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Full text of "Sainte Eusébie, abbesse, et ses 40 compagnes martyres à Marseille"

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fO  p  33. 37K  M 


Harvard  Collège 
Library 


FKOM  THE  BEQUBST  OF 

JOHN  HARVEY  TREAT 

OF  ULVHHf CE,  MASS. 
CLASS  OF  1*61 


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r.-ï-VT' 


HHHIfSHi 


SAINTE  EUSÉBIE 


ET 'SES  40  COMPAGNES-  MARTYRES 


A       WAKSGlLL  R 


M-'Adbi»  S.  VERNE-' 
ffw/W  ■/*  '■'  *W»«  Safnte-EHsihi,.  A  M,,«lreJ,m 


MARSEILLE 


SAINTE  EUSEB1E 

ABBBSSB 

ET    SES  40   COMPAGNES   MARTYRES 

A  MARSEILLE 


SAINTE  EUSEBIE 

Abbesse 

ET  SES  40  COMPAGNES  MARTYRES 


A       MARSI-:iLLK 


L'Abbé  S.  VERNE 
Sttltur  dt  la  Paroisse  Saiatt-Eusibît,  à  Montrtdoa 

TeneU  tradilionts. 
1  Uardtz  vos  traditions  > 
(Il  AD  THBSS.,2,  14.) 


MARSEILLE 


Rue  Sainte,  3g 
1891 


G*&± 


Ux'-T 


Conformément  aux  décrets  du  pape  Urbain  VIII,  nous  décla- 
rons ne  vouloir  préjuger  en  rien  les  décisions  de  l'Eglise  au 
sujet  des  faits  et  des  appréciations  contenus  dans  cet  ouvrage 
et  soumettre  celui-ci  à  l'autorité  doctrinale  de  notre  Evèque, 
rejetant  et  condamnant  tout  ce  'qu'il  désirerait  nous  voir 
rejeter  et  condamner. 


n.^KVAkD 

JNIVERSITY 

LI-'  vary 


DÉDIÉ 


SA  GRANDEUR  MONSEIGNEUR  ROBERT 


ÉYÊQUE   DE   MARSEILLE 


ÊVÊCHÉ  Marseille,  le  12  Novembre  18 go, 


DE 


MARSEILLE 


Mon  bien  cher  Curé, 


Vous  venez  de  terminer  heureusement,  après  plusieurs 
années  d'un  travail  infatigable,  l'œuvre  qu'a  inspirée  à 
votre  foi  et  à  votre  piété  le  culte  de  sainte  Eusébie, 
titulaire  de  votre  chère  paroisse. 

Votre  étude  historique  accuse  de  savantes  et  de  profon- 
des recherches.  Il  y  a  surtout  un  sentiment  pieux,  qui  fait 
du  bien  à  l'âme.  Les  solutions  que  vous  donnez  à  des 
points  douteux  pourront  paraître  contestables  à  quelques- 
uns  ;  mais  cela  n'empêchera  pas  que  votre  livre  ne  soit 
lu  de  tous  avec  grand  intérêt  et,  ce  qui  vaut  mieux  encore, 
avec  beaucoup  d'édification.  Vos  paroissiens  notamment 
trouveront  dans  cette  lecture  le  moyen  de  bien  connaître 
et  d'aimer,  comme  ils  le  doivent,  celle  que  l'Eglise  leur  a 
donnée  pour  patronne  et  pour  modèle. 

Combien  il  serait  désirable  que  les  prêtres  occupent 
leurs  loisirs,  ainsi  que  vous  l'avez  fait,  à  recueillir  avec 
respect  et  amour  ce  qui  intéresse  l'histoire  de  leur  paroisse  ! 


Nous  aurions  bientôt  une  série  de  monographies  parois- 
siales fort  utile  pour  l'histoire  générale  du  diocèse. 

L'exemple  que  vous  donnez  portera  ses  fruits,  j'en  ai  la 
confiance,  et  ce  ne  sera  pas  l'un  des  moindres  résultats  de 
votre  savant  et  religieux  travail. 

Recevez,  mon  bien  cher  Curé,  avec  mes  sincères  félici- 
tations, la  nouvelle  expression  de  mon  affectueux  attache- 
ment en  Notre  Seigneur. 


•J-  LOUIS,  évêque  de  Marseille. 


PRÉFACE 


Nous  avons  à  dire  l'humble  genèse  de  ce  modeste  travail. 

Une  légende  antique  de  l'histoire  de  Marseille,  le  mas- 
sacre de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes  par  les  Sar- 
rasins, nous  a  toujours  charmé.  Enfant,  ce  nous  était  un 
doux  plaisir  de  l'entendre  raconter  par  les  vieillards  ; 
plus  tard,  lorsque  nous  ne  savons  quel  ouvrage  nous  eut 
appris  qu'une  tradition  indiquait  les  bords  de  la  mer,  la 
plage  au  bout  du  Prado,  comme  le  théâtre  de  cet  événe- 
ment, nous  cherchions  à  refaire  dans  notre  imagination 
les  phases  diverses  de  cette  scène  désolante. 

Prêtre  et  vicaire  à  Saint-Giniez,  la  légende  nous  capti- 
vait. Bien  des  fois,  nous  avons  parcouru  cette  partie  de 
nos  rivages  et,  nous  reportant  à  onze  ou  douze  siècles  en 
arrière,  nous  revoyions  par  la  pensée  le  moutier  d'Eusé- 
bie,  auquel  les  bois,  les  prairies,  les  vignes  et  la  mer  fai- 
saient une  verte  et  gracieuse  ceinture.  Nous  prêtions 
l'oreille,  et  nous  croyions  entendre,  comme  un  doux  mur- 
mure qui  arrivait  jusqu'à  nous,  les  chants  et  les  prières 
des  Cassianites.  Soudain  ce  spectacle  ravissant  se  chan- 
geait en  scène  lugubre.  Les  douces  compagnes  d'Eusébie, 
Eusébie  avec  elles,  nous  les  voyions  fuir  éperdues  dans  la 
chapelle  de  leur  monastère,  poursuivies  par  de  farouches 
envahisseurs.  Nous  entendions  leurs  cris  de  désolation, 
leurs  appels  suppliants,  nous  étions  témoin  d'un  acte 
héroïque.  Puis  le  silence  le  plus  profond  !  Et  les  vaisseaux 
qui  portaient  les  barbares  regagnaient  la  haute  mer,  ou 
disparaissaient  derrière  les  collines  qui  bornent  au  sud  le 
terroir  de  Marseille.  Curé  à  Montredon,  et  notre  église 
étant  dédiée  à  la  chère  sainte  Eusébie,  nous  étions  tout  à 
la  joie  d'habiter  près  de  ces  lieux  bénis  que  l'héroïque 
martyre  avait  foulés  de  ses  pas . 


VI 

*  Quel  ne  fat  pas  notre  étonnement  de  lire  un  jour,  dans 
la  Vie  des  Saints  de  Marseille  (1),  que  cette  tradition  qui 
faisait  vivre  et  mourir  sainte  Eusébie  dans  un  monastère 
cassianite,  aux  bords  de  l'Huveaune,  n'avait  aucun  fonde- 
ment et  qu'il  fallait  céder  à  d'autres  lieux,  plus  proches  de 
Marseille,  la  gloire  d'avoir  été  le  théâtre  d'un  si  glorieux 
martyre.  Nos  plus  beaux  rêves  se  dissipaient  !  Il  n'y  avait 
pas  à  en  vouloir  à  l'auteur  de  l'excellent  ouvrage  cité  plus 
haut  :  écrivant  la  Vie  des  Saints  les  plus  connus  dans 
notre  Eglise,  il  ne  pouvait  entrer  dans  tous  les  détails  et 
discuter  à  fond  les  points  douteux  qui  pouvaient  se  pré- 
senter . 

Notre  ligne  de  conduite  était  toute  tracée.  Il  nous  fallait 
étudier  sur  quelles  bases  s'appuyait  la  vieille  légende  deis 
Desnarrados  (2)  et  peut-être  mettre  par  écrit  le  résultat  de 
nos  recherches.  Nous  le  devions  à  nos  rêves  d'enfant.  A 
titre  d'ancien  vicaire  de  Saint-Giniez,  nous  avions  à  le 
faire.  Depuis  notre  arrivée  à  Montredon,  il  nous  semblait 
entendre  la  chère  sainte  Eusébie  nous  le  demander  cha- 
que jour. 

Ce  fut  le  motif  qui  nous  fit  entreprendre  d'écrire  ees 
pages. 

Mais,  nous  l'avouons  simplement,  c'était  une  simple 
brochure  que  nous  désirions  offrir  aux  amateurs  des 
«  choses  marseillaises  ».  Or,  les  détails  se  présentèrent  si 
nombreux,  que  la  brochure  devint  un  petit  livre. 

Notre  tâche  était  à  peu  près  achevée,  lorsque  parurent, 
dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  quelques  ex- 
traits d'une  monographie  de  l'abbaye  de  Saint- Victor-lez- 
Marseille  (3).   L'estimable  M.  Grinda  en  était  l'auteur. 

(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille.  —  Sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes,  vierges  et  martyres,  11  octobre. 

(2)  Leis  desnarrados  ou  desnazados,  c'esl-à-dire  sans  nez.  Allusion 
évidente  au  genre  de  martyre  qu'ont  enduré  sainte  Eusébie  et  ses  com- 
pagnes. 

(3)  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  année  1888. 


VII 

Tout  en  assurant  que  son  but  était  de  mettre  à  l'abri  de 
la  critique  impie  notre  tradition* sur  sainte  Eusébie,  il  la 
découronnait  cependant,  à  notre  avis.  Si  l'on  voulait  re- 
garder, en  effet,  l'inscription  lapidaire  d'Eusébie  comme 
Tépitaphe  de  notre  sainte  héroïne  marseillaise,il  fallait  pla- 
cer le  martyre  au  Ve  siècle  et  fouler  aux  pieds  ce  point  de 
notre  tradition  qui  attribue  aux  Sarrasins  le  martyre  des 
Cassianites.  Si  Ton  voulait,  au  contraire,  attribuer  à  ces 
barbares  ce  fait  odieux,  il  fallait  renoncer  à  voir  dans  cette 
inscription  funéraire  la  légende  de  notre  sainte  Eusébie. 
Nous  avons  remis  notre  travail  sur  le  métier  et  de  notre 
œuvre  première  ainsi  remaniée  il  en  est  sorti,  hélas,  un 
bien  gros  livre  !  ! 

En  toute  confiance  nous  le  livrons  à  la  bienveillance 
comme  à  la  critique  de  nos  lecteurs.  Ce  qui  nous  rassure 
c'est  que  nous  n'avons  pas  la  prétention  d'avoir  trouvé  la 
vérité,  de  la  faire  toucher  du  doigt.  Non.  Ce  point  de  nos 
annales  est  trop  difficile  à  éclaircir.  On  se  heurte  à  la  nuit 
des  temps  barbares.  Il  faut  lutter  avec  les  tâtonnements, 
les  contradictions,  les  objections  des  auteurs,  souffrir  de 
la  pénurie  presque  complète  des  documents,  car  il  ne 
reste  que  l'inscription  lapidaire  du  tombeau  de  sainte 
Eusébie,  et,  disons-le,  elle  n'est  pas  hors  de  toute 
conteste.  De  plus  savants  et  de  plus  habiles  que  nous  ont 
cherché  longtemps  à  déchiffrer  cette  énigme,  et  ils  n'ont 
pas  réussi.  Humble  pionnier,  armé  d'outils  bien  faibles, 
pouvions-nous  espérer  de  découvrir  le  trésor?  et,  ouvrier 
malhabile,  de  conduire  l'édifice  à  son  achèvement  ?  Ne 
risquions-nous  pas  de  nous  égarer  loin  du  filon  précieux, 
et  nos  matériaux  seraient-ils  toujours  de  premier  choix  ? 
C'était  là  le  danger  ! 

Nous  voulons  être  sincère-  Il  nous  a  été  impossible  de 
découvrir  un  document  précis,  authentique  sur  lequel  on 
pût  établir  un  argument  péremptoire,  relativement  aux 
deux  questions  qui  vont  nous  occuper.  Nous  n'avons  pas 


VIII 

de  preuve  certaine,  irréfragable  de  ce  que  nous  soute- 
nons. C'est,  d'ailleurs,  ce  que  Ton  nous  avait  prédit. 

Nous  avons  dû  nous  contenter  de  réunir  et  de  classer 
tout  ce  que  l'histoire  pouvait  nous  offrir  de  faits,  de  docu- 
ments, de  souvenirs  et  d'en  dégager  une  somme  de  pro- 
babilités assez  sérieuses,  croyons-nous,  en  faveur  de  notre 
thèse. 

Cependant,  par  l'étude  que  nous  avons  faite  de  cette 
question,  un  coin  du  voile  qui  s'obstine  à  la  recouvrir 
aura  été  peut-être  quelque  peu  soulevé,  et  nous  aurons 
apporté  une  petite  pierre  à  l'édifice  qu'un  autre,  nous 
l'espérons,  achèvera  plus  tard.  Nous  avons  pu  nous  lais- 
ser induire  en  erreur  ;  mais  ce  qui  est  sûr,  qu'on  le  sache 
bien,  c'est  que  nous  ne  voulons  point  faire  parade  d'éru- 
dition, et  que  si  nous  nous  sommes  trompé  nous  serons 
heureux  de  le  reconnaître.  Si  quelqu'un  plus  habile,  mieux 
servi  par  les  circonstances,  plus  favorisé  que  nous, 
découvrait  de  nouveaux  documents  et  nous  donnait  des 
preuves  solides,  contraires  à  la  solution  que  nous  pré- 
sentons, nous  ne  ferions  nulle  difficulté  de  nous  ranger  à 
son  avis.  La  gloire  de  notre  chère  sainte  Eusébie  nous 
tient  plus  à  cœur  que  la  nôtre  propre,  et  rien  n'honore 
les  saints  comme  la  vérité. 

Maintenant,  comme  Duns  Scot,  accourant  à  l'Univer- 
sité défendre  le  privilège  de  l'Immaculée  Conception, 
disait,  en  passant  devant  une  statue  de  la  Vierge  Marie  : 
Da  mihi  virtutem  contra  hostes  tuos  (1),  volontiers, 
offrant  à  la  sainte  patronne  de  notre  église  ces  quelques 
pages,  nous  lui  dirions  :  Bonne  sainte  Eusébie,  c'est  de 
vous  qu'il  s'agit,  venez-nous  en  aide  et  guidez  notre 
plume  !  ! 

S.  V. 


(1)  c  Donnez-moi  la  force  pour  lutter  contre  vos  ennemis.  »  Paroles 
tirées  de  l'office  de  la  Sainte  Vierge. 


SAINTE  EUSÉBIE 


ABBBSSE 


ET  SES  40  COMPAGNES  MARTYRES 


A    MARSEILLE 


INTRODUCTION 


CHAPITRE  PREMIER 


L'Abbaye  Cassianite  des  Bords  de  l'Huveaune 


LE  TERROIR.  DK  SAINT-GïNIEZ.—  LE  CŒNOBIUM  CASSIANITE  DE  FILLES, 
AUX  BORDS  DE  L'HUVEAUNE.  —  DYNAMIUS,  BIENFAITEUR  DU  CŒNO- 
BIUM.  —  LETTRE  DU  PAPE  GRÉGOIRE  LE  GRAND  A  L'ABBESSB 
RESPECTA. 


Là,  où  de  nos  jours  l'avenue  du  Prado  étale  ses  frais  ombra- 
ges et  groupe  ses  plus  riantes  villas;  dans  l'espace  que  limi- 
tent, au  nord,  les  dernières  pentes  de  la  colline  de  Notre-Dame 
de  la  Garde  ;  à  l'est,  le  cours  du  Jarret  ;  au  sud,  les  collines  de 
Sainte-Marguerite,  de  Mazargues  et  de  Montredon,  se  déroulait 
jadis  une  plaine  immense  que  l'Huveaune,  dans  son  cours  lent 
et  sinueux,  partageait  en  deux  moitiés  à  peu  près  égales. 

Le  paysage  qui  s'offrait  aux  regards,  pour  être  sévère,  triste, 
monotone,  n'était  pas  cependant  dépourvu  de  majesté  et  de 
grandeur.  Ici,  vers  Montredon,  de  vastes  et  sauvages  grèves, 
sur  lesquelles  la  mer  roulait  ses  vagues,  tantôt  impétueuses 
et  tantôt  caressantes;  là,  sur  le  terroir  de  Bonneveine,  des 


—  2  — 

» 

landes  sablonneuses  et  incultes  que  battaient  sans  trêve  ni 
repos  les  brises  du  large  ou  les  rafales  du  mistral  ;  d'un  côté, 
sur  le  versant  méridional  de  la  Garde,  des  bois  épais  de  pins  qui 
descendaient  jusqu'aux  berges  de  l'Huveaune  ;  de  l'autre,  vers 
le  Rouet,  le  Rond-Point  et  Saint-Giniez,  des  marais  stagnants 
que  formaient  des  ruisseaux  sans  déversement,  ou  les  eaux  de 
l'Huveaune,  refoulées  à  certains  jours  par  la  mer  soulevée  (1). 
Avec  les  siècles  cependant,  la  civilisation  avait  pris  pied 
dans  ce  désert.  Où  se  trouvaient  jadis  un  bois  sacré,  un  oratoire 
païen,  se  dressa  bientôt  une  modeste  église  :  celle  de  Saint- 
Giniez  (2).  Où  s'étendaient  des  terres  incultes,  se  formèrent  de 
puissants  domaines,  peuplés  de  serfs  et  de  colons  :  Carvillan 
et  Romagnac,  d'un  côté  de  l'Huveaune  (3),  Fabias  et  Consuas 
de  l'autre  (4);  les  bois,  les  marécages,    les  plus  minces  filets 

(1)  Nous  devons  prévenir  nos  lecteurs  que  dans  ces  pages  ils  trouve- 
ront un  certain  nombre  d'assertions  dont  la  preuve  est  faite  seulement 
dans  notre  ouvrage  intitulé  :  Sainte  Eusèbie,  abbesse,  et  ses  40  compa- 
gnes martyres, 

(2)  Notice  historique,  topographique  et  hagiologique  sur  Saint- 
Giniez,  par  M.  l'abbé  Daspres,  p.  11.  M.  Daspres  était  curé  de  Saint-Gi- 
niez, quand  il  composa  cette  notice,  remplie  de  détails  précieux,  sur  ce 
point  du  terroir  marseillais. 

(3)  Carvillan,  «  in  suburbio  Massiliense,  villam  que  dicitur  Carvil- 
lianus,  id  est,  casis  astantibus  et  dirutis,  terris  cultis  et  incultis, 
vineis,  pratis,  pascuis,  etc.,  etc.  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  28, 
du  24  juin  840,  et  charte  27,  de  1020. 

Le  territoire  désigné  sous  ce  nom  de  Carvillan  comprenait  une 
partie  du  terroir  de  Sainte-Marguerite.  —  Lire  les  pages  pleines  d'intérêt 
qu'a  écrites  M.  l'abbé  E.  Arnaud,  curé  de  Sainte-Marguerite,  sur  Carvil- 
lan, dans  la  Notice  historique  sur  Sainte-Marguerite,  ch.  2,  p.  26 
etsuiv.— Notice  historique  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  83 
et  suiv.  —  Dictionnaire  topographique  de  l'arrondissement  de  Marseille, 
par  J.-B.  Mortreuil,  au  mot  Carvillian,  p.  86. 

Romagnac.  «  Super  fluvium  Vuelne,  in  locis  his  nominibus  desi- 
gnatis  :  Romagnac,  Ligus  Pinis,  Fabias.*  Cartulaire  de  Saint-Victor, 
ch.  29,  de 965.  Cette  terre  était  une  partie  du  terroir  actuel  de  Bonne- 
veine,  lequel  était  appelé  dans  d'autres  chartes  Gas  de  Romagnana,  gué 
ou  passage  de  Romagnac  sur  l'Huveaune,  ou  gast  de  Romagnana,  terre 
inculte,  stérile  de  Romagnac.  —  Notice  historique  sur  Saint-Giniez, 
par  l'abbé  Daspres,  p.  88.  —  Dictionnaire  topographique  de  Mortreuil, 
au  mot  Romagnana,  p.  313. 

(4)  Fabias:  terroir  situé  entre  le  Rouet  et  Saint-Giniez.  Cartulaire  de 


—  3  — 

d'eau  prenaient  un  nom.  Le  Ligus  Pinis  désignait  le  versant 
boisé  de  la  Garde  (1)  ;  le  palud  des  bords  de  l'Huveaune 
s'appelait  Arculens  (2)  ;  celui  du  Rond -Point,  Antignane  (3)  ; 
celui  des  environs  du  Rouet,  Framaud,  Frémautou  Formai  (4); 
le  pelit  ruisseau  d'Antignane  même  avait  sa  place  dans  les 
chartes  de  l'époque. 

8aint- Victor,  ch.  29.  — Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres, 
p.  111.—  Dictionnaire  topographique  de  Mortreuil,  v.  Fabias,  p.  147. 

CoDsuas  :  portion  du  terroir  sur  lequel  est  construit  actuellement  le 
château  Talabot.  Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  102. 
—  Dictionnaire  topographique  de  Mortreuil,  v.  la  Conseillère,  p.  117. 

(1)  Ligus  Pinis,  quartier  sur  le  versant  méridional  de  Notre-Dame  de 
la  Garde.  Cartulaire,  ch.  29.  —Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  15,  104.  — 
Dictionnaire  de  Mortreuil,  v.  la  Pinède,  p.  280.  C'est  bien  à  tort,  croyons- 
nous,  que  le  Dictionnaire  géographique,  placé  en  appendice  au  tome  II 
du  Cartulaire  de  Saint-Victor,  affirme  que  le  Ligus  Pinis  est  le  village 
actuel  de  la  Pêne,  près  Saint-Marcel. 

(2)  Arcuîens,  Arcollens,  Arcola,  Arcoulens,  Arquolens,  RecoUens, 
autant  de  mots  qui  désignent  un  môme  quartier  de  Saint-Giniez,  situé 
sur  le  bord  de  l'Huveaune,  prés  de  l'ancien  gué  et  du  pont,  qui,  aujour- 
d'hui, conduit  au  parc  Borély.  Au  XVII*  siècle,  on  le  regardait  comme 
taisant  partie  du  terroir  de  Bonneveine  :  Bone  vene,  Arcollens,  Arquo- 
lens, frive  Bonevene,  RecoUens  ou  Bonneveine.  Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  ch.  52,  de  1040.—  Dictionnaire  géographique  du  Cartulaire,  t.  II, 
▼.  Arcolœ.  —  Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  66,  87,  88. 
141,  U2. 

(3)  Antignane,  Antignana,  Antinana,  fons  d' Antinana*  palus 
à: Antinana.  C'est  tantôt  dans  les  chartes  un  quartier,  tantôt  un  marais 
ou  un  ruisseau,  alimenté  par  une  source,  qui  portait  le  même  nom  :  fon* 
Antinana;  dans  le  XI*  siècle,  ce  marais  s'appela  indifféremment:  \8 
palud  de  Saint-Giniez  ou  le  palud  d'Antignane,  —  Notice  sur  Saint- 
Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  192,  138  et  suiv.  —  Dictionnaire  topogra-  - 
phique  de  Mortreuil,  v.  Antignane. 

(4)  Le  palud  de  Formai,  Framald,  Frémaut  devait  être  situé  entre 
Saint-Giniez,  le  Bouet, la Capelette.  «Moi,  Lambertus  Dodo,\e  donne  une 
pièce  de  terre,  prés  l'église  de  Saint-Giniez  ;  elle  se  termine  d'un  côté 
à  la  terre  d'Adalugi,  de  l'autre  au  chemin  qui  va  à  Marseille,  et  de  l'autre 
au  palud  de  Framaut  (Framaldi). . .  Moi,  Virfred  et  Bostagnus  A  m  al  rie, 
donnons  cette  terre  qui  est  située  dans  le  palud  de  Formai.  »  Ch.  de  1097. 
Nous  donnons  en  appendice  cette  charte  dans  notre  ouvrage  :  Sainte 
Euzébie  et  ses  40  compagnes  martyres.  Elle  est  cotée  aux  archives  de 
là  Préfecture,  n*  789,  au  diocèse  de  Marseille,  n*  317.  —  Notice  sur 
Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  charte  de  1097,  p.  141.  —  Dictionnaire 
topographique  de  Mortreuil,  v.  Framaud,  p.  164. 


—  4  — 

Une  tradition  dont  nous  établirons  ailleurs  les  preuves 
nous  dit  que  ce  fut  cet  humble  coin  de  terre  que  choisit  saint 
Cassien  pour  les  religieuses  qu'il  venait  d'établir  à  Marseille. 
Sur  la  rive  droite  de  l'Huveaune,  à  quelques  pas  de  ses  bords, 
non  loin  de  la  plage  sablonneuse  s'éleva  le  monastère  de  Tordre 
naissant.  Dans  cette  solitude,  à  la  grande  voix  de  la  mer,  au 
mugissement  de  la  tempête,  à  travers  la  forêt,  se  joignirent 
désormais  une  voix  plus  douce  :  celle  de  la  prière,  et  un  mur- 
mure bien  suave  :  le  chant  des  bymnes  saintes  que  les  Gas- 
sianites  faisaient  monter  chaque  jour  vers  Dieu. 

Le  Gœnobium  de  l'Huveaune  fut  placé,  au  début  de  sa  fonda- 
tion, sous  le  vocable  de  la  sainte  Vierge  (1).  La  haute  piété, 
les  douces  vertus  des  religieuses  qui  y  vivaient,  autant  que  le 
désir  de  se  sanctifier  à  l'école  du  patriarche  de  la  vie  monas- 
tique (2),  avaient  attiré  en  ce  lieu  béni  de  nobles  âmes.  Elles  y 
accouraient,  avides  de  sacrifices  et  de  renoncement.  Nulle  part 
ailleurs,  à  Marseille  du  moins,  elles  n'auraient  trouvé  une 
source  aussi  limpide  pour  y  boire  à  longs  traits  la  perfection 
chrétienne  qu'elles  rêvaient,  et  y  apaiser  la  soif  qu'elles 
avaient  de  servir  Dieu  uniquement  (3). 


(1)  Ruffl,  Histoire  de  Marseille,  t,  II,  p.  57.  —  L'Antiquité  de  l'Eglise 
de  Marseille,  par  Mgr  de  Belsunce,  t.  I.  p.  258.  —  André,  Histoire 
de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur  de  Marseille,  p.  3.  — 
Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  28.  —  Les  Saints  de 
V  Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  225. 

*(2)  C'est  vers  415  ou  420,  que  Cassien  établit  à  Marseille  deux  monas- 
tères, l'un  pour  les  hommes,  l'autre  pour  les  femmes.  On  peut  l'appeler 
à  juste  titre  le  fondateur  dans  notre  ville  de  la  vie  cénobitique.  Avant  lui, 
il  y  avait  peut-être  dans  les  grottes  et  les  bois  environnants  des  soli- 
taires, des  anachorètes,  des  ermites,  adonnés  à  la  contemplation  et  à  la 
pénitence.  Mais  il  n'y  avait  pas,  à  proprement  parler,  de  monastères, 
c'est-à-dire  de  religieux  vivant  en  commun  sous  le  même  toit  et  soumis 
à  une  même  règle. 

(3)  Sur  divers  points  de  la  Gaule  ou  de  la  Provence  s'élevaient  déjà 
des  monastères.  Vers  405,  saint  Honorât,  qui  fut  plus  tard  évoque  d'Arles, 
avait  fondé  celui  de  Lérins,  dans  l'île  de  ce  nom.  En  360,  saint  Martin  de 
Tours  avait  fondé  celui  de  Ligugé,  près  de  Poitiers,  et  un  peu  plus  tard, 
celui  de  Marmoutier,  près  de  Tours. 

En  Italie,  la  vie  monastique  jetait  aussi  un  vif  éclat.  Sur  le  mont 
Aventin,  à  Rome,  la  patricienne  Marcella  avait  fait  de  son  palais  un 


—  5  - 

Au  début  du  VI"  sièole,  on  comptait  parmi  ces  cœurs  d'élite, 
la  jeune  Césarie,  sœur  de  l'évoque  d'Arles,  saint  Césaire.  Elle 
vint  demander  aux  vierges  de  l'Huveaune  de  lui  apprendre  la 
pratique  de  cette  vie  religieuse,  que  plus  tard  elle  devait 
enseigner  à  d'autres.  L'évêque  d'Arles,  saint  Césaire,  l'avait 
voulu  ainsi,  tant  il  avait  en  estime  la  sainteté  des  filles  de 
Cassien  (1). 

Cette  renommée  si  justement  acquise  valut  au  monastère 
de  nombreux  bienfaiteurs.  Deux  personnages  illustres  de  Mar- 
seille au  VIe  siècle,  Dynamius  et  Aurelius,  en  avaient  agrandi 
les  constructions,  en  cédant  une  de  leurs  maisons  que 
Ton  unit  par  un  corps  de  bâtisse  aux  appartenances  de 
l'abbaye  (2).  La  dévotion  spéciale  que  ces  donateurs  profes- 


cœnobium de  vierges  et  de  saintes  veuves.  A  Milan,  saint  Ambroise  fon- 
dait un  monastère  de  filles.  En  Afrique, «saint  Augustin  en  fondait  un 
pour  les  hommes,  à  Tagaste.  En  Espagne,  dès  380,  un  concile  de  Sarra- 
gosse  parle  des  moines  et  des  religieuses  qui  vivent  dans  les  monastères 
de  celte  contrée. 

Cet  élan  vers  la  vie  monastique,  en  Occident,  avait  été  déterminé  par 
les  merveilles  de  sainteté  et  de  vertu,  que  saint  Athanase,  exilé  d'Alexan- 
drie, et  venu  à  Trêves  en  336,  à  Rome  eu  340,  avait  racontées  des  reli- 
gieux vivant  dans  les  cœnobia  des  bords  du  Nil.  —  Histoire  de  l'Eglise, 
par  le  cardinal  Hergenroether,  t.  II,  p.  592.  —  Histoire  de  sainte  Poule, 
par  l'abbé  Lagrange,  p.  85.  —  Histoire  de  l'Eglise,  par  l'abbé  Darras, 
t  IX,  p.  551.  — Ozanam,  La  civilisation  au  V9  siècle,  leçon  XII,.t.  II, 
p  31.  — *  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  par  l'abbé  Alliez,  t.  I,  p.  14. 

(1)  c  Evocataque  eMassiliensi  cœnobio  venerabili  sorore  sua  Gffisaria, 
<  quam  ideirco  eo  miserat,  ut  disceret  quod  doceret,  et  prius  esset  disci- 
t  pula  quam  magistra.  »  Vie  de  saint  Césaire,  par  Gypricn,  son  disci- 
ple, dans  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinensis,  par  Barralis, 
p.  237.  — Patrologie latine,  édit.  Migne,  t.  67,  OperaS.Cœsarii,  col.  1013. 

Mabillon  dit  de  saint  Césaire  d'Arles  que  :  «  Perfecto  monasterio, 
t  8ororem  Gœsariam  a  Massiliensi  Parthenone,  quo  eam  monasticis 
c  ritibus  informandam  direxerat,revooatam  prœfuit.  »  Annales  Ordinis 
S.  Benedicti,  t.  I,  p.  22.  —  «  Evocat  e  monasterio  venerabilem  germa- 
t  nam  suam  Caesariam,  quam  inibi  direxerat.  »  En  note,  Mabillon 
ajoute  :  «  Nempe  in  Parthenone  a  Joanne  Gassiano  sanctimonialibus 
«  erecto  in  agro  Massilise  suburbano  ad  Yvelinum  amnem,  unde  nomen 
«  esnobio.  »  Annales  Sanctorum  Ordinis  Benedictini,  Vie  de  saint 
Césaire,  1. 1,  p.  642.  —  Histoire  de  saint  Césaire,  évéque  d'Arles,  par 
l'abbé  VU)  e  vieille,  p.  129. 

P)  «  ...  Juxta  petitionem  filiomm  nostrorum  Dynamii  atque  Aure- 


_  6  — 

saient  pour  le  bienheureux  Gassien,  avait  été  le  motif  d'un  tel 
acte  de  générosité.  C'était  sans  doute  aussi  dans  l'intention 
d'offrir  un  abri  plus  vaste,  plus  spacieux  aux  filles  de  Gassien, 
dont  le  nombre  au  monastère  augmentait  sans  cesse.  11  ne  se 
passait  pas  de  jour,  qu'une  âme,  fatiguée  du  monde,  dégoûtée 
de  sa  corruption,  désireuse  de  vivre  sous  le  regard  de  Dieu, 
n'accourût  y  demander  asile. 

Elles  étaient  nombreuses,  en  effet,  les  Gassianites  au  Cœno- 
bium  de  l'Huveaune. 

En  597,  le  pape  saint  Grégoire  leur  permit  d'élire  parmi 
elles,  et  à  l'exclusion  de  toute  religieuse  d'un  autre  monas- 
tère, leur  abbesse  (1).  Un  tel  privilège  n'aurait  pas  eu  sa  raison 
d'être,  si  le  Gœnobium  n'avait  compté  qu'un  nombre  restreint 
de  vierges  consacrées  à  Dieu. 

«  liani,  qui  id  reiigiosa  devotione  domuî  sui  juris  junctis  uniisse  aedi- 
«  ficiis  comprobantur...  »  Lettre  de  saint  Grégroire  à  Respecta.  Ces 
deux  personnages  de  Marseille  étaient  peut-être  deux  frères,  peut-être 
le  frère  et  la  sœur,  car  certains  auteurs  Usent  Au  relise  ou  Aurelianae, 
au  lieu  de  Aurelius.  Nous  ne  savons  pas  grand'chose  d'Aurelius.  Dans 
une  lettre  à  un  personnage  de  ce  nom,  saint  Grégoire  le  Grand  l'exhorte 
à  continuer  la  vie  de  pénitence  et  de  charité  qu'il  avait  embrassée.  Quant 
à  Dynamius,  il  a  eu,  semble-t-il,  une  carrière  assez  mouvementée.  D'a- 
bord gouverneur  de  Marseille,  sous  Gontran,  roi  de  Bourgogne,  il  per- 
sécuta bien  vivement  saint  Théodore,  alors  évêque  de  cette  même  ville. 
Il  était  en  même  temps  administrateur  des  biens  de  l'Eglise  romaine 
dans  les  Gaules.  A  plusieurs  reprises,  saint  Grégoire  parle  de  lui  dans 
ses  lettres  en  termes  excellents.  Retiré  des  affaires  publiques,  il  s'adonna 
aux  œuvres  de  bien  et  de  charité.  Dans  une  lettre  du  pape,  adressée  à 
Respecta,  il  est  dit  que  Dynamius  avait  donné  sa  maison  pour  agran- 
dir le  monastère,  in  honore  sancti  Cassiani  constructum.  Selon  quel- 
ques auteurs,  Dynamius  mourut  en  601 .  Son  épitaphe  et  celle  d'Euche- 
ria,  son  épouse,  font  savoir  qu'il  mourut  à  l'âge  de  50  ans  et  qu'il  fut 
enterré  avec  son  épouse  dans  une  église  dédiée  à  saint  Hippolyte, 
martyr.  St  Grégoire,  Lettres  (passim) ;  Patroi.  lat., édit.  Migne,  t.  77.— 
Ed.  Leblant,  Inscrip.  chrét.  de  la  Gaule,  t.  II,  n#  641.  —  Guesnay,  Pro- 
vincial Massiliensis  annales,  p.  224.  — Mgr  de  Belsuoce,  Antiquité  de 
l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  227-258.  —  André,  Histoire  de  V abbaye  de 
Saint-Sauveur,  p.  4  et  aux  pièces  justificatives  A.  —  Les  Saints  de 
l'Eglise  de  Marseille,  saint  Théodore,  sainte  Eusébie. 

(1)  «  ...  Gonstituentes  ut  obeunte  antedicti  monasterii  abbatissa,  non 
«  extranea  sed  quam  congregatio  sibi  de  suis  elegerit  ordinetur. ...» 
Lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand  àl'abbesse  Respecta...  André,  His- 
toire de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  appendice,  pièces  justificatives  A. 


—  7  — 

Vastes  et  étendues  devaient  être  aussi  les  possessions  de 
l'abbaye  (l).  Les  règles  de  l'Eglise  et  la  simple  prudence  dé- 
fendaient d'accepter  plus  de  religieuses  que  les  ressources  du 
monastère  ne  permettaient  d'en  nourrir  (2).  Dès  le  principe, 
Gassien  et  les  premiers  abbés  de  Saint-Victor,  ses  successeurs, 
durent  être  les  administrateurs  de  ces  biens.  Au  milieu  du 
VI' siècle,  ce  furent  les  évoques  de  Marseille.  En  597,  la  lettre 
du  Pape  saint  Grégoire  le  Grand  fait  connaître  que  c'était  Tab- 
besse  seule  qui  en  avait  la  gestion  (3).  Ni  l'ordinaire  du  lieu, 


(1)  Les  fragments  d'un  polyptique  découverts  jadis  par  Ruffl  et  rédigés 
dans  le  courant  du  IX*  siècle,  indiquent,  en  effet,  qu'à  cette  époque, 
l'abbaye  cassianite  de  femmes  possédait  quelques  biens  ;  à  l'origine  de  sa 
fondation,  des  gens  pieux  durent  doter  le  monastère,  dont  ravoir  s'accrut 
ainsi  avec  les  siècles.  Voir  ces  fragments  dans  V Armoriai  et  sigillo- 
graphie des  Evéques  de  Marseille,  par  M.  le  cbanoine  Albanés,  p.  30. 

(2)  Le  concile  de  Mayence,  de  l'an  813,  défendait  dans  son  19*  canon  : 
«  Qu'on  n'envoyât  jamais  dans  les  monastères  plus  de  chanoines  ou  de 
moines,  ou  de  religieuses,  que  la  maison  ne  saurait  en  nourrir.  »  De 
même  le  concile  d'Aix-la-Chapelle,  de  816,  article  118,  celui  de  Gliffe,  en 
Angleterre,  en  747,  canon  28.  Histoire  chronologique  et  dogmatique  des 
conciles  de  la  chrétienté,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  IN. 

(3)  c  ...  In  rébus  autem  vel  in  dispositione  monasterii  ejusdem, nec 
«  episeopum  neque  ecclesiasticorum  quemquam  aliquam  habere  decer- 
c  ni  mus  potestatem,  sed  haec  ad  sollicitudinis  tuée,  vel  ejus  quœ  post  te 
c  in  eodem  loco  fuerit  abbatissa,  curam statuimus  per  omnia  habere.. .  » 
Aux  premiers  temps  de  la  vie  cénobitique,  la  plupart  des  monastères 
de  vierges  ayant  été  fondés  par  des  moines,  il  est  croyable  que  ceux- 
ci  avaient  l'administration  des  biens  de  ces  monastères.  Nous  savons, 
en  effet,  que  saint  Facôme  établit  des  couvents  de  religieuses,  qui 
étaient  pourvus  du  nécessaire  par  les  couvents  des  moines,  pour  lesquels 
elles  travaillaient  de  leur  côté.  De  plus,  ce  que  Ton  appelait  en  Orient  les 
monastères  doubles,  c'est-à-dire  les  couvents  de  moines  et  de  religieuses, 
bâtis  à  proximité  les  uns  des  autres,  n'avaient  d'autre  raison  d'être  que 
la  facilité  de  s'entr'aider  mutuellement  pour  les  choses  nécessaires  à  la 
vie.  Gassien  donc,  établissant  à  Marseille  deux  couvents,  l'un  pour  les 
hommes,  l'autre  pour  les  filles,  dut  s'inspirer  des  mêmes  idées.  Peu  à  peu 
cependant,  l'influence  et  l'autorité  des  évêques  se  répandant  sur  les  mo- 
nastères, l'administration  des  biens  passa  entre  leurs  mains.  Le  V* 
concile  d'Arles,  en  554,  l'ordonna  en  termes  formels  pour  les  monastères 
de  filles,  t  Ut  episcopi  de  puellarum  mouasteriis  quse  in  sua  civitate 
t  constituta  sunt  curam  gérant.  »  C.  5.  Mais,  pour  remédier  à  certains 
abus  qui  s'étaient  glissés,  sans  que  l'on  puisse  dire  de  qui  ils  pro- 
venaient, le  Pape  saint  Grégoire  le  Grand,  en  597,  ordonna  que  l'abbaye 


—  8  — 

ni  qui  que  ce  fût,  désigné  par  lui,  n'avait  le  droit  d'y  pré- 
tendre (1).  Preuve,  d'ailleurs,  que  tout  dans  l'abbaye  suivait 
une  marche  régulière,  et  que  les  difficultés  n'étaient  pas  à  ce 
point  compliquées,  qu'il  fallût  une  autorité,  une  vigilance, 
une  direction  autre  que  celle  d'une  simple  abbesse. 

À  celle-ci  encore  de  conduire  son  petit  troupeau  et  de  tout 
régler  dans  l'intérieur  du  monastère.  L'Evêque  cependant 
avait  la  haute  surveillance  de  la  conduite  et  des  actions  des 
servantes  de  Dieu  et  de  l'abbesse.  Il  devait,  le  cas  échéant, 
punir,  selon  la  rigueur  des  saints  canons,  celles  qui  auraient 
pu  tomber  dans  quelques  graves  manquements. 

A  l'abbaye  cassianite  était  joint  un  oratoire.  Chaque  jour, 
un  prêtre,  commis  à  cet  effet  par  l'Ordioaire,  y  célébrait  la 


en  l'honneur  de  saint  Cassien,  à  Marseille,  gérerait  ses  propres  affaires. 
Histoire  de  l'Eglise,  par  Hergenroether,  t.  II,  p.  583.  —  Histoire  des 
conciles,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  IT,  p.  488.  —  L'Antiquité  de 
l'Eglise  de  Marseille,  par  M*r  de  Belsunce,  1. 1,  p.  233.  —  Lettre  de  saint 
Grégoire  à  Respecta,  dans  Histoire  de  Saint-Sauveur,  par  André,  Pièces 
justificatives  A. 

(1)  Combien  d'années  le  monastère  cassianite  de  Marseille  jouit  de  ce 
privilège  d'exemption  que  lui  accorda  le  Pape  saint  Grégoire,  en  597  ? 
D'une  part,  ce  pontife  ne  voulait  pas  crue  les  religieuses  s'occupassent 
du  temporel  de  leurs  monastères;  il  ordonnait  à  l'archevêque  de  Gagliari 
de  «  choisir  dans  son  clergé  un  homme  que  son  âge  et  sa  probité  missent 
à  l'abri  de  tout  soupçon  et  qui  prît  soin  des  affaires  matérielles  des  mo- 
nastères de  son  diocèse.  »  D'autre  part,  le  II*  concile  de  Sévi) le,  de  l'an 
619,  ordonnait  que  :  «  l'administration  des  biens  des  monastères  de 
filles  fût  confiée  aux  moines.  »  G.  H.  Quoi  qu'il  en  soit,  au  lendemain 
des  invasions  sarrasines,  ce  privilège  n'existait  plus.  Les  évêques  de 
Marseille  avaient  pris  l'administration  des  biens  de  l'abbaye  de  Saint- 
Victor.  Or  «  l'abbaye  marseillaise  des  religieuses  était  alors  en  un  état 
plus  triste  encore  que  celle  des  hommes,  et  devait  autant  que  celle-ci 
se  trouver  sous  l'autorité  épiscopale.  »  Au  sortir  des  invasions,  quelques 
années  après  la  restauration  de  cette  abbaye  sous  le  titre  de  Saint-Sau- 
veur, en  1069,  l'évéque  de  Marseille  la  soumit  à  la  juridiction  temporelle 
de  l'abbé  de  Saint-Victor.  Mais  ce  ne  fut  que  pour  quelques  années.  Bien- 
tôt l'évéque  dut  en  prendre  la  direction,  sous  peine  de  voir  labbaye  dis- 
paraître. Vie  de  saint  Grégoire  le  Grand,  par  l'abbé  Glausier,  p.  252. 
—  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  p.  572.  — 
Armonial  et  sigillographie  des  Evêques  de  Marseille,  par  M.  le  cha- 
noine Albanés,  chap.  XXIV.  —  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur, 
par  André,  p.  21-24. 


—  9  — 

messe.  A  l'anniversaire  de  la  fondation  du  monastère  ou  de  la 
dédicace  de  cette  église,  l'Evêque  y  officiait.  Ce  jour-là,  en 
signe  de  juridiction,  la  cathedra  y  était  dressée.  Mais,  suivant 
la  prescription  de  saint  Grégoire,  elle  devait  être  enlevée  au 
départ  de  l'Evêque  (1). 

C'est  à  peu  près  tout  ce  que  l'histoire  nous  a  gardé  de  sou- 
venirs sur  l'antique  Cœnobium  des  bords  de  l'Huveaune. 


(1)  «  ...  Die  siquidem  natalis  vel  dedicationis  supradicti  monasterii, 
c  episcopus  il  lue  missarum  sacra  conveniat  solemnia  celebrare  ;  a  quo 
c  tamen  ita  est  hoc  officium  exsolvendum  ut  cathedra  ejus  nisi  prsedictis 
c  diebus  dum  illic  missarum  solemnia  célébrât,  non  ponatur.  Quo  disce- 
c  dente  similiter  etiam  cathedra  illius  de  eodem  oratorio  auferatur. 
c  Caeteris  vero  diebus,  per  presbyte  ru  m,  qui  ab  eodem  episcopo  fuerit 
c  deputatus  missarum  officia  peragentur. .  •  » 

Ce  n'était  pas  une  exception  laite  en  laveur  seulement  du  monas- 
tère que  gouvernait  Respecta,  à  Marseille,  mais  bien  une  loi  quasi  géné- 
rale que  le  Pape  saint  Grégoire  devait  formuler  en  601,  au  V*  concile  de 
Rome  ou  de  Latran  :  c  Nous  défendons  à  l'évêque  de  faire  l'inventaire 
des  biens  ou  titres  du  monastère,  même  après  la  mort  de  l'abbé  ;  nous 
lui  défendons  aussi  d'y  célébrer  des  messes  publiques,  d'y  établir  sa 
chaire. . .»  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  p.  558. 


CHAPITRE  II 


L' Abbesse  Eusébie 


EUSÉBIE  AU  CŒNOBIUM  DE  i/HUVBÀUNB.  —  OCCUPATIONS  DBS  RELI- 
GIEUSES DANS  LES  MONASTÈRES,  A  CETTE  ÉPOQUE  :  PRIÈRE,  LECTURE 
DES  LIVRES  SAINTS,  TRAVAIL  MANUEL,  COPIE  DBS  MANUSCRITS.  — 
EUSÉBIE  S'ADONNE  A  CBS  TRAVAUX.  —  ELLE  REÇOIT  LE  VOILE  DB8 
VIERGES.  —  EUSÉBIE  RELIGIEUSE,  ABBESSR.  —  SES  COMPAGNES.  — 
ELLES  ÉTAIENT  QUARANTE.  —  DIGNITÉ,  CHARGES,  DEVOIRS  D'UNE 
ABBESSB. 


Or,  vers  la  fin  du  VII'  siècle,  une  jeune  fille,  presque  une 
enfant,  se  présentait  à  l'abbesse  du  monastère  des  bords  de 
THuveaune,  la  suppliant  de  l'admettre  au  nombre  des  servan- 
tes de  Dieu  qui  vivaient  sous  sa  direction.  Elle  avait  quatorze 
ans,  était  de  bonne  famille,  et  portait  un  nom  prédestiné  : 
Eusébia. 

Plusieurs  saintes,  en  effet,  se  sont  appelées  de  même  nom 
dans  l'Eglise  de  Dieu  et  l'ont  rendu  illustre  par  l'éclat  de  leurs 
vertus. 

Telle  sainte  Eusébie,  abbesse  du  monastère  d'Hamage 
(diocèse  de  Cambrai),  qui  mourut  à  trente-trois  ans,  en  680, 
lis  embaumé  que  le  divin  Epoux  voulut  cueillir  aux  jardins 
de  celte  terre  pour  le  transporter  dans  son  jardin  du  ciel  (1). 
Telle,  quelques  siècles  plus  tôt,  Eusébie,  la  vierge  et  martyre 
de  Bergame,  qui,  sollicitée  d'aimer  un  autre  époux  que  Jésus- 
Ci)  Sainte  Eusébie,  abbesse  d 'Ha  m  âge,  dans  le  diocèse  de  Cambrai, 
était  fille  d'Adalbaud  et  de  Rictrude,  sœur  d'un  saint  moine  du  nom  de 
Mauront,  et  de  deux  autres  saintes  religieuses  appelées  Glotsende  et 
Adalsende.  Elle  gouverna  ce  monastère  durant  23  ans.  Elle  mourut, 
en  680,  à  peine  âgée  de  33  ans.  On  célèbre  sa  fête  le  14  mars.Acta  Sanc- 
torum  Ordinis  S.  Benedicti,  t.  II,  p.  924.  —  Bolland,  Act.  Eusebice  Ha- 
maticensis,  14  mars. 


—  il  — 

Christ,  préféra  le  bûcher  et  la  mort  aux  délices  et  aux  char- 
mes des  joies  de  la  vie  (1).    ' 

Or,  Dieu  a  voulu,  semble-t-il,  que  notre  Eusébie  de  Mar- 
seille réunit,  dans  sa  propre  vie,  les  vertus  et  les  mérites  de 
chacune  de  ces  saintes,  dont  elle  portait  le  glorieux  nom. 
Elle  aussi  avait  dit  adieu  au  brillant  avenir  que  sa  famille 
peut-être  lui  destinait.  Elle  aussi  avait  été  choisie  par  Dieu, 
pour  être  le  modèle  et  l'exemple  de  ses  compagnes  (2).  Elle 
aussi  donna  généreusement  sa  vie  pour  Jésus-Christ. 

L'abbesse  des  bords  de  THuveaune  devina-telle  ce  qu'il  y 
avait  en  cette  enfant  de  grâces  de  prédilection  et  de  vertus 
singulières  ?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Mais  celui  qui  dirige 
la  volonté  et  incline  les  cœurs  de  ceux  qui  commandent, 
permit  qu'un  bon  accueil  fût  fait  à  la  jeune  Eusébie. 

Toute  heureuse,  elle  franchit  le  seuil  du  monastère  et  se 
donna  au  Seigneur.  Elle  répondait  ainsi  à  cette  voix  douce  et 
pressante  que  Dieu  fait  entendre  à  toute  âme  qu'il  appelle  à 
lui  et  choisissait  la  meilleure  part  que  Dieu  lui  offrait,  de  préfé- 
rence à  d'autres.  Se  dérobant  aux  embrassements  des  siens, 
renonçant  généreusement  à  ce  qu'elle  pouvait  posséder,  elle 
vint  cacher  sa  vie  derrière  les  murailles  du  paisible  moutier. 
Celui-ci  à  cette  époque  était  placé  sous  le  vocable  nouveau 
de  Saint-Cyr,  jeune  martyr  d'Antioche  (3).  C'avait  été  sans 
doute  à  l'occasion  de  quelque  relique  de  ce  saint,  donnée  au 
monastère,  que  ce  vocable  avait  été  substitué  à  l'ancien. 
D'après  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut,  Eusébie  y  trouva  un 


(1)  Sainte  Eusébie  de  Bergame  souffrit  le  martyre,  le  29  octobre  307, 
sous  Maximien  Hercule.  On  célèbre  sa  fête  ce  môme  jour.  Bol I and,  29  oct. 

On  honore  à  Constantinople,  le  6  juin,  une  sainte  femme  du  nom 
(TEusébie  ou  de  Zénide.  Elle  était  disciple  d'un  saint  évoque  de  Tauro- 
menium  (Taormine).  Le  24  janvier,  on  célèbre  encore  la  fête  d'une 
Eusébie  ou  Xéné,  vierge  de  M  y  les,  en  Carie.  Elle  vivait  au  V*  siècle,  au 
rapport  deNicépbore.  Bolland,  6  juin  et  24  janvier. 

(2)  Et  ubi  a  domino  electa  est,  dit,  de  notre  Eusébie,  l'inscription 
qui  jadis  se  trouvait  sur  son  tombeau,  à  Saint-Victor. 

(3)  Saint  Gyr,  fils  de  sainte  Julitte,  fut  martyrisé,  âgé  à  peine  de  trois 
ans,  avec  sa  mère,  sous  Maximien  et  Dioctétien,  par  Tordre  d'Alexandre, 
gouverneur  d'isaurie,  dans  la  ville  de  Tarse,  en  Gilicie,  en  305,  le  16  juin. 
On  célèbre  sa  fête  ce  même  jour.  Bolland,  t.  III,  de  juin,  le  16  juin. 


—  12  — 

grand  renom  de  sainteté  et  de  perfection.  C'était  encore  une 
pépinière  de  saintes  âmes,  et  de  son  temps,  comme  jadis  au 
V"*  siècle,  beaucoup  avaient  puisé  à  cette  source  féconde  la 
sainteté  la  plu3  consommée  et  s'en  étaient  allées  porter  sous 
d'autres  cieux  ces  hauts  enseignements  de  la  vie  religieuse. 

Nul  ne  sut  mieux  mettre  à  profit  ces  riches  trésors  et  s'ins- 
pirer de  ces  nobles  traditions  que  la  jeune  Eusébie.  L'inscrip- 
tion, placée  jadis  sur  son  tombeau,  à  Saint-Victor,  l'appelle  : 
a  Ancella  Domini.D  Servante  du  Seigneur,  elle  le  fut  vraiment. 
'  Dans  le  Cœnobium  de  l'Huveaune,  comme  dans  tous  les 
monastères  de  l'époque,  le  temps  était  partagé  entre  la  prière, 
la  lecture  des  livres  saints  et  le  travail  des  mains.  A  Bethléem, 
dans  le  monastère  que,  suivant  les  conseils  de  saint  Jérôme, 
la  patricienne  Paula  avait  fondé,  près  de  la  grotte  de  la 
Nativité,  «  on  se  réunissait  dès  le  matin,  puis  à  la  troisième 
heure,  à  la  sixième,  à  la  neuvième,  et  enfin  le  soir,  pour 
chanter  les  psaumes,  et,  au  milieu  de  la  nuit,  les  voix  des 
filles  de  Paula  s'élevaient  encore  pour  redire  les  belles 
hymnes  du  prophète  de  Bethléem  (1).  » 

Il  en  était  de  même  dans  le  monastère  de  sainte  Césarie,  à 
Arles.  Suivant  la  règle  que  le  saint  évéque  Césaire  avait 
écrite  (2),  à  certaines  heures  de  la  journée  on  se  réunissait 
dans  l'oratoire  du  monastère  pour  la  psalmodie.  Une  sœur, 
debout  au  milieu  de  ses  compagnes,  récitait  les  psaumes,  les 
autres  écoutaient.  Aux  grandes  fêtes,  telles  que  la  Noël,  l'Epi- 
phanie, les  veilles  se  prolongeaient  davantage.  A  la  psalmodie 
s'ajoutaient  alors  la  lecture  et  l'oraison. 

Sur  les  bords  de  l'Huveaune  les  anges  de  Dieu  étaient  chaque 
jour  les  heureux  témoins  d'un  aussi  ravissant  spectacle.  Les 
échos  de  nos  bois  et  de  nos  rivages  retentissaient  des  mêmes 
chants  et  des  mêmes  prières.  Notre  cœnobium  en  effet,  avait 
dû,  comme  tant  d'autres  monastères  des  Gaules,  accueillir 
avec  empressement  la  règle  de  saint  Césaire,  remplaçant  ainsi 

(1)  Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  chapitre  M, 
p.  392  et  suiv. 

(2)  Histoire  de  saint  Césaire,  évéque  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille, 
p.  138.  —  Patrol.lat.,  édit.  Mig ne,  t.  67,  saint  Césaire,  régula,  cc.,8,13, 18, 
col.  1109. 


—  13  — 

d'une  manière  avantageuse,  au  point  de  vue  de  la  pratique  de 
la  perfection  religieuse,  l'abrégé  des  institutions  et  des  confé- 
rences de Cassien,  qui  jusqu'alors  en  avaient  tenu  lieu  (1). 

Il  nous  est  donc  permis  de  suivre  la  jeune  Eusébie  à  l'ora- 
toire du  monastère,  de  prêter  l'oreille  au  son  de  sa  voix  alors 
quelle  lisait  la  psalmodie,  ou  chantait  les  hymnes  sacrées. 

Quel  esprit  de  foi,  quel  maintien  pieul  en  chacune  de 
ces  saintes  actions  1  Pénétrée  de  la  pensée  que  c'était  bien 
l'œuvre  de  Dieu,  opus  Dei(2),  comme  l'avait  défini  la  règle  de 
saint  Césaire,  qu'elle  accomplissait,  elle  y  apportait  tout  le  zèle 
d'une  véritable  servante  du  Seigneur. 

La  lecture  des  livres  saints  et  les  occupations  manuelles 
remplissaient  le  reste  de  la  journée  d'une  religieuse,  à  cette 
époque  primitive.  Dans  le  monastère  de  Paula  encore,  rapporte 
saint  Jérôme,  toutes  les  sœurs  étaient  obligées  d'apprendre 
chaque  jour  quelque  chose  des  divines  Ecritures  (3).  A  Arles, 
on  consacrait  les  deux  premières  heures  de  la  journée  à  lire,  à 
écrire,  à  étudier  les  lettres,  c'est-à-dire  la  grammaire  et  les 
autres  éléments  de  la  littérature  ;  cela  afin  de  pouvoir  vaquer 


(1)  Saint  Gésaire,  évoque  d'Arles,  écrivit  vers  520  ou  530  une  régie  pour 
le  monastère  de  vierges  qu'il  fonda  dans  sa  ville  épiscopale,  et  à  la  tête 
duquel  il  avait  placé  Césaric,  sa  sœur.  Avant  saint  Gésaire,  il  n'existait 
pas  de  règle  uniforme.  Chaque  monastère  avait  la  sienne,  rédigée  par  le 
fondateur  et  qui  ne  lui  survivait  guère,  sauf  pour  les  prescriptions  gêné-' 
raies,  communes  nécessairement  à  toutes  les  règles.  Celle  de  saint  Césaire 
a  eu  la  gloire  de  lui  survivre,  d'être  acceptée  et  observée  durant  bien 
longtemps  par  la  plupart  des  monastères  de  la  Gaule,  et  louée  par  les 
papes,  les  évêques,  les  conciles  du  V>  et  du  VII*  siècle.  Et  même  après 
que  saint  Benoit  et  saint  Golomban  eurent  écrit  leurs  constitutions, 
toujours,  il  est  fait  mention  par  ceux  qui  rédigent  de  nouveaux  statuts 
pour  les  monastères  des  Vierges,  de  la  règle  de  l 'Evoque  d'Arles,  à  côté 
de  celles  de  saint  Benoit  et  de  saint  Golomban.  Histoire  de  l'Eglise,  par 
le  cardinal  Hergenroether,  t.  Il,  p.  595.  —  Histoire  de  saint  Césaire,  par 
rabbé  Villevieille,  p.  1 33  et  suiv. 

(2)  c  Quse  signo  tacto  tardius  ad  opus  Dei...  venerit,  correptioni 
«  digna  erit.  »  Opus  Dei,  idest  divinum  officium,  dicit  Coïntius.  Régula 
Cesarii  ad  Virgines.  Patrol.  lat.,  édit.  Migne,  t.  67.  col.  1109. 

(3)  «  Nec  licebat  cuiquam  sororum  ignorare  psalmos  et  non  de  scrip- 
«  turis  sacris  quotidie  aliquid  discere.  »  Saint  Jérôme,  épitapbe  de  Paula. 
Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  p.  392. 


—  14  — 

avec  profit  à  la  lecture  des  saints  livres,  que  Ton  faisait  à 
haute  voix  durant  les  heures  de  travail,  et  à  la  méditation  de 
chaque  jour  (i). 

De  plus,  en  Orient  comme  en  Occident,  les  heures  et  le 
genre  de  travail  étaient  bien  réglés.  A  Bethléem,  le  dimanche, 
au  retour  de  la  messe,  chaque  sœur  du  monastère  recevait  sa 
tâche  pour  la  semaine.  C'était  d'ordinaire  des  vêtements  à 
confectionner  pour  les  pauvres  de  la  contrée,  ou  pour  les  habi- 
tants du  monastère  (2).  A  Arles,  auprès  de  sainte  Césarie, 
mêmes  habitudes.  Une  sœur  lisait  à  haute  voix  pendant  le 
travail  qui  se  faisait  dans  une  salle  commune.  Plusieurs 
étaient  occupées  à  confectionner  et  à  réparer  les  vêtements 
pour  l'usage  des  religieuses,  d'autres  étaient  chargées  des 
différents  services  de  la  maison  (3). 

Mais  dans  tous  les  monastères,  un  plus  noble  travail  encore 
était  départi  à  beaucoup.  Sous  la  direction  et  la  surveillance 
de  saint  Jérôme,  on  commença  dans  les  couvents  de  Bethléem 
«  ce  travail  de  copie  des  Saintes  Ecritures,  qui  devint  plus 
tard  une  loi  universelle  pour  tous  les  religieux.  Loi,  dit 
Ozanam,  la  plus  utile  qui  ait  jamais  été  portée,  si  on  considère 
ce  qu'elle  a  sauvé.  *  Ainsi  les  vierges  romaines,  compagnes  de 
Paula,  a  dans  la  cellule  monastique  qui  avait  remplacé  leurs 
palais  opulents,  entourées  de  volumineux  manuscrits  grecs, 
hébreux,  latins,  mettaient  au  net  avec  un  soin  intelligent  et 
pieux  ces  psaumes  que  nous  chantons  encore  aujourd'hui  (4).  » 

Même  travail  à  Arles.  La  règle  de  saint  Césaire  le  prescri- 
vait. Le  biographe  du  saint  évêque  (5)  nous  apprend  que, 


(1)  Histoire  de  saint  Césaire  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  187. 

—  c  Omnea  litteras  discant,  omni  tempore  duabus  horis,  hoc  est,  a 
c  marie  usque  ad  horam  secundam  lectioni  vacent. . .  i  —  «  Légère  discant 
c  dicit  Golntius.  »  —  c  Reliquis  in  unum  operantibus,  una  de  sororibus 
c  usque  ad  tertiam  légat.»  Patrol.  lat.  édit.  Migne,  t.  67  régula  ad  virgi- 
nes,  c.  17,  etc.,  col.  1109,  etc. 

(2)  Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  p.  393. 

(3)  Histoire  de  saint  Césaire  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  138. 

—  Patrol.  lat.,  édit.  Migne,  t.  67,  régula,  ce,  18,25,26,  col.  1109,1111, 1112. 

(4)  Histoire  de  sainte  Paule%  par  l'abbé  Lagrange,  p.  406. 

(5)  c  Gujus  Cœsariae  opus  cum  sodalibus  tam  prsecipum  viget  et  inter 
«  psalmos  atque  jejunia,  vigilias  quoque  et  lectiones,  libros  divinos 


—  15  — 

sous  la  conduite  de  Césarie  leur  abbesse,  «  quelques-unes  des 
religieuses  transcrivaient  les  livres  saints  avec  de  beaux  carac- 
tères pour  en  multiplier  les  copies.  »  Labeur  fécond  qui 
faisait  des  monastères  de  la  Gaule  autant  de  ruches  d'or,  d'où 
s'échappaient,  comme  des  essaims  d'abeilles,  chargées  d'un 
miel  exquis,  des  recueils  d'homélies,  des  évangéliaires,  des 
manuscrits  sans  nombre.  Disséminés  plus  tard  sur  tous  les 
points  du  monde  chrétien,  ils  apportaient  avec  eux  la 
connaissance  de  la  foi  et  l'amour  de  Jésus-Christ. 

Marseille,  aussi  heureuse  qu'Arles,  sa  voisine,  et  que  Beth- 
léem,, avait  aussi  sa  ruche  animée,  sur  les  bords  de  PHuveaune, 
et  la  jeune  Eusébie  en  était  l'abeille  «industrieuse  (1).  »  Pen- 
dant quelques  années,  se  trouvant  la  plus  jeune  des  religieuses 
du  monastère,  elle  devait,  debout  au  milieu  de  ses  compagnes, 
faire,  avec  piété  et  onction,  la  lecture,  durant  le  travail.  Peut- 
être  aussi  l'abbesse  la  prenait  avec  elle,  lorsque  le  soin  et  la 
visite  des  pauvres,  des  serfs,  des  colons  de  l'abbaye  l'ame- 
naient au  dehors.  Des  mains  d'Eusébie  alors,  passaient  dans 
celles  des  pauvres  serfs,  ces  vêtements  que  ses  compagnes 
avaient  tissés,  la  nourriture  qu'elles  avaient  préparée.  Ainsi, 
son  jeune  âge  et  sa  piété,  que  le  nom  d'Eusébie  semblait  lui 
rendre  naturelle  (2),  faisaient  de  la  jeune  enfant  la  douce 
messagère  des  autres  religieuses  auprès  des  malheureux. 

Un  peu  plus  tard,  nous  aimons  à  la  voir  penchée  sur  un 
manuscrit,  le  copiant,  l'enjolivant  à  l'exemple  de  ses  com- 
pagnes. C'était  peut-être  la  règle  du  Cœnobium  pour  quelque 


<  scripsissent  virgines  Christi,  ipsam  matrera  magistram  habentes.  » 
Vita  Cœsarii  a  Cypriano,  Messiano  et  Stephano  discipulis  ejus,  dans 
Ckronologia  Sanct.  insulœ  Lerinensi  à  Barrali,  1. 1,  p.  247.—  Histoire 
de  saint  Césaire,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  138. 

(1)  t  Apis  argumentosa.  »  On  a  dit  de  sainte  Cécile  qu'elle  avait  été 
apis  argumentosa,  tant  elle  avait  contribué  par  ses  prières,  par  ses  ins- 
tructions, à  la  conversion  de  Valérien,  son  époux  et  de  Tiburce,  son 
beau-frère.  Office  de  sainte  Cécile,  antienne  des  Laudes. 

(2)  cEnsebia.»  Ce  nom,  comme  on  sait,  a  une  étymologie  grecque; 
totftut,  piété,  (Eu,  bien,  aeâbpai,  vénérer.)  Le  moine  Hucbald  écrit 
de  Sainte  Eusébie  d'Hamage  :  «  Busebia  bona  Dei  cultrix,  secundum 
ioterpretationem  sui  nominis.  »  Hucbaldus,  Vita  Sanctœ  Rictrudis. 
Patrol.  Ut.  édit.  Migne,  1. 132,  col.  834. 


-  16  - 

monastère  gui  allait  se  fonder (1),  l'homélie  d'un  saint  Evoque, 
un  extrait  du  Bienheureux  Cassien  ou  quelque  page  de  l'Evan- 
gile, s'attachant  surtout  à  graver  dans  son  cœur  ce  que  sa 
plume  confiait  au  parchemin  déroulé  devant  elle. 

Dans  ces  occupations  multiples,  un  certain  nombre  d'années 
s'écoulèrent.  Eusébie  avait  franchi  le  cycle  de  la  jeunesse, 
et  atteint  l'âge  mûr.  L'heure  allait  sonner  bientôt,  où  sa  consé- 
cration au  Seigneur  serait  définitive. 

Il  était  d'usage,  en  effet,  dans  l'Eglise  à  cette  époque,  du 
moins  en  France,  en  Espagne,  en  Italie,  de  ne  bénir  les  vierges 
et  de  ne  leur  donner  le  voile  qu'après  une  longue  probation, 
et  pas  avant  l'âge  de  40  ans.  Quelque  remplie  d'oeuvres  et  de 
vertus  que  fût  leur  vie,  quelque  éprouvées  que  fussent  leurs 
mœurs,  à  moins  de  circonstances  impérieuses,  telles  que  le 
danger  d'une  mort  prochaine  ou  le  péril  certain  de  perdre  la 
*  chasteté,  on  ne  pouvait  les  admettre  à  cet  honneur  (2).  L'Eglise 
les  considérait  bien  comme  vouées  à  Dieu,  soumises  à  la 

(1)  On  sait  que  Radegonde,  fondatrice  du  monastère  de  Sainte-Croix, 
à  Poitiers,  vint  à  Arles,  avec  Agnès,  l'abbesse  qu'elle  avait  fait  choisir 
pour  ce  monastère,  et  en  rapporta  la  règle  de  saint  Césaire  et  de  la 
bienheureuse  Césarie.  Grégoire  de  Tours,  Hisl.  Francorum,\AX. — 
Histoire  de  saint  Césaire,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  144. 

(2)  La  discipline  a  varié  dans  l'Eglise  sur  ce  point,  suivnnt  les  époques 
et  suivant  les  pays.  En  Afrique,  le  concile  d'Hippone  de  393,  canon  1, 
ceux  de  tîarthage  en  397,  canon  4,  de  418,  canon  10,  de  419,  canon  16, 
défendent  de  donner  le  voile  aux  vierges  avant  l'âge  de. 2 5  ans,  à  moins 
de  circonstances  spéciales.  En  Espagne,  le  concile  de  Sarragosse,  en  381, 
canon  8,  voulait  que  l'on  retardât  jusqu'à  40  ans.  En  Italie,  le  Pape  saint 
Léon  le  Grand  et  l'empereur  Majorien  ne  le  permettaient  pas  avant  cet 
âge.  En  France,  le  concile  d'Agde,  que  présidait  saint  Césaire,  en  506, 
canon  19,  statue  qu'on  ne  donnerait  pas  le  voile  avant  40  ans,  quelque 
éprouvées  que  fussent  les  mœurs  et  la  vie  de  la  postulante.  En  Alle- 
magne, le  concile  de  Francfort,  en  794,  canon  46,  permettait  cette  céré- 
monie dès  l'âge  de  25  ans.  En  France  encore,  le  concile  de  Tours,  en  813, 
canon  28,  s'en  tenait  à  cet  âge  de  25  ans.  Mais  en  858,  un  autre  concile  de 
Tours,  canon  28,  réclamait  l'Age  de  trente  ans.  Enfin,  celui  de  Thionville, 
en  805,  caaon  14,  ne  le  permettait  pas  avant  que  la  jeune  vierge  eût 
atteint  l'âge  de  raison,  et  celui  de  Tribur,  en  895,  canon  24,  le  permettait 
à  12  ans,  si  c'était  de  son  plein  gré  qu'une  enfant  le  demandât.  Histoire 
de  l'Eglise,  par  le  cardinal  Hergenroether,  t.  II,  p.  595.  —  Leçons  du  II* 
nocturne  de  l'office  de  saint  Léon,  Pape.  —  Histoire  des  Conciles,  par 
Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  III,  IV. 


—  17  — 

règle  du  monastère,  et  aux  obligations  qui  découlaient  de  cet 
état  de  vie  (1),  mais  la  consécration  officielle  manquait. 

Au  jour  fixé,  c'était  ordinairement  à  la  fête  de  l'Epiphanie, 
de  Pâques  ou  des  saints  apôtres  (2),  relue,  non  point  parée  des 
ornements  du  siècle,  mais  humblement  revêtue  de  l'habit 
qu'elle  devait  porter  le  reste  de  sa  vie,  dans  le  monastère  (3), 
paraissait  devant  l'Evoque,  seul  autorisé  par  les  saints  canons 
à  procéder  à  la  cérémonie  (4).  Celui-ci  bénissait  le  voile  et 
l'imposait  à  la  nouvelle  épouse  de  Jésus- Christ.  Dès  ce  moment, 
l'adieu  au  monde  devenait  éternel.  Il  n'était  plus  permis  à  la 
vierge  consacrée  à  Dieu  de  sortir  du  monastère,  si  ce  n'est  pour 
des  raisons  très  graves,  approuvées  par  l'Evêque.  Les  peines 
canoniques  les  plus  sévères  lui  étaient  réservées,  si  elle  violait 
ses  vœux  ou  quittait  le  monastère  (5). 

(1)  Saint  Léon  le  Grand  ne  fait  pas  de  différence  officielle  entre  les  reli- 
gieuses :  a  Quae  virginitatis  propositum  atque  habitum  susceperunt, 
etiamsi  coDsecratio,  non  accessit,  »  et  celles  qui  ont  reçu  la  consécration. 
Histoire  de  l'Eglise,  par  le  card.  Hergenroether,  t.  II.  p.  595. 

(2)  Histoire  de  l'Eglise,  par  le  card.  Hergenroether,  t.  II,  p.  595. 

(3)  Le  IV*  concile  de  Carthage,  en  358,  canon  11,  dit  :  a  Sanctimonialis 
«  virgo  cum  ad  consecrationem  suo  episcopo  offertur  in  talibus  vestibus 
<  appltcetur,  qualibus  semper  usura  est  professioni  et  sanctimoniali» 
i  aptis.  Summa  conciliorum  collecta  per  F.  Barth.  Caranzam  Mirend. 
«  0.  P.  p.  155.  »  —  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet,  t.  II,  p.  112. 

Le  concile  de  Constantinople,  appelé  in  Trullo  ou  guinisexte,  confirma 
cette  décision,  canon  45:  cQuoniamintelleximus  in  nonnullis  mulierum 
«  monasteriis,  mulieres  quae  sacro  illo  amictu  dignse  habentur,  prius 
«  sericis  et  omnis  generis  vestibus,  prseterea  autem  et  mundis  auro  et 
«  gemmis  variegatis,  ab  eis  qui  illos  ducunt  exomari  et  sic  ad  altare  acce- 
«  dentés  exui  tanto  materiae  apparatu,  et  statim  in  il  lis  fieri  habitûs 
«  benedictionem,  illasquenigro  amictu  indui  :  statut  mus  ne  hoc  deinceps 
«  fiât.  »  La  raison  que  donne  le  concile  est  celle-ci:  «De  peur  de  donnera 
croire  que  ces  religieuses  quittent  le  monde  à  regret.  »  Summa  conci- 
liorum, ut  supra,  p.  499.  —  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet,  t.  III, 
p.  138. 

(4)  Le  concUe  1"  de  Carthage  en  390,  le  2"  en  390,  canon  3,  le  2-  de 
SéTille  en  619,  canon  7,  de  Rouen,  en  650,  canon  9,  défendaient  aux  prê- 
tres de  bénir  et  consacrer  les  vierges,  réservant  cette  fonction  à  l'évoque. 
Le3~  de  Carthage  en  397,  canon  36,  ne  le  permettait  aux  prêtres  qu'avec 
l'autorisation  de  l'ôvêque.  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet,  t.  II 
et  III.—  Histoire  de  l'Eglise,  par  Hergenroether,  t.  il,  p.  594. 

(5)  Les  Conciles  de  Tours,  567  ;  de  Lyon,  583  ;  de  Paris,  615,  les  frap- 
paient d'excommunication.  Histoire  des  Conciles,  par  Roisselet.  t.  II. 

2 


-  18  — 

En  quelle  fête,  sainte  Eusébie  reçut-elle  le  voile  des  vierges 
sacrées,  des  mains  de  l'Evéque  de  Marseille  ?  Nous  ne  savons. 
Ce  que  nous  devinons,  c'est  qu'il  y  eut  grande  joie  au  Cœno- 
bium  de  l'Huveaune.  Les  religieuses  qui  y  vivaient  remer- 
ciaient Dieu  d'appeler  au  rang  de  ses  épouses  une  de  leurs 
compagnes  si  avancée  en  piété  et  en  vertu. 

Ce  que  nous  devinons  encore,  c'est  qu'il  y  eut  une  joie  pro- 
fonde au  cœur  d'Eusébie.  Relisant  en  ce  jour  les  lettres  et  les 
discours  de  saint  Césaire  aux  religieuses  d'Arles,  véritables 
traités  de  la  vie  monastique,  notre  chère  sainte  y  trouvait 
ces  lignes  sur  lesquelles  son  regard  devait  s'arrêter  avec 
bonheur  (1)  :  a  Mes  filles,  aimez  le  Christ,  si  vous  voulez 
garder  fidèlement  cette  virginité  que  vous  lui  avez  consacrée 
avec  tant  d'ardeur.  Réjouissez-vous,  rendez  d'éternelles 
actions  de  grâces  au  Christ  qui  a  daigné  vous  retirer  d'un 
monde  orageux  et  vous  conduire  dans  ce  port  tranquille. 
Voyez  ce  que  vous  avez  laissé  derrière  vous  et  ce  que  vous 
avez  gagné.  Vous  avez  quitté  les  ténèbres  du  monde  pour  com- 
templer,  heureuses,  la  radieuse  lumière  de  Jésus-Christ.  Vous 
avez  dédaigné  les  plaisirs  amers  des  passions  pour  goûter  la 
douceur  et  les  charmes  de  la  chasteté.  Et  s'il  vous  faut  lutter 
jusqu'à  la  fin  de  votre  vie,  avec  le  concours  de  Dieu  cependant, 
nous  sommes  sûrs  de  la  victoire. . .  Mais  je  vous  en  prie,  mes 
filles,  si  le  passé  inspire  à  vos  cœurs  une  douce  confiance,  que 
l'avenir,  du  moins,  soit  l'objet  de  votre  sollicitude.  Déposer  les 
vêtements  du  siècle  et  revêtir  ceux  de  la  religion,  c'est  l'affaire 
d'un  moment.  Mais  conserver  des  habitudes  vraiment  saintes, 
combattre  ses  inclinations  mauvaises,  fuir  les  plaisirs  si 
amers  de  ce  monde,  c'est  le  travail  de  toute  une  vie,  et  vous 
le  savez,  ce  n'est  pas  celui  qui  commence,  mais  celui  qui  per- 
sévère jusqu'à  la  fin  qui  sera  sauvé.  » 

La  lutte  jusqu'à  la  fin  de  la  vie,  la  persévérance  jusqu'au 
boutl  II  nous  semble  que  ces  paroles  simples  en  elles-mêmes 
durent  captiver  l'attention  d'Eusébie,  ce  jour-là,  d'une  ma- 


(1)  Epistolall,  Sancti  Cœsarii  ad  Virgines,  col.  1129,  t.  67,  Patrol 
lat.,  édit.  Migne. 


—  19  - 

nière  singulière.  Ne  lui  parurent-elles  point  le  présage  secret 
de  lointains  événements  ? 

De  nouvelles  années  de  calme,  de  paix,  de  tranquillité  se 
levèrent  pour  notre  chère  sainte.  Dieu  avait  ses  desseins.  Il 
voulait  qu'Eusébie,  comme  l'avait  déjà  fait  une  des  gloires  du 
Cœnobium  de  l'Huveaune,  sainte  Césarie,  apprît  ce  que  plus 
tard  elle  devait  enseigner,  et  qu'elle  fût  disciple  avant  de 
devenir  maltresse  dans  la  vie  de  perfection. 

Or  à  une  époque,  l'abbesse,  peut-être  celle  qui  avait  accueilli 
la  jeune  Eusébie  au  monastère,  vint  à  mourir.  Suivant  la 
règle  de  saint  Césaire  et  le  rescrit  de  saint  Grégoire  le  Grand 
à  Respecta,  on  dut  procéder  à  l'élection  pour  la  remplacer.  On 
ne  pouvait  la  choisir  dans  un  autre  monastère  (1).  Mais 
qu'était-il  besoin  d'une  semblable  prescription?  Le  Cœnobium 
de  l'Huveaune  possédait  une  fleur  de  vertu  et  de  piété.  Les 
religieuses  le  savaient.  D'une  voix  unanime  elles  élurent  leur 
compagne  Eusébie.  Le  plan  de  Dieu  se  dessinait.  Longtemps 
elle  avait  appris  à  l'école  de  Notre-Seigneur.  De  discipula 
qu'elle  avait  été  jusqu'à  cette  heure,  elle  devenait  magistra. 

A  quel  moment  de  sa  vie  l'élévation  à  cette  dignité  vint  la 
surprendre  ?  Impossible  de  le  dire.  Dans  une  de  ses  lettres,  le 
Pape  saint  Grégoire  le  Grand  écrivait  :  «  Nous  défendons  très 
énergiquemdùt  que  l'on  nomme  de  jeunes  femmes  abbesses.  » 
Et  il  requérait'  l'âge  de  soixante  ans,  et  une  renommée  irré- 
prochable (2). 

Avant  saint  Grégoire  cette  prohibition  n'a  pas  toujours  été 
en  vigueur  dans  l'Eglise.  En  effet,  l'homonyme  de  notre  sainte, 
Eusébie  d'Hamage,  diocèse  de  Cambrai,  n'avait  que  trente- 
trois  ans  lorsqu'elle  mourut  et  elle  avait  gouverné  ce  monas- 
tère en  qualité  d'abbesse  durant  vingt-un  ans.  Elle  n'avait 


(1)  Règle  de  saint  Césaire.  —  Lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand  à  Res- 
pecta, citée  plus  haut. 

(2)  Saint  Grégoire  le  Grand,  pape  et  docteur  de  VEglise,  par  l'abbé 
Qausier,  pubUé  par  l'abbé  Odelin,  p.  252.  —  «  Juvenculas  abbatissas  fieri 
«  vehementissime  prohibemus,  nullum  igitur  episcopum  patemitas  tua, 
«  nisi  sexagenariam  virginem,  eu  jus  setas  hoc  atque  mores  exigerint, 
«  velare  permittat...»  (Velare  in  abbatissam, dit  une  note).  Patrol.  lat., 
Mit.  Migne,  t.  77,  saint  Grégoire,  pape,  lib.  VI,  épist.  11. 


—  20  — 

donc  que  douze  ans  lorsque  ses  compagnes  la  choisirent  pour 
supérieure  (1).  Admettons  que  ce  soit  unç  exception,  motivée 
par  la  sainteté  éminente  et  manifeste  de  cette  enfant. 
Gésarie,  la  sœur  de  saint  Césaire,  évêque  d'Arles,  et  plus  jeune 
que  lui,  fut  dix -huit  ans  abbesse  du  monastère  établi  par 
celui-ci  dans  sa  ville  épiscopale,  et  mourut  douze  ans 
avant  son  frère,  en  503  (2) .  Sûrement  donc,  elle  fut  abbesse 
avant  l'âge  de  soixante  ans.  Gésarie  la  jeune,  nièce  du  môme 
saint  Césaire,  et  de  la  même  Césarie,  la  remplaça  comme 
abbesse  du  monastère  d'Arles.  Sûrement  encore  elle  n'avait 
pas  soixante  ans.  Sainte  Radegonde  fonda  vers  544  un  monas- 
tère de  filles,  à  Poitiers.  Ne  voulant  pas  accepter  la  direction 
de  jeunes  filles  de  toutes  les  conditions,  qui  l'avaient  suivie, 
elle  fit  nommer  abbesse  Agnès,  qu'elle  avait  formée  par  ses 
leçons.  Or,  cette  Agnès  n'avait  pas  soixante  ans. 

Depuis  saint  Grégoire  ce  décret  fut-il  observé  ?  Il  semble 
que  non.  A  Marseille,  Tillisiola,  qui  vivait  de  la  moitié  du 
VP  siècle  environ  au  milieu  du  VII%  mourut  à  70  ans,  et  elle 
fut  abbesse  'durant  quarante  ans,  dit  l'inscription  de  son  tom- 
beau (3).  Elle  n'avait  donc  pas  atteint  l'âge  fixé  par  saint  Gré- 
Ci)  Acta  Sanctorum  Ordinis  S,  £.,  t.  II.,  p.  924.  —  Bolland,  Act. 
Eusebiœ,  14  mars. 

(2)  Vie  de  saint  Césaire  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille,  passim. 

(3)  Voici  l'inscription  de  Tillisiola  : 

•  i  +  T 

IN  HOC  TVMVLO  SITA  EST  TILLISIOLA 

ABBATISSA   QVE  NOMINIS  SVI  DBCVS 

VITA  FACTIS  QUE  8EBVABIT 

CRISTIGBNÀQ.     MABIAM    MENTE 

SBCTVATA  FIDELI  VIBOO 
VIBGINIBVS  SACBIS  XL    PB^FV 
IT    ANNI8  VIXIT    ANN  LXX... 
DP  EIVS.   VII    ID.    APBL  IND  VIII 

Nous  faisons  remarquer  que  le  premier  nous  donnons  la  vraie  lec- 
ture de  ce  texte  épigraphique.  D'éminents  auteurs  l'ont  vu  et  l'ont 
laissé  de  côté  ou  l'ont  donné  incomplet.  Ce  D'est  pas  à  nous,  cependant, 
qu'en  revient  l'honneur,  mais  bien  au  savant  historiographe  de  notre 
diocèse,  à  M.  le  chanoine  Albanés.  Ses  recherches  patientes  et  habiles 
le  lui  ont  fait  découvrir,  l'affection  qu'il  a  pour  tout  ce  qui  intéresse  l'his- 


—  21  — 

goire.  Ainsi  on  ne  saurait  dire  d'une  manière  certaine  si  notre 
Eusébie  était  aussi  avancée  en  âge,  lorsque,  d'une  voix  una- 
nime, ses  compagnes  l'appelèrent  à  les  diriger. 

I/Evêque  de  Marseille,  tout  heureux  de  ratifier  un  tel  choix, 
vint,  quelques  jours  après,  bénir  la  nouvelle  élue  (1),  en 
plaçant  entre  ses  mains  la  crosse  abbatiale,  symbole  de  son 
autorité,  lui  confia  l'administration  du  monastère  et  le  gouver^ 
nement  des  servantes  de  Dieu.  Mieux  que  toute  autre,  peut- 
être,  Eusébie  comprit  ce  que  cette  dignité  lui  imposait  de 
sollicitude.  Ce  n'était  plus  seulement  de  la  perfection  de  son 
âme  qu'elle  devait  avoir  souci;  mais  la  responsabilité  de  la 
sanctification,  de  la  persévérance  dans  le  bien  de  celles  que  sa 
dignité  lui  permettait  d'appeler  ses' filles,  pesait  sur  elle  d'un 
poids  bien  lourd. 

Quarante  religieuses  habitaient  le  cœnobium  de  l'Huveaune. 
Deux  chartes  du  XV*  siècle,  en  effet,  parlant  des  reliques  en 
vénération  à  Saint- Victor,  à  cette  époque,  citent  les  corps  de 
sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante  compagnes  (2).  Une  autre  charte, 


toire  de  l'Eglise  de  Marseille  le  lui  a  fait  recueillir.  M.  le  chanoine  Albanés 
a  bien  voulu  nous  communiquer  ce  précieux  document  et  nous  permettre 
d'en  orner  notre  modeste  travail.  Nous  ne  savons  comment  le  remercier 
d'une  telle  obligeance  à  notre  endroit  ! 

(1)  C'était  à  l'Evêque  de  bénir  l'abbesse  nouvellement  élue.  La  lettre  de 
saint  Grégoire  le  Grand  à  l'abbesse  Respecta  reconnaît  ce  droit  :  «  Cons- 
«  tituentes  ut,  obeunte  antedicti  monasterii  abbatissâ,  non  extranea, 
«  sed  quam  congregatio  sibi  de  suis  elegerit,  ordinetur,  quam  tamen, 
«  si  digna  huic  ministerio  judicata  fuerit,  ejusdem  loci  Episcopus 
c  ordioet.  i  André,  Hiètoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  pièces 
justificatives  A. 

(2)  La  charte  de  1431  est  l'autorisation  donnée  par  l'abbé  de  Saint- Vic- 
tor, Guillaume  Dulac,  à  une  noble  Dame,  Marie  d'Espinosiis,  veuve  du 
chevalier  de  Lumere,  d'habiter  et  de  posséder,  moyennant  une  petite 
redevance  annuelle,  le  prieuré  et  l'église  dédiés  à  la  Sainte-Vierge,  sous 
le  titre  de  Sainte-Marie  de  la  Petite-Baume.  Celle  de  1446  est  la  conces- 
sion du  privilège  d'être  inhumé  dans  le  cimetière  de  Paradis,  accordée 
aux  confrères  de  l'association  de  N.-D.  de  Confession,  par  l'abbé  de 
Saint- Victor,  Pierre  Dulac.  Dans  ce  document,  comme  dans  celui  de 
1431,  il  est  parlé  de  c  Eusebia  cum  XLU  aliis  virginibus  et  martyribus.  » 
—Recueil  de  chartes  par  dom  Lefournier,  t.  III.  —  Notice  sur  les  cryp- 
tes de  Saint- Victor,  par  Kothen  (appendice).  —  Guesnay,  Gass.  illust., 
p.  642,  704. 


—  22  - 

antérieure  de  quelques  années  à  celles-ci  et  que  dom  Lefour- 
nier  a  conservée  dans  son  recueil,  parle  aussi  des  corps  des 
quarante  religieuses  martyres,  qui  sont  ensevelis  devant  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  et  du  corps  d'Eusébie, 
leur  abbes^e,  qui  est  inhumé  à  part,  non  loin  de  l'autel  de  la 
Sainte- Vierge  (1). 

C'est  fort  probablement  le  nombre  exact  des  religieuses 
qu'Eusébie  conduisait  et  dirigeait  dans  son  monastère. 

Eusébie  fut,  nous  pouvons  le  dire,  à  la  hauteur  de  sa  mission. 
Sous  son  gouvernement,  la  vertu  et  la  piété  ne  firent  que  s'ac- 
croître. De  son  côté,  quelle  exactitude  et  quel  soin  dans  l'accom- 
plissement des  devoirs  de  sa  charge  I  Son  titre  d'abbesse  faisait 
d'elle  la  mère  de  ses  compagnes  (2).  A  elle  donc  de  veiller  à  leur 
santé,  à  leur  nourriture,  à  leur  travailla  leur  sûreté,  à  leur 
sanctification.  Aussi,  pas  de  ménagements,  pas  d'attentions 
qu'elle  n'eût  pour  ses  filles  malades.  La  nourriture  de  chaque 
jour  était  saine  et  abondante,  et,  aux  jours  de  fête,  elle  se  faisait 
une  joie  d'ajouter,  suivant  la  prescription  de  la  règle,  quel- 
ques douceurs  au  menu  (3). 

Chaque  jour  elle  distribuait  à  ses  filles  la  tâche  à  accomplir, 
veillant  darîs  sa  charité  délicate  et  prévenante  à  ne  pas  imposer 
une  trop  lourde  part  à  celles  que  la  fatigue  ou  la  maladie 
aurait  pu  affaiblir.  C'était  à  l'abbesse  de  garder  en  dépôt 
pendant  la  nuit  les  clefs  du  monastère;  et  à  ces  époques  de 

(1)  Charte  sans  date,  recueillie  par  dom  Lefournier,  dans  son  recueil. 
Voir  la  page  de  notre  travail  où  cette  charte  est  citée. 

(2)  La  règle  de  saint  Gésaire  appelle  l'abbesse  la  mère  des  religieuses, 
c  Mat  ri  post  Deum  omnes  obediant.  »  Régula,  cap.  16.  —  «  Quia  mater 
monasterii  necesse  habeat  pro  animarum  salute  sollicitudinem gerere...» 
Gap.  25.  Patrol.  lat.,  éd.  Migne,  t.  67,  saint  Césaire,  col.  1109. 

(3)  Règle  de  saint  Gésaire.  «  Sanctœ  Abbatissœ  cura. . .  ut  vinumprovi- 
deat  unde  aut  infirma?,  aut  illae,  quse  sunt  delicatius  nutritae  palpentur. 
Gap.  28.  —  Pulli  vero  infirmis  praebeantur.  Gap.  17.  —  In  ipsis  laniflciis 
faciendum,  pensum  saum  quotidianum  cum  humilitate  accipiant. 
Gap.  14.  —  In  festivitatibus  majoribus  ad  prandium  et  ad  cœnam  fercula 
addantur,  et  recedentibus  de  eà  dulceamina  addenda  sunt.  Gan.  16.  — 
Janua  monasterii  vespertinis,  ac  nocturnis  ac  meridianis  horis  nun- 
quam  pateat,  ita  tamen  ut  ipsis  horis  quando  reficitur,  claves  apud  se 
abbatissa  habeat.  »  Gap.  9,  récapitulatif  Patrol.  lat.  éd.  Migne,  saint  Gé- 
saire, t.  67,  col.  1109,  etc. 


—  23  — 

troubles,  de  guerres,  il  nous  semble  bien  qu'Eusébie  ne  devait 
prendre  son  repos  qu'après  s'être  assurée  par  elle-même  que 
le  moindre  danger  ne  menaçait  ses  filles. 

Et  la  sainteté  de  leurs  âmes  et  leur  avancement  dans  la 
vertu  et  leur  persévérance  dans  l'esprit  de  leur  vocation, 
quel  soin  continuel  elle  en  avait  !  Personne,  ni  hommes,  ni 
femmes,  ni  laïques,  ni  prêtres,  à  l'exception  de  TEvêque  et 
de  ses  ministres  à  certains  jours  de  fête,  ne  pouvait  entrer 
au  monastère.  La  clôture  inviolable  et  perpétuelle  était  en 
vigueur  à  cette  époque  (1).  Notre  abbesse,  qui  avait  quitté 
bien  jeune  le  monde,  devait  être  éloquente  pour  en  peindre 
àses  filles  les  dangers  et  les  périls,  leur  recommander  la  soli- 
tude, le  silence,  la  retraite,  qui  faisaient  de  leur  paisible 
cœnobium  un  arche  de  salut. 

À  Tabbesse  encore  de  régler  les  jeûnes  nombreux  prescrits 
par  la  règle,  les  jours  d'abstinence  et  le  genre  de  mortifica- 


(1)  c  Nullus  virorum  in  sécréta  parte  in  monasterio  et  in  oratorio 
«  introeat,  exceptisepiscopo...  presbytero,  diacono  et  uno  vel  duobus 
«  lectoribus,  qui  aliquoties  missas  facere  debeant.  »  G.  33.  Régula  ad 
rirgines,  S.  Césaire,  Patrol.  lat.  édit.  Migne,  t.  67.  —  €  Nulla  ex  vobis 
«  usque  ad  mortem  suam  de  monasterio  egredi  aut  permittatur  aut  per 
«  seipsam  prsesumat  exire.  »C.  1,  recapitulatio.  Patrol.  lat.  ut  supra. 
-  Le  biographe  de  saint  Césaire  d'Arles,  le  diacre  Cyprien,  dit,  des 
vierges  que  l'Evéque  avait  réunies  dans  le  monastère  d'Arles  :  c  Erant 
«  auteminillo  loco  adeo  inclusse,  ut  usque  ad  supremum  vitse  diem  nulli 
*.  earum  f as  esse t  extra  monasterii  ostium  progredi.»  Barralis,  Chronolo- 
«  gia  Sanctorum  insulœ  Lerinensis,  t.  1,  p.  237.  La  régie  de  saint 
Césaire  ayant  été  écrite  vers  530,  la  clôture  existait  donc  déjà  dans  toute 
sa  rigueur  pour  le  monastère  de  filles,  à  l'époque  de  sainte  Eusébie. 

Bien  antérieurement  à  cette  époque,  on  vit  les  conciles  chercher  à  l'éta- 
blir tantôt  par  une  prescription,  tantôt  par  une  autre.  Les  conciles  d'Hip- 
poneen  393,  can.  26,  de  Carthage  en  397,  canon  25,  défendent  aux  moines, 
clercs,  prêtres,  évéques  de  visiter  souvent  les  vierges  consacrées  à  Dieu. 
Un  concile  d'Irlande,  présidé  par  saint  Patrice,  vers  450  ou  456,  défend 
aux  moines  et  aux  religieuses  de  vivre  dans  la  môme  maison  ;  celui 
d'Agde,  506,  can.  28,  recommande  d'éloigner  les  monastères  des  filles 
de  ceux  des  hommes.  Ceux  d'Epaone  517,  can.  38,  de  Mâcon  582,  c.  2,  de 
Rouen  650,  c.  10,  de  Trullo691,  can.  48,  sont  plus  précis:  l'entrée  des  mo- 
nastères de  filles  est  formellement  interdite  aux  clercs,  aux  laïques,  à 
moins  de  nécessité  et  avec  la  permission  de  l'évêque.  —  Histoire  des 
Concile»  par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  II,  III.  Passim. 


—  24  — 

tion.  A  Pabbesse,  enfin,  de  faire  les  remontrances  et  d'infliger 
les  punitions  à  celles  que  l'orgueil  ou  la  vanité  portait  à  ne 
pas  obéir  (1).  Autant  de  détails  dans  lesquels  Eusébie  avait  le 
devoir  de  descendre,  mais  dont  sa  douceur,  sa  bonté  savait 
tempérer  la  rigueur. 

Sous  la  direction  si  maternelle  de  leur  abbesse,  les  quarante 
vierges  du  cœnobium  de  l'Huveaune  étaient  heureuses.  En  l'en- 
tendant leur  redire  sans  cesse  cette  parole  de  saint  Jérôme  :  a  Je 
ne  puis  me  résigner  à  rien  voir  en  vous  de  médiocre,  je  voudrais 
que  tout  y  fût  exquis  et  parfait,»  elles  devaient  avoir  à  cœur  de 
réaliser  ces  ascensions  sublimes  qui  conduisent  à  la  perfection. 
Des  bords  de  THuveaune,  comme  plus  tard  des  champs  qui 
avoisinaient  Saint-Victor,  on  pouvait  dire  déjà,  à  cause  des 
saintes  âmes  qui  y  vivaient  dans  la  pratique  des  vertus  les 
plus  belles,  qu'ils  étaient  le  Paradis,  la  porte  du  Paradis. 


(1)  a  Si  qua  pro  quacumque  re  excommunicata  fuerit,  remota  a 
«  congregatione,  in  loco  quo  abbatissa  jusserit.  »  G.  31.  Pat  roi.  lat. 
ut  supra. 


CHAPITRE  III 


Martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  40  compagnes 


PREMIÈRES  INCUB8I0NS  DBS  SARRASINS  EN  FRANCE.  —  RECÈLEMENT  DES 
CORPS  SAINTS  EN  PROVENGE.  —  LES  SARRASINS  EN  PROVENCE.  —  MAU- 
RONTE  APPELLE  LES  SARRASINS  A  MARSEILLE.  —  L'ABBBSSE  EUSÉBIE 
AU  CŒNOBIOM  DE  L'HUVEAUNE.  —  LES  SARRASINS  ATTAQUENT  LE 
MONASTERE.  —  MARTYRE  DE  SAINTE  EUSÉBIE  ET  DE  SES  COMPAGNES. 


C'était  au  début  du  VIII*  siècle.  De  bien  longues  années 
s'étaient  écoulées  depuis  le  jour  où  le  seuil  du  monastère  de 
l'Huveaune  s'était  ouvert  à  la  jeune  Eusébie.  L'antique  gloire 
de  l'abbaye  cassianite  n'avait  fait  que  grandir  ;  les  vertus  de 
la  nouvelle  servante  de  Dieu  lui  avaient  donné  un  lustre  et  un 
éclat  dont  jusqu'à  la  fin  des  temps  on  gardera  le  souvenir. 

Des  jours  lugubres  cependant  s'étaient  levés  sur  la  Gaule. 
Comme  ce  souffle  de  vent  qui,  aux  jours  d'été,  passant  bas  et 
rapide  sur  les  campagnes,  présage  l'orage  et  la  tempête,  un 
bruit  sinistre  avait  couru.  Les  rares  porteurs  de  nouvelles  b, 
cette  époque,  les  voyageurs  ou  les  moines,  qui  allaient  de 
monastère  en  monastère,  racontaient  des  scènes  sanglantes 
qui  jetaient  le  frisson  dans  les  cœurs.  C'était  le  pillage  des 
églises,  l'incendie  des  monastères,  de  barbares  et  d'igno- 
minieux traitements,  plus  terribles  que  la  mort,  infligés  aux 
moines,  aux  vierges  consacrées  à  Dieu  ;  les  chrétiens  égorgés, 
les  femmes  menées  en  esclavage,  les  enfants  contraints  à 
l'apostasie.  Chaque  nouveau  messager  annonçait  de  nouveaux 
désastres,  et,  détail  plus  poignant,  que  les  Sarrasins,  c'était 
d'eux  qu'il  s'agissait,  avançaient  toujours  ;  qu'ils  avaient 
franchi  les  Pyrénées,  qu'ils  foulaient  le  sol  de  la  Gaule  I 

Vers  716,  sur  Tordre  des  évoques,  on  avait  enfoui  les  reliques 
des  saints  et  les  trésors  des  églises  (1).  A  Saint-Maximin,  on 

(1)  A  vrai  dire,  cet  avertissement  vint  peut-être  du  ciel.  L'anonyme  de 


—  26  — 

recouvrait  d'un  amas  de  décombres  la  crypte  où  reposaient  les 
restes  de  sainte  Marie-Magdeleine  (1).  On  fit  de  même  à  Ta- 
rascon>  pour  le  corps  de  sainte  Marthe  (2),  et  au  petit  hameau 
de  Notre-Dame  de  la  Barque,  en  Camargue,  pour  les  corps  des 
saintes  Maries  (3).  A  Marseille,  on  prit  les  mêmes  précautions. 
L'église  cathédrale  mit  à  l'abri  le  corps  de  saint  Lazare  (4)  ; 
les  moines  de  Saint- Victor,  les  reliques  du  prolecteur  de  leur 
abbaye  ;  puis  ceux-ci  fermèrent  les  cryptes  et  réparèrent  leurs 
murailles.  A  l'abbaye  cassianite  de  l'Huveaune,  la  tradition 
nous  dit  que  Ton  procéda  à  une  semblable  opération.  La  croix 
de  saint  André,  que  Ton  conservait  à  Saint- Victor,  fut  portée 
de  ce  monastère  à  celui  de  l'Huveaune,  et  cachée  dans  un 
endroit  ignoré  (5). 

A  l'annonce  de  ces  terrifiantes  nouvelles,  durant  ces  prépa- 
ratifs hâtés,  signes  avant-coureurs  de  bien  tristes  événements, 
de  quelles  angoisses  l'âme  d'Eusébie  devait  être  remplie  !  Elle 


la  vie  de  saint  Porcaire  de  Lérins  rapporte  que  ce  saint  abbé  connut,  par 
la  révélation  que  lui  en  fit  un  ange,  la  destruction  prochaine  de  son  mo- 
nastère, et  reçut  l'ordre  de  cacher  les  reliques  des  Saints  :  «  Gum  gens 
<  agarenorum  furens,  omnem  depopulasset  Provinciam,  angélus  Do~ 
c  mini...  apparuit  in  sommis  S.  Porcario,  dicens  :  Surge  velociter,  et 
a  occulta  reliquias,  quasin  hac  sacra  insula  decrevit  Dominusper  multa 
«  tempora  observandas...  S.  Porcarius  dicit  :  Occultemus,  viri  fra- 
c  très,  venerafbiles  reliquias,  ne  a  sacrilegis  contingantur.  »  Chrono- 
logies sanctorum  insulœ  Lerinensis  a  Barrali,  1. 1,  p.  221.  —  Paillon, 
Monuments  inédits. . .  1. 1,  col.  681 . 

(1)  Cette  opération  fut  faite  durant  une  nuit  de  décembre  de  l'an  716, 
sous  le  règne  d'Eudes,  duc  d'Aquitaine,  par  les  religieux  cassianites  de 
Saint-Maximin. 

(2)  L'abbé  Faillon,  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte 
Magdeleine,  1. 1,  col.  682-690.  —  Légendes  et  traditions  provençales, 
par  le  marquis  de  Virieu,  p.  11^. 

(3)  Faillon,  op.  cit.,  1. 1,  col.  1280.  —  De  Virieu,  op.  cit.,  p.  98. 

(4)  Et  pour  les  mettre  plus  en  sûreté,  Gérard  de  Roussillon,  comte  de 
Provence,  les  transporte  à  Autun,  un  peu  plus  tard,  à  l'exception  du  chef 
du  saint  évêque  martyr,  que  deux  chanoines  de  Marseille  purent  ravir  à 
celui  qui  emportait  les  vénérables  reliques. 

(5)  Vesuntio  civitas  imperialis,  par  J.-J,  Ghifflet,  p.  199  et  suivantes. 
Sacrum  gynœcœum,  au  30  décembre,  par  Arthur  de  Monestier,  — 
Martyrologium  Gallicanum*  par  de  Saussay,  natalis  eancti  Andreœ.  — 
Cassianus  illustratus,  par  Guesnay,  p,  475. 


—  27  — 

était,  par  le  fait  de  sa  charge,  la  gardienne  de  ses  filles  ;  qu'al- 
laient-elles devenir,  si  les  flots  de  la  barbarie  arrivaient  sous 
les  murs  du  monastère  !  Quel  triste  sort  leur  était  réservé  ! 
Aussi  la  sainte  abbesse  passait  de  longues  heures  prosternée 
au  pied  de  l'autel,  recommandant  à  l'Hôte  du  tabernacle 
celles  qu'elle  appelait  ses  filles,  mais  dont  il  avait  daigné  faire 
ses  épouses  privilégiées. 

Un  moment  l'orage  sembla  devoir  s'éloigner  de  la  Provence. 
Un  joyeux  message,  en  effet,  celui  de  la  victoire  de  Poitiers, 
gagnée  par  Charles- Martel,  était  arrivé  en  732,  rassérénant  les 
cœurs  et  calmant  les  alarmes  (1).  Que  d'actions  de  grâces 
durent  être  adressées  à  Dieu  et  à  Marie,  qui  déjà  se  consacrait 
le  mois  d'octobre  par  l'écrasement  de  la  barbarie  (2).  Hélas, 
ce  ne  fut  qu'une  éclaircie  dans  la  tempête!  Les  jours  rede- 
vinrent mauvais.  Les  Sarrasins  avançaient,  et,  successivement, 
on  apprenait,  en  736,  qu'ils  étaient  aux  portes  de  la  Provence  ; 
qu'ils  y  avaient  pénétré,  en  franchissant  le  Rhône;  qu'Avignon 
était  tombé  entre  leurs  mains  ;  que  le  gouverneur  de  Mar- 
seille, Mauronte,  trahissant  son  prince,  vendant  sa  patrie,  les 
avait  appelés  ! 

«  Deus,  adjuva  nos,  »  dut  s'écrier  la  chère  sainte  Eusébie, 
à  cette  nouvelle,  «Dieu  venez  à  notre  aide,  car  ceux  qui 
doivent  nous  garder  abandonnent  notre  cause  !  »  Il  sembla 
que  cette  prière  fût  entendue,  car,  vers  737,  celui  que  l'on 
appelait  le  Marteau,  le  bras  de  fer,  Charles  Martel,  accourut  en 
Provence  et  les  Barbares  reculèrent.  De  quel  poids  immense 
durent  être  soulagés  tous  les  cœurs  1  Hélas  encore,  la  joie  de 
tous  fut  de  courte  durée  1  Obligé  de  quitter  la  Provence,  en 
738,  Charles  Martel,  la  terreur  des  Sarrasins,  remonta  vers  le 


(!)  c  Du  champ  de  bataille  même,  Charles  Martel  expédia  à  Grégoire  III, 
à  Rome,  des  messagers,  pour  lui  annoncer  la  victoire  de  l'armée  chré- 
tienne. . .  Leur  rapide  passage  à  travers  les  populations,  que  l'invasion 
musulmane  avait  frappées  d'épouvante,  fut  une  course  triomphale.  Dans 
toutes  les  églises  de  France  et  d'Italie  on  rendit  à  Dieu  de  solennelles 
actions  de  grâces.»  Dan-as,  Histoire  générale  de  l'Eglise,  t.  XVII,  p.  41 . 

(2)  L'abbé  Darras  prouve  en  note,  dans  son  Histoire  générale  de 
l'Eglise,  t.  XVII,  p.  93,  que  la  bataille  de  Poitiers  a  été  livrée  le  samedi 
tt  octobre  732. 


—  28  — 

Nord.  Aussitôt  les  Barbares  reprirent  leur  marche  en  avant. 
En  quelques  mois,  Avignon,  Arles,  Marseille  et  les  contrées 
environnantes  devinrent  la  proie  de  leurs  fureurs,  sans  que 
Hauronte,  qui  les  avait  appelés,  pût  en  être  le  maître. 

A  cette  heure  critique,  n'allons  pas  croire  que  l'affolement  et 
la  terreur  envahirent  le  monastère  de  l'Huireaune.  C'est  le  pro- 
pre des  âmes  basses  et  criminelles  de  trembler  ;  les  âmes  fortes 
et  chrétiennes  relèvent  la  tête.  Lisant  au  ciel  la  volonté  de 
Dieu,  elles  l'adorent,  l'acceptent  et  se  mettent  en  mesure  de 
l'accomplir.  En  retour  Dieu  envoie  la  force  et  le  courage  qui 
trempent  les  volontés  et  raffermissent  les  cœurs. 

On  se  trouvait  dans  cette  disposition  d'esprit  au  cœnobium 
de  rHuveaune.  Eusébie  voyait  venir  le  martyre.  Prête  pour  sa 
part  à  l'endurer,  elle  y  préparait  ses  compagnes.  Nous  devi- 
nons sans  peine  le  sujet  habituel  des  exhortations  de  l'abbesse 
à  ses  filles  :  le  martyre,  la  gloire  de  le  souffrir  pour  conserver 
intacte  cette  belle  fleur  de  virginité  qu'elles  avaient  vouée  à 
Dieu. 

Cependant,  les  nouvelles  devenaient  chaque  jour  plus  affli- 
geantes. Où  aller,  où  se  réfugier  ?  Marseille  était  envahie  par 
les  Barbares.  D'affreuses  scènes  de  carnage,  que  Mauronte  ne 
pouvait  empêcher,  y  avaient  lieu.  Les  routes  étaient  cou- 
vertes de  fuyards,  les  campagnes  sil  lonnées  pa  r  les  maraudeurs. 
Déjà  même  du  haut  des  murailles  de  l'abbaye  on  pouvait  aper- 
cevoir des  coureurs  isolés,  des  bandes  détachées,  qui,  se  cachant 
durant  le  jour  dans  les  bois  avoisinants,  venaient  le  soir,  à  la 
faveur  des  ténèbres,  épier  le  monastère  sans  défense,  calculer 
ce  qu'il  devait  receler  de  trésors  et  ce  qu'il  pouvait  procurer 
de  basses  satisfactions  aux  instincts  brutaux  et  sanguinaires  de 
ceux  qui  le  prendraient  d'assaut. 

Chère  sainte  Eusébie,  quel  long  et  douloureux  martyre  Dieu 
vous  faisait  souffrir  1  A  la  pensée  du  sort  ignominieux  dont  les 
ennemis  de  votre  Dieu  vous  menaçaient,  vous  et  vos  com- 
pagnes, quelle  pâleur  parfois  sur  votre  front,  et  quelles  larmes 
dans  vos  yeux  1  ! 

L'heure  du  sacrifice  cependant  avait  sonné. 

Un  soir,  pendant  que  les  vierges  de  l'Huveaune,  réunies 
dans  leur  chapelle,  prolongeaient  leur  sainte  veillée,  comme 


-  29  — 

si  elles  se  doutaient  que  ce  dût  être  la  dernière,  une  rumeur 
sourde,  vague,  lointaine  se  fit  entendre  au  dehors  ;  le  vent 
qui  gémit  dans  la  forêt  apporte  des  sons  inarticulés,  des  cris 
étouffés,  parfois  le  heurt  retentissant  d'une  armure,  et  puis. . . 
le  silence  le  plus  profond.  Seul  le  bruit  du  flot  qui  se  brise  sur 
les  rochers  ou  qui  expire  sur  la  grève  vient  le  troubler  à  in- 
tervalles réguliers.  Des  ombres  de  plus  en  plus  nombreuses 
errent  d'ici  de  là.  Sur  la  mer,  à  quelques  encablures  de  la 
côte,  de  lourds  navires  croisent  dans  l'obscurité,  tandis  qu'en- 
tre les  berges  de  l'Huveaune  des  barques  défilent  et  remontent 
le  courant.  Et  tout  ce  murmure  confus,  indécis,  insaisissable, 
augmente  et  se  rapproche  insensiblement. 

Soudain  une  clameur  féroce,  sauvage  retentit.  A  ce  signal, 
de  tous  côtés  les  Sarrasins  bondissent.  Il  en  sort  des  profon- 
deurs du  bois,  il  en  accourt  des  barques  amarrées  au  rivage,  à 
l'embouchure  du  fleuve  ou  le  long  de  ses  bords.  Le  monastère 
est  entouré.  Des  torches  s'allument,  les  glaives  brillent,  les 
lances  s'agitent,  les  boucliers  s'entre-choquent  ;  des  cris,  des 
imprécations,  des  blasphèmes  se  font  entendre.  Une  bande 
plus  acharnée  se  met  à  la  recherche  de  la  porte  du  monastère. 

Les  vierges  du  Christ,  comme  de  timides  colombes  que  l'ou- 
ragan a  surprises,  se  pressent  autour  de  leur  abbesse.  Elles 
murmurent,  les  yeux  levés  au  ciel,  cette  parole  de  nos  saints 
livres  :  a  Ne  livrez  pas,  Seigneur,  aux  botes  impures  les  âmes 
qui  se  sont  confiées  en  vous  !  » 

La  porte  du  monastère  est  trouvée!  Sous  une  violente 
poussée,  elle  vole  en  éclats  et  la  horde  sauvage  s'élance,  se 
répand  de  tous  côtés,  liais  personne.dans  les  cloîtres,  dans  les 
salles  basses,  dans  les  cellules  I . . .  Les  Sarrasins,  interdits, 
troublés,  furieux,  s'arrêtent. 

Un  chant  plaintif  et  suave  arrive  à  ce  moment  jusqu'à  eux. 
Ils  prêtent  l'oreille.  La  faible  lueur  qui  s'échappe  d'une  des 
ouvertures  de  l'oratoire  leur  indique  l'endroit  où  se  trouve  ce 
qu'ils  recherchent.  Ils  se  précipitent  vers  l'église.  La  porte, 
plus  solide  cette  fois,  résiste  à  leurs  efforts.  Ils  redoublent  de 
blasphèmes,  et  poussent  plus  violemment  ;  ils  ne  peuvent  que 
l'ébranler. 

Dans  l'intérieur  de  la  chapelle,  quel  spectacle  émouvant  ! 


> 


—  30  — 

Debout  au  milieu  de  ses  filles,  au  pied  de  la  croix,  devant 
l'autel ,  Eusébie  tient  dans  sa  main  un  fer  meurtrier.  Prévoyant 
la  honte  et  l'ignominie  du  supplice  que  les  barbares  réservent 
à  ses  compagnes,  elle  brandit,  avec  une  sainte  énergie,  ce 
glaive  d'un  nouveau  genre,  et  de  ses  lèvres  autant  que  de  son 
cœur,  s'échappent  ces  nobles  accents:  «  0  mes  filles  1  l'heure 
est  venue  de  mouiir  pour  notre  Dieu  et  notre  époux  céleste, 
Jésus-Christ  I  Gardons- lui  nos  cœurs  sans  tache  et  sans  souil- 
lure. Si  ses  ennemis  veulent  nous  arracher  à  son  amour, 
trompons  en  cet  instant  leurs  perfides  desseins.  Mille  fois  la 
mort  plutôt  que  le  déshonneur  et  le  péché  !  Voici  un  glaive, 
mes  filles,  défigurons  nos  visages  pour  garder  nos  cœurs  à 
Dieu.  Donnons  à  Jésus -Christ  notre  dernier  captique,  gage 
suprême  de  notre  amour  1  • 

D'une  voix  assurée,  Eusébie  entonne  alors  l'hymne  sainte 
de  l'espérance  et  de  la  confiance  en  Dieu.  Puis,  d'une  main 
courageuse,  elle  presse  l'instrument  tranchant  sur  son  visage 
et  mutile  son  nez  et  ses  lèvres.  La  religieuse  la  plus  rappro- 
chée imite  son  abbesse.  Ensanglanté,  le  couteau  vole  de  main 
en  main,  accomplissant  chaque  fois  son  terrible  ouvrage. 

Le  doux  concert  des  voix  virginales  va  s'affaiblissant  au  fur 
et  à  mesure  qu'augmente  le  nombre  des  héroïnes  de  la  chas- 
teté. Ce  n'est  bientôt  plus  qu'un  plaintif  gémissement,  qui 
cesse  tout  à  coup... 

En  effet,  dans  la  main  de  la  dernière  compagne  d'Eusébie,  la 
plus  jeune  peut-être,  une  vague  et  ancienne  tradition  (1)  nous 


(t)  C'est  un  souvenir  d'enfance  que  nous  rapportons  ici .  Le  premier 
récit  qui  nous  lut  fait  de  cette  légende  marseillaise  renfermait  ce  détail 
qui  demeura, depuis,  profondément  gravé  dans  notre  mémoire. Ce  n'était 
peut-être  bien  en  réalité  qu'une  simple  fiction  de  conteurs  plus  ou  moins 
Imaginatifs.  Mais,  chose  remarquable,  nous  avons  rencontré  il  y  a  des 
années  cette  même  particularité  dans  une  légende  relatant  le  martyre, 
en  Espagne,  à  l'époque  des  Maures,  des  religieuses  d'un  couvent,  qui 
furent  les  dignes  imitatrices  de  notre  sainte  Eusébie  par  l'héroïsme  avec 
lequel  elles  se  mutilèrent  le  visage,  afin  d'échapper  à  la  lubricité  des 
Barbares  1  D'ailleurs  n'incriminons  point  trop  l'intention  de  nos  aïeux  1 
En  quoi  la  puissance  de  la  grâce  sur  les  âmes  est-elle  diminuée  ?  La 
jeune  compagne  d'Eusébie  a- 1- elle  moins  mérité  la  palme  du  martyre? 
Est-ce  qu'une  telle  hésitation  n'est  pas  dans  la  mesure  de  l'infirmité 


—  31  — 

dit  que  le  fer  a  tremblé.  Une  lutte  terrible  se  livre  en  cette 
âme.  Le  sang  généreux  qui  coule  autour  d'elle,  les  clameurs 
impies  qui  retentissent  au  dehors,  l'entraînent  au  sacrifice. 
Mais  Thorreur  de  la  souffrance  et,  sans  doute,  le  sacrifice 
de  sa  beauté  la  font  hésiter. 

Or,  les  barbares  s'acharnaient  contre  la  porte  de  la  chapelle, 
la  secouant  avec  fureur,  la  frappant  à  coups  de  hache.  Quel 
moment  de  poignante  douleur  pour  Eusébie  et  ses  filles  1 
Toutes  sont  à  genoux,  aux  pieds  de  cette  enfant,  les  bras 
tendus  vers  elle,  la  suppliant  de  leurs  regards,  ne  pouvant  le 
faire  de  leurs  lèvres  mutilées,  de  ne  pas  perdre  le  ciel,  pour 
conserver  quelques  charmes  périssables.  La  pauvre  enfant 
hésitait  toujours  1 . . . 

Mais  les  cris  redoublent,  la  porte  ébranlée,  soulevée, 
s'échappe  de  ses  gonds  et  se  renverse  avec  fracas.  Dieu  se 
laissa  toucher  par  le  cri  du  cœur  de  ses  martyres.  La  jeune 
enfant  n'hésite  plus.  Pour  la  quarante  et  unième  fois,  le  fer 
meurtrier,  conduit  par  une  main  redevenue  héroïque,  fit  la 
dernière  victime,  puis  glissa  sur  les  dalles  du  saint  lieu. 

Au  môme  instant,  par  la  porte  brisée  et  abattue,  des  flots 
pressés  de  Sarrasins,  ivres  de  fureur,  de  lubricité  et  de  carnage, 
se  précipitent.  En  un  clin  d'œil  ils  arrivent  au  pied  de  l'autel, 
à  deux  pas  d'Eusébie  et  de  ses  filles  à  genoux,  les  yeux  et  les 
mains  au  ciel.  A  la  vue  du  sang  qui  inonde  les  pauvres  victi- 
mes, des  affreuses  blessures  qui  les  ont  défigurées,  les  barbares 
s'arrêtent,  reculent  et  frémissent  d'horreur.  Mais  bientôt  leur 
colère,  leur  rage  éclate  ;  et  voyant  que  la  proie  convoitée 
leur  échappe,  ils  se  précipitent  de  nouveau,  foulant  aux  pieds, 
frappant  du  glaive,  de  la  hache,  de  la  lance,  du  bouclier  les 
vierges  du  Christ  et  les  massacrent  sans  pitié.  Ils  saccagent 


humaine  ?  Ne  lit-on  pas  dans  le  récit  du  martyre  de  saint  Porcaire  de 
Lérins,  que,  sur  les  500  religieux  massacrés  par  les  Sarrasins,  deux  des 
plus  jeunes,  Golumban  et  Eleuthère,  eurent  peur,<  duos  ex  ipsis  juvenes 
plurimum  formidare,  »  et  coururent  se  cacher  dans  une  caverne.  Golum- 
ban, touché  par  la  grâce,  rougit  de  sa  frayeur  et  vint  rejoindre  les  géné- 
reux confesseurs  de  la  foi  avec  lesquels  il  succomba.  Quant  à  Eleuthère, 
il  ne  sortit  de  sa  cachette  que  lorsqu'il  vit  s'éloigner  les  barques  des 
Sarrasins.—  Chronologie/,  sa  net.  Insul.  Lerinensis  a  Barrali,  1. 1,  p.  222. 


-  32  — 

ensuite,  pillent  et  détruisent  tout  ce  gui  s'offre  à  eux,  mettent 
le  feu  au  monastère  et  se  retirent  à  la  hâte  par  les  sentiers 
obscurs  de  la  forêt  ou  sur  les  navires  qui  les  ont  amenés. 

Ceci  se  passait,  si  nous  en  croyons  les  termes  de  l'inscrip- 
tion lapidaire  placée  autrefois  sur  le  tombeau  de  sainte 
Eusébie,  à  Saint- Victor,  le  pridie  kalendas  octobris,  indic- 
tione  VI ',  c'est-à-dire  le  30  septembre  738. 


CHAPITRE  IV  (1) 


Sainte  Eusébie  et  son  culte  immémorial 


LB6  RESTES  DES  CASSIANITES  PORTÉS  A  SAINT-VICTOR.— SOUVENIR  QUE 
i/ON  CONSERVE  DU  FAIT  GLORIEUX  DE  LEUR  MARTYRE.  —  SAINT 
TSARNB  VISITE  LES  CRYPTES  ET  Y  VÉNÈRE  LES  RELIQUES.  —  «  IBI 
ADTBM  SEORSUM  TURBA  SACRARUM  VIRGINUM  QUIESClT  ».  —  CES 
VLBRGES  SACRÉES  ENSEVELIES,  NON  PAS  DANS  LE  CIMETIÈRE  DE 
PARADIS,  MAIS  DANS  LES  CRYPTES.  —  LA  «  TURBA  SACRARUM  VIRGI- 
RUH  »,  CE  SONT  SAINTE  EUSÉBIE  ET  SES  COMPAGNES. 

La  nouvelle  de  cet  horrible  carnage  se  répandit  bien  vite 
dans  les  environs  et  arriva  jusqu'à  Marseille.  Le  gouverneur 
de  la  ville,  Mauronte,  ne  dut  pas  l'ignorer.  Il  vit  bien  quels 
alliés  il  avait  appelés  pour  l'aider  à  trahir  son  prince  et  sa 
patrie.  L'effroi  s'empara  de  tous  les  cœurs  et  Ton  n'eut  plus 
d'espérance  qu'en  Dieu  seul. 

Cependant,  au  lendemain  de  la  catastrophe,  quelques  colons 
du  monastère,  échappés  à  la  mort,  de  pieux  chrétiens,  cachés 
aux  environs,  des  moines  peut-être,  venus  à  la  dérobée  de 
Saint- Victor,  recueillirent  pendant  la  nuit  ces  restes  glorieux, 
les  transportèrent  en  secret  dans  les  cryptes  de  l'abbaye  et  les 
placèrent  très  probablement  sous  le  pavé,  devant  la  chapelle 
de  Notre-Dame  de  Confession  (2).  Mais,  sous  les  dalles  des 
cryptes  qui  recouvrirent  ces  ossements  sacrés,    ne  put  être 

(1)  Au  sujet  de  ce  chapitre  et  des  deux  qui  suivent,  l'auteur  a  le 
devoir  de  déclarer,  que  pour  lui,  comme  pour  tout  bon  Marseillais,  le  lait 
du  martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  ainsi  que  le  culte 
ininterrompu,  quoique  point  très  apparent,  qu'on  leur  a  rendu  à  travers 
les  siècles  demeure  hors  de  toute  conteste.  C'est  là  la  foi  de  nos  pères  et 
la  tradition  de  notre  Eglise.  Nous  n'avons  qu'à  l'accepter.  Si  donc  l'on 
trouvait  trop  faibles  et  pas  assez  concluantes  les  preuves  a  l'appui,  c'est  à 
l'insuffisance  de  l'auteur  et  non  à  cette  tradition  que  Ton  devrait  s'en 
prendre.  {Note  de  l'auteur.) 

(2)  C'est  en  cet  endroit  que  nous  les  retrouverons  vers  Tan  1000. 

.3 


-  34  — 

enseveli  le  souvenir  de  la  fin  glorieuse  de  ces  chastes  épouses 
de  Jésus-Christ.  Ceux  qui  en  portèrent  les  restes  sanglants 
durent  être  les  premiers  à  faire  connaître  ce  qu'ils  pouvaient 
savoir  de  détails  sur  l'horrible  scène.  Eurent- ils  l'idée  de  la 
regarder  comme  un  véritable  martyre  ?  M.  de  Rey  dit  que 
non  :  «  Au  moment  où  les  Sarrasins  faisaient  tant  de  victimes, 
où  chaque  jour  ils  immolaient  sans  pitié  hommes,  femmes, 
enfants,  moines  et  prêtres,  on  considéra  la  mort  desCassia- 
nites  comme  un  des  événements  douloureux  de  la  guerre, 
mais  non  pas  comme  un  martyre  (1).  »  Nous  le  croyons  aussi. 
Pour  ces  braves  colons  du  terroir  de  Saint-Giniez,  pour  ces 
serviteurs  de  l'abbaye  de  l'Huveaune,  ce  massacre  ne  fut  qu'un 
acte  de  barbarie  à  ajouter  aux  tueries  sauvages  qui  ont 
marqué  le  passage  dans  nos  contrées  de  ces  farouches  enva- 
hisseurs. 

Le  côté  héroïque  cependant  de  cette  mort  dut  les  frapper. 
C'est  par  là  qu  elle  se  distinguait  du  trépas  de  tant  d'autres 
victimes  inconnues  ou  ignorées  à  cette  époque  désastreuse. 
Ce  fut  aussi  ce  qui  en  fit  passer  le  souvenir  à  la  postérité,  et 
le  nom  de  desnarrados  donné  à  ces  martyres  l'a  fait  arriver 
jusqu'à  nous.  Un  détail  encore  frappa  les  esprits,  ce  fut  le 
nombre  des  victimes.  Elles  étaient  quarante  sans  compter 
Eusébie,  dit  la  tradition.  Et  aujourd'hui,  sans  avoir  la  moindre 
idée  d'y  contredire,  nous  les  appelons:  Eusébie  et  ses  quarante 
compagnes. 

Le  fait  du  massacre  des  vierges  de  l'Huveaune  fut  ainsi 
toujours  présent  à  la  mémoire  de  tous.  On  se  le  transmit,  on 
se  le  raconta.  Plus  tard,  au  XI*  siècle,  les  annales  du  monas- 
tère, relevé  de  ses  ruines,  en  gardèrent  le  souvenir,  et  proba- 
blement déjà,  comme  d'anciens  manuscrits  l'attestent  pour 
une  époque  postérieure,  «  à  chaque  novice  qui  faisait  pro- 
fession, on  devait  rappeler  l'héroïsme  d'Eusébie  et  de  ses 
quarante  compagnes  (2).  » 

Cette  persévérance   cependant   de  la  part  des  religieuses 

(1)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  M.  6.  de  Rey,  p.  144. 
Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  237. 

(2)  Deuxième  leçon  du  II*  nocturne  de  l'office  pour  la  fête  de  sainte 
Eusébie,  11  octobre,  Propre  du  diocèse  de  Marseille. 


—  35  — 

cassianites  à  se  transmettre  des  unes  aux  autres  le  souvenu* 
de  la  fin  glorieuse  de  leurs  sœurs,  ne  constitue  pas,  à  propre- 
ment parler,  un  .culte  public  établi  en  leur  honneur.  Nous  ne 
connaissons  pas  pour  le  IX*  et  le  X*  siècle  d'autre  fait  ou 
d'autre  monument  qui  soient  l'indice  d'une  vénération  plus 
accentuée  de  la  part  des  fidèles.  A  cela  rien  d'étonnant.  Aux 
Sarrasins  du  VHP  siècle  ont  succédé  les  Normands  et  les  Sar- 
rasins du  IX-  et  du  X-  siècle.  Sous  les  coups  répétés  de  ces 
barbares,  l'abbaye  cassianite  a  succombé  de  nouveau.  Un 
siècle  presque  entier,  (de  923  à  1004)  s'écoule  sans  que  les  murs 
en  soient  relevés.  Toutes  les  religieuses  qui  avaient  pris  avec 
un  saint  élan  la  place  des  compagnes  d'Ëusébie  sont  mortes, 
d'autres  leur  ont  succédé  et  sont  mortes  à  leur  tour.  Surtout 
le  monastère  ne  s'élève  plus  là,  sur  les  bords  de  l'Huveaune, 
où  sont  tombées  les  héroïques  martyres.  Le  souvenir  du  mas- 
sacre a  donc  pu  s'effacer  quelque  peu. 

Malgré  tout  cependant,  la  tradition  en  demeurait  vivace.  A 
cette  époque,  en  effet,  vers  l'an  1000,  on  conservait  à  Saint- 
Victor  les  corps  des  vierges  de  Jésus-Christ,  ensevelis  dans  un 
endroit  à  part  des  cryptes.  Ce  lieu  béni,  on  le  montrait  aux 
visiteurs  de*  l'abbaye,  et  sans  aucun  doute,  en  cicérone  cons- 
ciencieux, le  moine  qui  les  guidait,  avec  ces  reliques  qu'il 
faisait  vénérer,  racontait  d'une  manière  sommaire  la  vie  et  la 
mort  d'Ëusébie  et  de  ses  compagnes. 

C'est  ce  que  nous  apprend  la  vie  anonyme  de  saint  Ysarne, 
abbé  de  Saint-Victor.  Il  était  jeune  encore  lorsqu'il  vint  à 
Marseille  en  compagnie  du  moine  6aucelin.Se  prenant  d'affec- 
tion pour  les  cryptes,  il  les  visita  avec  foi  et  amour.  Or,  écoutez 
les  détails  que  donne  l'historien  :  «  Les  religieux  qui  accom- 
pagnaient le  jeune  Ysarne,  tout  heureux  de  la  piété  que 
manifestait  leur  visiteur,  s'attachaient  à  satisfaire  le  vif 
désir  qu'il  éprouvait  de  parcourir  les  cryptes.  Aussi,  remplis 
d'une  douce  charité  pour  lui,  ils  le  conduisirent  dans  tous  les 
sanctuaires.  Lui  montrant  un  point  des  cryptes  :  «  En  cet 
endroit,  lui  dirent-ils,  repose  la  vénérable  armée  des  martyrs, 
auxquels  on  ne  s'adresse  jamais  en  vain,  et  qu'entoure  de  tous 
côtés,  dans  les  vastes  champs  d'alentour,  le  peuple  innombrable 
des  saints  confesseurs,  jadis  religieux  de  notre  monastère.  Ici, 


—  36  — 

à  part,  repose  la  troupe  des  vierges  sacrées.  Là,  dans  cet  étroit 
sacrarium  qui  est  creusé  dans  la  roche  vive,  sont  le3  tombeaux 
des  saints  Innocents  (1).  » 

On  a  traduit  différemment  que  nous  cette  page  de  la  vie  de 
saint  Ysarne,  et  notamment  Yibi  autem  seorsum  ne  désigne- 
rait pas  un  endroit  à  part  des  cryptes,  mais  un  coin  du  cime- 
tière de  Paradis  réservé  à  l'ensevelissement  des  Filles  de  saint 
Cassien.  Ce  texte  perdrait  ainsi  toute  valeur  pour  nous  (2  j. 

À  notre  avis  une  telle  interprétation  est  fausse.  Pour  le 
démontrer,  expliquons  ce  texte  avec  quelque  détail. 

D'abord,  la  première  phrase  :  on  visite  a  ce  lieu  où  reposent 
les  martyrs  dont  personne  n'implore  en  vain  la  puissance  : 
Hune  locum  venerandus  martyrum,  eut  nunquam  frustra 
supplicatur,  tenet  exercitus.  »  Quel  est  cet  hune  locum  ?  Ces 
mots  désignent  ou  les  cryptes,  ou  bien  un  coin  du  cimetière  de 
Paradis,  ou  le  cimetière  de  Paradis  dans  son  entier. 

Or,  ce  n'est  pas  d'un  coin  du  cimetière  de  Paradis  que  Ton 
veut  parler.  Les  chartes  qui  traitent  de  Paradis,  notamment 
celle  de  1044,  dans  laquelle  on  raconte  que  Fulco  et  Odile  son 
épouse  firent  rebâtir  à  leurs  frais,  à  la  prière  de  saint  Ysarne, 
alors  abbé  de  Saint-Victor,  l'antique  chapelle  de  Saint-Pierre 
de  Paradis,  ne  disent  pas  qu'il  y  eût  un  point  déterminé,  un 
endroit  à  part  où  les  corps  des  martyrs  étaient  ensevelis.  Et 
cependant  cette  charte  de  1044  explique  bien  ce  qu'était  Para- 
dis :  «  Ce  cimetière,  situé  à  la  porte  du  monastère,  est  appelé 
Paradis,  parce  qu'un  grand'nombre  de  corps  de  saints  martyr^, 
de  confesseurs  et  de  vierges  y  reposent  (3).*  Incodtestablement, 

(1)  «  Hune,  aiunt,  locum  venerandus  martyrum,  cui  nunquam  frustra 
suppllcatur,  tenet  exercifus,  quos  per  hos  totos  latè  patentes  campos 
sanctorum  confessorum,  hujus  loci  quondam  monachorum  circum  circa 
innumerabilis  populus  ambit.  Ibi  autem  seorsum  sacrarum  virginum 
turba  quiescit.  At  in  illo  interiori  sacrario  quod  in  ipso  naturali  saxo 
excisum  vides »  —  Vita  Sancti  Ysarni;  Acta  SS.  ordinis  Béné- 
dicte t.  VIII,  p.  584. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  235. 

(3)  t  Quse  ecclesia  vel  locus,  multis  retroactis  temporibus,  vocatus  est 
Paradisus,  ideirco  vero  idem  locus  ad  porta  m  monasterii  situs,  vocatus 
est  Paradisus,  sicut  et  nos  com péri  mus,  quia  multorum  corporum  vide- 
iicet  sanctorum  martyrum  confessorum  ac  virginum  eodem  loco  quies- 


—  37  — 

s'il  y  avait  eu  dans  ce  cimetière  un  endroit  spécialement  consa- 
cré par  les  dépouilles  des  saints  martyrs,  vers  lequel  les  foules 
se  seraient  portées,  conduites  par  la  vénération  qu'elles  avaient 
pour  ces  reliques,  la  charte  1044  l'aurait  indiqué.  Elle  ne  dit 
rien  de  semblable.  Donc  il  n'y  a  pas  dans  Paradis  de  hune 
îoeum  spécial,  sanctifié  par  la  présence  des  ossements  des 
martyrs. 

Est-il  question  du  cimetière  de  Paradis  en  entier  ?  Mais  alors 
où  se  trouvaient  les  vastes  champs  dans  lequel  le  biographe  de 
saint  ïsarne  affirme  que  reposaient  les  saints  confesseurs  jadis 
religieux  de  Saint-Victor  ?  On  ne  peut  le  nier,  ces  latentes 
campos  ne  sont  autres  que  les  champs  de  Paradis  môme.  Donc, 
cet  hune  loeum  n'est  point  le  cimetière  de  Paradis  tout  entier. 
Donc  par  ces  mots  hune  loeum  il  faut  entendre  les  cryptes, 
et  mieux,  un  point  particulier  des  cryptes,  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Confession,  ainsi  appelée,  disent  les  auteurs, 
i  cause  des  nombreux  corps  de  martyrs  au-dessus  desquels  la 
Sainte  Vierge  a  son  trône  élevé  (1). 

Arrivons  à  la  deuxième  phrase.  Les  visiteurs  s'arrêtent 
devant  l'endroit  à  part  où  reposent  les  vierges  sacrées.  Ibi 
auiem  seorsum  sacrarum  virginum  turba  quiescit ,  Qu'indi1- 
quent  ces  deux  mots  ibi  seorsum  ?  Un  coin  encore  de  Paradis, 
ou  le  cimetière  de  Paradis  tout  entier  ?  Ni  l'un  ni  l'autre. 

Il  ne  s'agit  pas  d'un  coin  du  cimetière  de  Paradis.  Nous  le 
répétons,  s'il  y  avait  eu  dans  Paradis .  un  endroit  à  part,  des- 
tiné à  l'ensevelissement  ici  des  martyrs,  là  des  confesseurs, 
plus  loin  des  vierges,  la  charte  de  Fulco  et  d'Odile  l'aurait 
insinué  de  quelque  manière.  Or,  elle  ne  dit  rien  de  semblable. 

Il  ne  s'agit  pas  du  cimetière  de  Paradis  en  entier,  puisque, 
d'après  le  texte  de  la  vie  de  saint  Ysarne,  la  dépouille  des 


centium,   decoratur  auxiliis  et  suffragatur  meritis.  »  —  Cartulaire  de 
8aint-Victor,  II,  charte  32,  Carta  sancti  Pétri  de  Paradiso. 

(1)  c  Le  nom  de  confession  était  donné  aux  sépulcres  des  martyrs  et 
des  confesseurs,  parce  que  le  lieu  des  maitres-autels  où  Ton  renfermait  des 
reliques  de  martyrs  portait  le  nom  de  confession  »  —  Rufll,  Histoire 
de  Marseille,  t.  Il,  p.  115.  —  Marchetti,  Explication  des  usages  et  cou- 
tûmes  des  Marseillais,  p.  190.—  Martigny,  Dictionnaire  des  antiquités 
chrétiennes,  p.  173. 


-38  - 

vierges  consacrées  à  Dieu  repose  dans  «  un  endroit  à  part .  » 
Forcément  on  veut  parler  des  cryptes. 

D'ailleurs,  admettez  un  instant  que  Vibi  seorsum  désigne  un 
coin  du  cimetière  de  Paradis,  réservé  à  l'ensevelissement  des 
filles  de  saint  Cassien.  Voyez  le  bizarre  itinéraire  que  Ton  fait 
suivre  aux  visiteurs.  Le  hune  locum  venerandus  martyrum 
se  trouve  bien  dans  les  cryptes.  Impossible,  on  Ta  vu,  d'en 
faire  un  coin  de  Paradis.  Ysarne  donc  et  les  moines  qui  le 
guident  sortent  des  cryptes,  où  ils  ont  vénéré  les  martyrs 
qui  y  reposent,  viennent  dans  Paradis  pour  y  visiter  l'endroit 
à  part  «  ibi  seorsum  »  où  reposent  les  vierges  sacrées.  Puis 
ils  redescendent  dans  les  cryptes  pour  y  vénérer  au  sacra  - 
rium  les  reliques  des  saints  Innocents.  Mieux  valait  saluer  le 
hune  locum  venerandus  martyrum  dans  les  cryptes,  conti- 
nuer la  visite  en  passant  devant  le  sacrarium  où  l'on  garde 
les  reliques  des  saints  Innocents  et  remonter  ensuite  dans  les 
champs  de  Paradis  pour  y  vénérer  en  cet  endroit  à  part  les 
reliques  des  saintes  vierges  cassianites  !  Non,  l'interprétation 
donnée  par  quelques  auteurs  est  fausse.  Le  hune  locum  est  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  le  ibi  autem  seorsum 
le  devant  de  l'autel  de  Notre-Dame,  et  le  sacrarium  la  cha- 
pelle de  sainte  Marie-Magdeleine.  Ainsi  les  visiteurs  n'ont  pas 
quitté  les  cryptes.  Mais, après  s'être  agenouillés  devant  le  hune 
locum,  ils  viennent  se  prosterner  là  où  reposent  les  vierges 
sacrées,  puis  ils  visitent  le  sacrarium  des  saints  Innocents. 

Certains  hésiteront  peut-être  à  accepter  notre  interprétation, 
sous  le  prétexte  qu'il  semble  nécessaire  d'admettre  la  déter- 
mination dans  Paradis  d'un  coin  spécialement  réservé  à  l'en- 
sevelissement des  filles  de  Cassien.  Or,  nous  croyons  qu'il  n'y 
a  jamais  eu,  à  aucune  époque,  semblable  affectation. 

En  effet,  si  quelqu'un  avait  dû  posséder  ce  privilège,  de  repo- 
ser dans  un  endroit  à  part  du  cimetière  de  Paradis,  c'étaient  les 
moines  de  Saini-Victor.  Or,  la  chane  de  1044  dit  simplement 
que  a  dans  Paradis  reposent  un  grand  nombre  de  corps  de 
saints  martyrs,  de  confesseurs  et  de  vierges.  »  Le  texte  de  la 
vie  anonyme  de  saint  Ysarne  dit  que  «  les  corps  des  confes- 
seurs, jadis  moines  de  l'abbaye,  reposent  dans  les  vastes 
champs  qui  entourent  les  cryptes.  »  C'est  donc  d'ici  de  là, 


—  39  — 

sans  ordre  bien  établi,  sans  affectation  particulière  pour  les 
moines  ou  pour  les  religieuses,  que  l'on  a  inhumé  dans  Para- 
dis, durant  tant  de  siècles,  les  corps  que  l'on  y  a  portés.  Cha- 
cun choisissait,  ou  Ton  choisissait  pour  le  défunt,  l'endroit  de 
sa  sépulture,  suivant  la  dévotion  que  l'on  avait  pour  tel  saint 
ou  tel  martyr.  L'essentiel  était  de  reposer  auprès  d'eux.  Si  donc 
les  moines  n'avaient  pas  d'endroit  à  part  pour  leurs  dépouilles 
mortelles,  les  religieuses  cassianites  n'en  avaient  pas  non 
plus. 

On  alléguera,  sans  doute,  les  tombeaux  découverts  jadis 
auprès  de  la  chapelle  de  Sainte-Catherine  et  nous  entendons 
Ruffi  nous  dire  que  «  tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce 
lieu  était  assurément  un  cimetière  et  que  c'étaient  des  reli- 
gieuses qu'on  y  avait  enseveli  (1).  »  Il  y  a  du  vrai  et  du  faux 
dans  ce  qu'affirme  Ruffi.  «  Tous  ces  tombeaux  marquaient 
que  ce  lieu  était  un  cimetière.  »  C'est  vrai.  Paradis  devait 
s'avancer  jusqu'aux  environs  de  la  chapelle  qui,  bâtie  plus 
tard,  fut  dédiée  à  sainte  Catherine.  Mais  que  ce  fussent  des 
religieuses  qui  y  étaient  ensevelies,  c'est  ce  que  Ruffi  aurait 
dû  prouver  1  II  donne  l'épitaphe  de  l'une  d'entre  elles  : 
Ëugénia.  Soit.  Mais  il  aurait  dû  citer  les  autres  inscriptions, 
s'il  y  en  avait;  et,  s'il  n'y  en  avait  pas,  qui  Pautorise  à  affir- 
mer que  les  personnes  enterrées  à  côté  d'Eugénia  étaient  des 
religieuses  comme  elle  ? 

Ce  texte  de  Ruffi  ne  prouve  donc  rien  contre  notre  opinion. 
Et  il  est  vrai  de  dire  que  ïibi  seorsum  ne  se  trouve  pas  dans 
Paradis.  C'est  plutôt  un  endroit  à  part  dans  les  cryptes.  Quel 
endroit  ?  Nous  ne  pouvons  le  désigner  sûrement.  Mais,  on  l'a 
vu  plus  haut,  si  le  hune  locum  venerandus  martyrum  est  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  nous  croyons  que 
lïW  seorsum  désigne  le  devant  de  l'autel,  le  pavé  du  sanc- 
tuaire de  Notre-Dame. 

La  vraie  et  rigoureuse  interprétation  de  ce  passage  étant 
donnée,  quelle  est  cette  turba  sacrarum  virginum  dont  les 
dépouilles  reposent  ibi  seorsum,  dans  cet  endroit  à  part  des 
cryptes  ?  Il  ne  s'agit  certainement  pas  de  toutes  les  religieuses 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  55. 


-  40  — 

cassianites,  qui  ont  vécu  avant  le  X'  siècle.  Pas  plus  que  les 
moines  de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  elles  ne  recevaient  la 
sépulture  dans  les  cryptes.  On  n'y  ensevelissait  que  les  reli- 
gieux ou  religieuses  d'un  caractère  de  sainteté  assez  marquant 
et  reconnu  (1).  Quant  aux  autres  moines  ou  religieuses,  c'est  à 
Paradis  que  leurs  corps  étaient  inhumés.  Voilà  pourquoi  la 
vie  anonyme  de  saint  Ysarne  parle  des  vastes  champs  oh  re- 
posent les  confesseurs,  jadis  moines  de  l'abbaye,  et  la  charte 
d'Odile  et  de  Fulco  rappelle  que  dans  Paradis  reposent  les 
corps  des  martyrs,  des  confesseurs  et  des  vierges. 

Il  s'agissait  donc  d'un  nombre  restreint  de  religieuses,  aux 
dépouilles  desquelles  on  avait  donné  cet  endroit  pour  sépul- 
ture. Mais  quelles  religieuses  a-t-on  jamais  inhumées  ailleurs 
qu'à  Paradis  ?  En  faveur  de  qui  a-t-on  fait  une  exception  ? 
Pas  pour  d'autres  religieuses  que  les  compagnes  d'Eusébie. 

En  effet,  le  mot  turba  implique  un  certain  nombre  et  la 
tradition  dit  que  les  compagnes  d'Eusébie  étaient  quarante. 
C'est  à  part,  seorsum,  entre  le  lieu  où  reposent  les  martyrs  et 
le  8acrarium  taillé  dans  le  rocher,  que  repose  la  troupe  des 
vierges  sacrées  et  c'est  à  un  endroit,  à  part  encore,  devant 
l'autel  de  Notre-Dame  de  Confession,  que  la  tradition  et  les 
chartes  les  font  reposer.  La  similitude  est  trop  frappante  pour 
que  l'on  hésite  un  instant.  C'est  bien  d'Eusébie  et  de  ses  com- 
pagnes qu'il  s'agit  dans  ce  passage  de  la  vie  de  saint  Ysarne. 
D'ailleurs  une  charte  du  XV*  siècle  nous  l'assure.  Sainte  Eusébie 
fut  placée  dans  un  tombeau,  derrière  la  chapelle  de  Notre- 


(!)  Les  martyrs  et  les  confesseurs  ont  joui  les  premiers  du  privilège 
de  la  sépulture  dans  les  églises.  Il  y  avait  une  raison  plausible  que  don- 
nait saint  Ambroise  :«  Succedunt  victimse  triumphales  in  locum  ubi  Chris- 
tus  est.  Sed  ille  super  altare  qui  pro  omnibus  passus  est,  isti  sub  altari 
qui  illius  redemptisunt  passione.  »  Un  peu  plus  tard,  les  fidèles  jouirent 
de  ce  privilège.  Mais  il  y  eut  bientôt  des  abus.  Dès  lors,  un  concile 
de  Braga  défendit  cette  pratique.  Au  IX*  siècle,  un  évoque  d'Orléans  lit 
de  même,  mais  il  admettait  des  exceptions  :  «  Nemo  in  ecclesia  sepe- 
liatur,  nisi  forte  talis  sit  persona  sacerdotis  aut  cujuslibet  justi  hominis, 
qui  per  vit©  meritum  talem  vivendo  suo  corpori  defuncto  locum  acqui- 
sivit.  »  —  La  Sépulture  chrétienne  en  France,  par  Arthur  Murcier, 
p.  76,  77.  —  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  t.  II, 
p.  219  et  suivantes. 


—  41  — 

Dame  de  Confession  et  ses  quarante  compagnes  furent  déposées 
devant  l'autel  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie. 

Or,  cet  ensevelissement  à  part  auprès  de  Notre-Dame  de 
Confession,  à  l'endroit  le  plus  sacré  de  nos  cryptes,  à  côté 
des  reliques  des  plus  illustres  martyrs  ;  ce  pèlerinage  que  Ton 
fait  auprès  de  ces  restes?  ;  cette  vénération  que  Ton  a  pour  eux, 
est-ce  autre  chose  que  la  marque  et  le  signe  que  Ton  conserve 
pieusement  le  souvenir  du  trépas  héroïque  de  ces  saintes 
vierges  et  que  Ton  a  voulu  mettre  une  différence  entre  leur 
genre  de  mort  et  la  mort  simple  et  naturelle  des  autres  reli- 
gieuses ?  C'était  une  sorte  de  culte  qui  s'établissait.  Eusébie 
et  ses  compagnes  étaient  donc  honorées  et  déjà  saint  Ysarne 
disait  un  des  premiers,  au  fond  de  son  cœur  :  Bienheureuses 
filles  de  notre  père  Gassien,  priez  pour  nous  ! 


CHAPITRE  V 

Sainte  Eusébie  et  son  culte  immémorial 

(Suite) 


SAINTS  BU3BBIB  BT  SBS  COMPAGNES,  ENSEVELIES  SOUS  LB  PAVÉ  DBS 
CRYPTB8,  DU  VIII"  SIÈCLE  AU  XIV*  SIÈCLE.  —  CHARTE  SANS  DATE,  PAR. 
LANT  d'EUSÉBIE  ET  DE  SBS  COMPAGNE6.  —  LB  CULTE  EN  L' HONNEUR 
DBS  SAINTBS  MARTYRES  S'ACCENTUE  AU  XIV*  SIÈCLE.  —SAINTE  EUSÉ- 
BIE DAN8  UN  TOMBBAU  A  PART.  —  SBS  COMPAGNES ,  DEVANT  L'AUTEL 
DB  NOTRE-DAME  DB  CONFESSION.  —  ON  VISITE  CETTB  CHAPELLE.  — 
MONSEIGNEUR  DE  BELSUNCE  ÉTABLIT  LB  CULTB  PUBLIC  EN  L'HONNBUR 
DB  NOS  SAINTBS  MARTYRES. 


Combien  d'années,  ou  mieux  combien  de  siècles,  ces  restes 
précieux  demeurèrent-ils  en  cet  endroit,  honorés  par  les  visi- 
teurs des  cryptes,  mais  ne  recevant  point  encore  cependant 
de  la  généralité  des  fidèles  ces  marques  de  vénération  qui 
constituent  un  véritable  culte  public  ? 

Trois  ou  quatre  peut-être.  En  effet,  un  inventaire  des  reli- 
ques possédées  par  l'abbaye  de  Saint-Victor,  rédigé  en  1363, 
ne  fait  aucune  mention  de  nos  chères  saintes.  A  cette  époque, 
Urbain  V  avait  ordonné  de  restaurer  Saint-Victor.  Or,  au 
moment  de  détruire  le  maltre-autel  de  l'église  supérieure, 
pour  le  remplacer  par  celui  que  ce  Pape  devait  consacrer 
deux  ans  plus  tard,  on  ouvrit  une  grande  caisse  placée  sous 
cet  autel  et  dans  laquelle  plusieurs  corps  saints  étaient  ren- 
fermés. Le  procès -verbal  dressé  à  cette  occasion  énumère  les 
reliques  que  Ton  y  trouva.  Il  n'y  a  rien  d'Eusébie,  ni  de  ses 
compagnes  (1). 

Déplus,  à  l'occasion  de  la  consécration  de  l'autel  en  1365, 
on  avait  placé,  à  droite  et  à  gauche,  dans  l'église  supérieure, 

(1)  Recueil  de  chartes  de  Saint- Victor,  par  Dom  Lefournier,  t.  III,- 
archives  départementales. 


ST.  HUE    OCCUPEE    J 


—  43  - 

des  reliques  insignes  que  l'on  avait  tirées  des  cryptes.  Or,  pas 
un  mot  encore  de  sainte  Eusébie,  ni  de  ses  compagnes  (1). 
C'est,  à  notre  avis,  la  preuve  la  plus  certaine  que  rien  n'avait 
été  changé  à  l'état  dans  lequel  ces  reliques  se  trouvaient  vers 
Tan  1000,  à  l'époque  de  la  visite  de  saint  Ysarne.  Si  les  corps 
avaient  été  exposés  publiquement  dans  les  cryptes,  ou  placés 
dans  un  tombeau,  comme  Ta  été  le  corps  de  sainte  Eusébie 
plus  tard,  il  est  difficile  de  croire  qu'on  ne  les  eût  pas  exposés 
dans  la  grande  église,  ce  jour-là  (2).  Ils  se  trouvaient  donc 
encore,  très  probablement,  sous  le  pavé  de  la  chapelle  de  N.-  D. 
de  Confession. 

Quelques  années  après  la  mort  d'Urbain  V,  on  fit  certains 
changements  dans  les  cryptes.  On  toucha  aux  reliques  que 
Ton  y  gardait.  Dès  ce  moment,  nous  voyons  sainte  Eusébie 
ensevelie  dans  un  tombeau  à  part,  non  loin  de  ses  compagnes. 
En  effet,  une  charte  sans  date,  que  Dorn  Lefournier  a  transcrite 
d'un  vieux  manuscrit  sur  papier  soie,  atteste  que  a  le  corps 
de  l'abbesse  était  placé  dans  un  tombeau,  en  dehors  de  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession  et  tout  auprès  ;  et  les 
quarante  compagnes  'demeurèrent  ensevelies  devant  l'autel 
de  Notre-Dame  (3).  » 

Or,  quelle  est  bien  la  date  de  celte  charte  ?  Ce  n'est  guère 
que  d'une  manière  approximative  que  nous  pouvons  l'indi- 
quer. En  1376,  Marseille  étant  environnée  et  presque  assiégée 
par  de  nombreux  ennemis  et  l'abbaye  de  Saint- Victor  pouvant 
être  à  chaque  instant  pillée  et  saccagée,  les  religieux  du 
monastère  firent  porter,  le  10  mai,  dans  l'intérieur  de  la  ville, 
le  chef  de  saint  Victor  et  d'autres  reliquaires,  appartenant  à 

(l)  Recueil  de  chartes  de  Saint-Victor,  par  Dom  Lefournier,  t.  III.  — 
Livre  noir  des  archives  de  Saint -Victor,  t.  III,  p.  129. 

(2)11  y  eut,  exposées  à  la  vénération  des  fidèles  dans  l'église  supérieure, 
en  ces  circonstances  et  pendant  un  certain*  temps,  les  reliques  de  saint 
Agricol,  du  bienheureux  Marcel,  de  sainte  Archontanie,  de  saint  Ber- 
nard, abbé  et  câlinai,  de  saint  Mauront,  évoque  de  Marseille,  de  saint 
Hilarion,  de  saint  Yviffred,  les  corps  de  saint  Ysarne  et  de  deux  autres 
saints.  —  Chartes  de  Dom  Lefournier,  t.  III.  —  M.  l'abbé  Albanés, 
Entrée  solennelle  du  pape  Urbain  V  à  Marseille,  en  4365. 

(3)  Nous  donnons  cette  pièce  in-extenso  dans  :  Sainte  Eusébie  et  ses 
W  compagnes  martyres. 


—  44  - 

l'église  de  l'abbaye  (1).  Quelques  jours  après,  le  danger  ayant 
disparu,. tout  fut  rapporté  à  Saint-Victor. 

Quelles  sont  les  reliques  (2),  outre  le  chef  de  saint  Victor, 
que  Ton  s'empressa  de  mettre  à  l'abri  de  la  rapacité  des  enne- 
mis ?  Le  procès-verbal  dressé  par  les  religieux  ne  le  dit  pas. 
Ce  durent  être  les  plus  précieuses  sans  doute,  mais  certai- 
nement aussi  celles  que  4'on  pouvait  le  plus  commodément, 
le  plus  facilement  transporter.  Or,  il  y  avait,  atteste  l'inven- 
taire de  reliques  rédigé  en  1365,  dans  les  chapelles  latérales 
et  au  chevet  de  l'église  supérieure,  plusieurs  châsses  conte- 
nant les  corps  des  saints  les  plus  illustres,  entre  autres  de 
saint  Mauront,  de  saint  Ysarne,  de  saint  Dviffred,  de  saint  Ber- 
nard, etc. ,  etc.  Urbain  V  les  avait  fait  placer,  on  se  le  rappelle, 
en  ces  différents  endroits,  afin  de  satisfaire  la  piété  des  fidèles. 
Presque  certainement,  on  dut,  à  l'époque  critique  de  1376, 
transporter  ces  corps  saints  dans  la  ville. 

Mais,  le  danger  passé,  on  dut  les  descendre  dans  les  cryptes. 
En  effet,  un  autre  inventaire  fait,  en  1444,  mentionnant  les 
reliques  qui  sont  contenues  dans  une  grande  caisse,  placée 
sous  l'autel  de  l'église  supérieure,  ne  parle  nullement  des 
corps  saints,  jadis  placés  dans  les  chapelles  latérales  ou  au 
chevet  de  cette  église.  Ils  ne  s'y  trouvaient  donc  plus.  Or,  la 
charte  sans  date  qui  nous  occupe  les  désigne  comme  étant 
placés  dans  les  cryptes.  Ce  document  a  donc  été  probablement 
rédigé  entre  les  années  1376  et  1444. 


(1)  Ce  procès-verbal  se  trouve  dans  les  chartes  de  Dom  Lefournier, 
t.  III,  à  cette  date  de  1376.0a  y  parle  de  :  caput  sancti  Victoris  et  cœteri 
réliquœTii  sanctœ  Ecclesiœ  venerabilis  monasterii, 

€  En  1376,  tandis  que  la  Provence  était  dans  une  grande  confusion,  les 
Marseillais  firent  porter  dans  la  ville  le  chef  de  saint  Victor  et  les  ossements 
de  ses  compagnons  avec  les  autres  reliques  qu'on  conserve  dans  cette 
église  et  on  les  mit  en  dépôt  entre  les  mains  d'Antoine  Die udé*  et  de 
Guillaume  Vivaud,  gentilshommes  de  Marseille,  en  suite  d'une  délibéra- 
tion du  conseil  de  la  communauté,  qui  fut  tenu  pour  ce  sujet  dans  la 
salle  de  l'hôpital  du  Saint-Esprit,  le  10  mai  de  la  même  année;  mais  quel- 
ques jours  après  elles  furent  rapportées  en  procession  dans  le  monas- 
tère. »  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  122. 

(2)  Ruffl  parle  de  reliques.  Mais  le  procès-verbal  parle  de  reliquaires  : 
cœteri  religuœrii. 


-  45  — 

D'autre  part,  la  placQ  que  Dom  Lefoumier  assigne  à  ce  docu- 
ment, dans  son  recueil  manuscrit  de  chartes,  nous  fournit 
une  indication  plus  précise.  Il  le  fait  précéder  et  suivre  de 
deux  actes  de  1407.  Si  ce  n'est  point  là  l'indication  d'une 
date  certaine,  on  peut  y  apercevoir  cependant  l'opinion  de 
Dom  Lefoumier.  Ce  serait  donc  avant  1407,  qu'on  l'aurait 
rédigé. 

Quelques  mots  de  cette  charte  nous  permettent  de  préciser 
davantage.  Parlant  du  corps  d'Urbain  V,  qui  repose  dans  la 
grande  église  du  monastère,  le  rédacteur  de  cette  charte  écrit 
que  «  l'on  a  des  miracles  constatés  pour  la  canonisation  du 
saint  Pape  (1).»  Or,  la  première  démarche  pour  obtenir  la  cano- 
nisation d'Urbain  V  ayant  été  faite  par  Valdemar,  roi  de 
Danemark,  en  1375  (2);  le  procès  ayant  été  dressé  par  le  pos- 
tulateur  de  la  cause,  en  1382  (3)  ;  durant  cet  intervalle,  l'abbé 
de  Saint -Victor  et  ses  moines  ayant  demandé  de  vive  voix,  à 
Clément  VII,  résidant  à  Avignon,  d'accorder  cette  grâce  (4), 
cette  charte  doit  être  donc  de  1380  ou  de  1381. 

C'est  à  cette  époque,  croyons-nous,  qu'il  faudrait  fixer  le 
changement  dont  nous  avons  parlé  tantôt,  relatif  aux  restes 
d'Eusébie  et  de  ses  compagnes.  A  la  suite  du  remaniement  que 
l'ou  opéra  dans  les  cryptes  et  des  fouilles  que  Ton  y  fit,  on 
plaça  le  corps  d'Eusébie  dans  le  tombeau  qu'il  a  occupé  jus- 
qu'à la  Révolution,  et  l'on  laissa  sous  le  pavé  delà  chapelle, 
au  pied  de  l'autel  de  Notre-Dame  de  Confession,  les  restes  des 
40  compagnes. 

(i)  De  quo  habemus  multa  miracula  ad  canonisât ione m.  Chartes 
recueillies  par  Lefoumier,  t.  III. 

(%)  Abrégé  de  la  vie  et  des  miracles  du  bienheureux  Urbain  V, 
par  l'abbé  Albanés,  p.  189. 

(3)  L'abbé  Albanés,  op.  cit.,  p.  192. 

(4)  L'abbé  Albanés,  op.  cit.,  p.  191 .—  Recueil  de  chartes  de  saint  Victor 
par  Dom  Lefoumier, t. III,  supplique  faite  à  Clément  VII,  par  l'abbé  et  les 
religieux  du  monastère  de  Saint- Victor,  ut  Papa  Urbanus  V  adscriba- 
tur  in  catalogo  sanctorum.  —  Le  8  juillet  1381,  le  conseil  de  la  cité  de 
Jfarseille  présente  aussi  une  requête  au  Pape  et  aux  cardinaux  ad 
petendam,  prosequendam  et  obtinendam  canonisationem  sanctœ  me- 
rnoriœ  Urbani  Papœ  V;  recueil  de  chartes  par  Lefoumier»  t.  III,—  His- 
toire d'Urbain  V  et  de  son  siècle,  par  l'abbé  Magnan,  p.  479. 


—  46  — 

Une  preuve,  c'est  qu'à  partir  de  ce  moment  sainte  Eusébie 
est  nommée  dans  les  chartes.  On  ne  la  confond  plus  avec  ses 
compagnes.  La  sainte  abbesse  et  ses  religieuses  ne  sont  plus 
désignées  par  l'expression  vague  et  confuse  de  turba  sacrarum 
virginum.  Mais  cinquante  ans  à  peine  plus  tard,  en  1431,  on  lira 
dans  les  chartes  :  sainte  Eusébie  et  les  40  vierges,  ses  compa- 
gnes :  sancta  Eusebia  et  XL  aliis  virginibus  et  martyr i- 
bus  (1). 

Y  a-t-il  eu  un  procès- verbal  de  cette  translation?  Nous  ne 
saurions  rien  dire  de  certain  à  ce  sujet.  Dans  tous  les  cas,  cette 
charte  sans  date,  copiée  sur  un  manuscrit  papier  soie,  pourrait 
fort  bien  être  un  débris,  un  extrait  de  ce  procès-verbal  (2). 

Quel  signe  a  pu  faire  distinguer  les  reliques  d'Eusébie  de 
celles  de  ses  compagnes?  Rien  de  certain  encore.  Mais  il  y  a 
l'inscription  d'Eusébie!  Qui  assurera  qu'on  ne  Ta  pas  trouvée 
à  ce  moment  sur  le  corps  de  cette  chère  sainte  ?  Il  est  de  fait, 
d'une  part,  que  jusqu'à  cette  époque  nul  historien,  croyons 
nous,  na  parlé  d'une  inscription  d'Eusébie;  d'autre  part, 
sûrement  cette  inscription  n'a  pas  été  gravée  au  XV*  siècle.  Il 
est  de  fait  encore,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  que  jusqu'à  ce 
moment  jamais  on  n'a  désigné  nommément  sainte  Eusébie. 
On  la  confond  avec  ses  compagnes  martyres,  la  troupe  des 
vierges  sacrées.  Mais  à  partir  du  XV*  siècle,  Eusébie  apparaît 
distincte  de  ses  compagnes.  On  l'appelle  par  son  nom.  Or,  qui  a 
fait  connaître  ce  nom?  Nous  disons,  nous,  que  c'est  l'inscrip- 
tion. Que  l'on  indique  un  autre  document  !  ! 

D'ailleurs,  voici  ce  que  dit  cette  charte  :  a  Dans  l'église  infé- 
rieure il  y  a  une  chapelle  sous  le  vocable  de  Notre-Dame  de 
Confession,  elle  est  entourée  d'une  grille  en  fer.  Sous  l'image 

(1)  Charte  de  1431 . —  Chartes  recueillies  par  Lefournier,  t.  III,  Mdifi- 
catis,  etc. 

(2)  Ce  procès-verbal  a  pu  être  égaré  dans  les  deux  circonstances  que 
mentionne  Ruffi,  dans  son  Histoire  de  Marseille.  En  1423  et  1441,  sous 
prétexte  que  les  Aragonais  menaçaient  Marseille,  des  gens  de  cette  ville 
pénétrèrent  à  Saint-Victor,  enlevèrent  des  reliques,  des  joyaux,  des  livres, 
des  ornements,  les  portèrent  de  côté  et  d'autre  et  ne  voulurent  plus  les 
rendre.  Il  fallut  procès  sur  procès  pour  les  y  forcer.  C'étaient  là,  on  peut 
le  dire,  de  fâcheux  amis  :  oneroai  amici.  Ruffi,  Histoire  de  Marseille, 
t.  II,  p.  122. 


—  47  - 

de  la  bienheureuse  Vierge  Marie  reposent  les  restes  des  trois 
soldats  qui  furent  les  compagnons  de  saint  Victor  et  martyrs 
avtc  lui:  Félicien,  Alexandre  et  Longin.  Devant  l'autel  de 
la  Vierge  Marie  se  trouvent  les  quarante  religieuses  martyres. 
Par  respect  pour  elles,  les  femmes  n'entrent  point  dans  cette 
chapelle.  Si  elles  en  franchissaient  le  seuil,  elles  perdraient 
la  vue.  L'abbesse  de  ces  quarante  religieuses  a  été  placée 
auprès,  mais  au  dehors  de  la  chapelle,  et  cette  abbesse  s'appe- 
lait Eusébie  (1).  »  Si  jusqu'à  la  fin  du  XIV  siècle  aucun  docu- 
ment ne  pouvait  fournir  une  trace  bien  certaine  et  bien  pro- 
bante du  culte  public  en  l'honneur  de  notre  chère  sainte,  à  la 
date  de  la  rédaction  de  cette  charte  toute  difficulté  s'évanouit. 
Le  culte  est  ici  bien  établi  et  bien  marqué. 

C'était  d'abord  une  chose  fréquente,  que  par  respect  pour 
certains  oratoires  il  ne  fût  pas  permis  d'y  pénétrer.  À  l'oratoire 
de  Saint-Sauveur,  à  Aix  (2)  ;  à  la  crypte  de  Sainte- Marie-Mag- 
deleine,  à  Saint-Maxiuiin  ;  à  Rome,  pour  la  chapelle  de  Saint- 
Jean,  dans  le  baptistère  de  Latran  (3),  cette  prohibition  existait 


(l)c  Estqusedamcapella  quse  d  ici  tu  r  cape  lia  B.  Mari»  de  Confessione  et 

eircuiturferro Sub  imagine  B.  Mariée,  jacent  très  milites  qui  fuerunt 

socii  Victoris  et  martyres  eu  m  eo,  Felicianus,  Alexander  et  Longinus,  et 
antealtare  B  Virgin is  jacent  quadragin ta  moniales  martyres.....  Reve- 
rentîam  illarum  mulieres  non  intrant  dictam  capeilam,  et  si  intrant 
amittant  visu  m,  et  abbatissa  illarum  jacet  juxta,  extra  capeilam  etdici- 
tur  Eusebia  ...  i  —  Recueil  de  chartes,  par  Dom  Lefoumier,  t.  III. 

L'abbé  Marchetti  connaissait  ce  texte,  car  il  écrit  au  sujet  des  fem- 
mes qui  par  respect  n'entrent  pas  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de 
Confession,  qu'elles  agissent  ainsi  <  de  peur  que  la  témérité  de  cette  irré- 
vérence ne  soit  punie  de  l'aveuglement  dont  la  tradition  de  cette  abbaye 
assure  que  Dieu  châtia  celle  d'une  princesse  qui  perdit  la  vue  pour  avoir 
été  si  hardie  que  d'y  entrer.  •—  Explication  des  usages  et  coutumes  des 
Marseillais,  p.  191. 

(2)  Les  Trois  Romes,  par  Mgr  Gaume,  t.  I,  p.  278. 

(3)  L'oratoire  de  Saint-Sauveur,  à  Àix,  appelé  la  sainte  chapelle,  fut 
bâti  suivant  la  tradition  par  saint  Maximin,  premier  évoque  de  cette  ville. 
Pitton,  l'annaliste  de  la  sainte  Eglise  d'Aix,  écrit  que  les  femmes,  par 
respect  n'osent  entrer.  Les  actes  des  délibérations  du  chapitre  d'Aix,  de 
l'année  1581,  disent:  «  In  parvam  capeilam  Sancti  Salvatoris  nunquam 
mulieres  ingrediuntur  propter  loci  sanctitatem  et  venerationem.»  Paillon, 
Documents  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Magdeleine,  1. 1,  p.  503.  — 
Pitton,    Annales  de  la  Sainte  Eglise  d'Aix,  pp.  4,  114.  —  L'ancienne 


—  48  - 

pour  les  femmes.  Il  en  était  de  même  à  Saint- Victor  pour  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  où  se  trouvaient  ense- 
velies les  compagnes  d'Eusébie  (1)  Preuve  évidente  de  la  véné- 
ration publique  que  Ton  avait  pour  ce  lieu  béni.  Qu'il  fût 
défendu  en  outre  aux  femmes  de  franchir  le  seuil  de  Cette 
chapelle,  preuve  évidente  encore  que  les  foules  venaient  la 
visiter,  y  prier  les  vierges  héroïques  qui  y  reposaient.  Or,  un 
des  détails  qui  constituent  le  culte  public  rendu  à  un  saint, 
c'est  le  concours  des  fidèles  auprès  du  tombeau  ou  des  reliques 
de  ce  saint.  Donc,  le  culte  était  établi  en  l'honneur  de  nos 
saintes  martyres. 

On  alléguera  que  la  vénération  des  fidèles  s'adressait  non 
pas  aux  reliques  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  mais 
seulement  au  sanctuaire  de  Notre-Dame  de  Confession.  C'est, 
en  effet,  ce  qu'ont  pensé  beaucoup  d'auteurs  et  anciens  et  mo- 
dernes. Mabillon,  dans  les  Acta  sanctorum  ordinis  sancti 
Benedicli  et  dans  les  Annales  ordinis  sancti  Benedicti  dit 
de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession  :  «  que  l'entrée 
en  était  interdite  aux  femmes  (2)  ».  La.  Notice  sur  les  monu- 
ments de  Saint-Victor  affirme  que  les  personnes  du  sexe  ne 
peuvent  y  entrer,  et  l'auteur  de  cet  ouvrage  cite  l'usage  de 
l'église  de  Saint-Pierre  de  Rome,  d'après  lequel  les  femmes 
ne  peuvent  pénétrer  dans  l'église  inférieure  qu'à  certaines 
fêtes  (3).  L'Essai  historique  et  archéologique  sur  V abbaye 
de  Saint-  Victor  (4),  mentionne  la  même  coutume.'  Marchetti 

Vie  de  Sainte-Marie-Magdeleine  dit  :  «  Femina  enim  nulla  unquam 
temeritatis  audacia  in  illud  sanctissimum  templum  ingredi  praesump- 
sit. . .  •  Paillon,  ut  supra,  1. 1,  col.  419,  423  ;  t.  II,  col.  436. 

(1)  a  Ce  sanctuaire,qui  est  réputé  le  premier  et  le  plus  ancien  de  Mar- 
seille, est  pour  cela  en  si  grande  vénération,  que  les  femmes,  à  qui  l'ac- 
cès de  nos  autels  a  été  de  tout  temps  interdit,  s'abstiennent  encore  d'y 
entrer  et  s'en  éloignent  par  révérence.»  Marchetti,  Explication  des  usa- 
ges  et  coutumes  des  Marseillais,  p.  191. 

(2)  «  In  eo  sacello  R.  Maria?  de  Confessione,  cujus  aditus  mulieribus 
interdictus.  »  Mabillon,  Annales,  O.  S.  B.,  t.  II,  p.  90.  —  Acta  sanct, 
O.  S.  B.,  t.  IV,  p.  487. 

(3)  Notice  des  monuments  conservés  dans  V église  noble,  insigne  et 
collégiale  de  l'abbaye  de  Saint-Victor  de  Marseille,  p.  14. 

(4)  Essai  historique  et  archéologique  sur  V abbaye  de  Saint- Victor 
lez  Marseille,  par  E.  B. . .,  p.  24. 


—  49  — 

écrit:  *  Ce  sanctuaire,  qui  est  réputé  le  premier  et  le  plus 
ancien  de  Marseille,  est  pour  cela  en  si  grande  vénération  que 
les  femmes,  à  qui  l'accès  de  nos  autels  a  été  de  tout  temps 
interdit,  s'abstiennent  encore  d'y  entrer  et  s'en  éloignent  par 
révérence  (1)  ».  Ruffl,  Kothen  et  M.  l'abbé  Magnan  (2) 
affirment  à  leur  tour  que  l'entrée  du  sanctuaire  de  Notre- 
Dame  de  Confession  était  interdite  aux  femmes.  Suivant  donc 
ces  auteurs,  la  vénération  des  fidèles  et  la  crainte  qu'ils  ont 
de  pénétrer  dans  ce  sanctuaire  provenaient  du  respect  que 
l'on  avait  pour  la  Sainte  Vierge  et  non  pas  celui  que  Ton  pro- 
fessait pour  les  restes  des  saintes  compagnes  d'Eusébie. 

Guesnay  cependant  donne  une  variante.  Parlant  de  la  cha- 
pelle de  Notre-Dame,  il  dit  qu'elle  est  célèbre  «  soit  à  cause 
de  la  belle  image  de  la  bienheureuse  Vierge,  soit  à  cause  des 
trente-neuf  compagnes  d'Eusébie,  qui  y  sont  ensevelies  t,  et  il 
ajoute  :  «  C'est  à  cause  de  cela  que  les  jeunes  filles  et  les  fem- 
mes ne  peuvent  franchir  le  seuil  de  ce  sanctuaire  (3).  » 

D'après  cet  auteur  donc  l'entrée  de  la  chapelle  serait  inter- 
dite non  pas  seulement  par  respect  pour  Notre-Dame,  mais 
aussi  par  vénération  pour  les  saintes  martyres.  Or,  nous 
croyons  que  Guesnay  est  davantage  dans  la  vérité  que  la  plu- 
part des  auteurs.  Voici,  en  effet,  ce  que  dit  la  charte  citée  plus 
haut  :  «  C'est  à  cause  du  respect  que  l'on  a  pour  ces  martyres 
que  les  femmes  n'entrent  pas  dans  cette  chapelle  (4)  ». 

(1)  Marchetti,  Explication  des  usages  et  coutumes  des  Marseil- 
lais, p.  19J. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  130  :  t  Le  tombeau  des 
quarante  religieuses  qui  se  coupèrent  le  nez  à  l'exemple  d'Eusébie,  est 
dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Goniession  où  les  femmes  n'osent 
pénétrer  de  peur  de  perdre  la  vue.  »  —  L'abbé  Magnan,  Saint-Victor  de 
Marseille,  ses  origines,  etc.,  etc.,  p.  22.  —  Kothen,  Notice  sur  les 
cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-ïex-MarseUle,  p.  47. 

(3)  c  E  regione  autem  illius  speluncœ  amplius  quoddam  et  paten- 
tas sacellum  cui  nomen  B.  Virginia  a  Confessione,  summà  fréquen- 
te celebratum,  tum  ob  elegantem  B.  Yirginis  propositam  in  eo  effi- 
giem,  tum  quia  in  eo  novem  et  triginta  dicatarum  Deo  virginum,  a 
Sarraeenis  Vandalisque  interfectarum,  corpora  sepulta  sunt,  eôque  lit  ut 
pnellse  cseterseque  mulierculae  ab  illius  aditu  etiamnum  hodie  ut  et  a 
majoribus  religiose  observatum  vidimus,  prohibeantur.  »  Cassianus 
illvstratus,  par  Guesnay,  p.  474. 

(4)  Charte  sans  date,  citée  plus  haut. 

4 


—  50  — 

On  a  de  la  dévotion,  du  respect  pour  ces  saintes  martyres, 
donc  elles  ne  sont  pas  inconnues;  on  vient  visiter  leur  tom- 
beau, on  les  prie,  donc  le  culte  en  leur  honneur  est  établi  au 
XIV-  siècle. 

Aussi,  dès  cetle  époque  de  l'histoire,  il  est  facile  de  suivre 
pas  à  pas  le  progrès  et  l'extension  de  ce  culte.'  On  aime  à  se 
confier  à  la  protection  des  saintes  martyres.  On  se  fait  une 
gloire  et  une  consolation  de  dormir  son  dernier  sommeil  dans 
les  champs  qui  avoisinent  leur  tombe.  C'est  un  honneur  que 
l'on  n'accorde  pas  à  tous.  Seuls  les  membres  de  la  confrérie  de 
Notre-Dame  de  Confession  jouissent  de  ce  privilège  (1).  Quand 
on  veut  célébrer  la  gloire  de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  on  rap- 
pelle à  tous  que  les  corps  de  tant  de  saints  illustres  y  reposent 
et  notamment  ceux  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante 
compagnes.  Les  deux  chartes  de  1431  et  de  1446  sont  la 
preuve  de  ce  que  nous  avançons  (2).  Au  XV"-  siècle  donc  on 
honore,  on  vénère,  on  prie  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes. 

Bétail  singulier  cependant,  que  des  auteurs  et  surtout 
M.  de  Rey  ont  noté  (3),  les  enfants  de  Saint-Cassien  et  les 
moines  de  Saint-Victor,  leurs  successeurs,  qui  devaient  consi- 
dérer comme  leur  appartenant  toutes  les  gloires  de  l'ordre  de 
Cassien,  ne  faisaient  pas  l'office  de  ces  glorieuses  martyres  et 

(1)  lis  demandent  que  pour  encourager  cet  élan  (l'établissement  de 
cette  confrérie  de  Notre-Dame  de  Confession)  une  place  particulière  soit 
assignée  dans  le  cimetière  du  monastère  pour  la  sépulture  des  confrères 
et  qu'il  soient  rendus  participants  à  toutes  les  bonnes  œuvres  des  moines. 
L'abbé  de  Saint-Victor,  Pierre  Dulac,  leur  accorda  ce  privilège' par  un 
acte  qui  existe  encore,  daté  du  5  mai  1446.  On  lit  dans  cette  charte  que 
Kothen  a  publiée  en  appendice  dans  sa  Notice  sur  les  crypte  $  :  c  Uni- 
versarum  gratiarum  et  meritorum  quas  et  que  S.  Victor  et  socii  ejus 
S.  Adrianus  cum  sociis  suis,  Mauricius.  Innocentius  et  socii  eorum,  Gri- 
santus  et  Daria,  Eusebia  cum  quadraginta  aliis  virginibus  et  martyri- 
bust  Petrus  et  Marcellinus...  S.  Gassianus,  Maurontus,  Ylarianus,  Ysarnus, 
Hugo.  Bernardus  et  Siffredus  presules  et  Gbristi  confessores  et  SS.  Inno- 
centes ac  XI  millia  virgines,  quorum  et  quarum  corporum  magnus  nu- 
méros in  monasterio  hujusmodi  in  pace  in  Ghristo  requiescunt,  et  alii 
martyres,  episcopi  et  confessores  ac  virgines  in  ecclesià  memorati  monas- 
teriiin. Ghristo  requiescentes,  innocentià  vit».. .  acquivisse  et  promenasse 
noscuntur. ..  » 

(2)  Nous  donnerons  en  Appendice  cette  charte  de  1431. 

(3)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  238. 


—  51  — 

ne  plaçaient  pas  leurs  reliques  sur  les  autels.  Nous  Ta  vous 
déjà  dit,  l'inventaire  des  reliques  fait  en  1444,  à  Saint-Victor, 
celui  qui  fut  dressé  en  1365,  celui  de  1363,  ne  font  aucune 
mention  des  dépouilles  de  nos  saintes  marseillaises.  On  a  retiré 
des  Cryptes  vers  1365  plusieurs  restes  insignes  de  saint  Cas- 
sien,  de  saint  Ysarne,  de  saint  Bernard,  etc.,  pour  les  placer 
dans  l'église  supérieure.  Jamais  il  ne  s'agit  des  ossements 
d'Eusébie  et  de  ses  compagnes.  Un  bréviaire  de  1497,  qui  appar- 
tenait à  Saint-Victor,  ne  fait  mémoire  de  nos  saintes  ni  dans 
l'office,  ni  dans  les  litanies,  ni  dans  le  propre  de  l'abbaye  (1). 
Les  Bollandistes  attestent  que  dans  aucun  martyrologe  tant 
ancien  que  nouveau,  il  n'est  parlé  de  sainte  Eusébie  et  de  ses 
quarante  compagnes  (2).  Arthur  de  Monestier  seul  fait  exception 
dans  le  Sacrum  Gynœcœum  (3).  Bien  plus,  parmi  les  auteurs 
qui  en  parlent,  beaucoup  ne  les  appellent  pas  Saintes.  Et  cepen- 
dant on  les  honore,  on  les  vénère  à  Saint-Victor  !  Explique 
qui  pourra  cette  étrange  anomalie. 

Quand  on  sait  cependant  que  saint  Mauront  n'avait  pas,  lui 
aussi,  d'office  propre  à  Marseille,  dont  il  a  été  évoque,  et  que 
Ton  ne  connaissait  presque  rien  de  sa  vie  (4),  on  devine  que 

(1)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  M.  de  Rey,  p.  141. 

(2)  t. . .  Certé  ego  nullam  eorum  apud  martyrologos  memoriam  reperi, 
excepta  Artburo,  sed  silentibus  omnibus  este  ris  martyrologis  tam  antiquis 
quam  recentioribus,  scriptoribus  intérim  aliis  qui  de  eisdem  honorifici 
meminerint,  antiquum  earum  sacrum  cultum  non  asserentibus  aut  certô 
non  probantlbus,  quin  etiam  eorumden  aliquibus  nec  sanctarum  nec 
beatarum  titulo  illas  honorantibus. . .  »  Acta  sanct.  —  Bolland  ,  Vita 
Sanctœ  Eusebiœ,  14oct.,  p.  282. 

(3)  Sacrum  gynœceum  ab  Arturo  de  Monasterio  ad  diem  30  dec.  : 
c  Apud  Veaunense  monasteriumdiœcesismassiliensis,  passio  sanctarum 
Eusebiae  et  sociarum  sanctimonialium  virginum,  quae  mira  constantià 
pro  tuitione  castitatis  et  ftdei  decertantes,  martyrii  palmam  reportarunt.  » 

(4)  «  Dans  nos  anciens  bréviaires  il  n'y  a  point  de  leçons  propres  pour 
l'office  de  saint  Mauront,  et  dans  l'hymne  il  n'est  rapporté  aucun  fait  de 
ta  vie.  Les  leçons  qu'on  cite  à  présent  le  jour  de  sa  fête,  sont  extrême- 
ment récentes  ......    Antiquité  de  VEglise  de  Marseille,  par  M*'  de 

Belsunce,  t.  I,  p.  300. 

«  Le  sanctoral  de  l'abbaye  de  Saint  Victor  est  muet  et  se  borne  à  louer 
d'une  façon  générale  sa  chasteté,  son  esprit  de  mortification,  la  douceur 
de  son  caractère  et  son  application  à  l'administration  de  son  service.  » 
—  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  253. 


-  52  — 

si  on  n'a  pas  fait  l'office  de  nos  yierge3  cassianites,  c'est  que 
l'on  ne  savait  rien  de  certain  sur  elles  et  que  seule  la  tradition 
rapportait  le  genre  de  leur  martyre. 

Il  faut  arriver  au  XVII-siècle  pour  que  ce  culte  se  réveille 
et  se  pare  de  quelque  splendeur.  D'abord  c'est  Arthur  de  Mones- 
tier,  nous  l'avons  dit,  qui  insère  dans  le  martyrologe  ce  que 
la  tradition  rapporte.  Puis  c'est  Mabillon,  qui  raconte  le  genre, 
l'époque  de  leur  martyre  et  fait  connaître  le  lieu  de  leur 
sépulture.  Guesnay  atteste  à  son  tour  que  de  son  temps  on 
les  appelle  martyres,  bienheureuses,  saintes  (1).  Ainsi  le  culte 
en  leur  honneur  grandit  et  s'implante:  Enfin,  arrive  M"  de 
Belsunce  qui  répare  l'oubli  des  siècles.  Il  compose  lui- 
même  la  Légende  (2),  y  insère  la  tradition  et  par  un  décret 
du  27  mai  1733  institue  une  fête  et  ordonne  la  récitation  de 
l'office  en  leur  honneur.  Alors  et  depuis,  avec  la  sainte  Eglise, 
nous  pouvons  dire  :  sainte  Eusébie,  et  vous  ses  compagnes, 
priez  pour  nous II.. . 

Une  conclusion  se  dégage  des  deux  précédents  chapitres. 
Si,  de  tout  temps,  sainte  Eusébie  a  été  honorée  d'un  culte  plus 
ou  moins  extérieur  et  public,  le  martyre  de  notre  sainte  n'est 
donc  pas  une  pure  légende.  Quelques  historiens  de  Marseille 
l'ont  pensé.  11  est  vrai  qu'ils  se  sont  contentés  de  récrire,  sans 
jamais  s'occuper  de  fournir  la  moindre  preuve  à  l'appui.  Il  en 
est  même  qui  ont  affirmé  le  contraire  le  lendemain  (3).  La  vie 

(1)  Guesnay  à  plusieurs  reprises  dans  son  Cassianus  illustratus,  les 
appelle  saintes  martyres,  page  475  :  «  ...  Àd  hujus  sacelli  dexteram, 
marmoreum  sepulcrum  constitutum  est  in  eoque Sanctœ  Eusebiae...  ossa 
condita. ..  Hae  autem..  mortem  quam  virginitatem  Deo  dicatam  dépé- 
ri re  sibi  maluerunt  . .»  —  Ibidem,  p.  725  :  Sepulchrum . . .  in  quo  sanc- 
tissimarum  virginum  et  martyoïm  lipsana...»—  Page  510  :  «  Quse  fortiter 
dato  capite  ad  duplicatum  virginitatiset  martyrii  praemium  evolarunt.  * 
—  Page  725  :  «  Sancta  Eusebia  virgo  et  martyr...  cœnobium  de  Yvelino 
vixit  aliquot  annos...  Gum  Eusebia,  Deo  sacrât»  virgines  39,  receptis 
repentin»  Victoria?  palmis,  militiae  cœlestis  cuneos  suà  accessione  amplia- 
runt.  Sacra  martyrum  exuviae ...» 

(2)  Acta  sanct.  —  Bolland.,  Vit  a  Sanctœ  Eusebiœ, .  oct.  U,  p.  292. 
M"  de  Belsunce  fixa  la  fête  de  sainte  Eusébie  au  deuxième  dimanche 
d'octobre  :  c  Quod  illan  nullum  certum  suo  cultui  sacrum  diem  habe- 
rent  »,  ajoutent  les  Bollandistes. 

(3)  M.  Mortreuil  traite  d'une  manière  assez  irrévérencieuse  le  fait  des 


—  53  — 

et  la  mort  de  notre  héroïne  sont  entourées  d'obscurités,  c'est 
vrai,  mais  la  foi  du  peuple  ne  s'embarrasse  pas  de  ces  obstacles. 
Elle  perce  ces  ténèbres  pour  aller  droit  au  but.  Et  n'ayons 
crainte,  le  peuple  chrétien  sait  bien  à  qui  il  porte  ses  prières. 
En  définitive  c'est  le  souffle  du  Saint-Esprit  qui  le  pousse  et  le 
conduit 

Lorsque  au  printemps  nous  voyons  une  rose,  fraîchement 
épanouie,  charmer  nos  regards  par  les  brillantes  couleurs  de 
sa  corolle  embaumée,  nous  disons  :  C'est  le  rosier  qui  a  produit 
cette  rose  1  A  l'heure  actuelle  nous  vénérons  sur  les  autels,  à 
Marseille,  la  sainte  abbesse  Eusébie,  et  Ton  respire,  à  la  prier, 
je  ne  sais  quel  parfum  délicieux  de  rose  et  de  lis.  Sachons-le 
bien,  nous  possédons  la  Rose,  sûrement  nos  pères  avaient  vu 
le  Rosier  !  ! 


Desnazzadas.  «  C'est  une  pieuse  légende  commune  à  plusieurs  établisse- 
ments monastiques,  et  la  date  n'en  est  rien  moins  que  certaine.  »  (Mortreuil, 
Réponse  aux  observations  de  M.  Augustin  Fabre  sur  l'ancienne 
bibiliothèque  de  Saint-Victor,  p.  6.) 

Pour  Achard  l'historiographe,  cité  par  M.  Saurel,  Banlieue  de  Mar- 
seille, p.  154,  et  Meynier,  cité  aussi  par  Saurel,  dans  le  môme  ouvrage,  ce 
n'est  qu'une  vieille  légende,  dont  le  fait  n'est  pas  prouvé  et  probable* 
ment  emprunté  à  un  épisode  analogue  arrivé  à  Saint  Jean-d'Acre,  et  qui 
d'ailleurs  semble  être  un  moyen  assez  violent  de  se  défendre  contre  les 
barbares. 

Augustin  Fabre  ne  l'accepte  que  comme  légende,  dans  les  Rues  de 
Marseille,  t,  1  p.  280.  Mais,  dans  Observations  sur  la  dissertation  de 
M.  Mortreuil,  p.  4,  il  l'appelle  :  «  un  sacrifice  touchant  et  sublime  »  et 
le  tient  pour  vrai. 


4. 


CHAPITRE  VI 

Sainte  Eusébie,   ses  compagnes  martyres 

et  leurs   reliques 

JUSQU'A  LA  RÉVOLUTION,  LB  CORPS  DE  8AINTE  EUSÉBIE  ÉTAIT  ENSE- 
VELI DANS  UN  TOMBEAU  A  PART.  — A  CETTE  ÉPOQUE  SES  RELIQUES 
ONT  PU  ÊTRE  PROFANÉES.  —  JUSQU'A  LA  RÉVOLUTION,  LES  RBLI-, 
QUBS  DES  SAINTES  COMPAGNES  D'EUSÉBIE  ONT  ÉTÉ  SOUS  LE  PAVÉ, 
DEVANT  L'AUTEL  DE  NOTRE-DAME  DE  CONFESSION.  —ELLES  T  SONT 
ENCORE. 

La  question  du  culte  en  l'honneur  de  sainte  Eusébie  et  de 
ses  compagnes  étant  réglée,  il  est  intéressant  pour  nous  de 
savoir  ce  que  sont  devenues  leurs  reliques. 

Relativement  à  sainte  Eusébie,  nous  l'avons  vu,  une  charte 
du  XIV-  siècle  affirme  que  ses  ossements  béni?  se  trouvaient 
dans  un  tombeau  (actuellement  au  Musée  du  Château-Borély)*, 
placé  dans  les  cryptes,  à  droite  de  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Confession,  à  l'extrémité  du. passage  étroit  qui  conduit  au- 
delà  de  cette  chapelle.  De  fait,  jusqu'à  l'époque  de  la  Révo- 
lution, c'est  là  que  Ton  voyait  ces  reliques  vénérables. 

Tous  les  auteurs  postérieurs  au  XIV-  siècle  qui  ont  parlé  de 
notre  sainte,  ont  placé  son  tombeau  à  ce  même  endroit,  en 
donnant  des  indications  plus  ou  moins  détaillées.  Chifflet  place 
le  corps  d'Eusébie  dans  la  chapelle  de  l'église  inférieure,  dans 
les  cryptes  (1).  Guesnay  dit  qu'à  la  suite  de  cette  chapelle  se 
trouvait  un  tombeau  de  marbre,  dans  lequel  étaient  placées  les 
reliques  de  sainte  Eusébie,  jadis  abbesse  de  trente-neuf  com- 
pagnes (2).  Mabillon,  parle  du  tombeau  sur  lequel  on  voyait 

(1)  Chifflet,  Veauntio  ci  vit  as  imper ialis,p.  I99etsniv.:  «...  Quarum 
corpora  aliquo  post  tempore  disquisita,  in  monasterium  Sancti  Victoris 
translata  su nt  et  in  sacello  ecclesiœ  inferiorisreposita...» 

(2)  «  Ad  hujus  sacelli  dexteram  marmoreura  sepulcrum  eonstitutum 
est,  in  eoque  sanctae  Eusebise  eammdem  novem  et  triginta  monalium 
quodam  abbatissa?,  ossa  condita. . .  »  Cassianns  illustratua,  p.  475. 


—  55  — 

une  image  de  notre  sainte,  le  visage  et  le  nez  mutilés  (1). 
Arthur  de  Monestjer  citeGuesnay.  Agneau  écrit  :  «  En  sortant 
de  la  chappelle  (Sainte-MagdeleineJ  on  voit  un  tombeau  en 
marbre  blanc  qui  renferme  les  reliques  de  sainte  Eusébie,  ab- 
besse  des  religieuses  Cassianites  (2).  »  M"  de  Belsunce  affirme 
que  «  les  corps  de  ces  martyres  furent  transportés  à  l'abbaye  de 
Saint- Victor,  où  ils  sont  encore  au  jourd'hui,  dans  l'église  sou- 
terraine. Celui  de  sainte  Eusébie  est  dans  un  tombeau  de  mar- 
bre quarré-long,  et  enchâssé  dans  une  espèce  de  niche.  »  La 
Notice  sur  les  Cryptes,  de  Kothen,  précise  l'endroit  de  la 
sépulture  :  «  A  l'extrémité  du  passage  (derrière  la  chapelle  de 
Notre-Dame)  se  trouve,  dans  un  mur,  un  emplacement  de  tom- 
beau arqué  qui  contenait  les  restes  de  sainte  Eusébie  (3)  ». 
M.  le  chanoine  Magnan  dit  de  même  que  «  le  premier  arcoso- 
Hum  (derrière  l'autel  de  Notre-Dame)  est  celui  où  se  trouvait 
autrefois  le  tombeau  de  sainte  Eusébie  (4).»  M.  de  Rey  :  a  Les 
reliques  de  sainte  Eusébie  furent  enfermées  dans  une  tombe 
de  marbre  que  l'on  plaça  dans  l'épaisseur  de  la  muraille,  à 
côté  de  la  grotte'de  sainte  Magdeleine  (5).  » 

Ainsi,  pendant  trois  cents  ans,  sainte  Eusébie  a  reposé  dans 
ce  tombeau  à  part,  à  côté  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de 
Confession. 

Et  aujourd'hui,  où  se  trouvent  ces  restes  précieux  ?  On  est 
d'accord  à  dire  qu'à  l'époque  de  la  Révolution  tout  fut  détruit, 
brûlé  et  dispersé.  Cela  est  fort  probable,  à  moins  que  quelque 
main  pieuse  ait  pu  dérober  le  corps  aux  barbares  modernes, 
et  l'ait  placé  dans  un  recoin  ignoré  des  cryptes  ou  ailleurs. 
Mais  il  n'y  a  guère  lieu  de  l!espérer. 

Quant  aux  reliques  des  quarante  compagnes  d'Eusébie,  les 


(1)  t  Exstat  in  monasterio  Sancti  Victoris  Eusebise  tumulus,  cui  impo- 
rta est  ejusdem  heroinse  effigies,  dimidia  facie  et  naso  mutila,  cum  hoc 
epitaphio...  »   Annales  ordinis Sancti  Benedicti,  t.  II,  p.  96. 

(2)  Agneau,  Calendrier  spirituel  du  Diocèse  de  Marseille,  en  /75P, 
p.  381. 

(3)  Notice  sur  les  Cryptes  de  l'abbaye  de  SainUVictor-lez-Marseille, 
p.  54. 

(4)  Saint- Victor  de  Marseille,  par  l'abbé  Magnan,  p.  22. 

(5)  Les  Saint 8  de  l'Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  235. 


—  56  — 

auteurs  ne  sont  pas  d'accord  pour  désigner  l'endroit  précis 
où  elles  ont  été  déposées. 

Du  temps  de  saint  Ysarne,  nous  l'avons  prouvé,  elles  étaient 
à  part,  seorsum,  et  cet  endroit  à  part,  c'est  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Confession.  Elles  y  étaient  encore  au  XIV  siè- 
cle, puisque  la  charte  citée  plus  haut  dit  qu'elles  se  trouvaient 
placées  :  ante  al  tare  Beatœ  Virginis. 

Depuis  cette  époque,  les  a-t-on  changées  de  place  ?  Nous  ne 
le  croyons  pas. 

D'abord,  avant  la  Révolution  elles  y  étaient.  Chifflet  écrit 
qu'elles  sont  dans  l'église  souterraine  (1).  De  même  Mgr  de 
fielsunce,  qui  ajoute:  a  Elles  y  sont  encore  aujourd'hui, 
(de  son  temps.)  (2)  »  Arthur  deMonestier,  Guesnay,  deAufti, 
Agneau,  disent  qu'elles  se  trouvaient  dans  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Confession  (3).  Mabillon  affirme  que  de  son 
temps  les  reliques  de  ces  saintes  vierges  se  trouvaient  au 
milieu  de  cette  chapelle  (4). 

Il  n'y  a  qu'une  variante.  La  Notice  des  monuments  conser- 
vés à  Saint-  Victor,  sans  désigner  l'endroit  précis  où  se  trouve 
le  tombeau  de  sainte  Eusébie,  place  les  reliques  des  quarante 
compagnes  dans  le  tombeau  de  l'abbesse  (5),  ce  qui  est  maté- 


(1)  Chifflet,  Vesuntio  civitas  imperialis,  p.  199  et  suivantes. 

(2)  L'Antiquité  de  l Eglise  de  Marseille,  par  Mgr  de  Belsunce,  t.  I, 
p.  291. 

(3)  Arthur  de  Monestier  :  Sacrum  gynœceum  ad  30  dec,  cite  le 
texte  de  Guesnay.  —  Guesnay,  Cassianus  illustrât  us,  pp.  474,  725: 
«  Ad  hujus  sacelli  dexteram,  marmoreum  sepulcrum. . .  in  quo  sanctis* 
simarum  virginum  et  martyrum  lipsana  suis  ut  decet  locuiis  condita, 
piorum  clientum  votis  exhibentur.  »  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille, 
t.  II,  p.  130  :  «  Le  tombeau  des  quarante  religieuses  qui  se  coupèrent  le 
nez  à  l'exemple  de  l'abbesse  Eusébie  est  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Confession...»  —  Ruffi  (Antoine  de)  :  c  Elles  sont  ensevelies  au  mitan 
de  la  chapelle  intitulée  :  Notre-Dame  de  Confession.  »  Histoire  de  Mar- 
seille, p.  408.  —  Agneau  :  Leurs  reliques  sont  sous  l'autel  de  Notre-Dame 
de  Confession.  »  Calendrier  spirituel,  p.  384. 

(4)  Mabillon  :  «  Sanctimoniales  alise  quadraginta  ejus  socise  jacent  in 
medio  saoello  B.  Mariae  de  Confessione,  ut  vocant.  »  —  Annales  O.  S.  £., 
t.  2,  p.  90.  —  Acta  sanctorum  O.  S.  B.,  t.  4,  p.  487. 

(5)  Notice  des  monuments  conservés.,,  p.  17.  Nous  venons  de  voir 
que  Guesnay  offre  aussi  cette  variante. 


-  57  - 

riellement  impossible.  Quarante  corps,  ou  les  ossements  de 
quarante  corps  ne  peuvent  être  contenus  dans  un  tombeau 
pareil  à  celui  de  sainte  Eusébie.  En  résumé  donc,  les  auteurs 
antérieurs  à  la  Révolution  sont  d'accord.  De  leur  temps,  les 
reliques  des  quarante  compagnes  d'Eusébie  étaient  dans  la 
chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession. 

Les  auteurs  postérieurs  à  la  Révolution  ont  moins  d'unani- 
mité dans  leurs  affirmations. 

Dans  Y  Essai  historique  et  archéologique  sur  les  cryptes  de 
Saint-Victor,  on  lit  que  «  l'autel  (de  Notre-Dame  de  Confes- 
sion) renfermait,  outre  diverses  reliques,  celles  de  quarante 
religieuses  qui,  à  l'exemple  de  leur  abbesse  Eusébie,  se  muti- 
lèrent le  visage. . .  (1)  »  M.  l'abbé  Verlaque  (2)  affirme  que, 
d'après  plusieurs  auteurs  et  la  légende  de  l'ancien  plan  des 
souterrains,  le  tombeau  de  sainte  Eusébie  et  celui  de  ses  com- 
pagnes étaient  placés  sous  l'ancien  autel  de  Notre-Dame  de 
Confession.  M.  Eothen  cite  une  délibération  du  Chapitre  de 
Saint- Victor,  en  date  du  1"  juin  1746,  dans  laquelle  on  lit  : 
«  Attendu  que  le  dit  autel  (de  Notre-Dame  de  Confession)  ren- 
ferme plusieurs  tombeaux  de  saints  martyrs,  les  dits  prieurs 
promettent  que  le  dessus  sera  d'une  planche  en  bois  qu'on 
pourra  facilement  enlever  pour  satisfaire  la  pieuse  curiosité 
des  fidèles.  »  Il  ajoute  :  «  D'après  la  plupart  de  nos  chroni- 
queurs et  la  légende  de  l'ancien  plan,  ces  tombeaux  renfer- 
maient les  restes  des  compagnes  de  sainte  Eusébie,  abbes- 
se (3).  » 

Nous  croyons  ces  opinions  complètement  erronées.  En  effet, 
les  chroniqueurs,  nous  les  avons  cités,  et  à  moins  que  Eothen 
en  ait  connu  d'autres,  ceux  dont  nous  avons  rapporté  le 
témoignage  :  Mabillon,  Arthur  de  Monestier,  Chifflet,  Ruffi, 
disent  à  peu  près  tout  lé  contraire.  Pour  ces  auteurs,  les  reli- 
ques des  compagnes  de  sainte  Eusébie  ne  sont  pas  dans  l'autel 


(1)  Essai  historique  et  archéologique  sur  Us  cryptes  de  Saint- Vic- 
tor, p.  25. 

(2)  Notice  sur  Sainte  Eusébie,  par  l'abbé  Verlaque,  p.  21 . 

(3)  Kothen,  Notice  su*  les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lès- 
MarseiUe,  p.  34. 


—  58  - 

ou  sous  l'autel  de  Notre-Dame,  mais  :  jacent  in  média 
sacello.  La  légende  de  l'ancien  plan  doit  être  celle  que 
M.  Paillon  a  donnée  dans  son  premier  volume  des  Monuments 
inédits  (1),  et  que  Ton  trouve  aussi  dans  Kothen.  Or,  dans  le 
plan  que  donne  Paillon,  pas  un  mot  du  tombeau  de  sainte 
Eusébie,  ni  de  celui  de  ses  compagnes,  et  dans  le  plan  que 
donne  Eothen,  le  tombeau  de  l'abbesse  est  indiqué,  mais  pas 
celui  de  ses  compagnes. 

Quant  au*  reliques  qui  se  trouvaient  sous  l'autel  de  Notre- 
Dame  de  Confession,  nous  n'avons  qu'à  nous  rappeler  la  charte 
sans  date  du  XIV*  siècle,  nous  saurons  à  quels  saints  elles 
appartenaient.  «  Sous  l'image  de  la  Bienheureuse  Vierge  repo- 
sent les  trois  soldats  qui  furent  les  compagnons  de  saint  Vic- 
tor et  martyrs  avec  lui:  Félicien,  Alexandre  et  Longin(2)  ». 
Voilà  les  reliques  que  l'autel  Notre-Dame  renfermait.  L'auteur 
de  V Essai  historique,  M.  l'abbé  Verlaque  et  Eothen  se  sont 
donc  trompés.  Nous  préférons  l'opinion  de  M.  André:  «  Les 
restes  vénérés  des  quarante  martyres  étaient  devant  l'autel  de 
Notre-Dame  de  Confession  (3)  ».  Et  l'opinion  de  M.  Rey  qui  dit 
également  :  «  Les  corps  des  quarante  victimes  des  Sarrasins, 
que  le  peuple  appelle  du  nom  expressif  de  desnarrados  Jurent 
ensevelis  dans  l'église  inférieure  de  Saint- Victor.  Ils  y  repo- 
saient dans  le  sol,  sous  le  dallage,  à  l'entrée  de  la  chapelle 
de  Notre-Dame  de  Confession  (4)  *.  Avant  la  Révolution  ils 
étaient  donc  là.  Les  auteurs  modernes  le  reconnaissent. 

Or,  pendant  la  Révolution  les  a-t-on  déplacés  de  cet  en- 
droit ?  A-t-on  fouillé  le  pavé?  A  t-  on  jeté  au  vent,  au  feu,  à 
la  mer  les  ossements  bénis  qu'il  gardait  depuis  des  siècles  ? 
Peut-être.  Mais  quel  est  l'auteur  qui  l'ait  dit  avec  preuve  à 
l'appui  (5)  ?  Quel  vague  souvenir  a-t-on  conservé  de  ce  fait? 


(1)  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Marie-Magdeleine, 
par  l'abbé  Faillon,  1. 1,  col.  54.  —  Kothen,  op.,  cit.  planche  VI. 

(2)  c  Sub  imagine  B.  Maria?  jacent  très  milites  qui  fuerunt  socii  Vic- 
toria et  martyres  cum  eo,  Felicianus,  Alexander  et  Longinus. ..  » 
Recueil  de  chartes  de  Dom  Lefournier,  t.  3  ;  Archives  départementales.  | 

(3)  André,  Histoire  de  V abbaye  de  Saint-Sauveur,  p.  13.  : 

(4)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  :  sainte  Eusébie,  p.  295. 

(5)  Sur  quinze  ou  vingt  ouvrages  que  nous  avons  entre  les  mains  et  i 


-  59  — 

On  a  prof  ané' et  brûlé,  nous  l'acceptons,  les  reliques  de  sainte 
Eusébie  et  d'autres  saints.  Leurs  tombeaux  étaient  visibles  aux 
regards  de  tous.  Mais  ces  reliques  des  quarante  compagnes 
d'Eusébie  étaient  sous  le  pavé,  peut-être  très  profondément 
enfouies.  Elles  ont  pu  échapper  à  la  rage  des  nouveaux 
yandales.  Aussi  nous  n'hésitons  pas  à  l'affirmer.  Notre  con- 
viction est  qu'elles  s'y  trouvent  encore,  là,  sous  le  pavé,  sous 
le  dallage,  devant  l'autel  de  Notre-Dame.  Et  ce  qui  nous  con- 
firme dans  notre  croyance  c'est  que  nous  nous  rencontrons  du 
même  avis  que  l'historien  de  nos  Saints  de  Marseille,  qui  con- 
naît bien  et  aime  beaucoup  nos  cryptes,  M.  de  Rey  (1). 


que  nous  citons  Je  long  de  ce  travail,  il  n'en  est  guère  que  trois  qui 
supposent  que  les  reliques  des  compagnes  de  sainte  Eusébie  ont  été 
profanées  à  cette  époque  désastreuse.  Dans  quelques  lignes  consacrées 
à  sainte  Eusébie  par  M.  l'abbé  Magnan,  on  lit  :  «  Les  cendres  d'Eusébie 
et  de  ses  compagnes  ont  été  jetées  au  vent,  son  tombeau  a  été  arraché 
do  Heu  qu'il  occupait.»  Semaine  liturgique,  année  1868,  p.  732,  t.  VII. 

Dans  une  Notice  sur  Sainte  Eusébie,  M.  l'abbé  Verlaque  a  écrit  :  «  Le 
tombeau  de  sainte  Eusébie  et  celui  de  ses  compagnes  étaient  placés  sous 
l'ancien  autel  de  Notre-Dame  de  Confession..  Jusqu'en  1793  les  sarco- 
phages restèrent  debout,  mais  à  cette  époque  le  vandalisme  s'abattit 
avec  rage  sur  cette  maison  de  prières...  »  p.  21.  —  L'abbé  Bayle,  dans 
un  opuscule  sur  Saint- Victor,  se  contente  d'écrire  :  «  Ses  reliques  (de 
Sainte  Eusébie)  ont  été  profanées.  »  p.  127. 

(1)  «  Us  y  reposaient,  et  peut-être  ils  y  reposent  encore,  dans  le  sol, 
sous  le  dallage,  à  l'entrée  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Confes- 
sion. »  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  :  sainte  Eusébie,  p.  235. 


o§*>*<*§o 


SAINTE  EUSÉBIE 

Abbesse 
ET     SES    40    COMPAGNES    MARTYRES 

A    MARSEILLE 


En  quel  lieu  et  à  quel  endroit 
elle  a  souffert  le  martyre 


CHAPITRE  PRÉLIMINAIRE 


Précis  Historique   de   la   Controverse 


AUTEURS  QUI  ONT  ÉCBIT  SUR  SAINTE  EUSÉBIE.  —DEUX  QUESTIONS  A 
TRAITER.  —  OPINION  CONTRAIRE  DE  CERTAINS  AUTEURS  RELATIVE- 
MENT A  CES  DEUX  QUESTIONS.  —  MARCHE  A  SUIVRE  DANS  CE 
TRAVAIL. 


Nous  l'avons  dit,  à  notre  avis,  le  monastère  où  sainte  Eusé- 
bie a  passé  de  longues  années  dans  la  pratique  de  la  vie  reli- 
gieuse était  situé  sur  les  bords  de  l'Hu  veaune,  près  de  la  mer, 
à  l'endroit  occupé  actuellement  par  l'ancien  restaurant  Gon- 
tard/Et  c'est  là  qu'elle  a  été  martyrisée  avec  ses  quarante 
compagnes  par  les  Sarrasins,  en  738. 

Mais  la  question  est  controversée .  En  regard  de  nos  obser- 
vations se  dressent  deux  négations  aussi  formelles.* Des 
auteurs  et  bien  nombreux  soutiennent  qu'il  faut  céder  à 
d'autres  lieux  et  à  une  autre  époque  l'honneur  d'avoir  vu  tant 
de  piété,  de  vertu  et  d'héroïsme.  Donnons  en  quelques  mots 
le  précis  de  cette  controverse. 

Quatre  auteurs  ont  écrit  sur  sainte  Eusébie  :  M.  l'abbé 
Nagnan,  dans  un  travail  que  la  Semaine  liturgique  inséra 
jadis  dans  ses  pages  (1)  ;  M.  l'abbé  Verlaque,  dans  un  petit 
opuscule  intitulé  ;  Notice  sur  la  vie  de  sainte  Eusébie, 
abbesse  et  martyre;  M.  Gonzague  de  Rey,  dans  un  livre  bien 

(1;  Sainte  Eusébie  et  ses  compagnes,  par  l'abbé  Magnan  ;  Semaine 
liturgique,  année  1868»  p.  732  et  suiv.  —  Le  même  auteur  a  écrit 
quelques  lignes  sur  le  même  sujet  dans  sa  Notice  sur  la  Croix  de  Saint- 
André,  pp.  16  et  17,  et  dans  l'Histoire  d'Urbain  V  et  de  son  siècle% 
p.  252. 

5 


—  62  — 

goûté  de  tous  :  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  (1); 
M.  Grinda,  enfin,  dans  quelques  extraits  d'une  monographie 
de  Saint-Victor,  publiés  dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la 
Garde,  année  1888* 

Nombre  d'auteurs  ont  effleuré  aussi  dans  leurs  ouvrages  le 
même  sujet,  le  traitant  d'une  manière  plus  ou  moins  som- 
maire. Ainsi,  Chiffletius  J.-J.,  dans  son  Vesuntio  civitas  li- 
béra imperialis  (2)  ;  le  P.  de  Saussay ,  dans  le  Martyrologium 
Gallicanum  (3)  ;  le  P.  Guesnay,  dans  le  Cassianus  illustratus9 
le  Provinciœ  Massiliensis  Annales  (4)  ;  le  P.  Arthur  de  Mones- 
tier,  dans  le  Sacrum  Gynœceum  (5);  Mabillon,  dans  les  Acta 
sanctorum  ordinis  Sancti  Benedicti  et  les  Annales  ordinis 
Sancti  Benedicti  (6)  ;  les  deux  Ruffl,  dans  Y  Histoire  de  Mar- 
seille (7)  ;  H.  Bouche,  dans  la  Chorographie  et  l'Histoire  de 
Provence;  Bouche,  dans  Y  Essai  sur  V Histoire  de  Pro- 
vence (%)  ;  le  P.  Lecointe,  dans  les  Annales  ecclesiastici  Fran- 
corum  (9);  le  P.  Denis  de  Sainte- Marthe,  dans  la  Gallia 
Christiana  (10)  ;  Mgr  de  Belsunce,  dans  Y  Antiquité  ou  la  suc- 
cession des  évéques  de  Marseille  ;  Agneau,  dans  le  Calen- 
drier spirituel  de  1759  ;  le  P.  Saint-Alban,  dans  le  Ca- 
lendrier spirituel  et  perpétuel  de  la  ville  de  Marseille,  de 


(1)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  Sainte  Kusébie  et  ses  com- 
pagnes, vierges  et  martyres,  11  oct.,  p.  225etsuiv.  —  Le  même  auteur 
traite  ce  sujet  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence. 

(2)  Chiffletius  J.-J.,  Vesuntio  civitas,  etc., p.  139  et  suiv. 

(3)  De  Saussay,  Martyrologium  Gallicanum,  Naialis  Sancti  An- 
drœœ,  pridie  kalend.  decembris  (30  nov.).  —  Martyrologium  Gallica- 
num Supplementum,2Q  nov .,  Natahs  Sancti  Hugonis  confessoris. 

(4)  Guesnay,  S.  Cassianus  iUustratus,  p.  475,  etc.  ;  Provinciœ  Mas- 
8iliensis  Annales,  pp.  186  et  600. 

(5)  Arthur  de  Monestier,  Sacrum  Gynœceum,  30  déc. 

(6)  Mabillon,  Act a  sanctorum  ordinis  Sancti  Benedicti,t.  IV,  p.  487; 
—  Annales  ordinis  Sancti  Benedicti,  t.  II,  p.  90. 

(7)  Antoine  de  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  p.  386.  —  Louis  de  Rufû, 
Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  56, 116, 120. 

(8)  H.  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  t.  II.  — 
Bouche,  Essai  sur  l'histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  182. 

(9)  P.  Lecointe,  Annales  ecclesiastici  Francorum,  t.  I,  ann.  536. 

(10)  P.  Denis  de  Sainte-Marthe,  G  allia  Christiana,  1. 1,  Ecclesia  Mas- 
siliensis, col.  695,  etc. 


—  63  — 

1719(1);  Grosson,  dans  VAlmanaeh  historique  de  Marseille 
de  1770  (2)  ;  Papon,  dans  l'Histoire  de  Provence  (3)  ;  Lautard, 
dans  ses  Lettres  archéologiques  (4)  ;  Guindon  et  Méry,  dans 
VHistoire  analytique  et  chronologique  des  actes  et  délibéra- 
tions du  corps  et  du  conseil  de  la  municipalité  de  Mar- 
mite (5)  ;  M.  l'abbé  Magloire  Giraud,  dans  sa  Notice  histori- 
que sur  la  paroisse  de  Saint-Cyr(6)  ;  Bousquet  Casimir,  dans 
La  Major  (7)  ;  André,  dans  Y  Histoire  des  religieuses  de 
Saint-Sauveur  (8)  ;  les  mémoires  de  la  Société  archéologique 
du  Midi  (9);  Expilly,  dans  le  Dictionnaire  historique  (10); 
Edmond  Leblant,  dans  les  Inscriptions  chrétiennes  des 
Gaules,  antérieures  au  VIII9  siècle  (11);  Augustin  Fabre,  dans 
les  Rues  de  Marseille,  •  la  Bibliothèque  de  Saint-  Victor, 
Y  Histoire  de  Marseille  et  V  Histoire  de  Provence  (12);  Mor- 
treuil,  dans  la  Réponse  aux  Observations  de  M.  Augustin 
Fabre  sur  l'ancienne  bibliothèque  de  Saint-  Victor  (13);  Mey- 
nier,  Anciens  Chemins  de  Marseille  ;  l'abbé  Daspres,  dans 


(1)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  par  Mgr  de  Belsunce,  t.  I, 
pp.  toi,  258,  290.  —  Agueau,  Calendrier  spirituel,  pp.  154,  381,  etc.— 
P.  Saint-Àlban,  Calendrier  de  1714,  p.  148. 

(2)  Almanach  historique  de  Marseille,  par  Grosson,  année  1870, 
p.  74;  année  1773,  p.  93. 

(3)  Histoire  générale  de  Provence,  par  Papon,  t.  I,  p.  361. 

(4)  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  par  Lautard,  p.  397,  etc. 

(5)  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique  et  chronologique  des  actes 
et  délibérations,  etc.,  1. 1,  p.  100  ;  t.  Y,  p.  200,  etc. 

(6)  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr%  par  l'abbé  Mag. 
Giraud,  p.  14. 

(7)  La  Major,  par  le  docteur  Bousquet,  pp.  67, 629. 

(8)  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  par 
Aûdré,  p.  9. 

(9)  Mémoires  de  la  Société  archéologique  du  Midi,  t.  II,  p.  219. 

(10)  Dictionnaire  historique  d'Expilly,  verbo  Marseille. 

(H)  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  antérieures  au  VIII* 
siècle,  par  Ed.  Leblant,  n'  545. 

(12)  Rues  de  Marseille,  t.  I,  p.  282.  —  Observations  sur  la  disser- 
tation de  M .  Mortreuil  intitulée  a  L'ancienne  bibliothèque  de  Saint- 
Victor  i,  p.  31  ;  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  313;  Histoire  de  Mar- 
*ifo,t.  I,  p.  218. 

{1$)  Réponses  aux  Observations  de  M,  Aug.  Fabre,  p.  5.  —  Meynier, 
Anciens  Chemins,  pp.  43,  44. 


—  64  - 

sa  Notice  sur  la  paroisse  de  Saint-Giniez  (1)  ;  Satirel 
Alfred,  dans  la  Banlieue  de  Marseille  (2)  ;  l'abbé  J.-J.  Cayol, 
dans  Y  Histoire  de  Saint-Loup  (3)  ;  la  Statistique  des  Bou- 
ches-  du  -Rhône  (4)  ;  Fouque,  dans  les  Fastes  de  Provence  (5); 
Baudin,  dans   Y  Histoire  de  Marseille  (6)  ;   L.   Méry,  dans 

Y  Histoire  de  Provence  (7);  l'abbé  Faillon,  dans  les  Monuments 
inédits  sur  le  culte  de  sainte  Madeleine  (8)  ;  Reynaud,  dans 
les  Invasions    des  Sarrasins  en  France  (9)  ;  Alliez,   dans 

Y  Histoire  de  Lérins  (10)  ;  l'abbé  Darras,  dans  son  Histoire 
de  l'Eglise  (11);  Rocbacker  dans  Y  Histoire  générale  de 
V Eglise  (12). 

Mais  la  solution  qu'ils  donnent  aux  deux  problèmes  que 
nous  nous  proposons  d'étudier  ici  est  loin  d'être  claire  et  uni- 
forme. S'il  s'agit  de  déterminer  l'emplacement  du  monastère 
où  sainte  Eusébie  a  vécu  et  souffert  le  martyre,  Chifflet, 
Arthur  de  Mo  nés  tiers,  de  Saussay,  Mabillon,  Guesnay,  Magnaa 
désignent  les  bords  de  l'Huveaune  ;  Ruffl,  Denis  de  Sainte- 
Marthe,  Agneau,  André,  Daspres,  Verlaque  préfèrent  le  voisi- 
nage de  Saint- Victor  ;  Grosson  assigne  les  Catalans  ;  Meynier 
et  l'abbé  Cayol,  Saint-Loup;  de  Rey,  le  Revest;  Magloire 
Giraud,  Saint-Cyr  du  Var;  Alfred  Saurel,  Guindon  et  Méry, 
Bousquet,  le  bassin  du  carénage  ;  de  Belsunce,  Alliez,  Darras, 
Reinaud,  Fabre,  Boudin,  Faillon  et  d'autres  ne  se  pronon- 
cent pas. 

(1)  Notice  historique,  topographique  et  hagiographique  sur  Saint- 
Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  p.  26. 

(2)  La  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  p.  154. 

(3)  Histoire    du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  J.-J.  Cayol, 
ch.  2. 

(4)  Statistique  des  Bouches-du-Rhône,  t.  II,  pp.  324,  457. 

(5)  Fastes  de  la  Provence  ancienne  et   moderne,  par  M.  Fouque, 
t.  I.  p.  241. 

(6)  Histoire  de  Marseille}  par  Amédée  Boudin,  p.  116. 

(7)  Histoire  de  Provence,  par  L.  Méry,  t.  II,  p.  363. 

(8)  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Marie-Magdéleine, 
par  l'abbé  Faillon,  1. 1,  col.  388. 

(9)  Reinaud,  Invasion  des  Sarrasins  en  France,  p.  137. 

(10)  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  par  l'abbé  Alliez,  1. 1,  p.  398. 

(11)  Histoire  générale  de  V Eglise,  par  l'abbé  Darras,  t.  XVII,  p.  14* 

(12)  Rocbacker,  Histoire  de  l'Eglise;  invasions  des  Sarrasins. 


—  65  — 

S'il  s'agit  de  fixer  l'époque  du  martyre  de  sainte  Eusébie, 
Guesnay  affirme  qu'il  eut  lieu  en  477  ;  M.  Grinda  en  497  ; 
Mabillon,  Belsunce,  Guindon,  Fabre,  Fouque,  Bousquet,  de 
721  à  735,  736,  737;  lluffi,  Lautard,  en  867;  Grosson,  durant 
le  IX-  siècle  ;  André,  de  Rey,  vers  923,  etc.,  etc. ,  etc. 

On  le  voit,  sur  ce  point  comme  sur  l'autre,  le  désaccord  ne 
peut  être  plus  tranché. 

A  nous  donc  de  faire  la  preuve  de  nos  deux  affirmations  et 
de  réfuter  les  assertions  opposées. 

Voici  la  marche  que  nous  nous  proposons  de  suivre.  Deux 
questions  sont  à  examiner:  en  quel  lieu  sainte  Eusébie  a 
souffert  le  martyre,  et  à  quelle  époque  cet  événement  s'est 
passé. 

Pour  traiter  la  première  question  avec  ampleur,  nous  cite- 
rons les  témoignages  des  auteurs  d'une  opinion  contraire  à  la 
nôtre  ;  nous  discuterons  ensuite  les  objections  qu'ils  fournis- 
sent contre  nous,  et,  enfin,  nous  établirons  notre  opinion  sur 
des  preuves  négatives  et  positives. 

Pour  traiter  la  seconde,  nous  suivrons  une  méthode  identi- 
que. Après  avoir  cité  les  auteurs  opposés  à  notre  sentiment 
et  discuté  la  valeur  de  leurs  témoignages,  nous  réfuterons 
leurs  objections,  nous  établirons  ensuite  notre  thèse  ;  enfin 
nous  tirerons  nos  conclusions. 

Une  fois  de  plus,  que  la  chère  sainte  Eusébie  nous  vienne 
en  aide  ! 


■**"*'na/\AAA/\AAAAAaa^*~— . 


PREMIÈRE  QUESTION 


En  quel  endroit  Sainte  Eusébie  a  souffert 

le  martyre 


PEEIOÈBE  PAETIE 


RÉFUTATION    DES    AUTEURS 


PREMIÈRE  SECTION 

Exposition  des  Objections  et  Questions  Préliminaires 


CHAPITRE  PREMIER 


Les  Auteurs  contraires  à  notre  opinion 


AUTEURS  CONTRAIRES  A  NOTRE  OPINION.  —  LE8  DEUX  RUPFI.  —  GROS- 
SON.  —  P.  8AINT-ALBAN.  —  AGNEAU.  —  LAUTARD.  —  GUINDON  ET 
IfÉRY. —  L'ABBÉ  MAGLOIRE  GIRAUD.  —  MEYNIER.  —  ANDRÉ.  —  L'ABBÉ 
CAYOL.  —  L'ABBÉ  DASPRES.  —  SAURBL.  —  LA  «  GALLIA  CHRISTIANA  ». 
—  L'ABBÉ  VBRLAQUE.  —  LES  BOLLANDISTES.—  M.  DE  REY.  —  RÉSUMÉ 
DBS  OBJECTIONS. 


Nous  allons  citer  le  témoignage  des  auteurs  d'une  opinion 
contraire  à  la  nôtre,  en  commençant  par  Ruffi  (Louis  de).  Il 
s'exprime  en  ces  termes  : 

«  Une  des  chartes  que  j'ai  citées  ci-dessus,  pour  prouver 
que  Cassien  avait  été  le  fondateur  de  ce  monastère,  marque 
que  cet  édifice  était  situé  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde, 
et  il  est  certain  qu'il  était  au  même  lieu  où  nous  avons  vu  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine,  qui  n'était  guère  éloignée  du 
monastère  de  Saint-Victor,  et  qui  fut  démolie  en  1685  pour  y 
bâtir  le  Canal  et  quelques  édifices  à  l'usage  des  galères.   Car 


—  70  — 

ce  qui  fortifie  ce  que  je  viens  de  dire  c'est  que  depuis  environ 
quelques  années  que  Ton  creusait  les  fondements  de  la  maison 
que  Ton  construisait  pour  y  fabriquer  la  poudre,  on  décou- 
vrit quantité  de  tombeaux  en  pierre  de  taille,  faits  en  forme 
de  caisse,  avec  leurs  couvercles,  qui  étaient  remplis  d'osse- 
ments, parmi  lesquels  on  en  trouva  un  qui  était  fort  avant 
dans  la  terre,  où  il  y  avait  au-dessus  une  petite  pierre  de 
marbre  qui  contenait  cette  épitaphe  : 

HIC  REQUIESCET  BONE 

MEMORIE   EUGENIA  ANCILLA  DEr 

CUI   VEXIT   ANNUS  ZZXXVI  RECESS1T 

VI  NONAS  MARSIAS 

C      0      3 

«  Tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce  lieu  était  ancien- 
nement un  cimetière  et  que  c'étaient  des  religieuses  qu'on  y 
avait  ensevelies.  Elles  ne  peuvent  être  que  celles  dont  nous 
parlons  ;  puisqu'on  ne  trouve  point  qu'il  y  ait  dans  Marseille 

des  religieuses  si  anciennes  que  celles-ci On  découvrit 

aussi  au  même  endroit  quelques  fondements  d'un  grand  édifice 
extrêmement  épais  qui  marquaient  une  très  grande  antiquité 
et  même  on  y  découvrit  quelques  masures  d'un  presbytère, 
qui  fournait  du  côté  du  levant. 

«  A  tous  ces  raisonnements  j'ajouterai  l'autorité  de  deux 
chartes  des  années  1431  et  1446  qui  font  foi  que,  lorsque  le 
monastère  de  Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y 
avait  tout  proche  un  autre  monastère  qui  ne  peut  être  que 
celui-ci.  De  sorte  qu'on  ne  peut  plus  douter  que  ce  monastère 
ne  fût  situé  en  cet  endroit,  et  non  pas  au  quartier  de  Saint- 
Loup,  ni  à  celui  de  Saint-Marcel,  ni  encore  moins  à  l'embou- 
chure de  THuveaune,  ni  sur  les  bords  de  la  mer,  comme 
quelques-uns  l'imaginent,  à  cause  qu'on  y  voit  paraître  des 
masures  d'une  église  qui  appartient  aux  religieuses  de  Saint- 
Sauveur  et  qu'on  appelait  anciennement  Notre-Dame  de  i'Hu- 
veaune.. . 

a  II  n'y  a  pas  apparence  que  Gassien  ait  bâti  un  monastère 
de  filles  si  loin  de  la  ville,  et  sur  le  bord  de  la  mer,  pour  né 


—  71  — 

pas  les  exposer  aux  incursions  des  pirates  qui  faisaient  alors 
de  fréquentes  courses  en  ces  mers,  ni  qu'il  les  eût  logées  dans 
l'intérieur  du  terroir,  puisqu'il  pouvait  les  placer  plus  proche, 
et  dans  un  lieu  aussi  solitaire  qu'il  pût  souhaiter.  Car  la 
montagne  de  la  Garde  était  toute  couverte  de  bois  de  haute 
futaie  qui  la  rendaient  obscure  et  extrêmement  propre  à  la  vie 
solitaire  dont  Cassien  faisait  profession. 

«  Mais,  comme  il  fonda  l'abbaye  de  Saint-Victor,  il  voulut 
bâtir  proche  de  cette  maison  et  à  une  distance  proportionnée 
ce  monastère  de  filles,  afin  qu'elles  pussent  alors  commodé- 
ment entendre  la  messe  dans  l'abbaye  de  Saint-Victor,  parce 
que  en  ce  temps- là  les  religieuses  n'avaient  point  encore 
d'églises  pour  y  faire  célébrer  les  saints  mystères  ainsi  que 
nous  l'apprenons  de  saint  Jérôme,  qui  exhorte  les  religieuses 
à  ne  point  sortir  de  leur  monastère  pour  aller  à  l'église  qu'en 
compagnie  de  leur  supérieure.  En  effet,  sainte  Paule,  après 
avoir  fait  construire  à  Bethléem  un  monastère  d'hommes, 
fonda  trois  monastères  de  filles,  qui  allaient  tous  les  diman  - 
ches  à  la  messe,  à  l'église  la  plus  proche  de  leur  monastère, 
sous  la  conduite,  de  leur  abbesse.  Quelque  temps  après  les 
religieuses  eurent  des  oratoires  dans  leurs  monastères  pour  y 
faire  célébrer  le  service  divin,  et  ne  commencèrent  à  bâtir  des 
églises  publiques  qu'après  l'an  817,  comme  il  est  facile  de  le 
conjecturer  d'après  le  concile  d'Aix-la-Chapelle.  Ces  autorités 
et  ces  exemples  fortifient  toujours  davantage  la  situation  de 
cette  maison  en  cet  endroit. 

«  D'ailleurs,  il  y  a  lieu  de  croire  que  Cassien,  qui  vivait  du 
temps  de  sainte  Paule  et  qui  avait  demeuré  pendant  cinq 
années  dans  son  monastère  de  Bethléem,  jugea  à  propos  d'in- 
troduire dans  les  deux  maisons  qu'il  fonda  en  cette  ville  la 
même  façon  de  vivre. . .  Il  n'aurait  pas  osé  bâtir  si  loin  un 
monastère  de  filles*  qui  île  gardaient  point  la  clôture,  pour  ne 
pas  les  hasarder  à  mille  inconvénients,  d'autant  plus  que 
nous  ne  trouvons  pas  de  titres  si  anciens  qui  nous  fassent 
savants  qu'avant  ce  temps-là  il  y  eût  quelque  église  en  ces 
quartiers,  où  elles  pussent  entendre  la  messe. 

«  Il  voulut  encore  en  cette  occasion  suivre  l'avis  de  saint 
Jean  Chrysostome  qui  porte  que  les  monastères  ne  doivent 


-  72  — 

point  être  écartés  des  villes,  afin  qu'ils  ne  fussent  point  éloi- 
gnés des  commodités  de  la  vie,  dont  ils  ne  peuvent  se  passer. 
Mais  une  des  principales  raisons  qui  obligea  ce  bon  Père  de 
faire  bâtir  le  monastère  en  cet  endroit,  fut  afin  d'avoir  moyen 
de  visiter  plus  souvent  ses  filles,  pour  les  instruire  et  les 
consoler  dans  leurs  besoins  spirituels  (1).  » 

Voici  ce  qu'Antoine  de  Ruffl,  père  du  précédent,  avait  écrit 
sur  le  même  sujet  (2)  : 

«  Quelques  auteurs  ont  pensé  que  le  monastère  était  aux 
bords  de  l'Huveaune,  à  quoi  l'on  ajoute  qu'il  fut  transféré  dans 
la  ville,  au  lieu  où  il  estaujourd'hui,  après  qu'il  eut  été  rava- 
gé par  les  Sarrasins,  et  que  les  religieuses,  à  l'exemple  de  leur 
abbesse  Eusébie,  se  coupèrent  le  nez .  Cette  tradition  (que  le  mo- 
nastère était  à  l'Huveaune) n'est  appuyée  sur  aucun  monument 
ni  vieille  écriture  qui  en  parle  clairement,  se  trouve  fortifiée 
par  plusieurs  conjectures.  Aux  premiers  siècles  on  bâtissait  les 
monastères  en  lieu  écarté,  hors  de  l'enceinte  des  villes,  si  bien 
que  Gassien,  qui  fut  le  fondateur  et  qui  faisait  profession  de 
vie  solitaire,  voulut  bâtir  cette  maison  en  ce  lieu  écarté. 

«  De  plus,  l'inscription  de  l'abbesse  Eusébie  qui  est  dans 
l'église  inférieure  de  Saint-Victor  nous  marque  que  cette 
illustre  femme  était  une  abbesse  du  monastère  sous  le  titre  de 
Saint-Quirice Saint-Sauveur  était  hors  de  la  ville,  il  por- 
tait le  nom  de  Saint-Quirice.  Il  garda  les  reliques  de  saint  Cyr 
en  vénération  et,  après  qu'il  eut  été  détruit,  les  religieuses 
vinrent  en  ville,  y  portèrent  les  reliques  portées  en  ce  pays 
au  V*  siècle  par  Amator,  évoque  d'Auxerre,  et,  pour  quelque 
raison  que  nous  ne  connaissons  pas,  ce  monastère  changea  le 
nom  de  Saint-Cyr  en  celui  de  Saint-Sauveur.  Quant  à  dire  où 
était  ce  monastère,  nous  ne  tenons  cela  que  par  tradition. 
J'estime  que  ce  monastère  était  ou  à  Saint-Loup  ou  à  Saint- 
Marcel,  d'autant  que  les  religieuses  possèdent  des  biens  et  deux 
propriétés.  Ceux-là  se  trompent  qui  disent  qu'il  se  trouvait  h 
l'Huveaune,  à  cause  des  masures  d'une  vieille  église  appelée 
anciennement  Notre-Dame-d'Huveaune.  » 

(1)  Ruffi  (Louis  de),  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56  et  suiv. 

(2)  Histoire  de  Marseille,  par  Antoine  de  Ruffl,  pp.  386,  401  ;  ouvrage 
imprimé  par  Claude  Garciu,  en  1642,  à  Marseille. 


—  73  — 

Grosson,  dans  VAlmanack  historique  de  1770,  s'exprime 
sur  ce  sujet  en  ces  termes  : 

«  L'abbaye  royale  de  Saint-Sauveur.  Cette  ancienne  abbaye 
de  Cassianites  fut  fondée  par  Cassien  en  420,  en  même  temps 
que  Saint -Victor,  dans  la  forêt  sacrée,  à  quelque  distance  du 
couvent  de  cette  première  abbaye.  Il  y  a  lieu  de  croire  que 
c'était  vers  l'endroit  où  se  trouvent  aujourd'hui  les  Infirmeries 
Vieilles,  sous  la  citadelle  de  Saint-Nicolas,  et  non  pas  à  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune,  comme  quelques-uns  l'ont  dit.  Ce 
dernier  monastère  était  une  abbaye  des  Prémontrés  qui  ne 
fut  établie  que  longtemps  après.  Ce  monastère  fut  d'abord 
dédié  à  saint  Cycirius.  Elles  sortirent  de  ce  local  par  la  persé- 
cution des  Sarrasins.  Vers  Tan  737,  elles  furent  plus  près  de 
Saint- Victor  et  ensuite  aux  Accoules,  puis  au  local  actuel, 
qu'elles  firent  élever  sur  les  ruines  de  l'ancien  Marseille  (1).  » 

A  la  page  75  de  VAlmanach  de  1774,  Grosson  ajoute  : 

«  Ceux  qui  penseraient  que  les  religieuses  cassianites,  au-» 
jourd'hui  à  Saint -Sauveur,  avaient  autrefois  le  monastère  à 
l'Huveaune  et  qui  leur  attribuent  les  restes  des  édifices  que 
Ton  aperçoit  encore  en  ce  lieu,  seraient  bien  aises  d'apprendre 
que  ces  restes  sont  les  ruines  de  l'abbaye  des  Prémontrés  qui 
fut  bâtie  en  1203.  La  charte  dit  :  de  novo  œdificare,  ce  qui 
supposerait  que  les  Prémontrés  y  avaient  déjà  une  église  (2).  » 

Le  P.  Saint-Alban,  dans  son  Calendrier  spirituel  et  perpé- 
tuel de  la  ville  de  Marseille,  en  1713,  écrit,  en  parlant  de 
Saint-Tronc  : 

«  11  y  avait  autrefois  en  cet  endroit  un  couvent  de  reli- 
gieuses de  Saint-Benoit.  On  y  voit  encore  des  masures  de  leur 
église  (3).  » 

Agneau,  dans  son  Calendrier  spirituel,  en  1759,  écrivait  à 
son  tour  : 

«  L'an  420,  Cassien  établit  le  deuxième  monastère  pour  des 
religieuses  qui  prirent  aussi  la  règle  de  saint  Benoit,  et  qui 
était  situé  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  où  était  la 
chapelle  de  Cassien,  tout  auprès  le  monastère  de  Saint-Victor, 

(1)  Grosson,  Abnanach  historique  de  Marseille,  année  1770,  p.  74. 

(2)  Grossdû,  Abnanach  historique  de  Marseille,  année  1/74,  p.  75; 

(3)  P.  Saint-Alban,  Calendrier  spirituel  et  perpétuel^  p.  176. 


—  74  — 

laquelle  fut  démolie  en  1685  pour  l'usage  des  galères.  C'est 
l'abbaye  antique  de  Saint-Sauveur  qui,  après  avoir  souvent 
changé  de  place,  a  été  fixée  à  l'endroit  où  elle  est  mainte- 
nant (1).  » 

Après  Agneau,  Lautard.  Cet  écrivain,  dans  son  ouvrage 
intitulé  :  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  suit  pas  à  pas 
Iluffi  et  le  copie  presque  mot  à  mot,  sans  indiquer  cependant 
qu'il  lui  emprunte  deux  pages  de  son-Histoire  de  Marseille. 
Puisqu'il  n'apporte  d'autres  raisons  que  celles  mentionnées 
dans  Ru fû,  nous  nous  dispenserons  de  transcrire  son  texte.  Ce 
sont  les  pages  398,  399, 400, 401  de  ses  Lettres. 

MM.  Guindon  et  Méry,  dans  le  V*  volume  de  Y  Histoire  ana- 
lytique et  chronologique  des  actes  et  délibérations  du  corps 
et  du  conseil  de  la  Municipalité  de  Marseille  (2),  disent  : 

«  On  ignorait  encore,  il  y  a  quelques  années,  le  lieu  où  la 
première  maison  claustrale  avait  été  située.  Les  uns  la  pla- 
çaient à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  les  autres  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville.  Rufli,  dans  son  Histoire  de  Marseille,  se 
rapproche  le  plus  de  la  vérité.  Il  suppose  que  le  couvent  des 
Cassianites  se  trouvait  dans  le  voisinage  du  monastère  de 
Saint- Victor.  La  découverte  d'une  inscription  sur  marbre  faite 
dans  le  courant  du  mois  de  juillet  1833,  en  creusant  le  bassin 
du  carénage,  a  dissipé  tous  les  doutes  à  cet  égard  et  démontré 
que  la  première  demeure  des  religieuses  s'élevait  au  bord  et 
près  du  port,  à  l'endroit  même  où  le  bassin  du  carénage  a  été 
creusé.» 

Le  chanoine  Magloire  Giraud,  le  savant  curé  de  Saint-Cyr, 
dans  le  Var,  ayant  eu  à  s'occuper,  dans  ses  études  sur  le 
Beausset,  Taurœntum  et  Saint-Cyr,  du  martyre  de  sainte 
Eusébie,  a  écrit  ces  deux  pages  que  nous  empruntons  à  sa 
Notice  sur  Saint-Cyr  : 

a  Ce  serait  le  lieu  d'examiner  ici  si  ce  ne  serait  pas  à 
Saint-Cyr  même  que  se  trouvait  ce  monastère,  monasterium 
sancti   Cyricii,    où    Sainte-Eusébie   passa   cinquante  ans, 

(1)  Agneau,  Calendrier  spirituel,  p.  154. 

(2)  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique  et  chronologique  des  actes 
et  délibérations  du  corps  et  de  la  municipalité  de  Afarseille,  U  V, 
p.  200. 


—  75  — 

comme  l'indique  l'épithaphe  de  son  tombeau  déposé  autrefois 
dans  l'église  de  Saint-Victor...,  monastère  que  des  écrivains 
ont  confondu,  sans  autre  preuve  que  cette  inscription,  avec 
cet  autre  monastère  fondé  en  420  sous  l'invocation  de  la 
Sainte  Vierge  par  l'illustre  Cassiçn,  auprès  de  son  abbaye  et 
sur  l'emplacement  duquel  les  auteurs  sont  si  peu  d'accord, 
puisque  lea  uns  le  placent  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  les 
autres  au  pied  de  la  colline  de  No tre-Dame-de- la-Garde,  qui 
à  Montredon,  qui  aux  Vieilles  Infirmeries  ou  au  local  de 
l'ancienne  chapelle  de  Sainte- Catherine,  qui  enfin  et  avec 
plus  de  raison  au  bassin  du  carénage  ;  tandis  que  d'autres  se 
bornent  à  dire  qu'il  était  situé,  ceux-ci  à  Marseille,  ceux-là 
dans  la  campagne  de  cette  ville,  non  loin  de  l'église  de  Saint- 
Victor.  Mais  les  limites  de  cette  notice  ne  nous  permettent 
pas  de  discuter  cette  question. 

«  Qu'il  nous  suffise  de  faire  remarquer  que  :  1*  le  tombeau 
où  forent  déposés  les  restes  de  sainte  Eusébie,  de  l'aveu  de 
tous,  ne  fut  pas  fait  pour  elle,  il  lui  est  antérieur  de  deux 
cents  ans  ;  2°  que  l'inscription  n'indique  pas  que  cette 
religieuse  souffrit  le  martyre  ni  qu'elle  fût  abbesse  ;  3°  qu'au- 
cun monument  historique  ne  prouve  que  le  célèbre  monastère 
de  femmes  fondé  par  Cassien,  auprès  de  son  abbaye,  d'abord 
détruit  par  les  Normands  en  867,  saccagé  par  les  Sarrasins  en 
923,  réédifié  en  1031  par  les  vicomtes  Guillaume  et  Fouques, 
réparé  en  1060  par  Pons  II  et  son  père  Geoffroy,  rien  ne 
prouve  que  ce  monastère  où  Saint-Césaire  plaça  sa  sœur 
sainte  Gésarie  ait  jamais  porté  le  nom  de  Saint-Cyr,  bien  que 
le  culte  de  ce  glorieux  martyr  y  ait  été  en  grande  vénération. 
L'inscription  dont  il  s'agit  est  la  seule  preuve  qu'on  invoque, 
et  cette  preuve  est  plus  qu'incertaine,  s'il  est  vrai  qu'avant 
la  destruction  de  Taurœntum,  vers  le  milieu  du  IX'  siècle, 
il  existait  près  du  village  de  Saint-Cyr,  au  quartier  rural 
qui  porte  encore  le  nom  de  la  Mure  (villa  murata),  un 
monastère  de  femmes  dont  on  désigne  l'emplacement  et  dont 
il  reste  la  tour,  qui  est  de  beaucoup  antérieure  à  la  destruc- 
tion de  la  ville  phocéenne  (Taurœntum.) 

«  Or,  l'existence  d'un  monastère  de  femmes  près  l'ancienne 
chapelle  de   Saint-Cyr,  laquelle   était  une   dépendance  de 


—  76  — 

l'abbaye  de  Saint-  Victor,  est  un  fait  attesté  par  la  tradition 
locale  et  par  les  débris  qui  ont  survécu  aux  ravages  des  temps 
et  des  hommes. 

«  Ce  fait  semble  déterminer  à  Saint-Cyr  môme  remplace- 
ment du  monastertum  sancti  Cyricii  où  sainte  Eusébie 
vécut  cinquante  ans  (1).  » 

Dans  les  Anciens  Chemins  de  Marseille,  par  Meynier, 
voici  ce  que  l'on  lit  (2)  :  «  Avant  de  terminer  ce  qui  a  trait  à 
l'Huveaune,  il  reste  à  parler  de  son  embouchure,  à  cause 
d'un  établissement  qui  a  donné  matière  à  bien  des  contro- 
verses, le  couvent  des  Gassianites.  La  première  de  ce3  maisons 
fut  édifiée  près  de  Saiut-Victor  ;  quant  à  la  seconde,  celle 
qui  est  admise  par  les  uns  et  contestée  par  les  autres,  celle-là 
a  eu  sa  place  à  l'embouchure  de  l'Huveaune.  Il  a  été  déjà  dit 
qu'il  y  avait  près  de  Saint-Loup  un  couvent  de  femmes  qui 
existait  à  l'époque  des  Sarrasins.  Ceci  repose,  non  point  sur 
une  tradition  vague  et  générale,  mais  sur  une  tradition 
constante  et  accréditée  depuis  longtemps.  Ce  couvent  était 
situé  au  pied  de  la  montagne  de  Saint-Cyr,  nom  que  les 
Cassianites  ont  porté  au  VP  siècle  :  on  les  appelait  religieuses 
de  Saint-Cyr.  D'un  autre  côté,  il  est  dit  que  ce  monastère 
était  situé  à  l'embouchure  de  rHuveaune.  Peut-on  concilier 
ces  deux  opinions  si  diverses  ?  Il  le  semble. 

a  En  examinant  la  plaine  de  Saint-Giniez,  les  amas  de 
sables  accumulés  sur  divers  points,  la  marche  lente  de  la 
rivière,  on  arrive  à  reconnaître  que  des  atterrissements  consi- 
dérables se  sont  formés  sur  ce  point.  La  mer  a  perdu  là  ce 
qu'elle  a  gagné  à  la  plage  de  Séon.  On  peut  admettre  que 
cette  plaine  était  un  vaste  étang,  peut-être  ce  port  de  Léonium 
qui  existait  au  IXe  siècle  et  dont  il  est  parlé  en  son  lieu.  Gela 
posé,  l'embouchure  de  rHuveaune  peut  être  placée  non  loin 
du  Rouet.  Maintenant,  de  ce  point  à  celui  indiqué  par  les  ruines 
du  couvent,  il  reste  bien  2,000  mètres,  mais  rien  n'indique 
que  cet  édifice  a  été  considéré  comme  exactement  placé  à 
l'embouchure  de  la  rivière.  A  l'endroit  où  l'Huveaune  se  jette 

(1)  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr   (Var),  par  l'abbé 
Magl.  Giraud,  p.  14  et  suiv. 

(2)  Meynier,  Anciens  Chemins  de  Marseille,  pp.  43,44. 


—  77  — 

actuellement  à  la  mer,  il  y  avait  les  ruines  du  couvent 
regardé  comme  étant  la  deuxième  maison  fondée  par  les 
Cassianites.  On  reconnut  plus  tard  que  ce  couvent  avait 
appartenu  aux  Prémontrés,  (la  fondation  de  cet  ordre  remonte 
au  XII*  siècle)  et  alors  de  dire  que  les  Cassianites  n'avaient 
jamais  eu  d'établissement  dans  cette  contrée.  Grosson  vint 
visiter  les  ruines,  partagea  l'opinion  des  opposants  et  avec 
beaucoup  de  vivacité. 

«  Toutefois  le  fait  est  appuyé  par  trop  d'auteurs  pour  le 
rejeter  avec  assurance. 

«  A  l'époque  où  Guesnay  écrivait,  si  on  avait  songé  que 
l'embouchure  de  THuveaune  a  pu  être  déplacée,  si  on  avait 
tenu  compte  des  ruines  peu  éloignées  du  Rouet,  de  la  tradition 
constante  sur  ce  fait,  on  aurait  reconnu  que  si  les  Prémontrés 
ont  pu  en  1204  fonder  ce  couvent  à  cet  endroit,  rien  ne 
s  oppose  à  ce  que,  en  410,  Cassien  l'ait  fondé  à  l'embouchure 
primitive.  » 

Nous  rencontrons,  parmi  les  adversaires  de  notre  opinion, 
l'auteur  de  la  monographie  intitulée  :  La  Major,  cathédrale 
de  Marseille,  M.  Casimir  Bousquet.  Cet  auteur,  après  avoir 
dit  dans  son  ouvrage,  sur  la  foi  de  l'historien  Papon,  que  le 
couvent  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  fondé  en  410  par  Cas- 
sien,  était  situé  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  s'en  prend  à 
cet  auteur  de  l'avoir  induit  en  erreur,  et  il  ajoute  : 

«  Papon  a  cru  devoir  admettre  l'existence  simultanée  de 
deux  couvents  de  femmes.  Mais,  pour  que  ce  système  eût 
chance  de  prévaloir,  il  n'aurait  pas  fallu  que  cet  auteur  avouât 
naïvement,  dans  le  deuxième  volume  de  son  Histoire,  qu'il 
n  avait  pas  été  admis  à  consulter  les  archives  de  Saint- Victor. 
Cet  aveu  contient  sa  condamnation.  Si  Papon  avait  eu  accès  à 
ces  archives  de  l'abbaye,  il  aurait  sans  doute  su  que  rem- 
placement du  monastère  cassianite  est  parfaitement  désigné 
dans  le  cartulaire  de  Saint-Victor.  «  Pater  Cassianus,  y  est-il 
«  dit,  f  unda  vit  monasterium  monialium  non  longe  a  ripa  portus 
a  juxta  viam  de  Gardiâ.  »  Voilàqui  est  clair,  ce  nous  semble. 
Kuffl,  Belsunce,  Grosson,  Augustin  Fabre,  Lautard  sont  dans 
terrai  en  affirmant  que  le  premier  couvent  des  dames  de 
Saint-Sauveur  était  situé  près  de  l'abbaye  de  Saint- Victor,  au 

6 


—  78  — 

pied  de  la  montagne  de  la  Garde.  Au  surplus,  une  découverte 
faite  en  creusant  le  bassin  du  carénage  vient  confirmer  plei- 
nement le  texte  du  cartulaire,  ainsi  que  l'opinion  de  Ruffi 
au  sujet  de  l'existence  du  couvent  des  religieuses  cassianites 
dans  le  voisinage  de  l'abbaye.  Une  inscription  tumulaire, 
trouvée  en  juillet  1833,  démontre  que  la  première  demeure 
de  ces  religieuses  s'élevait  au  bord  et  près  de  l'embouchure 
du  port  de  Marseille  (1).-» 

L'auteur  de  l'Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur, 
M.  André  (2),  parlant  du  second  monastère  fondé  par  Cassien, 
dit  «  qu'il  fut  construit  dans  le  voisinage  de  Saint-Victor, 
non  loin  de  la  rive  du  port.  »  Toutefois  la  plus  grande  incer- 
titude a  régné  parmi  les  historiens  sur  la  position  de  ce 
monastère.  André  cite  alors  Ruffi,  Grosson  et  Guindon  et 
Méry.  Puis  il  ajoute  : 

«  Il  serait  difficile  de  déterminer  d'une  manière  précise  la 
position  de  la  première  demeure  des  Cassianites;  nous  savons 
seulement  qu'elle  n'était  pas  éloignée  de  la  rive  du  port.  (En 
note  les  chartes  de  1431  et  1446.)  L'opinion  de  Ruffi  nous 
parait  parfaitement  correspondre  aux  termes  d'une  charte  du 
XI*  siècle  (la  charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor),  dans 
laquelle  il  s'agit  d'une  vigne  qui  confronte  du  levant  le  che- 
min du  Lauret,  du  septentrion  la  terre  de  Sainte-Marie  ou 
des  religieuses  qui  sont  proche  la  rive  du  port ,  dans  le  monas- 
tère fondé  par  Cassien,  et  confronte  également  au  couchant  le 
chemin  de  la  Garde.  » 

L'abbé  J.-J.  Cayol,  dans  son  Histoire  du  village  de  Saint- 
Loup  près  Marseille,  a  efileuré  quelque  peu  notre  sujet.  Il 
a  écrit  : 

«  On  fonda  (  au  quartier  de  Saint-Tronc  )  un  couvent  de 
religieuses  qui  existait  encore  en  1240.  Une  charte  de  Saint- 
Victor  dit  formellement  que  le  6  octobre  1240,  Raymond 
Béranger,  roi  d'Aragon  et  comte  de  Provence,  prit  sous  sa  pro- 
tection la  terre  des  religieuses  de  Carvillian,  ortum  monia- 
lium  de  Carvilliana. . . .  Quelques  antiquaires  croient  que  le 

(1)  La  Major,  parle  docteur  Bousquet,  p.  623. 

(2)  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur  de  A/ar- 
seilley  par  M.  André,  p.  2,  etc. 


—  79  — 

m 

couvent  de  Sainte-Marie  était  une  annexe  de  celui  de  Saint- 
Sauveur,  et  que  c'est  peut-être  là  qu'habitaient  les  des- 
narrados  (1).  a 

L  auteur  de  la  Notice  sur  Saini-Giniez,  le  regretté  M.  le 
chanoine  Daspres,  est  loin  d'avoir  soutenu  notre  opinion  (2). 
G  eût  été  cependant  travailler  à  la  gloire  de  sa  paroisse  que  de 
chercher  à  prouver  qu'elle  était  bien  fondée.  Mais,  après 
avoir  avoué  que  la  plus  grande  incertitude  règne  parmi  les 
historiens  sur  la  position  de  cette  fondation,  il  ajoute  qu'il  se 
doit  à  la  vérité  et  qu'il  suit  l'opinion  de  Rufii.  Il  énumère  les 
raisons  que  Ruffi  a  alléguées,  il  cite  l'opinion  de  Grosson,  de 
Guindon,  et  termine  en  disant  : 

a  Ce  qui  parait  incontestable,  c'est  que  ce  monastère  était 
près  du  port,  car  une  charte  du  XI"  siècle  (charte  40)  parle 
d'une  vigne  qui  confronte  au  nord  la  terre  des  religieuses,  qui 
sont  proche  la  rive  du  port,  dans  le  monastère  fondé  par 
Cassien... 

«  Une  seule  chose  cependant  pourrait  nous  mettre  en  consi- 
dération, ce  serait  la  tradition  constante  et  universelle  de  ceux 
qui  se  souviennent  encore  avoir  vu  la  chapelle  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune  ;  ils  ne  la  dénomment  jamais  que  sous  le 
titre  deis  desnarrados.  Mais  nous  trouvons  l'explication  de 
cette  tradition  dans  la  prise  de  possession  de  cette  chapelle  par 
les  religieuses  cassianites  de  Saint-Sauveur  au  XV?  siècle.  La 
légende  populaire  put  facilement  attribuer  à  ce  lieu  ce  qui 
n'appartient  qu'à  la  congrégation  et,  en  effet,  partout  où  il  y  a 
eu  un  monastère  de  religieuses,  on  place  aussi  ce  glorieux 
fait.  » 

Alfred  Saurel,  dans  sa  description  de  La  Banlieue  de 
Marseille  (3),  écrivait  en  ces  termes  sur  ce  sujet  : 

*  D'après  Papon,  Guesnay,  Denis  de  Sainte- Marthe,  c'est 
dans  le  monastère  qu'elles  habitaient,  près  de  l'embouchure 

(1)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  banlieue  de  Marseille,  par 
l'abbé  J.-J.CayoJ,  chap.  II.  pp.  13,  15,  26. 

(2)  Notice  historique  sur  Saint-Ginies,  par  l'abbé  Daspres,  ch.  111, 
p.  26,  etc. 

(3)  La  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  Saint-Ginies , 
p.  151,  etc. 


—  80  — . 

•  * 

de  PHuveaune,  qu'Eusébie  et  ses  compagnes  se  sont  volontai- 
rement défigurées.  D'autres  historiens,  tels  que  Ruffî,  Grosson, 
Fabre  et  ceux  qui  écrivent  de  nos  jours,  démontrent  que  ce 
monastère  se  trouvait  à  l'entrée  du  port  de  Marseille.  Le 
document  que  nous  citons  avec  d'autres  est  assez  précis  pour 
arrêter  toute  discussion  :  a  Pater  Cassianus  fundavit  monas- 
«  terium  monialium  non  longe  a  ripa  portus,  juxta  viam  de 
«  Gardia.  » 

a  Une  découverte  faile  en  juillet  1833,  quand  on  creusa  le 
bassin  du  carénage,  est  concluante.  C'est  une  inscription 
tumulaire  qui  n'est  autre  que  l'épitaphe  d'Eusébie  et  de  ses 
compagnes.  Le  nom  des  desnarradoa  qui  est  resté  aux  ruines 
que  Ton  voyait  à  l'embouchure  de  la  rivière  n'est  donc  pas 
suffisant  pour  justifier  la  version  de  Papon.  Les  dames  de 
Saint-Sauveur  ayant  reçu  en  don  les  ruines  de  ce  monastère 
en  1407,  le  peuple  désigna  cette  nouvelle  possession  du  nom 
qui  était  encore  donné  aux  religieuses  de  l'ordre  auquel  sainte 
Eusébie avait  appartenu.  » 

La  Gallia  Christiana,  du  P.  Denis  de  Sainte- Marthe,  s'occu- 
pant  aussi  de  l'emplacement  du  monastère  cassianite,  s'ex- 
prime en  ces  termes  : 

«  L'abbaye  de  Saint-Sauveur  fut  fondée  à  Marseille  par 
Paint  Gassien,  auprès  du  cœnobium  de  Saint-Victor,  et  non 
pas  à  l'endroit  que  Guesnay  lui  assigne.  Ruffi,  en  effet,  a  vu 
dans  le  cartulaire  deux  chartes  qui  affirment  que  ce  monastère 
de  femmes  se  trouvait  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  à 
l'endroit  où  en  1685  on  découvrit  des  tombeaux  avec  l'inscrip- 
tion d'Eugenia.  Les  deux  chartes  de  1431  et  1446  confirment 
cette  assertion,  puisqu'elles  disent  que  lorsque  le  monastère  de 
Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Vaudales,  il  y  avait  auprès  un 
monastère  de  vierges  que  Cassien  avait  fondé  (1).  » 

L'abbé  Verlaque,  qui  a  écrit  la  Notice  sur  sainte  Eusébie^ 
a  dit  : 

a  Plusieurs  auteurs  n'étant  pas  d'accord  sur  l'emplacement 
de  ce  monastère,  nous  n'entrerons  pas  dans  une  discussion 
qui  nous  mènerait  trop  loin.  Cependant,  Popiniori  la  plus 

(1)  Gallia  Christiana,  1. 1,  Eccleeia  Mas8iliensi8t  col.  693. 


—  81  — 

accréditée  sur  ce  sujet  est  que  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  fut 
bâtie  au  pied  de  la  montagne  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  sur 
l'endroit  même  où  se  trouve  aujourd'hui  le  bassin  du  carénage. 
D'autres  veulent  qu'elle  ait  été  établie  là  où  se  trouve  actuelle- 
ment la  Major  et,  comme  appui,  ils  signalent  un  passage 
souterrain  qui  existait  entre  la  Major  et  Saint- Victor.  Or,  les 
fouilles  opérées  pour  le  creusement  du  bassin  de  carénage 
n'ont  montré  aucun  vestige  de  ce  souterrain  (1).  » 

Voici  le  résumé  de  ce  que  les  Bollandistes  ont  écrit  sur 
notre  sainte  Eusébie  et  ses  trente-neuf  compagnes,  à  la  date 
du  8  octobre  (2)  : 

(Test  M"  de  Belsuncc  qui,  par  un  décret  du  27  mai  1733, 
fui  la  fête  de  ces  saintes  au  deuxième  dimanche  d'octobre. 
Avant  lui,  aucune  date  n'était  assignée.  Nous  ne  l'avons 
trouvée  indiquée  dans  aucun  martyrologe,  excepté  dans  le 
Sacrum  Gynceceum  d'Arthur  de  Monestier,  qui  place  cette 
fête  au  30  décembre.  Les  autres  martyrologes,  aussi  bien  les 
anciens  que  les  modernes,  se  taisent  sur  ces  saintes  martyres. 
Les  écrivains  môme  qui  parlent  d'elles  et  racontent  leur 
héroïsme,  ne  disent  pas  qu'on  les  honorait  d'un  culte  spé- 
cial, quelques-uns  môme  ne  les  appellent  ni  saintes  ni  bien- 
heureuses. Guesnay,  cependant,  qui  écrivait  quatre-vingts  ans 
avant  le  décret  de  M"  de  Belsunce,  assure  qu'elles  étaient 
honorées  à  Marseille.  Il  est  assez  difficile  d'admettre,  en  effet, 
qu'une  mort  si  héroïque,  un  vrai  martyre,  n'ait  attiré  à  celles 
qui  l'ont  subie  une  vénération  spéciale.  Cependant,  nulle 
part  on  ne  trouve  les  actes  de  cette  passion,  la  tradition  seule 
en  fait  mention. 

£n  quel  endroit  ont-elles  souffert  le  martyre  ?  Sans 
contredit  dans  le  monastère  dont  Gennade  parie  dans  ses 
écrits.  L'emplacement  primitif  de  ce  cœnobium  est  un  objet 
de  discussion.  Qui  le  place  auprès  de  Saint- Victor,  qui  le 
relègue  loin  de  la  ville.  Guesnay  dit  qu'il  s'élevait  sur  les 
bords  de  l'Huveaune,  Belsunce  et  Denis  de  Sainte-Marthe  disent 

(1)  Notice  sur  sainte  Eusébie,  abbesse  et  martyre  du  diocèse  de 
Marseille,  par  l'abbé  Verlaque,  p.  8. 

(2)  Acta  Sanctorum,  Bolland.  t.  IV,  d'octobre,  p.  292,  Sainte  Eusé- 
bie et  ses  compagnes. 


—  82  — 

près  de  la  ville.  Cependant  il  se  trouvait  certainement  hors  de 
la  ville,  lorsque  Eusébie  était  abbesse  et  lorsqu'elle  souffrit 
avec  ses  compagnes. 

Nous  terminerions  volontiers  ces  citations  par  un  emprunt 
fait  au  livre  de  M.  de  Rey  sur  les  Saints  du  diocèse  de 
Marseille,  au  chapitre  de  sainte  Eusébie.  Mais  il  faudrait  tout 
citer.  Nous  devons  donc  nous  contenter  de  l'analyser  : 

Où  se  trouvait  ce  monastère  cassianite,  se  demande  M.  de 
Rey  ?  Suivant  les  uns,  à  Saint-Cyr  près  Saint-Loup  ;  avec 
Ruffi  il  faut  dire  que  c'était  trop  loin  dans  les  bois.  D'autres 
l'ont  placé  à  l'embouchure  de  THuveaune.  Quoiqu'il  y  ait 
eu  en  cet  endroit  une  église  et  une  maison  anciennement, 
et  dont  l'histoire  est  inconnue,  il  ne  paraît  pas  qu'avant 
le  XI*  siècle  les  Cassianites  aient  rien  possédé  à  l'embou- 
chure de  l'Huveaune  et  la  tradition  locale  sur  sainte  Eusébie 
ne  peut  être  plus  ancienne.  Ce  monastère  était  près  du  port, 
la  charte  du  XIe  siècle  le  dit.  Puis,  s'efforçant  d'être  plus  précis, 
M.  de  Rey  arrive  de  déduction  en  déduction  à  fixer  la  position 
du  monastère  au  Revest,'  quartier  de  Rive-Neuve. 

Tels  sont  les  auteurs  qui  sont  opposés  catégoriquement  à 
notre  thèse.  Il  en  est  d'autres,  certainement,  qui  se  sont  occu- 
pés de  la  même  question,  et  qui  sont  aussi  d'un  avis  contraire 
au  nôtre  sur  l'emplacement  du  monastère  où  vécut  sainte 
Eusébie.  Nous  ne  les  connaissons  pas.  D'ailleurs,  la  liste  de 
ceux  que  nous  avons  cités  est  déjà  bien  longue,  et  il  n'est 
guère  probable  que  l'on  puisse  apporter  contre  notre  thèse 
d'autres  arguments  que  ceur  dont  nous  avons  fait  rénu- 
mération. 

Mais  il  n'a  pas  échappé  à  l'attention  de  nos  lecteurs  que 
parmi  les  écrivains  cités,  beaucoup  se  sont  copiés  les  uns  les 
autres,  et  que,  partant,  les  mêmes  objections  ont  plusieurs 
fois  défilé  devant  leurs  yeux. 

Nous  en  faisons  donc  un  résumé  succinct  : 

Suivant  Ruffi  (Louis  de),  la  Gallia  christiana.  Agneau, 
La u tard,  André,  l'abbé  Daspres,  le  monastère  cassianite  se 
trouvait  au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  dans  le  voi- 
sinage de  l'abbaye  de  Saint-Victor.  Voici  les  raisons  que  tous 


-83- 

ces  auteurs  ou  quelques-uns  d'entre  eux  ont  données  de  leur 
assertion. 

Ma  charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor  l'affirme; 
2*  en  1685,  on  a  trouvé  à  l'endroit  où  s'élevait  la  chapelle  de 
Sainte-Catherine  des  tombeaux  et  une  inscription  ce  d'Eugenia 
ancilla  Dei*  ;  3°  les  chartes  de  1431  et  1446  disent  que, 
lorsque  Saint- Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait 
tout  auprès  un  monastère  qui  ne  peut  être  que  celui  des 
religieuses  de  Gassien  ;  4*  Cassien  ne  pouvait  établir  ce  monas- 
tère si  loin  de  la  ville,  sans  exposer  ces  saintes  filles  aux 
incursions  des  barbares  ;  5*  ces  saintes  filles  n'auraient  pu 
assister  à  la  messe  le  dimanche,  puisqu'il  n'y  avait  pas 
d'église  en  ce  quartier  de  l'Huveaune  et  qu'elles  n'avaient  pas 
de  chapelles  particulières;  6*  Cassien  voulut  suivre  l'avis  de 
saint  Jean  Chrysostome,  qui  porte  que  les  monastères  ne 
doivent  pas  être  loin  des  villes,  pour  ne  point  être  privés  des 
commodités  de  la  vie  dont  on  ne  peut  se  passer;  7*  parce 
qu'il  voulait  visiter  plus  souvent  ces  religieuses,  les  instruire 
et  les  consoler  dans  leurs  besoins  spirituels. 

Grosson  place  l'abbaye  aux  Catalans.  Il  ne  donne  aucune 
preuve  de  son  assertion. 

Guindon,  Saurel,  Bousquet,  Verlaque  désignent  le  bassin  du 
carénage  comme  l'emplacement  de  ce  monastère.  A  leur  avis, 
la  découverte  que  l'on  fit,  en  1833,  d'une  inscription,  et  le 
texte  de  la  charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor  le  prouvent 
suffisamment. 

Suivant  M.  de  Rey,  l'abbaye  cassianite  aurait  été  au 
quartier  du  Revest,  vu  l'impossibilité  de  la  placer  ailleurs  ; 
et  parce  que,  d'après  une  charte  de  1081,  ce  point  appartenait 
à  Saint-Victor. 

L'abbé  Magloire  Giraud  place  cette  abbaye  Sancti  Cyricii 
à  Saint-Cyr  dans  le  Var,  la  paroisse  dont  il  était  curé,  parce 
qu'une  tradition  locale  indique  la  présence  d'un  ancien 
monastère  de  Saint-Cyr,  et  que  l'on  a  confondu  à  tort  le 
monastère  de  Saint-Cyr  où  vivait  sainte  Eusébie  avec  celui 
que  saint  Cassien  a  fondé  à  Marseille. 

L'abbaye  cassianite  est  à  Saint-Loup,  au  quartier  de 
Saint-Cyr,  a  soutenu  l'abbé  Cayol,  un  enfant  de  Saint-Loup, 


—  84  — 

et  avant  lui  Antoine  de  Ruf  fi,  le  P.  Saint-Alban  et  Meynier. 
La  raison  est  que  en  1240  il  y  avait  là  un  couvent  de  reli- 
gieuses, et  que  celle-ci  y  possédaient  des  biens. 

D'aucuns  affirment  qu'elle  s'élevait  aux  environs  de  la  Ma-* 
jor  ;  Grosson  et  l'abbé  Yerlaque  mentionnent  cette  opinion, 
sans  la  soutenir. 

MM.  D  as  près,  Saurel,  Bousquet,  etc.,  disent  que  le  nom  de 
de8narrado8  que  l'on  donne  à  la  chapelle  en  ruines  située  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune  ne  constitue  pas  une  raison 
suffisante  pour  affirmer  que  le  monastère  de  sainte  Eusébie 
était  aux  bords  de  l'Huveaune. 

Ce  sont  ces  objections  que  nous  allons  combattre  et  tâcher 
de  résoudre. 


