seule chose pourrait nous mettre en
— 613 -
Ce que nous entendons raconter à Saint-Giniez, on nous Ta
dit à Marseille aussi. Interrogez un de ces Marseillais de
vieille roche, au courant du langage, des coutumes, des
légendes de sa ville natale, et demandez lui ce qu'étaient les
religieuses que Ton appelle « leïs Desnarrados, leïs Desnaz-
zados » , il vous répondra : C'étaient les Cassianites qui se
coupèrent le nez pour échapper à la lubricité des pirates.
Poursuivez : a Qui étaient ces pirates ? » Les Sarrasins, vous
dira-t-il.
Et de ceci encore nous avons pour garants les historiens
modernes , qui ont constaté l'existence à Marseille de cette
tradition et l'ont consignée dans leurs écrits. Tels MM. Bous-
quet, André, Kothen, Giraud Magloire, de Rey, Grinda (1), la
considération, ce serait la tradition constante et universelle de ceux qui
se souviennent encore d'avoir vu la chapelle de Notre-Dame d'Hu-
veaune, ils ne la dénomment jamais que la chapelle deïs Desnarrados. »
M. de Rey, dans Les Saints de l'Eglise de Marseille^ constate aussi
l'existence d'une opinion locale qui met en ce lieu, le martyre de sainte
Eusébie; p. 231. Nous, nous allons plus loin, et nous citons toute la tra-
dition.
(1) Bousquet, La Major ; « On connaît le dévouement des religieuses
de Saint-Sauveur, qui, pour échapper aux outrages des Sarrasins, mu-
tilèrent leurs faces, au point de se rendre hideuses aux yeux des vain-
queurs. L'histoire a gardé le souvenir de ce trait d'héroïsme, dont Eusé-
bie, l'abbesse du monastère, donna elle-même l'exemple. » Page 67.
note.
André, Histoire de V abbaye des religieuses de Saint-Sauveur: «En
923, l'abbaye est détruite par les Sarrasins. Les saintes religieuses don-
nent, dans ces terribles circonstances, l'exemple d'un courage admira-
ble, poussant jusqu'à l'héroïsme l'amour de la chasteté, » Page VI 11 de
la préface. — < Les annales de Marseille rapportent en ces temps mal-
heureux (invasions des Sarrasins) la ruine des deux monastères. . . L'ac-
tion héroïque d'Eusébie et de ses compagnes laissa dans le pays un
souvenir durable. > Pages 8, 13.
Kothen, Notice sur les cryptes de Vabbaye de Saint- Victor-l es -Mar-
seille : « La tradition rapporte qu'Eusébie était abbesse du monastère
de femmes fondé par Cassien, et que, se voyant avec ses religieuses, sur
le point de se trouver à la merci des bandes sarrasines, elle se défigura
le visage. . . » Pages 54, 55.
Magloire Giraud, dans la Notice historique sur l'église de Saint-Cyr
(Var), p. 17 : « La tradition de l'Eglise de Marseille porte que sainte
Eusébie était abbesse d'un monastère de religieuses et qu'elle souffrît le
— 614 —
Statistique, indépendamment de tous ceux qui attribuent aux
Sarrasins le martyre de notre sainte Eusébie, et dont nous
donnerons plus tard le nom et citerons le témoignage.
Or, cette tradition populaire est-elle acceptable et digne de
foi ? Elle le parait bien, car elle remonte très haut dans l'his-
toire. Nous la trouvons consignée tout au long dans les écri-
vains marseillais du XVIII* siècle.
Ainsi Grosson, dans VAlmanach historique de Marseille
pour Tannée 1773, dit que « sainte Eusébie était abbesse
lorsque les Sarrasins ravagèrent Marseille. Elle se coupa le
nez, et trente-neuf religieuses en firent au tant à son exemple,
pour déplaire aux infidèles qui les massacrèrent (1). » C'est
bien là notre tradition.
Avant lui, M" de Belsunce insérait dans son ouvrage:
V Antiquité de V Eglise de Marseille, ce trait du martyre de
sainte Eusébie, l'attribuant aux Sarrasins, et il ne doutait pas
que ce fût bien là la tradition de notre ville (2).
Au XVII* siècle nous trouvons cette tradition recueillie
d'une manière indirecte par M. de Ruffi, dans V Histoire de
Marseille. Son témoignage est, en effet, d'autant plus probant,
qu'il ne l'admettait nullement : « Nous tenons, écrivait-il, par
tradition, que ce monastère fut ravagé par les Sarrasins et que
les religieuses, pour conserver leur virginité, se coupèrent le
martyre avec trent -neuf de ses compagnes, lors de l'invasion sarra-
sine. »
M. de Rey, dans les Invasions des Sarrasins en Provence, p. 140 :
« A ce monastère de Saint-Cyr se rattache une des plus glorieuses tra-
ditions marseillaises, le martyre de sainte Eusébie et de ses quarante
compagnes, massacrées par les Sarrasins, tradition que l'Eglise a adoptée
en l'insérant dans le Propre du diocèse. » Dans la Vie des saints de
l'Eglise de Marseille, p. 228 : « C'est aux Sarrasins que la tradition
impute le massacre des dames cassianites... »
M. Grinda, Monographie de V abbaye de Saint-Victor-les-Marseille,
dans VEcho de Notre-Dame de la Garde, 1888 : « Si on suit la tradition
qui considère les Sarrasins comme les auteurs de ce martyre. . . Mais la
tradition désigne -t-el le les Sarrasins?... En présence de l'incertitude
delà tradition... » Pages 605, 606. — Statistique des £.-£>.-£., t. II,
pp. 324, 455.
(1) Grosson, Almanach historique de Marseille pour Tannée 1773, p. 94.
(2) De Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t. I, p. 200.
— 615 —
nez à l'exemple de Pabbesse Eusébie. . . Mais c'était plutôt les
Normands (1). » M. de Ruffi, père du précédent, a constaté
lui aussi, dans son Histoire de Marseille, que quelques au-
teurs ont attribué ce massacre des religieuses et la destruction
de leur monastère aux Sarrasins (2).
Guesnay, à son tour, disait dans le Cassianus illustratus
« que les religieuses du monastère de THuveaune, dont Eusé-
bie était abbesse, furent mises à mort par les Sarrasins et les
Vandales. » Il ajoute : a Celles-ci se mutilèrent au visage afin de
n'être pas ignominieusement traitées par les Sarrasins : ne a
Sarracenis violarentur (3). »
Sans remonter plus haut donc, il est établi, par le témoi-
gnage des historiens de Marseille, que cette tradition [existe
au XVII- siècle dans notre ville.
Et pour qu'il n'y ait aucun doute sur la valeur historique
du témoignage de ces écrivains, parlant de leur ville natale,
voici le témoignage des historiens étrangers. Il corrobore celui
des historiens de Marseille.
Au XVIII* siècle, Mabillon, dans ses Annales ordinis
sancii Benedicti , rapportait notre tradition quand il
écrivait : a Hue revocant nobile factum », etc. C'est à
cette époque de 732 que Ton place le fait remarqua-
ble de sainte Eusébie. .. et il nomme les Sarrasins, disant
que sainte Eusébie se mutila le visage de peur que les Sarra-
sins n'attentassent à sa vertu : a ne pudiciliae suae vis a Sarra-
cenis inferretur ». Il s'exprime à près dans les mêmes termes,
trente ans plus tard, dans les A'cta sanctorum ordinis Bene-
dicti (4).
Au XVII* siècle, Arthur de Monestier, dans le Sacrum
Gynœceum (5), racontant le fait de notre sainte Eusébie,
(1) Ruffî, Histoire de Afarseille, t. II, p. 58.
(2) Ruffi, Histoire de Marseille, p. 385.
(3) Guesnay, Cassianus illustratus, pp. 474, 475 : « In eo novem et
triginta dicatarutn Deo virginum a Sarracenis Vandalisque interfecta-
rum corpora sepulta sunt. . . ne a Sarracenis violarentur. . . *
(A) Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. II, p. 90, ad an-
num 7*T2. — Acta snnetorum ordinis Benedicti, t. IV, p, 487.
(5) Arthur de Monestier, Sarrum Gynœceum(i\<[ diem 30 dec.) : c Quia
— 616 -
nomme les Sarrasins à un endroit de son ouvrage, les Sarra-
sins et les Vandales à un autre.
Chifflet, au début du XVI? siècle, dans le Vesuntio civitas
imperialis, raconte la translation de la croix de saint André à
l'abbaye des religieuses de l'Huveaune, et il dit « qu'il a appris
ces détails d'après des historiens marseillais * a ex commen-
tariis Massiliensium ». Tout aussitôt il fait le récit du mar-
tyre de sainte Eusébie, sans nommer cependant notre sainte, et
il écrit que ce furent bien les Sarrasins qui la tuèrent : « Cum
Sarraceni Catalauniae incolse Provinciam devastarent » ; que
Ton crut pendant longtemps que la croix de saint André avait
été, à cette époque, ou prise, ou détruite, ou brûlée par les
Sarrasins : « a Saracenis concremata (1) ». Nous pouvons nous
fier à Chifflet ; il parle d'une tradition .de Marseille, qu'il
affirme avoir lue dans les historiens marseillais : « ex Massi-
liensium commentariis ».
Ainsi donc, il est établi que notre tradition locale existe à
Marseille dès le début du XVII* siècle. Or, ce n'est pas à cette
date que cette tradition a vu le jour. Les auteurs, les écrivains
qui l'ont rapportée, en effet, ne l'ont pas créée, ne l'ont pas
inventée. Les uns n'avaient aucun intérêt à faire mourir notre
sainte Eusébie de la main des Sarrasins, plutôt que de la main
d'autres barbares. Les autres professaient une opinion oppo-
sée ; cependant ils attestent qu'à Marseille cette tradition avait
cours. S'ils la citent donc, c'est qu'ils l'ont reçue, c'est qu'ils
l'ont entendu raconter, ou l'ont trouvée consignée dans d'au-
tres historiens.
Etait-elle appuyée, dès ce XVII* siècle, sur quelque monu-
ment lapidaire ou scripturaire? Peut-être. Chifflet parle, en
effet, des annalistes marseillais. Mais qui sont ces historiens ?
Que sont devenus leurs ouvrages? Que disent -ils? Hélas!
nous n'en savons rien . Qu'importe? admettons que seule la
tradition populaire existait * à cette date du XVII' siècle.
Or, cette tradition populaire, même dénuée de monument
in eo novem et trigita dicatarum Deo virginum a Sarracenis Vandalis-
que interfectarum corpora sepulta sunt. . . ne a Sarracenis violarentur. *
(1) Chifflet, voir texte cité dans les chapitres intitulés : La Cwi.v <lc
Saint- An ciré.
— 617 —
à l'appui, était-elle recevable, digne de foi au XVII" siè-
cle? Reposait-elle sur une base solide? Les siècles nous
l'avaient-ils transmise intacte, sans obscurité, sans chan-
gement ?
Oui, à cette date du XVIIe siècle, cette tradition de Marseille :
que sainte Eusébie a été martyrisée par les Sarrasins, était
digne de foi ; nous la trouvons, en effet, dotée des caractères
qui la rendent légitime.
« Une tradition populaire, dit le P. de Smedt, est la relation
d'un fait par des témoins seulement médiats et de beaucoup
postérieurs au temps où se place ce fait ; les témoins médiats
et contemporains de ce fait et même les témoins intermé-
diaires, par lesquels la connaissance en a été transmise,
demeurant absolument inconnus (1). » Donc, pour qu'une
tradition soit recevable, il faut que les témoins médiats *
n'aient pu se tromper sur l'objet de cette tradition et qu'ils
n'aient pas voulu nous tromper. Les témoins médiats par
lesquels une tradition nous arrive ne peuvent se tromper
lorsque l'objet de cette tradition est uii composé d'éléments
simples, faciles à saisir, à comprendre, à garder dans sa
mémoire, à raconter à d'autres. S'il s'agit, en effet, d'une
question embrouillée, réclamant de longues et savantes expli-
cations, il y aura bien de la chance que le long des siècles un
détail oublié ou mal compris ne change du tout au tout la
tradition elle-même* Or, tel n'est pas le cas de notre tradition
locale. Il s'agit d'un fait simple, très compréhensible : Les
religieuses cassianites de Marseille ont-elles été martyrisées
par les Sarrasins on par un autre peuple ?
Les témoins médiats, les Marseillais, nos pères, du VII? au
XV? siècle, ont entendu prononcer le nom de Sarrasins. C'est
ce nom qu'ils ont retenu et qu'ils nous ont transmis. Sans
avoir eu à discuter la véracité ou la fausseté de cette affirma-
tion, ils nous ont transmis ce qu'ils avaient appris de leurs
anciens : que c'étaient les Sarrasins.
Des témoins médiats ne peuvent se tromper encore dans la
(l) Introductio generalis cul Historiam ecclesiasticam, par P. de
Smedt, p. 35.
— 618 —
relation d'une tradition, lorsqu'il s'agit d'un fait, d'un événe-
ment qui rentre dans Tordre des choses ordinaires et possibles.
Si la tradition roule sur un fait extraordinaire, confinant le
prodige, on pourrra craindre que le populaire n'enjolive et
ne grandisse outre mesure l'objet de la tradition ; le merveil-
leux, alors, se greffant sur la vérilé, il sera malaisé parfois de
discerner le vrai du faux. Or, ici point de chose extraordi-
naire. Les Sarrasins ont ravagé Marseille, aux VHP, IX%X* siè-
cles, c'est historiquement vrai. Ont-ils massacré les Cassia-
nites? C'est un fait dans l'ordre des choses possibles. Et les
témoins médiats, nos pères, du VIII* au XVI* siècle, ont
entendu dire avant eux que ces barbares étaient les auteurs
de ce forfait. Ils nous l'ont redit à leur tour. Encore une fois,
ils n'ont pas eu à s'assurer de la véracité ou delà fausseté de
leur assertion. Ce qu'ils ont appris, ils nous l'ont transmis.
D'autre part, certainement, nos pères n'ont pas voulu nous
tromper. Quel intérêt avaient-ils à le faire ? Clercs ou laïques,
moines ou religieux, que leur importait de dire à tous: ce
sont les Sarrasins qui ont martyrisé sainte Eusébie et ses com-
pagnes ; au lieu de rejeter ce forfait sur les Vandales ou les
Visigoths, si réellement ceux-ci avaient commis ce crime?
On ne voit pas que les Sarrasins aient moins de scélératesses
à leur actif et plus de droit à notre estime ! Ils en ont assez
fait, pour qu'un crime de plus ou de moins ne les rende plus
odieux aux générations futures. Si donc ces témoins médiats,
nos pères, ont dit que les Sarrasins avaient massacré sainte
Eusébie, c'est qu'on le disait avant eux. Ils n'ont pas voulu
nous en imposer. De ce chef notre tradition locale que nous
trouvons établie au XVII* siècle est recevable.
Une autre qualité de toute tradition, pour qu'elle soit légi-
time et digne de foi, c'est d'être appuyée sur des documents,
des faits, des monuments. Il faut remarquer cependant qu'une
tradition populaire ayant pour objet un événement, ou une
vérité qui se transmet de bouche en bouche, les historiens
enregistrent cette tradition dans leurs ouvrages, les monu-
ments la conservent dans l'airain ou le marbre dont ils
sont composés; mais ils ne créent pas cette tradition, ils
l'appuyent et la confirment. Rigoureusement donc elle peut
— 619 —
exister sans eux. En effet, « toute tradition est susceptible
de passer par trois états distincts. D'abord, elles ne sont que
des récits qu'un père fait de vive voix à son fils, qu'une
génération composée de plusieurs familles transmet à la géné-
ration suivante... Le second état des traditions commence où ces
notions historiques, vraies ou fausses, pures ou altérées, don-
nent lieu à des usages domestiques ou publics, les fixent par
des cérémonies, des coutumes, des institutions civiles ou reli-
gieuses, s'introduisent même dans le langage, s'attachent à
des expressions communes et contribuent à former le vocabu-
laire. Dans leur troisième et dernier état, elles sont repré-
sentées par des signes quelconques, emblèmes, images,
écriture hiéroglyphique ou alphabétique, registres enfin,
mémoires ou annales. Que tôt ou tard on ait fini par écrire
les récits traditionnels, cette circonstance n'en change point
la nature. Il n'y a toujours là, originairement, que des
transmissions orales plus ou moins prolongées (1). » Il y a
donc un laps de temps durant lequel un fait, un événement
peut se transmettre de vive voix, sans l'aide d'aucun docu-
ment ; et si des témoins médiats l'ont recueilli et nous l'ont
transmis, nous pouvons les croire.
Donc, même déjà sans l'aide d'aucun monument à l'appui,
ce point spécial de notre tradition locale: que les Sarrasins
sont les auteurs du massacre de sainte Eusébie, a droit à
notre créance.
Mais est-il bien exact de dire qu'à cette époque reculée notre
tradition ne s'appuye sur aucuns documents et qu'elle est
privée de ce caractère constitutif de toute tradition? Est-ce
que, du VHP au XVI* ou XVIIe siècle, les témoins médiats qui
nous ont transmis cette tradition n'ont pas pu la confronter
à chaque instant avec des monuments lapidaires ou sçriptu-
raires ?
Oui, cela leur a été possible. Il semble dès l'abord qu'il n'y
ait jamais eu aucun monument pour constater, rajeunir notre
tradition locale. En effet, l'inscription lapidaire en l'honneur
(t) Revue des questions historiques, année 1882, ocl.f p. 654. —
Introductio generalis ad Historiam ecclesiasticamy p. 35.
— 620 —
de sainte Eusébie, marquant qu'elle est morte c indictione
sextâ » et que l'on a fait remonter au VIII- siècle, à l'époque
donc des Sarrasins, on en conteste l'authenticité et l'antiquité.
On dit qu'elle n'a pas été faite pour notre sainte Çusébie et,
dans tous les cas, qu'elle n'est point du VII? siècle, mais bien
du V\ L'ancien manuscrit, dont parle de Belsunce, dans lequel
était relaté l'article du cérémonial où Ton rappelait aux novices
et aux professes l'exemple de sainte Eusébie et de ses compa-
gnes, a disparu. Ce document devait indiquer probablement
de la main de qui ces Cassianites avaient reçu le coup de la
mort. Mais, ce document n'existant plus, on ne peut s'y référer.
Autre point d'appui qui nous échappe. De relation du martyre
de sainte Eusébie, écrite dans les temps anciens, ni martyro-
loge, ni Vie de saints n'en donnent aucune. Il semblerait donc
qu'il n'y a et qu'il n'y a jamais eu aucun monument auquel
les témoins médiats aient pu en appeler.
Cependant il n'en a pas toujours été ainsi. Qu'il ne reste
aujourd'hui aucun document écrit remontant aux premiers
âges et relatant le martyre de notre sainte, c'est fort probable.
Mais il a pu en exister quelqu'un ! Seulement les Sarrasins ont
si souvent pillé, saccagé Marseille et ses monastères, que ces
documents écrits ou tout autre monument ont pu être brûlés,
brisés ou perdus. L'abbé Faillon soutient avec beaucoup de
raison et de vérité cette thèse, pouf expliquer l'absence des
documents anciens, au sujet de sainte Marie-Magdeleine (1).
Avant lui, M8' de Belsunce argumentait de la même manière au
sujet de saint Lazare et de saint Victor (2). Guesnay le disait
aussi ili l'occasion de saint Cassien (3).
Papon a bien écrit : « Nous regrettons encore aujourd'hui
les actes publics et les monuments littéraires qu'ils livrèrent
aux flammes avec les monastères et les églises où ils étaient
déposés. L'histoire de ces siècles est enveloppée d'épaisses
ténèbres ; elle ressemble à la vaste campagne de Provence
qui n'offrait aux yeux du spectateur que l'horreur d'un vaste
(i) Faillon, Monuments inédits sur sainte Maf)deleine,t. L pp. 384.
391.
(2) De Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, 1. 1, pp. 59, 77.
(3) Guesnay, Cassianus illustratus, p. h.
A
— 621 —
désert (i).» Rien, en effet, n'échappa à la fureur de ces sauvages.
Monuments, églises, monastères, archives, chartriers, tout fut
livré au feu. a La ville de Fréjus, dit Anthelmi, dévastée
par le fer et le feu, a perdu ses écrits antiques ; ceux que Ton
possède encore ne répètent rien plus souvent que ceci : c'est
qu'on a perdu les titres anciens (2). » On connaît le cri de
désolation de Riculfe, évêque de Fréjus. Une put jamais
reconnaître les biens qui avaient appartenu à son église, car
il ne restait plus ni diplômes de souverains, ni titres, ni papiers
d'aucune espèce (3). Et l'état des archives de notre Provence
v ient confirmer ces lamentations : « Au milieu du siècle
dernier, les anciennes archives de Provence, celles des évôchés,
celles des monastères, les archives municipales ne renfermaient
presque aucun titre antérieur à l'expulsion des Sarrasins...
Nous ne connaissons pas même les noms de la plupart des
évêques qui occupèrent les sièges des églises de Provence
durant les dix premiers siècles. . . L'histoire des abbayes de
Provence ne nous est pas plus connue que celle des évê-
chés. . . (4). ».
Or, il en est de Marseille ce qu'il en est de la Provence en
général. Le cartulaire de Saint-Victor ne donne que deux
chartes du VIP siècle, trois du VHP et neuf du IXe (5).
De nombreux documents insinuent que les titres anciens ont
disparu. Dans les controverses sur les propriétés, à défaut
de pièces authentiques on doit s'en tenir au serment des
(1) Papon, Histoire de Provence, t. II, pp. 80, 378.
(2) Anthelme, De initiis Ecclesîœ Forojuliensis : a Quippe quœ, ob
expugnatam saepius et ferro, igneque vastatam, absumptamque civitatem
vetustiorum instrumentorum jacturam totiès pertulit ; sic ut in paucis,
quae supersuut postremi tempo ris nil tam fréquenter quam antiquarum
membranarum expilatio memoretur. » Page 26.
(3)«Civitas in quâ ipsa Ecclesia sita est, acerbitate Sarracenorum
destructa, atque in solitudinem fuit redacta, habitatores ejus interfecti .
Non sunt chartaruni pagina?, desunt regalia prœcepta, privilégia quoque
seu alia testimonia ; aut vetustate consumpta, aut igné perierunt... »
Cité par Anthelme, op. cit.t p. 26. — Faillon, Monuments inédits,
1. 1, col. 386.
(4) Faillon, Monuments inédits* t. I, col. 386 etsuiv.
(5) Cartulaire de Saint- Victor, t. I, index des chartes.
40
— 622 —
témoins. Ce qui arriva notamment à Honoré II, évéquede
Marseille (i).
On devine bien la cause de cette pénurie de documents. Ce
fut une préoccupation, pour ces barbares, d'anéantir tous les
titres anciens, afin de faire disparaître tout ce qui parlait de
Jésus-Christ et de son Eglise Ou plutôt, cette rage de
destruction de tous ces écrits n'a-telle pas été le fait des
traîtres et des apostats qui suivaient ou favorisaient les Sarra-
sins, segorgeant des richesses des églises, s'emparant de leurs
biens. Ils avaient intérêt à brûler les archives, afin de
rendre impossible pour l'avenir toute réclamation.
Ainsi la relation écrite par les moines au lendemain du
massacre de sainte Eusébie, premier monument de la tradition
scripturaire, à côté de la tradition orale sur notre sainte, a pu
disparaître dans la tourmente.
Et cela d'autant mieux, que ce manuscrit a peut-être été
unique.
On ne dut pas, dès l'abord, répandre en beaucoup de monas-
tères la relation de cet événement. Le trépas héroïque de ces
vierges ne fut considéré que comme un des faits douloureux
de ces guerres sauvages (2) Les temps d'ailleurs étaient fort
troublés, les invasions succédaient aux invasions. On n'avait
guère le temps d'écrire le récit détaillé de ces désastres. On se
contenta, à ce moment, d'une simple indication de cet événe-
ment, dans les annales ou la chronique des monastères de
notre ville et, dans le sac des abbayes de Marseille, en 838, en
923, ces documents ont pu se perdre.