CHAPITRE  II 


Divers  emplacements  du  monastère  cassianite 


Première  question  préjudicielle 


LE  MONASTÔBB  CASSIANITE  DE  FILLES,  AUX  ACCOULES,  EN  1077,  —  A 
LA  PLACE  DE  LENCHE,  A  SAINT-8AUVEUR,  EN  1073,  —  AUX  ACCOU- 
LBS,  EN  1069,  —A  LA  PLACE  DE  LENCHE,  EN  1050,  —  AUX  ACCOULES, 
EN  1031,  —  A  LA  PLACE  DE  LENCHE,  EN  1004,  —  PRÈS  DE  SAINT- 
VICTOR,  A  SAINTE-CATHERINE,  EN  923,  —  A  UNE  TERRE  NON  LOIN 
DU  PORT,  SUR  LE  PLATEAU  DE  REVBST,  EN  838,  —  AUX  BORDS  DE 
L'HUVBAUNB,  VERS  738,  —  A  l'huveaune,    LORS  DE  SA  PONDATION. 


Nous  devons,  avant  d'engager  la  discussion,  établir  d'une 
manière  solide,  comme  préliminaires,  trois  propositions  qui 
seront  autant  de  jalons  autour  desquels  elle  roulera,  autant 
de  bases  sur  lesquelles  s'appuieront  nos  arguments. 

D'abord,  le  monastère  des  femmes  et  des  filles  fondé  par 
Cassien,  vers  415,  a  changé  souvent  d'emplacement. 

La  plupart  des  auteurs  sont  d'accord  avec  nous  sur  les  don- 
nées générales  de  ce  changement.  Ruffi  (1)  place  le  monastère 
au  pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  au  même  endroit  oii  l'on 
a  vu  plus  tard  la  chapelle  de  Sainte-Catherine,  démolie  en 
1685  ;  puis  en  ville,  à  la  place  de  Lenche. 

Monseigneur  de  Belsunce  (2)  dit  que  l'abbaye  de  Saint-Sau- 
veur, après  avoir  souvent  changé  de  place,  a  été  fixée  enfin 
dans  l'endroit  où  elle  est  actuellement,  à  la  place  de  Lenche. 


(1)  Voir  ce  que  disent,  sur  ce  point  particulier,  dans  les  fragments  que 
l'on  a  cités  de  leurs  ouvrages  ut  supra,  ch.  I*p,  les  auteurs  contraires  à 
notre  opinion.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  57,  58. 

(2)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  411. 


—  86  — 

Pour  Grosson,  c'est  aux  Infirmeries  Vieilles,  près  des  Cata- 
lans, que  s'éleva  le  monastère.  Après  737,  ce  fut  aux  environs 
de  Saint- Victor,  et  enfin  aux  Accoules. 

Pour  Lautard  (1),  c'est  dans  le  vaste  quartier  du  territoire 
situé  entre  l'abbaye  de  Saint- Victor  et  l'Huveaune,  puis  en 
ville,  à  la  place  de  Lenche,  aux  Accoules  ensuite,  enfin  de 
nouveau  à  la  place  de  Lenche. 

Guindon  et  Méry  le  fixent  au  bassin  du  carénage  et-,  après 
737,  aux  bords  de  l'Huveaune  (2). 

M.  de  Rey,  enfin,  le  place  d'abord  au  quartier  de  Revest, 
près  de  Saint -Victor,  puis  à  la  place  de  Lenche  (3). 

Mais  où  le  désaccord  commence,  c'est  lorsqu'il  s'agit  de 
fixer  la  date,  sinon  précise,  du  moins  approximative,  de  ces 
changements.  Tandis  que  Grosson  fait  sortir  les Gassianites  de 
leur  monastère  des  Catalans  à  la  suite  de  la  persécution  des 
Sarrasins,  en  737,  et  les  fait  venir  près  de  Saint-Victor,  à 
cette  même  époque  de  Belsunce  les  fait  venir  de  Saint-Victor 
à  la  place  de  Lenche,  à  la  suite  de  ces  invasions,  vers  737  (4). 
D'autre  part  Ruffi,  la  Gallia  christiana  (5),  Lautard  retardent 
jusqu'en  867  ce  transfert  eu  ville,  André  jusqu'en  1030  (6)  et 
M.  de  Rey  jusqu'aux  premières  années  après  le  commence- 
ment du  XI°  siècle  (7).  On  le  voit,  rien  de  précis. 

Essayons  de  fixer  la  date  de  chacun  de  ces  changements  et 
d'indiquer  à  la  fois  et  l'endroit  que  l'on  quitte  et  celui  que 
l'on  vient  habiter. 

Partons  d'une  date  certaine.  Kn  1073,  les  religieuses  habi- 


(1)  Lettres  archéologiques,  pp.  403,  434,  etc. 

(2)  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique,  etc.,  op.  cit.,  t.  V,  p.  202. 

(3)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  pp.  227,  235.  —  Invasions  des 
Saivasins  en  Provence,  p.  139,  etc. 

(4)  V Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  411. 

(5)  c  Potsquam  autem  monasterium,  illud  cum  Victor  in  o  dirutum  est, 
non  quidem  a  Vandalis  sed  potius  a  Normannis,  incerto  anno,  forsan 
8G7,  virgines  illae  in  urbem  migrarunt,  ibique  Sancti  Salvatoris  monas- 
terium sibi  condiderunt...  »  Gallia  christiana,  1. 1,  col.  696. 

(6)  «  Contrairement  à  ce  qui  a  été  dit  sur  la  date  du  transfert  des  reli- 
gieuses en  ville,  il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  ne  s'opéra  que  vers  Tannée 
1030.  »  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  p.  16. 

(7)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  139. 


—  87  — 

tent  le  monastère  de  Sainte-Marie  des  Accoules  dans  la  ville 
de  Marseille  (1).  Qu'était-ce  que  ce  monastère  ?  Ce  n'était  pas, 
à  proprement  parler,  la  demeure  des  religieuses.  «  Les  reli- 
gieuses de  Saint-Sauveur,  dit  deBelsunce,  avaient  déjà  l'église 
des  Accoules,  et  elles  étaient  logées  dans  les  maisons  qui  en 
dépendaient,  en  attendant  qu'elles  pussent  retourner  dans  leur 
monastère  (2).  » 

C'est  aussi  l'avis  de  André,  ainsi  que  celui  de  Ruffi,  qui 
affirme  a  que  les  vicomtes  de  Marseille  tirent  présent  de 
cette  église  des  Accoules  aux  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
pour  y  faire  leur  habitation,  à  cause  que  le  monastère  de 
Saint-Sauveur  était  entièrement  détruit  (3).  » 

Outre  donc  l'église  des  Accoules  qui  servait  provisoirement 
de  monastère,  il  y  avait  le  véritable  cœnobium  qui  était 
appelé  Saint-Sauveur,  c  en  mémoire,  dit  Rufîi,  de  ce  que  le 
Sauveur  du  monde  se  transfigura  sur  une  montagne  (4).  »  Ce 
monastère  de  Saint-Sauveur  était  situé  dans  l'enceinte  de  la 
ville  épisfcopale,  en  dessous  des  murs  de  la  ville  vice-comitale 
de  Marseille  (5).  On  sait  que  notre  cité  était  divisée  en  deux 
parties  :  la  ville  épiscopale  et  la  ville  comitale,  et  suivant  que, 
dans  une  charte,  c'est  Tévôque  ou  le  comte  qui  parle,  Saint- 
Sauveur  est  intra  ou  infra  muros  urbis  (6). 

L'emplacement  précis  de  Saint-Sauveur  était  la  place  de 
Lenche,  de  l'avis  de  tous.  En  1077  donc  les  religieuses  habi- 
taient les  Accoules.  En  1073,  y  habitaient-elles  déjà,  ou  se 

(1)  «  Nos  saoeti moniales  Sanctœ  Mariée  ad  Acua  consistentes,  in  civi- 
tate  Massiliâ,  vendimus  Bernardo  abbati  et  omnibus  monachis  in  mo- 
oasterio  Sancti  Victoris...  >  Gartulaire  de  Saint- Victor,  ch.  88. 

(2)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  op.  cit.,  1. 1,  p.  412. 
(S)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  50,  59. 

(4)  Rufli,  op.  cit.,  p.  58. 

(5)  c  Ad  cœnobium  Sanctœ  Maris  Virginis  quod  est  situm  infra  muros 
Massiliâ*.  »  Donation  de  la  vicomtesse  Stéphanie,  1050.  (André,  Histoire 
de  Vahbaye  Saint-Sauveur,  p.  206.)  —  t  Monasterium  ancillarum  Dei 
quod  est  intra  urbis  nostrœ  ambitum.  »  Charte  de  Pons  II,  évéque  de 
Marseille.  (André,  op.  cit.,  p.  207.) 

(6)  c  Donans  monacharum  monasterio  quod  in  honorem  DeiGenitricis 
Mari»  infra  muros  Massiliœ  situm  est...  »  Charte  de  donation  de  Déo- 

'  <lat,  évéque    de  Toulon,  aux  Cassianites.  (Cassianus  illustratus,  par 
Guesnay,  p.  570.) 


—  88  — 

trouvaient-elles  encore  à  Saint-Sauveur  ?  Cela  dépend  de  l'in- 
terprétation que  Ton  donne  à  une  charte  de  1073. 

D'après  certains  auteurs,  il  s'agit,  dans  cette  charte,  de 
l'église  des  Accoules,  à  laquelle  Pons  II  rendrait  ou  donnerait 
les  droits  de  paroisse. 

Huffi  dit,  en  effet  :  «  Ce  droit  de  paroisse  donné  à  l'église 
des  Accoules  fut  confirmé  huit  ans  après  (1072  ou  1073)  à 
l'abbesse  Garsende,  par  Pons  II,  évéque  de  Marseille,  qui  avait 
élu,  consacré,  intronisé  cette  abbesse.  Ce  prélat  déclare,  dans 
ce  titre,  que  cette  église  était  anciennement  paroisse  (1).  » 

André  affirme  que  a  le  7  janvier  1073,  l'évoque  Pons  II,  le 
jour  môme  de  l'intronisation  et  de  la  consécration  de  Garsende, 
sa  sœur,  que  les  religieuses  avaient  élue  abbesse,  donne  ou  rend 
à  l'église  de  Sainte-Marie  de  l'Abbaye,  c'est-à-dire  des  Accou- 
les, le  droit  de  paroisse  qu'elle  avait  eu  auparavant.  Le  prélat 
ordonna  que  tous  ceux  qui  habitaient  aux  environs  de  cette 
église  et  jusqu'aux  anciens  murs  dépendraient  désormais  de 
Notre-Dame  des  Accoules,  en  qualité  de  paroissiens  (2).  » 

Ainsi,  selon  Ruffi  et  André,  les  religieuses  sont  aux  Accoules 
en  1073,  car,  cette  charte,  disant  que  Pons  II  a  intronisé  et 
consacré  abbesse  sa  sœur  Garsende  ibi,  dans  cette  église,  indi- 
que bien  que  les  religieuses  y  habitaient. 

DeBelsunce  n'est  pas  de  cet  avis,  «  Pons  II,  dit-il,  intronisa 
et  consacra  Garsende  dans  l'église  de  Sainte-Marie,  c'est-à- 
dire  Notre-Dame  des  Accoules,  où  l'élection  avait  été  faite. 
Il  régla  ensuite  le  district  de  l'église  des  Accoules  et  lui  rendit 
les  anciennes  limites.  Il  confirma  Garsende  et  son  monas- 
tère dans  la  possession  de  la  paroisse  et  ordonna  que  tous  ceux 
qui  habitaient  aux  environs  de  l'église  et  jusqu'aux  anciens 
murs  de  la  ville  dépendraient  désormais  de  l'abbaye  de  Saint- 
Sauveur,  en  qualité  de  paroissiens  (3).  » 

Pour  de  Belsunce  donc,  Garsende  est  élue  et  consacrée  aux 
Accoules.  Mais  c'est  l'église  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  qu'il 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  50. 

(2)  André,  Histoire  de  V Abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
p.  23. 

(3)  V Antiquité  de  V Enlise  de  Marseille,  par  M"p  de  Belsunce,  t.  I, 
p.  421. 


—  89  — 

érigea  en  paroisse.  Ainsi  les  religieuses,  suivant  de  Belsunce, 
habitaient  Saint-Sauveur  en  1073.  Qui  a  tort  ?  qui  a  raison  ? 
Recourons  au  texte. 

Voici  d'abord  la  lecture  que  la  Gallia  christiana  donne  de 
celle  charte  de  1073  :  «  Notum  sit  fidelibus  univer- 
sis  quod  ego  Pontius,  urbis  Massilise  episcopus,  sanctimo- 
nialium  feminarum  ad  ecclesiam  Sanctae  Mariae  abbatise  omnes 
circa  ipsam  habitantes  usque  ad  veteris  urbis  muros  paro- 
chialiter  pertineant,  in  omni  ecclesiasticâ  ordinatione,  nostro 
donatu  (1).  » 

En  note,  la  Gallia  christiana  dit  que  la  Gallia  christiana 
quadripartita  fait  lire  :  a  Sanctimonialium  feminarum  paro- 
chiam  dono  infra  Massiliam  in  vice-comitali  parte,  scilicet 
ut  ad  ecclesiam  Sanctae  Mariae  »,  etc.,  comme  plus  haut  (2). 

De  Belsunce  donne  ces  mots  de  surplus  entre  parenthèses  (3) 
et  André  (4)  les  cite  comme  le  texte  même  de  la  charte.  Or, 
la  Gallia  christiana,  qui  ne  donne  pas  ces  mots  de  surplus, 
affirme  que  son  texte  provient  «  ex  autographo  (5)  »  et  de  Bel- 
sunce dit  que  :  cela  (ces  mots  entre  parenthèses)  ne  se  trouve 
pas  dans  l'acte  qu'on  conserve  aux  archives  de  Saint-Victor  (6). 

Si  Ton  prend  donc  le  texte  de  la  charte  tel  qu'il  est  cité  par  la 
Gallia  christiana,  qui  parait  être  le  texte  authentique,  car 
les  mots  de  surplus  ne  sont  qu'une  explication,  et  dono  qu'une 
répétition  de  nostro  donatu ,  il  semble  que  Ruffi,  André,  Bel- 
sunce ont  eu  tort  de  parler  ici  de  l'église  des  Accoules. 

A  notre  avis,  voici  le  sens:  Pons,  évoque  de  Marseille, 
règle,  par  sa  propre  autorité,  nostro  donatu,  que  tous  ceux 
qui  habitent  autour  de  l'église  Sainte-Marie  de  l'Abbaye  des 
religieuses  seront  les  paroissiens  de  cette  même  église  :•  a  ut 
omnes  circa  ipsam  habitantes  parochialiter  pertineant    ad 


(!)   Gallia   christiana,   t.   I,  Eccîesiœ  Massiliensis  instrumenta, 
col.  112,  XVIII. 

(2)  Gallia  christiana,  ibidem . 

(3)  De  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  421,  en  note. 

(4)  André,  op.  cit. ,  pièces  justificatives,  pi  209,  C,    donation  de  l'évé- 
quePons,  1072. 

(5)  Gallia  christiana,  t.  I,  Instrumenta,  c.  112,  XX,  en  marge: 

(6)  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  421,  en  note. 


—  90  — 

ecclesiam   Sanctae  Mariae  abbatise  sanctimonialium  femina- 
«  rum.  » 

Or,  cette  ecclesiam  Sanctœ  Mariœ  abbatiœ,  de  la  charte 
de  1073,  est  la  même  que  V  ipsam  videlicet  abbatiam  de 
la  charte  de  1069  (1).  En  effet,  après  avoir  parlé,  dans 
cette  charte,  du  a  monasterium  ancillarum  Dei  quod  est 
infra  muros  Massiliae,  ecclesia  scilicet  Sanctœ  M... .  ad  Acuas 
praedictum  »,  on  ajoute:  «et  ipsam  videlicet  abbatiam». 
Mais  cette  ipsam  abbatiam  n'est  pas  autre  que  Saint-Sau- 
veur (2).  Donc  il  s  agit  de  Saint-Sauveur  dans  cette  charte 
de  1073.  La  phrase  latine  est  embarrassée,  c'est  vrai;  mais 
les  autres  chartes  du  môme  Pons  II  ne  sont  pas  d'un  style 
plus  correct  et  plus  clair.  Quelque  copiste,  pour  i'éclaircir,  a 
ajouté  plus  tard  les  mots  entre  parenthèses.  Du  coup  il  a 
défiguré  le  texte  primitif.  Or,  s'il  est  dit,  dans  cette  même 
chartedel073:  ibi  intronisavi  ac  consecravt,  c'est  donc  dans 
cette  église  de  Sainte- Marie  de  l'Abbaye  des  religieuses  que 
Garsende  a  été  élue,  intronisée  et  consacrée  ;  et  si  cette  église 
de  Sainte-Marie  de  l'Abbaye  est  l'église  de  Saint-Sauveur, 
c'est  donc  à  Saint-Sauveur  que  les  religieuses  se  trouvaient 
en  1073. 

Ce  n'était  pas  cependant  depuis  de  longues  années  qu'elles 
habitaient  ce  monastère  de  la  place  de  Lenche.  Car  en  1069, 
Pons  II  et  son  frère  Geoffroy,  vicomte  de  Marseille,  «  vou- 
lant rétablir  le  monastère  des  servantes  de  Dieu,  situé  dans 
l'enceinte  de  notre  ville,  monastère  que  les  traditions  des 
anciens  affirment  avoir  été  établi  par  le  fondateur  du  monastère 
de  Saint- Victor,  le  bienheureux  Cassien;  désirant  correspondre 
de  tout  leur  cœur  à  la  volonté  de  Dieu,  réaliser  le  dessein 
que  leur  père,  le  seigneur  et  vénérable  comte  Guillaume, 
avait  eu  d'établir  dans  ce  monastère  des  femmes  pieuses  pour 


(1)  c  Donamus  igitur  ego  Pontius,  Massiliensis  episcopus,  cum  canoni- 
cis  nostrse  sedis,  et  ego  Joffredus,  vicecomes,  una  cum  uxore  et  flliis 

meis monasterium  ancillarum  Dei  quod  est  infra  urbem  Massiliam 

ecclesiam  scilicet  Sanctae  Marias.....  ad  Acuas  predictum,  et  ipsam 
videlicet  abbatiam»  cum  omnibus  quae  ad  eam  pertinent...  »  Cha-te  de 
Pons  II,  1069.  (André,  op.  cit.,  pièces  justilicatives,  p.  207.) 

(2)  On  va  le  voir  à  la  page  suivante. 


V 

\ 


—  91  — 

y  servir  Dieu  et  de  restaurer  cette  maison  qu'il  avait  trouvée 
entièrement  détruite,»  confièrent  ce  monastère  des  religieuses, 
qui  est  situé  en  dessous  delà  ville  de  Marseille,  à  savoir  l'église 
de  Sainte-Marie  appelée  des  Accoules,  et  l'abbaye  elle-même, 
avec  tout  ce  qu'elle  possède,  à  la  direction  et  l'administration 
de  l'abbé  de  Saint- Victor  (1  ). 

Expliquons  ce  passage  de  la  charte  de  1069.  Il  ne  faudrait 
pas  traduire  ces  mots  a  ecclesiam  Sanctae  Mariœ  ad  Acuas 
praedictum  et  ipsam  abbatiam...  »  par:  «  l'église  de  Sainte- 
Marie  des  Accoules  et  l'abbaye  elle-même  (des  Accoules)  » . 
(Test  Pons  II  qui  rédige  cette  charte,  il  parle  en  son  nom  et 
au  nom  de  son  frère  Geoffroy.  Mais,  comme  c'est  lui  évêque 
qui  règle  une  question  de  juridiction,  il  dirige,  il  conduit  la 
phrase.  Or,  s'il  a  dit  plus  haut,  dans  cette  même  charte,  que 
le  monastère  des  religieuses  fondé  par  Gassien  se  trouve 
intra  urbis  nostrœ  ambitum,  dans  l'enceinte  de  sa  ville 
épiscopale  (2),  la  place  de  Lenche,  en  effet,  est  dans  l'enceinte 
de  la  ville  de  l'évéque,  il  ne  faut  pas  lui  faire  dire,  dix  lignes 
plus  bas,  que  ce  monastère  se  trouve  dans  la  ville  comtale, 
en  dessous  de  la  ville  (épiscopale).  li  ipsam  videlicet  abbatiam 
est  donc  un  édifice  distinct  de  Yecclesiam  Sanctœ  Mariœ 
ad  Acuas.  L'une,  Y  ipsam  videlicet  abbatiam,  se  trouve 
intra  urbis  nostrœ  ambitum,  c'est  Saint-Sauveur;  l'autre, 
Yecclesiam  Sanctœ  Mariœ  ad  Acuas ,  l'église  de  Sainte- 
Mai  ie  des  Accoules,  se  trouve  infra  urbem  Massiliœ,  en 
dessous  de  la  ville  épiscopale,  dans  la  ville  vice-comtale. 

Celte  explication  donnée,  il  est  visible  qu'il  s'agit,  dans  cette 
charte,  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur.  Le  monastère  que 
Pons  II  et  Geoffroy  veulent  restaurer  est  celui  qui  est  situé 
intra  urbis  nostrœ  ambitum  ;  c'est  donc  Saint-Sauveur  qui 
est  en  ruines.  Les  religieuses  donc  ne  l'habitaient  pas  encore, 
en  1069  ;  mais  elles  se  trouvaient  à  Sainte-Marie  des  Accoules. 

(1)  Charte  de  Pons  II,  évoque  de  Marseille.  (André,  op.  cit.,  pièces 
justif.,p.  207.) 

(2)  c  Ideoque  monasterium  ancillarum  Dei  quod  est  intra  urbis 
nostrœ  ambitum,  a  beatissimo  Gassiano,  cœnobii  Sancti  Victor is  abbate, 
olim  fuodatum...  *  Charte  de  Pons  II,  1069.  (André,  op.  cit.,  p.  207, 
pièces  justificatives.) 


—  92  — 

C'est  bien  ce  que  dit  la  charte  :  le  monastère  des  religieuses 
qui  est  au-dessous  de  la  ville  de  Marseille,  appelé  l'église 
Sainte-Marie  de?  Accoules. 

Quel  était  le  motif  qui  amenait  l'évoque  et  son  frère 
Geoffroy  à  céder,  à  l'abbé  de  Saint- Victor,  Saint-Sauveur  et  les 
Accoules,  pour  les  administrer?  C'était,  d'une  part,  le  peu  de 
ressources  que  ce  monastère  possédait  ;  d'autre  part,  l'inintel- 
ligence, le  manque  de  fermeté  que  ces  religieuses  apportaient 
dans  le  maniement  de  leurs  affaires  temporelles  (1).  Quoi  qu'il 
en  soit,  en  1069,  les  religieuses  n'étaient  pas  à  Saint-Sauveur, 
mais  aux  Accoules  (2). 

Elles  n'étaient  absentes  de  Saint -Sauveur  que  depuis  quelques 
années  à  peine.  En  1050,  en  effet,  la  mère  de  Pons  II  et  de 
Geoffroy,  la  vicomtesse  Stéphanie,  veuve  de  Guillaume  le 
Gros,  faisait  donation  de  quelques  terres  à  Solliès,  et  de  l'égli- 
de  Notre-Dame-de-Beaulieu,  près  de  cette  ville,  au  cœnobium 
Sancti  Salvatoris,  ou  cœnobium  Sanctœ  Virginia  qui  était 
situé  «  infra  muros  Massilise  »  (3).  C'est  la  vicomtesse  Stépha- 
nie qui  parle  dans  la  charte  ;  pour  elle,  le  monastère  est  en 
dessous  des  murs  de  la  ville  vice-comtale.  En  1050  donc,  les 
religieuses  habitent  Saint-Sauveur. 

Elles  n'y  étaient  que  depuis  peu  de  temps  encore,  puisque, 
en  1033,  le  seigneur  de  Rians,  Geoffroy,  et  sa  femme  Scotia, 
consacraient  à  Dieu  leur  fille  Vauburge,  et  la  cérémonie  avait 
lieu  dans  l'église  des  Accoules  (4).  Saint-Sauveur  était,  en 
effet,  en  réparation  à  ce  moment. 

Cette  réparation  avait  été  entreprise  sous  Tabbesse  Adalmoïs, 
en  1031,  par  le  comte  Guillaume,  père  de  Pons  II  et  de  Geof- 


(i)  DeBelsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  414. 

(2)  André,  op.  cit.,  p.  21. 

(3)  André,  op.  cit.,  pièces  justif.,  B,  donation  de  la  vicomtesse  Stépha- 
nie, p.  206. 

(4)  De  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  412.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille, 
t.  II,  pp.  50,  59. —André, op.  cit.,  p.  19. 

«  Eam  sanctimonialem  in  templo  Domini  offerimus  in  monasterio  mo- 
nacharum  quod  vocatur  Alas  Accoas,  quod  œdificatum  est  in  honorent 
Sanctœ  Genitricis  Mariœ.  »  S.  Cassianus  iîlustratus,  par  Gucsnay, 
p.  704. 


—  93  — 

froy,  et  par  son  frère  Fulco(l).  Ces  deux  vicomtes  de  Marseille 
avaient  trouvé  ce  monastère  détruit  de  fond  en  comble  a  ex 
totopenitus  destructum  »,  dit  la  charte  de  1069(2).  C'était 
pour  doter  ce  monastère  qui  se  reconstruisait,  que  l'évoque  de 
Toulon,  Déodat,  lui  donnait,  en  1031,  l'église  de  Sainte-Marie, 
au  territoire  de  Solliès  (3),  que  Guillaume,  en  1032,  lui  cédait 
la  quatrième  partie  de  la  juridiction  et  des  droits  seigneuriaux 
du  lieu  d'Allauch  (4)  et  que,  en  1050,  la  vicomtesse  Stéphanie 
lui  donnait  les  terres  dont  on  a  parlé  plus  haut  (5). 

S'il  fallait  en  croire  André,  ce  monastère  de  Saint-Sauveur, 
que  Ton  relevait  de  ses  ruines  en  1031,  n'aurait  compté  que 
quelques  années  d'existence.  Cet  auteur  suppose  que  c'était  le 
premier  monastère  construit  dans  la  ville  à  l'usage  des  Cassia- 
nites  (6).  C'est  eu  1030  que  ces  religieuse,  quittant  le  voisinage 
de  Saint- Victor,  seraient  venues  à  la  place  de  Lenche.  Mais  la 
charte  de  1069  démontre  l'erreur  d'André.  Guillaume  et  Fulco 
ont  trouvé  ce  monastère  complètement  ruiné,  ils  commencent 
à  le  reconstruire  en  1031,  sous  Adalmoïs  :  il  faut  donc  suppo- 
ser un  monastère  plus  ancien  à  la  place  de  Lenche.  C'est  donc 
antérieurement  à  Tan  1030  que  les  religieuses  y  sont  venues. 
Les  raisons  sur  lesquelles  André  s'appuie  pour  soutenir  son 
dire  ne  valent  rien.  Car  le  texte  de  la  charte  40  du  X?  siècle 
n'a  pas  le  sens  qu'il  lui  donne,  nous  le  prouverons  plus  tard  (7) 
et  l'inscription  tumulaire  de  Tillisiola,  qu'il  regarde  comme  la 


(1)  Ruffi,  op.  cit.,  t.  II,  p.  59.  —  De  Belsunce,  op.  cit.,  t.  II,  p.  411. 

(2)  Charte  dePous  II,  évoque  de  Marseille,  1069  (André,  op.  cit.,  piè- 
ces justif .,  p    207)  : 

«  Et  quidem  hoc  ipsum  (monasterium)  pater  noster  dominus  ac  vene- 
rabilis  VHlelmus,  vicecomes,  in  votis  habuit  et  devotas  ibi  feminas  ad 
serviendum  Christo  constituera,  ipsumque  locum  quem  ex  toto  penitus 
destructum  invenerat  aliquatenus  renovare. . .  » 

(3)  Donation  de  Deodat,  évéque de  Toulon,  à  Saint-Sauveur.  (Provins 
cirp  Massiliensis  Annales,  par  Guesnay,  p.  292  ;  S.  Cassianus  illustrât  us, 
parGuesnay,  p.  670.) 

I)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  Il,  p.  59. 

(5)  André,  op.  cit.,  pièces  justif.,  D,  donation  de  la  vicomtesse  Stépha- 
nie, p.  206. 

(6)  André,  op.  Ht.,  pp.  16,  18. 

(7)  Voir  le  chapitre  de  cet  ouvrage  intitulé  :  La  charte  40. 

1 


-  94  - 

première  abbesse  de  Saint-Sauveur,  après  le  rétablissement  de 
ce  monastère  en  ville  (1),  est  bien  antérieure  à  Tau  1030.  M. 
de  llossi  la  fait  remonter  au  VI*  ou  VIP  siècle. 

La  date  de  construction  de  ce  monastère  réparé  en  1031, 
une  charte  de  1004  semble  l'indiquer.  Il  s'agit,  dans  cette 
charte,  de  l'élection  de  Pontia  (2),  en  qualité  d 'abbesse  de  Saiiit- 
Sauveur,  et  il  est  dit  d'une  Ëlgarde  qui  assiste  avec  ses  trois 
fils  à  celte  cérémonie,  qu'elle  est  la  fondatrice  de  ce  même  mo- 
nastère :  «  ejusdem  monasterii  fundatricis  ».  Les  auteurs 
s'accordent  à  dire  que  Pontia  est  une  abbesse  de  Saint-Sau- 
veur (3).  De  plus,  en  fait  de  monastère  de  religieuses,  il  n'y 
avait  à  Marseille,  à  cette  époque,  que  celui  de  Saint-Sauveur. 
Dans  cette  charte  de  1004,  il  s'agit  donc  de  Saint- Sauveur.  Et 
comme  Elgarde  est  appelée  la  fondatrice  de  ce  monastère  dont 
Pontia  est  élue  abbesse,  c'est  bien  Elgarde  qui  a  fondé  Saint- 
Sauveur.  La  date  de  la  construction  du  monastère  que  Ton 
restaure  en  1031  est  donc  bien  l'an  1004. 

Ce  qui  achève  de  le  prouver,  c'est  que  le  monastère  d'Elgar- 
de  a  été  bâti  à  la  place  de  Lenche  et  pas  ailleurs. 

Impossible,  en  effet,  d'admettre  avec  André  et  M,  de  Rey  que 
le  monastère  d'Elgarde  a  été  construit  dans  le  voisinage  de 
Saint-Victor  (4).  Cette  personne,  peut-être  l'épouse  de  quelque 
vicomte,  connaissait  certainement,  pour  les  avoir  entendu 
raconter  par  ses  aïeux,  les  désastres  de  923,  la  destruction  de 
l'abbaye  de  Saint- Victor,  l'incendie  de  la  cathédrale,  le  pillage 
delà  ville;  elle  connaissait  aussi  le  fait  de  l'enlèvement  par 
les  Danois  d'un  certain  nombre  de  religieuses,  en  838.  Souvent 
on  avait  dû  rappeler  autour  d'elle  la  mort  héroïque  d'Eusébie 
et  de  ses  chastes  compagnes  ;  et  elle,  une  femme  timide, 
douce  par  nature,  oubliant  ces  horreurs,  ces  massacres,  rebâ- 
tira loin  de  la  ville,  puisque  le  port  l'en  sépare,  un  monastère 
de  filles  ou  de  femmes  1  Quelle  folie  !!  Que  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  se  relève  de  ses  ruines  sur  le  même  emplacement,  on  le 

(1)  Audré, op.  cit.,  p.  17. 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  ch.  1053,  du  6  janv.  1004. 

(3)  BelsuQce,  op.  cit.y  t.  I,  p.  413.—  André,  op.  cit.,  p.  17. 

(4)  André,  op.,  cit.t  p.  17.  —  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence, 
p.  139. 


—  95  — 

comprend,  c'est  un  monastère  d'hommes.  Ces  moines  s'entou- 
rent de  remparts,  à  l'abri  desquels  ils  pourront  se  défendre, 
ce  qui  à  cette  époque  devait  être  habituel.  Il  ne  se  passait  pas 
de  longs  jours,  en  effet,  sans  que  Ton  dût  endosser  la  cuirasse 
sur  la  robe  de  bure,  interrompre  le  chant  des  louanges  de  Dieu 
pour  armer  son  bras  et  courir  à  l'ennemi.  Mais  des  femmes  ; 
des  filles,  que  pourraient-elles?  Non,  si  Elgarde  a  bâti  un  mo- 
nastère, c'est  sûrement  dans  l'intérieur  de  la  ville.  Le  monas- 
tère de  1004  est  le  même  que  celui  de  1031.  En  1004  donc,  les 
religieuses  de  Saint-Sauveur  sont  à  la  place  de  Lenche. 

Hais,  antérieurement  à  Tan  1004,  où  se  trouvait  le  monas- 
tère ?  Sûrement,  en  923  il  était  auprès  de  Saint-Victor,  c'est- 
à-dire  de  l'autre  côté  du  port.  Les  chartes  de  1431  et  1446  en 
donnent  la  preuve. 

Ces  deux  documents,  que  nous  étudierons  plus  tard,  disent 
que  ce  monastère  de  Saint-Victor  et  un  autre  qui  autrefois 
en  était  voisin,  détruit  par  les  Vandales,  avaient  été  fondés 
par  Cassien  (1).  Les  Vandales,  qui  ont  détruit  ces  monas- 
tères, ne  sont  autres  que  les  Sarrasins.  Car  la  charte  de 
1040,  faisant  le  tableau  de  la  désolation  sous  laquelle  l'abbaye 
de  Saint- Victor  avait  été  plongée  durant  de  longues  années, 
l'attribue  à  un  agent  rusé  d'origine  vandale,  «  callidus  exactor 
de  vaginâ  Vandalorum  (2).  »  Or,  nous  savons  que  l'abbaye  de 
Saint-Victor  ne  fut  déserte  qu'à  l'époque  de  923,  lors  de 
l'invasion  des  Sarrasins  (3).  De  plus,  la  charte  de  1005  dit  que 
la  «  gens  barbarica  »,  qui  couvrit  de  ses  hordes  la  Provence, 
détruisit  les  églises  et  saccagea  les  monastères,  était  arrivée 


(1)  «  Gassianus,  qui  hoc  praesens  monasterium  et  aliud  olim  sibi 
vicinum  in  diebus  illifl  per  profanos  Vandalos  funditus  demolitum  miré 
condidit.  »  Chartes  de  1491  et  1446.  (Chartes  de  D.  Lefournier,  t.  III; 
archives  départementales.) 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  14,  du  5  oc  t.  1040.  —  La  plupart 
des  chroniqueurs  qui  ont  raconté  les  désolations  dont  la  France  fut  le 
théâtre  à  l'époque  des  invasions  des  Sarrasins,  se  servent  indifféremment 
des  termes  :  Vandales,  Sarrasins,  Païens.  Voir  les  chroniqueurs  cités 
par  de  Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  288  ; 
Cartulaire  L  II,  à  la  table,  p.  823;  Barras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  VII,  p.  22. 

(3)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  124  et  suivantes. 
—  Vie  des  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  8. 


-  96  — 

en  Provence  plusieurs  cycles  d'années  après  le  décès  de 
Charlemagne  (1),  postérieurement  à  Tan  814.  Donc  il  ne  s'agit 
pas  de  Vandales.  Il  faut  lire:  à  l'époque  où  les  Sarrasins 
détruisirent  Saint- Victor,  il  y  avait  un  monastère  voisin  de 
celui-ci  et  fondé  par  Gassien  (2).  Or,  les  Sarrasins  ne  détrui- 
sirent Saint-Victor  qu'en  922  ou  923.  Donc,  à  cette  époque, 
le  monastère  cassianite  se  trouvait  auprès  de  Saint- Victor. 

Mais,  de  923  à  l'an  1004,  quelle  place  occupait  ce  monas- 
tère ?  C'est  une  chose  curieuse  que  de  Tan  923  à  l'an  1004  on 
semble  perdre  de  vue  ce  monastère  cassianite  de  filles. 
Aucune  charte,  aucun  document  que  nous  connaissions  n'en 
fait  mention.  L'Ordre  semble  avoir  disparu  dans  la  tourmente 
de  923. 

A  vrai  dire,  on  ne  doit  pas  s'en  étonner.  Ce  fut  une  crise 
terrible  pour  l'église  de  Marseille  que  cette  époque  du 
X*  siècle.  Les  chartes  de  Saint- Victor  tracent  de  ces  années 
un  bien  sombre  tableau.  «  Lorsque  le  Dieu  tout-puissant,  lisons- 
nous  dans  la  charte  15  de  l'an  1005,  voulut  châtier  le  peuple 
chrétien,  il  se  servit  des  païens.  Une  nation  barbare  fit 
irruption  en  Provence,  se  répandit  de  tous  côtés,  en  augmen- 
tant chaque  jour  sa  force  et  son  courage,  parvint  à  s'emparer 
de  tous  les  lieux  fortifiés,  s'y  établit,  s'y  livra  au  pillage  des 
églises,  et  beaucoup  de  monastères  furent  détruits;  les  endroits 
qne  l'on  aimait  à  visiter  devinrent  d'affreuses  solitudes,  et  là 
où  les  hommes  habitaient,  les  bétes  féroces  établirent  leurs 
repaires.  C'est  ce  qui  advint  au  monastère  de  Saint-Victor, 
le  plus  fameux  de  la  Provence.  Il  fut  dévasté,  mis  en  ruines 
et  réduit  à  néant  (3).  »  L'histoire  est  là  pour  confirmer  le 

(1)  «  Sed  post  multa  curricula  annorum.  cum  idem  piissimus  princeps 
a  sœculo  decessisset.  »  «Jartulaire  de  Saint-Victor,  charte  15. 

(2)  Voir  au  chapitre  intitulé:  Les  chartes  de  iâSi  et  ihkQ,  de  ce  présent 
ouvrage,  un  autre  sens  que  l'on  pourrait  donner  à  cette  phrase  ;  ou 
arrive  cependant  à  la  môme  conclusion. 

(3)  t  Sed,  post  multorum  curricula  annorum,  cum  idem  piissimus 
princeps  a  seculo  decessisset,  et  omnipotens  Deus  vellet  ilagellare 
populum  christianum  per  seviciam  paganorum,  gens  barbarica  in  regno 
Provincial  irruens,  circumquaque  diffusa,  vehementer  invaluit,  ac 
munitissima  quseque  loca  obtinens  et  inhabitans  cuncta  vastavit, 
ecclesias  ac  monasteria  plurima  destruxit,  et  loca  (juse  desiderabilia 


—  97  — 

dire  des  chartes.  Les  Sarrasins,  qui  depuis  891  ou  892  s'étaient 
emparés  du  Fraxinet,  se  répandirent  dans  toute  la  Provence, 
occupant  d'abord  les  côtes,  puis  promenant  leurs  hordes 
sauvages  dans  le  haut  pays,  prenant  les  villes,  les  saccageant, 
et  descendirent  vers  la  basse  Provence.  Lentement  le  cercle 
se  rétrécit  autour  de  Marseille.  En  922  et  923,  ils  se  jettent  sur 
elle,  la  pillent,  la  saccagent.  La  cathédrale  est  incendiée, 
Saint- Victor  est  dévasté  et  réduit  à  néant  (1). 

La  position  est  si  précaire,  que  les  chanoines  qui  ne  peuvent 
plus  occuper  leurs  sièges,  que  les  clercs,  les  hommes 
libres,  les  serfs  n'ont  ni  nourriture,  ni  vêtements.  Le  mal- 
heureux évoque  de  Marseille,  Drogon,  en  est  réduit  à  solli- 
citer de  son  métropolitain,  l'archevêque  d'Arles,  le  pain  et  le 
vêtement  pour  ses  prêtres  et  ses  fidèles  (2). 

Incontestablement  le  monastère  des  religieuses,  où  qu'il 
se  trouve,  en  923,  auprès  de  Saint-Victor,  a  été  détruit. 
Les  auteurs  l'admettent,  l'abbé  Daspres,  André,  de  Rey,  etc., 
etc.  (3).  Et  cette  ruine  est  si  complète,  qu'à  notre  avis 
il  disparaît  entièrement!  C'est,  d'ailleurs,  ce  qui  arrive 
momentanément  à  l'abbaye  de  Saint- Victor.  La  charte  14  de 
Fan  1040  l'atteste  :  «  Le  monastère  a  vu  périr  ses  nombreux 
enfants,  qui  étaient  sa  gloire.  Il  végète  maintenant  dans  les 
larmes  de  la  solitude,  ruiné,  malheureux,  et  il  traîna  ainsi  de 
longs  jours  une  douleur  qui  le  rongeait  (4).  »  Une  autre 
charte  565,  de  l'an  1055,  dit  encore:  «  Le  monastère  détruit 

videbantur,  in  solitudine  redacta  sunt,  el  quae  dudum  fuerat  habitatio 
homlnum,  habitatio  postrnodum  cepit  esse  ferarum  ;  sicque  factum  est 
ut  monasterium  illud  quod  olim  prsecipuum  ac  famosissimum  in  tôt  A 
Provinciâ  fuerat,  adnullatum  et  pêne  ad  nihilum  est  redactum.  » 
Cartulaire,  t.  I,  charte    15. 

(1)  M.  de  Rey,  Invastons  des  Sarrasins  en  Provence,  passiin. 

(2)  «  Vir  Drogo,  Massiliensis  episcopus,  singultuoso  planctu  canônicos 
suse  ecclesiae  propter  continuos  Sarreceuorum  impetus  suis  in  locis 
manere  non  posse  conquestus...  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  1. 

(3)  Daspres,  Satire  sur  Saint-Ginies,  p.  28.  —  André,  op.  rit.,  p.  12. 
—  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  139;  Idem, 
Saints  de  Marseille,. p.  230. 

(A)  «  Hoc  extincto,  sobolumque  flore  amisso,  viduitalislacryma,  flexibi- 
liset  infelix,  nimisque  senlo  consumptum  permansit...  »  Cartulaire  de 
Saint-Victor. 


-  98  - 

par  les  Païens  avait  perdu  non  seulement  ses  biens,  mais  il 
s'était,  pour  pour  ainsi  dire,  perdu  lui-môme,  réduit  qu'il 
était  en  servitude  (1).  »  Ce  ne  fut  qu'en  966,  sous  Honoré  II, 
évoque  de  Marseille,  qu'il  revint  à  l'existence  et,  à  ce  moment, 
Tévôque  qui  rend  des  biens  à  Saint-Victor  ne  fait  aucune 
mention  des  moines  de  l'abbaye.  Il  n'y  en  a  pas.  Ce  n'est  qu'en 
970  que  Ton  parle  de  Saint- Victor  et  de  ses  moines  (charte 
598)(2).  Trente  ans  après  ce  relèvement,  vers  l'an  1000,  Garnier, 
Tabbé  de  Saint- Victor,  n'a  avec  lui  que  cinq  religieux.  Ce  n'est 
qu'en  1005  qu'il  en  compte  vingt-cinq  (3).  On  le  voit,  l'abbaye 
de  Saint- Victor  s'est  relevée  bien  lentement. 

Il  dut  en  être  de  même  de  l'abbaye  cassianite  des  filles. 
Détruite  en  923,  ce  ne  fut  qu'au  bout  de  trois  quarts  de  siècle 
qu'elle  put  se  relever.  Et  c'est  encore  la  charte  de  1004  qui  en 
est  la  preuve.  Examinez-la  dans  le  détail.  Il  s'agit,  nous  l'avons 
dit,  de  l'élection  d'une  abbesse.  Or,  combien  y  a-t-il  de  reli- 
gieuses, pour  faire  cette  élection  (4)  ?  Trois  sont  nommées, 
tout  au  plus  quatre  ;  en  comptant  Pontia,  qui  fut  élue,  elles 
sont  cinq.  Mais  à  cette  cérémonie  il  y  a  un  concours  assez 
extraordinaire:  deux  évoques,  de  pieux  laïques,  de  vénérables 
dames,  El  garde  et  ses  trois  fils,  même  un  chef  de  soldats,  et 
son  escorte.  Il  est  dit  dans  cette  charte,  en  propres  termes, 


(1)  «  ...  ipsum  monasterium,  a  paganis  destructum,  non  solum  sua, 
sed  etiam  se  ipsum,  in  solitudine  redactum,  amiserat. . .  >  Cartulaire  de 
Saint- Victor. 

(2)  De  Rey,  Invasion*  des  Sarrasins  en  Provence. 

(3)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  Saint  -Viffred,  pp.  305-306. 

(4)  «  Idcirco  nos  dicate  Deo  mulieres,  Rainberga,  Fradegarda,  Suffi- 
cia...  quatlnus  eis  de  quibus  loquimur  consortes  esse  possimus,  anno 
millésime»  quarto  trabcationis  dominiez,  indictione  V,  mense  duodecirao 
qui  dicitur  Janus,  atque  ejusdem  VII  idus,  coram  prsesentia  sacrorum 
antitistum  Produs...  ceetenimque  piorum  hominum,  et  ante  conspectum 
nobilis  matrone,  ejusdem  monasterii  fundatricis,  una  cum  flliis  suis 
(nomen  etenim  ejus  Elgarda  dicitur,  ipsius  vero  nliorum  suorum  notan- 
tur  Garinus,  Vigo,  Aldebertus)  ;  itaque  nos  omnes  unanimiter  praesi- 
gnata  puella,  elegimus  atque  pneferimus  nobis  hanc  monacam  nomine 
Ponciam  vultu  décora  m ,  sensu  illustrem ,  natura  sublimem  rao- 
ribusque  insignem .  Idquidem  facimus  ea  ratione  qua  oportet,  fa  vente 
Dorumdeo  suorumque  militum  copia...  »  Cartulaire  de  Saint-Virtor, 
eh.  1053,  du  6  janvier  1004. 


-  99  — 

qu'Elgarde  est  la  fondatrice  de  ce  monastère.  Ge  monastère 
ainsi  relevé  n'a  pas  de  nom,  la  charte  n'en  mentionne  aucun. 
Or,  si  ce  monastère  de  1004  en  remplace  un  autre,  détruit 
depuis  seulement  quelques  années,  comment  expliquer  cette 
omission  ?  Gomment  affirmer  qu'Elgarde  a  fondé  ce  monas- 
tère? On  dira  plus  tard  de  Pons  II,  et  de  son  frère  Geoffroy, 
qu'ils  désirent  rétablir,  restaurer  le  monastère  détruit,  «cupi- 
mus  restaurare,  aliquatenus- renovare  atque  restituera  ». 
Mais  ici  c'est  «  fundatricis  ejusdem  monasterii  »,  fondatrice 
de  ce  monastère,  que  l'on  dit.  Pourquoi,  d'ailleurs,  cette 
pompe  extraordinaire  à  cette  élection  faite  seulement  par.cinq 
religieuses  ?  D'où  vient  encore  ce  petit  nombre  de  religieuses 
dans  un  monastère  qu'Eusébie  et  ses  quarante  compagnes  ont- 
illustré  ?  Il  y  a  là  plus  qu'une  élection  ordinaire.  C'est  la 
reconstitution  d'un  ordre,  le  rétablissement  d'un  monastère 
détruit  et  disparu.  Pour  nous  donc,  de  l'an  923  à  Tan  1004,  le 
monastère  des  religieuses  n'existait  plus  I  !  ! 

Une  seule  chose  nous  ferait  hésiter  :  un  des  fragments 
découverts  par  Rufll,  concernant  l'histoire  des  possessions  de 
Saint-Sauveur,  à  une  certaine  époque.  Il  est  dit,  dans  ce 
document  (l)  :  a  que  les  religieuses  ont  des  esclaves  dans  la 
campagne,  dans  les  champs  Albuciens  ;  une  colonie  à  Plom- 
bières; près  du  Jarret,  les  champs  de  Saint- Victor  ;  au 
même  endroit  le  tiers  des  terres  de  Sainte  Marie.  Elles  ont 
le  pré  de  Sainte-Euphémie  et  de  Saint-Baudile  en  entier,  terres 
que  le  chorévôque  Honoré  possède  en  bénéfice.  »  Si  Ton  pou- 
vait prouver  que  cet  Honoré,  chorévêque,  est  le  même  qui  fut 
évoque  de  Marseille  de  948  à  976,  on  aurait  là  une  preuve  évi- 
dente que  le  monastère  existait  de  923  à  l'an  1004,  puisque, 
vers  948,  il  possédait  des  terres  qu'Honoré  tenait  en  bénéfice 
avant  d'être  évêque,  c'est-à-dire  avant  948. 


(1)  «  Descrîptio  mancipiorum  de  agro  Albuciano,  colonica  in  Plumba- 
rias.  Habemus  juxta  fluvium  Genre,  campos  Bancti  Victoria.  Habemus 
inibi  de  colonica,  tertiam  partem  de  terras  Sanctse  Maria?.  Habemus 
pratum  Sanctae  Buphemiœ  et  Sancti  Baudilii  ab  integro,  quos  Honoratus 
r.Orepicopus  in  beneticio  babet.  »  Armoriai  et  Sigillographie  des  évê- 
que* fie  Marseille,  par  le  chanoine  Albanés,  p.  30.—  Antiquité  de  l'Eglise 
<ie  Marseille,  par  M«rde  Belsunce,  t.  1,  p.  302,  note. 


—  100  - 

Mais  nous  croyons  d'abord  qu'il  est  difficile  d'idendifier 
cet  Honoré,  chorévêque,  avec  Honoré  II,  évéque  de  Marseille. 
Aucun  auteur,  que  nous  sachions,  ne  Ta  dit.  De  plus,  à  cette 
époque  au  milieu  du  X*  siècle,  il  n'y  avait  presque  plus  de 
chorévéques.  Cette  dignité  disparut  après  le  X*  siècle,  selon 
M1'  de  Belsunce,  et  vers  le  milieu  de  ce  siècle,  selon  le  cardinal 
Hergenroether  (1).  Donc,  fort  probablement  il  ne  s'agit  pas  de 
celui  qui  fut  plus  tard  Honoré  II,  évéque  de  Marseille. 

Ce  qui  ajoute  à  ces  preuves,  c'est  qu'il  est  question  des  biens 
qu'aurait  possédés  le  monastère  cassianite  vers  948.  Or,  s'il  est 
certain  que  ce  monastère  a  été  détruit  vers  923,  comment  peut- 
il  s'être  déjà  relevé  avant  948,  et  posséder  des  biens,  alors  que 
Saint-Victor  n'a  commencé  à  sortir  de  ses  ruines  qu'après  9fi6  ? 
De  plus  ces  biens  sont  appelés  «  les  champs  de  Sainte-Marie, 
les  champs  de  Saint- Victor  ;  »  ces  champs  ont  donc  appartenu 
à  l'abbaye  de  Saint-Victor  et  à  la  cathédrale,  qui,  à  une  certaine 
époque,  les  ont  donnés  à  l'abbaye  cassianite.  Or,  en  nous 
maintenant  toujours  dans  l'hypothèse  que  ce  chorévêque 
Honoré  est  le  même  personnage  qu'Honoré  II,  plus  tard  évéque 
de  Marseille,  nous  sommes  à  une  époque  antérieure  à  948,  au 


(1)  «  Cette  charte  est  donc,  au  plus  tard,  du  X'  siècle,  après  lequel  on 
voit  plus  de  chorévéques.  »  M"  de  Belsunce,  op.  cit.,  t.  I,  p.  303.  — 
Histoire  de  l'Eglise,  par  le  cardinal  Hergenroether,  t.  IJI,  p.  311.  — 
Oq  donnait  le  nom  de  chorévéques  aux  prêtres  qui  exerçaient  quelques 
fonctions  épiscopales  dans  les  bourgades  et  les  villages,  et  qui  étaient 
par  ce  lait  les  vicaires  de  l'évêque.  En  Orient,  ils  lurent  très  nombreux. 
Il  en  est  fait  mention  au  concile  d'Antioche,  en  340.  En  Occident,  le 
concile  de  Riez  en  439  est  peut-être  le  premier  qui  en  ait  parlé.  Il  leur 
était  défendu  de  rien  entreprendre  sans  la  permission  de  l'évêque.  Ils  n'a- 
vaient la  tâche  que  de  soulager  celui-ci  dans  ses  fonctions  et  d'administrer 
le  diocèse  pendant  la  vacance  du  siège.  En  Orient,  ils  avaient  le  droit  de 
consacrer  des  lecteurs.  Mais,  comme  ils  voulaient  empiéter  sur  les  fonc- 
tions exclusivement  épiscopales,  telles  que  la  consécration  des  églises, 
des  vierges,  l'ordination  des  prêtres,  la  confirmation,  etc.,  on  restrei- 
gnit leurs  attributions.  Finalement  on  abolit  cette  dignité.  Ils  disparu- 
rent complètement  vers  le  milieu  du  X*  siècle.  —  Diplomatique  chré- 
tienne, édit.  Migne,  col.  202.—  Histoire  de  l'Eglise,  par  Hergenroether, 
t.  II,  p.  429;  t.  III,  p.  133  et  311.  — Dictionnaire  de  théologie,  Lenoir, 
Chorévêque,  t.  II,  p.  504.  —  Histoire  des  conciles,  par  Roisselet,  t.  III, 
p.  624,  errata. 


—  101  — 

lendemain  de  la  destruction  de  Saint- Victor,  au  lendemain  de 
ces  affreux  ravages  qui  forcèrent  le  malheureux  Drogon,  évo- 
que de  Marseille,  à  implorer  le  secours  de  l'archevêque  d'Arles, 
Manassés.  Et  Saint-Victor  serait  assez  riche  déjà  pour  céder  à 
l'abbaye  cassianite  des  terres  sur  le  bord  du  Jarret,  et  partant 
d'une  culture  facile,  puisqu'elles  sont  à  proximité  !  Et  l'évê- 
que  aurait  déjà  des  biens  en  telle  abondance,  qu'il  pourrait  en 
céder  à  l'abbaye!  Cela  n'est  guère  possible. 

Au  contraire,  que  l'abbaye  cassianite  possède  à  une  époque 
des  biens  appelés  «  champs  de  Saint- Victor  et  terres  de  Sainte- 
Marie»,  ce  nous  est  un  indice  que  c'est  tout  récemment  qu'on 
les  lui  a  donnés.  Elle  n'a  pas  eu  le  temps  encore  de  se  les 
assimiler  et  de  les  ranger  sous  le  nom  général  de  biens  de 
l'abbaye.  Que  l'abbaye  de  Saint-Victor  ou  la  cathédrale 
les  ait  donnés  à  l'abbaye  cassianite,  ce  nous  est  une.  preuve 
encore  qu'on  les  lui  a  cédés  pour  former  un  domaine, 
un  fonds,  lin  capital,  une  mense,  et  la  relever  de  quelque 
destruction. 

Or,  nous  l'avons  dit,  après  923,  ni  Saint-Victor,  ni  la  cathé- 
drale n'ont  pu  être  généreux  à  ce  point.  C'est  donc  à  une 
époque  antérieure,  époque  relativement  florissante  pour  Saint- 
Victor  et  la  cathédrale,  peut-être  en  838,  867,  que  ces  biens 
ont  été  donnés.  Ce  chorévêque  Honoré  daterait  donc  de  cette 
époque,  et  non  pas  de  948.  Ce  fragment  du  Polyptique  ne 
s'opposerait  donc  pas  à  notre  assertion:  que,  de  923  à  l'an  1004, 
le  monastère  cassianite  n'existait  pas. 

En  923,  il  se  trouve  tout  près  de  Saint-Victor.  Pourrait- 
on  dire  à  quel  endroit  auprès  de  cette  abbaye  s'élevait  le 
monastère  cassianite?  Très  probablement  aux  environs  de  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine.  Les  ruines  que  Ruf G  y  a  vues, 
l'inscription  tumulaire  qu'il  y  a  trouvée  en  sont  des  indices. 

On  ne  devrait  pas  cependant  arguer  de  ces  tombes  décou- 
vertes à  la  chapelle  de  Sainte-Catherine,  pour  placer  forcément 
le  monastère  à  cet  endroit.  Car,  en  supposant  qu'il  s'élevât  sur 
cette  terre  qui  appartenait  aux  religieuses,  sur  le  plateau  du 
Revest,  on  pourrait  dire  aussi  qu'on  inhumait  celles  qui 
mouraient  dans  l'enceinte  de  Paradis,  aux  environs  de  cette 
chapelle  de  Sainte-Catherine. 


—  102  — 

On  peut  en  effet  le  placer  sur  le  plateau  qui  s'élève  et  s'étend 
au-dessus  de  l'endroit  appelé,  par  M.  de  Rey,  le  Revest.  Ce 
plateau  s'étend  de  rentrée  de  Paradis,  à  peu  près,  à  la  hauteur 
de  la  place  de  la  Gorderie  actuelle,  jusque  vers  la  rue  de 
Rome.  Il  y  avait  là  des  terres,  des  vignes  appartenant  à  des 
particuliers;  les  religieuses  cassianites,  vers  1048,  y  possé- 
daient une  grande  terre  que  très  probablement  elles  avaient 
déjà  au  début  du  X*  siècle,  à  la  fin  du  IX\ 

C'est  à  ces  deux  endroits  que  l'abbaye  cassianite  pouvait 
être,  lors  de  sa  destruction  par  les  Sarrasins,  en  923.  Ces 
deux  emplacements  se  trouvaient  assez  voisins  de  l'abbaye 
de  Saint- Victor  pour  qu'on  put  leur  appliquer  le  texte  des 
chartes  de  1431  et  1446:  «  aliud  olim  sibi  vicinum  ». 

Donc,  indifféremment  le  monastère  pouvait  être  à  Sainte- 
Catherine,  ou  sur  le  plateau  du  Revest.  Cependant  nous  préfé- 
rerions, à  cette  époque  de  923,  l'emplacement  de  S'*-Catherine. 

Depuis  combien  d'années  se  serait-il  trouvé  à  Sainte- 
Catherine?  Qmnze  à  peine.  En  904,  Louis  l'Aveugle  cède 
à  l'abbaye  de  Saint-Victor  «  toute  la  rive  du  port  qui  est  sous 
le  monastère  avec  les  pêcheries,  les  ancrages  et  les  salines, 
de  plus  toute  la  terre  qui  va  du  monastère,  de  ces  pêcheries  et 
de  ces  salines,  jusqu'à  Carnarium,  le  cimetière  de  Paradis  (1)  » . 
Or,  l'emplacement  de  la  chapelle  de  Sainte -Catherine  se  trou- 
vait sur  la  terre  comtale,  cédée  à  Saint-Victor.  Si  l'abbaye 
cassianite  eût  été  en  cet  endroit,  que  le  point  où  elle  s'élevait 
fût  la  propriété  du  comte  ou  de  l'abbaye  cassianite  elle- 
même,  la  charte  de  donation  de  904  aurait  mentionné  que 
cette  terre  était  cédée  à  Saint- Victor,  à  l'exception  de  l'empla- 
cement de  cette  chapelle,  ou  y  compris  cet  emplacement. 

(1)  «  Noverit  quoniam  Rostagnus,  metropolita,   et  Teutbertus, 

cornes,  nostram  adeuntes  excellentiam,  enixius  postula verunt,  quatinus 
fideli  nostro  Magno,  abbati  ecclesiie  scilicet  Dei  Genitricis  Mari®  et  glo- 
riosi  martyris  Victoris  ..  concedamus  jure  perpetuo,  videlicet  fiscum 
quod  nominatur  Pinus,  cum  salinis  et  piscationibus  et  portus  navium 
et  omnibus  juste  et  legaliter  ad  eumdem  fiscum  pertinent! bus  conja- 
centem  in  comitatu  Massiliensiqui  vulgo  Paradisus  nominatur,  sicut  est 
\ia  qua»  descendit  aGuardia  usque  in  Poium  formicarium,  una  cum  terra 
comi'ali  quœ  ante  portam  castri  fore  videtur usque  ad  Carnarium...  » 
Cartulaire  de  Saint-Victor,  ch.  10,  21  avril  90i. 


—  103  - 

C'est  donc  postérieurement  à  Tan  904  qu'il  a  pu  s'élever  à 
Sainte-Catherine,  et,  dans  cette  hypothèse,  il  n'aurait  guère 
compté  que  quelques  années  d'existence,  de  904,  à  l'an  923, 
époque  de  sa  destruction . 

Si,  au  contraire, -on  acceptait  de  placer  le  monastère  cassia- 
nite  sur  le  plateau  axi-dessus  du  Revest,  sur  la  terre  même 
qui  en  1048  appartenait  aux  religieuses,  nous  dirions  qu'il 
s'élevait  en  cet  endroit  au  début  du  IX*  siècle. 

En  838,  en  effet,  c'est  là,  au-dessus  du  Revest,  que  très  pro- 
bablement il  se  trouvait,  lorsque  les  religieuses  furent  enle- 
vées par  les  pirates  et  transportées  par  eux  sur  leurs  vaisseaux. 
Elles  n'habitaient  pas  la  ville,  à  cette  époque.  Rufli  et  Lautard 
se  trompent  en  les  y  plaçant  dès  867,  à  la  suite  des  ravages 
des  Normands,  à  Marseille  (1).  M.  de  Rey  regarde  cette  asser- 
tioo  concernant  les  ravages  des  Normands  à  Marseille  comme 
nn  peu  gratuite  (2).  Nous  le  croyons  avec  lui.  Les  annales  de 
Saint-Bertin  ne  disent  rien  à  ce  sujet.  D'ailleurs,  si  elles  sont 
en  ville  en  867,  pourquoi  sont-elles  revenues  auprès  de 
Saint- Victor  avant  923,  puisque  à  cette  date  le  monastère  cas- 
sianite  se  trouvait  auprès  de  cette  abbaye,  aux  termes  des 
chartes  de  1431  et  1446?  Avaient-elles  oublié  les  ravages  des 
Normands  ?  Elles  n'étaient  donc  pas  dans  l'intérieur  de  la 
ville  en  867. 

Non  plus  en  838,  car  il  est  impossible  de  s'appuyer  sur  les 
texte  des  annales  de  Saint-Bertin  (3)  :  «  non  modica  congre- 
gatio,  qua?  illic  degebat  »,  pour  affirmer  qu'en  838  les  reli- 
gieuses habitaient  déjà  l'intérieur  de  la  cité.  Outre  qu'il  est 
assez  difficile  de  faire  dire  à  ce  texte  pareille  chose,  car  le  sens 
ie  plus  raisonnable  et  le  plus  naturel  de  ces  termes  est  que  le 
monastère  cassianite  se  trouvait  à  Marseille  et  rien  de  plus  au 


fl)  Rufli,  t.  II,  pp.  58,  59,  118.  —  Lautard,  Lettres  archêoloniques  sur 
Marseille,  p.  402. 

(2)  Invasions  fies  Sarrasins  en  Provence,  p.  267. 

(3)  <  838...  intérim  Sarracenorum  piraticœ  classes  Ma«siliam  Provin- 
rûe  ir mentes,  abduciis  sanctimonialibus,  quarum  illic  non  modica 
eongregatio  degebat,  omnibus,  et  cunctis  masculini  sexùs  clericis  et 
laicis,  vastataque  urbe,  thesauros  quoque  ecHesiarum  Christi  seeum 
universaliter  nsportarunt.  »  Annales  de  Saint-Bertin. 


—  104  - 

sujet  de  sou  emplacement,  on  se  heurterait  à  la  même  diffi- 
culté signalée  plus  haul  :  si  elles  sont  en  ville  en  838,  pour- 
quoi sont-elles  revenues  à  Saint-Victor  en  923  ? 

D'autre  part,  elles  ne  se  trouvaient  pas  à  Sainte-Catherine, 
en  838.  Nous  l'avons  déjà  dit,  la  charte  de  904  l'aurait  men- 
tionné. Ni  au  Revest  ;  sur  cet  étroit  espace  il  n'y  avait  pas  la 
place  suffisante  pour  un  monastère.  Non  plus  aux  Catalans,  ni 
au  bassin  du  carénage.  En  effet,  dans  la  charte  23,  de  966, 
Honoré  II,  évoque  de  Marseille,  restitue  à  Saint-Victor  une 
grande  terre  dans  l'étendue  de  laquelle  ces  deux  points  sont 
circonscrits.  Or,  si  l'abbaye  cassianite  se  fût  trouvée  à  un  de 
ces  endroits,  l'évéque  l'aurait  su,  et,  en  966,  en  restituant 
ce  domaine  aux  moines,  il  aurait  indiqué  que  dans  cette 
restitution  était  comprise  ou  non  l'ancienne  abbaye  cassianite, 
détruite  elle  aussi  en  923.  Or,  le  silence  est  complet  sur  ce 
sujet.  Les  religieuses  n'avaient  donc  pas  là  leur  monastère 
eu  838. 

S'élevait-il  dans  le  cimetière  de  Paradis  ?  M.  de  Rey  se 
refuse  à  le  croire  :  a  Ce  n'est  pas  dans  l'enceinte  de  Paradis, 
pas  davantage  en  dehors  dans  la  direction  du  sud-est,  qu'il 
qu'il  faut  chercher  l'emplacement  du  monastère  (I).  »  Et  de 
fait  Paradis  était  un  lieu  trop  vénéré  pour  que  l'on  y  eût  bâti 
un  monastère.  D'autre  part,  un  cimetière  n'est  guère  la  place 
d'un  établissement,  quelconque.  On  pourrait  dire  de  même 
que,  l'abbaye  de  Saint- Victor  s'y  trouvant,  l'abbaye  cassia- 
nite pouvait  y  être  !  Soit  ;  mais  que  l'on  explique,  alors, 
pourquoi  les  chartes  qui  parlent  de  Paradis,  mentionnent 
l'abbaye  de  Saint-Victor  dans  son  voisinage  et  omettent  d'in- 
diquer de  quelque  manière  que  l'abbaye  cassianite  s'élevait 
aussi  en  cet  endroit. 

S'élevait-elle  entre  Paradis  et  la  ville  ?  Non  sûrement, 
dit  encore  M.  de  Rey  (2).  Il  y  avait  des  salines  depuis  les 
abords  du  cimetière  de  Paradis  jusqu'à  la  Cannebière  actuelle, 
salines  que  l'on  ne  céda  à  Saint-Victor  qu'en  904.  Lors  de 
cette  donation,  on  Ta  dit  plus  haut,  on  aurait  indiqué  que  là 
se  trouvait  le  monastère,  s'il  y  avait  été  en  réalité. 

Cl)  Les  Saint*  de  VEfjlise  de  AfavsefUe,  sainte  Eusébie,  p.  23?. 
(2)  Les  Saints  de  VIù/Hse  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  231. 


—  105  — 

Où  se  trouvait-il  alors  ? 

Sur  cette  terre,  qui  était  non  loin  du  port,  quoiqu'elle  ne 
fût  pas  sur  la  rive,  comme  nous  le  prouverons  plus  tard,  et 
que  les  religieuses  possédaient  en  10381048,  aux  termes  de  la 
charte  40 . 

Depuis  quelle  époque  le  monastère  se  trouvait-il  sur  cette 
terre,  sur  le  plateau  au-dessus  du  Revest  ?  Aucun  document 
que  nous  connaissions  ne  l'indique.  Pour  ceux  qui  admettent 
que  ce  monastère  a  toujours  été  réellement  non  loin  de  Saint- 
Victor,  c'est  en  cet  endroit  ou  aux  environs  qu'ils  le  font 
établir  par  sain  t  Cassien . 

Pour  nous  qui  soutenons  que  sainte  Eusébie  a  été  marty- 
risée aux  bords  de  l'Huveaune,  nous  disons  qu'au  lendemain 
de  cet  événement  on  quitta  ces  parages  et  Ton  vint  construire 
le  nouveau  monastère  près  de  la  ville,  auprès  de  Saint- Victor, 
sur  celte  terre  dont  nous  parlions  tantôt:  Nous  sommes  ainsi 
d'accord  avec  plusieurs  auteurs:  Lautard,  Grosson,  Ruffi,  de 
Belsunce,  etc., qui  supposent  un  changement  de  local,  en  se  rap- 
prochant de  Saint- Victor,  à  la  suite  du  martyre  de  sainte  Eusé- 
bie. Or,  comme  nous  plaçons  le  martyre  de  sainte  Eusébie  vers 
738,  ce  serait  vers  750  qu'aurait  eu  lieu  ce  changement.  Avant 
cette  époque  l'abbaye  avait  toujours  été  aux  bords  de  rHu- 
veaune. C'est  ce  qui  sera  plus  longuement  prouvé. 

Nous  nous  résumons.  De  410  à  738,  le  monastère  cassianite 
est  aux  bords  de  l'Huveaune  ;  de  738  à  838,  il  se  trouve  aux 
abords  de  la  ville,  sur  la  terre  au-dessus  du  Revest,  avec 
changement  probable  de  local  après  838.  En  923,  c'est  auprès 
de  Saint- Victor,  à  Sainte-Catherine,  qu'il  s'élève. 

De  923  à  l'an  1004,  il  n'y  a  pas  de  trace  du  monastère,  il 
semble  ne  plus  exister.  En  1004,  il  se  relève  et  se  trouve  à  la 
place  de  Lenche.  En  1033,  les  rtîligieuses  sont  aux  Accoules. 
En  1050,  elles  sont  retournées  à  la  place  de  Lenche,  qu'elles 
quittent  avant  1069,  pour  y  revenir  vers  1073,  s'en  éloigner 
encore  vers  1077,  et  demeurer  aux  Accoules.  Enfin  elles  se  fixent 
définitivement  à  la  place  de  Lenche  dans  le  X1P  siècle,  puis- 
que, en  1153  et  1159,  les  bulles  des  papes  nomment  le  «monas- 
leriuin  Sancti  Salvatoris»  et  les  «  sorores  Sancti  Salvatoris  ». 


CHAPITRE  III 

Noms  divers  que  le  Monastère  a  portés  du  Vr 

au  XIe  siècle 


Deuxième  question  préjudicielle 


PREMIER  VOCABLE  DE  L'ABBAYE  CA8SIANITE  :  LA  SAINTE  VIERGE  ;  — 
PUIS:  8AINT-CAS8IEN,  —  SAINT -CYR.  —  SAINT  AMATOR  ET  LES  RE- 
LIQUES DE  SAINT  CYR.  —  L' ANTIQUE  VOCABLE  DE  LA  SAINTE  VIERGE 
REPRIS  AU  XI*  SIECLE,  UNI  A  CELUI  DE  SAINT-SAUVEUR. 


Si  le  monastère  cassianite  a  souvent  changé  de  place,  sou- 
vent aussi  il  a  changé  de  nom.  De  l'aveu  de  tous  les  auteurs,  il 
fut  placé  successivement  sous  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge. 
deSaint-Cassien,  de  Saint-Cyr,  de  Sainte-Marie  et  de  Saint-Sau- 
veur. Cet  ordre  cependant  n'est  pas  admis  sans  constestation. 
Tels  et  tels  auteurs  ont  élevé  des  diffîculés  à  ce  sujet.  Nous 
avons  donc  le  devoir  d'entrer  dans  quelques  détails,  afin  d'in- 
diquer avec  le  plus  de  précision  possible  dans  quel  ordre  véri- 
table ces  différents  vocables  ont  été  portés. 

La  plupart  des  auteurs  admettent  que  le  premier  vocable  du 
monastère  a  été  la  Sainte  Vierge.  C'est  ce  que  nous  affirment 
Iiuffi,  la  Galliachristiana,  deBèlsunce,  André,  de  Rey  (1),  pour 
ne  citer  que  quelques  noms.  Nous  croyons  cette  assertion 
exacte.  Cassien  fonde  à  Marseille  deux  monastères,  l'un  de 


(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56.  —  De  Belsunce,  Antiquité 
de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  258.  —  Gallia  christiana,  t.  I,  col.  696.— 
André,  Histoire  de  l'abbaye  des  reliyieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  3.  — 
De  Rey,  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  224. 


—  107  — 

femmes,  l'autre  d'hommes  (i),  à  peu  près  à  la  même  époque  : 
celui  des  hommes  vers  415,  celui  des  femmes  vers  420  (2).  Or, 
celui  de  Saint-Victor  est  sous  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge. 
A  chaque  instant  on  lit  dans  les  chartes  que  la  Vierge  Marie 
est  le  titulaire  de  cette  abbaye  (3).  Pourquoi  douter  qu'il  ait 
donné  le  môme  vocable  au  monastère  de  filles  et  de  femmes  ? 
C'est  très  croyable  (4). 

Environ  cent  cinquante  ans  plus  tard,  ce  vocable  a  disparu. 
Celui  de  Sain t-Cassien  l'a  remplacé.  Saint-Grégoire  le  Grand, 
pape,  écrivant  à  Respecta,  abbesse  cassianite,  en  597,  parle  du 
monastère  «  in  honore  sancti  Cassiani  consécration  (5)  » . 
Depuis  combien  de  temps  s'appelait-il  de  ce  nom  ?  A  quelle 
occasion  lui  avait-il  été  donné?  Nous  ne  savons  rien  de  précis. 
Il  est  fort  probable  que  dès  la  mort  de  Cassien  (6),  ses  lilles 
n'aient  pas  attendu  longtemps  pour  placer  leur  monastère 
sous  la  protection  de  leur  saint  fondateur.  Mais  plus  tard  il 
perdit  encore  ce  titre  pour  prendre  celui  de  Saint-Cyr.  L'épi- 
taphe  de  sainte  Eusébie  mentionne  que  cette  religieuse  vécut 
cinquante  ans  «  in  monasterio  Sancti  Cyrici  (7)  ».  Or,  à  quelle 
époque  ce  vocable  nouveau  fut-il  donné  au  monastère;  à  quelle 

(I)  c  Mortuo  Ghrysostoino,  Maasiliam  recessit  Gassianus,  ibique  près- 
byterfactus  duo  monasterîa,  virorum  alterum,  et  altorum  mulierum, 
condidit. ..  *  Offlcium  proprium  venerabilis  monasterii  Sancti  Victoris 
Ma$*illiœ  1672. 

[I)  Ruffi  et  de  Belsunce  ne  donnent  pas  de  date  certaine  ;  André  assi- 
gne l'année  410  pour  la  fondation  des  deux  monastères;  et  de  Rey  l'an- 
née 415  pour  celui  des  hommes,  et  420  pour  celui  des  femmes. 

(3)  t . . .  Notum  sit. . .  qualiter  nosob  araorem  Donnai,  ad  monasterium 
Massiliense  quod  est  in  honore  beatisslme  semperque  Virginis  Mariai, 
vel  Sancti  Victoris  martyris  ...  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  n°  8. 

(4)  Nous  devons  à  la  vérité  d'avouer  qu'il  n'existe  pas,  à  notre  connais- 
sance, de  document  qui  1e  prouve  catégoriquement. 

(5)  €  Proinde  monasterio  quod  in  honorem  sancti  Cassiani  est  consé- 
cration, in  quo  praeesse  dignosceris...»  Lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand 
âl'abbesse  Respecta.  —  André,  op.  cit.,  pièces  justificatives,  A,  p.  205. 

(6)  L'auteur  de  la  Vie  des  Saints  de  l'Église  de  Marseille  dit  que  saint 
Cassien  est  né  aux  environs  de  Tannée  360  et  est  mort  après  440.  Il  avait, 
croit-on,  97  ans.  (Saint-Gassion,  La»s  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille, 
p.  109  et  suiv.) 

(7)  Voir  cette  épitaphe  au  chapitre  :  Inscription  de  sainte  Ktusébie,  de 
notre  présent  ouvrage. 


—  108  — 

occasion;  combien  de  temps  il  le  garda:  autant  de  points 
qu'il  est  nécessaire  d'élucider.  Souvent,  en  effet,  on  nous  a 
posé  cette  question  :  Est-il  bien  sûr  que  le  cœnobium  des 
filles  ait  porté  le  nom  de  Saint-Cyr,  après  avoir  porté  celui 
de  Saint-Cassien,  c'est-à-dire  postérieurement  à  Tan  597  ? 
Ne  pourrait-on  pas  supposer  raisonnablement  qu'au  début 
la  Sainte  Vierge  en  fut  le  titulaire  et  que,  dans  la  suite, 
ce  fut  Saint-Cyr?  Et  l'on  invoquait  à  l'appui  plusieurs 
raisons. 

La  première  était  déduite  de  ce  que  racontent  Rufii,  André, 
Magloire,  Giraud,  de  Rey,  Grindaet  avant  eux  la  Gallia  ckris- 
tiana,  Guesnay,  V Histoire  littéraire  de  la  France,  etc.  Sui- 
vant ces  auteurs,  les  reliques  de  saint  Cyr,  ce  petit  enfant  qui 
fut  martyrisé,  en  304,  à  Tarse,  en  Cilicie,  en  même  temps  que 
sa  mère  sainte  Julitte,  furent  transportées  à  Antioche  sous  le 
règne  de  Constantin,  et  de  cette  ville  saint  Amator,  évêque 
d'Auxerre,  les  apporta  en  Gaule  au  commencement  du  V-  siè- 
cle. Une  partie  de  ces  reliques  vinrent  en  la  possession  des 
religieuses  de  Marseille,  et  c'est  pour  cette  raison  qu'elles  se 
placèrent  sous  le  patronage  de  saint  Cyr  (1). 

La  seconde  raison  était  celle-ci  :  Les  hommes  les  plus 
compétents  regardent  comme  étant  du  VIe  siècle  l'inscription 
de  sainte  Eusébie,  où  il  est  dit  que  celle-ci  vécut  cinquante  ans 
a  in  monasterio  Sancti  Cyrici(2)».  On  voitd'iciles  conclusions. 
Puisque  saint  Amator  a  porté  en  Gaule  les  reliques  de  saint 
Cyr  et  en  a  donné  au  monastère  cassianite,  au  début  du 
V"  siècle  ;  puisque  l'inscription  de  sainte  Eusébie  est  du  VIe 
siècle,  forcément  le  monastère  cassianite  a  porté  le  nom  de 

(1)  Rufli(le  père).  Histoire  rie  Marseille,  p.  387.  — Rufli,  Histoire  de 
Marseille,  t.  II,  p.  57.  —  Guesnay,  Annales  Massiliensis  provincial 
p.  599.  —  Gallia  christ iana,  1. 1,  col.  697.  —  André,  Histoire  de  l'abbaye 
des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  14.  —  L'abbé  Magloire  Giraud* 
Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr  (Var),  p.  18. — L'abbé  Daspres, 
Notice  sur  Saint-Giniez,  p.28.—  De  Rey,  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Mar- 
seille, p.  226.  —  Grinda,  Monographie  de  Saint-Victor  (Echo  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  1888  ;  note). 

(2)  Edmond  Leblant,  dans  les  Inscriptions  chrétiennes  des  Gaules, 
antérieures  au  VIII*  siècle,  à  l'épitapbe  de  sainte  Eusébie,  dit  que  cette 
inscription  de  Marseille  semble  appartenir  au  VI°  siècle  ;  t.  II,  n°  545. 


—  109  — 

Saint-Cyr  avant  de  prendre  celui  de  Saint-Cassien.  Or,  cette 
conclusion  est  fausse,  parce  que  les  prémisses  sont  fausses 
elles-mêmes.  Le  vocable  de  Saint-Cyr  est  postérieur  à  celui 
de  Saint-Cassien.  Voici  les  preuves  : 

D'abord,  la  Gallia  chrisliana,  Guesnay,  Y  Histoire  litté- 
raire de  la  France,  Hufli,  Magloire  Giraud,  etc.,  etc.,  sem- 
blent bien  croire  à  cette  translation,  et  paraissent  la  fixer  au 
V*  siècle.  Mais  c'est  à  tort  que  Ton  en  concluerait  qu'au  V 
siècle  l'abbaye  cassianite  de  Marseille  porta  le  vocable  de 
Saint-Cyr.  Ruffi,  en  effet,  regarde  l'inscription  de  sainte  Eusé- 
bie  comme  l'épitaphe  de  notre  sainte  marseillaise  et  il  sou- 
tient que  cette  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les  Normands 
vers  867.  Or,  il  dit  que  le  monastère  dans  lequel  cette  sainte 
souffrit  la  mort  était  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr  (1).  Donc, 
Ruffi  pensait  que  l'abbaye  cassianite  portait  le  vocable  de 
Saint-Cyr  postérieurement  à  celui  de  Saint-Cassien,  titulaire 
de  ce  monastère  en  597. 

L'abbé  Magloire  Giraud  croit  que  le  monasterium  Sancti 
Cyrici  où  sainte  Eusébie  vécut  cinquante  ans  se  trouvait  à 
Saint-Cyr  du  Var.  Il  n'est  pas  sur  que  l'abbaye  cassianite  de 
Marseille  ait  porté  le  vocable  de  Saint-Cyr.  L'Eusébie  de  l'ins- 
cription n'est  pas,  selon  cet  auteur  encore,  la  sainte  martyre 
que  nous  honorons  (2).  Comment  apporter  contre  nous  son 
témoignage  ?  Il  n'est  ni  pour,  ni  contre. 

André  est  persuadé  qu'il  «  faut  distinguer  deux  Eusébie  : 
Tune  simple  religieuse,  décédée  paisiblement  dans  le  monas- 
tère cassianite,  sous  le  titre  de  Saint-Cyr,  au  VII?  siècle, 
et  l'autre  abbesse  et  martyre,  qui  vivait  au  commencement  du 
X'  siècle,  époque  de  la  destruction  de  l'antique  abbaye  (3).  » 
Donc,  selon  André,  c'est  au  VHP  siècle  que  l'abbaye  cassianite 
portait  le  vocable  de  Saint-Cyr. 

I/auteur  des  Saints  de  l  Église  de  Marseille,  n'acceptant 
que  très  difficilement,  et  il  a  raison,  de  placer  au  V*  siècle  le 

(I)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  57. 

(2i  Magloire  Giraud,  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr 
VVi,;,  pp.  ie  et  17. 

(3)  André,  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
p.  10. 


-  no  - 

martyre  de  sainte  Eusébie,  croit  de  préférence,  avec  la  tradi- 
tion, que  cette  sainte  a  été  massacrée  par  les  Sarrasins  vers  le 
XB  siècle.  Il  regarde  l'inscription  d'Eusébie  comme  l'épitaphe 
de  notre  sainte  héroïne  (1).  Donc,  selon  M.  de  Rey,  c'était  bien 
sous  le  vocable  ,de  Saint-Cyr  que  se  trouvait,  au  X*  siècle, 
l'abbaye  cassianite. 

Quant  à  la  Gallia  christiana,  il  est  assez  difficile  de  dire 
de  quel  côté  elle  se  range  (2).  Elle  semble  bien  dire  que  l'ins- 
cription d'Eusébie,  abbesse  de  Saint-Cyr,  est  celle  de  notre 
Eusébie  de  Marseille.  Elle  affirme  bien  que  l'abbaye  cassianite 
a  porté  successivement  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge,  de 
Saint-Cassien,  puis  celui  de  Saint-Cyr.  Mais,  comme  elle  ne 
donne  de  date  approximative  ni  pour  l'inscription,  ni  pour  le 
martyre  de  sainte  Eusébie,  et  qu'elle  se  contente  de  fixer  la 
ruine  de  l'abbaye  vers  867,  on  ne  saurait  affirmer,  d'après  elle, 
que  le  martyre  de  notre  sainte  a  eu  lieu  entre  le  V*  siècle, 
date  de  la  translation  des  reliques  de  saint  Cyr,  et  l'année  597, 
où  l'on  voit  le  vocable  de  Saint-Cassien  donné  à  l'abbaye,  et 
qu'ainsi,  le  vocable  de  Saint-Cyr  a  été  porté  par  ce  cœnobium 
postérieurement  à  celui  de  Saint-Cassien. 

Guesnay  et  Grinda  fournissent  une  base  à  l'argumentation 
contre  nous.  Eux  racontent  la  translation  des  reliques  de  saint 
Cyr,  faite  au  V*  siècle.  Mais  ils  placent  aussi  le  martyre  de 
sainte  Eusébie  au  Ve  siècle  (3). 

En  résumé,  sur  six  auteurs  dont  on  invoquerait  le  témoi- 
gnage contre  nous,  il  en  est  quatre,  ayant  écrit  de  Marseille, 
qui  ne  sont  pas  contre  nous.  Ajoutons  maintenant  qu'il  faut 
en  rabattre  de  l'assertion  de  Ruffl,  André,  etc.,  etc.:  que 
saint  Amator  aurait  donné  au  V*  siècle,  aux  Cassianites  de 
Marseille,  une  partie  des  reliques  de  saint  Cyr.  Il  est  à  peu 
près  certain  que  ce  saint  évoque  apporta  d'Orient  en  Gaule  les 
restes  du  saint  enfant  martyr  et  ceux  de  sa  mère  sainte  Ju- 

(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille;  Sainte  Eusébie,  11  octobre. 

(2)  Gallia  christiana,  1. 1,  col.  696. 

(3)  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Annalest  p.  599,  pp,  186,900.  — 
Grinda,  Monographie  de  Vabbaye  de  Saint- Victor  (Écho  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  année  1888). 


-  ill  -^ 

lille  (1)  ;  certain  aussi  qu'à  une  époque  l'abbaye  cassianite  de 
Saint-Sauveur  a  possédé  quelques  reliques  de  saint  Cyr.  Mais 
il  est  faux  de  tout  point  que  ce  soit  saint  Amator  qui  les  lui 
ait  données.  On  lit,  en  effet,  dans  un  manuscrit  de  la  collection 
du  cardinal  Barberini,  dans  un  autre  cité  par  Henschenius, 
dans  les  actes  de  ce  martyr  donné  par  Hucbald,  moine  de  la 
lin  du  IX*  siècle,  le  récit  suivant  (2)  : 


(1)  c  Translata  fuisse  horum  sanctorum  martyrum  corpora  in  Gallias 
per  sanctum  Amatorem  episcopum  Antissiodorensem,  cum  in  Oriente 
peregrinatus  est.  »  (Notée  in  Martyrologio,  XVI  junii.)  —  «  Hujus opéra 
delata  esse  in  Gallias  corpora  sanctorum  Julittœ  et  Quiricii,  habent  acta 
eoraradem  martyrum.  »  (  Nota?  in  Martyrologio,  I  inaii,  Baronius.  ) 

(2)  c  Sanctus  Amator,  epîscopus  Antissiodorensis,  clarissimo  viro 
Savino  comité,  fines  Àntiochiae  peragrans,  sanctorum  illorum  corpora 
(Quiricii  et  Julittae)  Christ»  gratia  reperit.  Quœ  cum  magno  cultu  rediens 
in  partes  Gai  Use  altulit  ac  Austricse  urbi  delata,  solo  tantum  pueri  brac- 
chio  sancti  Savini  precibus  concesso,  in  domo  quâ  idem  prasul,  merito- 
rum  gloria  pollens,  a  fidelibus  honoratur,  item  honorificè  tumulavit.  » 
Manuscrit  du  cardinal  Barberini,  Acta  sanctorum,  1. 1,  maii.— Il  y  a  eu  de 
cette  translation  des  reliques  de  saint  Gyr  d'Orient  en  Occident  par  saint 
Amator  une  relation  qui  ne  se  trouve  pas,  il  est  vrai,  dans  la  vie  de  ce 
saint  évêque  d'Auxerre,  écrite  en  580  par  un  prêtre  du  nom  d'Etienne, 
Africain  d'origine.  Mais  cette  relation  a  été  insérée  dans  plusieurs  ma- 
nuscrits que  les  Bol  1  an  dis  tes  ont  vus  et  qu'ils  ont  jugés  dignes  de  foi* 
Entre  autres  il  y  avait  le  manuscrit  de  la  bibliothèque  du  cardinal  Barba- 
berini,  et  celui  que  Henschenius  avait  trouvé  à  Rome. 

Sur  quels  originaux  ces  manuscrits  avaient  été  composés?  Le  voici  : 
Dn  évêque  d'Iconie,  appelé  Théodore,  avait  écrit  les  actes  de  ces  mar- 
tyrs et  les  avait  adressés  â  un  évêque  d'Isaurie,  Zenon,  au  temps  de 
l'empereur  Justinien.  Après  cet  évêque,  Métaphraste  en  avait  fait  paraître 
d'autres.  C'étaient  là  des  documents  sur  lesquels  on  pouvait  s'appuyer,  et 
il  n'y  avait  entre  eux  d'autre  différence  que  le  style.  Les  Manichéens,  au 
V*  siècle,  en  composèrent  à  leur  tour,  dans  lesquels  ils  insinuèrent  le 
venin  perfide  de  leur  hérésie.  Le  papeGélase,  en  496,  au  concile  de  Rome, 
condamna  ces  actes  comme  apocryphes  et  hérétiques.  Or,  tandis  que 
Iâpomanus,  Surius  se  guidaient  sur  les  actes  écrits  par  Théodore  et  Méta- 
phraste, d'autres,  malheureusement,  n'ayant  à  leur  disposition  que  les 
actes  apocryphes,  se  guidaient  sur  eux  et  donnaient  de  nouvelles  éditions 
tout  en  les  corrigeant.  Les  manuscrits  de  Barberini  et  d'Henschenius 
ont  été  rédigés  incontestablement  sur  les  actes  primitifs  de  Théodore  et 
de  Métaphraste  et  nous  font  lire  la  vérité.  Un  moine  du  IX°  siècle,  prieur 
d'ErnoDe  ou  Saint-Amand,  diocèse  de  Tournai,  mort  en  930  ou  932, 
regardé  comme  le  plus  célèbre  docteur  du  IX*  siècle,  après  saint  Rémi 


—  112  — 

«  Saint  Amator,  évêque  d'Auxerre,  vint,  accompagné 
de  l'illustre  Savinus,  visiter  les  contrées  voisines  d'An- 
tioche.  Par  la  grâce  du  Christ,  il  trouva  les  corps  des  deux 
saints  martyrs  Quirice  et  Julitte.  Il  les  recueillit  et  les 
transporta  avec  grande  pompe  et  grand  respect  en  Gaule 
et  les  plaça  dans  la  ville  d'Auxerre.  Aux  instantes  prières  de 
Savinus,  son  compagnon,  qui  lui  demandait  une  portion  de 
ces  reliques,  il  sépara  le  bras  du  saint  enfant  et  le  lui  remit. 
Quant  au  reste,  il  l'ensevelit  avec  honneur  dans  l'église  où 
plus  tard  lui-même  fut  inhumé,  et  où  il  est  honoré  par  les 
fidèles.  » 

d'Auxerre,  à  l'occasion  de  la  translation  qu'il  fit  lui-même  d'une  relique 
de  saint  Cyr,  de  Ne  vers  à  Saint-Amand,  voulut  écrire  la  vie  de  saint  Gyr  et 
de  sainte  Julitte.  N'ayant  auprès  de  lui  que  les  actes  apocryphes,  il  les 
corrigea,  mais  ne  parvint  pas  à  donner  à  son  ouvrage  la  moindre  auto- 
rité. Son  travail  se  trouve  parmi  ses  œuvres  dans  la  Patrologie  de  Migne, 
t.  132.  Or,  tous  cçs  actes  faux  ou  vrais  portent  le  récit  de  la  translation 
des  reliques  de  saint  Gyr  en  Orient,  on  peut  donc  y  ajouter  foi. 

Voici  ce  que  disent  les  Bollandistes  des  manuscrits  dont  nous  avons 
parlé  plus  haut  :  «  Miranda  sunt  quse  Romse  descripsimus  ex  manuscripto 
cardinalis  Barberini  et  alio  ms.  (quod  Rom»  repertum  allcgat  Hensche- 
nius)  in  quo  hic  tituius  praefigebatur  :  incipiunt  miracula.  »  Suit  la  rela- 
tion du  voyage  d 'Amator  en  Orient.  «  Post  praemissum  titulum  ea  in 
dicto  ms.  (celui  d'Henschenius)  sequuntur  quse  in  ms.  Barberini  im- 
médiate subjiciuntur  legendae  per  Hucbaldum  impositse.  »  Suit  le  fait  de 
la  translation  des  reliques.  Quant  à  l'écrit  d'Hucbaldus,  voici  leur 
opinion  :  <r  Utrique  (  aux  deux  manuscrits  ou  deux  relations  dignes 
de  foi,  celle  de  Théodore  et  de  Mètaphraste)  subjungere  placet  ex 
codice  Bodecensi,  acta  apocrypha  (ce  manuscrit  «  Bodocensis  »  est  la 
traduction  des  actes  apocryphes  que  Hucbaldus  suivit,  en  lu  conn- 
geant)  ut  posse  cognoscere  et  sestimare  lector  possit,  quid  distent  aéra 
lupinis,  minusque  miretur,  non  majorem  a  nobis  haberi  rationem  eorum 
quse  Hucbaldus  edidit. .  » 

Voici  enfin  leur  opinion  au  sujet  de  l'absence  de  cette  relation  dU 
voyage  en  Orient  dans  la  vie  d'Amator  par  Etienne  :  «  Licet  in  ea  (vîtâ) 
nihil  de  ejusmodi  sancti  Amatoris  peregrinatione  legatur,  non  débet  ea 
prorsus  incredibilis  videri,  cum  ad  finem  ejusdem  quinti  sœculi,  cujus 
initio  Amator  obiit,  adeo  passim  nota  fuerit  passio  sancti  Quiricii  apo- 
crypha (  ulique  cum  reliquiis  perlata  ex  Oriente  et  eodem  tempore  latine 
reddita)  ut  Gelasius  papa  de  eà  necesse  habuit  judicium  ferre...  »  Acta 
sanctotnim,  t.  III  de  juin,  p.  17  et  suiv.;  1. 1  de  mal,  p.  50.—  Martyrologe 
annoté  par  Baronius,  au  16  juin  et  1"  mai.  —  Notice  historique  sur 
Hucbaldus,  Patrologie  latine,  édit.  Migne,  t.  GXXXII,  col.  815  et  suiv. 


—  113  — 

Il  y  a  loin,  on  le  voit,  entre  l'affirmation  de  Rufïi,  etc.,  et  la 
relation  des  manuscrits.  Saint  Amator  n'a  cédé  un  bras  de 
saint  Cyr  qu'à  son  compagnon  Savin  :  «  solo  tantum  pueri 
bracchio  sancti  Savin i  precibus,  concesso  ».  Ce  n'est  donc  point 
saint  Amator  qui  a  donné  ces  reliques  aux  Cassianites  de 
Marseille.  Ce  n'est  donc  pas  au  début  du  Ve  siècle  que  celles- 
ci  ont  pu  les  recevoir.  L'affirmation  des  auteurs  précités  est 
donc  fausse,  tout  au  moins  fort  hasardée  et  sans  preuve. 

Inutile,  croyons-nous,  de  nous  arrêter  au  dire  de  l'abbé 
Darras  dans  son  Histoire  générale  de  V Eglise,  au  sujet  de 
cette  translation  des  reliques  de  saint  Cyr.  Suivant  cet 
auteur,  Amator  aurait  fait  le  voyage  en  Orient  et  en  aurait 
apporté  les  reliques  du  saint  martyr,  avant  d'être  évoque. 
«  Ainsi  que  tous  les  nobles  gallo-romains  de  son  temps, 
Amator  avait  passé  son  adolescence  dans  les  célèbres  écoles 
d'Autun,  de  Lugdunum  et  de  Burdigala.  Il  avait  complété  son 
éducation  par  un  voyage  en  Italie  et  en  Orient.  A  Antioche, 
accueilli  par  le  clarissime  comte  Sabinus,  gouverneur  de 
Syrie,  il  avait  assisté  à  l'ouverture  du  tombeau  de  sainte 
Julitte  et  de  saint  Cyr.  Les  reliques  sacrées  qu'il  en  obtint 
enrichirent  les  églises  des  Gaules  auxquelles  il  les  dis- 
tribua (1).  »  Et  Darras  raconte  à  la  suite  le  mariage  d'Amator, 
puis  son  ordination  sacerdotale  et  épiscopale.  Il  y  a  dans  ces 
lignes  une  série  d'inexactitudes.  Le  manuscrit  Barberini  dit 
que  :  «  sanctus  Amator,  episcopus  Antissiodorensis  fines  Antio- 
chiae  peragrans...  honorificè  tumulavit...  (2)  ».  Baronius, 
dans  les  notes  sur  le  Martyrologium,  dit  :  «  Translata  fuisse 
horum  sanctorum  corpora  per  S.  Amatorem  episcopum  (3)  » . 
Saint  Amator  était  donc  évêque  quand  il  apporta  en  Gaule 
les  reliques  de  saint  Cyr. 

Le  manuscrit  Barberini  parle  d'un  «  clarissimo  viro  Savino 
comité  ».  Ce  Savin  était  un  prêtre  ou  un  diacre  qui  accompa- 
gnait l'évéque  dans  son  voyage  et  non  pas  un  gouverneur  de 
Syrie  (4).  Le  manuscrit  Barberini  affirme  qu'Amator  ne  céda 

(1)  Darras,  Histoire  fie  l'Eglise,  t.  XII,  p.  520. 

(2)  Voir  plus  haut  le  texte  de  ce  manuscrit. 
f3)  Baronius,  au  iM  et  au  lG.juin. 

(4)  Les  Bollandistes  avouent  ne  pas  connaître  qui  était  ce  Savin.  Ce 


—  114  — 

qu'à  son  compagnon  Savin  un  des  bras  du  saint  martyr.  Que 
reste-t-il  de  vrai  du  récit  de  Darras? 

Il  y  a  une  autre  preuve,  assez  forte,  croyons-nous,  pour  ne 
pas  dire  péremptoire.  On  lit,  en  effet,  à  un  endroit  du  Polypti- 
que  de  Vadalde,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  la  :  a  descriptio 
mancipiorum  Sanctae  Mariae  et  Sancti  Gyrici  Massiliensis  facta 
temporibus  Vadaldi  episcopi,  indictione  VI  ».  Nous  explique- 
rons plus  tard  comment  ces  mots:  a  Sancti  Cyrici  »  furent 
mis  au  XI*  et  XII*  siècles  sur  cette  charte,  au  lieu  des  mots 
a  Sancti  Victoris  »  que  Ton  y  voyait,  et  comment  l'abbaye  de 
Saint-Sauveur,  remise  en  possession,  au  XI*  siècle,  des  biens 
que  le  Polyptique  désignait  en  814  comme  appartenant  à 
Saint- Victor  ou  à  la  cathédrale,  les  replaçait  sous  la  rubrique 
de  Saint-Cyr,  vocable  antique  de  cet  abbaye. 

Mais  sur  ce  fait  matériel  nous  établissons  cet  argument  : 

D'une  part,  si  Saint-Cyr  a  été  le  vocable  de  l'abbaye  cassia- 
nite  avant  qu'elle  portât  celui  de  Saint-Cassien,  c'a  été  de  l'an 
415  environ  à  Pan  500.  Saint  Gassien  est  mort  vers  460,  et, 
nous  Pavons  dit,  il  est  fort  probable  que  les  Cassianites  n'aient 
pas  attendu  longtemps  pour  placer  leur  monastère  sous  la 
^protection  de  leur  fondateur.  Retardons,  si  Pon  veut,  jusqu'en 
550. 

D'autre  part,  et  par  voie  de  conséquence,  Saint-Cassien  a 
été  le  vocable  du  monastère  depuis  500  ou  550  jusqu'à  l'épo- 
que de  sa  ruine  vers  923.  En  effet,  ceux  qui  soutiennent  que 
Saint-Cyr  a  été  le  vocable  primitif  ne  peuvent  raisonnable- 
ment affirmer  qu'après  avoir  remplacé  ce  vocable  par  celui 
de  Saint-Cassien  en  597,  les  religieuses  Pont  repris  de  nouveau 
postérieurement  à  597.  Pourquoi,  en  effet,  auraient- elles 
quitté  le  titre  de  Saint-Cassien  pour  reprendre  celui  de  Saint- 
Cyr  qu'elles  avaient  déjà  laissé  avant  597  ? 

Or,  au  XI*  ou  au  XT1*  siècle,  on  inscrit  sous  la  rubrique 
de  Saint-Cyr  des  biens  qui  ont  jadis  appartenu  à  l'abbaye 
cassianite,  alora  qu'elle  portait  ce  nom  de  Saint-Cyr.  En  affir- 
mant qu'elle  a  porté  ce  vocable  de  415  à  500  ou  550,  on 

n'était  ni  un  évoque,  ni  un  personnage  illustre  ;  ils  croient  que  c'était 
un  prêtre  ou  un  diacre.  [Acta  SS.y  Boll.,  t.  III  de  juin  et  t.  I  de  mai,  vie 
de  Saint  Cyrice  et  vie  de  Saint  Àmator.) 


—  115  — 

affirme  partant  qu'il  s'agit  de  biens  appartenant  à  l'abbaye 
à  cette  époque  primitive  de  415  à  550.  Or,  peut-on  croire 
d'abord  qu'au  lendemain  de  sa  fondation  l'abbaye  cassianite 
possédait  tant  de  biens  ?  Ensuite,  comment  expliquer,  durant 
cette  époque  assez  paisible  de  415  à  550,  cette  dépossession 
totale  de  Saint-Cyr  en  faveur  de  Saint-Victor  ou  de  la  cathé- 
drale (1)  ?  Il  faudrait  supposer  une  série  de  circonstances  qui 
ne  se  sont  pas  rencontrées  à  cette  époque  (2).  Donc,  au  XI°  siè- 
cle, on  ne  veut  pas  parler  de  biens  ayant  appartenu  à  l'abbaye 
cassianite  à  cette  époque  primitive,  417-550,  mais  de  ceux  qui 
avaient  pu  lui  appartenir  postérieurement  à  415-550  et  anté- 
rieurement à  814,  à  une  époque  qui  par  ses  agitations  et  ses 
bouleversements  explique  cette  transmission  successive  des 
biens  de  l'abbaye  de  Saint-Oyr  à  Saint- Victor  ou  à  la  cathé- 
drale. Or,  dès  597,  le  vocable  de  l'abbaye  est  Saint-Cassien. 
Si,  au  XI*  siècle,  on  avait  voulu  parler  des  biens,  propriétés  de 
l'abbaye  vers  le  VI°  siècle,  c'eût  été  sous  le  vocable  do  Saint- 
Gassien  qu'on  les  aurait  inscrits.  On  les  a  placés  sous  le  nom 
de  Saint-Cyr,  donc  on  a  voulu  parler  des  biens  qui  ont  appar- 
tenu à  l'abbaye  postérieurement  encore  au  VI"  siècle.  Donc 
c'est  postérieurement  à  597  que  l'abbaye  a  été  sous  le  vocable 
de  Saint-Cyr.  Donc  ce  vocable  de  Saint-Cyr  a  été  porté  après 
celui  de  Saint-Cassien. 

La  seconde  raison  que  Ton  alléguait  ne  vaut  pas  davantage. 
Nous  croyons  pouvoir  prouver  un  peu  plus  loin,  dans  ce  tra- 
vail, que  l'inscription  de  sainte  Eusébie,  rangée  par  Edmond 
Leblant  parmi  celles  du  VI*  siècle,  appartient  à  une  époque 
postérieure,  au  VII?  siècle.  Donc  encore  ce  n'est  pas  au  début 
du  V*  siècle  que  le  monastère  cassianite  se  trouvait  placé  sous 
le  vocable  de  Saint-Cyr. 

A  ces  raisons  négatives  nous  pouvons  en  ajouter  de  positi- 
ves. D'abord,  il  est  impossible  que  ce  soit  saint  Amator  qui 
ait  donné  les  reliques  de  saint  Cyr  à  l'abbaye  cassianite,  et 

(1)  Rappelons-nous  que,  dans  le  Polyptique,  en  814  ces  biens  sont 
sous  la  rubrique  de  Saint- Victor,  et  que  ce  mot  «  Victoria  »  a  été  gratté 
et  remplacé  par  celui  de  «  Cyrici  >  au  XI-  ou  XIIe  siècle. 

(2)  On  le  verra  dans  les  chapitres  de  ce  présent  ouvrage,  où  il  s'agit 
des  invasions  des  Vandales,  Visigoths,  etc. 


—  116  — 

qu'ainsi  cette  abbaye  ait  porté  ce  nom  dans  le  V*  siècle. 
En  effet,  saint  Amator  est  mort  en  418  (1).  Il  a  dû  effectuer 
son  voyage  en  Orient  avant  418  et  donner  des  reliques  de  saint 
Gyr  aux  Cassianites,  en  supposant  qu'il  en  ait  laissé,  au  plus 
tard  dans  l'année  418.  Or,  M.  de  Rey  fixe  à  l'année  420  la  fon- 
dation de  l'abbaye. 

La  conclusion  est  facile  à  tirer.  Mais  supposons  que  l'abbaye 
ait  été  fondée  en  410,  suivant  André,  en  415  suivant  d'autres. 
Ou  bien  saint  Amator  a  donné  ces  reliques  avant  la  fondation 
de  l'abbaye,  avant  415,  si  déjà  le  saint  évéque  avait  effectué 
son  voyage  en  Orient,  car  on  ne  connaît  pas  la  date  précise  de 
ce  voyage  ;  ou  bien  il  les  a  données  après  la  fondation  de  l'ab- 
baye, de  415  à  418.  S'il  les  a  données  avant  la  fondation  de 
l'abbaye,  avant  415,  ce  sera  Cassien  lui-même  qui,  pour  ho- 
norer ce  saint  martyr  d'Antioche,  aura  placé  le  monastère  dès 
sa  fondation  sous  son  vocable.  Or,  la  plupart  des  auteurs,  Ruf- 
fi,  André,  etc.,  disent  que  l'abbaye,  au  début  de  son  existence, 
avait  pour  titulaire  la  Sainte  Vierge  !!  Cassien  aurait-il  donné 
au  monastère  des  femmes  et  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge  et 
celui  de  Saint-Cyr,  comme  il  l'avait  fait  pour  le  monastère 
des  hommes  qui  était  élevé  a  in  honore  Beatissimse  semperque 
Virginis  Mariae  vei  Sancti  Victoris  martyris  (2)  r> .  Alors,  pour- 
quoi la  lettre  de  Grégoire  le  Grand  à  l'abbesse  Respecta  ne  fait- 
elle  mention  que  d'un  seul  vocable  :  celui  de  Saint-Cassien  ? 
Pourquoi  l'inscription  de  sainte  Eusébie  ne  porte-t-elle  encore 
que  le  nomade  Saint-Cyr  ?  D'oii  vient  qu'à  ces  deux  époques  le 
monastère  n'a  plus  qu'un  nom  ? 

Qu'importe  d'ailleurs,  la  chose  pourrait  à  la  rigueur  être 
possible.  Mais,  si  la  Sainte  Vierge  et  Saint-Cyr  sont  les  vocables 
donnés  par  Cassien  lui-môme,  pourquoi  les  a-t-on  laissés  pour 
prendre,  avant  597,  celui  de  Saint-Cassien  ?  Ce  sont  les  Cassia- 


(t)  Saint  Amator  naquit  vers  344.  Il  fut  sacré  évéque  vers  388,  et  mou- 
rut le  1er  mai  418.  Sa  vie  fut  écrite  vers  580  par  un  Stephanus  Africanus. 
De  plus,  Gonstantius ,  qui  a  écrit  la  vie  de  saint  Germain  d'Auxerre, 
parle  aussi  de  saint  Amator.  —  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XII, 
p.  534.—  Acta  Sanctorum,  1"  mai,  t.  I,  de  mai,  p.  51.  —  Baronius, 
notes  in  Martyrologium,  au  1er  mai  et  au  16  juin. 

(2)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  passim,  chartes. 


—  117  — 

nites,  dira-t-on,  qui,  en  souvenir  de  leur  père  qu'elles  regar- 
dent et  vénèrent  comme  un  saint,  ont  sacrifié  le  vocable  de 
Saint-Cyr  pour  adopter  celui  de  leur  fondateur.  Soit.  D'où 
vient  qu'elles  ont  quitté  ce  vocable  de  Saint-Cassien  qui  leur 
était  si  cher,  pour  prendre  plus  tard  celui  de  Saint-Cyr  ?  car, 
avant  814  et  postérieurement  à  cette  date,  l'abbaye  était  sous 
ce  nom,  nous  l'avons  dit  tantôt.  Non,  ce  n'est  pas  saint  Gassien 
quia  donné  le  vocable  de  Saini-Cyr  à  son  abbaye,  et  les  reli- 
ques de  ce  saint  martyr  n'ont  pas  été  portées  par  saint  Amator 
avant  la  fondation  de  l'abbaye,  antérieurement  à  415. 

Saint  Amator  les  a-t-il  données,  après  cette  fondation,  de  l'an 
415  à  Tan  418?  C'est  encore  impossible.  L'abbaye  étant  fondée, 
Cassien  la  place  sous  le  vocable  de  la  Très  Sainte  Vierge.  C'est 
croyable,  nous  l'avons  dit.  Quelques  années  après,  recevant 
de  saint  Amator  ces  précieuses  reliques,  il  changera  le  vocable 
de  la  Sainte  Vierge  et  le  remplacera  par  celui  de  Saint-Cyr! 
C'est  à  peine  croyable.  Réunira-t-il  ces  deux  vocables?  Alors 
encore  pourquoi  cette  inscription  de  sainte  Eusébie  et  la  lettre 
à  Respecta  ne  font-elles  pas  mention  de  ce  double  vocable  ? 
Pourquoi  encore,  comme  on  vient  de  l'objecter  plus  haut,  les 
Cassianites  ont-elles  quitté  ces  deux  vocables  pour  prendre 
celui  de  Saint-Cassien  ?  Pourquoi  enfin,  y  revenir  au  IX*  siè- 
cle? 

Non,  il  y  a  impossibilité  à  ce  que  ce  nom  de  Saint-Cyr  ait  été 
donné  par  Cassien  de  415  à  418,  ou  après  420  ;  impossibilité  à 
supposer  que  saint  Amator  ait  porté  lui-môme  ces  reliques  à 
l'abbaye.  Donc  celle-ci  n'a  été  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr 
qu'après  avoir  été  sous  celui  de  Saint-Cassien. 

A  la  suite  de  quelles  circonstances  ce  vocable  de  Saint-Cyr  fut 
attribué  au  monastère  cassianite?  Il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il 
n'y  ait  un  fond  de  vérité  dans  ce  que  les  auteurs  affirment,  à 
savoir  que  c'est  à  l'occasion  du  don  fait  à  ce  monastère  de  quel- 
ques reliques  de  ce  saint  martyr,  qu'il  fut  placé  sous  son 
patronage.  La  dévotion  à  saint  Cyr  a  été  très  grande,  à  une 
époque,  en  France  (l).On  réclamait  de  tous  côtés,  dit  Saussay, 

(1)  La  cathédrale  de  Nevers,  au  IXe  siècle,  était  dédiée  à  Saint-Cyr. 
Acta  sanctorum,  Bolland  ,  t.  III,  de  juin. 


—  118  - 

des  parcelles  de  ces  vénérables  reliques.  Un  grand  nombre 
d'églises  et  de  monastères  furent  élevés  en  son  honneur  (1). 
L'abbaye  cassianite  de  Marseille  dut  recevoir  quelque  relique, 
que  d'ailleurs  elle  a  conservée  pendant  bien  longtemps  (2),  et 
échangea  son  ancien  vocable  avec  celui  de  Saint-Cyr  qui  alors, 
pourrait-on  dire,  était  à  la  mode. 

À  quelle  époque  eut  lieu  ce  changement  ?  Il  n'est  guère 
possible  de  le  dire.  Le  culte  de  saint  Cyr  est  très  ancien 
en  Provence,  il  faut  donc  remonter  bien  haut.  D'une  part, 
en  effet,  les  détails  que  nous  donnerons  plus  tard  sur  le 
Polyptique  de  Vadalde  indiquent  qu'antérieurement  à  814 
l'abbaye  portait  ce  nom  de  Saint-Cyr;  d'autre  part,  en  597, 
elle  portait  celui  de  Saint-Cassien,  peut-être  depuis  une 
centaine  d'années,  et  elle  l'a  conservé  encore  un  demi -siècle 
au  moins.  A  cette  époque,  le  souvenir  de  saint  Cassien 
commence  à  se  perdre.  Plusieurs  générations  ont  passé  depuis 
la  mort  du  saint  fondateur.  On  ne  tient  plus  autant  à  l'ancien 
vocable.  Survienne  un  événement  favorable  et  le  changement 
s'opérera  sans  difficulté.  L'occasion  se  présenta.  Vers  650 
environ,  on  dut  apporter  ces  reliques  de  saint  Cyr  et  ce  nou- 
veau titulaire  fut  adopté.  Combien  de  temps  le  garda-t-il  ? 
L'inscription  que  nous  avons  du  tombeau  de  sainte  Eusébie 
porte  cette  mention  :  in  monaaterio  sancti  Cyrici,  Or,  nous 
fixons  à  738  la  date  de  la  mort  de  cette  martyre.  Au  VIII*  siècle 
donc  l'abbaye  cassianite  était  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr. 

En  838,  lorsque  les  Normands  enlevèrent  un  grand  nombre 


(1)  t  Quorum  sacratissima  pignora  inde  in  Gallia  per  sanctum  Ama- 
torem  Antissiodorensem  episcopum  (eu m  in  Orientera  peregrinatus  est) 
alla  ta,  ambitiosaque  populorum  petitione  dispertita,  sacraria  plurima- 
rum  ecclesiarum  ditaverunt.  eamque  in  ipsos  martyres  excita verunt 
devotionem  ut  basilicaî  multae  in  eorum  cœlitum  honorem  mox  fuerunt 
conditae,  monasteriaerecta...  >  Saussay,  Supplementum  Martyrologii 
gallicani  (Sanctorum  Cyrici  et  Julittae,  16  kalendas  julii),  pp.  360,  361. 

(2)  Saint-  Germain  d'Auxerre,  voyageant  en  Italie,  portait  sur  lui  des 
reliques  de  saint  Cyr.  Il  mourut  à  Ravenne,  et  ces  reliques  demeurèrent 
dans  cette  ville.  Qui  sait  si  les  reliques  de  saint  Cyr  ne  vinrent  pas  aux 
Cassianites  de  Marseille  par  l'intermédiaire  de  quelque  moine  qui  les 
leur  apporta  d'Italie  ?  — Acta  sanctowm,  Bolland.,  t.  I,  de  mai  ;  vie  de 
saint  Amator. 


—  119  — 

de  religieuses;  en  923,  lorsque  les  Sarrasins  détruisirent 
l'abbaye,  conservait-elle  ce  vocable?  Aucun  titre  que  nous 
connaissions  ne  l'indique.  Nous  croyons  cependant  qu'en 
mémoire  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  héroïques  compagnes,  les 
Gassianites,  qui  avaient  relevé  le  monastère  incendié  au 
VII?  siècle,  avaient  dû  être  heureuses  de  le  garder. 

Le  monastère  qu'Elgarde  fondait  et  bâtissait  en  1004,  quel 
nom  portait-il?  Très  probablement  ce  n'était  pas  celui  de 
Saint-Cyr;  dans  la  tourmente,  ce  nom  et  ses  gloires  avaient 
disparu.  Ce  fut  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge  que  Ton  adopta. 
En  effet,  vers  1031,  lorsque  Tabbesse  Adalmoïs  relève  le  monas- 
tère déjà  en  ruines  et  que  Déodat,  évoque  de  Toulon,  lui 
accorde  quelques  libéralités  (1),  ctst  la  Très  Sainte  Vierge 
qui  en  est  la  patronne.  De  même  en  1050,  puisque  la  vicom- 
tesse Stéphanie  fait  une  donation  au  «  cœnobium  Sanctœ 
Mariae  Virginis  (2)  ».  Mais,  à  cette  date,  un  second  vocable 
apparaît  :  celui  de  Saint-Sauveur,  «  cœnobium  Sancti  Salva- 
toris  (3)  ».  Depuis  quelle  époque  le  donnait-on  à  l'abbaye  ? 
Etait-ce  depuis  la  première  restauration  du  monastère,  ou 
seulement  depuis  quelques  années?  Ruffi  semble  supposer  que 
c'est  depuis  l'arrivée  des  Cassianites  en  ville,  a  Lorsque  les 
religieuses  se  axèrent  au  lieu  où  elles  se  trouvent,  qui  est 
situé  sur  une  petite  éminence,  elles  lui  changèrent  le  nom,  et 
lai  donnèrent  celui  de  Saint -Sauveur  (4)  » .  C'est  le  titre  qu'il 
a  gardé,  à  travers  les  siècles,  jusqu'à  son  extinction  en  1793. 

En  résumé  donc,  de  415  à  550,  l'abbaye  fut  sous  le  vocable 
de  la  Sainte  Vierge,  de  550  à  à  650  sous  celui  de  Saint-Cassien, 
de  650  à  923  sous  celui  de  Saint-Cyr,  de  1004  à  1032  sous  celui 
de  la  Sainte  Vierge,  de  1050  à  1799  sous  celui  de  Saint- 
Sauveur. 

(t)  c  . . .  Deodatus  episcopus  Telonensis,  donans  monacharum  monas- 
terio  quod  in  hoaorem  Oei  Ctenitricis  Mariœinfra  muros  Massiliae  situm 
est...  s  Provinciœ  Massiliensis  Annales,  par  Guesnay,  p.  292. 

(2)  André,  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
pièces  justificatives,  B,  p.  206. 

(3)  Dans  la  même  donation  on  lit  en  effet:  c  Dono...  Deo  omnipo- 
tent!, et  beat»  Maria  et  cœnobio  Sancti  Sa  1  va  tons  Massilise. ..  »  André, 
op.  cit.,  p.  206. 

(4)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58. 


—  120  — 

Complètement  fausse  est  donc  l'opinion  de  ces  auteurs  qui, 
ne  parvenant  pas  à  établir  Tordre  successif  suivant  lequel  les 
divers  noms  de  l'abbaye  cassianite  ont  été  portés  durant  les 
siècles,  ont  eu  l'idée  d'affirmer  qu'il  y  avait  eu  à  Marseille, 
trois  ou  quatre  monastères  de  religieuses,à  peu  près  à  la  même 
époque.  Papon  nomme  celui  de  Saint-Sauveur,  qui,  bâti  près 
de  Saint-Victor,  portail  le  nom  de  Saint-Cyr  lorsqu'il  fut  dé- 
truit par  les  Sarrasins  qui  massacrèrent  sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes  ;  puis  celui  de  l'Huveaune  bâti  et  fondé  encore  par 
Cassien  et  dont  les  religieuses  qui  l'habitaient  eurent  le  même 
sort  que  sainte  Eusébie  (1). 

Guesnay,  dans  son  Cassianus  illustraius,  énumère  jusqu'à 
quatre  monastères  de  femVnes  qui  ont  existé  à  Marseille  :  celui 
de  l'Huveaune,  celui  de  Saint-Sauveur,  celui  fondé  par  Dyna- 
mius  en  l'honneur  de  saint  Cassien,  et  celui  de  Saint-Zacharie 
au  pied  de  la  Sainte-Baume  (2). 

On  comprend  que  de  telles  assertions  devraient  être  basées 
sur  quelques  documents,  pour  être  prises  au  sérieux. Or,  pas  la 
moindre  preuve.  Inutile  donc  de  nous  arrêter  à  discuter.  Il 
n'y  a  jamais  eu  à  Marseille,  du  Ve  au  XI?  siècle,  qu'un  monas- 
tère de  religieuses,  qui  a  changé  souvent  de  nom  comme 
souvent  il  a  changé  de  place. 


(1)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  360. 

Le  Père  Lecolnte,  dans  les  A  nnales  ecclesiastici  Francorumtk  la  suite 
de  Guesnay,  parle  du  monastère  de  l'Huveaune  et  de  Saint-Cassien 
comme  de  deux  monastères  bien  distincts. 

L'abbé  Magloire  Giraud  est  tombé  dans  la  même  erreur.  Le  monas- 
tère de  filles  fondé  par  Cassien  à  Marseille  est  bien  différent  d'un  monas- 
tère de  Saint-Cyr,  qui  se  serait  élevé  à  Saint-Cyr  du  Var,  dans  sa 
paroisse. 

La  Gallia  christiana  fait  de  même.  Outre  le  monastère  de  Saint- 
Sauveur,  elle  place  un  monastère  des  Accoules  fondé  vers  1033  entre 
l'abbaye  de  Saint- Victor  et  la  rivière  de  l'Huveaune  ;  t.  1,  col.  696. 

(2)  S.  Cassianus*  illustralus,  par  Guesnay,  ch.  XVII,  p.  409. 

M.  le  chanoine  Bayle,  dans  la  Vie  de  Saint  Sérénus,  demande  si  le 
cœnobium  de  Saint-Cassien ,  dont  Respecta  était  abbesse,  était  le  même 
que  celui  qui  s'appela  du  nom  de  Saint-Cyr.  Il  cite  l'opinion  de  Mgr  de 
Belsunce  et  celle  de  Guesnay.  (Vie  de  Saint  Sêrênus,  par  l'abbé  Bayle, 
p.  36.) 


CHAPITRE  IV 


Le  quartier  de  Saint-Giniez  du  Ve  au  XIe  siècle 


Troisième  question  préjudicielle 


LE  TERROIR  DE  SAINT-GINIBZ  HABITÉ  AVANT  L'ÈRE  CHRÉTIENNE.  —  IL 
ÉTAIT  HABITÉ  AU  IX*  SIÈCLE,  CHARTE  DE  CARVILLAN  DE  840  ;  —  AU 
Xe  SIECLE,  LB8  DEUX  RIVES  DE  L^UVEAUNa  SONT  HABITEES  ;  —  AU 
XI»  SIECLE  AU8SI  ;  —  DONC,  ELLES  L*ONT  ÉTÉ  DU  V  AU  VIII-  SIÈCLE 
—  SAINT-GINIEZ  «  IN  RIPA  MARIS  ».  —  SOUS  LES  BARBARES  ON  A  PU 
CULTIVER  CETTE  PARTIE  DU  TERROIR.  —  LES  INVENTAIRES  DE 
VADALDB  EN  818,  ET  DE  VENATOR  EN  896. 

Un  point  encore  à  établir  c'est  que  le  quartier  de  Saint-Giniez 
n'était  point  aussi  désert,  aux  V,  VI",  VIIe  et  VHP  siècles,  que 
certains  auteurs  ont  bien  voulu  le  dire. 

De  tout  temps,  il  a  été  habité. 

Pour  l'époque  antérieure  au  christianisme,  et  pour  les  pre- 
miers siècles  de  notre  ère,  M.  l'abbé  Daspres  nous  donne  de 
cette  assertion  des  preuves  surabondantes  dans  sa  Notice  sur 
Saint-Giniez  (1).  Lors  des  fouilles  opérées  à  l'occasion  de 
l'agrandissement  de  l'église,  on  a  découvert  des  poteries  en 
grès  d'un  gris  foncé,  des  débris  d'amphores  et  des  dolium,  in-1 
diquant  l'époque  gréco-marseillaise,  le  VII-  ou  le  VP  siècle 
avant  Jésus-Christ  ;  puis  des  poteries  de  fabrication  gauloise 
d'un  travail  plus  fini,  indiquant  l'influence  de  la  domination 
romaine,  et  l'époque  plus  récente  du  II0  siècle  avant  notre 
ère  ;  ensuite  des  poteries  romaines  importées  en  Gaule,  les 
unes  avec  le  vernis  noir  et  brillant,  que  Ton  est  convenu  d'ap- 

(1)  Xotice  hiëtovique,  topor/raphique  et  hayiologique  sur  Saint-Giniez 
par  l'abbé  Daspres;  Notes  et  pièces  justificatives,  p.  129  et  suivantes; 


—  122  — 

peler  poteries  étrusques  ;  les  autres  avec  le  vernis  d'un  rouge 
vif,  et  le  grain  lin  et  délicat,  rappelant  les  belles  poteries  si- 
gnées Ruûus,  contemporain  deMarius;  enfin,  des  poteries 
gallo-romaines,  c'est-à-dire  faites  par  les  Romains  en  Gaule, 
vers  la  même  époque.  En  outre,  la  pioche  des  terrassiers  mit  à 
découvert  des  constructions  antiques  qui  jadis  avaient  servi 
de  citernes,  de  réservoirs;  des  médailles  de  Nerva  et  d'Antonin  ; 
des  tombes  gallo-romaines  éparses  çà  et  là,  ou  placées  dans 
les  citernes  hors  d'usage  mentionnées  plus  haut.  Ce  sont  tout 
autant  de  témoignages,  que  de  temps  immémorial  l'emplace- 
ment où  se  trouve  l'église  a  été  fréquenté  ;  de  preuves  et  d'in- 
dices qu'une  villa  romaine  avait  dû  s'élever  dans  cette  position 
si  délicieusement  abritée. 

De  plus,  cette  église  de  Saint-Giniez,  édifiée  dans  cette  partie 
du  terroir  et  en  ruines  dès  1044,  semble  indiquer  l'existence 
d'un  sanctuaire  chrétien  très  ancien.  L'archéologie,  en  effet, 
regarde  comme  un  axiome  que  partout  où  l'on  rencontre  un 
sanctuaire  chrétien  très  ancien,  là  devait  se  trouver  un 
sanctuaire  païen.  Où  s'élève  Saint-Giniez  aujourd'hui,  là 
presque  certainement  se  trouvait  quelque  lucus,  quelque 
bois  sacré,  quelque  oratoire  du  paganisme  (1).  De  tout  temps 
donc  ce  quartier  a  été  habité.  A  elles  seules,  ces  preuves 
ci-dessus  mentionnées  nous  conduisent,  du  VI*  siècle  avant 
J.-G.  aux  1?,  IIP  et  IV  siècles  après. 

Si  nous  ouvrons  maintenant  le  cartulaire  de  Saint- Victor; 
si  nous  nous  aidons  des  travaux  de  M.  l'abbé  Daspres,  curé  de 
Saint-Giniez,  et  de  M.  l'abbé  Arnaud,  curé  de  Sainte-Margue- 
rite (2),  nous  arrivons  à  cette  conclusion  :  que  ce  quartier  de 
Saint-Giniez,  que  les  deux  rives  de  l'Huveaune,  depuis  Sainte- 
Marguerite  jusqu'à  la  mer,  étaient  cultivés  et  habités  dès  Tan 
800  ou  900. 

En  effet,  sur  la  rive  gauche  de  l'Huveaune,  dès  Tan  840, 
Sigobertus,  et  son  épouse  Euberba  donnent  à  l'abbaye  de 
Saint-Victor  la  terre  deCarvillan  (3J,  vaste  tèneraent  qui  avait 

(1)  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  ut  supra,  p.  11. 

(2)  Notice  historique  et  topographique  sur  Sainte-Marguerite,  par 
l'abbé  Arnaud,  pansim. 

(3)  «...  lu  suburbio  Massilieuse,  villam  quœ  dicitur  Garvilliauus,  id 


—  123  — 

pour  limites,  au  midi  le  sommet  des  montagnes,  au  nord  le 
rivage  de  l'Huveaune,  et  qui  s'étendait  du  pont  de  Yivaux 
actuel  jusqu'aux  premières  maisons  situées  sur  le  bord  de 
l'Huveaune,  près  de  Sainte-Marguerite.  Or,  ce  tènement  n'était 
pas  inculte.  La  charte  de  donation  qui  en  fait  la  description 
dit  qu'il  y  avait  des  maisons  en  état  d'être  habitées,  d'autres 
en  ruines,  des  terres  cultivées,  des  terres  incultes,  des  vignes, 
des  prés,  des  pâturages,  des  bois,  des  taillis,  des  vergers,  des 
arbres  fruitiers  et  des  arbres  de  haute  futaie.  Forcément,  il  y 
avait  dans  ce  domaine  des  serfs,  des  colons,  des  cultivateurs. 
Et  si,  en  840,  ce  domaine  était  en  état  de  prospérité,  s'il  y 
avait  des  maisons  en  ruines,  on  peut,  sans  trop  hasarder  de 
conjectures,  dire  qu'en  800  ce  coin  du  terroir  de  Saint-Giniez 
était  habité. 

Descendons  plus  bas  vers  la  mer,  toujours  sur  la  rive 
gauche  de  l'Huveaune.  Il  y  avait  là  des  marécages,  les  paluds 
d'Arculens,  des  terres  gastes,  des  terres  incultes,  le  gast  de 
Romagnac.  Or,  en  965,  Honoré  II,  évoque  de  Marseille  (1)  se 
rendit  à  Arles,  auprès  de  Boson,  comte  de  Provence,  et  lui 
demanda  de  restituer  à  l'église  de  Marseille  et  à  l'abbaye  de 
Saint-Victor  certaines  terres  qu'il  détenait  injustement, 
quoique  de  bonne  foi.  Entre  autres  terres  qu'il  réclamait,  il  y 
avait  celle  de  Romagnac,  sur  le  fleuve  de  l'Huveaune,  le 
terroir  actuel  de  Bonneveine.  Saint  Honoré  prouva,  sur  la 
déposition  de  témoins  sûrs  et  fidèles,  le  bien  fondé  de  ses 
revendications  et  cette  terre  lui  fut  rendue. 

Or,  si  en  965  Boson  détient  ces  terres,  si  des  témoins 
«  scientes  ac  cognitores  »  affirment  que  ces  biens  apparte- 
naient auparavant  à  la  cathédrale  ou  à  Saint-Victor,  nous 
arrivons  à  l'an  900.  Et,  comme  ni  l'abbaye  de  Saint-Victor,  ni 


est  casis  astantibus  et  dirutis,  terris  cultis  et  incultis,  vineis,  pratis, 
pascuis,  8ilvis,  montibus,  garricis,  ortis,  pascuis,  arboribus  pomileris  et 
impomileris,  aquis  aquarumve  decursibus,  accessisque  omnibus  cum 
omni  integritate  absque  ullà  diminutions.  »  Gartulaire  de  Saint-Victor, 
ch.  28,  du  24  juin  840. 

(1)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  29,  de  mars  965:  c...  interea 
namque  episcopus,  scientes  et  bene  cognitores  ac  testes  fidèles  adhibens, 
voluit...  d 


—  124  — 

la  cathédrale  ne  les  possédaient  pas  depuis  quelques  années 
seulement,  on  peut  arriver  jusque  vers  l'an  850.  Dès  cette 
époque,  il  y  a  en  ces  lieux  des  colons,  des  habitants  ;  car, 
quelque  inculte  que  soit  une  terre,  il  y  a  toujours  des  habi- 
tants, ne  fût-ce  que  des  gardiens  de  troupeaux.  Donc,  de  800  à 
850  la  rive  gauche  de  l'Huveaune,  du  pont  de  Vivaux  à  la 
mer,  est  habitée. 

Passons  sur  la  rive  droite.  Le  même  document  (1)  que  nous 
venons  de  citer  nous  montre  Boson  restituant  à  Saint- Victor 
deux  autres  terres  :  Tune  le  Ligus  Pinis,  partie  boisée  du  terroir 
sur  le  versant  sud  de  la  Garde;  l'autre,  Fabias,  située  au  con- 
fluent du  Jarret  et  de  l'Huveaune.  Et  nous  disons  comme  plus 
haut  :  si  Boson  les  détient  en  965,  et  si,  avant  qu'il  les  possédât, 
elles  appartenaient  à  la  cathédrale  ou  à  l'abbaye  de  Saint- 
Victor,  nous  remontons  encore  à  Tan  800  ou  850. 

Nous  trouvons  dans  plusieurs  chartes  d'autres  preuves  que, 
dès  la  lin  du  XI*  siècle,  les  deux  rives  de  l'Huveaune  étaient 
habitées. 

Pour  la  rive  gauche  d'abord.  En  1030,  un  certain  Boniface 
donne  à  Saint- Victor  une  terre  en  partie  cultivée,  en  partie 
boisée,  située  auprès  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  Margue- 
rite (2).  La  charte  42,  qui  doit  être  de  1050,  indique  les  terres 
cultivées  et  non  cultivées  de  Mont-Redon,  au  delà  de  l'Hu- 
veaune, comme  appartenant  à  Saint-Victor  (3).  En  1072,  Pons  II, 
évoque  de  Marseille,  donne  à  l'abbaye  l'église  de  Sainte-Mar- 
guerite située  entre  Carvillan  et  l'Huveaune,  avec  toutes  ses 
terres  cultivées  et  non  cultivées,  ses  sources  et  ses  jardins  (4). 
Une  charte  de  l'an  1097  énumère  plusieurs  portions  de  terre 
cédées  à  Saint- Victor  par  des  particuliers.  L'une  de  ces  terres 
est  dans  la  vallée  de  Mazargues,  près  du  chemin  qui  va  à  Mont- 
Ci)  Charte  29,  de  mars  965,  Cartulaire  de  Saint- Victor. 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  91,  de  1030  :  «  . . .  omnem  partem 
meam,  henni  et  culti. . .  » 

(3)  c  . ..  ultra  Vuelna,  in  Podio  Rotundo,  terra  erma  et  cul  ta.»  Cartu- 
laire de  Saint- Victor,  charte  42,  scecuL  XL 

(4)  «  ...  ecclesiam  Sanctse  Mari»  quae  dicitur  Margarita,  cum  omni- 
bus appendiciis  suis,  in  terris  cultis  etincultis,  cum  fonte  et  ortis  quœ  ibi 
tiferi  possunt. . .  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  80; 


—  125  — 

Redon,  l'autre  à  Homanana,  Bonneveine;  une  autre  au  palus 
d'Archulens  ;  deux  autres  encore  près  de  Mont-Redon  (1).  La 
rive  gauche  est  habitée  au  XI*  siècle. 

lien  est  de  même  pour  la  rive  droite.  En  1030  Guillaume  et 
Fulco,  vicomtes  de  Marseille,  Pons  II,  évoque  de  cette  ville, 
donnent  ou  plutôt  restituent  aux  moines  de  Saint- Victor  le 
moulin  qu'ils  avaient  bâti  jadis  à  grands  frais,  situé  au  con- 
fluent du  Jarret  et  de  THuveaune  (2).  En  1062,  Lambert,  fils 
d'Adalbert,  et  son  épouse  donnent  à  Saint-Victor  une  terre  en- 
tre le  béai  et  l'Huveaune  (3).  En  1065,  Pons  et  Geoffroy,  fils 
du  vicomte  de  Marseille,  Guillaume,  rendent  à  Saint- Victor  des 
terres  qu'on  lui  avait  enlevées  et  qui  étaient  situées  entre  la 
rive  du  Jarret  et  le  jardin  des  moines,  près  de  Saint-Giniez  (4). 
En  10S0,  Fougues  Humbert  cède  au  monastère  uue  terre  située 
entre  le  Jarret  et  le  jardin  des  moines  à  Saint-Giniez  (5).  En 
1080  encore,  Iterius  et  Aicelena  cèdent  à  Saint- Victor  une  pièce 
de  terre,  près  de  THuveaune  et  du  béai  du  moulin  de  Saint- 
Giniez  (6).  Enfin,  la  charte  de  1097énumère  les  donations  fai- 
tes à  Saint-Victor  de  terres  situées  près  de  l'église  de  Saint- 
Giniez,  dans  les  marais  d'Antignane,  à,  l'embouchure  de  THu- 
veaune, au  marais  Framaud,  et  dans  toute  l'étendue  du  terroir 
de  Saint-Giniez  (7). 

Inutile  de  pousser  plus  loin  la  nomenclature.  Les  chartes 
sont  si  nombreuses  ;  si  précis,  si  détaillés  sont  les  rensei- 
gnements qu'elles  fournissent,  que  Ton  pourrait,  si  Ton  vou- 
lait, dresser  le  plan  cadastral  des  deux  rives  de  THuveaune, 
au  XI*  siècle.  Les  deux  rives  sont  habitées.  C'est  l'abbaye  de 

(1)  Daspres,  Notice  *uv  Saint-Giniez  t  op.  cit.,  pièces  justifie.»  note  C; 
charte  inédite  de  Saint-Victor,  cotée  n*  789,  diocèse  de  Marseille,  n*  317. 

(2)  Chartes  20,  21,  22 du  Cartulaire  :  «  ...  ortorum,  pratorum  vel  ar- 
borura  et  omnium  omnino  rerum  quae  in  supradicto  termino,  monachi 
Saocti  Victoris  sedilicavërunt...  ipso  molendlno  quem  monachi  aedifica- 
verunt  cum  raagoo  labore  et  multis  sumptibus. . .  » 

(3)  Charte  35  du  Cartulaire  de  Saint-Victor,  1062. 

(4)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  84,  de  l'an  1065-1079. 

(5)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  148,  de  1080. 

(6)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  chartes  1087, 1088,  de  l'an  1080. 

(7)  Daspres,  Notice  vur  Saint-Giniez,  charte  inédite,  pièces  justifica- 
tives. 

9 


—  126  — 

Saint- Victor  qui  a  en  sa  possession  la  presque  totalité  de  cette 
partie  du  terroir,  et,  comme  M.  l'abbé  Daspres  Ta  dit  :  *  Dès 
ce  moment  l'abbaye  n'a  plus  rien  à  y  acquérir  (1).» 

Or,  nous  disons  que  si  ces  rives  de  l'Huveaune  sont  habitées 
de  Tan  1000  à  Tan  1100,  elles  Tétaient  déjà  dès  le  IX'  siècle. 

En  effet,  est-ce  que  la  mise  en  valeur  de  ces  terres  date  de 
quelques  années  à  peine?  Non.  Dans  les  chartes  20  et  21 
il  s'agit  de  la  restitution  faite  aux  moines  de  Saint-Victor  de 
prairies,  de  jardins  que  ceux-ci  ont  défrichés,  du  moulin  lui- 
même  qu'ils  ont  bâti  à  grands  frais  et  avec  beaucoup  de  travail. 
Or,  les  moines  n'ont  pu  construire  ce  moulin  postérieurement 
à  l'an  923,  époque  de  la  destruction  du  monastère.  Ils  ont  dû, 
depuis  cette  époque  jusqu'à  celle  où  les  chartes  20  et  21  ont 
été  rédigées,  en  1030,  s'occuper  d'abord  de  la  restauration  de 
leur  abbaye  ;  il  s'ensuit  que  les  vicomtes  de  Marseille  qui  res- 
tituent ce  moulin  en  1030  ont  dû  s'en  emparer  à  l'époque  de 
la  destruction  de  Saint-Victor  en  923.  La  construction  de  ce 
moulin  date  donc  au  moins  des  dernières  années  du  IX*  siècle. 

De  plus,  est-ce  que  les  particuliers  qui  font  donation  à 
Saint- Victor,  au  XI'  siècle,  de  quelques-unes  de  leurs  terres, 
sont  les  propriétaires  primitifs  de  ce  sol  ?  Nullement. 

Tantôt,  en  effet,  les  chartes  disent  clairement  qu'il  s'agit  de 
biens  que  l'on  restitue  ;  ainsi,  en  1065-1079,  Geoffroy,  fils  du 
vicomte  de  Marseille  du  même  nom,  rend  à  l'abbaye  des 
vignes,  près  du  Jarret,que  Ton  avait  enlevées  à  l'autel  de  Saint- 
Pierre  de  Paradis  (2).  En  1097,  Damalcus,  d'Àubagne,  et  son 
épouse  Dulciane  donnent  deux  pièces  de  terre  situées  à  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune  et  que  l'on  avait  jadis  enlevées  à 
Saint- Victor  (3). 

Tantôt  elles  disent  que  ces  biens  cédés  à  Saint-Victor  par 
ces  particuliers  leur  sont  arrivés  par  héritage.  C'est  le  cas  de 
Vicherius,  qui,  en  1040,  donne  à  l'abbaye  quelques  terres 

(1)  Daspres,  op.  cit.,  p.  19. 

(2)  c  Reddo  et  guipertionem  facio  de  vineis  quas  Petrus  Nodollo  tol- 
lebat  altario  Sancti  Pétri  de  Paradiso..  »  Charte  84,  cartulaire  de 
Saint-Victor. 

(3)  Charte  inédite  dans  Notice  sur  Samt-Giniez,  par  l'abbé  Daspres, 
p.  136. 


—  127  — 

qu'il  a  reçues  en  héritage  de  sa  mère  (I  ).  L'une  de  ces  terres 
est  située  à  Àrcolas,  sur  la  rive  gauche.  C'est  le  cas  de  Damal- 
cus  et  Dulciane  cités  plus  haut,  qui  affirment  que  ces  terres 
de  l'embouchure  de  l'Huveaune  ont  été  laissées  en  héritage  à 
sa  mère  (2). 

Tantôt  elles  mentionnent  que  ces  biens  donnés  à  Saint  Vic- 
tor proviennent  de  propriétés  antérieurement  vendues,  cédées 
aux  donateurs,  En  1087,  l'abbesse  Garcende  de  Saint-Sauveur 
cède  à  Saint-Victor  la  dime  d'un  champ  qui  avait  appar- 
tenu à  Pierre  Saumade  (3)  ;  Amelius  Candidia,  en  1097,  donne 
la  dime  qu'il  prélevait  sur  un  champ  déjà  cédé  à  Saint - 
Victor  (4). 

Tantôt  la  donation  du  XI'  siècle  n'est  que  la  confirmation 
d'une  donation  antérieure.  En  1062,  Lambert  donne  à  Saint- 
Victor  une  terre  que  déjà,  de  concert  avec  son  père  et  sa  mère, 
il  lui  avait  cédée  (5). 

Tantôt  ce  que  l'on  donne  a  été  démembré  d'une  autre  pro- 
priété. En  1076,  Pierre  Saumade  donne  la  condamine  qui  jadis 
faisait  partie  des  biens  d'un  certain  David  (6). 

Tantôt  les  donateurs  montrent  bien,  par  les  termes  dont  ils 
se  servent,  qu'ils  sont  en  possession  de  ces  terres  depuis  de 
longues  années. 

Tantôt,  enfin,  il  est  mentionné  dans  ces  chartes  qu'il  s'agit 
de  terres  cultivées,  de  vignes,  de  prairies  que  l'on  a  conquises 
sur  le  marais. 

Ces  divers  modes  par  lesquels  ces  biens  sont  advenus  aux 
propriétaires  du  XI*  siècle,  indiquent  clairement  que  anté- 


(1)  c  Ego  dono  aliquid  de  proprietate  meâ.. .  quae  mihi  ex  succes- 
sione  matris  mese  venit.. .  »  Charte  52. 

(2)  Daspres,  op.  citato,  charte  inédite. 

(3)  Cartulaire  de  Saine- Victor,  charte 88  :  c  ...  Nos  sancti moniales., 
veodimus. . .  decimo  de  campo  que  fuit  de  Petro  Saumada. . .  » 

(4)  Charte  inédite  (Daspres,  op.  cit.) 

(5)  «  Donamus...  videlicet  totam  terram  illam,  quem  jam  dictus 
pater  meus  et  mater  mea  et  ego  donavimus. . .  »  Charte  95,  cartulaire 
de  Saint- Victor. 

(6)  «  . . .  facio  venditionem. . .  de  condaminà  ipso,  que  de  menso  David 
fuit...  »  Charte  87,  cartulaire  de  Saint- Victor. 


—  1-28  — 

rieurement  au  XP  siècle  cette  partie  du  terroir  était  cultivée. 
Nous  pouvons  remonter  ainsi  jusqu'à  la  fin  du  IX*  siècle. 

Que  Ton  n'allègue  pas  le  texte  delà  charte  de  1097  (1)  qui, 
parlant  des  marais  de  Saint  -Giniez,  semble  affirmer  que  l'église 
dédiée  à  ce  saint  se  trouvait  sur  le  bord  de  la  mer,  a  Sancli 
Genesii  in  ripa  maris  »,  et  qu'ainsi  il  n'y  avait  pas  d'habitant 
en  ces  lieux. 

M.  Saurel  (2)  a  supposé  que  la  mer  avançait  jusqu'à  Saint- 
Giniez  et  qu'il  y  avait  là  une  anse,  un  marécage  se  prolon- 
geant jusqu'au  Rond-Point,  et  accessible  aux  barques.  Tout 
ceci  n'est  que  de  la  pure  imagination.  Sans  doute  au  X-  et  au 
XIe  siècle,  le  quartier  de  Saint-Giniez  n'était  pas  ce  quil  est 
aujourd'hui.  Il  y  avait  un  marais  près  de  l'église,  le  «  palus 
Sancti  Genesii  »  ;  un  autre  vers  le  Rond-Point,  le  «  palus 
Antignana  »  ;  un  autre  vers  le  Rouet,  le  palus  Formai  ;  un 
autre  entre  Saint-Giniez  et  la  mer,  vers  le  parc  Borrely,  le 
palus  Archulens.  Ils  étaient  formés  soit  par  l'Huveaune,  dont 
les  eaux,  point  encore  encaissées,  ni  complètement  utilisées 
pour  les  moulins,  se  répandaient  sur  les  terrains  en  dépres 
sion,  soit  par  les  diverses  sources  qui  n'avaient  point  eucore 
un  écoulement  régulier  vers  la  mer.  Mais  autre  chose  un  ma- 
récage où  croissent  des  joncs,  autre  cfrose  des  lagunes  où  les 
barques  peuvent  naviguer.  Cette  charte  de  1097,  qui  cite  le 
«  palus  Sancti  Genesii  »,  celui  de  Formai,  d'Antignane,  d'Ar- 
coulens,  parle  précisément  de  terres  que  l'on  cultive  dans 
ces  marais  (3)  ;  preuve  évidente  que  chaque  jour  les  habitants 
faisaient  la  conquête  de  quelques  portions  de  terrain  sur  ces 
endroits  incultes  jusqu'alors. 

Ces  termes  :  «  Sancti  Genesii  in  ripa  maris  »  sont  mis  tout 

(1)  Daspres,  op.  rit.,  charte  inédite,  p    136. 

(2)  La  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  Saint-Ginie:, 
l>p.  151,  152. 

C'était  aussi  quelque  peu  l'opinon  de  M.  Meynier  :  Anciens  Chemin* 
rie  Marseille,  p.  43.  Suivant  cet  écrivain,  l'embouchure  de  l'Huveaune 
se  trouvait  à  Saint-Loup,  aux  premiers  siècles,  de  sorte  que  la  plaine  de 
Saint-Giniez  aurait  été  un  vaste  étang,  peut-être  le  port  de  Leoniuni 
dont  il  est  parié  au  IX«  siècle. 

(3)  Voir  les  détails  de  cette  charte  inédile,  de  1097,  dans  la  Notice  w 
Saint-Giniez,  par  l'abbé  Daspres,  pièces  justificatives,  note  C,  p.  136. 


—  129  — 

simplement  pour  faire  une  distinction  entre  les  biens  appar- 
tenant à  Saint-Giniez  de  Marseille  et  les  possessions  des  autres 
églises,  dédiées  au  même  saint  martyr,  en  divers  lieux  de  la 
Provence.  Il  y  avait,  en  effet,  beaucoup  d'églises,  de  monastères 
sous  le  vocable  de  ce  saint.  Le  livre  de  M.  l'abbé  Daspres  en 
indique  plusieurs  (1).  Il  y  avait  Saint-Giniez  d'Arles,  Saint- 
Giniez  de  de  Lodève  ;  dans  les  Basses- Alpes,  il  y  en  avait  deux 
autres;  dans  le  diocèse  de  Rodez,  trois;  près  de  Forcalquier, 
une  ;  près  d'Apt,  une  autre  ;  près  de  Martigues,  une  autre  ;  etc. 
Or,  chacune  de  ces  églises,  chacun  de  ces  monastères  relevant 
pour  la  plupart  de  l'abbaye  de  Saint -Victor,  possédaient  des 
biens.  Afin  de  ne  pas  se  tromper  sur  le  monastère  dont  ils 
étaient  les  ressources,  on  les  avait  désignés  par  une  rubrique 
spéciale.  L'église  de  Saint-Giniez  à  Marseille  s'appelait  «  Sancti 
Genesii  in  ripa  maris  ». 

Or,  nous  disons  :  Le  quartier  de  Saint-Giniez  a  été  habité 
vers  le  IV*  siècle,  il  l'était  sûrement  dès  le  IX'  ;  donc  il  l'a  été 
aussi  durant  l'intervalle  qui  va  du  V'  au  IX-  siècle,  et  ce 
n'était  pas  cet  affreux  désert  que  Rutli  voudrait  nous  repré- 
senter. Nous  n'avons  pas,  il  est  vrai,  des  données  précises  et 
exactes  pour  faire  la  description  de  ces  lieux  aux  V,  VI°,  VIP 
VIII*  siècles.  L'histoire  n'en  fournit  guère  pour  cette  époque. 
Il  est  assez  diflicile  de  croire  cependant,  que  ce  quartier  n'était 
ni  cultivé,  ni  habité. 

D'où  proviendrait,  en  effet,  cette  solitude  qui  se  serait  sou- 
dainement faite  du  Ve  au  IX-  siècle  ?  Faudrait-il  en  accuser 
les  invasions  barbares  ?  Sans  doute  Goths,  Visigoths,  Bourgui- 
gnons et  Ostrogoths  sont  venus  assiéger  et  piller  Marseille 
durant  ces  siècles.  Mais  faut-il  croire  qu'ils  se  soient  telle- 
ment acharnés  sur  cette  partie  du  terroir,  qu'ils  l'aient  sac- 
cagée, dévastée  et  qu'ils  en  aient  massacré  les  habitants? 
Sous  l'action  de  ces  invasions,  les  terres  ont  été  enlevées  à 
leurs  possesseurs  légitimes,  c'est  vrai,  mais  toutes  ne  res- 
taient pas  en  friche.  Le  moment  de  la  fureur  passé,  les  enva- 
hisseurs eux-mêmes  tendaient  à  se  fixer  dans  les  villes  qu'ils 
saccageaient.  A  l'exception  des  Goths  d'Ataulphe  qui  ne  firent 

(!)  Daspres,  Notire  *i#r  Saint-Ginies,  p.  115  et  suiv. 


—  130  — 

que  traverser  la  Provence,  les  Visigolhs  d'Euric  se  fixent  à 
Marseille  et  y  demeurent  au  moins  vingt  ans.  Après  eux,  les 
Bourguignons  de  Gondebaud  et  de  Godégisile  y  passent  un 
bon  nombre  d'années  dans  une  paix  profonde.  Théodoric  le 
Grand  gouverne  la  Provence  avec  une  sagesse  admirable. 
Les  Francs  l'administrent  dans  l'ordre  et  la  tranquillité. 

Seuls  les  Sarrasins  font  exception.  Ils  furent  le  fléau  dévas- 
tateur. Dès  leur  apparition  en  Provence  vers  730,  tout  fut 
détruit  sur  leur  passage,  les  colons  massacrés,  les  habitations 
dévastées.  La  charte  de  Tan  840  mentionne  dans  le  domaine 
de  Carvillau  des  «  casis  adstantibus  et  dirutis  ».  Ces  destruc- 
tions et  tant  d'autres,  c'est  à  ces  barbares  qu'il  faut  les  impu- 
ter. Déjà  donc,  avant  leur  arrivée  en  nos  contrées,  le  terroir 
de  Saint-Giniez  était  cultivé  et  habité.  Ce  qu'ils  ont  détruit 
au  VIII'  siècle  existait  au  Vil*  et  plus  que  probablement  aux 
VI'  et  V'  siècles.  Non,  on  ne  peut  pas  prétexter  les  invasions 
des  barbares  pour  soutenir  que  notre  terroir  était  désert. 

On  a  dit  souvent  que  les  exigences  du  fisc  romain  rendaient 
la  culture  des  terres  très  difficile,  que  les  paysans  étaient 
obligés  de  se  vendre,  de  se  faire  esclaves  pour  vivre ,  que 
d'autres  préféraient  laisser  les  terres  en  friche,  prendre  les 
armes  et  piller.  Sans  doute  il  y  avait  de  graves  désordres  à 
cette  époque  ;  mais  de  là  à  dire  qu'il  n'y  avait  ni  colons,  ni 
esclaves  dans  notre  terroir,  pour  le  cultiver  et  l'habiter,  c'est 
pousser  à  1  exagération. 

Les  quelques  fragments  dans  lesquels  se  trouvaient  inven- 
toriés les  biens  de  l'abbaye  cassianite,  nous  sembleraient  une 
preuve  de  plus  que,  dès  le  VIII*  siècle,  notre  terroir  était  cul- 
tivé. En  effet,  trois  de  ces  inventaires  ont  été  rédigés  sous 
l'épiscopat  de  Vadalde,  à  l'indiction  Xï,  qui  correspond  à 
Tan  818  (1).  Il  ne  s'agit  pas  précisément,  dans  ce  document, 
de  propriétés  situées  dans  notre  terroir.  Il  en  est  un  cepen- 

(1)  «  Descriptio  mancipiorum  de  agroColumbario,  factum  tempore  Gua- 
daldi  episcopi,  indictione  XI  ;  —  Descriptio  mancipiorum  de  agello 
Cellas,  factum  tempore  supradicti  episcopi,  indictione  XI  ;  —  Descriptio 
mancipiorum  de  villa  Podiolum,  juxta  fluvium  Uvelnœ,  factum  tempore 
supradicti  episcopi,  indictione  XI.  »  (Armoriai  et  Sigillographie  det* 
évéque*  fie  Marseille,  par  M.  le  chanoine  Albanés,  p.  30.) 


—  131  — 

dant  qui  relate  la  description  des  serfs  du  domaine  de  Colom- 
bier; or,  Mortreuil  place  ce  domaine  au  Rouet  (1).  Mais,  si 
on  fait  en  818  un  inventaire  de  ces  biens,  donc  il  est  permis 
de  supposer  que  ceux  qui  les  possédaient  en  818  n'en  étaient 
pas  les  premiers  possesseurs,  que  ces  terres  étaient  déjà  habi- 
tées et  cultivées  lorsqu'ils  en  sont  devenus  les  propriétaires. 
Nous  remontons  ainsi  à  l'an*00,  750  ou  700. 

Le  même  raisonnement  peut  être  fait  pour  le  fragment  rela- 
tant lïnventaire  fait  la  dixième  année  de  l'épiscopat  de  Vena- 
tor vers  896,  des  biens  et  des  esclaves  que  l'abbaye  cassianite 
possédait  «  in  agro  Massiliensi  (2)».  L'«  ager  Massiliensis  » 
comprenait  Saint-Giniez.  Si,  en  891,  on  fait  un  inventaire  des 
serfs  qui  cultivent  cette  terre  ;  si  l'abbaye  n'a  pas  mis  elle- 
même  ces  terres  en  culture;  si  elle  les  a  reçues  d'un  proprié- 
taire primitif,  il  est  facile  dédire  qu'en  800,  750,  700  ce  coin 
de  terre  était  cultivé,  habité,  et,  s'il  l'était  au  VIP ,  on  se 
demande  pourquoi  il  ne  l'aurait  pas  été  aux  VI*  et  V*  siècles. 

Cassien  fondant  un  monastère  de  religieuses  a  pu  le  placer 
sur  les  bords  de  l'Huveaune.  C'était  la  solitude,  mais  pas  le 
désert.  Lui  qui  avait  parcouru  toutes  les  thébaïdes  ne  dut  pas 
être  effrayé  de  ces  marais,  de  ces  bois.  Recherchant  le  calme, 
la  tranquillité,  l'éloignement  du  bruit  du  monde  pour  ses 
filles,  aucun  site  n'était  favorable  comme  les  rives  de  l'Hu- 
veaune  et  la  vallée  de  Saint-Giniez  (3). 

Ces  prolégomènes  établis,  abordons  les  objections  que  les 
divers  auteurs  apportent  contre  notre  thèse. 


(t)  Dictionnaire  topoyraphique  de  V arrondissement  de  Marseille, 
par  Mortreuil  ;  verbo  Colombier,  pp.  114,  115. 

(2)  c  Descriptio  mancipiorum  de  agro  Massiliensi,  factum  terapore 
Venatoris  episcopi,  decimo  anno  episcopatus  ejus.  »  (Armoriai  et  Sigil- 
loyraphie  des  êvêques  de  Marseille*  ut  supra,  p.  30.) 

(3)  (l'est  le  sentiment  qu'exprime  M.  de  Rufïi  (le  père),  lorsqu'il  écri- 
vait dans  son  Histoire  de  Marseille,  p.  285  :  «  Cassien,  qui  était  le  fon- 
dateur de  cette  abbaye  et  qui  faisait  profession  de  vie  solitaire,  voulut 
bâtir  cette  maison  en  ce  lieu  écarté.  » 


DEUXIÈME  SECTION 


Discussion  des  Objections 


CHAPITRE  PREMIER 

Texte  de  la  Charte  40  du  XIe  siècle   dans  le 
Oartulaire  de  Saint-Victor 


OBJECTION  DE  RUFFI,  TIRÉE  DE  LA  CHARTE  40  DU  XI*  SIECLE.— TEXTE 
DE  CETTE  CHARTE.  —  DONNÉES  TOPOGRAPHIQUES  FOURNIES  PAR 
CETTE  CHARTE.  —  LA  TERRE  DES  RELIGIEUSES  DE  SAINTE-MARIE. 


La  première  objection  qui  s'offre  à  nous-  est  celle  que  l'his- 
torien lluffi  énonce  en  ces  termes  :  «  Une  des  chartes  que  j'ai 
citées  ci-dessus  pour  prouver  que Cassien  avait  été  le  fondateur 
de  ce  monastère,  marque  encore  que  cet  édifice  était  situé  au 
pied  de  la  montagne  de  la  Garde  (1).  »  Et  nous  Favons  dit, 
avec  Rutïi  se  trouvent  la  Gallia  christiana,  Lautard,  André, 
l'abbé  Daspres,  etc. 

Ruffi  n'indique  pas  clairement  de  quelle  charte  de  Saint- 
Victor  il  entend  parler.  Car,  quelques  lignes  plus  haut,  il 
s'appuie  «  sur  deux  chartes  qui  disent  formellement  que  Cas- 
sien  fut  le  fondateur  de  cette  maison  »,  et  en  marge  il  désigne 
le  folio  14  du  grand  cartulaire(2).  Au  folio  14,  il  n'y  a  qu'une 
charte  qui  traite  de  notre  sujet,  c'est  la  charte  40.  C'est  celle- 

<1)  Ruffi,  HMoire  de  Marnille,  t.  II,  p.  55. 
(2)  Ruffi,  op.  rit.,    p.  44. 


—  134  — 

là,  d'ailleurs,  que  les  auteurs  ci-dessus  nommés  citent  à  leur 
tour. 

Voici  le  passage  de  ce  document  en  question  : 

a  Non  loin  de  l'église  de  Saint-Pierre  (1),  en  dehors  de  la 
porte  qui  est  appelée  Paradis,  aux  environs  du  chemin  public 
qui  vient  de  l'église  de  Saint-Thyrse  et  se  dirige  vers  le  port  de 
Marseille,  sont  placées  les  vignes  suivantes.  Il  y  a  là  une  vigne 
de  la  contenance  d'une  demi-quarterée,  qui  appartient  à 
Gairald  Blanca  Lancea,  que  celle-ci  donna  à  Dieu  et  à  Saint- 
Victor.  Elle  est  bornée  à  l'orient  par  le  chemin  de  Lauret; 
au  midi,  par  la  vigne  de  Ilichao;  au  nord,  par  la  terre  de 
Sainte-Marie  ou  des  religieuses  demeurant  dans  le  monastère 
fondé  par  Gassien,  terre  placée  non  loin  du  port;  h  l'occident, 
par  le  chemin  qui  conduit  à  la  Garde.  » 

On  devine  que  la  phrase  dont  Ruffi  et  les  autres  auteurs  veu- 
lent faire  une  preuve  de  leur  assertion  est  celle-ci  :  «  au  nord, 
la  terre  de  Sainte-Marie  ou  des  religieuses  qui  habitent  dans  le 
monastère  fondé  par  Cassien,  terre  située  non  loin  du  port  : 
a  ...  a  septentrione,  terra  Sanctœ  Mariae  vel  sanctimonialium, 
non  longe  a  ripa  porti  supradicti,  incœnobio  quod  Pater  fun- 
davit  Gassianus,  consistentium.  »  C'est  sur  elle  donc  qu'il 
nous  faut  concentrer  toute  notre  attention. 

Selon  Ruffi,  il  n'y  a  jamais  eu  de  monastère  cassianite  sur 
les  bords  de  l'Huveaune,  mais  ce  monastère  a  toujours  été  au 
pied  de  la  montagne  de  la  Garde.  La  preuve  qu'il  donne  c'est 
la  phrase  ci-dessus  indiquée,  et  voici  son  argumentation  : 

Si  au  début  du  XIe  siècle  les  religieuses  de  Sainte-Marie 
habitent  non  loin  du  port,  comme  le  dit  la  charte  40,  puisque 
cette  même  charte  ajoute  qu'elles  habitaient  dans  le  monas- 
tère que  leur  Père  Cassien  avait  bâti,  il  est  certain  que,  d'après 
cette  charte,  à  toutes  les  époques  et  de  tout  temps,  le  monas- 
tère cassianite  s'est  trouvé  non  loin  du  port,  au  pied  de  la  mon- 
tagne de  la  Garde,  et  non  pas  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Or, 
nous  disons  qu'il  est  impossible  de  prouver  pareille  assertion 
par  le  texte  de  cette  charte  40.  On  lui  donne  un  sens  qu'il  n'a 
pas.  Pour  nous  en  convaincre,  entrons  dans  les  détails. 

(I)  Cartulairede  Saint-Victor,  charte  \0. 


—  135  — 

D'abord,  de  quoi  s'agit-il  dans  cette  phrase  de  la  charte? 
Dune  terre:  a  terra  Sanctae  Maris  ».  Or,  où  se  trouvait  cette 
terre?  La  charte  l'indique  clairement:  Elle  borne,  au  nord, 
la  vigne  d'une  certaine  Gairald  Blanca  Lancea.  Mais  cette 
vigne  de  Gairald  est  bornée  au  midi  par  la  vigne  de  Richao, 
au  levant  par  le  chemin  de  Lauret,  au  couchant  par  le  chemin 
de  la  Garde.  La  charte  fournit  un  autre  renseignement  :  les 
vignes  dont  il  s'agit  sont  situées  non  loin  de  l'église  de 
Saint-Pierre,  en  dehors  de  la  porte  Paradis,  aux  environs  du 
chemin  public  qui  vient  de  l'église  de  Saint-Thyrse  et  aboutit 
au  port  de  Marseille.  Lorsque  nous  connaîtrons  chacun  de  ces 
points  topographiques,  nous  aurons  remplacement  à  peu  près 
exact  de  la  terre  de  Sainte-Marie. 

Saint-Thyrse  est  le  village  actuel  de  Saint-Loup  (l).  La  «  via 
quœ  venit  ab  ecclesiâ  Sancti  Thyrsi  et  vadit  in  portu  Massi- 
liensi  »  est  le  chemin  de  Toulon  qui  arrive  à  la  place  Gas- 
teilane,  et  qui,  suivant  le  vieux  chemin  de  Rome,  venait  abou- 
tir, en  faisant  un  coude,  au  port,  c'est-à-dire  à  la  porte  de  la 
ville  qui  s'ouvrait  au  Podium  Formicarium,  près  de  l'église 
des  Augustins  actuellement  (2). 

Le  Lauret  était  un  quartier  de  Marseille  placé  aux  abords 
de  la  place  Maronne  et  vers  le  milieu  du  cours  Belsunce.  Ce 
nom  lui  venait  d'un  oratoire  «  l'aouret,  l'aouretori  »  qui  se 
trouvait  en  cet  endroit.  Le  chemin  qui  y  menait,  à  peu  près 
la  rue  Saint-Ferréol  actuelle,  s'appelait  la  «  via  de  Laureto  ». 


(1)  Sanrtus  Tyrsus,  anciennement  Cent/ri*  et  plus  tard  Saint-Thyrs, 
aujourd'hui  Saint-Loup,  village  situé  sur  le  territoire  de  Marseille. 
(Dictionnaire  géographique  du  cartulaire  de  Saint-Victoi\  t.  II,  p.  924. 
—  Dictionnaire  topographique  de  l'arrondissement  de  Marseille,  par 
Mortreuîl,  verbo  Saint-Loup,  p.  336.) 

(2)  Cette  porte  s'appelait  Porte  de  la  Calade,  parce  que  de  ce  point 
partait  la  c  via  que  vocatur  Galada  »,  qui  conduisait  à  la  plaine  de 
Saint-Michel  parla  rue  d'Aubagne  ou  de  (a  Palud.  Ainsi,  du  Podium  à 
la  nie  d'Aubagne,  le  chemin  de  Saint-Thyrse  s'appelait  :  via  Calada.  — 
<  Usque  ad  columnam  flxam  in  via  que  vocatur  Calada.  »  Charte  864, 
cartulaire  de  Saint-Victor.  —  Statistique  des  Bouches-du-Rh6ne,  t.  II, 
p.  353.  —  Histoire  analytique  et  chronologique  fies  actes  et  délibéra- 
tions du  corps  et  du  conseil  de  Marseille,  par  Guindon  et  Mery,  t.  I. 
p.  1 19. 


—  136  - 
Il  y  a  quelques  années  une  rue  voisine,  celle  de  Saint-Gilles, 

0 

qui  débouchait  sur  cette  place  Maronne,  portait  encore  le 
nom  de  rue  de  Laurel  (1). 

Le  chemin  de  la  Garde  allait  de  cette  montagne  au  Podium 
Formicarium.  Le  Podium  Formicarium,  le  Plan  Four- 
miguier  ainsi  appelé  à  cause  des  fourmis  qui  venaient  man- 
ger le  blé  que  les  navires  y  débarquaient,  commençait  à 
l'endroit  jadis  nommé  Cul  de  Bœuf,  la  place  actuelle  entre  la 
Bourse,  l'église  Saint-Ferréol  et  le  quai  de  la  Fraternité,  et 
s'étendait  jusqu'au  bas  de  la  Gannebière  (2),  à  un  petit  ruis- 
seau qui  déversait  dans  le  port  les  eaux  d'une  tannerie 
voisine,  d'autres  disent  les  eaux  du  Jarret  qui  à  cette  époque 
se  jetait  dans  le  port  (3).  Sur  ce  Plan  Fourmiguier,  entre  le 
rempart  qui  touchait  au  port  et  ce  petit  ruisseau,  se  dressait 
une  colonne  en  pierre.  C'était  la  limite  de  la  ville  comtale  et 
de  la  ville  abbatiale  de  Saint-Victor.  Au-delà  de  ce  ruisseau 
et  en  remontant  jusqu'à  mi-hauteur  de  la  Cannebière,  com- 
mençaient les  salines.  Elles  s'étendaient  le  long  du  port,  le 

(1)  Statistique,  op.  cit.,  t.  II,  p.  773,  note  2.  —  Peut-être  aussi  ce 
nom  lui  venait  de  ce  qu'il  conduisait  au  Rouet.  Le  mot  Lauretum,  dit 
l'index  du  Car  tu  lai  re,  t.  II,  p.  876,  désigne  cette  localité  ;  ou  parce  qu'il 
conduisait  au  quartier  du  Lauret,  près  de  la  place  Maronne.  Plus  tard 
aux  abords  de  cette  place  on  ouvrit  la  porte  Réale,  qui  s'appelait  aussi 
porte  de  Lauret,  parce  que  le  poids  de  Lauret,  c'est-à-dire  le  bureau  de 
pesage  des  grains  et  farines,  y  était  établi.  (Meynier,  Ancien*  Chemins 
(le  Marseille,  p.  13-14.  —  Rufll,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  204.) 

(2)  Statistique,  op.  cit.,  t.  II,  p.  773,  note  2.— Dans  la  suite,  la  dénomi- 
nation de  Plan  Fourmiguier  s'est  étendue  à  toute  la  partie  des  quais  oc- 
cupée plus  tard  par  l'arsenal  des  galères  jusqu'aux  environs  de  la  place 
aux  Huiles.  (Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  300.) 

(3)  La  charte  917,  de  1230,  dit  :  «  inter  parietem  et  rivulum  qui  defluit  a 
curataria  juxta  Podium  Formicarium.  »  Mais  la  charte  1002,  de  1204, 
appelle  ce  ruisseau  vallato  salinarum  ;  c  Quoddam  patuum,  se i lice t  a 
vallato  salinarum  usque  ad  Podium  Furmiguerii.. .  9  Ce  vallat,  ce  ruis- 
seau, semblerait  provenir  du  marais  de  la  Palud,  de  la  Font-gate.  Une 
vue  de  Marseille,  datant  de  1655  (Meriam  sculpsit),  montre  des  marais 
vers  le  Grand  Théâtre,  quartier  de  la  Palud,  et  un  ruisseau  qui,  de  ce 
point,  se  jette  dans  le  port  dont  les  quais  Est  et  Sud  sont  couverts  de 
salines  ou  marécages.  (Bibliothèque  de  Marseille,  estampes,  n°  36.  —  La 
Provence  pittoresque  et  illustrée,  publiée  jadis  par  l'imprimerie  Olive, 
l'a  donnée  a  ses  lecteurs.) 


—  137  — 

contournaient,  en  occupaient  le  versant  tout  le  long  de  Rive- 
Neuve,  en  contre-bas  de  la  rue  Sainte  actuelle.  Bornées  au 
midi  par  le  chemin  qui  montait  à  la  Garde,  a  sicut  est  via 
quœ  descendit  a  Guardia  usque  ad  Poium  Formicarium  »,  elles 
se  continuaient  le  long  de  la  rive  jusqu'à  la  hauteur  de 
1  église  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  «  ab  istà  ecclesia  Sancti 
Pétri  usque  ad  civitatem  (l).  » 

Cette  chapelle  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  Rufli,  Belsunce, 
la  Statistique  des  Bouches- dit- Rhône  la  placent  à  l'endroit 
où  se  trouvait  l'arsenal  (  rue  Breteuil,  cours  Pierre-Puget, 
place  du  Palais  de  Justice)  (2).  C'est  à  peu  près,  en  effet,  ce 
qu'indiquent  les  chartes.  Nous  savons  qu'en  1044  Fulco  et 
Odile,  au  jour  de  la  dédicace  de  l'église  de  Saint-Pierre  de 
Paradis  qu'ils  avaient  fait  bâtir  à  la  prière  de  saint  Ysarne(3), 

(1)  Statistique  des  Bouches- •du-ffltône,  t.  II,  p.  351.  —  Actes  et 
délibérations  etc.,  par  Guindon  et  Mery,  1. 1,  p.  155.  —  «  Cum  salinis 
et  piscationibus  et  portu  navium  et  omnibus  juste  et  legaliter  ad  eum- 
dem  fiscum  pertinentibus,  conjacentem  în  coraitatu  Massiliensi  qui 
vulgo  Paradisus  nominatur,  sicut  est  via  quae  descendit  a  Gardia  usque 
in  Poium  Formicarium...  »  Charte  10,  21  ap.  904,  cartulaire  de  Saint- 
Victor.—  Fulco  et  Odile  donnent  à  Saint-Victor  :  a  omnem  partem  nostram 
(rase  ad  nos  pertinere  débet  de  salinis,  quse  in  portu  civitatis  Massiliœ 
esse  videntur,  ab  ipsà  ecclesia  Sancti  Pétri  usque  in  civitatem.  »  Charte 
32,  de  l'an  104  i,  cartulaire  de  Saint-Victor. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p>  179  :  «  Cette  église  fut  dé- 
molie du  temps  de  Bourbon,  et  le  lieu  où  elle  était  a  donné  à  tout  le 
quartier  le  nom  de  Paradis.  » 

Belsunce,  Antiquité  de  V Enlise  de  Marseille,  t,  I,  p.  396  :  «  Pons  II 
rebâtit  l'église  Saint-Pierre  qui  était  tombée  par  vétusté.  Elle  était  dans 
le  quartier  de  Paradis,  à  l'endroit  où  est  à  présent  le  Parc.  Une  partie 
du  quartier  que  l'on  appelle  aujourd'hui  Rive-Neuve  en  dépendait,  et  a 
porté  longtemps  le  nom  de  clos  de  Saint-Pierre.  » 

Lautard,  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  t.  II,  p.  376  :  «  Cette 
chapelle  de  Saint-Pierre  de  Paradis  donna  son  nom  à  tout  le  quartier  où 
elle  se  trouvait  et  la  belle  rue  qui  le  porte  encore  aujourd'hui  indique  û 
peu  prés  le  lieu  qu'elle  devait  occuper.  » 

La  Statistique  de*  bouches-du-Rhône,  t.  II,  p.  352  :  «  Cette  chapelle 
de  Saint-Pierre  de  Paradis,  une  des  plus  anciennes  de  Marseille,  était  où 
se  trouve  maintenant  l'arsenal . . .  » 

(3)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  32  :  «  Uoc  advenit  in  mente  et 
voluntate  firmaquatenus  œdificaremus  ecclesiam  in  honore  Sancti  Pétri 
apostoli. . .  quae  olim  vetustate  destructa  ad  nihilum  devenerat  et  lundi- 
tus  corruerat...  Quare  disposuimus  œdifleare  ecclesiam  supradictam* 
consilio  atque  jussudomini  Ysarni  felicis  mémorise.  .  » 


—  138  — 

donnèrent  à  l'abbaye  de  Saint- Victor,  pour  servir  à  l'entretien 
de  cette  chapelle,  trois  terres,  trois  clos  plantés  de  vignes. 

Or,  l'un  de  ces  clos,  le  troisième,  était  situé  au  chevet  de 
l'église  de  Saint-Pierre  :  a  tertium  clausum  qui  est  situs  ad 
caput  ejusdem  ecclesiae  Sancti  Pétri  (1)  ».  Ce  clos  fut  appelé 
clos  Saint-Pierre  pendant  longtemps  (2).  Au  XI*  siècle  il  por- 
tait ce  nom,  car  la  charte  40,  qui  est  de  cette  époque,  le 
mentionne.  Il  servait  de  limite,  au  midi,  à  une  petite-vigne 
qu'un  certain  David  avait  donnée  à.  Sain  t- Victor  (3).  A  côté  de 
cette  vigne,  en  dessous,  probablement  sur  le  bord  de  la  mer, 
devait  se  trouver  une  ou  plusieurs  tuileries.  La  charte  40  dit 
que  cette  vigne  de  David  était  «ad  Teolarias(4)  ».  Au-delà 
de  cette  vigne  de  David,  et  de  ces  tuileries,  s'étendait  une  terre 
comtale  (5)  que  Louis  l'Aveugle  avait  cédée  en  904,  à  Saint- 
Victor  et  qui  d'un  côté  touchait  à  la  mer  (  c'est  là  que  se  trou- 
vaient les  pêcheries,  le  «  portusnavium  »  dont  les  droits  et 
les  revenus  étaient  cédés  par  l'empereur  à  l'abbaye  en  904), 
de  l'autre  montait  jusqu'au  cimetière,  «  usque  ad  carnarium  », 
que  l'on  appelait  Paradis. 

D'autre  part,  non  loin  de  cette  église  de  Saint-Pierre  de  Para- 
dis, passait  le  chemin  de  la  Garde,  puisque  la  vigne  de  Blanca 
Lancea  était  non  loin  de  l'église  de  Saint-Pierre,  et  qu'elle 


(1)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  33  :  «  ...  ego  Fulco et uxor mea 
Odila,  jussu  domini  Ysarni  abbatis. ..  cepimus  œdificare  ecclesiam  in 
honore  beati  Pétri,  Apostolorum  principis...  cui,  in  die  suas  dedicatio- 
nis,  dedimus  ei  in  sponsalitio . . .  Tertium  vero  (clausum)  quem  dedimus, 
non  quidem  plantavimus,  sed  de  nostro  adquisivimus,  qui  est  situs  ad 
caput  ejusdem  ecclesiœ  Sancti  Pétri.. .  » 

(2)  De  Belsunce,  op.  cit.,  1. 1,  p.  396.— Statistique,  op.  cit.,  t. II, p.  352. 

(3)  «  Uiiara  semodiatam  de  vinea  quam  David  dédit  Sancto  Victori  . . 
ab  oriente  terminum  publicam  viam  quae  vadit  ad  Guardiam,  a  mendie 
clausum  Sancti  Pétri  de  Paradiso.  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40, 
ad  fine  m. 

(4)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  40,  item  ad  flnem  :  c  . . .  vinea 
quae  David  dédit  Sancto  Victori  quem  Pontius  Suricis  tenet  ad  fevum, 
habemus  ad  Teolarias.  » 

(5)  c  ...  salinis...  sicut  est  via  quae  descendit  a  Gardia,  usque  inPoium 
Formicarium,  una  cura  terra  comitali,  quae  ante  portam  castri  fore 
videtur,  usque  ad  Carnarium.  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  10, 
de  904. 


—  139  — 

était  limitée  au  couchant  par  ce  chemin  de  la  Garde.  De  plus, 
ce  chemin,  limite  au  couchant  de  la  vigne  de  Blanca  Lancea, 
bornant  à  l'orient  la  vigne  de  David,  située  à  Teolarias. 
Ce  chemin  passait  donc  entre  ces  deux  vignes  et  allait  vers  le 
midi,  en  moutant  à  la  Garde.  Après  la  vigne  de  David,  il  limi- 
tait, en  le  longeant,  le  clos  Saint-Pierre  et  passait  devant  la 
chapelle  dédiée  à  cet  apôtre  (1). 

Mais,  puisque  ce  chemin  de  la  Garde  servait  de  limite,  au 
midi,  au  salines,  jusqu'à  la  hauteur  de  la  chapelle  de  Saint- 
Pierre  et  qu'arrivé  à  la  vigne  de  David  et  de  Blanca,  il  se  diri- 
geait vers  le  midi,  vers  la  montagne  de  la  Garde,  forcément  il 
faisait  un  coude.  Or,  en  supposant  l'inflexion  de  ce  chemin  à 
l'angle  des  rues  Sainte  et  Fort-Notre-Dame  actuelles,  on  voit 
que  la  chapelle  de  Saint-Pierre  devait  se  trouver  à  peu  près 
à  la  place  de  la  Corderie  ou  à  celle  du  Palais  de  Justice  (2). 
C'est  là  que  finissait  le  vaste  terrain  appelé  Paradis. 

Cet  espace  s'étendait  devant  le  portail  du  monastère,  «  ante 
portam  monasterii  » .  Ce  nom  lui  venait  de  ce  que,  dit  la  charte 
32,  il  servait  de  sépulture  à  un  grand  nombre  de  corps  de 
saints  martyrs,  confesseurs  et  vierges.  Il  portait  un  autre  nom, 
celui  de  porte  de  Paradis  :  a  vocabatur  porta  Paradisi  »  ,  parce 
que,  aux  jours  et  à  l'époque  de  Cassien,  la  sainteté  des  moines 
qui  habitaient  le  monastère,  la  règle  admirable  que  Ton  y 
suivait  lui  donnèrent  un  tel  éclat,  que  l'on  put  à  bon  droit 
l'appeler  le  Paradis,  jardin  rempli  des  dons  de  la  rosée  céles- 
te (3).  Cet  espace  de  terrain  partait  de  l'abbaye,  s'étendait 

(1)  c  Nod  longe  ab  ecclesia  Sancti  Pétri. . .  habetur  vinea  quai  fuit  de 
GairaJd  Blanca  Lancea.. .  ab  occidente  terminât  via  de  Gard i a.. .  vinea 
quam.  dédit  David  Sancto  Victori,  ab  oriente  terminum  publicam  via  m 
quae  vadit  ad  Gardiam...  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40, 
passîm . 

(2)  Ce  fut  sur  cette  place,  où  se  trouvait  jadis  la  porte  Paradis  (ce  nom 
(ut  donné  au  quartier  environnant  l'abbaye  de  Saint-Victor,  à  cause  de  la 
sainteté  des  premiers  moines  qui  vivaient  dans  ce  monastère)  et  qui  est 
occupée  aujourd'hui  par  le  palais  de  justice,  que  fut  élevée  cette  fontaine. 
(Vie  de  Monseigneur  île  Belsunce,  par  le  P.  Demi  Bérengier,  t.  II, 
pp.  318.  321.) 

(3)  «  Idcirco  isdera  locus,  ad  portam  monasterii  si  tu  s,  vocatus  est  Pa- 
radisus,  sicut  et  nos  co  m  péri  m  us,  quia  multorum  corporum,  videlicet 
sanctorum  martyrum,  confessorum  et   virginum,  eodem  loco  quies- 


—  140  — 

d'une  part  vers  la  montagne  de  Ja  Garde,  jusqu'à  un  chemin 
qui  le  longeait  au  midi,  «  viam  juxta  locum,  quem  vocant 
Paradisum  (1  )  »,  de  l'autre  jusqu'à  la  terre  comtale  dont  nous 

■ 

avons  parlé  plus  haut,  a  usque  ad  carnarium  (2)  »,et  finissait  à 
l'église  de  Saint-Pierre  qui  était  appelée  aussi  Paradis,  aquae 
ecclesia  vel  locus  vocatus  est  Paradisus»,  et  qui  se  trouvait 
bâtie  dans  son  enceinte,  a  ecclesise  in  supradicto  loco  cons- 
truise^) ». 

Ainsi  donc  ce  chemin  de  la  Garde  partait  du  Podium  Formi- 
carium,  traversait  ce  plan,  enjambait  le  ruisseau,  côtoyait  les 
salines  de  la  Cannebière,  parallèlement  à  la  rue  Beauvau  ou  à 
la  rue  Paradis,  les  contournait  à  la  hauteur  de  la  rue  de 
la  Darse,  les  longeait  dans  le  sens  de  la  rue  Sainte,  en  contre- 
bas de  cette  rue  (4),  et  cela  jusqu'à  l'église  de  Saint- Pierre  de 
Paradis.  C'est  là  que  les  salines  unissaient  :  «  salinse  ab  ecclesia 
Sancti  Pelri  usque  ad  civitatem  ».  A  cet  endroit,  à  l'angle  des 
rues  Sainte  et  Fort  Notre-Dame,  le  chemin  de  la  Garde  faisait 
un  second  coude  et  se  dirigeait  vers  le  midi,  passant  entre 
deux  vignes,  servait  de  limite,  à  l'orient,  à  celle  de  David,  «  ab 

centium,  decoratur  auxiliis  et  suffragatur  meritis,  imo  eliam  vere  voca- 
batur  Paradisus  et  porta  Paradisi,  quia  in  diebus  Gassiani  . .  tanta  no- 
bilitate  viguit  et  sanctitate  floruit  apostolice  et  régula  ri  s  disciplina?,  ab 
his  sanctis  Patribus  tradite,  in  qua  continentur  inserte  sanctarum  ani- 
marum  oranes  delicie,  ut  merilo  et  actu  etnomine  vocaretur  Paradisus, 
rorisquc  superne  gratiae  illustralus  virtutibus.»  Charte  32,  cartulaire  de 
Saint- Victor.  * 

(1)  La  terre  qu'Honoré  II,  évèque  de  Marseille,  donne  à  Saint- Victor 
en  965,  est  située  autour  de  l'abbaye,  et  une  de  ses  limites  est  :  «  viam 
juxta  locum  quem  vocant  Paradisum  ».  Charte  23  du  cartulaire  de  Saint- 
Victor. 

(2)  Charte  10  du  cartulaire. 

(3)  Charte  32  du  cartulaire  de  Saint- Victor.  —  Grosson,  Remeil  des 
antiquités  et  des  monuments  marseillais,  p.  10  etsuiv.  — -  Statistique 
des  Bouches-du-Rhône,  t.  II,  p.  352. 

(4)  Il  est  incontestable  que  l'ancien  chemin  de  la  Garde  n'est  pas  la  rue 
Sainte  actuelle.  L'ancien  chemin  de  la  Garde  a  disparu  sous  les  maisons 
que  l'on  a  bâties  à  l'endroit  qu'il  occupait.  De  plus  il  était  eu  contre-bas 
de  la  rue  Sainte.  Les  plans  et  dessins  de  l'ancienne  Marseille  font  voir 
une  sorte  de  plateau  s'abaissant  brusquement  vers  la  mer,  derrière  les 
arsenaux  qui  s'élevaient  à  Rive-Neuve.  Voir  :  vue  de  Marseille  n°  31,  Dek 
43,  tiroir  42,  portefeuille  65,  31,  a  la  bibliothèque  de  Marseille. 


—  141  —  • 

oriente  terminum  publicam  viam  quse  vadit  ad  Guardiam(l)», 
de  limite,  à  l'occident,  à  la  vigne  qu'un  Petrus  Algitinus  avait 
donnée  h  Saint-Victor  et  à  celle  de  Bianca  Lancea.  A  ce  point, 
le  chemin  passait  devant  la  chapelle  de  Saint-Pierre,  recevait 
l'amorce  du  chemin  qui  longeait  Paradis  et  montait  à  la 
colline. 

Précisons  maintenant  la  position  de  la  vigne  de  Gairald 
Bianca  Lancea.  Elle  se  trouve  non  loin  dé  l'église  Saint-Pierre, 
en  dehors  de  Paradis,  aux  environs  du  chemin  public  qui 
vient  de  Saint-Thyrse  à  Marseille.  La  chapelle  de  Saint-Pierre 
se  trouvant  à  peu  près  à  la  place  de  la  Corderie  ou  du  Palais 
de  Justice;  et  le  chemin  de  Saint-Thyrse,  étant  la  rue  de 
Home,  c'est  donc  entre  ces  deux  points  que  se  trouvent  les 
vignes  de  Bianca  et  des  autres  particuliers.  De  plus,  la  vigne  de 
Bianca  est  limitée  à  l'orient  par  le  chemin  de  Lauret,  au  cou- 
chant par  celui  de  la  Garde.  Le  chemin  de  Lauret  étant  la  rue 
Saint-Ferréol  et  ce  chemin  de  la  Garde  suivant  à  peu  près  la 
rue  actuelle  de  Fort  Notre-Dame,  c'est  entre  la  rue  Saint-Fer- 
réol et  celle  de  Fort  Notre-Dame  que  cette  vigne  se  trouvait. 
Or,  la  vigne  de  Bianca  était  limitée  au  nord  par  la  terre  des 
religieuses  de  Sainte-Marie  (2)^  donc,  cette  terre  se  trouvait 
entre  la  rue  Saint-Ferréol  et  la  rue  Fort  Notre-Dame. 

Or,  s'il  faut  placer  la  vigne  de  Bianca  non  loin  de  l'église 
Saint-Pierre,  c'est-à-dire  non  loin  de  la  place  du  Palais  de  Jus- 
tice, à  l'ouest  de  la  rue  Saint-Ferréol  ;  si  la  terre  de  Sainte- 
Marie  est  assez  grande,  puisque  elle  sert  de  limite  à  plusieurs 
propriétés  à  la  fois  (3),  c'est  aux  environs  de  la  Préfecture,  du 
Grand  Théâtre,  du  Palais  de  Justice,  en  tirant  vers  le  nord,  que 
se  trouvait  cette  terre  de  Sainte-Marie  ou  des  religieuses  de 
Saint-Cassien. 

(!)  Charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor. 

(2)  c  ...  a  septentrione,  terra  San  et  se  Maria?  »,  etc.  Charte  40  du  car- 
tulaire de  Saint-Victor. 

(3)  Cette  terre  de  Sainte-Marie  est  à.  la  fols  limite  de  plusieurs  terres  : 
celle  de  Petrus-  Algitinus  est  bornée  «  a  meridie  terram  sanctimonia- 
lium,  a  septentrione  idem  ipsam  terram  »;  celle  de  Boniface  est  bornée 
«  a  meridie  supradicta  terra  ancillarum  Dei  »  ;  celle  d'AImaric  est  bornée 
«  ab  oriente  vinea  SanctîD  Mari  se,  a  meridiano  terra  Sanctsc  Maria?.. .  » 
Charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor; 

10 


CHAPITRE  II 
Texte  de  la  charte  40  du  XI9  siècle 

(Suite) 

ON  PBUT  DONNER  TROIS  SENS  ▲  CETTE  PHRASE  DE  LÀ  CHARTE  40.  — 
LB  PREMIER  SENS  EST  INADMISSIBLE  ;  EN»  1004,  LE  CCBNOBIUM  EST  A  LA 
PLACE  DE  LENCHE.  —  LE  SECOND  EST  INADMISSIBLE  ENCORE  ;  CES 
MOTS  :  C  NON  LONGÉ  A  RIPA  PORTI  »  NE  SIGNIFIERAIENT  RIEN.  —  LE 
TROISIEME  SENS  EST  LE  SEUL  LÉGITIME.  —  SIGNIFICATION  DES 
MOTS  :    «  CŒNOBIUM  QUOD  PATER  CASS1ANIUS  PUNDAVIT  ». 

L'emplacement  précis  de  la  terre  de  Sainte-Marie  ou  des 
religieuses  étant  déterminé,  relisons  la  phrase  en  question  de 
la  charte  40  :  «  terra  Sanctœ  Maria  vel  sanctimonialium,  non 
longe  a  ripa  porti  supradicti,  in  cœnobium  quod  Pater  fun- 
davit  Cassianus,  consistentium  ».  Quelle  est  sa  signification 
exacte? 

On  ne  peut  le  nier,  cette  phrase  est  d'une  construction  assez 
embarrassée.  A  la  première  lecture,  on  lui  donne  le  sens  que 
Ruffl  et  les  autres  auteurs  lui  ont  attribué.  Mais,  en  l'étudiant, 
en  mettant  chaque  terme  à  la  place  que  Tordre  grammatical 
lui  assigne  dans  le  mot  à  mot,  afin  de  fournir  un  sens  raison- 
nable, en  tenant  compte,  bien  entendu,  de  la  ponctuation,  on 
s'aperçoit  que  cette  phrase  dit  tout  autre  chose  que  Ruffl  veut 
lui  faire  signifier.  Telle  quelle  est  dans  la  charte,  elle  est 
susceptible  de  recevoir  trois  sens  différents  (1) . 

• 

(1)  Voici  le  texte  en  litige  :  t  Non  longe  ab  ecclesià  Sancti  Pétri,  foris 
portam  quse  vocal ur  Paradisi,  circa  viam  publicam  quse  venit  ab  ecclesià 
Sancti  Tyrsi  et  vadit  in  portu  Massiliensi,  h»  positse  suntvinese  :  l'abe- 
tur  ibidem  vineaquactai  rata  dimidia,quœfuit  deftairaldoBlanca  Lancea, 
quam  dédit  Domino  Deo  et  Sancto  Victori.  Terminât  eam  ab  oriente 
via  deLaureto;  a  parte  meridianâ,  vinea  de  Richaoja  septentrione» 
terra  Sanctae  Mariée  vel   sanctimonialium,  non  longe  a  ripa  porti  supra. 


—  143  — 

D  abord  :  *  terra  Sanctae  Mariae  vel  sanctimonialium  non 
longe  a  ripa  porti  supradicti,  in  cœnobio  quod  Pater  f  undavit 
Cassianus,  consistentium  ».  Dans  ce  premier  sens,  la  terre  qui 
appartient  aux  religieuses  est  remplacement  même  qui  porte 
le  cœnobium  fondé  par  Cassien.  Ainsi  terre  et  cœnobium  sont 
situés  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  près  du  port. 

Ensuite  :  «  terra  (pertinens  ad  monasterium)  Sanctœ  Mariae 
vel  sanctimonialium  consistentium  non  longe  a  ripa  porti 
supradicti,  in  cœnobio  quod  Pater  fundavit  Cassianus  ».  Ici, 
la  terre  des  religieuses  est  située  à  un  endroit  quelconque,  le 
monastère  seul  est  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  près  du  port. 

Enfin:  a  terra  (sita)  non  longe  a. ripa  porti  supradicti 
(pertinens  ad  monasterium)  Sanctae  Mariœ  vel  sanctimonia- 
lium consistentium  in  cœnobio  quod  Pater  fundavit  Cassianus». 
Dans  ce  troisième  sens,  la  terre  est  située  non  loin  du  port  ; 
quant  à  l'emplacement  du  cœnobium,  la  charte  ne  le  désigne 
pas. 

Or,  lequel  des  trois  sens  est  le  sens  légitime  et  logique  ? 

C'est  le  dernier.  Nous  allons  le  prouver. 

Impossible,  d'abord,  d'admettre  le  premier  sens  :  que  la 
terre  de  Sainte-Marie  et  le  cœnobium  se  trouvent  au  même 
endroit, non  loin  de  la  rive  du  port,  t  non  longe  a  ripa  porti  ». 

Nous  avons  établi,  en  effet,  à  l'aide  du  texte  des  chartes, 
que  cette  terre  des  religieuses  est  située  aux  environs  du 
Grand-Théâtre  ou  du  Palais  de  justice,  en  réalité  non  loin  du 
port.  Or,  si  le  cœnobium  des  religieuses  du  Bienheureux  Cas- 
sien  se  trouve  aussi  en  cet  endroit,  pourquoi  Ruffî,  Lautard, 
l'abbé  Daspres,  etc.,  qui  mettent  en  avant  cette  charte,  ne 
l'on  t^  ils  pas  dit?  Pourquoi  Font-ils  placé  les  uns  aux  Cata- 
lans, les  autres  à  Sainte-Catherine,  qui  au  Revest,  qui  auprès 
de  Saint-Victor?  On  le  voit,  nos  adversaires  ont  été  les  pre- 
miers à  ne  pas  adopter  ce  premier  sens. 

Mais,  dira-t-on,  ces  auteurs  se  sont  trompés.  Us  ont  mal  lu, 
faussement  interprété  la  charte.  Ils  auraient  dû,  en  adoptant 
le  premier  sens,  placer  le  monastère  aux  environs  du  Grand - 

dicti,  in  cœnobio  qnod  Pater  fundavit  Cassianus,  consistentium  ;  ab  occi- 
dent*, item  terminât  via  de  Guardia.  »  Gartulaire  de  Saint-Victor, 
charte  40. 


-  144  - 

Théâtre,  là  où  se  trouvait  véritablement  la  terre  des  religieu- 
ses. Soit.  Mais  vain  subterfuge.  11  est  impossible  d'induire 
des  termes  de  la  charte  que  terre  et  cœnobium  se  trouvaient 
à  l'endroit  réellement  désigné,  aux  environs  du  Grand- 
Théâtre. 

En  effet,  nous  avons  établi  que  le  monastère  fondé  par 
Elgarde  en  1004  ne  se  trouvait  pas  près  de  Saint-Victor,  mais 
à  la  place  de  Lenche  (1).  Or,  ou  bien  cette  charte  40  est  pos- 
térieure à  Tan  1004,  et  alors,  comme  le  cœnobium  est  à  la 
place  de  Lenche,  la  charte  ne  peut  pas  dire  qu'il  se  trouve 
de  l'autre  côté  du  port.  Ou  bien  elle  est  antérieure  à  Tan  1004. 
Alors,  puisque,  d'une  %part,  cette  charte  est  du  XI*  siècle,  et 
que,  s'appuyant  sur  cette  charte,  les  auteurs  affirment  que  le 
cœnobium  est  auprès  du  port,  et  que,  d'autre  part,  il  est  cer- 
tain que  dès  l'an  1004  le  cœnobium  se  trouve  à  la  place 
de  Lenche,  '  il  faut  nécessairement  supposer  que,  de  l'an 
1000  à  Tan  1004,  ce  monastère  près  du  port  a  été  détruit. 
Or,  la  cause  raisonnable,  le  motif  plausible,  la  preuve  de 
cette  destruction  où  est-elle,  quel  auteur  l'a  donnée  ?  Donc, 
il  est  faux  qu'il  y  a  un  cœnobium  près  du  port,  de  l'an  1000 
à  Tan  1004.  Donc,  la  charte  40  ne  prouve  pas  que  terre  et 
cœnobium  étaient  aux  environs  du  Grand-Théâtre.  Donc, 
c'était  la  terre  des  religieuses  qui  se  trouvait  a  non  longe  a 
ripa  porti  »,  et  non  pas  le  cœnobium.  Donc,  le  premier  sens 
est  inadmissible. 

admettons  qu'en  dépit  de  nos  preuves  il  soit  faux  que  le 
monastère  fondé  par  Elgarde  en  1004  ait  été  bâti  à  la  place 
de  Lenche,  mais  qu'en  réalité  il  ait  été  construit  près  du 
port  aux  environs  du  Grand-Théâtre,  là  où  se  trouvait  la 
terre  de  Sainte-  Marie  ;  impossible  encore  d'admettre  ce  pre- 
mier sens  ainsi  rectifié. 

En  effet,  si  les  Cassianites  sont  non  loin  du  port,  aux  envi- 
rons du  Grand-Théâtre  en  1004,  il  est  certain  qiren  1033  elles 
habitent  de  l'autre  côté  du  port,  aux  Accoules,  en  attendant 
que  le  monastère  de  Saint-Sauveur  soit  réparé.  Cette  répara- 


(1)  Voyefc  Je  chapitre  intitulé  :  Divers  emplacements  que  le  mono*- 
Ivre  vanianite  a  occupés. 


—  145  — 

lion  avait  été  commencée  sous  l'abbesse  Adalmoïs  en  1031, 
date  à  laquelle  ce  monastère  était  a  penitus  ex  toto  déstruc- 
tura (1)  9.  On  pourrait  faire  remonter  h.  une  dizaine  d'années 
la  fondation  de  ce  monastère  ainsi  en  ruines  en  1031,  soit 
vers  1020.  D'autre  part,  donnons  une  dizaine  ou  une  quin- 
zaine d'années  d'existence  au  monastère  fondé  en  1004  «  non 
longe  a  ripa  porti  ».  Ainsi,  en  moins  de  trente  ans,  deux 
monastères  ont  été  construits  et  renversés?  Or,  quelle  est  la 
cause  de  ces  destructions  successives  ?  Qui  Ta  fait  connaître  ? 
Aucun  auteur,  croyons-nous.  Donc,  l'existence  d'un  cœno- 
bium  «  non  longe  a  ripa  porti  »  en  1004,  aux  environs  du 
Grand-Théâtre,  n'est  pas  prouvée.  Donc,  ce  premier  sens, 
même  rectifié,  est  inadmissible. 

Faut-il  adopter  le  second  :  que  la  terre  des  religieuses  est 
aux  environs  du  Grand  Théâtre  actuel,  mais  le  cœnobium 
est  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  au  Revest  par  exemple,  à 
l'emplacement  de  la  chapelle  ,de  Sainte-Catherine  ?  On  peut 
dire  que  c'est  là  le  sens  que  Ru  fil*  La  u  tard,  Daspres,  etc.  ont 
suivi. 

Non,  ce  deuxième  sens  est  encore  inacceptable. 

Voyez,  d'abord,  le  rôle  que  l'on  fait  jouer  à  ces  mots: 
«  noq  longe  a  ripa  porti  ».  Ils  ne  se  trouvent  pas  dans 
une  charte  ordinaire,  traitant  d'un  sujet  de  dogme,  de 
morale,  de  religion.  Ce  n'est  pas  pour  terminer  une  période 
sonore,  une  phrase  à  effet  qu'on  les  a  écrits.  Cette  charte  40 
indique  des  confronts,  des  bornes  de  propriété.  Et  dans  ces 
sortes  de  documents,  pas  plus  au  XI*  siècle  qu'au  XIX*,  on  ne 
s'amuse  à  faire  des  phrases.  Dans  les  actes  de  vente, 
d'échange  de  propriétés,  tout  doit  être  précis,  chaque  mot  à 
sa  place  ;  aucun  terme  qui  puisse  fournir  une  marque  topo- 
graphique ne  doit  être  omis  ou  ajouté  sans  raison.  Or,  si  ces 
mots  «  non  longe  a  ripa  porti  supradicti  »  s'appliquent  au 
cœnobium  et  non  pas  à  la  terre  des  religieuses,  ils  sont  d'abord 
une  redondance,  susceptible  d'induire  en  erreur  et  de  plus 
ils  désignent  mal  les  confronts  des  propriétés  en  question. 

(I)  Voir  le  chapitre  intitulé:  Divers  emplacements  que  le  monastère 
rassfanite  a  occuvôt*. 


—  146  — 

Ils  sont  d'abord  une  redondance.  Combien  y  avait-il,  au 
XI*  siècle,  de  monastères  de  femmes  ou  de  filles,  à  Marseille  ? 
Un  seul,  celui  des  Cassianites.  Combien  de  maisons  habitées 
par  des  religieuses  cet  ordre  y  possédait-il?  Une  seule 
encore.  Nul  auteur,  que  nous  sachions,  n'en  indique  d'autre- 
Il  était  donc  impossible  de  se  méprendre.  Quand  on  parlait 
du  monastère  des  Cassianites,  on  savait  de  qui  il  s'agissait. 
Dire  donc  d'une  terre  qu'elle  appartenait  aux  religieuses 
cassianites  était  suffisant.  Ajouter  que  ce  monastère  était 
situé  près  du  port  c'était  inutile  et  superflu.  On  savait  bien, 
on  voyait  bien  que  ce  monastère  se  trouvait  près  du  port. 

Ces  mots  donc,  appliqués  au  cœnobium,  afin  de  désigner 
son  emplacement,  sont  une  redondance.  Et  cependant  il  est 
visible,  à  la  simple  lecture  de  la  charte  40,  que  ces  mots 
placés  entre  deux  virgules,  comme  dans  une  sorte  de  paren- 
thèse, ont  été  inscrits  à  dessein.  Ils  ont  leur  valeur,  ils  don- 
nent une  marque  topographique. 

De  plus,  si  ces  mots  s'appliquent  au  cœnobium,  la  confusion 
se  met  dans  la  désignation  des  confronts.  Est  -il  sur,  en  effet, 
que  les  religieuses  cassianites  ne  possédaient  pas,  le  long  du 
chemin  de  la  Garde,  de  Lauret  ou  de  Saint-Thyrse,  d'autres 
propriétés  que  celle  qui  servait  de  limite  à  la  vigne  de  Blanca 
Lancea?  Elles  le  pouvaient  bien.  Nous  ne  possédons  pas  l'in- 
ventaire des  biens  de  l'abbaye  cassianite  à  cette  époque.  Or, 
quand  on'lira  que  la  vigne  de  Blanca  est  limitée  au  nord  par  la 
vigne  des  religieuses  qui  habitent  non  loin  du  port,  de  laquelle 
de  ces  vignes  des  religieuses  s'agira-t-il  ?  Sera-ce  une  désigna- 
tion claire,  précise,  suffisante  des  confronts  de  celte  propriété 
de  Blanca?  Il  y  a  d'autres  propriétés,  indiquées  dans  cette 
charte  40,  dont  il  est  dit  qu'elles  sont  bornées  par  la  terre  des 
religieuses.  Mais,  lorsqu'on  aura  dit  qu'elles  sont  bornées 
par  la  terre  des  religieuses  qui  habitent  près  du  port,  si  les 
religieuses  ont  plusieurs  •  terres  en  cet  endroit  du  terroir, 
laquelle  de  ces  terres  sera  la  délimitation  ?  Et  si  ce  monastère 
cassianite  vient  à  changer  d'emplacement,  quel  propriétaire  se 
contentera  de  lire  dans  ses  actes  que  son  bien  est  limité  par  la 
terre  des  religieuses  qui  sont  auprès  du  port,  alors  qu'elles  n'y 
demeurent  plus.  Et  si  cet  ordre  vient  h  fonder  plusieurs  mai- 


—  147  —  • 

sons,  Time  près  du  port,  une  autre  ailleurs,  qui  nous  dit  que  ce 
seront  les  religieuses  demeurant  près  le  port  et  non  pas  les 
autres  qui  seront  les  légitimes  propriétaires  de  cette  terre  ?  Et 
alors  quelle  manière  de  désigner  les  borne3  d'une  propriété 
que  de  dire:  Elle  est  limitée  par  la  terre  des  religieuses  qui 
sont  auprès  du  port  ! 

Non,  toute  charte  qui  indique  les  çonfronts  d'une  propriété 
ne  peut  causer  de  pareilles  erreurs. 

D'ailleurs,  à  soutenir  cedeuxième  sens,  on  se  heurte  tou- 
jours aux  mêmes  impossibilités.  La  charte  40  est  du  XI*  siècle, 
d'après  le  cartulaire.  Or,  ou  elle  est  antérieure  à  l'an  1004, 
alors  comment  expliquer  qu'il  y  ait  au  début  du  XI*  siècle  un 
cœnobium  «  non  longe  a  ripa  porti  »,  au  Revest,  à  Sainte- 
Catherine,  et  que  ce  monastère  soit,  en  1004,  à  la  place  de 
Lenche  ?  Ou  elle  est  postérieure  à  Tan  1004  ;  alors,  puisque 
dès  cette  année  1004  le  cœnobium  s'élève  à  la  place  de  Len- 
che, la  charte  ne  peut  vouloir  dire  qu'il  se  trouve  auprès  du 
port,  aux  endroits  préférés  par  les  auteurs.  Ici  encore  il  faut 
dire  que  l'on  donne  à  la  charte  40  une  fausse  interprétation. 

Reste  le  troisième  sens  :  la  terre  des  religieuses  est  située  non 
loin  du  port  (aux  environs  du  Palais  de  justice  ou  du  Grand- 
Théâtre).  Qaant  à  l'emplacement  du  cœnobium,  la  charte  n'en 
dit  rien. 

Nous  soutenons  que  c'est  là  le  sens,  seul  logique  et  légi- 
time, qu'il  faut  donner  à  cette  phrase  de  la  charte  40. 

D'abord,  en  ce  faisant,  nous  évitons  la  contradiction  dans 
laquelle  tombent  la  plupart  des  auteurs,  Ruffi,  Lautard,  Das- 
pres,  etc.,  etc.,  qui  s'appuyant  sur  cette  charte  pour  prouver 
que  le  monastère  était  à  Sainte-Catherine  au  XI*  siècle,  affir- 
ment que  peu  après  867,  ce  monastère  se  trouvait  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville  1  Nous,  du  moins,  en  plaçant  seulement  la 
terre  des  religieuses  non  loin  du  port,  nous  demeurons  libre 
de  placer  le  monastère  où  nous  voudrons,  au  Revest,  à  la  place 
de  Lenche,  ou  à  Sainte-Catherine.  • 

Ensuite,  avec  ce  sens,  les  termes  de  la  charte  conservent 
leur  signification  naturelle.  Ce  ne  sont  plus  des  redondances, 
des  mots  inutiles  pouvant  plus  tard  amener  la  confusion  dnns 
la  recherche  des  limites  des  propriétés.  Tout  est  clair,  précis. 


•  —  148  — 

La  terre  des  religieuses  est  un  vaste  domaine  situé  non  loin 
du  port.  Et  cette  terre  sert  de  limite  à  telles  et  telles  pro- 
priétés. On  ne  peut  se  tromper.  Que  les  religieuses  en  pos- 
sèdent d'autres,  qu'elles  habitent  ici  ou  là,  n'importe,  il 
n'y  aura  pas  de  confusion.  C'est  de  la  terre  placée  près  du 
port  qu'il  s'agira. 

De  plus,  nous  nous  maintenons  dans  le  sens  général  de  la 
charte  40.  C'est  un  plan  terrier,  un  cadastre  en  petit  que  cette 
charte  (1),  On  n'y  parle  que  de  terres,  de  vignes,  de  prairies, 
et  il  s'agit,  à  plusieurs  reprises,  de  cette  terre  des  Religieuses. 
Mais  on  se  sert  toujours  des  mêmes  termeç  :  «  terra  ancilla- 
rum  Dei,  vinea  Sanctae  Mariae,  terra  sanctimonialium  ».  Jamais 
un  mot  du  cœnobium,  excepté  dans  la  phrase  en  question. 

Sans  doute  le  moine  rédacteur  de  ce  document  aurait  pu 
s'exprimer  avec  plus  de  clarté  et  de  précision.  Mais,  enfin,  il 
faut  prendre  sa  charte  telle  qu'elle  est. 

Nous  tombons  d'accord  avec  les  données  historiques.  Dès 
l'an  1004,  les  Cassianites  habitent,  la  place  de  Lenche  ;  h  cette 
époque  aussi,  au  XI-  siècle,  elles  possèdent  une  terre,  de  l'au- 
tre côté  du  port  et  non  loin  de  sa  rive,  la  terre  de  Sainte- 
Marie,  la  vigne  de  Sainte-Marie.  Plus  de  contradiction,  plus 
de  monastère  bâti  et  détruit  en  l'espace  de  quelques  années. 

Enfin,  nous  sommes  en  règle  avec  la  véritable  date  de  ce 
document.  C'est  ici,  en  effet,  l'argument  qui  brisera,  croyons- 
nous,  toutes  les  résistances.  Quelle  est  la  date  de  la  charte 
40  ?  Le  Cartulaire  la  met  au  nombre  de  celles  qui  appartiennent 
au  XI*  siècle.  Mais  de  quelleannée  ? 

Nous  crovons  l'avoir  trouvée.  Cette  charte,  faisant  mention 
de  la  vigne  de  David,  dont  on  a  parlé  plus  haut,  dit  qu'elle  est 
bornée  au  midi  par  le  clos  de  Saint-Pierre  de  Paradis  (2).  Or, 
ce  clos  de  Saint-Pierre  fut  cédé,  on  s'en  souvient  (3),  à  cette 

(1)  Elle  est  intitulée  :  c  Memoria,  sive  notitia  de  diversis  divisiontbus 
stye  partibus  terrarum  vel  vinearum  pertinentium  adcellariam.  »  Charte 
40  du  Cartulaire. 

(2)  c  Vinea  quam  dédit  David  Sancto  Victori . . .  ad  Teolarias. ..  a  me- 
ridie  clausum  Sancti  Pétri  de  Paradiso.  »  Charte  40,  cartulaire  de  Saint- 
Victor. 

(3)  «  Tertium  clausum  quem  dedimus  ..  qui  est  si  tus  ad  caputejus- 
dem  ecclesia*  Sancti  Pétri.  »  Charte.33,  cartulaire  de  Saint-Victor. 


—  149  — 

chapelle  par  Fulcoet  Odile,  qui,  vers  Tan  1044,  firent  rebâtir, 
à  la  prière  de  saint  Ysarne,  l'antique  chapelle  de  Saint-Pierre, 
et  lui  donnèrent  en  dot  plusieurs  terres  parmi  lesquelles  se 
trouvait  ce  clos  situé  au  chevet  de  ladite  chapelle.  Ceci  se 
passait  postérieurement  à  Tan  1044,  puisque  la  charte  qui  rap- 
pelle la  détermination  que  prirent  Fulco  et  Odile  de  rebâtir  la 
chapelle  est  marquée,  dans  le  Cartulaire,  de  la  date  1044,  et 
que  ce  ne  fut  qu'au  jour  de  la  dédicace,  peut-être  un  an  ou 
deux  après,  qu'ils  donnèrent  la  dot  de  la  chapelle.  Aussi  la 
charte  qui  indique  la  cession  de  ce  clos  porte,  dans  le  Car- 
tulaire, la  date  approximative  de  1038-1048.  Donc,  la  charte 
40,  qui  parle  du  clos  de  Saint-Pierre,  est  postérieure  à  Tan 
1038-1048. 

Or,  de  l'aveu  de  tous  les  auteurs,  de  Rey,  Daspres,  André, 
Lautard,  Ruffi,  etc.,  les  Cassianites  se  trouvaient,  à  cette 
époque,  dans  la  ville.  Sous  l'abbesse  Adalmoïs,  en  1031,  on 
restaure  le  monastère  de  Saint-Sauveur,  à  la  place  de  Lenche, 
et  les  religieuses  habitent  momentanément  aux  Accoules. 
Donc,  il  est  impossible  que  cette  charte  40  dise  que,  an  XI- 
siècle,  il  y  avait  non  loin  du  port  une  terre  et  un  cœnobium. 
Il  y  avait  une  terre  aux  environs  du  Grand-Théâtre,  en  réalité 
non  loin  du  port  ;  mais  le  cœnobium  était  en  ville.  Donc, 
Ruffi  avait  tort  de  vouloir  prouver  l'existence  de  l'abbaye 
cassianite  au  pied  de  la  Garde,  à  Sainte-Catherine,  par  cette 
phrase  de  la  charte  40.  Il  donne  à  ce  texte  une  interpréta- 
tion forcée,  dont  les  faits  démontrent  la  fausseté.  Cette  phrase 
fournit  deux  détails  :  qu'au  X?  siècle  l'abbaye  cassianite  pos- 
sédait une  tejrenon  loin  du  port,  et  qu'à  cette  époque  l'abbaye 
était  sous  le  vocable  de  Sainte-  Marie.  Telle  est  la  seule  et 
vraie  signification  de  cette  phrase  de  la  charte  40,  tant  invo- 
quée par  Ruffi. 

Nous  prévoyons  deux  objections.  D  abord  vous  avez  donné, 
nous  dira-t-on,  à  la  charte  40  un  sens  autre  que  celui  qu'il 
faudrait  lui  assigner.  Ruffi,  Lautard,  Daspres  se  sont  trom- 
pés, c'est  vrai,  mais  vous  aussi.  La  charte  40  étant  du 
XIe  siècle  et  à  cette  époque  le  monastère  cassianite  se  trouvant 
à  la  place  de  Lenche,  la  terre  peut  être  il  l'endroit  qu'indique 
la  charte,  mais  les  mots  «  non  longe  a  ripa  porti  »  doivent 


t) 


—  150  - 

s'appliquer  non  pas  il  cette  terre,  mais  au  cœnobiuin  de  la 
place  de  Lenche,  qui  en  réalité  n'est  pas  loin  du  port.  Soit, 
répondrons-nous.  Si  on  veut  cette  signification,  nous  l'accep- 
tons, sans  l'approuver  cependant.  Mais,  dans  ce  cas,  il  faudrait 
par  avance  avouer  catégoriquement  que  Rufii  et  les  autres 
ont  eu  tort  de  se  servir  de  ce  texte  pour  prouver  que  au 
XIe  siècle  il  y  avait  un  monastère  à  Sainte-Catherine,  sur  la 
rive  du  port,  du  côté  de  Saint- Victor. 

On  nous  objectera  ensuite  :  Si,  aux  termes  de  la  charte  40, 
la  terre  des  religieuses  est  auprès  du  port,  et  le  monastère, 
à  cette  époque,  à  la  place  de  Lenche,  comment  affirmer,  avec 
la  même  charte,  que  ce  cœnobium  a  été  fondé  par  Cassien, 
puisque  il  a  été  fondé  par  Elgarde?  Et  d'abord,  répondrons- 
nous,  si,  au  dire  de  Ru  fû  et  autres,  le  monastère  était  non 
loin  du  port,  sur  la  rive,  près  de  Saint-Victor,  à  Sainte-  Cathe- 
rine, comment  nos  adversaires  s'y  prendraient-ils  pour  sou- 
tenir que  ce  monastère  a  été  fondé  par  Cassien?  Voudraient- 
ils  affirmer  que  le  cœnobium  antique  n'a  jamais  été  démoli, 
que  c'est  matériellement  le  même  qui  fut  bâti  par  le  saint 
fondateur  ?  Cela  n  est  guère  possible.  Doue,  pas  plus  que  nos 
adversaires  nous  ne  voulons  soutenir  que  Cassien  a  bâti  le 
cœnobium  de  Lenche. 

Evidemment  il  faut  donuer  à  l'expression  «  cœnobium  fun- 
dare»unsens  plus  large 'que  celui  de  bâtir  un  monastère. 
Le  style  des  chartes  et  des  écrits  anciens  nous  y  autorise.  Eu 
effet,  lorsqu'il  est  question,  dans  les  chartes,  de  Cassien 
établissant  ses  religieux  à  Marseille,  on  se  sert  des  expressions  : 
«  cœnobium  sic  viguit,  monasterium  instituit,  duo  monas- 
teria  condidit  (1)  »  ;  ces  termes  «  cœnobium,  monasterium  » 
ne  désignent  pas  la  seule  construction  matérielle  de  l'abbaye 
de  Saint-Victor,  puisqu'il  y  eut  jusqu'à  5000  religieux  qui  se 
rangèrent  sous  la  juridiction  de  saint  Cassien  et  ces  cinq  mille 
religieux  ne  se  trouvaient  pas  tous  dans  un  seul  monastère, 

(1)  «  Cœnobium  Massiliense,  priscorum  temporibus  sic  viguit...  ut 
quinque  millium  monachorum  numerus  ibi  reperiretur,  in  SanctiCas- 
siani  teinpore.  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  532. 

«  Cassianus...  Massiliam...  instituit  monasterium  in  quo  usque  ad 
quinque  miilia  monachorum  extitit  Pater.  »  Martyrologe  de  Toulon,  de 


-  151  - 

une  seule  maison.  Ces  mots  signifiaient  donc  ordre,  commu- 
nauté. Les  lexiques,  d'ailleurs,  donnent  au  mot  cœnobium  la 
signification  multiple  de  communauté,  abbaye,  couvent, 
monastère.  Donc,  le  «  in  cœnobio  »  de  la  charte  40  ne  veut  pas 
dire  la  maison  matérielle,  elle  signifie  la  communauté,  Tordre, 
l'institut  des  Gassianites. 

D'autre  part,  il  est  assez  rare,  croyon3-nous,  de  trouver 
l'expression  «  cœnobium  fundare  »  avec  la  signification  de 
bâtir  un  monastère.  Cyprien,  le  disciple  de  saint  Césaire 
d'Arles,  voulant  exprimer  cette  idée,  a  employé  les  mots  de 
«  monasterium  construere,  cœnobium  extruere  Ci)».  Le 
concile  d'Agde  a  dit  :  «  collocare  monasterium  (2)  »  ;  la 
charte  14  :  a  monasterium  a  Cassiano  constructum  (3)  ». 
Donc,  l'expression  «  in  cœnobio  quod  f undavit  »  de  la  charte 
40  ne  peut  se  traduire  par  maison  que  bâtit  le  bienheureux 
Cassien .  Quelle  est  la  vraie  signification  ? 

Dans  la  charte  de.  1069,  Pons  II,  évêque  de  Marseille,  et 

Geoffroy,  son  frère,  parlant  du  monastère  que  Guillaume  leur 

père  voulait  rebâtir,  disent  qu'il  avait  été   «  a  beatissimo 

Cassiano  fundatum  (4)  ».  Pons  II  et  Gooffroy  ne  veulent  pas 

b  affirmer  que  Cassien  avait  fait  bâtir  ce  monastère.  Donc,  il 

faut  traduire  a  in  cœnobio  quod  f  undavit  Cassianus  »  par  le 

• 

H 40,  cité  par  le  chanoine  Albanés  dans  Le  Couvent  royal  de  Saint- 
Maximin  en  Provence,  p.  3,  note  2. 

*  Cassiartus. . .  duo  monasteria  condidit  id  est  virorum  ac  mulierum.» 
Gennade,  De  illustribus  ecclesiœ  scriptoribus .  Patrol.  lat.,  édit.  Mignè, 
l.  LVII1. 

«  Cassianus  hoc  praesens  monasterium...  et  aliud  olim  sibi  vicinum 
mire  condidit.  f  Charte  de  1440,  citée  par  Kothen,  Notice  sur  les 
f'njptes  de  Saint-  Victor,  p.  97. 

(1)  Vite  Cœsarii  episcopi  Arelatensis  a  Cypriano  ejus  discipulo, 
dans  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinensis  par  Vinc.  Bar  rai  is, 
t. 1,  pp.  235,  236:  c  Monasterium  quod  sorori  ejus  et  cœteris  virginibus 
construebatur....  feminarum  extruxit  cœnobium.  » 

(2)  a  Monasterium  novum...  nullus  incipere  aut  fundare  prsesumat  » 
[Can,  48.)  «  Monasleria  puellarum  longe  a  monasteriis  monachorum  col- 
locentur.  »  (Can.  49.  Concil.  Aoathensis.)  (Sunnna  omnium  concilio- 
rum,  par  Carranzam,  p.  254.) 

(3)  Cartulairede  Saint-Victor,  charte  14. 

(I)  Charte  de  Pons  II,  en  1069  (André,  Histoire  de  l'abbaye  des  reli- 
fjieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  207.)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  n°  1079. 


—  152  — 

sens  de  communauté,  d'ordre  que  Cassien  avait  établi,  ou    les 
religieuses  établies  par  Cassien. 

La  première  objection  de  Ruffi,  sans  contredit  la  plus 
forte,  est  ainsi  résolue.  Alléguer  ce  texte  de  la  charte  40,  pour 
prouver  que  le  monastère  où  sainte  Ëusébie  a  vécu  n'était  pas 
sur  les  bords  de  l'Huveaune,  mais  près  de  Saint-Victor,  non 
loin  du  port,  à  Sainte-Catherine  par  exemple,  c'est  s'appuyer 
sur  un  argument  sans  valeur.  MM.  Daspres,  Lautard, 
André,  etc.,ayant  employé  le  même  argument,  sont  convaincus, 
à  leur  tour,  de  s'être  servis  d'une  arme  sans  portée. 


CHAPITRE  III 


Inscription  d'Eugénia 


OBJECTION  DE  RUFFI.  —  L'INSCRIPTION  D'EUQENIA  N'APPARTIENT  PAS 
AUX  IV\  V*,  VI*,  VII*,  VIII*  SIÈCLES.  —  AGES  JÊPIGRAPHIQUES,  ET 
LEURS  TRAITS  CARACTÉRISTIQUES.  —  ELLE  EST  DU  IX*  SIÈCLE.  — 
SI  ELLE  APPARTENAIT  AUX  IV*,  Ve,  VI*,  VII*,  VIII*  SIÈCLES,  ELLE 
SERAIT  L'INSCRIPTION  D'UNE  RELIGIEUSE  MORTE  A  L'HUVEAUNE  ET 
INHUMER  A   PARADIS. 


Nous  passons  à  la  seconde  objection  qui  nous  est  faite  par 
Kuffi,  André,  La u tard,  etc.  Voici  les  paroles  de  Ruffi  (1)  : 

«  U  est  certain  qu'il  était  au  môme  lieu  où  nous  avons  vu  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine,  qui  n'était  guère  éloignée  du 
monastère  de  Saint-Victor,  qui  fut  démolie  en  1685  pour  y 
bâtir  le  canal  et  quelques  édifices  à  l'usage  des  galères.  Car  ce 
qui  fortifie  ce  que  je  viens  de  dire  c'est  que  depuis  environ 
quelques  années  que  Ton  creusait  les  fondements  de  la 
maison  que  Ton  avait  construite  pour  y  fabriquer  la  pou- 
dre, et  qui  fut  abattue  aussi  en  1685,  on  découvrit  quantité 
de  tombeaux  de  pierre  de  taille,  fails  en  forme  de  caisse, 
avec  leurs  couvertures,  qui  étaient  remplis  d'ossements,  parmi 
lesquels  on  en  trouva  un,  fort  avant  dans  la  terre,  où  il  y 
avait  au  dessus  une  petite  pierre  de  marbre  qui  contenait  cette 
épitaphe  : 

HIC  REQUIESCET  BONE 

MEMORISE    EUGENIÀ  ANCILLA  DEI 

CUI   VEXIT  ANNUS  ZZXXVI  RECESSIT 

VI   NONAS  MARSIAS 

0      0 

g  Tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce  lieu  était  ancien- 
nement un  cimetière,  et  que  c'étaieut  des  religieuses  qu'on  y 

(I)  Rufli,  Histoire  de  A/am'i7ft%  t.  II,  p.  55» 


—  154  -' 

avait  ensevelies.  Elles  ne  peuvent  être  que  celles  dont  nous 
parlons,  puisque  nous  ne  trouvons  point  qu'il  y  ait  à  Mar- 
seille des  religieuses  si  anciennes  que  celles-ci.  » 

Selon  Ruiïi  doftc,  l'abbaye  cassianite  de  femmes  était  pro- 
che l'emplacement  de  la  chapelle  Sainte-Catherine,  jparce 
qu'on  a  découvert  à  cet  endroit  des  tombeaux  de  religieuses, 
entre  autres  celui  d'Eugenia. 

Cette  objection  parait  bien  forte,  cependant  elle  ne  résiste 
pas  à  un  examen  approfondi. 

D'abord,  prenons  le  texte  de  Rufli  par  le  détail  et  voyons 
ce  qu'il  pèse:  «  En  1675,  on  découvrit  quantité  de  tombeaux 
de  pierre  de  taille,  faits  en  forme  de  caisse,  avec  leurs  cou- 
vertures, qui  étaient  remplis  d'ossements.  »  Or,  parmi  ces 
tombeaux  «  on  en  trouva  un  fort  avant  dans  la  terre  »,  celui 
d'Eugenia.  D'après  le  contexte  donc,  ces  tombeaux  n'ont  pas 
été  découverts  tous  à  la  môme  profondeur.  Les  premiers  dont 
parle  Ruffi,  on  les  a  trouvés  au  niveau  des  fondations  qne 
l'on  creusait,  et  celui  d'Eugenia,  «  fort  avant  dans  la  terre  *. 
Or,  nous  savons  par  les  rapports  des  ingénieurs  qui  ont  dirigé 
les  travaux  au  bassin  du  carénage,  que  le  sol,*  sur  ce  point 
de  Marseille,  a  été  exhaussé  à  diverses  reprises  (1).  Le  tom- 
beau d'Eugenia  peut  donc  appartenir  aux  cinq  ou  six  pre- 
miers siècles  de  notre  ère  ;  quant  aux  autres,  ils  sont  d'une 
époque  postérieure,  du  IX* ,  du  X*  siècle  peut-être.  Partant 
ils  ne  sont  d'aucune  utilité  à  M.  Ruffi  pour  la  démonstration 
de  sa  thèse  :  que  l'abbaye  cassianite  s'élevait  près  de  la  cha- 
pelle de  Sainte-Catherine.  Nous  admettons,  on  le  sait,  que 
dès  la  fin  du  VIIIe  siècle,  jusqu'en  923,  l'abbaye  a  pu  se  trou- 
ver en  cet  endroit. 

a  Tous  ces  tombeaux  marquaient  que  ce  lieu  était  ancienne- 
ment un  cimetière.  »  C'est  vrai,  jusqu'au  X*  siècle  au  moins 
on  a  enterré  à  cet  endroit.  La  charte  de  904  parle  d'une  terre 
comtale  qne  l'empereur  Louis  l'Aveugle  donnait  à  Saint-Vic- 
tor, et  qui  allait  de  la  nier  «  usque  ad  carnarium  (2)  ».  Cet 
endroit  iaisait  donc  partie  du  cimetière  de  Paradis. 

(\)  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde  (Monographie  sur  l'abbaye  de 
Saint- Victor-les-Marseille  par  M.  Grioda),   n°  324. 
(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  1. 1,  charte  10. 


—  155  — 

Roffi  ajoute  :  «  Tons  ces  tombeaux  marquaient  que  c'étaient 
des  religieuses  qu'on  y  avait  ensevelies  .. .  »  Et  la  preuve? 
Auffi  semble  n'eu  apporter  qu'uue  seule  :  l'épitaphe  qui  se 
trouvait  sur  la  tombe  d'Eugenîa!!  Or,  cette  preuve  ne  vaut 
rien  !  Qu'Eugenia  ail  été  une  religieuse,  son  inscription  le  fait 
croire.  Mais  que  les  ossements  des  autres  tombeaux  appartien- 
nent à  des  religieuses,  lluffi  aurait  été  fort  embarrassé  pour 
le  démontrer.  De  plus,  il  a  été  prouvé  que  dans  le  cimetière  de 
Paradis  il  n*y  avait  pas  d'emplacement  spécialement  réservé 
aux  religieuses,  au  moins  jusqu'au  XI*  siècle,  date  des  chartes 
deFulco  et  d'Odile  (1),  Donc  il  n  est  pas  probable  que  ce  soient 
des  religieuses  que  Ton  ait  ensevelies  dans  ces  tombeaux.  Donc 
l'affirmation  de  Ruffi  n'a  aucune  valeur. 

Et  si  Ton  voulait  quand  même  voir  dans  ces  tombeaux  des 
sépultures  de  religieuses,  comme  ces  tombes  sont  postérieures 
à  celle  d'Eugénia  et  qu'elles  appartiennent  aux  IX*,  X*  siècles 
peut-être,  Rufti  ne  peut  encore  en  tirer  aucun  avantage  pour  sa 
thèse.  Aux  IX*  et  X*  siècles,  l'abbaye  cassiauite  était  probable- 
ment à  cet  endroit.  Les  détails  du  texte  de  lluffi,  on  le  voit, 
n'ont  aucune  valeur  contre  nous. 

Reste  l'inscription  d'Eugénia.  Est-ce  l'épitaphe  d'une  reli- 
gieuse? A  quelle  époque  appartient-elle?  Ce  document  prouve- 
t-il  que  l'abbaye  cassianite  était  au  même  lieu  où  nous  avons 
vu  la  chapelle  Sainte-Catherine  ? 

Eugénia  est  appelée  «  ancilla  Dei  ».  Or,  ce  terme  signifie-t-il 
religieuse?  «  C'est  à  tort,  selon  moi,  a  dit  M.  Edmond  Leblant, 
que  l'on  voit  dans  les  mots  «  ancilla  Dei  »  la  désignation  spé- 
ciale des  religieuses.  Le  titre  de  serviteur  de  Dieu  était  deve- 
nu celui  de  la  généralité  des  chrétiens.  Si  Ton  peut  citer  sur 
ce  point  quelques  exceptions  de  détail,  le  fait  n'en  reste  pas 

moins  hors  de  doute La  seconde  partie  du  traité  De  eultu 

ferninctrum,  où  Tertulien  reprend  le  luxe  inconvenant  des 
femmes  chrétiennes,  débute  par  les  expressions  :  «  Ancillse  Dei 
vivi,  conservae  etsorores  me»  v,  qui  ne  s'adressaient  pas  ap- 
paremment aux  religieuses.  La  même  mention  se  lit,  d'ailleurs, 
sur  les  tombes  de  femmes  mariées  (2).  » 

(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  chapitre  de  l'introduction. 

(2)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule  antérieures  au 


—  156  — 

« 

Nous  croyons  juste  l'assertion  de  M.  Leblant.  Daus  son  ou- 
vrage :  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  nous  en  trou- 
vons notamment  une  du  VI*  siècle  :  «  Ancella  ad  Dcminum 
festinat.  »  Dans  le  tome  I  des  Inscriptiones  christianœ  urbis 
Romœ  par  M.  de  Rossi,  nous  avons  trouvé  trois  marbres  portant 
ce  terme  a  ancilla  Dei  »,  dans  aucun  il  n'apparaît  qu'il  s'agisse 
de  religieuses  (1).  L'abbé  Martigny  en  donne  un  autre,  celui  de 
Praetiosa,  enfant  de  douze  ans,  qui  est  appelée  vierge,  et  de  plus 
a  ancilla  Domini  etChristi  (2)  ».  Il  ne  s'agit  pas,  ici  encore,  de 
religieuse.  Les  auteurs  ecclésiastiques  nous  fournissent  aussi 
des  textes  à  l'appui  de  l'opinion  de  M.  Leblant.  Gennadius,  prê- 
tre à  Marseille,  rapporte  qu'Eutropius  a  scripsit  ad  duas  sorores 
suas,  ancillas  Christi,  quseob  devotionem  pudicitise  etamorem 
religionis  exheredatae  sunt  a  parentibus  (3)  ».  Ici  non  plus  il  ne 
s'agit  pas  de  religieuses  dans  la  force  du  terme.  On  pourrait  en 
dire  autant  du  texte  de  saint  Augustin  :  «  intactisque  ancillis 
Christi  (4)  »,  de  celui  de  Grégoire  de  Tours  :  «  Propria  Dei  an- 
cilla ipsi  sedulodeservire(5)».  A  notre  humble  avis,  dans  ces 

VIIJ*  siècle ,  t.  1,  p.  123,  note.  —  M.  de  Rossi,  lnscript.  christ,  urbis 
Romœ,  1. 1,  n°  739,  p.  322,  donne  un  marbre  daté  de  447ou  460,  et  portant 
le  nom  de  Gaudiosa,  qualifiée  de  «  clarisshna  femina  ancilla  Dei  ».  — ► 
Leblant,  op.  cit.,  t.  I,  n°  708. 

(1)  N»6JÎ  de  l'année  440:  «  Hic  Honorantiœ  ancillae  Dei  »,  p.  286;  — 
«  Hic  quiescit  Gaudiosa  clarissima  femina  ancilla  Dei,  quae. ..  »,  de  l'an- 
née 447-460.  n°  739,  p.  322  ;  —  «...  ancilla  Dei  quae  vixit. . .  »,  de  Tannée 
381-434,  n°91l,  p.  406.  —  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  II,  p.  708. 

(2)  Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes,  p.  663  ;  «  Prsetio- 
sa, puella  annorum  virgo  XII  tant  uni,  ancilla  Dei  et  Christi.  » 

(3)  Gennade,  Eutropii,  Patrologie  latine,  édit.  Migne,  t.  58,  col.  1887. 

(4)  Ces  mots  sont  en  opposition  avec  viduis,  midieribus  nUptiset  rir- 
ginibus  nupturis.  «  Quse  faciunt  pudoris  immemores  etiam  feininisfemi- 
nae  jucundo  turpiter  et  ludendo,  non  solura  a  viduis  et  intactis  aucillis 
Christi  in  sancto  proposito  constituas,  sed  omnino  nec  a  mulieribus 
nuptis  et  virginibus  sunt  facienda  nupturis  ».  Il  s'agirait,  selon  nous.de 
personnes  qui  vivant  dans  le  monde,  avaient  fait  vœu  de  virginité,  et 
non  pas  de  religieuses  proprement  dites.  D'autant  plus  que  saint  Au- 
gustin, dans  la  même  lettre,  appelle  les  religieuses  :  «  famula?  Dei  «.(Opé- 
ra sancti  Augustini,  t.  II,  col.  964.  Patrologie  latine,  édit.  Migne.) 

(5)  Il  s'agit  de  sainte  Clotilde  qui,  à  la  mort  de  ses  petits  enfants,  s'oc- 
cupa exclusivement  de  faire  du  bien  aux  églises  et  aux  monastères  (Gré- 
de  Tours,  Histoire  des  Francs,  livre  III,  chap.  18<) 


—  157  — 

textes,  cette  expression  équivaut  à  «  famulaDei  »,en  français: 
humble  servante  de  Dieu,  pieux  serviteur  de  Dieu,  selon  le 
sens  que  nous  donnons  aux  paroles  de  la  Vierge  Marie  :  ce  Ecce 
ancilla  Domini  ».  Après  avoir  trouvé  ce  terme  sur  les  lèvres  de 
la  Mère  de  Dieu,  il  est  tout  naturel  que  les  chrétiens  en  or- 
nassent les  tombes  de  celles  qui  avaient  vécu  dans  la  pratique 
des  vertus  chrétiennes. 

Mais  «il  est  incontestable  aussi  que  ce  terme  équivaut  sou- 
vent à  celui  de  religieuse. 

Possidius,  écrivant  la  Vie  de  saint  Augustin,  dit,  de  la  sœur 
du  grand  et  saint  évoque,  qu'elle  était  :  «  prœposita  ancilla- 
mm  Dei  (1)  ».  Saint  Grégoire  le  Grand  composa  l'oraison: 
«  super  ancillas  velandas  »  ;  ce  pape,  appelle  les  religieuses 
par  ce  nom,  soit  dans  ses  lettres,  soit  dans  ses  autres  ouvra- 
ges (2) .  L'auteur  de  la  Vie  de  saint  Césaire  dit  des  religieuses 
d'Arles  :  a  Turbatae  sunt  ancillae  Dei  (3)  ».  Saint  Eucher  com- 
mence un  traité  par  :  a  Venerabiles  filiœ,  servi  et  ancillse 
Dei,  clerici,  monachi  et  virgines  (4)  r> .  «  Ancilla  Dei  signifie 
donc  religieuse.  Maison  peut  faire  une  remarque,  c'est  que  le 
contexte  indique  toujours  qu'il  s'agit  bien  de  personnes  consa- 
crées à  Dieu,  lorsque  le  terme  «  ancilla  »  a  cette  signification. 

Or,  dans  l'inscription  d'Eugenia,  que  veut  dire  le  terme 
€  ancilla  Dei  »  ?  S'agit-il  simplement  d'une  bonne  chrétienne, 
fidèle  à  la  vertu,  ou  d'une  religieuse,  d'une  personne  consa- 
crée à  Dieu  ?  Rien  dans  le  contexte  ne  l'indique.  On  pourrait 
donc  à  la  rigueur  soutenir  qu'Eugenia  était  une  pieuse  chré- 
tienne de  Marseille.  L'argument  deRuffi,  du  coup,  perd  toute 
sa  valeur. 

A  quelle  époque  appartient  cette  inscription  ?  Elle  est  de  la 
fin  du  VP  siècle  ou  du  début  du  VII"  siècle.  Nous  l'établirons 

(1)  Possidius,  Vita  sancti  Augustini,  ch.  26.  {Opéra  sancti  Augus- 
tini,  t.  II,  col.  55.  Patrologie  latine,  édition  M  igné.) 

(2)  Grégoire  le  Grand,  dans  sa  lettre  à  Respecta  de  Marseille,  appelle 
les  religieuses  :  «  ancillae  Dei  ».  — Dans  une  lettre  de  ce  pape,  Patrologie 
latine,  édition  Migne,  t.  77,  col.  881,  on  lit  :  «  De  medietate  vero  ancillis 
Domini  Dei,  quas  vos  grœca  linguà  dicitis  monastrias,  lectisternia  emere 
disposui,  quia  multa?  sint...  » 

(3)  Barrai i s,  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinensis,  t.  I,  p.  255i 
(h)  Eucher  (Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  50,  col.  1210.) 

11 


—  158  — 

avec  quelques  détails  dans  un  chapitre  subséquent  (1).  Une 
conséquence  à  en  déduire.  Comme  à  ce  moment  le  mot  «  ancilla 
Dei  »  est  assez  fréquemment  employé  pour  désigner  une  reli- 
gieuse, on  peut  dire  avec  quelque  certitude  qu'Eugenia  en 
élait  une.  Nous  le  croyons,  en  effet. 

Or,  de  ce  qu'Eugenia  vivait  au  VI*  ou  VII*  siècle,  qu'elle  a 
été  inhumée  aux  environs  de  la  chapelle  Sainte-Catherine, 
est-ce  une  preuve  que  1  abbaye  cassianite  se  trouvait  à  cet 
endroit  aux  VI*,  VII*  siècles  et  même  depuis  sa  fondation  ? 
Point  du  tout. 

En  effet,  ne  pouvons-nous  pas  supposer,  et  cela  raisonna- 
blement, avec  un  fond  de  vraisemblance  bien  établie,  que, 
tout  en  demeurant  aux  bords  de  l'Huveaune,  comme  nous  le 
supposons,  les  religieuses  cassianites  aient  tenu  à  se  faire 
ensevelir  auprès  de  Saint-Victor  ?  Oui,  la  supposition  est 
permise  et  très  légitime.  Rappelons-nous  que  les  champs  au- 
près de  Saint- Victor  qui  avaient  été  la  nécropole  des  chrétiens 
aux  premiers  siècles  (2)  ;  qui  servaient  probablement  encore 
de  cimetière  au  X*  siècle  (3)  ;  rappelons -nous,  dis- je,  que  ces 
champs  sont  appelés  Paradis  parce  que  les  corps  de  beaucoup 
de  martyrs,  de  confesseurs  et  de  vierges  y  reposent  (4)  ;  rap- 
pelons-nous que  Ton  montre,  vers  Tan  1000,  au  jeune  Ysarne 
qui  visite  Saint- Victor,  les  tombes  des  saints  martyrs,  qu'a  en- 
tourent au  loin,  dans  les  champs  environnants,  les  innombra- 
bles confesseurs  qui  jadis  furent  religieux  dans  ce  monas- 
tère ».  Rappelons-nous,  enfin,  qu'à  ces  âges  de  foi,  le  désir 
du  chrétien,  sa  consolation  dernière,  le  plus  grand  honneur 
que  Ton  pouvait  accorder  à  sa  dépouille  était  de  reposer  au— 
près  du  tombeau  de  quelque  martyr,  de  quelque  saint  confes- 
seur (5). 


(1)  Cf.  chap.  VI:  Inscription  de  Sainte  Eusébie . 

(2)  Grosson,  Recueil  des  antiquités  et  des  monument  s  marseillais, 
p.  98. 

(3)  Charte  10  du  cartulaire  de  Saint-Victor. 

(4)  «  Vocatus  est  Paradisus  quia  multorum  corporum,  videlicet  sanc- 
torurn  martyrum  et  virgînum,  eodem  loco  quiescentium.  »  Charte  32» 
cartulaire  de  Saint- Victor. 

(5)  Dès  les  temps  antiques,  les  fidèles  pensaient  que  les  restes  des 


—  159  — 

Or,  tandis  que  les  moines  de  Saint- Victor  ambitionnent 
d  avoir  un  coin  de  ce  champ  de  repos  pour  y  dormir  après 
leur  mort  auprès  des  corps  des  saints  martyrs  qu'ils  honoraient 
à  l'abbaye,  de  ces  saints  confesseurs  qui  avaient  été  leurs 
frères  en  religion,  vous  pouvez  supposer  que  les  religieuses 
cassianitea  dus  V\  VI*,  VU*  siècles  n'ont  pas  désiré,  n'ont  pas 
réclamé,  une  place  auprès  de  ces  martyrs  de  la  foi,  ou  de  cette 
foule  de  vierges  chrétiennes  des  premiers  âges,  et  de  cette 
foule  surtout  de  vierges,  jadis  leurs  compagnes  dans  l'abbaye? 

La  supposition  est  à  ce  point  légitime,  qu'elle  est  la  vérité. 
Que  vous  dit  la  tradition?  Qu'Eu  se  bie  et  ses  compagnes  ont 
été  martyrisées  aux  bords  de  l'Huveaune,  qu'on  a  jeté  leurs 
corps  sanglants  dans  un  puits,  que  les  colons  les  en  retirèrent 
et  vinrent  les  ensevelir  dans  les  cryptes  de  Saint -Victor.  Or, 
s'il  avait  été  d'usage  d'ensevelir  les  Cassianites  auprès  de  leur 
monastère,  les  colons  n'auraient  pas  eu  l'idée  de  les  porter 
à  Saint-Victor.  Ils  auraient  retiré  du  puits  les  corps  des 
martyres,  leur  auraient  donné  dans  la  chapelle,  sur  le  théâtre 
même  de  leur  glorieuse  mort,  une  sépulture  honorable.  -C'eût 
été  plutôt  fait  et  avec  moins  de  risques  et  de  périls.  Mais  non, 
leur  première  idée  est  de  porter  ces  restes  vénérables  dans  les 
cryptes  de  Saint-Victor.  D'où  vient  ?  Est-ce  pour  les  mettre 
plus  en  sûreté?  Erreur,  ils  l'eussent  été  davantage,  enterrés 
auprès  de  l'oratoire  incendié,  ou  çà  et  là  dans  les  champs  de 
Paradis,  que  tous  réunis  dans  les  cryptes.  Si  on  inhume  dans 
les  cryptes  les  vierges  cassianites,  c'est  que  leur  mort  est 
l'objet  de  l'admiration  de  tous,  c'est  qu'on  les  regarde,  sinon 
comme  des  martyres,  du  moins  comme  des  modèles  achevés 
d'héroïsme  et  de  vertu.  Mais,  si  on  a  pensé  tout  d'abord  à  les 
porter  à  Saint- Victor,  c'est  qu'on  avait  l'habitude  d'ensevelir 
à  Paradis  les  religieuses  de  l'Huveaune  qui  mouraient. 

saints  les  protégeraient,  dans  la  tombe,  contre  les  redoutables  atteintes 
da  démon,  les  recommanderaient  à  la  miséricorde  divine.  (Edmond  Le  - 
blant,  op.  cit.,  p.  146.) 

Saint  Ambroise  dît  :  «  Commendabiliorem  Deo  futurum  esse  me  cre- 
dam,  quod  supra  sancti  corporis  ossa  quiescam.  »  (Opéra,  t.  II,  col. 
1118.) 

C'est  ce  que  signifient  ces  locutions  que  l'on  trouve  si  souvent  dans  les 
anciens  écrits  :  c  sociari    martyribus,  ad  sanctos  martyres  »,  etc. 


-  160  - 

Quoi  donc  aurait  pu  empêcher  cet  usage  d'exister?  La  distance 
des  bords  de  l'Huveaune  aux  champs  de  Paradis  ?  A  notre 
époque,  telle  paroisse  que  nous  connaissons  porte  ses  morts 
à  une  grande  heure  de  distance.  Le  nombre  peut-être  trop 
grand  de  décès  des  religieuses,  ce  qui  aurait  pu  occasionner 
des  sorties  trop  fréquemment  répétées  du  monastère  ?  Outre 
que  la  clôture  n'était  pas  une  règle  aussi  sévère  à  cette  époque 
qu'à  la  nôtre,  l'abbaye  de  rHuveaune  ne  devait  pas  compter 
un  nombre  si  grand  de  religieuses,  qu'il  dût  y  avoir  un  décès 
tous  les  jours,  toutes  les  semaines,  tous  les  mois.  Si  sainte 
Eusébie  dirigeait  quarante  religieuses,  il  n'y  a  pas  d'appa- 
rence que  l'abbaye  ait  compté  jamais,  sauf  peut  être  en  838, 
un  nombre  bien  considérable  de  religieuses.  Donc  on  peut 
soutenir  avec  beaucoup  de  vraisemblance  et  de  raison  qu'aux 
V*,  VI*  et  VII*  siècles,  les  religieuses  cassianites  se  faisaient 
inhumer  dans  les  champs  de  Paradis.  L'endroit  où  reposaient 
leurs  dépouilles  mortelles  était  peut-être  aux  environs  de  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine.  Les  sarcophages  découverts  en 
1685,  à  cet  endroit,  étaient  les  tombes  de  ces  saintes  filles  de 
Cassien,  et  l'inscription  l'épi taphe  de  l'une  d'entre  elles.  Ainsi 
l'objection  de  Ruffi  devient  sans  force  et  sans  valeur. 

Mais  nous  dirons  aussi  qu'à  notre  avis  cette  inscription 
appartient  au  VIII*,  ou  IX*  siècle  ;  que  partant  Eugenia  était 
une  religieuse  inhumée  à  cette  époque  aux  environs  de  la 
chapelle  de  Sainte-Catherine.  De  ce  chef  encore,  l'objection  de 
Ruffi  essuie  une  nouvelle  réfutation.  En  effet,  en  818  ou  à. 
peu  près,  l'abbaye  cassianite  existe,  puisque  Vadalde,  évéque 
de  Marseille,  fait  opérer  le  dénombrement  des  serfs,  des  colons 
appartenant  à  l'abbaye,  dans  le  quartier  du  Colombier  (1). 
En  838,  l'abbaye  existait  encore,  puisque  les  pirates  normands 
enlèvent  un  certain  nombre  des  religieuses  qui  l'habitaient  (2). 
En  867,  l'abbaye  était  debout  encore,  puisque,  s'il  faut  en 
croire  Ruffi,  les  Normands  la  saccagèrent  (3).  En  923,  elle 

(1)  «  Descriptio  mancipiorum  de  agro  ColumbaHo,  factum  tempore 
Guadaldi,  indictione  XI.  »  De  Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise  de  Mar- 
seille, 1. 1,  p.  302). 

(2)  Annales  de  Saint-Bertin  en  Tannée  838. 
(3;  Ruffl,  Histoire  de  Marseille^  t.  II,  p.  56. 


—  161  — 

existait  puisque  elle  fut  détruite  par  les  Sarrasins  en  même 
temps  que  la  cathédrale  et  le  monastère  de  Saint-Victor  (1). 
Or,  nous  savons  aussi  qu'à  ces  différentes  époques  l'abbaye 
cassianite  s'élevait  non  loin  de  Saint- Victor,  et  nous  ne  nous 
refusons  pas  à  l'admettre,  à  peu  près  à  l'emplacement  de 
la  chapelle  de  Sainte-Catherine.  Par  conséquent,  ces  tombes 
découvertes  en  1685,  cette  inscription  d'Eugénia  peuvent 
avoir  été  les  tombes  et  l'inscription  des  religieuses  qui 
habitèrent  cet  endroit  à  la  fin  du  VIII*  siècle,  durant  le  IX*  et 
au  début  du  X0.  Mais,  de  là  à  dire,  comme  Ruffi,  que  c'est  une 
preuve  que  toujours  le  monastère  cassianite  s'est  élevé  en  cet 
endroit,  c'est  vouloir  forcer  l'argument. 

Nous  résumons  nos  conclusions  : 

Si  ces  tombeaux  découverts  en  1685  appartiennent  à  des 
religieuses,  ils  sont  postérieurs  à  celui  d'Eugénia,  ils  datent 
probablement  du  VIII"  ou  du  IX*  siècle.  Or,  à  cette  époque, 
l'abbaye  cassianite  peut  être  placée  à  la  chapelle  Sainte- 
Catherine.  Si  Eugénia  est  une  simple  chrétienne,  l'objection 
de  Rufll  n'a  aucune  valeur.  Si  l'inscription  d'Eugénia  est 
celle  d'une  religieuse,  ou  bien  cette  inscription  remonte  au 
VIII0  siècle  et  il  s'agit  alors  d'une  religieuse  du  monastère 
cassianite  qui  s'élevait  en  cet  endroit  de  814  à  923  ;  ou  bien 
elle  appartient  aux  VI*  et  VII*  siècles,  elle  est  alors  l'épitaphe 
d'une  religieuse  de  l'abbaye  de  l'Huveaune  inhumée  à  cette 
époque  dans  les  champs  de  Paradis. 


(1)  Voir  chapitre  :  Divers  emplacements  qu'a  occupés  le  monastère 
cassianite. 


CHAPITRE  IV 


Texte  des  chartes  de  1431  et  1446 


LE  TEXTE  DE  CES  CHARTES,— PHRASE  MAL  CONSTRUITE.— PLUSIEURS 
SENS.— LORSQUE  8AINT-VICTOR  PUT  DÉTRUIT  PAR  LES  VANDALES,  IL 
Y  AVAIT  TOUT  PROCHE  UN  AUTRE  MONASTÈRE.—  LES  VANDALES  N*ONT 
PAS  DÉTRUIT  SAINT-VICTOR.  —  LORSQUE  LE  MONASTÈRE  CA881ANITE 
FUT  DÉTRUIT  PAR  LES  VANDALES,  IL  ÉTAIT  PROCHE  DR  SAINT-VICTOR. 
—  LES  VANDALES  N'ONT  PAS  DÉTRUIT  CE  CŒNOBIUM  DES  VIERGES. 
IL  S'AGIT  DES  SARRA8INS.  —  LORSQUE  LES  SARRASINS  ONT  DÉTRUIT 
SAINT-VICTOR,  IL  T  AVAIT  TOUT  PROCHE  UN  AUTRE  MONASTÈRE  DE  PIL- 
LES.— LES  SARRASINS  DÉTRUISENT  1 AINT-VICTOR,  EN  923.— LORSQUE 
LES  SARRASINS  DÉTRUISENT  LE  CŒNOBIUM  DES  VIERGES,  IL  ÉTAIT 
TOUT  PROCHE  DE  SAINT-VICTOR.—  CE  N'EST  PAS  DE  LA  RUINE  DE  CE 
CŒNOBIUM  EN  738  OU  838  QUE  L'ON  VEUT  PARLER,  MAIS  DE  CELLE  DE 
923.  —  SUREMENT  IL  S'AGIT  DE  LA  RUINE  DE  SAINT-VICTOR  EN  923, 
OU  DE  LA   RUINE  DBS  DEUX  MONASTÈRES  EN  923. 


Nous  passons  à  une  objection  autrement  sérieuse.  C'est 
toujours  Ruffl  qui  la  présente  :  «  A  tous  ces  raisonnements 
j'ajouterai  l'autorité  de  deux  chartes  de  1431  et  1446  qui  font 
foi  que  lorsque  le  monastère  de  Saint- Victor  fut  détruit  par  les 
Vandales,  il  y  avait  tout  proche  un  autre  monastère  qui  ne 
peut  être  que  celui-ci,  de  sorte  que  Ton  ne  peut  plus  douter 
que  ce  monastère  fût  situé  en  cet  endroit  et  non  pas  au  quar- 
tier de  Saint-Loup,  ni  à  celui  de  Saint-Marcel,  encore  moins  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune,  ni  sur  les  bords  de  la  mer  comme 
quelques-uns  s'imaginent  (1).  » 

Si  deux  chartes  attestent  qu'à  l'époque  des.  Vandales,  c'est- 
à-dire  de  405  à  535,  il  y  avait  un  monastère  auprès  de  Saint- 
Victor,  comme  il  n'y  a  jamais  eu  à  cette  époque  d'autre 
monastère  de  religieuses  à  Marseille  que  celui  dont  nous  par- 
lons (2),  il  est  certain  que  l'abbaye  des  Cassianites  n'a  jamais 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56. 

(2)  Ruflï  ledit  en  plusieurs  endroits:  «  Cassien   fonda  un   monastère 


—  163  — 

élé  aux  bords  de  l'Huveaune.  Cette  époque  des  Vandales  est 
trop  rapprochée  de  celle  de  la  fondation  de  l'abbaye  par  Cas- 
sien  pour  qu'il  y  ait  eu  au  début  un  monastère  à  l'Huveaune, 
et  qu'à  l'époque  des  Vandales  ce  monastère  se  trouvât  auprès 
de  Saint- Victor,  ou  qu'après  la  destruction  de  ce  monastère 
auprès  de  Saint-Victor,  par  les  Vandales,  il  y  ait  eu  un 
monastère  de  Cassianites  à  l'Huveaune.  L'objection  de  Huffl 
serait  donc  péremptoire  et  notre  thèse  battue  en  brèche. 

Mais  l'étude  que  nous  allons  faire  du  texte  de  ces  deux  chartes 
va  nous  montrer  clairement  qu'elles  ne  contrarient  en  sien 
notre  opinion.  Citons  d'abord  le  texte  de  ces  deux  chartes. 

La  première  est  de  Tannée  1431.  C'est  l'abbé  de  Saint- Victor 
qui  donne  à  une  personne  de  piété  une  modeste  église  appelée 
Sainte-Marie  de  la  Petite-Baume,  aux  environs  de  Saint- 
Zacharie.  Après  avoir  raconté  les  gloires  de  cette  grotte  célèbre, 
dans  laquelle  sainte  Marie-Madeleine  avait  passé  trente  ans, 
dans  laquelle,  ou  auprès,  de  laquelle  grotte  Cassien  avait  lui- 
même  passé  plusieurs  années  de  sa  vie  dans  la  pratique  des 
vertus  érémitiques,  l'abbé  ajoute  qu'enfin  :  «  hoc  praesens 
sacrum  monasterium  (Saint- Victor)  et  aliud  olim  sibi  vici- 
num,  in  diebus  illis  per  profanos  Vandalos  fuuditus  demo- 
litum  mire  condidit  (1)  » . 

Dans  la  charte  de  1446,  l'abbé  de  Saint- Victor,  Pierre  Dulac, 
veut  accorder  aux  confrères  de  l'Association  de  Notre-Dame 
de  Confession  l'autorisation  d'être  inhumés  dans  le  cimetière 
du  monastère.  Or,  après  avoir  dit  que  dans  ce  monastère  il  y 
a  les  reliques  de  saint  Victor,  saint  Adrien,  saint  Maurice, 
sainte  Eusébie  et  ses  quarante  compagnes,  il  parle  de  saint 
Cassien,  ajoutant  :  «  qui  hoc  praesens  monasterium  et  aliud 
olim  sibi  vicinum  in  diebus  illis  per  profanos  Vandalos  f  un- 
dltus  demolitum  mire  condidit  (2)  ».  Tel  est  le  texte  que  Ton 
objecte  contre  nous.  Examinons-en  le  sens  précis. 

de  religieuses  à  Marseille...  Nous  n'eu  avons  aucun  qui  ne  soit  moderne 
en  comparaison  de  celui  dont  nous  parlons.  »  pp.  cit.,  pp.  54,  55. 

(1)  Guesnay,  Cassianus  illustratus,  p.  642.  —  Archives  départemen- 
tales. Recueil  de  chartes,  par  Dom  Lefournier,  t.  IJI. 

(î)  Kolhen,  Les  Cryptes,  appendice,  p.  97  ;  cette  charte  de  1440  est 
citée  en  entier. 


—  164  — 

t 

Avez*-vous  remarqué  cette  sorte  d'équivoque  produite  par  la 
mauvaise  construction  de  la  phrase?  11  est  dit  que  Cassien  a 
fondé  deux  monastères  :  «  hoc  prœsens  monasterium  et  aliud 
olim  sibi  vicinum  per  profanos  Vandalos  f  unditus  demolitum 
mire  condidit.  »  A  quoi  se  rapporte  ce  «  per  profanos  f  unditus 
demolitum  »  ?  Est-ce  à  a  hoc  praesens  monasterium  »  ?  est-ce 
à  «  olim  sibi  vicinum  *>  ?  Est-ce,  en  un  mot,  le  monastère  de 
Saint- Victor,  ou  celui  qui  en  était  voisin,  qui  a  été  détruit  par 
les  Vandales?  C'est  douteux.  Ruffl  le  fait  se  rapporter  à  «  hoc 
praesens  monasterium  »,  puisqu'il  écrit  :  «  Lorsque  lo  monas- 
tère de  Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait 
tout  proche  un  autre  monastère  (1).  »  Serait-ce  à  a  aliud  sibi 
vicinum  »?  Le  sens  alors  serait  tout  différent.  Saint  Cassien, 
dirait  la  charte,  a  fondé  deux  monastères  :  celui  de  Saint- 
Victor,  et  un  autre  qui  en  était  jadis  voisin  et  qui  fut  détruit 
par  les  Vandales. 

Lequel  des  deux  sens  est  le  bon  ? 

Dans  l'incertitude,  passons  en  revue  les  deux  hypothèses  ; 
voyons  si  les  Vandales  ont  détruit  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux 
monastères,  et  partant  si  ces  deux  chartes  concluent  contre 
nous. 

D'abord,  étudions  les  termes  des  chartes  précitées  d'après 
la  signification  que  leur  donne  Ruffl  :  a  Lorsque  le  monastère 
de  Saint- Victor  fut  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait  tout 
proche  un  autre  monastère.  »  Les  Vandales  ont-ils  détruit 
l'abbaye  de  Saint- Victor,  à  Marseille?  Sûrement,  ils  ne  l'ont 
pas  fait  avant  450. 

Nons  en  avons  la  preuve  dans  le  silence  que  garde  Salvien, 
né  à  Cologne  ou  à  Trêves,  et  ordonné  prêtre  à  Marseille,  sur 
un  semblable  fait,  dans  son  livre  De  Gubernatione  Dei.  Cet 
auteur,  qui  vécut  de  390  à  495,  a  été  témoin  des  ravages  que 
les  barbares  ont  semés  sous  leurs  pas.  Il  a  écrit  son  livre  en 
445  ou  450  (2).  Or,  à  aucun  endroit  de  ce  livre,  il  n'insinue 

(1)  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58. 

(2)  Salvien,  dans  Dictionnaire  de  théologie,  par  Lenoir,  t.  XI,  p.  313 
—  Bibliographie  générale  de  Michaud.  —  Cet  écrivain  aurait  vécu  de 
390  à  484.  Cependant  Gennade,  qui  vivait  en  495,  année  où  il  termine  son 
catalogue  des  écrivains  ecclésiastiques  et  le  dédie  au  pape  Gélase,  dit  de 


—  165  — 

que  ces  barbares  soient  venus  à  Marseille,  et  qu'ils  se  soient 
attaqués  à  l'abbaye  de  Saint  Victor.  On  ne  s'expliquerait  pas 
son  silence  sur  ce  point,  si  ce  fait  réellement  était  arrivé. 

Ce  n  est  pas  non  plus  de  450  à  environ  490.  Nous  avons  un 
argument  que  nous  croyons  sans  réplique.  Gennade,  prêtre 
et  écrivain  de  Marseille,  qui  vivait  sous  le  pape  Gélase  (492- 
496)  et  sous  Ànasta3e,  empereur  d'Orient  (491-518),  a  écrit 
un  livre  intitulé  De  scripioribus  ecclesiasticis,  composé 
de  cent  articles  ou  biographies  sommaires  de  personna- 
ges qui  ont  vécu  de  330  à  490.  Or,  dans  ce  recueil,  à  l'article 
de  Cassien,  fondateur  de  l'abbaye  de  Saint- Victor,  il  dit  : 
«Condidit  duo  monasteria  id  est  virorum  acmulierum,  qure 
usque  hodie  exstant(l).  »  A  l'époque  donc  où  Gennade  écrivait 
cette  biographie  de  Cassien,  les  deux  monastères  qu'il  avait 
fondés  existaient  encore. 

Or ,  cette  biographie  de  Cassien  a  été  écrite  avant  495, 
puisque  en  cette  année  même  Gennade  termine  son  manus- 
crit et  l'envoie  au  pape  Gélase.  Mais  sûrement  il  ne  l'a  pas 
envoyé  au  souverain  pontife  sans  le  revoir  et  le  retoucher.  Si 
donc,  depuis  le  jour  où  il  avait  rédigé  l'article  de  Cassien, 
dans  lequel  il  est  dit  que  a  les  deux  monastères  existent  enco- 
re »,  ces  deux  monastères  eussent  été  détruits,  Gennade  aurait 
rectifié  sa  phrase.  Il  ne  l'a  pas  fait,  donc  jusqu'en  495  ces 
deux  monastères  n'avaient  eu  à,  subir  aucune  attaque  de  la 
part  des  barbares,  ou,  dans  tous  les  cas,  ils  n'avaient  pas  été 
renversés. 

Ce  ne  fut  pas  non  plus  à  une  époque  postérieure  de  495  à 
535,  date  de  l'extermination  des  Vandales,  que  le  monastère 
de  Saint-Victor  a  été  renversé,  car,  dès  l'an  480,  les  Visi- 
goths  s'emparent  de  Marseille.  Puis  ce  sont  les  rois  bourgui  - 
gnons  qui  la  gouvernent,  ensuite  les  Ostrogoths  de  Théodoric, 


Salvien  que  «  vivit  usque  hodie  in  senectute  bonà  ».  Il  vivait  donc  en- 
core en  495.  (Gennade,  De  scriptotnbus  ecclesiowticis  ;  Patrologie  latine, 
édition  Migne,  t.  LVIII,  col.  979,  etc.) 

(1)  «  Gennade,  prêtre  de  Marseille,  a  composé  plusieurs  écrits,  entre 
autres  celui  intitulé  De  scriptoribus*  ercleaiastirii*,  qui  est  un  recueil  de 
cent  biographies.  Il  termina  ce  livre  on  495.  »  (Gennade  ;  Patrologie  lati- 
ne, édition  Migne,  t.  LVIII.) 


—  166  — 

enfin  les  Francs  qui  se  partagent  la  Provence  vers  536.  Or, 
ni  les  uns,  ni  les  autres  n'auraient  permis  aux  Vandales  de 
saccager  Marseille.  Cette  ville  était  occupée  par  de  bonnes 
garnisons,  relevant  des  divers  rois  qui  la  possédaient.  Par 
conséquent,  les  Vandales  n'ont  pu  détruire  Saint-Victor.  C'est, 
d'ailleurs,  l'avis  de  l'auteur  des  Saints  de  V Eglise  de  Mar  • 
seille  (1). 

Donc,  l'argument  de  Rufïi  :  a  Lorsque  le  monastère  de 
Saint- Victor  a  été  détruit  par  les  Vandales,  il  y  avait  tout 
proche  un  autre  monastère  »  ne  vaut  rien.  Les  Vandales  n'ont 
pas  détruit  Saint-Victor.  Donc,  on  ne  peut  pas  en  déduire 
que  de  410  à  530  le  monastère  cassianite  des  vierges  se  trou- 
vait tout  proche  de  l'abbaye  de  Saint- Victor. 

Prenons  l'autre  hypothèse,  faisons  se  rapporter  k  «  aliud 
sibi  olim  vicinum  »  les  termes  «  in  diebus  illis  per  profanos 
Vandalos  funditus  demolitum  »  ;  c'est-à-dire  :  Lorsque  les 
Vandales  détruisirent  le  monastère  des  vierges  cassianites, 
celui-ci  était  tout  proche  de  Saint-.Victor. 

Les  Vandales  ont-ils  détruit  cette  abbaye  cassianite  et  à 
quelle  époque  ?  Ils  ne  l'ont  jamais  renversée.  Les  raisons  que 
nous  avons  données  pour  prouver  qu'ils  n'ont  pas  démoli 
Saint-Victor,  prouvent  aussi  qu'ils  ne  se  sont  pas  attaqués  à 
l'abbaye  cassianite  des  filles.  Donc  encore,  les  termes  de  ces 
chartes  avec  cette  nouvelle  signification  ne  concluent  pas 
contre  nous. 

En  réalité,  nous  attribuons  à  ces  chartes  un  sens  qu'elles 
n'ont  pas  ;  on  les  interprète  mal.  On  traduit  les  mots  a  per 
profanos  Vandalos  »  par  Vandales  proprement  dits,  qui  ra- 
vagèrent l'Afrique  de  429  à  535,  alors  qu'il  faut  les  traduire 
différemment.  Il  ne  s'agit  pas  ici  des  Vandales. 

La  véritable  signification  de  ces  termes  n'est  pas  autre  que 
celle  qui  est  fournie  par  l'ensemble  des  chartes.  Quand 
celles-ci  parlent  des  Vandales,  ce  mot  est  un  terme  générique 
dont  elles  se  servent.  Le  souvenir  de  la  terreur  que  ces  bar- 
bares ont  laissée  dans  le  monde  a  toujours  demeuré.   Nous- 

(1)  «  L'abbaye  de  Saint-Victor,  située  hors  de  la  ville,  était  exposée  à 
toutes  les  péripéties  de  ces  longues  guerres  (412-536)  ;  il  ne  parait  pas 
rependant  quo  les  moines  aient  du  jamais  l'abandonner...  »  Page  7. 


—  167  - 

mômes,  lorsque  nous  voulons  désigner  un  pillard,  un  féroce 
destructeur,  nous  disons  de  ce  scélérat  qu'il  est  un  «  vandale  ». 
Lorsque,  au  IX*  et  au  X*  siècle,  les  Sarrasins  apparurent, 
semant  partout  la  dévastation  et  la  mort,  on  les  appela  d'un 
nom  qui  rappelait  d'anciennes  désolations:  les  Vandales (1); 
et  comme  les  Sarrasins  venaient  d'Afrique,  précisément  par 
le  môme  chemin  que  les  Vandales  avaient  pris  pour  y  aller, 
ce  nom  leur  était  justement  donné  par  les  chroniqueurs  du 
temps.  Aussi,  on  rencontre  ce  mot  de  Vandales  à  côté  des  mots 
«  gens  pagana,  gens  barbarica,  gladium  Sarracenorum  (2)  ». 
Mais, dans  ces  documents,  ces  termes  désignent  les  Sarrasins. 
Il  en  est  de  même  des  chartes  de  1431  et  1446.  Lorsqu'elles 
nous  disent  que  le  monastère  fut  détruit  par  les  Vandales, 
elles  veulent  désigner  les  Sarrasins.  Le  sens  de  ces  deux 
chartes  serait  la  phrase  de  Rufû  ainsi  modifiée  :  «  Lorsque 
Saint-Victor  fut  détroit  de  fond  en  comble  par  les  Sarrasins, 
il  y  avait  tout  proche  un  autre  monastère  »  ;  ou  bien  cette 
phrase  :  a  Cassien  fonda  deux  monastères,  celui  de  Saint- 
Victor,  et  un  autre  qui  en  était  voisin  et  qui  fut  détruit  par 
les  (Vandales)  les  Sarrasins.  »  Il  y  a  là  deux  sens  bien  diffé- 
rents pouvant  donner  des  conclusions  bien  différentes.  Mais, 
quel  que  soit  celui  que  Ton  veuille  choisir,  aucun  des  deux 
ne  conclut  contre  nous. 

Etudions  d'abord  la  phrase  telle  que  la  donne  Rufû  :  «  Lors- 
que  Saint-Victor  fut  détruit  par  les  Sarrasins,  il  y  avait  tout 

(I)  «  Tarn  altè  Vandalorum  crebrae,  lateque  diffus»  piraticse  incur- 
siones  cunctorum  animis  infixse  erant,  ut  quae  longe  posthac  Sarrace- 
norum incursio  coofecerat,  ad  hanc  simili  ter  epoçham  traducta  fuerit.  » 
(De  initiis  Ecclesiœ  Forojuliensis  dissertatio ,  par  J.  Anthelme, 
p.  120.) 

*  11  parait  qu'au  Moyen  âge  on  désignait  sous  le  nom  de  Vandales  tous 
les  envahisseurs,  quoiqu'ils  n'appartinssent  pas  a  ce  peuple.  Les  Sarra- 
sins venaient  de  l'Afrique,  d'où  les  Vandales  avaient  lait  jadis  des  des- 
centes dans  le  midi  des  Gaules,  ce  qui  a  pu  faire  confondre  les  deux 
nations,  t  (Histoire  du  monastère  de  Lérins,  par  Alliez,  t.  I,  p.  401.) 
—  t  On  donnait  alors  le  fiom  de  Vandales  aux  Sarrasins.  »  (De  Belsunce, 
Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p. 388.) 

(?)  Notamment  dans  les  chartes  155,  100,  269,  77,  101,  15,  1,  où  »1  est 
certainement  question  des  Sarrasins,  quel  que  soit  le  nom  dont  ils  sont 
appelés  :  Pa^am,  Mauri,  Vandali.  Cartulaire  de  Saint-Victor. 


—  108  — 

proche  un  autre  monastère. »  A  quelle  époque  le  monastère  des 
vierges  cassianiles  était-il  proche  de  Saint-Victor?  Ces  barbares 
sont  venus  à  Marseille  vers  la  première  moitié  du  VIII'  siècle. 
Ont-ils  renversé  Saint- Victor  à  ce  moment?  Non. 

La  charte  14  de  Tan  1040  dit,  en  effet,  que  «  de  vaginâ 
Vandalorum  callidus  exactor  educitur  »,  et  que  c'est  ce  tyran, 
cet  exploiteur  préposé  par  les  Vandales  (les  Sarrasins)  qui  fit 
un  désert  du  monastère  (1).  Deux  lignes  plus  bas  la  charte 
ajoute  que  le  monastère  demeura  dans  cet  état  d'abandon 
jusqu'à  ce  que  l'abbé  Wifired  a  hic  has  aedes  condens  dila- 
tavit  ».  Or,  Wiffred  était  abbé  de  Saint- Victor  en  1005  (2).  Si 
les  Sarrasins  ont  détruit  Saint-Victor  vers  738,  cette  abbaye  a 
été  déserte  durant  deux  cent  cinquante  ans,  de  738  h  Tan  1005 
environ.  Et  cependant  il  y  a  des  centaines  de  chartes  qui 
supposent  que  Saint-Viclor  existait  aux  VHP,  IXm  et  X*  siècles. 
Et  encore,  la  charte  15  dit  que  ce  monastère  (de  Saint- 
Victor)  ne  fut  renversé  que  <c  post  multa  curricula  annorum  », 
après  la  mort  de  Charlemagne  (3).  Or,  ce  prince  est  mort 
en  814.  Donc,  les  Sarrasins  n'ont  pas  détruit  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  au  VII?  siècle,  en  737  ou  738  par  exemple. 

C'est  aussi  l'opinion  de  M.  de  Rey.  Dans  les  Invasions 
des  Sarrasins  en  Provence,  il  écrit  :  «  Quelques  souffrances 
qu'ait  endurées  le  monastère  de  Saint- Victor,  depuis  Charles- 
Martel,  cependant  il  existait  epcore  an  commencement  du 
X*  siècle,  et  non  seulement  ses  murs  étaient  encore  debout, 
mais  les  religieux  l'occupaient  toujours.  »  Dans  Les  Saints 


(1)  «  Cumque  diutius  in  tantiamoris  matrimonio  perdurasset  (monas- 
terium)  omissà  proie  tant»  nobilitatis,  de  vagina  Vandalorum  callidus 
exactor  educitur  ..  Quod  necare  antiqui  serpe  utis  framea  corruptovelle 
disponit,  hoc  extincto  sobolumque  flore  omisso,  viduitatis  lacryma, 
flexibilis  et  infelix,  nimioque  senio  consumptum  permansit.  Post  nempe 
annorum  curricula,  temporibus  sanctœ  Romanse  sedis  antistitis 
Johannis,  claruit  sacris  virtutibus  Wifredus  abbas,  locihujus  rector... 
Hicergo  has  aedes  condens  mi  ris  doctrinis  dilatavit,  vellenec  ne  posse 
vicecomitum  seu  egregii  praesulis  Massiliensis...  »  Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  charte  14. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  vie  de  saint  Wifred,  12déc, 
p.  306. 

(3)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  15. 


—  169  — 

de  l'Eglise  de  Marseille,  le  même  auteur  écrit,  à  la  fête  de 
la  translation  des  reliques  de  saint  Victor  :  o  Môme  pendant 
le  cours  de  ces  guerres  sans  pitié,  qui  firent  tant  de  martyrs 
en  Provence,  les  moines  de  Saint- Victor  restèrent  dans  leur 
abbaye  et  veillèrent  sur  les  reliques  confiées  à  leur  soin  (1).  » 

Donc,  si  nous  acceptons  la  signification  que  Ruffi  donne  à 
cette  phrase  des  chartes  de  1431  et  1446,  que  «  lorsque  Saint- 
Victor  fut  détruit  par  (les  Vandales)  les  Sarrasins,  il  y  avait 
tout  proche  un  autre  monastère  »,  son  argumentation  ne  vaut 
rien  contre  nous.  Les  Sarrasins  n  ont  pas  détruit  Saint-Victor 
au  VIII"  siècle;  donc,  à  cette  époque,  il  n'y  avait  pas  de  mo- 
nastère de  filles  proche  celui  de  Saint- Victor. 

Mais,  si  les  Sarrasins  n'ont  pas  détruit  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  au  VHP,  siècle,  sûrement  ils  l'ont  renversée  au  X\  Nous 
lisions  tantôt  la  charte  14  de  Tan  1040,  la  charte  15  de  Tan 
1005  qui  l'affirmaient  en  termes  exprès.  Et  les  auteurs  pla- 
cent cette  destruction  de  l'abbaye  en  923  ou  924.  C'est  à 
cette  époque  donc  qu'il  y  avait  tout  proche  de  Saint-Victor 
un  autre  monastère.  Mais,  nous  l'avons  dit  mille  et  mille 
fois,  pour  nous  l'abbaye  des  religieuses  s'est  trouvée  non 
loin  de  Saint- Victor  dès  837  peut-être  et  presque  sûrement 
en  923.  L'argumentation  de  Ruffi  ne  vaut  rien  contre  nous: 
«  Lorsque  Saint-Victor  fut  détruit  par  (les  Vandales)  les  Sar- 
rasins, il  y  avait  tout  proche  un  autre  monastère.»  Cette  des- 
truction de  Saint- Victor  a  eu  lieu  en  923  ou  924.  A  cette  épo- 
que, le  monastère  des  filles  était  tout  proche.  C'est  ce  que 
nous  avons  dit.  M.  de  Ruffi  en  est  pour  ses  frais. 

Etudions  l'autre  signification  que  nous  avons  donnée  aux 
termes  de  ces  chartes,  en  faisant  se  rapporter  à  a  aliud  olim 
sibi  vicinum  »  les  mots  a  in  diebus  illis  per  prof  anos  Vandales 
funditus  demolitum  »  ,  c'est-à-dire  :  «  Le  monastère  des  filles 
cassianites  était  proche  de  Saint- Victor,  lorsqu'il  fut  détruit 
par  les  Sarrasins.  »  Il  nous  paraît  extraordinaire  que  Rufii, 
sans  cesse  à  l'affût  de  nouvelles  preuves  pour  appuyer  son 
système  (que  le  cœnobium  des  filles  était  tout  proche  de 


(1)  M.  d«  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provencei  p.  124.  —  Les 
Saint*  rie  l'Eflh'te  de  Marseille,  p.  7 


—  170  — 

Saint-Victor,  au  lieu  d'avoir  été  sur  les  bords  de  l'Huveaune) , 
n'ait  pas  découvert  la  sérieuse  objection  que  contient  cette 
signification  donnée  aux  termes  des  chartes  du  XV*  siècle.  Car 
les  Sarrasins  ont  sûrement  détruit  ce  monastère  en  923, 
par  conséquent  à  cette  date  il  se  trouvait  auprès  de  Saint- 
Victor.  A  cela  nulle  difficulté.  Mais  sûrement  aussi  ils 
ont  détruit  le  monastère  dans  lequel  Eusébie  était  abbesse 
et  où  elle  fut  martyrisée.  Or,  ce  martyre  nous  le  plaçons 
dans  notre  thèse  en  738.  Donc,  en  738,  l'abbaye  cassianite 
des  filles  était  tout  proche  de  Saint-Victor,  au  lieu  d'être 
aux  bords  de  l'Huveaune.  Notre  système  serait  à  terre,  et  Ruf- 
fi  aurait  une  preuve  bien  vraisemblable  à  alléguer  contre  nous. 
Ruffi  n'a  rien  découvert  cependant.  Comme  nous  ne  voulons 
pas  diminuer  la  vérité,  nous  nous  devons  de  présenter  cette 
objection  et  d'essayer  de  la  résoudre. 

Voici  cette  lecture  :  Cassien  fonda  le  présent  monastère  de 
Saint-Victor  et  un  autre,  jadis  tout  proche,  qui  fut  détruit 
complètement  par  les  Sarrasins.  Nous  disons  que,  môme  avec 
ce  sens  et  cette  signification,  ce  passage  des  chartes  ne  prouve 
rien  contre  notre  thèse. 

Rappelons-nous  que  le  cœnobium  des  vierges,  à  trois 
reprises,  au  moins,  a  été  saccagé  et  ruiné.  En  738,  d'abord, 
époque  à  laquelle  nous  plaçons  le  martyre  de  notre  sainte  Eu- 
sébie. Quel  que  soit  l'auteur  qui  parle  de  cet  événement,  il 
atteste  que  le  cœnobium  fut  incendié  et  détruit.  Une  seconde 
fois  il  fut  pillé  et  renversé,  en  838.  Le  texte  des  Annales  de 
Saint-Bertin,  qui  raconte  cet  événement,  dit  que  les  Sarrasins 
se  précipitent  sur  Marseille,  la  dévastent,  pillent  les  églises, 
portent  sur  leurs  vaisseaux  les  richesses  qu'ils  ont  prises, 
amènent  comme  esclaves  clercs  et  laïques,  et  enlèvent  toutes 
les  religieuses  de  cette  ville  (1).  On  conviendra  avec  nous  que- 
ces  détails  font  bien  supposer  une  ruine  complète  et  des  égli- 

(1)  «  Intérim  Sarracenoru m  pi ratiese  classes  Masslliam  Provincise  ir- 
ruentes,  abductis  sanctimonialibus,  quanim  illic  non  modiea  congregatio 
degebat,  omnibus  et  cunctis  masculini  sexûs  clericis  et  laicis,  vastatàque 
urbe,  thesauros  quoque  ecclesiarum  Gbristi  secum  universaliter  asporta- 
runt.»  Annales  de  Saint-Bertin,  898  (De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins , 
p.  222). 


-  171  — 

ses  et  des  monastères.  Les  mœurs  connues  des  Sarrasins  nous 
autorisent  à  le  croire.  Autre  dévastation  du  cœnobium  en  923 
ou  925.  Celle-ci  fut  si  complète,  si  entière,  que  le  monastère, 
qui  s'était  relevé  des  désastres  du  VIII6  et  du  IXe  siècle,  suc- 
combe cette  fois.  Ce  n'est  que  quatre-vingts  ans  après,  vers 
1004,  qu'on  le  réédifie.  Mais  alors  ce  n'est  plus  auprès  de 
Saint-Victor  qu'il  s'élève,  c'est  dans  l'enceinte  de  la  ville.  Ce 
ne  sont  plus  lesCassianiles  qui  y  vivent,  ce  sont  les  Bénédic- 
tines, puisque  les  religieuses  de  Saint-Sauveur  ne  suivent  plus 
la  règle  de  saint  Cassien,  mais  ce] le  de  saint  Benoit.  Le  voca- 
ble même  est  changé.  Ce  n'est  plus  celui  de  Sain t-Cyr  qu'il 
porte,  mais  celui  de  Saint-Sauveur. 

Or,  à  laquelle  de  ces  destructions  est-il  fait  allusion  dans  les 
chartes  de  1431  et  1446?  Le  texte  ledit  clairement.  On  y  lit: 
«  funditus  demolitum  »,  ruiné  défend  en  comble.  Or,  la  ruine 
complète  du  cœnobium  est  celle  de  923.  A  cette  date,  il  sombre 
dans  la  tourmente.  C'est  la  fin.  C'est  donc  à  cette  destruction 
du  monastère  en  923  qu'il  est  fait  allusion  dans  les  chartes  du 
XV*  siècle.  Alors  il  était  auprès  de  Saint-Victor,  attestent  ces 
chartes.  Mais,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  à  cette  époque  nous 
acceptons,  nous  croyons  qu'en  effet  le  cœnobium  cassianite 
se  trouvait  voisin  de  Saint -Victor.  Donc,  la  lecture  de  ces 
chartes  n'est  pas  contre  nous. 

Le  contexte  des  chartes  du  XV#  siècle  ne  l'exprimerait  pas, 
que  l'on  serait  autorisé  à  supposer  que  le  moine  rédacteur  de 
ces  documents  a  entendu  parler  de  la  ruine  survenue  au  cœ- 
nobium cassianite,  en  923.  Dans  ces  chartes,  en  effet,  l'abbé 
de  Saint- Victor  raconte  les  gloires  de  son  monastère  fondé 
par  Cassien,  et  il  ajoute,  en  passant,  que  cet  illustre  religieux 
a  fondé  un  autre  cœnobium  voisin  de  Saint-Victor  et  plus  tard 
détruit  par  les  Sarrasins.  Par  trois  fois,  nous  le  savons,  ce 
cœnobium  fut  détruit.  Or,  de  laquelle  de  ces  trois  ruines  du 
monastère  le  moine  rédacteur  a-t-il  voulu  parler  ? 

Supposerons-nous  qu'il  a  voulu  rappeler  à  la  mémoire  de 
ses  lecteurs  que  jadis,  au  VIII*  siècle,  en  738,  par  exemple, 
puisque  c'est  la  date  que  nous  préconisons,  ce  cœnobium  fut 
renversé  ?  Il  oubliera  de  dire  qu'A  la  suite  de  cette  dévastation 
ce  cœnobium  en  a  subi  d'autres  ?  Mais  à  quel  litre  cette  des- 


—  172  — 

traction  de  738  doit-elle,  dans  l'idée  du  moine  historien,  atti- 
rer notre  attention  ?  Serait-ce  à  cause  du  martyre  de  sainte 
Eusébie  ?  Il  est  parlé  précisément  de  cette  sainte,  deux  lignes 
plus  haut,  pour  dire  qu'elle  repose  dans  le  monastère  de  Saint- 
Victor  avec  ses  quarante  compagnes.  Pourquoi  ne  pas  insinuer, 
alors,  que  c'est  bien  à  cette  époque  qu'elle  a  subi  le 
martyre  ? 

Supposera-t-on  qu'il  a  voulu  attirer  notre  attention  sur  le3 
désastres  du  IXe  siècle,  en  838,  l'enlèvement  des  religieuses, 
circonstance  plus  pénible  et  plus  douloureuse  que  le  martyre 
de  sainte  Eusébie  ?  L'écrivain  laissera  dans  l'oubli,  alors,  et  la 
ruine  de  738,  et  la  destruction  de  923  !  Rien  n'autorise  à  croire 
que  telle  a  été  l'intention  de  l'auteur.  Pas  un  mot  de  ces  docu- 
ments ne  l'indique.  D'ailleurs,  les  règles  du  langage  et  de  la 
logique  ne  permettent  pas  de  procéder  ainsi.  Quand  on  ra- 
conte les  événements  heureux  ou  malheureux  qu'une  per- 
sonne, une  institution  ont  subis,  ou  bien  on  détaille  chacun 
de  ces  événements  que  Ton  cherche  à  rappeler,  ou,  si  Ton  se 
sert  d'un  terme  général,  c'est  sur  le  fait  principal,  vers  l'évé- 
nement saillant  que  Ton  attire  l'attention.  Or,quel  est  ici,  dans 
le  sujet  qui  nous  occupe,  le  point  important?  c'est  la  ruine 
complète,  la  tin  du  cœnobium.  Or,  cette  ruine,  s'est  effectuée 
en  923.  C'est  donc  à  elle  que  l'auteur  de  ces  chartes  fait  allu- 
sion. Or,  en  923,  l'abbaye  cassianite,  nous  l'avons  dit,  se  trou- 
vait auprès  de  Saint-Victor.  Donc  encore,  la  lecture,  telle  que 
nous  l'acceptons  de  ce  passage  des  chartes,  ne  conclut  pas 
contre  nous.  C'est  toujours  de  la  ruine  de  l'abbaye  cassianite, 
en  923,  qu'il  s  agit. 

Disons  plutôt  que  cette  nouvelle  signification  donnée  par 
hypothèse  aux  termes  des  chartes  n'est  pas  acceptable. Ce  n'est 
pas  à  «  aliud  sibi  olim  vicinum  »  que  se  rapportent  le  «  in 
diebus illis  per  profanos  Vandalos  fundilus  demolitum  »,  mais 
à  «  hoc  praesens  monasterium  (Sancti  Victoris)  »  ;  c'est-à-dire 
c'est  le  monastère  de  Saint-Victor  dont  il  est  dit  dans  ces 
chartes  qu'il  a  été  détruit  par  (les  Vandales)  les  Sarrasins  et 
non  pas  celui  des  Filles  de  saint  Cassien. 

D'abord,  c'est  l'opinonde  Kufli,  nous  l'avons  dit,  et  de  Lau- 
tard  son    copiste  fidèle.    Rappelons-nous  qu'interpréter  ces 


—  173  — 

chartes  de  1431  et  1446  comme  nous  l'avons  fait,  était  apporter 
la  meilleure  des  preuves  en  faveur  de  leur  système,  contraire 
à  celui  que  nous  préconisons.  Or,  Ruffi  s'en  est  tenu  au  pre- 
mier sens  ;  donc,  ces  chartes,  à  la  première  lecture,  offraient 
ce  sens  tout  naturel  et  tout  obvie. 

Ensuite,  plusieurs  des  auteurs  qui  se  sont  occupés  du  sujet 
que  nous  traitons  n'ont  fait  sur  ces  passages  des  chartes  au- 
cune réflexion  qui  puisse  embarrasser  notre  marche.  Et  ils 
connaissaient  ces  chartes.  La  Gallia,  André,  dans  V Histoire 
de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur  les  ont  citées. 
M.  de  Key  devait  les  connaître  aussi,  car,  d'une  part  il  cite 
souvent  l'ouvrage  de  M.  André,  d'autre  part  il  semble  faire 
allusion  à  ces  chartes  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en 
Provence ,p.  138  :  «  Les  abbayes  de  Saint-Victor  et  de  Saint- 
Sauveur,  ainsi  rapprochées  l'une  de  l'autre,  durent  avoir 
même  fortune  pendant  les  guerres  des  Sarrasins,  et  tout  ce 
que  la  première  eut  à  souffrir  au  milieu  de  ces  longs  boule- 
versements, l'autre  le  souffrit  aussi  ».  Et  à  la  page  138  :  «  Le 
monastère  cassianite  ne  périt  qu'au  temps  des  Sarrasins  du 
Fraxinet,  sous  les  coups  des  mêmes  invasions  qui  emportèrent 
l'abbaye de  Saint-Victor,  c'est-à-dire,  dans  la  première  moitié 
du  X*  siècle  après  Tannée  924.  »  Dans  les  Saints  de  V Eglise 
de  Marseille,  on  lit  aussi  :  e  C'est  alors  (923)  que  périt  le 
monastère  de  Saint-Victor,  et  alors  aussi,  croyons-nous,  que 
celui  de  Saint-Cyr,  surpris  par  une  attaque  imprévue,  suc- 
comba si  glorieusement.  » 

Ces  auteurs,  on  le  voit,  traduisent,  peut-être  même  sans 
y  penser,  le  passage  de  nos  chartes  :  Cassien  fonda  le  monas- 
tère de  Saint- Victor  détruit  par  les  Sarrasins,  et  un  autre 
monastère  qui  était  tout  proche.  Or,  ces  auteurs  ne  paraissent 
pas  se  douter  que  ce  passage  des  chartes  peut  recevoir  une 
autre  interprétation,  celle  que  nous  discutons;  ou,  s'ils  y  ont 
pris  garde,  ils  ont  jugé  cette  interprétation  peu  conforme  avec 
le  sens  général  de  ces  documents  et  ils  ne  s'y  sont  pas  arrêtés. 
C'était  cependant  une  très  forte  preuve  encore  à  l'appui  de 
leur  opinion,  puisque  tous  deux,  MM.  André  et  de  Rey,  placent 
le  monastère  cassianiste  des  filles  auprès  de  Saint -Victor. 
Xou9  aurions  donc  mauvaise  grâce  à  adopter,  nous,  une  in-* 

12 


—  174  - 

terprétation  différente,  d'autant  plus  qu'elle  serait  très  défa- 
vorable à  notre  système,  si  elle  était  demeurée  sans  réponse  et 
sans  explication. 

Ajoutons  que  vouloir  suivre  la  lecture  de  ces  passages  des 
chartes  telle  que  nous  l'avons  proposée  en  objection,  en  fai- 
sant se  rapporter  à  «  olim  sibi  vicinum  »  le  a  in  diebus  il  lis  a 
Vandalis  funditus  démoli tum  »,  c'est  s'exposer  à  un  grave 
inconvénient.  S'il  n'y  avait  pas  à  Marseille  nne  tradition  qui 
place  le  cœnobium  cassianite  sur  les  bords  de  l'Huveaune  ; 
s'il  n'existait  pas  quantité  de  documents  attestant  que  ce 
monastère  a  changé  souvent  et  de  nom  et  d'emplacement  ;  si, 
de  plus,  l'on  pouvait,  à  l'aide  de  cette  lecture,  concilier  les 
auteurs,  on  pourrait  à  la  rigueur  accepter  ces  chartes  comme 
preuve  qu'à  l'époque  où  il  fut  détruit  par  les  Sarrasins,  en 
738,  le  cœnobium  était  auprès  de  Saint- Victor.  Mais  il  y  a  une 
tradition,  quelque  peu  appuyée,  qu'un  monastère  s'élevait 
jadis  à  l'Uuveaune.  Des  documents  prouvent  qu'à  plusieurs 
reprises  ce  monastère  a  changé  son  vocable  et  de  lieu  d'em- 
placement. Cette  lecture  ne  concilierait  pas  le  témoignage 
des  auteurs.  Or,  niera-t-on  la  tradition?  récusera-t-on  les  docu- 
ments? réfutera-t-on  les  raisons  apportées  par  les  auteurs? 
Gela  ne  serait  pas  possible.  Donc,  laissons  de  côté  la  lecture 
proposée  et  objectée,  et  acceptons  celle  de  Ruffi. 

Encore,  pourquoi  appliquer  le  a  per  prof anos  Vandalos  fundi- 
tus demolitum  »  à  1'  a  olim  sibi  vicinum  »  et  non  pas  à  1'  «  hoc 
prsesens  monasterium  Sancli  Victoris  »?  Ces  mots  «  per  profanos 
Vandalos  »  ne  sont  pas  autre  chose  que  la  répétition  de  ce  que 
les  chartes  disent  si  souvent  de  ce  monastère.  Dans  la  charte 
15,  en  1005,  en  effet,  on  lit  que  ce  monastère  de  Saint-Victor 
<  fuit  adnullatum  ac  fere  ad  nihilum  est  redactum  ».  Dans  la 
charte  14,  en  1040,  après  avoir  parlé  de  la  gloire  de  cet  anti- 
que cœnobium,  on  dit  qu'à  une  époque,  «  de  vaginâ  Vanda- 
lorum  callidus  exactor  educitur,  quod  necare  antiqui  serpen- 
tis  framea  corrupto  velle  disponit. ..  »  Puis:  «  hoc  monas- 
terio  extincto. . .  nimioque  senio  consumptum  permansit.  » 
Dans  la  charte  691  de  Tan  1045,  on  lit  encore:  «  olim  illorum 
(monachorum)  raonasteria  a  paganis  destructo  »  ;  dans  celle 
de  1055  (charte  565)  il  est  écrit  :  <  monasterium  a  paganis 


-  175  — 

destructum.. .  in  solitudinem  redactum...  »  Comparez  ces 
diverses  phrases  avec  celle  des  chartes  de  1431  et  1446.  Les 
termes  sont  différents,  mais  l'idée  est  la  même.  Il  s'agit  de  la 
destruction,  de  la  ruine  du  monastère  de  Saint* Victor.  Pour- 
quoi donc  appliquer  à  un  autre  monastère,  dont  on  ne  parle 
presque  jamais  dans  les  chartes,  ce  que  Ton  dit  si  souvent  de 
Saint- Victor  ?  C'est  donc  de  Saint-Victor  qu'il  s'agit  dans  ces 
titres  du  XV  siècle. 

Une  autre  considération  va  démontrer  plus  amplement  que 
c'est  uniquement  de  Saint- Victor  qu'il  s'agit.  De  pieux  fidèles 
ont  exposé  à  l'abbé  du  monastère  que  s'il  accordait,  à  ceux 
qui  font  partie  de  la  confrérie  de  Notre-Dame  de  Confession, 
d'être  inhumés  dans  le  cimetière  de  ce  monastère  et  de  parti- 
ciper aux  prières,  aux  mérites   des  saints  religieux   qui  y 
vivent,  l'honneur  et  la  vénération  qui  en  reviendraient  à  la 
Sainte  Vierge  en  seraient  augmentés.  L'abbé  de  Saint- Victor, 
alors  Pierre  Dulac,  acquiesça  à  cette  requête,  et  à  ce  sujet  il 
célèbre  dans  une  page  très  animée  les  gloires  de  son  abbaye  : 
«  C'est  là,  dit-il,  que  reposent  les  restes  des  martyrs  :  Victor 
et  ses  compagnons,  Adrien  et  ses  compagnons,  Maurice,  Inno- 
cent et  ses  compagnons,  Chrisante  et  Darie,  Eusébie  et  ses 
quarante  compagnes  vierges  et  martyres.  Cassien  fonda  ce 
monastère,  ainsi  qu'un  autre  qui  était  tout  proche,  détruit 
plus  tard  par  les  Vandales.  Dans  ce  monastère  il  se  vit  entouré 
de  cinq  mille  moines...  Là  il  vécut  jusqu'à  l'âge  de  quatre- 
vingt-dix-sept  ans,  et  ce  fut  de  ce  lieu  béni  que  les  anges  le 
portèrent  aux  cieux,  où  il  retrouva  cette  multitude  de  saints 
et  de  saintes  qu'il  y  avait  envoyés  par  ses  exemples  et  ses 
enseignements.  Là  vécurent  encore  saint  Mauront,  Hilarianus, 
Ysarne,  Hugues,  Bernard,  Wiffred  et  quantités  d'abbés  ou  de 
confesseurs  de  Jésus-Ghrist,et  cette  foule  innombrable  de  mar- 
tyrs, d'évêques,  de  confesseurs,  de  vierges,  dont  les  corps 
reposent  aux  alentours  de  ce  monastère  ou  dans  son  église...  » 
C'est  donc  de  l'antique  abbaye  de  Saint -Victor  que  l'on 
parle;  c'est  cette  abbaye  dont  on  rappelle  les  riches  trésors  de 
grâces,  de  vertus,  de  sainteté,  qu'elle  possédait  dans  ses  murs  ; 
pourquoi  donc  mêler  à  cette  histoire  celle  du  cœnobium  cassia- 
nite,  et  dire  qu'il  a  été  détruit  par  tels  ou  tels  barbares! 


—  176  — 

Qu'on  fasse  mention  de  son  existence,  cela  se  comprend,  puis- 
qu'on ajoute  à  la  gloire  de  saint  Cassien,  qui  le  fonda.  Mais 
que  Ton  parle  de  sa  ruine,  à  quoi  cela  servira-t-il  ?  L'on  dira 
au  contraire  que  ce  monastère  de  Saint- Victor  a  été  détruit, 
c'est  un  nouveau  titre  de  gloire  que  l'on  énumère.  L'on  fait 
bien  d'en  parler,  l'histoire  de  l'abbaye  est  ainsi  complète. 
C'est  donc  bien  de  Saint-Victor  que  l'on  dit  qu'il  a  été  «  per 
profanos  Vandalos  funditus  demolitum  ».  Donc,  les  chartes 
de  1431  et  1446  ne  concluent  par  contre  nous. 


(1)  Voir  cette  charte  citée  in  extenso  duus  les  Cryptes  de  l'abbaye  de 
Saint- Victor,   par  Kothen,  p.  99. 


< 

j 


CHAPITRE  V 


Plusieurs  objections  de  Ruffi 


LE  CŒNOBIUM  DES  VIERGES  N'ÉTAIT  PAS  AUX  BORDS  DE  L'HUVEAUNE.— 
LES  MASURES  QU'ON  Y  VOIT  SONT  LES  RESTES  D*UN  COUVENT  DE 
PBBM0NTRÉ3.  —  C'EUT  ÉTÉ  TROP  LOIN  DE  MARSEILLE,  PÉRIL  DES 
PIRATES.—  CASSIEN  AVAIT  DES  SITES  PLU3  RAPPROCHÉS.  —  RUINES 
DÉCOUVERTES  A  LA  CHAPELLE  DE  SAINTE-CATHERINE. 


Le  monastère  où  sainte  Eusébie  a  vécu  n'était  pas  sur  les 
bords  de  l'Huveaune,  parce  que  Cassien  n'a  pu  avoir  la  pensée 
de  rétablir  en  cet  endroit.  Et  Ruffi  (1),  qui  soutient  cette  thèse, 
énumère  une  série  de  raisons  que  nous  rangeons  sous  cette 
même  rubrique  :  Impossibilité  pour  le  monastère  de  Sain  te - 
Easébie  de  se  trouver  à  l'Huveaune.  «  Il  ne  pouvait  être  ni  sur 
le  bord  de  la  mer,  ni  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  comme 
quelques-uns  l'imaginent,  à  cause  qu'on  y  voit  paraître  des 
masures  d'une  église'  qui  appartenait  aux  religieuses  de  Saint- 
Sauveur,  et  qui  fut  un  couvent  de  l'ordre  des  Prémontrés  qui 
ne  fut  bâti  que  l'an  1204.  » 

Après  avoir  lu  notre  travail,  on  avouera,  nous  l'espérons, 
que  si  nous  plaçons  le  monastère  de  sainte  Eusébie  sur  les 
bords  de  PHuveaune,  ce  n'est  pas  uniquement  parce  que 
l'histoire  nous  dit  qu'il  y  avait  là  des  masures  ayant  appar- 
tenu aux  religieuses  de  Saint-Sauveur.  C'est  à  cause  d'un 
ensemble  de  faits,  de  dates,  de  circonstances  qu'il  est  difficile 
de  ne  pas  accepter  comme  preuve  de  notre  assertion.  Ceux, 
d'ailleurs,  qui  du  temps  de  Ruffi  ou  avant  lui,  soutenaient  la 
môme  thèse  que  nous  à  Gette  heure,  ne  s'appuyaient  pas  uni- 
quement sur  ces  masures  des  bords  de  l'Huveaune,  mais  sur 
d'autres  arguments,  et  surtout  sur  la  tradition  dont  Ruffi 
semble  vouloir  ne  pas  entendre  parler  (2). 

(1)  Rufli,  Histoire  de  Marseille*  t.  II,  p.  56. 

(?)  Ainsi  Mabillon,  du  Saussay,  Chifflet,  Lecoiote,  Arthur  de  Mones- 
tier.  etc. 


—  178  — 

«  Il  n'y  a  pas  d'apparence  que  Cassien  ait  bâti  un  monastère 
de  filles  si  loin  de  la  ville,  et  sur  les  bords  de  la  mer,  pour 
ne  pas  les  exposer  aux  incursions  des  pirates  gui  faisaient 
alors  de  fréquentes  courses  en  ces  mers  (1).  »  Soit;  admet- 
tons que  c'était  bien  imprudent,  de  la  part  de  Cassien, 
de  placer  un  monastère  de  filles  loin  de  la  ville,  et  sur  les 
bords  de  la  mer.  Mais  où  donc  l'a-t-il  établi,  suivant  Ruffi? 
Sans  doute  au  sein  de  la  ville,  à  l'abri  des  murailles  ou, 
du  moins,  comme  le  bruit  et  le  tumulte  d'une  ville  ne  sont 
guère  favorables  au  recueillement  d'un  monastère,  ce  sera  en 
dehors  de  la  ville,  mais  toujours  aux  portes  de  la  cité.  En  cas 
d'alerte,  aux  premiers  avis  d'une  invasion,  les  religieuses 
trouveront  un  refuge  assuré  au  milieu  de  la  ville.  C'était  de  la 
plus  vulgaire  prudence,  car  de  410  à  420,  époque  où  les  deux 
monastères  ont  élé  fondés,  il  y  a  bien  des  troubles,  des  bou- 
leversements, des  agitations  au  sein  des  peuples.  Rappelons  la 
phrase  de  saint  Prosper  :  «  La  ruine  de  la  Gaule  eût  été  moins 
complète,  si  l'Océan  avait  déversé  tous  ses  flots  sur  les  champs 
gaulois  (2).  »  II  y  a  quelques  années  à  peine,  les  Vandales  ont 
ravagé  et  saccagé  la  haute  Provence.  Arles  heureurement  les 
a  arrêtés.  Les  Visigolhs  ont  laissé  de  côté  la  Provence,  mais  les 
Burgundes  s'avancent  lentement  vers  elle.  Cassien  ne  peut 
donc  prendre  trop  de  précautions  pour  le  choix  de  l'emplace- 
ment destiné  à  ses  deux  monastères. 

Or,  qu'arrive-t-il  ?  Cassien  avise  de  l'autre  côté  de  la  ville 
un  endroit  solitaire,  au  pied  d'une  montagne,  couverte  peut- 
être  encore  de  bois  épais,  séparée  de  la  ville  par  un  bras  de 
mer  plus  large  que  ne  l'est  le  port  de  nos  jours,  inaccessible 
presque,  puisqu'il  est  entouré  d'une  ceinture  de  salines  et  de 
marais.  C'est  là  qu'il  établit  l'abbaye  de  Saint-Victor  et  qu'il 
fonde  aussi  le  monastère  de  filles.  Quelle  admirable  prudence, 
n'est-ce  pas,  si  Ion  ne  considère  que  le  choix  du  site!  Comme 
il  sera  facile,  au  jour  où  les  pirates  débarqueront  à  l'impro- 

(1)  Ruflî,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56.— M.  deRuffï  père  pensait 
tout  le  contraire.  Cassien,  dit-il,  aimait  la  solitude,  et  il  a  bien  pu  profiter 
de  ce  coin  tranquille  et  retiré  de  notre  terroir  pour  y  établir  un  monastère. 

(2;  <t  Si  toi  us  Gallossese  effudlsset  in  agros  Oceanus,  vastis  plus  supe- 
resset  aquis...»,  dansRuinart,  Hiçtov ta persecutionis  Vanflalicfp.p.  195. 


-  179  — 

viste  soit  à  l'entrée  du  port,  soit  sous  les  murs  du  monastère  ou 
dans  quelque  anse  ignorée  du  versant  opposé  de  la  Garde, 
comme  il  sera  facile,  dis- je,  à  ces  saintes  filles  d'avoir  des 
barques  toutes  prêtes  pour  les  passer  de  l'autre  côté  du  port, 
ou  prendre  leur  course  à  travers  les  salines,  les  marais,  les 
ruisseaux,  de  faire  un  immense  détour  pour  atteindre  et 
gagner  la  ville  ! 

Non,  non,  si  Cassien,  en  fondant  ses  deux  monastères,  s'est 
préoccupé  de  cette  idée  qu'ils  pourraient  être  un  jour  attaqués 
par  les  pirates,  ce  n'est  pas  de  l'autre  côté  du  port  qu'il  devait 
établir  au  moins  celui  des  filles.  C'eût  été  dans  la  ville  même, 
ou  à  côté  des  remparts.  Non  plus,  nous  l'avouons,  il  ne  pou- 
vait songer  aux  bords  de  l'Huveaune.  L'emplacement  eût  été 
aussi  mal  choisi  dans  un  cas  comme  dans  l'autre.  L'argument, 
donc,  de  Ruffi  n'est  pas  irréfutable. 

«  Il  n'y  a  pas  d'apparence  qu'il  les  eût  logées  dans  l'inté- 
rieur du  terroir,  puisqu'il  pouvait  les  placer  plus  proche  et 
leur  donner  un  lieu  aussi  solitaire  qu'il  pût  souhaiter.  Car 
la  colline  de  Notre-Dame  de  la  Garde  était  couverte  de 
bois  (1).»  Nous  ne  sommes  pas  à  chercher  quel  endroit  Cassien 
aurait  dû  choisir.  A  part  les  raisons  que  le  fondateur  pouvait 
avoir  et  que  nous  ne  savons  pas,  nous  avons  dit  que  les  bords 
de  l'Huveaune  étaient  un  site  aussi  défavorable  que  le  voisi- 
nage de  Saint- Victor.  Mais  Cassien  n'avait-il  pas  quelque 
raison  à  nous  inconnue  ?  Quel  site  a-t-il  choisi  de  préférence  ; 
voilà  la  question  qui  en  réalité  fait  l'objet  de  cette  dis- 
cussion. 

«  On  découvrit  au  même  endroit  (dans  les  environs  de  l'an- 
cienne chapelle  de  Sainte-Catherine),  en  creusant  la  terre  pour 
construire  le  Canal,  quelques  fondements  d'un  grand  édifice 
extrêmement  épais,  qui  marquaient  une  très  grande  antiquité, 
et  même  on  y  découvrit  quelques  masures  d'un  presbytère  qui 
tournait  du  côté  du  levant  (2).  »  On  devine  notre  réponse. 
Puisque  nous  acceptons  que  le  monastère  a  été  en  cet  endroit, 
vers  838  ou  923,  ce  sont  les  ruines  de  ce  monastère  que  Ton 


(1)  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille ,  t.  II,  p.  50. 


—  180  — 

a  découvertes  en  1685.  Si  ces  ruines  datent  du  IXe  ou  X*  siècle, 
leur  antiquité  est  assez  respectable.  Quant  au  a  presbytère 
lourné  vers  le  levant  »,Ruffi  est  un  bien  habile  archéologue 
s'il  nous  certifie  que  ces  masures  étaient  celles  d'un  pres- 
bytère. Si  nous  voulions  soutenir,  nous,  que  c'était  une  loge 
de  portier,  nous  ne  savons  qui  voudrait  se  charger  de  dirimer 
la  question  !  D'ailleurs,  l'abbaye  de  Saint-Victor  n'étant  guère 
plus  qu'à  deux  cents  pas  de  distance  du  monastère  cassianite, 
vers  923,  il  était  inutile  qu'il  y  eût  le  logement  des  moines 
dans  les  attenances  de  l'abbaye  des  religieuses. 


CHAPITRE  VI 

Les  Religieuses  cassianites 
n'avaient  pas  de  chapelles  pour  y  faire  célébrer 

les  Saints  Mystères 


objection  de  rufpi.  —  des  524,  les  religieuses  ont  des  chapelles 
publiques.  —  a  l'époque  de  ruffin,  de  saint  Jérôme,  elles 
ont  des  oratoires  privés.  —  si  l'on  va  entendre  la  messe,  le 

DIMANCHE,  A  L'ÉGLISE,  LES  RELIGIEUSES  DE  L'hUVEAUNE  ONT  PU 
ALLER  A  SAINT-GINIEZ.  —  TOUT  AU  PLUS  DURANT  QUATRE-VINGTS 
ANS.  —  DÈS  510  OU  512  ELLES  ONT  PU  AVOIR  UN  ORATOIRE  PRIVÉ. 
—  CHAPELLES  INCONNUES  DANS  NOTRE  TERROIR.  —  PEUT-ÊTRE  CELLE 
DU  CŒNOBIUM. 


C'est  une  autre  objection  de  Ruffî.  a  Gomme  il  fonda  Fab- 
baye  de  Saint -Victor,  Cassien  voulut  faire  bâtir  près  de  cette 
maison,  et  h  une  distance  proportionnée,  le  monastère  des 
tilles,  afin  qu'elles  pussent  plus  commodément  entendre  la 
messe  dans  l'abbaye  de  Saint- Victor,  parce  que  en  ce  temps-là 
les  religieuses  n'avaient  pas  d'église  pour  y  faire  célébrer  les 
saints  mystères. . .  Quelque  temps  après,  les  religieuses  eurent 
des  oratoires  dans  leurs  monastères  pour  y  faire  célébrer  le 
service  divin,  et  ne  commencèrent  à  avoir  d'églises  publiques 
qu'après  l'an  817,  comme  il  est  facile  de  le  conjecturer  d'après 
le  concile  d'Aix-la-Chapelle  (1).  » 

11  y  a  dans  cette  page  un  luxe  d'érudition  avec  lequel  il  va 
falloir  compter,  semble-t-il.  Ne  nous  laissons  pas  éblouir  ce- 
pendant. Il  est  faux  d'abord  de  dire  que  ce  fut  «  après  817  que 
les  religieuses  eurent  des  églises  publiques,  comme  il  est  fa- 
cile de  le  conjecturer  d'après  le  concile  d'Aix  la-Chapelle  » . 
Car,  premièrement,  le  concile  d'Aix-la-Chapelle  de  817  ne 
parle  pas  des  églises  de  religieuses.  C'est  le  concile  de  810, 

(1)  Hufti,  Histoire  fie  Marseille,  t.  II,  p.  56. 


—  182  — 

tenu  dans  cette  môme  ville,  qui  s'en  occupe  (1).  Deuxième- 
ment, ce  concile  de  816  ne  dit  rien  au  sujet  des  chapelles 
publiques  des  monastères.  Voici  ce  qu'on  Ht  dons  un  de  ses 
décrets  :  «  Les  prêtres  chargés  de  dire  la  messe  aux  cha- 
noinesses,  appelées  aussi  sanctimoniales,  n'entreront  dans  la 
communauté  que  pour  célébrer  les  saints  mystères  dans 
l'église  des  chanoinesses  qu'au  temps  marqué.  Pendant  la 
messe,  les  chanoinesses  tireront  un  rideau  devant  elles.  Si 
Tune  d'entre  elles  veut  confesser  ses  péchés  au  prêtre,  ce  doit 
être  dans  l'église,  afin  qu'elle  soit  vue  de  tous.  »  Il  ne  s'agit 
pas,  dans  ce  texte,  de  chapelle  publique,  mais  bien  de  cha- 
pelle privée  dans  un  monastère.  Ruffi  donc  ne  peut  en  déduire 
que  ce  fut  après  817  seulement  que  les  monastères  eurent  des 
églises  publiques  ouvertes  à  tous  les  fidèles.  Bien  avant  817,  les 
monastères  de  religieuses  possédaient  des  églises  publiques.  On 
lit  dans  la  Vie  de  saint  Césaire  d'Arles  que  les  Pères  du  con- 
cile tenu  à  Arles  en  524  firent  la  dédicace  d'une  église  à  trois 
nefs  que  cet  évéque  avait  fait  bâtir  dans  les  attenances  du 
monastère  de  sainte  Césarie,  sa  sœur,  à  laquelle  église  les 
fidèles  avaient  accès  par  une  porte,  les  religieuses  par  une 
autre  (2). 

L'affirmation  de  Rufïi  relativement  aux  églises  publiques  des 
monastères  est  donc  fausse.  Quant  aux  chapelles  privées,  il 
est  vrai  que,  généralement  parlant,  à  l'époque  de  saint  Cas- 
sien,  les  religieuses  n'en  avaient  pas  encore  pour  y  faire  célé- 
brer la  sainte  messe.  Le  cardinal  Hergenroether  (3),  dit  :  «  Ce 


(1)  Histoire  chronologique  et  dogmatique  des  conciles  de  la  chré- 
tienté, par  Roisselet  de  Sauclières,  t.  III;  coueile  d'Aix-la-Chapelle,  en 
816,  27*  article  de  la  règle  des  chanoinesses,  p.  358. 

(2)  Histoire  de  saint  Césaire,  évéque  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille, 
pp.  131,  132.  —  Iiecapitulatio  regulœ,  ch.  IX;  Saint  Césaire,  Patrolo- 
gie  latine,  édition  M  igné,  t.  LXVlï.  col.  1109,  etc.— Et  il  y  avait  de  plus, 
dans  le  monastère,  un  oratoire  privé  où  un  prêtre  disait  la  messe.  Voici 
le  texte  de  la  Règle  à  ce  sujet:  «  Nullus  virorum  in  sécréta  parte  mo- 
nasterii  et  in  oratorio  introeat,  exceptis  episcopo,  provisore,  presby- 
tero,  diaconis,  et  uno  vel  duobus  lectoribus,  quos  setas  et  vita  commen- 
dant,  qui  aliquoties  missas  facere  debent.  »  Saint  Césaire,  Patrologie 
latine,  édition  Migne,  t.  LXVII,  col.  1109. 

(3>  Histoire  de  VEgh'se%  par  le  cardinal   Hergenroether,  t.  II,  p.  609. 


—  183  — 

ne  fut  qu'à  partir  du  VP  siècle  que  les  couvents  de  nonnes 
eurent  des  églises  particulières.  Dans  l'origine  elles  allaient  en 
commun,  le  dimanche,  à  la  messe  paroissiale.  »  Mais  il  y 
avait  bien  des  exceptions:  Le  moine  Rufiin,  qui  vivait  du 
temps  de  saint  Jérôme  (331-340)  (1),  raconte  qu'  «  il  vint  dans 
la  ville  d'Oxyrinche  en  Thébaïde,  et  qu'il  la  trouva  peuplée 
de  moines  et  de  religieuses.  Les  édifices  publics,  jadis  temples 
des  fausses  divinités,  servaient  d'habitations  aux  moines,  et  il 
y  avait  dans  cette  ville  plus  de  monastères  que  de  maisons  de 
particuliers.  Or,  cette  ville,  fort  grande  et  populeuse,  possé- 
dait douze  églises,  dans  lesquelles  le  peuple  se  réunissait,  à 
l'exception  des  monastères  dans  chacun  desquels  il  y  avait 
des  oratoires.  Nous  demandâmes  à  l'évêque  de  la  ville 
combien  de  moines  et  de  religieuses  Thabil aient,  et  nous 
trouvâmes  vingt  mille  religieuses  et  dix  mille  moines  (requi- 
rentes  a  sancto  episcopo  loci  illius,  viginti  millia  virginum 
et  decem  millia  monachorum  inibi  comperimus  haberi).  » 
Dans  la  ville  d'Oxyrinche,  il  y  avait  donc  des  églises  pour  le 
peuple,  et  chaque  monastère  possédait  un  oratoire.  Or, 
comme  les  habitants  de  chaque  monastère  ne  se  rendaient 
pas  aux  églises  ouvertes  au  public,  forcément  moines  et  reli- 
gieuses entendaient  la  messe  dans  leurs  oratoires  privés. 

lien  était  à  peu  près  de  même  à  Bethléem,  dans  les  mo- 
nastères de  Paula  (2).  Il  y  avait  dans  chacun  d'eux  une  église 
ou  chapelle,  et  nous  savons  même  quel  titulaire  fut  donnée 
par  Paula  à  l'église  de  son  monastère,  ce  fut  Sainte-Catherine 
d'Alexandrie.  Seulement,  on  ne  célébrait  pas  la  messe  dans 
ces  chapelles.  Saint  Jérôme  n'ayant  pu  consentir,  par  un  sen- 
timent de  profonde  humilité,  à  monter  au  saint  autel,  et  Vin- 

(1)  «  Venimus  et  ad  civitatem  quamdam  Thebaidis,  nomine  Oxyryn- 
chum..  replet am  namque  eam  monachisintrinsecusvidimus  et  extrin- 
secusex  omni  parte  circumdatam.  ittdes  publics  (si  qua  in  eâ  fuerant) 
et  templa  superstitionis  antiquse,  habitationes  nunc  erant  monachorum, 
et  per  totam  civitatem  multo  plura  monasteria  quam  doimis  videbantur. 
Sunt  autem  in  ipsâ  urbe,  quia  est  ampla  vaide  et  populosa,  duodecim 
ecclesise,  in  quibus  agitur  populi  conventus,  exceptis  monasteriis  in 
quihun  per  sînfjula  orationum  tlomus  sunt.*  (Saiirtus  Cassimius  illus- 
trât ut,  par  Guesnay,  p.  70.) 

(2)  Histoire  île  sainte  Paule,  par  l'abbé  Laffrange,  pp.  387,393. 


—  184  - 

centius,  le  seul  prêtre  qu'il  y  eut  alors  avec  lui,  ne  voulant 
oser  ce  que  Jérôme  n'osait  pas,  chaque  dimanche  on  se  ren- 
dait à  l'église -de  Bethléem.  Mais  il  faut  savoir  que  cette 
église  n'était  pas  éloignée  des  monastères.  C'était  l'église 
qu'autrefois  sainte  Hélène  avait  fait  édifier  sur  la  grotte  de  la 
Nativité,  et  les  monastères  étaient  à  côté  (1).  N'ayant  pas  à 
faire  une  longue  course,  pour  entendre  la  messe,  aucun  in- 
convénient ne  se  présentait  de  quitter  le  monastère  sous  la 
conduite  de  leur  abbesse.  Si  elles  avaient  dû  aller  bien  loin 
pour  participer  aux  saints  mystères,  nous  n'assurerions  pas 
que  saint  Jérôme,  à  la  prière  de  sainte  Paule,  ne  fût  revenu 
sur  sa  décision  et  n'eût  trouvé  le  moyen  de  procurer  aux  com- 
pagnes de  Paula  la  consolation  d'entendre  chez  elles  la  sainte 
messe. 

Or,  ne  peut-on  pas  dire  que  Cassien  a  eu  pour  ses  Filles  la 
môme  sollicitude,  et  que,  pour  leur  épargner  une  longue 
course,  il  leur  a  bâti  un  oratoire  qu'il  faisait  desservir  par 
un  de  ses  moines? 

N'importe  cependant,  supposons  que  les  religieuses  cas- 
sianites  fussent  obligées  d'aller  entendre  la  messe  hors  de 
leur  monastère,  sous  la  conduite  de  leur  abbesse.  Quel  incon- 
vénient pouvait  se  présenter  ?  La  clôture  n'existait  pas  encore 
à  cette  époque,  ce  n'était  donc  pas  un  obstacle.  Devaient-elles 
aller  bien  loin  ?  S'il  fallait  supposer  que  chaque  dimanche 
elles  étaient  obligées  de  franchir  les  bois  et  la  colline  de  la 
Garde  pour  venir  à  l'abbaye  de  Saint- Victor,  dans  ce  cas  il 
faudrait  avouer,  avec  Rufli,  que  saint  Cassien  n'a  pu  vou- 
loir exposer  ses  Filles  aux  mille  inconvénients  d'une  aussi 
longue  course.  Mais  ne  peut-on  pas  indiquer  une  église  située 

(1)  «  Post  virorum  monasterium  quod  viris  (Paula)  tradiderat  guber- 
nandum  plures,  virgines  quas  e  diversis  provinciis  congregaverat  ta  m 
nobiles  quam  medii  et  infimi  generis  in  très  turmas  monasteriaque  divi- 
sit (un manuscrit  dit:  per  monasteria)  ita  duntaxat  ut  in  opère  et  in 
cibo  separatae,  psalmediis  et  orationibus  jungerentur.  Die  taraen  domi- 
niez ad  ecclesiam  procedebant,  ex  cujus  latere  habitabant.  Erat  ad  an- 
trum  Nativitatis  Christi  quam  Constantius  atque  Helena  construxerant 
et  unumquodque  agmen  matrem  propriam  sequebatur  atque  inde  pari- 
ter  revertentes  instabant  operi  distributo.  »  Saint  Jérôme,  lettre  108. 
(Opéra  Sancti  Hiemnymi,  t.  I,  col.  896;  Patrologie  latine,  édit.  Migne.) 


—  185  — 

dans  les  environs  de  leur  cœnobium  aux  bords  de  l'Hu- 
veaune ? 

Et  Saint-Giniez  ?  Ne  l'oublions  pas,  c'est  une  église  antique, 
qu'elle  ait  ou  non  toujours  porté  ce  titre  ou  ce  vocable.  En 
1040  elle  était  en  ruine,  lorsque  Pons  II  la  donna  à  Saint-Victor. 
Mais  incontestablement  elle  existait  avant  les  invasions. 
M.  Daspres  a  prouvé  que  ce  point  du  terroir  a  toujours  été 
habité,  puisque  Ton  y  a  découvert  des  vestiges  de  tous  les 
âges.  Il  y  a  eu  probablement  un  lucus,  un  oratoire  païen,  et 
plus  tard  une  église  (1).  Et  cela  forcément,  puisque  les  rives 
de  l'Huveaune  ont  été  cultivées  de  bonne  heure,  puisqu'il  y 
avait  des  serfs  et  des  colons.  C'est  donc  à  Saint-Giniez  même 
que  les  religieuses  cassianites  pouvaient  assister  aux  offices. 
Or,  du  monastère  de  l'Huveaune  à  l'église  de  Saint-Giniez,  il 
y  a  une  vingtaine  de  minutes,  et,  à  cette  époque,  surtout 
quand  il  s'agissait  de  religieuses,  une  telle  distance  n'était 
pas  capable  d'effrayer. 

D'ailleurs,  combien  de  temps  durent-elles  s'assujettir  à  ce 
déplacement,  en  supposant  toujours  qu'elles  n'eussent  pas 
d'oratoire  privé  ?  Tout  au  plus  quatre-vingts  ou  cent  ans.  Car, 
en  Provence,  les  monastères  eurent  bientôt  des  oratoires  pri- 
vés, où  l'on  disait  la  messe.  Saint  Césaire  d'Arles,  nous  l'avons 
dit  tantôt,  fit  bâtir  dans  cette  ville  un  monastère  de  filles,  à 
la  tète  desquelles  il  plaça  Césarie,  sa  sœur.  Or,  ce  monastère 
avait  un  ou  deux  oratoires  intérieurs  dans  lesquels  un  prêtre 
venait  célébrer  la  messe  aux  jours  de  fête.  Il  en  est  fait  men- 
tion plusieurs  fois  dans  la  règle.  Et  ce  monastère  fut  bâti 
en  510  et  habité  dàs  512.  De  plus,  le  concile  d'Agde,  en  506, 
avait  autorisé  les  particuliers  à  avoir  des  oratoires  où  l'on 
disait  la  messe,  excepté  les  jours  de  fêtes  (2).  On  peut  bien 
supposer  que  déjà,  depuis  quelque  temps  au  moins,  un  pareil 


(1)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  II.—  Voir  le  chapitre 
de  notre  présent  ouvrage,  intitulé  :  Quartier  de  Saint-Giniez- ,  du  V*  au 
XI*  siècle . 

(2)  <  Il  est  permis  aux  particuliers  d'avoir  des  oratoires  et  des  chapelles 
dans  les  campagnes  éloignées  des  paroisses,  *  (Histoire  dogmatique  et 
et  chronologique  des  concile*  de  la  chrétienté^  par  Hoisselet  de  Sau- 
eliéres.  t.  II,  p.  370.) 


—  186  — 

privilège  était  accordé  aux  religieuses,  fie  ne  serait  donc  que 
de  420  à  Tan  510-512,  que  les  religieuses  cassianites,  si  elles 
habitaient  les  bords  de  l'Huveaune,  auraient  été  obligées 
d'aller  entendre  la  messe  à  Saint-Giniez. 

Or,  est-il  bien  sûr  qu'elles  aient  attendu  aussi  longtemps 
pour  avoir  un  oratoire  privé  ?  Si  en  506  le  concile  d'Àgde  per- 
met d'en  posséder,  est-ce  que  déjà  depuis  un  bon  nombre 
d'années  cette  coutume  ne  tentait  pas  de  s'introduire?  Peut- 
on  dire  que  ce  ne  fut  strictement  qu'après  506  que  Ton  eut 
de  ces  oratoires?  Est-ce  seulement  à  partir  de  597,  sous  l'ab- 
besse  Respecta,  ou  quelques  années  auparavant,  qu'elles  ont 
possédé  celui  qui  était  dédié  à  saint  Casssien  ?  N'y  a-t-il  pas 
eu  en  cet  endroit,  sur  les  bords  de  l'Huveaune,  une  église  et 
un  monastère  dont  l'histoire  est  inconnue,  tant  elle  est 
ancienne  (1)  ? 

Cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait  que  mentionne  la  charte 
de  1097  ne  serait-elle  pas  l'oratoire  primitif  du  monastère  (2)? 
D'autre  part,  il  y  a  eu  dans  l'espace  compris  entre  la  monta- 
gne de  la  Garde  et  l'Huveaune  un  bon  nombre  de  chapelles 
dont  on  connaît  à  peu  près  le  site  (3),  telles  que  celles  de  Saint- 
Saturnin,  de  Saint-Benoit,  de  Saint-Suffren.  Mais  il  en  est 
d'autres,  celles  de  Saint-Gabriel,  de  Saint-Félix,  par  exemple, 
dont  on  ne  sait  absolument  rien.  Qui  pourrait  dire  qu'il  n'y 
avait  pas  d'autres  chapelles  rurales  dont  le  nom  lui-même  a 
disparu  ?  Que  l'on  ne  sache  rien  de  précis  sur  ces  chapelles, 
n'est-ce  pas  une  preuve  qu'elles  datent  d'avant  les  invasions  ? 
Les  documents  qui  en  parlaient  ont  été  perdus.  Or,  qui  sait 
si  le  nom  de  cet  oratoire  domestique  du  monastère  cassianite, 
à  cette  époque  antique,  n'aurait  pas  été  lui  aussi  enseveli  dans 
la  nuit  des  temps  barbares? 


(1)  a  II  y  a  eu,  à  ce  bord  de  mer,  à  une  époque  antique,  une  église 
et  une  maison  dont  l'histoire  nous  est  inconnue.  Etait-ce  une  paroisse 
rurale  ?  Etait-ce  un  prieuré  de  Saint-Victor  1  »  (Saints  (le  l'Eglise  de 
Marseille  ;  sainte  Eusébie,  p.  231.) 

(Z)  C'est  la  question  que  se  posait  l'abbé  Daspres  dans  son  ouvrage 
sur  Saint-Giniez,  p.  149. 

(3)  Saint-Suffren,  Saint-Gabriel,  Saint-Félix,  Dictionnaire  topogra- 
phique de  Mortreuil,  pp.  344,  331. 


—  187  — 

Encore  une  fois  cette  série  de  fails,  de  dates  qu'objecte  Ruiïi 
pour  nier  l'existence  d'un  monastère  cassianite  sur  les  bords 
de  l'Huveaune,  en  réalité  ne  prouve  rien.  Les  Cassianites  ont 
Pu  aller  à  la  messe  à  Sain t-Gi niez,  durant  tout  le  temps 
qu'elles  n'ont  pas  eu  d'oratoire  privé.  Elles  ont  pu  avoir  cet 
oratoire  dès  le  début  du  VI*  siècle,  et  peut-être  avant.  L'objec- 
tion de  Ruiïi  ne  porte  pas. 


CHAPITRE  VII 

Les  monastères  doivent  être  proche  des  villes. 
Texte  de  saint  Jean  Ohrysostome. 


OBJECTION  DE  RUFFI.  —  SAINT  JEAN  OHRYSOSTOME  NE  DIT  RIEN  DE 
SEMBLABLE.  —  TEXTE  DE  SAINT  BASILE.  —  AUTRE  OBJECTION  DIS 
RUFFI  :   LE  CŒNOBIUM  EUT  ÉTÉ  TROP  LOIN  DE  SAINT-VICTOR. 


«  Cassien,  écrit  encore  Itufii,  voulut  encore  suivre  eu  cette 
occasion  l'avis  de  saint  Jean  Chrysostome  qui  porte  que  les 
monastères  ne  doivent  point  être  écartés  des  villes,  alin  qu'ils 
ne  fussent  point  éloignés  des  commodités  de  la  vie  dont  ils  ne 
peuvent  se  passer  (1).  » 

Il  est  fort  possible  que  saint  Jean  Chrysostome  ait  émis  cet 
avis  dans  ses  ouvrages.  Mais  Ruffi  et  ceux  qui  le  copient 
auraient  bien  fait  d'indiquer  dans  quel  écrit  de  ce  grand 
docteur  on  trouvait  ce  texte.  Nous  l'avons  vainement 
cherché.  Nous  avons  pris  la  table  des  matières  des  écrits 
du  saint  évoque  et  fouillé  dans  les  douze  volumes  in-quarto. 
Impossible  de  découvrir  le  texte  en  question.  Et  cependant 
saint  Jean  Chrysostome  parle  souvent  des  moines  ;  la  table 
des  matières  renvoie  à  de  nombreux  endroits  de  ses  ouvrages. 
Nous  n'avons  trouvé  qu'un  seul  renseignement  au  sujet  des 
moines  et  des  religieux  *  Ils  vivaient  nombreux  aux  environs 
d'Antioche,  et  ils  habitaient  tous sur  les  montagnes  (2). 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56. 

(2)  Voir  la  table  des  œuvres  de  saint  Jean  Chrysostome,  Patroloyie 
firéco-ldtine,  édition  Migne,  t.  XIII  de  saint  Jean  Chrysostome,  à  l'article 
Monàchi  in  montibus  def/ebant. 

«  Isidore  de  Péluse,  libr.  III,  epist.  234,  appelle  ces  moines  habitant 
le  sommet  des  montagnes  :  oupavoitoXttac  »  (Histoire  de  V Eglise ,  par 
Hergenroether,  t.  II,  p.  186.) 


-  189  — 

il  y  a  loin,  on  le  voit,  de  ce  que  le  saint  docteur  a  écrit,  à  ce 
que  Ruffi  lui  fait  dire. 

On  pourrait  peut-être  trouver  l'idée  générale  dece  que  Ruffl 
attribue  à  saint  Jean  Chrysostome  dans  quelques  lignes  du  pané- 
gyrique de  saint  Basile,  prononcé  par  son  ami,  saint  Grégoire 
de  Nazianze  (1).  «  Le  grand  évéque  avait  remarqué,  dit  le  saint 
docteur,  que  les  moines,  qui  vivent  mêlés  aux  autres  gens, 
leur  sont  d'une  grande  utilité,  à  cause  des  exemples  qu'ils 
leur  donnent.  Les  moines  cependant  ne  retirent  pas  eux- 
mêmes  grand  profit  de  ce  voisinage.  Car  leur  vie  tranquille  et 
parfaite  n'est  pas  compatible  avec  le  tracas  et  le  souci  des 
affaires,  au  milieu  desquels  ils  se  trouvent.  D'autre  part,  ceux 
qui  vivent  dans  la  solitude  sont  plus  unis  à  Dieu,  plus  fidèles 
à  leur  vie  parfaite,  mais  les  gens  du  monde  ne  retirent  au- 
cun avantage  de  la  perfection  des  religieux.  Basile  voulut 
réunir  ces  deux  genres  de  vie.  Il  fit  bâtir  lès  monastères  assez 
près  des  lieux  habités,  pour  que  les  moines  pussent  exercer 
la  charité  à  l'égard  des  hommes,  lorsque  cela  pourrait  être 
possible;  assez  loin  cependant  pour  que  la  tranquillité  du 
monastère  ne  fût  pas  troublée  par  le  bruit  et  le  tumulte.  Ainsi 
les  religieux  étaient  utiles  à  leurs  semblables,  et  ceux-ci  ap- 
prenaient des  moines  la  sagesse,  la  patience  et  les  autres  ver- 
tus. Ainsi  la  terre  et  la  mer  s'entr'aident  mutuellement  (2).  » 

(1)  Sanctus  Cassianus  illustratus,  par  Guesnay,  p.  150. 

(2)  Voici  le  texte  de  ce  passage  de  saint  Grégoire  de  Nazianze,  Orat. 
in  laude  Basilii  : 

«  Ut  autem  non  sol  uni  sibi  sed  aliis  proficeret,  p ri  mus  cœnobia  excogi- 
tavit,  ritumque  illum  monachorum  antiquum  et  agrestem  ad  ordinem 
quemdam  ac  formulam  religioni  propiorem  redegit.  Gum  enim  animad- 
vertisset  eos  cui  in  commuai  vita,  hoc  est,  aliis  mixti  aguut,  etiam 
si  monasticam  abstinentiam  servent,  aliis  quidem  utiles  esse,  non 
ila  sibi  ipsis,  cum  in  mullis  eos  malis  versari  necesse  sit,  quœ  vit  se 
quiebB  omnino  perfectse  contraria  videntur,  eos  vero  qui  in  solitudine 
procuJ  ab  aliis  degunt,  firmiores  sane  in  proposito  magisque  Deo  conjunc- 
tos,  attamen  sibi  tantum  utiles,  cum  rerum  experientiam  te  néant,  nec 
cum  aliis  comraercium  ullum  habeant.  Utrumque  genus  vitae  conjun- 
gere  conatus  est.  Quamobrem  monachorum  cœnobia  haud  procul  ab 
iis  qui  in  ho  mi  nu  m  societate  vivunt  aediflcari  jussit,  nec  omnino  sepa- 
tavit  ut  propinquitatis  cum  opus  charitatis  exposcerat  adesse  possent, 
(iissiti  propriis  terminis,  ne  quies  eorum  interrumpi  per  multitudinem 

13 


—  190  — 

Nous  avons  tenu  à  citer  tout  le  passage,  afin  de  bien  montrer 
qu'il  n'y  avait  dans  le  dire  du  saint  docteur  nulle  trace  de  ces 
préoccupations  matérielles  dont  parle  Ruffl. 

Qu'importe,  d'ailleurs,  ce  que  saint  Jean  Chrysostome  a 
pu  écrire  sur  remplacement  des  monastères  !  On  peut  bien 
dire  que  Cassien  ne  jugea  pas  à  propos  d'introduire  dans  les 
maisons  qu'il  fonda,  la  manière  de  vivre  qu'il  avait  vue  ail- 
leurs. Il  établissait  la  vie  religieuse  en  Provence  sur  d'au- 
tres bases  qu'en  Egypte,  en  Syrie  et  en  Palestine.  Là  elle 
était  toute  florissante,  les  déserts  étaient  remplis  d'ana- 
chorètes; des  villes  entières  étaient  peuplées  de  religieux.  Ici 
elle  était  à  peu  près  inconnue.  Force  lui  était  d'établir  des 
monastères  là  oii  l'emplacement  lui  était  concédé.  Il  n'a- 
vait pas  le  désert  devant  lui  ;  tout  autour  de  Marseille  régnaient 
des  cultures  et  s'élevaient  des  habitations.  Cassien,  d'ailleurs, 
n'a  guère  suivi  les  conseils  des  moines  plus  anciens  que  lui  (1). 
L'abbé  Abraham,  qu'il  avait  connu  en  Egypte,  lui  avait  re- 
commandé de  fuir  sa  patrie  et  le  voisinage  de  ses  parents. 
Précisément,  il  établit  son  ordre  près  de  sa  famille,  dans  sou 
son  pays  natal,  en  Provence  (2).  Il  suivit  en  tout  l'inspiration 

posset,  nec  ipsi  monachi  actionis  merito  quod  ex  impendcndâ  aliis 
charitate  existeret  privarentur,  neque  rursus  eorum  actio  per  tumultus 
inutilis  efficeretur,  et  alter  alterum  juvare  posset,  ut  monachorura  vita 
per  conversationem  eorum  qui  ia  commuai  agunt,  fructuosa  Ûeret  et 
ipsi  e  monachis  quietem,  sapientiam,  contemplationemque  discerent, 
quemadraodum  terra  et  mare  sese  invicem  complectuutur  et  juvant.  > 
Guesnay,  Cassianus  illustratus*  pp.  150,151. 

(1)  Il  est  certain  que  si  Cassien  a  voulu  de  propos  délibéré  choisir  la  soli- 
tude pour  y  placer  le  cœnobium  de  ses  filles,  il  ne  faisait  qu'imiter  ce  qui 
se  faisait  en  Orient.  On  lit  dans  la  Vie  des  Pères  du  désert,  par  le  Père 
Ange  Marin,  t.  II,  que  Théodore  le  Sanctifié,  voulant  bâtir  un  monastère 
de  religieuses,  l'établit  à  une  demi-lieue  de  celui  des  religieux  qu'il  diri- 
geait; p.  51  ;  —  saint  Pacôme,  voulant  fonder  un  couvent  de  religieuses 
dont  il  nomma  sa  sœur  abbesse,  rétablit  assez  loin  de  Tabenne,  où  il 
demeurait  avec  ses  religieux,  et  séparé  par  le  Nil  ;  p.  178;—  on  dit  de  ces 
religieuses,  que  «  non  seulement  séparées,  mais  encore  éloignées  des  mo- 
nastères de  leurs  frères  à  la  distance  qui  convenait »  p.  190. 

(2)  Il  nous  semble  plus  probable  que  Cassien  soit  né  en  Provence. 
Voir  :  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  par  M«f  de  Belsunce,  t.  I, 
p.  100  ;  de  Rey,  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  104;  Guesnay,  Cas- 
sianuz  illustratus,  1.  1,  c.  I.  Le  Propre  du  diocèse  de  Marseille  le  fait  origi- 


—  191  — 

que  la  Providence  lui  envoyait,  et  fut  ainsi  vraiment  fonda- 
teur de  la  vie  religieuse  en  Provence. 

D'ailleurs,  quand  il  se  retirait  à  l'ermitage  qui  a  gardé  son 
nom  près  de  la  Sainte-Baume  ;  que,  plein  de  vénération  pour 
cette  grotte  sanctifiée  et  illustrée  par  les  longues  années  de 
pénitence  de  Marie-Madeleine,  il  y  envoyait  de  ses  moines 
y  habiter;  lorsqu'il  leur  donna  la  garde  du  tombeau  de 
Marie-Madeleine  à  Saint-Maximin,  à  coup  sur  Cassien  oubliait 
l'avis  que  Ruffi  lui  fait  donner  par  saint  Jean  Chrysostome,  de 
placer  ses  religieux  près  des  endroits  habités. 

Enfin,  et  c'est  là  que  se  terminent  les  objections  de  Ruffi  : 
«  Une  des  principales  raisons  qui  obligea  ce  bon  Père  de  faire 
bâtir  le  monastère  en  cet  endroit  (  auprès  de  Saint-Victor  ), 
fut  afin  d'avoir  un  moyen  de  visiter  plus  souvent  ses  Filles, 
pour  les  instruire  et  les  consoler  dans  leurs  besoins  spiri- 
tuels (1).  »  Ce  n'est  pas  là  encore  une  raison  bien  forte.  Entre 
le  monastère  de  Saint- Victor  que  Cassien  habitait  et  celui  de 
ses  Filles,  aux  bords  de  l'Huveaune,  la  distance  n'était  pas  tel- 
lement grande,  qu'il  fût  impossible  au  bon  Père  d'effectuer  ce 
voyage.  En  traversant  les  bois  dont  les  revers  de  la  Garde 
étaient  couverts,  il  ne  devait  falloir  qu'une  très  petite  heure 
pour  venir  de  Saint-Victor  à  l'embouchure  de  l'Huveaune.  De 
nos  jours,  en  effectuant  un  immense  détour,  on  y  arrive  cer- 
tainement en  une  heure  et  demie. 

Nous  en  avonsfini  avec  Ruffi.  MM.  Lautard,  Daspres,  etc., 
qui  ont  quelque  peu  emprunté  les  idées  de  Ruffi,  sont  réfutés 
parle  fait  même. 

Daire  de  la  Scythie  :  «  Scythià  ortus  est.  »  (Office  de  la  fête  de  saint  Cas- 
sien,  23  juillet,  \n  leçon  du  2e  nocturne.) 
(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  57. 


CHAPITRE  VIII 

Origine  du  nom  «  deïs  Desnarrados  »  donné 
à  la  chapelle  des  bords  de  l'Huveaune. 


CE  QUE  DISENT  LES  AUTEURS  —  HISTORIQUE  DE  CES  RUINE8  «  DEIS 
DESNARRADOS  »  —  LES  DAMES  DE  SAiNT-SAUVEUR  ÉTAIENT  BÉNÉ- 
DICTINES, ET  NON  PAS  CASSIANITES.  —  ON  N*A  PAS  DONNÉ  CE  NOM 
a  DEIS  DESNARRADOS  •  AUX  BIENS  DE  SAINT-SAUVEUR  SITUÉS  EN 
DIVERS  POINTS  DU  TERROIR.  —  LA  OU  L'ON  PLACE  CE  FAIT,  LA  SE 
TROUVAIT  UN  MONASTÈRE. 


Inutile,  disent  quelques  auteurs  (1),  de  nous  appuyer  sur 
la  dénomination  de  chapelle  a  deïs  Desnarrados  »  que  le 
peuple  donne  aux  ruines  qui  se  trouvent  à  l'embouchure  de 
l'Huveaune,  pour  prouver  que  là  s'élevait  le  monastère 
cassianite,  parce  que  «  nous  trouvons  l'explication  de  cette 
tradition  dans  la  prise  de  possession  de  cette  chapelle  par  les 
religieuses  cassianites  de  Saint-Sauveur  au  XVI*  siècle.  La 
légende  populaire  put  facilement  attribuer  à  ce  lieu  ce  qui 
n'appartenait  qu'à  la  congrégation,  et,  en  effet,  partout  où  il 
y  a  eu  un  monastère  de  ces  religieuses,  on  place  aussi  ce 
glorieux  fait  (2).  »  Nous  avons  à  montrer  que  l'explication 
fournie  par  les  auteurs  ne  vaut  rien. 

Les  ruines  de  l'abbaye  de  Prémontrés,  sur  les  bords  de 
THiiveaune,  auxquelles  on  donne  le  nom  de  chapelle  a  deïs 
Desnarrados  »,  avaient  été  cédées,  vers  1405,  au  couvent  de 
Sainte-Paule  (3)  que  la  reine  Yolande,  femme  de  Louis  II,  roi 

(\)  Casimir  Bousquet,  La  Major  ;  —  Alfred  Saurel,  La  Banlieue  de 
Marseille  (Saint-Giniez)  ;  —  l'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez. 

(2)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  pp.  27,  28. 

(3)  L'abbé  Daspres  Notice  sur  Saint-Giniez,  pp.  24  et  29.  —  André, 
Histoire  des  religieuses   de  V abbaye  de  Saint-Sauveur,  pp.    117,119. 

—  De  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  III,  p    138,  etc. 

—  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  5G,   101.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  1. 1,  p.  362. 


—  193  — 

de  Sicile  et  comte  de  Provence,  avait  fondé,  de  concert  avec 
deux  riches  Marseillais.  Le  pape,  à  la  demande  de  Yolande, 
avait  consenti  à  l'union  de  cette  ancienne  abbaye  des  Pré- 
montrés  aux  biens  du  nouveau  couvent  de  Sainte-Paule.  Mais 
ce  monastère  de  Sainte-Paule  ayant  été  démoli  lors  du  siège 
de  Marseille  par  le  connétable  de  Bourbon,  les  religieuses  qui 
l'habitaient  se  réfugièrent  à  Saint-Sauveur,  et  en  1528,  le  28 
janvier,  avec  l'autorisation  du  pape,  unirent  leurs  biens  à 
ceux  de  Saint-Sauveur  .  a  C'est  de  cette  manière,  ajoutent  les 
auteurs,  que  Saint  Sauveur  vint  en  possession  de  ce  que  Ton 
appelle  la  chapelle  a  deïs  Desnarrados  ».  Et  comme  à  aucune 
époque  antérieure,  Saint-Sauveur  n'a  possédé  ces  ruines,  c'est 
à  partir  de  cette  époque,  vers  1528,  que  cette  dénomination 
de  chapelle  a  deïs  Desnarrados  »  leur  aurait  été  donnée  (1). 

Observons  d'abord  qu'à  cette  époque  de  1528  les  religieuses 
de  Saint-Sauveur  ne  sont  plus  des  Cassianites.  Depuis  déjà  bien 
des  siècles  ces  religieuses  avaient  quitté  la  règle  de  Cassien 
pour  suivre  celle  de  saint  Benoit.  Ce  changement  dut  s'effec- 
tuer vers  le  X-  siècle,  à  Saint-Sauveur,  en  môme  temps  qu'il 
s'effectuait  à  Saint-Victor  (2),  alors  que  les  évoques  de 
Marseille,  vu  le  manque  total  de  moines  cassianites,  dispersés 
ou  massacrés  à  l'époque  du  sac  de  l'abbaye,  y  introduisirent 


(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint  Sauveur ;p.  119.  — 
Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  29. 

(2)  Lorsque  Honoré  II,  évêque  de  Marseille,  rétablit  l'abbaye  de  Saint- 
Victor,  il  voulut  que  les  religieux  suivissent  la  régie  de  saint  Benoit  : 
«  Cum  clericis  meis  divini  accensum  amoris,  in  honore  Dei  omnipotentis 
sa dc tique  Victoris  martyris,  congregationem  monachorum  secundum 
regulam  sancti  Benedicti,  in  abbatia  ejusdem  Sancti  Victoris  constitui 
optamus.  »  Gartulaire  de  Saint-Victor,  ch.  23.  —  Belsunce,  Antiquité  de 
l'Eglise  de  Marseille,  p.  349,  suppose  que  bien  avant  966  la  régie  de 
saint  Benoit  était  suivie  à  Saint- Victor.  C'est  fort  probable.  Dés  l'an  534, 
un  disciple  de  saint  Benoit  l'établit  en  Sicile.  A  peu  près  à  la  même  époque, 
Maur,  un  autre  disciple,  la  fit  adopter  en  France.  Dès  l'an  676  le  concile 
de  Crécy  recommandait  aux  abbés  et  aux  moines  de  la  suivre.  Puis  les 
conciles  de  Germanie,  (742),  de  Liptines  (743),  d'Aix-la-Chapelle  (803),  de 
Reims,  de  Mayence,  de  Châlons-sur- Saône  (813),  ne  cessent  de  la  recom- 
mander et  de  l'imposer  aux  monastères.  (Histoire  chronologique  et 
historique    des  conciles,   par   Roisselet  de  Sauclières,  t.  III,  passim.) 


—  194  — 

les  bénédictins  (1).  Depuis  donc  trois  cents  ans,  quatre  cents, 
cinq  cents  ans,  les  dames  de  Saint-Sauveur,  en  1528,  ne  sont 
plus  des  Cassianites;  on  les  appelle:  a  moniales  de  Sancto 
Salvatore  »,  les  dames  de  Saint-Sauveur  (2). 

C'est  une  chose  que  l'on  sait  à  Marseille,  que  ce  sont  les 
religieuses  d'un  autre  ordre,  n'ayant  guère  de  commun  avec 
les  anciennes  Cassianites  que  le  privilège  et  l'honneur  de  leur 
avoir  succédé.  On  sait  aussi,  à  Marseille,  qu'Eusébie  et  ses 
compagnes  étaient  des  religieuses  cassianites  ;  qu'à  ce  titre 
leurs  corps  étaient  inhumés  à  Saint-Victor,  presque  à  côté  du 
tombeau  de  saint  Cassien,  le  fondateur  de  leur  monastère  ; 
qu'elles  sont  une  des  gloires  de  l'ordre  des  vierges  que  ce 
saint  avait  établi.  Voilà  ce  que  l'on  sait  en  1528,  et  ce  que  l'on 
a  toujours  su  à  Marseille,  avant  et  après  1528. 

Or,  en  1528,  les  dames,  les  «  moniales  »  de  Saint- 
Sauveur,  qui  ne  sont  pas  Cassianites,  arrivent  aux  bords 
de  l'Huveaune  et  le  peuple  donnera  à  l'oratoire  qu'elles 
acquièrent  la  dénomination  de  chapelle  «  dels  Desnar- 
rados  »  !  Cela  n'est  pas  possible.  Pour  que  le  peuple 
désignât  leur  chapelle  par  ce  titre,  il  serait  nécessaire 
que  cette  congrégation  de  Saint-Sauveur  ait  toujours 
été  désignée  comme  ayant  fourni  les  héroïnes  de  ce 
glorieux  fait.    Or,    jamais  auteur  sérieux   n'a  dit  que  les* 


(1)  A  quelle  époque  précise  la  règle  do  saint  Benoit  fut  adoptée  par  les 
religieuses  cassianites,  nous  ne  saurions  le  dire.  Les  conciles  de 
Germanie  en  742,  de  Liptines  en  743,  de  Mayence  en  813,  de  Pavie  en 
855  la  recommandent  et  l'imposent  aux  monastères.  Quant  aux  Cassia- 
nites de  Marseille,  aucun  document,  que  nous  sachions,  ne  nous  indique 
si  déjà  elles  la  suivaient.  Le  premier  titre  dans  lequel  il  serait  fait  men- 
tion de  ce  point  qui  nous  occupe  est  de  1216,  c'est  un  bulle  d'Honorius  III, 
qui  autorise  d'éiire  l'abbesse  de  Saint-Sauveur  selon  la  règle  de  saint 
Benoit:  «  Cum  au  te  m  in  monasterio  vestro,  abbatissae  fuerit  electio 
celebranda,  eam  vobis  in  abbatissam  statuimus  apostolica  auctoritate 
concedi  quam  vos  communi  consensu.  aut  major  pars  vestrum  consilii 
sanioris  cum  consilio  rcligiosorutn  virorum,  secundum  Deum  et  beati 
Benedicti  régula  m  provideritis  eligendam.  »  André,  Histoire  des 
religieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  32,  pièces  justificatives,  G,  p.  214. 

(2)  c  Alexander. . .  filiabus  sororibus  Sancti  Salvatoris  Massiliensis. . . 
monialibus  Sancti  Salvatoris.  »  André,  op.  cit.,  pièces  justif.,  passim. 


—  195  — 

religieuses  de  Saint-Sauveur  avaient  mutilé  leur  visage,  pour 
échapper  à  la  lubricité  des  Sarrasins.  Si  on  Ta  dit,  c'est  par 
pure  confusion  de  mots,  par  pure  ignorance  des  événements, 
en  affirmant  un  fait  impossible,  car  les  religieuses  de  Saint- 
Sauveur  datent  de  l'an  1004  ou  au  moins  de  Tan  1033,  et  les 
Sarrasins  ont  accompli  leurs  ravages  au  plus  tard  vers  923. 

De  plus,  si  cette  dénomination  de  chapelle  a  deïs  Desnarra- 
dos  r>  a  été  attribuée  à  ces  ruines  parce  quelles  devenaient  la 
propriété  de  Saint-Sauveur,  il  aurait  fallu  que  ce  titre  de 
gloire  ait  suivi  cet  ordre  religieux  dans  les  divers  endroits  où 
son  siège  a  été  établi,  où  il  a  possédé  des  biens.  Or,  a-t-on 
jamais  appelle  la  chapelle  de  leur  abbaye  de  Saint-Sauveur, 
à  la  place  de  Lenche,  la  chapelle  des  Accoules  qu'elles  occu- 
pèrent plus  tard:  chapelle  a  deïs  Desnarrados  »  ?  Dès  Tannée 
1032,  elle  possédaient  la  quatrième  partie  d'AUauch  que  le 
vicomte  Guillaume  leur  avait  cédée  (1),  des  droits  sur  le  bourg 
de  Laza  ( Roquevaire)  ;  en  1216,  des  terres  à  Saint-Loup,  à 
Saint-Marcel.  A-t-on  jamais  dit  que  c'étaient  là  les  terres 
«  deïs  Desnarrados  »?  Ni  Marchetti,  dans  les  Coutumes  des 
Marseillais,  ni  André,  ni  personne  n'ont  cité  un  texte  don- 
nant ce  titre  à  ces  chapelles.  Donc  le  peuple  n'a  pas  donné  en 
1528,  à  ces  ruines  de  THuveaune,  un  titre  qui  n'appartenait 
pas  en  réalité  à  la  congrégation  de  Saint-Sauveur. 

Si  donc  on  appelle  ces  ruines  de  ce  nom,  c'est  qu'il  y  a  un 
motif.  L'abbé  Daspres croyait  l'avoir  découvert:  a  Partout  où 
il  y  a  un  monastère  de  ces  religieuses,  on  place  aiissi  ce 
glorieux  fait  (2),  tant  il  est  accepté  dans  l'esprit  du  peuple 

(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  pp.  17, 32,  etc. 
Il  y  a,  à  Allauch,  un  quartier  appelle  Sant-Aouphemi,  que  Ton  croit 

être  le  même  point  du  terroir  désigné  dans  les  fragments  de  Polyptique 
sons  le  nom  de  <  habemus  pralum  Sanctae-Euphemiœ  ».  Or,  jamais, 
durant  notre  séjour  à  Allauch,  nous  n'avons  entendu  désigner  cet  endroit 
sous  le  no.n  de  «  deïs  Desnarrados  >  et  cependant,  en  supposant  qu'il 
soit  vrai  que  ce  coin  du  terroir  lût  bien  le  môme  que  celui  dont  parient 
ces  fragments,  il  s'agissait  bien  alors  des  Cassianites,  et  il  ne  s'était  pas 
écoulé  un  long  temps  depu*s  le  massacre  «  dels  Desnarrados  ».  Les  péni- 
tents bleus  d'AUauch  possédaient  jadis  une  statue  de  sainte  Euphémieetie 
culte  en  l'honneur  de  cette  sainte  était  une  dévotion  locale. 

(2)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  Sain t-Giniezy  p.  28. 


—  196  — 

que  ce  sont  les  Filles  de  Saint-Cassieh  qui  se  sont  montrées  si 
admirables  d'héroïsme.  »  Il  serait  plus  exact  de  dire  :  partout 
où  Ton  place  ce  fait,  il  y  a  eu  un  monastère  de  religieuses.  Et 
l'on  énoncerait  ainsi  une  vérité  historique.  Car,  à  ces  époques 
désastreuses,  cet  acte  de  courage  a  été  accompli  par  des 
légions  de  vierges  chrétiennes.  On  dit  qu'à  Ptolémaïde  ce  fait 
se  produisit  (  t).  Ruffl  cite  deux  couvents  qui  furent  le  théâtre 
de  ce  zèle  virginal  (2).  Dom  Bérengier  en  cite  un  autre  à 
Gastelmoron  (3).  De  sorte  que  Ton  peut  très  bien  dire,  en 
renversant  la  proposition,  que  lorsque  la  croyance  populaire 
place  ce  fait  à  un  endroit,  c'est  que  là  il  y  a  eu  un  monastère 
de  religieuses.  Or,  c'est  le  cas  pour  les  ruines  de  l'ancienne 
chapelle  des  Prémontrés.  Le  peuple  les  appelle  maison  «deïs 
Desnarrados  »,  donc  il  y  a  eu  en  cet  endroit  une  maison  de 
religieuses.  Toute  la  question  est  de  savoir  à  quel  moment 
on  a  commencé  à  appeller  cette  maison  en  ruine  :  la  chapelle 
«  deïs  Desnarrados  ».  Est-ce  depuis  1528  ou  avant  1528?  Nous 
le  verrons  plus  tard. 

Que,  dans  son  langage  ordinaire,  le  peuple,  de  nos  jours, 
appelle  les  religieuses  de  Saint- Sauveur:  a  celles  qui  se  sont 
coupé  le  nez  »,  et  l'emplacement  du  couvent  Saint-Sauveur, 
à  la  place  au  Lenche  :  les  ruines  du  couvent  «  deïs  Desnar- 
rados »,  nous  le  répétons,  c'est  par  ignorance  des  faits, 
ou  par  une  confusion  de  mots.  Nous-méme,  quand  nous 
employons  cette  expression  vulgaire,  ou  bien  nous  ou- 
blions l'histoire  de  Saint-Sauveur  ou  bien  nous  donnons 
à  cette  expression  une  signification  de  convention  bien  dif- 
férente de  celle  qui  lui  revient  en  réalité.  Nous  ne  pouvons 
vouloir  dire,  en  effet,  que  ce  sont  les  dames  de  Saint-Sauveur 
qui  ont  été  ainsi  martyrisées,  puisque  nous  savons  que  les 
héroïnes  de  ce  fait  c'étaient  des  Cassianites,  et  que  les  reli- 
gieuses de  Saint-Sauveur  n'étaient  pas  les  filles  de  Cassien. 

(1)  Scaramelli,  Guide  ascétique,  t.  III,  p.  319,  traduction  par  l'abbé 
Pascal.  x 

(2)  Ruffl,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58.  —  Histoire  des  Normands, 
par  Deppiez,  p.  153. 

(3)  Dom  Bérengier,   Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  t.  I,  p.  10, 
note  1. 


—  197  — 

Notre  manière  de  parler  signifie  donc  que  les  dames  de  Saint- 
Sauveur  sont  les  religieuses  qui  ont  remplacé  les  Cassianites, 
qui  jadis  se  mutilèrent  le  visage,  en  se  coupant  le  nez.  Voilà 
la  véritable  et  logique  signification  de  cette  expression  vul- 
gaire dont  nous  nous  servons  quelquefois.  Ce  n'est  donc  pas 
parce  que  les  dames  de  Saint-Sauveur  ont  possédé  en  1528  les 
ruines  de  la  chapelle  des  Prémontrés,  qu'on  a  appelé  ces 
ruines:  la  chapelle  «  deïs  Desnarrados  ».  C'est  pour  une 
autre  raison. 


CHAPITRE  IX 

L'abbaye  cassianite  placée  par  les  auteurs 
aux  Catalans  ou  au  bassin  du  Carénage 


TEXTE  DE  GROSSON.  —  PAS  DE  PREUVES.  —  INSCRIPTION  DU  CARÉNA- 
GE. —  IL  S'AGIT  DANS  CETTE  INSCRIPTION  D'UN  HOMME  MARIÉ.  — 
ELLE  EST  DU  V"  SIÈCLE  AU  PLUS  TARD.  —  M.  BOUSQUET  ET  8A  FU- 
REUR CONTRE  PAPON.  —  M.   SAUREL  ET  SES  INEXACTITUDES. 


Grosson,  dans  son  Almanach  historique,  de  Tan  1770,  sou- 
tient que  l'abbaye  cassianite  se  serait  trouvée  «  à  quelque 
distance  du  couvent  de  Saint-Victor  ».  a  II  y  a  lieu  de  croire 
que  c'était  vers  l'endroit  où  sont  aujourd'hui  les  Infirmeries 
Vieilles  (les  Catalans),  sous  la  citadelle  de  Saint-Nicolas,  et 
non  pas  à  l'embouchure  de  THuveaune  (1).  »  Grosson  est  un 
auteur  très  estimable.  Cependant  personne  n'est  obligé  à  le 
croire  sur  parole.  Aussi  une  petite  preuve  nous  aurait  causé 
un  sensible  plaisir.  Mais  il  nous  faut  nous  contenter  de  cette 
formule  bien  vague:  «  Il  y  a  lieu  de  croire  ».  On  avouera 
que  ce  n'est  pas  suffisant.  Aussi  nous  passons. 

Voici  une  objection  autrement  sérieuse,  quoique  assez 
facile  à  résoudre. 

L'abbaye  cassianite,  suivant  Guindon  et  Méry,  Saurel , 
Bousquet,  Magloire  Giraud,  Verlaque,  se  trouverait  à  l'em- 
placement qu'occupe  actuellement  le  bassin  du  Carénage,  en 
dessous  de  l'abbatiale  de  Saint- Victor  (2).  La  preuve  en  serait 
une  inscription  sur  marbre,  découverte  en  juillet  1833. 

Quelle  est  cette  inscription  ?  Sur  une  plaque  de  marbre  de 
moyenne  grandeur  est  sculptée  une  croix,    dont  les  bras, 

(1)  Grosson,  Almanach  historique  de  Marseille  pour  Tannée  1779, 
p.  74. 

(2)  Voir  le  chapitre  du  présent  ouvrage  où  ces  auteurs  sont  cités  in 
extenso. 


—  199  — 

plus  courts  que  le  montant,  s'adaptent  au  tiers  de  la  hauteur 
de  ce  montant,  ce  qui  la  fait  ressembler  à  une  croix  latine. 
Sur  cette  croix  môme  sont  gravés  ces  mots ,  partie  sur  le 
montant,  partie  sur  les  bras  :  «  Votum  fecit  cui  nomen  Me- 
nas. »  Puis,  de  chaque  côté  de  la  croix,  dans  les  angles 
que  forment  les  côtés,  cette  inscription,  que  M.  Edmond 
Leblant  a  ainsi  déchiffrée  :  a  fiono  requie  avia  in  die  futuro 
maritum  Eumenata  bene  vixerit,  et  mercede  superna  vocabit 
apud  Domino  hic  jacet  Gemula  cui  nomen.  »  Au-desssous  des 
deux  bras  de  la  croix  sont  gravés  à  gauche  Valpha,  à  droite 
Yomèga,  largement  ouverts,  renversés  et  reliés  par  un  fil  à 
la  branche  de  la  croix  (1). 

Pour  que  cette  inscription  fût  une  preuve  concluante  qu'à 
remplacement  du  bassin  du  Carénage  s'élevait  un  monaslère 
de  religieuses  à  une  époque  antérieure  au  IX*  siècle,  il  faudrait 
que  ce  fût  là  l'épitaphe  d'une  ou  de  plusieurs  religieuses,  vier- 
ges consacrées  à  Dieu  ;  de  plus,  que  cette  inscription  appar- 
tint  aux  V,  VI-,  VII*  siècles  ou  à  la  première  moitié  du 

(1)  Guindon  et  Méry,  op.  cit.,  p.  201.  —  Voici  de  quelle  manière 
M.  Edmond  Leblant  donne  le  fac-similé  de  cette  inscription  : 


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—  200  — 

VIII"  siècle  ;  et,  enfin,  qu'il  fût  impossible  à  des  religieuses 
habitant  par  supposition  les  bords  de  l'Huveaune  de  se  faire 
inhumer  auprès  de  Saint-Victor.  Si  cette  inscription  appar- 
tenait au  IX'  ou  au  X'  siècle,  elle  ne  prouverait  rien  contre 
nous,  puisque  nous  acceptons  qu'à  partir  de  la  deuxième 
moitié  du  VHP  siècle,  le  monastère  cassianite  se  trouvait 
auprès  de  Saint- Victor.  Si,  d'autre  part,  cette  inscription  da- 
tant du  V%  du  VI-,  du  VII-  siècle,  il  était  possible  de  supposer  que 
des  religieuses  habitant  non  loin  de  Saint-Victor,  sur  les  bords 
de  l'Huveaune  par  exemple,  aient  pu  se  faire  inhumer  au 
Carénage,  l'inscription  ne  prouverait  encore  rien  contre  nous; 
si,  enfin,  cette  inscription  était  l'épitaphe  de  toutes  autres 
personnes  que  de  religieuses,  ce  serait  bien  inutilement  qu'on 
1  alléguerait. 

Or,  en  premier  lieu,  cette  inscription  n'est  pas  l'épitaphe 
d'une  ou  de  plusieurs  religieuses.  Il  s'agit,  en  effet,  d'un  cer- 
tain Eumenas,  qui  est  le  mari  au  souvenir  de  qui  l'épouse, 
peut-être  cette  Gemula  indiquée  plus  bas,  a  fait  graver  cette 
inscription  :  «  Maritum  Eumenate  ».  On  le  voit,  si  la  ques- 
tion est  tranchée  de  quelque  manière,  elle  Test  contre  ceux 
qui  avancent  une  telle  preuve.  Dans  cette  inscription  il  ne 
s'agit  pas  de  religieuses. 

Ensuite,  de  quelle  époque  date  cette  inscription  ?  M.  Le- 
blanc qui  la  relate  dans  son  Recueil  d'inscriptions  chré- 
tiennes antérieures  au  VHP  siècle  %  n'indique  pas  de 
date  précise.  Mais  le  seul  fait  de  l'avoir  insérée  dans  son 
Recueil  indique  qu'elle  n'est  pas  postérieure  au  VIII-  siècle . 
Nous  prouverons  en  son  lieu  que  ce  marbre  appartient  à  la 
deuxième  moitié  du  V  siècle. 

D'ailleurs,  ce  marbre  parlât-il  de  religieuses  vivant  à 
cette  époque,  il  ne  pourrait  encore  fournir  une  preuve 
concluante  contre  nous.  Si  Ton  peut,  en  effet,  supposer  que 
des  religieuses  habitant  un  monastère  loin  de  Saint- Victor, 
par  exemple  sur  les  bords  de  l'Huveaune,  ont  été  inhumées 
dans  le  cimetière  qui  se  trouvait  au  bassin  du  Carénage,  toute 
la  force  de  l'argument  de  Guindon  tomberait.  Or,  cette  sup- 
position on  peut  la  faire.  Dans  un  chapitre  précédent  nous 


—  201  - 

l'avons  démontré  longuement  (1).  Donc  l'assertion  de  Guindon, 
Méry,  etc.,  ne  tient  pas. 

Gomme  Guindon  et  Méry,  M.  Bousquet,  auteur  de  la  Mono- 
graphie sur  la  Major,  a  soutenu  son  opinion  en  alléguant  la 
même  preuve  (2).  Ce  qui  a  été  dit  plus  haut  devrait  suffire. 
Mais  nous  ne  résistons  pas  au  plaisir  de  citer  cet  écrivain. 
Rien  n'est  curieux  comme  son  cas,  nous  voulons  dire  sa 
déconvenue. 

Il  avait,  dans  deux  passages  de  son  ouvrage,  soutenu  que 
c'était  bien  à  THuveaune  que  s'élevait  le  monastère  des 
vierges  cassianites.  C'est,  parait-il,  pour  s'être  fié  à  Papon 
qu'il  avait  accepté  cette  opinion.  Mais,  reconnaissant  plus 
tard  qu'il  n'y  avait  là  qu'un  ingénieux  système,  M.  Bousquet 
se  plaint  amèrement  de  sa  mésaventure.  Voulant' tancer  ver- 
tement l'écrivain,  il  dit  de  celui-ci  «  qu'il  n'aurait  pas  fallu 
qu'il  avouât,  dans  le  deuxième  volume  de  son  Histoire,  qu'il 
n  avait  pas  été  admis  à  consulter  les  archives  de  Saint- Victor. 
Cet  aveu  contient  sa  condamnation  (3).  »  C'est  bien  aussi 
quelque  peu  la  condamnation  de  M.  Bousquet,  car,  lorsqu'il 
écrivait  sa  monographie,  vers  1857,  il  pouvait  très  bien  lire 
l'aveu  naïf  de  Papon  et  agir  en  conséquence  (4). 

«  Si  Papon,  ajoute  l'irascible  auteur,  avait  eu  accès  aux 
archives  de  Saint- Victor,  il  aurait  vu  que  remplacement  du 
monastère  cassianite  est  parfaitement  désigné  dans  le  cartu- 
laire  de  Saint- Victor  :  a  Pater  Cassianus,  y  est-il  dit,  funda- 
«  vit  monasterium  monialium  non  longe  a  ripa  portus,  juxta 
«  viam  defGardia.»  Voilà  qui  est  clair,  et  Guesnay  est  inexcu- 
sable de  n'avoir  pas  lu  ce  texte,  lui  qui  jouissait  de  la  faveur 
qui  ne  fut  pas  accordée  à  Papon.  » 

Ce  que  c'est  que  de  vouloir  toujours  trouver  en  défaut  moi- 


Ci)  Voir  le  chapitre  du  présent  ouvrage  intitulé  :  Inscription  d'Eu- 
genia. 

(2)  Casimir  Bousquet,  La  Major,  cathédrale  de  Marseille,  pp.  67,  69, 
623. 

(3)  C.  Bousquet,  p.  625.  —  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  pp.  361, 
362. 

(4)  Papon  le  dit  tout  simplement  dans  t.  II,  page  4  de  la  préface  et 
p.  526. 


—  202  — 

nés  et  prêtres  !  !  Qui  est  bien  vengé,  en  effet,  c'est  Papon 
et  Guesnay.  Eussent-ils  joui  du  privilège  de  fouiller  les  archi- 
ves de  Saint-Victor,  il  leur  eût  été  bien  difficile  de  lire  ce  texte, 
puisqu'il  n'existe  pas.  Et  M.  Bousquet,  qui  a  vu  le  cartu- 
laire  (1),  l'a  très  mal  lu.  Papon  et  Guesnay  sont  donc  parfaite- 
ment excusables  de  n'avoir  pas  cité  ce  texte  si  clair  et  si  pré- 
cis. Ils  ont  lu  ce  texte,  seulement  ils  l'ont  compris,  voilà  pour- 
quoi ils  ne  s'en  servent  pas.  On  se  rappelle,  en  effet,  que  nous 
avons  expliqué  ce  texte  de  la  charte  40,  du  XI"  siècle  (2).  Il 
n'est  point  tel  que  M.  Bousquet  affirme  l'avoir  lu.  En  outre, 
il  a  un  sens  bien  différent  de  celui  que  M.  Bousquet  lui  donne. 
En  dépit  donc  de  cet  auteur,  il  est  entièrement  faux  que  le 
couvent  cassianite  ait  été  au  pied  de  la  Garde. 

M.  Bousquet  est  encore  dans  Terreur  au  sujet  de  la  dénomi- 
nation provençale  a  deïs  Desnarrados  ».  Nous  l'avons  prouvé 
plus  haut  en  réfutant  M.  l'abbé  Daspres.  Enfin,  il  se  trompe 
encore,  cet  excellent  M.  Bousquet,  quand  il  allègue  comme 
preuve  de  son  opinion  la  découverte  de  l'inscription  du  Caré- 
nage. Ce  marbre  ne  parle  pas  de  religieuses,  mais  d'une  per- 
sonne mariée.  Donc,  que  M.  Bousquet  se  calme,  et  qu'il  n'en 
ait  plus  contre  Papon.  11  a  perdu,  lui,  l'occasion  de  soutenir 
ce  qui  est  la  vérité  sur  cette  question. 

Nous  arrivons  à  Alfred  Saurel.  On  a  vu  plus  haut  ce  que  cet 
auteur  a  écrit  sur  le  sujet  qui  nous  occupe  (3).  Malgré  tout  son 
désir  d'être  exact,  A.  Saurel  a  réuni  dans  quelques  lignes  une 
jolie  collection  d'inexactitudes.  11  cite  les  auteurs  qui  sou- 
tiennent une  opinion  différente,  puis  il  ajoute  :  «  Lie  document 
que  nous  donnons  avec  d'autres  est  assez  précis  pour  arrêter 
toute  discussion  (4).  »  Certes,  la  preuve  péremptoire  que  nous 
cherchons  depuis  si  longtemps  a-t-elle  été  découverte  ?  La 


(1)  Le  cartulaire  de  Saint-Victor  a  été  imprimé  en  1857.  Si  M.  Bous- 
quet n'a  pas  vu  cet  ouvrage  imprimé,  il  a  pu  voir  aux  archives  le  car- 
tulaire manuscrit. 

(2)  Voir  le  chapitre  où  ce  texte  est  cité  et  interprété. 

(3)  Voir  le  chapitre  de  ce  présent  ouvrage  où  le  témoignage  de  cet 
auteur  est  cité. 

(4)  Banlieue  de  Marseille,  par  Alfred  Saurel,  Saint-Ginies,  pp.  160 
154. 


—  203  - 

voici,  telle  que  la  donne  A.  Saurel:  «  Pater  Cassianus  fundavit 
monasterium  monialium  non  longe  a  ripa  portus,  juxta  viam 
de  Gardia  !  !  !  » 

Cette  phrase  que  cite  A.  Saurel  ressemble  fortement  à 
celle  que  M.  Bousquet  affirmait  avoir  lue  dans  le  Cartulaire. 
Elle  est  identique!  Aussi  un  terrible  soupçon  nous  tourmente. 
Il  est  peut-être  téméraire,  n'importe,  faisons-le  connaître. 
Nous  gagerions  que  Saurel  a  copié  Bousquet,  qu'il  ne  s'est 
pas  donné  la  peine,  ou  le  luxe  d'ouvrir  un  cartulaire  de  Saint- 
Victor,  et  d'y  lire  le  véritable  texte  de  la  charte  40,  du  XI*  siè- 
cle. Dans  tous  les  cas,  il  y  aurait  dans  l'assertion  de  Saurel 
une  première  inexactitude  ! 

Cet  auteur  ajoute  qu'  «  une  découverte  faite  en  juillet  1833, 
au  bassin  du  Carénage  est  du  reste  concluante.  C'est  une  ins- 
cription tumulaire  déposée  aujourd'hui  au  musée  Borrély,  et 
reproduite  dans  l'ouvrage  de  Guindon,  qui  n'est  autre  que 
l'épitaphe  d'Eusébie  et  ses  compagnes.  »  M.  Saurel  nous  met 
de  nouveau  martel  en  tête  !  Nous  avons  peur  qu'il  n'ait  jamais 
lu  cette  inscription  dans  Guindon  ;  qu'il  ne  Tait  jamais  vue 
au  musée  Borrély  ;  et  que,  de  plus,  il  n'ait  jamais  aperçu, 
au  même  musée,  l'épitaphe  d'Eusébie  que  l'on  trouve  dans 
Ruf fi,  Verlaque,  André,  le  Cata'ogue  raisonné  du  Musée 
archéologique  du  château  Borrély.  Dans  l'inscription  citée 
par  Guindon  et  Méry,  nous  l'avons  montré  plus  haut,  il  s'agit 
d'Eumenas,  homme  marié,  et  d'une  Gemula,  qui  parait  être 
sa  femme  ou  sa  fille,  et  dans  celle  d'Eusébie  il  s'agit  d'une 
religieuse  qui  vécut  cinquante  ans  «  in  monasterio  Sancti 
Cyrici  » .   Deuxième  inexactitude  ! 

A.  Saurel  termine  en  attribuant  la  dénomination  a  deïs 
Desnarrados  »  que  l'on  donne  aux  ruines  de  l'Huveaune  à 
l'entrée  en  possession  de  ces  ruines  parles  dames  de  Saint-Sau- 
veur, au  XVI*  siècle.  11  a  élé  démontré  que  cette  explication 
ne  valait  rien  ! 

Ainsi  donc  les  auteurs  qui  ont  placé  le  monastère  cassianite 
à  l'emplacement  du  bassin  du  Carénage  n'ont  pas  réussi  à 
établir  cette  assertion  sur  des  preuves  assez  solides. 


CHAPITRE  X 
L'abbaye  cassianite  au  quartier  du  Revest 

LES  CASSIANITES  ONT  POSSÉDÉ  DES  BIEN3  AU  TERROIR  DE  SAINT-GINIEZ, 
DURANT  LE  X*  SIÈCLE.  —LE  TEXTE  DE  LA  CHARTE  40  N'EST  D*AUCUN 
SECOURS.  —  LE  REVEST  SELON  LES  AUTEURS. 

C'est  l'opinion  de  l'auteur  des  Saints  de  V Eglise  de  Mar- 
seille el  les  arguments  à  l'appui  que  nous  devons  discuter 
maintenant.  Cet  aimable  historiographe  ayant  écrit  plus  lon- 
guement et  tout  récemment  sur  le  sujet  qui  nous  occupe,  nous 
devons  le  réfuter  avec  quelque  détail. 

«  Certains  historiens  ont  cru,  a  dit  M.  de  Rey,  que  ce  mo- 
nastère était  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  et  ils  se  sont  ap- 
puyés sur  une  tradition  locale  qui  met  en  ce  lieu  le  martyre 
de  sainte  Eusébie. . .  Mais  il  ne  parait  pas  que  les  religieuses 
de  Cassien  aient  rien  possédé  à  l'embouchure  de  l'Huveaune 
avant  le  XVI'siècle,  et  la  tradition  locale  ne  peut  pas  être  beau- 
coup plus  ancienne  (1) .» 

On  sait  que  les  Prémontrés  reconstruisirent,  en  1204, 
une  petite  chapelle,  à  cette  époque  en  ruine,  sur  ces 
bords  et  en  firent  l'abbaye  de  Notre-Dame-d'Huveaune  qui 
dura  deux  cents  ans.  Après  ce  laps  de  temps,  cette  abbaye  et 
ses  dépendances  furent  données  aux  Augustines  de  Sainte- 
Paule,  lesquelles  cent  ans  plus  tard,  en  1528,  s'unissant  aux 
dames  de  Saint-Sauveur,  leur  apportèrent  cette  propriété.  Il 
est  vrai  que  si  les  religieuses  de  Saint-Sauveur  n'ont  fait  leur 
apparition  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  qu'en  1528,  la  tra- 
dition locale  sur  sainte  Eusébie  pourrait  ne  pas  être  plus  an- 
cienne et  partant  on  ne  pourrait  guère  placer  en  ce  lieu  le 
martyre  de  cette  sainte.  Mais  les  religieuses  de  Saint-Cassien 
ont  possédé  des  terres  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  ou   non 

(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Ma rseiUe,  sainte  Eusébie,  p.  231. 


—  205  — 

loin  de  là,  bien  avant  le  XVI0  siècle.  Au  mois  d'avril  1077,  Gar- 
sende,  abbesse  de  Saint-Sauveur,  cède  ou  vend  à  Saint-Victor 
la  dlme  ou  la  part  qui  lui  revenait  sur  un  champ  dont  Pierre 
Saumade,  fils  de  la  vicomtesse  Stéphanie  et  de  Guillaume  le 
Gros,  était  propriétaire.  Et  ce  champ  était  situé  a  juxta  ortum 
Saocti  Victoris  ad  Vuelna  »,  sur  la  rive  droite  de  ce  fleuve,  à 
peu  près  vis-à-vis  de  Saint-Giniez  (1). 

La  charte 37  du  XI-  siècle  parle  d'un  jardin  des  religieuses, 
«ortum  monacharum  »,  situé  au  quartier  de  Ressac,  jardin 
qui  sert  de  limite  et  de  conf ront  à  deux  ou  trois  pièces  de  terre 
que  certains  particuliers  donnent  ou  vendent  à  Saint-Victor. 
Or,  les  lieux  environnant  ou  confrontant  ce  jardin  des  reli- 
gieuses s'appellent  a  ad  Resclausum  ».  D'après  M.  Mortreuil, 
c'est  l'endroit  du  terroir  appelé  l'Ecluse,  un  ancien  quartier 
de  Saint-Giniez,  à  la  jonction  du  Jarret  et  de  l'Huveaune  (2). 
Voilà  déjà  deux  propriétés  que  Saint-Sauveur  possède  sur  les 
bords  de  l'Huveaune  et  près  de  Saint-Giniez,  au  XI-  siècle.  Or, 
peut-on  dire  que  ce  soient  les  premiers  biens  que  Saint -Sau- 
veur ait  possédés  dans  ce  quartier  ?  Mais  les  fragments  trouvés 
par  Ruffl,  et  que  M.  Albanès  pense  être  des  portions  du  grand 
Polyptique  ou  des  parchemins  lui  faisant  suite,  ces  frag- 
ments (3),  dis- je,  indiquent  que  «  tempore  Gualdadi  »,  à  Tin- 
diction  XI,  c'est-à-dire  vers .814,  l'abbaye  possédait  des  escla- 
ves, des  serfs,  des  colons  «  in  agro  Columbario  ».  M.  Mortreuil 
place  ce  quartier  de  Colombier  près  du  Rouet  (4);  qu'au  temps 
de  Venator,  à  la  fin  du  IX"  siècle,  elle  avait  des  esclaves  «  in 
agro  Massiliensi  ».  Or,  T«ager  Massiliensis»  comprenait  Saint- 
Giniez  comme  d'autres  quartiers  (5). 

Pourrait-on  assurer  que  l'abbaye  cassianite  n'a  jamais  rien 
possédé  sur  les  bords  de  l'Huveaune  antérieurement  à  Valdalde, 


(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  88. 

(2)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  37.  —  Dictionnaire  topographi- 
que de  Marseille ,par  Mortreuil,  verbis  :  Ecluse,  p.  138  ;  Ressac,  p.  306. 

(3)  Armoriai  et  Sigillographie  des  êvêques  de  Marseille,  par  M.  le  cha- 
noine Albanès. 

(4)  Mortreuil,  op.  cit.,  p.  114,  verbo:  Colombier. 

(5)  Mortreuil,  op.  cit., p.  216,  verbo:  Marseille.—  Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  1. 1,  préface,  p.  LXI. 

14 


—  206  - 

Venator,  etc.,  etc.?  que  les  titres  de  ces  propriétés  n'ont  pas  pu 
disparaître  à  l'époque  des  invasions  ?  qu'ainsi  tels  et  tels  biens 
n'ont  pas  pu  tomber,  à  l'époque  de  la  destruction  de  l'abbaye 
cassianite,  à  quelque  date  qu'elle  ait  eu  lieu,  dans  le  domaine 
de  Saint-Victor  ou  de  la  cathédrale,  sans  qu'il  restât  de  cette 
opération  une  trace  quelconque?  Certes,  il  a  pu  en  être  ainsi. 
La  conclusion  de  M.  de  Rey  parait  donc  bien  hasardée.  Les 
preuves  que  nous  avons  déduites  des  chartes  37  et  88  et  des 
lragments  du  Polyptique  montrent,  au  contraire,  que  la  tra- 
dition locale  sur  sainte  Eusébie  pourrait  au  moins  remonter 
jusque-là. 

«  Il  est  inutile,  continue  le  même  historien,  de  nous  attarder 
à  combattre  ces  opinions  fantaisistes.  Nous  savons  que  le  mo- 
nastère des  religieuses  était  voisin  de  celui  des  moines,  sur  le 
port  même  de  Marseille  (1)  ».  Et  M.  de  Rey  cite  le  texte  de  la 
charte  40  du  cartulaire  de  Saint- Victor  :  «  Terra  Sanclae  Ma- 
riae...  »,  etc.,  etc.  Nous  avons  vu  plus  haut,  en  réfutant  les 
objections  de  Ruffi,  le  cas  qu'il  fallait  faire  de  cette  preuve.  Ce 
texte  ne  va  pas  ad  rem. 

M.  de  Rey  veut  ensuite  indiquer  l'endroit  précis  oii  se  serait 
élevé  le  monastère  des  Gassianites  :  «  Le  cimetière  de  Paradis, 
si  vaste  qu'il  fût,  ne  descendait  pas  jusqu'à  la  mer.  Le  pla- 
teau occupé  par  l'abbaye  de  Saint-Victor  et  traversé  par  la 
rue  Sainte  actuelle  s'incline  brusquement  vers  le  port  par  une 
pente  rapide.  Là  existait,  à  l'époque  dont  nous  parlons,  une 
villa  ou  hameau  dont  le  nom  rappelle  la  disposition  du  terrain. 
G  était  le  Revest.  C'est  sur  ce  coteau  incliné  vers  la  mer  que 
s'élevait  le  monastère  de  Saint-Cyr.  On  ne  peut  lui  attribuer 
un  autre  emplacement  (2) .  »  Tout  serait  parfait,  si  l'auteur 
donnait  une  preuve  de  ce  qu'il  avance.  Mais  il  ne  dit  que  ce- 
ci :  o  Un  titre  de  l'an  1081  confirme  aux  moines  de  Saint-Vic- 
tor le  «  Revestum  juxta  portum  »,  le  Revest  sur  le  port.» 

11  nous  semble  d'abord  que  l'auteur  commet  une  inexacti- 
tude topographique  en  traduisant  les  mots  «juxta  portum» 
par  sur  le  port,  et  en  donnant  à  ces  mots  *  Revestum  juxta 


(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  232. 

(2)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  234. 


—  207  — 

portum  »  une  signification  qu'ils  n'ont  pas.  En  effet,  que  veut 
dire,  dans  le  style  des  chartes,  le  root  a  revest  »  ?  Le  versant 
d'une  montagne.  M.  l'abbé  Daspres,  dans  son  histoire  de  Saint- 
Giniez,  dit  :  «  que  tous  les  versants  de  la  Garde  sont  désignés 
par  le  nom  de  Revest.  Ainsi  le  bourg  de  Revest  est  au  nord  de 
la  Garde,  le  castel  de  Revest  sur  le  versant  occidental,  le  che- 
min des  Princes  et  des  bouches  de  l'Huveaune  ou  Revest  de  la 
Garde  à  Test,  et  le  quartier  de  Saint-Giniez  est  au  midi  (1).» 
M.  Mortreuil  donne  à  ce  mot  de  Revest  la  même  signification  : 
«  C'est  tout  le  côté  de  la  colline  de  Notre-Dame  de  la  Garde 
qui  avait  sa  pente  vers  l'ouest  jusqu'à  la  mer  (2).  »  C'est  dans 
ce  sens  qu'il  faut  prendre  ce  mot  de  Revest  dans  la  charte  de 
1097  :  «  Dne  pièce  de  terre  qui  est  près  du  chemin  qui  va  à 
Saint-Giniez  sur  le  Revest  (3).»  Aussi  dans  ce  sens  qu'il  faut 
prendre  les  mots  a  Revestum  juxta  portum  »  des  chartes  de 
1079,  de  1081,  de  1135  (4). 

Ce  n'est  donc  pas  «  le  Revest  sur  le  port  »  que  signifie  «  Re-a 
vestum  juxta  portum  »,mais  :  le  quartier,  le  versant  du  côté 
du  port.  Ce  n'est  donc  pas  un  bourg,  un  hameau,  un  point 
déterminé  dont  les  chartes  veulent  confirmer  la  possession  à 
Saint-Victor,  c'est  tout  le  versant  de  la  Garde  vers  le  port.  On 
se  rappelle  que  Honoré  II,  évéque  de  Marseille,  avait  donné 
ou  vendu  à  l'abbaye  de  Saint-Victor,  en  966,  tout  l'espace 
compris  entre  le  port,  la  mer,  la  Garde  et  le  chemin  de 
Paradis  (5);  en  1079,  1081,  1135,  cette  possession  fut  confir- 
mée à  Saint- Victor  par  les  papes. 

Plus  tard,  ce  nom  de  Revest  perdit  sa  signification  première. 
Il  s'était  bâti  en  cet  endroit  un  petit  bourg  qui  s'appela 
hameau  du  Revest,  c'est  le  nom  que  lui  donnent  les  chartes. 
Celle  de  1150  le  désigne  par  «  villa  quse  dicitur  Revestum  »  ; 
celle  du  27  mars    1228  :   «  villa  del  Revest  »  ;  celle    du 


(1)  M.  l'abbé  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  102. 

(2)  Mortreuil,  op.  cit.,  verbo  :  Revest,  p.  307. 

(S)  Charte  inédite  de  1097.  (Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  note  C, 
p.  Ut.) 

(4)  Chartes  843,  841,844. 

(5)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  23. 


—  208  — 

1"  avril  1228  :  «  villa  de  Rêves to  »  ;  celle  du  30  janvier  1230  : 
«  tenementum  de  Revesto  »  (1). 

Or,  à  cette  époque,  ce  centre  d'habitation,  ce  quartier,  n'avait 
pas  pour  limite  la  partie  du  terrain  incliné  vers  la  mer,  en 
contre-bas  de  la  rue  Sainte.  Il  formait  ce  que  Ton  appelait  le 
district  de  Saint-Victor  dont  la  charte  de  1228  indique  les 
limites  :  a  Le  hameau  de  Revest  et  tout  ce  qui  se  trouve  sur 
son  territoire  est  ainsi  limité  :  Il  va  du  monastère  de  Saint- 
Victor  de  Marseille  jusque  à  la  colonne  du  Podium  Formica- 
rium  ;  de  là  on  va  vers  le  Pontellar  ;  on  comprend  dans  l'espace 
circonscrit  le  petit  bourg  qui  était  autrefois  le  jardin  de  Pierre 
Lica,  puis  toutes  les  salines.  Puis  la  limite  se  dirige  vers 
l'église  de  Beaulieu  (Notre-Dame  des  Salines),  on  suit  le  chemin 
de  la  Garde,  on  arrive  au  pin  de  Raymond  Dalmas,  on  suit  le 
chemin  qui  va  vers  Gironde,  la  maison  de  Jacques  de  la  Salle 
jusqu'à  la  mer,  de  tous  côtés  (2).  »  Voilà  le  quartier  du  Revest, 
le  district  de  Saint- Victor  au  XIII*  siècle.  C'était,  en  résumé,  la 
donation  d'Honoré  II,  accrue  de  donations  postérieures. 

Mais  le  quartier  du  Revest  sur  le  port,  tel  que  le  dépeint  M. 
de  Rey, n'existait  pas  aux  VII6,  VI11\  IX',  X  siècles!  Existât-il, 
il  n'est  pas  prouvé  que  le  monastère  cassianite  s'y  élevât.  Et 
serait-il  prouvé  qu'il  s'élevait  en  cet  endroit  en  1081.  il  fau- 
drait établir  encore  qu'il  existait  à  l'époque  du  martyre  de 
sainte  Eusébie,  à  quelque  époque  qu'on  le  place,  du  VI?  au  X* 
siècle.  C'est  ce  qui  n'a  pas  été  fait.  Si  donc  le  monastère  s'est 
trouvé,  aune  époque,  au  Revest, c'a  été  postérieurement  au 
martyre  de  sainte  Eusébie.  C'est  là,  ou  du  moins  tout  auprès, 
nous  le  croyons,  qu'il  se  trouvait  lorsqu'il  fut  détruit,  en  923, 

(1)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  chartes  849,  899,  900,  917. 

(2)  t Villa  de  Revesto...  quod  clauditur  istis  terminis  videiicet:  monas- 
terio  Santi  Victoris  Massiliensis  usque  ad  columnam  de  Podio  Formicario» 
et  inde  itur  ad  Pontellar,  et  inde  colligitur  borguettus  qui  solebat  esse 
ortus  Pétri  Lica,  et  tote  saline,  et  postea  itur  ad  ecclesiam  de  Belloloco 
et  inde  sicut  vadit  via  quâ  itur  versus  Guardiam  et  ad  pinum  Raimundi 
Dalmacii,  et  sicut  itur  ad  Girundam  et  ad  domum  Jacobi  de  la  Sala,  et 
tote  consue  rémanent  indominio  monnsterii Sancti  Victoris.»  Cartulaire 
de  Saint-Victor,  chartes  899,  900.  Ruffl  (Ant.  de)  :  «  11  y  avait  entre  les 
salines  une  chapelle  appelée  Notre-Dame  de  Beaulieu  ou  des  Salines,  i 
{Histoire de  Marseille,  p.  421.) 


—  209  — 

par  les  Sarrasins.  Dans  ces  tombes  découvertes  aux  environs 
de  la  chapelle  de  Sainte -Catherine,  ont  reposé  les  dépouilles 
mortelles  ou  bien  des  religieuses  morte3  postérieurement  à 
Tan  904,  ou  bien  de  celles  qui  moururent  après  le  martyre  de 
sainte  Eusébie,  alors  que  l'abbaye  de  l'Huveaune  avait  été 
rééiiflée  auprès  de  Saint-Victor,  ou  de  celles  enfin  qui  décé- 
dèrent sur  les  bords  de  FHuveaune  et  que  Ton  transporta  au 
cimetière  de  Paradis. 


CHAPITRE  XI 


L'Abbaye  cassianite  à  Saint-Oyr  (Var) 


TEXTE  DE  M.  MAOLOIRB  GIRAUD.  —  UN  CŒNOBIUM  DE  VIBROB8  A 
SAINT-CYR  (VAR).  —  C'EST  A  TORT  QU'ON  L'AURAIT  CONFONDU  AVEC 
CELUI  DE  MARSEILLE.  —  AUCUNE  PREUVE  EN  FAVEUR  DE  L 'OPINION 
DE  M.  MA  GLOIRE  OIRAUD.  —  LA  CHAPELLE  DE  SAINT-CYR  (VAR) 
DATERAIT  DU  X*  OU  DU  XI*  SIECLE. 


On  a  lu  plus  haut  les  quelques  pages  que  M.  l'abbé.  Magloire 
Giraud,  curé  de  Saint-Cyr  (Var),  a  consacrées  à  ce  point  d'his- 
toire dans  sa  Notice  sur  l'église  de  Saint-Cyr.  Cet  auteur, 
après  avoir  protesté  qu'il  était  loin  de  sa  pensée  de  vouloir 
attaquer  une  des  traditions  de  l'Eglise  de  Marseille,  l'étudié, 
le  flambeau  de  la  critique  à  la  main.  Il  se  demande  si  ce  ne 
serait  pas  à  Saint-Cyr  même  que  s'élevait  jadis  le  a  monaste- 
rium  Sancti  Cyrici  »  dans  lequel  une  épitaphe  connue  nous 
apprend  que  sainte  Eusébie  a  vécu  cinquante  ans.  On  le  voit, 
c'est  de  M.  l'abbé  Magloire  Giraud  que  l'on  pourrait  dire  qu'il 
prêche  pour  sa  paroisse  1  Nous  ne  lui  en  faisons  pas  un  repro- 
che cependant.  C'est  un  honneur  qu'il  vaut  la  peine  de  reven- 
diquer pour  une  localité,  d'avoir  donné  asile  à  un  monastère 
célèbre,  comme  le  fut  celui  de  Saint-Cyr.  Seulement,  notre 
écrivain  décapite  la  tradition,  diminuant  d'autant  la  gloire 
qui  en  reviendrait  à  son  église.  Suivons,  en  effet,  son  argu- 
mentation (1). 

Disons  d'abord  que  M.  Magloire  Giraud  a  été  le  premier  à 
soutenir  que  le  monastère  de  Saint-Cyr  se  trouvait  dans  le 
Var.  Si  loin  de  Marseille  !  C'est  contre  lui  que  Ruffi,  Lautard 

(1)  Notice  historique  sur  V église  de  Saint-Cyr  (Var),  par  l'abbé 
Magloire  Giraud.  —  Nous  avons  eu  la  consolation  de  connaître  l'auteur 
de  cette  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint  Cyr.  C'était  un  prêtre 
d'une  éminente  vertu  et  d'une  grande  science.  L'âge  et  la  maladie  avait 
brisé  ses  forces,  mais  non  son  énergie.  Cn  mois  avant  sa  mort,  il  ne  par- 


—  211   - 

et  de  Rey  ont  beau  jeu.  Ces  écrivains  n'acceptent  pas  que  le 
monastère  cassianite  fût  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  parce 
que  c'eût  été  dans  un  terroir  exposé  aux  incursionsdes  pirates  ; 
loin  de  toute  église  pour  entendre  la  messe  le  dimanche  ;  loin 
de  toutes  les  commodités  de  la  vie  nécessaires  à  un  monas- 
tère. En  vain  M.  Giraud  eût  répondu  que  ce  monastère  était 
aux  environs  de  la  petite  ville  de  Taurœntum.  Cette  ville  ne 
devait  pas  être  une  forteresse  de  premier  ordre,  capable  d'offrir 
un  asile  bien  sûr  en  cas  d'invasion,  puisque  M.  Giraud  fait  se 
retirer  à  Marseille  les  religieuses  de  Saint-  Cyr,  à  l'époque  de 
l'envahissement  de  Taurœntum  par  les  Sarrasins.  Ce  ne  devait 
pas  être  non  plus  une  ville  offrant  beaucoup  de  ressources  ;  il 
y  avait  d'ailleurs  une  bonne  distance  entre  le  monastère 
supposé  et  Taurœntum  !  Mais  arrivons  à  la  discussion. 

t  On  a  confondu  le  a  monasterium  Sancti  Cyricii  »,  oh 
sainte  Eusébie  a  vécu  cinquante  ans,  avec  le  monastère  de 
femmes  fondé  par  Cassien  en  420,  habité  par  la  sœur  de  saint 
Césaire,  détruit  par  les  Normands  en  867,  saccagé  par  les 
Sarrasins  en  928.  Et  pour  faire  cette  identification  on  n'a  eu 
qu'une  preuve:  l'inscription  que  l'on  connaît  (1).  »  Il  y  a  là 
une  exagération.  Aucun  monument  historique  ne  prouve 
qu'il  faille  identifier  les  deux  monastères,  c'est  vrai.  Mais  ce 
qui  est  vrai  aussi,  c'est  que,  d'une  part,  aucun  monument, 
aucune  inscription  n'indique  que  de  410  à  923  il  y  ait  eu  à 
Marseille  un  monastère  de  femmes  autre  que  celui  des  Cassia- 
nites.  D'autre  part,  le  monastère  fondé  par  Cassien  était  à  Mar- 
seille, rien  n'est  plus  sur,  mille  preuves  existent.  La  vie  de 
saint  Césaire,  le  texte  de  Gennade,  la  charte  40  du  XI*  siècle, 
les  chartes  de  1066  relatives  à  Saint-Sauveur,  celles  de  1431 
et  1446,  etc.,  etc.  Enfin,  l'épitaphe  de  sainte  Eusébie  mention- 
nant un  a  monasterium  Sancti  Cyricii  »  a  été  trouvée  à  Mar- 
seille; la  tradition  et  l'unanimité  des  auteurs  disent  que  ce 

iait  que  de  nouvelles  monographies  à  écrire  et  d'une  grande  mission  à 
(aire  prêcher  à  Saint-Cyr.  Les  félicitations  venues  de  plusieurs  acadé- 
mies et  comités  historiques  de  Province  avaient  récompensé  ses  labeurs 
scientifiques.  Dieu  Ta  certainement  récompensé  de  ses  travaux  de  prêtre 
et  de  pasteur  des  âmes. 
(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  p.  14. 


i 


-  212  - 

monastère  de  Cassien  placé  sous  le  vocable  de  la  Sainte  Vierge 
était  le  même  que  celui  qui  fut  plus  tard  «  in  honore  Sancti 
Cassiani  ».  On  conclut  tout  naturellement  que  le  titre  de  Saint- 
Cyr  a  été  un  vocable  nouveau  sous  lequel  l'abbaye  cassiani  te 
était  placée  au  VIF  ou  au  VIII*  siècle,  que  ce  monastère  cas- 
sianite  a  changé  souvent  de  nom  et  de  place,  mais  que,  malgré 
ces  changements,  il  n'y  a  jamais  eu  qu'un  seul  monastère. 
L'inscription  de  sainte  Eusébie  n'est  donc  pas  la  seule  raison 
pour  les  auteurs  de  commettre  ce  que  M.  Magloire  Giraud 
appelle  une  confusion. 

Cet  auteur  aura-t-il,  du  moins,  quelques  preuves  à  donner 
que  le  «  monasterium  Sancti  Cyricii»  de  l'inscription  de  sainte 
Eusébie  et  celui  fondé  par  Cassien  étaient  deux  monastères 
distincts?  Nous  le  verrons  bientôt. 

«  On  a  fait  u  ne  seule  personne  de  sainte  Eusébie,  qui 

a  vécu  cinquante  ans  «  in  monasterio  Sancti  Cyricii  »,  avec 
cette  Eusébie  que  la  tradition  dit  avoir  été  martyrisée  par  les 
Sarrasins.  Et  Ton  n'a  eu  que  des  preuves  inadmissibles.  On  en 
a  fait  une  abbesse,  et  cette  inscription  ne  contient  pas  les 
mots  de  «  abbatissa,  praefuit  ».  On  en  a  fait  une  martyre,  et 
cette  inscription  encore  ne  porte  aucun  signe  symbolique,  une 
palme  par  exemple,  qui  le  fasse  supposer.  On  a  dit  que  son 
corps  reposait  à  Saint-Victor  dans  un  tombeau,  et  ce  tombeau 
ne  fut  pas  fait  pour  elle,  il  lui  est  antérieur  de  deux  cents 
ans  (1).  »  C'est  le  résumé  des  pages  de  MM.  Magloire  Giraud. 

C'est  vrai,  l'inscription  dont  il  s'agit  n'indique  pas  que 
sainte  Eusébie  fût  martyre.  Moins  que  tout  autre,  M.  Magloire 
devrait  en  être  surpris.  Ce  fut,  en  effet,  selon  lui,  «  quelque 
lapicide  de  campagne  qui  grava  cette  inscription.  »  On 
l'avouera,  notre  lapicide  dut  être  bien  embarrassé  pour  dire 
dans  son  épitaphe,  en  un  style  passable,  que  sainte  Eusébie 
s'était  coupé  le  nez  !  Pour  trancher  la  difficulté,  le  lapicide 
n'a  rien  dit.  Mais  nous  donnons  la  réponse  ailleurs  à  cette 
objection. 

Cette  inscription  n'indique  pas  qu'elle  fut  abbesse!  Ceci  est 
peut-être  exagéré.  Car  ces  mots  :    a  religiosa  magna  »  ou 

(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  passim,  p.  14  et  suivantes. 


<-  213  — 

«  magna  ancilla  Domini  »,  rapprochés  de  a  magnus  Dei  sacer- 
dos  »,  qui  chez  saint  Grégoire  de  Tours  désignent  un  évêque, 
de  «  ancilla  Dei  »  donné  aux  simples  religieuses,  pourraient 
remplacer  très  avantageusement  les  mots  «  abbatissa,prsefuit  » 
que  Ton  se  plaint  de  ne  pas  y  lire. 

Le  tombeau  où  reposaient  ses  restes  à  Saint-Victor  n'avait 
pas  été  fait  pour  Eusébie.  Il  était  de  deux  cents  ans  plus 
ancien  qu'elle!  C'est  vrai,  nous  croyons  que  c'est  là  un  tom- 
beau païen,  alors  que  d'autres  y  voient  un  tombeau  chrétien. 
Mais  que  d'autres  corps  saints,  à  Saint-Victor,  ont  été  déposés 
dans  des  tombeaux  païens:  saint  Mauront,  saint  Victor,  etc.! 

«  D'autre  part,  vers  le  milieu  du  IX*  siècle  (1),  avant  la 
destruction  de  Taurœntum,  existait  près  du  village  de  Saint- 
Cyr,  au  quartier  rural  de  la  Mure  (villa  murata)  un  monas- 
tère de  femmes,  dont  on  désigne  l'emplacement,  et  dont  il 

reste  la  tour Ceci  semble  déterminer  à  Saint-Cyr  même 

remplacement  du  a  monasterium  Sancti  Cyricii  »  où  vécut 
durant  cinquante  ans  sainte  Eusébie.  Ce  monastère  dut  être 
abandonné  par  les  religieuses  lors  de  l'envahissement  de  Tau  - 
rœntum  par  les  Sarrasins.  Celles-ci  se  réfugiant  à  Marseille, 
les  restes  de  sainte  Eusébie  furent  portés  à  Saint-Victor,  mis  à 
la  hâte  dans  un  tombeau,  et  un  lapicide  de  campagne  grava 
l'épitaphe  en  termes  barbares.  » 

Nous  avouons  ne  plus  reconnaître  la  tradition  de  Marseille. 
Nous  eussions  préféré  voir  M .  Magloire  Giraud  revendiquer 
hautement  pour  sa  paroisse  de  Saint-Cyr  la  gloire  d'avoir  été 
le  théâtre  du  massacre.  Il  découronne  la  tradition  1  Mais,  s'il 
est  vrai,  comme  le  soutient  notre  écrrivain,  qu'autre  a  été 
le  «  monasterium  Sancti  Cyricii  »,  autre  celui  fondé  par 
Cassien;  s'il  est  vrai  que  ce  monastère  d'Eusébie  se  trouvait  à 
Saint-Cyr  dans  le  Var,  M.  Magloire  Giraud,  en  sa  qualité  de 
curé  de  Saint-Cyr,  doit  posséder  une  ample  provision  d'argu- 
ments à  l'appui  de  son  dire.  Hélas!  il  va  falloir  nous  contenter 
de  peu  : 

«  L'existence  d'un  monastère  de  femmes,  à  Saint-Cyr,  est 

(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  p.  15. 


—  214  — 

attestée,  dit- il,  par  la  tradition  locale  et  les  débris  qui  ont 
survécu  aux  ravages  des  hommes  (1).  »  Et  c'est  tout. 

Cela  est  vrai  peut-être.  Mais,  à  notre  tour,  sans  être  trop 
exigeant,  et  tout  en  étant  disposé  à  croire  M.  Giraud  sur  pa- 
role, une  preuve,  si  petite  fût -elle,  eût  bien  fait  notre  affaire  I 
Nous  avons  cherché  dans  les  divers  ouvrages  «de  cet  auteur, 
sur  Taurœntum,  sur  Saint-Damien,  sur  le  canton  du  Beausset, 
s'il  n'avait  pas  fait  la  preuve  de  son  assertion.  Impossible  de 
rien  trouver  de  précis.  Dans  son  livre  de  Taurœntum,  après 
avoir  parlé  de   cet  édifice   appelé   la   Mure,  il   se   contente 
d'ajouter  :  «  On  croit  généralement,  dans   le   pays,  que   cet 
ancien  édifice  était  autrefois  un  monastère.  J'ignore  jusqu'à 
guel  point  cette  conjecture  est  fondée  (2).  »  Or,  cet  ouvrage 
sur  Taurœntum  est  de  1853,  celui  sur  Saint-Cyr  est  de  1855. 
Si  M.  Magloire  Giraud  n'avait  pas  de  preuve  lorsqu'il  écrivait 
de  Taurœntum,  il  devait  en  avoir  lorsque,  écrivant  de  Saint- 
Cyr  sa  paroisse,  il  abordait  cette  question.  Il  avait  à  démontrer 
que  ces  ruines  de   la   Mure  étaient  bien  celles  d'un  ancien 
monastère,  et  que  ce  monastère  était  le  même  que  le  «  monas- 
terium  Sancti  Cyricii  ».  C'est  ce  qu'il  n'a  pas  fait!  Nous  som- 
mes donc  en  droit  de  l'affirmer:  c'est  un  simple  rappro- 
chement que  M.  le  curé  de  Saint-Cyr  se  permettait  de  faire 
par  suite  de  la  similitude  des  noms  que  portaient  et  sa  pa- 
roisse et  cet  ancien  monastère.  Mais  une  pure  supposition  I 
Car,  nous  le  répétons,  aucune  raison  sérieuse  ne  prouve  qu'il 
y  ait  eu  à  Saint-Cyr  un  monastère. 

Inutile  aussi  d'affirmer  qu'il  y  a  eu  là  un  monastère  de 
Saint-Cyr,  parce  que  pi  as  tard  les  moines  de  Saint-Victor  ont 
donné  ce  vocable  aune  chapelle  du  terroir,  l'église  du  Saint- 
Cyr  actuel.  Quoique  la  fondation  d'une  chapelle  à  Saint-Cyr 
(Var),  en  l'honneur  du  jeune  saint  martyr,  remonte  à  une 
époque  fort  ancienne,  cependant,  on  ne  peut  pas  dire  «  qu'elle 
se  perde  dans  la  nuit  des  temps  (3).  »  On  peut  trouver  l'époque 


(1)  Magloire  Giraud,  op.  cit.,  p.  16. 

(2)  Magloire  Giraud,  Mémoire  sur  l'ancien  Taurœntum,  pp.  43,  44. 

(3)  Magloire  Giraud,  Histoire  du  prieuré  de  Saint-Damient  pp.  4,  7. 
—  Notice  sur  l'église  de  Saint-Cyr  (Var)%  par  le  même.  p.  S. 


—  215  — 

» 

approximative  de  cette  fondation.  Ce  n'est  qu'en  966  que  les 
religieux  de  Saint-Victor  viennent  dans  cette  contrée  (1). 
L'évoque  de  Marseille,  Honoré  II,  leur  donne,  aux  termes  de 
la  charte  :  a  ecclesiam  Sancti  Damiani  cum  appendiciis  suis  ». 
Par  ces  mots  sont  désignées  les  terres  qui  dépendent  de  Saint- 
Dam  ien,  dont  la  même  charte  donne  les  limites  (2). 

Si  déjà  la  chapelle  de  Saint -Cyr  existait,  si  surtout  il  y  avait 
eu,  dans  les  environs  de  Saint-Damien,  uu  monastère  de  Saint- 
Cyr,  Honoré  II  en  aurait  fait  mention  en  parlant  des  dépen- 
dances. S'il  ne  dit  rien,  c'est  qu'à  cette  époque,  sur  ce  terroir, 
il  n'y  a  que  l'église  de  Saint-Damien.  Plus  loin,  il  y  a  la 
Cadière.  Ce  village  à  son  tour  est  cédé  en  grande  partie  à 
Saint- Victor  par  Guillaume  I",  comte  de  Provence,  vers  967. 
Or,  a  à  ce  moment,  la  paix  qui  succède  aux  invasions  porte 
tous  les  habitants  à  se  remettre  aux  travaux  des  champs.  La 
population,  qui  s'était  abritée  jusqu'ici  dans  les  villages  for- 
tifiés, se  répand  dans  la  campagne.  Les  moines  alors  font 
élever  dans  la  circonscription  territoriale  des  chapelles  rurales 
pour  alimenter  la  piété  des  fidèles  et  leur  faciliter  l'accom- 
plissement des  devoirs  religieux  (3).  Telles  furent  celles  de 
Saint-Jean,  du  côté  du  levant  de  Saint-Damien  ;  et  celle  de 
Saint-Cyr,  dans  la  partie  du  territoire  la  plus  voisine  de 
Taurœntum.  »  Nous  citons  M.  Magloire  Giraud  lui-même  et  ce 
n'est  que  dans  les  chartes  de  1113  et  1135,  que  ces  chapelles 
sont  indiquées  comme  annexes  de  l'église  de  la  Cadière  :  «  pa- 
rochialem  ecclesiam  de  Cadeira  cum  capellis  suis.  »  Jusqu'à 
cette  époque,  on  n'en  trouve  aucune  trace.  En  1079,  il  n'y  a 
d'indiqués  que  Saint-Damien,  la  Cadière,  son  église  et  les 
églises  des  villages  voisins  (4;.  Si  les  chapelles  ne  sont  point 
nommées,  c'est  la  preuve  qu'elles  n'existent  pas  encore. 


(1)  Magloire  Giraud,  Mémoire  sur  Taurœntum,  p.  152;  Histoire  du 
prieuré  de  Saint-Damien,  pp.  4,  7  ;  Notice  sur  V église  de  Saint- 
Cyr,  p.  8. 

(2)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  23. 

(3)  Magloire  Giraud,  Histoire  du  prieuré  de  Saint-Damien,  p.  15. 

(4)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  843,  de  107»  :  c  cellam  Sancti 
Damiani...  castella  quœ  subscripta  sunt,  villas  cum  ecclesiis,  prœdiis  et 
pertinentiis,  videlicet  catedram,  Citharistam  »',  etc.— Charte  848,  de  1133  : 


—  216  — 

Pourquoi,  maintenant,  les  moines  donnent-ils  à  cette  cha- 
pelle rurale  le  vocable  de  Saint-Cyr  plutôt  qu'un  autre  ?  Il  est 
difficile,  à  huit  cents  ans  de  distance,  d'indiquer  le  motif  qui 
détermine  ce  choix.  Quel  qu'il  ait  pu  être,  on  avouera  qu'étant 
donnée  la  pénurie,  l'absence  de  preuves  indiquant  l'existence 
d'un  monastère  à  cet  endroit,  on  ne  saurait  sérieusement 
prétendre  que  si  les  moines,  vers  1113,  ont  appelé  cette  cha 
pelle  du  nom  de  Saint-Cyr,  c'est  qu'il  y  avait  là  ou  aux  envi- 
rons un  monastère  de  femmes  portant  ce  vocable.  Ce  ne  serait 
qu'une  affirmation  en  l'air. 

Donc,  la  supposition  de  M.  Magloire  Giraud  :  qu'il  y  a  eu,  à 
Saint-Cyr  (Var),  un  monastère  de  femmes  ou  de  filles,  est 
sinon  fausse,  du  moins  très  hasardée.  Partant,  l'objection 
qu'il  énonce  contre  notre  thèse  est  sans  force  et  n'est  pas 
prouvée.  Il  nous  est  donc  permis  de  ne  pas  en  tenir  compte. 


c  parochialem  ecclesiam  de  Gadeira  cum  capellis  suis  ».  —  Charte  844, 
de  1135  :  c  parochialem  ecclesiam  de  Gadeira  cum  capellis  suis  ». 


CHAPITRE  XII 
L'Abbaye  cassianite  à  Saint-Loup 

AFFIRMATIONS  DE  M.  MEYNIER  ET  OB  M.  L'ABBE  GAYOL  —  PAS  DE 
PREUVES  A  L'APPUI.—  EN  1240  «  ORTUM  MONIALIUM  DE  CARVILLIANO.— 
LE8  RUINES  QUI  EXI8TENT  SONT  CELLES  D'UNE  MAISON  DE  CAMPAGNE 
APPARTENANT  A  SAINT-SAUVEUR.—  ASSERTIONS  GRATUITES  DE  M. 
ANDRÉ. 

On  a  lu  plus  haut  ce  que  Meynier  a  écrit  au  sujet  de  Saint- 
Loup  et  de  Saint-Cyr,  emplacements  supposés  d'un  couvent 
cassianite  de  femmes.  Ce  monastère  aurait  été  situé  à  quelque 
distance  de  la  route  de  Saint-Loup  et,  suivant  la  tradition  du 
pays,  il  aurait  été  détruit  par  les  Sarrasins  (1).  C'est  bien  d'in- 
voquer la  tradition  du  pays,  mais  encore  faudrait-il  fournir 
quelque  preuve.  Et  M.  Meynier  n'en  donne  aucune.  Il  n'y  a 
donc  pas  lieu  de  s  arrêter  à  cette  assertion.  D'ailleurs,  ce  que 
nous  allons  dire  va  servir  à  la  réfuter. 

L'abbé  Cayol,  auteur  de  la  Monographie  sur  le  village  de 
Saint-Loup,  à  Marseille  (2),  n'a  fait  qu'une  supposition,  ne 
reposant  sur  aucune  base  sérieuse,  lorsque,  après  avoir 
dit  que  Ton  avait*  fondé  un  monastère  de  religieuses  au 
quartier  de  Saint- Tronc,  il  ajoute  que  c'était  «  peut-être  là 
qu'habitaient  les  Desnarrados.n  C'est  un  a  peut-être  »  absolu- 
ment en  l'air  ! 

Il  est  certain  que  les  religieux  de  Saint-Victor  acquirent 
en  840  une  portion  du  terroir  appelé  Carvillan  (3),  terre  dont 
M.  l'abbé  Arnaud  a  donné  les  limites  bien  exactes  (4).  Ce 

(1)  Meynier,  Anciens  Chemins   de  Marseille,  p.  21. 

(2)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  J.-J.  Cayol, 
pp.  13,  26.  ' 

(3)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  28. 

(4)  L'abbé  Arnaud,  Notice  historique  et  topographique  sur  Sainte- 
Marguerite,  chap.  2,  p.  26,  etc.—  L'abbé  Cayol,  op.  cit.,  pp.  21,  22,  donne 
les  limites  de  Carvillan. 


-  218  — 

tellement,  quelle  qu'en  soit  l'étendue,  est  situé  entre  Sainte- 
Marguerite  et  Saint-Loup  ;  et  si  le  quartier  actuel  de  Saint- 
Tronc  ne  faisait  pas  partie  jadis  de  Carvillan,  du  moins  il  en 
était  voisin.  Il  est  certain  encore  que  les  religieuses  de  Saint- 
Sauveur  possédèrent  en  1216  d63  terres  au  quartier  de  la 
Moutte,  entre  Saint-Loup  et  Saint-Marcel  (1)  ;  qu'en  1216 
encore  elles  avaient  des  prés,  des  terres,  des  vignes,  des  mou- 
lins au  quartier  de  Sanctis,  proche  la  rivièrede  l'Huveaune  (2). 
Ce  quartier  de  Sanctis  c'est  Saint-Thyrse,  Saint-Loup.  Or,  ces 
terres  étaient  forcément  voisines  de  Saint-Tronc,  de  Car- 
villan. 

Certain  encore  qu'en  1240  le  comte  de  Provence,  Raymond 
Bérenger,  prit  sous  sa  protection  ces  terres  que  la  charte 
désigne  sous  le  nom  de  jardin,  propriété  des  religieuses 
à  Carvillan  (3).  Mais  y  avait-il  en  cet  endroit,  en  1240,  un  cou- 
vent de  religieuses?  Le  Père  Saint-Alban,  en  parlant  de  Saint- 
Tronc,  dans  le  Calendrier  perpétuel  et  spirituel  de  la  ville  de 
Marseille,  affirme  o  qu'il  y  avait  autrefois  en  cet  endroit 
(à  Saint-Tronc)  un  couvent  de  religieuses  de  Saint-Benoit.  On 
y  voit  des  masures  de  cette  église  (4).  »  L'abbé  Cayol  fait  la 
description  de  ces  ruines,  en  ajoutant  que  l'on  fonda  en  cet 
endroit  (à  Saint- Tronc;  un  couvent  de  religieuses  qui  exis- 

(1)  C'est  ce  que  nous  apprend  une  bulle  d'Innocent  III,  datée  de  Todi 
et  du  29  avril  1216  :  a  Innocentius  episcopus...  dllectis  filiabus  abbatisse 
et  monialibus  sub  B.  Pétri  et  nostrâ  protectione  suscepimus,  spécial i ter 
autem  ecclesiam  Sanctœ  Maria  de  Accuis...  jus  quoque  quod  h  abêti  s  in 
castris  de  Allaucho,  et  Rocaveira,  etc..  Motta  juxta  fluvium  Velnœ...» 
De  Belsunce,  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  II,  p.  62.  — André, 
op.  cit.,  p.  62. 

(2)  André,  op.  cit.,  pp.  33,  214  :  c  Et  in  villa  quœ  dicitur  Sanctis  et 
circa  flumen  quod  vocatur  I veina,  prata,  terras,  vineas  et  molendinas.» 

(3)  t  . . .  insuper  affldamus,  eodem  modo,  ut  supra,  vil  la  m  de  Revesto 
domos  Sancti  Genesii,  ortum  monialium  de  Garvilliano,  de  Sala  et 
Sancti  Justi,  cum  omnibus  famulis,  possessionibus  ac  rébus  omnibus 
praedictorum  locorum,  et  generaliter  quidquid  ad  dictum  monasterium 
(Sancti  Victoris)  pertinet  in  tota  villa  Massiliae  et  ejus  territorio  seu 
tenemenlo.  »  Gartulaire  de  Saint- Victor,  t.  II,  charte  1027,  de  1240. 

(4)  Calendrier  spirituel  et  perpétuel  pour  la  ville  de  Marseille,  p. 
176,  imprimé  en  1713;  par  le  Père  Saint-Alban.  —  Histoire  du  gttartiev 
de  Saint-Loup,  ut  supra,  p.  14. 


-  219  — 

tait  en  1240,  et  qu'il  va  établir  que  ce9  religieuses  de  Car- 
villan  ne  sont  autres  que  celles  de  Saint-Tronc,  donl  parle  le 
Père  S^int-Alban.  Mais,  ces  preuves,  nous  les  attendons 
encore  I 

Il  est  visible  cependant  que  Terreur  commise  par  Saint- 
Alban  et  l'abbé  Cayol  provient  de  ce  qu'ils  ont  mal  traduit  les 
termes  de  la  charte  de  1240  :  «  ortum  monialium  de  Carvil- 
liana  ».  Ce  que  le  comte  de  Provence  prend  sous  sa  protec- 
tion, c'est  ce  dont  Honorius  III  confirmait  la  possession  à 
l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  en  1217.  Or,  dans  cette  bulle  d'Uo- 
norius,  il  s'agit  de  terres,  de  prés,  de  vignes,  de  moulins  que 
les  religieuses  de  Saint-Sauveur  de  Marseille  possédaient  à. 
Sanctis,  Saint-Thyrse,  Saint-Loup,  mais  nullement  d'un 
nouveau  monastère.  Le  comte  de  Provence,  en  1240,  pre- 
nait sous  sa  protection  de  suzerain  temporel  ces  terres,  que 
les  religieuses  possédaient  à  Carvillan,  a  ortum  monialium  de 
Carvilliana  ».  Ce  ne  sont  pas  les  religieuses  qui  sont  à  Car- 
villan, ce  sont  les  terres,  Ta  ortum»,  la  propriété.  Voilà  ce 
qu'il  y  a  dans  ces  chartes  (lj. 

Que,  dans  la  suite,  les  religieuses  de  Saint-Sauveur  aient  eu 
une  maison  de  campagne  voisine  de  Carvillan,  on  l'acceptera, 
si  l'on  veut.  Mais,  qu'il  y  ait  eu,  en  1240,  un  monastère 
différent  de  celui  de  Sain t- Sauveur,  c'est  une  erreur.  Les 
ruines  dont  l'abbé  Cayol  fait  la  description,  M.  Saurel  en  a 
raconté  l'histoire  (2).  Nous  la  croyons  exacte.  Mais  ce  ne  sont 
pas  les  ruines  d'un  monastère  datant  de  1240!  C'est  donc  en 
vain  que  a  quelques  antiquaires  croient  que  le  couvent  de 

(1)  C'est  tellement  le  sens  de  ces  mots  c  ortum  monialium  »,  que  la 
même  charte  disant  c  ortum  monialium  de  Carvilliana,  de  Sala,  et  Sancti 
Jusii  »,  il  faudrait  dire  qu'il  y  avait  des  religieuses  non  seulement  à 
Carvillan,  mais  encore  à  la  Salle  (près  de  Saint-Marcel)  et  à  Saint-Just. 
Or,  en  1214,  il  n'y  avait  que  quinze  religieuses  à  Saint-Sauveur,  et  en 
1252  on  n'en  compte  que  treize.  Comment  supposer  qu'il  y  ait  eu  à  la 
même  époque  plusieurs  communautés  de  religieuses  de  Saint-Benoit  à 
plusieurs  endroits  hors  de  Marseille  ? 

(2)  D'après  M.  Saurel,  la  chapelle  serait  postérieure  à  l'an  1645.  Quant 
au  monastère  ou  à  la  terre,  c  ce  n'est  qu'à  titre  de  propriété  rurale,  de 
maison  de  campagne,  de  maison  de  santé  peut-être,  que  les  Bénédictines 
l'ont  possédée  ».  Saurel,  Banlieue  de  Marseille,  Saint-Tronc,  p.  195,  etc. 


-  220  — 

Saint-Tronc  était  une  annexe  de  celui  de  Saint-Sauveur  (1)  »  ; 
en  vain,  M.André  lui-même,  écrivant  à  l'auteur  de  Y  Histoire 
de  Saint-Loup,  dit  qu'il  a  serait  tenté  de  croire  que  l'abbaye 
cassianite  de  Saint-Sauveur  fondée  par  Cassïen  avait  des 
annexes  aux  environs  de  Marseille,  que  Saint-Tronc  pouvait 
bien  en  être  une...  Car  les  chartes  nous  apprennent  que 
Cassien  eut  jusqu'à  cinq  mille  moines  sous  sa  conduite.  Les 
vierges,  dans  ce  siècle  de  foi,  durent  s'enrôler  en  grand  nombre 
et  renoncer  aux  vanités  des  choses  de  la  terre  (2j  .* 

Que  saint  Cassien  ait  compté,  'de  son  vivant,  jusqu'à  cinq 
mille  moines  sous  sa  direction,  c'est  un  fait  certain  (3;.  Mais 
qu'il  y  ait  eu  un  nombre  très  grand  de  religieuses,  '  rien  ne 
l'indique.  Sainte  Eusébie  n'avait  que  quarante  compagnes, 
dit  la  tradition.  Lors  de  la  restauration  du  monastère,  en  1004, 
par  Elgarde,  il  n'y  a  que  quatre  ou  cinq  religieuses.  Cela 
n'indique  pas  un  grand  zèle  de  la  part  des  femmes  pour  la 
vie  religieuse,  que  cela  provienne  de  la  difficulté  des  temps 
ou  de  toute  autre  cause. 

a  De  là  insuffisance  de  local,  ajoute  M.  André,  et  néces- 
sité d'établir  des  succursales  où  la  maison  mère  envoyait 
celles  qui  étaient  le  plus  affermies  dans  l'état  religieux  (4).  » 
Ceci  est  encore  une  douce  exagération  qui  nous  étonne  de 
part  de  M.  André.  L'abbaye  de  Saint -Sauveur  n'a  jamais  dû 
créer  des  succursales;  encore  moins  au  XIII"  siècle.  M.  André, 
en  effet,  dit  en  propres  termes  qu'au  XIII"  siècle  la  commu- 
nauté de  Saint-Sauveur  n'était  pas  nombreuse.  De  fait,  en 
1214,  elle  ne  se  composait  que  de  quinze  religieuses;  en  1257, 
de  treize  ;  en  1266,  de  vingt-sept  (5). 

Il  est  donc  bien  peu  probable  qu'en  1240  il  y  eût  un  monas- 
tère annexe  à  Saint-Tronc.  D'ailleurs,  elles  étaient  loin  d'être 

(1)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  26. 

(2)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  27. 

(3)  €.  Cœnobium  Massiliense,  priscorum  temporibus,  sic  sub  régula  ri 
dominatione  viguit  Deo  volente,  ut  quinque  millium  monacborum  nu- 
méros ibi  reperiretur,  in  sancti  Cassiani  tempore. .  »  Cartulaire  de  Saint  - 
Victor,  charte  532. 

(4)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  27. 

(5)  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  par   M.   André,  pp 
41,32,45. 


—  221  — 

exemplaires  en  tout,  puisque  l'évoque  de  Marseille  dut  procéder 
canoniquement  contre  elles,  en  1278(1).  Non,  l'opinion  de 
M.  André,  pas  plus  que  celle  de  l'abbé  Cayol,  n'est  fondée  en 
raison. 

Quant  à  la  chapelle  de  Saint-Cyr,  bâtie  sur  le  sommet  d'une 
montagne  aux  environs  de  Saint-Loup,  M.  Cayol  dit  :  «  qu'elle 
a  du  être  bâtie  par  la  maison  de  Saint- Victor  ou  les  religieuses 
de  Saint-Tronc  (î).»  C'est  fort  probable.  Mais  à  quelle  époque, 
on  n'en  sait  rien.  M.  Cayol  ne  citant  aucun  texte  et  ne  donnant 
aucune  raison,  nous  n'avons  pas  à  nous  en  préoccuper  da- 
vantage. 

D'ailleurs,  que  nous  importerait  qu'il  y  ait  eu,  en  1240,  un 
monastère  de  religieuses  à  Saint-Tronc,  que  ce  fût  une 
annexe  de  Saint-Sauveur?  Notre  thèse  n'en  subsisterait  pas 
moins  :  qu'antérieurement  au  milieu  du  VIII-  siècle  le 
monastère  cassianite  s'élevait  aux  bords  de  l'Huveaune.  L'abbé 
Cayol  devrait,  en  effet,  prouver  que  ce  monastère  de  Saint- 
Tronc,  en  1240,  remonte  au  VII-  ou  au  VIII-  siècle;  que  déjà 
à  cette  époque  il  existait  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr;  qu'il 
n'y  en  avait  pas  d'autre  à  Marseille  ;  que  c'est  là  enfin  que 
sainte  Eusébie  est  morte  !  Autant  de  points  que  cet  écrivain 
aurait  dû  élucider  ;  ce  qu'il  n'a  pas  fait.  Nous  sommes  donc 
en  droit  de  le  dire  :  le  monastère  cassianite  n'était  pas  à 
Saint-Tronc. 


(1)  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur*  par  André, 
p.  46,  etc. 

(2)  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  par  l'abbé  Cayol,  p.  32. — 
D'ailleurs,  quel  fut  le  vocable  primitif  de  cette  chapelle  et  de  la  montagne 
sur  laquelle  on  la  voyait  ?  Mortreuil  incline  à  croire  que  c'était  Saint- 
Thyrse,  dont  le  langage  du  peuple  a  fait  Saint-Cyr.  Inutile,  par  consé- 
quent, de  prétexter  la  similitude  des  noms,  pour  affirmer  la  présence  au 
quartier  de  Saint-Cyr  d'un  monastère  de  Saint-Cyr.  —  Voir  Mortreuil, 
Dictionnaire  topographique  :  Saint-Cyr. 


15 


CHAPITRE  XIII 

Assertions  diverses  de  la  «  Gallia  christiana  », 
de  M.  André,  de  l'abbé  Verlaque,  etc.,  etc. 


A  GALLIA  CHRISTIANA  ».  —  lf.  ANDRÉ.  —  L'ABBÉ  VERLAQUE.  —  QUEL- 
QUES AUTEURS  DÉSIGNENT  SAINT-MARCEL.  —  M.  LE  DOCTEUR  COUR  ET. 
—  PAS  AILLEURS. 


La  Gallia  christiana  (1).  —  Nous  croyions  découvrir  dans 
c^t  ouvrage  une  mine  de  renseignements  sur  le  sujet  qui 
npus  occupe^  Le  Père  Denis  de  Sainte-Marthe  n'a  su  que  copier 
Ruffi  et  ses  erreurs.  On  n'y  accepte  pas  l'opinion  de  Guesnay, 
qui  place  le  monastère  aux  bords  de  l'Huveaune.  On  préfère, 
avec  Ruffi,  le  placer  aux  pieds  de  la  montagne  de  la  Garde. 
Et  les  preuves  sont  celles  de  Ruffi  :  la  charte  40  d'abord,  la 
découverte  des  tombeaux  faite  en  1685,  à  remplacement  de  la 
chapelle  Sainte-Catherine,  les  deux  chartes  de  1431  et  1446. 
Or,  de  toutes  ces  assertions,  aucune  n'a  de  valeur  probante. 
Nous  l'avons  démontré  plus  haut. 

M.  André  (2).  —  Il  semble  que  c'est  avec  cet  auteur  surtout 
que  nous  devrions  ou  marcher  d'accord,  ou  bien  avoir  maille 
à  partir  1  II  n'en  est  rien  cependant.  M.  André  est  très  paci- 
fique. Il  n'est  pas  de  notre  opinion,  puisqu'il  préfère  celle  de 
Ruffi.  Mais  il  se  contente  de  citer  le  dire  des  auteurs,  et  il 
n'allègue  aucune  preuve  nouvelle.  Pour  lui  l'abbaye  cassianite 
est  près  du  port  ;  son  argument  le  plus  convaincant  c'est  le 
texte  de  la  charte  40.  Nous  l'avons  vu,  ce  texte  ne  signifie  rien 
contre  nous.  Ainsi  nous  nous  quittons  bons  amis  avec  M. 
André. 


(1)  Gallia  christiana,  t.    I,  Eccleata  Massiliensis,  Abbatia  Sancti 
Salvatoris,  col.  695,  etc. 

(2)  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,   p.  2   et 
suivantes. 


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—  223  — 


• 


L'abbé  Verlaque  (1)  a  écrit,  sur  notre  sainte;  or,  il  soutient 
que  l'opinion  la  plus  accréditée  est  que  l'abbaye  fut  bâtie  au 
pied  de  la  montagne  de  la  Garde,  à  l'endroit  où  se  trouve  le 
bassin  du  Carénage!  Nous  ne  pardonnons  que  difficilement  à 
l'abbé  Verlaque  de  n'avoir  pas.  dans  sa  Notice  sur  sainte 
Eusèbie,  discuté  cette  assertion  pour  la  contredire  ou  la 
prouver.  Nous  avons  dû  le  faire  plus  haut,  et  il  résulte  de  cet 
examen  que  l'opinion,  loin  d'être  accréditée,  n'est  pas  fondée 
du  tout. 

Cet  auteur  mentionne  l'opinion  de  ceux  qui  placent 
l'abbaye  caesianite  à  la  Major,  sous  prétexte  qu'il  existait,  dit- 
on,  jadis  un  passage  souterrain  entre  Saint- Victor  et  la  Major. 
C'est  un  pur  cancan  sur  les  communications  souterraines  que 
les  romanciers  affectent  de  faire  exister  entre  les  monastères 
de  moines  et  les  monastères  de  religieuses,  a  Ce  souterrain, 
dit  M.  l'abbé  Verlaque,  citant  Grosson(2),  n'a  jamais  existé.»  En 
effet,  le  creusement  du  bassin  du  Carénage  n'a  rien  révélé  de 
semblable.  Eùt-il  existé  d'ailleurs,  ce  ne  serait  pas  une 
preuve  qu'à  la  Major  il  y  avait  un  monastère  de  religieuses. 
Il  aurait  pu  être  à  l'usage  des  prêtres  et  des  prêtresses  de 
Diane,  dont  le  temple  était,  dit-on,  à  la  Major  actuelle.  Mais 
le  texte  indiquant  qu'il  y  a  eu  là  un  monastère  de  religieuses, 
ce  texte  est  encore  à  trouver  ! 

S'il  faut  en  croire  Ruffi,  André,  etc,  (3),  quelques  auteurs 
auraient  placé  le  cœnobium  cassianite  à  Saint-Marcel.  Qui 
sont  ces  auteurs,  en  quels  ouvrages  cette  assertion  est-elle 
émise?  Nous  ne  savons.  Sur  quel  document  ont-ils  pu 
appuyer  une  telle  opinion  ?  Nous  ne  savons  encore.  Serai U- ce 
la  bulle  d'Honorius  III,  datée  du  12  octobre  1216,  dans 
laquelle  le  pape  confirme  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  tels  et 


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(1)  Notice  sur  sainte  Eusébie,  abbesse  et  martyre  du  diocèse  de 
Marseille,  par  l'abbé  V.  Verlaque,  p.  8. . 

(2)  Grosuon  (Recueil  des  antiquités  et  des  monuments  marseillais, 
p.  229)  détruit  cette  fable.  Guindon  et  Mèry  (Actes  et  délibérations  du 
conseil  de  Marseille,  t.  V,  p.  170,  note)  ont  fait  de  même. 

(3)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  56.  —  André,  Histoire  de 
l'abbaye  de  Saint -Sauveur,  p.  2.  —  M.  de  Rey.  Les  Saints  de  l'Eglise  de 
Marseille,  p.  230. 


—  224  — 

tels  biens  ou  revenus,  entre  autres  c  les  tasques  de  Porpo- 
rières  (1)  »  ?  «  Porporières  ou  Corporières,  Carpourière,  est  un 
torrent  qui  prend  naissance  dans  les  vallons  de  la  Treille, 
traverse  le  territoire  des  Gamoins  et  va  se  perdre  dans  l'Hu- 
veaune,  aux  environs  de  Saint-Marcel  (2).  »  Ces  tasques  que 
percevait  l'abbaye  de  Saint-Sauvenr  étaient-elles  attachées  à 
quelque  fonds  de  terre,  près  de  Saint-Marcel?  C'est  possible. 
Dans  tous  les  cas,  la  charte  de  1216  parle  de  taxes,  de  rede- 
vances et  non  pas  de  cœnobium  ni  d'abbaye.  S'il  s'agit  d'une 
abbaye,  c'est  de  celle  de  Saint-Sauveur  de  Marseille  qui  avait 
la  directe,  la  possession  de  ces  biens-fonds.  Et  puis  nous 
sommes  au  XIII*  siècle,  et  non  pas  à  l'époque  dont  nous  nous 
occupons,  du  Y*  au  X*  siècle.  Donc,  inutile  de  parler  de  Saint  - 
Marcel,  l'abbaye  cassianite  ne  s'y  trouvait  pas. 

Nous  nous  souvenons  avoir  lu  dans  un  article  de  journal 
qu'un  historien  d'Aubagne,  le  docteur  Couret,  plaçait  le 
cœnobium  cassianite,  théâtre  du  martyre  des  héroïques 
compagnes  d'Eusébie,  à  Aubagne  même,  son  pays  natal.  Et  à 
l'appui  de  celte  assertion,  nous  avons  entendu  quelquefois 
nommer  la  rue  Dels  Moungeos,  qui  existerait,  par  ait-il,  à 
Aubagne. 

Il  faut  rendre  justice  à  qui  elle  est  due.  M.  le  docteur  Cou- 
ret n'a  point  revendiqué  cette  gloire  pour  sa  patrie.  On  a  mal 
lu  ou  mal  compris  son  texte.  Voici  ce  qu'il  a  écrit  :  «  Vers 
l'an  736,  les  Maures  rentrent  en  Provence,  s'emparent  de  nou- 
veau de  Marseille,  d'Aubagne  et  des  villes  environnantes,  qua- 
rante religieuses  se  coupent  le  nez  pour  éviter  le  déshonneur  ; 
lej  hommes  et  les  femmes  sont  exilés  sur  les  vaisseaux,  les 
enfants  et  les  vieillards  sont  égorgés  (3).  »  On  le  voit,  il  ne 
s'agit  pas  d'Aubagne,  mais  de  Marseille.  Quant  à  la  rue  Deis 
Moungeos,  si  elle  existe  à  Aubagne,  cette  dénomination  s'ex- 
plique facilement.  «  En  1647  les  consuls  d'Aubagne  cédèrent 

(1)  Bulle  du  12  octobre  1216,  Ho d or i us  III,  fonds  de  Saint-Sauveur  H, 
II.  (André,  pièces  justificatives,  appendix:  Tasquas  de  Porporières, 
p.  214.) 

(2)  Mortreuil,  Dictionnaire  topographique  de  Marseille  ;  vox  :  Car- 
pourière* (Camoins). 

(3)  Histoire  d'Aubagne,  par  César  Couret,  p.  1 1 . 


-  225 


■•* 


provisoirement  la  chapelle  de  Saint-Roch  à  trois  religieuses  et 
à  une  novice  du  monastère  du  Petit-Puits,  pour  fonder  à 
Aubagne  un  couvent  et  une  église.  En  arrivant  elles  furent 
logées  dans  une  maison  du  quartier  de  TAfferage.  Deux  ans 
après,  elles  achetèrent,  de  Blanche  Férié,  leur  prétendante, 
une  maison  au  quartier  de  Saint- François  et,  sur  le  rapport 
de  messire  Pierre  de  Seigneuret,  l'évôquè  de  Marseille  leur 
accorda  la  permission  de  bâtir  le  monastère  et  l'église.  Vers 
1640,  les  religieuses  Ursulines,  venues  à  Aubagne  en  1632, 
devinrent  adjudicataires  des  moulins.. .  Il  y  avait  autrefois  à 
Aubagne  un  couvent  de  Bernardines,  il  fut  supprimé  par 
l'évoque  (1)..»  Ces  détails,  puisés  dans  l'ouvrage  du  docteur 
Couret,  nous  expliquent  la  dénomination  donnée  à  une  rue 
d'Aubagne.  Probablement  il  y  avait  là,  jadis,  soit  une  église, 
soit  un  monastère,  soit  une  propriété  de  ces  diverses  reli- 
gieuses. Le  peuple  en  a  gardé  le  souvenir  en  appelant  cette 
rue:  la  rue  Deis  Moungeos. 

Faudrait-il  accepter  encore  ce  que,  dans  un  factura,  les 
Servites  de  la  Ciotat  écrivaient,  au  XVIII*  siècle,  à  savoir  que 
l'antique  chapelle  de  Font-Sainte,  située  sur  le  bord  de  la  mer, 
aurait  été  le  théâtre  du  glorieux  martyre  de  sainte  Eusébie! 
Non,  ce  n'est  là  qu'une  simple  légende.  L'abbé  Vidal,  un 
enfant  de  la  Ciotat,  de  douce  mémoire,  l'a  racontée  en  deux 
pages  délicieuses  de  poésie  et  de  fraîcheur  ;  Monseigneur 
Ricard  Ta  insérée  dans  ses  Récits  de  veillées  ciotadennes, 
sans  nommer  cependant  notre  sainte  Eusébie  (2).  Mais  ce 
n'est  toujours  qu'une  gracieuse  légende.  Marin,  lui  aussi  de  la 
Ciotat,  a  écrit  a  qu'il  n'a  jamais  découvert  aucune  preuve  que 
Font-Sainte  ait  été  un  couvent  de  religieuses  (3).  »  Il  y  a 
mieux  et  plus  sûr  et  plus  péremptoire  que  Marin,  c'est  la 
charte  de  donation  de  Font-Sainte.  En  1521,  le  cardinal  Jules 
de  Médicis,  #abbé  de  Saint- Victor,  donna  aux  Servites  l'ora- 


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(1)  Histoire  d'Aubagne,  par  César  Couret,  pp.  25,  29,  29.  —  Rien 
d'ailleurs,  dans  l'Histoire  d'Aubagne  que  feu  M.  le  docteur  Barthélémy 
avait  publiée,  ne  vient  à  l'appui  de  cette  opinion  que  Ton  prête  au  doc- 
teur Couret. 

(2)  Monseigneur  Ricard,  Récits  de  veillées  ciotadennes,  p.  15J  et  suiv 
(3j  Marin,  Histoire  delà  Ciotat,  pp.  130,  156. 


—  226  — 

toire  appelé  Notre-Dame  de  Font-Saintev  situé  entre  Ceyreste 
et  la  Ciotat  et  construit  par  les  fidèles  de  ces  deux  localités,  et 
qu'habitait  à  ce  moment  un  ermite  de  l'ordre  des  Servîtes  (1). 
Mais  pas  un  mot,  dans  cette  charte,  qui  fasse  allusion  à  un  si 
glorieux  passé.  0r(  s'il  y  avait  eu  la  moindre  tradition  atta- 
chée à  cet  oratoire,  à  cette  fontaine  réputée  sainte,  à  tout  le 
moins  assez  curieuse,  l'abbé  de  Saint- Victor  en  aurait  parlé, 
et,  mieux  encore,  il  n'aurait  pas  cédé  à  d'autres  ce  lieu 
vénéré.  Non,  ce  n'est  pas  à  Font-Sainte,  de  la  Ciotat,  qu'Eusé- 
bie  et  ses  compagnes  ont  été  martyrisées  11 

Inutile  d'espérer  retrouver  le  cœnobium  cassianite  dans 
l'espace  compris  entre  le  Hevest  et  la  ville.  «  Non,  sûrement, 
parce  que  cet  espace  était  occupé  par  des  salines  que  Louis 
l'Aveugle  céda  à  Saint-Victor  en  904  et  que  les  vicomtes 
détinrent  ensuite  jusque  en  1044(2).  »  En  effet,  ils  donnèrent 
à  l'abbaye,  pour  doter  la  nouvelle  chapelle  de  Saint-Pierre  de 
Paradis,  qu'ils  avaient  fait  reconstruire,  plusieurs  pièces  de 
terrain  et  de  plus  toute  la  partie  des  salines  qui  leur  apparte- 
nait depuis  la  chapelle  de  Saint-Pierre  jusqu'à  Podium  Formi- 
carium.  Incontestablement,  si  le  cœnobium  eût  été  quelque 
part  de  ce  terrain,  les  vicomtes  eu  auraient  parlé  dans  les 
chartes  des  donations. 

Se  trouvait-elle  à  un  autre  endroit  de  la  ville?  Non.  Car  il 
n'y  a  aucune  habitation  qui  l'indique.  Aucun  auteur,  que 
nous  sachions,  n'a  désigné  d'autres  endroits  avec  des  argu- 
ments à  l'appui. 

Notre  tâche  est  déjà  bien  avancée.  Quelques  auteurs  ont 
soutenu  par  des  raisons  positives  et  des  objections  que  le 
mouastère  cassianite  n'a  pu  s'élever  sur  les  bords  de  l'Hu veaune. 
Puis  ils  ont  essayé  d'établir  que  ce  monastère  se  trouvait  en 
réalité,  suivant  les  uns,  à  l'emplacement  de  la  chapelle  de 
Sainte-Catherine,  suivant  les  autres  aux  Catalans,  au  bassin 


(1)  «  Dictura  oratorium  Sa  net  se  Mariœ  de  Fonte  Sancto.  situm  inter 
villara  Ce  reste  m  et  Civitatem  . .  in  quo  ad  prœsens  certus  ère  mi  ta  v  es  tri 
ordinis  existit.. .  largimur. ..  »  Archives  départementales,  H  641,  reg.  9, 
p.  159,  Saint-Victor. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  Sainte  Eusébie. 


—  227  - 

du  Carénage,  au  Revest,  à  Saint-Loup,  à  Saint-Cyr  du  Var  et  à 
la  Major,  etc.,  etc. 

Or,  nous  avons  réfuté  premièrement  les  raisons  qu'ils 
alléguaient  contre  l'existence  possible  d'un  monastère  à  l'Hu- 
veaune,  ensuite  celles  qu'ils  apportaient  pour  établir  que  ce 
monastère  se  trouvait  aux  Catalans,  au  Revest,  au  Carénage, 
à  Saint-Loup,  à  Saint-Cyr  (Var),  à  la  Major,  etc.  Le  terrain  est 
ainsi  déblayé.  Nous  allons  pouvoir  placer  les  premières 
assises  du  monument  que  nous  rêvons  en  l'honneur  de  sainte 
Eusébie. 


DEUXIEME  PAETIE 


PREUVES  EN  FAVEUR  DE  NOTRE  THÈSE 


PREMIÈRE  SECTION 


PREUVES    NEGATIVES 


CHAPITRE  PREMIER 


cassianite  n'a  pu  se  trouver 
à  remplacement  du  bassin  actuel  du  Carénage 


LB  BASSIN  ACTUEL  OU  CARÉNAGE,  AUX  PREMIERS  SIÈCLES.  DESCRIP- 
TION TOPOGRAPHIQUE.  —  ESPACE  TROP  ETROIT  POUR  UN  MONAS- 
TÈRE. —  LB8  FOUILLES  OPÉRÉES  EN  CET  ENDROIT  N'ONT  DONNÉ 
AUCUNE  PREUVE  EN  FAVEUR  DE  L'EXISTENCE  D'UN  CŒNOBIUM.  — 
C'ÉTAIT  UN  CIMETIÈRE.  —  POURQUOI  AURAIT-ON  CHANGÉ  D'EMPLACB- 
MXNT.  —    C'EUT  ÉTÉ  TROP    PRÈS  DE  L'ABBAYE  DE  SAINT-VICTOR. 


Les  objections  des  auteurs  sont  réfutées,  à  nous  maintenant 
de  développer  les  preuves  à  l'appui  de  notre  thèse. 

Nous  en  avons  de  négatives  et  de  positives.  A  l'aide  des  pre- 
mières nous  allons  détruire  et  saper  jusqu'à  la  base  les  affir- 
mations contraires  des  auteurs  ;  à  l'aide  des  secondes  nous 
étayerons  notre  propre  affirmation. 

Jusqu'ici  il  s'est  agi  de  démontrer  que  toutes  les  raisons 
données  par  les  auteurs  à  l'appui  de  leur  dire  n'avaient  aucune 
valeur.  Ils  ne  parvenaient  pas  à  prouver  que  le  monastère 
cassianite  s'était  trouvé  au  Carénage,  aux  Catalans,  ou  ailleurs. 


—  230  - 

Nous  avançons  d'un  pas,  et  nous  disons  qu'il  est  historique- 
ment impossible  qu'il  se  soit  trouvé  à  aucun  de  ces  endroits,  de 
Tan  de  sa  fondation  à  l'époque  du  martyre  de  sainte  Eusébie 
(415-738). 

D'abord,  le  monastère  cassianite  ne  se  trouvait  pas  et  n'a 
pu  se  trouver  à  l'emplacement  du  bassin  actuel  du  Carénage. 

Il  y  avait  là  un  cimetière  antique  qui  s'étendait  de  la  rive 
du  port  jusqu'en  deçà  de  Saint- Victor  (1).  M.  Kothen  dit  que 
«  plusieurs  cimetières  successifs  et  superposés  avaient  été  éta- 
blis à  cet  endroit  par  les  colons  phocéens  d'abord,  et  par  les  Ro- 
mains en  suite.  Une  carrière  avait  même  été  exploitée  dans  ces 
temps  reculés  (2).  »  Les  chrétiens,  lorsque  celle-ci  fut  aban- 
donnée, vinrent  creuser  des  ramifications  et  des  galeries  nou- 
velles, dans  lesquelles  ils  placèrent  les  corps  de  leurs  martyrs 
et  de  leurs  frères.  Bien  antérieurement  à  l'arrivée  de  Gassien 
à  Marseille,  une  chapelle  et  un  autel  étaient  dédiés  à  Notre- 
Dame  de  Confession  (3),  dans  un  endroit  de  ces  catacombes. 

Or  cet  oratoire  primitif  était  en  telle  vénération  que  bien  de 
fervents  chrétiens  demandaient  la  faveur  de  faire  déposer  leur 
dépouille  mortelle  dans  le  voisinage  des  corps  saints  qui  y 
reposaient,  ou  dans  les  champs  d'alentour.  Aussi  ce  fut  sur 
l'emplacement,  sur  les  voûtes  de  ces  cryptes  de  Notre-Dame 
de  Confession  que  le  bienheureux  Cassien  bâtit  le  monastère 
des  moines,  pour  en  faire  les  gardiens  de  ce  sanctuaire  et  de 
ses  reliques  précieuses. 

Quant  à  l'abbaye  cassianite  des  femmes  et  des  filles,  on  ne  voit 
pas  où  il  aurait  pu  la  placer  au  milieu  des  sépultures  et  des  tom- 
beaux. En  effet,  l'état  actuel  des  lieux  nous  permet  de  sup- 
poser avec  vraisemblance  qu'à  la  sortie  de  cette  carrière,  ou, 
suivant  l'expression  pittoresque  de  Ruffi,  «  à  l'embouchure  de  la 


(1)  Grosson,  Recueil  des  antiquités  et  des  monuments  marseillais, 
p.  98.  —  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  saint  Lazare,  p.  161. 

(2)  Notice  sur  les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille, 
par  Kothen,  p.  11 

(3)  Rufli,  Histoire  de  Marseille,  t.  II.  p.  115.  —  Mgr  de  Belsunce, 
Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t  I,  p.  387.  —  Grinda,  Monographie 
de  Vabbaye  de  Saint-  Victor-lez-Marseillet  publiée  par  Y  Echo  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  n°  328,  p.  267  ;  n#  330,  p.  307. 


—  231  — 


grotte  de  Sainte-Magdeleine  s'ouvrait  une  petite  vallée,  bordée 
de  rochers  abruptes,  au  milieu  desquels  s'élevaient  quelques 
arbres  (1).  •  Or,  au  début  du  V*  siècle,  l'état  de  ces  lieux 
n'avait  guère  changé.  A  notre  époque  encore  on  distingue  le 
creux  de  cette  vallée  primitive  qui  aboutissait  à  la  rive  :  d'un 
côté, les  pentes  sur  lesquelles  est  assis  le  fort  Saint-Nicolas  ;  de 
l'autre,  les  hauteurs  de  la  rue  Saint-Catherine  (2).  Or,  ce  n'est 
pas  dans  cet  étroit  couloir  que  saint  Cassien  a  pu  bâtir  l'ab- 
baye cassianite.  Quelque  restreint  que  fût  le  nombre  des  reli- 
gieuses au  début,  il  faut  cependant  à  un  monastère  un  espace 
convenable.  Or,  cet  espace  il  ne  pouvait  l'avoir  au  fond  de 
cette  petite  vallée,  qni  dans  toute  sa  largeur  n'avait  guère 
plus  de  100  à  200  mètres.  D'autre  part,  ce  n'est  pas  sur  les 
hauteurs  du  fort  actuel  de  Saint-Nicolas  qu'il  bâtit  le  monas- 
tère. On  admettra  facilement  que  ce  n'était  pas  la  place  d'un 
cœnobium  de  filles  et  de  femmes.  Donc  il  ne  s'élevait  pas  au 
bassin  actuel  du  Carénage. 

D'ailleurs,  si  lo  monastère  s'était  élevé  en  cet  endroit,  d'où 
vient  que  dans  les  diverses  fouilles  qui  ont  modifié  par  deux 
fois,  surtout  en  1836  et  en  1875,  l'état  de  ces  lieux,  on  n'ait 
trouvé  ni  inscriptions,  ni  monuments  qui  fassent  supposer 
l'existence  d'un  monastère  ?  En  1836,  on  a  découvert  l'inscrip- 
tion d' Eumenas  dont  parlent  Bousquet,  Guindon,  Saurel.  Et 
dans  cette  inscription,  il  s'agit  d'un  homme  marié.  En  1875,  on 
a  mis  au  jour  les  inscriptions  de  Spanilia,  de  Cypriana.  Or, 
rien  ne  marque  qu'il  s'agisse  dans  celles-ci  de  religieuses  (3). 

D'ailleurs,  ces  inscriptions  fussent  elles  les  épitaphes  de 
Cassianites,  en  l'absence  de  monument  indiquant  que  là  s'éle- 


(1)  Kothen,  op.  cit.,  p.  15. 

(2)  Grinda  :  c  Avant  le  creusement  du  bassin  du  Carénage,  opéré  en 
1830,  le  sol  formait  une  pente  assez  régulière,  sauf  quelques  escarpe- 
ments, depuis  l'abbaye  jusqu'au  rivage  de  la  mer,  alors  en  prolonge- 
ment avec  le  quai  de  Rive- Neuve.  Cette  plaine  inclinée  vers  le  nord 
était  dominée  au  couchant  par  les  hauteurs  du  fort  Saint-Nicolas,  et,  au 
levant,  par  le  quartier  qui  s'étend  de  la  rue  Sainte  au  quai  de  Rive- 
Neuve;  elle  formait  donc  un  large  vallon  dirigé  du  nord  au  midi.  » 
Monographie  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille,  publiée  par 
VEcho  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  n°  324,  p.  183. 

(3)  Voici  ces  inscriptions  telles  que  les  donne  le  Catalogue  des  ob- 


—  232  — 

vait  l'abbaye,  on  pourra  toujours  dire  que,  si  c'est  en  cet  en- 
droit qu'elles  furent  inhumées,  c'était  pour  satisfaire  ce  pieux 
désir  que  tant  de  chrétiens  éprouvaient,  de  reposer  auprès 
des  restes  des  saints  martyrs.  Mais  on  ne  pourra  pas  assurer 
que  ces  religieuses  avaient  vécu  en  cet  endroit. 

M.  Grinda(l),  citant  le  rapport  rédigé  sur  les  fouilles  du 
bassin  du  Carénage  opérées  en  1831,  nous  montre  a  les  sépul- 
tures pratiquées  dans  cet  immense  remblais  formant  trois 
grandes  assises  s'étageant  en  gradins  depuis  le  port  jusque 
sous  les  murs  de  la  place  Saint-Victor.  La  première  assise  ren- 
fermait un  grand  nombre  de  tombeaux  et  de  débris  attribués 
à  la  période  grecque.  La  seconde  a  fourni  de  nombreux  tom- 
beaux et  des  monnaies  impériales  romaines,les  plus  anciennes, 
d'Auguste,  et  les  plus  récentes,  de  Gordien,  ce  qui  comprend 
un  peu  plus  de  deux  siècles.  La  troisième  a  servi  de  lieu  de 
sépulture  pendant  sept  siècles,  d'après  les  tombeaux  et  les 
monnaies  trouvés  à  cette  hauteur.  Cette  période  s'étend  de- 
puis Aurélien  (270-275)  jusqu'à  Jean  Zimiscès  qui  régnait  à 
Constantinople,  de  969  à  976.  Des  inscriptions  païennes  et 
chrétiennes  ont  été  découvertes  dans  cette  dernière  assise. .. 
Tout  ce  vallon  était  donc  une  vaste  nécropole  où  des  généra- 
tions païennes  et  chrétiennes  ont  trouvé  conjointement  leur 
dernier  asile.  On  a  constaté  dans  les  fouilles  un  nombre  si 
considérable  de  tombeaux,  qu'on  est  fondé  à  croire  que  pen- 
dant plusietirs  siècles  ce  lieu  a  été  réservé  pour  la  sépulture 
de  la  population  environnante.  » 


jets  contenus  dans  le  Musée  d'archéologie  de  Marseille  par  M .  Penon, 
p.  33f  n°  133,  et  p.  41,  n-161. 

f  HIC  BBQU1ESCET 

IN    PACE    SPANILIA 

QUI  VIX1T  ANNOS 

QUIKQUAOBNTA   ET 

SEPTE     BECESSIT     DIE 

SEPTIMV  IDUS 

+  MAIAS  f 

(1)  Grinda,  Monographie  de  V abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille, 
publiée  par  Y  Echo  de  Notre-Dame  dfi  la  Garde,  n*324. 


HIC    REQUIESCIT 

CYPBIANA 

IN  PACB 

QUI    VIXIT 

.    .    .    .   MN  ANNS 

XXXIII 

—  233  — 

Durant  les  dix  premiers  siècles  du  christianisme  donc  on  a 
inhumé  dans  cet  étroit  vallon,  et  Ton  veut  y  placer  un  monas- 
tère vers  le  V.  Il  y  a  sur  ce  point  le  va-et-vient  continuel  de 
ceux  qui  accompagnent  à  sa  dernière  demeure  la  dépouille 
mortelle  d'un  ami.  De  plus,  païens  et  chrétiens  se  coudoient 
dans  cette  enceinte,  accomplissant  des  rites  funéraires  bien 
divers,  et  les  saintes  filles  deCassien  devront  être  chaque  jour, 
et  plusieurs  fois  le  jour,  les  témoins  de  ces  scènes  !  Puis,  c'est 
dans  un  bas-fond,  l'atmosphère  y  est  viciée  par  les  mias- 
mes délétères  qui  se  dégagent  de  toute  vaste  nécropole  (1). 
Le  monastère  de  Saint-Victor,  du  moins,  est  sur  la  hauteur, 
exposé  aux  brises  du  large.  Il  se  trouve  à  Textrémilé  de  celui 
de  Paradis.  11  a  de  l'espace  devant  lui,  il  peut  à  son  gré, 
reculer  ses  murailles.  Tout  autant  d'avantages  que  n'aurait 
pas  eu  l'abbaye  cassianite.  Aussi  il  n'est  pas  probable  qu'elle 
fût  là. 

Si  le  cœnobium  se  fût  élevé  au  Carénage,  toujours  il  y  fût 
resté.  On  ne  voit  guère  pour  quelle  raison,  en  effet,  on  aurait 
changé  de  place.  Or,  nous  croyons  qu'il  faut  admettre  que  le 
monastère  s'est  trouvé  aux  environs  de  la  chapelle  de  Sainte- 
Cal  herine,  vers  923.  Mais  pourquoi  laisser  l'emplacement  du 
Carénage  pour  venir  à  Sainte-Catherine?  Si  l'on  a  quitté  les 
bords  de  THuveaune  pour  venir  auprès  de  Saint-Victor,  si 
plus  ta  d  on  quitte  le  voisinage  de  Saint-Victor  pour  venir  en 
ville,  c'est  afin  d'échapper  aux  incursionsdes  pirates.  Mais  quelle 
raison  a-t-on  d'aller  du  Carénage  à  Sainte-Catherine,  à  cent 
pas  de  distance  ?  Etait-ce  pour  échapper  au  milieu  peu  hygié- 
nique des  tombeaux  et  des  sépultures  du  cimetière  antique  ? 
Mais  l'emplacement  de  la  chapelle  de  Sainte-Catherine  se 
trouve  précisément  sur  la  limite  de  Paradis,  le  carnarium 
dont  parle  la  charte  de  904  (2).  Si,  au  lieu  de  venir  à  Sainte- 
Ci)  Dans  la  lettre  de  saint  Grégoire  le  Grand  à  Pabbesse  Respecta  de 
Marseille,  il  est  dit  que  Oynamius  donne  aux  Cassianites  une  de  ses 
maisons  voisines  de  l'abbaye.  A  quel  endroit  était  donc  placée  cette 
maison  ?  Dans  le  cimetière  ?  On  ne  devrait  pas  s'étonner  qu'il  ait  eu 
l'idée  de  s'en  débarrasser  ! 

(2)  c  ...  Una  cum  terra  comitali  quae  ante  portam  castri  fore  vide- 
tur  usque  ad  carnarium. .  »  Charte  10  du  21  avril  904,  Gartul.  de  Saint- 
Victor,  1. 1. 


—  234  — 

Catherine,  on  est  venu  au  Revest,  celui-ci  est  au  bord  des 
salines  et  en  contre-bas  de  Paradis,  tout  à  fait  au  nord.  Etait* 
ce  pour  se  rapprocher  de  la  ville  afin  d'en  avoir  les  avantages 
et  les  commodités  ?  Ce  n'était  pas  à  Sainte-Catherine,  ni  au  Re- 
vest qu'il  fallait  se  fixer  alors,  c'était  auprès  des  murs  de  la  cité. 
Etait-ce  pour  placer  entre  l'abbaye  de  Saint- Victor  et  l'abbaye 
des  religieuses  une  distance  respectueuse?  On  s'y  prenait 
bien  tard.  Et  puis  quelle  était  cette  distance?  Tout  au  plus 
cent  ou  cent  cinquante  pas.  Non,  on  ne  s'explique  pas  ce 
changement.  A  une  certaine  époque  le  monastère  s'est  élevé 
ailleurs  qu'au  bassin  du  Carénage,  donc  primitivement  il  ne  se 
trouvait  pas  en  cet  endroit. 

One  raison  de  convenance,  que  nous  effleurions  tantôt,  s'y 
opposait.  Placer  le  monastère  des  religieuses  au  Carénage,  c'est 
le  placer  trop  près  de  l'abbaye  des  religieux  à  Saint-Victor. 
Quelques  auteurs  ont  cru  que  Cassien,  voulant  imiter  ce  qu'il 
avait  vu  en  Orient,  où  les  monastères  de  femmes  n'étaient  pas 
éloignés  des  monastères  d'hommes,  avait  fait  élever  l'abbaye 
cassianite  non  loin  de  celle  de  Saint- Victor.  Nous  croyons, 
pour  noire  part,que  ces  auteurs  se  sont  complètement  trompés. 
Il  est  faux  d'ériger  en  principe  qu'en  Orient  on  ait  élevé  les 
monastères  d'hommes  et  de  femmes  non  loin  les  uns  des 
autres.  Qu'au  sein  d'une  petite  ville  il  n'y  eût  pas  une  grande 
distance  entre  les  monastères,  il  n'y  a  rien  d'étonnant.  Forcé- 
ment ils  devaient  être  rapprochés,  puisque  l'enceinte  des  villes 
à  cette  époque  n'était  guère  développée.  Mais  croire  que  là  où 
iï  y  avait  de  l'espace  on  n'en  ait  pas  profité  peur  placer  entre  les 
monastères  des  deux  sexes  une  distance  proportionnée,  c'est 
une  erreur  que  les  faits  démontrent  amplement.  Nous  l'avons 
dit,  saint  Pacôme  avait  une  sœur  religieuse.  Il  lui  fit  bâtir 
par  ses  religieux  un  monastère  bien  éloigné  du  sien,  puisque 
le  Nil  les  séparait  (1).  A  Bethléem,  du  temps  de  saint  Jérôme, 
le  monastère  des  hommes  était  bâti  à  mi-côte,  celui  des  fem- 
mes se  trouvait  dans  la  plaine  (2).  A  Jérusalem,  à  la  même 


(1)  Fleury,  Histoire  de  l'Eglise,  liv.  XV,  n°  50.  —  Notice  sur  la  Croix 
de  Saint  André,  par  l'abbé  Magnaa,  p.  16. 

(2)  Histoire  de  sainte  Paule,  par  l'abbé  Lagrange,  p.  363. 


—  235  — 

époque,  il  y  avait  un  monastère  d'hommes  sur  le  mont  des 
Oliviers,  et  celui  des  femmes  était  au  pied  de  la  montagne. 

Inutile  de  s'appuyer  sur  ce  qu'on  appelait  les  monastères 
doubles,  coutume  qui  régnait  en  Orient. 

Cette  coutume  a  été  réprouvée  par  l'Eglise,  les  conciles  se 
sont  prononcés  contre  elle,  et  les  papes  l'ont  prohibée. 
Le  concile  d'Agde  en  506,  dans  son  canon  19,  recommande 
d'éloigner  les  monastères  de  filles  des  monastères  d'hommes, 
non  seulement  pour  éloigner  les  tentations  du  démon,  mais 
aussi  pour  éviter  les  calomnies  des  méchants(l).  Nous  savons 
que  le  pape  Saint-Grégoire  le  Grand  improuvait  cette  habitude 
que  l'on  avait  contractée.  Bien  plus,  il  ne  voulait  pas  que  les  en- 
virons des  monastères  fussent  trop  fréquentés  et  habités. Ayant 
appris  que  des  nombreuses  familles,  chassées  par  les  Lom- 
bards, s'étaient  réfugiées  dans  de  petites  lies  de  la  Méditer- 
ranée et  de  l'Adriatique,  il  ordonna  au  sous-diacre  Anthé- 
mius  d'en  chasser  toutes  les  femmes.  Si  ces  familles  sont 
riches,  disait-il,  elles  choisiront  facilement  d'autres  retraites; 
si  elles  sont  pauvres,  qu'elles  viennent  à  Rome,  leurs  frères 
leur  apprendront  le  chemin  du  Latran,  où  est  le  trésor  de 
l'Eglise  devenu  le  leur  (2)'. 

(1)  Concile  d'Agde,  en  506,  canon  19  :  c  Monasteria  puellarum  collo 
centur  longiùs  a  monasteri  s  roonachoruin  propter  insidias  diaboli  et 
propter  oblocutiones  hominuin.  (Summa  conciliorum,  par  F.  Carra- 
zam,  p.  255.  Histoire  des  conciles  de  la  chrétienté,  par  Roisselet  de 
Sauclières,  t.  II,  p.  371.  —  Le  VII*  concile  général,  de  Nicée  II*,  canon 
20,  dit  :  c  Statuimus  non  fieri  duplex  monasteriûm,  quoniam  hoc  sit 
multis  scandalum  et  ofiensio.  »  Summa  conciliorum,  op.  cit.,  p.  552. 
Histoire  des  conciles,  op .  cit.,  t.  III,  p.  251.)  —  Voici,  d'ailleurs,  ce 
que  Ton  lit  dans  Christian  us  Lupus,  Synodorum  Generalium  Canones, 
t.  III,  p .  208  :  <  Privatae  potins  illae  domus,  quain  cœnobia  fuerunt. 
Daplicium,  cœnobiorum  originem  sancto  Bxsilio  maie  adscribunt.  Nain 
et  qusedam  Pachomiana  fuisse,  Nilo  ta  m  en  flumine  divisa...  semper 
dure  oluerunt.  »  —  Le  pape  Gélase  les  défendit  :  «  Discreta  sui  habita- 
tionibus  virorum  atque  feminarum,  sicut  sanctum  propositum  decet 
ezerceatur  circumspecta  devotio.»  Le  pape  Pascal  II  fit  de  même  :c  IUud 
omnino  incongruum  est,  quod  per  regionem  veslram  monachos  cum 
sanctimonialibus  habitare  didicimus.  Ad  quod  resecandum  experientia 
▼estra  immineat,  ut  qui  in  praesentiarum  simul  sunt,  divisis  longe  habi- 
taculis  separentur,  neque  in  posterum  consuetudo  hujusmodi  prœsu- 
matur.  » 

(l)  Saint  Grégoire  le  Grand,  par  l'abbé  Clausier,pp.  247,248. 


ï 


—  236  — 

Or,  croiUon  qu'en  504  l'Eglise  dans  ses  conciles,  et  en  590  le 
pape  Saint-Grégoire  inauguraient  un  nouvel  ordre  de  choses  ? 
L'Eglise  et  le  pape  réglementaient  définitivement  ce  qui  était 
en  usage  chez  les  saints  religieux  ;  on  remédiait  aux  abus  qui 
pouvaient  encore  exister.  Pour  s'obstiner  à  soutenir  pareille 
coutume,  il  faudrait  oublier  à  quelle  perfection  les  solitaires 
de  l'Orient  de  l'époque  de  Cassien  avaient  élevé  la  pratique  de 
la  vie  religieuse.  Or,  rien  ne  lui  était  contraire  comme  un  pa- 
reil voisinage.  Cassien  n?a  pas  parcouru  de  si  longues  années 
les  solitudes  de  la  Thébaïde  ;  il  n'a  pas  mené  la  vie  de  soli- 
taire d'aussi  longues  années,  avant  d'établir  ses  monastères, 
sans  voir  la  nécessité  de  suivre  les  exemples  des  maîtres  de  la 
vie  érémitique  et  de  fuir  les  abus  que  deçà  et  delà  il  avait 
pu  rencontrer. 

Non,  le  monastère  cassianite  au  Carénage  eût  été  trop  rap- 
proché de  celui  de  Saint- Victor.  Donc  il  n'y  était  pas.  Saint 
Cassien  ne  l'y  a  pas  fait  bâtir.  A  aucun  moment  de  son  exis- 
tence, jusqu'à  l'époque,  tout  au  moins,  du  martyre  de  sainte 
Eusébie,  il  ne  s'est  élevé  en  cet  endroit. 


CHAPITRE  II 

L'Abbaye  cassianite  n'a  pu  se  trouver  ni  à  Paradis 

ni  au  Revest. 


le  cœnobium  n'était  pas  a  paradis.— les  chartes  l'auraient  dit. 
-  on  l'aurait  indiqué  a  saint  ysarne,  alors  qu'il  visitait  les 
cryptes  de  saint- victor.—  le  quartier  du  revest,  description 
topographique.— k6p ace  trop  restreint.— plateau  au-de8sus 
ou  revest.— terre  des  religieuses  de  sainte-marie  —le  mo- 
NASTERE n'était  point  en  cet  endroit  encore,  cette  terre  ne 

LEUR  APPARTENAIT  PAS  AU  V"  SIÈCLE.—  ENCLAVES  DE  CETTE  TERRE. 
—  AUCUN  AUTEUR  NE  LE  DIT.— PA8  LA  MOINDRE  TRADITION  —ON  NE 
FOURNIT  AUCUNE  PREUVE  EN  PAVEUR  DU  REVEST.  —  SAINT  YSARNE 
Y  AURAIT  RELEVÉ  L 'ORATOIRE  DE  SAINT-CASSIEN. 


Du  V*  au  VIIIe  siècle,  le  monastère  cassianite  n'était  pas 
dans  l'enceinte  du  cimetière  de  Paradis. 

M.  de  Rey,  qui  a  cherché  à  préciser  remplacement  du  mo- 
nastère cassianite,  â  dit  a  qu'évidemment  il  ne  fallait  pas  le 
chercher  dans  Paradis  même  (1).  »  C'est  bien  la  vérité.  Les 
Chartes,  notamment  les  32,  33,  34  du  Oartulaire,  qui  parlent 
du  cimetière  de  Paradis,  auraient  certainement  fait  mention 
de  l'existence  d'un  monastère  de  femmes,  s'il  s'y  fût  trouvé» 
La  définition  qu'elles  donnent  de  Paradis,  à  elle  seule  le 
prouve.  «  Cette  église  de  Saint-Pierre,  et  ce  lieu  (le  cime- 
tière), dit  la  charte  32,  ont  été  appelés  Paradis  depuis  les 
temps  les  plus  reculés.  Cet  endroit,  situé  à  la  porte  du  monas- 
tère (de  Saint-Victor),  porte  ce  nom  parce  que  les  corps  de 
beaucoup  de  saints  martyrs,  de  confesseurs  et  de  vierges  qui 
y  reposent  attirent  les  bénédictions  et  les  grâces  du  ciel.  Bien 
plus,  il  est  appelé  Paradis  ou  la  porte  du  Paradis,  parce  que 
du  temps  de  Cassien,  le  père  très  saint,  le  docteur  remar. 
quable,  le  fondateur  du  cœnobium  de  Saint-Victor,  il  y  régna 

(1)  Le*  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  233. 

16 


—  238  — 

dans  les  âmes  une  grande  sainteté,  une  grande  noblesse,  et  que 
Ton  y  vit  fleurir  dans  toute  sa  splendeur  la  discipline  monas- 
tique, source  réelle  de  toutes  joies  pour  les  âmes  pieuses  (IJ.d 
C'est  toujours  du  monastère  de  Saint-Victor  qu'il  s'agit  dans 
cette  charte  et,  si  l'abbaye  cassianite  des  femmes  s'était 
trouvée  en  cet  endroit,  ce  document  n'aurait  pas  eu  uu  mot 
pour  dire  que  cette  dernière  abbaye  avait,  en  même  temps 
que  celle  de  Saint-Victor,  honoré  ce  lieu  de  Paradis  par  les 
exemples,  les  vertus  et  la  sainteté  des  religieuses  qui  l'habi- 
taient! C'est  difficile  à  croire. 

On  a  lu  plus  haut  qu'un  historien  du  XI*  siècle,  écrivant 
la  vie  de  saint  Ysarne,  abbé  de  Saint-Victor,  rapporte  (2)  que 
tout  jeune  encore  ce  saint  vint  à  l'abbaye  Saint-Victor,  en 
compagnie  du  moine  Gaucelin.  Tandis  que  celui-ci  visitait 
parents  et  amis,  Ysarné  n'eut  d'autre  désir  que  de  parcourir  les 
cryptes.  Les  religieux,  pleins  de  charité,  heureux  de  satisfaire 
les  pieux  désirs  du  voyageur,  le  conduisirent  dans  tous  les  sanc- 
tuaires de  l'abbaye,  lui  nommant  les  riches  trésors  de  bé- 
nédictions et  de  grâces  qu'ils  contenaient,  «  £n  ce  lieu,  lui 
disaient-ils,  repose  l'innombrable  armée  des  martyrs  dont  on 
n'invoque  jamais  en  vain  l'assistance,  restes  vénérables  qu'en- 
toure dans  les  vastes  champs  voisins  la  foule  des  confesseurs, 


(1)  f  ...  Quae  ecclesia  (Sancti  Pétri )vel  locus,  multis retroactis tem- 
poribus  vocatus  est  Paradisus.  Idcirco  vero  isdem  locus,  ad  portam 
monasterii  situs,  vocatus  est  Paradisus,  sicut  et  nos  comperimus,  quia 
multorum  corporum,  videlicet  sanctorum  martyrum,  confessorum  ac 
virginum  eodem  loco  quiescentiura,  decoratur  auxiliis  et  suffragatur 
meritis.  Imo  etiam  vocabatur  Paradisus  et  porta  Paradisi,  quia  in  die- 
bus  Cassiani,  sanctissimi  patris  et  doctoris  exiinii,  institutoris  hujus- 
modi  Sancti  Victoria  cœnobii,  tantà  nobîlitate  viguit  et  sancti tate 
floruit  apostolicœ  et  regularis  disciplina?,  ab  his  sanctis  patribus  traditse, 
ut  merito  et  actu  et  nomine,  vocaretur  Paradisus,  roris  supernse  gratis 
iilustratus  virtutibus.  •  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  32.— L'auteur  de 
la  Vie  des  Saints  de  V Eglise  de  Marseille  dit  lui-même  en  traduisant 
cette  charte  32  :  •  Le  monastère  s'appelait  Paradis,  parce  que  là  repo- 
saient les  vierges,  les  martyrs  et  les  confesseurs,  gloire  de  l'Eglise  de 
Marseille,  et  aussi  parce  qu'il  renfermait  le  monastère  de  Cassien,  séjour 
inondé  de  grâce  divine...  »  Page 233. 

(2)  Voir  le  texte  de  ce  passage  et  son  explication  dans  les  chapitres 
quatrième  et  cinquième  de  V Introduction. 


—  239  — 


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autrefois  religieux  de  ce  monastère.  Là,  dans  un  endroit  à  part, 
dort  la  foule  des  vierges  consacrées  à  Dieu;  ici,  dans  le 
sanctuaire  taillé  au  vif  du  rocher,  tu  vois  les  restes  des  saints 
Innocents.  »  Qu'il  s'agisse,  dans  ce  passage  de  la  vie  de  saint 
Ysarne,  des  divers*  endroits  des  cryptes,  ou  qu'il  s'agisse  d'un 
coin  de  Paradis,  toujours  est-il  que  s'il  y  avait  eu  dans  le 
cimetière  de  Paradis,  à  deux  pas  de  l'abbaye,  un  monastère 
fondé  par  le  bienheureux  Cassien,  incontestablement  les  re- 
ligieux qui  mettent  saint  Ysarne  au  courant,  le  lui  auraient 
fait  savoir,  et  l'auteur  de  cette  vie  aurait  fait  mention  de  ce 
détail.  Il  ne  dit  rien  cependant,  c'est  que  le  monastère  cassia- 
nite  ne  se  trouve  pas  dans  Paradis.  A  aucun  moment,  tout  au 
moins  du  V*  au  Vlli'  siècle,  il  ne  s'est  élevé  à  cet  endroit  (1). 

De  420  â  750,  il  n'a  pu  se  trouver  encore  à  l'endroit  que  l'on 
appelle  le  Revest,  c'est-à-dire  sur  le  versant  qui  de  la  rue 
Sainte  s'incline  vers  le  port. 

Quelle  est  bien  la  topographie  de  ce  point  du  terroir?  Nous 
l'avons  dit  plus  haut  en  expliquant  la  charte  40  du  XI*  siècle. 
Le  chemin  qui  va  à  la  Garde  part  du  Podium  Formicarium, 
près  de  l'église  actuelle  de  Saint-Ferréol,  longe  la  rive  est 
du  port,  à  la  hauteur  de  la  rue  Beauvau,  tourne  à  l'ouest 
à  la  hauteur  de  la  rue  de  la  Darse,  passe  en  contre-bas  de  la 
rue  Sainte,  toujours  en  tirant  vers  l'occident  jusqu'à  la  rue 
Fort-Notre-Dame.  A  ce  point  il  fait  un  second  coude  et  re- 
monte vers  le  sud.  Or,  depuis  le  Podium  Formicarium  jusqu'à 
ce  second  coude,  ce  chemin  de  la  Garde  d'un  côté  borde  des 
salines  établies  sur  la  rive  du  port  (2);  de  l'autre  côté,  du 
premier  tournant  au  second,  il  sert  de  limite  aux  quelques 
terres  situées  sur  le  plateau  et  appartenant  à  des  particu- 


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(1)  <  Le  cimetière  de  Paradis,  si  vaste  qu'il  fût,  ne  descendait  pas  jus- 
qu'à la  mer.  Le  plateau  occupé  par  la  rue  Sainte  actuelle  s'incline  brus- 
quement vers  le  port  par  une  pente  rapide. . .;  c'est  sur  ce  coteau  incliné 
vers  la  mer  que  se  trouvait  le  monastère.  »  (Les  Saints  de  V Eglise  de 
Marseille,  pp.  234,  235.) 

(2)  <  Cum  salinis  et  piscatfonibus  et  portu  navium  et  omnibus  juste 
et  legaliter  ad  eumdem  ûscum  pertinentibus,  conjacentem  in  comitatu 
'Massiliensi  qui  vulgo  Paradisus  nominatur,  sicut  est  via  quso  descendit 

a (iuardia usque  in  Poium  Formicarium.  »    Cartulaire   de  Saint-Victor, 
charte  10. 


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—  240  — 

liers  (1).  Ainsi  ce  poiut  du  terroir  que  M.  de  lley  appelle 
le  Revest  n'est  en  réalité  qu'un  espace  fort  restreint.  «  Sur 
ce  coteau  incliné  vers  la  mer  »,  le  chemin  de  la  Garde  et  les 
salines  occupent  jusqu'à  la  moindre  parcelle  de  terrain.  11  est 
donc  difficile  d'y  trouver  la  place  pour  un  monastère. 

Mais  en  deçà  du  chemin  de  la  Garde,  au-dessus  de  cette  brus- 
que  inclinaison  île  terrain,  le  plateau  s'élargit,  et  l'on  pour- 
rait peut-être  comprendre  cet  espace  de  terrain  sous  la 
dénomination  de  quartier  de  Revest.  Il  y  a  sur  ce  point  des 
terres  appartenant  à  des  particuliers,  et  même  il  y  en  a  une 
qui  est  la  possession  des  religieuses,  au  XI*  siècle.  Nous  avons 
désigné  plus  haut  remplacement  exact  de  cette  terre.  C'est  là 
qu'à  la  rigueur  les -auteurs  qui  veulent  l'abbaye  cassianite  au 
Revest,  pourraient  la  placer. 

Et  cependant  l'abbaye  n'a  pas  été  sur  cette  terre  des  reli- 
gieuses, de  420  à  750. 

Celte  terre,  d'abord,  ne  leur  appartenait  pas  à  cette  époque 
primitive.  Il  n'y  a  pas  de  titre,  croyons-nous,  qui  indique 
que  c'était  là  une  possession  de  l'abbaye  au  V°  ou  au  VI-  siècle. 
En  supposant  qu'elle  fût  ce  qu'un  des  fragments  d'inventaire, 
découvert  jadis  par  Ruffi,  appelait  1'  «  ager  Massiliensis  » , 
comme  cet  inventaire  fut  dressé  sous  Venator,  évêquede  Mar- 
seille, c'est-à-dire  après  886  (2),  ce  titre  ne  prouverait  pas  que 
l'abbaye  possédât  ce  domaine  au  début  de  sa  fondation.  Le 
titre  serait  bien  trop  postérieur. 

Ensuite,  celte  terre  est  d'une  assez  vaste  étendue.  Telle  que 
la  charte  40  du  XI"  siècle  nous  lu  dépeint,  elle  renferme  plu- 
sieurs enclaves  appartenant  soit  à  des  particuliers,  soit  à 
l'abbaye  de  Saint- Victor.  Or,  ce  n'est  pas  au  début  de  sa  fon- 
dation, et  au  lendemain  de  celle  de  Saint- Victor,  que  l'abbaye 
cassianite  des  filles  a  pu  posséder  un  si  vaste  domaine. 

(1)  «  Vineadft  Blanca  Lancei  ..  ab  occidenle  terminât  via  de  Guar- 
dia.  .  vinea  Algilini,aboccidenteviadeGuardia.  »Cartulaire  de  Saint- 
Victor,  charte  40. 

(2)  «  Descriplio  mancipiorum  de  agro  Massiliensi,  factum  tempore 
Venatoris  episcopi,  decimo  anno  episcopafùs  ejus.  —  Venator  gouverna 
l'Eglise  de  Marseille,  vers  la  un  du  IXe  siècle.  »  Armoriai  et  Sigillogra 
phie  des  b'véques  de  Marseille,  par  M.  le  chanoine  Albânès,  p.  30  et 
article  XXIV. 


~  241  — 

De  plus,  ces  différentes  enclaves  nous  sont  une  preuve  que 
ce  n'est  point  là  une  possession  si  ancienne  de  l'abbaye.  Au 
début  du  V*  siècle,  quel  était  l'aspect  de  ce  plateau,  au-dessus 
duRevest,  touchant  d'un  côté  le  cimetière  de  Paradis,  qu'il 
bornait  à  l'occident  (1),  de  l'autre  aboutissant  par  une  pente 
insensible  au  marais  de  la  Palud  ?  Ce  ne  devait  être  que  des 
terrains  incultes,  des  marécages,  des  garrigues  comme  l'était 
d'ailleurs  Paradis  et  le  terrain  au-delà  de  Saint-Victor  (2).  Qui 
en  était  le  maître?  Le  souverain  de  l'époque,  les  comtes  de  Pro- 
vence, peut-être  aussi  l'évéque  de  Marseille.  Or,  quel  qu'en  fût 
le  propriétaire,  celui  qui  l'avait  cédé  à  l'abbaye  cassianite, 
nouvellement  fondée,  l'aurait  donné  tel  qu'il  était,  inculte, 
désert,  marécageux;  à  l'abbaye  cassianite  de  le  faire  cultiver. 
D'autre  part,  celle-ci  n'aurait  jamais  distrait  de  ce  domaine 
certaines  portions,  pour  les  céder  en  toute  propriété  à  des  parti- 
culiers. L'abbaye  étant  sur  cette  terre,  le  voisinage  de  ces  parti- 
culiers aurait  été  une  gène.  On  ne  peut  pas  dire  que  les  gens  qui 
sont  nommés  dans  la  charte  40  étaient  les  fermiers  de  ces  biens 
pour  le  compte  du  monastère,  puisque  la  charte  les  cite  comme 
les  maîtres  de  ces  terres  enclavées  ou  voisines  (3).  Non  plus, 
que  ces  maîtres  du  XI'  siècle  étaient  les  successeurs  des  fer- 
miers, qui  à  la  suite  des  invasions  se  seraient  emparés  des 
biens  de  l'abbaye,  puisqu'il  y  a  sept  ou  huit  enclaves,  et  la 
terre  des  religieuses  n'est  pas  tellement  grande  qu'elle  ait  con- 
tenu sept  ou  huit  fermes  et  autant  de  fermiers.  D  ailleurs,  il 
y  a  des  enclaves  appartenant  à  Saint- Victor  (4).  A  la  suite  des 

(1)  Ce  plateau  du- Rêves t  était  séparé  de  Paradis  par  le  chemin  de  la 
Garde  qui  passait  devant  la  chapelle  de  Saint-Pierre  située  à  l'entrée  du 
cimetière. 

(2)  Le  terrain  au  delà  de  Saint-Victor  était  «  terra  culta  et  inculta,  pra- 
tis,  pascuis,  garricis,  aquis  aquarum,  ductibus  vel  reductibus.fi  Charte 
'$,  de  965.Gartulairede  Saint-Victor.  1. 1.—  Paradis,  étant  un  cimetière, 
n'était  pas  cultivé.  Le  reste  du  plateau,  en  ces  temps  reculés,  ne  devait 
guère  l'être  davantage. 

(3)  c  Vinea  quam  Petrus  Algitinus  solttus  erat  facere...  quam  Boni- 
facios dédit...  quam  Pontius  dédit Sancto  Viclori....  quœ  fuit  Alma- 
rici.. .  quse  facit  Gisfredus. . .»  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40. 

(i)  «  Continetur  ibidem  una  quartairada  vineae,  quam  Pontius,  pres- 

byter  Sanctt  Tirsi,    dédit  Sancto  Victori Vinea  Sancti  Victoris  de 

<tomi.  i  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40. 


-  242  — 

invasions,  cette  abbaye,  du  moins,  aurait  fait  restitution. Or,  ces 
enclaves  dans  cette  propriété,  ce  n'est  pas  l'abbaye  cassianite 
qui  accepta  de  les  créer.  Donc  elles  existaient  quand  ce  domai- 
ne lui  a  élé  donné.  Donc  ce  n'est  pas  au  début  de  sa  fondation 
que  l'abbaye  la  possédé.  C'est  plus  tard,  peut-être  au  IX*  siècle. 
Alors,  à  un  bien  qu'on  lui  donne  elle  en  ajoute  plusieurs  autres 
par  achat,  par  échange  ou  par  donation.  Restaient  d'autres 
enclaves,  qu'elle  n'avait  point  encore  pu  réunir  à  sa  propriété, 
en  1038-1048.  Donc  l'abbaye  ne  pouvait  pas  être  en  cet  endroit, 
lors  de  sa  fondation. 

Mais  qu'importe,  dira-t-on,  que  cette  terre  n'ait  pas  appar- 
tenu aux  Cassianites  à  cette  époque  reculée  ?  L'abbaye  pouvait 
cependant  s'élever  en  cet  endroit,  le  terrain,  l'emplacement 
appartenant  par  supposition  ou  à  Saint-Victor,  ou  à  l'évoque, 
ou  aux  comtes  de  Provence. 

Non  encore,  l'abbaye,  même  dans  ces  conditions  n'était  pas 
là,  au  début  du  V  siècle. 

Aucun  des  auteurs  qui  ont  parlé  de  cette  terre  des  reli- 
gieuses suivant  les  indications  de  la  charte  40,  n'a  entendu 
y  placer  l'abbaye  cassianite.  Quel  est  le  sens  véritable  de 
cette  phrase  de  la  charte  40  :  «  Terra  Sanctœ  Mari»  »,  etc.?  On 
Ta  dit  plus  haut.  Mais  tous  les  auteurs  n'y  ont  vu  qu'une 
chose  :  que  l'abbaye  était  sur  le  bord  de  la  mer,  non  loin  du 
port.  Aucun  qui  l'ait  placée  à  l'endroit  même  où  la  terre  se 
trouvait.  M.  de  lley  lui-même,  qui  loge  l'abMye  à  deux  pas 
de  cette  terre,  au  Revest,  et  qui  peut-être  a  l'intention  de  com- 
prendre ce  plateau  dont  nous  parlons  dans  le  périmètre  du 
quartier  du  Revest,  n'a  pas  du  tout  l'intention  d'y  placer  le 
cœnobium.  «  C'est  sur  le  coteau  incliné  vers  la  mer  que  s'éle- 
vait le  monastère  de  Saint-Cyr ,  on  ne  peut  lui  attribuer  un 

* 

autre  emplacement  (1).» 

Autre  preuve.  11  n'y  a  pas,  que  nous  sachions,  de  tradition, 
si  vague  soit-elle,  que  le  monastère  cassianite  ait  été  en  cet 
endroit  sur  le  plateau  en  dessus  du  Revest,  au  V  siècle.  D'au- 
cuns l'ont  placé  aux  Catalans,  au  Carénage,  à  Paradis,  ï  Sainte- 
Catherine,  au  Revest,  afin  de  se  conformer  à  une  faible  tradi- 

(1)  Les  Saints  de  VÉfjlise  de  Marseille,  p.  235. 


—  243  — 

tion,  et  ils  ont  donné  à  l'appui  quelques  raisons,  bien  faibles 
il  est  vrai,  mais  des  raisons.  Or,  pour  cet  endroit  aucun  vestige 
de  tradition.  Donc  le  monastère  ne  se  trouvait  pas  sur  ce  point, 
au  début  de  sa  fondation. 

Et  si  Ton  voulait  arguer  de  ce  que  le  plateau,  au-dessus  du 
Revest,  est  voisin  du  quartier  le  Revest  lui-môme,  pour  établir 
que  la  tradition,  qui  placerait  le  monastère  au  Revest,  pourrait 
servir  à  le  placer  sur  les  terres  environnantes,  nous  de- 
viendrions alors  plus  exigeant.  Nous  demanderions  que  Ton 
nous  donnât  une  preuve  solide  de  la  tradition  en  faveur  du 
Revest.  Et,  cette  preuve,  on  ne  Ta  pas  fournie.  Or.  qui  expli- 
quera l'absence  de  tradition  en  faveur  du  plateau,  au-dessus 
du  Revest,  si  le  monastère  a  été  là,  au  V  siècle?  Cassien  au- 
rait fondé  là  sur  cette  terre,  qui  en  1047  appartenait  aux  reli- 
gieuses, l'abbaye  des  filles  ;  en  597,  elle  s'y  élevait  encore  • 
à  l'époque  des  invasions,  de  même.  Là  auraient  été  martyri* 
sées  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes.  Là  encore  les  pirates  en 
838,  seraient  venus  enlever  les  religieuses.  Peut-être  l'ab- 
baye s'y  élevait  encore  en  923,  car  rien  ne  prouve  sûremeut 
qu'elle  se  trouvait  à  cette  époque  à  Sainte-Catherine.  Cette 
terre  des  religieuses,  aussi  voisine  relativement  de  Saint-Victor 
que  pouvait  l'être  le  quartier  de  Sainte  Catherine,  présentait 
les  mêmes  avantages  comme  les  mêmes  inconvénients.  Et  ni 
les  chartes,  ni  la  tradition  même  la  plus  vague  n'auraient 
gardé  le  souvenir  de  l'existence  durant  cinq  siècles,  du  pre- 
mier cœnobium  de  religieuses,  à  Marseille  1  C'est  à  peine 
croyable. 

Aatre  preuve.  Durant  cinq  siècles  il  y  aurait  eu  là  un  mo- 
nastère embaumé  des  parfums  des  vertus  les  plus  belles.  Eu- 
sébie y  aurait  vécu  avec  ses  compagnes  ;  au  lendemain  de  leur 
mort  héroïque,  on  a  inhumé  dans  un  endroit  a  part,  dans  les 
cryptes,  leurs  glorieuses  dépouilles.  Ysarne  en  a  visité  les 
tombeaux.  Bien  plus,  la  chapelle  de  ce  monastère  avait  été 
dédiée  à  la  Vierge,  disent  à  peu  près  tous  les  auteurs,  ce  qui 
faisait  de  cet  oratoire  un  des  plus  anciens  avec  la  Major  et 
Notre-Dame  de  Confession,  consacrés  à  l'honneur  de  Marie,  à 
Marseille.  Cent  ans  après  la  mortde  Cassien,  et  peut-être  plus 
tôt,  afin  de  perpétuer  le  souvenir  des  vertus  du  saint  fonda- 


—  244  — 

teur  des  deux  abbayes,  cet  oratoire  lui  a  été  dédié.  Tout  cela  se 
passait  à  deux  pas  de  Saint-Victor.  Et  au  XI*  siècle,  alors  que  les 
Viffred  (1)  et  les  Ysarne  sont  à  l'œuvre  pour  rééditier  les  saints 
lieux  dévastés  par  les  Sarrasins;  que  Fulco  et  Odile,  son  épouse 
sur  le  conseil  des  moines  et  le  désir  de  saint  Ysarne  (2),  font 
rebâtir  la  chapelle  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  un  peu  plus  tard 
font  construire  celle  de  Sainte-Croix,  près  de  Saint-Pierre  (3), 
il  ne  viendra  à  la  pensée  de  personne,  ni  de  l'abbé,  ni  du  vicomte, 
ni  des  moines,  de  faire  revivre  le  souvenir  de  l'antique 
abbaye  cassianite!  Ysarne  n'aura  pas  à  cœur  de  faire  re- 
construire la  première  chapelle  dédiée  à  l'honneur  du  saint 
fondateur  Cassienl  Toutes  les  chartes  de  l'époque  parlent 
en  termes  élogieux  du  saint  abbé,  du  Père  très  saint,  de  l'ex- 
cellent docteur  Cassien  ;  les  ruines  du  premier  oratoire  qui  lui 
est  dédié  sont  là  à  deux  pas,  près  du  monastère  de  Saint- Vic- 
tor et  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  et  on  ne  s'occupera  pas  de 
les  relever  !  C'est  incroyable  de  la  part  d'Ysarne,  de  Fulco  et 
d'Odile. 

Donc,  l'abbaye  cassianite  ne  se  trouvait  pas,  de  420  à  750, 
sur  le  plateau  du  Rêves  t. 


(1)  «  Claruit  sacrîs  virtutibus  Viffredus  abbas...  Hicergo  has  aedes  con- 
tiens.. .  velle  nec  De  posse  vicecomitum  seu  egregii  praesulis  Massiliensis.» 
Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  40. 

(2)  c  Quare  disposuimus  œdificare  ecclesiam,  consiliis,  atque  jussu  Do* 
mini  Isarni  abbatis,  feiicis  mémorise,  atque  omnium  fratrum  in  eodem 
cœnobio  manentium  voluntate. . .  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  32. 

(3)  c  Ego  Guillelmus.vicecomes  Massiliensis,  feci  aediflcare  ecclesiam, 
quœ  est  sita  juxta  ecclesiam  Sancti  Pétri,  Massiliensis  monasteri  ad 
sinistram  partem  ;  et  in  honore  Dei  et  Sanctœ  Cruels  rogavi  eam  conse- 
crari...  »  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  25. 


CHAPITRE  III 


L'Abbaye  cassianite  n'a  pu  se  trouver  à 
remplacement  de  l'ancienne  chapelle  S^-Oatherine, 

ni  aux  Catalans 


PAfi  A  SAINTE-CATHERINE.  —  TROP  PRES  DE  SAINT-VICTOR.  —  AU 
MILIEU  DES  BRUITS  DU  PORT.  —  UNE  CHARTE  DE  904  EN  AURAIT  FAIT 
MENTION.  —  PAS  AUX  CATALANS  —  GROSSON  NE  DONNE  PAS  DE 
PREUVE.  —  IL  N'Y  A  PAS  DE  TRADITION.  —  C'EUT  ÉTÉ  SUR  UNE  TERRE 
DE  SAINT-VICTOR,  ET  LA  CHARTE  DE  966  EN  AURAIT  PAIT  MENTION. 


L'abbaye  cassianite  ne  se  trouvait  pas,  de  420  à  750,  à  rem- 
placement que  la  chapelle  de  Sainte- Catherine  occupa  plus 
tard. 

De  l'endroit  où  le  chemin  de  la  Garde  tournait  vers  le  sud, 
jusque  vers  le  bassin  du  Carénage  s'étendait  une  vaste  terre 
relevant  du  comte  de  Provence  (1)  et  allant  de  la  rive  du  port 
jusqu'à  la  limite  du  cimetière  Paradis.  Le  long  du  rivage  qui 
bordait  cette  terre  comtale,  il  y  avait  des  pêcheries,  des  salines, 
un  ancrage,  un  petit  port  qui  devint  le  port  de  l'abbaye  de 
Saint-Victor  (2).  C'était  sur  cette  terre  comtale  que  s'éleva  à 

(1)  «  Dna  cum  terra  comitali  quse  ante  portarn  castri  fore  videtur, 
usque  ad  carnarium. . .  »  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t  I,  charte  10. 

(2)  «  Concedimus...  cum  salinis  et  piscationibus  et  portu  navium... 
conjacentem  in  comitatu  Massiliensi  qui  vocatur  vulgo  Paradisus,  sicut 
est  via  quae  descendit  a  Guardia  usque  ad  Podium  Formicarium.  »  Cartu- 
laire de  Saint- Victor,  charte  10. 

c  ..  in  quâ  continebntur  insertum,  qualiter  ecclesiœ  Sancti  Victoris 
znartyris,  uhi  sacratissimum  corpus  umatum  est,  concessisset  Thelo- 
nœum  de  villa  quœ  dicitur  Leonio. . .  nec  non  et  Theionœum  de  navibus 
ab  Italia  venieutibus,  quse  ad  eamdem  ecclesiam  arripare  videntur...  » 
Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  11. 

c...  omnem.  partent  nostram...  de  salinis  quœ  in  portu  civitatis 
Massiliœ  esse  videntur,  ab  ipsa  ecclesia  Sancti  Pétri,  cum  piscatione  et 
portu  navium  quse  in  supradicto  termino  arripaverint.  »  Charte  23  du 
cartulaire  de  Saint- Victor. 


—  24G  — 

une  certaine  époque  la  chapelle  de  Sainte-Catherine.  Or,  nous 
disons  que  l'abbaye  cassianite  ne  se  trouvait  pas  en  cet  endroit. 
C'était  d'abord  très  proche  de  l'abbaye  de  Saint-Victor. 
11  y  avait  à  peine  une  distance  de  cent  cinquante  à  deux 
cents  pas. 

Puis,  il  y  avait  là  des  salines,  nous  l'avons  dit,  des  pêche- 
ries, un  petit  port,  et  il  est  assez  difficile  de  vouloir  y  placer 
un  monastère  de  religieuses.  Cassien  a  recherché  pour  elles 
le  calme,  la  tranquillité  et  la  solitude.  Or,  c'était  là  un  en- 
droit très  fréquenté,  très  bruyant,  quoique  il  y  eût  certai- 
nement moins  d'agitation  et  de  tumulte  qu'il  n'y  en  a  de 
nos  jours  à  la  place  aux  Huiles.  Il  est  donc  difficile  de  suppo- 
ser le  monastère  des  filles  à  ce  point  du  terroir. 

D'autant  plus  que,  le  plateau  se  relevant  assez  brusque- 
ment vers  Paradis,  il  n'y  avait  pas  entre  les  salines  et  le 
cimetière  un  assez  grand  espace  de  terrain  qui  entourât  de 
paix,  de  calme  un  monastère. 

Ensuite,  si  l'abbaye  cassianite  s'est  trouvée  en  cet  endroit 
de  420  à  750,  elle  y  a  toujours  été  jusqu'en  923.  On  ne  voit 
pas  pourquoi,  en  effet,  elle  aurait  quitté  le  voisinage  de  Saint- 
Victor  pour  aller  ailleurs,  à  moins  de  venir  en  ville. 

Et  encore,  cette  terre  comtale  fut  donnée  à  Saint-Victor 
en  904.  Si  avant  cette  époque  l'abbaye  s'y  était  trouvée,  la 
charte  l'aurait  indiqué  de  quelque  manière.  L'empereur 
Louis,  cédant  ce  domaine,  aurait  dit  qu'il  le  cédait  en  com- 
prenant ou  en  ne  comprenant  pas  remplacement  de  l'abbaye 
des  filles.  Or,  il  n'y  a  rien  à  ce  sujet  dans  cette  charte  ;  donc 
l'abbaye  n'était  pas  là  au  début  de  sa  fondation. 

Elle  n'était  pas  non  plus  aux  Catalans,  de  Tan  420  à  750. 

Rappelons  d'abord  que  Grosson,  qui  le  premier,  croyons- 
nous,  a  indiqué  ce  point  du  terroir  comme  emplacement  de 
l'abbaye  cassianite,  n'a  fourni  aucune  preuve  de  son  asser- 
tion (1).  M.  de  Rey,  qui  a  étudié  à  quel  endroit  on  pouvait 
placer  l'abbaye  cassianite,  a  reconnu  que  pas  plus  aux 
Catalans  qu'au  Carénage  il  n'y  a  de  place  pour  elle  (2). 

(1)  Grosson,  Almanach  historique  de  Marse  Me,  de  1770,  p.  74. 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  S32.  Sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes. 


—  247  — 

Ensuite,  il  n'y  a,  sur  le  fait  de  l'existence  de  ce  monastère  à 
cet  endroit,  aucune  tradition,  si  vague  eoit-elle.  Pour  le 
Carénage  on  a  allégué  la  nécessité  de  placer  le  monastère  des 
filles  à  côté  de  Saint-Victor;  pour  sainte  Catherine,  on  a 
allégué  les  tombeaux  et  les  inscriptions  que  Ton  a  découverts 
aux  environs  ;  pour  Paradis,  les  sépultures  des  vierges  sacrées; 
pour  le  Revest,  le  texte  de  la  charte  40  ;  pour  THuveaune,  la 
tradition  sur  la  chapelle  a  deïs  Desnarrados  ».  Mais  pour  les 
Catalans,  aucun  fait,  aucun  document,  n'est  allégué,  ni  par 
Grosson,  ni  par  un  autre.  Or,  l'absence  de  toute  tradition  ne 
s'expliquerait  pas,  si  le  monastère  avait  été  en  cet  endroit 
de  420  à  750. 

Une  preuve,  d'ailleurs,  qu'il  ne  s'élevait  pas  aux  Catalans. 
La  charte  28,  de  966,  rappelle  que  Tévêque  de  Marseille, 
Honoré  II,  donna  au  monastère  de  Saint-Victor  (1)  une  terre 
qui  entourait  Tabbaye  et  dont  les  limites  étaient  :  de  deux 
côtés  la  mer,  de  l'autre  la  fontaine,  la  montagne  de  la  Garde, 
et  un  chemin  le  long  de  Paradis.  »  C'est  l'espace  de  terrain  qui 
est  borné  au  couchant  et  au  nord  par  la  mer,  au  levant  par 
une  ligue  qui  partirait  du  rivage  du  port  à  l'entrée  de  l'abbaye 
et  de  celle-ci  aux  premières  pentes  de  la  Garde  ;  au  sud  cette 
montagne  elle-même  jusqu'à  la  mer  ;  dans  cet  espace  les 
Catalans  sont  compris. 

Or,  celte  terre  que  l'évêque  donnait  à  Saint- Victor  n'avait  pas 
toujours  été  possession  épiscopale.  Depuis  l'époque  des 
premières  invasions  sarrasines  et  de  la  ruine  de  l'abbaye,  les 
évéques  de  Marseille,  afin  d  arracher  à  la  cupidité  des  laïques 
puissants  les  biens  des  églises  et  des  monastères,  les  avaient 
réunis  à  leur  mense  et  en  avaient  gardé  l'administration. 
C'était  à  ce  titre  que  les  évéques  de  Marseille,  et  probablement 
Honoré  II,  avaient  détenu  ce  domaine  durant  un  certain  nombre 
d'années.  Mais  à  cette  époque  de  966,  l'abbaye  de  Saint- Victor 


(1)  «  Et  est  ipsa  terra,  in  comitatu  Massiliensi,  in  giro  ejusdem 
ecclesiae  beati  Victoris:  consortes  de  duos  latus,  litus  maris,  de  alio  latus 
fontem  et  montem  quem  nuncupant  Guardiam  et  viam  juxta  locum  de 
Paradiso.  »  Charte  23  du  cartulaire  de  Saint-Victor. 


-  248  - 

se  relève  de  ses  ruines  ;  l'évéque,  pour  concourir  à  celle 
résurrection,  rétrocédait  cetle  terre  (1). 

D'autre  part,  il  est  facile  de  se  convaincre  que  ce  domaine 
était  une  possession  très  ancienne  de  l'abbaye.  C'était  une 
terre  aux  alentours  de  Saint-Victor;  on  peut  bien  croire  donc 
que  c'a  été  un  des  premiers  biens  qui  lui  ont  été  concédés  par 
la  piété  des  fidèles  et  des  grands.  Ce  n'est  pas  d'ailleurs  de 
924  à  966  que  l'abbaye  a  pu  la  recevoir,  car  à  cette  époque 
elle  était  en  ruine,  elle  n'existait  plus.  Ce  ne  fut  pas  non 
plus  de  840  à  924,  car  à  cette  date  les  évoques  avaient  déjà 
pris  l'administration  des  biens  de  Saint-Victor  (2).  Loin  de 
donner  à  l'abbaye,  on  cherchait  à  lui  ravir.  Les  évéques 
avaient  fort  à  faire  pour  défendre  ces  biens.  La  possession 
par  l'abbaye  de  Saint-Victor,  de  ce  domaine,  serait  donc  anté- 
rieure aux  premières  invasions. 

Si  donc  l'abbaye  cassianite  s'était  trouvée  sur  ce  point  aux 
Catalans,  elle  eût  élé  sur  une  terre  de  Saint- Victor.  Or,  n'est - 
il  pas  étonnant  que  dans  la  charte  de  966,  en  remettant  ce 
domaine  à  l'abbé  de  Saint- Victor,  l'évoque  ne  rappelle  pas  aux 
moines  qu'il  y  a  sur  une  portion  de  leur  domaine  un  lieu 
sanctifié  et  béni,  arrosé  par  le  sang  de  vierges  héroïques, 
embaumé  par  le  parfum  des  vertus  des  premières  filles  de 
Cassien,  et  que  là  fut  le  premier  oratoire  élevé  en  l'honneur 
de  leur  saint  fondateur  ? 

(1)  «  Et  ut  tbl  utiliùs  posslnt  regulariter  vivere,  ex  terra  quae  ad 
eamdem  abbatiamfSaucti  Victoria;  pertinere  dignoscitur,  aliquid  conce- 
dimus'.hocest  terra  culta  et  inculta,  pratis,  pascuis,  garricis,  aquis, 
aqunrum  duc ti bus,  earum  vel  reductibus,  et  est  ipsa  terra  in  comitatu...i 
Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  23. 

«  ...  Igitur  ego,  jam  dictus  Honoratus  episcopus,  cum  clcricis 
meis,  divini  accensus  amoris,  atque  gloriam  retributionis  orani  affectu 
desiderans. . .  »  Charte  23,  ut  supra. 

«la  honore  Dei  omnipotentis  Sanctique Victoria  martyris,  congrega- 
tionem  monachorum  secundum  regulam  Sancli  Bencdicti  in  abbatia 
ejusdem  beati  Victoris  constitul  optamus.  »  Charte  23  du  cartulaire  de 
Saint- Victor. 

(2)  Dès  l'an  780,  sous  l'épi scopat  de  saint  Mauront,  jusque  vers  le 
milieu  du  Xe  siècle,  l'administration  des  biens  de  l'abbaye  a  été  entre  les 
mains  des  évéques.  (In v>asions  des  Sarrasins  en  Provence ,  par  M.  de 
Rey,  passirn.) 


—  249  — 

JJira-t-onque  le  point  où  s'élevait  l'abbaye  cassianite  des 
tilles  avait  été  la  possession  de  cette  même  abbaye,  lors  de  sa 
fondation?  Mais  en  738  ou  plus  tard,  à  l'époque  de  sa  destruc- 
tion, levêque  aurait  pris  l'administration  de  ce  domaine.  Et 
toujours  en  966,  alors  qu'il  restituait  à  l'abbaye  de  Saint-Vic- 
tor ce  qui  lui  appartenait,  il  aurait  fait  exception  de  ce  bien 
de  l'antique  monastère,  bien  qu'il  aurait  conservé,  uni  à  sa 
mense  épiscopale,  ou  qu'il  aurait  cédé  à  Saint-Victor.  Mais 
forcément  il  aurait  mentionné  ce  fait  ;  or,  la  charte  de  966  ne  dit 
rien  de  cela.  Donc  l'abbaye  n'est  pas  aux  Catalans,  de  420  à 
750. 

S'élevait- elle  à  Saint-Loup?  C'est  postérieurement  à  840, 
suivant  l'abbé  Cayol  que  les  Cassianites  auraient  habité  ce 
quartier.  De  420  à  750  elles  n'y  étaient  donc  pas. 

L'abbaye  pouvait-elle  se  trouver  à  Saint-Cyr  (Var)?  Non 
encore.  Il  y  a  dans  le  cartulaire  de  Saint-Victor,  et  en  appen- 
dice aux  différents  écrits  de  M.  Magloire  Giraud,  sur  Saint-Cyr, 
laCadière,  Saint-Damien  et  Taurœntum  (1),  un  bon  nombre 
de  chartes  dans  lesquelles  on  ne  s'explique  pas,  qu'il  ne  soit 
fait  aucune  mention  de  l'existence  de  l'abbaye  cassianite,  a 
Saint-Cyr,  si  celle-ci  s'y  est  trouvée  réellement.  Notamment 
la  charte  de  906  d'Honoré  II,  dans  laquelle  celui-ci  cède  à  Sainte- 
Victor  îe  terroir  de  la  Cadière.  Comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  Honoré  II  aurait  rappelé  aux  moines  l'existence  de  ce 
cœnobium  primitif  des  allés  de  Cassien.  La  charte  de  967-993, 
quiiacontele  voyage  de  Guillaume,  comte  de  Provence,  à 
la  Cadière,  pour  aider  les  religieux  à  se  mettre  en  possession  de 

(1}  «  Goncedimtis  eis  ecclesiara  Sancti  Damiani  eu  m  appendicite 
suis...  »  Suivent  les  limites.  (Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  23.— 
Charte  77,  de  Tan  967-993.-  Charte  75.  de  l'an  1019.) 

La  donation  de  la  Cadière  étant  laite  et  les  limites  étant  fixées,  le 
comte  de  Provence  ajoutait  :  «  Omnia  quœ  istis  terminis  continentur, 
quantum  ad  me  pertinent,  Sancto  Victori  ex  integro  dono.  Sane  si  quis, 
quod  evenire  minime  credo,  contra  hanc  donationem  venlre  ant  obsiâ- 
tere  voluerit,  obtinere  istud  non  vaieat. . .  »—  «  Omnia  quae  istis  termi- 
nal ion  i  bus  continentur,  ex  integro  dono  Sancto  Victori,  exceptis  pinis.» 
—  (Charte  76,  de  1019,  cartulaire  de  Salut  Victor.—  Histoire  du  prieuré 
de  Saint-Damien,  par  l'abbé  Magloire  Giraud,  appendice,  chartes  1,  2, 
3, 4,  5.) 


—  250  — 

leurs  biens,  l'aurait  insinué  encore.  Celle  de  1019,  qui  relate 
la  donation  à  Saint-Victor  d'une  terre  à  la  Cadière  par  Fulco 
et  Odile,  et  dans  laquelle  les  limites  de  la  Cadière  sont  préci- 
sées, aurait  encore  indiqué  l'endroit  où  se  trouvait  ce  mo- 
nastère. Et  tant  d'autres  chartes  qui  gardent  sur  ce  sujet  le 
silence  le  plus  complet.  Donc  on  peut  en  conclure  que  l'abbaye 
cassianite  n'était  pas  à  Saint-Cyr  à  cette  époque  primitive. 

Pouvait-elle  se  trouver  à  cette  époque  aux  salines,  à  Saint- 
Marcel,  à  Aubagne,  à  la  Ciotat,  etc.,  etc.?  On  n'attend  pas  de 
nous  que  nous  passions  en  revue  toutes  les  localités  de  la  Pro- 
vence où  il  plaira  au  premier  venu  de  placer  l'abbaye  cassia- 
nite. En  citant  un  point  quelconque  du  terroir,  que  Ton 
prouve  l'existence  d'une  tradition  sérieuse  en  faveur  de  cet 
endroit,  alors  il  sera  possible  d'établir  sur  des  bases  solides 
une  discussion  utile.  Or,  c'est  le  cas  pour  Saint-Marcel,  Auba- 
gne, etc.,  etc.  Nous  passons. 

L'abbaye  cassianite  donc  n'a  pu  se  trouver  à  l'époque  de  sa 
fondation  aux  Catalans,  ou  au  Carénage,  à  Sainte-Catherine, 
au  Revest,  sur  le  plateau  du  Revest,  à  la  Major,  etc.,  etc.  A 
quel  endroit  se  trouvait-elle  alors,  puisqu'il  faut  admettre 
qu'elle  était  quelque  part  ?  Nous  l'insinuons  dans  la  conclu- 
sion suivante. 

Aux  auteurs  qui  plaçaient  le  cœnobium  à  tel  ou  tel  endroit, 
aux  environs  de  Marseille,  nous  avons  prouvé  qu'ils  étaient 
dans  Terreur.  Restent  donc  les  bords  de  l'Huveaune  ;  or,  à  ceux 
qui  soutenaient  que  jamais  cœnobium  ne  s'est  élevé  en  ce 
point  du  terroir,  nous  avons  démontré  que  leurs  objections  ne 
tenaient  pas.  D'autre  part,  un  certain  nombre  d'historiens 
désignent  les  parages  de  l'Huveaune  comme  l'endroit  où 
pouvait  se  trouver  l'abbaye.  Donc,  le  cœnobium  a  pu  être  là. 
Ceci  n'est  point  une  preuve  péremptoire,  nous  le  reconnais- 
sons; mais  on  ne  saurait  le  nier,  cela  peut  suffire  à  faire 
pencher  quelque  peu  la  balance  en  faveur  de  notre  opinion. 
Voici,  d'ailleurs,  les  preuves  positives. 


— ■*^vv\A/VAAAAAA/wv**«— 


DEUXIÈME  SECTION 


PREUVES     POSITIVES 


CHAPITRE  PREMIER 

Les  Auteurs  favorables  à  notre  opinion 
et  discussion  de  leurs  assertions 


MàBILLON.  —  CHIPFLBT  J.-J.  —  ANDBÉ  DU  8AUSSAY.  —    GUE8NAY  J.-B. 

—  ABTHUB  DE   MONE8TIEB.  —  LE   P.  LECOINTE.—  LE    PKBB    POIBEY. 

—  L' €  ATLAS     MABIANUS   ».    —     H.    BOUCHE.     —     M.    LE    CHANOINE 
MAGNAN. 

Il  est  juste  de  citer  en  premier  lieu  les  auteurs  qui  ont  sou- 
tenu notre  opinion.  D'ailleurs  nous  connaîtrons  ainsi  sur  quels 
arguments  ils  s'appuient  et  ils  rendront  plus  évidente  l'au- 
torité que  nous  apporteront  leurs  témoignages. 

D'abord,  Mabillon.  Dans  son  ouvrage  monumental,  inti-r 
tulè  :  Annales  ordinis  Sancti  Benedicti ,  et  les  Acta 
sanctorumO.  S.  B.y  Mabillon  écrit:  «  C'est  à  cette  époque 
que  l'on  place  ce  fait  mémorable  concernant  les  quarante 
religieuses  du  monastère  de  Saint-Cyr,  situé  près  de  Mar- 
seille et  fondé  par  Gassien.  Sur  les  exhortations  d'Eusébie, 
leur  abbesse,  elles  se  mutilèrent  le  visage  en  se  coupant  le  nez, 
afin  d'échapper  à  la  lubricité  des  Sarrasins  (1)  ».    L'auteur 

(l)«Huc  re vocant  f actum  sanctimoDialium  quadraginta  coenobii  sancti 
Cyricii,  prope  Massiliam  a  B.  Joanne  Cassiano  erecti,  quae  hortante 
Eusebiâ  matre  et  abba tissa,  ne  suse  pudicitise  vis  a  Sarracenis  infer- 
retur,  oasuin  sibi  praeciderunt.  »  Mabillon,  Annales  ordin.  S.  Bene- 


—  252  — 

ne  désigne  pas  l'emplacement  exact  du  «  cœnobium  sancti 
Gyricii  »  ;  c'est  a  prope  Massiliam  »  qu'il  le  loge.  Mais  il 
faut  remarquer  qu'en  écrivant  ces  lignes,  il  ne  cherchait 
point  à  élucider  une  Question  qui  pour  lui  n'était  qu'un  sim- 
ple détail  à  ce  moment,  quoique  pour  nous  elle  soit  une  ques- 
tion importante.  Il  racontait,  il  affirmait  que  sainte  Eusébie 
et  ses  compagnes  avaient  été  martyrisées  par  les  Sarrasins; 
que  le  monastère  théâtre  de  ce  massacre  s'élevât  en  cet  endroit 
ou  à  un  autre,  peu  lui  importait.  Ce  n'était,  encore  une  fois, 
qu'un  détail. 

Cette  seule  expression  cependant  semble  indiquer  que 
Mabillon  admettait  plutôt  notre  opinion  que  l'opinion  con- 
traire (1).  A  l'époque  ou  il  écrivait,  en  1668,  il  n'aurait  pas 
employé  cette  expression  :  «  prope  Massiliam  »,  si,  à  son  avis, 
le  monastère  cassianite  avait  été  jadis  sur  la  rive  du  port  ,au 
Carénage,  aux  Catalans,  ou  au  Revest.  En  1668,  ces  divers 
endroits,  se  trouvaient  englobés  dans  l'enceinte  de  Marseille, 
et,  Mabillon  voulant  désigner  un  de  ces  points  pour  l'empla- 
cement du  monastère  cassianite,  aurait  dit  simplement,  ou 
bien  que  celui-ci  était  à  Marseille,  ou  bien  qu'il  s'élevait  à 
tel  endroit,  hors  de  Marseille  à  cette  époque.  Si  donc  cette  ex- 
pression «  prope  Massiliam  o  se  trouve  sous  sa  plume,  c'est 
l'indice  que  pour  lui  le  monastère  s'élevait  aux  bords  de  l'Hu- 
veaune.  Ce  qui  suit,  d'ailleurs,  va  corroborer  cette  interpré- 
tation et  nous  montrer  que  Mabillon  est  bien  de  notre  avis. 

Si  le  savant  Bénédictin  se  tient  dans  la  généralité  lorsqu'il 
raconte  l'histoire  de  sainte  Eusébie,  il  précise  davantage  lors- 
qu'il parle  du  monastère  lui-même.  Dans  la  vie  de  saint 
Césaire  d'Arles,  au  sujet  de  sainte  Césarie,  la  sœur  ou  la  cou- 
sine de  l'évêque,  que  celui-ci  avait  placée  dans  uil  cœnobium 
de  vierges  a  pour  y  apprendre  d'abord  cette  piété,  cette  vertu 
qu'elle  devait  plus  tard  apprendre  aux  autres  »,  Mabillon  veut 
indiquer  quel  est  ce  monastère  de  vierges  où  vécut  sainte 

dictitt.  ir,  p.  90,  ad  ann.73$.  —  Acta  sanctorum  ordinis  S.  Béné- 
dicte t.  IV,  p.  487,  ad  ann.  734. 

(1)  Dans  les  Annales  ordinis  S.  #.,  Mabillon  se  sert  de  l'expressiori 
t  prope  Massiliam  »  et,  dans  les  Acta  SS.  ordinis  S.  Bénédictin  il  em- 
ploie l'expression  de  «  prope  urbem  ». 


—  253  — 


rn; 


Eusébie,  et  il  dit  :  c  Dans  le  monastère  que  Jean  Gassien 
construisit  pour  les  religieuses  dans  le  terroir  suburbain  de 
Marseille,  auprès  du  fleuve  de  THiiveaune,  d'où  lui  vint  le 
nom  de  monastère  de  THuveaune  (1)  ».  C'est  précis  et  clair. 
Objectera-t-on  que  c'est  dans  une  note  que  ces  paroles  se 
lisent?  Soit;  mais  la  note  est  de  Mabillon  lui-même, 
comme  le  sont  d'ailleurs  toutes  celles  de  cet  ouvrage  Car  en 
tête  il  est  dit:  «  Universum  opus,  nolis,  observationibus indi- 
cibusque  necessariis  illustravit  (2).  »  Plus  de  doute  donc, 
Mabillon  croit,  avec  nous,  que  le  monastère  oii  sainte  Césarie 
fut  élevée  et  dans  lequel  vécut  plus  tard  et  fut  martyrisée 
sainte  Eusébie  était  sur  les  bords  de  rHuveaune,  «  ad  Yvelinum 
amnem  ». 

Où  Mabillon  a-t-il  puisé  ce  renseignement  ?  Qu'importe  ! 
Le  savant  Bénédictin  était  un  esprit  assez  éclairé,  d'une  critique 
assez  sûre  pour  que  nous  puissions  être  sans  inquiétude  à  ce 
sujet.  Car,  ou  bien  il  a  eu  à  son  service  des  documents  anciens 
que  nous  n'avons  plus.  Puisqu'il  s'est  fié  à  ces  documents, 
nous  pouvons  à  notre  tour  nous  y  fier.  Ou  bien  il  a  accepté 
le  dire  de  certains  auteurs  qui  citaient  cette  tradition,  tels 
que  Chifflet,  qui  écrivait  en  1618,  de  Saussay  dans  son  Marty- 
rologium  gallicanum  de  1638,  Arthur  de  Monestier  dans  le 
Sacrum  Ch/nœceum  de  1657,  Guesnay  dans  le  Cassianus 
illustratus  de  1652  et  dans  le  Provinciœ  Annales  de  1657, 
Lecointe  dans  les  Annales  ecclesiaslici  Francorum  de  1667. 
Or,  3i  Mabillon  a  suivi  ces  auteurs,  c'est  qu'il  croyait  leur 
opinion  fondée.  Il  les  eût  cerlainement  laissés  de  côté,  s'il 
avait  pu  soupçonner  que  leurs  conclusions  étaient  exagérées. 

Après  Mabillon,  Chifflet,  Jean-Jacques  (3),  qui  écrivait  en 


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(1)  «  Evocat  e  moaasterio  venerabilem  sua  m  Caesariam,  quam  inibi 
Ideo  direxerat  ut  disceret  quod  doceret.  »  Kn  note  :  «  Nempe  in  parthe- 
oooe  a  Joanne  Gassiano  sanctimonlalibus  erecto,  in  agro  Massiliensi 
suburbanoad  Yvelinum  amnem  unde  nomen  cœnobio...  »  Acta  sanc- 
torum  0.  S.  £.,  Mabillon,  1. 1,  p.  612  ;  vie  de  saint  Césaire. 

(I)  En  tête  de  son  ouvrage  on  lit,  en,  effet,  ces  mots. 

(3)  « Eam  vero  crucem  Paradinus,  De  Antiq.  Statu  Burgundiœ 

ad  annum  âOI,  dicit  a  Stephano  rege  in  Sancti  Victoris  massiliensem 
basUicam  illatam  ..  nos  vero  ex  certioribus  monumentis  collocatam 
censé  mus  in  agri  Massiliensis  cœnobio  sanctimonialium  de  Uveaune  ad 

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-  254  - 

1618  son  ouvrage  intitulé  :  Vesuntio  civitas  imperialis.  Il 
raconte  t  qu'un  certain  roi  de  Bourgogne,  du  nom  d'Etienne, 
avait  placé  sur  les  étendards  de  son  armée  l'image  de  la  croix 
de  saint  André,  en  souvenir  du  bois  de  la  croix  sur  laquelle 
cet  Apôtre  de  Jésus-Christ  était  mort,  croix  qu'il  avait  rapportée 
d'Achaïe  et  qu'il  avait  déposée  à  Marseille. . . . 

«  Cette  croix  de  saint  André,  un  historien  du  royaume  de 
Bourgogne,  Paradin  affirme  qu'elle  fut  placée  par  ce  roi 
Etienne  dans  le  monastère  de  Saint- Victor,  où  elle  se  trouve 
encore  à  l'heure  présente  ;  mais,  à  notre  avis  et  sur  la  foi  de 
preuves  et  d'écrits  plus  certains,  nous  disons  qu  elle  a  été 
placée  dans  un  monastère  du  terroir  de  Marseille,  sur  les  bords 
de  l'Huveaune,  aux  bord3  de  la  mer,  à  un  ou  deux  milles  de 
cette  ville.  De  quelle  manière  cette  insigne  relique  est  venue 
du  monastère  des  religieuses  de  l'Huveaune  à  Saint-Victor, 
voici  ce  que  les  annales  de  Marseille  nous  racontent. 

«  Lorsque  les  Sarrasins,  arrivant  de  l'Aquitaine,  dévastèrent 
la  Provence,  les  religieuses  du  monastère  de  THuveaune, 
pour  dérober  au  pillage,  au  feu,  à  la  profanation,  la  croix  de 
l'Apôtre  du  Sauveur,  l'ensevelirent  profondément  dans  la 
terre.  Les  barbares  firent  irruption  dans  le  monastère  ;  les 
religieuses,  pour  sauvegarder  leur  pudeur,  se  mutilèrent  le 
visage,  en  se  coupant  le  nez,  les  oreilles  et  les  lèvres.  Les  sau- 
vages envahisseurs  les  massacrèrent,et  les  corps  de  ces  héroïnes 
furent  peu  après  transportés  dans  une  chapelle  de  l'église 
inférieure,  dont  l'entrée  était  interdite  aux  femmes  sous  peine 
d'excommunication  portée  par  l'évoque.» 

André  du  Saussay ,  dans  le  Martyrologe  gallican  (1),  composé 

littus  maris,  altero  circiter  a   Massiliâ   miliario. ...    »     J.-J.   Chifflet 
Vesuntio,  p.  199. 

(1)  «  Crux  Sancti  Andrese  asportata  a  Stephano  rege  Burgundi®  ex 
Achaià,  in  Galliam  deportata,  apud  Veaunenses  virgine8t  in  agro  Mas- 
siliensi  deposita,  inde  paulo  ante  anno  salutis  1250  ad  Sancti  Victoris 
famosum  cœnobium  translata  est,  ubi  nunc  asservatur.  »  Martyrolo- 
gium  Gallicanum,  pridie  kal.  decembris,  natalis  Sancti  Andreese.  De 
Saussay.  —  «  Hanc  (crucem)  ex  Achaiâ,  in  Galliam  delatam  Stephanus 
Burgundiœ  rex,  apud  Veaunenees  virgines  in  agro  Massiliensi  depo- 
suit.  »  Supplem.  Martyrol.  Gallic,  sexto  idus  novembris,  Sancti 
Hugonis  de  Glazinis.  De  Saussay. 


—  255  — 

en  1638,  sur  Tordre  de  Loua  XIII,  raconte,  à  la  fête  de  saint 
André,  Apôtre,  que  la  croix  sur  laquelle  ce  disciple  de  Jésus 
souffrit  et  mourut  fut  rapportée  d'Achaïe  en  Gaule  par 
Etienne,  roi  des  Bourguignons,  et  déposée  chez  les  religieuses 
de  rHuveaune,  près  de  Marseille  et  de  là,  un  peu  avant  1250, 
transportée  au  monastère  de  Saint-Victor. 

Au  supplément  de  son  Martyrologe,  à  la  fête  de  Hugues  de 
de  Glasinis,  il  raconte  la  vision  que  ce  saint  religieux  eut  pen- 
dant la  messe,  vision  lui  marquant  l'endroit  où  se  trouvait 
cachée  la  croix  de  TApôtre  au  cœnobium  de  rHuveaune. 

Guesnay,  Jean-Baptiste,  jésuite,  né  en  Provence,  a  inséré 
la  même  tradition  à  plusieurs  endroits  de  son  Casaianus 
illustraiuSi  imprimé  en  1652.  Il  dit  que  «  le  monastère  de 
THuveaune  fut  fondé  par  quelques  pieuses  femmes  de  Mar- 
seille, sur  un  terrain  appartenant  à  Saint- Victor,  là  où  le 
petit  cours  d'eau  THuveaune  se  jette  dans  la  mer.  Les  débuts 
du  monastère  furent  pénibles  et  difficiles,  mais  la  vertu  y  fit 
de  grands  progrès,  ce  qui  détermina  plusieurs  personnes  de 
distinction  et  de  piété  à  agrandir  le  monastère  et  à  lui  ména- 
ger de  plus  abondantes  ressources.  Bien  plus,  les  habitants 
du  voisinage  accourant  en  foule  à  l'oratoire  de  ce  monastère, 
on  construisit  une  église  plus  vaste,  laquelle  fut  dédiée  à  la 
Vierge  et  fit  donner  au  cœnobium,  contre  lequel  elle  était 
adossée,  le  nom  de  Notre-Dame  d'Huveaune,  à  raison  du  fleuve 
de  THuveaune  sur  les  bords  duquel  il  était  bâti  (1).  » 

Racontant  le  martyre  de  sainte  Eusébie,  Guesnay  s'exprime 
en  ces  termes  :  «  Sainte  Eusébie,  vierge  et  martyre,  vécut 
dans  le  monastère  des  tilles  fondé  jadis  par  Cassien  sur  les  bords 
de  THuveaune,  partie  du  terroir  suburbain  de  Marseille,  et  le 

(1)  #  Monasterium  Yvelinse  aquae  ut  dicitur,  a  piis  quibusdam  mu- 
lieribus  Massiliensibus  inchoatum,  in  agro  suburbano  et  in  ea  Rotundi 
Montis  regione  ubi  Yvelinus  amnis  Méditerranée  immiscetur. . .  Tenue 
quidem  principium  babuit. . .  sed  nonnuUi  eximia  tam  sanctse  familiœ 
opinione  ac  benevolentiâ  excitati,  angustas  xdes  amplificaverunt  et  am- 
plifie* tas  uberiobus  fructibus  stabilierunt,  temploque  laxiori  ad  populi 
coramoditatem  et  frequentiam  exornarunt,  quod  Virgini  Deipara  dica- 
tum  cœnobio  per  amœnae  Yvelini  fluminis  ripae  adjacenti,  Nostrae  Domi- 
na de  Yvelino  proprium  accertum  nomen  imposuit.  »  Casaianus  illus- 
tratus,  Guesnay,  p.  409. 


—  256  — 

gouverna  un  certain  nombre  d'années  en  qualité  d'abbesse. 
A  l'époque  où  la  Provence,  les  bords  de  la  Méditerranée  et  sur- 
tout le  terroir  de  Marseille  furent  si  souvent  visités  par  les 
pirates  et  les  barbares,  il  sévit  contre  les  fidèles  une  telle 
persécution,  que  Ton  pourrait  dire  que  la  fureur  et  la  rage 
de  ces  sauvages  avaient  fait  couler  de  sang  les  rivières  de  ces 
contrées,  au  point  d'en  inonder  les  champs  et  les  villes  qui 
les  avoisinaient.  Or,  le  monastère  de  THuveaune,  à  l'abri 
duquel  sainte  Ensébie  vivait  avec  trente-neuf  compagnes, 
religieuses  comme  elle,  fut  occupé  par  les  barbares.  Pris  de 
rage  et  de  fureur  contre  ces  saintes  filles,  ils  les  massacrèrent . 
Les  dépouilles  sacrées  de  ces  martyres  furent  peu  après  trans- 
portées à  Saint-Victor  par  quelques  pieux  chrétiens,  et  dépo- 
sées dans  la  primitive  église  des  religieux  de  Saint-Cassien(l).  » 
A  un  autre  endroit  de  son  ouvrage,  Guesnay  veut  raconter 
le  massacre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  et  c'est 
toujours  sur  les  bords  de  PHuveaune  qu'il  place  le  monastère 
théâtre  de  ce  glorieux  martyre,  fondé  par  Cassien  dans  le 
terroir  de  Marseille,  à  peu  près  à  la  même  époque  que  celui 
de  Saint-Victor,  et  appelé  du  nom  de  Notre-Dame  d'Huveaune. 
«  Or,  les  barbares  ayant  attaqué  Marseille,  mais  la  trouvant 
garnie  de  troupes,  les  portes  fermées,  ils  durent  s'en  éloigner. 
Ils  se  répandirent  de  tous  côtés  dans  la  campagne,  arrivèrent 
sur  les  bords  et  à  l'embouchure  de  l'Huveaune.  Là  se  trou- 

(1)  «  Sancta  Eusebia  virgo  et  martyr  cœnobium  parthenium  Nostrse 
Dominse  de  Yvelino,  vulgo  de  Veaune,  a  Cassiano  fundatum  in  oppidano 
Massiliœ  terri torio  per  aliquot  annos,  et  fructus  auctoritatis  cepit  ex- 
tremos. . .  Quo  tempore  Provincia  maritimaeque  regiones  ac  praesertim 
Massilia)  suburbanae  piratis,  proedonibusque  patefacta,  tam  atrocem  in 
fidèles  persecutionem  passa  sunt,  ut  ex  eorum  laniena  cruoris  afflu- 
antes rivi  vicos  et  agros  miserandà  strage  inundarunt.  Yvelino  monas- 
terio  a  barbaris  occupato,  cum  sancta  Eusebia,  Deo  sacrât»  virgines 
novem  supra  triginta  sub  ejus  regimine  vitara  profltentes  monasticam, 
altis  praxoniis  Ghristi  nomen  efferent,  illico  in  odium  pise  confessionis 
et  glorificationis  trucidatœ,  receptis  repentinœ  Victoria?  pal  mis,  militia? 
cœlestis  cuneos  suû  accessione  ampliarunt.  Sacrae  martyrum  exuviaepostea 
a  Massiliensibus  Ghristi  nomen  ac  Yvelini  cœnobii  vindicantibus,  in  ur- 
bem  translatas  apud  Sancti  Victoris  cassianitarum  monachorum  pri- 
înariam  basilicam  collocatœ  sunt.  »  CassianUs  illustratus,  Guesnay, 
p.  724. 


—  Tôt  — 

vait  le  monastère  de  filles  que  gouvernait,  en  qualité  d'abbesse, 
sainte  Eusébie  (1).  »  Suit  le  récit  du  massacre. 

Quand  il  énumère  les  reliques  conservées  dans  les  cryptes 
de  Saint- Victor,  Guesnay  n'oublie  pas  celles  de  sainte  Eusébie 
et  de  ses  compagnes,  et  il  dit  à  ce  sujet  :  a  A  la  droite  de  cette 
chapelle  se  voit  un  tombeau  en  marbre.  C'est  là  que  reposent 
les  dépouilles  de  sainte  Eusébie,  jadis  abbesse  de  trente-neuf 
religieuses.  Elles  vivaient  dans  un  monastère  fondé  par  le 
bienheureux  Gassien,  à  deux  ou  trois  milles  de  Marseille,  et 
que  l'on  appelle  encore  Noire-Dame  d'Hu  veaune.  Exposées 
aux  fureurs  des  Sarrasins,  ces  vierges  préférèrent  la  mort  à  la 
perte  de  leur  virginité  (2).  » 

Dans  un  autre  ouvrage  intitulé:  Promnciœ  Massiliemis 
Annales,  imprimé  en  1657,  Guesnay  fixe  à  Tan  477  la  date 
du  martyre  de  sainte  Eusébie,  et  il  dit  :  «  Durant  la  persécu- 
tion que  Genséric  et  son  fils  Hunéric  suscitèrent  contre  les 
catholiques,  les  Vandales,  qui  couraient  les  mers  en  pirates, 
abordèrent  le  point  de  nos  rivages  où  l'Huveaune  se  jette 
dans  la  mer,  et  attaquèrent  le  monastère  des  filles  que  Cassien 
y  avait  fondé  et  qui  était  très  florissant.  Le  monastère  em- 
porté, les  barbares  n'ayant  pu  faire  apostasier  sainte  Eusébie, 


(1)  «  Nec  omittendum  hoc  loco  parthenium  cœnobium  Nostne  Domi- 
na de  Yvelino,  vulgo  de  Veaune,  a  Gassiano  fundatum  in  oppidano 
Massiliae  territorio,  cui  iidem  natales  fuerunt  qui  ipsi  monasterio  Sancti 
Victoris...  Descensione  factà  urbem  aggrediuntur.  Ingens  eo  loco 
vis  erat  populi,  portse  oppidi  clausae,  disposita  prœsidia,  tan  toque  ad 
repellendos  hostiles  conatus  labore,  assiduitate,  dimicatione  certatum 
est,  ut  ab  incolis  exclusi  barbari  et  ad  vicinos  circumquaque  agros  depo- 
pulabundos  diffusi,  Yvelini  fluminis  ostium  aditumque  subierint.  Ibi 
parthenium  cœnobium  in  quo  sancta  Ëusebia  novem  super  triginta 
monialium  religiosissimis  prseerat  antistita...  »  Cassianus  illustratus, 
p.  509. 

(2;  «  Ad  hujus  sacelli  dexteram  marmoreumque  sepulcrum  constitu- 
tum  est.  in  eoque  sancta)  Eusebiœ,  earumdem  novem  supra  triginta 
monialium  quondam  abbatissae  ossa  condita,  hœ  autem  omnes  cum  vitam 
agerent,  in  monasterio  ad  mare  olim  a  beato  Gassiano  excitato  duobus 
tantum  tribusve  milliaribus  Massilia  dissito,  quod  etiamnum  vulgari 
appellatione  B.  Virginis  de  Veaune  dicitur,  ne  a  Sarracenis  violarentur, 
mortem  oppetere  quam  virginitatem  Deo  dicatam  sibi  deperire  malue- 
runt.  »  Casëianus  Mu  stratus,  p.  475. 


—  258  - 

abbesse  du  cœnobium  et  ses  trente-neuf  compagnes,  ils  les 
massacrèrent  sans  pitié...  fl).  » 

A  un  autre  endroit  du  môme  ouvrage  Guesnay  parle  de 
sainte  Eusébie,  de  ses  trente-neuf  compagnes  et  c'est  tou- 
jours du  monastère  situé  sur  les  bords  de  THuveaune  qu'il 
s'agit  (2). 

Arthur  de  Monestier,  dans  le  Sacrum  Gynœceum,  imprimé 
en  1657,  place  au  30  décembre  la  fête  de  sainte  Eusébie  et  de 
ses  compagnes,  «  qui  vivaient  dans  un  monastère  situé  aux 
bords  de  l'Huveaune,  non  loin  de  Marseille  ».  Cet  auteur  cite 
à  la  fois  le  Cassianus  illustrât  us,  le  Martyrologium  galli- 
canum  et  Chifflet,  en  relatant  les  termes  de  ces  auteurs  (3). 