Mais la tradition survécut et se transmit de famille en famille,
de génération en génération. Et jusqu'au XI* siècle il en fut
probablement ainsi. Car, alors qu'isarne, jeune encore, visitait
Saint- Victor et ses cryptes, le moine qui lui faisait les hon-
neurs de ces souterrains ne fait allusion à aucun écrit, à aucun
monument. Il se contente de montrer l'endroit à part où reposent
(1) Paillon, op. cit.* t. I, col.387. — Pitton, Annales de la sainte Eglise
a"Aix, p. 90. — * Destructo a Vandalis Massiliensi inonasterio, nec
miuus possessionibus ojus dispersis, cartisque perditis vel incensis. »
Cartulaire de Saint-Victor, charte 155, de 1030.
(2) De Rey, Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 237.
J
— 623 —
les corps des vierges sacrées : a lbi seorsum sacrarum virgi-
nu m turba quiescit », de raconter ce que tout le monde disait
de leur héroïsme, sans peut-être en indiquer le nom, sans pou-
voir même montrer l'inscription lapidaire, alors encore égarée
ou enfouie. Nul douLe que si Ton eût cité le nom de cette
abbesse, si Ton eût montré l'inscription lapidaire, l'écrivain
anonyme de la Vie d'Ysarne en eût fait mention. Jusqu'au
XP siècle donc pas de document que nous connaissions pour ap-
puyer et constater la tradition. Il a pu être détruit. Qu'importe
pour notre tradition, elle était purement orale. C'était la pre-
mière phase par laquelle elle passait.
Mais, on l'a dit : « Le second état de ces traditions com-
mence où ces notions historiques, vraies oii fausses, pures ou
altérées, donnent lieu à des usages domestiques ou publics,
les fixent par des cérémonies, des coutumes, des institutions
civiles ou religieuses, s'introduisent même dans le langage,
s'attachent à des expressions communes et contribuent à for-
mer le vocabulaire. » C'est bien la seconde phase par laquelle
passe encore notre tradition. Elle a été purement orale, peut-
être dans tous les temps ; orale, tout au moins de la fin des
invasions sarrasiues jusqu'au début du XI* siècle. Ace moment,
avec la réédiflcation de l'abbaye des religieuses de Saint-
Sauveur, notre tradition se concrète pour ainsi dire, se fige
dans cet usage touchant de rappeler aux novices le fait héroï-
que des quarante vierges cassianites (i). Incontestablement
ondevait, en racontant ce fait mémorable, nommer les au-
teurs de ce massacre barbare. Autre particularité : on appelait
ces religieuses martyres : « ieïs Desnarrados ou Desnazzados ».
Or, celte locution n'est pas d'hier, elle porte un cachet d'ar-
chaïsme rare: c'est de l'ancien provençal, formé, on lésait, du
latin en sa décadence et du français à son début. Incontesta-
blement encore, quand le peuple marseillais employait cette
locution, sachant le fait qu'elle rappelait, il devait nommer
les auteurs du massacre ! On savait aussi que les corps de ces
vierges héroïques reposaient dans les souterrains de Saint-
(1) Propre de l'office du diocèse : fête de sainte Eusébie, 11 octobre,
leçons du deuxième nocturne.
— 624 —
Victor. On n'entrait pas dans le sanctuaire de Notre-Dame de
Confession, par respect d'abord pour la statue vénérée de la
Sainte Vierge, mais par respect ensuite pour ces saintes mar-
tyres (1) ; on les invoquait, on les priait, et toujours, en ra-
contant le genre de mort qu'elles avaient subi, on devait
dire qui les avait massacrées. De sorte que tout ce qui rappe-
lait et fixait la tradition principale, à savoir : le martyre de
sainte Eusébie et de ses compagnes, rappelait et fixait dans le
souvenir populaire le point secondaire de cette tradition :
qu'elles avaient été martyrisées par les Sarrasins. Les témoins
médiats donc, même sans monument particulier, rappelant ce
détail qui nous occupe, se transmettaient notre tradition, la
fixaient d'une certaine manière « par des coutumes spéciales,
l'introduisaient dans le langage ».
Nous arrivons ainsi au XIV* ou au XV* siècle. A cette épo-
que, il s'opéra dans l'abbaye de Saint- Victor de grands rema-
niements. Urbain V, nommé pape en 1362, fit agrandir l'égli-
se abbatiale, élever une nouvelle abside, construire une
grande tour, environner le monastère de vastes et solides
remparts pour le mettre à l'abri des déprédations des bandes
qui ravageaient la France. Or, ces divers travaux durent ame-
ner de curieuses découvertes dans les cryptes. II est à remar-
quer, en effet, que c'est vers cette époque que pour la pre-
mière fois apparaît dans les chartes le nom d'Eusébie, que Ton
y indique le nombre de ses compagnes, que l'on y désigne
l'emplacement précis occupé par leurs restes dans les
cryptes (2). A ce moment aussi peut-être on retrouva l'ins-
cription d'Eusébie (3). Alors les traditions, de flottantes
et d'indécises qu'elles étaient, se soudent et s'expliquent
l'une et l'autre, devenant plus fermes et plus précises. On
(1) Guesnay, Cassianus illustratus, pp. 475 et 725.
(2) Charte conservée par Dom Lefournier, t. III, de ses Chartes manus-
crites, document qui parait être de 1378. — Chartes de 1431 et 1446, dans
Kothen, Notice sur les cryptes, appendice, p. 99.
(3; Elle devait être enfouie, peut-être sur le corps de la sainte abbesse
martyre. Le pic rencontrant à l'improviste cette pierre dut produire ces
fractures que l'on y voit et qui semblent se réunir sur les mots : « an-
nus XIII ».
j
— 625 —
connaît le nom de la célèbre abbesse, on possède les corps des
martyres « desnarrados ». Forcément, en rappelant le mar-
tyre, on devait nommer les auteurs du massacre ! Ainsi la
tradition arrive jusqu'à nous.
Or, qui désignait-on comme les auteurs de ce crime, au
XIV* ou au XV* siècle ? Aujourd'hui on nomme les Sarrasins ;
aux XVIII* et XVII' siècles on désignait ce peuple ; aux XV et
XIV* siècles forcément la tradition populaire devait désigner
aussi les Sarrasins. On ne trouvera pas durant ce laps de
temps, du XVI* au XVIII' siècle, le moment précis où notre
tradition a pu varier et se modifier sur ce point. Toujours
donc elle a dit: les Sarrasins, I^a preuve évidente est ceci:
S'il y a eu un moment où cette tradition a pu subir un
changement et attribuer à d'autres qu'aux Sarrasins ce mar-
tyre de sainte Eusébie, c'est précisément au XV* siècle.
Qui sont ceux, en effet, que les chartes de cette époque dési-
gnent comme les auteurs de ce massacre ? Ce ne sont pas les
Sarrasins, mais les Vandales ! Rappelons-nous le texte si sou-
vent cité : « Hoc praîsens (sancti Victoris) monasterium et aliud
olim sibi vicinum, per prophanos Vandalos funditus demo-
litum (1). » Et cependant la tradition populaire, aux XVII* et
XVIII* siècles, affirme plus fort que jamais que ce sont les Sar-
rasins. Pour un auteur, en effet, qui indique les Vandales, il
y en a cinq ou six qui nomment les Sarrasins (2).
Comment expliquer cette divergence parmi les historiens
quand il s'agit de nommer les auteurs du massacre ? C'est
qu'en réalité ils se sont mépris sur le sens d'un mot. On ne sa-
vait, au XV* siècle, que Saint-Victor avait été détruit et saccagé,
que par les chartes du XI* siècle (3). Or, ces documents em-
ployaient le mot Vandales, terme générique donné à tout
barbare. Mais ces Vandales étaient forcément les Sarrasins,
puisque la ruine de Saint- Victor, dont parlent ces chartes,
(1) Charte de 1446, dans Kothen, Notice sur les cryptes, p. 97, appendice.
(2) Guesnay dit : Vandales ; H. Bouche, de même ; Chifflet, Arthur de
Monestier, Belsunce, etc., disent : Sarrasins. On le voit dans divers cha-
pitres de ce présent ouvrage.
(3) Charte 14, notamment : «. . de vagina Vandalorum callidus exactor
educitur », de 1040. Cartulaire de Saint-Victor, t. I.
- 626 —
était arrivée a post multa curricula aunorum, eu m piissîmus
princeps (Gharlemagne) decessisset (1) ». Les Vandales avaient
disparu depuis bien des siècles ! Au XI*" siècle les chartes dési-
gnaient les Sarrasins sous le titre de Vandales, au XV* siècle
donc les chartes veulent exprimer la môme chose en se ser-
vant des mômes termes.
Beaucoup, parmi les auteurs des XVII* et XVIII* siècles, inter-
prétant mal ces chartes, se sont trompés et ont attribué aux
Vandales du V* siècle la destruction de Saint-Victor, celle de
l'abbaye cassianite, et partant le martyre de sainte Eusébie.
Mais la tradition populaire a résisté, a réagi contre les inter-
prétations fausses des historiens. Ceux-ci à leur tour ont été
ébranlés. Quelques-uns, en effet, à côté des Vandales ont
nommé les Sarrasins. Et maintenant, en donnant leur vrai
sens aux termes de ces parchemins antiques, nous nommons
les Sarrasins et sommes obligés de dire : la tradition populaire
était dans le vrai. Ce sont bien les Sarrasins qui ont détruit les
monastères. Au fond les chartes tenaient le môme langage que
la tradition. Le désaccord n'était qu apparent.
Le XV* siècle, avec ses chartes et ses monuments, confir-
mant, appuyant notre tradition , est pour celle-ci la troi-
sième phase qu'elle devait suivre. Elle est inscrite, consignée
dans les annales de l'histoire. Ainsi, elle arrive jusqu'à nous
dotée de ce second caractère d'authenticité qui la rend digne
de foi et légitime. Partant, un troisième caractère,
celui de perpétuité, que toute tradition doit revêtir,
lui est assuré. Nous venons d'en constater l'existence. Notre
tradition a vécu tantôt sous la forme orale, tantôt sous la
forme écrite, depuis la première heure où elle s'est formée,
au VIII* siècle, jusqu'au XVII* siècle, et du XVIPsiècle jusqu'à
nous.
Il est donc de tradition, à Marseille, que sainte Eusébie a
été martyrisée par les Sarrasins, et cette tradition est digne de
foi et légitime.
(1) Cartulaire de Saint- Victor, de 1005, charte 15.
CHAPITRE II
Auteurs qui affirment que les Sarrasins ont martyrisé
sainte Eusébie.
HISTORIENS ANCIENS DE MARSEILLE : DE BELSUNCE, GROSSON, «NOTICE
SUR LES MONUMENTS DE SAINT- VICTOR », AGNEAU. — HISTORIENS
ANCIENS DE LA PROVENCE : BOUCHE, PAPON. — HISTORIEN8 DE
L'ÉGLISE EN GÉNÉRAL : ROBACKER, DARRAS, LONGUEVAL. — HISTO-
RIENS ANCIENS : MABILLON, ARTHUR DE MONKSTIER, CH1FFLET. —
HISTORIENS MODERNES DF MARSEILLE : « ESSAI HISTORIQUE SUR
SAINT-VICTOR », BOUDIN, BOUSQUET, ANDRÉ, KOTHEN, L'ABBÉ VERLA-
QUE, GU1NDON ET MÉRY, M. LE CHANOINE MAGNAN, M. DE REY. —
HISTORIENS MODERNES DE PROVENCE : t STATISTIQUE DBS BOUCHES-
DU-RHONE », ALLIEZ, MAGL. GIRAUD, RE1NAUD, AUG. FABRE, FOUQUE.
Pour faire écho à la tradition de Marseille, qui affirme que
sainte Eusébie a été martyrisée par les Sarrasins, voici le
témoignage des historiens qui ont consigné dans leurs ouvra-
ges ce fait, en rappelant qu'il s'est passé à Marseille et que les
Sarrasins en sont les auteurs.
Bien respectable est le nombre de ces écrivains et nous ne
les connaissons pas tous cependant. Leurs affirmations
s'appnyant, se confirmant les unes par les autres, donnent à
leur témoignage une autorité qui n'est pas à mépriser et
fournissent ainsi à notre tradition un appui incontestable
et à notre opinion une preuve que Ton ne peut éluder.
D'abord, les historiens de Marseille.
Nous avons déjà lu, dans M«r de Belsunce, que « ce fut
probablement durant ces guerres des Sarrasins, que sainte
Eusébie, abbesse du monastère de religieuses fondé par
Cassien, souffrit le martyre avec ses compagnes. Le monastère
qui portait le nom de Saint-Cyricius ou Ceris était hors
de la ville et assez éloigné du port. Cette situation l'exposait
aux incursions des pirates sarrasins, dont une troupe vint
descendre tout à coup sur le rivage et marcha vers le monas-
— 628 —
tère... Ils massacrèrent ces saintes vierges et renversèrent
leur monastère après l'avoir pillé (1). »
Dans VA Imanach historique de Marseille pour Tannée
1773, deGrosson, nous avons pu lire encore : « Sainte Eusébie
était abbesse lorsque les Sarrasins ravagèrent Marseille. Elle se
coupa le nez, et trente-neuf religieuses en firent autant à son
exemple, afin de déplaire par ce moyen aux infidèles qui les
massacrèrent (2). »
Agneau, dans le Calendrier spirituel de 1759, raconte le
martyre de sainte Eusébie. Il dit notamment que les Sarrasins,
après avoir pillé l'Ile de Lérins, vinrent à Marseille et y massa-
crèrent les religieuses cassianites et Eusébie leur abbesse (3).
La Notice des monuments conservés dans V église noble,
etc., de Saint- Victor, mentionne : « Les reliques de sainte
Eusébie, abbesse des Cassianites et de ses religieuses, qui, dans
le VIII* siècle, pour éviter d'être violées par les Sarrasins,
prirent le parti de se mutiler elles-mêmes en se coupant le
nez (4). »
Passons aux historiens anciens de la Provence.
Bouche, avocat, après avoir raconté l'arrivée des Sarrasins
à Avignon, Arles et Marseille, ajoute: « On prétend que les
religieuses qui habitaient les campagnes voisines de Marseille,
pour échapper au malheur de perdre leur virginité et n'inspi-
rer que de l'horreur à ces féroces étrangers, se coupèrent le
nez et se meurtrirent le visage (5). »
Papon, décrivant, dans Y Histoire de Provence, les ravages
des Sarrasins, que Mauronte avait appelés à Marseille, disait :
a qu'il n'y avait pas d'horreur qu'ils ne commissent et il
racontait le massacre par ces barbares des religieuses de
Marseille (6). »
(1) Antiquité de VEglise de Marseille, t. I, p. 290.
(2) Grosso d, Almanach de 1773, p. 94.
(3) Agneau, Calendrier spirituel du diocèse de Marseille, pp. 381,
384.
(4) Notice des monuments conservés dans l'église noble, insigne et
collégiale de l'abbaye de Saint- Victor à Marseille, p. 17.
(5) Bouche, Essai sur VHistoire de Provence, t. I, p. 189.
(6) Papou, Histoire de Provence, t. II, p. 78.
— 629 —
Les divers historiens qui se sont occupés de la Provence en
même temps que des autres régions nous fournissent leur
témoignage précieux.
Au XVIIP siècle d'abord, Mabillon, nous le savons déjà, a
raconté le martyre de notre sainte Eusébie dans les Annales
ordinis sancti Benedicti ou dans les Acta sanctorum ordinis
sancti Benedicti, et, dans ces deux ouvrages, il écrit que ce
fait eut lieu à Marseille et qu'il fut accompli parles Sarrasins;
Eusébie vivait dans le monastère que Cassien avait fondé près
de Marseille et, avec quarante compagnes, elle se mutila le
visage : « ne pudicitiae vis a Sarracenis inferretur (1) ».
Le P. Longueval, dans YHistoire de V Eglise Gallicane,
raconte aussi le martyre de notre sainte, et c'est bien aux
Sarrasins qu'il l'attribue (2).
Arthur de Monestier, dans le Sacrum Gynœceiim, après
avoir dit que les quarante compagneâ d'Eusébie, et Eusébie la
première, avaient été massacrées par lesSarrasins et les Vanda-
les, ajoute « que ces saintes religieuses, alors qu'elles habitaient
le monastère élevé jadis par Cassien près de la mer, à deux ou
trois milles de Marseille, monastère que l'on appelle encore
cœnobium de Notre-Dame d'Huveaune, craignant d'être outra-
gées parles Sarrasins : « ne a Sarracenis violarentur *, se don-
nèrent la mort (3).
Au XVIP siècle, Chifflet, dans un ouvrage intitulé Vesun-
tio civita8 imperialis, a parlé de notre sainte Eusébie, sans
la nommer. Mais il a raconté le martyre tel que nous le
racontons à notre époque. Les religieuses de l'Huveaune se
coupèrent le nez afin de déplaire aux barbares. Ceux-ci les mas-
sacrèrent de fureur et de dépit. Et ces barbares cesontlesSarra-
(1) Mabillon, Annales ordinis sancti Benedicti, t. II, p. 90 : « Quae,
hortante Eusebià, matre et abbatissâ, ne suae pudiciti© vis a Sarracenis
inferretur, nasum sibi prsecidisse traduntur. .. » — Mabillon, Acta sanc-
torum ordinis sancti Benedicti, t. IV, p. 187, eadem verba.
(2) Père Longueval, Histoire de V Eglise gallicane, t. IV, p. 495.
(3) Sacrum Gynœceum> par Arthur de Monestier, 30 déc : t Apud
UvenauneDse monasterium,passio.sanctarum Eusebiae et sociarum, etc. »
— t In eosacello, novem et triginla dicatarum Deo virginum a Sarracenis
Va odalisque interfectarum corpora sepultasunt...» — « Hae autem omnes...
dicitur ne a Sarracenis violarentur morte m opetiere ...»
— 630 —
sins, car il dit que cet événement arriva lorsque les Sarrasins
dévastèrent la Provence. . . (1).
Tel est le témoignage des anciens historiens en faveur de
notre tradition.
Voici celui des historiens modernes. Et d'abord citons ceux
qui ont écrit l'histoire de Marseille en particulier.
V Essai historique et archéologique sur Vèglise de Saint-
Victor les Marseille nous expose que o l'autel de Notre-Dame
de Confession renfermait, outre d'autres reliques, celles des
quarante religieuses qui, dans une invasion des Sarrasins,
voyant leur couvent sur le point d'être forcé, se mutilèrent
le visage, à l'exemple d'Eusébie leur abbesse, pour conserver
leur virginité (2). »
M. Amédée Boudin, dans son Histoire de Marseille, écrit
encore, en parlant de l'invasion des Sarrasins à Marseille au
VIII* siècle, à l'époque de Charles Martel : « Ou raconte que,
pour échapper à, la lubricité des vainqueurs, les religieuses
de Saint-Sauveur, aunombre de quarante, imitèrent l'exemple
de leur abbesse Eusébie qui s'était coupé le nez et mutilé le
visage (3). »
Nous lisons dans la Monographie de la Major par Casimir
Bousquet : a On connaît le dévouement des religieuses de
Saint-Sauveur, qui, pour échapper aux outrages des Sarrasins,
mutilèrent leurs faces au point de devenir hideuses aux yeux
des vainqueurs. . . (4) »
André, dans Y Histoire de l'abbaye des religieuses de Saint-
Sauveur à Marseille, nous dit lui aussi que « pendant plu-
sieurs siècles les Sarrasins portèrent la terreur et la désolation
dans nos provinces, partout ils laissèrent des marques ineffa-
çables de leur férocité et de leur vandalisme. Les annales de
Marseille rapportent à ces temps malheureux la ruine des
(1) Chi filet, Vesuntio civitas... « Cum Sarraceni Gatalauniae incolff
Provinciam devastarent. . » Pa£C 109.
(2) Essai historique et archéologique svr l'église de Saint-Victor à
Marseille, par M. B... p. 25.
(3) Amédée Boudin, Histoire de Marseille, p. 116.
(i) La Major, par Casimir Bousquet, p. G7.
— 631 —
deux monastères fondés par Cassien, et l'action glorieuse d'Eu-
sébie et de ses compagnes (1). »
La Notice sur les cryptes de V abbaye de Saint- Victor-lez-
Marseille, par Kothen, nous fait lire : a La tradition rapporte
qu'Eusébie était abbesse du monastère de femmes fondé par
Cassien, et que, se voyant avec ses religieuses sur le point de
se trouver à la merci des barbares Sarrasins, elle se défigura
le visage pour leur inspirer de l'horreur et conserver ainsi
sa virginité (2). »
L'abbé Verlaque, dans la Notice sur sainte Eusèbie abbesse
et martyre, après avoir raconté la prise de Marseille par les
Sarrasins, écrit qu' a ils vinrent à l'abbaye de Saint-Sauveur.
Eusébie, avertie depuis quelques jours, en avait fait part à ses
religieuses. Plusieurs d'entre elles s'étaient retirées dans la
ville; trente-neuf seulement restèrent. . . (3) »
Le môme fait, toujours raconté de la môme manière et
attribué aux Sarrasins, se lit encore dans l'ouvrage de Guindon
et Méry: « Les Sarrasins, à l'époque de Charles Martel, ravagent
Marseille. Les religieuses cassianites d'un couvent voisin de
Marseille, suivant l'exemple de leur abbesse Eusébie, se muti-
lèrent le visage afin d'échapper à leur brutalité (4). »
M. le chanoine Magnan a soutenu la même opinion dans
quelques pages sur sainte Eusébie, insérées dans la Semaine
liturgique. Cet auteur raconte l'arrivée à Marseille des Sarra-
sins, ce sont eux qui attaquent lecœnobiumde l'Huveaune
et qui mettent à mort les chastes épouses de Jesus-Christ(5).
M. de Key, dans son Histoire des invasions des Sarrasins
en Provence et dans les Saints de V Eglise de Marseille, a
rapporté la même tradition: « Au monastère de Saint-Cyr se
rattache une des plus glorieuses traditions marseillaises: le
martyre de sainte Eusébie et de ses compagnes, massacrées
(1) André, Histoire de l'abbaye de Saint-Sauveur , pp. 8, 9.
(2) Kothen, Notice sur les cryptes, p. 55.
(3) L'abbé Verlaque, Notice sur sainte Eusébie, p. 15.
(4) Guindon et Méry, Histoire analytique et chronologique des actes
et délibérations du corps et du conseil municipal de Marseille, t. 1,
p. 100.
,'5) Semaine liturgique, année 1868, p. 733 et suiv.
— 632 —
par les Sarrasins... C'est aux Sarrasins que la tradition
impute le massacre des dames casssianites. » Et M. de Rey
raconte en tous ses détails ce fait glorieux pour notre
Eglise (1).
Entendons maintenant le témoignage des historiens de notre
époque qui se sont occupés de la Provence en général.
D'abord la Statistique des Bouches-du- Rhône. A deui
endroits différents de cet ouvrage nous trouvons mentionnée
la môme tradition : a Le monastère des religieuses fondé par
Cassien s'appela du nom de Saint-Ceris ou Saint-Cyr. Les
Sarrasins le détruisirent, et l'abbesse Eusébie et ses compagnes
reçurent d'eux la palme du martyre. . . Ces deux monastères
de Saint- Victor et de Saint-Cyr furent, dans la suite, détruits
par les Sarrasins. . . Ce fut à l'abbaye de Saint-Cyr que sainte
Eusébie et ses compagnes furent massacrées par les Sarra-
sins (2). »
L'abbé Alliez, dans YHistoire du monastère de Lèrim,
raconte les sauvages exploits des Sarrasins en Provence. Il
nous les montre s'avançant vers le midi de notre pays et
semant partout la dévastation et la mort. « Ils renversèrent,
ajoute-t-il, le monastère de Saint-Cyr fondé à Marseille par
l'illustre Cassien. On connaît l'illustre exemple de chasteté que
donnèrent au monde les religieuses qui l'habitaient (3). »
Nous avons dit plus haut que l'abbé Giraud Magloire, tout
en n'admettant pas que sainte Eusébie soit morte au monas-
tère de Saint-Cyr à l'Huveaune, confirme l'existence à Mar-
seille d'une tradition « admise par les historiographes de cette
ville, suivant laquelle sainte Eusébie était abbesse d'un
monastère de religieuses et qu'elle souffrit le martyre avec
trente-neuf de ses compagues, lors de l'invasion sarra-
sine (4). » En vérité cela nous suffit. Nous avons d'ailleurs,
réfuté l'opinion de M. Magloire Giraud.
(l)De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 140.— Les Saints
de l'Eglise de Marseille, p. 228.
(2) Statistique des Bouches- du- Rhône, pp. 324 et 457.
(3) Alliez, Histoire du monastère de Lérins, t. I, p. 398.
(4) Notice historique sur l'église de Saint-Cyr, (Var), par l'abbé
Ma&l Giraud, p. 17.
— 633 —
Reinaud, dans les Invasions des Sarrasins en France,
écrit : « (Test peut-être à cette occasion (en 538) qu'eut lieu le
fait attribué à sainte Eusébie, abbesse d'un couvent de Mar-
seille et des quarante religieuses... qui se mutilèrent le
nez, d'où elles furent appelées dans le pays : leïs Desnazza-
dos (1). »
Dans son Histoire de Provence, Fabre Augustin a consigné
notre tradition, a Les Sarrasins, dit-il, démolirent Saint^
Victor. . . En ces calamités effroyables, les religieuses du mo-
nastère cassianite de Saint-Sauveur firent éclater leur héroïs-
me. Elles avaient' alors pour abbesse la vertueuse Eu-
sébie ... (2) »
C'était encore aux Sarrasins que Fouque attribuait cet
odieux massacre ; dans ses Fastes de Provence, il écrit : « Tou-
jours battus, jamais découragés, les Maures rentrèrent en Pro-
vence, s'emparèrent d'Arles et de Marseille. D'après les chro-
niques de Tordre de Saint-Benoit, quarante religieuses se cou-
pèrent le ftez et se meurtrirent le visage pour repousser par la
laideur ces féroces conquérants (3). »
Terminons en relatant le dire de deux historiens de l'Eglise.
L'abbé Robacker, dans son Histoire de V Eglise, raconte le
martyre de notre sainte Eusébie, et se montre d'accord avec la
tradition de Marseille en l'attribuant aux Sarrasins (4).
Darras fait de même, a A Marseille, dit-il, dans le couvent
de Saint-Sauveur, l'abbesse Eusébie et quarante de ses compa-
gnes se défigurèrent le visage et se coupèrent le nez pour se
soustraire aux outrages des musulmans. Les Sarrasins massa-
crèrent ces héroïques vierges; elles furent enterrées toutes
ensemble dans une fosse commune, sur laquelle on éleva
depuis une chapelle dite de la Confession (5). »
(1) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 137.
(2) Fabre, Histoire de Provence, t. I, p. 313. — De môme, dans l'His-
toire de Marseille.
(3) Fastes de Provence, par Fouque, t. I, p. 241.
(A) Robacker, Histoire de V Eglise.
(5) Darras, Histoire de V Eglise, t. XVII, p. H.
CHAPITRE III
Absence de documents du VIIIe siècle.
SI SAINTE EUSÉBIE A ÉTÉ MARTYRISÉE AU X6 STÈCLE, ON AURAIT D*S
DOCUMENTS SUR CE FAIT. — CHARTES, CHRONIQUES, ANNALES A
CETTE ÉPOQUE. — SI C'ÉTAIT AU IX9 SIECLE, IL Y AURAIT ENCORE
DES DOCUMENT8. — ILS ABONDENT A CETTE ÉPOQUE.
Il est établi que les Sarrasins sont les auteurs du massacre
de sainte Eusébie. Nous disons maintenant : c'est dans le cours
du VIII- siècle que cette sainte et ses compagnes ont été
martyrisées.
Nous empruntons la première preuve de cette assertion à
l'absence presque complète de documents relatifs au martyre
de sainte Eusébie et au silence qui durant de longs siècles s'est
fait sur cet événement. Nous en tirons cette conclusion : que
ce n'est ni au IX% ni au X* siècle qu'il a eu lieu, car ce qui
nous reste d'écrits et de documents de cette époque nous en
aurait mieux fait connaître les détails circonstanciels ; mais
qu'il faut le placer à une époque antérieure, au VIII* siècle.
Nous ne savons que fort peu de chose sur la mort de ces
vierges héroïques. Si elle a été racontée par des historiens
contemporains, depuis bien des siècles ces documents écrits
ont disparu. La tradition seule en a gardé le souvenir et nous
ne connaissons que ce qu'elle nous en a conservé. Ce sont les
Sarrasins qui les ont massacrées, au nombre de quarante, dans
leur monastère et, pour échapper à la lubricité de leurs
bourreaux, elles se mutilèrent au visage. Voilà tout ce que
l'on a sauvé de l'oubli des siècles.
Mais à quelle année précise ce fait a eu lieu? Quel endroi»
de notre terroir en fut le théâtre? Que devinrent les restes
de ces glorieuses martyres ? Pourquoi ne les honora t-on pas
d'un cul le spécial aussitôt après leur mort? Tout autant de
questions que l'on se pose et auxquelles on ne parvient à
0
— 635 —
répondre qu'avec la crainte de se tromper. Nul écrit, nulle
charte, nul document quelque peu ancien qui raconte le fait ;
nul monument lapidaire contemporain qui en ait transmis le
souvenir, car l'inscription de sainte Eusébie ne fait aucune
allusion évidente au genre de martyre que la tradition racon-
te ; pas un chrouiqueur, pas un annaliste, le plus obscur
soil-il, contemporain ou non, qui en ait parlé. Aucune marque
d'un culte quelconque jusque vers le XI' siècle. Rien. Une
simple tradition, répétons-le, nous a conservé le souvenir de
ce fait glorieux.
Or, comment s'expliquer ce silence et se rendre raison de
cette absence de documents, si l'événement qui nous occupe
s'est passé au X* siècle vers 923 ou 948, ou au IX4 en 838 ou
867 par exemple ?
Ce sera bien difficile, en effet, si on place cet événement au
X" siècle. Ce siècle fut, surtout vers son apogée, une époque
scripturaire. Les Charles abondent. Le cartulaire de Saint-
Victor, à lui seul, en contient vingt ou vingt-deux de Tan 923
à Tau 1004 (1). C'est l'âge des annalistes, des chroniqueurs (2).
Les moines, en même temps qu'ils relèvent les ruines que les
invasions ont semées de toutes parts, recueillent avec soin ce
qu'ils savent des événements passés et le consignent dans
leurs annales. Infatigables ouvriers, des labeurs desquels
nous profitons à cette heure. Sans leurs écrits, que saurions-
nous en notre siècle orgueilleux 1 Or, n'est-ii pas étonnant
que sur tant de chartes, d'annales et de chroniques, il n'y en ait
pas une seule qui fasse la moindre mention de cet événement V
De tous ces annalistes et de ces chroniqueurs du Xa siècle
qui se sont occupés des invasions des barbares, des massacres
qu'ils ont commis, des monastères et églises qu'ils ont pillés,
pas un n'aurait connu ce fait ?
On sait, au XB siècle que l'on conserve dans un endroit à part
(t) Cartulaire de Saint-Victor, t. I, table des chartes.
(2) Nous relevons à la simple lecture des tables de la Patrologie de
Migne les noms des chroniqueurs, annalistes, historiens ecclésiastiques
du Xe siècle : Le B. Notkerus, Regino, Radbodus, Agio, Hucbaldus,
Flodoard, Luitprandus, Luitprand, Vidukindus, Abbo de Fleury, en 1004,
Aimonius en 1008, etc., etc.
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— 636 -
des cryptes de Saint- Victor les restes des quarante compagnes
martyres de sainte Eusébie. Un moine de l'abbaye y conduisit
Ysarne, jeune encore, les vénérer. Et ce moine au courant de
Thistoire et des richesses spirituelles de son monastère ne sait
rien dire de précis à Ysarne sur la mort de sainte Eusébie, si le
martyre a eu lieu il y a cinquante ou quatre-vingts ans ? Ou,
s'il lui raconte dans le détail la mort héroïque de ces Cassia-
nites, s'il lui en fait lire la relation dans quelque vieux ma-
nuscrit, cette relation a totalement disparu au point qu'on n'en
fait mention nulle part, qu'Ysarne n'en parle jamais dans
le cours de sa vie ; et cette mort glorieuse qu'on lui a
racontée, Ysarne, devenu abbé de Saint-Victor, l'oubliera à tel
point qu'il n'établira dans son monastère ni fête, ni office en
l'honneur de ces vierges, martyrisées il y aurait eu à peine
cent ans ?
C'est l'âge des chroniqueurs, avons-nous dit, des annalistes ;
c'est l'époque aussi où les moines écrivaient les Vies des
saints (1). Or, il ne se trouvera pas un moine, â l'abbaye de
Saint-Victor, pour recueillir la tradition, remontant à peine à
cinquante ou quatre-vingts ans, sur un fait local et écrire une
relation de cet événement ? Et si cette relation a été écrite à
celte époque, elle serait perdueencore au point qu'il n'en reste
aucune trace, ni souvenir w? Ce serait, on l'avouera, jouer de
malheur. Non, il n'est pas vraisemblable qu'en regard de
l'abondance relative des documents du X" siècle, on n'ait rien
conservé relativement à ce fait qui se serait passé à cette
époque. Il faut donc remonter plus haut.
Il est aussi difficile de placer cet événement au IXe siècle,
par exemple en 838 ou 867. Le IX" siècle, à son début, est une
(1) Nous relevous encore, le long des tables de la Patrologie de Migne,
les indications suivantes au sujet des Vies de saints écrites vers le Xe
siècle : Vies de sainte Scholastique, de saint Anscharius, translation des
reliques des saints martyrs, Vie de saint Jean dit l'aumônier, de sainte
Grispine, de sainte Walpurge, de saint Lambert, de sainte Rictrude,
de sainte Aldegonde, de saint Jonatus, de saint Odulphe, de saint Odon,
de saint Vilfridus, de saint Arbogaste,de sainte Mathilde, de sainte Hu-
négonde, de sainte Glodesinde, de saint Folcuinus, de";saint Frodobert,
de saint Julien, de sainte Hathùmoda, etc. , etc., etc.
•?>•*.'
* ;?,::^
— 037 —
époque florissante pour les études. Sous l'impulsion de Charle-
magne et la direction d'Aicuin, que de progrès il s'est fait (1)!
Après la mort de ce grand empereur le mouvement se conti-
nue.Alasuited'Eginhart, qui a raconté la vie de Gharlemagne,
que de prêtres, d'évêques, de moines se sont faits hagiographes,
chroniqueurs et annalistes, (2)1 Or, il sera impossible encore,
de trouver un moine pour écrire une relation sur le martyre
quia eu lieu peut-être dix, vingt, trente an^ auparavant?
Cette période de désastres, d'invasions des Sarrasins ou des
Danois a été connue en détail par les chroniqueurs et les anna-
listes et ce fait leur aurait échappé ? Ceux de Saint-Bertin
surtout, qui ont écrit de 830 à 882 environ et dont les détails
sur les ravages de ces barbares à Marseille et en Provence sont
si nombreux et si précis que Ton serait porté à croire que
l'auteur a vécu au milieu de nous, ces annales n'auraient rien
dit d'un fait récent, si remarquable et si glorieux pour Mar-
seille ? Ils parlent de l'enlèvement des religieuses de Marseille
en 838-, et ils auraient ignoré leur massacre, s'il avait eu lieu
quelques années plus tôt ou plus tard ? Non, ce n'est pas au
IX* siècle encore qu'il faut placer cet événement ; il en de-
meurerait quelque trace.
Quelle supposition faire alors? Le fait n'est pas niable.
Il s'appuie sur une tradition qu'il est difficile de ne pas ac-
cepter, et d'ailleurs, en 1400 ou 1450 au plus tard, on vé-
nère les reliques de sainte Eusébie et de ses quarante compa-
gnes martyres, déposées dans la chapelle de Notre-Dame de
Confession. Le fait ne peut être postérieur à la fin du X* siècle,
puisque au début dn XI* siècle on montre à Ysaiv.e les restes
de ces vierges héroïques dans les cryptes. Il ne peut être pla-
cé durant ce X" siècle ou même durant le IX*, nous venons
de le dire. Enfin, il résulté de ce que l'on a dit plus haut que
(1) Cardinal Hergenroether, Histoire de l'Eglise, t. II, p. 760.
(2) Citons encore au hasard, dans les tables de la Patrologie de M igné,
les noms des écrivains ecclésiastiques du IX* siècle ou à peu près : saint
Paulin, Alcuin, Eginhard, saint Ëigil, Smaragdus, Thegamus, Frécul-
phus, Raban Maur, Valafridus, saint Prudent, le diacre Florus, Paschase,
Ratbert, Vandalbertus, Ado de Vienne, Usuard, Hincraar, Aimonius,
Anastase le Bibliothécaire, etc., etc., etc.
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— 638 —
cet événement n'a pu avoir lieu au V*, au \T, au VII* siècle.
Forcément il faut le placer au VIII* siècle, de 700 à 800.
Or, nous nous trouvons alors en pleines invasions sarrasines.
Le désordre et la frayeur régnent de toutes parts ; les moines,
les religieuses, les chrétiens massacrés sont si nombreux,
qu'on ne les compte plus. On les considère moins comme des
martyrs de la foi, que comme les victimes de ces guerres san-
glantes. On n'avait guère le loisir d'écrire des relations, ni le
calme nécessaire à une telle œuvre. Le silence des siècles
passés, l'absence des monuments ne nous étonnent plus. À
peine on eut le temps de graver l'épi taphe. On le fit à la hâte,
d'une manière incomplète, en style négligé. Y eut-il jamais
une relation de ce fait datant de cette époque? Eu fit-on
mention dans quelque fragment d'annales contemporaines et
locales? En parla-t-on dans quelque charte, à celte époque
désastreuse, nous ne le savons pas. Dans tous les cas, relation,
annales, charte ttfut disparut. Seule la tradition du fait et de
ses principales circonstances est parfenue jusqu'à nous. Or, il
n'en serait pas ainsi, si cet événement avait eu lieu au IX* ou
au Xa siècle. Donc il est plus probable qu'il se soit passé
au VIII*.
CHAPITRE IV
Le Polyptiqua de Vadalde.
VADALDS. ÉVBQUE DR MARSEILLE. — 1NVENTA1BB DÉS BIENS DB
L'ÊVÊCHB, DB SAINT-VICTOR BT DB SAINT-CÏR. — NOM DB SAINT-
CYB AJOUTÉ SUR CE DOC'JMBNT. — CBTTB INTERPOLATION EST DU
XII* SIÈCLE. — EXPLICATION DE H0RTRBU1L. — BLLE EST BASS
VALEUR. — AUTRB EXPLICATION PLUS ACCEPTABLE.
Voici notre seconde preuve que sainte Eusébie a été marty-
risée dans le courant du VIII* siècle: le Polyptique de Vadalde,
évéque de Marseille.
Vadalde était évéque de Marseille, en 814. Or, a par un capi-
tulaire de l'an 812, Charte magne, dit M. le chanoine Albanés,
avait prescrit d'inventorier les biens des évéchés et desabbayes.
Wadalde s'était empressé d'obéir, et dès l'année 814 qui cor-
respond à l'indiction VII il dressait l'état des possessions de son
église, y compris les domaines de Saint-Victor, avec le rôle de
toutes leurs dépendances, des serfs ou mancips attachés à cha-
cune et des redevances qu'ils devaient payer. C'est ce que l'on
nomme le Polyptique de WadaJde(l).» Ce Polyptique, ce par-
chemin précieux eiiste encore. Il fut découvert, il y a quelque
vingt ans, par Mortreuil et Eothen dans les archives du dépar-
tement (2). Or, À un endroit du Polyptique, on lit:«Descriptio
mancipiorum aanctae Maria? et sancti Cyrici martyris massi-
liensis factum temporibus Vuadaldi episcopi de indictione
VII (3). s Ces mots * Sancti Cyrici massiliensis » ou « mar -
tyris massiliensis », qui reviennent par trois fois dans le
(1) Armoriai et Sigillographie des évéques de Marseille, par H. le
chanoine Albanie, XVII, V vadalde, 811-818.
(2) La Majar, par Bousquet, pp. lit, 460. — Gartulaire de Saint-
Victor, préface, 1. 1, p. 10.
(3) Gartulaire de Saint-Victor, t. II, pp. 633 et sulv.
— 640 —
Polyptique (1), sont faits pour surprendre tout d'abord. Saint
Cyr, quoique patron de l'abbaye cassianite, n'est pas un martyr
de Marseille. De plus, Mortreuil fait remarquer c qu'il est
facile de reconnaître, sur la charte, qu'un nom qui figurait
plus anciennement dans le texte a été gratté et qu'on lui a
substitué assez maladroitement celui de Saint-Cyr (2). » Ce
changement, vu la forme des lettres, aurait été fait au XI' siè-
cle, selon Mortreuil et André (3), au XII* selon l' annotateur du
cartulaire (4). On peut même reconnaître la trace des lettres
qui désignaient Saint-Victor, lui vraiment martyr de Mar-
seille (5).
Pourquoi ce changement? André et Mortreuil disent que
peut-être, à cette époque, « quelques terres qui composaient
autrefois le domaine de l'abbaye furent attribuées à Saint-
Sauveur, qui susbtitua, en suite de cette cession, le nom de
Saint-Cyr au mot primitif (6). » Cela peut être. Car, vers le
début du XI* siècle, alors que l'abbaye cassianite se relevait de
ses ruines, qu'Elgarde en 1004, plus tard Valburge en 1038, el
la vicomtesse Stéphanie en 1050, la dotaient de quelques biens,
l'évêque de Marseille put donner à cette abbaye quelques ter-
res appartenant jadis au monastère de Saint-Victor. Et, soit
qu'il le fit de son propre chef, soit qu'il en fût prié par les
religieuses de Saint-Sauveur, il effaça le mot de Saint-Victor
et mit en sa place celui de Saint-Cyr. Il est possible encore
que l'abbaye de Saint-Victor, voulant contribuer &u rétablis-
sement du monastère des religieuses, ait donné elle-même quel-
ques biens, qui furent inscrits sous la rubrique de Saint-Cyr.
A notre avis, cependant ce n'est point là la véritable expli-
cation. Ce fut au XIe ou au XII' siècle qu'eut lieu cette substi-
(1) Cartulaire de Saint-Victor, t, II, pp. 633, 641, 652.
(2) Bousquet, La Major, cite, p. 466, une partie du travail de Mortreuil
imprimé à part plus tard sous le titre de : Possessions de V Eglise de
Marseille au IX* siècle.
(3) Bousquet, op. cit., p. 466. — André, Histoire de Vabbaye des
religieuses de Saint-Sauveur, p. 15.
(4) Cartulaire de Saint-Victor, t. II, p. 633. *
(5) Bousquet, La Major, p. 466, citant Mortreuil.
(6) Bousquet, La Major, pp. 466, 467. — André, op. cit., p. 15.
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tution de mots. Or, l'abbaye cassianite, au XI*. siècle, n'était pas
sous le vocable de Saint-Cyr, mais sous celui de Sainte-Marie
ou de Saint-Sauveur. Si donc, au XV , siècle, l'évoque avait
donné quelques biens à Saint-Sauveur, on les aurait inscrits
sur le Polyptique, non pas sous la rubrique de Saint-Cyr, mais
sous celle de Saint-Sauveur. C:est le nom de Saint-Cyr que l'on '-$
écrit, il faut donc chercher une explication autre que celle
donnée par André et Mor treuil.
L'abbaye cassianite de Saint-Sauveur reçoit de l'évoque, au
XI* siècle, des biens faisant partie du domaine de Saint- Victor.
Si elle les fait inscrire sous la rubrique de Saint-Cyr, c'est
qu'elle a une intention bien arrêtée. Elle veut rappeler que
ces biens lui ont appartenu jadis, alors qu'elle était sous le
vocable de Saint-Cyr, et faire savoir que ces biens, unis en 814
au domaine de Saint- Victor, avaient été autrefois la propriété
de l'abbaye de Saint-Cyr, avant d'avoir été la propriété de
celle de Saint-Victor. C'est un titre ancien de propriété qu'elle
exhume.
Comment ces biens faisaient-ils partie du domaine de Saint-
Victor vers 814 ? Peut-être parce qu'ils avaient été primitive-
ment donnés par Saint- Victor à l'abbaye cassianite et qu'à la
suite des invasions, de la destruction de l'abbaye, Saint- Victor
les avait repris, comme bien lui appartenant. L'évêque, au
lieu de les réunir à sa mense épiscopale, les avait laissés aux
moines, leurs possesseurs primitifs. Mais, au XI' siècle, Saint-
Victor les remet de nouveau à Saint-Sauveur, l'ancienne
abbaye de Saint-Cyr. Saint-Sauveur, pour rappeler cette
antique donation, les garda sous leur ancienne dénomination,
quoique elle-même eût changé de vocable. Cette explication
bous parait plus logique que la première.
Ainsi donc, en 814, Saint-Victor est déjà en possession de ces
biens, puisque le nom de Saint- Victor se lit sur le Polyptique
qui les énumère. Donc, avant 814, l'abbaye de Saint-Cyr a dû
subir quelque désastre, puisque un autre possède ses biens.
Or, cette date de 814 correspond à la fin du règne de Charle-
magne et il est impossible de placer ce désastre durant le
règne du grand empereur (de 768 à 814). Durant ce laps de
temps, en effet, les Sarrasins n'ont pas abordé nos côtes, au
à
— 642 —
rapport d'Eginhard. Il s'ensuit donc que cette ruine de l'ab-
baye de Satnt-Cyr, indiquée par ce changement dans l'admi-
nistration de ses biens a dû se produire plus tôt. Or, d'une part,
on Ta vu plus haut, on ne peut placer aux V\ VI* et même au
VII* siècles cette destruction, cette ruine du monastère ; d'autre
part, durant le VIII* siècle, les Sarrasins ont ravagé Marseille,
et la tradition les accuse du massacre de sainte Eusébie. Donc,
c'est durant le VIII* siècle que notre chère sainte a succombé.
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CHAPITRE V
Les Sarrasins ont martyrisé sainte Eusébie en 738.
CHARLES MARTEL EN 8AXB, EN 738. — AUTBUR8 QUI L'AFPIRMBNT. —
PENDANT CE TEMPS LES SARRASINS SONT A MARSEILLE. —AUTEURS
ET ANNALISTES ANCIENS, AUTEURS ET HISTORIENS MODERNES. —
MAU BONTE N*A DÉPENDU PERSONNE A HAR8EILLB CONTRE LES
8ARRAS1N8.
Nous précisons davantage. C'est en 738 que sainte Eusébie
a été martyrisée. Pour prouver notre assertion, nous n'avons
qu'à établir que durant Tannée 738 les Sarrasins se trouvaient
à Marseille ; que Mauronte n'a pas empêché le massacre des
Cassianites et que celles-ci habitaient à ce moment leur mo-
nastère.