Le  Père  Lecointe,  dans  les  Annales  ecclesiastici  Francorum, 
imprimées  en  1667,  dit  a  qu'il  y  avait  à  Marseille  quatre 
monastères  fameux  :  celui  de  Saint- Victor. . .  celui  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune,  celui  de  Saint-Sauveur  et  celui  de  Saint- 
Cassien.  Guesnay  en  a  parlé  longuement  dans  son  Cassianus 
illustratus.  Le  premier  était  un  monastère  d'hommes,  le 
second  de  femmes  et  de  filles,  tous  deux  fondés  par  Cassien 
lui-même. . .  Celui  de  Notre-Dame  d'Huveaune  est  situé  dans 

(1)  «  Anuo  477.  Circa  excitatum  a  Genserico,  sive  Hunerico  filio  suo, 
catholicorum  persecutionem,  cum  Vandali  piraticam  agerent,  (orte  in 
eam  Provincial  Massiliensem  oram  appulsi,  in  quà  Yvelinus  fluvius  mare 
inflult,  parthenonem  quam  olim  Cassianus  ibi  florentissimam  cons- 
truxerat,  adoriuntar.  Capto  monasterio,  cumsanctamEusebiam  abbatis- 
sam,  Deoque  sacratas  virgines  novem  supra  triginta  sub  ejus  regimine 
vitam  profitentes  monasticam,  nullo  modo  potuissent  adduci  barbari, 
ut  Christum  negarent,  illico  trucidatae...  »  Guesnay,  Provenciœ  Afas- 
siliensis  Annales,  p.  186. 

(2)  t  Anno  450.  SanctaEusebia  virgo  et  martyr.— Cœnobium  parthenium 
Domina*  Nostrae  de  Yvelino,  vulgo  de  Veaune,  a  Cassiano  fundatum  in 
oppidano  Massiliae  territorio,  rexit  sancta  Eusebia...  quo  tempore  Provin- 
cia,  maritimae  regiones,  etc.  »  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Anna- 
les, p.  600. 

(3)  c  Apud  Veaunense  monasterium,  diœcesis  Massiliensis,  passio  sanc- 
tarum  Eusebise  et  sociarum  sanctimonialium  virginum,  quœ  mira  cons- 
tantiâ  pro  tuitione  castitatis  et  fidei  decertantes,  martyrii  palmam  repor- 
tarunt  ».  Sacrum  Gynœceum,  par  Arthur  de  Monestier;  30  déc.  Il  cite 
en  note  le  passage  de  Chifflet:  «  Cum  Sarraceni...  »,  le  passage  de 
Guesnay  :  «  ad  h  jus  sacelli  dexteram...»,  et  le  sens  de  ce  que  de 
Saussay  a  écrit  au  sujet  de  la  croix  de  saint  André,  ut  suprà. 


—  259  — 

le  terroir,  derrière  la  montagne  gui  est  à  l'opposé  du  monas- 
tère de  Saint- Victor,  là  où  l'Huveaune  se  jette  dans  la 
mer.  Il  a  passé  par  mille  épreuves  fâcheuses,  souvent  dé- 
truit, incendié. . .  C'est  à  la  suite  de  sa  dévastation  qui  remonte 
à  une  époque  antérieure  à  la  domination  des  Francs  dans  la 
Provence,  que  les  religieuses  bâtirent  celui  de  Saint-Sauveur, 
situé  dans  la  ville  elle-même  (1)  *. 

Avant  de  passer  à  d'autres  auteurs,  demandons-nous  ce  que 
vaut  le  témoignage  des  quatre  que  nous  venons  de  citer.  Ne 
nous  le  dissimulons  pas.  Leur  autorité,  parait- il,  est  fort 
contestable.  Feller,  dans  son  Dictionnaire  historique,  les 
accuse  tous  d'accepter  sans  trop  de  critiques  les  légendes  (2). 
Cependant,  puisqu'ils  sont  des  témoins  de  nos  traditions,  ne 
passons  pas  entièrement  sous  silence  leur  opinion.  Quel  fond 
est-il  donc  permis  de  faire  sur  leur  témoignage? 

Disons  d'abord  qu'ils  ne  sont  nullement  intéressés  à  donner 
à  la  question  qui  nous  occupe  une  solution  de  parti  pris.  A 
l'exception  de  Guesnay  qui,  lui,  est  Provençal,  le  martyre  de 
sainte Eusébie,  la  découverte  de  la  croix  de  saint  Andréa 
Marseille  ne  les  intéressent  qu'à  titre  de  chrétiens,  de  prêtres, 
de  religieux.  Ce  n'est  pas  une  question  où  l'amour  du  clocher 

(1)  «  Ad  Massiliam  enim  vel  in  ipsâ  civttate  tune  conspicièbantur 
quatuor  illustria  monasteria  :  Sancti  Victoria,  Nostrœ  Dominée  de 
Yvelino,  Sancti  Salvatoris,  et  Sancti  Cassiani,  de  quibus  Guesnay  (lib.  IL 
cap.  17,  25)  in  Cassiano  illustrato  prolixe  disserit.Primum  erat  virorum, 
alterum  puellarum;  cœnobia  Sancti  Victoria  etN.  D.  de  Yvelino  condita 
suut  ab  ipsomet Cassiano...  Prope  muros  stat  etiamnum  monasterium 
Sancti  Victoris...;  cœnobii  de  Yvelino,  siti  in  agro  suburbano  et  in  ea 
Rotundi  Montis  parte  quae  monasterio  Sancti  Victoris  aversa  in  occur- 
sum  patet,  ubi  Yvelinus  amnis  mari  Mediterraneo  immisceatur  sors  fuit 
longe  infelicior.  »  Père  Lecointe,  Annales  ecclesiastici  Francorumt 
t.  I,  n*  43,  ad  ann.  536. 

(2)  Chifflet  J.-J.  c  Si  Ton  retranchait  (dans  cette  histoire  de  Besançon) 
de  la  partie  civile  l'érudition  étrangère  et  de  la  partie  ecclésiastique 
les  fables  et  les  légendes,  son  in  4°  serait  bien  diminué.»  (Feïler,  Dic- 
tionnaire historique.)—  André  du  Saussay,  Afartyrologiumgallicanum^ 
«  dans  lequel  on  remarque  beaucoup  d'érudition,  mais  pas  assez  de  criti- 
que et  d'exactitude.»  (Feller,  op.  cit.).—  Guesnay,  J.-B.,  Annales  Pro- 
vincial Massiliensis  :  «  Ce  n'est  qu'une  compilation  mal  digérée  et  sans 
critique.»  —  Feller  se  borne  à  indiquer  le  S.  Joannes  Cassianus*  sans 
l'apprécier. 


—  260  — 

puisse  les  faire  abonder  dans  un  sens  plutôt  que  dans  un 
autre.  Pour  Guesnay  lui-même  la  solution  que  nous  préconi- 
sons,de  mettre  lecœnobium  cassianite  aux  bords  de  l'Huvea une, 
est  une  question  de  détail.  Si  ces  auteurs  donc  le  fixent  à  cet 
endroit,  c'est  qu'ils  le  savent  de  quelque  manière.  Et  où  ont- 
ils  puisé  ces  renseignements?  Incontestablement  dans  des 
documents  anciens  que  nous  n'avons  plus.  Guesnay  parle  de 
t  monumentis  publias  et  tabulis  veteribus  Massilise  reperies 
editi  instrumenti  anno  710  (1)  ».  Les  autres  auteurs  citent  des 
ouvrages  antiques.  Faut-il  supposer  que,  pour  le  plaisir  d'agré- 
menter leur  narration,  ils  ont  forgé  des  documents  ou  vu  dans 
ces  documents  autre  chose  que  ce  qu'il  y  avait.  Gela  n  est 
guère  possible. 

Les  fiollandistes,  qui  sont  venus  après  eux,  se  contentent  de 
les  citer  quand  il  s'agit  d'écrire  sur  sainte  Eusébie.  Et  nous 
irons,  nous,  les  accuser  de  faux  (2)  ?  D'ailleurs,  Mabillon  a 
traité  le  même  sujet  (ne  parlons  que  du  martyre  de  sainte 
Eusébie).  Or,  ou  bien  Mabillon  a  connu  les  écrits  de  ces 
auteurs  et  s'est  appuyé  sur  leurs  assertions,  alors  elles  sont 
exactes,  car  Mabillon  les  aurait  rejetées,  s'il  avait  eu  le 
moindre  soupçon  d'une  erreur  historique  ;  ou  bien  il  ne  les  a 
pas  connus,  et  n'a  pas  pu  se  servir  de  ce  qu'ils  contenaient. 
Dans  ce  cas,  puisque  Mabillon  et  ces  auteurs  arrivent  aux 
mêmes  conclusions,  puisque  pour  les  uns  et  les  autres  le 
monastère  cassianite  est  situé  aux  bords  de  l'Huveaune,  nous 
ne  voyons  pas  pourquoi  on  n'en  croirait  pas  ces  auteurs.  Ils 
ont  dit  la  vérité,  nous  en  avons  pour  garant  le  docte  Ma- 
billon (3). 

(1)  S.  Joannes  Cassianus  illustrât  us,  y.  409.  Nous  ne  savons  pas  à 
quel  document  Guesnay  fait  allusion,  à  moins  que  ce  ne  soit  à  la  charte 
10  du  cartulairu  de  Saint-Victor,  qui  date  non  pas  de  710,  mais  de  904. 

(2)  Dans  les  Acta  Sanctorum,  à  la  fête  de  sainte  Eusébie,  t.  V,  d'octo- 
bre, p.  292,  les  Bollandistes  rappellent  ce  que  ces  divers  auteurs  ont  écrit, 
sans  donner  aucune  appréciation  de  l'autorité  dont  ces  auteurs  jouis- 
sent. 

(3)  Nous  pourrions  ajouter  &  ces  auteurs  qui  sont  pour  nous  :  Antoine 
de  Ruffl,  le  père  de  M.  de  Ruffl.  Si  ce  dernier  est  contre  nous,  il  n'en  est 
pas  de  môme  du  père.  Nous  avons  cité  son  témoignage.  Or,  il  semble  que 
le  père  veuille   réfuter  à  l'avance  ce  que  son  fils  écrira  plus   tard  de 


>    . 


—  261  — 

Le  Père  Poirey  (François),  dans  la  Triple  Couronne  de  la 
Vierge  Marie  y  a  écrit  :  «  A  la  descente  de  cette  colline  de 
Notre-Dame  de  la  Garde,  Ton  trouve  Notre-Dame  de  la  Veaune, 
jadis  monastère  de  filles,  où  arriva  ce  fait  mémorable  des 
religieuses  qui,  à  l'abord  d'une  rage  barbaresque,  se  coupèrent 
le  nez  d'un  commun  accord,  pour  conserver  leurpudicité  (1).* 

L'Atlas  Marianus,  parlant  de  la  statue  miraculeuse  de 
Notre-Dame  de  la  Veaune,  s'exprime  en  ces  termes  (2)  :  a  Cette 


contraire  à  notre  opinion  :  t  Cette  tradition  (que  le  monastère  était  à 
l'Huveaune;  n'est  appuyée  sur  aucun  instrument,  ni  vieille  écriture,  mais 
se  trouve  fortifiée  par  plusieurs  conjectures  !...»  C'est  une  tradition 
d'abord,  et  elle  n'est  pas  dénuée  de  fondements. 

(1)  Triple  Couronne  de  Marie,  par  P.  Poirey,  nouvelle  édition  parles 
Pères  Bénédictins  deSolesmes,  traité  I,  ch.  12,  article  de  N.-D.  de  la  Se. 
t  Cet  ouvrage  fut  imprimé  à  Paris  en  1630,  puis  en  1633  et  1643  ;  il  eut 
beaucoup  de  succès.  Le  Père  Poirey  était  un  homme  pieux  et  instruit.» 
(Michaud,  Biographie  universelle,  Poirey.) 

(2)  tTemplum  hoc  extra  urbem  est,  et  vel  hodiè,si  pietas  adsit,beneflciis 
Virginis  clam  m.  Olim  miraculosam  fuisse  statuam  Virginis  inde  certum 
est.  Quod  ad  miraculum  pios  eflecerit,  rem  intellige,  lector,  quam  si 
semel  atque  iterum  alibi  factam  legisti,  frustra  in  libris  post  hâc  et 
initolabore  simile  exemplum  quaeres. 

c  Cœnobium  hic  sacratarum  Deo  virginum  fuit,  loco,  quum  nulla 
vicinorum  potentia  contra  malos  defendere  poterat.  lrruentibus  Barbaris, 
virginibus  cura  fuit,  quae  in  periculis  solis  fugae  nec  te  m  pus,  nec  locus 
amplius  erat,  sed  et  nemo,  qui  inermes  et  feminas  defenderet  ;  itaque 
ipsae  ad  gladios  plusquam  virili  fortitudine  respexerunt  ;  et  quia  gladium 
nec  unum  habebat  cœnobium,  brèves  cultros  singulœ  arripuerunt,  sua- 
dente  antistità  in  praeclarum  factum  suffecturos.  Illa,  postquam  ita  arma- 
Us  silentium  induxit  :  «  Vultus,  inquit,  nostri  suot,  quorum  décore  vir- 
c  gineo  periclitamur  :  hos  si  decoro  vulnere  devenustamus,  periculo 
t  defunctse  sumus,  aliud  enim  non  petunt,  qui  nobis  jam  imminent, 
«  hostes.  Audea rausl  Fluet  pulchro  de  vulnere  sanguis  virgineo  rubore, 
<  Virginis  placiturus  cui  non  jamdudum  devovimur.  Si  placet,  incipiam 
«  et  meo  exemplo  nutitantes  animabo.  » 

«  Simul  cum  dictofet  illœ  omnes  idem  se  facturas  clamarunt.  Et  illa, 
neqxiam  promissi  pœniteret,  nasum  sibi  prsecidit.  Quam  caetera;  om- 
nes tan  ta  promptitudine  secutae  sunt  ut  dubium  inter  multas  esse 
exstiterit,  quae  inter  omnes  primos  lanti  facti  honorem  meruerit.  Ita 
felici  hostium  contemptu  securse  periculo  se  capedierunt- 

«  I  nunc,  et  hoc  sine  Deiparae  miraculo  fie  ri  posse  puta. 

«  Caetera,  quae  ad  hanc  sanctam  iconem  (quae  forte  hodiè  non  supe- 
rest)  contigerunt  ad  me  non  pervenire,  atque  etiam  si  ad   me  pervenis- 


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—  262  - 

église  de  Notre-Dame  d'Huveaune  se  trouve  hors  de  Marseille 
et  aujourd'hui  encore  la  Sainte  Vierge  aime  à  récompenser  la 
piété  de  ceux  qui  viennent  l'y  vénérer.  Il  est  certain  que  la 
statue  de  cette  Vierge  peut  être  appelée  miraculeuse.  Voici  qui 
va  le  prouver  ;  on  trouvera  ce  fait  raconté  en  bien  des  livres, 
mais,  quant  à  savoir  s'il  a  été  accompli  une  seconde  fois,  c'est 
en  vain  qu'on  le  rechercherait. 

a  Là  s'élevait  jadis  un  monastère  de  vierges  consacrées  à 
Dieu,  Dans  le  voisinage  de  ce  cœnobium  personne  d'assez 
puissant  pour  protéger  contre  les  méchants  les  saintes  âmes 
qui  y  vivaient.  Or,  les  barbares  vinrent  un  jour  sur  cette  plage 
déserte.  Les  religieuses  ne  pouvaient  ni  fuir,  ni  se  défendre  ; 
mais,  avec  un  courage  plus  que  viril,  elles  essayèrent  cepen- 
dant de  lutter  à  leur  manière.  Il  n'y  avait  point  de  glaives,  ni 
d'armes  au  monastère.  Elles  saisissent  des  couteaux  et  se  pré- 
parent, sur  les  exhortations  de  leur  abbesse,  à  combattre  vail- 
lamment. A  ce  moment  terrible,  l'abbesse,  en  effet,  impose  le 
silence  et  s'écrie  :  «  Mes  ailes,  c'est  la  beauté  de  notre  visage 
a  qui  nous  met  en  péril.  Nos  ennemis  n'en  veulent  qu'à  elle. 
«  Défigurons-nous  et  nous  échapperons  au  danger  1  Courage  !  ! 
«  Nous  nous  sommes  consacrées  à  la  Vierge  Marie  !  Pour  lui 
a  plaire,  donnons- lui  notre  sang.  La  première,  je  vais  lui 
«  offrir  ce  sacrifice.  Suivez  mon  exemple.  » 

a  D'une  voix  unanime  elles  acceptent.  Et  pendant  que  l'hé- 
roïque abbesse  mutile  son  visage,  les  autres  l'imitent,  et  cela 
avec  une  joie,  un  enthousiasme  sans  pareils  et  une  telle  promp- 
titude, qu'on  ne  saurait  dire  qu'elle  fut  celle  de  ces  saintes 
victimes  qui  eut  plus  tôt  achevé  son  sacrifice.  Un  tel  mépris 
des  ennemis  de  leur  chasteté  les  mit  à  l'abri  du  péril  de 
succomber  au  mal. 

«  Jugez,  maintenant,  si  un  tel  acte  a  pu  s'accomplir  sans 
que  la  Vierge  Marie  y  soit  intervenue. 

a  Quant  à  ce  qui  a  trait  à  la  sainte  image  elle-même  (qui, 

sent,  hic  non  apponerem,  qualiacumque  demtim  essent,  quia  hoc  raritate 
suà  suffîcit  ut  credatur  Deiparse statua miraculosa.  »  Père  Poirey,  Triplex 
Corona,  tract.  I,  cap.  lî.  —  Allas  Marianus,  édit.  1672,  t.  II,  p.  3017, 
u.  1687-1137,  Imago  miraculosa  de  la  Veaune  Massiliœ  in  Gallia;  mo- 
nogramme :  Gaudeamus,  amici,  en  pura  Mater  in  alto. 


—  263  — 

peut-être  à  l'heure  actuelle  n'existe  plus(l)  je  ne  sais  rien. 
J'en  saurais  davantage  que  je  ne  l'écrirai  pas.  Le  fait  que  j'ai 
cité  suffit  pour  établir  que  la  Vierge  de  l'Huveaune  peut  être 
appelée  miraculeuse.» 

Nous  lisons  dans  Honoré  Bouche,  Histoire  de  Provence, 
qu'il  y  avait  à  Saint-Victor  «  les  ossements  de  quelques 
saintes  religieuses  du  monastère  d'Uveaulne  qui  souffrirent  le 
martyre  par  les  infidèles  ».  Autre  part  :  «  Le  monastère  des 
religieuses  d'Uveaune,  proche  de  Marseille,  fut  entièrement 
détruit  par  ces  barbares  (2).  » 

M.  le  chanoine  Magnan,  qui  a  écrit  jadis  une  Notice  sur  la 
Croix  de  saint  André ,  a  soutenu  notre  opinion.  Après  avoir 
cité  le  dire  de  Grosson,  de  Lefournier  et  de  quelques  autres 
auteurs  plus  récents,  lesquels  plaçaient  le  monastère  de  sainte 
Eusébie  au  bassin  du  Carénage  ou  sur  le  quai  de  Rive-Neuve,* 
il  ajoute  :  «  D'où  vient  que  les  auteurs  les  plus  dignes  de  foi 
assurent  que  ce  monastère  était  aux  environs  de  Marseille 
et  à  la  campagne:  «  in  agro  Massiliensi»  ?...  Mais  notre 
but  n'est  pas  de  prouver  ici  que  le  monastère  de  sainte 
Eusébie  était  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Une  question  si 
importante  et  si  difficile  demanderait  des  développements 
plus  étendus.  Nous  voulons  montrer  seulement  que  cette 
opinion  peut  être  encore  soutenue  (3).  »  Dans  sa  Notice  sur 
sainte  Eusébie,  le  même  écrivain  dit  catégoriquement  que 
ce  fut  sur  les  bords  de  l'Huveaune  que  saint  Cassien  fonda  le 
monastère  des  filles  et  que  vécut  et  mourut  sainte  Eusébie  (4). 

Enfin,  dans  V Histoire  d'Urbain  V,  le  même  auteur  écrit 
encore  :  «  Cassien  fonda  à  Marseille  deux  monastères,  l'un 
pour  les  hommes  sur  le  tombeau  de  saint  Victor,  l'autre  pour 
les  femmes  sur  les  rives  de  l'Huveaune  (5).  » 


(1)  Nous  dirons,  dans  un  chapitre  suivant,   que  la   sainte  image  de 
N.-D,  d'Huveaune  existe  encore. 

(2)  H.  Bouche,   Chorographie  et  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp. 
332,  565. 

(3)  L'abbé  Magnan,  Notice  sur  la  Croix  de  saint  André,  p.  16. 

(4)  Notice  sur  sainte  Eusébie,  publiée  dans   la  Semaine  liturgique, 
1—  année,  p.  732,  et  dans  le  Conseiller  catholique,  en  1851. 

(5)  Vie  du  pape  Urbain  V,  p.  252. 


CHAPITRE  II 

Le  Propre  de  Marseille 
Leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie 

LEÇONS    DU    PROPRE    DE    MARSEILLE.  —    AUTEUR    DE    CBS    LEÇONS.  — 

MONSEIGNEUR  DE  BBLSUNCE    SE  TIENT  DANS  UNE  SAGE  RÉSERVE;  

MAIS,  N'ACCEPTANT  PAS  CATÉGORIQUEMENT  L'OPINION  DE  RUFFI,  IL 
EST  POUR  NOUS.  —  LES  TERMES  DONT  IL  SB  SERT  SE  LISENT  DANS 
LES  AUTEURS  QUI  NOUS  SONT  FAVORABLES.  —  DANS  «  L' ANTIQUITÉ 
DK  L'ÉGLISE  DE  MARSEILLE  »,  IL  N'EST  PAS  CONTRE  NOUS. 

On  connaît  le  texte  des  leçons  du  II0  nocturne  de  l'office  de 
sainte  Eusébie.  Nous  le  trouvons  dans  le  Propre  de  Marseille, 
à  la  date  du  11  octobre  (1).  En  voici  la  traduction  que  nous 
empruntons  à  l'ouvrage  de  M.  Rey  :  Les  Saints  de  V Eglise 
de  Marseille  (2)  :    • 

«  La  vierge  Eusébie,  d'une  grande  piété,  gouvernait  le  mo- 
nastère de  religieuses  que   le   bienheureux  Cassien   fonda 

(1)  «  Lectio  IV.  —  Eusebia,  virgo,  insigni  pietate  illustris,  sacrarum 
virginum  monasterio  praef uit,  quod  olira  beatus  Gassianus ,  in  agro 
Massiliensi,  non  procul  a  Sancti  Victoris  templo,  exstruxerat.  Irruenti- 
bus  in  monasterium  infidelibus,  sacras  virgines,  de  vità  retinendà,  uni- 
nusquam  de  pudore  servando  sollicitas,  hortatur  Eusebia  nasum  sibi 
praecidant,  ut  cruento  spectaculo  barbarorum  accendatur  feritas,  libido- 
que  exstinguatur.  Quod  cum  incredibili  animi  alacritate  et  ipsa  et  csete- 
rse  omnes  prœstitissent,  barbari  p  ri  mu  m  rei  novitate  attoniti,  tune 
furore  percitt,  eas  numéro  quadraginta  Christum  mira  constantià  confi- 
tentes  immaniter  trucidarunt. 

«  Lectio  V.  —  Earum  ossa  in  subterraneo  Sancti  Victoris  templo  con- 
dila,  veneratione  religiosa  coluntur.  Certissimà  constat  traditione,  in 
earumdem  monasterio  quod  intra  Massiliœ  muros  translatum,  sub 
Sancti  Salvatoris  nomine  diu  floruit,  olim  moris  fuisse  ut  quotiescum- 
que  virgo  aliqua,  vel  ad  ponendum  vit»  cœnobiticae  tirocinium,  vel  ad 
vota  emitlenda  admitterentur,  abbatissse  Eusebia?  sociarumque  marty- 
rium  il l i  sacerdos  velut  maximun  constantiae  incitamentum  in  memoriam 
revocaret.  » 

(2)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  227. 


—  265  — 

autrefois  dans  le  terroir  de  Marseille  non  loin  de  l'église  de 
Saint-Victor.  Les  infidèles  faisant  irruption  dans  le  monastère, 
et  les  vierges  sacrées  ayant  plus  à  souci  la  conservation 
de  leur  pureté  que  de  leur  vie,  Eusébie  les  exhorta  à  se 
couper  le  nez,  afin  d'irriter  par  ce  spectacle  sanglant  la  fureur 
des  barbares  et  d'éteindre  leurs  passions.  Avec  une  incroya- 
ble ardeur,  elle-même  et  toutes  ses  compagnes  accomplirent 
cet  acte  ;  les  barbares,  étonnés  d'abord  par  la  nouveauté, 
mais  remplis  de  fureur,  les  massacrèrent  impitoyablement 
au  nombre  de  quarante,  tandis  qu'elles  confessaient  le  Christ  * 
avec  une  admirable  constance. 

a  Leurs  ossements,  déposés  dans  l'église  souterraine  de  Saint- 
Victor,  y  sont  honorés  religieusement.  Il  est  de  tradition 
dans  leur  monastère,  qui,  transféré  dans  les  murs  de  la  ville, 
y  a  fleuri  longtemps  sous  le  titre  de  Saint-Sauveur,  qu'au- 
trefois, quand  une  vierge  était  admise  à  entrer  au  noviciat  ou 
à  faire  ses  vœux,  ce  prêtre  lui  rappelait  le  martyre  de  l'ab- 
besse  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  comme  un  grand  exem- 
ple de  fermeté.  » 

Peut-on,  ce  contexte  à  la  main,  condamner  notre  thèse,  et 
partant  avons-nous  à  craindre  d'être  en  contradiction  avec  le 
croyance  et  la  tradition  de  l'Eglise  de  Marseille  en  la  formu- 
lant ?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Les  leçons  du  Propre  de  Mar- 
seille, dans  l'office  de  sainte  Eusébie,  ne  sont  pas  contre  notre 
opinion.  Au  contraire  elles  lui  sont  plus  que  favorables.  Voici 
la  partie  du  texte  latin  sur  lequel  nous  argumentons  :  «  Euse- 
bia  virgo,  insigni  pietate  illustris,  sacrarum  virginum  monas - 
terio  praefuit,  quod  olim  beatus  Cassianus,  in  agro  Massiliensl 
non  procul  a  Sancti  Victoris  templo,  exstruxerat » 

Quel  est  le  sens  précis  de  ces  mots  :  «  in  agro  Massiliensi, 
non  procul  a  Sancti  Victoris  templo  »  ?  Pour  le  savoir,  lâchons 
de  connaître  l'opinion,  sur  ce  point,  du  rédacteur  de  ces 
leçons  ? 

C'est  M,r  de  Belsunce  qui  a  composé  cette  partie  de  l'office. 
Il  l'avoue  dans  une  lettre,  adressée  à  son  chapitre,  le  9  juillet 
1733  :  «  Moi- même,  dit-il,  n'ai- je  pas  donné  la  leçon  de 
sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes  (1)  ?  »  A  aucune  époque 

(1)  Dom  Berengier,  Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  X.  II;  p.  149; 


—  266  - 

avant  lui,  pas  plus  dans  le  Propre  de  Marseille  que  dans  celui 
de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  il  n'est  fait  mention  de  notre 
sainte  martyre  (1).  Ces  leçons,  composées  en  1733,  devinrent 
obligatoires  dans  la  récitation  de  l'office  divin  dès  la  fin  de  la 
même  année,  en  vertu  d'un  décret  de  l'Ordinaire,  en  date  du 
27  mai  1733  (2),  puis  insérées  dans  l'édition  nouvelle  du  Pro- 
pre que  fit  imprimer  le  même  prélat,  probablement  celle  de 
1735(3). 

Or,  M*r  de  Belsunce  a-t-il,  dans  ces  leçons,  donné  une  opi- 
nion très  précise,  bien  arrêtée  sur  l'endroit  où  se  trouvait  le 
cœnobium  qu'babitait  sainte  Eusébie,  et  partant  est-il  opposé 
à  notre  thèse  ?  Nullement.  Ce  prélat,  en  efiet,  n'ignorait 
pas  que  cette  question  était  bien  discutée  parmi  les  auteurs. 
S'il  lisait  de  Ruffl  dans  l'édition  que  cet  auteur  donnait,  en 
1695,  de  Y  Histoire  de  Marseille,  il  y  voyait  soutenir  que  le 
monastère  des  filles  cassianites  s'élevait  auprès  de  Saint- Vic- 
tor (4).  Dans  le  Cassianus  il  lustrât  us ,  et  les  Provinciœ 
Massiliensis  Annales  de  Guesnay,  il  trouvait  l'opinion 
contraire  :  que  ce  cœnobium  était  sur  les  bords  de  l'Huveau- 
ne(5).  Bien  plus,  en  étudiant  davantage  cette  question,  il 
voyait  que  lorsqu'il  s'agissait  de  savoir  quels  étaient  les 
auteurs  du  massacre  de  ces  saintes  vierges,  pendant  que 
Ruffi  désignait  les  Normands,  il  lisait  encore  dans  Guesnay 
que  c'étaient  les  Vandales  à  un  endroit  de  cet  ouvrage,  et  les 


(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  238.  —  Les  Invasions  des 
Sarrasins  en  Provence,  par  G.  de  Rey,  p.  401.  —  Les  éditions  des  Offi- 
cia propria  Sanctorum  MassiHensis  Ecclesiœ  de  1662,  1692,  1732,  ne 
contiennent  rien  au  sujet  de  sainte  Eusébie.  Les  Officia  propria  venera- 
bilis  Monasterii  Sancti  Victoria  Mossiliœ,  de  1672,  n'ont  rien  non 
plus. 

(2)  Acta  Sanctowm  Bolland.,  sainte  Eusébie,  8  octobre,  t.  IV,  d'oc- 
tobre, p.  292.  —  Ex  decreto  die  XXVII  maii  1733. 

(3)  Un  exemplaire  des  Officia  propria  Ecclesiœ  Massiliensis,  posté- 
rieur à  1732  et  édité  chez  veuve  Brébion,  conservé  à  la  bibliothèque  de 
Marseille,  contient  ces  leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie. 

(4)  Voir  le  chapitre  :  Les  auteurs  contraires  à  notre  opinion,  de  ce 
présent  ouvrage. 

(5)  Voir  le  chapitre  :  Les  auteurs  favorables  à  notre  thèse,  de  ce  pré- 
sent ouvrage. 


•    t 


(1)  Et  les  deux  Ruffl  disaient  cependant  qu'il  était  de  tradition  que 
c'étaient  les  Sarrasins.  Guesnay,  dans  le  môme  paragraphe,  nommait 
les  Sarrasins  et  les  Vandales. 

(2)  Monographie  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille,  par  M. 
Grinda,  dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  année  1888,  n°  345. 

(3)  Voir  les  leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie. 

(4)  V  «  ager  Massiliensis  »  comprenait  :  Arcoulens,  Saint-Tronc, 
Plombières,  Sarturanum,  Saint-Giniez.  (Cartulaire  de  Saint- Victor,  pré- 
face, p.  LXI.)  —  Mortreuil,  Dictionnaire  topographique,  au  mot  Mar- 
seille, p.  216. 


*$ 


—  267  — 

Sarrasins  à  un  autre  (1),  et  dans  Chifflet,  duSaussay,  le  Père 
Lecointe  que  c'étaient  les  Sarrasins.  La  divergence  la  plus 
grande,  en  un  mot,  parmi  les  auteurs. 

Tous  étaient  d'accord  sur  le  fond  de  la  question,  à  savoir  : 
que  sainte  Eusébie  avait  été  martyrisée  avec  ses  compagnes  ; 
mais,  quant  aux  détails,  chacun  avait  une  idée  différente. 
Que  devait  faire  M"  de  Belsunce  ?  Ne  prendre  parti  ni  pour 
une  opinion,  ni  pour  une  autre,  afin  de  ne  pas  exposer  la 
liturgie  sacrée  aux  attaques  de  la  critique.  Conservant  donc 
le  fond  de  cette  tradition  locale,  il  se  tint,  par  rapport  aux 
détails,  dans  un  juste  milieu.  Pour  indiquer  les  auteurs  du 
massacre,  il  se  servit  des  termes  d'  «  infidelibus,  barbaroruin, 
barbari  »,  expressions  qui,  à  la  rigueur,  peuvent  s'appliquer 
aussi  bien  aux  Vandales  qu'aux  Sarrasins  et  aux  Nor- 
mands (2).  Pour  désigner  l'endroit  où  se  trouvait  le  cœno- 
bium,  il  choisit  une  locution  d'une  acception  très  large  et 
que  les  partisans  de  Tune  et  de  l'autre  opinion  pourraient 
tirer  à  eux  :  «  in  agro  Massiliensi,  non  procul  a  Sancti  Victo- 
ris  templo  (3).  » 

En  effet,  de  quelque  opinion  que  Ton  soit,  on  peut  inter- 
préter dans  son  propre  sens  ces  termes  de  la  leçon.  Si  l'on 
soutient  que  le  monastère  est  à  l'Huveaune,  on  se  trouve  dans 
Y  «  ager  Massiliensis  (4)  »  et  a  non  procul  a  Sancti  Victoris 
templo  »,  car  il  y  a  à  peine  une  heure  de  marche  entre  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune  et  l'abbaye  de  Saint-Victor,  et 
1  «  ager  Massiliensis  »  comprenait  ce  que  nous  appellerions 
la  banlieue  de  Marseille .  Si  l'on  préfère  placer  le  monastère 
près  du  port,  on  se  trouve  encore  non  loin  de  Saint- Victor, 


-y 


•  •  »i 


—  268  — 

et  dans  P  «  ager  Massiliensis  »,  puisque  le  quartier  de 
Saint- Victor  ne  se  trouvait  pas,  au  *V"  siècle,  dans  l'en- 
ceinte de  la  ville.  On  le  voit,  en  s'exprimant  de  la  sorte, 
l'écrivain  se  tenait  dans  une  réserve  sage  et  prudente.  Il  ne 
contredisait  pas  son  ami  de  Rufû,  qui  ne  voulait  pas  entendre 
parler  d'un  monastère  aux  bords  de  l'Huveaune  et  surtout  il 
n'exposait  pas  une  partie  de  l'office  divin  aux  critiques  sacri- 
lèges des  dénicheurs  de  saints,  Launoy  et  ses  successeurs. 

Mais  cependant  il  est  facile  de  s'apercevoir  que  M,r  de  Bel- 
sunce embrasse  plutôt  l'opinion  contraire,  la  nôtre.  S'il  avait 
été  de  l'opinion  de  Ruffi,  il  l'aurait  dit  en  propres  termes,  sans 
avoir  à  craindre  de  le  contrarier.  En  admettant  qu'il  n'ait  pas 
voulu  se  prononcer  catégoriquement  en  faveur  de  cette  opinion 
de  Ruffi,  il  aurait  du  moins  fait  entendre  qu'il  penchait  de  ce 
côlé.  Or,  les  termes  qu'il  a  employés  ne  sauraient  indiquer 
ni  qu'il  accepte  l'opinion  de  Ruffi,  ni  même  faire  supposer 
qu'il  la  croit  acceptable.  Pour  désigner  clairement  que  le 
monastère  était  près  du  port,  il  y  avait  des  termes  tout  trou- 
vés :  ceux  de  la  charte  40  du  XI*  siècle  :  a  non  longe  a  ripa 
porti  »,  ceux  des  chartes  de  1431  et  1446  :  «  o'iim  sibi  vici- 
num  (1)  »  ;  et  tant  d'autres  que  le  cartulaire  aurait  suggérés. 
Mais  jamais,  il  ne  serait  venu  à  l'esprit  de  l'évéque  écrivain 
de  se  servir  des  mots  «  in  agro  Massiliensi  »  pour  désigner  la 
rive  du  port.  Les  termes  employés  sont  trop  vagues,  pas  assez 
précis.  Donc,  Mgr  de  Belsunce  n'accepte  pas  l'opinion  de 
Ruffi. 

Ces  termes  ne  font  pas  môme  pressentir  qu'il  croit  accep- 
table l'opinion  de  Ruffi.  S'il  n'avait  écrit  que  a  non  procul  a 
Sancti  Victoris  templo  »,  on  aurait  pu  y  découvrir  une  insi- 
nuation, en  faveur  de  Popinion  de  cet  historien  ;  et,  comme 
ce  terme  était  encore  bien  vague,  on  aurait  pu  le  faire  accep*- 
ter  par  les  tenants  de  l'opinion  adverse.  Mais,  à  côté  de  ces 
mots,  il  y  a  «  in  agro  Massiliensi  »  ;  et,  comme  nous  le 
disions  il  y  a  un  instant,  qui  jamais  a  désigné  la  rive  du  port 
par  ces  mots  :  «  in  agro  Massiliensi  »  ?  M'r  de  Belsunce  donc 


(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  40.—  Chartes  de  1431,  1446.  — 
Voir  plus  haut  le  chapitre  :  Les  chartes  de  W34  et  ihfà. 


"  .•'  Vf 


-  269  - 

ne  patronne  pas  l'opinion  de  Ruffi.  Au  contraire.  Les  termes 
dont  il  se  sert  étant  favorables  à  notre  opinion,  on  peut  dire 
qu'il  penche  de  notre  côté. 

La  source  à  laquelle  puise  l'écrivain  l'indique  amplement 
encore.  Dans  son  ouvrage  V Antiquité  de  VEgtise  de  Mar- 
seille, à  l'endroit  où  il  parle  du  martyre  de  sainte  Eusébie, 
quel  est  l'auteur  que  M"  de  Belsunce  cite,  qu'il  traduit,  qu'il 
suit?  Mabillon(l).  Or,  celui-ci,  on  le  sait,  place  le  monas- 
tère à  l'Huveaune  et  il  se  sert  du  mot  a  propre  Massiliam  », 
pour  désigner  cet  emplacement.  Mgr  de  Belsunce,  lui,  emploie 
dans  la  leçon  l'expression  :  «  in  agro  Massiliensi  »,  qui  dit  la 
même  chose.  De  plus,  cette  locution  a  in  agro  Massiliensi  » 
se  lit  à  la  fois  dans  Chifflet.  dans  de  Saussay,  dans  Arthur  de 
Monestier,  dans  le  Père  Lecointe  et  dans  Guesnay  (2)  Or,  ces 
auteurs  placent  le  cœnobium  à  l'Huveaune.  Gomme  Mgr  de 
Belsunce  avait  ces  ouvrages  sous  la  main  et  que  les  expres- 
sions de  ces  ouvrages  se  retrouvent  dans  la  leçon  qu'il  a  com- 
posée, on  peut  en  insérer  qu'il  a  puisé  à  ces  ouvrages.  Seule, 
la  locution  «  non  procul  a  Sancti  Victoris  templo  »  ne  se  lit 
pas  chez  ces  auteurs,  mais  il  y  a  l'expression  toute  synonyme  : 
éloigné  d'à  peine  deux  ou  trois  milles  de  Marseille  (3).  Donc 
c'est  là  encore  que  M8r  de  Belsunce  a  puisé.  Donc  il  accepte 
plutôt  notre  opinion  qu'il  ne  la  rejette. 

Qu'il  en  soit  encore  ainsi,  l'ouvrage  même  de  M|r  de  Bel- 
sunce, cité  tantôt,  Y  Antiquité  de  V  Eglise  de  Marseille,  le 
démontre.  A  vrai  dire,  on  s'attendrait  à  trouver  dans  cet  écrit 
postérieur  aux  leçons  de  l'office  de  sainte  Eusébie,  car  les  deux 
premiers  volumes  parurent  en  1747  (4),  une  affirmation  caté- 


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(1)  V Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille  par  Mgr  de  Belsuuce,  t.  I, 
p.  290. 

(2)  Chifflet  :  c  Crucem  sancti  Andrœae  collocataih  censemus  in  agri 
Massiliensis  monasterio  de  Uveaune  ».  —  Arthur  de  Monestier:  «  In 
agri  Massiliensis  prœfato  sanctimonialium  monasterio  de  Uveaune  ». 
De  Saussay  :  «  In  agro  Massiliensi  deposita  apud  Veaunenses  virgines  ». 
Père  Lecointe  :  «  Siti  in  agro  suburbano  Massilise  ». 

(3)  «  Ad  mare  olim  a  B.  Cassiano  excitato  duobus  vel  tribus  tantum  a 
Massilia  miliaribus  dissito.  »  Arthur  de  Monestier,  Chifflet. 

(4)  Dom  Bérengier,  Vie  de  Monseigneur  ore  Belsunce,  t.  II,  p.  182; 

18 


—  270  — 

gorique  sur  la  question  qui  nous  occupe.  Or,  voici  cependant 
en  quels  termes  le  prélat  consigne  dans  cet  ouvrage  son  opi- 
nion sur  ce  point  :  a  Cassien,  dit-il,  établit  dans  une  forêt 
qui  aboutissait  au  port  de  Marseille  deux  monastères.  Le  pre- 
mier fut  la  fameuse  abbaye  de  Saint- Victor.  Le  second  monas- 
tère, qui  fut  habité  par  des  religieuses,  n'était  pas  éloigné  du 
premier.  »  —  a  Le  monastère  de  filles  établi  par  saint  Cas- 
Bien,  auprès  de  celui  de  Saint-Victor. . .  »  —  a  Le  monastère 
de  sainte  Eusébie,  qui  portait  alors  le  nom  de  Sanctus  Cyri- 
ctus  ou  Ceris,  était  hors  de  la  ville  et  assez  peu  éloigné  du 
port.  »  —  a  Le  monastère  des  religieuses  fondé  par  saint  Cas- 
sien,  près  de  Marseille  (1).  »  On  le  voit,  c'est  assez  sobre  d'in- 
dications topographiques. 

Or,  pourquoi  révoque-écrivain,  composant  un  ouvrage  pu- 
rement historique,  et  partant  tenu  à  moins  de  réserve  que 
lorsqu'il  rédigeait  les  leçons  de  l'office,  n'a-t-il  pas  fait 
connaître  davantage  sa  pensée  ?  A  notre  avis,  c'a  été  de  la 
part  de  M"  de  Belsunce  un  acte  d'admirable  délicatesse  et  de 
prudence  consommée.  Il  ne  voulait  pas  d'abord,  après  s'être 
tenu  dans  un  juste  milieu  dans  la  rédaction  des  leçons  du 
Propre,  avoir  Pair  de  reprendre  ses  franches  coudées  dans  un 
ouvrage  de  science  purement  humaine.  Un  tel  procédé  aurait 
certainement  attiré  sur  son  opinion  des  attaques  qui  forcé- 
ment auraient  atteint  les  leçons  de  l'office.  On  lui  aurait  repro- 
ché de  ne  donner  aux  fidèles  qu'une  vérité  diminuée,  des 
assertions  timides,  et  de  réserver  à  un  écrit  profane  toute  son 
érudition.  Il  y  avait  une  autre  raison,  nous  semble-t-il.  On 
sait  que  Ruffi  est  catégoriquement  opposé  à  l'existence  d'un 
monastère  cassianite  à  PHuveaune.  Il  n'en  veut  à  aucun  prix. 
Or,  émettre  une  opinion  diamétralement  opposée  et  la  prou- 
ver, c'était  attaquer  à  fond  M.  de  Ruffi.  Or,  M«r  de  Belsunce 
entretenait  avec  cet  auteur  des  relations  épistolaires  assez 
agréables.  De  plus,  il  s'était  aidé,  dans  son  travail,  d'un  ma- 
nuscrit de  M.  de  Ruffi  lui-même  sur  les  évoques  de  Mar- 
seille (2).  Enfin,  comme  à  une  époque  il  avait  appris  que 

(1)  L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  pp.  101,  258,  290,  410. 

(2)  Dans  le  mandement  par  lequel  Mgr  de  Belsunce  annonçait  à  son 
peuple  la  prochaine  publication  de  son  ouvrage,  il  écrivait  :  «  Un  ma- 


-  271  — 

M.  de  Ruffi  allait  écrire  une  critique  de  la  Chronologie  de 
des  Evêque8  de  Marseille  donnée  par  le  Père  de  Saint  Alban 
en  1713,  dans  son  Calendrier  spirituel;  le  digne  évêque 
essaya  de  l'en  dissuader,  et  le  pria  de  n'être  point  trop  sévère. 
M.  de  Ruffi  s'empressa  de  rassurer  son  évêque  (1).  Eùt-t-il 
été  délicat  de  la  part  de  Mgr  de  Belsunce  de  venir,  quelques 
années  plus  tard,  alors  que  M.  de  Ruffi  n'était  plus,  attaquer 
à  fond  les  assertions  de  cet  historien  ?  Il  se  contenta  donc 
encore  d'une  sage  réserve  et  d'un  juste  milieu.  Mais  la  preuve 
en  notre  faveur,  c'est  qu'il  ne  se  range  pas  à  l'avis  de  Ruffi 
d'une  manière  catégorique ,  puisque  les  locutions  «  près  de 
Marseille  ;  hors  de  la  ville  ;  assez  peu  éloigné  du  port  ;  n'était 
pas  éloigné  du  premier  (de  celui  de  Saint-Victor)  n  sont  d'une 
signification  très  large,  pouvant  être  acceptées  aussi  bien  par 
les  tenants  d'une  opinion  que  par  les  tenants  de  l'autre. 

Ainsi  Mgr  de  Belsunce  n'est  pas  contre  nous  dans  Y  Anti- 
quité de  V Eglise  de  Marseille.  Il  l'est  bien  moins  encore 
dans  les  leçons  qu'il  a  rédigées  pour  l'office  de  sainte  Eusébie. 
Donc,  nous  ne  nous  heurtons  pas  de  front  à  la  tradition  de 
l'Eglise  de  Marseille.  Que  dis-je?  elle  nous  est  plutôt  favo- 
rable. Et  c'est  déjà  quelque  chose  !  ! 

• 

nuscrît  de  feu  M.  de  Rufti  le  fils,  que  M.  d'Artigues,  son  gendre,  a  bien 
voulu  nous  communiquer,  nous  a  été  aussi  d'un  grand  secours.  »  Man- 
dement du  15  août  1741.  (Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  par  Dom 
Bérengier,  t.  II,  p.  181.) 

(1)  Dom  Bérengier,   Vie  de  Monseigneur  de  Belsunce,  t.  I,  p.  139  et 
suiv. 


CHAPITRE  III 

La  Oroix  de  saint  André  cachée  à  l'Abbaye 

cassianite  de  l'Huveaune 

TEXTES  DE  CHIPPLET,  DE  DU  SAUSSAY,  D'ARTHUR  DE  MONESTIER.  —  LÀ, 
CROIX  DE  SAINT  ANDRÉ  TROUVEE  A  MARSEILLE,  A  NOTRE  ÉPOQUE;  ELLE 
Y  ÉTAIT  DEJA  EN  1494.  —  ELLE  Y  ÉTAIT  AU  XIII*  SIÈCLE.  BAS-RELIEF 
DE  HUGUES  DE  GLASINJS.—  ELLE  N*EST  PAS  ARRIVÉE  A  MARSEILLE 
SEULEMENT  A  L'ÉPOQUE  DES  CROISADES,  LORS  DE  LA  PRISE  DE 
CONSTANT1NOPLE,  EN  1198.—  CETTE  CROIX  N'ÉTAIT  A  CONSTANTI- 
NOPLE,  NI  AU  VIe,  NI  AU  IV°  SIÈCLE.  —  NI  MÊME  A  PATRAS  AU  IVe 
SIÈCLE.  —  SAINT  RÉGULFUS. 

Nous  trouvons  dans  Chifflet,  du  Saussay  et  Arthur  de  Mo- 
nestier  une  preuve  nouvelle  de  l'existence  sur  les  bords  de 
l'Huveaune  du  monastère  cassianite  de  vierges  dans  lequel 
vécut  et  mourut  sainte  Eusébie  (1). 
Voici  ce  qu'on  lit  dans  Jean-Jacques  Chifflet  (2)  : 
a  Les  Burgundes  devenus  chrétiens  placèrent  surleursensei- 
gnes  militaires  une  croix  au  lieu  d'un  dragon.  Un  grand  nom- 
Ci)  On  trouvera  peut-être  que  c'est  beaucoup  de  trois  chapitres  pour 
traiter  la  question  de  la  croix  de  saint  André  à  Marseille,  par  rapport  au 
sujet  qui  nous  occupe,  l'endroit  où  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée.  C'est 
vrai.  Nous  avons  cru  cependant  bien  faire  en  donnant  quelque  dévelop- 
pement à  ce  point  de  notre,  histoire  religieuse  locale.  Il  nous  a  semblé 
que  notre  travail  y  gagnerait  en  utilité  pratique.  Ajoutons  encore  cepen-» 
dant  que  cette  étude  est  forcément  incomplète.  Il  est  bien  d'autres  argu- 
ments, en  effet,  que  l'on  pourrait  produire  si  l'on  voulait  établir  d'une 
manière  plus  précise  que  l'Eglise  de  Marseille  possède  vraiment  la  croix 
de  saint  André. 

(2)  Vesuntio  vivitas  imperiali8t  libéra  Sequanoi'um  metropolis,  par 
J.-J.  Chifflet,  p.  199,  etc.: 

t  Christian»  fidei  lumine  illustrât!  Burgundiones  ex  draconnariis  facti 
sunt  cru  ci  fer  i.  Ëxstantenim  permulti  apud  nostrates  rerum  Burgundiaca- 
rum  commentarii  galliéè  conscripli,  in  quibus  Stephanus  quidem  Bur- 
gundiae  rex  dicitur,  crucem  saucti  Andrseœ  pro  vexillo  militari  sibi  ar 


—  273  — 

bve  d'auteurs  qui  ont  écrit  de  notre  temps  sur  les  faits  et  ges- 
tes des  Burgundes  rapportent  qu'un  certain  Etienne,  roi  de 
Burgundie,  avait  le  premier  fait  représenter  une  croix  de  saint 
André  sur  ses  drapeaux.  Cette  croix  il  l'avait  apportée  d'Achaïe 
et  déposée  à  Marseille.  Cet  Etienne,  aucun  roi  de  Bourgogne 
ne  s'appelant  de  ce  nom,  n'est  pas  autre,  à  notre  avis,  que 
Gundioc,  roi  des  Bourguignons,  qui,  devenu  catholique,  prit  ce 

suisprimus  accepisse,eamque  ex  Achalà  déporta  ta  m,  Massiliao  collpcasse. 
Stephanum  hune  (quia  nullus  hujus  nominis  exstatin  probatis  Burgundiœ 
chronicis)  non  alium  esse  suspicor  a  Gundioco  Burgundiarum  rege,  qui 
quondam  cecidisse  in  pugnâdicitur,cum  jam  catholicus  adversus  Attilam 
pro  romano  imperatore  dimicaret,  opinor  eum  Stephanum  in  baptismo 
vocatum,  qui  tamen  ab  illius  sévi  scriptoribus  Gundiocus  semper  dictas 

fuit 

c Eara  vero  crucem,  Paradinus  (De  Aniiq.  Statu  Buvfjond.,ad 

ann.  éW)  dicit  a  Stephano  rege  in  Sancti  Victoria  massiliensem  basili- 
cam  (in  qu&  nunc  habetur)  illatam  ;  nos  ex  certioribus  monumentîs  collo- 
catam  censemus  in  agri  Massiliensis  cœnobio  sanctirnonialium  de  Uveau- 
ne  ad  littus  maris,  altero  circiter  a  Massilia  milliario,  quâ  vero  parte  ad 
Sanctum  Victorem  devenerit,  habesic  ex  Massiliensium  commentariis. 

€  Cum  Sarraceni  Catalauniae  incolœ  Provinciam  devastarent,  moniales 
dicti  monasteriide  Uveaune,  B.  Andraese  cruci,  quam  religiose  servabant 
a  flammis  aliàve  injuria  cautum  esse  voluerunt.  Igitur  excavata  humo, 
crucem  sepeliunt,  rata)  ni  mi  ru  m  ita  barbarorum  oculos,  manusque  eva- 
suram.  Barbaris  deinde  in  monasterio  irrumpentibus,  veritae  ne  pudori  suu 
vim  inferrent,  nares  sibi,  aures  et  labia  hic  crudolitate  praeciderunt,  ut 
déformes  apparerent  et  sane  omnes  interfectœ  sunt.Quarum  corpora  ali- 
quo  post  tempore  disquisita,  in  monasterium  Sancti  Victoris  translata 
sunt,  et  in  sacello  ecclesi»  reposita  sunt  eu  jus  ingressu  pontifleià  aucto- 
ritate  sub  pœnâ  excommunicationis  mulieribus  interdictum  est. 

c  Sollicité  deinde  disquisita  est  a  monach's  Sancti  Victoris  crux 
Andreana,  cumque  nusquam  occurreret  crédita  est  aut  sublata  a  Sarra- 
cenis,  aut  concremata.  Hugoni  postmodum  cuidam,  ex  eodem  monaste- 
rio, inter  missarum  solemnia  Angélus  tertio  apparuit,  crucemque  in  terra 
abditam  in  monasterio  de  Uveaune  revelavit.  Quod  cum  super iori  mani- 
festasse t,  ad  eum  locum  a  monachis  piè  processum  est,  quà  crucem  ini- 
bi  effossam  in  Sancti  Victoris  (ubi  nunc  cernitur)  monasterium  irapor- 
tarunt. 

«  Bono  huic  Hugoni,  qui  sanctus  vulgo  habebatur,  positus  estpraeter 
morem  tumulus  e  marmore  candido  vermiculato,  in  quo  expressus  est, 
quasi  sacris  operans  ad  altare,  e  quo  B  Andrœae  crux  sese  il!i  offerat.at- 
que  hoc  epitaphiuoi  adscriptum.  (Suit  Vépitaphe  que  Ruffl,  donne  dans 
V Histoire  de  Marseille,  t.  //,  p.  /2£.J  Hinc  vides  non  multo  ante  annum 
1250  illatam    in  Sancti  Victoris  monasterium  B.  Andraeae  crucem.  » 


-  274  - 

nom  d'Etienne.  Il  combattit  dans  les  armées  romaines  contre 
Attila  et  mourut  dans  une  bataille  livrée  à  ce  barbare  (t). 

a  Au  sujet  de  la  croix  de  saint  André,  Paradin  écrit  qu'elle 
fut  portée  en  401  à  Saint  -Victor  par  ce  roi  Etienne,  et  c'est  là, 
dans  cette  église,  qu'elle  se  trouve.  Mais,  sur  la  foi  de  docu- 
ments plus  certains  et  plus  autorisés,  nous  croyons  qu'elle  fui 
placée  dans  un  monastère  de  vierges  situé  sur  les  bords  de 
VHuveaune,  près  de  la  mery  à  peu  près  à  deux  ou  trois  milles 
de  Marseille.  Comment  de  ce  monastère  de  THuveaune  vint- 
elle  à  Saint-Victor?  Le  voici  : 

«  Lorsque  les  Sarrasins  qui  habitaient  l'Espagne  eurent  en- 
vahi la  Provence,  ils  attaquèrent  le  monastère  de  l'Huveaune 
et  massacrèrent  les  religieuses  qui  l'habitaient.  Les  dignes 
filles  deCassien,  voulant  mettre  à  l'abri  la  précieuse  relique 
qu'on  leur  avait  confiée,  creusèrent  la  terre,  y  enfouirent  la 
la  croix,  pensant  ainsi  la  dérober  à  la  vue  et  à  la  rapacité  des 
barbares.  Plus  tard,  le  calme  étant  revenu,  les  religieux  de 
Saint-Victor  cherchèrent  longtemps  cette  croix  de  saint  André, 
et,  ne  la  retrouvant  pas,  ils  crurent  qu'elle  avait  été  ou  enlevée 
ou  brûlée  par  les  Sarrasins.  Or,  un  certain  Hugues,  religieux 
du  môme  monastère  célébrait  un  jour  la  messe,  lorsque  un 
ange  lui  apparut  et  lui  indiqua  l'endroit  du  monastère  de  THu- 
veaune  où  la  croix  de  l'Apôtre  était  cachée. 

«  Tout  heureux  de  cette  communication,  Hugues  la  fit  con- 
naître à  l'abbé  du  monastère.  On  chercha  la  relique  à  l'endroit 
indiqué,  on  la  retrouva  et  on  la  rapporta  à  Saint- Victor.  C'est 
là  qu'on  la  vénère  maintenant. 

«  Le  religieux  du  nom  d'Hugues,  qui  est  appelé  saint,  fut 
déposé  après  sa  mort,  et  cela  contrairement  à  l'usage  qui  n'ac- 
corde pas  de  tels  honneurs  à  un  simple  moine,  dans  unmagni- 
que  tombeau  de  marbre  blanc,  couvert  de  sculptures.  Et  sur 
la  pierre  fut  gravée  cette  inscription  : 

«  Hugues,  sacristain,  dont  cette  petite  pierre  recouvre  la 
a  dépouille  mortelle,  se  réjouit  au  ciel  en  compagnie  des 
«  saints  et  de  l'archange  Michel.  Il  fut  en  cette  abbaye  l'hon- 


(1)  L'histoire  mentionne  une  bataille  livrée  par  les  Bourguignons  à  Atti- 
la. —  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  165. 


—  275  — 

a  rieur,  la  gloire  de  tous  les  religieux.  Il  avait  un  culte  pour 
«  les  saints  de  nos  cryptes.  Aussi  c'est  à  bon  droit  qu'il  repose 
«  dans  ce  temple,  qu'il  a  restauré  de  fond  en  comble.  On  le 
«  déposa  dans  ce  tombeau  le  8  novembre,  Joignez  à  mille, 
*  deux  fois  cent  et  cinquante  et  vous  aurez  l'année  qu'il  est 
a  monté  au  ciel.» 

«  De  plus  le  bienheureux  Hugues  est  représenté  sur  cette 
pierre  tombale  disant  la  messe;  au-dessus  de  l'autel  sur 
lequel  il  célèbre,  la  croix  de  saint  André  lui  apparaît.  Il  mourut 
vers  1250.  On  voit  que  ce  n'est  guère  avant  cette  année  que  la 
croix  de  saint  André  fut  portée  à  Saint-Victor.  » 

Arthur  de  Monestier  a  écrit,  dans  son  Sacrum  Gynœceum, 
à  la  date  du  30  décembre  :  «  Le  monastère  actuel  de  Saint- 
Victor  est  très  célèbre  à.  cause  de  la  translation  que  l'on  fit  de 
la  croix  de  saint  André,  Apôtre.  Ce  fut  un  roi  de  Bourgogne  qui 
l'y  fit  apporter.  Mais  des  documents  plus  certains  et  d'une  plus 
grande  autorité  nous  disent,  et  c'est  là  notre  opinion,  que 
cette  croix  fut  placée  dans  le  monastère  des  vierges  situé  sur 
les  bords  de  l'Huveaune,  près  du  rivage  de  la  mer,  à  deux  ou 
trois  milles  de  Marseille.  »  Et  cet  auteur  emprunte  à  Chifflet 
la  page  de  son  ouvrage  où  il  raconte  que  les  vierges  de  l'Hu- 
veaune cachent  dans  la  terre  la  pieuse  relique.  (1). 

André  du  Saussay  a  traité  le  même  sujet  dans  son  Marty- 
rologium  gallicanum,b.  la  fête  de  saint  André,  «pridiè  kalen- 
das  decembris  »,  30  novembre,  a  La  croix  de  saint  André,  dit-il, 
apportée  d'Achaïe  par  Etienne,  roi  de  Burgundie,  fut  déposée 
en  France  dans  le  monastère  des  religieuses  de  l'Huveaune, 
situé  dans  le  terroir  de  Marseille,  et  transférée  à  Saint- Victor 
un  peu  avant  l'année  1250  (2).» 


(1)  «  Célèbre  ac  notissimum  exstabit  praesens  monasterium  ob  trans- 
lationem  crucis  sancti  Andraeae  Apostoli  in  ipsum  factam  opéra  régis 
Burgondino  ;  ex  certioribus  siquidem  monumentis  collocatam  censemus 
in  agri  Massiliensis  prsefato  sanctimonialium  de  Uveaune  monasterio  ad 
littus  maris  imo  vel  altero  circiter  a  Massilià  milliario.  Cum  autem  Sar- 
raceni  Catalauoiœ  incolœ  . . . .  (Ut  supra  apud  Chiflletium.)  »  —  Arthur 
de  Monestier,  Sacrum  Gynœcceum,  30  déc.  Apud  Uveaunense  monas- 
terium passio  sanctœ  Eusebiœ,  notes. 

(2)  «  Pridie  kalendas  decembris,  Natalis  sancti  Andraeae.. .  Crux  sancti 


—  276  — 

k\xsuwlémmtAuMartyvologiu?ngallicanum,\e  <*  sexto  idus 
novembris»,  il  ajoute  (1):  «  Au  monastère  de  Saint- Victor,  à 
Marseille,  la  fête  de  saint  Hugues,  confesseur  à  qui  il  fut  révélé 
pendant  qu'il  célébrait  le  saint  sacrifice,  à  quel  endroit  se 
trouvait  la  croix  de  saint  André,  qui  avait  été  égarée  et  perdue. 
Cette  croix,  rapportée  d'Achaïe  en  France  par  Etienne,  roi  des 
Bourguignons,  fut  placée  dans  le  monastère  des  religieuses 
situé  sur  le3  bords  de  l'Huveaune,  dans  le  terroir  de  Marseille. 
Mais,  pour  éviter  qu'un  si  riche  trésor  devint  la  proie  de  quel- 
que ravisseur,  il  fut  porté  à  Saint-Victor  et  mis  en  lieu  sur. 
C'est  là  qu'elle  est  encore  honorée.» 

En  résumé  donc,  d'après  ces  auteurs,  la  croix  de  saint  André 
aurait  été,  à  une  certaine  époque,  cachée  dans  un  monastère 
de  religieuses  situé  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Or,  ce  fait 
est-il  vrai  ?  Nous  ne  nous  occupons  pas  pour  le  moment  de  la 
valeur  intrinsèque  du  témoignage  que  nous  apportent  ces  au- 
teurs. Nous  l'avons  jugée  tantôt,  en  constatant  qu'ils  s'étaient 
rencontrés  de  la  même  opinion  avec  le  docte  Mabillon,  sur 
ce  point  de  notre  travail  :  qu'il  y  avait  un  monastère  de  filles, 
fondé  par  Gassien  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Nous  ne  vou- 
lons qu'étudier  au  point  de  vue  historique  le  fait  relatif  à  la 
croix  de  saint  André.  A-t-elle  été  cachée,  ou  non,  dans  un  mo- 
nastère aux  bords  de  l'Huveaune  ? 

Si  oui,  nous  avons  une  preuve  de  plus  qu'il  y  a  eu  un 
cœnobium  cassianite  sur  les  bords  de  l'Huveaune. 

Que  Ton  ait  la  patience  de  nous  suivre  dans  nos  déductions, 
et  l'on  verra  la  lumière  se  faire  quelque  peu  sur  ce  point. 

Andraeae  a  Stephano  rege  Burgondiœ  ex  Âchaià  in  Gallia  deportata,  apud 
Veauuenses  virgines  (nam  virgo  et  Andrœas  luit  et  perstitit)  in  agro 
Massiliensi  deposita,  indepaulo  ante  annum  salu  is  1250  ad  Sancti  Vic- 
toria famosum  cœnobium  translata  est.»  Martyrologium  Gallicanum, 
par  André  de  Saussay. 

(1)  «  Massiliœ  ad  Sanctum  Victorem,  sancti  Hugonis  coniessoris, 
cui  divinam  rem  facienti  revelatum  est  ubinam  esset  crux  sancti  Andraese 
apostoli,  quœ  amissa  fuerat.  Hanc  ex  Achaià  in  Galliam  delatam  Stepha- 
nus  Burgondiœ  rex  apud  Veaunenses  virgines,  in  agro  Massiliensi  de- 
posuerat,  ac  ne  tam  nobile  pignus  raptui  pateret,  Massiliam  ad  securio- 
rem  situm  deportata,  in  Sancti  Victoris  templo  monastico  perpetuo  cul- 
tu  conservenda  deposita  fuerat.»  Du  Saussay,  Supplementum  ad  Marty- 
rologium Gallicanum,  sexto  idus  novembris. 


—  277  — 

D'abord,  il  est  certain  disons-nous  avec  l'abbé Magnan,  qui  a 
écrit  sur  ce  sujet,  que  la  croix  de  saint  André  se  trouve  à  Mar- 
seille. La  tradition  qui  nous  la  fait  honorer  dans  les  souterrains 
de  Saint-Victor  repose  sur  des  bases  qu'il  est  difficile  de  con- 
tester (1).  Tillemont  avoue  que  Ton  prétend  «  que  la  croix  qui 
a  servi  d'instrument  de  supplice  à  saint  André  se  conserve 
encore  à  Saint-Victor  de  Marseille  (2).»  Un  savant  Dominicain, 
Yepes,  dit  a  que  l'on  montre  cette  croix  de  saint  Andréa  Saint- 
Victor,  et  personne  ne  révoque  en  doute  que  ce  monastère  de 
Marseille  ne  possède  ce  précieux  dépAt  et  qu'Etienne,  roi  de 
Bourgogne,  lui  en  fit  présent  (3).»  Jean  Féraud,  l'auteur  de  la 
Disquisiiio  reliquiaria,  dit  qu'il  a  «  vu  de  ses  propres  yeux 
cette  croix  de  saint  André  à  Saint- Victor  (4).»  Le  Martyrologe 
bénédictin  (5)  affirme  «  qu'une  partie  de  cette  croix  se  trouve 
en  l'église  de  Saint-Maurice,  à  Cologne  ;  quant  au  reste  de  la 
croix,  elle  est  à  Marseille.»  À  ces  autorités  joignez  que  nul 
auteur  n'indique  où  peut  se  trouver  cette  précieuse  relique,  et 
jamais  ni  ville  ni  contrée  n'ont  réclamé  l'honneur  de  la  pos- 
séder (6) .  Ce  que  nous  honorons  est  donc  sûrement  la  croix  de 
saint  André. 

Depuis  quelle  époque  cette  relique  se  trouve- t-elle  à  Mar- 
seille ? 

Sûrement  elle  y  était  en  1494,  puisque  un  religieux  prieur 
de  Saint- Victor,  Lazare  Barbani,  en  enleva  une  partie  et  ne  fit 
connaître  son  larcin  qu'au  moment  de  sa  mort.  On  a  le  procès- 
verbal  de  cette  déclaration,  Ruffi  le  cite  en  entier  (7). 


(1)  Notice  sur  la  croix  de  saint  André,  par  l'Abbé  Magnan,  passim. 

(2)  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  à  V histoire  ecclésiastique  de 
France ,  t.  I,  p.  337. 

(3)  Cité  par  M.  l'abbé  Magnan  dans  la  Notice  sur  la  croix  de  saint  An- 
drê,  p.  5. 

(4)  t  Tum  nos  ipsis  oculis  ad  Sancti  Victoris  Massiliœ  templum 

in  illo  enim  cœnobio  sancti  Andrœae   crux  ad  angulos  rectos  compacta 

ferreisque  obtuta  laminis »  Disquisitio  reliquiaria,  par  Jean  Féraud, 

p.  167. 

(5)  c  Pars  de  cruce  ejus  in  sancti  Mauritii,  Colonise;  reliqua  crux  tota 
in  Sancti  Victoris  Massiliœ.»  Festum  sancti  Andrœœ. 

(6)  Magnan,  op.  cit.,  p.  4. 

(7)  Magnan,  op.  cit.,  p.  7.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  121 . 


-  278  ^ 

Avant  1494,  cette  relique  se  trouvait-elle  à  Marseille? 

Oui,  elle  se  trouvait  à  Marseille  vers  le  milieu  du  XIIP  siècle. 
Nous  avons  entendu  du  Saussay  et  Chifflet  nous  dire  que  le 
bienheureux  Hugues  de  Glasinis,  sacristain  de  Saint- Victor, 
avait  connu  par  révélation,  pendant  qu'il  disait  la  messe,  Ten- 
droit  où  cette  relique  avait  été  enfouie  (1).  Cette  tradition  de 
Marseille  que  ces  auteurs  nous  ont  transmise  est  appuyée  sur 
un  monument  lapidaire,  la  pierre  tombale  qui  a  recouvert  la 
dépouille  mortelle  de  ce  saint  religieux.  Il  est  représenté,  nous 
lavons  dit,  célébrant  la  messe,  revêtu  des  ornements  sacerdo- 
taux, devant  un  autel  antique,  une  large  dalle  reposant  sur  un 
fût  de  colonne,  et  au-dessus  de  l'autel  une  croix  à  branches 
égales  de  petite  dimension.  Mais,  tout  à  côté  de  cette  figure, 
il  y  a  une  grande  croix  de  Malte  supportée  par  un  pied,  accom- 
pagnée de  deux  chandeliers,  et  surmontée  d'une  étoile  à  six 
rayons  et  d'un  croissant  (2).  Ruffl  ne  fait  pas  de  difficulté 
d'admettre,  à  la  suite  des  auteurs  cités  plus  haut,  que  les  fi- 
gures de  ce  bas-relief  autorisent  la  tradition  (3).  Et  M.  labbô 
Magnan  assure  «  que  ce  bas-relief  serait  une  énigme  inexpli- 
cable sans  l'histoire  racontée  par  Chifflet  (4).  » 

Nous  le  croyons  aussi.  Ce  bas-relief,  en  effet,  n'est  pas  autre 
chose  qu'une  explication  en  image  de  l'inscription  gravée  en 
l'honneur  de  ce  religieux,  «  II  était,  dit  celle-ci,  le  sacristain 
de  l'abbaye  et  il  avait  par  ses  soins  et  sa  diligence  rebâti  ou  res- 
tauré de  fond  en  comble  le   temple  des  saints,  l'abbaye  : 


(1)  a Hugonis  cui  divinam  rem  facienti  revelatum  est  ubinam 

esset  crux  sancti  Andraeœ.  »  Du  Saussay,  Suppl.  ad  Martyr.  GaU.—*  Hu- 
goni  cuidam  iuter  missarum  solemnia  Angélus  tertio  apparuit. »  Chif- 
flet, Vesuntio. 

(2)  Kothen,  Notice  sur  la  crypte  de  l'abbaye  Saint-Victor ,  planche  II, 
p.  58.  —  Ruffi,  t.  II,  p.  128. 

(3)  La  croix  de  saint  André  demeure  ainsi  cachée  jusqu'à  ce  qu'un 
ange  révèle  l'endroit  où  elle  était,  à  Hugues,  sacristain  du  monastère  de 
Saint-Victor,  qui  disait  la  messe,  ce  qui  semble  être  autorisé  par  la 
représentation  de  quelques  figures  qui  sont  sur  le  tombeau  du  saint.  . 
Rufll,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  120.  —  C'est  aussi  l'opinion  de 
Guesnay  :  «  ...  Quod  miraculum  eu  m  epitaphio  inscriptum  est.»  Sanc~ 
tus  Joannes  Cassianus  illustratus^  p.   475. 

(4)  L'abbé  Magnan,  op.  cit.,  p.  7. 


—  279  — 

<*  Hugo  sacrista. . .  sepelitur  sanctoram  eorum  templo  quod 
primo  quasi  totum  fecit  ab  imo.  »  Aussi  on  représente  sur  la 
pierre  du  sépulcre  l'abbaye  que  Hugues  a  restaurée.  Il  était  la 
gloire,  l'honneur  des  religieux,  «  flos  etdecus  monachorum  ». 
Il  avait  en  grande  vénération  les  saints  qui  reposaient  dans  les 
cryptes,  «  cultor  sanctorum  ».  fit  on  le  représente  célébrant 
la  messe  sur  un  autel  antique  des  cryptes,  peut  être  celui  de 
Notre-Dame  de  Confession . 

Que  signifie  maintenant  cette  grande  croix  gravée  dans  le 
compartiment  du  milieu  de  la  pierre  tombale  ?  Admettez  le 
récit  de  Gbifflet  et  des  autres  auteurs,  et  vous  aurez  une  expli- 
cation toute  naturelle  de  cette  partie  du  bas-relif .  Que  ce  soit 
par  révélation,  que  ce  soit  à  la  suite  de  longues  recherches, 
que  le  saint  religieux  ait  pu  découvrir  la  croix  de  saint  André, 
peu  importe.  On  ne  peut  le  nier,  ce  monument  lapidaire  est 
une  preuve  certaine  de  la  croyance  que  Ton  avait  à  cette  épo- 
que, à  Marseille,  de  l'existence  de  la  croix  de  saint  André  dans 
les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint- Victor. 

Pour  nous,  nous  croyons  sans  peine  à  cette  révélation  ou  à 
ces  recherches  suivies  d'un  si  heureux  résultat.  Toutes  les 
précieuses  reliques  de  notre  Provence,  enfouies  et  cachées  à 
l'époque  des  invasions  des  Sarrasins,  ont  été  découvertes  à  peu 
près  de  la  même  manière  :  le  corps  de  sainte  Anne,  à  Apt,  à  la 
suite,  dit  la  tradition,  de  la  guéiïson  d'un  aveugle  sourd  et 
muet  qui  indiqua  l'endroit  où  la  relique  se  trouvait  (1);  le 
corps  de  sainte  Marthe,  à  Tarascon  ;  celui  de  sainte  Marie- 
Nagdeleine,  à  SaintMaximin  ;  ceux  des  saintes  Maries,  à 
l'église  de  Notre-Dame  de  la  Mer,  à  la  suite  de  grandes  fouilles 
exécutées  pour  rechercher  ces  trésors  insignes  de  notre  foi. 
Pourquoi  n'en  aurait-il  pas  été  de  même  pour  la  croix  de 
saint  André?  C'est  en  1187  que  le  corps  de  sainte  Marthe  est 
découvert  à  Tarascon  ;  en  1279  que  le  fut  celui  de  sainte 
Marie- Magdeleine  à  Saint-Maximin  (2).  Pourquoi  n'aurait-on 

(\)  Histoire  de  VEglise  d'Apt,  par  l'abbé  Boze,  p.  69  et  suiv. 

(2)  Légendes  et  traditions  provençales  par  de  Virieu:  Saintes  Maries, 
p.  98;  leurs  reliques  furent  découvertes,  en  1448,  sous  le  roi  René,  qui 
ordonna  les  fouilles  ;  —  Sainte  Marthe*  p.  117;  ses  reliques  furent 
découvertes  en  1187  ;  —  Sainte  Marie-Madeleine,  p.  144;  ses  reliques 


—  280  — 

pas  fait  à  la  même  époque  des  recherches,  à  Marseille,  pour 
retrouver  cette  croix  de  saint  André  qu'une  ancienne  tradition 
disait  y  être  cachée  ? 

Depuis  combien  d'années  cette  relique  se  trouvait  à  Mar- 
seille, lorsque  Hugues  de  Glasinis  la  retrouva? 

Guesnay  raconte,  dans  son  ouvrage  intitulé  Magdalena 
Massiliensis  advena,  a  qu'un  certain  roi  de  Bourgogne,  du 
nom  d'Etienne,  parti  pour  la  croisade  avec  plusieurs  princes 
chrétiens,  avait  pris  à  Patras,  ville  d'Achaïe,  la  croix  de  saint 
André,  relique  insigne  qu'il  appréciait  grandement  et  qu'il  fit 
placer  dans  le  monastère  de  Saint-Victor,  à  Marseille  (1).  » 

Le  môme  écrivain,  dans  l'ouvrage  intitulé  Sanctus  Joannes 
Cassianus  illustratus,  a  écrit  :  «  La  croix  de  saint  André  a  été 
apporté  d'Achaïe,  h  Marseille,  par  un  roi  de  Bourgogne 
appelé  Etienne.  C'est  ce  que  nos  aïeux  nous  ont  appris  (2)  ». 

Ce  serait  donc  à  l'époque  des  croisades,  que  la  croix  de  saint 
André  aurait  été  apportée  en  notre  ville  (3). 

Darras,  de  son  côté,  écrit  dans  Y  Histoire  de  V  Eglise,  au 
sujet  de  la  prise  de  Constantinople  par  les  croisés  en  1198, 
a  La  croix  où  l'apôtre  saint  André  avait  consommé  son 
martyre  fut  recueillie  et  pieusement  conservée  par  ses  disci- 
ples. Les  croisés  latins  la  retrouvèrent  en  Achaïe,  d'où  elle 
fut  transportée  à  la  fameuse  abbaye  de  Saint-Victor  k  Mar- 
seille (4).  » 

furent  retrouvées  à  Saint-Maximin  en  1279.  —  Les  Saints  de  l'Eglise  de 
Marseille,  p.  49,  128.  —  Faillon,  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de 
Marie-Madeleine,  1. 1,  pp.  1217,  1321,  869. 

(1)  «  Constat  equidem  Burgundise  regem  nomine  Stephanura,  dum  in 
Orientem  unà  cum  principibus  christianis,  tesserarià  crucc  decoratus 
contendit  D.  Andraeae  crucem,  quam  si n gui ari  honore  prosequebatur, 
ex  Patraco,  urbe  Achaiae  ereptam,  istud  in  monasteriuro,  non  modo 
jam  fundatum,  sed  etiam  toto  orbe  terra  ru  m  celeberrimum  atque  notissi- 
mum,  et  ab  ipso  maxime  religioni  habitum  transtulisse.  »  Magdalena 
Massiliensis  advena,  par  Guesnay,  p.  107. 

(2)  «  (Grux  Sancti  Andraeae)  ex  A  chai  à  ad  nos  Rtephani  Burgundionum 
régis  beneficio  allata  est,  ut  majorum  traditionibus  accepimus.  »  Cas- 
sianus illusiratuSy  p.  475. 

(3)  On  lit  dans  VAlmanach  des  Saints  de  Provence  pour  l'année  1890, 
au  30  novembre  :  «  Lacroix  de  saint  André  était  vénérée  à  Saint- Victor 
de  Marseille  depuis  le  XIII  '  siècle.  » 

(4)  Histoire  générale  de  l'Eglise,  par  l'abbé  Darras,  t.  VI,  p.  464. 


—  281  — 

L'assertion  de  Guesnay  est  aussi  inexacte  que  celle  de  Darras. 

En  effet,  quel  est  ce  roi  de  Bourgogne,  du  nom  d'Etienne,  qui, 
d'après  Guesnay,  prit  à  Patras  la  croix  de  saint  André,  à 
Fépoqiie  des  croisades,  et  la  donna  à  Saint-Victor  ?  De  quelle 
croisade  veut-il  parler?  Quel  est  ce  duc  de  Bourgogne  mon- 
trant une  telle  générosité  à  l'endroit  du  monastère  de  Saint- 
Victor?  Si  un  roi  de  Bourgogne  avait  eu  pour  sa  part  de  butin 
une  telle  relique,  il  l'aurait  gardée  pour  ses  Etats  et  ne 
l'aurait  pas  laissée  à  Saint- Victor.  Nous  verrons  tantôt  que  le 
cardinal  Pierre  de  Capoue  lit  présent  du  corps  de  saint  André 
à  sa  ville  natale  d'Amalfî.  Or,  quelle  relation  y  avait-il  entre 
un  roi  de  Bourgogne  et  l'abbaye  de  Saint- Victor  de  Marseille, 
à  cette  époque  ? 

-  Vers  1240,  il  est  vrai,  un  duc  de  Bourgogne  (1)  vint  s'em- 
barquer à  Marseille  pour  la  Terre-Sainte,  en  compagnie 
d'autres  princes  chrétiens.  L'abbaye  de  Saint-Victor  lui 
prêta-t-elle  quelques  subsides,  en  reconnaissance  desquels 
ce  duc  de  Bourgogne  lui  donna  plus  tard  la  croix  de  l'Apôtre  ? 
Mais  rappelons-nous  que  Hugues  de  Glasinis  a  découvert 
cette  relique,  à  Marseille,  à  peu  près  vers  cette  époque*  Si  c'est 
un  roi  de  Bourgogne  qui,  vers  1240  a  donné  la  croix  de  saint 
André,  on  n'a  pu  la  perdre  en  aussi  peu  de  temps.  Le  fait  donc 
de  sa  découverte  par  Hugues  de  Glasinis  serait  faux.  Et  cepen- 
dant il  existe  une  tradition  à  ce  sujet,  appuyée  sur  le  monu- 
ment lapidaire  dont  on  a  parlé  plus  haut.  La  croix  était  donc 
à  Marseille  avant  1240. 

Ajoutons  que  ce  môme  auteur,  Guesnay,  dans  le  Sanctus 
Joannes  Cassianus  illustratus,  enlève  toute  valeur  à  sa 
propre  assertion.  Parlant  de  Hugues  de  Glasinis  il  écrit  :  «  Ce 
religieux  (2)  vécut  jadis  dans  ce  monastère  de  Saint- Victor. 


(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  129.  —  Antiquité  de  V Eglise 
de  Marseille,   par  Mgr  de  Bel  su  n  ce,  t.  II,  p.  155. 

(2)  «  Is  (Hugo  de  Glasinis)  in  hoc  monasterio  œditui  quondam  obiit 
mu  nus,  eoque  inscio,  crux  Sancti  Andraeœ  non  procul  ab  eodem  virgi- 
num  monasterio  ab  aliis  quibusdam  religiosis  de  la  ta  est,  ibique  defossa, 
ne  a  Vandalis  aliisque  barbaris  Massiliam  tum  occupant! bus,  alio 
subduceretur.  Nec  ita  multo  post  cum  ejusdem  monasterii  religiosi 
convenissent  ut  sacras  reliquias  suis  locis  ac  sedibus  restituèrent,  jam 


Or,  un  jour,  à  son  insu,  des  religieux  prirent  la  croix  de  saint 
André,  la  portèrent  au  monastère  des  vierges  de  l'Huveaune 
et  l'y  enfouirent,  de  peur  qu'elle  ne  fût  enlevée  par  les 
Vandales  et  autres  barbares  qui  ravageaient  et  occupaient 
Marseille,  à  cette  époque.  Quelque  temps  après,  les  religieux 
revenus  au  monastère,  désirant  remettre  en  sa  place  cette 
relique,  ne  la  trouvant  plus,  s'en  prirent  au  bienheureux  et 
le  menaçaient  de  châtiment  pour  une  telle  insouciance  à 
l'endroit  du  trésor  dont  il  avait  la  garde.  Mais  celui-ci,  divine- 
ment inspiré  d'avoir  recours  à  Dieu,  apprit  par  révélation  du 
ciel  que  la  croix  de  l'Apôtre  avait  été  enfouie  non  loin  du 
monastère  des  vierges  de  l'Huveaune.  » 

Ceci  n'est  qu'un  joli  petit  roman  bâti  par  Guesnay  sur  le 
récit  de  Chifflet.  Avouons  d'abord  que  ces  religieux  s'y  sont 
pris  bien  maladroitement.  Quand  on  fait  une  opération  de  ce 
genre,  on  s'entoure  de  précautions  capables  de  guider  les 
recherches  futures.  Puis  ce  n'est  pas  au  bout  d'un  aussi  court 
laps  de  temps  que  l'on  perd  toute  trace  de  ce  que  Ton  a 
caché. 

Quel  est  ensuite  ce  monastère  de  filles,  établi  sur  le  bord  de 
l'Huveaune,  auprès  duquel,  du  vivant  de  Hugues  de  Glasinis, 
on  vint  enfouir  et  cacher  la  croix  de  saint  André  ?  Il  n'y  avait 
pas  de  monastère  de  filles  à  cette  époque,  en  cet  endroit  du 
terroir.  Dès  l'an  1004,  le  monastère  se  trouvait  à  Saint-Sauveur, 
au  sein  de  la  ville.  Dès  l'an  1204,  les  Prémontrés  vinrent  se 
fixer  à  l'Huveaune,  et  en  l'année  1405  les  biens  de  ce  monas- 
tère des  Prémontrés  furent  réunis  au  couvent  de  Sainte-Paule. 

Qui  sont,  enfin,  ces  Vandales  et  ces  barbares  qui  du  vivant 
de  Hugues  occupaient  Marseille  ?  D'environ  1180  à  1250,  Mar- 
seille n'a  pas  eu  d'invasion  à  subir.  Elle  a  été  occupée  à  se 
défendre  tantôt  contre  les  comtes  de  Provence,  tantôt  contre 


que  viro  illi  secreto  pœnam  aliquam  imponere  decrevissent,  quod  eo 
sacrarium  procurante  crux  Ma  sacra  autdeperditaautaliotraductaesset, 
divino  afllatus  spiritu  vir  sanctissimus  impetrata  divinam  opem  implo- 
randi  gralia,  divinitus  accepit  crucem  illam  non  procul  a  monasterio 
B.  Virginis  de  Veaune  fuisse  defossam.  Quod  miraculum  cum  sequenti 
epitaphio  marmoreo  ejusdem  sepulcro  inscriptum  est.  >  Cassianus 
illustraluB,  p.  475. 


-  283  - 


les  évoques,  qui  voulaient  y  asseoir  ou  développer  davantage 
leur  autorité.  Mais,  à  aucun  moment  de  ces  luttes,  en  résumé 
toutes  pacifiques,  il  n'y  a  eu  pillage  et  vol,  au  point  de  forcer 
les  religieux  de  Saint-Victor  à  cacher  la  croix  de  saint- André 
qu'ils  gardaient  dans  les  cryptes. 

A  un  seul  moment  cela  aurait  pu  se' faire,  c'est  vers  1236 
ou  1240.  A  cette  époque,  le  comte  de  Provence,  fatigué  des 
obstacles  que  Marseille  mettait  à  reconnaître  son  autorité,  vint 
mettre  le  siège  devant  la  ville.  Mais  le  comte  de  Provence 
pouvait  en  vouloir  à  la  ville,  sans  en  vouloir  à  l'abbaye  de 
Saint-Victor  dont  le  terroir,  on  le  sait,  échappait  à  la  juri- 
diction de  l'évêque  et  de  la  cité.  De  plus,  rien  dans  les  annales 
de  Marseille,  ne  rappelle  une  telle  mesure,  qui,  le  cas  échéant, 
se  serait  étendue  à  toutes  les  reliques  de  l'abbaye  (1).  Non, 
Guesnay  a  fait  erreur.  Ce  n'est  pas  vers  1240  que  la  croix  de 
Saint- André  est  arrivée  à  Marseille. 

Ce  que  dit  Darras  n'a  pas  plus  de  valeur.  En  effet,  lors  de  la 
prise  de  Constantinople  en  1198,  par  les  croisés  latins,  les  reli- 
ques insignes  que  cette  capitale  de  l'Orient  possédait  dans  ses 
églises  furent  enlevées,  c'est  vrai,  par  les  vainqueurs.  Mais  la 
croix  de  saint  André  ne  faisait  pas  partie  du  butin.  Les  chro- 
niqueurs qui  racontent  ce  fait  d'armes  parlent  de  l'enlèvement 
de  la  croix  du  Sauveur,  des  corps  de  divers  saints  qui  échu- 
rent en  partage  à  tel  ou  tel  seigneur,  à  tel  ou  tel  évêque.  Chez 
aucun  de  ces  historiens,  cependant,  il  n'est  fait  mention  delà 
croix  de  l'Apôtre.  Si  on  parle  de  saint  André,  c'est  pour  dire 
que  le  corps  de  cet  Apôtre  fut  donné  au  légat  de  la  croisade, 
le  cardinal  Pierre  de  Capoue,  originaire  d'Amalfi,  qui  le  fit 
porter  dans  sa  ville  natale  et  placer  dans  la  cathédrale  que  l'on 
dédia  à  saint  André,  à  cette  occasion  (2). 


*r 


(t)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille ',  1. 1,  p.  125. 

(2)  «  Petrus  Capuanus  cardinalis,  ci  vis  Amalphitanus,  confesslonem 
propno  aère  sediflcavlt  sub  quâ  corpus  B.  Andrœae  Apostoli  quod  e  Cons- 
tantinopoli  ubi  apostolicae  sedis  legatum  egerat  et  quod  patriam 
A  mal  phi  m  detulerat,  reposuit,  1208.  » 

Ce  corps  de  l'Apôtre  se  trouve  dans  la  cathédrale  ;  il  s'agit  toujours  de 
«  illa  sac  rata  ossa,  corpus  B.  Andraeœ  ».  Cette  translation  eut  lieu  le 
8  mai   1208,   durant  l'épiscopat  de  Mathieu.  —  Ughelli,  Jtalia  sacra, 


—  284  - 

Or,  peut-on  croire  que  le  cardinal  de  Capoue  n'aurait  pas 
apporté  avec  lui  la  croix  de  l'Apôtre  en  môme  temps  que  son 
corps,  si  on  l'avait  trouvée  à  Gonstantinople?  S'il  l'avait  appor- 
tée à  Amalfi  en  même  temps  que  les  autres  reliques,  est -il 
croyable  que  les  documents  qui  relatent  la  translation  du 
corps  de  l'Apôtre  n'auraient  fait  aucune  mention  de  sa  croix  ? 
Si  le  cardinal  avait  cédé  la  croix  à  une  autre  église,  ces  docu- 
ments encore  se  tairaient  sur  ce  sujet?  Et  en  supposant 
qu'elle  eût  été  le  lot  d'un  autre  évoque  ou  d'un  autre  seigneur, 
et  qu'elle  ait  été  ainsi  portée  ailleurs,  cette  chronique  qui 
parle  du  corps  de  saint  André  n'aurait  encore  rien  dit  de  sa 
croix?  Et  si  un  roi  de  Bourgogne,  à  cette  époque,  l'eût  cédée 
à  Saint  Victor,  comme  on  le  disait  tantôt,  il  ne  resterait  rien 
d'écrit  à  ce  sujet  ?  De  plus  on  aurait  perdu  cette  relique,  dès 
le  lendemain  de  son  arrivée  à  Marseille,  au  point  qu'il  aurait 
fallu,  quelques  années  plus  tard,  une  révélation  spéciale  ou 
des  fouilles  et  des  recherches  compliquées,  pour  que  Hugues 
deGlasinis  retrouvât  ce  trésor?  Et  si  on  avait  dû  l'enfouir,  à 
cette  époque,  on  ne  saurait  pas  à  quelle  occasion  ce  recel 
aurait  eu  lieu  ? 

Non,  Darras  s'est  trompé.  La  croix  n'a  pas  été  apportée  de 
Constantinople  à  Marseille,  en  1198. 

A  cette  date,  d'ailleurs,  cette  croix  n'était  pas  à  Constantino* 
pie.  Et,  non  seulement  elle  n'était  pas  à  Constantinople  en 
1198,  un  fait  nous  prouve  qu'elle  n'y  était  pas  au  VI*  siècle. 

Baronius  raconte,  dans  ses  A  nnalee,  à  l'année  586,  qu'au 
départ  de  l'apocrisiaire  Grégoire,  plus  tard  le  pape  Grégoire  le 
Grand,  de  Gonstantinople,  où  il  représentait  le  pape  alors 
régnant,  Pelage  (l\  l'empereur  Tibère  lui  fit  présent  du  chef 
de  saint  André  et  de  quelques  ossements  de  saint  Luc.  N'est* 
il  pas  croyable  que  l'on  eût  remis  à  Grégoire  quelques  par- 
celles de  la  croix  de  l'Apôtre,  si  elle  avait  été  en  vénération 
à  Gonstantinople  à  cette  époque?  Est-ce  que  Grégoire  lie 
l'aurait  pas  sollicité  et  pour  doter  son  monastère  et  pour  en 

histoire  des  évoques  d'Amalfi,  t.  VII,  col.  241,  272.  —  Darras»  Histoire 
de  V Eglise,  t.  VI,  p.  464. 

(I)  Saint  Grégoire  le  Grand,  par  l'abbô  Clauzier,  p.  68.  Baronius,  ad 
annum  686,  n°  XXV. 


—  285  — 

enrichir  la  ville  de  Home  ?  L'histoire  cependant  se  tait  sur  ce 
point,  preuve  que  la  croix  n'était  pas  dans  la  ville  de  Constan- 
tinople  en  586. 

Nous  allons  plus  loin  ;  jamais,  k  aucune  époque,  cette  ville 
n'a  possédé  cette  précieuse  relique. 

L'empereur  Constantin  le  Grand  avait  fait  édifier  à  Cons- 
f  antinople  une  magnifique  basilique  dédiée  aux  saints  Apôtres 
et  destinée  à  lui  servir  de  lieu  de  sépulture  (i).  Or,  le  fils  de 
Constantin,  Constance,  afin  d'enrichir  cet  te  église  de  précieuses 
reliques,  y  déposa  entre  autres  les  corps  de  saint  Timothée,  de 
l'évangéliste  saint  Luc  et  de  l'Apôtre  saint  André.  Ce  fut 
Tévéque  de  Patras  qui  fit  connaître  à  l'empereur  Constance, 
que  ces  précieuses  reliques  de  l'Apôtre  reposaient  dans  une 
église  de  cette  ville.  Un  seigneur  de  la  cour  de  Constance, 
Artemius,  plus  tard  un  martyr,  assista  à  l'exhumation  du 
corps  de  l'Apôtre,  l'accompagna  à  Constantinople  et,  sous  ses 
yeux,  il  fit  déposer  6e  trésor  auprès  du  sépulcre  de  Constantin 
le  Grand.  Ceci  se  passait  en  Tannée  357,  au  témoignage  de 
Théodore  le  Lecteur  et  d'Idace  le  Chroniqueur  (2).  Or,  si  la 
croix  de  saint  André  eût  été  à  Patras,  en  357,  l'empereur 
Constance  l'aurait  fait  prendre  pour  en  orner  quelque  église 
de  Constantinople,  et  l'histoire  eût  rapporté  ce  fait. 

Nous  en  trouvons  une  autre  preuve  dans  la  vie  de  saint 
Régulfus  (3).  Ce  moine,  d'une  grande  sainteté,  s'était  rendu 

(l)Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  IX,  p.  336;  t.  X,  p.  118. —  Acte 
Sancii  Arlemii,  Bollandistes,  10  oct.,  pp.  861,  862.  —  Hergenroether, 
Histoire  de  V Eglise,  t.  II,  p.  545. 

(2)  «  Goostantius,  ûlius  Constantini  Magni,imperavit  24  annos,  dies  5. 
Hujus  temporibus  allât»  sunt  Constantinopolim  reliquiœ  sanctorum 
apostolorum  Timothsei  ante  diem  octavam  kalendas  julias,  Andraeœ 
Apostoli  et  Lucse,  ante  diem  quartam  nonas  murtias  et  depositœ  sunt 
in  magna  ecclesia  sanctorum  Apostolorum  ab  ipso  dedicata.  »  Historia 
ecclesiastica  Theodori  Lectoris,  lib.  II,  col.  214. 

«  Gonstantio  nonum  et  Juliano  Csesare  iterum  consulibus,  his  consu- 
Jibus  introierunt  Gonstantinopolim  reliqui»  sanctorum  Apostolorum 
Andrsese  et  Lucse,  die  V  nonas  martias.  »  Chronique  d'Idace,  annota- 
tiones,  col.  213. 

c  Anno  357,  imp.  Flavius  Constantius  AugustuslX,  Flavius  Claudius 
Julianus  Ccesar  II.  »  Dictionnaire  de  Larousse,  verbo:  Fastes. 

(3)  Acta  Sanctorum,  Bolland.,  Vita  sancti  Hegulfi,  17  oct.,  t.  VIII, 
d'oct.,p.  163. 

19 


—  286  — 

en  pèlerinage  à  Patras,  et,  y  ayant  vénéré  les  reliques  de 
l'Apôtre  saint  André,  il  s'en  constitua  le  gardien.  Or,  à  un 
moment,  un  ange  lui  apparut,  lui  ordonna  de  prendre  une 
partie  des  reliques  du  saint  Apôtre  et  de  les  porter  dans  les 
contrées  lointaines  de  l'Occident  Ce  religieux  obéit,  il  s'en 
vint  en  Ecosse,  portant  avec  lui  ce  précieux  trésor.  11  était 
accompagné  d'un  autre  moine  du  nom  d'Eusébius.  Tous  deux 
déposèrent  ces  reliques  dans  la  ville  de  Eileure,  laquelle 
prit  plus  tard  le  nom  d'Andreanopolis. 

Ce  fait,  la  tradition  ecclésiastique  l'accepte,  puisqu'on  lit 
dans  l'office  de  saint  Regulf us  l'oraison  suivante  :  a  Seigneur, 
qui  par  les  mérites  de  votre  très  doux  serviteur  le  bienheu- 
reux Regulf  us  avez  fait  parvenir  jusqu'à  nous  les  reliques  de 
votre  Apôtre  saint  André,  etc.  » 

Ce  fait  se  passait,  disent  les  Actes  de  saint  Regulf  us,  en  359. 
Il  est  certain  qu'il  y  a  une  erreur  de  date  ;  ce  fait  ne  pouvant 
être  postérieur  à  la  translation  des  reliques  de  saint  André  à 
Constantinople  par  l'ordre  de  Constance,  en  357.  Il  a  dû  se 
passer  quelques  années  auparavant,  soit  que  Dieu  ne  voulût 
pas  que  tous  ces  glorieux  restes  demeurassent  entre  les  mains 
de  cet  empereur  arien,  schismatique  et  persécuteur,  soit  qu'il 
voulût  que  l'Occident  joignit  ses  hommages  et  sa  vénération 
à  ceux  que  l'Orient  décernait  à  cet  Apôtre.  Mais,  quelle  que  soit 
la  date  de  la  mission  et  du  voyage  de  saint  Regulf  us,  il  est 
incontestable  que  la  croix  de  l'Apôtre  n'était  déjà  plus  à 
Patras,  au  IV0  siècle.  Certainement  Regulfus  aurait  pris 
avec  les  reliques  du  corps  de  saint  André  une  partie  de  sa 
croix.  C'eût  été  un  moyen  bien  efficace  de  prédication,  auprès 
des  peuples  barbares,  que  de  leur  montrer,  en  racontant  la 
vie  et  la  mort  de  saint  André,  l'instrument  de  son  martyre.  Et 
s'il  avait  pris  une  partie  de  cette  croix,  les  Actes  de  sa  vie  en 
eussent  fait  mention. 

Sûrement  donc,  au  IV*  siècle,  la  croix  de  saint  André  n'était 
pas  à  Patras,  et  partant  elle  n'a  pu  être  portée  à  Constantino- 
ple, au  IV'  siècle  ou  plus  tard. 


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CHAPITRE  IV 


La  Oroix  de  saint  André 


(Suite) 


OU  ÉTAIT-ELLE  1  —  RÉCIT  DE  CHIPPLET.  —  CINQ  AS8ERTION8.  —  SONT- 
ELLES  VRAISEMBLABLES?  —  LA  PREMIÈRE.  —  MIGRATION  DES  PEUPLES 
BARBARES.  LES  BURGUNDE8.  —  AU  DÉBUT  DU  V*  SIÈCLE,  ILS  SONT 
CATHOLIQUES.  —  COMMENT  LA  FOI  CHRÉTIENNE  S'INTRODUISAIT  CHEZ 
LES  PEUPLES  BARBARES.— LA  CROIX  DE  SAINT  ANDRÉ  A  PU  ARRIVER 
JUSQU'A  EUX.  —  LA  DEUXIÈME.  —  LES  BURGUNDB8  NE  SONT  VENUS  A 
MARSEILLE  QUE  DE  480  A  517.—  LA  TROISIÈME.—  ILS  ONT  PU  PLACER 
LA  CROIX  A  SAINT-VICTOR.  —  LES  MOINES  PLUTÔT  LA  LEUR  ONT 
RACHETÉE,  PARCE  QUE  VERS  490  LES  BURGUNDBS  ÉTAIENT  ARIENS.  — 
LA  QUATRIÈME  ET  LA  CINQUIÈME.  —  ON  A  PU  CACHER  CETTE  RELIQUE 
A  8AINT-VICTOR,  OU  A  L'HUVEAUNE. 


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Où  se  trouvait  cette  croix  de  saint  André,  si  au  IV*  siècle 
elle  n'était  pas  à  Patras  ?  Nul  historien  ne  donne  une  réponse 
à  cette  question.  Seul  Chifflet,  appuyé  sur  Paradin  et  le  com- 
plétant, fait  le  récit  que  nous  connaissons.  La  croix  de  saint 
André  était  à  Marseille  dès  le  début  du  V*  siècle.  Est-ce  pos- 
sible ?  Parfaitement. 

Prenons  le  récit  de  Chifflet,  étudions-le  dans  le  détail,  et 
nous  pourrons  nous  convaincre  que  toutes  les  assertions  de  cet 
auteur,  sauf  de  légères  invraisemblances  qui  n'entament  point 
la  véracité  du  fait  lui-môme,  que  toutes  les  assertions,  dis-je, 
de  cet  auteur  concordent  avec  les  traditions,  les  événements 
de  Marseille  dans  ces  temps  reculés  et  sont  la  plus  plausible 
explication  de  faits  et  de  traditions  entourés  d'obscurités. 

Il  y  a  cinq  assertions  dans  le  récit  de  Chifflet  :  1#  c'est  un 
roi  burgunde,  du  nom  d'Etienne,  qui  a  porté  la  croix  de  saint 
André  à  Marseille  ;  2*  c'est  en  401  que  cette  précieuse  relique 
arriva  dans  notre  ville  ;  3*  on  la  plaça  à  Saint- Victor  ; 
4#  on  l'enfouit  auprès  du  monastère  des  vierges  de  l'Hu- 


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—  288  — 

veaune  (1);  5'  cette  croix  ayant  été  perdue,  Hugues  de 
Giasinis  apprit  par  révélation  l'endroit  précis  où  cette  relique 
était  cachée  et  la  rapporta  à  Saint* Victor. 

C'est  d'abord  un  roi  burgunde,  du  nom  d'Etienne,  qui  a 
porté  cette  croix  de  saint  André  à  Marseille.  Or,  rien  ne  s'op- 
pose à  ce  qu'un  roi  burgunde  ait  agi  ainsi. 

A  la  suite  de  migrations  successives  qu'avaient  opérées  dans 
le  nord  de  l'Europe  différentes  peuplades  de  la  Germanie,  les 
Golhs,  qui  descendaient  de  la  Scandinavie,  s'établirent  sur  les 
deux  rives  du  Dniester  ;  les  Longobards,  sur  les  bords  de 
l'Oder;  les  Marcomans,  en  Bohème;  les  Vandales,  en  Mora- 
vie (2).  Une  tribu,  d'origine  vandale,  quittant  ses  foyers,  vint 
fixer  son  séjour  dans  les  vallées  de  la  Saale  et  du  Mein,  c'était 
la  tribu  des  Burgundes,  appelés  plus  tard  Bourguignons. 
Ceux-ci,  avides  de  guerre  et  d'aventures,  en  257  sous  Gallien, 
en  277  sous  Probus,  en  287  sous  Dioclétien  et  Maximin,  atta- 
quèrent et  pillèrent  les  provinces  voisines  relevant  de  l'empire 
romain  (3).  Vers  370  cependant,  sous  l'empereur  Valentinien, 
ils  se  firent  ses  auxiliaires  (4).  Mais  bientôt,  chassés  de  leurs 
cantonnements  par  les  Huns  qui  montaient  le  long  du  Da- 
nube, les  Burgundes  franchissent  le  Rhin  dans  la  nuit  du  31 
décembre  406  au  1"  janvier  407,  en  compagnie  des  Suèves,  des 
Alains,  des  Vandales,  etc.,  etc.  (5).  Pendant  que  ces  diverses 
tribus  ravagent  la  Gaule  et  se  dirigent  vers  l'Espagne,  les 
Burgundes,  d'un  caractère  plus  paisible,  moins  féroces,  pro- 
fitant des  dissensions  qui  régnent  entre  les  généraux  romains 


(1)  Nous  suivrons  pour  le  moment  le  dire  de  Paradin,  car  Ghifflet  croit 
pour  sa  part  qu'elle  a  été  placée  au  cœnobium  de  l'Huveaune.  Nous  le 
verrons  tantôt. 

(2)  Histoire  des  Romains,  par  Du  ru  y,  t.  VI  p.  353  —  Précis  d'his- 
toire de  France,  par  Todiére,  t.  I,  p.  51.  —  Darras,  Histoire  de  l Eglise \ 
t.  XIII,  p.  445   —  Histoire  des  Vandales,  par  Marcus,  p.  24. 

(3)  Histoire  des  Vandales,  par  Marcus,  p.  1.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II, p.  41.  —  Duruy,  op.  cit.,  t.  VI,  p.  353.  —  André  Du- 
chesne.  Histoire  des  rois  et  ducs  de  Bourgogne,  p.  4.  —  Alphonse 
d'Elbene,  De  regno  Burgundiœ,  p.  29. 

(4)  Marcus,  op.  cit.,  p.  33.  —  Ducuy,  op.  [cit.,  t.  VI,  pp.  411,  511» 
534. 

(5)  Duruy,  op.  cit.  t.  VI,  p.  411. 


—  289  - 


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chargés  de  les  battre  et  de  les  refouler,  s'établissent  dans  la 
Séquanaise  entre  la  Saône  et  le  Rhône  (1),  province  que  leur 
cède  l'usurpateur  Jovin  et  dont,  en  419,  Honorius  leur  con- 
firme la  possession  (2). 

Or,  de  bonne  heure,  la  tribu  des  Burgundes  a  connu  les 
lumières  de  la  foi  catholique.  Sozomène  atteste  que  sous  Cons- 
tantin le  Grand  l'Evangile  commença  à  leur  être  prêché  (3)  ; 
Orose  atteste  que  dès  417  le  gros  de  la  nation  avait  des  prêtres 
catholiques  ;  en  530,  toute  la  nation  professait  la  religion 
de  Jésus  Christ  (4).  Sous  leurs  rois  Gondioch  et  Chilpéric,  ils 
demeurèrent  fidèles,et  ce  ne  fut  que  pour  quelques  années,sous 
Gondebaud,  vers  490,  qu'ils  inclinèrent  vers  Tarianisme.  Dès 
517,  cependant,  à  la  mort  de  Gondebaud,  Sigismond  son  fils 
rétablit  dans  ses  Etats  le  catholicisme  (5). 

Comment  la  foi  chrétienne  avait-elle  pénétré  chez  eux? 
Nous  avons  ditque  ce  peuple  vivait  sur  les  bords  de  la  Saale 
et  du  Mein.  Or,  à  deux  pas  de  leurs  cantonnements,  il  y  avait 
des  fidèles,  des  prêtres,  des  évêques  catholiques  (6).  Depuis 
plus  d'un  siècle,  en  effet,  la  religion  était  florissante  dans  les 
provinces  de  la  rive  gauche  du  Rhin  :  à  Cologne,  à  Trêves,  à 
Toogres,  à  Laybach,à  Pettau,  il  y  avait  des  évêques,et  non  des 
moins  illustres,  dont  les  enseignements  ont  pu  arriver  jus- 
qu'aux Burgundes  (7). 


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(1)  Marcus,  op.  cit  ,  p.  58.  —  Todière,  op.  cit.,  p.  62.  —  Papou,  op. 
cit.,  t.  II,  p.  42. 

(2)  Todière,  op.  cit.,  p.  62. 

(3)  Sozomène,  cité  par  M.  l'abbé  Magnan,  op.  cit.,  p.  14. 

(4)  Orose,  livre  VII,  cap.  32. 

(5)  Socrate,  Histoire  ecclésiastique,  VII,  30.  —  Darras,  Histoire  de 
l'Eglise,  t.  XIII,  p.  416.  —  Ozanara,  t.  IV,  Etudes  germaniques, 
p.  50. 

(6)  Darras,  op.  cit.,  t.  XIII,  p.  44G. 

(7)  Les  contrées  avoisinant  le  Rhin  ont  été  évangélisées  de  très 
bonne  heure.  Mayence,  Metz,  Toul  ont  eu  pour  premier  évêques  des 
disciples  des  Apôtres.  (Ozanam,  t.  IV,  Etudes  germaniques,  p.  18.)  — 
Un  texte  de  saint  Irénée  ferait  remonter  la  prédication  de  la  foi  dans  la 
Germanie  antérieurement  à  l'an  200.  (Ozanam,  op.  cit.,  p.  3.)— Sous 
Marc-Aurèle,  sous  Maximilienil  y  eut  des  martyrs.  (Ozanam,  op.  cit., 
p.  5  )  —  Constantin  appelle  à  un  concile  à  Rome  Tévêque  de  Cologne. 
Au  concile  d'Arles,  en  314,  il  y  avait  des  évêques  de  Germanie.  (Ozanam, 
op.  cit.  pp.  8, 17.) 


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—  290  — 

L'historien  Sozomène,  racontant  de  quelle  manière  le  chris- 
tianisme s'était  introduit  chez  les Goths, écrit  :  «C'est  aux  cap- 
tifs que  la  guerre  faisait  tomber  entre  leurs  mains  qu'ils  doi- 
vent la  vérité.  Ils  ramenaient  de  leurs  excursions  des  évoques, 
des  prêtres,  des  fidèles  dont  ils  faisaient  quelquefois  leurs  es- 
claves ;  or,  en  voyant  leur  vie  et  leurs  mœurs  douces  et  pures, 
les  miracles  qu'ils  accomplissaient  dans  l'intérêt  même  de 
leurs  persécuteurs,  ceux-ci  étaient  touchés  (1).  »  Il  a  dû  en 
être  de  même  pour  les  Burgundes.Que  de  fois,  alliés  à  d'autres 
peuplades,  ou  livrés  à  leurs  seules  forces,  ils  ont  envahi  les 
contrées  voisines,  ramenant  sur  leurs  chariots  un  butin  abon- 
dant, et  traînant  après  eux  de  nombreux  esclaves,  qui  peu  à 
peu  les  rendaient  chrétiens  ! 

Il  y  a  quelque  chose  de  plus  particulier  à  rappeler  au  sujet 
des  Burgundes.  I/Apôtre  saint  André  a  été  martyrisé  à  Patras, 
en  Achaïe.  Mais  bien  habile  serait  celui  qui  pourrait  préciser 
les  villes  et  les  nations  qu'il  a  évangélisées  (2). 

Les  Apôtres  allaient  devant  eux,  là  où  le  Saint-Esprit  les 
unissait.  Quand  on  dit  d'une  contrée  qu'elle  a  été  évangélisée 

(1)  Ozanan,   t.  IV,  Etudes  germaniques,  p.  4;  il  cite  Sozomène 
Histoire  ecclésiastique,  t.  II,  chap.  6. 

(2)  Après  l'ascension  de  Notre-Seigneur  et  la  descente  du  Saint- 
Esprit,  saint  André,  suivant  Origène,  prêcha  l'Evangile  dans  la  Scylhie. 
Sophrone,  qui  écrivait  peu  de  temps  après  saint  Jérôme  et  qui  a  traduit 
en  grec  le  Catalogué  des  hommes  illustres  et  quelques  autres  ouvrages 
de  ce  Père,  le  fait  aussi  apôtre  de  la  Colchide  et  de  la  Sogdiane.  Théo- 
doret  dit  qu'il  passa  dans  la  Grèce.  On  lit  dans  saint  Grégoire  de  Na- 
zianze  qu'il  prêcha  particulièrement  en  Epire;  dans  saint  Jérôme,  qu'il 
porta  le  flambeau  de  la  foi  en  Àchaïe  ;  dans  saint  Paulin,  que  sa  parole 
réduisit  au  silence  les  philosophes  d'Argos  ;  dans  saint  Philastre,  qu'il 
vint  du  Pont  dans  la  Grèce,  et  dans  la  ville  de  Sinope. ..  Les  Moscovites 
sont  persuadés  que  saint  André  a  prêché  dans  leur  pays  jusqu'à  l'em- 
bouchure du  Borysthène,  jusqu'aux  montagnes  où  est  aujourd'hui  la 
ville  de  Kiew,  et  jusqu'aux  frontières  de  Pologne.  Si  les  anciens  qui 
font  de  laScythie  le  théâtre  des  travaux  du  saint  Apôtre  ont  voulu  par- 
ler de  la  Scythie  européenne,  leur  témoignage  sera  favorable  aux  Mos- 
covites. Suivant  les  Grecs,  s'il  s'agit  de  la  Scythie  dans  la  Colchide,  il 
pourrait  être  aussi  question  de  la  Scythie  européenne,  puisque,  selon  ces 
Grecs  encore,  saint  André  prêcha  en  Thrace  et  Byzance.  {Vie  des  Saints, 
par  le  Père  Giry,  p.  942.)  —  30  nov.,  Martyrologe  romain  annoté  par 
Baronius. 


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—  291  — 

par  un  Apôtre,  il  ne  faut  pas  croire  que  celui-ci  s'est  borné 
à  parcourir  cette  contrée  seulement.  Non,  il  est  allé  deçà  et  t 

delà,  répandant  partout  la  bonne  nouvelle  de  l'Evangile.  La 
région  que  Ton  désigne  est  tout  au  plus  celle  où  il  a  davan- 
tage travaillé  pour  Jésus-Christ. 

Or,  il  est  dit,  dans  l'office  de  saint  André,  qu'il  a  prêché 
l'Evangile  dans  la  «  Scythiam  Europae  (1  )  »,  c'est-à-dire  dans 
les  contrées  que  le  Danube  borne  à  l'occident,  le  Volga  ou  le 
Borysthène  à  l'orient.  Le  Martyrologe  ajoute  qu'il  a  prêché 
dans  la  Thrace  et  la  Scythie  (2). On  sait  que  les  Russes  ont  une 
grande  dévotion  à  saint  André  et  ils  sont  persuadés  que  l'Apô- 
tre a  porté  la  foi  dans  leur  pays,  et  jusqu'aux  frontières  de 
Pologne.  Ainsi  l'Apôtre  aurait  parcouru  la  Grèce,  le  Pont,  tout 
le  nord  de  l'Europe. 

Or,  qui  sait  si  dans  le  temps  où  les  Goths,  les  Marcomans, 
les  Longobards,  les  Vandales,  les  Burgundes  erraient  dans  les 
steppes  de  la  Germanie  et  de  la  Scythie,  à  la  recherche  d'un 
campement  fixe,  qui  sait  si  les  Burgundes  n'avaient  pas  vu, 
pas  entendu  cet  Apôtre*?  C'était  bien  suivant  un  dessein  de  la 
Providence  que  s'accomplissaient  les  migrations  des  peuples. 
De  même  que  les  flots  glacés  des  océans  du  pôle  descendent 
par  des  courants  immenses  vers  les  chaudes  régions  de  l'équa- 
teur,  afin  de  s'y  attiédir  et  de  rapporter  aux  rivages  d'où  ils 
viennent  un  peu  de  vie  et  éloigner  la  congélation  complète  au 
sein  de  leurs  abîmes,  ainsi  les  peuples  sauvages  quittent  suc- 
cessivement leurs  foyers,  assis  au  sein  des  ténèbres  du  paga- 
nisme et  de  la  barbarie,pour  se  rapprocher  des  contrées  où  la 
vérité  et  la  foi  brillent  déjà  d'un  vif  éclat,  et  rapporter,  en  re- 
gagnant leurs  forêts  et  leurs  steppes  lointains,  un  peu  de  foi, 
un  peu  de  religion. 

Pour  les  Burgundes,  leurs  migrations  et  leurs  courses  ont 

(1)  «...  Andréas,  cum  in  Scythiam  Europae,  quae  ei  provincia  ad 
Chrisli  fidem  disseminandam  obtigerat,  venisset  deinde  Epirum  ac 
Thraciam  peragrasset.  »  Officium  Sancti  Andrœœ,  30  nov.,  Breviarium 
Romanum. 

(2)  htartyrologium  Romanum,  30  nov.  :  c  Apud  Pat  ras  A  chaise,  na- 
talis  sancti  Andrseae  Apostoli,  qui  in  Thracia  et  Scythia  Christi  evange- 
Hum  prœdicavit.  » 


—  292  — 

pu  leur  apporter  ce  bienfait.  Admettons  qu'au  début  ils  n'aient 
pas  accepté  d'embrasser  cette  vérité  que  leur  prêchait  l'Apô- 
tre. Mais  on  en  a  conservé  un  vague,  un  persistant  souvenir, 
qui  se  transmettait  de  famille  en  famille,  de  village  en  vil- 
lage, de  tribu  en  tribu.  C'était  le  germe  d'une  semence  qui 
devait  lever  plus  tard,  à  la  première  occasion  favorable. 

Or,  qui  sait  encore  si,  dans  leurs  courses,  ils  n'ont  pas  ren- 
contré cette  occasion  favorable  !  Nous  trouvons  les  Burgundes 
occupés  au  pillage,  à  la  guerre,  en  I  11  y  rie,  en  Macédoine,  en 
Grèce,  à  plusieurs  reprises  durant  le  III*  siècle  (1).  Les  Goths, 
peuplades  alliées  et  voisines,  désolent  pendant  vingt  ans,  au 
IIP  siècle  encore,  la  Mésie,  la  Grèce,  la  Troade,  l'Illyrie,  la 
Cappadoce,  brûlant  et  saccageant  Ephèse,  Nicée,  Athènes,Tré- 
bizonde,  etc.,  etc.  (2j.  Quand  ils  reviennent  dans  leurs  cam- 
pements, ce  sont  des  longs  convois  de  prisonniers,  de  lourds 
charriots  de  butin  qu'ils  ramènent  avec  eux  dans  le  Nord.  Or, 
Patras,  lieu  du  supplice  et  de  l'ensevelissement  de  saint  André, 
a  dû  être  visité  par  les  Goths;  qui  assurera  que  la  croix  de 
l'Apôtre  n'a  pas  été  prise  avec  d'autres  reliques,  qu'elle  n'a  pas 
été  portée  dans  le  Nord  comme  un  vil  butin,  qu'elle  n'a  pu  être 
troquée  contre  quelque  vile  marchandise,  et  que  de  peuple 
en  peuple,  de  vente  en  vente,  elle  n'est  pas  arrivée  aux 
mains  de  quelque  soldat,  de  quelque  chef  burgunde  ?  Qui  as- 
surera que,  au  souvenir  de  l'Apôtre  qui  avait  jadis  prêché 
leurs  pères,  ces  Burgundes  n'ont  pas  reconnu  cette  relique  et 
ne  l'ont  pas  eue  en  vénération  ?  Qui  assurera  que  pour  la  croix 
de  l'Apôtre,  comme  pour  celle  de  Notre-Seigneur,  il  n'y  a  pas 
eu  quelque  fidèle,  quelque  prêtre,  quelque  évoque  qui  se  soit 
dévoué  pour  la  suivre  et  la  garder  dans  les  pérégrinations 
lointaines,  et  qu'arrivé  à  la  suite  de  cette  relique  chez  les 
Burgundes,  il  n'en  ait  fait  connaître  le  prix  en  leur  préchant 
la  foi  que  l'Apôtre  leur  avait  annoncée  ?  Qui  assurera  qu'il 
n'y  avait  pas  au  milieu  des  Goths,  durant  ces  courses,  quelque 
chef  burgunde  qui,  se  rappelant  l'Apôtre  de  ses  aïeux,  se  soit 
fait  attribuer,  de  préférence  à  tout  autre  butin,  la  croix,  l'ins- 

(1)  Duruy,  op.  cit.,  t   VI,  pp.  411,  511. 

(2)  Ozanam,  t.  IV,  Etudes  germaniques,  p.  22.   — .  Duruy,  op.  cit  , 
t.  VI,  pp.  411,  435,  etc. 


—  293  — 

trament  de  son  supplice,  et  ne  Tait  rapportée  au  milieu  de  sa 
tribu  ?  Et  pourquoi  cette  relique  ainsi  en  honneur  n'aurait- 
elle  pas  vu  son  image  remplacer,  sur  les  drapeaux  guerriers, 
le  dragon  qui  les  ornait  auparavant  ? 

On  le  voit,  il  n'y  a  rien  d'impossible  dans  Ja  première  asser- 
tion de  Chifflet  et  de  Paradin  :  que  c'est  un  roi  burgunde 
qui  a  donné  cette  relique  à  Marseille.  Car,  bien  antérieure* 
ment  à  401,  un  roi  burgunde  a  pu  posséder  la  croix  de  saint 
André.  Si  en  417  les  Burgundes  étaient  chrétiens,  ils  pou- 
vaient l'être  dès  401,  et  à  cette  môme  date  il  pouvait  bien  y 
avoir  un  chef,  un  roi  de  cette  nation  qui  fût  baptisé,  qui 
s'appelât  Etienne,  quoique  l'histoire  ne  le  connaisse  pas  sous 
ce  nom  (1)  ! 

Poursuivons.  C'est  en  401  que  le  roi  bourguignon  Etienne 
apporte  cette  relique  à  Marseille,  dit  Chifflet.  Nous  croyons 
que  sur  ce  point  la  tradition  est  fautive.   Ce  n'est  pas  en  401 . 

En  effet,  en  405-406  les  Burgundes  franchissent  le  Rhin  et 
viennent  en  foule  à  la  suite  des  Suèves,  des  Alains,  des  Van- 
dales, etc.  Pendant  que  les  Vandales  se  dirigent  vers  l'Espagne, 
les  Burgundes  s'établissent,  sous  leur  roi  Gondebaud,  entre 
la  Saône  et  le  Rhône.  L'usurpateur  Jovin  en  411,.  Honorius 
en  413  les  confirment  dans  la  possession  de  cette  province. 

A  cette  époque  donc  ils  ne  sont  pas  venus  jusqu'à  Marseille. 
Ataulfe  et  ses  Visigoths,  chargés  par  Honorius,  en  412,  de  bat- 
tre les  usurpateurs  de  J'empire,  Jovin  et  Sébastien,  leur 
auraient  barré  le  passage.  Et  il  n'y  a  pas  de  trace  dans  l'histoire 
qu' Ataulfe  ait  eu  à  lutter  contre  eux. 

Vers  413  et  plus  tard,  c'est  encore  moins  probable,  Marseille 
et  Arles  sont  garnies  de  troupes.  Boni  face  gouverne  Marseille 
et  repousse  Ataulfe  et  les  Visigoths  qui  voulaient  s'en  emparer. 
Il  aurait  repoussé  aussi  les  Burgundes. 

Vers  425  Àetius,  vers  430  son  lieutenant  Littorius,  vers  43 i 
Aefius  encore  battent  et  repoussent  les  Visigoths.  Pareille- 
Ci)  Raymond  des  Soliers,  dans  les  Antiquités  de  Marseille,  p.  167, 
estime  que  c'est  bien  à  tort  que  l'on  a  compté  cet  Etienne  au  nombre 
des  rois  de  Bourgogne.  Mais  ce  u'est  qu'une  supposition  encore  qui  est 
bien  contrebalancée  par  le  dire  de  certains  auteurs  que  ce  nom  d'Etienne 
a  pu  être  le  nom  de  baptême  donné  à  un  de  ces  rois. 


-294  - 

ment  ils  auraient  repoussé  les  Burgundes  s'ils  avaient  tenté 
de  prendre  Marseille. 

Vers  453  cependant,  profitant  de  l'absence  d'Aetius,  occupé 
avec  les  Francs,  et  de  Littorius,  occupé  avec  les  Visigoths, 
les  Burgundes  s'ébranlent.  Mais  Aetius  les  atteint,  les  bat, 
leur  tue  20,000  hommes,  et,  pour  faire  la  paix,  il  leur  cède  la 
Savoie.  En  supposant  qu'à  cette  date  ils  sont  arrivés  jusqu'à 
Marseille,  comme  ils  venaient  pour  piller,  enlever  des  reli- 
ques, ce  n'est  pas  en  cette  circonstance  qu'ils  en  ont  laissé,  sur- 
tout une  aussi  précieuse  que  la  croix  de  saint  André. 

Ils  reviennent  en  456, 457,  458,  459.  Mais  toujours  repous- 
sés, ils  ne  peuvent  se  fixer  dans  notre  vHle  (1).  Vers  480, 
Euric,  roi  des  Visigoths,  prend  Marseille,  qu'il  convoitait  de- 
puis longtemps.  Certainement,  durant  son  règne,  il  aurait 
chassé  les  Burgundes,  s'ils  s'étaient  présentés.  Mais  en  484  la 
situation  change.  Les  Bourguignons  viennent  à  Marseille.  Euric 
est  mort.  Alaric  II,  son  fils,  fait  alliance  avec  le  roi  des  Bour- 
guignons, Gondebaud,  et  lui  cède  Marseille  et  la  Provence  (2), 
eu  489  ou  500.  En  506  elle  lui  appartenait  encore  (3).  Mais, 
reçusse  du  siège  d'Arles,  en  508,  par  Théodoric,  roi  des  Ostro- 
goths,  accouru  d'Italie  pour  défendre  l'héritage  de  son  neveu, 
il  dut  à  son  tour  rétrocéder  à  ce  roi  vainqueur  la  Provence  et 
Marseille  (4)-.  Depuis  cette  époque  notre  ville  devint  successi- 
vement la  possession  des  Ostrogoths  jusqu'en  536,  des  enfants 
de  Clovis,  puis  de  Clotaire,  roi  de  Soissons,  de  Sigebert,  de 
Childebert,  de  Gontran,  pour  la  moitié  de  la  ville,  de  Chiide- 
bert  encore,  et  ne  fit  plus  partie  du  royaume  de  Bourgogne. 

(1)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  244  et  suiv.  —  Fouque, 
Fastes  de  Provence,  t. 1,  p.  213,  etc.  —  Papon,  t.  II,  p.  42  et  suiv.  — 
Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  1. 1,  pp.  36,  37. 

(2)  Fabre,  A.,  op.  cit.,  p.  255.  —  Statistique  des  Bouches- du-Rhône, 
t.  II,  p.  88.  —  Ruffl,  t.  I,  p.  36. 

(3)  Statistique,  op.  cit.,  t.  II,  p.  92.  —  Fabre,  A.,  op.  ciï.,t.  I, 
p.  260. 

(4)  Pour  l'année  489,  l'inscription  de  Nymphidius  de  Marseille,  datée 
par  les  consuls,  le  prouve  ;  pour  500,  c'est  la  présence  de  l'évèque  de 
Marseille  ati  colloque  de  Lyon;  et  pour  506,  c'est  l'absence  de  ce  même 
évêque  ou  de  son  représentant  au  concile  d'Agde.  —  V.  Longnon,  Gaule 
au  VI*  siècle,  pp.  47,  49. 


—  295  — 

Il  y  a  donc  un  moment,  de  484  à  500-506,  où  les  Bourgui- 
gnons sont  les  maîtres  de  Marseille.  Si,  comme  on  Ta  vu  plus 
haut,  la  croix  de  saint  André  est  en  leur  possesssion  anté- 
rieurement à  401,  de  484  à  508  ils  ont  pu  la  donner  à  Mar- 
seille. On  le  voit,  l'assertion  deChifflet  et  Paradin  nous  relatant 
la  tradition  devient  de  plus  en  plus  probable  ! 

Poursuivons  encore.  La  croix  de  saint  André  a  été  placée 
dans  l'abbaye  de  Saint-Victor,  disent  Chif flet  et  Paradin .  Y  a- 
t-il  sur  ce  point  quelque  invraisemblance?  Aucune. 

Dom  Lefournier,  pour  réfuter  Paradin  affirmant  qu'en  401 
un  roi  burgunde  déposa  cette  relique  dans  le  monastère  de 
Saint-Victor,  répond  que  l'église  de  Saint- Victor  n'existait  pas, 
puisque  Cassien  ne  l'a  bâtie  que  vers  415  (1).  Cette  réponse  n'a 
aucune  valeur.  Saint  Victor,  disent  les  Actes  de  son  martyre, 
avait  été  enseveli  dans  une  grotte  et  sur  cette  grotte  les  fidèles 
construisirent  une  petite  église,  puisque  Benoit  IX,  dans  sa 
bulle  de  1040,  dit  qu'un  petit  monastère  y  avait  été  fondé  du 
temps  de  l'empereur  Antonin  (2).  Ce  terme  de  monastère  signi- 
fie église,  lieu  de  réunion.  Donc,  à  la  rigueur,  si  les  Bur- 
gundes  avaient  pu  venir  à  Marseille  en  401,  il  leur  aurait  été 
possible  de  déposer  la  croix  de  saint  André  dans  cette  église 
primitive. 

Mais,  si  cette  relique  n'a  été  portée  à  Marseille  que  vers  484, 
toute  difficulté  s'évanouit.  En  484,  ou  un  peu  plus  tard,  il  y  a 
un  monastère,  une  église.  Gennade  atteste  que  de  son  temps 
ce  monastère  existait.  Donc,  en  484,  un  roi  burgunde  a  pu 
y  placer  la  croix  du  saint  Apôtre. 

Mais,  dira-t-on,  comment  peut-il  se  faire  qu'un  roi  bur- 
gunde cède  à  l'abbaye  de  Saint -Victor  un  trésor  si  précieux? 
Effectivement  il  est  difficile  de  croire  que  les  Bourguignons 
aient  accepté  de  s'en  dessaisir.  Il  a  fallu  nécessairement  qu'à 
un  moment  donné  ils  n'eussent  plus  pour  cette  relique 
cette  vénération   que   leurs   aïeux   avaient  professée  pour 

(1)  Dom  Lefournier,  cité  par  M.  l'abbé  Magnan,  Notice  sur  la  Croix  de 
saint  André,  p.  12. 

(2)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  14,  de  1040  :  «  Monasterium  apud 
urbem  Massiliensium  tempore  Antonini  fundatum.  • 


—  296  — 

elle.  Cette  circonstance  s'est-elle  présentée  ?  Oui.  Rappelons- 
nous  que  les  Bourguignons  étaient  passés  à  l'arianisme  sous 
leur  roi  Gondebaud,  de  480  à  517  (1).  Quand  ils  viennent 
à  Marseille  de  484  à  508,  ils  étaient  donc  ariens.  Et  Ton  com- 
prend que  les  moines  de  Saint- Victor,  voyant  cette  relique 
insigne  entre  les  mains  des  Ariens,  aient  sollicité  de  l'avoir 
dans  leur  église,  peut-être  môme  l'ont-ils  achetée  au  poids  de 
l'or.  Voilà  comment  s'explique  tout  naturellement  que  ce  roi 
burgunde  du  nom  d'Etienne,  ou  de  quelque  nom  que  ce  soit, 
ait  placé  la  relique  de  la  croix  de  saint  André  dans  l'abbaye  de 
Saint-Victor.  Paradin  et  Chifflet  ont-ils  avancé  une  chose 
invraisemblable  ? 

Voyons  la  quatrième  et  la  cinquième  assertions.  A  une  épo- 
que, cette  relique  fut  enfouie  dans  le  monastère  des  vierges  de 
l'Huveaune,  et  retrouvée  plus  tard  par  le  bienheureux  Hugues 
de  Glasinis,  sacristain  de  l'abbaye  de  Saint-Victor. 

Qu'à  un  moment  donné  la  croix  ait  été  cachée,  rien  de  plus 
vraisemblable,  11  fut  un  temps  où,  les  Sarrasins  menaçant  la 
Provence,  on  prit,  à  l'endroit  des  plus  précieuses  reliques,  la 
môme  précaution  (2).  En  716,  à  Saint-Maximin,  on  déroba  sous 
un  amas  de  terre  la  crypte  qui  abritait  les  restes  de  sainte 
Marie-Madeleine.  On  fit  de  même  à  Tarascon,  pour  le  corps 
de  sainte  Marthe  ;  à  Notre-Dame  de  la  Mer,  pour  les  corps  des 
saintes  Maries;  à  Marseille,  pour  le  corps  de  saint  Lazare  (3)  ; 
à  l'abbaye  elle-même  de  Saint-Victor,  pour  les  corps  des  saints 
martyrs  que  l'on  y  vénérait.  A-t-on  gardé  à  découvert  la  croix 
de  saint  André  dans  l'abbaye  ?  Ce  n'est  pas  croyable. 

Ensuite,  que  plus  tard  Hugues  de  Glasinis  ait  découvert  cette 

(1)  Gennade,  De  illustribus  Ecclesiœ  Scriptoribus  :  c  Casstanus. .. 
duo  monasteria,  id  est  virorum  et  mulierum,  quœ  usque  hodie  exstant, 
condidit.  »  Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  LVIII,  Gennade,  DeïUustr. 
Script. t  cap.  61. 

(2)  M.  l'abbé  Magnan,  Notice  sur  la  Croix  de  saint  André,  p.  14.  — 
Ozanara,  op.  cit.,  t.  IV,  p.  50.— Darras,  op.  cit.  t.  XIII,  p.  446. 

(3)  C'est  ce  que  l'on  flt  en  Espagne,  au  rapport  d'un  historien  de  ce 
pays:  c  Hoc  DCGXV,  in  summà  rerum  inopiâ...  sanctorum.  corpora 
veneranda  trans  Pyrsenœum  et  in  editissima  castella  arcentur.  »  —  On 
S'î  rappelle  Tordre  donné  par  un  ange  à  saint  Porcaire,  de  Lérins. . .  — 
Faillon,  Monuments  inédits,  1. 1,  col.  681. 


—  297  - 

relique,  c'est  fort  possible,  puisque,  à  l'appui  de  la  tradition 
et  du  dire  des  auteurs,  il  y  a  un  monument  lapidaire  «  qui 
est  inexplicable  sans  le  récit  de  Chifflet  (l)» .  On  le  voit,  c'est 
une  tradition  ancienne  de  Marseille  que  Chifflet  et  Paradin 
nous  rappellent.  Et  les  faits,  les  événements  de  notre  Provence 
et  de  notre  cité  à  cette  époque,  bien  loin  de  lui  être  contraires, 
lui  sont   favorables. 


(1)  Faillon,  op  cit.,  t.  I,  col.  £81. 


CHAPITRE  V 


La  Oroix  de  saint  André 


(Suite) 


LA  CROIX  DB  SAINT  ANDRÉ  N*A  PU  BTRB  CACHÉE  A  SAINT-VICTOR  AU 
VIII*  SIECLE.  —  ON  NE  L'AURAIT  PA8  PERDUE.  —  PA8  AU  IX*  OU  X* 
SIÈCLE,  CAR  AU  X*  SIÈCLB  ON  L'A  PERDUE.  '—  BLLB  N*A  PAS  ÉTÉ 
CACHÉE  HORS  DB  SAINT-VICTOR  AU  X*  SIÈCLE.  ON  L' AURAIT  VITE  RE- 
TROUVÉE. —  BLLB  A  ÉTÉ  CACHÉS  HORS  DE  SAINT-VICTOR  AU  VIII* 
SIÈCLE.—  AU  CŒNOBIUM  DBS  VIERGE8 C A8SIANITES,  A  L'HUVBAUNB. 
C'EST  LA  PEUT-ÊTRE  QU'ELLE  A  TOUJOURS  ÉTÉ  AVANT  LB  XIII*  SIÈ- 
CLE. —  LBS  PRÉMONTRÉS  N'ONT  PU  LA  RÉCLAMER.  —  IL  N'Y  A  PAS 
BU  DB  PROCÈS-VERBAL. 


La  question  importante  pour  nous  est  celle-ci  :  Cette  croix 
de  saint  André  a-t-elle  été  cachée  dans  un  monastère  de 
vierges  aux  bords  de  l'Huveaune  et  Hugues  de  Glasinis  l'y 
a-t-il  découverte  ?  Ou  bien  le  recel  et  l'invention  de  cette 
relique  se  sont-ils  faits  à  Saint-Victor  ? 

Le  recel  et  l'invention  de  cette  relique  n'ont  pas  été  accom- 
plis à  Saint-Victor.  Ce  n'est  pas  dans  cette  abbaye  qu'elle  a  été 
cachée,  perdue  et  retrouvée. 

Si  le  recel  de  la  relique  avait  eu  lieu  à  Saint- Victor,  il  n'y 
a  que  deux  époques  où  il  aurait  pu  être  fait  avec  quelque 
vraisemblance  et  quelque  nécessité.  Au  début  du  VHP  siècle, 
alors  que  les  Sarrasins  menaçaient  la  Provence,  vers  716,  730, 
ou  plus  tard  au  IX*  siècle,  entre  838  et  924,  époque  de  tribula- 
tions pour  nos  contrées,  à  cause  des  incursions  des  Sarrasins 
établis  au  Frazinet,  vers  886. 

Or,  cette  opération  ne  s'est  pas  faite  au  début  du  VHP  siècle. 
La  conquête  de  l'Espagne  avait  été  si  prompte,  que  la  frayeur 
la  plus  grande  s'empara  de  tous  les  cœurs,  en  Provence.  Par- 
tout dans  la  contrée  on  cache  les  reliques.  A  Saint-Victor  on 
dut  faire  de  même  et  enfouir  ce  que  l'on  avait  de  plus  pré- 


—  299  — 

deux.  Mais  rien  ne  sortit  de  l'abbaye.  Le  corps  de  saint  Victor 
y  demeura.  Les  moines  ne  quittèrent  pas  le  monastère.  Où 
seraient-ils  allés  ?  A  qui  auraient-ils  demandé  secours  et  pro- 
tection? On  n'ignorait  pas,  à  Marseille,  que  Mauronte,  par 
ambition,  avait  appelé  les  Sarrasins  (1)  ;  on  se  confia  aux 
épaisses  murailles  de  l'abbaye  et,  de  fait,  elle  ne  fut  pas  dé- 
truite, quoique  Marseille  ait  été  prise  et  saccagée  en  737  (2). 
Mais,  l'orage  passé  et  les  ennemis  en  fuite,  toutes  les  reliques 
durent  être  remises  à  leurs  places  dans  l'abbaye.  On  ne  con- 
naissait pas  les  ennemis  à  qui  on  avait  affaire  et  Ton  crut  que 
tout  était  uni.  Si  donc,  vers  716  ou  738,  la  croix  de  saint 
André  a  été  cachée  à  Saint-Victor,  ce  ne  fut  que  momentané- 
ment. Le  calme  revenu,  elle  a  dû  sortir  de  sa  cachette.  Et  il 
est  impossible  de  supposer  qu'elle  a  pu  être  perdue  en  un 
aussi  court  laps  de  temps,  les  moines  n'ayant  pas  quitté  l'ab- 
baye, et  la  relique  étant  par  supposition  cachée  dans  cette  ab- 
baye. Donc  elle  n'a  pas  été  perdue  au  VIII*  siècle. 

Elle  ne  l'a  pas  été  au  IX*  siècle.  Les  bandes  sarrasines,  arré  - 
tées  par  Charlemagne  durant  son  règne,  reprennent  dès  814 
leur  marche  en  avant.  En  813  elles  avaient  brûlé  Nice,  et 
enlevé  à  Marseille,  en  838,  les  religieuses  qui  y  vivaient  ;  en 
842,  elles  pillent  la  ville  d'Arles  et  brisent  le  tombeau  de 
saint  Césaire.  Bientôt  ce  sont  de  nouveaux  ennemis  qui  se  joi- 
gnent aux  Sarrasins,  les  Normands.  Ceux-ci,  en  867  s'emparent 
de  Marseille,  en  869  tuent  l'archevêque  d'Arles,  Rotland,  sacca- 
gent la  Camargue  et  désolent  les  deux  rives  du  Rhône.  En  885, 
les  Sarrasins  s'établissent  au  Fraxinet,  en  890  ils  brûlent  Fré- 
jus.  Toulon,  Taurœntum,  etc.  subissent  le  même  sort  (3). 

An  milieu  de  tels  périls,  on  devine  la  préoccupation  des 
moines,  des  prêtres  et  des  évêques  en  Provence.  Une  seconde 
fois  on  met  à  l'abri  ce  que  l'on  possède  de  plus  précieux.  En 


(1)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  310.  —  Guesnay,  Annales 
Provinciœ  Massiliensis,  à  l'année  730,  n*  9,  pp.  236,  237.  —  Ruffl,  His- 
toire de  Marseille,  t.  I,  p.  49. 

(2)  Fabre,  op.  cit.,  t.  I,  p.  312.  —  Faillon,  op.  cit.  t.  I,  col.  684.  — 
De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  179. 

(3)  De  Rey,  op.  cit.,  pp.  263,  265,  266,  288.  Faillon,  op.  cit.,  col.  682. 
Fabre,  op.  cit.,  pp.  342.  366. 


—  300  — 

870,  on  donne  à  Gérard  de  Roussillon  le  corps  de  saint  Lazare, 
à  l'exception  du  chef  que  deux  prêtres  de  Marseille  conservent 
à  leur  cité  natale  (1).  Dans  l'intervalle  des  années  841  et  904, 
les  moines  de  Saint- Victor  transportent  dans  la  ville  le  corps 
du  saint  martyr  protecteur  de  leur  abbaye  (2).  On  fait  de 
même  pour  les  autres  reliques.  Ou  bien  on  les  enfouit  dans  les 
cryptes,  ou  bien  on  les  transporte  hors  de  l'abbaye. 

La  croix  de  saint  André,  qui  a  déjà  subi  une  fois  cette  opé- 
ration du  recel,  demeura-t-elle  à  Saint-Victor  ?  Si  on  la  cacha 
dans  les  cryptes,  on  ne  dut  pas  le  faire  sans  témoins,  carr  la 
crise  passée,  il  fallait  pouvoir  exhumer  cette  relique  et  l'offrir 
de  nouveau  à  la  piété  des  fidèle. 

Or,  l'abbaye  de  Saint-Victor  est  détruite  vers  925.  Mais, 
lorsquelle  sort  de  ses  ruines,  vers  965,  les  diverses  reliques 
qu'elle  possédait,  celles  de  saint  Victor  entre  autres,  re- 
viennent au  monastère.  11  aurait  dû  en  être  de  même  pour 
la  croix  de  saint  André.  On  n'aura  pas  attendu  Tannée  965  pour 
la  retirer  de  sa  cachette  ou  faire  connaître  à  d'autres  religieux 
l'abri  qui  la  gardait.  Que  l'abbaye  ait  eu  une  fin  violente  ou 
qu'elle  ait  péri  par  l'excès  de  la  misère  et  de  ia  dureté  des 
temps,  il  sera  bien  resté  quelque  vieux  moine,  pour  guider 
les  fouilles  et  retrouver  la  relique. 

Et  cependant,  lorsque  tout  se  relève,  que  de  nouveaux 
moines  viennent  habiter  ces  lieux  purifiés,  que  les  autels  re- 
voient les  trésors  précieux  qui  les  ornaient  jadis,  seule  la 
relique  de  la  croix  de  saint  André  ne  reparaît  pas  I  Ou  a  réédi- 
fié la  chapelle  de  saint  André  dans  les  cryptes,  on  élève  du- 
rant leXI#  siècle  des  celles,  des  ermitages,  des  oratoires,  des 

(1)  DeRey,  op.  cit.,  p.  267.—  Faillon,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  722,  728,  etc. 
—  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  164. 

(2)  La  charte  12  suppose  que  les  reliques  de  saint  Victor  sont  encore  à 
Saint-Victor,  puisque  les  moines  y  habitent  encore  :  «  Liceat  servis  Dei 
ibidem  consistentibus. . .  »,  qu'il  est  dit  dans  cet  acte  que  :  «  Teutpertus 
est  episcopus  Massiliensis  ecclesise  quae  in  honore  Maria?  semper  Virgi- 
nis  constructa  ubi  sanctus  Victor  corpore  requiescit  »  et  qu'il  s'agit  de 
l'abbaye  :  c  invenimus  insertum  qualiter  ipsa  casa  Dei...»  Gartulaire  de 
Saiot-Victor. 

La  charte  10,  de  904,  dit  au  contraire  :«  Ecclesise  Dei  Genitricis  Maris 
et  gloriosi  martyris  Victoris,  eu  jus  corpus  in  Massilift  urbe  requiescit..  » 


-   301  — 

chapelles  en  l'honneur  du  saint  Apôtre,  et  cela  non  loin  de 
l'abbaye  de  Saint- Victor  (  1),  et  jamais  un  mot,  dans  les  chartes, 
qui  ait  trait  à  cette  précieuse  relique  1  On  ne  se  sera  pas  con- 
tenté, vers  965,  de  faire  quelques  recherches  sommaires.  Pré- 
cisément parce  que  la  dévotion  à  saint  André  est  très  vive  à 
Marseille  et  à  l'abbaye,  on  a  dû  exécuter  des  fouilles  nom- 
breuses à  Saint- Victor  pour  retrouver  cette  croix.  On  n'en 
parle  pas.  Donc  elle  n'a  pas  été  cachée  à  Saint -Victor  au 
IX"  siècle. 

Elle  n'a  pas  été  transportée  non  plus,  au  IX*  siècle,  hors  de 
l'abbaye . 

Où  l'aurait- on  déposée  dans  ce  cas,  vers  840,  au  retour 
des  Sarrasins  ?  Dans  la  ville  de  Marseille  ?  Mais  à  qui  Paurait- 
on  confiée  ?  Pas  au  premier  venu.  Il  faut  des  mains  sûres  et 
des  personnes  pieuses  pour  recevoir  la  garde  d'un  tel  trésor  ? 
Et  pas  une  de  ces  personnes  pieuses  n'aurait  survécu  à  ces  tri- 
bulations ?  C'est  un  peu  difficile  à  croire. 

L'a-t-on  placée  au  monastère  des  filles  cassianites  ?  Mais  à 
cette  époque  il  est  désert.  En  838,  les  religieuses  qui  l'habi- 
taient ont  été  enlevées  par  les  pirates  (2),  et  ce  n'est  pas  au 
lendemain  de  cette  catastrophe  que  de  nouvelles  religieuses 
se  sont  présentées  pour  habiter  ces  lieux  dévastés. 

L'a-t-on  enfouie  dans  les  ruines  de  ce  monastère?  Mais 
cela  ne  s'est  pas  fait  sans  témoins  ;  précisément  parce  que 
c'étaient  au  milieu  des  ruines  que  l'on  déposait  un  tel  trésor, 
il  y  a  eu  cinq,  six,  dix  moines  présents  à  cette  opération. 
L  orage  passé,  il  en  restera  bien   un  qui  pourra  indiquer  le 

(1)  Peut-être  est  ce  bien  là  l'occasion  de  cette  translation  de  saint 
Victor  dont  la  fête  se  célèbre,  à  Marseille,  le  24  janvier.  (Les  Saints  de 
l'Eglise  de  Marseille,  p.  9.) 

Cartulaire  de  Saint- Victor,  charte  40  du  XI*  siècle:  «...  Ab  occi- 
dente  habens  Geirennum  fluvium,  ibidem  una  semodiata  de  vinea  quœ  est 
deecclesia  Sancti  And  ne  se.  »  —  Charte  843,  de  1079  :  Cura  capellis  cir- 
cum  jacentibus,  viceltcet.  .  Sancti  Andraeae.  »  —Charte  841,  de  1081  : 
«  Cum  capellis  circum  jacentibus,  videlicet...  Sancti  Andrsese.  »  — 
Charte839.de  1089  :«  Ei  monasterio  circum  cellas  subditas,  id  est... 
Sancti  Andraeae.  »  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  197. 

(2)  Annales  de  Saint-Berlin,  citées  par  de  Rey,  Invasions  des  Sarra- 
sins en  Provence, p.  263. 

20 


—  302  — 

lieu  du  recel,  et  vers  950,  alors  que  les  Sarrasins  commencent 
à  être  refoulés;  dès  965,  alors  que  l'abbaye  se  relève,  on  exhu- 
mera la  relique,  et  on  l'oflrira  à  la  vénération  des  fidèles.  Et 
cependant,  nous  l'avons  dit  tantôt,  le  silence  se  fait  sur  elle. 
Donc,  au  IXr  siècle,  elle  n'a  pas  été  cachée  hors  de  Saint- 
Victor. 

D'autre  part,  elle  ne  Ta  pas  été,  de  830  à  904,  à  Saint- Victor. 
Donc  il  faut  faire  remonter  à  une  époque  antérieure  au  IX* 
siècle  le  recel  de  la  croix  de  l'Apôtre  hors  de  l'abbaye. 

Ce  recel  s'est  fait  au  VIII*  siècle,  lors  des  premières  inva- 
sions, vers  716-737. 

Et  à  cette  époque  ce  ne  fut  pas  dans  les  cryptes  qu'elle  fat 
déposée.  Nous  l'avons  dit,  au  départ  des  Sarrasins,  en  740,  on 
l'eût  retrouvée.  Ce*ne  fut  pas  dans  l'intérieur  de  Marseille 
qu'on  la  porta.  On  avait  peur  de  Mauronte.  Mais,  comme  il 
n'y  avait  pas  mains  plus  sûres,  à  qui  on  pût  confier  ce  tré- 
sor, que  les  religieuses  cassianites,  c'est  à  leur  monastère 
qu'on  la  plaça. 

Or,  où  était  ce  monastère  de  filles  ? 

Pas  auprès  de  Saint-Victor;  car  dans  ce  cas  le  recel  aurait 
été  fait  par-devant  des  témoins  assez  nombreux,  puisqu'il 
était  facile  de  les  réunir,  l'abbaye  de  Saint-Victor  étant  à 
proximité.  Mais,  dès  le  départ  des  Sarrasins,  vers  739,  le  mo- 
nastère cassianite  de  filles  étant  détruit,  les  religieuses  mas- 
sacrées, puisque  l'abbaye  de  Saint- Victor  avait  échappé  à  la 
destruction,  il  y  aurait  eu  quelqu'un  des  moines  témoins  du 
recel  pour  indiquer  la  cachette,  exhumer  la  relique  et  la  rap- 
porter à  Saint- Victor.  Cette  relique  ainsi  retrouvée  et  revenue 
à  Saint- Victor,  au  retour  des  Sarrasins  vers  840  on  aurait  pu 
la  cacher  de  nouveau.  Si  on  l'avait  déposée  dans  Marseille,  on 
Ta  dit  tantôt,  il  y  aurait  eu  quelque  témoin,  échappé  à  la 
tourmente,  qui  plus  tard  aurait  fait  connaître  où  elle  se  trou- 
vait. Si  on  l'avait  placée  dans  les  cryptes,  lorsque  la  tran- 
quillité serait  revenue,  que  le  monastère  de  Saint-Victor  se 
serait  relevé  de  ses  ruines,  on  l'aurait  retrouvée  et,  en  même 
temps  que  l'on  bâtissait  des  celles,  des  oratoires  en  l'honneur 
de  saint  André,  on  aurait  parlé  de  sa  croix.  Si  on  l'avait  en- 
fouie dans  les  ruines  du  monastère  de  Saint-Cyr,  cela  n  au- 


—  303  - 

rait  pas  été  fait  sans  témoins.  En  950,  965'  on  l'aurait  re- 
trouvée. Or,  aux  IX#  et  X-  siècles,  on  a  perdu  la  trace  de  cette 
religue.  Donc  le  monastère  cassianite  auquel  fut  confiée  la 
croix  de  saint  André,  au  VIII*  siècle,  ne  se  trouvait  pas  auprès 
de  Saint -Victor. 

Où  était-il  ?  Pas  au  bassin  du  Carénage,  pas  aux  Catalans,  pas 
auprès  du  port,  pas  à  la  place  de  Lenche,  pas  aux  Accoules, 
pas  à  Sainte- Catherine,  pas  au  Revest,  pas  à  Saint-Loup,  pas 
à  Saint-Cyr  (Var)  ;  on  l'a  prouvé. 

Reste  un  endroit  que  la  tradition  désigne,  que  plusieurs 
preuves  déjà  nous  insinuent,  que  le  récit  de  Chifflet  nous  in- 
dique :  les  bords  de  l'Huveaune  ! 

S'il  se  trouve  en  cet  endroit,  tout  s'explique,  toute  difficulté 
s'évanouit.  C'est  au  début  des  invasions  sarrasines;  le  monas- 
tère des  filles  étant  loin  de  Saint- Victor,  l'opération  de  l'en- 
fouissement de  cette  relique  se  fait  en  présence  de  quelques 
témoins  seulement  :  les  moines  qui  ont  porté  ce  précieux  far- 
deau, et  quelques  religieuses  du  monastère  de  THuveaune. 
Puis  la  tourmente  s'abat  sur  le  monastère,  les  vierges  cassia-x 
nites  sont  massacrées  jusqu'à  la  dernière,  Eusébie  à  leur  tête. 
Les  quelques  moines  témoins  du  recel  meurent,  dans  l'inter- 
valle, sans  avoir  pu  donner  des  indications  précises  à  leurs 
frères.  Ainsi  on  perd  la  trace,  on  ignore  l'endroit  exact  de  la 
cachette.  La  croix  n'est  plus  retrouvée. 

Allons  plus  loin  encore.  Peut-être  que,  pour  ne  pas  donner 
Téveil,  ce  sont  quelques  religieuses,  qui  viennent  prendre  à 
Saint-Victor  la  relique,  qui  la  cachent  elles-mêmes.  Qui  aurait 
prévu  ce  qui  arriva  plus  tard  :  que  toutes  seraient  massacrées! 
Aussi,  au  lendemain  du  massacre,  c'est  en  vain  que  Ton  cher- 
che, on  ne  retrouve  rien . 

Allons  plus  loin  encore  ;  pourquoi  Chifflet  ne  livrerait-il  pas 
le  secret  de  l'énigme  ?  La  croix  de  saint  André  n'a  jamais  peut- 
être  été  à  Saint-Victor.  C'est  au  monastère  de  l'Huveaune 
qu'elle  aura  été  déposée,  lorsque  ce  roi  bourguignon  l'eût 
portée  à  Marseille,  soit  que  les  religieux  de  Saiht-Victor  l'eus- 
sent volontairement  confiée  à  leurs  sœurs  cassianites,  soit 
que  celles-ci  l'eussent  achetée  de  leurs  propres  deniers  pour 
l'arracher  aux  mains  de  ces  Ariens.  Aux  jours  de  l'invasion 


—  304  — 

sarrasine,  alors  que  les  religieux  de  Saint-Victor  cachaient 
dans  les  cryptes  les  reliques  dont  ils  avaient  la  garde,  les 
vierges  de  l'Huveaune,  pour  dérober  à  l'incendie  ou  à  la  pro  - 
fanation  la  croix  de  l'Apôtre,  la  cachent  dans  leur  monastère 
ou  aux  alentours.  Mais  les  mauvais  jours  arrivent,  tout  est 
massacré,  pillé,  saccagé,  brûlé  au  monastère.  Les  témoins  du 
recel  sont  morts,  puisque  les  vierges  de  l'Huveaune  sont  mas- 
sacrées jusqu'à  la  dernière.  Nul  moyen  de  recouvrer  ce  trésor 
précieux.  Les  moines  de  Saint-Victor  opèrent  des  fouilles,  font 
des  recherches,  vains  efforts.  La  croix  de  saint  André  est  per- 
due. Dans  la  pensée  de  tous,  elle  a  été  enlevée  par  les  Sarra- 
sins ou  elle  a  été  jetée  au  feu  par  ces  mécréants  (1).  On  a  de 
la  peine  à  recueillir  les  membres  éparsdes  quarante  victi- 
mes. Quand  on  réédifie  le  cœnobium  des  vierges,  on  le  rap- 
proche de  Saint-Victor.  L'oubli  se  fait  alors  sur  ce  point  du 
terrain,  et  six  cents  ans  se  passe  avant  que  Dieu,  pour  la  croix 
de  son  Apôtre,  comme  pour  les  reliques  de  Marie -Madeleine, 
fasse  connaître  par  quelque  prodige  là  où  se  trouve  caché  ce 
trésor. 

Ainsi  la  vision  de  Hugues  de  Glasinis  se  comprend  et  s'ex- 
plique. Paradin  et  Chifflet  ont  dit  vrai.  La  croix  de  saint  André 
a  été  apportée  vers  484  par  un  roi  de  Bourgogne.  Peut-être 
elle  a  été  donnée  à  Saint-Victor  à  ce  moment  ;  peut-être  c'est 
au  cœnobium  de  l'Huveaune  qu'on  l'a  confiée.  C'est  dans  ce 
monastère,  dans  tous  les  cas,  que  plus  tard  elle  est  cachée.C'est 
là  qu'au  XIIIe  siècle  Hugues  de  Glasinis  la  retrouve.  Donc,  et 
c'est  pour  cette  conclusion  qui  lient  en  une  ligne,  que  sont 
écrites  les  longues  pages  qui  précèdent,  donc  au  VHP  siècle,  il 
y  avait  un  monastère  de  filles  aux  bords  de  l'Huveaune  II! 

Reste  une  difficulté  à  résoudre.  La  voici.  S'il  est  vrai  que  la 
croix  de  saint  André  ait  été  cachée  au  monastère  des  vierges 


(1)  c  Nos  ex  certioribus  monumentis  collocatam  censemus  in  agri 
Massiliensis  monasterio  sanctimonialium  de  Uveaune. . .  Moniales  dicti 
monasterii. . .  B.  Andraeee  cru  ci  quam  rcligiose  asservabaot  e  flam- 
mis  aliâve  injuria  cautum  esse  voluerunt.  Jgitur  excavata  humo  crucem 
sepeliunt. . .  Disquisita  est  a  monachis  Sancti  Victoris  crux  Andreaua. 
cumque  nusquam  occurreret,  crédita  est  aut  sublata  a  Sarracenis  aut 
concremata.  »  Chifflet,  Vesuntio  civitas,  p.  199. 


-  305  — 

de  rHuveaune,  et  que  Hugues  de  Glasinis  l'y  ait  retrouvée, 
comment  se  fait-il  que  les  Prémontrés,  établis  à  ce  même 
monastère  de  l'Huveaune  dès  1204,  aient  laissé  reprendre  cette 
relique  sans  protester?  Comment  se  fait-il,  en  outre,  qu'il  n'y 
ait  aucune  trace  de  cette  invention  de  la  relique,  qu'il  n'y  ait 
pas  de  procès -verbal,  qu'il  ne  reste  qu'un  bas-relief  interprété 
par  les  auteurs  dans  le  sens  d'une  découverte  de  la  relique, 
mais  qui  ne  vaut  pas  un  bon  procès-verbal  ?  Voici  notre 
réponse  : 

Les  Prémontrés,  établis  à  l'Huveaune  en  1204,  n'ont  pas  ré- 
clamé le  droit  de  garder  cette  relique  !  Mais  de  droit  ils  n'en 
avait  aucun.  La  croix  de  saint  André  était  venue  de  Saint- 
Victor,  elle  y  retournait,  les  nouveaux  habitants  du  cœno- 
bium  de  l'Huveaune  n'avaient  aucune  prétention  à  élever  (1). 
De  plus,  en  quelle  année  Hugues  de  Glazinis  a-t  il  découvert 
la  sainte  relique  ?  On  ne  peut  rien  préciser  à  ce  sujet.  Il  est 
désigné,  dans  les  chartes,  par  le  titre  de  Sacristain  de  Saint- 
Victor  dès  l'année  1212.  Maisa-t-il  fait  cette  découverte  seule- 
ment lorsqu'il  remplissait  cette  fonction  ?  Qui  empêcherait  de 
croire  que  ce  fut  bien  avant  ?  Par  conséquent,  les  Prémontrés 
n'auraient  pu  rien  dire,  ils  n'étaient  pas  encore  arrivés  aux 
bords  de  l'Huveaune. 

D'ailleurs,  la  croix  avait-elle  été  cachée  au  sein  du  monas- 
tère cassianite  ?  Peut-être  que  non,  mais  dans  un  coin  retiré, 
dans  les  champs,  dans  quelque  dépendance  du  cœnobium  à 
l'époque.  Que  pouvaient  réclamer  les  Prémontrés,  si  la  décou- 
verte n'était  pas  faite  dans  leur  propriété  ? 

Il  n'y  a  pas  de  trace  écrite  de  cette  trouvaille,  pas  de  procès- 
verbal  de  l'invention  !  Et  si  on  n'en  a  pas  fait  ?  On  a  découvert 
en  1187,  à  Tarascon,  le  corps  de  sainte  Marthe  :  où  est  le  pro- 
cès-verbal d'invention  de  la  relique  ?  Les  auteurs  disent  que 

(1)  SI  nous  supposons  que  les  religieuses  de  l'Huveaune  aient  toujours 
eu  la  garde  de  la  croix  de  saint  André,  les  Prémontrés,  en  1204,  n'au- 
raient pas  eu  plus  de  droit  à  réclamer  pour  eux  cette  relique.  Il  suffisait 
que  l'évéque  du  diocèse  autorisât  les  moines  de  Saint- Victor  à  la  pren- 
dre. D'ailleurs,  si  elle  revenait  à  quelqu'un,  c'était  au  moines  de  Saint- 
Victor  dont  Gassien  avait  été  le  fondateur,  comme  il  l'était  de  l'abbaye 
de  l'Huveaume. 


—  306  — 

l'on  ignore  les  détails  de  cette  opération  (1).  Et  si  celui  qu'on  a 
rédigé  de  notre  relique  a  été  détruit,  perdu  ?  Si  on  le  retrou- 
vait un  jour  ?  Le  meilleur  procès-verbal  est  la  tradition,  que 
Chifflet  et  les  autres  nous  rapportent.  Où  ces  auteurs  ont-ils 
puisé  ce  qu'ils  énoncent  dans  leurs  livres?  L'ont-ils  inventé  ! 
Et  d'où  vient  que  tout,  dans  les  faits,  les  dates,  les  événements 
concorde  à  peu  près  exactement  avec  leur  dire?  Ils  ont  lu 
cette  tradition  chez  d'autres  auteurs  plus  anciens.  Et  ceux-là 
où  l'ont-ils  puisée  ?  Quel  intérêt  avaient-ils  à  doter  notre 
ville,  l'abbaye  de  Saint-Victor,  l'abbaye  de  l'Huveaune  de  ce 
trésor  ?  Ils  n'étaient  pas  de  Marseille,  ce  n'est  donc  pas  un  vain 
amour-propre  de  clocher  qui  les  a  fait  parler.  Et  s'ils  étaient 
de  Marseille,  ces  auteurs  primitifs  que  Chifflet  et  Paradin  ont 
copiés  et  suivis,  serions-nous  bienvenus  de  leur  reprocher 
d'avoir  écrit  ce  que  nous  appelons  une  pure  légende  !  Maïs 
sommes-nous  sûrs  qu'ils  ne  possédaient  pas  de  titres,  perdus 
depuis  ?  D'où  vient,  enfin,  qu'à  six  cent  ans  de  distance  nous 
trouvons  qu'il  soit  fort  probable  qu'ils  aient  dit  la  vérité. 

Non,  ces  difficultés  ne  valent  rien. La  croix  de  saint  André  a 
été  cachée  et  découverte  au  monastère  des  filles,  à  l'Hu- 
veaune. Donc,  au  VIII*  siècle, il  y  avait  un  monastère  aux  bords 
de  l'Huveaune. 


(1)  Paillon,  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Madeleine, 
t.  I,  col.  1219. 


CHAPITRE  VI 

L'église  et  la  maison  en  ruines  sur  les  bords 

de  l'Huveaune  ou  l'abbaye  des  Prémontrés 

établie  à  l'Huveaune  en  1204 


CHARTE  DE  1204.  —  ARGUMENT.  —  LES  PRÉMONTRÉS  NE  SONT  VENUS 
A  L'HUVEAUNE  QU'EN  1204.—  AUTEURS  POUR  ET  CONTRE.—  RAISONS 
TIREES  DU  TEXTE  DE  LA  CHARTE.—  CHARTE  DE  1218.—  SAINTE-MA- 
RIE D'HUVBAUNB. 


Une  autre  preuve  qui  s'offre  à  nous  !  Au  commencement  du 
XIII*  siècle,  dit  M.  l'abbé  Daspres,  deux  religieux  prémontrés  de 
l'abbaye  de  Font-Caude,  dans  le  diocèse  de  Béziers,  demandè- 
rent à  l'évoque  de  Marseille  de  pouvoir  relever  de  leurs  ruines 
une  église  et  une  maison  situées  sur  le  bord  de  la  mer,- à  l'em- 
bouchure de  PHuveaune.  Ces  deux  religieux  avaient  nom  Guil- 
laume et  Amansus  ;  l'èvéque  de  Marseille  s'appelait  Rainier. 
Celui-ci  ne  crut  pas  devoir  rejeter  la  demande  qu'on  lui 
adressait,  persuadé  que  ces  religieux  contribueraient  à  l'édifi- 
cation de  son  peuple.  Mais,  pour  prévenir  les  contestations  qui 
pourraient  s'élever  plus  tari  entre  son  chapitre  et  le  nouveau 
monastère,  et  empêcher  que  cet  établissement  ne  portât  quel- 
que préjudice  à  son  église,  dont  les. revenus  avaient  considéra- 
blement diminué  par  des  donations  de  dîmes  et  par  d'autres 
concessions,  il  régla  que  les   Prémontrés  donneraient  à  la 
cathédrale  «  le  tiers  des  rétributions  pour  les  enterrements  et 
de  ce  qui  lui  reviendra  des  morts  soit  en  meubles,  soit  en  im- 
meubles qui  seront  hors  du  diocèse,  et  dans  ce  tiers  sera  com- 
prise la* part  due  à  l'èvéque. . .  Ils  payeront  la  dlme  de  toutes 
les  vignes  qu'ils  posséderont  dans  le  territoire  de  Marseille,  à 
l'èvéque  et  aux  chanoines  séparément. . .  Ils  payeront  la  dlme 
du  blé,  des  légumes  qu'ils  retireront  de  toutes  les  terres  cul- 
tivées, et  de  toutes  celles  dont  une  partie  aurait  été  cultivée 


—  308  — 

autrefois. . .  (1) .»  Cet  acte  fut  signé  en  1204,  au  mois  d'avril . 

Or,  nous  disons  :  le  fait  seul  de  l'existence  en  cet  endroit 
d'une  église  et  d'une  maison  en  ruines  est  une  preuve  que  là 
s'élevaient  jadis  la  chapelle  et  le  monastère  qu'Eusébie  et  ses 
compagnes  embaumèrent  du  parfum  de  leurs  vertus  et  em- 
poufprèrent  de  leur  sang. 

Il  va  nous  suffire,  pour  le  prouver,  d'établir  solidement  les 
deux  points  suivants  :  1°  que  cette  église  et  cette  maison,  res- 
taurées par  les  Prémontrés,  ne  leur  a  point  appartenu  antérieu- 
rement à  l'an  1204  ;  2°  que  cette  église,  en  ruines  en  1204, 
remonte  à  l'époque  des  premières  invasions  des  Sarrasins.  La 
conclusion  toute  naturelle  sera  que,  si  à  l'époque  des  invasions 
sarrasines,  vers  716,  738,  il  y  avait  là  une  chapelle  ;  si,  d'autre 
part,  une  tradition  sérieuse  affirme  qu'en  cet  endroit  vécut  et 
fut  martyrisée  sainte  Eusébie;  si,  enfin,  nous  prouvons  que 
le  monastère  ou  vécut  notre  sainte  ne  pouvait  s'élever  qu'à 
ce  point  du  terroir,  il  sera  hien  vrai  de  dire  que  le  fait  de 
l'existence  de  cette  église  et  de  cette  maison  en  ruines  en 
1204,  en  cet  endroit,  est  une  preuve  en  faveur  de  notre  asser- 
tion. 

D'abord,  les  Prémontrés  ne  sont  venus  aux  bords  de  l'Hu- 
veaune  qu'en  1204. 

Quelques  auteurs,  entre  autres  Ruffi  et  M*r  deBelsunce,  ont 
soutenu  le  contraire,  a  Dans  l'acte  de  fondation  cité  plus  haut, 

(I)  Daspres,  Notice  sur  Saint-Ginies,  p.  21,  etc.—  Ruffi,  Histoire  de 
Marseille,  t.  II,  p.  100.  —L'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  par  M«r 
de  Belsunce,  t.  II,  pp.  17et  suiv.:  «  Innomme  Domini...  an  no  Incarnatio- 
ns ejusdem  MCCIIII,  m  ense  aprili,  ad  evitaodum  malum  dissentioais, 
quœ  de  superscripto  negotio  inter  ecclesiam  B.  Mariae  sedis  et  fratres 
ordinis  Prsemonstrati  evenire  possent  in  posterum,  concedimus  votis. . . 
ut  ad  ho  no  rem  Oeiet  relîgionis  augmentum  et  omnium  in  Christo  cro- 
dentium  salutem,  possitis  in  territorio  Massiliae,  citra  amnem  Huveau- 
nse,  juxta  littus  maris,  secundum  arbitrium  et  voluntatem  vestrara,  de 
novoœdificare  ecclesiam  et  domum  ordinis  vestri,  et  eam,  prout  vobis 
dominus  donaverit,  episcopali  et  ecclesiastico  jure  per  omnia  salvo,  juste 
acquisitis  ampliare.  His  tamen  conditionibus  et  pactis...  Et  nos... 
fratres  ordinis.  Prsemonstrati  et  dictidomûs  fundatoresyvo  nobis  et  suc- 
cessoribus  nobis  omni  privilegio  vel  indulgentiae  quod  modo  habemus 
vel  in  posterum  habebimus  contra  praedicta,  omni  no  renuntiantes.. .  » 
(Archives  de  Saint-Sauveur,  H.  56,  aux  archives  départementales.) 


-  309  — 

dit  Ruffi,  on  peut  remarquer  que,  comme  ils  avaient  eu  quel- 
ques différends  ensemble,  on  les  obligea  de  transiger,  et  qu'on 
leur  permit  de  construire  de  nouveau  une  église  et  une  maison 
de  leur  ordre  ;  que  ces  religieux  étaient  logés  en  cet  endroit 
depuis  quelque  temps  auparavant  et  y  avaient  une  maison  qu'il 
était  nécessaire  de  rebâtir,  laquelle  n'était  pas  néanmoins  pour 
lors  fort  ancienne,  d'autant  que  leur  ordre  ne  fut  institué  qu'en 
Tan  1120(1).» 

M"  de  Belsunce  dit  également  :  a  II  parait  par  la  charte  que 
nous  suivons  ici  que  l'église  et  la  maison  leur  auraient  apparte- 
nu avant  que  d'être  ruinées (2).» 

Papon  cependant  et  l'abbé  Daspres  ont  pensé  comme  nous. 
«  Ces  mots,  dit  l'ancien  curé  de  Saint-Giniez,  «  de  novo  aedifi- 
care  »,  ont  fait  croire  à  plusieurs  auteurs  que  les  religieux 
étaient  déjà  propriétaires.  Cette  conclusion  n'est  pas  très 
rigoureuse  (3) .»  Papon  est  plus  précis  encore  :  «  On  lit  dans 
une  charte  de  1204,  dit-il,  que  l'évoque  de  Marseille  permit 
aux  Prémontrés  de  bâtir  une  église  sur  les  ruines  d'une  autre 
qui  ne  subsistait  plus,  et  à  côté  desquelles  on  voyait  encore, 
suivant  l'historien  des  évoques  de  Marseille,  les  masures  d'une 
maison  détruite.  Ce  monastère  n'avait  point  appartenu  aux  Pré- 
montrés; leur  ordre  était  trop  récent  dans  les  Gaules  pour 
avoir  eu  sur  les  bords  de  l'Huveaune  un  établissement  que  le 
temps  eût  déjà  détruit.  Ils  ne  s'y  étaient  établis  pour  la  pre- 
mière fois  qu'en  vertu  d'une  charte,  qui  aurait  été  rappelée 
dans  celle  de  1204,  et  il  n'en  est  pas  fait  mention.  Je  remarque, 
enfin,  que  les  conditions  stipulées  dans  celle-ci  annoncent 
que  ces  religieux  n'avaient  encore  passé  aucune  convention 
avec  l'évêque,  ni  avec  aucun  de  ses  prédécesseurs  (4) .» 

M.  de  Rey  parait  être  de  cet  avis;  car,  après  avoir  dit  : 
«  qu'il  y  a  eu  ,  à  ce  bord  de  mer,  à  une  époque  antique,  une 
église  et  une  maison  dont  l'histoire  nous  est  complètement 
inconnue  :  était-ce  une  paroisse  rurale,  était-ce  un  prieuré  de 
Saint- Victor  ?  nous  n'en  savons  rien  »,   cet  auteur  ajoute: 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  100. 

(2)  M«'de  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  II,  p.  18. 
i"3)  Daspres,  Notice  sur  Saint-Ginie*,p.2i. 

(4)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  361. 


-  310   - 

a  En  1204,  les  Prémontrés  la  reconstruisirent  et  en  tirent  une 
abbaye  sous  le  titre  de  Notre-Dame  d'Huveaune(l) .»  Nous 
acceptons  ce  témoignage,  et  surtout  nous  trouvons  concluantes 
les  raisons  de  Papon. 

Les  Prémontrés  ne  vinrent  qu'en  1204  sur  les  bords  de 
l'Huveaune. 

Nulle  trace  d'abord,  dans  cette  charte  de  1204,  qu'il  y  ait  eu 
déjà  des  dissentiments  entre  l'évoque,  le  chapitre  d'une  part  et 
les  Prémontrés  de  l'autre.  Au  contraire,  on  veut  prévenir  jus- 
qu'à l'ombre  d'un  dissentiment:  «  ad  evitandum  malumdis- 
cussionis,  quod  de  subscripto  negocio. . .  eveuire  posset  in 
posterum  ».  D'autre  part,  l'assentiment  est  complet  entre  les 
parties  contractantes:  aassensuet  voluntate  ambarum  par- 
tium  ».  Ensuite,  nulle  allusion  à  un  établissement  antérieur, 
aucun  indice  que  les  conditions  imposées  à  cette  heure  sont 
plus  rigoureuses  que  d'autres  concédées  jadis.  Au  contraire, 
ce  sont  des  détails  précis,  des  stipulations  arrêtées,  que  les 
deux  religieux  acceptent  et  jurent  de  garder  inviolablement. 
De  plus  quel  est  le  titre  que  se  donnent  ces  deux  religieux  : 
Ils  se  disent  :  Dicti  fundatorea  domûs. 

D'ailleurs,  puisque  Rufli  parait  avoir  tant  à  cœur  d'affirmer 
que  ces  ruine3  avaieut  appartenu  autrefois  aux  Prémontrés, 
pourquoi  ne  se  donne-t-il  pas  la  peine  d'indiquer  la  date  de 
l'arrivée  dé  ces  religieux  à  Marseille  et  de  leur  établissement 
aux  bords  de  l'Huveaune,  de  faire  connaître  la  cause  probable 
de  la  destruction  de  cet  établissement  primitif  ?  Comprend-on 
encore  que  cette  charte  de  1204,  si  elle  n'est  que  l'autorisation 
de  rebâtir  une  église  et  un  monastère  en  la  possession  déjà  des 
Prémontrés,  comprend-on,  dis-je,  que  ni  l'évoque,  ni  les  reli- 
gieux prémontrés  n'insèrent  dans  cet  acte  le  titre,  le  vocable 
de  cette  église? Quatorze  ans  plus  tard,  Honorius  III  le  donne  ; 
il  écrit  :  a  Priori  et  fralribus  ecclesiae  Sanctae  Mariœ  de  Ibelnâ  », 
«  Aux  prieur  et  frères  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  l'Huveau- 
ne (2)  ».  Mais  en  1204,  pas  un  mot  de  ce  sujet.  Et  cependant, 
si  les  Prémontrés  l'ont  possédée  avant  1204,  la  ruine  de  cette 


(1)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  231. 

(2)  DeBelsimce,  op.  cit.,  t.  Il,  pp.  63,64. 


—  311  — 

église  ne  peut  remonter  tellement  loin  dans  l'histoire,  qu'ils 
aient  perdu  le  souvenir  du  vocable  de  ce  monastère. 

C'est  en  1120  que  saint  Norbert  fonde  cet  ordre  des  Prémon- 
trés, au  fond  d'un  vallon  étroit,  boisé,  obscur,  marécageux  de 
la  forêt  de  Ooucy.  11  est  vrai  que  cet  ordre  s'accrut  d'une  ma- 
nière merveilleuse.  A  peine  vingt  ans  s'étaient  écoulés,  dit 
un  contemporain,  que  déjà  l'ordre  comptait  cent  monastères. 
Trente  ans  après,,  le  chapitre  général  comptait  cent  abbés  (1). 
Supposons  que  le  monastère  de  l'Huveaune  ait  été  fondé 
dès  1130,  en  1140,  il  faudra  soutenir  que  dans  l'espace  de 
soixante  ou  soixante-cinq  ans  l'ordre  a  fondé,  bâti,  fait  vivre 
et  prospérer  un  monastère  aux  bords  de  l'Huveaune,  puis,  que 
ce  monastère  a  été  détruit,  abandonné  au  point  que  ni  l'évoque 
du  diocèse,  ni  les  frères  Prémontrés  ne  peuvent  en  rappeler  le 
le  vocable.  C'est  possible,  mais  peu  vraisemblable  et  très 
difficile  à  admettre  1 

Non,  les  Prémontrés  ne  sont  venus  aux  bords  de  l'Huveaune 
qu'en  1204,  et  pas  avant. 

Deux  expressions  pourraient  cependant  prêter  matière  à 
contestation.  D'abord,  «  omni  privilegio  vel  indulgentise  quod 
modo  habemus. . .  renun  liant  es».  Les  religieux  renoncent  à 
tout  privilège,  à  toute  indulgence  qu'ils  auraient  déjà.  Ne 
croyons  pas  que  ce  soit  là  une  allusion  à  d'anciens  droits. 
L'évêque  leur  imposant  d'être  placés  sous  sa  juridiction  et  celle 
de  ses  successeurs,  de  donner  à  son  église  cathédrale  le  tiers, 
de  payer  la  dîme  au  chapitre,  ils  renoncent  à  tout  privilège 
toute  exemption,  facilité,  accommodement  que  par  les  coutu- 
mes de  leur  ordre,  par  la  concession  des  papes,  ils  auraient  ou 
ils  avaient  dans  d  autres  endroits. 

L'autre  expression  est  celle-ci  :  de  novo  aedificare  ecclesiam 
etdomum  ordinis  vestri».  Il  ne  faudrait  pas  traduire  cette 
phrase  latine,  simplement  par  ces  mots  :  «  rebâtir  l'église  et  la 
maison  de  votre  ordre  ».  Ce  sens  ne  cadrerait  pas  avec  la  suite 
de  la  charte,  qui  ne  suppose  pas,  nous  l'avons  dit,  un  établis- 
sement antérieur  aux  bords  de  l'Huveaune.  Mais  il  faut  tra- 
duire, avec  M.  l'abbé  Daspres  :  «  l'autorisation  de  relever  les 

(1)  Darras,  Histoire  de  l Eglise,  t.  XXVI,  pp.  191,256. 


—  312  - 

raines  d'une  église  et  d'une  maison  sur  le  bord  de  la  mer,  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune,  et  de  l'affecter  à  votre  ordre  *. 

Ainsi  donc,  cette  église  et  cette  maison  en  ruines,  en  1201, 
que  les  Prémontrés  reconstruisirent,  avaient  une  origine  plus 
ancienne.  Ce  point  reste  acquis. 


CHAPITRE  VII 

L'église  et  la  maison  en  ruines 
des  bords  de  l'Huveaune 

(Suite) 

LA  «CHAPELLE  DE  L'HUVEAUNE,  EN  RUINES  DÈS  1204,  n'a  PAS  ÉTÉ  BA- 
TIE ENTRE  1044  ET  1204.  —  NI  UN  SIMPLE  PARTICULIER,  NI  SAINT- 
SAUVEUR,  NI  L'ÉVRQUE,  NI  SAINT-VICTOR,  N'ONT  PU  LE  PAIRE.  — 
DONC  ELLE  EXISTAIT  DEJA  EN  1044.  —  ELLE  ÉTAIT  DÉJÀ  EN  RUINES, 
SINON  ON  L'AURAIT  FAIT  SERVIR  AU  CULTE  DANS  CETTE  PARTIE  DU 
TERROIR.  —  CETTE  CHAPELLE  DE  L'HUVEAUNE  APPARTENAIT,  EN 
1044,   A  L'ÉVÊQUE,    COMME  PROPRIÉTÉ  DE  SA  CATHÉDRALE. 

Or,  si  cette  chapelle  est  en  ruines  dès  1204,  et  si  elle  n'a 
pas  appartenu  antérieurement  aux  Prémontrés,  forcément  son 
origine  remonte  aux  invasions  sarrasines. 

Ce  point  sera  un  peu  long  et  difficile  à  établir.  Nous  espé- 
rons cependant  y  arriver. 

Voici,  d'ailleurs,  la  série  de  nos  affirmations  que  nous 
éîayerons  de  preuves  suffisantes,  croyons-nous. 

1*  Cette  chapelle  de  l'Huveaune,  en  ruines  vers  1204,  exis- 
tait déjà  en  1044,  et  déjà  aussi  elle  était  en  ruines. 

2*  Cette  chapelle,  en  ruines  vers  1044,  appartenait  à  cette 
époque  à  l'évéque. 

3*  Cette  chapelle  de  l'Huveaune,  possession  de  l'évéque, 
n'est  pas  postérieure  à  l'église  de  Saint-Giniez. 

4*  D'autre  part,  l'église  de  Saint-Giniez  n  est  pas  postérieure 
à  la  chapelle  de  l'Huveaune.  . 

5*  Cette  chapelle  de  l'Huveaune  est  antérieure  à  923  ;  déjà 
à  cette  date,  elle  était  en  ruines. 

6°  La  chapelle  de  l'Huveaune  n'a  pas  été  bâtie  vers  850,  ni 
vers  814,  ni  vers  771,  ni  vers  730.  Elle  existait  déjà. 


—  314  — 

7'  Cette  chapelle  était  le  cœnobium  des  vierges  cassianites, 
dans  lequel  vécut  et  mourut  notre  chère  sainte  Eusébie. 

D'abord,  cette  chapelle  des  bords  de  rHuveaune,  en  ruines 
vers  1204,  et  que  les  Prémontrés  réédifient  au  XIIIe  siècle, 
existait  déjà  en  1044,  et  déjà  aussi  elle  était  en  ruines. 

En  effet,  en  1044,  Tévéque  de  Marseille  Pons  II,  désirant 
restaurer  les  lieux  destinés  au  culte  du  Seigneur,  donna  au 
monastère  fondé  en  l'honneur  de  Saint- Victor  l'église  de  Saint- 
Giniez,  située  non  loin  de  la  montagne  de  la  Garde  :  «  Cette 
église  est  détruite  maintenant.  De  concert  avec  les  chanoines 
de  notre  église,  nous  la  donnons,  afin  que,  la  rebâtissant,  les 
moines  de  Saint-Victor  la  possèdent  à  perpétuité  (1).  » 

Or,  la  chapelle  de  THuveaune,  en  ruines  dès  1204,  existait 
en  1044.  Elle  n'a  pu,  en  effet,  être  bâtie  durant  cet  espace  de 
cent  cinquante  ans.  Qui  aurait  pu  la  bâtir,  à  cette  époque  ? 

Il  n'y  avait  que  quatre  sortes  de  personnes  :  ou  bien  l'évo- 
que de  Marseille,  ou  le  monastère  de  Saint  Victor,,  ou  celui 
de  Saint-Sauveur,  ou  un  simple  particulier. 

Ce  ne  pouvait  être  un  simple  particulier  ;  car  l'évoque  et 
son  chapitre,  la  cédant  en  1204  à  Tordre  des  Prémontrés,  en 
étaient  propriétaires  ;  et  cependant  pas  un  mot,  dans  cette 
charte  de  cession,  n'indique  que  cette  chapelle  soit  revenue  à 
l'évoque  par  le  fait  d'une  vente  ou  d'une  donation.  Pas  un 
mot  sur  le  môme  sujet  dans  les  chartes  de  l'époque,  si  fertiles 
cependant  en  détails.  Et  ce  serait  merveille  que  ce  fait  eût 
échappé  à  la  connaissance  de  tous. 

Ce  ne  pouvait  être  Saint-Sauveur,  car,  dès  l'an  1077,  celte 
abbaye  vend  des  biens  qu'elle  possède  au  quartier  de  Saint- 
Giniez,  aux  bords  de  rHuveaune  (2).   En  1097  elle  fait  une 

(1)  a  Ego  Pontius,  gratià  Dei,  sancte  sedis  Mas3iliensis  episcopus, 
cupiens  restaurari  loca  servicio  Dei  apta,  ecclesiara  sancti  Uenesii  quse 
est  sita  in  comitatu  Massiliensi,  juxta  montem  quse  dicitur  Guardia,  quse 
nunc  est  destructa,  cum  consensu  canonicorum  ecclesise  nostrae,  dono 
omnipotenti  Deo,  i  psi  us  que  monasterio  in  honore  Sancti  Victoris,  apud 
Massiliam  fundato,  et  abbati  Isarno,  ut  œdificantes  praedictam  ecciesiam 
scilicet  Sancti  Genesii,  perpetuô  teneant  et  possideant....  »  Carlulaire 
de  Saint- Victor,  1. 1,  charte  73,  de  1044.  —  M«r  de  Belsunce,  Antiquité 
de  l'Eglise  de  Marseille,  t. 1,  p.  395. 

(2)  Carlulaire  de  Saint-Victor,  1. 1,  charte  88. 


—  315  — 

convention  avec  Saint- Victor  au  sujet  d'une  terre  située  sous 
l'église  de  Saint-Saturnin  (1).  Ces  ventes  de  domaines  indi- 
quent un  état  de  gène.  Et  de  fait,  à  partir  de  cette  époque 
jusque  vers  1163,  ou  a  peu  de  détails  sur  la  vie  de  ce  monas- 
tère ;  les  abbesses  qui  succédèrent  à  Garcende,  sœur  de  Pons  II, 
sont  inconnues,  et  ni  les  actes  des  évoques,  ni  les  chartes  de 
Saint-Victor  font  mention  de  Saint-Sauveur  (2).  De  1163  à  l'an 
1200,  la  situation  est  un  peu  plus  prospère. 

Mais  il  serait  assez  curieux  qu'une  chapelle,  un  monastère 
aient  été  bâtis  par  l'abbaye,  aux  bords  de  l'Huvéaune,  vers 
1160,  qu'ils  soient  en  ruines  dès  1204 ,  sans  qu'elle  n'en 
connaisse  ni  le  titre,  ni  le  vocable.  De  plus,  il  faudrait  expli- 
quer comment  cette  église  a  pu  être  cédée  par  Tévôque  en 
1204,  aux  Prémontrés,  sans  qu'il  soit  resté  une  trace  quelcon- 
que indiquant  de  quelle  manière  ce  bien  était  venu  en  sa 
possession. 

Inutile  d'ajouter  que  c'était  un  des  biens  placés  sous  la 
dépendance  de  l'évêque,  pareillement  à  ceux  que  mentionne 
la  bulle  d'Anastase  IV,  dans  laquelle,  parmi  les  biens  de  l'église 
de  Marseille  sont  énumérées  «  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  et 
l'église  (3).  »  Car  il  ne  s'agit  là  que  d'une  dépendance  spiri- 
tuelle. D'une  part,  en  effet,  une  bulle  d'Alexandre  III 
(1159-1181)  permet  aux  religieuses  de  Saint-Sauveur  d'avoir 
des  prêtres  qui,  autorisés  par  l'évêque,  devront  rendre  compte 
du  spirituel  à  lui  évoque  et  du  temporel  à  labbesse  (4j.  D au- 
tre part,  elles  vendent,  contractent,  cèdent,  plaident  sans  que 
l'évoque  intervienne  (5). 

(1)  Charte  de  1097,  citée  par  M.  Daspres,  Notice  sur  Saint-Ginies , 
pp.  136,  140. 

(2)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Vabbaye  de  Saint-Sauveur  t 
p.  24. 

(3)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Vabbaye  de  Saint-Sauveur , 
p.  24. 

(4)  «  ...  In  parochialibus  au  te  m  ecclesiis  quas  tenetis,  licitum  sit  vo- 
bis  presbyteros  vel  clericos  eligere,  et  electosepiscopo  prœsenlare,  qui- 
bus,  si  idonei  fuerint,  episcopus  animarum  curam  committat.  »  André, 
op.  cit.,  documents  en  appendice,  D,  p.  210. 

(5)  La  charte  88  du  cartulaire  de  Saint-Victor,  1. 1,  et  celle  de  1097, 
citées  plus  haut,  ne  font  aucune  mention  spéciale  à  ce  sujet. 


—  316  - 

Ce  ne  pouvait  être  davantage  l'abbaye  de  Saint-Victor.  A 
cette  époque  (1044)  l'abbaye  est  florissante,  c'est  vrai.  Elle 
fait  chaque  jour  de  nouvelles  acquisitions  dans  le  terroir  de 
Saint-Giniez.  Aussi,  lorsque  Pons  H,  en  1044,  lui  cède  l'église 
de  ce  quartier,  pour  la  reconstruire,  l'abbaye  accepte.  Ainsi 
le  culte  divin  est  assuré  en  ces  lieux.  Mais,  après  1044,  pour- 
quoi l'abbaye  bâtirait-elle  une  nouvelle  église  aux  bords  de 
l'Huveaune  ?  De  l'emplacement  que  la  tradition  assigne  à 
cette  chapelle  à  Saint-Giniez,  il  n'y  a  pas  loin.  L'abbaye 
voudrait-elle  établir  un  pèlerinage,  perpétuer  quelque  sou  - 
venir  que  la  tradition  lui  rappelle  ?  Et  quel  est  ce  souvenir  ? 
Quel  est  l'objet  de  cette  tradition  ?. . .  En  outre,  jamais  aucune 
des  nombreuses  bulles  de  •  confirmation  que  les  papes 
octroyaient  à  l'abbaye  ne  fait  la  moindre  mention  de  cette 
église,  ni  qu'elle  fût  un  lieu  de  pèlerinage  ou  une  simple  cha- 
pelle, ouverte  aux  colons  du  terroir.  D'ailleurs  toujours  la 
même  question  à  résoudre.  Comment  a-ton  oublié  le  nom  de 
cette  chapelle  ?  Comment,  si  l'abbaye  de  Saint-Victor  l'a 
bâtie,  l'évêque  a-t-il  pu  la  céder  comme  bien  lui  apparte- 
nant, sans  que  l'on  ait  conservé  le  moindre  souvenir  de  sa 
mise  en  possession  ? 

Ce  n'a  pas  été  l'évêque  de  Marseille  non  plus.  Quelle  était 
la  nécessité  d'une  église  en  ce  point  du  terroir  ?  A  deux  pas 
s'élevait  celle  de  Saint-Giniez  reconstruite  et  embellie.  Pres- 
que tout  le  terroir  appartient  à  Saint-Victor.  Comment  l'évê- 
que fera-t-il  bâtir  une  église,  aux  frais  de  sa  cathédrale,  pour 
la  satisfaction  des  habitants,  tous  vassaux  presque  de  Saint- 
Victor  ?  Cela  n'était  guère  possible. 

Or,  si,  d'une  part,  ni  l'évêque,  ni  l'abbaye  de  Saint-Victor, 
ni  celle  de  Saint-Sauveur,  ni  un  simple  particulier  n'ont  pu 
construire  cette  église  de  1044  à  1204  ;  s'il  a  été  impossible, 
dans  l'espace  de  cent  cinquante  ans  (de  1044  à  1204),  de  voir 
une  église  se  bâtir  et  tomber  en  ruines,  sans  que  l'on  en  sache 
le  titre  et  l'origine  ;  si,  d'autre  part,  elle  est  en  ruines  en 
1204,  une  conclusion  toute  naturelle  s'en  dégage  :  elle  exis- 
tait déjà  en  1044. 

Mais  en  quel  état  se  trouvait  cette  église  en  1044  ?  Elle  était 


—  317  - 

en  ruines  déjà,  comme  en  1604,  et  ne  servait  plus  aux  céré- 
monies du  culte. 

Si  elle  eût  été  en  état,  quel  qu'en  fût  le  possesseur  en  1044 
on  en  aurait  tiré  parti.  L'évéque,  en  effet,  afin  de  donner  une 
église  aux  habitants  des  bords  de  l'Huveaune,  l'aurait  cédée 
à  Saint-Victor,  lui  évitant  ainsi  d'avoir  à  reconstruire  celle 
de  Saint-Giniez.  La  question  du  plus  du  moins  d'éloignement 
de  cette  église  du  centre  habité  ne  pouvait  tirer  à  conséquence. 
L'important  était  d'assurer  le  service  du  culte.  De  nos  jours, 
d'ailleurs,  les  habitants  de  la  plage  vont  à  l'église  de  Saint- 
Giniez.  L'évoque  cependant  agit  autrement  :  il  cède  Saint- 
Giniez  à  l'abbaye  de  Saint-Victor.  Pas  un  mot  de  la  chapelle 
de  l'Huveaune. 

L'abbaye  de  Saint-Victor,  si  elle  en  eût  été  possesseur, 
aurait  de  beaucoup  préféré  l'adapter  au  service  du  culte  que 
d'avoir  à  rebâtir  l'église  de  Saint  Giniez.  C'est  cependant  cette 
église  que  l'abbaye  réédifie  ! 

L'abbaye,  enfin,  de  Saint-Sauveur,  si  elle  l'avait  eue  en 
sa  possession,  ou  bien  l'aurait  fait  desservir  par  ses  prêtres, 
ou  l'aurait  cédée  à  l'évéque  ou  à  Saint  Victor  pour  le  même 
but.  Et  cependant  c'est  Saint-Giniez  que  l'on  réédifie  en 
entier  !  Incontestablement,  en  1044,  la  chapelle  des  bords  de 
THiiveaune  existe,  mais  déjà  elle  est  en  ruines  î 

On  le  voit,  nous  avançons  à  petits  pas,  mais  nous  avançons  ! 
Allons  de  l'avant  encore. 

Cette  chapelle  de  l'Huveaune,  en  ruines  en  1044,  appar- 
tenait à  cette  époque  à  l'évéque. 

Certainement  elle  n'appartenait  pas  à  Saint-Victor,  car  l'ab- 
baye, qui  sort  de  ses  ruines  elle  aussi,  s'empresse  de  relever 
les  chapelles,  les  oratoires  détruits,  d'en  bâtir  d'autres  à  l'aide 
de  ses  propres  ressources,  et  à  l'aide  des  libéralités  des  vicom- 
tes de  Marseille.  C'est  le  cas  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  de 
Sainte-Croix  près  de  Saint-Pierre  de  Paradis,  de  Saint-André, 
probablement  de  Saint-Ferréol,  de  Saint-Saturnin,  de  Saint- 
Benoit  (1).  Or,  peut-on  croire  qu'elle  n'aurait  pas  relevé  cette 


(1)  Saint-Pierre  de  Paradis  est  réédifiée  en  1044  (charte  32).  —  Sainte- 
Croix  est  bâtie  en  1045  (charte  23).  —  Saint- André,  Saint-Ferréol  existent 

21 


-  318  — 

chapelle  de  l'Huveaune,  puisque  Saint-Giniez  ne  lui  appar- 
tenait pas,  et  que  celle-ci,  d'ailleurs,  était  hors  d'usage?  Mise 
en  demeure  par  l'évoque  de  Marseille,  Pons  II,  de  fournir  une 
église  aux  habitants  de  ce  quartier  qui  lui  était  soumis,  est- 
ce  que  l'abbaye  n'aurait  pas  préféré  relever  une  chapelle  lui 
appartenant  que  celle  de  Saint-Giniez  qui  ne  lui  appartenait 
pas,  et  qu'on  ne  lui  donne  qu:en  1044  ?  C'était,  dira-t  on, 
une  nouvelle  acquisition  d'une  plus  grande  valeur  que  l'église 
des  bords  de  l'Huveaune  et  qu'elle  a  pféféré  reconstruire  ! 

Alors,  pourquoi  en  1204  l'évoque  cède-t-il  la  chapelle  de 
l'Huveaune,  en  qualité  de  possesseur  ?  Qui  la  lui  adonnée? 
Quelle  trace  reste-t-il  d'un  achat,  d'un  échange,  d'une  ces- 
sion quelconque  ?  Non,  ces  ruines,  en  1044,  n'appartiennent 
pas  à  Saint- Victor. 

Non  plus  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur.  Celle-ci  vit  pénible- 
ment à  cette  époque.  Depuis  quarante  ans,  ses  a  moniales  » 
vont  de  maison  en  maison  sans  s'y  fixer  définitivement,  de  la 
place  de  Lenche  aux  Accoules,  des  Accoules  à  la  place  de 
Lenche  (1).  En  ce  moment  dé  1041,  elles  viennent  de  s'établir 
au  monastère  de  la  place  de  Lenche,  que  les  vicomtes  ont 
restauré  (2).  Or,  si  cette  chapelle  de  l'Huveaune  leur  eût 
appartenu,  elle  l'eussent  cédée  à  l'évoque  ou  à  Saint- Victor 
et  l'indice  de  cette  vente  apparaîtrait  quelque  part.  Si 
elles  l'avaient  conservée  comme  le  souvenir  d'un  passé  qui  ne 
fut  pas  sans  gloire,  comment  en  1204  l'évoque  a-t-il  pu  la 
céder  comme  bien  lui  appartenant  ?  Elle  n'était  donc  pas  la 
propriété  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur. 

Ces  ruines  appartiennent  en  réalité  à  l'évéque  de  Marseille. 
Non  pas  qu'elles  fissent  partie  de  ces  biens  qu[,  jadis  la  pos- 
session de  saint  Victor,  avaient,  à  la  suile  des  invasions,  été 
unis  à  la  mense  épiscopale.  Car  Pons  II,  qui  fait  rendre  à  celte 
abbaye  des  biens  que  l'on  retenait  injustement,  et  qui  lui- 
môme  en  restitue  quelques-uns,  môles  à,  ses  biens  propres  et 

m 

en  1048  (charte  40),  en  1079  (charte 841,  etc  ).  —Saint-Saturnin  existe  en 
1038-1048  (charte  33).  —  Saint-Benoit  existe  au  XI»  siècle  (charte  42). 

(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  V abbaye  de  Saint-Sauveur, 
chapitre  3,  p.  16.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  59. 

(2)  André,  op.  cit.,  p.  19. 


—  319  — 

« 

personnels,  aurait  fait  rendre  à  l'abbaye  cette  chapelle  (l). 
Avant  d'accepter  Saint-Giniez  avec  la  charge  de  la  reconstruire, 
l'abbaye  de  Saint-Victor  aurait  prié  l'évoque  de  lui  rendre  ce* 
qui  lui  appartenait.  Non  pas  encore  que  cette  chapelle  de 
l'Huveaune  fit  partie  des  biens  jadis  la  possession  de  l'abbaye 
de  Saint-Sauveur,  unis  à  la  mense  épiscopale  à  la  suite  de  la 
destruction  du  monastère  et  des  invasions.  Saint-Sauveur  se 
relève  difficilement,  depuis  1004,  du  coup  que  les  invasions 
lui  ont  porté.  En  1044,  tout  y  est  en  souffrance  et  il  aurait 
fallu  être  bien  dur  et  injuste  pour  ne  pas  restituer  à  ce  pauvre 
monastère  ce  qui  lui  appartenait,  alors  que  l'on  rendait  à 
Saint-Victor  qui  avait  bien  d'autres  ressources. 

D ailleurs,  l'abbaye  cassianite,  qui  souvent  fut  en  lutte 
d'intérêts  avec  le  chapitre  et  l'évoque  lui-même,  aurait,  à  un 
moment  où  à  un  autre,  revendiqué  ces  ruines  comme  lui 
appartenant.  Nul  vestige  cependant  d'une  semblable  reven- 
dication. I/évêque  détient  donc  cette  église  comme  propriété 
de  sa  cathédrale,  au  même  titre  qu'il  détient  Saint-Giniez, 
dont  il  fit  cession  à  Saint-Victor  en  1044,  avec  le  consentement 
de  son  chapitre.  Aussi,  en  1204  il  la  cède  aux  Pr^  mon  très, 
et  du  consentement  de  son  chapitre. 

En  1044  donc  cette  chapelle  des  bords  de  l'Huveaune 
appartient  à  révoque.  De  plus,  en  1044  il  y  a  deux  églises 
en  ruines  dans  la  même  partie  du  terroir  :  celle  de  l'Huveaune 
et  celle  de  Saint-Giniez,  toutes  les  deux  appartenant  à  l'évêque, 
à  quelque  cinq  cents  mètres  l'une  de  l'autre. 

(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t.  I,  chartes  18,  20,  30,  etc.—  Mgr  de 
BeUunce,  Antiquité  de  VE alise  de  Marseille,  t.  I,  pp.  398,  399,  402, 
406,  408. 


CHAPITRE  VIII 

L'église  et  la  maison  en  ruines 
des  bords  de  l'Huveaune 

(Suite) 


LA  CHAPELLE  DK  L'HUVEAUNE  A  EXISTÉ  EN  MÊME  TEMPS  QUE  CELLE 
DE  SAINT-GINIEZ",  ELLE  N*A  PAS  ÉTÉ  BATIE  APRES.  —  L'ÉGLISE 
DR  SAINT-GINIEZ,  D'AUTRE  PART,  N'A  PAS  ÉTÉ  BATIE  APRÈS  CELLE 
DE  L'HUVEAUNE  —  TOUTES  LES  DEUX  80NT  ANTÉRIEURES  A  923.— 
DEJA,  EN  923,  ELLES  ÉTAIENT  EN  RUINES.  —  LA  CHAPELLE  DE 
L'HUVEAUNE  N*A  PU  ETRE  BATIE  VER8  850,  NI  DURANT  LE  RÈGNE 
DK  CHARLEMAONB  (771-814).  —  ELLE  EXISTAIT  EN  720-740,  ET 
C'ÉTAIT  L'ABBAYE  DE  SAINT  CYR  QUI  L'AVAIT  FAIT  BATIR.  —  CE 
N'ÉTAIT  PAS  UN  ORATOIRE  DE  CAMPAGNE,  MAIS  LA  CHAPELLE  DU 
CŒNOBIUM  DE  SAINt'-CYR. 


Or,  pourquoi  ces  deux  églises  en  cet  endroit  du  lerroir  ? 
Ont-elles  existé  simultanément,  ou  bien  Tune  a-t-elle  été 
bâtie  alors  que  l'autre  tombait  en  ruines?  Laquelle  des  deux 
est  antérieure  à  l'autre?  Questions  importantes  dont  la  solu- 
tion va  faire  faire  un  pas  à  notre  thèse. 

La  chapelle  de  l'Huveaune  n'est  pas  postérieure  à  l'église 
de  Saint-Giniez. 

D'abord,  elle  n'a  pas  élé  édifiée  alors  que  celle  de  Saint- 
Giniez  servait  aux  fidèles.  Pourquoi  bâtir  une  église  à  une  si 
petite  distance  de  la  première?  Ce  point  du  terroir,,  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune,  n'était  pas  plus  habité  qu'il  ne  l'est 
aujourd'hui.  Etait-ce  pour  favoriser  les  habitants  de  Ligus 
Pinis?  Mais  ils  pouvaient  venir  à  Saint-Giniez,  comme  ceux 
qui  les  ont  remplacés  y  viennent  actuellement.  Pour  favori- 
ser ceux  de  Romagnac?  Mais  il  y  a  un  marais  à  l'embou- 
chure de  l'Huveaune,  mieux  aurait  valu  la  bâtir  au-delà  de 
cette  rivière,  sur  le  terroir  même  de  Romagnac. 

Elle  n'a  pas  été   construite  lors  de  la  ruine  de  l'église  de 


—  321  — 

Saint-Giniez.  Celle-ci  est  démolie  dès  104i.  Or,  si  Ton  en 
reporte  la  destruction  vers  Tan  1000,  et  que  Ton  place  à  ce 
moment  la  construction  de  celle  de  l'Huveaune,  cette  dernière, 
qui  est  elle  hors  d'usage  aussi  dès  1044,  on  Ta  dit,  aura  vu, 
dans  l'espace  de  quarante  *ou  cinquante  ans,  se  perdre  et 
s'oublier  jusqu'à  son  vocable,  tandis  que  l'on  a  conservé  le 
souvenir  du  vocable  de  l'église  de  Saint-Giniez  dont  la  destruc- 
tion est  dp  cinquante  ans  plus  ancienne.  D'ailleurs,  pourquoi,  si 
l'église  de  Saint-Giniez  est  en  ruines,  vers  l'an  1000,  ne  pas 
la  reconstruire,  au  lieu  d'aller  en  bâtir  une  autre  à  l'extrémité 
du  terroir,  au  milieu  des  marais?  Et  c'est  l'évêque  qui  les 
aurait  fait  élever  toutes  les  deux,  puisqu'elles  lui  appartien- 
nent! 

Si  l'on  fait  remonter  la  destruction  de  l'église  de  Saint- 
Giniez  aux  dernières  invasions  de  923  et  que  l'église  de  l'Hu- 
veaune  ait  été  bâtie  pour  la  remplacer,  les  mêmes  difficultés 
se  présentent.  Comment  a-t  on  perdu  le  souvenir  du  vocable 
de  cette  chapelle,  de  923  à  1044,  et  conservé  celui  de  Saint- 
Giniez?  Pourquoi  ne  pas  rebâtir  une  seconde  église  au  même 
endroit,  sur  les  ruines  de  celle  qui  a  été  renversée,  au  lieu  de 
la  construire  au  bord  de  la  mer? 

Si  cette  église  de  Saint-Giniez  a  souffert  des  pirates,  la  nou- 
velle église  sera-t-elle  plus  abritée? 

De  plus,  qui  l'eût  bâtie,  en  ce  moment,  vers  923  ? 

L'abbaye  de  Saint- Victor  était  «  penitus  ad  nihilum  redacla  » , 
dit  la  charte.  Le  monastère  des  religieuses  cassianites  avait 
disparu  dans  la  tourmente.  L'évêque  de  Marseille  était  obligé 
de  demander  du  secours  à  son  métropolitain  d'Arles.  Ce  n'était 
guère  le  temps  de  reconstruire  des  églises  rurales.  Ce  ne  fut 
qu'en  1044  que  Pons  II  put  y  penser.  Donc  l'église  de  l'Hu- 
veaune  n'a  pas  été  bâtie  postérieurement  à  celle  de  Saint- 
Giniez. 

D'autre  part,  l'église  de  Saint-Giniez  n'est  pas  postérieure  à 
celle  de  l'Huveaune. 

D'abord,  elle  n'a  pas  été  bâtie  alors  que  celle  de  l'Huveaune 
servait  aux  fidèles.  L'église  de  Saint-Giniez  en  ruines, 
dès  1044,  sa  destruction  datant  au  moins  de  Tan  1000,  c'est 
dans  la  première  moitié  du  X*  siècle  qu'on  l'aurait  édifiée. 


—  322  — 

Or,  pourquoi  bâtir  une  église  à  Saint-Giniez,  à  cette  époque  ? 
•Celle  des  bords  de  l'Huveaune  suffisait.  Avec  quelles  ressour- 
ces, d'ailleurs,  l'évêque  l'aurait-il  fait  construire,  puisqu'il 
manquait  de  tout  pour  ses  clercs? 

L'aurait- on  bâtie  lors  de  la  destruction,  pour  une  cause 
quelconque,  de  la  chapelle  de  l'Huveaune?  Puisque  la  ruine 
de  l'église  de  Saint-Giuiez  date  au  moins  de  Tan  1000,  c'est 
encore  dans  le  cours  du  X"  siècle  qu'il  faudrait  en  placer  la 
construction,  vers  960  par  exemple.  La  nécessité  de  donner 
aux  colons  du  terroir  un  édifice  religieux  aurait  amené  révo- 
que à  cette  dépense.  Soit.  Mais,  alors,  notre  chapelle  de 
l'embouchure  de  l'Huveaune  est  antérieure  à  923.  On  n'a  pu, 
en  effet,  l'édifier  vers  960,  puisque  celle  de  Saint-Giniez,  nous 
venons  de  le  supposer,  est  bâtie  à  cette  époque  ;  ni  vers  923, 
le  moment  est  trop  critique  et  l'évêque  de  Marseille  est  privé 
de  tous  moyens.  Elle  existait  donc  en  923. 

D'autre  part,  on  ne  peut  lui  faire  traverser  la  crise  de  923 

sans  encombre.  La  charte  de  1005  dit   que  :   «    gens  pagana 

•  cuncta  vastavit,  ecclesias  et  monasteria  plurima  destruxit.  * 

Il  est  plus  que  probable,  donc,  qu'elle  ait  été  renversée  vers 

923.  Donc  elle  est  antérieure  à  923. 

En  ruines  dès  923,  la  chapelle  de  l'Huveaune  n'a  pas  été 
bâtie  vers  850  par  exemple.  Qui  l'eût  construite,  en  effet? 

L'abbaye  de  Saint-Victor  ?  Elle  lui  aurait  appartenu  en  923 
et,  aussitôt  l'invasion  passée,  elle  l'aurait  réédifiée,  comme 
elle  le  fit  pour  d'autres  chapelles  du  terroir.  Et  si,  après  923, 
cette  chapelle  fût  passée  dans  le  domaine  de  l'évoque  par 
suite  de  la  destruction  du  monastère  de  Saint-Victor,  l'évêque 
l'aurait  rendue  en  1044,  et  Saint-Victor,  au  Heu  de  relever 
l'église  de  Saint-Giniez,  aurait  préféré  s'occuper  de  ce  qui  lui 
appartenait  déjà.  Si  c'eût  été  une  acquisition  nouvelle  de 
Saint-Victor,  cette  abbaye  aurait  réclamé  quand  même  sa 
propriété.  Si  c'eût  été  un  échange,  on  en  parlerait  bien  quelque 
part  dans  les  innombrables  chartes  de  ventes  et  de  cessions. 

Sera-ce  Saint-Sauveur?  Encore  moins;  car,  de  850  à  923, 
l'état  de  cette  abbaye  est  très  précaire.  En  838,  toutes  les  reli- 
gieuses ont  été  enlevées  par  les  pirates  normands.  Si  elle  a  pu 


—  323  - 

se  relever  de  cette  catastrophe,  elle  ne  doit  pas  penser  à  bâtir 
une  chapelle  si  loin. 

Sera-ce  l'évêque?  Peut-être.  Mais,  ou  bien  l'église  de  Saint- 
Giniez  existe  déjà,  inutile  alors,  semble- t-il,  de  bâtir  une  autre 
église  aux  bords  de  la  mer.  Et  si  on  en  construit  une,  c'est  qu'il 
y  a  une  raison  spéciale!!!  Ou  bien  cette  église  de  Saint- 
Giniez  n'existe  pas,  il  serait  alors  prouvé  que  vers  850  notre 
chapelle  de  l'Huveaune  existe.  Mais  pour  quel  motif  bâtir 
une  église,  à  cette  époque,  en  un  endroit  d'un  acc&s  si  difficile 
à  cause  des  bois,  des  marais,  du  cours  de  l'Huveaune?  Le 
centre  habité,  c'est  le  Saint-Giniez  adtuel.  C'est  là  qu'il  faut 
une  église  et  non  pa3,  au  bout  du  terroir!  Ajoutons  que  le 
moment  est  critique.  Les  Sarrasins,  en  842,  849,  850,  869; 
les  Normands  en  859,860  désolent  la  Provence;  comment 
hâtir  des  églises  au  milieu  des  invasions?  Non,  l'église  de 
l'Huveaune   ne    date  pas   de  850.  Elle   existait  déjà. 

On  ne  l'a  pas  élevée,  non  plus,  dans  les  années  qui  suivirent 
la  mort  de  Charlemagne,de  814  à  850.  Toujours  il  faudra  indi- 
quer qui  aurait  pu  la  bâtir,  et  pour  quelle  raison. 

Ce  n'est  pas  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  ou  plutôt  de  Saint- 
Cyr,  qui  est  auprès  de  Saint- Victor,  à  ce  moment,  et  dont 
en  838  les  religieuses  furent  enlevées  par  les  barbares.  Si 
elle  bâtissait  à  lette  époque  une  chapelle  sur  les  bords  de 
l'Huveaune,  on  pourrait  bien  supposer  qu'il  y  a  autre  chpse 
que  le  désir  d'avoir  une  ma;son  de  plus!... 

Ce  n'est  pas  l'abbaye  de  Saint-Victor.  On  lui  vole  ses  biens, 
et  à  ce  moment  elle  passe  sous  la  juridiction  des  évoques  de 
Marseille. 

Ce  n'est  pas  l'évoque  lui-même;  il  avait  assez  de  peine  à 
sauvegarder  les  biens  de  l'évêché  et  de  l'abbaye,  il  aurait  pu 
bâtir  régi i se  de  Sajnt-Giniez,  si  elle  n'existait  pas  encore, 
car  ce  point  du  terroir  est  habité.  Mais  aux  bords  de  la  mer, 
impossible  d'y  penser.  Ce  n'est  donc  pas  à  cette  époque,  de 
•  814  à  850,  que  remonte  notre  église  de  l'Huveaune.  Elle  est 
dédale  plift  ancienne. 

L'a-t-on  construite  durant  le  règne  de  Charlemagne,  de 
771  à  814?  C'est  une  époque  de  relèvement,  le  calme  se  fait, 


—  324  - 

les  Sarrasins  sont  tranquilles.  C'est  vrai.  Mais  qui  a  pu  bâtir 
cette  église  ? 

Ce  n'est  pas  le  monastère  de  Saint-Cyr.  Il  sort  de  la  crise 
des  invasions  ;  ou»  s'il  fait  bâtir,  c'est  qu'il  veut  perpétuer  le 
souvenir  de  quelque  fait  important. 

Ce  n'est  pas  non  plus  l'abbaye  de  Saint- Victor,  puisque 
jamais  il  n'a  été  dit  que  cette  chapelle  lui  eût  appartenu  ; 
jamais  d'ailleurs  l'évéque  ne  la  lui  a  rendue,  ni  en  1044,  ni 
plus  tôt . 

Ce  n'est  pas  l'évéque  de  Marseille.  A  bâtir  une  église,  c'est 
au  quartier  actuel  de  Saint-Giniez  qu'il  l'aurait  placée.  Et  si 
déjà  il  y  en  a  une,  pourquoi  en  édifier  une  autre  à  l'embou- 
chure de  THuveaune,  à  moins  de  vouloir  garder  le  souvenir 
d'un  fait  important!  !  Ce  n'est  donc  pas  de  771  à  814  que  date 
cette  chapelle  de  l'Huveaune.  Il  faut  monter  plus  haut  encore. 

Mais  nous  sommes  alors  en  pleine  invasion  sarrasine,  et 
certes  ce  n'est  pas  à  ce  moment  que  l'on  pense  à  construire 
des  églises.  Donc  notre  chapelle  de  l'Huveaune  existait 
à  l'époque  des  invasions.  Et,  comme  tout  a  été  bouleversé  à 
cette  heure  terrible  (737-740),  sûrement  noire  chapelle  a 
succombé  à  ce  moment.  Donc  aussi  elle  est  antérieure  à  737. 
Donc  elle  existait  au  début  du  VIII"  siècle  !  1 

Ici  précisons  davantage.  Qui  a  pu  faire  bâtir,  au  début  du 
VIII*  siècle,  une  église  à  l'embouchure  de  l'Huveaune?  Seul 
le  monastère  de  Saint-Cyr. 

Impossible  de  dire  que  c'a  été  l'abbaye  de  Saint-Victor.  Si 
c'eût  été  l'abbaye,  elle  l'eût  élevée  pour  la  commodité  des  colons 
et  des  gens  établis  en  ces  lieux.  Et  si  cette  chapelle  eût 
été  détruite  sous  la  première  invasion,  celle-ci  passée,  Saint- 
Victor  l'eût  relevée  et  l'eût  gardée  en  sa  possession.  Si  elle.fùt 
demeurée  debout,  malgré  la  tourmente,  jamais  elle  n'aurait 
pu  devenir  la  possession  de  l'évéque.  En  admettant  que  lors 
de  la  destruction  de  Saint-Victor  elle  eût  fait  partie  de  la 
mense  épiscopale,  tôt  ou  tard  l'évoque  l'aurait  rendue.  Or, 
l'évéque  la  cède  en  1204  comme  propriété  de  son  Eglise,  et  il 
n'y  a  pas  la  moindre  trace  qu'elle  ait  été  cédée  ou  vendue  ! 

Impossible  de  dire  que  c'est  l'évéque.  Jamais  celui-ci  n'ira 
bâtir  un  oratoire  sur  le  rivage  de  la  mer,  au  milieu  des  marais 


—  325  — 

et  des  bois,  alors  que  le  centre  habité,  les  fouilles  l'ont 
prouvé,  se  trouvait  à  remplacement  actuel  de  Saint-Giniez  ! 

C'est  donc  Saint-Sauveur,  ou  plutôt  le  monastère  de  Saint- 
Cyr,  qui  a  élevé  cette  chapelle?  Oui,  quoique  ne  comptantque 
trois  siècles  d'existence,  le  monastère  cassianite,  à  l'époque 
qui  précède  les  invasions,  est  dans  un  état  florissant.  Au  temps 
de  saint  Césaire  d'Arles,  Césarie,  sa  sœur,  y  vient  apprendre  à 
pratiquer  les  vertus  que  plus  tard  elle  devra  enseigner  aux 
autres.  En  597,  le  monastère  était  agrandi  par  les  soins  de 
Dynamius  et  d'Aurelius.  La  tradition  nous  dit  qu'Eusébie  y 
avait  quarante  compagnes.  A  ce  moment  donc  le  monastère 
de  Saint-Cyr  pouvait  faire  bâtir  cette  chapelle  de  l'Huveaune, 
et  cela  à  quelque  époque  que  ce  fût,  de  420  à  720. 

Mais  pour  quel  motif  le  monastère  de  Saint-Cyr  a-t-il  fait 
construire  cette  église  aux  bords  de  l'Huveaune?  Etait-ceparce 
qu'il  n'y  avait  pas  encore  d'église  dans  le  quartier  de  Saint- 
Giniez,  au  début  du  VHP  siècle  ?  Non,  car  l'église  de  Saint- 
Giniez  existait  déjà.  Dans  un  paragraphe  précédent,  nos  dé- 
ductions nous  amenaient  à  dire  que  Ton  pouvait  signaler 
l'existence  de  cette  église  à  ce  point  du  terroir  vers  960,  alin 
de  remplacer  celle  de  l'Huveaune,  en  ruines  dès  923.  Mais  il 
est  évident  qu'il  faut  remonter  plus  haut.  De  tout  temps,  le 
quartier  de  Saint-Giniez  a  été  habité,  de  tout  temps  une 
église  a  été  nécessaire  à  cet  endroit.  Or,  la  chapelle  de  l'Hu- 
veaune était  démolie  dès  850,  dès  737.  Donc,  au  début  du 
VIII*  siècle,  il  y  avait  une  église  à  Saint-Giniez. 

Dès  les  temps  primitifs,  il  y  a  eu  en  cet  endroit  un  oratoire 
de  campagne  dédié  à  je  ne  sais  quel  saint  ou  quel  martyr. 
Vers  420,  les  Câssianites  arrivent  sur  les  bords  de  l'Huveaune. 
Leur  premier  lieu  de  prières,  le  dimanche,  dut  être  cet  ora- 
toire de  campagne,  modeste  et  restreint.  Peut-être  tombait-il 
en  ruines  déjà  à  cette  époque.  Alors,  le  monastère  nouveau 
aidant,  on  l'agrandit,  et,  étant  donné  que  saint  Genès  est  un 
martyr  d'Arles,  que  c'est  un  concile  d'Arles  qui  a  autorisé  les 
premières  chapelles  de  campagne,  que  saint  Césaire  d'Arles  a 
eu  de  grands  rapports  avec  le  monastère  cassianite  de  l'Hu- 
veaune, à  cause  de  sa  sœur  Césarie  qui  y  était  élevée,  et 
peut-être  que  saint  Césaire  avait  enrichi  de  quelque  relique 


—  326  — 

de  saint  Genès  cet  oratoire,  on  l'a  dédié  ce  martyr! 
Telle  est  l'origine  probable  de  l'église  de  Saint-Giniez  et  de 
son  vocable.  Dans  tous  les  cas,  la  chapelle  de  l'Huveaune  n'a 
pas  été  bâtie  au  début  du  VIII"  siècle,  parce  qu'il  n'y  aurait 
pas  eu  d'église  au  quartier  de  Saint-Giniez. 

Etait-elle  un  oratoire  adossé  à  la  maison  des  champs  de 
l'abbaye  de  Saint-Cyr  ?  Point  du  tout.  Une  tradition  sérieuse, 
difficile  à  contester,  raconte  qu'Eusébie  et  ses  compagnes, 
a  leïs  Desnarrados»,  ont  été  martyrisées  en  cet  endroit.  Si 
cette  chapelle  n'eût  été  qu'un  oratoire,  joint  à  une  maison  de 
ce  genre,  les  religieuses  n'y  seraient  pas  mortes.  Impossible 
d'admettre  qu'à  cette  époque  troublée  elles  aient  quitté  leur 
monastère  pour  se  réfugier  à  la  campagne.  Leur  départ  aurait 
été  connu.  D'ailleurs,  elles  étaient  plus  exposées  hors  de  la 
ville  qu'aux  abords  de  celle-ci. 

Et  encore,  où  s'élevait  le  cœnobium  à  ce  moment?  Il 
n'était  pas,  nous  l'avons  prouvé  plus  haut,  au  Carénage,  aux 
Catalans,  au  Revest,  à  Sainte-Catherine,  à  Saint-Loup,  ni 
ailleurs.  Restent  les  bords  de  l'Huveaune  ! 

Cette  chapelle  de  l'Huveaune  n'était  donc  pas  simplement  une 
maison  de  campagne  pour  l'abbaye  cassianite.  C'était,  disons- 
le,  le  monastère  lui-même.  Oui,  c'est  aux  abords  de  notre 
plage  du  Prado  que  la  jeune  Césarie  se  formait  à  la  piété,  qiie 
Respecta,  l'abbesse  du  temps  de  saint  Grégoire,  groupait  son 
essaim  de  servantes  de  Dieu,  et  qu'un  peu  plus  tard  Tillisiola 
édifiait  par  ses  vertus  les  vierges  consacrées.  C'est  là  que  vécut 
l'illustre  religieuse,  la  grande  servante  de  Dieu,  la  chaste 
Eusébie  !  !  Les  échos  de  nos  rivages  ont  entendu  sa  voix.  Les 
berges  fleuries  de  l'Huveaune  l'ont  vue  parcourir  leurs  prai- 
ries verdoyantes.  0  sainte  Patronne  de  ce  coin  béni  de  notre 
terroir,  laissez-moi  vous  saluer,  baiser  la  trace  de  vos  pas.  Que 
ne  puis-je  en  retrouver  les  vestiges  sur  le  sable  doré  de  la 
grève  1  C'est  là  aussi  que  vous  avez  souffert  !  Le  sol  que  nous 
foulons,  vous  et  vos  généreuses  compagnes  l'avez  rougi  de 
votre  sang  1  Que  vous  devez  aimer  à  venir  encore,  avec  vos 
vaillantes  sœurs,  visiter  ces  lieux  témoins  de  votre  héroïque 
courage!  Nous  aussi  nous  les  aimons,  ces  lieux,  ces  prairies. 


—  327  — 

• 

ces  rivages,  tout  y  est  plein  de  votre  souvenir,  'ô  sainte  Eusé- 
hie.  Honneur  et  gloire  vous  soient  rendus  ! 

C'est  donc  l'abbaye  cassianite  qui  était  là  sur  ces  bords. 

Tout  s'explique  maintenant.  Les  Sarrasins  ont  attaqué  le 
monastère,  l'ont  saccagé,  en  ont  massacré  les  humbles  reli- 
gieuses. On  peut  à  peine,  quelques  jours  après,  recueillir  et 
emporter  dans  les  souterrains  de  Saint-Victor  les  restes  de  ces 
héroïnes.  Plus  tard,  peut-être,  après  les  invasions,  on  com- 
pose l'inscription.  Entre  deux  invasions,  on  essaie  bien  de 
cultiver  le  petit  domaine  qui  entourait  le  monastère  incendié. 
Mais  une  nouvelle  invasion  survient,  il  faut  tout  abandonner. 
C'est  l'heure  de  l'oubli  qui  commence  1  On  perd  peu  à  peu  les 
titres  de  possession.  Ceux  qui  habitent  en  ces  lieux  ou  sont 
massacrés  ou  s'en  éloignent.  La  chapelle  est  délaissée.  Il  n'y 
a  bientôt  plus  que  des  ruines.  Avec  les  invasions,  les  biens  de 
.ce  monastère  comme  les  biens  de  celui  de  Saint -Victor  passent 
à  la  mense  épiscopale  et,  en  1204,  l'évéque,  de  concert  avec  le 
chapitre,  cède,  en  qualité  de  propriétaire,  cette  chapelle  en 
ruines  aux  Prémontrés. 

D'où  venait  à  l'évéque  le  droit  de  possession  sur  celte  cha- 
pelle ?  Y  a-t-il  eu,  à  cette  époque  lointaine,  un  acte  de  vente 
ou  de  cession  de  la  part  des  religieuses  qui  relevèrent  le  mo- 
nastère abandonné?  Cela  pourrait  être.  Car  il  n'est  pas  croya- 
ble que  Tévôque  eût  refusé  de  rendre  plus  tard  cette  propriété 
au  monastère  qui  se  reformait.  Peut-être  aussi,  et  nous  croyons 
cette  opinion  préférable,  que  la  terre  sur  laquelle  le  monas- 
tère primitif  était  construit  appartenait  à  l'évéque. 

En  420,  saint  Cassien,  voulant  fonder  un  monastère  de  fem- 
mes; avait  obtenu  de  l'évéque  quelques  terres  voisines  de 
Saint-Giniez,  comme  il  avait  obtenu  pour  son  monastère 
d'hommes  les  souterrains  de  Saint-Victor.  Les  invasions  fai- 
sant tout  disparaître,  l'évéque  rentrait  dans  sa  propriété. 

Un  fait  semblerait  venir  à  l'appui  de  cette  opinion.  En  597, 
le  pape  Grégoire  le  Grand  exempte  l'abbesse  Respecta  et  son 
monastère  de  la  juridiction  temporelle  de  l'évéque,  laissant  à 
celui-ci  la  juridiction  spirituelle.  Or,  cette  juridiction  tempo- 
relle que  Ton  enlève  à  l'évôquepouvait  lui  venir  d'un  double 
titre  :  soit  du  concile  d'Arles  en  554,  qui  avait   ordonné  aux 


_  ass  — 

évoques  de  prendre  soin  des  monastères  de  filles  (I  ),  soit  de  ce 
que,  comme  nous  l'avons  dit,  révoque  avait  donné  à  saigt 
Cassien  quelques  terres  pour  y  bâtir  le  monastère  des  filles. 
Respecta  voulut  secouer  ce  joug,  alors  que  Dynamius  et  Au- 
relius  agrandissaient  le  monastère.  lie  pape  acquiesça  en 
537  (2).  Mais,  exécutée  ou  non,  cette  sentence  fut  annihilée  par 
les  événements.  Les  invasions  arrivèrent.  Par  la  force  des 
choses,  l'évéque  rentra  en  possession  des  biens  du  monastère 
de  Saint-Cyr.  Mais  ce  ne  furent  que  des  débris.  La  chapelle  de 
PHuveaune  était  du  nombre.  C'est  ce  qui  permit  à  l'évéque  de 
la  céder  en  1204,  sans  qu'il  ait  été  obligé  de  la  rétrocéder 
jamais  à  Saint-Sauveur. 

Nous  avions  raison  de  le  dire  au  début  de  ce  chapitre.  Il  y 
avait,  en  1204,  aux  bords  de  l'Huveaune,  une  église  et  une 
maison  en  ruines,  c'est  là  que  vécurent,  prièrent  et  furent 
martyrisées  notre  chère  sainte  Eusébie  et  ses  illustres  com- 
pagnes. 


(1)  De  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  Iw,  p.  222. 

(2)  Voir  la  lettre  de   Grégoire  le  Grand  a  l'abbesse  Respecta,  dans 
André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  appendice  a,  p.  205. 


CHAPITRE  IX 

Eglise  de  Sainte-Marie  de  Sait, 
aux  bords  de  l'Huveaune 


UNE  ÉGLISE  ANTIQUE  A  L'EMBOUCHURE  OB  L'HUVEAUNE.  —  SAINTE- 
MARIE  DB  8ALT. —  DIFFÉRENTS  DE  CELLE  DU  TER  HOIR  DE  POURRI  È- 
RBS.—  GBTTB  ÉGLISE  DE  SAINTE-MARIE  DE  SALT  ÉTAIT  BN  RUINES 
EN  1097.—  ELLE  APPARTENAIT  A  L'ÉVEQUB  AU  XI*  8IÈCLE.  —  ELLE 
N'A   ÉTÉ  BATIE  NI  AU  XI*,  NI  AU  X%  NI  AU  IX*  SIÈCLE,  MAIS,  AU  DÉBUT 

DU   VIII'  SIECLE. COÏNCIDENCE  AVEC    LA  TBADITION  QU'IL  Y  AVAIT 

UN   MONASTÈRE  CASSIANITB  AUX  BORDS  DB  L'HUVEAUNE. 


«  Il  y  a  eu  à  ce  bord  de  mer  (à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune), à  une  époque  antique,  une  église  et  une  maison 
dont  l'histoire  nous  est  inconnue.  Etait-ce  une  paroisse  ru- 
rale, était-ce  un  prieuré  de  Saint-Victor  ?  Nous  n'en  savons 
rien.  En  1204,  les  Prémontrés  les  reconstruisirent  et  en  firent 
une  église  sous  le  titre  de  Notre-Dame  de  l'Huveaune  (1).» 
Ainsi  parle  M.  de  Rey. 

Bien  avant  M.  de  Rey,  le  Père  Guesnay  avait  écrit,  dans  le 
Cassianus  illustratus,  a  que  le  monastère  cassianite  était  aux 
bords  de  l'Huveaune  depuis  une  époque  fort  reculée,  comme 
on  peut  le  voir  dans  des  documents  publiés,  existant  à  Mar- 
seille et  datant  de  710  (2)  ».  Il  est  fort  regrettable  que  Gues- 
nay n'ait  pas  cité  in  extenso  ces  documents  dont  il  parle.  Il  y 
a  cependant  un  fond  de  vérité  dans  ce  qu'il  a  écrit.  Noua, 
allons  le  prouver  en  donnant  le  nom  de  cette  église  antique, 
située  aux  bords  de  l'Huveaune. 

Quel  est  le  nom  de  cette  église,  en  effet  ?  Dans  une  charte  du 

(t)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  231 . 

(2)  c  Hoc  perscriptura  in  monumentis  publicis  et  tabulis  veteribii9 
Massiliae  reperies  editis  instrument!  anno  710  ».  Guesnay,  Cassianus 
illustrât  us,  p.  400. 


—  330  — 

XI'  siècle,  que  M.  baspres  a  publiée,  en  la  traduisant,  à  la  tin 
de  sa  Notice  sur  Saint-Giniez,  nous  lisons  :  a  Les  mêmes, 
Damalcus  d'AIbania  et  son  épouse  Dulciana,  donnent  (à  Saint- 
Victor)  le  décime  qu'ils  avaient  sur  les  vignes  qui  sont  de- 
vant l'église  de  Sainte-Marie  de  Sait  (1).  » 

Or,  qu'était-ce  que  cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait?  Où 
était-elle  située?  A  l'embouchure  de  THuveaune,  là  môme 
où  les  Prémontrés,  au  XIII*  siècle,  trouvèrent  des  ruines  sur 
lesquelles  ils  bâtirent  leur  monastère  de  Notre-Dame  d'tfu- 
veaune. 

Ce  qui  le  prouve,  c'est  d'abord  la  dénomination  de  cette 
église  :  Sainte-Marie  de  Sait.  Ce  mot  sait,  écrit  en  abrégé, 
signifie  saltus,  que  Ton  tradttit  par  forêt,  bois. 

De  fait,  le  quartier  des  bouches  de  l'Huveaune  était  fort 
boisé  à  cette  époque  antique.  C'est  là  que  se  trouvait  le  Ligus 
Pinis,  bois  ou  forêt  de  pins  qui  des  bords  de  ce  cours  d'eau 
montait  vers  les  collines  de  la  Garde.  Aujourd'hui  encore,  les 
bois  épais  dès  propriétés  Talabot,  Schuitz  descendent  pres- 
que jusqu'aux  environs  de  l'emplacement  qu'occupait  le  mo- 
nastère des  Prémonlrés.  De  l'autre  côté  de  l'Huveaune,  le  bois 
ne  devait  pas  être  moins  fourni.  Il  se  continuait,  par  le  collet 
de  Montredon  jusqu'aux  montagnes,  interrompu  çà  et  ta  par 
quelques  clairières  où  poussaient  les  vignes,  les  arbres  frui- 
tiers et  le  blé. 

Si  l'on  avait  voulu  donner  à  une  église,  située  à  cet  endroit, 
un  nom  en  rapport  avec  l'état  topographique  de  la  localité,  on 
ne  pouvait  mieux  faire  que  de  l'appeler  église  de  Notre-Dame 
du  Dois,  de  la  Forêt.  Or,  c'est  précisément  ce  nom  que  porte 
cette  église  :  Notre-Dame  de  Sait. 

Il  y  a  une  autre  explication  que  légitime  fort  bien  l'état  des 
lieux.  Saltu8  veut  dire  aussi  défilé,  ravin  ;  par  extension,  on 
pourrait  lui  faire  signifier  gué,  passage  difficile.  Or,  presque  à 
l'embouchure  de  l'Huveaune,  à  l'entrée  actuelle  du  château 

(l)  L'abbé  Daspres,  Notice  sur  SainUGiniez,  appendice,  p.  139.—  «  Ego 
Damalcus  de  Albania  et  uxor  me  a  Dulciana  donamus. ..  illam  decimam 
quœ  habebamus  in  vineis  quae  suût  ante  ecclesiam  Sanctse  Marine  de 
Sait,  ».  —  Charte  de  1097,  archives  départementales,  fonds  de  Saint- 
Victor,  n»  709,  317. 


—  331  — 

Borrély,  se  trouvait  légué  de  Romagnac,  legasd'Arculens*.  Et, 
depuis  la  hauteur  du  chemin  actuel  de  Mazargues  jusqu'à 
l'embouchure  de  THiiveaune,  s'étendait  le  palud  d'Àrchulens.  ' 
Si  Ton  voulait  donner  un  nom  à  une  église  placée  à  deux  pas 
de  ces  marais  et  de  ce  gué,  celui  de  "Sainte-Marie  du  Gué,  du 
passage  difficile,  de  Sait  aurait  bien  la  couleur  locale.  C'est 
celui  que  fournit  la  charte  de  1097. 

Bien^>lus,  cette  même  charte  parle  des  vignes  qui  se  trou- 
vaient devant  l'église  de  Sainte- Marie  de  Sait.  Or,  l'état  des 
lieux  tels  que  les  documents  postérieur*  nous  le  dépeignent 
permet  de  croire  que  devant  l'ancienne  église  des  Prémontrés, 
à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  s'étendaient  des  vignes.  Un  acte 
du  27  octobre  15794  mentionné  par  M.  Daspres(l),  établit 
«  que  l'église,  alors  la  propriété  des  dames  de  Saint-Sauveur, 
était  environnée  de  vignes,  excepté  au  couchant,  où  elle 
était  bornée  par  la  mer  ».  Et  par  un  acte  du  5  décembre  1781, 
a  que  la  propriété  des  dames  de  Saint- Sauveur  consistait  en 
terres  cultes  et  incultes,  vignes,  arbres,  bâtiments  et  puits, 
située  au  dit  lieu  de  Notre-Dame  d'Huveaune  (2)  ».  L'église 
de  Notre-Dame  de  Satt  était  donc  à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune. 

Nous  en  trouvons  une  autre  preuve  dans  le  contexte  de  la 
«charte  de  1097.  Damalcus  d'Albania  rend  à  Saint-Victor  une 
terre  située  à  la  fos  d'Uvelne  ;  puis,  au  paragraphe  suivant,  il 
cède  la  dime  des  vignes  placées  devant  l'église  de  Sainte-Marie 
de  Sait.  Immédiatement  après,  Iteiius  deBorriana  cède  à  Saint- 
Victor  une  terre  au  gué  de  Romagnac  (3).  Peut-on  croire  que 
dans  l'espace  de  deux  ou  trois  lignes  on  indique  deux  propriétés 
presque  contiguës  et  une  troisième  placée  en  tout  autre  en- 
droit et  bien  éloignée  des  deux  premières? 

On  pourrait  objecter  que  sur  le  terroir  de  Pourrières  il  exis- 
tait, à  cette  môme  époque,  une  église   dédiée  à  la  Sainte 

(1)  Notice  sur  Saint-Giniez,  par  M.  l'abbé  Daspres,  p .  30.  —  Par  un 
acte  passé  en  1320,  une  Béat  ri  x  Gasqui  vend  une  vigne  sise  proche  le 
monastère  de  N.-D.  de  l'Huveaune.  (Fonds  de  Saint-Sauveur,  H,  50; 
archives  départementales.  ) 

(2)  M.  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,ip.  31. 

(3)  Voir  celte  charte.  M.  Daspresr  op.  cit.,  p.  139. 


—  332  — 

Vierge  sous  le  titre  de  Sainte-Marie  de  Sait,  de  Saltu,  ad 
Saltumy  de  Sauto  (1);  que,  partant,  il  s'agit,  dans  la  charte 
de  1097,  d'une  chapelle  située  à  Pourrières  et  non  pas  aux 
bords  de  l'Huveaune. 

Cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait,  à  Pourrières,  en  effet, 
fut  donnée  h  Saint- Victor  en  1065  par  Iterius,  fils  d'Aice- 
lene,  épouse  d'un  vicomte  de  Marseille  (2)  ;  en  1079,  une 
bulle  du  pape  Grégoire  MI  en  confirmait  la  possession  à 
Saint- Victor.  En  1135,  une  autre  bulle  pontificale  en  parlait 
dans  le  même  ordre  d'idées;  en  1113,  dans  un  autre  docu- 
ment, il  s'agissait  de  la  même  église  (3).  Or,  les  donateurs 
de  cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait,  à  Pourrières,  sont 
les  mêmes  que  ceux  dont  il  est  parlé  à  plusieurs  reprises  dans, 
la  charte  de  1097,  qui  donnent  à  Saint-Victor  certains  biens 
situés  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Cette  donation  se  fait  à 
l'époque  où  l'on  parle  de  Sainte-Marie  de  Sait  dans  la  charte 
de  1097.  De  plus  on  n'indique  pas  dans  ces  documents  qu'il 
s'agit  d'une  église  de  SainteMariedeSalt  différente  de  celle 
de  Pourrières.  Il  semble  donc  qu'il  n'y  ait  jamais  eu  qu'une 
seule  église  de  ce  nom  :  celle  de  Pourrières. 

Et  cependant,  nous  soutenons  qu'il  s'agit  bien  d'une  église 
située  sur  le  terroir  de  Saint-Giniez,  à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune. Remarquons,  en  effet,  que  la  charte  121,  de  l'an 
1065,  dit,  de  cette  église  de  Pourrières,  qu'elle  est  «  in  terri - 
torio  de  Porrerias  »,  la  charte  843,  de  1079,  dit  qu'elle  est  «  in 
episcopatu  Aquensi»;  la  charte  848  de  1113,  la  charte  844  de 
1135  emploient  la  même  formule.  Et  notre  charte  de  1097  ne 
dit  rien  !  Afin  de  n'amener  aucune  confusion,  lorsque  le  bien 

(1)  Notre-Dame  de  Miséricorde,  notice  historique  sur  la  statue 
vénérée  sous  ce  titre  dans  la  paroisse  de  Pourrièrest  par  Ferdinand 
André,  p.  7. 

(2)  «  Ego  Joffredus  Aicelene  quondam  fil i us. . .  et  ego  Iterius. .  .«Charte 
21,  de  1065,  cartulairede  Saint-Victor. 

(3)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  t.  II,  charte  843  de  1079,  charte  814  de 
1135,  charte  848  de  1113.  Cependant  une  charte  de  1098,  charte  224,  qui 
renferme  la  confirmation  au  monastère  de  Saint-Victor  des  chapelle  que 
cette  abbaye  possédait  dans  le  diocèse  d'Aix,  ne  parle  pas  de  cotte  église, 
quoiqu'elle  nomme  l'église  de  Saint-Trophime  a  Pourrières,  celles  de 
Saint-Pierre,  de  Saint-Jacques  et  de  Saint-Etienne. 


-  333  — 

cédé,  vendu,  se  trouve  dans  un  terroir  autre  que  celui  où  Ton 
est,  on  indique  l'endroit  précis  de  ce  bien,  de  cette  terre.  Or, 
on  rédige  la  charte  de  1097  à  Marseille  ;  il  s'agirait  d'une 
terre  à  Pourrières,  hors  du  terroir,  hors  du  diocèse  et  l'on 
n'indiquerait  pas  où  se  trouve  cette  terre,  cette  église  de 
Sainte-Marie  de  Sait?  Cela  semble  difficile  à  croire. 

Pourquoi,  dira-t-on,  ne  pas  mentionner  que  cette  église 
était  dans  le  terroir  de  Marseille  et  différente  de  celle  de  Pour- 
rières ?  C'est  que  toutes  les  deux  n'ont  pas  appartenu  à  Saint- 
Victor.  Si  celle  de  Pourrières  lui  appartient,  la  charte  de  1097 
ne  dit  pas  que  celle  de  Marseille  soit  sa  propriété.  Il  n'y  a  que 
la  dlme  sur  les  vignes  qui  revienne  à  Pabbaye.  L'église  elle- 
même  à  qui  est-elle?  Il  n'en  est  pas  question.  Elle  n'appar- 
tient pas  à  Saint- Victor,  en  effet,  nous  le  verrons  bientôt.  Le 
moine-rédacteur  de  cette  charte  ne  s'occupait  que  des  biens 
appartenant  aux  religieux  de  Saint- Victor.  Il  n'avait  donc 
pas  à  faire  cette  mention . 

D'ailleurs,  qu'est-ce  que  cette  charte  de  1097?  Deux  lignes 
qu'elle  renferme  nous  donnent  la  clef  de  l'énigme  :  «  Toutes 
ces  donations  ou  ventes  ont  été  faites  ou  inscrites  en  l'année 
1097,  dans  l'église  de  Saint-Giniez.  »  (1)  A  notre  avis,  cette 
charte  désigne  tou3  les  biens  cédés  ou  donnés  à  Saint-Gi- 
niez, en  l'année  1097,  afin  de  constituer  la  même  de  cette 
église.  Nous  sommes,  en  effet,  en  1097;  l'église  en  ruines  de 
Saint-Giniez,  donnée  à  Saint- Victor  par  Pons  II,  évoque  de 
Marseille  en  1044,  a  été  rebâtie.  Il  faut  maintenant  y  établir 
un  prêtre  à  demeure  et  fonder  le  service  du  culte  divin.  Cette 
détermination  est  prise  en  1097,  et  mise  en  exécution.  Chaque 
semaine  de  cette  année,  pendant  plusieurs  jours,  le  registre 
est  ouvert  ;  à  chacun  de  s'inscrire  pour  la  somme  ou  le  bien 
qu'il  donne  ou  cède  à  Saint-Victor  en  faveur  de  cette  œuvre. 
A  la  fin  de  Tannée,  le  fonds  était  suffisant,  la  souscription 
fut  close. 

Que  telle  soit  la  raison  de  la  charte  de  1097,  un  simple  coup 

(1)  «  Factse  sunt  autem  hse  carte  harum  donationum  vel  venditionum 
an  no  aJb  incarnatione  Domini  MXGVII,  indictione  V,  in  ipsâ  ecclesià 
Sancti  Genesii  feria  V  aut  VI  sive  etiam  sabbato.  »  Charte  de  1097,  fonds 
de  Saint- Victor,  n«  789  ou  n*  317,  archives  départementales. 

22 


—  334  — 

d'œil  le  fait  apercevoir.  Si  un  religieux  de  Saint-Victor  avait 
voulu  simplement  dresser  le  sommier  des  possessions  de  l'ab- 
baye dans  le  terroir  de  Saint-Giniez,  il  aurait  d'abord  daté  le 
document  par  une  formule  plus  précise  :  le  jour,  le  mois, 
l'année.  Ici  Tannée  seulement  est  indiquée.  De  plus,  il  aurait 
suivi  un  certain  ordre.  Puisqu'il  y  avait  des  biens  disséminés 
dans  les  divers  quartiers  du  terroir  de  Saint-Giniez,  il  fallait 
mentionner  les  uns  à  la  suite  des  autres  tous  les  lots  de  terre 
situés  sur  un  même  point  du  terroir  et  non  pas  joindre,  à  un 
bien  sis  à  Framau,  près  du  Rouet,  une  terre  voisine  de  l'embou- 
chure de  l'Huveaune,  ni  un  champ  placé  sur  la  rive  droite  de  ce 
fleuve  à  un  autre  placé  sur  la  rive  gauche.  Or,  ce  décousu  dans 
la  rédaction  est  celui  que  nous  offre  la  charte  de  1097.  On 
parle  d'abord  des  terres  situées  près  de  l'église;  les  biens  si- 
tués à  Mazargues  et  à  Montredon  leur  succèdent.  Puis,  du  palus 
de  Framau  on  va  à  Consuas,  de  Consuas  à  l'Antignane,  de 
l'Antignane  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  I  Autre  remarque. 
C'est  qu'il  y  a  ordinairement  deux,  trois,  quatre  propriétaires 
du  même  quartier  qui  consignent  à  la  suite  les  uns  des  autres 
les  biens  qu'ils  donnent,  dans  ces  quartiers.  Notre  conclusion 
est  donc  que  cette  charte  est  le  livre  dans  lequel  les  proprié- 
taires de  bonne  volonté  se  sont  inscrits  pour  doter  la  nouvelle 
église. 

Mais,  et  c'est  ici  que  se  trouve  la  preuve  de  notre  affirma- 
tion :  qu'il  s'agit  bien  d'une  église-  de  Sainte-Marte  de  Sait, 
à  Saint-Giniez,  toutes  ces  terres,  tous  ces  biens  se  trou- 
vent dans  le  terroir  de  Saint-Giniez,  ou  aux  environs.  Donc, 
les  vignes,  que  la  charte  dit  être  placées  devant  l'église  de 
Sainte-Marie  de  Sait  et  dont  Damalcus,  d'Aubagne,  donne  la 
dlmc  à  Saint- Victor,  se  trouvent  dans  le  terroir  de  Saint- 
■0  Giniez.  Donc,  l'église  de  Sainte- Marie  de  Sait  s  élève  dans  le 

terroir  de  Saint-Giniez.  Donc,  il  .ne  s'agit  pas  de  celle  de  Pour- 
rières.  Sinon  il  faudrait  dire  que,  pour  doter  l'église  de  Saint- 
Giniez,  on  donne  des  rentes  et  des  biens  situés  en  dehors  du 
territoire.  Ce  qui  n'est  guère  probable.  Dans  ces  deux  lignes 
donc  de  la  charte  de  1097,  il  s'agit  d'une  église  de  Sainte-Marie 
de  Sait,  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  (1). 

(1)  On  pourrait  alléguer  encore,  comme  preuve  qu'il  s'agit,  dans  ce 


—  335  — 

Ce  point  bien  établi,  poursuivons  notre  étude. 

En  quel  état  se  trouvait  cette  église  de  Sainte-Marie  de  Sait, 
en  109/  ?  La  charte  ne  le  dit  pas.  Mais  on  peut  affirmer  qu'elle 
était  en  ruines.  Il  a  été  prouvé,  au  chapitre  précédent,  que 
forcément  elle  Tétait  en  1044;  sinon,  au  lieu  de  faire 
rebâtir  Saint-Giniez,  on  se  serait  servi  de  cette  église.  De 
plus,  qu'en  1204  on  ne  puisse  en  dire  ni  le  vocable,  ni  l'ori- 
gine, c'est  une  preuve  que  depuis  fort  longtemps  déjà  elle 
était  hors  d'usage  1 

Or,  à  qui  appartenaient  ces  ruines  dès  1097  ?  Pas  à  Saint- 
Victor,  car  aucune  des  bulles  pontificales  confirmant  à  l'ab- 
baye la  possession  de  certaines  églises  ne  fait  mention  de 
Sainte-Marie  de  Sait  (de  Marseille)  au  nombre  de  celles  qui 
lui  appartiennent.  Appartenaient- elles  à  Saint-Sauveur  ? 
Nous  ne  saurions  le  dire.  A  l'évoque  de  Marseille?  Oui,  c'est 
plus  probable.  Car,  en  1204,  celui-ci  fait  acte  de  propriétaire 
en  cédant  cette  église  aux  Prémontrés. 

Mais  qui  donc  avait  bâti  cette  église,  déjà  en  ruines,  en  1097? 
Ni  Saint-Victor,  ni  Saint-Sauveur,  ni  l'évoque  de  Marseille, 
aux  X*  et  XP  siècles  (de  900  à  1097).  Car  les  invasions  des 
Sarrasins,  la  destruction  des  monastères,  la  restauration  de 
Saint- Victor,  le  relèvement  de  Saint-Sauveur,  les  difficultés 
que  rencontrait  l'évoque  pour  réparer  tant  de  désastres  dans  sa 
ville  épiscopale,  ne  durent  pas  permettre  de  construire  une 
église  en  ce  point  du  terroir.  La  preuve  en  est  que  l'évoque 
cède  l'église  de  Saint-Giniez  à  l'abbaye  de  Saint -Victor,  en 

passage  de  la  charte  de  1097,  d'une  église  située  non  pas  à  Pourrières, 
mais  sur  les  bords  de  l'Huveaune,  le  terme  dont  on  appela  une  tour, 
bâtie  prés  de  la  mer,  aux  environs  de  l'embouchure  de  l'Huveaune,  et 
qui  existait  au  XIV*  siècle  :  la  tour  de  Palbs,  «  ad  turrem  quse  dicitur 
Palbs  ».  D'une  part,  certains  auteurs  placent  cet  édifice  non  loin  de  la 
plage  actuelle  du  Prado.  D'autre  part,  il  y  a  une  très  grande  similitude 
entre  Sait  et  Palbs  ;  ajoutez  que  l'on  ne  peut  donner  la  signification  de 
ces  deux  noms.  —  Le  Cassianus  illustratus  de  Guesnay  donne  la  bulle 
d'Urbain  V,  où  on  lit  ces  mots  :  «  Eundo  per  montem  qui  dicitur  Mons 
Rotundus  parvus*  veniendo  directe  usque  ad  turrem  quse  dicitur  Palbs, 
et  veniendo  directe  a  dicta  turri  per  littus  maris  usque  ad  ecclesiam 
sancti  Nicolai.  »  Page  292.  —  De  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II, 
p.  169.  —  Mortreuil,  Dictionnaire  iopo graphique,  verbo  :  Palbas, 
p.  257. 


-  336  — 

1044,  pour  que  celle-ci  puisse  la  rebâtir.  Avant  le  X*  ou  XI* 
siècle  donc,  l'église  de  Sainte-Marie  de  Sait  existait. 

Est-ce  au  IX*  siècle  qu'il  faut  placer  sa  construction  ?  Non 
pas.  Dès  814  ou  820,  les  Sarrasins,  les  Normands,  un  instant 
contenus,  ont  recommencé  leurs  invasions.  Ce  n'est  pas  le 
moment  favorable  pour  bâtir  des  églises.  Il  faut  remonter  jus- 
qu'au début  du  IX*  siècle,  à  la  fin  du  VIII*,  pour  rencontrer  une 
époque  de  tranquillité,  le  règne  de  Charlemagne  par  exemple. 
C'est  alors,  croyons -nous,  que  l'on  a  construit  l'humble  ora- 
toire de  Sainte-Marie  de  Sait  à  l'embouchure  de  l'Huveaune. 

Mais  à  la  fin  du  V III*  siècle,  au  début  du  IX*,  pour  quel 
motif  élever  une  église  en  cet  endroit  écarté  ?  Pourquoi  la 
dédier  à  la  Sainte  Vierge  ?  Qui  le  dira?  Dans  l'Atlas  Maria- 
nu8y  cité  plus  haut,  il  est  écrit,  en  parlant  de  limage  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune,  qu'il  y  avait  là,  dans  le  cœnobium  situé 
sur  les  bords  de  ce  petit  fleuve,  une  statue  miraculeuse  de 
Marie.  C'est  aux  pieds  de  cette  image  qu'Eusébie  et  ses  com- 
pagnes se  mutilèrent  le  visage  afin  de  garder  leurs  cœurs  à 
Dieu.  Or,  un  tel  acte  d'héroïsme,  ajoute-t-on  dans  cet  ouvrage, 
n'a  pu  s'accomplir  sans  un  miracle  de  la  Sainte  Vierge,  sans 
une  force,  une  énergie  que  la  protection  de  Marie  valut  à  ces 
saintes  âmes  (1).  Est-ce  là  une  simple  exagération  ?  Non. 
Aussi  nous  dirons  :  il  y  a  eu,  à  la  fin  du  VIII*  siècle,  un 
oratoire  dédié  à  Marie  sur  les  bords  de  l'Huveaune  ;  donc, 
c'est  sur  ces  bords  aussi  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée! 

Jugez,  en  effet,  si  notre  conclusion  est  en  l'air  1 

Une  tradition  dont  nous  avons  donné  des  preuves,  Gxe  à  cet 
endroit  le  martyre  d'Eusébie.  Et  il  y  a  là  une  église  :  ecclesia  ! 
La  tradition  assigne  la  fin  du  VIII'  siècle  comme  époque  de  ce 
martyre.  Et  cette  église  existe  en  cet  endroit,  à  la  fin  du  VIII* 
Siècle,  au  début  du  IX*  I  Les  auteurs  s'accordent  à  dire  que  le 
vocable  primitif  du  cœnobium  des  Cassianites  était  la  Sainte 
Vierge.  Et  cette  église  des  bords  de  l'Huveaune  est  dédiée  à 
sainte  Marie  !  Un  sait  que  les  religieuses  cassianites,  martyri- 
sées aux  bords  de  l'Huveaune  ne  furent  pas  ensevelies  dans  le 


(1)  c  I  nunc,  et  hoc  sine  Deiparœ  miraculo  fieri  posse  puta.  »  Atlas 
Marianne,  t.  II,  p.  3017. 


—  337  — 

cœnobium,  mais  dans  les  cryptes  de  Saint- Victor  ;  quelles  ne 
furent  pas  considérées  comme  de  véritables  martyres  ;  que  dès 
lors  le  peuple  ne  les  invoqua  point  en  cet  endroit  du  terroir  où 
elles  avaient  subi  la  mort.  Mais  on  comprend  qu'il  dut  véné- 
rer la  maison,  l'oratoire  de  ces  héroïques  vierges.  Et  le  peuple 
appelle  cette  maison,  cette  église,  l'église  «  deis  Desnarrados  I  » 
Le  peuple  dut  encore  vénérer  l'image  de  la  Vierge  Marie, 
devant  laquelle  a  leis  Desnarrados  »  avaient  souffert.  Et  le 
titulaire  de  cette  église  n'est  pas  sainte  Eusébie,  mais  la  Sainte 
Vierge,  sainte  Marie  de  Sait,  la  Sainte  Vierge  de  la  Forêt,  la 
Sainte  Vierge  des  Bois,  la  Sainte  Vierge  du  monastère  du  Gué, 
Sainte  Vierge  de  l'Huveaune.  On  sait,  enfin,  que  Saint-Cyr  fut 
le  vocable  du  cœnobium  dont  Eusébie  était  abbesse.  Et  dans 
le  monastère  rebâti  plus  tard  sur  les  ruines  de  cette  église  de 
Sainte-Marie  de  Sait  on  professait  une  grande  dévotion  à  saint 
Cyr!!l 

Que  de  coïncidences,  en  vérité,  si  le  cœnobium  d'Eusébie 
ne  s'éleva  pas  où  fut  plus  tard  cette  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Sait!  !I 


CHAPITRE  X 

Notre-Dame  d'Huveaune,  vocable  de  l'abbaye 

des  Prémontrés 

VOCABLE  DONNÉ  PAR  LBS  PRÉMONTRÉS  A  UNIS  ÉGLISE  BATIE  SUR  LES 
RUINES  QU'ILS  TROUVENT  EN  1201,  A  L'EMBOUCHURE  DE  L*HUVEAJJNE. 
—  D'OU  VIENT  CE  VOCABLE?  —  SAINTE  MARIE  DE  6ALT  EN  1097.  — 
DÉVOTION  ANTIQUE  DES  HABITANTS  DBS  BORDS  DE  L'HUVBAUNE.  — 
LES  PRÉMONTRÉS  CHANGENT  CE  VOCABLE  EN  CELUI  DE  NOTRE-DAME 
D'HUVEAUNE.  —  ILS  NE  POUVAIENT  PAS  PRENDRE  LE  VOCABLE  DE 
SAINT-CYR. 

Le  vocable  sous  lequel  les  Prémontrés  placèrent  leur  monas- 
tère, bâti  en  1204,  aux  bords  de  l'Huveaune,  est  une  preuve 
nouvelle  à  l'appui  de  notre  assertion,  que  là  se  trouvait  le 
cœnobium  où  vécut  sainte  Eusébie. 

Quel  fut  ce  vocable  ?  La  charte  de  fondation  de  r abbaye 
d'Huveaune  ne  l'indique  pas.  Ce  n'est  que  dans  la  bulle  du 
pape.  Honorius  111,  envoyée  aux  Prémontrés,  en  1218,  quatorze 
ans  après  rétablissement  de  cette  abbaye,  que  Ton  trouve  ce 
monastère  désigné  sous  le  vocable  de  a  Sanctae  Mariae  de 
lbelnà  ». 

Il  est  fort  remarquable  que  les  Prémontrés  de  Font-Caude, 
qui  viennent  fonder  un  monastère  ayx  bords  de  l'Huveaune, 
n'aient  pas  au  préalable  choisi  un  titulaire.  On  ne  se  décide 
pas  du  jour  au  lendemain  à  fonder  une  abbaye,  on  a  donc 
tout  le  temps  d'en  choisir  le  vocable  ! 

Mais  il  est  plus  remarquable  encore  que  l'évêq ne  de  Mar- 
seille ne  désigne  pas  à  ces  religieux  le  vocable  qu'ils  pourraient 
donner  à  leur  fondation.  Il  est  parlé,  dans  la  charte  de  1204, 
d'une  église  et  d'une  maison,  que  l'évoque  permet  aux  Pré- 
montrés de  rebâtir  pour  en  faire  une  maison  de  leur  ordre  et 
l'évéque  ne  sait  pas  indiquer  quel  était  le  titulaire  de  cette 
église.  Il  y  a  là  quelque  chose  d'assez  extraordinaire. 

Au  bout  de  quatorze  ans  cependant,  le  nom  de  Sainte-Marie 


STATUE    DE   NOTHti- 


—  339  — 

d'Huveaune  apparaît.  D'où  vient  ce  vocable  ?  Est-ce  une  simple 
dénomination  que  les  Prémontrés  ont  imaginée  et  qu'ils  ont 
attribuée  à  leur  monastère?  Non,  le  choix  du  patron  d'un  lieu, 
d'une  église  se  fait  d'une  manière  plus  sérieuse.  Sont-ce  les 
Prémontrés  qui  d'eux-mêmes  ont  donné  ce  vocable  à  leur 
abbaye?  Sûrement  ils  l'auraient  indiqué  dans  la  charte  de 
fondation.  L'ont-ils  trouvé  déjà  attaché  à  celte  église  et  à  cette 
maison  en  ruines?  L'évoque,  l'ordinaire  du  lieu,  l'aurait 
su,  et  lui  aussi  l'aurait  fait  connaître  dans  la  charte  de  1204. 
Comment  sortir  de  celte  difficulté?  Il  y  a  un  moyen  ! 

Rappelons-nous  qu'il  y  avait  là,  antérieurement  à  1204, 
une  petite  église,  et  que  cette  église  portait  le  nom  de 
Sainte-Maïie  de  Sait.  La  charte  de  1097  en  fait  foi.  Or,  cette 
église,  déjà  au  XI*  siècle,  était  en  ruines,  et  elle  l'était  depuis 
fort  longtemps.  Voilà  pourquoi  Tévêque  n'en  rappelle  pas  le 
nom  dans  la  charte  de  1204  Aucun  titre  peut-être  ne  le  lui 
apprenait  sûrement  et  il  ne  voulait  pas  l'indiquer  en  propres 
termes  dans  un  document  officiel,  afin  de  ne  pas  paraître 
l'imposer  aux  Prémontrés. 

Or,  ce  titre  de  Sainte-Marie  de  Sait  donné  à  cette  église  pri- 
mitive, d'où  venait-il?  Nous  le  savons,  c'était  la  dévotion 
populaire  qui  l'avait  imposé  à  cette  chapelle,  en  souvenir 
d'un  fait  merveilleux  :  l'héroïsme  avec  lequel  les  vierges 
cassianites  avaient  souffert  le  martyre  pour  conserver  leur 
vertu.  C'est  aux  pieds  de  la  statue  de  Marie,  dit  le  Père  Poirey, 
que  cet  événement  s'était  déroulé,  c'est  la  Sainte  Vierge  qui 
avait  donné  aux  Cassianites  le  courage  pour  accepter  la  mort 
plutôt  que  l'ignominie.  De  là  vint  la  dévotion  que  le  peuple 
professa  pour  la  Sainte  Vierge  en  ce  point  du  terroir. 

Les  Prémontrés  trouvent  donc  celte  dévotion  implantée  sur 
ces  ruines.  On  leur  en  parle  dès  leur  arrivée  aux  bords  de 
l'Huveaune.  Ils  ne  se  pressent  pas  d'acquiescer  au  dire  popu- 
laire. Ils  se  donnent  le  temps  de  réfléchir  et  de  mieux  se  ren- 
seigner. Finalement  ils  l'acceptent.  Seulement,  comme  c'est 
une  réédification,  une  fondation  nouvelle,  tout  en  conservant 
la  dévotion  attachée  à  ces  ruines,  ils  lui  donnent  un 
nom  nouveau,  mais  tout  local.  Impossible  de  garder  celui 
de  Sainte- Marie  de  Sait.  Il  y  a  à  Pourrières,  dans  le  diocèse 


—  340  — 

d'ALx,  une  chapelle*portant  ce  nom.  On  ne  peut  le  conserver 
à  l'église  qu'ils  restaurent.  Cela  donnerait  lieu  plus  tard  à  des 
difficultés. 

Impossible  encore  de  garder  le  vocable  de  Saint-Cyr,  que 
portait  lecœnobium  d'Eusébie  quand  elle  fut  martyrisée.  Nous 
sommes  en  1204.  Or,  dans  le  courant  du  XI'  ou  du  XII*  siècle 
on  a  vendu  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  des  terres  qu'elle 
possédait  jadis,  elle  les  a  consignées  dans  ses  archives,  sous  la 
rubrique  de  l'ancien  vocable,  la  confusion  va  se  produire  dans 
les  biens  des  deux  monastères. 

Ces  ruiues  se  trouvent  aux  bords  de  la  mer.  Mais  l'église  de 
Saint-Giniez  est  déjà  appelée  :  «  ecclesia  Sancti  Genesii  in  ripa 
maris  ».  Même  difficulté  que  plus  haut  à  prendre  le  nom  de 
Sainte-Marie  a  in  ripa  maris  ».  Elles  se  trouvent  sur  les  rives 
de  l'Huveaune.  Le  vocable  est  tout  trouvé  :  Sainte  Marie  d'Hu- 
veaune.  Ce  sera  celui  du  nouveau  cœnobium.  Ainsi  se  perpé- 
tuera la  dévotion  à  la  Sainte  Vierge  établie  en  cet  endroit  (1). 


(1)  Elle  serait  délicieuse  à  lire  l'histoire  de  la  dévotion  des  habitants 
de  Saint-Giniez  envers  Notre  Dame  d'Huveaune  !  Mais  qui  pourra  jamais 
la  composer  ?  Les  documents  sur  ce  sujet  sont  si  rares  ! 

Quoiqu'il  en  soit,  durant  des  siècles  cette  dévotion  a  fait  le  bonheur 
de  nos  aïeux.  Avant  la  Révolution,  ils  entouraient  de  leurs  hommages  la 
slatue  vénérée  de  Notre-Dame  d'Huveaune,  dans  la  chapelle  de  ce  nom. 
Après  la  Révolution,  le  souvenir  qu'ils  gardaient  de  la  protection  bien- 
faisante dont  Notre-Dame  avait  récompensé  leur  piété,  était  si  durable, 
qu'ils  venaient  encore  visiter,  à  certaines  fêtes  de  l'année,  son  antique 
sanctuaire.  Mais  hélas!  celui-ci  était  dépouillé  maintenant  de  son  plus 
bel  ornement  :  l'image  bénie  de  la  Sainte  Vierge. 

Qu'était  devenu,  se  demandait-on  souvent  avec  anxiété,  ce  précieux 
trésor  de  la  foi  de  nos  pères  ?  On  apprit  enfin  qu'aux  plus  mauvais  jours 
de  la  Révolution  une  main  pieuse  l'avait  dérobé  aux  profanations 
sacrilèges  des  Vandales  de  l'époque,  et  l'avait  abrité  dans  un  oratoire 
domestique.  Bien  des  sollicitations  arrivèrent  aux  heureux  Obédédoms 
de  la  nouvelle  arche  d'alliance  :  elles  ne  furent  pas  écoutées.  L'heure 
marquée  par  Dieu  n'était  point  encore  venue  de  rendre  à  Marie  son 
église,  son  autel  et  son  trône  ! 

De  fait,  les  curés  de  Saint-Giniez  n'espéraient  plus  rentrer  en  possession 
de  la  vénérable  image.  Après  avoir,  les  uns  reconstruit,  l'église  de  ce 
quartier,  les  autres  l'avoir  ornée,  disposée  et  embellie,  le  curé  actuel, 
l'abbé  Coudray,  mettant  la  dernière  main  à  l'œuvre,  la  fit  daller  en  marbre, 
et  en  annonça  la  consécration  prochaine.  Quinze  jours  à  peine  devaient 


-  341  — 

Or,  cette  dévotion,  ne  l'oublions  pas,  est  l'écho  d'un  événe- 
ment qui  s'est  passé  sur  ces  bords:  le  martyre  de  sainte 
Eusébie.  Donc,  le  vocable  de  Notre-Dame  d'Huveaune  donné  à 
ces  ruines  que  l'on  restaure  est  une  confirmation  de  la 
croyance  que  là  s'élevait  le  coenobium  de  sainte  Eusébie. 

s'écouler  avant  cette  cérémonie  .  Quelque  sainte  âme  plaida-t-elle  auprès 
de  Dieu  la  cause  de  Marie  ?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Un  jour  on  annonce 
à  l'abbé  Coudray  l'arrivée  d'un  colis  et  d'une  lettre  à  son  adresse.  On 
ouvre  la  caisse,  on  décacheté  le  pli  !  O  merveille  1  !  C'était  la  statue 
antique  de  Notre-Dame  d'Huveaune  qui  revenait  de  bien  loin,  à  Saint- 
Giniez,  afin  d'y  présider,  pour  ainsi  dire,  les  solennités  que  Ton  préparait 
en  l'honneur  de  son  Fils  !  1  Vite,  avec  joie  et  amour  on  lui  dressa  un 
trône  magnifique  l  Avec  une  douce  émotion  on  la  recouvrit  de  vêtements 
somptueux.  Et,  au  jour  mémorable  de  la  consécration  de  l'église,  Notre. 
Dame  d'Huveaune  était  là  sur  son  autel,  gardant  à  ses  pieds  les  saintes 
reliques  dont  le  nouveau  temple  allait  être  enrichi  ;  assistant  aux  longues 
mais  sublimes  prières  de  la  liturgie  en  cette  cérémonie;  voyant  se 
dérouler  devant  elle  les  rangs  pressés  dés  fidèles,  avides  de  la  prier,  de 
la  remercier  d'être  retournée  au  milieu  d'eux  ;  entendant  les  exclamations 
naïves  de  tous,  tant  on  était  fier  et  heureux  d'avoir  encore  l'ancienne 
Bonne-Mère  du  quartier  l  !  1 

La  cérémonie  achevée,  Notre  Seigneur  reçut,  parle  fait  de  la  consécration 
de  l'édifice,  une  demeure  définitive  à  Saint-Giniez.  Mais  sa  volonté  était 
manifeste.  A  la  veille  de  ces  jours  de  fête,  il  avait  mandé  sa  Mère.  Son 
désir  était  donc  que  sa  Mère  demeurât  avec  lui. 

A  son  tour,  Notre-Dame  d'Huveaune  rentrait  en  triomphe  dans  la 
nouvelle  église.  En  qualité  d'antique  Heine  de  ces  lieux,  elle  s'assit  à  la 
droite  de  son  Fils.  A  cette  heure,  du  haut  de  son  autel,  que  dans  je  ne 
sais  quel  pressentiment  secret  on  avait  élevé  riche  et  précieux,  Notre- 
Dame  d'Huveaune  sourit  à  nos  chants,  préside  à  nos  fêtes,  entend, 
écoute,  exauce  nos  prières,  et,  comme  jadis  elle  avait  béni  et  protégé  nos 
pères,  elle  bénit  et  protège  leurs  enfants!  ! 


CHAPITRE    XI 

Coite  de  saint  Oyr  établi  dans  l'abbaye  des 
Prémontrés  de  rHuveaune 


AFFIRMATION  DE  M.ANDRÉ.—  INVENTAIRE  DE  1388.— D'OU  VENAIT  AUX 
PRÉMONTRÉS  LA  DÉVOTION  A  SAINT  CYR?—  D'CNE  FÊTE  LOCALE?  D*ONE 
RELIQUE  ?  —  L'ABBAYB  DE  SAINT-SAUVEUR  A  DU  EN  CÉDER  QUELQUE 
FRAGMENT. 


C'est  une  preuve  que  nous  suggère  M.  André  dans  son  His- 
toire de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  (1). 

«  Les  religieux  Prémontrés  établis  à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune,  dit-il,  honoraient  le  jeune  martyr  saint  Gyr  d'une  ma- 
nière toute  spéciale.  »  Nous  tirons  de  cette  assertion  une 
conclusion  naturelle  et  logique.  Si  les  Prémontrés  qui, 
avant  de  venir  aux  bords  de  rHuveaune,  n'avaient  pas  une 
dévotion  spéciale  à  saint  Gyr,  en  professent  une  fbien  grande 
en  y  arrivant,  sûrement  l'ancien  monastère  de  Saint-Cyr,  où 
mourut  sainte  Eusébie,  se  trouvait  aux  bords  de  rHuveaune. 

D'abord,  il  est  vrai  que  les  Prémontrés  de  l'Huveaune  pro- 
fessaient une  certaine  dévotion  à  l'endroit  du  jeune  martyr 
d'Antioche.  Dans  un  inventaire  desornements  de  la  chapelle  de 
Notre-Dame  d'Huveaune,  abbaye  des  Prémontrés,  inventaire 
rédigé  en  1388,  il  y  a  cette  note  :  «  Indumentum  sacerdotale 
pulchrum  pro  festo  Sancti  Cyrici  (2)  .»  La  mention  d'un 
ornement  affecté  à  un  jour  de  l'année  indique  clairement  que 
l'on  célèbre  ce  jour-là  une  fête  solennelle.  Or;  comme  l'on  a, 
dans  une  paroisse,  l'ornement  patronal,  ainsi  l'abbaye  possède 
l'ornement  propre  à  la  fête  de  saint  Cyr.  M.  André  a  dit  la  vérité. 

Mais,  d'où  venait  aux  Prémontrés  cette  dévotion  à  saint  Cyr? 


(î)  André,  op.  cit.,  p.  15. 

(2)  Archives  départementales   des  Bouches-du -Rhône,  fonds    Saint- 
Sauveur,  H,  Prémontrés,  inventaire  fait  en  1388. 


—  343  — 

D'abord,  elle  n'était  pas  spéciale  à  l'Ordre.  Nous  n'avons  pu 
voir  les  Annales  des  Prémontrés,  ouvrage  qui  ne  se  trouve 
pas  à  la  bibliothèque  de  Marseille.  Mais  les  Bollandistes,  soit  à 
la  vie  de  saint  Gyr,  soit  à  celle  de  saint  Norbert,  ne  font  aucune 
allusion  à  une  semblable  dévotion,  Il  n'est  guère  croyable  non 
plus  qu'elle  ait  été  apportée  de  Font-Caude,  d'où  sortaient 
les  religieux  fondateurs  de  notre  abbaye  de  l'Huveaune.  Car 
il  resterait  quelque  trace  de  cet  emprunt.  On  aurait,  dans  un 
acte  ou  dans  un  autre,  insinué  combien  cette  dévotion  primitive 
était  chère  à  tous,  puisqu'elle  venait  de  l'abbaye  mère.  Très 
probablement  même  le  monastère  de  l'Huveaune,  en  dépit  des 
réclamations  de  Saint-Sauveur,  eût  été  placé  sous  le  vocable 
de  Saint-  Cyr.  Rien  de  tout  cela  cependant. 

Donc  cette  dévotion  leur  provenait  ou  d'une  tradition  qu'ils 
ont  trouvée  en  cet  endroit  du  terroir,  tradition  qu'ils  ont  gar- 
dée ;  ou  d'une  fête  que  l'on  y  célébrait  avant  eux,  et  qu'ils 
ont  continué  de  solenni-er  comme  l'on  célèbre  dans  une  pa- 
roisse une  fête  antique;  ou  bien  de  quelque  relique  de  saint 
Cyr  que  l'on  aura  pu  donner  au  monastère  lors  de  sa  fonda- 
tion. 

Si  elle  provient  d'une  tradition  que  les  Prémontrés  trouvent 
implantée  en  ce  point  du  terroir,  notre  cause  est  gagnée.  Une 
tradition  place  aux  bords  de  l'Huveaune  le  monastère  de  Saint- 
Cyr;  une  autre  tradition,  locale  celle-là,  nous  montre,  la 
dévotion  à  saint  Cyr  vivante  en  ces  lieux.  La  coïncidence 
serait  trop  frappante  pour  qu'elle  ne  fût  pas  lavéflté. 

Si  c'est  une  fête  antique  qu'ils  célèbrent  chaque  année,  fête 
propre  à  ce  point  du  terroir,  d'où  peut  provenir  cette  fête  de 
saint  Cyr,  à  Saint-Giniez  ?  L'explique  qui  pourra.  Bien  hum- 
blement nous  disons  :  Une  tradition  rapporte  qu'il  y  avait 
jadis  aux  environs  de  Marseille  un  monastère  cassianite  sous 
le  vocable  de  Saint-Cyr,  monastère  dont  une  des  abbesses,  du 
nom  d'Eusébie  fut  martyrisée  avec  quarante  de  ses  compagnes' 
par  les  Sarrasins,  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  à  un  endroit 
appelé  la  chapelle  «  deïs  Desnarrados  » .  Ne  serait-ce  pas  la 
raison  de  cette  fête  ? 

Une  telle  explication,  sans  être  une  preuve  péremptoire,  est 
cependant  assez  difficile  à  révoquer  en  doute. 


-  344  — 

Si  cette  dévotion  à  saint  Gyr  provient  d'une  relique  que  le 
monastère  possède,  d'où  lui  vient  cette  relique?  Les  deux  reli- 
gieux fondateurs  de  l'abbaye  de  l'Huveaune  ne  l'ont  pas 
apportée  de  Font-Caude,  on  l'a  vu  plus  haut.  Serait-ce  le  don 
d'une  église,  d'une  abbaye?  C'est  possible.  Mais  de  quelle 
abbaye?  On  ne  sait.  Nous  rappelons  encore  qu'il  y  avait 
à  Marseille,  à  cette  époque,  aux  XII*,  XIII*,  XIV*  siècles, 
une  abbaye  de  religieuses,  celle  de  Saint -Sauveur,  qui  avait 
remplacé  l'antique  cœnobium  cassianite  sous  le  vocable  de 
Saint-Cyr  ;  que  cette  abbaye  de  Saint-Sauveur  possédait  des 
reliques  de  saint  Cyr  en  1204,  puisqu'elle  en  avait  en  1519  (1); 
que  probablement  cette  abbaye  en  a  cédé  une  portion,  si  mini- 
me soit-elle,  à  l'abbaye  de  l'Huveaune;  qu'à  cette  occasion  les 
Prémontrés  ont  institué  et  célébré  chaque  année  la  fête  de  ce 
saint.  N'est-ce  pas  encore  une  explication  plausible  de  l'exis- 
tence et  de  la  célébration  de  cette  fête  de  saint  Cyr  à  l'abbaye 
de  l'Huveaune? 

Et  voyez  la  force  de  cette  explication  !  saint  Cyr  et  ses  reli- 
ques sont  le  palladium  de  Saint-Sauveur,  son  plu3  riche  tré- 
sor, ce  qu'elle  a  sauvé  de  toutes  les  destructions.  Or,  l'abbaye 
de  l'Huveaune  est  construite  tout  récemment.  Elle  demande  à 
Saint- Sauveur  des  reliques  de  saint  Cyr.  Est-ce  que  Saint- 
Sauveur  acquiescera  à  ce  désir?  Â  ce  monastère  qu'elle 
ne  connaît  pas,  elle  donnera  d'autres  reliques.  Celles  de  saint 
Cyr?  Jamais  !  Si  elle  en  donne,  c'est  qu'il  y  a  eu  entre  ces  deux 
monastères  une  relation  toute  particulière.  Laquelle?  Précisé- 
ment celle  que  notre  tradition  rapporte.  Les  religieuses  de 
Saint-Sauveur  apprennent  que  les  Prémontrés  vont  habiter  là 
où  leurs  sœurs  cassianites  habitèrent  jadis,  ce  coin  de  terre 
qu'elles  ont  rougie  de  leur  sang.  Or,  le  monastère  antique, 
témoin  de  tant  d'héroïsme,  était  sous  le  vocable  de  Saint-Cyr. 
Aussitôt  elles  divisent  les  reliques  du  saint  martyr,  et  en 
cèdent  une  partie  à  l'abbaye  de  l'Huveaune.  Celle-ci,  chaque 
année,  rappelle  cette  circonstance  en  célébrant  la  solennité  de 
ce  saint.  On  ne  donnera  pas  des  reliques  de  sainte  Eusébie,  on 
ne  célébrera  pas  la  fête  de  cette  vierge  et  de  ses  compagnes . 

(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  y.  114. 


—  345  — 

Ce  n'est  que  vers  1400  que  l'abbaye  de  Saint- Victor  vénérera 
leurs  restes  et  ce  ne  sera  que  sous  de  Belsunce  qu'on  rédigera 
un  office  en  leur  honneur.  Mais  saint  Cyr,  dès  le  début  du 
monastère  de  THuveaune,  sera  honoré  et  fêté. 

Voilà  une  preuve,  convaincante  selon  nous,  que  nous  em- 
pruntons à  M.  André. 


« 


CHAPITRE  XII 


"  Lois  Desnarrados  " 


«  LB1S  DESNARRADOS  ».  —     AUTEURS    APPELANT   DE    CE    NOM  SAINTE 
EUSÉBIB  RT  SES  COMPAGNES.  —   EXPRESSION  TRÈS  ANCIENNE. 


(Test  le  nom  donné  par  les  habitants  du  terroir  de  Saint- 
Giniez  à  la  chapelle  qui  fut,  d'après  la  tradition  de  leurs  aïeux, 
le  théâtre  du  massacre  de  sainte  Eusébie. 

Or,  pour  que  cette  expression  provençale  soit  vraiment 
une  preuve  de  notre  assertion:  que  sainte  Eusébie  a  souffert  le 
martyre  aux  bords  de  l'Huveaune,  il  nous  faut  bien  préciser 
le  sens  de  cette  expression.  Que  signifie  :  chapelle  «  deïs 
Desnarrados  »  ? 

A-t-on  donné  ce  nom  à  l'oratoire,  à  l'église  qui  se  voyait 
encore  au  début  de  notre  siècle,  parce  que  les  religieuses  de 
Saint-Sauveur  en  ont  été  les  possesseurs  en  1528  ?  Non,  nous 
l'avons  prouvé.  Cette  expression  ne  les  a  pas  suivies  partout 
où  elles  se  sont  établies: à  Saint-Loup,à  Saint-Marcel,  à  Sainl- 
Victor,  à  Saint-Sauveur. 

Par  ce  nom  on  appelle  l'église,  l'oratoire,  l'endroit  à  Saint- 
Giniez  où  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes  ont  mutilé  leurs 
visages  en  se  coupant  le  nez.  Lisez,  en  effet,  les  auteurs.  Qui 
appellent-ils  a  leïs  Desnarrados  »  ?  Eusébie  et  ses  compagnes. 

De  Rey  :  a  Les  corps  des  quarante  victimes  des  Sarrasins, 
que  le  peuple  appelle  du  nom  expressif  de  Desnar- 
rados (1).  »  —  De  Rey  :  a  Le  fait  de  sainte  Eusébie  et  des 
quarante  Desnarrados  n'est  donc  pas  de  celle  époque  (2).  »— 
L'abbé  Verlaque  :  a  En  disant  ces  paroles,  elle  se  coupa  le 
nez...  toutes  les  religieuses  suivirent  cet  exemples...  C'est 

(1)  Les  Saints  de  VEglise  de  Marseille,  p.  235. 

(2)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  145. 


—  347  — 

pour  cette  raison  qu'elles  reçurent  le  nom  de  senso  nas,  sans 
nez  (1).  »  —  L'abbé  Cayol  :  a  C'est  peut-être  là  (à  Saint- 
Tronc),  qu'habitaient  les  Desnarrados,  c'est-à-dire  des  reli- 
gieuses qui  se  coupèrent  le  nez  pour  échapper  à  la  brutalité 
des  barbares  qui  avaient  envahi  leur  asile  (2).  j>  —  Kothen  : 
«  Les  compagnes  d'Eusébie  imitèrent  son  exemple  héroïque... 
De  là  vient  le  nom  de  Desnarrados  qu'on  leur  donne  dans  la 
langue  vulgaire  (3).  9  —  André  :  «  Les  restes  des  quarante 
martyres  étaient  devant  l'autel  de  Notre-Dame  de  Confes- 
sion... L'action  des  religieuses  Desnarrados  vivra  long- 
temps dans  le  souvenir  des  Marseillais  (4).  »  —  C.  Bousquet  : 
«  On  connaît  le  dévouement  des  religieuses  de  Saint-Sauveur 
qui,  pour  échapper  aux  outrages  des  Sarrasins. . .  L'asile  de 
ces  saintes  filles  était  situé  alors  près  de  l'embouchure  de 
l'Huveaune. . .  De  la  vint  cette  tradition  populaire  qui  fit  long- 
temps appeler  les  ruines  du  couvent  et  de  l'église  :  tels  Des- 
narrados  (5).  »  —  Guindon  et  Méry  :  «  Ce  lieu  (du  martyre 
d'Eusébie  et  des  trente-neuf  religieuses  dont  elle  était  la 
supérieure)  où  était  situé  le  couvent  des  Cassianites,  à  l'em- 
bouchure de  l'Huveaune,  est  encore  désigné  sous  le  nom  deis 
Desnarrados  (6).  »  —  Reinaud  :  «  Eusébie  et  ses  quarante 
religieuses  se  mutilèrent  le  nez. . .  d'où  elles  furent  appelées, 
dans  le  pays,  les  Desnazzados  (7).  »  —  La  Statistique  des 
Bouches-du-Rhône  :  «  L'exemple  d'Eusébie  fut  aussi  suivi  par 
les  Cassianites  de  l'autre  abbaye  (celle  de  l'Huveaune).  C'est  à 
cause  de  cet  événement  que  les  ruines  de  cette  dernière 
abbaye  de  l'embouchure  de  l'Huveaune  furent  appelées  leïs 
Desnarrado89  c'est-à-dire  le  monastère  des  religieuses  qui  se 

(1)  M.  l'abbé  Verlaque,  Notice  sur  sainte  Eusébie,  p.  16. 

(2)  Cayol,  Histoire  du  quartier  de  Saint-Loup,  p.  26* 

(3)  Notice  sur  les  cryptes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-lez-Marseille, 
par  Kothen,  p.  55. 

(4)  André,  Histoire  de  l'abbaye   des  religieuses  de  Saint-Sauveur 
p.  13. 

(5)  Casimir  Bousquet,  La  Major,  p.  67. 

(6)  Guindon  et  Méry,  Histoire  des  actes  et  délibérations  du  corps 
municipal  de  Marseille,  p.  202. 

(7)  Reinaud,  Invasions  des  Sarraains  en  Provence,  p.  137. 


-  348  — 

coupèrent  le  nez  (1) .  »  —  Papon  :  «  Ce  monastère  (de  l'Hu  - 
veaune)  fut  détruit  par  les  Sarrasins  ou  les  Visigoths.  Les  re- 
ligieuses qui  échappèrent  à  leur  fureur  ou  qui  la  prévinrent 
par  la  fuite,  s'étant  retirées  dans  le  couvent  qui  était  près  de 
Saint-Victor,  eurent  le  sort  de  sainle  Eusébie.  De  là  cette  tra- 
dition populaire  qui  fait  appeler  ces  vieilles  masures  leïs 
Desnarrados  ,  c'est-à-dire  le  monastère  des  religieuses  sans 
nez  (2).  » 

On  le  voit,  «  leïs  Desnarrados  »  ce  sont,  à  proprement  par- 
ler, sainte  Eusébie  et  ses  quarante  compagnes.  Donc  la  chapelle 
a  deïs  Desnarrados  »  c'est  le  monastère,  l'église  même  des  reli- 
gieuses qui  se  sont  coupé  le  nez.  Il  y  a  donc,  dans  le  terroir  de 
Saint -Giniez,  un  point,  un  endroit  dans  lequel  on  place  le 
martyre  de  sainte  Eusébie  :  la  chapelle  a  deïs  Desnarrados  ». 

Mais  depuis  combien  de  temps  emploie  -t-on,  à  Saint-Giniez, 
cette  expression  ?  M.  Daspres  écrivait  que  c'était  a  la  tradition 
constante  et  universelle  de  ceux  qui  se  souviennent  d'avoir  vu 
la  chapelle  de  Notre-Dame  de  l'Huveaune  ;  ils  ne  la  dénom- 
ment jamais  que  sous  le  titre  c  deïs  Desnarrados  ».  Nous  ajou- 
tons que  les  vieillards  de  Saint-Giniez,  interrogés  par  nous  sur 
ce  point,  nous  répondaient  :  Nous  avons  toujours  entendu  ap- 
peler cette  chapelle,  par  nos  anciens,  du  môme  nom  :  «  lels 
Desnarrados  ».  A  Saint-Giniez  donc,  de  tout  temps,  cette  ex  - 
pression  a  été  en  usage.  Hors  de  Saint-Giniez,  à  Marseille, 
cette  expression  est  regardée  comme  très  ancienne.  D'après  les 
auteurs  cités  plus  haut,  c'est  le  peuple,  la  langue  vulgaire,  la 
tradition  populaire  qui  emploient  ce  mot  expressif.  De  fait, 
c'est  une  formule  provençale  très  archaïque,  du  vrai,  du  pur 
provençal.  Papon  en  1776,  au  XVIII*  siècle,  la  connaissait  et 
la  citait  comme  transmise  par  la  tradition  populaire.  De  très 


(1)  Statistique  des  Bouches-du-Rhône,  t.  II,  p.    324. 

(2)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  362.  —  On  voit  l'étrange 
contradiction  dans  laquelle  sont  tombés  Papon  et  la  Statistique  pour  vou- 
loir admettre  l'existence  simultanée  de  deux  monastères  de  filles,  l'un  à 
Saint- Victor,  l'autre  à  l'Huveaune.  Et  cependant,  entraînés  par  la  tradi- 
tion populaire,  ils  appellent  «  lels  Desnarrados  »  les  religieuses  qui  se 
coupèrent  le  nez,  et  l'église  «  deïs  Desnarrados  »  le  monastère  ou  l'ora- 
toire de  ces  religieuses. 


—  ;U9  — 

longue  date  donc  on  a  employé  cette  expression,  à  Marseille,  et 
partant  on  y  a  cru,  ce  que  Ton  croyait  à  Saint-Giniez,  que  la 
chapelle  a  deïs  Desnarrados  »,  située  à  l'extrémité  du  Prado 
actuel,  était  bien  le  monastère,  l'église  oti  sainte  Eusébie  et 
ses  compagnes  avaient  souffert  le  martyre. 

Or,  est-il  possible  «que  des  générations  et  des  générations 
soient  dans  Terreur,  que  des  auteurs  de  Marseille  qui  ont  étu- 
dié nos  traditions  historiques  n'aient  pas  relevé  cette  erreur  ? 
Pas  un  n'aurait  rectifié  l'écart  de  la  tradition  populaire,  et 
donné  à  la  formule  «  lois  Desnarrados  »  son  sens  vrai,  un  sens 
autre  que  celui  dont  elle  jouit  et  dont  nous  appuyons  noire 
opinion  !  Nul  ne  Ta  fait,  que  nous  sachions,  d'une  manière 
solide  et  convaincante  La  chapelle  «  deïs  Desnarrados  »  est 
donc  bien,  dans  le  langage  du  peuple  et  des  historiens,  le  mo- 
nastère des  religieuses  qui  se  coupèrent  le  nez.  Or,  cette  cha- 
pelle a  deïs  Desnarrados»  se  trouve  toujours,  d'après  le 
langage  populaire,  à  Saint-Giniez  ;  à  l'embouchure  de 
THuveaune.  Donc  c'est  là  qu'a  été  martyrisée  notre  sainte 
Eusébie. 


23 


CHAPITRE  XIII 


«  A  casales  »  et  la  terre  «  ad  Arabenz  » 


C  A  CA8ALB8  »,  t  AD  ARABENZ  »  DE  LA  CHARTE  DE  1097.  —  EMPLA- 
CEMENT PRÉCIS  DE  t  A  CASALES  »  A  L'EMBOUCHURE  DE  L'HTJ- 
VEAUNE.  —  RUINES  ANTIQUES  DU  CŒNOBIUM.  —  EMPLACEMENT 
PRÉCIb  DE  <l  TERRA  AD  ARABENZ  »,  AUPRES  DE  L'EMBOUCHURE  DE 
I/HUVBAUNE.  —  CE  QUE  PEUT  felGNIFIER  CE  MOT  f   AD  ARABENZ  ». 

II  y  a  dans  la  charte  de  1097,  que  M.  l'abbé  Daspres  a  placée 
en  appendice  à  sa  Notice  sur  Saint-Giniez,  deux  expressions 
qui  nous  prouvent  que  le  monastère  de  sainte  Eusébie  se 
trouvait  bien  à  l'embouchure  de  l'Huteaune.  Voici  ces 
termes  : 

«  Moi  Villelme  Artaldus,  je  donne  une  pièce  de  terre,  située 
à  l'endroit  appelé  Saint-Félix,  qui  est  terminée  par  les 
casales  jusqu'au  fossé  d'eau,  de  l'autre  côté  par  la  mer,  de 
l'autre  par  l'Huveaune.  De  même  je  donne  une  pièce  de 
terre  ad  Arabenz,  limitée  à  l'orient  par  la  condamine  de 
Tévéque,  au  midi  par  la  terre  de  Pierre  Isnard,  à  l'occident 
par  la  terre  de  Gantelme  de  Marseille. 

«  Moi,  Autrannus,  fils  de  Richau,  je  donne  à  Saint- Victor 
six  dexlairades  de  terre  dans  un  autre  lieu  appelé  A  rabenz  (1).» 

(1)  c  Dono  ego  Villelmus  Artaldus  pro  supradicto  fllio  meo,  in  unâ 
pecia  de  terra  medietatem  in  loco  quidicitur  ad  Arabenz. . .  Et  termina- 
tur  ab  oriente  condamina  episcopi  et  a  meridie  terra  Pétri  Isnardi  et 
ab  occidente  terra  Gantelmi  de  Massilia.  —  Similiter  dono  de  pecia 
medietale  in  loco  qui  dicitur  ad  Sanctum  Felicem  et  terminatur  a 
casales  usque  in  iossatum  aquae,  ex  alia  parte  mare  et  ex  alià  aqua 
Uvelnae. 

«  Ego  Bertrannus,  filins  Richau,  dono  Sancto  Viclori  pro  anima  mea 
una  quarlairada  de  vineâ  in  loco  qui  dicitur  de  Calcadis  et  in  alio  loco 
ubi  dicitur  ad  Arabenz  in  VI  sextairadas  de  ipsa  duas  partes  quae  tertia 
pars  est  fratris  mei  Aicardi,  et  terminatur  ab  oriente  terra  Ismidonis 
quam  dédit  Villelmo  fllio  suo  monacho,  a  meridie  terra  Sancti  Victoris 


—  351  — 

Pour  déduire  une  preuve  en  faveur  de  notre  thèse,  faisons 
connaître  remplacement  exact  des  terres  désignées  par  ces 
expressions.. 

Et  d'abord  à  quel  endroit  des  bords  de  THuveaune  se  trou- 
vait le  monastère  de  saiute  Eusébie,  la  chapelle  «  dexs  Des- 
narrados  »,  d'après  les  auteurs  qui  nient  ou  affirment  l'exis- 
tence de  ce  monastère? 

Nul  n'est  aussi  exact  et  précis  que  M.  l'abbé  Daspres.  Il  fait 
autorité  à  ce  sujet,  puisqu'il  s'agit  de  l'histoire  de  sa  paroisse. 

Cet  écrivain,  qui,  rappelons-nous,  n'accepte  pas  noire 
opinion,  place  cette  chapelle  «  deïs  Desnarrados  »  là  où 
s'éleva  plus  tard  le  monastère  des  Prémontrés,  près  de  l'an- 
cienne batterie  d'Orléans,  sur  le  bord  de  la  mer,  à  l'embou- 
chure de  l'Huveaune.  «  L'ancienne  chapelle  des  Prémontrés 
d'abord,  de  Saint-Sauveur  ensuite  en  1529,  se  trouve  dans  le 
local  des  restaurants  Logos  et  Gontard  et  sert  de  cellier  (1).  » 

Or,  que  lisons-nous  dans  la  charte  de  1097?  «  Moi,  Villel- 
mud  Ârtaldus,  je  donne  une  pièce  de  terre  située  sur  le  lieu 
appelé  Saint-Félix,  qui  est  terminée  par  les  casâtes,  jusqu'au 
fossé  d'eau,  de  l'autre  côté  par  la  mer  et  de  l'autre,  enfin, 
par  les  eaux  d'Uvuelne.  » 

Quel  est  le  point  précis  du  terroir  où  se  trouve  cette  terre  ? 
Les  termes  de  la  charte  précitée  fournissent  quatre  points  de 
repère  qui  vont  le  déterminer.  Cette  terre  est  limitée  par  les 
eaux  de  rHuveaune,  puis  par  la  mer,  donc  elle  est  située  sur 

quae  fuit  Pétri  Isnardi,  etab  occidente  terra  Gantelmi.  »  (Charte  de  1097, 
aux  archives  départementales,  cotée  789-317,  fonds  de  Saint- Victor.) 

(1)  «  Il  y  a  au  sujet  de  ce  monastère  de  Notre-Dame  d'Huveaune  deux 
erreurs  historiques,  assez  communément  répandues.  La  première  est 
celle  qui  place  en  ce  lieu  le  fait  glorieux  du  martyre  de  sainte  Eusébie 
et  de  ses  compagnes...  .  »  (Notice  sur  Saint-Giniez,  par  l'abbé 
Daspres,  p.  20,  p.  27.) 

On  se  rappelle  le  texte  de  la  lettre  d'un  ancien  curé  de  Saint-Giniez, 
qui  appelle  la  chapelle  de  Veaune  :  la  chapelle  dédiée  à  sainte  Eusébie. 
(En  1831). 

C'est  le  point  qu'indiquent  d'ailleurs  les  contemporains,  et  les  anciens 
de  Saint-Giniez,  que  nous  avons  notis-même  interrogés  souvent. 

Un  acte  du  21  mars  1791,  au  registre  176,  de  la  vente  des  biens  doma- 
niaux, donne  la  description  parfaite  de  cette  propriété.  ('Daspres, 
op.  cit.,  p.  31.) 


—  352  — 

le  rivage,  au  nord  de  l'Huveaune  ou  au  sud.  Un  fossé  d'eau 
lui  sert  aussi  de  limite.  Le  texte  latin  dit  «  fossatum  aquae  ». 
Que  faut-il  entendre  par  cette  expression  ?  Elle  peut  désigner 
ou  bien  les  deux  béais  qui,  empruntant  leurs  eaux  à  l'Hu- 
veaune, à  la  jonction  de  celle-ci  avec  le  Jarret,  reviennent  les 
y  déverser  :  l'un,  le  béai  de  Paradou,  à  quelque  cents  mètres 
du  point  de  jonction  du  chemin  de  Mazargues  et  du  Prado, 
vers  la  mer(l);  l'autre  le  petit  béai,  au  parc  Borély  (2).  Elle 
peut  désigner  encore  le  ruisseau  de  Gironde  qui,  partant  du 
palud,  du  marais  d'Ântignage  au  rond-point,  vient  se  jeter  à 
la  mer  en  dessous  des  Bains  du  Roucas-Blanc  (3). 

11  ne  peut  s'agir  ici  du  petit  béai,  qui  alimente  le  moulin  de 
Barrai,  puisque  ce  cours  d'eau  ne  date  que  de  1514  (4). 

Ces  mots  «  fossatum  aquae  »  ne  désignent  pas  non  plus  le 
grand  béai  de  Paradou  (5).  Il  y  a  loin  entre  la  mer  et  le  point 
de  jonction  de  ce  béai  avec  THuveaune.  Cette  terre  de  Vil- 
lelme  serait  une  terre  immense  si  le  «  fossatum  *  était  ce  béai. 
Or,  nous  verrons  tantôt  qu'entre  la  mer  et  ce  point  de  rencon- 
tre du  béai  avec  le  fleuve  il  y  a  d'autres  terres  ijue  celle  de 
Villelme.  Ainsi  cette  terre  de  Villelme  n'est  pas  située  au  midi 
de  l'Huveaune,  sur  sa  rive  gauche. 

Si  nous  voulons  trouver  un  a  fossatum  aquae  »  pouvant 
servir  de  limite  à  une  terre  déjà  bornée  par  le  rivage  et 
l'Huveaune,  nous  n'avons  que  le  ruisseau  de  Gironde.  Ainsi 
l'emplacement  exact  de  la  terre  de  Villelme  est  bien  désignée. 
Elle  se  trouvait  dans  l'espace  que  l'Huveaune,  la  rive  de  la 


(1)  Notice  sur  Saint-Giniez,  l'abbé  Daspres,  p.  80;  voir  sa  carte  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(2)  Notice  sur  Saint-Giniez ',  l'abbé  Daspres,  p.  79;  voir  sa  carte  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(3)  Notice  sur  Saint-Giniez,  l'abbé  Daspres,  p.  93;  voir  sa  carie  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(4)  Notice  sur  Saint-Giniez,  l'abbé  Daspres,  p.  79;  voir  sa  carte  du 
terroir  de  Saint-Giniez. 

(5)  Dans  un  acte  de  131 1,  on  parle  d'une  vigne  située  proche  l'Huveaune 
et  vendue  au  monastère  de  Notre-Dame  d'Uuveaune.  On  lui  donne  pour 
confronts  :  la  terre  de  Pascal  Urbain,  d'une  part  ;  la  vigne  de  Solamos 
Albareista  ;  d'autre  part,  l'Huveaune  et  le  valat  de  ladite  église.  (Fonds 
de  Saint-Sauveur,  H.  56,  Prémontres.  Archives  départementales.) 


•  —  353  — 

mer  et  les  Bains  du  Roucas  Blanc  circonscrivent.  Or,  c'est  bien 
là  que  s'éleva  plus  tard  l'abbaye  des  Prémontrés.  L'abbé 
Daspres  le  disait  plus  haut. 

Cette  terre  de  Villelme  bornée  à  l'ouest  pair  la  mer,  au 
midi  par  l'Uveaune,  au  nord  parle  «  fossatum  aquae  »  est 
terminée,  dit  la  charte,  par  les  casales.  M.  Daspres  n'a  pu 
s'empêcher  de  se  demander  quelle  était  la  signification  de  ce 
mot.  A  notre  tour  nous  disons:  que  veut-il  dire?  Les  chartes 
de  Saint-Victor  vont  nous  fournir  l'explication. 

On  lit.dans  la  charte  259  :  «  Ego  Bonuspars  de  vineâ  cultâ 
ïmpono  mediam  quart airatam  ad  casales  Martini  Venelli.  »  Il 
s'agit  d'une  vigne  située  auprès  des  maisons  ou  de  l'habita- 
tion dé  Martin  Venel.  Plus  bas,  dans  le  même  document  : 
•  Uno  fron te  casales  Sancti  Pétri.  »  Ce  sont  ici  des  maisons 
qui  forment  la  dot  de  l'église  de  Saint-Pierre.  Dans  la  charte 
258,  on  lit  :  «  Unum  latus  casai  maximum  prseter  duos  casales 
quse  sunt  supra  ecclesiam.  »  Ici  encore  il. s'agit  d'une  maison, 
de  deux  habitations  situées  au-dessus,  dans  un  terrain  domi- 
nant une  église.  Dans  la  charte  149  :  «  Ut  in  borgo  suo  domos 
sive  casales  deberet  concedere  ubi  sibi  et  monachis  hospitium 
posset  honestum  habere,  dédit  casales  ad  aediflcandos  do- 
mos (1).«  Toujours  des  maisons,  des  habitations  que  l'on  ap- 
proprie à  d'autres  usages;  c'est-à-dire  les  demeures,  les  habi- 
tations que  les  colons  ou  cultivateurs  du  terroir  occupaient. 
Dans  ce  sens,  les  casales  dont  il  est  parlé  dans  la  charte  de 
1097  sont  des  maisons  ordinaires.  Puisque  ce  coin  de  terroir 
était  appelé  Saint-Félix,  il  pouvait  y  avoir  là  un  oratoire  sous 
ce  vocable,  et  tout  autour,  ces  quelques  huttes  se  dresser. 

Cependant,  comme  le  terme  casales  n'est  accompagné  d  au- 
cune autre  dénomination,  il  nous  paraîtrait  avoir,  dans  ce 
passage,  unsens  plus  général,  celui  de  vieilles  masures,  d'an- 
ciennes habitations,  de  vastes  dépendances,  ce  que  nous  a p pè- 
lerions les  communs  d'un  château.  Mais  en  ce  point  il  n'y  a 

(1)  Gartulaire  de  Saint- Victor.  — Glossarium  de  Ducange,  ad  verbum  : 
Casale  :  «  Accipitur  pro  prœdio  ruatico,  casa  videlicet  cum  porlione  agri. 
— -  Casa  tegurium  :  illic  humile  casale  sibi  erexit.  (Vita  sancli  Nicolai 
de  Rupe.)—  Certus  numerus  casarum.»  —  CamUs,  même  signification  : 
t  civitatem  et  casales  et  omnia  praedia  occupavit. ..  » 


—  354  — 

nulle  trace  de  villa,  de  maison  importante,  en  1097.  Ce  sont 
donc  les  dépendances  d'une  propriété  ancienne,  des  casais  en 
ruine,  et  Ton  se  sert  de  ce  nom  vulgaire  de  casais  pour  déter- 
miner remplacement  que  cet  ancien  domaine  occupait 
jadis. 

Cette  terre  deVillelme  qui  va  de  THuveaune  à  la  Gironde 
et  de  la  -  mer  aux  casales  étant  connue,  où  se  trouvaient  ces 
caèales?  Non  pas  peut-être  à  l'endroit  même  de  ces  ruines 
que  les  Prémontrés  relevèrent  en  1204  ;  mais  pas  trop  loin 
cependant,  car  la  terre  de  Villelme,  tout  en  ayant  une  cer- 
taine étendue,  était  limitée  cependant  par  d'autres  terres, 
situées  non  loin  de  là,  appartenant  à  d'autres  propriétaires 
que  Villelme,  et  portant  d'autres  noms. 

Or,  qu'étaient  ces  casales  sans  nom,  ces  ruines  en  1097,  a 
deux  pas  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  Sait;  à  deux  pas  de 
l'endroit  où  s'éleva  plus  tard  le  monastère  des  Prémontrés  ;  à 
deux  pas  de  la  chapelle  que  la  tradition  populaire  appelait 
«  leïs  Desnarrados  »,  c'est-à-dire  le  monastère  des  religieuses 
qui  se  coupèrent  le  nez  ;  à  deux  pas  enfin  de  l'endroit  que  la 
tradition  désigne  pour  être  le  lieu  du  martyre  de  sainte  Eusé- 
bie?  Si  l'on  disait  :  ce  sont  des  dépendances  de  l'antique  mo- 
nastère de  Saint-Cyr,  les  habitations  ruinées  et  abandonnées 
des  colons,  des  fermiers  de  ce  monastère,  serait-on  bien  éloi- 
gné de  la  vérité  ?  Qu'il  y  ait,  au  XI*  siècle,  à  ce  point  du  ter- 
roir,  des  ruines,  des  maisons  abandonnées,  et  que,  d'autre 
part,  la  tradition  dise  qu'il  s'est  passé  là  un  événement  tel 
que  celui  de  la  dévastation  d'un  monastère  et  le  massacre 
odieux  des  religieuses  qui  l'habitaient,  c'est,  on  l'avouera,  une 
coïncidence  bien  étonnante,  si  la  tradition  populaire  ne  dit  pas 
la  vérité. 

Une  expression  encore  que  nous  trouvons  dans  cette  charte 
de  1097  va  nous  fournir  une  autre  preuve  en  faveur  de  notre 
opinion. 

À  trois  endroits  du  contexte  de  cette  même  charte,  on 
trouve  cette  indication  :  «  Moi,  Villelme  Artaldus,  donne  une 
pièce  de  terre  ad  Arabenz,  qui  se  termine,  à  l'orient,  h  la 
condamine  de  l'évoque...  Moi  Autrannus,  fils  de  Richau, 
donne  un  pièce  de  terre  dans  un  autre  lieu  appelé  Arabenz... 


—  355  — 

Moi,  Iterius  de  Borriana  donne  en,  gage  à  Saint-Victor  une 
pièce  de  terre  ad  Arabenz.D  Quel  est  donc  l'emplacement  de 
ce  lieu  :  ad  Arabenz  ?  M.  Daspres  a  dit  qu'il  l'ignorait  (1)  ; 
cherchons  cependant,  il  est  peut-être  possible  d'en  déterminer 
approximativement  la  position. 

La  première  pièce  de  terre  ad  A rabenz,  celle  de  Villelme, 
est  bornée  à  l'orient  par  la  condamine  de  l'évêque.  Or,  cette 
terre  devenue  la  propriété  de  Saint- Victor,  quoiqu'elle  portât 
encore  le  nom  de  révéque,servaitde  limite  à  une  terre  appar- 
tenant à  Ponlius  Signoreti  (2).  Celle-ci,  en  effet,  était  limitée  à 
l'occident  par  la  condamine  de  Saint-Victor,  qui  avait 
appartenu  à  l'évoque,  au  midi  par  l'Huveaune,  à  l'orient  par 
la  terre  de  Gaufredus  le  vicomte.  Or,  celui-ci  possédait  plu- 
sieurs terres  dans  le  quartier  :  une  au-dessus  de  l'église,  l'au- 
tre dans  le  palud,  une  autre  encore  près  de  l'église  (3).  Toutes 
les  trois  pouvaient  servir  de  limite  à  la  terre  de  Signoreti,  à 
l'orient  par  rapport  à  celle  ci. 

La  seconde  terre  située  ad  Arabenz,  celle  de  Bertranus, 
fils  de  Richau,  était  bornée  à  l'orient  par  la  terre  qu'Ismido 
donna  à  son  fils  Villelme  le  moine,  au  midi  par  la  terre  de 
Saint-Victor  qui  appartint  à  Pierre  Isnard,  à  l'occident  par  la 
terre  deGantelme.  L'espace  de  terrain  qui  longe  la  rive  droite 
de  l'Huveaune  étant  déjà  occupé  par  la  terre  de  Pontius 
Signoreti,  la  condamine  de  l'évêque  et  la  terre  de  Villelme 
dont  il  s'agit  ci-dessus,  force  est  de  placer  la  terre  de  Ber- 
tranus, fils  de  Richau,  plus  au  nord,  vers  le  ruisseau  de. 
Gironde. 

De  sorte  que,  de  Saint-  Giniez  en  allant  vers  la  mer,  sur 
la  rive  droite  de  rHuveaune,  on  trouve  :  la  terre  de  Gaufredus, 

4 

(1)  «  Arabenz,  Saint-Félix...  et  quelques  autres  noms  qui  semblent 
jusqu'à  ce  jour  enveloppés  d'un  mystère  impénétrable.  «  Daspres.  op, 
cit.,  p.  111.  —  Mortreuil  (Dictionnaire  topographique),  au  mot  Ara- 
benz, dit  que  c'est  au  quartier  de  Saint-Giniez. 

(2)  «  Ego  Pontius  dono  et  vendo  Sancto  Victori  unam  peciam  de  terra 
in  terri torio  Sancti  Genesii  et  terminatur  ab  oriente  terra  Gaufredi  vi- 
cecomitis,  a  meridie  aqua  Uvelnœ  et  ab  occidente  condamina  Sancti 
Victoris,  quae  fuit  Episcopi.  »  Ghaite  de  1097,  ut  suprà. 

(3)  Charte  inédite  de  1097,  publiée  en  français  par  M.  l'abbé  Daspres 
(Notice  sur  Saint •Giniez),  appendice,  p.  136  etsuiv. 


—  356  — 

celle  de  Signoreti,  la  condamine  de  l'évêque  ou  de  Saint- 
Victor,  la  terre  de  Pierre  Isnard,  celle  de  Gantelme,  celle 
qui  appartenait  à  Rostand  d'Amalric,  et  dont  la  dlme  appar- 
tenait au  chanoine  Amelius  Candidia,  enfin  celle  de  Villelme 
au  bord  de  la  mer.  Au-dessus  de  ces  terres,  en  lon- 
geant la  rive  gauche  de  Gironde,  on  trouvait  d'autre  part  :  la 
terre  de  Gaufred,  celle  de  Signoreti  encore  (toutes  les  deux 
allaient  probablement  del'Huveauue  à  Gironde), la  terre  qu'Is- 
mido  donna  à  son  fils  le  moine  Villelme,  celle  de  Berlranus, 
fils  de  Richau,  celle  de  Gantelme  et,  peut-être  contiguë  à  cette 
dernière,  la  terre  de  Villelme  au  bord  de  la  mer  et  du  «  fos- 
satum». 

Or,  de  ce  plan  cadastral  dressé  en  petit,  il  résulte  ceci  :  que 
le  quartier  ad  Arabenz  était  situé  sur  le  Prado  même,  à  cin- 
quante, cent  ou  cent  cinquante  mètres  de  la  plage,  en  tirant 
vers  le  rond-point.  Le  Prado  séparait,  selon  nous,  ces  deux 
terres.  Celle  de  fiertranus  était  au  nord,  vers  Gironde,  celle 
de  Villelmus,  au  sud,  vers  l'Huveaune  II 

Le  quartier  ad  Arabenz  était  donc  non  loin  de  l'embou- 
chure de  l'Huveaune,  non  loin  de  l'emplacement  qu'occupa 
plus  tard  l'abbaye  des  Prémontrés. 

Or,  quelle  peut  être  la  signification  de  ces  mots  :  ad  Ara- 
benz ?  Ils  ressemblent  tellement  au  mot  Arabes,  que  Ton  peut , 
sans  crainte  de  se  tromper,  les  traduire  par  la  terre  des  Ara- 
bes, terre  située  près  des  Arabes.  Et  l'on  peut,  croyons-nous, 
défier  les  érudits  les  plus  perspicaces  de  donner  une  explica- 
tion sérieuse  de  cette  expression  (1).  Quels  Arabes,  avaut 
1097,  s'étaient  fixés  à  Saint-Giniez?  Quels  Arabes  y  avaient  été 
ensevelis?... 

Or,  en  regard  de  cette  expression  incompréhensible,  placez 
notre  tradition.  Est-ce  que  l'explication  qu'elle  fait  jaillir  n'est 

» 

(1)  M.  Mortreuil  (Dictionnaire  topographique  de  Marseille),  au  mot 
Arabenz ,  dit  qu'il  ne  peut  rien  apporter  de  précis  sur  l'endroit  appelé 
de  ce  nom. 

M.  Daspres  (Notice sur  Saint-Giniez)  pense  de  même,  p.  111.  —  Rap- 
pelions-nous, d'autre  part,  que  certains  chroniqueurs,  tels  que  Isidore 
de  Beja  et  Rodrigue  de  Tolède,  ont  employé  les  termes  :  «  sera  Arabum, 
anno  imperii  Arabum;  »  en  parlant  des  Sarrasins. 


—  357  — 

pas  surprenante?  Est-ce  que  Ton  ne  découvre  pas  dans  ce 
mot  le  souvenir  obscur  que  le  peuple  a  conservé  de  quelque 
fait,  de  quelque  particularité  concernant  les  lieux  qu'il  habite, 
et  qu'il  a  fixé  à  un  coin  de  terre  !  La  terre  des  Arabes,  est-ce 
que  de  soi-même,  instinctivement,  on  ne  refait  pas  dans  son 
esprit  les  scènes  de  désolation  et  de  Carnage  que  la  tradition  y 
a  placées  ?  Est-ce  que  Ton  n'ajoute  pas  à  cette  expression  terra 
ad  Arabenz:  C'est  là  que  sainte  Eusébie  fut  martyrisée  par  les 
Sarrasins  I 

Il  y  a  là  encore  une  coïncidence  fort  étonnante,  si  elle  n'est 
pas  la  vérité  I  ! 


CHAPITRE  XIV 
La  Tradition 

TRADITION  GÉNÉRALE  QUE  SAINTE  EUSEBIE  A  SUBI  LE  MARTYRE  AUX 
BORDS  DE  L'HUVEAUNE.  AUTEURS.  —  TRADITION  A  MARSEILLE  QUE 
SAINTE  EUSÉBIE  A  SOUFFERT  LE  MARTYRE  A  CET  ENDROIT.  AUTEURS. 
—  TRADITION  DE  L'ÉGLISE  DE  MARSEILLE  ENCORE  A  CE  SUJET.— 
TRADITION  DE  8AINT-GINIEZ  AUSSI  SUR  CE  POINT.— OR,  CETTE  TRA- 
DITION EST  ANCIENNE.  —  ELLE  S* APPUIE,  OU  PLUTOT  L'EXISTENCE 
EN  EST  DÉMONTRÉE  PAR  L'ARRIVÉE  A  L'HUVEAUNE  DES  PRÉMON- 
TRÉS, —  PAR  LEUR  DÉVOTION  A  SAINT  CYR,  —PAR  LE  VOCABLE  QU'ILS 
DONNENT  A  LEUR  MONASTÈRE,—  PAR  LE  NOM  «  TERRA  AD  ARABENZ  ».— 
SAINTE  EU8ÉBIB  INVOQUÉE  AUX  BORDS  DE  L'HUVEAUNE  AU  DÉBUT 
DU  XIX*  SIÈCLE. 

Nous  ne  nous  sommes  pas  trompés.  C'est  la  tradition  ! 

Il  est  de  tradition  générale,  en  effet,  que  sainte  Eusébie  a 
vécu,  a  été  martyrisée  aux  bords  de  l'Huveaune.  Nous  avons 
vu  tantôt  bon  nombre  d'auteurs  apporter  leur  témoignage. 
Mabillon,  qui  affirmait  que  le  monastère  dans  lequel  la  sœur 
de  saint  Césaire  d'Arles  avait  été  formée  à  la  vie  religieuse 
était  celui  que  Cassien  fit  élever  dans  le  terroir  de  Marseille, 
sur  les  bords  de  l'Huveaune. 

J.-J.  Chifflet,  qui,  en  racontant  la  venue  à  Marseille  de  la 
relique  de  la  croix  de  saint  André,  disait  quelle  avait  été  en- 
fouie dans  une  des  dépendances  du  monastère  de  l'Huveaune, 
et  il  faisait  à  la  suite  le  récit  du  martyre  de  sainte  Eusébie. 

André  du  Saussay,  qui,  mentionnant  le  fait  relatif  à  la  croix 
de  saint  André,  parlait  du  monastère  de  l'Huveaune. 

Le  Père  Lecointe,  qui  citait  aussi  le  monastère  de  l'Hu- 
veaune au  nombre  de  ceux  que  Marseille  possédait  à  une  cer- 
taine époque. 

L'Atlas  Marianus  et  le  père  Poirey,  dans  la  Triple  Cou- 
ronne de  Marie,  qui,  parlant  de  la  statue  vénérée  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune,  racontaient  le  martyre  de  notre  sainte 
héroïne. 


—  359  — 

Voilà  les  témoins  de  notre  tradition.  Et  comme  ces  auteurs 
ont  écrit  de  1618  à  1668,  il  s'ensuit  qu'au  début  du  XVII* 
siècle,  partant  à  la  fin  du  XV?,  il  était  accepté  et  dit  partout 
que  notre  sainte  Eusébie  avait  vécu,  avait  été  martyrisée  sur 
les  bords  de  l'Huveaune.  Sur  quels  faits,  sur  quels  documents 
ces  témoins  appuyaient  leur  témoignage,  nous  le  verrons  plus 
tard. 

Serrons  davantage  la  question  et  disons  :  Il  est  de  tradition, 
à  Marseille,  que  sainte*Eusébie  a  été  martyrisée  aux  bords  de 
l'Huveaune.  Nous  avens  entendu  les  historiens  de  Marseille  ; 
rappelons  leur  témoignage. 

Guesnay. —  Il  est  provençal,  natif  d'Aix,  au  courant  des  tra- 
ditions de  notre  Provence.  Or,  il  affirme  à  plusieurs  reprises 
qu'il  y  avait  au  bord  de  l'Huveaune  un  monastère  de  reli- 
gieuses cassianites  dont  Eusébie  était  l'abbesse,  et  il  raconte 
son  glorieux  martyre. 

H.  Bouche.  —  Il  est  provençal  encore,  natif  d'Aix,  au  fait 
des  coutumes  et  traditions  de  notre  contrée.  Et  son  Histoire 
de  Provence  parle  du  monastère  de  THuveaune,  habité  par 
les  Cassianites,  détruit  par  les  infidèles  et  de  leurs  reliques 
conservées  à  Saint- Victor. 
.  Guindon  et  Méry  ont  écrit  :  a  Le  lieu  où  était  situé  le  cou- 
vent des  Cassianites,  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  est  encore 
désigné  sons  le  nom  a  de'ta  Desnarrados  ».  Cette  appellation 
justifie  pleinement  le  séjour  des  Cassianites  dans  cette  localité. 
Ruffi  et  Grosson  se  trompent  quand  ils  avancent  que  les  dames 
de  Saint-Sauveur  n'ont  jamais  habité  le  quartier  de  Mont- 
redon.  » 

Bousquet  nous  rappelle  que  :  a  L'asile  de  ces  saintes  filles 
était  situé  près  de  l'embouchure  de  l'Huveaune,  à  une  petite 
lieue  de  Marseille.  »  Et  il  cite  le  martyre  de  sainte  Eusébie., 

M.  le  chanoine  Magnan  offrait  de  discuter  l'existence  d'un 
cœnobium  aux  bords  de  l'Huveaune,  et  affirmait  que  Cassien 
en  avait  établi  un  à  cet  endroit  du  terroir,  pour  les  filles. 

Les  deux  de  Iluffi,  Grosson,  André,  Giraud  Magloire,  Das- 
pres,  M.  de  Rey,  tout  en  combattant  notre  opinion,  attestent 
que  beaucoup  d'auteurs  plaçaient  le  monastère  des  Cassianites 
et  de  sainte  Eusébie  aux  bords  de  l'Huveaune. 


—  360  — 

Papon  et  la  Statistique,  tout  en  défigurant  celle  tradition, 
en  constatent  l'existence  d'une  certaine  manière. 

Le  premier  affirme  qu'il  y  avait  aux  bords  de  l'Huveaune 
un  monastère  de  filles,  fondé  par  Gassien,  détruit  par  les  Visi- 
gots  et  les  Sarrasins:  a  Les  religieuses  qui  échappèrent  à  leur 
fureur  ou  qui  la  prévinrent  par  la  fuite,  s'étant  retirées  dans 
le  couvent  qui  était  près  de  Saint-Victor,  eurent  le  sort  de 
sainte  Eusébie  :  elles  se  coupèrent  le  nez#».  En  dépit  de  l'idée 
bizarre  défaire  courir  les  Cassianites  des  bords  de  l'Huveaune 
à  Saint-Victor,  et  de  supposer  deux  monastères  de  filles,  Papon 
admet  bien  qu'il  y  ait  eu  un  couvent  de  filles  à  l'Huveaune  (1). 

La  Statistique  des  Bouches-du-Rhdne,  elle  aussi,  raconte 
qu'  «  à  l'abbaye  de  Saint-Cyr,  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes, 
après  s'être  coupé  le  nez,  furent  massacrées  par  les  Sarrasins, 
et  que  leur  exemple  fut  suivi  par  les  Cassianites  de  l'autre 
abbaye,  située  à  l'embouchure  de  l'Huveaune  (2)».  Même 
bizarrerie  que  chez  Papon,  mais  même  affirmation  de  ce  fait  : 
qu'il  y  a  eu  un  monastère  cassianite  aux  bords  de  l'Huveaune, 
à  l'époque  de  sainte  Eusébie  !  ! 

Ainsi  tous  ces  auteurs,  qu'ils  acceptent  notre  opinion,  qu'ils 
la  rejettent  ou  qu'ils  la  dénaturent,  demeurent  cependant  les 
témoins  de  cette  tradition.  Et  comme  ils  ont  écrit  de  1650  à 
1885,  nous  pouvons  conclure  qu'au  XVII*  siècle  on  croyait 
bien,  à  Marseille,  que  sainte  Eusébie  avait  souffert  le  martyre 
aux  bords  de  l'Huveaune. 

Précisons  davantage  et  disons  :  Il  est  de  tradition  à  Saint- 
Giniez  même  que  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes  ont  cueilli 
glorieusement  la  palme  du  martyre  à  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune, dans  le  cœnobium  qu'elles  habitaient.  Interrogez  les 
vieillards  de  cette  paroisse,  comme  il  nous  est  arrivé  de  le 
faire,  alors  que  nous  en  étions  vicaire,  et  bien  souvent  depuis 
que  nous  avons  entrepris  d'écrire  ces  pages.  Tous  vous  racon- 
tent le  martyre  de  notre  sainte  patronne,  et  ils  vous  indiquent 
l'endroit  où  il  a  été  subi.  C'est  l'emplacement  occupé  plus  tard, 
au  XII?  siècle,  par  le  monastère  des  Prémontrés,  et  mainte- 


(\)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  361. 

(2)  Statistique  des  Bouche$-du-Rhônett.  II,  p.  324. 


—  361  — 

nantpar  le  cellier  et  les  dépendances  du  restaurant  Giroudy- 
Gontard. 

Le  dire  des  habitants  de  Saint-  Giniez,  leur  croyance  que  le 
terroir  qu'ils  cultivent  a  été  le  théâtre  de  cet  événement  glo- 
rieux pour  l'Eglise  de  Marseille,  M.  Daspres,  qui  fut  le  curé 
de  cette  paroisse,  les  constatait  dans  sa  Notice  sur  Saint- 
Giniez.  «  Quelques  auteurs,  dit  il,  placent  ce  monastère  de  , 
religieuses  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  et  ce  serait  certai- 
nement avec  bonheur  que  nous  accepterions  pour  ce  quartier 
la  gloire  d'avoir  vu  naître  cette  longue  génération  de  religieu- 
ses cassianites.  Mais...  »  Il  n'acceptait  pas  cette  opinion.  11 
ajoutait  cependant  :  a  Une  chose  pourrait  nous  mettre  en  con- 
sidération, ce  serait  la  tradition  constante  et  universelle  de 
ceux  qui  se  souviennent  encore  avoir  vu  la  chapelle  de  Notre- 
Dame  d'Huveaune  ;  ils  ne  la  dénomment  jamais  que  sous  le 
titre  deis  Desnarrados . . .  (1).  » 

M.  de  Rey  aussi  a  constaté  l'existence  «  d'une  opinion  locale 
qui  met  en  ce  lieu  le  martyre  de  sainte  Eusébie.  Il  y  a  eu,  en 
effet,  à  ce  bord  de  mer,  à  une  époque  antique,  une  église  et 
une  maison  dont  l'histoire  nous  est  tout  à  fait  inconnue  (2).» 

D'ailleurs,  ce  que  les  auteurs  constatent,  une  locution  usitée 
dans  le  terroir  de  Saint-Giniez  le  prouve  surabondamment.  La 
chapelle  des  bords  de  l'Huveaune  y  est  appelée  l'église  «  deïs 
Desnarrados  ».  Or,  «  leïs  Desnarrados  »,on  le  sait,  ne  sont  pas 
les  religieuses  qui  ont  vécu  dans  le  même  Ordre  que  sainte 
Eusébie,  mais  bien  les  religieuses  qui  se  sont  coupé  le  nez, 
Eusébie  et  ses  compagnes.  C'est  là  leur  chapelle,  leur  maison, 
l'endroit  où  ce  trait  héroïque  s'est  passé.  On  le  dit,  on  le  sait, 
on  le  croit  à  Saint-Giniez.  Il  est  donc  de  tradition,  dans 
cette  partie  du  terroir,  que  sainte  Eusébie  y  a  été  martyrisée. 

Or,  cette  tradition,  cette  dénomination  «  deïs  Desnarrados  » 
ne  date  pas  d'hier  à  Saint  Giniez.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les 
auteurs  modernes,  Guindon  et  Méry,  Bousquet,  la  Statistique, 
M.  Daspres,  qui  attestent  que  cette  expression  était  en  usage 
dans  cette  partie  du  terroir.  Mais  Papon  la   connaissait  et 


(1)  M.  Daspres,  Notice  sur  Saint-Giniez,  pp.  26,  27 1 

(2)  Les  Saint  s  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  231 . 


—  362  — 

l'insérait  dans  son  ouvrage  et,  en  déptt  des  inventions  bi- 
zarres qu'il  entasse  à  ce  sujet,  comme  d'ailleurs  l'ont  fait 
beaucoup  avant  et  après  lui,  il  s'exprime  catégoriquement  : 
«  De  là  cette  tradition  populaire  qui  fait  appeler  ces  vieilles 
masures  (des  bords  de  l'Huveaune)  leïa  Desnarrados,  c'est- 
à-dire  le  monastère  des  religieuses  qui  se  coupèrent  le  nez!  » 
M.  Daspres  avouait  lui  même  que  c'était,  à  Saiht-Giniez,«  une 
tradition  constante  et  universelle  »  et  qu'on  n'appelait  la 
chapelle  de  l'Huveaune  que  la  chapelle  a  deïs  Desnarrad os  b. 

Donc,  ce  terme,  à  lui  seul,  fait  remonter  notre  tradition  en 
plein  XVIII'  siècle.  D'autre  part,  le  témoignage  des  auteurs 
cités  plus  haut  nous  fait  constater  l'existence  de  cette  tradition 
en  plein  X\II*  siècle.  A  la  fin  du  XVI*  siècle  donc,  on  peut  dire 
qu'elle  est  vivante,  certaine,  acceptée  de  tous. 

Or,  date  t-elb  du  XVI'  siècle  seulement?  Non.  Nous  en 
trouvons  la  trace  à  une  époque  bien  antérieure.     * 

Une  tradition  étant  la  transmission  de  bouche  en  bouche, 
de  génération  en  génération,  d'un  événement  ou  d'une  doc- 
trine, il  n'est  pas  absolument  nécessaire  que  des  faits,  des 
monuments  viennent  appuyer  positivement  cette  tradition3en 
constater  l'existence  le  long  des  siècles.  Il  suffît  que,  l'exis- 
tence actuelle  de  cette  tradition  étant  prouvée,  on  ne  puisse, 
en  remontant  à  l'origine  de" ce  fait  ou  de  cette  doctrine,  allé- 
guer  ni  fait,  ni  monument  qui  la  combattent  ou  dont  on 
puisse  dire  qu'ils  l'ont  fait  naitre  et  s'établir  à  tel  ou  tel 
moment.  Mais,  si  les  preuves  positives  manquent  quelquefois 
à  l'appui  d'une  tradition,  bien  souvent  les  preuves  négatives 
abondent.  Ce  sont  des  faits,  des  événements  qui  ne  s'expli- 
quent que  par  l'existence  de  cette  tradition. 

C'est  le  cas  de  celle  qui  nous  occupe.  A  la  fln  du  XVI*  siècle, 
on  croit?  à  Saint-Giniez,  à  Marseille  et  ailleurs,  que  sainte 
Eusébie  a  été  martyrisée  aux  bords  de  l'Huveaune.  Or,  de  la 
fin  du  XVI*  siècle  à  l'époque  oîi  nous  plaçons  le  martyre  de 
cette  sainte,  au  VIII*  siècle,  y  a-t-il  un  fait,  un  écrit,  un 
événement,  un  monument  qui  s'oppose  à  celte  croyance? 
Nous  n'en  connaissons  pas,  et  ceux  que  l'on  a  allégués  nous 
les  avons  réfutés. 

Peut-on  dire  que  celte  tradition  a  pris  naissance  à  tel  et  tel 


—  363  - 

moment  durant  ces  huit  siècles  d'intervalle?  Non,  on  n'a 
rien  dit  ni  écrit  de  semblable,  ce  qui  a  été  dit  ou  écrit  a  été 
combattu  et  réfuté. 

Existe-t-il  des  preuves  catégoriques,  positives  de  Inexistence 
de  cette  tradition  durant  ces  huit  siècles?  Hélas!  nous  n'en 
connaissons  pas. 

Mais  n'y  a-t-il  pas  des  faits,  des  événements,  des  écrits,  des 
monuments  qui  ne  s'expliqueraient  pas  sans  l'existence  de  cette 
tradition  ?  Oui,  il  en  existe  et  les  voici  : 

D'abord,  au  XIII*  siècle,  les  Prémontrés  deFont-Caude,  nous 
l'avons  dit  précédemment,  s'établirent  aux  bords  de  rHuveaune. 
Or,  la  fondation  de  ce  monastère  en  cet  endroit  du  terroir  ne 
se  comprend,  ne  s'explique  que  par  la  croyance  à  cette  époque, 
au  début  du  XIII*  siècle,  en  .1204,  que  sainte  Eusébie  et 
ses  compagnes  avaient  été  martyrisées  en  ce  môme  endroit. 

Que  faut-il  pour  fonder  un  monastère  ?  La  solitude,  l'espace 
devant  soi,  la  facilité  d'acquérir  les  champs  qui  avoisinent, 
aQn  de  ne  pas  être  serré  comme  dans  un  étau  ;  que  le  monas- 
tère puisse  prospérer  et  se  développer.  Un  coin  de  nos  rivages 
est  préféré!  Quel  en  est  l'aspect?  Est-ce  la  solitude,  le  désert? 
Y  a-t-il  absence  de  toute  servitude?  Pourra  t-on  s'agrandir  ? 
Non.  La  plupart  des  terres  qui  avoisinent  le  monastère  sont 
occupées.  Saint- Victor  règne  en  maître,  et  ce  ne  sera  pas  la 
puissante  abbaye  qui  cédera  ni  vendra  ses  propriétés  pour 
favoriser  le  monastère  de  rHuveaune!  C'est  donc  un  très 
mauvais  calcul  delà  part  des  religieux  Prémontrés  de  choisir 
ce  point  du  terroir. 

11  y  a  bien  une  église  et  une  maison.  Mais  elles  sont  en  ruines  ! 
Il  faudra  tout  rebâtir.  Ne  vaudrait-il  pas  mieux  chercher 
quelque  vieux  moutier  abandonné,  que  Ton  restaurerait  à  peu 
de  frais  ?  Bien  plus,  l'évoque,  en  les  autorisant  à  bâtir  en  cet 
endroit,  leur  impose  des  conditions  bien  onéreuses.  Ne  pourrai  t- 
on  pas  en  obtenir  de  meilleures  en  cherchant  ailleurs?  Et 
cependant  les  religieux  acceptent  ces  conditions  de  l'évéque, 
la  charge  de  tout  reconstruire,  l'étroitesse  de  remplacement, 
et  se  iixent  là!  Comprenons-nous  qu'ils  passent  par-dessus 
toutes  les  difficultés,  s'il  n'y  a  là  qu'une  église  ordinaire,  qu'un 
monastère  sans  tradition? 


-  364  — 

Ils  ont  tout  accepté  !  C'est  que  cette  église,  celte  maison  en 
ruines  ont  un  passé  glorieux  ;  c'est  que,  tout  en  renonçant  à 
l'espoir  de  s'agrandir,  on  pourra  faire  revivre  ce  passé,  glori- 
fier Dieu,  la  Sainte  Vierge  et  ses  saints  ;  c'est  que  Ton  a  trouvé 
un  vieux  moutier,  une  église  antique,  un  débri  arraché  à  la 
fureur  des  hommes  et  à  l'oubli  des  siècles  I  Qu'importent  les 
difficultés  !  la  Providence  pourvoira  à  tout.  Tôt  ou  tard  on 
dotera  l'abbaye,  et  c'est  ce  qui  arriva,  en  effet,  l'inventaire  de 
1368  en  fait  foi.  Mais  qui  a  fait  connaître  à  ces  religieux  fonda- 
teurs le  passé  glorieux  de  cette  église,  de  cette  maison  en 
ruines?  Ni  les  chartes,  ni  les  livres,  ni  les  monuments.  Pas 
d'autre  voix  que  celle  de  la  tradition  I  On  leur  raconte  la 
légende  de  sainte  Eusébie,  on  leur  montre  les  débris  des  ' 
siècles,  les  Prémontrés  croient  à  la  tradition,  ils  viennent 
habiter  eu  cet  endroit. 

Autre  fait.  Les  Prémontrés  des  bords  de  l'Huveaune  ont  une 
grande  dévotion  à  l'égard  de  saint  Cyr.  Cela  ne  s'explique  pas 
sans  notre  tradition. 

Cette  dévotion,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  leur  vient  soit 
d'une  tradition  qu'ils  trouvent  en  cet  endroit  du  terroir, 
d'une  fête  que  l'on  y  célèbre  de  tout  temps,  ou  de  quelque 
relique  de  ce  saint  martyr  qu'ils  possèdent.  Si  c'est  d'une 
tradition  qu'ils  trouvent  aux  bords  de  l'Huveaune,  notre 
preuve  est  faite!  Si  c'est  d'une  solennité  en  l'honneur  de 
saint  Cyr,  célébrée  en  ces  lieux,  l'existence  de  notre  tradition 
explique  seule  cette  fête.  Si  c'est  de  quelque  relique  donnée 
par  Saint-Sauveur,  on  ne  comprend  la  demande  que  les 
Prémontrés  en  font  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur  que  par  la 
connaissance  qu'ils  ont  des  faits  qui  se  sont  passés  en  ces  lieux. 

Or,  qui  leur  a  fait  connaître  l'histoire  des  ruines  qu'ils 
habitent?  Ni  les  chartes,  ni  les  livres,  ni  les  monuments. 
Seule,  la  tradition,  c'est-à-dire  ce  que  les  habitants  de  ce  quar- 
tier se  transmettent  les  uns  aux  autres  de  bouche  en  bouche, 
de  génération  en  génération  sur  l'église  «  deïs  Desnarrados  »  ! 

Autre  fait  encore,  les  Prémontrâs  ont  donné  à  leur  monas- 
tère du  terroir  de  Saint-Giniez  le  vocable  de  Notre-Dame 
d'Huveaune.  Or,  ceci  ne  s'explique  pas  sans  l'existence  de 
notre  tradition. 


-i: 


—  305  — 

Nous  avons  dit,  en  effet,  que  ce  vocable  n'était  pas  simple- 
ment une  désignation  nouvelle,  mais  qu'il  correspondait  à 
une  réalité,  à  une  croyance,  à  une  dévotion  établie  en  ce 
point  du  terroir  ;  que  cette  dévotion,  abritée  pour  ainsi  dire 
dans  les  ruines  de  l'église  de  Sainte-Marie  de  Sait,  se  conser- 
vait depuis  des  siècles  ;  qu'elle  était  le  souvenir  d'un  fait  mé- 
morable accompli  en  ces  lieux  ;  que  les  Prémontrés,  par  ce 
vocable  nouveau,  avaient  eu  le  dessein  de  rajeunir  celte  dé- 
votion l  Or,  comment  les  Prémontrés  ont-ils  connu  tous  ces 
détails  ?  Par  la  voix  du  peuple,  par  la  tradition  locale  !  Donc, 
au  XI1P  siècle,  notre  tradition  existe  déjà. 

Montons  plus  haut,  nous  en  constatons  l'existence  au  XI* 
siècle.  La  charte  de  1097  donne  le  titre  de  Notre-Dame  de  Sait 
à  une  église  située  précisément  à  l'endroit  que  le  monastère 
des  Prémontrés  occupa  plus  tard:  à  ce  point  du  terroir  appelé 
l'église  a  deïs  Desnarrados  ».  Le  même  document  parle  de 
«  casales  »  —  maisons  en  ruines  et  abandonnées  depuis 
longtemps.  Il  désigne  par  le  nom  d'Ârabenz  une  terre,  placée 
aux  environs  de  ces  a  casales  ».  Or,  expliquez  l'existence  d'une 
église  à  ce  point  du  terroir,  à  celte  époque  primitive;  expliquez 
d'où  viennent  ces  ruines  antiques  des  «  casales  »  ;  expliquez 
cette  expression  bizarre:  Arabenz,  sans  notre  tradition  que 
sainte  Eusébie  et  ses  compagnes  ont  souffert  le  martyre  à  cet 
endroit! 

Oui,  cette  tradition  existe,  la  preuve  en  est  que  sainte 
Eusébie  a  été  officiellement  invoquée  dans  cette  chapelle  de 
l'Huveaune  !  Au  commencement  de  ce  siècle,  chaque  année, 
au  jour  de  l'Ascension,  on  se  rendait  en  procession  de  Saint- 
Giniez  à  cette  chapelle.  Or,  à  qui  était-elle  dédiée  ?  quelle  sain- 
te on  quel  saint  y  était  invoqué?  Sainte  Eusébie  !!  C'est  le 
curé  de  Saint-Giniez,  à  l'époque,  qui  l'atteste  dans  une  lettre 
adressée  par  lui  à  l'évêque  de  Marseille,  pour  lui  demander 
d'être  déchargé  du  soin  d'une  paroisse  que  ses  infirmités  ne 
lui  permettaient  plus  de  diriger  (1)  Le  prêtre  qui  donnait  ce 
détail,  cité  plus  haut,  administrait  la  paroisse  déjà  depuis 
neuf  ans.  Il  était  donc  au  courant  des  coutumes  de  son  église. 


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(H  Nous  donnons  cette  lettre  en  appendice. 


24 


4 


—  366  — 

C'était  un  vénérable  vieillard,  de  77  ans,  ancien  Chartreux, 
saint  prêtre,  tout  au  regret  de  ne  pouvoir,  à  cause  de  son 
âge  et  de  ses  infirmités,  reprendre  sa  vie  d'austérité  et  de 
pénitence,  retrouver  sa  douce  et  paisible  cellule  de  religieux. 
Une  parlait  donc  pas  à  la  légère,  ce  qu'il  disait  était  vrai  !  Or, 
depuis  quelle  époque  ce  culte  public  était  décerné  à  notre 
sainte  dans  cette  chapelle?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Il  faut 
certainement  remonter  à  plus  de  dix  et  vingt  ans,  h  M"  de 
Belsunce  très  probablement.  Dans  tous  les  cas,  ce  fait  est  la 
consécration  définitive  de  notre  tradition  locale.  On  croit,  à 
Saint- Giniez,  que  Sainte  Eusébie  a  vécu,  a  été  martyrisée  à  ce 
point  du  terroir,  à  l'embouchure  de  THuveaune.  Sainte  Eusébie 
y  a  été  invoquée  d'un  culte  public.  Donc  la  tradition  populaire 
nous  a  transmis  la  vérité.  C'est  là  que  notre  sainte  a  été  mar- 
tyrisée 1 

Et  voyez  la  conduite  de  la  Providence  !  Depuis  M,r  de 
Belsunce,  qui  le  premier  a  fait  décerner  un  culte  public  à 
sainte  Eusébie,  on  a  fondé  bien  des  paroisses  dans  le  diocèse  de 
Marseille.  Jamais  il  n'est  venu  à  l'idée  de  personne  de  donner 
le  vocable  de  Sainte-Eusébie  à  une  de  ces  paroisses.  A  la  longue 
cela  paraissait  être  un  oubli  à  l'endroit  de  notre  sainte  héroïne. 
Les  auteurs  s'en  plaignaient  (1).  Ce  fut  une  joie  pour  beau- 
coup lorsque,  vers  1850,  on  y  remédia  !  Or,  à  quelle  paroisse 
nouvelle  a-t-on  imposé  le  vocable  de  Sainte-Eusébie  et  de  ses 
compagnes?  A  une  église  voisine  des  bords  de  FHuveaune, 
des  champs  et  des  rivages  que  la  sainte  abbesse  et  ses  com- 
pagnes avaient  si  souvent  parcourus  I  On  aurait  pu  l'attribuer 
à  toute  autre  église!  Il  semblait,  au  contraire,  que  la  Provi- 
dence en  voulait  disposer  ainsi,  que  l'église  dédiée  à  l'illustre 
martyre  serait,  par  une  coïncidence  singulière,  une  preuve, 
un  confirmation  de  la  tradition  de  Marseille  qu'elle  avait  vécu, 
qu'elle  avait  été  martyrisée  sur  les  bords  de  l'Huveaune!! 

Pour  nous,  l'existence  d'une  telle  tradition  est  certaine. 
Nous  n'hésitons  pas  à  l'affirmer.  On  pourra  peut-être  trouver 
que  nos  arguments  ne  sont  pas  péremptoires.  Mais,  quant  à 


(1)  M.  Magnan,    article   de    la    Semaine   liturgique.  —  M.  André, 
Histoire  de  Saint-Sauveur,  p.  13 


—  367  — 

vouloir  établir  la  non-existence  de  cette  tradition,  ce  sera, 
croyons-nous,  une  œuvre  difficile  ! 

Nous  résumons  la  première  partie  de  notre  travail.  Voici  la 
série  logique  de  nos  arguments. 

Certains  auteurs  ont  soutenu  que  le  monastère  de  Sainte 
Eusébie  n'était  pas  à  Saint-Giniez,  aux  bords  de  l'Huveaune, 
sur  le  rivage  de  la  mer.  Les  raisons  qu'ils  ont  apportées  sont 
nombreuses.  Or,  ces  raisons  vous  les  avons  réfutées. 

Après  avoir  prouvé,  selon  eux,  que  ce  monastère  n'était  pas 
à  l'Huveaune,  ils  ont  affirmé  qu'il  était  les  uns  à  Saint- Victor, 
les  autres  au  Carénage,  ceux-ci  aux  Catalans,  ceux-là  au 
Revest,  qui  à  la  Major,  qui  à  Saint  Loup,  qui  à  Saint-Cyr  (Var), 
etc.,  etc.  Les  raisons  qu'ils  donnent  de  leurs  affirmations, 
nous  l'avons  prouvé  encore,  ne  valent  rien. 

A  notre  tour,  nous  avons  soutenu  d'abord  qu'il  était  impos- 
sible que  ce  monastère  fût  à  ces  divers  endroits.  Puis  nous 
avons  prouvé,  autant  que  cela  peut  se  faire,  que  le  monastère 
cassianite  se  trouvait  dans  le  terroir  de  Saint-Giniez.  Donc  la 
première  partie  de  notre  travail  est  achevée.  Sainte  Eusébie 
a  vécu  et  est  morte  à  l'embouchure  de  l'Huveaune. 

Reste  la  deuxième  question.  A  quelle  époque  sainte  Eusébie 
et  ses  glorieuses  compagnes  ont  souffert  le  martyre  ? 


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DEUXIÈME  QUESTION 


A  quelle  époque  a  été  martyrisée 

Sainte 


PREMIERE  PARTIE 


Réfutation  des  Auteurs  opposés  à  notre  sentiment 


PREMIÈRE  SECTION 

Objections  et  Questions  préliminaires 


CHAPITRE  PREMIER 

Les  auteurs  qui  attribuent  à  d'autres 
qu'aux  Sarrasins  le  martyre  de  sainte  Eusébie 


EXPOSITION  DE  LA  DISCUSSION.  AUTEURS  CITÉS  :  OUESNAY,  H.  BOUCHE, 
RUFFI,   LA   «  QAlLIA  CHBISTIANA  »,   PAPON,   L  AU  TARD,   ORINDA 


La  première  questiopque  comporte  notre  travail  est  résolue. 
Sainte  Eusébie  a:  subi  le  martyre  sur  les  bords  de  l'Huveaune, 
en  donnant  avec  ses  glorieuses  compagnes  son  sang  et  sa  vie 
pour  Jésus-Christ. 

La  seconde  question  se  pose  devant  nous  :  à  quelle  époque 
et,  s'il  est  possible  de  préciser,  en  quelle  année  a  eu  lieu  cette 
scène  tragique  ?  C'est  ce  que  nous  allons  rechercher.  Nous 
prouverons  dans  les  pages  qui  vont  suivre  que  les  Sarrasins 
ont  été  les  bourreaux  de  ces  généreuses  victimes  et  que  c'est 
en  738  qu'ils  ont  commis  ce  massacre  odieux. 

Nous  l'avons  annoncé  au  début  de  ce  travail,  la  question  est 
fort  controversée.  Des  auteurs  qui  l'ont  traitée  ou  l'ont  effleu- 
rée dans  leurs  écrits,  les  uns  assignent  à  cet  événement  une 


—  372  — 

date  différente  de  la  nôtre,  les  autres  chargent  de  ce  forfait 
d'autres  barbares  que  les  Sarrasins.  Afin  de  placer  sous  les 
yeux  du  lecteur  toutes  les  pièces  du  procès,  citons  le  dire  de 
tous  les  auteurs  que  nous  connaissons  et  dont  nous  avons  les 
ouvrages  entre  les  mains. 

D'abord,  les  auteurs  qui  attribuent  à  d'autres  que  les  Sar- 
rasins le  martyre  de  sainte  Eusëbie;  ensuite  ceux  qui  assi- 
gnent à  cet  événement  une  autre  date  que  celle  de  738. 

En  premier  lieu,  les  auteurs  qui  attribuent  à  d'autres  que 
les  Sarrasins  le  martyre  de  sainte  Eusébie.  Nous  avons  sous  la 
main,  le  Père  Guesnay,  les  deux  Ruffl,  If.  Bouche,  la  Gallia 
christiana,  Papon,  Lautard,  Grinda,  l'abbé  Pierrhugues. 

Guesnay,  dans  le  Cassianus  illustratus,  attribue  le  mar- 
tyre de  sainte  Eusébie  aux  Vandales  :  «  Dans  une  des  fré- 
quentes excursions  de  ces  barbares  en  Gaule,  alors  que  les 
Vandales,  mêlés  aux  Àlains,  aux  Goths  et  aux  autres  peuples, 
passèrent  d'Espagne  en  Afrique,  appelés  parle  duc  Boniface,et 
que  leurs  pirates  ravageaient  les  côtes  de  Provence,  portés  par 
la  tempête,  ces  forbans  s'abattirent  un  jour  sur  le  rivage  de 
Marseille  et  y  commirent  d'affreux  méfaits  (1).  »  Et  Guesnay 
raconte  le  martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes, 
sans  indiquer  cependant  cette  circonstance,  mentionnée  par  les 
autres  auteurs  :  qu'elles  se  mutilèrent  le  visage. 

Le  môme  auteur,  dans  les  Provinciœ  Massxliensis  Annales, 
alors  qu'il  indique  la  date  de  cet  événement,  l'attribue  aux 
Vandales  encore.  Il  écrit,  en  effet  :  «  Alors  que  les  Vandales 
faisaient  une  guerre  de  pirates,  ceux-ci  attaquaient  le  rivage 
de  Marseille,  débarquaient  à  l'embouchure  de  l'Huveaune, 
etc.  (2).  » 

H.  Bouche  écrit  que  «  les  mémoires  anciens  du  monastère 

(1)  Guesnay,  Cassianus  illustratus,  p.  509:  «In  bis  frequentibus  in 
GalHà  tôt  barbarorum  grassationibus,  du  m  Vandali  mixti  Alanis,  Go  Uns 
«t  alits  barbaris  nationibus,  ex  Hispanià  olim  a  duce  Bonifacio  excur- 
runt  in  Africain,  et  piratico  apparatu  adversi  littoris  circumquaque 
Provinciia  imminent,  tempestate  subito  abrepti  ex  alto  invehuntur  in 
oram  Massilise  maritimam.  » 

(2)  t  Gum  Vandali  vitam  agereut  piraticam,  forte  iu  eam  Provincial 
Massiliensem  oram  appulsi,  in  quâ  Yvelinus  fluvius  mare  influit...  » 
Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Annales,  p.  186. 


—  373  — 

de  Saint-Victor-lez-Marseille  assurent  que  ce  monastère  a  été 
souvent  détruit  par  les  Vandales  et  autres  peuples  barbares, 
gui  ont  brûlé  ses  anciens  documents  et  que  le  monastère  des 
religieuses  d'Uveaune,  proche  de  Marseille,  fut  entièrement 
détruit  par  ces  barbares  (1) .  » 

M.  de  Ruffi  père  écrit  :  a  Quant  au  temps*  du  martyre  (de 
sainte  Eusébie),  c'était  au  XI'  siècle,  par  les  Normands  (2).  » 

Ruffi  (Louis  de),  dans  Y  Histoire  de  Marseille,  a  écrit  : 
«  Nous  tenons  de  tradition  que  ce  monastère  fut  ravagé  par  les 
Sarrasins,  et  que  les  religieuses,  pov.r  conserver  leur  virginité, 
se  coupèrent  le  nez,  à  l'exemple  de  l'abbesse  Eusébie,  ce  qui 
est  autorisé  par  deux  chartes  de  1431"  et  1446,  qui  marquent 
que  lorsque  les  Vandales  détruisirent  le  monastère  de  Saint- 
Victor,  ils  ruinèrent  en  môme  temps  celui  de  Saint-Sauveur. 
Mais  c'était  plutôt  les  Normands  que  les  Vandales,  puisque 
ceux-ci  se  retirèrent  en  Espagne  avant  que  le  monastère  de 
Saint-Sauveur  ne  fui  fondé. . .  (3).  » 

La  Gallia  christiana  dit  que  a  après  que  ce  monastère  des 
Cassianites  eût  été  détruit  en  même  temps  que  celui  de  Saint- 
Victor,  non  pas  par  les  Vandales,  mais  par  les  Normands,  ces 
religieuses  vinrent  se  fixer  eu  ville,  à  Saint-Sauveur  (4).  » 

Papon,  dans  son  Histoire  de  Provence,  après  avoir  indiqué 
deux  monastères  cassianites,  l'un  à  Saint-Sauveur,  l'autre  sur 
les  bords  de  l'Huveaune,  ajoute  que  a  tous  les  deux  ont  été 
détruits  par  les  Sarrasins  ou  les  Visigoths,  qui  massacrèrent 
Eusébie  et  ses  compagnes,  ainsi  que  les  religieuses  de  l'Hu- 
veaune (5).  » 

Lautard,  dans  les  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  en 
fidèle  copiste  de  Ruffi,  a  écrit  :  «  Lors  de  la  destruction  de  ce 
monastère  par  les  Normands,  l'abbesse  Eusébie  et  les  qua- 
rante religieuses  qu'elle  avait  sous  ses  ordres  se  coupèrent  le 

(1)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  565. 

(2)  Ruffl  (Antoine),  Histoire  de  Marseille,  p.  386. 

(3)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58. 

(4)  Gallia  christiana,  t.  I,  p.  696  :  t,Postquam  autem  monasterium 
illad  cum  Victorino  dirutum  est,  non  quidem  a  Vandalis,  sed  potius  a 
Normannis..  » 

(5)  Papon,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  pp.  361,  362. 


—  374  — 

nez,  pour  conserver  leur  pureté.  Ce  faites!  attesté  parles  char- 
tes déjà  citées  du  monastère  de  Saint-Victor,  des  années  143 1  et 
1446,  et  par  un  manuscrit  authentique,  déposé  dans  les  archi- 
ves de  la  communauté  des  religieux.  La  tradition  en  était 
si  bien  établie,  que,  lors  de  l'admission  des  novice^  à  la  sainte 
cérémonie  de  leurs  vœux,  on  leur  rappelait  toujours  la  coura- 
geuse détermination  de  ces  servantes  du  Seigneur  qui  n'a- 
vaient pas  craint  de  se  mutiler  pour  que  de  profanes  mains  ne 
portassent  aucune  atteinte  à  leur  vertu  (1).  » 

A  ces  auteurs  nous  pouvons  joindre  M.  Grinda.  Dans  les 
pages  pleines  d'érudition  et  de  détails  détachées  de  sa  Mono- 
graphie de  V abbaye  de  Saint-Victor- lez- Marseille  et  insé- 
rées dans  l'Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  cet  auteur  a 
traité  des  questions  se  rattachant  à  la  légende  de  sainte  Eusébie. 
Ayant  à  parler  notamment  des  Sarrasins  à  qui  Ton  impute 
le  massacre  de  notre  héroïne,  il  écrit  (2):  «  La  tradition 
désigne-elle  formellement  les  Sarrasins  ?  Nous  n'hésitons 
pas  à  répondre  :  non.  Les  historiens  qui  ont  rapporté  ce  glo- 
rieux souvenir  de  l'Eglise  de  Marseille  sont  loin  d'être  d'ac- 
cord. Ils  désignent  les  Vandales,  les  Goths,  les  Normands,  les 
Bourguignons,  les  pirates  arabes,  les  Sarrasins.  Le  Propre  du 
diocèse  de  Marseille,  qui  résume  la  tradition  dans  la  leçon  IV' 
de  l'office  de  sainte  Eusébie,  ne  nomme  pas.  les  Sarrasins  ;  il  y 
est  question  des  infidèles  et  des  barbares,  ce  qui  peut  s'appli- 
quer aux  Vandales,  aux  Visigoths,  aussi  bien  qu'aux  Sarra- 
sins . . .  » 

a  . . .  Le  Père  Guesnay,  dans  le  Cassianus  illustratus,  dit 
que  sainte  Eusébie  fut  martyrisée,  alors  que  la  Provence  était 
la  proie  des  Vandales,  des  Goths  et  autres  barbares.  Nous  par- 
tageons volontiers  cette  opinion,  qui  semble  corroborée  par 
l'archéologie  et  qui  permet  de  considérer  notre  inscription 
comme  l'épitaphe  de  cette  sainte  martyre » 

«...  Un  autre  détail  vient  encore  corroborer  l'époque  que 
nous  assignons  à  cette  inscription,  il  y  est  fait  mention  du 

(1)  Lautard,  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  pp.  401,402. 

(2)  Griuda,  Monographie  de  V abbaye  de  Saint-\ictor-ltz-Mar&eille. 
fragments  publiés  dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  année  1888, 
n-  345. 


—  375  — 

monastère  de  Saint-Cyr,  titre  que  prit  cette  maison  au  V*  siècle, 
mais  qu'elle  n'avait  déjà  plus  vers  la  fin  du  siècle  suivant 
(597),  sous  l'épiscopat  de  saint  Sérenus.  *  Et  M.  Grinda  cite  en 
note  quelques  lignes  de  Y  Histoire  littéraire  de  la  France, 
t.  III,  p.  234  :  a  Les  reliques  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte, 
sa  mère,  martyrisés  en  304,  furent  apportées  d'Antioche,  au 
commencement  du  V  siècle,  par  saint  Amatre,  évêque 
d'Auxerre  ;  quelque  temps  après  on  transféra  à  Nevers  un 
bras  de  saint  Cyr.  Les  religieuses  cassianites  prirent  une  par- 
tie de  ces  reliques.  » 

Nous  pourrions  ajouter  ici,  pour  mention  seulement,  le  nom 
de  l'abbé  Pierrhugues.  Cet  auteur,  dans  un  travail  intitulé  : 
Fin  de  Lérins,  s'est  attaché  à  prouver  que  saint  Porcaire  et  ses 
cinq  cents  disciples  ont  été  martyrisés  par  les  Vandales. 

Or,  quelques  auteurs  ont  semblé  placer  à  la  même  époque, 
et  partant  attribuer  aux  mômes  barbares,  le  massacre  de 
sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes.  Nous  verrons  plus  tard  ce 
que  vaut  cette  affirmation. 


CHAPITRE  II 

Auteurs  qui  ont  assigné  au  martyre  de 

une  date  autre  que  celle  de  738 . 

TEXTE  DE  CBS  AUTEURS. 

Nous  citerons  successivement  :  le  Père  Guesnay,  Mabillon, 
Grosson,  M"  de  Belsunce,  les  deux  Ruffl,  la  a  Gallia  cArtV 
tania  »,  Papou,  P.  Longueval,  H.  Bouche,  Bouche,  Fouque, 
Fabre  (Augustin),  Lautard,  Guindon  et  Méry,  l'abbé  Magloire 
Giraud,  Bousquet,  Reinaud,  lu  Statistique,  Alliez,  Robacker, 
Darras,  Kothen,  André,  M.  le  chanoine  Magnan,  M.  de  Rey, 
M.  Grinda. 

Guesnay  donne  la  date  de  cet  événement  dans  les  Annales 
provinciœ  Massiliensis.  Il  la  fixe  à  l'an  477.  «  A  l'époque, 
écrit-il,  de  la  persécution  de  Genséric  ou  d'Hunéric,  son  fils, 
contre  les  catholiques,  alors  que  les  Vandales  faisaient  une 
guerre  de  pirates,  ceux-ci  attaquèrent  le  rivage  de  Marseille 
et  débarquèrent  à  l'embouchure  de  l'Huveaune.  S' emparant 
du  monastère  qu'habitaient  Eusébie  et  ses  trente-neuf  com- 
pagnes, ils  les  mirent  à  mort  en  haine  de  la  religion  de  ces 
héroïques  victimes  (1).  »  A  un  autre  endroit  de  ce  même  ou- 
vrage, Guesnay  fixe  cet  événement  à  Tannée  450  (2). 

H.  Bouche.  Nous  avons  vu  (3)  cet  auteur  attribuer  le  mar- 
tyre de  notre  sainte  aux  Vandales,  sans  indiquer  d'autre  date 
que  celle  qui  est  en  marge  :  407. 

(1)  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Annales,  p.  186,  ad  annum477  : 
«  Circa  excitatam  a  Genserico  sive  Hunerico  ejus  filio,  catholicorum 
perseculionem,,  cum  Vandali  piraticam  agerent • 

(2)  «  Anno  450.   Eodem  an  no  SS.  virgines  ac  martyres  novem  supra 

triginta  sub   reglmine  Eusebi»  moniales  Cassianitœ •  Guesnay, 

op.  cit. y  p.  600. 

(3)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  !•%  p.  565. 


•■•    M 


—  377  — 

Mabillon,  dans  les  Annales  ordinis  Sancti  Bénédictin  à  la 
suite  de  l'année  732,  écrit  :  «  que  ce  fut  à  cette  époque  qu'eut 
lieu  le  fait  mémorable  du  martyre  par  les  Sarrasins  des 
quarante  religieuses  du  monastère  de  Saint-Cyr,  fondé  par 
Cassien,  près  de  Marseille.  A  la  tôte  de  ces  martyres  se  trouvait 
l'abbesse  Eusébie,  qui  exhorta  ses  compagnes  à  se  mutiler  le 
visage  pour  échapper  à  la  lubricité  des  Sarrasins  (1).  »  Dans  les 
Acta  sanctorum  ordints  Sancti  Benedicti,  Mabillon  raconte 
ce  fait  à  l'année  731  (2). 

M"  de  Belsunce,  dans  l'Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille, 
citant  Mabillon,  dit  :  a  Ce  fut  probablement  durant  ces  guerres 
des  Sarrasins  que  sainte  Eusébie,  abbesse  du  monastère  fondé 
par  Cassien,  souffrit  le  martyre  avec  ses  compagnes.  Les  Sar- 
rasins avaient  des  vaisseaux  dont  ils  se  servaient  pour,  faire 
des  descentes  dans  les  lies ...  Le  monastère  de  sainte  Eusébie, 
qui  portait  alors  le  nom  de  Saint-Céris  ou  Gyricius,  était  hors 
de  la  ville  et  assez  peu  éloigné  du  port.  Cette  situation  l'expo- 
sait  aux  incursions  des  pirates  sarrasins  dont  une  troupe  vint 
tout  à  coup  descendre  sur  le  rivage  et  marcha  vers  le  monas- 
tère. . .  (3).  » 

Ruffi,  dans  Y  Histoire  de  Marseille,  écrit  «  que,  quant  au 
temps  de  la  destruction  de  l'abbaye  (des  religieuses),  il  est 
presque  impossible  d'en  pouvoir  fixer  l'époque,  à  cause  que  la 
Provence  a  souffert  divers  ravages  des  Sarrasins,  savoir  en 
Tannée  726  et  730,  et  du  temps  de  Charlemagne.  Toutefois,  il 
y  a  apparence  que  ce  fut  au  IX'  siècle  que  les  Normands, 
altérés  du  sang  des  chrétiens,  aïant  inondé  diverses  provin- 
ces... qui,  s'étant  aussi  jetés  en  ce  royaume,  entrèrent 
par  mer  en  Provence,  ruinèrent  et  désolèrent  un  grand  nom- 
bre de  maisons  religieuses. . .  J'estime  qne  cette  funeste  irrup- 


(1)  «  Hue  revocant  nobile  factum  sanctimonialium  quadraginta  cœno- 
bii  Sancti  Cyricii,  prope  Massiliam  a  B.  Joanne  Cassiano  erecti,  quse, 
hortante  Busebia,  matre  ac  abbatissa,  ne  suœ  pudicitiae  vis  a  Sarracenis 
inferretar,  nasum  sibi  prœcidisse  traduntur  »  c  Ad  annum  732.  » 
(Annales  ordinis  Sancti  Benedicti,  t.  II,  p,  90.) 

(2)  t  Ad  annum  73/.  »  (Acta  sanctorum  ordinis  Sancti  Benedicti, 
t.  IV,  p.  487.; 

(3)  De  Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  290. 


—  378  — 

tion  arriva  environ  en  l'an  867,  auquel  temps  une  armée  de 
nés  barbares  était  conduite  par  un  comte  appelé  Tulba  ou 
Hulba. ..  (1).  » 

Papon,  dans  l'Histoire  de  Provence,  sous  la  rubrique  des 
années  736  et  737,  rappelle  la  trahison  de  Mauronte,  gouver- 
neur de  Marseille,  a  qui  avait  des  intelligences  secrètes  avec 
les  Sarrasins  déjà  maîtres  de  la  Sep ti manie,  qui  profita  du 
temps  où  Charles  Martel  faisait  la  guerre  en  Saxe  pour  leur 
livrer,  de  concert  avec  ses  complices,  les  villes  d'Arles  et 
d'Avignon,  et  le  reste  de  la  Provence. ..  Les  religieuses  de 
Marseille,  ayant  à  leur  tête  l'abbesse  Busébie,  donnèrent  à  cette 
occasion  l'exemple  d'une  fermeté  vraiment  chrétienne.  Elles 
se  coupèrent  le  nez  et  se  déchirèrent  le  visage,  pour  n'inspirer 
que  de  l'horreur  ou  de  la  pitié  (2).  » 

Grosson,  dans  les  Almalnachs  historiques  de  Marseille, 
pour  les  années  1770  et  1773,  n'indique  pas  de  date  précise. 
Après  avoir  rappelé  que  Ruffi  place  ce  fait  au  IX*  siècle,  il 
affirme  que  le  monastère  caçsianite  était  sous  le  vocable  de  Saint- 
Cyr,  que  sainte  Ëusébie  en  était  abbesse,  qu'il  était  situé 
aux  Infirmeries  vieilles,  sous  la  citadelle  Saint-Nicolas,  que 
les  religieuses  Cassianites  qui  l'habitaient  en  sortirent  par  la 
persécution  des  Sarrasins  qui  les  massacrèrent  après  qu'elles 
se  furent  coupé  le  nez,  et  qu'en  737  elles  vinrent  plus  près  de 
de  Saint-Victor.  Suivant  Grosson,  ce  fait  serait  antérieur 
à  737  (3). 

Longueval,  dans  l' Histoire  de  ï Eglise  gallicane ,  place  cet 
événement  à  l'année  731.  «  Les  Sarrasins  pénétrèrent,  dit- il, 
jusqu'à  Marseille  et  ce  fut  sans  doute  alors  que  les  religieuses 
du  monastère  de  Saint-Cyr  ou  de  Saint-Sauveur,  bâti  proche 
de  cette  ville  par  Cassien,  firent  une  action  très  héroïque  pour 
la  défense  de  leur  chasteté  •  ;  et  cet  auteur  raconte  le  fait  tel 
que  nous  le  connaissons  (4). 

Bouche,  dans  Y  Essai  sur  Vhistoire  de  Provence,  parlant  des 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  58. 

(2)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  Il,  pp.  77, 78. 

v3)  Grosson,  op.  cit.,  p.  74,  Almanach  de  H70\  et  page  94,  pour  celui 
de  1773. 
(4)  Longueval,  Histoire  de  V Et/lise  gallicane,  t.  IV,  p.  495. 


i 


—  379  - 

invasions  des  Sarrasins,  écrit,  sous  Ja  rubrique  de  l'année  736: 
a  On  prétend  que  les  religieuses  qui  habitaient  les  campagnes 
voisines  de  Marseille,  pour  échapper  au  malheur  de  perdre 
leur  virginité  et  n'inspirer  que  de  l'horreur  à  ces  féroces 
étrangers,  se  coupèrent  le  nez  et  se  meurtrirent  le  visage  (1).  ». 

La  Gallia  christiana,  qui  a  désigné  les  Normands  comme 
les  auteurs  de  ce  massacre,  place  ce  fait  probablement  en 
Tannée  867  (2). 

La  Statistique  des  Bouches -du-Rhône ,  parlant  de  l'abbaye 
de  Saint-Cyr,  dit  :  «  Les  Sarrasins  la  détruisirent  en  810  (3).» 

Fouque,  dans  les  Fastes  de  Provence,  écrit  :  o  Toujours  bat- 
tus, jamais  découragés,  les  Maures  rentrèrent  en  Provence  en 
736  et  s'emparèrent  de  nouveau  d'Arles  et  de  Marseille:  d'après 
la  chronique  de  Tordre  de  Saint- Benoit,  quarante  religieuses 
se  coupèrent  le  nez  et  se  mutilèrent  le  visage  pour  repousser 
par  la  laideur  ou  intéresser  par  la  pitié  ces  féroces  conquérants 
ou  éviter  le  déshonneur  (4).  » 

Fabre,  Augustin,  dans  Y  Histoire  de  Provence,  iixe  ce  fait 
ù  Tannée  737  et  le  raconte  en  ces  termes,  citant  tour  à  tour 
Gnesnay  et  Mabillon  :  a  Les  Sarrasins  désolèrent  l'abbaye  de 
Saint-Victor,  qui  ne  présenta  plus  que  des  ruines.  En  ces  cala- 
mités effroyables,  les  religieuses  cassianités  du  monastère  de 
Saint-Sauveur  tirent  éclater  leur  héroïsme.  Elles  avaient  pour 
abbesse  la  vertueuse  Eusébie.  Cette  femme,  sublime  de  cou- 
rage et  de  chasteté,  se  coupa  le  nez  et  se  déchira  le  visage  pour 
faire  horreur  aux  barbares  et  pour  sauver  ainsi  sa  pudeur 
alarmée.  Ses  saintes  compagnes,  imitant  son  exemple  avec 
empressement,  se  mutilèrent  la  figure  sans  montrer  la  moin- 
dre émotion  (5).  » 

La u  tard,  dansies  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  dit 
qu'  «  il  n'existe  aucun  titre  qui  puisse  fixer  l'époque  de  ce  ter- 

(1)  Bouche,  avocat,  Essai  sur  l'Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  189. 

(2)  «  Postquam  illud  monasterium  cum  Yictorino  dirutum  est,  non 
quidem  a  Vandalis,  sed  potius  a  Normannis,  Jncerto  anno,  fortasse 
867...  *    Gallia  christiana,  t.  I,  col.  696. 

(3)  Statistique  des  Bouches-du-Rhône,  t.  II,  p.  457. 

(4)  Fouque,  Fastes  de  Provence,  t.  I,  p.  241. 

(5)  Fabre,  Aug.,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  pp.  312,  316 


—  380  — 

rible  événement.  Il  est  probable  qu'il  ne  remonte  qu'au  IX- 
siècle,  lorsque  les  Normands  entrèrent  en  Provence.  Ce  fut  en 
867  que  ce  redoutable  fléau  désola  nos  contrées  (1)  ». 

Guindon  et  Méry,  dans  Y  Histoire  analytique  et  chronolo- 
gique des  actes  et  délibérations  du  Corps  et  du  Conseil  de  la 
municipalité  de  Marseille,  disent  «  que,  chassés  en  735  de 
leur  demeure  par  les  barbares,  les  Cassianites  s'établirent  peu 
de  temps  après  à  Pembouchure  de  l'Huveaune. . .  (2)  •. 

M,  l'abbé  Magloire  Giraud  a  écrit,  dans  la  Notice  historique 
sur  l'église  de  Saint-Cyr  (  Var)y  a  que  la  mort  de  l'abbesse 
Eusébie  arriva  l'an  867  selon  Ruffi,  ou  Tan  838  d'après  Rei- 
naud,  dont  l'opinion  est  plus  fondée,  époque  qui  coïncide 
avec  la  destruction  de  Taurœntum,  occasionnée,  comme  on  le 
sait,  par  les  Sarrasins. . .  (3)  ». 

M.  Bousquet,  dans  la  Monographie  de  la  Major,  raconte  la 
légende  et  en  fixe  l'époque  de  725  à  730.  Il  cite  et  s'approprie 
le  texte  de  H.  Bouche,  dans  son  Histoire  de  Provence  (4). 

Alliez,  dans  Y  Histoire  du  Monastère  de  Lèrins,  après  avoir 
raconté  le  fait  qui  nous  occupe  semble  le  fixera  l'année  732, 
car  il  cite  en  note  Mabillon,  qui  assigne  cette  date  (5). 

Reinaud,  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  France, 
place  le  martyre  de  notre  sainte  Eusébie  en  Tannée  838  (6). 
Rappelant  le  texte  des  annales  de  Saint-Bertin  que  nous  con- 
naissons, il  ajoute:  «  C'est  peut-être  à  cette  occasion  qu'eut 
lieu  le  fait  attribué  à  sainte  Eusébie,  abbesse  d'un  couvent  de 
Marseille. . .  »  II  raconte  le  martyre  tel  que  nous  le  connais- 
sons. 

Darras,  dans  Y  Histoire  générale  de  V  Eglise,  place  cet  évé- 
nement au  printemps  de  l'année  732,  quand  Lérins  fut  sac- 
,  cage.  «  A  Marseille,  ajoute-t-il,  dans  le  couvent  de  Saint- 


Ci)  Lautard,  Lettres  archéologiques,  p.  402. 

(2)  Guindon  et  Méry,  t.  V,  p.  202. 

(3)  M.  L'abbé  Magloire  Giraud,  Notice  historique  sur  l'Eglise  de  Saint- 
Cyr  (Var),  p.  16. 

(4)  Bousquet,  Monographie  de  la  Major,  p.  65.  —  H.  Bouche,  Histoire 
de  Provence,  t.  I",  pp.  699,  700. 

(5)  Alliez,  Monastère  de  Lérins,  t.  I-r,  p.  398. 

(6)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  137. 


—  381  — 

Sauveur,  l'abbesse  sainte  Eusébie  et  quarante  religieuses  de 
ses  compagnes  se  défigurèrent  le  visage  et  se  coupèrent  le 
nez,  afin  de  se  soustraire  aux  outrages  des  Musulmans  (1).  » 

Avant  l'abbé  Darras,  l'abbé  Rocbaker,  traitant  du  même 
fait,  le  raconte  comme  les  autres  auteurs  et  le  p  lace  en 
Tannée  751  (2). 

André,  dans  son  Histoire  de  C  Abbaye  de  Saint-Sauveur, 
apré&  avoir  rappelé  ce  que  la  tradition  raconte  du  martyre  de 
sainte  Eusébie,  ajoute  que  quelques  historiens  ont  placé  ce 
fait  vers  737,  en  s'appuyantsur  le  texte  de  l'inscription  tumu- 
laire.  Mais,  comme  il  ne  croit  pas  que  cette  inscription  ait 
été  rédigée  pour  notre  sainte  Eusébie,  il  n'accepte  pas  cette 
date.  A  la  suite  de  Ruffl  et  de  Lautard,  il  pense  que  ce  serait 
difficile  d'en  indiquer  une  bien  précise.  Celle  de  867,  donnée 
par  Ruffl,  ne  lui  plait  pas.  Il  préférerait  celle  de  823,  ce  qui 
ferait  correspondre  la  ruine  de  Saint- Victor  avec  la  ruine  du 
monastère  de  sainte  Eusébie  et  la  mort  de  celle-ci.  a  Nous 
reportons,  dit-il,  à  cette  époque  le  martyre  d'Eusébie  et  la 
ruine  de  son  monastère.  En  effet,  au  témoignage  de  la  charte 
de  1005,  les  Sarrasins  détruisirent  plusieurs  monastères  ;  de 
plus,  rien  avant  le  commencement  du  X'  siècle  ne  témoigne 
de  la  ruine  de  l'abbaye  cassianite;  au  contraire,  nous  la 
voyons  riche  et  prospère  par  les  divers  dénombrements  de 
ses  biens  dressés  de  788  h  la  fin  duX'  siècle  (3).  » 

M.  Kothen,  après  avoir  cité  Mabillon,  Ruffl,  Belsunce,  et 
parlé  de  Reinaud  qui  choisit  la  date  de  838,  écrit  :  «  Cette 
époque  où  régnait  le  faible  successeur  de  Charlemagne,  nous 
parait  aussi  la  plus  probable  (4).  » 

M.  le  chanoine  Magnan,  dans  quelques  pages  insérées  jadis 
dans  la  Semaine  liturgique  de  Marseille,  expose  que  sainte 
Eusébie  vivait  vers  la  fin  du  VII'  siècle.  Elle  était  abbesse 
d'un  monastère  près  de  l'Huveaune,  à  l'époque  de  l'invasion 

(1)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XVII,  p.  14. 

(2)  Rocbaker,  Histoire  de  l'Eglise,  liv.  LI. 

(3)  André,  Histoire  de  l'Abbaye   des  religieuses  de  Saint- Sauveur, 
p.  12. 

(4)  KOtben,  Notice  sur  les  Cryptes  de  VAbbatJe  de  Saint-Victor-lez- 
Marseille,  p.  55. 

25 


—  382  — 

des  Sarrasins  en  Provence.  Elle  fut  massacrée  avec  ses  com  - 
pagnes  dans  la  chapelle  de  ce  monastère  par  une  horde  de 
ces  barbares.  Cet  auteur  ne  donne  pas  de  date  précise  de  cet 
événement.  Cependant,  comme  il  ajoute  que  «  deux  ans  après 
ce  martyre  toute  la  puissance  des  Sarrasins  vint  expirer  dans 
la  plaine  de  Tours,  sous  les  coups  de  Charles  Martel  »,  et 
cette  bataille  de  Poitiers  ayant  été  livrée  en  732,  ce  serait 
donc  en  730  que,  suivant  cet  auteur,  le  martyre  de  sainte 
Eusébie  aurait  eu  lieu  (i). 

L'abbé  Verlaque,.dans  une  Notice  sur  sainte  Eusébie^  dé- 
signe les  auteurs  du  massacre  de  cette  sainte  abbesse.  Mais 
il  ne  donne  pas  de  date  précise.  «  Ce  serait,  dit-il,  pendant  le 
règne  du  faible  successeur  de  Charlemagne  » ,  dans  une  de  leurs 
excursions,  que,  venant  mettre  le  siège  devant  Marseille, 
ils  mirent  à  mort  la  glorieuse  phalange.  Or,  Louis  le  Débon- 
naire, le  successeur  du  grand  empereur,  ayant  régné  de  814 
à  840,  ce  serait  durant  ce  laps  de  temps  de  vingt-six  ans  que 
ce  fait  ce  serait  passé  (2). 

M.  de  Rey,  dans  son  Histoire  dés  invasions  des  Sarrasins 
en  Provence  (3),  dit  que  ce  sont  les  Sarrasins  qui  ont  détruit 
le  monastère  de  Saint-Cyr  et  massacré  sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes.  «  Resterait  à  fixer,  ajoute-t-il,  la  date  de  ce  ter- 
rible événement  :  on  ne  peut  le  faire  avec  certitude.  Guesnay 
le  place  en  477  et  le  met  à  la  charge  des  Vandales. . .  Quel- 
ques historiens  ont  choisi  fort  arbitrairement  la  date  de  732  ; 
d  autres,  se  basant  sur  ce  qui  est  dit  dans  les  annales  de 
Saint-Bertin  de  l'enlèvement  des  religieuses  de  Marseille»  le 
mettent  à  Tannée  838 ...  Le  fait  de  sainte  Eusébie  et  de  ses 
quarante  desnarrados  n'est  pas  de  cette  époque.  Il  est  pro- 
bable, et  c'est  l'opinion  de  M.  André,  que  les  religieuses 
souffrirent  au  commencement  du  X*  siècle,  dans  une  de  ces 
expéditions  sanglantes  que  les  Sarrasins  dirigèrent  contre 
Marseille  et  que  la  date  de  leur  martyre  est  celle  de  la  des- 
truction de  leur  abbaye,  un  peu  après  924.  En  admettant  cette 


(1)  Semaine  liturgique,    année  1868. 

(2)  Verlaque,  Notice  sur  sainte  Eusébie,  pp.  14,  15. 

(3)  G.  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  145, 


—  383  — 

opinion,  il  faut  placer  le  meurtre  de  sainte  Eusébie  en  933  ou 
en  Tannée  948,  qui  correspondent  à  l'indiction  VI,  donnée  par 
l'inscription  de  son  tombeau.  » 

Le  même  auteur,  dans  sa  biographie  de  sainte  Eusébie, 
insérée  dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  puis  dans 
Les  Sainte  de  l'Eglise  de  Marseille,  a  écrit  :  «  C'est  aux 
Sarrasins  que  la  tradition  impute  le  massacre  des  dames  Cas- 
sianites.  a  Mais,  pour  l'époque  de  ce  massacre,  il  ajoute  : 
«  Nous  ne  croyons  pas  que  ce  soit  dans  les  premières  expédi- 
tions des  Sarrasins  (sous  Charles  Martel)  que  les  Cassianites 
ont  trouvé  la  mort. . .  Ce  ne  fut  pas  non  plus  en  838,  lors  de 
l'enlèvement  des  religieuses  à  Marseille  suivant  ce  que  la 
chronique  de  Saint-Bertin  raconte  (1).  » 

M.  de  Rey  préfère  les  années  qui  suivirent  923.  «  C'est 
alors  que  périt  le  monastère  de  Saint-Victor,  et  alors  aussi, 
croyons-nous,  que  celui  de  Saint-Cyr,  surpris  par  une  attaque 
imprévue,  succomba  si  glorieusement.» 

A  la  fin  de  ce  travail  cependant,  M.  de  Rey,  influencé  par 
l'opinion  de  M.  Edmond  Leblant,  qui  range  l'inscription  tu- 
mulaire  de  sainte  Eusébie  parmi  celles  du  VI*  siècle,  ajoute: 
c  S'il  en  est  ainsi,  il  faut  avouer  que  nous  n'avons  pas  l'ins- 
cription de  sainte  Eusébie  ;  à  moins  qu'abandonnant  l'opinion 
commune  qui  la  dit  martyrisée  par  les  Sarrasins,  nous  ne 
croyions,  avec  le  Père  Guesuay,  qu'elle  a  péri  au  V€  siècle 
dans  une  descente  des  pirates  africains.  Mais  nous  n'entrerons 
pas  dans  cette  voie  ;  nous  n'avons  sur  sainte  Eusébie  que  la 
tradition,  nous  devons  nous  y  attacher  et  ne  pas  suivre  des 
hypothèses  toutes  gratuites  (2).  » 

M.  Grinda,  enfin,  dans  les  extraits  de  sa  Monographie  de 
V Abbaye  de  Saint-Victor,  publiés  dans  Y  Echo  de  Notre- 
Dame  de  la  Garde,  parlant  de  l'inscription  tumulaire  de 
sainte  Eusébie,  prouve  qu'elle  est  du  V-  siècle  :  «  Elle  appar- 
tient à  ce  que  les  archéologues  appellent  le  troisième  âge,  et 
se  place  entre  les  années  487  et  499.  C'est  dans  ces  douze 
années  qu'il  faut  chercher  la  date  de  notre  inscription.  Or,  la 

(1)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  pp.  229,  230. 

(2)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  sain  le  Eusébie,  p.  237. 


—  384  — 

troisième  période  d'indiction  commence  en  492,  la  sixième 
année  de  celte  indiction  est  Tan  497,  qui  est  la  date  cherchée. 
L'abbesse  Eusébie,  pour  laquelle  l'épitaphe  a  été  gravée,  serait 
née,  selon  nous,  en  433;  elle  serait  entrée  dans  le  monastère 
en  447,  à  l'âge  de  quatorze  ans,  et,  après  cinquante  années  de 
vie  religieuse,  elle  serait  morte  la  veille  des  kalendes  d'octobre 
de  Tannée  497(1).  »' 


(1)  M.  Grinda,  Monographie  de  l'abbaye  de  Saint- Victor,  dans  VEcho 
de  N.-D.  de  la  Garde,  n°  344,  année  1888. 


CHAPITRE    III 


Les  Sarrasins 


Première  question  préjudicielle 


COUP  D'ŒIL  RAPIDE  8UR  LEURS  INCURSIONS  EN  AFRIQUE,  EN  ESPAGNE, 
EN  FRANCE.  —  VERS  732,  ILS  SONT  EN  PROVENCE.  —  LUTTE  ENTRE 
LES  SARRASINS  ET  CHARLES  MARTEL  (737-739).  —  LES  SARRASINS 
RÉFUGIÉS  DANS  LES  MONTAGNES  DES  MAURES.  —  PAIX  DURANT  LE 
RÈGNE  DE  CHARLEMAONB.  —  RAVAGES  DBS  SARRASINS  DURANT  LE 
IX'  SIÈCLE.  —  VAINCUS  ET  CHASSÉS  EN  973. 


Dans  un  certain  nombre  de  chapitres  il  va  être  longue- 
ment question  des  Sarrasins.  Donnons  un  aperçu  de  leurs  in- 
vasions en  Espagne,  en  France,  en  Provence,  afin  de  mieux 
saisir  les  détails  qui  se  groupent  autour  de  notre  sujet  :  le 
martyre  de  sainte  Eusébie. 

Tentés  par  le  site  de  l'Espagne  et  la  fertilité  de  ses  plaines  ; 
poussés  en  avant  par  cette  idée  fanatique,  que  le  Prophète  leur 
a  insinuée,  de  soumettre  la  terre  entière  à  la  domination  du 
Coran,  les  Sarrasins  (1),  mettant  à  profit  les  désaccords  et  les 
rivalités  de  Yitizza  et  de  Rodrigue,  le  dernier  roi  des  Visigoths, 
abordent  en  Espagne  vers  711,  renversent  Rodrigue  en  712  et 
commencent  la  conquête  de  ce  royaume  (2).  Au  bout  de  trois 
ou  quatre  ans  c'était  chose  faite . 

(1)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  M.  de  Rey,  p.  8. 

(2)  C'est,  en  effet,  la  rivalité  qui  existait  entre  Vitizza  et  Rodrigue  ou 
Rode  rie  qui  fut  la  cause  de  la  perte  de  l'Espagne.  Chez  les  Goths  d'Espa- 
gne les  rois  étaient  nommés  à  l'élection.  Or,  Vitizza  voulut  désigner  son 
fils  pour  son  successeur.  Le  sénat  de  la  nation  excita  Boderic  à  combattre 
une  telle  prétention.  Il  fut  en  effet  victorieux  de  Vitizza  et  de  son  fils. 
Mais  les  Arabes  d'Afrique  profitèrent  de  ces  luttes  intestines,  débarquèrent 


—  386  — 

Dès  716,  un  des  lieutenants  du  calife  Alahor  pénètre  en 
Septimanie.  Quelques  coureurs  arabes  se  montrent  peut-être 
sur  les  bords  du  Rhône.  Dès  719,  Narbonne  est  prise,  les  hom- 
mes en  sont  massacrés,  les  femmes  et  les  enfants  jetés  en  es- 
clavage (1).  En  720,  ils  viennent  assiéger  Toulouse,  sous  la 
conduite  de  Zama.  Eudes,  duc  d'Aquitaine,  les  attaque  et  les 
bat  en  721.  En  725,  ils  reviennent,  prennent  Carcassonne  et, 
favorisés  par  l'inaction  d'Eudes  et  l'absence  de  Charles  Martel, 
occupé  en  Bavière,  arrivent  jusqu'à  Nîmes,  Sens,  Autun, 
qu'ils  assiègent  et  incendient  (2).  La  Septimanie  était  con- 
quise. 

Sept  ans  plus  tard,  les  Sarrasins  reprennent  leur  marche  en 
avant.  En  732,  conduit  par  Abderamme,  ils  prennent  Bor- 
deaux, battent  l'armée  d'Eudes,  pillent  Poitiers.  Une  autre 
armée  sarrasine  s'avançait  le  long  du  Rhône  et  saccageait  la 
Viennoise.  Arles  fut  investie  (3). 

C'en  était  fait  de  là  France  et  de  notre  Provence,  si  Charles 
Martel  ne  fût  accouru.  Réunissant  ses  troupes  à  celles  d'Eudes, 
il  écrase  les  envahisseurs  à  Poitiers,  en  octobre  732(4);  puis, 
descendant  vers  Arles,  les  bat  encore  (5),  et  les  rejette  en  Sep- 
timanie. Sans  l'ambition  de  Charles  Martel,  les  Sarrasins  ne  se 
relevaient  pas  de  leurs  défaites.  Par  suite,  en  effet ,  de  ses  guerres 


en  Espagne  en  71t.  Roderic,  qui  marcha  contre  eux,  fut  défait  en  712  et 
périt  en  combattant.  On  voit  donc  que  la  légende  de  Rodrigue  violant 
la  fille  du  comte  Julien,  gouverneur  de  Ceuta,  et  forçant  celui-ci, 
pour  se  venger,  à  appeler  les  Sarrasins  dans  sa  patrie,  ne  repose  sur 
aucun  fondement.  (Voir  Revue  des  questions  historiques*  année  1881, 
liv.  de  juillet,  Les  Espagnols  et  les  Visigoths,  et  la  livraison  d'avril 
1882,  Ruine  de  V Espagne  gothique .) 

(1)  Dareste,  Histoire  de  France,  1. 1,  p.  319. 

(2)  H.  Bouche  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  699.  —  De  Mauléon, 
Mérovingiens  et  Carlovingiens,  t.  I,  pp.  236,  237.  —  Dareste,  Histoire 
de  France,  t.  I,  p.  320.  —  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XVII, 
pp.  22,  23. 

(3)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  p.  28,  etc.  — 
Darras.  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XVII,  p.  24.  —  De  Mauléon,  Mérovin- 
giens et  Carlovingiens,  t.  I,  pp.  243,  244,  etc. 

(4)  Darras,  op.  cit.,  t.  XVII,  p.  29,  etc.  —  Dareste,  Histoire  de 
France,  t.  I,  p.  324,  etc. 

(5)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  p.  29. 


—  387  — 

en  Bavière  et  en  Saxe,  Charles  Martel  avait  dû  négliger  le  midi 
de  la  France  qui  s'était  peu  à  peu  détaché  de  la  couronne. 
Or,  au  lieu  de  procéder  avec  douceur  pour  rétablir  son  auto- 
rité, ce  fut  par  la  force  des  armes  qu'il  l'implanta  en  Bourgo- 
gogne(l)en  799,  parla  ruse  et  la  spoliation  qu'il  l'inaugura 
en  Aquitaine,  dont  il  s'empara  en  735,  à  la  mort  d'Eudes,  au 
détriment  des  fils  de  ce  prince  vaillant  (2).  Ce  fut  alors  le  tour 
de  la  Provence.  En  736,  il  y  arriva,  donna  des  gouverneurs  à 
Arles,  Marseille,  etc.,  croyant  asseoir  sa  puissance  de  Lyon  à 
la  mer  (3). 

Or,  M  a  ur  on  te,  duc  de  Marseille,  établi  par  Charles  Martel, 
aspira  à  l'indépendance  et,  s'alliant  aux  Sarrasins  de  Septi- 
manie,  ils  les  appela  à  son  aide  (4).  Ceux-ci  accoururent, 
s'emparèrent  d'Arles  en  737,  marchèrent  sur  Avignon,  le  pri- 
rent, y  commirent  d'affreux  ravages,  livrant  tout  au  flam- 
mes, souillant  les  monastères  et  les  lieux  saints,  ravageant  la 
contrée  avoisinante  :  Cavaillon,  Carpentras,  Apt,  Saint-Paul- 
Trois-Chàteaux  (5) .  Heureusement  que  Charles  Martel  accou- 

(1)  De  Mauléon,  Mérovingiens  et  Carlovingiens,  1. 1,  p.  247.  —  Inva- 
sions des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  p.  32.—  Fabre,  Histoire 
de  Provence,  t.  I,  p.  310.  —  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  325. 
—  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XVII,  p.  42. 

(2)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  p.  32.  —  De 
Mauléon,  Mérovingiens  et  Carlovingiens  %  p.  249.  —  Darras,  Histoire 
lie  V Eglise,  t.  XVII,  p.  45.  —  Dareste,  Histoire  de  France^  t.  I, 
p.  326. 

(3)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  p.  32.  — 
Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XVII,  p.  42;  Il  cite  Prédégaire  :  «  Usque 
Massiliensem  urbem  vel  Àrelatum  suis  judicibus  constituit.  i 

(4)  Quel  que  soit  le  prétexte  que  Mauronte  ait  pu  alléguer  à  cette  épo- 
que pour  attirer  les  Sarrasins  en  Provence,  il  est  certain  qu'il  y  eut  de 
sa  part  une  véritable  et  odieuse  trahison  contre  sa  foi  et  contre  sa  patrie. 
Les  uns  disent  qu'il  fut  soudoyé  par  les  fils  d'Eudes,  dépossédés  de 
l'Aquitaine  par  Charles  Martel  ;  les  autres  qu'il  voulut  affranchir  de  la 
domination  de  Charles  Martel  une  des  possessions  d'Eudes,  car  le  do. 
rnaine  d'Eudes  s'étendait  jusque  dans  le  terroir  d'Arles  (de  Rey,  Inva- 
sions des  Sarrasins  en  Provence,  p.  25);  d'autres,  enfin,  qu'il  voulut 
protester  contre  l'ambition  de  Charles  Martel  qui  s'arrogeait  le  titre  de 
prince  des  Français  (H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  700  ; 
«le  Mauléon,  Mérovingiens  et  Carlovingiens,  etc.,  t.  I,  p.  247). 

(5)  Incasions   des  Sarrasins  en  Provence,  par  de   Rey,  p.  34.  — 


i 


i 


-  388  — 

rut  de  nouveau  ;  en  737  il  mit  le  siège  devant  Avignon,  prit  la 
ville,  en  passa  la  garnison  sarrasine  au  fil  de  l'épée  ;  puis, 
courut  en  Septimanie,  assiéger  Narbonne,  battit  une  armée 
de  secours  dans  la  vallée  de  Corbières  et  remonta  en  Bavière 
où  l'appelait  une  rébellion  (1). 

C'est  ce  qui  sauva  Mauronte.  A  peine  Charles  Martel  s'était 
éloigné  que  les  Sarrasins  revinrent  (838).  Cette  fois  ils  enva- 
hissent Marseille,  reprennent  Arles,  Avignon,  où  ils  s'établissent 
de  nouveau  (2).  Mais,  la  révolte  pacifiée  en  Bavière,  Charles 
retourne  en  Provence,  en  739.  Cette  fois,  afin  de  ne  point 
laisser  échaper  les  envahisseurs,  il  fait  alliance  avec  Luitprand. 
roi  des  Lombards!  qui  ferme  le  passage  des  Alpes  ;  puis  il 
marche  en  avant,  s'empare  d'Avignon,  parcourt  la  Provence, 
vient  à  Marseille,  en  chasse  Mauronte,  écrase  les  Sarrasins  au 
Cannet,  dit  la  tradition.  Poursuivis  par  le  vainqueur  impito- 
yable, ceux-ci  se  réfugièrent  dans  les  collines  entre  Hyères  et 
la  rivière  de  l'Argens,  appelésdepuis  montagnes  des  Maures  (3). 

Cachés  dans  leurs  sombres  repaires,  les  bandits  sortaient 
parfois  pour  piller  et  saccager  les  villes  et  les  villages  voisins. 
Ce  doit  être  à  cette  époque,  739  ou  740,  qu'ils  ravagèrent  l'ab- 
baye de  Lérins,  qu'ils  ruinèrent  la  ville  de  Nice  (4).  Mais,  dès 


H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  700.  —  De  Mauléon,  Aféro- 
vingiens,t.  I,  p.  250.  —  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  326. — 
Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  76.  —  Darras,  Histoire  de 
l'Eglise,  t.  XVII,  p.  47.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  312. 

(1)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  pp.  39,  40.— 
De  Mauléon,  Mérovingiens,  etc.,  p.  250.—  Dareste.  Histoire  de  France, 
t.  I,  p.  327.—  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XVII,  pp.  49,  50.—  Papon, 
Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  79.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I, 
pp.  316, 317.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  49. 

(2)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  43.— Darras,  Histoire 
de  V Eglise,  t,  XVII,  p.  59.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  317. 

—  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  1,  p.  49. 

(3)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  pp.  702,  703.  —  Invasions 
des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  p.  43,  etc.  —  Papon,  Histoire 
de  Provence,  t    II,  p.  79.  —  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  327. 

—  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XVII,  p.  53.  —  Fabre,  Histoire  de 
Provence,  t.  I,  p.  317.  —  De  Mauléon,  Mérovingiens  et  Carlovingiens, 
t.  I,p.  253.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  1. 1,  pp.  49,  50. 

(4;  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  51. 


-  389  — 

752,  Pépin  le  Bref,  iils  de  Charles  Martel,  pour  se  débarrasser 
de  ces  hordes  sauvages,  attaqua  et  prit  Narbonne  (1),  et  les 
chassa  de  la  Septimanie  (758). 

Le  calme  revint  en  ces  contrées.  Occupés  en  Espagne  à  des 
révolutions  de  palais  et  à  leurs  discordes,  les  Sarrasins  ne  firent 
plus  d'invasions.  Mais,  au  bout  de  quarante  ans,  en  798,  ils 
recommencent  leurs  courses  sur  la  mer,  prennent  et  brûlent 
Nice  en  812  et  Givita-Vecchia  en  819  (2).  Nouvelle  période 
de  tranquillité.  Charle magne  gouvernait  la  France,  et,  pour 
en  finir  avec  leurs  pirateries,  il  avait  fait  mettre  le  littoral 
en  état  de  défense.  De  fait,  durant  le  règne  du  grand  empereur, 
ils  ne  purent  rien  tenter  sur  nos  côtes. 

Charlemagne  étant  mort,  les  Sarrasins  reviennent.  En  838, 
ils  enlèvent  les  religieuses  de  Marseille  ;  en  842,  ils  pillent 
Arles;  en  849,  850  ils  dévastent  le  littoral,  saccagent  une  fois 
encore  Arles,  diétruisent  le  tombeau  de  saint  Césaire  ;  en  869, 
ils  remontent  le  Rhône  et  tuent  l'archevêque  d'Arles,  Rotland, 
en  Camargue  (3). 

Jusqu'à  cette  heure  cependant,  ils  n'avaient  pu  se  fixer  en 
Provence.  Or,  voici  qu'en  885  ou  886  vingt  Sarrasins  débar- 
quent à  Saint-Tropez,  gagnent  les  montagnes  des  Maures, 
s'établissent  au  Fraxinet,  appellent  à  eux  des  renforts  d'Espagne, 
puis  s'élancent  pour  faire  cette  fois  la  conquête  en  règle  de  la 
Provence  (4) .  D'abord  tous  les  villages  autour  du  Fraxinet  sont 
détruits.  Les  villes  éprouvent  le  même  sort.  Fréjus  est  incen- 
dié vers  890  ;  Antibes,  Nice,  Vence,  Toulon,  Taurœntum,  etc., 


(1)  De  Rey,  op.  cit.,  pp.  51,  60.  —  Dareste,  Histoire  de  France,  1. 1, 
p.  339.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  319.  —  De  Mauléon, 
op.  cit.,  278,  t.  I.  —Bouche  II.,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  720. 

(2)  De  Rey,  op.  cit.,  p.  80.  —  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II, 
p.  83.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  319. 

(3)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  84.  —  Fabre,  Histoire  de 
Pmvence,  t.  I,  p.  344.  —  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Pro- 
vence, pp.  82,  83,  etc.  —  Lalauzière,  Abrégé  chronologique  à*  Y  Histoire 
d'Arles,  pp.  96,  97.  —  H .  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  735. 

(4)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  772.  —  Papon,  Histoire 
de  Provence,  t.  II,  p.  146.  —  Fabre.  A..  Histoire  de  Provence,  X.  I, 
p.  361.  —  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  523.—  De  Rey,  Invasions 
des  Sarrasins  en  Provence,  p.  95. 


-  390  — 

le  sont  à  leur  tour  (1).  Maîtres  de  cetle  partie  des  côtes  de  la 
Provence,  ils  s'avancent  vers  l'intérieur,  cherchant  à  s'em- 
parer de  la  région  des  Alpes.  Glandevès,  Senez,  Riez,  Ma- 
nosque,  Àpt  en  896,  Sisteron  en  911,  Embrun  en  916  tombent 
entre  leurs  mains.  Des  montagnes,  ils  descendent  dans  la 
plaine,  enserrent  peu  à  peu  Marseille  dans  un  cercle  de 
dévastation.  Ainsi  ils  détruisent  Trets,  Saint-Maximin,  Aîx, 
Saint-Zacharie  et  les  autres  localités  envirdnnantes  (2).  En 
923, 924,  enfin,  ils  sont  à  Marseille,  qu'ils  pillent  et  saccagent 
et  dont  ils 'détruisent  la  cathédrale  (3).Toute  la  Provence  leur 
appartient. 

Heureusement,  le  roi  de  Vienne,  le  duc  Hugues,  les  attaqua 
dans  leur  repaire  du  Fraxinet  et  s'empara  de  ce  château-fort 
en  942,  avec  l'aide  de  la  flotte  grecque.  Mais  il  ne  sut  pas  pro- 
fiter de  la  victoire.  Les  Sarrasins  reprirent  leur  citadelle 
et  recommencèrent  leurs  déprédations  (4). 

L'heure  de  la  défaite  allait  sonner  cependant.  Les  barbares 
ayant  arrêté  dans  les  Alpes,  chargé  de  chaînes  et  mis  à  la  ran- 
çon saint  Mayeul,  abbé  de  Cluny,  Guillaume,  comte  de  Pro- 
vence, pour  les  punir  de  cette  insulte,  réunit  des  troupes, 
parvint  en  979  à  s'emparer  du  Fraxinet,  en  massacra  la  gar- 
nison, fit  démolir  les  remparts  et  jeter  en  esclavage  le  petit 
nombre  de  Sarrasins  échappés  aux  divers  combats  qui  avaient 
précédé  ce  dernier  fait  d'armes  (5).  La  Provence  délivrée 
pouvait  enfin  respirer. 


(t)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence \  p.  101,  etc.  — 
Fabre  A.,  Histoire  de  Provence \  t.  I,  p.  366.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  146. 

(2)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  de  Rey,  p.  107,  etc. 

—  Dareste,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  524. 

(3)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence^  par  de  Rey,  p.  121. 

(4)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  155.  —  H.  Bou- 
che, Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  742.  —  Fabre,  Histoire  de  Pro- 
vence, t.  I,  p.  378.  —  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  524.  — 
Papon,  Histoire  de  Provence*  t.  II,  p.  145. 

(5)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  167,  etc.,  192, 
etc.  —  Dareste,  Histoire  de  France,  1. 1,  p.  524.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II.  p.  171.—  H.  Bouche»  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  803. 

—  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  9. 


CHAPITRE  IV 


Inscription  de  sainte  Eusébie 


Deuxième  question  préjudicielle 


INSCRIPTION  D'BUSÉBJE.  —  LE  TEXTE  LAPIDAIRE  CHEZ  DIVERS  AU- 
TEURS. —  VRAIS  LECTURE  DE  CE  TEXTE.  —  IL  EST  BIEN  L'ÉPITAPHE 
D'UNE  ABBBSSE,  D'UNE  MARTYRE.  —  QUI  A  COMPOSÉ  CETTE  INSCRIP- 
TION ?  —  QUAND  L'A-T-ON  COMPOSÉE  ET  GRAVÉE? 

L'inscription  placée  jadis  sur  le  tombeau  de  la  sainte  pa- 
tronne de  Montredon  se  voit  actuellement  au  musée  du  Châ- 
teau Borély  ;  la  voici  :  «  Ici  repose  en  paix  la  religieuse  Eusé- 
bie, la  grande  servante  du  Seigneur,  qui  vécut  dans  le  siècle 
quatorze  ans  ;  puis,  dès  le  jour  où  elle  fut  ^choisie  par  Dieu, 
passa  cinquante  ans  dans  le  monastère  de  Saint-Cyr.  Elle 

mourut  la  veille  des  calendes  d'octobre,  indiction  sixième. 

» 

J^   HIC   REQVIESCET   IN   PA 

CE*    EVSEBIA  RELIGIOSA    § 

MAGNA  ANC  ELLA  Dl   QVI     ^ 

IN  SECVLO  AB  HENEVNTE 

ETATE  SVA  VIXIT 

SECOLARES  ANNVS  XIIII 

ET  VBI  A  DO  ELECTA  EST 

IN  MONASTERIO  SCS  CVRICI 

SERVIVET    ANNVS  QVINQVA 

GENTA   RECESSET   SVB  DIE 

PRID  KAL3    OCTOBR     fy    IND3   SEST* 

C'est  là  tout  ce  qui  nous  reste  de  sainte  Eusébie,  avec  le 
tombeau  qui  pendant  des  siècles  nous  garda  ses  reliques.  Cette 


—  392  - 

inscription  nous  l'avons  donnée  telle  que  nous  la  fournit  un 
estampage  en  notre  possession  r  exécuté  sur  la  pierre  même  de 
l'inscription  (1). 

A  l'aide  de  ce  fac-similé,  il  va  nous  être  facile  de  montrer 
les  incorrections  dont  fourmillent  les  leçons  que  les  auteurs 
ont  données  de  cette  inscription .  • 

M.  Edmond  Leblant  offre  à  ses  lecteurs  un  texte  correct  dans 
son  ouvrage  Les  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  sauf  une 
feuille  de  lierre  qu'il  omet  après  ancella  di  qui,  et  un  petit  a 
après  kal  et  ind.  Dans  la  planche  où  il  a  fait  graver  cette  épi- 
taphe,  le  texte  est  fautif,  il  écrit  requiescit  pour  requiescet, 
et  omet  la  feuille  de  lierre  après  di  qvi. 

Chez  M.  Penon  le  texte  est  exact,  sauf  un  §  après  octobb, 
un  s  après  kal  et  ind,  qui  manquent  (2). 

MM.  Magloire  Giraud,  André,  Kothen,  Verlaque,  etc.  (3), 
tout  en  ayant  un  texte  correct,  ont  omis  certains  signes,  tels 
que  le  trait  abréviatif  sur  prid,  sur  ses  ;  les  feuilles  ou  cœurs 
regardés  comme  signes  de  ponctuation  en  épigraphie  ;  un  § 
après  octobr,  une  feuille  après  di  qui  Q^ . 

L'auteur  des  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  a  placé  une 
croix  immissa  f ,  au  début  de  l'inscription,  au  lieu  du  mono- 
gramme J>  que  porte  la  pierre  gravée  (4).  Il  a  omis  encore  les 
traits  abréviatifs  sur  di,  do,  prid,  ses,  les  feuilles  et  les  cœurs 
après  religiosa,  qui,  octobr. 

Chez  d'autres,  le  texte  est  souvent  fautif,  maladroitement 

(1)  Nous  devons  cet  estampage  au  regretté  M.  Augier,  conservateur 
adjoint  au  musée  du  Château  Borély.  A  l'excellent  et  bienveillant 
M.  Penon,  directeur  de  ce  môme  musée,  nous  devons  de  pouvoir  offrir 
à  nos  lecteurs  une  reproduction  du  tombeau  de  notre  Sainte»  exécutée 
par  M.  Rampai,  photographe  à  l'Imprimerie  Marseillaise,  rue  Sainte,  39. 

(2)  Leblant  Ed.  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule  antérieures 
au  VHP  siècle,  t.  II,  na  545.  —  Penon,  Catalogue  raisonné  des  objets 
contenus  dans  le  musée  d'archéologie  de  Marseille ,  pp.  31,  32. 

(3)  Magloire  Giraud,  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyi* 
(Var)9  p.  49.  —  André,  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint- 
Sauveur,  p.  6,  planche  II.  —  Kothen,  Notice  sur  les  cryptes  de  l'abbaye 
de  Saint-Victor,  p.  56,  planche  I.—  L'abbé  Verlaque,  Notice  sur  sainte 
Eusébie,  planche  II  et  page  25.  —  Grinda,  Monographie  de  Vattbaye 
de  Saint-Victor-lez-Marseille,  n°344,ann.  1888. 

C4)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille ,  p.  236. 


—  393  — 

complété  (1).  Le  Dictionnaire  d'èpigraphie  omet  le  mono- 
gramme, les  feuilles  de  ponctuation,  les  traits  abréviatifs,  ne 
suit  pas  l'ordre  des  lignes  et  complète  le  texte. 

La  Gallia  christiana  fait  de  même  et  traduit  ses  par  sanc- 
torum,  écrit  passe  pour  page,  kald  pour  kal8  . 

La  Notice  des  monuments  de  Saint-Victor  fourmille  de 
fautes.  Le  monogramme  du  Christ  est  remplacé  par  le  mot  de 
per,  elle  donne  requiesset,  passe,  ancela,  secullo,  ellecta, 

SANCTORUM,  KALL. 

Ruffi  a  moins  d'incorrections.  Mais  il  ne  donne  pas  le  mono- 
gramme en  entier;  on  voit  unJP  au  lieu  de  J^,  requiescit  pour 

REQU1ESCET,  PASSE,   DNI  pour  DI,   SiECULO   pour  SECULO,  DNO   pour 

do,  sanctorum,  kald.  Pas  de  signes  d'abréviation,  ni  dç 
ponctuation,  aucun  ordre  dans  les  ligues. 

Enfin,  nul  auteur,  à  l'exception  de  M.  Leblant,  n'a  fait 
mention  d'un  point  gravé  entre  page  et  eusebia  (2).  On  nous 
reprochera  peut-être  de  nous  arrêter  à  des  vétilles.  Il  n'y  a  pas 
de  vétilles  quand  il  s'agit  d'inscription.  Les  copies  d'inscrip 
tion  remplacent  rarement  le  texte  lui-même  quand  il  est 
fidèlement  reproduit  (3),  à  fortiori  quand  il  est  imparfaite- 
ment donné.  Le  moindre  mot  changé  ou  mal  copié  peut  en- 
traîner à  des  erreurs.  Notre  inscription  de  sainte  Eusébie  en 
est  l'exemple. 

Quelques  auteurs,  entre  autres  Ruffi,  la  Notice,  Mabillon,  la 
Gallia  traduisent .  ses  par  sanctorum.  et  M.  le  chanoine 
Magnan  par  Sancti  Cassiani,  Sancti  Cyrici  (4).  Or,  sait-on 
bien  que  si  c'était  là  la  version  fidèle,  nous  aurions  une  preuve 

(1)  Dictionnaire  cVêpigraphie  chrétienne,  édit.  Migne,  t.  I,  col. 
880.  —  Gallia  christiana,  t.  I,  col.  69t.  —  Notice  des  monuments  con- 
servés dans  V église  de  Saint- Victor,  p.  17.  —  Ruffi,  Histoire  de  Mar- 
seille $  t.  II,  p.  128. 

(2)  Ce  point  semble  indiquer  qu'un  certain  temps  s'est  écoulé  entre  la 
gravure  du  début  et  celle  du  reste  de  l'inscription.  On  sait  que  les  qua- 
dratarii,  les  lapicides  ou  graveurs  d'inscriptions  avaient  des  marbres 
préparés  à  l'avance  pour  .recevoir  les  épitaphes.  (Martigny,  Diction- 
naire des  antiquités  chrétiennes,  p.  219.) 

(3)  Ed.  Leblant,  Manuel  d'épigraphie  chrétienne,  p.  214. 

(4)  Sainte  Eusébie,  notice  publiée  par  la  Semaine  liturgique,  année 
1888,  p.  732etsuiv. 


—  394  — 

très  forte  eu  faveur  du  martyre  de  sainte  Ëusébie  au  VIII* 
siècle,  ou  tout  au  moins  postérieurement  au  VI*  siècle.  En 
597,  en  effet,  le  pape  Grégoire  le  Grand,  écrivant  à  l'abbesse 
Respecta,  parle  du  monastère  que  celle-ci  gouverne  et  qui 
est  :  a  in  honorem  sancti  Cassiani  » .  Si  Eusébie  a  vécu  dans 
le  monastère  «  Sancti  Cassiani,  Sancti  Cyrici  »,  c'est  donc 
postérieurement  à  597  qu'Eusébie  est  morte.  Mais  il  n'en  est 
rien,  la  version  sanctorum  ou  Sancti  Cassiani,  Sancti  Cy- 
rici est  fautive:  ses  signifie  Sanctus  ou  Sancti. 

Gomment  faut-il  lire  cette  inscription  ?  Nous  parlions  tau- 
tôt  des  cœurs,  des  feuilles  qui  étaient  gravés,  sculptés  çà  et  là 
sur  le  marbre  d'Eusébie.  Ces  figures  ne  sont  pas  de  simples 
ornements,  mais,  selon  quelques  auteurs,  des  signes  de  ponc- 
tuation. Martigny,  dans  son  Dictionnaire  des  antiquités  chré- 
tiennes (1),  et  M.  Edmond  Leblant,  dans  les  Inscriptions  chré- 
tiennes de  la  Gaule  antérieures  au  VHP  siècle,  le  disent  en 
propres  termes  (2).  Or,  nous  trouvons  ces  cœurs,  ces  feuilles  de 
lierre  placés  à  la  fin  de  la  deuxième  et  de  la  troisième  ligne. 
On  pourrait  dire  que  ce  sont  de  simples  ornements  imaginés 
par  le  sculpteur. 

Mais  on  peut  croire  aussi  que  ce  sont  des  signes  de  ponc- 
tuation. Dans  ce  cas,  le  premier  signe  placé  après  religiosa 
et  séparant  ce  mot  de  magna  ancella  domiîu  jouerait  le  rôle 
d'une  virgule,  distinguant  chacun  des  membres  d'une  énu- 
mération.  Le  second  signe  placé  après  qui,  pour  qilb,  n'est  pas 
à  sa  place.  C'est  la  suite  d'une  distraction  du  sculpteur  ou 


(1)  c  Le  premier  signe  de  ponctuation,  le  plus  répandu  de  tous  dans 
Tépigraphie  soit  antique,  soit  chrétienne,  est  une  sorte  de  -cœur  ou  de 
feuille  <ÎÇ  ,  qu'on  plaçait  après  chaque  mot,  chaque  lettre,  ou  à  la  fia  de 
chaque  ligne.»  (Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes,  p.  308.) 

(2)  M.  Leblant,  citant  l'inscription  d'Expectatus,  n°  631,  ornée  de  ces 
cœurs,  dit  :  «  que  les  feuilles  qui  servent  ici  de  marque  de  ponctuation 
deviennent  des  cœurs  percés  de  flèches  ».  Puis,  en  note,  il  ajoute  :  «  Il 
s'agit  ici  de  simples  feuilles  de  lierre,  comme  nous  l'apprend  un  marbre 
de  Cirta  (Algérie).  »  Et  il  donne  le  texte  de  ce  marbre.  (Leblant,  Ins- 
criptions chrétiennes,  t.  II,  p.  501.)  —  Voir  dans  Leblant  des  inscrip- 
tions ornées  de  cœurs  à  chaque  ligne,  après  chaque  mot,  n°*  516,  543, 
511.  —  Voir  dans  de  Rossi,  t.  If  Inscriptiones  christianœ  urbis  Ro- 
mœy  des  épitaphes  ornées  de  cœurs  et  de  feuilles  :  nM  661, 112,  442, 699. 


—  395  — 

l'effet  de  son  ignorance.  IL  aurait  fallu  poser  ce  signe  après 
domini,  c'est  évident. 

D'où  il  suit  que  la  vraie  lecture  de  ce  texte  lapidaire  serait  : 
«  Eusebia  religiosa,  magna  ancella  Domini,  qui,  etc.  »  et  non 
pas  «  Eusebia  religiosa  magna,  ancella  Domini.  »  C'est  un 
petit  détail  qui  a  son  importance  I 

Cependant,  comme  il  n'est  pas  absolument  sur  que  ces 
feuilles  ou  ces  cœurs  soient  gravés  ici  comme  signes  de 
ponctuation,  puisque  le  lapidaire  n'en  a  pas  mis  partout  où 
il  aurait  dû  en  mettre,  nous  ne  chicanerons  pas  ceux  qui 
voudraient  lire  :  a  Eusebia  religiosa  magna,  ancella  Domini  ». 

Pour  qui  a  été  composée  cette  inscription  ?  Pour  une 
abbesse,  pour  une  martyre.  Certains  auteurs,  entre  autres 
MM.  Magloire  Giraud  et  André,  affirment  le  contraire. 

M.  Magloire  Giraud,  dans  sa  Notice  historique  sur  Saint- 
Cyr(Var)([),  après  avoir  rappelé  la  tradition  de  Marseille 
au  sujet  de  notre  sainte  Eusébie,  suppose  qu'il  y  a  eu  à  Saint- 
Cyr  (Var)  un  monastère  de  religieuses,  dont  Eusébie  faisait 
partie.  C'est  de  cette  religieuse  que  serait  l'inscription.  «  L'ab- 
sence, dit-il,  de  tout  attribut  symbolique  du  martyre  sur 
cette  môme  inscription,  l'omission  des  mots  «  abbatissa  »  ou 
«  praefuit  »,  ou  de  tout  autre,  pour  constater  que  celte  sainte 
était  à  la  tête  d'une  communauté  religieuse,  la  simple  quali- 
fication de  «  religieuse  »  sembleraient  prouver  que  celle  dont 
les  dépouilles  précieuses  furent  enfermées  dans  ce  tombeau  ne 
fut  ni  martyre  ni  abbesse,  mais  seulement  une  personnne 
consacrée  à  Dieu,  d'une  haute  piété  et  d'un  mérite  éminent  : 
c  magna  ancella  Domini  » .  Si  elle  eût  souffert  le  martyre,  et 
surtout  le  glorieux  martyre  qui  a  illustré  celle  dont  nous 
célébrons  la  fête  le  1 1  octobre,  l'inscription  porterait  quelques 
signes  symboliques  pour  l'attester,  ne  fût-ce  que  la  palme  ; 
de  même,  si  elle  avait  eu  sous  sa  direction  plusieurs  reli- 
gieuses, il  en  serait  fait  mention Le  mot  a  recessit  »,  au 

lieu  du  mot  «  occubuit  »,  porte  à  croire  qu'une  mort  ordinaire 
mit  fin  à  ses  jours,  et  la  désignation  du  lieu  où  elle  s'endor- 

(1)  M.  Magloire  Giraud,  op.  ci*.,  pp.  17,  50. 


—  396  — 

mit  dans  le  Seigneur  est  un  indice  certain  que  son  corps  fut 
transporté  d'un  monastère  dans  un  autre.  » 

M.  André  a  écrit:  a  qu'il  ne  parait  pas  vraisemblable  que 
cette  inscription  ait  été  gravée  en  mémoire  d'une  abbesse  et 
d'une  martyre.  La  religieuse  dont  il  est  ici  question  n'est 
qualifiée  que  de  grande  servante  du  Seigneur  :  «  magna  ancella 
Domini  »;  le  titre  d'abbesse  et  celui  de  martyre  ne  lui  sont 
point  donnés.  Bien  plus,  l'inscription  fait  soupçonner  que 
cette  religieuse  vécut  et  termina  tranquillement  sa  vie  dans  le 
cloître,  ce  qui  ne  peut  s'attribuer  à  sainte  Eusébie,  vierge  et 
martyre. . .  (1).  » 

Nous  osons  soutenir,  contre  MM.  Magloire  Giraud  et  André» 
que  c'est  bien  £Our  une  abbesse  d'abord  que  cette  incription 
a  été  rédigée. 

Que  signifient  les  termes  «  religiosa  magna  »  ou  a  magna 
ancella  Domini  »  ?  Grégoire  de  Tours,  voulant  parler  d'un 
évéque  de  Lan  grès,  l'appelle  «  magnus  Dei  sacerdos  (2).  » 
Dans  la  liturgie  on  salue  un  évoque  par  l'antienne  Ecce  sacerdos 
magnus  (3)  ou  bien  on  lui  applique  les  paroles  de  l'Ecclésiasti- 
que :  «  Sacerdos  magnus  qui  in  vitâsuffulsit  domum,  etc.  (4).  » 
Or,  est-ce  que  le  «  religiosa  magna  »  ou  «  magna  ancella  Do- 
mini »  ne  nous  fournit  pas  l'équivalent  de  «  magnus  sacer- 
dos »  et  ne  traduirait-on  pas  actuellement  par  abbesse  les 
mots  :  grande  religieuse,  grande  servante  du  Seigneur,  comme 
on  traduit  par  le  mot  évoque  l'expression  de  Grégoire  de  Tours 
ou  celle  de  la  liturgie(o).  Hâtons-nous  de  dire  que  cette  opinion 
est  partagée  par  la  plupart  des  auteurs  :  la  Gallia  christiania, 
de  Ghantelou,  les  deux  Rufïi,  Mabillon,  Kothen,  M.  le  chanoine 


(1)  André,  Histoire  des  Religieuses  de  Saint-Sauveur  >  p.  10. 

(2)  Grégoire  de  Tours,  Histoire  de  France,  1.  3,  c.  19. 

(3)  1"  antienne  des  laudes  de  l'office  des  Confesseurs  Pontifes. 

(4)  Missale  romanum,  fête  de  saint  Liguori,  2  août,  communion.  — 
Cf.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  n°  509,  l'épitaphe  de  Concordius  et, 
n°  595,  celle  de  Faustin,  tous  deux  évèques  et  appelés  «  sacerdos  ». 

(5)  M.  Leblant  donne  une  inscription  de  Vienne,  n°  699,  où  il  s'agit 
d'une  Meria  ou  Maria,  appelée  c  religiosa....  ma  »,  qu'il  traduit  par 
«  maxima  i>. 


—  897  — 

Magna»,  l'abbé  Verlaque,  Edmond  Leblant,  de  Rey,  Grinda, 
etc.  (1). 

Nous  ajoutons  qu'il  s'agit,  dans  notre  inscription,  d'une 
martyre. 

M.  de  Rey  a  semblé  vouloir  excuser  l'absence  de  la  mention 
du  martyre,  quand  il  a  écrit  :  a  Au  moment  où  les  Sarrasins 
faisaient  tant  de  victimes,  où  chaque  jour  ils  immolaient  sans 
pitié  hommes,  femmes,  enfants,  moines  et  prêtres,  on  consi- 
déra la  mort  des  dames  Gassiauites  comme  un  des  événements 
douloureux  de  la  guerre,  mais  non  pas  comme  un  martyre,  et 
on  crut  faire  assez  en  appelant  Eusébie  une  servante  du  Sei- 
gneur: «  magna  ancella  Domini  (2)  ».  Cette  observation  est 
parfaitement  juste,  à  notre  avis.  Il  faut  aller  bien  avant  dans 
les  siècles  pour  trouver  un  document  qui  appelle  martyres  les 
vierges  de  THuveaune.  Sans  doute  on  décerna  un  certain  culte 
à  leur  mémoire,  et  dès  les  temps  les  plus  reculés  leurs  reli- 
ques furent  placées  près  de  l'autel  des  cryptes.  Mais  on  ne 
les  regardait  pas  précisément  comme  martyres,  puisque  on 
disait  à  Ysarne,  en  lui  montrant  cette  sépulture  :  «  Ibi  seor- 
sum  turba  sacrarum  virginum  quiescit  (  Là  repose  la  troupe 
des  vierges  sacrées).  » 

A  notre  avis  cependant  on  trouve  dans  l'inscription  une 
certaine  mention  du  martyre. 

D'abord,  au-dessous  de  l'inscription  on  voit  deux  colombes 
affrontées  buvant  à  un  vase.  M.  Leblant  dit  que  ce  sont  deux 
paons,  parce  qu'ils  ont  la  queue  un  peu  élargie  (3).  C'est  possi- 
ble. Mais  on  peut  y  voir  aussi  des  colombes.  La  hâte  avec 
laquelle  ce  dessin  et  cette  inscription  furent  faits  explique  le 
peu  de  fini  que  l'on  y  découvre.  On  voulait  indiquer  par  ces 
emblèmes  la  .fragilité  de  la  vie,  la  délivrance  de  l'âme,  l'in- 
nocence qui  règne  dans  les  cœurs  purs  (4).  Mais  quelquefois 

(]  )  Tons  ces  auteurs,  en  effet,  nous  le  verrons  bientôt,  accordent  la 
dignité  d'abbesse  à  l'Eusébie  dont  parle  l'inscription. 

(2)  G.  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,   p.   144.  —  Les 
Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  234. 

(3)  Bd.  Leblant,   Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  antérieures 
au  VIII*  siècle,  t.  II,  p.  301. 

(4)  G.  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.   143.  -^ 

26 


-  398  — 

aussi  les  colombes  sont  l'emblème  du  martyre,  comme  on  le 
montre  pour  sainte  Agnès  (1).  Il  s'agit  donc  ici  bien  probable- 
ment d'une  martyre. 

Il  y  a  plus.  Ces  mots  «  religiosa  »  et  «  ancella  »  font  double 
emploi.  Tous  deux  signifient  ordinairement  la  môme  chose. 
Or,  précisément  parce  que  le  rédacteur  de  l'épi taphe  les  a 
écrits  tous  deux,  nous  devinons  que,  dans  sa  pensée,  il  veut 
dire  autre  chose  que  religieuse,  abbesse.  Pour  désigner  ce 
titre,  «  religiosa  magna  »  ou  «  magna  ancella  Domini  » 
auraient  suffi,  à  la  rigueur.  Mais  il  y  a  les  trois  mots,  il  y  a 
redondance.  Forcément  ces  mots  ont  une  signification  cachée  • 

Sera-ce  parce  qu'elle  a  quitté  le  monde  à  quatorze  ans  et 
qu'elle  en  a  vécu  cinquante  dans  le  cloître,  qu'Ëusébie  est 
appelée  la  grande  servante  du  Seigneur  ?  Un  si  grand  nombre 
d'années  passées  au  service  de  Dieu  est  quelque  chose  de  bien 
beau,  mais  que  d'âmes  généreuses  de  son  temps  l'avaient  imi- 
tée en  ce  point  1  Tillisiola,  une  autre  abbesse,  a  gouverné  le 
même  monastère,  en  qualité  d'abbesse,  durant  quarante 
ans  (2).  A-t-on  voulu  dire  simplement  qu'Ëusébie  fut  abbesse? 
On  aurait  pris  un  autre  tour  de  phrase.  Ainsi,  dans  l'inscrip- 
tion de  Tillisiola,  on  se  sert  du  mot  «  praefuit  »  pour  indiquer 
cette  dignité.  Ici  on  emploie  des  termes  à  la  fois  plus  simples 
et  plus  compliqués.  Donc  il  ftfut  donner  à  ce  mot  un  sens 
particulier.  Pour  nous  le  rédacteur  de  cette  inscription  a  voulu 
dire  en  termes  couverts  qu'Ëusébie  était  morte  d'une  manière 
plus  qu'ordinaire.  A-t-il  eu  l'idée  de  la  regarder  comme 
martyre,  quoiqu'il  ne  lui  donne  pas  cette  appellation?  Nous 
ne  savons.  Mais  l'héroïsme  de  notre  sainte  abbesse  est  parfaite- 
ment mentionné  I 

Martigny.  Dictionnaire  des  Antiquités  chrétiennes»  au  mot  Colombe  t 
p.  163. 

(1)  Martigny,  op.  cit.,  v.  Colombe,  p.  163.  D'ailleurs,,  les  paons  sur  les 
Incriptlons  funéraires  symbolisent  l'incorruptibilité  de  l'Âme,  la  résur- 
rection à  une  vie  meilleure,  après  cette  vie  de  souffrances  et  de  péchés  — 
Martigny,  Dictionnaire  des  Antiquités  chrétiennest  p.  500.  —  Inscrip- 
tions chrétiennes*  t.  1.  p.  136.  —  Caumont,  Abécédaire  d'Archéologie, 
p.  47. 

(2)  Virgo  virgtnibus  sacris  quadraginta  prœfuit  annis.  Voir  cette 
inscription  plus  loin  dans  cet  ouvrage. 


—  399  - 

Qui  a  composé  cette  inscription  ?  M.  l'abbé  Verlaque  pense 
que  c'est  peut-être  l'évêque  de  Marseille  ou  l'abbé  de  Saint- 
Victor(l).  M.  Magloire  Giraud  a  écrit  qu'un  «  lapicide  de 
campagne  peu  familier  avec  l'orthographe  latine  aura  gravé 
à  la  hâte  l'épitaphe  en  termes  barbares  (2).  Graver  une  épita- 
phe  n'est  pas  la  composer,  c'est  vrai.  Mais  d'après  son  contexte, 
M.  Magloire  semblerait  croire  que  c'est  bien  ce  lapicide  qui 
l'aurait  composée. 

Ce  qui  n'a  rien  d'étonnant,  d'ailleurs.  Il  y  avait  des  gens 
dont  la  profession  était  de  rédiger  et  de  graver  tout  à  la  fois 
les  inscriptions  (3)  et,  comme  ce  n'étaient  pas  des  grammai- 
riens consommés,  leurs  élucubrations  épigraphiques  n'étaient 
pas  des  chefs-d'œuvre.  Mais  il  arrivait  aussi  que  l'auteur 
d'une  épitaphe  la  confiait  à  un  sculpteur  pour  la  graver  sur  la 
pierre  (4).  On  peut  donc  supposer  qu'il  y  a  eu  pour  notre 
document  un  rédacteur  et  un  sculpteur.  Le  sculpteur  a  pu 
être  un  lapicide  de  campagne. 

Mais  le  rédacteur  ?  Nous  croyons  que  ça  été  un  moine  de 
Saint- Victor,  un  prêtre  fort  au  courant  des  faits  et  gestes  de  la 
sainte  abbesse  martyre.  Avec  M.  Grinda,  en  effet,  nous  remar- 
quons que  cette  inscription  a  donne  des  détails  sur  l'âge  d'Eu- 
sébie,  à  son  entrée  dans  le  cloître,  le  temps  qu'elle  y  vécut,  le 
jour,  le  mois,  l'année  de  sa  mort.  Elle  fait  mention  de  sa  qua- 
lité d'abbesse  «  religiosa  magna  »  ou  «  magna  ancella  Domini  »; 


(1)  Notice  sur  sainte  Eùsébie,  par  M.  l'abbé  Verlaque,  p.  26. 

(2)  Magloire  Giraud,  Notice  sur  Saint-Cyr,  p.  16. 

(3)  Il  existait  ce  que  l'on  appelait  des  quadratarii,  lapicides  ou  gra- 
veurs de  profession,  qui  tenaient  en  réserve  des  marbrés  préparés  à 
recevoir  une  inscription.  Déjà  même  la  majeure  partie  de  cette  épitaphe 
était  gravée,  il  n'y  avait  plus  qu'à  y  ajouter  le  non)  du  défunt,  Tannée, 
le  jour  delà  mort.  Ces  ouvriers  se  servaient  de  formulaires.  Mais  ils 
n'étaient  bien  souvent  ni  forts  graveurs,  ni  forts  savants.  C'est  ce  qui 
explique  les  fautes  de  syntaxe  et  d'orthographe  que  l'on  trouve  sur  les 
marbres.  (Leblant,  Inscriptions  ctirétiennes,  t.  I,  p.  491  ;  t.  II,  pp. 
18, 187.   —  Martigny,  Dictionnaire  d'Antiquités  chrétiennes ,  pp.  219, 

319,314,311.) 

(4)  Fortunatus,  ayant  composé  une  épitaphe,  écrivait  :  «  Veillez  à  ce 
que  le  lapicide  grave  sans  faute  sur  le  marbre  cette  inscription.  9 
Leblant,  Inscriptions  chrétiennes^  t.  II,  p.  188. 


—  400  — 

de  sa  piété  ;  rien  n'y  manque  (1).  »  Or,  ces  détails  tons  ne 
les  connaissaient  pas.  Il  n'y  a  guère  qu'un  moine,  qu'un 
prêtre,  attaché  peut-être  à  l'abbaye  cassianite,  qui  ail  pu  les 
savoir. 

Nous  ajoutons  que  les  termes  dont  on  se  sert  dans  la  rédac- 
tion de  cette  inscription  nous  dénotent  un  esprit  familiarisé 
avec  les  choses  ecclésiastiques.  Appeler  une  abbesse  a  reli- 
giosa  magna  »  ou  «  magna  ancella  Domini  »,  c'est  se  montrer 
au  courant  de  la  liturgie  qui,  nous  l'avons  dit  tantôt,  salue  les 
évêquesdel'2?cce  sacerdos  magnus  ;  au  courant  des  lettres 
humaines  :  Çrégoire  de  Tours  appelle  un  évéque  de  Lan  grès 
«  magnus  sacerdos  »  ;  au  courant  un  peu  de  l'épigraphie  : 
dans  les  épitaphes  on  appelle  aussi  les  évéques  «  sacerdos  o 
et  les  abbesses  «  religiosa  maxima  ».  Mentionner  la  vocation 
d'Eusébie  à  la  vie  religieuse  par  les  termes  «  ubi  a  Domino 
electa  est  »,  c'est  encore  parler  un  langage  ecclésiastique. 
Aux  yeux  de  l'Eglise,  la  vocation  c'est  l'appel,  lechoix  de  Dieu  ; 
c'est  rappeler  le  «  virgo  electus  à  Domino  »,  titre  donné  par 
l'Eglise  au  disciple  bien-aimé,  saint  Jean  l'Evangéliste  (2). 
Distinguer  par  les  mots  «  annos  secolares  »  le  temps  passé 
dans  le  monde,  de  celui  qu'Eusébie  passa  dans  le  monastère, 
c'est  montrer  encore  l'estime  que  Ton  a  de  la  vie  religieuse, 
et  ce  certain  mépris  ou  dédain  que  toute  âme  appelée  par  Dieu 
à  le  servir  uniquement,  professe  à  l'endroit  des  choses  de  la 
terre.  Or,  cet  esprit  familiarisé  avec  le  langage,  les  coutumes, 
les  idées  de  l'Eglise,  ne  peut  être  qu'un  moine,  qu'un 
prêtre. 

Quand  est-ce  que  Ton  a  composé  et  gravé  cette  épitaphe? 
Nous  avons  entendu  M.  Magloire  Giraud  dire  que  le  lapicide 
l'avait  gravée  à.  la  hâte.  M.  l'abbé  Verlaque,  au  contrairej 
croit  que  cette  inscription  a  été  gravée  bien  des  années  après 
le  martyre  de  cette  vierge  et  pour  en  perpétuer  le  souvenir  (3)* 
Il  y  a  exagération  des  deux  côtés.  «  Il  suffit  de  lire  ce  texte, 


(1)  Monof/raphie  sur  l'abbaye  de  Saint- Victor  lez  Marseille,  dans 
YEclio  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  aunée  1888,  n#  344,  p.  590. 

(2)  Office  de  ce  saint,  27  décembre,  1er  répons  du  1er  nocturne. 

(3)  M.  l'abbé  Verlaque,  op.  cit.t  p.  27. 


—  401  — 

écrit  M.  Grinda,  pour  voir  qu'il  n'a  pas  été  fait  dans  le  style 
laconique  et  bref  des  épitaphes  gravées  à  la  hâte...  Il  est 
évident  que  les  détails  qu'il  fournit  ne  laissent  pas  deviner  la 
précipitation  (1).  » 

C'est  vrai.  La  catastrophe  du  massacre  des  vierges  de  l'Hu- 
veaune,  de  l'incendie,  du  pillage  du  monastère  étant  connue, 
et  elle  le  fut  bien  vite,  les  mauvaises  nouvelles  se  propageant 
plus  rapidement  que  les  bonnes,  on  s'occupa  de  transporter  dans 
le  plus  grand  secret  les  corps  des  saintes  héroïnes.  Or,  elles 
étaient  au  nombre  de  quarante,  sans  compter  Tabbesse;  il  y  a 
assez  loin  de  l'Huveaune  à  Saint-Victor  ;  il  fallait  éviter  de 
donner,  l'éveil  aux  barbares  qui  couraient  la  campagne.  On  dut 
employer  et  plusieurs  voyages  et  plusieurs  nuits  à  celte  opé- 
ration de  transfert.  On  eut  donc  plusieurs  jours  pour  compo- 
ser et  graver  cette  épitaphe.  L'ensevelissement  terminé,  l'ins- 
cription était  achevée  aussi,  et  on  put  la  placer  à  l'endroit 
précis  où  le  corps  d'Ëusébie,  facile  à  reconnaître  en  réalité 
par  les  insignes  de  sa  dignité,  avait  été  déposé. 


(1)  M.  Grinda,  Monographie  sur  Vabbaye  de  Saint-Wictor  Uz  Mar- 
seille,'dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  n*  344,  p.  590. 


CHAPITRE  V 
Inscription  de  sainte  Eusébie 

(Suite) 


cette  inscription  a  été  gravée  pour  sainte  eusébie  de  mar- 
seille. —  témoignages  des  auteurs  anciens  et  modernes. — 
ou  sb  trouvait  placée  cette  inscription  1  —  du  xiv»  siècle  a 
l'époque  de  la  révolution,  sur  le  tombeau  d'eusébie.  — avant 
le  xiv*  siècle  et  depuis  la  mort  d'bu8ébjet  sur  son  corps, 
sous  le  sol. 


Pour  quelle  Eusébie  maintenant  a  été  rédigée  cette  inscrip- 
tion ?  Est-ce  en  réalité  pour  celle  que  nous  honorons  à  Mar- 
seille et  dont  nous  écrivons,  ou  pour  une  autre  Eusébie  à 
nous  inconnue? 

C'est  bien  de  notre  sainte  Eusébie  qu'il  s'agit  dans  cette 
inscription.  Voici  le  témoignage  des  auteurs. 

Louis  Ruffi,  donnant  le  fac-similé  du  tombeau  de  notre 
sainte  ainsi  que  l'inscription,  écrit  :  «  Le  tombeau  d'Eusébie, 
abbesse  du  monastère  de  Saint-Quirice,  fondé  par  saint  Cas- 
sien.  Cette  abbesse  se  coupa  le  nez  pour  conserver  sa  virginité 
et  s'empêcher  d'être  violée  par  les  infidèles  qui  ravagèrent  ce 
monastère.  Voici  son  épitaphe  dont  la  construction  mons- 
trueuse témoigne  bien  ce  que' nous  avons  dit  ci-dessus  et  fait 
voir  l'ignorance  du  siècle  ou  du  sculpteur  (1).  » 

Mabillon  est  du  même  sentiment  dans  les  Annales  ordinis 
Sancti  Benedicti.  Après  avoir  raconté  le  genre  de  martyre  de 
notre  sainte,  il  ajoute  :  «  Il  y  a  dans  le  monastère  de  Saint- 
Ci)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  128.  —  M.  de  Ruffi  (le  père) 
avait  dit  de  même,  dans  son  Histoire  de  Marseille,  p.  386  :  «  De  pins 
l'inscription  de  J 'abbesse  Eusébie  qui  est  dans  l'église. inférieure...»;  p. 
406  :  «  Tombeau  de  sainte  Eusébie  qui,  pour  s'empêcher  d'être. violée  par 
les  infidèles...  Voici  son  épitaphe. ..  » 


—  403  — 

Victor  le  tombeau  d'Eusébie,  sur  lequel  on  a  placé  l'image  de 
cette  héroïne  :  le  visage  et  le  nez  de  cette  statue  sont  mutilés  ; 
il  y  a  aussi  cette  épitaphe,  précédée  du  monogramme  du 
Christ  et  rédigée  en  un  style  bien  négligé.  »  fit  Mabillon  donne 
de  l'inscription  la  leçon  que  nous  avons  citée  plus  haut.  Dans 
les  Acta  sanctorum  ordinis  Sandi  Benedicti%  le  même  au- 
teur écrit  :  a  II  nous  plaît  de  parler  ici  de  deux  épitapbes  qui 
se  trouvent  à  Marseille,  dans  le  monastère  de  Saint-Victor» 
Tune  de  sainte  Eusébie,  abbesse  d'un  monastère  de  Saint- 
Cyr  fondé  par  Cassien.  De  peur  d'être  l'objet  de  la  brutalité 
des  Sarrasins,  elle  se  coupa  le  nez  avec  quarante  compa- 
gnes (i).  » 

Dom  Ghantelou  écrit  aussi  dans  ses  ouvrages  :  «  On  voit 
le  tombeau  d'Eusébie,  abbesse  du  monastère  de  Saint-Cyr, 
fondé  par  Cassien,  laquelle  se  mutila  le  visage ...  C'est  une 
tradition  que  confirme  l'image  de  cette  vierge  héroïque 
représentée  sur  ce  tombeau  la  face  mutilée  et  le  visage 
coupé  (2).» 

Dans  la  Notice  des  Monuments  conservés  à  Saint-  Victor  : 
*  On  lit  sur  une  pierre  sépulcrale,  incrustée  au-dessus  du  tom- 
beau, l'épi  ta  phe  suivante...  »  L'auteur  de  cette  brochure 
vient  de  parler  des  reliques  d'Eusébie,  abbesse  de  Saint  Cyr, 
et  il  cite  à  la  suite  l'inscription  (3). 

La  Gallia  Christianay  donnant  la  liste  des  abbesses  de 
Saint-Sauveur,  nomme  Respecta  et  à  la  suite  Eusébie.  Elle 
dit  que  cette  Eusébie  gouverna  ce  monastère  et  qu'elle  se  mu- 
tila le  visage,  atin  d'échapper  à  la  lubricité  des  barbares. 
Puis  elle  donne  l' c  epitaphium  Eusebiae  (4)  ». 

(1)  Mabillon,  Annales  ordinis  Sancti  Benedicti  :  t  Exstat  in  8ancti 
Victoria  monasterio,  Eusebiae  tumulus  eut  imposita  hujus  heroïnœ  effi- 
gies, dimidia  facie  et  naso  mutila,  cum  hoc  epitaphio. ..»;  Acta  SS, 
ordinis  Sancti  Benedicti  :  «  Lubet  hoc  loco  subjicere  epitaphia  duo, 
quae  Massiliœ  exstant  in  Sancti  Victoris  monasterio,  unura  Busebiœ 
abbatissœ..  » 

(2)  Chan  tel  ou,  ci  té  par  Edm.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  II. 
n*545,  p.  301  :  t  heroinae  effigies .. .  supra  tumulum  posita  cum  épigra- 
phe. » 

(3)  Notice  sur  les  Monuments ,  etc.,  p.  17. 

(4)  «  Huic  cœnobio  prsefuit  per  aliquot  annos  sancta  Eusebia,  quae  cum 


—  404  — 

Ajoutons  à  ces  auteurs  Mfr  de  Belsunce.  Dans  son  ouvrage  : 
Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  il  ne  cite  pas  l'inscrip- 
tion d'Eusébie,  quoiqu'il  parle  de  son  tombeau .  Mais  un  dé- 
tail qu'il  donne  sur  notre  sainte  prouve  qu'il  connaissait  ce 
monument  lapidaire  et  qu'il  le  regardait  comme  l'épi  ta  phe 
de  notre  Eusébie  :  «  Le  monastère  de  sainte  Eusébie,  dit-il, 
qui  portait  alors  le  nom  de  Saint-Cyricius  ou  Cêris. . .  (1).  » 
C'est  bien  la  traduction  de  :  a  in  monasterio  Sancti  Cirici  »  de 
l'inscription. 

Nous  pouvons  déjà  le  dire,  pour  les  auteurs  du  dernier 
siècle  l'inscription  qui  nous  occupe  est  bien  celle  de  notre 
sainte  Eusébie. 

Les  modernes  expriment  la  même  opinion. 

L'abbé  Faillon  écrit:  a  Dans  l'inscription  de  sainte  Eusébie 
qui  souffrit  le  martyre  par  la  main  des  barbares,  on  lit  ces 
paroles:...  »et  l'abbé  Faillon  donne  une  partie  de  l'épi* 
taphe(2). 

Les  Mémoires  de  la  Société  archéologique  du  Midi,  à  la 
suite  du  texte  de  l'inscription,  ajoutent  :  «  Cette  épitaphe 
d'Eusébie  avait  été  fixée  sur  un  sarcophage,  mais  gravée  sur 
une  pierre  séparée. . .  Eusébie  élait  abbesse  du  monastère  des 
religieuses  sous  le  titre  de  Saint-Quirice,  fondé  par  Cassien. 
La  légende  rapporte  qu'elle  se  coupa  le  nez  pour  conserver  sa 
virginité  et  s'empêcher  d'être  violée  par  les  barbares  qui  rava- 
gèrent la  Provence  â  la  fin  du  IX*  siècle  (3).» 

Le  Dictionnaire  d'Epigraphie  de  M  igné  emprunte  à  ces 
Mémoires  de  la  Société  archéologique  du  Midi  l'inscription 
d'Eusébie  et  cite  le  texte  des  Mémoires  (4).  C'est  toujours  de 
l'épi taphe  de  notre  Eusébie,  abbesse,  qu'il  s'agit. 

Heinaud,  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence, 
parlant  du  martyre  de  sainte  Eusébie  de  Marseille,  dit  en 


praedones  seu  barbari. . .  Epitaphium  Eusebise.  »  Gallia  christiana, t.  I**, 
col.  697.—  Gallia  christiana,  t.  Iw.  col.  697 

(1)  M"  de  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  I*r,  p.  290. 

(2)  Faillon,  Monuments   inédits  sur  l'apostolat  de  sainte  Marie- 
Madeleine,  t.  I#r,  col.  777. 

(3)  Mémoires  de  la  Société  archéologique  du  Midi,  t.  II,  p.  213. 

(4)  Dictionnaire  d'Epigraphie  chrétienne,  t.  !•%  col.  880. 


—  405  — 

note  :  «  Une  inscription  relative  à  sainte  Eusébie  existe  en- 
core à  Marseille,  mais  elle  ne  porte  pas  de  date  (1).  » 

Pour  l'abbé  Verlaque  encore  l'inscription  d'Eusébie  est 
bien  celle  de  notre  sainte  de  Marseille.  Après  avoir  raconté  le 
martyre,  tel  que  nous  le  connaissons,  il  ajoute;  «  II  nous 
reste  à  mentionner  l'épitaphe  de  cette  sainte  »,  et  il  la  donne 
en  faisant  remarquer  que  la  rédaction  en  est  barbare,  que  la 
date  ne  correspond  pas  à  l'époque  assignée  ordinairement  à  cet 
événement,  et  qu'elle  ne  fait  pas  mention  du  genre  de  martyre 
subi  par  notre  sainte  (2). 

Kothen  est  aussi  précis  qu'on  peut  l'être  sur  ce  point.  Il 
traite  du  supplice  qu'Eusébie  a  enduré,  de  l'époque,  des 
auteurs  du  martyre,  du  tombeau  de  la  sainte,  puis,  il  dit  : 
«  L'épitaphe  de  cette  sainte  était  placée  sur  le  tombeau.  Elle 
se  voit  aussi  au  musée.  En  voici  le  texte  »,  et  le  texte  suit  (3). 

M.  de  Rey,  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  France 
et  dans  la  Notice  sur  Sainte  Eusébie  insérée  dans  les  Saints 
de  l'Eglise  de  Marseille,  regarde  cette  inscription  comme 
celle  de  notre  sainte  Eusébie.  Il  prend  mémo  la  défense  de 
cette  opinion  contre  les  auteurs  qui  ne  l'acceptent  pas  (4). 

M.  le  chanoine  Magnan,  citant  cette  inscription  dans  les 
quelques  page3  publiées  dans  la  Semaine  liturgique  de  Mar- 
seille, écrivait  (5)  :  a  Quand  la  paix  eut  été  rendue  aux  chré- 
tiens, on  s'empressa  de  recueillir  les  ossements  d'Eusébie  et  de 
ses  compagnes.  Un  tombeau  magnifique  reçut  ces  précieuses 
reliques.  Elles  furent  vénérées  de  tous  les  chrétiens  dans  le 
souterrain  de  Saint-Victor,  auprès  de  l'autel  principal.  Sur  le 
tombeau  fat  placée  une  pierre  qui  portait  une  inscription 
touchante  et  empreinte  de  la  naïveté  de  ces  siècles  de  foi.  La 
voici  en  entier....  (Suit  l'inscription). ., .  C'est  l'unique 
monument  qui  rappelle  aux  générations  le  dévouement 
d'Eusébie.  » 


(1)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  137. 

(2)  L'abbé  Verlaque,  Notice  sur  sainte  Eusébie,  p.  25. 

(3)  Kothen,  Notice  sur  les  cryptes,  p.  55. 

(4)  G.  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  142.  —  Les 
Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  237.  * 

(5)  Semaine  liturgique  de  Marseille,  année  1868,  t.  VII,  p.  737. 


—  406  — 

M.  Leblant,  dans  ses  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule, 
antérieures  au  VUP'siècle,  après  avoir  donné  le  texte  lapi- 
daire, écrit  :  «  La  célébrité  de  cette  inscription  vient  surtout 
d'une  croyance  populaire.  Lors  d'une  descente  des  Sarrasins, 
rapporte  une  vieille  tradition,  sainte  Eusébie,  abbesse  d'un 
couvent  de  Marseille,  et  ses  quarante  compagnes,  se  mutilè- 
rent le  nez  pour  échapper  à  la  brutalité  des  barbares.  On  les 
nomme,  dans  le  pays,  les  Des  nazz  ados.  Le  corps  d'Eusébie 
avait  été  déposé  dans  un  beau  sarcophage  antique. . .  (I)* 

M.  Leblant,  il  est  vrai,  ne  dit  pas  en  propres  termes  que 
cette  inscription  est  de  notre  sainte  Eusébie,  du  moins  il 
constate  l'existence  d'une  tradition  populaire  en  faveur  de 
cette  idée  (2). 

Beaucoup  d'auteurs  donc  regardent  l'inscription  d'Eusébie 
comme  Tépitaphe  de  notre  sainte  marseillaise. 

Où  se  trouvait  placée  cette  inscription?  Avant  la  Révolution 
elle  était  fixée  au-dessus  d'un  sarcophage  qui  renfermait  les 
reliques  de  notre  sainte  Eusébie,  dans  les  souterains  de  Saint- 
Victor  (3). 

Nous  avons  cité  tantôt  la  Notice  des  monuments  conservés 
dans  V  église  noble  de  Saint-Victor  à  Marseille  :  #  On  lit  sur 
une  pierre  sépulcrale  inscrustée  au-dessus  du  tombeau  fde 
sainte  Eusébie)  l'épitaphe  suivante,  qui  fait  juger  facilement 
la  monstrueuse  ignorance  du  temps  auquel  elle  a  été  faite  » . 
(Suit  l'inscription.)  Impossible  de  se  méprendre. 

D'ailleurs,  il  est  tellement  certain  qu'avant  la  Révolution 
ce  marbre  se  Voyait  sur  le  tombeau  de  sainte  Eusébie,  que 
la  plupart  des  auteurs  modernes  l'ont  cru  et  l'ont  écrit.  On  a 

(1)  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  antérieures  au 
VIII*  siècle,  t.  H,  p.  301. 

(2)  Notice  sur  les  monuments,  etc.,  p.  17. 

(3)  André,  Histoire  religieuse  de  Vahhaye  de  Saint- Sauveur,  p.  10. 
—  De  Rey,  Les  Saijits  de  l'Eglise  de  Marseille,  sainte  Eusébie,  p.  236. — 
M.  Grinda.  «  Nous  pensons  que  c'est  lui  iDynamius)  qui  offrit  le  beau 
sarcophage  de  marbre  dans  lequel  étaient  conservées  les  reliques  de 
sainte  Eusébie  et  qui  fut  placé  dans  les  cryptes  de  Saint-Victor,  au- 
dessous  de  Vèpitaphe  du  V*  siècle.  »  Monographie,  etc.,  dans  YEcJio  de 
N.-D.  de  la  Garde,  u*  345,  p.  606. 


—  407  — 

cité  plu9  haut  les  Mémoires  de  la  Société  archéologique  du 
Midi,  Kothen,  M.  le  chanoine  Magnan.  Ajoutons  à  cette  liste  : 
André,  M.  de  Rey  et  M.  Grinda. 

Depuis  quelle  époque  cette  inscription  se  trouvait  sur  le 
tombeau  de  sainte  Eusébie,  à  Saint- Victor? 

A  la  fin  du  XVII?  siècle  elle  y  était,  puisque  la  Notice  citée 
ci-dessus  l'affirme. 

Au  milieu  de  ce  siècle,  elle  y  était.  Agneau,  dans  son 
Calendrier  spirituel  de  la  ville  de  Marseille,  édité  en  1759, 
nous  apprend  que  «  dans  la  seconde  nef  de  l'église  inférieure  à 
Saint- Victoron  trouve  un  tombeau  en  marbre  blanc  renfermant 
les  reliques  de  sainte  Eusébie,  etc.»  Or,  Agneau  ne  pouvait  con- 
naître ce  fait  qu'en  lisant  une  inscription,  au-dessus  de  ce 
sarcophage.  Quoiqu'il  ne  parle  pas  de  ce  document,  il  est 
évident  qu'il  Ta  sous  les  yeux. 

Elle  y  était  en  1747,  date  de  l'impression  du  premier  volu- 
me de  V Antiquité  de  V Eglise  de  Marseille  par  M|r  de  Bel- 
sunce.  Cet  auteur  ne  cite  pas  cette  inscriptiou  encore.  Pour- 
quoi, c'est  difficile  à  expliquer.  Mais  il  la  voit  sur  le  tombeau, 
puisqu'il  s'en  sert  pour  affirmer  que  sainte  Eusébie  était 
abbesse  du  monastère  de  Saint-Cyr,  détail  que  l'on  ne  connaît 
que  par  cette  pierre  funéraire. 

Elle  y  était  en  1734.  On  lit,  en  effet,  dans  les  Acta  Sancio- 
rum  ordinis  S.  Benedicti,  de  Mabillon  :  «  Duo  epitaphia  quae 
Massiliae  exstant  in  monasterio  Sancti  Victoris...  uiium 
Eusebiae  abbatissae,  quae,  etc.  Quam  loci  traditionem  confir- 
mât. . .  heroinae  effigies. . .  tumulo  imposita  cum  hàc  épigra- 
phe... (Suit  l'inscription).  » 

Elle  y  était,  enfin,  au  début  de  ce  siècle,  en  1704.  Mabillon 
écrivait  dans  les  Annales  ordinis  Sancti  Benedicti:  «  Exstal 
in  Sancti  Victoris  monasterio  Eusebiae  tumulus,  cui  imposita 
est  ejusdem  heroinse  effigies...  cum  hoc  epitaphio...  » 
Durant  le  XVIII"  siècle  donc  l'inscription  a  été  sur  le  tombeau 
de  sainte  Eusébie,  à  Saint-Victor. 

Il  en  a  été  de  môme  au  XVII- .  Nous  avons  lu  tantôt  ce  que 
Louis- An toinede  Huffi  mentionnait  dans  son  Histoire  de  Mar- 
seille, imprimée  en  1696.  Après  avoir  parlé  du  tombeau  de 
sainte  Eusébie,  abbessedu  monastère  de  Saint-  Quirice,  il  ajoute: 


—  408  — 

a  Voici  son  épitaphe,  etc. . .  »  Vers  le  milieu  du  siècle,  Dom 
G  h  an  tel  ou  portait  le  môme  détail  :  «  TumulussanctaeEusebiœ, 
abbatissœ  monasterii  Sancti  Quiricii. . .  Quam  traditionem  con- 
firmât generosaeillius  heroinae effigies...  supra  tumulum  posita 
cum  épigraphe...»  A  peu  près  à  cette  époque, en  1642,  paraissait 
la  première  édition  de  Y  Histoire  de  Marseille,  par  Antoine 
de  Ruffi,  et  dans  cet  ouvrage  nous  lisons  :  «  Tombeau  de  sainte 
Eusébie. . .  qui,  pour  s'empêcher  d'être  violée  par  les  infidèles, 
se  coupa  le  nez . . .  Cette  tradition  se  trouve  confirmée  par  cette 
figure  de  femme  que  nous  voyons  en  relief  sur  le  tombeau 
et  qui  a  le  nez  coupé.  Voici  son  épitaphe...  »  Il  est  évident 
que  ces  auteurs  voyaient  l'inscription  sur  le  tombeau  de  cette 
sainte.  Sinon  ils  auraient  parlé  différemment.  Au  XVII"  siècle 
donc,  elle  y  était. 

Peu  importe  que  Guesnay,  qui  lisait  en  1652  l'inscription 
de  Tillisiola  sur  sa  tombe,  n'ait  pas  aperçu  celle  d'Eusébie 
qui  se  trouvait  à  quelques  mètres  de  distance.  Ses  contempo- 
rains, les  deux  Ruffi,  D.  Ghantelou,  l'ont  vue  et  en  ont  parlé, 
cela  nous  suffit. 

Mais,  antérieurement  au  XVII*  siècle,  cette  inscription  était- 
elle  à  cet  endroit  ?  Ni  chartes,  ni  auteurs,  que  nous  sachions, 
ne  nous  fournissent  de  renseignements.  Mais  ce  silence  de 
l'histoire  ne  peut  être  interprété  comme  une  preuve  que  ce 
marbre  occupait  une  autre  place.  Si  J.-J.  Chifflet,  Arthur  de 
Monestier,  de  Saussay,  le  P.  Lecointe  n'ont  pas  fait  mention 
de  l'épitaphe  d'Eusébie,  c'est  qu'ils  ne  sont  jamais  venus  à 
Marseille ,  et  surtout  qu'ils  n'avaient  pas  à  s'occuper  de  ce 
détail,  pour  eux  sans  importance .  D  ailleurs,  la  suite  de  nos 
déductions  va  nous  prouver  que  très  probablement,  du  XIV* 
au  XVII9  siècle,  cette  inscription  a  demeuré  fixée  au-dessus 
du  sarcophage . 

Nous  croyons,  en  effet,  que  cette  inscription  se  trouvait 
dans  l'arcosolium  placé  à  droite  de  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Confession,  depuis  la  fin  du  XIV*  siècle. 

La  preuve  en  est  cette  charte  que  Dom  Lefournier  nous  a 
conservée  et  qu'il  avait  transcrite  sur  un  manuscrit  de  papier 
soie  :  ex  aiitographo  bombycino. 

Cette  charte  nous  a  relaté  que  le  corps  de  l'abbesse  Eusébie 


—  409  — 

reposait  dans  le  sarcophage  de  larcosolium.  Or,  ces  restes 
vénérables  n'étaient  pas  en  cet  endroit  depuis  fort  longtemps, 
puisque,  d'une  part,  des  inventaires  de  reliques  dressés  en 
1363  et  en  1365  ne  font  pas  mention  de  sainte  Eusébie  ;  d'au- 
tre part,  la  charte  qui  nous  en  parle  remonte  à  1380  ou  1381 . 
C'est  donc  entre  ces  deux  dates  que  le  corps  de  notre  sainte 
fut  placé 'dans  ce  tombeau.  Le  motif  de  cette  translation,  nous 
l'avons  insinué  à  plusieurs  reprises.  A  cette  époque  il  se  fit  de 
grands  remaniements  dans  les  cryptes  à  la  suite  de  la  restau- 
ration de  l'abbaye  et  de  la  construction  des  forts  remparts 
dont  Urbain  V  la  fit  entourer.  Ces  travaux  amenèrent  le  dépla- 
cement de  certains  tombeaux  aussi  bien  que  la  découverte  de 
corps  saints  auxquels  peut-être  on  ne  pensait  plus,  entre 
autres  les  ossements  de  notre  sainte  et  ceux  de  ses  quarante 
compagnes.  On  les  trouva,  là  où  ils  reposaient  depuis  si  long- 
temps, au  pied  de  l'autel  de  Notre-Dame  de  Confession,  à 
cet  «  ibi  seorsum  »  dont  parle  la  vie  de  saint  Ysarne.  De  ces 
restes  vénérables,  ainsi  troublés  dans  leur  repos  glorieux,  les 
uns  furent  remis  en  leurs  places,  les  autres  portés  dans 
l'église  supérieure.  Or,  peut-être  que  le  sarcophage  de  l'arco- 
solium  à  droite  de  Notre-Dame  de  Confession  possédait  un  de 
ces  corps  saints.  Au  lieu  et  place  de  ce  corps  que  l'on  mit  à 
un  endroit  plus  honorable ,  on  déposa  les  restes  de  sainte 
Eusébie.  En  1380  ou  1331  donc  ils  étaient  là. 

Or,  nous  disons  que  forcément  on  a  dû  fixer  à  ce  moment 
l'inscription  sur  ce  sarcophage.  Il  y  avait  eu  translation  de 
reliques.  Ce  n'était  plus  tel  ou  tel  saint  qui  s'y  trouvait,  c'était 
sainte  Eusébie.  Il  fallait  donc  l'indiquer.  De  plus,  non  loin 
de  là,  dans  la  chapelle  même  de  Notre-Dame  de  Confession 
reposait,  dans  un  tombeau,  Tillisiola,  l'abbesse.  Sur  ce  tom- 
beau de  Tillisiola  se  lisait  son  inscription.  Or,  afin  d'éviter 
que  dans  le  peuple  on  regardât  Tillisiola  comme  l'abbesse 
des  anciennes  martyres,  on  dut  placer  une  inscription  sur 
le  tombeau  de  sainte  Eusébie.  C'était  de  la  simple  prudence. 
C'est  ce  que  l'on  fit.  De  sorte  que  si  cette  inscription  n'eût  pas 
existé,  il  aurait  fallu  la  graver  à  ce  moment  1  A  la  fin  du 
XIV4  siècle  donc,  l'épitaphe  d'Eusébie  se  trouvait  sur  son 
tombeau  ! 


—  410  — 

Du  XIV  au  XVII*  siècle  donc,  elle  s'y  trouva.  Pourquoi 
l'aurai t-on  fait  disparaître  ? 

Et  antérieurement  à  la  fin  du  XIV*  siècle  ?  Elle  était  enfouie 
avec  le  corps  de  sainte  Eusébie,  au  pied  de  l'autel  de  Noire- 
Dame  de  Confession.  Vers  Tan  1000,  les  restes  des  vierges 
sacrées,  Eusébie  et  ses  compagnes,  reposaient  en  un  endroit 
à  part,  «  ibi  autem  seorsum  '»,  au  pied  de  l'autel  de  Notre* 
Dame  de  Confession.  On  ne  savait  ni  le  nombre  de  ces  vierges 
sacrées,  ni  le  nom  de  leur  abbesse.  Ce  n'est,  en  effet,  que 
dans  ce  document  sans  date  (de  1380  environ)  que  Ton  appelle 
Eusébie  par  son  nom  et  que  l'on  indique  le  nombre  de  ses 
compagnes.  Entre  1363  et  1381,  on  place  le  corps  d'Eusébie 
dans  le  sarcophage  de  l'arcosolium,  à  droite  de  Notre-Dame. 
Or,  ces  saintes  martyres  reposaient  toutes  ensemble  avec  leur 
abbesse  devant  l'autel  de  la  Vierge.  Comment  a-t-on  pu 
reconnaître  le  corps  d'Eusébie,  le  corps  de  l'abbesse,  pour  le 
mettre  dans  un  sarcophage  à  part  ?  Nécessairement  il  y  a  eu 
un  signe,  une  marque  1  De  plus,  on  ne  savait  pas  d'une 
manière  certaine  le  nom  de  cette  abbesse.  Si  on  l'avait  connu 
par  tradition,  on  l'aurait  indiqué,  insinué  vers  Tan  1000.  Or, 
d'où  vient  que  dès  la  fin  du  XIV*  siècle  on  le  donne  ?  Quel 
est  le  document  qui  l'a  révélé  ?  Enfin,  on  sait  que  les  com- 
pagnes d'Eusébie  étaient  nombreuses.  La  tradition  avait 
conservé  le  souvenir  de  ce  nombre  quarante.  Mais  qui  a 
donné  gain  de  cause  à  la  tradition,  qui  a  permis  aux  rédac- 
teurs des  chartes  de  1380-1381,  1431,  1446  de  préciser  et 
d'écrire  :  Eusébie  et  ses  quarante  compagnes  martyres  ?  Nous 
disons,  nous  :  Ce  sont  les  fouilles  qui,  amenant  la  découverte 
de  quarante  corps,  sans  compter  celui  d'Eusébie,  ont  fait 
connaître  le  nombre  exact  des  compagnes  de  la  sainte  abbesse. 
Ce  sont  les  fouilles  qui,  amenant  au  jour  cette  inscription 
placée  sur  les  ossements  d'un  de  ces  quarante  et  un  corps,  ont 
fait  connaître,  à  ceux  qui  les  opéraient,  et  le  nom  de  l'abbesse 
et  le  corps  d'Eusébie. 

Et  depuis  quand  était-elle  enfouie  cette  inscription  ?  Vers  l'an 
1000,  on  ne  dit  rien  de  précis,  ni  sur  le  nom  de  l'abbesse,  ni  sur 
le  nombre  de  ses  compagnes.  C'est  la  «  turba  sacrarum  virgi- 
num  » .  Donc  l'inscription  n'était  plus  visible.  Elle  était  déjà 


—  411  - 

cachée  sous  terre.  Or,  l'ensevelissement  des  vierges  cassia- 
nites  martyrisées  par  les  Sarrasins  s'est  fait  avec  une  certaine 
hâte.  L'heure  était  critique,  les  barbares  désolaient  Marseille. 
Avec  beaucoup  de  difficultés  on  transporta,  durant  la  nuit, 
ces  restes  sanglants.  On  n'avait  pas  le  temps  de  bâtir  un 
sépulcre.  On  se  contenta  d'une  simple  fosse,  dans  laquelle  on 
coucha  ces  corps.  On  combla  de  terre  cette  excavation  et,  à 
l'endroit  précis  où  avait  été  déposé  le  corps  de  l'abbesse,  sur 
le  sol  môme  on  dut  placer  l'épitaphe.  One  dis-je,  sur  le  sol  ? 
peut-être  môme  à  une  certaine  profondeur,  afin  que  rien 
n'apparût  aux  regards.  Les  barbares  pouvaient  envahir  les 
cryptes,  les  profaner  par  des  fouilles  sacrilèges.  Au  moins. 
que  la  dépouille  des  saintes  martyres  ne  subtt  pas  cette  nou- 
velle humiliation  !  î  Qu'importait  que  l'inscription  fût  cachée  !  ! 
La  Providence  trouvera  bien  le  moyen  de  la  faire  connaître. 
Or,  avec  le  temps,  la  terre  qui  recouvrait  ces  reliques 
s'affaissa,  il  y  eut  un  dénivellement  naturel.  Sans  ôter  cette 
pierre  et  la  remettre  de  niveau,  on  jeta  des  débris  pour  égaliser 
le  terrain.  Plus  tard,  môme  opération  dut  se  faire  pour  une 
raison  ou  pour  une  autre,  car  le  pavé  des  cryptes  a  été  sou- 
vent exhaussé.  Et  ainsi  disparut,  pour  500  ou  600  ans,  ce 
marbre  funéraire.  La  tradition  seule  demeura  et  il  en  fut 
ainsi  jusqu'au  XIV  siècle  I 

Et,  chose  remarquable  !  cette  incertitude  relativement  aux 
restes  d'Ensébie,  au  nom  de  cette  abbesse,  au  nombre  de  ses 
compagnes,  qui  va  se  prolongeant  durant  cinq  ou  six  siècles, 
est  une  preuve  qu'à  un  moment  on  a  découvert  cette  inscrip- 
tion sur  le  corps  môme  de  sainte  Eusébie  ! 

Voyez,  en  effet,  combien  a  été  profondément  enracinée  la 
tradition  sur  notre  sainte  !  A  deux  pas  du  tombeau  d'Eusébie 
et  de  ses  compagnes,  dans  la  chapelle  de  Noire-Dame  de 
Confession,  il  y  avait  celui  de  Tillisiola.  Cette  tombe  a  son 
inscription,  qui  appelle  Tillisiola  du  nom  d'abesse,  qui  dit  de 
cette  abbesse  qu'elle  a  gouverné  pendant  quarante  ans  des 
religieuses.  On  sait  bien  que  Tillisiola  n'a  point  souffert  un 
glorieux  martyre,  qu'elle  n'avait  pas  quarante  compagnes  sous 
sa  direction.  C'est  d'Eusébie  que  l'on  dit  et  que  Ton  croit  ces 
détails.  Or,  le  populaire  pouvait  à  la  rigueur  lire  sur  le  mar- 


—  412  - 

bre  de  Tillisiola  qu'elle  avait  été  abbesse  de  quarante  vierges. 
Le  populaire  voyait  que  Tillisiola  avait  une  place  d'honneur 
entre  les  saints  et  les  saintes  qui  reposaient  dans  les  cryptes. 
C'est  dans  le  sanctuaire  que  ses  restes  avaient  été  placés.  Quel 
danger  pour  la  tradition  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compa- 
gnes !  La  croyance  du  peuple  ne  changera- t-el le  pas  d'objet  ? 
N'attribuera-t-elle  pas  à  Tillisiola  ce  que  l'on  dit  d'Eusébie  ? 
Non  !  Tillisiola  est  laissée  de  côté,  c'est  Eusébie  qui  triomphe  !  ! 
Or,  pour  un  résultat  semblable  ne  faut-il  pas  supposer  néces- 
sairement qu'un  jour  il  y  a  eu  un  fait,  un  monument  qui  a 
donné  raison  à  la  croyance  du  peuple,  dissipé  tous  les  doutes, 
résolu  toutes  les  incertitudes  ?  Il  le  faut,  et  cela  a  été.  Un 
jour  le  confirmatur  de  la  tradition  populaire  est  apparu. 
C'est  au  XIV-  siècle,  quand  on  a  opéré  les  fouilles.  Devant 
leurs  résultats  providentiels  on  a  pu  dire,  en  face  des  reliques 
de  notre  sainte  :  Voici  l'abbesse,  voilà  son  corps,  voici  son 
nom  !  ! 


CHAPITRE  VI 
Inscription  de.  sainte  Eusébie 

(Suite) 

MAGLOIRE  GIRAUD,  ANDRÉ,  GBINDA  CONTESTENT  QUE  CETTE  INSCRIP- 
TION SOIT  POUR  NOTRE  SAINTE  EUSÉBIE.  —  CONTRAIREMENT  A  CBS 
AUTEURS,  ON  PEUT  AFFIRMER  QUE  CE  N*EST  PAS  PAR  HASARD  QUE 
L'ON  TROUVE  UNE  INSCRIPTION  PORTANT  LE  NOM  D'EUSÉBIE,  QUAND 
IL  S'AGIT  D'INHUMER  NOTRE  SAINTE.  —  QUE  CETTE  INSCRIPTION  SE 
TROUVAT  SUR  UNE  TOMBE,  OU  COMME  OBJET  DE  REBUT  DANS  UN 
CIMETIÈRE,  DANS  LB8  CRYPTES,  IMPOSSIBLE  D 'ACCEPTER  QU'ON  EN 
AIT  FAIT  l'ÉPITAPHE  DE  NOTRE  SAINTE  MARTYRE, 

Plusieurs  historiens  regardent  l'inscription  d'Eusébie  com- 
me ayant  été  rédigée  pour  notre  sainte  Eusébie,  de  Marseille. 
Il  y  a  cependant,  nous  avons  à  le  dire,  quelques  dissidents  : 
MM.  Magloire  Giraud,  André,  et  un  peu  M.  Grinda. 

Nous  lisions  tantôt  ce  qu'en  pensait  M.  Magloire  Giraud. 
Voici  ce  qu'en  disait  André,  dans  V Histoire  de  Saint- 
Sauveur  : 

«  Lorsque  on  porta  à  Saint-Victor,  à  une  époque  indéter- 
minée, les  reliques  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante 
compagnes,  on  déposa  ses  restes  dans  un  ancien  tombeau, et  on 
lui  donna  pour  épilaphe  une  inscription  qui  portait  le  nom 
d'Eusébie:  la  similitude  des  noms  dut  frapper  les  fidèles. 
Nous  croyons  donc  qu'il  faut  distinguer  deux  Eusébie  :  l'une 
simple  religieuse,  décëdée  paisiblement  dans  le  monastère 
cassianite  sous  le  titre  de  Saint-Cyr,  au  VIII*  siècle,  et 
l'autre  abbesse  et  martyre  qui  vivait  au  Commencement  du 
X-  siècle  (1).  » 

M.  Grinda  (2)  semble  se  ranger  à  l'opinion  de  Magloire 

(1)  André,  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  10. 

(2)  M.  Grinda,   Monographie  sur  Vabbaije  de  Saint-Victor,  dans 
Y  Echo  de  Notre-Dame  de  lu  Garde,  n°*  344,  345;  année  1888; 

27 


-  414  — 

Giraud  et  André.  11  veut  «  préserver  notre  tradition  sur  sainte 
Eusébie  de  l'atteinte  qu'elle  recevrait  si  la  science  archéolo- 
gique établissait  par  des  preuves  irréfutables  l'anachronisme 
de  ce  document  (l'inscription)  considéré  comme  un  témoignage 
de  la  tradition  marseillaise.  » 

Il  tient  cependant  a  à  considérer  l'inscription  d'Ëusébie 
comme  l'épitaphe  de  la  sainte  que  l'Eglise  honore.  »  Il  croit 
aussi  pouvoir  faire  remonter  la  date  de  son  martyre  à  la  fin 
du  V°  siècle.  Mais  on  découvre  dans  son  argumentation, 
la  trace  du  désir  secret  d'accepter  l'opinion  d'André.  En 
effet,  il  parait  reprocher  à  l'auteur  du  remarquable  ouvrage 
intitulé:  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  de  ne  pas 
«  admettre  la  distinction  »  que  fait  André  des  deux  religieuses 
du  nom  d'Ëusébie  ;  «  de  ne  pas  tenir  compte  de  la  date 
révélée  par  les  caractères  épigraphiques;  d'en  faire  un  monu- 
ment gravé  en  souvenir  de  sainte  Eusébie,  martyre  du  IX* 
siècle  ».  Somme  toute,  M.  Grinda,  croyons-nous,  penche  plutôt 
du  côté  d'André  que  du  côté  des  autres  auteurs  cités  plus 
haut. 

Eh  bien  !  en  dépit  de  l'affirmation  contraire  de  Magloire 
Giraud,  André,  etc.,  nous  persistons  à  croire  que  cette  inscrip- 
tion est  bien  de  notre  sainte  Eusébie. 

Nous  avons  entendu,  dans  un  chapitre  précédent,  le  témoi- 
gnage des  auteurs,  ajoutons  nos  propres  remarques. 

D'abord,  ce  sépulcre  tout  préparé,  cette  inscription  toute 
prête  «  et  dont  la  similitude  des  noms  dut  frapper  les  fidèles 
qui  portent  à  Saint- Victor  le  corps  d'Ëusébie  »  nous  trouvent 
quelque  peu  incrédule  11 

Effectivement,  ils  durent,  ces  bons  fidèles,  s'écrier  qu'ils 
avaient  une  veine  incroyable!  Jugez  donc:  ils  portent  entre 
leurs  bras  les  restes,  peut-être  encore  sanglants,  de  l'héroïque 
abbesse.  Il  fallait  un  tombeau.  Mais  tout  juste  il  y  en  a  un  vide 
qui  se  trouve  sous  leurs  mains  I  II  leur  fallait  une  inscription, 
pour  une  religieuse  et  du  nom  d'Ëusébie  1 1  La  même  chance  les 
poursuit,  il  y  a  une  inscription  dans  les  cryptes,  elle  indi- 
que la  profession  de  religieuse,  et,  ô  bonheur,  elle  porte  le 
nom  d'Ëusébie  111  II  fallait  encore  que  cette  épitaphe  eût  une 
date,  et  une  date  véritable,  la  date  de  Tannée  ou  Ton  se  trou- 


—  415  — 

vait,  du  mois,  du  jour.  Mais  la  chance  ne  les  quitte  pas, 
ces  heureux  fidèles  !  I  Cette  inscription  porte  une  date, 
l'indiction  sixième  et  le  a  pridie  kalendas  octobris  ».  Et 
ô  veine,  ô  chance,  ô  hasard  renversants,  cette  date  est  tout 
justement  celle  que  Ton  peut  le  plus  probablement  assigner 
au  martyre  de  sainte  Ëusébie.  Pour  une  chance,  c'en  est  une  11 

Non,  la  supposition  d'André  n'est  pas  sérieuse. 

D'ailleurs,  sachons-le  bien,  cette  supposition  est  inaccepta- 
ble. On  se  le  rappelle,  selon  André,  l'inscription  n'a  pas  élé 
faite  pour  notre  sainte.  «  Quand  on  porta  ses  restes  à  Saint- 
Victor,  on  lui  donna  pour  épitaphe  une  inscription  qui  portait 
le  nom  d'Eusébie.  »  Or,  ou  bien  sainte  Eusébie  a  été  mar- 
tyrisée dans  un  monastère  près  de  Saint-Victor,  comme  le 
veulent  nos  adversaires,  ou  bien  elle  la  été  dans  le  monastère 
situé  aux  bords  de  l'Huveaune. 

Supposons  le  massacre  accompli  auprès  de  Saint-Victor. 
Immédiatement  ou  quelques  jours  après,  on  recueille  ces 
restes  vénérables,  on  les  porte  à  la  crypte  de  l'abbaye,  on  les 
ensevelit  dans  un  tombeau  vide,  ou  bien  dans  un  tombeau 
que  Ion  y  descend  à  la  hâte,  ou  bien  encore  on  les  inhume 
sous  le  sol  des  cryptes,  au  pied  de  l'autel  de  Notre-Dame 
de  Confession.  On  prend  une  inscription  qui  porte  le  nom 
d'Eusébie  et  on  la  place  sur  le  tombeau  de  l'héroïque  abbesse. 

Mais,  où  se  trouvait  cette  inscription  qui  arrive  avec  tant 
d'à -propos  entre  les  mains  pieuses  qui  ensevelissent  sainte 
Eusébie?  Puisque  il  y  a  un  cimetière  auprès  de  Saint- Victor, 
cette  inscription  ornait  peut-être  dans  ce  cimetière,  la  tombe 
d'une  autre  Eusébie,  d'une  autre  sainte  Eusébie,  puisque  elle 
est  la  grande  servante  de  Dieu?  Or,  quelle  manière  d'agir 
maladroite  ?  Comment  reconnaître,  plus  tard,  où  repose  la 
dépouille  mortelle  de  cette  autre  graude  servante  de  Dieu,  si 
on  ôte  le  signe  qui  la  rappelle  à  la  piété,  à  la  vénération,  à 
l'imitation  des  fidèles?  On  lit  le  même  nom,  c'est  vrai,  mais 
il  ne  s'agit  plus  de  la  même  personne,  ce  n'est  pas  la  même 
vie,  ce  ne  sont  plus  les  mêmes  vertus  ! 

De  plus,  quelle  manière  d'agir  sacrilège  et  sans  piété  1  C'est 
un  manque  de  respect  pour  les  tombes  1  Jamais  moine  de 
Saint- Victor  n'eût  consenti  à  agir  ainsi.  Et,  si  un  l'avait  fait, 


1 


1 


—  410  —  i 

impossible  de  croire  que  les  autres  y  eussent  accédé.  Une 
inscription  est  vite  rédigée,  il  suffit  qu'elle  soit  courte  et  sim- 
ple. On  n'a  donc  pas  enlevé  cette  pierre  d'une  tombe  pour  la 
placer  sur  celle  de  notre  sainte  Eusébie. 

Peut-être  cette  pierre  gisait  dans  ce  cimetière,  ici  ou  là, 
comme  objet  de  rebut,  reste  de  quelque  sépulcre  vide  ou 
détruit.  C'est  possible  à  la  rigueur.  Mais,  encore  une  fois, 
quelle  heureuse  chance  ont  ces  fidèles,  qui  ensevelissent  la 
martyre!  les  inscriptions  leur  arrivent  toutes  faites  II  Non, 
elle  n'était  pas  dans  ce  cimetière  comme  un  objet  sans  des- 
tiiiatiou  ! 

Se  trouvait-elle  dans  les  cryptes,  sur  un  tombeau  d'une 
autre  sainte  Ëusébie  ?  Remarquons  que  l'on  n'avait  pas  l'habi- 
tude d'inhumer  dans  les  cryptes  toutes  les  religieuses  défuntes. 
La  preuve  en  est  qu'Eugénia,  n'y  a  pas  sa  sépulture.  On  devait 
y  inhumer  les  abbesses.Tillisiola,  en  effet,  y  avait  son  tombeau, 
et  peut-être  aussi  les  religieuses  illustres  par  leur  sainteté  et 
leurs  vertus.  C'est  à  ce  dernier  titre  que  l'on  porta  dans  les 
cryptes  le  corps  d'Eusébie  et  ceux  de  ses  compagnes.  Si  donc 
il  y  a,  dans  les  cryptes,  déjà  une  autre  sainte  Eusébie  inhu- 
mée, et  que  l'inscription  dont  il  s'agit  soit  placée  sur  sa 
tombe,  c'est  que  ou  bien  cette  Eusébie  est  une  abbesse,  alors 
les  mots  «  religiosa  magna,  magna  ancella  Domini  »  dési- 
gneraient celte  fonction,  ou  bien  elle  est  une  religieuse  de 
grande  sainteté,  dont  cette  partie  de  l'inscription  relatait  les 
vertus,  et  le  détachement  du  monde.  Dans  les  deux  cas,  on 
lui  enlève  cette  épitaphe  pour  la  donner  à  notre  sainte  Eusébie. 
Ainsi  l'Eusébie  primitive,  qu'elle  soit  abbesse  ou  grande 
sainte,  sera  frustrée  de  l'hommage,  de  la  vénération  qu'elle 
avait  droit  de  recevoir  de  la  part  des  fidèles,  et  en  sera  privée 
au  point  que  toute  mémoire  en  disparaîtra,  que  Ton  n'en 
connaîtra  plus  la  sépulture!  Ce  serait  agir  encore  d'une  ma- 
nière maladroite,  odieuse  et  sacrilège.  Les  moines  de  Saint- 
Victor,  encore  une  fois,  n'ont  pas  fait  cela  ! 

Que  l'on  ne  dise  pas  :  les  moines  de  Saint- Victor  ne  sont  point 
en  cause.  Peut-être  qu'à  cette  heure  critique  ils  n'étaient 
pas  dans  l'abbaye,  ils  avaient  peut-être  cherché  une  asile, 
un  abri  dans  la  ville.  Ce  sont  de  pieux  et  courageux  fidèles 


-417  - 

qui  ont  transporté  secrètement  ces  reliques  dans  les  cryptes 
et  ont  opéré  cette  substitution  de  pierre  tombale  ?  Vains  sub- 
terfuges. Les  moines  se  trouvaient  à  Saint- Victor,  car,  s'ils 
avaient  cherché  un  abri  dans  la  ville,  les  religieuses  cassiani- 
tes  en  auraient  fait  autant.  Ils  n'ont  pas  quitté  leur  monas- 
tère à  l'époque  des  invasions  sarrasines.  D'ailleurs,  sup- 
posez une  absence  momentanée,  dés  le  premier  instant  de 
calme,  en  rentrant  dans  le  monastère,  ils  n'auraient  point 
toléré  cette  substitution.  Ils  auraient  rendu  à  l'ancienne  sainte 
Eusébie  l'inscription  qui  lui  appartenait,  et  en  auraient  gravé 
une  autre  pour  notre  héroïque  martyre.  Non,  encore  une 
foi?,  les  moines  de  Saint- Victor  n'auraient  point  souffert  un  tel 
mode  d'agir  ;  c'eût  été  odieux  et  sacrilège  de  leur  part  ! 

Celle  pierre  avec  inscription  se  trouvait-elle  dans  les  cryptes 
comme  objet  de  rebut  et  sans  destination  ?  Avouons  encore 
que  l'on  ferait  jouer  au  hasard  un  grand  rôle  !  De  plus,  ces 
bons  moines  n'auront  pas  la  présence  d'esprit  d'ajouter  un 
signe,  le  moindre  soit-il,  pour  faire  connaître  que  le  genre  de 
mort  de  la  nouvelle  Eusébie,  à  qui  on  attribue  l'inscription,  est 
bien  différent  de  celui  que  subit  l'Eusébie,  pour  qui  l'inscrip- 
tion avait  été  primitivement  faite!  Non,  quoi  qu'en  disent  cer- 
tains romanciers,  même  au  Moyen  Age  les  moines  n'étaient 
pas  simples  à  ce  point. 

Donc,  en  admettant  que  le  monastère  primitif  se  soit  élevé 
auprès  de  Saint-Victor  et  que  le  massacre  ait  eu  lieu  en  cet  en- 
droit, impossible  de  supposer  raisonnablement  que  l'on  ait 
pris  à  la  hâte  une  inscription  qui  n'était  pas  pour  notre  sainte, 
et  qu'on  l'ait  placée  sur  son  tombeau  ! 

Examinons  la  seconde  hypothèse  :  le  monastère  cassianite  se 
trouve  sur  les  bords  de  l'Huveaune.  Le  massacre  a  lieu  en  cet 
endroit.  A  peine  les  barbares  se  sont-ils  éloignés,  que  de  pieux 
fidèles  accourent,  prennent  ces  restes  sanglants,  les  portent  à 
Saint -Victor,  et,  selon  M.  André,  ils  placent  sur  la  tombe 
une  inscription  qui  tout  juste  fait  lire  le  nom  d'Ensëbie.  Cette 
supposition  rencontre  les  mêmes  difficultés,  partant  elle  doit 
être  re jetée. 

On  aura  découvert,  en  effet,  cette  inscription  soit  dans  les 
cryptes,  soit  dans  quelque  cimetière  voisin  de  Saint-Victor, 


-  418  — 

soit  dans  le  cimetière  des  religieuses,  qui  peut-être  se  trouvait 
près  de  l'Huveaune,  aux  environs  du  monastère.  Mais  tou- 
jours, ou  cette  inscription  était  déjà  sur  une  tombe,  ou  elle 
n'était  qu'une  épitaphe  sans  emploi  à  ce  moment. 

Si  elle  est  déjà  sur  une  tombe,  il  s'agit  d'une  abbesse  ou 
d'une  religieuse  de  grande  vertu.  Or,  comme  on  Ta  dit  plus 
haut,  volontairement,  du  consentement  des  moines  de  Saint- 
Victor,  on  fera  disparaître  le  signe  qui  doit  rappeler  aux  fidèles 
la  mémoire  de  cette  sainte  ou  de  cette  abbesse  1  Ceci,  nous  le 
répétons,  est  odieux  et  sacrilège. 

Si  elle  est  un  objet  de  rebut,  placé  dans  un  coin  des  cryptes 
ou  des  cimetières  de  Saint-Victor  et  de  l'Huveaune,  on  oubliera 
d'y  graver  ce  signe  distinctif  qui  indiquera  aux  siècles  futurs 
qu'il  s'agit  d'une  autre  sainte  Eusébie  I  Ce  serait  la  preuve 
d'une  très  grande  simplicité,  et  dans  l'Eglise  de  Dieu,  on  traite 
sérieusement  ce  qui  doit  être  sérieusement  traité  I 

L'opinion  de  M ,  André  est  donc  de  toute  manière  inadmis- 
sible. On  n'a  pas  placé  sur  la  tombe  de  notre  sainte  Eusébie 
une  inscription  faite  pour  un  autre.  Il  serait  plus  raisonnable 
de  dire  qu'on  l'a  composée  à  la  hâte,  après  le  massacre,  que 
ce  fut  peut-être  bien  un  lapicide  de  campagne  qui  la  grava. 
Mais  elle  le  fut  pour  notre  sainte  Eusébie  1 

A  cette  raison  négative  tirée  de  la  fausseté  de  l'opinion  émise 
par  André,  s'ajoutent  deux  raisons  positives  :  Où  se  trou- 
vait placée  l'inscription  de  sainte  Eusébie?  Nous  l'avons 
prouvé  plus  haut.  Dès  le  XIV*  siècle  elle  était  sur  la  tombe  de 
sainte  Eusébie.  C'est  là  qu'elle  fut  prise  à  l'époque  de  la  Révolu- 
tion. Or,  d'où  vient  que  les  moi  nés  de  Saint- Victor  l'y  ont  tou- 
jours laissée  durant  trois  siècles?  S'ils  avaient  soupçonné  que 
l'Eusébie  de  l'inscription  n'était  pas  celle  dont  les  reliques 
étaient  dans  le  tombeau  ;  s'ils  avaient  pensé  qu'on  avait  jadis 
attribué  cette  inscription  à  notre  Eusébie,  pour  le  seul  motif 
de  n'avoir  pas  à  en  rédiger  une  nouvelle,  l'y  auraient-ils 
laissée  ?  Ce  n'est  pas  croyable  I  ! 

Où  a-t-on  trouvé  cette  inscription  d'Eusébie?  On  l'a  dit  plus 
haut  encore.  De  déduction  en  déduction,  on  arrive  à  cette  con- 
clusion frappante  que  :  ou  bien  les  moines  de  Saint- Victor  ont 
rédigé  et  gravé  cette  inscription  au  XIV-  siècle,  ce  qui  n'est  pas 


-  419  — 

soutenable  ;  ou  bien  ils  l'ont  trouvée  au  XlVa  siècle  à  l'endroit 
où  reposaient,  depuis  le  lendemain  de  leur  trépas,  Eusébie  et 
ses  compagnes,  devant  l'autel  de  Notre-Dame.  Or,  cette  pierre 
tumulaire  ainsi  enfouie  depuis  des  siècles  et  déposée  sur  les 
cadavres  des  vierges  héroïques,  à  l'heure  de  leur  martyre,  on 
soutiendra  qu'elle  a  été  gravée  pour  une  autre  Eusébie  que  la 
nôtre!  !  et  que,  mettant  à  profit  la  coïncidence  du  nom,  de  la 
profession,  de  la  dignité,  de  la  date  que  porte  cette  inscription, 
les  fidèles  de  cette  époque,  pour  authentiquer  ces  reliques  véné- 
rables, l'ont  placée  sur  le  tombeau  !  !  En  vérité,  ne  disons  plus  : 
le  hasard  n'est  qu'un  mot  !  !  !  Non,  non,  si  on  la  trouve  en  cet 
endroit  en  faisant  des  fouilles,  au  XV6  siècle,  et  si  on  l'y 
laisse,  c'est  que  l'on  est  persuadé  que  cette  inscription,  quoique 
mal  faite,  est  bien  celle  de  notre  sainte  Eusébie! 

Voici  l'autre  raison  :  Cette  inscription  porte  une  date.  Sainte 
Eusébie  est  morte  aindictionesextâetle  a  pridie  kalendas  octo- 
bris  »,  c'est-à-dire  le  30  septembre  de  la  sixième  année  d'une 
période  de  quinze  ans,  que  Ton  appelle  indîction,  mode  de 
calcul  adopté  à  cette  époque.  Dans  un  chapitre  subséquent 
nous  prouverons  que  le  martyre  de  notre  grande  sainte  Eu- 
sébie n'a  pu  avoir  lieu  qu'en  738,  entre  juillet  de  cette 
année  738  et  février  de  739.  Or,  l'année  738  est  précisé- 
ment une  indictioo  6,  et  notre  inscription  assigne  la  fin  de 
septembre.  Ou  bien  il  faut  avouer,  sans  croire  au  hasard,  que 
le  hasard  a  tout  fait  dans  cette  affaire  ;  ou  bien  il  faut  dire  :  c'est 
pour  notre  sainte  Eusébie  que  cette  insuri tion  a  été  gravée  1 

Voilà  pour  la  réfutation  de  Magloire  Giraud  et  d'André. 
Quant  à  l'opinion  émise  par  M.  Grinda,  nous  la  jugerons  bien- 
tôt. Il  nous  suffira  de  dire  pour  le  moment  que,  bien  loin  de 
simplifier  la  question,  comme  le  désire  cet  nu  leur,  son  sys- 
tème ne  fait  que  l'embrouiller.  11  faut,  en  effet,  sauter  à  pieds 
joints  sur  notre  tradition  ;  que  ce  sont  les  Sarrasins  qui  ont 
martyrisé  sainte  Eusébie.  Or,  «  tenete  traditiones  »  !  ! 


CHAPITRE  VII 
Inscription  de  sainte  Eusébie 

(Suite) 


CERTAINS  AUTEURS  ASSIGNENT  LE  VIII*  SIÈCLE  COMME  DATE  DE  CETTE 
INSCRIPTION.  —  M.  GRINDA  DIT  QU'ELLE  E8T  DU  V#  SIECLE.  —  QUEL- 
QUES INEXACTITUDES.  —  NOTES  CARACTÉRISTIQUES  DES  INSCRIP- 
TIONS DU  V*  SIÈCLE.  —  NOTRE  INSCRIPTION  NE  POSSÈDE  PAS  CBS 
NOTES.—  INSCRIPTIONS  DE  490  A  500  CONFRONTÉES  AVEC  LA  NOTRE. 
—  INSCRIPTIONS  DE  NOTRE  RÉGION  DE  470  A  519  EN  REGARD  DE 
CELLE  DE  SAINTE  EUSÉBIE.  —  LE  RÉDACTEUR  DE  CETTE  INSCRIP- 
TION N'ÉTAIT  PA8  UN  IGNORANT,  IL  ÉTAIT  FAMILIER  AVEC  LES  CHO- 
SES DE  L'EGLISE.  —  ON  DATAIT  PAR  LES  CONSULATS,  A  CETTE  ÉPO- 
QUE, DAN8  NOTRE  RÉGION.*—  ET  IL  S'AGISSAIT  DE  l'ÉPITAPHÉ*  D'UNE 
ABBESSB.  —  CETTE  INSCRIPTION  N'APPARTIENT  PAS  AU  Ve  SIÈCLE. 


Quelle  est  la  date  de  cette  inscription  ?  Les  Mémoires  de  la 
Société  archéologique  du  Midi,  après  avoir  dit  que  sainte 
Eusébie  et  ses  compagnes  se  coupèrent  le  nez  pour  conserver 
leur  virginité  et  ne  pas  être  violées  par  les  barbares  qui  rava- 
geaient la  Provence  à  la  fin  du  IX0  siècle,  ajoutent  «  que  si  la 
légende  dit  vraie,  elle  doit  être  du  IX*  siècle  (1)  *.  Giraud 
Magloire  l'attribue  aussi  au  IX*  siècle  (2).  Verlaque  pense  de 
même,  à  cause  des  mots  qui  sont  écrits  contrairement  aux  rè- 
gles de  la  latinité  (3).  C'était  aussi  ce  que  croyait  Millin  (4), 
sur  lequel  s'appuyaient  les  Mémoires  de  la  Société  archéolo- 
gique du  Midi  et  Magloire  Giraud,  à  cause  du  mauvais  état 
et  de  l'orthographe  vicieuse  de  cette  inscription. 

Cependant  André,    qui   suppose  que  cette  inscription  a 

(1)  Mémoires  de  la  Société  archéologique  du  Midi,  t.  II,  p.  213. 

(2)  L'abl.é  Magloire  Giraud,  Notice  sur  Saint-Cyr,  p.  49. 

(3)  L'abbô  Verlaque,  Notice  sur  sainte  Eusébie,  p.  25. 

(4)  Millin,  Voyage  dans  les  départements  du  Midi  de  la  France % 
t.  III,  p.  179. 


—  421  — 

été  écrite  bien  avant  notre  sainte  Euséhie,  la  range  parmi 
celles  du  VIII*  siècle  (1).  M.  Penon  la  croit  aussi  du  VI?  ou  du 
VII?  siècle  (2).  M.  de  Rey  (3),  après  avoir  cité  Millin,  ne  se 
prononce  pas  ;  au  contraire  il  dit  a  qu'il  faut  avouer  que  les 
hommes  les  plus  compétents  croient  cette  épitaphe  fort  anté- 
rieure à  l'époque  sarrasine  et,  sans  toutefois  se  prononcer 
catégoriquement,  la  regardent  volontiers  comme  appartenant 
aux  premières  annés  du  V?  siècle  .  » 

M.  Leblant  est  un  de  ces  auteurs.  Il  écrit  :  «  L'inscription  de 
Marseille  me  semble  appartenir  au  V?  siècle  (4).  »  M.  Grinda 
en  est  un  autre;  à  la  suite  de  M.' Leblant  il  soutient  que 
l'inscription  est  du  V' siècle  ;  il  assigne  môme  une  date,  celle 
de  497  (5). 

Nous  devons,  avant  d'établir  que  l'inscription  de  sainte  Eu- 
sébie  appartient  au  VII?  siècle,  essayer  de  réfuter  ces  deux 
derniers  auteurs.  La  tâche  sera  difficile,  c'est  vrai,  car  nous 
avons  affaire  à  forte  partie.  Mais  nous  travaillons  pour  les 
saints,  à  l'œuvre  donc  ! 

Notre  argument  général  est  celui-ci  :  L'inscription  de  sainte 
Eusébie  ne  ressemble  pas  aux  inscriptions  du  V*  siècle,  donc 
elle  n'appartient  pas  à  cette  époque.  Entrons  dans  les  détails. 

C'est  l'opinion  de  M.  Grinda  qui  s'offre  en  premier  lieu. 
Tout  d'abord  faisons  une  simple  rectification. 

Nous  croyons  rencontrer  quelques  inexactitudes  dans  les 
règles  qu'il  emprunte  à  M.  Leblant  pour  indiquer  la  date 
approximative  des  marbres  qui  sont  dénués  de  toutes  mar- 
ques chronologiques  certaines. 

a  Le  monogramme  P  n'est  employé  en  Gaule  que  de  l'an 


(1)  André,  Histoire  des  religieuses  de  Saint-Sauveur',  p.  10. 

(2)  Penon,  Catalogue  des  monuments  conservés  au  musée  du  Châ- 
teau Borély,p.  31. 

(3)  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  Sainte  Eusébie,  p.  237. 

(4)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  t.  II,  n*  545. 
Dans  son  ouvrage  :  Sarcophages  chrétiens,  p.  41,  cet  auteur  dit  qu'elle 
semble  appartenir  au  V*  ou  au  VIe  siècle. 

(5)  M.  Grinda,  Monographie,  etc.,  dans  Y  Echo  de  Notre-Dame  de 
la  Garde,  n°  344. 


-  422  — 

400  à  Tan  525  (i).  »  M.  Edmond  Leblant  l'indique  en  effet  (2). 
Mais  son  recueil  des  Inscriptions  'chrétiennes  de  la  Gaule, 
antérieures  an  VHP  siècle  fournit  une  inscription,  trouvée 
à  Lyon  en  1678,  marquée  du  monogramme  }s  datée  de  la 
douzième  année  après  le  consulat  de  Justin  le  jeune  et  de  la 
XVf  indiction,  ce  qui  la  fait  remontera  551  (3),  Une  autre 
inscription  nous  est  donnée  par  le  même  ouvrage.  Elle  fut 
trouvée  à  Trêves.  Elle  est  marquée  du  monogramme  J^t 
accompagnée  de  colombes  et  de  poissons.  Et  M.  Leblant  écrit  : 
«  Le  marbre  de  Trêves  me  parait  appartenir  à  la  un  du  VI* 
ou  au  commencement  du  Vil*  siècle (4).»  Une  troisième  inscrip- 
tion trouvée  à  Yenasque,  marquée  du  P,  appartient  à  la  fin 
du  VIe siècle (5).  Enfin  on  voit  gravé  sur  l'autel  de  Hain  le 
chrisme^,  et  cela  en  Tannée  676  (6).  On  trouve  donc  le 
chrisme  P  postérieurement  à  525. 

«  La  formule  Hic  requiescet  in  pace  va  de  de  469  à  488  (7).i 
On  la  trouve  encore  postérieurement  à  cette  date,  en  489,  498. 

«  Le  mot  religiosa  parait  vers  491,  et  n'est  plus  usité  après 
540.  »  Tout  juste,  en  491, on  se  sert  du  terme  puella  Deopla- 
cilat  n*  388  de  Leblant,  et  Ton  trouve  chez  cet  auteur  deux 

(1)  Grinda,  Monographie  de  V abbaye  de  Saint- Victor-let-Mar- 
seille,  dans  YÉoho   de  Notre-Dame  de  la  Garde,   année  1888,  n°  344. 

(2)  Ed.  Leblant,  t.  II,  préface  XIV,  Inscriptions  chrétienne*  de  la 
Gaule. 

(3)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n"  65  et  667  a. 

(4)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n°  261. 

(5)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  na  708. 

(6)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n*91. 

(7)  Grinda,  op.  cit.  —  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n°»  548,  482.  Inutile  de 
jouer  sur  les  mots  requiescet  et  requiescit.  On  a  mis  Ye  à  la  place  de 
l'i,  à  toutes  les  époques  et  avec  toutes  les  formules.  Ainsi  on  trouve 
«  Hic  requiescet  in  pace  »  en  469,  489,  498,  n°*  87, 548,  482.—  «  Hic  requies- 
cet boni*  memoriœ  »  en  638  ou  695,  n°  586  a.  —  «  Hic  requiescet  in  pace 
borne  memoriœ  »  en  501, 527,  547,  n°°374,  613  a,  467.  —  «  In  hoc  tumulo 
requiescet  in  pace  bonœ  memoriaî  »  en  486  ou  529, 606,  nM  373, 397.  D'autre 
part,  on  trouve  «  Hic  requiescit  in  pace  »  en  491,  517,  534,  n"  388,  623, 
etc.  —  «  Hic  requiescit  in  pace  bonœ  memoriœ  »  de  485  à  568,  n"  474  b, 
374  a,  77,  etc,  —  «  In  hoc  tumulo  requiescit  in  pace  bonœ  memoriœ  »  de 
503  à  578.  On  le  voit  donc,  qu'il  s'agisse  de  requiescit  ou  de  requiescet, 
cette  expression  se  lit  bien  postérieurement  à  489.  La  note  de  M.  Grinda 
est  donc  un  peu  inexacte. 


HAÇNAA's  ' 


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fSËC  Q  ! 
&ETVQ-I 


•> 


4*1  'V/x 


"-'■■--  •4i.;.,.*àiiâiÈ 


-  423  — 

inscriptions  qui  à  la  rigueur  pourraient  être  de  453,  de  428, 
n°'  435,  387  a. 

«  L'indiction  parait  pour  la  première  fois  en  491.  »  H 
faut  ajouter  un  mot,  l'indiction  accolée  aux  noms  des  consuls, 
oui,  se  montre  en  491  ;  mais  l'indiction,  comme  seule  date  sur 
un  marbre,  à  quelle  époque  parait  elle  ??? . . . 

c  Le  symbole  des  colombes  et  du  vase  qui  accompagne 
celte  inscription  cesse  d'être  employé  après  612.  »  .Noua 
avons  une  inscription  de  Mandourel,  appartenant,  d'après 
M.  Leblant,  à  la  fin  du  VI?  siècle,  qui  porte  ces  colombes, 
ir  621b. 

M.  Grinda  fixe,  nous  l'avons  dit  tantôt,  à  Tannée  497,  la 
date  de  l'inscription  de  sainte  Eusébie.  C'est  là  une  faute 
d'impression  certainement,  puisque  la  sixième  indiction  cor- 
respondant à  ce  moment  du  V  siècle  tombe  en  l'année  498  (i). 

Mais  venons  à  la  discussion.  L'inscription  de  sainte  Eusé- 
bie  ne  ressemble  pas  à  celles  du  V*  siècle.  Quelle  est,  en  effet, 
la  marque  caractéristique  générale  des  inscriptions  lapidaires 
de  ce  siècle  ? 

Pour  la  trouver,  nous  avons  pris  dans  l'ouvrage  de  M.  Ed- 
mond Leblant  à  peu  près  toutes  les  inscriptions  datées  et 
appartenant  à  ce  siècle.  Nous  en  avons  recueilli  quarante- 
deux.  Il  n'y  en  a  guère  davantage,  croyons-nous  si  Ton  ne 
prend  que  celles  dont  la  date  est  à  peu  près  certaine. 

Or,  voici  nos  conclusions.  La  marque  caractéristique  des 
inscriptions  du  V-  siècle  est  :  1°  de  porter  les  dates  hypatiques 
c'est-à-dire  consulaires.  Sur  quarante-deux  épitaphes,  trente- 
quatre  possèdent  cette  formule  chronologique.  Quant  aux 
autres,  elles  sont  datées  soit  par  l'indiction  et  les  années  de 
règne  d'un  roi,  soit  par  les  années  de  règne  seulement,  soit 
enfin  par  des  événements  à  l'aide  desquels  il  est  facile  de  fixer 
leur  origine  (2). 

2°  C'est  de  ne  pas  être  datées  par  l'indiction.  Quatre  à  peine, 

(1)  Dictionnaire  de  diplomatique  chrétienne,  édition  Migne,  col.  480. 
—  Gallia  christiana%  t,  I,  page  212  de  l'appendice.  —  Grinda,  op.  cit.  — 
Leblant,  op.  cit.,  n*  388. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.y  n"  556  a,  569, 612,  482,  412,  28,  54,  200. 


—  424  - 

sur  quaranle-deux,  ont  cette  date  (1).  Mais  alors  on  ne  trouve 
dans  ces  inscriptions  ni  le  monogramme  P,  ni  vases,  ni  co- 
lombes. Par  contre  elles  portent  les  dates  consulaires,  ou  sont 
ornées  du  monogramme  constantinien^. 

3*  C'est  de  ne  pas  avoir  le  monogramme  p.  Trois  au  plus  le 
possèdent  (2).  Et  encore  une  de  ces  inscriptions  est  de  date  in- 
certaine. Puis,  elles  débutent  par  des  formules  spéciales  ;  elles 
n'ont  point  le  «  Hic  requiescet  in  pace  »  ;  elles  portent  le 
a  bonae  memoriaî  »,  les  dates  consulaires,  et  n'ont  pas  l'indic- 
tion. 

48  C'est  de  n'avoir  pas  le  début  :  «  Hic  requiescet  in  pace  *. 
Huit  seulement  commencent  par  cette  formule  (3).  Mais  elles 
portent  la  date  des  consuls  ou  celles  des  rois  ;  elles  ont  la  for- 
mule a  bonae  mémorise  »,  le  ^  ;  pas  de  colombes  ni  de 
vases,  ni  de  J^. 

5*  C'est  de  ne  pas  avoir  les  vases  ou  les  colombes  symboli- 
ques. Six  seulement  sont  ornées  de  ces  figures  (4\  Mais  on 
trouve  chez  elles  la  date  des  consuls  seule  ou  avec  le  chrisme 
+  ou  «  Hic  requiescit  in  pace  bonae  memoriae  »  ou  a  In  hoc 
tumulo  requiescit  »,  le  monogramme  J^  avec  la  date  consu- 
laire et  a  In  hoc  loco  requiescit  »  ou  «  Hoc  jacet  tumulo  ». 

6*  Enfin,  quand  il  s'agit  de  religieuses  dans  ces  inscriptions, 
elles  y  sont  appelées  de  divers  noms.  Mais,  sur  trois  épitaphes 
où  il  est  fait  mention  de  personnes  vouées  à  Dieu,  pas  une 
d'entre  elles  qui  soit  appelée  «  religiosa  »  ou  a  ancilla  Dei  ». 
L'une  est  nommée  «  sacrata  Dei  puella  »,  l'autre  «  puella  Deo 
placita  »  ;  de  la  dernière,  on  dit  que  «  mundum,  Deo  mise- 
rante,  reliquit  ('5)  ». 

Or,  notre  inscription  de  sainte  Eusébie  ne  porte  pas  la  date 
consulaire,  elle  a  l'indiction,  le  monogramme  J^,  la  formule 
a  Hic  requiescit  in  pace  »,  les  colombes  et  les  vases  symboli- 


(1)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n"  481  a,  388,  556  a,  538. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n°*  412,  44,  631. 

(3)  Ed.  Leblant.  op.  cit.,  n"  87,  474  B,  374  a,  548,  388,77,  612,  482. 

(4)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n»68,  379,  69,  412,  44,  374  a. 

(5)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n0i  388,  615,  55.  Les  deux  derniers  numéros 
sont  de  dates  incertaines  ;  les  inscriptions  qu'ils  désignent  pourraient 
appartenir  au  VI»  siècle. 


—  425  — 

gués.  Eusébie  y  est  appelée  «  religiosa,  ancilla  Domini  ». 
Cette  inscription  ne  ressemble  pas  à  celles  du  V*  siècle.  Donc 
il  n'y  a  nulle  apparence  qu'elle  appartienne  à  cette  époque . 
Ce  serait  assurément  un  coup  de  hasard  qu'on  fût  obligé  de 
la  ranger  parmi  les  marbres  de  cette  époque  épigraphique. 

Serrons  davantage  la  question,  afin  d'échapper  le  plus  pos- 
sible à  la  critique.  Prenons  les  inscriptions  datées  par  les  dix 
dernières  années  du  V"  siècle,  de  490  à  500.  Confrontons  avec 
elles  l'inscription  de  sainte  Eusébie.  Nous  avons  entre  les 
mains  quatorze  de  ces  inscriptions  dont  une  d'Aïx,  une  d'Arles, 
une  d'Artonnes  (Puy-de-Dôme),  une  de  Vézeronces  (Isère),  une 
d'Aoste  (Isère),  une  de  Viviers  (Ardèche),  une  d'Anse  (Rhône), 
une  de  Coudes  (Puy  de-Dôme),  une  de  Salle-d'Aude  (près  de 
Narbonne),  deux  de  Vienne  (Isère),  trois  de  Lyon  (Rhône). 

Or,  voici  les  résultats  auxquels  nous  arrivons. 

Notre  inscription  de  sainte  Eusébie  est  ornée  du  mono- 
gramme de  second  ordre  f.  Or,  pas  une  de  ces  quatorze  ins- 
criptions ne  le  porte  (1).  Trois  d'entre  elles  ont  le  mono- 
gramme constantinien  £$>  j^>  J£  (2);  une  le  monogramme 
de  troisième  ordre  +  (3). 

L'inscription  de  sainte  Eusébie  débute  par  la  formule  a  Hic 
requiescet  in  pace  ».  Quatre  sur  quatorze  de  ces  inscriptions 
possèdent  cette  formule  (4).  Mais  à  deux  d'entre  elles  s'ajoute 
la  note  a  bonse  mémorise  »,  aucune  n'a  les  colombes  ou  les 
vases  symboliques. 

Notre  Eusébie  est  appelée  «  religiosa  »  et  «  ancilla  Domini  ». 
La  seule  inscription  qui  parle  d'une  religieuse,  appelle  celle-ci 
«  puella  Deo  placita  (5)  ». 

Notre  inscription  est  datée  par  l'indiction .  Mais,  sur  ces 
quatorze  marbres,  dix  portent  la  mention  chronologique  des 
consuls,  trois  sont  datés  par  les  années  du  règne.  Un  possède 
la  date  de  l'indiction  accolée  aux  années  de  règne,  deux  la 

(1;  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n"  436,  388,  32,  69,  77,  556  a,  569,  458  ee,  625, 
538,612,391,482,12. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n°*  388,  77,  556  a 

(3)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n*  391. 

(4)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n"  388,  77,  612,  482. 

(5)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n*  388. 


-426  - 

joignent  aux  noms  des  consuls  (1).  Ici  encore  nous  notons  la 
présence  tantôt  du  ^  ou  du  P,  tantôt  du  «  bons  mémorise  ». 
Enfin  un  vase,  des  colombes  symboliques  décorent  notre 
inscription.  Une  seule  de  ces  quatorze  inscriptions  porte  ces 
figures  (2>.  Et  toujours  nous  constatons  l'absence  du  mono- 
gramme P,  de  la  formule  a  Hic  requiescit  in  pace  »,  de  Pin- 
diction,  et  la  présence  au  contraire  de  la  date  consulaire,  du 
«  bonse  mémorise  »,  d'un  début  de  basse  époque:  «  In  hoc 
tumulo  requiescit  » .  L'inscription  de  sainte  Eusébie  ne  res- 
semble pas  à  celles  de  la  fin  du  V0  siècle.  On  ne  peut  donc 
l'attribuer  à  cette  époque. 

Il  y  a  plus  encore.  M.  Grinda  a  écrit  que  la  date  de  notre 
inscription,  en  suivant  la  donnée  chronologique  de  l'indic- 
tion  qu'elle  porte,  serait  497  (3)  ou  mieux  498.  Or,  prenons, 
si  Ton  veut,  la  sixième  indiction  précédente,  soit  Tannée  483; 
prenons  encore  la  sixième  indiction  qui  suit  et  appartient 
déjà  au  VI*  siècle,  soit  Tannée  513.  Confrontons  l'inscription 
de  sainte  Eusébie  avec  des  inscriptions  datant  de  cette  partie 
du  V*  et  du  VP  siècle,  appartenant  à  la  région  de  Marseille  et 
aux  pays  environnants. 

Nous  avons  ainsi  dix-sept  inscriptions,  allant  de  470  à  519, 
dont  une  de  Marseille,  trois  d'Aix,  deux  d'Arles,  trois  de  Vai- 
son,  une  de  Valence,  une  de  Viviers,  six  de  Vienne  (4). 

n"  toutes  ces  inscriptions,  même  celle  de  Marseille,  sont 

"— « ontion  de  celle  de  Viviers,  qui 

lu  mono- 

^certaine  ; 

i  formule 

a  pace  »  et 


.  (1)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  nw  556  a,  388,  538. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n°  69. 

(3)  Grinda,  op.  cit. 

(4)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  inscription  de  Marseille  n#  548  ;  —  d'Arles, 
n"  538,  510;  —  d'Aix,  n"  627,  625,  623  ;—  de  Vaison,  n-  490,  492,  489; 
—  de  Valence,  n9  474  b  ;  —  de  Viviers,  n#  482  ;  —  de  Vienne,  n~  448, 
436,  458  EB,  434,  437,  407. 


—  427  — 

n'est  pas  ornée  des  vases  et  colombes  symboliques  (1).  Une  des 
inscriptions  qui  proviennent  d'Aix  porte  le  monogramme  J£> 
mais  elle  est  datée  par  les  consuls,  n'a  ni  l'indiction,  ni  vases, 
ni  colombes,  ni  la  formule  «  Hic  requiescet  in  pace  (2).  Deux  de 
celles  qui  appartiennent  à  Vaison  ont  le  +,  main  elles  ont 
aussi  les  dates  hypathiques,  une  forme  particulière  dans  la 
composition,  la  mention  «  bonae  memoriae  »  (3).  La  dernière, 
provenant  de  Vaison,  possède  le  J£,  mais  elle  est  datée  par 
les  consuls,  elle  a  la  formule  «  bonae  mémorise  »  et  n'a  ni 
vases,  ni  colombes,  ni  le  c  Hic  requiescet  in  pace  »  (4). 

Trois  inscriptions,  dont  celle  de  Marseille,  offrent  le  début 
«  Hic  requiescit  in  pace  »  ;  mais  on  y  trouve  la  date  consu- 
laire, le  «  bonae  mémorise  »  et  Ton  n'y  trouve  ni  l'indiction,  ni 
les  vases  symboliques,  ni  le  monogramme  P  (5).  Trois  enfin, 
dont  celles  d'Arles  et  d'Aix,  présentent  le  début  «  Hic  in  pace 
quiescit  »  ;  là  encore  on  rencontre  la  date  par  les  consulats,  la 
formule  «  bonae  memoriae  »,  mais  ni  l'indiction,  ni  les  figures 
symboliques,  ni  le  monogramme  J^,  ne  s'y  rencontrent  (6). 

Or,  l'inscription  de  sainte  Eusébie  ne  parte  pas  la  date  con- 
sulaire, elle  est  marquée  par  l'indiction,  elle  porte  le  mono- 
gramme ^,  elle  débute  par  a  Hic  requiescet  in  pace  »,  elle 
est  ornée  par  les  colombes  s'abreuvant  au  vase  symbolique. 
Nulle  ressemblance  donc  entre  cette  inscription  d'Eusébie  et 
celles  de  la  fin  du  V*  siècle  et  du  début  du  VI#  siècle  apparte- 
nant à  notre  région.  Donc  on  ne  peut  la  ranger  parmi  les  mar- 
tres du  Va  siècle. 

Oue  l'on  n'allègue  pas  l'ignorance  de  ceux  qui  ont  rédigé 
l'épitaphe  de  sainte  Eusébie,  pour  excuser  l'absence  de  la  date 
consulaire,  non  plus  la  bâte,  la  précipitation  avec  laquelle 
elle  a  été  faite!  Nous  avons  dit  plus  haut  que  l'on  avait  eu 


(1)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n°  407.  —    Dictionnaire   d'Epigraphie,  de 
Migne,  t.  II,  col.  1184. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n*  623. 

(3)  Ed.  Leblant,  op.cit ,  a"  489,  492. 

(4)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n»  490. 

(5)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n"  548,  474  b,  482. 

(6)  Ed.  Leblant,  op.cit.,  n"510,  623,  489. 


—  428  — 

plusieurs  jours  pour  rédiger  et  graver  cette  inscription,  et  que 
c'était  un  prêtre  ou  un  moine  qui  Pavait  composée. 

Or,  ce  moine,  ce  prêtre  rédacteur  de  cette  inscription,  si 
nous  la  supposons,  avec  M.  Grinda,  du  V  siècle,  savait  bien 
qu'à  cette  époque  on  datait  par  les  consuls.  Les  conciles,  les 
lettres  des  empereurs,  les  inscriptions  employaient  cette  for- 
mule. Nous  avons  parlé  plus  haut,  en  effet,  des  inscriptions 
chrétiennes  de  Marseille,  d'Aix,  d'Arles,  etc.  Mais  nous  avons 
des  inscriptions  civiles  portant  aussi  durant  ce  siècle  la  date 
hypathique(l).  L'histoire  ensuite  a  conservé  des  lettres  que 
les  Augustes,  les  Césars,  les  empereurs  écrivaient.  Une  d'entre 
elles  est  rédigée  à  Arles  et  datée  par  le  consulat  (2).  Le  concile 
de  Riez  mentionne  les  consuls  durant  Tannée  desquels  il 
se  réunit  (3).  Si  l'inscription  d'Eusébie  appartient  au  V*  siècle, 
il  est  très  étonnant,  étant  donnés  celui  qui  la  rédige  elles 
détails  qu'elle  fournit,  qu'elle  ne  porte  pas  la  formule  chrono- 
logique des  consuls .  Toutes  celles  de  la  fin  du  IV6  siècle,  la 
majorité  de  celles  du  V'  en  entier  possèdent  cette  manière  de 
dater.  La  nôtre  ne  l'a  pas,  donc  elle  n'est  pas  du  Yc  siècle. 

Enfin,  ce  moine,  ce  prêtre  ne  rédigeait  pas  l'épilaphe  d'un 
simple  fidèle.  Il  s'agissait  dune  religieuse*  d'une  grande  ser- 
vante de  Dieu,  de  Tabbesse  d'un  monastère;  il  s'agissait  enfin 
de  conserver  le  souvenir  d'un  événement  important  (4).  Il  dut 
apporter  à  la  rédaction  de  cette  inscription  tout  le  soin  voulu, 
et  mettre  au  bas  de  ce  document  une  date  certaine,  une  date 
compréhensible. 

Or,  au  V*  siècle,  il  n'y  avait,  pour  obtenir  ce  résultat,  que 
deux  manières  :  ou  bien  il  fallait  employer  la  date  par  les 
consulats,  ou  bien  il  fallait  dater  par  les  années  du  règne  du 
roi.  Or,  à  ce  moment  de  498,  c'était  Alaric  II  qui  était  le  maî- 
tre légitime  de  Marseille  et  de  la  Provence.  Quatre  inscriptions 


(1)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence^  t.  I,  p.  583,  inscript,  de  435. 
(?)  H.  Bouche,  op.  cit.,  t.  I,  p.  575:  lettre  de  Théodose  et  d'Honorius 
à  la  ville  d'Arles,  en  418. 

(3)  II.  Bouche,  op.  cit.,  t.  1,  p.  584  :  concile  de  Riez  en  439. 

(4)  Les  fidèles  avaient,  en  effet,  grand  soin  de  préciser  la  date  de  la 
mort  d'un  saint  personnage,  afin  d'en  célébrer  plus  tard  la  tête.  Leblant, 
Inscriptions  chrétiennes,  t.  II,  p.  420; 


—  429  - 

de  ce  siècle,  appartenant  à  Viviers,  Artonnes,  Coudes,  Salles 
d'Aude  donnent  cette  formule  chronologique  (1).  C'était 
peut-être  aussi  Gondebaud,  roi  des  Bourguignons,  qui  l'occu- 
pait (de  484  à  501).  Or,  les  Bourguignons  ont  gardé  jusqu'au 
VII*  siècle  l'habitude  de  dater  par  consulats.  Aussi  les  maîtres 
d'Aix,  d'Arles,  de  Marseille  emploient  la  date  des  consuls  (2). 
Le  choix  était  libre  donc.  Or,  le  rédacteur  de  notre  inscription 
n'a  employé  ni  une  manière,  ni  une  autre. 

La  conclusion  toute  naturelle  est  que  ce  n'est  pas  au  V'  siècle 
qu'elle  a  été  rédigée  et  gravée. 


(1)  Ed.  Leblant,  nM  556  jl,  569,  612,  482. 

(2)  Ed.  Leblant,  n"  548,  538,  510,  627,  625,  623. 


CHAPITRE  VIII 
Inscription  de  sainte  Eusébie 

(Suite) 


SUIVANT  M.  EDMOND  LEBLANT,  NOTRE  INSCRIPTION  DE  8AINTE  EUSÉBIE 
APPARTIENT  AU  VI*  SIÈCLE.  —  CARACTÈRES  ÉPIGRAPH1QUBS  DBS 
INSCRIPTIONS  DATÉES  PAR  L'iNDICTlON.  —  NOTRE  INSCRIPTION  NE 
LES  A  PAS.  —  CARACTÈRES  DES  INSCRIPTIONS  DU  IV*  AGE.  —  NOTRE 
INSCRIPTION  NE  LES  A  PAS.  —  NOTE  CARACTÉRISTIQUE  GÉNÉRALE 
DES  INSCRIPTIONS  DU  VI*  SIÈCLE.  —  NOTRE  INSCRIPTION  NE  L*A  PAS. 
—  ON  DATAIT  PAR  LE8  CONSULATS  AU  VI*  SIÈCLE  ENCORE  DANS  LA 
RÉGION.  —  LES  MARBRES  DE  VIENNE  ET  DE  TRÊVES  NE  PROUVENT 
PAS  CONTRE  NOUS.  —L'INSCRIPTION  DE  SAINTE  EU8ÉBIE  N'ESTPAS  DU 
VI*  SIÈCLE.  —  ELLE  N*EST  PAS  DU  VII*  8IÊCLB. 


Nous  arrivons  à  M.  Edmond  Leblant.  C'est,  nous  l'avons  dit 
déjà,  un  maître  en  épigraphie,  et,  s'il  nous  en  coûte  de  ne  pas 
être  de  son  opinion,  nous  sommes  bien  osé  d'essayer  de  la 
combattre. 

«  L'inscription  de  Marseille  nous  semble  appartenir  au 
VI'  siècle  »,  a  dit  cet  écrivain.  Il  nous  parait  difficile,  croyons- 
nous,  d'accepter  cette  affirmation.  L'inscription  de  sainte 
Eusébie,  en  effet,  ne  ressemble  pas  à  celles  du  VI'  siècle,  donc 
elle  ne  peut  appartenir  à  cette  époque. 

M.  Edmond  Leblant  dislingue  quatre  âges,  quatre  époques 
en  épigraphie.  La  première  époque  précède  l'avènement  de 
Constantin,  la  seconde  est  la  période  constant inieu ne,  la 
troisième  embrasse  le  IV  et  le  Ve  siècle,  la  quatrième  com- 
prend le  VI'  et  le  VI?  siècle  (1).  Or,  voici,  d'après  M.  Leblant, 
les  caractères,  qui  d'après  les  marbres  chronologiques,  nous 
Reportent  au  V?  ou  au  VII'  siècle  : 

«  Défaut  de  monogrammes,  croix  en  tête  de  la  première 

(1)  Edmond  Leblaiitj  Manuel  d' Epigraphie  cftrétiennet  pp.  51,  53,  35 


—  431  — 

ligne,  indiction,  début  compliqué  :  a  In  hoc  loco  requiescit, 
Hic  requiescit  in  pace  bon»  mémorise  a.  Ailleurs  il  ajoute  : 
«  La  date  de  Tannée  de  la  mort  devient  fréquente,  on  ne 
rencontre  plus  ni  le  nom  du  père,  ni  l'indication  de  ceux  qui 
ont  fait  faire  la  tombe  (1)  ». 

A  un  autre  endroit  de  son  ouvrage  où  il  s'agit  des  inscrip- 
tions datées  de  la  seule  indiction,  cet  auteur  écrit  :  «  Cette 
note  chronologique  accuse  une  basse  époque  (en  épigraphie). 
Les  inscriptions  qui  la  présentent  devront  donc  offrir  en  même 
temps  les  marques  propres  au  dernier  âge  :  absence  du  mono- 
gramme J£,  du  nom  de  ceux  qui  ont  fait  faire  la  tombe,  croix 
au  début  de  la  première  ligne,  mention  du  jour  de  la  mort, 
début  de  forme  banale  et  compliquée,  mots  abonae  mémorise, 
obiit,  plus  minus,  religiosa  ».  Toutes  ces  particularités  carac- 
térisent les  épitaphes  dont  je  parle  (2)  ».  Et  M.  Edmond  Leblant 
cite  en  note  seize  inscriptions  datées  par  l'indiction  seulement, 
parmi  lesquelles  se  trouve  celle  de  sainte  Eusébie,  oubliant 
cependant  de  citer  celle  d'Eugenia  de  Marseille  (3). 

Or,  l'inscription  de  notre  sainte  Eusébie  est  datée  de  la  seule 
iudiction,  et  M.  Leblant  la  croit  du  V?  siècle.  Pour  affirmer 
que  notre  inscription  appartient  au  V?  siècle,  il  faut  donc  ou 
qu'elle  ressemble  de  quelque  manière  à  ces  seize  inscriptions 
que  cite  cet  auteur  et  datées  par  l'indiction,  ou  qu'elle  ren- 
ferme les  marques  propres  au  dernier  âge. 

Examinons,  et  nous  conclurons  ensuite. 

Sur  ces  seize  inscriptions  et  huit  en  plus  :  celle  d'Eugenia, 
une  autre  que  M.  Leblant  avait  sans  doute  oublié  de  men- 
tionner dans  cette  liste,  et  six  autres  que  nous  avons  recueil- 
lies, parmi  lesquelles  celle  de  Tillisiola,  en  tout  donc  vingt- 
quatre,  trois  appartiennent  à  Marseille,  sans  compter  celle  de 
sainte  Eusébie,  deux  à  Aix,  neuf  à  Arles,  une  à  Vénasque,  une 
à  Narbonne,  une  à  Viviers,  une  à  Die,  une  à  Saint-Laurent 

(1)  Edmond  Leblant,  op.  cit.,  pp.  50,  55. 

(2)  Edmond  Leblant,  Manuel  d' Epigraphie,  p.  33. 

(3)  11  nous  semble  que  les  lettres  C  Q,  qui  terminent  cette  inscrip- 
tion d'Eugenia,  sont  lès  vestiges  de  la  formule  de  l'indiction  :  «  indic. . .  ;  & 
q|uinta]  >; 


-  432  - 

de  Mure,  trois  à  Vienne,  (Isère),  deux  à  Lyon  (1).  Toutes  donc 
appartiennent  à  notre  région. 

Or,  la  série  des  marques  propres  aux  inscriptions  datées 
par  l'indiction  seulement,  exclut  le  monogramme  Jç ,  et  de 
fait  aucun  des  vingt-quatre  marbres  cités  en  exemple  ne  le 
porte,  pas  même  ceux  de  Marseille,  d'Aix,  d' Arles,  de  Vénas- 
que.  Celui  de  sainte  Eusébie  est  orné  du  chrisme  de 
second  ordre  p.  Les  inscriptions  datées  par  l'indiction  doivent 
avoir  comme  début  une  formule  compliquée  ;  «  Hic  requiescit 
in  pace  bons  mémorise  ».  De  fait,  sur  les  vingt-quatre  inscrip- 
tions, treize,  parmi  lesquelles  celles  de  Marseille,  d'Aix, 
d'Arles,  ont  le  début  «  Hic  requiescit  in  pace  bons  mémorise  »9 
cinq  ont  celui  de  a  In  hoc  loco  requiescit  in  pace,  In  hoc 
tumulo  requiescit  bons  mémorise  *,  une  débute  par  «  Hic 
requiescit  bonae  mémorise  »,  trois  enfin  ont  une  forme  spéciale. 
Dix-neuf  ont  la  mention  «  bonae  mémorise  d.  Mais  précisément 
le  marbre  de  sainte  Eusébie  ne  porte  pas  cette  marque 
chronologique.  Il  débute  simplement  par  «  Hic  requiescit 
in  pace  ». 

Les  marbres  datés  par  l'indiction  seulement  doivent  avoir 
la  croix  en  tête.  De  fait  encore,  sur  les  vingt-quatre  inscrip- 
tions, onze,  parmi  lesquelles  deux  de  Marseille,  une  d'Aix,  une 
de  Venasque,  trois  d'Arles,  possèdent  cette  croix  -J-.  Une 
d'Arles  porte  le  P  avec  «  bonse  mémorise  »  et  plus  minus . 
Les  autres  n'ont  aucun  signe,  aucun  monogramme.  Or,  si 
notre  inscription  de  sainte  Eusébie  n'est  pas  privée  de  chrisme; 
ce  n'est  pas  la  croix  +,  mais  le  monogramme  de  second  ordre, 
le  P,  qui  orne  sa  première  ligne. 

La  formule  plus  minus  doit  se  trouver  sur  les  marbres 
datés  par  la  seule  indiction.  Aussi,  le  plus  minus  marque 
treize  inscriptions,  sur  les  vingt-quatre  qui  sont  citées,  et 
parmi  ces  treize  il  y  en  a  une  de  Marseille  et  neuf  d'Arles. 
Notre  inscription  d'Eusébie  cependant  ne  porte  pas  le  plus 

(1)  Edmond  Leblant,  Inscription*  chrétiennes,  nM  544,  551,  Marseille; 
—  624,  629,  Aix;  -  513,  523, 524,  532,  Arles;  -  707,  Venasque,  —  616*, 
Narbonne;  —  483,  Viviers;  —  478\  Die;  —  386,  Saint-Laurent;  —  465, 
461,  458 l,  Vienne;  —  37,  83,  Lyon  ;  —  en  plus  deux  marbres  trouvés  à 
Arles  en  1882.  (Bulletin  arcJiéologique,  1882,  p.  292.) 


-  433  - 

minus.  Enfin,  c'est  le  nom  de  a  religiosa  »  que  l'on  donne  aux 
personnes  consacrées  à  Dieu,  sur  ces  marbres  à  indiction  toute 
seule.  Or,  parmi  ces  vingt-quatre  marbres,  il  n'y  en  a  que 
deux  qui  soient  les  pierres  funéraires  de  religieuses.  C'est  celui 
d'Eugenia  de  Marseille,  et  celui  de  Tillisiola,  abbesse  dans  la 
môme  ville.  Or,  Eugenia  est  appelée  non  pas  c  religiosa  », 
mais  «  ancella  Domini  »  ;  Tillisiola  «  virgo  »,  ses  compagnes 
«  virgines  sacra  ».  La  règle  n'est  donc  pas  suffisamment 
établie.  Avouons  cependant  que  dans  l'inscription  que  nous 
étudions,  Eusébie  est  qualifiée  «  religiosa  »,  mais  elle  est 
appelée  aussi  «  ancella  Domini  » . 

Enfin,  ces  marbres  à  date  par  indiction  seulement  ne  font 
pas  mention  de  ceux  qui  ont  fait  faire  la  tombe.  L'inscription 
d'Eusébie  sur  ce  point  encore  est  d'accord  avec  les  marbres 
précités.  Ils  portent  le  terme  «  obiit  »,  celui  d'Eusébie  porte 
le  mot  «  recessit  »  qui,  on  le  sait,  est  une  expression  usitée 
pendant  longtemps  dans  l'épigraphie  marseillaise.  Enfin, 
ils  mentionnent  le  jour  de  la  mort,  et  notre  marbre  l'indique 
aussi.  Mais,  somme  toute,  sur  neuf  des  particularités  qui 
caractérisent  ces  marbres,  il  y  en  a  six,  et  ce  sont  les  princi  - 
pales,  qui  ne  se  rencontrent  pas  dans  celui  de  sainte 
Eusébie. 

Une  conclusion  toute  naturelle,  c'est  que  cette  épitaphe  est 
en  dehors  des  règles  données  pour  les  inscriptions  à  date  in- 
dirtionnelle.  Or,  comme  ces  marbres  ainsi  datés  appartien- 
nent, de  l'aveu  de  M.  Leblant,  h  une  basse  époque,  au  VI* 
siècle,  il  s'ensuit  que  le  nôtre  n'est  pas  du  VI*  siècle. 

Nous  avons  indiqué  plus  haut  les  caractères  qui,  d'après  les 
marbres  chronologiques,  nous  reportent  au  VI"  siècle.  Ils  se 
confondent  avec  ceux  que  les  marbres  datés  par  l'indiction 
seulement  nous  ont  !  fait  connaître.  Mais,  pas  plus  ceux-là  que 
ceux-ci  ne  prouvent  que  notre  inscription  appartienne  au  VI* 
siècle.  Ces  marbres  du  VI*  siècle  portent  l'indiction,  la  date  de 
la  mort,  ne  font  pas  connaître  le  nom  de  ceux  qui  ont  fait 
faire  la  tombe  ;  celui  de  sainte  Eusébie  fournit  ces  signes.  Mais 
ils  n'ont  pas  de  monogrammes,  et  celui  de  sainte  Eusébie 
offre  le  chrisme  de  second  ordre,  le  £.  Ils  ont  la  croix  en  tête 
de  la  première  ligne,  et  celui  de  sainte  Eusébie  n'a  pas  ce  si- 


—  434  — 

gne  cruciforme,  mais  le  monogramme  P .  Ils  ont  le  début 
compliqué  :  a  In  hoc  loco  requiescit,  Hic  requiescit  in  pace 
bonae  mémorise  »,  et  celui  d'Eusébie  fait  lire  le  «  Hic  requies- 
cit in  pace  ».  Ainsi  donc,  notre  inscription,  de  ce  chef  en- 
core, ne  parait  pas  appartenir  au  VI*  siècle,  puisqu'elle  ne 
ressemble  pas  aux  épitaphes  de  cette  époque. 

Nous  arrivons  à  la  même  conclosion  en  procédant  à  l'égard 
de  M.  Leblant  de  la  même  manière  que  nous  ayons  procédé  à 
l'endroit  de  H.  Grinda. 

Quelle  est  la  note  caractéristique  générale  des  inscriptions 
du  VI-  siècle  ? 

C'est  d'abord  d'être  datées  par  les  consulats,  que  ces  consulats 
soient  la  seule  marque  chronologique,  qu'ils  soient  accolés 
aux  indictions,  ou  bien  aux  années  de  règne  de  quelque 
prince.  Sur  quatre-vingt-onze  inscriptions  datées  que  nous 
avons  recueillies  dans  les  Inscriptions  chrétiennes  de  la 
Gaule,  antérieures  au  VIII*  siècle,  il  y  en  a  soixante-neuf 
qui  portent  ces  dates  hypatiques,  dont  quarante-cinq  par  les 
consulats,  vingt-trois  par  les  consulats  et  l'indiction,  une  par 
le  consulat,  l'indiction  et  les  années  de  règne.  Les  autres  ins- 
criptions ne  portent  aucun  genre  de  date,  ou  bien  sont  datées 
par  les  années  de  règne  exclusivement. 

Une  autre  trait  caractéristique,  c'est  de  ne  porter  aucun 
monogramme.  Sur  quatre-vingt-onze  inscriptions,  en  effet,  il 
n'y  en  a  qu'une  avec  le  J£,  deux  avec  le  yfc,  quatre  avec  le  P , 
et  dix-huit  avec  la  croix +.  En  tout  vingt-cinq  sur  quatre- 
vingt-onze. 

Une  autre  marque  encore,  c'est  d'employer  une  formule  de 
début  de  basse  époque.  Sur  quatre-vingt-onze  inscriptions, 
vingt-une  à  peine  font  lire  :  a  Hic  requiescit  in  pace  »  ou  «  Hic 
in  pace  quiescit  ». —  Une  note  encore  c'est  l'absence  d'un 
monogramme  quelconque  précédant  la  formule  «  Hic  requies- 
cit in  pace  ».  En  effet,  la  croix  +  accompagne  cette  formule 
dans  sept  inscriptions  seulement,  le  monogramme  constanti- 
nien  ^  ne  se  lit  qu'une  seule  fois  avec  «  Hic  in  pace  quiescit  » 
et  le  monogramme  de  second  ordre  J^  ne  se  lit  pas  une  seule 
fois  au-devant  de  la  formule  t  Hic  requiescit  in  pace  ». 

Autre  trait,  c'est  l'absence  du  vase  et  des  colombes  symboli- 


-  435  — 

• 

ques.  Sur  quatre-vingt-onze  marbres,  il  n'y  en  a  que  six  sur- 
lesquels  ces  figures  sont  gravées,  et  ces  marbres  n'ont  ni  Jï, 
ni  P ,  ni  +.  Tous  sont  datés  par  les  consuls.  Deux  à  peine  ont 
le  début  9  Hic  requiescit  in  pace  »  et  quatre  ont  laformule 
«  bon»  mémorise  ». 

Un  dernier  détail  caractéristique,  c'est  que  lorsqu'il  s'agit 
de  personnes  vouées  à  Dieu,  sur  onze  inscriptions  de  ce  genre, 
dans  quatre,  on  les  appelle  «  religiosa  (1)  »  ;  dans  quatre 
autres,  on  les  désigne  par  :  a  Deo  sacrata,  famula  Christi  (2)  »; 
dans  deux,  enfin,  par  une  périphrase,  telle  que  «mundana 
reliquit,  venerabilis  religione  (3)»,  jamais  par  a  ancilla  Do- 
mini  » . 

Or,  nous  le  savons,  notre  inscription  de  sainte  Eusébie  dé- 
bute par  le  monogramme  P,  suivi  de  la  formule  «  Hic  re- 
quiescet  in  pace  »,  et  pas  une  des  inscriptions  du  VI*  siècle 
n'a  ce  monogramme  accompagnant  un  tel  début;  celles  qui 
ont  ce  début  ne  le  font  précéder  d'aucun  chrisme  ;  ou,  s'il  y 
en  a,  c'est  le  monogramme  primitif  que  Ton  trouve,  le  J£  ou 
la  croix  +. 

Dans  notre  inscription,  Eusébie  est  appelée  «religiosa  », 
mais  aussi  «  ancilla  Domini  » .  Et  aucun  des  marbres  du  VI" 
siècle  ne  fait  lire  ce  mot.  —  Notre  inscription  est  datée  par 
l'indiction  seulement.  Or,  la  grande  majorité  des  inscriptions 
du  VI*  siècle  porte  la  note  chronologique  des  consuls  ou  des 
rois  ;  celles  qui  n'ont  pas  cette  note  sont  d'une  allure  épigra- 
phique  différente  de  celle  de  notre  marbre  ;  pas  une  inscrip- 
tion k  indiction  toute  seule  et  dotée  d'une  date  historique,  capa- 
ble de  nous  servir  de  point  de  repère. 

Deux  colombes  s'abreuvent  à  un  vase  symbolique,dans  notre 
inscription.  Or,  ce  détail  ne  se  rencontre  que  dans  six  ins- 
criptions du  VI*  siècle,  et  aucune  d'elle  ne  porte  le  P ,  le  «  Hic 
requiescit  in  pace  »  sans  adjonction.  Elles  font  lire  le  a  bon» 
mémorise  »,  la  date  des  consuls,  le  «  In  hoc  tumulo  »,  etc.  En 
vérité,  vouloir   quand  même  ranger  ce  marbre  d'Eusébie 

(1)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  nM387  a  ,435. 
663,688. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n-  203.  560,  615,  31,  406. 

(3)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n*<  47,  55. 


—  436  - 

» 

parmi  ceux  VI*  siècle,  c'est,  croyons- nous,  aller  plus  loin  que 
ne  le  permettent  les  données  épigraphiques  concernant  cet 
âge.  Pas  de  ressemblance  donc  entre  notre  inscription  et 
celles  du  V?  siècle. 

Que  Ton  n'allègue  pas  l'insuffisance  de  ceux  qui  ont  rédigé 
Tépitaphe  de  notre  sainte,  pour  excuser  l'absence  de  la  date 
consulaire.  Nous  avons  dit  plus  haut  que  ce  n'était  pas  un 
ignorant  qui  avait  composé  ce  document.  Le  rédacteur  sa- 
vait bien  que  Ton  datait,  à  son  époque,  par  les  consulats.  Du  - 
rant  ce  siècle,  en  effet,  on  s'est  servi  de  cette  formule  chrono- 
logique. Les  conciles  d'Ambérieux  (501),  d'Àgde  (506), 
d'Epaone  (517),  d'Arles  (524),  de  Carpentras  (527),  d'Orange 
(529)  dataient  leurs  décrets  par  les  consulats.  Nous  avons  de 
plus  des  marbres  d'Aix,  d'Arles,  d'Avignon,  de  Vaison,  de 
Vienne  (1);  tous  nous  donnent  à  lire  les  dates  hypathiques. 
Pourquoi  le  rédacteur  de  cette  inscription,  si  elle  est  du  VI* 
siècle,  n'a-t-il  pas  employé  cette  formule,  en  usage  en  ce  mo- 
ment ?  Les  Francs,  il  est  vrai,  se  sont  emparés  de  la  Provence 
vers  534.  Malgré  cet  événement  cependant,  on  a  continué  à 
dater  en  Provence,  sur  les  bords  du  Rhône,  dans  les  Etats 
bourguignons,  par  les  consulats  (2).  Ce  ne  fut  que  vers  la 
seconde  moitié  du  siècle,  que  l'on  joignit  quelquefois  aux 
consuls  la  mention  du  roi  (3).  Pourquoi,  à  Marseille,  n'a-t-on 
pas  suivi  cette  coutume  ? 