Que ces barbares se trouvassent à Marseille en cette année
terrible, c'est ce qu'indique le seul récit des événements,
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appuyé sur le témoignage des chroniqueurs anciens et sur j
celui des auteurs modernes. î
M. de Rey, qui a étudié en détail les invasions des Sarra- J:
sins en Provence, dit, en un endroit de son ouvrage : « Pour
récapituler les différents textes qui nous ont servi à connaître
l'histoire de ces invasions, les Sarrasins prirent une première
fois Avignon en 737. Charles Martel, après les avoir écrasés,
passe le Rhône, assiège Narbonne, bat de nouveau les infi-
dèles dans la vallée de Gorbières en 737 ou au commence-
ment de 738 ; en 738 il va en Saxe. Les Sarrasins s'emparent
une seconde fois d'Arles et d'Avignon. Le duc d'Austrasie
revient en février 739 ; aidé par le roi Luitprand qui garde la
frontière de Test, il les chasse de leurs conquêtes (i). » Ce court
résumé nous indique l'époque précise de la présence des
Sarrasins à Marseille : c'est le moment où Charles Martel va
(1) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 47.
— 644 —
en Saxe et où les Sarrasins, mettant à profit l'éloignement de
leur adversaire, s'emparent une fois encore d'Arles et
d'Avignon.
En prouvant, contre de Belsunce, Papon et Augustin Pabre,
qu'en 737 les Sarrasins n'avaient pu martyriser notre sainte
Eusébie, parce que; en cette année, ils n'étaient pas venus
jusqu'à Marseille, nous laissions Charles Martel à sa villa
de Verbery-sur-Oise, à la Noël de 737. Or, les peuplades
germaines, qui n'étaient pas complètement soumises, s'agi-
taient au fond de leurs sombres forêts. L'éloignement du
maître en 737, la mort de Thierry IV arrivée en celte
année (1), le choix à faire d'un nouveau roi, tout contribuait
à surexciter les esprits. On épiait une occasion propice. Mais
Charles Martel ne se pressa pas de donner un successeur à
Thierry IV et, voulant prévenir les Saxons, il entreprit contre
eux une expédition nouvelle.
Cette opération militaire eut lieu en 738, disent les chroni-
queurs et les annalistes. Nous lisons, en effet, dans la Chroni-
que de Quedlinbourg, àladate de 738 : « Charles vint denouveau
en Saxe et en soumit les habitants au tribut (2). » — Dans celle
de Vissembourg, toujours à la même date, mêmes expres-
sions aussi (3). — Dans la Chronique de Lambert, sous la date
de 739, mais avec la mention en note que c'est de Tan 738
qu'il s'agit, toujours même affirmation (4). — Les Annales de
Metz fournissent le même témoignage: « En 738, disent-elles,
le prince Charles iraverse le Rhin, envahit la Saxe, prend des
otages aux peuples qui habitent cette région, soumet ce pays
(1) Thierry était mort en avril ou en septembre 737. (Chronique
d'Adhémar ; Dom Bousquet, Recueil des historiens des Gaules, t. II
p. 575.)
(2) Annales Quedliburgenses : « 738, Karolus Saxoniam iterum introi-
vit et fecit eos tributarios. > Patrologie latine, édition Migne, t. CXLI,
col. 469.
(3) Annales Veissemburgenses : « 738 (739), Karolus Saxoniam iterum
intravit et fecit eos tributarios. » Patrologie latine, édition Migne,
t. CXLI, col. 469,
(4) Annales Lambert i, rédigées en 1077, « 739, Carolus intravit
Saxoniam iterum et fecit eos tributarios. » D. Bousquet, Recueil des
historiens des Gaules, t. III, p. 349.
— 645 —
à son autorité et lui impose un tribut (1). » — À
leur tour, les Annales Nazariennes affirment qu'en 738
« Charles entre dans la Saxe (2). » — Les Annales Pitaviennes
disent de même : a En 738, Charles entre dans la Saxe (3). a —
Dans la Chronique d'Herman Contractus, mort en 1054,
sous la date de 737, mais avec la note en marge 738,
môme assertion (4). — Ainsi encore dans les Annales des Francs,
par un moine de Fulda(5). — La Chronique d'Adhémar, enfin,
raconte qu'en 738 Charles marcha contre les Saxons, païens
rebelles, qui habitaient au-delà du Rhin ; il les battit au
confluent de la Lippe ; puis, traversant cette rivière, il ravagea
la Saxe, imposa un tribut à ses habitants, leur prit des otages
et, victorieux par le secours du Tout-puissant, il revint à son
palais (6).
C'est donc bien en 738 qu'a eu lieu cette expédition de
Charles Martel en Saxe. Il serait, en effet, difficile de trouver
des témoignages plus concluants que les écrits de ces histo-
riens antiques.
Ceux mômes qui, à l'exemple du rédacteur des Annales de
Fulda(7), font aller Charles Martel en Saxe, en 737, sont au fond
(1) Annales Metenses : « 738, Carolus princeps Rhenum transiens
Saxoniamque hostiliter invadens, Saxones, obsidibus captis, propriae
ditioni restitua, ipsosque tributarios iterum fecit. » D. Bousquet,
Recueil des historiens des Gaules, t. II, p. 685.
(S) Annales Nasarianœ : « 738, Karolus intravit in Saxoniam. »
D. Bousquet, op. cit., p. 640.
(3) Annales Peiavianœ : « 738, Karolus intravit in Saxoniam. »
D. Bousquet, op. cit., p. 642.
(4) Hermanni Contracti Chronicon : « 737 (738), Karolus Saxones
victos tributarios fecit. » D. Bousquet, op. cit., t. II, p. 331.
(5) Annales Francorum : « 738, Karolus tributarios fecit Saxones. »
D. Bousquet, op. cit. , p. 648.
(6) Adhemari Chronicon : e 738, Item contra Saxones paganissimos
rebellantes, quae ultra Rhenum fluvium consistant, vir strenuus Carolus
hostem commovit Francorum, in loco ubi Lippia fluvius Rhenum
intrat. Quo transmeato, maximam partem région is illius prostravit et
gentem illam ssevissimam tributariam fecit, et plures obsides ab eis
accepit, sicque victor, opitulante Domino, remeavit ad propria. » D.
Bousquet, op. cit., t. II, p. 575.
(7) Annales Fuldenses : « 737, Carolus Saxones tributarios fecit. » D.
— 646 —
d'accord avec les annalistes cités plu? haut. L'expédi-
tion contre les Saxons a pu, à la rigueur, commencer en 737
et se terminer en 738, et l'écrivain ne donner que la date du
début de l'expédition. Il y a mieux, on peut supposer que dans
le pays de ce moine Tannée commençait en mars, à la fête de
l'Incarnation ou A Pâques. L'expédition, que nofls plaçons
au début de 738, suivant notre manière de compter l'année,
aurait eu lieu réellement, pour ce moine de Fulda, à la fin de
737(1).
Or, pendant que Charles Martel guerroyait dans le nord
contre les Saxons, que devenait la Provence ? Sachant son maî-
tre fortement occupé, Mauronte jeta cette fois tout masque
et toute retenue et appela les Sarrasins de Narbonne. Ceux-ci,
sachant que leur terrible adversaire était engagé loin d'eux,
répondirent à l'appel du traître et leurs bandes innombrables,
traversant de nouveau le Rhône, s'emparèrent d'Arles, d'Avi-
gnon, descendirent à Marseille et y mirent tout à feu et à sang
C'est là. encore un fait certain.
Les Sarrasins, en effet, vinrent à Marseille en cette année
738. Ils ont pris Arles, Avignon. Paul Diacre, Sigebert, Bkeard
l'affirment (2). Mais là ne se sont pas bornés leurs ravages.
Bousquet, op. cit., p. 675. Il est à noter, en effet, qu'en marge, l'éditeur
de ces annales ou le premier copiste indique Tannée 738.
(i)Au V- siècle, les Francs commençaient Tannée en mars, Grégoire
de Tours suit ordinairement cet usage. Charlemagne fit revenir à la mode
romaine, qui commence l'année au l*r janvier ou au 25 décembre. Ce-
pendant, aux IV-, V8 siècles, on rencontre encore l'ancien usage. En Aqui-
taine, en Languedoc, en Limousin, on le trouve jusqu'aux XII* et XIII"
siècles. De même dans le nord de la France et de l'Europe. (Dictionnaire
de diplomatique chrétienne, édit. Migne. col. 60 et suiv., verbo année.
— Cartulaire de Siint-Victor, 1. 1, préface, p. XIV.)
(2) Paulus Diaconus : « 739, Iterato Sarraceni Galloram fines îngressî,
usque in Provinciam venerunt et, capto Arelate, omnia circumquâque
demolitisunt. » D. Bousquet, op. cit., t. III, p. 639. — Il est visible qu'il
s'agit de738, puisque, dès février 739, Childebrand en chassa lesSarrasiiis.
Sigebert de Gembloux :«739. Arelate urbe Galiiarum capta a Sarra-
cenis, et omnibus circumquâque demolitis. » — Ici encore il s'agit visi-
blement de 738.
Ecckeard : « 739. Sarraceni Gallias invadentes, ceperunt A relatera
civitatem. »— Même observation que tantôt. — Patrologie latine, édit.
Migne, t. CLIV, col. 834.
- 647 -
Paul Diacre ajoute : a qu'ils ruinèrent tout aux environs ».
Aussi la plupart des chroniqueurs affirment que Charles Martel
vint jusqu'à Marseille, en chassa Mauronte et les Sarrasins. La
chronique de Fontenelle dit, en effet, que « rassemblant son
armée entière, Charles Martel parcourut toute la Provence
jusqu'à la mer, arriva à Marseille et mit en fuite Mauronte (1).
Une telle marche militaire fait supposer que Charles Martel
chasse et bat devant lui les Sarrasins. Les Sarrasins se trou-
vaient donc dans nos contrées. Ils y étaient si réellement, que
Mauronte en était appelé le chef et le roi. C'est le titre qu'un
chroniqueur, Adémar, donne au duc de Marseille (2).
Dans Frédégaire, nous lisons « que Charles Martel vint en
toute haie, remit sous son autorité et sa domination toute la
région jusqu'au rivage de la mer, repoussant Mauronte dans les
montagnes impénétrables de la côte (3). » Toute la région delà
Provence et de Marseille était donc la prote des barbares,
puisque Charles fut obligé de combattre pour la reconquérir.
Les Annales de Fulde rapportent qu'en l'année 738 et 739
Charles Martel, en entrant en Provence chassa devant lui
Mauronte qui y avait appelé les Sarrasins et soumit à sa puis-
sance toute la contrée et tous les lieux habités sur les bords
de la mer (4). Marseille doit être comptée parmi ces lieux habi-
(1) ExChronito FontaneUenst : « 739. Eodem anuo, Carolus, corn*
moto exercitu universali, totàque Provinciâ usque ad littus maris pera-
gratâ, ad Massiliam pervenit, fugato duce Mauronto, » D. Bousquet, op.
cit., p. 660.
(2) Chronicon Adheniari : « Sarraceni, consentientibus christiania in-
fidelibus, per dolum et fraude m, cum rege suo Mauronto, Avenionem
ingrediuntur. » D. Bousquet, opy cit., p. 575. — Chronique d'Adhémar :
« Fugato rege Sarracenorum, nomine Aronto. » (D. Bousquet, op. cit.)
(3) « Carolus prœproperaos peracessit, cunctamque regionem usque
littus maris magni suœ domination! restituit. fugato duce Maurouto,
impenetralibus tutissimis rupibus mari ti mis munitionibus. » Troisiè-
me continuateur de Frédégaire.
(4) Annales Fuldenses : a 738 (en marge : 739). Carolus regionem
Proviociam ingressus, Maurontum ducem qui dudûm Sarracenos per
dolum invitaverat, fugere compulit.— 739. Carolus Provinciâ m totam
et cunctaejus maritima loca suœditioni sugebit. > ( D. Bousquet, op. vit.,
p. 675.)
— 648 -
tés, près de la mer. Mauronte y avait appelé les Sarrasins,
puisque Charles l'en fit sortir en môme temps que ces barbares.
À leur tour, les Annales de Quedlinbourg ( 1), de Vissembourg,
de Lambert, les Nazariennes les Pitaviennes, etc. attestent
« que Charles vint en Provence et pénétra jusqu'à Marseille ».
Les Sarrasins y étaient, puisque Charles les en éloigna. Même
témoignage dans les Annales de Metz (2).
Ainsi donc, de l'avis des chroniqueurs, les Sarrasins se trou-
vaient en Provence et à Marseille avec Mauronte, lorsque
Charles Martel, de retour de l'expédition de Saxe, vint les
mettre en fuite. Or, nous savons par ces mêmes annalistes que
Charles vint en nos contrées au début de 739, au mois de fé-
vrier ou second mois de Tannée (3). Donc, en 738 les Sarrasins
étaient à Marseille et cela pendant que Charles se trouvait
dans la Saxe.
Ne nous contentons pas du témoignage des chroniqueurs
anciens. Voyons les historiens modernes, relativement à ces
annalistes cités plus haut.
(1) Annales Quedliburgenses : « 739. Carolus intravit usque in Mas-
siliam * Veissemburgenses en 739 (740) et Chronique de Lambert en 740,
môme idées dans les mômes termes. En note, pour les Annales de Lam-
bert, que les événements marqués sous la date de 740 sont survenus en
739. (Patrologie latine, édit. Migne, t. CXLI, col. 469. — D. Bousquet,
op. cit., t. III, p. 349.)
Annales Nazarianœ : « 739. Karolus intravit in Provinciam usque
Massiliam. » (O. Bouquet, op. cit., t. I, p. 640.; — Petavianœ, 739;
lisdem terminis. (D. Bousquet, op. et*., t, 1, p. 642.)— Annales Franco-
rum (Fuldenses) : « 739. Carolus regiones Provinciœ ingrediens... » (D.
Bousquet, op. cit., 1. 1, p. 646.)
(2) Annales Metenses : « 739. Carolus, commoto universali exercitu, in
partibus Provinciœ iter instituit, Avenionemque item cepit, totâque Pro-
vinciâ usque ad littus maris peragratâ, ad Masiliam pervenit, fugatoque
duce Mauronto, qui quondam Sarracenos suae perfldiae praesidium adsci-
verat, nulio jam relicto adversario, totam illara regionem Franco ru in
imperio subjugavit, et cunctis strenue dispositis, ad propria re versus est
sedes. » (D. Bousquet, op. cit., p. 685.)
(3) Chronique d'Adhem&r : « Sequenti anno (739), mense februario,
praedictum germanum suum Karolus, eu m pluribus ducibus et comiti-
bus, commoto exercitu in partes Provincial direxit. » (D. Bousquet, o/i.
cit., p. 575.) — Frédégaire, troisième continuateur : « Denuo curriculo
anni illius, mense secundo. » Voir plus bas l'explicatiou de ce texte.
— 649 —
Ce que nous disent les chroniqueurs, nos écrivains modernes
le confirment. En termes plus ou moins explicites la plupart
affirment la présence à Marseille des Sarrasins en cette année
738. De fait, tous ceux qui placent la première arrivée de
Charles Mariel en Provence, en 737, pour reprendre Avignon
sur les musulmans et qui le font retourner dans nos contrées
en 739 pour reconquérir à nouveau cette ville, mettre en fuite
Mauronte et délivrer Marseille, admettent par là même qu'en
738 les Sarrasins se trouvaient dans notre ville. C'est ce que
nous pouvons lire dans M" de Belsunce : « Mauronte traita
avec les Sarrasins, leur livra Avignon en 737. Cette ville fut
reprise par Charles Martel, qui fut ensuite obligé de marcher
contre les Sarrasins. Etant revenu deux ans après en Provence
avec son armée victorieuse, il en chassa Mauronte, s'avança
jusqu'à Marseille et fit rentrer tout le pays sous sa domina-
tion (1) » . Donc, en 738 les Sarrasins étaient à Marseille.
C'est cequePapon nous dit encore. Sous la rubrique de
l'année 738, cet auteur écrit : a Charles était sur le point de
soumettre les Saxons, quand Mauronte, descendant des Alpes
avec les débris de son armée, ravagea le pays par le fer et
par le feu. . . Les infidèles exercèrent leurs cruautés depuis les
Alpes jusqu'à Arles. . . Charles vint lui-même devant Avignon
(739). Mais il se ligua avec Luitprand, roi des Lombards.
Ainsi, tandis que le prince français chassait les ennemis
devant lui dans la basse Provence, Luitprand attaqua les •
troupes de Mauronte dans les Alpes, les força de se replier
vers lecomté de Nice... (2). » En 738 donc les Sarrasins étaient
dans la basse Provence, à Marseille.
De Mauléon, dans les Mérovingiens et les Carlovingiens^
place la première conquête d'Avignon par Charles Martel
en 737 ; et la seconde en 739, disant que dans Tinter*
valle « les Sarrasins s'étaient remis en possession du terri-
toire momentanément occupé par Charles ; ils avaient recom-
mencé leurs courses au-delà du Rhône ; et, d'intelligence
avec Maurdnte, comte de Marseille, ils portaient la désolation
(1) De Belsunce, Antiquité de l'Eglise de Marseille, t, I,pp. J99,20J.
(2) Papon, Histoire de Provence, t. 11, p. 79;
— 650 —
dans la Provence et le Dauphiné... Charles s'avança dans la
Provence, reprit de vive force Avignon, Arles... (1)» Tou-
jours même conclusion: en 738, les Sarrasins étaient en
Provence.
La Statistique des Bouche$-du-Rhône apporte un témoi-
gnage précis et concluant, a En 737, Charles reprend Avignon,
mais il est obligé de porter ses armes vers le nord, contre les
Frisons. Les Sarrasins, favorisés par Mauronte, patrice de
Marseille, entrèrent dans la Provence, s'emparèrent d'Arles et
mirent tout le pays à feu et à sang. Charles revint en 739.
Il divisa son armée en plusieurs corps... Une dernière bataille
se donna au Canet, tout près de Marseille. . . (2) » Les Sarra-
sins ont été battus à Marseille en 739. Mais ce n'était pas
momentanément qu'ils s'y trouvaient, en fuyant par exemple
devant Charles Marlel. Ils y étaient en 738.
Reinaud, dans les Invasions des Sarrasins en France,
raconte aussi qu'en 737 Charles s'empare d'Avignon, puis il est
obligé de remonter vers le nord, « Après le départ de Charles,
Mauronte, qui avait pris la fuite, se montra de nouveau en
Provence, et renoua ses relations avec les Sarrasins. Charles,
l'ayant appris, résolut de purger tout à fait cette contrée des
germes de troubles qui la désolaient depuis si longtemps. En
739 il reparut dans le pays. Mauronte fut chassé de toutes
les positions qu'il occupait. Les côtes de la mer où les hom-
mes turbulents auraient pu se cacher, furent visitées avec le
plus grand soin. Charles fit occuper Marseille par une parlie
de ses troupes (3). » En 738, donc, les Sarrasins élaient en
Provence, à Marseille, avec Mauronte.
Mentionnons avec un soin tout spécial Amédée Boudin,
auteur d'une Histoire de Marseille (4). Cet auteur est d'une
précision admirable, et il place le martyre de sainte Eusébie,
comme nous, en 738. Racontant la prise d'Avignon sur les
musulmans et l'éloignement de Charles vers le nord, il
r
(1) De Mauléon, Les Mérovingiens et les Carlovingiens, t. I, p. 250
et suiv.
(2) Statistique des Bouches-du- Rhône, t. II, p. 106.
(3) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 62.
(4) Boudin Amédée, Histoire de Marseille, p. 116.
— 651 —
ajoute : [« Charles Martel éloigné, tout rentra en Provence
dans le même état que précédemment. Mauronte reparut à la
tête des habitants et s'appuya de nouveau sur les Sarrasins,
qui prirent et saccagèrent Marseille, Aix et Arles. Marseille
fut particulièrement livrée à toutes les horreurs du pillage et
de la dévastation . . . (L'auteur raconte ici le martyre de sainte
Eusébie.) A la nouvelle de l'irruption des Sarrasins en Pro-
vence, Charles Martel accourt... prend d'assaut Avignon...
de là il poursuit les musulmans dans toute la Provence, les
bat en plusieurs rencontres, délivre Marseille et les dépouille
de leurs conquêtes. » M. Boudin donne la date de 739 pour
ces derniers événements. Donc c'est en 738 que les Sarrasins
sont à Marseille.
Augustin Fabre, dans YHistoire de Provence, dit aussi
« qu'en 737 les Sarrasins prennent Avignon, Arles,* Marseille ;
qu'en 738 Charles Martel est obligé de regagner les bords du
Khin. Mais le calme de la Provence ne fut pasde longue durée.
Mauronte et les bandes arabes réfugiées dans les Alpes descen-
dirent de ces montagnes. D'autres bandes, venues de Septima-
nie, entrèrent aussi dans le pays qui reçut de nouvelles bles-
sures et jeta des cris de douleur. Charles Martel se mit encore
en marche en 739, pour délivrer une bonne fois la Provence
du joug de Mauronte et des Sarrasins... Il vint à Avignon,
se ligua avec Luitprand, roi des Lombards. Tandis que les
Francs balayaient les bords du Rhône et le long des côtes, les
Lombards opérèrent dans les montagnes (1). » En 738 tou-
jours, les Sarrasins sont à Marseille, en Provence, puisqu'ils
sont chassés des bords du Rhône, et le long des côtes.
Alliez tient le même langage dans YHistoire du monastère
de Lérins (2) : « En 739, Charles Martel voulut repousser
entièrement les Sarrasins de la Provence et soumettre les
chefs chrétiens qui avaient fait alliance avec eux. . . Il deman-
da le concours de Luitprand. Charles s'empara de Marseille
et lit visiter avec soin les côtes de la mer où les vaincus
avaient pu chercher un abri. On ne sait ce que devint Mau-
(1) Fabre Augustin, Histoire de Provence^ 1. 1, p. 317.
(2) Alliez, Histoire du monastère de Lérins, t. I, p. 411.
— 652 —
ronte. » Si Charles Martel chasse les Sarrasins de Marseille,
en 739, c'est qu'ils y étaient en 738, l'expédition de 739 s'étant
faite en février ou en mars.
M. de Rey est de cet avis dans les Invasions des Sarrasitis
en Provence: « Si grands qu'eussent été les succès de Charles
Martel, cependant sa domination sur la Provence n'était pas
rétablie. Entraîné en Gothie par le désir de frapper les Sarra-
sins dans Narbonne même, il avait laissé le duc Mau ronte
maître du pays entre la Durance et la mer. Ce traître était
rentré dans Marseille, et auprès de lui, sans doute, s'étaient
ralliés les débris de l'armée musulmane écrasée à Avignon.
Le duc d'Auslrasie n'eut pas plus tôt quitté la Septimanie que
les Sarrasins reparurent devant Arles, qu'ils prirent et ruinè-
rent entièrement. Arles prise, les# Arabes marchèrent sur
Avignon, où ils s'établirent. Tout alla bien pour eux pendant
quelques mois. Mais, dès que Charles Martel eut dompté les
Saxons révoltés, il ramena son armée en Provence. . . Charles
Martel descendit jusqu'à Marseille, poursuivant les bandes
sarrasines et chassa de cette ville le rebelle Mauronte (I). «
Et ces événements sont arrivés, M. de Rey le dit, en 737, en 738
et en 739. En 739, donc, nous trouvons les Sarrasins à Mar-
seille.
Dans la Notice sur sainte Eusébie, insérée dans Les Saints
de f Eglise de Marseille, hi même auteur s'exprime en ces
termes : « En 737, le gouverneur de Marseille, Mauronte, se
révolta contre Charles Martel et appela à son aide les Arabes
de la Septimanie. Les infidèles prirent Arles et Avignon. Mais,
peu de temps après, dans le courant de cette môme année, ils
furent vaincus et écrasés dans Avignon même par le terrible
duc d'Austrasie. . . Celui-ci, rappelé dans le nord de ses Etats
par une révolte de Saxons, abandonna cette guerre et Mauronte
rentra à Marseille. En 739, profitant de l'éloignement de son
maître, Mauronte fit une nouvelle tentative et, attirant encore
les infidèles, il reprit Arles et Avignon. Mais ce ne fut pas
pour longtemps. Charles Martel revint vers lui, le chassa d'A-
vignon, le poursuivit jusqu'à Marseille et le rejeta avec quel-
(1) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, pp; 42, 43, 47*
— (553 —
ques bandes de Sarrasins dans les montagnes du littoral (1). »
Il y a, croyons-nous, une petite faute d'impression dans
cette date de 739, qui est donnée ci-dessus. C'est 738 qu'il fau-
drait lire. Car Charles Martel et Childebrandsonfrère étant arri-
vés sous les murs d'Avignon pour le reprendre, en février 739,
on ne peut placer dans la courte durée de ces deux mois l'appel
fait aux infidèles par Mauronte, la prise d'Arles et d'Avignon.
D'autant plus que M. de Rey, dans Tes Invasions des Sarra-
sins en Provence (2), écrit : a En 738, Charles va en Saxe ; les
Sarrasins s'emparent encore d'Arles et d'Avignon, le duc
d'Austrasie revient en février 739, et les chasse de leurs con-
quêtes.» Sous le bénéfice de cette observation, nous disons : Si
Mauronte rentre à Marseille en 738 ; s'il attire les infidè-
les ; s'il prend Arles et Avignon ; s'il en est chassé par le duc
d'Austrasie en 739, poursuivi jusqu'à Marseille et rejette avec
des bandes de Sarrasins dans les montagnes, incontestable-
ment durant l'année 738 les Sarrasins se trouvaient à Mar-
seille.
M. Grinda tient en résumé la même opinion que nous.
Dans les extraits de sa Monographie de V abbaye de Saint-
Victor-lez- Marseille % publiés par YEcho de Notre-Dame
de la Garde, nous lisons : a On peut encore placer le mar-
tyre des religieuses cassianites en l'année 738, alors que le
traître Mauronte, chassé d'Arles et d'Avignon dont il s'était
emparé avec l'aide des Sarrasins venus de la Septimanie, se
réfugiai Marseille, entraînant à sa suite les restes de l'armée
des infidèles. Pendant les deux années qu'ils l'occupèrent, ils
ont pu commettre cet horrible méfait (3). » On le voit, en 738
les Sarrasins se trouvaient à Marseille.
L'abbé Darras, dans le tome XVII de V Histoire générale de
de l'Eglise, est aussi précis qu'il est possible : « Charles avait
à peine ramené ses armées victorieuses au confluent du Rhin
et de la Lippe, refoulé les Saxons dans leur ancien territoire et
reçu d'eux un nouveau serment de fidélité, quand il apprit que
(I ) De Rey, Les Saints de l'Eglise de Marseille, p. 228.
(2) De Rey, Invasions desSawasins en Provence, pp. 45, 47.
(3) Grinda, Monographie de l'abbaye de Saint-Victor-les-Marseille.
dans YEcho de Notre-Dame de la Garde, 1888, n° 345, p. 605.
42
— 654 —
Maurontius venait de rentrer en Provence, suivi de ses alliés,
les Arabes, qui s'étaient réinstallés à Marseille, à Arles jusqu'à
Avignon. Cette fois encore, une armée lombarde franchit les
Alpes, rejoignit Charles Martel et Hildebrand, qui accoururent
eux-mêmes de la Germanie avec leurs troupes infatigables
(739). Après des combats sanglants, Avignon, Arles, Marseille,
tout le territoire compris entre la Durance et la Méditerranée
furent successivement reconquis (l).s C'est bwn catégorique.
En 738, les Sarrasins étaient à Marseille avec Mauronte.
Inutile d'épiloguer sur le manque de précision dans les ter-
mes dont se servent les auteurs sur ce point spécial qui nous
occupe, à savoir : si les Sarrasins étaient à Marseille, en 738. A
peu près tous disent que Mauronte et les Sarrasins reprirent
Arles et Avignon, que Charles Martel poursuivit Mauronte et
ses bandes alliées jusqu'à Marseille; mais à peine deux ou
trois affirment catégoriquement que durant cette année les Sar-
rasins furent à Marseille. N'importe cependant, ce que les au-
teurs ne disent pas en propres termes peut très bien se dédui-
re, comme nous l'avons fait, de leur manière de s'exprimer.
Un point d'ailleurs domine toute la question. Il est certain
qu'en 738 Charles Martel se rendit en Saxe (2), et en 739, au
mois de février, il redescendit en Provence pour chasser les
Sarrasins (3). Donc, en 738, les Sarrasins se trouvaient dans
notre ville. Quelle que soit l'élasticité des expressions que les
auteurs emploient, la logique, le bon sens, les données histo-
riques amènent toujours à la même conclusion : en 738, les
Sarrasins étaient à Marseille.
Or, Mauronte a-t-il empêché ces barbares de massacrer les
Cassianites? Quelques auteurs l'ont cru, nous l'avons dit dans
un chapitre précédent. Suivant ces historiens, la présence à
(1) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XVII, p. 53.
(2) Voir les chroniqueurs cités plus haut dans ce même chapitre.
(3) Frédégaire dit : « Denuo curriculo anni illius.» De l'aveu de tous,
il y a là une faute de copiste. Les grandes chroniques de Saint-Denis
traduisant Frédégaire, au XIII* siècle, s'expriment ainsi : « Au second
mois qui vint après». Les annotations de ce texte de Frédégaire dans
la Patrologie remarquent qu'il faut lire : « Anno post secundo, deux
ans après 737. » (Patrologie, t. XC VII, col. 679.)— Nous avons don-
né le texte plus exact d'Adhémar.
— 655 -
Marseille du patrice, du duc, du gouverneur, — ce sont les
titres qu'ils donnent à Mauronte,— * l'alliance qu'il avait con-
tractée avec les barbares, aurait été une sauvegarde pour la
cité. Ces suppositions par trop favorables pour les Sarrasins et
celui qui les avait appelés, nous les avons réfutées; en réalité
Mauronte était un traître à sa foi, un traître à sa patrie.
En admettant que l'ambition démesurée de Charles Martel
eût décidé Mauronte à tenter d'arracher la Provence à la
domination de ce prince, ou qu'il ait voulu conserver la Pro-
vence à Eudes d'Aquitaine, qui avait, parait-il, des droits réels
sur cette contrée (1), il est incontestable que c'était un crime
de la part de Mauronte d'appeler à son aide les iulidèles, les
Sarrasins. Mieux que personne il connaissait ce que valaient
ces auxiliaires. On croit, en effet, qu'à un moment de sa lutte
contre Charles Martel, Eudes d'Aquitaine leur aurait deman-
dé secours (2). Mais il sut bientôt, que ces alliés ne rêvaient
que conquêtes et pillages, et qu'en s'unissant tantôt à un
prince chrétien, tantôt à un autre, leur but était de les amener
à s'exterminer et à s'affaiblir mutuellement pour les dominer
plus facilement ensuite. Aussi le duc d'Aquitaine, devinant
ce projet, s'unit bientôt à Charles Martel contre ses alliés de la
veille» Mauronte, s'il voulut imiter son prince, fut inexcusa-
ble. Il savait ou il en arriverait ; mais il voulait devenir indé-
pendant, et, pour y parvenir, il appela à lui les ennemis
de sa foi, de son prince, de sa patrie. Or, voulez-vous
qu'un traître ait possédé assez d'autorité morale sur de si
sauvages alliés, pour les empêcher de piller, de saccager Mar-
seille? Les Arabes étaient plus forts et plus nombreux que les
soldats de Mauronte. Celui-ci fut bientôt prisonnier de ses
auxiliaires. Maîtres de Marseille, ils y ont commis les mêmes
(t) De Mauléon, les Mérovingiens et les Carlovingiens, t. I, p. 233. —
L'inscription trouvée en 1279 dans le tombeau de sainte Marie-Magde-
leine, datant de 716, lui donne le titre de roi : « régnante Odoino ». De
Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 24.
(2) Darras, Histoire de l'Eglise, t. XVII, p. 11. — De Mauléon, op. cit.,
t. I, p. 263. — Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 37. —
L'Aquitaine sous les derniers Mérovingiens, par D. Chamard (Revue
des questions historiques; janvier t884).
- 656 —
méfaits qu'ailleurs. Ailleurs ils ont détruit les monastères,
massacré les religieux, violé les vierges, démoli les églises.
Marseille n'a pas eu entre leurs mains un meilleur sort. Ce
n'est pas pour l'amour de Mauronte que les Arabes auraient
épargné notre ville et ce n'est pas devant les quarante Cassia-
nites et leur héroïque abbesse, notre sainte Ëusébie, en sup-
posant que Mauronte eût intercédé pour elles, qu'ils auraient
déposé leur sauvage nature et réprimé leurs sacrilèges fu-
reurs. Mauronte, qui était à Marseille en 738, avec les Sarrasins
n'a rien fait pour empêcher le massacre de sainte Eusébie et de
ses compagnes.
Ajoutons, pour compléter notre démonstration, que les Cas-
sianites n'ont pu en cette année échapper au massacre, car
elles habitaient leur monastère, en quelque endroit qu'on se
place. Il est incontestable, en effet,que si lesCassianites s'étaient
réfugiées en ville à ce moment, il eût été difficile de les trouver
réunies au nombre de quarante, leur abbesse avec elle, pour
subir le martyre, à moins de supposer que leur monastère
s'élevât alors dans l'enceinte de la cité, ce qui est en dehors
de toute tradition, de toute donnée historique, à Marseille,
nous l'avons vu au début de ce travail. Or, nous avons la tradi-
tion précise, formelle que sainte Eusébie a souffert le martyre
avec ses quarante compagnes. Donc elles se trouvaient non pas
réfugiées en ville, mais dans leur monastère. Marseille étant
devenue la proie des Sarrasins, les Cassianites ne pouvaient
s'y abriter. L'abbesse Eusébie ne se berçait pas de l'espoir de
dérober ses filles à la fureur des barbares. L'ignominie ou la
mort étaient inévitables. Or, à courir un tel péril, autant va-
lait l'affronter toutes ensemble aux pieds de l'autel. C'est ce
que firent ces vierges héroïques. Dieu récompensa leur foi en
leur accordant la gloire du martyre.
D'une part donc, sainte Eusébie et ses compagnes se trou-
vaient dans leur monastère Mauronte, n'a rien fait pour les
protéger et les Sarrasins ont pillé, saccagé Marseille en 738.
D'autre part, la tradition nous dit qu'Eusébie et ses compagnes
ont été martyrisées par les Sarrasins. Ce massacre n'a pu avoir
lieu à une date autre que celle de 738. Donc c'est en 738 que
sainte Eusébie et ses compagnes ont souffert le martyre.
CHAPITRE VI
L'indiction sixième de l'inscription de sainte Eusébie.
ABGUMENTATION. INDICTIONS DU V* S1ÂCLE, DU VI* SIÈCLE, DU VII*
SIÈCLE. —INDICTIONS DU X* SIÈCLE, DU IX* SIÈCLE, DU VIII* SIECLE.
— ON NE PEUT HISTORIQUEMENT PLACER LE MARTYRE A AUCUNE DE
CBS INDICTIONS SIXIEMES. — RESTE CELLE DE 738.
Donnons une seconde preuve que sainte Eusébie a été
martyrisée en 738. Nous supposons établi que l'inscription
d'Eusébie est bien de la sainte martyre honorée par l'Eglise de
Marseille. Or, il y est dit que cette Eusébie est morte à Tin-
diction sixième : a recessit indictione sexta ». Parcourons
toutes les indictions sixièmes placées entre les dates extrêmes
auxquelles on pourrait fixer le massacre de sainte Eusébie; si
nous en trouvons une qui puisse servir de cadre à cet acte
barbare, la conclusion sera que ce fait a eu lieu à cette date.
Suivons d'abord les indictions sixièmes qui se présentent
depuis la fondation du monastère jusqu'à l'époque de l'inva-
sion des Sarrasins, de 400 à 700.
Les indictions sixièmes du V* siècle coïncident avec les
années 408, 423, 438, 453, 468, 483, 498 (i).
Ce n'est pas à l'indiction sixième de 408, que le massacre a
pu avoir lieu. Il en est qui font arriver Cassien à Marseille
vers 406 et lui font aussitôt fonder les deux monastères (2).
Or, les Vandales ayant pénétré en Gaule dans la nuit du 31
(1) La Gallia christ lana. t. I, p. 210 et appendix, et le Dictionnaire
de diplomatique chrétienne, col. 479, donnent la liste complète des
indictions.
(2) H. Bouche, Histoirede Provence, t. I, p. 332, désigne l'année 400
comme celle de la fondation du monastère de Saint- Victor. — Papon»
Histoire de Provence* t. II, p. 14, place cette fondation en 408. Ces
deux auteurs pouvaient donc prétendre fixer à Tan 408 la fondation
aussi du cœnobium cassianite.
— 658 —
décembre 406 au l* janvier 407, ont-ils pu détruire ce monas-
tère de sainte Eusébie en 408 ? Non. Il a été prouvé plus haut
que, durant les deux années que ces barbares passèrent à
piller la Gaule, ils ne vinrent pas jusqu'en Provence. D'ailleurs,
les auteurs contemporains, Salvien et Gennade, n'en disent
rien,
Ce ne fut pas à l'indiction sixième de 423. Car, de 409 à 429,
les Vandales sont occupés à piller, à dévaster les provinces de
l'Espagne, à combattre les armées romaines qui marchent
contre eux. Non plus à l'indiction sixième de 438. Genséric,
qui a passé en Afrique avec 80. 000 hommes, ravage cette con-
trée et s'empare de Carthage en 439.
Non plus à l'indiction sixième de 453. Carthage prise et
détruite, Gensérle établit son règne, se défend contre les
flottes de Théodose II, empereur d'Orient, fait la paix en 442
avec ce prince et, durant les années qui suivent, fait endurer
aux chrétiens une atroce persécution. Sera-ce à l'indiction
sixième de 468 ? A cette époque les pirates vandales désolent
les côtes de plusieurs provinces de l'empire. Sont-ils venus à
Marseille ? Non, Salvien, Victor de Vite, Gennade n'en disent
rien. Sera-ce à l'indiction sixième de 483 ? Non encore,
Hunéric, qui a' succédé à Genséric, son père, fait souffrir et
violente les chrétiens dans ses Etats. Mais il n'en sort pas.
Non plus à l'indiction sixième de 498. Car Trasimond, qui
règne depuis 496, imite Hunéric et persécute les chrétiens en
Afrique, mais ne la quitte pas. Impossible donc de trouver,
aux indictions sixièmes du V* siècle, une année favorable pour
y placer le massacre de sainte Eusébie.
Etudions les indictions sixièmes du VI* siècle. Elles tombent
aux années 513, 528, 543, 558, 573, 588.
Inutile de nous arrêter longtemps à ces dates. Depuis 480,
les Visigoths occupent Marseille, les Vandales n ontpas pu y
venir. D'autre part, nous savons que les Visigoths n'ont pas
massacré notre sainte. Dès 535, les Francs ont pris possession
de la Provence, et les Francs, nous le savons encore, n'ont
pas commis cet odieux forfait et sous leur domination nul
autre peuple n'a pu l'accomplir.
Venons aux indictions sixièmes du VII* siècle. Celles-ci
J
— 659 —
n'offrent pas de difficultés. Tout ce siècle, en effet, est rempli
par les querelles que l'élévation de la royauté mérovingienne
et 8a décadence ensuite ont suscitées et, encore une fois, ce
ne sont pas les Francs que Ton peut accuser de ce méfait. On
le voit, il n'y a pas, parmi les indictions sixièmes des siècles
antérieurs au VHP, une époque tant soit peu favorable où Ton
puisse placer ce fait qui nous occupe.
Prenons l'autre date extrême, celle que André a adoptée,
948, et de cette date revenons sur nos pas, en nous arrêtant à
chaque indiction sixième.
Les années d'indiction sixième qui se succèdent durant le
X* siècle, sont, en descendant : 993, 978, 9G3V 948, 933, 918,
903.
Sûrement le fait qui nous occupe n'a pu se passer en 993
ou 978. Car, depuis Tannée 973, les Sarrasins ont été expulsés
de Provence et de leur repaire du Fraxinet, par le comte
Guillaume et, sous le gouvernement de ce prince, la Provence
respira et se releva de ses mines. Est-ce à l'indiction sixième
de 963? Non, car en 965 saint Honoré, évoque de Marseille,
qui veut rétablir le monastère de Saint- Victor dans ses anti-
ques possessions (charte 23 du cartulaire) ne dit pas un mot,
dans la charte de donation, qui puisse faire soupçonner que
le désastre qui a enlevé les possessions à cette abbaye date
de deux ans à peine. Au contraire, la permission qu'il accorde
aux religieux de Saint- Victor de faire une enquête sur les
biens qui ont pu leur appartenir jadis, fait remonter la
catastrophe à de nombreuses années auparavant. Il n'eût pas
été nécessaire de faire une enquête pour savoir si tel ou tel
bien avait appartenu au monastère deux ans auparavant. Saint
Honoré parle, il est vrai, à de nouveaux religieux qu'il a placés
dans le monastère. Mais les traditions ne sont pas tellement
obscurcies, au bout de deux ans, que Ton doive faire une
enquête aussi sérieuse (1). Or, si la destruction de Saint- Victor
remonte à plus de deux ans, la destruction du cœnobium
cassianite est aussi plus ancienne et n'a pas été accomplie
en 963.
(1) Cartulaire de Saint-Victor, t. I, charte 23, de l'an 965-967.
— 660 —
Ce ne fat pas aux indictions sixièmes de 948 et 933 . Le
monastère de Saint- Victor n'existait plus depuis 923 ; partant,
l'abbaye cassianite avait succombé elle aussi. Si sainte Eusébie
a vécu à cette époque, c'est en 923 qu'elle a été martyrisée.
En 948 ou 933, le mal était déjà fait.
Est-ce à l'indiction sixième de 918 ? Cela pourrait être.
Déjà les Sarrasins font des courses aux environs de Marseille.
Dès 916, ils se sont axés à Embrun. Chaque année ils resser-
rent le cercle autour des villes de la basse Provence. Il n'est
pas impossible donc qu'ils ne soient venus à l'improviste sur-
prendre l'abbaye cassianite, comme ils surprenaient les villa-
ges et les petites villes. Il semble cependant que rien de sem-
blable ne soit arrivé. Croit-on qu'à quatre ou cinq ans d'in-
tervalle, en 923, Mariasses, archevêque d'Arles, n'aurait fait
aucune allusion, dans sa lettre à Drogon, évéque de Marseille,
à ce fait du massacre, fait odieux capable d'attendrir tous
les cœurs ? Or, cette lettre ne dit rien (1), donc ce fait odieux
n'a pas eu lieu.en 918.
Est-ce à l'indiction sixième de 903 ? Non plus. En 904, on
fait une donation à l'abbaye de Saint-Victor, et pas un mot
qui fasse soupçonner qu'il y ait eu à. craindre quelque péril
pour le monastère et, partant, pour celui des Cassianites (2).
En cette année les Sarrasins sont encore dans l'est de la Pro-
vence et font des courses dans la haute Italie. Ce n'est donc pas
aux indictions sixièmes du X* siècle que ce fait a eu lieu.
Examinons les indictions sixièmes du IX* siècle. Elles coïn-
cident avec les années 888, 873, 858, 843, 828, 813. Est-ce à
Tune de ces années que le fait s'est passé ?
Serait-ce en 888 ? A cette époque les Sarrasins dévastent
déjà la Provence, l'archevêque de Vienne dit au pape Etien-
ne V qu'ils en ont fait un désert (3). Mais, en 891, l'annaliste
de Saint-Bertin fait savoir que les Sarrasins du Fraxinet déso-
(1) Gartulaire de Saint-Victor, charte de 923. Et dans cette charte il est
cependant parlé des : « continuos Sarracenorum impetus ».
(2) Gartulaire de Saint- Victor, charte 10, p. 904.
(3) « Sarraceni Provinciam depopulantes terram in solitudinem redi-
gebant. »
J
— 661 —
lent l'Italie (1). Or, cet annaliste, qui racontera la catastrophe
dé 838, aurait gardé le 9ilence si une catastrophe plus terrible
avait eu lieu en 888 !
Ce ne peut être à l'indiction sixième de 873 . Car le même
chroniqueur de Saint-Bertin, qui relate tous ces détails et qui
raconte le meurtre de Rot! and, archevêque d'Arles, en 869,
ne dit rien de particulier pour l'année 873.
Serait-ce à l'indiction sixième de 858 ? C'est Tannée où les
Danois débarquèrent en Camargue après avoir pillé et saccagé
plusieurs villes et monastères. Suivant Ruffi, parmi ces villes et
monastères, il faudrait compter Marseille et Saint-Victor. Mais,
outre que M. de Rey dit que tout cela est un peu gratuit (2),
est-ce que l'annaliste de Saint-Bertin n'aurait pas inséré dans
ses écrits que ce massacre aurait eu lieu en 858? Sera-ce à Tin-
diction sixième de 843 ? Toujours la même raison, le silence de
l'annaliste prouve que non. D'ailleurs, après le désastre de 838,
il est difficile de croire que l'abbaye cassianite ait compté, cinq
ans plus tard, quarante religieuses avec sainte Eusébie.
Sera-ce, enfin, à l'indiction sixième de 828 ? Il est vrai que
les traditions mentionnent l'arrivée à Marseille de ces barbares
Mais si, en 828, sainte Eusébie a été massacrée avec ses qua-
rante compagnes, comment peut-il se faire que dix ans plus
tard, alors que les Sarrasins n'ont pas cessé de menacer la Pro-
vence et Marseille, il y ait eu à l'abbaye cassianite cette a non
modica congregatio », qui demeurait et qui fut enlevée par les
barbares sur leurs vaisseaux ? Qu'après la mort de sainte
Eusébie, arrivée par supposition en 738, alors que les Sarra-
sins sont exterminés, chassés de Provence, et que Charles
Martel, Pépin le Bref, Charlemagne imposent la paix à ces
envahisseurs, qu'à cette époque, dis-je, il y ait eu prompte-
ment des âmes généreuses, en assez grand nombre peut-être,
pour prendre la place des chastes héroïnes de Jésus-Christ,
cela se comprend. Mais que pareil empressement ait éclaté en
828 et les années suivantes, c'est difficile à croire. D'ailleurs,
(1) * In Italia Sarraceni castrum quoddam Fraxenetum occupantes
magno exitio Italise esse cœperunt. »
(2) Invasions des Sarrasins en Provence t par M. de Rey, p. 87.
— 662 —
treize ans après cette année 828 qui aurait vu la mortde sainte
Eusébie, un évoque de Marseille, Teutberg, vint auprès de l'em-
pereur Lothaire et en obtint une confirmation de ce que Louis
le Débonnaire, son père, avait concédé en 822, à Saint-Victor.
Or, dans ces actes, il n'y a pas un mot qui fasse soupçonner
que le monastère de Saint-Victor, et partant l'abbaye cassia-
ni te, ait eu à souffrir des invasions ou ait été détruit (1). Enfin,
dernière raison, les annales de Saint-Bertin ne disent rien de
particulier à cette date.
Serait-ce enfin à l'indiction sixième de 813 ? Non. Les Sar-
rasins, en cette année, n'ont assailli et ruiné que la ville de
Nice; la puissance et les préparatifs de Charlemagne les
arrêtèrent. C'est le témoignage formel d'Eginhard, l'historien
du grand empereur (2), D'ailleurs, en 814, Wadalde, évoque
de Marseille, rédige le Polyptique dans lequel il fait le dé-
nombrement des biens de l'abbaye de Saint-Victor et de sa
oathédrale. Or, un pareil travail suppose une époque pros-
père et tranquille.
On le voit, les indictions sixièmes des X* et IX- siècles ne
fournissent aucune date favorable à l'accomplissement de ce
drame sanglant. Il ne nous reste plus qu'à examiner les indic-
tions sixièmes du VIII* siècle.