Il  s'agissait,  nous  l'avons  dit  encore,  d'une  personne  de 
marque,  d'une  grande  servante  de  Dieu,  de  l'abbesse  du  seul 
monastère  de  religieuses  à  Marseille.  Pourquoi  se  contenter, 
si  c'est  toujours  au  VI*  siècle  que  l'on  grave  cette  inscription, 
d'une  forme  chronologique  sans  valeur  ? 

(1)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  nM  623. 510. 530, 
537,  597,  487,  4*9,  492,  407,  434,  437,  689,  694, 695,  431,  etc.,  etc.  —  Manuel 
d'Epigraphie,  de  M.  Leblant,  p.  135.  —  Longnon,  Gaule  au  VI*  siècle, 
pp.  46,62,63,71. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.  On  trouve  des  inscriptions  :  de  Vaison,  en 
536  ;  d'Arles,  en  541  ;  de  Villeneuve-lez-Avignon,  de  586,  datées  par  les 
consuls;  n°«  487,537,  597. 

(3)  Ed.  Leblant,  op.  cit9  n«597,  Inscription  de  Villeneuve-lez-Avignon, 
de  586  ;  n°375,  inscription  de  Briord,  de  557  ;  n*  474,  inscription  de  Guil- 
lerand,  de  596. 


-  437  — 

Non,  on  n'a  pas  daté  par  les  consulats,  alors  qu'il  aurait 
fallu  et  qu'on  pouvait  le  faire  ;  c'est  que  notre  inscription 
n'appartient  pas  à  celte  époque  ;  'elle  n'est  pas  du  VI*  siècle. 

On  peut  faire  une  objection.  Un  certain  nombre  de  marbres 
chrétiens,  trouvés  à  Vienne,  en  Dauphiné,  et  à  Trêves,  portent 
le  monogramme  de  second  ordre  ^  et  possèdent,  comme  dé- 
but, la  formule  «  Hic  requiescit  in  pace  » .  Or,  quoiqu'ils  ne 
soient  datés  ni  par  les  consulats,  ni  par  l'indiction,  on  les 
range  cependant  parmi  les  inscriptions  du  IV*,  du  V-  et  du  VI* 
siècle.  A  ce  titre  donc,  notre  marbre  de  sainte  Eusébie,  ayant 
le  même  monogramme  J^  et  le  même  début,  pourrait  très  bien 
appartenir  au  V*  ou  au  VI*  siècle. 

Il  est  vrai  que  le  précieux  ouvrage  de  M.  Leblant  nous  offre, 
parmi  les  inscriptions  de  Vienne,  dix-huit  marbres  sans  date 
possédant  la  formule  «  Hic  requiescet  in  pace  ».  Sur  ces  dix- 
huit  marbres,  trois  sont  ornés  du  monogramme  £,  un  de 
la  croix  -f->  deux  enfin  de  la  croix  -\-  et  du  chrisme  constanti- 
nien  jï  (1).  Mais  la  plupart  de  ces  inscriptions  portent  une 
mention  spéciale  :  la  formule  a  Resurrecturus  in  Christo, 
Resurget  in  Christo,  Requiescet  in  spe  resurrectionis  ».  Notam- 
ment les  trois  marbres  dotés  du  ^  et  de  «  Hic  requiescit  in 
pace»  ont  cette  mention. 

Or,  à  quelle  époque  cette  formule,  exprimant  l'espérance 
de  la  résurrection  se  trouve-t-elle  mentionnée  dans  les  ins- 
criptions ?  Quatre  marbres  de  Vienne  ou  des  environs,  possé- 
dant cette  formule  et  datés  par  des  consulats,  nous  le  font 
connaître  (2)  :  c'est  de  441  à  547.  Donc  toutes  les  inscriptions 
sans  note  chronologique  de  cette  même  contrée,  portant  une 
formule  d'espérance,  qu'elles  aient  tel  ou  tel  début,  tel  ou  tel 
monogramme,  appartiennent  à  peu  près  à  l'âge  épigraphique 
des  inscriptions  datées. 

Il  y  a  à  l'appui  une  raison  que  nous  appellerions  historique: 
c'est  que  cette  mention  de  l'espérance  de  la  résurrection  en 
Jésus-Christ  fait  allusion  à  l'erreur  du  gnoslicisme,  répandue 

(1)  Ed.  Leblant,  Jnscrptions  chrétiennes  de  la  Gaule ,  n»  419,  412, 
403,  439,  427,  —  n»  416,  —  ir*  414,  441,  467. 

(2)  tid.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  nM  415,  436,  458  ke,  467. 


—  438  - 

en  ces  contrées  des  bords  du  Rhône  et  combattue  par  saint 
Irénée  et  ses  successeurs.  Les  trois  inscriptions  de  Vienne  dotées 
du  J^  et  de  V  «  Hic  requiescit;  in  pace  »,  quoique  n'ayant  pas 
de  date,  s'en  voient  forcément  assigner  une  et  par  les  marbres 
congénères  datés  et  par  cette  raison  historique.  Elles  appar- 
tiennent aux  V  et  Vï*  siècles  et  au  début  du  VIP  (1). 

Mais  on  ne  peut  nous  les  opposer.  Notre  inscription  de 
sainte  Eusébie  porte  le  monogramme  J^ ,  le  «  Hic  requiescit 
in  pace  »,  mais  aussi  l'indiction.  Or,  possède-t-on  dans  la  col- 
lection des  marbres  une  et  plusieurs  inscriptions  présentant  la 
même  allure  dans  la  composition  que  la  nôtre,  offrant  le  même 
chrisme  P,  le  même  début  «  Hic  requiescit  in  pace  »,  la 
même  formule  chronologique,  et  nous  permettant,  par  les 
détails  historiques  dont  elle  serait  remplie,  de  déterminer  sa 
date  certaine  et  d'en  assigner  une  ainsi  à  la  nôtre  ?  Nous  ne 
croyons  pas  que  ce  marbre  existe  (2). 

Il  en  existe  un  dans  le  VII*  siècle,  daté  de  la  seule  indiction, 
et  prouvant  par  une  raison  historique  qu'à  cette  époque  le 
chrisme  +,  le  début  «  Hic  requiescit  bonae  mémorise  *,  l'al- 
pha et  l'oméga,  étaient  en  usage.  C'est  le  marbre  de  Venasque, 
relatant  l'épitaphe  de  Boetius,  évoque  de  cette  ville,  décédé, 
on  le  sait,  vers  604  (3).  Si  Pindiction  ne  peut  procurer  une 
date  certaine  à  cette  inscription,  le  fait  historique  la  fait  con- 
naître.Or, en  existe-t-il,  au  V  ou  VIe  siècle,  de  semblable  pour 
nous  forcer  à  donner  à  l'inscription  de  sainte  Eusébie  cette 
date  du  V*  ou  du  V?  siècle  ?  Il  n'en  existe  pas,  croyons-nous, 
nous  n'en  avons  pas  remarqué.  Donc  les  marbres  de  Vienne 
sans  date,  ornés  du  J^  et  du  a  Hic  requiescet  in  pace  »  ne  peu- 
vent nous  être  opposés. 

Ceux  que  l'on  a  trouvés  à  Trêves  ne  peyvent  pas  non 
plus  arguer  contre  nous.  L'ouvrage  de  M.  Edmond  Leblant 
nous  fournit  quelque  quarante  inscriptions  non  datées,  et  re- 
cueillies dans  cette  ville.  Sur  bon  nombre  de  ces  marbres,  on 
voit  les  chrismes  J£,  p,  +et  le  début  «Hic  requiescit  in  pace». 

(1)  Ed.  Leblant,  Manuel  a" Epigraphe  chrétienne,  p.  50. 

(2)  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  t.  II,  n*'  507 
et  707. 

(3)  Leblant,  Manuel  d'Epigraphte  chrétienne,  p.  105. 


—  439  — 

Or,  on  attribue  ces  inscriptions  au  IV  et  au  V#  siècle  (1). 
Puisque  notre  inscription  de  sainte  Eusébie  n'a  d'autre  date 
que  l'indiction,  qu'elle  offre  le  même  début  et  porte  un  de 
ceschrismes,  le  Jp,  ne  pourrait- on  pas  lui  assigner,  comme 
date,  le  Y*  siècle  au  moins  ? 

Nullement.  Examinons,  en  effet,  les  marbres  de  Trêves. 
Nous  en  avons  choisi  quarante-six  parmi  ceux  qui  paraissent 
les  plus  complets  et  offrent  le  plus  de  ressemblance  avec 
l'inscription  de  sainte  Eusébie.  Or,  sur  quarante-six  il  y  en  a 
trente-sept  qui  portent  une  formule  spéciale  :  la  mention  de 
ceux  qui  ont  fait  faire  la  tombe.  Mais  ce  détail,  de  l'aveu  de 
M.  Leblant,  est  au  nombre  de  ceux  qui  désignent  le  troisième 
âge,  le  IV*  et  le  V*  siècle.  De  plus,  certaines  raisons  histo- 
riques vous  forcent  à  assigner  cette  date  à  ces  inscriptions. 
Au  milieu  ou  à  la  fin  du  Y'  siècle,  la  Rome  des  Gaules 
tomba  entre  les  mains  des  Francs  Ri  pua  ires,  en  464.  Ceux-ci 
demeurèrent  païens  de  bien  longues  années.  Au  VIII*  siècle, 
l'idolâtrie  y  était  encore  en  honneur  (2).  Ce  n'est  donc  pas  aux 
VII*,  VHP  siècles  que  Ton  peut  attribuer  ces  marbres.  L'his- 
toire nous  dit  qu'ils  sont  du  IV*  ou  du  V*  siècle.. 

Or,  ces  marbres  de  Trêves  qui  ont  le  chrisme  J^  et  le  a  Hic 
requiescit  in  pace  »  ne  peuvent  être  une  objection  pour  nous. 

D'abord,  il  n'y  en  a  que  deux  en  réalité  qui  ont  ce  chrisme 
et  la  formule  «  Hic  requiescit  ».  Mais  ils  portent  aussi  la  men- 
tion de  ceux  qui  ont  fait  faire  la  tombe.  De  ce  chef  donc,  il  est 
certain  qu'ils  appartiennent  au  IV*  ou  au  V*  siècle.  Or,  notre 
inscription  de  sainte  Eusébie  n'a  point  cette  mention,  elle  ne 
ressemble  donc  pas  à  ces  marbres.  D'autre  part,  si  le  fait 
historique  nous  obligea  donner  à  ces  marbres  la  date  du  IV*  ou 
du  V*  siècle,  des  raisons  historiques  nous  amènent  aussi  à  la 
refuser  à  notre  inscription.  Donc  ils  ne  peuvent  nous  être 
opposés  d'aucune  manière.  Nulle  ressemblance  encore  entre 
notre  inscription  et  celles  de  Vienne,  de  Trêves,  et  celles  du 
VI*  siècle.  Donc  elle  n'appartient  pas  à  cette  époque. 

Pour  en  finir  avec  ces  études  épigraphiques,  prouvons  que 
notre  inscription  n'appartient  pas  non  plus  au  VII*  siècle. 

(!)  Leblant,  Manuel  d'Epigraphie  chrétienne,  p.  105. 

P)  Leblant,  Manuel  d'Epigraphie  chrétienne,  pp.  106,  107, 108. 


—  440  — 

Les  inscriptions  datées  sont  rares  à  cette  époque.  M.  Edmond 
Leblant  avoue  n'en  avoir  trouvé  que  quatorze  (1  ».  Dans  le 
supplément  qu'il  a  ajouté  à  son  ouvrage,  nous  en  avons 
recueilli  quelques-unes  de  plus.  Il  nous  en  est  venu  quelques 
autres  encore.  En  tout,  nous  en  possédons  vingt-six,  dont  dix- 
sept  appartiennent  certainement  au  VIP  siècle.  La  date  qu'elles 
portent  en  fait  foi.  Quant  à  celles  dont  M*  Leblant  doutait 
qu'elles  fussent  du  VII*  siècle,  leur  style  épigraphique  et 
leurs  débuts,  les  formules  qu'elles  emploient  les  font  telle- 
ment ressembler  à  celles  du  VII*  siècle,  que  l'on  peut  dire 
presque  sûrement  qu'elles  lui  appartiennent.  Elles  serviront 
donc  à  baser  nos  conclusions. 

Or,  nous  disons,  sur  ces  vingt-six  inscriptions  du  VII*  siècle, 
pas  une  qui  ait  quelque  trait  de  ressemblance  avec  celle  de 
sainte  Eusébie. 

Notre  inscription,  en  effet,  porte  le  chrisme  f.  Il  y  en  a 
une  aussi  ornée  de  ce  signe,  parmi  les  vingt-six.  Mais  la  date  en 
est  incertaine.  «  Ce  marbre,  écrit  H .  Leblant,  me  parait  appar- 
tenir à  la  fin  du  VII*  siècle.  »  Puis,  cette  inscription  est  origi- 
naire de  Trêves,  elle  porte  la  mention  déplus  minus,  est  ornée 
de  poissons;  elle  n'a  pas  l'indiction,  ni  la  formule  «  Hic 
requiescit  in  pace  »  (2).  Impossible  d'y  trouver  un  modèle  se 
rapprochant  de  la  nôtre. 

L'inscription  de  sainte  Eusébie  débute  par  le  *  Hic  requiescit 
in  pace.  »  Or,  parmi  les  marbres  du  VII*  siècle,  il  n'y  en  a  pas 
un  qui  fasse  lire  ce  début. 

C'est  l'indiction  qui  daté  notre  marbre.  Or,  sur  ces  viogt- 
six  inscriptions  du  VII*  siècle,  onze  sont  datées  par  les  années 
de  règne,  quatre  par  les  années  de  règne  et  l'indiction,  une 
par  le  consulat,  deux  par  les  consulats  et  l'indiction,  une  par 
les  consulats  et  les  années  de  règne.  Pas  une  donc  qui  ait  l'in- 
diction toute  seule. 

Ajoutez  que  les  formules  de  début  sont  tout  à  fait  différen- 
tes du  début  de  la  nôtre.  Ici  a  In  hoc  tumulo  requiescit  »,  là 
«  Hic  requiescit  bonse  mémorise  »,  à  d'autres  «  In  hoc  tumnlo 
requiescit  bonae  mémorise.  » 

(1)  M.  Leblant,  Manuel  a'Epigraphie,  p.  190. 

(2)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  1. 1,  p.  261. 


—  441  — 

Quant  au  chrisme,  douze  portent  le  -|-,  une  le  J^  et  le  +> 
une  autre  le  J£.  Enfin,  relativement  aux  inscriptions  dont 
nous  doutons  quelles  appartiennent  au  VII' siècle,  disons  tout 
desuitequetoutes(elles  sont  au  nombre  de  sept)  sontdatéespar 
les  années  de  règne  ;  pas  une  ne  fait  lire  le  «  Hic  requiescit  in 
pace  »,  pas  une  n'offre  le  monogramme  P .  Donc  encore  elles 
ne  ressemblent  pas  à  l'inscription  de  sainte  Eusébie. 

Celle-ci  donc  n'appartient  pas  au  VII*  siècle. 


CHAPITRE  IX 
Inscription  de  sainte  Eusébie 

(Suite) 


QUELQUES  DÉTAILS  ÉPIGRAPHIQUES.  —  BATE  PROBABLE  DE  CHACUNE 
DBS  INSCRIPTIONS  CHRÉTIENNES  DE  MARSEILLE.  —  L 'INSCRIPTION 
D'EU8BBIE  NE  LEUR  RESSEMBLE  NULLEMENT. 


Nous  n'avons  pu  trouver  la  moindre  ressemblance  entre  le 
marbre  d'Eusébie  et  les  marbres  des  V,  VI%  VI?  siècles.  Nous 
l'avons  même  surpris  comme  gravé  en  dehors  de  toutes  les 
règles épigraphiques  en  usage  à  cette  époque.  Devons-nous  aller 
plus  loin  ?  Oui.  On  nous  a  conseillé  de  demander  la  véritable 
date  de  cette  épitaphe  d'Eusébie  à  la  confrontation  de  celle-ci 
avec  les  autres  inscriptions  funéraires  latines  et  chrétiennes 
de  Marseille.  Suivons  ce  conseil  et  voyons  s'il  y  a  entre  ces 
inscriptions  et  la  nôtre  quelques  traits  de  ressemblance. 

Il  va  jaillir  de  cette  confrontation  un  argument  de  plus  en 
notre  faveur. 

Nous  avons  montré  que  le  marbre  d'Eusébie  est  en  opposi- 
tion avec  les  règles  générales  de  l'épigraphie .  Nous  allons 
voir  qu'elle  se  trouve  encore  en  contradiction  avec  les  données 
épigraphiques  usitées  à  Marseille  et  connues  jusqu'ici  « 

A  cet  effet,  nous  avons  recueilli  treize  inscriptions.  En  voici 
la  nomenclature  par  le  nom  du  destinataire  :  celles  de  Sen- 
trius  Volusianus,  d'Enoetus,  d'Ulpia,  de  Fœdula,  de  Menas  et 
Gemula,  d'Eugenia  (nobilis),  de  Spanilia,  de  Nymphidius,  de 
Cypriana,  d'Urbeca,  de  Tillisiola,  enfin  de  notre  Eusébie. 

Indiquons  d'abord  à  quelles  époques  épigraphiques  appar- 
tiennent ces  marbres,  comparofls-les  ensuite  à  celui  de  notre 
Eusébie. 

Pour  le  faire  avec  plus  de  clarté  et  de  précision,  rappelons 
quelques  données  épigraphiques  recueillies  dans  les  ouvra- 


—  443  — 

ges  sur  la  matière,  notamment  dans  le  Dictionnaire  des 
antiquités  chrétiennes  de  Martigny ,  dans  les  Inscriptions 
chrétiennes  de  la  Gaule  antérieures  au  VHP  siècle,  dans  le 
Manuel  d'Epigraphie  chrétienne  de  l'édition  Migne,  et  dans 
les  Inscriptiones  christianœ  urbis  Romœ  de  l'illustre  M.  de 
Rossi. 

Il  y  a  quatre  âges  en  épigraphie  se  distinguant  chacun  par 
des  détails  spéciaux.  Le  premier  âge,  qui  précède  l'avènement 
de  Constantin,  n'a  pas  un  formulaire  chrétien.  Le  moule  des 
inscriptions  est  païen  encore.  C'est  un  mot,  un  symbole  anti- 
que, tels  que  l'ancre,  le  poisson,  qui  ornent  les  marbres  ;  la 
date  de  l'année  y  fait  défaut,  le  jour  de  la  mort  ne  s'y  trouve 
point  ;  on  y  lit  les  tria  nomina  du  vieux  système  romain, 
l'indication  de  ceux  qui  ont  fait  faire  la  tombe.  Cet  âge  com- 
prend les  trois  premiers  siècles  (1). 

Le  second  âge  se  caractérise  par  le  monogramme  J£,  la 
brièveté  dans  les  formules,  le  début  de  forme  simple,  le  mot 
«  recessit  » ,  la  mention  des  parents  qui  ont  fait  faire  la 
tombe,  les  acclamations,  la  prétention  du  jour  de  la  mort.  Il 
comprend  le  début  et  le  milieu  du  IV*  siècle,  c'est-à-dire  la 
période  constantinienne  (2). 

Au  troisième  âge  apparaît  la  date  de  la  mort,  on  y  fait  usage 
des  débuts  simples  :  «  Hic  pausat ,  Hic  jacet ,  Hic  quiescit, 
Hic  requiescit  »,  accompagnés  parfois  des  mots  «  in  pace  », 
Les  monogrammes  J£  et  £  y  sont  fréquents.  Les  IV  et  V'  siè- 
cles font  partie  de  cet  âge  épigraphique  (3). 

Le  quatrième,  enfin,  possède  les  formules  secondaires  de 
«  Hic  requiescit  in  pace,  Hic  requiescit  bonae  mémorise,  Hic 
requiescit  in  pace  bonae  mémorise,  In  hoc  tumulo  requiescit 
in  pace  bonae  mémorise  »,  le  nom  simple.  Pas  de  monogram- 
me?, mais  la  croix  en  tête,  Y  indiction.  La  fin  du  V*  siècle,  le 
VI\  le  VIP  siècle  comprennent  cet  âge  (4). 

Les  deux  monogrammes  du  Christ,  le  ^  et  le  J^ ,  la  croix 
grecque  -f-  ou  la  croix  latine  f  sont,  en  réalité,  un  seul  et 

(1)  Ed.  Leblant,  Manuel  d'épigraphie  chrétienne,  pp.  t9*  34»  51,  52a 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  pp.  18,  34,  44,  47. 

(3)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  pp.  40,  50,  54,  55. 

(4)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  pp.  36,  40,  50,  55 1 


-  444  — 

môme  9igne  de  christianisme  que  les  fidèles  emploient.  C'est 
toujours  le  nom  de  Jésus-Christ  et  la  figure  de  l'instrument 
de  son  supplice,  plus  ou  moins  dissimulés  suivant  Tépoque  où 
Ton  se  trouvait  (1).  A  Rome,  le  j£  apparaît  sur  les  marbres  dès 
323.  Dès  347  ce  signe  se  complique  puis  il  se  résout  en  J^ 
jusque  vers  la  fin  du  VI'  siècle.  Mais  dès  le  début  du  V  siècle 
la  croix  apparaît  (2).  En  Gaule,  les  monogrammes  disparais- 
sent moins  vite.  On  y  trouve  le  Jç  de  377  à  498  (3).  Le  J^  va 
de  400  à  521  et  même  au  delà  (4).  La  croix,  qui  apparaît  vers 
442  et  448,  se  montre  encore  vers  680  (5). 

Les  deux  chrismes  $  et  f  ne  sont  pas  autre  chose,  nous 
l'avons  dit,  que  la  +  dissimulée  d'une  manière  plus  ou  moins 
complète.  Ordinairement  on  voit  ces  chrismes  se  succéder  pro- 
gressivement sur  les  marbres  d'un  môme  pays.  Aux  époques 
primitives,  c'est  le  j£,  un  peu  plus  tard  le  ^  apparaît,  enfin 
c'est  la + qui  s'étale  au  grand  jour.  Et  bien  rarement  il  arrive 
que  ces  chrismes  chevauchent  les  uns  sur  les  autres;  quand 
l'antique  monogramme  a  disparu,  a  été  remplacé  par  le  mo- 
nogramme secondaire,  le  plus  ancien  ne  se  voit  plus,  et  ainsi 
de  suite.  De  fait,  c'est  ce  que  prouvent  les  marbres  datés  de 
Venasque,  de  Vaison,  d'Arles,  d'Aix,  de  Briord,  de  Vienne  (6). 


(1)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  pp.  29,  30.  —  Martigny,  Dictionnaire  d'anti- 
quités chrétiennes,  p.  413,  etc. 

(2)  Martigny,  op.  cit.,  p.  416. 

(3)  Ed.  Leblant,  Manuel  d'Epigraphie  chrétienne,  p.  29.  —  Leblant, 
Inscriptions,  t.  II,  n°  596,  de  347;  1. 1,  n»  12,  de  498. 

(4)  Nous  l'avons  dit  dans  un  chapitre  précédent. 

(5)  Leblant ,  Manuel  d'Epigraphie,  p.  29.  —  Leblant,  Inscriptions 
chrétiennes,  t.  II,  n°  657,  de  442;  t.  I,  n*  68,  de  448.  Quoique  M.  Leblant 
ait  écrit,  1. 1,  p.  15,  qu'avant  503  on  ne  trouvait  pas  la  croix  en  Gaule 
au  début  des  épitaphes,  on  la  voit  au  contraire  dés  448. 

(6)  Lorsque,  en  effet,  on  met  en  regard  les  marbres  datés  appartenant 
à  la  même  région,  on  voit  se  vérifier  l'observation  que  nous  venons  de 
faire.  Les  inscriptions  chrétiennes  de  M.  Leblant  nous  donnent  le  résul- 
tat suivant  : 

Marbres  de  Venasque  :  fin  du  VI*  siècle  E ,  en  604  +  ;  —  de  Vaison,  en 
470  3£,  en  516,  en  519  +  ;  —  d'Arles,  eo  374  ji,  en  450  E,  en  553  +  ; 
—  d'Aix,  en  517  j£,  au  VI-  ou  VII*  siècle  +  +  +  :  —  de  BrioA.  en  557  ^, 
en  622  ou  638,  en  632  +  ;  —  de  Vienne,  en  503,  en  541  Jî,  Ji,  en  578  +. 

n  y  a  une  exception  à  faire  pour  les  marbres  de  Lyon»  où  Ton  trouve 


—  445  — 

Outre  l'habitude  de  placer  la  et  r» 'entre  les  branches  du 
>{£,  du  f-  et  de  la  +,  on  avait  celle  de  les  suspendre  par  des 
chaînes,  figurées  sur  le  marbre,  à  ces  mêmes  branches  des 
monogrammes  (1).  En  Gaule  on  le  voit  fréquemment. 

le  £&  en  493,  le  p  en  431  et  551,1a  +  en  418,  503,511,  GOI.  Mais,  lorsque 
l'on  défalque,  des  marbres  conservés  à  Lyon,  ceux  dont  il  n'est  pas  dit 
qu'ils  ont  été  trouvés  dans  celte  ville,  on  arrive  a  ce  résultat  :  le  £  en 
454-540,  431,  55.1,  la  +  en  503,  541,  701.  En  résumé,  le  marbre  de  551 
serait  seul  à  chevaucher.  • 

(1)  Les  fidèles  plaçaient  ces  deux  lettres  en  regard  des  monogrammes 
et  de  la  croix,  non  pas  seulement  comme  protestation  contre  l'hérésie 
d'Arius,  mais  comme  l'affirmation  éclatante  de  leur  foi  au  dogme  de  la 
divinité  de  Jésus-Christ. (Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétien- 
nes, p.  42.) 

Souvent  aussi  ils  les  suspendaient  aux  extrémités  des  lettres  des  mo- 
nogrammes. A  Home,  un  marbre  postérieur  de  quelques  années  seule- 
ment à  431  montre  Va  el  l'o  attachés  aux  branches  de  x.  Deux  autres 
marbres  cités  par  M.  de  Rossi,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  I,  nM  661  et 
666,  de  430  et  431,  les  montrent  suspendues  à  la  branche  transversale  du 
jp.  (Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes,  p.  415.) 

On  les  trouve  aussi  suspendues  aux  bras  de  la  croix,  notamment  en 
Algérie,  à  An  noua  h.  (Martigny,  op.  cit.,  p.  43.) 

En  Gaule,  cet  usage  existait  aussi.  On  trouve  le  J^  dès  377  à  Sion 
(Suisse).  (M.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  I,  n°369),  jusque  vers 
493.  Le  St  so  voit  durant  le  Va  siècle  et  la  moitié  du  YK  Le  dernier 
marbre  orné  de  ce  chrisme-  ainsi  accompagné  parait  être  de  l'an  541 
(a9  55  des  Inscriptions  chrétiennes  de  Ed.  Leblant,  1. 1.)  Le  ࣣ  enfin  se 
rencontre  en  547,  n*  437;  en  520-690,  n°  565;  au  début  du  Vil»  siècle, 
n9  707  du  môme  ouvrage. 

L'habitude  existait  aussi  çn  Gaule  de  suspendre  par  de3  chaînes 
ces  deux  lettres  aux  branches  des  monogrammes.  Nous  ne  connaissons 
pas  de  CB  portant  ces  deux  lettres  suspendues,  mais  le  JEL  nous  le  voyons 
sur  un  marbre  de  Vienne,  n°  140  du  t.  II  des  Inscriptions  chrétiennes  de 
M.  Leblant  ;  sur  un  autre  marbre  n*  92  du  même  ouvrage.  Le  -£j~  enfin 
apparaît  sur  la  pierre  tombale  de  l'évèque  Boetius,  au  début  du  VII"  siè- 
cle, n>  707,  et  sur  le  marbre  de  Menas,  à  Marseille,  n°  551  de  M.  Leblant, 
op.  cit. 

Mais,  particularité  remarquable,  on  ne  grave  prêsqu  j  jamais  l'oméga 
majuscule  avec  l'alpha  majuscule,  c'est  toujours  le  minuscule  u>.  et  cela 
sur  les  pierres  tombales,  sur  les  inscriptions,  sur  les  sceaux  en  forme  de 
chatons  de  bague.  Voir  TA  B  G  de  M.  Gaumont,  pp.  48,  50,  55,  62,  et  les 
planches  des  Inscriptions  chrétiennes  de  M.  Leblant,  passim.  Tantôt 
c'est  le  J2L,  la  -Jj,  tantôt  le  JÇL,  la  ^.  Très  rarement  on  représente 
l'oméga  majuscule.  Nous  en  avons  trouvé  à  peine  quelques  exemples 

29 


-  446  - 

En  Gaule  encore,  jusque. vers  le  milieu  du  VI*  siècle  on  con- 
tinua à  dater  par  les  consuls  (1  ).  Depuis  le  premier  quart  deoe 
siècle  cependant  on  avait  pris  l'habitude  de  joindre  l' indic- 
tion au  consulat,  et  on  usa  de  cette  méthode  chronologique 

jusque  vers  573  (2).  Déjà  en  certaines  contrées  de  la  Gaule  la 
supputation  consulaire  était  abandonnée  (3).  On  datait  par 
les  années  de  règne  des  rois  ou  par  Tindiction  toute  seule  (4). 

Seulement,  tandis  que  les  Visigoths  et  les  Francs  cessent  de 
dater  par  les  consuls  dès  484  et  534,  partout  où  s'étendait  la 
domination  des  Bourguignons  la  date  h  y  patique  était  conser- 
vée* Elle  se  prolongea  jusque  vers  .623  (5)  :  à  Marseille  et  dans 


dans  M.  Leblant,  no<  4,  241, 212, 462  des  planches  de  cet  ouvrage.  C'est  one 
remarque  mentionnée  dans  Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrë- 
tienneê,  p.  43. 

(1)  La  dernière  inscription  datée  par  la  formule  hypathique  en 
Gaule  parait  être  l'épitaphe  d'un  évéque  d'Arles,  Aurélien.  Elle  appar- 
tient à  Tan  551,  n*  23  des  Inscription»  chrétiennes  de  M.  Leblant. 

(2)  Au  V*  siècle  on  trouve  l'indiction,  uuie  a  la  date  hypathique,  dés 
491.  Cest  la  première  inscription  possédant  cette  formule  chronologi- 
que. Mais  on  la  voit  fréquemment  gravée  depuis  532  à  573.  Au  VII*  siè- 
cle on  ne  trouve  que  deux  marbres  datés  :  en  601,  n*  17,  et  en  606,  n*  397. 

(3)  M.  de  Rossi  donne  la  raison  de  cet  abandon:  «  Précédente  tamen 
tempore  indictiooibus  adnotandis  titulorum  scriptores  ita  paulatim 
adsuevere,  ut  eos  absque  aliis  annorum  no'tis  non  raro  adhibuerint,  quse 
plane  inutilis  designandi  temporis  ratio  est,  id  certè  fieri  cœptum,  cum 
ordinaril  con  suies  quibus  an  nus  desîgoabatur,  creari  desierant,  et  glis- 
cente  barbarie  légitimas  atque  accuratas  tempo rum  notas,  muIU  iguo- 
rabant  vel  negligebant.  »  (In&eriptiones  ciiristianœ  urbis  Rotnœ,  pnef., 
pp.  XGVIII  et  XCIX..)  —  Martigny.  Dictionnaire  d'antiquités  chré- 
tiennes ,  p.  317 .  La  création  régulière  des  consuls  fut  souvent  inter- 
rompue. Mais  ce  fut  surtout  en  542,  où  cette  interruption  dura  vingt- 
trois  ans,  et  en  566  où  elle  dura  neuf  ans.  Or,  l'habitude  d'omettre  la 
date  consulaire  coïncide  avec  cette  époque,  ainsi  que  l'usage  de  l'indic- 
tion toute  seule  et  de  la  date  par  les  années  de  régne. 

(4)  Dès  541,  en  effet,  nous  trouvons  les  inscriptions  avec  la  date 
royale,  et  celte  méthode  se  conserve  bien  longtemps. 

(5)  Dès  que  Ai'aric  II  monte  sur  le  trône  de  Toulouse  (487-507),  il  date 
et  on  date  parles  années  de  son  règne.  M.  Leblant  donne  deux  inscrip- 
tions ainsi  marquées,  nw  482,  556  ▲.  Et  ce  n'est  plus  qu'à  de  rares  inter- 
valles que  l'on  revient  À  la  date  hypathique. 

Ainsi  font  les  Francs  ;  dès  qu'ils  pénètrent  eu  Aquitaine,  c'est  par  le 


J 


—  447  — 

les  environs,  au  V*  et  au  VI*  siècle,  on  datait  par  consuls 
avec  ou  sans  indiction  (1). 

A  l'aide  de  ces  renseignements,  assignons  une  date  approxi- 
mative à  chacune  de  nos  inscriptions  de  Marseille. 

Voici  i'épitaphe  deSentrius  Volusianus. 


.     .    TRIO  VOLDSÏAMO 
,     .    BVTYCHETIS  FILIO 
0  FORTVNATO  QVI  VIM 
S  PASSl  SVNT 
.    GIA  PISNTIS5IHIS  F 


REFRIGERET  NOS 
.    T*ST  k$> 


Nous  la  trouvons  dans  les  Inscription*  chrétiennes  de  la 
Gaule  antérieure  au  .VIIl*  siècle,  d'Edmond  Leblant  ;  dans 
le  Catalogue  raisonné  du  musée  d'archéologie  de  Marseille, 
par  M .  Penon  ;  dans  Y  Armoriai  et  Sigillographie  des  évé- 
que*  de  Marseille,  par  M.  le  chanoine  Albanès  (2). 

D'après  M.  Edmond  Leblant,  cette  inscription  appartient 
«  aux  beaux  temps  de  l'épigraphie  ».  Les  détails  qu'elle 
fournit  «  lui  assignent  une  époque  antérieure  à  la  création 
du  premier  formulaire  chrétien  ».  Or,  c  à  la  première  époque 

régne  de  leurs  rois  que  l'on  date.  Il  y  a  bien  encore  quelques  excep- 
tions, mais  l'usage  est  pris. 

Les  Bourgu:gnons,  au  contraire,  conservent  ce  souvenir  de  la  domi- 
nation romaine  sur  les  contrées  qu'ils  possèdent.  Jusqu'en  623t  ils  datent 
par  les  consuls. 

(Manuel  d'Epigraphie  chrétienne,  par  M.  Leblant,  passim,  p.  132,  etc.) 

(1)  Les  inscriptions  du  V*  siècle  appartenant  à  Marseille,  Aix,  Vaison, 
Valence,  Vienne  ne  portent  que  la  date  consulaire.  Un  marbre  d'Arles, 
de  495,  n»  538  de  M.  Leblant,  lait  seul  exception. 

Celles  du  VI*  siècle  appartenant  à  Aix,  Arles,  Vaison  portent  les  unes 
la  date  des  consuls  toute  seule,  les  autres  la  date  des  consuls  jointe  à 
l 'indiction.  La  meilleure  raison  de  celte  méthode  chronologique  est  que 
les  Bourguignons  ont  possédé  la  Provence,  en  tout  ou  en  partie,  de 
Tannée  486  au  milieu  du  VI*  siècle  environ. 

(2)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  II,  n*  548  a.  —  Peoon, 
Catalogue..,,  du  Musée,  p.  29.  —  M.  le  chanoine  Albanés,  Armoriai 
et  Sigillographie....,  p.  4. 


I 


f 

t 


-  448  — 

(épigraphique)  qui  précède  l'avènement  de  Constantin,  le 
formulaire épigraphique  chrétien  n'existe  point  encore  (1)». 
Et  Constantin  fut  proclamé  empereur  en  .306,  et  l'édit  de 
Milan  qui  donna  toute  liberté  à  la  religion  chrétienne  est 
de 3 13  (2).  Cette  inscription  est  donc  an  plus  tard  du  début 
du  IV  siècle. 

M.  le  chanoine  Albanés  écrit  dans  Y  Armoriai  :  a  Combien 
de  fois  n'avons-nous  pas  entendu  des  savants  de  divers  pays, 
qui  venaient  d'admirer  notre  vieux  marbre  chrétien,  y  recon- 
naître les  caractères  de  l'époque  d'Antonin  ?"  Il  faudrait  re- 
monter plus  haut  encore,  au  jugement  de  celui  qui  a  été 
récemment  appelé  par  l'autorité  municipale  pour  invento- 
rier les  antiquités  de  notre  musée:  il  ne  regardait  pas  comme 
téméraire  que  l'on  put  se  croire  en  face  d'un  monument  de 
l'âge  de  Domitien.  »  Or,  An  ton  in  le  Pieux  régna  de  138  à  161, 
Domitien  de  81  à  96.  Cette  inscription  peut  donc  remonter 
au  I"  siècle  ou  au  II\ 

Nous  ajoutons  :  les  trois  noms  dont  le  marbre  de  Volusia- 
nus  porte  la  trace  ;  le  symbole  antique  de  l'ancre  ;  cette  men- 
tion d'Eulogia,  la  mère  de  Volusianus,  et  de  Fortunatus;  ces 
mots:  «  refrigeret  nos  qui  omnia  potest  »,  qui  ressemblent  à 
une  réponse  énergique  de  ces  chrétiens  au  juge  qui  les  con- 
damne ;  l'indication  du  genre  de  supplice  qu'ils  endurèrent  ; 
l'absence  de  tout  monogramme,  sont  autant  d'indices  d'anti- 
quité pour  ce  marbre. 

Nous  le  faisons  suivre  de  celui  d'Eunoetus.  M.  Leblant  Ta 
donné  d'après  les  manuscrits  de  Peiresc  (3). 

0    •    VETÎN/E    •    EVNOETO 
*S*.QVI  •  VIX  ANN  •  XV  •  M  •  III  ^ 
VET1NI1  •   HERMES    ET  ACTE 
PARENTES  •  FIL  •  PIISSIMO  * 

ET  DVLCISSIMO  •   FECERVN 
E  HERMAIS  •   SOROR  LIB  •    LIBERTAB  •    POSTERISQ  •     EORVM 

(1)  Leblant,  Manuel  d'Epigraphie,  p.  51. 

(2)  L'Eglise  et  V  Empire  romain  au  VI*  siècle,  par  Albert  de  Broglie, 
1. 1,  pp.  193,  241. 

(3)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes^  t.  II,  n°  551  b. 


4 


—  449  — 

A  cette  inscription  on  peut  appliquer  ce  que  M.  Edmond 
Leblant  a  écrit  de  celle  de  Sentrius  Volusianus.  Ajoutons  que 
a  s'il  n'est  pas  fréquent  de  rencontrer  les  tria  nomina  sur  les 
tombes  chrétiennes,  l'ancienneté  dont  témoigne  cette  forme  est 
ici  en  rapport  complet  avec  la  présence  de  l'ancre  et  des  pois- 
sons, symboles  éminemment  primitifs  (1)  ».  En  effet,  la  pré- 
sence de  ces  symboles  chrétiens,  du  triple  nom  romain,  des 
noms  des  parents  qui  ont  fait  graver  ce  marbre,  l'absence  de 
tout  monogramme,  témoignent  d'une  haute  antiquité.  A  quel 
moment  des  trois  premiers  siècles  faut-il  placer  l'origine  de 
ce  marbre?  De  plus  habiles  que  nous  pourront  le  dire. 

Celui  de  la  vierge  Ulpia  nous  est  connu  par  les  copies  que 
nous  en  ont  données  Ruffi,  Grosson  et  Ed.  Leblant  (2).  La 
voici  telle  que  nous  la  fait  lire  M.  Leblant  : 

DM 

HIC  JACET  V1RGO  FIDELIS    VLPIA 

DOMENE  OVE    VIXIT  ANN  XVI 

M  XI  D  XX  INLVCIVS   ET  VL 
PIA  AGGRIPPINE   DVLCISSIMAB 

Cette  inscription,  une  dés  quatre  qui,  d'après  Grosson,  se 
trouvait  dans  les  souterrains  de  Saint-Victor,  à  l'emplacement 
qu'occupe  la  chapelle  de  Saint-Lazare,  semble  appartenir  au 
IV*  siècle,  à  cause  de  la  forme  de  son  début  et  des  noms  de 
femmes  qui  l'ont  fait  graver. 

Nous  ajoutons  que  la  formule  simple  de  «  Hic  jacet  »,  qui 
ne  se  lit  plus  après  449,  la  mention  de  la  mère  qui  fait  élever 
cette  tombe  à  sa  fille,  le  double  nom  que  porte  ce  marbre 
Ulpia  Domene  etUlpra  Agrippina  ;  le  signe  D  M  que  les  inscrip- 
tions chrétiennes  offrent  assez  souvent  et  qui  rappelle  soit  la 
présence  au  moment  où  l'on  fait  la  tombe  des  deux  cultes 
dans  la  contrée,  à  cause  de  «a  signification  Diis  manibus,  soit 

(1)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  II,  p.  312,  n°  551  b. 

(2)  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Annales,  p.  78.  —  Ruffi,  //ia-       , 
toire  de  Marseille,  t.  II,  p.    319.    —    Grosson,  Recueil  des  antiquités       • 
et  monuments  marseillais,    p.  272.   —  Leblant,  Inscriptions  chré- 
tiennes, n°  550,  t.  II,  p.  307. 


—  450  — 

le  besoin  de  graver  ce3  inscriptions  suivant  les  formules  adop- 
tées à  l'époqtie  (1)  sont  autant  de  motifs  pour  nous  de  ranger 
ce  marbre  parmi  ceux  du  deuxième  âge.  Il  appartiendrait, 
selon  nous,  au  milieu  du  IVe  siècle.  Ort  l'a  tu,  M<  Ed<  Leblant 
n'y  contredit  pas. 
~  Celui  de  Fedula  est  aussi  bien  antique. 

PAVSAT  I 

FEDVLA 

CVM   QVEM  V 

AVDI   MEE   COM 

DS  MEVS  ES  TV 

GOMMENDO 

SPBTM  MEVM 

M.  Leblant  nous  fait  remarquer  que  Ton  y  voit  deux 
emprunts  faits  au  psaume  XXX»  0r9  «  c'était,  la  coutume,  aux 
premiers  temps  .chrétiens,  de  chanter  des  psaumes  à  la  veillée 
des  corps  et  à  leur  enterrement  (2).  »  Le  nom  de  la  chrétienne 
de  Marseille  dénote  aussi  une  grande  antiquité. 

Fœdula  est,  en  effet,  un  de  ces  termes  de  mépris  que  les 
païens  donnaient  àttx  premiers  chrétiens,  que  ceux-ci  accep- 
tèrent avec  joie  par  amour  pour  Notre  Seigneur  et  dont 
ils  firent  un  nom  (3).  Ainsi,  le  marbre  qui  nous  occupe 
appartient  à  l'époque  antique.  Ces  textes  de  la  Sainte  Ecriture 
que  nous  lirons  dans  ce  marbre  dénotent  encore  l'époque 
primitive.  Mais  le  monogramme  je  qui  apparaît  dès  347  (4) 
et  qui  dès  377  s'augmente  de  ValphaelAeYùmèga(b),\tk  formule 
«  Pausat  in  pace  »  plus  compliquée  que  «  In  pace  »  de  l'épita- 

(1)  Edmond  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  n*  361-362. 

(2)  Edmond  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  delà  Gaule,  n°  546.    . 

—  M.  Penon,  op.  cit.,  42. 

(3)  Edmond  Leblant,  op.  cit.,  t   II,  p.  64,  etc. 

(4)  Edmond  Leblant,  op.  cit.$  n°  596,  dans  le  marbre  de  Severa  et  de 
Patrocle» 

•  t5)  Edmond  Leblant,  op.  cit.,  n°  369. 


■  -  451  — 

phe  de  Severa  et  Patroclus  en  347  (})  ijons  déterminent  à  lui 
assigner  les  premières  années  après  le  milieu  du  IV*  siècle. 
Voici  Fépitaphe  de  Menas  et  de  Gemula  que  MM.  Grinda, 
Méry  et  M.  Edmond  Leblant  nous  rapportent  : 


BON 

V 

0    RBQV    • 

EAVI 

AIN    DIE 

PVTV 

0 

RV  MA 

ftlTVM 

T 

EVMBNA 

TBBBNB 

T 

V1X8 

AS     CVI 

NOMEN 

1 

Cl      |       T 

A 

F 
E 

(0 

f    ET    M 

c 

f  HIC  IA 

ERCE 

TET  GEM 

DE  8VPE 

I 

VLA  cv  m 

RMENO 

T 

OMEN 

CABN 

M 

VS    IS 

ÀPVTB 

E 

CT 

DO. 

N 

Cette  épitaphe  nous  fait  lire  la  formule  «  In  die  futuro  » 
qui  marque  l'attente  de  la  résurrection  (2)  ;  les  mots  inscrits 
à  la  partie- gauche  rappellent  des  textes  de  la  Bible.  On  y 
remarque  une  contraction  dans  le  nom  propre  Menas  pour 
Eumenate.  M.  Edmond  Leblant  n'ajoute  rien  autre  qui  puisse 
nous  indiquer  à  quelle  époque  il  fait  remonter  ce  marbre. 
A  notre  avis,  cette  inscription  appartiendrait  à  la  fin  du  V* 
siècle.  En  470  on  trouve  la  formule  «  votum  facere  a  comme 
inscription  dédicatoire  d'un  monument  funéraire  :  «  Rusticus 


(1)  t  Val.  Severa  vieil  an  nos  XXX,  recissit  non.  jul.  Rufino  et  Eusebio 
c  cônes.  Pac.  Patroclus  prœsby ter  sibi  in  pace.  »  (Inscriptions  chrétien- 
nes, n°  596.) 

<2)  Guindon  et  Méry,  Histoire  des  actes  et  délibérations  oies  corps  et 
de  la  municipalité  de  Marseille,  t.  V,  p.  201 .  —  Edmond  Leblant, 
Inscriptions  chrétiennes,  t.  II,  n°  551  A. 


—  452  — 

pro  voto  buo  fecit  (1)  »  L'alpha  et  Yoiftèga  insérés  dans  le 
monogramme  je  apparaissent  vers  377  jusque  vers  493.  Dès 
500  jusqu'en  547  on  les  voit  attachés  au  P  et  dès  520,  547 
ils  se  trouvent  sous  la  -{-»  Mais  celle-ci,  la  +,  on  la  rencontre 
au  début  et  au  milieu  des  inscriptions  funéraires  dès  442,  447. 
D'autre  part,  la  formule  a  Hic  jacet  »  ne  se  lit  plus  après  447, 
449.  C'est  donc  entre  les  années  450  et  500  qu'il  faut  placer 
l'origine  de  notre  marbre. 

Celui  de  Nymphidius,  Guesnay,  de  RufQ,  Grosson,  Papon, 
Edmond  Leblant  nous  en  ont  conservé  l'inscription  (2)  : 

HIC  REQVIESCET  IN  P 

NYMFIDIVS  EX  PRA 

QVI  VIXIT  ANNOS  I 

RECESSBT  VIII  KALEN 

PROBINO  ET  EVSEB 

Incontestablement  il  appartient  au  Ve  siècle,  puisqu'il  est 
daté  par  les  consuls  et  cette  date  est  l'année  469. 

Or,  comme  ce  marbre  est  bien  de  Marseille,  puisqu'il  a  été 
recueilli  dans  son  port,  il  nous  fournit  une  indication:  c'est 
qu'à  la  fin  du  Ve  siècle  on  se  sert  de  la  formule  «  Hic  requies- 
cit  in  pace  »  et  du  terme  a  recessit  »,  et  qu'ainsi  les  épitaphes 
de  Menas,  de  Fedula,  de  Ulpia,  sont  antérieures  à  489. 

MM.  Millin,  Penon,  Leblant  nous  donnent  l'inscription 
d'Eugenia  (nobilis)  (3)  : 

+  Nobilis  Eugbnia  pr^eclari  sanguinis  ortu,  etc.,  etc. 

ê 

Cette  magnifique  épitaphe  ne  porte  pas  de  date.  Mais  elle 
fait  allusion  à  l'acte  de  charité  qu'accomplissaient  tant  de 

(1)  Edmond  Leblant,  op.  et*.,  n°  496. 

(2)  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Annales,  p. 79.  —  Ruffl,  Histoire 
de  Marseille,  t.  II,  p.  321.  —  Grosson,  Recueil  des  antiquités,  p.  271.  — 
Papon,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  25.  —  Edmond  Leblant,  Inscrip- 
tions chrétiennes,  n°  548. 

(3)  Millin,  Voyage,  t.  III,  p.  169.  —  Penon,  Catalogue  du  Musée 
d'archéologie  de  Marseille,  p.  34.  —  Edmond  Leblant,  Inscriptions 
chrétiennes,  t.  II,  n°  543. 


—  453  — 

* 

chrétiens,  celui  de  racheter  leurs  frères  captifs  aux  mains 
des  barbares,  a  C'est  à  cette  époque  où  l'Empire  se  débattait 
sous  une  terrible  étreinte,  que  nous  reporte  le  marbre  d'Euge- 
nia  »,  a  dit  M.  Edmond  Leblant  (1). 

C'est  durant  ce  V°  siècle,  en  effet,  qu'il  faut  placer  l'origine 
de  ce  marbre.  La  croix  au  début  de  l'inscription  la  fait  dater 
de  448  à  680.  Mais  il  s'agit  du  rachat  des  captifs  auquel 
Eugenia  se  livre,  et  les  barbares  ont  saccagé  la  Gaule,  ramassé 
des  esclaves  surtout  de  405  à  la  fin  du  siècle.  C'est  le  motif 
qui  nous  fait  assigner  cette  époque  comme  date  d'origine  à  ce 
marbre. 

De  L'inscription  de  Spanilia  : 

f  HIG  REQVIESCET 

IN    PACE    SPANILIA 

OVI  VIXIT  ANNOS 

QV1NQVAGENTA   ET 

SEPTE   RECESSIT  DIE 

SEPTIMU  IDVS 

f  MAIAS  f 

M.  Leblant  ne  dit  qu'une  chose,  «  c'est  qu'elle  a  été  trouvée 
dans  les  fouilles  du  bassin  du  Carénage  et  conservée  au  musée 
de  la  ville  (2).  » 

Nous  la  plaçons  encore  au  V°  siècle.  La  croix  au  début  de 
Tinscription  se  lit  dès  448,  à  l'intérieur  des  inscriptions  dès 
442.  Mais  la  formule  «  Hic  requiescit  in  pace  »  ne  se  lit  guère 
avant  469  et  ne  se  voit  guère  après  498.  C'est  donc  centre  469 
et  498  environ  qu'elle  a  été  gravée. 

Inscription  de  Cypriana  : 

HIC  REQV1E5 

CIT     CYPRIANA 

IN  PACE 

QVI  VIXIT 

MN      ANNS 
XXXIII 

(1)  Edmond  Leblant,  Inscription*  chrétienne»,  t.  II,  p.  299. 
(1)  Edmond  Leblant,  Inscriptions  chrêtienn?s,\.  II,n°549.  —  Penon, 
Catalogue  du  Musée  d' 'archéologie,  p.  33. 


—  454  — 

Personne  n'a  parlé  de  ce  marbre,  excepté  M.  Penon  dans  son 
Catalogue  raisonné  du  Musée  d'archéologie  de  Marseille, 
n°  161,  pour  dire  que  cette  inscription  a  été  trouvée  en  1875, 
près  du  bassin  du  Carénage  (l). 

L'inscription  de  Cypriana  appartient  au  V  siècle,  précisé- 
ment à  cause  de  la  formule*  «  Hic  requiescit. .  i  in  pace». 
On  ne  la  trouve  guère  après  491  et  498.  Mais  le  qualificatif 
«  bonae  memoriœ  »  s'y  joint  bien  vite  :  on  le  trouve  dès  473. 
D'autre  part,  le  c  Hic  requiescit  in  pace  »  se  lit  seulement 
vers  469.  Notons  que  l'expression  plus  minus  que  renferme 
cette  épitaphe  commence  à  se  lire  dès  511 .  C'est  donc  posté- 
rieurement à  469, entre  479  et  511,  que  notre  inscription  a  sa 
place,  vers  la  fin  du  V*  siècle,  peut-être  au  début  du  VI*. 

M.  Ruffi  et  Ed.  Leblani  nous  ont  conservé  l'inscription 
d'Urbeca  : 

JL       JL       JL 

i         1  i 

hic  reqvïéscëT  tn  *ÀCE 

BONE   MEMORfA   URBÊCÀ   FÎLIA   BONE   MEMORISE 

SQUELIOLES  QV1   VICTET   PLVS   MEKOS  AJINO.   S.    L.    RECESSET 

SVD  DIE   KALENDA8   OCTOBRES   IN  DICTION  H   SEXTA 

L'inscription  d'Urbeca  est  «  d'une  assez  basse  époque,  comme 
le  montrent,  entre  autres  détails,  la  formule  du  début  et  la  date 
de  l'indiction.  Elle  doit  être  jointe  aux  rares  épitaphes  chré- 
tiennes qui  indiquent  la  filiation  du  défunt  (2)»  » 

On  peut;en  effet, lui  assigner  le  VP  siècle  comme  époque  pro* 
babledeson  origine.  Elle  nous  fait  lire  le  début  assez  compliqué 
de  a  Hic  requiescit  in  pace  bonae  memoriœ  »,  lequel  se  trouve 
dans  les  inscriptions  peut-être  avant  491,  mais  sûrement  à 
cette  date,  jusqu'en  Tannée  689  (3).  D  autre  part,  la  locu- 
tion plus  minus  que  porte  ce  marbre  se  rencontre  de  l'année 


(1)  M.  Penon,  op.  cit.,  p.  41. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  p.  396.  —  M.  Ed.  Leblant, 
Inscriptions  chrétiennes,  t.  Il,  n*  551. 

(3)  Le  marbre  de  Nevitta  porte  cette  formule  et  date  peut-être  f  de 
362,  n°  493.—  Le  ne  474  B  porte  la  date  de  491  et  fait  lire  «  Hic  requiescit 
in  pace  bonae  mémorise  ».  —  Le  n°  621  porte  la  date  de  689. 


—  455  — 

511  à  l'année  643  et  peut-être  à  Tannée  695(1).  De  plus,  la 
date  par  l'indiction  seulement  nous  donne  une  époque  posté- 
rieure à  la  moitié  du  V?  siècle  (2).  Enfin,  trois  croix  ornent  ce 
marbre.  Oh  a  dit  qu'elles  étaient  «  un  hommage  rendu  à  la 
sainte  Trinité,  à  cause  de  l'hérésie  arienne  »*  ce  qui  est, 
croyons-nous,  une  bonne  petite  hérésie.  Oiiadit  «  qu'elles 
étaient  des  caractères  propres,  de  l'ornementation  et  de  l'épi- 
graphie  à  l'époque  mérovingienne  (3)  »,  ce  qui  est  assez  vrai. 

Il  nous  semble  que  ce  sont  tout  autant  de  signes  et  de  preu- 
ves de  là  vivacité  de  la  foi  de  ceux  qui  ont  fait  graver  ces 
marbres.  De  fait,  ces  trois  croix  ont  été  d'un  usage  assez  fré- 
quent on  beaucoup  d'endroits,  et  surtout  assez  longtemps. 
Avant  même  que  le  signe  cruciforme  apparût  en  évidence 
complète,  on  avait  l'habitude  souvent  de  répéter  plusieurs 
foi»  soit  le  je,  soit  le  J^  ,  soit  l'un  ou  l'autre  de  ces  mono-* 
grammes  mêlés  à  la  +.  C'est  ce  que  nous  montrent  des  mar- 
brés de  Trêves,  de  Vienne,  de  Ghâlons-sur-Saône,  appartenant 
aux  V  et  X-  siècles  (4). 

Souvent  aussi  et  à  des  époques  assez  éloignées  lès  unes  des 
autres  nous  trouvons  ces  croix  répétées  sur  les  marbres,  tantôt 
à  une  place,  tantôt  à  une  autre.  Tels  le  marbre  de  Montedy 
appartenant  au  V"  siècle,  celui  de  Mandourel  de  la  fin  du 
celui  d'Aix  du  VIII*  ou  IX*  siècle  et  un  de  Limoges,  de  853 

Parfois  aussi  on  place  ces  chrismes  d'une  manière  régulière 
en  tête  de  l'inscription,  à  la  fin  de  celle-ci,  et  au  nombre  de 
troi9.  C'est  le  cas  d'un  marbre  de  Trêves,  d'un  de  Vienne  et 
d'un  autre  de  Coudes  (6), 

(1)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  n«586A.. 

(2)  M.  de  Rossi,  Inscriptiones  christianœ  urbis  Romœ,  p.  XCVII, 
écrit:  c  Christianœ  inscriptiones  quœ  indictionum  notas  prœ  se  ferunt, 
seculo  plerumque  sexto  minime  esso  antiquiores  vere  Muratorius  pro- 
nuntiavit.  » 

(3)  Bulletin  de  la  Société  archéologique  du  Midi  de  la  France,  éplta- 
pbe  de  Tillisiola,  p.  30. 

(4)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,   n"  414,    '12,  269,  322,   11 
(p.  30),  439. 

(5)  Ed.  Leblant,.  op.  cit.,  nM  610,  621  B,  624.  —  Marbre  de  Limoges, 
Dictionnaire  dfEpigraphie%  ôdit.  Migne,  t.  I,  col.  651. 

(6)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n- 271,  441,  565. 


Y1I-, 


/ 


—  456  — 

Or,  à  quelle  époque  rencontre-t-on  cette  particularité  des 
trois  chrismes  ?  Le  marbre  de  Trêves  est  assez  antique,  il  a  le 
début  primitif  a  Hic  jacet  » ,  il  remonte  peut-être  au  IV*  siècle. 
Celui  de  Vienne  parait  appartenir  au  V*,  à  cause  du  début 
«  Hic  requiescit  in  pace  ».  Mais  celui  de  Coudes  porte  une  date  : 
les  années  de  règne  d'un  roi,  et  cette  date  va  de  500  à  690. 
Le  marbre  d'Urbeca,  postérieur  à.  la  moitié  du  VI*  siècle,  peut 
appartenir  au  VII0.  Ne  prenons  pas  la  date  extrême,  acceptons 
qu'il  soit  de  la  fin  du  VP  siècle. 

Nous  connaissons  jiéjà  l'inscription  d'Eugenia  «  &ncilla  Dei  ». 
A  quelle  époque  faut-il  l'attribuer? 

La  formule  assez  compliquée  du  début  «  Hic  requiescit 
bonse  memoriae  »  appartient  au  quatrième  âge  épigraphique. 
Elle  se  lit  sur  les  marbres  de  Tau  458  à  Tan  638  et  peut-être 
695.  Cette  locution  se  rencontre  bien  avant  dans  le  VHP  siècle. 
Une  inscription  de  Saint-Orens,  près  de  Toulouse,  que  le  Dic- 
tionnaire d'Epigraphie,  édition  Migne,  fixe  à  Tannée  790  ; 
une  autre  de  Foix,  datée  de  791  ;  une  autre  de  Toulouse  peut- 
être,  datée  du  VIP  siècle  d'après  M.  Leblant,  et  de  806  d'après 
rauleurduZ>iWio>inat>e  d'Epigraphie  cité  plus  haut, donnent 
ce  début  (1).  Le  champ  d'origine  pour  ce  marbre  d'Eugenia 
est  j)ien  vaste,  il  s'étend  du  Ve  siècle  au  VHP  et  peut-être  au  IX\ 
Mais  la  date  de  cette  inscription  marquée  par  l'indiction  toute 
seule  en  «resserre  les  limites.  Comme  ce  mode  chronologique 
correspond,  d'après  M.  de  Rossi,  à  une  époque  postérieure  à  la 
moitié  du  VP  siècle,  c'est  entre  550  environ  et  790  qu'on  peut 
la  placer. 

On  peut  le  restreindre  davantage  en  étudiant  la  locution 

«  ancillaDei  »,  qualificatif  d'Eugenia,  et  formule  équivalente 
du  mot  «  religiosa  ». 

A  quelle  époque  a-t-on  appelé  les  religieuses  «  ancilla  Dei  »  ? 
Les  marbres  épigraphiques  de  la  Gaule  nous  montrent  cette 
formule  quelquefois  employée.  M.  Leblant  nous  fournit  quatre 

(1;  Marbre  de  Tulinus,  Saint-Orens,  Dictionnaire  d'Epigraphie,  édit. 
Migne,  t.  II,  col.  977.— Marbre  d'Arricho,  Foix,  Dictionnat7'e  d'Epigra- 
phie, édit.  Migne,  t.  I,  col.  476.  —  Marbre  de  Marsilia,  Toulouse,  Dic- 
tionnaire d'Epùj rapine,  édit.  Migne,  t.  II,  col.  1120.  —  Ed.  Leblant, 
Inscriptions  chrétiennes,  t.  Il,  n* 601. 


—  457  — 

inscriptions  de  ce  genre.  Malheureusement  aucune  n'étant 
datée  ne  peut  fournir  de  renseignements  positifs.  D'autre 
part,  les  épitaphe3  de  religieuses,  avec  date  à  peu  près  certaine, 
que  M.  Leblant  nous  a  conservées  et  appartenant  aux  Ve,  VI", 
VII0  sièclesrfie  nous  font  jamais  lire  la  formule  «  ancilla  Dei  » . 
D'autre  part,  enfin,  nous  avons,  à  Marseille,  une  inscription 
que  M.  de  Rossi  croit  être  du  Ve  ou  du  VIP  siècle,  celle  de  Til- 
lisiola,  et  dans  cette  inscription  Tillisiola  et  ses  religieuses  sont 
appelées  «  virgo,  virginessacrœ».  Il  est  donc  fort  probable  que 
ce  marbre  d'Eugenia  n'est  pas  de  la  fin  du  VI°  siècle.  Il  est  pos- 
térieur. Ajoutons  qu'à  aucun  moment,  sauf  au  milieu  du 
VIII'  siècle,  on  ne  lit  cette  expression  dans  le  texte  des  canons 
et  des  décrets  des  conciles.  Donc,  ce  marbre  d'Eugenia  peut 
appartenir  au  VIII-  siècle. 

Cependant  il  ressort  du  texte  de  certains  écrivains  ecclésias- 
tiques qu'à  toutes  les  époques  presque,  ce  terme  «  ancilla  Dei  » 
aété  employé  pour  désigner  les  religieuses.  On  peut  bien  dis- 
cuter sur  le  sens  exact  de  plusieurs  de  eus  textes,  à  savoir  s'ils 
désignent  réellement  des  personnes  consacrées  à  Dieu^j  mais 
il  est  certain,  par  exemple,  qu'en  597  saint  Grégoire  le  Grand, 
qui  remploie  fréquemment,  récrivait  dans  une  lettre  à  Res- 
pecta, abbesse  du  monastère  de  Saint-Cassien  à  Marseille. 

Peut-on  en  inférer  que  cette  inscription  d'Eugenia  appar- 
tienne à  la  lin  du  VI*  9iècle,  ou  au  début  du  VII-,  et  que  Ton 
ait  voulu  décerner  à  cette  religieuse  Eugenia  le  titre  que  le  pape 
donnait  à  ses  sœurs  à  peu  près  à  cette  époque  ?   C'est  possible. 

Mais  nous  formulons  une  difficulté.  Nous  avons  parlé  tantôt 
de  l'inscription  d'Urbeca  et  de  celle  de  Tillisiola.  Celle  d'Ur- 
beca  nous  semble  appartenir  à  la  fin  de  ce  VI"  siècle;  celle  de 
Tillisiola,  M.  de  Rossi  la  croit  du  VIe  ou  du  VII*  siècle.  Or,  ces 
deux  inscriptions  portent  le  chrisme  -f-  trois  fois  répété. 
Pourquoisur  cette  inscription,  si  elle  est  de  la  fin  du  VII'  siècle, 
Ce  signe  ne  se  trouve- t-il  pas  ?  Les  trois  marbres  sont  de  Mar- 
seille. Dans  tous  les  trois  il  s'agit  de  religieuses.  Et  pas  une  croix 
sur  celui  d'Eugenia.  Cela  nous  semble  difficile  à  accepter. 
Attribuez  donc  cette  inscription,  si  vous  voulez,  à  la  fin  du  VI', 
siècle,  au  début  du  VIP  ;  mais,  pour  nous,  les  conciles  n'ap- 


-  458  - 

pelant  les  religieuses  «  ancilla  Dei  »  qu'au  milieu  du  VIII* 
siècle,  c'est  à  cetle  époque  qu'elle  appartient. 

L'inscription  de  Tillisiola,  à  quelle  époque  appartient- 
elle?  M.  de  Rossi,  on  lésait,  la  croit  du  VIe  ou  du  VII- siècle. 
Ajoutons  nos  preuves  (1). 

Ce  marbre  offre  à  nos  regards  trois*  chrismes  gravés  en 
forme  régulière  et  en  tête  de  l'inscription.  D'après  ce  que  nous 
avons  dit  tantôt,  la  date  de  ce  marbre  peut  dès  lors  se  pla- 
cer entre  le  IVe  et  le  VIP  siècle.  Le  début  de  l'inscription  nous 
indique  aussi  une  époque  assez  basse  :  <*  In  hoc  tumulo  sita 
est  ».  Cette  formule  n'est  pas  habituelle.  On  lit  :  a  In  hoc  tu- 
mulo requiescit  »  avec  plus  ou  moins  de  détails,  mais  les 
mots  «  sita  est  »  sont  assez  rares,  croyons-nous.  Dans  tous  les 
cas,  la  locution  a  In  hoc  tumulo»,  qui  se  lit  dès  le  V' siècle, 
se  prolonge  fort  avant  dans  les  VI",  VI?,  VHP,  IXe  siècles.  En 
853  on  lit  sur  un  marbre  de  Limoges  :  «  In  hoc  tumulo  re- 
quiescit sanctse  mémorise  Dodo  (2)  o.  C'est  du  V*  au  IX8  siècle 
que  Ton  pourrait  donc  placer  son  origine. 

Mais,  comme  ce  marbre  est  daté  par  Tindiction  seulement, 
de  ce*  chef  nous  descendons  à  une  époque  postérieure  au 
milieu  du  VI*  siècle.  Le  qualificatif  d'à  abbatissa  d  désignant 
la  dignité  de  Tillisiola  apparaît  quelquefois  dans  les  inscrip- 
tions. Nous  le  trouvons  à  Capoue,  en  569  (3),  à  Vienne,  à  la 
fin  du  VI°,  au  début  du  VII0  siècle  (4).  Sans  difficulté  on  peut 
donc  attribuer  ce  marbre  au  VI°  ou  au  VII*  siècle. 

Cependant  l'expression  «Virgo  virginibus  sacriso  le  fixe  à  la 
date  la  plus  basse.  Ce  terme  de  «  virgo  »  est  antique.  C'est 
vrai,  nous  avons  lu  «  Ulpia  virgo  fidelis  »  au  IV*  siècle.  Mais  à 
ce  moment,  il  ne  signifie  pas  religieuse  dans  le  sens  ordinaire 
du  mot.  De  plus,  on  ne  le  retrouve  dans  les  marbres  de  la 

(1)  Dans  une  lettre  de  M.  de  Rossi  adressée  à  Mgr  Barbier  de  Mon- 
tault,  au  sujet  de  cette  inscription,  le  savant  archéologue  écrit  :  «  Les 
formules  de  l'épitaphe  ne  permettent  pas  de  l'attribuer  au  bas  âge.  Je  la 
crois  du  VI-  ou  bien  du  VIIe  siècle.  s  Bulletin  de  la  Société  arctiêologi- 
que  du  Midi  de  la  France,  série  in-S°,  n°  1,  p.   29. 

(2)  Marbre  de  Dodo,  abbas,  Limoges,  Dictionnaire  d'Epigraphie,  édi- 
tion Migne,  t.  I,  col.  651. 

(3)  Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes^  p.  486. 

(4)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  n*G99. 


—  459  — 

Gaule  et  désignant  à  proprement  dit  des  religieuses,  qu'au 
VII*  siècle,  sous  la  forme  de  «  Deo  sacrât»  virgines  »  (l).  De 
ce  chef  donc  la  date  d'origine  de  ce  marbre  descend  jusqu'au 
VU-  siècle. 

Mais  veut-on  noire  sentiment?  Cett«  inscription,  selon 
nous,  appartient  à  la  tin  du  VIII"  siècle,  à  l'iîjwnjlm  rn1*M  et 
paisible  des  règnes  de  Pépin  et  de  Charlemagne.  Et  voici  nos 
raisons  : 

Nous  avons  un  faible  pour  nos  traditions  locales,  et  volon- 
tiers nous  nous  mettons  à  leur  remorque.  Or,  c'est  une  tradi- 
tion, une  croyance,  un  dit-on,  si  l'on  veut,  admis  par  les 
auteurs  cependant  (2),  que  Tillisiola  a  été  une  des  abbesses 
qui  ont  succédé  â  sainte  Eusébie.  De  fait,  elle  était  ensevelie  à 
Saint-Victor,  à  deux  pas  de  l'autel  de  Notre-Dame  de  Confes- 
sion, au  pied  duquel  reposaient  Eusébie  et  se»  compagnes.  Or, 
nous  ne  sachions  pas  que  l'on  ait  inhumé  dans  les  cryptes 
•des  religieuses  avant  sainte  Eusébie.  D'autre  part,  son  épitaphe 
dit  qu'elle  fut  abbesse,  et  que  par  ses  actes  et  sa  vie  elle  lit 
honneur  à  ce  titre.  Or,  un  tel  éloge,  qu'elle  a  été  à  la  hauteur 
de  sa  dignité,  mis  eu  regard  de  la  mort  héroïque  de  sainte 
Eusébie,  est  une  véritable  gloire.  L'honneur  que  celle-ci  a  ac- 
quits en  souffrant  le  martyre, celle-là  l'a  conquis  par  ses  vertus. 

Et  puis  on  ne  nous  ôtera  pas  de  l'esprit  que  ce  vers  si  joli, 
si  bien  fait,  si  coulant  : 

Vlrgo  virginlfons  sacrle,  quadraginta  pr&fuit  annis, 

ne  soit  pas  un  harmonieux  tour  de  phrase,  comportant  deux 
sens  :  l'un  vrai,  que  Tillisiola  a  gouverné  pendant  quarante 

(1)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n'  199. 

f2)  Guesnay,  dans  Promnria  Massiliensis  Annale*,  p.  585,  et  dans 
CaurianuF  iltustratu»,  p.  "05,  parte  de  Tillisiola  après  avoir  parlé  <le 
sainte  Eusébie  ei  semble  ainsi  la  croire  postérieure  É  noire  sainte  mar- 
tyre. —  M''  de  Belsuuce  croit  que  Tillisiola  a  été  aMii-ust:  de  Sainl-Sau- 
■veur.  (Antiquités  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  411 1.  —  André.  His- 
toire de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur,  écrit  :  ■  On  cmil  que  la  première. 
abbesse  de  Sai.uL-Sauve.ur,  après  son  élaLlisoeui.  (ver a  t03U;  iu( 
Tillisiola.  >  Page  17. 


—  460  — 

ans  un  monastère;  l'autre,  figuratif,  mais  curieux,  ayant 
trait  à  ce  nombre  de  quarante  qu'atteignaient  les  vierges 
héroïques,  compagnes  d'Ëusébie,  martyrisées  par  les  Sarra- 
sins !  Que  Ton  pense  ce  que  Ton  voudra  de  notre  idée  !  Pla- 
cez au  VIP  siècle  l'inscription  de  Tillisiola,  mais  nous  la 
plaçons,  nous,  à  la -fin  du  VIII*  siècle.  Notez  qu'au  VIIIe  siècle 
on  lit  sur  un  marbre  de  Mayence  :  «  lu  hoc  titoxo  requiescit  » 
avec  des  -f-  répétées  ;  dans  un  autre  du  IXe  (821)  :  a  Sub  hoc 
lapide  requiescit  »  avec  la  +;  dans  une  autre  du  même 
siècle  (853)  :  «  In  hoc  tumulo  requiescit  »  avec  des  croix 
nombreuses  encore  et  force  détails  (1).  Rien  donc  ne  s'oppo- 
serait à  ce  que  l'épitaphe  de  Tillisiola  appartint  au  VIII*  siècle. 

Nous  arrivons  à  l'inscription  d'Ëusébie.  A  quelle  époque 
appartient-elle  ? 

A  l'aide  des  prémisses  que  nous  avons  établies,  il  va  nous 
être  facile  de  montrer  une  fois  de  plus  que  cette  épitaphe  a 
été  composée  en  dehors  de  toutes  les  règles  épigraphiques  en 
usage  aux  V\  VI*  siècles,  qu'elle  ne  ressemble  en  rien  aux 
inscriptions  de  Marseille  originaires  de  celte  époque. 

Nous  avons  fait  la  remarque,  au  début  de  ce  chapitre,  que 
les  chrismes  n'empiétaient  pas  les  uns  sur  les  autres  ordinai- 
rement dans  une  localité,  et  nous  avons  cité  à  l'appui  les 
marbras  de  Venasque,  de  Vaison,  d'Arles,  d'Aix,  de  Brioude 
et  de  Vienne.  Il  en  a  été  de  même  pour  notre  ville.  Aux 
premiers  siècles,  les  inscriptions  de  Volusianuâ,  d'Enoetus 
sont  ornées  de  l'ancre  et  du  poisson.  Entre  le  milieu  et  la  lin 
du  IV*  siècle,  le  marbre  de  Fœdulanous  donne  le  ^;  entre 
450  et  500,  ceux  de  Menas,  d'Eugenia  (nobilis),  de  Spanilia 
nous  montrent  la  +.  Aux  VI*  et  Vil*  siècle,  ceyx  d'Urbeca,  de 
Tillisiola  portent  la  -j-  plusieurs  fois  répétées.  • 

La  progression,  en  fait  de  chrisme,  étant  régulière  à  Mar- 
seille, force  est  d'y  faire  rentrer  le  chrisme  P  et  de  le  placer 
entre  le  ^  et  -}-.  De  ce  chef,  donc,  l'inscription  d'Ëusébie  de- 
vrait être  rangée  entre  celle  de  Fœdula  ornée  du  j£  et  celle  dte 
Menas  qui  porte  la  +  et  se  voir  assigner,  comme  date  d'ori- 

(1)  Marbre  de  Mayence,  Caumont,  Abécédaire  d'archéologie,  p.  75.  — 
Marbre  de  Chàteau-Gontier,  Caumont,  op.  cit.,  p.  104.  —  Marbre  de 
Limoges,  Dictionnaire  d'Epigraphie,  édition  Migne,  t.  I,col.  651. 


—  461  — 

gine,  l'époque  qui  court  de  la  lia  du  IV0  siècle  au  milieu  du 
V.  Or,  voyez  les  première  points  de  dissemblance  de  notre 
marbre  avec  les  règles  générales  d'épigraphie . 

Si,  en  général,  le  P  cadre  bien  entre  le  ^  et  la  +  ;  si  à 
Marseille  sa  place  légitime  est  entre  la  fin  du  IV*  et  le  milieu 
du  V',  certains  détails  de  cette  inscription  ne  peuvent  accepter 
cette  date. 

En  effet,  les  colombes  symboliques  se  rencontrent  sur  les 
marbres  dès  l'an  378.  Mais  le  vase  figuratif  ne  parait  que  dès 
450,  les  colombes  s'abreuvant  à,  ce  vase  ne  paraissent  que  dès 
454,  le  début  a  Hic  requiescet  in  pace  »  ne  se  lit  que  dès  469  ; 
enfin,  le  terme  «  religiosa  »  ne  s'emploie  dans  les  épita- 
phes  que  dès  Tan  511  (1).  On  le  voit,  le  chrisme  p ,  qui  ne 
doit  se  montrer  à  Marseille  que  de  la  fin  du  IV'  siècle  au 
milieu  du  V%  ne  va  pas  avec  les  autres  détails. 

Comparez  maintenant  ce  marbre,  orné  du  p ,  avec  ceux  de 
Marseille  portant  le^  et  la  +>  appartenant  à  la  fin  du  IV* 
siècle  ou  au  début  du  Ve,  et  entre  lesquels  il  devrait  être 
plapé.  L'un,  celui  deFœdula,  est  d'un  primitif  remarquable 
par  son  début  a  Pausat  in  pace  »,  par  les  textes  de  l'Ecriture 
qu'il  nous  fait  lire.  L'autre,  celui  de  Menas  et  Gemula,  nous 
montre  le  «<  Hic  jacet  »,  le  «  votum  »,  un  texte  encore  de  la 
sainte  Ecriture.  Pas  de  date  sur  aucun  des  deux  marbres.  Et 
celui  d'Eusébie  étale  son  «  Hic  requiescet  in  pace  »,  sa  date, 
des  détails  de  vie  et  de  mœurs  rarement  renfermés  dans  les 
inscriptions  primitives.  Si  l'on  veut  mettre  cette  épitaphe,  à 
cause  du  chrisme  qu'elle  porte,  à  son  rang  légitime,  entre 
celle  de  Fœdula  j£  et  celle  de  Menas  +>  avouons  qu'elle  ne 
leur  ressemble  guère. 

Pour  cacher  ce  défaut,  reculons  la  date  de  notre  marbre, 
attribuons-le  au  VI"  siècle,  époque  des  colombes,  des  vases 
symboliques,  du  terme  «  religiosa  »,  de  511  à  540.  Ici,  nou- 
veau point  de  dissemblance  avec  les  règles  générales  de  l'épi  - 

(1)  La  table  explicative  de  M.  Ed.  Leblant  dans  son  Manuel  d'Epigra- 
phie  chrétienne,  p.  29,  montre  que  le  E  parait  de  400  à  525-540,  en 
Gaule.  A  Marseille,  confrontation  faite  entre  les  inscriptions  de  Fœdula 
et  de  Menas,  ce  chrisme  devrait  se  montrer  plus  tôt.  Les  colombes  se 
voient  de  378  à  612,  le  vase  de  450  à  563  environ. 

30 


—  462  — 

graphie.  Notre  marbre  fait  lire  le  début  a  Hic  requiescet  in 
pace  »  ;  or,  ce  début  ne  se  voit  guère  après  498  (1). 

L'indiction  toute  seule  date  ce  marbre.  Or,  ce  mode 
chronologique  ne  se  voit,  d'après  M.  de  Rossi,  que  dans 
l'époque  postérieure  à  la  dernière  moitié  du  VI*  siècle  (2), 
et  à  ce  moment  l'usage  du  a  Hic  requiescit  in  pace  »  et  de 
l'expression  «  religiosa  »  a  déjà  disparu. 

Pour  nous  mettre  d  accord  avec  Tépigraphie,  assignons  à 
notre  marbre  une  date  plus  rapprochée  de  nous,  la  fin  du 
VI*  siècle,  à  cause  de  la  date  par  l'indiction  toute  seule.  Or, 
voyez  encore  la  dissemblance. 

Mettons  en  regard  du  marbre  d'Eusébie  celui  d'Urbeca  qui 
appartient  à  la  lin  du  VI'  siècle.  Tous  les  deux  ont  l'indiction 
pour  seule  date.  Mais  quels  points  de  différence  !  Au  marbre 
d'Eusébie  le  monogramme  P,  à  celui  d'Urbeca  la  +  répétée 
par  trois  fois.  Au  marbre  d'Eusébie  le  début  ordinaire  «  Hic 
requiescit  in  pace  »,àcelui  d'Urbeca  le  a  Hic  requiescit  in  pace 
bons  mémorise  »  compliqué  du  plus  minus.  Au  marbre 
d'Eusébie,  enfin,  les  colombes,  le  vase  symbolique  ;  à  celui 
d'Urbeca  aucun  de  ces  détails.  Dissemblance  complète,  donc, 
entre  notre  inscription  et  celle  d'Urbeca.  Et  cependant  nous 
les  supposerions  de  la  même  époque  !! 

Un  autre  défaut  se  manifeste.  A  la  fin  du  VI*  siècle  on  datait 
par  le  consulat,  en  Provence.  Cette  formule  chronologique 
n'avait  pas  cessé  d'y  être  en  usage,  malgré  la  présence  des 
Francs  et  des  Bourguignons  en  cette  contrée.  Bien  plus,  les 

(1;  La  dernière  inscription  avec  le  début  «  Hic  requiescet  in  pace  »  est 
de  498,  n°  482,  Inscriptions  chrétiennes  de  M.  Edmond  Leblant.  Et  la 
dernière  avec  «  Hic  requiescit  in  pace  >  appartient  à  Tannée  534,  n*  696 
du  même  ouvrage. 

(2)  «  La  date  par  l'indiction  seule  marque  une  époque  postérieure  à  la 
moitié  à  peu  près  du  sixième  siècle.  »  (Lettre  de  M.  de  Bossi  à  M*r  Bar- 
bier de  Montault,  au  sujet  de  l'inscription  Tillisiola.  —  Bulletin  delà 
Société  archéologique  du  Midi  de  la  France,  série  in-8»,  n°  1,  p.  29.)— 
Voir  le  texte  de  M.  de  Rossi,  cité  plus  haut  et  extrait  de  ses  Inscription 
nés  christiancp  urhis  Romae.  —  «  Jusques  vers  le  milieu  du  VI*  siècle, 
on  continua  à  joindre  le  nom  des  consuls  à  l'indiction»  mais  depuis  cette 
époque  on  se  mit  à  dater  par  les  indictions  toutes  seules.  »  (Martigay, 
Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes,  p.  316.) 


—  463  - 

Bourguignons,  qui,  on  le  sait,  conservèrent  plus  longtemps 
dans  leurs  Etats  cette  manière  de  dater,  possédaient  Marseille, 
à  ce  moment,  par  moitié.  Ils  ont  dû  y  garder  aussi  cette 
formule  chronologique.  Et  encore,  on  datait  par  les  rois  en 
France,  au  VI*  siècle,  et,  quoique  nous  n'ayons  qu'un  marbre 
originaire  de  Provence  portant  cette  note  chronologique  (1), 
il  est  incontestable  que  Ton  connaissait  à  Marseille  le  roi 
régnant.  Les  médailles  des  rois  mérovingiens,  frappées  ou 
trouvées  dans  notre  ville  en  font  foi  (2).  Or,  puisqu'il  s'agis- 
sait d'une  personne  recommandable  comme  Tétait  sainte 
Eusébie,  pourquoi  n'a-t-on  pas  choisi  une  des  deux  formules 
chronologiques  ? 

Autre  dissemblance  ! 

Eusébie  est  appelée  «  ancilla  Domini  ».  Or,  nous  Tâtons 
dit  plus  haut,  aucun  marbre  daté  ne  donne  cette  formule. 
D'autre  part,  les  conciles  n'emploient  ce  terme  qu'au  milieu 
du  VIII*  siècle.  Vouloir  donc  ranger  cette  inscription  au 
nombre  de  celles  du  VI*  siècle,  c'est  fouler  aux  pieds  les  règles 
de  Tépigraphie. 

On  objectera  qu'au  VI"  siècle  Grégoire  le  Grand,  dans  une 
lettre  à  Respecta,  appelait  celle-ci  a  abbatissa  »  et  ses  reli- 
gieuses a  ancillae  Dei  »  ;  que,  dans  ses  écrits,  il  donnait  aux 
personnes  consacrées  à  Dieu,  tantôt  le  nom  de  a  religiosa  », 
tantôt  celui  d'à  ancilla  Dei  »  ;  que  Grégoire  de  Tours  faisait 
de  môme,  et  que  partant  l'inscription  d'Eusébie  pourrait 
très  bien  appartenir  à  la  fin  du  VI*  siècle,  au  début  du  VII*. 

Soit.  Mais  comment  se  fait-il  qu'à  la  un  du  VI*  siècle 
Tinscription  d'Eusébie  porte  le  chrisme  antique  P,  alors  qu'il  y 
a  fort  longtemps  que  la  -f-  est  en  usage  dans  notre  ville  ?  Des 
marbres  la  portent  et  elle  se  trouve  sur  les  monnaies  (3). 


(1)  Marbre  de  Villeneuve-lez-Avignon,  n9  597  des  Inscriptions  chré- 
tiennes de  M.  Edmond  Leblant,  t.  II. 

(2)  Grosson,  Recueil  des  antiquités  de  Marseille,  nous  donne  le 
lac-simile  de  quelques-unes  de  ces  médailles  ;  on  y  trouve  sept  médailles 
de  Clotaire  I"  (555-562),  quatrp  de  Gharibert  I"  (562-570;,  huit  de 
Sigebert  I"  (572-577;,  une  de  Sigebert  II  (613),  trois  de  Clotaire  II 
(614-631),  trois  de  Dagobert  1"  (628-647),  une  de  Chilpéric  II  (664-667). 

(3)  Les  marbres  de  Menas,  d'JBugenia  «  nobilis  »,  de  Spanilia,  d'Urbeca, 


-  464  - 

Gomment  se  fait-il  qu'à  la  fin  du  VI'  siècle  on  lise  sur  notre 
marbre  le  début  a  Hic  requiescit  in  pace  »  que  Ton  ne  voit 
plus  après  498  ou  après  534?  Comment  se  fait- il  que  Ton  date 
par  la  seule  indiction  la  tombe  d'une  personne  si  recomman- 
dable,  alors  que  Ton  connaît  à  Marseille  le  roi  régnant  ? 

D'où  vient  que  saint  Grégoire  appelle  Respecta  de  Marseille 
a  abba tissa  »  et  qu'Eusébie  est  qualifiée  de  «  magna  ancella  i? 
Pourquoi  Tillisiola  .est-elle  appelée  a  virgo  »  et  Eusébie 
c  religiosa  »  ?  Pourquoi  les  compagnes  de  Respecta  sont-elles 
désignées  par  le  terme  de  *  ancilla  »  et  celle  de  Tillisiola  par 
celui  de  «  virgines  sacra  »  ?  Et  cela  à  Marseille,  à  peu  près  à  la 
même  époque  !  Voilà  bien  des  difficultés  épigraphiques  qu'il 
faudrait  résoudre  avant  de  faire  sortir  du  même  moule  Tins* 
cription  de  sainte  Eusébie  et  celles  du  VI*  siècle. 

Et,  si  l'on  voulait  quand  même  attribuer  ce  marbre  à  cette 
époque,  sous  prétexte  qu'il  aurait  été  gravé  en  dehors  des 
règles  épigraphiques,  au  VI*  siècle,  nous  dirions,  qu'à  ce 
moment  ces  règles  étaient  observées.  La  preuve  en  est  dans 
la  multitude  des  inscriptions  de  ce  siècle,  toutes  régulière- 
ment composées. 

Nous  ajouterions  qu'avant  d'accepter  de  placer  au  VI*  siècle 
ce  marbre  d'Eusébie,  nous  demanderions  de  voir  résoudre  les 
raisons  historiques,  puis  les  motifs  épigraphiques  dont  nous 
allons  parler  tantôt. 

Enfin,  nous  dirions  :  Oq  bien  cette  inscription,  que  l'on  sup- 
poserait de  la  fin  du  VI*  siècle,  concerne  notre  Eusébie,  ou  non. 
Dans  le  premier  cas,  réfutez  les  arguments  exposés  dans  les 
divers  chapitres  de  notre  travail;  prouvez-nous  que  le  martyre 
de  cette  sainte  a  pu  avoir  lieu  à  la  fin  du  VIe  siècle.  Dans  le 
second  cas,  démontrez  encore  la  fausseté  de  nos  asser* 
tions  sur  ce  point  spécial,  donnez-en  quelque  preuve  convainc 
bante.  Lorsque  cela  sera  fait,  nous  verrons  alors  de  croire  que 
ce  marbre  appartient  à  la  fin  du  VI*  ou  au  début  du  Vit* 
siècle. 

Jusque-là,  il  nojis  sera  permis  de  constater  qu'il  n'y  a  pas 


sont  ornés  de  la  -f.  Les  médailles  des  VI*  et  VII*  siècles  ont  cette  croix 
an  exergue . 


—  465  — 


de  ressemblance  entre  notre  inscription  et  celles  de  Marseille; 
que  celle-ci  a  été  composée  en  dehors  des  règles  épigraphiques 
suivies  à  Marseille  et  ailleurs  ;  qu'ainsi  il  nous  est  impossible 
d'accepter  qu'elle  appartient  aux  V,  VI*  ou  VII*  siècles. 


CHAPITRE  X 
Inscription  de  sainte  Eusébie 

(Suite) 


RAISONS  HISTORIQUES  PROUVANT  QUE  CETTE  INSCRIPTION  N'APPAR- 
TIENT PAS  AUX  V*,  VI*,  VII*  SIÈCLES.  —  LES  BARBARES  DU  V*  SIÈCLE 
N'ONT  PU  MARTYRISER  SAINTE  EUSÉBIK.  —  TRADITION  A  MARSEILLE 
QU'EUSÉBIE  A  SOUFFERT  SOUS  LES  SARRASINS.  —  LE  MONASTÈRE 
CASSIAN1TB  N'A  PORTÉ  LE  VOCABLE  DE  SAINT-CYR  QUE  POSTÉRIEU- 
REMENT AU  VI"  SIÈCLE.  —  MOTIFS  ÉPIORAPHIQUES  PROUVANT  QUE 
CE  MARBRE  APPARTIENT  AU  VIII*  SIÈCLE.  INDICTION,  NOTE  CHRONO- 
LOGIQUE POSTÉRIEURE  AUX  CONSULATS.  —  «  RELlGlOSA  »,  EXPRES- 
SION USITÉE  AU  VIe  SIÈCLE  SEULEMENT.  —  C  RBLIQIOSA  MAGNA  », 
FORMULE  EN  USAGE  A  UN  MOMENT  DU  VUl*  SIÈCLE.  «  ANCELLA  DO- 
MINI  X»,  TERME  DU  VIII*  SIÈCLE.  «  ANCELLA  MAGNA  >  DATE  AUSSI  DU 
VIII*  SIÈCLE.  —  LE  CHRISMB  EeN  USAGE  AU  IX*  SIÈCLE.  —  LES 
DÉBUTS  DES  INSCRIPTIONS  SE  PERPÉTUENT  D'AGE  EN  AGE.  —  FOR- 
MULAIRES D'INSCRIPTIONS.  —  DATE  VÉRITABLE  DE  NOTRE  MARBRE. 


Nous  avons  parlé  des  raisons  historiques  qui  nous  ame- 
naient à  dater  d'une  autre  époque  que  les  V,  VI%  VII*  siècles 
notre  inscription  de  sainte  Eusébie.  Les  voici  sommairement 
exposées  : 

Suivant  M.  Grinda,  notre  inscription  est  du  V*  siècle;  sui- 
vant M.  Edmond  Leblant,  elle  parait  appartenir  auVT.  Or, 
nous  prouverons  longuement,  que,  durant  ces  trois  siècles,  ni 
Vandales,  ni  Visigoths,  ni  Francs,  ni  Bourguignons,  ni  au- 
cun peuple  que  ce  soit,  n'ont  pu  commettre  le  crime  du  mas- 
sacre de  sainte  Eusébie.  Donc  la  théorie  de  MM.  Grinda  et 
Leblant  est  fausse. 

D'autre  part,  c'est  une  tradition  certaine,  fortement  enra- 
cinée à  Marseille,  que  ce  sont  les  Sarrasins  qui  ont  martyrisé 
sainte  Eusébie  et  ses  compagnes.  Nous  le  prouverons  dans 
un  chapitre  subséquent.  Or,  ou  bien  notre  inscription  de 
sainte  Eusébie  appartient  aux  V%  VI°,  VIIe  siècles,  et  ce  sont 


-  467  - 

les  Visigoths,  etc.,  etc.,  qui  ont  martyrisé  cette  sainte,  alors 
il  faut  rejeter  celte  tradition  de  Marseille,  ce  qu'il  n'est  pas 
facile  de  faire  ;  ou  bien  il  faut  accepter  cette  tradition,  et 
dans  ce  cas  la  thèse  de  MU.  Grinda  et  Leblant  ne  vaut  rien . 

De  plus,  dans  le  corps  de  l'inscription,  il  est  dit  que  sainte 
Kusébie  a  vécu,  est  morte  dans  le.  monastère  de  Saint-Cyr, 
a  in  monasterio  Sancti.Ciricio.  Or,  nou9  avons  démontré,  dans 
lin  des  chapitres  précédente,  que  le  cœnobinm  cassianite 
n'avait  porté  ce  vocable  de  Saint-Cyr  que  postérieurement 
au  VI* siècle.  Donc,  l'inscription  d'Euséhie  ne  peut  appartenir 
aux  V",  VI'  siècles.  Tout  au  plus  serait-elle  du  VII*.  Et  il  a 
été  prouvé  qu'elle  n'était  pas  de  ce  siècle  encore. 

A  ces  raisons  historiques  nous  croyons  pouvoir  joindre  ce 
que  nous  appelerions  des  motifs  épigraphiques,  tirés  de  quel- 
ques-uns des  termes  qui  sont  employés  dans  cette  inscription. 
A  notre  avis  ils  sont  autant  de  preuves  que  ce  marbre  d'Ku- 
sébie  appartient  au  VIII*  siècle. 

L'indiction  qui  date  ce  marbre  nous  est  une  de  ces  preuves. 
L'indiction  par  elle-même  est  une  marque  chronolog 
suffisante,  le  même  quantième  reparaissant  au  bout  de  la 
période  de  quinze  ans,  dont  elle  est  composée  (1).  Celte  m a- 
niere  de  dater  n'a  donc  pu  être  employée  ordinairement  par 
des  gens  quelque  peu  au  courant  des  événements  de  leur 
époque.  Ils  savaient  que  ce  système  défectueux  n'apprendrait 
rien  de  ce  qu'ils  voulaient  transmettre  à  la  postérité.  S'ils  se 
sont  servis  de  cette  désignation  inutile,  c'est  qu'ils  ne  pou- 
vaient faire  autrement. 

On  a  du  l'employer  lorsque  le  consul  désigné  pour  l'année 
n'était  pas  encore  connu  dans  la  contrée  ou  l'on  se  trouvait  ; 
lorsque  par  suite  de  quelque  bouleversement  politique,  l'élec- 
tion consulaire  n'était  pas  faite  ;  lorsque  l'institution  des 
consuls  disparut.  Martigny,  après  M.  de  RoBsi,  donne  une 
autre  raison  (2)  :  lorsque,  «  grâce  à  la  barbarie,  à  l'ignorance 


(1)  Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  cltrètiennes,  pp.  297,  317.— 
H.  de  Rossi  écrit  de  l'indiction  :  ■  qute  plane  inutilis  désignante  tempo- 
ris  ratio  est.  o  (Inscriptiones  cliristianœ  urhiê  Romœ,  p.  XCVI1I.) 
—  Ed.  Leblant,  Inscription»  chrétiennes,  t.  II.  p.  XI. 

(2)  Martigny,  Dictionnaire  de*  antiquités  chrétiennes,   p.  317.    — 


—  468  — 

toujours  croissante,  beaucoup  en  étaient  venus  à  ne  plus 
attacher  aucune  importance  à  la  constatation  des  dates  sur  les 
monuments  ».  En  Gaule!  quand  les  consuls  disparurent, 
l'usage  -s'établit  de  dater  par  les  années  de  règne  d'un  rof  (1). 
On  ajoutait  quelquefois  l'indiction,  mais  souvent  on  l'omet- 
tait (2).  Si  le  roi  était  mort  et  n'était  pas  remplacé  aussitôt, 
force  était,  durant  les  années  d'interrègne,  de  dater  par  Fin- 
diction  toute  seule. 

Or,  nous  l'avons  dit,  ceux  qui  ont  composé  l'inscription  de 
sainte  Eusébie  n'étaient  pas  tout  à  fait  ignorants.  S'ils  ont 
vécu  au  V  ou  au  VI*  siècle,  ils  savaient  très  bien  qu'à  Marseille 
on  datait  par  les  consuls.  Ils  savaient  aussi  quel  roi  visigoth, 
bourguignon  ou  franc  possédait  la  Provence.  Les  monnaies 
l'indiquaient.  Ils  pouvaient  donc  employer  la  date  consulaire 
ou  la  date  royale.  Nous  l'avons  dit  encore,  ils  voulaient  gar- 
der et  confier  à  la  postérité  le  souvenir  de  la  grande  reli- 
gieuse. Leur  intérêt  était  donc  de  placer  au  bas  de  l'inscrip- 
tion qu'ils  faisaient  graver  une  date  certaine  consulaire  ou 
royale.  Or,  ils  se  sont  contentés  d'y  placer  l'indiction.  Donc, 
pouvons-nous  dire,  notre  inscription  est  d'une  époque  posté- 
rieure aux  V*  et  VP  siècles. 

On  ne  peut  pas  prétexter  que  le  nom  du  consul  de  Tannée 
peut-être  n'avait  pas  encore  été  notifié  à  Marseille.  La  mort 
cT Eusébie  est  fixée  au  «  pridiè kalendas  octobris  »,  30  septem- 
bre, et  dès  le  commencement  de  janvier  le  consul  était  connu 
en  Gaule  (3).  On  ne  peut  pas  prétendre  que  l'état  de  guerre 
avait  empêché  la  notification  du  consul.  Pour  le  V  comme 
pour  le  VI'  siècle,  on  possède  de   nombreux  marbres  de  la 

M.  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  p.  LXX.  —  Nous  avons  cité 
plus  haut  le  texte  de  M.  de  Rossi. 

(1)  Martigny,  op.  cit.,  p.  317.  Le  dernier  citoyen  qui  a  reçu  les  hon- 
neurs du  consulat  a  été  FI.  Basil  lus  junior,  nommé  consul  l'an  541 .  Dés 
cette  année  on  voit  chez  les  Visigoths  et  les  Francs  s'introduire  l'usage 
de  dater  par  jes  rois.  Cf.  Ëd.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes, 
n"  616,  620  B.  620,  616  B,  611,  620  a,  375  ;  —  Dictionnaire  cTEpigraphie 
de  Migne,  t.  Il,  col.  976,  une  inscript,  de  585. 

(2)  Voir  notamment  les  n"  616,  597,  474. 

(3)  M.  Ëd.  Leblant,  dans  une  note,  cite  un  marbre  daté  par  le  con- 
sulat, le  12  janvier.  Inscriptions  chrétiennes,  t,  II,  préface,  p.  LXXII. 


-  469  — 

Gaule,  et  notamment  des  régions  avoisinant  Marseille,  et  la 
plupart  font  lire  les  dates  hypathiques  (1).  L'état  de  guerre 
donc,  s'il  existait,  n'a  pu  empêcher  l'emploi  de  .cette  formule 
chronologique.  De  plus,  comme  la  domination  visigothe,  fran- 
que  et  bourguignonne  y  était  établie,  on  aurait  pu,  à  défaut  de 
consuls,  employer  la  date  des  rois.  On  ne  Ta  pas  fait  ;  c'est  que 
cette  inscription  n'appartient  ni  au  V%  ni  au  VI*  siècle. 

Ajoutons  que  l'on  a  continué,dans  les  provinces  relevant  de 
la  royauté  bourguignonne,  à  employer  la  date  des  consuls, 
jusqu'en  628  (2);  que  durant  tout  ce  VII°  siècle  on  a  daté  aussi 
par  le  règne  des  rois  (3).  Or,  ceux  qui  ont  rédigé  l'inscription 
de  sainte  Eusébie  connaissaient  ces  détails.  Ils  auraient  dû 
dater  par  ces  consuls  ou  par  ces  rois.  Ils  ne  l'ont  pas  fait  en- 
core. D'autre  part,  il  n'y  a  pas  eu  d'interrègne  marquant 
durant  ce  VII"  siècle.  D'ailleurs,  il  n'est  pas  nécessaire  de 
croire  que  l'on  a  rédigé  l'inscription  au  lendemain  de  la  mort 
d'Eusébie  ;  ainsi  on  a  eu  tout  le  temps  de  s'éclairer.  Mais  on  a 
préféré  dater  par  l'indiction  noute  seule.  Donc  cette  inscrip- 
tion n'appartient  pas  au  VIIe  siècle. 

Eusébie  est  appelée  a  religiosa  » .  A  quelle  époque  cette  ex- 
pression était-elle  en  usage  dans  le  langage  épigraphique  ? 
Aucun  marbre  des  Gaules  ne  la  fait  lire,  croyons-nous  durant 
le  V°  siècle.  Les  personnes  consacrées  à  Dieu  sont  appelées 
«  Deo  sacrata  puella,  Puella  Deo  placita  »  (4).  Et  ce  que  l'épi- 

(1)  M.  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  a  trente-deux  inscriptions  environ  parfai- 
tement datées  et  appartenant  à  toutes  les  années  du  V*  siècle.  Pour  les 
Y*  et  VI*  siècles  il  en  donne  cinquante-cinq  datées  par  les  consuls,  dont 
une  d'Xix,  trois  d'Arles,  trois  de  Vaison,  une  d'Avignon. 

(2)  C'est  un  fait  curieux,  en  effet,  que  les  Bourguignons  ont  continué  à 
dater  parles  consulats  jusqu'en  628, bien  longtemps  après  que  les  Francs 
et  les  Visigoths  eurent  rejeté  ce  système  pour  dater  par  les  années  de 
régne  de  leurs  rois.  V.  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  préface, 
p.  LXI1I  et  suiv.,  note.  —  Du  début  de  ce  VII»  siècle  à  l'année  628,  il  y  a 
quatre  inscriptions  datées  par  les  consuls  :  ne*  17,  507,  397,  397  a. 

(3)  Ed.  Leblant,  op.  cit,,  donne  seize  inscriptions  du  VII*  siècle  datées 
par  les  rois. 

(4)  Marbre  de  Leocadia,  de  431,  n°  44  ;  celui  d'Alsberga,  de  491, 
n°  388  (Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes).  Il  y  a  deux  marbres 
portant  l'expression  de  «  religiosa»,  mais  la  date  en  est  douteuse.  Pour 
le  n°  387  a,  elle  va  de  428  à  511 .  Mais,  de  l'aveu  de  M.  Leblant,  cette  ins- 


—  470  — 

graphie  fait  constater,  lea  textes  des  conciles  le  montrent 
aussi.  On  y  emploie  l'expression  «  Puella  Dei,  Virgo,  Virgo 
vêla  ta,  Virgo  quse  se  vbverit  Deo,  Puella,  Virgo  sancta  »  et  non 
pas  «  religiosa  »  (1).  Sûrement  donc  notre  inscription  n'est 
pas  du  V"  siècle. 

Durant  le  VIe  siècle,  au  contraire,  cette  formule  est  usitée. 
M.  Leblant,  qui  en  fait  la  remarque,  nous  donne  quatre 
marbres  datés  et  un  sans  date,  portant  le.  titre  de  t  reli- 
giosa »  (2).  De  prime  abord  il  semble  donc  que  Ton  puisse 
ranger  l'inscription  de  la  religieuse  Eusébie  parmi  celles  du 
VI- siècle. 

Il  n'en  est  rien  cependant.  Il  faut  remarquer,  en  effet,  que 
ces  marbres,  datés  par  les  consulats,  appartiennent  à  la  pre- 
mière moitié  du  VI*  siècle,  tandis  que  celui  d'Eusébie,  daté 
par  l'indiction  seule,  appartient  de  ce  chef  à  la  seconde  moi- 
tié du  .yp  siècle  (3).  Or,  dans  cette  seconde  moitié  du  VI" 
siècle,  les  conciles  n'emploient  jamais  cette  expression  dans 
leurs  décrets  (4).  Les  marbres  non  plus.  Nous  avons,  en  effet, 
plusieurs  inscriptions  appartenant  à  peu  près  à  cette  époque  et 
relatives  à  des  personnes  consacrées  à  Dieu.  Or,  dans  les  unes, 
ces  personnes  sont  appelées  «  sacrata  Deo  puella  9,  dans  les 
autres  «  sacrata  Christi  »  ;  dans  une  autre  «  famulaDei  »,  ou 
toute  autre  expression  identique  (5). 

cription  appartient  plutôt  au  VI*  siècle.  Quant  à  l'épi taphe  de  Scurpi- 
liosa,  sa  date  court  de  453  à  524.  Mais.de  l'aveu  de  M.  Leblant  encore,  elle 
est  plutôt  du  VIe  siècle,  n°  435. 

(1)  C'est  ce  qui  résulte  de  nos  recherches  dans  les  collections  des  dé- 
crets conciliaires  du  V*  siècle. 

(2)  Celles  d'abord  de  Scurpiliosa  453-524,  et  le  n°  387  a  de  428-511  ;  puis 
celle  de  Carusa  en  520,  n°  663,  et  celle  de  Maria  en  540,  n*  688;  enfin, 
celle  de  Meria  «  religiosa  maxima  »,  n°  699. 

(3)  Voir  le  texte  de  M.  de  Rossi  que  nous  avons  cité  précédemment  à 
ce  sujet.  r 

(4)  Nous  ne  l'avons  remarqué  qu'une  seule  fois  dans  un  décret  d'un 
concile  de  Lérida  en  524,  canon  6.  (Ltabbé,  Sacrosancta  concilia,  t.  IV, 
col.  1212.) 

(5)  Nous  trouvons  chez  M.  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  les 
marbres  de  Crescentia,  de  Georgia  antérieures  à  Grégoire  de  Tours, 
n°*  203.  560  ;  or,  ces  personnes  sont  appelées  «  sacrata  Deo  puella,  sacrata 
Christi  »  ;  celui  de  Theochectilde  vers  680,  n°  199,  appelée  «  mater  sacra- 


—  471  — 

Donc,  forcément  il  faut  ramener  à  une  époque  plus  basse, 
plus  rapprochée  de  nous,  la  date  d'origine  de  ce  marbre.  Le 
terme  même  de  a  religiosa  »  nous  y  contraint. 

M.  Leblant  a  dit  que  cette  locution  se  trouve  dans  Grégoire 
de  Tours,  dans  les  lois  barbares,  les  capitulaires  (1).  De 
fait,  Grégoire  de  Tours  et  saint  Grégoire  le  Grand,  pape,  se 
sont  servis  de  ce  terme  a  religiosa  »  dans  leurs  écrits  (2).  Mais, 
nous  venons  de  le  dire,  dans  la  seconde  moitié  du  VI*  siècle, 
cette  expression  n'a  pas  de  place  en  épigraphie.  Tout  au  plus 
cela  aboutirait  à  faire  croire  que  cette  inscription  est  du  VI* 
siècle.  Or,  on  sait  quelles  difficultés  surgiraient.  Les  lois 
barbares,les  capitulaires  emploient  cette  locution  quelquefois. 
Nous  la  lisons  dans  un  édit  de  Clotaire  II,  en  615,  et  dans  un 
capitulaire  (3).  Mais  au  VII*  siècle  encore  ni  les  conciles,  ni  les 
marbres  n'emploient  cette  formule.  Les  conciles  se  servent 
de  l'expression  <*  virgo  famula  Christi,  virgo  sacra  ».  Le  mar- 
bre de  Jouarre,  de  680,  appelle  les  religieuses  «  sacra tae  Deo 
virgines  »  (4).  Ce  n'est  donc  pas  ce  terme  de  u  religiosa  »  qui 
nous  amènerait  à  attribuer  l'inscription  d'Eusébie  au  VII* 
siècle,  pas  plus  qu'au  V*  ou  au  VI*. 

tarum  Deo  virginum  »  ;  celui  de  Dulcitia,  de  de  551-579,  n*  406,  appelée 
t  famula  Dei  »  ;  celui  de  Maria  »  en  552,  n*  47,  appelée  cvenerabilisreli- 
gione  ». 

(1)  Ed.  Leblant,  Manuel  d' Epigraphie  chrétienne,  p.  24. 

(2)«  Unde  factum  est  ut  puella  quadam  religiosa.  »  Grégoire  de 
Tours,  Historia  Francontm,  liv.  II,  cap.  2. 

(3)  Les  lois  barbares  appelées  Ripuarium,  Alemanorum  et  Bavarto- 
rum  furent  composées  par  Thierry  I",  roi  de  France,  mais  retouchées 
et  publiées  par  Dagobert  I*r,  vers  630  ou  quelques  annés  auparavant.  — 
Patroîogie  chrétienne,  édit.  Migne,  t.  LXXX  :  Dagobert  I".  col.  497. 

Edictum  Clotarii  II  régis  in  concilio  Parisiensi  V  anno  6/5,  cap. 
18:  f  Puellas  et  viduas  religiosas  aut  sancti moniales  quae  se  Deo  vove- 
runt.  »  (Capitularia  reg.  Franc,  Steph.  Baluzio,  1. 1,  col,  24.)  —  Liber 
quintus  Capitûlarium,  c.  385,  col.  906,  t.  I  :  a  Si  quis  rapuerit  religio- 
samfeminam.  » 

(4)  Ceux  qui  voudraient  placer  les  inscriptions  de  Eugenia  «  ancilla  » 
et  de  TiMisiola  aux  VI*  et  VU*  siècles  auraient,  de  ce  chef,  une  difficulté 
de  plus.  GomAlent,  si  à  la  fin  du  VI*  et  au  début  du  VII*  on  a  appelé 
Eugenia  «  ancilla»  et  TiMisiola  «virgo  »,  notre  inscription  d'Eusébie 
appelerait  celle-ci  «  religiosa  »  ? 


—  472  — 

Nous  croyons  trouver  une  preuve  nouvelle  dans  les  mots 
«  religiosa  magna  ».  Cette  expression  signifie  abbesse  et  cor- 
respond à  a  abbatissa  ».  Or,  si  cette  inscription  appartient  aux 
V%  VI*  siècles,  pourquoi  les  rédacteurs  ont-ils  employé  cette 
formule  quelque  peu  ampoulée,  au  lieu  du  mot  «  abbatissa  »  ? 
Ce  dernier  terme  était  en  usage  cependant  à  cette  époque.  Dès 
le  IIIe  siècle,  le  pape  Eutychianus,  défendant  à  une  abbesse  de 
donner  le  voile  aux  vierges,  se  sert  de  l'expression  «  abba- 
tissa »  (1).  Au  IV*  siècle  les  canons  antiques  de  Nicée,  traduits 
en  latin,  font  lire  «  abbatissa  »  (2).  Aux  Ve,  VI*  siècles  c'est 
l'expression  courante.  Les  écrivains  ecclésiastiques,  les  conci- 
les, les  Vies  des  saints  l'emploient  (3).  Dans  le  langage  épigra- 
phique  on  la  trouve  aussi  ;  notamment  un  marbre  de  569  (4)  et 
un  autre  que  nous  trouvons  dans  M.  Edmond  Leblant  la  porte 
gravée  (5). 

Il  en  est  à  peu  près  de  môme  au  VII*  siècle  ;  Donatus  l'em- 
ploie dans  un  de  ses  ouvrages  ;  à  Marseille,  le  marbre  de  Til- 
liciola,  que  M.  de  Rossi  attribue  à  la  fin  du  VI*  ou  au  début 
du  VII*  siècle,   nous  la  fait  lire   Or,  nous  le  répétons,  d'où 

(1)  Décréta  Eutychiani  Papœ,  ann.  276  :  «  Statuimus  abbatissa 
prœsumens  velare  virginem  vel  viduam  excommunicetur.  »  (Summa 
concil,  par  Garranzam,  p.  52.J 

(2)  Le  canon  20  du  concile  de  Nicée  dit  :  «  Quando  necessaria  vit». . . 
deferuutur  extra  portera,  hœc  suscipiat  abbatissa.  »  (Synod.  generalium 
Décréta,  par  Christian  Lupus,  t.  III,  p.  207.) 

(3)  Testament  de  saint  Césaire  d'Arles  :  «  Ancillae  nostra  Cœsariae 
abbatissae. . .  »  Chronologia  sanctorum  insul.  Lerinensis,  1. 1,  p.  270.J — 
Régula  ad  virgines,  Récapitulât io;  Patrologie  latine,  édit.  Migne, 
t.  LVII  col.  1111.— Saint  Grégoire  le  Grand,  lettre  à  Respecta,  abbesse 
de  Marseille.  — Concile  d'Arles,  en  554  :  «  Ut  episcopi  de  pueilarum  mo- 
nasteriis...  curam  gérant,  nec  abbatissœ  ejus  monasterii  aliquid  liceat 
contra  regulam  facere.  »  (Canon  5;  Labbé,  Sacrosancta  concil.,  t.  Vt 
col.  781.  —  Concil.  Pictaviense,  ann.  590:  «  Abbatissa  monasterii  et 
monachae.  »  Labbé,  op.  cit.,  t.  V,  col.  1593.  —  Vita  sanctœ  Euphra- 
siœ  :  «  Nam  si  sumo  baculum  abbatissœ...  »  fViia  PP.,  c.  39,  p.  359* 
apud  Rossveid.)— Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes. 
p.  265. 

(A)  «  Hic  requiescit  in  sommo  pacis  Justina  abbatissa.  >  Martigny, 
op.  cit.%  p.  486. 

(5)  «  In  hoc  tumulo...  Deo  sacrata  Maria  Habbat...  >  Ed.  Leblant, 
Inscriptions  chrétiennes,  n#  615. 


—  473  — 

vient  que  ceux  qui  ont  composé  l'inscription  d'Eusébie,  si  elle 
appartient  aux  V%  VI'  ou  VII*  siècles  ont  choisi  une  expres- 
sion nullement  en  usage  à  ce  moment  ? 

Il  y  a  une  explication  possible.  C'est  que  Ton  aurait  connu 
à  Marseille  une  inscription  de  Vienne  appelant  une  vierge 
consacrée  à  Dieu  et  abljesse  a  religiosa  maxima  ».  Ce  marbre 
mutilé  a  perdu  sa  date,  mais  les  formules  qu'il  fait  lire  le  font 
remonter  vers  le  milieu  du  VI*  siècle  (1).  Le  moine  rédacteur 
de  l'épitaphe  d'Eusébie  a  pu  employer  le  même  terme,  se 
contentant  de  voiler  sa  réminiscence  sous  le  simple  diminutif 
de  «  religiosa  magna  »,  au  lieu.de  «  religiosa  maxima  ». 
Mais,  pour  attribuer  aux  VI*  et  VII*  siècles  notre  marbre  d'Eu- 
sébie,  il  faudrait  pouvoir  résoudre  toutes  les  difficultés  épi- 
graphiques  et  historiques  que  cette  date  soulève.  Mieux  vaut 
accepter  qu'au  VIII*  siècle  on  connaissait  aussi  ce  marbre  de 
Vienne,  et  que  l'on  a  adopté  pour  l'épitaphe  de  notre  sainte  la 
formule  qui  s'y  lisait  :  «  religiosa  maxima  » . 

Eusébia  est  appelée  «  ancilla  Domini  ».  A  quelle  époque  ce 
terme  a-t-il  été  employé  dans  le  langage  épigraphique?  Les 
inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule  recueillies  par  M.  Leblant 
ne  nous  donnent  aucune  solution.  Cet  ouvrage,  d'abord,  ne 
renferme  que  quatre  inscriptions  portant  cette  expression.  Or, 
de  Tune,  M.  Leblant  ne  fait  nul  cas,  il  semble  croire  qu'elle 
appartient  à  une  païenne;  d'une  autre,  impossible  d'en  tirer 
parti,  elle  est  sans  date  aucune.  Les  deux  dernières  ne  peu- 
vent être  d'une  grande  utilité,  puisqu'il  s'agit  du  marbre 
d'Eugenia  de  Marseille,  qui  est  sans  date  encore,  et  du  mar- 
bre de  notre  Eusébie,  qui  est  en  question  (2).  Impossible  donc 

(1)  N°  699  :  «  In  hoc  tumulo  requiescit  in  pace  bonae  mémorise  m..» 
meria  religiosa  ma...  ma,  quae  vixit  anous  plus  minus  LX  obiet  in 
Christo...  5  augustas.  »  (Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes  de 
la  Gaule,  t.  II.  ) 

(2)  Tout  au  plus  nous  fourniraient-ils  quelques  données  chronologi- 
ques. L'épitaphe  deDivixta  parait  très  ancienne  à  cause  du  D.  M. ,  du  nom 
du  père  ou  du  maître  qui  s'y  trouvent  renfermés,  de  l'absence  de  toute  for- 
rttule  chrétienne,  telles  que  «  Hic  jacet,  Requiescit,  »  etc.  Elle  serait 
sûrement  au  nombre  de  celles  qui,  sorties  d'un  moule  païen,  appartien- 
nent aux  premiers  siècles  chrétiens.  Celle  de  Calumniosa,  avec  le  B.  M. 
et  le  début  «  Hic  requiescit  in  pace  »,  sans  chrisme  ni  date;  parait  appar- 


-  474  - 

d'en  référer  à  ces  débris  épigraphiques  pour  connaître  d'une 
manière  certaine  l'époque  à  laquelle  cette  expression  était  em- 
ployée. 

Nous  trouvons,  il  est  vrai,  dans  le  même  ouvrage  de 
M.  Leblant,  vingt-huit  inscriptions  de  religieuses,  dont  quinze 
sont  datées  (I).  Elles  vont  du  début  du  V  siècle  à  la  fin 
du  VIP.  Or,  comment  appelle- t-on,  sur  ces  marbres,  les  reli- 
gieuses? On  leur  donne  le  nom  de  «  Deo  sacrata  puella,  Puella 
Deo  placita,  Religiosa,  Famula  Christi,  Sacrata  Deo  virgo,  »  et 
jamais  «  ancilla  Dei  ».  L'inscription  de  Tillisiola  de  Mar- 
seille, qui  appartient  au  milieu  du  VI"  siècle  ou  au  début 
du  VIP,  suivant  M.  de  Rossi,  donne  la  formule  «  sacris  virgini- 
bus  ».  La  dernière  inscription  de  religieuse  portant  une  date, 
de  680,  fait  lire  l'expression  «  Deo  sacrata  virgo  ».  Il  y  a 
donc, on  le  voit,  incertitude  complète.  Mais  on  peut  dire  aussi 
qu'il  y  a  grande  chance  que  notre  inscription  d'Eusébie  lie 
remoute  pas  aux  V%  VI%  VIP  siècles. 

C'est,  d'ailleurs,  ce  que  les  conciles  nous  confirment.  De 
quelles  expressions  se  servent-ils,  dans  leurs  actes  et  leurs 
décrets,  pour  parler  des  personnes  consacrées  à  Dieu,  des  reli- 
gieuses? De  a  Virgo,  Puella  Deo  se  vovens,  Virgo  sacra,  Sanc- 
timonialis,  Puella  Dei,  Filia  devota,  Religiosa,  Virgo  religiosa, 
Puella  Deo  dicata,  Virgo  Christi,  Mulier  Deo  dicata,  Monacha, 
Ancilla  Dei,  Monialis  »  (2).  Or,  à  quelle  époque  lit-on,  dans 
ces  conciles,  l'expression  a  ancilla  »  ?  En  721,  au  concile  de 
Rome;  en  743,  à  celui  de  Germanie;  en  744,  à  celui  de  Sois- 


teûir  au  V'  siècle.  Si  l'on  voulait  s'autoriser  de  ces  données,  U  faudrait 
d'abord  prouver  que  dans  ces  trois  inscriptions,  dans  les  deux  premières 
surtout,  il  s'agit  de  religieuses.  Quan  t  à  s'appuyer  sur  celle  d'Eugenia 
pour  établir  que  l'inscription  d'Eusébie  c  religiosa»  et  «  ancella»  appar- 
tient a  la  fin  du  V*  siècle,  vu  qu'à  ce  moment  saint  Grégoire  pape  et  Gré- 
goire de  Tours  appellent  les  vierges  consacrées  à  Dieu  <  religiosa,  an- 
cilla »,  on  sait  les  difficultés  qui  ressort  iraient  de  ce  système.—  Ed. 
Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  n"  584,  622  a,  544,545. 

(1)  Ed.  Leblant  op.  cit.,  n"  388,  31,  66,  615,  387  a,  663,  435,  55,  203, 
560,  688,  55,  4U6,  47,  199. 

(2)  Notre  assertion  est  basée  sur  un  travail  personnel  que  nous  avons 
fait  à  l'aide  des  grandes  collections  de  conciles,  entre  autres  Labbé, 
Mansi,  Gabassut. 


—  475  — 

sons;  eu  754,  à  Celui  de  Rome;  en  783,  à  un  concile  d'An- 
gleterre (1).  Mais  pas  avant  le  VIII*  siècle.  On  devine  la 
conclusion.  « 

Les  écrivains  ecclésiastiques  nous  apportent  eux  aussi  leur 
témoignage.  Tous  ceux,  Pères  de  l'Eglise  ou  non,  qui  ont 
écrit  sur  la  virginité  ou  sur  les  monastères  emploient  des 
expressions  spéciales.  Qui  appelle  les  religieuses  «  Virgo, 
Virgo  sacra,  Virgines  sanctae  »,  qui  leur  donne  le  nom  de 
«  Puellae,  Virgines  Deo  deditae,  PamulaDei,  Religiosa,  Sancti- 
monialis,  Virgo  devota  Ghristo,  Monacha,  Virgo  venerabilis  ». 

Or,  il  en  est  qui  choisissent  l'expression  a  ancilla  Dei  ».  Ce 
sont  :  au  V*  siècle,  Possidius  en  Afrique,  saint  Eucher  à  Lyon  ; 
au  V?  siècle,  saint  Césaire  à  Arles,  Grégoire  le  Grand  à 
Rome  (2).  Mais  cette  formule  ne  devait  pas  faire  partie  encore 
du  langage  épigraphique,  ni  de  la  terminologie  officielle  de 
l'Eglise,  puisque,  d'une  part,  les  inscriptions  lapidaires  des 
V',  VI*  et  VII*  siècles  font  lire  a  Deo  sac  rata  puella,  Puella 
Deo  placita,  Famula  Christi,  Religiosa  »  ;  d'autre  part,  les 
décrets  des  conciles  emploient  la  formule  «  Puella  Dei,  Virgo, 
Virgo  sancta,  Sanctimonialis,  Virgo  religiosa,  Monacha, 
Devota  ». 

Au  contraire,  au  VHP,  au  IX*  siècle,  le  terme  «  ancilla  Dei  » 

(1)  Concile  de  Rome  de  721:  «  Si  quis  monacham  quam  ancillam  Dei 
vo camus  in  conjungium  duxerit,  anathema  sît  »  (  Labbé,  Sacrosanct a 
concil.,  t.  VI,  col.  1456.;  —  Concile  de  Ratisbonnc  en  742  :  «  Ut  mo- 
nachi  et  ancilla)  Dei  monasteriales  juxta  régula  m  Sancti  Benedicti 
vivant.»  (Labbé,  op.  cit.,  t.  VI,  can.  15,  col.  1509.)  —  Concile  de  Sois- 
sons  en  744  :  «  Ut  ordo  rnonachorum  aut  ancillarum  Dei  secundum  regu- 
lam  sanctam  stabilis  permaneat.  ♦  (Labbé,  op  cit.,  t.  VI,  can.  3, 
col.  1553.) 

(2)  Possidius  :  «  Quae  vidua. ..  prœposita  ancillarum  Dei  vixit.  »  (Vita 
Augustini,  Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  I,  col.  55).  —  Saint 
Eucher:  «  Venerabiles  filiœ,  servi  et  ancillœ  Dei,  clerici  et  monachi.  » 
(Opéra  Sancta  Eucherii,  Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  L,  col. 
1210.)  —  Saint  Césaire  d'Arles:  «  Turbatae  sunt  ergo  ancillfe  Dei.  » 
(Vie  de  saint  Césaire,  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinensis,  par 
Barralis,  t.  II.)  —  Saint  Grégoire  le  Grand,  lettre  à  Respecta,  abbesse  de 
Saint-Cassien  à  Marseille,  livre  VII,  lettre  12;  lettre  ad  diaconum 
Anthemium:  «  Insinuatam  est  nobis  ancillas  Dei  quasdam.. .  »,  livre  I, 
lettre  24;  lettre  4  livre II;  Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  LXXVII. 


—  476  — 

ou  «  Domini  »  est  admis  chez  les  écrivains  ecclésiastiques  et 
dans  les  rescrits  des  princes  et  des  rois.  Carloman,  en  742, 
Pépin  en  744,  Charlomagne  en  814  l'emploient  dans  leurs 
capitulaires  (1). 

Saint  Boniface,  l'apôtre  de  la  Germanie,  à  l'époque  de 
Charles  Martel,  dans  ses  lettres  (2)  ;  l'archevêque  d'Eborac 
dans  les  statuts  qu'il  dresse  pour  ses  peuples  (3)  ;  le  pape 
Zacharie  dans  ses  rescrits  à  Pépin  le  Bref  etc.  (4),  s'en  servent 
à  plusieurs  reprises.  Cette  locution  est  devenue  commune. 
Rien  d'étonnant  que  sainte  Eusébie  ait  été  désignée  par  ce 
terme.  De  ce  chef  donc  l'inscription  de  notre  sainte  appartien- 
drait au  VHP  siècle. 

Autre  preuve.  Nous  avons  dit  que  la  vraie  lecture  du  texte 
de  notre  inscription  était  a  Eusebia,  religiosa,  magna  ancella 
Domini.  »  A  notre  avis,  c'est  l'indice  que  ce  marbre  ap- 
partient au  VHP  siècle.  A  quelle  époque  conciles  et  écri- 
vains ont-ils  appelé  les  personnes  consacrées  à  Dieu  ;  «  ancilla 
Domini  »?  Au  VIP  siècle  surtout,  nous  l'avons  dit.  C'est  à  ce 
moment  aussi  que  Ton  appelle  l'abbesse  Eusébie  de  ce  nom 
de  .a  magna  ancella  »,  non  pas  seulement  à  cause  de  sa  dignité, 
mais  à  cause  de  ses  vertus,  de  son  martyre. 


(1)  Capitulai re  de  Carloman  ea  742.  cap.  6:  c  Statuimus  ut. ..  quisquls 
servomm  Dei  aut  ancillarum  Dei  in  crimen  fornicationis  lapsus 
fuerit...  »;  cap.  7:  a  Et  ut  monachi  et  ancillas  Dei  monasteriales  juxta 
regulam  sancti  Benedicti  studeant  vivere.  »  Capitulaire  de  Soissons,  sous 
Pépin,  en  774,  cap.  3  :  «  Ut  ordo  monachorum  vel  ancillarum  Dei...  * 
—  Capitulaire  de  Charlemagne,  à  Salzbourg,  en  817:  <  Ut  nullus  in 
monasterio  puellarum  aut  ancillarum  Dei  intrare  prsesumat.  >  Capitu- 
laires des  rois  francs,  Baluze,  1. 1,  col.  148, 157,  417* 

(2)  Dans  une  lettre  de  Boniface  à  Daniel:  «  Nam  sine  patrocinio  principis 
Francorum  nec  populum  regere,  nec  presbyteros  vel  diaconos,  monachos 
aut  ancillas  Dei  defendere  possum.  »  (Ozanam,  Etudes  germamques. 
t.  II,  p.  179.)—  L'abbesse  Eadburg,  écrivant  à  Bonilace,  s'appelait: 
«  Eadburg  indigna  ancillarum  Dei  abbatissa.  »  (Pagi,  Critica  in  Anna- 
les Baronii,  t.  III.  col.  200.) 

(3)  Egobert.  archevêque  d'Eborac,  cite  saint  Grégoire  le  Grand  et  le 
concile  de  Rome,  qui  appelaient  les  religieuses:  «  monachse,  id  est 
ancillœDei.  »  (Labbé,  op.cit  ,  t.  IV,  col.  1597.) 

(4)  Lettre  du  pape  Zacharie  à  Pépin  le  Bref,  paragraphe  5  :  «  De  niona- 
chis,  idestde  ancîllis  Dei  •.  (Labbé,  op.  cit.,  t.  VI,  col.  1509.) 


—  477  — 

Et  que  cette  dénomination  ne  nous  paraisse  pas  insolite. 
Indépendamment  de  la  formule  «  abbatissa  »,  les  écrivains 
ecclésiastiques,  les  conciles  et  les  inscriptions  lapidaires  ont 
employé  diverses  périphrases  pour  désigner  les  abbesses. 
Tantôt  c'a  été  «  prseposita  ancillarum  »,  tantôt  a  mater  monas- 
terii  »,  ici  «  quae  prœest  »,  là  «  prxfecta  »,  à  un  endroit 
a  mater  cœnobii  »  à  un  autre  «  praelata  ».  Cela  a  été  commun 
à  toutes  les  époques.  Mais  c'est  surtout  aux  VIP  et  VHP  siècles 
que  ces  diverses  expressions  se  rencontrent.  Un  concile 
d'Espagne  en  619  appelle  l'abbesse  :  «  eaquse  prseest  (1)  ».  Dans 
la  traduction  latine  des  canons  du  faux  concile  quinisexte  en 
691,  on  lit:  «  prsefecta  »  (2).  Dans  celle  des  canons  du  II" 
concile  de  Nice  en  787,  on  trouve  encore:  «  prsefecta  (3)  ». 
En  836,  enfin,  un  concile  d'Aix-la-Chapelle  lui  donne  le  nom 
de  «  praelata  (4)». 

Même  observation  pour  les  marbres  funéraires.  Celui  de  680 
fait  lire  «  cœnobii  mater  »  et  celui  de  Vienne  «  religiosa 
maxima  (5)  ».  Or,  dans  chacune  de  ces  formules  il  semble 
que  Ton  a  voulu  résumer  la  vie  et  les  vertus  de  l'abbesse  dont 
on  parlait.  Le  «  prseposita  ancillarum  Dei  »  rappelle  le  respect 
des  religieuses  de  Tagaste  pour  la  sœur  de  saint  Augustin. 
Le  a  mater  monasterii  »  insinue  la  douceur  et  la  bonté  que 
saint  Césaire  ordonnait  à  sa  sœur  et  aux  abbes?es  qui  la  rem- 
placeraient d'avoir  pour  leurs  compagnes.  Les  «  prœest, 
prsefecta,  praelata  »  indiquent  l'autorité  et  le  commandement 
dans  une  abbesse;  le  «  cœnobii  mater  »  dit  à  tous  la  sollicitude 


(1)  c  Nec  abbati  nec  ei  qui  prœflcitur  extra  eatn  quae  prœest  virgi- 
nibus. . .  loqui  licebit. . .  nec  eu  m  ea  sola  quae  prseest  loqui  oportet. . .  » 
Concil.  Hispalense  II,  en  619,  c.  11.  (Labbé,  op.  cit.,  t.  V,  col.  166.) 

(2)  Concil.  quinesexteem,  en  691,  c.  46  :  «  Cum  mandate*  ejus  quse  prse- 
fecta est.  » 

(3)  «  ...  prseftente  prsefecta,  cum  eà  alloquatur  exiguo  et  brevi  terri- 
pore...»  Deuxième  concile  de  Nicée,  en  787,  c.  20.  (Summa  conciliorunii 
par  Garanzam,  p.  522.) 

(4)  «  Prœlata  monasteriorum.  »  Conc.  Aquigranense  II,  ann.  836, 
c.  13.  (Labbé,  op.  cit  ,  t.  VII,  en  1713.) 

(5)  Edmond  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  n°  199,  marbre  de 
600  ou  680,  et  n*  699. 

31 


—  478  — 

que  Tecbtilde  avaient  pour  ses  religieuses  de  Jouarre.  Enlin, 
le  «  religiosa  maxima  *,  tout  en  faisant  connaître  la  dignité 
de  Meria,  devait  rappeler  aussi  ses  vertus  et  ses  qualités. 

Or,  pourquoi  le  moine  rédacteur  de  l'inscription  de  sainte 
Eusébie,  se  rappelant  ces  diverses  formules,  ayant  présents  à 
l'esprit  et  la  dignité  et  les  vertus,  et  le  martyre  de  l'abbcsse 
cassianite,  n'aurait  pas  laissé  de  côté  le  terme  ordinaire 
d'à  abbatissa  »  pour  employer  une  périphrase,  une  expression 
traduisant  mieux  sa  pensée  ?  Et  puisque  à  ce  moment,  au 
VIII*  siècle,  on  désignait  les  religieuses  par  le  terme  «  an  cil  la 
Dei  »  dans  les  décrets  des  conciles  et  les  écrits  des  évéques  et 
des  rois,  pourquoi  n'aurait-il  pas  appelé  Eusébie  :  la  grande 
servante  de  Dieu,  «  magna  ancella  Do  mini  »  ? 

Nulle  ressemblance,  donc,  entre  l'inscription  de  sainte 
Eusébie  et  celles  des  V\VI*,VII*  siècles.  Des  raisons  historiques 
qui  ne  permettent  pas  de  ranger  ce  marbre  parmi  ceux  de  cette 
époque,  l'usage  de  certaines  formules  épigrapbiques  nous 
amènent  à  cette  conclusion.  Notre  inscription  peut  donc  très 
bien  appartenir  au  VIII*  siècle. 

Que  peut-on  nous  opposer  ?  Le  chrisme  de  second  ordre  J^ 
que  Ton  voit  au  commencement  de  cette  inscription  ? 

Les  monogrammes  ne  chevauchent  pas,  avons- nous  dit, 
dans  la  même  contrée.  Nous  avons  fait  un  argument  de  cette 
assertion,  afin  d'établir  que  le  marbre  d'Eusébie  ne  pouvait 
pas  appartenir  à  la  fin  du  IV"  siècle  ou  au  milieu  du  V*.  C'est 
vrai.  Mais  sachons  bien  que  si  les  monogrammes  sont  des  jalons 
chronologiques  en  épigraphie,  ils  sont  aussi  des  signes  de 
religion  et  de  piété.  Aussi  longtemps  qu'on  a  eu  l'habitude  de 
graver  des  épitaphes  pour  les  placer  sur  la  tombe  des  fidèles, 
ces  chrismes  ont  rempli  les  deux  buts  à  la  fois.  Mais  lorsque, 
par  suite  du  cours  des  évènemenls,  les  inscriptions  devinrent 
rares,  au  VII*,  au  VIII*  siècle  par  exemple,  on  perdit  peu  à  peu 
la  science  de  ce  que  nous  appellerions  le  langage  épigraphi- 
que.  On  ne  se  piqua  plus  d'exactitude  sur  les  termes  et  les 
signes  à  employer.  On  négligea  les  dates  précises.  On  en  vint 
à  copier  dans  les  formulaires,  ou  même  sur  les  tombes  voisines 
les  inscriptions  à  placer  sur  la  dépouille  de  ceux  que  Ton 
perdait.    Selon    la  fantaisie,  le  caprice,  ou    l'érudition  du 


—  479  - 

rédacteur  on  employait  tel  ou  tel  monogramme,  telle  ou  telle 
locution.  Ce  n'était  plus  de  suivre  les  règles  épigraphiques 
que  Ton  avait  souci,  c'était  d'orner  l'inscription,  le  marbre, 
la  pierre  sépulcrale,  et  de  manifester  sa  foi  et  sa  piété. 

M.  Leblant  a  bien  dit  et  Martigny  a  écrit  d'autre  part  *  qu'au 
temps  de  Charlemagne,  sans  doute  à  raison  de  la  faveur 
qu'avaient  reprise  les  bonnes  études  et  du  goût  renaissant  pour 
l'imitation  des  choses  antiques,  le  monogramme  revint  en 
grand  honneur.  C'est  ce  qu'on  peut  voir  notamment  par  les 
souscriptions  de  quelques  conciles  tenus  sous  l'empire  de  ce 
prince  et  dont  nous  possédons  les  originaux  (1).  »  De  fait, 

Plusieurs  de  ces  documents  que  nous  avons  vus  portent  des 
- ,  des  J£ ,  des  -f-  comme  signatures  des  princes,  des  évoques, 
surtout  les  actes  du  concile  de  Pitres  et  de  celui  de  Boissons 
vers  863  (2). 

Martigny  ajoute  c  que  le  monogramme  redevint  alors  fré- 
quent dans  les  diplômes  et  même  dans  les  inscriptions  sépul- 
crales (3).  »  Cela  ne  nous  étonne  pas. 

Nous  voyons  le  chrisme  jP,  uni  à  des  poissons,  sur  un 
marbre  de  Trêves  appartenant  au  VIP  siècle,  et  uni  à  la  + 
et  gravé  sur  l'autel  de  Ham,  vers  676  (4).  On  ne  soutiendra 
pas  que  les  auteurs  de  ces  épitaphes  ont  pensé  à  suivre  les 
règles  de  l'épigraphie.  La  +  elle-même  s'est  conservée  pen- 
dant des  siècles,  en  dépit  encore  de  ces  règles.  Aux  VIII-,  IX% 
X%  XI\  XII8  siècles  on  la  trouve  gravée  sur  des  marbres  (5) . 
Au  X*  siècle  notamment,  un  reliquaire  porte  la  +  et  le  mono*- 


(1)  Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes,  monogrammes, 
p.  416. 

(2)  Mabillon,  De  re  diplomatica,  liv.  V,  tableaux  44,  45,  47. 

(3)  Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités  chrétiennes,  monogrammes, 
p.  417. 

(4)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  nù  261,  n°  91, 

(5)  Inscription  de  Mayence,  VIII*  siècle  (Gaumont,  ABC,  p.  75);  — 
d'Aix,  Leblant,  n°  624  ;  —  de  Cbàteau-Gontier,  IX*  siècle  (Gaumont,  p. 
104);—  item  du  IX-  siècle,  (Gaumont  p.  103),  (M igné,  Dictionnaire 
d'Epigraphie,  t.  I,  col.  652);  —  de  Chalon-sur-Saône  X*  siècle 
(Leblant,  n»  11)  ;  —  de  Poitiers,  XI»  siècle  (Gaumont,  p.  374)  ;  —  de  Neu- 
chatel  (8ei  ne-Inférieure),  XII*  siècle  (Gaumont,  p.  375);—  d'Orléans, 
XII*  siècle  (Leblant,  n*  218,  note). 


-  480  - 

gramme  primitif  Jç(l).  Ce  que  le  langage  épigraphique  ne 
saurait  donc  réclamer,  la  foi,  la  pratique  chrétienne  le  reven- 
diquent. Passé  le  VI*  siècle,  ces  monogrammes  ne  sont  plus 
des  jalons  chronologiques,  ce  sont  des  marques  de  religion, 
de  piété,  un  ornement,  un  décor  pour  le  tombeau.  Dans  ces 
conditions,  pourquoi  s'étonner  que  le  P  orne  le  marbre  d'Eu- 
sébie  au  VHP  siècle  ? 

Le  début  a  Hic  requiescit  in  pace  »  de  notre  marbre  ne  doit 
pas  non  plus  nous  faire  reculer.  Il  en  est  des  termes  comme 
des  signes  ;  quelques-uns  se  sont  perpétués  et  conservés  très 
longtemps,  en  dépit  des  règles  du  langage  épigraphique.  Qu'on 
en  juge.  Les  inscriptions  du  VII8  siècle  ont  pour  la  plupart  le 
début  compliqué  et  de  basse  époque  «  In  hoc  tumulo  requie- 
cit  bonse  mémorise,  In  hoc  tumulo  requiescit  in  pace  ».  Le 
«  Hic  requiescit  »  du  IVe  siècle,  le  «  Hic  requiescit  bonse 
memoriae  »  du  V*  sont  déjà  bien  loin.  Et  cependant  un  marbre 
de  Foix,  un  deSaint-Savin  (Poitou),  datés  du  VHP  siècle;  un 
autre  de  Barcelone  du  IX°,  font  lire  le  début  primitif  «  Hic 
requiescit  »  (2).  Un  marbre  de  Toulouse,  appartenant  au 
VIIIe  siècle,  et  un  autre  du  IX',  de  la  môme  ville,  font  lire 
le  début  du  V  «  Hic  requiescit  bonse  mémorise  »  (3).  Au 
milieu  du  IX*  siècle,  un  marbre  de  Limoges  a  conservé  le 
début  du  VII*  «  In  hoc  tumulo  requiescit  sanctse  mémorise  » 
(4).  Pourquoi  donc  le  début  a  Hic  requiescit  in  pace  »  du 
Ve  siècle,  dans  notre  inscription,  n'aurait-il  pas  pu  se  conser- 
ver jusqu'au  milieu  du  VIII*  ? 

Sont-celes  colombes  s'abreuvant  à  un  vase  symbolique, 
gravées  sur  notre  marbre,  qui  doivent  nous  arrêter?  Pas  le 
moins  du  monde.  M.  Leblant  cite  ce  marbre  de  Trêves,  orné 
précisément  du  chrisme  J^,  et  portant  des  poissons  et  des 


(1)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  n°  11. 

(2)  Marbre  de  Foix  (791)  (Migne,  Dictionnaire  tVEpigraphie,  t.  I, 
p.  476;  —celui  de  Saint-Savin  (Poitou),  VIIIe  siècle  (Migne.  op.  cit> 
t.  II,  col.  979)  ;  —  celui  de  Barcelone  (877)  (Migne,  op.  cit.  1. 1,  col.  124). 

(3)  Marbre  de  Toulouse  (790)  (Migue,  Dictionnaire  d'Epigraphie 
chrétienne,  t.  II,  col  977);  —  item  (806)  (Migne,  op.  cit.,  t.  II,  col. 
1120)  ;  —  M.  Leblant  (n°  601)  dit  que  ce  marbre  est  du  VII* siècle. 

(4)  Marbre  de  Limoges  (853)  (Migne,  op.  cit.,  1. 1,  col.  651). 


—  481  — 

colombes.  Il  fait  remonter  ce  marbre  à  la  fin  du  VI*  ou  au 
début  du  VII-  siècle,  ajoutant  ces  mots  :  «  Ce  marbre  reporte- 
rait, selon  moi,  l'usage  de  l'ix^»  dans  nos  contrées,  un  peu 
au  delà  de  l'époque  indiquée  par  le  savant  M.  de  Rossi  comme 
dernière  limite  de  l'existence  de  ce  symbole  sur  les  épitaphes 
étrangères  au  sol  romain  (1)  ».  Or,  «  M.  de  Rossi,  ajoute  M. 
Leblant,  montre  que,  gravé  sur  les  premiers  marbres  des 
fidèles,  ce  symbole  disparait,  à  Rome,  vers  la  fin  du  IV*  siècle. 
Son  existence  ne  s'est  guère  prolongée  au  delà  dans  les  pro- 
vinces ».  Ajoutons  que  Y  alpha  et  Y  oméga,  signes  presque  aussi 
primitifs  que  l'ancre  et  le  poisson,  et  dont  M.  Leblant  signale 
la  présence  sur  les  marbres  de  377  à  547,  apparaissent  au 
VI?  siècle  dans  une  inscription  de  Venasque  de  l'an  604  (2). 
Ajoutons  encore  que  les  colombes,  dont  M.  Leblant  limite  la 
présence  de  378  à  612,  paraissent  encore  vers  la  fin  du  VIP 
siècle  sur  un  marbre  de  Mandourel  (3). 

Si  donc,  en  dépit  des  prévisions  de  M.  de  Rossi,  on  trouve 
l'i^dùc  gravé  sur  le  marbre  deux  ou  trois  siècles  après  qu'on 
n'espérait  plus  le  rencontrer  en  Gaule  ;  si  Valpha  et  Y  oméga 
apparaissent  un  bon  demi-siècle  après  la  date  assignée  par 
M.  Leblant  ;  s'il  en  est  de  même  des  colombes  symboliques, 
pourquoi  ne  pas  admettre  que  Ton  peut  retrouver  le  J*,  ces 
mêmes  colombes  quelque  quarante  ou  cinquante  ans  plus 
tard  ? 

Rien  d'impossible  donc  à  ce  que  et  chrisme  J^  et  début  «  Hic 
requiescit  in  pace  »  et  colombes  et  vases  ne  se  retrouvent  au 
milieu  du  VIII*  siècle. 

La  cause,  nous  l'avons  indiquée  plus  haut,  ce  sont  les  re- 
cueils, les  formulaires  d'inscriptions,  à  l'aide  desquels  on 
rédigeait,  on  composait  les  épitaphes.  MM.  Leblant,  Martigny 
ont  indiqué  l'existence  de  ces  collections  épigraphiques  (4).  A 

,  (1)  Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  n°'  261,  pp.  370,  371. 

(2)  Ed.  Leblant,  op.  cit.,  n°  507. 

(3)  Ed.  Leblant,  op.  cit.t  n°62lB. 

(4)  c  II  y  avait,  soit  cbez  les  païens,  soit  chez  les  chrétiens,  des  for- 
mulaires pour  les  inscriptions,  comme  il  y  en  avait  pour  les  actes  et  les 
contrats.  »  (Martigny,  Dictionnaire  d'antiquités,  p.  314).  —  «  Aux 
temps  anciens,  comme  maintenant  encore  il  existait  des  formulaires 


—  482  — 

une  époque  de  décadence  comme  le  VIII*  siècle,  les  rédacteurs 
des  inscriptions  ont  choisi  sans  trop  de  discernement,  dans  ces 
formulaires,  tel  signe,  telle  expression,  tel  ornement  depuis 
asseft  longtemps  hors  d'usage.  N'imitons-nous  pas,  nous,  ces 
lapicides  dans  nos  inscriptions  et  nos  monuments  ?  Ne  gra- 
vons-nous pas>  dans  une  épitaphe  latine,  le  a  Hic  jacet,  Hic 
requiesoit  in  pace  9  des  âges  antiques  ?  Ne  plaçons-nous  pas 
comme  ornement,  à  un  autel,  un  monogramme  ancien:  ou 
le  Jç,  ou  le  P,  ou  le  ©?  Nos  aïeux  avaient  soub  leurs  yeux  de 
ces  recueils  d'inscriptions,  copiées  peut-être  dans  quelque 
voyage  à  Rome  ou  ailleurs,  des  tombes  avec  épitaphes  aux 
environs  de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  dans  les  champs  de 
Paradis,  ou  à  l'emplacement  du  Carénage.  Pourquoi  leur  refu- 
ser l'idée  d'avoir  pris  modèle  sur  une  de  ces  inscriptions  pour 
rédiger  Tépitaphe  de  notre  sainte  Eusébie?  On  faisait  bien 
disparaître  de  ces  formulaires,  au  fur  et  à  mesure,  les  carac- 
tères qui  devenaient  hors  d'usage*  Gela  a  pu  se  passer  ainsi 
pour  quelques-uns  de  ces  recueils.  Mais  est-il  bien  sur  qu'il 
en  a  été  toujours  de  môme?  D'ailleurs,  les  tombes  demeuraient  I 

On  s'explique  donc  qu'il  soit  possible  de  ranger  l'inscrip- 
tion de  sainte  Eusébie  parmi  celles  du  VIII6  siècle. 

NoUS  ajoutons  un  dernier  mot.  Il  nous  semble  facile)  après 
les  détails  de  tout  genre  que  nous  avons  fournis*  d'indiquer 
la  date,  peut-être  précise,  de  cette  inscription.  Elle  n'a  d'autre 
marque  chronologique  que  l'indiction.  Or,  nous  l'avons  dit, 
cette  manière  de  dater  n'était  employée  que  lorsque  on  ne 
pouvait  pas  faire  autrement,  le  nom  du  consul  de  l'année  n'étant 
pascoiinu,  le  trône  étant  vacant.  Il  ne  peut  s'agir  de  l'épo- 
que où  la  date  consulaire  était  en  usage,  puisque  notre  ins- 
cription n'appartient  ni  au  V*  ni  au  VI*  siècle.  Il  ne  peut  s'agir 
non  plus  du  VII",  puisqu'il  n'y  a  pas  eu  d'interrègne  marquant 
pour  la  Provence  durant  ce  siècle. 

dressés  pour  servir  de  modèles  d'actes,  de  contrats  et  de  lettres  pri- 
vées. . .  .  quelque  écrit  fixait  sans  doute  (les  types  acceptés  des  inscrip- 
tions) et  les  faisait  connaître  aux  gens  du  métier,  qui  les  suivaient  avec 
fidélité. .  » .  Les  manuels  dont  je  soupçonne  l'existence  devaient  se  trou- 
ver apparemment  comme  un  instrument  d»i  profession  entre  les  mains 
des  lapicides.  »(Ed.  Leblant,  Inscriptions  chrétiennes,  t.  II,  pp.  180, 187.) 


—  483  — 

Mais  il  y  a  eu,  au  VIIIe  siècle,  un  moment  où  le  trône 
était  vacant.  C'a  été  dès  Tannée  737  :  le  roi  Thierry  IV,  dont 
Charles  Martel  fut  le  maire  du  palais,  était  mort  en  avril,  et, 
on  le  sait,  Charles  Martel,  soit  calcul  politique,  soit  préoccu- 
pation provenant  des  guerres  qu'il  avait  à  soutenir,  ne  le 
remplaça  pas  tout  de  suite.  L'interrègne  dura  cinq  ans,  de 
737  à  742  (1).  ©r,  si  Ton  avait  dû  dater  une  épitaphe  à  ce 
moment  de  notre  histoire,  de  quelle  formule  chronologique 
se  serait-on  servi?  Aurait-on  compté  par  les  années  de 
pouvoir  de  Charles  Martel?  Le  duc  d'Austrasie  n'était  pas 
le  prince  légitime  de  Provence,  c'était  aux  fils  d'Eudes 
d'Aquitaine  que  cette  contrée  appartenait  de  droit.  Par  les 
années  de  règne  de  ces  princes  ?  Non  plus.  Les  nommer  sur 
un  monument  public,  c'eût  été,  d'une  part,  attirer  la  colère 
de  Charles  Martel,  et,  d'autre  part,  oublier  que  ce  vaillant 
guerrier  avait  arraché  la  Provence  aux  Sarrasins.  Force  donc 
eût  été,  dans  ce  cas,  de  se  contenter  de  la  seule  indiction. 

Or,  la  tradition  nous  dit  que  sainte  Eusébie  a  été  marty- 
risée avec  ses  compagnes  par  les  Sarrasins.  Les  Sarrasins  ont 
été  à  Marseille,  nous  le  dirons  plus  tard,  de  juillet  738  à, 
février  739.  Précisément  cette  année  738  correspond  à  une 
indiction  sixième.  On  s'explique  donc  l'absence  de  toute 
autre  formule  chronologique.  On  n'a  pu  dater  que  par  indic- 
tion. Mais  il  y  a  aussi  une  coïncidence  remarquable  !  Le  mar- 
bre d'Eusébie  est  daté  par  la  seule  indiction,  et  cette  indic- 
tion sixième  correspond  à  738,  année  qui  peut  servir  décadré 
aux  horreurs  du  massacre  des  Cassianites,  par  suite  de  la 
présence  des  Sarrasins  à  Marseille.  Donc,  très  probablement 
cette  inscription  est  de  notre  sainte  Eusébie.  Donc,  ce  marbre 
appartient  au  VIII"  siècle.  C'est  là,  croyons-nous,  ce  qu'il 
fallait  démontrer. 

(1)  Dareste,  Histoire  de  France*  t.  1,  p.  330. 


DEUXIÈME  SECTION 


DISCUSSION    DES    OBJECTIONS 


CHAPITRE  PREMIER 

Les  preuves  apportées  par  les  auteurs 

pour  attribuer  à  d'autres   que   les   Sarrasins 

le  martyre  de  sainte  Eusébie 

ne  sont  pas  recevables 

PREUVES  APPORTÉES  PAR  GUESNAY.—  CELLES  APPORTEES  PAR  BOUCHE, 
LES  DEUX  RUPFI,  LA  a  GALLIA  CHRISTIANA  »,  PAPON,  LAUTARD, 
M.  L'ABBE  PIERRHUGUES,  GRINDA. 

Les  preuves  que  les  historiens  précédemment  cités  appor- 
tent à  l'appui  de  leur  opinion  sur  les  auteurs  présumés  du 
martyre  de  notre  chère  sainte  sont-elles  convaincantes  ?  Notre 
but  dans  ce  chapitre  est  de  l'étudier.  Disons  tout  de  suite 
qu'elles  n'ont  aucune  valeur. 

Le  Père  Guesnay  tout  d'abord.  D'après  lui,  ce  fait  doit  être 
imputé  aux  Vandales.  Il  a  été  accompli  à  l'époque  des  inva- 
sions barbares  en  Gaule,  alors  que  ces  Vandales  vinrent  en 
Afrique,  et  qu'ils  désolèrent  de  leurs  pirateries  les  côtes  des 
provinces  voisines.  Mais  la  preuve  !  Pas  plus  en  deux  endroits 
du  Cassianus  illustrattts,  où  il  raconte  en  quelques  lignes 
la  vie  et  le  martyre  de  sainte  Eusébie,  que  dans  les  Pro- 
vincial Massiliensis  Annales,  où  à  trois  reprises  il  parle  de 
cet  événement,  cette  preuve  n'est  donnée. 

Nous  notons  même  une  contradiction.  A  la  page  509  du 
Cassianus,  Guesnay  nomme  les  Vandales  :   «  Dum  Vandali 


—  486  — 

mixtisAlanis »  ;  à  la  page  475,  ce  sont   les  Sarrasins  et 

les  Vandales  qui  massacrent  sainte  Eusébie  :  a  qui  in  eo 
(tumulo)  novem  ac  triginta  dicatarum  Deo  virginum  a  Sarra- 
cenis  Vandalisque  interfectarum  corpora  sepulta  sunt.. .  ne 
aSarracenis  violarentur.  »  Il  est  vrai  que  dans  les  Provinciœ 
Massiliensis  Annales,  ouvrage  postérieur  au  Cassianus 
illusiratus,  Guesnay  semble  corriger  cette  contradiction,  Ce 
sont  bien  les  Vandales  qui  ont  commis  ce  méfait  :  a  dum  Van- 
dali  piraticam  agerent  »,  page  186.  Mais,  aux  pages  585 
et  600,  ces  Vandales  ne  sont  plus  que  des  «  piratis  praedoni- 
busque...  »  Or,  remarquons  qu'il  était  bien  facile  et  bien 
permis  à  l'écrivain,  sans  avoir  à  craindre  de  se  répéter,  de 
nommer  les  Vandales.  A  la  page  600,  en  effet,  il  indique,  pour 
le  martyre  de  notre  sainte,  une  date  correspondant  aux  inva- 
sions des  Vandales,  et  comme,  ni  avant  ni  après  ce  passage,  il 
ne  s'agit  de  ces  barbares,  la  clarté  de  la  narration,  la  préci- 
sion dans  les  détails  réclamaient  qu'il  appelât  ces  pirates  et 
ces  «  prœdones  »  de  leur  propre  nom.  A  la  page  585  encore, 
le  Père  Guesnay  parle  en  général  du  martyre  de  sainte 
Eusébie.  En  aucun  endroit  de  cette  page,  il  ne  s'agit  de  Van- 
dales. L'exposition  du  sujet  voulait  encore  que  leur  vrai  nom 
fût  donné  à  ces  pirates  et  à  ces  brigands.  C'est  ce  qui  n'a  pas 
été  fait.  L'assertion  du  Père  Guesnay  n'est  donc  qu'une  simple 
affirmation. 

H.  Bouche  attribue  la  destruction  du  monastère  de  Saint- 
Victor  aux  Vandales.  Ces  mêmes  barbares  ont  aussi  détruit  le 
cœnobium  d'Uveaune.  La  preuve  en  est,  suivant  cet  historien, 
le  témoignage  des  mémoires  anciens  de  Saint-Victor  pour  le 
monastère  de  ce  nom.  Pour  celui  d'Uveaune,  Bouche  cite  en 
note  Guesnay  et  le  Cassianus  il  lu  stratus.  Les  mémoires  an- 
ciens de  Saint-Victor  attribuant  aux  Vandales  la  destruction 
de  ce  monastère  sont  sans  aucun  doute  les  chartes  de  1431 
et  1446  dans  lesquelles  on  lit  que  Cassien  fonda  ce  monastère 
de  Saint-Victor  et  un  autre  qui  en  était  tout  proche,  détruit 
de  fond  en  comble  «  per  prophanos  Vandalos».  Or,  nous  avons 
vu  en  son  lieu  quel  sens  il  fallait  donner  à  ce  passage  des 
chartes  du  XVe  siècle.  Pour  le  cœnobium  d'Uuveaune,  le 
témoignage  de  Guesnay  est  sans  autorité  suffisante,  nous  ve- 


-  487  — 

nons  de  le  voir.  D'ailleurs,  H.  Bouche  semble  un  peu  se  con- 
tredire. À  la  page  565  du  1. 1  de  V Histoire  de  Provence,  il 
parle  des  Vandales  ;  à  la  page  332  du  même  ouvrage,  il  s  agit 
d'infidèles.  Or,  les  Vandales  étaient  ariens.  Les  Sarrasins,  oui, 
sont  des  infidèles.  L'assertion  de  H.  Bouche  n'est  pas  non  plus 
concluante  contre  nous. 

Avec  Rufli  nous  arrivons  au  même  résultat.  Ce  sont  les 
Normands,  affirme  cet  historien,  qui  sont  coupables  du  crime 
d'avoir  martyrisé  sainte  Eusébie.  On  sait  que  M.  de  Ruffi  ne 
voulait  pas  entendre  parler  d'un  monastère  cassianite  aux 
bords  de  rHuveauneet  ravagé  par  les  Sarrasins.  Or,  suivez  les 
bizarreries  de  langage  que  ce  parti  pris  fait  commeltre  à 
l'illustre  écrivain  marseillais.  D'abord,  il  reconnaît  qu'il  est 
de  tradition,  à  Marseille,  que  ce  monastère  de  religieuses  a 
été  ravagé  et  détruit  par  les  Sarrasins.  Et  à  l'appui  de  celte 
tradition  il  cite,  sans  donner  les  explications  nécessaires, 
deux  chartes  de  1431  et  1446,  dans  lesquelles  il  n'est  parlé 
que  des  Vandales.  Comme  on  pourrait  paraître  étonné  d'une 
semblable  preuve,  de  Ruffi  se  hâte  d'ajouter  qu'il  ne  s'agit 
pas,  dans  ce  document,  des  Vandales,  mais  bien  des  Nor- 
mands I  ! 

Arrivons  au  détail  de  cette  argumentation»  a  Nous  tenons  de 
tradition  que  ce  monastère  des  religieuses  cassianites  a  été 
ravagé  par  les  Sarrasins  et  que  les  religieuses,  pour  conserver 
leur  virginité,  se  coupèrent  le  nez,  à  l'exemple  de  leur  abbesse 
Eusébie,  ce  qui  est  autorisé  par  deux  chartes  de  1431  et  1446, 
qui  marquent  que  lorsque  les  Vandales  détruisirent  le  monas- 
tère de  Saint- Victor  ils  ruinèrent  en  même  temps  un  monas- 
tère voisin  de  cette  abbaye,  qui  n'est  autre  que  celui  de  Saint- 
Sauveur.  »  Nous  avons  eu  l'occasion  déjà  d'étudier  ces  chartes 
et  d'en  préciser  le  sens.  Or,  il  a  été  prouvé  que  ces  a  propha- 
nos  Vandalos  »  ne  sont  pas  autres  que  les  Sarrasins; 
que  la  destruction  complète  des  monastères  à  laquelle  il 
est  fait  allusion  est  celle  qui  eut  lieu  vers  923  ou  924.  En 
réalité  donc  ces  deux  documents  sont  une  preuve  en 
faveur  de  la  tradition  de  Marseille,  que  ces  monastères  ont 
été  détruits  par  les  Sarrasins.  Les  apporter  comme  preuve  que 
ce  sont  les  Normands  qui  ont   commis  ce  méfait,  c'est  leur 


-  488  — 

faire  signifier  ce  qu'ils  ne  disent  pas.  Il  s'agit  ici  des  Sarrasins. 

En  outre,  dans  ces  documents,  il  n'est  pas  fait  mention  du 
genre  de  martyre  qu'endurèrent  sainte  Eusébie  et  ses  compa- 
gnes. On  ne  peut  pas  non  plus  en  inférer  qu'elles  ont  subi  ce 
martyre  à  l'époque  assignée  par  ces  chartes  comme  celle  de 
la  destruction  des  monastères.  Se  servir  donc  de  ces  documents 
pour  prouver  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les 
Normands,  c'est  apporter  une  preuve  sans  valeur. 

De  Rufti  allègue  ensuite  que  «  ce  sont  les  Normands  plutôt 
que  les  Vandales,  parce  que  ceux-ci  se  retirèrent  en  Espagne 
avant  que  ce  monastère  de  Saint-Sauveur  ne  fût  fondé  ».  Pour 
que  ceci  fût  vrai,  il  faudrait  supposer  qu'il  n'y  a  pas  eu  d'au- 
tres barbares  qui  ont  fait  irruption  en  France  et  qui  ont  pu 
massacrer  les  religieuses  cassianites.  Or,  il  y  a  eu  les  Sarra- 
sins. Cette  preuve  encore  ne  vaut  rien.  Le  témoignage  de  Ruffi 
n'est  pas  concluant  contre  nous  (1). 

Suit  la  Gallia  chriatiana.  Selon  les  PP.  de  Sainte-Marthe, 
ce  sont  les  Normands  qui  ont  détruit  le  monastère  des  Cassia- 
nites. Malheureusement  ce  n'est  qu'une  simple  affirmation 
sans  aucune  preuve  à  l'appui.  La  Gallia  chriatiana  copie 
Ruffi  et  en  réfère  aux  chartes  de  1431  et  1446,  que  cet  histo- 
rien a  citées.  Or,  nous  l'avons  dit  tantôt x  il  ne  s'agit,  dans 
ces  chartes,  ni  de  Vandales,  ni  de  Normands,  mais  des 
Sarrasins. 

Maintenant,  de  ce  que  la  Gallia  chriatiana  affirme  que  les 
Normands  ont  détruit  le  monastère  des  Cassianites,  on  ne  peut 
pas  en  déduire  qu'elle  affirme  aussi  que  les  Normands  ont 
martyrisé  sainte  Eusébie .  Les  écrivains  de  la  Gallia  chria- 
tiana, en  effet,  alors  qu'ils  racontent  la  destruction  de  ce 
monastère  par  ces  barbares,  ne  s'occupent  jpas,  à  propre- 
ment parler,  de  notre  sainte  martyre.  Ils  décrivent  les  diffé- 
rentes péripéties  ou  transformations  qu'a  subies  ce  cœnobium 
des  Filles  de  saint  Cassien.  Ce  n'est  qu'à  la  colonne  suivante, 
qu'un  paragraphe  spécial  est  consacré  à  sainte  Eusébie.  Or,  à 


(1)  Ce  que  nous  avons  dit  de  l'argumentation  de  Ruffi  le  fils,  nous 
pouvons  le  dire  de  celle  de  Rufli  père,  dont  on  a  lu  plus  haut  les  asser- 
tions. 


—  489  — 

cet  endroit,  il  n'est  pas  fait  mention  des  Normands.  Ce  sont 
des  «  prsedones  seu  barbari  (i)  ».  Quels  étaient  ces  barbares  ? 
Probablement  des  Normands,  pour  les  écrivains  de  la  Gallia. 
Mais  on  ne  peut  cependant  trop  l'assurer. 

Nous  arrivons  à  Papon.  Ce  que  dit  cet  historien  sur  le  sujet 
qui  nous  occupe  est  une  preuve  nouvelle  qu'à  ne  pas  vouloir 
ou  ne  pas  savoir  accepter  simplement  la  tradition  de  Marseille, 
qui  place  le  monastère  de  sainte  Eusébie  aux  bords  de  l'Hu- 
veaune  et  la  fait  martyriser  par  les  Sarrasins,  on  s'oblige 
à  émettre  les  assertions  les  plus  étranges.  Suivant  Papon,  en 
effet,  le  monastère  des  religieuses  cassianites,  qu'il  appelle  le 
monastère  de  Saint-Sauveur,  était  bâti  près  de  Saint-Victor  et 
portait  le  nom  de  Saint-Céris  ou  Cérice,  quand  il  fut  détruit 
par  les  Sarrasins,  qui  massacrèrent  sainte  Eusébie  et  ses 
compagnes. . .  Mais  il  y  avait  un  autre  monastère  de  Cassia- 
nites aux  bords  de  rHuveaune,  fondé  par  Cassien  ou  quel- 
qu'un de  ses  successeurs...  Il  fut  détruit  par  les  Sarra- 
sins ou  les  Visigoths  ;  les  religieuses  qui  l'habitaient  et  qui 
échappèrent  à  leur  fureur  s'étaient  retirées  dans  le  monastère 
de  Saint- Victor,  et  eurent  le  même  sort  que  sainte  Eusébie  (2). 
Que  d'efforts  d'imagination  pour  expliquer  une  chose  bien 
simple  !  I  II  est  certain,  en  effet,  nous  l'avons  vu  dans  un  cha- 
pitre précédent,  qu'il  n'y  a  jamais  eu  qu'un  seul  monastère 
cassianite  de  filles  à  Marseille,  monastère  qui  a  changé  sou- 
vent de  nom  et  d'emplacement.  Quant  à  l'opinion  de  notre 
historien  :  que  le  monastère  de  rHuveaune  a  été  détruit  par 
les  Visigoths,  il  n'y  a  là  qu'une  simple  affirmation,  exprimée 
encore  sous  une  forme  dubitative,  puisqu'il  est  dit  :  «  détruit 
par  les  Sarrasins  ou  les  Visigoths  *.  Bien  plus,  comme  Papon 
affirme  à  plusieurs  reprises  que  notre  sainte  Eusébie  a  été 
martyrisée  par  les  Sarrasins,  et  que  pour  nous  là  est  le  point 
capital,  son  opinion  touchant  les  Visigoths  nous  laisse  bien 
tranquille. 


(1)  «  Huic  cœnobio  prrefuit  per  aliquot  annos  Eusebia,  quao  cum  prœ- 
dones  seu  barbari  monasterium  occupassent,  ab  ipsis  trucidata  est  cum 
39  monialibus.  »  Gallia  christiana,  t.  I,  col.  697. 

(2)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  pp.  361,  362;  t.  II,  p.  78; 


—  490  — 

De  Lautard,  qui  attribue  le  martyre  de  sainte  Eusébie  aux 
Normands,  il  n'y  a  rien  à  dire,  sinon  qu'il  a  suivi  fidèlement 
de  Ruffi.  Il  aligne  les  chartes  de  143)  et  1446,  il  cite  un 
manuscrit  des  archives  de  Saint- Victor  ou  de  Saint-Sauveur, 
relatif  au  souvenir  que  Ton  rappelait  aux  novices  cassianites, 
du  courage  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes.  Hais,  nous 
l'avons  déjà  dit,  nulle  trace  de  Normands  dans  les  chartes  de 
1431  et  1446.  En  était-il  fait  mention  dans  ce  manuscrit  ?  C'est 
ce  que  Ton  ne  sait  pas,  car  il  y  a  déjà  bien  du  temps  qu'il 
n'existe  plus.  MRr  de  Belsunce,  qui  eu  parle,  ainsi  que  de 
lluffi(l) ont-ils  vu  et  lu  ce  manuscrit?  Nous  ne  saurions 
le  dire.  Dans  tous  les  cas,  si  ce  document  existait  encore 
à  leur  époque,  et  s'il  a  été  donné  à  ces  historiens  de  le 
consulter,  ou  bien  il  était  dit  que  c'était  à  tels  ou  tels  barbares 
que  ce  massacre  devait  être  imputé,  et  ces  historiens  l'auraient 
fait  connaître  ;  ou  bien  il  n'y  avait  dans  ce  manuscrit  que  des 
expressions  vagues  et  indéterminées,  ce  qui  est  fort  probable. 
Inutile  donc  d'apporter  ce  manuscrit  comme  preuve  que  ce 
sont  les  Normands  qui  ont  martyrisé  sainte  Eusébie. 

M.  l'abbé  Pierrhugues,  nous  l'avons  dit,  attribue  aux  Van- 
dales le  massacre  de  Porcaire  et  des  500  religieux  de  Lérins.  Voici 
en  deux  mots  les  preuves  qu'il  apporte  en  faveur  de  cette  asser- 
tion. D'abord,  la  Vida  de  sant  Honorât  ou  plutôt  le  cinquième 
livre  de  cette  Vida,  ayant  pour  sous-titre  :  Passion  de  saint 
Porcaire,  écrite  par  un  religieux  de  Lérins,  frère  Porcaire  en 
religion,  Raymond  Féraud  dans  le  siècle  ;  ce  document  affirme 
que  ce  fut  Genséric  qui  ravagea  Lérins  (2).  Ensuite,  la  tradition, 
de  Lérins,que  les  Vandales  avaient  martyrisé  saint  Porcaire(3j. 
De  plus,  le  silence  complet  qui  se  fait  sur  ce  monastère  au 
VI'  siècle  (4).  Grégoire  de  Tours*,  notamment,  n'en  parle 
jamais  (5).  Enfin,  l'impossibilité  de  supposer  que  Lérins  ait 
échappé  à  la  fureur  des  Vandales  (6).  Discutons  un  instant  ces 

(1)  M«'de  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  292.— 
Ruffi,  Histoire  de  Marseille ,  t,  II,  p.  58. 

(2)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  Lérins,  pp.  VIII,  93,  110. 

(3)  L'abbé  Pierrhugues,  op.  cit.,  p.  135. 

(4)  L'abbé  Pierrhugues,  op.  cit.,  p.  8. 

(5)  L'abbé  Pierrhugues,  op.  cit.,  p.  8. 

(6)  L'abbé  Pierrhugues,  op.  cit.,  p.  43  et  suiv. 


—  491  — 

preuves.  Elles  n'ont  aucune  valeur.  Nous  nous  étonnons  que 
M.  Pierrhugues  ait  cru  pouvoir  eu  étayer  ses  assertions. 

D  abord,  ridée  générale  de  l'abbé  Pierrhugues,  que  ce  sont 
les  Vandales  qui  ont  détruit  Lérins,  a  contre  elle  les  auteurs 
les  plus  sérieux.  D.  Ruinart,  dans  VHistOria  Persecutionis 
Vandalicœ,  parlant  de  ceux  qui  attribuent  aux  Vandales, 
durant  leurs  incursions,  sous  Genséric,  le  massacre  de  saint 
Porcaire  et  de  ses  religieux,  à  Lérins,  écrit  qu'ils  débitent  des 
fables  et  les  renvoie  à  Baronius  et  à  Mabillon  pour  la  réfuta- 
tion de  leur  dire  (1).  Or,  D.  Ruinart  a  commenté  les  cinq 
livres  de  Victor  de  Vite  sur  cette  persécution  vandale,  il  a 
étudié  cette  persécution  dans  tous  ses  détails,  citant  les  lieux 
et  les  hommes  qui  ont  souffert  à  cette  époque,  et  il  ne  trouve 
pas  un  fait  qui  puisse  rattacher  à  cette  époque  le  martyre  de 
saint  Porcaire  (et  partant  celui  de  notre  sainte  Eusébie). 

Barralis,  l'auteur  de  la  Chronologie  de  Lérins,  rejette  lui 
aussi  cette  hypothèse  et  il  en  appelle  au  témoignage  de 
Baronius  (2).  Celui-ci,  dans  la  Vie  de  Saint  Césaire  d* Arles, 
cite  un  écrit  que  Ton  attribue  à  Fauste,  évoque  de  Riez,  dans 
lequel  il  est  dit  que  le  monastère  de  Lérins  fut  détruit  par  les 
Sarrasins  sous  Porcaire,  abbé  du  cœnobium  et  maître  de  saint 
Césaire.  Et  il  ajoute  :  «  Il  faut  savoir  que  cet  écrit  n'est  pas  de 
Fauste.  Il  est  placé  à  la  suite  des  sermons  de  l'évoque  de  Riez 

(1)  Ruinart,  Historia  Persecutionis  Vandalicce,  p.  231  :  t  Fallunturqui 
putant,  iisdem  quoque  Va  ad  al  o  ru  m  incursionibus,  Lerinensein  insulam 
cum  celeberrimo  saucti  Honorati  monasterio  a  Genserico  direptam 
fuisse.  Qui  enim  Porcarium  abbatem,  inuumerosque  istius  insulsc  iuo- 
nachos,  eâ  occasione,  martyrium  pertulisse  asserunt,  fabulas  vendi- 
tant » 

(2)  «  Ex  his  igitur  abductis,  et  quse...  ex  Baronio.  .  non  inconve- 
niens  erit  afflrmare  intra  horum  spatia  temporum,  scihcet  ab  anno 
Domini  729  aut  730,  aut  ad  summum  738,  victrici  martyrii  palma, 
sanctum  Porcarium  abbatem  Lerinensem  et  socios  quingentos  donatos 
fuisse,  soloque  aequatum  monasterium  Lerinense,  una  quando  universa 
Gallia  Narbonensis  nefandae  gentis  Ismaelitarum  flammae,  ferroque  suc- 
cubuitet  furori.  Non  autem  Vandalicae  gentis,  Genserici  régis  temporibus, 
longe  ante  praeferendum,  ut  habetur  in  tertio  vitae  libro  sancti  Honorati, 
archiepiscopi  Arelatensis,  cap.  24,  et  aliquibus  actis  in  manuscriptis  a 
nonnullis  nostratibus  etsi  mendosis,  circumferri  solitls.  .  »  Barralis, 
Chronologia  sanctorum  insulœ  LerinensiSy  t.  I,  p.  227 


' 


—  492  — 

aux  moines,  mais  il  ne  lui  appartient  pas.  D'ailleurs,  de  quelle 
autorité  peut  être  un  écrit  annonyme?  D'où  venaient  ces 
Sarrasins,  qui  en  réalité  n'apparurent  en  nos  contrées  que  trois 
cents  ans  plus  tard  ?  Un  autre  écrit  contenant  la  vie  de  saint 
Honoré  et  relatant  ce  même  fait  l'attribue  à  Genséric,  duc  des 
Vandales.  Nous  n'en  croyons  rien.  Comment  saint  Césaire 
a-t-ll  pu,  dans  de  ce  cas,  célébrer  comme  il  l'a  fait  le  monastère 
de  Lérins?  (Genséric  est  mort  en  477_,  et  saint  Césaire  était 
évéque  de  502  à  542.)  Les  écrits  de  saint  Césaire  ne  feraient 
pas  mention  de  ce  fait,  de  ce  désastre  ?  Et  en  supposant 
que  Técrit  où  il  en  aurait  parlé  ait  été  perdu,  comment 
l'historien  de  saint  Césaire,  Cyprien,  n'en  a-l-il  pas  dit  un  seul 
mot  (1)?  »  A  notre  avis,  l'abbé  Pierrhugues  n'a  pas  répondu 
dans  son  livre  à  ces  objections  de  Baronius.  Il  n'est  pas  facile, 
en  effet,  de  le  faire  d'une  manière  satisfaisante. 

Anthelmi  Joseph,  auteur  de  Delnitiis  Ecclesiœ  Forojulien- 
8Îs,  n'admet  pas  non  plus  la  thèse  de  M.  Pierrhugues.  A  son 
avis,  ce  sont  bien  les  Sarrasins  qui  ont  massacré  saint  Por 
caire  et  ses  religieux.  Si  quelques  auteurs  l'ont  attribué  aux 
Vandales,  c'est  qu'ils  manquaient  de  renseignements.  A  cette 
époque,  malheureusement,  tout  avait  été  à  ce  point  dévasté, 

(1)  «  Sed  quod  sub  Fausti  nomine  pervulgata  legitur  fabula  de  eodem 
Lerinensi  cœnobio  exciso  a  Sarraceuis  sub  Porcario  abbate,  institutore 
sancti  Cxsarii,  eu  m  sic  obiter  refellere  ex  iostituto  onus  iacumbit. 
Primum  vero  scias  non  esse  Fausti  scriptionem  illam,  sed  appendicem 
ad  Fausti  instructionem  ad  monachos,  ut  apparet  ex  ea  nuper  édita. . . 
post  funebrem  orationem  sancti  Hilarii  episcopi  Arelatensis,  et  alia 
conjuncta,  ubi  post  absolutam  Fausti  illam  tractationem,  subjicitur 
nafratio  de  excidio  monasterii  Lerinensis,  quà  dicitur  idem  monaste- 
rium  a  Sarraceuis  diruptum,  et  sanctum  Porcarium  abbatem  cum  suis 
esse  necatum.  At  quanta?  fidei  scriptum  illud  auctoris  incerti?  Et 
ubinam  gentium  Sarracenorum  incursio  his  temporibus  in  occiduis 
oris  innotuit,  qui  vix  post  trecentos  annos  auditi  sunt  mare  Mediterra- 
neum  infestasse...  »  Barralis,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  272.  273. 

«  Haud  majoris  fidei  nobis,  quœ  habentur  in  spuria  vita  sancti 
Honorati,  ubi  hœc  facta  dicuntur  per  Gensericum  Vandalorum  in  Africa 
regem...  Si  hœc  vera  sunt,  quomodo  post  Gensericum  jam  defunctum 
adeo  celebratur  gioria  ejusdem  monasterii  Lerinensis,  ut  audivimus  a 
Csesario  (Homelia  9J.  Quomodo  de  tanti  cœnobii  clade  nul  la  penitus 
habetur  nieotio  in  actis  sancti  Caesarii,  quae  sunt  scripta  ab  hujus 
temporis  scriptore  Cyprîano*?.   .  »  Barralis,  op.  cit.,  1. 1,  p.  273; 


-  493  — 

saccagé,  ravagé  en  Provence,  que  Ton  croyait  impossible  à 
qui  que  ce  fût  d'en  consigner  la  relation  dans  un  docu- 
ment public.  Ainsi,  l'obscurité  s'est  faite  déplus  en  plus  com- 
plète sur  ces  événements  et  la  confusion  la  plus  grande  s'est 
répandue  sur  eux.  Pendant  longtemps  on  a  cru  que  saint  Ga- 
lacterius,  évêque  de  Lescours,  massacré  par  les  Visigoths, 
avait  été  mis  à  mort  par  les  Vandales.  De  même  pour  saint 
Porcaire.  Les  invasions  des  Vandales  ont  été  si  fréquentes, 
elles  ont  laissé  dans  les  esprits  un  souvenir  si  terrifiant,  qu'on 
leur  a  attribué  les  désastres  que  plus  tard  les  Sarrasins  ont 
semés  partout.  Cela  parait  croyable,  lorsqu'on  sait  que  chez 
un  grand  nombre  d'auteurs,  les  Goths,  les  Alains,  les  Gépides 
sont  appelés  du  nom  de  Vandales.  Voilà  ce  qui  a  trompé 
les  historiens  (1). 

Nous  osons,  pour  notre  part,  essayer  de  réfuter  les  asser- 
tions de  M.  l'abbé  Pierrhugues. 

L'écrivain  sur  lequel  M.  l'abbé  Pierrhugues  s'appuie  davan- 
tage, Raymond  Féraud,  n'est  pas  d'une  autorité  incontestée. 
Les  auteurs  de  l' Histoire  littéraire  de  la  France  disent 
du  moine  poète  de  Lérins  :  a  Si  nous  voulions,  de  cet 
ouvrage  {La  Vida  de  sant  Honorât)  qui  forme  un  assez  gros 
volume,  extraire  d'un  côté  les  fictions  de  toute  espèce,  et  de 
l'autre  la  part  de  la  vérité  et  de  l'histoire,  nous  ne  savons 
s'il  resterait  quelque  chose  pour  celle-ci.  Toujours  serait-ce 
peu  de  chose  (2).  »  On  sait  qu'Antelmi  l'appelle  :  a  nugivendi- 
tor  »,  débiteur  de  fables  (3).  Baronius  disait  de  ce  poète  : 
a  Plane  ferreus  et  ignorantiae  rubigine  undiqueobductus  (4).  » 
«  L'œuvre  principale  de  Raymond  Féraud  est  la  Vida  de  sant 
Honorât,  poème  en  vers  provençaux,  où  le  génie  de  l'époque 
est  marqué,  mais  où  abondent  les  absurdités  et  les  anachronis- 
ities  les  plus  évidents  (5).»  On  le  voit,  l'abbé  Pierrhugues  aura 


(i)  Antelmi,  De  initiis  Ecclesiœ  Forojuliensis,  p.  120. 

(2)  Alliez»  Histoire  du  monastèi%e  de  Lérins ,  t.   I,  p.  4P4.  (Citation 
de  r Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  III,  p.  236.) 

(3)  Antelmi,  De  initiis  Ecclesiœ  Forojuliensis,  p.  78. 

(4)  Citation  prise  dans  Antelmi,  op.  cit.,  p.  78. 

(5)  RechercJies  historiques  sur  saint  Léonce,  écéque  de  Fréjus,  pal* 
l'abbé  Disdier,   p.  153. 

32 


—  494  — 

fort  à  faire  pour  donner  de  l'autorité  à  son  auteur  favori.  Il  est 
vrai  qu'un  écrivain  moderne  lui  a  rendu  quelque  peu  de  cré- 
dit, quand  il  a  dit  :  «  En  somme,  Féraud  n'est  guère  plus 
qu'un  habile  traducteur.  Ses  plus  grandes  libertés  consistent 
à  introduire  de  temps  à  autre,  dans  la  narration,  quelques 
noms  propres  qui  prouvent  une  certaine  connaissance  de  notre 
littérature  épique  (1).»  Mais  il  y  a  ici,  à  côté  de  l'éloge,  la  défi- 
ance. Si  Raymond  Féraud,  en  effet,  a  brodé  sur  les  noms,  cela 
suffit  pour  que  nous  refusions  à  le  suivre  aveuglément. 

De  fait,  qu'est-ce  que  cette  Vida  de  sant  Honorât,  compo- 
sée par  Raymond  Féraud  ?  C'est  une  traduction  amplifiée  et 
embellie  d'une  vie  de  saint  Honorât  composée  en  latin  et 
dont  nous  avons  un  spécimen  dans  un  manuscrit  du  XIV*  siècle, 
trouvé  à  Dublin  en  1878  (2).  Or,  ce  manuscrit  à  qui  attri- 
bue-t-il  le  martyre  de  saint  Porcaire  ?  A  Genséric,  chef  des 
Sarrasins  (3).  Il  existe  de  ce  même  manuscrit  une  version 
catalane,  imprimée  à  Valence  au  XV"  siècle.  Que  dit  cette 
version  du  sujet  qui  nous  occupe?  Que  contre  les  chrétiens 
se  leva  Genséric,  chef  du  méchant  peuple  des  Sarrasins  (4).  On 
possède  encore  un  abrégé  de  ce  manuscrit,  c'est  la  Vita  sancti 
Honorait,  imprimée  à  Venise  en  1501.  Or,  ce  document  attri- 
bue aux  Vandales  de  Genséric  le  massacre  de  saint  Porcaire  (5). 
En  résumé  donc,  sur  trois  auteurs  parlant  du  môme  sujet,  un 
désigne  les  Vandales,  deux  les  Sarrasins.  Ou  bien  Féraud  a 
suivi  les  données  de  ces  manuscrits,  ou  il  les  a  amplifiées. 
S'il  lésa  amplifiées,  inutile  d'apporter  ses  élucubrations  comme 
preuve  historique  ;  s'il  les  a  suivies,  puisque  les  manuscrits 
parlent  des  Sarrasins,  pourquoi  choisir  les  Vandales  et  leur 
attribuer  le  fait  en  question? 

D'ailleurs,  que  dit  Raymond  Féraud  lui-môme  dans  cette 
Vida  de  sant  Honorât?  Au  milieu  d'un  fatras  eld'inven- 


(1)  Un  article  extrait  de  la  revue  parisienne  Romania,  oct.  1879,  par 
P.  Meyer,  cité  par Pierrhugues,  Fin  de  Lérins,  p.  209. 

(2)  Article  de  le  Romania,  daus  Fin  de  Léinns,  p.  207. 

(3)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  Lérins,  p.  45. 

(4)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  Lérins,  pp.  46,  92. 

(5)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  Lé?*inst  pp.  110, 136. 


-  495  — 

lions  ridicules,  il  écrit  en  propres  termes  :  a  qu'en 
danl  vers  la  mer,  les  moines  virent  arriver  à  pleines  voi] 
les  Sarrasins  (1).  »  Et  on  lit  cette  expression  à  quatre  ou  cinq 
endroits  du  poème  (2 J.  Puis  il  parle  des  Turcs,  des  Vandales, 
deGenséric,  de  Miramolin,  etc.,  etc.  Pourquoi  donc  M.  Pier- 
rhugues  tient-il  tant  à  faire  attribuer  par  Raymond  Faraud 
le  massacre  de  saint  Porcaire  aux  Vandales,  puisque  cet  auteur 
parait  l'attribuer  plutôt  aux  Sarrasins  t  Est-ce  le  nom  de 
Genséric  qui  l'a  décidé  ?  Mais  il  y  a  tant  d'autres  noms  dans 
ces  pages  de  Féraud,  pourquoi  s'arrêter  à  l'un  plutôt  qu'a 
l'autre.  Donc,  non  seulement  le  nom  de  Raymond  Féraud  n'est 
pas  une  autorité  suffisante  pour  forcer  la  conviction,  mais  il 
semble  encore  que  l'on  fait  dire  à  ce  moine  de  Lérins  plus 
qu'il  n'a  dit. 

Passons  à  la  deuxième  preuve  que  l'abbé  Pierrhugues  allègue 
en  faveur  de  son  assertion.  Il  était  de  tradition,  ;'t  Lérins,  que 
les  Vandales  avaient  martyrisé  saint  Porcaire.  «  Elle  est  consi- 
dérable, en  effet,  l'autorité  de  la  tradition  dans  un  monastère 
où  les  générations  successives  sont  étroitement  liées  dans  une 
commune  affection  pour  le  passé  (3).  »  Mais  il  faut,  dans  ce 
cas,  solidement  établir  que  c'est  bien  la  tradicion  du  monas- 
tère. Et,  de  plus,  il  y  a  tradition  et  tradition.  Si  l'on  doit  faire 
grand  cas  delà  tradition  d'un  monastère  sur  un  point  de  doc- 
trine, il  n'en  est  pas  de  môme,  on  l'avouera,  sur  un  point 
d'histoire.  Il  y  a  là  une  différence  qu'il  faut  savoir  accepter  ! 

Or,  de  quoi  s'agit-il  ici  ?  D'une  question  historique:  sont-ce 
les  Vandales  ouïes  Sarrasins  qui  ont  détruit  Lérins  et  massacré 
saint  Porcaire?  Nous  trouvons  pour  le  monaslùic  de  Saint- 
Victor  la  môme  difficulté.  Faut-il  attribuer  aux  Vandales  ou 
aux  Sarrasins  la  destruction  de  ce  monastère?  Des  chartes 
du  XVV(4)  siècle  nomment  les  Vandales:  «  per  prophanos  Van- 


(1)  Raymond  Féraud,  elle  par  l'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  tarin»,  p.  B7. 

(2)  Raymond  Féraud,   cité  par  l'abbé  Pierrhugues,    Fin    rlc   Lérin$, 
\>p.  55,  67,  83,  93,  95,  117. 

(3)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  Lérins,  135. 

(*)  Charte  de  iUti  citée  dans  Kothen,  Notice  eurleicrypiu^ili:  l'abbaye 
de  Saint-Victor,  a  l'appendice. 


—  496  — 

dalos  ».  On  peut  voir  dans  ces  expressions  la  tradition  cou- 
rante du  monastère  à  cette  époque.  Mais  faudra-t-il,  pour 
cela,  s'incliner  et  accepter  sans  discussion  ?  Non,  on  le  com- 
prend facilement.  Qu'à  Lérins  l'opinion  soit  que  les  Vandales 
et  non  les  Sarrasins  aient  détruit  l'antique  monastère,  à  la 
rigueur  on  n'est  pas  obligé  d'y  acquiescer. 

Or,  est  ce  bien  la  tradition  de  Lérins  que  les  Vandales  aient 
martyrisé  saint  Porcaire  ?  Ecoutons  l'abbé  Pierrhugues  en  don- 
ner les  preuves.  «  L&Vita  sancti  Honorati,  imprimée  à  Venise, 
en  1501  et  composée  à  Lérins,  le  dit  en  propres  termes:  aPrseeunte 
sancto  Porcario  pastore,  eorum  quingenti  sub  Genserico,  Van- 
dalorum  duce,  pro  labore  quem  perpessi  sunt  diri  mari yrii, 
coronas  decoris  recipere  meruerunt  de  manu  Domini(l).  »  L'af- 
lirmation  est  claire.  C'est  vrai.  Mais  qu'est-ce  que  cette  Vita 
de  1501?  «  C'est  un  simple  extrait,  souvent  remanié  dans  la 
forme,  de  cette  vie  que  Féraud  a  eue  sous  les  yeux  (i)  », 
c'est-à-dire  du  manuscrit  de  Dublin  que  Féraud  a  traduit.  Or, 
ce  manuscrit  de  Dublin  que  dit-il?  «  La  Vita  de  Dublin  parle 
de  Sarrasins  dont  Genséric  était  le  chef  (3).  »  A  qui  accor- 
der plus  de  foi  :  au  manuscrit  de  Dublin  qui  date  de  1300,  ou 
à  la  Vitaàt  1501  ?  Sans  hésitation  aucune,  notre  préférence  est 
pour  le  manuscrit  de  Dublin.  Voici,  croyons-nous,  l'explication 
de  la  différence  qui  existe  entre  ces  deux  documents.  Au  XVsiè- 
cle  on  appelait  Vandales  les  Sarrasins.  Nous  l'avons  vu  pour 
les  chartes  de  cette  époque,  dans  le  cartulaire  de  Saint- Victor. 
Or,  le  moine  rédacteur  de  la  Wtadel501,  imbu  de  cette 
idée,  trouvant  le  nom  de  Genséric,  dans  le  manuscrit  de  Du- 
blin, accolé  à  celui  de  Sarrasins,  a  voulu  mettre  d'accord  les 
textes.  Il  a  écrit  Vandales  au  lieu  de  Sarrasins,  et  l'on  a  lu, 
depuis  :  sous  Genséric,  chef  des  Vandales.  En  réalité,  c'est  le 
nom  de  Genséric  qu'il  fallait  changer. 

Comme  seconde  preuve  de  la  tradition,  à  Lérins,  que  c'étaient 
les  Vandales  qui  avaient  massacré  saint  Porcaire,  l'abbé  Pier- 
rhugues allègue  la  lettre  d'un  pape  du  nom   de  Grégoire, 


(1)  I/abbé  Pierrhugues,  op.  cit. ,  p.  136. 

(2)  Article  de  la  Romania,  cité  par  Pierrhugues,  p.  207. 

(3)  L'abbé  Pierrhugues,    op.  cit.>  p.  45. 


—  497  — 

dans  laquelle  le  fait  est  raconté  (1).  Or,  que  vaut  cette 
preuve  ?  Rien  du  tout,  on  va  en  juger. 

D'abord,  où  se  trouve  cette  lettre  ?  «  Elle  prend  place 
dans  la  Vita  de  1501.  »  Or,  lisez  encore  l'abbé  Pierrh ugues. 
«  M.  Paul  Meyer,  de  l'Institut,  apprécie  sévèrement  les  char- 
tes citées  dans  la  Vita  de  1501.  Ajoutons,  dit-il  (M.  Meyer), 
que  les  chartes  fausses  qui  ornent  l'imprimé  ne  se  trouvent 
point  dans  l'original  (manuscrit  de  Dublin).  Elles  ont  été 
ajoutées  par  les  moines  en  vue  de  l'impression  (2),  »!  !  ! 
Après  ceia,  liez-vous  à  la  lettre  pontificale.  Bien  plus,  l'abbé 
Pierrhugues  avoue  que  «  certains  critique*  déclarent  cette 
lettre  apocryphe  (3).  »!  !  Et  de  deux!  Cette  lettre  est-elle  «  de 
Grégoire  II  on  de  Grégoire  III?  Peu  importe  (4j,n!  !  !  Et  de 
trois  !  Pour  clore  le  débat,  à  qui  cette  lettre  du  pape  attribue-l- 
elle  le  martyre  de  saint  Porcaire  :  «  Debacchante  super  eos 
furore  gentis Sarracenorum (5).  »!!!  Quelle  bonne  volonté  il 
a  fallu  à  l'abbé  Pierrhugues  pour  y  lire  la  preuve  qu'il  était  de 
tradition,  à  Lérins,  que  saint  Porcaire  avait  été  martyrisé  pat- 
tes Vandales  ! 

Suivrons-nous  rénumération  des  antres  preuves  1  En  faveur 
de  la  tradition  de  Lérins,  l'abbé  Pierrhuguos  allégué  la  pro- 
phétie que  la  Vita  de  1501,  la  Vida  par  Faraud,  la  version 
catalane,  et  le  manuscrit  de  Dublin  mettent  dans  la  bouche  de 
saint  Honorât  mourant:  a  Pendant  cinquante- trois  ans  l'abbaye 
demeurera  déserte  après  le  massacre  de  ses  enfants  (6).  »  Que 
vaut  cette  prophétie?  Est-elle  authentique  ou  non  ?  qui  le 
sait  ?  Mais  admettons-le.  Si  Lérins  a  été  détruit  par  les  Sarra- 
sins en  730,  il  a  pu  s'écouler  cinquante-trois  ans  avant  sa  res- 
tauration, puisque  on  s'accorde  à  regarder  connue  fausse  la 
charte  qui  attribue  cette  restauration  à  Pépin.  Nous  avons 
entendu  M.  Paul  Meyer  nous  dire  ce  qu'il  pensait  des 
Charles  insérées  dans  la  Vite  de  1501,  et  M.  l'abbé  Pierrhu- 


(!)  L'abbé  Pierrhugues.  op.  cit.,  pp.  136,  137. 

(2)  L'abbé  Pierrhugues,  op.  cit.,  179. 

(3)  L'abbé  Pierrhugues,  op.  cit., p.    13G. 
H)  L'abbé  Piervhugues,  op.  cit.,  p.  136. 

(5)  Pour  le  texte  de  cette  luttre,  voir  Pierrhugues.  o;.. 
(6j  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  tle  Lêrint,  p.  139. 


—  498  — 

gués  écrit .  «  La  restauration  du  monastère  sous  Pépin  est  un 
mythe  (1).  »!  !  ! 

Que  Denis  Fauchier,  mort  en  1562,  ait  cru  que  Lérins  a  été 
détruit  par  les  Vandales  ;  que  dans  une  prose,  chantée  à 
Lérins,  on  plaçât  le  martyre  de  saint  Porcaire  avant  la  sainte 
mort  du  bienheureux  Âygulfe,  qui  vivait  vers  660  (2),  qu'im- 
porte pour  noire  fait  historique  en  discussion  1  II  faut  d'autres 
arguments  pour  ébranler  la  conviction.  Il  n'est  donc  pas  prouvé 
qu'à  Lérins  il  était  de  tradition,  comme  veut  le  dire  l'abbé 
Pierrhugues,  que  les  Vandales  et  non  les  Sarrasins  eussent 
martyrisé  saint  Porcaire. 

L'abbé  Pierrhugues  continue  :  a  Un  silence  complet  s'est 
fait  sur  ce  monastère  au  VI*  siècle,  Grégoire  de  Tours  ne  parle 
jamais  de  Lérins.  »  Que  Grégoire  de  Tours  n'ait  jamais  parlé 
de  Lérins,  c'est,  en  effet,  une  chose  inexplicable.  Lérins  et  ses 
gloires  antiques  devaient  lui  être  connus.  Si  Lérins  existait 
de  son  temps,  il  aurait  dû  en  parler  et  l'on  ne  se  rend  pas 
compte  de  son  silence  ;  mais,  si  Lérins  a' été  détruit  quelque 
cinquante  ans  auparavant,  cette  épouvantable  catastrophe 
devait  aussi  lui  être  connue,  et  l'on  s'explique  encore  moins 
qu'il  n'en  ait  rien  dit.  Nous  sommes  portés  à  croire,  pour 
notre  part,  que  si  Grégoire  de  Tours  se  tait  sur  cette  ruine  de 
Lérins,  c'est  que  le  monastère  de  cette  lie  florissait  encore  ;  et, 
s'il  ne  l'a  pas  glorifié  dans  sa  splendeur,  c'est  qu'il  avait  à  par- 
ler d'autres  choses.  Nous  ne  cachons  pas  cependant  que  le 
silence  de  cet  écrivain  nous  étonne. 

Maintenant  qu'il  se  soit  fait,  au  VI-  siècle,  un  silence  absolu 
sur  Lérins,  c'est  un  fait  que  nous  n'admettons  pas.  En  sui- 
vant Alliez  dans  son  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  nous 
trouvons  plusieurs  détails  qui  font  supposer  que  le  monastère 
était  encore  debout,  au  VI*  siècle.  Eh  effet,  sous  l'abbé 
Honorât  H,  vécut  un  saint  religieux,  du  nom  de  Jean,  sur- 
nommé lleomaus,  qui  y  demeura  dix-huit  mois,  puis  fut 
rappelé  dans  son  pays  natal,  à.  Langres,  par  l'évéque  de  cette 
ville.  Or,  l'abbé  Honorât  succéda  à  saint  Porcaire  vers  507. 

(1)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  Lérins,  p.  183. 

(2)  L'abbé  Pierrhugues,     Fin  de  Lérins,  p.  141.  —  Voir  cette  prose 
dans  Barralis,  Chronolorjia  insulœ  Lerinensi*,  t.  I,  p.  29. 


-  499  - 

A  cette  époque  donc  Lérina  existait  (1),  Vers  550,  un  abbé  du 
nom  de  Florian  gouvernait  Lérins.  Ce  religieux  écrivit  à  saint 
Nicet,  évéque  de  Trêves,  pour  que  celui-ci  employât  son 
crédit  auprès  du  roi  d'Austrasie  en  faveur  de  l'Ile  do  Lari,  qui 
n'est  pas  autre  que  Lérins.  Le  monastère  existait  donc  (j), 
A  cette  même  époque  vivait  A  Lérins  Vigile,  plus  tard 
évéque  d'Arles.  Le  monastère  donc  était  eu  pleine  prospérité. 
•  L'histoire,  c'est  vrai,  n'a  conservé,  pour  l'époque  dont  nous 
nous  occupons,  que  peu  de  documents  sur  ce  monastère  (3).  » 
Mais  qu'importe,  il  en  reste  assez  pour  prouver  qu'il  existe 
et  pour  attester  que  rien  ne  Tait  entrevoir  qu'il  ait  été  détruit 
cinquante  ou  soixante  ans  auparant  d'une  façon  si  terrible. 

11  est  impossible,  enfin,  affirme  l'abbé  l'ierrhugues,  que 
Lérins  ait  échappé  à  la  fureur  des  barbares.  Que  cela  soit 
extraordinaire,  nous  le  comprenons,  et  nous  nous  en  étonnons 
avec  Baronius  (4).  Mais  que  cela  soit  impossible,  nous  le  nions. 
Ce  qu'il  y  a  de  vraiment  étonnant  et  impossible,  c'est  que, 
si  Lérins  a  été  détruit  du  vivant  de  saint  Cétaire,  vers  507, 
cet  évéque,  enfant  de  Lérins,  disciple  chéri  de  saint  l'orcaire, 
n'aîi  jamais  parlé  de  la  mort  héroïque  de  ce  saint  religieux; 
c'est  que  l'écrit  oii  il  en  a  parié  «e  soit  pardi]  ;  c'est  que  son 
disciple  Cyprien,  qui  a  composé  la  vie  du  suint  évoque,  n'en 
ait  rien  dit  non  plus  I  Voilà  l'imposaibi  ;. 

La  thèse  de  l'abbé  Pierrhugues  :  que  les  Vandales  et  non  pas 
les  Sarrasins  aient  détruit  Lérins  et  martyrisé  saint  l'orcaire  est 
insoutenable.  Donc  personne  ne  serait  autorisé  à  se  servir 
de  cette  ihèse  pour  affirmer  que  notre  sainte  Eusébie,  elle 
aussi,  a  été  martyrisée  par  les  Vandales. 

Nous  arrivons  A  M.  Grinda.  La  manière  dont  cet  auteur  a 
parlé  de  l'inscription  lapidaire  de  sainte  Eusébie  nous  semble 
bien  hardie,  quoiqu'elle  procède,  nous  ne  saurions  trop  le 
reconnaître,  d'une  intention  pleine  de  loyauté  et  de  bon 
esprit.  M.  Grinda  veut  préserver  notre  tradition  marseillaise 


(1)  Alliez,  Histoire  du  monastère  tic  Lérins,  1.  I,  p.  27C,  etc. 

(2)  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lérina,  t.  I,  p.  3(13. 

(3)  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lèr in?,  I.  I,  p.  ;)U0. 

H)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  lérina,  p.  41.—  llmnilis,   Clironolof/ia 
insutœ  Lerinennie,  p.  272. 


—  500  — 

<f  de  l'atteinte  qu'elle  recevrait,  si  la  science  archéologique 
établissait  par  des  preuves  irréfutables  l'anachronisme  de  ce 
document  considéré  comme  un  témoignage  de  la  tradition 
marseillaise  (1).  »  Et  voici  son  argumentation,  telle  que  nous 
la  comprenons. 

Nous  avons  une  tradition,  à  Marseille,  d'après  laquelle 
sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les  Sarrasins  avec  qua- 
rante de  ses  compagnes.  A  l'appui  de  cette  tradition,  on 
allègue  ordinairement  l'inscription  lapidaire  qui  porte  le  nom 
d'Eusébie.  Or,  le  jour  où  quelque  critique,  peut-être  mal 
pensant,  nous  prouverait  que  ce  document  est  d'une  époque 
antérieure  aux  Sarrasins,  notre  tradition  paraîtrait  fort  ébran- 
lée. Mieux  vaut  donc  actuellement  s'expliquer  et  voir  en  face 
les  difficultés. 

Or,  cette  inscription  lapidaire  est  du  V0  siècle.  Les  données 
actuelles  de  l'épigraphie  le  prouvent,  dit  M.  Giïnda.  «  Elle 
appartient  à  ce  que  les  archéologues  appellent  le  troisième 
âge,  et  se  place  entre  les  années  487  et  499.  C'est  dans  ces 
douze  années  qu'il  faut  chercher  la  date  de  cette  inscription. 
Or,  la  treizième  période  d'indiction  commence  en  492.  La 
sixième  année  de  cette  indiction  est  l'an  497,  qui  est  la  date 
cherchée.  » 

Donc,  ou  bien  nous  voulons  garder  toute  notre  tradition  de 
Marseille,  à  savoir  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par 
les  Sarrasins.  Dans  ce  cas,  il  nous  faut  faire  le  sacrifice  de 
cette  inscription  lapidaire.  Antérieure  de  trois  siècles  aux 
Sarrasins,  elle  n'est  point  pour  notre  sainte  Eusébie,  niais  elle 
appartient  à  une  autre  religieuse  portant  ce  même  nom.  Qu'à 
cela  ne  tienne  cependant.  Notre  tradition  n'en  demeure  pas 
moins  debout,  car  il  nous  reste  bien  d'autres  monuments  pour 
le  prouver. 

Ou  bien  nous  tenons  «  à  considérer  l'inscription  d'Eusébie 
comme  l'épitaphe  de  la  sainte  que  l'Eglise  de  Marseille 
honore  »,  et  M.  Grinda  préfère  ce  dernier  parti.  Il  nous  faut 
faire,  dans  ce  cas,  le  sacrifice  d'un  des  détails  de  notre  tra- 


(1)  Grinda,  Monographie  deVabbayede  Saint-Victor-lez-Marscille, 
dans  \* Echo  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  n°  344,  aunée  1888. 


—  501  — 

« 

dition  de  Marseille,  à  savoir  que  sainte  Eusébie  a  été  marty- 
risée par  les  Sarrasins.  C'est  à  d'autres  barbares  qu'il  faut 
imputer  ce  crime.  Ne  nous  effrayons  pas  trop  encore. 
M.  Grinda  nous  rappelle  que  «  les  historiens  qui  ont  rapporté 
ce  glorieux  souvenir  de  l'Eglise  de  Marseille  sont  loin  d'être 
d'accord.  Ils  désignent  les  Vandales,  les  Goths,  les  Normands, 
etc.,  etc.,  etc.  »  Dans  les  deux  cas  cependant,  on  nous  fait 
remarquer  que  le  principal  objet  de  notre  tradition,  à  savoir 
que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée,  sort  intact  de  la  lutte. 
Or,  que  vaut  ce  système  ? 

Ce  système,  hâtons-nous  de  le  dire,  n'est  pas  nouveau. 
M.  Grinda  en  conviendra.  C'est,  ou  bien  l'opinion  de  M.  André, 
l'historien  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur,  qui  est 
remise  en  honneur,  on  sait  qu'il  n'admettait  pas  que  l'inscrip- 
tion lapidaire  fût  de  notre  sainte  Eusébie  ;  ou  bien  c'est  l'opinion 
de  Guesnay  dans  le  Cassianus  ou  les  Annales  Provinciœ 
Ma8siliensi8  que  l'on  reprend.  Cet  écrivain,  nous  l'avons  vu 
plus  haut,  place  le  martyre  à  l'année  450  ou  477,  et  ce  sont  les 
Vandales  qui  en  sont  les  auteurs. 

Or,  ce  système  très  séduisant  se  heurte  à  de  graves 
difficultés.  D'abord,  si  cette  inscription  lapidaire  n'est 
pas  de  notre  sainte  Eusébie,  nous  avons  eu  tort  de  croire, 
à  Marseille,  pendant  des  siècles,  qu'elle  nous  parlait  de  notre 
sainte  abbesse  cassianite.  Ce  qui  n'est  pas  très  flatteur  pour 
nousl  Puis,  il  faudrait  trouver  une  explication  raisonnable  de 
cette  crédulité  plusieurs  foi»  séculaire;  dire  et  prouver  com- 
ment cette  inscription  a  pu  être  attribuée  à  notre  sainte  Eusé- 
bie. Ce  qui  peut-être  ne  serait  pas  très  facile  à  faire  ! 

Ensuite,  si  cette  inscription  est  du  V0  siècle,  et  si  elle  nous 
parle  de  notre  sainte  Eusébie,  nous  sommes  en  opposition 
formelle  avec  la  tradition  de  Marseille  qui  est  que  notre  sainte 
a  été  martyrisée  par  les  Sarrasins.  Qu'on  ne  se  fasse  pas  illusion, 
en  effet.  A  Marseille,  il  n'est  pas  de  tradition  seulement  que 
sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  avec  quarante  de  ses  compa- 
gnes, et  que  toutes  se  sont  mutilées  le  visage.  Ceci  est  le  sum- 
?narium,  le  compendium,  le"résumé  de  la  tradition  des  «  Des- 
narrados  ».  Mais  il  est  de  tradition  aussi  qu'elles  ont  été  mar- 
tyrisées par  les  Sarrasins  et  sur  les  bords  de  l'Huveaune. 


—  502  — 

Voilà  toute  la  tradition.  Or,  ce  système  est  en  opposition  com- 
plète avec  cette  croyance  populaire. 

Et  encore,  il  est  en  contradiction  avec  une  foule  de  dates,  de 
faits,  de  documents  qu'il  est  très  difficile  de  révoquer  en  doute 
ou  d'expliquer  d'une  manière  conforme  aux  idées  de  notre 
auteur.  Enfin,  ce  système  n'explique  rien  du  tout  dan3  cette 
question  obscure.  Supposons  que  l'inscription  appartienne  au 
VB  siècle  et  qu'elle  soit  de  notre  sainte  Eusébie.  Et  puis, 
savons-nous  en  quelle  année  a  eu  lieu  le  massacre?  qui  Ta 
perpétré?  Avons-nous  un  jalon  de  plus  pour  nous  conduire? 
un  peu  plus  lumière  pour  éclaircir  nos  doutes,  interpréter  les 
historiens?  Disons  simplement  que  nous  n'acceptons  pas  cette 
manière  de  voir  de  M.  Grinda.  Pour  nous,  nous  nous  en 
tenons  à  la  tradition  de  Marseille:  sainte  Eusébie  a  été  marty- 
risée par  les  Sarrasins,  aux  bords  de  1'Huveaune.  Et  l'inscrip- 
tion que  nous  avons  parle  de  notre  sainte  Eusébie. 

Venons  à  la  réfutation  des  raisons  que  M.  Grinda  apporte 
pour  prouver  que  ce  ne  sont  pas  les  Sarrasins  qui  ont  massa- 
cré sainte  Eusébie.  D'abord,  à  qui  attribue-t-il  le  martyre  de 
notre  sainte?  Il  ne  le  déclare  pas  formellement,  c'est  vrai. 
Cependant,  se  rangeant  à  l'opinion  de  Guesnay,  qui  fixe 
le  martyre  de  sainte  Eusébie  à  l'époque  où  la  Provence 
était  la  proie  des  Vandales,  des  Visigoths  et  autres,  il  semble- 
rait désigner  ces  mômes  barbares,  qui  désolèrent  nos  contrées 
au  Ve  siècle,  comme  les  auteurs  de  ce  massacre. 

Dans  tous  les  cas,  M.  Grinda  se  refuse  à  croire  que  ce  soient 
les  Sarrasins  qui  ont  martyrisé  notre  sainte.  La  tradition,  à 
son  avis,  ne  les  désigne  pas  formellement.  Ceci  est  inexact.  La 
tradition  populaire,  la  voix,  la  croyance  du  peuple  les 
nomme  formellement.  Nous  le  verrons  bientôt. 

«  Les  historiens  qui  ont  rapporté  ce  glorieux  souvenir  de 
l'Eglise  de  Marseille  sont  loin  d'être  d'accord.  Ils  désignent  les 
Vandales,  les  Goths,  les  Normand*,  les  Bourguignons,  les 
pirates  arabes,  les  Sarrasins.  »  C'est  vrai,  ces  historiens  ne  sont 
pas  d'accord.  Mais  il  y  en  a  d'autres  qui  le  sont,  et  la  liste  eu 
est  convenablement  longue.  Nous  les  citerons  dans  un  des 
chapitres  suivants. 

a  Le  Propre  de  Marseille,  qui  résume  la  tradition,  dan9  la 


J 


-  503  — 

VI*  leçon  de  l'office  de  sainte  Eusébie,  ne  nomme  pas  les 
Sarrasins;  il  y 'est  question  des  infidèles  et  des  barbares,  ce 
qui  peut  s'appliquer  aux  Vandales,  aux  Visigoths,  aussi  bien 
qu'aux  Sarrasins.  »  C'est  vrai  encore.  Mais  que  M.  Grinda 
remarque  bien  l'expression  dont  il  s'est  servi.  Elle  est  d'une 
précision  admirable:  «  Le  Propre  du  diocèse  de  Marseille 
résume  la  tradition.  »  Il  fait  connaître,  en  effet,  l'objet  princi- 
pal, l'idée  générale  de  notre  tradition  de  Marseille,  à  savoir 
que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  avec  ses  compagnes  par  des 
infidèles  ou  des  barbares.  Quant  aux  détails  de  cette  tradition, 
à  savoir  à  quel  endroit,  à  quel  époque  exacte  et  par  qui  ce 
massacre  des  Cassianites  de  Marseille  a  été  opéré,  le  Pro- 
pre n'en  dit  presque  rien  et  il  ne  faut  pas  nous  en  étonner. 
M*r  de  Belsunce,  qui  a  rédigé  ces  leçons,  savait  très  bien 
que  ces  détails  étaient  en  discussion  parmi  les  historiens.  Il 
ne  pouvait  pas  se  prononcer  et  engager  l'autorité  de  l'Eglise 
sur  un  point  d'histoire  locale. 

Alléguer  donc  le  vague  dans  lequel  le  Propre  du  diocèse 
se  tient  par  rapport  aux  auteurs  du  martyre  de  sainte  Eusébie, 
pour  refuser  de  l'imputer  aux  Sarrasins,  c'est  apporter  une 
preuve  qui  se  dérobe  sous  celui  qui  s'y  appuie. 


CHAPITRE  II 

Les  preuves  apportées  par  les  auteurs  pour  placer 

à  une  date  autre  que  celle 

de  738  le  martyre  de  sainte  Eusébie, 

ne  sont  pas  recevables. 

BAISONS  ALLÉGUÉES  PAR  GUESNAY,  H.  BOUCHE,  MABILLÛN,  DE 
BELSUNCE,  GROSSON,  RUFFI,  PAPON,  LONGUEVAL,  BOUCHE,  LA 
«  GALLIA  »,  FOUQUE,  FABRE  AUG.,  LAUTARD,  GUINDON  ET  MÉRY, 
MAGLOIRE  GIRAUD,  ALLIEZ,  RE1NAUD,  DAEHAS,  ROCBACKER,  LA 
t  STATISTIQUE  »,  ANDRÉ,  M.  LE  CHANOINE  MAGNAN,  L'ABBÉ  VEBLA- 
QUE,  KOTHEN,  DE  REY,  GRINDA. 

Nous  avons  vu  que  Guesnay  fixait  le  martyre  de  notre 
sainte  Eusébie  à  Tannée  477,  dans  ses  Provinciœ  Massi- 
liensis  Annales,  page  186.  A  la  page  600  du  môme  ouvrage, 
c'est  une  autre  date  qu'il  indique,  l'année  450.  Puis,  il 
écrit  :  a  C'est  à  l'époque  de  la  persécution  que  Gensèric  a 
suscitée  contre  les  catholiques  d'Afrique,  ou  bien  à  l'époque 
de  celle  qu'Hunéric,  fils  de  Genséric,  suscita  lui-même.  »  Il 
ajoute  encore  :  «  alors  que  les  Vandales  faisaient  une  guerre 
de  pirates  ».  Nous  devons,  enfin,  rappeler  que,  dans  son  Cas- 
sianus  iUustratus,  le  môme  auteur  avait  placé  cet  événement 
«  à  l'époque  des  invasions  fréquentes  des  barbares  en  Gaule  »  ; 
autre  détail  :  a  alors  que  les  Vandales,  unis  aux  Alains,  aux 
Goths,  passaient  d'Espagne  en  Afrique  »;  dernier  détail  enfin  : 
«  au  moment  où  les  Vandales  désolaient  de  leurs  pirateries  les 
côtes  des  provinces  voisines  ».  Il  semble  difficile  d'apporter 
plus  de  précision,  pour  fixer  la  date  du  martyre  de  la  sainte 
abbesse  cassianite.  Et  cependant  Guesnay  n'a  réussi  qu'à  en- 
tourer de  la  plus  grande  confusion  la  date  de  cet  événement. 

D'abord,  à  la  page  [86  des  Provinciœ  Massiliensis  A  finales, 
c'est  l'année  477  qu'il  indique  ;  à  la  page  600  du  môme  ou- 
vrage, c'est  450.  Quelle  est  la  raison  d'une  telle  contradiction? 
Guesnay  garde  le  silence.  Puis  le  martyre  de  notre  sainte 
aurait  eu  lieu  en  477  ou  450,  «  à  l'époque  de  la  persécution 


—  5U5  — 

suscitée  par  Genséric  contre  les  catholiques  ».  Or,  Genséric  ;i 
commencé  à  sévir  contre  les  catholiques  en  437,  et  il  n'a  guère 
cessé  de  les  tourmenter  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  477  (I).  La 
persécution  soulevée  par  Hunéric  commença  en  481  et  se  pour- 
suivit encore  jusqu'il  la  mort  de  ce  roi,  eu  484  (2). Si  l'on  place  le 
martyre  de  sainte  Eusébie:  a  circa  persecutionem  excilatam  ab 
Hunerico  »,  durant  la  persécution  d'Hunéric,  la  date  de  477, 
donnée  par  Guesiiay,  ne  concorde  ni  avec  celle  du  début,  ni 
avec  celle  de  la  an  de  cette  persécution.  Si  l'on  veut  choisir, 
«  durant  la  persécution  de  Genséric  i  (437-477),  l'année  477, 
on  se  rencontre  justement  avec  celle  de  la  mort  de  ce  prin- 
ce sanguinaire,  qui  expira  le  25  janvier  477  (3).  Pour  que 
cettedale  concordât  avec  les  faits,  ilfaudrait  que  les  pirates 
vandales  eussent  exécuté  leur  barbare  exploit  durant  ce  mois 
de  janvier.  Il  y  aurait  lieu,  dans  ce  cas,  d'admirer  longue- 
ment la  prodigieuse  précision,  nous  allions  dire  la  chance 
de  Guesnay. 

Si  l'on  vent  adopter  la  date  de  450,  toujours  a  durant  la 
persécution  de  Genséric  »,  on  tombe,  il  est  vrai,  à  un  moment 
où.  Genséric  vit  en  paix  avec  l'empereur  d'Occident,  Valenti- 
nîen  III,  et  l'empereur  d'Orient,  Marcien,  et  où  les  Vandales 
courent  les  mers  et  font  les  piraies.  Mais  pourquoi  cette 
année  de  450  plutôt  qu'une  autre?  Quelle  preuve  Guesnav 
allègue-t-il  en  faveur  de  cette  année?  Aucune.  Il  jouera  de 
bonheur,  s'il  devine  juBte  ! 

Passons  aux  autres  détails  que  donne  Guesnay  :  a  Alors, 
dit-il,  que  les  Vandales  faisaient  une  guerre  de  pirates... 
qu'ils  désolaient  les  cotes  des  provinces  voisines...  »  Mais 
ces  Vandales,  Sidoine  Apollinaire  a  écrit  a  que  chaque 
année  leurs  flottes  nombreuses  saccageaient  les  rives  de  la 
Méditerrannée  (4).  »  Procope,  à  son  tour,  a  dit   a  qu'a  chaque 

(1)  Ruinarl,  Histovia  Perseeutionit  Vandalicn;  pp.  507,  233. 

(2)  Ruinart,  Historia  Persectttionis  Vandalicœ,  pp.  237,  265. 

(3)  Ruinarl,  op.  cit.,  p.  233. 

{*)         t  .  i HincVandalushostis 

L'rget,  et  in  nostrutn  numeroaa  classe  quotannis 
Militât  excidium ■ 

Sidoine  Apollinaire,  Carmen  il  in  Panegijrico  Ant/teniii\  {Ruinarl 
ùp.clt.,  p.  227.) 


—  506  — 

printemps  ils  débarquaient  sur  les  côtes  de  Sicile  et  d'Italie 
et  les  ravageaient  (l)  ».  Dès  leur  entrée  en  Espagne  en  409, 
jusqu'à  leur  extermination  complète  en  Afrique,  en  534,  ils 
ont  pratiqué  ce  métier.  A  quelle  année  donc  les  fera-t-on 
arriver  jusqu'à  Marseille?  Guesnay  se  tient  sur  la  réserve. 
Elle  est  fort  sage,  en  effet.  A  n'indiquer  aucune  date,  il  ne 
court  pas  le  risque  de  se  tromper  !  ! 

«  A  l'époque  où  tant  de  barbares  faisaient  en  Gaule  de 
fréquentes  incursions.  »  Mais  les  barbares  ont  envahi  et 
saccagé  la  Gaule  durant  des  siècles.  Depuis  l'invasion  des 
Francs  Ripuaires,  jusqu'à  l'arrivée  en  Provence  des  Ostro- 
goths  de  ïhéodoric  d'Italie,  que  de  fois  les  barbares,  de 
quelque  nation  qu'ils  fussent,  ont  foulé  et  pillé  le  soi  de  la 
patrie  !  Quelle  année  donc  choisir,  durant  ces  deux  siècles, 
pour  le  martyre  de  sainte  Eusébie  ¥  Aucune.  Guesnay  se  con- 
tente de  dire  :  Ce  fut  à  cette  époque  que  le  martyre  eut  lieu  !! 

Enfin,  à  l'époque  a  où  les  Vandales  mêlés  aux  Alains,  aux 
Goths,  passaient  en  Afrique  ».  Mais  les  Vandales  s>ont  venus 
en  Afrique  en  427  (2);  que  deviennent  alors  les  dates  de  450 
et  477,  spécialement  désignées  plus  haut  ? 

Guesnay,  croyant  pouvoir  attribuer  aux  Vandales  le 
martyre  de  sainte  Eusébie,  peut-être  sur  les  termes  des 
chartes  1431  et  1446,  a  jeté  au  hasard  deux  dates,  accompa- 
gnées de  détails  excessivement  vagues,  partant  insuffisants, 
pour  élucider  le  point  d'histoire  que  nous  étudions.  Ce  n'est 
donc  pas  en  450,  ni  en  477,  que  la  chère  sainte  abbesse  a 
souffert  son  glorieux  martyre  ! 

H.  Bouche,  après  avoir  racconté  l'arrivée  en  Gaule  des  Van- 
dales et  des  autres  barbares,  vers  Tannée  406-407,  raconte  en 
deux  lignes  que  ces  Vandales  ont  détruit  le  monastère  de 
Saint-Victor  et  celui  des  bords  de  l'Huveaune  (3).  Il  ne  donne 
pas  d'autre  date  que  celle  qui  est  en  marge,  407.  Mais  surtout 


(1)  «  Quoties  ver  redierat,  nu  ne  Siciliam,  nunc  Italiam  populabundus 
vexabat.  »  Procope,  lib.  I,  De  Bello  Vandalico.  (Ruinart,  op.  cit.,  p.  2?7.) 

(2)  Ruinart,  Historia  Persecutionis    Vandalicœ,  p.  204.  —  M  arc  us 
Histoire  des  Vandales,  dit  que  ce  fut  en  429  ;  p.  129. 

(3)  II.  Bouche,  Histoire  de  Provence^  t.  I,  p.  565. 


ï 


-  507  — 

il  n'apporte  aucune  preuve.  Inutile  donc  de  nous  attarder 
longtemps  à  combattre  son  témoignage. 

Mabillon.  Devant  le  nom  de  cet  illustre  écrivain,  le  prince 
de  la  science  hagiographique,  notre  humble  petite  plume 
hésite  h  formuler  la  moindre  critique.  Nous  ne  pouvons  pas 
cependant  ne  pas  appeler  l'attention,  d'abord  sur  la  différence 
de  dates  que  l'on  rencontre  dans  ses  ouvrages,  relativement 
au  martyre  de  sainte  Eusébie.  Dans  les  Annales  ordinis 
8<mcti  Benedicti,  Mabillon  assigne  l'année  732.  Dans  un 
ouvrage  postérieur,  les  Acta  sanctorum  ordinis  sancti 
Benedicti,  il  indique  l'année  731  (1).  C'est  une  preuve  évi- 
dente de  l'incertitude  qui,  aux  yeux  du  savant  bénédictin, 
règne  sur  cet  événement. 

De  plus,  l'expression  dont  se  sert  Mabillon  semble  indiquer 
que  c'est  plutôt  à  une  époque  qu'à  une  année  précise  qu'il 
veut  rattacher  ce  fait,  a  Après  avoir  raconté,  écrit  M"r  de 
Belsunce,  les  diverses  irruptions  que  les  Sarrasins  ont  faites 
en  France,  durant  les  années  721,  728,  731,732,  Mabillon 
ajoute:  «  Hue  revocant  nobile  factum  sanctimonialium 
quadraginta  cœnobii  Sancti  Cyricii,  prope  Massiliam...  » 
«  C'est  à  cette  époque  que  l'on  place  le  fait  mémorable  des 
quarante  religieuses  du  monastère  de  Saint-Cyr  près  Mar- 
seille.. .  (2)  » 

Enfin,  Mabillon  n'invoque,  à  l'appui  de  ces  dates,  ni  fait, 
ni  document  qui  force  la  conviction  de  tous.  En  résumé  donc, 
le  témoignage  de  Mabillon,  qui  nous  est  contraire  sur  ce  point 
particulier,  n'est  pas  tellement  précis  qu'il  renverse  notre 
opinion. 

Mgr  de  Belsunce,  après  avoir  raconté  que  Mauronte  «  traita 
avec  les  Sarrasins,  leur  livra  Avignon,  en  737,  que  cette  ville 
fut  reprise  l'année  suivante  par  Charles  Martel  et  que  ce 
prince,  obligé  ensuite  de  marcher  contre  les  Saxons,  qu'il 
dompta,  étant  revenu  deux  ans  après  en  Provence,  en  739, 

a 

(1)  Annales  ordinis  Sancti  Benedicti,  t.  II,  p.  90.  Cet  ouvrage  fut 
imprimé  eu  1704.  —  Acta  Sanctorum  ordinis  Santi  Benedicti,  t.  IV, 
p.  487.  Cet  ouvrage  fut  imprimé  en  1734. 

(2)  M«f  de  Belsunce,  Antiquité  de  l'Ef/lise  de  Marseille,  t.  I,  p.  290, 
do  te. 


—  508  — 

avec  son  armée  victorieuse,  en  chassa  Mauronte,  s'avança 
jusqu'à  Marseille  et  fit  rentrer  tout  le  pays  sous  sa  domina- 
tion »,  ajoute:  «  Ce  fut  probablement  durant  ces  guerres  des 
Sarrasins  que  sainte  Eusébie,  abbesse  du  monastère  de  Saint- 
Cyr,  souffrit  le  martyre  avec  ses  compagnes,  etc. . .  »  Mer  de 
Belsunce,  on  le  voit,  ne  précise  pas  la  date  du  martyre.  C'est 
entre  la  prise  d'Avignon,  par  les  Sarrasins,  en  737,  et  la  fuite 
de  Mauronte,  en  739,  qu'il  le  place.  Son  témoignage  donc, 
au  lieu  d'être  contraire  à  notre  opinion,  lui  est  plutôt  favo- 
rable. 

Grosson  dans  ses  Almanachs  historiques  de  Marseille 
pour  1770  et  1773,  choisit  une  date  antérieure  à  737.  Mais  il 
n'apporte  aucune  preuve.  Donc  le  témoignage  de  cet  histo- 
rien ne  peut  guère  nous  embarrasser. 

Le  texte  de  llufli  nous  l'avons  cité  tantôt.  Nous  savons 
qu'il  tient  à  désigner  les  Normands  comme  les  auteurs  du 
martyre  de  notre  sainte  abbesse.  Il  parle  bien  peu  des 
Sarrasins  et  de  leurs  invasions  successives  en  France,  durant 
les  années  725  et  730,  et  du  temps  de  Charlemagne.  Mais  c'est 
pour  ajouter  aussitôt  qu'il  est  presque  impossible  de  pouvoir 
iixer  une  époque  à  cet  événement.  En  cherchant,  Rufft  aurait 
pu  trouver  une  date  au  moins  approximative.  Quoiqu'il  recon- 
naisse la  tradition  à  Marseille  que  notre  sainte  Eusébie  a  été 
mise  à  mort  par  les  Sarrasins,  a  il  y  a  apparence,  ajoute-t-il, 
que  ce  soient  les  Normands  qui  ont  commis  ce  méfait.  »  Or, 
à  quelle  époque?  Au  IX-  siècle,  en  l'année  867.  a  Les  Nor- 
mands altérés  du  sang  chrétien,  ayant  inondé  diverses  pro- 
vinces, entrèrent  par  mer  en  Provence,  ruinèrent  et  désolèrent 
un  grand  nombre  de  maisons  religieuses,  entre  autres 
l'abbaye  de  Saint-Victor. . .  Quelques  auteurs  nous  apprennent 
que  peu  auparavant  ils  avaient  abordé  en  l'île  de  Camargue 
et  qu'ils  avaient  désolé  quelques  villes  et  monastères,  qui 
étaient  près  du  Rhône,  et  il  y  a  apparence  que  ce  fut 
alors  qu'ils  ruinèrent  le  monastère  de  Saint-Victor  et  saccagè- 
rent la  ville  de  Marseille  (l).  »  Ces  termes  a  peu  auparavant  » 
font  allusion  aux  années  859  et  860. 

(i)  Rufli,  llistoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  58,  118.  —  Toujours  même 


-  509  - 

Les  annales  de  Saint-Berlin  et  la  chronique  des  Nor- 
mands(l)  nous  disent,  en  effet,  aux  années  859  et  860,  que  les 
Normands  entrent  dans  le  Rhône  et,  après  avoir  ravagé  plu- 
sieurs  villes  et  monastères,  s'établissent  en  Camargue  et  éten- 
dent leurs  ravages  jusqu'à  Valence.  De  là,  après  avoir  tout 
pillé,  ils  retournent  à  l'Ile  où  ils  étaient  Axés.  Les  Danois,  qui 
étaient  sur  le  Rhône,  gagnent  l'Italie,  prennent  Pise  et  d'au- 
tres villes.  Mais  «  quelles  sont  ces  villes  que  le  chroniqueur 
assure  avoir  été  saccagées  par  les  barbares  du  Nord,  dans  la 
première  année  de  leur  apparition?  se  demande  M.  deRey. 
On  raconte  qu'ils  vinrent  à  Martigues,  même  à  Marseille,  où 
ils  auraient  détruit  l'abbaye  de  Saint-Victor.  Tout  est  cela  est 
un  peu  gratuit  (2),  » 

Quant  à  l'affirmation  de  Ruffi.que  cette  funeste  irruption 
des  Normands  eut  lieu  en  867,  nous  répondrons  que  nul 
auteur  ne  parle  de  la  venue  de  ces  barbares  à  Marseille,  en 
cette  année  I  Notre  ville  a  échappé  à  leurs  fureurs. 

De  Papon,  il  faut  dire  comme  de  M"  de  Belsunce,  qi. 'il 
n'assigne  pas  de  daie  précise  au  martyre  de  notre  sainte,  mais 
qu'il  range  cet  événement  et  ceux  qui  concernent  les  Sarra- 
sins sous  la  rubrique  des  années  736,  737.  En  le  plaçant  d'ail- 
leurs au  temps  «  où  Charles  Martel  faisait  la  guerre  en  Saxe, 
au  temps  où  Mauronte  en  profite  pour  livrer  aux  Sarrasins 
Arles,  Avignon  et  le  reste  de  la  Provence  »,  Papon  semble 
préférer  l'année  736.  que  nous  indiquons  nous-mêmes . 
C'est,  en  effet,  alors  que  Charles  Martel  était  en  Saxe  ou  dans 
le  Nord  et  que  Mauronte  livre  la  Provence  aux  Sarrasins, 
que  nous  placerons  cet  événement.  En  résumé  Papon  est  favo- 
rable à  notre  thèse. 

Longueval  assigne  lemartyre  de  sainte  Eusébie  à  l'année  731 . 
Les  Sarrasins,  dit-il,  pénétrèrent  jusqu'à  Marseille.  i>  Nous  avons 
vu  dans  le  chapitre  précédent,  et  nous  le  verrons  avec  plus 
de  détails  dans  les  suivants,  que  ce  n'est  pas  en  731  que  le3 

observation  a  laite  au  sujet  îles  assertions  d'Antoine  de  Ruffi.  Ce  que 
nous  disons  du  fils,  nous  le  disons  aussi  du  père. 

(0  Cités  par  M.  de  Rey,  Invasion»  de*  Sarrasin»  en  Provence,  pp.  2Î2, 
225. 

(2)  M.  de  Rey,  op.  cit.,  p.  Kï. 


—  510  - 

Sarrasins  sont  arrivés  en  Provence,  mais  seulement  en  732. 
Partant,  il  n'ont  pu  pénétrer  jusqu'à  Marseille  en  731.  «  Ce  fut 
sans  doute  alors  que  tes  religieuses  de  Saint-Sauveur  se  muti- 
lèrent le  visage,  »  Ces  mots  «  sans  doute  alors  »  dénotent  que 
le  Père  Longueval  ne  tient  pas  absolument  à  fixer  ce  fait  à 
cette  date  de  731.  IL  aurait  pu,  selon  lui,  se  passer  un  peu  plus 
tard.  Dans  tous  les  cas,  son  affirmation  est  dénuée  de  preuves. 

Bouche,  dans  Y  Essai  sur  Vhiètoire  de  Provence,  choisit 
la  date  de  736.  Les  Maures  auraient  alors  occupé  Marseille 
sans  la  ravager,  par  égard  pour  Mauronte  qui  les  avait  appe- 
lés. Cependant  les  religieuses  cassianites  souffrirent  à  cette 
époque  le  martyre.  D'abord,  les  Sarrasins  ont-ils  épargné 
Marseille,  lorsqu'ils  y  sont  venus,  appelés  par  Mauronte  ? 
Il  est  bien  difficile  de  le  croire.  Si  Mauronte,  ensuite,  a  été 
assez  puissant  pour  sauvegarder  Marseille,  a-t-il  laissé  mas- 
sacrer les  vierges  cassianites  ?  Cela  ne  nous  étonnerait  pas  de 
la  part  d'un  traître  à  sa  patrie.  Mais,  en  736,  les  Sarrasins  ne 
sont  pas  arrivés  jusqu'à  Marseille.  C'est  un  peu  plus  tard. 
Nous  le  verrons  dans  les  chapitres  suivants. 

De  la  Gallia  christiana  qui  fixe  le  martyre  de  notre  sainte 
à  l'an  867,  nous  dirons  comme  tantôt,  alors  que  nous  discu- 
tions son  affirmation  au  sujet  des  Normands,  auteurs  du  massa* 
cre.  Nul  historien,  sauf  Ruffi  et  Lautard  ne  parle  de  l'arrivée 
des  Normands  à  Marseille  en  867.  Si  la  Gallia  assigne  la  date 
de  867  pour  la  destruction  des  monastères,  lorsqu'il  s'agit  de 
sainte  Eusébie  elle-même,  elle  n'indique  aucune  année  pour 
son  martyre.  Son  témoigne  donc  est  trop  faiblement  appuyé 
pour  qu'il  puisse  être  concluant  contre  nous. 

Fouque,  comme  Bouche  l'avocat,  place  cet  événement  en  736. 
Il  suppose  qu'en  cette  année  tes  Sarrasins  ont  repris  Arles  et 
Marseille.  Non,  en  736,  ces  barbares  n'ont  pas  paru  à  Marseille, 
Nous  le  verrons  aux  chapitres  suivants. 

Fabre  Aug.  assigne  la  date  de  737.  Supposant  les  Sarrasins 
dans  notre  ville,  il  leur  fait  détruire  l'abbaye  de  Saint-Victor, 
massacrer  les  Cassianites.  Cette  date  de  737  n'est  pas  exacte. 
Nous  le  verrons.  Les  Sarrasins  ne  sont  pas  venus  à  Marseille 
en  cette  année  de  737,  ils  n'ont  pu  détruire  l'abbaye  Saint- 
Victor,  qui  a  traversé  d'ailleurs  cette  crise  sans  être  renversée. 


-511  - 

Notre  cité  échappa  cette  année  au  pillage.  Il  est  vrai,  ce  ne 
fut  que  partie  remise. 

Lautard  donne,  comme  Ruffi,  la  date  de  867.  Impossible  de 
l'accepter,  faute  de  preuves,  a  II  n'existe  aucun  titre  qui  puisse 
fixer  Tépoque  de  ce  terrible  événement.  »  Soit.  De  quel  droit 
al  ors  assigne-t -il  l'année  867?  Si  Ton  ne  peut  fixer  une  date 
certaine,  on  peut  arriver  à  en  trouver  une  approximative.  «  Il 
est  probable  que  cet  événement  ne  remonte  qu'au  IX*  siècle, 
lorsque  les  Sarrasins  entrèrent  en  France.  Ce  fut  en  867  que 
ce  fléau  désola  nos  contrées.  »  Les  annales  de  Saint-Berlin  en 
disent  plus  long  que  Lautard.  Elles  parlent  de  la  venue  en 
Provence  des  Normands  en  859  et  860.  Elles  ne  disent  rien 
pour  Tannée  867.  De  plus,  elles  se  taisent  au  sujet  de  Marseille. 
Nous  croyons  les  annales  de  Saint -Bertin,  de  préférence  à 
Lautard . 

Guindon  etHéry  semblent  placer  le  martyre  de  sain  teEusébie 
en  735.  «  Chassées  de  leurs  demeures,  par  les  barbares,  en  735, 
les  religieuses  vinrent  peu  après  aux  bords  de  l'Huveaune.  » 
On  s'explique  difficilement  que  des  religieuses  ayant  été  mar- 
tyrisées dans  un  monastère,  près  des  murs  de  Marseille  pro- 
bablement, celles  qui  les  remplacent,  la  tourmente  passée, 
viennent  se  loger,  loin  de  la  ville,  aux  bords  de  l'Huveaune. 
On  comprendrait  mieux  le  contraire.  D'ailleurs,  en  735,  les 
Sarrasins  n'étaient  pas  à  Marseille. 

Magloire  Giraud  cite  les  dates  diverses  que  donnent  cer- 
tains auteurs.  Mais  il  n'ajoute  aucune  preuve;  il  se  contente 
de  préférer  l'année  858,  préconisée  par  Reinaud.  Nous  savons 
♦qu'elle  est  inacceptable. 

Bousquet  emprunte  à  H.  Bouche  la  description  que  cet  his- 
torien fait  des  invasions  des  Sarrasins  en  Provence  de  725  à 
730.  Ce  tableau  s'appliquerait  plutôt  aux  années  735  à  739. 
Car,  en  725  ou  730,  les  Sarrasins  sont  en  Aquitaine,  mais  nul- 
lement en  Provence.  Dans  ce  passage,  d'ailleurs,  H.  Bouche 
ne  parle  pas  de  sainte  Eusébie.  Le  témoignage  de  Bousquet 
n'est  pas  concluant  contre  nous. 

L'abbé  Alliez  s'en  rapportant  à  Mabillon  pour  la  date  de  732, 
que  cet  historien  assigne  au  martyre  de  sainte  Eusébie,  nous 
rappellerons  simplement  que  Mabillon  a  varié  dans  la  fixation 


—  512  - 

des  dates,  donnant  celle  de  732  dans  un  ouvrage,  celle  de  731 
dans  un  autre  qui  est  postérieur.  D'ailleurs,  aucune  preuTe 
n'est  apportée  par  le  savant  auteur  en  faveur  de  Tune  ou  de 
l'autre  de  ces  dates. 

Reinaud  a  fixé  le  martyre  de  sainte  Eusébie  en  838.  Mais 
pas  la  moindre  preuve  encore.  Il  lui  suffit  de  dire  :  «  C'est  peut- 
être  en  cette  occasion  qu'eut  lieu  le  martyre  de  cette  sainte.  » 
On  ajoutera  que  peut-être  aussi  il  a  eu  lieu  à  une  autre  époque. 

Darras,  dans  l'Histoire  générale  de  l'Eglise,  choisit  l'an- 
née 732,  comme  l'ont  fait  Mabillon,  Alliez  et  d'autres.  Mais 
il  n'apporte  aucun  fait,  aucun  document  à  l'appui  de  cette 
date.  A  ce  moment,  les  flottes  des  Sarrasins  qui  ravagèrent  la 
Septimanie  et  la  Provence  ne  vinrent  pas  à  Marseille.  Nous  le 
verrons  mieux  plus  tard . 

Rocbacker  place  l'événement  en  l'année  751 .  Aucune  preuve 
spéciale  n'est  donnée .  En  751,  les  Sarrasins  n'étaient  pas  à 
Marseille.  En  supposant  qu'une  bande  isolée  ait  accompli  cet 
odieux  méfait,  en  751,  il  n'y  a  pas  déraison  pour  supposer 
qu'ils  n'aient  pu  le  faire  à  tout  autre  moment.  Mais  alors  nous 
entrons  dans  Tordre  de  suppositions,  où  tout  est  possible. 

La  Statistique  des  Bouches-du-Rhône  assigne  au  martyre 
la  date  de  810.  C'est  une  simple  affirmation  dénuée  de  toute 
valeur,  car,  à  la  page  108  de  ce  même  ouvrage,  t.  II,  on  lit 
que  «  durant  le  règne  de  Charlemagne,  comme  l'observe  judi- 
cieusement Papon,  les  Sarrasins  ne  tentèrent  qu'une  seule  ex- 
pédition sur  la  côte  de  Provence,  du  côté  de  Nice,  en  813.  » 
Comment  en  810,  alors,  ont-ils  pu  massacrer  sainte  Eusébie  ? 

M.  André,  nous  l'avons  vu,  n'accepte  pas  la  date  737  qu'in- 
sinue l'inscription  lapidaire,  ni  celle  de  867  donnée  par  Ruffi. 
Il  préfère  celle  de  923  et  il  apporte  trois  raisons  à  l'appui. 
Nous  allons  nous  rendre  compte  qu'elles  ne  sont  pas  con- 
cluantes contre  nous.  La  charte  de  Tan  1005  dit,  à  la  vérité, 
que  :  «  gens  barbarica  ecclesias  et  monasteria  plurima  des- 
truxit  ».  C'est  bien  des  ravages  et  destructions  de  923  ou  des 
années  précédentes  qu'il  s'agit  dans  ce  document,  puisqu'ils 
ont  été  accomplis  «  un  grand  nombre  d'années  après  la  mort 
du  grand  empereur  Charles  ».  A  cette  époque,  il  y  avait  deux 
monastères  à  Marseille  :  celui  de  Saint* Victor  et  celui  des 


—  513  — 

religieuses  cassianites.  Ils  étaient  voisins  l'un  de  l'autre,  les 
chartes  de  1431  et  1446  l'affirment.  Voilà  les  monastères  qui 
ont  été  détruits.  Ces  chartes  du  XV  siècle  le  disent  en  propres 
termes,  nous  l'avons  expliqué  plus  haut,  Mais  il  ne  s'ensuit 
pas  que  sainte  Eusébie  ait  été  martyrisée  en  923.  Cette  raison 
de  M.  André  n'a  pas  grande  valeur  ! 

«  Rien,  ajoute-t-il,  avant  le  commencement  du  X-  siècle,  ne 
témoigne  de  la  ruine  de  l'abbaye  cassianite.  »  Cette  affirma- 
tion est  par  trop  exagérée.  Les  annales  de  Saint-Bertin  ne 
disent-elles  pas  qu'en  838  les  flottes  des  pirates  sarrasins  abor- 
dèrent à  Marseille,  enlevèrent  sur  leurs  vaisseaux  la  commu- 
nauté de  religieuses  qui  y  vivaient,  saccagèrent  les  églises  et 
pillèrent  leurs  trésors  ?  C'est  déjà  un  commencement  de  ruines 
de  l'abbaye  cassianite  avant  le  X°  siècle.  De  plus,  au  début  du 
IX*  siècle,  en  814,  l'abbaye  cassianite,  nous  le  savons,  était 
sous  l'administration  de  l'évéque  de  Marseille,  aussi  bien  que 
Saint-Victor,  puisque  Vadalde  faisait  l'inventaire  des  trésors 
des  deux  monastères,  en  même  temps  que  celui  des  trésors  de 
sa  cathédrale.  L'évéque  voulait  ainsi  mettre  les  biens  de  ces 
institutions  à  l'abri  de  la  cupidité  des  laïques  qui  profitaient 
des  troubles  et  des  bouleversements  de  l'époque  pour  s'em- 
parer de  ce  qui  leur  plaisait.  N'est-ce  pas  un  indice  que  le 
monastère  cassianite  avait  eu  déjà  quelque  peu  à  souffrir  ?  et 
que  partant  notre  sainte  a  pu  subir  le  martyre  très  antérieu- 
rement au  X-  siècle  ? 

«  Nous  la  voyons,  au  contraire,  ajoute  André,  riche  et  pros- 
père, par  les  divers  dénombrements  de  ses  trésors  dressés  en  788 
à  la  fin  du  IX*  siècle.  »  Les  divers  dénombrements  dont  parle 
André,  M.  le  chanoine  Albanés  les  a  donnés,  et  M"  de  Belsunce 
les  avait  insérés  dans  son  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille.  Il 
y  en  a  trois  de  818  ou  à  peu  près,  un  de  863,  un  de  870,  un  de 
871,  l'autre  de  896.  Nous  ne  contestons  pas  que,  durant  le  règne 
de  Charlemagne  et  durant  le  IX*  siècle,  l'abbaye  ait  été  floris- 
sante. Mais,  de  cette  prospérité  à  cette  époque,  conclure  qu'a- 
vant le  règne  de  Charlemagne  elle  n'ait  rien  eu  à  souffrir  de 
la  part  des  Sarrasins,  et  que  le  martyre  de  sainte  Eusébie  n'a 
pu  avoir  lieu,  c'est  aller  trop  loin.  M.  André,  en  suivant  cette 
opinion,  serait   peut-être  fort  embarrassé  de  nous  dire  de 


—  514  — 

quelle  manière  et  dans  quelles  conditions  l'abbaye  cassianlte 
a  traversé  l'époque  des  premières  invasions  des  Sarrasins,  de 
716  à  738  par  exemple?  Non,  les  raisons  de  H.  André  ne  sont 
pas  concluantes. 

H.  le  chanoine  Hagnan  semble  fixer  le  martyre  de  sainte 
Eusébie  à  l'année  730,  puisque  «  deux  ans  après  cet  évène- 
nément  toute  la  puissance  des  Sarrasins  vint  expirer  dans  la 
plaine  de  Tours,  sous  les  coups  de  Charles  Martel.  »  Or,  cette 
bataille  de  Poitiers  ayant  été  livrée  en  732,  ce  serait  donc  en 
730  qu'il  faudrait  placer  le  martyre.  Malheureusement,  il  n'y 
a  pas  de  preuve  en  faveur  de  cette  assertion.  On  ne  peut  rien 
en  conclure  contre  nous. 

M.  l'abbé  Verlaque,  en  plaçant  l'événement  qui  nous  occupe 
t  pendant  le  règne  du  faible  successeur  de  Charlemagne  (814 
à  840)  »,  fait  allusion  sans  doute  à  l'irruption  inopinée  des 
Sarrasins  à  Marseille,  en  838,  et  à  l'enlèvement  sur  leurs 
vaisseaux  des  religieuses  qui  habitaient  un  monastère  de  cette 
ville.  Mais,  comme  il  sera  dit  plus  tard,  ce  n'est  pas  en  cette 
circonstance  de  838  qu'a  été  martyrisée  notre  sainte  Eusébie. 

M.  Kothen  a  choisi  cette  même  date  et  parle  du  faible  suc- 
cesseur de  Charlemagne.  Mais  il  ne  donne  aucun  argument  à 
l'appui. 

M.  de  Rey ,  nous  l'avons  vu  tantôt,  après  avoir  passé  en 
revue  les  dates  diverses  proposées  par  les  auteurs,  et  qu'il 
n'accepte  pas,  ajoute  qu'il  est  plus  probable  que  ce  fut  au 
commencement  du  X*  siècle. . .  un  peu  après  923.  Nous  avons 
lu  et  relu  les  divers  passages  qui  ont  trait  à  notre  question, 
dans  les  deux  ouvrages  de  M.  de  Rey,  les  Invasions  des  Sar- 
rasins en  Provence,  et  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille* 
mais  nous  n'avons  pas  trouvé  de  preuves  concluantes  en  faveur 
de  cette  assertion.  L'auteur  semble  ne  s'appuyer,  en  résumé, 
que  sur  l'autorité  d'André  :  a  11  est  plus  probable,  écrit-il, 
(c'est  l'opinion  de  M.  André)?  pour  placer  cet  événement  en 
923  ou  924,  et  sur  la  nécessité  de  faire  correspondre  la  date 
cherchée  avec  une  indiction  VI',  pour  accepter  les  années  933 
ou  948.  Mais  ce  ne  sont  pas  là  des  raisons  bien  fortes.  L'opi- 
nion de  l'historien  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur 
est  sujette  à  caution»  Nous  venons  de  prouver  qu'aucune  des 


-  515  — 

assertions  qu'il  allègue  ne  soutient  la  discussion.  Quant  à 
faire  cadrer  la  date  du  martyre  de  notre  sainte  Eusébie  aveG 
l'indiction  VI*  de  l'inscription  tumulaire,  on  arrive  à  ce  résul- 
tat aussi  bien  en  prenant  une  autre  date,  celle  da  738,  par 
exemple,  que  nous  présentons. 

Quant  au  doute  dans  lequel  la  lecture  de  M.  Edmond  l&- 
blant  a  jeté  M.  de  Key,  nous  louons  fort  celui-ci  de  ne  s'y 
être  pas  arrêté.  Tenons-nous  ferme  dans  notre  tradition  de 
Marseille.  C'est  d'elle  que  nous  viendra  la  vérité  sur  ce  point 
d'histoire.  Somme  toute  cependant,  les  raisons  de  M.  de  Rey 
n'ébranlent  pas  notre  opinion. 

M.  Grinda,  «  tenant  à  considérer  l'inscription  d' Eusébie 
comme  l'épitapbe  de  la  sainte  que  l'Eglise  honore  à  Marseille, 
croit  que  l'on  peut  faire  remonter  la  date  de  son  martyre  à  la 
fin  du  V*  siècle.  Il  partage  volontiers  l'opinion  de  Guesnay, 
qui,  dans  Cassianua  illustratus,  dit  que  sainte  Eusébie 
fut  martyrisée  vers  la  fin  du  Y*  siècle  (1).  Et  de  fait,  étudiant 
l'épitaphe,  M.  Grinda  fixe  cette  date  à  l'année  497.  Nous  disons 
que  cette  date  est  inacceptable,  les  preuves  apportées  à  l'appui 
ne  jouissant  pas  d'une  grande  valeur. 

La  première  de  ces  preuves  est  l'inscription  lapidaire  de 
sainte  Eusébie.  C'est  à  la  fin  du  V*  siècle  que  Grinda  rapporte 
ce  monument  épigraphique.  a  II  est  conçu,  dit-il,  dans  le 
style  et  suivant  les  formules  usitées  à  la  fin  du  VB  siècle.  »  Or, 
il  a  été  prouvé  plus  haut  que  cette  inscription  n'appartenait 
pas  au  Ve  siècle.  »  Donc,  cette  raison  ne  vaut  pas  contre  nous. 

Il  partage  volontiers  l'opinion  de  Gueanay,  qui  place  le 
martyre  vers  la  fin  du  Vô  siècle.  Mais  l'affirmation  de  Guesnay 
est  loin  d'être  incontestée,  nous  l'avons  vu  lorsqu'il  s'est  agi 
de  cet  auteur. 

Enfin,  a  un  autre  détail  vient  corroborer  l'époque  (du  V-  siè- 
cle) que  nous  assignons  à  cette  épitaphe  ;  il  y  est  fait  mention 
du  monastère  de  Saint-Cyr,  titre  que  portait  cette  maison  auV* 
siècle.  »  Or,  nous  avons  dit  et  prouvé  que  cette  maison  a  porté 
ce  vocable,  particulièrement  au  V*  siècle  ;  que  saint  Amator 


(1)  Grinda,  Monographie  de  Vabbaye  de  Saint- Victor-lez-Marseille, 
dans  VEcho  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  nM  344,  345,  année  1888. 


—  516  — 

a  pu  transférer  en  Gaule  les  reliques  de  saint  Cyr,  mais  qu'il 
n'en  a  pas  laissé  aux  Gassianites  de  Marseille  ;  que  le  bras  de 
saint  Cyr  a  pu  être  porté  à  Neversetde  Nevers  au  monastère  de 
Saint-Amand  (Elnone),  diocèse  de  Tournai  (1).  Mais  à  quelle 
époque  ont  été  faites  ces  translations  ?  Celle  d'Auxerre  à  Ne- 
vers  a  eu  lieu  antérieurement  à  877,  puisqu'un  diplôme  de 
Charles  le  Chauve,  du  temps  d'Abbon,  évoque  de  cette  ville, 
affirme  que  la  cathédrale  de  Nevers  était  dédiée  au  saint  mar- 
tyr (2).  Celle  de  Nevers  à  Elnone  fut  faite  par  un  moine  du 
nom  d'Hucbald,  vers  Tannée  860  peut-être.  Dans  tous  les  cas, 
on  ne  peut  affirmer  que  les  religieuses  cassianites  ont  reçu 
une  part  de  ces  reliques' lors  de  ces  translations.  Il  faudrait 
une  preuve.  Et  cette  preuve  nul  ne  la  donne.  Il  faudrait, 
enfin,  pouvoir  déterminer  à  quelle  date  ces  reliques  furent 
cédées  aux  Cassianites.  Et  ce  détail  nul  ne  le  fournit.  Cette 
dernière  raison  de  M.  Grinda  n'est  pas  concluante,  et  son 
affirmation  :  que  cette  épitaphe  d'Eusébie  date  du  V*  siècle  et 
de  497,  se  trouve  en  l'air. 

(1)  On  ne  sait  ni  quand,  ni  comment  les  reliques  de  saint  Cyr  vinrent 
d'Auxerre  à  Nevers.  On  croit  savoir  comment  et  quand  elles  vinrent  de 
Nevers  à  l'abbaye  de  Saint-Amand  de  Tournai.  Un  moine  de  Saint- 
Amand,  Hucbald,  les  aurait  prises  à  Nevers  et  en  aurait  doté  son  mo- 
nastère, vers  860.  C'est  à  cette  occasion  que  ce  moine  aurait  écrit  une 
Passion  de  saint  Cyr  et  de  sainte  Julitte,  en  se  servant  d'un  manuscrit 
contenant  une  relation  apocryphe  rédigée  en  grec,  et  qu'il  corrigea  quel- 
que peu.  Ce  détail  du  pieux  larcin  opéré  par  Hucbald  ne  nous  est 
connu  que  par  une  lettre  écrite  à  Jean,  abbé  de  Saint-Amand  de  Tour- 
nai en  1579-1592,  par  Philippe,  abbé  du  monastère  des  Prémontrés  de 
Bonœ  Spei.  [Acta  Sanciorum  Boll.  :  Vies  de  saint  Amator,  l*r  mai, 
de  saint  Cyr,  t.  III,  de  juin.  —  Œuvres  d'Hucbald,  Patrologie  latine, 
édit.  Migne,  t.  CXXXII,  col.  815.) 

(2)  «  Ostendisti  prœcepta  genitoris  in  quibus  erat  insertum,  qualiter 
idem  dominus  genitor  quasdam  res  suas  proprietatis  ecclesiae  Nivernensi 
quse  est  in  honore  sancti  Cyricii  martyris  constructa,  contulerit.  »  Acta 
San ctoim m  Boll.  :  saint  Cyr,  t.  III,  de  juin. 


CHAPITRE  III 

Les  preuves  alléguées  contre  la  date  de  738 

ne  sont  pas  reçevables, 

FAIBLESSE  DES  BAISONS  QU'APPORTENT,  CONTEE  CETTE  DATE  DE  738, 
H.  BOUCHE,  BOUCHE,  BBINAUD,  ALLIEZ,  ANDRÉ,  ETC. 

Les  Sarrasins  ont  pu  massacrer  notre  sainte  Eusébie  durant 
Tannée  738,  à  Marseille. 

Rien  ne  s'y  oppose.  Nous  n'avons  trouvé  que  quelques  au- 
teurs qui  ne  veulent  pas  de  cette  date.  Ce  sont  H.  Bouche,  Bou- 
che, Reinaud,  André,  etc. 

H.  Bouche  écrit  que  «  pour  la  ville  de  Marseille,  qui  -était 
à  leur  dévotion,  il  y  a  apparence  que  pour  l'amour  de  Mau- 
ronte,  son  gouverneur,  elle  ne  fut  pas  forcée  (1).  »  H.  Bouche 
suppose  aux  Arabes  des  sentiments  de  reconnaissance  que  leur 
férocité  n'engage  guère  à  admettre.  Mauronte  leur  livrait  la 
Provence,  le  reste  leur  importait  peu  ;  ils  ne  se  piquaient  point 
d'autant  de  fidélité. 

La  raison,  d'ailleurs,  de  H.  Bouche  ne  vaut  rien.  Il  suppose, 
en  effet,  qu'Arles  et  Avignon  leur  résistèrent  à  ce  moment. 
Ceci  est  faux.  Les  annales  du  temps  (2)  disent,  au  contraire, 
que  ces  villes  furent  occupées  sans  combat.  La  ville  d'Arles 
fut  prise  sans  coup  férir  :  «  Arelate  civita  pace  ingreditur  » . 
Avignon  fut  prise  par  ruse  et  trahison  ;k  a  iusidiantibus  inflde- 
libus  hominibus,  sub  dolo  et  fraude  Mauronto  » .  Or,  ces  villes 
qui  leur  furent  livrées  par  des  traîtres,  comment  les  ont-ils 
traitées  ?  A  Arles,  ils  s'emparent  des  trésors  de  la  ville  et  des 
habitants  et  ravagent  les  environs:  «  thesauroscivitatis  invadit 


(1)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  700. 

(2)  Voir  le  texte  des  annales  dans  Reinaud,  op.  cit. ,  pp.  54,  55.  —  De 
Rey,    Invasions  des  Sarrasins  en  Provence ,  p.  35,  etc. 


—  518  - 

et  Arelatensem  provinciam  depopulat  » .  A  Avignon,  ils  font 
de  même  :  ils  saccagent  les  environs,  sans  épargner  la  cité, 
car  ils  renversent  les  autels,  et  détruisent  l'église  de  Sainte- 
Marie  (1).  Telle  fut  la  récompense  de  la  trahison  de  Mauronte. 
Marseille  aurait  eu  un  meilleur  sort?  Non,  ils  l'ont  saccagée 
en  dépit  de  Mauronte. 

Bouche,  l'avocat,  dit  aussi  :  «  Dans  ce  désastre  général, 
Marseille  fut  épargnée,  non  que  cette  ville  eût  paru  plus  redou- 
table aux  Maures  que  tout  autre,  mais  parce  que  Mauronte, 
qui  en  était  gouverneur,  avait  fait  alliance  avec  eux  ou,  comme 
le  pensent  d'autres  historiens,  les  avait  appelés.  On  croît  même 
que  ce  fut  lui  qui  leur  livra  les  villes  d'Avignou  et  d'Arles, 
etc. . .  (2).*  Il  ne  servit  de  rien  à  Arles  et  à  Avignon  d'avoir  été 
livrées  à  l'ennemi  par  Mauronte,  ces  deux  villes  furent  pil- 
lées et  saccagées.  «  Les  Sarrasins,  étant  entrés  de  nouveau  en 
Gaule,  écrit  Paul  Diacre,  vinrent  jusqu'en  Provence  et,  s'étant 
emparés  d'Arles,  ils  ruinèrent  tout  aux  environs.  »  Sigebert 
dit  de  même  :  «  738.  Arles,  ville  des  Gaules,  prise  par  les  Sar- 
rasins, et  toutes  choses  ruinées  tout  à  l'entour. . .  (3).»  Il  dut 
en  être  de  même  pour  Marseille;  cela  ne  fait  aucun  doute 
pour  nous. 

Reinaud,  l'historien  des  Invasions  des  Sarrasins  en  France, 
a  émis  la  même  opinion,  a  II  est  probable,  dit-il,  que  par 
considération  pour  Mauronte,  qui  les  avait  appelés  et  qui 
aspirait  à  être  maître  du  pays,  ils  ne  se  livrèrent  pas  aux 
mêmes  violences  qu'en  d'autres  contrées  (4).»  Même  observa- 
tion que  plus  haut.  Les  Arabes  n'étaient  point  accessibles  à  de 
tels  sentiments.  On  avait  beau  stipuler  avec  eux  avant  de  ren- 
dre des  villes.La  ville  rendue,  les  habitants  désarmés,  c'était 
le  pillage,  l'incendie,  et  les  plus  hideuses  ignominies  qui 
commençaient. 

Alliez,  dans  V Histoire  du  monastère  de  Lèrins,  après  avoir 
parlé  des  ravages  commis  par  les  Sarrasins  en  Aquitaine, 
ajoute  :  «Nous  ne  trouvons  rien  de  semblable  dans  les  annales 

(1)  De  Rey,  op.  cit.,  p.  36.  —  Gallia  christiana,  t. 1,  col.  802,  803. 

(2)  Bouche,  Essai  sur  l'Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  189. 

(3)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  43. 

(4)  Reinaud,  op.  cit.,  p.  63. 


J 


—  519  —  i 


de  Provence  ;  l'alliance  de  Mauronte  avec  les  Sarrasins  devait 
empêcher  de  semblables  luttes  (1).t>  Mauronte  gouvernait  aussi 
bien  Arles,  Avignon  que  Marseille.  Il  était  à  la  fois  gouverneur 
de  Marseille  et  de  la  Provence.  Or,  Paul  Diacre,  Sigebert, 
Ekkeard  disent  que  Arles  fut  saccagée  et  toutes  choses  ruinées 
à  l'en  tour  (2).  A  quoi  servait  donc  l'alliance  de  Mauronte,  si 
elle  ne  sauvait  pas  Arles  et  Avignon?  Marseille  ne  fut  pas  pri- 
vilégiée sur  ce  point. 

André  a  donné  la  môme  raison  :  a  L'alliance  que  les  Sarra- 
sins contractèrent  avec  Mauronte,  duc  ou  gouverneur  de  la 
Provence,  était  un  puissant  motif  pour  porter  ces  infidèles  à 
respecter  dans  le  pays  les  personnes  et  les  propriétés  (3).*  En 
réalité,  Mauronte,  qui  avait  appelé  les  Sarrasins  &  son  aide, 
était  sous  leur  dépendance,  et,  comme  il  arrive  toujours  en 
pareille  circonstance,  les  alliés  faisaient  ce  qu'ils  voulaient, 
et  pour  le  pillage  d'un  couvent  de  religieuses,  Mauronte,  qui 
trahissait  sa  patrie,  n'allait  pas  rompre  avec  les  Sarrasins. 

L'auteur  de  la  Vie  des  saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  après 
avoir  raconté  brièvement  les  efforts  que  Charles  Martel  fit  pour 
vaincre  et  chasser  de  Provence  en  737  et  739  les  Sarrasins, 
ajoute  :  «  Nous  ne  croyons  pas  que  ce  soit  dans  ces  premières 
expéditions  que  les  Gassianites  aient  trouvé  la  mort.  Les  évé- 
nements de  la  guerre  étaient  connus,  le  retour  de  l'armée  vain- 
cue ne  fut  pas  une  surprise  et  il  était  facile  à  l'abbesse  de 
prendre  toutes  les  mesures  nécessaires.  D'ailleurs,  les  Sarra- 
sins passèrent  seulement  par  Marseille,  peut-être 'même  ils 
n'y  entrèrent  pas,  serrés  de  près  par  l'armée  de  leur  vain- 
queur f4).» 

Nous  le  prouverons  bientôt,  ce  fut  durant  l'année  738  qu'eut 
lieu  le  massacre  desCassianites.  Or,  durant  presque  toute  cette 
année,  Mauronte  fut  à  Marseille,  avec  ses  bandes  de  Sarra- 
sins, qui  durent  se  dédommager,  par  le  pillage  et  les  désordres, 
de  la  frayeur  que  l'arrivée  imprévue  de  leur  vainqueur,  en 

(1)  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  t.  I,p.  413. 

(2)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  43. 

(3)  André,  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur, 
p.  11. 

(4;  De  Rey,  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  p.  229» 


—  520  — 

737,  et  ses  coups  terribles  leur  avaient  occasionnée.  L'ennemi 
était  à  Marseille  même,  que  pouvait  faire  l'abbesse  Eusébie 
pour  arracher  ses  compagnes  au  péril  et  à  la  mort?  La  situa- 
tion  était  sans  issue,  il  fallait  se  confier  à  Dieu  seul  ;  Dieu  les 
préserva  de  toute  ignominie  en  leur  donnant  le  courage  et  la 
grâce  du  martyre. 

D'ailleurs,  pour  quelques  auteurs  qui  ont  supposé  que  la 
présence  de  Mauronte  sauva  Marseille  du  pillage,  de  l'incen- 
die et  de  toutes  les  horreurs,  il  en  est  d'autres,  et  en  grand 
nombre,  qui  affirment  le  contraire.  Guesnay,  M"  de  Belsunce, 
Ruffi,  Papon,  Paillon,  Fabre,  Fouque,  Bousquet,  Lautard, 
Guindon  et  Méry,  etc.,  etc.,  disent  que  les  Sarrasins  y  commi- 
rent mille  atrocités,  et  ils  sont  bien  loin  de  supposer  que  pour 
l'amour  et  la  considération  de  Mauronte  Marseille  fut  épar- 
gnée. 


DEUXIEME  PARTIE 


NOTRE  THÈSE 

Sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les  Sarrasins  en  738 


PREMIÈRE  SECTION 

PREUVES    NÉGATIVES 


CHAPITRE  PREMIER 


Les  Vandales  n'ont  pas  martyrisé  sainte  Eusébie. 


LES  VANDALES  EN  GAULE  EN  406-407.—  ILS  NE  VIENNENT  PAS  EN  PRO- 
VENCE A  CE  MOMENT.  —  DE  409  A  429,  ILS  SONT  EN  ESPAGNE.  —  ILS 
PASSENT  EN  AFRIQUE.  —  PRISE  DE  CARTHAGE  EN  439,  DE  ROME  EN 
455.  —  MORT  DE  GENSÉRIC  EN  477.—  ILS  NE  SONT  PAS  VENUS  EN 
PROVENCE  A  CETTE  ÉPOQUE.—  HUNÉRIC  PERSÉCUTEUR  (484).  —  GUN- 
TABUNDE  PACIFIQUE  (496).  —  TRANSAMUNDE  PERSÉCUTEUR  (529).  — 
HILDÉRIC  BON  (531).—  GÉLIMER,  PERSÉCUTEUR,  EST  DÉTRÔNÉ  EN  535. 
—  ILS  NE  SONT  PA8  VENUS  EN  PROVENCE  A   CETTE  ÉPOQUE.  • 


Les  Vandales  passent  à  pied  sec  le  Rhin  glacé,  dans  la  nuit 
du  31  décembre  au  1"  janvier  406-407,  en  compagnie  d'autres 
barbares,  les  Alains,  les  Gépides,  les  Hérules,  les  Burgundes, 
les  Suèves  (1).  Us  traversent  la  Gaule  du  nord  au  sud;  et, 

(1)  Précis  d1  Histoire  de  France  et  du  Moyen  âge,  par  II.  Chevalier, 
p.  62.  —  Histoire  de  Provence*  par  Augustin  Fabre,  t.  I,  p.  238.  — 
Oareste,  Histoire  de  France,  1. 1,  p.  148.  —  Marcus,  Histoire  des  Van- 
dales, p.  59. 


—  522  — 

franchissant  les  Pyrénées  en  409,  ils  entrent  en  Espagne  (1). 
Durant  ces  deux  années,  les  Vandales  pillent  et  saccagent  la 
Gaule,  incendiant  les  villes  de  Mayence,  de  Reims,  d'Amiens, 
d'Arras,  de  Tournai,  ravageant  l'Aquitaine,  la  Novempopu- 
lanie.  la  Narbonnaise.  Lyon,  Avignon,  Toulouse  les  voient 
sous  leurs  murailles.  Quelques  villes  t  praeter  paucas  urbes  » 
échappent  seules  à  la  férocité  de  ces  hordes,  et  encore,  pen- 
dant que  le  fer  de  ces  barbares  fait  périr  ceux  qui  habitent 
hors  de  ces  villes,  la  famine  fait  mourir  ceux  qui  s'abritent 
dans  leurs  murs. 

Tel  est  le  tableau  que  peint  saint  Jérôme  de  ces  horreurs, 
dans  sa  lettre  à  Agerruchia  (2).  Salvien,  prêtre  de  Marseille, 
témoin  de  ces  atrocités,  renchérit  encore  sur  saint  Jérôme  en 
les  racontant  :  «  Toutes  les  villes  ne  semblaient  être  qu'un 
vaste  bûcher.  L'incendie  éteint,  les  malheurs  devenaient 
plus  grands  encore.  Ceux  que  l'ennemi  avait  épargnés  suc- 
combaient plus  tard  dans  la  misère.  Les  uns  mouraient  de 
faim,  les  autres  se  traînaient  dans  une  affreuse  nudité  ;  ceux- 
ci  séchant  de  langueur,  ceux-là  d'effroi.  Des  cadavres  sans 
nombre,  couverts  de  blessures,  déchirés  par  les  oiseaux  de 
proie,  encombraient  les  rues  des  cités,  et  de  cet  amas  de 
pourriture  s'exhalait  une  odeur  iufecte,  véritable  peste  pour 
ceux  qui  survivaient  (3).  » 

Notre  ville  de  Marseille  eut-elle  à  souffrir  de  ce  passage 
des  barbares,  à  travers  la  Gaule  ?  Augustin  Fabre  dit  bien  que, 
«  sous  la  conduite  de   Crocus,  leur  chef,  les  Vandales  s'éten- 


(1)  Historia  Persecutionis  Vandalicœ  studio  Theodorici  Ruinart, 
index  chronologicus  persecutionis  vandalicœ. —  Marcus,  Histoire  des 
Vandales,  p.  82. 

(2)  «  Moguntiacum,  nobllis  quondam  civitas,  capta  atque  subversa 
est...  Vangiones  longâ  obsidione  delati. ..  Remorum  urbs  prœpotens, 
Ambiant,  Atrebatœ  :  extremique  hominum  Morini,  Tornacus,  Nemete, 
Argentoratus  translati  in  Gerraaniam,  Aquitaniae  Novemque-populorum, 
Lugdunensis  et  Narbonensis  provincia?,  praeter  paucas  urbes,  populata 
sunt  cuncta,  quas  et  ipsas  foris  gladius  et  intus  vastat  famés.  »  Epistola 
Hyeronymi  ad  Agerruchiam .  —  Marcus,  Histoire  des  Vandales,  p.  75. 

(3)  c  Omnis  civitas  bustum  erat,  malis  et  post  incendia  crescentibus. 
Nam  quos  hostis  in  excidio  non  occiderat,  post  excidium  calamitas 
obruebat.  »  Salvien,  De  gubematione  Deit  lib.  VI. 


-  523  - 

dirent  des  deux  côtés  du  Rhône,  ravagèrent  toutes  les  villes 
voisines,  Saint-Paul  Trois-Châteaux,  Valence,  Orange,  Vai- 
son,  Carpentras,  Apt,  Avignon,  Uses,  NimeB,  Agde.  »  A  un 
autre  endroit,  il  est  écrit  :  a  Quelques  historiens  affirment 
qu'Arles  fut  prise  par  les  barbares,  d'autres  ont  cru  que  les 
Vandales  mirent  seulement  le  siège  devant  cette  capilale(l).» 
On  ne  peut  guère  inférer  de  ces  textes  que  Marseille  ait  vu 
les  Vandales  dans  ses  murs.  Où  Fabre  a-t-il  puisé  ce  rensei- 
gnement? Il  ne  l'indique  pas.  Peut-être  dans  la  Gallia 
Chrisliana.  Dans  les  Instrumenta  ad  provinciam  Avenio- 
nensem  pertinsnlia,  quœ  apectant  ad  metropolim  Ave- 
nionensem,  un  document  que  D.  Polycarpe  de  la  Rivière 
a  extrait  d'un  vieux  manuscrit  mentionne,  dans  le  même 
ordre  que  l'a  fait  Augustin  Fabre,  les  villes  dont  il  parle, 
et  on  lit  qu'elles  furent  dévastées  par  un  certain  Crocus. 
Hais,  de  l'aveu  de  ce  manuscrit,  ce  Crocus  était  roi  des  Ale- 
mans (2).  Grégoire  de  Tours,  qui  en  parle  aussi,  le  fait  roi  de 
ce  peuple  (3).  Marcus  (4),  dans  ['Histoire  des  Vandales,  dit 
la  môme  chose.  Ensuite,  l'expédition  de  ce  Crocus,  roi  des 
Alemans,  dans  l'intérieur  de  la  Gaule,  remonte  à  l'année  265 
environ.  C'est  le  témoignage  formel  de  Grégoire  de  Tours. 
Parlant  de  Valérien  et  de  Gratien,  empereurs,  sous  lesquels 
souffrirent  le  martyre  le  pape  Corneille  a  Rome,  et  saint 
Cyprien  à Carthage,  cet  auteur  écrit:  *  Sous  le  règne  de  ces 
empereurs.  Crocus,  roi  des  Alemans,  ayant  rassemblé  son 
armée,  fit  invasion  dans  la  Gaule  (5).  »  C'est  l'opinion  delà 
Gallia  christiana,  qui  se  demande  u  comment  au  VI'  siècle 
Grégoire  de  Tours  aurait  pu  ignorer  la  dévastation  et  les  massa- 
cres que  ce  Crocus  aurait  accomplis  au  V,  si  ce  Crocus  avait 
conduit  des  Vandales  (6).  »  La  première  affirmation  d'Augus- 
tin Fabre  est  donc  sans  valeur. 

(I)  Fabre  Aug.,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  pp.  238  et  210. 
(î)  Gallia  ctiriêliana,  t.  I,  /nafrumenla, p.  137. 

(3)  Gregorii  Turonensis  Historia  Francorum,  lib.  I,  cap.  32. 

(4)  Marcus,  Histoire  des   Vandales,  pp.  13  el  80  des  notes. 

(5)  t  Horiim  tempore  et  Crocus  il  le  Alemanorum  dux,  commoto  exer- 
citu,  Uallias  pervagavlt.  •  Gregorii  Turonensis  Historia  Francorum, 
lib.  I,  cap.  32. 

(6)  Gallia  clirittiana,  t.   1,  Instrumenta,  p.  137,  note. 


-  524  — 

N'en  serait-il  pas  de  môme  de  la  seconde?  Il  a  pu  pour 
celle-ci  s'en  rapporter  à  H.  Bouche,  qui  à  la  date  de  407  écrit  : 
«  C'est  à  ce  temps  qu'il  faut  placer  la  capture  d'un  Crocus, 
un  des  conducteurs  de  ces  Vandales,  qui,  après  avoir  désolé 
une  grande  quantité  de  villes  des  Gaules,  vint  enfin  mettre  le 
siège  devant  celle  d'Arles.  Et,  comme  il  croyait  de  la  prendre, 
il  y  fut  surpris  par  la  vaillance,  les  uns  disent  de  Marion, 
évéque,  les  autres  d'un  grand  capitaine,  nommé  Marius(l).  » 

Ce  n'est  pas  au  V€  siècle  qu'il  faut  placer  le  siège  d'Arles  par 
ce  Crocus  et  ses  barbares.  Arles  fut  assiégée  vers  410  ou  411  par 
Constance,  général  de  l'empereur  Honorius,  afin  d'en  chasser 
Constantin,  soldat  de  fortune  qui  s'était  fait  élire  empereur 
des  Gaules  par  ses  soldats.  Arles  fut  prise  ;  Constantin,  pour 
échapper  à  la  mort,  se  fit  ordonner  prêtre  par  l'évêque  d'Arles, 
alors  Héros.  Voilà  ce  que  disent  Saxi,  dans  le  Pontificium 
Arelatense  (2)  ;  Lalauzière,  dans  Y  Abrège  chronologique  de 
l'histoire  d  Arles  (3)  ;  Dareste  dans  V Histoire  de  France  (4). 
Mais  du  siège  d'Arles  par  Crocus,  au  V#  siècle,  pas  un  mot.  Il 
est  parlé,  dans  le  Pontificium  Arelatense,  de  l'épiscopat  de 
Marinus,  vers  Tan  300  (5)  et,  dans  V Abrège  chronologique  de 
V histoire  d'Arles,  sous  la  date  de  260  (6).  Ainsi  la  seconde  affir- 
mation de  Fabre  ne  vaut  pas  davantage  que  la  première.  Arles 
donc  ne  fut  pas  attaquée  par  les  Vandales  (7)  et  Marseille  non 
plus  n'eut  pas  à  supporter  de  telles  horreurs. 

Notre  ville  fut  du  nombre  de  celles  qui  furent  épargnées, 
a  On  ne  croit  pas,  dit  M8r  de  Belsunce,  que  les  Vandales  aient 
fait  irruption  en  Provence,  tout  au  moins  dans  la  partie  sud  de 

(t)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  565. 

(2)  Saxi,  Pontificium  Arelatense  p.  27. 

(3)  Lalauzière  Abrégé  chronologique  de  l'histoire  d'Arles,  p.  51. 

(4)  Dareste,  Histoire  de  France,  1. 1,  p.  152. 

(5)  Saxi,  Pontificium  Arelatense  :  «  Illius  enim  muros  Arelatis,  Crocus 
dux  Alemanorum  sub  Mariano  prœside,  sed  legendum,  sub  Martiano 
prœside,  credo,  solo  aequarrat.  »  Page  9. 

(6)  Lalauzière,  op.  cit.,  p.  36. 

(7)  Arles  était  une  des  plus  fortes  places  de  la  Gaule  romaine  à  cette 
époque.  Le  patrice  y  résidait,  ainsi  qu'un  certain  nombre  de  grands  otû- 
ciers  et  dignitaires  de  l'empire  romain.  Les  troupes  y  étaient  toujours 
nombreuses.  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  10  et  suiv. 


—  5-25  — 

cette  province  (1).  »  Saint  Jérôme,  qui  énumère  les  villes  et 
les  provinces  saccagées,  ne  dit  rien  de  la  nôtre  (2).  Et  Salvien 
témoin  de  ces  horreurs,  ne  fait  pas  supposer  que  la  ville  de 
Marseille,  qu'il  habita,  ait  eu  à  souffrir  de  ces  barbares  (3).  Si 
donc  déjà,  à  cette  époque,  le  monastère  cassianite  avait  été 
fondé  parCassien,  comme  le  pensent  ceux  qui  le  font  arriver 
de  Rome  à  Marseille  vers  406,  ce  n'est  pas  durant  le  cours  de 
ces  années  qu'il  a  pu  être  ravagé.  Pour  nous  qui  croyons  que 
ce  n'est  guère  que  vers  415  ou  420  que  Càssien  a  fondé  ces  deux 
monastères,  il  est  évident  que  les  Vandales,  fussent-ils  venus 
jusqu'à  Marseille,  n'auraient  pu  les  détruire. 

Les  Gaules  n'offrant  plus  rien  à  leur  rapacité,  les  barbares 
franchissent  les  Pyrénées  en  409  (4)  «  et  promènent  en  Espagne 
les  mêmes  feux  dont  ils  ont  incendié  la  Gaule  (5).  »  Un  chro- 
niqueur d'Espagne,  témoin  attristé  de  ces  horreurs,  s'écrie  : 
«  Ivres  de  fureur,  avides  de  carnage,  les  barbares  se  sont  jetés 
sur  l'Espagne  et,  mettant  à  profit  la  terreur  que  produit  sur 
tous  une  peste  affreuse  qui  désole  ces  contrées,  ils  pillent  tout. 
La  famine  y  produit  de  tels  ravages,  que  lès  hommes  se  sont 
dévorés  entre  eux,  des  mères  dénaturées  ont  mis  à  mort  leurs 
enfants,  en  ont  fait  cuire  les  membres  délicats  et  s'en  sont 
nourries  (6).  «Saint  Augustin,  rappelant  ces  abominations,  disait 
dans  une  lettre  :  «  Les  pauvres  évéques  d'Espagne  ont  dû  fuir 
de  leurs  cités.  Du  troupeau  qu'ils  avaient  à  conduire,  partie 


(1)  De  Belsunce,  Antiquité  de  V église  de  Marseille,  t.  I,  p.  388. 

(2)  Saint  Jérôme.  Epistola  ad  Agerruchiam.  —  Salvien,  De  guber- 
natione  Dei  (ut  supra). 

(3)  Voici  Tordre  dans  lequel  les  provinces  gauloises  furent  saccagées 
par  les  Vandales  :  <  Oe  solo  patrio,  gens  Vandalorum  effusa  est  in  Ger- 
maniam  primam,  post  cujus  exitium  primum  arsit  regio  Belgarum, 
deinde  opes  Aquitanorum  luxuriantium . . .  »  De  gubernatione  Dei, 
liv.  Vil. 

(4)  Ruinart,  Historia  Persecutionis  Vandalicœ ,  p .  199  —  Marcus, 
Histoire  des  Vandales,  p.  82  :  «  Ce  fut  le  11  ou  le  29  octobre  409,  un 
mardi,  qu'ils  entrèrent  en  Espagne.  » 

(5)  «  Flammis  quibus  arserant  Galli,  Hispanos  etiam  arsisse...  i  Sal- 
vien, De  gubernatione  Dei,  lib.  VII. 

(6)  Idacius  Lemicensis,  évêque  dé  la  Galice,  cité  par  IX  Ruinart,  op.  cit.\ 
p    199. 

34 


—  526  — 

a  pris  la  faite,  partie  a  succombé  sous  le  fléau,  partie  a  péri  de 
misère  durant  le  siège.  Le  reste  a  été  conduit  en  captivité  (1).  » 
En  vain,  les  armées  romaines  marchèrent  contrôles  envahis- 
seurs, elles  furent  repoussées.  Les  vainqueurs  se  partagèrent 
la  malheureuse  Espagne.  Les  Suèves  s'établirent  en  Galice, 
les  Alains  dans  la  Lusitanie,  les  Vandales  se  cantonnèrent  dans 
la  Bétique  (2). 

La  guerre  finie  (3),  la  persécution  commence.  Ariens,  ils 
veulent  que  toute  l'Espagne  embrasse  leurs  erreurs  et  mettent 
en  œuvre  les  tourments  et  la  mort  pour  contraindre  les  chré- 
tiens à  les  imiter.  Cet  état  de  choses  dura  jusqu'en  429  (4). 

Est-ce  à  cette  époque  que  les  Vandales  ont  détruit  notre 
monastère  cassianite  ? 

Gela  n'est  guère  possible.  De  l'année  409,  où  ils  entrent  en 
Espagne,  à  Tan  415,  les  Vandales  sont  uniquement  occupés  à 
piller,  saccager  ces  contrées  malheureuses  qu'ils  ont  envahies. 
On  ne  peut  supposer  qu'ils  soient  arrivés  jusqu'à  Marseille, 
pour  y  détruire  nos  monastères,  puisque  ces  monastères,  on 
l'a  dit,  n'existaient  pas  (5). 

De  l'année  415  à  l'an  419  les  Vandales  luttent  contre  Vallia, 
roi  des  Visigoths,  qui  a  accepté  de  les  combattre  en  Espagne 
pour  le  compte  des  Romains  et  qui  les  a  refoulés  et  cantonnés 
en  Bétique  (6).  Ce  n'est  pas  encore  dans  cet  espace  de  trois 

(1  )  Saint  Augustin,  Epistolaad  Honoratum,  cité  par  D.  Ruinart,  op.  cit., 
p.  199. 

(2)  D,  Ruinart,  op.  cit.,  p.  200.  —  Marcus,  Histoire  des  Vandales, 
p.  84. 

(3)  D.  Ruinart,  op.  cit.,  pp.  199,  200. 

(4)  «  Per  idem  tempus  persecutionem  in  Christianos  Trasimundus 
(Gonsericus)  exercuit  ac  totam  Hispaniam  ut  ad  perfidiam  arianae 
sectae  consentirent  tormentis  ac  diversis  mortibuaimpellebat.  »  Grego- 
rii  Turonenais  Historia  Francorum,  lib.  II,  cap.  2. 

(5)  D'ailleurs,  à  cette  époque,  vers  412,  le  comte  Boniface  veillait  à  Mar- 
seille, et  défendait  cette  ville,  avec  ses  légions  romaines,  contre  Ataulphe 
et  ses  Visigoths  qui  voulaient  s'en  emparer.  (Papon,  Histoire  générale 
de  Provence,  t.  II,  p.  24.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I, 
p.  243.) 

(6)  Augustin  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  245.  —  Papon, 
Histoire  générale  de  Provence,  t.  II,  p.  28.  —  Marcus,  Histoire  des 
Vandales,  p.  106. 


—  527  — 

années  qu'ils  sont  venus  chez  nous.  De  419  à  429,  les  Vanda- 
les ont  recommencé  leurs  courses.  A  cette  époque,  ils  se  livrent 
à  la  piraterie.  Les  chroniqueurs  attestent  qu'ils  ont  pillé  les 
Baléares,  la  Corse,  renversé  Garthagène,  Hispalis  et  d'autres 
puissantes  cités  (1).  Mais  on  ne  peut  admettre  qu'ils  aient 
dévasté  Marseille.  Marseille,  Arles,  la  province  romaine 
ne  sont  pas  sans  défense ,  à  cette  époque.  Arles  est  tou- 
jours défendue  par  des  troupes  romaines,  tantôt  contre  les 
empereurs  usurpateurs  Constantin,  Maxime,  tantôt  contre 
leurs  généraux.  Ce  sont  Constance,  Aetius  qui  y  gouver- 
nent (2).  Marseille  a  une  puissante  garnison.  Nous  l'avons  vu, 
en  413,  le  comte  Bonif ace,  qui  y  réside,  en  éloigne,  en  lui 
infligeant  une  sanglante  défaite,  les  Visigoths  ;  il  n'est  guère 
probable  qu'une  bande  de  Vandales  y  ait  commis  quel- 
ques ravages.  C'eût  été  plutôt  le  fait  des  Visigoths,  qui 
parfois  cherchaient  à  reprendre  Arles  ou  Marseille.  Aucun 
texte  cependant  ne  mentionne  leur  présence  en  notre  ville. 
D'ailleurs,  Salvien,  qui  a  vécu  à  Marseille  et  qui  a  écrit  son 
traité  De  gubernatione  Dei>  dans  lequel  il  raconte  les  ravages 
des  Vandales,  aurait  incontestablement  fait  mention  de  leur 
venue  en  notre  ville.  Donc,  ce  n'est  pas  de  409  à  429. 

En  cette  année  429,  au  mois  de  mai,  quatre- vingt  mille 
Vandales  franchissent  le  détroit  de  Gabès  (Gibraltar)  (3)  et 
abordent  en  Afrique  sous  la  conduite  de  leur  roi  Genséric. 
C'est  Boniface,  le  comte  romain  qui  avait  en  413  défendu 
Marseille  et  dont  saint  Augustin  avait  loué  les  vertus  et 

(1)  D.  RuJnart,  op.  cit.,  p.  201  —  Marcus,  Histoire  des  Vandales, 
p.  116. 

l2)  Aug.  Fabre,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  pp.  242  et  suiv.—  Papon, 
op.  cit.,  t.  II,  p.  29,  etc. 

(3)  «  Transi ens  igitur  quantitas  universa,  calliditate  Genserici  ducis, 
ut  famam  terribilern  faceret  suae  gentis,  illico  statuit  oranem  multitu- 
dinem  numerari...  qui  reperti  sunt  senes,  juvenes,  parvuli,  servi  et 
domini  octoginta  raillia  numerari.  »  Victor  de  Vite,  évoque,  De  Perse- 
cutione  Vandalica,  lib.  I,  n°  1.  —  D.  Ruinart,  op.  cit.,  p.  204.  — 
Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XII,  p.  575.  —  On  est  en  doute  sur 
la  date  précise  de  l'entrée  des  Vandales  en  Afrique  :  Prosper,  dans  sa 
chronique,  assigne  celle  de  427  ;  Idace,  dans  sa  chronique,  donne  celle 
de  429  ;  Darras  place  cet  événement  en  428  et  Marcus,  Histoire  des 
Vandales,  p.  131,  au  mois  de  mai  429. 


—  528  — 

l'habileté,  qui,  pour  se  venger  d'une  intrigue  que  son  rival 
Aelius  avait  ourdie  contre  lui  auprès  de  l'impératrice  Placidie, 
les  appelle  en  Afrique  (1).  A  peine  y  ont-ils  rais  le  pied,  que 
tout  esta  feu  et  à  sang.  Victor  de  Vite  fait  un  tableau  épou- 
vantable des  désordres  dont  cette  contrée  fut  le  théâtre  (2). 
Boniface,  mis  au  courant  de  l'intrigue,  se  repentit  de  sa  faute. 
Mais  il  était  trop  tard.  Ni  les  menaces,  ni  les  promesses  ne 
purent  déterminer  les  Vandales  à  quitter  l'Afrique.  Il  dut  les 
combattre.  Mais  il  fut  défait  à  deux  reprises  (3). 

Maîtres  de  l'Afrique,  les  barbares  agirent  avec  tant  de 
cruauté,  qu'eux-mêmes,  dit  Salvien  dans  son  livre  De  la 
Providence  divine ,  avouaient  ne  pas  comprendre  pourquoi 
ils  déployaient  une  férocité  au-dessus  môme  de  leur  caractère 
sauvage.  Ils  se  sentaient  poussés  par  une  force  divine  à  agir 
ainsi  (4).  Jugez  alors,  ajoute  Salvien,  de  la  grandeur  de  nos 
malheurs,  puisque  les  barbares  étaient  comme  excités  à  nous 
tourmenter  et  à,  tout  nous  ravir.  Le  mal  le  plus  terrible  était 
la  persécution  qui  éclata,  et  dans  laquelle  personne  ne  fut 
épargné.  Cependant  Home  voulut  faire  la  paix  avec  Genséric, 
en  437.  Mais,  pendant  que  Home,  se  fiant  à  cette  paix,  com- 
battait d'autres  barbares,  Genséric  s'empare  de  Garthage,  pille 
et  saccage  tout  en  439  (5),  servant  ainsi  d'intermédiaire,  dit 
Salvien,  à  la  justice  de  Dieu  contre  les  vices  des  Afri- 
cains (6). 

Or,  ce  n'est  pas  encore  dans  cette  période  de  dix  ans,  de 

(1)  Ruinart,  op.  cit.,  p.  202,  cite  le  texte  de  Procope,  liv.  III  De  Histo~ 
ria  Vandalica,  —  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XII,  p.  576,  etc. 

(2)  Victor  de  Vite,  évoque,  De  Persecutione  Vandalica,  lib.  I,n#l. 

(3)  Ruinart,  op.  cit.,  p.  205.  —  Darras,  op.  cit.,  p.  578.  —  Marcud, 
Histoire  des  Vandales,  p.  145. 

(4)  «  Ipsi  fatebantur  non  suura  esse  quod  facerent,  agi  enim  se  divino 
jussu  acperurgeri...  Ex  quo  eniro  intelligi  potest  quanta  sint  mala 
nostra,  ad  quos  vastandos  ac  cruciendos  iri  barbari  compelluntur 
inviti.  »  Saivien,  De  gubernatione  Dei,  lib.  VU. 

(5)  Chevalier,  Précis  d%histoire  de  France  et  du  Moyen  âge,  p.  70* 
—  Marcus,  Histoire  des  Vandales,  p.  155. 

(6)  c  IUa  utique  coelestis  manus,  quse  eos  Vandalos  ad  punienda 
Hispanorum  ûagitia  illuc  traxerat  etiam  ad  vastandam  Africain  transire 
cogebat  . .  »  Salvien,  De  gubernatione  Dei,  lib.  VII.  —  «  Divinai  seve- 
ritati  tribuendas  non  esse,  sed  Afrorum  sceleri  deputandos.  »  Idem, 
ibidem . 


-  529  — 

429  à  439,  que  les  Vandales  vinrent  sur  nos  rivages  dévaster  le 
monastère  cassianite.lls  avaient  autre  chose  à  faire.  D'ailleurs, 
Sal vien,  qui  raconte  le  détail  de  ces  désordres,  ne  dit  rien  de 
ce  fait,  et  rappelons-nous  que  Salvien  est  prêtre  de  Marseille. 

Carthage  détruite,  Genséric  tourne  ses  armes  contre  la 
Sicile,  la  pille  en  440(1).  Puis  l'année  441  se  passe  à  prépa- 
rer la  défense  contre  une  flotte  nombreuse  que  Théodose 
envoie  contre  lui.  Cette  tentative  ayant  échoué,  il  obtient 
une  paix  honorable  qui  lui  vaut  en  toute  propriété  la  plus 
grande  partie  de  l'Afrique  (442)  (2). 

Dès  ce  moment  la  persécution  recommence  dans  les  contrées 
qui  lui  sont  soumises.  Victor  de  Vite  dit  a  que  les  malheureux 
chrétiens  ne  pouvaient  plus  respirer  en  paix,  ni  offrir  à  Dieu 
des  sacrifices,  ni  verser  des  larmes  (3)  ».  En  454,  l'impératrice 
Eudoxie  appelle  Genséric  et  ses  barbares  en  Italie,  afin  de 
venger  le  meurtre  de  son  époux  Valentinien,  tué  par  Pétrone 
Maxime.  Genséric  accepte,  et  en  455  il  s'empare  de  Rome  et  la 
met  au  pillage  durant  quatorze  jours,  n'épargnant  que  trois 
basiliques,  puis  retourne  en  Afrique  continuer  ses  persécu- 
tions (4).  Dans  le  même  temps,  il  fait  ravager  jusqu'à  treize 
provinces  de  l'empire.  Devenu  pirate  et  voleur,  comme  l'appelle 
Sidoine  Apollinaire,  chaque  année  il  recommence  ses  ravages  (5), 

(1)  Ruinart,  op.  cit.,  p.  221.—  Marcus,  Histoire  des  Vandales,  p.  162, 
cite  la  Sicile  et  le  Brutium  (Calai) re).—  Chevalier,  op.  cit.,  p.  70.  Cet 
auteur  parle  de  la  Sar daigne,  de  la  Corse,  dont  Genséric  se  serait  empa- 
ré, et  de  l'Italie  méridionale  qu'il  aurait  ravagée.  Mais  les  chroni- 
queurs de  ces  guerres  ne  parlent  que  de  la  Sicile  ;  quant  aux  autres 
provinces,  elles  étaient  bien  défendues.  —  Ruinart,  op.  cit.,  p.  222,  cite 
les  auteurs.  —  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIII,  p.  179. 

(2)  Ruinart,  op.  cit.,  222.  —  Darras,  op.  cit.,  t.  XIII,  p.  178.— Victor 
de  Vite,  op.  cit.,  p.  5,  n#  4. 

(3)  t  Terret  (Gensericus  christianos)  prseceptis  feralibus,  ut  in  medio 
Vandalorum  nostri  nullatenus  respirarent,  neque  usquam  orandi  aut 
immolandi  concederetur,  gementibus  locus.  »  Victor  de  Vite,  op.  cit., 
n#7. 

(4)  Ruinart,  op.  cit.,  p.  225.  —  Marcus,  Histoire  des  Vandales, 
p.  242. 

(5)  Hinc  Vandalus  hostis... 
Urget  et  in  nostrum  innumerosâ  classe  quotannis 
Militât  excidium... 

(Sidoine  Apollinaire,  deuxième  chant,  in  Panegyrico  Anthemii).  — 

Marcus,  Histoire  des  Vandales,  pp.  255, 262. 


—  530  — 

a  Tour  à  tour  l'Espagne,  dit  Victor  de  Vite,  la  Dalmatie,  la 
Campanie,  la  Calabre,  TApulie,  la  Sicile,  la  Sardaigne,  le 
Brutium,  la  Vénétie,  la  Lucanie,  l'Epire,  THellade  reçoivent 
la  visite  des  corsaires  (1),  qui  vont  où  ils  croyaient  que  la 
colère  de  Dieu  les  conduisait  (2).  L'empereur  Avitus  remporta 
plusieurs  victoires  sur  eux,  alors  qu'ils  infestaient  les  côtes  de 
Provence,  vers  456(3).  Moins  heureux,  Majorien  essaya,  mais  en 
vain,  en  458,  de  les  arrêter  dans  leurs  courses  ;  il  mourut  avant 
d'avoir  réalisé  son  dessein  (461).  Les  empereurs  Léon,  Anthé- 
mius  échouèrent  à  leur  tour  dans  de  semblables  entreprises, 
en  468  et  472  (4).  Genséric,  cependant,  que  ces  victoires 
remportées  sur  les  aigles  romaines  rendaient  plus  fier  et  plus 
orgueilleux,  devenait  aussi  plus  cruel  de  jour  en  jour.  U 
mourut  enfin  en  477  (5).  » 

Sera-ce  à  cette  époque  des  invasions  annuelles,  périodiques, 
des  Vandales  sur  les  côtes  de  l'Italie,  que  nous  placerons  la 
destruction  de  notre  monastère  ?  Incontestablement,  il  v  a 
quelque  apparence  que  ces  événements  ont  eu  lieu  en  ces  années 
désastreuses.  On  les  bat  non  loin  des  côtes  de  Provence.  On  a 
placé  &  ce  moment  la  captivité  et  la  mort  de  saint  Paulin  de 
Noie,  le  massacre  de  saint  Porcaire  et  de  ses  cinq  centsdisciples 
dans  Tlle  de  Lérins  (6).  Guesnay  fixe  à  Tan  477  précisément  la 
ruine  de  notre  monastère  (7).  Quelle  sera  donc  notre  ré- 
ponse? 

D'abord,  les  victoires  d' Avitus  sur  les  Vandales,  en  486,  se 
bornent  à  la  défaite  que  le  comte  Ricimer  leur  fit  essuyer 


(1)  «  Quse  vero  in  Hispaniâ,  Dalmatiâ,  Gampaniâ,  Calabriâ,  Sicilià, 
Sardinià,  Brutiis,  Venetià,  JLucaniâ,  Epiro  veteri,  vel  Helladà  gesserit, 
melius  ibi  ipsi  qui  posai  sunt  miserabiliter  lugendo,  narrabunt.  »Victor  de 
Vite,  op.  ctï.,lib.  I,  n*  17. 

(2)  «  Procophi8  Darrat  :  Ferum  illum  principem,  cum  aliquandoe 
Garthaginis  portu  solvisset,  a  nautâ  interrogatum,  quô  veilet  inferre 
bellum,  respoo disse  :  In  eos  quibus  iratus  est  Deus.  »  Ruinart,  op.  cit., 
p.  228. 

(3)  Fabre  A.,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  252. 

(4)  Ruinart,  op.  cit.,  pp.  229,  231. 

(5)  Ruinart,  op.  cit.,  p.  233. 

(6)  Ruinart,  op.  cit.,  pp.  229,  23t. 

(7)  Guesnay,  Provinciœ  Maasiliensi*  Annale**  p.  186. 


j 


—  531  - 


près  d'Agrigente,  où  il  leur  coula  soixante  vaisseaux,  et 
l'autre  défaite  cm'il  leur  fit  subir  en  Corse  d).  Il  v  a  loin  à  ui 


à 
qu'il  leur  m  suDir  en  uorse  (1).  Il  y  a  loin  à  une 
descente  sur  les  côtes  de  Provence,  dont  parle  Augustin  Fabre. 
L'historien  des  Vandales  ne  dit  pas  que  ces  peuples  aient, 
approché  de  ce  point  de  nos  contrées,  à  cette  époque.  Leur 
attention  était  retenue  ailleurs. 

Dès  la  prise  de  Rome,  en  455,  Genséric  s'acharne  contre  la 
Sicile  et  la  Corse.  Mais  ces  deux  lies  sont  fort  bien  défendues. 
Un  comte  romain,  du  nom  de  Marcellin,  s'y  trouve  avec  des 
troupes  et  bat  à  plusieurs  reprises  les  Vandales.  De  458  à  469, 
il  fut  impossible  aux  Vandales  de  s'y  fixer.  Un  peu  plus  tard, 
vers  470,  c'est  en  Sardaigne  que  Marcellin  attaque  et  défait  les 
barbares  et,  pendant  qu'il  les  écrase  dans  ces  lies,  la  flotte 
romaine  croise  dans  les  eaux  de  la  Méditerranée  pour  donner 
la  chasse  aux  vaisseaux  de  Genséric  (2).  D'autre  part,  en  460, 
Genséric  se  voyait  menacé  par  une  flotte  puissante  qui  se 
préparait  à  l'atlaquer  en  Afrique.  Il  n'échappa  à  ce  péril  que 
par  la  paix  qu'il  obtint  de  l'empereur  Majorien  (3).  Cette  trêve 
brisée  quelque  temps  après,  Genséric  ravage  les  côtes  de 
l'empire  d'Orient  (4).  Mais  une  nouvelle  flotte  envoyée  par  les 
empereurs  d'Occident  et  d'Orient,  Léon  et  Anthemius  ,  mit 
fin  à  ces  ravages.  Cette  fois  encore,  Genséric  ne  dut  son 
salut  qu'à  la  ruse.  Il  parvint  à  faire  incendier  cette  flotte, 
presque  en  vue  de  Carthage  469  (5).  Or,  ces  expéditions  en 
Orient,  ces  attaques  répétées  contre  la  Sicile,  la  Sardaigne,  la 
Corse  ont  certainement  détourné  les  coups  des  Vandales  de 
nos  côtes  de  Provence,  de  456  à  469.  Il  y  a  plus,  dès  l'année  466, 
Genséric  fait  alliance  avec  Euric,  roi  des  Visigoths,  il  l'engage 
à,  s'emparer  de  la  partie  méridionale  de  la  Gaule  qu'il  ne 
possède  pas  encore,  pendant  que  lui  occupera  les  forces  romai- 


H? 


(1)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.   XIII,  p.  344.  —  Marcus,  Histoire 
des  Vandales,  p.  265. 

(2)  Marcus,  op.  cit.,  pp.  265,  269,  273,  etc. 

(3)  Marcus,  op.  cit.,  p.  268. 

(4)  Marcus,  op.  cit.,  p.  272. 

(5)  Darras,  Histoire  de   l'Eglise,  t.  XIII,  p.  286.  —  Marcus,   Histoire 
des  Vandales,  p.  274» 


—  532  — 

nés  d'un  autre  côté(l).  Dès  466  donc,  il  n'est  pas  probable  que 
les  Hottes  vandales  aient  désolé  les  côtes  des  rivages  de  la 
Provence. 

Venons  aux  autres  détails  maintenant.AvecDom  Ruinartnous 
n'acceptons  pas  de  fixer  à  cette  époque  la  captivité  de  saint 
Paulin  de  Noie.  Elle  eut  lieu  vers  410,  alors  queAlaricet 
ses  Goths  ravagèrent  l'Italie  (2).  Nous  n'acceptons  pas  davan- 
tage cette  époque  pour  le  massacre  de  saint  Porcaire.  Dom 
Ruinart  renvoie,  pour  la  preuve,  à  Baronius  (3).  Or,  avec 
Baronius  nous  disons  :  Si  Lérins  a  été  saccagé  sous  Genséric, 
comment  se  fait- il  que  saint  Césaire,  qui  plus  tard  a  célébré  dans 
ses  sermons  Lérins  et  sa  gloire,  n'ait  jamais  rappelé  ce  fait  (4)  ? 
Il  a  dit  presque  tout  le  contraire  dans  son  homélie.  Rappelons 
que  ce  fut  l'abbé  Porcaire  de  Lérins  qui  l'initia  à  la  vie 
religieuse.  À  défaut  de  saint  Césaire,  comment  l'historien 
de  ce  saint  évoque  n'a-t-il  pas  fait  mention  de  la  mort 
du  maître  de  saint  Césaire,  saint  Porcaire  (5),  soit  que  ce 
massacre  ait  eu  lieu  vers  477  ou  qu'il  ait  eu  lieu  vers  507, 
comme  a  tenté  de  le  prouver  l'abbé  Pierrh ligues  (6)?  Impossi- 
ble aussi  de  placer  la  ruine  du  monastère  cassianite  à  cette 
époque  de  477  (7).  Marcus,  l'historien  des  Vandales,  dit  qu'à 

(l)Marcus,  Histoire  des  Vandales,  p.  172. 

(2)  Ruinart,  op.  cit.,  p.  229.  —  Histoire  de  saint  Paulin  de  Noie, 
par  l'abbé  Lagrange,  t.  II,  p.  278.— Cet  auteur  semble  placcer  le  fait 
aux  environs  de  Tannée  410  ou  413,  alors  que  les  Goths  ravagaient  la 
Campanie. 

(3)  Ruinart,  op,  cit.,  p.  231. 

(4)  Dans  son  homélie  20,  saint  Césaire  parle  au  contraire  du  respect 
que  tous  les  barbares  qui  ont  parcouru  les  Gaules  ont  professé  pour 
Lérins.  —  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  598. 

(5)  c  Si  hsec  vera  sunt,  quomodo  post  Gensericutn  jam  defunctum  a«ieo 
celebratur  gioria  ejusdem  monasterii  Lerinensis,  utaudivimusaCœsario? 
Quomodo  de  tanti  cœnobii  clade,  nul  la  penitus  habetur  tnentio  in  actis 
ipsius  sancti  Gsesarii  quœ  sunt  scripta  ab  hujus  tempus  scriptore  Cypria- 
no  ?  »  Chronologia  insulœ  Lerinensis,  par  Barralis.  1. 1,  p.  273. 

(6)  La  Fin  de  Lérins,  par  l'abbé  Pierrhugues,  chap.  XIII,  p.  168. 

(7)  D'abord  Guesnay,  qui  à  la  page  509  de  son  Cassianus  illustratus, 
attribue  ce  fait  aux  Vandales,  à  la  page  475  l'attribue  aux  Sarrasins  : 
«  ...  ne  a  Sarracenis  violarentur  ».  Dans  les  Annales  Provinciœ  Massi- 
Uensis,  alors  qu'à  la  page  186  il  place  ce  fait  à  Tannée  477,  à  la  page  600 
il  le  fixe  à  Tannée  450. 


-  533  — 

la  suite  de  la  paix  signée  avec  Zenon,  empereur  d'Orient, 
en  476,  Genséric  ne  fit  plus  aucune  descente  sur  les  côtes  de 
l'empire  (1). 

En  outre,  comment  se  fait-il  que  Gennade,  qui  écrivait  en 
480  sa  Vie  des  hommes  illustres  de  l'époque,  parlant  de  saint 
Gas9ien,  dise,  des  deux  monastères  que  ce  saint  religieux  a 
fondés,  que  :  a  usque  hodie  exstant  (2)  »  ?  Pourquoi  Victor 
de  Vite,  qui  énumère  les  provinces  ravagées  par  les  Vandales, 
ne  mentionne-t-il  pas  la  Provence  ?  Incontestablement  les  Van- 
dales, s'ils  sont  venus  à  Marseille,  n'ont  pas  commis  ce  seul 
méfait  de  détruire  notre  abbaye.  Us  ont  dû  en  commettre 
d'autres.  Lérins  était  sur  leur  passage.  Or,  nous  venons  de 
prouver  que  ce  ne  sont  j>as  les  Vandales  qui  ont  massacré  saint 
Porcaire.  Donc  ce  n'est  pas  à  cette  époque  de  456  à  475  qu'ils 
ont  martyrisé  sainte  Eusébie. 

Les  huit  années  que  dura  le  règne  d'Huneric,  fils  et  succes- 
seur de  Genséric,  furent  une  ère  de  persécution  terrible.  Elle 
était  si  atrocement  menée,  qu'on  ne  peut  supposer  que  ce 
roi  barbare  ait  cherché  à  satisfaire  au  dehors  sa  rage  et  sa 
fureur  (3).  Guntabunde  lui  succéda  vers  484.  Quoique  arien, 
il  ne  persécuta  pas  toujours  les  catholiques.  La  fin  de  son 
règne  fut  une  ère  de  paix  (4).  Les  églises  furent  rouvertes,  les 
prêtres  et  les  évoques  rappelés  de  l'exil  Mais  Trasamund, 
qui  succéda  en  496,  rouvrit  l'ère  sanglantee.  Sa  persécution 
revêtit  plutôt  un  caractère  d'astuce  que  de  tourment  propre- 
ment dit.  Il  exila  la  plupart  des  évêques.  Puis  il  s'acharua, 
par  les  menaces  et  par  l'enseignement  de  l'erreur,  sur  les  peu- 

(t)  Marcus,  Histoire  des  Vandales,  page  287  et  8  de  la  page  précédente. 

(2)  Gennade,  De  illustribus  Ecclesiœ  scriporibus, 

(3)  a  Fuit  hic  Hunericus  in  Africain  christianos  habitantes  omnium  qui 
nunquam  fuerc  ssevissimus  iniquissimusque.  »  Procope,  lib.  I,  De  Bello 
Vandalico.  —  «  Hunericus  ariano  furore  suscitatus,  catholicos  per  totam 
Africam  atrocior  pâtre  persequitur. . .  »  Isidorus  Hispalensis,  DeVanda- 
lorum  Historiâ.  —  Ruinart,  op.  cit.,  pp.  233,  236. 

(A)  Procope  dit  :  «  Hic  Gundemundus.. .  tractatis  pessime christianis  »; 
lib.  I.  —  Isidorius  Hispalensis,  au  contraire,  dit  :  «  Unerico  succedit 
Guntamundus  regnans  annis  duodecim,  qui  statim  pacem  Ecclesise  refor- 
mans,  catholicos  ab  exilio'revocavit.  »  Ruinart,  op.  cit.,  concilie  ces  deux 
affirmations  contraires,  p.  267. 


—  534  — 

pies  sans  défense  (1).  A  sa  mort,  en  523,  Hildéric  lui  succéda 
Ce  fut  un  prince  timide,  mais  bon.  Il  rappela  les  évêques  exi- 
lés et  fit  régner  la  paix  (2).  Malheureusement  il  fut  détrôné  par 
Gélimer,  en  531,  qui  le  fit  massacrer  et  commença  la  persécu- 
tion. Mais  le  royaume  des  Vandales  allait  succomber.  Justinien, 
empereur  d'Orient,  envoya  contre  eux  une  puissante  armée 
sous  la  conduite  de  Bélisaire  ;  Gélimer  vaincu  se  rendit.  Les 
Vandales  avaient  vécu  (535)  (3). 

Or,  ce  n'est  point  durant  cette  dernière  période  non  plus 
qu'il  faut  placer  la  destruction  du  monastère.  Nous  l'avons 
dit  :  les  Vandales  sont  occupés  à  persécuter  en  Afrique.  D'ail- 
leurs, en  480,  Euric,  roi  des  Visigoths,  s'est  emparé  de  Mar- 
seille et  de  la  Provence,  et  il  n'aurait  point  permis  aux  anciens 
adversaires  de  sa  nation  de  venir  piller  sa  nouvelle  con- 
quête (4).  Dès  l'an  484,  à  la  mort  d'Euric,  ce  sont  les  rois 
bourguignons  qui  gouvernent  Marseille,  puis  les  Ostrogoths 
de  Théodoric,  enfin  les  Francs,  qui  se  partagèrent  la  Provence 
vers  536.  Or,  ni  les  uns,  ni  les  autres  n'auraient  permis  aux 
Vandales  de  saccager  Marseille.  Donc,  notre  monastère  cas- 
sianite  n'a  pas  été  détruit  par  eux. 


(t)  c  Frater  Trasamundus  successor,. ..  christiaoos  ad  patrium  situ 
dogma  transferre  cupiens,  non  vi  in  corpora  incessit,  sed  honores,  ma- 
gistratus  ostentans...  »  Procope,  De  Bello  Vandalico,  lib.  I.  — Ruinartt 
op.  cit.,  p.  274. 

(2)  *  Mirabilis  bonitas  Hilderici  regnare  incipientis,  ecclesise  catho- 
licae  per  Aîricam  constitutae  lïbertatem  restituens.  »  Vitœ  Fulgentii 
auctor,  cap.  XXVIII,  dansRuinart,  op.  cit.%  p.  277. 

(3)  Ruinart,  op.  cit.,  p.  288  et  suiv. 

(4)  Fabre  A.,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  254. 


CHAPITRE  II 


Les  Visigoths  n'ont  pas  martyrisé  sainte  Eusébie. 


LES  VISIGOTHS  EN  PROVENCE  ;  SYNCHRONISME.  —  NI  SOUS  ATAULPHE, 
NI  SOUS  THÉODORIC,  NI  SOUS  EURIC,  NI  80 US  ALARIC  II,  NI  S0U8 
THÉODORIC,  ROI  DES  OSTR0Q0TH8,  NI  SOUS  THÉODAT,  LES  VISIGOTHS 
N'ONT  MARTYRISÉ  SAINTE  EUSÉBIE  ET  SES  COMPAGNES. 


Papon  a  nommé  les  Visigoths  (1)  comme  ayant  pu  être  les 
auteurs  du  massacre  de  notre  sainte  Eusébie.  Disons  qu'on  ne 
peut  leur  imputer  ce  crime. 

Conduits  par  Alaric,  les  Visigoths  s'emparèrent  de  Rome  en 
410  et  deux  ans  plus  tard,  sous  Ataulphe,  ils  passèrent  dans 
le  midi  de  la  Gaule.  En  413  Marseille  les  vit  auprès  de  ses 
murailles.  Mais  le  comte  Boniface,  qui  en  était  le  gouverneur, 
veillait;  il  les  battit  et  les  repoussa  (2).  Us  descendirent  alors 
en  Espagne,  puis  revinrent  en  Gaule  et  s'établirent  à  Toulouse, 
vers  420.  Quelques  années  plus  tard,  à  la  mort  de  l'empereur 
Honorius  et  du  gouverneur  des  Gaules,  Constance,  ce  fut  le 
tour  de  la  ville  d'Arles,  à  les  voir  sous  ses  murs  (425).  Aetius, 
le  fameux  général  romain,  les  délit  et  les  chassa  (3).  Une 
seconde  fois,  puis  une  troisième  en  437,  ils  renouvelèrent  leur 
tentative.  Aetius  d'abord,  Littorius,  son  lieutenant,  ensuite  les 
battirent  (4).  Théodoric,  à  ce  moment  leur  roi,  fit  la  paix  avec 
l'empereur  Valentinien,  et  le  calme  régna  en  Provence.  L'in- 
vasion des  Huns  dans  le  nord  de  la  Gaule,  et  plus  tard  l'arri- 

(1)  Papon,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  462  :  c  Le  monastère  de  l'Hu- 
veaune  fut  détruit  par  les  Visigoths  ou  par  les  Sarrasins.» 

(2)  Papon,  Histoire   de  Provence,  t.  II,  p.  24.  —  Ruili,  Histoire   de 
Marseille,  X.  I,  p.  37.  —  Aug.  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  243. 

(3)  Aug.  Fabre  ,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  245.  —  Papon,  His- 
toire de  Provence,  t.  II,  p.  29. 

(4)  Aug.  Fabre,  Histoire  de  Provence*  t.  p.  246.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  29. 


-  536  — 

vée  à  Rome  de  Genséric  et  de  ses  Vandales  en  455  contribuèrent 
pour  beaucoup  au  maintien  de  la  paix.  Cependant,  en  459, 
Théodoric  et  ses  Visigoths  attaquèrent  Arles  ;  mais,  repoussés 
par  le  comte  Gilles,  qui  la  défendait  à  la  tête  des  troupes 
romaines,  ils  firent  de  nouveau  la  paix  (1). 

A  la  mort  de  Théodoric  que  Euric,  son  frère,  tua,  celui-ci 
s'empara  du  royaume.  Prince  ambitieux,  guerrier  habile,  il 
en  étendit  les  limites  par  ses  conquêtes.  Mais  la  Provence 
échappa  à  son  pouvoir.  Ce  ne  fut  qu'en  480,  qu'il  put  prendre 
Arles  et  Marseille  (2).  Euric  mourut  à  son  tour  en  484.  Ala- 
ric  II,  son  fils,  lui  suceéda.  Vaincu  et  tué  en  507  par  Clovis, 
roi  des  Francs,  à  la  bataille  deVouil!é,ses  Eta}s  furent  attaqués 
et  par  Clovis  qui  prit  les  provinces  de  l'ouest  avec  Toulouse 
leur  capitale,  et  par  Gondebaud,  roi  des  Bourguignons,  qui 
s'empara  de  la  Provenee  en  508,  à  l'exception  d'Arles  qui 
résista.  Après  un  siège  de  deux  ans,  elle  fut  délivrée  des  Bur- 
gundes  et  des  Francs  par  l'armée  de  Théodoric,  roi  des  Ostro- 
goths,  qui  reprit  Marseille  et  la  Provence  et  les  plaça  sous  sa 
domination  (3). 

Le  grand  roi  Théodoric  étant  mort,  le  30  août  526,  ses  Etats 
furent  partagés  entre  ses  deux  petits-fils.  Les  provinces  de 
Tltalie  et  la  Provence  échurent  en  partage  à  Athalaric,  encore 
un  enfant.  Mais  Amalasonthe,  sa  mère,  prit  les  rênes  du  gou- 
vernement et  maintint  la  paix  dans  ce  royaume.  Son  fils  Atha- 
laric ayant  succombé  à  la  fleur  de  l'âge,  Amalasonthe,  soit 
par  ambition,  soit  pour  conserver  la  royauté  dans  sa  famille, 
fit  asseoir  sur  le  trône  son  cousin  Théodat,  puis  l'épousa.  Mais, 
un  an  après,  celui-ci  la  fit  étrangler.  A  son  tour,  Théodat  subit 
le  châtiment  de  sa  cruauté  :  il  fut  égorgé  par  un  de  ses  sujets 

(1)  Aug.  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  253.  — Papou,  Histoire 
de  Provence,  t.  II,  p.  35. 

(2)  Aug.  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  254.  —  Ruffi,  Histoire 
de  Marseille,  t.  p.  38.  —  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  38. 

(3)  Abrégé  chronologique  de  Vhistoire  d'Arles,  par  de  Noble  Lalau- 
zière,  p.  70,  etc.  —  Papoo,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  46  et  suiv. 
—  Essai  sur  Vhistoire  de  Provence,  1. 1,  p.  175  et  suiv.  —Aug.  Fabre, 
Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  256  et  suiv.  —  H.  Bouche,  Chorograpkie 
et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  620  et  suiv. 


—  537 • — 

au  moment  où  il  vendait  aux  Francs,  pour  2000  livres  pesant 
d'or,  les  contrées  situées  entre  le  Rhône,  la  mer  et  les  Alpes, 
et  partant  la  Provence  (536)  (1). 

Pouvons-nous  trouver,  dans  l'espace  de  temps  qu'embrasse 
ce  court  synchronisme,  une  date  à  laquelle  il  soit  possible 
d'assigner  le  fait  que  nous  étudions?  Nous  ne  le  croyons  pas. 

Les  Visigoths  assiégèrent  Marseille  vers  413.  Ils  ne  purent 
détruire  l'abbaye  cassianite,  puisque  celle-ci  n'était  pas  encore 
fondée,  la  date  la  plus  probable  de  cet  établissement  étant  415 
ou  420  (2).  D'ailleurs,  eût-elle  été  fondée  déjà  à  cette  époque, 
si  ces  barbares  avaient  saccagé  Marseille  et  commis  le  massacre 
de  sainte  Eusébie,  Salvien,  qui  a  écrit,  nous  l'avons  dit,  son 
livre  De  gubernatione  Dei  vers  455,  en  aurait  parlé,  puisque 
précisément  au  livre  V  de  cet  ouvrage  il  traite  des  mœurs  et 
des  sentiments  religieux  des  Visigoths  (3).  Ce  ne  fut  donc  pas 
en413  que  sainte  Eusébie  a  pu  être  martyrisée  par  ces  barbares. 

Ce  n'a  pas  été  durant  les  divers  sièges  que  la  ville  d'Arles 
eut  à  subir,  soit  en  425,  en  437,  en  459,  de  la  part  des  Visigoths. 
Si  ces  barbares  avaient  poussé  jusqu'à  Marseille  et  y  avaient 
commis  un  méfait  du  genre  de  celui  qui  nous  occupe,  tou- 
jours pour  la  môme  raison  Salvien  et  Gennade,  qui  vivaient  à 
Marseille  à  cette  époque,  l'auraient  mentionné  dans  leurs 
écrits. 

Déplus,  dans  sa  Chronique,  Sigebert,  à  l'année  470,  affirme 
que  le  roi  des  Visigoths,  Euric,  désireux  d'envahir  les  Gaules, 
écrasa  dans  une  défaite  Riothime,  roi  des  Bretons,  accouru  en 
toute  hâte  au  secours  des  Romains  et  pour  défendre  avec  eux 
les  Gaules.  Puis  il  soumit  à  sa  puissance  Bordeaux  et  son  terri- 
toire, occupa  diverses  villes  des  Gaules,  entre  autres  Arles  et 
Marseille  (4).  Quelques  auteurs,  en  effet,  entre  autres  Bouche, 


(1)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  52etsuiv.  —  Aug.  Fabre, 
Histoire  de  Provence,  t.  Ii  p.  261  et  suiv. —  Lalauzière,  Abrégé  chrono- 
logique de  Vhistoire  d'Arles,  p.  79,  etc.  —  H.  Bouche,  Chorographie 
et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  pp.  629,  635  et  suiv. 

(2)  Les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  saint  Gassien,  p.  113.  L'auteur 
de  cet  ouvrage  assigne  la  date  de  415. 

(3)  Salvien,  De  gubernatione  Dei f  lib.  V. 

(4)  Cité  par  Guesnay.  Annales  Provinclce  Massiliensts:  «  Eoricus,  rex 


—  538  — 

Lai  au  zi  ère,  de  Belsunce,  supposent  que  vers  Tannée  464,  468 
ou  470,  Euric  s'empara  d'Arles  et  de  Marseille  et  dépouilla 
môme  cette  dernière  ville  du  titre  de  métropole  pour  le  donner 
à  Arles  (1). 

Ce  ne  serait  pas  à  cette  date  non  plus  que  le  massacre  aurait 
eu  lieu.  Gennade  l'aurait  dit  dans  son  écrit,  et  il  affirme,  on 
le  sait,  le  contraire.  Jusqu'à  son  époque  les  deux  monastères 
existaient. 

D'ailleurs,  Sidoine  Apollinaire,  l'évoque  de  Clermont  qui, 
dans  sa  lettre  à  Graecus,  évéque  de  Marseille,  lui  rappelle  qu'il 
a  perdu  ce  titre  de  métropolitain,  lui  aurait  parlé  des  hor- 
reurs commises  à  Marseille  par  le  tyran  de  l'Arvernie  auprès 
duquel  il  était  accrédité  en  qualité  d'ambassadeur.  Or,  sur  ce 
point  Sidoine  se  tait  complètement.  C'est  que  rien  de  ce  genre 
n'était  arrivé  à  Marseille. 

Ce  n'a  pas  été  encore  durant  les  longues  guerres  qu'Euric, 
roi  des  Visigoths,  lit  aux  peuples  de  l'Arvernie.  A  la  vérité, 
ce  roi  fut  un  tyran  cruel  et  sanguinaire.  L'évoque  de  Cler- 
mont en  Auvergne,  Sidoine  Apollinaire,  témoin  attristé  de 
ces  luttes  sanglantes,  disait  d'Euric  :  «  Le  nom  seul  du  catho- 
licisme l'irrite  à  ce  point,  qu'on  se  demande  s'il  n  est  pas  plu- 
tôt le  chef  des  Ariens  que  le  roi  des  Visigoths.  Il  a  fait  mettre 
à  mort  un  grand  nombre  d'évêques,  il  ne  veut  pas  permettre 
qu'on  en  donne  d'autres  à  ces  peuples  désolés.  Les  églises 
tombent  en  ruines,  et  celles  qui  demeurent  debout  sont  livrées 
à  une  dévastation  sacrilège.  Le  nom  seul  du  catholicisme 
était  une  amertume  pour  ses  lèvres  et  son  cœur,  il  condamnait 
les  évoques  et  les  prêtres  à  l'apostasie  ou  au  martyre,  livrait 
tous  les  sanctuaires  à  la  dévastation  (2).  » 

Visigothorum,  Gallias  occupare  visus,  Riothimum  regem  britannum  ad 
defensionem  Galliarum  Romanis  auxilio  venientem,  bello  contrivit, 
Burguudiones  victor  sibi  subegit,  etiam  Arelatum  et  Massiliam  Gallia- 
rum urbes,  invasit,  etc. . .  (  ad  annum  470).  » 

(1)  Bouche,  Cfiorographie  et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  614.  — 
Lalauzière,  Abrégé  chronologique  de  l'histoire  d'Arles,  p.  70.  —  De 
Belaunce,  Antiquité  de  VEglise  de  Marseille,  t. 1.  pp.  174,  182  etsuiv.— 
Essai  sur  V histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  175.  —  Ruffl,  Histoire  dePro- 
vence%  t.  I,  p.  38. 

(2)  Sidoine  Apollinaire,  lettre  citée  par  Guesnay,  Annales  Provinciœ 


—  539  - 

Grégoire  de  Tours  fait  de  ce  roi  un  portrait  bien  chargé  en 
couleurs.  «  Euric,  dit-il,  fit  souffrir  aux  chrétiens  des  Gaules 
une  persécution  horrible.  Il  mettait  à  mort  ceux  qui  n'adhé- 
raient pas  à  sa  croyance  impie,  jettait  en  prison  les  clercs, 
faisait  conduire  en  exil  les  prêtres,  quand  il  ne  les  envoyait 
pas  à  la  mort.  Les  temples,  il  ordonnait  d'en  fermer  les  por- 
tes, d'en  encombrer  le  seuil  d'épines,  afin  que  la  foi  se  perdit 
dans  les  âmes  de  ceux  qui  n'y  pourraient  plus  entrer  (1).  » 
Ajoutons  que  sur  ce  témoignage,  et  à  la  suite  de  la  lettre  de 
Sidoine  Apollinaire  à  Basile,  évoque  d'Aix,  Guesnay  affirme 
«  qu'Euric,  pareil  à  un  torrent  qui  a  rompu  ses  digues,  se 
jeta  sur  Marseille,  où  il  massacra  clers  et  laïques,  y  suscita 
mille  vexations,  pilla  et  incendia  les  églises  sans  pasteurs  (2).» 

Nous  persistons  à  croire  cependant  que  le  massacre  de  nos 
héroïques  vierges  cassianites  n'a  pas  eu  lieu  à  cette  époque, 
de  471  à  474. 

D'abord,  Gennade  encore  l'aurait  dit.  Il  écrivait  postérieu- 
rement à  cette  date,  il  n'aurait  pas  oublié  de  faire  mention  de 
ces  atrocités.  Ensuite,  à  l'époque  des  guerres  de  l'Arvernie, 
de  471  à  474,  Euric  n'est  pas  venu  à  Marseille.  Cette  ville 


Massiliensis,  p.  183  :  «  Tantum  ferunt  ori,  tantum  pectori  suo  catholici 
mentio  aominis  acet,  ut  ambigas  amplius  ne  suse  gentis  an  su»  secta» 
teneat  principatum...  Videat  in  ecclesiis  au  t  pu  très  cul  minum  lapsus, 
aut  valvarum  cardlnibus  avulsis  basilicaruro  aditus  hispidorum  veprium 
f  rut  ici  bus  obstructos  ».  —  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Pro- 
vence, t.  I,  p.  614.  —  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lèrinsy  t.  I, 
p.  247.—  L'abbé  Ville  vieille ,  Histoire  de  saint  Césaire  d'Arles,  p.  13, 
introduction . 

(1)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  lib.  II,  cap.  25  :  «  Hujus 
te  m  pore  et  Euaric  rex  Gothorum. . .,  grave  m  fn  Galliis  super  Ghristianos 
intulit  pereecutionem.  Truncabat  passim  perversitati  sua?  non  consen- 
tientes,  clericos  carceribus  subigebat,  sacerdotes  vero  alios  dabat  exilio, 
altos  gladio  trucidabat.  Nam  et  ipsos  sacrorum  templorum  aditus,  spinis 
jusserat  obserari,  scilicet  ut  raritas  ingrediendi,  oblivionem  faceret 
fldei.  9 

(2)  «  His  igitur  malis,  quasi  torrens  obicibus  fractis,  Massiliam  effudit 
Eoricus,  ubi  non  modo  clericos,  sed  catholicos  laicos  omnes  multis 
vexaxit  persecutionibus,  et  ecclesias  sacerdotibus  orbatas,  excisionibus, 
inflammationibus,  eversionibus,  furtis  ac  latrociniis  depopulatus  est.  » 
Guesnay.  Annales  Provincice  Massiliensis,  p.  183. 


-  540  — 

qu'il  avait  attaquée  et  piise  entre  468  et  470,  il  avait  dû 
l'abandonner  (1).  Son  royaume  proprement  dit  ne  s'étendait 
pas  jusqu'en  Provence.  Il  comprenait  les  provinces  circons- 
crites par  l'Océan,  la  Loire,  le  Rhône  et  la  Méditerranée.  La 
Provence  appartenait  aux  Romains  (2).  Or,  le  roi  des  Visi- 
goths  avait  assez  à  faire  en  Arvernie  et  dans  le  pays  de  Bour- 
ges, pour  n'avoir  pas  à  descendre  jusqu'à  Marseille. 

D'ailleurs,  s'il  y  était  venu  et  s'il  l'avait  traitée  comme  les 
autres  villes  de  ses  Etats,  la  lettre  de  Sidoine  Apollinaire  à 
Basile,  évoque  d'Aix,  l'aurait  indiqué.  Or,  cette  lettre  parle 
des  villes  de  Bordeaux,  de  Périgueux,  de  Rodez,  de  Limoges, 
de  Mende,  d'Eauze,  de  Bazas,  deComminges  etd'Auch,  dont 
il  avait  chassé  ou  fait  massacrer  les  évéques,  et  rien  de  Mar- 
seille. Il  y  est  fait  mention,  c'est  vrai,  de  beaucoup  d'autres 
cités  qui  avaient  vu  leurs  évoques  traités  aussi  indignement  : 
«  multoque  tam  major  numerus  civilatum  summis  sacerdo- 
tibus  ipsorum  morte  truncatis  (3).  »  Mais,  adressée  à  unévé- 
qne  voisin  de  Marseille  comme  Test  celui  d'Aix,  cette  lettre 
aurait  eu  au  moins  un  mot  pour  rappeler  ce  que  ce  tyran 
odieuxy  aurait  perpétré.  Il  n'en  est  rien  cependant.  Autre  preuve 
encore.  Le  traité  qui  met  fln  à  la  guerre  d'Arvernie,  en  475, 
fut  précisément  discuté  et  préparé  par  les  évoques  d'Arles, 
d'Aix,  de  Marseille  et  de  Riez.  Or,  l'on  sait  que  Sidoine  Apol- 
linaire écrivit  une  lettre  éloquente  à  ces  délégués  du  préteur 
Licinius,  chargé  par  Julien  Népos  de  demander  la  paix  au  roi 


(1)  La  première  attaque  qu'Euric  dirigea  contre  l'Auvergne  fut  victo- 
rieusement repoussée  par  Sidoine  Apollinaire,  évoque  de  Clermont,  et 
par  Eudicius,  maître  des  milices  gallo-romaines.  Il  fut  contraint  de  re- 
tourner vaincu  et  humilié  à  Toulouse.  (Darras,  Histoire  de  VEglise* 
t.  XIII,  p.  435.— A.  Thierry,  Récils  de  l'histoire  romaine  au  V»  siècle, 
p.  223.) 

(2)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  253.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  37. 

(3)  «  Burdigala,  Petrochorii,  Lemovices,  Gabalitani,  Elusani,  Wasates, 
Gonvenœ,  Auscenses,  multoque  jam  major  numerus  civitatum  sum- 
mis sacerdotibus  ipsorum  morte  truncatis...  »  Sidoine  Apollinaire, 
hpist.,  lib.  VII,  ch.  2.  (Lettre  citée  dans  Guesnay,  Annales  Provinciœ 
Massiliensis,  p.  183.)  —  Bouche,  Ckorographie  et  Histoire  de  Proven- 
ce, 1. 1,  p.  614. 


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des  Visigoths  (1).  Si  ce  roi  eût  ravagé  et  détruit  Marseille, 
Sidoine  aurait  pris  prétexte  de  ces  horreurs  pour  apitoyer 
les  messagers  sur  le  sort  de  son  propre  troupeau.  11  n'en  est 
rien  encore.  Donc,  de  471  à  475,  ce  ne  sont  pas  les  Visigoths 
qui  ont  pu  massacrer  les  vierges  cassianites  de  l'Huveaune. 
Guesnay  a  eu  tort  de  se  baser  sur  la  lettre  de  Sidoine  à  Basile 
d'Aix,  pour  parler  des  torrents  de  sang  qu'aurait  fait  verser 
Euric,  h  Marseille.  Il  s'agit,  dans  cette  lettre  et  dans  le  pas- 
sage de  Grégoire  de  Tours,  de  TArvernie  seulement. 

Ce  massacre  aurait-il  eu  lieu  de  475  à  480,  année  de  la  prise 
de  Marseille  par  Euric  ?  Non  pas.  Le  traité  de  475  qui  termina 
la  guerre  d'Arvernie  fut  respecté  par  Euric  (2).  Malgré  les 
regards  d'envie  qu'il  jetait  sur  la  Provence,  il  se  fit  un  scru- 
pule de  l'attaquer.  Elle  était  gouvernée  au  nom  de  Julien 
Népos,  par  le  préfet  Polème  (3).  Ces  quelques  années  furent 
relativement  calmes.*  En  476,  il  se  tint  à  Arles  un  concile  qui 
réunit  les  évêques  de  la  région  (4).  Euric  avait  fixé  sa  rési- 
dence à  Bordeaux  et  à  Toulouse,  et  il  faisait  administrer  l'Ar- 
vernie  par  Victorinus,  comte  gallo-romain  catholique,  qui 
fut  assez  indulgent  (5). 

Le  placerons-nous  de  480  à  484,  alors  qu'Euric  était  le  maître 
de  Marseille  ?  Non  encore.  Ce  ne  fut  pas  à  la  suite  d'une 
guerre  que  la  Provence  rentra  sous  la  domination  d'Euric, 
mais  bien  à  la  suite  du  traité  que  le  patrice  d'Italie  Odoacre  fit 
avec  le  roi  des  Visigoths.  Dès  la  mort  de  l'empereur  Julien 
Népos,  à  Salone,  en  480,  de  tous  les  points  de  la  Gaule  sur  la- 
quelle Euric  n'avait  point  encore  étendu  sa  puissance,  on 
réclama  des  secours  à  l'empereur  d'Orient,  alors  Zenon.  Mais 
celui-ci  abandonna  la  Gaule  au  roi  des  Hérules  Odoacre.  A  son 
tour,  ce  dernier,  se  contentant  de  régner  en  Italie,  céda  [la  Pro- 
vence à  Euric.  Aussitôt  Arles  et  Marseille  furent  incorporées 


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il)  Voir  dans  Guesnay,  op.  cit.,  p.  186. 

(2)  Ce  traité  passé  entre  l'empereur  Julien  Népos  et  Euric  cédait  à 
celui-ci  l'Arvernie,  et  laissait  la  Provence  aux  Romains. 

(3)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  1. 1  p.   254.  —  Darras,  Histoire  de 
V Eglise,  t.  XIII,  p.  439. 

(4)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIII,  p.  457. 

(5)  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XIII,  p.  460. 

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aux  Etats  visigoths  (1).  Or,  la  domination  de  ce  roi  semble  avoir 
été  assez  paisible,  à  cette  époque,  «  II  ne  s'occupa,  dit  Papon, 
que  de  bien  gouverner  ses  Etats  et  tâcha  d'y  établir  une  légis- 
lation simple  et  uniforme.  Son  règne  fut  assez  tranquille  (2).s> 
Nous  trouvons,  il  est  vrai,  à  l'actif  de  ce  roi  d'assez  graves 
reproches.  Ruffi  nous  apprend,  au  rapport  du  docte  Savaron, 
qu'à  l'instigation  d'Euric  Marseille  perdit  son  titre  de  métro- 
pole et  devint  église  suffragante  d'Arles  (3).  Cette  détermi- 
nation du  roivisigoth  s'explique  assez  facilement.  Il  avait  éta- 
bli sa  résidence  à  Arles,  rien  d'étonnant  qu'il  voulût  attribuer 
à  cette  ville  le  titre  et  l'honneur  de  métropole.  Dans  la  Vie  de 
Fauste,  évêque  de  Riez,  on  lit  qu'il  fut  banni  de  sa  ville  épis- 
copale  par  Euric,  en  477,  et  envoyé  dans  le  Limousin  (4). 
Quelle  fut  la  cause  de  cet  ordre  cruel  à  l'égard  d'un  pontife 
déjà  très  avancé  en  âge  ?  On  ne  le  sait.  Mais  le  roi  arien  s'oc- 
cupant  de  théologie,  et  Fauste  à  cette  époque  combattant  l'aria- 
nisme  pour  sauvegarder  la  foi  de  son  troupeau,  rien  d'éton- 
nant encore  qu'Euric  ait  jeté  cet  évoque  en  exil  et  l'y  ait  laissé 
de  longues  années,  puisque  ce  ne  fut  qu'à  la  mort  du  roi  arien 


(1)  <k  Intérim  tamen  adeum  ordinem,  unde  digressi  sumus,  redeamus- 
et  quomodo  Eoricus  rex  Visigothorum,  romani  regni  vacillationem  cer- 
nens  Arelatum  et  Massiliam  proprise  ditioni  subdidit  >  Jornandés,  De 
Rébus  Geticis,  c.  XL  VIL  —  (La  Gaule  au  VI*  siècle,  par  Longnon,  p. 
46.)  —  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  614. — 
Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  38.  —  Essai  snr  l'Histoire  de 
Provence,  t.  I,  p.  178.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  l.  1,  p.  254.— 
Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIII,  p.  479. 

(2)  Papon  Histoire  d,e  Provence,  t.  II,  p.  38.  —  De  Belsunce,  Anti- 
quité de  V Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  184  :  «  A  la  suite  du  traité  de  475, 
Euric  se  radoucit  à  l'égard  des  catholiques,  il  souffrit  môme  ou  dissi- 
mula une  assemblée  catholique  qui  se  tint  à  Arles,  en  475.  » 

(3)  Ruffi,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  38. 

(4)  Histoire  du  monastère  de  Lérins  par  Alliez,  t.  I,  p.  261.  — 
Gallia  christiana,  t.  I,  col.  392  :  «  Aliquo  tempore  in  exilio  vixit  :  rediit 
autem  ad  suam  ecclesiam  circa  annum  484.  >  Aux  notes  de  ce  tome  I, 
col.  58  :  «  Idcirco  vixit  in  exilio  régis  ariani  jussu,  quod  ausus  fuisset 
contra  Arianos  tune  provincire  dominos  scribere  :  exulavit  autem  in 
diocœsi  Lemovicensi  anno  477,  nec  priùs  rediit  ad  urbem  Regenscm 
quàm  impio  rege  deiuncto,  an.  484.  »  —  Cet  évêque  est  mort  plus  que 
centenaire.  (France  pontificale  :  Riez,  p.  301). 


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que  Fauste  put  revenir  au  milieu  des  siens.  Ce  fait,  quoique 
répréhensible,  ne  prouverait  pas  que  de  480  à  484  Euric  ait 
pu  autoriser  un  crime  comme  celui  qui  fait  1  objet  de  nos 
recherches. 

Alliez,  Giraud  Magloire  (1)  citant  la  Gallia  christiana,  An- 
thelmi  et  Guesnay,  accusent  ce  roi  du  meurtre  de  plusieurs 
saints  évêques  de  Provence,  entre  autres  de  saint  Gratien  (de 
Toulon),  de  saint  Ausile  (de  Fréjus),  de  saint  Deutherius  (de 
Nice).  Ils  s'appuient  sur  un  document  antique,  une  Passion 
abrégée  que  fit  rédiger  en  520  un  évêque  de  Toulon  nommé 
Desiderius.  Nous  ne  savons  le  cas  qu'il  faut  faire  de  ce  docu- 
ment, où  il  est  parlé  de  Saxons  sous  la  conduite  d'Hunéric, 
suivant  tel  manuscrit,  d'Eraric  suivant  tel  autre,  roi  des  Van- 
dales, qui  mettent  à  mort  les  deux  évêques  Gratien  et  Deuthé- 

(l)  Alliez,  Histoire  du  Monastère  de  Lerinst  t.  II,  p.  262.  —  Giraud 
Magloire,  Mémoire  sur  l'ancien  Taurœnlum,  p.  167. 

Gallia  christiana,  t.  I,  col.  741  :  c  Gratianus,  Evaricus  Visigotho- 
rum  rex,  qui  in  Gallia  Narbonensi  imperabat,  cùm  esset  Arianus  et 
suam  hœresim in  Gallia  propagare  cuperet,  saeviit  in  catholicos,  maxime 
in  episcopos.  Tune  sanctus  Gratianus  qui  Telonensem  cathedra  in  obti- 
nebat  martyr  occubuit,  circa  annum  472,  ex  doctissimo  Anthelmo, 
De  initiis  F 'oro julien  sis  Ecclesiœ...  » 

Anthelmius,  De  initiis  Ecclesiœ  Forojultensis,  p.  148  :  «  lntra  ann. 
472  et  473,  Valerius  Antipolitanus,  Gratianus  Telonensis,  Deutherius 
Niciensis  praîsules,  ejusdem  tyranni  Evarici  jussu ,  martyrio  afli- 
ciuntur.  » 

Guesnay,  Annales  Provinciœ  Massihensis,  p.  187-188:  «  Ténor  dicti 
instrumenti  seu  vitae  omnium  sanctorum  qui  in  ecclesiâ  urbis  Toloni 
commemorantur.. .  Anno  Domini  J.  G.  nativilatis  ejus  570,  ad  honorem 
Dei  ;  etc.,  etc.  Praesentibus  et  futuris  notum  sit  quod  ego  Desiderius 
Tolonensis  episcopus,  ad  perpetuam  rei  memoriam  in  prae senti  publico 
instrument)  et  secundum  tenorem  ipsius  de  aliis  manibus  scripti 
collecta?  sunt  ex  nobis  vitae  omnium  sanctorum  qui  in  hàc  ecclesiâ 
quiescunt  in  pace.  Et  primo  de  sanclis  Gratiano  et  Deutherio...  Gra- 
tianus episcopus  Telonensis .v .  cùm  autem  Saxones  cum  Hunerico 
Waudalorum  rege,  Gallias  nostras  invasisset.Tolonem  etiaminvaseruut, 
Gratiano  praedicante  in  ecclesiâ  et  ad  populum  dicti  Saxones  irruentes 
sicut  leones,  in  templo  Gratianum  cum  socio  suo  Deutherio  et  cum 
raultis  aliis  invenerunt,  qui  in  adversis  implorabant  divinum  auxilium, 
et  sanguinem  pro  Christo  immolaverunt  in  pace  moriendo,  anno 
Domini  493...  »  Le  manuscrit  que  cite  M.  Magl.  Giraud  porte:  «  Eva- 
rico  Vaodaioruni  rege  ». 


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rius,  et  cela  en  493,  à  Toulon.  Ensuite  il  est  assez  difficile  de 
trouver  ce  qu'il  y  a  devrai  dans  ce  texte.  En  493,  Hunéric, 
roi  des  Vandales,  et  Euric,  roi  des  Visigoths,  étaient  morts 
depuis  onze  ans  (484).  Hunéric  n'est  jamais  venu  à  Toulon,  ni 
à  Marseille,  il  est  resté  en  Afrique,  occupé  à  persécuter  les 
catholiques.  En  493,  c'était  Alaric,  qui  gouvernait  les  Visigoths; 
Guntamond,  qui  était  roi  des  Vandales.  Or,  tous  deux  n'ont 
pas  persécuté  les  catholiques,  quoiqu'ils  fussent  ariens. 

D'ailleurs,  nous  disons  :  de  ce  que  le  roi  Euric  aurait  com- 
mis ce  crime  à  Toulon,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ait  été  aussi 
cruel  à  Marseille,  en  faisant  massacrer  les  vierges  cassianites. 
Toujours  la  môme  raison  péremptoire  se  présente  en  effet. 
Gennade  écrivait  en  495  son  livre  des  Hommes  illustre*^  et 
il  y  affirme  que  de  son  temps  les  deux  monastères  de  Mar- 
seille existaient  encore.  Si,  durant  le  règne  d'Euric  à  Marseille 
de  480  à  484,  quelque  catastrophe  avait  eu  lieu,  Gennade 
n'aurait  pas  tenu  ce  langage. 

Alaric  II  succède  à  son  père  et  règne  jusqu'en  507,  date  de 
de  sa  mort  à  la  bataille  de  Vouillé.  Est-ce  l'époque  du  mar- 
tyre de  notre  sainte  Eusébie?  a  Dès  son  avènement  au  trône, 
dit  Ruffi,  Alaric  témoigna  qu'il  voulait  suivre  les  traces  de 
son  père  et  faire  voir  qu'il  était  aussi  bien  le  successeur  de  la 
haine  qu'il  portait  à  l'Eglise,  que  de  ses  Etats.  Il  commença 
par  exercer  sa  cruauté  sur  les  catholiques,  bannissant  les  uns, 
faisant  mourir  les  autres,  ce  qui  fut  cause  de  sa  ruine  (1).  * 
Cette  appréciation  du  règne  d'Alaric  nous  parait  contredite 
par  les  faits.  Ce  prince  était  arien,  et,  comme  tel,  ses  préfé- 
rences allaient  aux  adhérents  de  sa  secte.  Ayant  pour 
voisin  de  ses  Etats  un  prince  jeune,  ambitieux  et  bouillant, 
Clovis,  le  roi  des  Francs;  sachant  d'autre  part  que  beaucoup 
dans  la  Gaule  désiraient  avoir  pour  maître  ce  guerrier  d'un 
si  grand  avenir  (2),  Alaric  II  a  pu  maltraiter  et  exiler  des 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Provence,  t. 1,  p.  39. 

(2)  «  Interea  cum  jam  terror  Francorum  resonaretin  his  partibus  et 
omnes  eos  amore  desiderabili  cuperent  regnare...  »  Grégoire  de  Tours, 
Hiatoria  Francorum,  lib.  II,  cap.  23.— «  Multi  jam  tune  ex  Galliishabere 
Francos  dominos  summo  desiderio  cupiebant.  »  Grégoire  de  Tours, 
Historia  Francorum,  lib.  II,  c.  36. 


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-  545  — 

évoques  qu'il  supposait,  à  tort  c'est  vrai,  lui  préférer  Glovis. 
C'est  ce  qui  arriva  à  Césaire  d'Arles,  relégué  à  Bordeaux  (1); 
à  Quintianus  évoque  de  Rodez  envoyé  àGlermont  et  à  d'autres 
évêques  (2).  Mais  un  an  s'était  à  peine  écoulé,  que  Césaire  ren- 
trait comblé  d'honneur  par  Alaric  dans  sa  ville  épiscopale.  Celui- 
ci  permettait ,  en  506,  que  les  évéques  de  ses  Etats  tinssent  le 
concile  d'Agde  (3),  11  en  autorisait  un  autre  à  Toulouse  pour 
l'année  suivante,  et  cela  à  la  demande  de  Césaire  (4).  Il  rap- 
pelait d'exil,  dès  les  premières  années  de  son  règne,  Fauste, 
évéque  de  Riez,  jadis  banni  par  son  père  (5).  11  invitait  les 
évêques  catholiques  à  examiner  le  recueil  de  lois'qu'un  savant 
jurisconsulte  avait  dressé(6).  On  le  voit,  les  bonnes  dispositions 
de  ce  prince  arien  en  faveur  des  prélats  orthodoxes  se  sont  mani- 
festées en  bien  des  circonstances.  Il  avait  mis  en  pratique  les 
dernières  recommandations  d'Euric,  son  père,  et  ne  lui 
ressembla  nullement.  C'est  d'ailleurs  l'opinion  de  bien  des 
auteurs  (7).  Peut-il  donc  être  probable  que  sous  son  règne 
le  massacre  de  nos  vierges  marseillaises  ait  eu  lieu  ? 

Durant  le  règne  d'Alaric  II,  Marseille  fut  occupée  un  certain 
nombre  d'années  par  Gondebaud,  roi  des  Bourguignons,  de 
485  à  500  et  peut-être  506,  508.  Puis  elle  fut  remise  sous  la 
domination  de  Théodoric,  roi  des  Ostrogoths.  Est-ce  durant 
ce  laps  de  temps  que  nous  placerons  ce  massacre? 

Non,  le  roi  Théodoric    fut  un  prince  sage,  vertueux,  bon 


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(1)  L'abbé   Vilïevieille,  Histoire  de  saint  Césaire  d*  Arles,  p.  96.  - 
Lalauzière,  Abrégé  de  l'histoire  d'Arles,  p.  72.  —  Bouche,  Histoire  de 
Provence,  t.  I,  p.  616. 

(2)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIV,  p.  114.  —  L'abbé  Vilïevieille, 
op.  cit.,  p.  96. 

(3)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIV,  p.  111.  —  L'abbé  Vilïevieille, 
op.cit,  p.  109. 

(4)  L'abbé  Vilïevieille,  op.  cit.,  p.  114. 

(5)  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  t.  I,  p.  266. 

(6)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIV,  p.  lit.  —  L'abbé  Vilïevieille, 
op.  cit.,  p.  113.  —  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence, 
t.  I,  p.  617. 

(7)  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  616.  — 
Essai  sur  V histoire  de  Provence,  t.  1,  p.  175.  —  Darras,  Histoire  de 
V Eglise y  i.  XIV,  p.  111. 


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pour  ses  sujets.  Quoique  arien,  il  respecta  la  religion  catholi- 
que (1).  Il  exempta  Arles,  Marseille  et  d'autres  villes  d'une 
partie  des  impôts,  afin  de  les  dédommager  de  leurs  pertes  et 
de  leurs  maux  durant  la  guerre  qui  venait  de  finir  (2).  Il 
réprima  les  désordres  que  pouvaient  commettre  les  armées  (3). 
a  Les  rois,  disait-il,  doivent  fonder  leur  gloire  sur  le  bonheur 
de  leurs  peuples.  »  Ayant  envoyé  le  préfet  Libère  pour 
gouverner  la  ville  d'Arles,  il  lui  écrivait  :  «  Traitez-en  les 
habitants  si  généreusement,  qu'ils  sentent  combien  il  leur  est 
plus  avantageux  d'avoir  été  vaincus  et  faites  cesser  leurs 
regrets  de  n'être  plus  romains  (4).  »  Ces  bons  sentiments,  les 
auteurs  les  lui  reconnaissent.  Du  roi  Théodoric  et  de  ses 
Visigoths  on  peut  dire  ce  que  Salvien  disait  des  Goths  en  géné- 
ral :  a  Ils  sont  hérétiques,  sans  doute,  mais  ils  l'ignorent.  Ils 
se  jugent  tellement  catholiques,  qu'ils  nous  flétrissent  nous- 
mêmes  du  titre  d'hérétique.  Ils  errent,  mais  c'est  avec  bonne 
foi,  non  par  haine,  mais  par  amour  de  Dieu,  croyant  l'honorer 
et  l'aimer.  » 

Nous  ne  pouvons  pas  placer  ce  massacre  sous  le  règne 
d'Amalasonthe.  Ce  fut  une  ère  de  paix.  La  plupart  des  auteurs 
font  l'éloge  de  cette  princesse,  a  II  y  en  a  peu  dans  l'histoire 
qui  méritent  de  lui  être  comparées  pour  la  pénétration  et  la 
vivacité  de  l'esprit,  la  solidité  du  jugement  et  la  fermeté  du 
caractère  (5).  » 

Ce  ne  fut  pas  sous  le  règne  de  Théodat.  «  Il  était  avare, 
injuste,  timide,  lâche  et  paresseux,  ayant  les  vices  et  les  défauts 
qui  déshonorent  un  roi  (6).  »  Mais  il  ne  se  passa  rien,  à  Mar- 
ti) Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  631.  —  De 
Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise  de  Marseille,  t.  I,  221.  —  Papon, 
Histoire  de  Provence ,  t.  II,  p.  51.  —  L'abbé  Villevieille,  Histoire  de 
saint  Césaire,  p.  168. 

(2)  Lalauzière,  Abrégé  chronologique  de  l'Histoire  d'Arles,  pp.  74,75. 
—  Rufli,  Histoire  de  Provence%  t.  1,  p.  40. 

(3)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.   I,  p.   261.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  51. 

(4)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  49. 

(5)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II.  p.  53.  —  Procope.   —  Bouche, 
Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  1. 1,  pp.  G35,  036.  —  Cassiodore. 

,  —  Jornandés. 

(6)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II.  p.  54.  —   Procope.  —  Bouche. 


—  547  — 

seille,  à  cette  date,  qui  puisse  faire  soupçonner  qu'un 
événement  aussi  retentissant  que  le  massacre  des  religieuses 
d'un  monastère  ait  eu  lieu.  Durant  toute  cette  période,  de 
l'avènement  d'Alaric  (484)  à  la  cession  de  la  Provence  aux 
princes  francs,  (536),  on  sait  que  l'abbaye  de  Saint-Victor, 
placée  en  dehors  de  la  ville,  exposée  à  toutes  les  péripéties  des 
guerres  sanglantes  de  l'époque,  n'a  pas  été  détruite  et  n'a 
souffert  aucun  dommage.  Jamais  les  moines  ne  Font  abandon- 
née (1).  Ce  qui  suppose,  de  la  part  des  Visigoths,  un 
gouvernement  sage,  protecteur,  tranquille  à  l'égard  de  la  ville 
conquise.  Or,  ce  qui  arriva  pour  le  monastère  de  Saint-Victor 
a  dû  arriver  pour  l'abbaye  cassianite  des  filles.  Ce  ne  fut  pas  à 
cette  époque  qu'elle  eut  à  souffrir. 

C'est,  d'ailleurs,  l'époque  des  conciles  en  Provence.  De  l'an 
524  à  533,  il  s'en  tient  jusqu'à  six,  la  plupart  présidés  par 
saint  Césaire  :  le  IVe  d'Arles,  celui  de  Carpentras,  celui  de 
Valence,  celui  d'Orange,  celui  de  Vaison,  celui  de  Marseille  (2). 
Autant  de  preuves  que  ce  n'était  pas  une  ère  de  persécution. 
Sûrement,  dans  le  cas  contraire,  il  resterait  du  fait  du  massacre 
des  vierges  cassianites  un  souvenir  dans  les  délibérations  et  les 
prescriptions  conciliaires  (3). 

Nous  pouvons  donc  encore  le  dire,  ce  ne  sont  pas  les  Visi- 
goths qui  ont  martyrisé  sainte  Eusébie. 


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Esêaisur  V Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  176.  — Bouche,  C horographie 
et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  639. 

(1)  Les  Saint*  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  7. 

(2)  IV*  concile  d'Arles,  en  524  ;  Concile  de  Carpentras,  en  527  ;  II» 
concile  d'Orange,  en  529  ;  IIe  concile  de  Vaison,  en  529  ;  concile  de 
Valence,  en  529.  (Roisselet  des  Sauclières,  Histoire  des  conciles  de  la 
chrétienté,  t.  II.  —  L'abbé  Villevieille,  Histoire  de  Saint  Césaire 
cC  Arles*  ch.  V,  p.  200).  —  Concile  de  Marseille,  en  533.  (Histoire  de 
Saint  Césaire  d'Arles,  par  Villevieille,  p.  247). 

(3)  Rien,  dans  les  comptes  rendus  de  ces  assemblées,  ne  fait  supposer 
pareil  événement.  (Roisselet  des  Sauclières,  op.  cit.,  à  la  date  de  ces 
conciles.) 


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CHAPITRE  in 

Les  Bourgaignonst  les  Francs  n'ont  pas  martyrisé 

sainte  Eusébie. 


LES  BOURGUIGNONS  EN  PROVENCE.  —  NI  VERS  418,  NI  VERS  450,  NI  DB 
484  A  501,  ILS  N'ONT  FAIT  MOURIR  SAINTE  EUSÉBIE.  —  LES  FRANCS  EN 
PROVENCE.  —  NON  PLUS  NI  VERS  508,  NI  VERS  533,  NI  VERS  536,  NI 
APRÈS,  LES  FRANCS  N'ONT  ACCOMPLI  UN  '  TEL  MASSACRE,  A  MAR- 
SEILLE. 


Les  Bourguignons  franchissent  le  Rhin  en  406-407  avec  les 
hordes  des  Vandales  et  des  Suèves.  Moins  nomades  que  ces 
derniers  barbares,  ils  parvinrent  à  s'établir  dans  les  vallées  de 
la  Saône  et  du  Rhône,  vers  410  ou  413.  Puis  le  royaume  bur- 
gnnde  alla  s'agrandissant  peu  à  peu.  Vers  443,  il  s'étendait 
entre  le  Rhôue,  la  Saône  et  les  Alpes  (1).  Un  peu  plus  tard, 
vers  450,  les  limites  en  furent  reculées  vers  la  Durance  et 
Avignon,  à  la  suite  d'un  traité  depaix(?)  qu'Aetius,  qui  dé- 
fendait Arles  au  nom  des  Romains,  fit  avec  Gondicaire,  un  de 
leurs  rois.  A  cette  époque,  suivant  quelques  auteurs,  ils 
seraient  venus  jusqu'à  Marseille  (3)  sans  jamais  cependant  s'y 
être  fixés.  Plus  tard,  à  la  mort  d'Euric,  roi  des  Visigoths,  en 
484,  Gondebaud,  un  des  successeurs  de  Gondicaire,  s'empara 
de  Marseille  et  du  reste  de  la  Provence  (4).  Dès  501,  il  en  fut 
chassé  par  Théodoric,  roi  des  Ostrogoths.  Une  seconde  fois,  en 

(l)Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  42.  —  Daresle,  Histoire  de 
France,  t.  I,  p.  171. 

(2)  Bouche  H.,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  583.— 
Bouche,  Essai  sur  l'Histoire  de  Provence, \  A,  p.  174. 

(3)  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  583.  — 
Bouche,  Essai  sur  la  Provence,  t.  I.  p.  174.  —  Fastes  de  Provence,  par 
Fouque,  t.  I.  p.  212. 

(4)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  255.  —  Belsunce,  Antiquité 
de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  p.  215. 


—  549  — 

508,  Gondebaud  reprit  Marseille,  mais  il  en  fut  chassé  encore 
par  Théodoric  et,  depuis,  Marseille  demeura  sous  la  domina- 
tion des  Visigoths,  jusqu'au  jour  où  les  fils  de  Glovis  s'en 
emparèrent  en  536. 

Or,  on  ne  trouve  pas,  croyons-nous,  nn  moment,  durant 
cette  période,  où  Ton  puisse  imputer  aux  Bourguignons  le 
massacre  des  religieuses  cassianites. 

Guesnay  a  bien  dit  que,  vers  413,  ces  barbares  vinrent 
dans  notre  ville,  en  enlevèrent  les  reliques,  eu  massacrèrent 
les  habitants  (1).  Il  invoque  en  témoignage  la  description  que 
Salvieu,  contemporain  de  ces  événements,  en  a  fait  plus  tard. 
Mais  quel  est  ce  texte  de  Salvien  ?  Guesnay  ne  lé  cite  pas. 
Arrivé  à  Tépiscopat  de  Salvien,  car  il  en  fait  un  évoque  de  Mar- 
seille, il  ne  s'explique  pas  davantage.  Son  assertion  est  donc 
sans  valeur. 

Ruffi,  à  son  tour,  affirme  qu'à  une  certaine  époque  les  Bour- 
guignons ont  pris  Marseille  et  l'ont  pillée  (2).  Il  s'appuie 
encore  sur  ce  que  Salvien  a  écrit  que  Marseille  n'était  qu'un 
désert,  qu'elle  était  si  fort  ruinée  qu'elle  n'avait  plus  le  nom  de 
ville.  Ce  texte  de  Salvien  est  sans  doute  celui-ci  :  a  Par  trois 
fois  ravagée  et  détruite,  la  plus  illustre  ville  des  Gaules  vit 
ses  maux  s'accroître  môme  après  avoir  été  incendiée  ;  c'était  là 
ce  qui  arrivait  à  toute  cité  (3)  ».  Or,  cette  illustre  ville  des  Gau- 
les, c'est  peut-être  Trêves,  à  coup  sûr  ce  n'est  pas  Marseille.  A 
quelle  date,  d'ailleurs,  fixer  cette  prise  de  Marseille  par  les 
Bourguignons  ?  Ruffi  ne  le  dit  pas. 

(1)  Guesnay,  Provinciœ  Massiliensis  Annales,  à  l'année  419  :  t  Sunt 
qui  dicant  tum  a  Burgondionibus  bello  captam  Massiliam,  spoliatos 
cives,  allatas  opes  et  facultates  omnes  expilata  venerandis  suis  reliquiis 
et  omni  sacra  supellectile  templa,  excisiouem,  inflammationem,  ever- 
sionem,  depopulationem,  vostitatem  omnibus  tectis  et  agris  illatam. 
Nec  modo  urbem,  sed  universam  quoque  provinciam  in  eorum  ditionem 
potestatemque  redactara  fuisse  Salviani  Massiliensis  testis  tune  vivi  ac 
prsesentis  ingenium  premebat  haec  importuna  civitatis  ciades,  qui  pro 
rerum  atrocitate  déplorât  et  scriptis  suis  exibet  tantas  calamitates...  » 
Page  150. 

(2;  Ruffi,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  37. 

(3)  Salvien,  De  gubernatione  Dei,  1.  VI  :  «  Excisa  ter  continuatis 
eversionibus  summa  urbe  Gallorum,  cum  omnis  civitas  bustum  esset, 
malis  et  post  excidia  crescentibus.  » 


-  550  - 

D'ailleurs,  les  Bourguignons  ne  pouvaient  guère  se  trouver  à 
Marseille  à  cette  date  de  419  ou  à  peu  près.  À  cette  époque,  ils 
étaient  à  peine  fixés  en  Séquanaise.  Y  fussent-ils  venus  et  eus- 
sent-ils pillé  la  ville,  peu  importerait.  Les  monastères  d'hom- 
mes, de  femmes  n'avaient  pas  encore  été  fondés  par  Cassien, 
la  date  la  plus  probable  de  cette  fondation  étant  de  415  à  420. 

Suivant.quelques  auteurs,  avons-nous  dit  plus  haut,  les  Bour- 
guignons seraient  arrivés  jusqu'à  Marseille  à  l'époque  où  Àetius 
lit  un  traité  de  paix  avec  eux,  par  lequel  il  leur  cédait  le  Dau- 
phiné,  la  Viennoise  jusqu'à  la  Durance,  et  conservait  aux  Ro- 
mains le  reste  de  la  Provence,  c  est-à-dire  vers  480  (1).  Ils  ajou- 
tent qu'à  plusieurs  reprises  cette  ville  changea  de  maître,  de 
456  à  459  ;  tantôt  les  Bourguignons,  tantôt  les  Romains  y  com- 
mandèrent (2).  Guesnay  raconte  que  Gondebaud,  ayant  battu  et 
chassé  Euric  de  la  Provence,  la  soumit  à  sa  puissance.  Toutes 
ces  assertions  sont-elles  bien  exactes  ?  Nous  ne  voulons  pas 
nous  y  arrêter  (3).  Supposons-les  vraies.  Pourrons-nous  placer 
le  martyre  de  notre  sainte  Eusébie  à  cette  époque  ?  Non  pas 
encore.  Salvien  écrivait  vers  le  milieu  de  ce  siècle,  Gennade  un 
peu  plus  tard,  est-ce  que  ou  l'un  ou  l'autre  n'aurait  pas  parlé 
de  ces  désordres  ?  Ils  n'en  ont  rien  dit.  Gennade  affirme  que 
jusqu'à  son  époque  les  deux  monastères  étaient  debout:  «usque 
hodie  exstant.  »  Donc  il  ne  s'est  rien  passé  d'anormal  vers  480. 

Euric  étant  mort  en  484,  Gondebaud,  dont  le  royaume  avait 

(1)  Bouche,  Chororjraphie  et  Histoire  de  Provence^  t.  I.  p.  583.  — 
Fastes  de  Provence,  par  Fouque,  t.  I,  p.  212. 

(2)  Fouque,  Fastes  de  Provence,  t.  I,  p.  212. 

On  ne  pourrait  s'appuyer  pour  soutenir  ces  assertions,  comme  le  lont 
Ruffl  et  Guesnay,  sur  le  texte  de  saint  Grégoire  de  Tours,  dont  nous 
nous  occuperons  tantôt,  car  il  est  fait  mention  de  Gondebaud  et  de 
Godégésile  seulement  en  qualité  de  rois,  ce  qui  suppose  la  mort  de 
Gundioch  leur  père,  qui  arriva  vers  479,  époque  où  le  royaume  bour- 
guignon fut  divisé  entre  les  quatre  fils.  Dareste,  Histoire  de  France, 
t.  I,  p.  180. 

(3)  «  Deinceps  Gundericum  Gundicarii  primi  Burgundionum  régis 
filium,  trans  Druentiam  nunc  pénétrasse,  datâque  occasione,  fugatoque 
Eurico,  Massiliensem  subjecisse  armis  provinciam,  et  in  ditionem  su  a  m 
redegisse...  ad  ann.  471.  »  Guesnay,  Annales Provinciœ Ma&siliensis, 
p.  179.  —  Ceci  se  rapporterait  plutôt  à  l'époque  qui  suivit  la  mort 
d'Euric,  roi  des  Visigoths. 


—  551  — 

pour  limite  au  sud  la  Durance,  franchit  cette  rivière, 
envahit  la  Provence  et  s'empara  d'Aix,  de  Marseille,  après  une 
guerre  de  courte  durée  (1).  Grégoire  de  Tours  dit,  en  effet, 
«  qu'à  cette  époque  Gondebaud  et  Godégésile,  son  frère,  avaient 
sous  leur  domination  les  pays  compris  entre  le  Rhône,  la  Saône, 
avec  la  province  de  Marseille  (2).  Sûrement  Gondebaud, 
mettant  à  profit  et  le  trouble  que  la  mort  d'Euric  apportait 
dans  ses  vastes  Etats  et  l'éloignement  d'Alaric,  son  successeur, 
obligé  de  courir  à  Toulouse,  capitale  du  royaume,  pour  s'y  faire 
reconnaître,  envahit  la  Provence  et  prit  Marseille  (3).  Mais  il 
ne  garda  pas  longtemps  sa  nouvelle  conquête.  Alaric  dut 
entrer  en  possession,  vers  501,  des  Etats  de  son  père  (4).  En  505, 
il  était  le  maître  d'Arles, puisqu'il  envoyait  en  exil  saint  Gésaire, 
évoque  de  cette  ville  (5).  Or,  qui  possédait  Arles  avait  Marseille. 
Cependant ,  comme  à  la  conférence  que  Gondebaud  permit 
aux  évoques  catholiques  et  ariens  de  tenir  à  Lyon,  en  499  (6), 
assistaient  l'évoque  de  Marseille  et  celui  d'Arles  (7)  ;  comme  il 
n'y  avait  guère  que  les  évêques  sujets  d'un  même,  roi  qui 
vinssent  aux  conciles  et  réunions  tenus  dans  ses  Etats  (8), 
il  est  fort  probable  qu'en  499  Gondebaud,  roi  des  Bourguignons, 
fût  le  maître  d'Arles  et  de  Marseille  (9).  Mais,  dès  l'année  501, 


(1)  Aug.  Fabre,   Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  255. 

(2)  «  Tune  Gundebaldus  et  Godegiselus  fratres,  regnum  circa  Rhoda- 
nuro  et  Ararim  cum  Massiliensi  provincia  retinebant.  »  Grégoire  de 
Tours,  Historia  Francorum,  lib.  II,  cap.  32.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  42. 

(3)  11  est  fort  probable  qu'en  489  Marseille  appartenait  à  Gondebaud. 
Il  existe  de  cette  année,  nous  l'avons  dit  au  chapitre  précédent,  un 
marbre  trouvé  à  Marseille,  celui  de  Nymphidius,  daté  par  le  consulat, 
mode  usité  chez  les  Bourguignons,  tandis  que  dans  les  Etats  d'Alaric  on 
datait  par  les  années  de  règne  de  ce  roi  :  inscription  de  Viviers,  etc. 

(4)  Longnon,  La  Gaule  au  VI*  siècle,  p.  51,  note  ;  60,  note  ;  73,  note. 

(5)  Villevieille,  Histoire  de  Saint  Césaire  d'Arles,  p.  99. 

(6)  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XIV,  p.  97. 
(7;  La  Gaule  au  VI9  siècle  par  Longnon,  p.  72. 
(8)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  43. 

(9)Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p  215.—  Des 
auteurs  ont  pensé  qu' Alaric  lui-même  avait  cédé  Marseille  et  la  Provence, 
h  l'exception  d'Arles,  à  Gondebaud,  afin  de  s'en  faire  un  allié  éventuel 
dans  le   cas  d'une   guerre  avec    Clovis.    (Statistique  des  Bouches-du- 


—  552  — 

il  était  vaincu  par  Clovis  et  Théodoric,  roi  d'Italie,  qui  se 
partageaient  son  royaume  (1),  juste  punition  de  ses  fratricides 
et  de  ses  parjures.  C'est  donc  de  484  à  500  que  Marseille  a  été 
sous  la  domination  des  Bourguignons. 

Or,  est-  ce  à  cette  époque  qu'il  faut  placer  le  martyre  de 
sainte  Eusébie  en  l'imputant  aux  Bourguignons  ?  Nullement. 
S'il  avait  eu  lieu,  en  effet,  c'eût  été  en  484,  lors  de  l'arrivée  de 
Gondebaud  à  Marseille.  C'est  à  cette  date  aussi  qu'il  faudrait 
assigner  les  massacres  et  les  désordres  dont  Guesnay  et  Ruiïi 
ont  parlé.  Mais,  dans  ce  cas,  comment  se  fait-il  que  Gennade, 
qui  écrivait  son  livre  De  scriptoribus  ecclesiasiicis  vers  495, 
témoin  de  ces  faits  odieux,  ait  dit,  des  deux  monastères  de 
Marseille,  que  a  usque  hodie  exstant  »  ? 

Ce  n'est  pas  non  plus  à  une  date  postérieure  à  484  et  durant 
la  domination  de  Gondebaud  à  Marseille  que  ce  fait  a  pu  avoir 
lieu.  Quoique  arien,  Gondebaud  n'a  pas  persécuté  à  ce  point 
les  catholiques.  Dès  l'an  490  il  faisait  recueillir  et  élever  chez 
lui,  dans  la  foi  catholique,  sa  nièce  Clotilde  (2).  Nous  l'avons 
vu  permettre  aux  évoques  catholiques  et  ariens  de  tenir  la 
conférence  de  Lyon  (3).  Il  avait  en  grande  estime  saint  Àvit, 
évêque  de  Vienne  (4).  Les  lois  qu'il  avait  données  à  ses  peuples 
étaient  pour  la  plupart  empreintes  d'une  grande  équité, 
puisque  saint  Grégoire  de  Tours  en  louait  la  promulgation  (5). 
Le  même  historien,  Grégoire  de  Tours,  qui  indique  l'arrivée 
de  Gondebaud  à  Marseille,  ne  dit  pas  qu'il  s'y  soit  comporté  en 
barbare  (6).  Et  Guesnay,  qui  en  parle  aussi,  ne  fait  pas  remar- 


Rhône,  t.  II,  p.  88.  —  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique...  des 
délibérations  du  Conseil  municipal  de  Marseille%  1. 1,  p.  89).  —  Guesr- 
nay  :  c  lpse  vero  Gundebaldus,  interempto  fratre,  regnum  Burgundionum 
et  provinciam  Massiliensem  solus  tenuit.  »  Annales  Provinciœ  Ma&si- 
liensis.  p.  187. 

(1)  Bouche  H.,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  620. 

(2)  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XIV,  p.  461 . 

(3)  Darras,  Histoire  de  VEglise,  t.  XIV,  p.  97. 

(4)  Darras,  Histoire  de  VEglise,  t.  XIV,  pp.  97  à  106. 

(5)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIV,  p.  $0.—Historia  Francorum, 
par  Grégoire  de  Tours  :  «  Burgondionibus  leges  mitiores  instituât,  ne 
Romanos  opprimèrent.  »  (Lib.  II,  cap.  33.) 

(6)  Historia  Francorum,  par  Grégoire  de  Tours,  lib.  II,  cap.  32. 


—  553  - 

guer  qu'il  y  ait  eu  à  cette  occasion  ni  massacres,  ni  désor- 
dres (1). 

À  la  suite  de  la  défaite  de  Gondebaud  par  Clovis  et  Théodo- 
ric,  celui-ci  remit  à  Alaric  la  partie  delà  Provence  située 
entre  la  mer  et  la  Durance,  qu'il  avait  reprise  au  roi  des 
Bourguignons.  Cinq  ou  six  ans'se  passèrent.  Mais,  après  la  mort 
d' Alaric,  à  la  bataille  de  Vouillé,  en  507,  Clovis  et  Gondebaud 
attaquèrent  de  nouveau  la  Provence  (2).  En  508  ils  mirent  le 
siège  devant  Arles.  Repoussés  par  une  armée  de  secours  qu'a- 
menait lbbas,  général  de  Théodoric,  ils  revinrent  devant  cette 
même  ville  en  510.  De  nouveau  ils  furent  vaincus  par  les  gé- 
néraux de  Théodoric  et  définitivement  chassés  de  la  Pro- 
vence (3).  Jusqu'en  536,  Marseille  demeura  sous  la  domina- 
tion des  Visigoths. 

Placerons-nous  à  cette  époque  le  martyre  de  sainte  Eusébie? 
On  peut  bien  croire  que,  durant  ces  deux  sièges  d'Arles,  la 
Provence  eut  à  souffrir  de  la  présence  des  armées  ennemies, 
que  la  campagne  fut  ravagée,  que  d'autres  villes  furent 
attaquées  (4).  Cependant  les  Francs  et  les  Bourguignons 
arrivèrent-ils  jusqu'à  Marseille?  Ce  n'est  guère  possible,  l'armée 
.  des  Ostrogoths  leur  barrait  le  passage.  Cette  ville  était-elle 
sans  défense  ?  Non,  les  Visigoths  la  possédaient.  L'ont-ils 
ravagée  et  saccagée  ?  Aucun  historien  de  la  Provence  ne  le  dit. 
De  plus,  alors  que  '  dans  les  divers  rescrits  que  Théodoric 
adresse  aux  habitants  d'Arles  pour  les  féliciter  de  leur  loyalisme 
à  son  endroit  et  de  leur  courage  dans  la  lutte,  il  est  parlé  des 
maux  soufferts,  des  tours  renversées,  de  la  famine  et  de  la 
misère  subies,  dans  les  lettres  que  ce  même  prince  adresse,  à  la 
même  époque,  aux  habitants  de  Marseille,  il  n'est  rien  dit  de 
semblable,  aucune  allusion  n'est  faite  à  de  pareilles  calamités. 

Nous  pouvons  donc  l'affirmer  sans  crainte,  ce  ne  sont  pas  les 
Bourguignons  qui  ont  martyrisé  sainte  Eusébie. 

En  chargerons-nous  la  mémoire  des  Francs  nos  aïeux  ?  Les 


(1)  Guesnay,  Provinciœ  Massihensis  Annales,  p.  187. 

(2)  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  197. 

(3)  Dareste,  Histoire  de  France,  1. 1,  p.  198. 

(4)  Essai  sur  V  Histoire  de  Provence,  par  Bouche,  t.  I,  p.  176; 


-  554  - 

Francs  ne  se  sont  jamais  emparés  par  conquête  de  cette  partie 
de  la  Provence  qui  est  située  entre  la  Durance  et  la  mer.  Une 
première  fois  en  508,  puis  en  510,  ils  ont  mis  le  siège  devant 
la  ville  d'Arles.  C'était  Thierry,  fils  deClovis,  qui  les  comman- 
dait. Ils  avaient  pour  alliés  les  Bourguignons  conduits  par 
Grondebaud,  Une  troisième  fois,  en  533,  ils  reparurent  sous  les 
murs  de  cette  cité,  dirigés  par  Théodebert,  petit-fils  de  Glovis. 
En  536,  enfin,  Théodat  et  après  luiVitigès,  tous  deux  rois  des 
Visigotlis,  cédèrent  cette  partie  de  la  Provence  aux  Francs 
pour  20,000  écus  d'or.  Ghildebert,  fils  de  Clovis,  eut  Arles  ; 
Clotaire,  également  fils  de  Clovis,  Marseille;  Théodebert, 
petit-tils  de  Clovis,  le  reste  du  pays(l). 

A  laquelle  de  ces  différentes  époques  pourrait-on  placer  le 
martyre  de  notre  sainte,  et  l'attribuer  aux  Francs  ?  A  au- 
cune. Ce  ne  doit  pas  être  en  508,  510,  on  l'a  vu  dans  le  chapi- 
tre précédent.  Non  plus  en  533.  En  effet,  les  habitants  d'Arles 
furent  secourus  par  un  puissant  renfort  d'Ostrogoths  qui  mit 
en  fuite  Théodebert  et  ses  Francs.  D'autre  part,  Théodebert  ne 
put  prolonger  la  guerre,  puisqu'il  fut  subitement  rappelé  à 
Metz  par  la  mort  de  son  père  Thierry  ou  Théodoric,  roi  d'Aus- 
trasie,  fils  de  Clovis,  pour  prendre  la  couronne  et  déjouer  les 
complots  de  ses  oncles.  Donc,  il  ne  put  venir  jusqu'à  Mar- 
seille (2). 

Une  preuve  encore,  c'est  qu'en  cette  année  533  il  se  tint  à 
Marseille  un  concile  qui  prononça  une  sentence  de  déposition 
contre  l'évoque  de  Riez,  Contumeliosus.  Or,  c'était  saint  Gésaire 
d'Arles  qui  présidait  ce  concile  ;  seize  prélats  provençaux  y 
assistaient,  et  l'assemblée  se  tint  le  23  mai  533  (3).  A  cette  date, 


(1)  Dareste,   Histoire  de  France,  t.  I,  p.  215.  —  Fabre,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  263.  —H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  639. 

—  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  41.  —  Papon,   Histoire  de  Pro- 
vence, 1. 1,  p.  54.  —  Bouche,  Essai  sur  l'histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  177. 

—  Statistique  des  Bouches- du-Rhône,  1. 1,  p.  96.  —  Lalauzière,  Ahréyé 
chronologique  de  V Histoire  d'Arles,  p.  7'). 

(2)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  262.  —  Dareste,    Histoire 
de  France,  t.  I,  p.  214 — Statistique  des  Bouches-du- Rhône,  t  II,  p.  95. 

(3)  M.  le  chanoine  Albanés.  Armoriai  et  Sigillographie  des  évéqves  de 
Marseille,  p.  14   —  Vie  de  saint  Césaire,  par  l'abbé  VUlevieille,  p.  246. 


-  555  - 

Théodebert  n'avait  pas  encore  envahi  la  Provence,  car  Césaire 
n'aurait  pu  quitter  sa  ville  épiscopale,  ni  les  autres  évoques, 
de  Toulon,  d'Apt,  d'Avignon,  de  Digne,  de  Vence,  de  Vaison, 
d'Orange,  de  Saint-Paul-Trois-Châteaux,  etc.,  laisser  leurs 
troupeaux  (1).  Le  siège  d'Arles  a  donc  commencé  postérieure- 
ment au  mois  de  mai.  Or,  le  père  de  Théodebert,  Thierry,  au- 
près du  lit  duquel  son  fils  accourut,  est  mort  en  534  (2)  et 
Théodebert  assista  aux  derniers  jours  de  sa  maladie  ;  puis,  son 
père  mort,  il  se  joignit  à  ses  oncles  Childebert  et  Clotaire,  pour 
achever  la  conquête  de  la  Bourgogne,  et  tout  cela  en  534  (3). 
Le  siège  d'Arles  n'a  donc  duré  que  un  ou  deux  mois.  Il  n'est 
guère  possible  que  dans  ce  laps  de  temps,  étant  donné  que 
Marseille,  appartenant  aux  Visigoths,  ne  se  trouvait  pas  sans 
défense  et  que  l'armée  des  Ostrogoths,  arrivant  au  secours 
d'Arles,  devenait  une  protection  de  plus  pour  Marseille,  il  n'est 
guère  possible,  disons-nous,  que  dans  ces  deux  mois  les  Francs 
se  soient  avancés  jusqu'à  Marseille. 

Sera-ce  en  536,  alors  que  les  Francs  vinrent  en  Provence? 
Us  étaient  bien  barbares  encore,  nos  aïeux,  a  Touchés  au  front 
par  l'eau  du  baptême,  ils  conservaient  encore,  en  dépit  de  leur 
conversion,  la  nature  à  demi  bauvage  des  Germains,  leurs  an- 
cêtres (4)  » .  La  cruauté  avec  laquelle  Thierry  et  Théodebert 
avaient  ravagé  et  soumis  l'Arvernie  en  530,  les  mœurs  déver- 
gondées de  Clotaire  ?'  n'encouragent  guère  à  les  supposer 
incapables  d'avoir  massacré  des  vierges  sans  défense  (5). 

C'est  vrai,  «  les  mœurs  privées  de  ces  princes  étaient  loin 
encore  de  correspondre  à  la  sainteté  de  leur  foi,  mais  du  moins 
ils  savaient  rougir  de  leurs  excès  et,  au  besoin,  les  réparer 
noblement.  C'est  en  vain  qu'on  chercherait  dans  leur  vie 
l'unité  constante  de  l'indifférence  ou  de  la  haine  en  matière 


(1)  L'abbé  Villevieille,  Histoire  de  saint  Césaire  d'Arles,  p.  247. 

(2)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIV,  p.  445.—  Villevieille,  op.  cit.% 
p   302. 

(3)  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  215  —  Fabre,  t.  I,  p.  262.— 
Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  57.  —  H.  Bouche,  Histoire  de 
Provence,  t.  I,  p.  633. 

(4)  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XIV,  p.  446. 

(5)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIX,  pp.  412,  414,  445. 


—  556  — 

de  religion.  Des  passions  ardentes  les  entraînaient  en  sens 
contraditoire,  mais  le  fond  de  leur  cœur  était  toujours  reli- 
gieux (1).  »  Or,  d'une  part,  les  Francs  entraient  en  Provence, 
non  pas  à  la  suite  d'une  guerre,  mais  à  la  suite  d'une  cession 
volontaire.  D'autre  part,  nul  historien  de  Marseille  ou  d'ail- 
leurs qui  ait  chargé  ces  Francs  d'un  tel  forfait  accompli  dans 
notre  ville.  Grégoire  de  Tours,  qui  en  a  dit  bien  long  sur  nos 
aïeux,  n'a  fait  mention  cependant  de  rien  de  pareil. pour 
notre  ville.  Ce  n'est  donc  pas  en  536. 

Impossible,  enfin,  de  placer  ce  fait  à  un  moment  quelcon- 
que de  la  domination  des  Francs  en  Provence,  depuis  la  date 
de  leur  arrivée  en  536,  jusque  à  la  disparition  des  Mérovin- 
giens, ou  l'arrivée  au  pouvoir  de  Charles  Martel,  vers  720. 
Marseille  passa  sous  la  domination  d'une  série  de  rois  plus  ou 
moins  belliqueux  et  sanguinaires  dont  les  démêlés,  les  désas- 
tres couvrirent  la  France  de  ruines,  de  sang.  Mais  la  Provence, 
Marseille  échappaient  pour  l'ordinaire  à  ces  désastres.  Le 
règne  de  Théodebert  fut  une  époque  de  calme  pour  notre 
cité.  Il  gouvernait  son  royaume  avec  justice,  dit  Grégoire  de 
Tours,  honorant  les  évêques,  faisant  des  dons  aux  églises, 
secourant  les  pauvres,  distribuant  de  nombreux  bienfaits 
d'une  main  libérale  et  charitable  (2).  »  Théodebald  (548), 
Childebert  (511-558),  puis  Clotaire  (555-561)  lui  succédèrent. 
Le  nord  et  le  centre  de  la  France  seuls  furent  le  théâtre  des 
querelles  et  des  guerres  qu'ils  eurent  à  soutenir.  Sigebert 
(561),  qui  fut  le  maître  de  Marseille,  de  moitié  avec  Gontran, 
son  frère,  eut  bien  quelque  démêlé  avec  celui-ci  qui  possédait 
Arles.  Ils  se  firent  la  guerre  ;  mais  la  lutte  se  circonscrivit 
entre  Avignon  et  Arles  (3).  A  la  mort  de  Sigebert,  Gontran 
prit  possession  de  toute  la  ville  de  Marseille,  dont  il 
restitua  une  moitié,  en  582,  à  son  neveu  Childebert  II,  pour 
la  lui  ravir  encore  l'année  suivante,,  et  qu'il  garda  jusqu'après 
585  (4).  Ses  querelles  avec  l'évêque  de  Marseille,  saint  Théo- 
Ci)  Darras,  Histoire  de  VEglise,  t.  XIV,  p.  447. 

(2)  Dareste,  Histoire  de  France,  t,  I,  p.  217.  —  Grégoire  de  Tours, 
livre  II,  ch.XÏV. 

(3)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  280. 

(4)  Longnon,  Gatde  au  VI*  siècle,  pp.  447,  448. 


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—  557  — 

dore,  ne  suffisent  pas  pour  faire  soupçonner  que  ce  fut  sous 
son  règne  que  le  forfait  qui  nous  occupe  a  été  commis  (1). 
a  II  fut  fort  généreux,  sage,  modéré  en  toutes  ses  actions, 
juste,  équitable,  bon,  indulgent,  pieux,  charitable  envers 
l'Eglise  et  les  pauvres  (2).  »  Le  martyrologe  le  range  au  nom- 
bre des  saints  (3).  Sous  Childebert  qui  reprit  possession  de 
Marseille  (593),  à  lui  ravie  par  Gontran  son  oncle,  sous  Théo- 
debert  (596),  Clotaire  II  (513),  Dagobert  (628),  Sigebert  (638), 
et  la  série  des  rois  appelés  fainéants,  en  réalité  dominés  par 
les  leudes  et  les  maires  du  palais  (4),  nulle  trace,  dans  l'his- 
toire de  Provence  et  de  Marseille,  d'un  tel  massacre.  C'est 
toujours  le  nord  et  le  centre  de  la  France  qui  sont  désolés  par 
ces  rois,  en  rivalité  les  uns  avec  tes  autres  et  en  désaccord 
avec  leurs  leudes.  La  Provence  et  Marseille  sont  tranquilles. 
Encore  une  fois,  cène  sont  pas  les  Francs  qui  ont  massacré 
sainte  Eusébie. 


(1)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  290.  —H.  Bouche,  Histoire 
de  Provence,  t.  I,  p.  670,  etc. —  Ruffl,  Histoire  de  Marseille,  t   I,  p.  43. 

(2)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  674. 

(3)  28  Mars,  Martyrologe  romain  :  «  Gabillone,  in  Gallia,  depositio 
saucti  Gunthramni,  régis  Francorum,  qui  spiritualibus  actiouibus  ita 
se  mancipavit,  ut  relictis  saeculi  pompis,  thesauros  suos  ecclesiœ  et  pau- 
peribus  erogavit.  »  —  Longnon,  La  Gaule  au  VI0  siècle,  p.  225,  citant 
le  cartulaire  du  chapitre  de  Notre-Dame  de  Lausanne,  pp.  30, 31 . 

(4)  Da reste,  Histoire  de  France,  t.  I,  passim,  livre  quatrième. 


36 


4 


CHAPITRE  IV 

Les  Lombards,   les   Saxons  n'ont  pas  martyrisé 

sainte   Eusébie. 


LES  LOMBARDS  KN  PROVBNCB  —  RN  570,  ILS  SONT  BATTUS  PAR  âMAT, 
PATRICR  DBS  BOURGUIGNONS.  —  EN  571,  C'SST  MUMMOLUS,  AUTRE 
GÉNÉRAL  BOURGUIGNON,  QUI  LRS  DÉFAIT  A  XMBRUN.  —  EN  575,  ILS 
SONT  ENCORE  REPOUSSES  PAR  LE  MÈRE  GÉNÉRAL  A  GRENOBLE,  A 
EMBRUN,  ET  ILS  NE  PASSENT  PAS  A  MARSEILLE,  EN  FUYANT  VERS 
L'ITàLIE.  -  LES  SAXON8  QUI  VINRENT  EN  PROVENCE  EN  572  OU  573, 
N'ONT  PAS  PARU  A  MARSEILLE. 


Les  Lombards  firent  irruption  en  Provence  en  570,  mais 
Àmat,  patrice  et  général  des  Bourguignons,  les  battit.  En  571, 
ils  reparurent  d,u  côté  d'Embrun,  Mummolus  les  repoussa.  En 
572,  ce  fut  près  de  Riez  qu'ils  eurent  le  même  sort.  Trois  ans 
plus  tard,  ils  attaquèrent  à  la  fois  Avignon,  Valence  et  Arles, 
pillant  et  saccageant  tout  sur  leur  passage.  Amon,  un  de  leurs 
chefs,  poussa  même  jusqu'à  Marseille.  Mais,  la  trouvant  gardée 
il  s'en  éloigna  et  se  dirigea  sur  Aix.  Mummolus  défît  les  trois 
généraux  lombards,  et  tout  fut  fini  (1). 

A  quatre  reprises  donc  les  Lombards  ont  envahi  la  Provence 
et  les  contrées  limitrophes.  A  quel  moment  de  ces  invasions 
ont-ils  pu  martyriser  sainte  Eusébie?  Est-ce  bien  à  eux  que 
Ton  doit  imputer  ce  massacre? 

Ils  en  étaient  bien  capables  ;  car  leur  historien,  Paul  Dia- 


(1)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  U  I,  p.  667.  —  Ruffi,  Histoire 
de  Marseille,  t.  I,  p.  43.  —  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  61.— 
Bouche,  Essai  sur  Vhistoire  de  Provence,  t.  I,  p.  179.  —  Guesnay,  An- 
nales Provinciœ  Massiliensis,  p.  214.  —  Statistique  des  Bouche$-dv- 
Rhône,  t.  II,  p.  103.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  284.  — 
Dareste,  Histoire  de  France,  t.I,  p.  236.  —  Grégoire  de  Tours,  Historia 
Francorum,  lib.  IV,  p.  35. 


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—  5o9  — 

cre  (1),  faisant  le  récil  de  leurs  conquêtes  en  Italie,  dit  «  qu'ils 
dépouillaient  les  églises,  tuaient  les  prêtres,  détruisaient  les 
villes  et  en  massacraient  les  habitants. »  Cependant  on  ne  peut 
pas  dire  que  ce  fut  en  570  qu'ils  ont  massacré  les  reli- 
gieuses cassianites. 

Ils  traversent  les  Alpes,  en  effet,  et  ravagent  la  partie  du 
royaume  bourguignon  qui  confine  avec  ces  montagnes.  Mais, 
Amat,  le  patrice  de  Bourgogne  et  gouverneur  de  la  Provence(2) 
pour  leroiGontran.  les  arrête,  les  bat,  les  force  à  regagner 
l'Italie.  Malheureusement  ce  général  vainqueur  trouve  la 
mort  dans  sa  victoire.  Or,  à  quel  endroit  de  la  Provence  s'est 
livrée  cette  bataille?  Un  auteur  dit  que  :  «  les  historiens  n'en 
indiquent  pas  le  lieu  précis (3).»  C'est  vrai.  Cependant  H.  Bou- 
che et  Guesnay  affirment  que  c'est  à  la  descente  des  Alpes  (4). 
Papon  parle  des  ravages  dans  le  Dauphiné  (5),  Dareste  et  la 
Statistique  (6)  dans  la  Bourgogne,  Ruffi,  Lalauzière  et  Pabre 
dans  la  Provence  (7).  Mais  Grégoire  de  Tours  se  contentant  de 
dire  que  les  Lombards  firent  un  tel  massacre  des  habitants  de  ce 
pays  appartenant  au  royaume  bourguignon,  que  le  nombre  n'en 
fut  jamais  connu  (8)  ;  les  historiens  de  Provence  n'ayant  rien  de 
précis  sur  ce  point,  on  peut  bien  croire  que  si  Marseille  avait 


\  *• 


(1)  c  Spoliatis  ecclesiis,  sacerdotibus  interfectis,  civitatibus  subrutis, 
populisque  exstinctis . . .  î  Paul  Diacre,  Historia  Longobardorum,  lib.  II, 
cap. 18. 

(2;  Dareste,  Histoire  de  France,  1. 1,  p.  236.  —  Ruffi,  Histoire  de  Mar- 
seille, 1. 1,  p.  43. 

(3)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  282. 

(4)  H.  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  666.  — 
Guesnay,  Annales  Provinciœ  Massiliensis  :  c  Factâ  in  Alpibus  ingenti 
prsedà.i  Page  215.  —  Bouche,  Essai  sur  l'histoire  de  Provence,  t.  I, 
p.  179. 

(5)  Papou,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  61. 

(6)  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  236.  —  Statistique  des  Bou- 
ches-du-Rhône,  t.  II,  p .  103. 

(7)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  43.  —  Lalauzière,  Abrégé 
chronologique  de  l'histoire  a" Arles,  p.  83.  —  À.  Fabre,  Histoire  de 
Marseille,  t.  I,  p.  282. 

(8)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum  :  «  Tantamque  tune  stra- 
gem  Longobardi  feruutur  fecisse  de  Burgundionibus,  ut  non  poesit 
colligi  numerus  occisorum.»  Lib.  IV,  cap.  35. 


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i 


—  560  — 

subi  quelque  attaque  lors  de  cette  première  invasion,  et  Gré- 
goire de  Tours  aurait  nommé  Marseille,  puisqu'il  le  fait  pour 
les  autres  pités  ravagées  par  les  barbares  dans  leurs  invasions 
suivantes,  et  les  historiens  de  Marseille  en  auraient  gardé  le 
souvenir.  Ce  n'est  donc  pas  en  570  que  Ton  pourrait  accuser 
les  Lombards  d'avoir  donné  la  mort  à  sainte  Eusébie. 

Pourrions-nous  placer  cet  événement  en  571,  alors  que  les 
Lombards,  alléchés  par  le  butin  qu'ils  ont  transporté  de  Pro- 
vence en  Italie,  et  orgueilleux  de  leur  victoire  sur  le  patrice 
de  Bourgogne,  Àmat,  revinrent  en  Provence  ?  Non,  tous  les 
historiens  sont  d'accord  pour  dire  que  Mummolus,  le  nouveau 
général  que  Gontran  avait  placé  à  la  tête  de  ses  troupes,  ren- 
contra les  ennemis,  qui  arrivaient  par  le  val  de  Suse  et  le 
mont  Genèvre,  auprès  de  la  ville  d'Embrun,  qu'il  les  battit, 
les  mit  en  fuite,  en  massacra  un  grand  nombre  et  obligea  ceux 
qui  restaient  à  repasser  les  Alpes  en  désordre  (1).  Impossible 
encore  de  faire  massacrer  en  571,  par  les  Lombards,  les  vierges 
cassianites  de  l'Huveaune,  puisque  ces  barbares  ne  sont  pas 
venus  jusqu'à  Marseille. 

Ecrasés  par  une  telle  défaite,  les  Lombards  laissent  la  Pro- 
vence en  repos  durant  quatre  ans,  sauf  quelques  bandes  isolées 
qui  se  joignent  aux  Saxons,  en  572,  el  retournent  avec  eux  en 
Provence.  Mais  en  575  ils  reparaissent  sous  la  conduite  de 
trois  de  leurs  ducs  :  Amon,  Zaban,  Rhodanus. 

Franchissant  les  Alpes,  probablement  au  mont  Genèvre, 
comme  ils  Pont  fait  les  années  précédentes,  ils  se  divisent  en 
trois  armées.  Amon  se  dirige,  par  Embrun,  Riez,  Digne,  Siste- 

(1)  <  Irruentibus  autem  iterum  Longobardis  in  Galliis,  et  usque  ad 
Muscias  Calmes  accedeutibus,  quod  adjacet  civitati  Ebroduuensi,  Mum- 
molus exercitum  movet  et  cum  Burgondionibus  illuc  proficiscitur.  Cir- 
cumdaiisque  Longobardis  cum  exercitu,  actisque  concidibus  per  divor- 
tia  silvarum  i aruit super eos,  multosque  interfecit...  Hœc  prima  Mummoli 
certaminis  Victoria  fuit..  »  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum, 
I.IV,  35. 

Da reste,  Histoire  de  France*  t.  I,  p.  236.  —  Fabre,  Histoire  de  Prch 
vence,  t.  I,  p.  283.—  H.  Bouche,  Chorographie  et  Histoire  de  Provence, 
1. 1,  p.  666.  —  Bouche,  Essai  sur  l'histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  180.  — 
Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  43.  —  Guesnay,  Annales  Massi- 
tiensis  Provinciœ,  p.  2H. 


—  561  — 

roD,  villes  qu'il  incendie,  sur  Avignon  ;  de  là  il  descend  sur 
Arles,  en  ravage  les  environs  et  vient  mettre  le  siège  devant 
la  ville  d'Aix.  Pendant  ce  temps,  l'armée  de  Zaban  se  porte  sur 
Valence,  et  celle  de  Rbodanus  vient  attaquer  Grenoble.  Mum- 
molus,  le  général  bourguignon,  réunit  son  armée,  traverse 
l'Isère,  bat  Rbodanus  sous  les  murs  de  Grenoble,  le  met  en 
fuite  et  délivre  la  ville  assiégée.  A  cette  nouvelle,  Zaban  quitte 
Valence,  remonte  vers  Embrun  pour  y  rejoindre  Rhodanus 
vaincu.  Mais  Mummolus  survient,  les  attaque  à  Embrun,  les 
écrase  et  les  force  à  repasser  les  Alpes.  Au  bruit  de  ces  défai- 
tes successives,  Amon  est  effrayé.  Réunissant  ses  troupes,  son 
butin  et  ses  prisonniers,  il  essaye  de  gagner  l'Italie  par  les 
montagnes  du  côté  de  Nice.  Mais  les  neiges  et  les  passages 
difficiles  de  ces  montagnes  retardent  sa  marche,  il  est  contraint 
de  sacrifier  ses  trésors  et  son  butin  pour  sauver  son  armée  que 
Mummolus  avait  atteinte  (1).  Or,  placerons-nous  à  cette  année 
le  massacre  de  nosCassianites  de  l'Huveaune  ?  Non. 

En  effet,  Amon,  qui  a  détruit  Arles,  assiégé  et  rançonné 
Aix,  qui  a  pillé  dans  sa  fuite  Cimiez  et  Nice,  a-t-il  paru 
devant  Marseille?  H.  Bouche,  Papon,  Bouche,  Fabre  A.,  la 
Statistique  disent  qu'il  «  arriva  par  la  Grau  jusqu'à  Mar- 
seille (2)».  L'a-t-il  ravagée?  H.  Bouche,  Papon,  Bouche  (3) 
disent  qu'il  a  fit  des  courses  sur  les  territoires  d'Arles  et  de 
Marseille,  enlevant  les  hommes  et  les  bestiaux,  jettant  par- 
tout la  désolation  et  la  terreur  » .  Fabre  et  la  Statistique  (4) 
disent  aussi  qu'  «  il  arriva  par  la  Grau  vers  Marseille,  mais 
que,  trouvant  cette  ville  bien  gardée,  il  se  retira  vers  Aix  pour 
le  réduire  » .    D'autre  part,  Guesnay  se  contente  d'affirmer 


(1)  Ruffl,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  43.  -  Fabre,  Histoire  de 
Provence,  1. 1,  p.  282. 

Bouche,  Ruffî,  Papon,  Fabre,  Guesnay,  Dareste,  etc.,  etc.,  loc.  cit., 
(ut  suprà). 

(2)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  668.  —  Papon,  Histoire 
de  Provence,  t.  II,  p.  61.  —  Bouche,  Essai  sur  Vhistoire  de  Provence, 
t.  I,  p.  181.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  286.  —  Statistique, 
t.  II,  p.  103. 

(3)  H.  Bouche,  Papon,  Bouche,  op.  et  loc.  cit.  (ut  suprà). 

(4)  Statistique,  Fabre,  up.  et  loc.  cit. 


—  562  — 

que  c  Amon  arriva  jusqu'au  campus  lapident,  la  Crauy  et  se 
dirigea  vers  Aix,  qu'il  assiégea  (1)  ».  Rufli  est  plus  catégori- 
que :  «  Amon,  écrit-il,  courut  toute  la  province  d'Arles  et 
ravagea  la  ville  de  Marseille,  selon  Paul  Eusèbe,  bien  que 
Paul  Diacre,  qui  vivait  deux  cents  ans  après  et  qui  a  écrit 
V Histoire  des  Lombards,  n'en  parle  point.  Ce  qui  m'oblige 
à  ne  pas  ajouter  foi  à  Paul  Eusèbe  en  cette  rencontre,  car  il 
n'y  a  pas  d'apparence  que  Paul  Diacre  eût  oublié  une  action 
si  remarquable  et  avantageuse  à  la  gloire  de  la  nation,  outre 
que  Grégoire  de  Tours  n'en  parle  pas,  quoiqu'il  s'étende  lon- 
guement sur  la  venue  des  Lombards  en  ce  pays  (2).  »  Effec- 
tivement Grégoire  de  Tours  dit  «  qu'Amon  ravagea  la  province 
d'Arles  avec  les  villes  qui  sont  situées  autour  et,  arrivant 
jusqu'au  champ  pierreux  (la  Grau)  qui  a  voisine  Marseille,  il 
enleva  hommes  et  animaux  (3).  » 

Pour  notre  part  nous  inclinons  fort  i  croire  que  Marseille 
échappa,  comme  le  dit  Ruffi,  aux  ravages  des  Lombards.  Si 
elle  avait  été  prise,  Paul  Diacre  l'aurait  mentionné  ;  si  elle 
eût  été  saccagée,  Grégoire  de  Tours,  qui  indique  quelques 
lignes  plus  haut,  dans  son  récit,  qu'Embrun,  Machao,  Die, 
Valence,  Grenoble,  Arles,  Aix  ont  été  visitées  par  ces  barba- 
res, n'aurait  pas  omis  de  citer  Marseille  (4).  De  ce  qu'il  affirme 
qu'Amon  a  ravagé  la  province  d'Arles  «  cum  urbibus  quae 
circumsitae  sunt  »,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ait  voulu  compren- 
dre Marseille  au  nombre  de  ces  villes.  Il  s'agit  de  la  province 
d'Arles  et  des  villes  placées  çà  et  là  dans  cette  province.  Or, 
Marseille  ne  faisait  pas,  à  proprement  parler,  partie  de  la  pro- 
vince d'Arles.  Elle  formait  une  enclave  à  part,  Sigibert  et  Gon- 
tran  la  possédaient  par  moitié  (5).  Grégoire  donc  l'aurait  men- 


(1)  Guesnay,  Annales  Provinciœ  Massiliensis  :  c  Et  usque  ipsum 
lapideum  campum  qui  adjacet  urbi  Massiliensi  accedens.  >  Page  2U. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  43. 

(3)  c  Amo  Arelatensein  debellavit  provinciam  cum  urbibus  qu©  cir- 
cumsit»  sunt.  Et  usque  ipsum  lapideum  campum  qui  adjacet  urbi  Mas- 
siliensi accedens...  »  Grégoire  de  Tours,  Hi&toria  Francorum,  lib.  IV, 
c.  38. 

(4)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  lib.  IV,  cap.  36,  36,  38. 

(5)  Sigebert  et  Gontran  eu  possédaient  la  moitié  chacun.  (H.  Bouche, 


—  563  — 

tionnée.  Possession  de  Sigebert  et  de  Contran,  elle  n'était  pas 
sans  défense  ;  il  y  avait  un  gouverneur  pour  chacune  des 
deux  portions  de  la  ville  (1),  il  y  avait  des  troupes.  La 
sachant  en  étal  de  leur  résister,  ils  durent  s'en  tenir  éloignés. 
D'autant  plus  que,  Mummolus  pouvant  les  atteindre  d'un 
moment  à  l'autre,  ils  voulaient  le  gagner  de  vitesse  et  at- 
teindre les  Alpes-Maritimes  avant  lui.  Ils  ne  sont  pas  venus 
à  Marseille  en  575.  Donc  ils  n'ont  pu  martyriser  notre  sainte 
Eusébie . 

Il  y  a  bien  la  prophétie  de  saint  Hospice,  ermite  des  envi- 
rons de  Nice,  qui,  annonçant  l'arrivée  des  Lombards  dans  les 
Gaules,  avait  parlé  de  sept  villes  que  ces  barbares  devaient 
détruire  (2).  Quelles  devaient  être  ces  cités  ?  quelles  sont 
celles  qui  ont  été  détruites?  Joffred,  en  V Histoire  de  Nice, 
cite  Marseille.  Mais  ne  pouvait-on  pas  en  trouver  d'autres 
pour  les  ranger  parmi  les  sept? 

Il  n'y  a  pas  d'apparence  qu'ils  soient  les  auteurs  de  ce 
crime.  Saint  Théodore,  qui  était  évéque  de  Marseille  à  cette 
époque,  avait  à  souffrir  de  la  part  d'Albin,  gouverneur  de 
Marseille,  qui  en  573  fit  jeter  en  prison,  le  jour  de  la  Noël, 
l'archidiacre  de  Marseille.  En  cette  même  année,  Sigebert 
ayant  été  assassiné  par  l'ordre  de  la  cruelle  Frédegonde  (3;, 
Childebert,  le  fils  de  ce  roi,  céda  à  Gondran,  roi  de  Bourgogne, 
son  oncle,  la  moitié  de  Marseille,  qui  lui  revenait,  afin 
d'obtenir  en  retour  son  concours  et  son  amitié  dans  la  ven- 


Hisloire  de  Provence,  1. 1,  p.  664.  —  Bouche,  Essai  9ur  Vhistoire  de 
Provence,  t. 1,  p.  179.  —  Ruffl,  Histoire  de  Marseille,  t,  i,  p.  43.)  —  La 
Provence  fut  divisée  en  deux  provinces  :  la  province  bourguignone ,  à 
Gontran,  avec  Arles  pour  capitale  ;  la  province  austrasienne,  à  Sigebert, 
avec  Avignon  et  Aix  pour  capitales.  (Fabre,  Histoire  de  Provtnce%  1. 1, 
p.  278.  —  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  664.) 

(1)  Jovin,  gouverneur  avant  567,  puis  Albin,  puis  Dynamius.  (De  Bel- 
sunce,  Antiquité...,  1. 1,  p.  224.  Ruffî,  t.  I.  p.  43.) 

(2)  c  Ve nient  Longobardl  in  Gai  lias  et  devastabunt  civitates  mptem.  i 
Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  liv.  VI,  cap.  6.  —  Bouche, 
op.  cit.,  t.  I,  p.  667. 

(3)  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  238.  —  De  Belsunce,  Anti* 
quité  de  V Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  226.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  63. 


—  564  - 

geance  qu'il  méditait  de  tirer  des  meurtriers  de  son  père  (1). 
Gontran  y  nommait  Dynamius  pour  gouverneur.  Or,  Grégoire 
de  Tours  et  d'autres  chroniqueurs  ont  raconté  les  faits  et 
gestes  des  rois  qui  possédaient  Marseille,  des  patrices  qui  la 
gouvernaient,  des  évoques  qui  la  dirigeaient  (2).  Ils  auraient 
parlé  de  ce  fait  aussi. . .  En  outre,  saint  Théodore,  qui  corres- 
pondait avec  saint  Grégoire,  l'en  aurait  informé.  Le  pape 
écrivait  en  591  à  Tévêque  de  Marseille  au  sujet  des  Juifs  que 
Ton  forçait  à  recevoir  le  baptême  (3)  ;  il  en  aurait  dit  quelque 
chose.  Enfin,  il  existe  une  lettre  de  ce  pape  à  Tabbesse 
Respecta,  postérieure  à  peine  de  vingt  à  vingt-cinq  ans  à  cet 
événement  supposé.  Il  s'agit  précisément  de  raggraadissement 
de  l'abbaye  de  Saint-Cassien  (4).  Croit-on  que,  si  le  massacre 
de  sainte  Eusébie  eût  été  si  récent,  en  597,  le  pape  n'en 
aurait  pas  fait  mention  de  quelque  manière? 

Les  Lombards  ne  sont  pas  les  auteurs  de  ce  massacre. 

Les  Saxons,  à  leur  tour,  ont-ils  pu  martyriser  les  Gassianites 
des  bords  de  l'Huveaune  ?  Non. 

Les  Saxons  vinrent,  nous  l'avons  dit,  à  la  suite  des  Lom- 
bards en  Italie,  afin  de  les  aider  à  en  faire  la  conquête, 
espérant  s'y  établir  eux  aussi.  Mais,  la  conquête  achevée,  les 
Lombards,  plus  forts  et  plus  nombreux,  refusèrent  de  donner 
des  terres  à  leurs  alliés  (5).  Ceux-ci,  se  rappelant  que  les 
Lombards  avaient  fait  un  grand  butin  dans  les  provinces  d'au 
delà  des  Alpes,  se  mirent  en  marche,  comptant  eux  aussi 
s'arrêter  en  Provence  et  s'y  fixer.  En  Tannée  572,  sans  se 
laisser  décourager  par  les  défaites  que  les  Lombards  avaient 
subies  en  571,  ils  franchissent  les  Alpes  au  mont  Genèvre, 

(1)  Papon,  Histoire  de  Provence*  t.  II.  p.  63.  —  De  Belsunce,  Anti- 
quité de  V Eglise  de  Marseille,  t.  II,  p.  227. 

(2)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum  (passim).  —  Aymoin 
(cité  par  Ruffi). 

(3)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XV,  p.  239. 

(4)  Voir  cette  lettre  dans  André,  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint- 
Sauveur,  pièces  justificatives. 

(5)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  667.  —  Papon,  Histoi- 
re de  Provence,  t.  II,  p.  62.  —Bouche,  Essai  sur  l'histoire  de  Pro- 
vence, t.  I,  p.  181.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  284.  — 
Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorumy  lib.  VI,  ch.  36. 


—  565  — 

descendent  par  Embrun,  Seyne,  Digne,  et  viennent  dresser 
leurs  tentes  sur  le  territoire  de  Riez,  à  un  endroit  appelé 
Estoublon  (1).  De  ce  point,  ils  rayonnent  de  tous  côtés, 
commettant  toutes  sortes  d'horreurs.  Mummolus  court  sus 
à  ces  nouveaux  ennemis,  les  surprend  dans  leurs  campe- 
ments, en  fait  un  massacre  horrible  et  ne  permet  aux  mal- 
heureux débris  de  cette  armée  envahissante  de  repasser  les 
Alpes  qu'après  avoir  abandonné  tout  ce  qu'ils  avaient  dé- 
robé. Sûrement  ce  n'est  pas  en  572  que  ces  barbares,  les 
Saxons,  ont  martyrisé  notre  sainte  Eusébie,  puisqu'ils  sont 
demeurés  dans  l'est  de  notre  Provence,  sans  descendre  jusqu'à 
Marseille. 

Revenus  en  Italie  et  toujours  dans  l'impossibilité  de  se 
faire  céder  des  terres  par  les  Lombards,  les  Saxons,  suivis 
de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants,  reprennent  le  chemin 
de  la  Provence  (573).  Leur  but  était  d'arriver  en  Arvernie 
et,  de  là,  gagner  la  Germanie,  d'où  ils  étaient  originaires. 
Ils  se  divisent  en  deux  armées.  L'une  franchit  les  Alpes  au 
mont  Genèvre,  descend  par  Embrun  jusqu'à  Avignon  ;  l'autre 
entre  en  Provence  par  le  col  de  Tende,  Nice  et  Cimiez.  Leur 
attitude  n'était  ni  hostile  ni  conquérante.  Mais  on  devine 
que  de  telles  hordes  n'étaient  guère  disciplinées.  Elles  rui- 
nèrent tout  sur  leur  passage,  coupant  les  blés,  les  faisant 
manger  à  leurs  chevaux,  ou  moissonnant  ceux  qui  étaient 
mûrs  et  emportant  le  froment.  Elles  arrivèrent  sur  les  bords 
du  Rhône.  Mais  Mummolus  est  encore  là,  avec  son  armée. 
Il  interdit  le  passage  aux  Saxons,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  rendu 
ce  qu'ils  ont  pris  et  payé  ce  qu'ils  ont  détruit,  les  mena- 
çant de  les  exterminer  jusqu'au  dernier,  s'ils  ne  s'exécutent 
sur  l'heure.    Les  barbares  acceptent  ces   conditions   et  les 


(1)  «  Post  hsec,  Saxones,  qui  cum  Longobardis  in  Italiam  vénérant  et 
iterum  proruperant  in  Gallias,  et  infra  terri torium  Regense,  id  est  apud 
Stablonem  villam,  castra  ponunt,  discurrentes  per  villas  urbium  vicina- 
rum,  diripientes  prsedas,  captivos  abducentes,  vel  etiam  cuncta  vastan- 
tes.  »  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  lib.  VI,  c.  36.  — 
H.  Bouche,  op.  cit.  — Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  236.  — 
Papon,  loc.  cit . 


-  566  - 

accomplissent  ;  le  passage  leur  est  alors  accordé  et  ils  conti- 
nuent leur  route  vers  la  Germanie  (1). 

En  cette  circonstance,  en  cette  année,  573,  les  Saxons  ont-ils 
ravagé  Marseille  ?  ont-il  pu  y  massacrer  sainte  Eusébie?  Nous 
ne  le  croyons  pas. 

Ils  ont  traversé  de  Test  à  l'ouest  la  Provence,  de  Nice  à  Avi- 
gnon. Nice,  Gimiez,  dit-on,  ont  été  détruits  par  eux  (2).  Ce 
n'est  pas  sur  cependant.  Ce  serait  plutôt  le  duc  lombard 
Amon,  qui  en  575  passera  les  Alpes  à  ce  point,  poursuivi  par 
Mummolus  (3).  Les  historiens  s'accordent  à  dire  que  les 
Saxons  n'avaient  que  des  sentiments  pacifiques  (4).  Mais, 
comme  ce  n'était  qu'une  horde  en  marche,  le  désordre  était 
inévitable.  Aucun  historien  cependant  ne  dit  qu'ils  aient  passé 
à  Marseille,  qu'ils  l'aient  pillée.  Grégoire  de  Tours  et  Paul 
Diacre,  qui  racontent  cette  marche,  ne  font  pas  soupçonner 
qu'ils  aient  attaqué  et  saccagé  notre  cité  (5).  D'ailleurs,  à  cette 
époque,  Marseille  est  gardée,  il  y  a  un  gouverneur  pour  Si- 
gebert  :  Albin  ;  et  peut-être  Un  autre  pour  Gontran  (6).  H  y  a 
donc  des  troupes. 

De  plus,  l'histoire  ferait  mention  d'un  fait  tel  que  le  massacre 
des  Cassianiles.  En  573,  précisément  à  la  Noël,  il  se  passait  à 
Marseille  un  événement  assez  marquant.  Albin,  gouverneur  au 
nom  de  Sigebert,  avait  fait  saisir  à  l'autel  l'archidiacre  Vigile 

(1)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  lib.  IV,  ch.  36.  — 
H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  î,  p.  667.  —  Papon,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  63.  —  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  î,  p.  284.  — 
Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  236. 

(2)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  667» 

(3)  Papou,  t.  II,  p.  62,  dit  que  même  les  Lombards,  s'ils  ravagèrent 
les  villes,  n'en  détruisirent  aucune.  Peut-être  faudrait-il  rapporter  la 
destruction  de  ces  deux  villes  aux  invasions  des  Sarrasins. 

(4)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  63.  —  Fabre,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  284. 

(5)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  lib.  IV,  chap.  36. 

(6)  Suivant  quelques  auteurs,  Sigebert  aurait  été  le  seul  maître  de 
Marseille.  Ce  ne  serait  qu'à  la  mort  de  ce  roi  en  575,  que  Gontran  aurait 
pris  de  force  à  Childebert,  fils  de  Dagobert,  une  moitié  de  Marseille. 
Suivant  d'autres  auteurs,  Sigebert  et  Gontran  auraient  eu  chacun  la 
moitié  de  Marseille.  Et  en  575,  Gontran  aurait  pris  la  moitié  qui  reve- 
nait à  Childebert,  pour  l'unir  à  celle  qu'il  possédait  déjà. 


—  567  - 

et  l'avait  jeté  en  prison.  Saint  Théodore  était  évêque  de  notre 
ville,  en  ce  moment.  Or,  le  passage  des  Saxons,  à  Marseille,  se 
fût  effectué  seulement  quelques  mois  auparavant,  puisque 
c'est  à  l'époque  de  la  moisson  que  ces  barbares  traversent  la 
Provence  (1).  Le  massacre  aurait  eu  lieu  en  juillet  ou  août. 
L'historien  Grégoire  de  Tours  et  les  autres  chroniqueurs  qui 
ont  relaie  la  scandaleuse  conduite  d'Albin  auraient  parlé 
certainement  de  cet  événement,  datant  de  quelques  mois  à 
peine  (2). 

Non,  disons-le  encore,  ce  ne  sont  pas  les  Saxons  qui  ont 
massacré  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes. 


(1)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  lib.  IV,  chap.  36  :  c  Erat 
tune  tempus  messium,  et  locus  ille  maxime  fructus  terre  sub  diohabe- 
bat.  » 

(2)  Voir  la  narration  de  ce  fait  dans  Belsunce,  Antiquité  de  V Eglise 
de  Marseille,  1. 1,  p.  2Î4,  citant  Grégoire  de  Tours.  —  Papou,  Histoire 
de  Provence,  t.  II,  p.  63,  citant  Lecointe*  —  Armoriai  et  Sigillographie 
des  èvêques  de  Marseille,  par  M.  le  chanoine  Albanés,  Saint  Théo- 
dore, p.  17. 


CHAPITRE  V 


Les  Normands  n'ont  point  martyrisé  sainte  Eusébie. 


LES  NORMANDS  EN  FRANCE  ET  EN  PROVENCE.  —  NI  DE  810*À  813,  NI 
DE  813  A  844,  NI  DE  844  A  859,  CES  BARBARES  NE  60NT  VENUS 
JUSQU'A  MARSEILLE.  —  EN  859,  IL8  SONT  EN  CAMARGUE.  GÉRARD  Dl 
ROUSSILLON  LES  EMPÊCHE  DE  VENIR  A  MARSEILLE. 


Devons-nous  accepter  l'opinion  des  deux  Ruffi  et  de  Laulard 
qui  imputent  ce  fait  aux  Normands  ?  «  Il  y  a  apparence,  dit 
Ruffi,  que  ce  fut  au  IX*  siècle  que  les  Normands,  ayant 
inondé  diverses  provinces,  firent  ressentir  l'effet  de  leurs 
cruautés  à  quantité  de  monastères  (1).  »  Lautard,  en  copiste 
fidèle,  dit  la  même  chose,  en  se  servant  des  mêmes  termes  (2;. 

Les  Normands,  ou  hommes  du  Nord,  habitaient  les  contrées 
que  baignent,  d'un  côté,  la  mer  Baltique,  de  l'autre  la  mer  du 
Nord,  c'est-à-dire  la  Suède,  la  Norvège  et  le  Danemark 
actuels  (3).  Sauvages  comme  la  nature  froide  et  triste  qui  les 
entourait,  barbares  comme  le  culte  sanguinaire  qu'ils 
rendaient  à  Odin  (4),  robustes  et  aguerris  par  les  dangers  qu'ils 
couraient  sur  la  mer  dans  les  tempêtes,  au  milieu  de  leurs 
forêts  contre  les  bêtes  féroces,  épris  de  passion  pour  une  vie 
d'indépendance  et  d'aventures,  ils  passaient  leur  vie  à  piller 
les  nations  voisines  et,  rentrés  chez  eux  avec  leur  butin,  à 
chanter  leurs  exploits.  Ils  naviguaient  montés  sur  d'énormes 
troncs  d'arbres,   creusés  et  façonnés  en  forme   de  barque, 

(1)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  II,  pp.  58,  118. 

(2)  Lautard,  Lettres  archéologiques  sur  Marseille,  p.  402. 

(3)  Histoire  des  expéditions  maritimes  des  Normands  et  de  leur 
établissement  en  France  au  A>  siècle,  par  M.  Depping,  p.  4. 

(4)  Dans  la  mythologie  Scandinave,  Odin  était  regardé  comme  le 
protecteur  du  guerrier,  et  Thor  comme  le  Dieu  du  tonnerre  ;  Ran  était 
une  divinité  malfaisante  qui  cherchait  à  précipiter  les  marins  au  fond  de 
la  mer. 


—  569  — 

munis  de  bancs  de  rameurs,  de  mâts  et  de  voiles.  A  la  poupe 
et  à  la  proue  de  ces  longs  vaisseaux,  ils  représentaient,  afin 
d'effrayer  leurs  ennemis,  la  figure  hideuse  de  quelque  animal 
au  cou  allongé,  à  la  tête  de  serpent  ou  de  dragon,  ce  qui  faisait 
ressembler  une  flotte  normande  «  à  une  troupe  de  bêtes 
sauvages  au  sein  d'une  forêt  (1)  ». 

Or,  sur  les  côtes  du  Nord  de  la  Germanie  et  de  la  Hollande, 
vivaient  les  Saxons,  eux  aussi  pirates  et  barbares  (2).  Dans  leurs 
petits  bateaux  en  osier,  recbuyerts  de  peaux,  ils  longeaient  les 
côtes,  remontaient  les  fleuves,  pillaient  les  villes  et  les  bourgs 
situés  dans  le  voisinage,  puis  regagnaient  à  la  hâte  leurs 
contrées  pour  y  mettre  à  l'abri  le  butin.  En  suivant  les  sinuosi- 
tés du  continent  ils  arrivèrent  sur  les  côtes  de  la  Gaule,  pour 
la  première  fois  en  286  (3),  et  y  commirent  d'affreux  ravages. 
Fatigués  et  irrités  à  la  longue  par  ces  actes  de  piraterie,  les 
Francs,  en  480,  répondirent  à  ces  invasions  en  incendiant 
les  repaires  ennemis  (4).  Ils  firent  davantage  :  envahissant 
à  leur  tour  la  Germanie  et  la  Hollande,  ils  en  soumirent  les 
habitants,  les  forcèrent  à  se  faire  baptiser,  et,  pour  extirper 
jusqu'à  la  racine  le  germe  de  révolte,  d'indépendance  farouche, 
qui  demeurait  au  fond  des  cœurs,  ils  enlevèrent  jusqu'à 
10.000  de  ces  Saxons,  les  transplantèrent  des  bords  de  l'Elbe 
dans  l'intérieur  de  la  Gaule,  et  distribuèrent  les  terres  devenues 
désertes  à  une  peuplade  alliée  (5).  Cela  se  passait  sous  Charle- 
magne  (804).  C'était  la  goutte  d'eau  qui  devait  faire  verser  la 
coupe  de  la  haine  de  ces  peuples  contre  le  tout-puissant 
empereur. 

En  effet,  à  plusieurs  reprises  déjà,  les  Saxons,  en  lutte 

(1)  «  Dira  Danorum  manus  latè  maris  sequora  contexit  de  suis  navibus, 
adèo  ut  fera?  silvestres  putarentur  malis  sursum  porrectis.  »  (Miracula 
sancti  Richarii),  Acta  sanctorum  ordinis  sancti  Benedicti,  t.  1.  — 
Depping,  oj).  dit.,  p.  35. 

(2)  Depping,  op.  cit.,  p.  28. 

(3)  Depping,  op.  cit.,  p.  43. 

(4)  c  Insulae  eorum  cum  multo  populo  interempto  a  Francis  captai 
atque  subversa}  sunt.»  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  lib.  II, 
cap.  19.  —  Depping,  op.  cit.,  p.  43. 

(5)  Depping,  op.  cit.,  p.  54.  —  Eginhard,  Vita  Karoli  imperaioris, 
cap.  VIL  —  Darras,  Histoire  de  V  Eglise }  t.  XVIII,  p.  146. 


—  570  — 

contre  les  Francs,  avaient  appelé  à  leur  aide  les  Normands. 
Ceux-ci  avaient  volé  au  secours  de  leurs  frères  du  Nord.  Mais 
de  terribles  défaites  les  avaient  contraints  à  reculer,  notam- 
ment en  515,  sous  Clovis,  en 555,  sous  Clotaire(l).  Imaginez  les 
flots  de  vengeance  et  de  colère  qu'à  chaque  défaite  la  honte 
de  l'avoir  subie  accumulait  dans  ces  cœurs.  Joignez  à  cela 
que  le  christianisme,  dont  Charlemagne  voulait  leur  procurer 
le  bienfait,  les  irritait  profondément.  Autant  que  les  Saxons, 
ces  pirates  farouches  redoutaient  la  grâce  du  baptême.  Enfin, 
le  chef  des  Saxons,  Vitikind,  traqué,  vaincu  par  Charlemagne, 
s'était  retiré  chez  les  Normands.  Marié  à  la  fille  d'un  de  leurs 
rois,  il  les  excitait  à  courir  une  fois  encore  au  secours  de  leurs 
frères  (2). 

C'est  ce  qu'ils  firent.  En  800,  les  Normands  revinrent  sur 
les  côtes  de  l'Aquitaine  et  les  désolèrent.  Mais  Charlemagne 
veillait.  Il  fit  mettre  le  littoral  en  état  de  défense,  équiper 
une  flotte  pour  les  disperser  (3).  Au  bout  de  quelques 
années  ils  reparurent.  Franchissant  les  colonnes  d'Hercule, 
le  détroit  de  Gibraltar,  leurs  longs  bateaux  à  tête  de  dra- 
gon vinrent  croiser  un  jour  sur  les  côtes  méridionales  de  la 
France.  Et  Ton  connaît  le  récit  du  moine  de  Sainl-Gall.  L'em- 
pereur, à  une  fenêtre  de  son  palais  de  Narbonne,  apercevant  au 
large  ces  fantastiques  vaisseaux,  demanda  qui  les  montaient, 
et,  comme  on  lui  répondit  que  c'étaient  les  Normands,  il  versa 
des  larmes  abondantes  à  la  pensée  de  ce  que  ses  successeurs 
auraient  à  souffrir  de  la  part  de  ces  corsaires.  Ceux-ci  n'abor- 
dèrent pas  cependant.  Apprenant  la  présence  dans  la  contrée 
de  Charlemagne,  ils  reprirent  la  haute  mer  et  disparurent  (4). 
Mais  ce  fut  pour  porter  ailleurs  leurs  dévastations  et  leur 
fureur.  Pendant  plus  de  cent  ans  ils  ont  parcouru  la  France, 
la  couvraut  de  désolations  et  de  ruines.  A  certains  mo- 
ments, ils  l'attaquèrent   à  la   fois  dans  le  nord,    à  l'ouest 

(1)  Deppiog,  op.  cit.,  pp.  49,  51. 

(2)  Depping,  op.  cit.,  p.  52. 

(3)  Depping,  op.  cit.,  p.  52.  —  Eginhardi  Annales  Francorum  (  ad 
ann.  800). 

(4)  Moine  Saint-Gatl,  De  rébus  bellicis  Caroli  Magni,  lib.  II.— Depping, 
op.  cit.,  53.  —  Darras,  Histoire  oie  l'Eglise,  t.  XVIII,  p.  156. 


■•Jï 


-  571  - 

et  au  sud.  Paris,  Rouen,  Tours,  Nantes,  Bordeaux,  Tou- 
louse, Saintes,  Périgueux,  Orléans,  Noyon,  Amiens,  Saint- 
Omer,  Meaux,  Poitiers,  Reims,  Cologne,  Trêves,  Sens, 
AuxerrenBayeux,  Chartres,  etc.,  etc.,  les  ont  vus  sous  leurs 
murailles,  en  franchir  le  seuil,  les  incendier  et  les  piller. 
Les  traités  de  paix  que  Ton  faisait  avec  eux,  toujours  ap- 
puyés par  des  millions  de  livres  d'or  ou  d'argent,  demeu- 
raient lettres  mortes.  Ils  prenaient  l'argent  ;  un  mois  après 
c'étaient  d'autres  bandes  qui  apparaissaient,  quand  ce  n'étaient 
pas  les  mêmes.  La  désolation  et  la  misère  étaient  partout.  Les 
abbayes  étaient  brûlées,  les  moines  massacrés,  les  évoques 
jetés  en  servitude  ou  immolés  sans  pitié,  les  religieux  livrés 
à  toutes  sortes  d'ignominies.  Et  pour  défendre  le  pauvre 
peuple,  ni  rois  ni  seigneurs  ne  savaient  s'entendre. 
Ils  n'étaient  occupés  qu'à  vivre  dans  la  débauche,  ravir 
le  bien  deséglises  ou  se  battre  entre  eux  (1).  A  la  fin,  il  fallut 
céder  en  toute  propriété,  vers  913,  la  Normandie  à  un  de  ces 
chefs  barbares,  Rollon.  Celui-ci,  s'étantfait  baptiser,  mit  de 
l'ordre  dans  son  duché,  et  peu  à  peu  tout  rentra  dans  le  calme. 

Or,  à  quel  moment  de  ces  invasions  pourrait-on  placer  le 
massacre  de  nos  religieuses  cassianites,  si  les  Normands  en 
ont  été  les  auteurs?  Pour  le  savoir,  entrons  dans  quelques 
détails.  Il  n'y  a  guère  que  deux  ou  Irois  époques  favorables. 

D'abord,  vers  810  ou  812,  au  moment  où  Charlemagne,  se 
trouvant  à  Narbonne,  vit  les  Normands  essayer  de  débarquer 
sur  les  côtes  méridionales  de  la  France  (2). 

Or,  ce  n'est  guère  probable  à  cette  époque.  En  effet,  la  chro- 
nique deSaint-Gall,  qui  raconte  ce  détail,  fait  remarquer  qu'en 
apprenant  la  présence  de  Charlemagne  sur  ces  rivages,  les  Nor- 
mands s'enfuirent  (3)  ;  de  plus,  à  cause  des  invasions  que  les 


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(1)  Depping.  op.  cit.  (passimj,  citant  Alcuin,  pp.  47,  48.— Alfred,  Vita 
sancti  Ludgarii,  p.  56.  —  Paschase  Ratbert,  moine  de  Corbie,  p.  90,  — 
Synode  de  Quiersy,  en  857,  p.  107— Aigon,  Fragmenta  hist.t  p.  100,  etc., 
etc.  —  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.XVIII,  p.  373. 

(2)  Les  Mérovingiens  et  les  Carlovingiens,  par  de  Mauléon,  t.  II, 
p.  130. 

(3)  Depping,  op.  cit.,  p.  53.  —  Moine  Saint-Gall,  De  rébus  bellicis  Ca- 
roli  Magni%  lib.  II.  , 


♦< 


-  572  — 

Sarrasins  faisaient  sur  les  côtes  de  l'Italie,  de  la  Corse  et  de  la 
Sardaigne,  tout  le  littoral  avait  été  mis  en  état  de  défense.  Les 
postes  militaires  avaient  été  reconstruits,  multipliés  et  forti- 
fiés(l).  L'ordre  était  donné  à  tout  homme  de  se  lever  et  de  mar- 
cher à  l'ennemi  aussitôt  qu'on  en  signalerait  la  présence  (2):  des 
flotilles  stationnaient  le  long  des  côtes.  Une  d'entre  elles  se 
trouvait  aux  environs  des  bouches  du  Rhône  (3).  Les  pirates 
normands  qui  n'arrivaient  pas  toujours  en  bandes  très  nom- 
breuses, surtout  dans  le  sud  de  la  France,  n'ayant  guère  l'es- 
poir de  faire  un  grand  butin  au  milieu  de  populations  en  ar- 
mes, ne  débarquèreut  pas.  Nous  en  avons  une  preuve  certaine 
d'ailleurs,  dans  le  témoignage  de  l'auteur  de  la  Vie  de  Char- 
lemagne, Eginhard,  qui  a  raconté  année  par  année  les  faits  et 
gestes  de  cet  empereur.  Après  avoir  mentionné  la  destruction 
de  Givita-Vecchia  par  les  Maures,  il  ajoute  qu'à  l'exception  de 
ce  désastre,  durant  la  vie  de  Charlemagne  ni  les  Maures  en 
Italie,  ni  les  Normands  en  Gaule  et  en  Germanie,  ne  tentèrent 
quoi  que  ce  soit  (4).  A  Marseille  donc  et  sur  les  bords  de  THu- 
veaune  il  ne  se  passa  rien  d'anormal. 

De  813  à  844,  il  n'y  a  pas  de  probabilité  encoreque  lesNor- 
mands  aient  martyrisé  notre  sainte  Eusébie,  puisqu'ils  ne  sont 
pas  venus  à  Marseille.  Les  chroniqueurs  qui  relatent  toutes  les 
entreprise  s  de  ces  pirates  et  qui  les  suivent  dans  le  détail  de 
leurs  opérations  ne  signalent  pas  leur  présence  sur  nos  rivages. 
Le  théâtre  de  leurs  exploits  furent  les  contrées  du  nord  et  de 
l'ouest  de  ta  France.  En  820,  les  Normands  pillent  la  Flandre; 

(1)  «  Per  o  m  ries  portus  et  ostia  fluminum  qui  naves  recipi  posse  vi- 
debantur,  stationibus  et  excubiis  dispositis  ne  quâ  hostis  exire  potuisset, 
tali  munitione  prohibuit.»  Eginhard,  Vit  a  Karoli,  c.  XIV. 

(2)  Gapitulaire  16  de  Charlemagne. 

(3)  c  Prseceperat  tune  temporis  fabricari  naves  contra  Normannium 
incursiones  in  omnibus  fluminibus  quae  mari  influebant,  quam  curam 
etiam  filio  injunxit  super  Rhodanum.»  Vita  Ludovici  PU  (ad  ann.  807.J 
—  Depping.,  op.  cit.,  p.  59.—  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  406. 

(4)  «  Per  hoc  nullo  gravi  damno  vel  a  Mauris  Italia  vel  Gallia  aut 
Germania  a  Normaunis  diebus  suis  affecta  est,  praeter  quod  Centum- 
cellas,  civitas  Etruriae  per  proditionem  a  Mauris  capta  est  atque  vastn- 
ta.»  Eginhard,  Vita  Caroli  Magni,  cité  par  M.  de  Rey, -invasions  det 
Sarrasins  en  Provence,  p.  217. 


i 


—  573  — 

en  830,  ils  brûlent  le  monastère  de  l'Ile  de  Noirmoutier.  De 
833  à  846,  pendant  qu\ine  bande  ravage  l'Angleterre,  une 
autre  détruit  Dorestad  et  Anvers,  une  troisième  met  à  sac 
Houen  et  l'abbaye  de  Jumièges,  une  quatrième  remonte  la 
Loire,  incendie  Nantes,  Blois  et  Tours  (1). 

L'année  844  les  vit  aussi  pénétrer  dans  la  Gironde,  entrer 
à  Bordeaux,  prendre  Toulouse,  ravager  tout  le  pays  voisin,  ar- 
river jusqu'à  Tarbes  qui  fut  réduite  en  cendres.  Là  cependant 
une  troupe  valeureuse  de  montagnards  les  surprend  dans  un 
défilé  des  Pyrénées,  et  les  égorge  tous  (2).  Une  bande  qui 
avait  échappé  au  carnage,  parce  qu'elle  ne  s'était  pas  aven- 
turée si  loin,  cingle  vers  les  côtes  d'Espagne,  met  au  pillage  la 
ville  de  La  Corogne,  puis,  descendant  vers  le  Tage,  menace 
Lisbonne  sans  l'attaquer,  surprend  Cadix,  remonte  le  Guadal- 
quivir,  brûle  Séville,  et,  pénétrant  dans  la  Méditerranée, 
en  infeste  les  côtes  jusqu'à  Sidonia  (3).  Pourrait-on  dire  que 
ces  hardis  pirates  ont  poussé  jusqu'à  Marseille  ?  Nous  ne  le 
croyons  pas.  Aux  environs  de  La  Corogne  d'abord,  le  roi  des 
Asturies  leur  livre  bataille,  en  tue  un  grand  nombre,  incendie 
90  bateaux  et  met  le  reste  en  fuite  (4).  Aux  abords  de  Séville, 
le  même  sort  les  attendait.  Abdéramme  II,  roi  de  Cordoue,  en- 
voie à  leur  poursuite.  Ainsi  Normands  et  Sarrasins,  deux  races 
de  pillards,  s'en tr égorgent  à  qui  mieux  mieux.  Les  Normands 
sont  vaincus  cependant  et  poursuivis  par  la  flotte  sarrasine,  qui 
garde  l'entrée  des  fleuves  de  concert  avec  les  troupes  qui  pro* 
tègent  les  villes  du  littoral  (5).  Ceux  qui  échappèrent  à  ces  dé- 
faites ne  durent  pas  arriver  jusque  sur  nos  rivages.  D'ailleurs, 
les  chroniques  nous  autorisent  à  le  penser  ainsi.  C'est  en  sep* 
terabre  844  que  les  Normands  brûlent  Séville.  Or,  cette  flotte,  en 
quittant  l'Espagne,  revient  sur  les  côtes  d'Aquitaine.  Ceux  qui 


(1)  Depping,  op.  cit.  (passim). 

(2)  Depping,  op.  cit.,  pp.  82,  83. 

(3)  Depping,  op.  cit.,  p.  85. 

(4)  «  Ramirus  rex,  juxta  Garum  Bregantinum  maximam  ejusdeni 
partem  proslravit,  traditis  igni  navibus,  numéro  LXX,  onustus  prœdà 
ad  propria  incolumis  reducitur.»  Une  chronique  citée  par  Depping,  op. 
cit.,  p.  &4. 

(5)  Depping,  op,  ci*.,pp.  85,86. 

37 


-  574  — 

la  montent  arrivent  jusqu'à  Saintes,  et  la  détruisent.  Ils  pas- 
sent tout  l'hiver  de  845  dans  ces  parages,  et  au  printemps  ils 
attaquent  Bordeaux  (1).  Puisque  les  chroniqueurs  sont  si  pré- 
cis sur  les  détails,  ils  auraient  fait  mention  de  leur  arrivée  en 
Provence  à<re  moment,  si  véritablement  il3  y  étaient  venus. 

Est-ce  de  844  à  859  qu'ils  ont  pénétré  chez  nous?  Non, 
ils  ravagent  toujours  le  nord  et  l'ouest  de  notre  malheu- 
reuse patrie.  En  845,  Rouen  les  revoit  dans  ses  murs,  et 
Paris,  la  veille  de  Pâques,  est  pillé,  saccagé,  incendié. 
Ils  ne  s'éloignent  de  cette  ville  que  moyennant  la  somme  de 
7,000  livres  pesant  d'argent.  Mais,  pour  une  flotte  qui  regagne 
les  ports  danois,  il  y  en  a  deux,  trois,  quatre  autres  qui  con- 
tinuent à  sillonner  les  mers  et  les  fleuves  de  France.  En  847 
on  les  trouve  en  Bretagne,  le  Mont  Saint-  Michel  est  brûlé  ; 
en  848,  c'est  le  tour  de  Bordeaux,  de  Saintes,  de  Périgueux; 
en  852,  de  Tours  et  d'Orléans  ;  en  855,  de  Bordeaux  et  de  Tou- 
louse; en  857,  de  Paris  et  de  Chartres;  en  759,  de  Noyonet 
d'Amiens;  en  859,  enfin,  moyennant  un  tribut  de 3,500  li- 
vres pesant  d'argent,  ils  consentent  à  se  retirer  (2).  Rien  de 
particulier  donc,  dans  le  récit  des  chroniqueurs,  qui  fasse 
allusion  à  la  venue  jusqu'à  Marseille  des  Normands,  à  cette 
époque. 

Durant  cette  môme  année  de  859,  alors  qu'une  flotte  nor- 
mande quitte  le  nord  de  la  France,  chargée  de  butin,  une  au- 
tre flotte  de  pirates,  composée  de  cent  bateaux  et  commandée 
par  Hasting,  pille  les  Baléares  et  parcourt  la  Méditerranée,  puis 
elle  se  dirige  sur  les  côtes  de  l'Italie.  Apercevant  du  haut  de 
leurs  navires  une  ville  flanquée  de  tours  et  de  murailles,  les 
barbares  la  prennent  pour  cette  Rome  dont  ils  ont  si  souvent 
entendu  parler.  Ils  débarquent  et  s'en  emparent.  Ce  n'était  ce- 
pendant que  la  petite  ville  de  Luna.  Au  retour,  la  chronique  dit 
qu'une  tempête  assaille  la  flotte,  la  brise  et  la  disperse  ÇS). 
Mais  un  autre  chroniqueur  ajoute  qu'a  en  cette  année  850, 
une  troupe  de  Normands  eut  la  hardiesse  de  pénétrer  dans  la 


(t)  Depping,  op   cit.,  pp.  85,  97. 

(2)  Depping,  op.  cit.  (passim). 

(3)  Depping,  op. c#.,pp.  112,  113. 


-  575- 

Méditerranée  parle  détroit  qui  sépare  l'Espagne  de  l'Afrique, 
d'entrer  dans,  l'embouchure  du  Rhône  et,  après  avoir  ravagé 
quelques  villes  et  monastères,  de  s'établir  dans  la  Camargue, 
lie  très  riche,  où  séjournaient  fréquemment  aussi  les  pirates 
sarrasins.  L'année  suivante,  860,  on  vit  ces  pirates  remonter  le 
tleuve  jusqu'à  Valence,  puis  revenir  avec  beaucoup  de  butin 
à  leur  camp  dans  l'Ile  du  Rhône  (1).»  Sera-ce  à  cette  époque 
qu'il  faudra  placer  la  mort  de  nos  héroïques  Cassianites  de 
Marseille  » 

Nousne  le  croyons  pas.  En  effet,  M.  de  Iley  demande  a  quelles 
sont  ces  villes  que  le  chroniqueur  assure  avoir  été  saccagées 
parles  barbares  du  Nord,  dans  la  première  année  de  leur 
apparition.  On  raconte,  ajoute-t-il,  qu'ils  vinrent  aux  Marti- 
tigues,  et  même  à  Marseille,  où,  d'après  Ruffi,  ils  auraient  dé- 
truit l'abbaye  de  Saint-Victor.  Tout  cela  est  un  peu  gratuit,  et 
nous  ne  nous  y  arrêterons  pas.  Nous  accepterons  plus  volon- 
tiers ce  que  quelques  auteurs  ont  dit  :  que  les  Normands  quit- 
tèrent la  vallée  du  Rhône  et  la  Provence  par  crainte  des  arme- 
ments de  Gérard  de  Roussillon.  Ce  serait  même  après  avoir 
chassé  les  Normands  et  les  Sarrasins,  que  Gérard,  pour  prix  de 
ses  services,  aurait  demandé  aux  Marseillais  le  corps  de  saint 
Lazare  (2).  » 

A  notre  tour,  nous  disons  que  c'est  .sans  donner  aucune 
preuve  de  ses  affirmations  que  Ruffi  dit  qu'a,  il  y  a  apparence 
que  ce  fut  pour  lors  qu'ils  ruinèrent  le  monastère  de  Saint- 
Victor,  et  qu'ils  saccagèrent  la  ville  de  Marseille  (3).n  Nous 


(1)  Annales  de  Saint-Berlin,  ad  annvm  859  :  c  Pirate  Danorum  longo 
maris  circuitu.  inter  Hispanias  videlicet  et  Africain  navigantes,  Rhoda- 
uum  Ingrediuntur,  depopulatisque  quibusdam  civitatibus  ac  monasteriis 
in  insula  quie  Camaria  dicitur,  séries  ponunt.»  Ad  annum  800  :  ■  Hi 
vero  Dani,  qui  in  Rhodano  morabantur  usque  ad  Valenlinam  clvitatem 
vaatando  perveniunt.  Unde  direptis  quœ  circa  erant  omnibus,  reverten- 
tes  ad  insulani  in  quâ  sedes  posueranl,  redeunt.  Dani,  qui  in  Rhodano 
fuerant,  Ilaliam  petunt  et  Pisas  clvitatem  allasque  captunt.i  Invasion» 
des  Sarrasins  en  Provence.  parG.  de  Rey,  p.  223.—  De  Maulôon,  Les 
Mérovingiens  et  les  Carlovingiens,  t,  II,  p.  286.  —  Papou,  Histoire  de 
Provence,  t.  II,  p.  86. 

(2)  G.  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  87. 

(3)  Ruifl,  Histoire  de  Marseille,  t.  I,  p.  118. 


—  576  — 

ajoutons  avec  M.  de  Rey  :  «  Quelles  sont  les  villes  que  les  Nor- 
mands détruisirent  alors?  »  La  chronique  de  Nîmes  mentionne 
que  ce  furent  Arles  et  Nimes(l).  Il  est  bien  croyable  que  si 
Marseille  avait  subi  le  môme  sort,  les  annales  de  Saint-Bertin 
l'auraient  dit,  et  la  chronique  de  Nîmes  surtout,  annales  de 
de  la  région,  en  aurait  parlé.  Avec  les  auteurs,  enfin,  nous 
croyons  que  la  présence  à  Marseille  de  Gérard  de  Roussillon, 
gouverneur  de  la  Provence  pour  Charles,  fils  de  l'empereur 
Lolhaire,  intimida  ces  pirates.  Il  marcha  contre  eux  et  les  mit 
en  fuite  (2). 

Les  quarante  dernières  années  du  IX*  siècle  s'écoulent  en  de 
perpétuelles  angoisses  pour  les  populations  de  la  France.  Les 
Normands  parcourent  ce  pays  en  tout  sens.  Tantôt  c'est  la 
Seine  et  la  Marne  dont  ils  remontent  le  cours  ;  Paris,  Meaux 
qu'ils  saccagent  (862-865)  ;  tantôt  ce  sont  les  bords  de  la  Loire 
qu'ils  dévastent;  Nantes (866),  Bourges (867)  qu'ils  incendient. 
On  les  trouve  dans  TAngoumois  (863),  dans  le  Maine,  le  Berry 
(873),  à  Gand(878),à  Ypres,  Oudenarde  et  Arras(880),  à  Nimè- 
gue,  à  Cologne,  à  Trêves  (883)  ;  en  Angleterre  (870),  où  ils 
massacrent  les  religieuses  de  l'abbaye  de  Collingham,  qui,  pour 
échapper  à  la  lubricité  de  ces  barbares,  imitent  les  vierges 
de  l'Huveaune  et  se  mutilent  le  visage  (3).  Enfin,  en  898,  RoN 
Ion  débarque  à  Rouen,  s'empare  du  pays,  s'y  installe  avec 
ses  compagnons  d'armes,  d'une  manière  si  forte,  que,  dans 
l'impossibilité  où  l'on  est  de  les  chasser,  on  prend  le  parti  de 
le  leur  céder,  à  condition  de  la  paix  définitive(913)  (4).  C'est  de- 
puis, que  ce  pays  conquis  s'appella  la  Normandie. 

Durant  ce  laps  de  temps,  y  a-t-il  un  moment  où  ces  pirates 
abordent  à  Marseille  ?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Ni  les  historiens, 
iii  les  chroniqueurs  n'en  disent  rien.  La  Provence,  d'ailleurs, 


(1)  Depping,  op.  cit.,  p.  114,  citant  la  chronique  de  Nimes,  Histoire 
de  Nîmes,  par  Menard. 

(2)  Faillon,  Monuments  inédits  sur  Vaposiolat  de  sainte  Marie-Mag- 
deleine,t.  I,  p.  728.— Lalauzière,  Abrégé  chronologique  de  l histoire 
'd'Arles,  p.  97,  à  l'année  859.  —  Bouche,  Essai  sur  Vhistoirc  de  Proven- 
ce, 1. 1,  p.  194.  —  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  Il,  p.  86. 

(3)  Depping,  op.  cit.,  p.  152. 

(4)  Depping,  op.  cit.  (passim). 


—  577  — 

n'était  guère  mieux  partagée  que  les  contrées  du  Nord.  Pour 
n'avoir  pas  les  Normands,  elle  avait  les  Sarrasins  qui  la  pil- 
laient, la  rançonnaient,  et  la  couvraient  de  ruines. 

On  le  voit  donc,  il  est  difficile  d'imputer  aux  Normands  le 
massacre  de  nos  Cassianites  de  l'Hiiveaune . 


CHAPITRE  VI 
Les  Hongrois  n'ont  pas  massacré  sainte  Eusébie 

LES  H0NGROI8  KN  PROVENCE,  VER8  924.—  ASSERTIONS  DES  AUTEURS. 
—  CES  BARBARES  NE  &ONT  PAS  VENUS  JUSQU'A  MARSEILLE.  —  ILS 
N'ONT  FAIT  QUE  TRAVERSER  LA  PROVENCE,  DES  ALPES  EN  NARBON- 
NAISE  PAR  AVIGNON.  —  CHRONIQUEURS, 

A  un  moment  de  notre  histoire,  les  Hongrois  sont  venus  en 
Provence.  Voici  ce  que  nous  lisons  dans  H.  Bouche  (1): 
a  Environ  ce  temps  (924),  les  Huns  et  les  Hongres,  que  Béren- 
ger,  roi  d'Italie  avait  appelés  pour  se  venger  de  Rodolphe,  roi 
de  la  Bourgogne  trans]urane,voyant  ceBérenger  mort,  destitués 
d'appui  pour  eux  et  le  pays  de  défense,  ravagent  déplorable- 
ment  toute  la  Lombard ie  et  réduisent  en  cendres  presque  toute 
la  ville  de  Pavie.  Et,  comme  ils  voulaient  venir  en  France, 
ils  sont  attaqués  aux  passages  des  Alpes,  par  ce  Rodolphe  et 
par  notreHugues  (roi  de  Provence),  qui  leur  ferment  le  pas- 
sage de  ces  montagnes  ;  toutefois  non  pas  si  bien  qu'ils  n'y 
trouvassent  une  ouverture.  Car,  ayant  traversé  le  Dauphiné  et 
la  Provence,  ils  entrèrent  dans  le  Languedoc,  où  ils  firent 
aussi  de  grands  ravages  et  exercèrent  de  grandes  cruautés, 
comme  assure  le  bréviaire  selon  l'usage  de  l'abbaye  de  Saint- 
Gilles  sur  le  Rhône  par  le  sieur  Saxi,  et  où  toutefois  la  main 
de  Dieu  les  arrêta,  par  une  cruelle  peste  qui  les  fit  tous 
périr  en  cette  province-là,  sans  exception  presque  de  per- 
sonne (i).  » 

Papon  a  écrit  à  son  tour  :  a  (924).  Les  Hongrois,  attirés  en 
Italie  par  Bérenger,  vinrent  en  deçà  des  Alpes  par  le  mont 

Cenis,  afin  de  ravager  les  deux  royaumes  de  Bourgogne 

Hugues  et  Rodolphe,  ayant  réuni  leurs  forces,  tombèrent 
ensemble  sur  les  barbares,  les  défirent  et  les  obligèrent  de 

(1)  H»  Bouche,  Histoire  de  Provence ,  t.  I,  p.  792 


—  579  — 

repasser  en  Italie.  Cet  échec  ne  les  abattit  point.  Les  Hongrois, 
résolus  de  passer  dans  les  Gaules,  à  quelque  prix  que  ce  fût, 
se  frayèrent  un  passage  par  les  Alpes-Maritimes,  se  répandi- 
rent dans  la  basse  Provence  et  s'avancèrent  jusqu'au  Rhône, 
commettant  partout  des  cruautés  inouïes.  Hugues  et  Rodol- 
phe, en  ayant  eu  la  nouvelle,  se  mirent  en  marche  pour  les 
attaquer  une  seconde  fois,  mais  ils  arrivèrent  trop  tard,  les 
Hongrois  avaiept  déjà  passé  le  Rhône  et  ravageaient  le  Lan  » 
guedoc,  où  ces  princes  ne  jugèrent  pas  à  propos  de  les  pour* 
suivre. . .  (1)  » 

Parmi  les  auteurs  modernes,  de  Mauléon  a  écrit  à  ce  sujet  : 
«  (925).  Les  Hongrois  portaient  depuis  plusieurs  années  la 
dévastation  dans  diverses  contrées.  Avant  de  signaler  leurs 
fureurs  dans  la  Lorraine,  ils  s'étaient  introduits  en  Italie, 
dont  ils  avaient  pillé  un  grand  nombre  de  villes.  Ils  pénétrè- 
rent en  dernier  lieu  dans  la  Provence  et  le  Dauphiné.  Mais  ils 
furent  si  vivement  poursuivis  par  Raoul  et  Hugues,  comte  de 
Vienne,  que  la  plupart  périrent  par  le  fer  ou  par  les  maladies 
épidémiques  que  la  maladie  causa  parmi  eux  (2).  » 

Dans  les  Fastes  de  Provence  de  Fouque,  on  lit  :  a  Les 
Hongrois  et  leurs  bandes  vagabondes  continuaient  à  se  répan- 
dre partout  où  elles  pouvaient  pénétrer,  le  fer  et  la  flamme  à 
la  main.  La  Germanie,  l'Italie  et  la  France  avaient  été  plus 
d'une  fois  le  théâtre  de  leurs  fureurs.  Ils  traitèrent  les  Pro- 
vençaux et  les  Bourguignons  avec  tant  de  cruauté,  ils  répan- 
dirent tant  de  sang,  ils  brûlèrent  tant  d'églises  et  de  monas- 
tères, ils  massacrèrent  tant  de  ministres  du  Seigneur. . .,  que 
l'on  s'imagina  que  la  fin  du  monde  était  proche.  £n  924,  ils 
traversèrent  les  Alpes  vers  le  mont  Cenis,  se  jetèrent  dans  la 
Provence  et  la  Bourgogne  qu'ils  mirent  à  feu  et  à  sang. 
Hugues  et  Rodolphe,  agissant  de  concert,  les  repoussèrent  (3).» 

Dareste  a  écrit  dans  son  Histoire  de  France  :  «  Une  armée 
de  Hongrois,  que  Bérenger  avait  prise  à  sa  solde  et  qui  n'ar- 
riva qu'après  sa  défaite,  ne  se  borna  pas  à  dévaster  la  Lom- 


(1)  Papon,  Histoire  Provence,  t.  II,  p.  153. 

(2)  De  Mauléon,  Mérovingi ens  et  Carlovingiens,  t.  III,  p.  Ï.9. 

(3)  Fouque»  Fastes  de  Provence,t.  I,  pp.  315-316. 


—  580  — 

bardie  et  à  piller  la  ville  de  Pavie,  qui  fut  mise  à  feu  et  à 
sang:  elle  passa  les  Alpes,  parcourut  la  Provence,  laGothie, 
une  partie  môme  de  l'Aquitaine  et  s'avança  jusqu'aux  portes 
de  Toulon.'..  En  9*24,  ils  pillèrent  Nimes  et  jetèrent  une 
véritable  panique  dans  le  midi  de  la  France. . .  Cependant 
Raymond  Pons,  comte  de  Toulouse  et  marquis  de  Gothie, 
s'entendit  avec  les  rois  des  deux  Bourgognes,  réunit  les  forces 
nécessaires,  combattit  les  bandes  hongroises,  qu'il  détruisit, 
et  délivra  le  Midi  (1).  » 

Quelques  autres  historiens  se  contentent  de  vagues  indica- 
tions. La  Statistique  des  Bouches-du-JRhône  dit  «  que 
Hugues  se  lia  avec  Rodolphe,  roi  de  Bourgogne,  pour  com- 
battre les  Hongrois  qui  ravageaient  toute  la  Provence  (2).  » 

Guîndon  et  Méry  rapportent  que  «  Hugues,  après  avoir  déli- 
vré la  Provence,  de  concert  avec  Rodolphe,  roi  de  Bourgogne, 
des  Hongrois  qui  s'y  étaient  abattus. . .  (3)  » 

Dans  Lalauzière,  on  lit  :  a  Boson,  ayant  appris  que  les  Hon- 
grois commettaient  dans  la  province  Narbonaise  toutes  sortes 
de  ravages,  s'y  porta  à  la  tête  d'une  puissante  armée,  avec 
laquelle  il  les  détruisit,  en  930  (4).  » 

Sur  le  témoignage  de  ces  historiens  pourrait-on  établir  la 
probabilité  que  le3  Hongrois  sont  arrivés  jusqu'à  Marseille,  et 
qu'ils  sont,  eux,  les  auteurs  de  ce  massacre  que  l'on  a  attribué 
à  d'autres  peuples  barbares  ? 

Non,  ce  ne  sont  pas  les  Hongrois  qui  ont  martyrisé  notre 
sainte  Eusébie. 

D'abord,  il  n'y  a  aucun  vestige  de  tradition,  à  Marseille, 
que  ces  peuples  aient  visité  notre  terroir,  et  surtout  qu'ils 
aient  détruit  le  monastère  des  vierges  cassianites. 

De  plus,  aucun  historien  de  Marseille  ou  de  la  Provence  que 
nous  connaissions  n  a  émis  une  telle  assertion.  Ceux  que  nous 
avons  cités  plus  haut  :  Ruffi,  Papon,  de  Mauléon,  Fouque, 
Lalauzière,  Dareste,  etc.-,  etc.,  nommentjla  Provence,  laNar- 
bonnaise,  le  Dauphiné,   la  Bourgogne,  comme  ayant  été  le 

(1)  Dareste,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  505. 

Ci)  Statistique  des  Bouches-du-Rhône%  t.  II,  p.  116. 

(3)  Guîndon  et  Méry,  t.  ï,  p.  109. 

(4)  Lalauzière,  Ahrèçjè  chronologique  de  l'histoire  d* Arles,  p    105. 


—  581  — 

théâtre  de  leurs  sauvageries.  Mais  pas  un  qui  désigne  Marseille. 

D'au  1res  historiens  delà  Provence  ou  de  Marseille  ne  par- 
lent même  pas  de  ces  barbares  :  Ruffi,  de  Belsunce,  Gaufridi, 
Laulard,  Faillon,  Fabre,  Alliez,  etc. 

Les  chroniqueurs  de  l'époque  (1) ,  les  divers  historiens  (2), 
ceux  même  qui  ont  parlé  des  Hongrois  et  de  leurs  ravages 
dans  les  contrées  qu'ils  ont  traversées  ne  disent  d'aucune  ma- 
nière que  Marseille  ait  eu  à  souffrir  de  leurs  invasions.  Il 
existe  donc  déjà  une  forte  présomption  que  ces  barbares  ne 
sont  pas  les  auteurs  du  massacre  de  sainte  Eusébie. 

Les  détails  que  donnent  certains  historiens  prouvent  au 
contraire  que  les  Hongrois  ne  sont  pas  venus  à  Marseille. 

La  chronique  de  Verdun  s'exprime  en  ces  termes  à  ce 
sujet  :  a  Les  Hongrois,  alors  que  Raoul  régnait  sur  la  Gaule 
cisalpine  et  Hugues  sur  le  Viennois,  forcèrent  les  portes  des 
Alpes  et  se  jetèrent  dans  la  Gothie  (la  Narbonnaise)  (3).  » 

Flodoard,  à  l'année  924,  raconte  que  a  les  Hongrois  vinrent 
en  Gaule  en  traversant  les  gorges  escarpées  des  Alpes.  Rodol- 
phe, roi  de  la  Gaule  cisalpine,  et  Hugues,  duc  de  Vienne,  les 
enferment  dans  les  défilés  des  collines  Alpines  ;  mais,  échap- 
pant par  des  chemins  détournés,  ils  gagnent  la  Gothie;  les 
chefs  les  poursuivent  et  massacrent  ceux  qu'ils  peuvent 
trouver  (4).  » 

(1)  La  chronique  de  Verdun  cité  par  la  GctXlia  Christiana,  t.  I,  col. 
479  ;  celle  de  Flodoard,  citée  par  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en 
Provence,  p.  230.  —  Luitprand  Antapodosis,  cité  par  de  Rey,  op.  cit., 
p.  225.  —Livre des  malheurs,  de  Saint-Gall,  cité  par  de  Rey,  op.  cit., 
p.  232. —  Les  chroniques  Augiense  et  Vitzburgense,  citées  par  G  allia 
Christiana,  t.  I,  col.  479. 

(2)  Gallia  Christiana,  1. 1,  col.  479.—  Guesnay,  Annales  Massiliensis 
Provinciœ,  p.  271.—  Pontificium  Arelatense,  par  Saxi,  p.  188.—  France 
pontificale,  par  Fisquet  (Sisteron),  pp.  27,28.—  Histoire  hagiologique  du 
diocèse  de  Gap,  p.  442.  —  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  France, 
p.  152,  etc, 

(3)  c  Montium  portis  exclus!,  per  dévia  Gothiam  ingressi  sunt.  » 
Chronique  de  Verdun,  citée  par  la  Gallia  Christiana,  t.  I,  col.  479.  — 
La  France  pontificale  (Sisteron),  p.  28. 

(4)  «  ..  Hungari  per  abrupta  transeuntes  Alpium  juga,  veniunt  in 
Galliam,  quos  Rodolphus,  Cisalpin»  rex  et  Hugo  Viennensis,  inter  an- 
gustias  collium  Alpinorum  claudunt,  unde  inopinatô  per  dévia  montis 


—  582  — 

Le  bréviaire  en  usage  dans  l'abbaye  de  Saint-Gilles  contient 
ce  passage  :  a  En  Tannée  925,  alors  que  Autulphus  était  abbé  de 
Saint-Gilles  du  Rhône,  la  nation  des  Hongrois,  appelés  aussi  les 
Huns,  sortit  des  contrées  de  la  Pannonie,  ravagea  l'Italie,  puis, 
comme  un  torrent  furieux,  elle  s'élança  et  se  répandit  dans 
les  vallées  et  mit  à  sac  toute  la  province  appelée  Naribon- 
naise  (1).  » 

Les  rédacteurs  de  la  Gallia  Chrisliana,  expliquant  les  ter- 
mes de  la  chronique  de  Verdun  :  «  per  dévia  Gothiam  ingressi 
sunt  »,  indiquent, parmi  les  villes  traversées  par  les  barbares: 
Forcalquier,  Sisteron,  Apt,  etc.  (2). 

Le  P.  Colombi  pense  qu'  a  après  avoir  traversé  les  cluses 
des  Alpes,  ils  descendirent  dans  la  vallée  de  la  Durance,  puis 
qu'ils  prirent  l'ancienne  voie  romaine,  qui  passait  par  Alau- 
nium,  Catuiaca  (Céreste  des  Basses-Alpes)  et  Apta  Julia 
(Apt)  (3).  » 

M.  de  Rey  dit  que  «  Flodoard,  par  les  mots  :  «  inter  angus- 
tias  collium  Alpinorum  »,  entend  sans  doute  les  montagnes 
des  Alpines,  sur  la  rive  gauche  du  Rhône,  en  face  d'Arles  et 
Tarascon  ;  de  là  ils  purent,  en  échappant  à  l'étreinte  des  deux 
rois,  traverser  promptement  le  fleuve  et  pénétrer  en  Go- 
thie  (4).  » 

devadentes,  Gothiam  impetunt  :  quos  insequentes  prœdicti  duces,  ster- 
nuntexhis  quos  reperire  poterant...  Hungari, qui  Gothiam  vastabant, 
pestem  quamdara  perpessi...  penecuncti,  paucis  evadentibus,  nuniian- 
tur  esse  consumpti...  »  Flodoard,  cité  par  M.  de  Rey,  Invasions  des 
Sarrasins  en  Provence,  p.  230. 

(1)  «  Post  hsec,  etiam  anno  925,  cum  praeerat  huic  monasterio  scilicet 
sancti  Egidil  ad  Rhodanum,  domnus  Autulphus  abbas,  gens  Hungaro- 
rumquaeet  Huniolim  vocabantur.egressa  de  finibus  Pannonia?,  cum  per- 
transisset  devastando  terminos  îtaliae,  quasi  torrens  raptim  in  conval- 
Hbus  diffusa  est,  et  hanc  provinciam  Narbonensem  longé  latèquedepo- 
pulata  est. ..  »  Cité  par  Guesnay,  Annales  Massiliensis  Prow'ncic»,  p.  271. 
—  Saxi,  Pontifîcium  Arelatense,  p.  188. 

(2)  «  Hi  nimirum,  Rodulpho  Cisalpins?  Gallia?  rege  et  HugoneVien- 
nensi  transitus  Alpium  armatà  manu  tenentibus,  montium  portis  ex- 
clus!, per  dévia  (Forcalqueril,  Sistarici  et  Aptœ  Juliœ),  Gothiam  in- 
gressi sunt.  »  Gallia  Ctiristiana,  1. 1,  p.  479. 

(3)  P.  Colombi ,  cité  par  M.  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en 
Provence,  p.  152. 

(4)  De  Rey,  op.  cit.,  p.  152. 


—  583  — 

À  l'aide  de  ces  données,  il  nous  est  facile  de  retrouver 
dans  ses  lignes  générales  la  route  que  les  Hongrois  ont  suivie 
pour  venir  d'Italie  en  Narbonnaise.  Ils  pénètrent  en  Gaule  par 
les  cluses  des  Alpes  (1),  par  le  mont  Cenis  (2).  L'armée  de 
Rodolphe  les  pressant  d'un  côté,  celle  de  Hugues  les  serrant 
de  l'autre,  ils  gagnèrent  Forcalquier,  Sisteron  et  Apt,  non  sans 
avoir  essuyé  des  défaites (3).  Mais,  les  armées  de  Rodolphe  et  de 
Hugues  se  rapprochant  toujours  et  les  prenant  comme  dans 
un  étau,  les  barbares  furent  cernés  entre  Arles,  Tarascon  et 
Apt,  dans  les  déiilés  des  Alpines  (4).  Or,  peut-être  à  la  suite 
d'une  heureuse  feinte  ou  de  quelque  combat  point  trop  dé- 
cisif, ils  échappent  aux  deux  rois  qui  les  poursuivent,  et 
«  inopinatô  per  dévia  montis  »,  dit  Flodoard,  a  raptim  in  con- 
vallibus  »,  dit  le  bréviaire  de  l'abbaye  de  Saint-Gilles  (5),  ils 
défilent  promptement,  traversent  le  Rhône  et  gagnent  la 
Narbonnaise  (6).  Là  ils  font  mille  ravages,  détruisent  la  ville 
de  Nimes,  arrivent  même  jusqu'à  Toulouse  (7).  Poursuivis  par 
Rodolphe,  Hugues  et  Raymond  Pons,  comte  de  Toulouse  et 
de  Gothie,  ils  sont  exterminés  (8)  et,  une  peste  qui  éclate,  ai- 
dant, ils  périssent  jusqu'au  dernier  (9). 

On  le  voit  il  n'y  a  nulle  apparence  que  les  Hongrois  soient 
venus  jusqu'à  Marseille.  Papon  a  bien  écrit  :  «  qu'ils  se  frayè- 
rent un  passage  par  les  Alpes  maritimes,  et  se  répandirent 
dans  la  basse  Provence  (10)  ».  Quelle  preuve  apporte  t-il  de 
son  affirmation  ?  Les  chroniqueurs  sont  formels,  ils  ne  disent 
pas  un  mot  de  Marseille.  Il  vaut  mieux  se  fier  à  ces  chroni- 
queurs qu'à  Papon.  D'autant  que,  tout  en  ayant  ces  chroni- 
ques sous  les  yeux,  Papon  se  trompe  dans  ses  assertions.  11 

» 

(1)  P.  Colombi,  cité  par  de  Rey,  op.  cit.,  p.  152. 

(2)  Papon,  Fouque. 

(3)  Gaîlia  Christtana;  Fisquet,  P.  Colombi,  dans  de  Rey,  op.  cit.  — 
Chronique  de  Verdun,  Bouche,  Papon,  Saxi,  Guesnay. 

(4)  Chronique  de  Flodoard,  dans  de  Rey,  op.  cit. 

(5)  Flodoard,  bréviaire  de  Saint-Gilles. 

(6)  Chroniques  de  Verdun  et  de  Flodoard. 

(7)  Dareste,  H.  Bouche,  Papon,  Lalauzière,  etc. 

(8)  Dareste. 

(9)  Chronique  de  Flodoard,  etc. 

(10)  Papon,  Histoire  de  Provence t  t.  II,  p.   153. 


—  584  — 

dit  notamment  que  a  Rodolphe  et  Hugues  ne  jugèrent  pas  à 
propos  de  poursuivre  les  barbares  en  Languedoc,  mais  qu'ils 
se  contentèrent  de  faire  main  basse  sur  ceux  de  r arrière-garde 
qui  restaient  en  deçà  du  Rhône  et  les  exterminèrent  jusqu'au 
dernier  (1).  »  Or,  Flodoard  dit  expressément  :  «  que  ces  mêmes 
chefs  les  y  poursuivirent  :  a  quos  insequentes  prsedicti 
duces  (2)  9.  L'allégation  de  l'historien  Papon  ne  repose  sur 
aucune  preuve. 

Nous  pouvons  encore  le  dire  :  Ce  ne  sont  pas  les  Hongrois 
qui,  en  924  ou  925,  mirent  à  mort  les  vierges  cassianites  de 
THuveaune  et  leur  abbesse  sainte  Eusébie. 


(1)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  IL  p.  153. 

(2)  Flodoard,  cité  par  de  Rey.ojo.  et*, 


CHAPITRE  VII 

Le  martyre  de  sainte  Eusébie  n'a  pu  avoir  lieu 
aux  dates  proposées  par  les  auteurs. 


DATES  DIVERSES,  —  CELLB8  DE  407  (H.  BOUCHE),  DE  450,  477  (GUESNAY), 
DE  497  (GRINDA),  DE  507  (PIERRHUGUES),  DE  725-730  (BOUSQUET),  DE 
730  (MAGNAN),  DE  731   (LONGUEVAL),  ANTÉRIEUREMENT  A  737  (GROS- 

son),  de  731  ou  732  (mabillon,  alliez,  darras),  de  735  (guindon 
et  mery),  de  736  (bouche  l'avocat). 


H.  Bouche,  nous  le  savons,  semble  placer  le  martyre  de 
sainte  Eusébie  vers  Tannée  407.  C'est  la  date  que  Ton  trouve 
en  marge,  à  l'endroit  de  son  ouvrage  où  il  parle  de  la  destruc- 
tion par  les  Vandales  du  cœnobium  de  l'Huveaupe.  Impossible 
de  l'accepter  pour  deux  raisons.  Les  Vandales,  d'abord,  ne 
sont  pas  venus  à  Marseille  en  407.  Salvien,  indiquant  l'ordre 
dans  lequel  les  provinces  de  la  Gaule  ont  été  ravagées  par  ces 
barbares,  écrit  «  que  la  nation  vandale,  quittant  ses  foyers,  se 
jeta  sur  la  Germanie,  puis  ce  fut  le  tour  de  la  région  des 
Belges,  et  enfin  celui  de  l'Aquitaine.  »  Pas  un  mot  de  la  Pro- 
vence, et  cependant  Salvien  était  prêtre  à  Marseille  et  y  habita 
longtemps.  Aussi,  parmi  les  historiens,  il  est  accepté  que  Jes 
Vandales  n'ont  point  paru  dans  nos  contrées.  Mgr  de  Belsunce 
le  dit  en  propres  termes  :  a  On  ne  croit  pas  qu'ils  aient  fait 
irruption  en  Provence,  tout  au  moins  dans  la  partie  sud  de 
cette  province.  »  Ensuite,  y  fussent-ils  venus,  ils  n'ont  pu 
détruire  le  cœnobium  de  l'Huveaune,  parce  qu'il  n'était  pas 
fondé.  Très  probablement,  à  cette  date,  Gassien,  le  fondateur, 
n'était  pas  encore  à  Marseille.  En  admettant  qu'il  s'y  trouvât, 
au  plus  tôt  dès  406,  ce  ne  fut  pas  dès  son  arrivée  qu'il  établit 
les  deux  monastères.  De  l'avis  de  quelques  auteurs,  ils  ont  été 
fondés  vers  410,  plus  sûrement  vers  415;  En  407,  donc,  les 


—  586  — 

Vandales  n'ont  pu  les  détruire  ;  partant,  sainte  Eusébie  n'a  pas 
subi  le  martyre  en  407. 

Guesnay  assigne  la  date  de  450  dans  les  Annales  Provin- 
ciœ  Massiliensis  et  celle  de  477  dans  le  Cassianus  illustra- 
tus.  Ces  deux  dates  sont  inacceptables.  Si  le  monastère 
des  religieuses  cassianites  avait  été  détruit  à  ce  moment, 
le  souvenir  en  fût  resté  ti  Marseille.  On  n'aurait  pu  l'oublier. 
Or,  postérieurement  à  477,  Gennade,  écrivant  la  vie  de  saint 
Cassien  dans  Les  Hommes  illustres  de  V Eglise ,  dit  des 
deux  monastères  que  ce  religieux  établit  :  a  Usque  hodiè 
exstant  »  (jusqu'à  aujourd'hui  ils  sont  debout),  parole  qui  ne 
serait  pas  vraie  ou  qui  aurait  reçu  un  correctif,  si  quelque 
désastre  du  genre  de  celui  qui  nous  préoccupe  était  arrivé  aux 
monastères  ou  à  l'un  d'entre  eux.  Donc,  ce  n'est  pas  en  450 
ou  477  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée. 

M.  Grinda,  nous  l'avons  dit,  croit  q'ue  Tannée  497  est  la 
date  de  l'inscription  d'Eusébie,  et  «  tenant  à  considérer  cette 
inscription  comme  l'épitaphede  la  sainte  que  l'Eglise  honore, 
il  croit  aussi  que  l'on  peut  faire  remonter  la  date  de  son  mar- 
tyre à  la  fin  du  V*  siècle,  »  Dans  l'idée  de  cet  auteur  donc, 
Tannée  497  pourrait  être  celle  du  martyre  de  notre  Eusébie. 
Nous,  nous  disons  :  ce  n'est  guère  possible. 

Rappelons  d'abord  la  rectification  que  nous  avons  faite  au 
sujet  de  cette  date  :  497,  en  qualité  d'indiction  sixième.  C'est 
498  qu'il  faudrait  dire.  Si  donc  M.  Grinda  tenait  au  millé- 
sime de  497,  il  serait  d'abord  en  désaccord  avec  l'inscription. 
Ce  ne  serait  pas  une  indiction  sixième.  S'il  accepte  la  rectifi- 
cation, voici  comment  la  date  de  498  est  inacceptable.  Elle 
coïncide,  en  effet,  avec  le  début  du  règne  du  Vandale  Trasa- 
mund,  successeur  de  Guntamunde,  qui  persécuta  les  catho- 
liques, non  pas  par  les  souffrances  et  la  mort,  mais  par  l'exil 
pour  les  évéques  et  Tappât  des  dignités  et  des  honneurs  pour 
les  simples  fidèles.  Elle  coïncide  avec  la  présence  à  Mar- 
seille, probablement  des  Bourguignons,  peut-être  des  Visi- 
goths.  Or,  ni  Alaric  II,  roi  des  Yisigoths,  ni  Gondebaud,  roi 
des  Bourguignons,  n'ont  pu  faire  commettre  ce  forfait.  Quoi- 
que ariens  tous  deux,  ils  n'ont  pas,  à  proprement  parler,  per- 
sécuté les  catholiques.  Donc,  ni  Vandales,  ni  Visigoths,  ni 


—  587  — 

Bourguignons  n'ont  trempé  dans  ce  crime.  Donc,  la  date  de  498 
n'est  point  sûre  du  tout. 

L'abbé  Pierrhugues,  on  le  sait,  fixe  à  l'année  507  (1)  le 
martyre  de  saint  Porcaire  et,  nous  Pavons  dit,  quelques  au- 
teurs ont  émis  l'opinion  que  le  massacre  de  sainte  Eusébie  et 
de  ses  compagnes  a  pu  avoir  lieu  à  la  môme  époque  que  celui 
de  saint  Porcaire  et  de  ses  cinq  cents  religieux., Sainte  Eusébie 
a-t-eile  pu  souffrir  le  martyre  en  celte  année  de  507  ?  Rien 
n'est  moins  probable.  Cette  année  de  507  correspond  à  deux 
événements  assez  marquants  dans  Phistoire,  et  qui  excluent  la 
possibilité  d'un  tel  fait  (2).  Au  début  de  l'année  507,  Alaric, 
qui  depuis  quelques  années  était  doux  et  bienveillant  pour 
les  catholiques  de  ses  Etats,  en  avait  invité  les  évéques  à  se 
réunir  à  Toulouse.  Il  devait  soumettre  à  leur  approbation  un 
nouveau  code  qu'il  avait  rédigé  pour  ses  peuples.  La  confé- 
rence eut  lieu,  et  la  promulgation  de  ce  recueil  de  lois  se  fit 
le  3  février  507.  Il  n'est  pas  croyable  qu'à  ce  moment  Alaric 
ait  ordonné  le  massacre  des  religieuses  cassianites  à  Marseille, 
ou  que  des  pirates  aient  commis  ce  forfait  sans  que  les  milices 
du  roi  visigoth  ne  Paient  empêché,  ou  qu'il  n'en  soit  resté 
quelque  trace. 

Quelques  mois  s'étaient  écoulés  que  la  guerre  éclatait  entre 
Alaric  et  Clovis.  La  bataille  de  Vouillé  dut  avoir  lieu  au  mi- 
lieu de  l'été,  puisque  Clovis(3),  après  avoir  soumis  l'Aquitaine 
et  prit  Toulouse,  vint  passer  l'hiver  de  507  à  Bordeaux.  Or, 
peut-on  croire  qu' Alaric,  déjà  bien  convaincu  de  la  grande 
sympathie  de  ses  peuples  catholiques  pour  Clovis,  vainqueur 
en  tant  de  combats,  protecteur  zélé  des  évéques  et  des  monas- 
tères, voulût  ajouter  à  la  défaveur  dont  l'arianisme  le  couvrait 
en  faisant  massacrer  de  pauvres  religieuses  ?  Admettra-t-on 
que  ses  soldats  en  garnison  à  Marseille  aient  accompli  ce  for- 
fait ?  Non,  puisqu'il  marchait  au  combat  contre  un  roi  catho- 
lique, Alaric  savait  qu'il  était  de  son  intérêt  de  ne  pas  s'affi- 

(1)  L'abbé  Pierrhugues,  Fin  de  Lérins,  p.  174. 

(2)  Vie  de  saint  Césaire  d'Arles,  par  l'abbé  Villevieille,  p.  113. 

(3)  Grégoire  de  Tours,  Historia  Francorum,  liv.  II,  ch.  37.—  Darras, 
Histoire  de  l'Eglise,  t.  XIV,  p.  128.  —  Dareste,  Histoire  de  France, 
t.  I,  p.  196. 


—  588  — 

cher  à  ce  point  tyran  cruel  et  sanguinaire  a  l'égard  des  catho- 
liques. Supposera-ton  qu'une  explosion  de  fanatisme  de  la 
part  des  Ariens  à  Marseille  ait  causé  pareil  crime  ?  Les  milices 
d'Alaric  en  garnison  à  Marseille  l'auraient  laissé  accomplir! 

Mettons  les  choses  au  pire.  A  la  nouvelle  de  la  défaite  et  de 
la  mort*  d'Alaric,  quelques  Ariens  exaspérés  ont -ils  opéré 
ce  massacre?  Rien  d'impossible,  c'est  vrai. 'Mais  observons 
que  nul  auteur  ne  l'a  dit.  Nul  .document  n'en  parle,  nulle  tra- 
dition n'en  a  conservé  le  souvenir.  C'est  nous  qui,  passant 
en  revue  les  diverses  époques  et  circonstances  où  cet  événe- 
ment a  pu  se  produire,  en  faisons  la  supposition.  Nos  adver- 
saires ont  été  dans  l'impuissance  de  la  faire  !  Plus  impuissants 
encore  ils  seraient  de  l'appuyer  de  raisons  telles  qu'elle  devint 
une  réalité.  Non,  il  n'y  a  rien  qui  incline  à  penser  que  ce  fait 
se  soit  accompli  à  cette  date. 

M.  Bousquet  parait  vouloir  placer  le  martyre  de  sainte  Eusé- 
bie  entre  les  années  725-730.  Il  emprunte  à  H.  Bouche  la  des- 
cription des  ravages  des  Sarrasins  à  cette  époque.  Cette  date 
est  inacceptable  encore.  Les  Sarrasins  ne  sont  pas  en  Provence 
à  ce  moment.  En  721,  ils  furents  défaits  par  Eudes,  sous  les 
murs  de  Toulouse.  Abdéramme  les  ramena  en  Espagne  En  724, 
Ambissa  revint  avec  eux  et,  durant  l'année  724  et  une  partie 
de  Tannée  725,  il  prit  Carcassonne,  Nimes,  et  remonta  vers  le 
Nord,  ravageant  la  Septimanie  jusqu'au  Rhône,  l'Albigeois,  le 
Rouergue*  le  Gévaudan,  le  Velay.  Ce  chef  battu  et  tué  en  725, 
son  armée  revint  sur  les  frontières  d'Espagne  et  le  calme  se 
fit  durant  quelques  années.  Ce  ne  fut  qu'en  732,  au  printemps, 
qu'Abdéramme,  amenant  des  renforts,  reprit  la  route  du  Nord, 
poussant  les  ailes  de  son  armée  jusqu'à  Arles,  qui  fut  prise  et 
saccagée  (i).  De  725  à  732  donc,  il  ne  parait  pas  que  l'événe- 
ment dont  nous  occupons  ait  eu  lieu. 

M.  le  chanoine  Magnau  a  choisi  l'année  730,  semble-t-il 
encore,  pour  le  martyre  de  notre  sainte.  Nous  répondons, 
comme  nous  venons  de  le  faire  pour  M.  Bousquet,  que  cette 


[\)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  pp.  20,  22,  23,  34, 
40,  41.  —  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provenbe,  pr-  11.  1*. 
13,  15,  16,  28. 


-  589  - 

date  est  inacceptable  :  les  Sarrasins  se  trouvaient  en  Aquitaine 
en  Septimanie,  en  730,  mais  nullement  en  Provence  et  à 
Marseille. 

Le  P.  Longueval,  dans  l' Histoire  de  V Eglise  gallicane, 
place  cet  événement  à  Tannée  731 .  Même  réponse  qu'à  MM.  Ma- 
gnan  et  Bousquet.  Les  Sarrasins  n'ont  rien  entrepris  en  731. 
Les  années  728,  729,  730  sont  remplies  par  des  querelles  de 
palais  et  de  gouvernement.  Les  chefs  se  remplacent  à  bref 
intervalle,  jusqu'au  jour  où  Abdéramme  est  nommé  généra- 
lissime des  musulmans,  le  15  mars  731.  Or,  avant  de  franchir 
les  Pyrénées,  ce  chef  est  obligé  de  terminer  une  guerre  civile 
qui  avait  éclaté  à  Cordoue.  Ce  n'est  qu'au  printemps  de  732 
qu'il  parait  en  France  (1).  Donc,  l'année  731,  préconisée  par 
le  P.  Longueval,  est  inacceptable . 

Grosson  a  choisi  une  date  antérieure  à  737  (2).  Nous  allons 
montrer,  dans  les  réponses  faites  à  Mabillon,  Guindon  et 
Méry  et  Bouche,  qui  choisissent  eux  aussi  une  date  antérieure 
à  737,  que  ce  choix  ne  peut  être  soutenu. 

Le  docte  Mabillon,  nous  l'avons  vu,  place  cet  événement 
aux  années  731  ou  732.  Quant  à  l'année  731,  îl  n'est  guère 
possible  de  l'accepter,  nous  l'avons  dit  tantôt.  La  date  de  732 
est-elle  plus  probable  ?  Non.  C'est  au  printemps  de  732  qu'Ab- 
déramme  passa  les  Pyrénées  à  la  tête  d'une  armée  formida- 
ble (3).  Il  ravagea,  dit  Adon  le  chroniqueur,  la  Septimanie 
et  la  Viennoise  (4).  De  là  il  se  rabattit  sur  le  centre  de  la 
France,  quand  il  apprit  que  Charles  Martel  et  Eudes  se  pré- 
paraient à  marcher  contre  lui.  En  octobre  il  était  à  Tours  et 
à  Poitiers,  où  il  trouva  la  défaite  et  la  mort  dans  la  fameuse 
bataille  que  lui   livra  Charles  Martel  (5).  Arles  était   sur 


(1)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  pp.  15, 18f  19. 

(2)  Grosson,  AlmanacJis  historiques  de  Marseille,  pour  1770,  1773- 
(3;  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  41.—  De  Rey, 

Invasions  des  Sarrasins  en.  Provence,  p.  23. 

(4)  <  Sarraceoi,  znultis  copiis  navibusque  plurimis,  longé  laléque 
plurimas  urbes  ta  m  SeptiraaoiaB  quam  Viennensis  provinciae  vastant.  » 
Dans  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  chronique  d'Adoo, 
p.  210. 

(5)  De  Rey,  op.  cit.,  pp.  16,  29.  —  Reinaud,  op.  cit.,  p.  44. 

38 


—  590  — 

la  route  des  Sarrasins;  elle  fut  prise,  pillée  et  incen- 
diée. Tous  les  auteurs  s'accordent  à  le  dire  (1),  mais  aucun 
ne  parle  de  Marseille.  Les  Sarrasins,  à  ce  moment,  n'ont  pas 
redescendu  le  cours  du  Rhôue.  D  autre  part,  à  la  suite  de 
leur  défaite  dans  les  plaines  de  Poitiers,  ils  s'enfuirent  eu 
Espagne  ou  en  Septimanie  (2),  mais  ils  ne  passèrent  pas 
auprès  de  nous.  I)  n'est  donc  pas  possible  de  placer  en  732  le 
martyre  de  notre  sainte  Eusébie. 

Alliez  et  Darras,  qui  eux  aussi  ont  accepté  cette  date,  sont 
réfutés  par  le  fait  même. 

Guinâon  et  Méry  choisissent  Tannée  735  pour  la  date  du 
martyre  de  notre  sainte.  Il  y  aurait  un  semblant  d'exactitude 
dans  cette  assertion.  La  chronique  de  Moissac  dit,  en  effet, 
que  «  Youssouf,  gouverneur  de  Narbonne,  passe  le  Rhône 
avec  son  armée,  s'empare  d'Arles  sans  coup  férir,  la  saccage, 
et  y  demeure  pendant  quatre  années  (3).  »  D'après  cette  chro- 
nique, la  prise  d'Arles  aurait  eu  Heu  en  735.  Reinaud,  Thisto- 
torien  de?  Sarrasins  en  France ,  semble  adopter  cette 
opinion  (4).  Mais  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en 
Provence,  M.  de  Rey,  la  combat,  et  avec  raison,  croyons- 
nous,  a  Comment  accepter  cette  date,  dit-il,  quand,  en  735, 
Charles  Martel  était  avec  une  armée  en  Aquitaine?  Déplus, 
l'auteur  anonyme  ajoute  que  Youssouf  ravagea  la  Provence 
durant  quatre  années.  Or,  nous  savons  qu'en  736  Charles 
Martel  parcourut  la  Provence  jusqu'à  la  mer,  et  y  établit  par- 
tout son  gouvernement.  Il  y  a  donc  erreur  dans  la  date  de 
735.  La  prise  d  Arles  par  Youssouf  doit  être  retardée  jusqu'à 
Tannée  737  (5).  »  On  ne  peut  mieux  réfuter  l'assertion  de 
Guinâon  et  Méry.  Ce  n'est  pas  en  735  que  notre  sainte  Eusébie 
a  pu  être  martyrisée.  Les  annales  de  Metz  disent  qu'à  cette 
date  Charles  Martel  était  en  Aquitaine  et  s'emparait  du  pays, 


(1)  De  Rey,  op.  cit.y  pp.  29,  84.  —  Reinaud,  op.  cit.,  p.  32. 

(2)  Reinaud,  op.  cit.,  pp.  49,  50. 

(3)  «  Yusseph...  Rhodanum  fluvium  transiit,  Arelate  civitate  pace 
ingreditur,  thesauros  civitatis  invadit  et  per  quatuor  an  nos  totaux  A  re- 
late ose  m  provinciam  depopulat.  > 

(4)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  54. 

(5)  De  Rey,  op.  cit. ,  p.  34. 


—  591  — 

à  la  suite  de  la  mort  d'Eudes  (1).  Or,  le  souvenir  de  la  défaite 
de  Tours  ou  de  Poitiers  était  encore  trop  récent,  pour  que  les 
Sarrasins  se  hasardassent  à  remonter  le  Rhône  pendant  que 
Charles  était  en  Aquitaine,  et  de  taille  à  saisir  la  moindre 
occasion  favorable  pour  leur  couper  la  retraite  et  les  exter- 
miner. D  autant  mieux  que  Youssouf  n'était  pas  un  général 
très  habile.  Keinaud  nous  fait  connaître  qu'à  la  suite  de  cette 
prétendue  prise  d'Arles,  il  se  serait  fait  battre  au  milieu  des 
montagnes  des  Pyrénées,  et  qu'à  cette  nouvelle  le  khalife  le 
destitua  et  mit  à  sa  place  Ocba  (2). 

Bouche  l'avocat,  dans  Y  Essai  sur  Vhistoire  de  Provence, 
et  Fouque,  dans  les  Fastes  de  Provence,  placent  le  fait  qui" 
nous  occupe  vers  736.  Impossible  encore  d'accepter  cette 
date.  Le  texte  des  chroniqueurs  suffît  à  le  montrer.  En  cette 
année  736,  Charles  Martel  se  trouvait  en  Bourgogne  et  en 
Provence.  «  Il  pénétra,  disent  les  annales  de  Metz,  jusqu'à 
Marseille  et  jusqu'à  Arles,  mettant  tout  au  pouvoir  de  ses 
ducs,  et  retourna  heureusement  au  siège  de  sa  puissance  (3).  » 
Le  troisième  continuateur  de  Frédégaire  écrit  :  a  Le  très  prudent 
Charles,  à  la  tête  de  son  armée,  se  dirige  vers  la  Bourgogne,  sou- 
met à  son  pouvoir  la  ville  de  Lyon,  range  sous  son  obéissance 
les  habitants  et  les  chefs  de  cette  partie  de  la  province,  arrive 
jusqu'à  Arles  et  Marseille,  y  établit  ses  juges,  ou  ducs  ;  puis, 
chargé  de  présents,  de  tributs  et  de  trésors,  il  revient  au  siège 
de  sa  puissance,  dans  le  royaume  des  Francs.  »  Comment 
supposer  que  les  Sarrasins  s'éloignent  à  tel  point  de  leur  base 
d'opération,  qu'ils  s'avancent  aussi  près  de  Charles  Martel,  et 
que,  bravant  pour  ainsi  dire  sa  présence  dans  nos  contrées, 
il  les  attaquent  et  les  ravagent  ? 


(1)  Reinaud,  op.  cit.,  p.  55. 

(2)  Reinaud,  op.  cit.,  p.  56. 

(3)  Annales  de  Metz,  citées  par  de  Rey,  p.  33. 


CHAPITRE  VIII 

Le  m&ftyxtt  dô  aalûtô  Êuaébiô  n'a  pu  avoir  lieu  atut 
dates  proposées  par  les  auteurs. 

(Suite) 

IA8  DATSS  DR  737  (DB  BBLBUNCB,  PAPON,  AUO.  PABRR),  DB  751  (BOCBAC- 
KBB),  DB  810  (STATISTIQUE  DBS  BOUCHBS-DU-RHONB),  DR  8i4  A  840 
(VBRLAQUÉ,  XOTHBN),  DB  838  (BBI^AUD,  MAGL.  QIRAUD),  DB  867 
(RUFPI,  LAUTARD)  ,  DB  92à  (aNDB^  ,  DB  RBt),  933  ÛO  948  (bfe  BKT), 
BOltf  IM4QCBPTABLB0. 

M8'  de  Belsuncê,  Thislor  ien  Papon  et,  dans  notre  siècle, 
Augustin  tfâbre,  placent  cet  événement  en  737.  La  date  n'est 
pas  bien  précise,  il  est  vrai,  mais  c'est  sous  la  rubrique  de  cette 
année  qu'ils  le  mentionnent. 

Or,  il  semble  qu'il  y  ait  encore  uhe  certaine  vraisem- 
blance dans  l'énoncé  de  cette  assertion.  En  737,  en  effet,  les 
chroniqueurs  racontent  que  les  Sarrasins  ont  pris  Avignon  et 
Arleà  et  qu'ils  ont  tout  ravagé  aux  environs.  Malgré  ce,  nous 
ne  pouvons  accepter  la  date  de  737.  On  ne  trouve  pas  de 
moment  favorable,  en  cette  année,  pour  le  martyre  de  sainte 
Eusébie.  Nous  allons  le  démontrer  en  indiquant  la  Série  des 
opérations  et  remploi  du  temps  durant  Tannée  737. 

Remontons  à  deux  ans  auparavant.  Eudes,  le  duc  d'Aqui- 
taine, étant  mort  en  735,  Charles  Martel  vint  avec  une 
puissante  armée  pour  s'emparer  de  ce  pays  et  l'unir  au  royau- 
me d'Austrasie,  dont  il  avait  le  gouvernement  en  qualité  de 
maire  du  palais.  La  conquête  fut  assez  rapide,  ïnâiâ  elle  ne 
fut  pas  terminée  à  la  fin  de  Tannée  735  (i).  Durant  Thiver,  en 

(1)  Annales Quedliburgenses  —  Veissemburgenses  —  Lamberti  :  c  735. 
Carolua  vastavit  Vascones.  »  (Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  CXLI, 
p.  465.)  —  8igebert  deQembloux  :  c  733  (en  marge  736).  Carolus,  Vaissero 


-  593  — 

effet,  de  735-736,  ta  princes  aquitains  réunirent  <fc  nouvelles 
troupes  (1)  et  recommencèrent  le»  hostilité*  au  début  de  73ô, 
Pour  peu  de  temps  que  la  guerre  se  prolongea,  elle  dut  bien 
se  continuer  durant  quelque*  mois,  Deux  traité»  y  mirent  8a  ; 
l'un  par  lequel  Hunald,  le  81s  aîné  d'Eudes,  obtenait  le 
gouvernement  de  l'Aquitaine,  à  la  condition  de  se  considérer 
comme  le  vassal  des  rots  d'Austrasie,  et  l'autre  en  vertu  duquel 
Uatton,  le  frère  d'Hunald,  obtenait  le  Poitou  et  le  Limousin  (?), 
Toutes  ces  négociations  conduisirent  Charles  Martel  au  mois  de 
mars  ou  d'avril  736.  C'est  alors  que  ce  prince  entreprit  son 
expédition  en  Bourgogne  et  qu'il  poussa  jusqu'à  Lyon,  Arles 
et  Marseille.  Tout.ayaut  été  soumis  au  pouvoir  de  ses  ducs,  il 
retourna  heureusement  au  siège  de  sa  puissance,  iVerberi^ 
sur-Oise.  Ce  devait  être  la  fin  de  736  (3). 

Or,  les  annales  ou  les  historiens  font  mention  d'une  expédi- 
tion de  Charles  Martel  en  Germanie,  contre  les  Saxons,  en  737. 
On  ne  faisait  pas  la  guerre  au  coeur  de  l'hiver.  D'autre  part, 
les  annales  qui  mentionnent  le  retour,  en  736,  de  Charles 
Martel   au   siège  de  sa  puissance,  ne  disent   pas  qu'il  en 

et  Hunaldo  filiis  Eudonis  victls  dimicando,  Aquitaniam  sibl  subjectt.  » 
(D.  Bousquet,  op.  cit.,  t.  III,  p.  3470 

(1)  A  nnales  Nawrianœ  :  «  795,  Carolus  iovasit  Vascoqiem.  736, 
Hatto  ligatus  est  (per  pacem  torsan  ?).  »  (D.  Bousquet,  op.  cit.,  t.  J, 
p.  640).  —Annales  Petavianœ  :  «  735,  Carolus  invasit  Vasconiam.  736, 
Carolus  dimicabat  contra  fllios  Eudonis  »  (  D.  Bousquet,  op.  cit.,  1. 1, 
P  642.) 

(?)  Annales  Metenses  :  f  735,  Eodo  dm  mortuus  est. . .  Carolus  il  la  m 
regionem  (Aquitaniam)  ei  subjugavit. . .  ducatumque  illum  solitâ  pietate 
Hunaldo  flUo  Eudonis,  dédit,  qui  sibi  et  flltis  Pippino  et  Karlomano 
fidem  promisit,  »  (P.  Bousquet,  op.  cit.,  t.  II,  p.  6$4f)  —  Adon  Viennen- 
sis :  1 736...  sed  variante  concertatione  fœdusnpn  dm  maosumm  inœunt.» 
(D.  Bousquet,  op.  cit.,  t.  II,  p.  671.) 

(3)  Annales  Metenses  ;  %  736,  Eodem  tempera,  Carolus  principe 
Burg ondiara  adiit,  Lugdutmm  Gallia  urbem  munilissimam  su»  ditiopi 
subjugat,  et  usque  Massiliam  urbem  et  A  relate  m  civitatem  penetrsYU, 
suisque  ducibus  omnia  in  po  testa  te  tradens,  ad  sedem  prjocipatus  sui 
remeavit  t. (D.  Bousquet,  op,  cit.,  t.  II,  p.  685,)  Le  continuateur  de 
Frédégaire  place  aussi  en  735  la  guerre  contre  les  fils  d'Eudes  et  eu  736 
la  visite  de  la  Bourgogne  et  de  la  Provence,  (D,  Bousquet,  t*  Ulf  p*  4M.) 
La  chropique  d'Adhémar  4e  même,  (Dt  Bousquet,  op.  cit.,  t  U»  p»  W&-) 


—  594  - 

Sortit  aussitôt  pour  courir  sus  aux  Saxons  (1).  Ce  ne  fut  qu'en 
février  ou  en  mars  737  qu'il  dut  se  mettre  en  marche  contre  ces 
barbares.  Pendant  qu'il  était  aux  prises  avec  eux,  on  lui  fit 
savoir  que  les  Sarrasins  appelés  par  Mauronte  s'élaient  empa- 
rés d'Avignon,  d'Arles,  qu'ils  ravageaient  la  contrée  environ- 
nante, qu'ils  pillaient  tout  et  qu'ils  remontaient  vers  Lyon. 
Aussitôt  il  fait  partir  Childebrand,  son  frère.  Celui-ci  descend 
sur  Avignon  et  met  le  siège  devant  la  ville.  Peu  après,  Charles 
Martel  arrive,  prend  la  ville  d'assaut  et  massacre  la  garnison 
sarrasine.  Jl  résolut  alors  de  se  débarrasser  de  ce  qui  restait  de 
Sarrasins  en  Gaule.  Comme  Narbonne  était  leur  place  forte 
depuis  dés  années,  il  vint  mettre  le  siège  devant  cette  ville. 
Or,  en  apprenant  et  l'échec  d'Avignon  et  le  siège  de  Narbonne, 
Ocba,  un  chef  musulman  d'Espagne,  s'apprêta  à  passer  les  Pyré 
nées  avec  une  armée  formidable  pour  courir  au  secoure  de  la 
ville  assiégée.  Mais  une  insurrection  des  Berbères  en  Afrique  le 
força  à  s'y  rendre  et  h  n'envoyer  au  secours  de  Narbonne  que 
quelques  troupes.  De  son  côté,  Charles  Martel  laisse  les  opéra- 
tions du  siège  de  Narbonne  au  soin  de  son  frère,  court  à  la 
rencontre  des  Sarrasins,  les  joint  sur  les  bordsdu  fleuve  Berre, 
dans  la  vallée  de  Corbières,  et  les  défait. 

Ceci  se  passait  sûrement  en  737,  car  la  plupart  des  chroni- 
queurs indiquent  cette  année.  Le  continuateur  de  Frédégaire, 
les  annales  de  Veissembourg,  deQuedlinbourg,  la  chronique 
de  M'oissac,  celle  de  Foiîtenelle,  Adon  de  Vienne,  les  annales 
de  Metz,  celles  de  Fulda,  la  chronique  d'Adhémar,  les  annales 
Nazariennes,  les  annales  Pitaviennes  (2),  Reinaud  enfin,  sont 

(1)  Les  Annales  Metenses  seulement  sembleraient  le  dire.  Après  avoir 
affirmé  qu'en  736  c  Càrolus  remeavit  ad  sedem  principatus  sui  »,  elles 
ajoutent  aussitôt  :  c  Collée  toque  exercltu  Saxoniam  bello  coq  tri  vit 
(ecitque  eos  tributarios.  »  (D.  Bousquet,  op.  cit.,  t.  II,  p.  685.) 

(2)  Adon  de  Vienne  place  en  737  la  guerre  de  Charles  en  Aquitaine  et 
Languedoc  contre  les  Sarrasins;  —  les  annales  Metenses,  en  737;  —  Fui- 
denses,  en  732,  733  (en  marge 737);  —  la  chronique  de  Moissac,  en  737  ;— 
délie  de  Fontenelle,  en  737  ;  —  le  continuateur  de  Frédégaire,  la  guerre 
de  Charles  en  Gothie,  en  737;  —la  chronique  d'Adhémar,  en  737;  —  les 
annales  Nazariennes,  Pitaviennes,  la  chronique  do  Lambert,  en  737;  — 
les  annales  Quedlrburgenses,Weisseburgenses,  en  737  :  c  Carolus  pugna- 
vit  contra  Sarracenos  in  Gothia  »%  (D.  Bouquet,  op.  cit.,  t.  II,  pp.  671, 


-  595  — 

de  ce  sentiment.  D'ailleurs,  il  avait  fallu  de  longs  mois  pour 
que  ces  divers  événements  s'accomplissent.  La  prise  d'Avignon 
par  les  Sarrasins  n'a  dû  avoir  lieu  qu'en  avril.  En  effet,  pour 
secouer  l'autorité  de  Charles  Martel  et  se  rendre  indépendant, 
ou  plutôt  pour  travailler  en  faveur  du  duc  d'Aquitaine, 
dont  la  Provence  était  en  définitive  une  contrée  annexe, 
Mauronte  avait  appelé  les  Sarrasins.  Mais  il  ne  dut  démas- 
quer sa  trahison  que  lorsqu'il  sut  que  Charles  Martel  était  aux 
prises  avec  les  Saxons.  Il  connaissait  trop  le  duc  d'Austrasie 
pour  agir  différemment.  Ce  dut  être  donc  en  mars  737  que 
sa  trahison  fut  définitive.  Puis  le  temps  pour  les  Sarrasins 
d'arriver  à  Arles,  de  s'y  établir,  de  la  piller,  d'en  ravager 
les  environs,  de  monter  à  Avignon,  d'y  renouveler  les  mômes 
scènes  de  carnage,  dut  conduire  en  avril.  Vers  la  fin  d'avril 
donc  arriva  Childebrand,  suivi  de  Charles  Martel. 

Mais  la  prise  d'Avignon,  la  marche  sur  Narbonne,  les  opé- 
rations dil  siège  commencées  autour  de  cette  ville,  le  temps 
nécessaire  pour  que  les  nouvelles  de  ces  divers  événements 
parvinssent  en  Espagne,  pour  que  le  calife  préparât  des  troupes, 
les  envoyât  au  secours  de  Narbonne,  pour  que  celles-ci  y 
arrivassent,  toutes  ces  démarches  durent  remplh*les  mois  de 
mai  et  de  juin.  De  sorte  que  la  bataille  de  Corbières,  livrée 
en  737,  ne  Ta  été  qu'à  la  fin  du  printemps  de  cette  année. 

Or,  après  la  victoire  de  Corbières,  Charles  Martel  ne  pour- 
suivit pas  le  siège  de  Narbonne.  Pourquoi?  Fut-il  appelé  dans 
le  Nord  à  Timproviste  par  une  rébellion  des  Saxons?  Non,  les 
chroniqueurs,  qui  indiquent  qu'en  738  Charles  Martel  com- 
battit ces  barbares  du  nord,  ne  disent  pas  qu'il  dut  laisser  le 
siège  de  Narbonne  pour  courir  réprimer  un  soulèvement  en 
Saxe  ou  en  Bavière.  Si  tel  avait  été  le  motif  de  la  levée  du 
siège  de  Narbonne,  la  prudence  aurait  voulu  que  Charles  Mar- 
tel masquât  son  départ  sous  peine  de  voir  les  Sarrasins  se 
mettre  à  sa  poursuite.  Et  l'histoire,  d'ailleurs,  aurait  rappelé 
cet  incident.  De  plus,  s'il  avait  dû  remonteren  toute  hâte  vers 
le  Nord,   il   ne  se  serait  pas  attardé  à  ravager,  brûler,  dé- 


685,  674,  656,  661  ;  t.  III,  pp.   455,  456.  —  Patrologie  latine,  éd.  Migne, 
t.  GXL1,  col.  469,  640,  642,  575.) 


—  596  - 

truire  des  forteresses  et  des  remparts,  s'emparer  des  églises 
et  de  leurs  biens,  avant  de  rentrer  dans  ses  Etats.  S'il  s  éloigne 
de  Narbonne,  c'est  qu'il  a  un  plan  qu'il  exécute.  Il  a  vu  que 
ses  troupes  ne  sont  pas  exercées  aux  opérations  de  siège,  mais 
qu'elles  sont  plutôt  habiles  dans  les  batailles  rangées  ;  aussi 
il  s'éloigne  de  la  ville  dans  l'espoir  d'attirer  à  sa  suite  l'enne- 
mi, de  le  battre  en  plaine  et  de  l'écraser.  Pour  mieux  réussir,  il 
prolonge  son  séjour  dans  les  environs  de  Narbonne,  ravage 
Béziers,  Agde,  Nîmes,  Maguelomie.  L'ennemi  ne  sortant  pas 
de  son  repaire,  Charles  veut  alors  qu'il  ne  puisse  se  fixer 
solidement  nulle  part  ailleurs. 

Il  y  a,  croyons-nous,  une  autre  raison  :  la  mort  de 
Thierry  IV,  roi  d'Austrasie  (1),  dont  Charles  Martel  était  le 
maire  du  palais,  ou  peut-être  l'annonce  de  la  fin  prochaine  de 
ce  roi.  Charles  se  rappelait  les  dures  années  de  luttes  et  de 
combats  qu'il  avait  dû  subir  pour  conserver,  à  la  mort  de 
Dagobert,  roi  d'Austrasie  et  de  Neustrie,  l'autorité  de  maire  du 
palais  et  vaincre  la  jalousie  que  les  leudes  de  Neustrie  avaient 
à  son  endroit  (2).  Il  tenait  donc  à  se  trouver  auprès  du  roi 
qui  allait  s'affaiblissant  ou  avait  hâte  de  gagner  l'Austrasie 
pour  prendre  les  rênes  du  gouvernement.  Laissant  donc  le 
siège  de  Narbonne,  il  regagna  le  Nord. 

Or,  à  quelle  époque  de  l'année  fixer  la  levée  du  siège  de 
Narbonne,  le  sac  de  la  Septimauie,  et  la  marche  vers  le  Nord 
du  duc  d'Austrasie?  Les  chroniqueurs  et  annalistes,  qui 
fixent  à  737  le  siège  de  Narbonne  et  la  bataille  de  Corbières, 
fixent  aussi  à  la  même  année  son  départ  pour  la  France  (3). 
Ceux-mêmes  qui  désignent  Tannée  736  pour  le  sifcge  de  Nar- 
bonne et  la  victoire  de  Corbières  supposent  que  le  ravage  de 

(1)  Thierry  mourut,  suivant  les  uns,  en  avril  ;  suivant  les  autres,  en 
septembre  737. 

(2)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XVI,  p.  578  et  suiv.  —  De  Mau- 
lôon,  Les  Mérovingiens  et  les  Carlovingiens,    t.  I,  p.  234. 

(3)  La  chronique,  de  Moissac  fixe  ce  retour  en  737  :  t  737...  reversus 
est  in  Franciam.  »  (D.  Bouquet,  t.  II,  p.  656.)  —  Celle  de  Fonte  ne  lie  de 
môme:  «737...  cum  magno  triumpho  reversus  est  in  Franciam  »  (D. 
Bouquet,  op.  cit.,  t.  II,  p.  661.)  —  Frédégaire,  de  même  :  «  737. .  rcmea- 
vit  in  regionem  suam,  in  terram  Francorum  ad  solium  prtncipatùs  sui.i 
(D.  Bouquet,  op.  cit.,  t.  III,  p.  456.) 


-  597  — 

la  Septimanie  dura  toute  Tannée  737  (1).  Nous  sommes  donc 
d'accord  avec  eux  en  fixant  la  levée  du  siège  au  plus  tard  à  la 
fin  de  l'été  de  737  (2)  et  le  sac  de  la  Septimanie  pendant  le 
reste  de  l'aunée.  Vers  la  fin  de  737,  Charles  était  dans  le  Nord; 
à  la  Noél  de  737  et  au  début  de  738,  il  devait  se  trouver  à  sa 
résidence  de  Verberie-sur-Oise. 

Des  détails  que  nous  avons  donnés  sur  les  événements  de  737, 
il  s'ensuit  qu'il  n'y;  a  que  deux  moments  favorables,  dans  cette 
année,  pour  que  les  Sarrasins  aient  pu  accomplir  l'odieux 
méfait  du  massacre  de  sainte  Eusébie  :  du  mois  de  mars, 
alors  que  les  Sarrasins  s'emparent  d'Avignon,  à  la  fin  d'avril, 
époque  de  l'arrivée  de  Ghiidebrand  et  de  Charles  Martel  sous 
les  murs  de  cette  ville;  ou  de  septembre,  par  exemple,  à  la 
fin  de  l'année  737,  alors  que  Charles  est  dans  le  Nord. 

Or,  dans  le  court  intervalle  de  ces  deux  mois,  mars  et  avril, 
les  Sarrasins  ne  sont  pas  venus  jusqu'à  Marseille.  Les  annales 
ne  le  disent  pas;  elles  mentionnent  Arles  et  Avignon,  mais 
pas  d'autres  villes.  Et ,  comme  elles  parlent  de  Mauronte, 
l'appelant  traître  et  parjure,  si  les  Sarrasins  avaient  occupé 
Marseille,  ces  annales  l'auraient  fait  connaître.  Les  Sarra- 
sins n'ont  pas  eu  le  temps,  en  cette  année  737^  de  commettre 
beaucoup  de  ravages.  Nous  croyons  que  tout  ce  que  l'on  indi- 
que dans  les  auteurs  comme  ayant  été  accompli  en  737  doit 
être  rapporté  à  738.  D'autre  part,  ce  n'est  pas  en  septembre, 
octobre,  novembre  ou  décembre  737,  qu'ils  ont  pu  venir  & 
Marseille.  Impossible  en  effet  de  supposer  qu'ils  soient  retournés 
en  Provence  à  la  fin  de  737.  Mauronte  n'a  pu  les  rappeler  à  ce 
moment.  Charles  Martel,  qui  gagnait  le  Nord,  aurait  pu  faire 
un  crochet  et  punir  Mauronte  d'une  manière  terrible,  s'il 
l'avait  vu  de  connivence  complète  avec  les  ennemis.  La  tacti- 
que du  traître  était  de  cacher  son  jeu.  Il  n'avait  pu  réussir 
une  première  fois,  en  736  ;  l'arrivée  de  Charles,  en  737,  avait 

(1)  Sigebert  place  le  siège  de  Narbonne  en  736;  les  annales  de  Fulde 
en  736. (D,  Bouquet,  op.  cit.,  t.  II,  p.  675  ;  t.  III,  p.  347.) 

(2)  De  Mauléon,  Les  Mérovingiens  et  les  Carlovingiens,  1. 1.  p.  251, 
dit  que  Charles  Martel  leva  le  siège  de  Narbonne  en  octobre  737.  C'est 
ce  que  confirment  les  annales  de  Moissac,  de  Fontenelle  et  la  chronique 
de  Frédégaire, 


-  598  - 

lout  déjoué  une  seconde  fois  ;  il  lui  fallait  donc  attendre  une 
autre  occasion. 

D'autre  part,  les  Sarrasins  savaient  à  quel  terrible  jouteur 
ils  avaient  affaire,  et  ce  n'était  pas  alors  que  Charles  Martel 
avait  ses  troupes  autour  de  lui  en  remontant  vers  le  Nord, 
ni  pendant  qu'il  se  reposait  à  Verberie-sur-Oise,  qu'ils  allaient 
se  jeter  en  avant.  C'était  d'ailleurs  en  hiver,  et  les  Sarrasins, 
pas  plus  que  les  autres  peuples  qui  les  environnaient,  ne  fai- 
saient la  guerre  à  cette  saison  rigoureuse.  Donc,  en  737,  il  est 
impossible  de  placer  le  martyre  de  sainte  Eusébie.  Cette  date 
proposée  par  les  auteurs  précités  est  inadmissible. 

L'historien  Rocbacker  a  préféré  placer  ce  fait  en  751.  Cette 
date  n'est  pas  plus  acceptable.  Depuis  la  défaite  des  Sarrasins 
en  749,  durant  tout  le  règne  de  Pépin  et  de  Charlemagne,  la 
Provence  fut  tranquille.  En  cette  année  75 1,  les  Sarrasins  sont 
en  proie  à  des  querelles  intestines,  en  Espagne,  produites  par 
un  changement  de  dynastie.  D'autre  part,  Pépin,  le  fils  de 
Charles  Martel,  était  toujours  en  discussion  avec  le  duc  d'Aqui- 
taine. Mais  nui  bruit  de  guerre  en  Provence,  à  Marseille, 
a  Les  Sarrasins,  dit  Reinaud,  auraient  pu  profiter  de  cette 
occasion  pour  renouveler  leurs  funestes  tentatives  contre  les 
provinces  méridionales  de  la  France;  mais  il  survint  parmi 
eux  des  discordes  qui  les  mirent  pour  longtemps  hors  d'état 
de  rien  entreprendre.  »  Une  autre  raison,  d'ailleurs,  leur  aurait 
inspiré  une  sage  prudence  :  c'était  la  valeur  de  leur  ennemi. 
Il  leur,  en  avait  coûté  de  braver  Charles  Martel  ;  la  valeur 
de  Pépin  son  fils  ne  devait  pas  leur  être  inconnue  Ses  victoi- 
res en  Aquitaine,  en  Germanie,  en  Bavière,  ils  ne  les  igno- 
raient pas.  Ils  ne  devaient  pas  tarder  d'en  sentir  tout  le  poids. 
En  752,  Pépin  descendit  en  Septimanie,  s'empara  par  force  et 
par  ruse  de  Mimes,  d'Agde,  de  Maguelonne,  de  Béziers,  finale- 
ment de  Narbonne  en  759. 

La  Statistique  des  Bouches-du-Rhône  a  fixé  à  l'année  810 
le  martyre  de  notre  sainte.  Mais  elle  s'est  réfutée  elle-même, 
nous  lavons  dit,  puisqu'elle  avoue,  avec  Papon,  que,  durant 
le  règne  de  Charlemagne,  les  Sarrasins  n'ont  fait  qu'une  seule 
apparition  sur  les  côtes  de  Provence,  du  côté  de  Nice,  en  813. 
C'est  bien  là  ce  que  disent  les  historiens.  M.  de  Rey  écrit  :  «  A 


ces  timides  tentatives  (de  812  ou  613  sur  les  côtes  .de  Nice)  se 
bornent  les  agressions  des  Sarrasins  sur  les  côtes  de  Pro- 
vence, pendant  la  vie  de  Charlemagne.  »  M.  Reinaud,  dans 
les  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  dit  qu'en  806  les  Sarra- 
sins ravagèrent  la  Corse  ;  ils  furent  chassés  et  défaits  par 
Pépin,  fils  de  Charlemagne.  En  808,  ils  descendirent  en  Sar- 
daigne  et  dans  la  Corse  ;  ils  y  furent  battus  par  le  connétable 
Burchard.  En  809  on  les  vit  encore  en  Sardaigne  et  en  Corse. 
Mais  en  810  on  ne  les  voit  nulle  part.  Au  contraire  on  men- 
tionne une  trêve  faite  en  810  entre  le  grand  empereur  et  les 
musulmans.  De  plus,  vint  le  moment  où,  pour  se  garder  des 
Normands  qui  commençaient  à  ravager  les  côtes  de  France, 
Charlemagne  fît  mettre  le  littoral  en  état  de  défense  (1). 

Venons  à  la  date  838,  que  Reinaud  préconise  dans  les  Inva- 
sions des  Sarrasins  en  France  et  qu'adopte  l'abbé  Magloire 
Giraud  dans  sa  Monographie  de  Saint-Cyr  (Var).  Nous 
répondrons  à  l'assertion  de  Reinaud  par  quelques  lignes 
de  M.  de  Rey  dans  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille  : 
«  Si  Tabbesse  et  trente-neuf  de  s*es  compagnes  avaient 
alors  accompli  Pacte  héroïque  qui  leur  valut  le  martyre, 
comment  l'annaliste  de  Saint-Berlin,  si  bien  informé  du 
sort  des  autres  religieuses,  eùt-il  ignoré  les  sanglants  pré- 
liminaires de  l'enlèvement;  s'il  avait  connu  ce  tragique 
événement  pourquoi  aurait-il  tu  un  fait  si  glorieux  pour 
l'Eglise  ?  Son  silence  prouve  presque  péremptoirement  que  le 
martyre  des  Cassianites  est  d'une  autre  époque.  *  La  raison  est 
excellente,  on  ne  saurait  mieux  l'exprimer.  La  date  de  838  est 
inacceptable. 

L'abbé  Verlaque  a  placé  le  martyre  de  sainte  Eusébie 
durant  le  règne  du  faible  successeur  de  Charlemagne,  Louis 
le  Débonnaire,  de  814  à  840  par  conséquent.  Ce  laps  de  temps 
est  occupé  par  des  luttes  fréquentes  entre  Sarrasins  et 
Français.  Mais  le  théâtre  de  ces  luttes  est  ordinairement  en 
Espagne.  H  est  vrai  cependant  que  les  Sarrasins  se  sont  em- 
parés, à  cette  époque,  des  lies  Baléares,  de  la  Sicile,  qu'ils  ont 


(1)  Reinaud,  op.  cit.,  pp.  122,  126.  —  De  Rey,  Invasions  des  Sarra- 
sins en  Provence^  p.  81. 


_  GOO  - 

fait  des  descentes  en  Sardaigne  et  eq  Corse  et  qu'ils  nç  lais- 
saient, dit  Reinaud,  ni  trêve  ni  repos  aux  côtes  du  Midi  de  la 
France  et  à  celles  de  l'Italie,  Mais  on  répondait  à  leurs  attaques 
par  une  défense  courageuse.  Des  flottes  les  poursuivaient, 
allaient  opérer  des  descentes  dans  les  pays  qu'ils  habitaient. 
De  la  sorte,  leurs  incursions  ne  se  firent  pas  sentir  bien  avant 
dans  les  terres.  Dans  tous  les  cas,  les  annales  ne  disent  rien, 
concernant  Marseille.  Une  seule  fois  il  est  parlé  de  notre 
ville  en  838,  mais  nous  avons  dit  tantôt  que  ce  n'est  pas  à 
celte  époque  qu'a  eu  lieu  le  martyre  de  sainte  Eusébie.  Si 
c'est  à  cette  date  de  838  que  l'abbé  Verlaque  a  fait  allusion,  il 
est  déjà  réfuté. 

Kothen,  dans  la  Notice  sur  les  cryptes  de  C  abbaye  de  Saint- 
Victor  lez-  Marseille y  cite  Reinaudqui,  parlant  de  la  date  de 
838,  a  écrit  :  x  C'est  peut-être  en  cette  occasion  qu'eut  lieu  le 
fait  attribué  à  sainte  Eusébie.  »  Il  se  range  donc  de  l'avis  de 
Reinaud,  mais  il  ajoute  :  a  Celte  époque  où  régnait  le  faible 
successeur  de  Charlemagne  nous  parait  aussi  la  plus  probable.  » 
C'est  bien  l'opinion  qu'a  émise  l'abbé  Verlaque,  Or,  nous  avons 
dit  tantôt  que  ni  la  date  assignée  par  Reinaud,  ni  celle  désignée 
par  M.  Verlaque  ne  sont  acceptables.  Par  le  fait  même,  Kothen 
est  réfuté  (i). 

Ruffi,  attribuant  le  martyre  de  sainte  Eusébie  aux  Normands, 
pense  que  ce  fait  a  eu  lieu  vers  867.  Cette  date  est  inaccep- 
table encore, 

Nous  avons  dit  en  son  lieu  que  les  Normands,  s'ils  ont  ravagé 
les  bords  du  Rhône ,  ne  sont  pas  arrivés  jusqu'à  Marseille. 
Marseille  a  échappé  à  leurs  coups.  En  867,  ils  n'y  ont  pas 
paru:  aucun  texte,  que  nous  sachions,  ne  l'indique (2). Ce  n'est 
donc  pas  alors  qu'ils  ont  pu  détruire  l'abbaye  cassianite.  Suivant 
M.  de  Rey  et  M,  André,  an  contraire,  à  cette  époque  l'abbaye 
était  prospère.  Elle  possédait  des  biens  assez  considérables. 
La  preuve  en  est,  suivant  ces  auteurs,  dans  les  divers  dénom- 
brements qui  furent  faits  à  peu  près  à  cette  époque  (3 ).  Il  y  en 

(1)  Kothen,  op.  cit.,  p.  55. 

(2)  Les  annales  de  Saint-Bertin  —Chronique  des  gestes  des  Normands; 
v.  dans  de  Rey,  Invasion*  des  Sarrasins  en  Provence,  pp.  222,  225. 

(3)  André,  Histoire  de  Saint- Sauveur ,  p.  12.  —  De  Rey,  Invasion* 
des  Sarrasins  en  Provence,  p.  139. 


—  601  — 

a  eu  deux  ;  l'un  vers  870  ou  871,  du  temps  du  roi  Carloman, 
la  première  année  de  Rotland ,  archevêque  d'Arles  ;  l'autre 
entre  870  et  875,  sous  Babon,  évoque  de  Marseille.  Or,  nous 
aussi  croyons  que  ces  dénombrements  faits  à  cette  époque, 
trois  ou  quatre  ans  après  Tannée  où  Ton  supposerait  le  mas- 
sacre opéré  par  ces  Danois,  sont  une  preuve  que  cet  événe- 
ment n'a  pu  avoir  lieu.  Si  toutes  les  religieuses,  l'abbesse  en 
en  tête,  ont  été  massacrées  en  867,  il  a  fallu  plus  de  trois  ans 
pour  relever  ce  monastère  et  y  appeler  de  nouvelles  reli- 
gieuses. Car  c'est  une  époque  fort  troublée.  Les  Normands, 
ne  sont  pas  venus  à  Marseille,  mais  ils  en  étaient  pas  loin.  Les 
Sarrasins,  dès  869,  remontaient  le  Rhône  et  tuaient  l'arche- 
vêque Rotland.  Si  donc  l'abbaye  a  succombé,  on  ne  voit  pas 
qui  aura  pu  faire  le  dénombrement  ;  car  il  n'est  pas  dit  que 
cet  inventaire  des  biens  de  l'abbaye  fut  dressé  par  l'évêque  de 
Marseille  ou  l'archevêque  d'Arles,  mais  qu'il  l'a  été  du  temps 
de  CaHotn an,  du  temps  de  Rostaing,  du  temps  de  Babon  : 
«  te  m  pore  Garlomani,  Rostagni,  Babon  is  »  ;  il  l'a  été,  sans 
aucun  doute,  sur  l'ordre  de  ces  évêques,  maiB  non  pas  en  l'ab- 
sence des  religieuses,  ni  en  dehors  de  leur  participation. 

Si  c'est  bien  en  867  que  les  Normands  ont  martyrisé  notre 
sainte,  comment  expliquer  le  silence  du  chroniqueur  de  Saint- 
Berlin  qui  relate  les  faits  et  gestes  des  Danois  en  860,  et  ceux 
des  Sarrasins  en  860  (1)  ?  Incontestablement  il  en  aurait  fait 
mention.  II  n'a  rien  dit,  c'est  qu'en  cette  année  rien  de  sail- 
lant ne  B'est  passé  à  Marseille.  Ce  n'est  donc  pas  en  867. 

Les  auteurs  de  la  Gallia  chrtstiana  et  Lautard,  qui  ont 
suivi  Ruffi,  sont  réfutés  par  les  mêmes  raisons. 

L'année  023  n'est  pas  la  date  du  martyre  de  notre  sainte. 
En  effet,  sûrement  en  923  l'abbaye  cassianite  se  trouvait 
auprès  de  Saint- Victor,  loin  de  la  ville.  Elle  n'était  pas  à 
l'abri  de  tout  danger,  puisqu'elle  ne  devait  pas  être  fortifiée, 
ni  environnée  de  murailles,  comme  Tétait  l'abbaye  de  Saint- 
Victor.  L'orage  approche,  les  premiers  coureurs  ennemis 
apparaissent  dans  la  campagne,  Marseille  mure  ses  portes  et 


(1)  Aûnalesdô  Saint-Bertin  (de  Rey,  Invasions  des  Sarrasin*  en  Pro* 
vence,  p.  tît). 


—  602  — 

ses  habitants  se  mettent  en  état  de  défense.  Que  les  moines  de 
Saint-Victor  se  renferment  dans  leur  abbaye,  à  l'abri  de  leurs 
murailles,  c'est  admissible.  Mais  que  les  religieuses  demeu- 
rent dans  leur  monastère  sans  défense,  qu'elles  affrontent  le 
péril  après  la  triste  catastrophe  de  838,  plus  terrible  pour  elles 
que  la  mort  !  que  Tévêque  ne  leur  ordonne  pas  de  se  réfugier 
dans  la  ville,  c'est  ce  que  Ton  ne  pourra  faire  admettre  à  tout 
esprit  réfléchi.  Non,  en  923,  les  Cassianitesont  fui  leur  monas- 
tère menacé,  elles  sont  venues  en  ville,  et  le  massacre  n'a 
pas  eu  lieu. 

M.  André,  n'acceptant  ni  la  date  de  737,  ni  celle  de  838, 
préfère  de  beaucoup  l'année  923.  Impossible  de  l'agréer. 

M.  de  Rey,  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence, 
a  choisi  la  date  de  933  ou  948  pour  la  date  du  martyre.  «  Il 
est  plus  probable,  écrit-il,  que  ce  fut  au  commencement  du 
X'  siècle,  dans  une  de  ces  expéditions  sanglantes  que  les 
Sarrasins  dirigèrent  contre  Marseille  et  que  la  date  de  leur 
martyre  est  celle  de  la  destruction  de  leur  abbaye,  un  peu 
après  924.  En  admettant  cette  opinion,  il  faut  placer  le 
martyre  de  sainte  Eusébie  aux  années  933  ou  948,  qui  corres- 
pondent à  l'indiction  V1B  donnée  par  l'inscription  de  son 
tombeau.  » 

Nous  ne  pouvons  accepter  cette  date  de  933  ou  celle  de  948. 
Le  monastère  de  Saint- Victor,  de  l'aveu  de  tous,  a  été  détruit 
en  923  ou  924,  et,  nous  le  croyons  avec  M.  de  Rey,  celai  des 
religieuses  subit  le  même  sort.  Mais,  si  ce  n'est  pas  dans  celle 
affreuse  catastrophe  de  923  ou  924  que  les  religieuses  trouvent 
le  martyre,  certainement  elles  durent  se  réfugier  en  ville  ou 
ailleurs.  Or,  est-ce  dans  les  années  qui  suivent  923  qu'elles 
ont  pu  se  grouper  de  nouveau,  pour  que,  en  933  ou  948, 
l'ennemi  juré  du  nom  chrétien  vint  les  assaillir  et  cette  fois 
les  massacrer?  Non,  les  Sarrasins,  qui  ont  désolé  Marseille 
en  923,  pillent  et  saccagent  Aix  en  924.  Us  se  répandent  à 
l'entour  et  les  traditions  d'un  grand  nombre  de  villes  et 
villages  du  nord  de  notre  département  ont  conservé  le  souve- 
nir de  leur  présence.  Vingt  ans  après,  en  947,  ils  étaient  en- 
core maîtres  d'Aix  et  de  son  territoire,  puisque  Odalric,  évoque 
de  cette  ville,  qui  avait  dû  en  927  se  réfugier  à  Reims,  à  cause 


.■ 


—  603  - 

de  la  persécution  des  Sarrasins,  y  était  encore  et  assistait  au 
concile  de  Verdun.  Le  monas  ère  détruit  ne  s'est  pas  relevé 
de  ses  ruines,  les  religieuses  dispersées  en  924  n'ont  pu  venir 
l'habiter  de  nouveau.  D'autre  part,  hors  de  leur  monastère 
détruit,  comment  les  retrouver  au  nombre  de  quarante, 
Tabbesse  à  leur  tête,  pour  subir  le  martyre  ?  Donc  ce  n'est  pas 
en  933  ou  948  qu'il  a  eu  lieu. 

M.  de  Rey  a,  dans  sa  Vie  des  saints  du  diocèse  de  Mar- 
seille, abandonné  cette  première  opinion,  et  il  a  préféré,  à  la 
suite  de  ses  études  sur  ce  point,  adopter  la  date  de  923  : 
«  L'antique  cité  phocéenne,  autrefois  si  riche  et  si  puissante, 
était  complètement  ruinée.  C'est  alors  que  périt  le  monastère 
de  Saint-Victor;  et  alors  aussi  croyons-nous,  celui  de  Saint- 
Cyr,  surpris  par  une  attaque  imprévue,  succomba  si  glorieu- 
sement. » 

Nous  avons  vu  il  y  a  un  instant  la  valeur  de  cette  assertion, 
en  la  combattant  dans  le  livre  de  M.  André.  Elle  n'en  a 
aucune.  En  923  ou  924,  les  religieuses  cassianites,  mettant  à 
profit  la  terrible  expérience  que  leurs  sœurs  de  838  avaient 
faite,  se  sont  réfugiées  en  ville.  Elle  n'ont  pu  être  martyrisées 
au  nombre  de  quarante.  Qu'on  ne  s'étonne  pas  de  notre 
assertion.  Tl  n'est  dit  dans  aucune  charte  de  Saint-Victor,  à 
notre  connaissance  du  moins,  que  les  Sarrasins  aient  massa- 
cré des  religieux  et  des  moines;  et  cependant,  en  923  ou  924, 
le  monastère  a  péri.  Il  a  succombé  autant  sous  les  coups  des 
barbares,  que  par  la  solitude  et  l'abandon  dans  lequel  les 
moines  fugitifs  le  laissèrent.  A  ce  moment  plus  de  vie  reli- 
gieuse en  commun  à  Marseille.  Tout  était  dispersé,  afin 
d'échapper  plus  facilement  à  la  fureur  des  Sarrasins.  Il  en 
fut  de  même  pour  les  religieuses  cassianites.  Et  leur  cœnobium 
périt  lui  aussi,  autant  par  le  pillage  et  l'incendie  que  par  la 
solitude  et  l'abandon.  C'était  une  des  nécessités  de  cette  époque 
désastreuse. 


CHAPITRE  IX 

On  peut  attribuer  aux  Sarrasins  le  massacre  de 

sainte  Eusébie. 

LB8  SARRASINS  ET  LEURS  FÉROCITÉS.—  CE  QU'EN  DISENT  LES  CHRONI- 
QUEURS :  ADON,  AYMONIU8,  ETC.,  LES  ANNALISTES,  LES  HISTORIENS. 
—  LES  RUINES  QU'ILS  ONT  ACCUMULÉES  EN  PROVENCE  ET  DANS  LES 
CONTRÉS8  ENVIRONNANTES.  • 

Souvent,  en  effet,  on  a  attribué  ce  massacre  aux  Sarrasins, 
qui  ont  ravagé  notre  Provence  durant  les  VHP,  IX*  et  X*  siècles. 
Lecture  faite  de  l'exposé  sommaire  des  invasions  de  ces  barba- 
res dans  le  midi  de  la  France,  peut-on  trouver  quelque 
vraissemblance  historique  à  cette  assertion  des  auteurs  ?  Oui. 

Que  disent,  en  effet,  les  chroniqueurs  contemporains  de  ces 
barbares  ?  Qu'ils  ont  tout  pillé,  tout  ravagé  et  qu'ils  s'en  sont 
pris  aux  monastères. 

Adon,  archevêque  de  Vienne,  en  Gaule,  en  860, écrivait  cent 
ans  à  peine  après  l'événement  qui  nous  occupe  :  «  Les  Sarra- 
sins dévastèrent  toute  l'Aquitaine,  promenant  partout  le  fer  et 
le  feu.  Ils  prirent  Bordeaux  et  ravagèrent  horriblement  son 
territoire.  Ils  livraient  presque  tout  aux  flammes,  souillaient 
les  monastères  et  les  lieux  saints,  chassaient  devant  eux  un 
peuple  de  prisonniers,  qu'ils  emmenaient  en  Espagne  (1).  » 

Ecoutons  Aymonius,  dans  son  livre  :  Les  Gestes  desFrancs9 
à  l'époque  que  nous  étudions,  715-730.  «  La  nation  impie  des 
Vandales,  dit-il,  commença  à  ravager  la  Gaule  ;  les  églises 
furent  abattues,  les  monastères  renversés,  les  villes  prises, 


(1)  «  Sarraceni  pêne  totam  Aquitaniam  vastantes  et  late  alias  provin- 
cial igné  ferroque  superantes...  Penè  omnia  flammis  exureutes, 
monasteria  quoque  ac  loca  sacra lœdantes,  innumerum  populum  abigunt 
atque  inHispanias  transponunt.  »  (Chronique  d'Adon  de  Vienne,  citée 
par  M.  de  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  210.) 


—  605  — 

les  maisons  désolées,  les  châteaux  forts  détruits,  une  multi- 
tude d'hommes  passés  au  fil  de  l'épée  et  de  toutes  parts  le  sang 
humain  versé  en  abondance.  Ils  arrivèrent  jusqu'à  la  ville  de 
Sens,  qu'ils  assiégèrent  et  couvrirent  de  traits.  Mais,  conduits 
par  leur  évoque,  Ebbon,  les  habitants  firent  une  sortie  et 
taillèrent  en  pièces  les  barbares  (1).  » 

C'est  bien  cette  conduite  inhumaine  que  les  vieux  manuscrits, 
les  annalistes,  les  historiens  de  toute  époque  imputent  aussi 
aux  Sarrasins.  Un  parchemin  antique,  cité  par  l'abbé  Faillon, 
atteste  que  chaque  jour  «  c'était  quelque  église  jetée  à  terre  et 
démolie,  quelque  vieux  monument  renversé  et  détruit  au  ras 
du  sol  (2)  » .  Baronius  rapporte,  au  témoignage  d'un  auteur 
ancien,  «  qu'un  prince  sarrasin  ordonnait  de  démolir  de  fond 
en  comble  les  églises  des  chrétiens.  Cela  se  fit  à  Emèse  et  dans 
d'autres  endroits  de  la  Syrie  jusqu'à  Damas  (3).  »  Et  il  en  était 
de  l'Espagne,  de  la  Gaule,  comme  de  la  Syrie. 

«  Quels  massacres,  écrivait  Barralis,  les  Sarrasins  ont  faits 
des  pauvres  chrétiens  !  que  de  spoliations  dans  les  temples  1 
que  d'incendies,  que  de  sacrilèges  dans  les  églises  !  quels 
tourments  barbares  infligés  aux  prêtres  et  quelles  ignominies 
ils  ont  fait  subir  aux  vierges  consacrées  à  Dieu  !  Personne  ne 
pourra  jamais  ni  le  dire,  ni  le  raconter  (4).  »  —  a  Cette  nation  des 
Sarrasins,  lisons-nous  dans  Faillon,  citant  le  P.  Longueval, 

(1)  «Eo  tempore,  gens  impia  Vandalorum  Galliam  devastare  cœpit, 
quo  tempore  destructœ  stint  ecclesiae,  subversa  monasteria,  captae  urbes, 
desolatœ  suntdomus,  diruta  castra,  strages  hominum  innumerae  factœ.  » 
fAymonius,  De  Gestis  Francoi^um^  liD.  IV,  cap.  LV,  cité  par  Barralis, 
Chronologies  sanctorum  insulœ  Lerinenais,  p.  225.) 

(2)  «  Quotidie  ecclesise  Dei  destruuntur  et  antiquâ  soliditate  teropla  Ar- 
mât a  terratenus  coaequantur.  »  Faillon,  Monuments  inédits,  t.  I, 
col.  680. 

(3)  «  Ànno  780,  addit  Theophanes,  a  Sa  r  race  no  ru  m  principe  esse  jussas 
christianorum  ecclesias  solo  œquari  :  idque  factum  Emesae  et  in  aliis 
locis  Syriaî  usque  Daraascum.  >  Baronius,  Annales  ecclesiostici,  ann.716, 
n0,2,  13    (dans  Faillon,  op.  cit.%  t.  I,  col.  680). 

(4)  «  Quas  strages,  in  miseros  christianos,  in  sacra  templa  direptiones, 
incendia,  sacrilegia,  in  sacerdotes  caedes,  in  sacratas  virgines  stupra 
nefariè  perpétraient,  nemo  putô  mortalium  scriptione  dictioneve  digne 
satis  expresserit,  o  Barralis,  Chronologia  sanctorum  insulœ  Lerinenais  % 
p.  226. 

39 


-  606  - 

exerçait  fia  fureur  principalement  sur  les  églises  et  les  person- 
nes consacrées  à  Dieu  (1).  »  —  a  II  n'y  a  point  d'horreurs  qu'ils 
ne  commissent  ;  avides  de  pillage,  altérés  de  sang,  dit  Papon, 
ils  mettaient  le  feu  aux  églises,  détruisaient  les  monastères, 
violaient  les  vierges  consacrées  à  Dieu,  massacraient  les 
moines,  etc.,  etc.  (2).  »  — «  A  cette  époque,  ajoute  Reinaud, 
les  églises  et  les  monastères  passaient  pour  receler  de  grandes 
richesses.  Les  Sarrasins,  d'ailleurs,  devaient  décharger  de 
préférence  leur  fureur  sur  ces  asiles  de  la  piété,  comme  sur 
les  lieux  d'où  partait  le  plus  souvent  le  signal  de  la  résis- 
tance (3).  » 

Oui,  Ténumération  des  églises,  des  monastères  saccagés 
par  ces  barbares  serait  bien  longue.  On  suit  leur  marche  à 
travers  la  France  aux  ruines,  aux  dévastations  qu'ils  ont  faites. 
On  connaît  les  lieux  où  ils  ont  pénétré,  à  diverses  époques  de 
leurs  invasions,  par  le  souvenir  des  dégâts  qu'ils  y  commirent. 
Partout  les  églises  brûlées,  les  monastères  détruits,  les  hommes 
passés  au  fil  de  l'épée.  Les  abbayes  de  Saint- Sa  vin,  près  de 
Tarbes,  de  Saint-Sever  de  Rustan ,  en  Bigorre,  furent  rasées  ; 
celle  de  Sainte-Croix,  près  de  Bordeaux,  livrée  aux  flammes. 
Dans  le  Limousin,  celle  de  Solignac  ;  en  Velay,  celle  de  Car- 
méry  ;  aux  environs  de  Libourne,  le  monastère  de  Saint-Emi- 
lien  ;  à  Poitiers,  l'église  de  Saint-Hilaire  subirent  le  même 
sort.  Les  auteurs  parlent  encore  de  la  destruction  du 
monastère  de  Jaucels  ,  près  de  Béziers  ;  de  celui  de  Saint- 
Bausile,  près  de  Nîmes  ;  du  couvent  de  Saint-Gilles,  près 
d'Arles,  là  où  été  bâtie  plus  tard  la  ville  de  Saint -Gilles  ;  de 
la  riche  abbaye  de  Psalmodie,  près  d'Aigues-Mortes.  En 
avançant  dans  la  Gaule,  aux  environs  de  Vienne,  sur  les  bords 
du  Rhône,  les  églises  et  les  couvents  n'offrirent  plus  que  des 
ruines.  Lyon  eut  à  déplorer  la  dévastation  de  ses  principales 
églises.  Autun  vit  celles  de  Saint-Nazaire  et  de  Saint-Jean 

(1)  Falllon,  Monuments  inédits  sur  Vap03tolat  de  sainte  Marie- 
Magdeleine,  t.  I,  col.  680.  —  Le  P.  Longue  val,  Histoire  de  l'Eglise 
Gallicane,  t.  IV,  p.  246. 