Elle3 arrivent en 798, 783, 768, 753, 738, 723 et 708.
Ce ne peut être aux indictions sixièmes de 798, 783, 768 et
753, puisque les Sarrasins furent chassés de la Provence par
Charles Martel en 739, et que, durant le règne de Charlemagne,
on Ta vu plus haut, tout fut calme et paisible. Les Sarrasins,
habitant d'autres contrées que la Provence, ne s agitèrent
pas.
Restent les indictions sixièmes de 738, 723 et 708. Ce ne fut
pas en 708, puisque les Sarrasins n'entrèrent en Espagne qu'en
711, et en Aquitaine que vers 720. Ce ne fut pas à l'indiction
sixième de 723, puisque, on Ta vu plus haut, ce ne fut que
vers 732 que les Sarrasins entrèrent en Provence.
Est-ce à l'indiction de 738? Nous savons ce que raconte
(1) Gartulaire de Saint-Victor, 1. 1, charte 12, de 841.
(2) Vita Karoli Magni, par Eginard, citée par M. de Rey, Invasion
des Sarrasins en Provence, p. 217.
J
« 663 -
l'histoire pour cette année. Charles Martel, quittant le siège
de Narbonne, court à la rencontre de l'armée qui vole au
secours de la ville assiégée, la défait à Corbières en 737, puis
il remonte vers le Nord pour aller écraser les Saxons révoltés,
liais le duc Mauronte, qui avait appelé les Sarrasins, était
resté à Marseille. Autour de lui se rallièrent les débris des
armées sarrasines. Celles-ci ravagent les environs d'Arles,
prennent Avignon et s'y établissent en 738. Mais, en 739,
Charles Martel revient dans le Midi, assiège Avignon, parcourt
la Provence, chasse Mauronte, vient à Marseille, rejette au
loin les bandes sarrasines, les écrase, dit une tradition, au
Canet, près de Marseille, et ne remonte dans le Nord que lors-
que tout est pacifié.
Il y a ici une place marquée pour la destruction du monas-
tère des bords de l'Huveaune. Durant une partie de Tan-
née 738 les Sarrasins se croient débarrassés de Charles Martel.
Ils ravagent à leur aise, Mauronte les a appelés, ils se répan-
dent partout. En vain Mauronte, qui a semé le vent, s'aperce-
vant qu'il va recueillir la tempête, leur prêche la discipline,
le respect des églises, des moines et des religieuses. Indisci-
plinés et féroces, les Sarrasins agissent non plus en alliés,
maison maîtres. Inutile d'affirmer, nous l'avons dit, qu'à cette
époque les religieuses ont dû quitter à la hâte les bords de
l'Huveaune et se réfugier en ville. Mauronte, au fond du cœur,
est autant leur ennemi que le sont les Sarrasins. Qui trahit
sa patrie hait et déteste ceux qui aiment la patrie. D'ailleurs,
la ville devait être pleine de ces hordes sanguinaires, pillant
et saccageant tout. Il n'y avait en sûreté que ceux qui pou-
vaient se défendre. Les moines de Saint-Victor à l'abri de leurs
murailles durent lutter et batailler fort. Quant à nos héroïnes,
elles n'eurent que la ressource d'attendre la mort. Supposons
charitablement que Mauronte leur ait promis de les défendre.
Il était devenu par la force des choses le prisonnier des Sarra-
sins. Il fut débordé, et, comme cela arrive à ceux qui se ser-
vent de mauvais éléments pour grandir leur fortune et arriver
plus haut, la populace, les Sarrasins, dis- je, furent plus forts;
ce dut être a la mort dans l'âme » que Mauronte laissa égorger
ces héroïques Cassianites.
— 664 —
Ainsi, nulle indiction sixième ne se prête mieux que celle
de 738 à servir de cadre au martyre de notre sainte Eusébie.
C'est très probablement en 738 que ce fait s'est accompli.
Nous tirons une autre conclusion : D'une part, l'inscription
gravée en l'honneur d'une Eusébie indique l'indiction sixième
comme date de sa mort; d'autre part, tous les détails de la
tradition concernant le martyre de sainte Eusébie coïncident
avec une indiction sixième, celle de 738. Donc, cette inscrip-
tion a été gravée pour notre sainte de Marseille. Donc, cette
inscription appartient au VIII* siècle.
CHAPITRE VII
Le « Pridie kalendas octobris »
CHARLES MARTEL BN SAXE EN 738, A LA FIN DE L'HIVER. — SARRA-
SINS A ARLES BN MAI ; — A MARSEILLE, EN JUILLET. — CHARLES
MARTEL EN PROVENCE BN FÉVRIER 739.— DE JUILLET A FÉVRIER 738,
LES SARRASINS SONT A MARSEILLE. — RÉSUMÉ ET CONCLUSION.
C'est en 738 que sainte Eusébie a été martyrisée par les
Sarrasins. A quel moment de Tannée ? L'inscription d'Eusébie
nous l'indique : au 30 septembre. Serrons de près la question
des invasions des Sarrasins à Marseille, nous allons nous con-
vaincre que cette date est fort probable.
Un fait est acquis, c'est qu'en 738 les Sarrasins étaient à
Marseille. A quel moment précis sont-ils arrivés, combien de
temps y sont-ils demeurés, quand en sont-ils partis ; c'est le
nœud de la question à résoudre. Pour ce faire, donnons le
détail des événements qui se sont succédé en cette anné 738.
Dans un chapitre précédent nous avons laissé Charles
Martel à Verberie-sur-Oise, vers la fin de 737, se reposant des
fatigues de la campagne contre les Sarrasins, et méditant déjà
une nouvelle expédition contre les Saxons. L'expédition eut
lieu en 738, cela a été longuement prouvé. Mais à quel mo-
ment de Tannée 738 commença cette opération militaire ? On
ne faisait pas la guerre en hiver, surtout dans les froides con-
trées du nord (1). Ce ne fut donc que sur la fin de Thiver,
vers le mois de février 738, que débutèrent les hostilités.
(1) C'est ce que la plupart des historiens aftirment souvent. Jusqu'en
785, parait-il, les opérations de guerre ne commençaient qu'en mars ; dès
bette année, elles furent retardées jusqu'en mai, afin d'avoir du fourra-
ge pour la cavalerie qui à cette époque était plus nombreuse. (Dareste,
Histoire de France, t. I, p. 356.) De fait, la plupart des campagnes de
Charles Martel et de Charlemagne, aussi bien dans le nord que dans le
midi, ont été commencées au printemps. (Dareste, op. cit., t. I, pp. 351,
361, 366; — Darras, Histoire de V Eglise, t. XVII, pp. 69, 208. — Ozanam*
Etudes germaniques, t. II, pp. 244, 247, 249.)
— 666 —
Or, pendant que Charles Martel était aux prises avec les
Saxons, Mauronte appelle de nouveau les Sarrasins de Narbon-
ne. Ceux-ci accourent, s'emparent une seconde fois d'Arles,
d'Avignon, sèment partout la désolation, s'avancent sur Mar-
seille, la pillent, la saccagent et s'y établissent en maîtres et
conquérants.
Mais tous ces événements ne se sont pas passés en quelques
jours. Il a fallu de longs mois, au contraire (1).
D'abord, Mauronte, nous l'avons dit plus haut, n'a pas
appelé les Sarrasins au début de 738. Il avait échappé à un
terrible châtiment, à la fin de 737. La maladie du roi Thierry
IV, sa mort peut-être (2) et, partant, le retour obligé de Char-
les Martel au siège de sa puissance, avaien.t détourné de sa
tête la punition que sa trahison avait méritée. Il ne se sou-
ciait donc pas de courir au-devant du justicier. Avant de
consommer son crime, il voulut attendre que son adversaire
fût fortement engagé avec les Saxon?, de peur que celui-ci,
par un brusque retour, ne fondit sur la Provence, n'écrasât les
révoltés. Or, les nouvelles ne se transmettaient pas aussi vite
qu'à notre époqtie. Surtout ce n'était pas du premier venu que
Mauronte voulait savoir ce qu'il advenait de Charles Martel.
Certainement il dut charger un aftidé sûr et discret de ce mes-
sage. La nouvelle donc du départ de Charles Martel de Verbe-
rie-sur-Oise, de son entrée en campagne, des hostilités enga-
gées, ne parvint à Marseille, à Mauronte, que bien des jours
après, peut-être vers la tin de mars ou la mi-avril.
Les Sarrasins, de leur côté, étaient bien prêts à envahir la
Provence et à répondre à l'appel de Mauronte. Mais la
prudence leur faisait un devoir de s'assurer si ce que leur
mandait Mauronte était exact. Ce ne dut être donc que vers la
fin d'avril, le milieu de mai qu'ils se ruèrent sur Arles.
(1) C'est bien là l'idée judicieuse de l'abbé Darras. Dans une note sur
la date de la bataille de Poitiers livrée par Charles Martel aux Sarrasins,
il calcule que les Sarrasins, entrés en Provence et en Aquitaine en mai
732, ne se trouvèrent à Poitiers qu'en octobre 733. (Histoire de V Eglise
t. XVII, p. 32.)
(2) Thierry IV mourut en avril 737 ; après sa mort il y eut un interrè-
gne de cinq ans, jusqu'en 742. (Art de vérifier le» dates, p. 533.)
— 667 —
Or, Arles résista cette fois. En 736 ou 737, ce fut par la ruse
ou la trahison que les Sarrasins s'en emparèrent: a Arelate
civitate pace ingreditur », dit la chronique de Moissac (1).
Mais, en 738, c'est par la force des armes qu'ils la prirent.
Retranchés dans l'amphithéâtre, converti en citadelle, les
habitants se défendirent. Ils furent vaincus cependant. La
ville et ses environs furent incendiés et démolis(2). Il en fut
de même d'Avignon. Une vieille tradition de cette ville montre
encore la tombe où furent réunis les corps des valeureux
guerriers qui en un endroit, sur les rives de la Durance, appelé
Mauvais Pas, essayèrent d'en disputer le passage aux Sarra- *
sins (3). Prise par ruse et trahison en 737 (4), elle le fut par le
siège et l'assaut, en 738. Or, ces opérations demandaient du
temps.
Ajoutez que les Sarrasins s'attardèrent autour d'Avignon et
d'Arles, brûlant et saccageant tout aux environs, disent les
chroniqueurs (5). Bien plus, l'idée des Arabes n'était passeu-
ment de passer h travers nos contrées, mais de s'y établir.
Ils n'entreprenaient point le siège d'une ville avant de s'être
fortement retranchés dans celles qu'ils laissaient derrière
eux, et ils ne quittaient une contrée, pour se rendre dans' une
autre, qu'après avoir assujettie celle-là à leur autorité. Avi-
gnon et Arles pris, ils descendirent vers Aix (6), ruinant Saint-
Remy (7), Tarascon, élargissant chaque jour le cercle de leurs
déprédations et s'avançant ainsi peu à peu vers Marseille.
Or, il faut faire une réflexion. Mauronte voulait bien se
(1) Chronique de Moissac, citée par M. de Rey, Invasions des Sarra-
sins en Provence, p. 207. — Reinaud, Invasions des Sarrasins en
France, p. 55, note.
(2) Abrégé chronologique de l'histoire d'Arles, par Lalauziére, p. 90.
— Paul Diacre. — Sigebert. — Ekeart.
(3) De Rey, Invasions de Sarrasins en Provence, p. 35. — Reinaud.
Invasions des Sarrasins en France^ p. 55. — H. Bouche, Histoire de
Provence, t. I, p. 700.
(4) Frédégàire cité par de Rey, op. cit., p. 211 : « Sub dolo et fraude
Avenionem urbem ingrediuntur. »
(5) Sigebert; de Rey, op. cit, p. 43.
(6) H. Bouche, Histoire de Provence, 1. 1, p. 700.
(7) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 54. — De Rey,
Invasions des Sarrasins en Provence, p. 34.
— 668 —
servir des Sarrasins pour se donner une certaine indépen-
dance à l'égard de Charles Martel, mais il n'acceptait pas de se
ranger sous la domination des Arabes. Aussi, quand il les
vit mettre tout à feu et à sang, il dut chercher à les rete-
nir loin de Marseille, non pas en leur livrant des combats,
puisqu'ils étaient les plus forts, mais en négociant avec eux
et retardant ainsi leur marche en avant. Mais tout cela fut
inutile, le torrent dévastateur avançait chaque jour, rien ne
put l'arrêter. Or, si le siège d'Arles eut lieu vers le milieu de
mai, celui d'Avignon au début de juin, calculez un laps de
temps d'un mois ou deux pour ces ravages que les Sarra-
sins opèrent dans la Provence, pour ces négociations qu'en-
tame Mauronte, et nous arrivons au milieu de juillet, au com-
mencement d'aoùt.G'est à ce moment de Tannée 738 seulement
que les Sarrasins parviennent à Marseille.
Or, Charles Martel était alors au fond de la Germanie. Il
apprend les nouveaux désastres, mais il ne pouvait laisser les
Saxons pour courir aux Sarrasins. D'autre part, l'expédition
dans le nord terminée, il devait accorder du reposa ses troupes,
en convoquer de nouvelles, revenir du Nord au Midi. Pour
ces diverses opérations , il fallait de longs mois. D'ailleurs,
peut-être encore voulait-il laisser les Sarrasins s'engager dans
la Gaule (1), afin qu'ils ne pussent plus se réfugier d'une
traite à Narbonne. L'année se termina, et cène fut qu'au début
de 739, à la iln de de l'hiver, qu'il put songer à débarrasser
définitivement la Provence des envahisseurs. Nous marchons
encore ici d'accord avec les chroniqueurs. Nous les avons cités
dans un chapitre précédent. Tous nous affirment que Charles
Martel est revenu en Provence en 739 . Mais la chronique de
Frédégaire est plus précise. Elle dit ; « Dans le cours de cette
année, le second mois, Charles vint de nouveau en Pro-
vence (2). » Il y a dans ces expressions une faute de copiste
évidente. « On ne peut, en effet, observe M. de Rey, placer
(1) C'est ce que Charles Martel avait déjà fait, en 732, 733. V. Darras,
Histoire de VEc/lise, t. XVII, p. 28. — Reinaud, Invasions des Sarra-
sins en France, p. 33.
(2) * Denuo curriculo anni iilius, mense .secundo. » De Rey, op. <*if.,
p. 212.
— 669 —
tant d'événements en ces deux mois de 739 » (la reprise d'Avi-
gnon, le siège de Narbonne, le ravage de la Septimanie, etc.,
etc.) « Le texte a été sans doute altéré par une erreur du co-
piste. » Cette erreur est peut-être assez récente. «Les grandes
chroniques françaises de Saint-Denis, traduisant Frédégaireau
XIII* siècle, s'exprimaient ainsi : à ce passage : Au second mois
de Tannée qui après vint (1) . Les Bénédictins ou autres qui
ont annoté ce texte de Frédégaire dans l'édition Migne, indi-
quent qu'il faut comprendre ce texte en lisant : a anno post
secundo » (deux ans après 737) (2). Les Gestes des rois francs
disent d'ailleurs : « L'année après, au mois de février, il envoya
en Provence son frère... (3) » La chronique d'Adhémar,
moine d'Angoulème (4), s'exprime en ces mômes termes encore:
C'est donc bien certain, Charles Martel revient en Provence,
se faisant précéder de son frère, en février 739.
Tout d'abord Childebrand assiège Avigqpn, puis Charles
Martel à son tour arrive. Tous deux reprennent la ville, en
massacrent la garnison sarrasine, descendent à Arles, s'en em-
parent de nouveau, parcourent la Provence en vainqueurs,
chassent et repoussent les Sarrasins. Ce ne fut que lorsque
tout fut apaisé et calme, qu'ils revinrent dans le Nord (5) .
Ainsi donc, de juillet 738 à février 739, les Sarrasins ont été
les maîtres en Provence et à Marseille. Or, la tradition de
notre ville nous dit que sainte Eusébie a été martyrisée par les
Sarrasins. Les données historiques nous prouvent que ce mar-
tyre n a pu avoir lieu à une date autre que celle de 738. Donc
il est plus que probable qu'il a été subi par notre sainte de
juillet 738 à février 739. Or, l'inscription d'Eusébie, dont l'in -
diction sixième coïncide déjà avec l'année 738, nous apprend
que celle-ci est morte le 30 septembre. Donc, il est fort pro-
bable que notre sainte Eusébie a été martyrisée vraiment au
30 septembre. Nous tirons une conclusion encore : Donc ce
(1) De Rey, Invasions des Sarrasins en Provence, p. 45.
(2) Frédégaire, Patrologie lat. édit. Migne, t. XCVIl, col. 679.
(3) De Rey, op. cit., p. 47
(4) De Rey, op. cit., p. 47.
(5) Frédégaire III : « Prœfatus princeps Carolus cuncta sibimet ad qui-»
sita regaa, victor egressus est... in regione Francorum. »
43
— 670 —
•
marbre est authentique, il a été gravé pour notre sainte Eu-
sébie de Marseille. Donc il est du VIII* siècle.
Nous résumons les pages qui ont trait à la deuxième question :
A quelle époque sainte Eusébie a souffert le martyre.
Les bisloriens ne parviennent pas à désigner sûrement les
auteurs du massacre. Us en ont accusé tous les barbares. Quant
à la date de ce martyre, leur désaccord est encore plus grand.
Or, après avoir cité le dire de ces historiens, nous avons
discuté leur preuves. Elles ne valent rien, ni quand il s'agit
d'indiquer les auteurs du massacre, ni quand il s'agit d'en
fixer la date.
A notre tour nous avons prouvé d'abord : que ni Vandales,
ni Visigoths, ni Bourguignons, ni Francs, ni Lombards, ni
Saxons, ni Normands, ni Hongrois n'avaient trempé dans ce
crime. Nous avons établi ensuite qu'il était impossible de fixer
le martyre à une £es dates préconisées par les historiens.
Seuls les Sarrasins peuvent être accusés de ce méfait. Et ils
l'ont commis durant le VIII" siècle.
Afin de préciser davantage, nous avons démontré que
l'inscription d'Eusebie était bien la pierre tumulaire de PEusé-
bie que nous honorons. Partant, ce document a servi de
confirmatur à notre affirmation. Les dates qu'il fournit
cadrent parfaitement avec le récit des chroniqueurs. Notre
tradition de Marseille, que sainte Eusébie a été martyrisée
par les Sarrasins, est donc bien sérieuse.
D'autre part, dans la première question il a été démontré
que notre tradition locale, qui fait vivre et mourir sainte
Eusébie à l'embouchure de l'Huveaune, était aussi bien
établie.
Nous achevons ainsi l'œuvre que nous avions entreprise.
Les deux questions à résoudre sont élucidées. On peut admet-
tre que le cœnobium dont sainte Eusébie fut abbesse s'élevait
sur les bords de rHuveaune,au quartier actuel deSainl-Giniez
et que la chère sainte et ses compagnes y furent massacrées
par les Sarrasins en 738. Nous déposons notre plume !
— 671 —
Mais une douce émotion remplit notre cœur à cette heure !
Jamais nous n'aurions espéré mener à bien un semblable
labeur. La tâche nous paraissait si lourde, les difficultés se
montraient si nombreuses et les ténèbres qui enveloppaient le
sujet de notre étude si épaisses ; nous nous connaissions si peu
d'habileté et de savoir faire ! ! Peu à peu, au fur et à mesure
que nous, avancions notre travail, les difficultés s'aplanis-
saient et la lumière se faisait, (l'est à notre chère sainte que
nous le devons. Nous travaillions pour elle, elle travaillait
avec nous 1
Et maintenant, douce et chère sainte Eusébie, et vous ses
chastes et héroïques compagnes, qui nous donnera de vénérer
un jour les restes précieux de vos glorieux corps ? Est -il
possible, est- il bien vrai que les impies du dernier siècle les
aient brûlés, profanés, jetés au vent jusqu'à leur dernière
parcelle? Quelque âme pieuse ne lesa-t-elle pas dérobés à
la rage de ces barbares? Les chanoines de Saint-Victor, qui
devaient bien voir venir les mauvais jours, n'ont-ils pas eu
l'inspiration d'imiter de quelque manière les religieux
cassianites du VIII* siècle, cachant aux regards desSarrasius
les reliques de sainte Marie- Magdeleine ? 0 Eusébie, si nos
cryptes conservaient encore vos restes vénérés ; si quelque
recoin obscur, si quelque main jalouse les retenaient, donnez-
nous le bonheur de les revoir un jour et de les placer sur un
autel. Seule presque de tous les hôtes de ces lieux vénérés,
vous n'en possédez pas encore sur lequel, au jour de votre
fête, on puisse immoler en sacrifice ce Jésus pour lequel vous
avez voulu mourir. Ce jour-là, si Dieu nous l'accorde jamais,
on vous le donnera, je l'espère, riche et digne de vous.
Et vous, saintes compagnes de notre Eusébie, que sont
devenues vos glorieuses dépouilles ? Les a-t-on vraiment
brûlées et dispersées à l'époque de la Révolution ? Ne repose-
raient-elles pas encore sous le dallage des cryptes, à l'entrée
de la chapelle de Notre Dame de Confession ? Nos pieds ne les
foulent-ils pas, lorsque nous passons et repassons devant
l'image chérie de la Reine des Martyrs ? Et puis, chères saintes,
quels furent vos noms ? Oh ! dites à Dieu que vous ne méritez
pas un tel oubli et que l'heure est venue peut-être d'exalter
— 672 —
votre héroïsme. Guidez la pioche de quelque ouvrier des
cryptes, et qu'il soit permis à tout Marseillais d'approcher ses
lèvres émues et heureuses, ce jour-là, du reliquaire qui
recueillerait vos ossements sacrés.
Combien je serais payé de mon humble labeur et que ma joie
serait . grande ! 1 Qu'importe cependant si Dieu nous la refuse
à tous ; qu'il nous donne du moins d'aller au ciel le voir et le
chanter avec vous 1
Pour moi, comme le copiste antique qui, à la fin du manus-
crit, inscrivait le salaire qu'il croyait avoir droit de réclamer,
laissez-moi vous dire : Chères saintes, demandez à Dieu, pour
prix de ce travail, que le doux et réjouissant visage du Christ
Jésus m'apparaisse à ma dernière heure et que ce bon Maître
m'agrée au nombre de ceux qui demeureront avec lui:
MlTIS ATQUE FESTIVUS ChRISTI JESU MIHI ASPECTUS APPAREAT,
OUI ME ASSISTENTES SIBI JU GITER INTERESSE DECERNAT.
«*'naaaAAAAA/V\A/w*~
APPENDICE
LEGENDE DES PHOTOGRAVURES
*
RENFERMEES DANS CET OUVRAGE
SAINTE EUSÉBIE
Patronne de la Paroisse de Montredon
Nous n'avions guère rembarras du choix au sujet des images de
notre sainte à offrir à nos lecteurs. Il n'en existe qu'une seule : la
statue adossée au premier des grands piliers de la coupole, à droite
en entrant dans l'église. A vrai dire, elle n'est pas une œuvre d'art.
Cependant, on ne peut lui refuser cette pureté de lignes, cette
majesté dans la pose et cette finesse d'expression qui sont le cachet
des statues religieuses qui sortent des ateliers de M. Galard, à Marseille.
Elle n'est pas bien ancienne non plus. Elle fut placée dans l'église de
Montredon en 1866, sous le rectorat de feu l'abbé Long, à la suite
d'une fête splendide comme on en célébrait jadis dans cette paroisse.
LOCUS EUSEBI>E
Place occupée jadis dans les cryptes par le tombeau de sainte Eusébie
C'est à la gracieuse bienveillance de M. Adolphe Lézer, photographe,
rue Saint-Fer réol, 58, Marseille, que nous devons le cliché de cette
photogravure. M. A. Lézer a réuni dans une précieuse collection les
différents points de vue des cryptes de Saint-Victor, avec les
— 674 —
monuments, les antiquités que conservent encore ces lieux si chers
à la piété marseillaise. Le Locus Eusebiœ seul manquait. Au premier
mot que je lui adressai pour exprimer mon désir de posséder la
photographie de ce coin de nos catacombes, M. Lézer me répondit
que c'était chose entendue, réglée et faite. Trois jours après, le cliché
m'arrivait et la photographie du Locus Eusebiœ embellissait notre
livre, prenait sa place dans la collection des monuments de Saint-
Victor. Que M. Lézer reçoive ici l'expression de toute ma reconnais-
sance et que sainte Eusébie le lui rende !
NOTRE-DAME D'HUVEAUNE
Il existe deux reproductions en photographie ou lithographie de
la statue vénérable de N. D. d'Huveaune. La première que M. l'abbé
Coudray, curé de Saint-Gitiiez, fit prendre dès le retour'de Notre-Dame
d'Huveaune au milieu de son peuple et que l'on trouve en vente à la
porte de l'église de ce quartier; la seconde qu'a éditée D. Jaubert, dans
sa Notice sur les anciennes Madones de Marseille. Nous avons pré-
féré offrira nos lecteurs l'image de Notre-Dame d'Huveaune telle qu'on
la voit exposée sur son autel. On a ainsi une idée du bon goût et de
la piété filiale -qui ont présidé à la confection des ornements qui la
recouvrent ; et par les divers objets d'or et d'argent qui s'amassent
peu à peu au pied de son. trône, on juge de la confiance avec
laquelle on s'adresse à l'ancienne Bonne Mère du terroir de Saint-
Giniez.
INSCRIPTION D'EUSÉBIE
Nous avons dit assez longuement, dans le cours de ce livre, quelle
était, à notre avis, l'origine de ce marbre funéraire, à quelle époque
il remontait et à travers quelles phases s'est déroulée son existence.
Ce fut au VIII* siècle qu'un moine de Saint-Victor grava cette inscrip-
tion pour notre sainte. On la plaça à fleur de terre, au-dessus des
restes de l'héroïque martyre. Avec les siècles, le marbre s'enfonça dans
le sol et fut recouvert peu à peu par des déblais* Au XIV* siècle, à la
suite des travaux exécutés dans les cryptes, il fut remis au jour, puis
inscrusté dans la muraille, au-dessus du tombeau, qui reçut et garda
— 675 —
les reliques de sainte Eusébie jusqu'à l'époque de la Révolution. A ce
moment, il fut déposé au musée de la ville. Actuellement on le voit
dans une des salles du château Borély.
La photogravure que nous donnons a été faite sur un estampage
que le regretté M. Augier, conservateur adjoint à ce musée Borély,
avait bien, voulu prendre sur l'original, pour nous l'offrir.
TOMBEAU DE SAINTE EUSÉBIE
On le voyait, avant la Révolution, dans les cryptes de Saint-Victor,
à côté de la chapelle de Notre-Dame de Confession, sous l'arcosolium
désigné actuellement par une plaque en marbre sur laquelle 6ont
inscrits ces mots : « Locus Eusebiœ Virginis castissimœ, etc. » il se
trouve maintenant dans une des salles du musée Borély. M. Penon,
Téminent conservateur des galeries de ce musée, nous ayant autorisé
à faire photographier ce monument antique de la foi marseillaise,
nous pouvons en offrir à nos lecteurs une reproduction exacte.
Jusqu'à présent peut-être on n'en possédait pas. La forme oblique sous
laquelle ce marbre nous apparaît est causée par l'impossibilité où l'on
a été de le photographier de face, une énorme colonne rivée au sol et
difficile à remuer se trouvant juste devant le tombeau.
Est-il païen ? est-il chrétien? Les auteurs ne sont pas d'accord.
Grosson, la Notice des monuments conservés à Saint-Victor et
d'autres y voient un monument païen. L'abbé Dassy, l'abbé Verlaque.
Kothen, M. Grinda pensent tout le contraire. A quelle époque
remonte- t-il ? Ni Grosson, ni la Notice,x\e donnent de date. M. Grinda
citant les Sarcophages chrétiens de la Gaule, de M. Ed. Leblant,
l'attribue au VIe siècle. Pour qui fut-il sculpté ? Personne ne Ta dit,
croyons-nous. Seul M. Grinda avance que c le patrice. Dynamius
dut le faire sculpter pour lui-même • . C'est possible. Mais n'oublions
pas que Ton ignore où Dynamius et Eucheria, son épouse, dont on a
l'épi ta phe, furent enterrés ; où se trouvait cette église dédiée à saint
Hippolyte, martyr, qui abritait leurs dépouilles mortelles.
Quelle est la signification des bas-reliefs qui le décorent ? Suivant
que Ton attribue ce marbre au paganisme ou au christianisme, on
produit une interprétation différente. Pour Grosson « ce monument
représente un acte de magistrature ; on y remarque la cérémonie de
l'affranchissement : à Tune des extrémités, le maître adressant la
parole au préteur et à l'autre les esclaves à genoux et le préteur la
— 676 —
baguette levée. . . Notre monument parait être l'effet de la reconnais-
sance des affranchis envers leurs patrons ; on voit effectivement,
dans un médaillon, la figure d'un homme vêtu comme un magistrat,
tenant un rouleau de papyrus d'une main. J'avoue que la figure qui
est en bas, dans une attitude gênée et accompagnée d'un griffon, m'a
paru une allégorie inexplicable, à moins qu'on n'ait voulu représenter
l'état de contrainte dans lequel se trouvait l'homme en servitude. »
(Grosson, Monuments Marseillais, pp. 162, 163. — Notice sur les
monuments, p. 17.)
Pour l'abbé Dassy, Kothen, l'abbé Verlaque * l'artiste a voulu
figurer Jonas rejeté par la baleine qui l'avait englouti ; Moïse
frappant le rocher pour en faire jaillir l'eau ; puis le même législa-
teur recevant sur le Sinaï les tables de la loi. » Pour Msr de Belsunce,
f cette femme, à moitié couchée..., détournant la tête par l'effroi
que lui cause la vue du dragon..., est peut-être le symbole de la
femme de l'Apocalypse. . . » M. Grinda pense que c la face antérieure
présente un médaillon renfermant le portrait d'un personnage décoré
de la lœna des clarissimes, signe distinctif de la haute dignité de
patrice. » Libre donc à chacun de suivre l'opinion qui lui plaira
davantage !
CHARTE SANS DATE DU XIVe SIECLE
c Sequuntur reliquiae quae sunt in Monasterio Sancti Victoris
Massiliensis.
c Et primo in altari magno est quaedam cassea aureae coloris in
quâ sunt multae reliquiae sicut su péri us et juxta altare in sepulcro in
quo jacet Urbanus Papa V, de quo habemus multa miracula ad
canonizationem, et hic juxta est armarium in quo moratur caput
Beati Victoris positum in argenteo et in alio armario est caput Beau'
Cassiani et bracchii ejusdem et duo capitaXI millia Virgin um Vincentiœ
et Benedictœ et duo capita Innocentium et dens Beati Pétri Apostoli et
bracchium Sancti Victoris et est unum magnum tabernaculum
argenteum in quo sunt plures reliquiae et alabastrum unguenti Beats
Mariée Maidalenre et bracchium Sancti Blasii et bracchium Beati
— 677 —
Illidii et est vas argenteum repletum reliquiis, et omnes reliquiee
positae sunt in argenteo honorificè quibus decet.
c Sequuntur reliquiae ecclesiœ in ferions, crux B. Andréa® et corpus
B. Cassiani, primus fundator hujus monasterii et corpus B. . . et
corpus B. Ysarni et libérât ve mentes devoti adtumulum ipsius a
febribus, et Pétri... et de legione B. Mauritii et septem iratrum
dormientium, et corpus B. Maurontii episcopi et abbatis. . . Bernar-
di cardinalis et B. Yffredi abbatis, et jacent in uno tumulo
et Chrysanthi et Dariae et jacent in uno tumulo et est parva
fovea in quâ Maria Magdalena morata fuit, antequam accederet...
VII annis et infra est tumulus in quo jacent corpora Sanctorum
Innocentium, et aliorum corpora sanctorum martyrum. Est quaadam
cape 11 a quœ dicitur capella B. Marias de Confessione et circuitur
ferro. . . sub imagine B. Maria? jacent très milites qui fuerunt socii
Victoris et martyres cum eo : Felicianus, Alexander, et Longinus, et
ante altare B. M. jacent XL* moniales martyres . . . reveren-
tiam ill arum mulieres non intrant dictam capellam et, si
intrent, amittunt visum, et abbatissa illarum jacet juxta,
extra capellam et dicitur B. Eusebia. . .
« Et superius in ecclesia superiori sunt ampnorae vitreœ duae et
apparet in una viridarum et fructus et poma, et fabse et racemi et
malogranata, et amigdalae viridœ et flores multae. . •
« Et in alia est ymago D. N. J. Cbristi qualiter intrat in Jérusalem
ascendens in asinam et Apostoli précédentes in processione, pueri
Hœbraeorum frangentes ramos et spargentes ante asinam et claman-
tes : Hosanna filio David ...»
(Ex antiquo fragmento bombicino ; Recueil âe chartes,
par D. Lefournier, t. III; Archives départementales.)
— 678 —
LÉGENDE DE LA CARTE DU TERROIR SUD-OUEST
DE MARSEILLE
Aux IX; X\ XI; XII» et XIII* siècles
Donation d'Honoré H, évéque de Marseille, a l'abbaye de Saint-
Victor (965-977). — « Et ut ibi utilius possint régularité r vivere, 'ex
terra quœ ad eamdem abbatiam pertinere dinoscitur aliquid eis cou-
cedimus ; hoc est terra culta et inculta, pratis, pascuîs, garricis, ac-
quis, aquarum ductibus eorum vel reductibus, et est ipsa terra in
comitatu Massiliensi, in giro ejusdem ecclesiae beati Victoris. Gonsor-
tes : duos latus, litus maris ; de alio latus fontem et montem quem
nuncupant Guardiam, et viam juxta locum quem vocant Paradisum.»
(Charte 23, Cartulaire de Saint-Victor.)
Rive du Port, pêcheries, carnariux, terre comtalb.— «Gum sali-
nis et piscationibus et portu navium et omnibus juste et legaliter ad
euradem fiscum pertinent! bus, conjacentem in comitatu Massiliense
qui vulgo Paradisus nominatur, sicut est via quae descendit a Guar-
dia, usque in Poium Formicarium, una cum terra comitali quœ ante
portam castfi fore videtur usque ad carnarium.i (Charte 10, de 904,
Cartulaire de Saint-Victor.)
« De piscariis portas Massiliensis, vol u mus et mandamus ut sint
libère cuique volenti ibi piscari, hoc excepto, quôd si quis piscator
retia sua traxerit piscando in ipso portu ad ripam sive littus ex parte
monasterii, teneatur cum abbate seu monasterio de piscaturis hujus-
modi concordare.» (Charte 917, de 1230.)
Salines. — (Charte 10, de 904, ut supra.)— «Omnem partem nos-
tram, quœ ad nos pertinere débet de salinis, quœ in portu civitatis
Massiliensis esse videntur, ab ecclesiâ sancti Pétri usque in civita-
tem.» (Charte 32, de 1044.)
c Item conquerebatur dictus abbas, dicens quod commune Massi-
liense occupaverat quamdam partem salinarum et terne quaB est in-
terterminum (columna) prœdictum et salinas prœdictas, ponendo ibi
palos et dessicando locum prœdictum.» (Charte 17, de 1230.)
— 679 -
Làuretum, terra de Laureto. — « Totura honorem quem habeo
in Laureto in dominicaturâ me à, videlicet a> turre usque ad viam quft
itur ad sanctum Saturninum » — t Totum honorem, scilicet
Làuretum • (Charte 1005, de 1213 ; Gartulaire de Saint-Victor.)
« Unum, qui situm est propre ecciesiam sancti Saturnini et termi-
natur ab oriente via publica discurrenfe in civitatem, a meridie via
publica quœ est subter ecciesiam sancti Saturnini, ab aquilone et
meridie terra quae vocaturad Làuretum. • (Gartulaire de Saint-Vic-
tor ; Charte 33, de 1038-1048.)
Via C allât a. — « Usque ad columnam sitam in via quœ vocatur
Callata.» (Charte 864, de 1218 ; Cartulaire de Saint-Victor.)
Via de Laureto. — « Via de Laureto. » (Charte 40 du XI* siècle). —
« Via publica quœ est subter ecciesiam sancti Saturnini.» (Charte 33,
de 1038-1048.) — « Via quâ itur ad sanctum Saturninum. » (Charte
1005, de 1213.) — « Via Sancti Saturnini. * (Charte 40, Cartulaire
de Saint-Victor.)
Via de Guardia. — « Sicut est via quœ descendit a Guardia usque
ad Podium Formicarium.» (Charte 10, Cartulaire de Saint-Victor.) —
t Sicut vadit via quâ itur versus Guardiam.t (Charte 899, de 1228;
Cartulaire de Saint- Victor.)— « Ab oriente termina m publicam viam
quœ vadit ad Guardia m.» (Charte 40, Cartulaire de Saint- Victor.) —
t Vie publice quâ itur ad sanctum Victorem.» (Charte 1002, de 1204 ;
Cartulaire de Saint- Victor.) Au delà de la montagne de la Garde,
ce chemin est appelé : « Via publica quœ pergit ad Vuelna » , « Vi-
am quae pergit ad molendinum monachorum » , « Via quœ pergit ad
sanctum Genesium.» (Charte 40* Cartulaire de Saint-Victor.) - «Sicut
vadit via quâ itur ad Pinum Dalmatii et sicut itur ad Girundam.»
(Charte 899, Cartulaire de Saint-Victor.)
Ruisseau qui tombe dans le port. — « Rivulus qui defluit a curata-
ria juxta Podium Formicarium. » (Charte 917, de 1230 ; Cartulaire de
Saint- Victor.) — « Vallatosalinarum.» (Charte 1002, de 1204 ; Cartu-
laire de Saint-Victor.)
Mur de la ville. — c Quod restituatur (columna) in loco undedict-
tur evulsa fuisse, scilicet intef parietem et rivulum. » (Charte 917,
Cartulaire de Saint- Victor.) — « Habens versus mare a pariete qui
contingatur vie publice quâ itur ad sanctum Victorem quindecim can-
nas.» (Charte 1002, de 1204, Cartulaire de Saint-Victor.)
Chemin de Saint- Loup au port, rue db Roms et Cannebière ac-
tuellement. — « Via publica discurrente in civitatem.» (Charte 33,
— 680 —
de 1038-1048, Cartulaire de Saint-Victor.) — « Circa viam publiera
quœ venit ab ecclesiâ sancti Thyrsi et vadit in portu Massiliensi.»
(Charte 40, Cartulaire de Saint-Victor.)
Notre-Dame des Salines ou de Beau Lieu. — « Juxta bivîum ubi
dicitur Bel lus Locus ecclesiam et domos,locum ad honorem Dei
genitricis Maria? dono » (Charte 1001, de 1203, Cartulaire de
Saint- Victor.) — c Ambas vineas sancti Victoris una via dividit.s
(Charte 40, Cartulaire de Saint-Victor.)
Chemin de Paradis. — « Via juxta locum de Paradiso.» (Charte 23,
Cartulaire de Saint-Victor.)
Eglises de Saint- Saturnin et de Saint -Ferrkol. — « Clausum
unum quodsitum est prope ecclesiam sancti Saturnini et terminatur
ab oriente via publica discurrente ad civitatem, a mendie via qua*
est subtus ecclesiam sancti Saturnini, etc., ut supra Lavretum. »
(Charte 33, de 1038-1048; Cartulaire de Saint- Victor.) — « Uno
clauso qui est in sancto Saturnino, fontem quœ in medio clauso, ex
una parte via publicâ. » (Charte 41, de 1028; Cartulaire de Saint-
Victor.) — c Judaei tenebant possessions beati Pétri de Paradiso usque
ad sanctum Ferreolum cum clauso sancti Saturnini. • (Charte 1111,
de 1085 ; Cartulaire de Saint- Victor.)
Ad Teolarias. — m De vinea David quam habemus ad Teolarias,
ab oriente viam quœ vadit ad Guardiam, a meridie clausum sancti
Pétri de Paradiso. • (Charte 40, Cartulaire de Saint- Victor.)
Saint-Pierre de Paradis, Paradis. — « Non longe ab ecclesiâ sancti
Pétri, foris portam quœ vocatur Paradisi.» (Charte 40, Cartulaire de
Saint-Victor.) — a Hoc advenit, quateniH œdificaremus ecclesiam in
honore sancti Pétri Apostolorum Principis quœ ecclesiâ vel lo-
cus vocatus est Paradisus imôetiam vocabatur Paradisus porta
Paradisi simul et sancti Pétri Apostolorum principis ecclesiœ in
supradicto loco constructœ » Charte 32, de 1044 ; Cartulaire de
Saint- Victor.) — « Tertium clausum qui est situs ad caput ejusdem
ecclesiœ sancti Pétri (de Paradiso). d (Charte 33, de 1048; Cartulaire
de Saint-Victor.) — « Sancto Petro et ejus ecclesiae quœ construitur
loco qui vocatur ad Paradisum.» (Charte 34, de 1044 ; Cartulaire de
Saint-Victor.)
Terra Sancti MarijE, vel ancillarum Dei. — « Non longe ab eccle-
siâ sancti Pétri, foris portam quœ vocatur Paradisi, circa viam publi-
cam, quœ vadit ab ecclesiâ sancti Thyrsi et vadit in portu Massiliensi
hœ positœ sunt vineœ. Habetur ibidem vinea quartairada dimidia
— 681 —
quœ fuit de Gairalda Blanca Lancea, quam dédit Domino et sancto
Victori. Terminât eam ab oriente, via de Laureto; a meridianâ, vi-
nea de Richao ; a septentrione, terra sanctœ Mariœ vel sanctimo-
nialium, non longe a ripd porti supradicti, in cœnobio quod
pater fundavit Cassianuc, consistentium ; ab occidente, item ter-
minât via de Guardia. Inibi, vinea una quartairada quam Petrus Al-
gitinus solitus erat facere, habens terminum ab oriente vineam
sancti Victoris, ab occidente viam de Guardia ; a meridie terram sanc-
timonialium, a septentrione, idem ipsam terram. Item inibi una se-
modiata vinea quam Bonifacius pro suâ sorore dédit a meridie terra
supradicta ancillarum Dei ; ab oriente vinea salici ab occidente vi-
nea Pétri Algitini. Gontinetur ibidem una quartairada vineœ quam
Pontius presbyter sancti Thyrsi, dédit, sancto Victori. Habemus ibi-
dem una semodiata de vineâ quœ fuit Almarici de Porta; ab oriente
vinea sanctœ Mariœ, ab occidente terra de servo Dei, a septentrione
vinea sancti Victoris dei Corno (ambas vineas sancti Victoris dividit
una via); a merîdiano terra Sanctœ Mariœ quœfacit Gisfredus, fllius
Almarici.» (Charte 40, du XIe siècle ; Cartulaire de Saint- Victor.)
CHARTE DE 1481
« iEdificatio ecclesiœ Balmœ minoris. Universis et singulis ad quoâ
prœsentes litterœ pervenerint. Persivallus de Qamoto sancti monas-
terii sancti Victoris ad romanam ecclesiam nullo medio pertinentis,
ordinis sancti Benedicti, eleemosynarius ac Rev. in X" Guillelmi,
miserationis divinœ dicti monasterii abbatis, in spiritualibus et
temporalibus, vicarius generalis, salutem in Domino, qui pro
redemptione humani generis voluit immolari. Qui utique sancti Dei
illustrati Spiritûs sancta flamma prœvidenter et allicentia solus ad
malum carnalia falsa protnissis mundana et œternaliter necativa
spoponsa, tabuli spirituali oculo capescentes pro vitœ contemplativœ
viaticum, cœtefis adeo spretis, vitœ œternœ secuti sunt piissime
largitorem.
« Inter quos illa lotrix pedum J.-C. devotissima B. Maria Magdalena,
spéculum contemplativum illustratrix, peccantium non immerito
computataque Salvatorem ovium poli sublimato culmine cum B. La-
zaro a J.-C. ressuscitato, Martha fltixu sanguinis liberata, Sidonio
nativitate caëco et inde ôbluminato, Marcella quœ" hoc verbum
— 682 —
D. J.-Cb. proferre meruit : Beatus venter qui te portavit, Christ e, et
ubera quœ suxisti ; ac Maximino ipsius Redemptoris discipulo cum
multis aliis sanctis a civitate Jérusalem pro Gdei orthodoxes persé-
cution e nefandissima exulata, ac procellosis marinis fluctibus in
quâdam navicula remigandi artificio destituta, ut inter ponti elationes
m ira biles submersionis casum peteret inhumain ter exposita, impel-
lente divino spiramine civitatem Massiliœ féliciter pervenit et per
eorum praedicationes salutiferas exempla, signa, prodigia et miracula,
procul pulsis imuaundorum spirituum sacrifiais, eamdem civitatem
ma&ûliensem ad fidem Christi convenu nt, in quâ sancto Lazaro
advento episcopo ad civitatem Aquensem convertendam gressus sues
destinaverunt et simili ter ejus populum ad fidem catholicam
perdu xerunt. Ubi sancto Maximino paslore ordinato, eadem rigalrix
Christi pedum, cordialissime turmas gentium Christ o profugiens
lustra nemoru m et antra déserta montium salvifice expetivit, ubi XXX
annis in quâdam speluncâ latitans et soli conditoris inhaerens desiderio
cœlestibus pasta dapibus, septies in die ab angelicis spiritibus in
cœlum fuit elevata et humanis obtutibus penitus ignorata Altissimo
accepla servitia persolvit.
« Sane Deus volens eam post aerumnas bujusmodi vitae, pro
laborum remuneratione ad cœlestem concitare beatitudinem, non
passus est sub tanta luce sub antro caliginoso hominum notitiis
ampli us occultari, quin imo sancti presbyteri Cassiani inibi prope
in quddam aliâ balma sive ce lia gerentis vitam solitariam quâdam
die oculos aperiret ac visione sanctorum angelorum ad cœlum eamdem
quotidie septies elevantium et cœlesti pabulo ipsam saturatam et
angelorum ipsorum audire vocum modulamina et ipsius sanctsB
Magdalenœ habere colloquia pie dédit, quœ jubente Sancto Maximi-
no, visionem detegere properans, diem sui felicissimi ad cœlestem
transitum certissime renuntiavit. Quâ die adveniente, ad recipiendam
8acratissimam corporis et sanguinis D. N. J.-Ch. communionera,
sancti Maximini intra oratorium perducitur ab angelîs, a quâ, dicto
Sancto Cassiano presby tero et clero prsesentibus, receptâ communione
cum multâ lacrymarum inundatione illa anima sanctissima mi gravit
ad Dominum .
c Postea verô sanctus Johannes Cassianus in antro sive speluncâ
quam dicta Magdalena per XXX annos dignos fructus peregerat
succedens, inibi per multos annos penitens, malleo spiritui corpus
subjecit, deinde post aliqua temporum curricula, ad caenobialis vitae
cultum et fidci orthodoxœ semina, stilum vertens infinitam muliitu-
dinem virorum et mulierum a mundanis illecebris et voluptatibus
carnalibus atque nequam venenosi Acherontis ignivomi flatibus
— 683 —
revocanset eripiens suis salutiferis exemplis et eruditionibus, Christo
copuiaverit, et demum hoc prœsens sacrum monasterium et aliud
olim sibi vicinum,in diebus il lis per prophanos Vandales funditus
démoli tum mire condidit, in quo pnesenti mon asterio ipse salut iferè
prsefùit, ac ut fidelia scripta memorant et aperta produnt testimonia,
pater pius in Massilia quinque millia exstitit monachorum, confuta-
tis Nestorii quondam Constantinopolitani archiepiscopi damnatis
haeresibus et compositis ibi multis librorum voluminibus prsecipue
sanctorum Patrum Egyptiorum collation ibus per quas parât ur ad
cœlestes mensiones scalœ gradus, in sancta senectute aetatis suœ
anno XGVIÏ, ad Christum utriusque sexûs professionis monasticœ
multitudine prsemissâ, in cœlum ab angelis evectus est.