(2)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  77.  —  H.  Bouche,  Histoire 
de  Provence,  1. 1,  p.  701. 

(3)  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  par  Reinaud,  p.  20. 


—  607  — 

livrées  aux  flamme?  ;  le  monastère  de  Saint-Martin,  près  de 
la  ville,  fut  abattu  ;  à  Saulieu,  l'abbaye  de  Saint- Andoche, 
pillée.  Près  de  Dijon  le  monastère  de  Béze  ;  près  de  Nevers, 
celui  de  Saint-Col  u  m  ban,  furent  saccagés  et  démolis.  A 
Besançon,  le  clergé  et  la  plus  grande  partie  des  moines  furent 
mis  à  mort.  A  son  tour,  l'abbaye  de  Luxeuil,  au  pied  des 
Vosges,  vit  ses  religieux  passés  au  fil  de  l'épée.  Et  tant  d'autres 
asiles  de  la  science  et  de  la  piété,  que  nous  ne  pouvons 
nommer  ! 

Hors  de  la  France,  même  ravage,  même  acharnement  de  la 
part  des  Sarrasins  contre  les  églises  et  les  abbayes.  Ne  citons 
que  quelques-uns  de  ces  forfaits.  Sur  les  limites  du  Piémont, 
dans  la  vallée  de  Suse,  l'abbaye  de  Novalèse,  entre  Briançon  et 
Suse,  le  couvent  d'Oulx  furent  pillés  et  livrés  aux  flammes. 
Dans  le  Valais,  la  célèbre  abbaye  d'Agaune  fut  presque  renver- 
sée de  fond  en  comble.  Dans  le  pays  des  Grisons,  l'abbaye  de 
Disentis,  fondée  par  un  disciple  de  saint  Col  u  m  ban,  fut  dé- 
pouillée de  tous  ses  biens.  Il  en  arriva  de  même  à  l'église  de 
Goire  (1).  Les  chroniqueurs,  les  historiens  ont  eu  raison  de  dire 
des  Sarrasins  qu'ils  s  en  étaient  pris  surtout  aux  églises  et  aux 
monastères,  partout  où  ils  sont  passés. 

La  Provence  peut  faire  elle  aussi  le  dénombrement  de  ses 
églises  et  de  ses  abbayes  dévastées  et  incendiées.  La  main  des 
barbares  s'est  rudement  appesantie  sur  elle.  Ecoutons  le  moine 
rédacteur  du  prologue  de  la  Passion  de  saint  Porcaire,  abbé 
de  Lérins,  et  la  légende  du  moine  Aldelbald,  mise  en  tête,  sous 
forme  de  prologue,  à  la  Vie  de  saint  Mayeul  :  a  La  nation 
cruelle  des  Agareniens  vint  dans  la  province  de  la  Narbon- 
naise,  dévastant,  saccageant  tout,  et  voulant,  aprè*  avoir  aboli 
le  nom  de  Jésus-Christ,  soumettre  tout  le  pays  à  sa  domina- 
tion. Promenant  deçà  et  delà  leurs  fureurs  et  leurs  cruautés, 
la  région  tout  entière  fut  à  ce  point  ravagée,  que  les  endroits 
les  plus  habités  devinrent  de  profondes  solitudes.  Les  villes 
les  plus  peuplées  étaient  rasées  jusqu'au  sol,  les  châteaux 


(1)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  pp.  20,21,26,27, 
30,  31,  41,  42,49,  163,  165,  172,  174,  etc.,  etc.  —  Alliez,  Histoire  de 
V Abbaye  de  Lérins,  t.  1,  pp.  355,  396. 


—  608  — 

forts  abandonnés,  les  villages  renversés,  le  peuple  fidèle  dis- 
persé de  tous  côlés,  et  bon  nombre  parmi  ces  chrétiens 
odieusement  massacrés  (  1).  9 

Lisons  ce  que  les  moines  de  Saint- Victor  ont  écrit  des  bar- 
bares qui  s'acharnèrent  contre  cette  abbaye.  Ils  parlent  bien 
des  ravages  des  Sarrasins,  après  la  mort  de  Charlemagne.  Mais, 
au  fond,  les  chartes  de  Saint-Victor,  en  faisant  le  récit  des 
maux  innombrables  que  ces  barbares  ont  causés  à  l'abbaye  et 
en  Provence,  ne  distinguent  pas  entre  une  époque  et  une  autre. 
Ce  qu'elles  disent  s'applique  à  chacune  de  ces  heures  d'angoisse 
par  lesquelles  nos  pères  ont  passé.  Or,  parmi  les  détails 
qu'elles  fournissent  sur  les  fureurs  des  Sarrasins,  il  y  a  la  des- 
truction des  églises  et  des  monastères.  «  Bien  des  années  après 
que  le  glorieux  prince  Charlemagne  eut  quitté  le  monde,  Dieu, 
voulant  châtier  le  peuple  chrétien  par  la  persécution  'les 
païens,  permit  qu'une  race  barbare,  faisant  irruption  en  Pro- 
vence, se  répandit  de  tous  côtés,  accrût  sa  puissance,  occupât 
les  lieux  les  plus  fortifiés,  dévastât  tout  sur  son  passage,  dé- 
truisit les  églises  et  un  grand  nombre  de  monastères,  au  point 
que  les  endroits  les  plus  habités  devinrent  solitaires  et  que  là 
où  les  hommes  avaient  vécu,  les  bétes  féroces  y  habitaient  (2).  » 

Interrogeons  encore  les  traditions  locales  de  certaines  villes 
de  Provence,  c'est  toujours  aux  Sarrasins  que  l'on  attribue  la 
ruine  et  la  destruction  de  quelques  églises  ou  quelques  mo- 
nastères qui  s'élevaient  aux  environs  ou  dans  l'enceinte  de 
leurs  murailles. 

(1)  c  Quœ  videlicet  gens  crudelissima...  provinciam  Narbonensera 
venit,  ubi  devastans  omnia,  suo  imperio  Ghristi  aboli to  nomine,  inten- 
debat  eam  subjugare...  Gumque  gens  barbara  longé  latèque  suae  cœdis 
crudelitatem  extenderet,  itainsolitudinem  redegit  penè  totara  regionera, 
ut  in  efemi  Vastitatem  loca  prius  desidcrabilia  conversa  videbantur... 
Urbes  etiam  nobilissimas  terrœ  et  solo  cosequans,  castella  depopulàns 
oppida  subruens,  oviliaque  Domini  everlens,  non  mini  mas  Christianorum 
strages  dédit.  »  Prologue  de  la  légende  du  martyre  de  saint  Porcaire, 
citée  par  Surius  et  lesBollandistes.  —  Voir  Barralis,  Chronologie  &anc- 
torum  insulœ  Lerinensis.  —  Fin  de  Lérins ,  par  l'abbé  Pierrhugues, 
p.  186,  pièces  justificatives  ;  légende  du  moine  Aldelbald,  en  tète  delà 
Vie  de  saint  Mayeul,  l'abbé  Pierrhugues,  op.  cit.,  p.  197. 

(2)  Charte  15,  cartulaire  de  Saint- Victor  :  «  Guncta  vastavit,  ecclesias 
et  monasteria  plurima  destruxit.  » 


-  609  - 

Dans  le  diocèse  d'Apt,  les  historiens  mentionnent  les  abbayes 
et  monastères  de  Saint-Eusèbe  ou  de  Saint-Martin,  de  Saint- 
Pierre  des  Tourrettes,  de  Notre-Dame  d'Entrevaux,  de  Notre- 
Dame  de  Vaucelles,  comme  ayant  été  détruits  par  les  bar- 
bares (1). 

Dans  le  diocèse  de  Saint-Paul  Trois-Châteaux,  le  monastère 
de  Dusera  fut  aussi  renversé  et  saccagé  h  cette  époque  désas- 
treuse (2).  Dans  celui  de  Fréjus,  rillustre  et  l'antique  abbaye 
de  Lérins  subit  le  même  sort  (3;.  Porcaire  et  cinq  cents  de  ses 
disciples  y  furent  massacrés.  Aux  environs  de  Nice,  l'abbaye 
de  Saint-Pons  (4)  ;  près  de  Forcalquier,  celle  de  Lure  (5)  ;  dans 
le  diocèse  d'Embrun,  le  monastère  des  Salettes  (6),  habité  par 
des  religieuses,  furent  pillés,  incendiés,  détruits.  Il  en  fut  de 
môme,  à  Arles,  pour  les  monastères  des  Saints  Apôtres,  de  la 
Sainte  Vierge,  de  Saint-Césaire  (7).  Et  tant  d'autres  en  divers 
endroits  de  la  Provence,  dont  l'histoire  et  le  nom  même  ont 
péri  dans  l'oubli  des  siècles. 

Ne  croyons  pas  que  Marseille  ait  été  épargnée  par  les  bar- 
bares. Les  annalistes  disent  fort  bien  qu'elle  a  eu  à  souffrir, 
que  ses  églises  ont  été  dépouillées.  Notamment  la  chronique 
de  Saint-Bertin  raconte  :  a  que  les  Sarrasins  débarquèrent 
à  l'improviste,  enlevèrent  sur  leurs  vaisseaux  les  religieuses 
qui  vivaient  dans  un  monastère,  firent  prisonniers  clercs 
et  laïques,  dévastèrent  la  ville  et  saccagèrent  le  trésor  des 
églises  de  Jésus-Christ.  » 

La  tradition  qui  attribue  aux  Sarrasins  le  massacre  de  notre 


(1)  Histoire  de  V Eglise  d'Apt,  par  Rose,  pp.  55,  74.  —  Gallia  chris- 
tiana  (Ecclesia  Aptensis),  t.  I,  col.  376,  377.  —  DeRey,  Invasions  des 
Sarrasins  en  Provence,  pp.  39, 111 . 

(2)  De  Rcy,  op.  cit.,  p.  39.  —  Gallia  christiana,  t.  I,  col.  737. 

(3)  Barralis,  Chronologia  Lerinensis,  p.  220.  —  Alliez,  Histoire  du 
monastère  de  Lérins,  t.  I,  p.  398.  —  Do  Rey,  op.  cit.,  p.  51, 

(4) DeRey,  op. cit.,  p.  104. 

(5)  DeRey,  op.  cit.,  p.  110. 

(6)  De  Rey,  op.  cit.,  p.  113.  —  Histoire  hagiologique  du  diocèse  de 
Gap,  par  M«r  Depery,  pp.  446,  446. 

(7)  Gallia  christiana,  1. 1,  col.  600,  620.  — Faillon,  Monuments  inédits, 
col.  682,  t.  I.  —  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  par  Reinaud,  p. 
54.  —  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  p.  409,  t.  I. 


—  610  — 

sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes  n'a  donc  rien  de  surpre- 
nant. Ces  barbares  sont  venus  à  Marseille  au  VIII*  siècle, 
comme  ils  y  vinrent  au  IX*  (1).  Ils  étaient  aussi  féroces  à  une 
époque  qu'à  une  autre  (2).  Ce  qu'ils  ont  fait  en  maints 
endroits  de  la  Provence,  ils  ont  pu  le  faire  à  Marseille.  Ils  ont 
attaqué  et  pillé  nos  monastères,  les  ont  réduits  en  solitude,  les 
ont  renversés  de  fond  en  comble,  disent  les  chartes  du  XI*  et 
du  XV*  siècle  (3).  Vraisemblablement  ils  ont  pu  accomplir  au 
VIII*  siècle  l'odieux  forfait  que  notre  tradition  locale  leur  im- 
pute. 


(1)  Ils  y  étaient,  lorsque  Charles  Martel,  en  739,  en  chassa  Mauronte 
qui  les  avait  appelés. 

(2)  On  sait  le  barbare  traitement  que  les  Sarrasins  firent  subir  aux 
habitants  de  la  ville  d'Aix.  Un  vieux  manuscrit  de  Narbonne  dit  :  c  Yiro- 
rum  ac  mulierum  quam  pluresvivos  decoriaverunt  ut  mos  est  Sarrace- 
norum  hominibus  nostrse  gentis  facere...  »  Quand  on  parle  de  ces  har- 
bares,  on  écrit  :  «  Non  mediocriter  laniabant...  crudelissime  depopulan- 
tur.  »  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  par  G.  de  Rey,  pp.  227,23!. 

(3)  Adon  de  Vienne  dit  :  «  Su b versa  mon asteria  strages  hominum  in- 
nuraerae  /actae...  »  Les  chartes  de  Saint-Victor  disent  :  <  Gens  barbarica 
cuncta  vastavit,  ecclesiaset  monasteria  plurima  destruxit...  insolitudine 
monasteria  redacta  sunt...  adnullatum  et  pêne  ad  nihilum  est  redac- 
tum.  «Charte  15.—  •  ..  funditus  demolitum  fuit.  »  Chartes  de  1436,  1441. 


DEUXIÈME  SECTION 


PREUVES    POSITIVES 


CHAPITRE  PREMIER 

La  tradition,  à  Marseille,  que  les  Sarrasins  ont  martyrisé 

sainte  Eusébie. 


TRADITION  A  6AINT-GINIBZ,  TRADITION  A  If  ARfiBILLB.  —  AUTEURS  Q.TJI 
LE  CONSTATENT.  —  TRADITION  CONSIGNÉE  DANS  LES  AUTEURS  DU 
XVIII",  DU  XVII#  SIÈCLE,  ET  DANS  LES  AUTEURS  ÉTRANGERS  A  LA 
PROVENCE  DU  XVII 1%  DU  XVII*  ET  DU  DÉBUT  DU  XVI"  SIÈCLE.  —  CETTE 
TRADITION,  A.  CE  MOMENT  DU  XVIII*  SIÈCLE,  EST  DIGNE  DE  FOI.  —  IL 
S'AGIT  D'UN  FAIT  HISTORIQUE,  ORDINAIRE,  APPUYÉ  SUR  DOCUMENTS 
ET  FAITS.  —  CBS  DOCUMENTS  ONT  PU  EXISTER,  ILS  ONT  ÉTÉ 
DÉTRUITS  PAR  LES  SARRASINS.  —  CE  DUT  ÊTRE  UN  MANUSCRIT  UNI- 
QUE.  —  AU  XI'  SIÈCLE,  LA  TRADITION  ORALE  SE  CONCRÈTE  ;  USAGE 
DE  RACONTER  LE  MARTYRE.  «  LEIS  DESNARRAD08  »  ;  DÉVOTION  A 
LEUR  ENDROIT.  —  ON  DÉSIGNE  TOUJOURS  LES  SARRASINS  ET  NON 
PAS  LES  VANDALES.  —  ERREUR  DE  MOT. 


Nous  avons  fait  connaître  la  tradition  de  Marseille,  concer- 
nant sainte  Eusébie,  en  étudiant  les  leçons  du  Propre  des 
offices  du  diocèse.  Une  observation  bien  importante  a  été  faite 
alors.  C'est  qu'il  n'y  a  de  renfermé  dans  ce3  leçons  que  la 
tradition  générale,  1  objet  principal  de  notre  tradition  locale, 
à  savoir  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  avec  quarante 
compagnes,  qu'elle  se  mutila  le  visage  afin  d'échapper  à 
la  lubricité  des  barbares.  Or,  deux  autres  détails  s'ajoutent 
à  cette  tradition  et  se  confondent  généralement  avec  elle  : 


-  612  — 

c'est  que  sainte  Eusébie  a  souffert  le  martyre  sur  le  terroir  de 
Saint-Giniez  et  qu'elle  y  a  été  massacrée  par  les  Sarrasins. 
Dans  une  partie  de  notre  travail  nous  avons  établi  le  premier 
de  ces  points  secondaires  de  la  tradition.  Le  but  de  ce  présent 
chapitre  est  de  prouver  la  vérité  du  second  :  que  les  Sarra- 
sins ont  été  vraiment  les  auteurs  du  martyre  de  notre  sainte 
patronne. 

Oui,  il  est  de  tradition,  à  Marseille,  que  sainte  Eusébie  et 
ses  compagnes  ont  été  martyrisées  par  les  Sarrasins. 

Parcourez  le  terroir  de  Saint-Giniez,  étudiez  les  légendes 
et  les  traditions  auxquelles  ce  riant  coin  de  terre  sert  d'asile 
et  d'abri,  vous  trouverez  sûrement,  à  côté  de  celle  que 
nous  avons  prouvée  tantôt,  cette  autre  tradition  qui  fait 
l'objet  de  ces  lignes.  Interrogez  jeunes  gens  et  vieillards, 
maîtres  et  jardiniers,  humbles  et  puissants,  s'ils  habitent 
Saint-Giniez  depuis  un  certain  nombres  d'années,  tous  vous 
feront  une  réponse  identique.  Demandez-leur  ce  qu'était 
jadis  la  chapelle  de  Notre-Dame  d'Huveaune,  ils  vous  diront  : 
C'était  le  couvent  de  sainte  Eusébie,  la  chapelle  «  deis  Des- 
narrados  ».  Demandez  une  explication  de  cette  locution  pro- 
vençale. On  vous  la  donnera  en  ces  termes  :  C'était  la  cha- 
pelle  des  Cassianites  qui  se  coupèrent  le  nez  pour  éviter  le 
déshonneur.  Et  si,  poursuivant  vos  interrogations,  vous 
ajoutez  :  «  Mais  qui  les  a  massacrées  ?»  on  vous  répondra  : 
Ce  sont  les  Sarrasins.  Ils  tuèrent  les  religieuses,  jettèrent 
leurs  corp3  dans  un  puits  et  mirent  le  feu  au  monastère.  Nous 
avons  été  vicaire  à  Saint-Giniez,  nous  avons  interrogé  de 
vénérables  vieillards  dont  les  pères  et  les  aïeux  habitaient  le 
quartier,  et  ce  n'est  pas  une  fois,  mais  dix  fois,  cent  fois  que 
le  même  récit  nous  a  été  fait.  Il  est  donc  de  tradition,  à  Saint- 
Giuiez ,  que  sainte  Eusébie  y  a  été  martyrisée  par  les  Sarra- 
sins (1). 

(1)  L'abbé  Daspres  constate  l'existence  d'une  partie  de  cette  tradition, 
lorsqu'il  écrit,  dans  la  Notice  sur  Saint-Giniez,  p.  20  :  «  Il  y  a,  au  sujet 
de  ce  monastère,  deux  erreurs  historiques,  assez  communément  répan- 
dues. La  première  est  celle  qui  place  en  ce  lieu,  l'embouchure  de  l'Hu- 
veaune,  le  fait  du  glorieux  martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compa- 
gnes... »  Et  à  la  page  27  :  «  Une  seule  chose  pourrait  nous  mettre  en 


—  613  - 

Ce  que  nous  entendons  raconter  à  Saint-Giniez,  on  nous  Ta 
dit  à  Marseille  aussi.  Interrogez  un  de  ces  Marseillais  de 
vieille  roche,  au  courant  du  langage,  des  coutumes,  des 
légendes  de  sa  ville  natale,  et  demandez  lui  ce  qu'étaient  les 
religieuses  que  Ton  appelle  «  leïs  Desnarrados,  leïs  Desnaz- 
zados  » ,  il  vous  répondra  :  C'étaient  les  Cassianites  qui  se 
coupèrent  le  nez  pour  échapper  à  la  lubricité  des  pirates. 
Poursuivez  :  a  Qui  étaient  ces  pirates  ?  »  Les  Sarrasins,  vous 
dira-t-il. 

Et  de  ceci  encore  nous  avons  pour  garants  les  historiens 
modernes ,  qui  ont  constaté  l'existence  à  Marseille  de  cette 
tradition  et  l'ont  consignée  dans  leurs  écrits.  Tels  MM.  Bous- 
quet, André,  Kothen,  Giraud  Magloire,  de  Rey,  Grinda  (1),  la 

considération,  ce  serait  la  tradition  constante  et  universelle  de  ceux  qui 
se  souviennent  encore  d'avoir  vu  la  chapelle  de  Notre-Dame  d'Hu- 
veaune,  ils  ne  la  dénomment  jamais  que  la  chapelle  deïs  Desnarrados.  » 

M.  de  Rey,  dans  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille^  constate  aussi 
l'existence  d'une  opinion  locale  qui  met  en  ce  lieu,  le  martyre  de  sainte 
Eusébie;  p.  231.  Nous,  nous  allons  plus  loin,  et  nous  citons  toute  la  tra- 
dition. 

(1)  Bousquet,  La  Major  ;  «  On  connaît  le  dévouement  des  religieuses 
de  Saint-Sauveur,  qui,  pour  échapper  aux  outrages  des  Sarrasins,  mu- 
tilèrent leurs  faces,  au  point  de  se  rendre  hideuses  aux  yeux  des  vain- 
queurs. L'histoire  a  gardé  le  souvenir  de  ce  trait  d'héroïsme,  dont  Eusé- 
bie, l'abbesse  du  monastère,  donna  elle-même  l'exemple.  »  Page  67. 
note. 

André,  Histoire  de  V abbaye  des  religieuses  de  Saint-Sauveur:  «En 
923,  l'abbaye  est  détruite  par  les  Sarrasins.  Les  saintes  religieuses  don- 
nent, dans  ces  terribles  circonstances,  l'exemple  d'un  courage  admira- 
ble, poussant  jusqu'à  l'héroïsme  l'amour  de  la  chasteté,  »  Page  VI 11  de 
la  préface.  —  <  Les  annales  de  Marseille  rapportent  en  ces  temps  mal- 
heureux (invasions  des  Sarrasins)  la  ruine  des  deux  monastères. . .  L'ac- 
tion héroïque  d'Eusébie  et  de  ses  compagnes  laissa  dans  le  pays  un 
souvenir  durable.  >  Pages  8,  13. 

Kothen,  Notice  sur  les  cryptes  de  Vabbaye  de  Saint- Victor-l  es -Mar- 
seille :  «  La  tradition  rapporte  qu'Eusébie  était  abbesse  du  monastère 
de  femmes  fondé  par  Cassien,  et  que,  se  voyant  avec  ses  religieuses,  sur 
le  point  de  se  trouver  à  la  merci  des  bandes  sarrasines,  elle  se  défigura 
le  visage. . .  »  Pages  54,  55. 

Magloire  Giraud,  dans  la  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr 
(Var),  p.  17  :  «  La  tradition  de  l'Eglise  de  Marseille  porte  que  sainte 
Eusébie  était  abbesse  d'un  monastère  de  religieuses  et  qu'elle  souffrît  le 


—  614  — 

Statistique,  indépendamment  de  tous  ceux  qui  attribuent  aux 
Sarrasins  le  martyre  de  notre  sainte  Eusébie,  et  dont  nous 
donnerons  plus  tard  le  nom  et  citerons  le  témoignage. 

Or,  cette  tradition  populaire  est-elle  acceptable  et  digne  de 
foi  ?  Elle  le  parait  bien,  car  elle  remonte  très  haut  dans  l'his- 
toire. Nous  la  trouvons  consignée  tout  au  long  dans  les  écri- 
vains marseillais  du  XVIII*  siècle. 

Ainsi  Grosson,  dans  VAlmanach  historique  de  Marseille 
pour  Tannée  1773,  dit  que  «  sainte  Eusébie  était  abbesse 
lorsque  les  Sarrasins  ravagèrent  Marseille.  Elle  se  coupa  le 
nez,  et  trente-neuf  religieuses  en  firent  au  tant  à  son  exemple, 
pour  déplaire  aux  infidèles  qui  les  massacrèrent  (1).  »  C'est 
bien  là  notre  tradition. 

Avant  lui,  M"  de  Belsunce  insérait  dans  son  ouvrage: 
V Antiquité  de  V Eglise  de  Marseille,  ce  trait  du  martyre  de 
sainte  Eusébie,  l'attribuant  aux  Sarrasins,  et  il  ne  doutait  pas 
que  ce  fût  bien  là  la  tradition  de  notre  ville  (2). 

Au  XVII*  siècle  nous  trouvons  cette  tradition  recueillie 
d'une  manière  indirecte  par  M.  de  Ruffi,  dans  V Histoire  de 
Marseille.  Son  témoignage  est,  en  effet,  d'autant  plus  probant, 
qu'il  ne  l'admettait  nullement  :  «  Nous  tenons,  écrivait-il,  par 
tradition,  que  ce  monastère  fut  ravagé  par  les  Sarrasins  et  que 
les  religieuses,  pour  conserver  leur  virginité,  se  coupèrent  le 

martyre  avec  trent  -neuf  de  ses  compagnes,  lors  de  l'invasion  sarra- 
sine.  » 

M.  de  Rey,  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  140  : 
«  A  ce  monastère  de  Saint-Cyr  se  rattache  une  des  plus  glorieuses  tra- 
ditions marseillaises,  le  martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante 
compagnes,  massacrées  par  les  Sarrasins,  tradition  que  l'Eglise  a  adoptée 
en  l'insérant  dans  le  Propre  du  diocèse.  »  Dans  la  Vie  des  saints  de 
l'Eglise  de  Marseille,  p.  228  :  «  C'est  aux  Sarrasins  que  la  tradition 
impute  le  massacre  des  dames  cassianites...  » 

M.  Grinda,  Monographie  de  V abbaye  de  Saint-Victor-les-Marseille, 
dans  VEcho  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  1888  :  «  Si  on  suit  la  tradition 
qui  considère  les  Sarrasins  comme  les  auteurs  de  ce  martyre. . .  Mais  la 
tradition  désigne -t-el le  les  Sarrasins?...  En  présence  de  l'incertitude 
delà  tradition...  »  Pages  605,  606.  —  Statistique  des  £.-£>.-£.,  t.  II, 
pp.  324,  455. 

(1)  Grosson,  Almanach  historique  de  Marseille  pour  Tannée  1773,  p.  94. 

(2)  De  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  200. 


—  615  — 

nez  à  l'exemple  de  Pabbesse  Eusébie. . .  Mais  c'était  plutôt  les 
Normands  (1).  »  M.  de  Ruffi,  père  du  précédent,  a  constaté 
lui  aussi,  dans  son  Histoire  de  Marseille,  que  quelques  au- 
teurs ont  attribué  ce  massacre  des  religieuses  et  la  destruction 
de  leur  monastère  aux  Sarrasins  (2). 

Guesnay,  à  son  tour,  disait  dans  le  Cassianus  illustratus 
«  que  les  religieuses  du  monastère  de  THuveaune,  dont  Eusé- 
bie était  abbesse,  furent  mises  à  mort  par  les  Sarrasins  et  les 
Vandales.  »  Il  ajoute  :  a  Celles-ci  se  mutilèrent  au  visage  afin  de 
n'être  pas  ignominieusement  traitées  par  les  Sarrasins  :  ne  a 
Sarracenis  violarentur  (3).  » 

Sans  remonter  plus  haut  donc,  il  est  établi,  par  le  témoi- 
gnage des  historiens  de  Marseille,  que  cette  tradition  [existe 
au  XVII-  siècle  dans  notre  ville. 

Et  pour  qu'il  n'y  ait  aucun  doute  sur  la  valeur  historique 
du  témoignage  de  ces  écrivains,  parlant  de  leur  ville  natale, 
voici  le  témoignage  des  historiens  étrangers.  Il  corrobore  celui 
des  historiens  de  Marseille. 

Au  XVIII*  siècle,  Mabillon,  dans  ses  Annales  ordinis 
sancii  Benedicti  ,  rapportait  notre  tradition  quand  il 
écrivait  :  a  Hue  revocant  nobile  factum  »,  etc.  C'est  à 
cette  époque  de  732  que  Ton  place  le  fait  remarqua- 
ble de  sainte  Eusébie. ..  et  il  nomme  les  Sarrasins,  disant 
que  sainte  Eusébie  se  mutila  le  visage  de  peur  que  les  Sarra- 
sins n'attentassent  à  sa  vertu  :  a  ne  pudiciliae  suae  vis  a  Sarra- 
cenis inferretur  ».  Il  s'exprime  à  près  dans  les  mêmes  termes, 
trente  ans  plus  tard,  dans  les  A'cta  sanctorum  ordinis  Bene- 
dicti (4). 

Au  XVII*  siècle,  Arthur  de  Monestier,  dans  le  Sacrum 
Gynœceum  (5),  racontant  le  fait   de  notre  sainte  Eusébie, 


(1)  Ruffî,  Histoire  de  Afarseille,  t.  II,  p.  58. 

(2)  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  p.  385. 

(3)  Guesnay,  Cassianus  illustratus,  pp.  474,  475  :  «  In  eo  novem  et 
triginta  dicatarutn  Deo  virginum  a  Sarracenis  Vandalisque  interfecta- 
rum  corpora  sepulta  sunt. . .  ne  a  Sarracenis  violarentur. . .  * 

(A)  Mabillon,  Annales  ordinis  sancti  Benedicti,   t.  II,    p.   90,  ad  an- 
num  7*T2.  —  Acta  snnetorum  ordinis  Benedicti,  t.  IV,  p,  487. 
(5)  Arthur  de  Monestier,  Sarrum  Gynœceum(i\<[  diem  30  dec.)  :  c  Quia 


—  616  - 

nomme  les  Sarrasins  à  un  endroit  de  son  ouvrage,  les  Sarra- 
sins et  les  Vandales  à  un  autre. 

Chifflet,  au  début  du  XVI?  siècle,  dans  le  Vesuntio  civitas 
imperialis,  raconte  la  translation  de  la  croix  de  saint  André  à 
l'abbaye  des  religieuses  de  l'Huveaune,  et  il  dit  «  qu'il  a  appris 
ces  détails  d'après  des  historiens  marseillais  *  a  ex  commen- 
tariis  Massiliensium  ».  Tout  aussitôt  il  fait  le  récit  du  mar- 
tyre de  sainte  Eusébie,  sans  nommer  cependant  notre  sainte,  et 
il  écrit  que  ce  furent  bien  les  Sarrasins  qui  la  tuèrent  :  «  Cum 
Sarraceni  Catalauniae  incolse  Provinciam  devastarent  »  ;  que 
Ton  crut  pendant  longtemps  que  la  croix  de  saint  André  avait 
été,  à  cette  époque,  ou  prise,  ou  détruite,  ou  brûlée  par  les 
Sarrasins  :  «  a  Saracenis  concremata  (1)  ».  Nous  pouvons  nous 
fier  à  Chifflet  ;  il  parle  d'une  tradition  .de  Marseille,  qu'il 
affirme  avoir  lue  dans  les  historiens  marseillais  :  «  ex  Massi- 
liensium commentariis  ». 

Ainsi  donc,  il  est  établi  que  notre  tradition  locale  existe  à 
Marseille  dès  le  début  du  XVII*  siècle.  Or,  ce  n'est  pas  à  cette 
date  que  cette  tradition  a  vu  le  jour.  Les  auteurs,  les  écrivains 
qui  l'ont  rapportée,  en  effet,  ne  l'ont  pas  créée,  ne  l'ont  pas 
inventée.  Les  uns  n'avaient  aucun  intérêt  à  faire  mourir  notre 
sainte  Eusébie  de  la  main  des  Sarrasins,  plutôt  que  de  la  main 
d'autres  barbares.  Les  autres  professaient  une  opinion  oppo- 
sée ;  cependant  ils  attestent  qu'à  Marseille  cette  tradition  avait 
cours.  S'ils  la  citent  donc,  c'est  qu'ils  l'ont  reçue,  c'est  qu'ils 
l'ont  entendu  raconter,  ou  l'ont  trouvée  consignée  dans  d'au- 
tres historiens. 

Etait-elle  appuyée,  dès  ce  XVII*  siècle,  sur  quelque  monu- 
ment lapidaire  ou  scripturaire?  Peut-être.  Chifflet  parle,  en 
effet,  des  annalistes  marseillais.  Mais  qui  sont  ces  historiens  ? 
Que  sont  devenus  leurs  ouvrages?  Que  disent  -ils?  Hélas! 
nous  n'en  savons  rien .  Qu'importe?  admettons  que  seule  la 
tradition  populaire  existait  *  à  cette  date  du  XVII'  siècle. 
Or,  cette  tradition  populaire,   même  dénuée  de  monument 

in  eo  novem  et  trigita  dicatarum  Deo  virginum  a  Sarracenis  Vandalis- 
que  interfectarum  corpora  sepulta  sunt. . .  ne  a  Sarracenis  violarentur.  * 
(1)  Chifflet,  voir  texte  cité  dans  les  chapitres  intitulés  :  La  Cwi.v  <lc 
Saint- An  ciré. 


—  617  — 

à  l'appui,  était-elle  recevable,  digne  de  foi  au  XVII"  siè- 
cle? Reposait-elle  sur  une  base  solide?  Les  siècles  nous 
l'avaient-ils  transmise  intacte,  sans  obscurité,  sans  chan- 
gement ? 

Oui,  à  cette  date  du  XVIIe  siècle,  cette  tradition  de  Marseille  : 
que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les  Sarrasins,  était 
digne  de  foi  ;  nous  la  trouvons,  en  effet,  dotée  des  caractères 
qui  la  rendent  légitime. 

«  Une  tradition  populaire,  dit  le  P.  de  Smedt,  est  la  relation 
d'un  fait  par  des  témoins  seulement  médiats  et  de  beaucoup 
postérieurs  au  temps  où  se  place  ce  fait  ;  les  témoins  médiats 
et  contemporains  de  ce  fait  et  même  les  témoins  intermé- 
diaires, par  lesquels  la  connaissance  en  a  été  transmise, 
demeurant  absolument  inconnus  (1).  »  Donc,  pour  qu'une 
tradition  soit  recevable,  il  faut  que  les  témoins  médiats  * 
n'aient  pu  se  tromper  sur  l'objet  de  cette  tradition  et  qu'ils 
n'aient  pas  voulu  nous  tromper.  Les  témoins  médiats  par 
lesquels  une  tradition  nous  arrive  ne  peuvent  se  tromper 
lorsque  l'objet  de  cette  tradition  est  uii  composé  d'éléments 
simples,  faciles  à  saisir,  à  comprendre,  à  garder  dans  sa 
mémoire,  à  raconter  à  d'autres.  S'il  s'agit,  en  effet,  d'une 
question  embrouillée,  réclamant  de  longues  et  savantes  expli- 
cations, il  y  aura  bien  de  la  chance  que  le  long  des  siècles  un 
détail  oublié  ou  mal  compris  ne  change  du  tout  au  tout  la 
tradition  elle-même*  Or,  tel  n'est  pas  le  cas  de  notre  tradition 
locale.  Il  s'agit  d'un  fait  simple,  très  compréhensible  :  Les 
religieuses  cassianites  de  Marseille  ont-elles  été  martyrisées 
par  les  Sarrasins  on  par  un  autre  peuple  ? 

Les  témoins  médiats,  les  Marseillais,  nos  pères,  du  VII?  au 
XV?  siècle,  ont  entendu  prononcer  le  nom  de  Sarrasins.  C'est 
ce  nom  qu'ils  ont  retenu  et  qu'ils  nous  ont  transmis.  Sans 
avoir  eu  à  discuter  la  véracité  ou  la  fausseté  de  cette  affirma- 
tion, ils  nous  ont  transmis  ce  qu'ils  avaient  appris  de  leurs 
anciens  :  que  c'étaient  les  Sarrasins. 

Des  témoins  médiats  ne  peuvent  se  tromper  encore  dans  la 


(l)  Introductio  generalis  cul  Historiam  ecclesiasticam,   par  P.  de 
Smedt,  p.  35. 


—  618  — 

relation  d'une  tradition,  lorsqu'il  s'agit  d'un  fait,  d'un  événe- 
ment qui  rentre  dans  Tordre  des  choses  ordinaires  et  possibles. 
Si  la  tradition  roule  sur  un  fait  extraordinaire,  confinant  le 
prodige,  on  pourrra  craindre  que  le  populaire  n'enjolive  et 
ne  grandisse  outre  mesure  l'objet  de  la  tradition  ;  le  merveil- 
leux, alors,  se  greffant  sur  la  vérilé,  il  sera  malaisé  parfois  de 
discerner  le  vrai  du  faux.  Or,  ici  point  de  chose  extraordi- 
naire. Les  Sarrasins  ont  ravagé  Marseille,  aux  VHP,  IX%X*  siè- 
cles, c'est  historiquement  vrai.  Ont-ils  massacré  les  Cassia- 
nites?  C'est  un  fait  dans  l'ordre  des  choses  possibles.  Et  les 
témoins  médiats,  nos  pères,  du  VIII*  au  XVI*  siècle,  ont 
entendu  dire  avant  eux  que  ces  barbares  étaient  les  auteurs 
de  ce  forfait.  Ils  nous  l'ont  redit  à  leur  tour.  Encore  une  fois, 
ils  n'ont  pas  eu  à  s'assurer  de  la  véracité  ou  delà  fausseté  de 
leur  assertion.  Ce  qu'ils  ont  appris,  ils  nous  l'ont  transmis. 

D'autre  part,  certainement,  nos  pères  n'ont  pas  voulu  nous 
tromper.  Quel  intérêt  avaient-ils  à  le  faire  ?  Clercs  ou  laïques, 
moines  ou  religieux,  que  leur  importait  de  dire  à  tous:  ce 
sont  les  Sarrasins  qui  ont  martyrisé  sainte  Eusébie  et  ses  com- 
pagnes ;  au  lieu  de  rejeter  ce  forfait  sur  les  Vandales  ou  les 
Visigoths,  si  réellement  ceux-ci  avaient  commis  ce  crime? 
On  ne  voit  pas  que  les  Sarrasins  aient  moins  de  scélératesses 
à  leur  actif  et  plus  de  droit  à  notre  estime  !  Ils  en  ont  assez 
fait,  pour  qu'un  crime  de  plus  ou  de  moins  ne  les  rende  plus 
odieux  aux  générations  futures.  Si  donc  ces  témoins  médiats, 
nos  pères,  ont  dit  que  les  Sarrasins  avaient  massacré  sainte 
Eusébie,  c'est  qu'on  le  disait  avant  eux.  Ils  n'ont  pas  voulu 
nous  en  imposer.  De  ce  chef  notre  tradition  locale  que  nous 
trouvons  établie  au  XVII*  siècle  est  recevable. 

Une  autre  qualité  de  toute  tradition,  pour  qu'elle  soit  légi- 
time et  digne  de  foi,  c'est  d'être  appuyée  sur  des  documents, 
des  faits,  des  monuments.  Il  faut  remarquer  cependant  qu'une 
tradition  populaire  ayant  pour  objet  un  événement,  ou  une 
vérité  qui  se  transmet  de  bouche  en  bouche,  les  historiens 
enregistrent  cette  tradition  dans  leurs  ouvrages,  les  monu- 
ments la  conservent  dans  l'airain  ou  le  marbre  dont  ils 
sont  composés;  mais  ils  ne  créent  pas  cette  tradition,  ils 
l'appuyent  et  la  confirment.  Rigoureusement  donc  elle  peut 


—  619  — 

exister  sans  eux.  En  effet,  «  toute  tradition  est  susceptible 
de  passer  par  trois  états  distincts.  D'abord,  elles  ne  sont  que 
des  récits  qu'un  père  fait  de  vive  voix  à  son  fils,  qu'une 
génération  composée  de  plusieurs  familles  transmet  à  la  géné- 
ration suivante...  Le  second  état  des  traditions  commence  où  ces 
notions  historiques,  vraies  ou  fausses,  pures  ou  altérées,  don- 
nent lieu  à  des  usages  domestiques  ou  publics,  les  fixent  par 
des  cérémonies,  des  coutumes,  des  institutions  civiles  ou  reli- 
gieuses, s'introduisent  même  dans  le  langage,  s'attachent  à 
des  expressions  communes  et  contribuent  à  former  le  vocabu- 
laire. Dans  leur  troisième  et  dernier  état,  elles  sont  repré- 
sentées par  des  signes  quelconques,  emblèmes,  images, 
écriture  hiéroglyphique  ou  alphabétique,  registres  enfin, 
mémoires  ou  annales.  Que  tôt  ou  tard  on  ait  fini  par  écrire 
les  récits  traditionnels,  cette  circonstance  n'en  change  point 
la  nature.  Il  n'y  a  toujours  là,  originairement,  que  des 
transmissions  orales  plus  ou  moins  prolongées  (1).  »  Il  y  a 
donc  un  laps  de  temps  durant  lequel  un  fait,  un  événement 
peut  se  transmettre  de  vive  voix,  sans  l'aide  d'aucun  docu- 
ment ;  et  si  des  témoins  médiats  l'ont  recueilli  et  nous  l'ont 
transmis,  nous  pouvons  les  croire. 

Donc,  même  déjà  sans  l'aide  d'aucun  monument  à  l'appui, 
ce  point  spécial  de  notre  tradition  locale:  que  les  Sarrasins 
sont  les  auteurs  du  massacre  de  sainte  Eusébie,  a  droit  à 
notre  créance. 

Mais  est-il  bien  exact  de  dire  qu'à  cette  époque  reculée  notre 
tradition  ne  s'appuye  sur  aucuns  documents  et  qu'elle  est 
privée  de  ce  caractère  constitutif  de  toute  tradition?  Est-ce 
que,  du  VHP  au  XVI*  ou  XVIIe  siècle,  les  témoins  médiats  qui 
nous  ont  transmis  cette  tradition  n'ont  pas  pu  la  confronter 
à  chaque  instant  avec  des  monuments  lapidaires  ou  sçriptu- 
raires  ? 

Oui,  cela  leur  a  été  possible.  Il  semble  dès  l'abord  qu'il  n'y 
ait  jamais  eu  aucun  monument  pour  constater,  rajeunir  notre 
tradition  locale.  En  effet,  l'inscription  lapidaire  en  l'honneur 

(t)  Revue  des  questions  historiques,  année  1882,  ocl.f  p.  654.  — 
Introductio  generalis  ad  Historiam  ecclesiasticamy  p.  35. 


—  620  — 

de  sainte  Eusébie,  marquant  qu'elle  est  morte  c  indictione 
sextâ  »  et  que  l'on  a  fait  remonter  au  VIII-  siècle,  à  l'époque 
donc  des  Sarrasins,  on  en  conteste  l'authenticité  et  l'antiquité. 
On  dit  qu'elle  n'a  pas  été  faite  pour  notre  sainte  Çusébie  et, 
dans  tous  les  cas,  qu'elle  n'est  point  du  VII?  siècle,  mais  bien 
du  V\  L'ancien  manuscrit,  dont  parle  de  Belsunce,  dans  lequel 
était  relaté  l'article  du  cérémonial  où  Ton  rappelait  aux  novices 
et  aux  professes  l'exemple  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compa- 
gnes, a  disparu.  Ce  document  devait  indiquer  probablement 
de  la  main  de  qui  ces  Cassianites  avaient  reçu  le  coup  de  la 
mort.  Mais,  ce  document  n'existant  plus,  on  ne  peut  s'y  référer. 
Autre  point  d'appui  qui  nous  échappe.  De  relation  du  martyre 
de  sainte  Eusébie,  écrite  dans  les  temps  anciens,  ni  martyro- 
loge, ni  Vie  de  saints  n'en  donnent  aucune.  Il  semblerait  donc 
qu'il  n'y  a  et  qu'il  n'y  a  jamais  eu  aucun  monument  auquel 
les  témoins  médiats  aient  pu  en  appeler. 

Cependant  il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi.  Qu'il  ne  reste 
aujourd'hui  aucun  document  écrit  remontant  aux  premiers 
âges  et  relatant  le  martyre  de  notre  sainte,  c'est  fort  probable. 
Mais  il  a  pu  en  exister  quelqu'un  !  Seulement  les  Sarrasins  ont 
si  souvent  pillé,  saccagé  Marseille  et  ses  monastères,  que  ces 
documents  écrits  ou  tout  autre  monument  ont  pu  être  brûlés, 
brisés  ou  perdus.  L'abbé  Faillon  soutient  avec  beaucoup  de 
raison  et  de  vérité  cette  thèse,  pouf  expliquer  l'absence  des 
documents  anciens,  au  sujet  de  sainte  Marie-Magdeleine  (1). 
Avant  lui,  M8'  de  Belsunce  argumentait  de  la  même  manière  au 
sujet  de  saint  Lazare  et  de  saint  Victor  (2).  Guesnay  le  disait 
aussi  ili  l'occasion  de  saint  Cassien  (3). 

Papon  a  bien  écrit  :  «  Nous  regrettons  encore  aujourd'hui 
les  actes  publics  et  les  monuments  littéraires  qu'ils  livrèrent 
aux  flammes  avec  les  monastères  et  les  églises  où  ils  étaient 
déposés.  L'histoire  de  ces  siècles  est  enveloppée  d'épaisses 
ténèbres  ;  elle  ressemble  à  la  vaste  campagne  de  Provence 
qui  n'offrait  aux  yeux  du  spectateur  que  l'horreur  d'un  vaste 

(i)  Faillon,  Monuments  inédits  sur  sainte  Maf)deleine,t.  L  pp.    384. 
391. 

(2)  De  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  1. 1,  pp.  59,  77. 

(3)  Guesnay, Cassianus  illustratus,  p.  h. 


A 


—  621  — 

désert  (i).»  Rien, en  effet,  n'échappa  à  la  fureur  de  ces  sauvages. 
Monuments,  églises,  monastères,  archives,  chartriers,  tout  fut 
livré  au  feu.  a  La  ville  de  Fréjus,  dit  Anthelmi,  dévastée 
par  le  fer  et  le  feu,  a  perdu  ses  écrits  antiques  ;  ceux  que  Ton 
possède  encore  ne  répètent  rien  plus  souvent  que  ceci  :  c'est 
qu'on  a  perdu  les  titres  anciens  (2).  »  On  connaît  le  cri  de 
désolation  de  Riculfe,  évêque  de  Fréjus.  Une  put  jamais 
reconnaître  les  biens  qui  avaient  appartenu  à  son  église,  car 
il  ne  restait  plus  ni  diplômes  de  souverains,  ni  titres,  ni  papiers 
d'aucune  espèce  (3).  Et  l'état  des  archives  de  notre  Provence 
v  ient  confirmer  ces  lamentations  :  «  Au  milieu  du  siècle 
dernier,  les  anciennes  archives  de  Provence,  celles  des  évôchés, 
celles  des  monastères,  les  archives  municipales  ne  renfermaient 
presque  aucun  titre  antérieur  à  l'expulsion  des  Sarrasins... 
Nous  ne  connaissons  pas  même  les  noms  de  la  plupart  des 
évêques  qui  occupèrent  les  sièges  des  églises  de  Provence 
durant  les  dix  premiers  siècles. . .  L'histoire  des  abbayes  de 
Provence  ne  nous  est  pas  plus  connue  que  celle  des  évê- 
chés. . .  (4).  ». 

Or,  il  en  est  de  Marseille  ce  qu'il  en  est  de  la  Provence  en 
général.  Le  cartulaire  de  Saint-Victor  ne  donne  que  deux 
chartes  du  VIP  siècle,  trois  du  VHP  et  neuf  du  IXe  (5). 
De  nombreux  documents  insinuent  que  les  titres  anciens  ont 
disparu.  Dans  les  controverses  sur  les  propriétés,  à  défaut 
de  pièces  authentiques   on  doit  s'en    tenir  au   serment  des 


(1)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  pp.  80,  378. 

(2)  Anthelme,  De  initiis  Ecclesîœ  Forojuliensis  :  a  Quippe  quœ,  ob 
expugnatam  saepius  et  ferro,  igneque  vastatam,  absumptamque  civitatem 
vetustiorum  instrumentorum  jacturam  totiès  pertulit  ;  sic  ut  in  paucis, 
quae  supersuut  postremi  tempo  ris  nil  tam  fréquenter  quam  antiquarum 
membranarum  expilatio  memoretur.  »  Page  26. 

(3)«Civitas  in  quâ  ipsa  Ecclesia  sita  est,  acerbitate  Sarracenorum 
destructa,  atque  in  solitudinem  fuit  redacta,  habitatores  ejus  interfecti . 
Non  sunt  chartaruni  pagina?,  desunt  regalia  prœcepta,  privilégia  quoque 
seu  alia  testimonia  ;  aut  vetustate  consumpta,  aut  igné  perierunt...  » 
Cité  par  Anthelme,  op.  cit.t  p.  26.  —  Faillon,  Monuments  inédits, 
1. 1,  col.  386. 

(4)  Faillon,  Monuments  inédits*  t.  I,  col.  386  etsuiv. 

(5)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  t.  I,  index  des  chartes. 

40 


—  622  — 

témoins.  Ce  qui  arriva  notamment  à  Honoré  II,  évéquede 
Marseille  (i). 

On  devine  bien  la  cause  de  cette  pénurie  de  documents.  Ce 
fut  une  préoccupation,  pour  ces  barbares,  d'anéantir  tous  les 
titres  anciens,  afin  de  faire  disparaître  tout  ce  qui  parlait  de 
Jésus-Christ  et  de  son  Eglise  Ou  plutôt,  cette  rage  de 
destruction  de  tous  ces  écrits  n'a-telle  pas  été  le  fait  des 
traîtres  et  des  apostats  qui  suivaient  ou  favorisaient  les  Sarra- 
sins, segorgeant  des  richesses  des  églises,  s'emparant  de  leurs 
biens.  Ils  avaient  intérêt  à  brûler  les  archives,  afin  de 
rendre  impossible  pour  l'avenir  toute  réclamation. 

Ainsi  la  relation  écrite  par  les  moines  au  lendemain  du 
massacre  de  sainte  Eusébie,  premier  monument  de  la  tradition 
scripturaire,  à  côté  de  la  tradition  orale  sur  notre  sainte,  a  pu 
disparaître  dans  la  tourmente. 

Et  cela  d'autant  mieux,  que  ce  manuscrit  a  peut-être  été 
unique. 

On  ne  dut  pas,  dès  l'abord,  répandre  en  beaucoup  de  monas- 
tères la  relation  de  cet  événement.  Le  trépas  héroïque  de  ces 
vierges  ne  fut  considéré  que  comme  un  des  faits  douloureux 
de  ces  guerres  sauvages  (2)  Les  temps  d'ailleurs  étaient  fort 
troublés,  les  invasions  succédaient  aux  invasions.  On  n'avait 
guère  le  temps  d'écrire  le  récit  détaillé  de  ces  désastres.  On  se 
contenta,  à  ce  moment,  d'une  simple  indication  de  cet  événe- 
ment, dans  les  annales  ou  la  chronique  des  monastères  de 
notre  ville  et,  dans  le  sac  des  abbayes  de  Marseille,  en  838,  en 
923,  ces  documents  ont  pu  se  perdre. 

Mais  la  tradition  survécut  et  se  transmit  de  famille  en  famille, 
de  génération  en  génération.  Et  jusqu'au  XI*  siècle  il  en  fut 
probablement  ainsi.  Car,  alors  qu'isarne,  jeune  encore,  visitait 
Saint- Victor  et  ses  cryptes,  le  moine  qui  lui  faisait  les  hon- 
neurs de  ces  souterrains  ne  fait  allusion  à  aucun  écrit,  à  aucun 
monument.  Il  se  contente  de  montrer  l'endroit  à  part  où  reposent 

(1)  Paillon,  op.  cit.*  t.  I,  col.387.  — Pitton,  Annales  de  la  sainte  Eglise 
a"Aix,  p.  90.  —  *  Destructo  a  Vandalis  Massiliensi  inonasterio,  nec 
miuus  possessionibus  ojus  dispersis,  cartisque  perditis  vel  incensis.  » 
Cartulaire  de  Saint-Victor,  charte  155,  de  1030. 

(2)  De  Rey,  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  237. 


J 


—  623  — 

les  corps  des  vierges  sacrées  :  a  lbi  seorsum  sacrarum  virgi- 
nu  m  turba  quiescit  »,  de  raconter  ce  que  tout  le  monde  disait 
de  leur  héroïsme,  sans  peut-être  en  indiquer  le  nom,  sans  pou- 
voir même  montrer  l'inscription  lapidaire,  alors  encore  égarée 
ou  enfouie.  Nul  douLe  que  si  Ton  eût  cité  le  nom  de  cette 
abbesse,  si  Ton  eût  montré  l'inscription  lapidaire,  l'écrivain 
anonyme  de  la  Vie  d'Ysarne  en  eût  fait  mention.  Jusqu'au 
XP  siècle  donc  pas  de  document  que  nous  connaissions  pour  ap- 
puyer et  constater  la  tradition.  Il  a  pu  être  détruit.  Qu'importe 
pour  notre  tradition,  elle  était  purement  orale.  C'était  la  pre- 
mière phase  par  laquelle  elle  passait. 

Mais,  on  l'a  dit  :  «  Le  second  état  de  ces  traditions  com- 
mence où  ces  notions  historiques,  vraies  oii  fausses,  pures  ou 
altérées,  donnent  lieu  à  des  usages  domestiques  ou  publics, 
les  fixent  par  des  cérémonies,  des  coutumes,  des  institutions 
civiles  ou  religieuses,  s'introduisent  même  dans  le  langage, 
s'attachent  à  des  expressions  communes  et  contribuent  à  for- 
mer le  vocabulaire.  »  C'est  bien  la  seconde  phase  par  laquelle 
passe  encore  notre  tradition.  Elle  a  été  purement  orale,  peut- 
être  dans  tous  les  temps  ;  orale,  tout  au  moins  de  la  fin  des 
invasions  sarrasiues  jusqu'au  début  du  XI* siècle.  Ace  moment, 
avec  la  réédiflcation  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint- 
Sauveur,  notre  tradition  se  concrète  pour  ainsi  dire,  se  fige 
dans  cet  usage  touchant  de  rappeler  aux  novices  le  fait  héroï- 
que des  quarante  vierges  cassianites  (i).  Incontestablement 
ondevait,  en  racontant  ce  fait  mémorable,  nommer  les  au- 
teurs de  ce  massacre  barbare.  Autre  particularité  :  on  appelait 
ces  religieuses  martyres  :  «  ieïs  Desnarrados  ou  Desnazzados  ». 
Or,  celte  locution  n'est  pas  d'hier,  elle  porte  un  cachet  d'ar- 
chaïsme rare:  c'est  de  l'ancien  provençal,  formé,  on  lésait,  du 
latin  en  sa  décadence  et  du  français  à  son  début.  Incontesta- 
blement  encore,  quand  le  peuple  marseillais  employait  cette 
locution,  sachant  le  fait  qu'elle  rappelait,  il  devait  nommer 
les  auteurs  du  massacre  !  On  savait  aussi  que  les  corps  de  ces 
vierges  héroïques  reposaient  dans  les  souterrains  de  Saint- 


(1)  Propre  de  l'office  du  diocèse  :  fête  de  sainte  Eusébie,  11  octobre, 
leçons  du  deuxième  nocturne. 


—  624  — 

Victor.  On  n'entrait  pas  dans  le  sanctuaire  de  Notre-Dame  de 
Confession,  par  respect  d'abord  pour  la  statue  vénérée  de  la 
Sainte  Vierge,  mais  par  respect  ensuite  pour  ces  saintes  mar- 
tyres (1)  ;  on  les  invoquait,  on  les  priait,  et  toujours,  en  ra- 
contant le  genre  de  mort  qu'elles  avaient  subi,  on  devait 
dire  qui  les  avait  massacrées.  De  sorte  que  tout  ce  qui  rappe- 
lait et  fixait  la  tradition  principale,  à  savoir  :  le  martyre  de 
sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  rappelait  et  fixait  dans  le 
souvenir  populaire  le  point  secondaire  de  cette  tradition  : 
qu'elles  avaient  été  martyrisées  par  les  Sarrasins.  Les  témoins 
médiats  donc,  même  sans  monument  particulier,  rappelant  ce 
détail  qui  nous  occupe,  se  transmettaient  notre  tradition,  la 
fixaient  d'une  certaine  manière  «  par  des  coutumes  spéciales, 
l'introduisaient  dans  le  langage  ». 

Nous  arrivons  ainsi  au  XIV*  ou  au  XV*  siècle.  A  cette  épo- 
que, il  s'opéra  dans  l'abbaye  de  Saint- Victor  de  grands  rema- 
niements. Urbain  V,  nommé  pape  en  1362,  fit  agrandir  l'égli- 
se abbatiale,  élever  une  nouvelle  abside,  construire  une 
grande  tour,  environner  le  monastère  de  vastes  et  solides 
remparts  pour  le  mettre  à  l'abri  des  déprédations  des  bandes 
qui  ravageaient  la  France.  Or,  ces  divers  travaux  durent  ame- 
ner de  curieuses  découvertes  dans  les  cryptes.  II  est  à  remar- 
quer, en  effet,  que  c'est  vers  cette  époque  que  pour  la  pre- 
mière fois  apparaît  dans  les  chartes  le  nom  d'Eusébie,  que  Ton 
y  indique  le  nombre  de  ses  compagnes,  que  l'on  y  désigne 
l'emplacement  précis  occupé  par  leurs  restes  dans  les 
cryptes  (2).  A  ce  moment  aussi  peut-être  on  retrouva  l'ins- 
cription d'Eusébie  (3).  Alors  les  traditions,  de  flottantes 
et  d'indécises  qu'elles  étaient,  se  soudent  et  s'expliquent 
l'une  et  l'autre,  devenant  plus  fermes  et  plus  précises.  On 


(1)  Guesnay,  Cassianus  illustratus,  pp.  475  et  725. 

(2)  Charte  conservée  par  Dom  Lefournier,  t.  III,  de  ses  Chartes  manus- 
crites, document  qui  parait  être  de  1378.  —  Chartes  de  1431  et  1446,  dans 
Kothen,  Notice  sur  les  cryptes,  appendice,  p.  99. 

(3;  Elle  devait  être  enfouie,  peut-être  sur  le  corps  de  la  sainte  abbesse 
martyre.  Le  pic  rencontrant  à  l'improviste  cette  pierre  dut  produire  ces 
fractures  que  l'on  y  voit  et  qui  semblent  se  réunir  sur  les  mots  :  «  an- 
nus  XIII  ». 


j 


—  625  — 

connaît  le  nom  de  la  célèbre  abbesse,  on  possède  les  corps  des 
martyres  «  desnarrados  ».  Forcément,  en  rappelant  le  mar- 
tyre, on  devait  nommer  les  auteurs  du  massacre  !  Ainsi  la 
tradition  arrive  jusqu'à  nous. 

Or,  qui  désignait-on  comme  les  auteurs  de  ce  crime,  au 
XIV*  ou  au  XV*  siècle  ?  Aujourd'hui  on  nomme  les  Sarrasins  ; 
aux  XVIII*  et  XVII'  siècles  on  désignait  ce  peuple  ;  aux  XV  et 
XIV*  siècles  forcément  la  tradition  populaire  devait  désigner 
aussi  les  Sarrasins.  On  ne  trouvera  pas  durant  ce  laps  de 
temps,  du  XVI*  au  XVIII'  siècle,  le  moment  précis  où  notre 
tradition  a  pu  varier  et  se  modifier  sur  ce  point.  Toujours 
donc  elle  a  dit:  les  Sarrasins,  I^a  preuve  évidente  est  ceci: 
S'il  y  a  eu  un  moment  où  cette  tradition  a  pu  subir  un 
changement  et  attribuer  à  d'autres  qu'aux  Sarrasins  ce  mar- 
tyre de  sainte  Eusébie,  c'est  précisément  au  XV*  siècle. 
Qui  sont  ceux,  en  effet,  que  les  chartes  de  cette  époque  dési- 
gnent comme  les  auteurs  de  ce  massacre  ?  Ce  ne  sont  pas  les 
Sarrasins,  mais  les  Vandales  !  Rappelons-nous  le  texte  si  sou- 
vent cité  :  «  Hoc  praîsens  (sancti  Victoris)  monasterium  et  aliud 
olim  sibi  vicinum,  per  prophanos  Vandalos  funditus  demo- 
litum  (1).  »  Et  cependant  la  tradition  populaire,  aux  XVII*  et 
XVIII*  siècles,  affirme  plus  fort  que  jamais  que  ce  sont  les  Sar- 
rasins. Pour  un  auteur,  en  effet,  qui  indique  les  Vandales,  il 
y  en  a  cinq  ou  six  qui  nomment  les  Sarrasins  (2). 

Comment  expliquer  cette  divergence  parmi  les  historiens 
quand  il  s'agit  de  nommer  les  auteurs  du  massacre  ?  C'est 
qu'en  réalité  ils  se  sont  mépris  sur  le  sens  d'un  mot.  On  ne  sa- 
vait, au  XV*  siècle,  que  Saint-Victor  avait  été  détruit  et  saccagé, 
que  par  les  chartes  du  XI*  siècle  (3).  Or,  ces  documents  em- 
ployaient le  mot  Vandales,  terme  générique  donné  à  tout 
barbare.  Mais  ces  Vandales  étaient  forcément  les  Sarrasins, 
puisque  la  ruine  de  Saint- Victor,  dont  parlent  ces  chartes, 

(1)  Charte  de  1446,  dans  Kothen,  Notice  sur  les  cryptes,  p.  97,  appendice. 

(2)  Guesnay  dit  :  Vandales  ;  H.  Bouche,  de  même  ;  Chifflet,  Arthur  de 
Monestier,  Belsunce,  etc.,  disent  :  Sarrasins.  On  le  voit  dans  divers  cha- 
pitres de  ce  présent  ouvrage. 

(3)  Charte  14,  notamment  :  «. .  de  vagina  Vandalorum  callidus exactor 
educitur  »,  de  1040.  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t.  I. 


-  626  — 

était  arrivée  a  post  multa  curricula  aunorum,  eu  m  piissîmus 
princeps  (Gharlemagne)  decessisset  (1)  ».  Les  Vandales  avaient 
disparu  depuis  bien  des  siècles  !  Au  XI*"  siècle  les  chartes  dési- 
gnaient les  Sarrasins  sous  le  titre  de  Vandales,  au  XV*  siècle 
donc  les  chartes  veulent  exprimer  la  môme  chose  en  se  ser- 
vant des  mômes  termes. 

Beaucoup,  parmi  les  auteurs  des  XVII*  et  XVIII*  siècles,  inter- 
prétant mal  ces  chartes,  se  sont  trompés  et  ont  attribué  aux 
Vandales  du  V*  siècle  la  destruction  de  Saint-Victor,  celle  de 
l'abbaye  cassianite,  et  partant  le  martyre  de  sainte  Eusébie. 
Mais  la  tradition  populaire  a  résisté,  a  réagi  contre  les  inter- 
prétations fausses  des  historiens.  Ceux-ci  à  leur  tour  ont  été 
ébranlés.  Quelques-uns,  en  effet,  à  côté  des  Vandales  ont 
nommé  les  Sarrasins.  Et  maintenant,  en  donnant  leur  vrai 
sens  aux  termes  de  ces  parchemins  antiques,  nous  nommons 
les  Sarrasins  et  sommes  obligés  de  dire  :  la  tradition  populaire 
était  dans  le  vrai.  Ce  sont  bien  les  Sarrasins  qui  ont  détruit  les 
monastères.  Au  fond  les  chartes  tenaient  le  môme  langage  que 
la  tradition.  Le  désaccord  n'était  qu  apparent. 

Le  XV*  siècle,  avec  ses  chartes  et  ses  monuments,  confir- 
mant, appuyant  notre  tradition ,  est  pour  celle-ci  la  troi- 
sième phase  qu'elle  devait  suivre.  Elle  est  inscrite,  consignée 
dans  les  annales  de  l'histoire.  Ainsi,  elle  arrive  jusqu'à  nous 
dotée  de  ce  second  caractère  d'authenticité  qui  la  rend  digne 
de  foi  et  légitime.  Partant,  un  troisième  caractère, 
celui  de  perpétuité,  que  toute  tradition  doit  revêtir, 
lui  est  assuré.  Nous  venons  d'en  constater  l'existence.  Notre 
tradition  a  vécu  tantôt  sous  la  forme  orale,  tantôt  sous  la 
forme  écrite,  depuis  la  première  heure  où  elle  s'est  formée, 
au  VIII*  siècle,  jusqu'au  XVII*  siècle,  et  du  XVIPsiècle  jusqu'à 
nous. 

Il  est  donc  de  tradition,  à  Marseille,  que  sainte  Eusébie  a 
été  martyrisée  par  les  Sarrasins,  et  cette  tradition  est  digne  de 
foi  et  légitime. 

(1)  Cartulaire  de  Saint- Victor,  de  1005,  charte  15. 


CHAPITRE  II 

Auteurs  qui  affirment  que  les  Sarrasins  ont  martyrisé 

sainte  Eusébie. 


HISTORIENS  ANCIENS  DE  MARSEILLE  :  DE  BELSUNCE,  GROSSON,  «NOTICE 
SUR  LES  MONUMENTS  DE  SAINT- VICTOR  »,  AGNEAU.  —  HISTORIENS 
ANCIENS  DE  LA  PROVENCE  :  BOUCHE,  PAPON.  —  HISTORIEN8  DE 
L'ÉGLISE  EN  GÉNÉRAL  :  ROBACKER,  DARRAS,  LONGUEVAL.  —  HISTO- 
RIENS ANCIENS  :  MABILLON,  ARTHUR  DE  MONKSTIER,  CH1FFLET.  — 
HISTORIENS  MODERNES  DF  MARSEILLE  :  «  ESSAI  HISTORIQUE  SUR 
SAINT-VICTOR  »,  BOUDIN,  BOUSQUET,  ANDRÉ,  KOTHEN,  L'ABBÉ  VERLA- 
QUE,  GU1NDON  ET  MÉRY,  M.  LE  CHANOINE  MAGNAN,  M.  DE  REY.  — 
HISTORIENS  MODERNES  DE  PROVENCE  :  t  STATISTIQUE  DBS  BOUCHES- 
DU-RHONE  »,  ALLIEZ,  MAGL.  GIRAUD,  RE1NAUD,  AUG.  FABRE,   FOUQUE. 


Pour  faire  écho  à  la  tradition  de  Marseille,  qui  affirme  que 
sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les  Sarrasins,  voici  le 
témoignage  des  historiens  qui  ont  consigné  dans  leurs  ouvra- 
ges ce  fait,  en  rappelant  qu'il  s'est  passé  à  Marseille  et  que  les 
Sarrasins  en  sont  les  auteurs. 

Bien  respectable  est  le  nombre  de  ces  écrivains  et  nous  ne 
les  connaissons  pas  tous  cependant.  Leurs  affirmations 
s'appnyant,  se  confirmant  les  unes  par  les  autres,  donnent  à 
leur  témoignage  une  autorité  qui  n'est  pas  à  mépriser  et 
fournissent  ainsi  à  notre  tradition  un  appui  incontestable 
et  à  notre  opinion  une  preuve  que  Ton  ne  peut  éluder. 

D'abord,  les  historiens  de  Marseille. 

Nous  avons  déjà  lu,  dans  M«r  de  Belsunce,  que  «  ce  fut 
probablement  durant  ces  guerres  des  Sarrasins,  que  sainte 
Eusébie,  abbesse  du  monastère  de  religieuses  fondé  par 
Cassien,  souffrit  le  martyre  avec  ses  compagnes.  Le  monastère 
qui  portait  le  nom  de  Saint-Cyricius  ou  Ceris  était  hors 
de  la  ville  et  assez  éloigné  du  port.  Cette  situation  l'exposait 
aux  incursions  des  pirates  sarrasins,  dont  une  troupe  vint 
descendre  tout  à  coup  sur  le  rivage  et  marcha  vers  le  monas- 


—  628  — 

tère...  Ils  massacrèrent   ces  saintes  vierges  et  renversèrent 
leur  monastère  après  l'avoir  pillé  (1).  » 

Dans  VA Imanach  historique  de  Marseille  pour  Tannée 
1773,  deGrosson,  nous  avons  pu  lire  encore  :  «  Sainte  Eusébie 
était  abbesse  lorsque  les  Sarrasins  ravagèrent  Marseille.  Elle  se 
coupa  le  nez,  et  trente-neuf  religieuses  en  firent  autant  à  son 
exemple,  afin  de  déplaire  par  ce  moyen  aux  infidèles  qui  les 
massacrèrent  (2).  » 

Agneau,  dans  le  Calendrier  spirituel  de  1759,  raconte  le 
martyre  de  sainte  Eusébie.  Il  dit  notamment  que  les  Sarrasins, 
après  avoir  pillé  l'Ile  de  Lérins,  vinrent  à  Marseille  et  y  massa- 
crèrent les  religieuses  cassianites  et  Eusébie  leur  abbesse  (3). 

La  Notice  des  monuments  conservés  dans  V église  noble, 
etc.,  de  Saint- Victor,  mentionne  :  «  Les  reliques  de  sainte 
Eusébie,  abbesse  des  Cassianites  et  de  ses  religieuses,  qui,  dans 
le  VIII*  siècle,  pour  éviter  d'être  violées  par  les  Sarrasins, 
prirent  le  parti  de  se  mutiler  elles-mêmes  en  se  coupant  le 
nez  (4).  » 

Passons  aux  historiens  anciens  de  la  Provence. 

Bouche,  avocat,  après  avoir  raconté  l'arrivée  des  Sarrasins 
à  Avignon,  Arles  et  Marseille,  ajoute:  «  On  prétend  que  les 
religieuses  qui  habitaient  les  campagnes  voisines  de  Marseille, 
pour  échapper  au  malheur  de  perdre  leur  virginité  et  n'inspi- 
rer que  de  l'horreur  à  ces  féroces  étrangers,  se  coupèrent  le 
nez  et  se  meurtrirent  le  visage  (5).  » 

Papon,  décrivant,  dans  Y  Histoire  de  Provence,  les  ravages 
des  Sarrasins,  que  Mauronte  avait  appelés  à  Marseille,  disait  : 
a  qu'il  n'y  avait  pas  d'horreur  qu'ils  ne  commissent  et  il 
racontait  le  massacre  par  ces  barbares  des  religieuses  de 
Marseille  (6).  » 


(1)  Antiquité  de  VEglise  de  Marseille,  t.  I,  p.  290. 

(2)  Grosso d,  Almanach  de  1773,  p.  94. 

(3)  Agneau,  Calendrier  spirituel  du  diocèse  de   Marseille,  pp.  381, 
384. 

(4)  Notice  des  monuments  conservés  dans  l'église   noble,  insigne  et 
collégiale  de  l'abbaye  de  Saint- Victor  à  Marseille,  p.  17. 

(5)  Bouche,  Essai  sur  VHistoire  de  Provence,  t.  I,  p.  189. 

(6)  Papou,  Histoire  de  Provence,  t.  II,  p.  78. 


—  629  — 

Les  divers  historiens  qui  se  sont  occupés  de  la  Provence  en 
même  temps  que  des  autres  régions  nous  fournissent  leur 
témoignage  précieux. 

Au  XVIIP  siècle  d'abord,  Mabillon,  nous  le  savons  déjà,  a 
raconté  le  martyre  de  notre  sainte  Eusébie  dans  les  Annales 
ordinis  sancti  Benedicti  ou  dans  les  Acta  sanctorum  ordinis 
sancti  Benedicti,  et,  dans  ces  deux  ouvrages,  il  écrit  que  ce 
fait  eut  lieu  à  Marseille  et  qu'il  fut  accompli  parles  Sarrasins; 
Eusébie  vivait  dans  le  monastère  que  Cassien  avait  fondé  près 
de  Marseille  et,  avec  quarante  compagnes,  elle  se  mutila  le 
visage  :  «  ne  pudicitiae  vis  a  Sarracenis  inferretur  (1)  ». 

Le  P.  Longueval,  dans  YHistoire  de  V Eglise  Gallicane, 
raconte  aussi  le  martyre  de  notre  sainte,  et  c'est  bien  aux 
Sarrasins  qu'il  l'attribue  (2). 

Arthur  de  Monestier,  dans  le  Sacrum  Gynœceiim,  après 
avoir  dit  que  les  quarante  compagneâ  d'Eusébie,  et  Eusébie  la 
première,  avaient  été  massacrées  par  lesSarrasins  et  les  Vanda- 
les, ajoute  «  que  ces  saintes  religieuses,  alors  qu'elles  habitaient 
le  monastère  élevé  jadis  par  Cassien  près  de  la  mer,  à  deux  ou 
trois  milles  de  Marseille,  monastère  que  l'on  appelle  encore 
cœnobium  de  Notre-Dame  d'Huveaune,  craignant  d'être  outra- 
gées parles  Sarrasins  :  «  ne  a  Sarracenis  violarentur  *,  se  don- 
nèrent la  mort  (3). 

Au  XVIP  siècle,  Chifflet,  dans  un  ouvrage  intitulé  Vesun- 
tio  civita8  imperialis,  a  parlé  de  notre  sainte  Eusébie,  sans 
la  nommer.  Mais  il  a  raconté  le  martyre  tel  que  nous  le 
racontons  à  notre  époque.  Les  religieuses  de  l'Huveaune  se 
coupèrent  le  nez  afin  de  déplaire  aux  barbares.  Ceux-ci  les  mas- 
sacrèrent de  fureur  et  de  dépit.  Et  ces  barbares  cesontlesSarra- 

(1)  Mabillon,  Annales  ordinis  sancti  Benedicti,  t.  II,  p.  90  :  «  Quae, 
hortante  Eusebià,  matre  et  abbatissâ,  ne  suae  pudiciti©  vis  a  Sarracenis 
inferretur,  nasum  sibi  prsecidisse  traduntur. ..  »  —  Mabillon,  Acta  sanc- 
torum ordinis  sancti  Benedicti,  t.  IV,  p.  187,  eadem  verba. 

(2)  Père  Longueval,  Histoire  de  V Eglise  gallicane,  t.  IV,  p.  495. 

(3)  Sacrum  Gynœceum>  par  Arthur  de  Monestier,  30  déc  :  t  Apud 
UvenauneDse  monasterium,passio.sanctarum  Eusebiae  et  sociarum,  etc.  » 
—  t  In  eosacello,  novem  et  triginla  dicatarum  Deo  virginum  a  Sarracenis 
Va  odalisque  interfectarum  corpora  sepultasunt...»  —  «  Hae  autem  omnes... 
dicitur  ne  a  Sarracenis  violarentur  morte  m  opetiere ...» 


—  630  — 

sins,  car  il  dit  que  cet  événement  arriva  lorsque  les  Sarrasins 
dévastèrent  la  Provence. . .  (1). 

Tel  est  le  témoignage  des  anciens  historiens  en  faveur  de 
notre  tradition. 

Voici  celui  des  historiens  modernes.  Et  d'abord  citons  ceux 
qui  ont  écrit  l'histoire  de  Marseille  en  particulier. 

V Essai  historique  et  archéologique  sur  Vèglise  de  Saint- 
Victor  les  Marseille  nous  expose  que  o  l'autel  de  Notre-Dame 
de  Confession  renfermait,  outre  d'autres  reliques,  celles  des 
quarante  religieuses  qui,  dans  une  invasion  des  Sarrasins, 
voyant  leur  couvent  sur  le  point  d'être  forcé,  se  mutilèrent 
le  visage,  à  l'exemple  d'Eusébie  leur  abbesse,  pour  conserver 
leur  virginité  (2).  » 

M.  Amédée  Boudin,  dans  son  Histoire  de  Marseille,  écrit 
encore,  en  parlant  de  l'invasion  des  Sarrasins  à  Marseille  au 
VIII*  siècle,  à  l'époque  de  Charles  Martel  :  «  Ou  raconte  que, 
pour  échapper  à,  la  lubricité  des  vainqueurs,  les  religieuses 
de  Saint-Sauveur,  aunombre  de  quarante,  imitèrent  l'exemple 
de  leur  abbesse  Eusébie  qui  s'était  coupé  le  nez  et  mutilé  le 
visage  (3).  » 

Nous  lisons  dans  la  Monographie  de  la  Major  par  Casimir 
Bousquet  :  a  On  connaît  le  dévouement  des  religieuses  de 
Saint-Sauveur,  qui,  pour  échapper  aux  outrages  des  Sarrasins, 
mutilèrent  leurs  faces  au  point  de  devenir  hideuses  aux  yeux 
des  vainqueurs. . .  (4)  » 

André,  dans  Y  Histoire  de  l'abbaye  des  religieuses  de  Saint- 
Sauveur  à  Marseille,  nous  dit  lui  aussi  que  «  pendant  plu- 
sieurs siècles  les  Sarrasins  portèrent  la  terreur  et  la  désolation 
dans  nos  provinces,  partout  ils  laissèrent  des  marques  ineffa- 
çables de  leur  férocité  et  de  leur  vandalisme.  Les  annales  de 
Marseille  rapportent  à  ces  temps  malheureux  la  ruine  des 


(1)  Chi filet,  Vesuntio  civitas...  «  Cum  Sarraceni  Gatalauniae  incolff 
Provinciam  devastarent.   .  »  Pa£C  109. 

(2)  Essai  historique   et  archéologique  svr  l'église  de  Saint-Victor  à 
Marseille,  par  M.  B...  p.  25. 

(3)  Amédée  Boudin,  Histoire  de  Marseille,  p.  116. 
(i)  La  Major,  par  Casimir  Bousquet,  p.  G7. 


—  631  — 

deux  monastères  fondés  par  Cassien,  et  l'action  glorieuse  d'Eu- 
sébie  et  de  ses  compagnes  (1).  » 

La  Notice  sur  les  cryptes  de  V abbaye  de  Saint-  Victor-lez- 
Marseille,  par  Kothen,  nous  fait  lire  :  a  La  tradition  rapporte 
qu'Eusébie  était  abbesse  du  monastère  de  femmes  fondé  par 
Cassien,  et  que,  se  voyant  avec  ses  religieuses  sur  le  point  de 
se  trouver  à  la  merci  des  barbares  Sarrasins,  elle  se  défigura 
le  visage  pour  leur  inspirer  de  l'horreur  et  conserver  ainsi 
sa  virginité  (2).  » 

L'abbé  Verlaque,  dans  la  Notice  sur  sainte  Eusèbie  abbesse 
et  martyre,  après  avoir  raconté  la  prise  de  Marseille  par  les 
Sarrasins,  écrit  qu'  a  ils  vinrent  à  l'abbaye  de  Saint-Sauveur. 
Eusébie,  avertie  depuis  quelques  jours,  en  avait  fait  part  à  ses 
religieuses.  Plusieurs  d'entre  elles  s'étaient  retirées  dans  la 
ville;  trente-neuf  seulement  restèrent. . .  (3)  » 

Le  môme  fait,  toujours  raconté  de  la  môme  manière  et 
attribué  aux  Sarrasins,  se  lit  encore  dans  l'ouvrage  de  Guindon 
et  Méry:  «  Les  Sarrasins,  à  l'époque  de  Charles  Martel,  ravagent 
Marseille.  Les  religieuses  cassianites  d'un  couvent  voisin  de 
Marseille,  suivant  l'exemple  de  leur  abbesse  Eusébie,  se  muti- 
lèrent le  visage  afin  d'échapper  à  leur  brutalité  (4).  » 

M.  le  chanoine  Magnan  a  soutenu  la  même  opinion  dans 
quelques  pages  sur  sainte  Eusébie,  insérées  dans  la  Semaine 
liturgique.  Cet  auteur  raconte  l'arrivée  à  Marseille  des  Sarra- 
sins, ce  sont  eux  qui  attaquent  lecœnobiumde  l'Huveaune 
et  qui  mettent  à  mort  les  chastes  épouses  de  Jesus-Christ(5). 

M.  de  Key,  dans  son  Histoire  des  invasions  des  Sarrasins 
en  Provence  et  dans  les  Saints  de  V Eglise  de  Marseille,  a 
rapporté  la  même  tradition:  «  Au  monastère  de  Saint-Cyr  se 
rattache  une  des  plus  glorieuses  traditions  marseillaises:  le 
martyre  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  compagnes,  massacrées 


(1)  André,  Histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Sauveur ,  pp.  8,  9. 

(2)  Kothen,  Notice  sur  les  cryptes,  p.  55. 

(3)  L'abbé  Verlaque,  Notice  sur  sainte  Eusébie,  p.  15. 

(4)  Guindon  et  Méry,  Histoire  analytique  et  chronologique  des  actes 
et  délibérations  du  corps  et  du  conseil  municipal  de  Marseille,  t.  1, 
p.  100. 

,'5)  Semaine  liturgique,  année  1868,  p.  733  et  suiv. 


—  632  — 

par  les  Sarrasins...  C'est  aux  Sarrasins  que  la  tradition 
impute  le  massacre  des  dames  casssianites.  »  Et  M.  de  Rey 
raconte  en  tous  ses  détails  ce  fait  glorieux  pour  notre 
Eglise  (1). 

Entendons  maintenant  le  témoignage  des  historiens  de  notre 
époque  qui  se  sont  occupés  de  la  Provence  en  général. 

D'abord  la  Statistique  des  Bouches-du- Rhône.  A  deui 
endroits  différents  de  cet  ouvrage  nous  trouvons  mentionnée 
la  môme  tradition  :  a  Le  monastère  des  religieuses  fondé  par 
Cassien  s'appela  du  nom  de  Saint-Ceris  ou  Saint-Cyr.  Les 
Sarrasins  le  détruisirent,  et  l'abbesse  Eusébie  et  ses  compagnes 
reçurent  d'eux  la  palme  du  martyre. . .  Ces  deux  monastères 
de  Saint- Victor  et  de  Saint-Cyr  furent,  dans  la  suite,  détruits 
par  les  Sarrasins. . .  Ce  fut  à  l'abbaye  de  Saint-Cyr  que  sainte 
Eusébie  et  ses  compagnes  furent  massacrées  par  les  Sarra- 
sins (2).  » 

L'abbé  Alliez,  dans  YHistoire  du  monastère  de  Lèrim, 
raconte  les  sauvages  exploits  des  Sarrasins  en  Provence.  Il 
nous  les  montre  s'avançant  vers  le  midi  de  notre  pays  et 
semant  partout  la  dévastation  et  la  mort.  «  Ils  renversèrent, 
ajoute-t-il,  le  monastère  de  Saint-Cyr  fondé  à  Marseille  par 
l'illustre  Cassien.  On  connaît  l'illustre  exemple  de  chasteté  que 
donnèrent  au  monde  les  religieuses  qui  l'habitaient  (3).  » 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  l'abbé  Giraud  Magloire,  tout 
en  n'admettant  pas  que  sainte  Eusébie  soit  morte  au  monas- 
tère de  Saint-Cyr  à  l'Huveaune,  confirme  l'existence  à  Mar- 
seille d'une  tradition  «  admise  par  les  historiographes  de  cette 
ville,  suivant  laquelle  sainte  Eusébie  était  abbesse  d'un 
monastère  de  religieuses  et  qu'elle  souffrit  le  martyre  avec 
trente-neuf  de  ses  compagues,  lors  de  l'invasion  sarra- 
sine  (4).  »  En  vérité  cela  nous  suffit.  Nous  avons  d'ailleurs, 
réfuté  l'opinion  de  M.  Magloire  Giraud. 

(l)De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence, p.  140.— Les  Saints 
de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  228. 

(2)  Statistique  des  Bouches- du- Rhône,  pp.  324  et  457. 

(3)  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  t.  I,  p.  398. 

(4)  Notice  historique  sur  l'église  de  Saint-Cyr,  (Var),  par  l'abbé 
Ma&l   Giraud,  p.  17. 


—  633  — 

Reinaud,  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  France, 
écrit  :  «  (Test  peut-être  à  cette  occasion  (en  538)  qu'eut  lieu  le 
fait  attribué  à  sainte  Eusébie,  abbesse  d'un  couvent  de  Mar- 
seille et  des  quarante  religieuses...  qui  se  mutilèrent  le 
nez,  d'où  elles  furent  appelées  dans  le  pays  :  leïs  Desnazza- 
dos  (1).  » 

Dans  son  Histoire  de  Provence,  Fabre  Augustin  a  consigné 
notre  tradition,  a  Les  Sarrasins,  dit-il,  démolirent  Saint^ 
Victor. . .  En  ces  calamités  effroyables,  les  religieuses  du  mo- 
nastère cassianite  de  Saint-Sauveur  firent  éclater  leur  héroïs- 
me. Elles  avaient'  alors  pour  abbesse  la  vertueuse  Eu- 
sébie ...  (2)  » 

C'était  encore  aux  Sarrasins  que  Fouque  attribuait  cet 
odieux  massacre  ;  dans  ses  Fastes  de  Provence,  il  écrit  :  «  Tou- 
jours battus,  jamais  découragés,  les  Maures  rentrèrent  en  Pro- 
vence, s'emparèrent  d'Arles  et  de  Marseille.  D'après  les  chro- 
niques de  Tordre  de  Saint-Benoit,  quarante  religieuses  se  cou- 
pèrent le  ftez  et  se  meurtrirent  le  visage  pour  repousser  par  la 
laideur  ces  féroces  conquérants  (3).  » 

Terminons  en  relatant  le  dire  de  deux  historiens  de  l'Eglise. 

L'abbé  Robacker,  dans  son  Histoire  de  V Eglise,  raconte  le 
martyre  de  notre  sainte  Eusébie,  et  se  montre  d'accord  avec  la 
tradition  de  Marseille  en  l'attribuant  aux  Sarrasins  (4). 

Darras  fait  de  même,  a  A  Marseille,  dit-il,  dans  le  couvent 
de  Saint-Sauveur,  l'abbesse  Eusébie  et  quarante  de  ses  compa- 
gnes se  défigurèrent  le  visage  et  se  coupèrent  le  nez  pour  se 
soustraire  aux  outrages  des  musulmans.  Les  Sarrasins  massa- 
crèrent ces  héroïques  vierges;  elles  furent  enterrées  toutes 
ensemble  dans  une  fosse  commune,  sur  laquelle  on  éleva 
depuis  une  chapelle  dite  de  la  Confession  (5).  » 

(1)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  137. 

(2)  Fabre,  Histoire  de  Provence,  t.  I,  p.  313.  —  De  môme,  dans  l'His- 
toire de  Marseille. 

(3)  Fastes  de  Provence,  par  Fouque,  t.  I,  p.  241. 
(A)  Robacker,  Histoire  de  V Eglise. 

(5)  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XVII,  p.  H. 


CHAPITRE   III 
Absence  de  documents  du  VIIIe  siècle. 

SI  SAINTE  EUSÉBIE  A  ÉTÉ  MARTYRISÉE  AU  X6  STÈCLE,  ON  AURAIT  D*S 
DOCUMENTS  SUR  CE  FAIT.  —  CHARTES,  CHRONIQUES,  ANNALES  A 
CETTE  ÉPOQUE.  —  SI  C'ÉTAIT  AU  IX9  SIECLE,  IL  Y  AURAIT  ENCORE 
DES  DOCUMENT8.  —  ILS  ABONDENT  A  CETTE  ÉPOQUE. 

Il  est  établi  que  les  Sarrasins  sont  les  auteurs  du  massacre 
de  sainte  Eusébie.  Nous  disons  maintenant  :  c'est  dans  le  cours 
du  VIII-  siècle  que  cette  sainte  et  ses  compagnes  ont  été 
martyrisées. 

Nous  empruntons  la  première  preuve  de  cette  assertion  à 
l'absence  presque  complète  de  documents  relatifs  au  martyre 
de  sainte  Eusébie  et  au  silence  qui  durant  de  longs  siècles  s'est 
fait  sur  cet  événement.  Nous  en  tirons  cette  conclusion  :  que 
ce  n'est  ni  au  IX%  ni  au  X*  siècle  qu'il  a  eu  lieu,  car  ce  qui 
nous  reste  d'écrits  et  de  documents  de  cette  époque  nous  en 
aurait  mieux  fait  connaître  les  détails  circonstanciels  ;  mais 
qu'il  faut  le  placer  à  une  époque  antérieure,  au  VIII*  siècle. 

Nous  ne  savons  que  fort  peu  de  chose  sur  la  mort  de  ces 
vierges  héroïques.  Si  elle  a  été  racontée  par  des  historiens 
contemporains,  depuis  bien  des  siècles  ces  documents  écrits 
ont  disparu.  La  tradition  seule  en  a  gardé  le  souvenir  et  nous 
ne  connaissons  que  ce  qu'elle  nous  en  a  conservé.  Ce  sont  les 
Sarrasins  qui  les  ont  massacrées,  au  nombre  de  quarante,  dans 
leur  monastère  et,  pour  échapper  à  la  lubricité  de  leurs 
bourreaux,  elles  se  mutilèrent  au  visage.  Voilà  tout  ce  que 
l'on  a  sauvé  de  l'oubli  des  siècles. 

Mais  à  quelle  année  précise  ce  fait  a  eu  lieu?  Quel  endroi» 
de  notre  terroir  en  fut  le  théâtre?  Que  devinrent  les  restes 
de  ces  glorieuses  martyres  ?  Pourquoi  ne  les  honora  t-on  pas 
d'un  cul  le  spécial  aussitôt  après  leur  mort?  Tout  autant  de 
questions  que  l'on  se  pose  et  auxquelles    on   ne  parvient  à 


0 


—  635  — 

répondre  qu'avec  la  crainte  de  se  tromper.  Nul  écrit,  nulle 
charte,  nul  document  quelque  peu  ancien  qui  raconte  le  fait  ; 
nul  monument  lapidaire  contemporain  qui  en  ait  transmis  le 
souvenir,  car  l'inscription  de  sainte  Eusébie  ne  fait  aucune 
allusion  évidente  au  genre  de  martyre  que  la  tradition  racon- 
te ;  pas  un  chrouiqueur,  pas  un  annaliste,  le  plus  obscur 
soil-il,  contemporain  ou  non,  qui  en  ait  parlé.  Aucune  marque 
d'un  culte  quelconque  jusque  vers  le  XI'  siècle.  Rien.  Une 
simple  tradition,  répétons-le,  nous  a  conservé  le  souvenir  de 
ce  fait  glorieux. 

Or,  comment  s'expliquer  ce  silence  et  se  rendre  raison  de 
cette  absence  de  documents,  si  l'événement  qui  nous  occupe 
s'est  passé  au  X*  siècle  vers  923  ou  948,  ou  au  IX4  en  838  ou 
867  par  exemple  ? 

Ce  sera  bien  difficile,  en  effet,  si  on  place  cet  événement  au 
X"  siècle.  Ce  siècle  fut,  surtout  vers  son  apogée,  une  époque 
scripturaire.  Les  Charles  abondent.  Le  cartulaire  de  Saint- 
Victor,  à  lui  seul,  en  contient  vingt  ou  vingt-deux  de  Tan  923 
à  Tau  1004  (1).  C'est  l'âge  des  annalistes,  des  chroniqueurs  (2). 
Les  moines,  en  même  temps  qu'ils  relèvent  les  ruines  que  les 
invasions  ont  semées  de  toutes  parts,  recueillent  avec  soin  ce 
qu'ils  savent  des  événements  passés  et  le  consignent  dans 
leurs  annales.  Infatigables  ouvriers,  des  labeurs  desquels 
nous  profitons  à  cette  heure.  Sans  leurs  écrits,  que  saurions- 
nous  en  notre  siècle  orgueilleux  1  Or,  n'est-ii  pas  étonnant 
que  sur  tant  de  chartes,  d'annales  et  de  chroniques,  il  n'y  en  ait 
pas  une  seule  qui  fasse  la  moindre  mention  de  cet  événement  V 
De  tous  ces  annalistes  et  de  ces  chroniqueurs  du  Xa  siècle 
qui  se  sont  occupés  des  invasions  des  barbares,  des  massacres 
qu'ils  ont  commis,  des  monastères  et  églises  qu'ils  ont  pillés, 
pas  un  n'aurait  connu  ce  fait  ? 

On  sait,  au  XB  siècle  que  l'on  conserve  dans  un  endroit  à  part 

(t)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t.  I,  table    des  chartes. 

(2)  Nous  relevons  à  la  simple  lecture  des  tables  de  la  Patrologie  de 
Migne  les  noms  des  chroniqueurs,  annalistes,  historiens  ecclésiastiques 
du  Xe  siècle  :  Le  B.  Notkerus,  Regino,  Radbodus,  Agio,  Hucbaldus, 
Flodoard,  Luitprandus,  Luitprand,  Vidukindus,  Abbo  de  Fleury,  en  1004, 
Aimonius  en  1008,  etc.,  etc. 


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des  cryptes  de  Saint- Victor  les  restes  des  quarante  compagnes 
martyres  de  sainte  Eusébie.  Un  moine  de  l'abbaye  y  conduisit 
Ysarne,  jeune  encore,  les  vénérer.  Et  ce  moine  au  courant  de 
Thistoire  et  des  richesses  spirituelles  de  son  monastère  ne  sait 
rien  dire  de  précis  à  Ysarne  sur  la  mort  de  sainte  Eusébie,  si  le 
martyre  a  eu  lieu  il  y  a  cinquante  ou  quatre-vingts  ans  ?  Ou, 
s'il  lui  raconte  dans  le  détail  la  mort  héroïque  de  ces  Cassia- 
nites,  s'il  lui  en  fait  lire  la  relation  dans  quelque  vieux  ma- 
nuscrit, cette  relation  a  totalement  disparu  au  point  qu'on  n'en 
fait  mention  nulle  part,  qu'Ysarne  n'en  parle  jamais  dans 
le  cours  de  sa  vie  ;  et  cette  mort  glorieuse  qu'on  lui  a 
racontée,  Ysarne,  devenu  abbé  de  Saint-Victor,  l'oubliera  à  tel 
point  qu'il  n'établira  dans  son  monastère  ni  fête,  ni  office  en 
l'honneur  de  ces  vierges,  martyrisées  il  y  aurait  eu  à  peine 
cent  ans  ? 

C'est  l'âge  des  chroniqueurs,  avons-nous  dit,  des  annalistes  ; 
c'est  l'époque  aussi  où  les  moines  écrivaient  les  Vies  des 
saints  (1).  Or,  il  ne  se  trouvera  pas  un  moine,  â  l'abbaye  de 
Saint-Victor,  pour  recueillir  la  tradition,  remontant  à  peine  à 
cinquante  ou  quatre-vingts  ans,  sur  un  fait  local  et  écrire  une 
relation  de  cet  événement  ?  Et  si  cette  relation  a  été  écrite  à 
celte  époque,  elle  serait  perdueencore  au  point  qu'il  n'en  reste 
aucune  trace,  ni  souvenir  w?  Ce  serait,  on  l'avouera,  jouer  de 
malheur.  Non,  il  n'est  pas  vraisemblable  qu'en  regard  de 
l'abondance  relative  des  documents  du  X"  siècle,  on  n'ait  rien 
conservé  relativement  à  ce  fait  qui  se  serait  passé  à  cette 
époque.  Il  faut  donc  remonter  plus  haut. 

Il  est  aussi  difficile  de  placer   cet  événement  au  IXe  siècle, 
par  exemple  en  838  ou  867.  Le  IX"  siècle,  à  son  début,  est  une 


(1)  Nous  relevous  encore,  le  long  des  tables  de  la  Patrologie  de  Migne, 
les  indications  suivantes  au  sujet  des  Vies  de  saints  écrites  vers  le  Xe 
siècle  :  Vies  de  sainte  Scholastique,  de  saint  Anscharius,  translation  des 
reliques  des  saints  martyrs,  Vie  de  saint  Jean  dit  l'aumônier,  de  sainte 
Grispine,  de  sainte  Walpurge,  de  saint  Lambert,  de  sainte  Rictrude, 
de  sainte  Aldegonde,  de  saint  Jonatus,  de  saint  Odulphe,  de  saint  Odon, 
de  saint  Vilfridus,  de  saint  Arbogaste,de  sainte  Mathilde,  de  sainte  Hu- 
négonde,  de  sainte  Glodesinde,  de  saint  Folcuinus,  de";saint  Frodobert, 
de  saint  Julien,  de  sainte  Hathùmoda,  etc. ,  etc.,  etc. 


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—  037  — 

époque  florissante  pour  les  études.  Sous  l'impulsion  de  Charle- 
magne  et  la  direction  d'Aicuin,  que  de  progrès  il  s'est  fait  (1)! 
Après  la  mort  de  ce  grand  empereur  le  mouvement  se  conti- 
nue.Alasuited'Eginhart,  qui  a  raconté  la  vie  de  Gharlemagne, 
que  de  prêtres,  d'évêques,  de  moines  se  sont  faits  hagiographes, 
chroniqueurs  et  annalistes,  (2)1  Or,  il  sera  impossible  encore, 
de  trouver  un  moine  pour  écrire  une  relation  sur  le  martyre 
quia  eu  lieu  peut-être  dix,  vingt,  trente  an^  auparavant? 
Cette  période  de  désastres,  d'invasions  des  Sarrasins  ou  des 
Danois  a  été  connue  en  détail  par  les  chroniqueurs  et  les  anna- 
listes et  ce  fait  leur  aurait  échappé  ?  Ceux  de  Saint-Bertin 
surtout,  qui  ont  écrit  de  830  à  882  environ  et  dont  les  détails 
sur  les  ravages  de  ces  barbares  à  Marseille  et  en  Provence  sont 
si  nombreux  et  si  précis  que  Ton  serait  porté  à  croire  que 
l'auteur  a  vécu  au  milieu  de  nous,  ces  annales  n'auraient  rien 
dit  d'un  fait  récent,  si  remarquable  et  si  glorieux  pour  Mar- 
seille ?  Ils  parlent  de  l'enlèvement  des  religieuses  de  Marseille 
en  838-,  et  ils  auraient  ignoré  leur  massacre,  s'il  avait  eu  lieu 
quelques  années  plus  tôt  ou  plus  tard  ?  Non,  ce  n'est  pas  au 
IX*  siècle  encore  qu'il  faut  placer  cet  événement  ;  il  en  de- 
meurerait quelque  trace. 

Quelle  supposition  faire  alors?  Le  fait  n'est  pas  niable. 
Il  s'appuie  sur  une  tradition  qu'il  est  difficile  de  ne  pas  ac- 
cepter, et  d'ailleurs,  en  1400  ou  1450  au  plus  tard,  on  vé- 
nère les  reliques  de  sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante  compa- 
gnes martyres,  déposées  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame  de 
Confession.  Le  fait  ne  peut  être  postérieur  à  la  fin  du  X*  siècle, 
puisque  au  début  dn  XI*  siècle  on  montre  à  Ysaiv.e  les  restes 
de  ces  vierges  héroïques  dans  les  cryptes.  Il  ne  peut  être  pla- 
cé durant  ce  X"  siècle  ou  même  durant  le  IX*,  nous  venons 
de  le  dire.  Enfin,  il  résulté  de  ce  que  l'on  a  dit  plus  haut  que 


(1)  Cardinal  Hergenroether,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  II,  p.  760. 

(2)  Citons  encore  au  hasard,  dans  les  tables  de  la  Patrologie  de  M  igné, 
les  noms  des  écrivains  ecclésiastiques  du  IX*  siècle  ou  à  peu  près  :  saint 
Paulin,  Alcuin,  Eginhard,  saint  Ëigil,  Smaragdus,  Thegamus,  Frécul- 
phus,  Raban  Maur,  Valafridus,  saint  Prudent,  le  diacre  Florus,  Paschase, 
Ratbert,  Vandalbertus,  Ado  de  Vienne,  Usuard,  Hincraar,  Aimonius, 
Anastase  le  Bibliothécaire,  etc.,  etc.,  etc. 

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cet  événement  n'a  pu  avoir  lieu  au  V*,  au  \T,  au  VII*  siècle. 
Forcément  il  faut  le  placer  au  VIII*  siècle,  de  700  à  800. 

Or,  nous  nous  trouvons  alors  en  pleines  invasions  sarrasines. 
Le  désordre  et  la  frayeur  régnent  de  toutes  parts  ;  les  moines, 
les  religieuses,  les  chrétiens  massacrés  sont  si  nombreux, 
qu'on  ne  les  compte  plus.  On  les  considère  moins  comme  des 
martyrs  de  la  foi,  que  comme  les  victimes  de  ces  guerres  san- 
glantes. On  n'avait  guère  le  loisir  d'écrire  des  relations,  ni  le 
calme  nécessaire  à  une  telle  œuvre.  Le  silence  des  siècles 
passés,  l'absence  des  monuments  ne  nous  étonnent  plus.  À 
peine  on  eut  le  temps  de  graver  l'épi taphe.  On  le  fit  à  la  hâte, 
d'une  manière  incomplète,  en  style  négligé.  Y  eut-il  jamais 
une  relation  de  ce  fait  datant  de  cette  époque?  Eu  fit-on 
mention  dans  quelque  fragment  d'annales  contemporaines  et 
locales?  En  parla-t-on  dans  quelque  charte,  à  celte  époque 
désastreuse,  nous  ne  le  savons  pas.  Dans  tous  les  cas,  relation, 
annales,  charte  ttfut  disparut.  Seule  la  tradition  du  fait  et  de 
ses  principales  circonstances  est  parfenue  jusqu'à  nous.  Or,  il 
n'en  serait  pas  ainsi,  si  cet  événement  avait  eu  lieu  au  IX*  ou 
au  Xa  siècle.  Donc  il  est  plus  probable  qu'il  se  soit  passé 
au  VIII*. 


CHAPITRE  IV 
Le  Polyptiqua  de  Vadalde. 


VADALDS.  ÉVBQUE  DR  MARSEILLE.  —  1NVENTA1BB  DÉS  BIENS  DB 
L'ÊVÊCHB,  DB  SAINT-VICTOR  BT  DB  SAINT-CÏR.  —  NOM  DB  SAINT- 
CYB  AJOUTÉ  SUR  CE  DOC'JMBNT.  —  CBTTB  INTERPOLATION  EST  DU 
XII*  SIÈCLE.  —  EXPLICATION  DE  H0RTRBU1L.  —  BLLE  EST  BASS 
VALEUR.   —  AUTRB  EXPLICATION  PLUS  ACCEPTABLE. 


Voici  notre  seconde  preuve  que  sainte  Eusébie  a  été  marty- 
risée dans  le  courant  du  VIII*  siècle:  le  Polyptique  de  Vadalde, 
évéque  de  Marseille. 

Vadalde  était  évéque  de  Marseille,  en  814.  Or,  a  par  un  capi- 
tulaire  de  l'an  812,  Charte  magne,  dit  M.  le  chanoine  Albanés, 
avait  prescrit  d'inventorier  les  biens  des  évéchés  et  desabbayes. 
Wadalde  s'était  empressé  d'obéir,  et  dès  l'année  814  qui  cor- 
respond à  l'indiction  VII  il  dressait  l'état  des  possessions  de  son 
église,  y  compris  les  domaines  de  Saint-Victor,  avec  le  rôle  de 
toutes  leurs  dépendances,  des  serfs  ou  mancips  attachés  à  cha- 
cune et  des  redevances  qu'ils  devaient  payer.  C'est  ce  que  l'on 
nomme  le  Polyptique  de  WadaJde(l).»  Ce  Polyptique,  ce  par- 
chemin précieux  eiiste  encore.  Il  fut  découvert,  il  y  a  quelque 
vingt  ans,  par  Mortreuil  et  Eothen  dans  les  archives  du  dépar- 
tement (2).  Or,  À  un  endroit  du  Polyptique,  on  lit:«Descriptio 
mancipiorum  aanctae  Maria?  et  sancti  Cyrici  martyris  massi- 
liensis  factum  temporibus  Vuadaldi  episcopi  de  indictione 
VII  (3).  s  Ces  mots  *  Sancti  Cyrici  massiliensis  »  ou  «  mar  - 
tyris  massiliensis  »,  qui  reviennent  par  trois  fois  dans  le 

(1)  Armoriai  et  Sigillographie  des  évéques  de  Marseille,  par  H.  le 
chanoine  Albanie,  XVII,   V vadalde,  811-818. 

(2)  La  Majar,  par  Bousquet,  pp.  lit,  460.  —  Gartulaire  de  Saint- 
Victor,  préface,  1. 1,  p.  10. 

(3)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  t.  II,  pp.  633  et  sulv. 


—  640  — 

Polyptique  (1),  sont  faits  pour  surprendre  tout  d'abord.  Saint 
Cyr,  quoique  patron  de  l'abbaye  cassianite,  n'est  pas  un  martyr 
de  Marseille.  De  plus,  Mortreuil  fait  remarquer  c  qu'il  est 
facile  de  reconnaître,  sur  la  charte,  qu'un  nom  qui  figurait 
plus  anciennement  dans  le  texte  a  été  gratté  et  qu'on  lui  a 
substitué  assez  maladroitement  celui  de  Saint-Cyr  (2).  »  Ce 
changement,  vu  la  forme  des  lettres,  aurait  été  fait  au  XI'  siè- 
cle, selon  Mortreuil  et  André  (3),  au  XII* selon  l' annotateur  du 
cartulaire  (4).  On  peut  même  reconnaître  la  trace  des  lettres 
qui  désignaient  Saint-Victor,  lui  vraiment  martyr  de  Mar- 
seille (5). 

Pourquoi  ce  changement?  André  et  Mortreuil  disent  que 
peut-être,  à  cette  époque,  «  quelques  terres  qui  composaient 
autrefois  le  domaine  de  l'abbaye  furent  attribuées  à  Saint- 
Sauveur,  qui  susbtitua,  en  suite  de  cette  cession,  le  nom  de 
Saint-Cyr  au  mot  primitif  (6).  »  Cela  peut  être.  Car,  vers  le 
début  du  XI*  siècle,  alors  que  l'abbaye  cassianite  se  relevait  de 
ses  ruines,  qu'Elgarde  en  1004,  plus  tard  Valburge  en  1038,  el 
la  vicomtesse  Stéphanie  en  1050,  la  dotaient  de  quelques  biens, 
l'évêque  de  Marseille  put  donner  à  cette  abbaye  quelques  ter- 
res appartenant  jadis  au  monastère  de  Saint-Victor.  Et,  soit 
qu'il  le  fit  de  son  propre  chef,  soit  qu'il  en  fût  prié  par  les 
religieuses  de  Saint-Sauveur,  il  effaça  le  mot  de  Saint-Victor 
et  mit  en  sa  place  celui  de  Saint-Cyr.  Il  est  possible  encore 
que  l'abbaye  de  Saint-Victor,  voulant  contribuer  &u  rétablis- 
sement du  monastère  des  religieuses,  ait  donné  elle-même  quel- 
ques biens,  qui  furent  inscrits  sous  la  rubrique  de  Saint-Cyr. 

A  notre  avis,  cependant  ce  n'est  point  là  la  véritable  expli- 
cation. Ce  fut  au  XIe  ou  au  XII'  siècle  qu'eut  lieu  cette  substi- 


(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t,  II,  pp.  633,  641,  652. 

(2)  Bousquet,  La  Major,  cite,  p.  466,  une  partie  du  travail  de  Mortreuil 
imprimé  à  part  plus  tard  sous  le  titre  de  :  Possessions  de  V Eglise  de 
Marseille  au  IX*  siècle. 

(3)  Bousquet,  op.  cit.,  p.  466.  —  André,  Histoire  de  Vabbaye  des 
religieuses  de  Saint-Sauveur,  p.  15. 

(4)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t.  II,  p.  633.  * 

(5)  Bousquet,  La  Major,  p.  466,  citant  Mortreuil. 

(6)  Bousquet,  La  Major,  pp.  466,  467.  —  André,  op.  cit.,  p.  15. 


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tution  de  mots.  Or,  l'abbaye  cassianite,  au  XI*.  siècle,  n'était  pas 

sous  le  vocable  de  Saint-Cyr,  mais  sous  celui  de  Sainte-Marie 

ou  de  Saint-Sauveur.  Si  donc,  au  XV ,  siècle,  l'évoque  avait 

donné  quelques  biens  à  Saint-Sauveur,  on  les  aurait  inscrits 

sur  le  Polyptique,  non  pas  sous  la  rubrique  de  Saint-Cyr,  mais 

sous  celle  de  Saint-Sauveur.  C:est  le  nom  de  Saint-Cyr  que  l'on  '-$ 

écrit,  il  faut  donc  chercher  une  explication  autre  que  celle 

donnée  par  André  et  Mor treuil. 

L'abbaye  cassianite  de  Saint-Sauveur  reçoit  de  l'évoque,  au 
XI*  siècle,  des  biens  faisant  partie  du  domaine  de  Saint- Victor. 
Si  elle  les  fait  inscrire  sous  la  rubrique  de  Saint-Cyr,  c'est 
qu'elle  a  une  intention  bien  arrêtée.  Elle  veut  rappeler  que 
ces  biens  lui  ont  appartenu  jadis,  alors  qu'elle  était  sous  le 
vocable  de  Saint-Cyr,  et  faire  savoir  que  ces  biens,  unis  en  814 
au  domaine  de  Saint- Victor,  avaient  été  autrefois  la  propriété 
de  l'abbaye  de  Saint-Cyr,  avant  d'avoir  été  la  propriété  de 
celle  de  Saint-Victor.  C'est  un  titre  ancien  de  propriété  qu'elle 
exhume. 

Comment  ces  biens  faisaient-ils  partie  du  domaine  de  Saint- 
Victor  vers  814  ?  Peut-être  parce  qu'ils  avaient  été  primitive- 
ment donnés  par  Saint- Victor  à  l'abbaye  cassianite  et  qu'à  la 
suite  des  invasions,  de  la  destruction  de  l'abbaye,  Saint- Victor 
les  avait  repris,  comme  bien  lui  appartenant.  L'évêque,  au 
lieu  de  les  réunir  à  sa  mense  épiscopale,  les  avait  laissés  aux 
moines,  leurs  possesseurs  primitifs.  Mais,  au  XI'  siècle,  Saint- 
Victor  les  remet  de  nouveau  à  Saint-Sauveur,  l'ancienne 
abbaye  de  Saint-Cyr.  Saint-Sauveur,  pour  rappeler  cette 
antique  donation,  les  garda  sous  leur  ancienne  dénomination, 
quoique  elle-même  eût  changé  de  vocable.  Cette  explication 
bous  parait  plus  logique  que  la  première. 

Ainsi  donc,  en  814,  Saint-Victor  est  déjà  en  possession  de  ces 
biens,  puisque  le  nom  de  Saint- Victor  se  lit  sur  le  Polyptique 
qui  les  énumère.  Donc,  avant  814,  l'abbaye  de  Saint-Cyr  a  dû 
subir  quelque  désastre,  puisque  un  autre  possède  ses  biens. 
Or,  cette  date  de  814  correspond  à  la  fin  du  règne  de  Charle- 
magne  et  il  est  impossible  de  placer  ce  désastre  durant  le 
règne  du  grand  empereur  (de  768  à  814).  Durant  ce  laps  de 
temps,  en  effet,  les  Sarrasins  n'ont  pas  abordé  nos  côtes,  au 


à 


—  642  — 

rapport  d'Eginhard.  Il  s'ensuit  donc  que  cette  ruine  de  l'ab- 
baye de  Satnt-Cyr,  indiquée  par  ce  changement  dans  l'admi- 
nistration de  ses  biens  a  dû  se  produire  plus  tôt.  Or,  d'une  part, 
on  Ta  vu  plus  haut,  on  ne  peut  placer  aux  V\  VI*  et  même  au 
VII*  siècles  cette  destruction,  cette  ruine  du  monastère  ;  d'autre 
part,  durant  le  VIII*  siècle,  les  Sarrasins  ont  ravagé  Marseille, 
et  la  tradition  les  accuse  du  massacre  de  sainte  Eusébie.  Donc, 
c'est  durant  le  VIII*  siècle  que  notre  chère  sainte  a  succombé. 


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CHAPITRE  V 
Les  Sarrasins  ont  martyrisé  sainte  Eusébie  en  738. 

CHARLES  MARTEL  EN  8AXB,  EN  738.  —  AUTBUR8  QUI  L'AFPIRMBNT.  — 
PENDANT  CE  TEMPS  LES  SARRASINS  SONT  A  MARSEILLE.  —AUTEURS 
ET  ANNALISTES  ANCIENS,  AUTEURS  ET  HISTORIENS  MODERNES.  — 
MAU  BONTE  N*A  DÉPENDU  PERSONNE  A  HAR8EILLB  CONTRE  LES 
8ARRAS1N8. 

Nous  précisons  davantage.  C'est  en  738  que  sainte  Eusébie 
a  été  martyrisée.  Pour  prouver  notre  assertion,  nous  n'avons 
qu'à  établir  que  durant  Tannée  738  les  Sarrasins  se  trouvaient 
à  Marseille  ;  que  Mauronte  n'a  pas  empêché  le  massacre  des 
Cassianites  et  que  celles-ci  habitaient  à  ce  moment  leur  mo- 
nastère. 

Que  ces  barbares  se  trouvassent  à  Marseille  en  cette  année 
terrible,  c'est  ce  qu'indique  le  seul   récit  des    événements, 


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appuyé  sur  le  témoignage  des  chroniqueurs  anciens  et  sur  j 

celui  des  auteurs  modernes.  î 

M.  de  Rey,  qui  a  étudié  en  détail  les  invasions  des  Sarra-  J: 

sins  en  Provence,  dit,  en  un  endroit  de  son  ouvrage  :  «  Pour 
récapituler  les  différents  textes  qui  nous  ont  servi  à  connaître 
l'histoire  de  ces  invasions,  les  Sarrasins  prirent  une  première 
fois  Avignon  en  737.  Charles  Martel,  après  les  avoir  écrasés, 
passe  le  Rhône,  assiège  Narbonne,  bat  de  nouveau  les  infi- 
dèles dans  la  vallée  de  Gorbières  en  737  ou  au  commence- 
ment de  738  ;  en  738  il  va  en  Saxe.  Les  Sarrasins  s'emparent 
une  seconde  fois  d'Arles  et  d'Avignon.  Le  duc  d'Austrasie 
revient  en  février  739  ;  aidé  par  le  roi  Luitprand  qui  garde  la 
frontière  de  Test,  il  les  chasse  de  leurs  conquêtes  (i).  »  Ce  court 
résumé  nous  indique  l'époque  précise  de  la  présence  des 
Sarrasins  à  Marseille  :  c'est  le   moment  où  Charles  Martel  va 

(1)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  47. 


—  644  — 

en  Saxe  et  où  les  Sarrasins,  mettant  à  profit  l'éloignement  de 
leur  adversaire,  s'emparent  une  fois  encore  d'Arles  et 
d'Avignon. 

En  prouvant,  contre  de  Belsunce,  Papon  et  Augustin  Pabre, 
qu'en  737  les  Sarrasins  n'avaient  pu  martyriser  notre  sainte 
Eusébie,  parce  que;  en  cette  année,  ils  n'étaient  pas  venus 
jusqu'à  Marseille,  nous  laissions  Charles  Martel  à  sa  villa 
de  Verbery-sur-Oise,  à  la  Noël  de  737.  Or,  les  peuplades 
germaines,  qui  n'étaient  pas  complètement  soumises,  s'agi- 
taient au  fond  de  leurs  sombres  forêts.  L'éloignement  du 
maître  en  737,  la  mort  de  Thierry  IV  arrivée  en  celte 
année  (1),  le  choix  à  faire  d'un  nouveau  roi,  tout  contribuait 
à  surexciter  les  esprits.  On  épiait  une  occasion  propice.  Mais 
Charles  Martel  ne  se  pressa  pas  de  donner  un  successeur  à 
Thierry  IV  et,  voulant  prévenir  les  Saxons,  il  entreprit  contre 
eux  une  expédition  nouvelle. 

Cette  opération  militaire  eut  lieu  en  738,  disent  les  chroni- 
queurs et  les  annalistes.  Nous  lisons,  en  effet,  dans  la  Chroni- 
que de  Quedlinbourg,  àladate  de  738  :  «  Charles  vint  denouveau 
en  Saxe  et  en  soumit  les  habitants  au  tribut  (2).  »  —  Dans  celle 
de  Vissembourg,  toujours  à  la  même  date,  mêmes  expres- 
sions aussi  (3).  —  Dans  la  Chronique  de  Lambert,  sous  la  date 
de  739,  mais  avec  la  mention  en  note  que  c'est  de  Tan  738 
qu'il  s'agit,  toujours  même  affirmation  (4).  —  Les  Annales  de 
Metz  fournissent  le  même  témoignage:  «  En  738, disent-elles, 
le  prince  Charles  iraverse  le  Rhin,  envahit  la  Saxe,  prend  des 
otages  aux  peuples  qui  habitent  cette   région,  soumet  ce  pays 

(1)  Thierry  était  mort  en  avril  ou  en  septembre  737.  (Chronique 
d'Adhémar  ;  Dom  Bousquet,  Recueil  des  historiens  des  Gaules,  t.  II 
p.  575.) 

(2)  Annales  Quedliburgenses  :  «  738,  Karolus  Saxoniam  iterum  introi- 
vit  et  fecit  eos  tributarios.  >  Patrologie  latine,  édition  Migne,  t.  CXLI, 
col.  469. 

(3)  Annales  Veissemburgenses  :  «  738  (739),  Karolus  Saxoniam  iterum 
intravit  et  fecit  eos  tributarios.  »  Patrologie  latine,  édition  Migne, 
t.  CXLI,  col.  469, 

(4)  Annales  Lambert i,  rédigées  en  1077,  «  739,  Carolus  intravit 
Saxoniam  iterum  et  fecit  eos  tributarios.  »  D.  Bousquet,  Recueil  des 
historiens  des  Gaules,  t.  III,  p.  349. 


—  645  — 

à  son  autorité  et  lui  impose  un  tribut  (1).  »  —  À 
leur  tour,  les  Annales  Nazariennes  affirment  qu'en  738 
«  Charles  entre  dans  la  Saxe  (2).  »  —  Les  Annales  Pitaviennes 
disent  de  même  :  a  En  738,  Charles  entre  dans  la  Saxe  (3).  a  — 
Dans  la  Chronique  d'Herman  Contractus,  mort  en  1054, 
sous  la  date  de  737,  mais  avec  la  note  en  marge  738, 
môme  assertion  (4). — Ainsi  encore  dans  les  Annales  des  Francs, 
par  un  moine  de  Fulda(5).  —  La  Chronique  d'Adhémar,  enfin, 
raconte  qu'en  738  Charles  marcha  contre  les  Saxons,  païens 
rebelles,  qui  habitaient  au-delà  du  Rhin  ;  il  les  battit  au 
confluent  de  la  Lippe  ;  puis,  traversant  cette  rivière,  il  ravagea 
la  Saxe,  imposa  un  tribut  à  ses  habitants,  leur  prit  des  otages 
et,  victorieux  par  le  secours  du  Tout-puissant,  il  revint  à  son 
palais  (6). 

C'est  donc  bien  en  738  qu'a  eu  lieu  cette  expédition  de 
Charles  Martel  en  Saxe.  Il  serait,  en  effet,  difficile  de  trouver 
des  témoignages  plus  concluants  que  les  écrits  de  ces  histo- 
riens antiques. 

Ceux  mômes  qui,  à  l'exemple  du  rédacteur  des  Annales  de 
Fulda(7),  font  aller  Charles  Martel  en  Saxe,  en  737,  sont  au  fond 


(1)  Annales  Metenses  :  «  738,  Carolus  princeps  Rhenum  transiens 
Saxoniamque  hostiliter  invadens,  Saxones,  obsidibus  captis,  propriae 
ditioni  restitua,  ipsosque  tributarios  iterum  fecit.  »  D.  Bousquet, 
Recueil  des  historiens  des  Gaules,  t.  II,  p.  685. 

(S)  Annales  Nasarianœ  :  «  738,  Karolus  intravit  in  Saxoniam.  » 
D.  Bousquet,  op.  cit.,  p.  640. 

(3)  Annales  Peiavianœ  :  «  738,  Karolus  intravit  in  Saxoniam.  » 
D.  Bousquet,  op.  cit.,  p.  642. 

(4)  Hermanni  Contracti  Chronicon  :  «  737  (738),  Karolus  Saxones 
victos  tributarios  fecit.  »  D.  Bousquet,  op.  cit.,  t.  II,  p.  331. 

(5)  Annales  Francorum  :  «  738,  Karolus  tributarios  fecit  Saxones.  » 
D.  Bousquet,  op.  cit. ,  p.  648. 

(6)  Adhemari  Chronicon  :  e  738,  Item  contra  Saxones  paganissimos 
rebellantes,  quae  ultra  Rhenum  fluvium  consistant,  vir  strenuus  Carolus 
hostem  commovit  Francorum,  in  loco  ubi  Lippia  fluvius  Rhenum 
intrat.  Quo  transmeato,  maximam  partem  région is  illius  prostravit  et 
gentem  illam  ssevissimam  tributariam  fecit,  et  plures  obsides  ab  eis 
accepit,  sicque  victor,  opitulante  Domino,  remeavit  ad  propria.  »  D. 
Bousquet,  op.  cit.,  t.  II,  p.  575. 

(7)  Annales  Fuldenses  :  «  737,  Carolus  Saxones  tributarios  fecit.  »  D. 


—  646  — 

d'accord  avec  les  annalistes  cités  plu?  haut.  L'expédi- 
tion contre  les  Saxons  a  pu,  à  la  rigueur,  commencer  en  737 
et  se  terminer  en  738,  et  l'écrivain  ne  donner  que  la  date  du 
début  de  l'expédition.  Il  y  a  mieux,  on  peut  supposer  que  dans 
le  pays  de  ce  moine  Tannée  commençait  en  mars,  à  la  fête  de 
l'Incarnation  ou  A  Pâques.  L'expédition,  que  nofls  plaçons 
au  début  de  738,  suivant  notre  manière  de  compter  l'année, 
aurait  eu  lieu  réellement,  pour  ce  moine  de  Fulda,  à  la  fin  de 
737(1). 

Or,  pendant  que  Charles  Martel  guerroyait  dans  le  nord 
contre  les  Saxons,  que  devenait  la  Provence  ?  Sachant  son  maî- 
tre fortement  occupé,  Mauronte  jeta  cette  fois  tout  masque 
et  toute  retenue  et  appela  les  Sarrasins  de  Narbonne.  Ceux-ci, 
sachant  que  leur  terrible  adversaire  était  engagé  loin  d'eux, 
répondirent  à  l'appel  du  traître  et  leurs  bandes  innombrables, 
traversant  de  nouveau  le  Rhône,  s'emparèrent  d'Arles,  d'Avi- 
gnon, descendirent  à  Marseille  et  y  mirent  tout  à  feu  et  à  sang 
C'est  là.  encore  un  fait  certain. 

Les  Sarrasins,  en  effet,  vinrent  à  Marseille  en  cette  année 
738.  Ils  ont  pris  Arles,  Avignon.  Paul  Diacre,  Sigebert,  Bkeard 
l'affirment  (2).  Mais  là  ne  se  sont  pas  bornés  leurs  ravages. 

Bousquet,  op.  cit.,  p.  675.  Il  est  à  noter,  en  effet,  qu'en  marge,  l'éditeur 
de  ces  annales  ou  le  premier  copiste  indique  Tannée  738. 

(i)Au  V- siècle,  les  Francs  commençaient  Tannée  en  mars,  Grégoire 
de  Tours  suit  ordinairement  cet  usage.  Charlemagne  fit  revenir  à  la  mode 
romaine,  qui  commence  l'année  au  l*r  janvier  ou  au  25  décembre.  Ce- 
pendant, aux  IV-,  V8  siècles,  on  rencontre  encore  l'ancien  usage.  En  Aqui- 
taine, en  Languedoc,  en  Limousin,  on  le  trouve  jusqu'aux  XII*  et  XIII" 
siècles.  De  même  dans  le  nord  de  la  France  et  de  l'Europe.  (Dictionnaire 
de  diplomatique  chrétienne,  édit.  Migne.  col.  60 et  suiv.,  verbo  année. 
—  Cartulaire  de  Siint-Victor,  1. 1,  préface,  p.  XIV.) 

(2)  Paulus  Diaconus  :  «  739,  Iterato  Sarraceni  Galloram  fines  îngressî, 
usque  in  Provinciam  venerunt  et,  capto  Arelate,  omnia  circumquâque 
demolitisunt.  »  D.  Bousquet,  op.  cit.,  t.  III,  p.  639.  —  Il  est  visible  qu'il 
s'agit  de738,  puisque,  dès  février  739,  Childebrand  en  chassa  lesSarrasiiis. 

Sigebert  de  Gembloux  :«739.  Arelate  urbe  Galiiarum  capta  a  Sarra- 
cenis,  et  omnibus  circumquâque  demolitis.  »  —  Ici  encore  il  s'agit  visi- 
blement de  738. 

Ecckeard  :  «  739.  Sarraceni  Gallias  invadentes,  ceperunt  A  relatera 
civitatem.  »—  Même  observation  que  tantôt.  —  Patrologie  latine,  édit. 
Migne,  t.  CLIV,  col.  834. 


-  647  - 

Paul  Diacre  ajoute  :  a  qu'ils  ruinèrent  tout  aux  environs  ». 
Aussi  la  plupart  des  chroniqueurs  affirment  que  Charles  Martel 
vint  jusqu'à  Marseille,  en  chassa  Mauronte  et  les  Sarrasins.  La 
chronique  de  Fontenelle  dit,  en  effet,  que  «  rassemblant  son 
armée  entière,  Charles  Martel  parcourut  toute  la  Provence 
jusqu'à  la  mer,  arriva  à  Marseille  et  mit  en  fuite  Mauronte  (1). 
Une  telle  marche  militaire  fait  supposer  que  Charles  Martel 
chasse  et  bat  devant  lui  les  Sarrasins.  Les  Sarrasins  se  trou- 
vaient donc  dans  nos  contrées.  Ils  y  étaient  si  réellement,  que 
Mauronte  en  était  appelé  le  chef  et  le  roi.  C'est  le  titre  qu'un 
chroniqueur,  Adémar,  donne  au  duc  de  Marseille  (2). 

Dans  Frédégaire,  nous  lisons  «  que  Charles  Martel  vint  en 
toute  haie,  remit  sous  son  autorité  et  sa  domination  toute  la 
région  jusqu'au  rivage  de  la  mer,  repoussant  Mauronte  dans  les 
montagnes  impénétrables  de  la  côte  (3).  »  Toute  la  région  delà 
Provence  et  de  Marseille  était  donc  la  prote  des  barbares, 
puisque  Charles  fut  obligé  de  combattre  pour  la  reconquérir. 

Les  Annales  de  Fulde  rapportent  qu'en  l'année  738  et  739 
Charles  Martel,  en  entrant  en  Provence  chassa  devant  lui 
Mauronte  qui  y  avait  appelé  les  Sarrasins  et  soumit  à  sa  puis- 
sance toute  la  contrée  et  tous  les  lieux  habités  sur  les  bords 
de  la  mer  (4).  Marseille  doit  être  comptée  parmi  ces  lieux  habi- 

(1)  ExChronito  FontaneUenst  :  «  739.  Eodem  anuo,  Carolus,  corn* 
moto  exercitu  universali,  totàque  Provinciâ  usque  ad  littus  maris  pera- 
gratâ,  ad  Massiliam  pervenit,  fugato  duce  Mauronto,  »  D.  Bousquet,  op. 
cit.,  p.  660. 

(2)  Chronicon  Adheniari  :  «  Sarraceni,  consentientibus  christiania  in- 
fidelibus,  per  dolum  et  fraude  m,  cum  rege  suo  Mauronto,  Avenionem 
ingrediuntur.  »  D.  Bousquet,  opy  cit.,  p.  575.  —  Chronique  d'Adhémar  : 
«  Fugato  rege  Sarracenorum,  nomine  Aronto.  »  (D.  Bousquet,  op.  cit.) 

(3)  «  Carolus  prœproperaos  peracessit,  cunctamque  regionem  usque 
littus  maris  magni  suœ  domination!  restituit.  fugato  duce  Maurouto, 
impenetralibus  tutissimis  rupibus  mari ti mis  munitionibus.  »  Troisiè- 
me continuateur  de  Frédégaire. 

(4)  Annales  Fuldenses  :  a  738  (en  marge  :  739).  Carolus  regionem 
Proviociam  ingressus,  Maurontum  ducem  qui  dudûm  Sarracenos  per 
dolum  invitaverat,  fugere  compulit.— 739.  Carolus  Provinciâ  m  totam 
et  cunctaejus  maritima  loca  suœditioni  sugebit.  >  (  D.  Bousquet,  op.  vit., 
p.  675.) 


—  648  - 

tés,  près  de  la  mer.  Mauronte  y  avait  appelé  les  Sarrasins, 
puisque  Charles  l'en  fit  sortir  en  môme  temps  que  ces  barbares. 

À  leur  tour,  les  Annales  de  Quedlinbourg  (  1),  de  Vissembourg, 
de  Lambert,  les  Nazariennes  les  Pitaviennes,  etc.  attestent 
«  que  Charles  vint  en  Provence  et  pénétra  jusqu'à  Marseille  ». 
Les  Sarrasins  y  étaient,  puisque  Charles  les  en  éloigna.  Même 
témoignage  dans  les  Annales  de  Metz  (2). 

Ainsi  donc,  de  l'avis  des  chroniqueurs,  les  Sarrasins  se  trou- 
vaient en  Provence  et  à  Marseille  avec  Mauronte,  lorsque 
Charles  Martel,  de  retour  de  l'expédition  de  Saxe,  vint  les 
mettre  en  fuite.  Or,  nous  savons  par  ces  mêmes  annalistes  que 
Charles  vint  en  nos  contrées  au  début  de  739,  au  mois  de  fé- 
vrier ou  second  mois  de  Tannée  (3).  Donc,  en  738  les  Sarrasins 
étaient  à  Marseille  et  cela  pendant  que  Charles  se  trouvait 
dans  la  Saxe. 

Ne  nous  contentons  pas  du  témoignage  des  chroniqueurs 
anciens.  Voyons  les  historiens  modernes,  relativement  à  ces 
annalistes  cités  plus  haut. 

(1)  Annales  Quedliburgenses  :  «  739.  Carolus  intravit  usque  in  Mas- 
siliam  *  Veissemburgenses  en  739  (740)  et  Chronique  de  Lambert  en  740, 
môme  idées  dans  les  mômes  termes.  En  note,  pour  les  Annales  de  Lam- 
bert, que  les  événements  marqués  sous  la  date  de  740  sont  survenus  en 
739.  (Patrologie  latine,  édit.  Migne,  t.  CXLI,  col.  469.  —  D.  Bousquet, 
op.  cit.,  t.  III,  p.  349.) 

Annales  Nazarianœ  :  «  739.  Karolus  intravit  in  Provinciam  usque 
Massiliam.  »  (O.  Bouquet,  op.  cit.,  t.  I,  p.  640.;  —  Petavianœ,  739; 
lisdem  terminis.  (D.  Bousquet,  op.  et*.,  t,  1,  p.  642.)—  Annales  Franco- 
rum  (Fuldenses)  :  «  739.  Carolus  regiones  Provinciœ  ingrediens...  »  (D. 
Bousquet,  op.  cit.,  1. 1,  p.  646.) 

(2)  Annales  Metenses  :  «  739.  Carolus,  commoto  universali  exercitu,  in 
partibus  Provinciœ  iter  instituit,  Avenionemque  item  cepit,  totâque  Pro- 
vinciâ  usque  ad  littus  maris  peragratâ,  ad  Masiliam  pervenit,  fugatoque 
duce  Mauronto,  qui  quondam  Sarracenos  suae  perfldiae  praesidium  adsci- 
verat,  nulio  jam  relicto  adversario,  totam  illara  regionem  Franco  ru  in 
imperio  subjugavit,  et  cunctis  strenue  dispositis,  ad  propria  re versus  est 
sedes.  »  (D.  Bousquet,  op.  cit.,  p.  685.) 

(3)  Chronique  d'Adhem&r  :  «  Sequenti  anno  (739),  mense  februario, 
praedictum  germanum  suum  Karolus,  eu  m  pluribus  ducibus  et  comiti- 
bus,  commoto  exercitu  in  partes  Provincial  direxit.  »  (D.  Bousquet,  o/i. 
cit.,  p.  575.)  —  Frédégaire,  troisième  continuateur  :  «  Denuo  curriculo 
anni  illius,  mense  secundo.  »  Voir  plus  bas  l'explicatiou  de  ce  texte. 


—  649  — 

Ce  que  nous  disent  les  chroniqueurs,  nos  écrivains  modernes 
le  confirment.  En  termes  plus  ou  moins  explicites  la  plupart 
affirment  la  présence  à  Marseille  des  Sarrasins  en  cette  année 
738.  De  fait,  tous  ceux  qui  placent  la  première  arrivée  de 
Charles  Mariel  en  Provence,  en  737,  pour  reprendre  Avignon 
sur  les  musulmans  et  qui  le  font  retourner  dans  nos  contrées 
en  739  pour  reconquérir  à  nouveau  cette  ville,  mettre  en  fuite 
Mauronte  et  délivrer  Marseille,  admettent  par  là  même  qu'en 
738  les  Sarrasins  se  trouvaient  dans  notre  ville.  C'est  ce  que 
nous  pouvons  lire  dans  M"  de  Belsunce  :  «  Mauronte  traita 
avec  les  Sarrasins,  leur  livra  Avignon  en  737.  Cette  ville  fut 
reprise  par  Charles  Martel,  qui  fut  ensuite  obligé  de  marcher 
contre  les  Sarrasins.  Etant  revenu  deux  ans  après  en  Provence 
avec  son  armée  victorieuse,  il  en  chassa  Mauronte,  s'avança 
jusqu'à  Marseille  et  fit  rentrer  tout  le  pays  sous  sa  domina- 
tion (1)  » .  Donc,  en  738  les  Sarrasins  étaient  à  Marseille. 

C'est  cequePapon  nous  dit  encore.  Sous  la  rubrique  de 
l'année  738,  cet  auteur  écrit  :  a  Charles  était  sur  le  point  de 
soumettre  les  Saxons,  quand  Mauronte,  descendant  des  Alpes 
avec  les  débris  de  son  armée,  ravagea  le  pays  par  le  fer  et 
par  le  feu. . .  Les  infidèles  exercèrent  leurs  cruautés  depuis  les 
Alpes  jusqu'à  Arles. . .  Charles  vint  lui-même  devant  Avignon 
(739).  Mais  il  se  ligua  avec  Luitprand,  roi  des  Lombards. 
Ainsi,  tandis  que  le  prince  français  chassait  les  ennemis 
devant  lui  dans  la  basse  Provence,  Luitprand  attaqua  les  • 
troupes  de  Mauronte  dans  les  Alpes,  les  força  de  se  replier 
vers  lecomté  de  Nice...  (2).  »  En  738  donc  les  Sarrasins  étaient 
dans  la  basse  Provence,  à  Marseille. 

De  Mauléon,  dans  les  Mérovingiens  et  les  Carlovingiens^ 
place  la  première  conquête  d'Avignon  par  Charles  Martel 
en  737  ;  et  la  seconde  en  739,  disant  que  dans  Tinter* 
valle  «  les  Sarrasins  s'étaient  remis  en  possession  du  terri- 
toire momentanément  occupé  par  Charles  ;  ils  avaient  recom- 
mencé leurs  courses  au-delà  du  Rhône  ;  et,  d'intelligence 
avec  Maurdnte,  comte  de  Marseille,  ils  portaient  la  désolation 


(1)  De  Belsunce,  Antiquité  de  l'Eglise  de  Marseille,  t,  I,pp.  J99,20J. 

(2)  Papon,  Histoire  de  Provence,  t.  11,  p.  79; 


—  650  — 

dans  la  Provence  et  le  Dauphiné...  Charles  s'avança  dans  la 
Provence,  reprit  de  vive  force  Avignon,  Arles...  (1)»  Tou- 
jours même  conclusion:  en  738,  les  Sarrasins  étaient  en 
Provence. 

La  Statistique  des  Bouche$-du-Rhône  apporte  un  témoi- 
gnage précis  et  concluant,  a  En  737,  Charles  reprend  Avignon, 
mais  il  est  obligé  de  porter  ses  armes  vers  le  nord,  contre  les 
Frisons.  Les  Sarrasins,  favorisés  par  Mauronte,  patrice  de 
Marseille,  entrèrent  dans  la  Provence,  s'emparèrent  d'Arles  et 
mirent  tout  le  pays  à  feu  et  à  sang.  Charles  revint  en  739. 
Il  divisa  son  armée  en  plusieurs  corps...  Une  dernière  bataille 
se  donna  au  Canet,  tout  près  de  Marseille. . .  (2)  »  Les  Sarra- 
sins ont  été  battus  à  Marseille  en  739.  Mais  ce  n'était  pas 
momentanément  qu'ils  s'y  trouvaient,  en  fuyant  par  exemple 
devant  Charles  Marlel.  Ils  y  étaient  en  738. 

Reinaud,  dans  les  Invasions  des  Sarrasins  en  France, 
raconte  aussi  qu'en  737  Charles  s'empare  d'Avignon,  puis  il  est 
obligé  de  remonter  vers  le  nord,  «  Après  le  départ  de  Charles, 
Mauronte,  qui  avait  pris  la  fuite,  se  montra  de  nouveau  en 
Provence,  et  renoua  ses  relations  avec  les  Sarrasins.  Charles, 
l'ayant  appris,  résolut  de  purger  tout  à  fait  cette  contrée  des 
germes  de  troubles  qui  la  désolaient  depuis  si  longtemps.  En 
739  il  reparut  dans  le  pays.  Mauronte  fut  chassé  de  toutes 
les  positions  qu'il  occupait.  Les  côtes  de  la  mer  où  les  hom- 
mes turbulents  auraient  pu  se  cacher,  furent  visitées  avec  le 
plus  grand  soin.  Charles  fit  occuper  Marseille  par  une  parlie 
de  ses  troupes  (3).  »  En  738,  donc,  les  Sarrasins  élaient  en 
Provence,  à  Marseille,  avec  Mauronte. 

Mentionnons  avec  un  soin  tout  spécial  Amédée  Boudin, 
auteur  d'une  Histoire  de  Marseille  (4).  Cet  auteur  est  d'une 
précision  admirable,  et  il  place  le  martyre  de  sainte  Eusébie, 
comme  nous,  en  738.  Racontant  la  prise  d'Avignon  sur  les 
musulmans  et  l'éloignement   de   Charles  vers   le  nord,  il 

r 

(1)  De  Mauléon,  Les  Mérovingiens  et  les  Carlovingiens,  t.  I,  p.  250 
et  suiv. 

(2)  Statistique  des  Bouches-du- Rhône,  t.  II,  p.  106. 

(3)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  62. 

(4)  Boudin  Amédée,  Histoire  de  Marseille,  p.  116. 


—  651  — 

ajoute  :  [«  Charles  Martel  éloigné,  tout  rentra  en  Provence 
dans  le  même  état  que  précédemment.  Mauronte  reparut  à  la 
tête  des  habitants  et  s'appuya  de  nouveau  sur  les  Sarrasins, 
qui  prirent  et  saccagèrent  Marseille,  Aix  et  Arles.  Marseille 
fut  particulièrement  livrée  à  toutes  les  horreurs  du  pillage  et 
de  la  dévastation . . .  (L'auteur  raconte  ici  le  martyre  de  sainte 
Eusébie.)  A  la  nouvelle  de  l'irruption  des  Sarrasins  en  Pro- 
vence, Charles  Martel  accourt...  prend  d'assaut  Avignon... 
de  là  il  poursuit  les  musulmans  dans  toute  la  Provence,  les 
bat  en  plusieurs  rencontres,  délivre  Marseille  et  les  dépouille 
de  leurs  conquêtes.  »  M.  Boudin  donne  la  date  de  739  pour 
ces  derniers  événements.  Donc  c'est  en  738  que  les  Sarrasins 
sont  à  Marseille. 

Augustin  Fabre,  dans  YHistoire  de  Provence,  dit  aussi 
«  qu'en  737  les  Sarrasins  prennent  Avignon,  Arles,*  Marseille  ; 
qu'en  738  Charles  Martel  est  obligé  de  regagner  les  bords  du 
Khin.  Mais  le  calme  de  la  Provence  ne  fut  pasde  longue  durée. 
Mauronte  et  les  bandes  arabes  réfugiées  dans  les  Alpes  descen- 
dirent de  ces  montagnes.  D'autres  bandes,  venues  de  Septima- 
nie,  entrèrent  aussi  dans  le  pays  qui  reçut  de  nouvelles  bles- 
sures et  jeta  des  cris  de  douleur.  Charles  Martel  se  mit  encore 
en  marche  en  739,  pour  délivrer  une  bonne  fois  la  Provence 
du  joug  de  Mauronte  et  des  Sarrasins...  Il  vint  à  Avignon, 
se  ligua  avec  Luitprand,  roi  des  Lombards.  Tandis  que  les 
Francs  balayaient  les  bords  du  Rhône  et  le  long  des  côtes,  les 
Lombards  opérèrent  dans  les  montagnes  (1).  »  En  738  tou- 
jours, les  Sarrasins  sont  à  Marseille,  en  Provence,  puisqu'ils 
sont  chassés  des  bords  du  Rhône,  et  le  long  des  côtes. 

Alliez  tient  le  même  langage  dans  YHistoire  du  monastère 
de  Lérins  (2)  :  «  En  739,  Charles  Martel  voulut  repousser 
entièrement  les  Sarrasins  de  la  Provence  et  soumettre  les 
chefs  chrétiens  qui  avaient  fait  alliance  avec  eux. . .  Il  deman- 
da le  concours  de  Luitprand.  Charles  s'empara  de  Marseille 
et  lit  visiter  avec  soin  les  côtes  de  la  mer  où  les  vaincus 
avaient  pu  chercher  un  abri.  On  ne  sait  ce  que  devint  Mau- 


(1)  Fabre  Augustin,  Histoire  de  Provence^  1. 1,  p.  317. 

(2)  Alliez,  Histoire  du  monastère  de  Lérins,  t.  I,  p.  411. 


—  652  — 

ronte.  »  Si  Charles  Martel  chasse  les  Sarrasins  de  Marseille, 
en  739,  c'est  qu'ils  y  étaient  en  738,  l'expédition  de  739  s'étant 
faite  en  février  ou  en  mars. 

M.  de  Rey  est  de  cet  avis  dans  les  Invasions  des  Sarrasitis 
en  Provence:  «  Si  grands  qu'eussent  été  les  succès  de  Charles 
Martel,  cependant  sa  domination  sur  la  Provence  n'était  pas 
rétablie.  Entraîné  en  Gothie  par  le  désir  de  frapper  les  Sarra- 
sins dans  Narbonne  même,  il  avait  laissé  le  duc  Mau ronte 
maître  du  pays  entre  la  Durance  et  la  mer.  Ce  traître  était 
rentré  dans  Marseille,  et  auprès  de  lui,  sans  doute,  s'étaient 
ralliés  les  débris  de  l'armée  musulmane  écrasée  à  Avignon. 
Le  duc  d'Auslrasie  n'eut  pas  plus  tôt  quitté  la  Septimanie  que 
les  Sarrasins  reparurent  devant  Arles,  qu'ils  prirent  et  ruinè- 
rent entièrement.  Arles  prise,  les#  Arabes  marchèrent  sur 
Avignon,  où  ils  s'établirent.  Tout  alla  bien  pour  eux  pendant 
quelques  mois.  Mais,  dès  que  Charles  Martel  eut  dompté  les 
Saxons  révoltés,  il  ramena  son  armée  en  Provence. . .  Charles 
Martel  descendit  jusqu'à  Marseille,  poursuivant  les  bandes 
sarrasines  et  chassa  de  cette  ville  le  rebelle  Mauronte  (I).  « 
Et  ces  événements  sont  arrivés,  M.  de  Rey  le  dit,  en  737,  en  738 
et  en  739.  En  739,  donc,  nous  trouvons  les  Sarrasins  à  Mar- 
seille. 

Dans  la  Notice  sur  sainte  Eusébie,  insérée  dans  Les  Saints 
de  f  Eglise  de  Marseille,  hi  même  auteur  s'exprime  en  ces 
termes  :  «  En  737,  le  gouverneur  de  Marseille,  Mauronte,  se 
révolta  contre  Charles  Martel  et  appela  à  son  aide  les  Arabes 
de  la  Septimanie.  Les  infidèles  prirent  Arles  et  Avignon.  Mais, 
peu  de  temps  après,  dans  le  courant  de  cette  môme  année,  ils 
furent  vaincus  et  écrasés  dans  Avignon  même  par  le  terrible 
duc  d'Austrasie. . .  Celui-ci,  rappelé  dans  le  nord  de  ses  Etats 
par  une  révolte  de  Saxons,  abandonna  cette  guerre  et  Mauronte 
rentra  à  Marseille.  En  739,  profitant  de  l'éloignement  de  son 
maître,  Mauronte  fit  une  nouvelle  tentative  et,  attirant  encore 
les  infidèles,  il  reprit  Arles  et  Avignon.  Mais  ce  ne  fut  pas 
pour  longtemps.  Charles  Martel  revint  vers  lui,  le  chassa  d'A- 
vignon, le  poursuivit  jusqu'à  Marseille  et  le  rejeta  avec  quel- 

(1)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  pp;  42,  43,  47* 


—  (553  — 

ques  bandes  de  Sarrasins  dans  les  montagnes  du  littoral  (1).  » 
Il  y  a,  croyons-nous,  une  petite  faute  d'impression  dans 
cette  date  de  739,  qui  est  donnée  ci-dessus.  C'est  738  qu'il  fau- 
drait lire.  Car  Charles  Martel  et  Childebrandsonfrère étant  arri- 
vés sous  les  murs  d'Avignon  pour  le  reprendre,  en  février  739, 
on  ne  peut  placer  dans  la  courte  durée  de  ces  deux  mois  l'appel 
fait  aux  infidèles  par  Mauronte,  la  prise  d'Arles  et  d'Avignon. 
D'autant  plus  que  M.  de  Rey,  dans  Tes  Invasions  des  Sarra- 
sins en  Provence  (2),  écrit  :  a  En  738,  Charles  va  en  Saxe  ;  les 
Sarrasins  s'emparent  encore  d'Arles  et  d'Avignon,  le  duc 
d'Austrasie  revient  en  février  739,  et  les  chasse  de  leurs  con- 
quêtes.» Sous  le  bénéfice  de  cette  observation,  nous  disons  :  Si 
Mauronte  rentre  à  Marseille  en  738  ;  s'il  attire  les  infidè- 
les ;  s'il  prend  Arles  et  Avignon  ;  s'il  en  est  chassé  par  le  duc 
d'Austrasie  en  739,  poursuivi  jusqu'à  Marseille  et  rejette  avec 
des  bandes  de  Sarrasins  dans  les  montagnes,  incontestable- 
ment durant  l'année  738  les  Sarrasins  se  trouvaient  à  Mar- 
seille. 

M.  Grinda  tient  en  résumé  la  même  opinion  que  nous. 
Dans  les  extraits  de  sa  Monographie  de  V abbaye  de  Saint- 
Victor-lez- Marseille %  publiés  par  YEcho  de  Notre-Dame 
de  la  Garde,  nous  lisons  :  a  On  peut  encore  placer  le  mar- 
tyre des  religieuses  cassianites  en  l'année  738,  alors  que  le 
traître  Mauronte,  chassé  d'Arles  et  d'Avignon  dont  il  s'était 
emparé  avec  l'aide  des  Sarrasins  venus  de  la  Septimanie,  se 
réfugiai  Marseille,  entraînant  à  sa  suite  les  restes  de  l'armée 
des  infidèles.  Pendant  les  deux  années  qu'ils  l'occupèrent,  ils 
ont  pu  commettre  cet  horrible  méfait  (3).  »  On  le  voit,  en  738 
les  Sarrasins  se  trouvaient  à  Marseille. 

L'abbé  Darras,  dans  le  tome  XVII  de  V Histoire  générale  de 
de  l'Eglise,  est  aussi  précis  qu'il  est  possible  :  «  Charles  avait 
à  peine  ramené  ses  armées  victorieuses  au  confluent  du  Rhin 
et  de  la  Lippe,  refoulé  les  Saxons  dans  leur  ancien  territoire  et 
reçu  d'eux  un  nouveau  serment  de  fidélité,  quand  il  apprit  que 

(I  )  De  Rey,  Les  Saints  de  l'Eglise  de  Marseille,  p.  228. 

(2)  De  Rey,  Invasions  desSawasins  en  Provence,  pp.  45,  47. 

(3)  Grinda,  Monographie  de  l'abbaye  de  Saint-Victor-les-Marseille. 
dans  YEcho  de  Notre-Dame  de  la  Garde,  1888,  n°  345,  p.  605. 

42 


—  654  — 

Maurontius  venait  de  rentrer  en  Provence,  suivi  de  ses  alliés, 
les  Arabes,  qui  s'étaient  réinstallés  à  Marseille,  à  Arles  jusqu'à 
Avignon.  Cette  fois  encore,  une  armée  lombarde  franchit  les 
Alpes,  rejoignit  Charles  Martel  et  Hildebrand,  qui  accoururent 
eux-mêmes  de  la  Germanie  avec  leurs  troupes  infatigables 
(739).  Après  des  combats  sanglants,  Avignon,  Arles,  Marseille, 
tout  le  territoire  compris  entre  la  Durance  et  la  Méditerranée 
furent  successivement  reconquis  (l).s  C'est  bwn  catégorique. 
En  738,  les  Sarrasins  étaient  à  Marseille  avec  Mauronte. 

Inutile  d'épiloguer  sur  le  manque  de  précision  dans  les  ter- 
mes dont  se  servent  les  auteurs  sur  ce  point  spécial  qui  nous 
occupe,  à  savoir  :  si  les  Sarrasins  étaient  à  Marseille,  en  738.  A 
peu  près  tous  disent  que  Mauronte  et  les  Sarrasins  reprirent 
Arles  et  Avignon,  que  Charles  Martel  poursuivit  Mauronte  et 
ses  bandes  alliées  jusqu'à  Marseille;  mais  à  peine  deux  ou 
trois  affirment  catégoriquement  que  durant  cette  année  les  Sar- 
rasins furent  à  Marseille.  N'importe  cependant,  ce  que  les  au- 
teurs ne  disent  pas  en  propres  termes  peut  très  bien  se  dédui- 
re, comme  nous  l'avons  fait,  de  leur  manière  de  s'exprimer. 
Un  point  d'ailleurs  domine  toute  la  question.  Il  est  certain 
qu'en  738  Charles  Martel  se  rendit  en  Saxe  (2),  et  en  739,  au 
mois  de  février,  il  redescendit  en  Provence  pour  chasser  les 
Sarrasins  (3).  Donc,  en  738,  les  Sarrasins  se  trouvaient  dans 
notre  ville.  Quelle  que  soit  l'élasticité  des  expressions  que  les 
auteurs  emploient,  la  logique,  le  bon  sens,  les  données  histo- 
riques amènent  toujours  à  la  même  conclusion  :  en  738,  les 
Sarrasins  étaient  à  Marseille. 

Or,  Mauronte  a-t-il  empêché  ces  barbares  de  massacrer  les 
Cassianites?  Quelques  auteurs  l'ont  cru,  nous  l'avons  dit  dans 
un  chapitre  précédent.  Suivant  ces  historiens,  la  présence  à 

(1)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XVII,  p.  53. 

(2)  Voir  les  chroniqueurs  cités  plus  haut  dans  ce  même  chapitre. 

(3)  Frédégaire  dit  :  «  Denuo  curriculo  anni  illius.»  De  l'aveu  de  tous, 
il  y  a  là  une  faute  de  copiste.  Les  grandes  chroniques  de  Saint-Denis 
traduisant  Frédégaire,  au  XIII*  siècle,  s'expriment  ainsi  :  «  Au  second 
mois  qui  vint  après».  Les  annotations  de  ce  texte  de  Frédégaire  dans 
la  Patrologie  remarquent  qu'il  faut  lire  :  «  Anno  post  secundo,  deux 
ans  après  737.  »  (Patrologie,  t.  XC VII,  col.  679.)—  Nous  avons  don- 
né le  texte  plus  exact  d'Adhémar. 


—  655  - 

Marseille  du  patrice,  du  duc,  du  gouverneur, —  ce  sont  les 
titres  qu'ils  donnent  à  Mauronte,— *  l'alliance  qu'il  avait  con- 
tractée avec  les  barbares,  aurait  été  une  sauvegarde  pour  la 
cité.  Ces  suppositions  par  trop  favorables  pour  les  Sarrasins  et 
celui  qui  les  avait  appelés,  nous  les  avons  réfutées;  en  réalité 
Mauronte  était  un  traître  à  sa  foi,  un  traître  à  sa  patrie. 

En  admettant  que  l'ambition  démesurée  de  Charles  Martel 
eût  décidé  Mauronte  à  tenter  d'arracher  la  Provence  à  la 
domination  de  ce  prince,  ou  qu'il  ait  voulu  conserver  la  Pro- 
vence à  Eudes  d'Aquitaine,  qui  avait,  parait-il,  des  droits  réels 
sur  cette  contrée  (1),  il  est  incontestable  que  c'était  un  crime 
de  la  part  de  Mauronte  d'appeler  à  son  aide  les  iulidèles,  les 
Sarrasins.  Mieux  que  personne  il  connaissait  ce  que  valaient 
ces  auxiliaires.  On  croit,  en  effet,  qu'à  un  moment  de  sa  lutte 
contre  Charles  Martel,  Eudes  d'Aquitaine  leur  aurait  deman- 
dé secours  (2).  Mais  il  sut  bientôt,  que  ces  alliés  ne  rêvaient 
que  conquêtes  et  pillages,  et  qu'en  s'unissant  tantôt  à  un 
prince  chrétien,  tantôt  à  un  autre,  leur  but  était  de  les  amener 
à  s'exterminer  et  à  s'affaiblir  mutuellement  pour  les  dominer 
plus  facilement  ensuite.  Aussi  le  duc  d'Aquitaine,  devinant 
ce  projet,  s'unit  bientôt  à  Charles  Martel  contre  ses  alliés  de  la 
veille»  Mauronte,  s'il  voulut  imiter  son  prince,  fut  inexcusa- 
ble. Il  savait  ou  il  en  arriverait  ;  mais  il  voulait  devenir  indé- 
pendant, et,  pour  y  parvenir,  il  appela  à  lui  les  ennemis 
de  sa  foi,  de  son  prince,  de  sa  patrie.  Or,  voulez-vous 
qu'un  traître  ait  possédé  assez  d'autorité  morale  sur  de  si 
sauvages  alliés,  pour  les  empêcher  de  piller,  de  saccager  Mar- 
seille? Les  Arabes  étaient  plus  forts  et  plus  nombreux  que  les 
soldats  de  Mauronte.  Celui-ci  fut  bientôt  prisonnier  de  ses 
auxiliaires.  Maîtres  de  Marseille,  ils  y  ont  commis  les  mêmes 


(t)  De  Mauléon,  les  Mérovingiens  et  les  Carlovingiens,  t.  I,  p.  233. — 
L'inscription  trouvée  en  1279  dans  le  tombeau  de  sainte  Marie-Magde- 
leine,  datant  de  716,  lui  donne  le  titre  de  roi  :  «  régnante  Odoino  ».  De 
Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  24. 

(2)  Darras,  Histoire  de  l'Eglise,  t.  XVII,  p.  11.  —  De  Mauléon,  op.  cit., 
t.  I,  p.  263.  —  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  37.  — 
L'Aquitaine  sous  les  derniers  Mérovingiens,  par  D.  Chamard  (Revue 
des  questions  historiques;  janvier  t884). 


-  656  — 

méfaits  qu'ailleurs.  Ailleurs  ils  ont  détruit  les  monastères, 
massacré  les  religieux,  violé  les  vierges,  démoli  les  églises. 
Marseille  n'a  pas  eu  entre  leurs  mains  un  meilleur  sort.  Ce 
n'est  pas  pour  l'amour  de  Mauronte  que  les  Arabes  auraient 
épargné  notre  ville  et  ce  n'est  pas  devant  les  quarante  Cassia- 
nites  et  leur  héroïque  abbesse,  notre  sainte  Ëusébie,  en  sup- 
posant que  Mauronte  eût  intercédé  pour  elles,  qu'ils  auraient 
déposé  leur  sauvage  nature  et  réprimé  leurs  sacrilèges  fu- 
reurs. Mauronte,  qui  était  à  Marseille  en  738,  avec  les  Sarrasins 
n'a  rien  fait  pour  empêcher  le  massacre  de  sainte  Eusébie  et  de 
ses  compagnes. 

Ajoutons,  pour  compléter  notre  démonstration,  que  les  Cas- 
sianites  n'ont  pu  en  cette  année  échapper  au  massacre,  car 
elles  habitaient  leur  monastère,  en  quelque  endroit  qu'on  se 
place. Il  est  incontestable,  en  effet,que  si  lesCassianites  s'étaient 
réfugiées  en  ville  à  ce  moment,  il  eût  été  difficile  de  les  trouver 
réunies  au  nombre  de  quarante,  leur  abbesse  avec  elle,  pour 
subir  le  martyre,  à  moins  de  supposer  que  leur  monastère 
s'élevât  alors  dans  l'enceinte  de  la  cité,  ce  qui  est  en  dehors 
de  toute  tradition,  de  toute  donnée  historique,  à  Marseille, 
nous  l'avons  vu  au  début  de  ce  travail.  Or,  nous  avons  la  tradi- 
tion précise,  formelle  que  sainte  Eusébie  a  souffert  le  martyre 
avec  ses  quarante  compagnes.  Donc  elles  se  trouvaient  non  pas 
réfugiées  en  ville,  mais  dans  leur  monastère.  Marseille  étant 
devenue  la  proie  des  Sarrasins,  les  Cassianites  ne  pouvaient 
s'y  abriter.  L'abbesse  Eusébie  ne  se  berçait  pas  de  l'espoir  de 
dérober  ses  filles  à  la  fureur  des  barbares.  L'ignominie  ou  la 
mort  étaient  inévitables.  Or,  à  courir  un  tel  péril,  autant  va- 
lait l'affronter  toutes  ensemble  aux  pieds  de  l'autel.  C'est  ce 
que  firent  ces  vierges  héroïques.  Dieu  récompensa  leur  foi  en 
leur  accordant  la  gloire  du  martyre. 

D'une  part  donc,  sainte  Eusébie  et  ses  compagnes  se  trou- 
vaient dans  leur  monastère  Mauronte,  n'a  rien  fait  pour  les 
protéger  et  les  Sarrasins  ont  pillé,  saccagé  Marseille  en  738. 
D'autre  part,  la  tradition  nous  dit  qu'Eusébie  et  ses  compagnes 
ont  été  martyrisées  par  les  Sarrasins.  Ce  massacre  n'a  pu  avoir 
lieu  à  une  date  autre  que  celle  de  738.  Donc  c'est  en  738  que 
sainte  Eusébie  et  ses  compagnes  ont  souffert  le  martyre. 


CHAPITRE  VI 


L'indiction  sixième  de  l'inscription  de  sainte  Eusébie. 


ABGUMENTATION.  INDICTIONS  DU  V*  S1ÂCLE,  DU  VI*  SIÈCLE,  DU  VII* 
SIÈCLE.  —INDICTIONS  DU  X*  SIÈCLE,  DU  IX*  SIÈCLE,  DU  VIII*  SIECLE. 
—  ON  NE  PEUT  HISTORIQUEMENT  PLACER  LE  MARTYRE  A  AUCUNE  DE 
CBS  INDICTIONS     SIXIEMES.  —  RESTE  CELLE  DE  738. 


Donnons  une  seconde  preuve  que  sainte  Eusébie  a  été 
martyrisée  en  738.  Nous  supposons  établi  que  l'inscription 
d'Eusébie  est  bien  de  la  sainte  martyre  honorée  par  l'Eglise  de 
Marseille.  Or,  il  y  est  dit  que  cette  Eusébie  est  morte  à  Tin- 
diction  sixième  :  a  recessit  indictione  sexta  ».  Parcourons 
toutes  les  indictions  sixièmes  placées  entre  les  dates  extrêmes 
auxquelles  on  pourrait  fixer  le  massacre  de  sainte  Eusébie;  si 
nous  en  trouvons  une  qui  puisse  servir  de  cadre  à  cet  acte 
barbare,  la  conclusion  sera  que  ce  fait  a  eu  lieu  à  cette  date. 

Suivons  d'abord  les  indictions  sixièmes  qui  se  présentent 
depuis  la  fondation  du  monastère  jusqu'à  l'époque  de  l'inva- 
sion des  Sarrasins,  de  400  à  700. 

Les  indictions  sixièmes  du  V*  siècle  coïncident  avec  les 
années  408,  423,  438,  453,  468,  483, 498  (i). 

Ce  n'est  pas  à  l'indiction  sixième  de  408,  que  le  massacre  a 
pu  avoir  lieu.  Il  en  est  qui  font  arriver  Cassien  à  Marseille 
vers  406  et  lui  font  aussitôt  fonder  les  deux  monastères  (2). 
Or,  les  Vandales  ayant  pénétré  en  Gaule  dans  la  nuit  du  31 

(1)  La  Gallia  christ lana.  t.  I,  p.  210  et  appendix,  et  le  Dictionnaire 
de  diplomatique  chrétienne,  col.  479,  donnent  la  liste  complète  des 
indictions. 

(2)  H.  Bouche,  Histoirede  Provence,  t.  I,  p.  332,  désigne  l'année  400 
comme  celle  de  la  fondation  du  monastère  de  Saint- Victor.  —  Papon» 
Histoire  de  Provence*  t.  II,  p.  14,  place  cette  fondation  en  408.  Ces 
deux  auteurs  pouvaient  donc  prétendre  fixer  à  Tan  408  la  fondation 
aussi  du  cœnobium  cassianite. 


—  658  — 

décembre  406  au  l*  janvier  407,  ont-ils  pu  détruire  ce  monas- 
tère de  sainte  Eusébie  en  408  ?  Non.  Il  a  été  prouvé  plus  haut 
que,  durant  les  deux  années  que  ces  barbares  passèrent  à 
piller  la  Gaule,  ils  ne  vinrent  pas  jusqu'en  Provence.  D'ailleurs, 
les  auteurs  contemporains,  Salvien  et  Gennade,  n'en  disent 
rien, 

Ce  ne  fut  pas  à  l'indiction  sixième  de  423.  Car,  de  409  à  429, 
les  Vandales  sont  occupés  à  piller,  à  dévaster  les  provinces  de 
l'Espagne,  à  combattre  les  armées  romaines  qui  marchent 
contre  eux.  Non  plus  à  l'indiction  sixième  de  438.  Genséric, 
qui  a  passé  en  Afrique  avec 80. 000  hommes,  ravage  cette  con- 
trée et  s'empare  de  Carthage  en  439. 

Non  plus  à  l'indiction  sixième  de  453.  Carthage  prise  et 
détruite,  Gensérle  établit  son  règne,  se  défend  contre  les 
flottes  de  Théodose  II,  empereur  d'Orient,  fait  la  paix  en  442 
avec  ce  prince  et,  durant  les  années  qui  suivent,  fait  endurer 
aux  chrétiens  une  atroce  persécution.  Sera-ce  à  l'indiction 
sixième  de  468  ?  A  cette  époque  les  pirates  vandales  désolent 
les  côtes  de  plusieurs  provinces  de  l'empire.  Sont-ils  venus  à 
Marseille  ?  Non,  Salvien,  Victor  de  Vite,  Gennade  n'en  disent 
rien.  Sera-ce  à  l'indiction  sixième  de  483  ?  Non  encore, 
Hunéric,  qui  a'  succédé  à  Genséric,  son  père,  fait  souffrir  et 
violente  les  chrétiens  dans  ses  Etats.  Mais  il  n'en  sort  pas. 

Non  plus  à  l'indiction  sixième  de  498.  Car  Trasimond,  qui 
règne  depuis  496,  imite  Hunéric  et  persécute  les  chrétiens  en 
Afrique,  mais  ne  la  quitte  pas.  Impossible  donc  de  trouver, 
aux  indictions  sixièmes  du  V*  siècle,  une  année  favorable  pour 
y  placer  le  massacre  de  sainte  Eusébie. 

Etudions  les  indictions  sixièmes  du  VI*  siècle.  Elles  tombent 
aux  années  513,  528,  543,  558,  573,  588. 

Inutile  de  nous  arrêter  longtemps  à  ces  dates.  Depuis  480, 
les  Visigoths  occupent  Marseille,  les  Vandales  n  ontpas  pu  y 
venir.  D'autre  part,  nous  savons  que  les  Visigoths  n'ont  pas 
massacré  notre  sainte.  Dès  535,  les  Francs  ont  pris  possession 
de  la  Provence,  et  les  Francs,  nous  le  savons  encore,  n'ont 
pas  commis  cet  odieux  forfait  et  sous  leur  domination  nul 
autre  peuple  n'a  pu  l'accomplir. 

Venons  aux  indictions  sixièmes  du  VII*  siècle.  Celles-ci 


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—  659  — 

n'offrent  pas  de  difficultés.  Tout  ce  siècle,  en  effet,  est  rempli 
par  les  querelles  que  l'élévation  de  la  royauté  mérovingienne 
et  8a  décadence  ensuite  ont  suscitées  et,  encore  une  fois,  ce 
ne  sont  pas  les  Francs  que  Ton  peut  accuser  de  ce  méfait.  On 
le  voit,  il  n'y  a  pas,  parmi  les  indictions  sixièmes  des  siècles 
antérieurs  au  VHP,  une  époque  tant  soit  peu  favorable  où  Ton 
puisse  placer  ce  fait  qui  nous  occupe. 

Prenons  l'autre  date  extrême,  celle  que  André  a  adoptée, 
948,  et  de  cette  date  revenons  sur  nos  pas,  en  nous  arrêtant  à 
chaque  indiction  sixième. 

Les  années  d'indiction  sixième  qui  se  succèdent  durant  le 
X*  siècle,  sont,  en  descendant  :  993,  978,  9G3V  948,  933,  918, 
903. 

Sûrement  le  fait  qui  nous  occupe  n'a  pu  se  passer  en  993 
ou  978.  Car,  depuis  Tannée  973,  les  Sarrasins  ont  été  expulsés 
de  Provence  et  de  leur  repaire  du  Fraxinet,  par  le  comte 
Guillaume  et,  sous  le  gouvernement  de  ce  prince,  la  Provence 
respira  et  se  releva  de  ses  mines.  Est-ce  à  l'indiction  sixième 
de  963?  Non,  car  en  965  saint  Honoré,  évoque  de  Marseille, 
qui  veut  rétablir  le  monastère  de  Saint- Victor  dans  ses  anti- 
ques possessions  (charte  23  du  cartulaire)  ne  dit  pas  un  mot, 
dans  la  charte  de  donation,  qui  puisse  faire  soupçonner  que 
le  désastre  qui  a  enlevé  les  possessions  à  cette  abbaye  date 
de  deux  ans  à  peine.  Au  contraire,  la  permission  qu'il  accorde 
aux  religieux  de  Saint- Victor  de  faire  une  enquête  sur  les 
biens  qui  ont  pu  leur  appartenir  jadis,  fait  remonter  la 
catastrophe  à  de  nombreuses  années  auparavant.  Il  n'eût  pas 
été  nécessaire  de  faire  une  enquête  pour  savoir  si  tel  ou  tel 
bien  avait  appartenu  au  monastère  deux  ans  auparavant.  Saint 
Honoré  parle,  il  est  vrai,  à  de  nouveaux  religieux  qu'il  a  placés 
dans  le  monastère.  Mais  les  traditions  ne  sont  pas  tellement 
obscurcies,  au  bout  de  deux  ans,  que  Ton  doive  faire  une 
enquête  aussi  sérieuse  (1).  Or,  si  la  destruction  de  Saint- Victor 
remonte  à  plus  de  deux  ans,  la  destruction  du  cœnobium 
cassianite  est  aussi  plus  ancienne  et  n'a  pas  été  accomplie 
en  963. 

(1)  Cartulaire  de  Saint-Victor,  t.  I,  charte  23,  de  l'an  965-967. 


—  660  — 

Ce  ne  fat  pas  aux  indictions  sixièmes  de  948  et  933 .  Le 
monastère  de  Saint- Victor  n'existait  plus  depuis  923  ;  partant, 
l'abbaye  cassianite  avait  succombé  elle  aussi.  Si  sainte  Eusébie 
a  vécu  à  cette  époque,  c'est  en  923  qu'elle  a  été  martyrisée. 
En  948  ou  933,  le  mal  était  déjà  fait. 

Est-ce  à  l'indiction  sixième  de  918  ?  Cela  pourrait  être. 
Déjà  les  Sarrasins  font  des  courses  aux  environs  de  Marseille. 
Dès  916,  ils  se  sont  axés  à  Embrun.  Chaque  année  ils  resser- 
rent le  cercle  autour  des  villes  de  la  basse  Provence.  Il  n'est 
pas  impossible  donc  qu'ils  ne  soient  venus  à  l'improviste  sur- 
prendre l'abbaye  cassianite,  comme  ils  surprenaient  les  villa- 
ges et  les  petites  villes.  Il  semble  cependant  que  rien  de  sem- 
blable ne  soit  arrivé.  Croit-on  qu'à  quatre  ou  cinq  ans  d'in- 
tervalle, en  923,  Mariasses,  archevêque  d'Arles,  n'aurait  fait 
aucune  allusion,  dans  sa  lettre  à  Drogon,  évéque  de  Marseille, 
à  ce  fait  du  massacre,  fait  odieux  capable  d'attendrir  tous 
les  cœurs  ?  Or,  cette  lettre  ne  dit  rien  (1),  donc  ce  fait  odieux 
n'a  pas  eu  lieu.en  918. 

Est-ce  à  l'indiction  sixième  de  903  ?  Non  plus.  En  904,  on 
fait  une  donation  à  l'abbaye  de  Saint-Victor,  et  pas  un  mot 
qui  fasse  soupçonner  qu'il  y  ait  eu  à.  craindre  quelque  péril 
pour  le  monastère  et,  partant,  pour  celui  des  Cassianites  (2). 
En  cette  année  les  Sarrasins  sont  encore  dans  l'est  de  la  Pro- 
vence et  font  des  courses  dans  la  haute  Italie.  Ce  n'est  donc  pas 
aux  indictions  sixièmes  du  X*  siècle  que  ce  fait  a  eu  lieu. 

Examinons  les  indictions  sixièmes  du  IX*  siècle.  Elles  coïn- 
cident avec  les  années  888,  873,  858,  843,  828,  813.  Est-ce  à 
Tune  de  ces  années  que  le  fait  s'est  passé  ? 

Serait-ce  en  888  ?  A  cette  époque  les  Sarrasins  dévastent 
déjà  la  Provence,  l'archevêque  de  Vienne  dit  au  pape  Etien- 
ne V  qu'ils  en  ont  fait  un  désert  (3).  Mais,  en  891,  l'annaliste 
de  Saint-Bertin  fait  savoir  que  les  Sarrasins  du  Fraxinet  déso- 


(1)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  charte  de  923.  Et  dans  cette  charte  il  est 
cependant  parlé  des  :  «  continuos  Sarracenorum  impetus  ». 

(2)  Gartulaire  de  Saint- Victor,  charte  10,  p.  904. 

(3)  «  Sarraceni  Provinciam  depopulantes  terram  in  solitudinem  redi- 
gebant.  » 


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—  661  — 

lent  l'Italie  (1).  Or,  cet  annaliste,  qui  racontera  la  catastrophe 
dé  838,  aurait  gardé  le  9ilence  si  une  catastrophe  plus  terrible 
avait  eu  lieu  en  888  ! 

Ce  ne  peut  être  à  l'indiction  sixième  de  873 .  Car  le  même 
chroniqueur  de  Saint-Bertin,  qui  relate  tous  ces  détails  et  qui 
raconte  le  meurtre  de  Rot! and,  archevêque  d'Arles,  en  869, 
ne  dit  rien  de  particulier  pour  l'année  873. 

Serait-ce  à  l'indiction  sixième  de  858  ?  C'est  Tannée  où  les 
Danois  débarquèrent  en  Camargue  après  avoir  pillé  et  saccagé 
plusieurs  villes  et  monastères.  Suivant  Ruffi,  parmi  ces  villes  et 
monastères,  il  faudrait  compter  Marseille  et  Saint-Victor.  Mais, 
outre  que  M.  de  Rey  dit  que  tout  cela  est  un  peu  gratuit  (2), 
est-ce  que  l'annaliste  de  Saint-Bertin  n'aurait  pas  inséré  dans 
ses  écrits  que  ce  massacre  aurait  eu  lieu  en  858?  Sera-ce  à  Tin- 
diction  sixième  de  843  ?  Toujours  la  même  raison,  le  silence  de 
l'annaliste  prouve  que  non.  D'ailleurs,  après  le  désastre  de  838, 
il  est  difficile  de  croire  que  l'abbaye  cassianite  ait  compté,  cinq 
ans  plus  tard,  quarante  religieuses  avec  sainte  Eusébie. 

Sera-ce,  enfin,  à  l'indiction  sixième  de  828  ?  Il  est  vrai  que 
les  traditions  mentionnent  l'arrivée  à  Marseille  de  ces  barbares 
Mais  si,  en  828,  sainte  Eusébie  a  été  massacrée  avec  ses  qua- 
rante compagnes,  comment  peut-il  se  faire  que  dix  ans  plus 
tard,  alors  que  les  Sarrasins  n'ont  pas  cessé  de  menacer  la  Pro- 
vence et  Marseille,  il  y  ait  eu  à  l'abbaye  cassianite  cette  a  non 
modica  congregatio  »,  qui  demeurait  et  qui  fut  enlevée  par  les 
barbares  sur  leurs  vaisseaux  ?  Qu'après  la  mort  de  sainte 
Eusébie,  arrivée  par  supposition  en  738,  alors  que  les  Sarra- 
sins sont  exterminés,  chassés  de  Provence,  et  que  Charles 
Martel,  Pépin  le  Bref,  Charlemagne  imposent  la  paix  à  ces 
envahisseurs,  qu'à  cette  époque,  dis-je,  il  y  ait  eu  prompte- 
ment  des  âmes  généreuses,  en  assez  grand  nombre  peut-être, 
pour  prendre  la  place  des  chastes  héroïnes  de  Jésus-Christ, 
cela  se  comprend.  Mais  que  pareil  empressement  ait  éclaté  en 
828  et  les  années  suivantes,  c'est  difficile  à  croire.  D'ailleurs, 


(1)  *  In  Italia  Sarraceni  castrum  quoddam  Fraxenetum   occupantes 
magno  exitio  Italise  esse  cœperunt.  » 

(2)  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence t  par  M.  de  Rey,  p.  87. 


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treize  ans  après  cette  année  828  qui  aurait  vu  la  mortde  sainte 
Eusébie,  un  évoque  de  Marseille,  Teutberg,  vint  auprès  de  l'em- 
pereur Lothaire  et  en  obtint  une  confirmation  de  ce  que  Louis 
le  Débonnaire,  son  père,  avait  concédé  en  822,  à  Saint-Victor. 
Or,  dans  ces  actes,  il  n'y  a  pas  un  mot  qui  fasse  soupçonner 
que  le  monastère  de  Saint-Victor,  et  partant  l'abbaye  cassia- 
ni  te,  ait  eu  à  souffrir  des  invasions  ou  ait  été  détruit  (1).  Enfin, 
dernière  raison,  les  annales  de  Saint-Bertin  ne  disent  rien  de 
particulier  à  cette  date. 

Serait-ce  enfin  à  l'indiction  sixième  de  813  ?  Non.  Les  Sar- 
rasins, en  cette  année,  n'ont  assailli  et  ruiné  que  la  ville  de 
Nice;  la  puissance  et  les  préparatifs  de  Charlemagne  les 
arrêtèrent.  C'est  le  témoignage  formel  d'Eginhard,  l'historien 
du  grand  empereur  (2),  D'ailleurs,  en  814,  Wadalde,  évoque 
de  Marseille,  rédige  le  Polyptique  dans  lequel  il  fait  le  dé- 
nombrement des  biens  de  l'abbaye  de  Saint-Victor  et  de  sa 
oathédrale.  Or,  un  pareil  travail  suppose  une  époque  pros- 
père et  tranquille. 

On  le  voit,  les  indictions  sixièmes  des  X*  et  IX-  siècles  ne 
fournissent  aucune  date  favorable  à  l'accomplissement  de  ce 
drame  sanglant.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  examiner  les  indic- 
tions sixièmes  du  VIII*  siècle. 

Elle3  arrivent  en  798,  783,  768,  753,  738,  723  et  708. 

Ce  ne  peut  être  aux  indictions  sixièmes  de  798,  783,  768  et 
753,  puisque  les  Sarrasins  furent  chassés  de  la  Provence  par 
Charles  Martel  en  739,  et  que,  durant  le  règne  de  Charlemagne, 
on  Ta  vu  plus  haut,  tout  fut  calme  et  paisible.  Les  Sarrasins, 
habitant  d'autres  contrées  que  la  Provence,  ne  s  agitèrent 
pas. 

Restent  les  indictions  sixièmes  de  738,  723  et  708.  Ce  ne  fut 
pas  en  708,  puisque  les  Sarrasins  n'entrèrent  en  Espagne  qu'en 
711,  et  en  Aquitaine  que  vers  720.  Ce  ne  fut  pas  à  l'indiction 
sixième  de  723,  puisque,  on  Ta  vu  plus  haut,  ce  ne  fut  que 
vers  732  que  les  Sarrasins  entrèrent  en  Provence. 

Est-ce  à  l'indiction  de  738?   Nous  savons  ce  que  raconte 

(1)  Gartulaire  de  Saint-Victor,  1. 1,  charte  12,  de  841. 

(2)  Vita  Karoli  Magni,  par  Eginard,  citée  par  M.  de  Rey,  Invasion 
des  Sarrasins  en  Provence,  p.  217. 


J 


«  663  - 

l'histoire  pour  cette  année.  Charles  Martel,  quittant  le  siège 
de  Narbonne,  court  à  la  rencontre  de  l'armée  qui  vole  au 
secours  de  la  ville  assiégée,  la  défait  à  Corbières  en  737,  puis 
il  remonte  vers  le  Nord  pour  aller  écraser  les  Saxons  révoltés, 
liais  le  duc  Mauronte,  qui  avait  appelé  les  Sarrasins,  était 
resté  à  Marseille.  Autour  de  lui  se  rallièrent  les  débris  des 
armées  sarrasines.  Celles-ci  ravagent  les  environs  d'Arles, 
prennent  Avignon  et  s'y  établissent  en  738.  Mais,  en  739, 
Charles  Martel  revient  dans  le  Midi,  assiège  Avignon,  parcourt 
la  Provence,  chasse  Mauronte,  vient  à  Marseille,  rejette  au 
loin  les  bandes  sarrasines,  les  écrase,  dit  une  tradition,  au 
Canet,  près  de  Marseille,  et  ne  remonte  dans  le  Nord  que  lors- 
que tout  est  pacifié. 

Il  y  a  ici  une  place  marquée  pour  la  destruction  du  monas- 
tère des  bords  de  l'Huveaune.  Durant  une  partie  de  Tan- 
née 738  les  Sarrasins  se  croient  débarrassés  de  Charles  Martel. 
Ils  ravagent  à  leur  aise,  Mauronte  les  a  appelés,  ils  se  répan- 
dent partout.  En  vain  Mauronte,  qui  a  semé  le  vent,  s'aperce- 
vant  qu'il  va  recueillir  la  tempête,  leur  prêche  la  discipline, 
le  respect  des  églises,  des  moines  et  des  religieuses.  Indisci- 
plinés et  féroces,  les  Sarrasins  agissent  non  plus  en  alliés, 
maison  maîtres.  Inutile  d'affirmer,  nous  l'avons  dit,  qu'à  cette 
époque  les  religieuses  ont  dû  quitter  à  la  hâte  les  bords  de 
l'Huveaune  et  se  réfugier  en  ville.  Mauronte,  au  fond  du  cœur, 
est  autant  leur  ennemi  que  le  sont  les  Sarrasins.  Qui  trahit 
sa  patrie  hait  et  déteste  ceux  qui  aiment  la  patrie.  D'ailleurs, 
la  ville  devait  être  pleine  de  ces  hordes  sanguinaires,  pillant 
et  saccageant  tout.  Il  n'y  avait  en  sûreté  que  ceux  qui  pou- 
vaient se  défendre.  Les  moines  de  Saint-Victor  à  l'abri  de  leurs 
murailles  durent  lutter  et  batailler  fort.  Quant  à  nos  héroïnes, 
elles  n'eurent  que  la  ressource  d'attendre  la  mort.  Supposons 
charitablement  que  Mauronte  leur  ait  promis  de  les  défendre. 
Il  était  devenu  par  la  force  des  choses  le  prisonnier  des  Sarra- 
sins. Il  fut  débordé,  et,  comme  cela  arrive  à  ceux  qui  se  ser- 
vent de  mauvais  éléments  pour  grandir  leur  fortune  et  arriver 
plus  haut,  la  populace,  les  Sarrasins,  dis- je,  furent  plus  forts; 
ce  dut  être  a  la  mort  dans  l'âme  »  que  Mauronte  laissa  égorger 
ces  héroïques  Cassianites. 


—  664  — 

Ainsi,  nulle  indiction  sixième  ne  se  prête  mieux  que  celle 
de  738  à  servir  de  cadre  au  martyre  de  notre  sainte  Eusébie. 
C'est   très  probablement  en  738  que  ce  fait  s'est  accompli. 

Nous  tirons  une  autre  conclusion  :  D'une  part,  l'inscription 
gravée  en  l'honneur  d'une  Eusébie  indique  l'indiction  sixième 
comme  date  de  sa  mort;  d'autre  part,  tous  les  détails  de  la 
tradition  concernant  le  martyre  de  sainte  Eusébie  coïncident 
avec  une  indiction  sixième,  celle  de  738.  Donc,  cette  inscrip- 
tion a  été  gravée  pour  notre  sainte  de  Marseille.  Donc,  cette 
inscription  appartient  au  VIII*  siècle. 


CHAPITRE  VII 
Le  «  Pridie  kalendas  octobris  » 

CHARLES  MARTEL  BN  SAXE  EN  738,  A  LA  FIN  DE  L'HIVER.  —  SARRA- 
SINS A  ARLES  BN  MAI  ;  —  A  MARSEILLE,  EN  JUILLET.  —  CHARLES 
MARTEL  EN  PROVENCE  BN  FÉVRIER  739.—  DE  JUILLET  A  FÉVRIER  738, 
LES  SARRASINS  SONT  A  MARSEILLE.  —  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION. 

C'est  en  738  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les 
Sarrasins.  A  quel  moment  de  Tannée  ?  L'inscription  d'Eusébie 
nous  l'indique  :  au  30  septembre.  Serrons  de  près  la  question 
des  invasions  des  Sarrasins  à  Marseille,  nous  allons  nous  con- 
vaincre que  cette  date  est  fort  probable. 

Un  fait  est  acquis,  c'est  qu'en  738  les  Sarrasins  étaient  à 
Marseille.  A  quel  moment  précis  sont-ils  arrivés,  combien  de 
temps  y  sont-ils  demeurés,  quand  en  sont-ils  partis  ;  c'est  le 
nœud  de  la  question  à  résoudre.  Pour  ce  faire,  donnons  le 
détail  des  événements  qui  se  sont  succédé  en  cette  anné  738. 

Dans  un  chapitre  précédent  nous  avons  laissé  Charles 
Martel  à  Verberie-sur-Oise,  vers  la  fin  de  737,  se  reposant  des 
fatigues  de  la  campagne  contre  les  Sarrasins,  et  méditant  déjà 
une  nouvelle  expédition  contre  les  Saxons.  L'expédition  eut 
lieu  en  738,  cela  a  été  longuement  prouvé.  Mais  à  quel  mo- 
ment de  Tannée  738  commença  cette  opération  militaire  ?  On 
ne  faisait  pas  la  guerre  en  hiver,  surtout  dans  les  froides  con- 
trées du  nord  (1).  Ce  ne  fut  donc  que  sur  la  fin  de  Thiver, 
vers  le  mois  de  février  738,  que  débutèrent  les  hostilités. 

(1)  C'est  ce  que  la  plupart  des  historiens  aftirment  souvent.  Jusqu'en 
785,  parait-il,  les  opérations  de  guerre  ne  commençaient  qu'en  mars  ;  dès 
bette  année,  elles  furent  retardées  jusqu'en  mai,  afin  d'avoir  du  fourra- 
ge pour  la  cavalerie  qui  à  cette  époque  était  plus  nombreuse.  (Dareste, 
Histoire  de  France,  t.  I,  p.  356.)  De  fait,  la  plupart  des  campagnes  de 
Charles  Martel  et  de  Charlemagne,  aussi  bien  dans  le  nord  que  dans  le 
midi,  ont  été  commencées  au  printemps.  (Dareste,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  351, 
361,  366;  —  Darras,  Histoire  de  V Eglise,  t.  XVII,  pp.  69,  208.  —  Ozanam* 
Etudes  germaniques,  t.  II,  pp.  244,  247,  249.) 


—  666  — 

Or,  pendant  que  Charles  Martel  était  aux  prises  avec  les 
Saxons,  Mauronte  appelle  de  nouveau  les  Sarrasins  de  Narbon- 
ne.  Ceux-ci  accourent,  s'emparent  une  seconde  fois  d'Arles, 
d'Avignon,  sèment  partout  la  désolation,  s'avancent  sur  Mar- 
seille, la  pillent,  la  saccagent  et  s'y  établissent  en  maîtres  et 
conquérants. 

Mais  tous  ces  événements  ne  se  sont  pas  passés  en  quelques 
jours.  Il  a  fallu  de  longs  mois,  au  contraire  (1). 

D'abord,  Mauronte,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  n'a  pas 
appelé  les  Sarrasins  au  début  de  738.  Il  avait  échappé  à  un 
terrible  châtiment,  à  la  fin  de  737.  La  maladie  du  roi  Thierry 
IV,  sa  mort  peut-être  (2)  et,  partant,  le  retour  obligé  de  Char- 
les Martel  au  siège  de  sa  puissance,  avaien.t  détourné  de  sa 
tête  la  punition  que  sa  trahison  avait  méritée.  Il  ne  se  sou- 
ciait donc  pas  de  courir  au-devant  du  justicier.  Avant  de 
consommer  son  crime,  il  voulut  attendre  que  son  adversaire 
fût  fortement  engagé  avec  les  Saxon?,  de  peur  que  celui-ci, 
par  un  brusque  retour,  ne  fondit  sur  la  Provence,  n'écrasât  les 
révoltés.  Or,  les  nouvelles  ne  se  transmettaient  pas  aussi  vite 
qu'à  notre  époqtie.  Surtout  ce  n'était  pas  du  premier  venu  que 
Mauronte  voulait  savoir  ce  qu'il  advenait  de  Charles  Martel. 
Certainement  il  dut  charger  un  aftidé  sûr  et  discret  de  ce  mes- 
sage. La  nouvelle  donc  du  départ  de  Charles  Martel  de  Verbe- 
rie-sur-Oise,  de  son  entrée  en  campagne,  des  hostilités  enga- 
gées, ne  parvint  à  Marseille,  à  Mauronte,  que  bien  des  jours 
après,  peut-être  vers  la  tin  de  mars  ou  la  mi-avril. 

Les  Sarrasins,  de  leur  côté,  étaient  bien  prêts  à  envahir  la 
Provence  et  à  répondre  à  l'appel  de  Mauronte.  Mais  la 
prudence  leur  faisait  un  devoir  de  s'assurer  si  ce  que  leur 
mandait  Mauronte  était  exact.  Ce  ne  dut  être  donc  que  vers  la 
fin  d'avril,  le  milieu  de  mai  qu'ils  se  ruèrent  sur  Arles. 

(1)  C'est  bien  là  l'idée  judicieuse  de  l'abbé  Darras.  Dans  une  note  sur 
la  date  de  la  bataille  de  Poitiers  livrée  par  Charles  Martel  aux  Sarrasins, 
il  calcule  que  les  Sarrasins,  entrés  en  Provence  et  en  Aquitaine  en  mai 
732,  ne  se  trouvèrent  à  Poitiers  qu'en  octobre  733.  (Histoire  de  V Eglise 
t.  XVII,  p.  32.) 

(2)  Thierry  IV  mourut  en  avril  737  ;  après  sa  mort  il  y  eut  un  interrè- 
gne de  cinq  ans,  jusqu'en  742.  (Art  de  vérifier  le»  dates,  p.  533.) 


—  667  — 

Or,  Arles  résista  cette  fois.  En  736  ou  737,  ce  fut  par  la  ruse 
ou  la  trahison  que  les  Sarrasins  s'en  emparèrent:  a  Arelate 
civitate  pace  ingreditur  »,  dit  la  chronique  de  Moissac  (1). 
Mais,  en  738,  c'est  par  la  force  des  armes  qu'ils  la  prirent. 
Retranchés  dans  l'amphithéâtre,  converti  en  citadelle,  les 
habitants  se  défendirent.  Ils  furent  vaincus  cependant.  La 
ville  et  ses  environs  furent  incendiés  et  démolis(2).  Il  en  fut 
de  même  d'Avignon.  Une  vieille  tradition  de  cette  ville  montre 
encore  la  tombe  où  furent  réunis  les  corps  des  valeureux 
guerriers  qui  en  un  endroit,  sur  les  rives  de  la  Durance,  appelé 
Mauvais  Pas,  essayèrent  d'en  disputer  le  passage  aux  Sarra-  * 
sins  (3).  Prise  par  ruse  et  trahison  en  737  (4),  elle  le  fut  par  le 
siège  et  l'assaut,  en  738.  Or,  ces  opérations  demandaient  du 
temps. 

Ajoutez  que  les  Sarrasins  s'attardèrent  autour  d'Avignon  et 
d'Arles,  brûlant  et  saccageant  tout  aux  environs,  disent  les 
chroniqueurs  (5).  Bien  plus,  l'idée  des  Arabes  n'était  passeu- 
ment  de  passer  h  travers  nos  contrées,  mais  de  s'y  établir. 
Ils  n'entreprenaient  point  le  siège  d'une  ville  avant  de  s'être 
fortement  retranchés  dans  celles  qu'ils  laissaient  derrière 
eux,  et  ils  ne  quittaient  une  contrée,  pour  se  rendre  dans'  une 
autre,  qu'après  avoir  assujettie  celle-là  à  leur  autorité.  Avi- 
gnon et  Arles  pris,  ils  descendirent  vers  Aix  (6),  ruinant  Saint- 
Remy  (7),  Tarascon,  élargissant  chaque  jour  le  cercle  de  leurs 
déprédations  et  s'avançant  ainsi  peu  à  peu  vers  Marseille. 

Or,  il  faut  faire  une  réflexion.  Mauronte  voulait  bien  se 

(1)  Chronique  de  Moissac,  citée  par  M.  de  Rey,  Invasions  des  Sarra- 
sins en  Provence,  p.  207.  —  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en 
France,  p.  55,  note. 

(2)  Abrégé  chronologique  de  l'histoire  d'Arles,  par  Lalauziére,  p.  90. 
—  Paul  Diacre.  —  Sigebert.  —  Ekeart. 

(3)  De  Rey,  Invasions  de  Sarrasins  en  Provence,  p.  35.  —  Reinaud. 
Invasions  des  Sarrasins  en  France^  p.  55.  —  H.  Bouche,  Histoire  de 
Provence,  t.  I,  p.  700. 

(4)  Frédégàire  cité  par  de  Rey,  op.  cit.,  p.  211  :  «  Sub  dolo  et  fraude 
Avenionem  urbem  ingrediuntur.  » 

(5)  Sigebert;  de  Rey,  op.  cit,  p.  43. 

(6)  H.  Bouche,  Histoire  de  Provence,  1. 1,  p.  700. 

(7)  Reinaud,  Invasions  des  Sarrasins  en  France,  p.  54.  —  De  Rey, 
Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  34. 


—  668  — 

servir  des  Sarrasins  pour  se  donner  une  certaine  indépen- 
dance à  l'égard  de  Charles  Martel,  mais  il  n'acceptait  pas  de  se 
ranger  sous  la  domination  des  Arabes.  Aussi,  quand  il  les 
vit  mettre  tout  à  feu  et  à  sang,  il  dut  chercher  à  les  rete- 
nir loin  de  Marseille,  non  pas  en  leur  livrant  des  combats, 
puisqu'ils  étaient  les  plus  forts,  mais  en  négociant  avec  eux 
et  retardant  ainsi  leur  marche  en  avant.  Mais  tout  cela  fut 
inutile,  le  torrent  dévastateur  avançait  chaque  jour,  rien  ne 
put  l'arrêter.  Or,  si  le  siège  d'Arles  eut  lieu  vers  le  milieu  de 
mai,  celui  d'Avignon  au  début  de  juin,  calculez  un  laps  de 
temps  d'un  mois  ou  deux  pour  ces  ravages  que  les  Sarra- 
sins opèrent  dans  la  Provence,  pour  ces  négociations  qu'en- 
tame Mauronte,  et  nous  arrivons  au  milieu  de  juillet,  au  com- 
mencement d'aoùt.G'est  à  ce  moment  de  Tannée  738  seulement 
que  les  Sarrasins  parviennent  à  Marseille. 

Or,  Charles  Martel  était  alors  au  fond  de  la  Germanie.  Il 
apprend  les  nouveaux  désastres,  mais  il  ne  pouvait  laisser  les 
Saxons  pour  courir  aux  Sarrasins.  D'autre  part,  l'expédition 
dans  le  nord  terminée,  il  devait  accorder  du  reposa  ses  troupes, 
en  convoquer  de  nouvelles,  revenir  du  Nord  au  Midi.  Pour 
ces  diverses  opérations  ,  il  fallait  de  longs  mois.  D'ailleurs, 
peut-être  encore  voulait-il  laisser  les  Sarrasins  s'engager  dans 
la  Gaule  (1),  afin  qu'ils  ne  pussent  plus  se  réfugier  d'une 
traite  à  Narbonne.  L'année  se  termina,  et  cène  fut  qu'au  début 
de  739,  à  la  iln  de  de  l'hiver,  qu'il  put  songer  à  débarrasser 
définitivement  la  Provence  des  envahisseurs.  Nous  marchons 
encore  ici  d'accord  avec  les  chroniqueurs.  Nous  les  avons  cités 
dans  un  chapitre  précédent.  Tous  nous  affirment  que  Charles 
Martel  est  revenu  en  Provence  en  739 .  Mais  la  chronique  de 
Frédégaire  est  plus  précise.  Elle  dit  ;  «  Dans  le  cours  de  cette 
année,  le  second  mois,  Charles  vint  de  nouveau  en  Pro- 
vence (2).  »  Il  y  a  dans  ces  expressions  une  faute  de  copiste 
évidente.  «  On  ne  peut,  en  effet,  observe  M.  de  Rey,  placer 

(1)  C'est  ce  que  Charles  Martel  avait  déjà  fait,  en  732,  733.  V.  Darras, 
Histoire  de  VEc/lise,  t.  XVII,  p.  28.  —  Reinaud,  Invasions  des  Sarra- 
sins en  France,  p.  33. 

(2)  *  Denuo  curriculo  anni  iilius,  mense  .secundo.  »  De  Rey,  op.  <*if., 
p.  212. 


—  669  — 

tant  d'événements  en  ces  deux  mois  de  739  »  (la  reprise  d'Avi- 
gnon, le  siège  de  Narbonne,  le  ravage  de  la  Septimanie,  etc., 
etc.)  «  Le  texte  a  été  sans  doute  altéré  par  une  erreur  du  co- 
piste. »  Cette  erreur  est  peut-être  assez  récente.  «Les  grandes 
chroniques  françaises  de  Saint-Denis,  traduisant  Frédégaireau 
XIII*  siècle,  s'exprimaient  ainsi  :  à  ce  passage  :  Au  second  mois 
de  Tannée  qui  après  vint  (1) .  Les  Bénédictins  ou  autres  qui 
ont  annoté  ce  texte  de  Frédégaire  dans  l'édition  Migne,  indi- 
quent qu'il  faut  comprendre  ce  texte  en  lisant  :  a  anno  post 
secundo  »  (deux  ans  après  737)  (2).  Les  Gestes  des  rois  francs 
disent  d'ailleurs  :  «  L'année  après,  au  mois  de  février,  il  envoya 
en  Provence  son  frère...  (3)  »  La  chronique  d'Adhémar, 
moine  d'Angoulème  (4),  s'exprime  en  ces  mômes  termes  encore: 

C'est  donc  bien  certain,  Charles  Martel  revient  en  Provence, 
se  faisant  précéder  de  son  frère,  en  février  739. 

Tout  d'abord  Childebrand  assiège  Avigqpn,  puis  Charles 
Martel  à  son  tour  arrive.  Tous  deux  reprennent  la  ville,  en 
massacrent  la  garnison  sarrasine,  descendent  à  Arles,  s'en  em- 
parent de  nouveau,  parcourent  la  Provence  en  vainqueurs, 
chassent  et  repoussent  les  Sarrasins.  Ce  ne  fut  que  lorsque 
tout  fut  apaisé  et  calme,  qu'ils  revinrent  dans  le  Nord  (5) . 

Ainsi  donc,  de  juillet  738  à  février  739,  les  Sarrasins  ont  été 
les  maîtres  en  Provence  et  à  Marseille.  Or,  la  tradition  de 
notre  ville  nous  dit  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  par  les 
Sarrasins.  Les  données  historiques  nous  prouvent  que  ce  mar- 
tyre n  a  pu  avoir  lieu  à  une  date  autre  que  celle  de  738.  Donc 
il  est  plus  que  probable  qu'il  a  été  subi  par  notre  sainte  de 
juillet  738  à  février  739.  Or,  l'inscription  d'Eusébie,  dont  l'in  - 
diction  sixième  coïncide  déjà  avec  l'année  738,  nous  apprend 
que  celle-ci  est  morte  le  30  septembre.  Donc,  il  est  fort  pro- 
bable que  notre  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée  vraiment  au 
30  septembre.  Nous  tirons  une  conclusion  encore  :  Donc  ce 

(1)  De  Rey,  Invasions  des  Sarrasins  en  Provence,  p.  45. 

(2)  Frédégaire,  Patrologie  lat.  édit.  Migne,  t.  XCVIl,  col.  679. 

(3)  De  Rey,  op.  cit.,  p.  47 

(4)  De  Rey,  op.  cit.,  p.  47. 

(5)  Frédégaire  III  :  «  Prœfatus  princeps  Carolus  cuncta  sibimet  ad  qui-» 
sita  regaa,  victor  egressus  est...  in  regione  Francorum.  » 

43 


—  670  — 

• 

marbre  est  authentique,  il  a  été  gravé  pour  notre  sainte  Eu- 
sébie de  Marseille.  Donc  il  est  du  VIII*  siècle. 

Nous  résumons  les  pages  qui  ont  trait  à  la  deuxième  question  : 
A  quelle  époque  sainte  Eusébie  a  souffert  le  martyre. 

Les  bisloriens  ne  parviennent  pas  à  désigner  sûrement  les 
auteurs  du  massacre.  Us  en  ont  accusé  tous  les  barbares.  Quant 
à  la  date  de  ce  martyre,  leur  désaccord  est  encore  plus  grand. 

Or,  après  avoir  cité  le  dire  de  ces  historiens,  nous  avons 
discuté  leur  preuves.  Elles  ne  valent  rien,  ni  quand  il  s'agit 
d'indiquer  les  auteurs  du  massacre,  ni  quand  il  s'agit  d'en 
fixer  la  date. 

A  notre  tour  nous  avons  prouvé  d'abord  :  que  ni  Vandales, 
ni  Visigoths,  ni  Bourguignons,  ni  Francs,  ni  Lombards,  ni 
Saxons,  ni  Normands,  ni  Hongrois  n'avaient  trempé  dans  ce 
crime.  Nous  avons  établi  ensuite  qu'il  était  impossible  de  fixer 
le  martyre  à  une  £es  dates  préconisées  par  les  historiens. 

Seuls  les  Sarrasins  peuvent  être  accusés  de  ce  méfait.  Et  ils 
l'ont  commis  durant  le  VIII"  siècle. 

Afin  de  préciser  davantage,  nous  avons  démontré  que 
l'inscription  d'Eusebie  était  bien  la  pierre  tumulaire  de  PEusé- 
bie  que  nous  honorons.  Partant,  ce  document  a  servi  de 
confirmatur  à  notre  affirmation.  Les  dates  qu'il  fournit 
cadrent  parfaitement  avec  le  récit  des  chroniqueurs.  Notre 
tradition  de  Marseille,  que  sainte  Eusébie  a  été  martyrisée 
par  les  Sarrasins,  est  donc  bien  sérieuse. 

D'autre  part,  dans  la  première  question  il  a  été  démontré 
que  notre  tradition  locale,  qui  fait  vivre  et  mourir  sainte 
Eusébie  à  l'embouchure  de  l'Huveaune,  était  aussi  bien 
établie. 


Nous  achevons  ainsi  l'œuvre  que  nous  avions  entreprise. 
Les  deux  questions  à  résoudre  sont  élucidées.  On  peut  admet- 
tre que  le  cœnobium  dont  sainte  Eusébie  fut  abbesse  s'élevait 
sur  les  bords  de  rHuveaune,au  quartier  actuel  deSainl-Giniez 
et  que  la  chère  sainte  et  ses  compagnes  y  furent  massacrées 
par  les  Sarrasins  en  738.  Nous  déposons  notre  plume  ! 


—  671  — 

Mais  une  douce  émotion  remplit  notre  cœur  à  cette  heure  ! 
Jamais  nous  n'aurions  espéré  mener  à  bien  un  semblable 
labeur.  La  tâche  nous  paraissait  si  lourde,  les  difficultés  se 
montraient  si  nombreuses  et  les  ténèbres  qui  enveloppaient  le 
sujet  de  notre  étude  si  épaisses  ;  nous  nous  connaissions  si  peu 
d'habileté  et  de  savoir  faire  !  !  Peu  à  peu,  au  fur  et  à  mesure 
que  nous,  avancions  notre  travail,  les  difficultés  s'aplanis- 
saient et  la  lumière  se  faisait,  (l'est  à  notre  chère  sainte  que 
nous  le  devons.  Nous  travaillions  pour  elle,  elle  travaillait 
avec  nous  1 

Et  maintenant,  douce  et  chère  sainte  Eusébie,  et  vous  ses 
chastes  et  héroïques  compagnes,  qui  nous  donnera  de  vénérer 
un  jour  les  restes  précieux  de  vos  glorieux  corps  ?  Est -il 
possible,  est- il  bien  vrai  que  les  impies  du  dernier  siècle  les 
aient  brûlés,  profanés,  jetés  au  vent  jusqu'à  leur  dernière 
parcelle?  Quelque  âme  pieuse  ne  lesa-t-elle  pas  dérobés  à 
la  rage  de  ces  barbares?  Les  chanoines  de  Saint-Victor,  qui 
devaient  bien  voir  venir  les  mauvais  jours,  n'ont-ils  pas  eu 
l'inspiration  d'imiter  de  quelque  manière  les  religieux 
cassianites  du  VIII*  siècle,  cachant  aux  regards  desSarrasius 
les  reliques  de  sainte  Marie-  Magdeleine  ?  0  Eusébie,  si  nos 
cryptes  conservaient  encore  vos  restes  vénérés  ;  si  quelque 
recoin  obscur,  si  quelque  main  jalouse  les  retenaient,  donnez- 
nous  le  bonheur  de  les  revoir  un  jour  et  de  les  placer  sur  un 
autel.  Seule  presque  de  tous  les  hôtes  de  ces  lieux  vénérés, 
vous  n'en  possédez  pas  encore  sur  lequel,  au  jour  de  votre 
fête,  on  puisse  immoler  en  sacrifice  ce  Jésus  pour  lequel  vous 
avez  voulu  mourir.  Ce  jour-là,  si  Dieu  nous  l'accorde  jamais, 
on  vous  le  donnera,  je  l'espère,  riche  et  digne  de  vous. 

Et  vous,  saintes  compagnes  de  notre  Eusébie,  que  sont 
devenues  vos  glorieuses  dépouilles  ?  Les  a-t-on  vraiment 
brûlées  et  dispersées  à  l'époque  de  la  Révolution  ?  Ne  repose- 
raient-elles pas  encore  sous  le  dallage  des  cryptes,  à  l'entrée 
de  la  chapelle  de  Notre  Dame  de  Confession  ?  Nos  pieds  ne  les 
foulent-ils  pas,  lorsque  nous  passons  et  repassons  devant 
l'image  chérie  de  la  Reine  des  Martyrs  ?  Et  puis,  chères  saintes, 
quels  furent  vos  noms  ?  Oh  !  dites  à  Dieu  que  vous  ne  méritez 
pas  un  tel  oubli  et  que  l'heure  est  venue  peut-être  d'exalter 


—  672  — 

votre  héroïsme.  Guidez  la  pioche  de  quelque  ouvrier  des 
cryptes,  et  qu'il  soit  permis  à  tout  Marseillais  d'approcher  ses 
lèvres  émues  et  heureuses,  ce  jour-là,  du  reliquaire  qui 
recueillerait  vos  ossements  sacrés. 

Combien  je  serais  payé  de  mon  humble  labeur  et  que  ma  joie 
serait .  grande  !  1  Qu'importe  cependant  si  Dieu  nous  la  refuse 
à  tous  ;  qu'il  nous  donne  du  moins  d'aller  au  ciel  le  voir  et  le 
chanter  avec  vous  1 

Pour  moi,  comme  le  copiste  antique  qui,  à  la  fin  du  manus- 
crit, inscrivait  le  salaire  qu'il  croyait  avoir  droit  de  réclamer, 
laissez-moi  vous  dire  :  Chères  saintes,  demandez  à  Dieu,  pour 
prix  de  ce  travail,  que  le  doux  et  réjouissant  visage  du  Christ 
Jésus  m'apparaisse  à  ma  dernière  heure  et  que  ce  bon  Maître 
m'agrée  au  nombre  de  ceux  qui  demeureront  avec  lui: 

MlTIS  ATQUE  FESTIVUS  ChRISTI  JESU  MIHI  ASPECTUS  APPAREAT, 
OUI  ME  ASSISTENTES  SIBI  JU GITER  INTERESSE  DECERNAT. 


«*'naaaAAAAA/V\A/w*~ 


APPENDICE 


LEGENDE  DES  PHOTOGRAVURES 


* 


RENFERMEES  DANS  CET  OUVRAGE 


SAINTE  EUSÉBIE 

Patronne  de  la  Paroisse  de  Montredon 

Nous  n'avions  guère  rembarras  du  choix  au  sujet  des  images  de 
notre  sainte  à  offrir  à  nos  lecteurs.  Il  n'en  existe  qu'une  seule  :  la 
statue  adossée  au  premier  des  grands  piliers  de  la  coupole,  à  droite 
en  entrant  dans  l'église.  A  vrai  dire,  elle  n'est  pas  une  œuvre  d'art. 
Cependant,  on  ne  peut  lui  refuser  cette  pureté  de  lignes,  cette 
majesté  dans  la  pose  et  cette  finesse  d'expression  qui  sont  le  cachet 
des  statues  religieuses  qui  sortent  des  ateliers  de  M.  Galard,  à  Marseille. 
Elle  n'est  pas  bien  ancienne  non  plus.  Elle  fut  placée  dans  l'église  de 
Montredon  en  1866,  sous  le  rectorat  de  feu  l'abbé  Long,  à  la  suite 
d'une  fête  splendide  comme  on  en  célébrait  jadis  dans  cette  paroisse. 


LOCUS  EUSEBI>E 

Place  occupée  jadis  dans  les  cryptes  par  le  tombeau  de  sainte  Eusébie 

C'est  à  la  gracieuse  bienveillance  de  M.  Adolphe  Lézer,  photographe, 
rue  Saint-Fer réol,  58,  Marseille,  que  nous  devons  le  cliché  de  cette 
photogravure.  M.  A.  Lézer  a  réuni  dans  une  précieuse  collection  les 
différents  points  de   vue   des  cryptes   de    Saint-Victor,    avec    les 


—  674  — 

monuments,  les  antiquités  que  conservent  encore  ces  lieux  si  chers 
à  la  piété  marseillaise.  Le  Locus  Eusebiœ  seul  manquait.  Au  premier 
mot  que  je  lui  adressai  pour  exprimer  mon  désir  de  posséder  la 
photographie  de  ce  coin  de  nos  catacombes,  M.  Lézer  me  répondit 
que  c'était  chose  entendue,  réglée  et  faite.  Trois  jours  après,  le  cliché 
m'arrivait  et  la  photographie  du  Locus  Eusebiœ  embellissait  notre 
livre,  prenait  sa  place  dans  la  collection  des  monuments  de  Saint- 
Victor.  Que  M.  Lézer  reçoive  ici  l'expression  de  toute  ma  reconnais- 
sance et  que  sainte  Eusébie  le  lui  rende  ! 


NOTRE-DAME  D'HUVEAUNE 

Il  existe  deux  reproductions  en  photographie  ou  lithographie  de 
la  statue  vénérable  de  N.  D.  d'Huveaune.  La  première  que  M.  l'abbé 
Coudray,  curé  de  Saint-Gitiiez,  fit  prendre  dès  le  retour'de  Notre-Dame 
d'Huveaune  au  milieu  de  son  peuple  et  que  l'on  trouve  en  vente  à  la 
porte  de  l'église  de  ce  quartier;  la  seconde  qu'a  éditée  D.  Jaubert,  dans 
sa  Notice  sur  les  anciennes  Madones  de  Marseille.  Nous  avons  pré- 
féré offrira  nos  lecteurs  l'image  de  Notre-Dame  d'Huveaune  telle  qu'on 
la  voit  exposée  sur  son  autel.  On  a  ainsi  une  idée  du  bon  goût  et  de 
la  piété  filiale  -qui  ont  présidé  à  la  confection  des  ornements  qui  la 
recouvrent  ;  et  par  les  divers  objets  d'or  et  d'argent  qui  s'amassent 
peu  à  peu  au  pied  de  son.  trône,  on  juge  de  la  confiance  avec 
laquelle  on  s'adresse  à  l'ancienne  Bonne  Mère  du  terroir  de  Saint- 
Giniez. 


INSCRIPTION  D'EUSÉBIE 


Nous  avons  dit  assez  longuement,  dans  le  cours  de  ce  livre,  quelle 
était,  à  notre  avis,  l'origine  de  ce  marbre  funéraire,  à  quelle  époque 
il  remontait  et  à  travers  quelles  phases  s'est  déroulée  son  existence. 
Ce  fut  au  VIII*  siècle  qu'un  moine  de  Saint-Victor  grava  cette  inscrip- 
tion pour  notre  sainte.  On  la  plaça  à  fleur  de  terre,  au-dessus  des 
restes  de  l'héroïque  martyre.  Avec  les  siècles,  le  marbre  s'enfonça  dans 
le  sol  et  fut  recouvert  peu  à  peu  par  des  déblais*  Au  XIV*  siècle,  à  la 
suite  des  travaux  exécutés  dans  les  cryptes,  il  fut  remis  au  jour,  puis 
inscrusté  dans  la  muraille,  au-dessus  du  tombeau,  qui  reçut  et  garda 


—  675  — 

les  reliques  de  sainte  Eusébie  jusqu'à  l'époque  de  la  Révolution.  A  ce 
moment,  il  fut  déposé  au  musée  de  la  ville.  Actuellement  on  le  voit 
dans  une  des  salles  du  château  Borély. 

La  photogravure  que  nous  donnons  a  été  faite  sur  un  estampage 
que  le  regretté  M.  Augier,  conservateur  adjoint  à  ce  musée  Borély, 
avait  bien, voulu  prendre  sur  l'original,  pour  nous  l'offrir. 


TOMBEAU  DE  SAINTE  EUSÉBIE 


On  le  voyait,  avant  la  Révolution,  dans  les  cryptes  de  Saint-Victor, 
à  côté  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  de  Confession,  sous  l'arcosolium 
désigné  actuellement  par  une  plaque  en  marbre  sur  laquelle  6ont 
inscrits  ces  mots  :  «  Locus  Eusebiœ  Virginis  castissimœ,  etc.  »  il  se 
trouve  maintenant  dans  une  des  salles  du  musée  Borély.  M.  Penon, 
Téminent  conservateur  des  galeries  de  ce  musée,  nous  ayant  autorisé 
à  faire  photographier  ce  monument  antique  de  la  foi  marseillaise, 
nous  pouvons  en  offrir  à  nos  lecteurs  une  reproduction  exacte. 
Jusqu'à  présent  peut-être  on  n'en  possédait  pas.  La  forme  oblique  sous 
laquelle  ce  marbre  nous  apparaît  est  causée  par  l'impossibilité  où  l'on 
a  été  de  le  photographier  de  face,  une  énorme  colonne  rivée  au  sol  et 
difficile  à  remuer  se  trouvant  juste  devant  le  tombeau. 

Est-il  païen  ?  est-il  chrétien?  Les  auteurs  ne  sont  pas  d'accord. 
Grosson,  la  Notice  des  monuments  conservés  à  Saint-Victor  et 
d'autres  y  voient  un  monument  païen.  L'abbé  Dassy,  l'abbé  Verlaque. 
Kothen,  M.  Grinda  pensent  tout  le  contraire.  A  quelle  époque 
remonte- t-il  ?  Ni  Grosson,  ni  la  Notice,x\e  donnent  de  date.  M.  Grinda 
citant  les  Sarcophages  chrétiens  de  la  Gaule,  de  M.  Ed.  Leblant, 
l'attribue  au  VIe  siècle.  Pour  qui  fut-il  sculpté  ?  Personne  ne  Ta  dit, 
croyons-nous.  Seul  M.  Grinda  avance  que  c  le  patrice.  Dynamius 
dut  le  faire  sculpter  pour  lui-même  •  .  C'est  possible.  Mais  n'oublions 
pas  que  Ton  ignore  où  Dynamius  et  Eucheria,  son  épouse,  dont  on  a 
l'épi  ta  phe,  furent  enterrés  ;  où  se  trouvait  cette  église  dédiée  à  saint 
Hippolyte,  martyr,  qui  abritait  leurs  dépouilles  mortelles. 

Quelle  est  la  signification  des  bas-reliefs  qui  le  décorent  ?  Suivant 
que  Ton  attribue  ce  marbre  au  paganisme  ou  au  christianisme,  on 
produit  une  interprétation  différente.  Pour  Grosson  «  ce  monument 
représente  un  acte  de  magistrature  ;  on  y  remarque  la  cérémonie  de 
l'affranchissement  :  à  Tune  des  extrémités,  le  maître  adressant  la 
parole  au  préteur  et  à  l'autre  les  esclaves  à  genoux    et  le  préteur  la 


—  676  — 

baguette  levée. . .  Notre  monument  parait  être  l'effet  de  la  reconnais- 
sance des  affranchis  envers  leurs  patrons  ;  on  voit  effectivement, 
dans  un  médaillon,  la  figure  d'un  homme  vêtu  comme  un  magistrat, 
tenant  un  rouleau  de  papyrus  d'une  main.  J'avoue  que  la  figure  qui 
est  en  bas,  dans  une  attitude  gênée  et  accompagnée  d'un  griffon,  m'a 
paru  une  allégorie  inexplicable,  à  moins  qu'on  n'ait  voulu  représenter 
l'état  de  contrainte  dans  lequel  se  trouvait  l'homme  en  servitude.  » 
(Grosson,  Monuments  Marseillais,  pp.  162,  163.  —  Notice  sur  les 
monuments,  p.  17.) 

Pour  l'abbé  Dassy,  Kothen,  l'abbé  Verlaque  *  l'artiste  a  voulu 
figurer  Jonas  rejeté  par  la  baleine  qui  l'avait  englouti  ;  Moïse 
frappant  le  rocher  pour  en  faire  jaillir  l'eau  ;  puis  le  même  législa- 
teur recevant  sur  le  Sinaï  les  tables  de  la  loi.  »  Pour  Msr  de  Belsunce, 
f  cette  femme,  à  moitié  couchée...,  détournant  la  tête  par  l'effroi 
que  lui  cause  la  vue  du  dragon...,  est  peut-être  le  symbole  de  la 
femme  de  l'Apocalypse. . .  »  M.  Grinda  pense  que  c  la  face  antérieure 
présente  un  médaillon  renfermant  le  portrait  d'un  personnage  décoré 
de  la  lœna  des  clarissimes,  signe  distinctif  de  la  haute  dignité  de 
patrice.  »  Libre  donc  à  chacun  de  suivre  l'opinion  qui  lui  plaira 
davantage  ! 


CHARTE  SANS  DATE   DU   XIVe    SIECLE 


c  Sequuntur  reliquiae  quae  sunt  in  Monasterio  Sancti  Victoris 
Massiliensis. 

c  Et  primo  in  altari  magno  est  quaedam  cassea  aureae  coloris  in 
quâ  sunt  multae  reliquiae  sicut  su  péri  us  et  juxta  altare  in  sepulcro  in 
quo  jacet  Urbanus  Papa  V,  de  quo  habemus  multa  miracula  ad 
canonizationem,  et  hic  juxta  est  armarium  in  quo  moratur  caput 
Beati  Victoris  positum  in  argenteo  et  in  alio  armario  est  caput  Beau' 
Cassiani  et  bracchii  ejusdem  et  duo  capitaXI  millia  Virgin um  Vincentiœ 
et  Benedictœ  et  duo  capita  Innocentium  et  dens  Beati  Pétri  Apostoli  et 
bracchium  Sancti  Victoris  et  est  unum  magnum  tabernaculum 
argenteum  in  quo  sunt  plures  reliquiae  et  alabastrum  unguenti  Beats 
Mariée   Maidalenre  et  bracchium  Sancti   Blasii  et   bracchium  Beati 


—  677  — 

Illidii  et  est  vas  argenteum  repletum  reliquiis,  et  omnes  reliquiee 
positae  sunt  in  argenteo  honorificè  quibus  decet. 

c  Sequuntur  reliquiae  ecclesiœ  in  ferions,  crux  B.  Andréa®  et  corpus 
B.  Cassiani,  primus  fundator  hujus  monasterii  et  corpus  B. . .  et 
corpus  B.  Ysarni  et  libérât  ve mentes  devoti  adtumulum  ipsius  a 
febribus,  et  Pétri...  et  de  legione  B.  Mauritii  et  septem  iratrum 
dormientium,  et  corpus  B.  Maurontii  episcopi  et  abbatis. . .  Bernar- 
di  cardinalis  et  B.  Yffredi  abbatis,  et  jacent  in  uno  tumulo 
et  Chrysanthi  et  Dariae  et  jacent  in  uno  tumulo  et  est  parva 
fovea in  quâ Maria  Magdalena  morata  fuit,  antequam  accederet... 
VII  annis  et  infra  est  tumulus  in  quo  jacent  corpora  Sanctorum 
Innocentium,  et  aliorum  corpora  sanctorum  martyrum.  Est  quaadam 
cape  11  a  quœ  dicitur  capella  B.  Marias  de  Confessione  et  circuitur 
ferro. . .  sub  imagine  B.  Maria?  jacent  très  milites  qui  fuerunt  socii 
Victoris  et  martyres  cum  eo  :  Felicianus,  Alexander,  et  Longinus,  et 
ante  altare  B.  M.  jacent  XL*  moniales  martyres . . .  reveren- 
tiam  ill arum  mulieres  non  intrant  dictam  capellam  et,  si 
intrent,  amittunt  visum,  et  abbatissa  illarum  jacet  juxta, 
extra  capellam  et  dicitur  B.  Eusebia. . . 

«  Et  superius  in  ecclesia  superiori  sunt  ampnorae  vitreœ  duae  et 
apparet  in  una  viridarum  et  fructus  et  poma,  et  fabse  et  racemi  et 
malogranata,  et  amigdalae  viridœ  et  flores  multae. .  • 

«  Et  in  alia  est  ymago  D.  N.  J.  Cbristi  qualiter  intrat  in  Jérusalem 
ascendens  in  asinam  et  Apostoli  précédentes  in  processione,  pueri 
Hœbraeorum  frangentes  ramos  et  spargentes  ante  asinam  et  claman- 
tes :  Hosanna  filio  David ...» 

(Ex  antiquo  fragmento  bombicino  ;    Recueil    âe    chartes, 
par  D.  Lefournier,  t.  III;  Archives  départementales.) 


—  678  — 


LÉGENDE  DE  LA  CARTE  DU  TERROIR  SUD-OUEST 

DE    MARSEILLE 

Aux  IX;  X\  XI;  XII»  et  XIII*  siècles 


Donation  d'Honoré  H,  évéque  de  Marseille,  a  l'abbaye  de  Saint- 
Victor  (965-977).  —  «  Et  ut  ibi  utilius  possint  régularité r  vivere,  'ex 
terra  quœ  ad  eamdem  abbatiam  pertinere  dinoscitur  aliquid  eis  cou- 
cedimus  ;  hoc  est  terra  culta  et  inculta,  pratis,  pascuîs,  garricis,  ac- 
quis, aquarum  ductibus  eorum  vel  reductibus,  et  est  ipsa  terra  in 
comitatu  Massiliensi,  in  giro  ejusdem  ecclesiae  beati  Victoris.  Gonsor- 
tes  :  duos  latus,  litus  maris  ;  de  alio  latus  fontem  et  montem  quem 
nuncupant  Guardiam,  et  viam  juxta  locum  quem  vocant  Paradisum.» 
(Charte  23,  Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

Rive  du  Port,  pêcheries,  carnariux,  terre  comtalb.—  «Gum  sali- 
nis  et  piscationibus  et  portu  navium  et  omnibus  juste  et  legaliter  ad 
euradem  fiscum  pertinent! bus,  conjacentem  in  comitatu  Massiliense 
qui  vulgo  Paradisus  nominatur,  sicut  est  via  quae  descendit  a  Guar- 
dia,  usque  in  Poium  Formicarium,  una  cum  terra  comitali  quœ  ante 
portam  castfi  fore  videtur  usque  ad  carnarium.i  (Charte  10,  de  904, 
Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

«  De  piscariis  portas  Massiliensis,  vol u mus  et  mandamus  ut  sint 
libère  cuique  volenti  ibi  piscari,  hoc  excepto,  quôd  si  quis  piscator 
retia  sua  traxerit  piscando  in  ipso  portu  ad  ripam  sive  littus  ex  parte 
monasterii,  teneatur  cum  abbate  seu  monasterio  de  piscaturis  hujus- 
modi  concordare.»  (Charte  917,  de  1230.) 

Salines.  —  (Charte  10,  de  904,  ut  supra.)—  «Omnem  partem  nos- 
tram,  quœ  ad  nos  pertinere  débet  de  salinis,  quœ  in  portu  civitatis 
Massiliensis  esse  videntur,  ab  ecclesiâ  sancti  Pétri  usque  in  civita- 
tem.»  (Charte  32,  de  1044.) 

c  Item  conquerebatur  dictus  abbas,  dicens  quod  commune  Massi- 
liense occupaverat  quamdam  partem  salinarum  et  terne  quaB  est  in- 
terterminum  (columna)  prœdictum  et  salinas  prœdictas,  ponendo  ibi 
palos  et  dessicando  locum  prœdictum.»  (Charte  17,  de  1230.) 


—  679  - 

Làuretum,  terra  de  Laureto.  —  «  Totura  honorem  quem  habeo 
in  Laureto  in  dominicaturâ  me  à,  videlicet  a>  turre  usque  ad  viam  quft 

itur  ad  sanctum  Saturninum » —  t  Totum   honorem,   scilicet 

Làuretum •  (Charte  1005,  de  1213  ;  Gartulaire  de  Saint-Victor.) 

«  Unum,  qui  situm  est  propre  ecciesiam  sancti  Saturnini  et  termi- 
natur  ab  oriente  via  publica  discurrenfe  in  civitatem,  a  meridie  via 
publica  quœ  est  subter  ecciesiam  sancti  Saturnini,  ab  aquilone  et 
meridie  terra  quae  vocaturad  Làuretum. •  (Gartulaire  de  Saint-Vic- 
tor ;  Charte  33,  de  1038-1048.) 

Via  C  allât  a.  —  «  Usque  ad  columnam  sitam  in  via  quœ  vocatur 
Callata.»  (Charte  864,  de  1218  ;  Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

Via  de  Laureto.  —  «  Via  de  Laureto.  »  (Charte  40  du  XI*  siècle).  — 
«  Via  publica  quœ  est  subter  ecciesiam  sancti  Saturnini.»  (Charte  33, 
de  1038-1048.)  —  «  Via  quâ  itur  ad  sanctum  Saturninum.  »  (Charte 
1005,  de  1213.)  —  «  Via  Sancti  Saturnini.  *  (Charte  40,  Cartulaire 
de  Saint-Victor.) 

Via  de  Guardia.  —  «  Sicut  est  via  quœ  descendit  a  Guardia  usque 
ad  Podium  Formicarium.»  (Charte  10,  Cartulaire  de  Saint-Victor.)  — 
t  Sicut  vadit  via  quâ  itur  versus  Guardiam.t  (Charte  899,  de  1228; 
Cartulaire  de  Saint- Victor.)—  «  Ab  oriente  termina  m  publicam  viam 
quœ  vadit  ad  Guardia  m.»  (Charte  40,  Cartulaire  de  Saint- Victor.)  — 
t  Vie  publice  quâ  itur  ad  sanctum  Victorem.» (Charte  1002,  de  1204  ; 
Cartulaire  de  Saint- Victor.)  Au  delà  de  la  montagne  de  la  Garde, 
ce  chemin  est  appelé  :  «  Via  publica  quœ  pergit  ad  Vuelna  »  ,  «  Vi- 
am quae  pergit  ad  molendinum  monachorum  » ,  «  Via  quœ  pergit  ad 
sanctum  Genesium.»  (Charte  40*  Cartulaire  de  Saint-Victor.)  -  «Sicut 
vadit  via  quâ  itur  ad  Pinum  Dalmatii  et  sicut  itur  ad  Girundam.» 
(Charte  899,  Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

Ruisseau  qui  tombe  dans  le  port.  —  «  Rivulus  qui  defluit  a  curata- 
ria  juxta  Podium  Formicarium.  »  (Charte  917,  de  1230  ;  Cartulaire  de 
Saint- Victor.)  —  «  Vallatosalinarum.»  (Charte  1002,  de  1204  ;  Cartu- 
laire de  Saint-Victor.) 

Mur  de  la  ville.  —  c  Quod  restituatur  (columna)  in  loco  undedict- 
tur  evulsa  fuisse,  scilicet  intef  parietem  et  rivulum.  »  (Charte  917, 
Cartulaire  de  Saint- Victor.)  —  «  Habens  versus  mare  a  pariete  qui 
contingatur  vie  publice  quâ  itur  ad  sanctum  Victorem  quindecim  can- 
nas.» (Charte  1002,  de  1204,  Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

Chemin  de  Saint- Loup  au  port,  rue  db  Roms  et  Cannebière  ac- 
tuellement. —  «  Via  publica  discurrente  in  civitatem.»  (Charte  33, 


—  680  — 

de  1038-1048,  Cartulaire  de  Saint-Victor.)  —  «  Circa  viam  publiera 
quœ  venit  ab  ecclesiâ  sancti  Thyrsi  et  vadit  in  portu  Massiliensi.» 
(Charte  40,  Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

Notre-Dame  des  Salines  ou  de  Beau  Lieu.  —  «  Juxta   bivîum  ubi 

dicitur  Bel  lus  Locus ecclesiam  et  domos,locum  ad  honorem  Dei 

genitricis  Maria? dono »  (Charte  1001,  de  1203,  Cartulaire  de 

Saint- Victor.) —  c  Ambas  vineas  sancti  Victoris  una  via  dividit.s 
(Charte  40,  Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

Chemin  de  Paradis.  —  «  Via  juxta  locum  de  Paradiso.»  (Charte  23, 
Cartulaire  de  Saint-Victor.) 

Eglises  de  Saint- Saturnin  et  de  Saint -Ferrkol.  —  «  Clausum 
unum  quodsitum  est  prope  ecclesiam  sancti  Saturnini  et  terminatur 
ab  oriente  via  publica  discurrente  ad  civitatem,  a  mendie  via  qua* 
est  subtus  ecclesiam  sancti  Saturnini,  etc.,  ut  supra  Lavretum.  » 
(Charte  33,  de  1038-1048;  Cartulaire  de  Saint- Victor.)  —  «  Uno 
clauso  qui  est  in  sancto  Saturnino,  fontem  quœ  in  medio  clauso,  ex 
una  parte  via  publicâ.  »  (Charte  41,  de  1028;  Cartulaire  de  Saint- 
Victor.)  —  c  Judaei  tenebant  possessions  beati  Pétri  de  Paradiso  usque 
ad  sanctum  Ferreolum  cum  clauso  sancti  Saturnini.  •  (Charte  1111, 
de  1085  ;  Cartulaire  de  Saint- Victor.) 

Ad  Teolarias.  —  m  De  vinea  David  quam  habemus  ad  Teolarias, 
ab  oriente  viam  quœ  vadit  ad  Guardiam,  a  meridie  clausum  sancti 
Pétri  de  Paradiso.  •  (Charte  40,  Cartulaire  de  Saint- Victor.) 

Saint-Pierre  de  Paradis,  Paradis. —  «  Non  longe  ab  ecclesiâ  sancti 
Pétri,  foris  portam  quœ  vocatur  Paradisi.»  (Charte  40,  Cartulaire  de 
Saint-Victor.) —  a  Hoc  advenit,  quateniH  œdificaremus  ecclesiam  in 
honore  sancti  Pétri  Apostolorum  Principis quœ  ecclesiâ  vel  lo- 
cus vocatus  est  Paradisus imôetiam  vocabatur  Paradisus  porta 

Paradisi simul  et  sancti  Pétri  Apostolorum  principis  ecclesiœ  in 

supradicto  loco  constructœ »  Charte  32,  de  1044  ;    Cartulaire  de 

Saint- Victor.)  —  «  Tertium  clausum  qui  est  situs  ad  caput  ejusdem 
ecclesiœ  sancti  Pétri  (de  Paradiso).  d  (Charte  33,  de  1048;  Cartulaire 
de  Saint-Victor.)  —  «  Sancto  Petro  et  ejus  ecclesiae  quœ  construitur 
loco  qui  vocatur  ad  Paradisum.»  (Charte  34,  de  1044  ;  Cartulaire  de 
Saint-Victor.) 

Terra  Sancti  MarijE,  vel  ancillarum  Dei. —  «  Non  longe  ab  eccle- 
siâ sancti  Pétri,  foris  portam  quœ  vocatur  Paradisi,  circa  viam  publi- 
cam,  quœ  vadit  ab  ecclesiâ  sancti  Thyrsi  et  vadit  in  portu  Massiliensi 
hœ  positœ  sunt  vineœ.    Habetur  ibidem   vinea  quartairada  dimidia 


—  681  — 

quœ  fuit  de  Gairalda  Blanca  Lancea,  quam  dédit  Domino  et  sancto 
Victori.  Terminât  eam  ab  oriente,  via  de  Laureto;  a  meridianâ,  vi- 
nea  de  Richao  ;  a  septentrione,  terra  sanctœ  Mariœ  vel  sanctimo- 
nialium,  non  longe  a  ripd  porti  supradicti,  in  cœnobio  quod 
pater  fundavit  Cassianuc,  consistentium  ;  ab  occidente,  item  ter- 
minât via  de  Guardia.  Inibi,  vinea  una  quartairada  quam  Petrus  Al- 
gitinus  solitus  erat  facere,  habens  terminum  ab  oriente  vineam 
sancti  Victoris,  ab  occidente  viam  de  Guardia  ;  a  meridie  terram  sanc- 
timonialium,  a  septentrione,  idem  ipsam  terram.  Item  inibi  una  se- 
modiata  vinea  quam  Bonifacius  pro  suâ  sorore  dédit  a  meridie  terra 
supradicta  ancillarum  Dei  ;  ab  oriente  vinea  salici  ab  occidente  vi- 
nea Pétri  Algitini.  Gontinetur  ibidem  una  quartairada  vineœ  quam 
Pontius  presbyter  sancti  Thyrsi,  dédit,  sancto  Victori.  Habemus  ibi- 
dem una  semodiata  de  vineâ  quœ  fuit  Almarici  de  Porta;  ab  oriente 
vinea  sanctœ  Mariœ,  ab  occidente  terra  de  servo  Dei,  a  septentrione 
vinea  sancti  Victoris  dei  Corno  (ambas  vineas  sancti  Victoris  dividit 
una  via);  a  merîdiano terra  Sanctœ  Mariœ  quœfacit  Gisfredus,  fllius 
Almarici.»  (Charte  40,  du  XIe  siècle  ;  Cartulaire  de  Saint- Victor.) 


CHARTE  DE   1481 


«  iEdificatio  ecclesiœ  Balmœ  minoris.  Universis  et  singulis  ad  quoâ 
prœsentes  litterœ  pervenerint.  Persivallus  de  Qamoto  sancti  monas- 
terii  sancti  Victoris  ad  romanam  ecclesiam  nullo  medio  pertinentis, 
ordinis  sancti  Benedicti,  eleemosynarius  ac  Rev.  in  X"  Guillelmi, 
miserationis  divinœ  dicti  monasterii  abbatis,  in  spiritualibus  et 
temporalibus,  vicarius  generalis,  salutem  in  Domino,  qui  pro 
redemptione  humani  generis  voluit  immolari.  Qui  utique  sancti  Dei 
illustrati  Spiritûs  sancta  flamma  prœvidenter  et  allicentia  solus  ad 
malum  carnalia  falsa  protnissis  mundana  et  œternaliter  necativa 
spoponsa,  tabuli  spirituali  oculo  capescentes  pro  vitœ  contemplativœ 
viaticum,  cœtefis  adeo  spretis,  vitœ  œternœ  secuti  sunt  piissime 
largitorem. 

«  Inter  quos  illa  lotrix  pedum  J.-C.  devotissima  B.  Maria  Magdalena, 
spéculum  contemplativum  illustratrix,  peccantium  non  immerito 
computataque  Salvatorem  ovium  poli  sublimato  culmine  cum  B.  La- 
zaro  a  J.-C.  ressuscitato,  Martha  fltixu  sanguinis  liberata,  Sidonio 
nativitate  caëco  et    inde    ôbluminato,    Marcella   quœ"   hoc   verbum 


—  682  — 

D.  J.-Cb.  proferre  meruit  :  Beatus  venter  qui  te  portavit,  Christ  e,  et 
ubera  quœ  suxisti  ;  ac  Maximino  ipsius  Redemptoris  discipulo  cum 
multis  aliis  sanctis  a  civitate  Jérusalem  pro  Gdei  orthodoxes  persé- 
cution e  nefandissima  exulata,  ac  procellosis  marinis  fluctibus  in 
quâdam  navicula  remigandi  artificio  destituta,  ut  inter  ponti  elationes 
m  ira  biles  submersionis  casum  peteret  inhumain  ter  exposita,  impel- 
lente  divino  spiramine  civitatem  Massiliœ  féliciter  pervenit  et  per 
eorum  praedicationes  salutiferas  exempla,  signa,  prodigia  et  miracula, 
procul  pulsis  imuaundorum  spirituum  sacrifiais,  eamdem  civitatem 
ma&ûliensem  ad  fidem  Christi  convenu nt,  in  quâ  sancto  Lazaro 
advento  episcopo  ad  civitatem  Aquensem  convertendam  gressus  sues 
destinaverunt  et  simili  ter  ejus  populum  ad  fidem  catholicam 
perdu xerunt.  Ubi  sancto  Maximino  paslore  ordinato,  eadem  rigalrix 
Christi  pedum,  cordialissime  turmas  gentium  Christ  o  profugiens 
lustra  nemoru m  et  antra  déserta  montium  salvifice  expetivit,  ubi  XXX 
annis  in  quâdam  speluncâ  latitans  et  soli  conditoris  inhaerens  desiderio 
cœlestibus  pasta  dapibus,  septies  in  die  ab  angelicis  spiritibus  in 
cœlum  fuit  elevata  et  humanis  obtutibus  penitus  ignorata  Altissimo 
accepla  servitia  persolvit. 

«  Sane  Deus  volens  eam  post  aerumnas  bujusmodi  vitae,  pro 
laborum  remuneratione  ad  cœlestem  concitare  beatitudinem,  non 
passus  est  sub  tanta  luce  sub  antro  caliginoso  hominum  notitiis 
ampli  us  occultari,  quin  imo  sancti  presbyteri  Cassiani  inibi  prope 
in  quddam  aliâ  balma  sive  ce  lia  gerentis  vitam  solitariam  quâdam 
die  oculos  aperiret  ac  visione  sanctorum  angelorum  ad  cœlum  eamdem 
quotidie  septies  elevantium  et  cœlesti  pabulo  ipsam  saturatam  et 
angelorum  ipsorum  audire  vocum  modulamina  et  ipsius  sanctsB 
Magdalenœ  habere  colloquia  pie  dédit,  quœ  jubente  Sancto  Maximi- 
no, visionem  detegere  properans,  diem  sui  felicissimi  ad  cœlestem 
transitum  certissime  renuntiavit.  Quâ  die  adveniente,  ad  recipiendam 
8acratissimam  corporis  et  sanguinis  D.  N.  J.-Ch.  communionera, 
sancti  Maximini  intra  oratorium  perducitur  ab  angelîs,  a  quâ,  dicto 
Sancto  Cassiano  presby tero  et  clero  prsesentibus,  receptâ  communione 
cum  multâ  lacrymarum  inundatione  illa  anima  sanctissima  mi  gravit 
ad  Dominum . 

c  Postea  verô  sanctus  Johannes  Cassianus  in  antro  sive  speluncâ 
quam  dicta  Magdalena  per  XXX  annos  dignos  fructus  peregerat 
succedens,  inibi  per  multos  annos  penitens,  malleo  spiritui  corpus 
subjecit,  deinde  post  aliqua  temporum  curricula,  ad  caenobialis  vitae 
cultum  et  fidci  orthodoxœ  semina,  stilum  vertens  infinitam  muliitu- 
dinem  virorum  et  mulierum  a  mundanis  illecebris  et  voluptatibus 
carnalibus    atque  nequam    venenosi   Acherontis   ignivomi    flatibus 


—  683  — 

revocanset  eripiens  suis  salutiferis  exemplis  et  eruditionibus,  Christo 
copuiaverit,  et  demum  hoc  prœsens  sacrum  monasterium  et  aliud 
olim  sibi  vicinum,in  diebus  il  lis  per  prophanos  Vandales  funditus 
démoli tum  mire  condidit,  in  quo  pnesenti  mon asterio  ipse  salut iferè 
prsefùit,  ac  ut  fidelia  scripta  memorant  et  aperta  produnt  testimonia, 
pater  pius  in  Massilia  quinque  millia  exstitit  monachorum,  confuta- 
tis  Nestorii  quondam  Constantinopolitani  archiepiscopi  damnatis 
haeresibus  et  compositis  ibi  multis  librorum  voluminibus  prsecipue 
sanctorum  Patrum  Egyptiorum  collation ibus  per  quas  parât ur  ad 
cœlestes  mensiones  scalœ  gradus,  in  sancta  senectute  aetatis  suœ 
anno  XGVIÏ,  ad  Christum  utriusque  sexûs  professionis  monasticœ 
multitudine  prsemissâ,  in  cœlum  ab  angelis  evectus  est. 

«  Nu  ne  siquidem  ita  evenit  quod  nobilis  et  de  vota  mu  lier  domina 
Maria  de  Spinosiis,  relicta  quondam  nobilis  Dyonisii  de  Lu  nieras 
militis,  Belvacensis  diœc,  post  diversas  et  longas  et  laboriosas 
peregrinationes  et  regressum  a  Jérusalem  et  post  perlustratas  per 
diversas  orbis  famosas  peregrinationes,  sollicita  de  animae  suœ  salute, 
volens  mundum  relinquere  et  solius  conditoris  servi tio  insistére,  ad 
laudem  Dei  et  su  se  animée  salutem,  post  quaesita  per  eam  cum 
diligentia  loca  diversa  et  locum  ad  Deo  serviendum  proprium  et 
aptum  et  devotum  et  a  populari  frequentia  remotum  posset  invenire, 
finaliter  patriae  Provincial  est  ingressa  et  deinde  ob  devotionem 
majorem  et  minorem  Balmas  sive  Speluncas,  in  quibus  eadem  Beata 
Maria  Magdalena  et  D.  Sanctus  Johann  es  Cassianus  se  mtmdo 
crucifixerunt,  visitando,  comperit  in  veritate  quod  dicta  minor  Balma 
sive  Spelunca,  in  quâ  est  domus  cum  Ecclesia  quâdam  sive  capellâ 
sub  patrocinio  gloriosissimœ  Virginis  Maria)  et  in  memoriam  et 
honorem  suœ  Annuntiationis,  Massiliensi  diœcesi  si  ta,  in  juridictione 
temporali  monasterii  ejusdem  et  locus  aptior  et  opportun ior  altissima 
sub  bumiliato  et  quieto  in  vita  conte mplati va  serviendum,  ob  quod 
omnino  spéculum  seu  excitata  stimulo,  relictis  mundi  et  carnis 
deceptivis  oblectationibus,  Altissimo  et  Virgini  gloriosa?,  curiao  et 
toti  superiori  civium  per  vitœ  suœ  tempora  ad  laudem  Creatoris  et 
expiationem  suorum  peccatorum,  contemplative  disposuit  famulari. 

«  Propter  quod  nobis  vice-fungenti  Révérend,  in  Christo  Palris 
Bomini  Abbatis,  predicta  humiliter  supplicavit,  quatenus  una  cum 
devoto  conventu  monasterii  prœdicti,  ecclesia  prœdictaï  Balma) 
inferioris  seu  minoris  cum  suis  omnibus  et  pertinences  et  certâ  parte 
nemoris ejusdem  Balma)  contigui  limitandâ  quae  ad  dictum  monaste- 
rium pertinet  etspectat  ad  affectus  in  ibi  dignos  fructus  paenitentiee 
promerendi  et  ad  dictam  ecclesiam  augmentandi  et.. .  œditicandi  ac 
novas  domus  et  mansiones  construendi  et  pro  praedictis  operibus  arbo- 


—  684  - 

res  et  ligna  dicti  nemoris  sibi  dandae  atque  limitandae  cindendi  et  de 
dictis  lignis  et  arboribus  pro  vita  suâ  et  etiam  personarum  eu  m  eâ 
ibidem  habitantium  pro  tempore  utendi,  ac  ibi  vineas,  arbores, 
fructiferas  plan  tan  di,  ortos  et  prata  faciendi...  ac  mu  lie  res  non  estas 
Deo  servira  et  mundo  renunciare  volentes  assumendi  . .  ac  unum 
presbyterum  seu  plures  devotos  et  honestos  quos  elegerint  pro  divino 
servitio  ac  missarum  celebratione  tenendi...  altare  alias  unum  ad 
honorem  Sancti  Cassiani  et  suo  vocabulo  in  dicta  ecclesia  construen- 
di. . .  unum  hospitale  ad  opus  colligendi  pauperes  ad  dicta  Balmas 
peregrinantes  et  juxta  fontem  ibi  vicinum  construendi. . . 

«  Nos  vero  attendentes  quod  dicta  domina  quœ  in  dicto  loco  post 
paucos  dies  habitationis,  mansiones  novas  condidit,  in  quâ  multas 
consumpsit  pecunias. . .  ex  voluntateet  consensu  expresso,  et  consen- 
su  devoti  conventûs  monasterii  prœdicti...  usum  dictœ  ecclesia? 
ruralis  Sanctae  Mariœ  Virginis  sive  spelunca  minons  de  Balmae. . . 
cum  domibus,  juribus  et  pertinenciis  eu  m  fonte  ibi  vicino  et  certa 
parte  nemoris  ibi  contigui  concedimus  et  donamus  cum  pactis  et 
retentionibus  quœ  sequentur. 

c  Primo,  quod  per  concessionem  hujusmodi  non  intendimus 
majoritatem  et  minoritatem  et  directum  dominium  quod  habet  in 
ecclesia,  nemore  et  terri torio,  dictus  Révérend.  Abbas  et  in  signum 
su 03  potestatis  imponimus  pensionem  unius  oboli. 

«  Et  ulterius,  quod  si  contingeret  quod  deficerent  dicta?  domina?, 
ita  quod  nullœ  existèrent  Deo  servientes,  tune  ecclesia  seu  Balma 
minor  revertatur  ad  monasterium. 

«  Et  alterum,  cum  devoto  conventu  super  hoc  habito  de  légitima 
délibéra tione,  prsefatam  dictam  Dominam  Mariam,  numéro  singulo- 
rum  devotorum  et  familiarium  dicti  monasterii  membrorum  ejus 
aggregamus,  ipsamque  participem  et  consortem  cum  suâ  congrega- 
tione  omnium  missarum,  indulgentiarum,  eleemosinarum,  jejunio- 
rum,  abstinentiarum  et  disciplinarum  omnium  et  singulorum 
quorumeunque  bonorum  spiritualium  et  temporalium  dicti  monas- 
terii et  membrorum  ejus  singularum  personarum  ibi  degentium, 
prœsentium  et  futurorum  in  vita  praesenti  et  future  meritorum, 
gratiarum,  quas  et  quœ  S.  Victor  et  socii  sui,  Mauritius,  Adrianus 
cum  sociis  eorum,  Petruset  Marcellinus,  Chrisantus  et  Daria,  Eusebia 
cum  XL*  sociabus  suis,  sanctus  Johannes  Cassianus,  Ysarnus, 
Maurontus,  Hylarion,  atque  Yfredns,  et  aîii  plurimi  martyres, 
conf essores  et  virgines,  quorum  corpora  in  nostro  monasterio  in 
Christo  pie  requiescunt. . .  Dalum  die  13  oct.  1431.  » 

(D.  Lefournier,  Recueil  de  chartes,  U  III  ;   Archives  dépar- 
tementales.) 


—  ws  — 


LtoWE  DE  U  CARTE  DU  TERROIR  0£  StttfnUR 

Au*  IX',  X*  et  XP  Éièàléi 

Va****  tm  ôéTAiLê  rouArm  nui  uni»  étf*it*fl  aê  f 09> 


n.ffE  >»*  * 


«Mftottted  Domtai...  êgoftertns  et  mate*  fllett  Dafcelto*  «t 
frater  meus  Bertrannus  donamus*  ôt  Téndimma  DomMô  Ded  et  MUéttte 
M**i»  et  Sftncttr  Victor!  et  abbati  Richardo  el  moftac-bifrpfteaémibus 
et-  ftttuH*  in  monawtério  Mas&iHensi  Domino  semper-servientibu*  ttfta 
pecia  de  terra  in  territorio  Massiliensi  ante  ecdeeiam  daftCti  Gtenesh' 
qu»  est  In  ripa  marte  et  affrontât  ipaa  terra  ab  oriente  Yià  pultfkâ,  a 
raerldte  pratum,  ab  occident©  ecclesia. . . 

<  Ego  Bontis-fllius  de  castelto  Balud  et  vtxùt  mea  Àlttthandâ  ddMtt- 
mus ...  XII  sextairadas  de  terra  in  territorio  Massiliensi  pfttpa 
eocleaiam  aancti  Gfenésii,  et  babet  ipsa  terra  et  un©  latere  cdndami- 
nam  episcopi  massiliensis,  ex  alio  latere  terra»  Gairffidis  Vfeé-domftte, 
6*  aHero  terra-  Nlceck"  Mafcsiliefiôi*,  ex  alio  terra  Inidei  à  flaf  danna. 

*  Ego  Itertat  d*  Bor*ia*a  do  et  Tende. . .  Ifl  dex*a4i'àd&#  de  terra  in 
pahïde  tapé*  rineae  de  ôrto  et  tttttt  ipsa  terra  Aimera  Ortofeiîtrt  et 
hamki*  a-  âtôrkKe  tettfe  Hfcecii  MtissiiteflSfej  ab  oriente  terra 
Fulcbonis. 

«•  Kg»  BéWtotm  Roetagni  dono.  - ,.  Hftrttt  pMrtuifi  metttn  qttf  est 
jit*t*  e&leaiam  sancti  Genesii  infira  coftdaminam  Ôatifridi*  vice- 
ownitte,  et  ipcnu»  p*atua*  est  ex  un*  latere  via  public*  qui»  Vadît 
in  montes,  ab  occident*  fratum  P&tri  Isntirdl  de  Massiilâ. 

«  Ego  Fufco  done. . .  tofftffl  ilîaifr  portera  decittrtô  quant  bfcbéo  in 
Ofto,  est  In  totê  IHâ  terra  q#ee  est  jttxta  eddétioit  sancli  Gentil  et 
in  palude. 

«  Ego  ÂradJus  Gaftdidia-  caftotricus  cto. . .  totem  iflato  dectaarom 
quam  accipiebam  de  iila  terra*  qtiam  Ifostagmia  Àlmaf  ici  dédît  sfcftdo 
Victor*  a  la  fos  d'Uvelna  et  in  alift  terra  quam  Damaleus  d?Alb«rHtt 
dederat  saîicto  Victori,  et  ift  alitt  tefrt  qusë  fuit  de  Iterid. 

c  Ego  Iterius  de  Borriana  dono. . .  peclam-  de  têrrâ,  et  eât  rpftft 
terra  in  ter  rîtorio  Massiliensi  juxt*  montem  dé  Gttrdîa,  é*  patte 
orlentis  habet  terra  Berardi,  a  meridto  terrât tleé-cotfrltaUtf  feqttM* 
ferré  *imi  at  et  tendit  usqne  ad  mare,  ex  aKfr,  terra  HleécH1. 

44 


—  686  — 

«  Ego  Pontius  dono. . .  similiter  illas  duas  pecias  de  terra  quae  sunt 
intra  lossatum  molendini  monachorum  et  Uvuelnam. 

t  Ego  Damalcus  d'Albania  et  uxor  mea  Dulciana  donamus . . .  illas 
duas  pecias  de  terra  quas  Amelius  Costarenus  quonda^n  misit  in 
pignore  sancto  Victori,  quas  post  mortem  ipsius,  Amelius  antequara 
fuisset  redempta  uxor  Bertranni  Iterii  et  Clii  ejus  accaptaverunt  de 
Jaufredo  vice-comité  et  tulerunt  sancto  Victori  et  dederunt  Dulciana? 
sorori  suae  in  haereditate.  Has  ego  Damalcus,  uxor  mea  supradicta 
recognoscentes  t  or  tu  m  que  faciebamus  sancto  Victori  relinquimus  et 
donamus  sancto  Victori ...  Et  est  una  pecia  ad  littus  maris  juxta  fos 
d'Uvelna,  juxta  terram  quam  Rostagnus  Almaricus  dédit  sancto 
Victori.  Et  alia  pecia  est  intra  de  Colîiber  juxta  terram  Rostagni 
Almarici  et  terram  Gaufredis  Borrel. 

•  c  Ego  Damalcus  d'Albania  et  uxor  mea  Dulciana  donamus. . .  illam 
decimam  quae  habebamus  in  vineis  quœ  sunt  ante  ecclesiarn 
sanctœ  Mariœ  de  Sait. 

c  Ego  Iterius  de  Borriana  dono. . .  unam  peciam  de  terra  de  U veina 
ad  guadum  de  Romanana,  et  babet  ex  uno  latere  juxta  mare  terra 
Amelii  Candidiae,  ex  alio  latere  terra  de  Richau,  ex  alio  terra  Villelmi 
Arnulfi  de  Turribus. 

«  Ego  Pontius  Isnardus  dono. . .  illa  terra  quae  est  supra  viam  qua? 
vadit  a  Massiliâ  ad  molendinum. 

t  Ego  Vilielmus  Artaldi  dono. . .  mcdietatem  illius  terrse  quae  est 
supra  ecclesiarn  sancti  Genesii  etpertingit  usque  in  podium  qui  est 
super  ipsam  ecclesiarn  et  ab  oriente  usque  in  terram  quae  fuit  Dodo- 
nis  de  Fos,  a  meridie  usque  in  via  quae  vadit  Massiliâ  m  est  usque 
ad  petram  quae  est  ad  caput  ecclesiae. 

«  Similiter  dono  ego  Vilielmus  Artaldus  pro  supradicto  filio  meo 
in  unâ  peciâ  de  terra  medietatem  in  loco  qui  dicitur  ad  Arabens 
et  terminatur  ab  oriente  condaminâ  episcopi,  a  meridie  terra  Pétri 
Isnardi,  ab  occidente  terra  Gantelmi  de  Massiliâ. 

a  Similiter  dono  de  aliâ  peciâ  in  loco  qui  dicitur  ad  sanctum 
Felicem  et  terminatur  a  casales  usque  in  fossaium  aquœ,  ex 
aliâ  parte  a  mare  et  ex  aliâ  aquâ  Uvelnœ. 

«  Ego  Lambert  us  Dodo,  dono . . .  unam  peciam  de  terra  post  ecclesiarn 
sancti  Genesii  et  terminatur  ex  uno  latere  terra  Adalufi,  ex  alio  via 
quae  vadit  Massiliam,ex  alio  terra  sancti  Victoris  quae  fuit  Villelmi 
Altaudi  et  Ismidonis  fratris  ejus,  et  in  alio  loco  in  palude  Fraïualdi 
aliam  peciam  de  terra  quae  e6t  inter  vineas  sancti  Victoris. . . 

c  Ego  Nicesius  de  Massiliâ  dono. . .  illam  terram  hermam  quae  est 
juxta  planam  de  Gardia  et  terminatur  ab  oriente  terra  sancti  Victo- 
ris quae  fuit  Pontii  Lamberti  et  Gantelmi,  ex  alio  flectit  jux la  terram 


-  687  — 

Bonifacii  de  Rascaz  et  pertingit  usque  in  via  quœ  vadit  per  ipsam 
Gardiam,  ameridie  terra  sancti  Genesii  quœ  fuit  quondam  cœmete- 
rium  i psi  us  ecclesiœ. 

«  Ego  Pontia  uxor  Salici  quondam,  dono. . .  imam  paeiam  de  terra 
et  cfù  ijtfa  terra  i»  tornqui  tlici  vr  ad  Arnbvn*  et  1erii  "p;li  r 
ab  oriente  terra  Isnarni  Carbonel,  a  meiiilie  tend  ileiii  do  buiiit.iiu, 
ab  occidente  terra  sancti  Victoria  quœ  fuit  Ponlii  Arlufî,  ab  aquiJone 
terra  Ni  ceci  i  et  terra  Canudi. 

c  Ego  Pontius  Arlufî  dono  . .  unam  peciam  de  terra  juxta  iJlain 
quœ  script  a  quam  Pontia  dédit,  pertingit  usque  in  palude  de 
Archulens  et  terminatur  exaliâ  parte,  terra  Iterii  de  Borrianâ. 

«  Ego  Pontius  Signoreti  dono. ..  unam  peciam   de  terra    in  terri- 

torio  sancti  Genesii   et  terminatur    ab    oriente  terra  Gaufridis  vice- 

» 

comitis,  a  meridie  aquâ  Uvelnœ,  et  ab  occidente  condaminâ  sancti 
Victoris  quœ  fuit  episcopi. 

«  Ego  Bertrannus  fîliusRicbau  dono. . .  unam  sextairadamde  vineâ 
in  loco  qui  dicitur  ad  Calcadis  et  in  alto  loco  ubi  dicitur  ad 
Arabenzy  in  VI  sextairadas  de  ipsa  duas  partes,  quœ  tertia  pars  est 
fratris  mei  Richaudi  et  terminatur  ab  oriente  terra  Ismidonis  quœ" 
dédit  Villelmo  filio  suo  monacho,  et  a  meridie  terra  sancti  Victoris 
qui  fuit  Pétri  Isnardi,  et  ab  occidente  terra  Gantelmi. 

«  Factœ  sunt  autem  hœ  cartœ  harum  donationum  vel  venditionum 
anno  ab  Incarnatione  Domini  MXGVII  indictione  V,  in  ipsâ  ecclesiâ  ' 
sancti  Genesii,  feriâ  V  aut  VI,  sive  etiam  sabbato. 

«  EgoPetrus  Garinusdono.. .  terra  quœ  est  super  ecclesiam  sancti 
Genesii,  et  est  juxta  viam  quœ  movit    de    Massiliâ   in   molendihum, 
habet  consortes  terrœ  quœ  fuit   de  Lamberto  Dodonis  et  ex  aliâ  parte  > 
terra  quœ  fuit  de  Gaufredo*  de  Massiliâ. 

«  An  no  ab  Incarnatione  Ûomini  millesimo  centesimo,  in  indictione 
XI. ..  »  (On  ajoute  deux  autres  terres.) 

Au  dos    de    cette   charte   sont    inscrites    d'autres   ventes  de  ' 
terres,  entre  lesquelles  il  y  a  celles-ci  : 

«  Ego  Iterius  de  Borrianâ  mitto  in  pignore  sancto  Victori  unam 
peciam  de  terra  ad  Araben*. 

t  Ego  Petruslsnardus  mitto  in  pignore  sancto  Victori  terram  quœ 
est  juxta  terram  episcopi  massiliensis  ab  oriente,  et  ab  occidente 
terra  Gantelmi.  » 

(Archives   départementales,    Fonds    de    Saint- Victor,   Charte 
789  ou  317.) 


-688  — 


LETTRE  DE  M.  GRANGÏER. 

prêtre-curé  a  SAiNT-ânriEZ 

En  date  du  6  Juillet  1631 


»«■»■*»       i  m  il 


t  yoraEiGHfeuft, 

t  II  y  a  environ  deux  ans  que  je  pris  la  liberté  de  voua  écrire, 
pour  vous  prier  de  me  remplacer  ici.  Vou6  me  fîtes  l'honneur  de  me 
répondre  que  vous  aviez  apprécié  mes  motifs,  et  que  vous  acceptiez 
m* démission,  en  m'engageant  d'attendre  encore  un  peu,  jusqu'à  ce 
que  vous  eussiez  un  sujet  disponible.., 

t  Maintenant  je  suis  devenu  comme  impotent.  Je  ne  puis  marcher 
qu'avec  beaucoup  de  peine,  soutenu  par  un  bâton. 

«  Ces  deux  dernières  années,  j'ai  été  obligé  de  recourir  à  la  charité 
dt  quelqu'un  de  mes  confrères  de  la  ville  pour  qu'il  vint  porter  le 
Saint-Sacrement  à  la  procession  de  la  Fête-Dieu- 

f  D'après  un  anoien  usage  de  la  paroisse,  on  va  toutes  les  années, 
le  jour  de  l'Ascension,  processionnellement  faire  une  station  à  une 
chapelle  dédié*  à  Mainte  Euêèbie,  située  au  bord  de  la  mer.  Cette 
année  je  ne  me  suis  pas  senti  la  force  d'aller  si  loin»  d'autant  que» 
lorsqu'on  est  arrivé  fc  la  plage,  il  faut  côtoyer  pendant  longtemps 
dans  le  sable  et  les  graviers,  jusqu'en  face  du  portail  de  la  campagne 
ou  se  trouve  U  dite  chapelle»  ce  qui  est  fatigant  même  pour  les 
personnes  jeunes  et  robustes.*, 

«  Signé  :  GRANGIER,  prêtre  *  » 
(Archives  de  la  paroisse  de  8aiat~Giaitz.) 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PRÉFACE 

Pages 
Sainte  Eusébie,  abbesse,  et  ses  quarante  compagnes,  martyres  à 

Marseille v-vxn 


INTRODUCTION 

Chapitre  I.  —  L'abbaye  cassianite  des  bords  de  l'Huveaune. ...  1 

—  II.  —  L'abbesse  Eusébie 10 

—  III.  —  Martyre  de  Sainte  Eusébie  et  de  ses  quarante 

compagnes 25 

—  IV.  —  Sainte  Eusébie  et  son  culte  immémorial 33 

—  V.  -  Sainte  Eusébie  et  son  culte  immémorial  (suite).  42 

—  VI.  —  Sainte  Eusébie  et  ses  quarante  compagnes  et 

leurs  reliques 54 


CHAPITRE  PRÉLIMINAIRE 


Précis  historique  de  la  controverse 61 


-  690 


PREMIÈRE  QUESTION 

En  quel  lieu  Sainte  Euséki*  a  souffert  le  martyre 


PREMIÈRE  PARTIE 

RÉFUTATION  DES  AUTEURS 


PREMIÈRE  SECTION 
Exposition  des  objections  et  questions  préjudicielles 

Pages 

Chapitre  I.  —  Les  auteurs  contraires  à  notre  opinion ....      69 

—  II.  —  Première  question  préjudicielle  :  Divers  empla- 

cements que    le  monastère  des  religieuses 
cassianites  a  occupés  eu  V*  au  XI*  siècle 85 

—  III.  —*  Seconde  question  préjudicielle:  Noms  divers 

que  le  monastère  a  portés  du  V*  au  XI"  siècle    106 

—  IV.  —  Troisième  question  préjudicielle  :  Le  quartier 

de  Saint-Giniez,  du  V*  au  XI*  siècle 121 

DEUXIÈME  SECTION 
Discussion  des  objections 

Chapitre  I.  —  Texte  de  la  charte  40  du  XI"  siècle 133 

—  IL  —  Texte  de  la  charte  40  du  XI-  siècle  (suite) 1 1*2 

—  III. — Inscription  d'Eugenia 152 

—  IV.  —  Texte  des  chartes  de  1431  et  1446 162 

—  V.  —  Plusieurs  objections  de  Ruffi 177 

—  VI.  —  Les  religieuses  n'avaient  pas  de  chapelles  avant 

814 179 

—  VIL  —  Les  monastères  doivent  être  proches  des  villes. 

Texte  de  saint  Jean  Chrysostome 188 

—  VIII.  —  Origine  du  nom  «  deïs  Desnarrados  »  donné 

à  la  chapelle  des  bords  de  l'Huveaune 192 


—  691  - 

Pages 

Chapitre  IX.  —  L'abbaye  cassianite  placée,  par  les  auteurs,  aux 

Catalans  et  au  bassin  du  Carénage 198 

—  X.  —  L'abbaye  cassianite  placée,  par  les  auteurs,  au 

quartier  du  Revest 204 

—  XI.  —  L'abbaye  cassianite  placée,  par  les  auteurs,  à 

Saint-Cyr  (Var) . 210 

—  XII.  —  L'abbaye  cassianite  placée,  par  les  auteurs,  à 

Saint-Loup 217 

—  XIII.  —  Assertions  de  la  Galliu  chrisUana,  des  Bol- 

landistes,  de  M.  André,  de  M.  Verlaque,  etc..    222 


DEUXIÈME  PARTIE 

PREUVES  EN  FAVEUR  DE  NOTRE  THÈSE 


PREMIÈRE  SECTION 
Preuves  négatives 

Chapitre  I.  —  L'abbaye  cassianite  n'a  pu  se  trouver  au  bassin 

du  Carénage 229 

—  II.  —  L'abbaye  cassianite  n'o  pu  se  trouver  ni  à  Paradis, 

ni  au  Revest 237 

—  III.  —  L'abbaye  eassianite  n'a  pu  se  trouver  ni  à  Sainte- 

Catherine,  ni  aux  Catalans 245 

DEUXIÈME  SECTION 
Preuves  positives 

Chapitre  I.  —  Les  auteurs  favorables  à  notre  opinion 251 

—  II.  —  Le  Propre  de  Marseille.  Les  leçons  de  l'office  de 

Sainte  Eusébie \ * 264 

—  III.  —  La  croix  de  Saint  André  cachée  à  l'abbaye  cas- 

sianite de  l'Huveaune 272 

—  IV.  —  La  croix  de  Saint  André  (suite) 287 

—  Y.  —  La  croix  de  Saint  André  (suite). ... 298 


-  69?  - 

Pages 

Chapitre  VI.  —  L'église  et  la  maison  en  ruines  sur  les  bords  de 

l'Huveaune,  ou  l'abbaye  des  Prémontrés  établie 
à  l'Huveaune  en  1204 . 307 

—  VII.  —  L'église  et  la  maison  en  ruines  des  bords  de 

rHuveaune  (suite) 312 

—  VIII.  —  L'église  et  la  maison  en  ruine  des  bords  de 

rHuveaune  (suite) 320 

—  IX.  —  L'église  de  Sainte-Marie  de  Sait,  aux  bords  de 

l'Huveaune 329 

—  X.  —  Notre-Dame  d'Huveaune,  vocable  de  l'abbaye 

des  Prémontrés 338 

—  XI.  —  Culte  de  Saint  Cyr  établi  à  l'abbaye  des  Pré- 

montrés de  THuveaune 342 

—  XII.  —  «  Leïs  Desnarrados  » 346 

—  XIII.  —   «  Ad  Casales  »  et  la  terre  «  ad  Àrabenz  »...     350 

—  XIV.  -  J,a  tradition 359 


DEUXIÈME  QUESTION 

A  quelle  époque  Sainte  Eusébie  a  souffert  le  martyre 


PREMIÈRE  PARTIE 

RÉFUTATION  DE  l/OPINION  CONTRAIRE 


PREMIÈRE  SECTION 
Objections  et  Questions  préjudicielles 

Chapitre  I.  —  Auteurs  qui  ont  attribué  le  martyre  de  Sainte 

Eusébie  à  d'autres  que  les  Sarrasins 371 

—        II.  —  Auteurs  qui  ont  assigné  au  martyre  de  Sainte 

Eusébie  une  date  autre  que  celle  738 376 

t-        III.  —  Les  Sarrasins.  Première  question  préjudicielle  .     385 


-  693  — 

Pages 

ftupiTRB  IV.  —  Inscription  de  Sainte  Eusébie.  Seconda  question 

préjudicielle ■. .\ . .  .  391 

—  V.  —  Inscription  de  Sainte  Eusébie  (suite). . , 402 

—  VI.  *~  Inscription  de  Sainte  Eusébie  (suite) 413 

—  VII.  —  Inscription  de  Sainte  Eusébie  (suite) 420 

—  VIIL  —  Inscription  de  Sainte  Eusébie  (suite) 430 

«—       IX.  —  Inscription  de  Sainte  Eusébie  (suite) 442 

—  X.  **  Inscription  de  Sainte  Eusébie  (suite) 466 

DEUXIÈME  SECTION 
Discussion  des  objections 

Chapitre  I.  —  Les  preuves  apportées  par  les  auteurs  pour  attri- 
buer à  d'autres  que  les  Sarrasins  le  martyre 
de  Sainte  Eusébie  ite  sont  pas  recêvables 485 

—  '     IL  ■*•  Les  preuves  apportées  par  les  auteurs  pour  placer 

à  une  date  autre  que  celle  de  738  le  martyre 

de  Sainte  Eusébie  ne  sont  pas  recêvables 504 

—  III.  —  Les  preuves*  alléguées  contre  la  date  de  738  ne 

eont  pas  recêvables 517 


DEUXIÈME  PARTIE 

NOTRE  THÈSE  :   SAINTE  EUSÉBIE  A  ÉTÉ  MARTYRISÉE  PAR  LES 

SARRASINS  EN  738 


PREMIÈRE  SECTION 
Preuve*  négative* 

Cbawtre  I.  —  Les  Vandales  n'ont  pas  maryrisé  Sainte  Eusébie,    521 

—  It.  —  Les  Visigotbs  n'ont  pas  martyrisé  Sainte  Eusébie    535 

—  III.  —  Les  Bourguignons   et  les   Francs  n'ont  pas 

martyrisé  Sainte  Eusébie 548 

—  IV.  —  Les  Lombards  et  les  Saxons  n'ont  pas  marty- 

risé Sainte  Eusébie 558 


—  694  — 

Pages 

Chapitre  V. —  Les  Normands  n'ont  pas  martyrisé  Sain te-Eusébie    568 

—  VI.  —  Les  Hongrois  n'ont  pas  martyrisé  Sainte  Eusébie    578 

VII.  —  Le  martyre  de  Sainte  Eusébie  n'a  pu  avoir 

lieu  aux  dates 'proposées  par  les  auteurs.. .    585 

VIII.  —  Le  martyre  de  Sainte  Eusébie  n'a  pu  avoir 

lieu  aux  dates  proposées  par  les  auteurs 
(suite) 592 

—  IX.  —  On  peut  attribuer  aux  Sarrasins  le  martyre  de 

Sainte  Eusébie 604 

DEUXIÈME  SECTION 
Preuves  positives 

Chapitre  I.  —  La  tradition,  à  Marseille,  que  les  Sarrasins  ont 

martyrisé  Sainte  Eusébie 611 

—  II.  —   Auteurs  qui   affirment  que  les  Sarrasins  ont 

martyrisé  Sainte  Eusébie 627 

—  III.  —  Absence  de  documents  du  VIII*  siècle 634 

—  IV.  —  Le  Polyptique  de  Wadalde 639 

—  V.—-  Les  Sarrasins  ont  martyrisé  Sainte  Eusébie  en  738  643 

—  VI.  —  L'indiction  sixième  de  l'inscription  de  Sainte 

Eusébie 657 

—  VII.  —  Le  t  Pridie  kalendas  octobris  »  de  l'inscription 

de  Sainte  Eusébie 665 


APPENDICE 

Légende  des  Photogravures  renfermées  dans  cet  ouvrage 673 

Légende  de  la  carte  du  terroir  sud-ouest  de  Marseille  aux  XII* 

et  XIII*  siècles 678 

Charte  de  1431 681 

Légende  de  la  carte  du  terroir  de  Saint-Giniez  aux  IX*,  X*  et  XI* 

siècles,  d'après  la  charte  de  1097 685 

Lettre  de  M.  Grangier 688 


ACHEVÉ    D'IMPRIMER 

Je  28  Octobre  1890 

Fête  des  Apôtres  Saint  Simon  et  Saint  Judk 


MARSEILLE.  —  IMPRIMERIE  MARSEILLAISE,  BUB  8AINTE,  39. 


S-     s 


1 


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JIJK     4     "