« Nu ne siquidem ita evenit quod nobilis et de vota mu lier domina
Maria de Spinosiis, relicta quondam nobilis Dyonisii de Lu nieras
militis, Belvacensis diœc, post diversas et longas et laboriosas
peregrinationes et regressum a Jérusalem et post perlustratas per
diversas orbis famosas peregrinationes, sollicita de animae suœ salute,
volens mundum relinquere et solius conditoris servi tio insistére, ad
laudem Dei et su se animée salutem, post quaesita per eam cum
diligentia loca diversa et locum ad Deo serviendum proprium et
aptum et devotum et a populari frequentia remotum posset invenire,
finaliter patriae Provincial est ingressa et deinde ob devotionem
majorem et minorem Balmas sive Speluncas, in quibus eadem Beata
Maria Magdalena et D. Sanctus Johann es Cassianus se mtmdo
crucifixerunt, visitando, comperit in veritate quod dicta minor Balma
sive Spelunca, in quâ est domus cum Ecclesia quâdam sive capellâ
sub patrocinio gloriosissimœ Virginis Maria) et in memoriam et
honorem suœ Annuntiationis, Massiliensi diœcesi si ta, in juridictione
temporali monasterii ejusdem et locus aptior et opportun ior altissima
sub bumiliato et quieto in vita conte mplati va serviendum, ob quod
omnino spéculum seu excitata stimulo, relictis mundi et carnis
deceptivis oblectationibus, Altissimo et Virgini gloriosa?, curiao et
toti superiori civium per vitœ suœ tempora ad laudem Creatoris et
expiationem suorum peccatorum, contemplative disposuit famulari.
« Propter quod nobis vice-fungenti Révérend, in Christo Palris
Bomini Abbatis, predicta humiliter supplicavit, quatenus una cum
devoto conventu monasterii prœdicti, ecclesia prœdictaï Balma)
inferioris seu minoris cum suis omnibus et pertinences et certâ parte
nemoris ejusdem Balma) contigui limitandâ quae ad dictum monaste-
rium pertinet etspectat ad affectus in ibi dignos fructus paenitentiee
promerendi et ad dictam ecclesiam augmentandi et.. . œditicandi ac
novas domus et mansiones construendi et pro praedictis operibus arbo-
— 684 -
res et ligna dicti nemoris sibi dandae atque limitandae cindendi et de
dictis lignis et arboribus pro vita suâ et etiam personarum eu m eâ
ibidem habitantium pro tempore utendi, ac ibi vineas, arbores,
fructiferas plan tan di, ortos et prata faciendi... ac mu lie res non estas
Deo servira et mundo renunciare volentes assumendi . . ac unum
presbyterum seu plures devotos et honestos quos elegerint pro divino
servitio ac missarum celebratione tenendi... altare alias unum ad
honorem Sancti Cassiani et suo vocabulo in dicta ecclesia construen-
di. . . unum hospitale ad opus colligendi pauperes ad dicta Balmas
peregrinantes et juxta fontem ibi vicinum construendi. . .
« Nos vero attendentes quod dicta domina quœ in dicto loco post
paucos dies habitationis, mansiones novas condidit, in quâ multas
consumpsit pecunias. . . ex voluntateet consensu expresso, et consen-
su devoti conventûs monasterii prœdicti... usum dictœ ecclesia?
ruralis Sanctae Mariœ Virginis sive spelunca minons de Balmae. . .
cum domibus, juribus et pertinenciis eu m fonte ibi vicino et certa
parte nemoris ibi contigui concedimus et donamus cum pactis et
retentionibus quœ sequentur.
c Primo, quod per concessionem hujusmodi non intendimus
majoritatem et minoritatem et directum dominium quod habet in
ecclesia, nemore et terri torio, dictus Révérend. Abbas et in signum
su 03 potestatis imponimus pensionem unius oboli.
« Et ulterius, quod si contingeret quod deficerent dicta? domina?,
ita quod nullœ existèrent Deo servientes, tune ecclesia seu Balma
minor revertatur ad monasterium.
« Et alterum, cum devoto conventu super hoc habito de légitima
délibéra tione, prsefatam dictam Dominam Mariam, numéro singulo-
rum devotorum et familiarium dicti monasterii membrorum ejus
aggregamus, ipsamque participem et consortem cum suâ congrega-
tione omnium missarum, indulgentiarum, eleemosinarum, jejunio-
rum, abstinentiarum et disciplinarum omnium et singulorum
quorumeunque bonorum spiritualium et temporalium dicti monas-
terii et membrorum ejus singularum personarum ibi degentium,
prœsentium et futurorum in vita praesenti et future meritorum,
gratiarum, quas et quœ S. Victor et socii sui, Mauritius, Adrianus
cum sociis eorum, Petruset Marcellinus, Chrisantus et Daria, Eusebia
cum XL* sociabus suis, sanctus Johannes Cassianus, Ysarnus,
Maurontus, Hylarion, atque Yfredns, et aîii plurimi martyres,
conf essores et virgines, quorum corpora in nostro monasterio in
Christo pie requiescunt. . . Dalum die 13 oct. 1431. »
(D. Lefournier, Recueil de chartes, U III ; Archives dépar-
tementales.)
— ws —
LtoWE DE U CARTE DU TERROIR 0£ StttfnUR
Au* IX', X* et XP Éièàléi
Va**** tm ôéTAiLê rouArm nui uni» étf*it*fl aê f 09>
n.ffE >»* *
«Mftottted Domtai... êgoftertns et mate* fllett Dafcelto* «t
frater meus Bertrannus donamus* ôt Téndimma DomMô Ded et MUéttte
M**i» et Sftncttr Victor! et abbati Richardo el moftac-bifrpfteaémibus
et- ftttuH* in monawtério Mas&iHensi Domino semper-servientibu* ttfta
pecia de terra in territorio Massiliensi ante ecdeeiam daftCti Gtenesh'
qu» est In ripa marte et affrontât ipaa terra ab oriente Yià pultfkâ, a
raerldte pratum, ab occident© ecclesia. . .
< Ego Bontis-fllius de castelto Balud et vtxùt mea Àlttthandâ ddMtt-
mus ... XII sextairadas de terra in territorio Massiliensi pfttpa
eocleaiam aancti Gfenésii, et babet ipsa terra et un© latere cdndami-
nam episcopi massiliensis, ex alio latere terra» Gairffidis Vfeé-domftte,
6* aHero terra- Nlceck" Mafcsiliefiôi*, ex alio terra Inidei à flaf danna.
* Ego Itertat d* Bor*ia*a do et Tende. . . Ifl dex*a4i'àd&# de terra in
pahïde tapé* rineae de ôrto et tttttt ipsa terra Aimera Ortofeiîtrt et
hamki* a- âtôrkKe tettfe Hfcecii MtissiiteflSfej ab oriente terra
Fulcbonis.
«• Kg» BéWtotm Roetagni dono. - ,. Hftrttt pMrtuifi metttn qttf est
jit*t* e&leaiam sancti Genesii infira coftdaminam Ôatifridi* vice-
ownitte, et ipcnu» p*atua* est ex un* latere via public* qui» Vadît
in montes, ab occident* fratum P&tri Isntirdl de Massiilâ.
« Ego Fufco done. . . tofftffl ilîaifr portera decittrtô quant bfcbéo in
Ofto, est In totê IHâ terra q#ee est jttxta eddétioit sancli Gentil et
in palude.
« Ego ÂradJus Gaftdidia- caftotricus cto. . . totem iflato dectaarom
quam accipiebam de iila terra* qtiam Ifostagmia Àlmaf ici dédît sfcftdo
Victor* a la fos d'Uvelna et in alift terra quam Damaleus d?Alb«rHtt
dederat saîicto Victori, et ift alitt tefrt qusë fuit de Iterid.
c Ego Iterius de Borriana dono. . . peclam- de têrrâ, et eât rpftft
terra in ter rîtorio Massiliensi juxt* montem dé Gttrdîa, é* patte
orlentis habet terra Berardi, a meridto terrât tleé-cotfrltaUtf feqttM*
ferré *imi at et tendit usqne ad mare, ex aKfr, terra HleécH1.
44
— 686 —
« Ego Pontius dono. . . similiter illas duas pecias de terra quae sunt
intra lossatum molendini monachorum et Uvuelnam.
t Ego Damalcus d'Albania et uxor mea Dulciana donamus . . . illas
duas pecias de terra quas Amelius Costarenus quonda^n misit in
pignore sancto Victori, quas post mortem ipsius, Amelius antequara
fuisset redempta uxor Bertranni Iterii et Clii ejus accaptaverunt de
Jaufredo vice-comité et tulerunt sancto Victori et dederunt Dulciana?
sorori suae in haereditate. Has ego Damalcus, uxor mea supradicta
recognoscentes t or tu m que faciebamus sancto Victori relinquimus et
donamus sancto Victori ... Et est una pecia ad littus maris juxta fos
d'Uvelna, juxta terram quam Rostagnus Almaricus dédit sancto
Victori. Et alia pecia est intra de Colîiber juxta terram Rostagni
Almarici et terram Gaufredis Borrel.
• c Ego Damalcus d'Albania et uxor mea Dulciana donamus. . . illam
decimam quae habebamus in vineis quœ sunt ante ecclesiarn
sanctœ Mariœ de Sait.
c Ego Iterius de Borriana dono. . . unam peciam de terra de U veina
ad guadum de Romanana, et babet ex uno latere juxta mare terra
Amelii Candidiae, ex alio latere terra de Richau, ex alio terra Villelmi
Arnulfi de Turribus.
« Ego Pontius Isnardus dono. . . illa terra quae est supra viam qua?
vadit a Massiliâ ad molendinum.
t Ego Vilielmus Artaldi dono. . . mcdietatem illius terrse quae est
supra ecclesiarn sancti Genesii etpertingit usque in podium qui est
super ipsam ecclesiarn et ab oriente usque in terram quae fuit Dodo-
nis de Fos, a meridie usque in via quae vadit Massiliâ m est usque
ad petram quae est ad caput ecclesiae.
« Similiter dono ego Vilielmus Artaldus pro supradicto filio meo
in unâ peciâ de terra medietatem in loco qui dicitur ad Arabens
et terminatur ab oriente condaminâ episcopi, a meridie terra Pétri
Isnardi, ab occidente terra Gantelmi de Massiliâ.
a Similiter dono de aliâ peciâ in loco qui dicitur ad sanctum
Felicem et terminatur a casales usque in fossaium aquœ, ex
aliâ parte a mare et ex aliâ aquâ Uvelnœ.
« Ego Lambert us Dodo, dono . . . unam peciam de terra post ecclesiarn
sancti Genesii et terminatur ex uno latere terra Adalufi, ex alio via
quae vadit Massiliam,ex alio terra sancti Victoris quae fuit Villelmi
Altaudi et Ismidonis fratris ejus, et in alio loco in palude Fraïualdi
aliam peciam de terra quae e6t inter vineas sancti Victoris. . .
c Ego Nicesius de Massiliâ dono. . . illam terram hermam quae est
juxta planam de Gardia et terminatur ab oriente terra sancti Victo-
ris quae fuit Pontii Lamberti et Gantelmi, ex alio flectit jux la terram
- 687 —
Bonifacii de Rascaz et pertingit usque in via quœ vadit per ipsam
Gardiam, ameridie terra sancti Genesii quœ fuit quondam cœmete-
rium i psi us ecclesiœ.
« Ego Pontia uxor Salici quondam, dono. . . imam paeiam de terra
et cfù ijtfa terra i» tornqui tlici vr ad Arnbvn* et 1erii "p;li r
ab oriente terra Isnarni Carbonel, a meiiilie tend ileiii do buiiit.iiu,
ab occidente terra sancti Victoria quœ fuit Ponlii Arlufî, ab aquiJone
terra Ni ceci i et terra Canudi.
c Ego Pontius Arlufî dono . . unam peciam de terra juxta iJlain
quœ script a quam Pontia dédit, pertingit usque in palude de
Archulens et terminatur exaliâ parte, terra Iterii de Borrianâ.
« Ego Pontius Signoreti dono. .. unam peciam de terra in terri-
torio sancti Genesii et terminatur ab oriente terra Gaufridis vice-
»
comitis, a meridie aquâ Uvelnœ, et ab occidente condaminâ sancti
Victoris quœ fuit episcopi.
« Ego Bertrannus fîliusRicbau dono. . . unam sextairadamde vineâ
in loco qui dicitur ad Calcadis et in alto loco ubi dicitur ad
Arabenzy in VI sextairadas de ipsa duas partes, quœ tertia pars est
fratris mei Richaudi et terminatur ab oriente terra Ismidonis quœ"
dédit Villelmo filio suo monacho, et a meridie terra sancti Victoris
qui fuit Pétri Isnardi, et ab occidente terra Gantelmi.
« Factœ sunt autem hœ cartœ harum donationum vel venditionum
anno ab Incarnatione Domini MXGVII indictione V, in ipsâ ecclesiâ '
sancti Genesii, feriâ V aut VI, sive etiam sabbato.
« EgoPetrus Garinusdono.. . terra quœ est super ecclesiam sancti
Genesii, et est juxta viam quœ movit de Massiliâ in molendihum,
habet consortes terrœ quœ fuit de Lamberto Dodonis et ex aliâ parte >
terra quœ fuit de Gaufredo* de Massiliâ.
« An no ab Incarnatione Ûomini millesimo centesimo, in indictione
XI. .. » (On ajoute deux autres terres.)
Au dos de cette charte sont inscrites d'autres ventes de '
terres, entre lesquelles il y a celles-ci :
« Ego Iterius de Borrianâ mitto in pignore sancto Victori unam
peciam de terra ad Araben*.
t Ego Petruslsnardus mitto in pignore sancto Victori terram quœ
est juxta terram episcopi massiliensis ab oriente, et ab occidente
terra Gantelmi. »
(Archives départementales, Fonds de Saint- Victor, Charte
789 ou 317.)
-688 —
LETTRE DE M. GRANGÏER.
prêtre-curé a SAiNT-ânriEZ
En date du 6 Juillet 1631
»«■»■*» i m il
t yoraEiGHfeuft,
t II y a environ deux ans que je pris la liberté de voua écrire,
pour vous prier de me remplacer ici. Vou6 me fîtes l'honneur de me
répondre que vous aviez apprécié mes motifs, et que vous acceptiez
m* démission, en m'engageant d'attendre encore un peu, jusqu'à ce
que vous eussiez un sujet disponible..,
t Maintenant je suis devenu comme impotent. Je ne puis marcher
qu'avec beaucoup de peine, soutenu par un bâton.
« Ces deux dernières années, j'ai été obligé de recourir à la charité
dt quelqu'un de mes confrères de la ville pour qu'il vint porter le
Saint-Sacrement à la procession de la Fête-Dieu-
f D'après un anoien usage de la paroisse, on va toutes les années,
le jour de l'Ascension, processionnellement faire une station à une
chapelle dédié* à Mainte Euêèbie, située au bord de la mer. Cette
année je ne me suis pas senti la force d'aller si loin» d'autant que»
lorsqu'on est arrivé fc la plage, il faut côtoyer pendant longtemps
dans le sable et les graviers, jusqu'en face du portail de la campagne
ou se trouve U dite chapelle» ce qui est fatigant même pour les
personnes jeunes et robustes.*,
« Signé : GRANGIER, prêtre * »
(Archives de la paroisse de 8aiat~Giaitz.)
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE
Pages
Sainte Eusébie, abbesse, et ses quarante compagnes, martyres à
Marseille v-vxn
INTRODUCTION
Chapitre I. — L'abbaye cassianite des bords de l'Huveaune. ... 1
— II. — L'abbesse Eusébie 10
— III. — Martyre de Sainte Eusébie et de ses quarante
compagnes 25
— IV. — Sainte Eusébie et son culte immémorial 33
— V. - Sainte Eusébie et son culte immémorial (suite). 42
— VI. — Sainte Eusébie et ses quarante compagnes et
leurs reliques 54
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
Précis historique de la controverse 61
- 690
PREMIÈRE QUESTION
En quel lieu Sainte Euséki* a souffert le martyre
PREMIÈRE PARTIE
RÉFUTATION DES AUTEURS
PREMIÈRE SECTION
Exposition des objections et questions préjudicielles
Pages
Chapitre I. — Les auteurs contraires à notre opinion .... 69
— II. — Première question préjudicielle : Divers empla-
cements que le monastère des religieuses
cassianites a occupés eu V* au XI* siècle 85
— III. —* Seconde question préjudicielle: Noms divers
que le monastère a portés du V* au XI" siècle 106
— IV. — Troisième question préjudicielle : Le quartier
de Saint-Giniez, du V* au XI* siècle 121
DEUXIÈME SECTION
Discussion des objections
Chapitre I. — Texte de la charte 40 du XI" siècle 133
— IL — Texte de la charte 40 du XI- siècle (suite) 1 1*2
— III. — Inscription d'Eugenia 152
— IV. — Texte des chartes de 1431 et 1446 162
— V. — Plusieurs objections de Ruffi 177
— VI. — Les religieuses n'avaient pas de chapelles avant
814 179
— VIL — Les monastères doivent être proches des villes.
Texte de saint Jean Chrysostome 188
— VIII. — Origine du nom « deïs Desnarrados » donné
à la chapelle des bords de l'Huveaune 192
— 691 -
Pages
Chapitre IX. — L'abbaye cassianite placée, par les auteurs, aux
Catalans et au bassin du Carénage 198
— X. — L'abbaye cassianite placée, par les auteurs, au
quartier du Revest 204
— XI. — L'abbaye cassianite placée, par les auteurs, à
Saint-Cyr (Var) . 210
— XII. — L'abbaye cassianite placée, par les auteurs, à
Saint-Loup 217
— XIII. — Assertions de la Galliu chrisUana, des Bol-
landistes, de M. André, de M. Verlaque, etc.. 222
DEUXIÈME PARTIE
PREUVES EN FAVEUR DE NOTRE THÈSE
PREMIÈRE SECTION
Preuves négatives
Chapitre I. — L'abbaye cassianite n'a pu se trouver au bassin
du Carénage 229
— II. — L'abbaye cassianite n'o pu se trouver ni à Paradis,
ni au Revest 237
— III. — L'abbaye eassianite n'a pu se trouver ni à Sainte-
Catherine, ni aux Catalans 245
DEUXIÈME SECTION
Preuves positives
Chapitre I. — Les auteurs favorables à notre opinion 251
— II. — Le Propre de Marseille. Les leçons de l'office de
Sainte Eusébie \ * 264
— III. — La croix de Saint André cachée à l'abbaye cas-
sianite de l'Huveaune 272
— IV. — La croix de Saint André (suite) 287
— Y. — La croix de Saint André (suite). ... 298
- 69? -
Pages
Chapitre VI. — L'église et la maison en ruines sur les bords de
l'Huveaune, ou l'abbaye des Prémontrés établie
à l'Huveaune en 1204 . 307
— VII. — L'église et la maison en ruines des bords de
rHuveaune (suite) 312
— VIII. — L'église et la maison en ruine des bords de
rHuveaune (suite) 320
— IX. — L'église de Sainte-Marie de Sait, aux bords de
l'Huveaune 329
— X. — Notre-Dame d'Huveaune, vocable de l'abbaye
des Prémontrés 338
— XI. — Culte de Saint Cyr établi à l'abbaye des Pré-
montrés de THuveaune 342
— XII. — « Leïs Desnarrados » 346
— XIII. — « Ad Casales » et la terre « ad Àrabenz »... 350
— XIV. - J,a tradition 359
DEUXIÈME QUESTION
A quelle époque Sainte Eusébie a souffert le martyre
PREMIÈRE PARTIE
RÉFUTATION DE l/OPINION CONTRAIRE
PREMIÈRE SECTION
Objections et Questions préjudicielles
Chapitre I. — Auteurs qui ont attribué le martyre de Sainte
Eusébie à d'autres que les Sarrasins 371
— II. — Auteurs qui ont assigné au martyre de Sainte
Eusébie une date autre que celle 738 376
t- III. — Les Sarrasins. Première question préjudicielle . 385
- 693 —
Pages
ftupiTRB IV. — Inscription de Sainte Eusébie. Seconda question
préjudicielle ■. .\ . . . 391
— V. — Inscription de Sainte Eusébie (suite). . , 402
— VI. *~ Inscription de Sainte Eusébie (suite) 413
— VII. — Inscription de Sainte Eusébie (suite) 420
— VIIL — Inscription de Sainte Eusébie (suite) 430
«— IX. — Inscription de Sainte Eusébie (suite) 442
— X. ** Inscription de Sainte Eusébie (suite) 466
DEUXIÈME SECTION
Discussion des objections
Chapitre I. — Les preuves apportées par les auteurs pour attri-
buer à d'autres que les Sarrasins le martyre
de Sainte Eusébie ite sont pas recêvables 485
— ' IL ■*• Les preuves apportées par les auteurs pour placer
à une date autre que celle de 738 le martyre
de Sainte Eusébie ne sont pas recêvables 504
— III. — Les preuves* alléguées contre la date de 738 ne
eont pas recêvables 517
DEUXIÈME PARTIE
NOTRE THÈSE : SAINTE EUSÉBIE A ÉTÉ MARTYRISÉE PAR LES
SARRASINS EN 738
PREMIÈRE SECTION
Preuve* négative*
Cbawtre I. — Les Vandales n'ont pas maryrisé Sainte Eusébie, 521
— It. — Les Visigotbs n'ont pas martyrisé Sainte Eusébie 535
— III. — Les Bourguignons et les Francs n'ont pas
martyrisé Sainte Eusébie 548
— IV. — Les Lombards et les Saxons n'ont pas marty-
risé Sainte Eusébie 558
— 694 —
Pages
Chapitre V. — Les Normands n'ont pas martyrisé Sain te-Eusébie 568
— VI. — Les Hongrois n'ont pas martyrisé Sainte Eusébie 578
VII. — Le martyre de Sainte Eusébie n'a pu avoir
lieu aux dates 'proposées par les auteurs.. . 585
VIII. — Le martyre de Sainte Eusébie n'a pu avoir
lieu aux dates proposées par les auteurs
(suite) 592
— IX. — On peut attribuer aux Sarrasins le martyre de
Sainte Eusébie 604
DEUXIÈME SECTION
Preuves positives
Chapitre I. — La tradition, à Marseille, que les Sarrasins ont
martyrisé Sainte Eusébie 611
— II. — Auteurs qui affirment que les Sarrasins ont
martyrisé Sainte Eusébie 627
— III. — Absence de documents du VIII* siècle 634
— IV. — Le Polyptique de Wadalde 639
— V.—- Les Sarrasins ont martyrisé Sainte Eusébie en 738 643
— VI. — L'indiction sixième de l'inscription de Sainte
Eusébie 657
— VII. — Le t Pridie kalendas octobris » de l'inscription
de Sainte Eusébie 665
APPENDICE
Légende des Photogravures renfermées dans cet ouvrage 673
Légende de la carte du terroir sud-ouest de Marseille aux XII*
et XIII* siècles 678
Charte de 1431 681
Légende de la carte du terroir de Saint-Giniez aux IX*, X* et XI*
siècles, d'après la charte de 1097 685
Lettre de M. Grangier 688
ACHEVÉ D'IMPRIMER
Je 28 Octobre 1890
Fête des Apôtres Saint Simon et Saint Judk
MARSEILLE. — IMPRIMERIE MARSEILLAISE, BUB 8AINTE, 39.
S- s
1
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beyond the specified time.
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